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Full text of "Oeuvres. Collationnées sur les éditions originales, accompagnées d'une bibliographie et d'un glossaire par Louis Moland. Nouv. éd. précédée d'une notice bilgraphique par Henri Clouzot"

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ŒUVRES 

DE 

RABELAIS 


II 


Édition  limitée  à  mille  cinq  cents  exemplaires 
numérotés  et  tirés  sur  papier  pur  fil  des  Papeteries 
Lafuma. 


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COLLECTION    "  SELECTA  "    DES    CLASSIQUES    CARNIER 


ŒUVRES 


DE 


RABELAIS 


COLLATIONNEES  SUR   LES   EDITIONS  ORIGINALES 

ACCOMPAGNiES 

D'UNE    BIBLIOGRAPHIE    ET    d'UN    GLOSSAIRE 

FAR 

LOUIS     MOLAND 

IST  O  TJ  V  E  IL.  nii  E     ÉIDIXIOIT 

précédée 
d'une    notice   biographique 

PAR 

HENRI    CLOUZOT 


TOME    II 


PARIS 
LIBRAIRIE    GARNIER    FRÈRES 

6,    RUE    DES    SAINTS-PÈRES,    6 


LE    QUART   LIVRE 
DES    FAICTS    ET    DIGTS    HEROÏQUES 

DU   NOBLE   PANTAGRUEL 

COMPOSÉ 

PAR    M.    FRANÇOIS    RABELAIS 

DOCTEUR    EN    MEDICÎ>fE 


T.  Il, 


ANCIEN    PROLOGUE 


Beuveurs  très  illustres,  et  vous  Goutteux  très  precieulx. 
j'ay  veu,  receu,  ouy  et  entendu  l'ambassadeur  que  la  sei- 
gneurie de  vos  seigneuries  a  transmis  par  devers  ma  paternité; 
et  m'a  semblé  bien  bon  et  facond  orateur.  Le  sommaire  de  sa 
proposition  je  réduis  en  trois  motz,  les  quelz  sont  de  tant 
grande  importance  que  jadis,  entre  les  Romains,  par  ces  trois 
motz  le  prêteur  respondoit  à  toutes  requestes  exposées  en 
jugement.  Par  ces  trois  motz  dccidoit  toutes  controversies, 
tous  complainctz,  procès  et  diffurens,  et  estoient  les  jours  dicts 
ma'heureux  et  néfastes,  es  quelz  le  prêteur  n'usoit  de  ces  trois 
motz  :  fastes  et  heureux,  esquelz  d'iceulx  user  souloit.  Vous 
donnez,  vous  dictes,  vous  adjugez.  O  gens  de  bien  !  je  ne  vous 
peulx  voir.  La  digne  vertus  de  Dieu  vous  soit,  et  non  moins  à 
moy,  éternellement  en  ayde  !  Or  ça,  de  par  Dieu,  jamais  rien 
ne  faisons  que  son  très  sacré  nom  ne  soit  premièrement  loué. 

Vous  me  donnez.  Quoy?  un  beau  et  ample  bréviaire.  Vray 
bis,  je  vous  en  remercia  :  ce  sera  le  moins  de  mon  plus.  Quel 
bréviaire  feust  certes  no  pcnsoio,  voyant  les  reigletz,  la  rose, 
les  fermailz,  la  reUeure,  et  la  couverture,  en  laquelle  je  n'ay 
omis  à  considérer  les  crocs,  et  les  pies  painctes  au  dessus  et 
semées  en  moult  belle  ordonnance.  Par  lesquelles  (comme  si 
fussent  lettres  hieroglyphicques)  vous  dictes  facilement  qu'il 
.n'est  ouvrage  que  de  maistres,  et  courage  que  de  crocqueurs 


4  LIVRE    IV 

de  pies.  Croquer  pie  signifie  certaine  joyeulseté,  par  méta- 
phore extraicte  du  prodige  qui  advint  en  Bretaigne,  peu  de 
temps  avant  la  bataille  donnée  prés  Sainct  Aubin  du  Cormier. 
Nos  pères  le  nous  ont  exposé,  c'est  raison  que  nos  successeurs 
ne  l'ignorent.  Ce  fut  l'an  de  la  bonne  vinée;  on  donnoit  la 
quarte  de  bon  vin  et  friand  pour  une  aiguillette  borgne. 

Des  contrées  de  levant  advola  grand  n  Dmbre  de  gays  d'un 
cousté,  grand  nombre  de  pies  de  l'aultre,  tirans  tous  vers  le 
ponant.  Et  se  coustoyoient  en  tel  ordre  que  sur  le  soir,  les 
gays  faisoient  leur  retraicte  à  gauche  (entendez  icy  l'heur  de 
l'augure),  et  les  pies  à  dextre,  assez  prés  les  uns  des  aultres. 
Par  quelque  région  qu'ilz  passassent,  ne  demeuroyt  pie  qui  ne 
se  ralhast  aux  pies,  ne  gay  qui  ne  se  joignist  au  camp  des  gays. 
Tant  allèrent,  tant  volèrent,  qu'ilz  passèrent  sus  Angiers, 
ville  de  France,  limitrophe  de  Bretaigne,  en  nombre  tant 
multipUé  que,  par  leur  vol,  ilz  tollissoyent  la  clarté  du  soleil 
aux  terres  subjacentes. 

En  Angiers  estoit  pour  lors  un  vieux  oncle,  seigneur  de 
sainct  George,  nonmié  Frapin  :  c'est  celluy  qui  a  faict  et 
composé  les  beaulx  et  joyeulx  noëlz  en  langage  poictevin.  Il 
avoit  un  gay  en  dehces  à  cause  de  son  babil,  par  lequel  tous 
les  survenans  invitoit  à  boyre,  jamais  ne  chantoit  que  de 
boyre,  et  le  nommoit  son  goitrou.  Le  gay,  en  furie  martiale, 
rompist  sa  caige,  et  se  joignist  aux  gays  passans.  Un  barbier 
voisin,  nommé  Bahuart,  avoit  une  pie  privée  bien  guallante. 
Elle  de  sa  personne  augmenta  le  nombre  des  pies,  et  les  suivit 
au  combat.  Voicy  choses  grandes  et  paradoxes,  vrayes  tou- 
te foys,  veues  et  avérées.  Notez  bien  tout.  Qu'en  advint  il? 
Quelle  feust  la  fin?  Qu'il  en  advint,  bonnes  gens?  Cas  merveil- 
leux. Prés  la  croix  de  Malchara  feust  là  bataille  tant  furieuse 
que  c'est  horreur  seulement  y  penser.  La  fin  fut  que  les  pies 
perdirent  la  bataille,  et  sus  le  camp  furent  felonnement  occi- 
ses, jusques  au  nombre  de  2,589,362,109,  sans  les  femmes  et 
petitz  enfans,  c'est  à  dire  sans  les  femelles  et  petitz  piaux» 


ANCIEN    PROLOGUE  5 

VOUS  entendez  cela.  Les  gays  restèrent  victorieux,  non  toutes- 
foys  sans  perte  de  plusieurs  de  leurs  bons  soubdarz,  dont  fut 
dommaige  bien  grand  en  tout  le  pays.  Les  Bretons  sont  gens, 
vous  le  sçavez.  Mais  s'ilz  eussent  entendu  le  prodige,  facille- 
ment  eussent  congnu  que  le  malheur  seroit  de  leur  cousté. 
Car  les  queues  des  pies  sont  en  forme  de  leurs  hermines;  les 
gays  ont  en  leurs  pennaiges  quelques  pourtraictz  des  armes 
de  France. 

A  propos,  le  goitrou,  troys  jours  après,  retourna  tout 
hallebrené  et  fasché  de  ces  guerres,  ayant  un  œil  poché.  Tou- 
tesfoys,  peu  d'heures  après  qu'il  eust  repeu  en  son  ordinaire, 
il  se  remit  en  bon  sens.  Les  gorgias  peuple  et  escoliers  d'An- 
giers  par  tourbes  accouroient  veoir  Goitrou  le  borgne,  ainsi 
accoustré.  Goitrou  les  invitoit  à  boyre  comme  de  coustume, 
adjoutant  à  la  fin  d'un  chascun  invitatoire  :  Crocquez  pie. 
Je  présuppose  que  tel  estoit  le  mot  du  guet  au  jour  de  la 
bataille,  tous  en  faisoient  leur  debvoir.  La  pie  de  Bahuart  ne 
retournoit  poinct.  Elle  avoit  esté  crocquée.  De  ce  feut  dict 
en  proverbe  commun  :  Boyre  d'autant  et  à  grands  traitz 
estre  pour  vray  crocquel  la  pie.  De  telles  figures  à  mémoire 
perpétuelle  fit  Frapin  peindre  son  tiner  en  salle  basse.  Vous 
la  pourrez  voir  en  Angiers,  sus  le  tartre  sainct  Laurent. 

Geste  figure,  sus  vostre  bréviaire  posée,  me  fit  penser  qu'il 
y  avoit  je  ne  sçay  quoy  plus  que  bréviaire.  Aussi  bien  à  quel 
propos  me  feriez  vous  présent  d'un  bréviaire?  Je  en  ay.  Dieu 
mercy  et  vous,  des  vieulx  jusques  aux  nouveaulx.  Sus  ce 
doubte  ouvrant  ledict  bréviaire,  j'apperceu  que  c'estoit  un 
bréviaire  faict  par  invention  mirificque,  et  les  reigleitz  tous  à 
propous,  avecques  inscriptions  opportunes.  Donc  vous  vou- 
lez qu'à  prime  je  boive  vin  blanc;  à  tierce,  sexte  et  none, 
pareillement;  à  vespres  et  complies,  vin  clairet.  Cela  vous 
appeliez  crocquer  pie;  vrayement  vous  ne  fustes  oncques  de 
mauvaise  pie  couvés.  J'y  donnerai  requeste. 

Vous  dictes.  Quoy?  Que  en  rien  ne  vous  ay  fasché  par  tous 


6  LÎVRE    ÎV 

mes  livres  cy  devant  imprimez.  Si  à  ce  propous  je  vous  allègue 

la  sentence  d'un  ancien  Pantagrueliste,  encorcs  moins  vous 

faschcray. 

Ce  n'est  (dit-il)  louange  populaire 
Aux  princes  avoir  peu  complaire. 

Plus  dictes  que  le  vin  du  tiers  livre  a,  esté  à  vostre  goust,  et 
qu'il  est  bon.  Vray  est  qu'il  yen  avoit  peu,  et  ne  vous  plaist  ce 
que  l'on  dict  communément,  un  peu  et  du  bon.  Plus  vous 
plaist  ce  que  disoit  le  bon  Evispande  Verron,  beaucoup  et  du 
bon.  D'abondant  m'invitez  à  la  continuation  de  l'histoyre 
Pantagrueline,  alleguans  les  utilitez  et  fruictz  perceus  en  la 
lecture  d'icelle,  entre  tous  gens  de  bien;  vous  excusans  de  ce 
que  n'avez  o'otemperé  à  ma  prière,  contenant  que  eussiez 
vous  reserver  à  rire  au  septante  huitiesme  li\Te.  Je  le  vous 
pardonne  de  bien  bon  cœur.  Je  ne  suis  tant  farouche,  ne  im- 
placable que  vous  penseriez.  Mais  ce  que  vous  en  disois  n'es- 
toit  pour  vostre  mal.  Et  vous  dis  pour  response,  comme  est  la 
sentence  d'Hector  proférée  par  Nevius,  que  c'est  belle  chose 
estre  loué  de  gens  louables.  Par  réciproque  déclaration  je  dist 
et  maintiens  jusques  au  feu  exclusivement  (entendez  et  pour 
cause)  que  vous  estes  grands  gens  de  bien,  tous  extraictz  de 
bons  pères  et  bonnes  mères.  Vous  promettant,  foy  de  piéton, 
que,  si  jamais  vous  rencontre  en  Mésopotamie,  je  feray  tant 
avec  le  petit  comte  George  de  la  basse  Egypte  qu'à  chascun 
de  vous  il  fera  présent  d'un  beau  crocodile  du  Xil  et  d'un 
cauquemare  d'Euphrates. 

Vous  adjugez.  Quoy?  A  qui?  Tous  les  vieulx  quartiers  de 
lune  aux  cafars,  cagotz  matagotz,  botineurs,  papelardz,  bur- 
gotz,  patcspellues,  porteurs  de  rogatons,  chattemites.  Ce  sont 
noms  horrificques,  seulement  03'ant  leur  son.  A  la  prononcia- 
tion desquelz  j'ay  veu  les  cheveulx  dresser  en  teste  de  vostre 
noble  ambassadeur.  Je  n'y  ay  entendu  que  le  hault  allemant, 
et  ne  sçay  quelle  sorte  de  bestes  comprenez  en  ces  denomina- 


ANCIEN    PROLOGUE  7 

lions.  Ayant  faict  diligente  recherche  par  diverses  contrées, 
n'ay  trouvé  home  qui  les  advouast,  qui  ainsi  tolerast  cstre 
nommé  ou  désigné.  Je  présuppose  que  c'est  oit  quelque  espèce 
monstrueuse  de  animaulx  barbares,  on  temps  des  haultz 
bonnetz;  maintenant  est  deperie  en  nature,  comme  toutes 
choses  sublunaires  ont  leur  fin  et  période  ;  et  ne  sçavons  quelle 
en  soit  la  diffinition,  comme  vous  sçavez  que,  subject  pery, 
facillement  périt  sa  dénomination. 

Si,  par  ces  termes,  entendez  les  calumniateurs  de  mes 
escripts,  plus  aptement  les  pourrez  vous  nommer  Diables  : 
car,  en  grec,  calumnie  est  dicte  diabole.  Voyez  combien  détes- 
table est  devant  Dieu  et  les  anges  ce  vice  dict  calumnie  (c'est 
quand  on  impugne  le  bien  faict,  quand  on  mesdit  des  choses 
bonnes),  que,  par  icelluy,  non  par  aultre,  quoy  que  plu- 
sieurs sembleroient  plus  énormes,  sont  les  Diables  d'enfer 
nommez  et  appeliez.  Ceulx  cy  ne  sont,  proprement  parlant, 
diables  d'enfer,  ilz  en  sont  appariteurs  et  ministres.  Je  les 
nomme  Diables  noirs,  blancs,  diables  privez,  diables  domes- 
ticques.  Et  ce  que  ont  faict  envers  mes  livres,  ilz  feront,  si  on 
les  laisse  faire,  envers  tous  aultres.  Mais  ce  n'est  de  leur  inven- 
tion. Je  le  dis,  affin  que  tant  désormais  ne  se  glorifient  au 
surnom  du  vieulx  Caton  le  Censorin. 

Avez  vous  jamais  entendu  que  signifie  cracher  au  bassin? 
Jadis  les  prédécesseurs  de  ces  Diables  privez,  architectes  de 
volupté,  everseurs  d'honnesteté,  comme  un  Philoxenus,  un 
Gnatho,  et  aultres  de  pareille  farine,  quand,  par  les  cabaretz 
et  tavernes  es  quelz  Ueuxtenoient  ordinairement  leurs  escoles, 
voyoient  les  hostes  estre  de  quelques  bonnes  viandes  et  mor- 
ceaux friandz  serviz,  ilz  crachoient  villainement  dedans  les 
platz,  afiîn  que  les  hostes,  abhorrons  leurs  infâmes  crachatz 
et  morveaux,  désistassent  manger  des  viandes  apposées,  et 
tout  demourast  à  ces  villains  cracheurs  et  morveux.  Presque 
pareille,  non  toustes  foys  tant  abhominable  histoire  nous 
conte  l'on  du  medicin  d'eau  doulce,  neveu  de  l'advocat,  feu 


8  I,I\'RE    IV 

Amer,  lequel  disoit  l'aislo  du  chappou  gras  estre  maulvaise, 
et  le  croppion  rcdoubtable,  le  col  assez  bon,  pourveu  que  la 
peau  fust  ostéc,  afin  que  les  malades  n'en  mangeassent,  tout 
feust  réservé  pour  sa  bouche. 

Ainsi  ont  faict  ces  nouveaulx  Diables  engipponcs.  Voyans 
tout  ce  monde  en  fervent  appétit  de  veoir  et  lire  mes  escrits, 
par  les  livres  precedens,  ont  craché  dedans  le  bassin,  c'est  à 
dire  les  ont  tous  par  leur  maniment  couchiez,  descriez  et 
calumniez,  en  ceste  intention  que  personne  ne  les  eust,  per- 
sonne ne  les  leust,  fors  leurs  poiltronités.  Ce  que  je  ay  veu  de 
mes  propres  œilz,  ce  n'est  oit  pas  des  aureilles,  voire  jusques  à 
les  conserver  reUgieusement  entre  leurs  besongnes  de  nuyct, 
et  en  user  comme  de  bréviaire  à  usaige  quotidian.  Hz  les  ont 
tolluz  es  malades,  es  goutteux,  es  infortunez,  pour  lesquels 
en  leur  mal  esjouir  les  avois  faicts  et  composez.  Si  je  prenois 
en  cure  tous  ceulx  qui  tombent  en  meshaing  et  maladie,  ja 
besoing  ne  seroit  mettre  telz  livres  en  lumière  et  impression. 

Hippocrates  a  faict  un  livre  exprès,  lequel  il  a  intitulé  De 
Testât  du  parfaict  medicin  (Gahen  l'a  illustré  de  doctes  com- 
mentaires), auquel  il  commande  rien  n'estre  au  medicin 
(veoire  jusqu'à  particulariser  Icb  ongles)  qui  puisse  oÊEenser  le 
patient  :  tout  ce  qu'est  au  médecin,  gestes,  visage,  vestemens, 
paroles,  reguardz,  touchement,  complaire  et  délecter  le  ma- 
lade. Ainsi  faire  en  mon  endroict,  et  à  mon  lourdoys,  je  me 
peine  et  efforce  envers  ceulx  que  je  prens  en  cure.  Ainsi  font 
mes  compaignons  de  leur  cousté;  dont,  par  adventure,  som- 
mes dicta  parabolains  au  long  faucile  et  au  grand  code,  par 
l'opinion  de  deux  gringuenaudicrs  aussi  follement  interprétée 
comme  fadement  inventée. 

Plus  il  y  a  ;  sur  un  passaige  du  sixiesme  des  Épidémies 
dudict  père  Hippocrates,  nous  suons  disputans  à  sçavoir, 
non  si  la  face  du  medicin  chagrin,  tetricque,  reubarbatif ,  mal- 
plaisant, malcontent,  centriste  le  malade,  et  du  medicin  la 
face  jo5-euse,  seraine,  plaisante,  riante,  ouverte,  esjouyst  le 


ANCIEN    PROLOGUE  9 

malade  (cela  est  tout  esprouvé  et  certain)  ;  mais  si  telles  con- 
tristations  et  esjouyssemens  proviennent  par  appréhension 
du  malade  contemplant  ces  qualitez,  ou  par  transfusion  des 
espritz  serains  ou  ténébreux,  joyeulx  ou  tristes,  du  medicin 
au  malade,  comme  est  l'advis  des  Platonicques  et  Averroïstes. 
Puis  doncques  que  possible  n'est  que  de  tous  malades  sois 
appelle,  que  tous  malades  je  prenne  en  cure,  quelle  envie 
est  ce  toUir  es  languoureux  et  malades  le  plaisir  et  passetemps 
joyeulx  (sans  offense  de  Dieu,  du  roy,  ne  d'aultre)  qu'ilz 
prennent,  ouyans  en  mon  absence  la  lecture  de  ces  livres 
joyeulx? 

Or  puys  que,  par  vostre  adjudication  et  décret,  ces  mesdi- 
sans  et  calumniateurs  sont  saisiz  et  emparez  des  vieulx  quar- 
tiers de  Lune,  je  leur  pardonne;  il  n'y  aura  pas  à  rire  pour 
tous  désormais,  quand  voirrons  ces  folz  lunaticques,  aucuns 
ladres,  aultres  boulgres,  aultres  ladres  et  boulgres  ensemble, 
courir  les  champs,  rompre  les  bancz,  grincer  les  dentz,  fendre 
carreaux,  battre  pavez,  soy  pendre,  soy  noyer,  soy  précipi- 
ter, et  à  bride  avallee  courir  à  tous  les  Diables,  selon  l'énergie, 
faculté  et  vertus  des  quartiers  qu'ilz  auront  en  leurs  caboches, 
croissans,  initians,  amphicyres,  brisans  et  desinens.  Seule- 
ment, envers  leurs  malignités  et  impostures,  useray  de  l'offre 
que  fit  Timon  le  Misanthrope  à  ses  ingratz  Athéniens. 

Timon,  fasché  de  l'ingratitude  du  peuple  athénien  en  son 
endroict,  un  jour  entra  au  conseil  pubUc  de  la  ville,  requérant 
luy  estre  donnée  audience,  pour  certain  négoce  concernant  le 
bien  public.  A  sa  requeste  feust  silence  faicte,  en  expectation 
d'entendre  choses  d'importance  veu  qu'il  estoit  au  conseil 
venu,  qui  tant  d'années  auparavant  s'estoit  absenté  de  toutes 
compaignies,  et  vivoit  en  son  privé.  Adoncques  leur  dist  : 
«  Hors  mon  jardin  secret,  dessoubs  le  mur,  est  un  ample, 
beau  et  insigne  figuier,  auquel  vous  aultres  messieurs  les 
Athéniens  désespérez,  hommes,  femmes,  jouvenceaux  et 
pucelles,  avez  de  coustume  à  l'escart  vous  pendre  et  estran- 


lO  LIVRE    IV 

gler.  Je  voii=:  adverty  que,  pour  accommoder  ma  maison,  je 
ay  délibéré  huyctaine  démolir  icelluy  figuier  :  pourtant, 
quiconque  de  vous  aultres,  et  de  toute  la  ville  aura  à  se  pen- 
dre, s'en  depesche  promptement.  Le  terme  susdict  expiré, 
n'auront  lieu  tant  apte,  no  arbre  tant  commode.  » 

A  son  exemple,  je  dénonce  à  ces  calumniateurs  diabolic- 
ques  que  tous  ayent  à  se  pendre  dedans  le  dernier  chanteau 
de  ceste  Lune  :  je  les  fourniray  de  licolz.  Lieu  pour  se  pendre 
je  leur  assigne  entre  Midy  et  Faverolles.  La  lune  rcnouvellée, 
ilz  n'y  seront  receuz  à  si  bon  marché,  et  seront  contrainctz 
eux  mesmcs  à  leurs  dépens  acheter  cordeaux,  et  choisir  arbre 
pour  pendaige,  comme  fit  la  seignore  Leontium,  calumnia- 
trice  du  tant  docte  et  éloquent  Théophraste. 


A  TRES  ILLUSTRE  PRINCE  ET  REVERENDISSIME 

MON  SEIGNEUR  ODET 


CARDINAL    DE    CHASTILLON 


Vous  estes  deuement  adverty,  Prince  très  illustre,  de  quants 
grands  personaiges  j'ay  esté,  et  suis  journellement  stipulé, 
requis  et  importuné  pour  la  continuation  des  mythologies 
PantagrueUcques  :  alleguans  que  plusieurs  gens  languoureux, 
malades,  ou  autrement  faschez  et  désolez,  avoient,  à  la  lec- 
ture d'icelles,  trompe  leurs  ennuictz,  temps  joyeusement 
passé,  et  repceu  alaigresse  et  consolation  nouvelle.  Es  quelz 
je  suis  coustumier  de  respondre  que,  icelles  par  esbat  com- 
posant, ne  pretendois  gloire  ne  louange  aulcune;  seulement 
avois  esguard  et  intention  par  escript  donner  ce  peu  de  soulai- 
gement  que  povois  es  affligez  et  malades  absens  :  lequel 
voluntiers,  quand  besoing  est,  je  fais  es  presens  qui  soy  aident 
de  mon  art  et  service. 


A    MONSEIGNEUR    ODET  II 

Quelques  foys  je  leur  expose  par  long  discours  comment 
Hippocrates,  en  plusieurs  lieux,  mesmemcnt  on  sixiesme 
livre  des  Epidémies,  descrivant  l'institution  du  medicin  son 
disciple;  Soramus  Ephesien,  Oribasius,  Cl.  Galen,  Hali  Abbas, 
autres  auteurs  consequens  pareillement,  l'ont  composé  en 
gestes,  maintien,  reguard,  touchement,  contenance,  grâce, 
honesteté,  netteté  de  face,  vestemens,  barbe,  cheveulx,  mains, 
bouche,  voire  jusques  à  particulariser  les  ongles,  comme  s'il 
deust  jouer  le  rolle  de  quelque  Amoureux  ou  Poursuy^^'ant 
en  quelque  insigne  comœdie,  ou  descendre  en  camp  clos  pour 
combattre  quelque  puissant  ennemy.  De  faict,  la  praticque 
de  IMedicine  bien  proprement  est  par  Hippocrates  comparée 
à  un  combat  et  farce  jouée  à  trois  personnages,  le  malade, 
le  medicin,  la  maladie.  Laquelle  composition  lisant  quelque 
fois,  m'est  soubvenu  d'une  parolle  de  Julia  à  Octavian 
Auguste  son  père.  Un  jour  elle  s'estoit  devant  lui  présentée 
en  habits  pompeux,  dissoluz  et  lascifz,  et  luy  avoit  grande- 
ment despieu,  quoy  qu'il  n'en  sonnast  mot.  Au  lendemain,  elle 
changea  de  vestemens,  et  modestement  se  habilla,  comme 
lors  estoit  la  coustume  des  chastes  dames  Romaines.  Ainsi 
restue  se  présenta  devant  luy.  Il  qui,  le  jour  précèdent, 
n'avoit  par  parolles  déclaré  le  desplaisir  qu'il  avoit  en  la 
voiant  en  habits  impudicques,  ne  peut  celer  le  plaisir  qu'il 
prenoit  la  voiant  ainsi  changée,  et  luy  dist  :  «  O  combien 
cestuy  vestement  plus  est  séant  et  louable  en  la  fille  de 
Auguste  !  ))  Elle  eut  son  excuse  prompte,  et  lui  respondit  : 
«  Huy,  me  suis  je  vestue  pour  les  œilz  de  mon  père.  Hier,  je 
l'estois  pour  le  gré  de  mon  mary.  » 

Semblablement  pourroit  le  medicin,  ainsi  desguisé  en  face 
et  habitz,  mesmement  revestu  de  riche  et  plaisante  robbe  à 
quatre  manches,  comme  jadis  estoit  Testât,  et  estoit  appellée 
Philonium,  comme  dit  Petrus  Alexandrinus,  in  vi,  Epid., 
respondre  à  ceux  qui  trouveroient  la  prosopopée  estrange  : 
«  Ainsi  me  suis  je  accoustré,  non  pour  me  guorgiaser  et  pom- 


12  LIVRE    IV 

per,  mais  pour  le  gré  du  malade  lequel  je  visite,  auquel  seul 
je  veulx  entièrement  complaire,  en  rien  ne  l'oflfcnser  ne  fas- 
cher.  » 

Plus  y  a.  Sus  un  passaige  du  père  Hippocrates  on  livre  cy 
dessus  allégué,  nous  suons,  disputans  et  rechcrchans,  non  si 
le  minois  du  medicin  chagrin,  tetrique,  reubarbatif,  Cato- 
nian,  mal  plaisant,  mal  content,  severe,  rechigné,  contriste 
le  malade  ;  et  du  medicin  la  face  joyeuse,  seraine,  gratieuse, 
ouverte,  plaisante,  resjouist  le  malade.  Cela  est  tout  esprouvé 
et  très  certain.  Mais  si  telles  contristations  et  esjouissemens 
proviennent  par  appréhension  du  malade  contemplant  ces 
qualitez  en  son  medicin,  et  par  icelles  conjecturant  l'issue  et 
catastrophe  de  son  mal  ensuivir,  sçavoir  est,  par  les  joyeuses, 
joyeuse  et  désirée  ;  par  les  fascheuscs,  fascheuse  et  abhorrente  ; 
ou  par  transfusion  des  esprits  serains  ou  ténébreux,  aërez  ou 
terrestres,  joyeulx  ou  melancholicques  du  medicin  en  la 
personne  du  malade.  Comme  est  l'opinion  de  Platon  et  Aver- 
roïs. 

Sus  toutes  choses,  les  autheurs  susdictz  ont  au  medicin 
baillé  advertissement  particulier  des  paroles,  propous,  abou- 
chemens,  et  confabulations  qu'il  doibt  tenir  avecques  les 
malades  de  la  part  des  quelz  seroit  appelé.  Lesquelles  toutes 
doibvent  à  un  but  tirer,  et  tendre  à  une  fin,  c'est  le  resjouir 
sans  offense  de  Dieu,  et  ne  le  contrister  en  façon  quelconques. 
Comme  grandement  est  par  Herophilus  blasmé  Callianax 
medicin,  qui,  à  un  patient  l'interrogeant  et  demandant  : 
«  Mourray  je  ?  »  impudentcment  respondit  : 

Et  Patroclus  à  mort  succumba  bien. 
Qui  plus  estoit  que  n'es  homme  de  bien. 

A  un  aultre  voulent  entendre  Testât  de  sa  maladie,  et  l'in- 
terrogeant à  la  mode  du  noble  PateUn  : 

Et  mon  urine 
Vous  dict  elle  poinct  que  je  meure? 


A    MONSEIGNEUR    ODF.T  T3 

Il  follement  respondit  :  «  Non,  si  t'eust  Latona,  mère  des 
beaulx  enfans  Phœbus  et  Diane,  engendré.  »  Pareillement 
est  de  Cl.  Galen,  lib.  IV,  Comment,  in  vi,  Epidem.,  grande- 
ment vitupéré  Quintus,  son  précepteur  en  medicine,  lequel  à 
certain  malade  en  Rome,  homme  honorable,  luy  disant  : 
«  Vous  avez  desjeuné,  nostre  maistre,  vostre  haleine  me  sent 
le  vin,  »  arroguamment  respondit  :  «  La  tienne  me  sent  la 
fiebvre  :  duquel  est  le  flair  et  l'odeur  plus  délicieux,  de  la 
fiebvre  ou  du  vin?  » 

Mais  la  calumnie  de  certains  Canibales,  misanthropes,  age- 
lastes,  avoit  tant  contre  moy  esté  atroce  et  desraisonnée 
qu'elle  avoit  vaincu  ma  patience,  et  plus  n'estois  délibéré  en 
escrire  un  iota.  Car  l'une  des  moindres  contumelies  dont  ilz 
usoient  estoit  que  telz  livres  tous  estoient  farciz  d'heresies 
diverses  :  n'en  povoient  toutes  fois  une  seule  exhiber  en  en- 
droict  aucun;  de  folastries  joyeuses,  hors  l'ofîence  de  Dieu 
et  du  Roy,  prou  (c'est  le  subject  et  thème  unicque  d'iceulx 
livTes)  ;  d'heresies  poinct,  sinon,  perversement  et  contre  tout 
usaige  de  raison  et  de  langaige  commun,  interpretans  ce  que, 
à  poine  de  mille  fois  mourir,  si  autant  possible  estoit,  ne  voul- 
drois  avoir  pensé  :  comme  qui  pain  interpretoit  pierre;  pois- 
son, serpent,  œuf,  scorpion.  Dont  quelque  fois  me  complai- 
gnant  en  vostre  présence,  vous  dis  librement  que,  si  meilleur 
Christian  je  ne  m'estimois  qu'ilz  ne  monstrent  estre  en  leur 
part,  et  que  si  en  ma  vie,  escriptz,  paroUes,  voir  certes  pen- 
sées, je  recongnoissois  scintille  aulcune  d'heresie,  ilz  ne  tom- 
beroient  tant  detestablement  es  lacs  de  l'esprit  calumnia- 
teur,  c'est  Atà6oXo;,  qui  par  leur  ministère  me  suscite  tel 
crime.  Par  moy  mesmes,  à  l'exemple  du  Phoenix,  seroit  le 
bois  sec  amassé,  et  le  feu  allumé,  pour  en  icelluy  me  brusler. 

Alors  me  dictes  que  de  telles  calumnies  avoit  esté  le  defunct 
roy  François,  d'eterne  mémoire,  adverty;  et  curieusement 
aiant,  par  la  voix  et  pronunciation  du  plus  docto  et  fidèle 
Anagnoste  de  ce  royaulme,  ouy  et  entendu  lecture  distincte 


I4  LIVRE    ÏV 

d'iceulx  livres  miens  (je  le  diz,  parce  que  meschantement  l'on 
m'en  a  aulcuns  supposé  faulx  et  infâmes),  n'avoit  trouvé  pas- 
saige  aulcun  suspect  ;  et  avoit  eu  en  horreur  quelque  mangeur 
de  scrpens,  qui  fondoit  mortelle  hérésie  sus  un  N  pour  un  M 
par  la  faulte  et  négligence  des  imprimeurs. 

Aussi  avoit  son  filz,  nostre  tant  bon,  tant  vertueux  et  des 
cioulx  benist  roy  Henry  :  lequel  Dieu  nous  vueille  longuement 
conserver,  de  manière  que,  pour  moy,  il  vous  avoit  octroyé 
privilège  et  particulière  protection  contre  les  claumniateurs  : 
Cestuy  évangile  depuys  m'avez  de  vostre  bénignité  réitéré 
à  Paris,  et  d'abondant  lors  que  nagueres  visitastes  monsei- 
gneur le  cardinal  du  Bellay,  qui  pour  recouvrement  de  santé 
après  longue  et  fascheuse  maladie,  s'estoit  retiré  à  Sainct 
Maur,  heu,  ou  (pour  mieulx  et  plus  proprement  dire)  paradis 
de  salubrité,  aménité,  sérénité,  conunodité,  délices,  et  tous 
honestes  plaisirs  de  agriculture  et  vie  rusticque. 

C'est  la  cause,  IMonseigneur,  pourquoy  présentement,  hors 
de  toute  intimidation,  je  mectz  la  plume  au  vent,  espérant 
que,  par  vostre  bénigne  faveur,  me  serez  contre  les  calum- 
niateurs  comme  un  second  Hercules  GauUoys,  en  sçavoir, 
prudence  et  éloquence;  Alexicacos  en  vertuz,  puissance  et 
auctorité;  duquel  véritablement  dire  je  peuz  ce  que  de  Moses, 
le  grand  prophète  et  capitaine  en  Israël,  dict  le  saige  roy  Salo- 
mon,  Ecclesiastici,  45  :  homme  craignant  et  aimant  Dieu, 
agréable  à  tous  humains,  de  Dieu  et  des  hommes  bien  aymé, 
duquel  heureuse  est  la  mémoire.  Dieu  en  louange  l'a  comparé 
aux  Preux  :  l'a  faict  grand  en  terreur  des  ennemis.  En  sa 
faveur  a  faict  choses  prodigieuses  et  espoventables  :  en  pré- 
sence des  Roys  l'a  honoré;  au  peuple  par  luy  a  son  vouloir 
déclaré  et  par  luy  sa  lumière  a  monstre.  Il  l'a  en  foy  et  debon- 
naireté  consacré  et  esleu  entre  tous  humains.  Par  luy  a  voulu 
estre  sa  voix  ouye,  et  à  cculx  qui  estoient  en  ténèbres  estre 
la  loy  de  \ivificque  science  annoncée. 

Au  surplus  vous  promettant  que  ceulx  qui  par  moy  seront 


PROLOGUE    DE    L'aUTEUR  15 

rencontrez  congratulans  de  ces  joyeulx  escriptz,  tous  je  adju- 
reray  vous  en  sçavoir  gré  total  :  unicquement  vous  en  remer- 
cier, et  prier  nostre  Seigneur  pour  conservation  et  accrois- 
sement de  ceste  vostie  Grandeur.  A  moy  rien  ne  attribuer, 
fors  humble  subjection  et  obéissance  voluntaire  à  voz  bons 
commandemens.  Car,  par  vostre  exhortation  tant  honorable, 
m'avez  donné  et  couraige  et  invention,  et,  sans  vous  m'estoit 
le  cœur  failly,  et  restoit  tarie  la  fontaine  de  mes  esprits  ani- 
maulx.  Nostre  Seigneur  vous  maintienne  en  sa  saincte  grâce. 
De  Paris,  ce  28,  de  janvier  1552. 

Vostre  très  humble  et  très  obéissant  serviteur. 

Franc.  RABELAIS,  medicin. 


PROLOGUE   DE   L'AUTEUR 

M.  FRANÇOIS  RABELAIS 

POUR 
LE    QUATRIEME  LIVRE   DES   FAICTS   ET   DICTS   HEROÏQUES   DE   PANTAGRUEL 

AUX  LECTEURS  BENEVOLES 

Gens  de  bien,  Dieu  vous  saulve  et  guard  !  Où  estes  vous?  Je 
ne  vous  peuz  voir.  Attendez  que  je  chausse  mes  lunettes. 

Ha,  ha  !  Bien  et  beau  s'en  va  Quaresme  !  je  vous  voy.  Et 
doncques?  Vous  avez  eu  bonne  vinée,  à  ce  que  l'on  m'a  dict. 
Je  n'en  serois  en  pièce  marry.  Vdus  avez  remède  trouvé  infi- 
nable  contre  toutes  altérations.  C'est  vertueusement  opéré. 
Vous,  vos  femmes,  enfans,  parens  et  familles,  estez  en  santé 
désirée.  Cela  va  bien,  cela  est  bon,  cela  me  plaist.  Dieu,  le  bon 


l6  LIVRE    IV 

Dieu  en  soit  éternellement  loué,  et,  (si  telle  est  sa  sacre  vo- 
lunté),  y  soyez  longuement  maintenuz. 

Quant  est  de  moy,  par  sa  saincte  bénignité,  j'en  suys  là,  et 
me  recommande.  Je  suys,  moiennant  un  peu  de  Pantagrue- 
lisme  (vous  entendez  que  c'est  certaines  gayeté  d'esprit  con- 
ficte  en  mespris  des  choses  fortuites) ,  sain  et  degourt  ;  prest  à 
boire,  si  voulez.  Me  demandez  vous  pourquoy.  Gens  de  bien? 
Response  irréfragable  :  Tel  est  le  vouloir  du  tresbon,  très- 
grand  Dieu,  on  quel  je  acquiesce,  au  quel  je  obtempère, 
duquel  je  révère  la  sacrosaincte  paroUe  de  bonnes  nouvelles, 
c'est  l'Evangile,  on  quel  est  dict,  Luc,  iv,  en  horrible  sarcasme 
et  sanglante  dérision,  au  medicin  négligent  de  sa  propre 
santé  :  o  Medicin,  o,  gueriz  toymesmes.  » 

Cl.  Galen,  non  pour  telle  révérence,  en  santé  soy  mainte- 
noit,  quoy  que  quelque  sentiment  il  eust  des  sacres  Bibles  et 
eust  congneu  et  fréquenté  les  saincts  Christians  de  son  temps, 
comme  appert  lib.  II,  De  usu  partium,  lib.  II,  De  differentiïs 
pulsuum,  cap.  m,  et  ibidem,  lib.  III,  cap.  ii,  et  lib.  De  rerum 
affeciibus  (s'il  est  de  Galen)  ;  mais  par  craincte  de  tomber  en 
ceste  vulgaire  et  Satyricque  mocquerie  : 

'laTcô;  aÀÀwv,  aÙTo;  sXxyai  ppûtov. 

Medicin  est  des  aultres  en  effect; 
Toutesfois  est  d'ulcères  tout  infect. 

De  mode  qu'en  grande  braveté  il  se  vante,  et  ne  veult  estre 
medicin  estimé  si,depuys  l'an  de  son  aage  vingt  ethuistiesme 
jusques  en  sa  haulte  vieillesse,  il  n'a  vescu  en  santé  entière, 
exceptez  quelques  fiebvres  Ephémères  de  peu  de  durée  :  com- 
bien que,  de  son  naturel,  il  ne  feust  des  plus  sains,  et  eust  l'es- 
tomach  evidentement  dyscrasié.  «  Car  (dict  il  lib.  V.  De 
sanit.  tuenda)  difficilement  sera  creu  le  medicin  avoir  soing  de 
la  santé  d'aultruy,  qui  de  la  sienne  propre  est  négligent.  » 
Encores  plus  bravement  se  vantoit  Asclepiades  medicin 


PROLOGUE    DE    l'AUTEUR  I7 

avoir  avecques  Fortune  convenu  en  cestc  paction,  que  medi- 
cin  réputé  ne  fcust  si  malade  avoit  esté  depuys  le  temps  qu'il 
commença  practiquer  en  l'art,  jusques  à  sa  dernière  vieillesse. 
A  laquelle  entier  il  parvint,  et  viguoureux  en  tous  ses  membres, 
et  de  Fortune  triiunphant.  Finablement,  sans  maladie  aul- 
cune  précédente,  feist  de  vie  à  mort  eschange,  tombant  par 
maie  guarde  du  hault  de  certains  degrez  mal  emmortaisez  et 
pourriz. 

Si,  par  quelque  desastre,  s'est  santé  de  vos  seigneuries 
émancipée,  quelque  part,  dessus,  dessoubz,  davant,  dar- 
riere,  à  dextre,  à  senestre,  dedans,  dehors,  loing  ou  près  vos 
territoires  qu'elle  soit,  la  puissiez  vous  incontinent  avecques 
l'aide  du  benoist  Servateur  rencontrer  !  En  bonne  heure  de 
vous  rencontrée,  sus  l'instant  soit  par  vous  asserée,  soit  par 
vous  vendiquee,  soit  par  vous  saisie  et  mancipée.  Les  loigs 
vous  le  permettent,  le  Roy  l'entend,  je  le  vous  conseille.  Ne 
plus  ne  moins  que  les  Législateurs  antiques  authorisoient 
le  seigneur  vendiquer  son  serf  fugitif,  la  part  qu'il  seroit 
trouvé.  Ly  bon  Dieu  et  ly  bons  homs  !  n'est  il  escript  et  prac- 
tiqué,  par  les  anciennes  coustumes  de  ce  tant  noble,  tant  anti- 
que, tant  beau,  tant  florissant,  tant  riche  royaulme  de  France, 
que  le  mort  saisit  le  vif?  Voyez  ce  qu'en  a  recentement  exposé 
le  bon,  le  docte,  le  saige,  le  tant  hmnain,  tant  débonnaire  et 
équitable  André  Tiraqueau,  conseiller  du  grand,  du  victo- 
rieux et  triumphant  roy  Henry,  second  de  ce  nom,  en  sa  très 
redoubtée  court  de  parlement  à  Paris.  Santé  est  nostre  vie 
comme  tresbien  déclare  Ariphon  Sicyonien.  Sans  santé  n'est 
lavievie.n'estlavievivable:  "ABI02  B'IOS,  B'IOS,  'AB'IÛ 
TOS.  Sans  santé  n'est  la  vie  que  langueur;  la  vie  n'est  que 
simulachre  de  mort.  Ainsi  doncques  vous,  estans  de  santé 
privés,  c'est  à  dire  mors,  saisissez  vous  du  vif,  saisissez  vous 
de  vie,  c'est  santé. 

J'ay  cestuy  espoir  en  Dieu  qu'il  ojTa  nos  prières,  veue  la 
ferme  foy  en  laquelle  nous  les  faisons  :  et  accomplira  cestuy 
T.  IIj  4 


l8  LIVRE    IV 

nostresoubhayt,  attendu  qu'il  est  médiocre.  Médiocrité  a  esté 
par  les  saiges  anciens  dicte  aurée,  c'est  à  dire  précieuse,  de 
tous  louée,  en  tous  endroictz  agréable.  Discourez  par  les 
sacrées  Bibles,  vous  trouverez  que  de  ceulx  les  prières  n'ont 
jamais  esté  esconduites  qui  ont  médiocrité  requis.  Exemple 
on  petit  Zachée,  duquel  les  Musaphiz  de  Sainct  Ayl  prés 
Orléans  se  vantent  d'avoir  le  corps  et  reliques,  et  le  nomment 
sainct  Sylvain.  Il  soubhaitoit,  rien  plus,  veoir  nostre  benoist 
Servateur  autour  de  Hierusalem.  C'estoit  chose  médiocre  et 
exposée  à  un  chascun.  Mais  il  estoit  trop  petit,  et  parmy  le 
peuple,  ne  p^uvoit.  Il  trépigne,  il  trotigne,  il  s'efforce,  il  s'es-. 
carte,  il  monte  sur  un  Sycomore.  Le  tresbon  Dieu  congneut 
sa  syncere  et  médiocre  afiectation.  Se  présenta  à  sa  veue,  et 
feut  non  seulement  de  luy  veu,  mais  aultre  ce  feut  ouy, 
visita  sa  maison,  et  benist  sa  famille. 

A  un  filz  de  Prophète  en  Israël,  fendant  du  bois  prés  le 
fleuve  Jordan,  le  fer  de  sa  coingnée  eschappa  (comme  est 
escript  IV,  Reg.,  vi),  et  tomba  dedans  icelluy  fleuve.  Il  pria 
Dieu  le  luy  vouloir  rendre.  C'estoit  chose  médiocre.  Et  en 
ferme  foy  et  confiance  jecta,  non  la  coingnée  après  le  manche, 
comme,  en  scandaleux  solécisme,  chantent  les  diables  Censo- 
rius,  mais  le  manche  après  la  coingnée,  comme  proprement 
vous  dictes.  Soubdain  apparurent  deux  miracles.  Le  fer  se  leva 
du  profond  de  l'eaue,  et  se  adapta  au  manche.  S'il  eust  soiib- 
haité  monter  es  cieulx  dedans  un  charriot  flamboiant  comme 
Helie,  multipher  en  lignée  comme  Abraham,  estre  autant 
riche  que  Job,  autant  fort  que  Sanson,  aussi  beau  que  Absa- 
lon,  l'eust  il  impetré?  C'est  une  question. 

A  propos  de  soubhaictz  médiocres  en  matière  de  coingnée 
(advisez  quand  sera  temps  de  boire),  je  vous  raconteray  ce 
qu'est  escript  parmy  les  apologues  du  sage  ^Esope  le  François, 
j'entens  Phrygien  et  Troian,  comme  afferme  Maxim.  Planu- 
des  :  duquel  peuple,  selon  les  plus  veridiques  chroniqueurs, 
sont  les  nobles  François  descenduz.  .^lian  escript  qu'il  fut 


PROLOGUE     DE    i/aUTEUR  I9 

Thracian;  Agathias,  après  Hérodote,  qu'il  estoit  Samien  : 
ce  m'est  tout  un. 

De  son  temps  estoit  un  pauvre  villageois  natif  de  Gravot, 
nommé  Couillatris,  abatteur  et  fendeur  de  bois,  et,  en  cestuy 
bas  estât,  guaingnant  cahin  caha  sa  paouvre  vie.  Advint 
qu'il  perdit  sa  coingnée.  Qui  feut  bien  faFché  et  marry?  Ce 
fut  il  :  car  de  sa  coingnée  dépend  oit  son  bien  et  sa  vie;  par 
sa  coingnée  vivoit  en  honneur  et  réputation  entre  tous  riches 
buscheteurs;  sans  coingnée  mouroit  de  faim.  La  mort  six 
jours  après,  le  rencontrant  sans  coingnée,  avecques  son  dail 
l'eust  fausché  et  cerclé  de  ce  monde.  En  cestuy  estrif  commen- 
ça crier,  prier,  implorer,  invocquer  Juppiter,  par  oiaisons 
moult  disertes  (comme  vous  sçavez  que  Nécessité  feut  inven- 
trice d'Eloquence),  levant  la  face  vers  les  cieulx,  les  genoilz 
en  terre,  la  teste  nue,  les  bras  haulx  en  l'air,  les  doigts  des 
mains  esquarquillez,  disant  à  chascun  refrain  de  ses  suffrages, 
à  haulte  voix  infatiguablement  :  «  Ma  coingnée,  ma  coingnée; 
rien  plus,  ô  Juppiter,  que  ma  coingnée  ou  deniers  pour  en 
achapter  une  aultre.  Helas  !  ma  paouvre  coingnée  !  »  Jupiter 
tenoit  conseil  sus  certains  urgens  affaires,  et  lors  opinoit 
la  vieille  Cybelle,  ou  bien  le  jeune  et  clair  Phœbus,  si  le 
voulez.  Mais  tante  grande  fut  l'exclamation  de  Couillatris 
qu'elle  feut  en  grand  efîroy  oxiye  on  plein  conseil  et  consis- 
toire  des   Dieux. 

«  Quel  diable,  demanda  Jupiter,  est  là  bas  qui  hurle  si 
horrificquement  ?  Vertuz  de  Styx,  ne  avons  nous  pas  cy  de- 
vant esté,  présentement  ne  sommes  nous  assez  icy  à  la  déci- 
sion empeschez  de  tant  d'affaires  controvers  et  d'impor- 
tance? Nous  avons  vuidé  le  débat  de  Presthan,  roi  des  Perses, 
et  de  sultan  Solyman,  empereur  de  Constantinople.  Nous 
avons  clos  le  passaige  entre  les  Tartres  et  les  Moscovites. 
Nous  avons  respondu  à  la  requeste  du  Cheriph.  Aussi  avons 
nous  à  la  dévotion  de  Guolgotz  Rays.  L'estat  de  Paime  est 
expédié,  aussi  est  celluy  de  Maydenbourg,  de  la  Mirandole 


20  LIVRE    IV 

et  de  Afrique.  Ainsi  nomment  les  mortelz  ce  que,  sus  la  mer 
Méditerranée,  nous  appelions  Aphrodisium.  Tripoli  a  changé 
de  maistre  par  maie  guarde.  Son  période  estoit  venu.  Icy 
sont  les  Guascons  renians  et  demandans  restablissement  de 
leurs  cloches.  En  ce  coing  sont  les  Saxons,  Estrelins,  Ostro- 
gotz  et  Alemans,  peuple  jadis  invincible,  maintenant  ^bf  r" 
ketbs,  et  subjuguez  par  un  petit  homme  tout  estropié.  Hz 
nous  demandent  vengeance,  secours,  restitution  de  leur  pre- 
mier bon  sens  et  liberté  antique.  Mais  que  ferons  nous  de  ce 
Rameau  et  de  ce  Gaiand,  qui,  capparassonnez  de  leurs  mar- 
mitons, suppous  et  astipulateurs,  brouillent  toute  ceste  Aca- 
démie de  Paris?  J'en  suis  en  grande  perplexité.  Et  n'ay 
encores  résolu  quelle  part  je  doibve  encliner.  Tous  deux  me 
semblent  autrement  bons  compaignons  et  bien  couilluz.  L'un 
a  des  escuz  au  Soleil,  je  dis  beaulx  et  tresbuchans  ;  l'autre  en 
vouldroit  bien  avoir.  L'un  a  quelque  sçavoir;  l'autre  n'est 
ignorant.  L'un  aime  les  gens  de  bien;raultre  est  des  gens  de 
bien  aimé.  L'un  est  un  fin  et  cauld  renard;  l'autre  mesdisant, 
mesescrivant  et  abayant  contre  les  antiques  Philosophes  et 
Orateurs,  comme  un  chien.  Que  t'en  semble,  dis,  grand  Viet- 
daze  Priapus?  J'ay  maintes  fois  trouvé  ton  conseil  et  advis 
équitable  et  pertinent  :  et  habet  tua  meiitula  mentem. 

—  Roy  Juppiter,  respondit  Priapus  defleublant  son  capus- 
sion,  la  teste  levée,  rouge,  flamboyante  et  asseurée,  puis  que 
l'un  vous  comparez  à  un  chien  abayant,  l'autre  à  un  fin  frété 
renard,  je  suis  d'ad\'is  que,  sans  plus  vous  fascher  ne  altérer, 
d'eulx  faciez  ce  que  jadis  feistes  d'un  chien  et  d'un  renard.  — 
Quoy?  demanda  Jupiter.  Quand?  Qui  estoient  ilz?  Où  feut 
ce  ?  —  O  belle  mémoire  !  respondit  Priapus.  Ce  vénérable 
père  Bacchus,  lequel  voyez  cy  à  face  cramoisie,  avoit  pour 
soy  venger  des  Thebains  un  Renard  fée,  de  mode  que,  quel- 
que mal  et  dommaige  qu'il  feist,  de  beste  du  monde  ne  seroit 
prins  ne  offensé.  Ce  noble  Vulcan  avoit  d'JErain  ^Monesian 
faict  un  chien  et,  à  force  de  souffler,  l'avoit  rendu  vivant  et 


PROLOGUE    DE    l'aUTEUR  21 

animé.  Il  le  vous  donna  :  vous  le  donnastes  à  Europe  vostre 
mignonne.  Elle  le  donna  à  Minos,  JNIinos  à  Procris,  Procris 
enfin  le  d^nna  à  Cephalus.  Il  est  oit  pareillement  fée;  de  mode 
que,  à  l'exemple  des  advocatz  de  maintenant,  il  prendroit 
toute  beste  rencontrée,  rien  ne  luy  eschapperoit.  Advint  qu'ilz 
se  rencontrèrent.  Que  feirent  ilz?  Le  chien,  par  son  destin 
fatal  doibvoit  prendre  le  renard  ;  le  renard,  par  son  destin  ne 
doibvoit  estre  prins. 

«  Le  cas  fut  rapporté  à  vostre  conseil.  Vous  protestâtes  non 
contrevenir  aux  Destins.  Les  destins  estoient  contradictoires. 
La  vérité,  la  fin,  l'effect  de  deux  contradictions  ensemble 
feut  declairé  impossible  en  nature.  Vous  en  suastes  d'ahan. 
De  vostre  sueur,  tombant  en  terre,  nasquirent  les  choux 
cabutz.  Tout  ce  noble  consistoire,  par  default  de  resolution 
catégorique,  encourut  altération  mirifique  :  et  feut  en  icelluy 
conseil  beu  plus  de  soixante  et  dixhuict  bussars  de  Nectar, 
Par  mon  advis,  vous  les  convertissez  en  pierres;  soub- 
dain  feuste  hors  toute  perplexité;  soubdain  feurent  tres- 
ves  de  soif  criées  par  tout  ce  grand  Olympe.  Ce  feut  l'année 
des  couilles  molles,  prés  Tcumesse,  entre  Thebes  et  Chal- 
cide. 

«  A  cestuy  exemple,  je  suis  d 'advis  que  pétrifiez  ces  chien 
et  renard.  La  métamorphose  n'est  incongneue.  Tous  deux 
portent  nom  de  Pierre.  Et  parce  que,  selon  le  proverbe  des 
Limosins,  à  faire  la  gueule  d'un  four  sont  trois  pierres  néces- 
saires, vous  les  associerez  à  maistre  Pierre  du  Coingnet,  par 
vous  jadis  pour  mesmes  causez  pétrifié.  Et  seront,  en  figure 
trigone  equilaterale,  on  grand  temple  de  Paris,  ou  au  myUeu 
du  pervis,  posées  ces  trois  pierres  mortes,  en  office  de  extain- 
dre  avecques  le  nez,  comme  au  jeu  de  fouquet,  les  chandelles, 
torches,  cierges,  bougies  et  flambeaux  allumez  :  lesquelles, 
vivantes,  allumoient  couillonniquement  le  feu  de  faction 
simulte,  sectes  couillonniques,  et  partialité  entre  les  ocieux 
eschohers.  A  perpétuelle  mémoire  que  ces  petites  philauties 


22  LIVRE    IV 

couillonniformes  plus  tôt  davant  vous  contempnees  feureat 
que  condamnées.  J'ay  dict. 

—  Vous  leur  favorisez,  dist  Jupiter,  à  ce  que  je  voy,  bel 
messer  Priapus.  Ainsi  n'estes  à  tous  favorable.  Car,  veu  que 
tant  ilz  couvoient  perpétuer  leur  nom  et  mémoire,  ce  seroit 
bien  leur  meilleur  estre  ainsi  après  leur  vie  en  pierres  dures  et 
marbrines  convertiz  que  retourner  en  terre  et  pourriture.  Icy 
darriere,  vers  ceste  mer  Thyrrene  et  lieux  circumvoisins  de 
l'Apennin,  voyez  vous  quelles  tragédies  sont  excitées  par 
certains  Pastophores  ?  Ceste  furie  durera  son  temps  comme  les 
fours  des  Limosins,  puis  finira;  mais  non  si  tost.  Nous  y 
aurons  du  passetemps  beaucoup.  Je  y  voy  un  inconvénient  : 
c'est  que  nous  avons  petite  munition  de  fouldres,  depuis  le 
temps  que  vous  autres  Condieux,  par  mon  oultroy  particu- 
lier, en  jectiez  sans  espargne,  pour  vos  esbatz,  sus  Antioche 
la  nt  ufve.  Comme  depuis,  à  vostre  exemple,  les  gorgias  cham- 
pions qui  entreprindrent  garder  la  forteresse  de  Dindenaroys 
contre  tous  venens,  consommèrent  leurs  munitions  à  force 
de  tirer  aux  moineaux;  puis  n'eurent  de  quoy,  en  temps  de 
nécessité,  soy  deffendre,  et  vaillamment  cédèrent  la  place  et 
se  rendirent  à  l'ennemy,  qui  jà  levoit  son  siège  comme  tout 
forcené  et  désespéré,  et  n'avoit  pensée  plus  urgente  que  de  sa 
retraicte,  acompagnee  de  courte  honte.  Donnez  y  ordre,  fîlz 
Vulcan  :  esveiglez  vos  endormiz  Cyclopes,  Asteropes,  Bron- 
tes,  Arges,  Pol)^heme,  Steropes,  P)n:acmon,  mettez  les  en 
besoigne  et  les  faictes  boire  d'autant.  A  gens  de  feu  ne  fault 
vin  espargner.  Or  depeschons  ce  criart  là  bas.  Voyez,  Mercure, 
qui  c'est,  et  sachez  qu'il  demande.  » 

Mercure  reguarde  par  la  trappe  des  Cieulx,  par  laquelle  ce 
que  l'on  dict  ça  bas  en  terre  ilz  escoutent;  et  semble  propre- 
ment à  un  escoutillon  de  navire  (Icaromenippe  disoit  qu'elle 
semble  à  la  gueule  d'un  puiz)  ;  et  veoid  que  c'est  Couillatris 
qui  demande  sa  coingnée  perdue,  et  en  faict  le  rapport  au  con- 
seil. «  Vrayement,  dist  Jupiter,  nous  en  sommes  bien.  Nous  à 


PROLOGUE    DE    L'AUTEUR  2$ 

ceste  heure  n'avons  aultre  faciende  que  rendre  coingnées  per- 
dues ?  Si  f  ault  il  luy  rendre.  Cela  est  escript  es  Destins,  entendez 
vous?  aussi  bien  comme  si  elle  valust  la  duché  de  Milan.  A  la 
vérité,  sacoingnée  luy  est  en  tel  prins  et  estimation  que  sercit 
àun  Roy  son  Royaulme.  Ça,  ça,  que  cestecoingnée  soit  rendue. 
Qu'il  n'en  soit  plus  parlé.  Rosoulvons  le  différent  du  clergé 
et  de  la  Taulpeteric  de  Landerousse.  Où  en  estions  nous?  » 
Priapus  restoit  debout  au  coing  de  la  cheminée.  Il,  enten- 
dant le  rapport  de  Mercure,  dist  en  toute  courtoysie  et  joviale 
honnesteté  :  «  Roy  Juppiter,  on  temps  que,  par  vostre  ordon- 
nance et  particulier  bénéfice,  j'estois  guardian  des  jardins  en 
terra,  je  notay  que  ceste  diction,  coingnée,  est  equivocque  à 
plusieurs  choses.  Elle  signifie  un  certain  instrument  par  le 
service  duquel  est  fendu  et  couppé  boys.  Signifie  aussi  (au 
moins  jadis  signifioit)  la  femelle  bien  à  poinct  et  souvent  gim- 
bretiletolletée.  Et  veidz  que  tout  bon  compaignon  appelloit  sa 
guarse  fille  de  joye  :  Ma  coingnée.  Car,  avecques  cestuy  ferre- 
ment (cela  disoit  exhibant  son  coingnouoir  dodrental)  ilz 
leurs  coingnent  si  fièrement  et  d'audace  leurs  emmanchouoirs 
qu'elles  restent  exemptes  d'une  paour  epidemiale  entre  le 
sexe  féminin  :  c'est  que  du  bas  ventre  ilz  leurs  tombassent 
sur  les  talons,  par  default  de  telles  agraphes.  Et  me  soub- 
vient  (car  j'ay  mentule,  voyre  diz  je  mémoire  bien  belle,  et 
grande  assez  pour  emphr  un  pot  beurrier)  avoir  un  jour  du 
Tubilustre,  es  feries  de  ce  bon  Vulcan  en  May,  ouy  jadis  en  un 
beau  parterre  Josquin  des  Prez,  Olkegan,  Hobrethz,  Agricola, 
Brumel,  Camehn,  Vigoris,  de  la  Fage,  Bruyer,  Prioris,  Seguin, 
de  la  Rue,  Midy,  Moulu,  Mouton,  Guascoigne,  Loyset,  Com- 
père, Penet,  Fevin,  Rcuzée,  Richardfort,  Rousseau,  Consi- 
lion,  Constantio  Festi,  Jacquet  Btrcan,  chantans  mélodieu- 
sement : 

Grand  Tibault,  se  voulant  coucher 
Avecques  sa  femme  nouvelle, 
S'en  vint  tout  bellement  cacher 
Un  gros  maillet  en  la  ruelle. 


24  LIVRE    IV 


0  O  !  mon  doux  amy  (ce  dist  elle), 
Quel  maillet  vous  voy  je  empoingner? 

—  C'est  (dist  il)  pour  mieulx  vous  coingner. 

—  Maillet  (dist  elle)  il  n'y  faut  nul  : 
Quand  gros  Jan  me  vient  besoingner, 
Il  ne  me  coingne  que  du  cul.  » 


«  Neuf  Olympiades,  et  un  an  intercalare  après  (ô  belle 
mentule,  voire  dis  je  mémoire.  Je  solecise  souvent  en  la  sym- 
bolization  et  colliguance  de  ces  deux  motz),  je  ouy  Adrian 
Villart,  Gorabert,  Janequin,  Arcadelt,  Claudin,  Certon,  Man- 
chicourt,  Auxerre,  Villers,  Sandrin,  Sohier,  Hesdin,  Morales, 
Passereau,  Maille,  Maillart,  Jacotin,  Heurteur,  Verdelet,  Car- 
pentras,  Lheritier,  Cadeac,  Doublet,  Vermont,  Bouteiller, 
Lupi,  Pagnier,  Millet,  du  Mollin,  Alaire,  Marault,  Morpain, 
Gendre,  et  autres  joyeulx  musiciens  en  un  jardin  secret,  soubz 
belle  feuiliade,  autour  d'un  rampart  de  flaccons,  jambons, 
pastez  et  diverses  Cailles  coyphees,  mignonnement  chantans  : 

S'il  est  ainsi  que  coingnée  sans  manche 
Ne  sert  de  rien,  ne  houstil  sans  poingnée. 
Afin  que  l'un  dedans  l'autre  s'emmanche, 
Prends  que  sois  manche,  et  tu  seras  coingnée. 

Ores  seroit  à  sçavoir  quelle  espèce  de  coingnée  demande  ce 
criart  de  Couillatris.  » 

A  ces  motz  tous  les  vénérables  Dieulx  et  Déesses  s'eclate- 
rent  de  rire,  comme  un  microcosme  de  mouches.  Vulcan, 
avec  sa  jambe  torte,  en  feist  pour  l'amour  de  s'amie,  trois  ou 
quatre  beaulx  petitz  saulx  en  plate  forme.  «  Ça,  ça,  dist  Jupi- 
ter à  Mercure,  descendez  présentement  là  bas,  et  jettez  es 
pieds  de  Couillatris  troys  coingnées  :  la  sienne,  une  aultre 
d'or  et  une  tierce  d'argent  massives,  toutes  d'un  qualibre. 
Luy  ayant  baillé  l'option  de  choysir,  s'il  prend  la  sienne  et 
s'en  contente,  donnez  luy  les  deux  autres.  S'il  en  prend  aultre 
que  la  sienne,  couppez  luy  la  teste  avecques  la  sienne  propre. 
Et  désormais  ainsi  faictes  à  ces  perdeurs  de  coingnées.  » 


PROLOGUE    DE    l'aUTEUR  25 

Ces  parolles  achevées,  Juppitcr,  contournant  la  teste 
comme  un  cinge  qui  avalle  pillules,  fit  une  morgue  tant  espou- 
vantable  que  tout  le  grand  Olympe  trembla. 

Mercure  avecques  son  chappeau  poinctu,  sa  capeline,  talon- 
nieres  et  caducée,  se  jecte  par  la  trappe  des  Cieulx,  fend  le 
vuyde  de  l'air,  descend  legierement  en  terre,  et  jecte  es  pieds 
de  Couillatris  les  trois  coingnées;  puis  luy  dict  :  «  Tu  as  assez 
crié  pour  boire.  Tes  prières  s)nt  exaulsees  de  Jupiter.  Re- 
guarde  laquelle  de  ces  troys  est  ta  coingnée,  et  l'emporte.  » 
Couillatris  soublieve  la  coingnée  d'or,  il  la  reguarde  et  la 
trouve  bien  poisante,  puis  dit  à  Mercure  :  «  Marmes,  ceste  cy 
n'est  mie  la  mienne.  Je  n'en  veulx  grain.  »  Autant  faict  de  la 
coingnée  d'argent,  et  dict  :  «  Non  est  ceste  cy.  Je  la  vous 
quitte.  »  Puis  prend  en  amin  la  coingnée  de  boys  :  il  reguarde 
au  bout  du  manche,  en  icelluy  recognoist  sa  marque,  et  tres- 
saillant tout  de  joye,  comme  un  renard  qui  rencontre  poulies 
esguarees,  et  soubriant  du  bout  du  nez,  dict  :  «  Merdigues, 
ceste  cy  estoit  mienne.  Si  me  la  voulez  laisser,  je  vous  sacri- 
firay  un  bon  et  grand  pot  de  laict,  tout  fin  couvert  de  belles 
frayres,  aux  Ides  (c'est  le  quinziesme  jour)  de  May.  —  Bon 
homme,  dist  Mercure,  je  te  la  laisse,  prens  la.  Et,  pour  ce 
que  eu  as  opté  et  soubhaité  médiocrité  en  matière  de  coingnée, 
par  le  vueil  de  Juppiter  je  te  donne  ces  deux  aultres.  Tu  as  de- 
quoy  dorénavant  te  faire  riche;  soys  homme  de  bien.  » 

Couillatris  courtoisement  remercie  Mercure,  révère  le  grand 
Juppiter,  sa  coingnée  antique  atache  à  sa  ceincture  de  cuyr, 
et  s'en  ceinct  sus  le  cul,  comme  Martin  de  Cambray.  Les  deux 
aultres  plus  poisantes  il  charge  à  son  cou.  Ainsi  s'en  va  prélas- 
sant par  le  pays,  faisant  bonne  troigne  panny  ses  paroeciens 
et  voysins,  et  leur  disant  le  petit  mot  de  Patelin  :  «  En  ay 
je?  »  An  lendemain,  vestu  d'une  sequenie  blanche,  charge  sur 
son  dours  les  deux  précieuses  coingnées,  se  transporte  à 
Chinon,  ville  insigne,  ville  noble,  ville  antique,  voyre  première 
dn  monde,  scelon  le  jugement  et  assertion  des  plus  doctes 


26  LIVRE    IV 

Massorcthz.  En  Chinon  il  change  sa  coingnée  d'argent  en 
beaulx  testons  et  aultre  monnoye  blanche;  sa  coingnée  d'or, 
en  beaulx  salutz,  beaulx  moutons  à  la  grande  laine,  belles 
riddes,  beaulx  royaulz,  beaulx  escutz  au  Soleil.  Il  en  acheté 
force  mestairies,  force  granges,  force  censés,  force  mas,  force 
bordes  et  bordieux,  force  cassincs,  prez,  vignes,  boys,  terres 
labourables,  pastis,  estangs,  moulins,  jardins,  saulsayes; 
bœufz,  vaches,  brebis,  moutons,  chèvres,  tru3'es,  pourceaulx, 
asnes,  chevaulx,  poulies,  coqs,  chappons,  pouUetz,  oyes,  jars, 
canes,  canars,  et  du  menu.  Et,  en  peu  de  temps,  feut  le  plus 
riche  homme  du  pays  :  voyre  plus  que  Mauleuvrier  le  boy- 
teux. 

Les  francs  gontiers  et  Jacques  Bons  homs  du  voysinage, 
voyans  ceste  heureuse  rencontre  de  Couillalris,  feurent  bien 
estonnez;  et  feut,  en  leurs  espritz,  la  pitié  et  commisération 
que  au  paravant  avoient  du  paouvre  Couillatris,  en  envie 
changée  de  ses  richesses  tant  grandes  et  inopinées.  Si  com- 
mencèrent courir,  s'enquérir,  guementer,  informer  par  quel 
moyen,  en  quel  lieu,  en  quel  jour,  à  quelle  heure,  comment  et  à 
quel  propous  luy  es  toit  ce  grand  thesaur  advenu.  Entendens 
que  c'estoit  par  avoir  perdu  sa  coingnée  :  «  Hen,  hen,  dirent 
ilz,  ne  tenoit  il  qu'à  la  perte  d'une  coingnée  que  riches  ne 
feussions?  Le  moyen  est  facile,  et  de  coust  bien  petit.  Et 
doncques  telle  est  on  temps  présent  la  révolution  des  Cieulx, 
la  constellation  des  Astres  et  aspect  des  Planettes  que  qui- 
conques  coingnée  perdera  soubdain  deviendra  aussi  nche? 
Hen,  hen,  ha  !  par  Dieu,  coingnée,  vous  serez  perdue,  et  ne  vous 
en  desplaise.  »  Adoncques  tous  perdirent  leurs  coingnées.  Au 
diable  l'un  à  qui  demeura  coingnée.  Il  n'estoit  filz  de  bonne 
mère  qui  ne  perdist  sa  coingnée.  Plus  n'estoit  abatu,  plus 
n'estoit  fendu  boys  on  pays,  en  ce  default  de  coingnées. 

Encores,  dict  l'apologue  .Esopicque  que  certains  petitz 
Janspill'hommes  de  bas  rehef,  qui  à  Couillatris  avoient  le 
petit  pré  et  le  petit  moulin  vendu  pour  soy  gourgiaser  à  la 


PROLOGUE    DE    L'aUTEUR  27 

monstre,  advertiz  que  ce  thesaur  luy  estoit  ainsi  et  par  ce 
moyen  seul  advenu,  vendirent  leurs  espées  pour  achapter 
coingnées,  affin  de  les  perdre,  comme  faisoicnt  les  paysans, 
et  par  icelle  perte  recouvrir  montjoie  d'Or  et  d'Argent.  Vous 
eussiez  proprement  dict  que  fussent  petitz  Romipetes,  ven- 
dens  le  leur,  empruntans  l'aultruy,  pour  acheter  mandatz  à 
tas  d'un  pape  nouvellement  créé.  Et  de  crier,  et  de  prier,  et 
de  lamenter  et  invocquer  Juppiter.  «  Ma  coingnée,  ma  coin- 
gnée,  Juppiter  !  Ma  coingnée  deçà,  ma  coingnée  delà,  ma  coin- 
gnée, ho,  ho,  ho,  ho  !  Jupiter,  ma  coingnée  !  »  L'air  tout 
autour  retentissoit  aux  cris  et  hurlemens  de  ces  perdeurs  de 
coingnées. 

Mercure  feut  prompt  à  leur  apporter  coingnées,  à  un  chas- 
cun  offrant  la  sienne  perdue,  une  aultre  d'Or,  et  une  tierce 
d'Argent.  Tous  choisissoient  celle  qui  estoit  d'Or,  et  l'amas- 
soient,  remercians  le  grand  donateur  Juppiter;  mais  sus  l'ins- 
tant qu'ilz  la  levoient  de  terre,  courbez  et  enclins,  Mercure 
leur  tranchoit  les  testes,  comme  estoit  l'edict  de  Juppiter. 
Et  feut  des  testes  couppees  le  nombre  equal  et  correspondent 
aux  coingnées  perdues.  Voylà  que  c'est.  Voylà  qu'advient  à 
ceulx  qui  en  simplicité  soubhaitent  et  optent  choses  médio- 
cres. 

Prenez  y  tous  exemple,  vous  aultres  gualliers  de  plats 
pays,  qui  dictez  que,  pour  dix  mille  francs  d'intrade,  ne  quit- 
teriez vos  soubhaitz;  et  désormais  ne  parlez  ainsi  impuden- 
tement,  comme  quelque  foys  je  vous  ay  ouy  soubhaitans  : 
«  Pleust  à  Dieu  que  j'eusse  présentement  cent  soixante  et 
dixhuict  miUions  d'Or  !  Ho,  comme  je  triumpheroys  !  »  Vos 
maies  mules  !  Que  soubhaiteroit  un  Roy,  un  Empereur,  un 
pape  d'advantaige? 

Aussi,  voyez  vous  par  expérience  que,  ayans  faict  telz 
oultrez  soubhayts,  ne  vous  en  advient  que  le  tac  et  la  cla- 
velée,  en  bourse  par  maille;  non  plus  que  aux  deux  belistran- 
diers  soubhaiteux  à  l'usaige  de  Paris;  desquelz  l'un  soubhai- 


28  LIVRE    IV 

toyt  avoir  en  bcaulx  escuz  au  Soleil  autant  que  a  esté  en 
Paris  despendu,  vendu  et  achapté,  depuys  que  pour  l'édifier 
on  y  jecta  les  premiers  fondements  jusques  à  l'heure  pré- 
sente :  le  tout  estimé  au  taux,  vente,  et  valeur  de  la  plus 
chère  année  qui  ayt  passé  en  ce  laps  de  temps.  Cestuy,  en 
vostre  ad  vis,  estoit  il  degousté?  Avoit  il  mangé  des  prunes 
aigres  sans  peler?  Avoit  il  les  dens  esguassées?  L'aultre  soub- 
haitoit  le  temple  de  Nostre  Dame  tout  plein  d'aiguilles  asse- 
rees,  depuys  le  pavé  jusques  au  plus  hault  des  voultes,  et 
avoir  autant  d'escuz  au  Soleil  qu'il  en  pourroit  entrer  en 
autant  de  sacs  que  l'on  pourroit  couldre  de  toutes  et  une 
chascune  aiguille,  jusques  à  ce  que  toutes  feussent  crevées  ou 
espoinctées.  C'est  soubhayté  cela  !  Que  vous  en  semble  ? 
Qu'en  advint  il?  Au  soir  un  chascun  d'eulx  eut  les  mules  au 
talon,  le  petit  cancre  au  menton,  la  maie  toux  au  poulmon, 
le  catarrhe  au  gavion,  le  gros  fronde  au  cropion  ;  et  au  diable 
le  boussin  de  pain  pour  s'escurer  les  dents. 

Soubhaitez  donc  médiocrité  :  elle  vous  adviendra;  et,  enco- 
res  mieulx,  deuement  ce  pendent  labourans  et  travaillans. 
«  Voire  mais,  dictes  vous,  Dieu  m'en  eust  aussi  toust  donné 
soixante  et  dixhuict  mille  comme  la  treziesme  partie  d'un 
demy.  Car  il  est  tout  puissant.  Un  million  d'or  luy  est  aussi 
peu  qu'une  obole.  »  Hay,  hay,  hay.  Et  de  qui  estez  vous  ap- 
prins  ainsi  discourir  et  parler  de  la  puissance  et  prédestination 
de  Dieu,  paou\T:es  gens?  Paix  :  st,  st,  st  ;  humiliez  vous  davant 
sa  sacrée  face,  et  recongnoissez  vos  imperfections. 

C'est,  goutteux,  sus  quoy  je  fonde  mon  espérance,  et  croy 
fermement  que,  s'il  plaist  au  bon  Dieu,  vous  obtiendrez 
santé,  veu  que  rien  plus  que  santé  pour  le  présent  ne  deman- 
dez. Attendez  encores  un  peu  avecques  demie  once  de  pa- 
tience. Ainsi  ne  font  les  Genevoys,  quand,  au  matin,  avoir 
dedans  leurs  escriptoires  et  cabinetz  discouru,  propensé  et 
résolu  de  quietdequelz,  celluyjour,  ilz  pourront  tirer  denares 
et  qui,  par  leur  astuce,  sera  beUné,  corbiné,  trompé  et  affiné, 


PANTAGRUEL  ^9 

ilz  sortent  en  place,  et  s'entresaluant,  disent  :  Sanita  et  gua- 
dain,  messer.  Hz  ne  se  contentent  de  santé,  d'abondant  ilz 
soubhaytent  gaing,  voire  les  escuz  de  Guadaigne.  Dont 
advient  qu'ilz  souvent  n'obtiennent  l'un  ne  l'autre.  Or,  en 
bonne  santé  toussez  un  bon  coup;  beuvez  en  trois,  secouez 
dehait  vos  aureilles,  et  vous  oyrez  dire  merveilles  du  noble 
et  bon  Pantagruel. 


CHAPITRE  I 

COMMENT  PANTAGRUEL   MONTA  SUS    MER  POUR  VISITER   L'oRACLE 
DE     LA     DIVE     BACBUC 


On  mois  de  juin,  au  jour  des  f estes  Vestales,  celluy  propre 
on  quel  Brutus  conquesta  Hespaigne  et  subjugua  les  Hespai- 
gnolz;  on  quel  aussi  Crassus  l'avaricieux  feut  vaincu  et  def- 
faict  par  les  Par  thés,  Pantagruel,  prenant  congé  de  bon  Gar- 
gantua son  père,  icelluy  bien  priant  (comme  en  l'Eglise  pri- 
mitive est  oit  louable  coustiune  entre  les  saine  ts  Christians) 
pour  le  prospère  naviguaige  de  son  filz  et  toute  sa  compai- 
gnie,  monta  sus  mer  au  port  de  Thalasse,  accompaigné  de 
Panurge,  frère  Jan  des  Entommeures,  Epistemon,  Gym- 
naste, Eusthenes,  Rhizotome,  Carpalim,  et  aultres  siens  ser- 
viteurs et  domestiques  anciens;  ensemble  de  Xenomanes  le 
grand  voyageur  et  traverseur  des  voies  périlleuses  lequel, 
certains  jours  paravant,  estoit  arrivé  au  mandement  de 
Panurge.  Icelluy,  pour  certaines  et  bonnes  causes,  avoit  à 
Gargantua  laissé  et  signé,  en  sa  grande  et  universelle  Hydro- 
graphie, la  route  qu'ilz  tiendroient  visitans  l'oracle  de  la  dive 
Bouteille  Bacbuc. 


30  LIVRE    iV,     CHAPITRE    I 

Le  nombre  des  navires  fut  tel  que  vous  ay  exposé  on  tiefs 
livre,  en  conserve  de  Trirèmes,  Ramberges,  GaUions  et  Libur- 
nicques,  nombre  pareil,  bien  equippées,  bien  calfatées,  bien 
munies,  avecqucs  abondance  de  Pantagruelion.  L'assemblée 
de  tous  officiers,  truchemens,  pilotz,  capitaines,  nauchiers, 
fadrins,  hespailliers  et  matelots  feut  en  la  Thalamege.  Ainsi 
estoit  nom.mée  la  grande  et  maistresse  nauf  de  Pantagruel, 
ayant  en  pouppe  pour  enseigne  une  grande  et  ample  Bou- 
teille, à  moytié  d'argent  bien  Hz  et  poUy,  l'aultre  moitié  estoit 
d'or  esmaillé  de  couleur  incarnat.  En  quoy  facile  estoit  de 
juger  que  blanc  et  clairet  estoient  les  couleurs  des  nobles 
voyagiers,  et  qu'ilz  alloient  pour  avoir  le  mot  de  la  Bouteille. 

Sus  la  pouppe  de  la  seconde  estoit  hault  enlevée  une  lan- 
terne antiquaire,  faicte  industrieusement  de  pierre  sphengi- 
tide  et  speculaire  :  dénotant  qu'ilz  passeroient  par  Lanter- 
noys. 

La  tierce  pour  divise  avoit  un  beau  et  profond  hanat  de 
porcelaine.  La  quarte,  un  potet  d'or  à  deux  anses,  comme 
sifeust  une  urne  antique.  La  quinte,  un  brocq  insigne,  de 
sperme  d'Emeraulde.  La  sizieme,un  Bounabaquinmonachal, 
faict  des  quatre  metaulx  ensemble.  La  septième,  un  enton- 
noir de  Ebene,  tout  requamé  d'or,  à  ouvraige  de  Tauchie.  La 
huitième,  un  goubelet  de  Lierre  bien  précieux,  battu  d'or  à 
la  Damasquine.  La  neuvième,  une  brinde  de  fin  or  obrizé. 
La  dixième,  une  breusse  de  odorant  Agalloche  (vous  l'ap- 
peliez boys  d'aloës),  porfilée  d'or  de  Cj'pre,  à  ou\Taige  d'Aze- 
mine.  L'unzieme,  une  portouoiie  d'or  faicte  à  la  mosaicque. 
La  douzième,  un  barrault  d'or  tcrny,  couvert  d'une  vignette 
de  grosses  perles  Indicques,  en  ouvraige  topiaire.  De  mode 
que  personne  n'estoit,  tant  triste,  fasché,  rechiné  ou  melan- 
chohcque  feust,  voire  y  fust  Herachtus  le  pleurart,  qui 
n'entrast  en  joye  nouvelle,  et  de  bonne  ratte  ne  soubrist, 
voyant  ce  noble  convoy  de  navires  en  leurs  devises;  ne  dist 
que  les  voyagiers  estoient  tous  beuveurs,  gens  de  bien,  et  ne 


{"ANTAGRÙÊt  51 

jugeast  en  prognostic  asccuré  que  le  voyage,  tant  de  l'aller 
que  du  retour,  seroit  en  alaigresse  et  santé  pcrfaict. 

En  la  Thalamege  doncques  feut  l'assemblée  de  tous.  Là 
Pantagruel  leur  feist  une  briefve  et  saincte  exhortation,  toute 
auctorisée  de  propous  extraictz  de  la  Saincte  Escripture,  sus 
l'argument  de  naviguation.  Laquelle  finie,  feut  hault  et  clair 
faicte  prière  à  Dieu,  oyans  et  entendens  tous  les  bourgeoys  et 
citadins  de  Thalasse,  qui  est  oient  sus  le  mole  accouruz  pour 
veoir  l'embarquement. 

Après  l'oraison  feut  mélodieusement  chanté  le  psaulme  du 
sainct  Roy  David,  lequel  commence  :  Quand  Israël  hors 
d'^gpyte  sortit.  Le  psaulme  parachevé,  feurent  sus  le  tillac 
les  tables  dressées,  et  viandes  promptement  apportées.  Les 
Thalassiens,  qui  pareillement  avoient  le  psaulme  susdict 
chanté,  feirent  de  leurs  maisons  force  vivres  et  vinage 
apporter.  Tous  beurent  à  eulx.  Hz  beurent  à  tous.  Ce  feut  la 
cause  pourquoy  personne  de  l'assemblée  oncques  par  la 
marine  ne  rendit  sa  guorge,  et  n'eut  perturbation  d'esto- 
mach  ne  de  teste.  Ausquelz  inconveniens  n'eussent  tant  com- 
modément obvié,  beuvans  par  quelques  jours  paravant  de 
l'eaue  marine,  ou  pure,  ou  mistionnée  avecesl  que  vin;  ou 
usans  de  chair  de  Coings,  de  escorce  de  Citron,  de  jus  de 
Grenades  aigresdoulces  ;  ou  tenans  longue  diète,  ou  se  cou- 
vrans  l'estomach  de  papier,  ou  autrement  faisans  ce  que  les 
folz  medicins  ordonnent  à  ceulx  qui  montent  sus  mer. 

Leurs  beuvettes  souvent  réitérées,  chascun  se  retira  en  sa 
naulf,  et  en  bonne  heure  feirent  voile  au  vent  Grec  levant, 
selon  lequel  le  pilot  principal,  nommé  Jamet  Brayer,  avoit 
designé  la  routte,  et  dressé  la  calamité  de  toutes  les  bous- 
soles. Car  l'advis  sien  et  de  Xenomanes  aussi  feut,  veu  que 
l'oracle  de  la  diva  Bacbuc  estoit  près  le  Catay  en  Indie  supé- 
rieure, ne  prendre  la  routte  ordinaire  des  Portugualoys,  les- 
quelz,  passans  la  Ceincture  ardente,  et  le  cap  de  Bcna  Spe- 
ranza  sus  la  poincte  Méridionale  d'Africque  oultre  l'^Equi- 


32  LIVRE    ÎV,     CHAPITRE    II 

noxial,  et  pcrdens  la  vcue  et  guyde  de  l'aisseuil  Septentrional, 
font  navigation  énorme;  ains  suyvre  au  plus  prés  le  parallèle 
de  ladicte  Indie,  et  gyrer  autour  d'icelluy  pôle  par  Occident, 
de  manière  que,  tournoyans  soubs  Septentrion,  l'eussent  en 
pareille  élévation  comme  il  est  au  port  de  Olone,  sans  plus 
en  approcher,  de  paour  d'entrer  et  estre  retenuz  en  la  mer 
Glaciale.  Et  suyvans  ce  canonicque  destour  par  mesme  paral- 
lèle, l'eussent  à  dextrc,  vers  le  Levant,  qui  au  département 
leur  estoit  à  senestre. 

Ce  que  leurs  vint  à  profict  incroyable.  Car  sans  naufrage, 
sans  dangier,  sans  perte  de  leurs  gens,  en  grande  sérénité 
(exceptez  un  jour  près  l'isle  des  Macreons),  f cirent  le  voyage 
de  Indie  supérieure  en  moins  de  quatre  moys,  lequel  à  poine 
feroient  les  Portugualoys  en  trois  ans,  avecques  mille  fasche- 
ries  et  dangiers  innumerables.  Et  suys  en  ceste  opinion,  sauf 
meilleur  jugement,  que  telle  routte  de  Fortune  fut  suivie  par 
ces  Indians  qui  naviguèrent  en  Germanie,  et  feurent  honora- 
blement traictez  par  le  Roy  des  Suèdes,  on  temps  que 
Q.  Metellus  Celer  estoit  proconsul  en  Gaulle,  comme  descri- 
vent  Corn.  Nepos,  Pomp.  Mêla,  et  Pline  après  eulx. 


CHAPITRE  II 

COMMENT     PANTAGRUEL,    EN    l'ISLE     DE     MEDAMOTHI, 
ACHAPTA     PLUSIEURS     BELLES     CHOSES 


Cestuy  jour,  et  les  deux  subsequens,  ne  leur  apparut  terre 
ne  chose  aultre  nouvelle.  Car  aultres  foys  avoient  are  ceste 
routte.  Au  quatrième  découvrirent  une  isle  nommée  Meda- 
mothi,  belle  à  l'œil  et  plaisante,  à  cause  du  grand  nombre  des 
Phares  et  haultes  tours  marbrines  des  quelles  tout  le  circuit 
estoit  orné,  qui  n'estoit  moins  grand  que  de  Canada. 


PANTAGRUEL  33 

Pantagruel,  s'enquerant  qui  en  cstoit  dominateur,  entendit 
que  c'estoit  le  roy  Philophanes,  lors  absent  pour  le  mariage 
de  son  frère  Ph'ilotheamon  avecques  l'infante  du  royaulme 
des  Engys.  Adoncques  descendit  on  havre,  contemplant,  ce 
pendent  que  les  chormes  des  naufz  faisoient  aiguade,  divers 
tableaulx,  diverses  tapisseries,  divers  animaulx,  poissons, 
oizeaulx  et  aultres  marchandises  exotiques  et  peregrines,  qui 
estoient  en  l'allée  du  mole,  et  par  les  halles  du  port.  Car  c'es- 
toit le  tiers  jour  des  grandes  et  solennes  foires  du  lieu,  es 
quelles  annuellement  convenoient  tous  les  plus  riches  et 
fameux  marchans  d'Afrique  et  Asie.  D'entre  les  quelles  frère 
Jan  achapta  deux  rares  et  précieux  tableaux,  en  l'un  des 
quelz  estoit  au  vif  painct  le  visage  d'un  appellant;  en  l'aultre 
estoit  le  portraict  d'un  varlet  qui  cherche  maistre,  en  toutes 
qualitez  requises,  gestes,  maintien,  minois,  alleures,  physiono- 
mie et  affections  :  painct  et  inventé  par  maistre  Charles  Char- 
mois,  painctre  du  roy  Megiste  ;  et  les  payaenmonnoiedeCinge. 

Panurge  achapta  un  grand  tableau  painct  et  transsumpt 
de  l'ouvraige  jadis  faict  à  l'aiguille  par  Philomela,  expo- 
sante et  représentante  à  sa  sœur  Progne  comment  son  beau- 
frere  Tereus  l'avoit  despucellee,  et  sa  langue  couppée  af&n 
que  tel  crime  ne  decelast.  Je  vous  jure,  par  le  manche  de  ce 
fallot  que  c'estoit  une  paincture  gualante  et  mirifique.  Ne 
pensez,  je  vous  prie,  que  ce  feust  le  protraict  d'un  homme 
couplé  sus  une  fille.  Cela  est  trop  sot  et  trop  lourd.  La  painc- 
ture estoit  bien  aultre  et  plus  intelligible.  Vous  la  pourrez 
voir  en  Theleme,  à  main  guausche,  entrans  en  la  haulte 
guallerie. 

Epistemon  en  achapta  un  aultre,  on  quel  estoient  au  vif 
painctes  les  Idées  de  Platon,  et  les  Atomes  de  Epicurus.  Rhi- 
zotome  en  achapta  un  on  quel  estoit  Echo  selon  le  naturel 
représentée. 

Pantagruel  par  Gjmmaste  feist  achapter  la  vie  et  gestes  de 
Achilles,  en  soixante  et  dixhuict  pièces  de  tapisserie  à  haultes 
T.  II  , 


34  LIVRE    IV,     CHAPITRE    II 

lisses,  longues  de  quatre,  larges  de  trois  toises,  toutes  de  sa.ye 
Phrygienne,  requamée  d'or  et  d'argent.  Et  commençoit  la 
tapisserie  aux  nopces  de  Peleus  et  Thetis;  continviant  la 
nativité  d'Achilles,  sa  jeunesse  descripte  par  Stace  Papinie, 
ses  gestes  et  faicts  d'armes  célébrez  par  Homère,  sa  mort  et 
exeques  descriptz  par  Ovide  et  Quinte  Calabrois,  finissant 
en  l'apparition  de  son  umbre,  et  sacrifice  de  Polyxene, 
descript  par  Euripides.  Feist  aussi  achapter  trois  beaulx  et 
jeunes  Unicomes  :  un  masle,  de  poil  alezan  tostade,  et  deux 
femelles,  de  poil  gris  pommelé.  Ensemble  un  Tarande,  que 
lui  vendit  un  Scythien  de  la  contrée  des  Gelones. 

Tarande  est  un  animal  grand  comme  un  jeune  taureau,  por- 
tant teste  comme  est  d'un  cerf,  peu  plus  grande,  avec  cornes 
insigneslargement  ramées  ;  les  pieds  forchuz,  lepoillongcomme 
d'un  grand  ours,  la  peau  peu  moins  dure  qu'im  corps  de  cui- 
rasse. Et  disoit  le  Gelon  peu  en  estre  trouvé  parmy  la  Scythie, 
parce  qu'il  change  de  couleur  selon  la  variété  des  lieux  es 
quelz  il  paist  et  demoxire.  Et  représente  la  couleur  des  herbes 
arbres,  arbrisseaulx,  fleurs,  Ueux,  pastiz,  rocloiers,  générale- 
ment de  toutes  choses  qu'il  approche.  Cela  luy  est  commun 
avecques  le  Poulpe  marin,  c'est  le  Polype  :  avecques  les 
Thoës,  avecques  les  Lycaons  de  Indie,  avecques  le  Chame- 
léon,  qui  est  une  espèce  de  Lizart  tant  admirable  que  Demo- 
critus  a  faict  im  hvre  entier  de  sa  figure,  anatomie,  vertus, 
et  propriété  en  Magie.  Si  est  ce  que  je  l'ay  veu  couleur  chan- 
ger, non  à  l'approche  seulement  des  choses  colorées,  mais  de 
soy  mesmes,  selon  la  paour  et  afîections  qu'il  avoit.  Comme 
sus  un  tapiz  verd,  je  l'ay  veu  certainement  verdoyer;  mais  y 
restant  quelque  espace  de  temps,  devenir  jaulne,  bleu,  tanné, 
violet  par  succès  :  en  la  façon  que  voiez  la  creste  des  coqs 
d'Inde  couleur  scelon  levurs  passions  changer.  Ce  que  sus  tout 
trouvasmes  en  cestuy  Tarande  admirable  est  que,  non  seule- 
ment sa  face  et  peau,  mais  aussi  tout  son  poil  telle  couleur 
prenoit,  quelle  estoit  es  choses  voisines.  Près  de  Panurge 


l'ANTAGRUEL  35 

Vestu  de  sa,  toge  bure,  le  poil  luy  devenoit  gris;  près  de  Panta- 
gruel vestu  de  sa  mante  d'escarlate,  le  poil  et  peau  hiy  rougis- 
soit  ;  près  du  pilote  vestu  à  la  mode  des  Isiaces  de  Anubis  en 
Egypte,  son  poil  apparut  tout  blanc.  Les  quelles  deux  der- 
nières couleurs  sont  au  Chameléon  déniées.  Quand  hors  toute 
paour  et  affections  il  cstoit  en  son  naturel,  la  couleur  de  son 
ix)il  estoit  telle  que  voyez  es  asnes  de  Meung. 


CHAPITRE  III 

COMMENT     PANTAGRUEL    REPCEUT     LETTRES 

DE    SON     PERE     GARGANTUA, 

ET      DE      l'ESTRANGE      MANIERE      DE     SÇAVOIR      NOUVELLES      BIEN 

SOUBDAIN     DES     PAYS     ESTR.^NGIERS     ET    LCINGTAINS 


Pantagruel  occupé  en  l'achapt  de  ces  animaux  peregrins, 
f eurent  ouiz  du  mole  dix  coups  de  Verses  et  Faulconneaux  ; 
ensemble  grande  et  joyeuse  acclamation  de  toutes  les  naufz. 
Pantagruel  se  tourne  vers  le  havre,  et  veoyd  que  c'estoit  une 
des  Celoces  de  son  père  Gargantua,  nommé  la  Chelidoine, 
pource  que,  sus  la  pouppe,  estoit  en  sculpture  de  œrain  Corin- 
thien une  hirondelle  de  mer  élevée.  C'est  un  poisson  grand 
comme  un  dar  de  Loyre,  tout  charnu,  sans  esquasmes,  ayant 
œsles  cartilagineuses  (quelles  sont  es  Souriz  chaulves),  fort 
longues  et  larges,  moyenans  les  quelles  je  l'ay  souvent  veu 
voler  une  toyse  au  dessus  de  l'eau,  plus  d'un  traict  d'arc.  A 
Marseille  on  le  nomme  Lendole.  Ainsi  estoit  ce  vaisseau  legier 
comme  une  Hirondelle,  de  sorte  que  plus  toust  sembloit  sus 
mer  voler  que  voguer.  En  iceluy  estoit  Malicorne,  escuyer 
tranchant  de  Gargantua,  envoyé  expressément  de  par  luy, 
entendre  Testât  et  portement  de  son  filz  le  bon  Pantagruel, 
et  luy  porter  lettres  de  créance. 


36  LIVRE    IV,     CHAPITRE    III 

Pantagruel,  après  la  petite  accolade  et  barretade  gracieuse, 
avant  ouvrir  les  lettres,  ne  aultres  propous  tenir  à  Malicome, 
luy  demanda  :  «  Avez  vous  icy  le  Gozal,  céleste  mcssaiger?  — 
Ouy,  respondit  il;  il  est  en  ce  panier  emmailloté.  »  C'estoit  un 
pigeon  prins  on  colombier  de  Gargantua,  esclouant  ses  petitz 
sus  l'instant  que  le  susdict  Ccloce  departoit.  Si  fortune 
adverse  feust  à  Pantagruel  advenue,  il  y  eust  des  jectz  noirs 
attaché  es  pieds;  mais  pource  que  tout  luy  estoit  venu  à  bien 
et  prospérité,  l'ayant  faict  demailloter,  luy  attacha  es  pieds 
une  bandelette  de  taffetas  bjanc,  et,  sans  plus  différer,  sus 
l'heure  le  laissa  en  pleine  liberté  de  l'air.  Le  pigeon  soubdain 
s'envole,  haschant  en  incroyable  hastiveté,  comme  vous 
sçavez  qu'il  n'est  vol  que  de  Pigeon,  quand  il  a  œufz  ou  petitz, 
pour  l'obstinée  solhcitude  en  luy  par  nature  posée  de  recourir 
et  secourir  ses  pigeonneaulx.  De  mode  qu'en  moins  de  deux 
heures,  il  franchit  par  l'air  le  long  chemin  que  avoit  le  Celoce 
en  extrême  diligence  par  troys  jours  et  troys  nuyctz  perfaict, 
voguant  à  rames  et  à  vêles,  et  luy  continuant  vent  en  pouppe. 
Et  feut  veu  entrant  dedans  le  colombier  on  propre  nid  de  ses 
petitz.  Adoncques  entendent  le  preux  Gargantua  qu'il  por- 
toit  la  bandelette  blanche,  resta  en  joye  et  sceureté  du  bon 
portement  de  son  filz. 

Telle  estoit  l'usance  des  nobles  Gargantua  et  Pantagruel, 
quand  sçavoir  promptement  vouloient  nouvelles  de  quelque 
chose  fort  affectée  et  véhémentement  désirée,  comme  l'issue 
de  quelque  bataille,  tant  par  mer,  comme  par  terre,  la  prmze 
ou  défense  de  quelque  place  forte,  l'appoinctement  de  quel- 
ques differens  d'importance,  l'accouchement  heureux  ou 
infortuné  de  quelque  royne  ou  grande  dame,  la  mort  ou  con- 
valescence de  leurs  amis  ou  aUiez  malades,  et  ainsi  des  aultres. 
Hz  prenoient  le  Gozal,  et  par  les  postes  le  faisoient  de  main  en 
main  jusques  sus  les  Ueux  porter  dont  ilz  afîectoient  les  nou- 
velles. Le  Gozal,  portant  bandelette  noire  ou  blanche  scelon 
les  occurrences  et  accidens,  les  houstoit  de  pensement  à  son 


PANTAGRUEL  37 

retour,  faisant  en  une  heure  plus  de  chemin  par  l'air  que  n'a- 
voient  faict  par  terre  trente  postes  en  un  jour  naturel.  Cela 
estoit  rachapter  et  guaingner  temps.  Et  croyez  comme  chose 
vraysemblable  que,  par  les  colombiers  de  leurs  cassines,  on 
trouvoit  sus  œufz  on  petitz,  tous  les  moys  et  saisons  de  l'an, 
les  pigeons  à  foyson.  Ce  que  est  facile  en  mesnagerie,  moyen- 
nant le  Salpêtre  en  roche  et  la  sacre  herbe  Vervame. 

Le  Gozal  lasché,  Pantagruel  leugt  les  missives  de  son  père 
Gargantua,  des  quelles  la  teneur  en  suyt  : 

«  Filz  très  cher,  l'affection  que  naturellement  porte  le  père 
à  son  filz  bien  aymé,  est  en  mon  endroict  tant  acreue,  par 
l'esguard  et  révérence  des  grâces  particulières  en  toy  par  élec- 
tion divine  posées  que,  depuys  ton  partement,  me  a,  non  une 
foys  toUu  tout  aultre  pensement,  me  délaissant  on  cueur  ceste 
unicque  et  soingneuse  paour  que  vostre  embarquement  ayt 
esté  de  quelque  meshaing  ou  fascherie  accompaigné  :  comme 
tu  sçays  que  à  la  bonne  et  syncere  amour  est  craincte  perpé- 
tuellement annexée.  Et  pource  que,  selon  le  dict  de  Hésiode, 
d'une  chascune  chose  le  commencement  est  la  moytié  du  tout, 
et,  scelon  le  proverbe  commun,  à  l'enfourner  on  faict  les 
pains  cornuz,  j'ay  pour  de  telle  anxiété  vuider  mon  entende- 
ment, expressément  depesché  Malicome,  à  ce  que  par  luy  je 
soys  acertainé  de  ton  portement  sus  les  premiers  jours  de  ton 
voyage.  Car,  s'il  est  prospère,  et  tel  que  je  le  soubhayte,  facile 
me  sera  preveoir,  prognosticquer  et  juger  du  reste.  J'ay  ^i 
recouvert  quelques  livres  joyeulx,  lesquelz  te  seront  par  le  [ 
présent  porteur  renduz.  Tu  les  liras,  quand  te  vouldras  ) 
refraischir  de  tes  meilleurs  estudes.  Ledict  porteur  te  dira 
plus  amplement  toutes  nouvelles  de  ceste  court.  La  paix  de 
l'Eternel  soit  avecques  toy.  Salue  Panurge,  frère  Jan,  Epis- 
temon,  Xenomanes,  Gymnaste,  et  autres  tes  domesticques, 
mes  bons  amis.  De  ta  maison  paternelle,  ce  treziesme  de  juin. 
«  Ton  père  et  amy, 

«GARGANTUA». 


38  LIVRE     IV,     CHAPITRE     IV 


CHAPITRE  IV 


COMMENT     PANTAGRUEL     ESCRIPT     A     SON     PERE     GARGANTUA, 
ET    LUY     ENVOYE     PLUSIEURS     BELLES     ET    RARES     CHOSES 


Après  la  lecture  des  lettres  susdictes,  Pantagruel  tint  plu- 
sieurs propous  avecques  l'escuyer  Malicorne,  et  feut  avecques 
luy  si  long  temps  que  Panurge,  interrompant,  luy  dist  :  «  Et 
quand  boyrez  vous?  Quand  boyrons  nous?  Quand  boyra 
monsieur  l'escuyer?  N'est  ce  assez  sermonné  pour  boyre?  — • 
C'est  bien  dict,  respondit  Pantagruel.  Faitez  dresser  la  colla- 
tion en  caste  prochaine  hostellerie,  en  laquelle  pend  pour 
enseigne  l'image  d'un  Satyre  à  cheval.  Ce  pendent  pour  la 
depesche  de  l'escuyer,  il  escrivit  à  Gargantua  comme  s'en- 
suyt  : 

«  Père  tresdebonnaire,  comme  à  tous  accidens  en  ceste  vie 
transitoire  non  doubtez  ne  soubsonnez,  nos  sens  et  nos  facul- 
tez  animales  pâtissent  plus  énormes  et  impotentes  perturba- 
tions (voyre  jusques  à  en  estre  souvent  l'ame  désemparée  du 
corps,  quoy  que  telles  subites  nouvelles  feussent  à  conten- 
tement et  soubhayt),  que  si  eussent  auparavant  esté  propen- 
sez et  preveuz,  ainsi  me  a  grandement  esmeu  et  perturbé 
l'inopinée  venue  du  vostre  escuyer  Malicorne.  Car  je  n'espe- 
roys  aulcun  veoir  de  vos  domesticques,  ne  de  vous  nouvelles 
ouyr  avant  la  fin  de  cestuy  nostre  voyage.  Et  facilement, 
acquiesçoys  en  la  doulce  recordation  de  vostre  auguste 
majesté,  cscripte,  voire  certes  insculpée  et  engravée  on  poste- 
rieur  ventricule  de  mon  cerveau,  souvent  au  vif  me  la  représen- 
tant en  sa  propre  et  naïfve  figure. 

«  Mais,  puys  que  m'avez  prévenu  par  le  bénéfice  de  vos 
gfratieuses  lettres,  et  par  la  créance  de  vostre  escuyer  mes  es- 


PANTAGRUEL  39 

pritz  recréé  en  nouvelles  de  vostre  prospérité  et  santé,  ensem- 
ble de  toute  vostre  royale  maison,  force  m'est,  ce  que  par  le 
passé  m'estoit  voluntaire,  premièrement  louer  le  benoist  Ser- 
vateur,  lequel,  par  sa  divine  bonté,  vous  conserve  en  ce  long 
teneur  de  santé  perfaicte;  secondement,  vous  remercier  sem- 
piternellement  de  ceste  fervente  et  invétérée  affection  que  à 
moy  portez,  vostre  trcshumble  filz  et  serviteur  inutile.  Jadis 
un  Romain,  nommé  Furnius,  dist  à  César  Auguste  recepvant 
à  grâce  et  pardon  son  père,  lequel  avoit  suyvy  la  faction  de 
Antonius  :  Au  jourd'huy  me  faisant  ce  bien,  tu  m'as  reduict 
en  telle  ignominie  que  force  me  sera,  vivant,  mourant,  estre 
ingrat  réputé,  par  impotence  de  gratuité.  Ainsi  pourray  je 
dire  que  l'excès  de  vostre  paternelle  affection  me  range  en 
ceste  angustie  et  nécessité  qu'il  me  conviendra  vivre  et  mou- 
rir ingrat.  Sinon  que  de  tel  crime  soys  relevé  par  la  sentence 
des  Stoïciens,  lesquelz  disoient  troys  parties  estre  en  bénéfice  : 
l'une  du  donnant,  l'aultre  du  recepvant,  la  tierce  du  recom- 
pensant :  et  le  recepvant  tresbien  recompenser  le  donnant 
quand  il  accepte  voluntiers  le  bienfaict,  et  le  retient  en  soub- 
venance  perpétuelle.  Comme,  au  rebours,  le  recepvant  estre 
le  plus  ingrat  du  monde,  qui  mespriseroit  et  oubliroit  le  bénéfice. 

«  Estant  doncques  opprimé  d'obligations  infinies  toutes 
procrées  de  vostre  immense  bénignité, et  impotent  à  la  minime 
partie  de  recompense,  je  me  saulveray  pour  le  moins  de 
calumnie  en  ce  que  de  mes  esprits  n'en  sera  à  jamais  la  mé- 
moire abolie  :  et  ma  langue  ne  cessera  confesser  et  protester 
que  vous  rendre  grâces  condignes  est  chose  transcendente 
ma  faculté  et  puissance. 

«  Au  reste,  j'ay  ceste  confiance  en  la  commisération  et  ayde 
de  nostre  Seigneur,  que,  de  ceste  nostre  pérégrination,  la  fin 
correspondra  au  commencement,  et  sera  le  totaige  en  alai- 
gresse  et  santé  perfaict.  Je  ne  fauldray  à  réduire  en  commen- 
taires et  ephemerides  tout  le  discours  de  nostre  naviguaige; 
af&n  que  à  nostre  retour  vous  en  ayez  lecture  veridicque. 


40  LIVRE    IV,     CHAPITRE    IV 

«  J'ay  ici  trouvé  un  Tarande  de  Scythie,  animal  estrange  et 
merveilleux  à  cause  des  variations  de  couleur  en  sa  peau  et 
poil,  selon  la  dictinction  des  choses  prochaines.  Vous  le  pren- 
drez en  gré.  Il  est  autant  maniable  et  facile  à  nourrir  qu'un 
aigneau.  Je  vous  envoie  pareillement  troys  jeunes  Unicornes, 
plus  domesticques  et  apprivoisées  que  ne  seroient  petits  chat- 
tons.  J'ay  conféré  avecques  l'esouyer,  et  dict  la  manière  de 
les  traicter.  Elles  ne  pasturent  en  terre,  obstant  leur  longue 
corne  on  front.  Force  est  que  pasture  elles  prennent  es  arbres 
fruictiers,  ou  en  ratteliers  idoines,  ou  en  main,  leur  offrant 
herbes,  gerbes,  pommes,  poyres,  orge,  touzelle,  brief  toutes 
espèces  de  fruictz  et  Icgumaiges.  Je  m'esbahis  comment  nos 
escrivains  antiques  les  disent  tant  farouches,  féroces  et  dan- 
gereuses, et  oncques  vives  n'avoir  esté  veues.  Si  bon  vous 
semble  ferez  espreuve  du  contraire,  et  trouverez  qu'en  elles 
consiste  une  mignotize  la  plus  grande  du  monde,  pourveu  que 
maUcieusement  on  ne  les  offense. 

«  Pareillement,  vous  envoie  la  vie  et  gestes  de  AchiUes  en 
tapisserie  bien  belle  et  industrieuse.  Vous  asceurant  que  les 
nouveaultez  d'animaulx,  de  plantes,  d'oyzeaulx,  de  pierreries 
que  trouver  pourray,  et  recouvrer  en  toute  nostre  pérégrina- 
tion, toutes  je  vous  porteray,  aydant  Dieu  nostre  Seigneur, 
lequel  je  prie  en  sa  saincte  grâce  vous  conserver. 

«  De  }^Iedamothi,  ce  quinziesme  de  juin.  Panurge,  frère 
Jan,  Epistemon,  Xenomanes,  Gymnaste,  Eusthenes,  Rhizo- 
tome,  Carpalim,  après  le  dévot  baisemain,  vous  resaluent  en 
usure  centuple. 

«  Vostre  humble  filz  et  serxHteur, 

«  PANTAGRUEL.  » 

Pendent  que  Pantagruel  escrivoit  les  lettres  susdictes. 
MaUcorne  fut  de  tous  festoyé,  salué  et  accollé  à  double  rebraz. 
Dieu  sçayt  comment  tout  alloit,  et  comment  recommenda- 
tions  de  toutes  parts  trottoient  en  place.  Pantagruel,  avoir 


PANTAGRUEL  4I 

parachevé  ses  lettres,  bancqueta  avecques  l'cscuycr.  Et  luy 
donna  une  grosse  chaîne  d'Or,  pesante  huyct  cens  escuz,  en 
laquelle,  par  les  chainons  septénaires,  estoient  gros  Diamans, 
Rubiz,  Esmerauldes,  Turquoises,  Unions,  alternativement 
enchâssez.  A  un  chascun  de  ses  nauchiers  fit  donner  cinq  cens 
escuz  au  Soleil;  à  Gargantua  son  père  envoya  le  ïarande 
couvert  d'une  housse  de  satin  broché  d'Or,  avecques  la  tapis- 
serie contenant  la  vie  et  gestes  de  Achilles,  et  les  troys  Uni- 
cornes  capparassonnees  de  drap  d'Or  frizé.  Ainsi  départirent 
de  Medamothi,  Malicorne,  pour  letourner  vers  Gargantua; 
Pantagruel,  pour  continuer  son  naviguaige.  Lequel  en  haulte 
mer  feist  lire  par  Epistcmon  les  livres  apportez  par  l'escuyer. 
Desquels,  pource  qu'ils  les  trouva  joyeulx  et  plaisans,  le  trans- 
sumpt  voluntiers  vous  donneray,  si  dévotement,  le  requérez. 


CHAPITRE  V 

COMMENT  PANTAGRUEL  RENCONTRA  UNE  NAUF  DE  VOYaGERS 
RETOURNANS  DU  PAYS  LANTERNOIS 


Au  cinquième  jour,  ja  commençans  tournoyer  le  pôle  peu 
à  peu,  nous  esloignans  de  l'^Siquinoctial,  descouvrismes  une 
navire  marchande  faisant  voile  à  horche  vers  nous.  La  joye 
ne  feut  petite,  tant  de  nous  comme  des  marchans  :  de  nous, 
entendens  nouvelle  de  la  marine  ;  de  eulx  entendens  nouvelles 
de  terre  ferme.  Nous  ralUans  avecques  eulx  congneusmes 
qu'ilz  estoient  François  Xantongeois.  Devisant  et  raisonnant 
ensemble,  Pantagruel  entendit  qu'ilz  venoient  de  Lanter- 
noys.  Dont  eut  nouveau  accroissement  d'alaigresse,  aussi  eut 
toute  l'assemblée  mesmement,  nous  enquestans  de  Testât  du 
pays  et  mœurs  du  peuple  Lanternier;  et  ayans  advertisse- 
ment  que,  sus  la  fin  de  Juillet  subséquent,  estoit  l'assignation 


42  LIVRE    IV,     CHAPITRE    V 

du  chapitre  gênerai  des  Lanternes  :  et  que,  si  lors  y  arrivions 
(comme  facile  nous  estoit),  voyrions  belle,  honorable  et 
joyeuse  compaignie  des  Lanternes  :  et  que  l'on  y  faisoit 
grands  apprestz,  comme  si  l'on  y  deust  pro fondement  lan- 
terner. Nous  feut  aussi  dict  que,  passans  le  grand  royaulme 
de  Gebarim,  nous  serions  honorifiquement  repceuz  et  traictez 
par  le  Roy  Ohabé,  dominateur  d'icelle  terre.  Lequel  et  tous 
ses  subjectz  pareillement  parlent  languaige  François  Tou- 
rangeau. 

Ce  pendent  que  nous  entendions  ces  nouvelles,  Panurge 
prend  débat  avecques  un  marchant  de  Taillebourg,  nommé 
Dindenault.  L'occasion  du  débat  feut  telle  :  Ce  Dindenault, 
voyant  Panurge  sans  braguette,  avecques  ses  lunettes  atta- 
chées au  bonnet,  dist  de  luy  à  ses  compai gnons  :  «  Voyez  là 
une  belle  médaille  de  Coqu.  »  Panurge,  à  cause  de  ses  lunettes, 
oyoit  des  aureilles  beaucoup  plus  clair  que  de  coustume, 
Doncques,  entendant  ce  propoas,  demanda  au  marchan  : 
«  Comment  diable  seroys  je  coqu,  qui  ne  suis  encores  marié, 
comme  tu  es,  scelon  que  juger  je  peuz  à  ta  troigne  mal  gra- 
cieuse ? 

—  Oui  vrayement,  respondit  le  marchant,  je  le  suys  :  et  ne 
vouldrois  ne  l'estre  pour  toutes  les  lunettes  d'Europe,  non 
pour  toutes  les  bezicles  d'Afrique.  Car  j'ay  une  des  plus  belles, 
plus  advenentes,  plus  honestes,  plus  prudes  femmes  en 
mariage,  qui  soit  en  tout  le  pays  de  Xantonge;  et  n'en  des- 
plaise aux  aultres.  Je  luy  porte  de  mon  voyage  une  belle  et 
de  unze  poulsees  longue  branche  de  Coural  rouge,  pour  ses 
estrenes.  Qu'en  as  tu  à  faire  ?  Dequoy  te  mesles  tu  ?  Qui  es  tu  ? 
Dont  es  tu  ?  O  Lunetier  de  l' Antichrist,  responds  si  tu  es  de 
Dieu. 

—  Je  te  demande,  dist  Panurge,  si,  par  consentement  et 
convenence  de  tous  les  elemens,  j'avoys  sacsacbezevezine- 
massé  ta  tant  belle,  tant  advcnente,  tant  honeste,  tant 
preude  femme,  de  mode  que  le  roydde  Dieu  des  jardins  Pria- 


PANTAGRUEL  43 

pus,  lequel  icy  habite  en  liberté,  subjection  forclusc  de  bra- 
guettes attachées,  luy  feust  on  corps  demeuré,  en  tel  desastre 
que  jamais  n'en  sortiroit,  éternellement  y  resteroit,  sinon  que 
tu  le  tirasses  avec  les  dens,  que  feroys  tu?  Le  laisscroys  tu  là 
simpitemellement ?  ou  bien  le  tireroys  tu  à  belles  dents?  Res- 
ponds,  o  bclinier  de  Mahumet,  puys  que  tu  es  de  tous  les  dia- 
bles. —  Je  te  donneroys,  respondit  le  marchant,  un  coup 
d'espée  sus  ceste  aureille  lunetiere,  et  te  tueroys  comme  un 
bélier.  «  Ce  disant  desguainoit  son  espée.  Mais  elle  tenoit  au 
fourreau,  comme  vous  sçavez  que,  sus  mer,  tous  hamoys 
facilement  chargent  rouille,  à  cause  de  l'humidité  excessive 
et  nitreuse.  Panurge  recourt  vert  Pantagruel  à  secours.  Frère 
Jan  mist  la  main  à  son  bragmard  fraischementesmoulu,  et 
eust  felonnement  occis  le  marchant,  ne  feust  que  le  patron  de 
la  nauf,  et  aultres  passagiers  supplièrent  Pantagruel  n'estre 
faict  scandale  en  son  vaisseau.  Dont  feut  appoincté  tout  leur 
différent  :  et  touchèrent  les  mains  ensemble  Panurge  et  le 
marchant,  et  beurent  d'autant  l'un  à  l'autre  dehayt,  en  signe 
de  perfaicte  reconciliation. 


CHAPITRE  VI 

COMMENT,      LE      DEBAT     APPAISÉ,      P.'V.NURGE      MARCHANDE      AVEC 
DINDENAULT    UN     DE     SES     MOUTONS 


Ce  débat  du  tout  appaisé,  Panurge  dist  secrètement  à  Epis- 
temon  et  à  frère  Jan  :  «  Retirez  vous  icy  un  peu  à  l'escart,  et 
joyeusement  passez  temps  à  ce  que  voirez.  Il  y  aura  bien  beau 
jeu,  si  la  chorde  ne  rompt.  »  Puis  se  addressa  au  marchant,  et 
de  rechef  beut  à  luy  plein  hanat  de  bon  vin  Lanternoys.  Le 
marchant  le  pleigea  guaillard,  en  toute  courtoisie  et  honnes- 
teté.  Cela  faict,  Panurge  dévotement  le  prioyt  luy  vouloir  de 


44  LIVRE    IV,     CHAPITRE    VI 

grâce  vendre  un  de  ses  moutons.  Le  marchant  luy  respondit  : 
«  Halas,  halas,  mon  amy,  nostre  voisin,  comment  vous 
sçavez  bien  trupher  des  paouvres  gens.  Vrayement  vous  estes 
un  gentil  chalant.  O  le  vaillant  achapteur  de  moutons  ! 
Vraybis,  vous  portez  le  minoys  non  mie  d'un  achapteur  de 
moutons,  mais  bien  d'un  couppeur  de  bourses.  Deu  Colas, 
faillon,  qu'il  feroit  bon  porter  bourse  pleine  auprès  de  vous 
en  la  tripperie  sus  le  dégel  !  Han,  han,  qui  ne  vous  congnois- 
troyt,  vous  feriez  bien  des  vostres.  Mais  voyez,  hau,  bonnes 
gens,  comment  il  taille  de  l'historiographe. 

—  Patience,  dist  Panurge.  Mais,  à  propous,  de  grâce  spé- 
ciale, vendez  moy  un  de  vos  moutons.  Combien?  —  Com- 
ment, respondit  le  marchant,  l'entendez  vous,  nostre  amy, 
mon  voisin?  Ce  sont  moutons  à  la  grande  laine.  Jason  y  print 
la  toison  d'Or.  L'ordre  de  la  maison  de  Bourgoigne  en  fut 
extraicit.  Moutons  de  Levant,  moutons  de  haulte  fustaye, 
moutons  de  haulte  grosse.  —  Soit,  dist  Panurge,  mais  de 
grâce  vendez  m'en  un,  et  pour  cause;  bien  et  promptement 
vous  payant  en  monnoye  de  Ponant,'  de  taillis,  et  de  basse 
gresse.  Combien? 

—  Nostre  voisin,  mon  amy,  respondit  le  marchant,  escou- 
tez  ça  un  peu  de  l'aultre  aureille. 

Panurge.  A  vostre  commandement. 

Le  ^Iarchant.  Vous  aUez  en  Lanternois? 

Panurge.  Voire. 

Le  Marchant.  Veoir  le  monde  ? 

Panurge.  Voire. 

Le  Marchant.  Joyeusement. 

Panurge.  Voire. 

Le  Marchant.  Vous  avez,  ce  croy  je,  nom  Robin  mouton. 

Panurge.  Il  vous  plaist  à  dire. 

Le  Marchant.  Sans  vous  fascher. 

Panurge.  Je  l'entends  ainsi. 

Le  Marchant.  Vous  estes,  ce  croy  je,  le  joyeulx  du  Roy, 


PANTAGRUEL  45 

Panurge.  Voire. 

Le  Marchant.  Fourchez  là.  Ha,  ha,  vous  allez  veoir  le 
monde,  vous  estes  le  joyculx  du  Roy,  vous  avez  nom  Robin 
mouton.  Voyez  ce  mouton  là,  il  a  nom  Robin  comme  vous. 
Robin,  Robin,  Robin.  —  Bês,  bês,  bês,  bês.  —  O  la  belle 
voix? 

Panurge.  Bien  belle  et  harmonieuse. 

Le  Marchant.  Voicy  un  pact  qui  sera  entre  vous  et  moy, 
nostre  voisin  et  amy.  Vous  qui  estes  Robin  mouton,  serez  en 
ceste  couppe  de  balance,  le  mien  mouton  Robin  sera  en  l'aul- 
tre  :  je  guaige  un  cent  de  huytres  de  Busch  que,  en  poidz,  en 
valleur,  en  estimation,  il  vous  emportera  hault  et  court,  en 
pareille  forme  que  serez  quelque  jour  suspendu  et  pendu. 

—  Patience,  dist  Panurge.  Mais  vous  feriez  beaucoup  pour 
moy  et  pour  vostre  postérité,  si  me  le  vouliez  vendre,  ou 
quelque  autre  du  bas  cueur.  Je  vous  en  prie,  syre  monsieur.  — 
Nostre  amy,  respondit  le  marchant,  mon  voisin,  de  la  toison 
de  ces  moutons  seront  faictz  les  fins  draps  de  Rouen  ;  les  lou- 
chetz  des  balles  de  Limestre,  au  pris  d'elle,  ne  sont  que 
bourre.  De  la  peau  seront  faictz  les  beaux  marroquins,  les- 
quelz  on  vendra  pour  marroquins  Turquins,  ou  de  Monteli- 
mart,  ou  de  Hespaigne  pour  le  pire.  Des  boyaulx,  on  fera 
chordes  de  violons  et  harpes,  lesquelles  tant  chèrement  on 
vendra  comme  si  feussent  chordes  de  Munican  ou  Aquileie. 
Que  pensez  vous?  —  S'il  vous  plaist,  dist  Panurge,  m'en  ven- 
drez un,  j'en  seray  bien  fort  tenu  au  courrail  de  vostre  huys. 
Voyez  cy  argent  content.  Combien?  »  Ce  disoit,  monstrant  son 
esquarcelle  pleine  de  nouveaulx  Henricus. 


40  LIVRE    IV,    CHAPITRE    Vit 


CHAPITRE  VII 


CONTINUATION     DU     MARCHIi     ENTRE     PANURGE     ET     DINDENAULT 


«  Mon  amy,  respondit  le  marchant,  nostre  voisin,  ce  n'est 
viande  que  pour  Roys  et  Princes.  La  chair  en  est  tant  déli- 
cate, tant  savoureuse,  et  tant  friande  que  c'est  basme.  Je  les 
ameine  d'un  pays  on  quel  les  pourceaulx  (Dieu  soit  avecques 
nous)  ne  mangent  que  Myrobalans.  Les  truyes  en  leur  gesine 
(saulve  l'honneur  de  toute  la  compaignie)  ne  sont  nourriez 
que  de  fleurs  d'orangiers.  —  Mais,  dist  Panurge,  vendez  m'en 
im,  et  je  vous  le  payeray  en  Roy,  foy  de  piéton.  Combien?  — 
Nostre  amy,  respondit  le  marchant,  mon  voisin,  ce  sont  mou- 
tons extraictz  de  la  propre  race  de  celluy  qui  porta  Phrixus 
et  Hellé  par  la  mer  dicte  Hellesponte.  —  Cancre,  dist  Pa- 
nurge, vous  estes  clericus  vel  adiscens.  —  Ita  sont  choux,  res- 
pondit le  marchant,  vere  ce  sont  pourreaux.  Mais  rr.  rrr.  rrrr. 
rrrrr.  Ho  Robin  rr.  rrrr.  rrrr.  Vous  n'entendez  ce  languaige. 

«  A  propous.  Par  tous  les  champs  es  quelz  ilz  pissent,  le 
bled  y  provient  comme  si  Dieu  y  eust  pissé.  Il  n'y  faut  autre 
marne  ne  fumier.  Plus  y  a.  De  leur  urine  les  Quintessentiaux 
tirent  le  meilleur  Salpêtre  du  monde.  De  leurs  crottes  (mais 
qu'il  ne  vous  desplaise)  les  medicias  de  nos  pays  guérissent 
soixante  et  dix  huict  espèces  de  maladies.  La  moindre  des 
quelles  est  le  mal  Sainct  Eutropc  de  Xaintes,  dont  Dieu  nous 
saulve  et  guard.  Que  pensez  vous,  nostre  voisin,  mon  amy? 
Aussi  me  coustent  ilz  bon. 

—  Couste  et  vaille,  respondit  Panurge.  Seulement  vendez 
m'en  un,  le  payant  bien.  —  Xostre  amy,  dist  le  marchant, 
mon  voisin,  considérez  un  peu  les  merveilles  de  nature  con- 
sistans  en  ces  animaulx  que  voyez,  voire  en  un  membre  que 


PANTAGRUEL  4^ 

estimeriez  inutile.  Prenez  moy  ces  cornes  là,  et  les  concassez 
un  peu  avecques  un  pilon  de  fer,  ou  avccques  un  landier,  ce 
m'est  tout  un.  Puis  les  enterrez  en  veue  du  Soleil  la  part  que 
vouldrez,  et  souvent  les  arrousez.  En  peu  de  moys  vous  en 
voirez  naistre  les  meilleurs  Asperges  du  monde.  Je  n'en  dai- 
gnerois  excepter  ceulx  de  Ravenne.  Allez  moy  dire  que  les 
cornes  de  vous  aultres  messieurs  les  coqus  ayent  vertu  telle, 
et  propriété  tant  mirifique. 

—  Patience,  respondit  Panurge.  —  Je  ne  sçay,  dist  le  mar- 
chant, si  vous  estes  clerc.  J'ay  veu  prou  de  clercs,  je  dis  grands 
clercs,  coqus.  Ouy  dea.  A  propous,  si  vous  estiez  clerc,  vous 
sçauriez  que,  es  membres  inférieurs  de  ces  animaulx  divins, 
ce  sont  les  piedz,  y  a  un  os,  c'est  le  talon,  l'astragale,  si  vous 
voulez,  duquel,  non  d'aultre  animal  du  monde,  fors  de  l'asne 
Indian  et  des  Dorcades  de  Libye,  l'on  jouoyt  antiquement  au 
Royal  jeu  des  taies,  auquel  l'empereur  Octavian  Auguste  un 
soir  guaingna  plus  de  50.000  escuz.  Vous  aultres  coqus  n'avez 
garde  d'en  guaingner  aultant. 

—  Patience,  respondit  Panurge.  Mais  expédions.  —  Et 
quand,  dist  le  marchant,  vous  auray  je,  nostre  amy,  mon  voi- 
.sin,  dignement  loué  les  membres  internes?  Les  espaules,  les 
esclanges,  les  gigotz,  le  hault  cousté,  la  poictrine,  le  foye,  la 
râtelle,  les  trippes,  la  guogue,  la  vessie,  dont  on  joue  à  la 
balle;  les  coustelettes,  dont  on  faict  en  Pygmion  les  beaulx 
petitz  arcs  pour  tirer  des  noyaulx  de  cerises  contre  les  Grues; 
la  teste,  dont,  avecques  un  peu  de  soulphre,  on  fait  une  miri- 
fîcque  décoction  pour  faire  \àander  les  chiens  constippez  du 
ventre  ? 

—  Bren,  bren,  dist  le  patron  da  la  nauf  au  marchant,  c'est 
trop  icy  barguigné.  Vends  luy  si  tu  veulx;  si  tu  ne  veulx,  ne 
l'amuse  plus.  — •  Je  le  veulx,  respondist  le  marchant,  pour 
l'amour  de  vous.  Mais  il  en  payera  trois  livres  tournois  de  la 
pièce  en  choisissant.  —  C'est  beaucoup,  dist  Panurge.  En  nos 
pays  j'en  aurois  bien  cinq,  voire  six  pour  telle  somme  de 


48  LIVRE    IV,     CHAPITRE    VIII 

deniers.  Ad  visez  que  ne  soit  trop.  Vous  n'estes  le  premier  de 
ma  congnoissance  qui,  trop  toust  voulant  riche  devenir  et 
parvenir,  est  à  l'envers  tombé  en  paouvreté,  voire  quelque 
foys  s'est  rompu  le  col.  —  Tes  fortes  fiebvres  quartaincs,  dict 
le  marchant,  lourdault  sot  que  tu  es  !  Par  le  digne  veu  de 
Charrous,  le  moindre  de  ces  moutons  vault  quatre  fois  plus 
que  le  meilleur  de  ceulx  que  jadis  les  Coraxiens  en  Tuditanie, 
contrée  d'Espaigne,  vendoient  un  talent  d'Or  la  pièce.  Et  que 
penses  tu,  ô  sot  à  la  grande  paye,  que  valoit  un  talent  d'or? 
—  Benoist  monsieur,  dist  Panurge,  vous  vous  eschauffez  en 
votre  hamois,  à  ce  que  je  voy  et  congnois.  Bien  tenez,  voyez 
là  vostre  argent.  »  Panurge,  ayant  payé  le  marchant,  choisit 
de  tout  le  trouppeau  un  beau  et  grand  mouton,  et  l'emportoit 
cr^'ant  et  beUant,  oyans  tous  les  aultres  et  ensemblcment 
bcUans  et  regardans  quelle  part  on  menoit  leur  compaignon. 
Ce  pendant  le  marchant  disoit  à  ses  moutonniers  :  «  O  qu'il  a 
bien  sceu  choisir,  le  challant  !  Il  se  y  entend,  le  paiUard  ! 
Vrayement,  le  bon  \Tayement,  je  le  reservoys  pour  le  sei- 
gneur de  Cancale,  comme  bien  congnoissant  son  naturel. 
Car,  de  sa  nature,  il  est  tout  joyeulx,  et  esbaudy  quand  il 
tient  une  espaule  de  mouton  en  main  bien  séante  et  advenente, 
comme  une  raquette  gauschiere,  et,  avecques  un  cousteau 
bien  tranchant,  Dieu  sçait  comment  il  s'en  escrime.  » 


CHAPITRE  VIII 

COMMENT     PANURGE     FEIST     EN     MER    NOYER    LE     MARCHANT 
ET    LES     MOUTONS 

Soubdain  je  ne  sçay  comment,  le  cas  feut  subit,  je  ne  eus 
loisir  le  consyderer,  Panurge,  sans  aultre  chose  dire,  jette  en 
pleine  mer  son  mouton  criant  et  bellant.  Tous  les  aultres 


PANTAGRUEL  49 

moutons,  crians  et  bellans  en  pareille  intonation,  commen- 
cèrent soy  jecter  et  saulter  en  mer  après,  à  la  file.  La  foulle 
estoit  à  qui  premier  y  saulteroit  après  leur  compaignon.  Pos- 
sible n'estoit  les  enguarder,  comme  vous  sçavez  estre  du  mou- 
ton le  naturel,  tous  jours  suyvre  le  premier,  quelque  part 
qu'il  aille.  Aussi  le  dict  Aristoteles,  lib.  IX,  de  Histor.  anim., 
estre  le  plus  sot  et  inepte  animant  du  monde. 

Le  marchant,  tout  effrayé  de  ce  que  davant  ses  yeulx 
périr  voyoit  et  noyer  ses  moutons,  s'efforçoit  les  empescher 
et  retenir  de  tout  son  pouvoir.  Mais  c'estoit  en  vain.  Tous  à 
la  file  saultoient  dedans  la  mer,  et  perissoient.  Finablement, 
il  en  print  im  grand  et  fort  par  la  toison  sus  le  tillac  de  la 
nauf,  cuydant  ainsi  le  retenir,  et  saulver  le  reste  aussi  conse- 
quemment.  Le  mouton  fut  si  puissant  qu'il  emporta  en  mer 
avecques  soy  le  marchant,  et  feut  noyé,  en  pareille  forme  que 
les  moutons  de  Polyphemus  le  borgne  Cyclope  emportèrent 
hors  la  caverne  Ulyxes  et  ses  compaignons.  Autant  en  feirent 
les  aultres  bergiers  et  moutonniers,  les  prenens  uns  par  les 
cornes,  aultres  par  les  jambes,  aultres  par  la  toison.  Lesquelz 
tous  furent  pareillement  en  mer  portez  et  noyez  misérable- 
ment. 

Panurge,  a  cousté  du  fougon,  tenant  un  aviron  en  main, 
non  pour  ayder  les  moutonniers,  mais  pour  les  enguaider  de 
grimper  sus  la  nauf,  et  évader  le  naufraige,  les  preschoit  elo- 
quentement,  comme  si  feust  un  petit  frère  Olivier  Maillard, 
ou  un  second  frère  Jan  Bourgeoys;  leurs  remonstrant  par 
lieux  de  Rethoricque  les  misères  de  ce  monde,  le  bien  et 
l'heur  de  l'austre  vie,  affermant  plus  heureux  estre  les  tres- 
passez  que  les  vivans  en  ceste  vallée  de  misère,  et  à  un  chas- 
cun  d'eulx  promettant  ériger  un  beau  cénotaphe  et  sepulchre 
honoraire  au  plus  hault  du  mont  Cenis,  à  son  retour  de  Lan- 
temoys  :  leurs  optant  ce  neantmoins,  en  cas  que  vivre  encores 
entre  les  humains  ne  leurs  faschast,  et  noyer  ainsi  ne  leur  vint 
à  propous,  bonne  adventure,  et  rencontre  de  quelque  Baleine, 

T.  II,  4 


50  LIVRE    IV,     CHAPITRE    IX 

laquelle  au  tiers  jour  subséquent  les  rendist  sains  et  saulves 
en  quelque  pays  de  satin,  à  l'exemple  de  Jonas. 

La  nauf  vuidee  du  marchant  et  des  moutons  :  «  Reste  il 
icy,  dist  Panurge,  uUe  ame  moutonnière?  Où  sont  ceux  de 
Thibault  l'Aignelet?  et  ceux  de  Regnauld  Belin,  qui  dorment 
quand  les  aultres  paissent?  Je  n'y  sçay  rien.  C'est  un  tour  de 
vieille  guerre.  Que  t'en  semble,  frère  Jan?  —  Tout  bien  de 
vous,  respondit  frère  Jean.  Je  n'ay  rien  trouvé  maulvais, 
sinon  qu'il  me  semble  que,  ainsi  comme  jadis  on  souloys  en 
guerre,  au  jour  de  bataille  ou  assault,  promettre  aux  soub- 
dars  double  paye  pour  celluy  jour  :  s'ilz  guaingnoient  la 
bataille,  l'on  avoit  prou  de  quoy  payer;  s'ilz  la  perdoient, 
c'eust  esté  honte  la  demander,  comme  feirent  les  fuyards 
Gruyers  après  la  bataille  de  Serizolles  :  aussi  qu'en  fin  vous 
doibviez  le  payement  reserver;  l'argent  vous  demourast  en 
bourse.  —  C'est,  dist  Panurge,  bien  chié  pour  l'argent.  Vertus 
Dieu,  j'ay  eu  du  passetemps  pour  plus  de  cinquaxite  mille 
francs.  Retirons  nous,  le  vent  est  propice.  Frère  Jan,  escoutte 
icy.  Jamais  homme  ne  me  feist  plaisir  sans  recompense,  ou 
recongnoissance  pour  le  moins.  Je  ne  suys  point  ingrat  et  ne 
le  feuz,  ne  seray.  Jamais  homme  ne  me  feist  desplaisir  sans 
repentance,  ou  en  ce  monde,  ou  en  l'autre.  Je  ne  suis  poinct 
fat  jusques  là.  —  Tu,  dist  frère  Jan,  te  damnes  comme  un 
i  vieil  diable.  Il  est  escript  :  Mihi  vindictam,  etc.  Matière  de 
v!  bréviaire.  » 


CHAPITRE  IX 

COMMENT     PANTAGRUEL     ARRIVA     EN     L'ISLE     ENNASIN, 
ET     DES     ESTRANGES     ALLIANCES     DU     PAYS 

Zephyre  nous  continuoit  en  participation  d'un  peu  du  Gar- 
bin,  et  avions  un  jour  passé  sans  terre  descouvrir.  Au  tiers 


PANTAGRUEL  5I 

jour,  à  l'aube  des  mousches,  nous  apparut  une  isle  triangu- 
laire, bien  fort  ressemblante  quant  à  la  forme  et  assiette  à 
Sicile.  On  la  nommoit  l'isle  des  Alliances.  Les  hommes  et 
femmes  ressemblent  aux  Poictevins  rouges,  exceptez  que 
tous,  hommes,  femmes  et  petitz  enfans,  ont  le  nez  en  figure 
d'un  as  de  treuffles.  Pour  ceste  cause,  le  nom  antique  de  l'isle 
estoit  Ennasin.  Et  estoient  tous  parens  et  alliez  ensemble, 
comme  ilz  se  vantoient;  et  nous  dist  librement  le  Protestât 
du  lieu  :  «  Vous  aultres  gens  de  l'aultre  monde  tenez  pour 
chose  admirable  que,  d'une  famille  Romaine  (c'estoient  les 
Fabians),  pour  un  jour  (ce  feut  le  trezieme  du  mois  de  Feb- 
vrier),  par  une  porte  (ce  feut  la  porte  Carmentale,  jadis  située 
au  pied  du  Capitole,  entre  le  roc  Tarpéian  et  le  Tibre,  depuys 
surnommée  Scélérate),  contre  certains  ennemis  des  Romains 
(c'estoient  les  Veientes  Hetrusques),  sortirent  trois  cens  six 
hommes  de  guerre  tous  parens,  avecques  cinq  mille  autres 
soubdars  tous  leurs  vassaulx,  qui  tous  furent  occis  (ce  feut 
prés  le  fleuve  Cremere,  qui  sort  du  lac  de  Baccane).  De  ceste 
terre,  pour  un  besoing,  sortiront  plus  de  trois  cens  mille,  tous 
parens  et  d'une  famille.  » 

Leurs  parentez  et  alliances  estoient  de  façon  bien  estrange  ; 
car,  estans  ainsi  tous  parens  et  aUiez  l'un  de  l'aultre,  nous 
trouvasmes  que  persone  d'eulx  n'estoit  père  ne  mère,  frère  ne 
sœur,  oncle  ne  tante,  cousin  ne  nepveu,  gendre  ne  bruz,  par- 
rain ne  marraine  de  l'autre.  Sinon  vrayement  un  grand  vieil- 
lard ennasé,  lequel,  comme  je  veidz,  appella  une  petite  fille 
aagée  de  trois  ou  quatre  ans  mon  père;  la  petite  fillette  le 
appelloit  ma  fille. 

La  parenté  et  alliance  entre  eulx  estoit  que  l'un  appelloit 
une  femme  ma  maigre;  la  femme  le  appelloit  mon  marsouin. 
«  Ceulx  là,  disoit  frère  Jan,  doibvroient  bien  sentir  leur  marée, 
quand  ensemble  se  sont  frottez  leur  lard.  »  L'un  appelloit  un 
guorgiase  bachelette,  en  soubriant  :  «  Bon  jour,  mon  estrille.  » 
Elle  le  resaliia,  disant  :  «  Bonne  estrene,  mon  fauveau.  — 


52  LIVRE    IV,     CHAPITRE    IX 

Hay,  hay,  hay  !  s'escria  Panurge,  venez  veoir  une  estrille,  une 
fau  et  un  veau.  N'est  ce  estrille  fauveau?  Ce  fauveau  à  la 
raye  noire  doibt  bien  souvent  estre  estrille.  »  Un  autre  salua 
une  sienne  mignonne,  disant  :  «  Adieu,  mon  bureau.  »  Elle  luy 
respondit  :  «  Et  vous  aussi,  mon  procès.  —  Par  sainct  Trei- 
gnant,  dist  Gymnaste,  ce  procès  doibt  estre  soubvent  sus  ce 
bureau.  »  L'un  appelloit  une  autre  mon  verd.  Elle  l'appelloit 
son  coquin.  «  Il  y  a  bien  là,  dist  Eusthenes,  du  Verdcoquin.  » 
Un  autre  salua  une  sienne  alliée,  disant  :  «  Bon  di,  ma  coin- 
gnee.  »  Elle  respondit  :  «  Et  à  vous,  mon  manche.  —  Ventre 
bœuf,  s'escria  Carpalim,  comment  ceste  coingnée  est  emman- 
chée? Comment  ce  manche  est  encoingné?  Mais  seroit  ce 
poinct  la  grande  manche  que  demandent  les  courtisanes 
Romaines?  Ou  un  cordeher  à  la  grande  manche?  » 

Passant  oultre,  je  veids  un  averlant  qui,  saluant  son  alliée, 
l'appella  mon  matraz  :  elle  le  appelloit  mon  lodier.  De  faict, 
il  avoit  quelques  traictz  de  lodier  lourdault.  L'un  appelloit 
une  aultre  ma  mie,  elle  l'appelloit  ma  crouste.  L'un  une  aultre 
appelloit  sa  palle,  elle  l'appelloit  son  fourgon.  L'un  une  autre 
appelloit  ma  savate,  elle  le  nommoit  pantophle.  L'im  une 
aultre  nommoit  sa  botine,  elle  l'appelloit  son  estivallet.  L'un 
une  aultre  nommoit  sa  mitaine,  elle  le  nommoit  mon  guand. 
L'un  une  aultre  nommoit  sa  couane,  elle  l'appelloit  son  lard  : 
et  estoit  entre  eulx  parenté  de  couane  de  lard. 

En  pareille  alliance,  l'un  appelloit  une  sienne  mon  home- 
laicte,  elle  le  nommoit  mon  œuf  :  et  estoient  aUiez  comme  une 
homelaicte  d'œufz.  De  mesmes  un  autre  appelloit  une  sienne 
ma  trippe,  elle  l'appeloit  son  fagot  :  Et  oncques  ne  peuz  sça- 
voir  quelle  parenté,  alliance,  affinité  ou  consanguinité  feust 
entre  eulx,  la  rapportant  à  nostre  usaige  commun,  sinon  qu'on 
nous  dist  qu'elle  estoit  trippe  de  ce  fagot.  Un  aultre,  saluant 
une  sienne,  disoit  :  «  Salut,  mon  escalle.  »  Elle  respondit  :  «  Et 
à  vous,  mon  huytre.  —  C'est,  dist  Carpalim,  ime  huytre  en 
escalle.  »  Un  aultre  de  mesmes  saluoit  une  sienne,  disant  : 


PANTAGRUEL  53 

«  Bonne  vie,  ma  gousse.  »  Elle  respondit  :  «  Longue  à  vous, 
monpoys.  —  C'est,  dist  Gymnaste,  un  poys  en  gousse.  »  Un 
autre  grand  villain  claquedens,  monté  sus  haultes  muUes  de 
boys,  rencontrant  une  grosse,  grasse,  courte  guarse,  luy  dist  : 
«  Dieu  gard  mon  sabbot,  ma  trombe,  ma  louppie.  »  Elle  luy 
respondit  fièrement  :  «  Guard  pour  guard,  mon  fouet.  —  Sang 
sainct  Gris,  dist  Xenomanes,  est  il  fouet  compétent  pour 
mener  ceste  touppie?  » 

Un  docteur  régent,  bien  peigné  et  testonné,  avoir  quelque 
temps  devisé  avecqucs  une  haulte  damoiselle,  prenant  d'elle 
congié,  luy  dist  :  «  Grand  mercy,  Bonne  mine.  —  Mais,  dist 
elle,  très  grand  à  vous.  Mauvais  jeu.  —  De  bonne  mine,  dist 
Pantagruel,  à  mauvais  jeu  n'est  alliance  impertinente.  »  Un 
bachelier  en  busche,  passant,  dist  à  une  jeune  bachclette  : 
«  Hay,  hay,  hay  !  Tant  y  a  que  ne  vous  veidz,  Muse.  —  Je 
vous  voy,  respondit  elle.  Corne,  volvintiers.  —  Accouplez  les, 
dist  Panurge,  et  leurs  souf&ez  au  cul  :  ce  sera  une  cornemuse.  » 
Un  aultre  appella  une  sienne  ma  truie,  elle  l'appella  son  foin. 
Là  me  vint  en  pensement  que  cette  truie  voluntiers  toumoit 
à  ce  foin.  Je  veidz  \xa  demy  guallant  bossu,  quelque  peu  prés 
de  nous,  saluer  une  sienne  alliée,  disant  :  «  Adieu,  mon  trou.  » 
Elle  de  mesmes  le  resalua,  disant  :  «  Dieu  guard  ma  che- 
ville. »  Frère  Jean  dist  :  «  Elle,  ce  croy  je,  est  toute  trou,  et  il 
de  mesmc  tout  cheville.  Ores  est  à  sçavoir  si  ce  trou  par  ceste 
cheville  peut  entièrement  estre  estouppé.  »  Un  aultre  salua 
une  sienne,  disant  :  «  Adieu,  ma  mue.  »  Elle  respondit  :  «  Bon 
jour,  mon  oison.  —  Je  croy,  dist  Ponocrates,  que  cestuy  oison 
est  souvent  en  mue.  »  Un  averlant,  causant  avec  une  jeune 
gualoise,  luy  disoit  :  «  Vous  en  souvieign,  vesse.  —  Aussi 
sera,  ped,  »  respondit  elle.  «  Appeliez  vous,  dist  Pantagruel 
au  Potestat,  ces  deux  là  parens?  Je  pense  qu'ilz  soyent  enne- 
mis, non  alliez  ensemble,  car  il  l'a  appellee  vesse.  En  nos 
pays,  vous  ne  pourriez  plus  oultrager  une  femme  que  ainsi 
l'appellant.  —  Bonnes  gens  de  l'autre  monde,  respondit  le 


54  LIVRE    IV.    CHAPITRE    î:^ 

Potestat,  vous  avez  peu  de  parens  telz  et  tant  proches  comme 
sont  ce  Ped  et  ceste  Vesse.  Hz  sortirent  invisiblement  tous 
deux  ensemble  d'un  trou, en  un  instant.  —  Lèvent  de  Galeme, 
dist  Panurge,  avoit  doncques  lanterné  leur  mère.  —  Quelle 
mcre,  dist  le  Potestat,  entendez  vous?  C'est  parenté  de  vostre 
monde.  Hz  ne  ont  père  ne  mère.  C'est  à  faire  à  gens  delà  l'eau, 
à  gens  bottez  de  foin.  »  Le  bon  Pantagruel  tout  voyoit,  et 
escouioit  ;  mais,  à  ces  propous  il  cuyda  perdre  contenence. 

Avoir  bien  curieusement  consyderé  l'assiette  de  l'isle  et 
mœurs  du  peuple  Ennasé,  nous  entrasmes  en  un  cabaret  pour 
quelque  peu  refraichir.  Là  on  f  aisoit  nopces  à  la  mode  du  pays. 
Au  demeurant  chère  et  demye.  Nous  presens  feut  faict  un 
joyeulx  mariage  d'une  poyre,  femme  bien  gaillarde,  comme 
nous  sembloit,  toutesfoys  ceulx  qui  en  avoient  tasté  la 
disoient  estre  molasse,  avecques  un  jeune  fromaige  à  poil 
follet,  un  peu  rougeastre.  J'en  avoj'^s  aultres  foys  ouy  la 
renommée,  et  ailleurs  avoient  esté  faictz  plusieurs  telz  ma- 
riages. Encores  dict  on,  en  nostre  pays  de  vache,  qu'il  ne  feut 
oncques  tel  mariage  qu'est  de  la  poyre  et  du  fromaige.  En  une 
autre  salle,  je  veids  qu'on  marioit  une  vieille  botte  avecques 
un  jeune  et  soupple  brodequin.  Et  feut  dict  à  Pantagruel  que 
le  jeune  brodequin  prenoit  la  vieille  botte  à  femme,  pource 
qu'elle  estoit  bonne  robbe,en  bon  poinct,et  grasse  à  profict  de 
mesnaige,  vojrte  feust  ce  pour  un  peschetur.  En  une  autre  salle 
basse  je  \'is  un  jeune  escafignon  espouser  une  vieille  pan- 
tophle.  Et  nous  feut  dict  que  ce  n'estoit  pour  la  beauté  ou 
bonne  grâce  d'elle,  mais  par  avarice  et  convoitise  d'avoir  les 
escuz  dont  elle  estoit  toute  contrepoinctee. 


PANTAGRUEL  55 


CHAPITRE  X 

COMMENT     PANTAGRUEL     DESCENDIT     EN     L'iSLE     DE     CHELI, 
EN     LAQUELLE     REGNOIT     LE     ROY    SAINCT    PANIGON 


Le  Garbin  nous  souffloit  en  pouppe,  quand,  laissans  ces 
mal  plaisans  AUianciers,  avecques  leur  nez  de  as  de  treuffle, 
montasmes  en  haulte  mer.  Sus  la  declination  du  Soleil,  feis- 
mez  scalle  en  l'isle  de  Cheli,  isle  grande,  fertile,  riche  et  popu- 
leuse, en  laquelle  regnoit  le  roy  sainct  Panigon.  Lequel 
accompaigné  de  ses  enfans  et  princes  de  sa  court,  s'estoit 
transporté  jusque  près  le  havre  pour  recepvoir  Pantagruel. 
Et  le  mena  jusques  en  son  chasteau  :  sus  l'entrée  du  dongeon 
se  offrit  la  royne,  accompaignéc  de  ses  filles  et  dames  de  court. 
Panigon  voulut  qu'elle  et  toute  sa  suyte  baisassent  Panta- 
gruel et  ses  gens.  Telle  estoit  la  courtoisie  et  coustume  du 
pays.  Ce  que  feut  faict,  excepté  frère  Jan,  qui  se  absenta  et 
s'escarta  par  my  les  officiers  du  Roy.  Panigon  vouloit,  en  toute 
instance,  pour  cestuy  jour  et  au  lendemain  retenir  Panta- 
gruel. Pantagruel  fonda  son  excuse  sus  la  sérénité  du  temps 
et  opportunité  du  vent,  lequel  plus  souvent  est  désiré  des 
voyagiers  que  rencontré,  et  le  fault  emplniter  quand  il  advient, 
car  il  ne  advient  toutes  et  quantes  foys  qu'on  le  soubhaycte. 
A  ceste  remonstrance,  après  boyre  vingt  et  cinq  ou  trente 
foys  par  home,  Panigon  nous  donna  congié. 

Pantagruel,  retournant  au  port  et  ne  voyant  frère  Jan, 
demandoit  quelle  part  il  estoit,  et  pourquoy  n'estoit  ensemble 
la  compaignie.  Panurge  se  sçavoit  comment  l'excuser,  et 
vouloit  retourner  au  chasteau  pour  le  appeller,  quand  frère 
Jan  accourut  tout  joyeulx,  et  s'escria  en  grande  guayeté  de 
cœur,  disant  :  «  Vive  le  noble  Panigon  !  Par  la  mort  beuf  de 


56  LIVRE    IV,     CHAPITRE    X 

boys,  il  rue  en  cuisine.  J'en  viens,  tout  y  va  par  escuelles. 
J'esperoys  bien  y  cotonner  à  profict  et  usaige  monacal  le 
moule  de  mon  gippon.  —  Ainsi,  mon  amy,  dist  Pantagruel, 
tousjours  à  ces  cuisines  !  —  Corpe  de  galline,  respondit  frère 
Jan,  j'en  sçay  mieulx  l'usage  et  cérémonies  que  de  tant  chia- 
brener  avecques  ces  femmes,  magny,  magna,  chiabrena,  révé- 
rence, double,  reprinze,  l'accolade,  la  fressurade,  baise  la 
main  de  vostre  mercy,  de  vostre  majesta,  vous  soyez  tarabin, 
tarabas.  Bren,  c'est  merde  à  Rouan.  Tant  chiasser  et  urenil- 
1er  !  Dea,  je  ne  diz  pas  que  je  n'en  tirasse  quelque  traict  dessus 
la  lie  à  mon  lour  dois,  qui  me  laissast  insinuer  ma  nomina- 
tion. Mais  ceste  brenasserie  de  révérences  me  fasche  plus 
qu'un  jeune  diable;  je  voulois  dire  un  jeusne  double.  Sainct 
Benoist  n'en  mentit  jamais.  Vous  parlez  de  baiser  damoi- 
zelles;  par  le  digne  et  sacre  froc  que  je  porte,  voluntiers  je 
m'en  déporte,  craignant  que  m'advieigne  ce  que  advint  au 
seigneur  de  Guyercharois.  —  Quoy?  demanda  Pantagruel,  je 
le  congnois;  il  est  de  mes  meilleurs  amis.  —  Il  estoit,  dist  frère 
Jan,  invité  à  un  sumptueux  et  magnificque  banquet  que 
faisoit  vm  sien  parent  et  voisin  :  au  quel  estoient  pareillement 
invitez  tous  les  gentilz  hommes,  dames  et  damoyselles  du 
voysinage.  Icelles,  attendentes  sa  venue,  déguisèrent  les 
paiges  de  l'assemblée,  et  les  habillèrent  en  damoyseUes  bien 
pimpantes  et  atourées.  Les  paiges  endamoysellez  à  luy  en- 
trant près  le  pont  leviz  se  présentèrent.  Il  les  baisa  tous  en 
grande  courtoisie  et  révérences  magnificques.  Sus  la  fin,  les 
dames,  qui  l'attendoient  en  la  guaUerie,  s'esclaterent  de  rire, 
et  feirent  signe  aux  pages  à  ce  qu'ilz  houstassent  leurs  atours. 
Ce  que  voyant  le  bon  seigneur,  par  honte  et  despit  ne  daigna 
baiser  icelles  dames  et  damoyselles  naïfves.  Alléguant,  veu 
qu'on  luy  avoit  ainsi  desguysé  les  pages,  que,  par  la  mort 
beuf  de  boys,  ce  debvoient  là  estre  les  varletz,  encores  plus 
finement  desguysez.  Vertuz  Dieu,  da  ju^andi,  pourquoy  plus 
toust  ne  transportons  nous  nos  humanitez  en  belle  cuisine 


PANTAGRUEL  57 

de  Dieu?  Et  là  ne  consyderons  le  branslement  des  broches, 
l'harmonie  des  contrehastiers,  la  position  des  lardons,  la  tem- 
pérature des  potaiges,  les  preparatifz  du  dessert,  l'ordre  du 
service,  du  vin?  Beati  immaculaii  in  via.  C'est  matière  de 
bréviaire.  » 


CHAPITRE  XI 


POURQUOY    LES     MOINES     SONT     VOLUNTIERS     EN     CUISINE 


«  C'est,  dist  Epistemon,  naïfvement  parlé  en  moine.  Je  diz 
moine  moinant,  je  ne  diz  pas  moine  moine.  Vrayement  vous 
me  réduisez  en  mémoire  ce  que  je  veidz  et  ouy  en  Florence, 
il  y  a  environ  vingt  ans.  Nous  estions  bien  bonne  compaignie 
de  gens  studieux,  amateurs  de  peregrinité,  et  convoyteux  de 
visiter  les  gens  doctes,  antiquitez  et  singularitez  d'Italie.  Et 
lors  curieusement  contemplions  l'assiette  et  beaulté  de  Flo- 
rence, la  structure  du  dôme,  la  sumptuosité  des  temples  et 
palais  magnificques.  Et  entrions  en  contention  qui  plus  apte- 
ment  les  extolleroit  par  louanges  condignes  :  quand  un  moine 
d'Amiens,  nommé  Bernard  Lardon,  comme  tout  fasché  et 
monopole,  nous  dist  :  «  Je  ne  sçay  que  diantre  vous  trouvez 
icy  tant  à  louer.  J'ay  aussi  bien  contemplé  comme  vous,  et 
ne  suis  aveugle  plus  que  vous.  Et  puis?  Qu'est-ce?  Ce  sont 
belles  maisons.  C'est  tout.  Mais  Dieu,  et  monsieur  sainct  Ber- 
nard, nostre  bon  patron,  soit  avec  nous,  en  toute  ceste  viUe 
cncores  n'ay  je  veu  une  seulle  roustisserie,  et  y  ay  curieuse- 
ment reguardé  et  consyderé.  Voire  je  vous  diz  comme  espiant 
et  prest  à  compter  et  nombrer,  tant  à  dextre  comme  à  senes- 
tre,  combien  et  de  quel  cousté  plus  nous  rencontrerions  de 
roustisseries  rouscissantes.  Dedans  Amiens,  en  moins  de 
chemin  quatre  fois,  voire  troys  qu'avons  faict  en  nos  con- 


5^  LIVRE    IV,     CHAPITRE    Xt 

templations,  je  vous  pourrois  monstrer  plus  de  quatorze 
roustisseries  antiques  et  aromatizantes.  Je  ne  sçay  quel 
plaisir  avez  prins  voyans  les  Lions  et  Afiiquanes  (ainsi  nom- 
miez vous,  ce  me  semble,  ce  qu'ilz  appellent  Tygres)  prés  le 
beffroy  :  pareillement  voyans  les  Porcz  espicz  et  Austruches 
on  palais  du  seigneur  Philippe  Strossi.  Par  ma  foy,  nos  fieulx, 
j'aymeroys  mieulx  voir  un  bon  et  gras  oyzon  en  broche.  Ces 
Porphyres,  ces  marbres  sont  beaulx.  Je  n'en  dis  poinct  de 
mal,  mais  les  Dariolcs  d'Amiens  sont  meilleures  à  mon  goust. 
Ces  statues  antiques  sont  bien  faictes,  je  le  veulx  croire;  mris 
par  sainct  Ferreol  d'Abbeville,  les  jeunes  bachelettes  de  nos 
pays  sont  inille  foys  plus  advenentes. 

—  Que  signifie,  demanda  frère  Jan,  et  que  veult  dire  que 
tousjours  vous  trouvez  moines  en  cuysines;  jamais  n'y  trou- 
vez Roys,  Papes,  ne  Empereurs?  —  Est  ce,  respondit  Rhizo- 
tome,  quelque  vertus  latente  et  propriété  spécifique  absconse 
dedans  les  marmites  et  contrehastiers,  qui  les  moines  y 
attire,  comme  l'Amyant  à  soy  le  fer  attire;  n'y  attire  Empe- 
reurs, Papes,  ne  Roys?  Ou  c'est  une  induction  et  inclination 
naturelle,  aux  frocz  et  cagouUes  adhérentes,  laquelle  de  soy 
mené  et  poulse  les  bons  religieux  en  cuisine,  encore  qu'ilz 
n'eussent  élection  ne  délibération  d'y  aller?  —  Il  veult  dire, 
respondit  Epistemon,  formes  suyvantes  la  matière.  Ainsi  les 
nomme  Averroïs.  —  Voyre,  voyre,  dist  frère  Jan. 

—  Je  vous  diray,  respondit  Pantagruel,  sans  au  problème 
propousé  respondre,  car  il  est  un  peu  chatouilleux,  et  à  peine 
y  toucheriez  vous  sans  vous  espiner.  Me  soubvient  avoir  leu 
que  Antigonus,  roy  de  Macédoine,  un  jour  entrant  en  la  cui- 
sine de  ses  tentes,  et  y  rencontrant  le  poëte  Antagoras,  lequel 
fricassoit  un  Congre  et  luy  mesmes  tenoit  la  paille,  luy  de- 
manda en  toute  alaigres^e  :  «  Homère  fricassoit  il  Congres, 
lorsqu'il  descripvoit  les  prouesses  de  Agamemnon  ?  —  Mais, 
respondit  Antagoras  au  Roy,  estimes  tu  que  Agamemnon, 
lors  que  telles  prouesses  faisoit,  feust  curieux  de  savoir  si 


PANTAGRUEL  50 

personne  en  son  camp  fricassoit  Congres?  »  Au  Roy  sembloit 
indécent  que  en  sa  cuisine  le  poëte  faisoit  telle  fricassée.  Le 
Poëte  luy  remonstroit  que  chose  trop  plus  abhorrente  estoit 
rencontrer  le  Roy  en  cuisine.  —  Je  dameray  ceste  cy,  dist 
Panurge,  vous  racontant  ce  que  Breton  Villandry  respondit 
un  jour  au  seigneur  duc  de  Guyse.  Leur  propous  estoit  de 
quelque  bataille  du  Roy  François  contre  l'Empereur  Charles 
cinquiesme,  en  laquelle  Breton  estoit  guorgiasement  armé, 
mesmement  de  grefves  et  solleretz  asseréz,  monté  aussi  à 
l'adventaige  n'avoit  toutesfois  esté  veu  au  combat.  «  Par  ma 
foy,  respondit  Breton,  je  y  ay  esté,  facile  me  sera  le  prouver, 
voj^e  en  lieu  on  quel  vous  n'eussiez  ausé  vous  trouver.  »  Le 
seigneur  duc  prenant  en  mal  ceste  paroUe,  comme  trop  brave 
et  trop  témérairement  proférée,  et  se  haulsant  de  propous, 
Breton  facilement  en  grande  risée  l'appaisa,  disant  :  «  J'es- 
tois  avecques  le  baguage  :  on  quel  lieu  vostre  honneur  n'eust 
porté  soy  cacher  comme  je  faisois.  »  En  ces  menuz  devis  arri- 
vèrent en  leurs  navires.  Et  plus  long  séjour  ne  feirent  en  icelle 
isle  de  CheH. 


CHAPITRE  XII 

COMMENT     PANTAGRUEL    PASSA    PROCURATION 
ET  DE  L'ESTRANGE  MANIERE  DE  VIVRE  ENTRE  LES  CHICQUANOUS 


Continuant  nostre  routte,  au  jour  subséquent  passasmes 
Procuration,  qui  est  un  pays  tout  chaffouré  et  barbouillé. 
Je  n'y  congneu  rien.Làveismes  des  ProcultousetChiguanous, 
gens  à  tout  le  poil.  Hz  ne  nous  invitèrent  à  boyre  ne  à  manger. 
Seulement,  en  longue  multiplication  de  doctes  révérences, 
nous  dirent  qu'ilz  estoient  tous  à  nostre  commendement,  en 
payant.  Un  de  nos  truchemens  racontoit  à  Pantagruel  com- 


6o  LIVRE    IV,     CHAPITRE    XII 

ment  ce  peuple  guaignoient  leur  vie  en  façon  bien  estrange, 
et  en  plein  Diamètre  contraire  aux  Romicoles.  A  Rome,  gens 
infiniz  guaignent  leur  vie  à  empoisonner,  à  battre  et  à  tuer;  les 
Chiquanous  la  guaignent  à  estre  battuz.  De  mode  que,  si  par 
long  temps  demouroient  sans  estre  battuz,  ils  mourroient  de 
maie  faim,  eulx,  leurs  femmes  et  enfans. 

«  C'est,  disoit  Panurge,  comme  ceux  qui,  par  le  rapport  de 
Cl.  Galien,  ne  peuvent  le  nerf  caverneux  vers  le  cercle  equa- 
teur  dresser,  s'ilz  ne  sont  très  bien  fouettez.  Par  sainct  Thi- 
bault, qui  ainsi  me  fouetteroit  me  feroit  bien  au  rebours 
desarsonner,  de  par  tous  les  diables. 

—  La  manière,  dist  le  truchement  est  telle  :  Quajid  un 
moine,  prebstre,  usurier,  ou  advocat  veult  mal  à  quelque 
gentilhomme  de  son  pays,  il  envoyé  vers  luy  un  de  ces  Chi- 
quanous. Chiquanous  le  citera,  l'adjoumera,  le  outragera,  le 
injurira  impudentcment,  suyvant  son  record  et  instruction; 
tant  que  le  gentilhomme,  s'il  n'est  paralytique  de  sens,  et 
plus  stupide  qu'une  Rane  Gyrine,  sera  contrainct  luy  donner 
bastonades  et  coups  d'espée  sur  la  teste,  ou  la  belle  jarretade, 
ou  mieulx  le  jecter  par  les  creneaulx  et  fenestres  de  son  chas- 
teau.  Cela  faict,  voylà  Chiquanous  riche  pour  quatre  moys. 
Comme  si  coups  de  baston  f eussent  ses  naïfves  moissons. 
Car  il  aiura  du  moine,  de  l'usurier,  ou  advocat,  salaire  bien 
bon,  et  réparation  du  gentilhomme,  aulcunefois  si  grande  et 
excessive  que  le  gentilhomme  y  perdra  tout  son  avoir,  avec- 
ques  dangier  de  misérablement  pourrir  en  prison,  comme  s'il 
eust  frappé  le  Roy. 

—  Contre  tel  inconvénient,  dist  Panurge,  je  sçay  un  remède 
très  bon,  duquel  usoit  le  seigneur  de  Basché.  —  Quel?  de- 
manda Pantagruel.  —  Le  seigneur  de  Basché,  dist  Panurge, 
estoit  homme  couraigeux,  vertueux,  magnaxiime,  chevaleu- 
reux.  II,  retournant  de  certaine  longue  guerre  en  laquelle  le 
duc  de  Ferrare,  par  l'ayde  des  François,  vaillamment  se 
défendit  contre  les  furies  du  pape  Jules  second,  par  chascim 


PANTAGRUEL  6l 

jour  estoit  adjoumé,  cité,  chiquané,  à  l'appétit  et  passetemps 
du  gras  prieur  de  Sainct  Louant. 

«  Un  jour,  desjeunant  avecques  ses  gens  (comme  il  estoit 
humain  et  débonnaire) ,  manda  quérir  son  boulangier,  nommé 
Loyre,  et  sa  femme,  ensemble  le  curé  de  sa  parœce,  nommé 
Oudart,  qui  le  servoit  de  sommelier,  comme  lors  estoit  la 
coustume  en  France  ;  et  leurs  dist  en  présence  de  ses  gentilz- 
hommes  et  aultres  domesticques  :  «  Enfans,  vous  voyez  en 
quelle  fascherie  me  jectent  journellement  ces  maraulx  Chi- 
quanous;  j'en  suys  là  résolu  que,  si  ne  m'y  aydez,  je  délibère 
abandonner  le  pays  et  prandre  le  party  du  Soudan  à  tous  les 
diables.  Désormais,  quand  céans  ilz  viendront,  soyez  pretz 
vous  Loyre  et  vostre  femme,  pour  vous  représenter  en  ma 
grande  salle  avecques  vos  belles  robbcs  nuptiales,  comme  si 
l'on  vous  fiansoit,  et  comme  premièrement  feustes  fiansés. 
Tenez  :  voylà  cent  escuz  d'Or,  lesquelz  je  vous  donne  pour 
entretenir  vos  beaulx  accoustremens.  Vous,  messire  Oudart, 
ne  faillez  y  comparoistre  en  vostre  beavi  suppellis  et  estolle, 
avec  l'eaue  beniste,  comme  pour  les  fianser.  Vous  pareille- 
ment, Trudon  (ainsi  estoit  nommé  son  tabourineur),  soyez  y 
avecques  vostre  flutte  et  tabour.  Les  paroUes  dictes,  et  la 
mariée  baisée,  au  son  du  tabour,  vous  tous  baillerez  l'un  à 
l'aultre  du  souvenir  des  nopces,  ce  sont  petitz  coups  de  poing. 
Ce  faisans,  vous  n'en  soupperez  que  mieulx.  Mais,  quand  ce 
viendra  au  Chiquanous,  frappez  dessus  comme  sus  seigle 
verde,  ne  l'espargnez.  Tappez,  daubez,  frappez  je  vous  en 
prie.  Tenez,  présentement  je  vous  donne  ces  jeunes  guante- 
letz  de  jouste,  couvers  de  chevxotin.  Donnez  luy  coups  sans 
compter  à  tors  et  à  travers.  Celluy  qui  mieulx  le  daubera,  je 
recongnoistray  pour  mieulx  affectionné.  N'ayez  paour  d'en 
estre  reprins  en  justice.  Je  seray  guarant  pour  tous.  Telz 
coups  serons  donnez  en  riant,  selon  la  coustume  observée 
en  toutes  fiansailles.  —  Voyre  mais,  demanda  Oudart,  à  quoy 
congnoistrons   nous   le   Chiquanous?    Car,    en   ceste   vostre 


62  LIVRE    IV,     CHAPITRE    XII 

maison,  journellement  abourdent  gens  de  toutes  pars.  —  Je  y 
ay  donné  ordre,  rcspondit  Basché.  Quand  à  la  porte  de  céans 
viendra  quelque  home,  ou  à  pied,  ou  assez  mal  monté,  ayant 
un  anneau  d'argent  gros  et  large  on  poulce,  il  sera  Chiqua- 
nous.  Le  portier  l'ayant  introduict  courtoisement,  sonnera  la 
campanelle.  Alors  soyez  pretz,  et  venez  en  salle  jouer  la  Tra- 
gicque  comédie  que  vous  ay  expousé.  » 

«  Ce  propre  jour,  comme  Dieu  le  voulut,  arriva  un  vieil, 
gros  et  rouge  Chiquanous.  Sonnant  à  la  porte,  feut  par  le 
portier  recongnu  à  ses  gros  et  gras  houzeaulx,  à  sa  meschante 
jument,  à  un  sac  de  toille  plein  d'informations,  attaché  à  sa 
ceincture,  signamment  au  gros  anneau  d'argent  qu'il  avoit 
on  poulce  guausche.  Le  portier  luy  feut  comrtoys,  le  introduict 
honnestement,  joyeusement,  sonne  la  campanelle.  Au  son 
d'icelle,  Loyre  et  sa  femme  se  vestirent  de  leurs  beaulxhabille- 
mens,  comparurent  en  la  salle,  faisans  bonne  morgue.  Oudart 
se  revestit  de  suppellis  et  d'estoUe  :  sortant  de  son  office  ren- 
contre Chiquanous,  le  mené  boyre  en  son  of&ce  longuement, 
ce  pendent  qu'on  chaussoit  ganteletz  de  tous  coustez,  et  luy 
dist  :  «  Vous  ne  poviez  à  heure  venir  plus  opportune.  Xostre 
maistre  est  en  ses  bonnes  :  nous  ferons  tantouts  bonne  chère, 
tout  ira  par  escuelles  :  nous  sommes  céans  de  nopces  :  tenez, 
beuvez,  soyez  joyeulx.  » 

«  Pendent  que  Chiquanous  beuvoit,  Basché,  voyant  en  la 
salle  ses  gens  en  equippage  requis,  mande  quérir  Oudart. 
Oudart  vient  portant  l'eaue  beniste.  Chiquanous  le  suyt.  Il, 
entrant  en  la  salle,  n'oubha  faire  nombre  de  hvunbles  révé- 
rences, cita  Basché,  Basché  luy  feist  la  plus  grande  caresse  du 
monde,  luy  donna  un  Angelot,  le  priant  assister  au  contract 
et  fiansailles.  Ce  que  feut  faict.  Sus  la  fin  coups  de  poing  com- 
mencèrent sortir  en  place.  Mais,  quand  ce  vint  au  tour  de 
Chiquanous,  ilz  le  festoyèrent  à  grands  coups  de  guanteletz, 
si  bien  qu'il  resta  tout  estourdy  et  meurtry,  un  œil  poché  au 
beurre  noir,  huict  costes  freussées,  le  bréchet  enfondré,  les 


PANTAGRUEL  63 

omoplates  en  quatre  quartiers,  la  maschouere  inférieure  en 
trois  loppins,  et  le  tout  en  riant.  Dieu  sçait  comment  Oudart 
y  opcroit,  couvrant  de  la  manche  de  son  suppellis  le  gios  guan- 
telet  asseré,  fourré  d'hermines,  car  il  estoit  puissant  ribault. 
Ainsi  retourne  à  l'isle  Bouchard  Chiquanous,  accoustré  à  la 
Tigresque  :  bien  toutesfois  satisfaict  et  content  du  seigneur  de 
Basché,  et  moyennant  le  secours  des  bons  chirurgiens  du  pays 
vesquit  tant  que  vouldrez.  Depuis  n'en  fut  parlé.  La  mémoire 
en  expira  avecqucs  le  son  des  cloches  les  quelles  quarillonne- 
rent  à  son  enterrement.  » 


CHAPITRE  XIII 

COMMENT,     A     L'EXEMPLE     DE     M.MSTRE     FRANÇOIS     VILLON, 
LE     SEIGNEUR     DE     BASCHÉ     LOUE     SES     GENS 


«  Chiquanous  issu  du  chasteau,  et  remonté  sus  son  esgue 
orbe  (ainsi  nommoit  il  sa  jument  borgne),  Basché,  soubs  la 
treille  de  son  jardin  secret,  manda  quérir  sa  femme,  ses 
damoiselles,  tous  ses  gens;  feist  apporter  vin  de  collation, 
associé  d'un  nombre  de  pastez,  de  jambons,  de  fruictz  et 
fromaiges,  beut  avecques  eulx  en  grande  alaigresse,  puis  leur 
dist  : 

«  Maistre  François  Villon,  susses  vieulx  jours,  se  retira  à 
Sainct  Maixent  en  Poictou,  soubs  la  faveur  d'un  hommekle 
bien,  abbé  dudict  lieu.  Là,  pour  donner  passetemps  au  peuple, 
entreprint  faire  jouer  la  Passion  en  gestes  et  languaije  Poio- 
tevin.  Les  roUes  distribuez,  les  jourseu  recollez,  le  théâtre  pré- 
paré, dist  au  Maire  et  eschevins  que  le  mystère  pourroit  estre 
prest  à  l'issue  des  foires  de  Niort;  restoit  seulement  trouver 
habillemens  aptes  aux  personnaiges.  Les  Maire  et  eschevins  y 


64  LIVRE    I*r;    CHAPITRE    XIII 

donnèrent  ordre.  Il,  pour  un  \'ieil  paysant  habiller  qui  jouoit 
Dieu  le  pore,  requist  frère  Etienne  Tappccoue,  secretain  des 
Cordeliers  du  lieu,  luy  prester  une  chappe  et  estolle.  Tappe- 
coue  le  refusa,  alléguant  que,  par  leurs  statutz  provinciaulx, 
estoit  rigoureusement  défendu  rien  bailler  ou  prester  pour  les 
jouans.  Villon  repUcquoit  que  le  statut  seulement  concemoit 
farces,  mommeries  et  jeuz  dissoluz,  et  qu'ainsi  l'avoit  veu 
practiquer  à  Bruxelles  et  ailleurs.  Tappecoue,  ce  non  obstant, 
luy  dist  péremptoirement  qu'ailleurs  se  pourveust,  si  bon  luy 
sembloit,  rien  n'esperast  de  sa  sacristie,  car  rien  n'en  auroit 
sans  faulte.  Villon  feist  aux  joueurs  le  rapport  en  grande 
abhomination,  adjoustant  que  de  Tappecoue  Dieu  feroit  ven- 
geance et  punition  exemplaire  bien  toust. 

«  Au  Samedy  subséquent,  Villon  eut  advertissement  que 
Tappecoue,  sus  la  poultre  du  convent  (ainsi  nomment  ilz  une 
jument  non  encores  saiUie),  estoit  allé  en  queste  à  Sainct 
Ligaire,  et  qu'il  seroit  de  retour  sus  les  deux  heures  après 
midy.  Adoncques  fit  la  monstre  de  la  Diablerie  parmy  la  ville 
et  le  marché.  Ses  diables  estoient  tous  capparassonnez  de 
peaulx  de  loups,  de  veaulx  et  de  béliers,  passementees  de 
testes  de  mouton,  de  cornes  de  boeuf z,  et  de  grands  havetz  de 
cuisine;  ceinctz  de  grosses  courraies,  esquelles  pendoient 
grosses  cj-mbales  de  vaches,  et  sonnettes  de  muletz  à  bruit 
horrificque.  Tenoient  en  main  aulcuns  bastons  noirs  pleins  de 
fuzees;  aultres  portoient  longs  tizons  allumez,  sus  lesquelz  à 
chascun  carrefour  jectoient  pleines  poingnées  de  parasine  en 
pouldre,  dont  sortoit  feu  et  fumée  terrible.  Les  avoir  ainsi  con- 
duictz  avecques  contentement  du  peuple  et  en  grande  frayeur 
des  petitz  enfans,  finablement  les  mena  bancqueter  en  une 
cassine,  hors  la  porte  en  la  quelle  est  le  chemin  de  Sainct 
Ligaire.  Arrivans  à  la  cassine,  de  loing  il  apperceut  Tappecoue 
qui  retoumoit  de  queste,  et  leurs  dist  en  vers  macaionicques  : 

Hic  est  de  patria,  natus  de  gente  belistra, 
Qui  solet  antiquo  bribas  portare  bisacco. 


PANTAGRUEL  65 

«  Par  la  mort  dienc  !  (dirent  adoncques  les  Diables)  il  n'a 
voulu  prester  à  Dieu  le  perc  une  pauvre  chappe  ;  faisons  luy 
paour.  —  C'est  bien  dict,  respond  Villon  ;  mais  cachons  nous 
jusques  à  ce  qu'il  passe,  et  chargez  vos  fusées  et  tizons.  »  Tap- 
pecoue  arrivé  au  lieu,  tous  sortirent  on  chemin  au  davant  de 
luy,  en  grand  effroy,  jectant  feu  de  tous  coustez  sus  luy  et 
sa  poultre,  sonnans  de  leurs  cymbales,  et  hurlans  en  diables  : 
«  Hho,  hho,  hho,  hho,  brrrourrrourrrrs,  rrrourrrs,  rrrourrrs. 
Hou,  hou,  hou.  Hho,  hho,  hho.  Frère  Esticnne,  faisons  nous 
pas  bien  les  Diables  ?  » 

«  La  poultre,  toute  effrayée,  se  mit  au  trot,  à  petz,  à  bondz, 
et  au  gualot;  à  ruades,  fressurades,  doubles  pédales,  et  petar- 
rades;  tant  qu'elle  rua  bas  Tappecoue,  quoy  qu'il  se  tint  à 
l'aulbe  du  bast  de  toutes  ses  forces.  Ses  estrivieres  estoient 
de  chordes  :  du  cousté  hors  le  montouoir  son  soulier  fenestré 
estoit  si  fort  entortillé  qu'il  ne  le  peut  oncques  tirer.  Ainsi 
estoit  trainné  à  escorchecul  par  la  poultre,  tousjours  multi- 
pliante en  ruades  contre  luy,  et  fourvoyante  de  paour  par  les 
hayes,  buissons  et  fossez.  De  mode  qu'elle  luy  cobbit  toute  la 
teste,  si  que  la  cervelle  en  tomba  prés  la  cioix  Osaniere,  puys 
les  bras  en  pièces,  l'un  çà,  l'aultre  là,  les  jambes  de  mesmes; 
puys  des  boyaulx  fit  un  long  camaige,  en  sorte  que  la  poultre 
au  convent  arrivante,  de  luy  ne  portoit  que  le  pied  droict, 
et  soulier  entortillé. 

«  Villon,  voyant  advenu  ce  qu'il  avoit  pourpensé,  dict  à  ses 
Diables  :  Vous  jourrez  bien,  messieurs  les  Diables,  vous  jour- 
rez  bien,  je  vous  affiie.  O  que  vous  jourrez  bien  !  Je  despite  la 
diablerie  de  Saulmur,  de  Doué,  de  Mommorillon,  de  Langés, 
de  Sainct  Espain,  de  Angiers,  voire,  par  Dieu,  de  Poictiers 
avec  leur  parlouoire,  en  cas  qu'ilz  puissent  estre  à  vous  parra- 
gonnez.  O  que  vous  jourrez  bien  !  » 

«  Ainsi,  dist  Basché,    prevoy  je,  mes  bons  amys,  que  vous 
dorénavant  jouerez  bien  cestre  tragicque  farce,  veu  que  à  la 
première  monstre  et  essay,  par  vous  a  esté  Chiquanous  tant 
T.  II.  « 


66  LI\-RE    IV,     CHAPITRE    XIV 

disertement  daubé,  tappé  et  chatouillé.  Présentement  je 
double  à  vous  tous  vos  guaiges.  Vous,  mamie  (disoit-il  à  sa 
femme),  faites  vos  honneurs  comme  vouldrez.  Vous  avez  en 
vos  mains  et  conserve  tous  mes  thesaurs.  Quant  est  de  moy, 
premièrement,  je  boy  à  vous  tous,  mes  bons  arays.  Or  ça,  il 
est  bon  et  frays.  Secondement,  vous,  maistre  d'hostel,  prenez 
ce  bassin  d'argent;  je  le  vous  donne.  Vous,  escuiers,  prenez  ces 
deux  couppes  d'argent  doré.  Vos  pages  de  troys  moys  ne 
soient  fouettez.  M'amye,  donnez  leur  mes  beaulx  plumailz 
blancs,  avec  les  pampillettes  d'or.  INIessire  Oudart,  je  vous 
donne  ce  fiaccon  d'argent.  Cestuy  aultre  je  donne  aux  cuisi- 
niers; aux  varletz  de  chambre  je  donne  ceste  corbeille  d'ar- 
gent; aux  palefreniers  je  donne  cestc  nasselle  d'argent  doré; 
aux  portiers  je  donne  ces  deux  assiettes;  aux  muletiers,  ces 
dix  happesouppes.  Trudon,  prenez  toutes  ces  cuillères  d'ar- 
gent, et  ce  drageouoir.  Vous  lacquais,  prenez  ceste  grande  sal- 
liere.  Servez  moy  bien,  amys,  je  le  recongnoistraj'^  :  croyans 
fermement  que  j'aymerois  mieulx,  par  la  vertus  Dieu,  endu- 
rer en  guerre  cent  coups  de  masse  sus  le  heaulme  au  service 
de  nostre  tant  bon  Roy  qu'estre  une  f  oys  cité  par  ces  mastins 
Chiquanous,  pour  le  passetemps  d'un  tel  gras  Prieur.  » 


CHAPITRE  %1V 

CONTINUATION    DES    CHIQU.\X0U9    DAUBEZ    EN    LA    MAISON 
DE    BASCHÉ 


«  Quatre  jours  après,  un  autre  jeune,  hault  et  maigre  Chi- 
quanous alla  citer  Basché  à  la  requeste  du  gras  Prieur.  A  son 
arrivée,  feut  soubdain  par  le  portier  rencogneu,  et  la  campa- 
nelle  sonnée.  Au  son  d'icelle,  tout  le  peuple  du  chasteau  enten- 
dit le  mystère.  Loyre  poitrisoit  sa  paste,  sa  femme  belutoit  la 


PANTAGRUEL  67 

farine.  Oudart  tenoit  son  bureau.  Les  gentilzhomes  jouoient 
à  la  paulme.  Le  seigneur  Basché  jouoit  aux  troys  cens  troys 
avecques  sa  femme.  Les  damoiselles  jouoient  aux  pingres. 
Les  officiers  jouoient  à  l'impériale,  les  pages  jouoient  à  la 
mourre  à  belles  chinquenauldes.  Soubdain  feut  de  tous 
entendu  que  Chiquanous  estoit  en  pays.  Lors  Oudart  se  reves- 
tir,  Loyre  et  sa  femme  prendre  leurs  beaulx  accoustremens, 
Trudon  sonner  de  sa  fiutte,  battre  son  tabourin  ;  chascun  rire, 
tous  se  préparer,  et  guanteletz  en  avant. 

«  Basché  descend  en  la  basse  court.  Là  Chiquanous,  le  ren- 
contrant, se  meist  à  genoilz  devant  luy,  le  pria  ne  prendre  en 
mal  si,  de  la  part  du  gras  Prieur,  il  le  citoit,  remonstra  par 
harangue  diserte  comment  il  estoit  persone  publicque,  servi- 
teur de  Moinerie,  appariteur  de  la  mitre  Abbatiale,  prest  à 
en  faire  autant  pour  luy,  voyre  pour  le  moindre  de  sa  maison, 
la  part  qu'il  luy  plairoyt  l'emploicter  et  commender.  «  Vraye- 
ment,  dist  le  seigneur,  ja  ne  me  citerez  que  premier  n'ayez 
beu  de  mon  bon  vin  de  Quinquenays,  et  n'ayez  assisté  aux 
nopces  que  je  foys  présentement.  Messire  Oudart,  faites  le 
boyre  tresbien,  et  refraischir;  puis  l'amenez  en  ma  salle.  Vous 
soyez  le  bien  venu.  » 

«  Chiquanous,  bien  repeu  et  abbrevé,  entre  avecques  Oudart 
en  salle,  en  laquelle  estoient  tous  les  personaiges  de  la  farce, 
en  ordre  et  bien  deUberez.  A  son  entrée  chascun  commença 
soubrire.  Chiquanous  rioit  par  compaignie,  quand  par  Oudart 
feurent  sus  les  fiansez  dicts  motz  mystérieux,  touchées  les 
mains,  la  mariée  baisée,  tous  aspersez  d'eau  beniste.  Pendent 
qu'on  apportoit  vins  et  espices,  coups  de  poing  commencèrent 
trotter.  Chiquanous  en  donna  nombre  à  Oudart.  Oudart, 
soubs  son  suppellis,  avoit  son  guantelet  caché  :  il  s'en  chausse 
comme  d'une  mitaine.  Et  de  daubber  Chiquanous,  et  de  drap- 
per  Chiquanous  :  et  coups  des  jeunes  guanteletz  de  tous  cous- 
tez  pleuvoir  sus  Chiquanous.  «  Des  nopces,  disoient  ilz,  des 
nopces,  des  nopces,  vous  en  soubvieine.  »  Il  feut  si  bien 


68  LIVRE    III,     CHAPITRE    XIV 

accoustré  que  le  sang  luy  sortoit  par  la  bouche,  par  le  nez,  par 
les  aureilles,  par  les  œilz.  Au  demourant,  courbatu,  espaultré 
et  froissé,  teste,  nucque,  dours,  poictrine,  braz  et  tout. 
Croyez  qu'en  Avignon  au  temps  du  Carneval,  les  bacheliers, 
oncques  ne  jouèrent  à  la  Raphe  plus  mélodieusement  que  feut 
joué  sus  Chiquanous.  En  fin  il  tombe  par  terre.  On  lui  jecta 
force  vin  sus  la  face,  on  luy  attacha  à  la  manche  de  son  pour- 
poinct  belle  livrée  de  jaulne  et  verd,  et  le  mist  on  sus  son  che- 
val morveulx.  Entrant  en  l'isle  Bouchard  ne  sçay  s'il  fut  bien 
pensé  et  traicté,  tant  de  sa  femme  comme  des  Myres  du  pays. 
Depuis  n'en  feut  parlé. 

«  Au  lendemain,  cas  pareil  advint,  pour  ce  qu'on  sac  et  gib- 
bessiere  du  maigre  Chiquanous  n'avoit  esté  trouvé  son 
exploict.  De  par  le  gras  Prieur  feut  nouveau  Chiquanous 
envoyé  citer  le  Seigneur  de  Basché,  avec  deux  Records  pour 
sa  sceureté.  Le  Portier,  sonnant  la  campanelle,  resjouyt  toute 
la  famille,  entendans  que  Chiquanous  estoit  là.  Basché estoit 
à  table,  dipnant  avec  sa  femme  et  gentilzhommes.  Il  mande 
quérir  Chiquanous,  le  feist  asseoir  prés  de  soy,  les  Records  près 
les  damoiselles,  et  dipnerent  très  bien  et  joyeusement.  Sus  le 
dessert,  Chiquanous  se  levé  de  table,  presens  et  oyans  les 
Records,  cite  Basché  :  Basché  gracieusement  lui  demande 
copie  de  sa  commission.  Elle  estoit  ja  preste.  Il  prend  acte  de 
son  exploict  :  à  Chiquanous  et  à  ses  Records  feurent  quatre 
escuz  Soleil  donnez  :  chascun  s'estoit  retiré  pour  la  farce. 
Trudon  commence  sonner  du  tabourin.  Basché  prie  Chiqua- 
nous assister  aux  fiansailles  d'un  sien  officier,  et  en  recepvoir 
le  contract,  bien  le  payant  et  contentent.  Chiquanous  feut 
courtoys.  Desgaina  son  escriptoire,  eut  papier  promptement, 
ses  Records  près  de  luy.  Loyre  entre  en  salle  par  une  porte, 
sa  femme  avecques  les  damoiselles  par  aultre,  en  accoustré* 
mens  nuptiaulx.  Oudart,  revestu  sacerdotalement,  les  prend 
par  les  mains,  les  interroge  de  leurs  vouloirs,  leurs  donne  sa 
bénédiction,  sans  espargne  d'eaue  beniste.  Le  contract  est 


PANTAGRUEL  69 

passé  et  minuté.  D'un  cousté  sont  apportez  vins  et  espices; 
de  l'aultrc,  livrée  à  tas,  blanc  et  tanné;  de  l'aultre  sont  pro- 
duictz  guanteletz  secrètement.  » 


CHAPITRE  XV 

COMMENT   PAR    CHIQUANOUS   SONT    RENOUVELÉES   LES    ANTIQUES 
COUSTUMES    DE    FIANSAILLES 


«  Chiquanous,  avoir  degouzillé  une  grande  tasse  de  vin  Bre- 
ton, dist  au  seigneur  :  «  Monsieur,  comment  l'entendez-vous? 
L'on  ne  baille  poinct  icy  des  nopces?  Sainsambreguoy,  toutes 
bonnes  coustumes  se  perdent.  Aussi  ne  trouve  Ion  plus  de 
lièvres  au  giste.  Il  n'est  plus  d'amys.  Voyez  comment  en  plu- 
sieurs ecclises  l'on  a  desemparé  les  antiques  beuvettes  des 
benoists  saincts  O  O  de  Noël  ?  Le  monde  ne  f  aict  plus  que  res- 
ver.  Il  approche  de  sa  fin.  Or  tenez  :  des  nopces,  des  nopces, 
des  nopces  !  »  Ce  disant,  frappoit  sus  Basché  et  sa  femme, 
après  sus  les  damoiselles  et  sus  Oudart. 

«  Adonques  feirent  guanteletz  leur  exploict,  si  que  à  Chi- 
quanous fut  rompue  la  teste  en  neuf  endroictz  :  à  un  des 
Records  feut  le  braz  droict  defaucilié,  à  l'aultre  fut  déman- 
chée la  mandibule  superiem*e,  de  mode  qu'elle  luy  couvroit  le 
menton  à  dcmy,  avecques  denudation  de  la  luette  et  perte 
insigne  des  dens  molares,  masticatoires  et  canines.  Au  son  du 
tabourin  changeant  son  intonation,  f  eurent  les  guanteletz 
mussez,  sans  estre  aulcunement  apperceuz,  et  confictures 
multipliées  de  nouveau,  avecques  liesse  nouvelle.  Beuvans  les 
bons  compaignons  uns  aux  aultres,  et  tous  à  Chiquanous  et 
ses  Records,  Oudart  renioit  et  despitoit  les  nopces,  alléguant 
qu'un  des  Records  luy  avoit  desincornifistibulé  toute  l'aultre 
espaule.   Ce  non  obstant,  beuvoit  à  luy  joyeusement.  Le 


70  LIVRE    IV,     CHAPITRE    XV 

Records  demandibulé  joignoit  les  mains,  et  tacitement  lui 
demandoit  pardon  :  car  parler  ne  povoit  il.  Loyrc  se  plaignoit 
de  ce  que  le  Records  debradé  luy  avoit  donné  si  grand  coup 
de  poing  sus  l'aultre  coubte  qu'il  en  estoit  devenu  tout  esper- 
ruquancluzelubelouzerirelu  du  talon. 

«  Mais,  disoit  Trudon  (cachant  l'oeil  guausche  avecques 
son  mouchoir,  et  monstrant  son  tabourin  défoncé  d'un 
cousté) ,  quel  mal  leur  avois  je  faict?  Il  ne  leurs  a  sufi&s  m'avoir 
ainsi  lourdement  morrambouzevezengouzequoquemorguata- 
sacbacguevezinemaffressé  mon  paouvre  oeil,  d'abondant  ilz 
m'ont  défoncé  mon  tabourin.  Tabourins  à  nopces  sont  ordi-  . 
nairement  battuz;  tabourineurs  bien  festoyez,  battuz  jamais. 
Le  Diable  s'en  puisse  coyffer  !  —  Frère,  lui  dist  Chiquanous 
manchot,  je  te  donneray  unes  belles,  grandes,  vieilles  Lettres 
Royaulx,  que  j'ay  'cy  en  mon  baudrier,  pour  repetasscr  ton 
tabourin  :  et  pour  Dieu  pardonne  nous.  Par  nostre  dame  de 
Rivière  la  belle  dame,  je  n'y  pensoys  en  mal.  » 

Un  des  escuyers,  chopant  et  boytant  contrefaisoit  le  bon  et 
noble  seigneur  de  la  Roche  Posay.  Il  s'adressa  au  Records 
embaviere  de  machoueres,  et  luy  dist  :  «  Estes  vous  des  Frap- 
pins,  des  Frappeurs,  ou  des  Frappais?  Xe  vous  suffisoit  nous 
avoir  ainsi  morcrocassebezassevezassegrigueliguoscopapo- 
pondrillé  tous  les  membres  supérieurs  à  grands  coups  de  bobe- 
lins,  sans  nous  donner  telz  morderegrippipiotabirofrelucham- 
burelurecoquelurintimpanemens  sus  les  grefves  à  belles 
poinctes  de  houzeaulz?  Appeliez  vous  cela  jeu  de  jeunesse? 
Par  Dieu,  jeu  n'est  ce.  » 

K  Le  Records,  joingnant  les  mains,  sembloit  luy  en  requérir 
pardon,  marmonnant  de  la  langue  :  «  Mon,  mon,  mon,  vrelon, 
von,  von,  »  comme  un  Marmot. 

«  La  nouvelle  mariée  pleurante  rioyt,  riante  pleuroit,  de  ce 
que  Chiquanous  ne  s'estoit  contenté  la  daubant  sans  choys  ne 
élection  des  membres,  mais,  l'avoir  lourdement  deschevelée, 
d'abondant  luy  avoit   trepignemampenillorifrizonoufressuré 


PANTAGRUEL  7I 

les  parties  honteuses  en  trahison.  «  Le  diable,  dist  Basché,  y 
ayt  part  !  Il  cstoit  bien  nécessaire  que  monsieur  le  Roy  (ainsi 
se  nomment  Chiquanous)  me  daubbast  ainsi  ma  bonne  femme 
d'eschine.  Je  ne  luy  en  vculx  mal  toutesfoys.  Ce  sont  petites 
caresses  nuptiales.  Mais  apperçoy  clairement  qu'il  m'a  cité 
en  Ange,  et  daubbé  en  Diable.  Il  tient  je  ne  sçay  quoy  du 
frère  frappart.  Je  boy  à  luy  de  bien  bon  coeur,  et  à  vous  aussi, 
messieurs  les  Records.  —  Mais,  disoit  sa  femme,  à  quel  pro- 
pous  et  sus  quelle  querelle  m'a  il  tant  et  trestant  festoyée  à 
grands  coups  de  poing?  —  Le  Diantre  l'emport,  si  je  le  veulx.  Je 
ne  le  veulx  pas  pourtant,  ma  Dia.  Mais  je  diray  cela  de  luy 
qu'il  a  les  plus  dures  oinces  qu'oncques  je  senty  sus  mes 
espaules.  » 

«Le  maistre  d'hostel  tenoit  son  braz  guausche  en  escharpe, 
comme  tout  raorquaquoquassé  :  «  Le  Diable,  dist  il,  me  feist 
bien  assister  à  ces  nopces.  J'en  ay,  par  la  vertus  Dieu,  tous 
les  braz  enguoulevezinemassez.  Appelez  vous  cecy  fiansailles? 
Je  les  appelle  fiantailles  de  merde.  C'est,  par  Dieu,  le  naïf 
bancquet  des  Lapithes,  descript  par  le  philosophe  Samo- 
satoys.  » 

K  Chiquanous  ne  parloit  plus.  Les  Records  s'excusèrent 
qu'en  daubbant  ainsi  n'avoient  eu  maligne  volunté,  et  que 
pour  l'amour  de  Dieu  on  leurs  pardonnast.  Ainsi  départent. 
A  demye  lieu  de  là  Chiquanous  se  trouva  un  peu  mal.  Les 
Records  arrivent  à  l'isle  Bouchard,  disans  publicquement  que 
jamais  n'avoient  veu  plus  home  de  bien  que  le  seigneur  de 
Basché,  ne  maison  plus  honorable  que  la  sienne.  Ensemble, 
que  jamais  n'avoient  esté  à  telles  nopces.  Mais  toute  la  faulte 
venoit  d'eulx,  qui  avoient  commencé  la  frapperie.  Et  vesqui- 
rent  encores  ne  sçay  quants  jours  après. 

«  De  là  en  hors  feut  tenu  comme  chose  certaine  que  l'ar- 
gent de  Basché  plus  estoit  au  Chiquanous  et  Records  pesti- 
lent,  mortel  et  pernicieux  que  n'estoit  jadis  l'or  de  Tholose, 
et  le  cheval  Sejan  à  ceulx  qui  le  possédèrent.  Depuis,  feut  le  dict 


72  LIVRE    IV,     CHAPITRE    XVI 

seigneur  en  repous,  et  les  nopces  de  Basché  en   proverbe 


commun.  » 


CHAPITRE  XVI 


COMMENT     PAR     FRERE     JEAN     EST     FAICT     ESSAY     DU      NATUREL 
DES     CHICANOUS 


«  Ceste  narration,  dist  Pantagruel,  sembleroit  joyeuse,  ne 
f eust  que  devant  nos  oeilz  f ault  la  craincte  de  Dieu  continuel- 
lement avoir.  —  Meilleure,  dist  Eipstemon,  seroit,  si  la  pluie 
de  ces  jeunes  guanteletz  feust  sus  le  gras  Prieur  tombée.  Il 
dependoit  pour  son  passetemps  argent,  part  à  fascher  Basché, 
part  à  veoir  ses  Chiquanous  daubbez.  Coups  de  poing  eussent 
aptement  atouré  sa  teste  rase  :  attendue  l'énorme  concussion 
que  voyons  huy  entre  ces  juges  pedanées  soubs  l'orme.  En 
quoy  offensoient  ces  paouvres  Diables  Chiquanous  ? 

—  Il  me  soubvient,  dist  Pantagruel  à  ce  propous,  d'un 
antique  gentilhomme  Romain,  nommé  L.  Neratius.  Il  estoit 
de  noble  famiUe  et  riche  en  son  temps.  Mais  en  luy  estoit 
ceste  tjrrannique  complexion  que,  issant  de  son  palais,  il  fai- 
soit  emplir  les  gibessieres  de  ses  varletz  d'or  et  d'argent 
monnoyé,  et,  rencontrant  par  les  rues  quelques  mignons  bra- 
guars  et  mieulx  en  poinct,  sans  d'iceulx  estre  aulcunement 
offensé,  par  guayeté  de  cœur  leurs  donnoit  de  grands  coups  de 
poing  en  face.  Soubdain  après,  pour  les  appaiser  et  empescher 
de  non  soy  complaindre  en  justice,  leurs  departoit  de  son 
argent.  Tant  qu'il  les  rendoit  contens  et  satisfaictz,  scelon 
l'ordonnance  d'une  loig  des  douze  Tables.  Ainsi  despendoit 
son  revenu,  battant  les  gens  au  pris  de  son  argent. 

—  Par  la  sacre  botte  de  sainct  Benoist,  dist  frère  Jan,  pré- 
sentement j'en  sçauray  la  vérité.  »  Adoncques  descend  en 


PANTAGRUEL  73 

terre,  mist  la  main  à  son  escarcelle,  et  en  tira  vingt  escuz  au 
Soleil.  Puis  dist  à  haulte  voix  en  présence  et  audience  d'une 
grande  tourbe  du  peuple  Chiquanourroys  :  «  Qui  veut  guain- 
gner  vingt  escuz  d'or  pour  cstre  battu  en  Diable?  —  lo,  io,  io, 
respondirent  tous.  Vous  nous  affoUerez  de  coups,  monsieur, 
cela  est  sceur.  Mais  il  y  a  beau  guaing.  »  Et  tous  accouroient 
à  la  foulle,  à  qui  seroit  premier  en  date  pour  estre  tant  précieu- 
sement battu.  Frère  Jean,  de  toute  la  trouppe,  choysit  un 
Chiquanous  à  rouge  muzeau,  lequel  on  poulse  de  la  main 
dextre  portoit  un  gros  et  large  anneau  d'argent,  en  la  palle 
duquel  estoit  enchâssée  une  bien  grande  Crapauldine. 

L'ayant  choysi  je  veidz  que  tout  ce  peuple  murmuroit  et 
entendiz  un  grand,  jeune  et  maisgre  Chiquanous,  habile  et 
bon  clerc,  et,  comme  estoit  le  bruyt  commun,  honeste  homme 
en  court  d'ecclise,  soit  complaingnant  et  murmurant  de  ce 
que  le  rouge  muzeau  leur  oustoit  toutes  praticques;  et  que,  si 
en  tout  le  territoire  n'estoient  que  trente  coups  de  bastons  à 
guaingner,  il  en  emboursoit  tousjours  vingt  huict  et  demy. 
Mais  tous  ces  complainctz  et  murmures  ne  procedoient  que 
d'envie. 

Frère  Jan  daubba  tant  et  trestant  Rouge  muzeau,  dours  et 
ventre,  bras  et  jambes,  teste  et  tout,  à  grands  coups  de  bas- 
ton,  que  je  lo  cuydois  mort  assommé.  Puys  luy  bailla  les  vingt 
escuz.  Et  mon  villain  debout,  ayse  comme  un  Roy  ou  deux. 
Les  aultres  disoient  à  frère  Jan  :  «  Monsieur  frère  Diable,  s'il 
vous  plaist  encores  quelques  uns  battre  pour  moins  d'argent, 
nous  sommes  tous  à  vous,  monsieur  le  Diable.  Nous  sommes 
trestous  à  vous,  sacs,  papiers,  plumes  et  tout.  » 

Rouge  muzeau  s'escria  contre  eulx,  disant  à  haulte  voix  : 
«  Feston  diene,  Guallef retiers,  venez  vous  sus  mon  marché? 
Me  voulez  vous  houster  et  seduyre  meschalans?  Je  vous  cite 
par  devant  l'Ofïicial  à  huyctaine  Mirelaridaine.  Je  vous  chi- 
quaneray  en  Diable  de  Vauverd.  »  Puys,  se  tournant  vers 
frère  Jan,  à  face  riante  et  joyeuse,  luy  dist  :  «  Révérend  père  en 


74  LIVRT    n',    CHAPITRE    XVI 

Diable  Monsieur,  si  m'avez  trouvé  bonne  robbc,  et  vous 
plaist  encores  en  me  battant  vous  esbatre,  je  me  conten- 
teray  de  la  moitié,  de  juste  pris.  Ne  m'espargnez,  je  vous  en 
prie.  Je  suys  tout  et  trestout  à  vous.  Monsieur  le  Diable  : 
teste,  poulmon,  boyaulx  et  tout.  Je  le  vous  diz  à  bonne 
chcrc.  »  Frère  Jan  interrompit  son  propous,  et  se  destouma 
aultrepart.  Les  aultres  Chiquanous  serctiroient  vers  Panurge, 
Epistemon,  Gymnaste  et  aultres,  les  supplians  dévotement 
estre  par  eulx  à  quelque  petit  pris  battuz  :  aultrement  estoient 
en  dangier  de  bien  longuement  jeusner.  Mais  nul  n'y  voulut 
entendre. 

Depuys,  clierchans  eau  fraische  pour  la  chorme  des  naufz, 
rencontrasmes  deux  vieilles  Chiquanoures  du  lieu,  lesquelles 
ensemble  misérablement  pleuroient  et  lamentoient.  Panta- 
gruel estoit  resté  en  sa  nauf,  et  ja  faisoit  sonner  la  retraicte. 
Nous,  doubtans  qu'elles  feussent  parentes  du  Chiquanous 
qui  avoit  eu  bastonnades,  interrogions  les  causes  de  telle 
doleance.  Elles  respondirent  que  de  plourer  avoient  cause 
bien  équitable,  veu  qu'à  heure  présente  l'on  avoit  au  gibbet 
baillé  le  moine  par  le  coul  aux  deux  plus  gens  de  bien  qui 
feussent  en  tout  Chiquanourroys.  «  Mes  Paiges,  dist  Gym- 
naste, baillent  le  moine  par  les  pieds  à  leurs  compaignons 
dormars.  Bailler  le  moine  par  le  coul,  seroit  pendre  et  estrem- 
gler  la  persone.  —  Voire,  voire,  dist  frère  Jan;  vous  en  parlez 
comme  sainct  Jan  de  la  Palisse.  »  Interrogées  sus  les  causes 
de  cestuy  pendaige,  respondirent  qu'ilz  avoient  desrobé  les 
ferremens  de  la  messe,  et  les  avoient  mussez  soubs  le  manche 
de  la  parœce.  «  Voylà,  dist  Epistemon,  parlé  en  terrible 
Allégorie.  » 


PANTAGRUEL  75 


CHAPITRE  XVII 

COMMENT    PANTAGRUEL    PASSA    LES    ISLES     DE    TOHU     ET     BOHU, 

ET     DE     l'eSTRANGE     MORT 

DE    BRINGUENARILLES,     AVALLEUR     DE     MOULINS     A    VENT 


Ce  mesme  jour,  passa  Pantagruel  les  deux  isles  de  Tohu  et 
Bohu,  es  quelles  ne  trouvasmcs  que  frire  :  Bringuenarilles,  le 
grand  géant,  avoit  toutes  paelles,  paellons,  chaudrons, 
coquasses,  lichefretes  et  marmites  du  pays  avallé,  en  faulte 
de  moulins  à  vent,  des  quelz  ordinairement  il  se  paissoit. 
Dont  estoit  advenu  que,  peu  davant  le  jour,  sus  l'heure  de  sa 
digestion,  il  estoit  en  grief ve  maladie  tombé,  par  certaine 
crudité  d'estomach  causée  de  ce  (comme  disoient  les  Medi- 
cins)  que  la  vertu  concoctrice  de  son  estomach,  apte  naturel- 
lement à  moulins  à  vent  tous  brandifz  digérer,  n'avoit  peu  à 
perfection  consommer  les  paelles  et  coquasses  :  les  chaudrons 
et  marmites  avoit  assez  bien  digéré,  comme  disoient  congnois- 
tre  aux  hypostases  et  eneoremes  de  quatre  hussards  d'urine 
qu'il  avoit  à  ce  matin  en  deux  foys  rendue. 

Pour  le  secourir,  usèrent  de  divers  remèdes  scelon  l'art. 
Mais  le  mal  feut  plus  fort  que  les  remèdes.  Et  estoit  le  ncble 
Bringuenarilles  à  cestuy  matin  trespassé,  en  façon  tant 
estrange  que  plus  esbahir  ne  vous  fault  de  la  mort  de  ^schy- 
lus.  Lequel,  comme  luy  eust  fatalement  esté  par  les  vaticina- 
teurs  predict  qu'en  certain  jour  il  mourroit  par  ruine  de  quel- 
que chose  qui  tomberoit  sus  luy,  iceluy  jour  destiné,  s'estoit 
de  la  ville,  de  toutes  maisons,  arbres,  rochiers  et  aultres  choses 
esloingné,  qui  tomber  peuvent,  et  nuire  par  leur  ruine.  Et 
demoura  on  mylieu  d'une  grande  praerie,  soy  commettant 
en  la  foy  du  ciel  libre  et  patent,  en  sceureté  bien  asseurée, 


'J^  LIVRE    IV,     CHAPITRE    XVII 

comme  luy  sembloit,  si  non  vrayement  que  le  ciel  tombast  : 
ce  que  croyoit  estre  impossible.  Toutes  foys  on  dict  que  les 
alouettes  grandement  redoubtent  la  ruine  des  cieulx  tombans, 
car  les  cieulx  tombans,  toutes  seroient  prinses. 

Aussi  la  redoubtoient  jadis  les  Celtes  voisins  du  Rhin  :  ce 
sont  les  nobles,  vaillans,  chevaleureux,  bellicqueux  et  trium- 
phans  François  :  lesquelz,  interrogez  par  Alexandre  le  Grand 
quelle  chose  plus  en  ce  monde  craignoient,  espérant  bien  que 
de  luy  seul  f croient  exception,  en  contemplation  de  ses  gran- 
des prouesses,  victoires,  conquestes  et  triumphes,  respondi- 
rent  rien  ne  craindre,  sinon  que  le  ciel  tombast.  Non  toutes 
foys  faire  refus  d'entrer  en  ligue,  confédération  et  amitié 
avec  un  si  preux  et  magnanime  Roy. 

Si  vous  croyez  Strabo,  liv.  VII,  et  Arrian,  liv.  I,  Plutarche 
aussi,  on  livre  qu'il  a  faict  de  la  face  qui  apparoist  on  corps  de 
la  Lune,  allègue  un  nommé  Phenace,  lequel  grandement  crai- 
gnoit  que  la  Lune  tombast  en  terre  :  et  avoit  commisération 
et  pitié  de  ceulx  qui  habitent  sous  iceUe,  comme  sont  les 
^Ethiopiens  et  Taprobaniens,  si  une  tant  grande  masse  tom- 
boit  sus  eulx.  Du  ciel  et  de  la  terre  avoit  paour  semblable,  s'ilz 
n'estoient  deuement  fulciz  et  appuyez  sus  les  columnes  de 
Atlas,  comme  estoit  l'opinion  des  anciens,  scelon  le  tesmoi- 
gnage  de  Aristoteles,  liv.  V,  Metaphys. 

iEschilus,  ce  non  obstant,  par  ruine  feut  tué  et  cheute  d'une 
caquerolle  de  Tortue,  laquelle,  d'entre  les  gryphes  d'une 
Aigle  haulte  en  l'air  tombant  sus  sa  teste,  luy  fendit  la  cer- 
velle. 

Plus  de  Anacréon  poëte,  lequel  mourut  estranglé  d'un 
pépin  de  raisin.  Plus  de  Fabius  prêteur  Romain,  lequel  mou- 
rut suffoqué  d'un  poil  de  chievre,  mangeant  une  esculée  de 
laict.  Plus  de  celluy  honteux  lequel,  par  retenir  son  vent,  et 
default  de  peter  un  meschant  coup,  subitement  mourut  en  la 
présence  de  Claudius,  empereur  Romain.  Plus  de  celluy  qui,  à 
Rome,  est  en  la  voye  Flaminie  enterré,  lequel  en  son  epitaphe 


PANTAGRUEL  77 

se  complainct  estrc  mort  par  estre  mords  d'une  chatte  au 
petit  doigt.  Plus  de  Q.  Lecanius  Bassus,  qui  subitement  mou- 
rut d'une  tant  petite  poincture  de  aiguille  au  poulse  de  la 
main  guausche  qu'à  peine  la  pouvoit  on  veoir.  Plus  de  Quene- 
lault  medicin  normant,  lequel  subitement  à  Monspellier  tré- 
passa, par  de  bies  s'estre  avecques  un  trancheplume  tiré  un 
Ciron  de  la  main. 

Plus  de  Philomenes,  auquel  son  varlet,  pour  l'entrée  de 
dipner,  ayant  appresté  des  figues  nouvelles,  pendent  le  temps 
qu'il  alla  au  vin,  un  asne  couillart  esguaré  estoit  entré  au  logis, 
et  les  figues  apposées  mangeoit  religieusement.  Philomenes 
survenant,  et  curieusement  contemplant  la  grâce  de  l'asne 
Sycophage,  dist  au  varlet  qui  estoit  de  retour  :  «  Raison  veult, 
puis  qu'à  ce  dévot  asne  as  les  figues  abandonné,  que  pour 
boire  tu  luy  produises  de  ce  bon  vin  qu'as  apporté.  »  Ces  pa- 
roUes  dictes,  entra  en  si  excessive  guayeté  d'esprit,  et  s'es- 
clata  de  rire  tant  énormément,  continuement,  que  l'exercice  de 
la  Râtelle  luy  tollut  toute  respiration,  et  subitement  mourut. 

Plus  de  Spurius  Saufeius,  lequel  mourut  humant  un  œuf 
mollet  à  l'issue  du  baing.  Plus  de  celluy  lequel  dist  Boccace 
estre  soudainement  mort  par  s'escurer  les  dents  d'un  brin  de 
Saulge.  Plus  de  Philippot  Placut,  lequel,  estant  sain  et  dru, 
subitement  mourut,  en  payant  une  vieille  debte,  sans  aultre 
précédente  maladie.  Plus  de  Zeuzis  le  painctre,  lequel  subite- 
ment mourut  à  force  de  rire,  considérant  le  minoys  et  por- 
traict  d'une  vieille  par  luy  représentée  en  paincture.  Plus  de 
mil  aultres  qu'on  vous  die,  feust  Verrius,  feust  Pline,  feust 
Valere,  feust  Baptiste  Fulgose,  feust  Bacabery  l'aisné. 

Le  bon  Bringuenarilles  (helas  !)  mourut  estranglé,  man- 
geant un  coing  de  beurre  frays  à  la  gueule  d'un  four  chaud, 
par  l'ordonnance  des  medicins. 

Là,  d'abondant,  nous  feut  dict  que  le  roy  de  Cullan  en  Bohu 
avoit  deffaict  les  satrapes  du  roy  Mechloth,  et  mis  à  sac  les 
forteresses  de  Behma.  Depuys,  passâmes  les  isles  de  Nargues 


78  LIVRE    IV,     CHAPITRE    XVIII 

et  Zargues.  Aussi  les  isles  de  Teleniabin  et  Geneliabin,  bien 
belles  et  fructueuses  en  matière  de  clysteres.  Les  isles  aussi 
de  dFnijj  et  (Eutg,  desquelles  par  avant  estoit  advenue  l'esta- 
fiUade  au  Langrauff  d'Esse. 


CHAPITRE  XVIIl 

COMMENT  PANTAGRUEL  EVADA  UNE  FORTE  TEMPESTE  EN  MER 

Au  lendemain,  rencontrasmes  à  pogc  neuf  Orques  chargées 
de  moines,  Jacobins,  Jésuites,  Capussins,  Hermites,  Augus- 
tins,  Bernardins,  Celestins,  Théatins,  Egnatins,  Amadeans, 
Cordcliers,  Cannes,  Minimes,  et  aultres  saincts  religieux, 
les  quelz  alloient  au  concile  de  Chesil  pour  grabeler  les  articles 
de  la  foy  contre  les  nouveaulx  hereticques.  Les  voyant, 
Panurge  entra  en  excès  de  joye,  comme  asceuré  d'avoir 
toute  bonne  fortune  pour  celluy  jour  et  aultres  subsequens 
en  long  ordre.  Et,  ayant  courtoisement  salué  les  béatz  pères, 
et  recommendé  le  salut  de  son  ame  à  leurs  dévotes  prières  et 
menuz  suffraiges,  fit  jecter  en  leurs  naufz  soixante  et  dix- 
huict  douzaines  de  jambons,  nombre  de  Caviatz,  dizaines  de 
Cervelatz,  centaines  de  Boutargues,  et  deux  mille  beaulx 
Angelotz  pour  les  âmes  des  trespassez. 

Pantagruel  restoit  tout  pensif  et  melancholique.  Frère 
Jan  l'apperceut,  et  demandoit  dont  luy  venoit  telle  fascherie 
non  accoustumee,  quand  le  pilot,  consyderant  les  voltige- 
ïuens  du  peneau  sus  la  pouppe,  et  prevoiant  un  tyrannicque 
grain  et  fortunal  nouveau,  commenda  tous  estre  à  l'herte 
tant  nauchiers,  fadrins  et  mousses  quen  ous  aultres  voya- 
giers;  feist  mettre  voiles  bas,  mejane,  contremejane,  triou, 
maistralle,  epagon,  civadiere;  feist  caller  les  boulingues, 
trinquet  de  prore  et  trinquet  de  gabie,  descendre  le  grand 


PANTAGRUEL  79 

ai'temon,  et  de  toutes  les  antemnes  ne  rester  que  les  grizelles 
et  coustieres. 

Soubdain  la  mer  commença  s'enfler  et  tumultuer  du  bas 
abysme;  les  fortes  vagues  batre  les  flans  de  nos  vaisscaulx; 
le  Maistral,  accompaigné  d'une  cole  effréné,  de  noires  Grup- 
pades,  de  terribles  Sions,  de  mortelles  Bourrasques,  siffler  à 
travers  nos  antemnes.  Le  ciel  tonner  du  hault,  fouldroyer, 
esclairer,  pleuvoir,  gresler;  l'air  perdre  sa  transparence,  deve- 
nir opacque,  ténébreux  et  obscurcy,  si  queaultre  lumière  ne 
nous  apparoissoit  que  des  fouldres,  esclaires  et  infractions  des 
flambantes  nuées;  les  categides,  thielles,  lelapes  et  presteres 
enflamber  tout  au  tour  de  nous  par  les  psoloentes,  arges,  eli- 
cies  et  aultres  ejaculations  etherées  :  nos  aspectz  tous  estre 
dissipez  et  perturbez;  les  horrificques  Typhones  suspendre 
les  montueuses  vagues  du  courrant.  Croyez  que  ce  nous  sem- 
bloit  estre  l'antique  Chaos,  on  quel  estoient  feu,  air,  mer, 
terre,  tous  les  elemens  en  refractaire  confusion. 

Panurge,  ayant  du  contenu  en  son  estomach  bien  repeu  les 
poissons  scatophages,  restoit  acropy  sus  le  tillac,  tout  affligé, 
tout  meshaigné,  et  à  demy  mort;  invocqua  tous  les  benoistz 
saincts  et  sainctes  à  son  ayde,  piotesta  de  soy  confesser  en 
temps  et  lieu,  puys  s'escria  en  grand  efîroy,  disant  :  «  Major- 
dome, hau,  mon  àmy,  mon  père,  mon  oncle,  produisez  un 
peu  de  salle  :  nous  ne  boirons  tantoust  que  trop,  à  ce  que  je 
voy.  A  petit  manger  bien  boire,  sera  désormais  ma  devise. 
Pleust  à  Dieu,  et  à  la  benoiste,  digne  et  sacrée  Vierge,  que 
maintenant,  je  diz  tout  à  ceste  heure,  je  feusse  en  terre  ferme 
bien  à  mon  aise  ! 

«  O  que  troys  et  quatre  foys  heureulx  sont  ceulx  qui  plan- 
tent chous  I  O  Parces,  que  ne  me  fillastes  vous  pour  planteur 
de  chous  !  O  que  petit  est  le  nombre  de  ceulx  à  qui  Juppiter  a 
telle  faveur  porté  qu'il  les  a  destinez  à  planter  chous  !  Car 
ilz  ont  toujours  en  terre  un  pied,  l'aultre  n'en  est  pas  loing. 
Dispute  de  félicité  et  bien  souverain  qui  vouldra  ;  mais  quicon- 


8o  LIVRE    IV,     CHAPITRE    XIX 

ques  plante  choux  est  présentement  par  mon  décret  declairé 
bien  heureux,  à  trop  meilleure  raison  que  Pyrrhon,  estant  en 
pareil  dangier  que  nous  sommes,  et  voyant  un  pourceau  prés 
le  rivaige  qui  mangeoit  de  l'orge  espandu,  le  declaira  bien 
heureux  en  deux  qualitez,  sçavoir  est  qu'il  avoit  orge  à  foison, 
et  d'abondant  estoit  en  terre. 

i(  Ha  !  pour  manoir  dcificque  et  seigneurial  il  n'est  que  le 
plancher  des  vaches.  Ccste  vague  nous  emportera,  Dieu  ser- 
vateur  !  O  mes  amys,  un  peu  de  vinaigre.  Je  tressue  de  grand 
ahan.  Zalas,  les  vêles  sont  rompues,  le  prodenou  est  en  pièces, 
les  cosses  esclattent,  l'arbre  du  hault  de  la  guatte  plonge  en 
mer,  la  carine  est  au  Soleil,  nos  gumenes  sont  presque  tous 
rouptz.  Zalas,  zalas,  où  sont  nos  boulingues?  Tout  est  frelore 
bigoth.  Nostre  trinquet  est  à  vau  l'eau.  Zalas,  à  qui  appartien- 
dra ce  briz?  Amis,  prestez  ici  darriere  une  de  ces  rambades. 
Enfans,  vostre  landrivel  est  tombé.  Helas  !  n'abandonnez  l'or- 
geau,  ne  aussi  le  Tirados.  Je  oy  l'agneuillot  frémir.  Est  il 
cassé?  Pour  Dieu,  saulvons  la  brague;  du  fernel  ne  vous  sou- 
ciez. Bebebe  bous,  bous,  bous.  Voyez  à  la  calamitre  de  vostre 
boussole,  de  grâce,  maistre  Astrophile,  dont  nous  vient  ce 
fortunal  :  Par  ma  foy,  j'ai  belle  paour.  Bou  bou  bou,  bous, 
bous.  C'est  faict  de  moy.  Je  me  conchie  de  maie  raige  de 
paour.  Bou,  bou,  bou,  bou  !  Otto  to  to  to  to  ti  !  Otto  to  to 
to  to  ti  !  Bou  bou  bou,  ou  ou  ou  bou  bou  bous  bous  !  Je  naye, 
je  naye,  je  naye,  je  meurs.  Bonnes  gens,  je  naye.  » 


CHAPITRE  XIX 

QUELLES  CONTENANCES  EURENT  PANURGE  ET  FRERE  JEAN 
DURANT  LA  TEMPESTE 

Pantagruel,  préalablement  avoir  imploré  l'ayde  du  grand 
Dieu   Servateur,   et  faicte  oraison   publicque  en   fervente 


PANTAGRUEL  8l 

dévotion,  par  l'advis  du  pilot  tenoit  l'arbre  fort  et  ferme,  frère 
Jan  s'estoit  mis  en  pourpoinct  pour  secourir  les  nauchiers. 
Aussi  estoicnt  Epistemon,  Pon ocrâtes,  et  les  aultres.  Panurge 
rcstoit  de  cul  sus  le  tillac,  pleurant  et  lamentant.  Frère  Jan 
l'apperceut,  passant  sus  la  Coursie,  et  luy  dist  :  «  Par  Dieu, 
Panurge  le  veau,  Panurge  le  pleurart,  Panurge  le  criart,  tu 
feroys  beaucoup  mieulx  nous  aydant  icy  que  là  pleurant 
comme  une  vache,  assis  sus  tes  couillons  comme  un  magot.  — 
Be  be  be  bous,  bous,  bous,  respondit  Panurge,  frère  Jean 
mon  amy,  mon  bon  père,  je  naye,  je  naye,  mon  amy,  je  naye. 
C'est  faict  de  moy,  mon  père  spirituel,  mon  amy,  c'en  est  faict. 
Vostre  bragmart  ne  m'en  sçauroit  saulver.  Zalas,  zalas  !  nous 
sommes  au  dessus  de  Ela,  hors  toute  la  gamme.  Bebe  be 
bous  bous.  Zalas  !  à  ceste  heure  sommes  nous  au  dessous  de 
Gamma  ut.  Je  naye.  Ha  mon  père,  mon  oncle,  mon  tout. 
L'eau  est  entrée  en  mes  souliers  par  le  collet.  Bous,  bous,  bous, 
paisch,  hu,  hu,  hu,  ha,  ha,  ha,  ha,  ha,  je  naye.  Zalas,  zalas, 
hu,  hu,  hu,  hu,  hu,  hu.  Bebe  bous,  bous,  bobous,  bobous,  ho, 
ho,  ho,  ho,  ho.  Zalas,  zalas.  A  ceste  heure  foys  bien  à  poinct 
l'arbre  forchu,  les  pieds  à  mont,  la  teste  en  bas.  Pleust  à  Dieu 
que  présentement  je  fusse  dedans  la  Orque  des  bons  et  beatz 
pères  concilipetes,  les  quelz  ce  matin  nous  rencontrasmes, 
tant  devotz,  tant  gras,  tant  joyeulx,  tant  douilletz,  et  de 
bonne  grâce.  Holos,  holos,  holos,  zalas,  zalas,  ceste  vague 
de  tous  les  Diables  {mea  culpa,  Deus),  je  dis  ceste  vague  de 
Dieu  enfondrera  nostre  nauf.  Zalas  !  frère  Jan,  mon  père, 
mon  amy,  confession  !  Me  voyez  cy  à  genoulx.  Confiteor, 
vostre  saincte  bénédiction. 

—  Vien,  pendu  au  Diable,  dist  frère  Jean,  icy  nous  ayder, 
de  par  trente  légions  de  Diables,  viens  :  viendra  il?  —  Ne 
jurons  poinct,  dist  Panurge,  mon  père,  mon  amy,  pour  ceste 
heure.  Demain,  tant  que  vouldrez.  Holos,  holos.  Zalas  !  nostre 
nauf  prend  eau.  Je  naye,  zalas,  zalas  !  Be  be  be  be  be  bous, 
bous,  bous,  bous.  Or  sommes  nous  au  fond.  Zalas,  zalas  !  Je 
T.  II.  6 


82  LIVRE    IV^     CHAPITRE    XIX 

donne  dixhuict  cens  mille  escuz  de  intrade  à  qui  me  mettra 
en  terre  tout  foireux  et  tout  breneux  comme  je  suis,  si  onc- 
ques  home  feut  en  ma  patrie  de  bien.  Confiteor.  Zalas  !  un 
petit  mot  de  testament,  ou  codicille  pour  le  moins. 

—  Mille  diables,  dist  frère  Jan,  saultent  on  corps  de  ce 
coqu.  Vertus  Dieu,  parles  tu  de  testament  à  ceste  heure  que 
sommes  en  dangier,  et  qu'il  nous  convient  évertuer  ou  jamais 
plus?  Viendras  tu,  ho  Diable?  Comité,  mon  mignon,  o  le 
gentil  algousan  !  deçà  !  Gymnaste,  icy  sus  l'estanterol.  Nous 
sommes  par  la  vertus  Dieu  troussez  à  ce  coup.  Voilà  nostre 
Phanal  extainct.  Cecy  s'en  va  à  tous  les  millions  de  Diables. 
—  Zalas,  zalas,  dist  Panurge,  zalas  !  Bou,  bou,  bou,  bou, 
bous.  Zalas,  zalas  !  Estoit  ce  icy  que  de  périr  nous  estoit 
prédestiné?  Holos,  bonnes  gens,  je  naye,  je  meurs.  Consum- 
matum  est.  C'est  faict  de  moy. 

—  Magna,  gna,  gna,  dist  frère  Jan.  Fy  quil  est  laid,  le 
pleurart  de  merde.  Mousse,  ho,  de  par  tous  les  Diables,  guarde 
l'escantoula.  T'es  tu  blessé?  Vertus  Dieu,  attache  à  l'un  des 
bitous.  Icy,  de  là,  de  par  le  Diable,  hay  !  Ainsi,  mon  enfant. 

—  Ha  frère  Jan,  dist  Panurge,  mon  père  spirituel,  mon 
amy,  ne  jurons  poinct.  Vous  péchez.  Zalas,  zalas  !  Be,  be,  be, 
bous,  bous,  bous,  je  naye,  je  meurs,  mes  amys.  Je  pardonne 
à  tout  le  monde.  Adieu,  in  manns.  Bous,  bous,  bouououous. 
Sainct  Michel  d'Aure,  sainct  Nicolas,  à  ceste  foys  et  jamais 
plus  !  Je  vous  foys  icy  bon  veu  et  à  Nostre  Seigneur  que,  si  à 
ce  coup  m'estez  aydans,  j'entends  que  me  mettez  en  terre 
hors  ce  dangier  icy.  je  vous  edifieray  une  belle  grande  petite 
chapelle  ou  deux  entre  Quande  et  Monssoreau,  et  n'y  paistra 
vache  ne  veau.  Zalas,  zalas  !  Il  m'en  est  entré  en  la  bouche 
plus  de  dixhuict  seiUeaux  ou  deux.  Bous,  bous,  bous,  bous. 
Qu'elle  est  amere  et  sallee  ! 

—  Par  la  vertus,  dist  frère  Jan,  du  sang,  de  la  chair,  du 
ventre,  de  la  teste,  si  encores  je  te  oy  pioller,  coqu  au  diable, 
je  te  gualleray  en  loup  marin  :  vertus  Dieu,  que  ne  le  jectons 


PANTAGRUEL  83 

nous  au  fond  de  la  mer?  Hespaillicr,  ho  gentil  compaignon, 
ainsi  mon  amy.  Tenez  bien  lassus.  Vrayement  voicy  bien 
esclairé,  et  bien  tonné.  Je  croy  que  tous  les  diables  sont  des- 
chainez  au  jourdhuy  ou  que  Proserpine  est  en  travail  d'en- 
fant. Tous  les  Diables  dansent  aux  sonnettes.  » 


CHAPITRE  XX 

COMMENT    LES     NAUCHIERS    ABANDONNENT    LES     NAVIRES 
AU    FORT    DE    LA    TEMPESTE 


«  Ha,  dist  Panurge,  vous  péchez,  frère  Jan,  mon  amy  an- 
cien. Ancien,  dis  je,  car  de  présent  je  suys  nul,  vous  estes  nul. 
Il  me  fasche  le  vous  dire.  Car  je  croy  que  ainsi  jurer  face  grand 
bien  à  la  râtelle;  comme,  à  un  fendeur  de  bois,  fait  grand 
soulaigement  celluy  qui  à  chascun  coup  près  de  luy  crie  : 
Han  !  à  haulte  voix,  et  comme  un  joueur  de  quilles  est  miri- 
ficquement  soulaigé  quand  il  n'a  jecté  la  boulle  droit,  si  quel- 
que homme  d'esprit  prés  de  luy  panche  et  contourne  la  teste 
et  le  corps  à  demy,  du  cousté  auquel  la  boulle  aultrement 
bien  jectée  eust  faict  rencontre  de  quilles.  Toutes  foys  vous 
péchez,  mon  amy  doulx.  Mais,  si  présentement  nous  mangeons 
quelque  espèce  de  cabirotades'  serions  nous  en  sceureté  de 
cestuy  oraige?  J'ay  leu  que,  sus  mer,  en  temps  de  tempeste, 
jamais  n'avoient  paour,  tous  jours  estoient  en  sceureté  les 
ministres  des  Dieux  Cabires,  tant  célébrez  par  Orphée,  Apol- 
lonius, Pherecydes,  Strabo,  Pausanias,  Hérodote. 

—  Il  radote,  dist  frère  Jan,  le  paouvre  Diable.  A  mille  et 
millions  et  centaines  de  millions  de  Diables  soit  le  coqu  cor- 
nard  au  Diable  !  Ayde  nous  icy,  hau,  tigre  ÎVinsdra  il?  Icy  à 
orche.  Teste  Dieu  plene  de  reliques,  quelle  patenostre  de 
Cinge  est  ce  que  tu  marmottez  là,  entre  les  dens?  Ce  Diable  de 


84  LIVRE    IV,    CHAPITRE    XX 

fol  marin  est  cause  de  la  tempeste,  et  il  seul  ne  ayde  à  la 
chorme.  Par  Dieu,  si  je  voys  là,  je  vous  chastieray  en  diable 
terapestatif.  Icy,  Fadriu,  mon  mignon,  tiens  bien,  que  je  y 
face  un  nou  Gregeoys.  O  le  gentil  mousse  !  Pleust  à  Dieu  que 
tu  fcusses  abbé  de  Talemouze,  et  celluy  qui  de  présent  l'est 
fust  guardian  de  CrouUay  !  Ponocrates,  mon  frère,  vous  bles- 
serez là.  Epistemon,  guardez  vous  de  la  Jalousie,  je  y  ay  veu 
tomber  un  coup  de  fouldre.  —  Inse  !  —  C'est  bien  dict.  Inse, 
inse,  inse.  Vieigne  esquif  !  Inse.  Vertus  Dieu,  qu'est  cela?  Le 
cap  est  en  pièces.  Tonnez,  Diables,  petez,  rottez,  fiantez. 
Bren  pour  la  vague  !  Elle  a,  par  la  vertus  Dieu.faillyàm'era- 
porter  soubs  le  courant.  Je  croy  que  tous  les  millions  de  Dia- 
bles tiennent  icy  leur  chapitre  provincial,  ou  briguent  pour 
élection  de  nouveau  recteur.  —  Orche  !  —  C'est  bien  dict. 
Gare  la  caveche,  hau,  mousse,  de  par  le  diable,  hay  !  Orche, 
orche. 

—  Bebebebous,  bous,  bous,  dist  Panurge,  bous,  bous,  bebe, 
be  bous,  bous,  je  naye.  Je  ne  voy  ne  ciel  ne  terre.  Zalas,  zalas  ! 
De  quatre  elemens  ne  nous  reste  icy  que  feu  et  eau.  Boubou- 
bous,  bous,  bous.  Pleust  à  la  digne  vertus  de  Dieu  que  à  heure 
présente  je  feusse  dedans  le  clos  de  SeuiUé,  ou  chez  Innocent  le 
pastissier,  davant  la  cave  paincte,  à  Chinon,  sus  peine  de  me 
mettre  en  pourpoinct  pour  cuyre  les  petits  pastez  !  Nostre 
homme,  sçauriez  vous  me  jecter  en  terre?  Vous  sçavez  tant 
de  bien,  comme  l'on  m'a  dict.  Je  vous  donne  tout  Salmi- 
guondinoys,  et  ma  grande  cacquerelliere,  si  par  vostre  indus- 
trie je  trouve  unes  foys  terre  ferme.  Zalas,  zalas  !  je  naye. 
Dea,  beaulx  amys,  puys  que  surgir  ne  pouvons  à  bon  port, 
mettons  nous  à  la  rade,  je  ne  sçay  où.  Plongez  toutes  vos  an- 
cres. Soyons  hors  ce  dangier,  je  vous  en  prie.  Nostre  amé, 
plongez  le  scandai  et  les  bohdes,  de  grâce.  Sçaichons  la  haul- 
teur  du  profond.  Sondez,  nostre  amé,  mon  amy,  de  par  Nostre 
Seigneur  !  Sçaichons  si  l'on  bojToit  icy  aisément  debout,  sans 
soy  baisser.  J'en  croy  quelque  chose. 


PANTAGRUEL  85 

—  Uretacque,  haii  !  cria  le  pilot,  uretacque.  !  La  main  à 
l'insail.  Amené,  uretacque  !  Bressine,  uretacque,  guare  la 
pane  !  Hau  amure,  amure  bas.  Hau,  uretacque,  cap  en  houlle  ! 
Desmanche  le  haulme.  Acappaye. 

—  En  sommes  nous  là?  dist  Pantagruel.  Le  bon  Dieu  ser- 
vateur  nous  soyt  en  ayde  !  —  Acappaye,  hau  !  s'escria  Jamet 
Brahier,  maistre  pilot.  Acappaye  !  Chascun  pense  de  soname, 
et  se  mette  en  dévotion,  n'esperans  ayde  que  par  miracle  des 
Cieulx  !  —  Faisons,  dist  Panurge,  quelque  bon  et  beau  veu. 
Zalas,  zalas,  zalas,  bou,  bou,  bebebebous,  bous,  bous.  Zalas, 
zalas  !  faisons  un  pèlerin.  Cza,  ça,  chascun  boursille  à  beaulx 
liards;  cza  !  —  Deçà,  hau,  dist  frère  Jean,  de  par  tous  les  Dia- 
bles !  A  poge.  Acappaye,  on  nom  de  Dieu  !  Desmanche  le 
heaulme,  hau  !  Acappaye,  Acappaye.  Beuvons  hau  !  Je  diz 
du  meilleur  et  plus  stomachal.  Entendez  vous,  hau,  majour 
dôme.  Produisez,  exhibez.  Aussi  bien  s'en  va  cecy  à  tous  les 
millions  de  Diables.  Apporte  cy,  hau,  page,  mon  tirouoir 
(ainsi  nommoit  il  son  bre\aaire).  Attendez  !  tyre,  mon  amy, 
ainsi  !  Vertus  Dieu,  voicy  bien  greslé  et  fouldroyé,  vraye- 
ment.  Tenez  bien  là  hault,  je  vous  en  prie.  Quand  aurons 
nous  la  feste  de  Tous  Sainctz?  Je  croy  que  aujourd'huy  est 
l'infeste  feste  de  tous  les  millions  de  Diables. 

—  Helas  !  dist  Panurge,  frère  Jean  se  damne  bien  à  crédit. 
O  que  je  y  perds  un  bon  amy  !  Zalas,  zalas,  voicy  pis  que  an- 
tan.  Nous  allons  de  Scylle  en  Carybde,  holos,  je  naye.  Confi- 
teor.  Un  petit  mot  de  testament,  frère  Jan,  mon  père;  mon- 
sieur l'abstracteur,  mon  amy,  mon  Achates;  Xenomanes, 
mon  tout.  Helas  !  je  naye,  deux  motz  de  testament.  Tenez  icy 
sur  ce  transpontin.  » 


86  LIVRE    IV,     CHAPITRE    XXI 


CHAPITRE  XXI 

CONTINUATION     DE     LA    TEMPESTE,     ET    BRIEF    DISCOURS 
SUR     TESTAMENTS     FAICTZ     SUS     MER 


«  Faire  testament,  dit  Epistemon,  à  ceste  heure  qu'il  nous 
convient  évertuer  et  secourir  nostre  chorme  sus  poine  de 
faire  naufrage,  me  semble  acte  autant  importun  et  mal  à 
propous  comme  celluy  des  Lances  pesades  et  mignons  de 
Caesar  entrant  en  Gaule,  les  quelz  s'amusoient  à  faire  testa- 
mens  et  codicilles,  lamentoient  leur  fortune,  pleuroient  l'ab- 
sence de  leurs  femmes  et  amys  Romains,  lorsque,  par  néces- 
sité, leur  convenoit  courir  aux  armes  et  soy  évertuer  contre 
Ariovistus  leur  ennemy.  C'est  sottise  telle  que  du  charretier, 
lequel  sa  charrette  versée  par  un  retouble,  à  genoilz  imploroit 
l'aide  de  Hercules,  et  ne  aiguillonnoit  ses  boeufz,  et  ne  met- 
toit  la  main  pour  soublever  les  roues.  Dequoy  vous  servira 
icy  faire  testament?  Car,  ou  nous  évaderons  ce  dangier,  ou 
nous  serons  nayez.  Si  évadons,  il  ne  vous  servira  de  rien.  Tes- 
tamens  ne  sont  valables  ne  auctorizez  sinon  par  mort  des 
testateurs.  Si  sommes  nayez,  ne  nayera  il  pas  comme  nous? 
Qui  le  portera  aux  exécuteurs  ? 

—  Quelque  bonne  vague,  respondit  Panurge,  le  jectera  à 
bourt  comme  feist  Ulyxes;  et  quelque  fille  de  Roj',  allant  à 
l'esbat  sur  le  serain,  le  rencontrera,  puis  le  fera  tresbien  exé- 
cuter, et  près  le  rivage  me  fera  ériger  quelquemagnificque  céno- 
taphe, comme  fit  Didio  à  son  mary  Sychée;  iEnéas,  à  Déi- 
phobus,  sus  le  rivage  de  Troie,  prés  Rhoete;  Andromache,  à 
Hector,  en  la  cité  de  Buttrot;  Aristoteles,  à  Hermias  et  Eu- 
bulus;  les  Athéniens,  au  poëte  Euripides;  les  Romains,  à 
Drusus  en  Germanie,  et  à  Alexandre  Severe,  leur  empereur. 


PANTAGRUEL  87 

en  Gaulle;  Argentier,  à  Callaischre;  Xenocrite,  à  Lysidices; 
Timares,  à  son  filz  Theleutagores  ;  Eupolices  et  Aristodice,  à 
leur  filz  Théotimc;  Oneste,  à  Timocles;  Callimache,  à  Sopo- 
lis,  filz  de  Dioclides;  Catulle,  à  son  frère;  Statius,  à  son  père; 
Germain  de  Brie,  à  Hervé,  le  nauchier  breton. 

—  Rcsves  tu?  dist  frcre  Jan.  Ayde  icy,  de  par  cinq  cens 
mille  millions  de  charretées  de  Diables,  ayde;  que  le  cancre 
te  puisse  venir  aux  moustaches,  et  troys  razes  de  anguou- 
nages  pour  te  faire  un  hault  de  chausse,  et  nouvelle  bra- 
guette !  Xostrenauf  est  elle  encarée?  Vertus  Dieu,  comment  la 
remolquerons  nous?  Que  tous  les  Diables  de  coup  de  mer 
voicy  !  Nous  n'eschapprons  jamais,  ou  je  me  donne  à  tous  les 
Diables.  » 

Alors  feut  ouye  une  piteuse  exclamation  de  Pantagruel, 
disant  à  haulte  voix  :  «  Seigneur  Dieu,  saulve  nous;  nous  péris- 
sons. Non  toutesfoys  adveigne  scelon  nos  affections,  mais  ta 
saincte  volunté  soit  faicte.  —  Dieu,  dist  Panurge,  et  la  benoiste 
Vierge  soient  avccques  nous  !  Holas,  holas  !  je  naye.  Bebe- 
bebous,  bebe,  bous,  bous.  In  manus.  Vray  Dieu,  envoyé  moy 
quelque  daulphin  pour  me  saulver  en  terre  comme  un  beau 
petit  Arion.  Je  sonneray  bien  de  la  harpe,  si  elle  n'est  desman- 
chee. 

—  Je  me  donne  à  tous  les  Diables,  dist  frère  Jan  (Dieu  soit 
avecques  nous,  disoit  Panurge  entre  les  dans),  si  je  descens 
là,  je  te  monstreray  par  évidence  que  tes  coudions  pendent 
au  cul  d'un  veau  coquart,  comart,  escorné.  Mgnan,  mgnan, 
mgnan  !  Viens  icy  nous  ayder,  grand  veau  pleurart,  de  par 
trente  millions  de  Diables  qui  te  saultent  au  corps  !  Viendras 
tu,  ô  veau  marin?  Fy,  qu'il  est  laid  le  pleurart  !  —  Vous  ne 
dictes  aultce  chose.  —  Ça,  joyeulx  Tirouoir  en  avant,  que  je 
vous  espluche  à  contrepoil.  Beatus  vir  qui  non  abiii.  Je  sçay 
tout  cecy  par  cœur.  Voyons  la  légende  de  monsieur  sainct 
Nicolas  : 

Hoyrida  tempestas  montem  turbavii  acutum. 


88  LIVRE    IV,     CHAPITRE    XXII 

Tempeste  feut  un  grand  fouetteur  d'escholiers  au  collège  de 
Montagu.  Si,  par  fouetter  paouvres  petitz  enfans,  escholiers 
innocens,  les  pédagogues  sont  damnez,  il  est,  sus  mon  hon- 
neur, en  la  roue  de  Ixion,  fouettant  le  chien  courtault  qui 
l'esbranle;  s'ilz  sont  par  enfans  innocens  fouetter  saulvez,  il 
doibt  estre  au  dessus  des...  » 


CHAPITRE  XXII 

FIN     DE    LA    TEMPESTE 

«  Terre,  terre,  s'escria  Pantagruel,  je  voy  terre  !  Enfans, 
couraige  de  brebis  !  Nous  ne  sommes  pas  loing  de  port.  Je 
voy  le  Ciel,  du  cousté  de  la  Transmontane,  qui  commence  s'es- 
parer.  Advisez  à  Siroch.  —  Couraige,  enfans,  dist  le  pilot,  le 
courant  est  refoncé.  Au  trinquet  de  gabie.  Inse,  inse.  Aux  bou- 
lingues  de  contremejane.  Le  cable  au  capestan.  Vire,  vire, 
vire.  La  main  à  l'insail.  Inse,  inse,  inse.  Plante  le  heaulme. 
Tiens  fort  à  guarant.  Pare  les  couetz.  Pare  les  escoutes.  Pare 
les  bohnes.  Amure  bâbord.  Le  heaulme  soubs  le  vent.  Casse 
escoute  de  tribord,  filz  de  putain.  (Tu  es  bien  aise,  homme  de 
bien,  dist  frère  Jan  au  matelot,  d'entendre  nouvelles  de  ta 
mère.)  Vien  du  lo  !  Prés  et  plain  !  Hault  la  barre.  (Haulte  est, 
respondoient  les  matelotz.)  Taille  vie;  le  cap  au  seuil!  Ma- 
lettes,  hau  !  que  l'on  coue  bonnette.  Inse,  inse.  —  C'est  bien 
dict  et  advisé,  disoit  frère  Jean.  Sus,  sus,  sus,  enfans,  diligen- 
tement.  Bon.  Inse,  inse.  —  A  poge.  —  C'est  bien  Jict  et  ad- 
visé. L'orage  me  semble  critiquer  et  finir  en  bonne  heiire. 
Loué  soit  Dieu  pourtant.  Nos  Diables  commencent  escam- 
per  dehinch.  —  Mole  !  —  C'est  bien  et  doctement  parlé. 
Mole,  mole  !  Icy,  de  par  Dieu,  gentil  Ponocrates,  puissant 


PANTAGRUEL  8g 

ribauld  !  Il  en  fera  qu'enfans  maies,  lo  paillard.  Eusthenes, 
guallant  homme,  au  trinquet  de  prore  !  —  Inse,  inse.  —  C'est 
bien  dict.  Inse  !  de  par  Dieu,  inse,  inse.  Je  n'en  daignerois 
rien  craindre,  car  le  jour  est  feriau.  Nau,  Nau,  Nau  !  —  Ces- 
tuy  Celeume,  dist  Epistemon,  n'est  hors  de  propous,  et  me 
plaist,  car  le  jour  est  feriau.  —  Inse,  inse,  bon  !  —  O  !  s'escria 
Epistemon,  je  vous  commande  tous  bien  espérer.  Je  voy 
ça  Castor  à  dextre.  —  Be  be  bous  bous  bous,  dist  Panurge, 
j'ay  grand  paour  que  soit  Hélène  la  paillarde.  —  C'est  vraye- 
ment,  respondit  Epistemon,  Mixarchahevas,  si  plus  te  plaist 
la  dénomination  des  Argives.  Haye,  haye,  je  voy  terre,  je  voy 
port,  je  voy  grand  nombre  de  gens  sus  le  havre.  Je  voy  du  feu 
sur  un  Obeliscolychnie.  —  Haye,  haye,  dist  le  pilot,  double 
le  cap  et  les  basses.  —  Doublé  est,  respondoient  les  matelotz. 
—  Elle  s'en  va,  dist  le  pilot  :  aussi  vont  celles  de  convoy. 
Ayde  au  bon  temps. 

—  Sainct  Jean,  dist  Panurge,  c'est  parlé  cela.  O  le  beau 
mot.  —  Mgna,  mgna,  mgna,  dist  frère  Jan,  situ  en  tastes 
goutte,  que  le  Diable  me  taste.  Entends  tu,  couillu  au  diable? 
Tenez,  nostre  amé,  plein  tanquart  du  fin  meilleur.  Apporte  les 
frizons,  hau,  GjTxinaste,  et  ce  grand  mastin  de  paste  Jambi- 
que,  ou  Jambonique,  ce  m'est  tout  un.  Guardez  de  donner  à 
travers. 

—  Couraige,  s'escria  Pantagruel;  couraige,  enfans.  Soyons 
courtoys.  Voyez  cy  prés  nostre  nauf  deux  lutz,  trois  flouins, 
cinq  chippes,  huict  volantaires,  quatre  gondoles,  et  six  fré- 
gates, par  les  bonnes  gens  de  ceste  prochaine  isle  envoyées  à 
nostre  secours.  Mais  qui  est  cestuy  Ucalegon  là  bas  qui  ainsi 
crie  et  se  desconforte?  Ne  tenoys  je  l'arbre  sceurement  des 
mains,  et  plus  droict  que  ne  f croient  deux  cens  gumenes?  — 
C'est,  respondit  frère  Jan,  le  pauvre  diable  de  Panurge,  qui  a 
fiebvre  de  veau.  Il  tremble  de  paour  quand  il  est  saoul. 

—  Si,  dist  Pantagruel,  paour  il  a  eu  durant  ce  Colle  horrible 
et  périlleux  Fortunal,  pourveu  qu'au  reste  il  se  feust  ever- 


QO  LIVRE    IV,     CHAPITRE    XXIII 

tué,  je  ne  l'en  estime  un  pelct  moins.  Car,  comme  craindre 
en  tout  heurt  est  indice  de  gros  et  lasche  cœur,  ainsi  comme 
faisoit  Agamemnon,  et  pour  ceste  cause  le  disoit  Achilles  en 
ses  reproches  ignominieusement  avoir  œilz  de  chien  et  cœur 
de  cerf,  aussi  ne  craindre,  quand  le  cas  est  evidentement 
redoutable,  est  signe  de  peu  ou  faulte  de  appréhension.  Ores, 
si  chose  est  en  ceste  vie  à  craindre,  après  l'offense  de  Dieu, 
je  ne  veulx  dire  que  soit  la  mort.  Je  ne  veulx  entrer  en  la  dis- 
pute de  Socrates  et  des  Academicques,  mort  n'estre  de  soy 
maulvaise,  mort  n'estre  de  soy  à  craindre.  Je  dis  ceste  espèce 
de  mort  par  naufraige  estre,  ou  rien  n'estre  à  craindre.  Car, 
comme  est  la  sentence  de  Homère,  chose  griefve,  abhorrente 
et  dénaturée  est  périr  en  mer.  De  faict,  ^î^néas,  en  la  tempeste 
de  laquelle  feut  le  convoy  de  ses  navires  près  Sicile  surprins, 
regretoit  n'estre  mort  de  la  main  du  fort  Diomedes,  et  disoit 
ceulx  estre  troys  et  quatre  foys  heureux  qui  estoient  morts 
en  la  conflagration  de  Troie.  Il  n'est  céans  mort  personne  : 
Dieu  servateur  en  soit  éternellement  loué.  !Mais  vrayement 
voicy  un  mesnage  assez  mal  en  ordre.  Bien.  Il  nous  fauldra 
reparer  ce  briz.  Guardez  que  ne  donnons  par  terre. 


CHAPITRE  XXIII 


COMMEKT, 
LA     TEMPESTE     FINIE,     PANURGE     FAICT     LE     BON     COMPAIGNON 


«  Ha,  ha,  s'escria  Panurge,  tout  va  bien.  L'oraige  est  passée. 
Je  vous  prie,  de  grâce,  que  je  descende  le  premier.  Je  vouldrois 
fort  aller  un  peu  à  mes  affaires.  Vous  aideray  je  encores  là. 
Baillez  que  je  \Tilonne  ceste  chorde.  J'ay  du  couraige  prou, 
voyre.  De  paour  bien  peu.  Baillez  ça,  mon  may.  Non,  non, 
pas  maille  de  craincte.  Vray  est  que  ceste  vague  decumane. 


PANTAGRUEL  ÛI 

/V  laquelle  donna  de  prorc  en  pouppe,  m'a  un  peu  l'artcrc  altéré. 
Y  —  Voile  bas  !  —  C'est  bien  dict.  Comment,  vous  ne  falotes 
\.  rien,  frère  Jan?  Est  il  bien  temps  de  boire  à  ceste  heure?  Que 
\  sçavons  nous  si  l'estafïier  de  sainct  Martin  nous  brasse  encores 
quelque  nouvelle  oraige?  Vous  iray  je  encores  ayder  de  là? 
Vertus  guoy,  je  me  repens  bien,  mais  c'est  à  tard,  que  n'ay 
suivy  la  doctrine  des  bons  Philosophes,  qui  disent  soy  pour- 
mener  prés  la  mer,  et  naviger  près  la  terre  estre  chose  moult 
sceure  et  délectable,  comme  aller  à  pied  quand  l'on  tient  son 
cheval  par  la  bride.  Ha,  ha,  ha,  par  Dieu,  tout  va  bien.  Vous 
aideray  je  encores  là?  Baillez  ça,  je  feray  bien  cela,  ou  le  Dia- 
ble y  sera. » 

Epistemon  avoit  une  main  toute  au  dedans  escorchée  et 
sanglante,  par  avoir  en  violence  grande  retenu  un  des  gume- 
nes,  et,  entendant  le  discours  de  Pantagruel,  dist  :  «  Croyez, 
seigneur,  que  j'ay  eu  de  paour  et  de  frayeur  non  moins  que 
Panurge.  Mais  quoy?  Je  ne  me  suys  espargné  au  secours.  Je 
consydere  que  si  vrayement  mourir  est  (comme  est)  de  néces- 
sité fatale  et  inévitable,  en  telle  ou  telle  heure,  en  telle  ou  telle 
façon  mourir  est  en  la  saincte  volunté  de  Dieu.  Pourtant,  icel- 
luy  fault  incessamment  implorer,  invocqucr,  prier,  requérir, 
suppHer.  Mais  là  ne  fault  faire  but  et  bournc  :  de  nostre  part, 
convient  pareillement  nous  évertuer,  et,  comme  dict  le  sainct 
Envoyé,  estre  cooperateurs  avecques  luy.  Vous  sçavez  que 
dist  C.  Flaminius,  consul,  lors  que,  par  l'astuce  de  Annibal, 
il  feut  resserré  prés  le  lac  de  Peruse  dict  Thrasymene.  «  En- 
fans,  dist  il  à  ses  soubdards,  d'icy  sortir  ne  vous  fault  espérer 
par  veuz  et  imploration  des  Dieux.  Par  force  et  vertus  il  nous 
convient  évader,  et  à  fil  d'espée  chemin  faire  par  le  mylieu 
des  ennemis.  «  Pareillement,  eu  Salluste,  l'ayde  (dist  M.  Por- 
tius  Cato)  des  Dieux  n'est  impetrée  par  veuz  ocieux,  par 
lamentations  muliebres.  En  veiglant,  travaillant,  soy  éver- 
tuant, toutes  choses  succèdent  à  soubhayt  et  bon  port.  Si,  en 
nécessité  et  dangicr,  est  l'homme  négligent,  eviré  et  paresseux, 


92  LIVRE    IV,    CHAPITRE    XXIV 

sans  propous  il  implore  les  Dieux.  Ils  sont  irritez  et  indignez, 

—  Je  me  donne  au  Diable,  dist  frère  Jan  j'en  suys  de  moi- 
tié, dist  Panurge),  si  le  clous  de  Seuillénc  fust  tout  vendangé 
et  destruict,  si  je  ne  eusse  que  chanté  Contra  hoslium  insidias 
(matière  de  bréviaire),  comme  faisoient  les  aultres  Diables  de 
moines,  sans  secourir  la  vigne  à  coups  de  baston  de  la  croix 
contre  les  pillars  de  Lemé. 

—  Vogue  la  gualere,  dist  Panurge,  tout  va  bien.  Frère 
Jan  ne  faict  rien  là.  Il  s'appelle  frère  Jan  faictncant,  et  me 
reguarde  icy  suant  et  travaillant  pour  ayder  à  ccstuy  home 
de  bien.  Matelot  premier  de  ce  nom.  Nostre  amé,  ho.  Deux 
motz,  mais  que  je  ne  vous  fasche.  De  quante  espesseur  sont 
les  ais  de  ccste  nauf  ?  —  Elles  sont,  respondit  le  pilot,  de  deux 
bons  doigts  espesses,  n'ayez  paour.  —  Vertus  Dieu,  dist 
Panurge,  nous  sommes  doncques  continuellement  à  deux 
doigtz  près  de  la  mort.  Est  ce  cy  une  des  neuf  joyes  de 

j      mariage?  Ha,  nostre  aine,  vous  faictes  bien,  mesurant  le  péril 

V      '      à  l'aulne  de  paour.  Je  n'en  ay  poinct,  quant  est  de  moy,  je 

m'appelle  Guillaume  sans  paour.  De  couraige.  tant  et  plus. 

\     Je  ne  entends  couraige  de  brebis;  je  diz  couraige  de  loup, 

'     asceurance  de  meurtrier.  Et  ne  crains  rien  que  les  dangiers.  » 


CHAPITRE  XXIV 

COMMENT,    PAR    FRERE    JAN,    PANURGE    EST    DECLAIRÉ    AVOIR    EU 
PEUR    SAKS     CAUSE     DURANT     L'oRAIGE 


«  Bon  jour,  messieurs,  dist  Panurge,  bon  jour  trestous. 
Vous  vous  portez  bien  trestous.  Dieu  mercy,  et  vous?  Vous 
soyez  les  bien  et  à  propous  venuz.  Descendons.  Hespailliers, 
hau,  jectez  le  pontal  :  approche  cestuy  esquif.  Vous  ayderay 
je  encores  là?  Je  suis  allouvy  et  affamé  de  bien  faire  et  tra- 


PANTAGRUEL  93 

vailler,  comme  quatre  bœufz.  Vrayement  voycy  un  beau 
lieu,  et  bonnes  gens.  Enfans,  avez  vous  encores  affaires  de 
mon  ayde?  N'espargnez  la  sueur  de  mon  corps,  pour  l'amour 
de  Dieu.  Adam,  c'est  l'home,  nasquit  pour  labourer  et  tra- 
vailler, comme  l'oyseau  pour  voler.  Nostre  Seigneur  veult, 
entendez  vous  bien?  que  nous  mangeons  nostre  pain  en  la 
sueur  de  nos  corps,  non  pas  rien  ne  faisans,  comme  ce  penail- 
lon  de  moine  que  voyez,  frexa  Jan,  qui  boyt,  et  meurt  de 
paour.  Voycy  beau  temps.  A  ceste  heure  congnois  je  la  res- 
ponse  de  Anacharsis  le  noble  philosophe  estre  véritable  et 
bien  en  raison  fondée,  quand  il,  interrogé  quelle  navire  luy 
sembloit  la  plus  sceure,  respondit  :  Celle  qui  seroit  on  port. 

—  Encores  mieulx,  dist  Pantagruel,  quand  il,  interrogé 
des  quelz  plus  grand  estoit  le  nombre,  des  mors  ou  des  vivans, 
demanda  :  Entre  les  quelz  comptez  vous  ceux  qui  naviguent 
sus  mer  ?  Subtilement  signifiant  que  ceulx  qui  sus  mer  navi- 
gent,  tant  près  sont  du  continuel  dangier  de  mort  qu'ilz  vivent 
mourans,  et  mourent  vivons.  Ainsi  Portius  Cato  disoit  de 
troys  choses  seulement  soy  repentir.  Sçavoir  est  s'il  avoit 
jamais  son  secret  à  femme  révélé;  si  en  oisyveté  jamais  avoir 
un  jour  passé,  et  si  par  mer  il  avoit  peregriné  en  lieu  aultre- 
ment  accessible  par  terre. 

—  Par  le  digne  froc  que  je  porte,  dist  frère  Jan  à  Panurge, 
couillon  mon  amy,  durant  la  tempeste  tu  as  eu  paour  sans 
cause  et  sans  raison.  Car  tes  destinées  fatales  ne  sont  à  périr 
en  eau.  Tu  seras  hault  en  l'air  certainement  pendu,  ou  bruslé 
guaillard  comme  un  père.  Seigneur,  voulez  vous  un  bon  gua- 
ban  contre  la  pluie  ?  Laissez  moy  ces  manteaulx  de  Loup  et  de 
Bedouault.  Faites  escorcher  Panurge,  et  de  sa  peau  couvrez 
vous.  N'approchez  pas  du  feu,  et  ne  passez  par  davant  les 
forges  des  mareschaulx,  de  par  Dieu  :  en  un  moment,  vous  la 
voyriez  en  cendres;  mais  à  la  pluie  exposez  vous  tant  que 
vouldrez,  à  la  neige  et  à  la  gresle.  Voire,  par  Dieu,  jectez  vous 
au  plonge  dedans  le  profond  de  l'eau,  ja  ne  serez  pourtant 


Q^  LIVRE    IV,     CHAPITRE    XXV 

mouillé.  Faictez  en  bottes  d'hyver,  jamais  ne  prendront  eau. 
Faitez  en  des  nasses  pour  apprendre  les  jeunes  gens  à  naiger  : 
ilz  apprendront  sans  dangier. 

—  Sa  peau  doncques,  dist  Pantagruel,  seroit  comme  l'herbe 
dicte  Cheveu  de  Venus,  laquelle  jamais  n'est  mouillée,  ne 
remoytie,  tous  jours  est  seiche,  encores  qu'elle  feust  au  pro- 
fond de  l'eau  tant  que  vouldrez  :  pouitant,  est  dicte  Adiantos. 

—  Panurge,  mon  amy,  dist  frère  Jan,  n'aye  jamais  paour 
de  l'eau,  je  t'en  prie.  Par  élément  contraire  sera  ta  vie  ter- 
minée. —  Voire,  respondit  Panurge;  mais  les  cuisiniers  des 
Diables  resvent  quelque  foys,  et  errent  en  leur  ofi&ce  :  et  met- 
tent souvent  bouillir  ce  qu'on  destinoit  pour  roustir;  comme, 
en  la  cuisine  de  céans,  les  maistres  Queux  souvent  lardent 
Perdris,  Ramiers  et  Bizets,  en  intention  (comme  est  vray 
semblable)  de  les  mettre  roustir.  Advient  toutes  foys  que  les 
Perdris  aux  choux,  les  ramiers  aux  pourreaulx,  et  les  bizets 
ilz  mettent  bouillir  auxnaveaulx. 

«  Escoutez,  beaulx  amis  :  Je  proteste  davanl  la  noble  com- 
paignie  que,  de  la  chapelle  vouée  à  monsieur  S.  Nicolas  entre 
Quande  et  Monssoreau,  j'entends  que  sera  une  chappelle 
d'eau  rose,  en  laquelle  ne  paistra  vache  ne  veau;  car  je  la 
jetteray  au  fond  de  l'eau.  — Voylà,  dist  Eusthenes,  le  gual- 
lant.  Voylà  le  guallant,  guallant  et  demy  !  C'est  vérifié  le,)  \ 

proverbe  Lombardique  :  •  ;  '       ■'^  .  K^ 

Passato  el  pericolo,  gàbbato  el  santo.  iV  ^^ ^j^ > 


^^;-    yi 


CHAPITRE  XXV 


COMMENT,     APRÈS     LA    TEMPESTE,     PANTAGRUEL    DESCENDIT 
ES    ISLES     DES     MACR.CONS 


Sus  l'instant  nous  descendismes  au  port  d'une  isle  laquelle 
on  nommoit  l'isle  des  Macraeons.  Les  bonnes  gens  du  lieu  nous 


PANTAGRUEL  95 

repceurent  honorablement.  Un  vieil  Macrobe  (ainsi  nom- 
moient  ilz  leur  maistrc  eschevin)  voiiloit  mener  Pantagruel 
en  la  maison  commune  de  la  ville,  pour  soy  rofraischir  à  son 
aise,  et  prandre  sa  réfection.  Mais  il  ne  voulut  partir  du  mole 
que  tous  ses  gens  ne  feussent  en  terre.  Après  les  avoir  recon- 
gncuz,  commenda  chascun  estrc  mué  de  vestemens,  et  toutes 
les  munitions  des  naufz  estre  en  terre  exposées,  à  ce  que 
toutes  les  chormes  feissent  chère  lie.  Ce  que  feut  incontinent 
faict.  Et  Dieu  sçayt  comment  il  y  eut  beu  et  guallc.  Tout 
le  peuple  du  lieu  apportoit  vivres  en  abondance.  Les  Panta- 
gruelistes  leurs  en  donnoient  d'adventaigo.  Vray  est  que  leurs 
provisions  estoient  aulcunement  endommagées  par  la  tem- 
peste  précédente.  Le  repas  finy,  Pantagruel  pria  un  chascun 
soy  mettre  en  office  et  debvoir  pour  reparer  le  briz.  Ce  que 
feirent  et  de  bon  hayt.  La  réparation  leur  estoit  facile,  parce 
que  tout  le  peuple  de  l'isle  estoient  charpentiers,  et  tous 
artizanz  telz  que  voyez  en  l'arsenac  de  Venise  ;  et  l'isle  grande 
seulement  estoit  habitée  en  trois  portz  et  dix  parœces  :  le 
reste  estoit  boys  de  haulte  fustaye,  et  désert  comme  si  feust 
la  forest  de  Ardeine. 

A  nostre  instance,  le  vieil  Macrobe  monstra  ce  que  estoit 
spectable  et  insigne  en  l'isle.  Et,  par  la  forest  umbrageuse  et 
déserte,  descouvrit  plusieurs  vieulx  temples  ruinez,  plusieurs 
obelisces,  pyramides,  monumens  et  sepulchres  antiques, 
avecques  inscriptions  et  epitaphes  divers.  Les  uns  en  lettres 
Hieroglyphicques,  les  aultres  en  languaigc  lonicque,  les  aul- 
tres  en  langue  Arabicque,  Agarene,  Sclavonicquc,  et  aultres. 
Des  quelz  Epistemon  fit  extraict  curieusement.  Ce  pendent 
Panurge  dist  à  frère  Jan  :  «  Icy  est  l'isle  des  Macraeons. 
Macraeon,  en  grec,  signifie  vieillart,  home  qui  a  des  ans  beau- 
coup. 

—  Que  veulx  tu,  dist  frère  Jan,  que  j'en  face?  Veulx  tu  que 
je  m'en  defface?  Je  n'estoys  mie  on  pays  lors  que  ainsi  feut 
baptisée. 


96  LIVRE    IV,     CHAPITRE    XXVI 

—  A  propous,  respondit  Panurge,  je  croy  que  le  nom  de 
maquerelle  en  est  extraict.  Car  maquerellaige  ne  compete 
que  aux  vieilles  :  aux  jeunes  compete  culletaige.  Pourtant 
scroit  ce  à  penser  que  icy  feust  l'isle  Maquerelle,  original  et 
prototype  de  celle  qui  est  à  Paris.  Allons  pescher  des  huytres 
en  escalle.  » 

Le  vieil  Macrobe,  en  languaige  lonicque,  demandoit  à  Pan- 
tagruel comment  et  par  quelle  industrie  et  labeur  estoit 
abourdé  à  leur  port  celle  journée,  en  laquelle  avoit  esté  trou- 
blement  de  l'air,  et  tem peste  de  mer  tant  horrificque.  Panta- 
gruel luy  respondit  que  le  hault  Servateur  avoit  eu  esguard  à 
la  simplicité  et  syncere  affection  de  ses  gens,  les  quelz  ne 
voyageoient  pour  guain  ne  traficque  de  marchandise.  Une  et 
seule  cause  les  avoit  en  mer  mis,  sçavoir  est  studieux  désir  de 
veoir,  apprendre,  congnoistre,  visiter  l'oracle  de  Bacbuc,  et 
avoir  le  mot  de  la  Bouteille,  sus  quelques  difficultez  proposées 
par  quelqu'un  de  la  compaignie.  Toutesfoys  ce  ne  avoit  esté 
sans  grande  affliction  et  dangier  évident  de  naufraige.  Puis 
luy  demanda  quelle  cause  luy  sembloit  estre  de  cestuy  espou- 
vantable  fortunal,  et  si  les  mers  adjacentes  d'icelle  isle 
estoient  ainsi  ordinairement  subjectes  à  tempestes,  comme, 
en  la  mer  Océane,  sont  les  Ratz  de  Sanmaieu,  Maumusson,  et, 
en  la  mer  ^lediterranée,  le  gouffre  de  Satalie,  Montargentan , 
Plombin,  Capo  Melio  en  Laconie,  l'estroict  de  Gilbathar,  le 
far  de  Messine,  et  aultres. 


CHAPITRE  XXVl 

COMMENT  LE  BON    MACROBE   R.^CONTE   A  PANTAGRUEL  LE   MANOIR 
ET     DISCESSION     DES     HEROES 

Adoncques  respondit  le  bon  Macrobe  :  «  Amys  peregrins, 
icy  est  une  des  isles  Sporades,  non  de  vos  Sporades  qui  sont 


PANTAGRUEL  97 

en  la  mer  Carpathic,  mais  des  Sporades  de  l'Océan  :  jadis 
riche,  fréquente,  opulente,  marchande,  populeuse,  et  subjecte 
au  dominateur  de  Bretaigne.  Maintenant,  par  laps  de  temps 
et  sus  la  declination  du  monde,  paouvre  et  déserte  comme 
voyez. 

«  En  ceste  obscure  forest  que  voyez,  longue  et  ample  plus 
de  soixante  et  dixhuict  mille  parasanges,  est  l'habitation  des 
Démons  et  Heroes,  les  quelz  sont  devenuz  vieulx,  et  croyons, 
plus  ne  luysant  le  comète  présentement,  lequel  nous  appa- 
rent par  trois  entiers  jours  precedens,  que  hier  en  soit  mort 
quelqu'un,  du  trespas  duquel  soyt  excitée  celle  horrible  tem- 
peste  que  avez  paty  :  car,  eulx  vivens,  tout  bien  abonde  en  ce 
lieu  et  aultres  isles  voisines,  et,  en  mer,  est  bonache  et  séré- 
nité continuelle.  Au  trespas  d'un  chascun  d'iceulx,  ordinai- 
rement ayons  nous  par  la  forest  grandes  et  pitoyables  lamen- 
tations, et  voyons  en  terre  pestes,  vimeres  et  afflictions;  en 
l'air,  troublemens  et  ténèbres;  en  mer,  tempeste  et  fortunal. 

—  Il  y  a,  dist  Pantagruel,  de  l'apparence  en  ce  que  dictes. 
Car,  comme  la  torche  ou  la  chandelle,  tout  le  temps  qu'elle 
est  vivente  et  ardente,  luist  es  assistans,  esclairetout  autour, 
délecte  un  chascun,  et  à  chascim  expose  son  service  et  sa 
clarté,  ne  faict  mal  ne  desplaisir  à  personne;  sus  l'instant 
qu'elle  est  extaincte,  par  sa  fumée  et  evaporation  elle  infec- 
tionne  l'air,  elle  nuist  es  assistans,  et  à  un  chascun  desplaist. 
Ainsi  est  il  de  ces  âmes  nobles  et  insignes.  Tout  le  temps 
qu'elles  habitent  leurs  corps,  est  leur  demeure  pacificque, 
utile,  délectable,  honorable;  sus  l'heure  de  leur  discession 
communément  adviennent  par  les  isles  et  continens  grands 
tremblemens  en  l'air,  ténèbres,  fouldres,  gresles;  en  terre, 
concussions,  tremblemens,  estonnemens  :  en  mer,  fortunal  et 
tempeste,  avec  lamentations  des  peuples,  mutations  des 
religions,  transports  des  Royaulmes,  et  eversions  des  Repu- 
bUcques. 

—  Nous,  dist  Epistemon,  en  avons  naguieres  veu  l'expe- 

T.  II.  7 


gS  I.IVKE    IV,     CHAPITRE    XXVI 

rience  on  deces  du  preux  et  docte  chevalier  Guillaume  du 
Bellay,  lequel  vivant,  France  estoit  en  telle  félicité  que  tout 
le  monde  avoit  sus  elle  envie,  tout  le  monde  se  rallioit,  tout 
le  monde  la  redoubtoit.  Soubdain  après  son  trespas,  elle  a  esté 
en  mespris  de  tout  le  monde  bien  longuement. 

—  Ainsi,  dist  Pantagruel,  mort  Anchise  à  Drepani  en  Sicile, 
la  tempeste  donna  terrible  vexasion  à  ^Enéas.  C'est  par  adven- 
ture  la  cause  pourquoy  Herodes,  le  tyrant  et  cruel  roy  de 
Judée,  soy  voyant  prés  de  mort  horrible  et  espovantable  en 
nature  (car  il  mourut  d'une  Phthiriasis,  mangé  des  verms  et 
des  poulx,  comme  paravant  estoient  morts  L.  Sylla,  Phere- 
tydes  S^Tien,  précepteur  de  Pythagoras,  le  poëte  Gregeoys 
Alcman  et  aultres),  et  prévoyant  qu'à  sa  mort  les  Juifz 
feroient  feuz  de  joye,  feist  en  son  Serrail,  de  toutes  les  villes, 
bourguades,  et  chasteaulx  de  Judée,  tous  les  nobles  et  magis- 
tratz  convenir,  soubs  couleur  et  occasion  fraudulente  de 
leurs  vouloir  choses  d'importance  communicquer,  pour  le 
régime  et  tuition  de  la  province.  Iceulx  venuz  et  comparens 
en  personnes  feist  en  l'hippodrome  du  Serrail  reserrer.  Puys 
dist  à  sa  sœur  Salomé,  et  à  son  mary  Alexandre  :  «  Je  suis 
asceuré  que  de  ma  mort  les  Juifz  se  esjouiront;  mais,  si 
entendre  voulez  et  exécuter  ce  que  vous  diray,  mes  exeques 
seront  honorables,  et  y  sera  lamentation  publicque.  Sus 
l'instant  que  seray  trespassé,  faictez,  par  les  archiers  de  ma 
guarde,  es  quelz  j'en  ay  expiess  commission  donné,  tuer  tous 
ces  nobles  et  magistratz  qui  sont  céans  reserrés.  Ainsi  faisans, 
toute  Judée  maulgré  soy  en  dueil  et  lamentation  sera,  et 
semblera  es  estrangiers  que  ce  soit  à  cause  de  mon  trespas, 
comme  si  quelque  ame  héroïque  feust  decedée.  » 

«Autant  en  afïectoit  un  désespéré  tyran,  quand  il  dist  : 
«  Moy  mourant,  la  terre  soyt  avecques  le  feu  meslée;  »  c'est 
à  dire  périsse  tout  le  monde.  Lequel  mot  Néron  le  truant 
changea,  disant  :  «  I\Ioy  vivant,  »  corrnne  atteste  Suétone. 
Geste  détestable  parole,  de  laquelle  parlent  Cicero,  lib.  III, 


PANTAGRUEL  99 

de  Finibus,  et  Seneque,  lib.  II,  de  Clémence,  est  par  Dion 
Nicseus  et  Suidas  attribuée  à  l'empereur  Tibère.  » 


CHAPITRE  XXVII 

COMMENT    PANTAGRUEL    RAISONNE    SUR    LA     DISCESSION 

DES     AMES     HEROÏQUES 

ET   DES   PRODIGES   HORRIFICQUES    QUI  PRECEDERENT  LE   TRESPAS 

DU    FEU    SEIGNEUR    DE    LANGEY 


«  Je  ne  vouldrois  (dist  Pantagruel  continuant)  n'avoir 
pati  la  tormente  marine  laquelle  tant  nous  a  vexez  et  tra- 
vaillez, pour  non  entendre  ce  que  nous  dict  ce  bon  Macrobe. 
Encores  suys  je  facilement  induict  à  croyre  ce  qu'il  nous  a 
dict  du  comète  veu  en  l'air  par  certains  jours  precedens  telle 
dicession.  Car  aulcunes  telles  âmes  tant  son  nobles,  précieuses 
et  heroïcques,  que,  de  leur  deslogeraent  et  trespas,  nous  est 
certains  jours  davant  donnée  signification  des  cieulx.  Et, 
comme  le  prudent  medicin,  voyant  par  les  signes  pronosticz 
son  malade  entrer  en  decours  de  mort,  par  quelques  jours 
davant  advertist  les  femme,  enfans,  parens  et  amis,  du  deces 
imminent  du  mary,  père,  ou  prochain,  afïïn  qu'en  ce  reste  de 
temps  qu'il  a  de  vivre  ilz  l'admonnestent  donner  ordre  à  sa 
maison,  exhorter  et  benistre  ses  enfans,  recommander  la 
viduité  de  sa  femme,  declaii'cr  ce  qu'il  sçaura  estre  néces- 
saire à  l'entretenement  des  pupilles,  et  ne  soyt  de  mort  sur- 
prins  sans  tester  et  ordonner  de  son  ame  et  de  sa  maison  : 
semblablement  les  cieulx  bénévoles,  comme  joyeulx  de  la 
nouvelle  réception  de  ces  béates  âmes,  avant  leur  deces  sem- 
blent faire  feuz  de  joye  par  telz  comètes  et  apparitions 
météores.  Les  quelles  veulent  les  cieulx  estre  aux  humains 
pour  pronostic  certain  et  veridicque  prédiction  que,  dedans 


lOO  LIVRE    IV,    CHAPITRE    XXVII 

peu  de  jours,  telles  vénérables  âmes  laisseront  leurs  corps  et 
la  terre. 

«  Ne  plus  ne  moins  que  jadis,  en  Athènes,  les  juges  Aréopa- 
gites,  ballotans  pour  le  jugement  des  criminelz  prisonniers; 
usoient  de  certaines  notes  scelon  la  variété  des  sentences: 
par  0  signifians  condemnation  à  mort;  par  T,  absolution; 
par  A,  ampliation  :  sçavoir  est  quand  le  cas  n'estoit  encores 
liquidé.  Icelles,  publiquement  exposées,  houstoient  d'esmoy 
et  pensement  les  parens,  amis  et  aultres,  curieulx  d'entendre 
quelle  seroit  l'issue  et  jugement  des  malfaicteurs  detenuz  en 
prison.  Ainsi,  par  telz  comètes,  comme  par  notes  etherées, 
disent  les  cieulx  tacitement  :  Hommes  mortelz,  si  de  cestes 
hemreuses  âmes  voulez  chose  aulcune  sçavoir,  apprandre, 
entendre,  congnoistre,  prévoir,  touchant  le  bien  et  utilité 
publicque  ou  privée,  faitez  diligence  de  vous  représenter  à 
elles,  et  d'elles  response  avoir;  car  la  fin  et  catastrophe  de  la 
comœdie  approche.  Icelle  passée,  en  vain  vous  les  regretterez, 

«  Font  d'adventaige.  C'est  que,  pour  declairer  la  terre  et 
gens  terriens  n'estre  dignes  de  la  présence,  compaignie  et 
fruition  de  telles  insignes  âmes,  Festonnent  et  espovantent 
par  prodiges,  portentes,  monstres,  et  aultres  precedens  signes 
formez  contre  tout  oidre  de  nature.  Ce  que  veismes  plusieurs 
jours  avant  le  département  de  celle  tant  illustre,  généreuse  et 
héroïque  ame  du  docte  et  preux  chevalier  de  Langey,  duquel 
vous  avez  parlé. 

—  Il  m'en  souvient,  dist  Epistemon,  et  encores  me  fris- 
sonne et  tremble  le  cœur  dedans  sa  capsule,  quand  je  pense 
es  prodiges  tant  divers  et  horrificques  lesquelz  vismes  aper- 
tement  cinq  et  six  joms  avant  son  départ.  De  mode  que  les 
seigneurs  de  Assier,  Chemant,  Mailly  le  borgne,  Sainct  Ayl, 
Villeneufve  la  Guyart,  maistre  Gabriel  medicin  de  Savillan, 
Rabelays,  Cohuau,  Massuau,  Maiorici,  Bullou,  Cercu  dit 
Bourguemaistre,  François  Proust,  Ferron,  Charles  Girard, 
François  Bourré,  et  tant  d'aultres,  amys,  domesticques  et 


PANTAGRUEL  lOI 

serviteurs  du  defunct,  tous  effrayez,  se  regardoient  les  uns 
les  aultres  en  silence,  sans  mot  dire  de  bouche,  mais  bien  tous 
pensans  et  prevoyans  en  leurs  entendcmens  que  de  brief 
seroit  France  privée  d'un  tant  perfaict  et  nécessaire  chevalier 
à  sa  gloire  et  protection,  et  que  les  cieulx  le  repetoient  comme 
à  eulx  deu  par  propriété  naturelle. 

—  Huppe  de  froc,  dist  frère  Jan,  je  veulx  devenir  clerc  sus 
mes  vieulx  jours.  J'ay  assez  belle  entendouoire,  voire.  Je  vous 
demande  en  demandant,  comme  le  roy  à  son  sergent,  et  la 
Royne  à  son  enfant  :  Ces  Heroes  icy  et  Semidieux  des  quelz 
avez  parlé  peuvent  ilz  par  mort  finir?  Par  nettre  dene,  je 
pensoys  en  pensaroys  qu'ilz  fussent  immortelz,  comme 
beaulx  anges.  Dieu  me  le  veueille  pardonner.  Mais  ce  reveren- 
dissime  Macrobe  dict  qu'ilz  meurent  finablement. 

—  Non  tous,  respondit  Pantagruel.  Les  Stoïciens  les  disoient 
tous  estre  mortelz,  un  excepté,  qui  seul  est  immortel,  impas- 
sible, invisible. 

«  Pindarus  apertement  dict  es  déesses  Hamadryades  plus 
de  fil,  c'est  à  dire  plus  de  vie  n'estre  fille  de  la  quenoille  et 
fillasse  des  Destinées  et  Parces  iniques  que  es  arbres  par  elles 
conservées.  Ce  sont  chesnes,  des  quelz  elles  nasquirent  scelon 
l'opinion  de  Callimachus,  et  de  Pausanias,  in  Phoci.  Es  quelz 
consent  Martianus  Capella.  Quant  aux  Semidieux,  Panes, 
Satyres,  SyJvains,  Folletz,  ^gipanes.  Nymphes,  Heroes  et 
Démons,  plusieurs  ont,  par  la  somme  totale  résultante  des 
aages  divers  supputez  par  Hésiode,  compté  leurs  vies  estre  de 
9,720  ans  :  nombre  composé  de  unité  passante  en  quadrinité, 
et  la  quadrinité  entière  quatre  foys  en  soy  doublée,  puys  le 
tout  cinq  fois  multiplié  par  soUdes  triangles.  Voyez  Plutarche 
on  livre  de  la  Cessation  des  oracles. 

—  Cela,  dist  Irere  Jan,  n'est  point  matière  de  bréviaire. 
Je  n'en  croy  si  non  ce  que  vous  plaira.  —  Je  croy,  dist  Panta- 
gruel, que  toutes  âmes  intellecLives  sont  exemptes  des 
cizeaulx   de    Atropos.    Toutes   sont    immortelles    :    Anges, 


I02  LIVRE    IV,     CHAPITRE    XXVIII 

Démons  et  Humaines.  Je  vous  diray  toutes  foys  une  histoire 
bien  estrange,  mais  escripte  et  asceurée  par  plusieurs  doctes 
et  sçavans  historiographes,  à  ce  propous.  » 


CHAPITRE  XXVHI 

COMMENT    PANTAGRUEL    RACONTE     UNE    PITOYABLE     HISTOIRE 
TOUCHANT     LE     TRESPAS     DES     HEROES 


«  Epitherscs,  père  de  iEmiUan  rhéteur,  naviguant  de  Grèce 
en  Itahe  dedans  une  nauf  chargée  de  diverses  marchandises 
et  plusieurs  voyagiers,  sus  le  soir,  cessant  le  vent  auprès  des 
isles  Echinades,  les  quelles  sont  entre  la  Morée  et  Tunis,  feut 
leur  nauf  portée  près  de  Paxes.  Estant  là  abourdée,  aulcuns 
des  voyagiers  dormans,  aultres  veiglans,  aultres  beuvans,  et 
souppans,  feut  de  l'isle  de  Paxes  ouie  une  voix  de  quelqu'un 
qui  haultement  appeloit  Thamoim.  Auquel  cry  tous  feurent 
espovantez.  Cestuy  Thamous  estoit  leur  pilot  natif  de  ^Egypte, 
mais  non  connu  de  nom,  fors  à  quelques  uns  des  voyagiers, 
Fut  secondement  ouie  ceste  voix  :  laquelle  appelloit  Tha- 
moiin  en  cris  horrificques.  Personne  ne  respondent,  mais  tous 
restans  en  silence  et  trépidation,  en  tierce  foys  ceste  voix  fut 
ouie  plus  terrible  que  davant.  Dont  advint  que  Thamous 
respondit  :  «  Je  suis  icy,  que  me  demande  tu?  que  veulx  tu 
que  je  face?  »  Lors  feut  icelle  voix  plus  haultement  ouie,  luy 
disant  et  commandant,  quand  il  seroit  en  Palodes,  publier  et 
dire  que  Pan  le  grand  dieu  estoit  mort. 

«  Ceste  parolle  entendue ,  disoyt  Epitherses  tous  les  nauchiers 
et  voyaigiers  s'estre  esbahiz  et  grandement  effrayés  :  et  entre 
eulx  dehberans  quel  seroit  meilleur  ou  taire  ou  publier  ce  que 
avoit  esté  commandé,  dist  Thamous  sou  advis  eslre,  advenant 


PANTAGRUEL  I03 

que  lors  ilz  eussent  vent  en  pouppc,  passer  oultre  sans  mot  dire  ; 
advcnent  qu'il  feust  calme  en  mer,  signifier  ce  qu'il  avoit  ouy. 
Quand  doncques  furent  prés  Palodes  advint  qu'ilz  n'eurent  ne 
vent  ne  courant.  Adoncques  Thamous  montant  en  propre,  et 
en  terre  projectant  sa  veuc,  dist,  ainsi  que  luy  estoit  com- 
mandé, que  Pan  le  grand  estoit  mort.  Il  n 'avoit  encores 
achevé  le  dernier  mot  quand  feurent  entenduz  grands  sous- 
pirs,  grandes  lamentations  et  effroiz  en  terre,  non  d'une  per- 
sonne seule,  mais  de  plusieurs  ensemble.  Cestc  nouvelle  (parce 
que  plusieurs  avoient  esté  presens)  feut  bien  toust  divulguée 
en  Rome.  Et  envoya  Tibère  Caesar,  lors  empereur  en  Rome, 
quérir  cestuy  Thamous.  Et,  l'avoir  entendu  parler,  adjousta 
foy  à  ses  paroUes.  Et  se  guementant  es  gens  doctes  qui  pour 
lors  estoient  en  sa  court  et  en  Rome  en  bon  nombre,  qui  estoit 
cestuy  Pan,  trouva  par  leur  raport  qu'il  avoit  esté  filz  deîMcr- 
cure  et  de  Pénélope.  Ainsi  au  paravant  l'avoient  escript  Héro- 
dote, et  Ciceron  on  tiers  hvre  De  la  Nature  des  dieux.  Toutes- 
foys  je  le  interpretcroys  de  celluy  grand  Servateur  des  fidèles, 
qui  feut  en  Judée  ignominieusement  occis  par  l'envie  et  ini- 
quité des  Pontifes,  docteurs,  prebstres  et  moines  de  la  loy 
Mosaïcque.  Et  ne  me  semble  l'interprétation  abhorrente  : 
car  à  bon  droict  peut  il  estre  en  languaige  Gregoys  dict  Pan, 
veu  que  il  est  le  nostre  Tout,  tout  ce  que  sommes,  tout  ce  que 
vivons,  tout  ce  que  avons,  tout  ce  que  espérons  est  luy,  en 
luy,  de  luy,  par  luy.  C'est  le  bon  Pan,  le  grand  pasteur,  qui, 
comme  atteste  le  bergier  passionné  Corydon,  non  seulement 
a  en  amour  et  affection  ses  brebis,  mais  aussi  ses  bergiers.  A 
la  mort  duquel  feurent  plaincts,  souspirs,  effroys  et  lamen- 
tations en  toute  la  machine  de  l'Univers  cieulx,  terre,  mer, 
enfers.  A  ceste  miene  interprétation  compete  le  temps,  car 
cestuy  tresbon,  tresgrand  Pan,  nostre  unique  Servateur, 
mourut  lez  Hierusalem,  régnant  en  Rome  Tibère  Caesar.  » 

Pantagruel,  ce  propos  finy,  resta  en  silence  et  profonde 
contemplation.  Peu  de  temps  après,  nous  veismes  les  larmes 


I04  LIVRE    IV,     CHAPITRE    XXIX 

decouller  de  ses  œilz  grosses  comme  œufz  de  Austruche.  Je 
me  demie  à  Dieu,  si  j'en  mens  d'un  seul  mot. 


CHAPITRE  XXIX 

COMMENT  PANTAGRUEL  PASSA  L'ISLE  DE  TAPINOIS,   EN  LAQUELLE 
REGNOIT     QUARESMEPRENANT 


Les  naufz  du  joyeuix  convoy  refaictes  et  réparées,  les  vie-' 
tuailles  refraichiz,  les  Macraeons  plus  que  contens  et  satis- 
faicts  de  la  despense  que  y  avoit  faict  Pantagruel,  nos  gens 
plus  joyeuix  que  de  coustume,  au  jour  subséquent  feut  voile 
faicte  au  serain  et  délicieux  Aguyon,  en  grande  alaigresse. 
Sus  le  liault  du  jour  feut,  par  Xenomanes,  monstre  de  loing 
l'isle  de  Tapinois,  en  laquelle  regnoit  Quaresmeprenant, 
duquel  Pantagruel  avoit  aultre  foys  ouy  parler,  et  l'eust 
voluntiers  veu  en  personne,  ne  feut  que  Xenomanes  l'en 
descouraigea,  tant  pour  le  grand  destour  du  chemin  que 
pour  le  maigre  passetemps  qu'il  dist  estre  en  toute  l'isle  et 
court  du  Seigneur.  «  Vous  y  voirez,  disoit-il,  pour  tout  potaige 
un  grand  avaUeur  de  poys  gris,  un  grand  cacquerotier,  un 
grand  preneur  de  Taulpes,  un  grand  boteleur  de  foin,  un 
demy  géant  à  poil  follet  et  double  tonsure,  extraict  de  Lan- 
temoys,  bien  grand  lantemier,  confalonnier  de  Icthyophages, 
dictateur  de  Moustardois,  fouetteur  de  petitz  enfans,  calci- 
neur  de  cendres,  père  et  nourrisson  des  medicins,  foisonnant 
en  pardons,  indulgences  et  stations  :  homme  de  bien,  bon 
cathoUc  et  de  grande  dévotion.  Il  pleure  les  troys  pars  du 
jour.  Jamais  ne  se  trouve  aux  nopces.  Vray  est  que  c'est  le 
plus  industrieux  faiseur  de  lardoueres  et  brochettes  qui  soit 
en  quarante  royaulmes.  Il  y  a  environ  six  ans  que,  passant 


PANTAGRUEL  IO5 

par  Tapinois,  j'en  emportay  une  grosse,  et  la  donnay  aux 
bouchiers  de  Quande.  Hz  les  estimèrent  beaucoup,  et  non 
sans  cause.  Je  vous  en  monstreray  à  nostre  retour  deux  atta- 
chées sus  le  grand  portail.  Les  alimens  des  quelz  il  se  paist 
sont  aubers  saliez,  casquets,  morrions  saliez  et  salades  sallees. 
Dont  quelque  foys  patit  une  lourde  pissechaulde.  Ses  habil- 
lemens  sont  joyeulx,  tant  en  façon  comme  en  couleur,  car 
il  porte  gris  et  froid  :  rien  davant  et  rien  darriere,  et  les  man- 
ches de  mesmes. 

—  Vous  me  ferez  plaisir,  dist  Pantagruel,  si,  comme 
m'avez  exposé  ses  vestemens,  ses  alimens,  sa  manière  de 
faire,  et  ses  passetemps,  aussi  me  exposez  sa  forme  et  corpu- 
lence en  toutes  ses  parties.  —  Je  t'en  prie,  CouiUette,  dist 
frère  Jan,  car  je  l'ay  trouvé  dedans  mon  bréviaire  :  et  s'en- 
suyt  après  les  festes  mobiles.  —  Voluntiers,  respondit  Xeno- 
manes.  Nous  en  oyrons  par  adventure  plus  amplement  parler 
passans  l'isle  Farouche,  en  laquelle  dominent  les  Andouilles 
farfelues,  ses^nriemies  mortelles,  contre  lesquelles  il  a  guerre 
sempiternçlle.  Et  ne  feust  l'aide  du  noble  Mardigras,  leur  pro- 
tecteur et  bon  voisin,  ce  grand  Lantemier  Quaresmeprenant 
les  eust  ja  piéça  exterminées  de  leur  manoir.  —  Sont  elles, 
demandoit  frère  Jan,  masles  ou  femelles?  anges  ou  mortelles? 
femmes  ou  pucelles?  —  Elles  sont,  respondit  Xenomanes, 
femelles  en  sexe,  mortelles  en  condition  :  aulcunes  pucelles, 
aultres  non.  —  Je  me  donne  au  Diable,  dist  frère  Jan,  si  je 
ne  suys  pour  elles.  Quel  desordre  est  ce  en  nature,  faire  guerre 
contre  les  femmes?  Retournons.  Sacmentons  ce  grand  villain. 
—  Combattre  Quaresmeprenant,  dist  Panurge,  de  par  tous  les 
Diables,  je  ne  suys  pas  si  fol  et  hardy  ensemble.  Ouid  juris,  si 
nous  trouvions  enveloppez  entre  Andouilles  et  Quaresmepre- 
nant? entre  l'enclume  et  les  marteaulx?  Cancre.  Houstez 
vous  de  là.  Tirons  oultre.  Adieu,  vous  diz,  Quaresmeprenant. 
Je  vous  recommande  les  Andouilles,  et  n'oubUez  pas  les  Bou- 
dins. » 


io6 


LIVRE    IV,     CHAPITRE    XXX 


CHAPITRE  XXX 

COMMENT     PAR     XENOMANES     EST     ANATOMISÉ 
ET     DESCRIPT     QU  ARESMEPREN  ANT 


«  Quaresmeprenant,  dist  Xenomanes,  quant  aux  parties 
internes,  a  (au  moins  de  mon  temps  avoit)  la  cervelle  en  gran- 
deur, couleur,  substance  et  vigueur,  semblable  au  couillon 
gauche  d'un  ciron  masle. 


Les  ventricules  d'icelle,  comme  un 

tirefond. 
L'excrescence  vermiforme,  comme 

un  pillemaille. 
Les  membranes,  comme  la  coque- 
luche d'un  moine. 
L'entonnoir,  comme  un  oiseau  de 

masson. 
La  voulte,  comme  un  gouimphe. 
Le  conare,  comme  un  veze. 
Le    retz     admirable,     comme     un 

chanfrain. 
Les      additamens      mammillaircs, 

comme  un  bobelin. 
Les   tympanes,   comme  un   moul- 

linet. 
Les  os  petreux,  comme  un  plumail. 
La  nucque,  comme  un  fallot. 
Les  nerfz,  comme  un  robinet. 
La  luette,  comme  une  sarbataine. 
Le  palat,  comme  une  moufle. 
La  salive,  comme  une  navette. 
Les  amygdales,  comme  limettes  à 

un  œil. 
Le  isthme,  comme  une  portouoire. 
Le  gouzier,  comme  un  panier  ven- 

dangerct. 
L'estomac,  comme  un  baudrier. 
Le  pylore,  comme  une  fourche  fiere. 
L'aspre  artère,  conune  un  gouet. 


Le  guaviet,  comme  un  peloton  d'es- 

toupes. 
Le  poulmon,  comme  une  aumusse. 
Le  cœur,  comme  une  chasuble. 
Le  mediastin,   comme  un  guodet. 
La  plèvre,  comme  un  bec  de  corbin. 
Les  artères,  comme  une  cappe  de 

Biart. 
Le  diaphragme,  comme  un  bonnet 

à  la  coquarde. 
Le  foye,  comme  une  bezagiie. 
Les  venes,  comme  un  châssis. 
La  râtelle,  comme  im  courquaillet. 
Les  boyaulx,   comme   un   tramail. 
Le  fiel,  comme  une  dolouoire. 
La  fressure,  comme  un  guantelet. 
Le   mesantere,   comme   une   mitre 

abbatiale. 
L'intestin  jeun,  comme  un  daviet. 
L'intestin  borgne,  comme  un  plas- 
tron. 
Le  colon,  comme  une  brinde. 
Le  boyau  cullier,  comme  un  bour- 

rabaquin  monachal. 
Les  roignons,  comme  une  truelle. 
Les  lumbes,  comme  un  cathenat. 
Les  pores  uretères,  comme  une  cra- 

mailliere. 
Les  veines  emulgeutes,  comme  deux 

glyphouoires. 


PANTAGRUEL 


ÎO7 


Les  vases  spennatiques,  comme  un 
guasteau  feueilleté. 

Les  parastates,  comme  un  pot  à 
plume. 

La  vessie,  comme  un  arc  à  jallet. 

Le  col  d'icelle,  comme  un  batail. 

Le  mirach,  comme  un  chappeau 
Albanois. 

Le  siphach,  comme  un  brassai. 

Les   muscles,   comme   im   soufflet. 

Les  tendons,  comme  un  guand 
d'oyseau. 

Les  ligamens,  comme  une  escar- 
celle. 

Les  os,  comme  cassemuseaulz. 

La  moelle,  comme  un  bissac. 

Les  cartilages,  comme  ime  tortue 
de  guarigues. 

Les  adenes,  comme  une  serpe. 

Les  esprits  animaulx,  comme 
grands  coups  de  poing. 

Les  esprits  vitaulx,  comme  longues 
chiquenauldes. 

Le  sang  bouillant,  comme  nazardes 
multipliées. 

L'urine,  comme  un  papefigue. 

La  geniture,  comme  un  cent  de 
clous  à  latte.  Et  me  contoit  sa 
nourrice  qu'il,  estant  marié  avec 
la  Myquaresme,  engendra  seule- 


ment nombre  de  Adverbes  lo- 
caul.x,  et  certains  jeimes  doubles. 

La  mémoire  avait  comme  une  es- 
charpe. 

Le  sens  commun,  comme  un  bour- 
don. 

L'imagination,  comme  un  carillon- 
nement de  cloches. 

Les  pensées,  comme  un  vol  d'es- 
toumeaulx. 

La  conscience,  comme  un  denige- 
ment  de  heronneaulx. 

Les  délibérations,  comme  une 
pochée  d'orgues. 

La  repentance,  comme  l'equippage 
d'un  double  canon. 

Les  entreprinses,  comme  la  saboure 
d'un  gallion. 

L'entendement,  comme  un  bré- 
viaire dessiré. 

Les  intelligences,  comme  limaz  sor- 
tans  des  fraires, 

La  volunté,  comme  troys  noix  en 
une  escuelle. 

Le  désir,  comme  six  boteaux  de 
sainct  foin. 

Le  jugement,  comme  un  chausse- 
pied. 

La  discrétion,  comme  une  moufle. 

La  raison,  comme  un  tabouret. 


CHAPITRE  XXXI 

ANATOMIE     DE     QU  ARESMEP  REN  ANT     QUANÎ    AUX    PARTIES 
EXTERNES 


«  Quaresmeprenant,  disoit  Xenomanes  continuant,  quant 
aux  parties  externes,  estoit  un  peu  mieulx  proportionné, 
exceptez  les  sept  costes  qu'il  a  voit  oultre  la  forme  commune 
des  humains. 


io8 


LIVRE    IV,    CHAPITRE    XXXI 


Les  orteilz  avoit  comme  une  espi- 
nette  orguanisée. 

Les  ongles,  comme  une  vrille. 

Les  pieds,  comme  une  guinteme. 

Les  talons,  comme  une  massue. 

La  plante,  comme  un  creziou. 

Les  jambes,  comme  un  leurre. 

Les  genoulz,  comme  un  escabeau. 

Les  cuisses,  comme  \m  crenequin. 

Les  hanches,  comme  un  vibrequin. 

Le  ventre  à  poulaines,  boutonné 
scelon  la  mode  antique,  et  ceinct 
à  l'antibust. 

Le  nombril,  comme  ime  vielle. 

La  peniUiere,  comme  ime  dariolle. 

Le  membre,  comme  une  pantouphle. 

Les  couilles,  comme  une  guedoufle. 

Les  genitoires,  comme  un  rabbot. 

Les  cremasteres,  comme  une  ra- 
quette. 

Le  perinœum,  comme  im  flageolet. 

Le  trou  du  cul,  comme  un  mirouoir 
crystaUin. 

Les  fesses,  comme  une  herse. 

Les  reins,  comme  vm  pot  beurrier. 

L'alkatin,  comme  un  biUart. 

Le  dours,  comme  une  arbaleste  de 
passe. 

Les  spondyles,  comme  xme  corne- 
muse. 

Les  coustes,  comme  im  rouet. 

Le  bréchet,  comme  un  baldachin. 

Les  omoplates,  comme  un  mortier. 

La  poictrine,  comme  im  jeu  de  re- 
guales. 

Les  mammelles,  comme  un  cornet  à 
bouquin. 

Les  aisselles,  comme  un  eschiquier. 

Les  espaules,  comme  une  civière  à 
braz. 

Les  braz,  comme  une  barbute. 

Les  doigts,  comme  landiers  de  frarie. 

Les  rasettes,  comme  deux  eschasses. 

Les  fauciles,  comme  faucilles. 

Les  coubdes,  comme  ratouoires. 

Les  mains,  comme  une  estrille. 

Le  col,  comme  ime  salûeme. 


La  guorge,  comme  une  chausse 
d'Hippocras. 

Le  nou,  comme  un  baril  :  auquel 
pendoient  deux  guoytrouz  de 
bronze  bien  beaulx  et  harmo- 
nieux, en  forme  d'une  horologe 
de  sable. 

La  barbe,  comme  une  lanterne. 

Le  menton,  comme  un  potiron. 

Les  aureilles,  comme  deux  mitaines. 

Le  nez,  comme  un  brodequin  anté 
en  escusson. 

Les  narines,  comme  un  béguin. 

Les  soucilles,  comme  une  hche- 
frette. 

Sus  la  soucille  gauche  avoir  un  seing 
en  forme  et  grandeur  d'im  urinai. 

Les   paulpieres,   comme   un  rebec. 

Les  œilz,  comme  un  estuy  de 
peigne. 

Les  nerfz  opticques,  comme  un 
fuzil. 

Le  front,  comme  une  retombe. 

Les  temples,  comme  une  chante- 
pleure. 

Les  joues,  comme  deux  sabbotz. 

Les  maschoueres,  comme  un  guou- 
belet. 

Les  dents,  comme  im  vouge.  De 
ses  telles  dents  de  laict  vous 
trouverez  une  à  Colonges  les 
Royaulx  en  Poictou,  et  deux  à 
la  Brosse  en  Xantonge,  sus  la 
porte  de  la  cave. 

La  langue,  comme  ime  harpe. 

La  bouche,  comme  ime  housse. 

Le  visage  historié,  comme  im  bast 
de  mulet. 

La  teste,  contournée,  comme  un 
alambic. 

Le  crâne,  comme  une  gibbessiere. 

Les  coustures,  comme  im  anneau 
de  pescheur. 

La  peau,  comme  une  gualvardine. 

L'epidermis,  comme  im  beluteau. 

Les  cheveulx,  comme  ime  dcrotoire. 

Le  poil,  tel  comme  a  esté  dict. 


PANTAGRUEL 


109 


CHAPITRE  XXXII 


CONTINUATION     DES     CONTENANCES     DE     QUARES  M  EPRENANT 


«  Cas  admirable  en  nature,  dist  Xenomanes  continuant,  est 
veoir  et  entendre  Testât  de  Quaresmeprenant. 


S'il  crachoit,  c'estoient  panerées  de 

chardonnette. 
S'il    mouchoit,    c'estoient    Anguil- 

lettes  salées. 
S'il   pleuroit,    c'estoient    Canars    à 

la  dodine. 
S'il    trembloit,    c'estoient    grands 

pastez  de  Lièvre. 
S'il   suoit,    c'estoient    Moulues    au 

beurre  frays. 
S'il  rottoit,   c'estoient   huytres  en 

escalle. 
S'il    esternuoit,    c'estoient    pleins 

barilz  de  Moustarde. 
S'il  toussoit,  c'estoient  boytes  de 

Coudignac. 
S'il  sanglouttoit,  c'estoient  denrées 

de  Cresson. 
S'il   baisloit,   c'estoient    potées   de 

poys  pillez. 
S'il   souspiroit,    c'estoient    langues 

de  bœuf  fumées. 
S'il  subloit,   c'estoient   bottées   de 

Cinges  verds. 
S'il  ronfloit,  c'estoient  jadaulx  de 

febves  frezes. 
S'il  rechinoit,   c'estoient   pieds   de 

Porc  au  sou. 
S'il    parloit,    c'estoit    gros    bureau 

d'Auvergne,  tant  s'en  faUoit  que 

feust  saye  cramoisie,  de  laquelle 

vouloit  Parisatis  estre  les  parolles 

tissues  de  ceulx  qui  parloient  à 

son  filz  Cyrus,  roy  des  Perses. 


S'il  soufloit,  c'estoient  troncs  pour 

les  Indulgences. 
S'il  guygnoit   des   œilz,   c'estoient 

gauffres  et  Obelies. 
S'il  grondoit,   c'estoient   Chats  de 

Mars. 
S'il  dodelinoit  de  la  teste,  c'estoient 

charrettes  ferrées. 
S'il  faisoit  la  moue,  c'estoient  bas- 
tons  rompuz. 
S'il  marmonnoit,  c'estoient  jeux  de 

la  bazoche. 
S'il  trepinoit,  c'estoient  respitz  et 

quinquenelles. 
S'il    recuUoit,    c'estoient    Coqueci- 

grues  de  Mer. 
S'il     bavoit,     c'estoient     fours     à 

ban. 
S'il  estoit  enroué,  c'estoient  entrées 

de  Moresques. 
S'il  petoit,  c'estoient  houzeaulx  de 

vache  brune. 
S'il  vesnoit,  c'estoient  bottines  de 

cordouan. 
S'il  se   grattoit,   c'estoient   ordon- 
nances nouvelles. 
S'il    chantoit,    c'estoient    poys    en 

guousse. 
S'il  fiantoit,  c'estoient  potirons  et 

Morilles. 
S'il    buffoit,    c'estoient    choux    à 

l'huille,  alias  Caules  amb'olif. 
S'il    discouroit,    c'estoient    neiges 

d'Antan. 


IIO  LIVRE    IV,     CHAPITRE    XXII 

S'il  se  soucioit,  c'estoit  des  rez  et    S'il  songeoit,  c'estoient  vitz  volans 

des  tonduz.  et  rampans  contre  une  muraille. 

Si  rien  donnoit,  autant  en  avoit  le    S'il  resvoit,  c'estoient  papiers  ran- 

brodeur.  tiers. 


«  Cas  cstrange  :  travailloit  rien  ne  faisant,  rien  ne  faisoit 
travaillant.  Corybantioit  dormant,  dormoit  corybantiant, 
les  œilz  ouvers  comme  font  les  Lièvres  de  Champaigne,  crai- 
gnant quelque  camisade  d'Andouilles,  ses  antiques  ennemies. 
Rioit  en  mordant,  mordoit  en  riant.  Rien  ne  mangeoit  jeus- 
nant,  jeusnoit  rien  ne  mangeant.  Grignotoit  par  soubçon, 
beuvoit  par  imagination.  Se  baignoit  dessus  les  haults  clo- 
chers, se  seichoit  dedans  les  estangs  et  ri\deres.  Peschoit  en 
l'air,  et  y  prenoit  Escrevisses  decumanes.  Chassoit  on  pro- 
fond de  la  mer,  et  y  trouvoit  Ibices,  Stamboucqs  et  Chamois. 
De  toutes  Corneilles  prinses  en  Tapinois,  ordinairement  pos- 
choit  les  œilz.  Rien  ne  craignoit  que  son  umbre,  et  le  cris  des 
gras  chevreaulx.  Battoit  certains  jours  le  pavé.  Se  jouoit  es 
cordes  des  ceincts.  De  son  poing  faisoit  un  maillot.  Escrivoit 
sus  parchemin  velu,  avecques  son  gros  gallimart,  prognos- 
tications  et  Almanachz. 

—  Voylà  le  guallant,  dist  frère  Jean.  C'est  mon  home.  C'est 
celluy  que  je  cherche.  Je  luy  vais  mander  un  cartel. 

—  Voylà,  dist  Pantagruel,  une  estrange  et  monstrueuse 
membreure  d'home,  si  home  le  doibs  nommer.  Vous  me  rédui- 
sez en  mémoire  la  forme  et  contenance  de  Amodunt  et  Dis- 
cordance. 

—  Quelle  forme,  demanda  frère  Jan,  avoient  ilz?  Je  n'en 
ouy  jamais  parler.  Dieu  me  le  pardoient. 

—  Je  vous  en  diray,  respondit  Pantagruel,  ce  que  j'en  ay 
leu  parmy  les  apologues  antiques.  Physis  (c'est  nature)  en  sa 
première  portée  enfanta  Beaulté  et  Harmonie  sans  copula- 
tion chamelle,  comme  de  soy  mesmes  est  grandement  féconde 
et  fertile.  Antiphysie,  laquelle  de  tout  temps  est  partie  ad- 
verse de  nature,  incontinent  eut  envie  sus  cestuy  tant  beau  et 


PANTAGRUEL  III 

honorable  enfantement  :  et  au  rebours,  enfanta  Amodunt  et 
Discordance  par  copulation  de  Tellumon.  Hz  avoient  la  teste 
spherique  et  ronde  entièrement,  comme  un  ballon  :  non  doul- 
cement  comprimée  des  deux  coustez,  comme  est  la  forme 
humaine.  Les  aureilles  avoient  hault  enlevées,  grandes  comme 
aureilles  d'asne;  les  œilz  hors  la  teste,  fichez  sur  des  os  sem- 
blables aux  talons,  sans  soucilles,  durs  comme  sont  ceulx  des 
Cancres;  les  pieds  ronds  comme  pelottes;  les  braz  et  mains 
tournez  en  arrière  vers  les  espaules.  Et  cheminoient  sus  leurs 
testes,  continuellement  faisant  la  roue,  cul  sus  teste,  les  pieds 
contremont.  Et  (comme  vous  sçavez  que  es  Cingesses  sem- 
blent leurs  petits  Cinges  plus  beaulx  que  chose  du  monde) 
Antiphysie  louoit  et  s'efforçoit  prouver  que  la  forme  de  ses 
enfans  plus  belle  estoit  et  advenente  que  des  enfans  de 
Physis  :  disant  que  ainsi  avoir  les  pieds  et  teste  spheriques,  et 
ainsi  cheminer  circulairement  en  rouant,  estoit  la  forme 
compétente  et  perfaicte  alleure  retirante  à  quelque  portion  de 
divinité  :  par  laquelle  les  cieulx  et  toutes  choses  éternelles 
sont  ainsi  contournées.  Avoir  les  pieds  en  l'air,  la  teste  en  bas, 
estoit  imitation  du  créateur  de  l'Univers  :  veu  que  les  che- 
veulx  sont  en  l'home  comme  racines,  les  jambes  comme 
rameaux.  Car  les  arbres  plus  commodément  sont  en  terre 
fichées  sus  leurs  racines  que  ne  seroient  sus  leurs  rameaux. 
Par  ceste  démonstration  alléguant  que  trop  mieulx  et  plus 
aptement  estoient  ses  enfans  comme  une  arbre  droicte,  que 
ceulx  de  Physis,  les  quelz  estoient  comme  une  arbie  renversée. 
Quant  est  des  braz  et  des  mains,  prouvoit  que  plus  raisonna- 
blement estoient  tournez  vers  les  espaules,  parce  que  ceste 
partie  du  corps  ne  doibvoit  estre  sans  défenses  :  attendu  que 
le  davant  estoit  competentement  muny  par  les  dens,  des 
quelles  la  personne  peut,  non  seulement  user  en  maschant, 
sans  l'ayde  des  mains,  mais  aussi  s'en  défendre  contre  les 
choses  nuisantes.  Ainsi,  par  le  tesmoignage  et  astipulation 
des  bestes  brutes,  tiroit  tous  les  folz  et  insensez  en  a  sens- 


112  LIVRE    IV,     CHAPITRE    XXIII 

tence,  et  estoit  en  admiration  à  toutes  gens  escervelez  et  des- 
guamiz  de  bon  jugement  et  sens  commun.  Depuys  elle  engen- 
dra les  Matagotz,  Cagotz  et  Papelars;  les  Maniacles,  Pistoletz; 
les  Demoniacles  Calvins,  imposteurs  de  Genève;  les  enraigez 
Putherbes,  Briffaulx,  Caphars,  Chattemittes,  Canibales,  et 
aultres  monstres  difformes  et  contrefaicts  en  despit  de  Na- 
ture. » 


CHAPITRE  XXXIII 

COMMENT  PAR  PANTAGRUEL  PEUT  UN  MONSTRUEUX  PHYSETERE 
APPERCEU  PRÉS  L'ISLE  FAROUCHE 


Sus  le  hault  du  jour  approchans  l'isle  Farouche,  Pantagruel 
de  loing  appercent  un  grand  et  monstrueux  Physetere,  venant 
droict  vers  nous,  bruyant,  ronflant,  enflé,  enlevé  plus  hault 
que  les  himes  des  naufz  et  jectant  eaulx  de  la  gueule  en  l'air 
davant  soy,  comme  si  feust  une  grosse  rivière  tombante  de 
quelque  montaigne.  Pantagruel  le  monstra  au  pilot  et  à  Xeno- 
manes.  Par  le  conseil  du  pilot  feurent  sonnées  les  trompettes 
de  la  Thalamege  en  intonation  de  Guare  Serre.  A  cestuy  son, 
toutes  les  naufz,  gualhons,  ramberges,  liburnicques  (scelon 
qu'estoit  leur  discipline  navale)  se  mirent  en  ordre  et  figure 
telle  qu'est  le  Y  grégeois,  lettre  de  Pithagoras;  telle  que 
voyez  observer  par  les  Grues  en  leur  vol;  telle  qu'est  en  un 
angle  acut  :  on  cône  et  base  de  laquelle  estoit  ladicte  Thala- 
mege en  equippage  de  vertueusement  combattre. 

Frère  Jean,  on  chasteau  guaillard  monta  guallant  et  bien 
délibéré  avecques  les  bombardiers.  Panurge  commença  crier 
et  lamenter  plus  que  jamais.  «  Babillebabou,  disoit  il,  voicy 
pis  qu'antan.  Fuyons.  C'est,  par  la  mort  bœuf,  Leviathan 
descript  par  le  noble  prophète  Moses  en  la  vie  du  sainct 


PANTAGRUEL  I13 

home  Job.  Il  nous  avallera  tous,  et  gens  et  naufz,  comme 
pillules.  En  sa  grande  gueule  infernale  nous  ne  luy  tiendrons 
lieu  plus  que  feroit  un  grain  de  dragée  musquée  en  la  gueule 
d'un  asnc.  Voyez  le  cy.  Fuyons,  guaingnons  terre.  Je  croy 
que  c'est  le  propre  monstre  marin  que  feut  jadis  destiné  pour 
dévorer  Andromeda.  Nous  sommes  tous  perduz.  O  que  pour 
l'occire  présentement  feust  icy  quelque  vaillant  Perseus.  — 
Perse  jus  par  moy  sera,  respondit  Pantagruel.  N  ayez  paour. 
—  Vertus  Dieu,  dist  Panurge,  faictes  que  soyons  hors  les 
causes  de  paour.  Quand  voulez  vous  que  j'aye  paour,  sinon 
quand  le  dangier  est  évident?  —  Si  telle  est,  dist  Pantagruel, 
vostre  destinée  fatale,  comme  nagueres  exposoit  frère  Jan, 
vous  doibvez  paour  avoir  de  Pyrœis,  Héoûs,  Aethon,  Phlegon, 
célèbres  chevaulx  du  Soleil  flammivomes,  qui  rendent  feu 
par  les  narines;  des  Physeteres,  qui  ne  jettent  qu'eau  par  les 
ouyes  et  par  la  gueule,  ne  doibvez  paour  aulcune  avoir.  Ja 
par  leur  eau  ne  serez  en  dangier  de  mort.  Par  cestuy  élément 
plus  tost  serez  guaranty  et  conservé  que  fasché  ne  ofîensé.  — 
A  l'aultre,  dist  Panurge.  C'est  bien  rentré  de  picques  noires. 
Vertus  d'un  petit  poisson,  ne  vous  ay  je  assez  exposé  la  trans- 
mutation des  clcmens,  et  le  facile  symbole  qui  est  entre  rousty 
et  bouilly ,  entre  bouilly  et  rousty  ?  Halas  !  Voy  le  cy.  Je 
m'en  voys  cacher  là  bas.  Nous  sommes  tous  mors  à  ce  coup. 
Je  voy  sus  la  hune  Atropos  la  félonne  avecques  ses  cizeaulx 
de  frais  esmouluz  preste  à  nous  tous  coupper  le  filet  de  vie. 
Guare  !  Voy  le  cy.  O  que  tu  es  horrible  et  abhominable  !  Tu  en 
as  bien  noyé  d'aultres,  qui  ne  s'en  sont  poinct  vantez.  Dea, 
s'il  jectast  vin  bon,  blanc,  vermeil,  friant,  délicieux,  en  lieu 
de  ceste  eau  amere,  puante,  sallee,  cela  seroit  toUerable  aulcu- 
nement  :  et  y  seroit  aulcune  occasion  de  patience,  à  l'exemple 
de  celluy  milourt  Anglois,  auquel  estant  f  aict  commendement, 
pour  les  crimes  des  quelz  estoit  convaincu,  de  mourir  à  son 
arbitrage,  esleut  mourir  nayé  dedans  un  tonneau  de  Malvesie. 
Voy  le  cy.  Ho,  ho.  Diable  Satanas,  Leviathan  !  Je  ne  te  peuz 

T.  II.  8 


114  LIVRE    IV,    CHAPITRE    XXXIV 

veoir,  tant  tu  es  hideux  et  détestable.  Vestz  à  l'audience, 
vestz  aux  Chiquanous.  » 


CHAPITRE  XXXIV 

COMMENT  PAR  PANTAGRUEL  FUT   DEFAICT  LE  MONSTRUEUX 
PHYSETERE 

Le  Physetere,  entrant  dedans  les  brayes  et  angles  des  naufz 
et  guallions,  jectoit  eau  sus  les  premiers  à  pleins  tonneaulx, 
comme  si  feussent  les  Catadupes  du  Nil  en  ^Ethiopie.  Dards, 
dardelles,  javelotz,  espieux,  corsecques,  partuisanes,  voloient 
sus  luy  de  tous  coustez.  Frère  Jan  ne  se  y  espargnoit.  Panurge 
mouroit  de  paour.  L'artillerie  tonnoit  et  iouldroyoit  en  Dia- 
ble, et  faisoit  son  debvoir  de  le  pinser  sans  rire., Mais  peupro- 
fitoit,  car  les  gros  boulletz  de  fer  et  de  bronze  entrans  en  sa 
peau  sembloient  fondre  à  les  veoir  de  loing,  comme  font  les 
tuilles  au  Soleil.  AUors  Pantagruel,  considérant  l'occasion  et 
nécessité,  desploye  ses  braz  et  monstre  ce  qu'il  sçavoit  faire. 
Vous  dictes,  et  est  escript,  que  le  truant  Commodus,  empe- 
reur de  Rome,  tant  dextrement  tiroit  de  l'arc  que  de  bien 
loing  il  passoit  les  flèches  entre  les  doigts  des  jeunes  enfans 
levans  la  main  en  l'air,  sans  aulcunement  les  ferir.  Vous  nous 
racontez  aussi  d'un  archier  Indian,  on  temps  que  Alexandre 
le  Grand  conquesta  Indie,  lequel  tant  estoit  de  traire  périt, 
que  de  loing  il  passoit  ses  flèches  par  dedans  ml  anneau,  quoy 
qu'elles  feussent  longues  de  troys  coubtées  et  feust  le  fer 
d'icelles  tant  grand  et  poisant,  qu'il  en  persoit  brancs  d'acier, 
boucliers  espoys,  plastrons  asserez,  tout  généralement  qu'il 
touchoit,  tant  ferme,  résistant,  dur  et  valide  feust,  que  sçau- 
riez  dire.  Vous  nous  dictez  aussi  merveilles  de  l'industrie  des 
anciens  François,  les  quelz  à  tous  estoient  en  l'art  sagittaire 


PANTAGRUEL  II5 

préférez,  et  les  quelz  en  chasse  de  bestes  noires  et  rousses 
frotoient  le  fer  de  leurs  flèches  avecques  Ellébore,  pource  que 
de  la  venaison  ainsi  férue  la  chair  plus  tendre,  friande,  salu- 
bre  et  deUcieuse  estoit  :  cernant  toutesfoys  et  oustant  la 
partie  ainsi  attaincte  tout  autour.  Vous  faictes  pareillement 
narré  des  Parthes,  qui  par  darriere  tiroient  plus  ingénieuse- 
ment que  ne  faisoient  les  aultres  nations  en  face.  Aussi  célé- 
brez vous  les  Scythes  en  ceste  dextérité,  de  la  part  des  quelz 
jadis  un  ambassadeur  envoyé  à  Darius,  Roy  des  Perses,  luy 
offrit  un  oyseau,  une  grenouille,  une  souriz,  et  cinq  flèches, 
sans  mot  dire.  Interrogé  que  pretendoient  telz  presens,  et 
s'il  avoit  charge  de  rien  dire,  respondit  que  non.  Dont  restoit 
Darius  tout  estonné  et  hebeté  en  son  entendement,  ne  fust 
que  l'un  des  sept  capitaines  qui  avoient  occis  les  INIages, 
nommé  Gobryes,  luy  exposa  et  interpréta,  disant  :  «  Par  ces 
dons  et  ofti-andes  vous  disent  tacitement  les  Scythes  :  Si 
les  Perses  comme  oyseaulx  ne  volent  au  ciel,  ou  comme  souriz 
ne  se  cachent  vers  le  centre  de  la  terre,  ou  ne  se  mussent  on 
profond  des  estangs  et  paluz  comme  grenoilles,  tous  seront  à 
perdition  mis  par  la  puissance  et  sagettes  des  Scythes.  » 
Le  noble  Pantagruel  en  l'art  de  jecter  et  darder  estoit  sans 
comparaison  plus  admirale.  Car  avecques  ses  horribles  piles 
et  dards  (les  quelz  proprement  ressembloient  aux  grosses 
poultres  sus  les  quelles  sont  les  portts  de  Xantes,  Saulmur, 
Bergerac,  et  à  Paris  les  ponts  au  Change  et  aux  3tleusnier 
soustenuz,  en  longueur,  grosseur,  poisanteur  et  ferrure)  de 
mil  pas  loing  il  ouvroit  les  huytres  en  escalle  sans  toucher  les 
bords;  il  esmouchoit  une  bougie  sans  l'extaindre,  frappoit  les 
Pies  par  l'œil,  dessemeloit  les  bottes  sans  les  endommaiger, 
deffourroit  les  barbutes  sans  rien  guaster  ;  tournoit  les  feuil- 
letz  du  bréviaire  de  frère  Jan  l'un  après  l'aultre  sans  rien  des- 
sirer.  Avecques  telz  dards,  des  quelz  estoit  grande  munition 
dedans  sa  nauf,  au  premier  coup  il  enferra  le  Physetere  sus 
le  front,  de  mode  qu'il  luy  transperça  les  deux  machouoires 


Il6  LIVRE    IV,    CHAPITRE    XXXV 

et  la  langue,  si  que  plus  ne  ouvrit  la  gueule,  plus  ne  puysa- 
plus  ne  jecta  eau.  Au  second  coup  il  luy  creva  l'œil  droict; 
au  troyzieme,  l'œil  guausche.  Et  feut  veu  le  Physetere  en 
grande  jubilation  de  tous  porter  ces  troys  cornes  au  front 
quelque  peu  penchantes  davant,  en  figure  triangulaire  equUa- 
terale,  et  tournoyer  d'un  cousté  et  d'aultre,  chancellant  et 
fourvoyant  comme  estourdy,  aveigle  et  prochain  de  mort.  De 
ce  non  content,  Pantagruel  luy  en  darda  un  aultre  sus  la 
queue,  panchant  pareillement  en  arrière.  Puys  troys  aultres 
sus  l'eschine  en  ligne  perpendiculaire,  par  equale  distance 
de  queue  et  bac  troys  foys  justement  compartie.  Enfin  luy  en 
lança  sus  les  flancs  cinquante  d'un  cousté  et  cinquante  de 
l'aultre.  De  manière  que  le  corps  du  Physetere  sembloit  à 
la  quille  d'un  gualUon  à  troys  gabies,  emmortaisée  par  com- 
pétente dimension  de  ses  poultres,  comme  si  feussent  cosses 
et  portehausbancs  de  la  canne.  Et  estoit  chose  moult  plaisante 
à  veoir.  Adoncques  mourant,  le  Physetere  se  renversa  ventre 
sus  dours,  comme  font  tous  poissons  mors  :  et  ainsi  renversé, 
les  poultres  contre  bas  en  mer,  ressembloit  au  Scolopendre, 
serpent  ayant  cent  pieds  comme  le  descript  le  saige  ancien 
Nicander, 


CHAPITRE  XXXV 

COMMENT    PANTAGRUEL    DESCEND     EN    L'iSLE    FAROUCHE, 
MANOIR    ANTIOUE     DES     ANDOUILLES 


Les  hespailUers  de  la  nauf  Lantemiere  amenèrent  le  Phy- 
setere lié  en  terre  de  l'isle  prochaine,  dicte  Farouche,  pour  en 
faire  anatomie,  et  recueiUir  la  gresse  des  roignons  :  laquelle 
disoient  estre  fort  utile  et  nécessaire  à  la  gucrison  de  certaine 
maladie  qu'ilz  nommoient  Faulte  d'argent.  Pantagruel  n'en 
tint  compte,  car  aultres  assez  pareilz,  voyre  cncores  plus 


PANTAGRUEL  II7 

énormes,  avoit  veu  en  l'Océan  Gallicque.  Condescendit  tou- 
tesfoys  descendre  en  l'isle  Farouche  pour  seicher  et  refrais- 
chir  aulcuns  de  ses  gens  mouillez  et  souillez  par  le  villain  Phy- 
setere,  à  un  petit  port  désert  vers  le  midy  situé  lez  une  touche 
de  boys  haulte,  belle  et  plaisante,  de  laquelle  sortoit  un  déli- 
cieux ruisseau  d'eaue  doulce,  claire  et  argentine.  Là,  des- 
soubs  belles  tentes  feurent  les  cuisines  dressées,  sans  espargne 
de  boys.  Chascun  mué  de  vestemens  à  son  plaisir,  feut  par 
frère  Jan  la  campanelle  sonnée.  Au  son  d'icelle  feurent  les 
tables  dressées  et  promptement  servies. 

Pantagruel,  dipnant  avecques  ses  gens  joyeusement,  sus 
l'apport  de  la  seconde  table  apperceut  certaines  petites  An- 
douilles  affaictees  gravir  et  monter  sans  mot  sonner  sus  un 
hault  arbre  près  le  retraict  du  guoubelet,  si  demanda  à 
Xenomanes:  «Quelles  bestes  sont  ce  là?  »  pensant  que  f eus- 
sent Escurieux,  Belettes,  Martres  ou  Hermines.  «  Ce  sont 
AndouiUes,  respondit  Xenomanes.  Icy  est  l'isle  Farouche, 
de  laquelle  je  vous  parlois  à  ce  matin  :  entre  les  quelles  et 
Quaresmeprenant  leur  maling  et  antique  ennemy  est  guerre 
mortelle  de  long  temps.  Et  croy  que  par  les  canonnades  tirées 
contre  le  Physetere  ayent  eu  quelque  frayeur  et  doubtance 
que  leur  dict  ennemy  icy  feust  avecques  ses  forces  pour  les 
surprendre,  ou  faire  le  guast  parmy  ceste  leur  isle,  comme  ja 
plusieurs  foys  s'estoit  en  vain  efforcé,  et  à  peudeprofict,  obs- 
tant  le  soing  et  vigilance  des  AndouiUes,  les  quelles  (comme 
disoit  Dido  aux  compaignons  d'^Enéas  voulens  prendre  port 
en  Carthage  sans  son  sceu  et  licence)  la  malignité  de  leur 
ennemy  et  vicinité  de  ses  terres  contraingnoient  soy  conti- 
nuellement contreguarder  et  veigler.  —  Dea,  bel  amy,  dist 
Pantagruel,  si  voyez  que  par  quelque  honeste  moyen  puis- 
sions fin  à  ceste  guerre  mettre,  et  ensemble  les  reconcilier, 
donnez  m'en  advis.  Je  me  y  emploiray  de  bien  bon  cœur,  et 
n'y  espargneray  du  mien  pour  contemperer  et  amodier  les 
conditions  controverses  entre  les  deux  parties. 


Il8  J.TVRTÎ    IV,    CHAPITRE    XXXVI 

—  Possible  n'est  pour  le  présent,  respondit  Xenomanes- 
Il  y  a  environ  quatre  ans  que,  passant  par  cy  et  Tapinois,  je 
me  mis  en  debvoir  de  traicter  paix  entre  eulx,  ou  longues 
trêves  pour  le  moins  :  et  ores  feussent  bons  amis  et  voisins,  si 
tant  l'un  comme  les  aultres  soy  feussent  despouillez  de  leurs 
affections  en  un  seul  article.  Ouarcsmeprenant  ne  vouloit  on 
traicté  de  paix  comprendre  les  Boudins  saulvaiges,  ne  les 
Saulcissons  montigenes  leurs  anciens  bons  compères  et  con- 
federez.  Les  Andouilles  requeroient  que  la  forteresse  de  Cac- 
ques  feust  par  leur  discrétion,  comme  est  le  chasteau  de  Sal- 
louoir,  régie  et  gouvernée,  et  que  d'icelle  feussent  hors  chassez 
ne  sçay  quelz  puans,  villains,  assasineurs,  et  briguans  qui  la 
tenoient.  Ce  que  ne  peult  estre  accordé,  et  sembloient  les 
conditions  iniques  à  l'une  et  à  l'aultre  partie.  Ainsi  ne  feut 
entre  eulx  l'appoinctement  conclud.  Restèrent  toutesfoys 
moins  severe,  et  plus  doulx  ennemis  que  n'estoient  par  le 
passé.  Mais  depuys  la  dénonciation  du  concile  national  de 
Chesil,  par  laquelle  elles  feurent  farfouillees,  guodelurees  et 
intimées;  par  laquelle  aussi  feut  Quaresmeprenant  declairé 
breneux,  hallebrené  et  stocfisé  en  cas  que  avecques  elles  il 
feist  alliance  ou  appoinctement  aulcun,  se  sont  horrifique- 
ment  aigriz,  envenimez,  indignez  et  obstinez  en  leurs  cou- 
raiges;  et  n'est  possible  y  remédier.  Plus  toust  auriez  vous  les 
chatz  et  ratz,  les  chiens  et  lièvres  ensemble  reconcilié.  » 


CHAPITRE  XXXVI 

COMMENT,      PAR     LES      ANDOUILLES      FAROUCHES,      EST      DRESSÉE 
EMBUSCADE    CONTRE    PANTAGRUEL 


Ce  disant  Xenomancs,  frère  Jan  apperceut  vingt  et  cinq  ou 
trente  jeunes  Andouilles  de  legiere  taille  sus  le  havre,  soy 


PANTAGRUEL  II9 

retirantes  de  grand  pas  vers  leur  ville,  citadelle,  chasteau  et 
rocquette  de  Cheminées,  et  dist  à  Pantagruel  :  «  Il  y  aura  icy 
de  l'asne,  je  le  prevoy.  Ces  Andouilles  vénérables  vous  pour- 
roient,  par  adventure,  prendre  pour  Quaresm éprenant,  quoy 
qu'en  rien  ne  luy  semblioz.  Laissons  ces  repaissaillcs  icy,  et 
nous  mettons  en  debvoir  de  leur  résister.  — •  Ce  ne  seroit,  dist 
Xenomanes,  pas  trop  mal  faict.  Andouilles  sont  andouilles, 
tous  jours  doubles  et  traistresses.  « 

Adoncques  se  levé  Pantagruel  de  table  pour  descouvrir  hors 
la  touche  de  boys;  puis  soubdain  retourne,  et  nous  asceure 
avoir  à  gauche  descouvert  une  embuscade  d'Andouillcs  far- 
felues, et  du  cousté  droict,  à  demie  lieue  loing  de  là,  un  gros 
bataillon  d'aultres  puissantes  et  gigantales  Andouilles,  le 
long  d'une  petite  colline,  furieusement  en  bataille  marchantes 
vers  nous  au  son  des  vezes  et  pibolos,  des  guognes  et  des  ves- 
sies, des  joyeulx  pifres  et  tabours,  des  trompettes  et  clairons. 
Par  la  conjecture  de  soixante  et  dixhuict  ensaignes  qu'il  y 
comptoit,  estimions  leur  nombre  n'estre  moindre  de  quarante 
et  deux  mille.  L'ordre  qu'elles  tenoient,  leur  fier  marcher  et 
faces  asceurées,  nous  faisoient  croire  que  ce  n'estoient  Fri- 
quenelles,  mais  \'ieilles  Andouilles  de  guerre.  Par  les  pre- 
mières fillieres  jusques  près  les  enseignes,  estoient  toutes 
armées  à  hault  appareil,  avecques  picques  petites,  comme 
nous  sembloit  de  loing  :  toutesfoys  bien  poinctues  et  asserées. 
Sus  les  aesles  estoient  fiancquegees  d'un  grand  nombre  de 
Boudins  sylvaticques,  de  Guodiveaux  massifz  et  Saulcissons 
à  cheval,  tous  de  belle  taille,  gens  insulaires,  Bandouilliers 
et  Farouches.  Pantagruel  feut  en  grand  esmoy,  et  non  sans 
cause,  quoy  que  Epistemon  luy  remonstrast  que  l'usance  et 
coustume  du  pays  Andouillois  povoit  estre  ainsi  caresser  et 
en  armes  recepvoir  leurs  amis  estrangiers,  come  somnt  les 
nobles  rois  de  France  par  les  bonnes  villes  du  royaulme  rep- 
ceuz  et  saluez  à  leurs  premières  entrées  après  leur  sacre  et 
nouvel  advenement  à  la  couronne.  «  Par  adventure,  disoit  il, 


I20  LIVRE    IV,     CHAPITRE    XXXVI 

est  ce  la  guarde  ordinaire  de  la  Royne  du  lieu,  laquelle  adver- 
tie  par  les  jeunes  Andouilles  du  guet  que  veistes  sus  l'arbre, 
comment  en  ce  port  surgeoit  le  beau  et  pompeux  convoy  de 
vos  vaisseaulx,  a  pensé  que  là  doibvoit  estre  quelque  riche  et 
puissant  Prince,  et  vient  vous  visiter  en  persone.  »  De  ce  non 
satisfaict,  Pantagruel  assembla  son  conseil  pour  sommaire- 
ment leur  advis  entendre  sus  ce  que  faire  debvoient  en  cestuy 
estrif  d'espoir  incertain  et  craincte  évidente. 

Adoncques  briefvement  leurs  remonstra  comment  telles 
manières  de  recueil  en  armes  avoit  souvent  porté  mortel  pré- 
judice, soubs  couleur  de  caresse  et  amitié.  «  Ainsi,  disoit-il, 
l'empereur  Antonin  Caracale,  à  l'ime  foys  occist  les  Alexan-- 
drins;  à  l'aultre,  desfit  la  compaignie  de  Artaban,  roy  des 
Perses,  soubs  couleur  et  fiction  de  vouloir  sa  fille  espouser.  Ce 
que  ne  resta  impuny  :  car  peu  après  il  y  perdit  la  vie.  Ainsi  les 
enfans  de  Jacob,  pour  venger  le  rapt  de  leur  sœur  Dyna, 
sacmenterent  les  Sichymiens.  En  ceste  hypocritique  façon, 
par  Galien,  empereur  Romain,  f eurent  les  gens  de  guerre 
defaicts  dedans  Constantinople.  Ainsi,  soubs  espèce  d'amitié, 
Antonius  attira  Artavasdes,  loi  de  Arménie,  puis  le  feist 
lier  et  enferrer  de  grosses  chaisnes  :  finablement,  le  feist 
occire.  Mille  autres  pareilles  histoires  trouvons  nous  par  les 
antiques  monumens.  Et  à  bon  droict  est,  jusques  à  présent,  de 
prudence  grandement  loué  Charles,  roy  de  France  sixième  de 
ce  nom,  lequel  retournant  victorieux  des  Flamens  et  Gantois 
en  sa  bonne  ville  de  Paris  et,  au  Bourget  en  France,  enten- 
dent que  les  Parisiens  avecques  leurs  mailletz  (dont  furent 
surnommés  Maillotins)  estoient  hors  la  ville  issuz  en  bataille 
jusques  au  nombre  de  vingt  mille  combattans,  n'y  voulut 
entrer  (quoy  qu'ilz  remontrassent  que  ainsi  s'estoient  mis  en 
armes  pour  plus  honorablement  le  recuillir  sans  aultre  fiction 
ne  mauvaise  affection)  que  premièrement  ne  se  feussent  en 
leurs  maisons  retirez  et  desarmez.  » 


PANTAGRUEL  121 


CHAPITRE  XXXVII 

COMMENT     PANTAGRUEL     MANDA     QUERIR 

LES     CAPITAINES    RI  FLAND  OUI  LLE    ET    TAI  LLEBOU  DI  N  ;    AVECQUES 

UN     NOTABLE     DISCOURS 

SUR      LES      NOMS      PROPRES      DES      LIEUX     ET      DES      PERSONES 


La  resolution  du  conseil  feut  qu'en  tout  événement  ilz  se 
tiendroient  sus  leurs  guardes.  Lors  par  CarpaUm  et  Gymnaste, 
au  mandement  de  Pantagruel,  feurent  appeliez  les  gens  de 
guerre  qui  estoient  dedans  les  naufz  Brindiere  (des  quelz 
coronel  estoit  Riflandouille)  et  Portoueriere  (des  quelz  coro- 
nel  estoit  Tailleboudin  le  jeune).  «  Je  soulaigeray,  dist  Pa- 
nurge,  Gymnaste  de  ceste  peine.  Aussi  bien  vous  est  icy  sa 
présence  nécessaire.  —  Par  le  froc  que  je  porte,  dist  frère  Jan, 
tu  te  veulx  absenter  du  combat,  Couillu,  et  j a  ne  retourneras, 
sus  mon  honneur.  Ce  n'est  mie  grande  perte.  Aussi  bien  ne 
feroit  il  que  pleurer,  lamenter,  crier,  et  descouraiger  les  bons 
soubdars.  —  Je  retoumeray,  certes,  dist  Panurge,  frère  Jan, 
mon  père  spirituel,  bien  toust.  Seulement  donnez  ordre  à  ce 
que  ces  fascheuses  Andouilles  ne  grimpent  sus  les  naufz.  Ce 
pendant  que  combaterez,  je  prieray  Dieu  pour  vostre  victoire, 
à  l'exemple  du  chevaleureux  capitaine  Moses,  conducteur  du 
peuple  Israelicque. 

—  La  dénomination,  dist  Epistemon  à  Pantagruel,  de  ces 
deux  vostres  coronelz  Riflandouille  et  Tailleboudin  encestuy 
conflict  nous  promect  asceurance,  heur  et  victoire,  si,  par  for- 
tune, ces  Andouilles  nous  vouloient  oultrager.  —  Vous  le 
prenez  bien,  dist  Pantagruel,  et  me  plaist  que  par  les  noms  de 
nos  coronelz  vous  prevoiez  et  prognosticquez  la  nostre  vic- 
toire. Telle  manière  de  prognosticquer  par  noms  n'est  mo- 


122  LIVRE    IV,    CHAPITRE    XXXVII 

dcmc.  Elle  feut  jadis  célébrée  et  religieusement  observée  par 
les  Pythogaricns.  Plusieurs  grands  seigneurs  et  empereurs  en 
ont  jadis  bien  faict  leur  profict.  Octavien  Auguste,  second 
empereur  de  Rome,  quelque  jour  rencontrant  un  paysan 
nommé  Euthyche,  c'est  à  dire  bien  fortuné,  qui  menoit  un 
asne  nommé  Nicon,  c'est  en  langue  grecque  Victorien,  meu 
de  la  signification  des  noms,  tant  de  l'asnier  que  de  l'asne, 
se  asceura  de  toute  prospérité,  félicité  et  victoire.  Vespasian, 
empereur  pareillement  de  Rome,  estant  un  jour  seulet  en 
oraison  on  temple  de  Serapis,  à  la  veue  et  venue  inopinée  d'un 
sien  serviteur,  nommé  Basilides,  c'est  à  dire  Royal,  lequel  il 
avoit  loing  derrière  laissé  malade,  print  espoir  et  asccurance  ' 
d'obtenir  l'empire  Romain.  Regilian,  non  pour  aultre  cause 
ne  occasion,  feut  par  les  gens  de  guerre  eslu  empereur,  que 
par  signification  de  son  propre  nom.  Voyez  le  Cratyle  du  divin 
Platon.  —  Par  ma  soif,  dist  Rhizotome,  je  le  veulx  lire  :  je 
vous  oy  souvent  le  alléguant.  —  Voyez  comment  les  Pytha- 
goriens,  par  raison  des  noms  et  nombres,  concluent  que  Patro- 
clus  doibvoit  estre  occis  par  Hector,  Hector  par  Achilles, 
Achilles  par  Paris,  Paris  par  Philoctetes.  Je  suys  tout  confus 
en  mon  entendement  quand  je  pense  en  l'invention  admirable 
de  Pythagoras,  lequel,  par  le  nombre  par  ou  impur  des  syl- 
labes d'un  chascun  nom  propre,  exposoit  de  quel  cousté  es- 
toient  les  humains  boyteulx,  borgnes,  goutteux,  paralytiques, 
pleuritiques,  et  aultres  telz  maléfices  en  nature  :  sçavoir  est, 
assignant  le  nombre  par3.u  cousté  guausche  du  corps,  le  impar 
au  dextre. 

—  Vrayement,  dist  Epistemon,  j'en  veids  l'expérience  à 
Xainctes,  en  une  procession  générale,  présent  le  tant  bon,  tant 
vertueux,  tant  docte  et  équitable  président  Briend  Valée,  sei- 
gneur du  Douhet.  Passant  un  boiteux  ou  boiteuse,  un  borgne 
ou  borgnesse,  un  bossu  ou  bossue,  on  luy  rapportoit  son  nom 
propre.  Si  les  syllabes  du  nom  estoient  en  nombre  impar, 
soubdain,  sans  veoir  les  personnes,  il  les  disoit  estre  maie  fi- 


PANTAGRUEL  123 

ciez,  borgnes,  boiteux,  bossus  du  cousté  dextre.  Si  elles  estoient 
en  nombre  par,  du  cousté  guausche.  Et  ainsi  estoit  la  vérité; 
oncques  n'y  trouvasmes  exception. 

—  Par  ceste  invention,  dist  Pantagruel,  les  doctes  ont 
affermé  que  Achilles,  estant  à  genoulx,  feut  par  la  fleiche  de 
Paris  blessé  on  talon  dextre  :  car  son  nom  est  de  syllabes 
impares.  Icy  est  à  noter  que  les  anciens  se  agenouilloient  du 
pied  dextre.  Venus  par  Diomedes,  davantTroye,  blessée  en  la 
main  guausche,  car  son  nom  en  Grec  est  de  quatre  syllabes. 
Vulcan  boiteux  du  pied  guausche,  par  mesmes  raisons.  Phi- 
lippe, roy  de  Macédoine,  et  Hannibal,  borgnes  de  l'œil  dextre. 
Encores  pourrions  nous  particularizer  des  Ischies,  Hernies, 
Hermicraines,  par  ceste  raison  Pythagorique.  Mais,  pour 
retourner  aux  noms,  consyderez  comment  Alexandre  le 
Grand,  filz  du  roy  Philippe,  duquel  avons  parlé,  par  l'inter- 
prétation d'un  seul  nom  parvint  à  son  entreprinse.  Il  assie- 
geoit  la  forte  ville  de  Tyre,  et  la  battoit  de  toutes  ses  forces 
par  plusieurs  sepmaines  ;  mais  c'estoit  en  vain.  Rien  ne  profi- 
toient  ses  engins  et  molitions.  Tout  estoit  soubdain  démoli  et 
remparé  par  les  Tyriens.  Dont  print  phantasie  de  lever  le 
siège  avec  grande  melancholie,  voyant  en  cestuy  départe- 
ment perte  insigne  de  sa  réputation.  En  tel  estrif  et  fascherie 
se  endormit.  Dormant,  songeoit  qu'un  Satyre  estoit  dedans 
sa  tente,  dansant  et  sautelant  avecques  ses  jambes  bouqui- 
nes. Alexandre  le  vouloit  prendre  :  le  Satyre  tousjours  luy 
eschappoit.  En  fin,  le  roy  le  poursuivant  en  un  destroict,  le 
happa.  Sus  ce  point  se  esveigla  et  racontant  son  songe  aux 
philosophes  et  gens  sçavans  de  sa  court,  entendit  que  les 
dieux  luy  promettoient  victoire,  et  que  Tyre  bien  toust  seroit 
prinse  :  car  ce  mot  Satyros,  divisé  en  deux,  est  Sa  Tyros, 
signifiant  :  Tienne  est  Tyre.  De  faict,  au  premier  assault  qu'il 
feist  il  emporta  la  ville  de  force,  et  en  grande  victoire  sub- 
jugua ce  peuple  rebelle.  Au  rebours,  consyderez  comment,  par 
la  signification  d'un  nom,  Pompée  se  désespéra.  Estant  vaincu 


124  LIVRE    IV,     CHAPITRE    XXXVII 

par  Caesar  en  la  bataille  Pharsalique,  ne  eut  moyen  aultre  de 
soy  saulver  que  par  fuyte.  Fuyant  par  mer,  arriva  en  l'isle 
de  Cypre.  Prés  la  ville  de  Paphos,  apperceutsus  le  rivage  un 
palais  beau  et  sumptueux.  Demandant  au  pilot  comment 
l'on  nommoit  cestuy  palais,  entendit  qu'on  le  nommoit 
Ka/oSaji/éa,  c'est  à  dire  Malroy.  Ce  nom  luy  feut  en  tel  eflfroy 
et  abomination  qu'il  entra  en  desespoir,  comme  asceuré  de 
ne  évader  que  bien  touts  ne  perdist  la  vie.  De  mode  que  les 
assistans  et  nauchiers  ouirent  ses  cris,  souspirs  et  gemisse- 
mens.  De  faict,  peu  de  temps  après,  un  nommé  Achillas,  pay- 
sant  incongneu,  luy  trancha  la  teste.  Encores  pourrions  nous, 
à  ce  propous,  alléguer  ce  que  advint  à  L.  Paulus  ^mylius,' 
lors  que,  par  le  sénat  Romain,  feut  esleu  Empereur,  c'est  à 
dire  chef  de  l'armée  qu'ilz  envoyoient  contre  Perses,  roy  de 
Macedonie.  Icelluy  jour,  sus  le  soir,  retournant  en  sa  maison 
pour  soy  apprester  au  deslogement,  baisant  une  siene  petite 
fille  nommée  Tratia,  advisa  qu'elle  estoit  aulcunement  triste. 
«  Qui  a  il,  dist  il,  ma  Tratia?  Pourquoy  es  tu  ainsi  triste  et 
faschée?  —  Mon  père,  respondit  elle,  Persa  est  morte.  »  Ainsi 
nommoit  elle  une  petite  chienne  qu'elle  avoit  en  délices.  A 
ce  mot  print  Paulus  asceurance  de  la  victoire  contre  Perses. 
Si  le  temps  permettoit  que  puissions  discourir  par  les  sacres 
bibles  des  Hébreux,  nous  trouverions  cent  passages  insignes 
nous  monstrans  e\ddemment  en  quelle  observance  et  religion 
leurs  estoient  les  noms  propres  avecques  leurs  significations.  » 
Sus  la  fin  de  ce  discours,  arrivèrent  les  deux  coronelz, 
accompaignez  de  leurs  soubdards,  tous  bien  armez  et  bien 
délibérez.  Pantagruel  leur  feist  une  briefve  remonstrance,  à  ce 
qu'ilz  eussent  à  soy  monstrer  vertueux  au  combat,  si  par  cas 
estoient  contraincts  (car  encores  ne  povoit  il  croire  que  les 
Andouilles  feussent  si  traistresses) ,  avecques  défense  de 
commencer  le  hourt  :  et  leur  bailla  Mardigras  pour  mot  du 
guet. 


fANTAGRUEL  125 


CHAPITRE  XXXVIII 

COMMENT     ANDOUILLES     NE    SONT    A     MESPRISER 
ENTRE     LES     HUMAINS 

Vous  truphez  ici,  Beuveurs,  et  ne  croyez  que  ainsi  soit  en 
vérité  comme  je  vous  raconte.  Je  ne  sçaurois  que  vous  en 
faire.  Croyez  le,  si  voulez;  si  ne  voulez,  allez  y  veoir.  Mais  je 
sçay  bien  ce  que  je  veidz.  Ce  feut  en  l'isle  Farouche.  Je  la 
vous  nomme.  Et  vous  réduisez  à  mémoire  la  force  des  Géants 
antiques,  les  quelz  entreprindrent  le  hault  mons  Pelion  impo- 
ser sus  Osse,  et  l'umbrageux  Olympe  avecques  Osse  envelop- 
per, pour  combattre  les  dieux,  et  du  ciel  les  deniger.  Ce  n'es- 
toit  force  vulgaire  ne  médiocre.  Iceulx  toutesfoys  n'estoient 
que  Andouilles  pour  la  moitié  du  corps,  ou  Serpents  que  je 
ne  mente. 

Le  serpens  qui  tenta  Eve  estoit  andouillicque  :  ce  nonobs- 
tant est  de  luy  escript  qu'il  estoit  fin  et  cauteleux  sus  tous 
aultres  animans.  Aussi  sont  Andouilles. 

Encores  maintient  on  en  certaines  Académies  que  ce  tenta- 
teur estoit  l'andouille  nommée  Ityphalle,  en  laquelle  feut 
jadis  transformé  le  bon  messer  Priapus,  grand  tentateur  des 
femmes  par  les  paradis  en  Grec,  ce  sont  jardins  en  François. 
Les  Souisscs,  peuple  maintenant  hardy  et  belliqueux,  que 
sçavons  nous  si  jadis  estoient  Saulcisses?  Je  n'en  vouldroys 
pas  mettre  le  doigt  on  feu.  Les  Himantopodes,  peuple  en 
.Ethiopie  bien  insigne,  sont  Andouilles,  selon  la  description 
de  Pline,  non  autre  chose. 

Si  ces  discours  ne  satisfont  à  l'incrédulité  de  vos  seigneuries, 
présentement  (j'entends  après  boyre)  visitez  Lusignan,  Par- 
tenay,  Vovant,  Mervant,  et  Ponseuges  en  Poictou.  Là  trou- 


Î26  LIVRE    IV,    CHAPITRE    XXXIX 

vcrez  tcsmoings  vieulx  de  renom  et  de  la  bonne  forge,  les 
quelz  vous  jureront  sus  le  braz  sainct  Rigomé  que  Mellusine 
leur  première  fondatrice  avoit  corps  féminin  jusqucs  aux  bour- 
savitz,  et  que  le  reste  en  bas  estoit  andouille  serpentine,  ou 
bien  serpent  andouillicque.  Elle  toutcsfoys  avoit  aile ures  braves 
et  guallantes,  lesquelles  encores  au  jourdhuy  sont  imitées 
par  les  Bretons  balladins  dansans  leurs  trioriz  fredonnizcz. 
Quelle  fut  la  cause  pourquoy  Erichthonius  premier  inventa 
les  coches,  lectieres,  et  charriotz?  C'estoit  parce  que  Vulcan 
l'avoit  engendré  avec  jambes  de  Andouilles  :  pour  lesquelles 
cacher,  mieulx  aima  aller  en  lectiere  que  à  cheval.  Car  encores 
de  son  temps  ne  estoient  Andouilles  en  réputation.  La  nym-- 
phe  Scythique  Ora  avoit  pareillement  le  corps  my  party  en 
femme  et  en  Andouille.  Elle  toutesfoys  tant  sembla  belle  à 
Juppiter  qu'il  coucha  avecques  elle  et  en  eut  un  beau  filz 
nommé  Colaxes.  Cessez  pourtant  icy  plus  vous  trupher,  et 
croyez  qu'il  n'est  rien  si  vray  que  l'Evangile. 


CHAPITRE  XXXIX 

COMMENT     FRERE    JAN     SE     RALLIE     AVECQUES     LES     CUISINIERS 
POUR     COMBATTRE     LES     ANDOUILLES 

Voyant  frère  Jan  ces  furieuses  Andouilles  ainsi  marcher 
dchayt,  dist  à  Pantagruel  :  «  Ce  sera  icy  une  belle  bataille  de 
foin,  à  ce  que  je  voy.  Ho  le  grand  honneur  et  louanges  magni- 
ficques  qui  seront  en  nostre  victoire  !  Je  vouldrois  que  dedans 
vostre  nauf  feussiez  de  ce  conflict  seulement  spectateur,  et 
au  reste  me  laissiez  faire  avecques  mes  gens.  • —  Quelz  gens? 
demanda  Pantagruel.  —  IMaticre  de  bréviaire,  respondit 
frère  Jan.  Pourquoy  Potiphar,  maistre  queux  des  cuisines 
de  Pharaon,  celluy  qui  achapta  Joseph,  et  lequel  Joseph  eust 


PANTAGRUEL  12^ 

faict  coqu  s'il  cust  voulu,  icut  maistre  de  la  cavallerie  de 
tout  le  royaulme  d'iEgypte?  Pourquoy  Nabuzardan,  maistre 
cuisinier  du  Roy  Nabugodonosor,  feut  entre  tous  aultres 
capitaines  esleu  pour  assiéger  et  ruiner  Hierulalem?  —  J'es- 
coute,  respondit  Pantagruel.  —  Par  le  trou  Madame,  dist 
frère  Jan,  je  auserois  jurer  qu'ilz  austres  foys  avoient  An- 
douilles  combatu,  ou  gens  aussi  peu  estimez  que  Andouilles, 
pour  les  quelles  abatte,  combatre,  dompter  et  sacmenter, 
trop  plus  sont  sans  comparaison  cuisiniers  idoines  et  suffi  sans 
que  tous  gendarmes,  estradiotz,  soubdars  et  piétons  du 
monde.  —  Vous  me  refraischissez  la  mémoire,  dist  Panta- 
gruel, de  ce  que  est  escript  entre  les  facecieuses  et  joyeuses 
responses  de  Ciceron.  On  temps  des  guerres  civiles  à  Rome 
entre  Cassar  et  Pompée,  il  estoit  naturellement  plus  enclin  à 
la  part  Pompeiane,  quoy  que  de  Caesar  feust  requis  et  grande- 
ment favorisé.  Un  jour  entendent  que  les  Pompéians  à  cer- 
taine rencontre  avoient  faict  insigne  perte  de  leurs  gens,  vou- 
lut visiter  leur  camp.  En  leur  camp  apperceut  peu  de  force, 
moins  de  couraige,  et  beaucoup  de  desordre.  Lors  prévoyant 
que  tout  iroit  à  mal  et  perdition,  comme  depuis  advint,  com- 
mença trupher  et  mocquer  maintenant  les  uns,  maintenant 
les  aultres,  avec  brocards  aigres  et  picquans,  comme  très  bien 
sçavoit  le  style.  Quelques  capitaines,  faisans  des  bons  com- 
paignons  comme  gens  bien  asceurez  et  délibérez,  luy  dirent  : 
«  Voyez  vous  combien  nous  avons  encores  d'Aigles  ?  »  C'estoit 
lors  la  devise  des  Romains  en  temps  de  guerre.  «  Cela,  res- 
pondit Ciceron,  seroit  bon  et  à  propous  si  guerre  aviez  contre 
les  Pies.  »  Doncques  veu  que  combatre  nous  fault  Andouilles, 
vous  inferez  que  c'est  bataille  culinaire,  et  voulez  aux  cuisi- 
niers vous  rallier.  Faictes  comme  l'entendez.  Je  resteray  icy 
attendant  l'issue  de  ces  fanfares.  » 

Frère  Jan  de  ce  pas  va  es  tentes  des  cuisines,  et  dict  en 
toute  guayeté  et  courtoisie  aux  cuisiniers  :  «  Enfans,  je  veulx 
huy  vous  tous  veoir  en  honneur  et  triumphe.  Par  vous  seront 


128 


LIVRE    IV,    CHAPITRE    XL 


faictes  apertises  d'armes  non  encores  veues  de  nostre  mé- 
moire. Ventre  sus  ventre,  ne  tient  on  aultre  compte  des  vail- 
lans  cuisiniers?  Allons  combattre  ces  paillardes  Andouilles. 
Je  seray  vostre  capitaine.  Beuvons,  amis.  Ça,  couraige.  — 
Capitaine,  respondirent  les  cuisiniers,  vous  dictes  bien.  Nous 
sommes  à  vostre  joly  commandement.  Soubs  vostre  con- 
duicte  nous  voulons  vivre  et  mourir.  —  Vivre,  dist  frère  Jan, 
bien;  mourir,  poinct  :  c'est  à  faire  aux  AndouUles.  Or  donc 
mettons  nous  en  ordre.  Nabuzardan  vous  sera  pour  mot  du 
guet.  » 


CHAPITRE  XL 

COMMENT    PAR    FRERE    JAN    EST     DRESSÉE    LA    TRUYE, 
ET     LES     PREUX     CUISINIERS     DEDANS     ENCLOUS 


Lors  au  mandement  de  frère  Jan,  feut  par  les  maistres 
ingénieux  dressée  la  grande  Truye,  laquelle  estoit  dedans  la 
nauf  Bourrabaquiniere.  C'estoit  un  engin  mirifîcque  faict  de 
telle  ordonnance  que  des  gros  couiUarts  qui  par  rangs  estoient 
autour  il  jectoit  bedaines  et  quarreaux  empenez  d'assier  :  et 
dedans  la  quadrature  duquel  povoient  aisément  combattre 
et  à  couvert  demourer  deux  cens  homes  et  plus  ;  et  estoit  faict 
au  patron  de  la  Truye  de  la  Riole,  moyennant  laquelle  feut 
Bergerac  prins  sus  les  Anglois,  régnant  en  France  le  jeune 
roy  Charles  sixième.  Ensuyt  le  nombre  et  les  noms  des 
preux  et  vaillans  cuisiniers,  les  quelz,  comme  dedans  le  che- 
val de  Troye,  entrèrent  dedans  la  Truye. 

Saulpicquet,  Maindegourre,  Maistre  Hordoux,  Carbonnade, 

Ambrelin,  Pamperdu,  Grasboyau,  Fressurade, 

Guavache,  Lasdaller,  Pillemortier,  Hoschepot, 

Lascheron,  Pochecuilliere,  L'eschevin,  Hasteret, 

Porcausou,  Moustamoulue,  Saulgrenée,  Balafré, 

Salezart,  Crespelet,  Cabirotade,  Gualimafré. 


PANTAGRUEL 


Î29 


Tous  ces  nobles  Cuisiniers  portoient  en  leurs  armoiries  en 
champ  de  gueuUes,  lardouoire  de  Sinople,  fessée  d'un  che- 
vron argenté,  penchant  à  guausche. 


Lardonnet, 
Lardon, 
Croquelardon, 
Tirelardon, 


Graslardon, 

Saulvelardon, 

Archilardon, 


Rondlardon, 

Antilardon, 

Frizelardon, 


Larcelardon, 

Grattelardon, 

Marchelardon. 


Guaillardon,  par  syncope,  natif  près  de  Rambouillet.  Le 
nom  du  docteur  culinaire  estoit  Guaillartlardon.  Ainsi  dictes 
vous  idolâtre  pour  idololatre. 

Roiddelardon,        Trappelardon,        Bellardon,  Guignelardon, 

Astolardon,            Bastelardon,  Neuflardon,  Poyselardon, 

Doulxlardon,          Guyllevardon,  Aigrelardon,  Vezelardon, 

Maschelardon,        Mouschelardon,      Billelardon,  Myrelardon. 


Noms  incongneuz  entre  les  Maranes  et  Juifz. 


Couillu, 

Salladier, 

Cressonnadière, 

Raclenaveau, 

Cochonnier, 

Peaudeconin, 

Apigratis, 

Pastissandierrc, 


Raslard, 

Francbeuignet, 

Moustardiot, 

Vinetteux, 

Potageouart, 

Frelault, 

Benest, 

Jusverd, 


Marmitige, 

Accodepot, 

Hoschepot, 

Brizepot, 

Guallepot, 

Frillis, 

Guorgesalée, 


Escarguotandière, 

Bouillonsec, 

Souppimars, 

Eschinade, 

Prezurier, 

]\Iacaron, 

Escarsaufle. 


Bi-iguaille.  Cestuy  feust  de  cuisine  tiré  en  chambre  pour  le 
service  du  noble  cardinal  le  Veneur. 


Guasteroust, 

Escouvillon, 

Begninet, 

Escharbottier, 

Vitet, 

Vitault, 

Vitvain, 


JoUvet, 

Vitneuf, 

Vistempenard, 

Victorien, 

Vitvieulx, 

Vitvelu, 

Hastiveau, 


Alloyaudiere,  Gabaonite, 


Esclanchier, 

Guastelet, 

Rapimontet, 

Soufflemboj'au, 

Pelouze, 


Bubarin, 

Crocodillet, 

Prelinguant, 

Balafré, 

Maschourré. 


Mondam,  inventeur  de  la  saulse  Madame,  et  pour  telle 
invention  feut  ainsi  nommé  en  langage  Escosse-François. 
T.  II.  0 


130 


LI\RE    IV,     CHAPITRE    XLI 


CUcquedens,  Riiiccpot,  Guauftreux,  Xavelier, 

Badiguoincier,  Urefelipipinguet,  Saffranier,  Rabiolas, 

MjTelanguoy,  Maunet,  Malparouart,  Boudinandiere, 

Becdassée,  Guodepie,  Antitus,  Cochonnet. 


Robert.  Cestuy  feut  inventeur  de  la  saulse  Robert,  tant  salu- 
bre  et  nécessaire  aux  Conmls  roustiz,  Canars,  Porcfrays, 
Œufz  pochés,  Merluz  saliez  et  mille  aultres  telles  viandes. 


Froiddanguille, 

Rougenraye, 

Guoumeau, 

Gribouillis, 

Sacabribes, 

Olymbrius, 

Foucquet, 

Dalyqiialquain, 


Salmiguondin, 

Gringualet, 

Aransor, 

Talemouse, 

Grosbec, 

Frippellippes, 

Friantaures, 

Guafielazc, 


Saulpoudré, 

Paellefrite, 

Landore, 

Calabre, 

Xavelet, 

Foyrart, 

Grosguallon, 

Brenous, 


Mucydan, 

Matatruys, 

Cartevirade, 

Cocqueçygrue, 

Visedecache, 

Badelorv, 

Vedel. 

Braguibus. 


Dedans  la  Truye  entrèrent  ces  nobles  cuisiniers  guaiUars, 
guallans,  brusquetz,  et  prompts  au  combat.  Frère  Jan  avec- 
ques  son  grand  badelaire  entre  le  dernier  et  ferme  les  portes 
à  ressors  par  le  dedans. 


CHAPITRE  XLl 


COMMENT   PANTAGRUEL    ROMPIT   LES   ANDOUILLES   AUX    GENOULX 


Tant  approchèrent  ces  Andouilles  que  Pantagruel  apper- 
ceut  comment  elles  desployoient  leurs  braz,  et  ja  commen- 
çoient  baisser  boys.  Adoncques  envoyé  Gymnaste  entendre 
ce  qu'elles  vouloient  dire,  et  sus  quelle  querelle  elles  vouloient 
sans  défiance  guerroyer  conti^e  leurs  amis  antiques,  qui  rien 
n'avoient  mesfaict  ne  medict.  Gymnaste  au  davant  des  pre- 
mières fiUieres  feist  une  grande  et  profonde  révérence,  et 
s'escria  tant  qu'il  peult,  disant  :  «  Vostres,  vostres,  vostres 


PANTAGRUEL  Î3î 

sommes  nous  trestous,  et  à  commandement.  Tous  tenons  de 
Mardigras,  vostre  antique  confédéré.  »  Aucuns  depuys  me 
ont  raconté  qu'il  dist  Gradimars,  non  Mardigras.  Quoy  que 
soit,  à  ce  mot  un  gros  Cervelat  saulvaige  et  farfelu,  anticipant 
davant  le  front  de  leur  bataillon,  le  voulut  saisir  à  la  guorge. 
«  Par  Dieu,  dist  Gymnaste,  tu  n'y  entreras  qu'à  taillons;  ainsi 
entier  ne  pourrois-tu.  »  Si  sacque  son  espée  Baise  mon  cul 
(ainsi  la  nommoit  il)  à  deux  mains,  et  trancha  le  Cervelat  en 
deux  pièces.  Vray  Dieu,  qu'il  estoit  gras  !  Il  me  soubvint  du 
gros  Taureau  de  Berne,  qui  feut  à  Marignan  tué  à  la  defaicte 
des  Souisses.  Croyez  qu'il  n'avoit  gueres  moins  de  quatre 
doigts  de  lard  sus  le  ventre.  Ce  Cervelat  eccrvelé,  coururent 
Andouilles  sus  Gymnaste,  et  le  terrassoient  vilainnement, 
quand  Pantagruel  avec  ses  gens  accourut  le  grand  pas  au 
secours.  Adoncques  commença  le  combat  matrial  pelle  melle 
Riflandouilles  rifioit  Andouilles,  Tailleboudin  tailloit  Boudins. 
Pantagruel  rompoit  les  Andouilles  au  genoil.  Frère  Jan  se 
tenoit  coy  dedans  sa  Truye,  tout  voyant  et  considérant, 
quand  les  Guodiveaulx,  qui  estoient  en  embuscade,  sortirent 
tous  en  grand  effroy  sus  Pantagruel.  Adoncques  voyant  frère 
Jean  le  desarroy  et  tumulte,  ouvre  les  portes  de  sa  Truye,  et 
sort  avecques  ses  bons  soubdars,  les  uns  portant  broches  de 
fer,  les  aultres  tenans  landiers,  contrehastiers,  paesles,  pales, 
cocquasses,  grisles,  fovirguons,  tenailles,  lichefretes,  ramons, 
marmites,  mortiers,  pilons,  tous  en  ordre  comme  brusleurs 
de  maisons;  hurlans  et  crians  tous  ensemble  espouvantable- 
ment  :  Nabuzardan,  Nabuzardan,  Nabuzardan.  En  telz  criz  et 
esmeute  chocquerent  les  Guodiveaulx,  et  à  travers  les  Saulcis- 
sons.  Les  Andouilles  soubdain  apperceurent  ce  nouveau  ren- 
fort, et  se  mirent  en  fuyte  le  grand  gallop,  comme  s'elles  eus 
sent  veu  tous  les  Diables.  Frère  Jan  à  coups  de  bedaines  les 
abbatoit  menu  comme  mousches  ;  ses  soubdars  ne  se  y  espar- 
gnoient  mie.  C'estoit  pitié.  Le  camp  estoit  tout  convert 
d' Andouilles  mortes  ou  navrées.  Et  dict  le  conte  que  si  Dieu 


Î32  LIVRE    IV,    CHAPITRE    XLI 

n'y  eust  pourveu,  la  génération  Andouillicque  eust  par  ces 
soubdars  esté  exterminée.  Mais  il  advint  un  cas  merveilleux. 
Vous  en  croyrez  ce  que  vouldrez. 

Du  cousté  de  la  Transmontane  advola  un  grand,  gras,  gros, 
gris  pourceau,  ayant  aesles  longues  et  amples,  comme  sont 
les  scsles  d'un  moulin  à  vent.  Et  estoit  le  pennage  rouge  cra- 
moisy,  comme  est  d'un  Phœnicoptere,  qui  en  Languegoth  est 
appelle  Flammant.  Les  œilz  avoit  rouges  et  flamboyans, 
comme  un  Pyrope.  Les  aureilles  verdes  comme  une  Esme- 
raulde  prassine;  les  dens  jaulnes  comme  un  Topaze;  la  queue 
longue,  noire  comme  marbre  Lucullian;  les  pieds  blancs,  dia- 
phanes et  transparens  comme  un  Diamant,  et  estoient  large- 
ment pattez,  comme  sont  les  Oyes,  et  comme  jadis  à  Tholose 
les  portoit  la  royne  Pedaucque.  Et  avoit  un  collier  d'or  au 
coul,  autour  duquel  estoient  quelques  lettres  Ioniques,  des 
quelles  je  ne  peuz  lire  que  deux  mots  ^YS  'AGEN^AN,  Pour- 
ceau Minerve  enseignant.  Le  temps  estoit  beau  et  clair.  Mais  à 
la  venue  de  ce  monstre  il  tonna  du  cousté  guausche  si  fort  que 
nous  restasmes  tous  estonnez.  Les  Andouilles  soubdain  que 
l'apperceurent  jecterent  leurs  armes  et  baston,  et  à  terre 
toutes  se  agenoillerent,  levant  haultes  leurs  mains  joinctes, 
sans  mot  dire,  comme  si  elles  le  adorassent. 

Frère  Jan,  avec  ses  gens,  frappoit  toujours,  et  embrochoit 
Andouilles.  Mais  par  le  commendement  de  Pantagruel  fut 
sonnée  retraicte,  et  cessèrent  toutes  armes.  Le  monstre, 
ayant  plusieurs  foys  volé  et  revolé  entre  les  deux  armées, 
jecta  plus  de  vingt  et  sept  pippes  de  moustarde  en  terre, 
.puis  disparut  volant  par  l'air  et  criant  sans  cesse  :  «  Mardi- 
gras,  Mardigras,  Mardigras  !  » 


PANTAGRUEL  I33 


CHAPITRE  XLII 

COMMENT     PANTAGRUEL     PARLEMENTE     AVECOUES     NIPHLESETH, 
ROYNE     DES    ANDOUILLES 


Le  monstre  susdict  plus  ne  apparoissant,  et  restantes  les 
deux  armées  en  silence,  Pantagruel  demanda  parlementer 
avecques  la  dame  Niphleseth  (ainsi  estoit  nommée  la  Royne 
des  Andouilles),  laquelle  estoit  près  les  enseignes  dedans  son 
coche.  Ce  qui  fut  facilement  accordé.  La  Royne  descendit  en 
ten-e,  et  gratieusement  salua  Pantagruel,  et  le  veid  voluntiers. 
Pantagruel  soy  complaignoit  de  ceste  guerre.  Elle  luy  feist 
ses  excuses  honestement,  alléguant  que  par  faulx  rapports 
avoit  esté  commis  l'erreur,  et  que  ses  espions  luy  avoient 
dénoncé  que  Quaresmeprenant,  leur  antique  ennemy,  estoit  en 
terre  descendu,  et  passoit  temps  à  veoir  l'urine  des  Physe- 
teres.  Puys  le  pria  vouloir  de  grâce  leur  pardonner  ceste 
offense,  alléguant  qu'en  Andouilles  plus  toust  l'on  trouvoit 
merde  que  fiel  :  en  ceste  condition,  qu'elle  et  toustes  ses  suc- 
cessitres  Niphleseth  à  jamais  tiendroient  de  luy  et  ses  succes- 
seurs toute  l'isle  et  pays  à  foy  et  hommaige,  obéiroient  en 
tout  et  par  tout  à  ses  mandemens,  seroient  de  ses  amis  amies 
et  de  ses  ennemis  ennemies;  par  chascun  an,  en  recongnois- 
sance  de  cette  feaulté,  luy  envoyroient  soixante  et  dixhuict 
mille  Andouilles  Royalles  pour  à  l'entrée  de  table  le  servir 
six  moys  l'an.  Ce  que  feust  par  elle  faict  :  et  envoya  au  lende- 
main dedans  six  grands  briguantins  le  nombre  susdict  d' An- 
douilles Royalles  au  bon  Gargantua,  soubs  la  conduicte  de  la 
jeune  Niphleseth.  Infante  de  l'isle.  Le  noble  Gargantua  en  fit 
présent,  et  les  envoya  au  grand  Roy  de  Paris.  Mais  au  chan- 
gement de  l'air,  aussi  par  faulte  de  moustarde  (baume  naturel 


134  LIVRK    IV,    CHAPITRE    XI.III 

et  restaurant  d'andouilles)  moururent  presque  toutes.  Par 
l'octroy  et  vouloir  du  gi^and  Roy  feurent  par  monceaulx  en 
un  endroict  de  Paris  enterrées,  qui  jusques  à  présent  est 
appelle  la  rue  Pavée  d'Andouilles. 

A  la  requeste  des  dames  de  la  court  royalle  fut  Niphleseth  la 
jeune  saulvée  et  honorablement  traictée.  Depuis  feut  mariée 
en  bon  et  riche  lieu,  et  feist  plusieurs  beaulx  enfans,  dont  loué 
soit  Dieu. 

Pantagruel  remercia  gracieusement  la  Royne,  pardonna 
toute  l'offense,  refusa  l'offre  qu'elle  avoit  faict,  et  luy  donna 
un  beau  petit  cousteau  parguoys.  Puys  curieusement  l'inter- 
rogea sus  l'apparition  du  monstre  susdict.  Elle  respondit  que 
c'estoit  l'Idée  de  Mardigras,  leur  dieu  tutellaire  en  temps  de 
guerre,  premier  fondateur  et  original  de  toute  la  race  Andouil- 
licque.  Pourtant  sembloit  il  à  un  Pourceau,  car  Andouiiles 
furent  de  Pourceau  extraictes.  Pantagruel  demandoit  à  quel 
propous  et  quelle  indication  curative  il  avoit  tant  de  mous- 
tarde  en  terre  projecté.  La  royne  respondit  que  moustarde 
estoit  leur  Sangreal  et  Bausme  céleste  :  duquel  mettant  quel- 
que peu  dedans  les  playes  des  Andouiiles  terrassées,  en  bien 
peu  de  temps  les  navrées  guerissoient,  les  mortes  ressusci- 
toient. 

Aultres  propous  ne  tint  Pantagruel  à  la  Royne,  et  se  retira 
en  sa  nauf.  Aussi  feirent  tous  les  bons  compaignons  avecques 
leurs  armes  et  leur  Truye. 


CHAPITRE  XLIH 

COMMENT     PANTAGRUEL     DESCENDIT     EN     L'ISLE     DE     RUACH 

Deux  jours  après  arrivasmes  en  l'isle  de  Ruach,  et  vous  jure 
par  l'estoile  Poussiniere  que  je  trouvay  l'esfat  et  la  vie  du 


PANTAORTT-L  135 

peuple  estrânge  plus  que  je  ne  dis.  Hz  ne  vivent  que  de  vent. 
Rien  ne  beuvent,  rien  ne  mangent,  sinon  vent.  Ils  n'ont 
maisons  que  de  gyrouettes.  En  leurs  jardins  ne  sèment  que 
les  troys  espèces  de  Anémone.  La  Rue  et  aultres  herbes  car^ 
minativea  ilz  en  escurent  soingneusement.  Le  peuple  commun, 
pour  soy  alimenter,  use  de  esvantoirs  de  plumes,  de  papier 
de  toille,  selon  leur  faculté  et  puissance.  Les  riches  vivent  de 
moulins  à  vent.  Quant  ilz  font  quelque  festin  ou  banquet,  on 
dresse  les  tables  soubs  un  ou  deux  moulins  à  vent.  Là,  repais- 
sent aises  comme  à  nopces.  Et  durant  leur  repas,  disputent  de 
la  bonté,  excellence,  salubrité,  rarité  des  vens,  comme  vous, 
Beuveurs,  par  les  banquetz  philosophez  en  matière  de  vins. 
L'un  loue  le  Siroch;  l'aultre,  le  Besch,  l'aultre,  le  Guarbin; 
l'aultre,  la  Bise;  l'aultre,  Zephyre;  l'aultre,  Gualerne.  Ainsi 
des  aultres.  L'aultre,  le  vent  de  la  chemise,  pour  les  muguetz 
et  amoureux.  Pour  les  malades  ilz  usent  de  vens  coulis,  com- 
me de  coulis  on  nourrist  les  malades  de  nostre  pays.  «  O,  me 
disoyt  un  petit  enflé,  qui  pourroyt  avoir  une  vessie  de  ce  bon 
vent  de  Languegoth,  que  l'on  nomme  Cyerce  !  Le  noble  Scur- 
ron,  medicin,  passant  un  jour  par  ce  pays,  nous  contoit  qu'il 
est  si  fort  qu'il  renverse  les  charrettes  chargées.  O  le  grand 
bien  qu'il  feroit  à  ma  jambe  Œdipodicque  !  Les  grosses  ne 
sont  les  meilleures.  —  Mais,  dist  Panurge,  une  grosse  botte 
de  ce  bon  vin  de  Languegoth,  qui  croit  à  Mirevaulx,  Cante- 
perdris  et  Frontignan  !  » 

Je  y  veiz  un  homme  de  bonne  apparence  bien  ressemblant 
à  la  Ventrose,  amèrement  courroussé  contre  un  sien  gros, 
grand  varlet  et  un  petit  paige,  et  les  battoit  en  Diable  à 
grands  coups  de  brodequin.  Ignorant  la  cause  du  courroux 
pensois  que  feust  par  le  conseil  des  medicins,  comme  chose 
salubre  au  maistre  roy  courrousser  et  battre,  aux  varletz 
estre  battuz.  Mais  je  ouyz  qu'il  reprochoit  aux  varlets  luy 
avoir  esté  robbé  à  demy  une  oyre  de  vent  Guarbin,  laquelle  il 
guardoit  chèrement,  comme  viande  rare  pour  l'arriére  saison. 


136  LIVRE    IV,     CHAPITRE    XLIII 

Hz  ne  fiantent,  ilz  ne  pissent,  ilz  ne  crachent  en  ceste  isle. 
En  recompense,  ilz  ressent,  ilz  pettent,  ilz  rottent  copieuse- 
ment. Hz  pâtissent  toutes  sortes  et  toutes  espèces  de  maladies. 
Aussi  toute  maladie  naist  et  procède  de  ventosité,  comme 
deduyt  Hyppocrates,  lib.  de  Flatihns.  Mais  la  plus  epidemiale 
est  la  cholique  venteuse.  Pour  y  remédier,  usent  de  ventôses 
amples,  et  y  rendent  forte  ventositez.  Hz  meurent  tous  hydro- 
picques  tympanites;  et  meurent  les  hommes  en  pétant,  les 
femmes  en  vesnant.  Ainsi  leur  sort  l'ame  par  le  cul. 

Depuis,  nous  pourmenans  par  l'isle,  rencontrasmes  trois 
gros  esventez  les  quelz  alloient  à  l'esbat  voir  les  pluviers,  qui 
là  sont  en  abondance,  et  vivent  de  mesme  diète.  Je  advisay 
que  ainsi,  comme  vous,  Beuveurs,  allans  par  pays  portez  fiac- 
cons,  ferrieres  et  bouteilles  :  pareillement  chascun  à  sa  ceinc- 
ture  portoit  un  beau  petit  soufflet.  Si  par  cas  vent  leur  fail- 
loit,  avccques  ces  joliz  souffletz  ilz  en  forgeoient  de  tout  frays, 
par  attraction  et  expulsion  réciproque,  comme  vous  sçavez 
que  vent,  en  essentiale  définition,  n'est  aultre  chose  que  air 
flottant  et  ondoj^ant. 

En  ce  moment,  de  par  leur  Roy,  nous  fut  faict  commande- 
ment que  de  troys  heures  n'eussions  à  retirer  en  nos  navires, 
home  ne  femme  du  pays.  Car  on  luy  avoit  robbé  une  veze 
pleine  du  vent  propre  que  jadis  à  Ulysses  donna  le  bon  ron- 
fleur yEolus  pour  guider  sa  nauf  en  temps  calme.  Lequel  il 
guardoit  religieusement,  comme  un  autre  Sangreal,  et  en 
guerissoyt  plusieurs  énormes  maladies,  seulement  en  laschant, 
et  eslargissant  es  malades  autant  qu'en  fauldroit  pour  forger 
un  pet  virginal  :  c'est  ce  que  les  Sanctimoniales  appellent  son- 
net. 


PANTAGRUEL  I37 


CHAPITRE  XLIV 


COMMENT    PETITES    PLUYES    ABATTENT    LES    GRANDS    VENT3 


Pantagruel  louoit  leur  police  et  manière  de  vivre,  et  dist  à 
leur  potestat  Hypenemien  :  «  Si  recepvez  l'opinion  de  Epi- 
curus,  disant  le  bien  souverain  consister  en  volupté  (Volupté) 
dis  je,  facile  et  non  pénible),  je  vous  repute  bien  heureux. 
Car  vostre  vivre,  qui  est  de  vent,  ne  vous  couste  rien,  ou  bien 
peu  :  il  ne  fault  que  souffler.  —  Voyre,  respondit  le  Potestat. 
Mais  en  ceste  vie  mortelle,  rien  n'est  beat  de  toutes  pars.  Sou- 
vent, quand  sommes  à  table,  nous  alimentans  de  quelques 
bon  et  grand  vent  de  Dieu,  comme  de  Manne  céleste,  aises 
comme  pères,  quelque  petite  pluye  survient,  laquelle  nous 
le  toUist  et  abat.  Auisi  sont  maints  repas  perduz  par  faulte  de 
victuailles.  —  C'est,  dist  Panurge,  comme  Jenin  de  Quin- 
quenais,  pissant  sur  le  fessier  de  sa  femme  Quelot,  abatit  le 
vent  punays  qui  en  sortoit  comme  d'une  magistrale  .^olipyle. 
J'en  feys  nagueres  un  dizain  joUiet  : 

Jenin,  tastant  un  soir  ses  vins  nouveaulx, 
Troubles  encor  et  bouillans  en  leur  lie, 
Pria  Ouelot  aprester  des  naveaulx 
A  leur  soupper,  pour  faire  chère  lie. 
Cela  feut  faict.  Puis,  sans  melancholie, 
Se  vont  coucher,  belutent,  prennent  somme. 
Mais  ne  povant  Jenin  dormir  en  somme. 
Tant  fort  vesnoit  Quelot,  et  tant  souvent, 
La  compissa.  Puis  :  «  Voylà,  dist  il,  comme 
Petite  pluye  abat  bien  un  grand  vent,  s 

—  Nous  d'adventaige,  disait  le  Potestat,  avons  une 
annuelle  calamité  bien  grande  et  dommaigeable.  C'est  qu'un 
géant,  nommé  BringuenariUes,  qui  habite  en  l'isle  de  Tohu 


I3S  LIVRE    IV,     CHAPITRE    XLIV 

annuellement,  par  le  conseil  de  ses  medicins,  icy  se  transporte 
à  la  prime  Vere  pour  prendre  purgation,  et  nous  dévore  grand 
nombre  de  moulins  à  vent,  comme  pillules,  et  de  souffletz 
pareillement,  des  quelz  il  est  fort  friant  :  ce  que  nous  vient  à 
grande  misère,  et  en  jeusnons  troys  ou  quatre  quaresmes 
par  chascun  an,  sans  certaines  particulières  rouaisons  et  orai- 
sons. —  Et  n'y  sçavez  vous,  demandoit  Pantagruel,  ob\'ier? 
—  Par  le  conseil,  respondit  le  Potestat,  de  nos  maistres  Meza- 
rims,  nous  avons  mis,  en  la  saison  qu'il  a  de  coustume  icy 
venir,  dedans  les  moulins  force  coqs  et  force  poulies.  A  la  pre- 
mière foys  qu'il  les  avalla,  peu  s'en  fallut  qu'il  n'en  mourust. 
Car  ilz  luy  chantoient  dedans  le  corps,  et  luy  voloient  à  tra- 
vers l'estomach,  dont  tomboit  en  lipothymie,  cardiacque 
passion  et  convulsion  horrificque  et  dangereuse,  comme  si 
quelque  serpent  lui  feust  par  la  bouche  entré  dedans  l'esto- 
mach. —  Voylà,  dist  frère  Jan,  un  comme  mal  à  propous  et 
incongru.  Car  j'ay  aultresfois  ouy  dire  que  le  serpent  entré 
dedans  l'estomach  ne  faict  desplaisir  aulcun,  et  soubdain 
retourne  dehors  si  par  les  pieds  on  pend  le  patient,  luy  présen- 
tant prés  la  bouche  un  paeslon  plein  de  laict  chauld.  —  Vous, 
dist  Pantagruel,  l'avez  ouy  dire  :  aussi  avoient  ceulx  qui 
vous  l'ont  raconté.  Mais  tel  remède  ne  feut  oncques  veu  ne  leu. 
Hippocrates  {lib.  V,  Epid.)  escript  le  cas  estre  de  son  temps 
advenu,  et  le  patient  subit  estre  mort  par  spasme  et  convul- 
sion. 

• —  Oultre  plus,  disoit  le  Potestat,  tous  les  renards  du  pays 
luy  entroient  en  gueule,  poursuyvans  les  gelines,  et  trespas- 
soit  à  tous  momens,  ne  feust  que  par  le  conseil  d'un  Badin 
enchanteur,  à  l'heure  du  paroxysme  il  escorchoit  un  renard 
pour  antidote  et  contrepoison.  Depuys  eut  meilleur  advis,  et  y 
remédie  moyennant  un  clystere  qu'on  luy  baille,  faict 
d'une  décoction  de  grains  de  bled  et  de  millet,  es  quelz  accou- 
rent les  poulies  :  en  semble  de  f  oyes  d'oysons,  es  quelz  accou- 
rent les  renards.  Aussi  des  pillules  qu'il  prend  par  la  bouche, 


PANTAGRUEL  139 

composées  de  lévriers  et  de  chiens  terriers.  Voyez  là  nostre 
malheur.  — ■  N'ayez  paour,  gens  de  bien,  dist  Pantagruel, 
désormais.  Ce  grand  Bringuenarilles,  avalleur  de  moulins  à 
vent,  est  mort.  Je  le  vous  asceure.  Et  mourust  sufEocqué  et 
estranglé,  mangeant  un  coin  de  beurre  frais  à  la  gueule  d'un 
four  chault  par  l'ordonnance  des  Medicins,  » 


CHAPITRE  XLV 

COMMENT    PANTAGRUEL    DESCENDIT    EX    L'ISLE    DES    PAPEFIGUES 


Au  lendemain  matin  rencontrasmes  l'isle  des  Papefîgues, 
les  quelz  jadis  estoient  riches  et  libres,  et  les  nommoit  on 
Guaillardetz.  Pour  lors  estoient  paouvres,  malheureux  et  sub- 
jectz  aux  Papimanes.  L'occasion  avoit  esté  telle.  Un  jour 
de  feste  annuelle  à  bastons,  les  Bourguemaistre,  Syndicz  et 
gros  Rabiz  Guaillardetz,  estoient  allés  passer  temps,  et  veoir 
la  feste  en  Papimanie,  isle  prochaine.  L'un  d'eulx,  voyant  le 
protraict  Papal  (comme  estoit  de  louable  coustume  publicque- 
ment  le  monstrer  es  jours  de  feste  à  doubles  bastons),  luy 
feist  la  figue,  qui  est,  en  icelluy  pays,  signe  de  contemnement 
et  dérision  manifeste.  Pour  icelle  vanger,  les  Papimanes, 
quelques  jours  après,  sans  dire  guare,  se  mirent  tous  en  armes, 
surprindrent,  saccaigerent,  et  ruinèrent  toute  l'isle  des  Guail- 
lardetz, taillèrent  à  fil  d'espée  tout  homme  portant^  barbe.  Es 
femmes  et  jouvenceaulx  pardonnèrent,  avecques  condition 
semblable  à  celle  dont  l'empereur  Federic  Barberousse  jadis 
usa  envers  les  Milanois. 

Les  Milanois  s'estoient  contre  luy  absent  rebellez  et  avoient 
rimperatrice  sa  femme  chassé  hors  la  ville,  ignominieuse- 
ment montée  sus  une  vieille  muUe  nommée  Thacor,  à  chevau- 


140  LIVRE    IV,     CHAPITRE    XLV 

chons  de  rebours  :  sçavoir  est,  le  cul  tourné  vers  la  teste  de  la 
mulle,  et  la  face  vers  la  croppiere.  Federic,  à  son  retour,  les 
ayant  subjuguez  et  resserrez,  feist  telle  diligence  qu'il  recou- 
vra la  célèbre  mule  Thacor.  Adoncques,  au  milieu  du  grand 
Brouet,  par  son  ordonnance,  le  bourreau  mist  es  membres 
honteux  de  Thacor  une  figue,  presens  et  voyans  les  citadins 
captifz;  puys  crya,  de  par  l'empereur,  à  son  de  trompe,  que 
quiconques  d'iceulx  voudroit  la  mort  évader,  arrachast 
publicquement  la  Figue  avecques  les  dens,  puis  la  remist  on 
propre  lieu  sans  ayde  des  mains.  Quiconque  en  feroit  refus 
seroit  sus  l'instant  pendu  et  estranglé.  Aulcuns  d'iceulx 
eurent  honte  et  horreur  de  telle  tant  abhominable  amende, 
la  postpouserent  à  la  craincte  de  mort,  et  furent  penduz.  Es 
autres  la  craincte  de  mort  domina  sus  telle  honte.  Iceulx, 
avoir  à  belles  dens  tiré  la  Figue,  la  monstroient  au  Boye, 
apertement,  disans  :  Ecco  lo  fico.  En  pareille  ignominie,  le 
reste  de  ces  pauvres  et  désolez  Guaillaidetz  feurent  de  mort 
guarantiz  et  saulvez.  Feurent  faicts  esclaves  et  tributaires, 
et  leur  feut  imposé  nom  de  Papefigues,  parce  qu'au  protraict 
Papal  avoient  faict  la  Figue.  Depuys  celluy  temps,  les  pau- 
vres gens  n'avoient  prospéré.  Tous  les  ans  avoient  gresle, 
tempeste,  famine  et  tout  malheur,  comme  éternelle  punition 
du  pcché  de  leurs  ancestres  et  parcns. 

Voyans  la  misère  et  calamité  du  peuple,  plus  avant  entrer 
ne  voulusmes.  Seulement  pour  prendre  de  l'eau  beniste  et  à 
Dieu  nous  recommander,  entrasmes  dedans  une  petite  cha- 
pelle près  le  havre,  ruinée,  désolée  et  descouverte,  comme  est  à 
Rome  le  temple  de  sainct  Pierre.  En  la  chapelle  entrez  et  pre- 
nens  de  l'eau  beniste,  apperceusmes  dedans  le  benoistier  un 
home  vestu  d'estoUes,  et  tout  dedans  l'eaue  caché,  comme  un 
Canard  au  plonge,  excepté  un  peu  du  nez  pour  respirer.  Au 
tour  de  luy  estoient  trois  prebstres  bien  ras  et  tonsurez,  lisans 
le  Grimoyre,  et  conjurans  les  Diables.  Pantagruel  trouva  le 
cas   estrange,   et,   demandant  quelz   jeuz   c'estoient  qu'ilz 


PANTAGRUEL  14! 

jouoient  là,  feut  adverty  que  depuys  troys  ans  passez  avoit 
en  l'isle  régné  une  pestilence  tant  horrible  que  pour  la  moitié 
et  plus  le  pays  estoit  lesté  désert,  et  les  terres  sans  posses- 
seurs. Passée  la  pestilence,  cestuy  home  caché  dedans  le 
benoistier  aroyt  un  champ  grand  et  restile,  et  le  semoyt  de 
touzelle  en  un  jour  et  heure  qu'un  petit  Diable  (lequel  encores 
ne  sçavoit  ne  tonner  ne  gresler,  fors  seulement  le  persil  et  les 
choux,  encores  aussi  ne  sçavoit  lire  ne  escrire)  avoit  de  Lucifer 
impetré  venir  en  ceste  isle  des  Papefîgues,  soy  recréer  et 
esbattre,  en  la  quelle  les  Diables  a  voient  familiarité  grande 
avecques  les  hommes  et  femmes,  et  souvent  y  alloient  passer 
temps. 

Ce  Diable,  arrivé  au  lieu,  s'adressa  au  Laboureur,  et  luy 
demanda  qu'il  faisoit.  Le  paouvre  homme  luy  respondit  qu'il 
semoit  celluy  champ  de  touzelle  pour  soy  ayder  à  vi\Te  l'an 
suyvant.  «  Voire  mais,  dist  le  diable,  ce  champ  n'est  pas  tien, 
il  est  à  moy,  et  m'appartient.  Car  depuys  l'heure  et  le  temps 
qu'au  Pape  vous  feistes  la  figue,  tout  ce  pays  nous  fut  adjugé, 
proscript  et  abandonné.  Bled  semer  toutesfoys  n'est  mon 
estât.  Pourtant  je  te  laisse  le  champ;  mais  c'est  en  condition 
que  nous  partirons  le  profict.  —  Je  le  veulx,  respondit  le  La- 
boureur. —  J'entends,  dist  le  Diable,  que  du  profit  advenent 
nous  ferons  deux  lotz.  L'un  sera  ce  que  croistra  sus  terre, 
l'autre  ce  que  en  terre  sera  couvert.  Le  choix  m'appartient, 
car  je  suys  Diable  extraict  de  noble  et  antique  race  :  tu  n'es 
qu'un  villain.  Je  choizis  ce  que  sera  en  terre,  tu  auras  le  des- 
sus. En  quel  temps  sera  la  cueillette?  —  A  my  Juillet,  res- 
pondit le  Laboureur.  —  Or,  dist  le  Diable,  je  ne  fauldray  me 
y  trouver.  Fays  au  reste  comme  est  le  debvoir  :  travaille, 
villain,  travaille.  Je  oys  tenter  du  guaillard  péché  de  luxure 
les  nobles  nonnains  de  Pettesec,  les  Cagotz  et  Briffaulx  aussi. 
-De  leurs  vouloirs  je  suys  plus  qu'asceuré.  Au  joindre  sera  le 
combat.  » 


Î41  LIVRE    IV,     CHAPITRE    XLVI 


CHAPITRE  XLVI 

COMMENT    LE    PETIT    DIABLE    FEUT    TROMPÉ    PAR    UN    LABOUREUR 
DE     PAPEFIGUIERE 


La  my  Juillet  venue,  le  Diable  se  représenta  au  lieu,  accom- 
paigné  d'un  escadron  de  petitz  Diableteaux  de  cœur.  Là  ren- 
contrant le  Laboureur,  luy  dist  :  «  Et  puys,  villain,  comment 
t'es  tu  porté  depuis  ma  départie?  Faire  icy  convient  nos  par- 
taiges.  —  C'est,  respondit  le  Laboureur,  raison.  »  Lors  com- 
mença le  Laboureur  avecques  ses  gens  seyer  le  bled.  Les 
petitz  Diables  de  mesme  tiroient  le  chaulme  de  terre.  Le 
Laboureur  battit  son  bled  en  l'aire,  le  venait,  le  mist  en  po- 
ches, le  porta  au  marché  pour  vendre.  Les  Diableteaux 
feirent  de  mesmes,  et  au  marché  prés  du  laboureur,  pour  leur 
chaulme  vendre,  s'assirent.  Le  laboureur  vendit  tresbien  son 
bled,  et  de  l'argent  emplit  un  vieulx  demy  brodequin,  lequel 
il  portoit  à  sa  ceincture.  Les  Diables  ne  vendirent  rien  :  ains 
au  contraire  les  paizans  en  plein  marché  se  mocquoient  d'eulx. 

Le  marché  clous,  dist  le  Diable  au  Laboureur  :  «  Villain,  tu 
m'as  à  ceste  foys  trompé,  à  l'aultre  ne  me  tromperas.  —  Mon- 
sieur le  Diable,  respondit  le  Laboureur,  comment  vous 
aurois  je  trompé,  qui  premier  avez  choisy?  Vray  est  qu'en 
cestuy  choix  me  pensiez  tromper,  espérant  rien  hors  terre  ne 
yssir  pour  ma  part,  et  dessoubs  trouver  tout  entier  le  grain 
que  j'avois  semé,  pour  d'icelluy  tempter  les  gens  souffreteux, 
Cagotz,  ou  avares,  et  par  temptation  les  faire  en  vos  lacz 
tresbucher.  Mais  vous  estes  bien  jeune  au  mestier.  Le  grain 
que  voyez  en  terre  est  mort  et  corrompu,  la  corruption  d'icel- 
luy a  esté  génération  de  l'aultre  que  me  avez  veu  vendre. 
Ainsi  choisissiez  vous  le  pire.  C'est  pourquoy  estez  luaudict 


PANTAGRUEL  143 

en  l'Evangile.  —  Laissons,  dist  le  Diable,  ce  propous  :  de 
quoy  caste  année  sequente  pourras  tu  nostre  champ  semer? 
—  Pour  profict,  respondit  le  Laboureur,  de  bon  mesnagier,  le 
conviendroit  semer  de  Raves.  —  Or,  dist  le  Diable,  tu  es 
villain  de  bien  :  semé  Raves  à  force,  je  les  guarderay  de  la 
tempeste,  et  ne  gresleray  poinct  dessus.  Mais,  entends  bien, 
je  retiens  pour  mon  partaige  ce  que  sera  dessus  terre,  tu 
auras  le  dessoubs.  Travaille,  villain,  travaille.  Je  voys  tenter 
les  hereticques,  ce  sont  âmes  friandes  en  carbonnade  :  mon- 
sieur Lucifer  a  sa  cholicque,  ce  luy  sera  une  guorge  chaulde.  » 
Venu  le  temps  de  la  cueillette,  le  Diable  se  trouva  au  lieu 
avecques  un  esquadron  de  Diableteaux  de  chambre.  Là 
rencontrant  le  Laboureur  et  ses  gens,  commença  seyer  et 
recueillir  les  feuilles  des  Raves.  Après  luy  le  Laboureur  bechoit 
et  tiroyt  les  grosses  Raves,  et  les  mettoit  en  poches.  Ainsi 
s'en  vont  tous  ensemble  au  marché.  Le  Laboureur  vend  oit 
tresbien  ses  Raves.  Le  diable  ne  vendit  rien.  Que  pis  est,  on 
se  mocquoit  de  luy  publicquement.  «  Je  voy  bien,  villain,  dist 
adoncques  le  Diable,  que  par  toy  je  suys  trompé,  Je  veulx 
faire  fin  du  cham_p  entre  toy  et  moy.  Ce  sera  en  tel  pact  que 
nous  entregratterons  l'un  l'aultre,  et  qui  de  nous  deux  pre- 
mier se  rendra  quittera  sa  part  du  champ.  Il  entier  demeu- 
rera au  vaincueur.  La  journée  sera  à  huytaine.  Va,  villain,  je 
te  gratteray  en  Diable.  Je  alloys  tenter  les  pillars  Chiquanous, 
desguyseurs  de  procès,  notaires  faulseres,  advocatz  prévari- 
cateurs; mais  ilz  m'ont  faict  dire  par  un  truchement  qu'ilz 
estoient  tous  à  moy.  Aussi  bien  se  fasche  Lucifer  de  leurs 
âmes.  Et  les  renvoya  ordinairement  aux  Diables  souillars  de 
cuisine,  sinon  qunad  elles  sont  saulpoudrees.  Vous  dictes 
qu'il  n'est  desjeuner  que  de  escholiers,  dipner  que  d'advo- 
catz,  ressiner  que  de  vinerons,  soupper  que  de  marchans, 
regoubilloner  que  de  chambrières,  et  tous  repas  que  de  Far- 
fadetz.  Il  est  vray  ;  de  faict,  monsieur  Lucifer  se  paist  à  tous 
ses  repas  de  Farfadetz  pour  entrée  de  table.  Et  se  souloit  des- 


144  LIVRE    IV,     CHAPITRE    XLVI 

jeûner  de  escholiers.  Mais  (las  !)  ne  sçay  par  quel  malheur 
depuys  certaines  années  ilz  ont  avecques  leurs  estudes  adjoinct 
les  sainctes  Bibles.  Pour  ceste  cause  plus  n'en  pouvons  au 
Diable  l'un  tirer.  Et  croy  que  si  les  Caphards  ne  nous  y  aident, 
leurs  ostans  par  menaces,  injures,  force,  violence  et  brusle- 
mens  leur  sainct  Paul  d'entre  les  mains,  plus  à  bas  n'en  gri- 
gnoterons. De  avocatz  peivertisseurs  de  droict  et  pilleurs 
de  paou\Tes  gens,  il  se  dipne  ordinairement  et  ne  luy  man- 
quent. Mais  on  se  fasche  de  tousjours  un  pain  manger.  Il  dist 
nagueres  en  plein  chapitre  qu'il  mangeroit  voluntiers  l'ame 
d'un  Caphard,  qui  eust  oublié  soy  en  son  sermon  recom- 
mander. Et  promist  double  paye  et  notable  appoinctement- 
à  quiconques  luy  en  apporteroit  une  de  broc  en  bouc.  Chas- 
cun  de  nous  se  mit  en  queste.  Mais  rien  n'y  avons  proficté. 
Tous  admonnestent  les  nobles  dames  donner  à  leur  convent. 
De  ressieuner  il  s'est  abstenu  depuys  qu'il  eut  sa  forte  coUc- 
que  prouvenante  à  cause  que  es  contrées  Boréales  l'on  avoit 
ses  nourrissons,  vivandiers,  charbonniers  et  chaircuitiers 
oultragé  villainement.  Il  souppe  tresbien  de  marchands  usu- 
riers, apothecaires,  faulsaires,  billonneurs,  adulterateurs  de 
marchandises.  Et  quelques  foys  qu'il  est  en  ses  bonnes, 
reguobillonne  de  chambrières,  les  quelles,  avoir  beu  le  bon 
vin  de  leurs  maistres,  reinplissent  le  tonneau  d'eaue  puante. 
Travaille,  viilain,  travaille.  Je  voys  tenter  les  eschohers  de 
Trebizonde  laisser  pères  et  mères,  renoncer  à  la  pohce  com- 
mune, soy  émanciper  des  edictz  de  leur  Roy,  vivre  en  liberté 
soubterraine,  mespriser  un  chascun,  de  tous  se  mocquer,  et 
prenans  le  beau  et  joyeulx  petit  béguin  d'innocence  Poëtic- 
que  soy  tous  rendre  Farfadetz  gentiiz.  » 


PANTAGRUEL  I45 


CHAPITRE  XLVII 

COMMENT     LE     DIABLE     FUT     TROMPÉ     PAR     UNE     VIEILLE 
DE     PAPEFIGUIERE 


Le  Laboureur  retournant  en  sa  maison  estoit  triste  et 
pensif.  Sa  femme,  tel  le  voyant,  cuydoit  qu'on  l'eust  au  mar- 
ché desrobbé.  Mais  entendant  la  cause  de  sa  melancholie, 
voyant  aussi  sa  bourse  pleine  d'argent,  doulcement  le  recon- 
forta et  l'asceura  que  de  ceste  gratelle  mal  aulcun  ne  luy 
adviendroit.  Seulement  que  sus  elle  il  eust  à  se  poser  et  repo- 
ser. Elle  avoit  ja  pourpensé  bonne  yssue.  «  Pour  le  pis  (disoit 
le  Laboureur)  je  n'en  auray  qu'une  esrafflade  :  je  me  rendray 
au  premier  coup  et  luy  quitteray  le  champ.  —  Rien,  rien, 
dist  la  vieille;  posez  vous  sus  moy  et  reposez  :  laissez  moy 
faire.  Vous  m'avez  dict  que  c'est  un  petit  Diable  :  je  le  vous 
feray  soubdain  rendre,  et  le  champ  nous  demourera.  Si  c'eust 
esté  un  grand  Diable,  il  y  auroit  à  penser.  » 

Le  jour  de  l'assignation  estoit  lorsqu'en  l'isle  nous  arrivas- 
mes.  A  bonne  heure  du  matin  le  Laboureur  s'estoit  très  bien 
confessé,  avoit  communié,  comme  bon  cathodique,  et  par  le 
conseil  du  Curé  s'estoit  au  plonge  caché  dedans  le  benoistier, 
en  Testât  que  l'avions  trouvé. 

Sus  l'instant  qu'on  nous  racontoit  ceste  histoire,  eusmes 
advertissement  que  la  vieille  avoit  trompé  le  Diable  et  guain- 
gné  le  champ.  La  manière  feut  telle.  Le  Diable  vint  à  la  porte 
du  Laboureur,  et,  sonnant,  s'escria  :  «  O  villain,  villain; 
ça,  ça  à  belles  gryphes  !  » 

Puis  entrant  en  la  maison  guallant  et  bien  délibéré,  et 
ne  y  trouvant  le  Laboureur,  advisa  sa  femme  en  terre  pleu- 
rante et  lamentante.  «  Qu'est  cecy  ?  demandoit  le  Diable.  Où 
T.  II.  10 


146  LIVRE    IV,     CHAPITRE    XL\III 

est-il?  Que  faict  il?  —  Ha,  dist  la  vieille,  où  il  est  le  meschant, 
le  bourreau,  le  briguant?  Il  m'a  affoUée,  je  suis  perdue,  je 
meurs  du  mal  qu'il  m'a  faict.  —  Comment,  dist  le  Diable, 
qu'y  a  il?  Je  le  vous  gualleray  bien  tantoust.  —  Ha,  dist  la 
vieille,  il  m'a  dict,  le  bourreau,  le  tyrant,  l'esgratineur  de 
Diables,  qu'il  avoit  huy  assignation  de  se  gratter  avecqucs 
vous  :  pour  essayer  ses  ongles  il  m'a  seulement  gratté  du 
petit  doigt  icy  entre  les  jambes,  et  m'a  du  tout  affollée.  Je 
suys  perdue,  jamais  je  n'en  gueriray,  reguardez.  Encores  est 
il  allé  ches  le  mareschal  soy  faire  esguiser  et  apoincter  les 
gryphes.  Vous  estes  perdu,  monsieur  le  Diable,  mon  amy. 
Saulvez  vous,  il  n'arrestera  poinct.  Retirez  vous,  je  vous  en 
prie.  » 

Lors  se  descouvrit  jusques  au  menton  en  la  forme  que 
jadis  les  femmes  Persides  se  présentèrent  à  leurs  enfans  fuyans 
de  la  bataille,  et  luy  raonstra  son  comment  a  nom.  Le  Diable, 
voyant  l'énorme  solution  de  continuité  en  toutes  dimensions, 
s'escria  :  «  Mahon,  Demiourgon,  Megere,  Alecto,  Persephone, 
il  ne  me  tient  pas  !  Je  m'en  voys  bel  erre.  Cela  !  Je  luy  quitte 
le  champ.  » 

Entendens  la  catastrophe  et  fin  de  l'histoire,  nous  retiras- 
mes  en  nostre  nauf.  Et  là  ne  feismes  aultre  séjour.  Pantagruel 
donna  au  tronc  de  la  fabricque  de  l'EccUse  dixhuict  mille 
Royaulx  d'or  en  contemplation  de  la  paouvreté  du  peuple  et 
calamité  du  lieu. 


CHAPITRE  XLVIII 

COMMENT    PANTAGRUEL    DESCENDIT    EN    L'ISLE    DES    PAPIMANES 


Laissans  l'isle  désolée  des  Papefigues,  navigasmes  par  un 
jour  en  sérénité  et  tout  plaisir,  quant  à  nostre  veue  se  offrit 


PANTAGRUEL  I47 

la  benoiste  isle  des  Papimanes.  Soubdain  que  nos  ancres  fcu- 
rent  au  port  jettées,  avant  que  nous  eussions  encoche  nos 
gumenes,  vindrent  vers  nous  en  un  esquif  quatre  personnes 
diversement  vestuz.  L'un  en  moine  enfrocqué,  crotté,  botté, 
L'aultre  en  faulconnier,  avecques  im  leurre  et  guand  de 
oiseau.  L'aultre  en  solliciteur  de  procès,  ayant  un  grand  sac 
plein  d'informations,  citations,  chiquaneries  et  adjournemens 
en  main.  L'aultre  en  vigneron  d'Orléans  avecques  belles 
guestres  de  toille,  une  panouere  et  une  serpe  à  la  ceincture. 
Incontinent  qu'ilz  f eurent  joinctz  à  nostre  nauf,  s'escrierent 
à  haulte  voix  tous  ensemble  demandans  :  «  L'avez  vous  veu, 
gens  passagiers?  l'avez  vous  veu?  —  Qui?  demandoit  Panta- 
gruel. —  Celluy  là.  respondirent  ilz.  —  Qui  est  il?  demanda 
frère  Jan.  Par  la  mort  beuf,  je  l'assommeray  de  coups.  «  Pen- 
sant qu'ils  se  guementassent  de  quelque  larron,  meurtrier  ou 
sacrilège.  «  Comment,  dirent  ilz,  gens  peregrins,  ne  congnois- 
sez  vous  rUnicque.  —  Seigneurs,  dist  Epistemon,  nous  ne 
entendons  telz  termes.  Mais  exposez  nous,  s'il  vous  plaist, 
de  qui  entendez,  et  nous  vous  en  dirons  la  vérité  sans  dissi- 
mulation. —  C'est,  dirent  ilz,  celluy  qui  est.  L'avez  vous 
jamais  veu?  —  Celluy  qui  est,  respondit  Pantagruel,  par  nos- 
tre Théologicque  doctrine,  est  Dieu.  Et  en  tel  mot  se  declaira 
à  Moses.  Oncques  certes  ne  le  veismes,  et  n'est  visible  à  œilz 
corporeiz.  —  Nous  ne  parlons  mie,  dirent  ilz,  de  celluy  hault 
Dieu  qui  domine  par  les  Cieulx.  Nous  parlons  du  Dieu  en 
terre.  L'avez  vous  onques  veu?  ■ —  Ilz  entendent,  dist  Carpa- 
lim,  du  Pape,  sus  mon  honneur.  —  Ouy,  ouy,  respondit 
Panurge,  ouy  dea,  messieurs,  j'en  ay  veu  troys,  à  la  veue 
desquelz  je  n'ay  gueres  profité.  —  Comment,  dirent  ilz,  nos 
sacres  decretales  chantent  qu'il  n'y  en  a  jamais  qu'un  vivant. 
—  J'entends,  respondit  Panurge,  les  uns  successivement 
après  les  aultres.  Aultrement  n'en  ay  je  veu  qu'un  à  une 
fois.  —  O  gens,  dirent  ilz,  troys  et  quatre  foys  heureux,  vous 
soyez  les  bien  et  plus  que  tresbien  venuz  !  » 


148  LIVRE    IV,     CHAPITRE    XLVIII 

Adoncques  s'agenouillèrent  devant  nous,  et  nous  vouloient 
baiser  les  pieds.  Ce  que  ne  leurs  voulusmes  permettre,  leur 
remontrans  que  au  Pape,  si  là  de  fortune  en  propre  personne 
venoit,  ilz  ne  sçauroient  faire  d'adventaige.  «  Si  ferions,  si 
respondirent  ilz.  Cela  est  entre  nous  ja  résolu.  Nous  luy  baise- 
rions le  cul  sans  feuille,  et  les  couilles  pareillement.  Car  il  a 
couilles  le  père  sainct,  nous  le  trouvons  par  nos  belles  Decre- 
tales,  aultrement  ne  seroit  il  Pape.  De  sorte  qu'en  subtile 
philosophie  Decretaline  ceste  conséquence  est  nécessaire  :  Il 
est  Pape,  il  a  doncques  couilles.  Et  quand  couilles  fauldroient 
au  monde,  le  monde  plus  Pape  n'auroit.  » 

Pantagruel  demandoit  ce  pendent  à  un  mousse  de  leur' 
esquif  qui  estoient  ces  personnaiges.  Il  luy  feist  response  que 
c'estoient  les  quatre  estatz  de  l'isle  :  adjousta  d'adventaige 
que  serions  bien  recueilliz  et  bien  traictez,  puys  qu'avions 
veu  le  Pape.  Ce  que  il  remonstra  à  Panurge,  lequel  luy  dist 
secrètement.  «  Je  foys  veu  à  Dieu,  c'est  cela.  Tout  vient  à 
poinct  qui  peult  attendi-e.  A  la  veue  du  Pape  jamais  n'avions 
proficté  :  à  ceste  heure  de  par  tous  les  Diables  nous  profi- 
tera comme  je  voy.  »  AUors  descendismes  en  terre,  et  venoit  au 
davant  de  nous  comme  en  procession  tout  le  peuple  du  pays, 
homes,  femmes,  petitz  enfantz.  Nos  quatre  estatz  leurs  dirent 
à  haulte  voix  :  «  Hz  le  ont  veu.  Hz  le  ont  veu.  Hz  le  ont  veu.  » 

A  ceste  proclamation  tout  le  peuple  se  agenouilloit  davant 
nous,  levans  les  mains  joinctes  au  ciel,  et  cryans  :  «  O  gens 
heureux  !  O  bien  heureux  !  »  Et  dura  ce  cr\'s  plus  d'un  quart 
d'heure.  Puys  y  accourut  le  maistre  d'eschoUe  avecques  tous 
ses  pédagogues,  grimaulx  et  escholiers,  et  les  fouettoit  magis- 
tralement, comme  on  souloit  fouetter  les  petitz  enfans  en  nos 
pays,  quand  on  pendoit  quelque  malfaicteur,  afi&n  qu'il  leurs 
en  soubvint.  Pantagruel  en  feut  fasché,  et  leurs  dist  :  «  Mes- 
sieurs, si  ne  désistez  fouetter  ces  enfans,  je  m'en  retourne.  » 
Le  peuple  s'estonna,  entendent  sa  voix  Stentoree,  et  veiz 
un  petit  bossu  à  longs  doigtz  demandant  au  maistre  d'es- 


PANTAGRUEL  I49 

choie  :  «  Vertus  de  Exti^avagantes,  ceiilx  qui  voyent  le  Pape 
deviennent  ilz  ainsi  grands  comme  cestuy  cy  qui  nous  me- 
nasse? O  qu'il  me  tarde  merveilleusement  que  je  ne  le  voy, 
afi&n  de  croistre  et  grand  comme  luy  devenir.  »  Tant  grandes 
feurent  leurs  exclamations  que  Homenas  y  accourut  (ainsi 
appellent  ilz  leurs  Evesque)  sus  une  mule  desbridée,  caparas- 
sonnée  de  verd,  accompaigné  de  ses  appous  (comme  ilz  di- 
soient), de  ses  suppos  aussi,  portans  croix,  banieres,  confa- 
lons,  baldachins,  torches,  benoistiers.  Et  nous  vouloit  pareil- 
lement les  pieds  baiser  à  toutes  forces  (comme  feist  au  pape 
Clément  le  bon  Christian  Valfinier)  disant  qu'un  de  leurs 
hypophetes  desgresseur  et  glossateur  de  leurs  sainctes  Decre- 
tales  avoit  par  escript  laissé  que  ainsi  comme  le  Messyas,  tant 
et  si  long  temps  des  Juifz  attendu,  en  fin  leurs  estoit  advenu, 
aussi  en  icelle  isle  quelque  jour  le  pape  viendroit.  Attendens 
ceste  heureuse  journée,  si  là  arrivoit  personne  qui  l'eust  veu 
à  Rome  ou  aultre  part,  qu'ilz  eussent  à  bien  le  festoyer,  et 
reverentement  traicter.  Toutesf oys  nous  en  excusasmes  hones- 
tement. 


CHAPITRE  XLIX 


Comment  homenaz,  evesque  des  papimanes,  nous  monstrA 
les    uran0petes    decretales 


Puys  nous  dist  Homenas  :  «  Par  nos  sainctes  Decretales 
nous  est  enjoinct  et  commendé  visiter  premier  les  Ecchses 
que  les  cabaretz.  Pourtant,  ne  decUnans  de  ceste  belle  institu- 
tion, allons  à  l'Ecclise,  après  irons  bancqueter.  —  Home  de 
bien,  dist  frère  Jan,  allez  davant,  nous  vous  suivrons.  Vous 
avez  parlé  en  bons  termes  et  en  bon  Christian.  Ja  long  temps 
a  que  n'en  avions  veu.  Je  m'en  trouve  fort  resjouy  en  mon 


130  LIVRE    IV,     CHAPITRE    XLIX 

esprit,  et  croy  que  je  n'en  repaistray  que  mieulx.  C'est  belle 
chose  rencontrer  gens  de  bien.  »  Approchans  de  la  porte  du 
temple,  apperceusmez  un  gros  livre  doré,  tout  couvert  de  fines 
et  précieuses  pierres,  Balais,  Esmerauldes,  Diamans  et  Unions 
plus  ou  autant  pour  le  moins  excellentes  que  celles  que  Octa- 
\-ian  consacra  à  Juppiter  Capitolin.  Et  pendoit  en  l'air  ataché 
à  deux  grosses  chaînes  d'or  au  Zoophore  du  portai.  Nous  le 
reguardions  en  admiration.  Pantagruel  le  manyoit  et  tour- 
noyt  à  plaisir,  car  il  y  pouvoit  aizement  toucher.  Et  nous 
afîermoit  que  au  touchement  d'icelles,  il  sentoit  un  doulx  pru- 
rit des  ongles  et  desgourdissement  des  bras  :  ensemble  temp- 
tation  véhémente  en  son  esprit  de  battre  un  sergent  ou  deux  ■ 
pourveu  qu'ilz  n'eussent  tonsure.  Adoncques  nous  dist 
Homenaz  :  «  Jadis  feut  aux  Juifz  la  loy  par  Moses  baillée 
esciipte  des  doigts  propres  de  Dieu.  En  Delphes  davant  la  face 
du  temple  d'ApoUo  fut  trouvée  ceste  sentence  divinement 
escripte  :  rNÎ20I  XEATTÔX.  Et  par  certain  laps  de  temps 
après  feut  veue  El,  aussi  divinement  escripte  et  transmise 
des  Cieulx.  Le  simulachre  de  Cybele  feut  des  Cieulx  en 
Phrj'^gie  transmis  on  champ  nommé  Pesinunt.  Aussi  feut  en 
Tauris  le  simulachre  de  Diane,  si  croyez  Euripides.  L'ori- 
flambe  feut  des  Cieulx  transmise  aux  nobles  et  treschrestians 
Roys  de  France,  pour  combattre  les  Infidèles.  Régnant 
Numa  Pompilius,  Roy  second  des  Romains  en  Rome,  feut 
du  Ciel  veu  descendre  le  tranchant  bouclier,  dict  Ancile.  En 
AcropoUs  de  Athènes  jadis  tomba  du  ciel  empiré  la  statue  de 
Minerve.  Icy  semblablement  voyez  les  sacres  Decretales 
escriptes  de  la  main  d'un  ange  Chérubin.  Vous  aultres  gens 
Transpontins,  ne  le  croirez  pas.  —  Assez  mal,  respondit  Pa- 
nurge.  —  Et  à  nous  icy  miraculeusement  du  Ciel  des  Cieulx 
transmises,  en  façon  pareille  que  par  Homère,  père  de  toute 
Philosophie  (exceptez  tous  jours  les  dives  Decretales),  le 
fleuve  du  Nile  est  appelé  Diipetes.  Et  parce  qu'avez  veu  le 
Pape,  evangeUste  d'icelles  et  protecteur  sempiternel,  vous 


PANTAGRUEL  1 .5  I 

sera  de  par  nous  permis  les  veoir  et  baiser  au  dedans,  si  bon 
vous  semble.  Mais  il  vous  conviendra  par  avant  trois  jours 
jeûner  et  régulièrement  confesser,  curieusement  espluchans 
et  inventorizans  vos  péchez  tant  dru  qu'en  terre  ne  tombast 
une  seule  circonstance,  comme  divinement  nous  chantent  les 
dives  Decretales  que  voyez.  A  cela  fault  du  temps. 

—  Home  de  bien,  respondit  Panurge,  Decrotoueres,  voyre, 
diz  je,  Decretales  avons  prou  veu  en  papier,  en  parchemin 
lanterné,  en  velin,  escriptes  à  la  main,  et  imprimées  en  mouUe. 
Ja  n'est  besoing  que  vous  penez  à  cestes  cy  nous  monstrer. 
Nous  contentons  du  bon  vouloir  et  vous  remercions  autant. 

—  Vraybis,  dist  Homenaz,  vous  n'avez  mie  veu  cestes  cy 
angelicquement  escriptes.  Celles  de  vostres  pays  ne  sont  que 
transsumpts  des  nostres,  comme  trouvons  escript  par  un  de 
nos  antiques  Scholiastes  Decretalins.  Au  reste  vous  prye  n'y 
espargner  ma  peine.  Seulement  advisez  si  voulez  confesser  et 
jeûner  les  troys  beaulx  petitz  jours  de  Dieu.  — ■  De  cons  fesser, 
respondit  Panurge,  tresbien  nous  consentons.  Le  jeune  seule- 
ment ne  nous  vient  à  propous,  car  nous  avons  tant  et  trestant 
par  la  marine  jeune  que  les  araignes  ont  faict  leurs  toilles  sus 
nos  dens.  Voyez  icy  ce  bon  frère  Jan  des  Entommeures  (à  ce 
mot  Homenaz  courtoisement  luy  bailla  la  petite  accolade), 
la  mousse  luy  est  creue  on  gouzier  par  faulte  de  remuer  et 
exercer  les  badiguoinces  et  mandibules.  —  Il  dict  vray,  res- 
pondit frère  Jan.  J'ay  tant  et  trestant  jeune  que  j'en  suys 
devenu  tout  bossu. 

—  Entrons,  dist  Homenas,  doncques  en  l'Ecclise,  et  nous 
pa  donnez  si  présentement  ne  vous  chantons  la  belle  messe  de 
Dieu.  L'heure  de  myjour  est  passée,  après  laquelle  nous 
défendent  nos  sacrées  Decretales  messe  chanter,  messe,  diz-je, 
haulte  et  légitime.  Mais  je  vous  en  diray  une  basse  et  seiche. 

—  J'en  aimeroys  mieulx,  dist  Panurge,  une  mouillée  de  quel- 
que bon  vin  d'Anjou.  Boutez  doncq,  boutez  bas  et  roidde.  — 
Verd  et  bleu,  dist  frère  Jan,  il  me  desplaist  grandement 


152  LIVRE    IV,     CHAPITRE    L 

qu'encores  est  mon  estomach  à  jeun.  Car  ayant  t/esbien  des- 
jeuné  et  repeu  à  usaige  monachal,  si  d'adventure  il  nous 
chante  de  Requiem,  je  y  eusse  porté  pain  et  vin  par  les  traicts 
passez.  Patience.  Sacquez,  chocquez,  boutez,  mais  troussez 
la  court,  de  paour  que  ne  se  crotte,  et  pour  aultre  cause 
aussi,  je  vous  en  prye.  » 


CHAPITRE  L 

COMMENT,     PAR    HOMENAZ,     NOUS    FEUT     MONSTRE    L'ARCHETYPE" 
d'un     PAPE 


La  messe  parachevée,  Homenaz  tira  d'un  coffre  prés  le 
grand  autel  un  gros  faratz  de  clefz,  des  quelles  il  ou\Tit,  à 
trente  et  deux  clavures  et  quatorze  cathenatz,  une  fenestre 
de  fer  bien  barrée,  au  dessus  dudict  autel;  puys,  par  grand 
mystère,  se  couvrit  d'un  sac  mouillé,  et,  tirant  un  rideau  de 
satin  cramoisy,  vous  monstra  une  image  paincte  assez  mal, 
selon  mon  ad\ds,  y  toucha  un  baston  longuet,  et  nous  feist 
à  tous  baiser  la  touche.  Puys  nous  demanda  :  «  Que  vous 
semble  de  ceste  imaige?  —  C'est,  respondit  Pantagruel,  la 
ressemblance  d'un  pape.  Je  le  congnois  à  la  thiare,  à  l'au- 
musse,  au  rochet,  à  la  pantoplile.  —  Vous  dictez  bien,  dist 
Homenas.  C'est  l'idée  de  ceUuy  Dieu  de  bien  en  terre,  la 
venue  duquel  nous  attendons  dévotement,  et  lequel  espérons 
une  foys  veoir  en  ce  pays.  O  l'heureuse  et  désirée  et  tant 
attendue  journée  !  Et  vous,  heureux  et  bienheureux,  qui  tant 
avez  eu  les  astres  favorables  que  avez  vivement  en  face  veu 
et  realement  celluy  bon  Dieu  en  terre,  duquel  voyant  seule- 
ment le  portraict,  pleine  remission  guaignons  de  tous  nos 
péchez   mémorables   :   ensemble  la  tierce  partie  avecques 


PANTAGRUEL  I53 

dixhuict  quarantaines  de  péchez  oubliez  !  Aussi  ne  la  voyons 
nous  qu'aux  grandes  {estes  annuelles.  » 

Là  disoit  Pantagruel  que  c'estoit  ouvraige  tel  que  les  faisoit 
Daedalus.  Encores  qu'elle  feust  contrefaicte  et  mal  traicte, 
y  estoit  toutesfoys  latente  et  occulte  quelque  divine  énergie 
en  matière  de  pardons.  «  Comme,  dist  frère  Jan,  à  Seuillé 
les  coquins  souppans  un  jour  de  bonne  feste  à  l'hospital,  et  se 
vantans  l'un  avoir  celluy  jour  guaingné  six  blancs,  l'aultre 
deux  soulz,  l'aultre  sept  carolus,  un  gros  gueux  se  vantoit 
avoir  guaingné  troys  bons  testons.  Aussi  (luy  respondirent 
ses  compaignons)  tu  as  une  jambe  de  Dieu.  Comme  si  quelque 
divinité  feust  absconse  en  une  jambe  toute  sphacelée  et 
pourrye.  —  Quand,  dist  Pantagruel,  telz  contes  vous  nous 
ferez,  soyez  records  d'apporter  un  bassin.  Peu  s'en  fault  que 
ne  rende  ma  guorge.  User  ainsi  du  sacre  nom  de  Dieu  en  choses 
tant  ordes  et  abhominables  !  Fy,  j'en  diz  fy  !  Si  dedans  vostre 
moynerie  est  tel  abus  de  paroUes  en  usaige,  laissez  le  là  ;  ne  le 
transportez  hors  les  cloistres.  —  Ainsi,  respondit  Epistemon, 
disent  les  medicins  estre  en  quelques  maladies  certaine  parti- 
cipation de  divinité.  Pareillement  Néron  louoit  les  champei- 
gnons,  et  en  proverbe  Grec  les  appeloit  «  viande  des  Dieux  », 
pource  qu'en  iceulx  il  avoit  empoisonné  son  prédécesseur 
Claudius,  empereur  Romain. 

—  Il  me  semble,  dist  Panurge,  que  ce  portraict  fault  en 
nos  derniers  Papes  :  car  je  les  ay  veu  non  aumusse,  ains  armet 
en  teste  porter,  thymbré  d'une  thiare  persicque;  et  tout 
l'empire  cliristian  estant  en  paix  et  silence,  eulx  seulz  guerre 
faire  félonne  et  trescruelle.  —  C'estoit,  dist  Homenas,  donc- 
ques  contre  les  rebelles,  hereticques,  protestans  désespérez 
non  obéissans  à  la  saincteté  de  ce  bon  Dieu  en  terre.  Cela  luy 
est  non  seulement  permis  et  licite,  mais  commendé  par  les 
sacres  Decretales,  et  doibt  à  feu  incontinent  Empereurs, 
Rois,  Ducz,  Princes,  Republicques,  et  à  sang  mettre,  qu'ilz 
transgresseront  un  iota  de  ses  mandemens  ;  les  spolier  de  leurs 


154  LIVRE    IV,     CHAPITRE    LI 

bieiis,  les  déposséder  de  leurs  Royaulmes,  les  proscrire,  les 
anathematizer,  et  non  seulement  leurs  corps,  et  de  leurs 
enfans  et  parens  aultres  occire,  mais  aussi  leurs  âmes  damner 
au  parfond  de  la  plus  ardente  chauldiere  qui  soit  en  Enfer.  — 
Icy,  dist  Panurge,  de  par  tous  les  Diables,  ne  sont  ilz  heretic- 
ques  comme  fut  Raminagrobis,  et  comme  ilz  sont  parmy  les 
Almaignes  et  Angleterre.  Vous  estez  Christians  triez  sur  le 
volet.  —  Ouy,  vraybis,  dist  Homenaz;  aussi  serons  nous 
tous  saulvez.  Allons  prendre  de  l'eau  beniste,  puys  dipne- 
rons.  » 


CHAPITRE  LI 

MENU2     DEVIS     DURANT    LE     DIPNER,     A     LA     LOUANGE 
DES     DECRETALES 


Or,  notez,  Beuveurs,  que  durant  la  messe  sèche  de  Home- 
naz, troys  manilliers  de  l'Ecclise,  chascun  tenant  un  grand 
bassin  en  main,  se  pouimenoient  par  my  le  peuple,  disans  à 
haulte  voix  :  «  N'oubliez  les  gens  heureux  qui  l'ont  veu  en 
face.  »  Sortans  du  temple,  ilz  apportèrent  à  Homenaz  leurs 
bassins  tous  pleins  de  monnoye  papimanicque.  Homenaz 
nous  dist  que  c'estoit  pour  faire  bonne  chère;  et  que  de  ceste 
contribution  et  taillon,  l'une  partie  seroit  employée  à  bien 
boyre,  l'aultre  à  bien  manger,  suivant  une  mirificque  glosse 
cachée  en  un  certain  coingnet  de  leurs  sainctes  Decretales, 
Ce  que  feut  faict,  et  en  beau  cabaret  assez  retirant  à  celluy 
de  Guillot  en  Amiens.  Croyez  que  la  repaissaille  feut  copieuse, 
et  les  beuvettes  numereuses.  En  cestuy  dipner  je  notay  deux 
choses  mémorables  ;  l'une,  que  viande  ne  feut  apportée, 
quelle  que  feust,  feussent  chevreaulx,  feussent  chappons, 
feussent  cochons  (des  quelz  y  a  foyson  en  Papimanie),  feus- 
sent pigeons,  connilz,  levreaulx,  coqs  de  Inde,  ou  aultres,  en 


PANTAGRUEL  155 

laquelle  n'y  eust  abondance  de  farce  magistrale;  l'aultre,  que 
tous  le  sert  et  dessert  feut  porté  par  les  filles  pucelles  maria- 
bles  du  lieu,  belles,  je  vous  affiie,  saffrettes,  blondelettes, 
doulcettes  et  de  bonne  grâce  :  lesquelles  vestues  de  longues, 
blanches  et  déliées  aubes  à  doubles  ceinctures,  le  chef  ouvert, 
les  cheveux  inscrophiez  de  petites  bandelettes  et  rubans  de 
saye  violette,  semés  de  roses,  œilletz,  marjolaine,  aneth,  au- 
rande,  et  aultres  fleurs  odorantes,  à  chascun  cadence  nous 
invitoient  à  boyre  avecques  doctes  et  mignonnes  révérences. 
Et  estoient  voluntiers  veues  de  toute  l'assistence.  Frère  Jean 
les  reguardoit  de  cousté,  comme  un  chien  qui  emporte  un 
plumail.  Au  dessert  du  premier  metz  feut  par  elles  mélodieu- 
sement chanté  un  Epode  à  la  louange  des  sacrosainctes  Deere- 
taies. 

Sus  l'apport  du  second  service,  Homenaz.  tout  joyeulx  et 
esbaudy,  adressa  sa  parolle  à  un  des  maistres  Sommeliers, 
disant  :  «  Clerice,  esclaire  icy.  »  A  ces  motz,  une  des  filles  promp- 
tement  luy  présenta  un  grand  hanat  plein  de  vin  extrava- 
guant.  Il  le  tint  en  main,  et,  soupirant  profondement,  dist  à 
Pantagruel  :  «  Mon  Seigneur,  et  vous,  beaulx  amis,  je  boy  à 
vous  tous  de  bien  bon  cœur.  Vous  soyez  les  tresbien  venuz.  » 
Beu  qu'il  eut  et  rendu  le  hanat  à  la  bachelette  gentile,  feist 
une  lourde  exclamation,  disant  :  «  O  dives  Decretales  !  tant 
par  vous  est  le  vin  bon  bon  trouvé  !  —  Ce  n'est,  dist  Panurge, 
pas  le  pis  du  panier.  —  Mieulx  seroit,  dist  Pantagruel,  si  par 
elles  le  mauvais  vin  devenoit  bon.  —  O  Seraphicque  Sixies- 
me  !  dist  Homenaz  continuant,  tant  vous  estes  nécessaire 
au  saulvement  des  pauvres  humains  !  O  Cherubicques  Clé- 
mentines !  comment  en  vous  est  proprement  contenue  et 
descripte  la  perfaicte  institution  du  vray  Chi-istian  !  O  Extra- 
vaguantes  Angelicques,  comment  sans  vous  periroient  les 
paouvres  âmes,  les  quelles,  ça  bas,  errent  par  les  corps  m.or- 
telz  en  ceste  vallée  de  misère  !  Helas,  quand  sera  ce  don  de 
grâce  particulière  faict  es  humains,  qu'ilz  désistent  de  toutes 


I^Ô  LIVRE    IV,    CHAPITRE    LU 

aultres  estudes  et  négoces  pour  vous  lire,  vous  entendre,  vous 
sçavoir,  vous  user,  praticquer,  incorporer,  sanguifier  et  incen- 
tricquer  es  profonds  ventricules  de  leurs  ccrveaulx,  es  internes 
moelles  de  leurs  os,  es  perples  labyrintes  de  leurs  artères? 
O  lors  et  non  plus  toust,  ne  aultrcment,  heureux  le  monde  !  » 
A  ces  motz,  se  leva  Epistemon,  et  dist  tout  bellement  à 
Panurge  :  «  Faultc  de  selle  persce,  me  contrainct  d'icy  partir. 
Ceste  farce  me  a  desbondc  le  boyau  cuUier  :  je  ne  arresteray 
gueres.  —  O  lors,  dist  Homenaz  continuant,  nullité  de  gresle, 
gelée,  frimatz,  vimeres  !  O  lors,  abondance  de  tous  biens  en 
terre  !  O  lors  paix  obstinée,  infringible  en  l'Univers  :  cessa- 
tion de  guerres,  pilleries,  anguaries,  briguanderies,  assassi- 
nemens,  exceptez  contre  les  hereticques  et  rebelles  maul- 
dicts  !  O  lors  joyeuseté,  alaigresse,  liesse,  soûlas,  deduictz, 
plaisirs,  délices  en  toute  nature  humaine  !  Mais,  o  grande 
doctrine,  inestimable  érudition,  preceptions  deificques, 
emmortaisees  par  les  di\'ins  chapitres  de  ces  eternes  Décré- 
tai es.  O  comment,  lisant  seulement  un  demy  canon  un  petit, 
paragraphe,  un  seul  notable  de  ces  sacrosainctes  Decretales, 
vous  sentez  en  vos  cœurs  enflammée  la  fournaise  d'amour 
divin;  de  charité  envers  vostre  prochain,  pourveu  qu'il  ne 
Soit  hereticque;  contemnement  asceuré  de  toutes  choses 
fortuites  et  terrestres;  ecstatique  élévation  de  vos  espritz, 
voire  jusques  au  tioizieme  ciel;  contentement  certain  en 
toutes  vos  afifections  !  » 


CHAPITRE  LU 

CONTINUATION    DES    MIRACLES    ADVENUZ    FAR    LES    DECRETALES 

«  Voicy,  dist  Panurge,  qui  dict  d'orgues.  Mais  j'en  croy  le 
moins  que  je  peuz.  Car  il  me  advint  un  jour  à  Poictiers,  chez 


I 


PANTAGRUEL  I57 

l'Escossoys  docteur  Decretalipotens  d'en  lire  un  chapitre  : 
le  Diable  m'emporte  si,  à  la  lecture  d'icelluy,  je  ne  feuz  tant 
constipé  du  ventre  que  par  plus  de  quatre,  voyre  cinq  jours 
je  ne  fiantay  qu'une  petite  crotte.  Sçavez  vous  quelle?  Telle, 
je  vous  jure,  que  Catulle  dict  estre  celles  de  Furius  son  voisin 

En  tout  un  an  je  ne  chie  dix  crottes  : 
Et,  si  des  mains  tu  les  brises  et  frottes, 
Ja  n'en  pourras  ton  doigt  souiller  de  erres 
Car  dures  sont  plus  que  febves  et  pierres. 

• —  Ha,  ha  !  dist  Homenaz,  Inian,  mon  amy,  vous,  par  ad- 
venture,  estiez  en  estât  de  péché  mortel.  —  Cestuy  là,  dist 
Panurge,  est  d'un  aultre  tonneau.  —  Un  jour,  dist  frère  Jan 
je  m'estois  à  Seuillé  torché  le  cul  d'un  feueillet  d'unes  mes- 
chantes  Clémentines,  les  quelles  Jean  Guymard  nostre 
recepveur  avoit  jecté  on  préau  du  cloistre  :  je  me  donne  à 
tous  les  Diables  si  les  rhagadies  et  haemorrutes  ne  m'en  advin- 
drent  si  très  horribles  que  le  pauvre  trou  de  mon  clous  bru- 
neau  en  fut  totit  dehinguandé.  —  Inian,  dist  Homenaz,  ce 
feut  évidente  punition  de  Dieu,  vengeant  le  péché  qu'aviez 
faict  incaguant  ces  sacres  livres,  les  quelz  deviez  baiser  et 
adorer,  je  diz  d'adoration  de  latrie,  ou  de  hyperdulie  pour  le 
moins.  Le  Panormitan  n'en  mentit  jamais. 

—  Jan  Chouart,  dist  Ponocrates,  àMonspellier  avoit  achapté 
des  moines  de  sainct  Olary  unes  belles  Decretales  escriptes 
en  beau  et  grand  parchemin  de  Lamballe,  pour  en  faire  des 
Vélins  pour  battre  l'or.  Le  malheur  y  feut  si  estrange  que 
oncques  pièce  n'y  fut  frappée  qui  vint  à  profict.  Toutes 
furent  dilacerées  et  estrippées.  —  Punition,  dist  Homenas, 
et  vengeance  divine. 

—  Au  Mans,  dist  Eudemon,  François  Cornu,  apothecaire, 
avoit  en  cornetz  emploicté  unes  Extra  vaguantes  frippees;  je 
desadvoue  le  Diable  si  tout  ce  qui  dedans  feut  empacqueté 
ne  feut  sus  l'instant  empoisonné,  pourry  et  guasté  :  encens, 
poyvre,  gyrofie,  cinnamone,  safran,  cire,  espices,  casse,  reu- 


158  LIVRE    IV,    CHAPITRE    LU 

barbe,  tamarins  :  généralement  tout,  drogues,  guogues  et 
senogues.  —  Vangeance,  dist  Homenaz,  et  divine  punition. 
Abuser  en  choses  prophanes  de  ces  tant  sacres  escriptures  1 

—  A  Paris,  dist  Carpalim,  Groignet  cousturier  avoit  em- 
ploicté  unes  vieilles  Clémentines  en  patrons  et  mesures.  O 
cas  estrange  !  Tous  habiUemens  taillez  sus  telz  patrons,  et 
protraictz  sus  telles  mesures,  feurent  guastez  et  perduz  : 
robbes,  cappes,  manteaulx,  sayons,  juppes,  cazaquins,  col- 
letz,  pourpoincts,  cottes,  gonnelles,  verdugalles.  Groignet, 
cuydant  tailler  une  cappe,  tailloit  la  forme  d'une  braguette. 
En  lieu  d'un  sayon,  tailloit  un  cliappeau  à  prunes  succees.  Sus 
la  forme  d'un  cazaquin  tailloit  une  aumusse.  Sus  le  patron 
d'un  pourpoinct  tailloit  la  guise  d'une  paele.  Ses  varletz, 
l'avoir  cousue,  la  deschicquetoient  par  le  fond,  et  sembloit 
d'une  paele  à  fricasser  les  chastaignes.  Pour  un  collet  faisoit 
un  brodequin.  Sus  le  patron  d'une  verdugualle  tailloit  une 
barbute.  Pensant  faire  un  manteau  faisoit  un  tabourin  de 
Souisse.  Tellement  que  le  paouvre  home  par  justice  fut  con- 
demné  à  payer  les  estoffes  de  tous  ses  challans,  et  de  présent 
en  est  au  saphran.  —  Punition,  dist  Homenaz,  et  vengeance 
divine. 

• —  A  Cahusac,  dist  Gymnaste,  feut  pour  tirer  à  la  butte 
partie  faicte  entre  les  seigneurs  d'Estissac  et  vicomte  de 
Lausun.  Perotou  avoit  dépecé  unes  demies  Decretales  du 
bon  canonge.  De  la  carte  et  des  feuilletz  avoit  taillé  le  blanc 
pour  la  butte.  Je  me  donne,  je  m.e  vends,  je  me  donne  à  tra- 
vers tous  les  Diables  si  jamais  harbalestier  du  pays  (les  quelz 
sont  suppelatifz  en  toute  Guyenne)  tira  traict  dedans.  Tous 
feurent  coustiers.  Rien  du  blanc  sacrosainct  barbouillé  ne 
feut,  dépucelle  ne  entomné.  Encores  Sansornin  l'aisné,  qui 
guardoit  les  guaiges,  nous  juroit  Figues  dioures  (son  grand 
serment)  qu'il  avait  veu  apertement,  visiblement,  manifes- 
tement le  pasadouz  de  Carquelin  droict  entrant  dedans  la 
grolle  on  mylieu  du  blanc,  sus  le  poinct  de  toucher  et  enfon- 


PANTAGRUEL  I59 

cer,  s'estre  escartô  loing  d'une  toise  coustier  vers  le  fournil.  — 
Miracle,  s'escria  Homenaz,  miracle,  miracle  !  Clerice,  esclaire 
icy.  Je  boy  à  tous.  Vous  me  semblez  vrays  Christians.  » 

A  ces  motz  les  filles  commencèrent  ricasser  entre  elles. 
Frère  Jan  hannissoit  du  bout  du  nez  comme  prest  à  roussiner 
ou  baudouiner  pour  le  moins  et  monter  dessus,  comme  Her- 
bault  sus  paouvres  gens.  «  Me  semble,  dist  Pantagruel,  que 
en  telz  blancs  l'on  eust  contre  le  dangier  du  traict  plus  sceu- 
rement  esté  que  ne  feut  jadis  Diogenes.  —  Quoy?  demanda 
Homenaz.  Comment?  Estoit  il  Decretaliste?  —  C'est,  dist 
Epistemon  retournant  de  ses  affaires,  bien  rentré  de  picques 
noires.  —  Diogenes,  respondit  Pantagruel,  un  jour  s'esbattre 
voulant,  visita  les  arcliiers  qui  tiroient  à  la  butte.  Entre 
iceulx  un  estoit  tant  faultier,  imperit  et  mal  adroict,  que  lors 
qu'il  estoit  en  ranc  de  tirer,  tout  le  peuple  spectateur  s'escar- 
toit  de  paour  d'estre  par  fuy  feruz.  Diogenes,  l'avoir  un  coup 
veu  si  perversement  tirer  que  sa  flèche  tomba  plus  d'un  trabut 
loing  de  la  butte,  au  second  coup  le  peuple  loing  d'un  cousté  et 
d'aultre  s'escartant,  accourut  et  se  tint  en  pieds  jouxte  le 
blanc  :  affermant  cestuy  lieu  estre  le  plus  sceur,  et  que  l'ar- 
chier  plus  toust  feriroit  tout  aultre  lieu  que  le  blanc,  le  blanc 
seul  estre  en  sceureté  du  traict. 

— •  Un  paige,  dist  Gymnaste,  du  seigneur  d'Estissac,  nommé 
Chamouillac,  apercent  le  charme.  Par  son  ad  vis  Perotou  chan- 
gea de  blanc,  et  y  employa  les  papiers  du  procès  de  Pouillac. 
Adoncques  tirèrent  très  bien  et  les  uns  et  les  aultres. 

—  A  Landerousse,  dist  Rhizotome,  es  nopces  de  Jan 
Delif,  feut  le  festin  nuptial  notable  et  sumptueux,  comme  lors 
estoit  la  coustume  du  pays.  Apres  soupper  f eurent  jouées  plu- 
sieurs farces,  comédies,  sornettes  plaisantes;  feurent  dansées 
plusieurs  Moresques  aux  sonnettes  et  timbous;  feurent  intro- 
duictes  diverses  sortes  de  masques  et  mommeries.  Mes  com- 
paignons  d'eschole  et  moy  pour  la  feste  honorer  à  nostre 
povoir  (car  au  matin  nous  tous  avions  eu  de  belles  Uvrées 


l6o  LIVRE    IV,     CHAPITRE    LU 

blanc  et  violet)  sus  la  fin  feismes  un  barboire  joyeulx  avecques 
force  coquilles  de  sainct  Michel  et  belles  caqueroUes  de  lima- 
çons. En  faulte  de  Colocasie,  Bardane,  Personate  et  de  papier 
des  feueilletz  d'un  vieil  Sixième,  qui  là  estoit  abandonné 
nous  feismes  nos  faulx  visaiges,  les  descouppans  un  peu  à 
l'endroict  des  œilz,  du  nez  et  de  la  bouche.  Cas  merveilleux. 
Nos  petites  caroles  et  puériles  esbatemens  achevez,  houstans 
nos  faulx  \'isaiges,  appareusmes  plus  hideux  et  villains  que 
les  Diabletcaux  de  la  passion  de  Doué  :  tant  avions  les  faces 
guastees  aux  lieux  touchez  par  lesditz  feueilletz.  L'un  y  avoit 
la  picote,  l'aultre  le  tac,  l'aultre  la  veroUe,  l'aultre  la  rougeolle, 
l'aultre  gros  frondes.  Somme,  celluy  de  nous  tous  estoit  le 
moins  blessé  à  qui  les  dens  estoient  tombées.  —  IMiracle, 
s'escrin  Homenaz,  miracle  !  —  Il  n'est,  dist  Rhizotome, 
encores  temps  de  rire.  Mes  deux  sœurs,  Catherine  et  Renée, 
avoient  mis  dedans  ce  beau  Sixième,  comme  en  presse  (car 
il  estoit  couvert  de  grosses  aisses  et  ferré  à  glez)  leurs  guim- 
ples,  manchons  et  collerettes  savonnées  de  frais,  bien  blan- 
ches, et  empesées.  Par  la  vertus  Dieu...  —  Attendez,  dist 
Homenaz,  du  quel  Dieu  entendez  vous?  — •  Il  n'en  est  qu'un, 
respondit  Rhizotome.  —  Ouy  bien,  dist  Homenaz,  es  cieulx. 
En  terre  n'en  avons  nous  un  aultre?  —  Arry  avant,  dist  Rhi- 
zotome, je  n'y  pensois  par  mon  ame  plus.  Par  la  vertus  donc- 
ques  du  Dieu  Pape  terre,  leurs  guimples,  collerettes,  bave- 
rettes,  couvrechefz  et  tout  aultre  hnge,  y  devint  plus  noir, 
qu'un  sac  de  charbonnier.  —  Miracle,  s'escria  Homenaz; 
Clerice,  esclaire  icy,  et  note  ces  belles  histoires.  —  Comment, 
demanda  frère  Jan,  dit  on  donc  : 

Depuis  que  Decretz  eurent  aies, 
Et  gensd'armes  portèrent  maies, 
Moines  allèrent  à  cheval, 
En  ce  monde  abonda  tout  mal. 

—  Je  vous  entens,  dist  Homenaz.  Ce  sont  petitz  QuoU- 
betz  des  hereticques  nouveaulx.  » 


I 


PANTAGRUEL  .  l6l 


CHAPITRE  LUI 


COMMENT,     PAR     LA     VERTU     DES     DECRETALES, 
EST    l'or     SUBTILEMENT    TIRÉ     DE     FRANCE     EN     ROME 


«  Je  vouldroys,  clist  Epistemon,  avoir  payé  chopine  de 
trippes  à  embourser,  et  que  eussions  à  l'original  collationné 
les  terrificques  chapitres,  Execrabilis,  De  milita,  Si  phires,  De 
Annatis  per  totuwi-,  Nisi  essent,  Cum  ad  Monasterium,  Qiiod 
dilectio,  Mandatum.  et  certains  aultres,  lesquelz  tirent  par 
chascun  an  de  France  en  Rome  quatre  cens  mille  ducatz, 
et  d'adventaige.  —  Est  ce  rien  cela?  dist  Homenaz;  me  sem- 
ble toutesfoys  estre  peu,  veu  que  la  France  la  Treschristiane 
est  unicque  nourrice  de  la  court  Romaine.  Mais  trouvez  moy 
livres  en  monde,  soyent  de  Philosophie,  de  Médecine,  des 
Loigs,  des  Mathematicques,  des  lettres  humaines,  voyre  (par 
le  mien  Dieu)  de  la  saincte  Escriptuie,  qui  en  puissent  autant 
tirer?  Poinct.  Nargues,  nargues.  Vous  n'en  trouverez  poinct 
de  ceste  auriflue  énergie,  je  vous  en  asceure.  Encores  ces  dia- 
bles hereticques  ne  les  veulent  apprendre  et  sçavoir.  Bruslez, 
tenaillez,  cizaillez,  noyez,  pendez,  empaliez,  espaultrez, 
démembrez,  exenterez,  descouppez,  fricassez,  grisiez,  tran- 
sonnez,  crucifiez,  bouillez,  escarbouillez,  escartelez,  debezillez, 
dehinguandez,  carbonnadez  ces  meschans  Hereticques  Decre- 
talifuges,  DecretaUcides,  pires  que  homicides,  pires  que  parri- 
cides, Decretalictones  du  Diable.  Vous  aultres  gens  de  bien, 
si  voulez  estre  dictz  et  reputez  vrais  Christians,  je  vous  sup- 
plie à  joinctes  mains  ne  croire  aultre  chose,  aultre  chose  ne 
penser,  ne  dire,  n'entreprendre,  ne  faire,  fors  seulement  ce  que 
contiennent  nos  sacres  Decretales  et  leurs  corollaires  :  ce  beau 
Sixième,  ces  belles  Clémentines,  ces  belles  Extra  vaguantes.  O 
T.  II.  Il 


l62  LIVRE    IV,     CHAPITRE     LUI 

livres  deifiqucs  !  Ainsi  serez  en  gloire,  honneur,  exaltation, 
richesses,  dignitez,  prelations  en  ce  monde;  de  tous  rêverez, 
d'un  chascun  redoublez,  à  tous  préférez,  sus  tous  esleuz 
et  choisiz.  Car  il  n'est  soubs  la  chappe  du  ciel  estât  du  quel 
trouviez  gens  plus  idoines  à  tout  faire  et  manier  que  ceulx  qui, 
par  divine  prescience  et  eterne  prédestination,  adonnez  se 
sont  à  l'estude  des  sainctes  Decretales.  Voulez  vous  choisir 
un  preux  Empereur,  un  bon  capitaine,  un  digne  chef  et  con- 
.  ducteur  d'une  armée  en  temps  de  guerre,  qui  bien  sçaichc 
tous'  incorïveniens  prévoir,  tous  dangiers  éviter,  bien  mener 
ses  gens  à  l'assault  et  au  combat  en  alaigresse,  rien  ne  bazar- 
der, tous  jours  vaincre  sans  perte  de  ses  soubdars  et  bien  user 
de  la  \'ictoire?  Prenez  moy  un  Decretiste.  Non;  non,  je  dis 
im  Decretaliste. 

—  O  le  gros  rat  !  dist  Epistemon. 

—  Voulez  vous  en  temps  de  paix  trouver  homme  apte  et 
suffisant  à  bien  gouverner  Testât  d'une  Republicque,  d'un 
royaulme,  d'un  empire,  d'une  monarchie;  entretenir  l'Ec- 
clise,  la  noblesse,  le  sénat  et  le  peuple  en  richesses,  amitié, 
concorde,  obéissance,  vertus,  honnesteté?  Pienez  moy  un 
Decretaliste.  Voulez  vous  trouver  home  qui  par  vie  exem- 
plaire, beau  parler,  sainctes  admonitions,  en  peu  de  temps, 
sans  effusion  de  sang  humain,  conqueste  la  terre  saincte,  et 
à  la  saincte  foy  convertisse  les  mescréans  Turcs,  Juifs,  Tarta- 
res,  Moscovites,  Mammeluz  et  Sarrabovites ?  Prenez  moy  un 
Decretaliste.  Qui  faict  en  plusieurs  pays  le  peuple  rebelle  et 
detravé,  les  paiges  frians  et  mauvais,  les  escholiers  badaulx 
et  asniers?  Leurs  gouverneurs,  leurs  escuiers,  leurs  précep- 
teurs, n'estoient  Decretahstes. 

«  Mais  qui  est  ce  (en  conscience)  qui  a  estably,  confirmé, 
authorisé,  ces  belles  religions,  des  quelles  en  tous  endroicts 
voyez  la  Christianté  omee,  décorée,  illustrée,  comme  est  le 
firmament  de  ses  claires  estoiiles?  Dives  Decretales.  Oui  a 
fondé,  pillotizé,  talué,  qui  maintient,  qui  substante,  qui  nour- 


PANTAGRUEL  163 

rit  les  dévots  religieux  par  les  convens,  monastères  et  abbayes, 
sans  les  prières  diurnes,  nocturnes,  continuelles  des  quelz 
seroit  le  monde  en  dangier  évident  de  retourner  en  son 
antique  Chaos?  Sacres  Decretales.  Qui  faict  et  journelle- 
ment augmente  en  abondance  de  tous  biens  temporelz,  cor- 
porelz  et  spirituelz  le  fameux  et  célèbre  patrimoine  de  sainct 
Pierre?  Sainctes  Decretales.  Oui  faict  le  sainct  Siège  aposto- 
licque  en  Rome  de  tout  temps  et  au  jourdhuy  tant  redoub- 
table  en  l'Univers  qu'il  fault  ribon  ribaine  que  tous  Roys, 
empereurs,  potentatz  et  seigneurs  pendent  de  luy,  tieignent  de 
lu5^  par  luy  soient  couronnez,  confirmez,  authorisez,  vieignent 
là  boucquer  et  se  prosterner  à  la  mirificque  pantophle,  de 
la  quelle  avez  veu  le  protraict?  Belles  Decretales  de  Dieu. 

«  Je  vous  veulx,  declairer  un  grand  secret.  Les  Universités 
de  vostre  monde,  en  leurs  armoiries  et  devises  ordinairement 
portent  un  livre,  aulcunes  ouvert,  aultres  fermé.  Quel  livre 
pensez  vous  que  soit? 

—  Je  ne  sçay  certes,  respondit  Pantagruel.  Je  ne  leus  onc- 
ques  dedans. 

—  Ce  sont,  dist  Homenaz,  les  Decretales,  sans  les  quelles 
periroient  les  privilèges  de  toutes  Universités.  Vous  me  doib- 
vez  ceste  là.  Ha,  ha,  ha,  ha.  » 

Icy  commença  Homenaz  rocter,  peter,  rire,  baver  et  suer; 
et  bailla  son  gros,  gras  bonnet  à  quatre  braguettes  à  une  des 
filles,  laquelle  le  posa  sus  son  beau  chef  en  grande  alaigresse, 
après  l'avoir  amoureusement  baisé,  comme  guaige  et  asceu- 
rance  qu'elle  seroit  première  mariée.  «  Vivat  !  s'eseria  Epis- 
temon,  vivat,  fi  fat,  pipat,  bibat!  O  secret  Apocalyptique  ! 

—  Clerice,  dist  Homenaz,  Clerice,  esclaire  icy  à  doubles 
lanternes.  Au  fruict,  pucelles.  Je  disois  doncqvies  que  ainsi 
vous  adonnans  à  l'estude  unicque  des  sacres  Decretales,  vous 
serez  riches  et  honorez  en  ce  monde.  Je  dis  consequemment 
qu'en  l'aultre  vous  serez  infailliblement  saulvez  on  benoist 
royaulme  des  Cieulx,  du  quel  sont  les  clefz  baillées  à  nostre 


164  LIVRE    IV,     CHAPITRE    LIV 

bon  Dieu  Decretaliarchc.  O  mon  bon  Dieu,  lequel  j'adore, 
et  ne  veids  oncques,  de  grâce  spéciale  ouvre  nous  en  l'article 
de  la  mort  pour  le  moins  ce  tressacré  thesaur  de  nostre  mère 
saincte  Ecclise,  du  quel  tu  es  protecteur,  conservateur,  pro- 
meconde,  administrateur,  dispensateur.  Et  donne  ordre  que 
ces  précieux  œuvres  de  supererogation,  ces  beaulx  pardons 
au  besoing  ne  nous  faillent.  A  ce  que  les  Diables  ne  trouvent 
que  mordre  sus  nos  pauvres  âmes,  que  la  gueule  horrificque 
d'Enfer  ne  nous  engloutisse.  Si  passer  nous  fault  par  Purga- 
toire, patience  !  En  ton  pouvoir  et  arbitre  est  nous  en  déli- 
vrer, quand  vouldras.  »  Icy  commença  Homenaz  jetter  grosses 
et  chauldes  larmes,  battre  sa  poictrine,  et  baiser  ses  poulces' 
en  croix. 


CHALITRE  LIV 

COMMENT     HOMENAZ     DONNA     A     PANTAGRUEL     DES     POIRES 
DU     BON     CHRISTIAN 


Epistemon,  frère  Jan  et  Panurge,  voyans  ceste  fâcheuse 
catastrophe,  commencèrent  au  couvert  de  leurs  serviettes 
crier  :  Myault,  myault,  myault,  faignant  ce  pendent  de  s'es- 
suer  les  œilz,  comme  s'ilz  eussent  ploré.  Les  filles  feurent 
bien  aprises  et  à  tous  présentèrent  pleins  hanatz  de  vin  Cle- 
mentin  avecques  abondance  de  confictures.  Ainsi  feut  de 
nouveau  le  bancquet  resjouy.  En  fin  de  table  Homenaz  nous 
donna  grand  nombre  de  grosses  et  belles  poyres,  disant  : 
«  Tenez,  amis  :  poires  sont  singulières,  lesquelles  ailleurs 
ne  trouverez.  Non  toute  terre  porte  tout.  Indie  seule  porte 
le  noire  Ebene.  En  Sabée  provient  le  bon  encens.  En  l'isle 
de  Lemnos  la  terre  Sphragitide.  En  ceste  isle  seule  naissent 
ces  belles  poires.  Faitez  en  si  bon  vous  semble,  pépinières 


PANTAGRUEL  165 

en  vos  pays.  —  Comment,  demanda  Pantagruel,  les  nommez 
vous?  Elles  me  semblent  tresbonnes,  et  de  bonne  eau.  Si  on 
les  cuisoit  en  Casserons  par  quartiers  avecques  un  peu  de  vin 
et  de  sucre,  je  pense  que  seroit  viande  très  salubre  tant  es 
malades  comme  es  sains.  —  Non  aultrement,  respondit  Ho- 
menaz.  Nous  sommes  simples  gens,  puys  qu'il  plaist  à  Dieu. 
Et  appelons  les  figues  figues,  les  prunes  prunes,  et  les  poires 
poires.  —  Vrayement,  dist  Pantagruel,  quand  je  seray  en 
mon  mesnaige  (ce  sera,  si  Dieu  plaist,  bien  toust),  j'en  af&eray 
et  hanteray  en  mon  jardin  de  Touraine  sus  la  rive  de  Loyre,  et 
seront  dictes  poires  de  bon  Christian.  Car  oncques  ne  veiz 
Christians  meilleurs  que  ces  bons  Papimanes.  —  Je  trouve- 
roys,  dist  frère  Jan,  aussi  bon  qu'il  nous  donnast  deux  ou 
trois  chartees  de  ses  filles.  —  Pourquoy  faire?  demandoit 
Homenaz.  —  Pour  les  saigner,  respondit  frère  Jan,  droict 
entre  les  deux  gros  orteilz  avecques  certains  pistolandiers  de 
bonne  touche.  En  ce  faisant  sus  elles,  nous  hanterions  des 
enfans  de  bon  Christian,  et  la  race  en  nos  pays  multiplieroit  ; 
es  quelz  ne  sont  mie  trop  bons.  —  Vraybis,  respondit  Home- 
naz, non  ferons,  car  vous  leurs  feriez  la  follie  aux  guarsons  :  je 
vous  congnoys  à  vostre  nez,  et  si  ne  vous  avois  oncques  veu. 
Halas,  halas,  que  vous  estes  bon  filz  !  Vouldriez  vous  bien 
damner  vostre  ame  ?  Nos  Decretales  le  défendent.  Je  vouldrois 
que  les  sceussiez  bien.  —  Patience  !  dist  frère  Jan.  Mais,  si 
tu  non  vis  dure,  presta  quœsamus.  C'est  matière  de  bréviaire. 
Je  n'en  crains  home  portant  barbe,  feust  il  docteur  de  Cr^^s- 
talin  (je  dis  Decretalin)  à  triple  bourlet.  « 

Le  dipner  parachevé,  nous  prinsmes  congié  de  Homenaz 
et  de  tout  le  bon  populaire,  humblement  les  remercyans,  et 
pour  rétribution  de  tant  de  bien  leur  promettans  que,  venuz 
à  Rome,  ferions  avecques  le  Père  sainct  tant  qu'en  diligence 
il  les  iroyt  veoir  en  persone.  Puys  retournasmes  en  nostre 
nauf.  Pantagruel,  par  libéralité  et  recongnoissance  du  sacre 
protraict  Papal,  donna  à  Homenaz  neuf  pièces  de  drap  d'or 


lOG  I-IVKE    IV,     CHAPITRE    LV 

frizé  sus  frizc,  pour  e^tre  appousees  au  davant  de  la  fenestre 
ferrée  ;  feist  emplir  le  tronc  de  la  réparation  et  fabricque  tout 
de  doubles  escuz  au  sabot,  et  feist  délivrer  à  chascune  des 
filles,  les  quelles  avoient  servy  à  table  durant  le  dipner,  neuf 
cent  quatorze  salutz  d'or,  pour  les  marier  en  temps  oportun. 


CHALITRE  LV 


COMMENT,      EN      HAVLTE      MER,      PANTAGRUEL      OUVT      DIVERSES 
PAROLLES     DÉGELÉES 


En  pleine  mer  nous  banquetans,  gringnotans,  devisans  et 
faisans  beaulx  et  cours  discours,  Pantagruel  se  leva  et  tint 
en  pieds  pour  discouvrir  à  l'environ.  Puys  nous  dist  :  «  Com- 
paignons,  oyez  vous  rien?  Me  semble  que  je  oy  quelques  gens 
parlans  en  l'air,  je  n'y  voy  toutesfoys  personne.  Escoutez.  » 
A  son  commandement  nous  feusmes  tous  attentif z,  et  à  plei- 
nes aureilles  humions  l'air  comme  belles  huytres  en  escalle, 
pour  entendre  si  voix  ou  son  aulcun  y  seroit  espart  :  et  pour 
rien  n'en  perdre,  à  l'exemple  de  Antonin  l'Empereur,  aulcuns 
oppousions  nos  mains  en  paulme  darriere  les  aureilles.  Ce 
neantmoins  protestions  voix  queconques  n'entendre.  Panta- 
gruel continuoit  affermant  ouyr  voix  diverses  en  l'air,  tant 
d'hommes  comme  de  femmes,  quand  nous  feut  advis,  ou  que 
nous  les  oyons  pareillement,  ou  que  les  aureilles  nous  cor- 
noient.  Plus  persévérions  escoutans,  plus  discernions  les 
voix,  jusques  à  entendre  motz  entiers.  Ce  que  nous  effraya 
grandement,  et  non  sans  cause,  personne  ne  voyaus  et  enten- 
dens  voix  et  sons  tant  divers,  d'homes,  de  femmes,  d'enfans, 
de  chevaulx  :  si  bien  que  Panurge  s'escria  :  «  Ventre  bleu, 
est  ce  mocque?  nous  sommes  perduz.  Fuyons.  Il  y  a  embusche 
autour.  Frère  Jan,  es  tu  là,  mon  amy  ?  Tiens  toy  près  de  moy. 


PANTAGRUEL  I67 

je  te  supply.  As  tu  ton  bragmart?  Advi.se  qu'il  ne  tienne  au 
fourreau.  Tu  ne  le  desrouille  poinct  à  demy.  Nous  sommes 
perduz.  Escoutez  :  ce  sont  par  Dieu  coups  de  canon.  Fuyons. 
Je  ne  diz  de  piedz  et  de  mains,  comme  disoit  Brutus  en  la 
bataille  Pharsalicque ;  je  diz  à  voiles  et  à  rames.  Fuyons.  Je 
n'ay  poinct  de  couraige  sur  mer.  En  cave  et  ailleurs  j'en  ay 
tant  et  plus.  Fuyons.  Saulvons  nous.  Je  ne  le  diz  pour  paour 
que  je  aye,  car  je  ne  crains  rien  fors  les  dangiers.  Je  le  diz  tous- 
jours.  Aussi  disoit  le  Franc  archier  de  Baignolet.  Pourtant 
n'hazardons  rien,  à  ce  que  ne  soyons  nazardez.  Fuyons. 
Tourne  visaige.  Vire  la  peaultre,  filz  de  putain  !  Pleust  à 
Dieu  que  présentement  je  f eusse  en  Quinquenois  à  peine  de 
jamais  ne  me  marier  !  Fuyons,  nous  ne  sommes  pas  pour 
eulx.  Hz  sont  dix  contre  un,  je  vous  en  asceure.  D'adventaige 
ilz  sont  sus  leurs  fumiers,  nous  ne  congnoissons  le  pays.  Hz 
nous  tueront.  Fuyons,  ce  ne  nous  sera  deshonneur.  Demos- 
thenes  dist  que  l'home  fuyant  combattra  de  rechief.  Retirons 
nous  pour  le  moins.  Orche,  poge,  au  trinquet,  aux  boulingues. 
Fuyons  de  par  tous  les  Diables,  fuyons.  « 

Pantagruel,  entendant  l'esclandre  que  faisoit  Panurge, 
dist  :  «  Qui  est  ce  fuyart  là  bas?  Voyons  preinierement  quelz 
gens  sont.  Par  adventure  sont  ilz  nostres?  Encores  ne  voy  je 
persone?  Et  si  voy  cent  mille  à  l'entour.  Mais  entendons. 
J'ay  leu  qu'un  Philosophe  nommé  Petron  estoyt  en  ceste 
opinion  que  feussent  plusieurs  mondes  soy  touchans  les  uns 
les  aultres  en  figure  triangulaire  equilaterale,  en  la  pâte  et 
centre  des  quelz  disoit  estre  le  manoir  de  Vérité,  et  là  habiter 
les  Parolles,  les  Idées,  les  Exemplaires  et  protriactz  de  toutes 
choses  passées  et  futures  :  autour  d'icelles  estre  le  siècle.  Et 
en  certaines  années,  par  longs  intervalles,  part  d'icelles  tom- 
ber sus  les  humains  comme  catarrhes,  et  comme  tomba  la 
rousée  sus  la  toison  de  Gedéon;  part  là  rester  réservée  pour 
l'ad venir,  jusques  à  la  consommation  du  Siècle.  Me  souvient 
aussi  que  Aristoteles  maintient  les  parolles  de  Homère  estre 


iGS  LIVRE    IV,    CHAPITRE    LVI 

voltigeantes,  volantes,  mouventes,  et  par  conséquent  animées. 
«  D'adventaige  Antiphanes  disoit  la  doctrine  de  Platon  es 
paroUes  estre  semblable,  lesquelles  en  quelque  contrée,  on 
temps  du  fort  hyver,  lors  que  sont  proférées,  gèlent  et  plas- 
sent  à  la  froydeur  de  l'air,  et  ne  sont  ouyes.  Semblablement 
ce  que  Platon  enseignoyt  es  jeunes  enfans,  à  peine  estre 
d'iceulx  entendu  lors  qu'estoient  vieulx  devenuz.  Ores  seroit 
à  pliilosopher  et  rechercher  si  forte  fortune  icy  seroit  l'en- 
droict  on  quel  telles  paroUes  dégèlent.  Nous  serions  bien 
esbahiz  si  c'estoient  les  teste  et  lyre  de  Orpheus.  Car  après 
que  les  femmes  Threisses  eurent  Orpheus  mis  en  pièces,  elles 
jecterent  sa  teste  et  sa  lyre  dans  le  fleuve  Hebrus.  Icelles  par. 
ce  fleuve  descendirent  en  la  mer  Pontique,  jusques  en  l'isle 
de  Lesbos  tousjours  ensemble  sus  mer  naigeantes.  Et  de  la 
teste  continuellement  sortoyt  un  chant  lugubre,  comme  la- 
mentant la  mort  de  Orpheus;  la  lyre,  à  l'impulsion  des  vents 
mouvans,  les  chordes  accordoit  harmonieusement  avecques 
le  chant.  Reguardons  si  les  voirons  cv  autour.  » 


CHAPITRE  LVI 

COMMENT,  ENTRE  LES  PAROLLES  GELÉES,  PANTAGRUEL  TROUVA 
DES  MOTZ  DE  GUEULE 

Le  pilot  feist  responce  :  «  Seigneur,  de  rien  ne  vous  effrayez. 
Icy  est  le  confin  de  la  mer  glaciale,  sus  laquelle  feut,  au  com- 
mencement de  l'hyver  dernier  passé,  grosse  et  félonne 
bataille,  entre  les  Arimaspiens  et  les  Nephehbates.  Lors  gelè- 
rent en  l'air  les  parolles  et  crys  des  homes  et  femmes,  les  cha- 
plis  des  masses,  les  hurtys  des  harnois,  des  bardes,  les  han- 
nissemens  des  chevaulx,  et  tout  aultre  effroy  de  combat.  A 
ceste  heure  la  rigueur  de  l'hyver  passée,  advenente  la  sere- 


PANTAGRUEL  l6g 

nité  et  temperie  du  bon  temps,  elles  fondent  et  sont  ouyes.  — 
Par  Dieu,  dist  Panurge,  je  l'en  croy.  Mais  en  pourrions  nous 
veoir  quelqu'une.  Me  soubvient  avoir  leu  que  l'orée  de  la 
montaigne  en  laquelle  Moses  receut  la  loy  des  Juifz,  le  peuple 
voyoit  la  voix  sensiblement.  —  Tenez,  tenez,  dist  Pantagruel, 
voyez  en  cy  qui  encores  ne  sont  dégelées.  »  Lors  nous  jecta 
sus  le  tillac  pleines  mains  de  paroUes  gelées,  et  sembloient 
dragées  perlées  de  diverses  couleurs.  Nous  y  vismes  des  motz 
de  gueule,  des  motz  de  sinople,  des  motz  de  azur,  des  motz 
de  sable,  des  motz  dorez.  Les  quelz,  estre  quelque  peu  eschauf- 
fez  entre  nos  mains,  fondoient  comme  neiges,  et  les  oyons 
realement;  mais  ne  les  entendions;  cai  c'estoit  langaige  bar- 
bare. Exceptez  un  assez  grosset,  lequel  ayant  frère  Jan  es- 
chauffé  entre  ses  mains,  feist  un  son  tel  que  font  les  chastai- 
gnes  jectees  en  la  braze  sans  estre  entommees  lors  que  s'escla- 
tent,  et  nous  feist  tous  de  paour  tressaillir.  «  C'estoit,  dist 
frère  Jan,  un  coup  de  faulcon  en  son  temps.  »  Panurge  requist 
Pantagruel  luy  en  donner  encores.  Pantagruel  luy  respondit 
que  donner  paroUes  estoit  acte  des  amoureux.  «  Vendez  m'en 
doncques,  disoit  Panurge.  —  C'est  acte  de  advocatz,  res- 
pondit Pantagruel,  vendre  paroUes.  Je  vous  vendroys  plus 
tost  silence  et  plus  chèrement,  ainsi  que  quelques  foys  la  ven- 
dit Demosthenes  moyennant  son  argentangine.  )> 

Ce  nonobstant  il  en  jecta  sus  le  tillac  trois  ou  quatre  poi- 
gnées. Et  y  veids  des  paroUes  bien  picquantes,  des  paroUes 
sanglantes,  les  quelles  le  pilot  nous  disoit  quelquefois  retour- 
ner on  lieu  duquel  estoient  proférées,  mais  c'estoit  la  guorge 
couppée;  des  paroUes  horrificques,  et  aultres  assez  mal  plai- 
santes à  veoir.  Lesquelles  ensemblement  fondues  ouysmes, 
hin,  hin,  hin,  hin,  his,  ticque,  torche,  lorgne,  bredelin,  bre- 
dedac,  frr,  frrr,  frrrr,  bou,  bou,  bou,  bou,  bou,  bou,  bou,  bou, 
trace,  trace,  trr,  trrr,  trrrr,  trrrrr,  trrrrrr,  on,  on,  on,  on,  on, 
ououououon  :  goth,  magoth,  et  ne  sçay  quelz  aultres  motz 
barbares,  et  disoyt  que  c'estoient  vocables  du  hourt  et  han- 


I/o  LIVRE    IV,     CHAPITRE     LVII 

iiissenient  des  chevaulx  à  l'heure  qu'on  chocque;  puys  en 
ouysmes  d'aultres  grosses,  et  rendoient  son  en  dégelant,  les 
unes  comme  des  tabours  et  fifres,  les  aultres  comme  de  clc- 
rons  et  trompettes.  Croyez  que  nous  y  eusmez  du  passe- 
temps  beaucoup.  Je  vouloys  quelques  motz  de  gueule  mettre 
en  reserve  dedans  de  l'huille  comme  l'on  garde  la  neige  et  la 
glace,  et  entre  du  feurre  bien  nect.  Mais  Pantagruel  ne  le 
voulut  :  disant  estre  follie  faire  reserve  de  ce  dont  jamais 
l'on  n'a  faulte  et  que  tous  jours  on  a  en  main,  comme  sont 
motz  de  gueule  entre  tous  bons  et  joyeulx  Pantagruelistes. 
Là  Panurge  fascha  quelque  peu  frère  Jan,  et  le  feist  entrer 
en  resveiie,  car  il  le  vous  print  au  mot  sus  l'instant  qu'il  ne 
s'en  doubtoit  mie,  et  frère  Jan  menassa  de  l'en  faire  repentir 
en  pareille  mode  que  se  repentit  G.  Jousseaulme  vendant  à 
son  mot  le  drap  au  noble  Patelin,  et  advenant  qu'il  feust 
marié  le  prendre  aux  cornes,  comme  un  veau,  puys  qu'il 
Tavoit  prins  au  mot  comme  un  home.  Panurge  luy  feist  la 
babou,  en  signe  de  dérision.  Puys  s'escria,  disant  :  «  Pleust  à 
Dieu  que  icy,  sans  plus  avant  procéder,  j'eusse  le  mot  de  la 
dive  Bouteille  !  » 


CHAPITRE  LVII 

COMMENT    PANTAGRUEL    DESCENDIT    ON     MANOIR 

DE     MESSERE     GASTER, 

PREMIER     MAISTRE     ES     ARS     DU     MONDE 


En  icelluy  jour,  Pantagruel  descendit  en  une  isle  admirable 
entre  toutes  aultres,  tant  à  cause  de  l'assiette  que  du  gouver- 
neur d'icelle.  Elle  de  tous  coustez  pour  le  commencement 
estoit  scabreuse,  pierreuse,  montueuse,  infertile,  mal  plai- 
sante à  l'oeil,  tresdifficile  aux  pieds,  et  peu  moins  inaccessible 
que  le  mons  du  Daulphiné,  ainsi  dict  pource  qu'il  est  en  forme 


PANTAGRUEL  I7I 

d'un  potiron,  et  de  toute  mémoire  persone  surmonter  ne  l'a 
peu,  fors  Doyac,  conducteur  de  l'artillerie  du  Roy  Charles 
liuyctiesme,  lequel  avecques  engins  mirificques  y  monta,  et  au 
dessus  trouva  un  vieil  bélier.  C'estoit  à  diviner  qui  là  trans- 
porté l'avoit.  Aucuns  le  dirent,  estant  jeune  aignelet,  par 
quelque  aigle  ou  duc  chaûant  là  ravy,  s'estre  entre  les  buis- 
sons saulvé.  Surmontans  la  difficulté  de  l'entrée  à  peine  bien 
grande  et  non  sans  suer,  trouvasmes  le  dessus  du  mons  tant 
plaisant,  tant  fertile,  tant  salubre  et  délicieux,  que  je  pensoys 
estre  le  vray  Jardin  et  Paradis  terrestre  :  de  la  situation 
duquel  tant  disputent  et  labourent  les  bons  Théologiens.  Mais 
Pantagruel  nous  affermoit  là  estre  le  manoir  de  Areté  (c'est 
vertu)  par  Hésiode  descript,  sans  toutesfoys  préjudice  de 
plus  saine  opinion. 

Le  gouverneur  d'icelle  estoit  messerc  Gaster,  premier 
maistre  es  ars  de  ce  monde.  Si  croyez  que  le  feu  soit  le  grand 
maistre  des  ars,  comme  escript  Cicero,  vous  errez  et  vous 
faictez  tort.  Car  Cicero  ne  le  creut  oncques.  Si  croyez  que 
Mercure  soit  premier  inventeur  des  ars,  comme  jadis  croy oient 
nos  antiques  Druides,  vous  fourvoyez  grandement.  La  sen- 
tence du  Sat^^ricque  est  vraye,  qui  dit  messere  Gaster  estre 
de  tous  ars  le  maistre.  Avecques  icelluy  pacificquement  resi- 
doit  la  bonne  dame  Penie.  aultrement  dite  Souffrete,  mère 
des  neuf  INIuses  :  de  laquelle  jadis  en  compaignie  de  Porus, 
seigneur  de  Abondance,  nous  nasquit  Amour  le  noble  enfant 
médiateur  du  Ciel  et  de  la  Terre,  comme  atteste  Platon  in 
Symposio.  A  ce  chaleureux  Royfor  ce  nous  feut  faire  révérence 
jurer  obéissance  et  honneur  porter.  Car  il  est  impérieux, 
rigoureux,  rond,  dur,  difficile,  infiectible.  A  luy  on  ne  pleut 
rien  faire  croire,  rien  remonstrer,  rien  persuader.  Il  ne  oyt 
poinct.  Et  comme  les  ^Egyptiens  disoient  Harpocras,  Dieu 
de  silence,  en  grec  nommé  Sigalion,  estre  astomé,  c'est  à  dire 
sans  bouche,  ainsi  Gaster  sans  aureiUes  feut  créé  :  comme  en 
Candie  le  simulachre  de  Juppiter,  estoit  sans  aureiUes.  Il  ne 


172  LIVRE    IV,     CHAPITRE    LVII 

parle  que  par  signes.  Mais  à  ses  signes  tout  le  monde  obeist 
plus  soubdain  qu'aux  edictz  des  Prêteurs,  et  mandemens  des 
Roys.  En  ses  sommations,  delay  aulcun  et  demeure  aulcune 
il  ne  admet.  Vous  dictez  que  au  rugissement  du  lyon  toutes 
bestes  loing  à  l'entour  frémissent,  tant  (sçavoir  est)  que  estre 
peult  sa  voix  ouie.  Il  est  escript.  Il  est  vray.  Je  l'ay  veu.  Je 
vous  certifie  que  au  mandement  de  messere  Gaster  tout  le 
ciel  tremble,  toute  la  terre  bransle.  Son  mandement  est  nom- 
mé :  faire  le  fault  sans  delay,  ou  mourir. 

Le  pilot  nous  racontoit  comment  un  jour,  à  l'exemple  des 
membres  conspirans  contre  le  Ventre,  ainsi  que  descript  iEsope 
tout  le  royaume  des  Somates  contre  luy  conspira  et  con- 
jura soy  soubstraire  de  son  obéissance.  Mais  bien  toust  s'en 
sentit,  et  s'en  repentit,  et  retourna  en  son  service  en  toute 
humilité.  Aultrement  tous  de  maie  famine  perissoient.  En 
quelques  compaignies  qu'il  soit,  discepter  ne  fault  de  supé- 
riorité et  préférence  ;  tousjours  va  davant,  y  f eussent  Roys, 
Empereurs,  voire  certes  le  Pape.  Et  au  concile  de  Basle,  le 
premier  alla,  quoy  qu'on  vous  die  que  ledict  concile  fut  sedic- 
tieux,  à  cause  des  contentions  et  ambitions  des  lieux  premiers. 
Pour  le  servir  tout  le  monde  est  empesché,  tout  le  monde 
labeure.  Aussi  pour  recompense  il  fait  ce  bien  au  monde  qu'il 
luy  invente  toutes  ars,  toutes  machines,  tous  mestiers,  tous 
engins  et  subtiUtez.  Mesmes  es  animans  brutaulx  il  apprend 
axs  desniees  de  Nature.  Les  Corbeaulx.  les  Gays,  les  Pape- 
gays,  les  Estourneaulx,  il  rend  poètes;  les  Pies  il  fait  poëtri- 
des,  et  leur  aprent  languaige  humain  proférer,  parler,  chanter. 
Et  tout  pour  la  trippe. 

Les  Aigles,  Gerfaulx,  Faulcons,  Sacres,  Laniers,  Autours, 
Espavriers,  EsmeriUons;  oizeaux  aguars,  peregrins,  essors, 
rapineux,  sauvages,  il  domesticque  et  apprivoise,  de  telle 
façon  que,  les  abandonnant  en  pleine  liberté  du  Ciel,  quand 
bon  luy  semble,  tant  hault  qu'il  vouldra,  tant  que  luy  plaist, 
les  tient  suspens;  errans,  volans,  planans,  le  muguetans,  luy 


PANTAGRUEL  I73 

faisans  la  cour  au  dessus  des  nues  :  puys  soubdain  les  fait  du 
Ciel  en  Terre  fondre.  Et  tout  pour  la  trippe. 

Les  Elephans,  les  Lyons,  les  RMnocerotes,  les  Ours,  les 
Chevaulx,  les  Chiens  il  faict  danser,  baller,  voltiger,  com- 
battre, nager,  soy  cacher,  aporter  ce  qu'il  veult,  prendre  ce 
qu'il  veult.  Et  tout  pour  la  trippe. 

Les  poissons  tant  de  mer  comme  d'eau  douice,  balaines  et 
monstres-marins,  sortir  il  faict  du  bas  abisme,  les  Loups 
jecte  hors  des  boys,  les  Ours  hors  les  rochiers,  les  Renards 
hors  des  tesnieres,  les  Serpens  lance  hors  la  Terre,  en  grand 
nombre.  Et  tout  pour  la  trippe. 

Brief  est  tant  énorme  que  en  sa  rage  il  mange  tous,  bestes 
et  gens,  comme  feut  veu  entre  les  Vascons,  lors  que  Q.  Metel- 
lus  les  assiegeoit  par  les  guerres  Sertorianes,  entre  les  Sagun- 
tins  assiégez  par  Hannibal,  entre  les  Juifz  assiégez  par  les 
Romains;  six  cens  aultres.  Et  tout  pour  la  trippe. 

Quand  Penie  sa  régente  se  mect  en  voye,  la  part  qu'elle 
va,  tous  parlemens  sont  clous,  tous  edictz  mutz,  toutes 
ordonnances  vaines.  A  loy  aulcune  n'est  subjecte,  de  toutes 
est  exempte.  Chacun  la  refuit  en  tous  endroictz,  plus  toust 
s'exposans  es  naufrages  de  mer,  plus  toust  eslisans  par 
feu,  par  mons,  par  goulplires  passer,  que  d'icelle  estre  ap- 
préhendez. 


CHAPITRE  LVIII 

COMMENT,    EN    LA    COURT    DU    MAISTRE   INGENIEUX,    PANTAGRUEL 
DETESTA    LES    E NGASTRI M YTIIES    ET    LES    GASTROLATRES 

En  la  court  de  ce  grand  maistre  ingénieux,  Pantagruel 
apperceut  deux  manières  de  gens  appariteurs,  importuns  et 
par  trop  officieux,  les  quelz  il  eut  en  grande  abhomination. 
Les  uns  estoient  nommés  Engastrimythes,  les  aultres  Castro- 


T74  LIVRK    IV,     CHAPITRE    LVIII 

latres.  Les  Engastrimythes  soy  disoient  estrc  descenduz  de 
l'antique  race  des  Eurycles,  et  sus  ce  alleguoient  le  tesmoi- 
gnage  d'Aristophanes,  en  la  comédie  intitulée  les  Tahons  on 
MouscJies  guespes.  Dont  anciennement  estoient  dicts  Eury- 
cliens,  comme  escript  Plato,  et  Plutarche  on  livre  de  la  ces- 
sation des  oracles.  Es  sainctz  Décrets,  26,  quest.  3,  sont  appel- 
lés  Ventriloques  :  et  ainsi  les  nomme,  en  langue  lonicque. 
Hippocrates,  lib.  V.  Epid..  comme  parlans  du  ventre.  Sopho- 
cles  les  appelles  Sternomantes.  C'estoient  divinateurs,  enchan- 
teurs et  abuseurs  de  simple  peuple,  semblans,  non  de  la 
bouche,  mais  du  ventre  parler  et  respondre  à  ceux  qui  iiiter- 
rogeoient. 

Telle  estoit,  environ  l'an  de  nostre  benoist  Servateur  1513, 
Jacobe  Rodogine,  Italiane,  femme  de  basse  maison.  Du  ventre 
de  laquelle  nous  avons  souvent  ouy,  aussi  ont  aultres  infiniz 
en  Ferrare  et  ailleurs,  la  voix  de  l'esprit  immonde,  certaine- 
ment basse,  foible  et  petite  :  toutesfoys  bien  articulée,  dis- 
tincte et  intelligible,  lorsque,  par  la  curiosité  des  riches  sei- 
gneurs et  princes  de  la  Guaulle  Cisalpine,  elle  estoit  appelée 
et  mandée.  Les  quelz,  pour  hoster  tout  doubte  de  fiction  et 
fraulde  occulte,  la  faisoient  despouiller  toute  nue,  et  luy  fai- 
soient  clourre  la  bouche  et  le  nez.  Cestuy  maling  esprit  se 
faisoit  nommer  Crespelu  ou  Cincinnatiile,  et  sembloit  prendre 
plaisir  estant  ainsi  appelle.  Quand  ainsi  on  l'appelloit,  soub- 
dain  aux  propous  respondoit.  Si  on  l'interrogeoit  des  cas  pre- 
sens  ou  passez,  il  en  respondoit  pertinemment,  jusques  à  tirer 
les  auditeurs  en  admiration.  Si  des  choses  futures  tousjours 
mentoit,  jamais  n'en  disoit  la  vérité.  Et  souvent  sembloit  con- 
fesser son  ignorance,  en  lieu  de  y  respondre,  faisant  un  gros 
pet,  ou  marmonant  quelques  motz  non  intelligibles  et  de 
barbare  termination. 

Les  Gastolatres,  d'un  aultre  cousté,  se  tenoient  serrez  par 
trouppes  et  par  bandes,  joyeuîx,  mignars,  douilletz  aulcuns, 
aultres  tristes,  graves,  sévères,  rechignez,  tous  ocieux,  rien 


PANTAGRUEL  T 75 

ne  faisans,  poinct  ne  travaillans,  poys  et  charge  inutile  de  la 
Terre,  comme  dict  Hésiode;  craignans  (selon  qu'on  povoit 
juger)  le  Ventre  offenser  et  emmaigrir.  Au  reste,  masquez, 
desguisez,  et  vestuz  tant  estrangement  que  c'estoit  belle 
chose.  Vous  dictes  et  est  escript  par  plusieurs  saiges  et  anti- 
ques Ploilosophes  que  l'industrie  de  Nature  appert  merveil- 
leuse en  l'esbattement  qu'elle  semble  avoir  prins  formant  les 
Coquilles  de  mer  :  tant  y  veoyd  on  de  variété,  tant  de  figures, 
tant  de  couleurs,  tant  de  traictz  et  formes  non  imitables  par 
art.  Je  vous  asceure  qu'en  la  vesture  de  ces  Gastrolatres 
Coquillons  ne  veismes  moins  de  diversité  et  desguisement.  Hz 
tous  tenoient  Gaster  pour  leur  grand  Dieu,  le  adoroient  com- 
me Dieu,  luy  sacrifioient  comme  à  leur  Dieu  omnipotens,  ne 
recongnoissoient  aultre  Dieu  que  luy;  le  servoient,  aymoient 
sus  toutes  choses,  honoroient  comme  leur  Dieu.  Vous  eussiez 
dict  que  proprement  d'eulx  avoit  le  sainct  Envoyé  escript, 
Philippens  III  :  <(  Plusieurs  sont  des  quelz  souvent  je  vous 
ay  parlé  (encores  présentement  je  le  vous  dis  les  larmes  à 
l'œil)  ennemis  de  la  croix  du  Christ,  des  quelz  Mort  sera  1^ 
consommation,  des  quelz  Ventre  est  le  Dieu.  »  Pantagruel  les 
comparoit  au  Cyclope  Polypheraus,  lequel  Euripides  faict 
parler  comme  s'ensuyt  :  «  Je  ne  sacrifie  que  à  moy  (aux  dieux 
poinct)  et  à  cestuy  mon  Ventre,  le  plus  grand  de  tous  les 
Dieux.  » 


CHAPITRE  LIX 

DE     LA     RIDICULE     STATUE    APPELÉE     MANDUCE, 

ET     COMMENT,     ET     QUELLES    CHOSES 

SACRIFIENT     LES    GASTROLATRES     A    LEUR    DIEU     VENTRIPOTENT 


Nous  consyderans  le  minoys  et  les  gestes  de  ces  poiltrons 
magnigoules  Gastrolatres,  comme  tous  estonnez,  ouysmes  un 


176  LIVRE    IV,     CHAPITRE    LIX 

son  de  campane  notable,  auquel  touse  rangèrent  comme  en 
bataille,  chascun  par  son  office,  degré  et  antiquité.  Ainsi  vin- 
drent  devers  messere  Gaster,  suyvans  un  gras,  jeune,  puis- 
sant Ventru,  lequel  sus  un  long  baston  bien  doré  portoit  une 
statue  de  boys,  mal  taillée  et  lourdement  paincte,  telle  que  la 
descrivent  Plaute,  Juvenal  et  Pomp.  Festus.  A  Lyon,  au 
carneval,  on  l'appelle  M aschecroutte  ;  ils  la  nommoient  Alan- 
duce.  C'estoit  une  effigie  monstrueuse,  ridicule,  hydeuse,  et 
terrible  aux  petitz  enfans,  ayant  les  ceilz  plus  grands  que  le 
ventre,  et  la  teste  plus  grosse  que  tout  le  reste  du  corps,  avec- 
ques  amples,  larges  et  horrificques  maschoueres  bien  enden- 
telées,  tant  au  dessus  comme  au  dessoubs  :  les  quelles,  avec- 
ques  l'engin  d'une  petite  chorde  cachée  dedans  le  baston 
doré,  l'on  faisoit  l'une  contre  l'aultre  terrificquement  clic- 
quetter,  comme  à  Metz  l'on  faict  du  dragon  de  sainct  Cle- 
mens. 

Approchans  les  Gastrolatres,  je  veids  qu'ilz  estoient  suyviz 
d'un  grand  nombre  de  gros  varletz  chargez  de  corbeilles,  de 
paniers,  de  balles,  de  potz,  poches  et  marmites.  Adoncques, 
soubs  la  conduicte  de  Manduce,  chantans  ne  sçay  quelz 
Dithyrambes.  Craspalocomes,  Epaenons,  offrirent  à  leur  Dieu, 
ouvrans  leurs  corbeilles  et  marmites,  Hippocras  blanc,  avec 
la  tendre  roustie  seiche. 

Pain  blanc.  Fressures, 

Pain  mollet.  Fricassées,  neuf  espèces, 

Choine,  Pastez  d'assiette. 

Pain  bourgeoys.  Grasses  souppes  de  prime, 

Carbonnades  de  six  sortes,  Souppes  de  Leurier, 

Cabirotades,  Souppes  Lionnoises, 

Longes    de    veau    rousty  froides,    Chous  cabutz  à  la  mouelle  de  bœuf, 

sinapisées    de    pouldre  Zinzibe-    Hoschepotz, 

rine,  Salmiguondins. 
Coscotons, 

Breuvaige  éternel  parmy,  précèdent  le  bon  et  friand  vin 
blanc,  suivant  vin  clairet  et  vermeil  frais  :  je  vous  diz  froyd 


PANTAGRUEL 


177 


comme  la  glace,  servy  et  offert  en  grandes  tasses  d'argent. 
Puis  offroient  : 


Andouilles    capparassonnées    de        Cervelatz, 


moustarde  fine, 
Saulsisses, 

Langues  de  bœuf  fumées, 
Sauraates, 

Eschinées  aux  poys, 
Fricandeaux, 
Boudins, 


Saulcissons, 

Jambons, 

Hures  de  sangliers, 

Venaison  sallée  aux  naveaulx, 

Hastereaux, 

Olives  colymbades. 


Le  tout  associé  de  breuvaige  sempiternel.  Puis,  luy  enfour- 
noient  en  gueule  : 


Esclanches  à  Taillade, 
Pastés  à  la  saulce  chaulde, 
Coustelettes  de  porc  à  l'oignonnade, 
Chappons    roustiz    avecques    leur 

degout, 
Huteaudeaux, 
Becars, 
Cabirotz, 
Bischards,  Dains, 
Lièvres,  Levraux, 
Perdrix,  Perdriaux, 
Faisans,  Faisandeaux, 
Pans,  Panneaux, 
Ciguoignes,  Ciguoineaux, 
Bécasses,  Becassins, 
Hortolans, 

Cocqs,  poulies  et  pouUetz  d'Inde; 
Ramiers,  Ramerotz; 
Cochons  au  moust, 
Canars  à  la  dodine, 
Merles,  Rafles, 
Poulies  d'eaue, 
Tadournes, 
Aigrettes, 
Cercelles, 
Plongeons, 
Butors,  pâlies, 
Courlis, 

Gelinottes  de  boys. 
Foulques  aux  pourreaux, 

T.  II. 


Risses,  Chevreaulx, 

EspauUes  de  mouton  aux  cappres, 

Pièces  de  bœuf  royallcs, 

Poictrines  de  veau 

Poulies  bouillies  et  gras  chappons, 

au  blanc  manger, 
GeUnottes, 
Poulletz, 

Lappins,  Lappereaux; 
Cailles,  Cailleteaux; 
Pigeons,  Pigeonneaux, 
Hérons,  Heronncaux, 
Otardes,  otardeaux, 
Becquefigues, 
Guynettes, 
Pluviers, 
Oyes,  Oj'zons, 
Bizets, 
Hallebrans, 
Maulvys, 
Flamans,  Cignes; 
Pochecuillieres, 
Courtes,  Grues, 
Tyransons, 
Corbigeaux, 
Francourlis, 
Tourterelles, 
Connilz, 
Porcespicz, 
Girardines. 

Z2 


178 


LIVRE    ÎV,     CHAPITRE    LX 


Renfort  de  vinaigre  parmy.  Puis  grands  pastez 


De  Venaison, 

D'AUouettcs, 

De  Lirons, 

De  Stamboucqs, 

De  Chevreuilz, 

De  Pigeons, 

De  Chainoys, 

De  Chappons, 

Pastez  de  lardons. 

Pieds  de  porc  au  sou, 

Croustes  de  pastez  fricassées, 

Corbeaux  de  Chappons, 

Fromaiges, 

Pesches  de  Corbeil, 

Artichaulx, 

Guasteaux  feueilletez. 

Cardes, 

Brides  à  veaux, 


Beuignetz, 

Tourtes  de  seize  façons, 
Guauffres,  Crespes, 
Pastez  de  coings, 
Caillebottes, 
Neige  de  Crème, 
Myrobalans  confictz, 
Gelée, 

Hippocras  rouge  et  vermeil, 
Poupelins,  Macarons, 
Tartres,  vingt  sortes, 
Crème, 

Confictures     seiches     et     liquides, 
soixante    et    dixhuyt   espèces,     • 
Dragée,  de  cent  couleurs. 
Jonchées, 
Mestiers  au  sucre  fin. 


Vinaige  suivoit  à  la  queue,  de  paour  des  esquinanches* 
Item  rousties. 


CHAPITRE  LX 

COMMENT,     ES    JOURS     MAIGRES     ENTRELARDEZ,     A    LEUR     DIEU 
SACRIFIOIENT    LES     GASTROLATRES 


Voyant  Pantagruel  ceste  villcnaille  de  sacrificateurs,  et 
multiplicité  de  leurs  sacrifices,  se  fascha,  et  feust  descendu, 
si  Epistemon  ne  l'eust  prié  veoir  l'issue  de  ceste  farce.  «  Et 
que  sacrifient,  dist  il,  ces  maraulx,  à  leur  dieu  Ventripotent 
es  jours  maigres  entrelardez? 

—  Je  vous  le  diray,  respondit  le  pilot.  D'entrée  de  table  il 
luy  ofîrent  l 


Caviat, 

Boutargues, 
Beurre  frays, 


Purées  de  poys, 

Espinars, 

Arans  blans  bouf&z, 


PANTAGRUEL 


1/9 


Araus  sors, 

Sardines, 

Anchoys, 

Tonnine, 

Gaules  emb'olif, 

Saulgrenées  de  febves, 


que,  de  responses,  d'auieilks  de 
Judas  (c'est  une  forme  de  funges 
issans  des  vieux  Suzeaulx),  de 
asperges,  de  chevrcfcuel  :  tant 
d'autres. 
Saulinons  saliez. 


Sallades  cent  diversités,  de  cresson,   Anguillette  sallées, 
de  Obclon,  de  la  couille  à  l'eves-   Huytres  en  escalles. 


«  Là  fault  bo^'rc,  ou  le  Diable  l'emportoit.  Hz  y  donnent 
bon  ordre,  et  n'y  a  faulte;  puys  luy  offixnt  : 


Lamproyes  à  saul- 
ce  d'Hippocras, 
Barbeaulx, 
Barbillons, 
Meuille, 
Meuilletz, 
Rayes, 
Casserons, 
Esturgeons, 
Balaines, 
Macquereaulx, 
Pucelles, 
Plyes, 

Huytres  frittes, 
Pétoncles, 
Languoustes, 
Espelans, 
Guourneaulx, 
Truites, 
Lavaretz, 
Guodepise, 
Poulpres, 
Limandes, 


Carreletz, 

Maigres, 

Pageaux, 

Gougeons, 

Barbues, 

Cradotz, 

Carpes, 

Brochetz, 

Palamides, 

Roussettes, 

Oursins, 

Vielles, 

Ortigues, 

Crespions, 


Saulmonneaux, 

Daulphins, 

Porcilles, 

Turbotz, 

Pocheteau, 

Soles, 

Pôles, 

Moules, 

Homars, 

Chevrettes, 

Dards, 

Ablettes, 

Tanches, 

Umbres, 


Gracieux  seigneursMerlus  frays. 


Empereurs, 

Anges  de  mer, 

Lempreons, 

Lancerons, 

Brochetons, 

Carpions, 

Carpeaulx, 

Saulmons, 


Seiches, 

Rippes, 

Tons, 

Guoyons, 

Meusniers, 

Escre  visses,  1 

Palourdes, 

Liguombeaulx, 


Chatouilles, 

Congres, 

Oyes, 

Lubines, 

Aloses, 

Murennes, 

Umbrettes, 

Darceaux, 

Anguilles, 

Anguillettes, 

Tortues, 

Serpens,   id  est, 

Anguilles  de 

boys. 
Dorades, 
PouUardes, 
Perches, 
Realz, 
Loches, 
Cancres, 
Escargotz, 
Grenoilles, 


«  Ces  viandes  dévorées,  s'il  ne  beuvoit,  la  Mort  l'attendoit  à 
deux  pas  près.  L'on  y  pourvoyoit  tresbien.  Puis  luy  estoient 
sacrifiez  : 


Merluz  saléSj  tuvez,    trainnez  bouillez.gouil-  Adotz, 

Stoc&cz,  par  les  cendres,  dronnez,  etc.  Lancerons  mari- 

Œufzfritz,  perduz,  jectez     par  la  Moulues,  nez, 

suSocquez,    es-  cheminée,  bar-  Papillons, 


i8o 


LIVRE    IV,     CHAPITRE    LXI 


pour  lesquelz  cuyre  et  digérer  facilement  vinaige  estoit  mul- 
tiplié. Sus  la  fin  oflfroient  : 

Riz,  Pistaces,  Millorque,  Noizilles, 

Mil,  Fisticques,  Fromentée,  Pasquenades, 

Gruau,  Figues,  Pruneaulx,  Artichaulx. 

Beurre  d'amendesRaisins,  Dactyles, 

Neige  de  beurre,    Escher\'iz,  Noix, 

«  Pérennité  d'abrevement  panny. 

«  Croyez  que  par  eulx  ne  tenoit  que  cestuy  Gaster,  leur  dieu 
ne  feust  apertement,  précieusement  et  en  abondance  servy, 
en  ces  sacrifices,  plus  certes  que  l'Idole  de  Heliogabalus, 
voyre  plus  que  l'idole  Bel  en  Babylone,  soubs  le  roy  Bal- 
thazar.  Ce  non  obstant,  Gaster  confessoit  estre,  non  Dieu, 
mais  paouvre,  vile,  chetifve  créature.  Et  comme  le  roy  Anti- 
gonus,  premier  de  ce  nom,  respondit  à  un  nommé  Hermodotus 
(lequel,  en  ses  poésies,  l'appelloit  Dieu  et  filz  de  Soleil), 
disant  :  «  Mon  Lasanophore  le  nie  »  (Lasanon  estoit  une  ter- 
rine et  vaisseau  approprié  à  recepvoir  les  excremens  du  ven- 
tre) ;  ainsi  Gaster  renvoyoit  ces  Matagotz  à  sa  selle  persée 
veoir,  considérer,  philosopher  et  contempler  quelle  di\'inité 
ilz  trouvoient  en  sa  matière  fécale.  » 


CHAPITRE  LXI 

COMMENT     GASTER    INVENTA    LES     MOYENS     D'AVOIR 
ET     CONSERVER     GRAIN 


Ces  diables  Gastrolatres  retirez,  Pantagruel  fut  attentif  à 
l'estude  de  Gaster,  le  noble  maistre  des  ars.  Vous  sçavez  que 
par  institution  de  nature.  Pain  avecques  ses  apennaiges  luy 
a  esté  pour  provision  adjugé  et  aliment,  adjoincte  ceste  bene- 


PANTAGRUEL  iSl 

diction  du  ciel  que  pour  pain  trouver  et  guarder  rien  ne  luy 
defauldroit.  Des  le  commencement  il  inventa  l'art  fabrile,  et 
agriculture  pour  cultiver  la  terre,  tendant  à  fin  qu'elle  luy 
produisist  Grain.  Il  inventa  l'art  militaire  et  armes  pour 
Grain  défendre;  Medicine  et  Astrologie,  avec  les  Mathema- 
ticques  nécessaires,  pour  Grain  en  saulveté  par  plusieurs 
siècles  guarder  et  mectre  hors  les  calamités  de  l'air,  deguast 
des  bestes  brutes,  larrecin  des  briguands.  Il  inventa  les  mou- 
lins à  eau,  à  vent,  à  bras,  à  aultres  mille  engins,  pour  Grain 
mouldre  et  réduire  en  farine;  le  levain  pour  fermenter  la 
paste;  le  sel  pour  luy  donner  saveur  (car  il  eust  cestte  con- 
gnoissance  que  chose  au  monde  plus  les  humains  ne  rendoit  à 
maladies  subjectz  que  de  pain  non  fermenté,  non  salé  user),  le 
feu  pour  le  cuire,  les  horologes  et  quadrans  pour  entendre  le 
temps  de  la  cuycte  de  pain,  créature  de  Grain. 

Est  advenu  que  Grain  en  un  pays  defailloit,  il  inventa 
art  et  moyen  de  le  tirer  d'une  contrée  en  aultre.  Il,  par  inven- 
tion grande,  mesla  deux  espèces,  de  animans,  Asnes  et  Ju- 
mens,  pour  production  d'une  tierce,  laquelle  nous  appelions 
muletz,  bestes  plus  puissantes,  moins  délicates,  plus  durables 
au  labeur  que  les  aultres.  Il  inventa  chariotz  et  charrettes 
pour  plus  commodément  le  tirer.  Si  la  mer  ou  rivières  ont 
empesché  la  traicte,  il  inventa  basteaulx,  gualeres  et  navires 
(chose  de  laquelle  se  sont  les  elemens  esbabiz)  pour,  oultre 
mer,  oultre  fleuves  et  rivières,  naviguer  et  de  nations  barbares, 
incongneues,  et  loing  séparées.  Grain  porter  et  transporter. 

Est  advenu  depuys  certaines  années  que,  la  terre  cultivant, 
il  n'a  eu  pluye  à  propous  et  en  saison,  par  default  de  laquele 
Grain  restoit  en  terre  mort  et  perdu.  Certaines  années  la 
pluye  a  esté  excessive,  et  nayoit  le  Grain,  Certaines  aultres 
années  la  gresle  le  guastoit,  les  vents  l'esgrenoient,  la  tem- 
peste  le  renversoit.  Il  ja,  davant  nostre  venue,  avoit  inventé 
art  et  moyen  de  évoquer  la  pluye  des  Cieulx  ;  seulement  une 
herbe  decouppant,  commune  par  les  praeries,  mais  à  peu  de 


lS2  LIVRE    IV,     CHAPITRE     LXI 

gens  congneue,  laquelle  il  nous  monstra.  Et  estimoys  que 
feust  celle  de  laquelle  une  seule  branche,  jadis,  mectant  le 
pontife  Jovial  dedans  la  fontaine  Agrie  sus  le  mont  Lycien 
en  Arcadie,  au  temps  de  seicheresse,  excitoit  les  vapeurs  :  des 
vapeurs  estoient  formées  grosses  nuées,  les  quelles  dissolues 
en  pluye,  toute  la  région  estoit  à  plaisir  anousée.  Inventoit 
art  et  moyen  de  suspendre  et  arrester  la  pluye  en  l'air,  et  sus 
mer  la  faire  tomber.  Inventoit  art  et  moyen  d'anéantir  la 
gresle,  supprimer  les  vents,  destourner  la  tempeste,  en  la 
manière  usitée  entre  les  Methanensiens  de  Trezenie. 

Aultre  infortune  est  advenu.  Les  pillars  et  briguans  desro- 
boient  Grain  et  Pain  par  les  champs.  Il  inventa  art  de  bastir 
villes,  forteresses  et  chasteaulx  pour  le  reserrer  et  en  sceureté 
conserver.  Est  advenu  que  par  les  champs  ne  trouvant  Pain, 
entendit  qu'il  estoit  dedans  les  \-illes,  forteresses  et  chasteaulx 
reserré,  et  plus  curieusement  par  les  habitans  défendu  et 
guardé  que  ne  feurent  les  pommes  d'or  des  Hesperides  par 
les  dracons.  Il  inventa  art  et  moyen  de  battre  et  desmoUr 
forteresses  et  chasteaulx  par  machines  et  tormens  bellicques, 
béliers,  balistes,  catapultes,  des  quelles  il  nous  monstra  la 
figure,  assez  mal  entendue  des  ingénieux  architectes,  disci- 
ples de  Victruve,  comme  nous  a  confessé  Messere  Philebert 
de  l'Orme,  grand  architecte  du  roy  ^légiste.  Les  quelles, 
quand  plus  n'ont  proficté,  obstant  la  maUgne  subtihté  et  sub- 
tile malignité  des  fortificateurs,  il  avoit  inventé  recentement 
Canons,  Serpentines,  Coulevrines,  Bombardes,  Basilics,  jec- 
tans  boullets  de  fer,  de  plomb,  de  bronze,  pezans  plus  que 
grosses  enclumes,  moyennant  une  composition  de  pouldre 
liorrificque,  de  laquelle  Nature  mesmes  s'est  esbahie,  et  s'est 
confessée  vaincue  par  art,  ayant  eu  mespris  l'usaige  des  Oxy- 
draces,  qui,  à  force  de  fouldres,  tonnoires,  gresles,  esclairs, 
tempestes.  vaincoient  et  à  mort  soubdaine  mettoient  leurs 
ennemis  en  plain  champ  de  bataille.  Car  plus  est  horrible,  plus 
espouvantable,  plus  diabolique,  et  plus  de  gens  meurtrist. 


PANTAGRUEL  183 

casse,  rompt  et  tue;  plus  estonne  les  sens  des  humains;  plus 
de  murailles  demolist  un  coup  de  Basilic,  que  ne  feroient  cent 
coups  de  fouldre. 


CHAPITRE  LXII 

COMMENT     GASTER    INVENTOIT    ART     ET     MOYEr 
PE    NON    ESTRE    BLESSÉ    NE    TOUCHÉ    PAR    COUPS    PE    CANON 


Est  advenu  que  Gaster  retirant  Grains  es  forteresses  s'est 
veu  assailly  des  ennemis,  ses  forteresses  démolies,  par  ceste 
triscaciste  et  infernale  machine,  son  Grain  et  Pain  toUu  et 
saccaigé  par  force  Titanique  :  il  invientoit  lors  art  et  moyen 
non  de  conserver  ses  rempars,  bastions,  murailles  et  défenses 
de  telles  canonneries,  et  que  les  boulletz  ou  ne  les  touchassent 
et  restassent  coy  et  court  en  l'air,  ou  touchans  ne  portassent 
nuisance  ne  es  défenses  ne  aux  citoyens  defendens.  A  cestuy 
inconvénient  ja  avoit  ordre  tresbon  donné,  et  nous  en  raons» 
tra  l'essay  :  duquel  a  depuys  usé  Fronton,  et  est  de  présent 
en  usaige  commun,  entre  les  passetemps  et  exercitations 
honestes  des  Telemites.  L'essay  estoit  tel.  Et  dorénavant 
soiez  plus  faciles  à  croire  ce  que  asceure  Plutarche  avoir  expé- 
rimenté. Si  un  trouppeau  de  Chèvres  s'en  fuyoit  courant  en 
toute  force  mettez  un  brin  de  Erynge  en  la  gueule  d'une  der- 
nière cheminante,  soubdain  toutes  s'arresteront. 

Dedans  un  faulconneau  de  bronze  il  mettoit  sus  la  pouldre 
de  canon  curieusement  composée,  degressee  de  son  soulfre,  et 
proportionnée  avecques  Camphre  fin.  en  quantité  compé- 
tente, une  ballotte  de  fer  bien  qualibree,  et  vingt  et  quatre 
grains  de  dragée  de  fer,  uns  ronds  et  sphericques,  aultres  en 
forme  lachrymale.  Puys  ayant  prins  sa  mire  contre  un  sien 
jeune  paige,  comme  s'il  le  voulust  ferir  parmy  l'estomach,  en 


184  LIVRE    rv,     CHAPITRE    LXII 

distance  de  soixante  pas,  au  mylieu  du  chemin  entre  le  paige 
et  le  faulconneau  en  ligne  droyte  suspendoit  sus  une  potence 
de  bois  à  une  chorde  en  l'air  une  bien  grosse  pierre  Siderite, 
c'est  à  dire  Ferriere,  aultrement  appellée,  Herculiane,  jadis 
trouvée  en  Ide  on  pays  de  Phrygie  par  un  nommé  Magnes, 
comme  atteste  Nicander.  Nous  vulgairement  l'appelons 
Aymant.  Puys  mettoit  le  feu  au  Faulconneau  par  la  bouche 
du  pulverin.  La  pouldrc  consommée,  advenoit  que  pour  éviter 
vacuité  (laquelle  n'est  tolérée  en  Nature;  plus  toust  seroit  la 
machine  de  l'Univers,  Ciel,  Air,  Terre,  Mer  reduicte  à  l'anti- 
que Chaos,  qu'il  advinst  vacuité  en  lieu  du  monde)  la  ballotte 
et  dragées  estoient  impétueusement  hors  jectées  par  la  gueule 
du  Faulconneau,  afiSn  que  l'air  penetrast  en  la  chambre 
d'icelluy,  laquelle  aultrement  restoit  en  vacuité,  estant  la 
pouldre  par  le  feu  tant  soubdain  consommée.  Les  ballotte  et 
dragées  ainsi  violentement  lancées  sembloient  bien  debvoir 
ferir  le  paige;  mais  sus  le  poinct  qu'elles  approchoient  de  la 
susdicte  pierre,  se  perdoit  leur  impétuosité  et  toutes  restoient 
en  l'air  flottantes  et  tournoyantes  autour  de  la  pierre,  et  n'en 
passoit  oultre  une,  tant  violente  feust  elle,  jusques  au  paige. 

Mais  il  inventoit  l'art  et  manière  de  faire  les  boulletz  arrière 
retourner  contre  les  ennemis,  en  pareille  furie  et  dangier  qu'ilz 
ser  oient  tirez  et  en  propre  parallèle.  Le  cas  ne  trou  voit  diffi- 
cile, attendu  que  l'herbe  nommée  Ethiopis  ouvre  toutes  les 
serrures  qu'on  luy  présente,  et  que  Echineis,  poisson  tant 
imbecille,  arreste  contre  tous  les  vents,  et  retient  en  plein 
fortunal  les  plus  fortes  navires  qui  soient  sus  mer,  et  que  la 
chair  de  icelluy  poisson,  conservée  en  sel,  attire  l'or  hors  les 
puyz,  tant  profonds  soient  ilz  qu'on  pourroit  sonder. 

Attendu  que  Democritus  escript,  Théophraste  l'a  creu  et 
esprouvé,  estre  une  herbe,  par  le  seul  atouchement  de  laquelle 
un  coin  de  fer  profondement  et  par  grande  violence  enfoncé 
dedans  quelque  gros  et  dur  boys,  subitement  sort  dehors. 
De  laquelle  usent  les  Pics  Mars  (vous  les  nommez  Pivars). 


PANTAGRUEL  185 

quand  de  quelque  puissant  coin  de  fer  Ion  estouppe  le  trou 
de  leurs  nidz  :  les  quelz  ilz  ont  accoustumé  industrieusement 
faire  et  caver  le  dedans  tronc  des  fortes  arbres. 

Attendu  que  les  Cerfz  et  Bisches  navrez  profondement 
par  traicts  de  dars,  flèches  ou  guarrotz,  s  ilz  rencontrent  l'herbe 
nommée  Dictame  fréquente  en  Candie,  et  en  mangent  quel- 
que peu,  soubdain  les  flèches  sortent  hors,  et  ne  leurs  en  reste 
mal  aulcun.  De  laquelle  Venus  guarit  son  bien  aymé  filz 
iEnéas,  blessé  en  la  cuisse  dextie  d'une  flèche  tirée  par  la 
sœur  de  Turnus  Juturna. 

Attendu  qu'au  seul  flair  issant  des  Lauriers,  Figuiers,  et 
veaulx  marins,  est  la  fouidre  détournée,  et  jamais  ne  les 
ferit.  Attendu  que  au  seul  aspect  d'un  Bélier  les  Elephans 
enraigez  retournent  à  leur  bon  sens;  les  Taureaux  furieux  et 
forcenez  approchans  des  figuiers  saulvaiges  dicts  Caprifices  se 
apprivoisent,  et  restent  comme  grampes  et  immobiles  ;  la  furie 
des  Vipères  expire  par  l'attouchement  d'un  rameau  de  Fou- 
teau.  Attendu  aussi  qu'en  l'isle  de  Samos,  avant  que  le  tem- 
ple de  Juno  y  fust  basty,  Euphorion  escript  avoir  veu  bestes 
nommées  Néades,  à  la  seule  voix  des  quelles  la  Terre  fondoit 
en  chasmates  et  en  abysme.  Attendu  pareillement  que  le 
Suzeau  croist  plus  canore  et  plus  apte  au  jeu  des  flustes  en 
pays  on  quel  le  chant  des  Coqs  ne  sera  ouy,  ainsi  qu'ont 
escript  les  anciens  sages,  selon  le  rapport  de  Théophraste, 
comme  si  le  chant  des  Coqs  hebetast,  ammolist  et  estonnast 
la  matière  et  le  boys  du  Suzeau;  au  quel  chant  pareillement 
ouy  le  Lion,  animant  de  si  grande  force  et  constance,  devient 
tout  estonné  et  consterné.  Je  sçay  que  aultres  ont  ceste  sen- 
tence entendu  du  Suzeau  saulvaige,  provenant  en  lieux  tant 
esloignez  de  villes  et  villages  que  le  chant  des  Coqs  n'y  pour- 
roit  estre  ouy.  Icelluy  sans  doubte  doist  pour  flustes  et  aultres 
instrumens  de  IMusicque  estre  esleu,  et  préféré  au  domes- 
ticque,  lequel  pro\'ient  autour  des  chesaulx  et  masures. 

Aultres  l'ont  entendu  plus  haultement,  non  selon  la  lettre, 


l86  LIVRE    IV,    CHAPITRE    LXIII 

mais  allegoricquement  scelon  l'usaige  des  Pythogoriciena. 
Comme  quand  il  a  esté  dict  que  la  statue  de  Mercure  ne  doibt 
estre  faicte  de  tous  boys  indifferentement,  ilz  l'exposent  que 
Dieu  ne  doibt  estre  adoré  en  façon  vulgaire,  mais  en  façon 
esleue  et  religieuse.  Pareillement  en  ceste  sentence  nous 
enseignent  que  les  gens  saiges  et  studieux  ne  se  doibvent 
adonner  à  la  Musique  triviale  et  vulgaire,  mais  à  la  céleste, 
divine,  angelicque,  plus  absconse  et  de  plus  loing  apportée  : 
sçavoir  est  d'une  région  en  laquelle  n'est  ouj»^  des  Coqs  le 
chant.  Car,  voulans  dénoter  quelque  lieu  à  l'escart  et  peu 
fréquenté,  ainsi  disons  nous  en  icelluy  n'avoir  oncques  esté 
ouy  Coq  chantant. 


CHAPITRE  LXIII 

COMMENT,     PRÉS     DE     l'ISLE     DE     CH.\NEI'H, 

PANTAGRUEL     SOMMEILLOIT, 

ET    LES    PROBLEMES    PROPOUSEZ    A    SON    REVEIL 


Au  jour  subséquent,  en  menuz  devis  suyvans  nostre  route, 
arrivasmes  prés  l'isle  de  Chaneph.  En  laquelle  abourder  ne 
peut  la  nauf  de  Pantagruel,  parce  que  le  vent  nous  faillit,  et 
feut  calme  en  mer.  Nous  ne  voguions  que  par  les  Valentiennes, 
changeans  de  tribort  en  babort,  et  de  babort  en  tribort,  quoy 
qu'on  eust  es  voiles  adjoinct  les  bonnettes  trainneresses.  Et 
estions  tous  pensifz,  matagrabolisez,  sesolfiez  et  faschez  sans 
mot  dire  les  uns  aux  aultres.  Pantagruel  tenant  un  Heliodore 
Grec  en  main  sus  un  transpontin  au  bout  des  escoutilles  som- 
meilloit.  Telle  estoit  sa  coustume,  que  trop  mieulx  par  livre 
dormoit  que  par  cœur.  Epistemon  reguardoit  par  son  Astro- 
labe en  quelle  élévation  nous  estoit  le  Pôle.  Frère  Jan  s'estoit 
en  la  cuisine  transporté,  et  en  l'ascendent  des  broches  et 


PANTAGRUEL  1S7 

horoscope  des  fricassées  consyderoit  quelle  heure  lors  pouvoit 
estre. 

Panurge  avecques  la  langue  parmy  un  tuyau  de  Panta- 
gruelion  faisoit  des  bulles  et  gargouUes.  Gymnaste  appoinc- 
tûit  des  curedens  de  lentisce.  Ponocrates  resvant,  resvoit,  se 
chatouilloit  pour  se  faire  rire,  et  avecques  un  doigt  la  teste 
se  grattoit.  Carpalim  d'une  coquille  de  noix  grosliere  faisoit 
un  beau,  petit,  joyeulx,  et  harmonieux  moulinet  à  œslc  de 
quatre  belles  petites  aisses  d'un  tranchouoir  de  vergne.  Eus- 
thenes  sus  une  longue  Coulevrine  jouoit  des  doigtz,  comme 
si  feust  im  Monochordion.  Rhizotome  de  la  coque  d'une  Tor- 
tue de  Guarrignes  compousoit  une  escarcelle  veloutée.  Xeno- 
manes  avecques  des  jectz  d'esmerillon  repetassoit  une  vieille 
lanterne.  Xostre  pilot  tiroit  les  vers  du  nez  à  ses  matelotz; 
quand  frère  Jan,  retournant  de  la  cabane,  apperceut  que 
Pantagruel  estoit  resveillé. 

Adoncq  :es  rompant  cestuy  tant  obstiné  silence,  à  haulte 
voix,  en  grande  alaigresse  d'esprit,  demanda  Manière  de 
haulser  le  temps  en  calme.  Panurge  seconda  soubdain,  et 
demarda  pareillement  Remède  contre  fascherie.  Epistemon 
tierce  en  guayeté  de  cœur,  demandant  Manière  de  uriner, 
la  personne  n'en  estant  entalentée.  Gymnaste,  soy  levant  en 
pixis,  demanda  Remède  contre  l'esblouissement  des  yeulx. 
Ponocrates,  s'estant  un  peu  frotté  le  front  et  secoué  les  au- 
reilles,  demanda  Manière  de  ne  dormir  poinct  en  chien. 

«  Attendez,  dist  Pantagruel.  Par  le  décret  des  subtilz  philo- 
sophes Peripateticques  nous  est  enseigné  que  tous  problèmes, 
toutes  questions,  tous  doubtes  propousez  doibvent  estre 
certains,  clairs  et  intelligibles.  Comment  entendez  vous  dor- 
mir en  chien? 

—  C'est,  respondit  Ponocartes,  dormir  à  jeun  en  hault 
soleil,  comme  font  les  chiens.  » 

Rhizotome  estoit  acropy  sus  le  coursouoir.  Adoncques 
levant  la  teste  et  profondement  baislant,  si  bien  qu'il  par 


188  LIVRE    IV,     CHAPITRE    LXIII 

naturelle  sympathie  excita  tous  ses  compaignons  à  pareille- 
ment baisler,  demanda  Remède  contre  les  oscitations  et 
baislements.  Xenomanes,  comme  tout  lanterne  à  l'accoustre- 
ment  de  sa  lanterne,  demanda  Manière  de  équilibrer  et  balan- 
cer la  cornemuse  de  l'estomac,  de  mode  qu'elle  ne  panche 
poinct  plus  d'un  cousté  que  d'aultre.  Carpalim,  jouant  de  son 
moulinet,  demanda  Quants  mouvemens  sont  precedens  en 
Nature,  avant  que  la  personne  soit  dicte  avoir  faim.  Eusthe- 
nes,  oyant  le  bruit,  accourut  sus  le  tillac,  et  des  le  capestan, 
s'escria,  demandant  Pourquoy  en  plus  grand  dangier  de 
mort  est  l'home  mords  à  jeun  d'un  Serpent  jeun,  qu'après 
avoir  repeu,  tant  l'home  que  le  serpent?  pourquoy  est  la  salive 
de  l'home  jeun  vénéneuse  à  tous  Serpens  et  Animaux  véné- 
neux ? 

«  Amis,  respondit  Pantagruel,  à  tous  les  doubtes  et  ques- 
tions par  vous  proposées  compete  une  seule  solution,  et  à 
tous  telz  symptomates  et  accidens  une  seule  mcdicine.  La 
response  vous  sera  promptement  expousée,  non  par  longs 
ambages  et  discours  de  parolles  :  l'estomach  affamé  n'a 
point  d'aureilles,  il  n'oyt  goutte.  Par  signes,  gestes  et  effectz 
serez  satisfaicts,  et  aurez  resolution  à  vostre  contentement. 
Comme  jadis  en  RomeTarquin  l'orgueilleux,  Roy  dernier  des 
Romains  (ce  disant,  Pantagruel  toucha  la  chordedela  cam- 
panelle,  frère  Jean  soubdain  courut  à  la  cuisine),  par  signe 
respondit  à  son  filz  Sex.  Tarquin  estant  en  la  ville  des  Gabins, 
lequel  luy  avoit  envoyé  home  exprès  pour  entendre  comment 
il  pourroit  les  Gabins  du  tout  subjuguer  et  à  perfaicte  obéis- 
sance réduire,  le  Roy  susdict,  soy  défiant  de  la  fidélité  du 
messaigier,  ne  luy  respondit  rien.  Seulement  le  mena  en  son 
jardin  secret  :  et  en  sa  veue  et  présence  avecques  son  bracque- 
mart  couppa  les  haultes  testes  des  Pavotz  là  estans.  Le  mes- 
saigier retournant  sans  response,  et  au  filz  racontant  ce  qu'il 
avoit  veu  faire  à  son  père,  feut  facile  par  telz  signes  entendre 
qu'il  luy  conseilloit  trancher  les  testes  aux  principaulx  de  la 


PANTAGRUEL  I 89 

ville,  pour  rnieulx  en  office  et  obéissance  totale  contenir  le 
demourant  du  menu  populaire.  » 


CHAPITRE  LXIV 

COMMENT,     PAR    PANTAGRUEL, 
NE     FEUT     RESPONDU     AUX     PROBLEMES     PROPOUSEZ 

Puys  demanda  Pantagruel  :  «  Quelz  gens  habitent  en  ceste 
belle  isle  de  Chien?  —  Tous  sont,  respondit  Xenomanes,  Hy- 
pocrites, Patenostriers,  Chattemites,  Santorons,  Cagotz, 
Hermites.  Tous  paouvres  gens,  vivans  (comme  l'hermite  de 
Lormont,  entre  Blaye  et  Bourdeaux)  des  aulmosnes  que  les 
voyagiers  leur  donnent.  Je  n'y  voys  pas,  dist  Panurge,  je 
vous  affie.  Si  je  y  voys,  que  le  diable  me  souffle  au  cul  !  Her- 
mites, Santorons,  Chattemites,  Cagotz,  Hypocrites,  de  par 
tous  les  Diables,  oustez  vous  de  là  !  Il  me  souvient  encore  de 
nos  gras  Concilipetes  de  Chesil  :  que  Belzebuz  et  Astarotz  les 
eussent  conciliés  avecques  Proserpine,  tant  patismes,  à  leur 
veue,  de  tempestes  et  Diableries.  Escoute,  mon  petit  bedon, 
mon  caporal  Xenomanes,  de  grâce  :  Ces  Hypocrites,  Hermites, 
Marmiteux  icy,  sont  ilz  vierges  ou  mahez  ?  Y  a  il  du  féminin 
genre?  En  tireroyt  on  hypocriticquement  le  petit  traict  hypo- 
criticque?  —  Vrayement,  dist  Pantagruel,  voylà  une  belle  et 
joyeuse  demande.  —  Ouy  dea,  respondit  Xenomanes.  Là  sont 
belles  et  joyeuses  hypocritesses,  chattemitesses,  hemaitesses, 
femmes  de  grande  religion.  Et  y  a  copie  de  petits  hypocritil- 
lons,  chattemitillons,  hermitillons...  —  Oustez  cela,  dist 
frère  Jan  interrompant.  De  jeune  Hernùte,  vieil  Diable. 
Notez  ce  proverbe  authenticque.  —  ...Aultrement  sans  mul- 
tiplication de  Ugnée  feust,  longtemps  y  a,  l'isle  de  Caneph 
déserte  et  désolée.  » 


IÇO  LIVRE    IV,    CHAPITRE    LXIV 

Pantagruel  leurs  envoya  par  Gymnaste  dedans  l'esquif  son 
aulmosne  :  soixante  et  dixhuict  mille  beaulx  petitz  demys 
escuz  à  la  lanterne.  Puys  demanda  :  «  Quantes  heures  sont? 
—  Neuf  et  d'adventaige,  respondit  Epistemon.  —  C'est,  dist 
Pantagruel,  juste  heure  de  dipner.  Car  la  sacre  ligne  tant 
célébrée  par  Aristophanes  en  sa  comédie  intitulée  les  Predi- 
cantes  approche,  laquelle  lors  eschoit  quand  l'ombre  est 
decempedale.  Jadis  entre  les  Perses  l'heure  de  prendre 
réfection  estoyt  es  Roys  seulement  prescripte  :  à  un  chascun 
aultre  estoit  l'appétit  et  le  ventre  pour  horologe.  De  faict,  en 
Plante,  certain  parasite  soy  complainct,  et  déteste  furieuse- 
ment les  inventeurs  d'horologes  et  quadrans,  estant  chose  ' 
notoire  qu'il  n'est  horologe  plus  juste  que  le  ventre.  Diogenes, 
interrogé  à  quelle  heure  doibt  l'homme  repaistre,  respondit  : 
Le  Riche,  quand  il  aura  faim;  le  Paouvre,  quand  il  aura  de- 
quoy.  Plus  proprement  disent  les  medicins  l'heure  canonicque 
estre  : 

Lever  à  cinq,  disner  à  neuf; 

Souper  à  cinq,  coucher  à  neuf. 

0  La  Magie  du  célèbre  Roy  Petosiris  estoit  aultre.  »  Ce  mot 
n' estoit  achevé,  quand  les  o£&ciers  de  gueule  dressèrent  les 
tables  et  buffetz  ;  les  couvrirent  de  nappes  odorantes,  assiettes, 
serviettes,  salières;  apportèrent  tanquars,  frizons,  flacons, 
tasses,  hanats,  bassins,  hydiies.  Frère  Jan,  associé  des  mais- 
tres  d'hostel,  escarques,  panetiers,  eschansons.  escuyers 
tranchans,  couppiers,  credentiers,  apporta  quatie  honiiic- 
ques  pastez  de  jambons  si  grands  qu'il  me  soubvint  des  quatre 
bastions  de  Turin.  Vray  Dieu,  comment  il  y  feut  beu  et  guallé  ! 
Hz  n'avoient  encores  le  dessert,  quand  le  vent  Ouest  Xorouest 
commença  enfler  les  voiles,  papefilz,  morisques,  et  trinquetz. 
Dont  tous  chantèrent  divers  Cantiques  à  la  louange  du  très 
hault  Dieu  des  Cielz. 

Sus  le  fruict,  Pantagruel  demanda  :  «  Ad  visez,  amis,  si  vos 


PANTAGRUEL 


191 


doubtes  sont  à  plein  rcsoluz.  —  Je  ne  baisle  plus,  Dieu  mercy, 
dist  Rhizotome. 

—  Je  ne  dors  plus  en  chien,  dist  Ponocrates.  —  Je  n'ay 
plus  les  yeulx  esblouiz,  respondit  Gymnaste.  —  Je  ne  suys 
plus  à  jeun,  dist  Eusthenes.  Pour  tout  ce  jourd'huy  seront  en 
sceureté  de  ma  salive  : 


Aspicz, 

Amphisbenes, 

Anerudutes, 

Abedessimons, 

Alhartrafz, 

Ammobates, 

Apimaos, 

Alhatrabans, 

Aractes, 

Astérions, 

Alcharates, 

Arges, 

Araines, 

Ascalabes, 

Attelabes, 

Ascalabotes, 

iEmorrhoides, 

Basilicz, 

Belettes  ictides, 

Boies, 

Buprestes, 

Cantharides, 

Chenilles, 

Crocodiles, 

Crapaulx, 


Catoblepes, 

Cérastes, 

Cauquemares, 

Chiens  cnraigez 

Colotcs, 

Cychriodes, 

Cafezates, 

Cauhares, 

Couleffres, 

Cuharsces, 

Chelhydres, 

Croniocolaptes, 

Chersydres, 

Cenchrynes, 

Coquatris, 

Dipsades, 

Domeses, 

Dryinades, 

Dracons, 

Elopes, 

Enhydrides, 

Fanuises, 

Galéotes, 

Harmenes, 

Handons, 


Icles, 

Jarraries, 

Ilicines, 

Ichneumones, 

Kesudures, 

Lièvres  marin, 

Lizars  chalcidi- 

iques. 
Myopes, 
Manticores, 
Molures, 
Myagres, 
Musaraines, 
Miliares, 
Megalaunes, 
Ptyades, 
Porphyres, 
Pareades, 
Phalanges, 
Penphredones, 
Pityocampes, 
Ruteles, 
Rimoires, 
Rhagions, 
Rhaganes, 


Salamandres, 

Scytales, 

Stellions, 

Scorpenes, 

Scorpions, 

Selsirs, 

Scalavotins, 

Solofuidars, 

Sourds, 

Sangsues, 

Salfuges, 

Solifurges, 

Sepes, 

Stinces, 

Stuphes, 

Sabtins, 

Sangles, 

Sepedons, 

Scolopendres, 

Tarantoles, 

Typholopes, 

Tetragnaties, 

Teristales, 

Vipères. 


CHAPITRE  LXV 

COMMENT    PANTAGRUEL    HAULSE    LE    TEMPS 
AVECQUES    SES     DOMESTIQUES 


«  En  quelle  hiérarchie,  demanda  frère  Jan,  de  telz  animaux 
vénéneux  mettez  vous  la  femme  future  de  Panurge?  — Dis 


1^2  LIVRE    IV,     CHAPITRE    LXV 

tu  mal  des  femmes,  respondit  Panurge,  ho  guodelureau,  moine 
culpelé?  —  Par  la  guogue  Cenomaniquc,  dist  Epistemon, 
Euripidcs  escript  et  le  prononce  Andromache,  que  contre 
toutes  bestes  vénéneuses  a  esté,  par  l'invention  des  Humains 
et  instruction  des  Dieux,  remède  profitable  trouvé.  Remède 
jusques  à  présent  n'a  esté  trouvé  contre  la  maie  femme.  —  Ce 
guorgias  Euripides,  dist  Panurge,  tous  jours  a  mesdict  des 
femmes.  Aussi  feut  il  par  vengeance  divine  mangé  des 
chiens,  comme  luy  reproche  Aristophanes.  Suivons.  Qui  ha, 
si  parle. 

—  Je  urineray  présentement,  dist  Epistemon,  tant  qu'on 
vouldra. 

—  J'ay  maintenant,  dist  Xenomanes,  mon  estomach 
sabourré  à  profict  de  mesnaige.  Ja  ne  panchera  d'un  cousté 
plus  que  d'aultre. 

—  Il  ne  me  faut  (dist  Carpalim)  ne  vin  ne  pain. 
Trefves  de  soif,  trefves  de  faim. 

■ —  Je  ne  suis  plus  fasché,  dist  Panurge.  Dieu  mercy  et  vous 
Je  suys  guay  comme  un  Papeguay,  joyeux  comme  un  Esme- 
rillon,  alaigre  comme  un  Papillon,  véritablement  il  est  escript 
par  vostre  beau  Euripides,  et  le  dit  Silenus,  beuvevu:  mémo- 
rable : 

Furieux  est,  de  bon  sens  ne  jouist, 
Quiconques  boyt  et  ne  s'en  resjouist. 

«  Sans  poinct  de  faulte  nous  doibvons  bien  louer  le  bon 
Dieu  nostre  createvu*,  servateur,  conservateur,  qui  par  ce 
bon  pain,  par  ce  bon  vin  et  frays,  par  ces  bonnes  v-iandes 
nous  guerist  de  telles  perturbations,  tant  du  corps  comme  de 
l'ame  :  oultre  le  plaisir  et  volupté  que  nous  avons  beuvans 
et  mangeans.  Mais  vous  ne  respondez  poinct  à  la  question  de 
ce  benoist  vénérable  frère  Jan,  quand  il  a  demandé  :  Manière 
de  haulser  le  temps  ? 


PANTAGRUEL  I93 

—  Puys,  dist  Pantagruel,  que  de  ceste  legiere  solution  des 
doubtes  proposez  vous  contentez,  aussi  foys  je.  Ailleurs,  et 
en  aultre  temps,  nous  en  dirons  d'adventaige,  si  bon  vous 
semble.  Reste  doncques  à  vuider  ce  que  a  frère  Jan  pro- 
pousé.  Manière  de  haulser  le  temps  ?  Xe  l'avons  nous  à  soub- 
liayt  haulsé  ?  Voyez  le  guabet  de  la  hune.  Voyez  les  siflemens 
des  voiles.  Voyez  la  roiddeur  des  estailz,  des  utacques  et 
des  escoutes.  Nous  haulsans  et  vuidans  les  tasses  s'est  pareil- 
lement le  temps  haulsé  par  occulte  sympathie  de  Nature. 
Ainsi  le  haulserent  Athlas  et  Hercules,  si  croyez  les  saiges 
Mythologiens.  Mais  ilz  le  haulserent  trop  d'un  demy  degré  : 
Athlas,  pour  plus  alaigrement  festoyer  Hercules,  son  hoste; 
Hercules,  pour  les  altérations  précédentes  par  les  desers  de 
Libye. 

—  Vray  bis,  dist  frère  Jan  interrompant  le  propous,  j'ay 
ouy  de  plusieurs  vénérables  docteurs  que  Tirelupin,  somme- 
lier de  vostre  bon  père,  espargne  par  chascun  an  plus  de  dix- 
huyct  cens  pippes  de  vin,  par  faire  les  survenens  et  domes- 
ticques  bo^-re  avant  qu'ilz  aient  soif. 

—  Car,  dist  Pantagruel  continuant,  comme  les  Chameaulx 
et  Dromadaires  en  la  Caravane  boyvent  pour  la  soif  passée, 
pour  la  soif  présente,  et  pour  la  soif  future,  ainsi  feist  Hercu- 
les. De  mode  que  par  cestuy  excessif  haulsement  de  temps 
advint  au  Ciel  nouveau  mouvement  de  titubation  et  trépi- 
dation, tant  controvers  et  debatu  entre  les  folz  Astrologues. 

■ —  C'est,  dist  Panurge,  ce  que  l'on  dit  en  proverbe  commun  ; 

Le  mal  temps  passe,  et  retourne  le  bon, 
Pendant  qu'on  trinque  autour  de  gras  jambon. 

■ —  Et  non  seulement,  dist  Pantagruel,  repaissans  et  beu- 
vans  avons  le  temps  haulsé,  mais  giandement  deschargé  la 
navire  :  non  en  la  façon  seulement  que  feut  deschargée  la 
corbeille  de  .lEsope,  sçavoir  est,  vuidans  les  victuailles,  mais 
aussi  nous  emancipans  de  jeusne.  Car  comme  le  corps  plus 
T.  II.  13 


194  Ln'RE    IV,     CHAPITRE    LXVI 

est  poisant  mort  que  vif,  aussi  est  l'home  jeun  plus  terrestre 
et  poisant  que  quand  il  a  beu  et  repeu.  Et  ne  parlent  impro- 
prement ceulx  qui  par  long  voyage  au  matin  boivent  et  des- 
jeunent,  puis  disent  :  Nos  chevaulx  n'en  iront  que  mieulx. 
Ne  sçavez  vous  que  jadis  les  Amycleens  sus  tous  Dieux  reve- 
roient  et  adoroient  le  noble  père  Bacchus,  et  le  nommoient 
Psila  en  propre  et  convenante  dénomination?  Psila,  en  lan- 
gue Doricque,  signifie  êesles.  Car  comme  les  oyzeaulx  par 
ayde  de  leurs  sesles  volent  hault  en  l'air  legierement;  ainsi 
par  l'ayde  de  Bacchus  (c'est  le  bon  vin  friant  et  délicieux), 
sont  hault  eslevez  les  esprits  des  humains,  leurs  corps  eviden- 
tement  alaigriz,  et  assouply  ce  que  en  eulx  estoit  terrestre.  » 


CHAPITRE  LXVI 

COMMENT,    PRÉS    l'iSLE    DE    GANABIK,    AU    COUMEKDE MENT 
DE     PANTAGRUEL,     FEURENT     LES     MUSES     SALUÉES 


Continuant  le  bon  vent,  et  ces  joyeulx  propous,  Pantagruel 
descou\Tit  au  loing  et  apperceut  quelque  terre  montueuse, 
laquelle  il  monstra  à  Xenomanes,  et  luy  demanda  :  «  Voyez 
vous  cy  davant  à  Orche  ce  hault  rochier  à  deux  crouppes 
bien  ressemblant  au  mons  Parnasse  en  Phocide  ?  —  Très  bien, 
respondit  Xenomanes.  C'est  l'isle  de  Ganabin.  Y  voulez  vous 
descendre?  —  Non,  dist  Pantagruel.  —  Vous  faictes  bien, 
dist  Xenomanes.  Là  n'est  chose  aulcune  digne  d'estre  veue. 
Le  peuple  sont  tous  voleurs  et  larrons.  Y  est  toutesfoys  vers 
ceste  crouppe  dextre  la  plus  belle  fontaine  du  monde,  et  au 
tour  une  bien  grande  forest.  Vos  chormes  y  pourront  faire 
aiguade  et  lignade.  —  C'est,  dist  Panurge,  bien  et  doctement 
parlé.  Ha,  da  da.  Ne  descendons  jatnais  en  terre  des  voleurs 
et  larrons.   Je  vous  asceure  que  telle  est  ceste  terre  icy, 


PANTAGRUEL  ig5 

quelles  aultres  foys  j'ay  veu  les  isles  de  Cerq  et  Herm  entre 
Bretaigne  et  Angleterre;  telle  que  la  Ponerople  de  Philippe 
en  Thrace  isles  des  forfans,  des  larrons,  des  briguans,  des 
meurtriers  et  assasineurs  :  tous  extraictz  du  propre  original 
des  basses  fosses  de  la  Conciergerie.  Ne  y  descendons  poinct, 
je  vous  en  prie.  Croyez,  si  non  moy,  au  moins  le  conseil  de 
ce  bon  et  sage  Xenomanes.  Hz  sont,  par  la  mort  bœuf  de 
boys,  pires  que  les  Canibales.  Hz  nous  mangeroient  tous 
vifz.  Ne  y  descendez  pas,  de  grâce.  Mieulx  vous  serait  en 
Averne  descendre.  Escoutez.  Je  y  oy,  par  Dieu,  le  tocque- 
ceinct  horrificque,  tel  que  jadis  souloient  les  Guascons  en 
Bourdeloys  faire  contre  les  guabelleurs  et  commissaires. 
Ou  bien  les  aureilles  me  cornent.  Tirons  vie  de  long.  Hau  I 
Plus  oultre  ! 

—  Descendez  y,  dist  frère  Jan,  descendez  y.  Allons,  alloiig, 
allons  tous  jours.  Ainsi  ne  poyrons  nous  jamais  de  giste. 
Allons.  Nous  les  sacmenterons  trestous.  Descendons. 

—  Le  diable  y  ait  part,  dist  Panurge.  Ce  Diable  de  moine 
Icy,  ce  moine  de  Diable  enraigé  ne  crainct  rien.  Il  est  hazar- 
deux  comme  tous  les  Diables,  et  poinct  des  aultres  ne  se 
soucie.  Il  luy  est  advis  que  tout  le  monde  est  moine  comme 
luy.  —  Va,  ladre  verd,  respondit  frère  Jan,  à  tous  les  millions 
de  Diables,  qui  te  puissent  anatomizer  la  cervelle,  et  en  faire 
des  entommeures.  Ce  Diable  de  fol  est  si  lasche  et  meschant 
qu'il  se  concilie  à  toutes  heures  de  maie  raige  de  paour.  Si 
tant  tu  es  de  vaine  paour  consterné,  ne  y  descens  pas,  reste 
icy  avecques  le  baguaige.  Ou  bien  te  va  cacher  soubs  la  cotte 
hardie  de  Proserpine  à  travers  tous  les  millions  de  Diables.  » 

A  ces  motz  Panurge  esvanouyt  de  la  compaignie,  et  se 
mussa  au  bas  dedans  la  soutte,  entre  les  crouttes,  miettes  et 
chaplys  du  pain.  «  Je  sens,  dist  Pantagruel,  en  mon  ame  retrac- 
tion urgente,  comme  si  feust  une  voix  de  loing  ouye,  laquelle 
me  dict  que  ne  y  doibvons  descendre.  Toutes  et  quantes  foys 
qu'en  mon  esprit  j'ay  tel  mouvement  senty,  je  me  suis  trouvé 


196  LIVRE    IV.    CHAPITRE    LXVII 

en  heur,  refusant  et  laissant  la  part  dont  il  me  retiroit  :  au 
contraire  en  heur  pareil  me  suys  trouvé,  suivant  la  part  qu'il 
me  poussoit  :  et  jamais  ne  m'en  repent}'.  —  C'est,  dist  Epis- 
temon,  comme  le  Démon  de  Socrates,  tant  célébré  entre  les 
Academicques.  —  Escouttez  doncques,  dist  frère  Jan,  ce  pen- 
dent que  les  chormes  y  font  aiguade.  Panurge  là  bas  contre 
faict  le  Loup  en  paille.  Voulez  vous  bien  rire  ?  Faictez  mettre 
le  feu  en  ce  Basilic  que  voyez  près  le  chasteau  guaillard.  Ce 
sera  pour  saluer  les  Muses  de  cestuy  mons  Antiparnasse. 
Aussi  bien  se  guaste  la  pouldre  dedans.  —  C'est  bien  dict, 
respondit  Pantagruel.  Faites  moy  icy  le  maistre  Bombardier 
venir.  » 

Le  Bombardier  promptement  comparut.  Pantagruel  luy 
commenda  mettre  feu  on  Basilic  et  de  fraisches  pouldres  en 
tout  événement  le  recharger.  Ce  que  feut  sus  l'instant  faict. 
Les  Bombardiers  des  aultres  naufz,  Ramberges,  GuaUions 
et  Gualeaces  du  convoy,  au  premier  deschargement  du  Basi- 
hc  qui  estoit  en  la  nauf  de  Pantagruel,  mirent  pareillement 
feu  chascun  en  une  de  leurs  grosses  pièces  chargées.  Croyez 
qu'il  y  eut  beau  tintamarre. 


CHAPITRE  LXVII 

COMMENT    PANURGE,     PAR    MALE    PAOUR,   SE    CONCHIA, 

ET    DU 

GRAND  CHAT  RODILARDUS    PENSOIT    QUE   FEUST    UN  DIABLETEAU 


Panurge,  comme  un  boucq  estourdy,  sort  de  la  soutte  en 
chemise,  ayant  seulement  un  demy  bas  de  chausses  en  jambe, 
sa  barbe  toute  mouschetée  de  miettes  de  pain,  tenant  en 
main  un  grand  chat.  Soubelin  attaché  à  l'aultre  demy  bas  de 
ses  chausses.  Et  remuant  les  babines  comme  un  Cinge  qui 


PANTAGRUEI,  197 

cherche  poulz  en  teste,  tremblant  et  clacquetant  des  dens,  se 
tira  vers  frère  Jean,  lequel  estoit  assis  sus  le  portehaubant 
de  tribort,  et  dévotement  le  pria  avoir  de  luy  compassion, 
et  le  tenir  en  saulveguarde  de  son  bragmart.  Affermant  et 
jurant,  par  sa  part  de  Papimanie,  qu'il  avoit  à  heure  présente 
veu  tous  les  diables  deschainez. 

«  Agua  men  emy,  disoit  il,  men  frère,  men  père  spirituel, 
tous  les  Diables  sont  au  jourdhuy  de  nopces.  Tu  ne  veids 
oncques  tel  apprest  de  bancquet  infernal.  Voy  tu  la  fumée 
des  cuisines  d'Enfer?  (Ce  disoit,  monstrant  la  fumée  des  poul- 
dres  à  canon  dessus  toutes  les  naufz.)  Tu  ne  veidz  oncques 
tant  d'ames  damnées.  Et  sçaiz  tu  quoy  ?  Agua,  men  emy,  elles 
sont  tant  douillettes,  tant  blondelettes,  tant  dehcates,  que 
tu  diroys  proprement  que  ce  feust  Ambrosie  Stygiale.  J'ay 
cuydé  (Dieu  me  le  pardoient)  que  f eussent  âmes  Angloyses. 
Et  pense  que  ce  matin  ayt  esté  l'isle  des  Chevaulx  prés  Es- 
cosse,  par  les  seigneurs  des  Termes  et  Dessay  saccagée  et  sac- 
mentee  avec  tous  les  Angloys  qui  l'avoient  surprinse.  » 

Frère  Jan  à  l'approcher  sentoit  je  ne  sçay  quel  odeur  aultre 
que  de  pouldre  à  canon.  Dont  il  tira  Panurge  en  place,  et 
apperceut  que  sa  chemise  estoit  toute  foyreuse  et  embienee 
de  frays.  La  vertus  retentrice  du  nerf  qui  restrainct  le  muscle 
nommé  Sphincter  (c'est  le  trou  du  cul)  estoit  dissolue  par  la 
véhémence  de  la  paour  qu'il  avoit  eu  en  ses  phantasticques 
visions.  Adjoinct  le  tonnoirre  de  telles  canonnades,  lequel 
plus  est  horrificque  par  les  chambres  basses  que  n'est  sus  le 
tillac.  Car  un  des  symptômes  et  accidens  de  paour,  est  que 
par  luy  ordinairement  s'ouvre  le  guichet  du  serrail  on  quel 
est  à  temps  la  matière  fécale  retenue. 

Exemple  en  messere  Pantolfe  de  la  Cassine,  Senoys,  lequel, 
en  poste  passant  par  Chambery,  et  chez  le  sage  mesnagier 
Vinet  descendant,  print  une  fourche  de  l'estable,  puys  luy 
dist  :  Da  Roma  in  qua  io  non  son  andato  del  corpo.  Di  gratta, 
■piglia  in  mano  questa  forcha,  et  fa  mi  paura.  Vinet,  avecques 


iqS  LIVRE    IV,    CHAPITRE    I.XVII 

la  fourche,  laisoit  plusieurs  tours  d'escrime,  coixiuie  feignant 
le  vouloir  à  bon  essyant  frapper.  Le  Senoys  luy  dist  :  Sa  tu 
non  fat  aliramente,  in  non  fai  nulla.  Pero  sforzati  di  adope- 
rarli  più  guagliardamente.  Adoncques  Vinet  de  la  fourche 
luy  donna  un  si  grand  coup  entre  col  et  collet  qu'il  le  jetta 
par  terre  à  jambes  rebidaiues.  Puys,  bavant  et  riant  à  pleine 
gueule,  luy  dist  :  «  Feste  Dieu  Bayart,  cela  s'appelle  Datiim 
Camberiaci.  »  A  bonne  heure  avoit  le  Senoys  ses  chausses 
destachées,  car  soubdain  il  fianta  plus  copieusement  que 
n'eussent  faict  neuf  Beufles  et  quatorze  Archiprebstres  de 
Hostie.  En  fin,  le  Senoys  gracieusement  remercia  Vinet,  se 
luy  dist  :  lo  H  ringratio,  bel  messere.  Cosi  facendo  tu  ni'hai 
csparmiata  la  speza  d'un  serviiiale.  Exemple  aultre  on  roy 
d'Angleterre,  Edouard  le  quint.  Maistre  François  Villon, 
banny  de  France,  s'estoit  vers  luy  retiré.  Il  l'avoit  en  si 
grande  privaulté  repceu  que  rien  ne  luy  celoit  des  menues 
négoces  de  sa  mcdson.  Un  jour  le  Roy  susdict,  estant  à  ses 
affaires,  monstra  à  Villon  les  armes  de  France  en  paincture, 
et  luy  dist  :  «  Voyds  tu  quelle  révérence  je  porte  à  tes  roy  s 
Françoys?  Ailleurs  n'ay  je  leurs  armoyries  qu'en  ce  retraict 
icy,  prés  ma  scelle  percée.  —  Sacre  Dieu,  respondit  Villon, 
tant  vous  estes  saige,  prudent,  entendu  et  curieux  de  vostre 
santé,  et  tant  bien  estes  servy  de  vostre  docte  medicin, 
Thomas  Linacer  !  Il,  voyant  que  naturellement,  sus  vos 
vieulx  jours,  estiez  constippé  du  ventre,  et  que  journeUe- 
raent  vous  falloit  au  cul  fourrer  un  apotliecaire,  je  dis  un 
clystere,  aultiement  ne  poviez  vous  esmeutir,  vou-  a  faict 
icy  aptement,  non  ailleiurs,  paindre  les  armes  de  France,  par 
singulière  et  vertueuse  providence.  Car  seulement  les  voyant, 
vous  avez  teUe  vezarde  et  paour  si  honificque  que  soubdain 
vous  fiantez  comme  dixhuyct  Bonases  de  Péonie.  Si  painctes 
estoient  en  aultre  lieu  de  vobtre  maison,  en  vostre  chambre, 
en  vostre  salle,  en  vostre  chapelle,  en  vos  gualleries,  ou  ail- 
leurs,  sacre  Dieu  !   vous  clairiez  partout  sus  l'instant  que 


PANTAGRUEL  109 

les  auriez  veues.  Et  croy  que  si  d'abondant  vous  aviez  icy 
en  paincture  la  grande  Oriflambe  de  France,  à  la  veue  d'icelle 
vous  rendriez  les  boyaulx  du  ventre  par  le  fondement.  Mais, 
hcn,  hen,  atqiie  iterum  lien  ! 

Ne  suis  je  Badault  de  Paris? 
De  Paris,  dis  je,  auprès  Pontoise, 
Et  d'une  chorde  d'une  toise 
Sçaura  mon  coul  que  mon  cul  poise... 

a  Badault,  diz  je,  mal  advisé,  mal  entendu,  mal  entendant, 
quand  venant  icy  avec  vous,  m'esbahissoys  de  ce  qu'en  vos- 
tre  chambre  vous  estiez  faict  vas  chausses  destacher.  Vérita- 
blement je  pensoys  qu'en  icelle,  darriere  la  tapisserie,  ou  en 
la  venelle  du  lict,  feust  vostre  scelle  percée.  Aultrement,  me 
sembloit  le  cas  grandement  incongru,  soy  ainsi  destacher  en 
chambre  pour  si  loing  aller  au  retraict  lignagier.  N'est  ce  un 
vray  pensement  de  Badault?  Le  cas  est  faict  par  bien  aultre 
mystère,  de  par  Dieu.  Ainsi  faisant,  vous  faictez  bien.  Je  diz 
si  bien  que  mieulx  ne  sçauriez.  Faictez  vous  à  bonne  heure, 
bien  loing,  bien  à  poinct  destacher.  Car  à  vous  entrant  icy, 
n'estant  destaché,  voyant  cestes  armoyries,  notez  bien  tout, 
sacre  Dieu  !  le  fond  de  vos  chausses  feroit  office  de  Lazanon, 
pital,  bassin  fecal  et  de  scelle  percée.  » 

Frère  Jan  estouppant  son  nez  avecques  la  main  gauche, 
avecques  le  doigt  indice  de  la  dextre  monstroit  à  Pantagruel 
la  chemise  de  Panurge.  Pantagruel,  le  voyant  ainsi  esmeu, 
transif,  tremblant,  hors  de  propous,  conchié,  et  esgratigné 
des  gryphes  du  célèbre  chat  Rodilardus,  ne  se  peut  contenir 
de  rire  et  luy  dist  :  «  Que  voulez  vous  faire  de  ce  chat?  —  De 
ce  chat?  respondit  Panurge;  je  me  donne  au  Diable  si  je  ne 
pensoys  que  feust  un  Diableteau  à  poil  follet,  lequel  nagueres 
j'avois  cappiettement  happé  en  Tapinois,  à  belles  moufles 
d'un  bas  de  chausses,  dedans  la  grande  husche  d'Enfer.  Au 
Diable  sojrt  le  Diable  !  Il  m'a  icy  deschicqueté  la  peau  en 
barbe  d'escrevisse.  »  Ce  disant,  jetta  bas  son  chat. 


200  LIVRE    IV.     CHAPITRE    LXVII 

«  Allez,  dist  Pantagruel,  allez,  de  par  Dieu,  vous  estuver, 
vous  nettoyer,  vous  asceurer,  prendre  chemise  blanche,  et 
VOUS  revestir.  —  Dictez  vous,  respondit  Panurge,  que  j'ay 
paour?  Pas  maille.  Je  suys,  par  la  vertu  Dieu,  plus  couraigeux 
que  si  j'eusse  autant  de  mousches  avallé  qu'il  en  est  mis  en 
paste  dedans  Paiis,  depuj's  la  feste  de  S.  Jean  jusques  à  la 
Toussaints.  Ha,  ha,  ha  !  Houay  !  Que  Diable  est  cecy?  Appel- 
iez vous  cecy  foyre,  bren,  crottes,  merde,  fiant,  déjection, 
matière  fécale,  excrément,  repaire,  laisse,  esmeut,  fumée, 
estron,  scybale  ou  spyrate?  C'est,  croy  je,  sapphran  d'Hiber- 
nie.  Ho,  ho,  hie.  C'est  sapphran  d'Hibemie.  Sela  !  Beuvons.  » 


FIN  DU  QUATRIEME  LIVRE  DES  FAICTS  ET  DICTS  HEROICQUES 

DU    XOELE    PANTAGRUEL 


BRIEFVE    DECLARATION 
D'AUCUNES   DICTIONS   PLUS  OBSCURES 

CONTENUES     ON     OUATRIESME    LIVRE 
DES 

FAICTS  ET  DICTS  HEROÏQUES  DE  PANTAGRUEL 


EN    L  EPISTRE    LIMINAIRE 

Mitologies,  fabuleuses  narrations.  C'est  une  diction  grecque. 

Prosopopée,  desguisement,  fiction  de  persone. 

Tetricque,  rebours,  rude,  maussade,  aspre. 

Catonian,  severe,  comme  feut  Caton  le  Censorin, 

Catastrophe,  fin,  issue. 

Canibales,  peuple  monstrueux  en  Africque,  ayant  la  face  comme  chiens, 

et  abbayant  en  lieu  de  rire. 
Misantropes,  haïssans  les  hommes,  fuyans  la  compaignie  des  hommes. 

Ainsi  feut  surnommé  Timon  Athénien.  Cic,  IV,  Tuscul. 
Agelastes,  poinct  ne  rians,  tristes,  fascheux.  Ainsi  feut  surnommé  Crassus, 

oncle  de  celuy  Crassus  qui  feut  occis  des  Parthes,  lequel  en  sa  vie  ne 

feut  veu  rire  qu'une  foys,  comme  escripvent  Lucillius,  Cicero,  V,  de 

Finibus;  PUne,  lib.  VII. 
Iota,  un  poinct.  C'est  la  plus  petite  lettre  des  Grecs  :  Cic,  III  de  Orat.  ; 

Martial.,  lib.  II,  xcii;  en  l'Evangile,  Matth.  V. 
Thème,  position,  argument.  Ce  que  l'on  propose  à  discuter,  prouver  et 

déduire. 
Anagnoste,  lecteur. 
Evangile,  bonne  nouvelle. 
Hercules  Gaulloys,  qui  par  son  éloquence  tira  à  soy  les  nobles  Fr£inçois, 

comme  descript  Lucian.  Alexicacos,  défenseur,  aydant  en  adversité, 

destoumant  le  mal.  C'est  im  des  surnoms  de  Hercules  :  Pausanias, 

in  Attica.  En  mesmes  effect  est  dict  Apopompœus,  et  Apotropœus, 


302  BRIEFVE    DECLARATION 


ON    PROLOGUE 


Sarcasme,  mocquerie  poignante  et  amere. 

Satyricque  mocquerie,  comme  est  des  antiques  Sat>Tographes  Lucillius, 

Horatius,    Persius.    Juvenalis.    C'est   une   manière   de   mesdire   d'un 

chascun  à  plaisir,  et  blasonner  les  Nices,  ainsi  qu'on  faict  es  jeux  de  la 

Bazoche,  par  pereoniiaiges  desguisez  en  Satyres. 
Ephémères  fiebvies,  lesquelles  ne  durent  plus  d'un  jour  naturel,  sravoir 

est  de  24  heures. 
Dyscrasié,  mal  tempéré,  de  mauvaise  complexlon.  Communément  on 

dict  biscarié  en  languaige  cùiroiupu. 
AÇ;oî  [3;o;,  etc.,  vie  non  vie,  vie  non  vivable, 

Musaphiz,  en  langue  Turque  et  Sclavonicque,  docteurs  et  prophètes. 
Cahu,  caha,  motz  vulgaires  en  Touraine.  Tellement  quellement;  que  bien 

que  mal. 
Vertus  de  Styx.  C'est  un  paluz  en  Enfer,  scelon  les  poètes,  par  lequel 

jurent  les  dieux,  conmie  escript  Virgile,  VI,  Mneid.,  et  ne  se  perjurent. 

La  cause  est  pour  ce  que  Victoire,  fille  de  Styx,  feut  à  Jupiter  favorable 

en  la  bataille  des  Geantz,  pour  laquelle  recompenser  Jupiter  octroya 

que  les  Dieux  jurans  par  sa  mère  jamais  ne  fauldroient,  etc.  Lisez  ce 

qu'en  escript  Servius  on  heu  dessus  aUegué. 
Categoricquc,  plene,  aperte  et  résolue. 
Solœcisme,  vicieuse  manière  de  parler. 
Période,  révolution,  clausule,  fin  de  sentence. 
Aber  Keids,  en  allement,  vUifiez.  BiÉfo. 
Nectar,  vin  des  dieux,  célèbre  entre  les  poètes. 
Métamorphose,  transformation. 
Figure  trigone  œquilaterale,  ayant  troys  angles  en  eguale  distance  un  de 

l'autre. 
Cyclopes,  forgerons  de  Vulcan. 
Tubilustre,  on  quel  jour  estoient  en  Rome  benistes  les  trompettes  dédiées 

aux  sacrifices,  en  la  basse  court  des  tailleurs. 
Olympiades,  manière  de  compter  les  ans  entre  les  Grecs,  qui  estoit  de  cmq 

en  cinq  ans. 
An  intercalaire,  on  quel  escheoit  le  Bissexte,  comme  est  en  ceste  présente 

aimée  1552.  Plinius,  lib.  Il,  cap.  .xlvii. 
Philautie,  amour  de  soy. 
Olympe,  le  ciel.  Ainsi  dict  entre  les  poètes. 
Mer  Tyrhetie,  prés  de  Rome. 
Appennin,  les  Alpes  de  Boloigne. 

Tragœdies,  tumultes  et  vacarmes  excitez  poiu"  chose  de  petite  valeur. 
Pastophores,  pontifes  entre  les  Aegiptiens. 

Dodrental,  long  d'ime  domye  coubdée,  ou  de  neuf  poulsées  Romaines. 
Microcosme,  petit  monde. 

Alarmes,  merdigues,  juremens  de  gens  villageois  en  Touraine. 
Ides  de  May,  esquelles  nasquit  Mercure. 


d'aucunes  dictions  pi.us  obscures  203 

Massorethz,  interprètes  et  glossateurs  entre  les  Hebrieux. 

St,  St,  Sf,  une  voix  et  sifflement  par  lequel  on  impose  silence.  Terence  eu 
use  in  Phor.,  et  Ciceron,  de  Oratore. 

Bacbuc,  bouteille,  en  Hebrieu,  ainsi  dicte  du  son  qu'elle  faict  quand  on 
la  vuide. 

Vestales,  fastes  en  l'honneur  de  la  déesse  Vesta  en  Rome,  C'est  le  sep< 
tiesme  jour  de  juing. 

Thalasse,  mer. 

Hydrographie,  charte  marine. 

Pierre  sphengilide,  transparente  comme  verre. 

Ceincture  ardente,  zone  torride.  • 

Vaisseuil  septentrional,  pôle  Arctique. 

Parallèle,  Une  droicte  imaginée  on  ciel,  egualement  distante  de  ses  voi- 
sines. 

Medamothi,  nul  lieu,  en  grec. 

Phares,  haultes  tours  sus  le  rivaige  de  la  mer,  esqueUes  on  allume  une 
lanterne  on  temps  qu'est  tempeste  sus  mer  pour  addresser  les  mari- 
niers, comme  vous  povez  veoir  à  la  Rochelle  et  Aigues-Mortes. 

Philophanes,  convoiteux  de  veoir  et  estre  veu. 

Philothéamon,  convoiteux  de  veoir. 

Engys,  auprès. 

Megiste,  tresgrand. 

Idées,  espèces  et  formes  invisibles,  imaginées  par  Platon. 

Atomes,  corps  petitz  et  indivisibles,  par  la  concurrence  desquelz  Epîcurus 
disoit  toutes  choses  estre  faictes  et  formées. 

Unicomes,  vous  les  nommez  Licornes. 

Celoces,  vaisseaulx  legiers  sus  mer. 

Gozal,  en  hebrieu  :  pigeon,  colombe. 

Postérieur  ventricule  du  cerveati,  c'est  la  mémoire. 

Deu  Colas,  faillon,  sont  motz  lorrains  :  De  par  sEiinct  Nicolas,  compai- 
gnon. 

Si  Dieu  y  eust  pissé.  C'est  une  manière  de  parler  vulgaire  en  Paris,  et  par 
toute  France,  entre  les  simples  gens,  qui  estiment  tous  les  lieux  avoir 
eu  particulière  bénédiction,  esquelz  Nostre  Seigneur  avoit  faict  excré- 
tion de  urine  ou  autre  excrément  naturel,  comme  de  la  salive  est  escript 
Joaimis,  ix  :  Liitum  fecit  ex  sputo. 

Le  mal  sainct  Eutrope,  manière  de  parler  vulgaire,  comme  le  mal  sainct 
Jehan,  le  mal  de  sainct  Main,  le  mal  sainct  Fiacre.  Non  que  iceulx 
benoist  sainctz  ayent  eu  telles  maladies,  mais  pour  ce  qu'ilz  en  gué- 
rissent. 

Cénotaphe,  tombeau  vmde,  onquel  n'est  le  corps  de  celuy  pour  l'hormevir 
et  mémoire  duquel  il  est  érigé.  Ailleurs  est  dict  Sepulchre  honoraire,  et 
ainsi  le  nomme  Suétone. 

Atne  moutonnière,  mouton  vivant  et  animé. 

Pantophle.  Ce  mot  est  extraict  du  grec  ravxdçsÀÀoj,  tout  de  liège. 

Kane  gyrine,  Grenoille  informe.  Les  Grenoilles  en  lein  première  génération 
sont  dictes  Gyrins,  et  ne  sont  qu'une  chair  petite,  noire,  avecques  deux 


204  BRXEFVE    DECLARATION 

grands  œilz  et  une  queue.  Dont  estoient  dictz  les  sotz  Gjnrins.  Plato, 
in  Theetelo;  Aristoph.;  Pline,  lib.  IX,  cap.  li;  Aratus. 

Tragicque  comadie,  farce  plaisante  au  commencement,  triste  en  la 
fin. 

Croix  osaniere,  en  poictevin,  est  la  croix  ailleurs  dicte  Boysseliere,  prés 
laquelle  au  dimenche  des  Rameaux  l'on  chante  :  Osanna  filio  David,  etc. 

Ma  dia  est  une  maniera  de  parler  vulguaire  en  Touraine;  est  toutesfoys 
grecque  :  Mi  A''a,  non  par  Juppiter;  comme  Ne  dea  :  Xt)  At'a,  ouy 
par  Juppiter. 

L'or  de  Tholose,  duquel  parle  Cic,  lib.  V,  de  Nat.  deorum;  Aul.  Gellius, 
lib.  III;  Justi.,  lib.  XXII  :  Strabo,  lib.  IV,  porta  malheur  à  ceuLx  qui 
l'emportèrent,  sçavoir  est  Q.  Cepio,  consul  Romain,  et  toute  son  armée, 
qui  tous,  comme  sacrilèges,  périrent  malheureusement. 

Le  cheval  Sejan,  de  Cn.  Seius,  lequel  porta  malheur  à  tous  ceulx  qui  le 
possédèrent.  Lisez  Aul.  GeUius,  lib.  III,  cap.  ix. 

Comme  sainct  Jan  de  la  Palisse,  manière  de  parler  vulgaire  par  syncope, 
en  lieu  de  l'Apocalipse  ;  comme  Idolâtre  pour  Idololatre. 

Les  ferremens  de  la  messe,  disent  les  Poictevins  villageoys  ce  que  nous 
disons  omemens,  et  le  manche  de  la  paroece  ce  que  nous  disons  le 
clochier,  par  métaphore  assez  lourde. 

Tohu  et  Bohu,  hebrieu  :  déserte  et  non  cultivée. 

Sycophage,  maschefigue. 

Nargues  et  Zargues,  noms  faicts  à  plaisir. 

Teleniabin  et  Geleniabin,  dictions  arabicques  :  Manne  et  miel  rosat. 

Enig  et  Evig,  motz  allemans  :  sans,  avecques.  En  la  composition  et 
appoinctement  du  langraufï  d'Esse  avecques  l'empereur  Charles 
cinquiesme,  on  lieu  de  Enig  :  sans  détention  de  sa  personne,  feut  mis 
Evig  :  avecques  détention. 

Scatophages,  maschemerdes,  \-ivans  de  excremens.  Ainsi  est  de  Aristo- 
phanes  in  Pluto  nommé  Aesculapius,  en  mocquerie  commune  à  tous 
medicins. 

Concilipetes,  comme  Romipetes  :  allans  au  concile. 

Teste  Dieu  plaine  de  reliques  :  C'est  im  des  sermens  du  seigneur  de  la 
Roche  du  Maine 

Trois  rases  d'angonnages,  tuscan.  Trois  demies  aulnes  de  bosses  chan- 
creuses. 

Celeusme,  chant  pour  exhorter  les  mariniers,  et  leurs  donner  couraige. 

Ucalegon,  non  aydant.  C'est  le  nom  d'im  vieil  Troyan,  célébré  par  Ho- 
mère, III,  Iliad. 

Vague  decumane,  grande,  forte,  violente.  Car  la  dixiesme  vague  est  ordi- 
nairement plus  grande  en  la  mer  Océane  que  les  autres.  Ainsi  sont  par 
cy  après  dictes  Escrevisses  Decimianes,  grandes;  comme  Columella 
dict  Poires  Decumanes,  et  Fest.  Pomp.  :  œufz  decumans.  Car  le 
dixiesme  est  toujours  le  plus  grand.  Et,  en  ^xa.  camp,  porte  Decumane, 

Passato,  etc.  Le  dangier  passé  est  le  sainct  mocqué. 

Macréons,  gens  qui  vivent  longuement. 

Macrobe,  homme  de  longue  vie. 


d'aucunes  dictions  plus  obscures          205 

Hieroglyphicques,  sacres  sculptures.  Ainsi  estoient  dictes  les  lettres  des 
antiques  saiges  Aegyptiens,  et  estoient  faictes  des  images  diverses  de 
arbres,  herbes,  animaulx,  poissons,  oiseaulx,  instrumens,  par  la  nature 
et  office  desquelz  estoit  représenté  ce  qu'ilz  vouloient  désigner.  De 
icelles  avez  veu  la  divise  de  mon  seigneur  l'Admirai  en  ime  ancre, 
instrument  très  poisant,  et  im  daulphin,  poisson  legier  sur  tous  ani- 
maulx du  monde  :  laquelle  aussi  avoit  porté  Octavian  Auguste,  voulant 
designer  :  Haste  toy  lentement;  fays  diligence  paresseuse  ;  c'est  à  dire 
expédie,  rien  ne  laissant  du  nécessaire.  D'icelles  entre  les  Grecs  a 
escript  Orus  Apollon.  Pierre  Colonne  en  a  plusieurs  exposé  en  son 
livre  tuscan  intitulé  Hypnerotomachia  Polyphili. 

Obelisces,  grandes  et  longues  aiguilles  de  pieiTe,  larges  par  le  bas  et  peu  à 
peu  unissantes  en  poincte  par  le  hault.  Vous  en  avez  à  Rome  prés  le 
temple  de  Sainct  Pierre  une  entière,  et  ailleurs  plusieurs  autres.  Sus 
icelles  prés  le  rivage  de  la  mer  Ion  aUumoit  du  feu  pour  luyre  aux 
mariniers  on  temps  de  tempeste,  et  estoient  dictes  Obeliscolychnies, 
comme  cy  dessus. 

Pyramides,  grands  bastimens  de  pierre  ou  de  bricque  quarrez,  larges 
par  le  bas  et  aiguz  par  le  hault,  comme  est  la  forme  d'une  flambe  de 
feu,  -up.  Vous  en  pourrez  veoir  plusieurs  sus  le  Nil,  prés  le  Caire. 

Prototype,  première  forme,  patron,  modeL 

Parasanges,  entre  les  Perses  estoit  ime  mesure  des  chemins  contenente 
trente  stades.  Herodotus,  lib.  II. 

Aguyon,  entre  les  Bretons  et  Normans  mariniers  est  vent  doulx,  serain 
et  plaisant,  comme  en  terre  est  Zephyre. 

Confallonnier,  porte-enseigne.  Tuscan. 

Ichthyophages,  gens  \-ivans  de  poissons,  en  .^Ethiopie  intérieure  prés 
l'Océan  occidental.  Ptoleme,  libro  IV,  cap.  ix;  Strabo,  lib.  XV 

Corybantier,  dormir  les  œilz  ouvers. 

Escrevisses  decumanes,  grandes.  Cy  dessus  a  esté  exposé. 

Atropos,  la  Mort. 

Symbole,  conférence,  collation. 

Catudupes  du  Nil,  lieu  en  iEthiopie  onquel  le  Nil  tombe  de  haultes  mon- 
taignes  en  si  horrible  bruyt  que  les  voisins  du  lieu  sont  presque  tous 
sours,  comme  escript  Claud.  Galen.  L'evesque  de  Caramith,  celuy  qui 
en  Rome  feut  mon  précepteur  en  langue  arabique,  m'a  dict  que  l'on 
oyt  ce  bruj^  à  plus  de  troyes  journées  loing,  qui  est  autant  que  de 
Paris  à  Tours.  Voyez  Ptol.;  Ciceron,  in  Sam.  Scipionis;  Phne,  lib.  VI, 
cap.  IX,  et  Strabo. 

Line  perpendiculaire,  les  architectes  disent  tombante  à  plomb,  droicte- 
ment  pendente. 

Montigenes,  engendrez  es  montaignes. 

Hypocriticque,  faincte,  desguisée. 

Venus  en  Grec  a  quatre  syUabes,  'Açoooitt].  Vulcan  en  a  trois  :  Hyphais- 
tos. 

Jschies,  vous  les  appeliez  sciaticques,  hernies,  ruptures  du  boyau  devallan. 
en  la  bourse,  ou  par  aiguosité,  ou  camosité,  ou  varices,  etc. 


io6  BRIEFVE    DECLARATION 

Hetnicraines,  vous  les  appelez  migraines  :  c'est  une  douleur  comprenente 

la  moytié  de  la  teste. 
Niphleseth,  membre  viril.  Hebr. 
Riiach,  vent  ou  esprit.  Hebr. 
Herbes  carmiuatives,  lesquelles  ou  consomment  ou  vuident  les  ventositez 

du  corps  humain. 
Jambe  adipodicque,  enflée,  grosse,  comme  les  avoit  Œdipus  le  divinateur, 

qui  en  grec  signifie  Pied  enflé. 
Aeolus,  Dieu  des  vents,  selon  les  Poètes. 
Sanctimoniales,  a  présent  sont  dictes  nonnains. 
Hypenemicn,  venteux.  Ainsi  sont  dictz  les  oeufz  des  poulies  et  aultres 

animaulx  faictz  sans  copulation  du  masle;  desquelz  jamais  ne  sont 

esclouz  pouUetz,  etc.,  Arist.,  Pline,  Columella. 
£olipyle,  porte  d'.iEolus.  C'est  un  instrument  de  bronze  clous,  onquel 

est  im  petit  pertuys,  par  lequel  si  mettez  eaue,  et  l'approchez  du  feu, 

vous  voirez  sortir  vent  continuellement.  Ainsi  sont  engendrez  les  vents 

en  l'air  et  les  ventositez  es  corps  humains,  par  eschauffemens  ou  concoc- 

tion  commencée  non  perfaicte,  comme  expose  Cl.  Galen.  Voyez  ce  que 

en  a  escript  nostre  grand  ami  et  seigneur  Monsieur  Phiilander  sus  le 

premier  livre  de  Victruve. 
Bringuenarilles,  nom  faict  à  plaisir  comme  grand  nombre  d'autres  en 

cestuy  livre. 
Lipothymie,  défaillance  de  cœur. 
Paroxisme,  accès. 

Tachor,  un  fie  au  fondement.  Hebr. 
Brouet,  c'est  la  grande  halle  de  JNIillan. 
Eceo  lo  fico,  voilà  la  figue. 
Camp  restile,  portant  fruict  tous  les  ans. 
Voix  stentorée,  forte  et  haulte  comme  avoit  Stentor,   duquel  escript 

Homère,  V,  Iliad.  ;  Juvenal,  îib.  XIII. 
Hypophetes,  qui  parlent  des  choses  passées  comme  prophètes  parlent  des 

choses  futiures. 
Vfanopetes,  descendues  du  ciel. 
Zoophot e,poitant  animaulx. C'est  en  un  portai  et  autres  lieux  ce  que  les 

architectes  appellent  fii^e,  entre  l'architrave  et  la  coronice,  onquel 

lieu  l'on  mettoit  les  manequins,  sculptures,  escriptures  et  autres  divises 

à  plaisir. 
rNQ0I  SEAYTON,  congnois  toy  mesmes. 
El,  tu  es.  Plutarche  a  faict  un  li\Te  singulier  de  l'expositioa  de  ces  deux 

lettres. 
Diipetes,  descendens  de  Jupiter. 
SchoUastes,  expositeurs. 
Archétype,  original,  protraict. 
Sphacelée,  corrompue,  pourrie,  vermoulue.  Diction  fréquente  en  Hippo* 

crates. 
Epode,  une  espèce  de  vers,  comme  en  a  escript  Horace. 


d'aucunes  dictions  plus  obscures  207 

Paragraphe,  vous  dictes  parafe,  corrompans  la  diction,  laqueUe  signifie 

un  signe  ou  note  posée  prés  l'escripture. 
Ecstase,  ravissement  d'esprit. 
Auriflue  énergie,  vertus  faisante  couller  l'or. 
Decretalictonez,  meurtriers  des  Decretales.  C'est  une  diction  monstrueuse, 

composée  d'un  mot  Latin  et  d'un  autre  Grec. 
Corolaires,  surcroistz,  le  parsus.  Ce  que  est  adjoinct. 
Promecoiide,  despansier,  celerier,  guardian,  qui  serre  et  distribue  le  bien 

du  seigneur. 
Terre  sphragitide,  terra  sigillata  est  nommée  des  apothecaire  ' 
Argentangine,  esquinance  d'argent.  Ainsi  fut  dict  Demosthenes  l'avoir 

quand  pour  ne  contredire  à  la  requeste  des  ambassadeurs  Milcsiens, 

desquelz  il  avoit  receu  grande  somme  d'argent,  il  se  enveloppa  le  coul 

avecques  gros  drappeauLx  et  de  laine,  pour  se  excuser  d'opiner,  comme 

s'il  eust  eu  l'esquinance.  Plutarche  et  A.  GeUi. 
Gaster,  ventre. 
Druydes,  estoient  les  pontifes  et  docteurs  des  anciens  François,  desquelz 

escript  Cœsar,  lib.  VI,  de  Bello  Gallico;  Cicer.,  lib,  I,  de  Divinai.  ; 

Pline,  lib.  XVI,  etc. 
Somates,  corps,  membres. 
Engastrimythes,  parlans  du  ventre, 
Gastrolatres,  adorateurs  du  ventre. 
Sternomantes,  divinans  par  la  poictrine. 
Gaule  cisalpine,  partie  ancienne  de  Gaule  entre  les  mons  Cenis  et  le  fleuve 

Rubicon,  prés  Rimano,  comprenente  Piedmond,  Montferrat,  Astisane, 

Vercelloys,  Millan,  Mantoue,  Ferrare,  etc. 
Dithyrambes,  crœpaloco'nes,  epœnons,  chansons  de  y\'roignerie  en  l'hon- 
neur de  Bacchus. 
Olives  colymbades,  confictes. 
Lasanon,  ceste  diction  est  là  exposée. 
Triscaciste,  troys  foys  très  mauvaise. 
Force  Titkanicquc,  des  géantz. 
Chaneph,  hypocrisie.  Hebr. 

Sympatic,  compassion,  consentement,  semblable  affection. 
Symptomates,  accidens  survenans  aux  maladies,  comme  mal  de  cousté, 

toux,  difficulté  de  respirer;  pleurésie. 
XJmbre  decempcdale,  tombante  sus  le  dixième  poinct  en  un  quadrant. 
Parasite,  bouffon,  causeur,  jangleur,  cherchant  ses  repeues  franches. 
Ganabin,  larron.  Hebrieu. 
Ponerople,  vUle  des  meschants. 
Ambrosie,  viande  des  Dieux. 

Stygiale,  d'enfer,  dict  du  fleuve  Stj'x  entre  les  poètes. 
Da  Roma,  etc.  Depuis  Rome  jusques  icy  je  n'ay  esté  à  mes  affaires.  De 

grâces,  prens  en  main  ceste  fourche  et  me  fais  paoïnr. 
Si  tu  non  fat,  etc.  Si  tu  ne  fais  autrement,  tu  ne  fays  rien.  Partant  efforce 

toy  de  besoigner  plus  gaillardement. 
Datum  Camberiaci,  donné  à  Chambery, 


io8  BRIEFVE    DECLARATION 

lo  ti  ringratio,  etc.  Je  te  remercie,  beauseigneur.  Ainsi  faisant  tu  me  as 
espargné  le  coust  d'un  clj'stere. 

Bonases,  animal  de  Péonie,  de  la  grandeur  d'un  taureau,  mais  plus 
trappe,  lequel,  chassé  et  pressé,  fiante  loing  de  quatre  pas  et  plus.  Par 
tel  moyen  se  saulve,  bruslant  de  son  fiant  le  poil  des  chiens  qui  le  pro- 
chassent. 

Lazanon,  cette  diction  est  exposée  [plus  haut]. 

Pital,  terrine  de  scelle  persée.  Tuscan.  Dont  son  dicts  Pitalieri  certains 
ofSciers  à  Rome,  qui  escurent  les  scelles  persées  des  reverendissimes 
cardinaux  estans  en  conclave  resserrez  pour  élection  d'un  nouveau 
Pape. 

Par  la  vertus  Dieu.  Ce  n'est  jurement;  c'est  assertion  :  moyennante  la 
vertus  de  Dieu.  Ainsi  est-il  en  plusieurs  lieux  de  ce  livre.  Comme  à 
Tholose  preschoit  frère  Quambouis  :  «  Par  le  sang  Dieu  nous  feusmes 
rachetez.  Par  la  vertus  Dieu  nous  serons  saulvez.  > 

Scybale,  estront  endurcy. 

Spyrathe,  crotte  de  chèvre  ou  de  brebis. 

Sela,  certainement.  Hebr. 


LE 
CINQUIESME   ET   DERNIER   LIVRE 

DES  FAIGTS  ET  DICTS  HEROÏQUES 

DU     BON     PANTAGRUEL 

COMPOSÉ 

PAR  M.  FRANÇOIS  RABELAIS 

DOCTEUR  EN  MÉDECINE 

AUQUEL     EST     CONTENU     LA     VISITATION     DE     L'ORACLg 

DE   LA  DIVE   BACBUC 

ET  LE   MOT  DE   LA   BOUTEILLE  :   POUR  LEQUEL  AVOIR, 

EST  ENTREPRINS   TOUT   CE   LONG  VOYAGE 

NOUVELLEMENT   MIS    EN   LUMIÈRE 


T.    II. 


ÉPIGRAMME 


Rabelais  est  il  mort?  Voicy  encore  un  livre. 
Non,  sa  meilleure  part  a  repris  ses  espritz 
Pour  nous  faire  présent  de  l'un  de  ses  escriptz 
Qui  le  rend  entre  tous  immortel,  et  faict  vivre. 


Nature  Quite. 


PROLOGUE  DE  M.  FRANÇOIS  RABELAIS 

0 


LE  CÏNQUIESME  LIVRE  DES  FAICTS  ET  DICTS  HEROÏQUES 
DE    PANTAGRUEL 


AUX  LECTEURS  BENEVOLES 

Beuveurs  infatigables,  et  vous,  verollez,  tresprecieux,  pen- 
dant qu'estes  de  loisir,  et  que  n'ay  aultre  plus  urgent  affaire 
en  main,  je  vous  demande  en  demandant  :  Pourquoy  est  ce 
qu'on  dit  maintenant  en  commun  proverbe  :  Le  monde  n'est 
plus  fat?  Fat  est  un  vocable  de  Languedoc,  et  signifie  non 
salle,  sans  sel,  insipide,  fade;  par  métaphore,  signifie  fol, 
niais,  despourveu  de  sens,  esventé  de  cerveau.  Voudriez  vous 
dire,  comme  de  faict  on  peult  logicaîement  inférer,  que  par 
cy  devant  le  monde  eust  esté  fat,  maintenant  seroit  devenu 
sage?  Par  quantes  et  quelles  conditions  estoit  il  fat?  Quantes 
et  quelles  conditions  estoient  reqiiises  à  le  faire  sage?  Pour- 
quoy estoit  il  fat?  Pourquoy  seroit  il  sage?  Enquoy  congnois- 
sez  vous  la  folie  antique?  Enquoy  congnoissez  vous  la 
sagesse  présente?  Qui  le  fist  fat  !  qui  l'a  faict  sage  !  Le  nombre 
desquels  est  plus  grand,  ou  de  ceux  qui  l'aimoyent  fat,  ou  de 
ceux  qui  l'ayment  sage?  Quant  de  temps  fut  il  fat?  Quant  de 
temps  sera  il  sage?  Dont  procedoit  la  folie  antécédente?  dont 
procède  la  sagesse  subséquente?  Pourquoy,  en  ce  temps,  non 
plus  tard,  print  fin  l'antique  folie?  Pourquoy,  en  ce  temps. 


2  12  LIVRE    V 

non  plustost,  commença  la  sagesse  présente?  Quel  mal  estoit 
de  la  folie  précédente?  Quel  bien  nous  est  de  la  sagesse  suc- 
cedente?  Comment  seroit  la  folie  antique  abolie?  Comment 
seroit  la  sagesse  présente  instaurée? 

Respondez,  si  bon  vous  semble  :  d'autre  adjuration  n'use- 
ray  je  envers  vos  révérences,  craignant  altérer  vos  pater- 
nitez.  N'ayez  honte,  faictes  confusion  à  Her  del  Tyiel,  enne- 
my  de  Paradis,  ennemy  de  vérité.  Courage,  enfans  :  si  estes 
des  miens,  beuvez  trois  ou  cinq  fois  pour  la  première  partie 
du  sermon,  puis  respondez  à  ma  demande  ;  si  estes  de  l'autre, 
avalisque  Satanas.  Car  je  vous  jure  mon  grand  Hurluburlu 
que  si  aultrement  ne  m'aydez  à  la  solution  du  problesme 
susdit,  desja,  et  n'y  a  gueres,  je  me  repens  vous  l'avoir  pro- 
posé, pourtant  que  ce  m'est  pareil  estrif  comme  si  le  loup 
tenois  par  les  aureilles  sans  espoir  de  secours  aulcun.  Plaist? 
J'entends  bien  :  vous  n'estes  délibérez  de  respondre.  Non 
feray-je,  par  ma  barbe  :  seulement  vous  allegueray  ce  qu'en 
avoit  prédit  en  esprit  prophétique  un  vénérable  docteur, 
autheur  du  hvre  intitulé  la  Cornemuse  des  prélats.  Que  dit  il, 
le  paillart?  Escoutez,  vietz-d'azes,  escoutez. 

L'an  Jubile,  que  tout  le  monde  raire 
Fadas  se  feist  est  supemumeraire 
Au  dessus  trente.  O  peu  de  révérence  ! 
Fat  il  sembloit;  mais  en  perseveréuice 
De  longs  brevets,  fat  plus  ne  gloux  sera  : 
Car  le  doux  fniict  de  l'herbe  esgoussera. 
Dont  tant  craignoit  la  fleur  en  prime  vere. 

Vous  l'avez  oy,  l'avez  vous  entendu?  Le  doctein:  est  anti- 
que, les  paroles  sont  Laconiques,  les  sentences  Scotines  et 
obscures.  Ce  nonobstant  qu'il  traitast  matière  de  soy  pro- 
fonde et  difficile;  les  meilleurs  interprètes  d'iceluy  bon  père 
exposent,  l'an  Jubilé  passant  le  trentiesme,  estre  les  années 
encloses  entre  ceste  aage  courante  l'an  mil  cinq  cens  cin- 
quante. Onques  ne  craindra  la  fleur  d'icelle.  Le  monde  plus 


PROLOGUE  213 

fat  ne  sera  dit,  venant  la  prime  saison.  Les  fols,  le  nombre 
desquelz  est  infiny,  comme  atteste  Salomon,  périront  enra- 
gez, et  toute  espèce  de  folie  cessera  :  laquelle  est  pareillement 
innombrable,  comme  dict  Avicenne,  maniœ  infinïtce  suni 
species.  Laquelle  durant  la  rigueur  hibernale  estoit  au  centre 
répercutée,  apparoist  en  la  circonferance,  et  est  en  cesves 
comme  les  arbres.  L'expérience  nous  le  demonstre,  vous  le 
sçavez,  vous  le  voyez.  Et  fut  jadis  exploré  par  le  grand 
bon  homme  Hippocrates,  Aphorism.  Verœ  eîenim  maniœ, 
etc.  Le  monde  doncques  ensagissant  plus  ne  craindra  la  fleur 
des  febves  en  la  prime  vere,  c'est  à  dire  (comme  pouvez,  le 
voirre  au  poing  et  les  larmes  à  l'œil,  pitoiablement  croire), 
en  caresme,  un  tas  de  livres  qui  sembloient  florides,  florulens, 
floris  comme  beaux  papillons,  mais  au  vray  estoient  ennuyeux 
fascheux,  dangereux,  espineux  et  ténébreux,  comme  ceux 
d'Heraclitus,  obscurs  comme  les  nombres  de  Pythagoras  (qui 
fut  roi  de  la  febve,  tesmoin  Horace).  Iceux  périront,  plus  ne 
viendront  en  main,  plus  ne  seront  leuz  ne  veuz.  Telle  estoit 
leur  destinée,  et  là  fut  leur  fin  prédestinée. 

Au  lieu  d'iceux  ont  succédé  les  febves  en  gousse.  Ce  sont 
ces  joyeux  et  fructueux  livres  de  Pantagruelisme,  lesquels 
sont  pour  ce  jourd'hui  en  bruit  de  bonne  vente,  attendant  le 
période  du  Jubilé  subséquent,  à  l'estude  desquels  tout  le 
monde  s'est  adonné;  aussi  est  il  sage  nommé.  Voylà  vostre 
problesme  solu  et  résolu;  faictes  vous  gens  de  bien  là  dessus. 
Toussez  icy  un  bon  coup  ou  deux  et  en  beuvez  neuf  d'arra- 
ché pied,  puis  que  les  vignes  sont  belles,  et  que  les  usuriers 
se  pendent;  ils  me  cousteront  beaucoup  en  cordeaux  si  bon 
temps  dure  :  car  je  proteste  leur  en  fournir  libéralement 
sans  payer,  toutes  et  quantes  fois  que  pendre  ils  se  voudront, 
espargnant  le  gain  du  bourreau. 

A  fin  donques  que  soyez  participans  de  ceste  sagesse  adve- 
nente,  et  émancipez  de  l'antique  folie,  effacez  moy  présente- 
ment de  vos  pancartes  le  Symbole  du  vieil  philosophe  à  la 


214  LIVRE    V 

cuysse  dorée;  par  lequel  il  vous  interdisoit  l'usage  et  man- 
geaille  des  febves,  tenans  pour  chose  vraye  et  confessée  entre 
tous  bons  compaignons  qu'il  les  vous  interdisoit  en  pareille 
intention  que  le  médecin  d'eau  douce  feu  Amer,  nepveu  de 
l'advocat,  seigneur  de  Camelotiere,  defïendoit  aux  malades 
l'aisle  de  perdrix,  le  cropion  de  geUnes  et  le  col  de  pigeon, 
disant  ;  ala  malà,  cropium  dubium,  collitm  honum  pelle  rernota, 
les  reser\^ans  pour  sa  bouche,  et  laissant  aux  malades  seule- 
ment les  osseletz  à  ronger.  A  luy  ont  succédé  certains  Capu- 
tions  nous  defendans  les  febves,  c'est  à  dire  hvres  de  Panta- 
grueUsme,  et  à  l'imitation  de  Philoxenus  et  Gnato  SiciUen, 
anciens  architecques  de  leur  monachale  et  ventrale  volupté, 
lesquels  en  plains  banquets,  lors  qu'estoient  les  friands  mor- 
ceaux servis,  crachoient  sur  la  viande  afin  que  par  horreur 
autres  qu'eux  n'en  mangeassent.  Ainsi  cette  hideuse,  mor- 
veuse, catarrheuse,  vermoluë  cagotaille,  en  public  et  privé 
déteste  ces  Hvres  frians,  et  dessus  vilainement  crachent  par 
leur  impudence.  Et  combien  que  maintenant  nous  Hsons 
en  nostre  langue  Gallique,  tant  en  vers  qu'en  oraison  soluë, 
plusieurs  excellens  escripst,  et  que  peu  de  reliques  restent 
de  capharderie  et  siècle  Gotique,  ay  neantmoins  esleu  ga- 
souiller  et  sifHer  oye,  comme  dit  le  proverbe,  entre  les  Cygnes, 
plustost  que  d'estre  entre  tant  de  gentils  poètes  et  faconds 
orateurs  mut  du  tout  estimé  :  jouer  aussi  quelque  villageois 
personnage  entre  tant  disers  joueurs  de  ce  noble  acte,  plustost 
qu'estre  mis  au  rang  de  ceux  qui  ne  servent  que  d'ombre  et 
de  nombre,  seulement  baislans  aux  mouches,  chovans  des 
aureilles  comme  un  asne  d'Arcadie  au  chant  des  musiciens, 
et  par  signes,  en  silence,  signifians  qu'ils  consentent  à  la  pro- 
sopopée. 

Prins  ce  choix  et  élection,  ay  pensé  ne  faire  œuvre  indigne 
si  je  remuois  mon  tonneau  Diogenic,  afin  que  ne  me  dissiez 
ainsi  vivre  sans  exemple. 

Je  contemple  un  grand  tas  de  Colline ts,  Marots,  Drouets, 


PROLOGUE  2t5 

Saingelais,  Saliels,  Masuels,  et  une  longue  centurie  d'autres 
poètes  et  orateurs  Galliqiies. 

Et  voy  que,  par  long  temps  avoir  en  mont  Parnasse  versé 
à  l'escole  d'ApoUo,  et  du  fons  Cabalin  beu  à  plein  godet  entre 
les  joyeuses  Muses,  à  l'éternelle  fabrique  de  nostre  vulgaire 
ils  ne  portent  que  marbre  Parien,  Alebastre,  Porphire,  et 
bon  ciment  Royal;  ils  ne  traitent  que  gestes  héroïques, 
choses  grandes,  matières  ardues,  graves  et  difficiles,  et  le  tout 
en  rhétorique  armoisine  et  cramoisine;  par  leurs  escrits  ne 
produisent  que  nectar  divin,  vin  précieux,  f riant,  riant,  mus- 
cadet, délicat,  délicieux  :  et  n'est  ceste  gloire  en  hommes 
toute  consommée,  les  dames  y  ont  participé,  entre  lesquelles 
une  extraicte  du  sang  de  France,  non  allegable  sans  insigne 
préfation  d'honneurs,  tout  ce  siècle  a  estonné  tant  par  ses 
escripts,  inventions  transcendentes,  que  par  ornemens  de 
langage,  de  style  miiifique.  Imitez  les,  si  sçavez;  quant  est  de 
moi,  imiter  je  ne  les  sçaurois  :  à  chascun  n'est  octroyé  henter 
et  habiter  Corinthe.  A  l'édification  du  temple  de  Salomon 
chascun  un  sicle  d'or  offrit;  à  plaines  poignées  ne  pouvoit. 
Puis  doncques  qu'en  nostre  faculté  n'est  en  l'art  d'architec-' 
ture  tant  promouvoir  comme  ils  font,  je  suis  délibéré  faire  ce 
que  fist  Regnault  de  Montauban,  servir  les  massons,  mettre 
bouillir  pour  les  massons;  et  m'auront,  puis  que  compagnon 
ne  puis  estre,  pour  auditeur,  je  dis  infatigable,  de  leurs  tres- 
celestes  escripts. 

Vous  mourez  de  peur,  vous  autres  les  Zoïles  em.ulateurs  et 
envieux;  allez  vous  pendre,  et  vous  mesmes  choisissez  arbre 
pour  pend  âges;  la  hart  ne  vous  faudra  mie.  Protestant  icy 
devant  mon  Helicon,  en  l'audience  des  divines  Muses,  que  si 
je  vis  encores  l'aage  d'un  chien,  ensemble  de  trois  corneilles, 
en  santé  et  intégrité,  telle  que  vescut  le  sainct  capitaine  Juif, 
Xenopbile  musicien,  et  Demonax  philosophe,  par  argumens 
non  impertinans  et  raisons  non  refusables  je  prouveray  en 
barbe  de  je  ne  sçay  quels  centonifiques  botteleurs  de  matières 


2l6  LIVRE    V 

cent  et  cent  fois  grabelées,  rappetasseurs  de  vieilles  ferrailles 
latines,  revandeurs  de  vieux  mots  latins  tout  moisis  et  incer- 
tains, que  nostre  langue  vulgaire  n'est  tant  vile,  tant  inepte, 
tant  indigente  et  à  mespriser  qu'ils  l'estiment.  Aussi  en  toute 
humilité  supplians  que  de  grâce  spéciale,  ainsi  comme  jadis 
estans  par  Phebus  tous  les  trésors  es  grands  poètes  des- 
partis, trouva  toutesfois  ^Esope  lieu  et  office  d'apologue, 
semblablement  veu  qu'à  degré  plus  hault  je  n'aspire,  ils  ne 
desdaignent  en  estât  me  recepvoir  de  petit  riparographe,  sec- 
tateur de  Pyreicus;  ils  le  feront,  je  m'en  tiens  pour  asceuré  : 
car  ils  sont  tous  tant  bons,  tant  humains,  gracieux  et  débon- 
naires que  rien  plus.  Parquoy,  beuveurs  ;  parquoy,  goutteux, 
iceux  en  veullent  avoir  fruition  totalle,  car  les  recitans  parmy 
leurs  conventicules,  cultans  les  haults  misteres  en  iceulx 
comprins,  entrent  en  possession  et  réputation  singuUere, 
comme  en  cas  pareil  fit  Alexandre  le  Grand  des  Hvres  de  la 
prime  philosophie  composez  par  Aristote. 

Ventre  sus  ventre,  quels  trinquenailles,  quels  guallefretiers  ! 

Pourtant,  beuveurs,  je  vous  ad  vise  en  temps  et  heure  oppor- 
tune, faites  d'iceux  bonne  provision  soudain  que  les  trouverez 
par  les  officines  des  hbraires,  et  non  seulement  les  esgoussez, 
mais  dévorez,  comme  opiatte  cordialle,  ei  les  incorporez  en 
vous  mesmes  :  lors  cognoistrez  quel  bien  est  d'iceux  préparé 
à  tous  gentils  esgousseurs  de  febves.  Présentement  je  vous 
en  offre  une  bonne  et  belle  panneree,  cueillie  on  propre  jardin 
que  les  autres  précédentes,  vous  supphant  au  nom  de  révé- 
rence qu'ayez  le  présent  en  gré,  attendant  mieulx  à  la  pro- 
chaine venue  des  arondelles. 


FIN   DU   PROLOGXJE 


PANTAGRUEL  2iy 


CHAPITRE  I 


COMMENT     PANTAGRUEL    ARRIVA     EN    L'iSLE     SONNANTE 
ET     DU     BRUIT     QU'ENTENDIS  MES 


Continuans  nostre  routte,  navigasmes  par  trois  jours  sans 
rien  descouvrir;  au  quatriesme,  aperceusmes  terre,  et  nous 
fust  dist  par  nostre  pilot  que  c'estoit  l'isle  Sonnante,  et  enten- 
dismes  un  bruit  de  loing  venant,  frequant  et  tumultueux, 
et  nous  sembloit  à  l'ouïr  que  fussent  cloches  grosses,  petites 
et  médiocres,  ensemble  sonnantes  comme  l'ont  faict  à  Paris, 
à  Tours,  Gergeau,  Nantes  et  ailleurs,  es  jours  de  grandes 
festes.  Plus  approchions,  plus  entendions  ceste  sonnerie  ren- 
forcée. 

Nous  doubtions  que  feust  Dodone  avecques  ses  chaudrons, 
ou  le  porticque  dit  Heptaphone  en  Olympie,  ou  bien  le  bruit 
sempiternel  du  Colosse  érigé  sus  la  sépulture  de  Mennon  en 
Thebes  d'.Egypte,  ou  les  tintamarres  que  jadis  on  oyoit  au- 
tour d'un  sépulcre  en  l'isle  Lipara,  l'une  des  Aeolides;  mais  la 
chorographie  n'y  consentoit.  «  Je  doubte,  dist  Pantagruel, 
que  là  quelque  compaignie  d'abeilles  ayent  commencé 
prendre  vol  en  l'air,  pour  lesquelles  revocquer  le  voisinage 
faict  ce  triballement  de  poiles,  chaudrons,  bassins,  cymbales 
corj'^bantiques  de  Cybele,  mère  grande  des  dieux.  Entendons.  » 
Approchans  davantage  entendismes,  entre  la  perpétuelle 
sonnerie  des  cloches,  chant  infatigable  des  hommes  là  resi- 
dens,  comme  estoit  nostre  ad  vis.  Ce  fut  le  cas  pourquoy, 
avant  que  aborder  en  l'isle  Sonnante,  Pantagruel  fut  d'opi- 
nion que  descendissions  ^.vecq'  nostre  esquif  en  un  petit  roc 
auprès  duquel  recognoissions  un  hermitage  et  quelque  petit 
jardinet. 


2l8  LIVRE    V,    CHAPITRE    I 

Là  trouvasmes  un  petit  bon  homme  hermite  nommé  Bra- 
guibus,  natif  de  Glenay,  lequel  nous  donna  pleine  instruction 
de  toute  la  sonnerie,  et  nous  festoya  d'une  estrange  façon.  Il 
nous  fîst  quatre  jours  consequens  jeusner,  affermant  qu'en 
l'isle  Sonnante  autrement  receus  ne  serions,  parce  que  lors 
estoit  le  jeusne  des  Quatre  lemps.  «  Je  n'entens  point,  dist 
Panurge,  cest  énigme  :  ce  seroit  plustost  le  temps  des  quatre 
vents,  car  jeusnans  ne  sommes  farcis  que  de  vent.  Et  quoy, 
n'avez  vous  icy  autre  passe  temps  que  de  jeusner?  Me  semble 
qu'il  est  bien  maigre;  nous  nous  passerions  bien  de  tant  de 
festes  du  palais.  —  En  mon  Donat,  dist  frère  Jehan,  je  ne 
trouve  que  trois  temps,  prétérit,  présent  et  futur  :  icy  le 
quatriesme  doit  estre  pour  le  vin  du  valet.  —  Il  est,  dist  Epis- 
temon,  aorist  issu  de  prétérit  tres-imparfaict  des  Grecs  et 
des  Latins,  en  temps  garré  et  bigarré  reçu.  Patience,  disent  les 
ladres.  —  Il  est,  dist  l'Hermite,  fatal,  ainsi  comme  je  vous 
l'ay  dit  :  qui  contredit  est  hérétique,  et  en  luy  fault  rien  que 
le  feu.  —  Sans  faulte,  Pater,  dist  Panurge,  estant  sus  mer,  je 
crains  beaucoup  plus  estre  mouillé  que  chauffé,  et  estre  noyé 
que  bruslé.  Bien,  jeusnons  de  par  Dieu;  mais  j'ay  par  si  long- 
temps jeusné  que  les  jeusnes  m'ont  sappé  toute  la  chair,  et 
crains  beaucoup  qu'en  fin  les  bastions  de  mon  corps  viennent 
en  descadence.  Autre  peur  ai-je  davantage,  c'est  de  vous  fas- 
cher  en  jeusnant,  car  je  n'^''  sçay  rien,  et  y  ay  mauvaise  grâce, 
comme  plusieurs  m'ont  affermé  :  et  je  les  croy.  De  ma  part, 
di  je,  bien  peu  me  soucie  de  jeusner  :  il  n'est  choses  tant  facile 
et  tant  à  main;  bien  plus  me  soucie  de  ne  jeusner  point  à 
l'advenir,  car  là  il  faut  avoir  dequoy  drapper  et  dequoy 
mettre  au  moulin.  Jeusnons,  de  par  Dieu,  puisqu'entrez 
sommes  es  feries  esuriales;  ja  long  temps  a  que  ne  les  reco- 
gnoissois.  —  Et  si  jeusner  faut,  dist  Pantagruel,  expédient 
autre  n'y  est,  fois  nous  en  despecher  comme  d'un  mauvais 
chemin.  Aussi  bien  veux  je  un  peu  visiter  mes  papiers,  et 
entendre  si  l'estude  marine  est  aussi  bonne  comme  la  ter» 


PANTAGRUEL  219 

rienne;  pource  que  Platon,  voulant  desciire  un  homme  niais, 
imperit  et  ignorant,  le  compare  à  gens  nourris  en  mer  dedans 
les  navires,  comme  dirions  à  gens  nourris  dedans  un  baril, 
qui  onques  ne  regardèrent  que  par  un  trou.  » 

Nos  jeusnes  furent  terribles  et  bien  espoventables,  car  le 
premier  jour  nous  jeusnasmes  à  battons  rompus;  le  second,  à 
espees  rabatues;  le  tiers,  à  fer  esmoulu;  le  quart,  à  feu  et  à 
sang.  Telle  estoil  l'ordonnance  des  Fées. 


CHAPITRE  II 

COMMENT    l'iSLE    SONNANTE    AVOIT     ESTÉ     HABITÉE 

PAR    LES    SITICINES, 

LESQUELS     ESTOYENT     DEVENUS     OISEAUX 


Nos  jeusnes  parachevez,  Thermite  nous  bailla  une  lettre 
adressante  à  un  qu'il  nommoit  Albian  Camat,  maistre  Aeditue 
de  risle  Sonnante;  mais  Panurge,  le  saluant,  l'appella  maistre 
Antitus.  C'estoit  un  petit  bon  homme  vieux,  chauve,  à  mu- 
seau bien  enluminé  et  face  cramoisie.  Il  nous  fist  très  bon 
recueil,  par  la  recommandation  de  l'hermite,  entendant 
qu'avions  jeusné  comme  a  esté  déclaré.  Après  avoir  très-bien 
repeu,  nous  exposa  les  smgularitez  de  l'Isle,  affermant  qu'elle 
avoit  premièrement  esté  habitée  par  les  Siticines;  mais  par 
ordre  de  nature  (comme  toutes  choses  varient)  ils  estoient 
devenus  oiseaux. 

Là  j'eus  pleine  intelligence  de  ce  qu'Atteius  Capito,  Pau- 
lus,  Marcellus,  A.  Gellius,  Atheneus,  Suidas,  Ammonius  et 
autres,  avoyent  escrit  des  Siticines  et  Sicinnistes,  et  difficile 
ne  nous  sembla  croire  les  transformations  de  Nyctimene, 
Progne,  Itys,  Alcmene,  Antigène,  Tereus  et  autres  oiseaux. 
Peu  aussi  de  doubte  fismes  des  enfans  Matabrune  convertis 


220  LIVRE    V,     CHAPITRE    II 

en  Cignes,  et  des  hommes  de  Pallene  en  Thrace,  lesquels  soub- 
dain  que  par  neuf  fois  se  baignent  au  palude  Tritonique,  sont 
en  oiseaux  transformez.  Depuis,  autre  propos  ne  nous  tint 
que  de  cages  et  d'oiseaux.  Les  cages  estoient  grandes,  riches, 
somptueuses,  et  faictes  par  merveilleuse  architecture. 

Les  oiseaux  estoient  grands,  beaux  et  polis  à  l'advenant, 
bien  ressemblans  les  hommes  de  ma  patrie  :  beuvoient  et 
mangeoient  comme  hommes,  esmoutissoient  comme  hommes, 
enduisoient  comme  hommes,  petoient,  dormoient  et  roussi- 
noient  comme  hommes  :  brief,  à  les  veoir  de  prime  face, 
eussiez  dit  que  fussent  hommes;  toutesfois  ne  l' estoient  mie, 
selon  l'instruction  de  maistre  Aeditue,  nous  protestant  qu'ils 
n' estoient  ny  séculiers,  ny  mondains.  Aussi  leur  pennage  nous 
mettoit  en  resverie,  lequel  aucuns  avoient  tout  blanc,  autres 
tout  noir,  autres  tout  gris,  autres  miparti  de  blanc  et  noir, 
autres  tout  rouge,  autres  parti  de  blanc  et  bleu  :  c'estoit  belles 
choses  de  les  veoir.  Les  masles  il  nommoit  Clergaux,  Mona- 
gaux,  Prestregaux,  Abbegaux,  Evesgaux,  Cardingaux  et 
Papegaut,  qui  est  unique  en  son  espèce.  Les  femelles  il  nom- 
moit Clergesses,  Monagesses,  Prestregesses,  Abbegesses, 
Evesgesses,  Cardingesses,  Papegesse.  Tout  ainsi  toutefois, 
nous  dist  il,  comme  entre  les  abeilles  hantent  les  freslons,  qui 
rien  ne  font  fors  tout  manger  et  tout  gaster,  aussi  depuis 
trois  cens  ans  ne  sçay  comment,  entre  ces  joyeux  oiseaux, 
estoit  par  chascune  quinte  lune  avolé  grand  nombre  de  cagots, 
lesquels  avoient  honny  et  conchié  toute  l'Isle,  tant  hideux  et 
monstrueux,  que  de  tous  estoient  reffuis.  Car  tous  avoient  le 
col  tors,  les  pattes  pelues,  les  griphes  et  ventre  de  Harpies,  et 
les  culs  de  Stimphalides,  et  n'estoit  possible  les  exterminer  : 
pour  un  mort  en  avoloit  vingt  quatre.  Je  y  souhaitoye  quelque 
second  Hercules,  pour  ce  que  frère  Jehan  y  perdit  le  sens 
par  véhémente  contemplation,  et  à  Pantagruel  ad\'int  ce 
qu'estoit  advenu  à  messire  Priapus  contemplant  les  sacrifices 
de  Ceres,  par  faute  de  peau. 


PANTAGRUEL  221 

CHAPITRE    III 
COMMENT     EN     l'ISLE     SONNANTE     N'EST     QU'UN     PAPEGAUT 

Lors  demandasmes  à  maistre  Aeditue,  veu  la  multiplica- 
tion de  ces  vénérables  oiseaux  en  toutes  leurs  espèces,  pour- 
quoy  là  n'estoit  qu'un  Papegaut.  Il  nous  respondit  que  telle 
estoit  l'institution  première,  et  fatale  destinée  des  estoilles  : 
que  des  Clergaux  naissent  les  Prestregaux  et  Monagaux,  sans 
compagnie  charnelle,  comme  se  fait  entre  les  abeilles  d'un 
jeune  toreau  accoustré  selon  l'art  et  pratique  d'Aristeus. 
Des  Prestregaux  naissent  les  Evesgaux;  d'iceux  les  beaux 
Cardingaux,  et  les  Cardingaux,  si  par  mort  n'estoient  préve- 
nus, finissoient  en  Papegaut,  et  n'en  est  ordinairement  qu'un, 
comme  par  les  ruches  des  abeilles  n'y  a  qu'un  roy ,  et  au  monde 
n'est  qu'un  soleil.  Iceluy  decedé,  en  naist  un  autre  en  son  lieu 
de  toute  la  race  des  Cardingaux  :  entendez  tousjours  sans 
copulation  chamelle.  De  sorte  qu'il  y  a  en  ceste  espèce  unité 
individiiale,  avec  perpétuité  de  succession,  ne  plus  ne  moins 
qu'au  Phœnix  d'Arabie.  Vray  est  qu'il  y  a  environ  deux  mil 
sept  cens  soifcante  lunes  que  furent  en  nature  deux  Papegaux 
produits;  mais  ce  fut  la  plus  grande  calamité  qu'on  vist 
onques  en  ceste  Isle.  «  Car,  disoit  Aeditue,  tous  ces  oiseaux 
icy  se  pillèrent  les  uns  les  aultres,  et  s'entreplauderent  si  bien 
ce  temps  duiant  que  l'Isle  pericUta  d'estre  spoliée  de  ses  habi- 
tans.  Part  d'iceux  adheroit  à  un,  et  le  soutenoit;  part  à  l'aul- 
tre,  et  le  defendoit;  demeurèrent  part  d'iceux  muts  comme 
poissons,  et  onques  ne  chantèrent,  et  part  de  ces  cloches, 
comme  interdicte,  coup  ne  sonna.  Ce  séditieux  temps  durant, 
à  leur  secours  évoquèrent  Empereurs,  Roys,  Ducs,  Marquis, 
Monarques,  Comtes,  Barons  et  communautez  du  monde  qui 
habite  en  continent  et  terre  ferme,  et  n'eut  fin  ce  schisme  et 


223  LIVRE     V,     CHAPITRE    IV 

ceste  sédition  qu'un  d'iccux  ne  fust  toUu  de  vie,  et  la  plura- 
lité reduicte  en  unité,  » 

Puis  demandasmes  qui  mouvoit  ces  oiseaux  ainsi  sans 
chanter.  Aeditue  nous  respondit  que  c'estoient  les  cloches 
pendantes  au  dessus  de  leurs  cages.  Puis  nous  dist  :  «  Voulez 
vous  que  présentement  je  fasse  chanter  ces  Monagaux  que 
voyez  là  bardocuculés  d'une  chausse  d'hypocras,  comme  une 
alouette  sauvage?  —  De  grâce,  »  respondismes  nous.  Lors 
sonna  une  cloche  six  coups  seulement,  et  Monagaux  d'ac- 
courir, et  Monagaux  de  chanter.  «  Et  si,  dist  Panurge,  je  son- 
nois  ceste  cloche,  ferois  je  pareillement  chanter  ceux  icy  qui 
ont  le  pennage  à  couleur  de  haran  soret?  —  Pareillement,  » 
respondit  Aeditue. 

Panurge  sonna,  et  soudain  accoururent  ces  oiseaux 
enfumez,  et  chantoient  ensemblement;  mais  ils  avoient  les 
voix  rauques  et  malplaisantes.  Aussi  nous  remonstra  Ae- 
ditue qu'ils  ne  vivoient  que  de  poisson,  comme  les  Hérons  et 
Cormorans  du  monde,  et  que  c'estoit  une  quinte  espèce  de 
Cagaux  imprimez  nouvellement.  Adjousta  d'avantage  qu'il 
avoit  eu  advertissement  par  Robert  Valbringue,  qui  par  là, 
n'agueres,  estoit  passé  en  revenant  du  pays  d'Afirique,  que 
bientosty  devoit  avolerune  sexte  espèce,  lesquels  il  nommoit 
Capucingaux,  plus  tristes,  plus  maniaques  et  plus  fascheux 
qu'espèce  qui  fust  en  toute  l'Isle.  «  Affrique,  dist  Pantagruel, 
est  coustumieie  tousjours  choses  produire  nouvelles  et  mons- 
trueuses. » 

CHAPITRE  IV 

COMMENT    LES     OISEAUX     DE    L'ISLE    SONNANTE 
ESTOIENT    TOUS    PASSAGERS 

«  Mais,  dist  Pantagruel,  veu  qu'exposé  nous  avez  des  Car- 
dingaux  naistre  Papegaut,  et  les  Cardingaux  des  Evesgaux, 


PANTAGRUEL  223 

les  Evesgaux  des  Prestregaux,  et  les  Prestregaux  des  Cler- 
gaux,  je  voudrois  bien  entendre  dont  vous  naissent  ces  Cler- 
gaux.  —  Ils  sont,  dit  Aeditue,  tous  oiseaux  de  passage,  et 
nous  viennent  de  l'autre  monde  :  part,  d'une  contrée  grande 
à  merveilles,  laquelle  on  nomme  Joursanspain;  part,  d'une 
autre  vers  le  Ponant,  laquelle  on  nomme  Tropditieux.  De  ces 
deux  contrées  tous  les  ans  à  boutées,  ces  Clergaux  icy  nous 
viennent,  laissans  pères  et  mères,  tous  amis  et  parens.  La 
manière  est  telle  quand  en  quelque  noble  maison  de  ceste 
contrée  dernière  y  a  trop  d'iceux  enfans,  soient  masles,  soient 
femelles  :  de  sorte  que,  qui  à  tous  part  feroit  de  l'héritage 
(comme  raison  le  veut,  nature  l'ordonne,  et  Dieu  le  com- 
mande) la  maison  seroit  dissipée.  C'est  l'occasion  pourquoy 
les  parens  s'en  déchargent  en  ceste  Isle  Bossard.  — ■  C'est, 
dist  Panurge,  l'Isle  Bouchard  lez  Chinon.  —  Je  dis  Bossard, 
respondit  Aeditue  :  car  ordinairement  ils  sont  bossus,  bor- 
gnes, boiteux,  manchots,  podagres,  contrefaits  et  maleficiez  : 
poix  inutile  de  la  terre.  —  C'est,  dist  Pantagruel,  coustume 
du  tout  contraire  es  Institutions  jadis  observées  en  la  récep- 
tion des  pucelles  Vestales,  par  lesquelles,  comme  atteste 
Labeo  Antistius,  estoit  défendu  à  ceste  dignité  eslire  fille  qui 
eust  vice  aucun  en  l'ame,  ou  en  ses  sens  diminution,  ou  en 
son  corps  tache  quelconque,  tant  fust  occulte  et  petite.  —  Je 
m'esbahis  (dist  Aeditue  continuant)  si  les  mères  de  par  de  là 
les  portent  neuf  mois  en  leurs  flancs,  veu  qu'en  leurs  maisons 
elles  ne  les  peuvent  porter  ne  patir  neuf  ans,  non  pas  sept  le 
plus  souvent,  et  leur  mettans  vme  chemise  seulement  sus 
la  robbe,  sur  le  sommet  de  la  teste  leur  couppans  je  ne  sçay 
quants  cheveux  avec  certaines  paroUes  apotrophees  et  expia- 
toires, comme  entre  les  ^Egyptiens,  par  certaines  linostoUes  et 
rasures,  estoient  créez  les  Isiacques,  visiblement,  apertement, 
manifestement,  par  metempsichose  Pythagorique,  sans  lésion 
de  blessure  aucune,  les  font  oiseaux  tels  devenir  que  présen- 
tement les  voyez.  Ne  sçay  toutesfois,  beaux  amis,  que  peult 


224  LIVRE    V,     CHAPITRE    IV 

estre  ne  d'où  vient  que  les  femelles,  soient  Clergesses,  Mona- 
gesses  ou  Abbegesses,  ne  chantent  motets  plaisans  et  charis- 
teres,  comme  on  souloit  faire  à  Oroméisis,  par  l'institution  de 
Zoroaster  ;  mais  catarates  et  sytorpees,  comme  on  faisoit  au 
Démon  Arimanian  ;  et  font  continuelles  dévotions  pour  leurs 
parens  et  amis,  qui  en  oiseaux  les  transformèrent,  je  dis  au- 
tant jeunes  que  vieilles. 

«  Plus  grand  nombre  nous  en  vient  de  Joursanspain,  qui 
est  excessivement  long.  Car  les  Assaphis  habitans  d'icelle 
contrée,  quant  sont  en  danger  de  patir  malesuade  famine  par 
non  avoir  dequoy  soy  alimenter,  et  ne  sçavoir,  ne  vouloir  rien 
faire,  ne  travailler  en  quelque  honneste  art  et  mestier,  ne 
aussi  f  eablement  à  gens  de  bien  soy  asservir  ;  ceux  aussi  qui 
n'ont  peu  jouir  de  leurs  amours,  qui  ne  sont  parvenus  à  leurs 
entreprinses,  et  sont  désespérez  ;  ceux  pareillement  qui  mes- 
chantement  ont  commis  quelque  cas  de  crime,  et  lesquels 
on  cerche  pour  à  mort  ignominieusement  mettre,  tous  avolent 
icy  :  icy  ont  leur  vie  assignée,  soubdain  deviennent  gras  com- 
me glirons,  qui  paravant  estoient  roEÙgres  comme  pics  : 
icy  ont  parfaicte  seureté,  indemnité  et  franchise. 

—  Mais,  demandoit  Pantagruel,  ces  beaux  oiseaux  icy 
une  fois  avolez  retournent  ils  jamais  plus  au  monde  où  ils 
furent  ponnus?  —  Quelques  uns,  respondit  Aeditue,  jadis 
bien  peu,  bien  tard  et  à  regret.  Depuis  certaines  éclipses,  s'en 
est  revolé  une  grande  mouée  par  vertu  des  constellationo 
célestes.  Cela  de  rien  ne  nous  melanchohe,  le  demeurant  n'en  a 
que  plus  grande  pitance.  Et  tous,  avant  que  revoler  ont  leur 
pennage  laissé  parmy  ces  orties  et  espines.  » 

Nous  en  trouvasmes  quelques  uns  reallement,  et  en  cher- 
chant d'aventure  rencontrasmes  un  pot  aux  roses  descouvert. 


PANTAGRUEL  225 


CHAPITRE  V 


COMMENT    LES     OISEAUX     GOURMANDEURS     SONT     MUETS 
EN    L'ISLE    SONNANTE 


Il  n'avoit  ces  mots  parachevez  quand  près  de  nous  advo- 
lerent  vingt  cinq  ou  trente  oiseaux  de  couleur  et  pennage  que 
encores  n'avois  veu  en  l'Isle.  Leur  plumage  estoit  changeant 
d'heure  en  heure,  comme  la  peau  d'un  caméléon,  et  comme  la 
fleur  de  tripoUon  ou  teucrion.  Et  tous  avoient  au  dessous  de 
l'aisle  gauche  une  marque,  comme  de  deux  diamètres  mipar- 
tissant  un  cercle,  ou  d'une  hgne  perpendiculaire  tombante 
sur  une  hgne  droite.  A  tous  estoit  presque  d'une  forme,  mais 
non  à  tous  d'une  couleur  :  es  uns  estoit  blanc,  es  autres  verde, 
es  autres  rouge,  es  autres  violette,  es  autres  bleue.  «  Qui  sont, 
demanda  Panurge,  ceux  cy,  et  comment  les  nommez?  —  Ils 
sont,  respondit  Aeditue,  metifs.  Nous  les  appelions  gourman- 
deurs,  et  ont  grand  nombre  de  riches  gourmanderies  en  vostre 
monde.  —  Je  vous  prie,  dis  je,  faites  les  un  peu  chanter,  afin 
qu'entendions  leur  voix.  Ils  ne  chantent,  respondit  il,  jamais; 
mais  ils  repaissent  au  double  en  recompense.  —  Où  sont, 
demandois  je,  les  femelles?  —  Ils  n'en  ont  point,  respondit  il. 
—  Comment  donc,  infera  Panurge,  sont  ils  ainsi  croustelevez 
et  tous  mangez  de  grosse  vérole?  —  Elle  est,  dist  il,  propre  à 
ceste  espèce  d'oiseaux,  à  cause  de  la  marine  qu'ils  hantent 
quelque  fois.  » 

Puis  nous  dist  :  «  Le  motif  de  leur  venue  icy  prés  de  vous 
est  cestuy  pour  veoir  si  parmy  vous  recognoistront  une 
magnifique  espèce  de  gots,  oiseaux  de  proye  terribles,  non 
toutefois  venans  au  leurre,  ne  recognoissans  le  gand,  lesquels 
ils  disent  estre  en  vostre  monde  :  et  d'iceux  les  uns  porter 

T.       II.  T, 


226  LIVRE    V,     CHAPITRE    VI 

jects  aux  jambes  bien  beaux  et  précieux,  avec  inscription, 
aux  vervelles,  par  laquelle  qui  mal  y  pensera  est  condamné 
d'estre  soudain  tout  conchié;  autres  au  devant  de  leur  pen- 
nage  portre  le  trophée  d'un  calomniateur,  et  les  autres  y 
porter  ime  peau  de  bélier.  —  Maistre  Aeditue,  dist  Panurge, 
il  peut  cstre,  mais  nous  ne  les  cognoissons  mie. 

—  Ores,  dist  Aeditue,  c'est  assez  parlementé,  allons  boire. 
—  Mais  repaiStre,  dist  Panurge.  —  Repaistre,  dist  Aeditue, 
et  bien  boire,  moitié  au  per,  moitié  à  la  couche  :  rien  si  cher  ne 
précieux  est  que  le  temps;  employons  le  en  bonnes  œuvres.  » 
Mener  il  nous  vouloit  premièrement  baigner  dedans  les  ther- 
mes des  Cardingaux,  belles  et  délicieuses  souverainement,  • 
puis  yssans  des  bains  nous  faire  par  les  AUptes  oindre  de 
précieux  basme. 

Mais  Pantagruel  luy  dist  qu'il  ne  bevroit  que  trop  sans 
cela.  Adoncques  nous  conduit  en  un  grand  et  délicieux 
refectouer,  et  nous  dist  :  «  Je  sça)^  que  l'hermite  Braguibus 
vous  a  fait  jeusner  par  quatre  jours,  quatre  jours  serez  icy 
à  contrepoints  sans  cesser  de  boire  et  de  repaistre.  —  Dormi- 
rons nous  point  cependant?  dist  Panurge.  —  A  vostre  liberté, 
respondit  Aeditue,  car  qui  dort,  il  boit.  »  Vray  Dieu,  quelle 
chère  nous  fismes  !  O  le  grand  homme  de  bien  ! 


CHAPITRE  VI 

COMMENT    LES    OISEAUX    DE    L'ISLE    SONNANTE    SONT    ALIMENTEZ 

Pantagruel  monstroit  face  triste,  et  sembloit  non  contant 
du  séjour  quatridien  que  nous  interminoit  Aeditue,  ce  qu'ap- 
perceut  Aeditue,  et  dist  :  «  Seigneur,  vous  sçavcz  que  sept 
jours  devant  et  sept  jours  après  breume,  jamais  n'y  a  sur  mer 
tempeste.  C'est  pour  faveur  que  les  elemens  portent  aux 


PANTAGRUEL  227 

Alcyones,  oiseaux  sacrez  à  Thetis,  qui  pour  lora  ponnent  et 
esclouent  leurs  petits  lez  le  rivage.  Tcy  la  mer  se  revenche  de 
ce  long  calme,  et  par  quatre  jours  ne  cesse  de  tempester  énor- 
mément, quant  quelques  voyagiers  y  arrivent.  La  cause  nous 
estimons  afin  que  ce  temps  durant,  nécessité  les  contraigne 
y  demeurer  pour  estre  bien  festoyez  des  revenus  de  sonnerie. 
Pourtant  n'estimez  temps  icy  ocieusement  perdu.  Force 
forcée  vous  y  retiendra,  si  ne  voulez  combattre  Juno,  Nep- 
tune, Doris,  Acolus,  et  tous  les  Vejoves,  seulement  délibérez 
vous  de  faire  chère  lie.  » 

Après  les  premières  bauffrures,  frère  Jehan  demandoit  à 
Aeditue  :  «  En  ceste  Isle  vous  n'avez  que  cages  et  oiseaux  ;  ils 
ne  labourent,  ne  cultivent  la  terre.  Toute  leur  occupation  est 
à  gaudir,  gaozuiller  et  chanter.  De  quel  pays  vous  vient  ceste 
corne  d'abondance,  et  copie  de  tant  de  biens  et  rians  mor- 
ceaux? —  De  tout  l'autre  monde,  respondit  Aeditue  :  excep- 
tez moy  quelques  contrées  des  régions  Aquilonaires,  lesquelles 
depuis  quelques  certaines  années  ont  meu  la  Camarine.  — 
Chou,  dist  frère  Jehan,  ils  s'en  repentiront,  dondaine,  ils  s'en 
repentiront,  dondon  :  beuvons,  amis.  —  Mais  de  quel  pays 
estes- vous?  demanda  Aeditue.  • —  De  Touraine,  respondit 
Panurge.  —  Vrayement,  dist  Aeditue,  vous  ne  fustes  onques 
de  mauvaise  pie  couvez,  puisque  vous  estes  de  la  benoiste 
Touraine.  De  Touraine,  tant  et  tant  de  biens  annuellement 
nous  viennent  que  nous  fut  dit  un  jour,  par  gens  du  lieu  par 
cy  passans,  que  le  Duc  de  Touraine  n'a  en  tout  son  revenu 
dequoy  son  saoul  de  lard  manger,  par  l'excessive  largesse 
que  ses  prédécesseurs  ont  fait  à  ces  sacrosaincts  oiseaux,  pour 
icy  de  phaisans  nous  saouler,  de  perdriaux,  de  gelinottes, 
poulies  d'Inde,  gras  chappons  de  Loudunois,  venaisons  de 
toutes  sortes,  et  toutes  sortes  de  gibier. 

«  Beuvons,  amis  :  voyez  ceste  perchée  d'oiseaux,  comment 
ils  sont  douillets  et  en  bon  poinct,  des  rentes  qui  nous  en 
viennent  :  ausi  chantent  ils  bien  pour  eux.  Vous  ne  vistes 


228  LIVRE    V,    CHAPITRE     Vil 

onques  rossignols  mieux  gringoter  qu'ils  font  en  plat,  quand 
ils  voyant  ces  deux  bastons  dorez...  —  C'est,  dist  frère  Jehan 
feste  à  bcistons.  —  ...Et  quand  je  leur  sonne  ces  grosses  clo- 
ches que  voyez  pendues  aux  tours  de  leurs  cages.  Beuvons, 
amis,  il  fait  certes  huy  beau  boire,  aussi  fait  il  tous  les  jours. 
Beuvons  !  je  boy  de  bien  bon  cœur  à  vous,  et  soyez  les  très- 
bien  venus.  N'ayez  peur  que  vin  et  vivres  icy  faillent,  car 
quand  le  ciel  seroit  d'airin  et  la  terre  de  fer,  encores  vivres  ne 
nous  faudroient,  fussent  ce  par  sept,  voire  huit  ans,  plus  long 
temps  que  ne  dura  la  famine  en  Egypte.  Beuvons  ensemble 
par  bon  accord  en  charité. 

—  Diables,  s'escria  Panurge,  tant  vous  avez  d'aises  en  ce 
monde  !  —  En  l'autre,  respondit  Aeditue,  en  aurons  nous  bien 
d'avantage.  Les  champs  Eliziens  ne  nous  manqueront,  pour 
le  moins.  Beuvons,  amis,  je  boy  à  vous  tous.  —  C'a  esté, 
dis  je,  esprit  moult  divin  et  parfait  à  vos  premiers  Siticines 
avoir  le  moyen  inventé  par  lequel  vous  avez  ce  que  tous 
humains  appetent  naturellement,  et  à  peu  d'iceux,  ou,  propre- 
ment parlant,  à  nul  n'est  octroyé.  C'est  paradis  en  ceste  vie, 
et  en  l'aultre  pareillement  avoir.  O  gens  heureux  !  O  semi- 
dieux  !  Pleust  au  ciel  qu'il  m'avint  ainsi.  » 


CHAPITRE  VII 

comment  panurge   racompte  a   maistre  aeditue 
l'apologue   du   roussin   et  de  l'asne 


Avoir  bien  beu  et  bien  repeu,  Aeditue  nous  mena  en  une 
chambre  bien  garnie,  bien  tapissée  et  toute  dorée.  Là  nous 
fist  apporter  myrobalans,  brain  de  basme,  et  zinzembre  verd 
confit,  force  hypocras  et  x-in  dehcieux  ;  et  nous  invitoit  par  ces 
antidotes  comme  par  breuvage  du  fleuve  de  Lethé,  mettre 


PANTAGRUEL  229 

en  oubly  et  nonchalance  les  fatigues  qu'avions  paty  sus  la 
marine;  fist  aussi  porter  vivres  en  abondance  à  nos  navires 
qui  surgeoient  au  port.  Ainsi  reposasmes  par  icelle  nuict,  mais 
je  ne  pouvois  dormir  à  cause  du  sempiternel  brinballement 
des  cloches. 

A  minuict,  Aeditue  nous  esveilla  pour  boire;  luy  mesme 
beut  le  premier,  disant  :  «  Vous  autres  de  l'autre  monde,  dictes 
que  ignorance  est  mère  de  tous  maux,  et  dictes  vray;  mais 
toutesfois  vous  ne  la  bannissez  mie  de  vos  entendemens,  et 
vivez  en  elle,  avec  elle,  par  elle.  C'est  pourquoy  tant  de  maux 
vous  meshaignent  de  jour  en  jour;  tousjours  vous  plaignez, 
tousjours  lamentez,  jamais  n'estes  assouvis.  Je  le  considère 
présentement.  Car  ignorance  vous  tient  icy  au  Uct  liez  comme 
fut  le  dieu  des  batailles  par  l'art  de  Vulcan,  et  n'entendez  que 
le  devoir  vostres  estoit  d'espargner  de  vostre  sommeil,  point 
n'espargner  les  biens  de  ceste  fameuse  Isle.  Nous  debvriez 
avoir  ja  faict  trois  repas,  et  tenez  cela  de  moy  que  pour  man- 
ger les  vivres  de  l'isle  Sonnante  se  faut  lever  bien  matin  :  les 
mangeans,  ils  multiplient;  les  espargnans,  ils  vont  en  dimi- 
nution. Fauchez  le  pré  en  sa  saison,  l'herbe  y  reviendra  plus 
drue,  et  de  meilleure  emploicte;  ne  la  fauschez  point,  en  peu 
d'années  il  ne  sera  tapissé  que  de  mousse.  Beuvons,  amis, 
beuvons  trestous  :  les  plus  maigres  de  nos  oiseaux  chantent 
maintenant  tous  à  nous,  nous  boirons  à  eux  s'il  vous  plaist. 
Beuvons  de  grâce  :  vous  n'en  cracherés  tantost  que  myeulx. 
Beuvons,  une,  deux,  trois,  neuf  fois,  non  zelus,  sed  chantas.  » 

Au  poinct  du  jour  pareillement  nous  esveilla  pour  manger 
souppes  de  prime.  Depuis  ne  fismes  qu'un  repas,  lequel  dura 
tout  le  jour,  et  ne  sçavions  si  c'estoit  disner  ou  soupper, 
gouster  au  regoubilloner.  Seulement  par  forme  d'esbat  nous 
promenasmes  quelques  tours  par  l'isle  pour  veoir  et  ouir  le 
joyeux  chant  de  ces  benoists  oiseaux. 

Au  soir,  Panuige  dist  à  Aeditue  :  «  Seigneur,  ne  vous  des- 
plaise, si  je  vous  raconte  une  histoire  joyeuse,  laquelle  advint 


230  I.UKE    V,     CHAPITRE    \II 

au  pays  de  Chastelleraudois  depuis  vingt  et  trois  lunes.  Le 
pallcfrenier  d'un  gentilhomme  au  mois  d'Avril  pourmenoit  à 
un  matin  ses  grands  chevaux  parmy  les  guerests  :  là  rencontra 
une  gaye  bergère,  laquelle  à  l'ombre  d'un  buissonnet  ses  bre- 
blettes  garduit,  ensemble  un  asne  et  quelque  chèvre.  Devisant 
avec  elle,  luy  persuada  monter  derrière  luy  en  crouppe,  visiter 
son  escurie,  et  là  faire  un  tronçon  de  bonne  chère  à  la  rusti- 
que. Durant  leur  propos  et  demeure,  le  cheval  s'adressa  à  l'asne 
et  luy  dist  en  l'aureille  (car  les  bestes  parlèrent  toute  celle 
année  en  divers  lieux)  :  «  Pauvre  et  chetif  baudet,  j'ay  de  toy 
pitié  et  compassion.  Tu  travailles  journellement  beaucoup,. 
je  l'apperçoy  à  l'usure  de  ton  bas-cul  :  c'est  bien  faict,  puis- 
que Dieu  t'a  créé  pour  le  service  des  humains.  Tu  es  baudet 
de  bien.  Mais  n'estre  autrement  torchonné.  estrillé,  phalerc 
et  alimenté  que  je  te  vois,  cela  me  semble  un  peu  tyrannique, 
et  hors  les  metes  de  raison.  Tu  es  tout  herissonné,  tout  halle- 
brené,  tout  lanterné,  et  ne  manges  icy  que  joncs,  espines  et 
durs  chardons.  C'est  pourquoy  je  te  semonds,  baudet,  ton 
petit  pas  avec  moy  venir,  et  veoir  comment  nous  autres,  que 
nature  a  produits  pour  la  guerre  sommes  traittez  et  nourris. 
Ce  ne  sera  sans  toy  ressentir  de  mon  ordinaire.  —  Vrayement, 
respondit  l'asne,  j'iray  bien  volontiers,  monsieur  le  cheval.  — • 
Il  y  a,  dist  le  roussin,  bien  monsieur  le  roussin  pour  toy,  bau- 
det. —  Pardonnez  moy,  respondit  l'asne,  monsieur  le  roussin; 
ainsi  sommes  en  nostre  langage  incorrects  et  mal  apprins, 
nous  autres  villageois  et  rustiques.  A  propos,  je  vous  obéiray 
volontiers  et  de  loing  vous  suyvray,  de  peur  des  coups  (j'en  aj'^ 
la  peau  toute  contrepointée) ,  puis  que  vous  plaist  me  faire 
tant  de  bien  et  d'honneur.  » 

«  La  bergère  montée,  l'asne  suivoit  le  cheval,  eu  ferme  déli- 
bération de  bien  repaistre  advenans  au  logis.  Le  pallefrenier 
l'apperceut,  et  commanda  aux  garçons  d'estable  le  traiter  à  la 
fourche,  et  l'esrener  à  coups  de  bastons.  L'asne,  entendant 
ce  propos,  se  recommanda  au  Dieu  Neptune,  et  commençoit 


PANTAGRUEL  23I 

à  escamper  du  lieu  à  grande  erre,  pensant  en  soy  mesme,  et 
syllogisant  :  «  Il  dict  bien  :  aussi  n'est  ce  mon  estât  de  suyvre 
les  cours  des  gros  seigneurs;  nature  ne  m'a  produit  que  pour 
l'aide  des  pauvres  gens,  ^sope  m'en  avoit  bien  adverty  par 
un  sien  apoloigue;  ce  a  esté  outrecuidance  à  moy  :  remède 
n'y  a  que  d'escaraper  de  hait,  je  dis  plus  tost  que  ne  sont 
cuictes  asperges.  »  Et  l'asne  au  trot,  à  pets,  à  bonds,  à  ruades, 
au  gallot,  à  pétarades. 

«  La  bergère,  voyant  l'asne  desloger,  dist  au  pallefrenier 
qu'il  estoit  sien,  et  pria  qu'il  fust  bien  traité,  autrement  elle 
vouloit  partir,  sans  plus  avant  entrer.  Lors  commanda  le 
pallefrenier  que  plus  tost  les  chevaux  n'eussent  de  huit  jours 
avoine  que  l'asne  n'en  eust  tout  son  saoul.  Le  pis  fut  de  le 
révoquer,  car  les  garçons  l'avoient  beau  flatter,  et  l'appeler  : 
«  Truunc,  truunc,  baudet,  ça.  —  Je  n'y  vois  pas,  disoit  l'asne 
je  suis  honteux.  »  Plus  amiablement  l'appeloient,  plus  rude- 
ment s'escarmouchoit  il,  et  à  sault  et  à  pétarades.  Ils  y  fus- 
sent encores,  ne  fust  la  bergère  qui  les  advertit  cribler  avoine 
hault  en  l'air  en  l'appeUant;  ce  que  fut  faist.  Soudain  l'asne 
tourna  visage,  disant  :  «  Avoine,  bien,  adveniat  ;  non  la  forche  ; 
je  ne  dis  :  qui  me  dit,  passe  sans  flux.  »  Ainsi  à  eux  se  rendit, 
chantant  mélodieusement,  comme  vous  sçavez  que  faict 
bon  ouïr  la  voix  et  musique  de  ces  bestes  Archadiques. 

«  Arrivé  qu'il  fut,  on  le  mena  en  l'estable  près  du  grand 
cheval,  fut  froté,  torchonné,  estrillé,  litière  fresche  jusqu'au 
ventre,  plain  râtelier  de  foin,  plaine  mangeoire  d'avoine, 
laquelle,  quand  les  garsons  d'estable  cribloient,  il  leur  chau- 
voit  des  aureilles,  leur  signifiant  qu'il  ne  la  mangeroit  que 
trop  sans  cribler,  et  que  tant  d'honneur  en  luy  appayrtenoit. 

«  Quand  ils  eurent  bien  repeu,  le  cheval  interroguoit  l'asne, 
disant  :  Et  puis,  pauvre  baudet,  et  comment  t'en  va?  Que  te 
semble  de  ce  traitement?  Encores  n'y  voulois  tu  pas  venir. 
Qu'en  dis  tu?  —  Par  la  figue,  respondit  l'asne,  laquelle  un  de 
nos  ancestres  mangeant,  mourut  Philemon  à  force  de  rire, 


232  LIVRE    V,     CHAPITRE    VII 

voicy  basme,  monsieur  le  roussin.  Mais  quoy,  ce  n'est  que 
demie  chère?  Baudouynez  vous  rien  céans,  vous  autres 
messieurs  les  chevaux?  —  Quel  baudouynage  me  dis  tu, 
baudet?  demandoit  le  cheval;  tes  maies  avivres,  baudet,  me 
prens  tu  pour  un  asne?  —  Ha,  ha,  respondit  l'asne,  je  suis  un 
peu  dur  pour  apprendre  le  langage  courtisan  des  chevaux.  Je 
demande  :  Roussinez  vous  point  céans,  vous  autres,  messieurs 
les  roussins?  —  Parle  bas,  baudet,  dist  le  cheval,  car  si  les 
garçons  t'entendent,  à  grands  coups  de  fourche  ils  te  pelaude- 
ront  si  dru  qu'il  ne  te  prendra  volonté  de  baudouyner.  Nous 
n'osons  céans  seulement  roidir  le  bout,  voire  fust  ce  pour 
uriner,  de  peur  des  coups  :  du  reste  aises  comme  roys.  —  Par 
l'aube  du  bas  que  je  porte,  dist  l'asne,  je  te  renonce,  et  dis  fy 
de  ta  htiere,  fy  de  ton  foin,  et  fy  de  ton  avoine  :  vive  les  char- 
dons des  champs,  puisqu'à  plaisir  on  y  roussine;  manger 
moins,  et  tousjours  roussin er  son  coup  est  ma  devise  :  de  ce 
nous  autres  faisons  foin  et  pitance.  O  monsieur  le  roussin, 
mon  amy,  si  tu  nous  avois  veu  en  foires  quand  nous  tenons 
nostre  chapitre  provincial,  comment  nous  baudouynons  à 
gogo  pendant  que  nos  maistresses  vendent  lem-s  oisons  et 
poussins  !  »  Telle  fut  leur  départie.  J'ay  dit.  » 

A  tant  se  te  ut  Panurge,  et  plus  mot  ne  sonnoic.  Pantagruel 
Tadmonestoit  conclure  le  propos.  Mais  Aeditue  respondit  :  «  A 
bon  entendeur  ne  fault  qu'une  parolle.  J'entends  tresbien 
ce  que  par  cest  apologue  de  l'asne  et  du  cheval  voudriez  dire 
et  inférer,  mais  vous  estes  honteux.  Sachez  qu'icy  n'y  a  rien 
pour  vous;  n'en  parlez  plus.  —  Si  ay  je,  dist  Panurge,  n'ague- 
res  icy  veu  une  Abbegesse  à  blanc  plumage,  laquelle  mieux 
vaudroit  chevaucher  que  mener  en  main.  Et  si  les  autres 
sont  dames  oiseaux,  elle  me  sembleroit  dame  oiselle.  Je  dis 
cointe  et  joUe,  bien  valant  un  péché  ou  deux.  Dieu  me  le  par- 
doint,  partant  je  n'y  pensois  point  en  mal  :  le  mal  que  j'y 
pense  me  puisse  soudain  advenir  !  » 


PANTAGRUEL  233 


CHAPITRE  VIII 


COMMENT   NOUS   FUT    MONSTRE    PAPEGAUT  A   GRANDE   DIFFICULTÉ 


Le  tiers  jour  continua  en  festins  et  mesmes  banquets  que 
les  deux  précédents.  Auquel  jour  Pantagruel  requeroit  ins- 
tamment veoir  Papegaut;  mais  Aeditue  respondit  qu'il  ne  se 
laissoit  ainsi  facilement  veoir.  «  Comment,  dist  Pantagruel, 
il  a  l'armet  de  Pluton  en  teste,  l'anneau  de  Gyges  es  griffes,  ou 
un  caméléon  en  sein,  pour  se  rendre  invisible  au  monde?  — 
Non,  respondit  Aeditue,  mais  il  par  nature  est  a  veoir  un  peu 
dififi-cUe.  Je  donneray  toutesfois  ordre  que  le  puissiez  veoir,  si 
faire  se  peut.  »  Ce  mot  achevé,  nous  laissa  au  lieu  grignotans. 
Un  quart  d'heure  après  retourné,  nous  dist  Papegaut  estre 
pour  ceste  heure  visible  :  et  nous  mena  en  tapinois  et  silence 
droit  à  la  cage  en  laquelle  il  estoit  acroué,  accompagné  de 
deux  petits  Cardingaux,  et  de  six  gros  et  gras  Evesgaux. 
Panurge  curieusement  considéra  sa  forme,  ses  gestes,  son 
maintien.  Puis  s'escria  à  haute  voix,  disant  :  «  En  mal-an  soit 
la  beste  !  il  semble  une  duppe.  — •  Parlez  bas,  dist  Aeditue,  de 
par  Dieu,  il  a  aureilles,  comme  sagement  nota  Michael  de 
Matiscones.  —  Si  a  bien  une  duppe,  dist  Panurge.  —  Si  une 
fois  il  vous  entend  ainsi  blasphemans,  vous  estes  perdus, 
bonnes  gens  :  voyez  vous  là  dedans  sa  cage  un  bassin?  D'ice- 
luy  sortira  foudre,  tonnoire,  esclairs,  diables  et  tempeste,  par 
lesquels  en  un  moment  serez  cent  pieds  souz  terre  abismez.  — 
IVIieux  seroit,  dist  frère  Jehan,  boire  et  banqueter.  »  Panurge 
restoit  en  contemplation  véhémente  de  Papegaut  et  de  sa 
compagnie,  quand  il  apperceut  au  dessouz  de  sa  cage  une 
chevêche;  adonc  se  escria,  disant  :  «  Par  la  vertu  Dieu,  nous 
sommes  icy  bien  pippez  à  plaines  pippes,  et  mal  equippez.  Il 


234  LIVRE    V,     CHAPITRE    XIII 

y  a,  par  Dieu,  de  la  pipperie,  fripperie  et  ripperie  tant  et  plus 
en  ce  manoir.  Regardez  là  ceste  chevêche,  nous  sommes  par 
Dieu  assassinez.  —  Parlez  bas,  de  par  Dieu,  dist  Aeditue;  ce 
n'est  mie  une  chevêche  :  il  est  masle,  c'est  un  noble  chevechier. 
—  Mais,  dist  Pantagruel,  faites  nous  icy  quelque  peu  Pape- 
gaut  chanter,  afin  qu'oyons  son  armonie.  —  Il  ne  chante,  res- 
pondit  Aeditue  qu'à  ses  jours,  et  ne  mange  qu'à  ses  heures.  — 
Non  fay  je,  dist  Panurge,  mais  toutes  les  heures  sont  miennes. 
Allons  donc  boire  d'autant.  —  Vous,  dist  Aeditue,  parlez 
à  ceste  heure  correct  :  ainsi  parlans  jamais  ne  serez  hérétique. 
Allons,  j'en  suis  d'opinion.  »  Retournans  à  la  beuverie,  apper- 
çeusmes  un  \'ieil  Evesgaut  à  teste  verde,  lequel  estoit  acroué, 
accompagné  d'un  soufûegan  et  trois  Onocrotales,  oiseaux 
joyeux,  et  ronfioit  sous  une  fueillade.  Prés  luy  estoit  une  joUe 
Abbegesse,  laquelle  joyeusement  chantoit,  et  y  prenions  plai- 
sir si  grand  que  desirions  tous  nos  membres  en  aureilles  con- 
vertis pour  rien  ne  perdre  de  son  chant,  et  du  tout,  sans  ail- 
leurs estre  distraicts,  y  vaquer,  Panurge  dist  :  «  Ceste  belle 
Abbegesse  se  rompt  la  teste  à  force  de  chanter,  et  ce  gros  vil- 
lain  Evesgault  ronfle  ce  pendant.  Je  le  feray  bien  tantost 
chanter  de  par  le  diable.  »  Lors  sonna  une  cloche  pendante 
sus  sa  cage  ;  mais  quelque  snonerie  qu'il  fist,  plus  fort  ronfioit 
Evesgaut,  point  ne  chantoit.  «  Par  Dieu,  dist  Panurge,  vieille 
buze,  par  moyen  autre  bien  chanter  je  vous  feray.  » 

Adoncques  print  une  grosse  pierre,  le  voulant  ferir  par  la 
moitié.  Mais  Aeditue  s'escria,  disant  :  «  Homme  de  bien,  frap- 
pe, feriê,  tue  et  meurtris  tous  Roys  et  princes  du  monde,  en 
trahison,  par  venin  ou  autiement,  quand  tu  voudras;  déni- 
ches des  cieulx  les  anges,  de  tout  auras  pardon  du  Papegaut  : 
à  ces  sacrez  oiseaux  ne  touche,  d'autant  qu'aymes  la  vie,  le 
profit,  le  bien,  tant  de  toy  que  de  tes  parens  et  amis  vifs  et 
trépassez  ;  encores  ceux  qui  d'eux  après  naistroient  en  senti- 
roient  infortunez.  Considère  bien  ce  bassin.  —  Mieux  donc- 
ques  vault,  dist  Panurge,  boire  d'autant  et  banqueter.  —  Il 


l^ANTAGRUEL  235 

dist  bien,  monsieur  Aiititus,  dist  frère  Jehan  :  cy  voyans  ces 
diables  d'oiseaux,  ne  faisons  que  blasphémer;  vuydant  vos 
bouteilles  et  potz,  ne  faisons  que  Dieu  louer.  Allons  donc  boire 
d'autant.  O  le  beau  mot  !  » 

Le  troisième  jour,  après  boire  (comme  entendez) ,  nous  donna 
Aeditue  congé.  Nous  luy  fismes  présent  d'un  beau  petit 
Cousteau  perguois,  lequel  il  print  plus  à  gré  que  ne  fit  Artaxer- 
xes  le  voirre  d'eauë  froide  que  luy  présenta  un  païsant.  Et 
nous  remercia  courtoisement  :  envoya  en  nos  navires  refres- 
chissement  de  toutes  munitions  :  nous  souhaita  bon  voyage 
et  venir  à  sauvement  de  nos  personnes  et  fin  de  nos  entre- 
prinses,  et  nous  fist  promettre  et  jurer  par  Jupiter  Pierre,  que 
nostre  retour  seroit  par  son  territoire.  En  fin  nous  dist  : 
«  Amis,  vous  notterez  que  par  le  monde  y  a  beaucoup  plus  de 
couillons  que  d'hommes,  et  de  ce  vous  souvienne.  » 


CHAPITRE  IX 

COMMENT     DESCENDISMES     EN     L'ISLE     DES     FERREMENS 

Nous  estans  bien  à  poinct  sabourez  l'estomach,  eusmes 
vent  en  pouppe  :  et  fut  levé  nostre  grand  artemon,  dont  ad- 
vint qu'en  moins  de  deux  jours  arrivasmes  en  l'Isle  des  Ferre- 
mens,  déserte,  et  de  nul  habitée;  et  veismes  gi-and  nombre 
d'arbres  portans  marroches,  piochons,  serfouettes,  faux,  fau- 
ciles,  bêches,  truelles,  congnees,  serpes,  scies,  doloueres, 
forces,  scizeaux,  tenailles,  pelles,  \drolets  et  vibrequins. 

Aultres  portoient  daguenets,  poignards,  sangdedez,  gani- 
vets,  poinssons,  espées,  verduns,  braquemarts,  simeterres, 
estocs,  raillons  et  coùsteaux. 

Quiconque  en  vouloit  avoir,  ne  falloit  que  crousler  l'arbre  : 
soudain  tomboient  comme  prunes;  d'avantage,  tombans  en 


236  LIVRE    V,     CHAPITRE    IX 

terre,  rencontroient  une  espèce  d'herbe,  laquelle  on  nommoit 
fourreau,  et  s'engainoient  là  dedans.  A  la  cheute  se  falloit 
bien  garder  qu'ils  ne  tombassent  sus  la  teste,  sus  les  pieds,  ou 
aultres  parties  du  corps  :  car  ils  tomboient  de  poincte,  c'estoit 
pour  droit  engainer,  et  eussent  affollé  la  personne.  Dessouz 
ne  sçay  quels  autres  arbres,  je  vis  certaines  espèces  d'herbes, 
lesquelles  croissoient  comme  piques,  lances,  javelines,  haie- 
bardes,  vouges,  pertuisanes,  rançons,  fourches,  espieux, 
croissantes  haut,  ainsi  qu'elles  touchoient  à  l'arbre,  rencon- 
troient leurs  fers  et  allumelles,  chascune  competante  à  sa 
sorte.  Les  arbres  supérieures  ja  les  av oient  apprestees  à  leur 
venue  et  croissance,  comme  vous  apprestez  les  robes  des 
petits  enfans  quand  les  voulez  desmailloter.  Plus  y  a,  afin 
que  désormais  n'abhorrez  l'opinion  de  Platon,  Anaxagoras 
et  Democritus  (furent  ils  petits  philosophes?),  ces  arbres  nous 
sembloient  animaux  terrestres,  non  en  ce  différentes  des 
bestes  qu'elles  n'eussent  cuir,  graisse,  chair,  veines,  artères, 
liguamens,  nerfs,  cartilages,  adenes,  os,  moelle,  humeurs, 
matrices,  cerveau  et  articulations  congneues,  car  elles  en 
ont,  comme  bien  déduit  Theophraste;  mais  en  ce  qu'elles 
ont  la  teste,  c'est  le  tronc,  en  bas;  les  cheveux,  ce  sont  les 
racines,  en  terre;  et  les  pieds,  ce  sont  les  rameaux,  contre- 
mont  :  comme  si  un  homme  faisoit  le  chesne  fourchu. 

Et  ainsi  comme  vous,  veroUez,  de  loin  à  vos  jambes  ischia- 
tiques  et  à  vos  omoplates  sentez  la  venue  des  pluyes,  des 
vents,  du  serain,  tout  changement  de  temps  :  aussi  à  leurs 
racines  candices  gommes,  medulles,  elles  pressentent  quelle 
sorte  de  baston  dessouz  elles  croist,  et  leur  préparent  fers  et 
allumelles  convenantes.  Vray  est  qu'en  toutes  choses  (Dieu 
excepté)  advient  quelquefois  erreur.  Nature  mesme  n'en  est 
exempte  quand  elle  produit  choses  monstrueuses  et  animaux 
difiormes.  Pareillement  en  ces  arbres  je  notay  quelque  faute  : 
car  une  demye  pique  croissante  haute  en  l'air  souz  ces  arbres 
ferrementiportes,  en  touchant  les  rameaux,  en  heu  de  fer 


PANTAGRUEL  237 

rencontra  un  ballay  :  bien,  ce  sera  pour  ramonner  la  cheminée. 
Une  pertuizane  rencontra  des  cizailles  ;  tout  est  bon  :  ce  sera 
pour  oster  les  chenilles  des  jardins.  Une  hampe  de  hallebarde 
rencontra  le  fer  d'une  laux,  et  sembloit  hermaphrodite;  c'est 
tout  un  :  ce  sera  pour  quelque  faucheur.  C'est  belle  chose 
croire  en  Dieu  !  Nous  retournans  à  nos  navires,  je  vis  derrière 
je  ne  sçay  quel  buysson,  je  ne  sçay  quelles  gens  faisans  je  ne 
sçay  quoy,  et  je  ne  sçay  comment,  aiguisans  je  ne  sçay  quel 
ferremens,  qu'ils  avoient  je  ne  sçay  où,  et  ne  sçay  en  quelle 
manière. 


CHAPITRE  X 

COMMENT    PANTAGRUEL    ARRIVA    EN    L'ISLE     DE     CASSADE 


Delaissans  l'isle  des  Ferremens,  continuasmes  nostre 
chemin;  le  jour  ensuyvant  entrasmes  en  l'isle  de  Cassade 
vraye  Idée  de  Fontainebleau  :  car  la  terre  y  est  si  maigre  que 
les  os  (ce  sont  rocs)  luy  persent  la  peau  :  areneuse,  stérile,  mal 
saine  et  mal  plaisante.  Là  nous  monstra  nostre  pilot  deux 
petits  rochers  carrez  à  huit  esgalles  poinctes  en  cube,  lesquels 
à  l'apparence  de  leur  blanchem:  me  sembloient  estre  d'al- 
bastre,  ou  bien  couverts  de  neige;  mais  il  nous  les  asseura 
estre  d'osseletz.  En  iceux  disoit  estre  à  six  estages  le  manoir 
noir  de  vingt  diables  de  hazard  tant  redoutez  en  nos  pays, 
dsequels  les  plus  grands  bessons  et  accouplez  il  nommoit 
Senes,  les  plus  petits  Ambezas,  les  atdtres  moyens  Quines, 
Quadernes,  Ternes,  Doubledeux;  les  aultres  il  nommoit  Six  et 
cinq.  Six  et  quatre.  Six  et  trois,  Six  et  deux.  Six  et  as.  Cinq  et 
quatre,  Cinq  et  trois,  et  ainsi  consécutivement.  Lors  je  notay 
que  peu  de  joueurs  sont  par  le  monde  qui  ne  soient  invoca- 
teurs des  diables  :  car  jettans  deux  dez  sus  table,  quant  en 


238  LIVRE    V,     CHAPITRE    X 

dévotion  ils  s'escrient  :  «  Senes,  mon  axay,  »  c'est  le  graxid  dia- 
ble; «  Ambezas.  mon  mignon,  «  c'est  le  petit  diable;  «  Quatre  et 
deux,  mes  enfans  »,  et  ainsi  des  aultres,  ils  invoquent  les  dia- 
bles par  leurs  noms  et  surnoms.  Et  non  seulement  les  invo- 
q\ient,  mais  d'iceux  se  disent  amis  et  familiers.  Vray  est  que 
ces  diables  ne  viennent  tousjours  à  souhait  sus  l'instant;  mais 
en  ce  sont  ils  excusables.  Ils  estoient  ailleurs  selon  la  dactc 
et  priorité  des  inovquans.  Partant  ne  faut  dire  qu'ils  n'ayent 
sens  et  aureilles.  Ils  en  ont,  je  vous  dy  belles. 

Puis  nous  dist  qu'autour  et  à  bord  de  ces  rochers  carrez  plus 
a  esté  faict  de  brix,  de  naufrages,  de  pertes  de  vies  et  de  biens, 
qu'autour  de  toutes  les  Syrtes,  Caribdes,  SLraines,  Scylles, 
Strophades  et  goufres  de  toute  la  m.er.  Je  le  creus  facilement, 
me  recordant  que  jadis  entre  les  sages  ^g}-ptiens  Neptune 
estoit  designé  par  le  premier  cube  en  lettres  hieroghfiqucs, 
comme  ApoUo  par  as,  Diane  par  deux,  !Minerve  par  sept,  etc. 
Là  aussi  nous  dist  estre  un  flasque  de  Sang  greal,  chose  divine 
et  à  peu  de  gens  congneue.  Panurge  fist  tant  par  belles  prières 
avec  les  Sindicqs  du  lieu  qu'ils  le  nous  monstrerent;  mais  ce 
fut  avec  plus  de  cérémonies  et  solennité  plus  grande  trois 
fois  qu'on  ne  monstre  à  Florence  les  Pandectes  de  Justinian, 
ne  la  Veronnique  à  Romme.  Je  ne  \'is  onques  tant  de  scen- 
deaux,  tant  de  flambeaux,  de  torches,  de  glimpes,  et  d'agiots. 
Finalement  ce  qui  nous  fust  monstre  estoit  le  visage  d'un 
connin  rosty.  Là  ne  veismes  aultre  chose  mémorable  fors 
Bonne  Mine,  femme  de  Mauvais  Jeu,  et  les  cocques  des  deux 
œufs  jadis  ponnus  et  esclos  par  Leda,  desquels  nasquirent 
Castor  et  Pollux,  frères  d'Helaine  la  belle.  Les  Sindicqs  nous 
en  donnèrent  une  pièce  pour  du  pain.  Au  départir  achetasmes 
une  botte  de  chapeaux  et  bonnets  de  Cassade,  à  la  vente 
desquels  je  me  doubte  que  peu  ferons  de  profit.  Je  croy  qu'à 
l'usage  encores  moins  en  feront  ceux  qui  de  nous  les  achète- 
ront. 


PANTAGRUEL  23g 


CHAPITRE  XI 

COMMENT     NOUS     PASSAMES    LE     GUICHET 
HABITÉ     PAR     GRIPPEMINAUD,     ARCHIDUC     DES     CHATS     FOURREZ 


Quelques  jours  après,  ayans  failly  plusieurs  foys  à  faire 
naufrage,  passasmes  Condemnation,  qui  est  une  aultre  Isle 
toute  déserte  ;  passasmes  aussi  le  Guichet,  auquel  lieu  Panta- 
gruel ne  voulut  descendre,  et  fit  tresbien,  car  nous  y  fusmes 
faits  prisonniers,  et  arrestez  de  faict  par  le  commandement  de 
Grippeminaud,  archiduc  des  Chats  fourrez,  parce  que  quel- 
qu'un de  nostre  bande  voulut  vendre  à  un  serrargent  des 
chapeaux  de  Cassade.  Les  Chats  fourrés  sont  bestes  moult 
horribles  et  espouvantables  :  ils  mangent  les  petits  enfans  et 
paissent  sus  des  pierres  de  marbre.  Advisez,  beuveurs,  s'ils 
ne  devroient  bien  estre  camus.  Ils  ont  le  poil  de  la  peau  non 
hors  sortant,  mais  au  dedans  caché,  et  portent  pour  leur  sym- 
bole et  devise  tous  et  chascun  d'eux  une  gibbeciere  ouverte, 
mais  non  tous  en  une  manière  :  car  aucuns  la  portent  attachée 
au  col  en  escharpe,  aultres  sus  le  cul,  aultres  sus  la  bedaine, 
aultres  sus  le  costé,  et  le  tout  par  raison  et  mistere.  Ont  aussi 
les  griphes  tant  fortes,  longues  et  asserées,  que  rien  ne  leur 
eschappe,  depuis  qu'une  fois  l'ont  mis  entre  leurs  serres.  Et 
se  couvrent  les  testes,  aucuns  de  bonnets  à  quatre  gouttières 
ou  braguettes;  aultres,  de  bonnets  à  revers;  aultres,  de  mor- 
tiers; aultres,  de  caparassons  mortifiez.  Entrans  en  leur  Tapi- 
naudiere,  nous  dist  un  gueux  de  l'hostiere,  auquel  avions 
donné  demy  teston  :  «  Gens  de  bien.  Dieu  vous  doint  de  leans 
bien  tost  en  saulveté  sortir  :  considérez  bien  le  minois  de  ces 
vaillans  piUers,  arboutans  de  justice  Grippeminaudiere.  Et 
notez  que  si  vivez  encore  six  Olympiades  et  l'aage  de  deux 


240  LIVRE    V,     CHAPITRE    XI 

chiens,  vous  verrez  ces  Chats-fourrez  seigneurs  de  toute 
l'Europe,  et  possesseurs  pacifiques  de  tout  le  bien  et  domaine 
qui  est  en  icelle,  si  en  leurs  hoirs,  par  divine  punition,  soub- 
dain  ne  deperissoit  le  bien  et  revenu  par  eux  injustement 
acquis;  tenez-le  d'un  gueux  de  bien.  Parmy  eux  règne  la 
sexte  essence,  moyennant  laquelle  ils  grippent  tout,  dévorent 
tout,  et  concluent  tout.  Ils  bruslent,  escartelent,  décapitent, 
meurdrissent,  emprisonnent,  ruinent  et  minent  tout,  sans 
discrétion  de  bien  et  de  mal.  Car  parmy  eux  vice  est  vertu 
appelle  ;  meschanceté  est  bonté  surnommée  ;  trahison  a  nom 
de  feaulté;  laiTecin  est  dit  liberlaité;  pillerie  est  leur  devise, 
et  par  eux  faicte  est  trouvée  bonne  de  tous  humains,  exceptez 
moy  les  hérétiques;  et  le  tout  font  avec  souveraine  et  irré- 
fragable authoiité.  Pour  sigen  de  mon  pronostic,  adviserez 
que  leans  sont  les  mangeoires  au  dessus  des  rasteUers.  De  ce 
quelque  jour  vous  souvienne.  Et  si  jamais  pestes  au  monde, 
famine,  ou  guerres,  vorages,  catechsmes,  conflagrations, 
mal'heur  adviennent,  ne  les  attribuez,  ne  les  referez  aux  con- 
junctions  des  planettes  maléfiques,  aux  abus  de  la  cour 
Romaine,  aux  tyrannies  des  Roys  et  Princes  terriens,  à  l'im- 
posture des  caphars,  hérétiques,  faux  prophètes,  à  la  mali- 
gnité des  usuriers,  faux  monnoyeurs,  longueurs  de  testons, 
ne  à  l'ignorance,  impudence,  imprudence  des  médecins,  cirur- 
giens,  apoticaires,  ny  à  la  perversité  des  femmes  adultères, 
venefiques,  infanticides  :  attribuez  le  tout  à  l'énorme,  indi- 
cible, incroiable,  inestimable  meschanceté,  laquelle  est  conti- 
nuellement forgée  et  exercée  en  l'officine  des  Chats-fourrez,  et 
n'est  au  monde  congneue,  non  plus  que  la  cabale  des  Juifs  : 
pourtant  n'est  elle  détestée,  corrigée  et  punie,  comme  seroit 
de  raison.  Mais  si  elle  est  quelque  jour  mise  en  évidence,  et 
manifestée  au  peuple,  il  n'est,  et  ne  fut  Orateur  tant  éloquent, 
qui  par  son  art  le  retint,  ne  loy  tant  rigoureuse  et  dracho- 
nique  qui  par  crainte  de  peine  le  gardast;  ne  magistrat  tant 
puissant,  qui  par  force  l'empeschast  de  les  faire  tous  vifs  là 


PANTAGRUEL  24I 

dedans  leur  rabuliere  felonnement  brusler.  Leurs  enfans  pro- 
pres Chats-fourrillons  et  autres  parens  les  auroient  en  horreur 
et  abomination.  C'est  pourquoy  ainsi  que  Hannibal  eut  de 
son  pcre  Amilcar,  souz  solennelle  et  religieuse  adjuration, 
commandement  de  persécuter  les  Romains  tant  qu'il  vivroit, 
aussi  ay  je  de  feu  mon  père  injonction  icy  hors  demeurer, 
attendant  que  là  dedans  tombe  la  fouldre  du  Ciel,  et  en  cendre 
les  réduise,  comme  aultres  Titanes,  prophanes  et  théoma- 
ches,  puisque  les  humains  tant  et  tant  sont  des  corps  endurciz 
que  le  mal  par  iceux  advenu,  advenant  et  à  venir  ne  recor- 
dent, en  sentent,  ne  prevoyent,  ou  le  sentens  n'osent  et  ne 
veulent  ou  ne  peuvent  les  exterminer.  —  Qu'esse  ce  cela?  dist 
Panurge;  ha,  non,  non,  je  n'y  vois  pas,  par  Dieu;  retournons 
Retournons,  dis  je,  de  par  Dieu  : 

Ce  noble  gueux  m'a  plus  fort  estonné 
Que  si  du  Ciel  en  automne  eust  tonné.  » 

Retournans,  trouvasmes  la  porte  fermée  :  et  nous  fut  dict 
que  là  facilement  on  y  entroit  comme  en  Averne  ;  à  issir  estoit 
la  difficulté,  et  que  ne  sortirions  hors  en  manière  que  ce  fust, 
sans  bulletin  et  descharge  de  l'assistance,  par  ceste  seule  rai- 
son qu'on  ne  s'en  va  pas  des  foyres  comme  du  marché,  et 
qu'avions  les  pieds  pouldreux.  Le  pis  fut,  quand  passasmes  le 
Guichet.  Car  nous  f  usmes  présentez,  pour  avoir  nostre  bulletin 
et  descharge,  devant  un  monstre  le  plus  hideux  que  jamais 
fust  descrit.  On  le  nommoit  Grippeminaud.  Je  ne  vous  le 
sçaurois  mieux  comparer  qu'à  Chimère,  ou  à  Sphinx  ou  à 
Cerberus,  ou  bien  au  simulachre  d'Osiris,  ainsi  que  le  fîgu- 
royent  les  .^Egyptiens,  par  trois  testes  ensemble  joinctes  : 
sçavoir  est  d'un  lyon  rugient,  d'un  chien  flattant,  et  d'un 
loup  baislant,  entortillées  d'un  dragon  soy  mordaint  la  queue 
et  de  rayons  scintillans  à  l'entour.  Les  mains  avoit  plaines  de 
sang,  les  griphes  comme  de  harpye,  le  museau  à  bec  de  corbin, 
les  dens  d'un  sanglier  quadrannier,  les  yeux  flamboyans 
T.  II  16 


242  LIVRE    V,    CHAPITRE    XII 

comme  une  gueule  d'enfer,  tout  couveit  de  mortiers  entre- 
lassez de  pillons;  seulement  apparoissoyent  les  griphes.  Le 
siège  d'iceluy  et  de  tous  ses  collatéraux.  Chats  garaniers 
estoit  d'un  long  rattelier  tout  neuf  au  dessus  duquel  par 
forme  de  revers  instablees  estoient  mangeoires  fort  amples  et 
belles,  selon  l'advertissement  du  gueux.  A  l'endroit  du  siège 
principal  estoit  l'image  d'une  vieille  femme,  tenant  en  main 
dextre  un  fourreau  de  faucille,  en  senestre  une  ballance,  et 
portant  bezicles  au  nez.  Les  coupes  de  la  ballance  estoient 
de  deux  gibbescieres  veloutées,  l'une  pleine  de  billon  et  pen- 
dante, i'aultre  vuide  et  longue  eslevée  au  dessus  du  tresbu- 
chet.  Et  suis  d'opinion  que  c' estoit  le  pourtraict  de  justice- 
Grippe-minaudiere,  bien  abhorrente  de  l'institution  des  anti- 
ques Thebains,  qui  eiigeoyent  les  statues  de  leurs  Dicastes  et 
juges  après  leur  mort,  en  or,  en  argent,  en  marbre,  selon  leur 
mérite,  toutes  sans  mains.  Quand  fusmes  devant  luy  présen- 
tez, ne  sçay  quelle  sorte  de  gens,  tous  vestus  de  gibbescieres 
et  de  sacs,  à  grands  lambeaux  d'escritures,  nous  firent  sus 
une  sellette  asseoir.  Panurge  disoit  :  «  Gallefretiers,  mes  amis, 
je  ne  suis  que  trop  bien  ainsi  debout  :  aussi  bien  elle  est  trop 
basse  pour  homme  qui  a  chausses  neufves  et  court  pourpoinct. 
—  Assoyez  vous  là,  respondirent  ils,  et  que  plus  on  ne  voua 
le  die.  La  terre  présentement  s'ouvrira  pour  tous  vifs  vous 
engloutir  si  faillez  à  bien  respondre.  « 


Chapitre  xiî 

Comment  par  grippeminaud  nous  fut  proposé  un  énigme 

Quand  fusmes  assis,  Grippe-minaud,  au  milieu  de  ses  Chats- 
fourrez  nous  dist  en  parolle  furieuse  et  enrouée  :  «  Orçà,  orçà, 
drçà.  (A  boire,  à  boire  ça,  disoit  Panuige  entre  ses  dens.) 


PANTAGRUEL  Î43 

Une  biea  jeuae  et  toute  blondelette 
Conceut  un  fils  ^Ethiopien  sans  père, 
Puis  l'enfanta  sans  douleur  la  tendrettc. 
Quoiqu'il  sortist  connue  faict  la  vipcrc, 
L'ayant  rongé,  en  moult  grand  vitupère, 
Tout  l'un  des  flancs,  pour  son  impatience. 
Depuis  passa  monts  et  vaux  en  fiance. 
Par  l'air  volant,  en  terre  cheminant  ; 
Tant  qu'estonna  l'amy  de  sapience. 
Qui  l'estimoit  estre  humain  animant. 

(i  Or  çà,  respous  moy,  dist  Grippe-minaud,  à  cest  énigme,  et 
nous  resoulz  présentement  que  c'est,  orçà.  —  Or  de  par  Dieu, 
respondis  je,  si  j'avois  Splainx  en  ma  maison,  or  de  par  Dieu, 
comme  l'avoit  Verres,  un  de  vos  précurseurs,  or  de  par  Dieu, 
resouldre  pourroit  l'énigme,  or  de  par  Dieu;  mais  certes  je  n'y 
estois  mie,  et  sois,  or  de  par  Dieu,  innocent  du  faict.  —  Orçà, 
dist  Grippe-minaud,  par  Styx,  puisqu'aultre  chose  ne  veux 
dire,  orçà,  je  te  monstreray,  orçà,  que  meilleur  te  seroit  estre 
tombé  entre  les  pattes  de  Lucifer,  orçà,  et  de  tous  les  diables, 
or-çà,  qu'entre  nos  griphes,  orçà.  Les  vois  tu  bien?  Orçà, 
malautru,  nous  allègues  tu  innocence,  orçà,  comme  chose 
digne  d'eschapper  nos  tortures.  Orçà,  nos  loix  sont  comme 
toille  d'araignes  :  orçà,  les  simples  moucherons  et  petits 
papillons  y  sont  prins;  orçà,  les  gros  taons  malfaisans  les 
rompent,  orçà,  et  passent  à  travers,  orçà.  Semblablement 
nous  ne  cherchons  les  gros  larrons  et  tyrans;  orçà  :  ils  sont 
de  trop  dure  digestion,  orçà,  et  nous  afîolleroient,  orçà.  Vous 
aultres  gentils  innocens,  orçà,  y  serez  bien  innocentés,  orçà  : 
le  grand  diable,  orçà,  vous  chantera  messe,  orçà.  » 

Frère  Jean,  irupatient  de  ce  qu'avoit  déduit  Grippe- 
minaud,  luy  dist  :  —  «  Hau,  monsieur  le  diable  engiponné, 
comment  veux  tu  qu'il  responde  d'un  cas  lequel  il  ignore?  Ne 
te  contentes  tu  de  vérité?  —  Orçà,  dist  Grippe-minaud, 
encores  n'estoit  de  mon  règne  adveneu,  orçà,  qu'icy  personne 
sans  premier  estre  interrogué  parlast,  orçà.  Qui  nous  a  deslié 
ce  fol  enragé  icy?  —  Tu  as  menti,  dist  frère  Jean  sans  les 


244  LIVRE    V,    CHAPITRE    XIII 

lèvres  mouvoir.  —  Orçà,  quand  seras  en  rang  de  respondre, 
orçà,  tu  auras  prou  aSaire,  orçà  mauraut.  —  Tu  as  inenty, 
disoit  frère  Jean  en  silence.  —  Penses  tu  estre  en  la  forest  de 
l'Académie,  orçà,  avec  les  ocieux  veneurs  et  inquisiteurs  de 
vérité?  Orçà,  nous  avons  bien  icy  aultre  chose  à  faire,  orçà  : 
icy  on  respond,  je  dis,  orçà,  orça,  catégoriquement,  de  ce  que 
Ion  ignore.  Orçà,  on  confesse  avoir  faict,  orçà,  ce  qu'on  ne  fit 
onques.  Orçà,  on  proteste  sçavoir  ce  que  jamais  on  n'apprint. 
Orçà,  on  faict  prendre  patience  en  enrageant.  Orçà,  on  plume 
l'oye  sans  la  faire  crier.  Orçà,  tu  parles  sans  procuration, 
orçà,  je  le  voy  bien,  orçà,  tes  fortes  fiebvTes  quartaines,  orçà, 
qui  te  puissent  espouser,  or  çà  !  —  Diables,  s'escria  frère  Jean, 
archidiables,  protodiables,  pantodiables,  tu  donques  veux 
marier  les  moines?  Ho  hu,  ho  hou,  je  te  prens  pour  hérétique.  » 


CHAPITRE  XIII 

COMMENT    PANURGE    EXPOSE    L'ENIGME    DE    GRIPPE-MINAUD 


Grippe-minaud,  faisant  semblant  n'entendre  ce  propos, 
s'adresse  à  Panurge,  disant  :  «  Orçà,  orçà,  orçà,  et  toy,  guo- 
guelu,  n'y  veux  tu  rien  dire?  »  Respondit  Panurge  :  «  Or  de 
par  le  diable  là,  je  voy  clairement  que  la  peste  est  icy  pour 
nous,  or  de  par  le  diable  là,  veu  qu'Innocence  n'y  est  point 
en  seureté,  et  que  le  diable  y  chante  messe,  or  de  par  le  diable 
là.  Je  vous  prie  que  pour  tous  je  la  paye,  or  de  par  le  diable  là, 
et  nous  laisser  aller.  Je  n'en  puis  plus,  or  de  pax  le  diable  là.  — 
Aller  !  dist  Grippe-minaud,  orçà  encores  n'advint  depuis  trois 
cens  ans  en  çà,  orçà,  que  personne  eschappast  de  céans  sans 
y  laisser  du  poil,  orçà,  ou  de  la  peau  le  plus  souvent,  orçà. 
Car,  quoy?  orçà,  ce  seroit  à  dire  que  par  devant  nous  icy 


PANTAGRUEL  245 

seroit  injustement  convenu,  orçà,  et  de  par  nous  injustement 
traité,  orçà.  Malheureux  es  tu  bien,  orçà;  mais  encore  plus  le 
seras,  orçà,  si  ne  responds  à  l'Enigme  proposé.  Orçà,  que  veut 
il  dire,  orçà?  —  C'est,  or  de  par  le  diable  là,  respondit  Pa- 
nurge,  un  cosson  noir  né  d'une  febve  blanche,  or  de  par  le 
diable  là,  par  le  trou  qu'il  avoit  fait  la  rongeant,  or  de  par 
le  diable  là  :  lequel  aucune  fois  voile,  aucune  fois  chemine  ne 
terre,  or  de  par  le  diable  là  :  dont  fut  estimé  de  Pythagoras, 
premier  amateur  de  sapience,  c'est  en  Grec  philosophe,  or  de 
par  le  diable  là,  avoir  d'ailleurs  par  metempsichosie  ame 
humaine  receuë,  or  de  par  le  diable  là.  Si  vous  autres  estiez 
hommes,  or  de  par  le  diable  là,  après  vostre  maie  mort,  selon 
son  opinion,  vos  âmes  entreroient  en  corps  de  cessons,  or  de 
par  le  diable  là  :  car  en  ceste  vie  vous  rongez  et  mangez  tout  ; 
en  l'aultre  vous  rongerez  et  mangerez,  comme  vipères,  les 
costez  propres  de  vos  mères,  or  de  par  le  diable  là. 

—  Cor  Dieu  ,dit  frère  Jean,  de  bien  bon  cœur  je  souhaite- 
rois  que  le  trou  de  mon  cul  devienne  febve,  et  autour  soit  de 
ces  cossons  mangé.  » 

Panurge,  ces  mots  achevez,  jetta  au  milieu  du  parquet  une 
grosse  bourse  de  cuir  pleine  d'escuz  au  soleil.  Au  son  de  la 
bource  commencèrent  tous  les  Chats-fourrez  jouer  des  gri- 
phes,  comme  si  fussent  violons  desmanchés.  Et  tous  s'escrie- 
rent  à  haulte  voix,  disans  :  «  Ce  sont  les  espices  :  le  procès  fut 
bien  bon,  bien  friant  et  bien  espicé.  Ils  sont  gens  de  bien. — 
C'est  or,  dist  Panurge,  je  dis  escus  au  soleil.  —  La  cour,  dit 
Grippe-minaud,  l'entend,  or  bien,  or  bien,  or  bien.  Allez, 
enfans,  or  bien,  et  passez  outre  :  or  bien,  nous  ne  sommes  tant 
diables,  or  bien,  que  sommes  noirs,  or  bien,  or  bien,  or  bien.  » 

Issans  du  Guichet,  fusmes  conduits  jusques  au  port  par 
certains  griphons  de  montagnes.  Avant  entrer  en  nos  navires, 
fusmes  par  iceux  advertis  que  n'eussions  à  chemin  prendre 
sans  premier  avoir  faict  presens  seigneuriaux,  tant  à  la  dame 
Grippe-minaude  qu'à  toutes  les  Chattes-fourrées;  autiement, 


?4^>  T.T','P.F    V,    CHAPITRr    VTV 

avoient  commission  nous  ramener  au  G^uischet.  «  Bren,  rcs- 
pondit  frère  Jean;  nous  icy  à  l'escart  visiterons  le  fond  de  nos 
deniers,  et  donnerons  à  tous  contentement.  —  Mais,  dirent 
les  garsons,  n'oubUez  le  vin  des  pauvres  diables.  — ■  Des 
pauvres  diables,  respondit  frère  Jean,  jamais  n'est  en  oubly 
le  vin,  mais  est  mémorial  en  tous  pays  et  toutes  saisons.  » 


CHAPITRE  XIV 


CÔMMEMt    LES    CHATS-FOURREZ    VIVENT    DE    CORRUPTION 


Ces  parolles  n'estoient  achevées,  quand  frère  Jean  apper- 
ceut  soixante  et  huict  Galleres  et  Frégates  arrivantes  au 
port;  là,  soudain  courut  demander  nouvelles  :  ensemble,  de 
quelle  marchandise  estoient  les  vaisseaux  chargez,  et  vit 
que  tous  chargez  estoient  de  venaison,  levraux,  chappons, 
palombes,  cochons,  chevreaux,  vaneaux,  poullets,  canards, 
alebrans,  oisons,  et  aultres  sortes  de  gibier.  Parmy  aussi 
apperceut  quelques  pièces  de  velours,  de  satin  et  damas. 
Adonques,  interrogea  les  voyagiers  où  et  à  qui  ils  portoient 
ces  frians  morceaux.  Ils  respondirent  que  c'estoit  à  Grippe- 
minaud,  aux  Chats-fourrez  et  Chattes  fourrées. 

«  Comment,  dist  frère  Jean,  appelez  vous  ces  drogues  là?  — ' 
Corruption,  respondirent  les  voyagiers.  —  Ils  donques,  dist 
frère  Jean,  de  corruption  v-ivent,  en  génération  périront.  Par 
la  vertu  Dieu,  c'est  cela  :  leurs  pères  mangèrent  les  bons  gen- 
tils-hommes, qui,  par  raison  de  leur  estât,  s'exerçoient  à  la 
vollerie  et  à  la  chasse  pour  plus  estre  en  temps  de  guerre 
cscorts  et  ja  endurcis  au  travail.  Car  venation  est  comme  un 
simulacre  de  bataille  :  et  onques  n'en  mentit  Xenophon  escri- 
vant  estre  de  la  vénerie,  comme  du  cheval  de  Troye,  yssus 


PANTAGRUEL  247 

tous  bons  chefs  de  guerre.  Je  ne  suis  pas  clerc;  mais  on  me  l'a 
dit,  je  le  croy.  Les  âmes  d'iceux,  selon  l'opinion  de  Grippe- 
minaud,  après  leur  mort  entrent  en  sangliers,  cerfs,  chevreuilz, 
lierons,  perdrix,  et  aultres  tels  an  mieux,  lesquelz  avoient, 
leur  première  vie  durante,  tous] ours  aimez  et  cherchez.  Ores 
ces  Chats-fourrez,  avoir  leurs  chasteaux,  terres,  dommaines, 
possessions,  rentes  et  revenus  destruit  et  dévoré,  encores 
leur  cherchent-ils  le  sang  et  l'ame  en  l'autre  vie.  O  le  gueux 
de  bien  qui  nous  en  donna  advertissement  à  l'enseigne  de  la 
mangoire  instablée  au  dessus  du  râtelier  !  —  Voire  mais,  dist 
Panurge  aux  voyagiers,  on  a  faict  crier,  de  par  le  grand  Roy, 
que  personne  n'eust,  sur  peine  de  la  hart,  prendre  cerfs  ne 
biches,  sanghers  ne  chevreuilz.  —  Il  est  vray,  respondit  un 
pour  tous.  Mais  le  grand  Roy  est  tant  bon  et  tant  bénin  : 
ces  Chats-fourrez  sont  tant  enragez  et  affamez  de  sang  chres« 
tien  que  moins  de  petir  avons  nous  offenceans  le  grand  Roy 
que  d'espoir  n'entretenans  ces  Chats-fourrez  par  telles  cor- 
ruptions; mesmement  que  demain  ]e  Grippe-minaud  marie 
une  sienne  Chatte-fourrée  avec  un  gros  Mitouard,  chat  bien 
fourré.  Au  temps  passé,  on  les  appelloit  Machefoins  ;  mais  las  ! 
ils  n'en  maschent  plus.  Nous,  de  présent,  les  nommons  mache- 
levreaux,  mache-perdrtjt,  mache-becasses,  mache-falsans, 
mache-poullets,  mache-chevreaux,  mache-connils,  mache- 
cochons  :  d'aultres  viandes  ne  sont  alimentez.  —  Bran,  bran, 
dist  frère  Jean  :  l'année  prochaine  on  les  nommera  mache- 
estrons,  mache-foires,  mache-merdes.  Me  voulez  vous  croire? 
—  Ouy  dea,  resopndit  la  brigade.  —  Faisons,  dit-il,  deux 
choses  :  preniierement,  saisissons  nous  de  tout  ce  gibbier  que 
voyez  cy;  aussi  bien  suis-je  fasché  de  saleures  :  elles  m'es- 
chauffent  les  hypocondres.  J'entent  le  bien  payant.  Secon- 
dement, retournons  au  Guischet,  et  mettons  à  sac  tous  ces 
diables  de  Chats-fourrez.  — •  Sans  faute,  dist  Panurge,  je 
n'y  vois  pas  :  je  suis  un  peu  couart  de  ma  nature.  » 


248  LIVRE    V,     CHAPITRE    XV 


CHAPITRE  XV 

COMMENT     FRERE    JEAN     DES     ENTOMMEURES     DELIBERE 
METTRE    A    SAC    LES     CHATS-FOURREZ 


«  Vertus  de  froc,  dist  frère  Jean,  quel  voyage  icy  faisons 
nous?  C'est  un  voyage  de  foirards  :  nous  ne  faisons  que  ves- 
sir,  que  peder,  que  fianter,  que  ravasser,  que  rien  faire.  Cor- 
dieu,  ce  n'est  mon  naturel  :  si  tousjours  quelque  acte  héroïque 
ne  fais,  la  nuict  je  ne  peux  dormir.  Donques  vous  m'avez  en 
compagnon  prins  pour  en  cestuy  voyage  messe  chanter  et 
confesser?  Pasques  de  soles,  le  premier  qui  y  viendra,  il  aura 
en  pénitence  soy  comme  lasche  et  meschant  jecter  au  par- 
fond  de  la  mer,  en  déduction  des  peines  du  purgatoire,  je  dis 
la  teste  la  première.  Qui  a  mis  Hercules  en  bruit  et  renommée 
sempiternelle?  n'esse  que  il,  peregrinant  par  le  monde,  met- 
toit  les  peuples  hors  de  tyrannie,  hors  d'erreur,  de  dangers 
et  angaries?  Il  mettoit  à  mort  tous  les  brigands,  tous  les  mons- 
tres, tous  les  serpens  vénéneux  et  bestes  malfaisantes.  Pour- 
quoy  ne  suyvons  nous  son  exemple,  et  comme  il  faisoit  ne 
faisons  nous  en  toutes  les  contrées  que  passons  ?  Il  deffist  les 
St^^mphahdes,  l'Hydre  de  Leme,  Cacus,  Antheus,  les  Cen- 
taures. Je  ne  suis  pas  clerc,  les  clercs  le  disent.  A  son  imita- 
tion deffaisons  et  mettons  à  sac  ces  Chats  fourrez  :  ce  sont 
tiercelets  de  diables,  et  dehvrons  ce  païs  de  tyrannie.  Je  renie 
Mahon,  si  j'estois  aussi  fort  et  aussi  puissant  qu'il  estoit,  je  ne 
vous  demanderois  n'ayde  ny  conseil.  Ca,  irons  nous?  Je  vous 
asseure  que  facilement  nous  les  occirons,  et  ils  l'endureront 
patiemment  :  je  n'en  doute,  veu  que  de  nous  ont  patiemment 
enduré  des  injures,  plus  que  dix  truyes  ne  boiroient  de lavail- 
les.  Allons  1 


PANTAGRUEL  249 

—  Des  injures,  dis  je,  et  deshonneur  ils  ne  se  soucient, 
pourveu  qu'ils  ayent  escus  en  gibbeciere,  voire  fussent-ils 
tous  breneux  :  et  les  defferions  peult-estre,  comme  Hercules  : 
mais  il  nous  défaut  le  commandement  d'Euristheus  :  et  rien 
plus  pour  ceste  heure,  fors  que  je  souhaitte  parmy  eux  Jupi- 
ter soy  pourmenei  deux  petites  heures  en  telle  forme  que  ja- 
dis visita  Semelé  sa  mye,  mère  première  du  bon  Bacchus. 

—  Dieu,  dist  Panurge,  nous  a  faict  belle  grâce  d'eschapper 
de  leurs  griphes;  je  n'y  retourne  pas,  quant  est  de  moy  :  je 
me  sens  encore  esmeu  et  altéré  de  l'ahan  que  j'y  paty.  Et  y 
fus  grandement  fasché  pour  trois  causes  :  la  première,  pource 
que  j'y  estois  fasché;  la  seconde,  pource  que  j'y  estois  fasché; 
la  tierce,  pource  que  j'y  estois  fasché.  Escoute  icy  de  ton 
oreiUe  dextre,  frère  Jean,  mon  couillon  gauche;  toutes  et 
quantes  fois  que  voudras  aller  à  tous  les  diables,  devant  le 
tribunal  de  Minos,  jEacus,  Rhadamantus  et  Dites,  je  suis 
prest  te  faire  compaignies  indissoluble,  avec  toy  passer  Ache- 
lon,  Styx,  Cocyte,  boire  plain  goedt  du  fleuve  Lethé,  payer 
pour  nous  deux  à  Caron  le  naule  de  sa  barque;  pour  letorner 
au  guichet,  si  de  fortune  veux  retourner,  saisis  toy  d'autre 
compaignie  que  de  la  mienne,  je  n'y  retoumeray  pas  :  ce  mot 
te  soit  une  muraille  d'airain.  Si  par  force  et  violence  ne  suis 
mené,  je  n'en  approcheray,  tant  que  ceste  vie  je  vivray,  en 
plus  que  Calpe  d'Abila.  Ulysses  retourna  il  quérir  son  espée 
en  la  caverne  du  Cyclope?  Ma  dia,  non  :  au  guichet  je  n'ai 
rien  oublie,  je  n'y  retourneray  pas. 

—  O,  dist  frère  Jean,  bon  cœur  et  franc  compagnon  de 
mains  paraUtiques  !  Mais  parlons  un  peu  par  escot,  docteur 
subtil  :  pourquoy  est-ce,  et  qui  vous  meut  leur  jetter  la  bourse 
plaine  d'escus?  en  avons  nous  trop?  n'eust-ce  assez  esté  leur 
jecter  quelques  testons  rognez?  —  Parce,  respondit  Panurge, 
qu'à  tous  périodes  de  propos  Grippe-minaud  ouvroit  sa  gib- 
beciere de  velours,  exclamant  :  Orçà,  orçà,  orçà  !  De  là,  je  prins 
conjecture  comme  pourrions  francs  et  deHvres  eschapper, 


250  l-TVRr    V,     CHAPITRE    XV 

leur  jectant  or  là,  or  là,  de  par  Dieu,  or  là,  de  par  tous  les  dia- 
bles là.  Car  gibbesciere  de  velours  n'est  reliquaire  de  testons, 
ne  menue  monnoie;  c'est  un  réceptacle  d'escus  au  soleil, 
entends  tu,  frère  Jean  mon  petit  couillaud?  Quand  tu  auras 
autant  rousty  comme  j'ay,  et  esté,  comme  j'ay  esté,  rousty, 
tu  parleras  aultre  latin.  Mais  par  leur  injonction,  il  nous  con- 
\'ient  outre  passer.  » 

Les  gallefretiers  tousjours  au  port  attendoient  en  expecta- 
tion  de  quelque  somme  de  deniers.  Et  voyans  que  voulions 
faire  voile,  s'adressèrent  à  frère  Jean,  l'advertissans  qu'outre 
n'eust  à  passer  sans  paier  le  vin  des  appariteurs,  selon  la  taxa- 
tion des  espisses  faictes.  «  Et  sainct  Hurluburlu,  dist  frère 
Jean,  estes  vous  encore  icy,  griphons  de  tous  les  diables?  Ne 
suis  je  icy  assez  fasché  sans  m'importuner  davantage?  Le 
cordieu,  vous  aurez  vostre  vin  à  ces  te  heure,  je  le  vous  pro- 
mets seurement.  »  Lors  desgainant  son  bracqueniart,  sortit 
hors  la  navire,  en  dehberation  de  felonnement  les  occire  ;  mais 
ils  gaignerent  le  grand  gallot,  et  plus  ne  les  apperceusmes. 

Non  pourtant  feusmes  nous  hors  de  fascherie  :  car  aucuns 
de  nos  mariniers,  par  congé  de  Pantagruel,  le  temps  pendant 
qu'estions  devant  Grippe-minaud ,  s'estoient  retirez  en  une 
hostellerie  prés  le  havre  pour  banqueter,  et  soy  quelque  peu 
de  temps  refraichir  :  je  ne  sçay  s'ils  avoient  bien  ou  non  payé 
Tescot,  si  est  ce  qu'une  vieille  hostesse,  voyant  frère  Jean  en 
terre,  luy  faisoit  grande  complainte  présent  un  serrargent 
gendre  d'un  des  Chats-fourrez,  et  deux  records  de  tesmoings. 
Frère  Jean  impatient  de  leurs  discours  et  allégations  de- 
manda :  «  Gallefretiers,  mes  amis,  voulez  vous  diie  en  somme 
que  nos  matelots  ne  sont  gens  de  bien?  Je  maintien  le  con- 
traire; par  Justice  je  le  vous  prouveray  :  c'est  ce  maistre 
bracquemard  icy.  »  Ce  disant,  s'escrimoit  de  son  braquemard. 
Les  paisans  se  meirent  en  fuite  au  trot  :  restoit  seulement  la 
vieille,  laquelle  protestoit  à  frère  Jean  que  ses  matelots  es- 
toient  gens  de  bien;  de  ce  se  complaignoit  qu'ils  n'avoient 


PANTAGRTTFL  25T 

rien  payé  du  lict,  auquel  après  disner  ils  avoient  reposé,  et 
pour  le  lict  demandoit  cinq  sols  tounrois.  «  Vrayement,  res- 
pondit  frère  Jean,  c'est  bon  marché,  ils  sont  ingrats,  et  n'en 
auront  tousjours  à  tel  prix  :  je  le  payeray  volontiers,  mais  je  le 
voudrois  bien  voir.  »  La  vieille  le  mena  au  logis  et  luy  mons- 
tra  le  lict,  et  l'ayant  loué  en  toutes  ses  qualités,  dist  qu'elle 
ne  faisoit  de  l'encherie  si  en  demandoit  cinq  sols.  Frère  Jean 
luy  bailla  cinq  sols  :  puis  avec  son  bracquemard  fendit  la 
coytte  et  coissin  en  deux,  et  par  les  fenestres  mettoit  la  plume 
au  vent,  quand  la  vieille  descendit  criant  à  l'aide,  et  au 
meurtre,  en  s'amusant  à  recueillir  sa  plume.  Frère  Jean,  de 
ce  ne  se  souciant,  emporta  la  couverture,  le  mathelats  et  les 
deux  linceux  en  nostre  nef,  sans  estre  veu  de  personne  :  car 
l'air  estoit  obscurcy  de  plume  comme  de  neige,  et  les  donna  es 
matelots.  Puis  dist  à  Pantagruel  là  les  licts  estre  à  meilleur 
marché  qu'en  Chinonnois,  quoy  qu'y  eussions  les  célèbres 
oyes  de  Pautilé.  Car  pour  le  lict  la  vieille  ne  luy  avoit  demandé 
que  cinq  douzains,  lequel  en  Chinonnois  ne  vaudroit  moins 
de  douze  francs. 

Si  tost  que  frère  Jean  et  les  aultres  de  la  compaignie  f eurent 
dans  la  na\dre,  Pantagruel  feit  voile;  mais  il  s'éleva  un  siroch 
si  véhément  qu'ils  perdirent  routte,  et  quasi  reprenant  les 
erres  du  pays  des  Chats-fourrez,  ils  entrèrent  en  ung  grand 
gouffre  duquel,  la  mer  estant  fort  haute  et  terrible,  ung 
mousse,  qui  estoit  au  haut  du  trinquet,  cria  qu'il  voyoit 
encore  les  fâcheuses  demeures  de  Grippe-minaud  :  dont 
Panurge  forsené  de  paour  s'escrioit  :  «  Patron  mon  amy, 
maugré  les  vents  et  les  vagues,  tourne  bride.  O  mon  amy, 
ne  retournons  point  en  ce  meschant  pays,  où  j'ay  laissé  ma 
bourse.  »  Ainsi  le  vent  les  porta  prés  d'une  isle  à  laquelle 
toutesfois  ils  n'osèrent  aborder  de  prime  face,  et  entrarent  à 
bien  ung  mille  de  là  près  de  grands  rochers. 


252  LIVRE    V,    CHAPITRE    XVI 


CHAPITRE  XVI 

COMMENT   PANTAGRUEL   ARRIVA    EN    l'ISLE   DES    APEDEFTES 

A    LONGS    DOIGTS     ET    MAINS    CROCHUES, 

ET     DES     TERRIBLES     ADVENTURES     ET     MONSTRES     QU'lL     Y     VIT 


Si  tost  que  les  ancres  furent  jectees,  et  le  vaisseau  asseuré, 
l'on  descendit  l'esquif.  Apres  que  le  bon  Pantagruel  eut  fait 
les  prières  et  remercié  le  Seigneur  de  l'avoir  sauvé  et  gardé 
de  si  grand  et  périlleux  danger,  il  entra  et  toute  sa  compagnie 
dedans  l'esquif,  pour  prendre  terre  :  ce  qui  leur  fut  fort  aisé, 
car  la  mer  estant  calme  et  les  vents  baissez,  enp  eu  de  temps 
ils  furent  aux  rochiers.  Comme  ils  eurent  prins  terre,  Episte- 
mon,  qui  admiroit  l'assiette  du  lieu  et  l'estrangeté  des  rochiers 
advisa  quelques  habitans  dudict  pays.  Le  premier  à  qui  il 
s'adressa  estoit  vestu  d'une  robbe  gocourte,  de  couleur  de 
roy,  avoit  le  pourpoinct  de  demy  ostade  à  bas  de  manches  de 
satin,  et  le  haut  estoit  de  chamois,  le  bonnet  à  la  coquarde  : 
homme  d'assez  bonne  façon,  et,  comme  depuis  nous  sçeusmes, 
il  avoit  nom  Guaingnebeaucoup.  Epistemon  luy  demanda 
comme  s'appeloyent  ces  rochiers  et  vallées  si  estranges. 
Guaingnebeaucoup  luy  dist  que  le  pays  des  rochiers  estoit  une 
colonie  tirée  du  pays  de  Procuration,  et  l'appelloyent  les 
Cahiers;  et  qu'au  delà  des  rochiers,  ayans  passé  un  petit 
guay,  nous  trouverions  l'isle  des  Apedeftes.  «  Vertus  des 
Extravagantes,  dist  frère  Jean  !  Et  vous  aultres  gens  de  bien, 
dequoy  vivez  vous  icy  ?  Sçaurions  nous  boire  en  vostre  voirre? 
car  je  ne  vous  voy  aucuns  outils  que  parchemins,  cornets  et 
plumes. 

—  Nous  ne  vivons,  respondit  Guaingnebeaucoup,  que  de 
cela  aussi  :  car  il  faut  que  tous  ceux  qui  ont  afEaire  en  l'isle 


PANTAGRUEL  253 

passent  pax  mes  mains.  —  Pourquoy?  dist  Panurge,  estes 
vous  barbiers,  qu'il  faut  qu'ils  soyent  testonnez.  —  Ouy, 
dist  Guaingnebeaucoup,  quant  aux  testons  de  la  bourse.  — 
Par  Dieu,  dist  Panurge,  vous  n'aurez  de  moy  denier  ny  maille; 
mais  je  vous  prie,  beau  sire,  menez  nous  à  ces  Apedeftes,  car 
nous  venons  du  pays  des  sçavans,  où  je  n'ay  gueres  guain- 
gné.  »  Et  comme  ils  devisoyent,  ils  arrivèrent  en  l'isle  de  Ape- 
deftes :  car  l'eau  uft  tantost  passée.  Pantagruel  fut  en  grande 
admiration  de  la  structure,  de  la  demeure  et  habitation  des 
gens  du  pays  :  car  ils  demourent  en  un  grand  pressouër, 
auquel  on  monte  près  de  cinquante  degrez  ;  et  avant  que  d'en- 
trer au  maistre  pressouër  (car  leans  y  en  a  des  petits,  grands, 
secrets,  moyens,  et  de  toutes  sortes)  vous  passez  par  un  grand 
Peristile,  où  vous  voyez  en  païsage  les  ruines  presque  de 
tout  le  monde,  tant  de  potences  de  grands  larrons,  tant  de 
gibbets,  de  questions,  que  cela  nous  fit  peur.  Voyant  Guain- 
gnebeaucoup que  Pantagruel  s'amusoit  à  cela  :  «  Monsieur, 
dist  il,  allons  plus  avant  :  cecy  n'est  rien.  —  Comment,  dist 
frère  Jean,  ce  n'est  rien.  Par  l'ame  de  ma  braguette  eschauffée, 
Panurge  et  moy  tremblons  de  belle  faim.  J'aymeroys  mieux 
boire  que  veoir  ces  ruines  icy.  —  Venez,  »  dist  Guaingnebeau- 
coup. 

Lors  nous  mena  en  un  petit  pressouër  qui  estoit  caché  sus 
le  derrière,  que  l'on  appelloit  en  langage  de  l'isle,  Pithies.  Là 
ne  demandez  pas  si  maistre  Jean  se  traicta,  et  Panurge  :  car 
saulcisons  de  MiUan,  cocqs  d'Indes,  chappons,  autardes, 
malvoisie,  et  toutes  bonnes  viandes  estoyent  prestes  et  fort 
bien  accoustrees.  Un  petit  boutiller  voyant  que  frère  Jean 
avoit  donné  une  oeillade  amoureuse  sus  une  bouteiUe  qui  es- 
toit  prés  d'un  buffet,  séparée  de  la  trouppe  boutiUique,  dist  à 
Pantagruel  :  a  Monsieur,  je  voy  que  l'un  de  vos  gens  fait  l'a- 
mour à  ceste  bouteille  :  je  vous  supplie  bien  fort  qu'il  n'y  soit 
touché,  car  c'est  pour  Messieurs.  —  Comment,  dist  Panurge, 
il  y  a  donc  des  Messieurs  céans?  Lon  y  vendange  à  ce  que  j« 


254  LIVKli    V,     CHAPlTRii    XVI 

voy.  »  Alors  Guainguebeaucoup  nous  fist  monter,  par  un 
petit  degré  caché,  en  une  chambre  par  laquelle  il  nous  mons- 
tra  les  Messieurs  qui  estoyent  dans  le  grand  pressoucr, 
auquel  il  nous  dist  qu'il  n'estoit  hcite  à  homme  d'y  entrer 
sans  congé,  mais  que  nous  les  voirions  bien  par  ce  petit  goulet 
de  fenestre,  sans  qu'ils  nous  vissent. 

Quand  nous  y  fusmes,  nous  advisasmes  dans  un  grand 
pressouër  vingt  ou  vingtcinq  gros  pendars  à  l'entour  d'un 
grand  bourreau  tout  habillé  de  verd,  qui  s'entreregardoyent, 
ayans  les  mains  longues  comme  jambe  de  grue,  et  les  ongles 
de  deux  pieds  pour  le  moins  :  car  il  leur  est  défendu  de  les 
rongner  jamais,  de  sorte  qu'ils  leur  deviennent  croches  comme 
rançons  ou  rivereaux;  et  sus  l'heure  fut  amenée  une  giosse 
grappe  des  vignes  qu'on  vendange  en  ce  pays  là,  du  plant  de 
l'Extraordinaire,  qui  souvent  pend  à  Eschalats.  Si  tost  que 
la  grappe  fut  là,  ils  la  meiient  au  pressouër  et  n'y  eut  grain 
dont  pas  un  ne  pvessurast  de  l'huyle  d'or  :  tant  que  la  paou^Te 
grappe  fut  ramportée  si  seiche  et  espluchee  qu'il  n'y  avoyt 
plus  ne  just  ne  liqueur  du  monde.  Or,  nous  comptoit  Guain- 
gnebeaucoup,  qu'ils  n'ont  pas  souvent  ces  grosses  grappes  là; 
mais  qu'ils  en  ont  toujours  d'aultres  sus  le  pressouër.  «  Mais, 
mon  compère,  dist  Panurge,  en  ont  ils  de  beaucoup  de  plans? 
—  Ouy,  dist  Guiangnebeaucoup.  Voyez  vous  bien  ceste  là 
petite  que  voyez  qu'on  s'en  va  remettre  au  pressouër?  elle  est 
du  plan  des  Décimes  :  ils  eu  tirèrent  desjà  l'aultre  jour  jus- 
ques  au  piessurage;  mais  l'huyle  sentoit  le  coffre  au  prestre, 
et  Messieurs  n'y  trouvèrent  pas  grands  appigrets.  —  Pour- 
quoy  donc,  dist  Pantagruel,  la  remettent  ils  au  pressouër?  — • 
Pour  veoir,  dist  Guaingnebeaucoup,  s'il  y  a  poinct  quelque 
omission  de  jus  ou  recepte  dedans  le  marc.  — ■  Et  digne  vertu 
Dieu,  dist  frère  Jean,  appeliez  vous  ces  gens  là  ignorans? 
Comment  diable  !  ils  tireroyent  de  l'huyle  d'un  mur.  —  Aussi 
font-ils,  dist  Guaingnebeaucoup  :  car  souvent  ils  mettent  au 
pressouër  des  chasteaux,  des  parcs,  des  forets,  et  de  tout  en 


PANTAGRUEL  25^ 

tirent  l'or  potable.  —  Vous  voulez  dire  portable,  dist  Epis- 
temon.  —  Je  dy  potable,  dist  Guaingnebeaucoup  :  car  l'on 
en  boit  céans  maintes  bouteilles  que  l'on  ne  bevroit  pas.  Il  y 
en  a  de  tant  de  plans  que  Ion  n'en  sçait  le  nombre.  Passez 
jusques  icy,  et  voyez  dans  ce  courtil  :  en  voyla  plus  de  mille 
qui  n'attendent  que  l'heure  de  estre  pressurez.  En  voyla  du 
plan  gênerai;  voyla  du  particulier,  des  fortifications,  des 
emprunts,  des  dons,  des  casuels,  des  dommaines,  des  menuz 
plaisirs,  des  postes,  des  offrandes,  de  la  Maison.  - —  Et  qui 
est  ceste  grosse  là,  à  qui  toutes  ces  petites  sont  à  l'environ?  — ■ 
C'est,  dist  Guaingnebeaucoup,  de  l'Espargne,  qui  est  le  meil- 
leur plan  de  tout  ce  pays.  Quand  on  en  pressure  de  ce  plant, 
siy  moys  après  il  n'y  a  pas  un  des  Messieurs  qui  ne  s'en 
sente.  » 

Quand  ces  messieurs  fuient  levez,  Pantagruel  pria  Guain- 
gnebeaucoup qu'il  nous  menast  en  ce  grand  pressouër  :  ce 
qu'il  fist  volontiers.  Si  tost  que  fusmes  entrez,  Epistemon,  qui 
entendoit  toutes  langues,  commença  à  monstrer  à  Pantagruel 
les  devises  du  pressouër,  qui  estoit  grand,  beau,  faict,  à  ce 
que  nous  dist  Guaingnebeaucoup,  du  bois  de  la  croix  :  car 
sus  chacun  ustencile  estoient  escripts  les  noms  de  chascunc 
chose  en  langue  du  pays.  La  viz  du  pressouër  s'appeloit 
recepte;  la  mets,  despense;  le  crouë,  estât;  le  tesson,  deniers 
comptez  et  non  receus;  les  fûts,  souffrance  ;  les  béliers,  vadie- 
t^lr;  les  jumelles,  recuperetur;  les  cuves,  plus  vallenr ;  les 
ansees,  rooles;  les  foullouaires,  acquits;  les  hottes,  valida- 
tion ;  les  portoueres,  ordonnance  vallable  ;  les  seilles,  le  pouvoir  ; 
l'entonnoir,  le  qiiittus. 

«  Par  la  royne  des  Andouilles,  dist  Panurge,  toutes  les  hiero- 
gliphyques  d'/Egypte  n'approchèrent  jamais  de  ce  jargon. 
Que  diable,  ces  mots  là  rencontrent  de  picques  comme  crottes 
de  chèvre.  Mais  pourquoy,  mon  compère,  mon  amy,  appelle 
ou  ces  gens  icy  ignorans?  —  Par  ce,  dist  Guaingnebeaucoup, 
qu'ils  ne  sont  et  ne  doibvent  nullement  estre  clercs,  et  que 


236  LIVRE    V,     CHAPITRE    XVI 

céans,  par  leur  ordonnance,  tout  se  doibt  manier  par  igno- 
rance, et  n'y  doibt  avoir  raison,  sinon  que  :  Messieurs  l'ont 
dit  :  Messieurs  le  veulent;  Messieurs  l'ont  ordonné.  —  Par  le 
vray  Dieu,  dist  Pantagruel,  puisqu'ils  guaingnent  tant  aux 
grappes  le  serment  leur  peut  beaucoup  valloir.  —  En  doub- 
tez  vous?  dist  Guaingnebeaucoup.  Il  n'est  mois  qu'ils  n'en 
ayent.  Ce  n'est  pas  comme  en  vos  pays,  où  le  serment  ne 
vous  vault  rien  qu'une  fois  l'année.  » 

De  là,  pour  nous  mener  par  mille  petits  pressouërs,  en  sor- 
tant nous  advisasmes  un  aultre  petit  bourreau,  à  l'entour 
duquel  estoyent  quatre  ou  cinq  de  ces  ignorans,  crasseux  et 
choleres  comme  asne  à  qui  Ion  attache  une  fusée  aux  fesses, 
qui,  sus  un  petit  pressouër  qu'ils  avoyent  là,  repassoyent 
encore  le  marc  des  grappes  après  les  aultres  :  Ion  les  appeloit,  en 
langue  du  pays,  Coiirr  acteur  s.  «  Ce  sont  les  plus  rébarbatifs  vil- 
lains  à  les  veoir,  dist  frère  Jean,  que  j'aye  jamais  apperceu.  » 

De  ce  grand  pressouër  nous  passasmes  par  infinis  petits 
pressouërs,  tous  pleins  de  vendangeurs  qui  espluchent  les 
grains  avec  des  ferremens  qu'ils  appellent  articles  de  comptes  : 
et  finablement  arrivasmes  en  une  basse  saUe  où  nous  veismes 
un  grand  dogue  à  deux  testes  de  chien,  venter  de  loup,  griphé 
comme  un  diable  de  Lamballe,  qui  estoit  là  nourry  de  laict 
d'amendes,  et  estoit  ainsi  délicatement  par  l'ordonnance 
de  Messieurs  traicté,  par  ce  qu'il  n'y  avoit  celuy  à  qui  il  ne 
valust  bien  la  rente  d'une  bonne  mestairie;  ils  l'appeloient  en 
langue  d'Ignorance,  Dupple.  Sa  mère  estoit  auprès,  qui 
estoit  de  pareil  poil  et  forme,  hors  mis  qu'elle  avoit  quatre 
testes,  deux  masles  et  deux  femelles,  et  elle  avoit  nom  Qtia- 
druple,  laquelle  estoit  la  plus  furieuse  beste  de  leans,  et  la 
plus  dangereuse  après  sa  grand  mère,  que  nous  veismes  enfer- 
mée en  un  cachot  qu'ils  appeloyent  Omission  de  recepte. 

Frère  Jean,  qui  avoit  tousjours  vingt  aulnes  de  boyaulx 
vuides  pour  avaller  une  saugrenée  d'advocats,  se  commençant 
à  fascher,  pria  Pantagruel  de  penser  du  disner,  et  de  mener 


PANTAGRUEL  257 

avecques  luy  Guaingnebeaucoup  :  de  sorte  qu'en  sortant  de 
leans  par  la  porte  de  derrière,  nous  rencontrasmes  un  vieil 
homme  encheisné,  demy  ignorant  et  demy  sçavant,  comme  un 
Androgyne  de  diable,  qui  estoit  de  lunettes  caparassonné 
comme  une  tortue  d'escailles,  et  ne  vivoit  que  d'une  viande 
qu'ils  appellent  en  leur  -patois  Appellations.  Le  voyant,  Panta- 
gruel demanda  à  Guaingnebeaucoup  de  quelle  race  estoit  ce 
protonotaire,  et  comment  il  s'appeloit.  Guaingnebeaucoup 
nous  compta  comme  de  tout  temps  et  ancienneté  il  estoit 
leans,  au  grand  regret  et  desplaisir  de  Messieurs  enchesnc, 
qui  le  faisoyent  mourir  presque  de  faim,  et  s'appelloit  Revisil. 
«  Par  les  saincts  couillons  du  Pape,  dist  frère  Jean,  voyla  un 
beau  danseur,  et  je  ne  m'esbahis  pas  si  tous  Messieurs  les 
ignorans  d'icy  font  grand  cas  de  ce  papelard  là.  Par  Dieu,  il 
m'est  advis,  amy  Panurge,  si  tu  y  regardes  bien,  qu'il  a  le 
minois  de  Grippe-minaud  :  ceux-cy,  tous  ignorans  qu'ils 
sont,  en  savent  autant  que  les  aultres.  Je  le  renvoyerois  bien 
d'où  il  est  venu,  à  grands  coups  d'anguillade.  —  Par  mes 
lunettes  orientales,  dist  Panurge,  frère  Jean,  mon  amy,  tu 
as  raison  :  car  à  veoir  la  trongne  de  ce  faux  villain  Revisit, 
il  est  encores  plus  ignorant  et  meschant  que  ces  paouvres 
ignorans  icy,  qui  grappent  au  moins  mal  qu'ils  peuvent,  sans 
long  procez,  et  qui,  en  trois  petits  mots,  vendangent  le  clos 
sans  tant  d'interlocutoires  ni  decrotoires,  dont  ces  Chats 
fourrez  en  sont  bien  faschez.  » 


CHAPITRE  XVII 

COMMENT     NOUS     PASSAMES     OUTRE, 
ET     COMMENT     PANURGE     Y     FAILLIT     D'eSTRE     TUÉ 

Sus  l'instant  nous  prinsmes  la  routte  d'Outre,  et  contasmes 
nos  adventures  à  Pantagruel,  qui  en  eut  commisération  bien 
T.  II.  ,7 


258  LIVRE     V,     CHAPITRE     XVII 

grande,  et  en  fit  quelques  élégies  pax  passeteraps.  Là  arrivez, 
nous  refraischismes  un  peu  et  puisasmes  eau  fresche,  prinsmes 
aussi  du  bois  pour  nos  munitions.  Et  nous  sembloient  les 
gens  du  pais  à  leur  pliisionomie  bons  compagnons,  et  de 
bonne  cjiere.  Ils  estoient  tous  outrés  et  tous  pedoient  de 
graisse  :  et  apperceusmes  (ce  que  n'avois  encores  veu  es  aul- 
tres  païs)  qu'ils  dechiquetoicnt  leur  peau  pour  y  faire  bouffer 
la  graisse,  ne  plus  ne  moins  que  les  sallebrenaux  de  ma  patrie 
descouppent  le  hault  de  leurs  chausses  pour  y  faire  bouffer 
le  taffetas.  Et  disoient  ce  ne  faire  pour  gloire  et  ostentation, 
mais  aultrement  ne  pouvoient  en  leur  peau.  Ce  faisant  aussi, 
plus  soudain  devenoient  grands,  comme  les  jardiniers  incisent 
la  peau  des  jeunes  arbres  pour  plustost  les  faire  croistre. 

Prés  le  ha\Te  estoit  un  cabaret  beau  et  magnifique  en  exté- 
rieure apparence,  auquel  accourir  voyans  nombre  grand  de 
peuple  Outré,  de  tous  sexes,  toutes  aages  et  tous  estats,  pen- 
sions que  là  fust  quelque  notable  festin,  et  banquet.  Mais  nous 
fut  dit  qu'ils  estoient  invitez  aux  crevailles  de  l'hoste  et  y 
alloient  en  diligence  proches,  parens  et  alliez.  N'entendans  ce 
jargon,  et  estimans  qu'en  iceluy  pays  le  festin  on  nommast 
crevailles,  comme  deçà  nous  appelons  enfiansailles,  espousail- 
les,  rele vailles,  tondailles,  mestivailles,  fusmes  advertis  que 
l'hoste  en  son  temps  avoit  esté  bon  raillard,  grand  grignoteur, 
beau  mangeur  de  souppes  Lyonnaises,  notable  compteur  de 
horloge,  éternellement  disnant,  comme  l'hoste  de  Rouillac, 
et  ayans  ja  par  dix  ans  pedé  graisse  en  abondance,  estoit  venu 
en  ses  crevailles,  et  selon  l'usage  du  pays  finoit  ses  jours  en 
crevant,  plus  ne  pouvant  le  per^-toine  et  peau  par  tant  d'an- 
nées deschiquetee  clorre  et  retenir  ses  trippes  qu'elles  ne 
effondrassent  par  dehors,  comme  d'un  tonneau  deffoncé.  «  Et 
quoy,  dist  Panurge,  bonnes  gens,  ne  luy  sçauriez  vous  bien 
à  poinct  avecques  bonnes  grosses  sangles  ou  bons  gros  cercles 
de  cormier,  voire  de  fer,  si  besoin  est,  le  ventre  relier?  Ainsi 
lié  ne  jetteroit  si  aissement  ses  fons  hors,  et  si  tost  ne  crevé- 


PANTAGRUEL  259 

roit.  ))  Ceste  parolle  n'estoit  achevée  quand  nous  entend isaies 
en  l'air  un  son  haut  et  strident,  comme  si  quelque  gros  chesne 
esclatoit  en  deux  pièces  :  lors  fut  dit  par  les  voisins  que  les 
crevailles  estoient  faictes,  et  que  cestuy  esclat  estoit  le  ped 
de  la  mort. 

Là  me  souvint  du  vénérable  Abbé  de  Castilliers,  celuy  qui 
ne  daignoit  biscoter  ses  chambrières  nisi  in  Ponlificalibus, 
lequel  importuné  de  ses  parens  et  amis  de  resigner  sus  ses 
vieux  jours  son  Abbaye,  dist  et  protesta  que  point  ne  se  des- 
pouilleroit  devant  soy  coucher,  et  que  le  dernier  ped  que  fer  oit 
sa  paternité  seroit  un  ped  d'Abbé. 


CHAPITRE  XVIII. 

comment   nostre   nauf   fut   encarrée,    et   feusmes   aidez 
d'aucuns  voyagiers   qui  tenoient  de  la   quinte 

Ayans  serpé  nos  ancres  et  gumenes,  feismes  voile  au  doux 
Zephire.  Environ  222  miles,  se  leva  un  furieux  turbillon  de 
vens  divers,  autour  duquel  avec  le  trinquet  et  boulingues 
quelque  peu  temporisasmes,  pour  seulement  n'estre  dicts  mal 
obéissans  au  Pilot,  lequel  nous  asceuroit,  veuë  la  douceur 
d'iceux  vens,  veu  aussi  leur  plaisant  combat,  ensemble  le 
sérénité  de  l'air  et  tranquillité  du  courant  n'estre  ny  en  espoir 
de  grand  bien,  ny  en  crainte  de  grand  mal  ;  partant  à  propos 
nous  estre  la  sentence  du  philosophe,  qui  commandoit  sous- 
tenir  et  abstenir,  c'est  à  dire  temporiser.  Tant  toutesfois 
dura  ce  turbillon  qu'à  nostre  requeste  importune,  le  Pilot 
essaya  le  rompre  et  suivre  nostre  routte  première.  De  faict, 
levant  le  grand  artemon,  et  à  droitte  calamité  du  Boussole 
dressant  le  gouvernail,  rompit,  moyennant  un  rude  cole  sur- 
venant, le  turbillon  susdict.  Mais  ce  fut  en  pareil  de.îConfort, 


26o  LIVRE    V,    CHAPITRE    XVIII 

comme  si  evitans  Charybde,  feussions  tombez  en  Scylle. 
Zar  à  deux  miles  du  lieu  feurent  nos  naufs  encarrées  par-my 
les  arènes,  telles  que  sont  les  Rats  Sainct-Maixant. 

Toute  nostre  chorme  grandement  se  contristoit,  et  force 
vent  à  travers  les  mejanes;  mais  frère  Jean  onques  ne  s'en 
donna  melancholie,  ains  consoloit  maintenant  l'un,  mainte- 
nant l'aultre  par  douces  parolles;  leur  remonstrant  que  de 
brief  aurions  secours  du  Ciel,  et  qu'il  avoit  veu  Castor  sus  le 
bout  des  antennes.  «  Plust  à  Dieu,  dist  Panurge,  estre  à  ceste 
heure  à  terre,  et  rien  plus,  et  que  chascun  de  vous  aultres, 
qui  tant  aimez  la  marine,  eussiez  deux  cens  mille  escus  ;  je 
vous  mettrois  un  veau  en  mue,  et  refraischirois  un  cent  de 
fagots  pour  vostre  retour.  Allez,  je  consens  jamais  ne  me 
marier;  faictes  seulement  que  je  sois  mis  en  terre,  et  que  j'aie 
cheval  pour  m'en  retourner  :  de  valet,  je  me  passeray  bien.  Je 
ne  suis  jamais  si  bien  traité  que  quand  je  suis  sans  valet. 
Plaute  jamais  n'en  mentit  disant  le  nombre  de  nos  croix,  c'est 
à  dire  afflictions,  ennuits.  fascheries,  estre  selon  le  nombre  de 
nos  valets,  voire  fussent-ils  sans  langue,  qui  est  la  partie  plus 
dangereuse  et  maie  qui  soit  à  un  valet,  et  pour  laquelle  seule 
furent  inventées  les  tortures,  questions  et  géhennes  sur  les 
valets  :  ailleurs  non,  combien  que  les  cotteurs  de  Droict  en 
ce  temps,  hors  ce  Royaume,  le  ayent  tiré  à  conséquence  alo- 
gique,  c'est  à  dire  desraisonnable.  » 

En  icelle  heure  vint  vers  nous  droit  aborder  une  navire 
chargée  de  tabourins,  en  laquelle  je  recognu  quelques  passa- 
gers de  bonne  maison,  entre  aultres  Henry  Cotiral,  compai- 
gnon  vieux,  lequel  à  sa  ceinture  un  grand  viet-d'aze  portoit, 
comme  les  femmes  portent  patenostres,  et  en  main  senestre 
tenoit  un  gros,  gras,  vieux  et  salle  bonnet  d'un  taigneux;  en 
sa  dextre  tenoit  un  gros  trou  de  chou.  De  prime  face  qu'il  me 
recognut  s'escria  de  joye,  et  me  dit  :  «  En  ay  je?  voyez  cy 
(monstrant  le  viet  d'aze  le  vray  Algamana  :  cestuy  bonnet 
doctoial  est  nostre  unique  Elixo,  et  cecy  (monstrant  le  trou 


PANTAGRUEL  201 

de  chou)  c'est  Luuaria  major.  Nous  la  ferons  à  vostre  retour. 
—  Mais,  dis  je,  d'où  venez?  où  allez?  qu'apportez?  avec 
senty  la  marine?  »  Il  nie  respond  :  «  De  la  Quinte,  en  Touraine, 
Alchimie,  jusques  au  cul.  —  Et  quels  gens,  di  je,  avez  là  avec 
vous  sus  le  tillac?  Chantres,  respondit  il.  Musiciens,  Poètes, 
Astrologues,  Rimasseurs,  Gémontiens,  Alchimistes,  Horlo- 
giers  :  tous  tiennent  de  la  Quinte;  ils  en  ont  lettres  d'adver- 
tissement  belles  et  amples.  »  Il  n'eut  achevé  ce  mot,  quand 
Panurge,  indigné  et  fasché,  dist  :  «  Vous  donques  qui  faictes 
tout  jusques  au  beau  temps  et  petits  enfans,  pourquoy  icy 
ne  prenez  le  Cap,  et  sans  delay  en  plain  courant  nous  révo- 
quez? —  J'y  allois,  dist  Henry  Cotiral  :  à  ceste  heure,  à  ce 
moment,  présentement  serez  hors  du  fond.  »  Lors  feist  deffon- 
cer  7,532,810  gros  tabourins  d'un  costé,  cestuy  costé  dressa 
vers  le  gaillardet,  et  estroitement  Uerent  en  tous  les  endroits 
les  gumenes;  print  nostre  Cap  en  pouppe,  et  l'attacha  aux 
bitons.  Puis  en  promier  hourt  nous  serpa  des  arènes  avec  faci- 
lité grande,  et  non  sans  esbattement.  Car  le  son  des  tabou- 
rins, adjoint  le  doux  murmur  du  gravier  et  le  celeume  de  la 
Chorme.  nous  rendoient  harmonie  peu  moindre  que  celle  des 
astres  rotans,  laquelle  dit  Platon  avoir  par  quelques  nuicts 
ouye  dormant. 

Nous  abhorrans  d'estre  envers  eux  ingrats  pour  ce  bienfait 
reputez,  leur  départions  de  nos  andouilles,  amplissions  leurs 
tabourins  de  saucisses,  et  tirions  sur  le  tillac  soixante  et  deux 
aires  de  vin,  quand  deux  grans  Physiteres  impétueusement 
abordèrent  leur  nauf,  et  leur  jetterent  dedans  plus  d'eau 
que  n'en  contient  la  Vienne  depuis  Chinon  jusques  à  Saul- 
mur,  et  en  emplirent  tous  leurs  tabourins,  et  mouillèrent 
toutes  leurs  antennes,  et  leur  baignoient  les  chausses  par  le 
collet.  Ce  que  voyant  Panurge,  entra  en  joye  tant  excessive, 
et  tant  exerça  sa  râtelle  qu'il  en  eut  la  cholique  plus  de  deux 
heures.  «  Je  leur  voulois,  dit  il,  donner  leur  vin,  mais  ils  ont 
eu  leur  eau  bien  à  propos.  D'eau  douce  ils  n'ont  cure,  et  ne 


2<>^  LIVRK    V,     eM.M'lrKK    XIX 

s'en  servent  qu"à  lavci"  les  mains.  De  buurach  leur  servira 
ceste  belle  eau  sallee,  de  nitre  et  sel  Ammoniac  en  la  cuisine 
de  Geber.  n  Aultre  propos  ne  nous  fut  loisible  avec  eux  tenir  : 
le  tourbillon  premier  nous  tolUssant  liberté  de  timon.  Et  nous 
pria  le  Pilot  que  le  laississions  d'orenavant  la  nauf  guider, 
sans  d'aultre  chose  nous  empescher  que  de  faire  chère  lie  :  et 
pour  l'heure  nous  convenoit  costoyer  cestuy  tourbillon  et 
obtempérer  au  courant,  si  sans  danger  voulions  au  royaume 
de  la  Quinte  parvenir. 


CHAPITRE  XIX 

COM.MtNT     NOUS     ARRIVASMES 
AU     ROYAUME     DE     LA     QUINTE     ESSENCE,     NOMMÉE     ENTELECHIE 


Ayans  prudemment  coustoyé  le  turbillon  par  l'espace  d'un 
demy  jour,  au  troisième  suivant  nous  sembla  l'air  plus  serain 
que  de  coustume,  et  en  bon  sauvement  descendismes  au  port 
de  Matheothecnie,  peu  distant  du  palais  de  la  Quinte  Essence. 
Descendans  au  port  trouvasmes  en  barbe  grand  nombre  d'ar- 
chiers  et  gens  de  guerre,  lesquels  gardoient  l'Arsenac  :  de 
prime  arrivée,  ils  nous  feisrent  quasi  peur,  car  ils  nous  feisrent 
à  tous  laisser  nos  armes,  et  roguement  nous  interroguerent, 
disans  :  «  Compares,  de  quel  pais  est  la  venue?  —  Cousins, 
respondit  Panurge,  nous  sommes  Tourengeaux.  Ores  venons 
de  France,  convoiteux  de  faire  révérence  à  la  dame  Quinte 
Essence,  et  visiter  ce  trescelebre  royaume  d'Entelechie. 

— •  Que  dictes  vous?  interrogunt  ils;  dictes  vous  Entele- 
chie,  ou  Endelechie?  —  Beaux  cousins,  respondit  Panurge, 
nous  sommes  gens  simples  et  idiots,  excusez  la  rusticité  de 
nostre  langage,  car  au  demeurant  les  cœurs  sont  francs  et 
lovaux.  —  Sans  cause,  dirent  ils.  nous  ne  vous  avons  sus  ce 


PANTAGRUEL  263 

différent  interrogez  :  car  grand  nombre  d'aultres  ont  icy  passé 
de  vostre  pays  de  Touraine,  lesquels  nous  sembloient  boiis 
lourdaux,  et  parloient  correct;  mais  d'aultres  païs  sont  icy 
venus,  ne  sçavons  quels  outrecuidez,  fiers  comme  Escossois, 
qui  contre  nous  à  l'entrée  vouloient  obstinément  contester  : 
ils  ont  esté  bien  frottez,  quoy  qu'ils  montrassent  visaige 
rubarbatif.  En  vostre  monde  avez  vous  si  grande  superfluité 
de  temps  que  ne  sçavez  en  quoy  l'employer,  fors  ainsi  de 
nostre  dame  Royne  parler,  disputer,  et  impudentement 
escrire?  Il  estoit  bien  besoin  que  Ciceron  abandonnast  sa 
Republique  poui  s'en  empescher,  et  Diogenes  Laërtius,  et 
Theodorus  Gaza,  et  Argyiopile,  et  Bessarion,  et  Politian,  et 
Bude,  et  Lascaris,  et  tous  les  diables  de  sages  fols  :  le  nombre 
desquels  n' estoit  assez  grand,  s'il  n'eust  esté  récente  ment 
accreu  par  Scaliger,  Brigot,  Chambrier,  François  Fleurv,  et  ne 
sçay  quels  autres  tels  jeunes  haires  esmouchetez.  Leur  maie 
angine,  qui  leur  suffocast  le  gorgeron  avec  l'epiglotide  !  Nous 
les...  —  Mais  quoy,  diantre,  ils  flattent  les  diables,  disoit 
Panurge  entre  les  dens.  —  Vous  icy  n'estes  venus  pour  en  leur 
folie  les  soustenir,  et  de  ce  n'avez  procuration  :  plus  aussi 
d'iceux  ne  vous  parlerons.  Aristoteles,  prime,  homme,  et 
paragon  de  toute  philosophie,  fut  parrin  de  nostre  dame 
Royne  :  il  tresbien  et  proprement  la  nomma  Entelechie.  Ente- 
lechie  est  son  vray  nom  :  s'aille  cliier,  qui  aultrement  la 
nottime  !  Oui  aultrement  la  nomme,  erre  par  tout  le  Ciel. 
Vous  soyez  les  tresbien  venus.  » 

Nous  présentèrent  l'acolade;  nous  en  feusmes  tous  rejouys. 
Panurge  me  dist  en  l'aureille  :  «  Compaignon,  as  tu  rien  eu  peur 
en  ceste  première  boutée?  —  Quelque  peu,  respondy  je. 
—  J'en  ay,  dist  il,  plus  eu  que  jadis  n'eurent  les  soldats 
d'Ephraïm,  quand  les  Galaadites  feurent  occis  et  noyez  pour 
en  lieu  de  Schibboleth  dire  Sibboleth.  Et  n'y  a  homme,  pour 
tous  taire,  en  Beauce,  qui  bien  ne  m'eust  avec  une  charretée 
de  foin  estouppé  le  trou  du  cul.  » 


264  LIVRE    V,     CHAPITRE    XX 

Depuis  nous  mena  le  Capitaine  a  .  Palais  de  la  Royne  en 
silence  et  grandes  cérémonies.  Pantagruel  luy  vouloit  tenir 
quelques  propos;  mais,  ne  pouvant  monter  si  haut  qu'il  estoit, 
souhaitoit  une  eschelle,  ou  des  eschasses  bien  grandes.  Puis 
dist  :  «  Baste  !  si  nostre  dame  Royne  vouloit,  nous  serions 
aussi  grans  comme  vous.  Ce  sera  quand  il  luy  plaira.  »  Par  les 
premières  galleries  rencontrasmes  grand  tourbe  de  gens 
malades,  lesquels  estoient  installez  diversement,  selon  la 
diversité  des  maladies  :  les  ladres  à  part,  les  empoisonnez  en 
un  lieu,  les  pestiferez  ailleurs,  les  verolez  en  premier  rang  : 
ainsi  de  tous  aultres. 


CHAPITRE  XX 

COMMENT    LA     QUINTE     ESSENCE     GUARISSOIT     LES     MALADIES 
PAR     CHANSONS 


En  la  seconde  gallerie  nous  feut  par  le  capitaine  monstre  la 
dame  jeune,  et  si  avoit  dixhuict  cens  ans  pour  le  moins,  belle, 
délicate,  vestue  gorgiasement,  au  milieu  de  ses  damoiselles 
et  gentils-hommes.  Le  Capitaine  nous  dist  :  «  Heure  n'est  de 
parler  à  elle,  soyez  seulement  spectateurs  attentifs  de  ce 
qu'elle  fait.  Vous  en  vostre  Royaume  avez  quelques  Roys, 
lesquels  phantastiquement,  guarissent  d'aucunes  maladies, 
comme  scrophule,  mal-sacré,  fiebvres  quartes,  par  seule  appo- 
sition des  mains.  Ceste  nostre  Royne  de  toutes  maladies 
guarist  sans  y  toucher,  seulement  leur  sonnant  une  chanson 
selon  la  competance  du  mal.  «  Puis  nous  monstra  les  orgues, 
desquelles  sonnant,  faisoit  ses  admirables  guarisons.  Icelles 
estoient  de  façon  bien  estrange  :  car  les  tuyaux  estoient  de 
casse  en  canon,  le  sommier  de  gaiac,  les  marchettes  de  ru- 
barbe,  le  suppied  de  turbith,  le  clavier  de  scammonie. 


PANTAGRUEL  265 

Lors  que  considérions  ceste  admirable  et  nouvelle  struc- 
ture d'orgues,  par  ses  Abstracteurs,  Spodizateurs,  Massiteres, 
Pregustes,  Tabachins,  Chachanins,  Neemanins,  Rabrebans, 
Nereins,  Rozuins,  Nedibins,  Nearins,  Segamions,  Perazons, 
Chesinins,  Sarins,  Sotrins,  Aboth,  Enilins,  Archasdarpenins, 
Mebins,  Giborins,  et  aultres  siens  officiers,  furent  les  lépreux 
introduits  :  elle  leur  sonna  une  chanson,  je  ne  sçay  quelle; 
furent  soudain  et  parfaictement  guaris.  Puis  furent  intro- 
duits les  empoisonnez  :  elle  leur  sonna  une  autre  chanson,  et 
gens  debout.  Puis  les  aveugles,  les  sourds,  les  muets,  les  gens 
apoplectiques  de  mesme.  Ce  que  nous  espouvanta,  non  à 
tort,  et  tombasmes  en  terre,  nous  prosternans  comme  gens 
ecstatiques  et  ravis  en  contemplation  excessive  et  admiration 
des  vertus  qu'avions  veu  procéder  de  la  dame;  et  ne  fut  en 
nostre  pouvoir  aucun  mot  dire.  Ainsi  restions  en  terre,  quand 
elle,  touchant  Pantagruel  d'un  beau  bouquet  de  roses  blan- 
ches, lequel  elle  tenoit  en  main,  nous  restitua  le  sens,  et  fit 
tenir  en  pieds.  Puis  nous  dist  en  paroles  byssines,  telles  que 
vouloit  Parysatis  qu'on  profeiast  parlant  à  Cyrus  son  fils,  ou 
pour  le  moins  de  taffetas  armoisi  : 

'(  L'honnesteté  scintillante  en  la  circonferance  de  vos  per- 
sonnes jugement  certain  me  fait  de  la  vertu  latente  on  centre 
de  vos  esprits;  et  vo3^ant  la  suavité  melliflue  de  vos  discrettes 
révérences,  facilement  me  persuade  le  cœur  vostre  ne  patir 
vice  aucun,  n'aucune  stérilité  de  sçavoir  Uberal  et  hautain, 
ainsi  abonder  en  plusieurs  peregrines  et  rares  disciplines  :  les- 
quelles à  présent  plus  est  facile,  par  les  usages  communs  du 
vulgaire  imperit,  désirer  que  rencontrer.  C'est  la  raison  pour- 
quoy  je,  dominante  par  le  passé  à  toute  affection  privée, 
maintenant  contenir  ne  me  peux  vous  dire  le  mot  trivial  au 
monde,  c'est  que  soyez  les  bien,  les  plus,  les  fresques  bien 
venus. 

—  Je  ne  suis  point  clerc,  me  disoit  secrètement  Panurge; 
respondez  si  voulez.  »  Je  toutesfois  ne  respondis;  non  fîst 


2(')('}  LIVRE    V,     CHAPITRE    XX 

Pantagruel,  et  demeurions  en  silence.  Adomiues  dist  la  Royne  : 
«  En  ceste  vostre  taciturnité  cognoy-je  que,  non  seulement 
estes  issus  de  l'eschole  Pythagorique,  de  laquelle  print  racine 
en  successive  propagation  l'antiquité  de  mes  progeniteurs, 
mais  aussi  que  en  Egypte,  célèbre  ofi&cine  de  haute  philoso- 
phie, mainte  lime  rétrograde  vos  ongles  mords  avez,  et  la 
teste  d'un  doigt  grattée.  En  l'eschole  de  Pythagoras,  tacitur- 
nité de  congnoissance  estoit  symbole  :  et  silence  des  Egyp- 
tiens recongnu  estoit  en  louange  deifique,  et  sacrifioient  les 
Pontifes  en  Ilieropolis  au  grand  Dieu  en  silence,  sans  bruit 
faire,  ne  mot  sonner.  Le  dessein  mien  est  n'entrer  vers  vous 
en  privation  de  gratitude  :  ains,  par  vive  formalité,  encores 
que  matière  se  voulust  de  moy  abstraire,  vous  excentriquer 
mes  pensées.  » 

Ces  propos  achevez,  dressa  sa  parolle  vers  ses  officiers,  et 
seulement  leur  dist  :  «  Tabachins,  à  Panacée.  »  Sus  ce  mot  les 
Tabachins  nous  dirent  qu'eussions  la  dame  Royne  pour 
excusée,  si  avec  elle  ne  disnions  :  car  à  son  disner  rien  ne  man* 
geoit,  fors  quelques  Cathegories,  Jecabots,  Eminins,  Dimions, 
Abstractions,  Harborins,  Chelimins,  Secondes  intentions, 
Caradoths,  Antithèses,  Metempsichoses,  transcendentes  Pro- 
lepsies. 

Puis  nous  menèrent  en  un  petit  cabinet  tout  contre- 
pointe  d'allarmes  :  là,  fusmes  traictez.  Dieu  sçait  comment. 
On  dict  que  Jupiter,  en  la  peau  diphtere  de  la  chèvre  qui 
l'allaicta  en  Candie,  de  laquelle  il  usa  comme  de  pavois, 
combatans  les  Titanes,  pourtant  est  il  surnommé  Egiuchus, 
escrit  tout  ce  que  Ion  fait  au  monde.  Par  ma  soif,  Beuveurs, 
mes  amis,  en  dixhuict  peaux  de  chèvres  on  ne  sauroit  les 
bonnes  viandes  qu'on  nous  servit,  les  entremets  et  bonne 
chère  qu'on  nous  flst,  descrirê,  voire  fust-ce  en  lettres  aussi 
petites  que  dit  Ciceron  avoir  leu  V Iliade  d'Homère,  tellement 
qu'on  la  couvroit  d'une  coquille  de  noix.  De  ma  part,  encores 
que  j'eusse  cent  langues,  cent  bouches,  et  la  voix  de  fer,  la 


PANTAGRUEL  267 

copie  mellifiue  de  Platon,  je  ne  sçauoris  en  quatre  livres  vous 
en  exposer  la  tierce  partie  d'une  seconde.  Et  me  disoit  Panta- 
gruel que,  selon  son  imagination,  la  dame  à  ses  Tabachins, 
disant  :  «  A  Panacée,  «  leur  donnoit  le  mot  symbolique  entr' 
eux  de  chère  souveraine,  comme  :  «  En  ApoUo,  «  disoit  Lu- 
culle,  quand  festoyer  vouloit  ses  amis  singulièrement,  encores 
qu'on  le  print  à  l'improviste,  ainsi  que  quelques  fois  faisoient 
Ciceron  et  Hortensius. 


CHAPITRE  XXI 


COMMENT     LA     ROYNE     PASSOIT     TEMPS     APRES     DISNER 


Le  disner  parachevé,  fusmes  par  un  Chachanin  menez  en  la 
salle  de  la  dame,  et  veismes  comment,  selon  sa  coustume, 
après  le  past.  elle,  accompaignée  de  ses  damoiselles  et  princes 
de  sa  Cour,  sassoit,  tamisoit,  belutoit,  et  passoit  le  temps 
avec  un  beau  et  grand  sas  de  soye  blanche  et  bleue.  Puis 
apperceusmes  que,  revoquans  l'antiquité  en  usage,  ils  jouè- 
rent ensemble  aux 

Cordace,  Calabrisme, 

Emmelie,  Molossicquc, 

Sicinnie,  Cemophoie, 

lambicques,  Mongas, 

Persicque,  Theimanstrie, 

Phrygie,  Florule, 

Nicatisme,  Pyrrhicque, 

Thracic,  Et  mille  autres  danses. 

Depuis,  par  son  commandement,  visitasmes  le  Palais,  et 
vismes  choses  tant  nouvelles,  admirables  et  estranges,  qu'y 
pensant  suis  encores  tout  ravy  en  mon  esprit.  Rien  toutesfois 
plus,  par  admiration,  ne  subvertit  nos  sens  que  l'exercice  des 


268  LIVRE    V,    CHAPITRE    XXI 

gentils-hommes  de  sa  maison,  Abstracteurs,  Parazons,  Nedi- 
bins,  Spodizateurs  et  aultres,  lesquels  nous  dirent  franche- 
ment, sans  dissimulation,  que  la  dame  Royne  faisoit  tout 
impossible,  et  guarissoit  les  incurables  seulement  :  eux,  ses 
officiers,  faisoient  et  guarissoient  le  reste. 

Là,  je  vy  un  jeune  Parazon  guarir  les  verolez,  je  dy  de  la 
bien  fine,  comme  vous  diriez  de  Rouen,  seulement  leur  tou- 
chant le  vertèbre  dentiformc  d'un  morceau  de  sabot  par  trois 
fois. 

Un  autre  je  vy  hydropiques  parfaitement  guarir,  timpa- 
nistes,  ascites  et  hyposargues,  leur  frappant  par  neuf  fois  sus 
le  ventre  d'une  besaguë  Teuedie,  sans  solution  de  continuité. 

Un  guarissoit  de  toutes  fiebvres  sus  l'heure,  seulement 
leurs  pendant  à  la  cinture  sus  le  coslé  gauche,  une  queue  de 
renard. 

Un,  du  mal  des  dens,  seulement  lavant,  par  trois  fois,  la 
racine  de  la  dent  affligée  avec  du  vinaigre  suzat,  et  au  soleil 
par  demye  heure  la  laissant  desseicher. 

Un  autre,  toute  espèce  de  goutte,  fust  chaulde,  fust  froide, 
fust  pareillement  naturelle,  fust  accidentalle  :  seulement  fai- 
sant es  goutteux  clorre  la  touche  et  ouvrir  les  yeux. 

Un  autre  je  \y,  lequel,  en  peu  d'heures,  guarist  neuf  bons 
gentilshommes  du  mal  sainct  François,  les  estant  de  toutes 
debtes,  et  à  chascun  d'eux  mettant  une  corde  au  col ,  à  laquelle 
pendoit  une  bourse  pleine  de  dix  mille  escus  au  soleil. 

Un  autre,  par  engin  mirifique,  jettoit  les  maisons  par  les 
fenestres  :  ainsi  restoient  emundees  d'air  pestilent. 

Un  autre  guarissoit  toutes  les  trois  manières  d'hetiques, 
atrophes,  tabides,  emaciez,  sans  bains,  sans  laict  Tabian,  sans 
dropace,  pication,  n'autre  médicament  :  seulement  les  ren- 
dant moynes  par  trois  mois.  Et  nous  affermoit  que,  si  en 
Testât  monachal  ils  n'engraissoient,  ne  par  art,  ne  par  nature, 
jamais  n'engraisseroient. 

Un  autre  vy  accompaigné  de  femmes  en  grand  nombre,  par 


PANTAGRUEL  269 

deux  bandes  :  l'une  estoit  de  jeunes  fillettes  saffrettes,  ten- 
drettes,  blondelettes,  gratieuses,  et  de  bonne  volonté,  ce  me 
sembloit;  l'autre,  de  vieilles  edentees,  chassieuses,  riddees, 
bazanees,  cadavéreuses.  Là,  fut  dit  à  Pantagruel  qu'il  refon- 
doit  les  vieilles,  les  faisant  ainsi  rajeunir,  et  telles,  par  son 
art,  devenir  qu'estoient  les  fillettes  là  présentes,  lesquelles  il 
avoit  cestuy  jour  reffondues,  et  entièrement  remises  en  pa- 
reille beauté,  forme,  élégance,  grandeur  et  composition  des 
membres,  comme  estoient  en  l'aage  de  quinze  à  seize  ans, 
excepté  seulement  les  talons,  lesquels  leur  restoient  trop  plus 
courts  que  n'estoient  en  leur  première  jeunesse. 

Cela  estoit  la  cause  pourquoy  elles  d'orenavant,  à  toutes 
rencontres  d'hommes,  seront  moult  subjettes  et  faciles  à 
tomber  à  la  renverse.  La  bande  des  vieilles  attendoit  l'autre 
fournée  en  très  grande  dévotion,  et  l'importunoient  en  toute 
instance,  alleguans  que  chose  est  en  nature  intolérable  quand 
beauté  faut  à  cul  de  bonne  volonté.  Et  avoit  en  son  art  pra- 
tique continuelle,  et  guain  plus  que  médiocre.  Pantagruel 
interroguoit,  si  par  fonte  pareillement  faisoit  les  hommes 
vieux  rejeunir  :  respondu  luy  fut  que  non;  mais  la  manière 
d'ainsi  rejeunir  estre  par  habitation  avec  femme  refondue,  car 
là  on  prenoit  ceste  quinte  espèce  de  vérole,  nommée  la  Pel- 
lade,  en  grec  Ophiasis,  moyennant  laquelle  on  change  de 
poil  et  de  peau,  comme  font  annuellement  les  Serpens,  et  en 
eux  est  jeunesse  renouvellée,  comme  au  Phénix  d'Arabie. 
C'est  la  vraye  Fontaine  de  Juvence.  Là,  soudain,  qui  vieux 
estoit  et  décrépit,  devient  jeune  alaigre  et  dispos,  comme  dit 
Euripides  estre  advenu  à  lolaûs;  comme  advint  au  beau 
Phaon,  tant  aimé  de  Sappho,  par  le  bénéfice  de  Venus;  à 
Tithone,  par  le  moyen  d'Aurora;  à  Eson,  par  l'art  de  Medée, 
et  à  Jason  pareillement,  qui  selon  le  tesmoignage  de  Phere- 
cides  et  de  Simonides,  fut  par  icelle  reteint  et  rejeuny;  et 
comme  dit  Eschilus  estre  advenu  es  nourrices  du  bon  Bac- 
chus,  et  à  leurs  maris  aussi. 


2  70  LIVRE    V,     CHAPITRE    XXII 


CHAPITRE  XXII 

comment  les   officiers   de   la   quinte   diversement 
s'exercent, 

ET  COMMENT   LA    DAME    NOUS   RETINT  EN    ESTAT   D' ABSTR  ACTEU  RS 


Je  vy  après,  grand  nonabrc  de  ces  of&ciers  susdits,  lesquels 
blanchissoient  les  ^Ethiopiens  en  peu  d'heures,  du  fond  d'un 
panier  leur  frottant  seulement  le  ventre. 

Autres  à  trois  couples  de  renards  souz  un  joug  aroient  le 
rivage  areneux,  et  ne  perdoient  leur  semence. 

Autres  lavoient  les  tuiles,  et  leur  faisoient  perdre  coulem. 

Autres  tiroient  eau  des  Pumices,  que  vous  appeliez  Pierre- 
ponce,  la  pillant  long  temps  en  un  mortier  de  marbre,  et  luy 
changeoient  sa  substance. 

Autres  tondoient  les  Asnes,  et  y  trouvoient  toison  de  laine 
bien  bonne. 

Autres  cueilloient  des  Espines  raisins,  et  figues  des  char- 
dons. 

Autres  tiroient  laict  des  boucs,  et  dedans  un  crible  le  reco- 
voient,  à  grand  profit  de  mesnage. 

Autres  lavoient  les  têtes  des  Asnes,  et  n'y  perdoient  la 
laixive. 

Autres  chassoient  au  vent  avec  des  rets,  et  y  prenoient 
Escrevices  Decumanes. 

Je  vis  un  jeune  Spodizateur,  lequel  artificiellement  tiroit 
des  pets  d'un  Asne  mort,  et  en  veudoit  l'aune  cinq  sols. 

Un  autre  putrefioit  des  Sechabots.  O  la  belle  viande  ! 

Mais  Panurge  rendit  vilainement  sa  gorge,  voyant  un  Ai^- 
chasdarpenim,  lequel  faisoit  putréfier  grande  doye  d'urine 
humaine  en  fiant  de  cheval,  avec  force  merde  chrestienne. 
Fy  le  vilain  !  Il  toutesfois  nous  respondit  que  d'icelle  sacrée 


PANTAGRUEL  'Z^\ 

distillation  abbfeuvoit  les  Roys  et  grands  Princes,  et  par  icelle 
leur  allongeoit  la  vie  d'une  bonne  toise  ou  deux. 

Autres  rompoient  les  Andouilles  au  genouil. 

Autres  escorclioient  les  Anguilles  par  la  queue,  et  ne 
crioient  lesdictes  Anguilles  avant  que  d'estre  escorchees, 
çomnie  font  celles  de  Melun. 

Autres  de  néant  faisoient  choses  grandes,  et  grandes  choses 
faisoient  à  néant  retourner. 

Autres  coupoient  le  feu  avec  un  cousteau,  et  puisoient 
l'eau  avec  un  rets. 

Autres  faisoient  de  vessies  lanternes,  et  de  nues  poisles 
d'airain.  Nous  en  veismes  douze  autres  banquetans  souz  une 
fueillade,  et  beuvans  en  belles  et  amples  retumbes  vins  de 
quatre  sortes,  frais  et  délicieux,  à  tous,  et  à  toute  reste,  et 
nous  fut  dit  qu'ils  haulsoient  le  temps  selon  la  manière  du 
lieu,  et  qu'en  ceste  manière  Hercules  jadis  haulsa  le  temps 
avec  Atlas. 

Autres  faisoient  de  nécessité  vertu,  et  me  sembloit  l'ou' 
vrage  bien  beau  et  à  propos. 

Autres  faisoient  Alchimie  avec  les  dens;  en  ce  faisant 
emplissoient  assez  mal  les  selles  percées. 

Autres  dedans  un  long  parterre  songneusement  mesuroient 
les  sauts  des  pusses  :  et  cestuy  acte  m'affermoient  estre  plus 
que  nécessaire  au  gouvernement  des  Royaumes,  conduictes 
des  guerres,  administrations  des  Republiques,  alléguant  que 
Socrates,  lequel  premier  avoit  des  cieux  en  terre  tiré  la  Philo- 
sophie, et  d'oisive  et  curieuse,  l'avoit  rendue  utile  et  profit 
table,  employoit  la  moitié  de  son  estude  à  mesurer  le  saut  des 
pusses,  comme  atteste  Aristophanes  le  Quintessential. 

Je  vy  deux  Giborins  à  part  sus  le  haut  d'une  tour,  lesquels 
faisoient  sentinelle,  et  nous  fut  dit  qu'ils  gardoient  la  Lune 
des  loups. 

J'en  rencontray  quatre  autres  en  un  coing  de  jardin  amère- 
ment disputans,  et  prests  à  se  prendre  au  poil  l'un  l'autre; 


272  LIVRE    V,     CHAPITRE    XXII 

demandant  dont  sourdoit  leur  différent,  entendy  que  jà  qua- 
tre jours  estoient  passez  depuis  qu'ils  avoient  commencé  dis- 
puter de  trois  hautes  et  plus  que  phisicales  propositions,  à  la 
resolution  desquelles  ils  se  promettoient  montaignes  d'or.  La 
première  estoit  de  l'ombre  d'un  Asne  couillard;  l'autre,  de  la 
fumée  d'une  Lanterne;  la  tierce,  de  poil  de  Chèvre,  sçavoir 
si  c'estoit  laine.  Puis  nous  fut  dit  que  chose  estrange  ne  leur 
sembloit  estre  deux  contradictoires  vrayes  en  mode,  en  forme, 
en  figure,  et  en  temps.  Chose  pour  laquelle  les  Sophistes  de 
Paris  plus  tost  se  feroient  desbaptiser  que  la  confesser. 

Nous  curieusement  considerans  les  admirables  opérations 
de  ces  gens,  survint  la  Dame  avec  sa  noble  compagnie,  jà 
reluisant  le  clair  Hesperus.  A  sa  venue  fusmes  de  rechef  en  nos 
sens  espouvantez  et  esblouys  en  nostre  veuë.  Incontinent 
nostre  effray  apperceut,  et  nous  dist  :  «  Ce  que  fait  les  hu- 
mains pensemens  esgarer  par  les  abysmes  d'admiration  n'est 
la  souveraineté  des  effects,  lesquels  apertement  ils  esprouvent 
naistre  des  causes  naturelles,  moyennant  l'industrie  des  sages 
artisans  :  c'est  la  nouveauté  de  l'expérience  entrant  en  leurs 
sens,  non  prevoyans  la  facilité  de  l'œuvre,  avec  jugement 
serain  s'y  associe  d'estude  diligent.  Pourtant  soyez  en  cer- 
veau, et  de  toute  frayeur  vous  despouillez,  si  d'aucune  estes 
saisis  à  la  considération  de  ce  que  voyez  par  mes  officiers, 
estre  faict.  Voyez,  entendez,  contemplez  à  vostre  hbre  arbitre, 
tout  ce  que  ma  maison  contient  ;  vous  peu  à  peu  emancipans 
du  servage  d'ignorance.  Le  cas  bien  me  siet  en  volonté.  Pour 
de  laquelle  vous  donner  enseignement  non  feint,  en  contem- 
plation des  studieux  désirs  desquels  me  semblez  avoir  en 
vos  cœurs  fait  insigne  mont-joye  et  suffisante  preuve,  je  vous 
retiens  présentement  en  estât  et  office  de  mes  abstracteurs. 
Par  Geber,  mon  premier  Tabachin,  y  serez  descrits  au  parte- 
ment  de  ce  heu.  »  Nous  la  remerciasmes  humblement,  sans 
mot  dire  :  acceptasmes  l'offre  du  bel  estât  qu'elle  nous  don- 
noit. 


PANTAGRUEL  273 


CHAPITRE   XXIII 

COMMENT     FUT     LA     ROYNE     A     SOUPPER    SERVIE, 
ET     COMMENT     ELLE     MANGEOIT 


La  dame,  ces  propos  achevez,  se  retourna  vers  ses  gentils- 
hommes, et  leur  dist  :  «  L'orifice  de  l'estomach,  commun  am- 
bassadeur pour  ravitaillement  de  tous  membres,  tant  infé- 
rieurs que  supérieurs,  nous  importune  leur  restaurer,  par 
apposition  de  idiones  alimens,  ce  que  leur  est  decheu  par 
action  continue  de  la  naïfve  chaleur  en  l'humidité  radicale. 
Spodizateurs,  Cesinins,  Nemains  et  Perazons,  par  vous  ne 
tienne  que  promptement  ne  soient  tables  dressées,  foison- 
nantes de  toute  légitime  espèce  de  restaurans.  Vous  aussi, 
nobles  Pregustes,  accompagnez  de  mes  gentils  Massiteres, 
l'espreuve  de  vostre  industrie  passementee  de  soin  et  dili- 
gence fait  que  ne  vous  puis  donner  ordre  que  de  sorte  ne  soyez 
en  vos  ofi&ces  et  vous  teniez  tousjouis  sus  vos  gardes.  Seule- 
ment vous  ramente  faire  ce  que  faictes.  » 

Ces  mots  achevez,  se  retira  avec  part  de  ses  damoiselles 
quelque  peu  de  temps,  et  nous  fut  dict  que  c'estoit  pour  soy 
baigner,  comme  estoit  la  coustume  des  anciens  autant  usitée 
comme  est  entre  nous  de  présent  laver  les  mains  avant  le 
past.  Les  tables  feurent  promptement  dressées,  puis  teurent 
couvertes  de  nappes  tresprecieuses.  L'ordre  du  service  fut 
tel  que  la  dame  ne  mangea  rien,  fors  céleste  ambrosie  ;  rien  ne 
beut  que  nectar  divin.  Mais  les  seigneurs  et  dames  de  sa 
maison  feurent,  et  nous  avec  eux,  serviz  de  viandes  rares, 
friandes  et  précieuses,  si  onques  en  songea  Appicius. 

Sus  l'issue  de  table  fut  apporté  un  pot  pourry,  si  par  cas 
famine  n'eust  donné  trefves  :  et  estoit  de  telle  amplitude  et 
T.  II.  18 


2~  ]  LIVRE    V,    CHAPITRE    XXIII 

grandeur  que  ia  plataine  d'or,  laquelle  Pythius  Bithynus 
donna  au  roy  Daire,  à  peine  l'eust  couvert.  Le  pot  pourry 
estoit  plain  de  potages  d'espece3  diverses,  sallades,  fricassées 
saulgrenees,  cabirotades,  rousty,  boully,  carbonnades,  gran- 
des pièces  de  bœuf  salle,  janabons  de  antiquailles,  saulmates 
deifiques,  pastisseries,  tarteries,  un  monde  de  coscotons  à  la 
moresque,  fonnages,  joncades,  gelées,  fruicts  de  toutes  sortes. 
Le  tout  me  sembloit  bon  et  friand;  toutesfois  n'y  tastay, 
poux  estre  bien  remply  et  ref aict.  Seulement  ay  à  vous  advertir 
que  là  vy  des  pastez  en  paste,  chose  assez  rare,  et  les  pastez 
en  paste  estoient  pastez  en  pot.  Au  fond  d'iceluy  j'apperceu 
force  dez,  cartes,  tarots,  luettes,  eschets,  et  tabliers  avec 
plaines  tasses  d'escus  au  soleil  pour  tous  ceux  qui  jouer 
vouldroient. 

Au  dessous  finablement  j'advisay  nombre  de  muUes  bien 
phalerees,  avec  housses  de  velours,  hacquenecs  de  mesme  à 
usance  d'hommes  et  femmes,  hctieres  bien  veloutées  pareil- 
lement ne  sçay  combien,  et  quelques  coches  à  la  ferraroise 
pour  ceux  qui  voudroient  aller  hors  à  l'esbat. 

Cela  ne  me  sembla  estrange,  mais  je  trouvay  bien  nouvelle 
la  manière  comment  la  dame  mangeoit.  Elle  ne  maschoit 
rien,  non  qu'elle  n'eust  dens  fortes  et  bonnes,  non  que  ses 
viandes  ne  requissent  mastication  ;  mais  tel  estoît  son  usage 
et  coustume.  Les  viandes,  desquelles  ses  Pregustes  avoient 
faict  essay,  prenoient  ses  Massiteres,  et  noblement  les  luy 
ttiaschoient,  ayans  le  gosier  doublé  de  satin  cramoisi,  à  petites 
nerveures  et  canetilles  d'or,  et  les  dens  d'Ivoire  bel  et  blanc  : 
moyennant  lesquelles,  quand  ils  avoient  bien  à  poinct  masché 
ses  viandes,  il  les  luy  couUoient  par  un  embut  d'or  fin  jusques 
dedans  l'estomach.  Par  mesme  raison  nous  fut  dict  qu'elle 
ne  fiantoit,  sinon  par  procuration. 


PANTAGRUEL  2/$ 


CHAPITRE  XXIV 

COMMENT     FUT,     EN     LA     PRESENCE     DE     LA     QUINTE,     FAICT 
UN     BAL    JOYEUX     EN     FORME     DE     TOURNOY 


Le  soupper  parfaict,  fut  en  présence  de  la  dame  fait  lin  bal 
en  mode  de  tournoy,  digne  non  seulement  d'estre  regardé, 
mais  aussi  de  mémoire  éternelle.  t*onr  iceluy  commencer  fut 
le  pavé  de  la  salle  couvert  d'une  ample  pièce  de  tapisselie 
veloutée,  faite  en  forme  d'eschiquier,  savoir  est  à  carreaux, 
moitié  blanc,  moitié  j aulne,  chascuii  large  de  trois  palmes,  et 
carré  de  tous  costés.  Quand  en  la  salle  entrèrent  trente  deux 
jeunes  personnages,  desquels  seize  estoient  vestus  de  drap 
d'or,  sçavoir  est,  huict  jeunes  Nymphes,  ainsi  que  les  pei- 
gnoient  les  Anciens  en  la  compagnie  de  Diane,  un  Roy,  une 
Royne,  deux  Custodes  de  la  Rocque,  deux  Chevaliers,  et 
deux  Archiers.  En  semblable  ordre  estoient  seize  autres 
vestus  de  drap  d'argent.  Leur  assiette  sus  la  tapisserie  fut 
telle  :  les  Roys  se  tindrent  en  la  dernière  ligne,  sus  le  qua- 
trième carreau,  de  sorte  que  le  Roy  Auré  estoit  sus  le  carreau 
blanc,  le  Roy  Argenté  sus  le  ca.rreau  j  aulne,  les  Roy  nés  à 
costé  de  leurs  Roys  ;  la  dorée  siis  le  carreau  j  aulne,  l'argentée 
sus  le  caiTeau  blanc;  deux  archiers  auprès  de  chascun  costé 
comme  gardes  de  leurs  Roys  et  Roynes.  Auprès  des  Archiers 
deux  Chevaliers,  auprès  des  Chevaliers  deux  Custodes.  Au 
rang  prochain  devant  eux  estoient  les  huict  Nymphes.  Entre 
les  deux  bandes  des  Nymphes  restoient  vuides  quatre  rancs 
de  caireaux. 

Chascune  bande  avoit  de  sa  part  ses  musiciens  vestus  de 
pareille  Uvrée,  uns  de  damas  orengé,  autres  de  damas  blanc, 
et  estoient  huict  de  chascun   costé  avec  instrumeris  tous 


276  LIVRE    V,     CHAPITRE    XXIV 

divers,  de  joyeuse  invention,  ensemblement  concordans,  et 
mélodieux  à  merveille,  varians  en  tons,  en  temps  et  mesure, 
comme  rcqueroit  le  progrez  du  bal  :  ce  que  je  trou  vois  admi- 
rable, attendu  la  numereuse  diversité  de  pas,  de  desmarches, 
de  saux,  sursaux,  retours,  fiaites,  embuscades,  retraictes  et 
surprinses.  Encores  plus  transcendoit  opinion  humaine,  ce 
me  sembloit  que  les  personnages  du  bal  tant  soudain  enten- 
doient  le  son  qui  competoit  à  leurs  desmarche  ou  retraicte, 
que  plustost  n'avoit  signifié  le  ton  de  la  musique,  qu'ils  se 
posoient  en  place  designée,  nonobstant  que  leur  procédure 
fust  toute  diverse.  Car  les  Nymphes  qui  sont  en  première  fil- 
liere,  comme  prestes  d'exciter  le  combat,  marchent  contre 
leurs  ennemis  droit  en  avant,  d'un  carreau  en  autre  :  exceptée 
la  première  desmarche,  en  laquelle  leur  est  hbre  passer  deux 
carreaux;  elles  seuUes  jamais  ne  reculent.  S'il  advient  qu'une 
d'entr' elles  passe  jusques  à  la  fiUiere  de  son  roy  ennemy,  elle 
est  couronnée  Royne  de  son  Roy,  et  prend  et  desmarche  doré- 
navant en  mesme  privilège  que  la  Royne;  autrement  jamais 
ne  ferissent  les  ennemis  que  en  hgne  diagonale  obliquement, 
et  devant  seulement.  Ne  leur  est  toutesfois  n'a  autres  loisible 
prendre  aucuns  de  leurs  ennemis,  si,  le  prenant,  elles  lais- 
soient  leur  Roy  descouvert  et  en  prinse.  Les  Roys  marchent 
et  prennent  leurs  ennemis  de  toutes  laces  en  carré,  et  ne  pas- 
sent que  de  carreau  blanc  et  prochain  au  j aulne,  et  au  con- 
traire :  exceptez  qu'à  la  première  desmarche,  si  leur  filliere 
estoit  trouvée  vuide  d'autres  officiers,  tors  les  Custodes,  ils  le 
peuvent  mettre  en  leur  siège,  et  a  costé  de  luy  se  retirer.  Les 
Roynes  desmarchent  et  prennent  en  plus  grande  liberté  que 
tous  autres  :  sçavoir  est  en  tous  endroits  et  en  toutes  manières, 
en  toutes  sortes,  en  hgne  directe,  tant  loing  que  leur  plaist 
pourveu  que  ne  soit  des  siens  occupé  :  et  diagonale  aussi, 
pourveu  que  soit  en  couleui  de  son  assiette.  Les  archiers  mar- 
chent tant  en  avant  comme  en  arrière,  tant  loing  que  prés. 
Mesmement  aussi  jamais  ne  varient  la  couleur  de  leur  pre- 


PANTAGRUEL  277 

miere  assiette.  Les  Chevaliers  marchent  et  prennent  eu  forme 
ligneare,  passans  un  siège  franc,  encores  qu'il  fust  occupé,  ou 
des  siens,  ou  des  ennemis  :  et  au  second  soy  posans  à  dextre 
ou  à  senestre,  en  variation  de  couleur,  qui  est  sault  grande- 
ment dommageable  à  partie  adverse,  et  de  grande  observa- 
tion :  car  ils  ne  prennent  jamais  à  face  ouverte.  Les  Custodes 
marchent  et  prennent  à  face  tant  à  dextre  qu'à  senestre, 
tant  arrière  que  devant  comme  les  Roys,  et  peuvent  tant  loing 
marcher  qu'ils  voudront  en  siège  vuide  :  ce  que  ne  font  les 
Roys. 

La  loy  commune  es  deux  parties  es  toit  en  fin  dernière  du 
combat  assiéger  et  clorre  le  Roy  de  part  adverse,  en  manière 
qu'évader  ne  peust  de  costé  quelconque.  Iceluy  ainsi  clos, 
fuir  ne  pouvant,  ny  des  siens  estre  secouru,  cessoit  le  combat 
et  perdoit  le  Roy  assiégé.  Pour  donques  de  cestuy  inconvé- 
nient le  guarentir,  il  n'est  celuy  ne  celle  de  sa  bande  qui  n'y 
offre  sa  vie  propre,  et  se  prennent  les  uns  les  autres  de  tous 
endroicts,  advenant  le  son  de  la  musique.  Quand  aucun  pre- 
noit  un  prisonnier  de  part  contraire,  luy  faisant  la  reverance, 
luy  frappoit  doucement  en  main  dextre,  le  mettoit  hors  le 
parquet  et  succedoit  en  sa  place.  S'il  advenoit  qu'un  des  Roys 
fust  en  prise,  n'estoit  licite  à  partie  adverse  le  prandre  :  ains 
estoit  faict  rigoreux  commandement  à  celuy  qui  l'avoit  des- 
couvert, ou  le  tenoit  en  prise,  luy  faire  profonde  reverance,  et 
l'advertir,  disant  :  «  Dieu  vous  gard  !  »  afin  que  de  ses  officiers 
fust  secouru  et  couvert,  ou  bien  qu'il  changeast  de  place,  si 
par  malheur  ne  pouvoit  estre  secouru.  N'estoit  toutesfois 
prins  de  partie  adverse,  mais  salué  le  genoil  gauche  en  teire 
lui  disant  :  Bon  jour.  Là  estoit  fin  du  toumoy, 


2-/S  LIVRE    V,    CHAPITRE    XXV 

CHAPITRE  XXV 

COMMENT  LES  TRENTE  DEUX  PERSONNAGES  DU  BAL  COMBATENT 

Ainsi  posées  en  leurs  assiettes  les  deux  compagnies,  les 
musiciens  commencent  ensemble  sonner  en  intonation  mar- 
tiale, assez  espouvantablement  comme  à  l'assault.  Là  voyons 
les  deux  bandes  frémir,  et  soy  affermer  pour  bien  combattre, 
venant  l'heure  du  hourt,  qu'ils  seront  évoquez  hors  de  leur 
camp.  Quand  soudain  les  musiciens  de  la  bande  argentée  ces-  ' 
serent,  seulement  sonnoient  les  organes  de  la  bande  aurée. 
En  quoy  nous  estoit  signifié  que  la  bande  aurée  assailloit.  Ce 
que  bientost  advint,  car  à  un  ton  nouveau  veismes  que  la 
Nymphe  parquée  devant  la  Royne  fist  un  tour  entier  à 
gausche  vers  son  Roy,  comme  demandant  congé  d'entrer  en 
combat,  ensemble  aussi  saluant  toute  sa  compagnie.  Puis  des- 
marcha deux  carreaux  avant  en  bonne  modestie,  et  fist  d'un 
pied  révérence  à  la  bande  adverse,  laquelle  elle  assailloit.  Là 
cessèrent  les  musiciens  aurez,  commencèrent  les  argentez. 
Icy  n'est  à  passer  en  silence  que  la  Nymphe,  avoit  en  tour 
salué  son  Roy  et  sa  compagnie,  afin  qu'eux  ne  restassent 
ocieux;  pareillement  la  resaluerent  en  tour  entier  gyrans  à 
gauche  :  excepté  la  Royne,  laquelle  vers  son  Roy  se  destourna 
à  dextre.  et  fut  ceste  salutation  de  tous  desmarchans  obser- 
vée, en  tout  le  discours  du  bal,  le  ressaluement  aussi,  tant 
d'une  bande  comme  de  l'autre. 

Au  son  des  musiciens  argentez  desmarcha  la  Nymphe 
argentée  laquelle  estoit  parquée  devant  sa  Royne,  son  Roy 
saluant  gratieusement,  et  toute  sa  compagnie,  eux  de  mesme 
la  resaluans,  comme  a  esté  dict  des  aurees,  excepté  qu'ils 
tournoient  à  dextre  et  leur  Royne  à  senestre  :  se  posa  sus  le 
second  carreau  avant,  et  faisant  révérence  à  son  adversaire. 


PANTAGRUEL  279 

se  tint  en  face  de  la  première  Nymphe  aurée  sans  distance 
aucune,  comme  prestes  à  combattre,  ne  fust  qu'elles  ne  frap- 
pent que  des  costez.  Leurs  compagnes  les  suyvent,  tant  aurees 
comme  argentées,  en  figure  intercalaire,  et  là  font  comme 
apparence  de  escarmoucher,  tant  que  la  nymphe  aurée 
laquelle  estoit  première  en  camp  entrée,  frappant  en  main 
une  Nymphe  argentée  à  gausche,  la  mist  hors  du  camp,  et 
occupa  son  lieu;  mais  bien  tost,  à  son  nouveau  des  musiciens, 
fut  de  mesme  frappée  par  l'Archier  argenté.  Une  Nymphe 
aurée  le  fist  ailleurs  serrer  :  le  Chevalier  argenté  sortit  en 
camp  ;  la  Royne  aurée  se  parqua  devant  son  Roy. 

Adonc  le  roy  argenté  change  place,  doubtant  la  furie  de 
la  Royne  aurée,  et  se  retira  au  lieu  de  son  Custode  à  dextre, 
lequel  lieu  luy  sembloit  tresbien  muny,  et  en  bonne  défense. 

Les  deux  Chevaliers  qui  tenoient  à  gausche,  tant  aurez 
qu'argentez,  desmarchent  et  font  amples  prinses  des  Nym- 
phes adverses,  lesquelles  ne  pou  voient  arrière  soy  retirer, 
mesmement  le  Chevalier  auré,  lequel  met  toute  sa  cure  à 
prinse  de  Nvmphes,  Mais  le  Chevalier  argenté  pense  chose 
plus  importante,  dissimulant  son  entreprinse,  et  quelquefois 
qu'il  a  pu  prendre  une  Nymphe  aurée,  il  la  laisse  et  passe 
outre,  et  a  tant  faict  qu'il  s'est  posé  prés  ses  ennemis,  en  lieu 
auquel  il  a  salué  le  Roy  auré,  et  dit  :  «  Dieu  vous  gard  !  »  La 
bande  aurée,  ayant  cestuy  advertissement  de  secourir  son 
Roy,  fremist  toute,  non  que  facilement  elle  ne  puisse  au  Roy 
secours  soudain  donner,  mais  que,  levir  Roy  saulvant,  ils 
perdoient  leur  custode  dextre,  sans  y  pouvoir  remédier. 
Adonques  se  retira  le  Roy  auré  à  gausche,  et  le  Chevalier 
argenté  print  le  Custode  auré  :  ce  que  leur  fut  en  grande 
perte.  Toutesfois  la  bande  aurée  délibère  de  s'en  venger,  et 
l'environnent  de  tous  costez  à  ce  que  reffuir  il  ne  puisse  ny 
eschapper  de  leurs  mains  :  il  fait  mille  effoits  de  sortir,  les 
siens  font  mille  ruses  pour  le  garentir  mais  enfin  la  Royne 
aurée  le  print. 


28o  LIVRE    V,     CHAPITRE    XXV 

La  bande  aurée,  privée  d'un  de  ses  supposts,  s'esvertue,  et 
à  tort  et  à  travers  cherche  moyen  de  soy  venger,  assez  incau- 
tement,  et  fait  beaucoup  de  dommage  parmy  l'osts  de  ses 
ennemis.  La  bande  argentée  dissimule  et  attend  l'heure  de 
revanche,  et  présente  une  de  ses  Nymphes  à  la  Royne  aurée, 
luy  ayant  dressé  une  embuscade  secrette,  tant  qu'à  la  prinse 
de  la  Nymphe  peu  s'en  faillit  que  l'Archier  auré  ne  surprinst 
la  Royne  argentée.  Le  Chevalier  auré  in'^ente  prinse  de  Roy 
et  Royne  argentée,  et  dit  :  «  Bon  jour.  »  L'Archier  argenté 
les  saulve  ;  il  fut  prins  par  une  Nymphe  aurée,  icelle  fut  prinse 
par  une  Nymphe  argentée.  La  bataille  fut  aspre.  Les  Custodes 
sortent  hors  de  leurs  sièges  au  secours.  Tout  est  en  meslee 
dangereuse.  Enyo  encores  ne  se  déclare.  Aucunefois  tous  les 
argentez  enfoncent  jusques  à  la  tente  du  Roy  auré,  soudain 
sont  repoussez.  Entre  autres  la  Royne  aurée  fait  grandes 
prouesses,  et  d'une  venue  prent  l'Archier,  et,  costoyant, 
prent  le  Custode  argenté.  Ce  que  voyant,  la  Royne  argentée, 
se  met  en  avant,  et  foudroyé  de  pareille  hardiesse  :  et  prent 
le  dernier  Custode  auré,  et  quelques  Nymphes  pareillement. 

Les  deux  Roynes  combattirent  longuement,  part  taschant 
de  s'entresurprendre,  part  pour  soy  saulver,  et  leurs, Roys 
contregarder.  Finalement  la  Royne  aurée  print  l'argentée, 
mais  soudain  après  elle  fut  prinse  par  l'Archier  argenté.  Là 
seulement  au  Roy  auré  restèrent  trois  Nymphes,  un  Archier 
et  un  Custode.  A  l'argenté  restoient  trois  Nymphes  et  le 
Chevaher  dextre  :  ce  que  fut  cause  qu'au  reste  plus  caute- 
ment  et  lentement  ils  combatirent. 

Les  deux  Rois  sembloient  dolens  d'avoir  perdu  leurs  dames 
Roynes  tant  aimées,  et  est  toute  leur  estude  et  tout  leur 
effort  d'en  recevoir  d'autres,  s'ils  peuvent,  de  tout  le  nombre 
de  leurs  Nymphes,  à  ceste  dignité  et  nouveau  mariage,  les 
aimer  joyeusement,  avec  promesses  certaines  d'y  estre  re- 
ceues,  si  elles  pénètrent  jusqu'à  la  dernière  fiUiere  du  Roy 
ennemy.  Les  aurées  anticipent,  et  d'elles  est  créée  une  Royne 


PANTAGRUEL  28l 

nouvelle,  à  laquelle  on  impose  une  couronne  en  chef,  et  baille 
Ion  nouveaux  accoustremens. 

Les  argentées  suyvent  de  mesme  :  et  plus  n'estoit  qu'une 
ligne,  qu'une  d'elles  ne  fust  Royne  nouvelle  créée;  mais  en 
cestuy  endroit  le  Custode  auré  la  guettoit;  pourtant  elle 
s'arresta  quoy. 

La  nouvelle  Royne  aurée  voulut,  à  son  advenement,  forte, 
vaillante  et  belliqueuse  se  monstrer.  Fit  grans  faicts  d'armes 
parmy  le  camp.  Mais  en  ces  entrefaictes  le  Chevalier  argenté 
print  le  Custode  auré,  lequel  gardoit  la  mete  du  camp;  par 
ce  moyen  fut  faicte  nouvelle  Royne  argentée,  laquelle  se 
voulut  semblablement  vertueuse  monstrer  à  son  nouveau 
advenement.  Fut  le  combat  renouvelle  plus  ardent  que 
devant.  Mille  ruses,  mille  assaux,  mille  desmarches  furent 
faictes,  tant  d'un  costé  que  d'autre  :  si  bien  que  la  Royne 
argentée  clandestinement  entra  en  la  tente  du  Roy  auré 
disant  :  «  Dieu  vous  gard  !  »  Et  ne  peust  estre  secouru  que  par 
sa  nouvelle  Royne.  Icelle  ne  fist  aucune  difficulté  de  soy  oppo- 
ser pour  le  sauver.  Adonques  le  Chevalier  argenté,  voltigeant 
de  tous  costez,  se  rend  oit  prés  sa  Royne,  et  misrent  le  Roy 
auré  en  tel  desarroy  que  pour  son  salut  luy  convint  perdre 
sa  Royne.  Mais  le  Roy  auré  print  le  ChevaUer  argenté.  Ce 
nonobstant  l'Archier  auré  avec  deux  Nymphes  qui  restoient, 
à  toute  leur  puissance  défendoient  leur  Roy,  mais  enfin  tous 
furent  prins  et  mis  hors  le  camp,  et  demeura  le  Roy  auré  seul. 
Lors  de  toute  la  bande  argentée  luy  fut  dit  en  profonde  révé- 
rence .  «  Bon  jour,  «  comme  restant  le  Roy  argenté  vainqueur. 
A  laquelle  parole  les  deux  compagnies  des  musiciens  com- 
mencèrent ensemble  sonner,  comme  victoire.  Et  print  fin  ce 
premier  bal  en  tant  grande  allégresse,  gestes  tant  plaisans, 
maintien  tant  honneste,  grâces  tant  rares,  que  nous  fusmes 
tous  en  nos  esprits  rians  comme  gens  ecstatiques,  et  non  à 
tort  nous  sembloit  que  nous  fussions  transportez  es  souve- 
raines délices  et  dernière  félicité  du  ciel  Olympe, 


aSa  MVKK     V,     CHAPITRE     XXV 

Finy  le  prenùer  tournoy,  retournèrent  les  deux  bandes  en 
leur  assiette  première,  et  comme  avoient  combattu  par  avant, 
ainsi  commencèrent  à  combattre  pour  la  seconde  fois,  excepté 
que  la  musique  fut  en  mesure  sériée  d'un  demy  temps  plus 
que  la  précédente;  les  progrez  aussi  totalement  differens  du 
premier.  Là  je  vis  que  la  Royne  aurée,  comme  despitée  de 
la  route  de  son  armée,  fut  par  l'intonation  de  la  musique 
évoquée,  et  se  mist  des  premieies  en  camp  avec  un  Archer  et 
un  Chevalier,  et  peu  s'en  faillit  qu'elle  ne  surprint  le  roy 
argenté  en  sa  tente  au  milieu  de  ses  officiers.  Depuis  voyant 
son  entreprinse  descouverte  s'escarmoucha  parmy  la  trouppe, 
et  tant  desconflt  de  Nymphes  argentées  et  aultres  officiers 
que  c'estoit  cas  pitoiable  les  voir.  Vous  eussiez  dit  que  ce 
fust  une  autre  Panthasilée  Amazone  foudroyante  par  le 
camp  des  Grégeois;  mais  peu  dura  cestuy  esclandre  car  les 
argentés,  fremissans  à  la  perte  de  leuis  gens,  dissimulans  tou- 
tesfois  leur  dueil,  luy  dressèrent  occultement  en  embuscade 
un  Archer  en  angle  lointain,  et  un  Chevalier  eirant,  par  les- 
quels elle  fut  prinse  et  mise  hois  le  camp.  Le  reste  fut  bien 
tost  défait.  Elle  sera  une  autre  fois  mieux  advisée,  prés  de 
son  Roy  se  tiendra,  tant  loin  ne  s'escartera,  et  ira,  quand  aller 
faudra,  bien  autiement  accompagnée.  Là  donques  restèrent 
les  argentez  vainqueurs,  comme  devant. 

Pour  le  tiers  et  dernier  bal,  se  tindrent  en  pieds  les  deux 
bandes,  comme  devant,  et  me  semblèrent  porter  visage  plus 
gay  et  délibère  qu'es  deux  precedens.  Et  fut  la  musique  serrée 
en  la  mesure  plus  que  de  hemiole,  en  intonation  Phrygienne 
et  bellique,  comme  celle  qu'inventa  jadis  Marsyas.  Adonques 
commencèrent  tournoyer,  et  entrer  en  un  merveilleux  combat, 
avec  telle  légèreté  qu'en  un  temps  de  la  musique  ils  faisoient 
quatre  desmarches,  avec  les  révérences  de  tours  competans, 
comme  avons  dit  dessus  :  de  mode  que  ce  n'estoient  que 
saux,  gambades  et  voltigemens  petauristiques  entrelassez  les 
uns  parmy  les  autres.  Et  les  voyans  sus  un  pied  tournoyer 


PANTAGRUEL  283 

après  la  révérence  faicte  les  comparions  au  mouvement  d'une 
rhombe  girante  au  jeu  des  petits  enfans  moyennant  les 
coups  de  fouet  lors  que  tant  subit  est  son  tour  que  son 
mouvement  est  repos,  elle  semWe  quiète,  non  soy  mouvoir, 
ains  dormir,  comme  ils  le  nomment.  Et  y  figurant  un  point  de 
quelque  couleur,  semble  à  nostre  veuë  non  point  estre,  mais 
ligne  continue,  comme  sagement  l'a  noté  Cusane,  en  matière 
bien  divine. 

Là  nous  n'oyons  que  frappemens  de  mains,  et  episemasies 
à  tous  destroits  réitérés  tant  d'une  bande  que  d'autre.  Il 
ne  fut  onques  tant  severe  Caton,  ne  Crassus  l'ayeul  tant  agCT 
laste,  ne  Timon  Athénien  tant  misanthrope  ne  Heraclitus 
tant  adhorrant  du  propre  humain,  qui  est  rire,  qui  n'eust 
perdu  contenance,  voyant  au  son  de  la  musique  tant  sou- 
daine, en  cinq  cens  diversitez  si  soudain  se  mouvoir,  desmar- 
cher,  sauter,  voltiger,  gambader,  tournoyer,  ces  jouven- 
ceaux avecq'  les  Roynes  et  les  Nymphes,  en  telle  dextérité 
qu'onques  l'un  ne  fist  empeschement  à  l'autre.  Tant  moindre 
estoit  le  nombre  de  ceux  qui  restoient  en  camp,  tant  estoit  le 
plaisir  plus  grand,  veoir  les  ruses  et  destours,  desquels  ils 
usoient  pour  surprendre  l'un  l'autre,  selon  que  par  la  musique 
leur  estoit  signifié.  Plus  vous  diray,  si  ce  spectacle  plus  qu'hu- 
main nous  rendoit  confus  en  nos  sens,  estonnez  en  nos  esprits, 
et  hors  de  nous-mesmes,  encores  plus  sentions  nous  nos  coeurs 
esmeus  et  eârayez  à  l'intonation  de  la  musique  :  et  croyrois 
facilement  que  par  telle  modulation  Ismenias  excita  Alexan- 
dre le  Grand,  estant  à  table,  et  disnant  en  repos,  à  soy  lever 
et  armes  prendre.  Au  tiers  tournoy  fut  le  Roy  auré  vain- 
queur. 

Durant  lesquelles  dances  la  dame  invisiblement  se  dispa- 
rut, et  plus  ne  la  vismes.  Bien  fusmes  menez  par  les  miche- 
lots  de  Geber,  et  là  fusmes  inscripts  en  Testât  par  elle  ordonné. 
Puis  descendans  au  port  Mateotechne,  entrasmes  en  nos  navi- 
res, entendans  qu'avions  vent  en  pouppe,  lequel  si  nous  rcfu- 


284  LIVRE    V,    CHAPITRE    XXVI 

sions  sur  l'heure,  à  peine  pourroit  estre  recouvert  de  trois 
quartiers  brisans. 

CHAPITRE  XXVI 

COMMENT  NOUS  DESCENDISMES  EN  L'ISLE  D'ODES,   EN  LAQUELLE 
LES     CHEMINS     CHEMINENT 

Avoir  par  deux  jours  navigé,  s'offrit  à  nostre  veuë  l'Isle 
d'Odes,  en  laquelle  vismes  une  chose  mémorable.  Les  che- 
mins sont  animaux,  si  vraye  est  la  sentence  d'Aristote,  disant 
argument  invincible  d'un  animant  s'il  se  meut  de  soymesme. 
Car  les  chemins  cheminent  comme  animaux  et  sont  les  uns 
chemins  errans,  à  la  semblance  des  planettes;  autres  chemins 
passans  chemins  croisans,  chemins  traversans.  Et  vy  que  les 
voyagiers,  servans  et  habitans  du  pays  demandoient  ;  «  Où  va 
ce  chemin?  et  cestuy  cy?  »  On  leur  respondit  :  «  Entre  Midy 
et  Fevrolles,  à  la  paroisse,  à  la  ville,  à  la  rivière.  »  Puis  se 
guindans  au  chemin  opportun,  sans  autrement  se  peiner  ou 
fatiguer,  se  trouvoient  au  lieu  destiné  :  comme  vous  voyez 
advenir  à  ceux  qui  de  Lyon  en  Avignon  et  Arles  se  mettent  en 
bateau  sui  le  Rosne,  et  coinme  vous  savez  qu'en  toutes  choses 
il  y  a  de  la  faute,  et  rien  n'est  en  tous  endroits  heureux,  aussi 
là  nous  fut  dict  estre  une  manière  de  gens,  lesquels  ils  nom- 
moient  guetteurs  de  chemins,  et  batteurs  de  pavez.  Et  les 
pauvres  chemins  les  craignoient  et  s'esloignoient  d'eux  com- 
me des  brigands.  Il  les  guettoient  au  passage,  comme  on  fait 
les  loups  à  la  traînée,  et  les  bécasses  au  fillet.  Je  vy  un  d'iceux, 
lequel  estoit  appréhendé  de  la  justice,  pource  qu'il  avait  prins 
injustement,  malgré  Pallas,  le  chemin  de  l'escole,  c'estoit  le 
plus  long;  un  autre  se  ventoit  avoir  prins  de  bonne  guerre  le 
plus  court,  disant  luy  estre  tel  advantage  à  ceste  rencontre 
que  premier  venpit  à  bout  de  son  entreprinse. 


PANTAGRUEL  285 

Aussi  dist  Carpalim  à  Epistemon,  quelque  jour  le  rencon- 
trant, sa  pissotière  au  poing,  contre  une  muraille  pissant,  que 
plus  ne  s'esbahissoit  si  tous] ours  premier  estoit  au  lever  du 
bon  Pantagruel,  car  il  tenoit  le  plus  court  et  le  moins  chevau- 
chant. 

Je  y  recongnu  le  grand  chemin  de  Bourges,  et  le  vy  mar- 
cher à  pas  d'Abbé,  et  le  vy  aussi  fuir  à  la  venue  de  quelques 
charretiers  qui  le  menassoient  fouUer  avec  les  pieds  de  leurs 
chevaux,  et  luy  faire  passer  les  charrettes  dessus  le  ventre, 
comme  Tullia  fit  passer  son  charriot  dessus  le  ventre  de  son 
père  Servius  Tullius,  sixiesme  roy  des  Romains. 

Je  y  recongnu  pareillement  le  vieux  quemin  de  Peronne  à 
Sainct  Quentin,  et  me  sembloit  quemin  de  bien  de  sa  per- 
sonne. 

Je  y  recongnu  entre  les  rochers  le  bon  vieux  chemin  de  la 
Ferrate  monté  sur  un  grand  Ours.  Le  voyant  de  loing  me  sou- 
vint de  sainct  Hierosme  en  pcincture,  si  son  Ours  eust  esté 
Lyon  :  car  il  estoit  tout  mortifié,  avoit  la  longue  barbe  toute 
blanche  et  mal  peignée  ;  vous  eussiez  proprement  dit  que  fus- 
sent glassons  ;  avoit  sur  soy  force  grosses  patenostres  de  pinas- 
tre  mal  rabottees,  et  estoit  comme  à  genoillons,  et  non  debout, 
ne  couché  du  tout,  et  se  battoit  la  poitrine  avec  grosses  et 
rudes  pierres.  Il  nous  fist  peur  et  pitié  ensemble.  Le  regar- 
dant nous  tira  à  part  un  bachelier  courant  du  pais,  et,  mons- 
trant  un  chemin  bien  licé,  tout  blanc,  et  quelque  peu  feustré 
de  paille,  nous  dist  :  «  Dorénavant  ne  desprisez  l'opinion  de 
Thaïes  Milesien,  disant  l'eau  estre  de  toutes  choses  le  com- 
mencement, ne  la  sentence  d'Homère,  affermant  toutes  cho- 
ses prendre  naissance  de  l'Océan.  Ce  chemin  que  voyez  nas- 
quit  d'eau,  et  s'y  en  retournera  :  devant  deux  mois  les  bas- 
teaux  par-cy  passoient,  à  ceste  heure  y  passent  les  charrettes. 

—  Vrayement,  dist  Pantagruel,  vous  nous  la  baillez  bien 
piteuse  !  En  nostre  monde  nous  en  voyons  tous  les  ans  de 
pareille  transformation  cinq  cens  et  davantage.  » 


286  LIVRE    V,    CHAPITRE    XXVII 

Puis  considerans  les  alleures  de  ces  chemins  mouvans, 
nous  diat  que,  selon  son  jugement,  Philolaûs  et  Aristarchus 
avoient  en  icelle  Isle  philosophé,  Seleucusprins  opinion  d'affer- 
mer la  terre  véritablement  autour  des  pôles  se  mouvoir,  non 
le  Ciel,  encores  qu'il  nous  semble  le  contraire  estre  vérité; 
comme  estans  sus  la  rivière  de  I.oire,  noUs  semblent  les  arbres 
prochains  se  movoir,  toutesfois  ils  rte  se  mouvent,  mais  nous 
par  le  decours  du  batteau.  Retournans  à  nos  navires,  vismes 
que  prés  le  rivage  on  mettoit  sur  la  roue  trois  guetteurs  de 
chemins  qui  avoient  esté  prins  en  embuscade,  et  brusloit  on  à 
petit  feu  un  grand  paillard,  lequel  avoit  battu  un  chemin,  et 
luy  avoit  rompu  une  coste,  et  nous  fut  dict  que  c'estoit  le 
chemin  des  aggeres  et  levées  du  Nil  en  Egypte. 


CHAPITRE  XXVII 

COMMENÎ    PASSASMES    EN    L'ISLE    DES    ESCLOTS    ET    DE    L'oRDRE 
DES    FRERES    FREDONS 

Depuis  passasmes  l'Isle  des  Esclots,  lesquels  ne  vivent  que 
de  souppes  de  merlus;  fusmes  toutesfois  bien  recuillis  et 
traitez  du  Roj^  de  Tlsle,  nommé  Benius,  tiers  de  ce  nom. 
lequel,  après  boire,  vous  mena  voir  un  monastère  nouveau, 
fait,  érigé  et  basty  par  son  invention  pour  les  Frères  Fredons  : 
ainsi  nommoit  il  ses  religieux,  disant  qu'en  terre  ferme  habi- 
toient  les  Frères  petits  Serviteurs  et  Amis  de  la  douce  dame  ; 
item,  les  glorieux  et  beaux  Frères  Mineurs,  qui  sont  semibriefs 
de  bulles;  les  Frères  Minimes  haraniers  enfumez;  aussi  les 
Frètes  Minimes  crochus,  et  que  du  nom  plus  diminuer  ne 
pouvoit  qu'en  Fredons.  Pat  les  statuts  et  bulle  patente  obte- 
nue de  la  Quinte,  laquelle  est  de  tous  bon  accords,  ils  estoient 
tous  habillez  en  brusleurs  de  maisons,  excepté  qu'ainsi  que 


PANTAGRUEL  287 

les  couvreurs  de  maisons  en  Anjou  ont  les  genoux  contre- 
pointez,  ainsi  avoient  ils  les  ventres  carrelez,  et  estoient  les 
carreleurs  de  ventre  en  grande  réputation  parmy  eux.  Ils 
avoient  la  braguette  de  leurs  chausses  à  forme  de  pantoufle, 
et  en  portoient  chascun  deux,  l'une  devant  et  l'autre  derrière 
cousue,  affermans,  par  ceste  duplicité  braguatine,  quelques 
abscons  et  horrifiques  misteres  estre  duement  représentez.  Ils 
portoient  souliers  ronds  comme  bassins,  à  l'imitation  de  ceux 
qui  habitent  la  mer  areneuse  :  du  demourant  avoient  la  barbe 
tase  et  pieds  ferrats.  Et  pour  monstrer  que  de  Fortune  ils  ne 
se  soucient,  il  les  faisoit  raire  et  plumer,  comme  cochons,  la 
partie  postérieure  de  la  teste,  depuis  le  sommet  jusques  aux 
omoplates,  Les  cheveux  en  devant,  depuis  les  os  biegmati- 
ques,  croissoient  en  liberté.  Ainsi  contrefortunoient,  comme 
gens  aucunement  ne  se  soucians  des  biens  qui  sont  au  monde. 
Deffians  davantage  Fortune  la  diverse,  portoient,  non  en 
main  comme  elle,  mais  à  la  ceincture,  en  guise  de  patenostres, 
chascun  un  rasouer  tranchant,  lequel  ils  esmouloient  deux 
fois  par  jour,  et  affiloient  trois  fois  de  nuict. 

Dessus  les  pieds  chascun  portoit  une  boulle  ronde,  parce 
qu'est  dit  Fortune  en  avoir  une  soubs  ses  pieds.  Le  cahuet  de 
leurs  scaputions  estoit  devant  attaché,  non  derrière  ;  en  ceste 
façon  avoient  le  visaige  caché,  et  se  moquoient  en  liberté, 
tant  de  Fortune  comme  des  fortunez,  ne  plus  ne  moins  que 
font  nos  damoiselles  quand  c'est  qu'elles  ont  leur  cache-laid, 
que  vous  nommez  touret  de  nez  :  les  anciens  le  nomment 
chareté,  parce  qu'il  couvre  en  elles  de  péchez  grande  multi- 
tude. Avoient  aussi  tousjours  patente  la  partie  postérieure 
de  la  teste,  comme  nous  avons  le  visaige  :  cela  estoit  cause 
qu'ils  alloient  de  ventre  ou  de  cul,  comme  bon  leur  sembloit. 
S'ils  alloient  de  cul,  vous  eussiez  estimez  estre  leur  alleure 
naturelle,  tant  à  cause  des  souliers  ronds  que  de  la  braguette 
précédente,  la  face  aussi  derrière  rase  et  peinte  rudement, 
avec  deux  yeux,  une  bouche  comme  vous  voyez  es  nois  lûdi- 


288  LIVRE    V,     CHAPITRE    XXVII 

ques.  S'ils  alloient  de  ventre,  vous  eussiez  pensé  que  fussent 
gens  jouans  au  chapifou.  C'estoit  belle  chose  de  les  voir. 

Leur  manière  de  vivre  estoit  telle.  Le  clair  lucifer  commen- 
çant apparoistre  sus  terre,  ils  s'entrebottoient  et  esperon- 
noient  l'un  l'autre  par  charité.  Ainsi  bottez  et  esperonnez 
dormoient  ou  ronfloient  pour  le  moins  :  et  dormans,  avoient 
bezicles  au  nez,  ou  lunettes  pour  pire. 

Nous  trouvions  ceste  façon  de  faire  estrange  ;  mais  ils  nous 
contentèrent  en  la  response,  nous  remonstrans  que,  le  juge- 
ment final  lors  que  seioit,  les  humains  prendroient  repos  et 
sommeil.  Pour  donc  evidentement  monstrer  qu'ils  ne  refu- 
soient  y  comparoistre,  ce  que  font  les  fortunez,  ils  se  tenoient 
bottez,  esperonnez,  et  prests  à  monter  à  cheval  quand  la 
trompette  sonner  oit. 

Midy  sonnant  (notez  que  leurs  cloches  estoient,  tant  de 
l'horloge  que  de  l'Eglise  et  refectoir,  faictes  selon  la  devise 
Pontiale,  savoir  est,  de  fin  duvet  contrepoincté,  et  le  batail 
estoit  d'une  queue  de  renard),  midy  donques  sonnant,  ils 
s'esveilloient  et  debottoient;  pissoient  qui  vouloit,  et  esmeu- 
tissoient  qui  vouloit;  esternuoient  qui  vouloit.  Mais  tous,  par 
contrainte,  statut  rigoureux,  amplement  et  copieusement 
baisloient,  se  desjeun oient  de  baisler.  Le  spectacle  me  sem- 
bloit  plaisant  :  car,  leurs  bottes  et  espérons  mis  sus  un  raste- 
lier,  ils  descendoient  aux  cloistres  :  là  se  lavoient  curieuse- 
ment les  mains  et  la  bouche,  puis  s'asseoient  sus  une  longue 
selle,  et  se  enrôlent  les  dens  jusques  à  ce  que  le  Prévost  fist 
signe,  sifflant  en  paulme  :  lors  chascun  ouvroit  la  gueule  tant 
qu'il  pouvoit,  et  baisloient  aucunefois  demie  heure,  aucunefois 
plus,  et  aucunefois  moins,  selon  que  le  Prieur  jugeoit  le  des- 
jeusner  estre  proportionné  à  la  feste  du  jour,  et  après  cela 
faisoient  une  belle  procession,  en  laquelle  ils  portoient  deux 
bannières,  en  l'une  desquelles  estoit  en  belle  peincture  le 
pourtrait  de  Vertu,  en  l'autre,  de  Fortune.  Un  Fredon  pre- 
mier portoit  la  bannière  de  Fortune,  après  luy  marchoit  un 


PANTAGRUEL  289 

autie  portant  celle  de  Vertu,  en  main  tenant  un  aspersoir 
mouillé  en  eau  mercuriale,  descrite  par  Ovide  en  ses  Fastes, 
duquel  continuellement  il  comme  fouettoit  le  précèdent  Fre- 
don,  portant  Fortune. 

«  Cest  ordre,  dist  Panurge,  est  contre  la  sentence  de  Ciceron 
et  des  Académiques,  lesquels  veulent  Vertu  précéder,  suyvre 
Fortune,  b  Nous  fut  toutesfois  reraonstré  qu'ainsi  leur  conve- 
noit  il  faire,  puis  que  leur  intention  estoit  de  fustiger  For- 
tune. 

Durant  la  procession,  ils  fredoimoient  entre  les  dens  mélo- 
dieusement ne  sçay  quelles  antiphones,  car  je  n'entendois 
leur  patelin  :  et  ententivement  escoutant,  apperceu  qu'ils  ne 
chantoient  que  des  aureilles.  O  la  belle  armonie,  et  bien  con- 
cordante au  son  de  leurs  cloches  !  Jamais  ne  les  voirrez  dis- 
cordans.  Pantagruel  fîst  un  notable  mirifique  sus  leur  proces- 
sion, et  nous  dist  :  «  Avez  vous  veu  et  noté  la  finesse  de  ces  Fre- 
dons  icy?  Pour  parfaire  leur  procession,  ils  sont  sortis  par 
une  porte  de  l'église,  et  sont  entrez  par  l'autre.  Ils  se  sont  bien 
gardez  d'entrer  par  où  ils  sont  yssus.  Sus  mon  honneur,  ce 
sont  quelques  fines  gens  :  je  dy  fins  à  dorer,  fins  comme  une 
dague  de  plomb,  fins  non  affinez,  mais  afîinans,  passés  par 
estamine  fine.  —  Ceste  finesse,  dist  frère  Jean,  est  extraicte 
d'occulte  Philosophie,  et  n'y  entends  au  diable,  rien.  —  D'au- 
tant, respondit  Pantagruel,  est-elle  plus  redoutable  que  Ion 
n'y  entend  rien.  Car  finesse  entendue,  finesse  preveuë,  finesse 
descouverte,  perd  de  finesse  et  l'essence  et  le  nom  :  nous  la 
nommons  lourderie.  Sur  mon  honneur,  qu'ils  en  savent  bien 
d'autres  !  » 

La  procession  achevée  comme  promenement  et  exercita- 
tion  salubre,  ils  se  retiroient  en  leur  refectoir,  et  dessous  les 
tables  se  mettoient  à  genoux,  s'appuyans  la  poictrine  et 
stomach  chacun  sus  une  lanterne.  Eux  estans  en  cest  état, 
cntroit  au  grand  Esclot,  ayant  une  fourche  en  main,  et  là 
les  traitoit  à  la  fourche  :  de  sorte  qu'ils  commençoient  leur 
T.  II.  19 


ago  LIVR]-,    V,    CHAPITRE    XXVII 

repas  pai*  fourmage,  et  l'achevoient  par  moustaxde  et  laictue, 
comme  tesmoigne  Martial  avoir  esté  l'usage  des  Anciens. 
Enfin  on  leur  presentoit  à  chascun  d'eux  une  platelee  de 
moustarde  après  disner. 

Leur  diette  estoit  telle  :  au  dimanche  ils  mangeoient  bou- 
dins, andouilles,  saucissons,  fricandeaux,  hastereaux,  cail- 
lettes, exceptez  tousjours  le  fourmage  d'entrée  et  moustarde 
pour  l'issue.  Au  lundy,  beaux  pois  au  lard,  avec  ample  com- 
ment et  glose  interlineare.  Au  mard}^  force  pain  benist, 
fouaces,  gasteaux,  gallettes  biscuites.  Au  mercredy,  rusterie  : 
ce  sont  belles  testes  de  mouton,  testes  de  veau,  testes  de  be- 
douaux,  lesquelles  abondent  en  icelle  contrée.  Au  jeudy,  pota- 
ges de  sept  sortes,  et  moustarde  éternelle  parmy.  Au  ven- 
vredy,  rien  que  cormes,  encores  n'estoient  elles  trop  meures, 
selon  que  juger  je  pou  vois  à  leur  couleur.  Au  samedy,  ron- 
geoient  les  os  :  non  pourtant  estoient  ils  pauvres  ne  souffre- 
teux, car  un  chascun  avoit  bénéfice  de  ventre  bien  bon.  Leur 
boire  estoit  vin  antifortunal  :  ainsi  appelloient  ils  je  ne  sçay 
quel  breuvage  du  pays.  Quand  ils  vouloient  boire  ou  manger, 
ils  rabbatoient  les  cahuets  de  leurs  scaputions  par  le  devant, 
et  leur  servoit  de  baviere. 

Le  disner  parachevé,  ils  prioient  Dieu  tresbien  et  tout  par 
fredons;  le  reste  du  jour,  attendans  le  jugement  final,  ils 
s'exerçoient  à  œuvre  de  charité  :  au  dimanche,  se  pelaudans 
l'un  l'autre;  au  lundy,  s'entrenazardans ;  au  mardy,  s'entres- 
gratignans;  au  mercredy,  s'entremouchans;  au  jeudy,  s'en- 
tretirans  les  vers  du  nez;  au  vendredy,  s'entrechatouillans ;  au 
samedy,  s'entrefouettans. 

l^elle  estoit  leur  diette  quand  ils  residoiettt  en  couveht.  Si 
pai  commandement  du  Prieur  claustral  ils  issoient  hors, 
défense  rigoureuse,  sus  peine  horrifique,  leur  estoit  faite, 
poisson  lors  ne  toucher  ne  manger  qu'ils  seroient  sur  tner  ou 
rivière;  ne  chair,  telle  qu'elle  lust,  lors  que  ils  seroient  en 
terre  ferme,  afin  qu'à  un  chascun  fust  évident  qu'en  jouyssans 


t'ANTAGRUEL  29! 

de  Tobjct  ne  jouyssoient  de  la  puissance  et  concupiscence,  et 
ne  s'en  esbranloient  non  plus  que  le  roc  Marpesian  :  le  tout 
faisoient  avec  antiphones  compétentes  et  à  propos,  tous- 
jours  chantans  des  aureilles,  comme  avons  dict.  Le  soleil 
soy  couchant  en  l'Océan,  ils  bottoient  et  esperonnoient  l'un 
l'autre  comme  devant,  et  bezicles  au  nez,  se  composoient  à 
dormir.  A  la  minuit  l'Esclot  entroit,  et  gens  debout  :  là 
esmouloient  et  affiloient  leurs  lasouers,  et  la  procession 
faite,  mettoient  les  tables  sus  eux,  et  repaissoient  comme 
devant. 

Frère  Jean  des  Entommeures.  voyant  ces  joyeux  frères 
Fredons,  et  entendant  le  contenu  de  leurs  statuts,  perdit 
toute  contenance,  et,  s'escriant  hautement,  dist  :  «  O  le  gros 
rat  à  la  table  !  Je  romps  cestuy  là,  et  m'en  vais  par  Dieu  de 
pair.  O  que  n'est  icy  Priapus,  aussi  bien  que  fust  aux  sacres 
nocturnes  de  Candie,  pour  le  veoir  à  plein  fond  peder,  et 
contrepedant  fredonner  !  A  ceste  heure  congnois  je,  en  vérité, 
que  sommes  en  serre  Anticlitone  et  Antipode.  En  Germanie 
Ion  desmolit  monastères  et  defroque-on  les  Moynes  ;  icy  on  les 
érige  à  rebours  et  à  contrepoil.  » 


CHAPITRE  XXVIII 

Comment   panurge,   interroguaxt   un   frère   fredon, 
n'eust   respoxse   de   luy   qu'en   monosyllabes 


Panurge,  depuis  nostre  entrée,  n'avoit  autre  chose  que  pro- 
fondement contemplé  le  minois  de  ces  royaux  Fredons  ;  adonc 
tira  par  la  manche  un  d'iceux  maigre  comme  un  diable  soret, 
et  luy  demanda  :  «  Frater,  fredon,  fredan,  fredanguille,  où  est 
lasrarse?» 


^92 


LIVRE    V,    CHAPIÎRE    XXVIÎÎ 


Le  Frepon  luy  respond  :  «  Bas. 
Panurce.  En  avez  vous  beaucoup 

céans? 
Fr.  Peu. 

P.  Combien  au  vray  sont  elles? 
Fr.  Vingt. 

P.  Combien  en  voudriez  vous? 
Fr.  Cent. 

P.  Où  les  tenez  vous  cachées? 
Fr.  Là. 
P.  Je  suppose  qu'elles  ne  sont  toutes 

d'un  aage,  mais  quel  corsage  ont 

elles? 
Fr.  Droit. 
P.  Le  teint,  quel? 
Fr.  Lis. 

P.  Les  cheveux? 
Fr.  Blonds. 
P.  Les  yeux,  quels? 
Fr.  Noirs. 
P.  Les  tetins? 
Fr.  Ronds. 
P.  Le  minois? 
Fr.  Coint. 
P.  Les  sourcils? 
Fr.  Mois. 

P.  Leurs  attraicts? 
Fr.  Meurs. 
P.  Leur  regard? 
Fr.  Franc. 
P.  Les  pieds,  quels? 
Fr.  Plats. 
P.  Les  talons? 
Fr.  Courts. 
P.  Le  bas,  quel? 
Fr.  Beau. 
P.  Et  les  bras? 
Fr.  Longs. 

P.  Que  portent  elles  aux  mains? 
Fr.  Gands. 

P.  Les  anneaux  du  doigt,  de  quoy? 
Fr.  D'or. 

P.  Qu'employez  à  les  vestir? 
Fr.  Drap. 

P.  De  quel  drap  les  vestez  vous? 
Fr.  Neuf. 
P.  De  quelle  couleur  est  il? 


Fr.  Pers. 

P.  Leur  chapperonnage,  quel? 

Fr.  Bleu. 

P.  Leur  chaussure,  quelle? 

Fr.  Brun. 

P.  Tous  les  susdits  draps,  quels  sont 

ils? 
Fr.  Fins. 

P.  Qu'est  ce  de  leurs  soulliers? 
Fr.  Cuir. 

P.  Mais  quels  sont-ils  volontiers? 
Fr.  Ords. 

P.  Ainsi  marchent  en  place? 
Fr.  Tost. 
P.  Venons  à  la  cuisine,  je  dis  des 

garses;  et  sans  nous  haster  esplu- 

chons   bien   tout   par  le   menu. 

Qu'y  a  il  en  cuisine? 
Fr.  Feu. 

P.  Qui  entretient  ce  feu  là? 
Fr.  Bois. 

P.  Ce  bois  icy,  quel  est  il? 
Fr.  Sec. 

P.  De  quels  arbres  le  prenez? 
Fr.  D'If. 

P.  Le  menu  et  les  fagots? 
Fr.  D'houst. 

P.  Quel  bois  bruslez  en  chambre? 
Fr.  Pins. 

P.  Et  quels  arbres  encores? 
Fr.  Teils. 
P.  Des  garses  susdites,  j'en  suis  de 

moitié;  comment  les  nourrissez 

vous? 
Fr.  Bien. 

P.  Que  mangent  elles? 
Fr.  Pain. 
P.  Quel? 
Fr.  Bis. 

P.  Et  quoy  plus? 
Fr.  Chair. 
P.  Mais  comment? 
Fr.  Rost. 

P.  Mangent  elles  point  souppesi 
Fr.  Point. 
P.  Et  de  pâtisserie? 
Fr.  Prou. 


I 


PANTAGRUEL 


293 


P.  J'en  suis;  mangent  elles  point 
poisson? 

Fr.  Si. 

P.  Comment?  Et  quoy  plus? 

Fr.  Œufs. 

P.  Et  les  aiment? 

Fr.  Cuits, 

P.  Je  demande  comment  cuits? 

Fr.  Durs. 

P.  Est  ce  tout  leur  repas? 

Fr.  Non. 

P.  Quoy  donc,  qu'ont-elles  d'avan- 
tage? 

Fr.  Bœuf. 

P.  Et  quoy  plus? 

Fr.  Porc. 

P.  Et  quoy  plus? 

Fr.  Oys. 

P.  Quoy  d'abondant? 

Fr.  Jars. 

P.  Item? 

Fr.  Coqs. 

P.  Qu'ont  elles  pour  leur  saulce? 

FR.^Sel. 

P.  Et  pour  les  friandes? 

Fr,  Moust. 

P.  Pour  l'issue  du  repas? 

Fr.  Ris. 


P.  Et  quoy  plus? 

Fr.  Laict. 

P.  quoy  plus? 

Fr.  Pois. 

P.  Mais  quels  pois  entendez  vous? 

Fr.  Vers. 

P.  Que  mettez  vous  avec? 

Fr.  Lard. 

P.  Et  des  fruicts? 

Fr.  Bons. 

P.  Quoy? 

Fr.  Cruds. 

P.  Plus? 

Fr.  Noi.K. 

P.  Mais  comment  boivent  elles? 

Fr.  Net. 

P.  Quoy? 

Fr.  Vin. 

P.  Quel? 

Fr.  Blanc. 

P.  En  hyver? 

Fr.  Sain. 

P.  Au  printemps? 

Fr.  Brusq. 

P.  En  esté? 

Fr.  Frais. 

P.  En  autonne  et  vendange? 

Fk.  Doux. 


—  Pote  de  froc,  s'escria  frère  Jean,  comment  ces  mastines 
icy  fredonniques  devroient  estre  grasses,  et  comment  elles 
devroient  aller  au  trot,  veu  qu'elles  repaissent  si  bien  et  copieu- 
sement !  —  Attendez,  dist  Panurge,  que  j'achève. 

P.  Quelle  heure  est  quand  elles  se    P.  Et  quand  elles  se  lèvent? 

couchent?  Fr.  Jour. 

Fr.  Nuyt. 


—  Voicy,  dist  Panurge,  le  plus  gentil  Fredon  que  je  chevau- 
chay  de  cest  an  :  pleust  à  Dieu  et  au  benoist  sainct  Fredon, 
et  à  la  benoiste  et  digne  vierge  saincte  Fredonne,  qu'il  fust 
premier  Président  de  Paris  !  Vertu  goy,  mon  amy,  quel  expé- 
diteur de  causes,  quel  abreviateur  de  procès,  quel  vuydeur 


^94 


LIVRF.    V,    CHAPITRE    XXVIII 


de  débats,  quel  esplucheur  de  sacs,  quel  fueilleteur  de 
papiers,  quel  minuteur  d'escritures  ce  seroit  !  Or  maintenant 
venons  sur  les  aultres  vivres,  et  parlons  à  traits  et  à  sens 
rassis  de  nos  dictes  sœurs  en  charité. 


P.  Quel  est  le  formulaire? 

Fr.  Gros. 

P.  A  l'entrée? 

Fr.  Frais. 

P.  Au  fond? 

Fr.  Creux. 

P.  Je  disois  qu'il  y  fait? 

Fr.  Chaud. 

P.  Qu'v  a  il  au  bord? 

FR.~Pûil. 

P.  Quel? 

Fr.  Roux. 

P.  Et  celuy  des  plus  vieilles? 

Fr.  Gris. 

P.  Le  sacquement  d'elles,  quel? 

Fr.  Prompt. 

P.  Le  remuement  des  fesses? 

Fr.  Dru. 

P.  Toutes  sont  voltigeantes? 

Fr.  Trop. 

P.  Vos  instruments,  quels  sont  ils? 

Fr.  Grands. 

P.  En  leur  marge,  quels? 

Fr.  Ronds. 

P.  Le  bout,  de  quelle  couleur? 

Fr.  Baile. 

P.  Quand  ils  ont  fait,  quels  sont  ils? 

I'r.  Cois. 


P.  Les  genitoires,  quels  sont? 

Fr.  Lourds. 

P.  En  quelle  façon  troussez? 

Fr.  Prés. 

P.  Quand  c'est  fait,  quels  devien- 
nent? 

Fr.  Mats. 

P.  Or  par  le  serment  qu'avez  faict, 
quand  voulez  habiter,  comment 
les  projettez  vous? 

Fr.  Jus. 

P.  Que  disent  elles  en  culletant? 

Fr.  Mot. 

P.  Seulement  elles  vous  font  bonne 
chère;  au  demourant  elles  pen- 
sent au  jolj'  cas? 

Fr.  Vray. 

P.  Vous  font  elles  des  enfans? 

Fr.  Nuls. 

P.  Comment  couchez  ensemble? 

Fr.  Nuds. 

P.  Par  ledit  serment  qu'avez  faict, 
quantes  fois  de  bon  compte  ordi- 
nairement le  faites  vous  par  jour? 

Fr.  Six. 

P.  Et  de  nuyt? 

Fr.  Dix. 


—  Cancre,  dist  frère  Jean,  le  paillard  ne  daigneroit  passer 
seize;  il  est  honteux. 

P.  Voire,  le  ferois  tu  bien  autant,    Fr.  Rien. 

frère  Jean?  Il  est,  par  Dieu,  ladre    P.  Je  perds  mon  sens  en  ce  poinct. 

verd.  Ainsi  font  les  aultres? 
Fr.  Tous. 

P.  Qui  est  de  tous  le  plus  gallant? 
Fr.  Moy. 
P.  N'y  faites  vous  onques  faute? 


Ayant  vuydé  et  espuisé  en  ce  jour 
précèdent  tous  vos  vases  sperma- 
tiques,  au  jour  subséquent  y  en 
peut  il  tant  avoir? 
Fr.  Plus.  ■■ 


PANTAGRUEL  295 

P.  Ils  ont,  ou  je  resve,  l'herbe  de  P.  Comment  les  chastiez  vous? 

rindie  célébrée  par  Thcophraste.  Fr.  Fort. 

Mais  si  par  empeschement  legi-  P.  Et  en  faictes  quoy  sortir? 

time,  ou  autrement,  en  ce  déduit  Fr.  Sang. 

advient    quelque    diminution    de  P.  En  cela  devient  leur  teint? 

membre,  comment  vous  en  trou-  Fr.  Tainct. 

vez  vous?  P.  Mieux  pour  vous  il  ne  serait? 

Fr.  Mal.  Fr.  Painct. 

P.  Et  lors  que  font  les  garses?  P.  Aussi  restez  vous  tousjours? 

Fr.  Bruit.  Fr.  Craints. 

P,  Et  si  cessiez  un  jour?  P.  Depuis  elles  vous  cuidcnt? 

Fr.  Pis.  Fr.  Saincts. 

P,  Alors  que  leur  donnez  vous?  P.  Par  ledit  serment  de  bois  qu'avez 
Fr.  Trunc.  fait,  quelle  est  la  saison  de  l'année 

P,  Que  vous  font  elles  pour  lors?  quand  plus  laschement  le  faites? 

Fr.  Bren.  Fr.  Aoust. 

P.  Que  dis  tu?  P.  Celle  quand  plus  brusquement? 

Fr.  Peds.  Fr.  Mars. 

P.  De  quel  son?  P.  Au  reste  vous  le  faites? 

Fr.  Cas.  Fr.  Gay.  » 

Alors  dist  Panurge  en  souriant  :  «  Voicy  le  pauvre  Fredon 
du  monde  :  avez  vous  entendu  comment  il  est  résolu,  som- 
maire et  compendieux  en  ses  responses  ?  Il  ne  rend  que  mono- 
syllabes. Je  croy  qu'il  feroit  d'une  cerise  trois  morceaux.  — 
Corbieu,  dist  frère  Jean,  ainsi  ne  parle  il  mie  avec  ses  garses, 
il  y  est  bien  polysyllabe  :  vous  parlez  de  trois  morceaux  d'une 
cerise;  par  sainct  Gris,  je  jurerois  que  d'une  espaule  de  mous- 
ton  il  ne  feroit  que  deux  morceaux,  et  d'une  quarte  de  vin 
qu'un  traict.  Voyez  comment  il  est  hallebrené.  — ■  Ceste,  dist 
Epistemon,  meschante  ferraille  de  moines  sont  pour  tout  le 
monde  ainsi  aspres  sus  les  vivres,  et  puis  nous  disent  qu'ils 
n'ont  que  leur  vie  en  ce  monde.  Que  diable  ont  les  Roys  et 
grands  Princes?  » 


296  LIVRE    V,    CHAPITRE    XXIX 

CHAPITRE  XXIX 

COMMENT  l'institution   DE   QUARESME  DESPLAIST  A  EPISTEMON 


«  Avez  vous,  dist  Epistemon,  noté  comment  ce  meschant 
et  malautru  Fredon  nous  a  allégué  Mars  comme  mois  de 
luffiennerie?  —  Ouy,  respondit  Pantagruel,  toutesfois  il  est 
tousjours  en  quaresme,  lequel  a  esté  institué  pour  macérer 
la  chair,  mortifier  les  appétits  sensuels,  et  resserer  les  furies 
vénériennes.  —  En  ce,  dist  Epistemon,  pouvez  vous  juger  de 
quel  sens  estoit  celuy  du  Pape  qui  premier  l'institua,  que  ceste 
vilaine  savatte  de  Fredon  confesse  soy  n'estre  jamais  plus 
embrené  en  paillardise  qu'en  la  saison  de  quaresme  :  aussi 
pour  les  eNddentes  raisons  produites  de  tous  bons  et  sçavans 
médecins,  affermans  en  tout  le  decours  de  l'année  n'estre 
viandes  mangées  plus  excitantes  la  personne  à  lubricité  qu'en 
cestuy  temps  :  febves,  poix,  phaseols,  chiches,  oignons,  noix, 
huytres,  harans,  saleures,  garon,  salades  toutes  composées 
d'herbes  veneriques,  comme  eruce,  nasitord,  targon,  cres- 
son, berle,  response,  pavot  cornu,  houbelon,  figues,  ris,  rai- 
sins. 

—  Vous,  dist  Pantagruel,  seriez  bien  esbahy,  si  voyant  le 
bon  Pape,  instituteur  du  Sainct  quaresme,  estre  lors  la  saison 
quand  la  chaleur  naturelle  sort  du  centre  du  corps,  auquel 
s'estoit  contenue  durant  les  froidures  de  l'hyver,  et  se  dispert 
par  la  circonférence  des  membres  comme  la  sève  faict  es 
arbres,  auroit  ces  viandes,  qu'avez  dictes,  ordonnées  pour 
aider  à  la  multiplication  de  l'humain  lignage.  Ce  que  me  l'a 
faict  penser  est  que,  au  papier  baptistère  de  Touars,  plus 
grand  est  le  nombre  des  enfans  en  Octobre  et  No\'embre  nez, 
qu'es  dix  autres  mois  de  l'année,  lesquels,  selon  la  supputa- 


PANTAGRUEL  297 

tion  rétrograde,  tous  estoient  faits,  conceus  et  engendrez  en 
quaresme. 

—  Je,  dist  frère  Jean,  escoute  vos  propos,  et  y  prends  plai- 
sir non  petit;  mais  le  Curé  de  Jambert  attribuoit  ce  copieux 
engrossissement  de  femmes,  non  aux  viandes  de  quaresme, 
mais  aux  petits  questeurs  voultés,  aux  petits  prescheurs 
bottés,  aux  petits  confesseurs  crottés,  lesquels  damnent,  par 
cestuy  temps  de  leur  empire,  les  ribaulx  mariez  trois  toises  au 
dessoubs  les  grifes  de  Lucifer.  A  leur  terreur  les  mariez  plus 
ne  biscotent  leurs  chambrières,  se  retirent  à  leurs  femmes. 
J'ay  dict. 

—  Interprétez,  dist  Epistemon,  l'institution  de  quaresme 
à  vostre  phantasie  :  chascun  abonde  en  son  sens;  mais  à  la 
suppression  d'iceluy,  laquelle  me  semble  estre  impendente, 
s'opposeront  tous  les  médecins,  je  le  sçay,  je  leur  ay  ouy  dire. 
Car  sans  le  quaresme,  seroit  leur  art  en  mespris,  rien  ne  gai- 
gneroient,  personne  ne  seroit  malade.  En  quaresme  sont  tou- 
tes maladies  semées  :  c'est  la  vraye  pépinière,  la  naïfve  couche 
et  promoconde  de  tous  maux.  Encores  ne  considérez  que  si 
quaresme  fait  les  corps  pourrir,  aussi  faict  il  les  âmes  enrager. 
Diables  alors  font  leurs  offices;  Caffards  alors  sortent  en 
place;  Cagots  tiennent  leurs  grands  jours,  force  sessions, 
stations,  perdonnances,  confessions,  fouettemens,  anathema- 
tisations.  Je  ne  veux  pourtant  inférer  que  les  Arismaspians 
soient  en  cela  meilleurs  que  nous,  mais  je  parle  à  propos. 

—  Orçà,  dist  Panurge,  couillon  cultant  et  fredonnant,  que 
vous  semble  de  cestuy  cy?  Est-il  pas  hérétique?  —  Fr.  Très. 

P.  Doit  il  pas  estre  bruslé?  Fr.  Mort. 

Fr.  Doibt.  P.  Car  il  vous  a  trop  fasché? 

P.  Et  le  plustost  qu'on  pourra?        Fr.  Las  ! 

Fr.  Soit.  P.  Que  vous  sembloit  il  estre? 

P.  Sans  le  faire  pourbouillir?  Fr.  Fol  ! 

Fr.  Sans.  P.  Vous  dictes  fol  ou  enragé? 

P.  En  quelle  manière  donc?  Fr.  Plus. 

Fr.  Vif.  P.  Que  voudriez  vous  qu'il  fust? 

p.  Si  qu'enfin  s'en  ensuyve?  Fr.  Ars, 


298  LIVRK    V,  CHAPITRE    XXX 

P.  Oa  en  a  bruslé  d'aultres?  Fr.  Maints. 

Fr.  Tant.  P.  Les  rachepterez  vous? 

P.  Oui  estoient  hérétiques?  Fr.  Grain. 

Fr.  Moins.  P.  Les  faut  il  pas  tous  bruslerî 

P.  Encores  en  bruslera  on?  Fr.  Faut. 


—  Je  ne  sçay,  dist  Epistenion,  quel  plaisir  vous  prenez  rai- 
sonnant avecques  ce  meschant  penaillon  de  moyne;  mais  si 
d'ailleurs  ne  m' estiez  congnu,  vous  me  créeriez  en  l'entende- 
ment opinion  de  vous  peu  honorable.  —  Allons  de  par  Dieu, 
dist  Panurge,  je  l'emmenerois  volontiers  à  Gargantua,  tant 
il  me  plaist;  quand  je  seray  marié  il  serviroit  à  ma  femme  de 
fou.  —  Voire  teur,  dist  Epistemon,  par  la  figure  de  Tmesis.  — 
A  ceste  heure,  dist  frère  Jean  en  riant,  as  tu  ton  vin,  pauvre 
Panurge;  tu  n'eschapperas  jamais  que  tu  ne  sois  coqu  jusques 
au  cul.  » 


CHAPITRE  XXX 

COMMENT    NOUS    VISITASMES    LE    PAYS    DE    SATIN 

Joyeux  d'avoir  veu  la  nouvelle  religion  des  frères  Fredons, 
navigasmes  par  deux  jours  :  au  troisième,  descouvrit  nostre 
Pilot  une  Isle  belle  et  délicieuse  sus  toutes  autres  ;  on  l'appel- 
loit  risle  de  Frize,  car  les  chemins  estoient  de  frize.  En  icelle 
estoit  le  pays  de  Satin,  tant  renommé  entre  les  pages  de  Cour  : 
duquel  les  arbres  et  herbes  jamais  ne  perdoient  fleurs  ne 
feuilles,  et  estoient  de  damas  et  velous  figuré.  Les  bestes  et 
oiseaux  estoient  de  tapisserie.  Là  nous  A'ismes  plusieurs 
bestes,  oiseaux  et  arbres,  tels  que  les  avons  de  par  de  ça,  en 
figure,  grandeur,  amplitude  et  couleur  :  excepté  qu'ils  ne 
mangeoient  rien,  et  point  ne  chantoient,  point  aussi  ne  mor- 
doient  ils  comme  font  les  nostres.  Plusieurs  aussi  y  vismes  que 
n'avions  encores  veu  :  entre  autres  y  \dsmes  divers  elephans 


PANTAGRUEL  299 

en  diverse  contenance  ;  sur  tous  j'y  notay  les  six  masles  et  six 
femelles  présentez  à  Rome,  en  théâtre,  par  leur  instituteur, 
au  temps  de  Germauicus,  nepveu  de  l'Empereur  Tibère,  cle- 
phans  doctes,  musiciens,  philosophes,  dcinseurs,  pavaniers, 
baladins,  et  estoient  à  table  assis  en  belle  composition,  beu- 
vans  et  mangeans  en  silence  comme  beaux  pères  au  refec- 
touer.  Ils  ont  le  museau  long  de  deux  coudées,  et  le  nommons 
proboscide,  avec  lequel  ils  puisent  eau  pour  boire,  prennent 
palmes,  prunes,  toutes  sortes  de  mangeailles,  s'en  deffendent 
et  offendent  comme  d'une  main  :  et  au  combat  jettent  les 
gens  haut  en  l'air,  et  à  la  cheute  les  font  crever  de  rire.  Ils  ont 
moult  belles  et  grandes  aureilles  de  la  forme  d'un  van.  Ils  ont 
joinctures  et  articulations  es  jambes;  ceux  qui  ont  escrit  le 
contraire  n'en  veirent  jamais  qu'en  peinture.  Enti'e  leurs 
dents  ils  ont  deux  grandes  cornes  :  ainsi  les  appelloit  Juba, 
et  dit  Pausanias  estre  cornes,  non  dents.  Philostrate  tient  que 
soient  dents,  non  cornes  :  ce  m'est  tout  un,  pourveu  qu'en- 
tendiez que  c'est  le  vray  yvoire,  et  sont  longues  de  trois  ou 
quatre  coudées,  et  sont  en  la  mandibule  supérieure,  non 
inférieure. 

Si  croyez  ceux  qui  disent  le  contraire,  vous  en  trouverez 
mal,  voire  fust  ce  Elian,  tiercelet  de  menterie.  Là,  non  ail- 
leurs, en  avoit  veu  Pline,  dansans  aux  sonnettes  sus  cordes, 
et  funambules  :  passant  aussi  sus  les  tables  en  plein  banquet, 
sans  offenser  les  beuveurs  beuvans. 

J'y  vy  un  rhinocéros  du  tout  semblable  à  celuy  que  Henry 
Clerberg  m' avoit  autrefois  monstre,  et  peu  differoit  d'un 
verrat  qu'autrefois  j'avois  veu  à  Limoges  :  excepté  qu'il  avoit 
une  corne  au  muffle,  longue  d'une  coudée  et  pointue,  de  la- 
quelle il  osoit  entreprendre  contre  un  éléphant  en  combat,  et 
d'icelle  le  poignant  sous  le  ventre  (qui  est  la  plus  tendre  et 
débile  partie  de  Felephant)  le  rendoit  mort  par  terre. 

J'y  vy  trente  deux  Unicornes  :  c'est  une  beste  félonne  à 
merveille,  du  tout  semblable  à  un  beau  cheval,  excepté  qu'elle 


300  LIVRE    V,    CHAPITRE    XXX 

a  la  teste  comme  un  cerf,  les  pieds  comme  un  éléphant,  la 
queue  comme  un  sanglier,  et  au  front  une  corne  aiguë,  noire, 
et  longue  de  six  ou  sept  pieds,  laquelle,  ordinairement,  luy 
pend  en  bas  comme  la  creste  d'un  coq  d'Inde  :  elle,  quand 
veut  combattre  ou  autrement  s'en  ayder,  la  levé  roide  et 
droite.  Une  d'icelles  je  vy  accompagnée  de  divers  animaux 
sauvages,  avec  sa  corne  emonder  une  fontaine.  Là  me  dist 
Panurge  que  son  courtaut  ressembloit  à  ceste  Unicorne,  non 
en  longueur  du  tout,  mais  en  vertu  et  en  propriété  :  car  ainsi 
comme  elle  purifioit  l'eau  des  mares  et  fontaines  d'ordure  ou 
venin  aucun  qui  y  estoit,  et  ces  animaux  divers,  en  seureté, 
venoient  boire  après  elle,  ainsi  seurement  on  pouvoit  après 
luy  fatrouiller  sans  danger  de  chancre,  vérole,  pisse-chaulde, 
pouUains  grenes,  et  tels  autres  menus  suffrages  :  car  si  mal 
aucun  estoit  au  trou  méphitique,  il  esmondoit  tout  avec  sa 
corne  nerveuse.  —  Quand,  dist  frère  Jean,  vous  serez  marié, 
nous  ferons  l'essay  sur  vostre  femme.  Pour  l'amour  de 
Dieu  soit,  puis  que  nous  en  donnez  instruction  fort  salubre.  — 
Voire,  respondit  Panurge,  et  soudain  en  l'estomac  la  belle 
petite  pillule  agrégative  de  Dieu,  composée  de  vingt-deux 
coups  de  poignart  à  la  Cesarine.  —  Mieux  vaudroit,  disoit 
frère  Jean,  une  tasse  de  quelque  bon  vin  frais.  » 

J'y  vy  la  toison  d'or,  conquise  par  Jason.  Ceux  qui  ont  dit 
n'estre  toison,  mais  pomme  d'or,  parce  que  ar^Xa  signifie 
pomme  et  brebis,  avoient  mal  visité  le  pays  de  Satin.  J'y  vy 
un  caméléon,  tel  que  le  descrit  Aristoteles,  et  tel  que  me 
l'avoit  quelquefois  monstre  Charles  Marais,  médecin  insigne 
en  la  noble  cité  de  Lyon  sur  le  Rosne,  et  ne  vivoit  que  d'air 
non  plus  que  l'autre. 

J'y  vy  trois  Hydres,  telles  qu'en  avois  ailleurs  autrefois 
veu.  Ce  sont  Serpens,  ayant  chascun  sept  testes  diverses.  J'y 
vy  quatorze  Phénix.  J 'avois  leu  en  divers  autheurs  qu'il  n'en 
estoit  qu'un  en  tout  le  monde,  pour  un  aage;  mais,  selon  mon 
petit  jugement,  ceux  qui  en  ont  escrit  n'en  veirent  onques 


PANTAGRUEL  30I 

ailleurs  qu'au  pays  de  tapisserie,  voire  fust-ce  Lactance  Fir- 
mian.  J'y  vy  la  peau  de  l'asne  d'or  d'Apulée.  J'y  vy  trois  cens 
et  neuf  Pélicans,  six  mille  et  seize  oiseaux  Seleucides,  mar- 
chans  en  ordonnance,  et  devorans  les  austerelles  parmy  les 
bleds;  des  Cynamolges,  des  Argathiles,  des  Caprimulges,  des 
Thynnuncules,  des  Crotenotaires,  voire,  dis  je,  des  Onocro- 
tales  avec  leur  grand  gosier,  des  Stymphalides,  Harpies, 
Panthères,  Dorcades,  Cemades,  Cynocéphales,  Satyres,  Car- 
tasonnes,  Tarandes,  Ures,  Monopes,  Pephages,  Cèpes,  Neares, 
Stères,  Cercopiteques,  Bisons,  Musimones,  Bytures,  Ophyres, 
Stryges,  Gryphes. 

J'y  vy  la  My  quaresme  à  cheval  (la  My  aoust  et  la  My  mars 
luy  tenoient  l'estaphe)  :  Loups-garoux,  Centaures,  Tygres, 
Léopards,  Hyènes,  Camelopardales,  Oryges. 

J'y  vy  une  Remore,  poisson  petit,  nommé  Echeneis  des 
Grecs,  auprès  l'une  grande  nauf,  laquelle  ne  se  mouvoit, 
encores  qu'elle  eust  pleines  voiles  en  haulte  mer  :  je  croy  bien 
que  c'estoit  celle  de  Periander,  le  tyran,  laquelle  un  poisson 
tant  petit  arrestoit  contre  le  vent.  Et  en  ce  pays  de  Satin, 
non  ailleurs,  l'avoit  veuë  Mutianus.  Frère  Jean  nous  dist  que 
par  les  Cours  de  Parlement,  souloient  jadis  régner  deux  sortes 
de  poisson,  lequels  faisoient  de  tous  poursuyvans,  nobles, 
roturiers,  pauvres,  riches,  grands,  petits,  pourrir  les  corps  et 
enrager  les  âmes.  Les  premiers  estoient  poissons  d'Avril  :  ce 
sont  maquereaux  ;  les  seconds  venefiques  remores  :  c'est  sem- 
pitemité  de  procès  sans  fin  de  jugement. 

J'y  vy  des  Sphinges,  des  Raphes,  des  Oinces,  des  Cephes, 
lesquels  ont  les  pieds  de  devant  comme  les  mains,  et  ceux  de 
derrière  comme  les  pieds  d'un  homme;  des  Crocutes,  des 
Eales,  lesquels  sont  grands  comme  hippopotames,  ayans  la 
queue  comme  elephans,  les  mandibules  comme  sangliers,  les 
cornes  mobiles  comme  sont  les  aureilles  d'asnes.  Les  Cucro- 
cutes,  bestes  très  légères,  grandes  comme  asnes  de  Mireba- 
lais,  ont  le  col,  la  queue  et  poictrine  comme  un  lion,  les  jambes 


302  LIVRE    V,    CHAPITRE    XXXI 

comme  un  cerf,  la  gueule  fendue  jusques  aux  aureilles,  et 
n'ont  autres  dents  qu'une  dessus  et  une  autre  dessous  :  elles 
parlent  de  voix  humaine,  mais  lors  mot  ne  sonnèrent.  Vous 
dictes  qu'on  ne  vit  onques  Aire  de  sacre;  vrayement  j'y  en  vy 
onze,  et  le  notez  bien. 

J'y  vy  des  hallebardes  gàucheres,  ailleurs  n'en  avois  veu. 

J'y  vy  des  Menthicores,  bestes  bien  estranges  :  elles  ont  le 
corps  comme  un  lion,  le  poil  rouge,  la  face  et  les  aureilles 
comme  un  homme,  trois  rangs  de  dents,  entrant  les  unes 
dedans  les  autres  comme  si  vous  entrelassiez  les  doigts  des 
deux  mains  les  uns  dedans  les  autres;  en  la  queue  elles  ont  un 
aiguillon,  duquel  elles  poignent,  comme  font  les  scorpions, 
et  ont  la  voix  fort  mélodieuse.  J'y  vy  des  Catoblepes.  bestes 
sauvages,  petites  de  corps,  mais  elles  ont  les  testes  grandes 
sans  proportion  :  à  peine  les  peuvent  lever  de  terre  :  elles  ont 
les  yeux  tant  vénéneux  que  quiconques  les  voit  meurt  sou- 
dainement, comme  qui  verroit  un  basilic.  J'y  vy  des  bestes 
à  deux  dos,  lesquelles  me  sembloient  joyeuses  à  merveille 
et  copieuses  en  culletis,  plus  que  n'est  la  mocitelle,  avecques 
sempiternel  remuement  de  cropions.  J'y  "^  des  escre visses 
laictees,  ailleurs  jamais  n'en  avois  veu,  lesquelles  marchoient 
en  moult  belle  ordonnance,  et  les  faisoit  moult  bon  veoir. 


CHAPITRE  XXXI 

LOMMENt     X\i     PAYS     DE     S.\TIN     NOUS     VEÎS.MliS     OCV-DIRE, 
TENANT     ESCOLE     DE    TESMOIGNERIE 

Passans  quelque  peu  avant  en  ce  pays  de  tapisserie,  vis  m  e 
la  mer  Méditerranée  ouverte  et  descouverte  jusques  aux 
abysmes,  tout  ainsi  comme  au  gouffre  Arabie  se  descouvrit  la 
mer  Erithree,  pour  faire  chemin  aux  Juifs  issans  d'Egypte. 


PANTAGRUEL  303 

Là  je  recongnu  Triton,  sonnant  de  sa  grosse  conchc,  Glaucus, 
Proteus,  Nereus,  et  mille  autres  dieux  et  monstres  marins. 
Vismes  aussi  nombre  infiny  de  poissons  en  espèces  diverses, 
dansans,  volans,  voltigeans,  combatans,  mangeans,  respirans, 
belutans,  chassans,  dressans  escamourches,  faisans  embus- 
cades, composans  trefves,  marchandans,  jurans,  s'esbatans. 

En  un  coing  là  prés  vismes  Aristoteles  tenant  une  lanterne, 
en  semblable  contenance  que  l'on  peint  l'hermite  prés  saint 
Christophe,  espiant,  considérant,  le  tout  rédigeant  par  escrit. 
Derrière  luy  estoient  comme  records  de  sergents  plusieurs 
autres  philosophes  :  Appianus,  Heliodorus,  Atheneus,  Por- 
phyrius,  Pancrates.  Archadian,  Numenius,  Possidonius, 
Ovidius,  Oppianus,  Olympius,  Seleucus,  Leonides,  Agatho- 
cles,  Theophrastes,  Damostrates,  Mutianus,  Nymphodorus, 
Elianus,  cinq  cens  autres  gens  aussi  de  loisir,  comme  fut  Chry- 
sippus  uo  Aristarchus  de  Sole,  lequel  demeura  cinquante 
huit  ans  à  contempler  Testât  des  abeilles,  sans  autre  chose 
faire.  Entre  iceux  j'y  advisay  Pierre  Gylles,  lequel  tenoit  un 
urinai  en  main,  considérant  en  profonde  contemplation  l'u- 
rine de  ces  beaux  poissons. 

Avoir  longuement  considéré  ce  pays  de  Satin,  dist  Panta- 
gruel :  «  J'ay  ici  longuement  repeu  mes  yeux,  mais  je  ne  m'en 
peux  en  rien  saouler;  mon  estomach  brait  de  maie  raige  de 
faim.  ■ —  Repaissons,  repaissons,  dis  je,  et  tastons  de  ces  ana- 
campserotes  qui  pendent  là  dessus.  Fy,  ce  n'est  rien  qui 
vaille.  »  Je  donques  prins  quelques  mirobalans  qui  pendoient  à 
un  bout  de  tapisserie;  mais  je  ne  les  peus  mascher,  n'avaUer, 
et  les  goustant  eussiez  proprement  dict  et  juré  que  fust  soye 
retorse,  et  n'avoient  saveur  aucune.  On  penseroit  qu'Heho- 
gabalus  là  eust  prins,  comme  transsumpt  de  bulle,  forme  de 
festoyer  ceux  qu'il  avoit  longtemps  fait  jeusner,  leur  promet- 
tant en  fin  banquet  somptueux,  abondant,  impérial;  puis  les 
paissoit  de  viandes  en  cire,  en  marbre,  en  potterie,  en  pein- 
tures et  nappes  figurées. 


304  LIVRE    V,    CHAPITRE    XXXI 

Cerchans  donques  par  ledit  pays  si  viandes  aucunes  trou- 
verions, en  entendismes  un  bruit  strident  et  divers,  comme  si 
fussent  femmes  lavant  la  buée  ou  traquets  de  moulins  du 
Bazacle  lez  Tolose;  sans  plus  séjourner,  nous  transportasmes 
au  lieu  où  c'estoit,  et  vismes  un  petit  vieillard  bossu,  contre- 
fait et  monstrueux  ;  on  le  nommoit  Ouy  dire  :  il  avoit  la  gueule 
fendue  jusques  aux  aureilles,  et  dedans  la  gueule  sept  langues, 
et  chaque  langue  fendue  en  sept  parties;  quoy  que  ce  fust,  de 
toutes  sept  ensemblement  parloit  divers  propos  et  langages 
divers  :  avoit  aussi  parmy  la  teste  et  le  reste  du  corps  autant 
d'aureilles  comme  jadis  eut  Argus  d'yeux;  au  reste  estoit 
aveugle  et  paralytique  des  jambes. 

Autour  de  luy  je  vy  nombre  innumerable  d'hommes  et  de 
femmes  escoutans  et  attentifs,  et  en  recongnu  aucuns  parmy 
la  trouppe  faisans  bon  minois,  d'entre  lesquels  un  pour  lors 
tenoit  une  mappemonde,  et  la  leur  exposoit  sommairement 
par  petits  aphorismes,  et  y  devenoient  clercs  et  sçavans  en 
peu  d'heures,  et  parloient  de  prou  de  choses  prodigieuses  ele- 
gantement  et  par  bonne  mémoire,  pour  la  centiesme  partie 
desquelles  sçavoir  ne  suffiroit  la  vie  de  l'homme  :  des  Pyra- 
mides, du  Nil,  de  Babylone,  des  Troglodites,  de  Hymantopo- 
podes,  des  Blemmyes,  des  Pigmees,  des  Canibales,  des  monts 
Hyperborees,  de  ^gipanes,  de  tous  les  diables,  et  tout  par 
Ouy  dire. 

Là  je  vy,  selon  mon  advis,  Hérodote,  Pline,  Solin,  Berose, 
Philostrate,  Mêla,  Strabo,  et  tant  d'autres  antiques,  plus 
Albert  le  Jacobin  grand,  Pierre  Tesmoin,  Pape  Pie  second, 
Volateran,  Paulo  Jovio  le  vaillant  homme,  Jacques  Cartier, 
Chaïton  Armenian,  Marc  Paule  Vénitien,  Ludovic  Romain, 
Piètre  Alvares,  et  ne  sçay  combien  d'autres  modernes  histo- 
riens cachez  derrière  une  pièce  de  tapisserie,  en  tapinois  escri- 
vans  de  belles  besongnes,  et  tout  par  Ouy  dire. 

Derrière  une  pièce  de  velours  figuré  à  feuilles  de  menthe, 
prés  d'Owy  dire,  je  vis  nombre  grand  de  Percherons  et  Man- 


PANTAGRUEL  305 

çeaux,  bons  estudians,  jeunes  assez  :  et  demandans  en  quelle 
faculté  ils  appliquoient  leur  estude,  entendismes  que  là  de 
jeunesse  ils  apprenoient  à  estre  tesmoins,  et  en  cestuy  art 
proufitoient  si  bien  que,  partans  du  lieu  et  retournez  en  leur 
province,  vivoient  lionnestement  du  niestier  de  tesmoignerie, 
rendans  seur  tesmoignage  de  toutes  choses  à  ceux  qui  plus 
donneroient  par  journée,  et  tout  par  Ouy  dire.  Dictes  en  ce 
que  vouldrez,  mais  ils  nous  donnèrent  de  leurs  chanteaux,  et 
beusmes  à  leurs  barils  à  bonne  chère.  Puis  nous  advertirent 
cordialement,  qu'eussions  à  espargner  vérité,  tant  que  pos- 
sible nous  seroit,  si  voulions  parvenir  en  Court  de  grands  sei- 
gneurs. 


CHAPITRE  XXXII 


COMMENT      NOUS      FUT      DESCOUVERT     LE      PAÏS      DE      LANTERNOIS 


Mal  traictez  et  mal  repeus  au  pays  de  Satin  navigasmes 
par  trois  jours  :  au  quatrième  en  bon  heur  approchasmes  de 
Lanternois.  Approchans  vismes  sur  mer  certains  petits  feuz 
volans  :  de  ma  part  je  pensois  que  fussent,  non  lanternes, 
mais  poissons,  qui  de  la  langue  flamboyans,  hors  la  mer  fissent 
feu;  ou  bien  Lampy rides  vous,  les  appelez  Cicindeles,  là 
reluisans  comme  au  soir  font  en  ma  patrie,  l'orge  venant  à 
maturité.  Mais  le  Pilot  nous  advertit  que  c'estoient  lanternes 
des  guets,  lesquelles  autour  de  la  banlieue  descouvroient  le 
pays,  et  faisoient  escorte  à  quelques  lanternes  estrangeres, 
qui,  comme  bons  CordeUers  et  Jacobins,  alloient  là  compa- 
roistre  au  chapitre  Provincial.  Doutans  toutesfois  que  fust 
quelque  prognostic  de  tempeste,  nous  asseura  qu'ainsi  estoit. 


T.  II. 


306  LIVRE    V,     CHAPITRE    XXXIII 


CHAPITRE  XXXIII 

COMMENT     NOUS     DESCENDISMES     AU     PORT     DES     LYCHNOBIENS, 
ET    ENTRASMES    EN    LANTERNOIS 


Sus  l'instant  entrasmes  au  port  de  Lanternois.  Là  sus  une 
haute  tour  recongnut  Pantagruel  la  lanterne  de  la  Rochelle, 
laquelle  nous  fist  bonne  clarté.  Vismes  aussi  la  lanterne  de 
Pharos,  de  Xauplion,  et  d'Acropolis  en  Athènes  sacrée  à  Pal- 
las.  Prés  le  port  est  un  petit  village  habité  par  les  Lychno- 
biens,  qui  sont  peuples  vivans  de  lanternes,  comme  en  nos 
païs  les  frères  briffaux  vivent  de  Nonnains,  gens  de  bien  et 
studieux.  Demosthenes  y  avoit  jadis  lanterné.  De  ce  heu 
jusques  au  palais  fusmes  conduits  par  trois  Obeliscolychnies, 
gardes  militaires  du  havre,  à  hauts  bonnets,  comme  Albanois, 
esquels  exposasmes  les  causes  de  nos  voyages  et  délibération, 
laquelle  estoit  là  impetrer  de  la  Royne  de  Lanternois  une 
lanterne  pour  nous  esclairer  et  conduire  par  le  voyage  que 
faisions  vers  l'oracle  de  la  Bouteille.  Ce  que  nous  promirent 
faire,  et  volontiers  :  adjoustant  qu'en  bonne  occasion  et  oppor- 
tunité estions  là  arrivez,  et  qu'avions  beau  faire  chois  de  lan- 
ternes, lors  qu'elles  tenoient  leur  chapitre  Provincial. 

Advenans  au  palais  royal,  fusmes  par  deux  lanternes 
d'honneur,  sçavoir  est,  la  lanterne  d'Aristophanes  et  la  lan- 
terne de  Cleanthes,  présentez  à  la  Royne,  à  laquelle  Panurge 
en  langage  Lanternois  exposa  briefvement  les  causes  de 
nostre  voyage.  Et  eusraes  d'elle  bon  recueil,  et  commande- 
ment d'assister  à  son  soupper,  pour  plus  facilement  choisir 
celle  que  voudrions  pour  guide.  Ce  que  nous  pleut  grande- 
ment, et  ne  fusmes  negligens  bien  tout  noter  et  tout  consi- 
dérer, tant  en  leurs  gestes,  vestemens  et  maintien,  qu'aussi 
en  l'ordre  du  service. 


PANTAGRUEL  307 

La  Royne  estoit  vestuë  de  cristallin  vierge,  par  art  de  tau- 
chie,  et  ouvrage  damasquin,  passementé  de  gros  diamans. 
Les  lanternes  du  sang  estoient  vestues,  aucunes  de  strain 
autres  de  pierres  phengites;  le  demourant  estoit  de  corne,  de 
papier,  de  toile  cirée.  Les  fallots  pareillement  selon  leurs  estats 
et  antiquité  de  leurs  maisons.  Seulement  j'en  advisay  une  de 
terre  comme  un  pot,  en  rang  des  plus  gorgiases  :  de  ce  m'es- 
bahissant,  entendy  que  c'estoit  la  lanterne  d'Epictetus,  de 
laquelle  on  avoit  autresfois  refusé  trois  mille  dragmes. 

J'y  consideray  diligentement  la  mode  et  accoustrement  de 
la  lanterne  Polymyxe  de  Martial,  encores  plus  de  l'Icosimixe, 
jadis  consacrée  par  Canope,  iille  de  Tisias.  J'y  notay  tresbien 
la  lanterne  Pensile,  jadis  prinse  de  Thebes  au  temple  d'Apollo 
Palatin,  et  depuis  transportée  en  la  ville  de  Cyme  Éolique 
par  Alexandre  le  Conquérant.  J'en  notay  une  autre  insigne, 
à  cause  d'un  beau  floc  de  soye  cfamoisine  qu'elle  avoit  sus  la 
teste.  Et  me  fut  dict  que  c'estoit  Bartole,  lanterne  de  droit. 
J'en  notay  pareillement  deux  autres  insignes,  à  cause  des 
bourses  de  clystere,  qu'elles  portoient  à  la  ceinture,  et  me  fut 
dict  que  l'une  estoit  le  grand,  et  l'autre  le  petit  Luminaire  des 
apothicaires. 

L'heure  du  soupper  venue,  la  Royne  s'assit  en  premier  lieu, 
consequemment  les  autres  selon  leur  degré  et  dignité.  D'en- 
trée de  table  toutes  furent  servies  de  grosses  chandelles  de 
mouUe,  excepté  que  la  Royne  fut  servie  d'un  gros  et  roidde 
flambeau  flamboyant  de  cire  blanche,  un  peu  rouge  par  le 
bout;  aussi  furent  les  lanternes  du  sang  exceptées  du  reste, 
et  la  lanterne  provinciale  de  Mirebalais,  laquelle  fut  servie 
d'une  chandelle  de  noix,  et  la  provinciale  du  bas  Poitou, 
laquelle  je  vis  estre  servie  d'une  chandelle  armée;  et  Dieu 
sçait  quelle  lumière  après  elles  rendoient  avec  leur  meche- 
rons.  Exceptez  icy  un  nombre  de  jeunes  lanternes,  du  gou- 
vernement d'une  grosse  lanterne.  Elles  ne  luisoient  comme  les 
autres,  mais  me  sembloient  avoir  les  paillardes  couleurs. 


3o8 


LIVRE    V,     CHAPITRE    XXXIII    bis 


Après  soupper  nous  relirasmes  pour  reposer.  Le  lendemain 
matin  la  Royne  nous  fist  choisir  une  lanterne,  pour  nous 
conduire,  des  plus  insignes.  Et  ainsi  prinsmes  congé. 


CHAPITRE  XXXIII  *>isi 


COMMENT    FURENT    LES    DAMES    LANTERNES    SERVIES    A    SOUPPER 


Les  vezes,  bouzines  et  cornemuses  sonnèrent  harmonieuse- 
ment, et  leur  furent  les  viandes  apportées.  A  l'entrée  du  pre- 
mier service,  la  reine  prit  en  guise  de  pillules  qui  sentent  si 
bon  (je  dis  ante  cihum)  pour  soy  desgresser  l'estomac,  une 
cueillerée  de  petasinne,  puis  furent  servies  : 


Des  corquignolles  savoreuses. 

Des  happelourdes. 

Des  badigonyeuses. 

Des  coquemares  à  la  vinaigrette. 

Des  coquecigrues. 

Des  etangourres. 

Des  ballivames  en  paste. 

Des  estrones  fins  à  la  nasardine. 

Des  aucbarcs  de  mer. 

Des  godiveaulx  de  lévrier  bien  bons. 

Du  promerdis  grand  viande. 

Des  bourbelettes. 

Primeronges. 

Des  bregizollons. 

Des  lansbregotz. 

Des  freleginingues. 

De  la  bistroye. 

Des  brigailles  mortifiées. 


Des  genabins  de  haute  fustaye. 

Des  starabillatz. 

Des  cormeabotz. 

Des  cornameuz  revestus  de  bize. 

De  la  gendarmenoyre. 

Des  jerangoys. 

De  la  trismarmaiUe. 

Des  ordisopiratz. 

De  la  mopsopige. 

Des  brebasenas. 

Des  fundrilles. 

Des  chinfrenaulx. 

Des  bubagotz. 

Des  volepupinges. 

Des  gafelages. 

Des  brenouzetz. 

De  la  mirelaridaine. 

De  la  croquepye. 


I.  Nous  intercalons  id  nn  chapitre  contenant  d'amples  détails  sur  le  souper  des 
Lanternes,  dont  il  vient  d'être  question.  Ce  chapitre  ne  se  trouve  pas  dans  les  édi- 
tions anciennes;  il  est  extrait  d'un  manuscrit  du  cinquième  livre  (voyez  la  B»W>o- 
graphie).  En  passant  ce  chapitre,  on  a,  sans  aucune  altération,  le  texte  de  la  pre- 
mière édition  complète  publiée  en  1564. 


PANTAGRUEL 


309 


En  second  service  furent  servies 


Des  ondrespondredetz. 

Des  entreduchz. 

De  la  friande  vestanpenarderye. 

Des  baguenauldes. 

Des  dorelotz  de  liepvre. 

Des  bandyelivagues,  viande  rare. 

Des  manigoulles  de  Levant. 

Des  brinborions  de  Ponnent. 

De  la  petaradine. 

Des  notrodilles 

De  la  vesse  couliere. 

De  la  foyre  en  braye. 

Du  suif  d'asnon. 

De  la  crotte  en  poil. 

Du  moinascon. 

Des  fanfreluches. 

Des  spopondrilloches. 

Du  laisse  moy  en  paix. 

Du  tire  toy  là. 

Du  boute  luy  toy  mesme. 

De  la  claquemain. 

Du  sainct  balleran. 

Des  epiboches. 

Des  ivrichaulx. 

Des  giboullées  de  mars. 

Des  triquebilles. 


De  la  bandaille. 

Des  smubrelotz. 

Des  je  renie  ma  vie. 

Des  hurtalis. 

De  la  patissandrye. 

Des  ancrastabotz. 

Des  babillebabous. 

De  la  marabire. 

Des  sinsanbregoys. 

Des  quaisse  quesse. 

Des  coquelicous. 

Des  maralipes. 

Du  brochancultis. 

Des  hoppelatz. 

De  la  marnitandaille  avec  beau  pis- 

sefort. 
Du  merdignon. 
Des  croquinpedaigues. 
Des  tintaloyes. 
Des  piedz  à  boulle 
Des  chinfrenaulx. 

Des  nez  d'as  de  treffles  en  paste. 
De  pasques  de  soles. 
Des  estafilades. 
Du  guyacoux. 


Pour  le  dernier  service  furent  présentées  : 


Des  drogues  semogues. 

Des  triquedandaines. 

Des  gringuenauldes  à  la  joncade. 

Des  brededins  brededas. 

De  la  galimaffrée  à  l'escafignade. 

Des  barabin  barabas. 

Des  moque  croquettes. 

De  la  huquemasche. 

De  la  tirlytantaine. 

Des  neiges  d'antan,  desquelles  ilz 

ont  eu  en  abondance  en  Lanter- 

nois. 
Des  gringalets. 
Du  sallehort. 
Des  mirelaridaines. 
Des  mizenas. 


Des  gresamines,  fruict  délicieux. 

Des  mariolets. 

Des  friquenelles. 

De  la  piedebillorie. 

De  la  mouchencuUade. 

Du  soufSe  au  cul  mien. 

De  la  menigance. 

Des  tritepoluz. 

Des  befaibemis. 

Des  aliborrins. 

Des  tirepetadans. 

Du  coquerin. 

Des  coquilles  betissons. 

Du  croquignolage. 

Des  tinctamarrois. 


310  LlVKi;    \',    CHAPITRE    XXXIII    bis 

Pour  desserte  apportèrent  ung  plain  plat  de  merde  cou- 
vert d'estrongs  fleuris  :  c'estoit  un  plat  plein  de  miel  blanc, 
couvert  d'une  guimple  de  soye  cramoisine. 

Leur  boitte  fut  en  tirelarigotz,  vaisseaulx,  beaulx  et  anti- 
ques, et  rien  ne  beurent  fors  Elaiodes,  breuvage  assez  mal 
plaisant  en  mon  goust;  mais  en  Lanternois  c'est  boitte  déi- 
fique;  et  s'enyvrent  comme  gens,  si  bien  que  je  veiz  une 
vieille  lanterne  ed entée  revestue  de  parchemin,  lanterne 
corporalle  d'autres  jeunes  lanternes,  laquelle  criant  aux  seme- 
tieres  :  Lampades  nostrœ  extinguntnr,  fut  tant  ivre  du  breu- 
vage qu'elle,  sus  chemin,  y  perdit  v\^e  et  lumière  :  et  feut  dict 
à  Pantagruel  que  souvent  en  Lanternois  ainsi  perissoient  les 
lanternes,  mesmes  au  temps  qu'elles  tenoient  chapitre. 

Le  soupper  finy,  furent  les  tables  levées.  Lors,  les  menes- 
triers  plus  que  devant  mélodieusement  sonnantz,  fut  par 
la  Roy  ne  commancé  un  bransle  double,  auquel  tous  et  falotz 
et  lanternes  ensemble  dansèrent.  Depuys  se  retira  la  Royne 
en  son  siège  :  les  autres  aux  dives  sons  des  bouzines  dansa- 
rent  diversement  comme  vous  pourrez  dire  : 

Serre  Martin.  Marry  de  par  sa  femme. 

C'est  la  belle  franciscaue.  La  gaye. 

Dessus  les  marches  d'Arras.  Malemaridade. 

Bastienne.  La  pamine. 

Le  trihorry  de  Bretagne.  Catherine. 

Heh',  pourtant  si  estes  belle.  Saint  Poe. 

Les  sept  visaiges.  Sanxerre. 

La  gaillarde.  Nevers. 

La  revergasse.  Picardie  la  jolye. 

Les  crappaulx  et  les  grues.  La  doulourouze. 

La  marquise.  Sans  elle  ne  puys. 

Si  j'ay  mon  joly  temps  perdu.  Curé,  venez  donc. 

L'espine.  Je  demeure  seulle. 

C'est  à  grand  tort.  La  mousque  de  Biscaye. 

La  frisque.  L'entrée  du  fol. 

Pas  trop  je  suys  brunette.  A  la  venue  de  Noël. 

De  mon  dueil  triste.  La  péronnelle. 

Quand  m'y  souvient.  Le  gouvernai. 

La  galliott  A  la  bannye. 

La  goutte.  Foix. 


PANTAGRUEL 


3IÏ 


Verdure. 

Princesse  d'amours. 

Le  cueur  est  mien. 

Le  cueur  est  bon. 

Jouissance. 

Cliasteaubriant. 

Beurre  fraiz. 

Elle  s'en  va. 

La  ducate. 

Hors  de  soulcy.  . 

Jacqueline. 

Le  grand  helas. 

Tant  ay  d'ennuy. 

Mon  cyeur  sera. 

La  seignore. 

Beauregard. 

Perrichon. 

Maulgré  danger. 

Les  grandz  regretz. 

A  l'ombre  d'un  buissonnet. 

La  douleur  qui  au  cueur  me  blesse. 

La  fleurie. 

Frère  Pierre. 

Va-t'en,  regret. 

Toute  noble  cité. 

N'y  boutez  pas  tout. 

Les  regretz  de  l'agneau. 

Le  bail  d'Espaigne. 

C'est  simplement  donné  congé. 

Mon  con  est  devenu  sergent. 

Expect  ung  poc  ou  pauc. 

Le  renom  d'un  esgaré. 

Qu'est  devenu,  ma  mignonne. 

En  attendant  la  grâce. 

En  elle  n'ay  plus  de  fiance. 

En    plainctz    et    pleurs   je    prends 

congé. 
Tire-toy  là,  Guillot. 
Amours  m'ont  faict  desplaisir. 
Les  soupirs  du  polin. 
Je  ne  sçay  pas  pourquoi. 
Faisons  la,  faisons. 
Noire  et  tannée. 
La  belle  Françoise. 
C'est  ma  pensée. 
O  loyal  espoir. 
C'est  mon  plaisir. 


Fortune. 

L'allemande. 

Les  pensées  de  ma  dame. 

Pensez  tous  la  peur. 

Belle,  à  grand  tort. 

Je  ne  sçay  pas  pourquoi. 

Helas,  que  vous  a  fait  mon  cueuu 

Hé  Dieu!  quelle  femme  j'avois' 

L'heure  est  venue  de  me  plaindre. 

Mon  cueur  sera  d'aymer. 

Qui  est  bon  à  ma  semblance. 

Il  est  en  bonne  heure  né. 

De  doleur  de  l'escuyer. 

La  douleur  de  la  charte. 

Le  grand  Allemant. 

Pour  avoir  faict  au  gré  de  mon  amy. 

Les  manteaulx  jaulnes. 

Le  moût  de  la  vigne. 

Toute  semblable. 

Crémone. 

La  mercière. 

La  tripière. 

Mes  enffans. 

Par  faulx  semblant. 

La  valantinoise. 

Fortune  à  tort. 

Testimonium. 

Calabre. 

L'estrac. 

Amours. 

Espérance. 

Robinet. 

Triste  plaisir. 

Rigoron  Pirouy. 

L'oysclet. 

Biscaye. 

La  douloureuse. 

Ce  que  sçavez. 

Qu'il  est  bon. 

Le  petit  helas. 

A  mon  retour. 

Je  ne  fais  plus. 

Pauvres  gensdarmes. 

Le  faulcheron. 

Ce  n'est  pas  jeu. 

Beauté. 

Te  gratie,  roine. 


3I' 


LIVRE    V,     CHAPITRE    XXXIII    bis 


Patience. 

Navarre. 

Jac  Bourdaing. 

Rouhault  le  fort 

Noblesse. 

Tout  au  rebours. 

Cauldas. 

C'est  mon  mal. 

Dulcis  arnica. 

Le  chauld. 

Les  chasteaulr 

La  giroflée. 

Vaz  an  moy. 

Jurez  le  prix. 

La  nuyt. 

Dieu  m'envoys. 
Bon  gouvernement. 
My  sonnet. 
Pampelime. 
Ilz  ont  menti. 
Ma  joye. 
Ma  cousine. 
Elle  revient. 
A  la  moictié. 


Tous  les  biens. 

Ce  qu'il  vous  plairra. 

Puisqu'en  amour  suys  malheureux. 

A  la  verdure. 

Sus  toutes  les  couleurs. 

En  la  bonne  heure. 

Or  fait  il  bon  aymer. 

Mes  plaisantz  champtz. 

Mon  joly  cueur. 

Bon  pied  bon  œiL 

Hau,  bergère,  mamye. 

La  tisserande. 

La  pavane. 

Hely,  pourtant  si  estes  belle, 

La  marguerite. 

Or  faict  il  bon. 

La  laine. 

Le  temps  passé. 

Le  joly  boys. 

L'heiure  vient. 

Le  plus  dolent. 

Touche  luy  l'anticaille. 

Les  hayes. 


Encore  les  veiz  je  danser  aux  chansons  de  Poictou  dictes 
par  ung  fallot  de  Sainct  Messant,  ou  un  grand  baislant  de 
Parthenay  le  Vieil. 

Notez,  beuveurs,  que  tout  alloit  de  hait;  et  se  faisoient  bien 
valoir  les  gentifs  fallotz  avecques  leurs  jambes  de  bois.  Sus 
la  fin  fut  apporte  vin  de  coucher  avecques  belle  mouscheen- 
culade,  et  fut  cr^'é  largesse  de  par  la  Roy  ne,  moyennant  une 
boitte  de  petasinne.  Lors  la  royne  nous  octroya  le  choix 
d'une  de  ses  lanternes  pour  nostre  conduicte,  telle  qu'il  nous 
plairoit.  Par  nous  fut  esleue  et  choisie  la  mye  du  grand 
M.  P.  Lamy,  laquelle  j'avois  autresfoys  congneue  à  bonnes 
enseignes.  Elle  pareillement  me  recongnoissoit,  et  nous  sem- 
bla plus  divine,  plus  hiUque,  plus  docte,  plus  saige,  plus 
diserte,  plus  humaine,  plus  débonnaire  et  plus  ydoine,  que 
autre  qui  fust  en  la  compaignye  pour  nostre  conduicte. 
Remercians   bien   humblement   la   dame   Royne,    feusmes 


PANTAGRUEL  313 

accompagnez  jusques  à  nostre  nauf  par  sept  jeunes  fallotz 
balladins,  ja  luysant  la  claire  Diane. 

Au  départir  du  palais,  je  ouys  la  voix  d'un  grand  fallot  à 
jambes  tortes,  disant  qu'un  bon  soir  vault  mieux  que  aultant 
de  bons  mastins  qu'il  y  a  eu  de  chastaignes  en  farce  d'oye 
depuis  le  déluge  de  Ogiges,  voulant  donner  entendre  qu'il 
n'est  bonne  chère  que  de  nuyt,  lorsque  lanternes  sont  en 
place,  accompagnées  de  leurs  gentils  fallotz.  Telles  chères 
le  soleil  ne  peult  veoir  de  bon  œil,  tesmoing  Jupiter  :  lorsqu'il 
coucha  avecques  Alcmene  mère  d'Hercules,  il  le  feit  cacher 
deux  jours,  car  peu  devant  il  avoit  descouvert  le  larcin  de 
Mars  et  de  Venus. 


CHAPITRE  XXXIV 

COMMENT     NOUS     ARRIVASMES     A     L'oRACLE     DE     LA     BOUTEILLE 

Nostre  noble  Lanterne  nous  esclairant,  et  conduisant  en 
toute  joyeuseté,  arrivasmes  en  l'isle  désirée,  en  laquelle  estoit 
l'oracle  de  la  Bouteille.  Descendant  Panurge  en  terre  fîst  sur 
un  pied  la  gambade  en  l'air  gaillardement,  et  dist  à  Panta- 
gruel :  «  Aujourd'huy  avons  nous  ce  que  cherchons  avecques 
fatigues  et  labeurs  tant  divers.  »  Puis  se  recommanda  cour- 
toisement à  nostre  Lanterne.  Icelle  nous  commanda  tous  bien 
espérer,  et,  quelque  chose  qui  nous  apparust,  n'estre  aucune- 
ment effrayez. 

Approchans  au  temple  de  la  dive  Bouteille,  nous  convenoit 
passer  parmy  un  grand  vinoble  faict  de  toutes  espèces  de 
vignes,  comme  Phalerne,  Malvoisie,  Muscadet,  Taige,  Beaune, 
Mirevaux,  Orléans,  Picardent,  Arbois,  Coussi,  Anjou,  Grave, 
Corsicque,  Vierron,  Nerac  et  autres.  Le  dit  vinoble  fut  jadis 
par  le  bon  Bacchus  planté  avec  telle  bénédiction  que  tous 


314  LIVRE    V,    CHAl'lTRK    XXXI V 

temps  il  portoit  feuille,  fleur  et  fruict,  comme  les  orangiers 
de  Suraine.  Nostre  Lanterne  magnifique  nous  commanda 
manger  trois  raisins  par  homme,  mettre  du  pampre  en  nos 
souliers,  et  prendre  une  branche  verde  en  main  gauche.  Au 
bout  du  vignoble  passasmes  dessous  un  arc  antique,  auquel 
estoit  le  trophée  d'un  beuveur  bien  mignonnement  insculpé, 
sçavoir  est  en  un  lieu,  long  ordre  de  flaccons,  bourraches, 
bouteilles,  fioles,  f arriéres,  barils,  barraux,  pots,  pintes, 
semaises  antiques,  pendentes  d'une  treille  ombrageuse;  en 
autre,  grande  quantité  d'ails,  oignons,  eschalottes,  jambons, 
boutargues,  parodelles,  langues  de  bœuf  fumées,  formages 
vieux,  et  semblable  confiture  entrelassee  de  pampre,  et  ensem- 
ble par  grande  industrie  fagottee  avecques  des  seps  :  en  autre, 
cent  formes  de  verres  comme  verres  à  pied  et  verres  à  che- 
val, cuveaux,  retombes,  hanaps,  jadaux,  salvernes,  tasses, 
gobelets,  et  telle  semblable  artillerie  Bacchique.  En  la  face 
de  l'arc  dessous  le  zoophore  estoient  ces  deux  vers  inscrips . 

Passant  icy  ceste  poterne 
Garny  toy  de  bonne  lanterne. 

«  A  cela,  dist  Pantagruel,  avons  nous  pourveu.  Car  en  toute 
la  région  de  Lanternois,  n'y  a  Lanterne  meilleure  et  plus 
divine  que  la  nostre.  « 

Cestuy  arc  finissoit  en  une  belle  et  ample  tonnelle,  toute 
faicte  de  ceps  de  vignes,  aornez  de  raisins  de  cinq  cens  cou- 
leurs diverses,  et  cinq  cens  diverses  formes  non  naturelles, 
mais  ainsi  composées  par  art  d'agriculture,  jaunes,  bleux, 
tanez,  azurez,  blancs,  noirs,  verds,  violets,  riolez,  piolez, 
longs,  ronds,  torangles,  couillonnez,  couronnez,  barbus,  ca- 
bus,  herbus.  La  fin  d'icelle  estoit  close  de  trois  antiques  lierres, 
bien  verdoyans  et  tous  chargez  de  bacques.  Là  nous  commande 
nostre  illustrissime  Lanterne,  de  ce  lierre  chascun  de  nous  se 
faire  un  chappeau  albanois,  et  s'en  couvrir  toute  la  teste. 
Ce  que  fut  faict  sans  demeure.  «  Dessous,  dist  lors  Pantagruel, 


PANTAGRUEL  315 

ceste  treille  d'eust  ainsi  jadis  passé  la  Pontife  de  Jupiter.  — 
La  raison,  dist  nostre  preclare  Lanterne,  estoit  mystique.  Car 
y  passant  auroit  le  vin,  ce  sont  les  raisins,  au  dessus  de  la 
teste,  et  sembleroit  estre  comme  maistrisée  et  dominée  du 
vin,  pour  signifier  que  les  Pontifes,  et  tous  personnages,  qui 
s'addonnent  et  dédient  à  contemplation  des  choses  divines, 
doivent  en  tranquillité  leurs  esprits  maintenir,  hors  toute 
perturbation  de  sens  :  laquelle  plus  est  manifestée  en  yvro- 
gnerie  qu'en  autre  passion,  quelle  que  soit. 

«  Vous  pareillement  au  temple  ne  seriez  receus  de  la  dive 
Bouteille,  estans  par  cy  dessous  passez,  sinon  que  Bacbuc 
la  noble  Pontife  vist  de  pampre  vos  souliers  plains  :  qui  est 
acte  du  tout,  et,  par  entier  diamètre  contraire  au  premier,  et 
signification  évidente,  que  le  vin  vous  est  en  mespris,  et  par 
vous  conculqué  et  subjugué.  —  Je,  dist  frère  Jean,  ne  suis 
point  clerc,  dont  me  desplaist;  mais  je  trouve  dedans  mon 
bréviaire  qu'en  la  Révélation  fut,  comme  chose  admirable, 
veue  une  femme  ayant  la  lune  sous  les  pieds  :  c' estoit,  comme 
m'a  exposé  Bigot,  pour  signifier  qu'elle  n' estoit  de  la  race  et 
nature  des  autres,  qui  toutes  ont  à  rebours  la  lune  en  teste, 
et  par  conséquent  le  cerveau  tou.çjours  lunatique  :  cela  m'in- 
duit facilement  à  croire  ce  que  dictes,  madame  Lanterne 
m' amie.  » 


CHAPITRE  XXXV 

COMMENT     NOUS     DESCENDISMES     SOUBS    TERRE 

POUR     ENTRER     AU     TEMPLE     DE     LA      BOUTEILLE,      ET     COMMENT 

CHINON     EST     LA     PREMIERE     VILLE     DU     MONDE 


Ainsi  descendismes  sous  terre  par  un  arceau  incrusté  de 
piastre,  peint  au  dehors  rudement  d'une  danse  de  femmes  et 
Satyres,  accompagnans  le  vieil  Silenus  riant  sus  son  asne.  Là 


3l6  LIVRE    V,     CHAPITRE    XXXV 

je  disois  à  Pantagruel  :  «  Ceste  entrée  me  révoque  en  souvenir 
la  Cave  peinte  de  la  première  ville  du  monde  :  car  là  sont 
peinctures  pareilles  en  pareille  fraicheur,  comme  icy.  —  Où 
est?  demanda  Pantagruel;  qui  est  ceste  première  ville  que 
dictes?  —  Chinon,  dis  je,  ou  Caynon  en  Touraine.  —  Je  sçay, 
respondit  Pantagruel,  où  est  Chinon,  et  la  Cave  peinte  aussi, 
j'y  ay  beu  maints  verres  de  vin  frais,  et  ne  fais  doute  aucune 
que  Chinon  ne  soit  ville  antique,  son  blason  l'atteste,  auquel 
est  dit  :  Chinon  (deux  ou  trois  fois  :)  Chinon,  petite  ville,  grand 
renom,  assise  sus  pierre  ancienne,  au  haut  le  bois,  au  pied  la 
Vienne.  Mais  comment  seroit  elle  ville  première  du  monde? 
Où  le  trouvez  vous  par  escrit?  Quelle  conjecture  en  avez  !  — 
Je,  dy-je,  trouve  en  l'Escriture  sacrée  que  Cayn  fut  le  premier 
bastisseur  de  villes  :  vray  donques  semblable  est  que  la  pre- 
mière il  de  son  nom  nomma  Caynon,  comme  depuis  ont  à 
son  imitation  tous  autres  fondateurs  et  instaurateurs  de 
viUes  imposé  leurs  noms  à  icelles  :  Athene  (c'est  en  grec 
Minerve),  à  Athènes;  Alexandre,  à  Alexandrie;  Constantin,  à 
Constantinople  ;  Pompée,  à  PompéiopoHs  en  CiUcie  ;  Adrian,  à 
Adrianople;  Cana,  aux  Cananéens;  Saba,  aux  Sabéians; 
Assur,  aux  Assyriens;  Ptolomaïs,  Cesarée,  Tiberium,  Hero- 
dium,  en  Judée.  » 

Nous  tenans  ces  menus  propos,  sortit  le  grand  flasque  (nos- 
tre  Lanterne  l'appelloit  Phlosque)  gouverneur  de  la  dive  Bou- 
teille, accompagné  de  la  garde  du  temple,  et  estoient  tous  Bou- 
teillons  François.  Iceluy  nous  voyant  Tyrsigcre?,  comme  j'ay 
dit,  et  couronnez  de  Lierre,  recognoissant  aussi  nostre  insigne 
Lanterne,  nous  fist  entrer  en  seureté,  et  commanda  que  droit 
on  nous  menast  à  la  princesse  Bacbuc,  dame  d'honneur  de 
la  Bouteille,  et  Pontife  de  tous  les  mystères.  Ce  que  fut  f aict. 


PANTAGRUEL  317 


CHAPITRE  XXXVI 

COMMENT     NOUS     DESCENDISMES     LES     DEGREZ     TETRADIQUES, 
ET     DE     LA     PEUR     QU'EUT     PANURGE. 


Depuis  descendismes  un  degré  marbrin  sous  terre,  là  estoit 
un  repos  :  tournans  à  gauche  en  descendismes  deux  autres,  là 
estoit  un  pareil  repos;  puis  trois  à  destour,  et  repos  pareil,  et 
quatre  autres  de  mesme.  Là  demanda  Panurge  :  «  Est  ce  icy? 

—  Quants  degrez,  dist  nostre  magnifique  Lanterne,  avec 
compté?  —  Un,  respondit  Pantagruel,  deux,  trois,  quatre.  — 
Quants  sont  ce?  demanda  elle.  —  Dix,  respondit  Pantagruel. 

—  Par,  dist  elle,  mesme  tétrade  Pythagorique,  multipliez  ce 
qu'avez  résultant.  —  Ce  sont,  dist  Pantagruel,  dix,  vingt, 
trente,  quarante.  —  Combien  fait  le  tout?  dist  elle.  —  Cent, 
respondit  Pantagruel.  —  Adjoustez,  dist  elle,  le  cube  pre- 
mier, ce  sont  huit;  au  bout  de  ce  nombre  fatal  trouverons  la 
porte  du  temple.  Et  y  notez  prudentement  que  c'est  la  vraye 
Psychogonie  de  Platon,  tant  célébrée  par  les  Académiciens,  et 
tant  peu  entendue  :  de  laquelle  la  moictié  est  composée 
d'unité  des  deux  premiers  nombres  plains,  de  deux  quadran- 
gulaires,  et  de  deux  cubiques. 

Descendans  ces  degrez  numereux  sous  terre,  nous  feirent 
bien  besoin  premièrement  nos  jambes,  car  sans  iceUes  ne  des- 
cendions qu'en  roullant  comme  tonneaux  en  cave;  seconde- 
ment nostre  preclare  Lanterne,  car  en  ceste  descente  ne  nous 
apparoissoit  autre  lumière  non  plus  que  si  nous  fussions  au 
trou  de  sainct  Patrice  en  Hybernie,  ou  en  la  fosse  de  Tropho- 
nius  en  Bëotie.  Descendue  environ  septante  et  huit  degrez, 
s'escria  Panurge,  addressant  sa  parolle  à  nostre  luy santé  lan- 
terne :  «  Dame  mirifique,  je  vous  prie  de  cœur  contrit,  retour- 


3l8  LIVRE    V,     CHAPITRE    XXXVI 

noiis  en  arrière.  Par  la  mort  bœuf,  je  meurs  de  malle  peur.  Je 
consens  jamais  ne  me  marier.  Vous  avez  prins  de  peine  et 
fatigues  beaucoup  pour  moj'';  Dieu  vous  le  rendra  en  son 
grand  rendouer;  je  n'en  seray  ingrat  issant  hors  ceste  caverne 
de  Troglodytes.  Retournons  de  grâce.  Je  doubte  fort  que  soit 
icy  Tenare,  par  lequel  on  descend  en  Enfer,  et  me  semble 
que  j'oy  Cerberus  abbayant.  Escoutez,  c'est  luy,  ou  les  aureil- 
les  me  cornent  :  je  n'ay  à  luy  dévotion  aucune,  car  il  n'est 
mal  des  dents  si  grand  que  quand  les  chiens  nous  tiennent  aux 
jambes.  Si  c'est  icy  la  fossé  de  Trophonius,  les  Lémures  et 
Lutins  nous  mangeront  tous  vifs,  comme  jadis  ils  mangèrent 
un  des  hallebardiers  de  Demetrius,  par  faute  de  bribes.  Es 
tu  là,  frère  Jean?  Je  te  prie,  mon  bedon,  tiens  toy  prés  de 
moy,  je  meurs  de  peur.  As  tu  ton  bragmart?  Encores  n'ay  je 
armes  aucunes,  n' offensives,  ne  défensives.  Retournons. 

—  J'y  suis,  dist  frère  Jean;  j'y  suis,  n'ayes  peur;  je  te  tien 
au  collet,  dix-huit  diables  ne  t'emporteroient  de  mes  mains, 
encores  que  sois  sans  armes.  Armes  jamais  au  besoin  ne  failli- 
rent, quand  bon  cœur  est  associé  de  bon  bras  ;  plustost  armes 
du  Ciel  pleuveroient,  comme  aux  champs  de  la  Crau,  prés  les 
fosses  Mariannes  en  Provence,  jadis  pleurent  cailloux  (ils  y 
sont  encores)  pour  l'aide  d'Hercules,  n'ayant  autrement  de- 
quoy  combattre  les  deux  enfans  de  Neptune.  Mais  quoy  ! 
descendons  nous  icy  es  limbes  des  petits  enfans  (par  Dieu  ils 
nous  concilieront  tous),  ou  bien  en  Enfer  à  tous  les  diables? 
Cor  Dieu,  je  les  vous  galleray  bien  à  ceste  heure,  que  j'ay  du 
pampre  en  mes  souliers.  O  que  je  me  battray  verdement  ! 
Où  est-ce?  où  sont-ils  ?  Je  ne  crains  que  leurs  cornes.  Mais 
l'idée  des  cornes  que  Panurge  marié  portera  m'en  garantira 
entièrement.  Je  le  voy  jà,  en  esprit  prophétique,  un  autre 
Actéon  cornant,  cornu,  cornancul.  —  Garde,  frater,  dist 
Panurge,  attendant  qu'on  marira  les  Moines,  que  n'espouses 
la  fiebvre  quartaine.  Car  je  puisse  donc,  sauf  et  sain,  i*etoumer 
de  cestuy  Hypogée,  en  cas  que  je  ne  te  la  beline,  pour  seule- 


PANTAGRUEL  3^9 

ment  te  faire  cornigere,  cornipetant  :  autrement,  pense- je 
bien  que  la  fiebvre  quarte  est  assez  mauvaise  bague.  Il  me 
souvient  que  Grippe-minaud  te  la  voulut  donner  pour  femme 
mais  tu  l'appellas  hérétique,  n 

Icy  fut  le  propos  interrompu  par  nostre  splendide  Lanterne, 
nous  remonstrant  que  là  estoit  le  lieu  auquel  convenoit  favo- 
ret,  et  par  suppression  de  paroUes,  et  taciturnité  de  langues; 
du  demourant,  fit  response  pcremptoire  que  de  retourner 
sans  avoir  le  mot  de  la  Bouteille  n'eussions  d'espoir  aucun, 
puisqu'une  fois  avions  nos  souliers  feustrez  de  pampre. 

«  Passons  donques,  dist  Panurge.  et  donnons  de  la  teste  à 
travers  tous  les  diables.  A  périr  n'y  a  qu'un  coup.  Toutesfois 
je  me  reservois  la  vie  pour  quelque  bataille.  Boutons,  bou- 
tons, passons  outre.  J'ay  du  courage  tant  et  plus  :  vray  est 
que  le  cœur  me  tremble;  mais  c'est  pour  la  froideur  et  relen- 
teur de  ce  cavayn.  Ce  n'est  de  peur,  non,  ne  de  fiebvre.  Bou- 
tons, boutons,  passons,  poussons,  pissons  :  je  m'appelle  Guil- 
laume sans  peur.  » 


CHAPITRE  XXXVII 

COMMENT     LES     PORTES     DU     TEMPLE    PAR    SOY     MESME 
ADMIRABLEMENT    s'ENTR'OUVRIRENT 


En  fin  des  degrez  rencontrasmes  un  portail  de  fin  jaspe, 
tout  compassé  et  basty  à  ouvrage  et  forme  Dorique,  en  la 
face  duquel  estoit  en  lettres  Ioniques,  d'or  trespeur,  escrite 
cette  sentence,  'Ev  olvto  àÀr;0:'.a.  c'est  à  dire  :  en  vin  vérité. 
Les  deux  portes  estoient  d'airain,  comme  Corinthian,  mas- 
sives, faites  à  petites  vinettes,  enlevées  et  esmaillees  mignon- 
neraent,  selon  l'exigence  de  la  sculpture,  et  estoient  ensemble 
jointes  et  refermées  epgalement  en  lem"  mortaise,  sans  cla- 


320  LIV^RE    V,    CHAPITRE    XXXVII 

vure,  sans  catenat,  sans  lyaison  aucune  :  seulement  y  pendoit 
un  diamant  Indique,  de  la  grosseur  d'une  febve  ^Egyptia- 
tique,  enchâssé  en  or  obrize  à  deux  pointes,  en  figure  exa- 
gone,  et  en  ligne  directe;  à  chascun  costé  vers  le  mur  pendoit 
une  poignée  de  scordeon. 

Là  nous  dist  nostre  noble  Lanterne  qu'eussions  son  excuse 
pour  légitime  si  elle  desistoit  plus  avant  nous  conduire  ;  seule- 
ment qu'eussions  à  obtempérer  es  instructions  de  la  Pontife 
Bacbuc  :  car  entrer  dedans  ne  luy  estoit  permis,  pour  certaines 
causes,  lesquelles  taire  meilleur  estoit  à  gens  vivans  vie  mor- 
telle, qu'exposer.  Mais,  en  tout  événement,  nous  commanda 
estre  en  cerveau,  n'avoir  frayeur  ne  peur  aucune,  et  d'elle 
se  confier  pour  la  retraite  :  puis  tira  le  Diamant  pendant  à  la 
commissure  des  deux  portes,  et  à  dextre  le  jetta  dedans  une 
capse  d'argent,  à  ce  expressément  ordonnée;  tira  aussi  de 
l'essueil  de  chascune  porte  un  cordon  de  soye  cramoisine 
longue  d'une  toise  et  demie,  auquel  pendoit  le  scordeon; 
l'attacha  à  deux  boucles  d'or,  expressément  pour  ce  pendantes 
aux  costez,  et  se  retira  à  part. 

Soubdainement  les  deux  portes,  sans  que  personne  y  tou- 
chast,  de  soy  mesme  s'ouvrirent,  et,  s'ouvrant,  firent  non 
bruit  strident,  non  frémissement  horrible,  comme  font  ordi- 
nairement portes  de  bronze  rudes  et  pesantes,  mais  doux  et, 
gracieux  murmur,  retentissant  par  la  voulte  du  temple 
duquel  soudain  Pantagruel  entendit  la  cause,  voyant  sous 
l'extrémité  de  l'une  et  l'autre  porte  un  petit  cylindre,  lequel 
par  sus  l'essueil  joignoit  la  porte,  et  se  tournant  selon  qu'elle 
se  tiroit  vers  le  mur,  dessus  une  dure  pierre  d'Ophytes,  bien 
terse,  et  esgalement  polie  par  son  frottement,  faisoit  ce  doux 
et  harmonieux  murmur. 

Bien  je  m'esbahissois  comment  les  deux  portes,  chascune 
par  soy,  sans  l'oppression  de  personne,  estoient  ainsi  ouvertes, 
pour  cestuy  cas  merveiUeux  entendre,  après  que  tous  fusmes 
dedans  entrez,  je  projettay  ma  veuë  entre  les  portes  et  le 


PANTAGRUEL  32I 

mur,  convoiteux  de  sçavoir  par  quelle  force  et  par  quel  ins- 
trument estoient  ainsi  refermées,  doutant  que  nostre  amiable 
Lanterne  eust,  à  la  conclusion  d'icelles  apposé  l'herbe  dite 
Ethiopis,  m.oyennant  laquelle  on  ouvre  toutes  choses  fer- 
mées; mais  j'apperceu  que  la  part  en  laquelle  les  deux  portes 
se  fermoient  en  la  mortaise  intérieure  estoit  une  lame  de  fin 
acier,  enclavée  sur  le  bronze  Corinthian. 

J'apperceu  d'avantage  deux  tables  d'Aimant  Indique, 
amples  et  espoisses  de  demye  paume,  à  couleur  cerulee,  bien 
licees  et  bien  polies;  d'icelles  toute  l'espoisseur  estoit  dedans 
le  mur  du  temple  engravee,  à  l'endroit  auquel  les  portes, 
entièrement  ouvertes,  avoient  le  mur  pour  fin  d'ouverture. 

Par  donques  la  rapacité  et  violence  de  l'Aimant,  les  lames 
d'acier,  par  occulte  et  admirable  institution  de  nature,  patis- 
soient  cestuy  mouvement;  consequemment  les  portes  y 
estoient  lentement  ravies  et  portées,  non  tous] ours  toutes- 
fois,  mais  seulement  l'Aimant  susdit  osté,  par  la  prochaine 
cession  duquel  l'acier  estoit  de  l'obéissance  qu'il  a  naturelle- 
ment à  l'Aimant  absout  et  dispensé,  ostees  aussi  les  deux 
poignées  de  scordeon,  lesquelles  nostre  joyeuse  Lanterne 
a  voit,  par  le  cordon  cramoisi,  esloignées  et  suspendues, 
parce  qu'il  mortifie  l'Aimant  et  despouille  de  ceste  vertu  at- 
tractive. 

En  l'une  des  tables  susdites,  à  dextre,  estoit  exquisitement 

insculpé,  en  lettres  Latines  antiquaires,  ce  vers  iambique, 

senaire  : 

Ducunt  voleniem  fata,  nolentem  trahunt. 
c  Les  destinées  mènent  celuy  qui  consent,  tirent  celuy  qui  refuse.  » 

En  l'autre  je  veis  à  senestre,  en  majuscules  lettres,  elegante- 
ment  insculpé  ceste  sentence  : 

TOUTES  CHOSES    SE   MEUVENT    A    LEUR    FIN 


T.  II. 


322  LIVRE    V,    CHAPITRE    XXXVIII 


CHAPITRE  XXXVIII 

COMMENT     LE     PAVÉ     DU     TEMPLE     ESTOIT     FAICT 
PAR    EMBLEMATURE    ADMIRABLE 


Luees  ces  inscriptions,  jettay  mes  yeux  à  la  contempla- 
tion du  magnifique  temple,  et  considerois  l'incredible  com- 
pacture  du  pavé,  auquel,  par  raison,  ne  peut  estre  ouvrage 
comparé  quiconque,  soit  ou  ait  esté  dessous  le  firmament, . 
fust-ce  celuy  du  temple  de  Fortune  en  Preneste,  au  temps  de 
Sylla;  ou  le  pavé  des  Grecs,  appelé  Asarotiim,  lequel  fit  Sosis- 
tratus  en  Pergame.  Car  il  estoit  ouvTage  tesseré,  en  forme  de 
petits  carreaux,  tous  de  pierres  fines  et  polies,  chascune  en  sa 
couleur  naturelle  :  l'une  de  Jaspe  rouge,  tainct  plaisamment 
de  diverses  macules;  l'autre,  d'Ophite;  l'autre,  de  Porphyre; 
l'autre,  de  Licopthalme,  semé  de  scintiles  d'or,  menues 
comme  atomes  ;  l'autre,  d'Agathe,  à  onde  de  petits  flammeaux 
confus  et  sans  ordre,  de  couleur  laictée;  l'autre,  de  Calcé- 
doine très  cher;  l'autre,  de  Jaspe  verd,  avec  certaines  veines 
rouges  et  jaunes,  et  estoient  en  leur  assiette  desparties  par 
ligne  diagonale. 

Dessus  le  portique,  la  structure  du  pavé  estoit  une  emble- 
mature  à  petites  pierres  rapportées,  chascune  en  sa  naïf  va 
couleur,  servans  au  dessein  des  figures,  et  estoit  comme  si 
par  dessus  le  pavé  susdit  on  eust  semé  une  jonchée  de  pam- 
pre, sans  trop  curieux  agensement.  Car,  en  un  lieu,  sembloit 
estre  espandu  largement;  en  l'autre,  moins  :  et  estoit  ceste 
infoliature  insigne  en  tous  endroits,  mais  singulièrement  y 
apparoissoient,  au  demy  jour,  aucuns  limassons,  en  un  heu, 
rampans  sus  les  raisins;  en  autre,  petits  hsars  courans  à  tra- 
vers le  Pampre  :  en  aultre  apparoissoient  raisins  à  demy,  et 


PANTAGRUEL  323 

raisins  totalement  meurs,  par  tel  art  et  engin  de  l'Archi- 
tecte composez  et  formez  qu'ils  eussent  aussi  facilement  deccu 
les  estourneaux  et  autres  petits  oiselets  que  fist  la  peinture 
de  Zeuxis  Heracleotain  ;  quoy  que  soit,  ils  nous  trompoient 
tresbien,  car,  à  l'endroit  auquel  l'Architecte  avoit  le  pampre 
bien  espois  semé,  craignans  nous  offenser  les  pieds,  nous  mar- 
chions haut  à  grandes  enjambées,  comme  on  fait  passant 
quelque  lieu  inégal  et  pierreux.  Depuis,  jetay  mes  yeux  à 
contempler  la  voulte  du  temple  avec  les  parois,  lesquels 
estoient  tous  incrustez  de  marbre  et  porphire,  à  ouvrage 
mosaycque,  avec  une  mirifique  emblemature  depuis  un  bout 
jusques  à  l'autre,  en  laquelle  estoit,  commençant  à  la  part 
senestre  de  l'entrée,  en  élégance  incroiable,  représentée  la 
bataille  que  le  bon  Bacchus  gagna  contre  les  Indians,  en  la 
manière  que  s'ensuit. 


CHAPITRE  XXXIX 


COMMENT     EN     L   OUVR.\GE     MOSAVQUE     DU     TEMPLE 

ESTOIT       REPRÉSENTÉE       LA       BATAILLE       QUE       BACCHUS       GAGNA 

CONTRE     LES    INDIANS 


Au  commencement  estoient  en  figure  diverses  villes,  vil- 
lages, chasteaux,  forteresses,  champs,  et  forets,  toutes 
ardentes  en  feu.  En  figure  aussi  estoient  femmes  diverses 
forcenées  et  dissolues,  lesquelles  nietoient  furieusement  en 
pièces  veaux,  moutons  et  brebis  toutes  vives,  et  de  leur  chair 
se  paissoient.  Là  nous  estoit  signifié  comme  Bacchus  entrant 
en  Indie  mettoit  tout  à  feu  et  à  sang. 

Ce  nonobstant,  tant  fut  des  Indiens  desprisé  qu'ils  ne  dai- 
gnèrent luy  aller  encontre,  ayans  advertissement  certain  par 
leurs  espions  qu'en  son  ost  n' estoient  gens  aucuns  de  guerre, 


324  LU'RE    V,     CHAPITRE    XXXIX 

mais  seulement  un  petit  bon  homme  vieux,  efféminé,  et  tou- 
jours yvre,  accompagné  de  jeunes  gens  agrestes,  tous  nuds, 
tousjours  dansans  et  sautans,  ayans  queues  et  cornes,  comme 
ont  les  jeunes  chevreaux,  et  grand  nombre  de  femmes  yvres. 
Dont  se  résolurent  les  laisser  outre  passer,  sans  y  résister  par 
armes  :  comme  si  à  honte  non  à  gloire,  à  deshonneur  et  igno- 
minie leur  revinst,  non  à  honneur  et  prouesse,  avoir  de  telles 
gens  victoire.  En  cestuy  despris,  Bacchus  tousjours  gagnoit 
païs,  et  mettoit  tout  à  feu  (pource  que  feu  et  foudre  sont  de 
Bacchus  les  armes  paternelles,  et  avant  naistre  au  monde  fut 
par  Jupiter  salué  de  foudre,  sa  mère  Semelé,  et  sa  maison 
maternelle  arse  et  destruite  par  feu),  et  à  sang  pareillement, 
car  naturellement  il  en  faict  au  temps  de  paix,  et  en  tire  au 
temps  de  guerre.  En  tesmoignage  sont  les  champs  en  l'Isle  de 
Samos  dits  Panema,  c'est  à  dire  tout  sanglant,  auxquels  Bac- 
chus les  Amazones  acconceut,  fuyantes  de  la  contrée  des 
Ephesians,  et  les  mist  toutes  à  mort  par  phlebothomie,  de 
mode  que  ledit  champ  estoit  de  sang  tout  ombeu  et  couvert. 
Dont  pourrez  doresnavant  entendre,  mieux  que  n'a  descrit 
Aristoteles  en  ses  problèmes,  pourquoy  jadis  on  disoit  en  pro- 
verbe commun  :  «  En  temps  de  guerre  ne  mange  et  ne  plante 
menthe.  »  La  raison  est,  car  en  temps  de  guerre  sont  ordinai- 
rement départis  coups  sans  respect  :  donques  l'homme  blessé, 
s'il  a  celuy  jour  manié  ou  mangé  menthe,  impossible  est,  ou 
bien  difficile,  luy  restreindre  le  sang.  Consequemment  estoit 
en  la  susdite  emblemature  figuré  comment  Bacchus  marchoit 
en  bataille,  et  estoit  sur  un  char  magnifique  tiré  par  trois 
couples  de  jeunes  pards  joints  ensemble;  sa  face  estoit  comme 
d'un  jeune  enfant,  pour  enseignement,  que  tous  bons  beu- 
veurs  jamais  n'envieiUissent,  rouge  comme  un  chérubin, 
sans  un  poil  de  barbe  au  menton;  en  teste  portoit  cornes 
aiguës  ;  au  dessus  d'icelles  une  belle  couronne  faite  de  pampres 
et  de  raisins,  avec  une  mitre  rouge  cramoisine,  et  estoit 
chaussé  de  brodequins  dorez. 


PANTAGRUEL  325 

En  sa  compagnie  n'estoit  un  seul  homme;  toute  sa  garde 
et  toutes  ses  forces  estoient  de  Bassarides,  Evantes,  Euhya- 
des,  Edonides,  Trietherides,  Ogygies,  Mimallones,  Menades, 
Thyades  et  Bacchides,  femmes  forcenées,  furieuses,  enragées, 
ceinctes  de  dragons  et  serpens  vifs  en  lieu  de  ceinctures,  les 
cheveux  voletans  en  l'air,  avecques  fronteaux  de  vignes  ;  ves- 
tues  de  peaux  de  Cerfs  et  de  Chevreuils,  portans  en  main 
petites  haches,  tyrses,  rançons,  et  hallebardes  en  forme  de 
noix  de  pin,  et  certains  petits  bouchers  légers  sonnans  et 
bruyans  quand  on  y  touchoit,  tant  peu  feust  desquels  elles 
usoient,  quand  besoin  estoit,  comme  de  tabourins  et  de  tym- 
bons.  Le  nombre  d'icelles  estoit  septante  et  neuf  miUe  deux 
cens  vingt  sept.  L'avant-garde  estoit  menée  par  Silenus, 
homme  auquel  il  avoit  sa  fiance  totaUe,  et  duquel  par  le 
passé  avoit  la  vertu  et  magnanimité  de  courage  et  prudence  en 
divers  endroits  congneu.  C'estoit  un  petit  vieillard  tremblant, 
courbé,  gras,  ventru  à  plein  bats  ;  et  les  aureilles  avoit  grandes 
et  droictes,  le  nez  pointu  et  aquiUn,  et  les  sourcilles  rudes  et 
grandes;  estoit  monté  sus  un  asne  couiUard  :  en  son  poing 
tenoit  pour  soy  appuyer  un  baston,  pour  aussi  gallantement 
combattre,  si  par  cas  convenoit  descendre  en  pieds,  et  estoit 
vestu  d'une  roble  jaulne  à  usage  de  femme.  Sa  compagnie 
estoit  de  jeunes  gens  champestres,  cornus  comme  chevreaux, 
et  cruels  comme  hons,  tous  nuds,  tousjours  chantans  et  dan- 
sans  les  cordaces  :  on  les  appeloit  Ty tires  et  Satyres.  Le  nom- 
bre estoit  octante  cinq  mille  six  vingts  et  treize. 

Pan  menoit  l'arriére  garde,  homme  horrifique  et  mons- 
trueux. Car  par  les  parties  inférieures  du  corps  il  ressem- 
bloit  à  un  bouc,  les  cuisses  avoit  velues,  portoit  cornes  en 
teste  droictes  contre  le  Ciel.  Le  visage  avoit  rouge  et 
enfiambé,  et  la  barbe  bien  fort  longue,  homme  hardy,  coura- 
geux, hazardeux,  et  facile  à  entrer  en  courroux;  en  main  se- 
nestre  portoit  une  flutte,  en  dextre  un  baston  courbé,  ses 
bandes  estoient  semblablement  composées  de  Satyres,  Hemi- 


3^6  LIVRE    V,    CHAPITRE    XL 

pans,  Egipans,  Aigipans,  Sylvains,  Faunes,  Fatues,  Lé- 
mures, Lares,  Farfadets  et  Lutins,  en  nombre  de  soixante  et 
dix-huit  mille  cent  et  quatorze.  Le  signe  commun  à  tous 
estoit  ce  mot  :  Evohe. 


CHAPITRE  XL 

COMMENT      EN      l' E  M  BLE  MATURE      ESTOIT      FIGURÉ      LE      HOURT 

ET    l'assaut 

QUE    DOKKOIT    LE    BON     BACCHUS     CONTRE     LES    INDIANS 

Consequemment  estoit  figuré  le  hourt  et  l'assaut  que  don- 
doit  le  bon  Bacchus  contre  les  Indians.  Là  considerois  que 
Silenus,  chef  de  l'avant  garde,  suoit  à  grosses  gouttes  et  son 
asne  aigrement  tourmentoit;  l'asne  de  mesme  ouvroit  la 
gueule  horriblement,  s'esmouchoit,  desmanchoit,  s'escar- 
mouchoit,  en  façon  espouvantable,  comme  s'il  eust  un  fieslon 
au  cul. 

Ses  Satyres,  Capitaines,  Sergens  de  bandes.  Caps  d'Escadre, 
Corporals,  avec  cornaboux  sonnant  les  orties,  furieusement 
tournoient  au  tour  de  l'armée  à  saux  de  chèvres,  à  bonds,  à 
pets,  à  ruades  et  penades,  donnan  courage  aux  compaignons 
de  vertueusement  combattre.  Tout  le  monde  en  figure  cryoit 
Evohe.  Les  Meandes  premières  faisoient  incursion  sur  les 
Indians  avec  cris  horribles,  et  sons  espouvantables  de  leurs 
tymbons  et  boucliers  :  tout  le  Ciel  en  retentissoit,  comme  dési- 
gnait l'Emblemature,  afin  que  plus  tant  n'admiriez  l'art 
d'Apelles,  Aristides  Thebain,  et  autres,  qui  ont  painct  les 
tonnerres,  esclairs,  foudres,  vents,  paroles,  moeurs,  et  les 
esprits. 

Consequemment  estoit  l'ost  des  Indians  comme  adverty 
que  Bacchus  mettoit  leur  pays  en  vastation.  En  front  estoient 


PANTAGRUEL  327 

les  Elephans,  chargés  de  Tours,  avec  gens  de  guerre  en  nom- 
bre infiny;  mais  toute  l'armée  estoit  en  routte  et  contre  eux, 
et  sus  eux  se  tournoient  et  marchoient  leurs  Elephans  par  le 
tumulte  horrible  des  Bacchides,  et  la  terreur  Panique  qui  leur 
avoit  le  sens  tollu.  Là  eussiez  vcu  Silenus  son  asne  aigrement 
talonner,  et  s'escrimer  de  son  baston  à  la  vieille  escrime,  son 
asne  voltiger  après  les  Elephans  la  gueule  bée,  comme  s'il 
brailloit,  et  braillant  martialement  (en  pareille  braveté  que 
jadis  es  veilla  la  nymphe  Lotis  en  plains  Bacchanales,  quand 
Priapus  plein  de  Priapisme,  la  vouloit  dormant  Priapiser 
sans  la  prier)  sonnast  l'assaut. 

Là  eussiez  veu  Pan  sauteler  avec  ses  jambes  tortes  autour 
des  Menades,  avec  sa  fluste  rustique  les  exciter  à  vertueuse- 
ment combastre.  Là  eussiez  aussi  veu  en  après  un  jeune 
Satyre  mener  prisonniers  dix-sept  Roys,  une  Bacchide  tirer 
avec  ses  Serpens  quarante  et  deux  Capitaines,  un  petit 
Faune  porter  douze  enseignes  prinses  sur  les  ennemis,  et  le 
bon  homme  Bacchus  sur  son  char  se  pourmener  en  seureté 
parmy  le  camp,  riant,  se  gaudissant  et  beuvant  d'autant  à 
un  chascun.  En  fin  estoit  représenté,  en  figure  emblématique, 
le  trophée  de  la  victoire  et  triomphe  du  bon  Bacchus. 

Son  char  triomphant  estoit  tout  couvert  de  Lierre,  prins 
et  cueilly  en  la  montagne  Meros,  et  ce  pour  la  rarité,  laquelle 
hausse  le  prix  de  toutes  choses,  en  Indie  expressément  d'icelles 
herbes.  En  ce  depuis  l'imita  Alexandre  le  Grand  en  son  triom- 
phe Indique,  et  estoit  le  char  tyré  par  Elephans  joints  ensem- 
ble. En  ce  depuis  l'imita  Pompée  le  Grand  à  Rome,  en  son 
triomphe  Africain.  Dessus  estoit  le  noble  Bacchus  beuvant 
en  un  canthare.  En  ce  depuis  l'imita  Caius  Marins,  après  la 
victoire  des  Cymbres,  qu'il  obtint  prés  Aix  en  Provence. 
Toute  son  armée  estoit  couronnée  de  Lierre;  leurs  tyrses, 
boucliers  et  tymbons  en  estoient  couvers.  Il  n'estoit  l'asne 
de  Silenus  qui  n'en  fust  cappai'assonné. 

Es  costez  du  char  estoient  les  Roys  Indians,  prins  et  liés 


328  LIVRE    V,     CHAPITRE    XLI 

à  grosses  chaisnes  d'or  ;  toute  la  brigade  marchoit  avec  pom- 
pes divines  en  joie  et  liesse  indicibles,  portant  infinis  trophées 
et  fercules  et  depsouilles  des  ennemis,  en  joyeux  Epinicies 
et  petites  chansons  villatiques  et  dithyrambes  resonnans. 
Au  bout  estoit  descript  le  pays  d'Egypte,  avec  le  Nil  et  ses 
Crocodiles,  Cercopithecques,  Ibides,  Singes,  Trochiles,  Ich- 
neumones.  Hippopotames,  et  autres  bestes  à  luy  domestiques, 
et  Bacchus  marchoit  en  icelles  contrées  à  la  conduite  de  deux 
bœufs,  sus  l'un  desquels  estoit  escrit  en  lettres  d'or  :  Apis, 
sus  l'autre  :  Osyris,  pource  qu'en  Egypte,  avant  la  venue  de 
Bacchus,  n'a  voit  esté  veu  bœuf  ny  vache. 


CHAPITRE  XLI 

COMMENT     LE    TEMPLE     ESTOIT     ESCLAIRÉ 
PAR     VNE     LAMPE    ADMIRABLE 


Avant  qu'entrer  en  l'exposition  de  la  Bouteille,  je  vous 
descriray  la  figure  admirable  d'une  Lampe,  moyennant 
laquelle  estoit  eslargie  lumière  par  tout  le  temple,  tant 
copieuse  qu'encores  qu'il  fust  subterrain  on  y  voyoit  comme 
en  plein  midy  nous  voyons  le  Soleil  cler  et  serain  luysant  sus 
terre.  Au  miUeu  de  la  voulte  estoit  un  anneau  d'or  massif 
attaché,  de  la  grosseur  de  plein  poing,  auquel  pendoient,  de 
grosseur  peu  moindre,  trois  chesnes  bien  artificiellement 
faites,  lesquelles  de  deux  pieds  et  demy  en  l'air  comprenoient 
en  figure  triangle  une  lame  de  fin  or,  ronde,  de  telle  grandeur 
que  le  diamètre  excedoit  deux  coudées  et  demye  palme.  En 
icelle  estoient  quatre  boucles  ou  pertuys,  en  chascune  des- 
quelles estoit  fixement  retenue  une  boule  vuyde,  cavée  par  le 
dedans,  ouverte  du  dessus,  comme  une  petite  Lampe,  ayant 


PANTAGRUEL  329 

en  circonférence  environ  deux  palmes,  et  estoient  toutes  de 
pierres  bien  précieuses  :  l'une  d'Améthyste,  l'autre  de  Car- 
boucle  Lybien,  la  tierce  d'Opalle,  la  quarte  d'Anthracithe. 
Chascune  estoit  pleine  d'eau  ardente  cinq  fois  distillée  par 
Alambic  serpentm,  incomsomptible  comme  l'huille  que  jadis 
mist  Callimachus  en  la  lampe  d'or  de  Pallas  en  l'Acropolis 
d'Athènes,  avec  un  ardent  lychnion  faict,  part  de  lin  Asbestin 
(comme  estoit  jadis  au  temple  de  Jvipiter  en  Ammonie,  et  le 
veit  Cleombrotus  philosophe  tresstudieux) ,  part  de  lin  Car- 
pasien,  lesquels  par  feu  plustost  sont  renouveliez  que  con- 
sommez. 

Au  dessouz  d'icelle  lampe,  environ  deux  pieds  et  demy,  les 
trois  chesnes  en  leurs  figures  premières  estoient  embouclées 
en  trois  anses,  lesquelles  issoient  d'une  grande  lampe  ronde 
de  Cristalin  trespur,  ayant  en  diamètre  une  coudée  et  demye, 
laquelle  au  dessus  estoit  ouverte  environ  deux  palmes  :  par 
ceste  ouverture  estoit  au  milieu  posé  un  vaisseau  de  Cristalin 
pareil,  en  forme  de  coucourde,  ou  comme  un  urinai,  et  descen- 
doit  jusques  au  fond  de  la  grande  lampe,  avec  telle  quantité 
de  la  susdicte  eau  ardente  que  la  flamme  du  lin  Asbestin  estoit 
droictement  au  centre  de  la  grande  lampe.  Par  ce  moyen 
sembloit  donc  tout  le  corps  spherique  d'icelle  ardre  et  enflam- 
boyer,  parce  que  le  feu  estoit  au  centre  et  poinct  moyen. 

Et  estoit  difficile  d'y  asseoir  ferme  et  constant  regard, 
comme  on  ne  peut  au  corps  du  Soleil,  obstant  la  matière  de  si 
merveilleuse  perspicuité,  et  l'ouvrage  tant  diaphane  et  subtil, 
par  la  reflexion  des  diverses  couleurs  (qui  sont  naturelles  es 
pierres  précieuses)  des  quatre  petites  lampes  supérieures  à 
la  grande  inférieure,  et  d'icelles  quatre  estoit  la  resplandeur  en 
tous  points  inconstante  et  vacillante  par  le  temple.  Venant 
davantage  icelle  vague  lumière  toucher  sur  la  poUissure  du 
marbre,  duquel  estoit  incrusté  tout  le  dedans  du  temple, 
apparoissoient  telles  couleurs  que  voyons  en  l'arc  céleste, 
quand  le  clair  Soleil  touche  les  nues  pluvieuses. 


330  LIVRE    V,     CHAPITRE    XLIl 

L'invention  cstoit  admirable,  mais  encores  plus  admirable, 
ce  me  sembloit,  que  le  sculpteur  avoit,  autour  de  la  corpu- 
lence d'icelle  lampe  ciistaline,  engravée,  à  ouvrage  catagly- 
phc,  une  prompte  et  gaillarde  bataille  de  petits  enfants  nuds, 
montez  sus  des  petits  chevaux  de  bois,  avec  lances  de  viro- 
lets,  et  pavois  faits  subtilement  de  grappes  de  raisins,  entre- 
lassez de  pampre,  avec  gestes  et  efforts  puériles  tant  ingénieu- 
sement par  art  expiimez  que  nature  mieux  ne  le  pourroit.  Et 
ne  sembloient  engravez  dedans  la  matière,  mais  en  bosse,  ou 
pour  le  moins  en  crotesque  apaproissoient  enlevez  totale- 
ment, moyennant  la  diverse  et  plaisante  lumière,  laquelle 
dedans  contenue  ressortissoit  par  la  scuplture. 


CHAPITRE  XLII 

COMMENT,  PAR  LA  PONTIFE  BACBUC,  NOUS  FUT  MONSTRE 
DEDANS  LE  TEMPLE  UNE  FONTAINE  FANTASTIQUE 


Considerans  en  ecstase  ce  temple  mirifique  et  lampe  mémo- 
rable, s'offrit  à  nous  la  vénérable  pontile  Bacbuc  avec  sa 
compagnie,  à  face  joyeuse  et  riante;  et,  nous  voyans  accous- 
trez  comme  a  esté  dit,  sans  difficulté  nous  introduit  au  lieu 
moyen  du  temple,  auquel  dessouz  la  lampe  susdite  estoit  la 
belle  fontaine  fantastique,  d'estoffe  et  ouvrage  plus  précieux, 
plus  rare  et  mirifique,  que  oncques  ne  songea  Dedalus.  Ees 
limbe,  plinthe  et  soubassement  d'icelle  estoient  de  trespur 
et  treslucide  alabastre,  hauteur  ayant  de  trois  palmes,  peu 
plus,  en  figure  heptagonne,  esgalement  party  par  dehors,  avec 
force  stylobates,  arulettes,  cimasultes  et  undiculations  dori- 
ques à  l'entour.  Par  dedans  estoit  ronde  exactement.  Sus  le 
poinct  moyen  de  chascun  angle,  en  marge,  estoit  assise  une 
coulomne   ventriculée,    en   forme   d'un    cycle   d'yvoire   ou 


PANTAGRUEL  331 

balustre  (les  modernes  architectes  l'appellent  porfri).  et 
estoient  sept  en  nombre  total,  selon  les  sept  angles.  La  lon- 
gueur d'icelles,  depuis  les  bases  jusques  aux  architraves, 
estoit  de  sept  palmes,  peu  moins,  à  juste  et  exquise  dimension 
d'un  diamètre  passant  par  le  centre  de  la  circonférence  et 
rotondité  intérieure. 

Et  estoit  l'assiette  en  telle  composition  que,  projettans  la 
veuë  derrière  l'une,  quelle  que  fust  en  sa  cube,  pour  regarder 
les  autres  opposites,  trouvions  le  cône  pyramidal  de  nostre 
ligne  visuale  finer  an  centre  susdit,  et  là  recevoir,  de  deux 
opposites,  rencontre  d'un  triangle  equilateral,  duquel  deux 
lignes  partissoient  esgalement  la  colomne  (celle  que  voulions 
mesurer)  et  passante  d'un  costé  et  d'autre,  deux  colonnes 
franches  à  la  première,  tierce  partie  d'intervalle,  rencontroient 
leur  ligne  basique  et  fondamentale;  laquelle  par  ligne  con- 
sulte, pourtraicte  jusques  au  centre  universsal,  esgalement 
mipartie  rendoit  en  juste  départ  la  distance  des  sept  colom- 
nes  et  n'estoit  possible  faire  rencontre  d'autre  colomne  oppo- 
site par  ligne  directe  principiante  à  l'angle  obtus  de  la 
marge,  comme  vous  sçavez  qu'en  toute  figure  angulaire 
impare,  un  angle  tousjours  est  au  milieu  des  deux  autres 
trouvé  intercalant.  En  quoy  nous  estoit  tacitement  exposé 
que  sept  demis  diamètres  font,  en  proportion  géométrique, 
amplitude  et  distance,  peu  moins  telle  qu'est  la  circon- 
ferance  de  la  figure  circulaire,  de  laquelle  ils  seroient  extraits, 
sçavoir  est,  trois  entiers  avec  une  huitiesme  et  demie,  peu 
plus,  ou  une  septiesme  et  demie,  peu  moins,  selon  l'antique 
advertissement  d'Euclides,  Aristoteles,  Archimede  et  aultres. 

La  première  colomne,  sçavoir  est,  celle  laquelle  à  l'entrée 
du  temple  s'objettoit  à  nostre  veuë,  estoit  de  Saplnr  azuré  et 
céleste. 

La  seconde,  de  Hiacinthe,  naïfvement  la  couleur  (avec  let- 
tres Grecques  A.  I.  en  divers  Ueux)  représentant  de  celle  fleur 
en  laquelle  fut  d'Ajax  le  sang  colérique  converty. 


332  LIVRE    V,     CHAPITRE    XLII 

La  tierce,  de  Diamant  Anachite,  brillant  et  resplendissant 
comme  foudre. 

La  quarte,  de  Rubis  ballay,  masculin,  et  Amethistizant,  de 
manière  que  sa  flamme  et  lueur  finissoit  en  pourpre  et  violet, 
comme  est  l'Amethiste. 

La  quinte,  d'Emeraude,  plus  cinq  cens  fois  magnifique 
qu'onques  ne  fut  celle  de  Serapis  dedans  le  labyrinthe  des 
^gj'^ptiens,  plus  floride  et  plus  luysante  que  n'estoient  celles 
qu'en  lieu  des  yeux  on  avoit  apposé  au  Hon  marbrin  gisant 
prés  le  tombeau  du  roy  Hermias. 

La  sexte,  d'Agathe  plus  joyeuse  et  variante  en  distinctions 
de  macules  et  couleurs  que  ne  fut  celle  que  tant  chère  tenoit 
Pirrhus,  roy  des  Epirotes. 

La  septiesme,  de  Selenite  transparente,  en  blancheur  de 
Berylle,  avec  resplendeur  comme  miel  Hymetian,  et  dedans  y 
apparoissoit  la  Lune,  en  figure  et  mouvement  telle  qu'elles 
est  au  ciel,  pleine,  silente,  croissante,  ou  décroissante. 

Qui  sont  pierres,  par  les  antiques  Chaldeans  et  mages  attri- 
buées aux  sept  planettes  du  ciel.  Pour  laquelle  chose  par  plus 
rude  Minerve  entendre,  sus  la  première  de  Saphir  estoit  au- 
dessus  du  chapiteau  à  la  vive  et  centrique  hgne  perpendicu- 
laire eslevée,  en  plomb  elutian  bien  précieux,  l'image  de  Sa- 
turne tenant  sa  faux,  ayant  aux  pieds  une  Grue  d'or  artificiel- 
lement esmaillée,  selon  la  competance  des  couleurs  naïfve- 
ment  deuz  à  l'oiseau  Saturnin. 

Sus  la  seconde  de  Hiacinthe,  tournant  à  gausche  estoit 
Jupiter  en  estain  jovetian,  sus  la  poictrine  un  Aigle  d'or  es- 
maillé  selon  le  naturel. 

Sus  la  troisiesme,  Phœbus  en  or  obrize,  en  sa  main  dextre 
un  coq  blanc. 

Sus  la  quatriesme  en  airain  corinthien.  Mars,  à  ses  pieds  un 
lion. 

Sus  la  cinqmesme,  Venus  en  cuyvre,  de  matière  pareille 
à  celle  dont  Aristonides  fist  la  statue  d'Athamas  exprimant 


PANTAGRUEL  330 

en  rougissante  blancheur  la  honte  qu'il  avoit  contemplant 
Léarche  son  fils  mort  d'une  cheute,  une  colombe  à  ses  pieds. 
Sus  la  sixiesme,  Mercure  en  hydrargyre,  fixe,  maléable  et 
immobile,  à  ses  pieds  une  cigogne. 

Sus  la  septiesme,  Luna  en  argent,  à  ses  pieds  un  lévrier. 
Et  estoient  ces  statues  de  telle  hauteur  qui  estoit  la  tierce 
partie  des  colomnes  sujettes,  peu  plus;  tant  ingénieusement 
représentées,  selon  le  portraict  des  mathématiciens,  que  le 
canon  de  Polycletus,  lequel  faisant  fut  dit  l'art  apprendre  de 
l'art  avoir  fait,  à  peine  y  cust  esté  receu  à  comparaison. 

Les  bases  des  colomnes,  les  chapiteaux,  les  architraves, 
zoophores  et  cornices,  estoient  à  ouvrage  phrygien,  massifves, 
d'or  plus  pur  et  plus  fin  que  n'en  porte  le  Leede  prés  Mont- 
peher,  le  Gange  en  Indie,  le  Pau  en  Italie,  l'Hebrus  en  Thrace, 
le  Tage  en  Espagne,  le  Pactol  en  Lydie.  Les  arceaux  entre  les 
colomne  surgeoient,  de  la  propre  pierre  d'icelles  jusques  à  la 
prochaine,  par  ordre  :  sçavoir  est,  de  Saphir  vers  le  Lliacinthe, 
de  Hiacinthe  vers  le  Diamant,  et  ainsi  consécutivement. 
Dessus  les  arcs  et  chapiteaux  de  colomne  en  face  intérieure 
estoit  une  croppe  érigée  pour  couverture  de  la  fontaine, 
laquelle  derrière  l'assiette  des  planettes  commençoit  en  figure 
heptagone,  et  lentement  finissoit  en  figure  spherique;  et 
estoit  de  Cristal  tant  emundé,  tant  diaphane  et  tant  poly, 
entier  et  uniforme  en  toutes  ses  parties,  sans  venes,  sans 
nuées,  sans  glassons,  sans  capilamans,  que  Xenocrates  onques 
n'en  vid  qui  fust  à  luy  à  parangonner.  Dedans  la  corpulence 
d'icelle  estoient  par  ordre  en  figure  et  characteres  exquis  arti- 
ficieUement  insculpez  les  douze  signes  du  zodiaque,  les  douze 
mois  de  l'an  avec  leurs  proprietez,  les  deux  solstices,  les  deux 
equinoxes,  la  ligne  eclyptique,  avec  certaines  plus  insignes 
estoilles  fixes,  autour  du  pôle  Antartique,  et  ailleurs,  par  tel 
art  et  expression  que  je  pensois  estre  ouvrage  du  Roy  Necep- 
sus,  ou  de  Petosiris,  antique  Mathématicien. 

Sus  le  sommet  de  la  croppe  susdite,  correspondant  au  centre 


334  LIVRE    V,     CHAPITRE    XLII 

de  la  fontaine,  estoient  trois  unions  eleichies,  uniformes,  de 
figure  turbinée  en  totale  perfection  lachrimale,  toutes  ensem- 
ble cohérentes  en  forme  de  fleur  de  lys  tant  grande  que  la 
fleur  excedoit  une  palme.  Du  calice  d'icelle  sortoit  un  Car- 
boucle  gros  comme  un  œuf  d'Autruche,  taillé  en  forme  hep- 
tagone (c'est  nombre  fort  aimé  de  nature),  tant  prodigieux  et 
admirable  que,  levans  nos  yeux  pour  le  contempler,  peu  s'en- 
faillit  que  perdissions  la  veuë.  Car  plus  flamboyant,  ne  plus 
croissant  n'est  le  leu  du  Soleil,  ne  l'esclair,  que  lors  il  nous 
apparoissoit  :  tellement  qu'entre  justes  estimateurs,  jugé  faci- 
lement seroit  plus  estre,  en  ceste  fontaine  et  lampes  cy  dessus 
descriptes,  de  richesses  et  singularitez  que  n'en  contiennent 
l'Asie,  l'Affrique  et  l'Europe  ensemble.  Et  eust  aussi  facile- 
ment obscurcy  le  pantharbe  de  larchas,  magicien  Indic,  que 
sont  les  estoilles  par  le  Soleil  et  clair  midy. 

Aille  maintenant  se  vanter  Cléopatre.  Royne  d'^Egypte, 
avec  ses  deux  unions  pendans  à  ses  oreilles,  desquels  l'un, 
présent  Antonius  triumvir,  elle  par  force  de  vinaigre  fondit 
en  eau  et  avala,  estant  à  l'estimation  de  cent  fois  sexterces. 

Aille  se  pomper  Lullie  Pauline  avec  sa  robbe  toute  couverte 
d'emeraudes  et  marguerites,  en  tissure  alternative,  laquelle 
tiroit  en  admiration  tout  le  peuple  de  la  \alle  de  Rome.  La- 
quelle on  disoit  estre  fosse  et  magazin  des  vainqueurs  larrons 
de  tout  le  monde. 

Le  coulement  et  laps  de  la  fontaine  estoit  par  trois  tubules 
et  canals  faits  de  marguerites  fines  en  l'assiette  de  trois  angles 
equilatêraux  promarginaires  cy  dessus  exposez  :  et  estoient 
les  canals  produits  en  ligne  limaciale  bipartiente.  ISous,  avoir 
iceux  considéré,  ailleurs  tournions  nostre  veuë,  quand  Bac- 
buc  nous  commanda  entendre  à  l'exiture  de  l'eau  :  lors  enten- 
dismes  un  son  à  merveille  harmonieux,  obtus  toutesfois  et 
rompu,  comme  de  loin  venant  et  soubterrain.  En  quoy  plus 
nous  sembloit  délectable  que  si  apert  eust  esté  et  de  prés  ouy. 
De  sorte  qu'autant,  par  les  fenestres  de  nos  yeux,  nos  esprits 


PANTAGRUEL  335 

s'estoient  oblectez  à  la  contemplation  des  choses  susdites, 
autant  en  restoit  il  aux  aureilles,  à  l'audiance  de  ceste  har- 
monie. 

Adonc  nous  dist  Bacbuc  :  «  Vos  Philosophes  nient  estre 
par  vertu  de  figures  mouvement  faict;  oyez  icy,  et  voyez  le 
contraire.  Par  la  seule  figure  limaciale  que  voyez  bipartiente, 
ensemble  une  quintuple  infoliature  mobile  à  chascune  ren- 
contre intérieure  (telle  qu'est  en  la  veine  cave  au  lieu  qu'elle 
entre  le  dextre  ventricule  du  cœur),  est  ceste  sacrée  fontaine 
escoulée,  et  pai  icelle  une  armonie  telle  qu'elle  monte  jusques 
à  la  mer  de  vostre  monde.  « 


CHAPITRE  XLIII 


COMMENT     L   EAU      DE     LA     FONTAINE      RENDOIT     GOUST     DE     VIN 
SELON     l'imagination     DES     BEUVEURS 


Puis  commanda  estre  hanaps,  tasses  et  goubeletz  pré- 
sentez, d'or,  d'argent,  de  crystal,  de  porcelaine;  et  fusmes 
gratieusement  invitez  à  boire  de  la  liqueur  sourdante  d'icelle 
fontaine  :  ce  que  feismes  volontiers. 

Car,  pour  clerement  vous  âdvertir,  nous  ne  sommes  de 
calibre  d'un  tas  de  veaux  qui,  comme  les  passereaux  ne  man- 
gent sinon  qu'on  leur  tappe  la  queue,  pareillement  ne  boi- 
vent ne  mangent  sinon  qu'on  les  rue  à  grands  coups  de  levier. 
Jamais  personne  n'esconduisons  nous  invitant  courtoise- 
ment à  boire.  Puis  nous  interrogea  Bacbuc,  demandant  que 
nous  en  sembloit.  Nous  luy  fismes  response,  que  ce  nous  sem- 
bloit  bonne  et  fresche  eau  de  fontaine,  limpide  et  argentine, 
plus  que  n'est  Argirondes  en  Etoile,  Peneus  en  Thessalie, 
Axius  en  Migdonie,  Cidnus  en  Cilicie,  lequel  voyant  Alexan- 
dre Macedon  tant  beau,  tant  clair  et  tant  froid  en  cœur  d'esté, 


33^  LIVRE    V,    CHAPITRE    XLIII 

composa  la  volupté  de  soy  dedans  baigner  au  mal  qu'il  pre- 
voyoit  luy  advenir  de  ce  transitoire  plaisir.  «  Ha  !  dist  Bac- 
buc,  voylà  que  c'est  non  considérer  en  soy,  ne  entendre  les 
mouvemens  que  faict  la  langue  musculeuse,  lorsque  le  boire 
dessus  coule  pour  descendre,  non  es  poulmops,  par  l'artère 
inequale,  comme  a  esté  l'opinion  du  bon  Platon,  Plutarque, 
Macrobe,  et  autres,  mais  en  l'estomac  par  l'œsophage.  Gens 
peregrins,  avez  vous  les  gosiers  enduits,  pavez  et  esmaillez, 
comme  eut  jadis  Pithyllus,  dit  Theutes,  que  de  ceste  liqueur 
deifique  onques  n'avez  le  goust  ne  saveur  recongneu  ?  Appor- 
tez icy,  dist  elle  à  ses  damoiselles,  mes  descrottoires  que 
sçavez,  afin  de  leur  racler,  esmonder  et  nettoyer  le  palat.  » 

Furent  donques  apportez  beaux,  gros  et  joyeux  jambons, 
belles  grosses  et  joyeuses  langues  de  bœuf  fumées,  saumades 
belles  et  bonnes,  cervelats,  boutargues,  caviar,  bonnes  et 
belles  saucisses  de  venaison,  et  tels  autres  ramonneurs  de 
gosier.  Par  son  commandement  nous  en  mangeasmes  j  usques 
là  que  confessions  nos  estomachs  estre  tresbien  escurez  et  soif 
nous  importuner  assez  fascheusement  ;  dont  nous  dist  :  «  Jadis 
un  Capitaine  juif,  docte  et  chevalereux,  conduisant  son 
peuple  par  les  desers  en  extrême  famine,  impetra  des  cieux 
la  manne,  laquelle  leur  estoit  de  goust  tel,  par  imagination, 
que  par  avant  réalement  leur  estoient  les  viandes  ;  ici  de  mes- 
mes,  beuvans  de  ceste  liqueur  mirifique,  sentirez  goust  de 
tel  vin  comme  l'aurez  imaginé.  Or,  imaginez  et  beuvez.  »  Ce 
que  nous  fismes.  Puis  s'escria  Panurge,  disant  :  «  Par  Dieu, 
c'est  icy  vin  de  Beaune,  meilleur  qu' onques  jamais  je  beus,  ou 
je  me  donne  à  nonante  et  seize  diables.  O  pour  plus  longue- 
ment le  gouster,  qui  auroit  le  col  long  de  trois  coudées,  comme 
desiroit  Philoxenus,  ou  comme  une  grue,  ainsi  que  souhaitoit 
Melanthius  !  —  Foy  de  lanternier,  s'escria  frère  Jean,  c'est 
vin  de  Grave,  gallant  et  voltigeant.  O  pour  Dieu,  amye,  ensei- 
gnez moy  la  manière  comment  tel  le  faictes.  —  A  moy,  dist 
Pantagruel,  il  me  semble  que  sont  vins  de  Mireveaux,  car 


PANTAGRUEL  337 

avant  boire  je  l'imaginois.  Il  n'a  que  ce  mal  qu'il  est  frais, 
mais  je  dis  frais  plus  que  glace,  que  l'eau  de  Nonacris  et 
Derce,  plus  que  la  fontaine  de  Canthoporie  en  Corinthe, 
laquelle  glassoit  l'estomach  et  parties  nutritives  de  ceux  qui 
en  beuvoient.  —  Beuvez,  dist  Bacbuc,  une,  deux  ou  trois  fois. 
De  rechef,  changeans  d'imagination,  telle  trouverez  au  goust, 
saveur  ou  liqueur,  comme  l'aurez  imaginé.  Et  doresnavant, 
dictes  qu'à  Dieu  rien  soit  impossible.  —  Onques,  respondis 
je,  je  ne  fut  dit  de  nous;  nous  maintenons  qu'il  est  tout  puis- 
sant. » 


CHAPITRE  XLIV 

COMMENT     BACBUC     ACCOUSTRA     PANURGE     POUR     AVOIR     LE     MOT 
DE     LA     BOUTEILLE 


Ces  paroles  et  beuvettes  achevées,  Bacbuc  demanda  : 
«  Oui  est  celuy  de  vous  qui  veut  avoir  le  mot  de  la  dive  Bou- 
teille? —  Je,  dist  Panurge,  vostre  humble  et  petit  enton- 
nouer.  —  Mon  amy,  dist  elle,  je  n'ay  à  vous  faire  instruction 
qu'une  :  c'est  que  venant  à  l'oracle,  ayez  soin  n'escouter  le 
mot,  sinon  d'une  aureille.  —  C'est,  dist  frère  Jean,  du  vin  à 
une  aureille.  '> 

Puis  le  vestit  d'une  galleverdine,  l'encapitonna  d'un  beau 
et  blanc  béguin,  l'affeubla  d'une  chausse  d'hypocras,  au  bout 
de  laquelle,  en  lieu  de  floc,  mist  trois  obehsques,  l'enguantela 
de  deux  braguettes  antiques,  le  ceignit  de  trois  cornemeuses 
liées  ensemble,  luy  baigna  la  face  trois  fois  dedans  la  fontaine 
susdite,  enfin  luy  jetta  au  visage  une  poignée  de  farine,  mit 
trois  plumes  de  coq  sus  le  costé  droit  de  la  chausse  hypocra- 
tique,  le  fit  cheminer  neuf  fois  autour  de  la  fontaine,  luy  fist 
faire  trois  beaux  petits  saux,  luy  fit  donner  sept  fois  du  cul 
T.  II.  29 


3^8  HVKli    V,     CltAPtTRE    XLiV 

contre  terre,  tousjours  disant  ne  sçay  quelles  conjurations  en 
langue  Ethrusque,  et  quelquefois  lisant  en  un  livre  ritual, 
lequel,  prés  elle,  portoit  une  de  ses  mystagogues. 

Somme,  je  pense  que  Numa  Pompilius,  Roy  second  des 
Romains,  les  Cerites  de  Tuscic,  et  le  saint  Capitaine  Juif, 
n'instituèrent  onques  tant  de  cérémonies  que  lors  je  vy, 
n' aussi  les  vaticinateurs  Memphitiques  à  Apis  en  ^Egypte,  ny 
les  Euboïens  en  la  cité  de  Rhamnes  à  Rhamnasie,  ny  à  Jupiter 
Ammon,  ny,  à  Feronia,  n'usèrent  les  anciens  d'observances 
tant  religieuses  comme  là  considerois. 

Ainsi  accoustré  le  sépara  de  nostre  compagnie,  et  mena  à 
main  dextre  par  une  porte  d'or,  hors  le  temple,  en  une  cha-  , 
pelle  ronde,  faite  de  pierres  phengites  et  speculaires  :  par  la 
solide  speculance  desquelles,  sans  fenestre  n'autre  ouverture, 
estoit  receuë  lumière  du  Soleil,  là  luysant  par  le  précipice  de 
la  roche,  couvrante  le  temple  major,  tant  facilement  et  en 
telle  abondance  que  la  lumière  sembloit  dedans  naistre,  non 
de  hors  venir.  L'ouvrage  n' estoit  moins  admirable  que  fut 
jadis  le  sacré  temple  de  Ravenne,  ou  en  JEgypte  celuy  de 
risle  Cheminis  :  et  n'est  à  passer  en  silence  que  l'ouvrage 
d'icelle  chapelle  ronde  estoit  en  telle  symétrie  compassé  que 
le  diamètre  du  project  estoit  la  hauteur  de  la  voûte. 

Au  miUeu  d'icelle  estoit  une  fontaine  de  fin  Alabastre,  en 
/    figure  heptagonne,  à  ouvrage  et  infoliature  singulière,  pleine 
1    d'eau  tant  claire  que  pourroit  estre  un  élément  en  sa  simpli- 
cité, dedans  laquelle  estoit  à  demy  posée  la  sacrée  Bouteille, 
v^      toute  revestue  de  pur  et  beau  cristalin,  en  forme  Ovale, 
excepté  que  le  Umbe  estoit  quelque  peu  patent  plus  qu'icelle 
forme  ne  porteroit. 


Î'ANTAGRUEL  339 


CHAPITRE  XLV 

COMMENT     LA     PONTIFE     BACBUC     PRESENTA     PANURGE     DEVANT 
LA     DIVE     BOUTEILLE 


Là  fist  Bacbuc,  la  noble  pontife,  Panurge  baisser  et  baiser 
la  marge  de  la  fontaine,  puis  le  fist  lever,  et  autour  danser 
trois  Ithymbons.  Cela  fait,  luy  commanda  s'asseoir  entre  deux 
selles,  le  cul  à  terre,  là  préparées.  Puis  desploya  son  livre 
ritual,  et,  luy  soufflant  en  l'aureille  gausche,  le  fist  chanter 
une  Epilenie,  comme  s'ensuit  : 

O  Bouteille 
Pleine  toute 
De  mystères, 
D'une  aureille 
Je  t'escoute  : 
Ne  diSeres, 
Et  le  mot  profères 
Auquel  pend  mon  cœur. 
En  la  tant  divine  liqueur, 
Qui  est  dedans  tes  flancs  reclose, 
Baccus,    qui   fut    d'Inde   vainqueur, 
Tient  toute  vérité  enclose. 
Vin  tant  divin,  loing  de  toy  est  forclose 
Toute  mensonge  et  toute  tromperie. 
En  joye  soit  l'aire  de  Noach  close, 
Lequel  de  toy  nous  fit  la  temperie. 
Sonne  le  beau  mot,  je  t'en  prie, 
Qui  me  doit  oster  de  misère. 
Ainsi  ne  se  perde  une  goutte 
De  toy,  soit  blanchie,  ou  soit  vermeillei 
O  Bouteille 
Pleine  toute 
De  mystères, 
D'une  aureille 
Je  t'escoute  : 
Ne  diffères. 


340  LIVRE    V,    CHAPITRE    XLVI 

Ceste  chanson  parachevée,  Bacbuc  jetta  je  ne  sçay  quoy 
dedans  la  fontaine,  et  soudain  commença  l'eau  bouillir  à  force, 
comme  fait  la  grande  marmite  de  Bourgucil  quand  y  est 
feste  à  bastons.  Panurge  escoutoit  d'une  aureillc  en  silence; 
Bacbuc  se  tenoit  prés  de  luy  agenouillée,  quand  de  la  sacrée 
Bouteille  issit  un  bruit  tel  que  font  les  abeilles  naissantes  de  la 
chair  d'un  jeune  taureau  occis  et  accoustré  selon  l'art  et 
invention  d'Aristeus,  ou  tel  que  fait  un  guarot  desbandant 
l'arbaleste,  ou  en  esté  une  forte  pluye  soudainement  tombant. 
Lors  fut  ouy  ce  mot  :  Trinc.  «  Elle  est,  s'escria  Panurge,  par  la 
vertu  Dieu,  rompue,  ou  feslée,  que  je  ne  mente  :  ainsi  parlent 
les  bouteilles  crystalines  de  nos  pays,  quand  elles  près  du- 
feu  esclattent.  » 

Lors  Bacbuc  se  leva  et  print  Panurge  souz  le  bras  doucet- 
tement, luy  disant  :  «  Amy,  rendez  grâces  es  cieux,  la  raison 
vous  y  oblige  :  vous  avez  eu  promptement  le  mot  de  la  dive 
Bouteille.  Je  dy  le  mot  plus  joyeux,  plus  divin,  plus  certain, 
qu'encores  d'elle  aye  entendu  depuis  le  temps  qu'icy  je  minis- 
tre à  son  tressacré  Oracle.  Levez-vous,  allons  au  chapitre, 
en  la  glose  duquel  est  le  beau  mot  interprété.  —  Allons,  dist 
Panurge,  de  par  Dieu.  Je  suis  aussi  sage  que  entan.  Esclairez  : 
où  est  ce  livre?  Tournez  :  où  est  ce  chapitre?  Voyons  ceste 
joyeuse  glose.  » 


CHAPITRE  XLVI 


COMMENT    BACBUC    INTERPRETE    LE     MOT    DE    LA     BOUTEILLE 


Bacbuc  jettant  ne  sçay  quoy  dans  le  timbre,  dont  soudain 
fut  l'ebuUition  de  l'eau  restraincte,  mena  Panurge  au  temple 
major,  au  Heu  central  auquel  estoit  la  vivifique  fontaine.  Là 
tirant  un  gros  Uvie  d'argent  en  fonne  d'une  demy  muy  ou 


PANTAGRUEL  34I 

d'un  quart  de  Sentences,  le  puysa  dedans  la  fontaine,  et  luy 
dist  :  «  Les  philosophes,  prescheurs  et  docteurs  de  vostre 
monde  vous  paissent  de  belles  paroUes  par  les  aureilles;  icy, 
nous  realement  incorporons  nos  preceptions  par  la  bouche. 
Pourtant  je  ne  vous  dy  :  Lisez  ce  chapitre,  entendez  ceste 
glose;  je  vous  dis  :  Tastez  ce  chapitre,  avaliez  ceste  belle  glose. 
Jadis  un  antique  Prophète  de  la  nation  Judaïque  mangea  un 
livre,  et  fut  clerc  jusques  aux  dents;  présentement  vous  en 
boirez  un,  et  serez  clerc  jusques  au  foye.  Tenez,  ouvrez  les 
mandibules.  » 

Panurge  ayant  la  gueule  bée,  Bacbuc  print  le  livre  d'argent, 
et  pensions  que  fust  véritablement  un  livre,  à  cause  de  sa 
forme,  qui  estoit  comme  d'un  bréviaire;  mais  c'estoit  un  bré- 
viaire vray  et  naturel  flaccon,  plein  de  vin  Phalerne,  lequel 
elle  fit  tout  avaller  à  Panurge. 

«  Voicy,  dist  Panurge,  un  notable  chapitre,  et  glose  fort 
authentique  :  est  ce  tout  ce  que  vouloit  prétendre  le  mot  de 
la  Bouteille  trimegiste?  J'en  suis  bien,  vrayement.  —  Rien 
plus,  respondit  Bacbuc,  car  Trinc  est  un  mot  panomphée, 
célébré  et  entendu  de  toutes  nations,  et  nous  signifie  :  Beu- 
vez.  Vous  dictes  en  vostre  monde  que  sac  est  vocable  commun 
en  toute  langue,  et  à  bon  droit,  et  justement  de  toutes  nations 
receu.  Car  comme  est  l'Apologue  d'Esope,  tous  humains 
naissent  un  sac  au  col,  souffreteux  par  nature,  et  mendians 
l'un  de  l'autre.  Roy  souz  le  Ciel  tant  puissan  n'est  qui  passer 
se  puisse  d'aultruy  :  pauvre  n'est  tant  arrogant,  qui  passer  se 
puisse  du  riche,  voire  fust-ce  Hippias  le  philosophe,  qui  fai- 
soit  tout.  Encores  moins  se  passe  l'on  de  boire  qu'on  ne  fait 
de  sac.  Et  icy  maintenons  que  non  rire,  ains  boire  est  le  propre 
de  l'homme,  je  ne  dy  boire  simplement  et  absolument,  car 
aussi  bien  boivent  les  bestes  :  je  dis  boire  vin  bon  et  frais. 
Notez,  amis,  que  de  vin  divin  on  devient,  et  n'y  a  argument 
tant  seur,  ny  art  de  divination  moins  fallace.  Vos  Academi- 
(jues  l'affçnnent,  rendans  l'etimologie  de  vin,  lec^uel  ils  disent 


342  LIVRF,    V,    CHAPITRK    XLVI 

en  Grec  OINOS  estre  comme  vis,  force,  puissance.  Car  pou- 
voir il  a  d'emplir  l'ame  de  toute  vérité,  tout  savoir  et  philoso- 
phie. Si  avez  noté  ce  qui  est  en  lettres  Ioniques  escrit  dessus 
la  porte  du  temple,  vous  avez  peu  entendre  qu'en  vin  est 
vérité  cachée.  La  dive  Bouteille  vous  y  envoyé,  soyez  vous 
mesmes  interprètes  de  vostre  entreprinse.  —  Possible  n'est, 
dist  Pantagruel,  mieux  dire  que  fait  ceste  vénérable  pontife. 
Autant  vous  en  dy-je,  lorsque  premièrement  m'en  parlastes. 
Trùic  donques;  que  vous  en  dit  le  cœur,  eslevé  par  enthu- 
siasme  bacchique?  —  Trinquons,  dist  Panurge. 

Trinquons,  de  par  le  bon  Bacchus. 
Ha,  ho,  ho,  je  voiray  bas  culs 
De  bref  bien  à  poinct  sabourez 
Par  couilles,  et  bien  embourez 
De  ma  petite  humanité. 
Qu'est  cecy?  la  paternité 
De  rnon  cœur  me  dit  sceurement 
Que  je  seray  non  seulement 
Tost  marié  en  nos  quartiers; 
Mais  aussi  que  bien  volontiers 
Ma  femme  viendra  au  combat 
Vénérien  :  Dieu,  quel  débat 
J'y  prevoy  !  Je  laboureray 
Tant  et  plus,  et  saboureray 
A  gogo,  puisque  bien  nourry 
Je  suis.  C'est  moy  le  bon  mary 
Le  bon  des  bons.  lo  Pean, 
lo  Pean,  lo  Pean  ! 

10  mariage  trois  fois. 

Ça,  ça,  frère  Jean,  je  te  fais 
Serment  vray  et  intelligible. 
Que  cest  oracle  est  infaillible 

11  est  seur,  il  est  fatidique.  » 


PANTAGRUEL  343 


CHAPITRE  XLVII 

COMMENT     PANURGE     ET    LES     AUTRES     RITHMENT 
PAR    FUREUR     POÉTIQUE 


«  Es  tu,  dist  frère  Jean,  fol  devenu  ou  enchanté?  Voyez 
comme  il  escume;  entendez  comment  il  rithmaille.  Que  tous 
les  diables  a  il  mangé  ?  Il  tourne  les  yeux  en  la  teste  comme  une 
chèvre  qui  se  m.eurt  :  se  retirera  il  à  l'escart?  fiantera  il  plus 
loin?  mangera  il  de  l'herbe  aux  chiens  pour  descharger  son 
thomas?  ou  à  usage  monachal  mettra  il  dedans  la  gorge  le 
poing  jusques  au  coude  afin  de  se  curer  les  hypochondres  ? 
reprendra  il  du  poil  de  ce  chien  qui  le  mordit?  » 

Pantagruel  reprend  frère  Jean,  et  luy  dit  : 

«  Croyez  que  c'est  la  fureur  poétique 
Du  bon  Bacchus  :  ce  bon  vin  eclyptique 
Ainsi  ses  sens,  et  le  faict  cantique  ur, 

Car  sans  mespris, 

A  ses  esprits 

Du  tout  espris 

Par  sa  liqueur. 

De  cris  en  ris. 

De  ris  en  pris, 

En  ce  pourpris, 

Faict  son  gent  cœur 

Rhetoriqueur, 

Roy  et  vainqueur 

De  nos  souris. 
Et  veu  qu'il  est  de  cerveau  phanatique, 
Ce  me  seroit  acte  de  trop  piqueur, 
Penser  moquer  un  si  noble  trinqueur. 

—  Comment?  dist  frère  Jean,  vous  rithmez  aussi.  Par  la 
vertu  de  Dieu,  nous  sommes  tous  poivrez.  Plust  à  Dieu  que 
Gargantua  nous  vist  en  cestuy  estât?  Je  ne  sçay  par  Dieu  que 


344  LIVRE    V,     CHAPITRE    XLVII 

faire  de  pareillement  comme  vous  rithmer,  ou  non.  Je  n'y 
sçay  rien  toutesfois,  mais  nous  sommes  en  rithmaillerie.  Par 
sainct  Jean,  je  rithmeray  comme  les  aultres,  je  le  sens  bien; 
attendez,  et  m'ayez  pour  excusé  si  je  ne  rithme  en  cramoisi, 

O  Dieu,  père  paterne, 
Oui  muas  l'eau  en  vin, 
Fais  de  mon  cul  lanterne. 
Four  luire  à  mon  voisin.  » 


Panurge  continue  son  propos,  et  dit  : 

«  Onq'  de  Pythias  le  tréteau 

Ne  rendit,  par  son  chapiteau, 

Response  plus  seure  et  certaine. 

Et  croirois  qu'en  ceste  fontaine 

Y  soit  nommément  colporté 

Et  de  Delphes  cy  transporté. 

Si  Plustarque  eust  icy  trinqué 

Comme  nous,  il  n'eust  révoqué 

En  doute  pourquoi  les  oracles 

Sont  en  Delphes  plus  muts  que  macle; 

Plus  ne  rendant  response  aucune. 

La  raison  est  assez  commune  : 

En  Delphes  n'est,  il  est  icy. 

Le  tréteau  fatal;  le  voicy. 

Qui  presagit  de  toute  chose  : 

Car  Atheneus  nous  expose 

Que  ce  tréteau  estoit  Bouteille, 

Pleine  de  vin  à  une  aureille, 

De  vin,  je  dis  de  vérité. 

Il  n'est  telle  sincérité 

En  l'art  de  divination. 

Comme  est  l'insinuation 

Du  mot  sortant  de  la  Bouteille. 

Ça,  frère  Jean,  je  te  conseille 

Ce  pendant  que  sommes  icy. 

Que  tu  ayes  le  mot  aussi 

De  la  Bouteille  trimegiste, 

Pour  entendre  si  rien  obsiste 

Que  ne  te  doives  marier. 

Tien  cy,  de  peur  de  varier, 

Et  joue  l'amorabaquine  : 

Jettez  luy  un  peu  de  farine,  « 


PANTAGRUEL  345 

Frère  Jean  respondit  en  fureur,  et  dist  : 

«  Marier  !  par  la  grand  bottine, 

Par  le  houzeau  de  sainct  Benoist, 

Tout  homme  qui  bien  me  congnoist 

Jurera  que  feray  le  chois 

D'estre  desgradé  ras,  ainçois 

Qu'estre  jamais  angarié 

Jusques  là  que  sois  marié; 

Cela  !  que  fusse  spolié 

De  liberté?  fusse  lié 

A  une  femme  désormais? 

Vertu  Dieu,  à  peine  jamais 

Me  liroit  on  à  Alexandre, 

Ny  à  César,  ny  à  son  gendre, 

N'au  plus  chevaleureux  du  monde.  » 

Panurge,   deffeublant  sa  gualleverdine  et  accoustrement 
mystique,  respondit  : 

«  Aussi  seras  tu,  beste  immonde, 

Damné,  comme  ime  maie  serpe. 

Et  je  seray  comme  une  herpe 

Sauvé  en  paradis  gaillard  : 

Lors  bien  sus  toy,  pauvre  paillard, 

Pisseray  je,  je  t'en  asseure. 

Mais  escoutez  :  advenant  l'heure 

Qu'à  bas  seras  au  vieux  grand  diable. 

Si  par  cas  assez  bien  croyable, 

Advient  que  dame  Proserpine 

Fust  espinée  de  l'espine 

Qui  est  en  ta  brague  cachée. 

Et  fust  de  fait  amourachée 

De  ta  dite  paternité, 

Survenant  l'opportunité 

Que  vous  feriez  les  doux  accords. 

Et  luy  montasses  sus  le  corps  : 

Par  ta  foy,  envoyeras  tu  pas 

Au  vin,  pour  fournir  le  repas. 

Du  meilleur  cabaret  d'enfer. 

Le  vieil  ravasseur  Lucifer? 

Elle  ne  fut  onques  rebelle 

Aux  bons  frères,  et  si  fut  belle. 

»~-  Va,  vieil  fol,  dist  frère  Jean,  au  diable!  Je  ne  samoij» 


346  I.IVRF.     V,     CHAPITRK    XLVIII 

plus  rithmer,  la  rithme  me  prend  à  la  gorge;  parlons  de  satis- 
faire icy.  » 


CHAPITRE  XLVIII 

COMMENT,       AVOIR       PRIKS       CONGÉ       DE       BACBUC, 
DELAISSENT     L'ORACLE     DE     LA     BOUTEILLE 


«  D'icy  satisfaire,  respondit  Bacbuc,  ne  soyez  en  esmoy  : 
à  tout  sera  satisfait,  si  de  nous  estes  contens.  Ça  bas,  en  ces 
régions  circoncentrales,  nous  establissons  le  bien  souverain, 
non  en  prendre  et  recevoir,  ains  en  eslargir  et  donner,  et 
heureux  nous  reputons,  non  si  d'autruy  prenons  et  recevons 
beaucoup,  comme  par  adventure  décrètent  les  sectes  de  vos- 
tre  monde,  ains  si  à  autruy  tousjours  eslargissons  et  donnons 
beaucoup.  Seulement  vous  prie  vos  noms  et  pays  icy  en  ce 
livre  ritual  par  escrit  nous  laisser.  » 

Lors  ouvrit  un  beau  et  grand  livre,  auquel,  nous  dictans, 
une  de  ses  mystagogues  exequant,  furent  avecques  un  style 
d'or  quelques  traits  projectez  comme  si  Ion  eust  escrit,  mais 
de  l'escriture  rien  ne  nous  apparoissoit. 

Cela  faict,  nous  emplit  trois  oires  de  l'eau,  phantastique, 
et  manuellement  nous  les  baillant,  dist  :  «  Allez,  amis,  en  pro- 
tection de  ceste  sphère  intellectuelle  de  laquelle  en  tous  lieux 
est  le  centre  et  n'a  en  lieu  aucun  circonferance,  que  nous 
appelons  Dieu  :  et  venus  en  vostre  monde  portez  tesmoignage 
que  sous  terre  sont  les  grands  trésors  et  choses  admirables. 
Et  non  à  tort  Ceres,  ja  révérée  par  tout  l'univers,  parce  qu'elle 
avoit  monstre  et  enseigné  l'art  d'agriculture,  et  par  invention 
de  bled,  aboly  entre  les  humains  le  brutal  aliment  de  gland,  a 
tant  et  tant  lamenté  de  ce  que  sa  fille  fust  en  nos  régions  sub- 
terraines  ravie,  certainement  prévoyant  que  sous  terre  plus 
trouveroit  sa  fille  de  biens  et  excellences  qu'elle  sa  mère 


PANTAGRUEL  347 

n'avoit  faict  dessus.  Qu'est  devenu  l'art  d'evocquer  des  cieux 
la  fouldre  et  le  feu  céleste,  jadis  inventé  par  le  sage  Prome- 
theus?  vous  certes  l'avez  perdu,  il  est  de  vostre  hémisphère 
departy,  icy  sous  terre  est  en  usage.  Et  à  tort  quelquefois 
vous  esbahissez,  voyans  villes  conflagrer  et  ardre  par  foudre 
et  feu  etheré,  et  estes  ignorans  de  qui,  et  par  qui,  et  quelle 
part  tiroit  cestuy  esclandre  horrible  à  vostre  aspect,  mais  à 
nous  familier  et  utile.  Vos  philosophes  qui  se  complaignent 
toutes  choses  estre  par  les  anciens  escriptes,  rien  ne  leur  estre 
laissé  de  nouveau  à  inventer,  ont  tort  trop  évident.  Ce  que 
du  ciel  vous  apparoist,  et  appelez  Phénomènes,  ce  que  la  terre 
vous  exhibe,  ce  que  la  mer  et  autres  fleuves  contiennent, 
n'est  comparable  à  ce  qui  est  en  terre  caché. 

«  Pourtant  est  equitablement  le  soubterrain  dominateur 
presques  en  toutes  langues  nommé  par  epithete  de  richesses. 
Il,  quand  leur  estude  ad  donneront  et  labeur  à  bien  rechercher 
par  imploration  de  Dieu  souverain,  lequel  jadis  les  Egiptiens 
nommoient  en  leur  langue  l'Abscond,  le  Musse,  le  Caché,  et 
par  ce  nom  l'invoquant  suppUoient  à  eux  se  manifester  et 
descouvrir,  leur  eslargira  congnoissance  et  de  soy  et  de  ses 
créatures;  part  aussi  conduits  de  bonne  Lanterne.  Car  tous 
Philosophes  et  sages  antiques  à  bien  seurement  et  plaisam- 
ment parfaire  le  chemin  de  la  congnoissance  divine  et  chasse 
de  sapience,  ont  estimé  deux  choses  nécessaires,  guyde  de 
Dieu  et  compagnie  d'homme.  Ainsi  entre  les  Philosophes 
Zoroaster  print  Asimaspes  pour  compagnon  de  ses  pérégri- 
nations; Esculapius,  Mercure;  Orpheus,  Musée;  Pytagoras, 
Agléopheme;  entre  les  Princes  et  gens  belliqueux,  Hercules 
eut  en  ses  plus  difficiles  entreprinses  pour  aray  singulier 
Theseus;  Ulysses,  Diomedes;  Enéas,  Achates.  Vous  autres 
en  avez  autant  fait,  prenans  pour  guide  vostre  illustre  dame 
Lanterne.  Or  allez  de  par  Dieu  qui  vous  conduie^.  » 

I.  Ainsi  finissent  ce  chapitre  et  le  cinquième  livre  dans  toutes  les  anciennes  édi» 
lions. 


348  LIVRE    V,    CHAPITRE    XLVIII 


ADDITION  AU  DERNIER  CHAPITRE^ 

«  Ainsi,  entre  les  Perses  Zoroaster  print  Arimaspes  pour 
compagnon  de  toute  sa  mystérieuse  philosophie;  Hermès  le 
Trismegiste  entre  les  égyptiens  eut  Esculape;  Orpheus  en 
Thrace  eut  Musée;  illecques  aussi  Aglaophemus  eut  Pytha- 
gore;  entre  les  Athéniens  Platon  eut  premièrement  Dion  de 
Syracuse  en  Sicille,  lequel  défunt,  print  secondement  Xeno- 
crates;  Apollonius  eut  Damis.  Quand  doncques  vos  philoso- 
phes, Dieu  guydant,  accompaignans  à  quelque  claire  lanterne, 
se  adonneront  à  soigneusement  rechercher  et  investiger 
comme  est  le  naturel  des  humains  (et  de  ceste  qualité  sont 
Hérodote  et  Homère  appelles  alphestes,  c'est  à  dire  recher- 
cheurs et  inventeurs),  trouveront  vraye  estre  la  responce 
faicte  par  le  sage  Thaïes  à  Amasis,  roy  des  ^Egyptiens,  quand, 
par  luy  interrogé  en  quelle  chose  plus  estoit  de  prudence, 
respondit  :  «  On  temps  »  ;  car  par  temps  ont  esté  et  par  temps 
seront  toutes  choses  latentes  inventées;  et  c'est  la  cause  pour- 
quoy  les  anciens  ont  appelle  Saturne  le  Temps,  père  de 
Vérité,  et  Vérité  fille  eut  Temps.  InfaiUiblement  aussi  trou- 
veront tout  le  sçavoir,  et  d'eux  et  de  leurs  prédécesseurs,  à 
peine  estre  la  minime  partie  de  ce  qui  est  et  ne  le  sçavent. 
De  ces  troys  hoires  que  présentement  je  vous  hvre,  vous  en 
prendrez  jugement  et  congnoissance,  comme  dict  le  pro- 
verbe :  «  Aux  ongles  le  lion.  »  Par  la  raréfaction  de  nostre  eau 
dedans  enclose,  intervenant  la  chaleur  des  corps  supérieurs 
et  ferveur  de  la  mer  sallee  ainsi  qu'est  la  naturelle  transmuta- 
tion des  elemens,  vous  sera  air  dedans  tressalubre  engendré, 
lequel  de  vent  clair,  serein,  delicieulx,  vous  servira,  car  vent 

I.  D'après  le  uianusçrit  (vçy.  I4  Bibliographie), 


PANTAGRUEL  34g 

n'est  que  air  flottant  et  undoyant.  Cestuy  vent  moyennant, 
yrez  à  droicte  routte,  sans  prendre  terre  si  vouliez,  jusques  au 
port  de  Olonne  en  Talmondois,  en  laschant  à  travers  voz  vel- 
les,  par  ce  petit  soubspirail  d'or  que  vous  y  voyez  apposé 
comme  une  lieute,  autant  que  penserez  vous  suffire  pour 
tout  au  lanternent  naviguer,  tousjours  en  plaisir  et  seureté, 
sans  danger  ne  tempeste.  De  ce  ne  doubtez;  et  ne  pensez  la 
tempeste  yssir  et  procéder  du  vent  ;  le  vent  vient  de  la  tem- 
peste excitée  du  bas  de  l'abisme.  Ne  pensez  aussi  la  pluye 
venir  par  impotence  des  vertus  retentives  des  cieulx  et  gra- 
vité des  nues  suspendues  :  elle  vient  par  évocation  des  soub- 
terraines  régions,  comme,  par  évocation  des  Corps  supérieurs, 
elle  de  bas  en  hault  estoit  imperceptiblement  tirée  :  et 
vous  en  tesmoingne  le  roy  prophète  chantant  et  disant  que 
l'abysme  invocque  l'abysme.  Des  troys  oyres,  les  deux  sont 
plaines  de  l'eau  susdicte,  la  tierce  est  extraicte  du  Puys 
des  saiges  Indiens,  lequel  on  nomme  le  tonneau  des  Brach- 
manes. 

«  Trouverez  davantaige  vos  naufz  bien  duement  pourvues 
de  tout  ce  qu'il  pourroit  estre  utile  et  nécessaire  pour  le  reste 
de  vostre  mesnaige.  Cependant  que  icy  avez  séjourné,  je  y 
ay  faict  ordre  tresbon  donner.  Allez,  amys,  en  gayetté  d'es- 
prit, et  portez  ceste  lettre  à  vostre  roy  Gargantua,  le  saluez 
de  par  nous,  ensemble  les  princes  et  les  officiers  de  sa  noble 
court.  » 

Ces  mots  parachevez,  elles  nous  bailla  des  lettres  closes  et 
scellées;  et  nous,  après  actions  de  grâces  immortelles,  feist 
yssir  par  une  porte  adjacente  à  la  chapelle,  où  la  Bacbuc  les 
semonoit  de  proposer  questions  autant  deux  foys  qu'est  hault 
le  mont  Olympe.  Par  ung  pays  plain  de  toutes  dehces,  plai- 
sant, tempéré  plus  que  Tempe  en  Thessalie,  salubre  plus  que 
celle  partie  d'.cEgypte,  laquelle  a  son  aspect  vers  Libye,  irrigu 
et  verdoyant  plus  que  Thermischrie,  fertile  plus  que  celle 
partie  du  mont  Thaure,  laquelle  a  son  aspect  vers  Aquilon, 


55Û  LIVRE    V,    CHAPITRE    XLVIII 

plus  que  l'isle  Hyperborée  en  la  mer  Judaïque,  plus  que  Cali- 
ges  on  mont  Caspit,  flairant,  serain  et  gratieux  aultant  qu'est 
le  pays  de  Touraine,  enfin  trouvasmes  nos  navires  au  port. 


FIX    DU    CINQUIEME    LIVRE    DE   FAICTS    ET    DICTS    HEROÏQUES 
DU    NOBLE    PANTAGRUEL 


PANTAGRUELINE  PROGNOSTICATION 

CERTAINE,     VERITABLE     ET     INFAILLIBLE 

POUR  L'AN  PERPETUEL 

Nouvellonent  composée  au  proffict  et  advisement  de  gens  esioiirdis 
et  musars  de  nature. 

PAR   MAISTRE   ALCOFRIBAS 

ARCHITRICLIN    DUDICT  PANTAGRUEL 


Du  nombre  d'Or  no»  dicitur  ; 

Je  n'en  trouve  point  ceste  année,  quelque  calculation  que  j'en  aye  faict. 

Passons  oultre.  Verte  folium 


AU   LISEUR   BENEVOLE 
Salut  et  paix  en  Jésus  le  Christ. 


Considérant  infiniz  abus  estre  perpétrez  à  cause  d'un  tas  de  Prognos- 
tications  de  Lovain,  faictes  à  l'ombre  d'un  verre  de  vin,  je  vous  en  ay 
présentement  calculé  une  la  plus  seure  et  véritable  que  feut  oncques 
veuë,  comme  l'expérience  vous  le  demonstrera.  Car  sans  double,  veu 
que  dict  le  Prophète  Royal,  Psalme  V,  à  Dieu  :  «  Tu  destruyras  tous 
ceulx  qui  dise  mensonges,  »  ce  n'est  legier  péché  de  mentir  à  son  escient, 
et  abuser  le  pouvre  monde  curieux  de  sçavoir  choses  nouvelles.  Comme 
de  tout  temps  ont  esté  singulièrement  les  François,  ainsi  que  escript 
César  en  ses  Commentaires,  et  Jean  de  Gravot  on  Mythologies  Galliques, 
Ce  que  nous  voyons  encores  de  jour  en  jour  par  France,  ou  le  premier 
propos  qu'on  tient  à  gens  fraischement  arrivez  sont  :  o  Quelles  nouvelles? 
Sçavez-vous  rien  de  nouveau?  Qui  dict?  Qui  bruict  par  le  monde?» 
Et  tant  y  sont  attentifz  que  souvent  se  couroussent  contre  ceulx  qui 
viennent  de  pays  estranges  sans  apporter  pleines  bougettes  de  nouvelles, 
les  appelant  veaulx  et  idiotz. 

Si  doncques,  comme  ilz  sont  promptz  à  demander  nouvelles,  autant 
ou  plus  sont  ilz  faciles  à  croire  ce  que  leur  est  annoncé,  debvroit-on  pas 


352  PANTAGRUELINE    PROGNOSTICATlON 

mettre  gens  dignes  de  foy  à  gaiges  à  l'entrée  du  Royaulme,  qui  ne  se 
serviroyent  d'aultre  chose  sinon  d'examiner  les  nouvelles  qu'on  y 
apporte,  et  à  sçavoir  si  elles  sont  véritables?  Ouy  certes.  Et  ainsi  ha 
faict  mon  bon  maistre  Pantagruel  par  tout  le  pays  de  Utopie  et  Dipsodie. 
Aussi  luy  en  est  il  si  bien  advenu,  et  tant  prospère  son  territoire,  qu'ils 
ne  peuvent  de  présent  avanger  à  boyre,  et  leur  con\-icndra  cspandre  le 
vin  en  terre  si  d'ailleurs  ne  leur  vient  renfort  de  beuveurs  et  bons  raillars. 

Voulant  doncques  satisfaire  à  la  curiosité  de  tous  bons  compaignons, 
j'ai  revolvé  toutes  les  Pantarches  des  cieulx,  calculé  les  quadratz  de  la 
lune,  crocheté  tout  ce  que  jamais  pensèrent  tous  les  Astrophiles,  Hyper- 
nephelistes,  Aneniophylaces,  Uranopetes  et  Ombrophores,  et  conféré  du 
tout  avecques  Empedocles,  lequel  se  recommande  à  vostre  bonne  grâce. 
Et  tout  le  Tu  auicm  ay  icy  en  peu  de  chapitres  rédigé,  vous  asseurant 
que  je  n'en  dy  sinon  ce  que  j'en  pense,  et  n'en  pense  sinon  ce  que  en  est, 
et  n'en  est  aultre  chose,  pour  toute  vérité,  que  ce  qu'en  lirez  à  ceste 
heure.  Ce  que  sera  dict  au  parsus  sera  passé  au  gros  tamys  à  tors  et  à 
travers,  et  par  adventure  adviendra,  par  adventure  n'adviendra  mie. 

D'un  cas  vous  advertys  que  si  ne  croyez  le  tout,  vous  me  faictes  un 
maulvais  tour,  pour  lequel  icy  ou  ailleurs  serez  tresgriefvement  puniz. 
Les  petites  anguillades  à  la  saulce  des  ners  bovins  ne  seront  espargnées 
suz  vos  espaules.  Et  humez  de  l'air  comme  des  huytres  tant  que  vouldrez, 
car  hardiment  il  y  aura  de  bien  chauffez  si  le  fomier  ne  s'endort.  Or 
mouschez  vos  nez,  petitz  enfans,  et  vous  aultres,  vieulx  resveurs,  affustez 
vos  bezicles,  et  pesez  ces  motz  au  pois  du  Sanctuaire. 


CHAPITRE  I 

DU    GOUVERNEMENT   ET   SEIGNEUR    DE   CESTE   ANNÉE 


Quelque  chose  que  vous  disent  ces  folz  Astrologues  de  Lovain,  de 
Numberg,  de  Tubinge  et  de  Lyon,  ne  croyez  que  ceste  année  y  aie  aultre 
gouverneur  de  l'universel  monde  que  Dieu  le  créateur,  lequel  par  sa  di\'ine 
parolle  tout  regist  et  modère,  par  laquelle  sont  toutes  choses  en  leur 
nature  et  propriété  et  condition,  et  sans  la  maintenance  et  gouvernement 
duquel  toutes  choses  seroient  en  un  moment  reduictes  à  néant,  comme 
de  néant  elles  ont  esté  par  luy  produictes  en  leur  estre.  Car  deluy  vient, 
en  luy  est  et  par  luy  se  parfaict  tout  estre  et  tout  bien,  toute  \-ie  et 
mouvement,  comme  dict  la  Trompette  evangehcque  Monseigneur  Sainct 
Paul,  Rom.  xi.  Doncques  le  gouverneur  de  ceste  année  et  toutes  aultres, 
selon  nostre  veridicque  resolution,  sera  Dieu  tout-puissant.  Et  ne  aura 
Saturne,  ne  Mars,  ne  Jupiter,  ne  aultre  planète,  certes  non  les  anges,  ny 
les  saincts,  ny  les  hommes,  ny  les  diables,  vertuz,  efficace,  puissance. 


PANTAGRUELlNE    PROGNOSTlCATION  353 

hci  influence  aulcunes,  si  Dieu  de  son  bon  plaisir  ne  leur  donne  :  comme 
dict  Avicenne,  que  les  causes  secondes  ne  ont  influence  ne  action  aulcune, 
si  la  cause  première  n'y  influe;  dict-il  pas  vray,  le  petit  bon  hommct? 


CHAPITRE  II 

DES    ECCLIPSES    DE    GESTE    ANNÉE 


Ceste  année  seront  tant  d'ecclipses  du  Soleil  et  de  la  Lune  que  j'ay  peur 
(et  non  à  tort)  que  noz  bourses  en  pâtiront  inanition,  et  noz  sens  pertur- 
bation. Saturne  sera  rétrograde,  Venus  directe.  Mercure  inconstant.  Et 
un  tas  d'aultres  Planètes  ne  iront  pas  à  vostre  comraendement. 

Dont  pour  ceste  année  les  chancres  iront  de  cousté,  et  les  cordiers  à 
reculons,  les  escabelles  monteront  sur  les  bancs,  les  broches  sus  les 
landiers,  et  les  bonnetz  sus  les  chapeaulx  ;  les  couilles  pendront  à  plusieurs 
par  faulte  de  gibessieres;  les  pusses  seront  noires  pour  la  plus  grande 
part;  le  lard  fuyra  les  pois  en  Quaresme;  le  ventre  ira  devant;  le  cul  se 
assoira  le  premier;  l'on  ne  pourra  trouver  la  febve  au  gasteau  des  Roys; 
l'on  ne  rencontrera  poinct  d'as  au  flux;  le  dez  ne  dira  poinct  à  soubhait 
quoy  qu'on  le  flate,  et  ne  viendra  souvant  la  chance  qu'on  demande; 
les  bestes  parleront  en  divers  lieux.  Quaresmeprenant  gaignera  son 
procez  :  l'une  partie  du  monde  se  desguisera  pour  tromper  l'aultre,  et 
courront  parmy  les  rues  comme  folz  et  hors  du  sens  ;  l'on  ne  veit  oncques 
tel  desordre  en  Nature.  Et  se  feront  ceste  année  plus  de  xxvii  verbes 
anomaulx,  si  Priscian  ne  les  tient  de  court.  Si  Dieu  ne  nous  ayde,  nous 
aurons  prou  d'affaires;  mais  au  contrepoinct,  s'il  est  pour  nous,  rien  ne 
nous  pourra  nuyre,  comme  dict  le  céleste  astrologue  qui  feut  ravi  jusques 
au  Ciel.  Rom.  vu.  cap.  Si  Deus  pro  nobis,  quis  contra  iws?  Ma  foy,  nemo 
Domine;  car  il  est  trop  bon  et  trop  puissant.  Icy  bénissez  son  sainct 
nom,  pour  la  pareille. 

CHAPITRE  III 

DES    MALADIES    DE    CESTE    ANNÉE 

Ceste  année  les  aveugles  ne  verront  que  bien  peu,  les  sourdz  oyront 
assez  mal,  les  muetz  ne  parleront  guieres,  les  riches  se  porteront  un  peu 
mieulx  que  les  pauvres,  et  les  sains  mieulx  que  les  malades.  Plusieurs 
moutons,  beufz,  pourceaulx,  oysons,  pouletz  et  canars  mourront,  et  ne 
sera  sy  cruelle  mortalité  entre  les  cinges  et  dromadaires.  Vieillesse  sera 
incurable  ceste  année  à  cause  des  années  passées.  Ceulx  qui  seront 
pleureticques  auront  grant  mal  au  cousté.  Ceulx  qui  auront  flus  de 
ventre  iront  souvent  à  la  celle  percée;  les  catharres  descendront  ceste 

T.   II.  2£ 


354  PANTAGRUELINE    PROGNOSTICATION 

année  du  cerveau  es  membres  inférieurs;  le  mal  des  yeux  sera  fort 
I  imtraire  à  la  veue;  les  aureilles  seront  courtes  et  rares  en  Guascongne 
plus  que  de  coustume.  Et  régnera  quasi  universellement  une  maladie 
bien  horrible  et  redoubtable,  maligne,  perverse,  espoventable  et  mal- 
plaisante, laquelle  rendra  le  monde  bien  estonné,  et  dont  plusieurs  ne 
sçauront  de  quel  boys  faire  flèches,  et  bien  souvent  composeront  en 
ravasserie  syllogisans  en  la  Pierre  philosophale,  et  es  aureilles  de  Midas. 
Je  tremble  de  peur  quand  je  y  pense  :  car  je  vous  diz  qu'elle  sera  epidi- 
miale,  et  l'appelle  Averroys  %ai  CoUiget  :  faulte  d'argent.  Et  attendu  le 
comète  de  l'an  passé  et  la  rétrogradation  de  Saturne,  mourra  à  l'hospital 
un  grand  marault  tout  catharré  et  croustclevé,  à  la  mort  du  quel  sera 
sédition  horrible  entre  les  chatz  et  les  rats,  entre  les  chiens  et  les  lièvres, 
entre  les  faulcons  et  canars,  entre  les  moines  et  les  œufz. 


CHAPITRE  IV 

DES    FRUICTZ    ET    BIENS    CROISSANT    DE    TERRE 

Je  trouve  par  les  calcules  de  Albumasar  on  Livre  de  la  grande  Conjunc- 
tion  et  ailleurs,  que  ceste  année  sera  bien  fertile,  avecques  planté  de  tous 
bien  à  ceulx  qui  auront  de  quoy.  Mais  le  hobelon  de  Picardie  craindra 
quelque  peu  la  froidure;  l'avoine  fera  grand  bien  es  chevaux;  il  ne  sera 
gueres  plus  de  lart  que  de  pourceaulx;  à  cause  de  Pisces  ascendant,  il 
sera  grand  année  de  caquerolles.  Mercure  menasse  quelque  peu  le  persil, 
mais  ce  non  obstant  il  sera  à  pris  raisonnable.  Le  soucil  et  l'ancholil 
croistront  plus  que  de  coustume,  avecques  abondance  de  poires  d'an- 
goisse. De  bledz,  de  vins,  de  fniitages  et  legumages  on  n'en  veit  oncques 
tant,  si  les  soubhaj'tz  des  pouvres  gens  sont  ouiz. 


CHAPITRE  V 

DE    l'eSTAT    D'aULCUNES    GENS 


La  plus  grande  folie  du  monde  est  penser  qu'il  y  ayt  des  astres  pour 
les  Roys,  Papes  et  gros  seigneurs,  plustost  que  pour  les  pouvres  et  souf- 
freteux, comme  si  nouvelles  estoilles  avoient  estez  créées  depuis  le 
temps  du  déluge,  ou  de  Romulus,  ou  Pharamond,  à  la  nouvelle  création 
des  Roys.  Ce  que  Triboulet  ny  Cailhette  ne  diroient,  qui  ont  esté  toutes- 
foys  gens  de  bault  sçavoir  et  grand  renom.  Et  par  adventure  en  l'arche 
de  Noé  ledict  Triboulet  estoit  de  la  lignée  des  Roys  de  Castille,  et  Cail- 
hette du  sang  de  Priam;  mais  tout  cest  erreur  ne  procède  que  par  deffault 


PANTAGRUELINE    PROGNOSTICATION  335 

de  vraye  foy  catholicquc.  Tenant  doncqucs  pour  certain  que  les  astres 
se  soucient  aussi  peu  des  Roys  comme  des  gueux,  et  des  riches  connue  des 
maraux,  je  laisserai  es  aultres  folz  Prognosticqueurs  à  parler  des  Roys 
et  riches,  et  parleray  des  gens  de  bas  estât. 

Et  premièrement  des  gens  soubmiz  à  Saturne,  comme  Gens  despour- 
veuz  d'argent,  Jaloux,  Resveurs,  Malpensans,  Soubsonneux,  Preneurs  de 
taulpes.  Usuriers,  Rachapteurs  de  rentes.  Tireurs  de  rivet z,  Tanneurs 
de  cuirs,  Tuillicrs,  Fondeurs  de  cloches,  Composeurs  d'empruns,  Rata- 
conneurs  de  bobelins,  Gens  melancholicqucs,  n'auront  en  ceste  année 
tout  ce  qu'ilz  vouldroient  bien;  ilz  s'estudiront  à  l'invention  saincfe 
Croix,  ne  getteront  leur  lart  aux  chiens,  et  se  grateront  souvent  là  oii  il 
ne  leur  démange  poinct. 

A  Jupiter,  comme  Cagotz,  Caffars,  Botineurs,  Porteurs  de  rogatons, 
Abbreviateurs,  Scripteurs,  Copistes,  BuUstes,  Dataircs,  Chiquaneurs, 
Caputons,  Moines,  Hermites,  Hypocrites,  Chatemittes,  Sanctorons, 
Patepellues,  TorticoUis,  Barbouilleurs  de  papiers,  Prchnguans,  Esper- 
rucquetz,  Clercs  de  greffe,  Dominotiers,  Maminotiers,  Patenostriers, 
Chaffoureus  de  parchemin,  Notaires,  Raminagrobis,  Portecolles,  Pro- 
moteurs, se  porteront  selon  leur  argent.  Et  tant  mourra  de  gens  d'Esglise 
qu'on  ne  pourra  trouver  à  qui  conférer  les  Bénéfices,  en  sorte  que  plu- 
sieurs en  tiendront  deux,  troys,  quatre,  et  davantaige.  Caffarderie  fera 
grande  jacture  de  son  antique  bruit,  puisque  le  monde  est  devenu 
maulvais  garson,  n'est  plus  gueres  fat,  ainsi  comme  dit  Avenzagel. 

A  Mars,  comme  Bourreaux,  Meurdriers,  Adventuriers,  Brigans,  Scr- 
geans.  Records  de  tesmoings,  Gens  de  guet,  Mortepayes,  Arracheurs  de 
dens,  Coupeurs  de  couilles,  Barberotz,  Bouchiers,  Faulx  monnoieurs, 
Medicins  de  trinquenicque,  Tacuins  et  Marranes,  Renieurs  de  Dieu, 
Allumetiers,  Boutefeux,  Ramonneurs  de  cheminées,  Franctaupins, 
Charbonniers,  Alchymistes,  Coquassiers,  Grillotiers,  Chercuitiers,  Bimbe- 
lotiers,  Manilliers,  Lanterniers,  Maignins,  feront  ceste  année  de  beaulx 
coups;  mais  aulcuns  d'iceulx  seront  fort  subjectz  à  recepvoir  quelque 
coup  de  baston  à  l'emblée.  Ung  des  susdictz  sera  ceste  année  faict  Eves- 
que  des  champs,  donnant  la  bénédiction  avecques  les  piedz  aux  passons. 

A  Sol,  comme  Beuveurs,  Enlumineurs  de  museaulx.  Ventres  à  poulaine, 
Brasseurs  de  bière,  Boteleurs  de  foing,  Portefaix,  Faulcheurs,  Recou- 
vreurs, Crocheteurs,  Emballeurs,  Bergiers,  Bouviers,  Vachiers,  Porchiers, 
Oizelleurs,  Jardiniers,  Grangiers,  Cloisiers,  Gueux  de  l'hostiaire,  Gaigne- 
deniers,  Degresseurs  de  bonnet  z,  Emboureurs  de  bastz,  Loqueteurs, 
Claquedens,  Croquelardons,  généralement  tous  portant  la  chemise  nouée 
sur  le  dos,  seront  sains  et  alaigres,  et  n'auront  la  goutte  es  dentz  quand 
ils  seront  de  nopces. 

A  Venus,  comme  Putains,  Maquerelles,  Marjolets,  Bougrins,  Bragards, 
Napleux,  Eschancrez,  Ribleurs,  Rufiens,  Caignardicrs,  Chamberieres 
d'hostelerie,  nomina  mxdierum  desinentia  in  iere,  ut  Lingiere,  Advocatiere, 
Taverniere,  Buandierc,  Frippierc,  seront  ceste  année  en  réputation; 
mais  le  Soleil  entrant  en  Cancer  et  aultres  signes,  se  doibvent  garder  de 
verolle,   de   chancre,   de   pisses   chauldes,   poullains   grenetz,   etc.    Les 


356  PANTAGRUELINE    PROGNOSTICATION 

iionnains  à  peine  concepvront  sans  opération  virile.  Bien  peu  de  pucelleS 
auront  en  mamelles  laict. 

A  Mercure,  comme  Pipeurs,  Trompeurs,  Affineurs,  Thriacleurs,  Lar- 
rons, Ivleusniers,  Dateurs  de  pavé.  Maîtres  es  ars,  Decretistes,  Crocheteurs, 
Harpailleurs,  Rimasseurs,  Basteleurs,  Joueurs  de  passe  passe,  Enchan- 
teurs, Vielleurs,  Oblicurs,  Poètes,  Escorchcurs  de  latin.  Faiseurs  de  rébus, 
Papetiers,  Cartiers,  Bagatis,  Escumeurs  de  mer,  feront  semblant  de  estre 
plus  joyeulx  que  souvent  ne  seront,  quelquefoys  riront  lors  que  n'en 
auront  talent,  et  seront  fort  subjectz  à  faire  bancques  rouptes,  s'ilz  se 
trouvent  plus  d'argent  en  bourse  que  ne  leur  en  fault. 

A  la  Lune,  comme  Bisouars,  Veneurs,  Chasseurs,  Asturciers,  Faulcon- 
niers.  Courriers,  Saulniers,  Lunaticqucs,  Folz,  Ecervelez,  Acariastres, 
Esvantez,  Courratiers,  Postes,  Laquays,  Nacquetz,  Verriers,  Estradiotz, 
Riverans,  Matelotz,  Chevaucheurs  de  escuirie,  AUeboteurs,  n'auront 
ceste  année  gueres  d'arrest.  Toutesfoys  n'iront  tant  de  hfrelofres  à 
Sainct  Hiaccho  comme  feirent  l'an  DXXIIIL  II  descendra  grand  abun-. 
dance  de  micquelotz  des  montaignes  de  Savoye  et  de  Auvergne;  mais 
Sagittarius  les  menasse  des  mules  aux  talons. 


CHAPITRE  VI 

DE    L'eSTAT    D'aULCUNS    PAYS 


Le  noble  Royaulme  de  France  prospérera  et  triumphera  ceste  année 
en  tous  plaisirs  et  délices,  tellement  que  les  nations  estranges  voluntiers 
se  y  retireront.  Petitz  bancquetz,  petitz  esbattements,  mille  joyeusetez 
se  y  feront,  où  un  chascun  prendra  plaisir  :  on  n'y  veit  oncques  tant  de 
vins,  ny  plus  frians;  force  raves  en  Lymousin,  force  chastaignes  ea 
Perigot  et  Daulphiné,  force  olyves  en  Languegoth,  force  sables  en  Olone, 
force  poissons  en  la  mer,  force  estoilles  au  ciel,  force  sel  en  Brouage; 
planté  le  bledz,  legimiaiges,  fruitages  jardinaiges,  beurres,  laictages. 
Nulle  peste,  nulle  guerre,  nul  ennuj',  bren  de  pouvreté,  bren  de  soucy, 
bren  de  melanchoUe;  et  ces  vieulx  doubles  ducatz,  nobles  à  la  rose, 
angelotz,  aigrefins,  royaulx  et  moutons  à  la  grand  laine  retourneront  en 
uzance,  avecques  planté  de  serapz  et  escuz  au  soleil.  Toutesfoys  sus  le 
milieu  de  l'esté  sera  à  redoubter  quelque  venue  de  pusses  noires  et 
cheussons  de  la  Deviniere.  Adeo  nihil  est  ex  omni  parte  beatum.  Mais  il 
les  fauldra  brider  à  force  de  collations  vespertines. 

Italie,  Romanie,  Naples,  Cécile,  demourront  où  elles  estoient  l'an 
passé.  Hz  songeront  bien  profondément  vers  la  fin  du  Caresme,  et  resve- 
ront  quelquefoys  vers  le  hault  du  jour. 

Allemaigne,  Souisses,  Saxe,  Strasbourg,  Anvers,  etc.,  profiteront  s'ilz 
ne  taillent;  les  porteurs  de  rogatons  les  doibvent  redoubter,  et  ceste 
année  ne  se  y  fonderont  pas  beaucoup  de  anniversaires. 


PANTAGRUELINE    PROGNOSTICATION  357 

Hespaigne,  Castille,  Portugual,  Airagon,  seront  bien  subjectz  à  soub- 
daines  altérations,  et  craindront  de  mourir  bien  fort,  autant  les  jeunes 
que  les  vieulx;  et  pourtant  se  tiendront  chaudement,  et  souvent  compte- 
ront leurs  escutz,  s'ils  en  ont. 

Angleterre,  Escosse,  les  Estrelins,  seront  assez  mauvais  Pantagrue- 
listes.  Aultant  sain  leurs  seroit  le  vin  que  la  bière,  pourveu  qu'il  fust 
bon  et  friant.  A  toutes  tables  leur  espoir  sera  en  l'arriere-jeu.  Sainct  Trei- 
gnant  d'Escosse  fera  des  miracles  tant  et  plus.  Mais  des  chandelles  qu'on 
luy  portera,  il  ne  verra  goutte  plus  clair  si  Aries  ascendant  de  sa  busche 
ne  trébuche,  et  n'est  de  sa  corne  escorné. 

Moscovites,  Indiens,  Perses  et  Troglodytes  souvent  auront  la  cacque- 
sangue,  parce  qu'ilz  ne  vouldront  estre  par  les  Romanistes  belinez, 
attendu  le  bal  de  Sagittarius  ascendant. 

Boësmes,  Juifs,  Egiptiens,  ne  seront  pas  ceste  année  reduictz  en  plate 
forme  de  leur  attente.  Venus  les  menasse  aigrement  des  escrouelles  guor- 
gerines;  mais  ilz  condescendront  au  vueil  du  Roy  des  Parpaillons. 

Escargotz,  Sarabouytes,  Cauquemarres,  Canibales,  seront  fort  molestez 
des  mousches  bovines,  et  peu  joueront  des  cymbales  et  manequins,  si  le 
Guaiac  n'est  de  requeste. 

Austriche,  Hongrie,  Turquie,  par  ma  foy,  mes  bons  hillotz,  je  ne  sçay 
comment  ilz  se  porteront,  et  bien  peu  m'en  soucie,  veu  la  brave  entrée 
du  Soleil  en  Capricomus  :  et  si  plus  en  sçavez,  n'en  dictes  mot,  mais 
attendez  la  venue  du  Boyteux. 


CHAPITRE  VU 

DES    QUATRE    S.\ISONS    DE    L'.A.NNÉE,    ET    PREMIEREMENT    DU    PRINTEMPS 

En  toute  ceste  armée  ne  sera  qu'une  Lune,  encores  ne  sera  elle  poinct 
nouvelle;  vous  en  estes  bien  marriz,  vous  aultres  qui  ne  croyez  mie  en 
Dieu,  qui  persécutez  sa  saincte  et  divine  paroUe,  ensemble  ceux  qui  la 
maintiennent.  Mais  aUez  vous  pandre,  ja  ne  sera  aultre  lune  que  celle 
laquelle  Dieu  créa  au  commencement  du  monde,  et  laquelle  par  l'efîect 
de  sa  dicte  sacre  parolle  a  esté  establie  au  lirmament  pour  luyre  et 
guider  les  humains  de  nuict.  Ma  Dia,  je  ne  veulx  par  ce  inférer  qu'elle  ne 
monstre  à  la  Tcire  et  gens  terrestres  diminution  ou  accroissement  de  sa 
clarté,  selon  qu'elle  approchera  ou  s'esloignera  du  Soleil.  Car,  pourquoy? 
Pour  aultant  que,  etc.  Et  plus  pour  elle  ne  priez  que  Dieu  la  garde  des 
loups,  car  ilz  ne  y  toucheront  de  ccst  an,  je  vous  aff-e.  A  propos  :  vous 
verrez  ceste  saison  à  moytié  plus  de  fleurs  qu'en  toutes  les  troys  aultres. 
Et  ne  sera  réputé  fol  cil  qui  en  ce  temps  fera  sa  provision  d'argent  mieulx 
que  de  arancs  toute  l'année.  Les  Gryphons  et  Marrons  des  montaignes  de 
Savoye,  Daulphiné  et  Hyperborées,  qui  ont  neiges  sempiternelles,  seront 
frustrez  de  ceste  saison,  et  n'en  auront  point  seloji  l'opiniou  d'Avicenne, 


358  PANTAGRUELINE    PROGXOSTICATION 

qui  dict  que  le  Printemps  est  lors  que  les  neiges  tombent  des  monts. 
Croyez  ce  porteur.  De  mon  temps  l'on  comptoit  Ver  quand  le  Soleil 
entroit  on  premier  degré  de  Aries.  Si  maintenant  on  le  compte  autrement, 
je  passe  condemnation.  Et  jou  mot. 


CHAPITRE  VIII 

DE    l'esté 

En  Esté  je  ne  sçay  quel  temps  ni  quel  vent  courra;  mais  je  sçay  bien 
qu'il  doibt  faire  chault  et  régner  vent  marin.  Toutes  foys,  si  aultrement 
arrive,  pour  tant  ne  fauldra  renier  Dieu.  Car  il  est  plus  saige  que  nous,  et 
sçait  trop  mieidx  ce  que  nous  est  nécessaire  que  nous  niesnies,  je  vous  en 
asseure  sus  mon  hoimeur,  quoy  qu'en  ayt  dict  Haly  et  ses  suppostz.' 
Beau  fera  se  tenir  joyeulx  et  boire  frays,  combien  qu'aulcims  ayent  dict 
qu'il  n'est  chose  plus  contraire  à  la  soif.  Je  le  croy.  Aussi,  contraria 
contrariis  aiiaiiiiiy. 


CHAPITRE  IX 

DE    l'automne 

En  Autonne  l'on  vendangera,  ou  davant  ou  après;  ce  m'est  tout  im, 
pourveu  que  ayons  du  piot  à  suffisance.  Les  cuidez  seront  de  saison,  car 
tel  cuidera  vessir  qui  baudement  fiantera.  Ceulx  et  celles  qui  ont  voué 
jeûner  jusques  à  ce  que  les  estoilles  soient  au  ciel,  à  heure  présente  peu- 
vent bien  repaistre,  par  mon  octroy  et  dispense.  Encores  ont  ilz  beaucoup 
tardé  :  car  elles  y  sont  devant  seize  mille  et  ne  sçay  qunntz  jours;  je  vous 
dy  bien  atachées.  Et  n'espérez  dorenant  prendre  les  aUouettes  à  la  cheute 
du  ciel,  car  il  ne  tombera  de  vostre  aage,  sus  mon  honneur.  Cagotz, 
Caffars  et  Porteurs  de  rogatons,  perpétuons,  et  autres  telles  triquedon- 
daines,  sortiront  de  leurs  tesnieres.  Chascun  se  guarde  qui  vouidra. 
Guardez  vous  aussi  des  arestes  quand  vous  mangerez  du  poisson,  et  de 
poison  Dieu  vous  en  guard  ! 


CHAPITRE    X 

DE    l'hYVER 

En  Hyver,  selon  mon  petit  entendement,  ne  seront  saiges  ceulx  qui 
vendront  leurs  pellices  et  fourrures  pour  achapter  du  boys.  Et  ainsi  ne 


PANTAGRUELINE    PROGNOSTICATIOX  359 

faisoient  les  Antiques,  comme  tesmoigne  Avenzouar.  S'il  pleut,  ne  vous 
en  melencholiez  :  tant  moins  aurez  vous  de  pouldre  pour  chemin.  Tenez- 
vous  chauldement.  Redoubtez  les  catliarrcs.  Beuvez  du  meilleur,  atten- 
dans  que  l'aultre  amendera,  et  ne  chiez  plus  dorénavant  on  lict.  O  o  ! 
poullailles,  faictes-vous  voz  nidz  tant  hault? 


LA    SCIOMACHIE 

ET     FESTINS 

FAITS    A    ROME    AU    PALAIS    DE   MON    SEIGNEUR   REVERENDISSIMB 
CARDINAL    DU    BELLAY 

POUR  l'heureuse  naissance 

DE  MON  SEIGNEUR  D'ORLÉANS 

Le  tout  extrait 

d'une  copie  des  lettres  escrites  a  mon  seigneur  le  reverendissime 

CARDINAL  DE  GUISE 

PAR  .M.  FRANÇOIS  RABELAIS 
docteur  en  medicine 


Au  troisième  jour  de  février  MDXLIX,  entre  trois  et  quatre  heures 
du  matin,  nasquit  au  chasteau  de  Saint-Germain-en-Laye. 

Duc  d'Orléans,  fdz  puisné  du  très  chrestien  Roy  de  France  Henry 
de  Valois,  second  de  ce  nom,  et  de  tresillustre  Madame  Catharine  de 
Medicis,  sa  bonne  espouse.  Cestuy  propre  jour,  en  Rome,  par  les  banques 
fut  un  bruit  tout  commun  sans  autheur  certain  de  ceste  heureuse  nais- 
sance, non  seulement  du  lieu  et  jour  susdits,  mais  aussi  de  l'heure 
savoir  est  environ  neuf  heures,  selon  la  supputation  des  Romains.  Qui 
est  chose  prodigieuse  et  admirable,  non  toutesfois  en  mon  endroit,  qui 
pourrois  alléguer,  par  les  histoires  Grecques  et  Romaines,  nouvelles 
insignes,  comme  de  batailles  perdues  ou  gaignées  à  plus  de  cinq  cens 
lieues  loing,  ou  autre  cas  d'importance  grande,  avoir  esté  semées  au 
propre  et  mesme  jour,  voire  devant,  sans  autheur  congnu.  Encorcs  en 
vtismes  nous  semblables  à  Lyon  pour  la  journée  de  Pavic,  en  la  personne 
du  feu  seigneur  de  Rochefort,  et  recentement  à  Paris  au  jour  que  combat- 
tirent les  seigneurs  de  Jarnac  et  Chastaigneraye  :  mille  autres.  Est  un 
poinct  sus  lequel  les  Platoniques  ont  fondé  la  participation  de  divinité 
es  Dieux  tutelaires,  lesquelz  nos  Théologiens  appellent  Anges  gardians. 
Mais  ce  propos  excederoit  la  juste  quantité  d'une  epistre.  Tant  est  que 
l'on  creut  par  les  banques  cestes  nouvelles  si  obstinément  que  plusieuis 
de  la  part  Françoise,  sur  le  soir,  en  feirent  feuz  de  joie  et  marquèrent 


LA    SCIOMACHIE  36I 

de  croye  blanche  sus  leurs  calendriers  ceste  fauste  et  heureuse  journée . 
Sept  jours  après  furent  ces  bonnes  nouvelles  plus  au  plein  avérées  par 
quelques  courriers  de  banque,  venans  uns  de  Lyon,  autres  de  Ferrare. 

Mes  Seigneurs  les  Revercndissimes  Cardinaux  François  qui  sont  en 
ceste  court  Romaine,  ensemble  le  seigneur  d'Urfé,  Ambassadeur  de  sa 
Majesté,  non  ayans  autre  advis  particulier,  delayoient  tousjours  à  declai- 
rer  leur  joye  et  alaigresse  de  ceste  tant  désirée  naissance,  jusques  à  ce 
que  le  seigneur  Alexandre  Schivanoia,  gentilhomme  mantuan,  arriva  au 
premier  jour  de  ce  mois  de  Mars,  expressément  envoyé  de  la  part  de 
Sa  Majesté  pour  acertainer  le  Père  Saint,  les  Cardinaux  François  et 
Ambassadeur  de  ce  que  dessus.  Adonques  furent  faits  de  tous  costez 
festins  et  feuz  de  joye,  par  trois  soirs  subsequens. 

Mon  Seigneur  Reverendissime  Cardinal  du  Bellay,  non  content  de  ces 
menues  et  vulgaires  significations  de  liesse  pour  la  naissance  d'un  si  grand 
Prince,  destiné  à  choses  si  grandes  en  matière  de  chevalerie  et  gestes 
héroïques,  comme  il  appert  par  son  horoscope,  si  une  fois  il  eschappe 
quelque  triste  aspect  en  l'angle  occidental  de  la  septième  maison,  voulut 
(par  manière  de  dire)  faire  ce  que  feit  le  seigneur  Jean  Jordan  Ursin, 
lorsque  le  Roy  François  d'heureuse  mémoire  obtint  la  victoire  à  Mari- 
gnan.  Iceluy,  voyant  par  la  part  ennemie,  à  un  faux  rapport,  estre  fais 
feuz  parmy  les  rues  de  Rome,  comme  si  ledit  roy  eust  perdu  la  bataille, 
quelques  jours  après,  adverty  de  la  vérité  du  succès  et  de  sa  victoire, 
acheta  cinq  ou  six  maisons  contiguës  en  forme  d'Isle,  prés  mons  Jordan, 
les  feit  emplir  de  fagotz,  falourdes  et  tonneaux,  avecques  force  pouldre 
de  canon,  puis  meit  le  feu  dedens.  C'estoit  une  nouvelle  Alosis,  et  nouveau 
feu  de  joye.  Ainsi  vouloit  ledit  Seigneur  Reverendissime,  pour  declairer 
l'excès  de  son  alaigresse  pour  cestes  bonnes  nouvelles,  faire,  quoy  qu'il 
coustast,  quelque  chose  spectable,  non  encores  veuë  en  Rome  de  nostre 
mémoire.  Non  la  pouvant  toutesfois  exécuter  à  sa  fantaisie  et  conten- 
tement, obstant  quelque  maladie  survenue  en  cestuy  temps  audit  sei- 
gneur Ambassadeur,  auquel  le  cas  touchoit  pareillement  à  cause  de  son 
estât,  fut  relevé  de  ceste  perplexité  par  le  moyen  du  seigneur  Horace 
Farnese,  duc  de  Castres,  et  des  seigneurs  Robert  Strossi  et  de  Mahgni, 
lesquelz  estoient  en  pareille  combustion.  Ils  mirent  quatre  testes  en  un 
chapperon.  En  fin,  après  plusieurs  propos  mis  en  délibération,  résolurent 
une  Sciomachie,  c'est  à  dire  im  simulacre  et  représentation  de  bataille 
tant  par  eaue  que  par  terre. 

La  Naumachie,  c'est-à-dire  le  combat  par  eau,  estoit  designé  au  dessus 
du  pont  AeUan,  justement  devant  le  jardin  secret  du  chasteau  saint  Ange, 
lequel  feu  de  mémoire  étemelle  Guillaume  du  Bellay,  seigneur  de  Langey, 
avoit  avec  ses  bandes  fortifié,  gardé,  et  deffendu  bien  long  temps  contre 
les  lansquenetz  qui  depuis  saccagèrent  Rome.  L'ordre  d'iceluy  combat 
estoit  tel  que  cinquante  menuz  vaisseaux,  comme  Fustes,  Galiotes, 
Gondoles  et  Frégates  armées,  assailleroient  un  grand  et  monstrueux 
Gahon  composé  de  deux  les  plus  grans  vaisseaux  qui  fussent  en  ceste 
marine,  lesquelz  on  avoit  fait  monter  d'Hostie  et  Porto  à  force  de  beufles. 
Et,  après  plusieurs  ruses,  assautz,  repoulsemens,  et  autres  usances  d© 


302  LA    SCIOMACHIE 

bataille  navale,  sus  le  soir  l'on  mettrait  le  feu  dedens  iceluy  Galion.  Il  y 
eust  eu  un  terrible  feu  de  joj'e,  veu  le  grand  nombre  et  quantité  de  feuz 
artificielz  qu'on  avoit  mis  dedens.  Ja  estoit  iceluy  Galion  prest  à  combat- 
tre, les  petits  vaisseaux  prestz  d'assaillir,  et  peintz  selon  les  livrées  des 
Capitaines  assaillans,  avecques  la  pavesade  et  chorme  bien  galante.  Mais 
ce  combat  fut  obmis,  à  cause  d'une  horrible  crue  du  Tybre  et  vorages 
par  trop  dangereuses,  comme  vous  savez  que  c'est  un  des  plus  inconstans 
fleuves  du  monde,  et  croît  inopinément,  non  seulement  par  esgoutz  des 
eaues  tombantes  des  montaignes  à  la  fonte  des  neiges  ou  autres  pluies, 
ou  par  regorgemens  des  lacs  qui  se  deschargent  en  iceluy,  mais  encores 
par  manière  plus  estrange  par  les  vents  austraux  qui,  soufflans  droit  en 
sa  boucque  prés  Hostie,  suspendans  son  cours  et  ne  luy  donnans  lieu  de 
s'escouller  en  ceste  mer  Hetrusque,  le  font  enfler  et  retourner  arrière, 
avecques  misérable  calamité,  et  vastation  des  terres  adjacentes.  Adjoint 
aussi  que  deux  jours  devant  avoit  esté  fait  naufrage  d'une  des  Gondoles, 
en  laquelle  s'estoient  jettez  quelques  Matachins  imperitz  de  la  marine, 
cuydans  fanfarer  et  bouffonner  sus  eaue,  comme  ilz  font  très  bien  en  terre 
ferme.  Telle  Naumachie  estoit  assignée  pour  le  dimenche,  dixième  de  ce 
mois. 

La  Sciomachie  par  terre  fut  faite  au  jeudi  subséquent.  Pour  laquelle 
mieux  entendre  est  à  noter  que,  pour  icelle  aptement  parfaire,  fut  eslue 
la  place  de  Saint  Apostolo,  parce  qu'après  celle  d'Agone  c'est  la  plus 
belle  et  longue  de  Rome;  par  ce  aussi  et  principalement  que  le  palais 
dudit  Seigneur  Reverendissime  est  sus  le  long  d'icelle  place.  En  icelle 
doncques,  devant  la  grand'porte  d'iceluy  palais,  fut,  par  le  deseing  du 
capitaine  Jean  Francisque  de  Monte  Melino,  érigé  un  chasteau  en  forme 
quadrangulaire,  chascune  face  duquel  estoit  longue  d'environ  vingt  et 
cinq  pas,  haute  la  moitié  d'autant,  comprenant  le  parapete.  A  chascun 
angle  estoit  érigé  im  tourrion  à  quatre  angles  acutz,  desquelz  les  trois 
estoient  projettez  au  dehors;  le  quatrième  estoit  amorti  en  l'angle  de  la 
muraille  du  chasteau.  Tous  estoient  percez  pour  canonnières  par  chascun 
des  flans  et  angles  intérieurs  en  deux  endroitz,  savoir  est,  au  dessouz  et 
au  dessus  du  cordon.  Hauteur  d'iceux  avecques  leur  parapete,  comme  de 
ladite  muraille.  Et  estoit  iceUe  muraille,  pour  la  face  principale  qui 
regardoit  le  long  de  la  place,  et  le  contour  de  ses  deux  fourrions,  de  fortes 
tables  et  esses  jusques  au  cordon;  le  dessus  estoit  de  brique,  pour  la 
raison  qu'orrez  par  cy  après.  Les  autres  deux  faces  avecques  leurs  tour- 
rion estoient  toutes  de  tables  et  limandes.  La  muraille  de  la  porte 
du  palais  étoit  pour  quarte  face.  Au  coing  de  laquelle,  par  le  dedens  du 
chasteau,  estoit  érigé  une  tour  quarrée  de  pareille  matière,  haute  trois 
fois  autant  que  les  autres  fourrions.  Pair  le  dehors  tout  estoit  aptement 
joint,  collé  et  peint,  comme  si  fussent  murailles  de  grosses  pierres  entail- 
lées à  la  rustique,  telle  qu'on  voit  la  grosse  tour  de  Boiu-ges.  Tout  le 
circuit  estoit  ceint  d'un  fossé  large  de  quatre  pas,  profond  d'ime  demie 
toise  et  plus.  La  porte  estoit  selon  l'advenue  de  la  porte  grande  du  palais, 
eslevée  pour  le  mâchicoulis  en\'iron  trois  piedz  plus  haut  que  la  muraille, 
de  laquelle  descendoit  im  pont  levis  jusques  sur  la  contrescarpe  du  fossé. 


LA    SCIO^FACHIE  363 

Au  jour  susdit,  xiiii  de  ce  mois  de  Mars,  le  ciel  et  l'air  semblèrent 
favoriser  à  la  feste.  Car  Ion  n'avoit  de  long  temps  veu  journée  tant  claire, 
serene  et  joyeuse  comme  icelle  fut  en  toute  sa  durée.  La  fréquence  du 
peuple  estoit  incroyable.  Car,  non  seulement  les  Seigneurs  Reverendis- 
simes  Cardinaux,  presque  tous  les  Evesques,  Prelatz,  Officiers,  Seigneurs 
et  Dames  et  comxmm  peuple  de  la  ville  y  estoient  accouruz,  mais  aussi 
des  terres  circunvoisines  à  plus  de  cinquante  lieues  à  la  ronde  estoient 
convenuz  nombre  merveilleux  de  Seigneurs,  Ducz,  Comtes,  Barons, 
gentilzhommes,  avecques  leurs  femmes  et  familles,  au  bruit  qui  estoit 
couru  de  ce  nouveau  tournoy,  aussi  qu'on  avoit  veu  es  jours  precedens 
tous  les  brodeurs,  tailleurs,  recameurs,  plumaciers  et  autres  de  telz 
mestiers  employez  et  occupez  à  parfaire  les  accoustremens  requis  à  la 
feste.  De  mode  que,  non  les  palais,  maisons,  loges,  galeries  et  eschaffautz 
seulement  estoient  pleins  de  gens  en  bien  grande  serre,  quoy  que  la  place 
soit  des  plus  grandes  et  spacieuses  qu'on  voye,  mais  aussi  les  toitz  et 
couvertures  des  maisons  et  églises  voisines  Au  mylieu  de  la  place  pen- 
doient  les  armoiries  de  mondit  seigneur  d'Orléans,  en  bien  grande  marge, 
à  double  face,  entoumoiees  d'un  joyeux  feston  de  Mvrtes,  Lierres,  Lau- 
riers et  Orangiers,  mignonnement  instrophiées  d'or  clinquant,  avec  ceste 
inscription  : 

Cresce,  infans,  fatis  nec  te  ipse  vocantibtis  aufcr. 

Sus  les  xviii  heures,  selon  la  supputation  du  pais,  qui  est  entre  ime  et 
deux  après  midy,  ce  pendant  que  les  combatans  foy  mettoient  en  armes, 
entrèrent  dedens  la  place  les  deux  Caporions  Colonnois,  avecques  leurs 
gens  embastonnez,  assez  mal  en  poinct.  Puis  survindrent  les  Suisses  de 
la  garde  du  Pape,  avecques  leur  Capitaine,  tous  armez  à  blanc,  la  picque 
au  poing,  bien  en  bon  ordre,  pour  garder  la  place.  Alors,  pour  temporiser 
et  esbattre  l'assemblée  magnifique,  furent  laschez  quatre  terribles  et  fiers 
taureaux.  Les  premier  et  second  furent  abandonnez  aux  gladiateurs  et 
bestiaires  à  l'espée  et  cappe.  Le  tiers  fut  combattu  par  trois  grans  chiens 
corses,  auquel  combat  y  eut  de  passe-temps  beaucoup.  Le  quart  fut 
abandonné  au  long  bois,  savoir  est  picques,  partusanes,  halebardes, 
corsecques,  espieuz  boulonnois,  parce  qu'il  sembloit  trop  furieux,  et  eust 
peu  faire  beaucoup  de  mal  parmy  le  menu  peuple. 

Les  taureaux  desconfitz,  et  la  place  vuide  du  peuple  jusques  aux  bar- 
rières, siirvint  le  Moret,  archiboufîon  d'Italie,  monté  sus  un  bien  puissant 
roussin,  et  tenant  en  main  quatre  lances  liées  et  entées  dedens  une,  soy 
vantant  de  les  rompre  toutes  d'une  course  contre  terre.  Ce  qu'il  essaya, 
fièrement  picquant  son  roussin;  mais  il  n'en  rompit  que  la  poignée,  et 
s'accoustra  le  bras  en  coureur  buffonique.  Cela  fait,  en  la  place  entra, 
au  son  des  fifres  et  tabours,  une  enseigne  de  gens  de  pied,  tous  gorgia- 
sement  accoustrez,  armez  de  harnois  presque  tous  dorez,  tant  picquiers 
qu'escoulpetiers,  en  nombre  de  trois  cens  et  plus.  Iceux  furent  suivis  par 
quatre  trompettes,  et  im  estanterol  de  gens  de  cheval,  tous  serviteurs 
de  Sa  Majesté,  et  de  la  part  Françoise,  les  plus  gorgias  qu'on  pourroit 


364  LA    SCIOMACHIE 

souhaiter,  nombre  de  cinquante  chevaux  et  d'avantage.  Lesquelz,  la 
visière  haulsée,  feirent  deux  tours  le  long  de  la  place  en  grande  alaigresse, 
faisans  poppizer,  bondir  et  penader  leurs  chevaux,  uns  parmy  les  autres, 
au  grand  contentement  de  tous  les  spectateurs.  Puis  se  retirèrent  au  bout 
de  la  place  à  gauche,  vers  le  monastère  de  Saint  Marcel.  D'icelle  bande, 
pour  les  gens  de  pied,  estoit  capitaine  le  seigneur  Astorre  Baglion, 
l'enseigne  duquel  et  escharpes  de  ses  gens  estoit  de  couleurs  blanc  et 
bleu.  Le  seigneur  duc  Horace  estoit  chef  des  hommes  d'armes,  desquelz 
voluntiers  j'ay  cy  dessous  mis  les  noms,  pour  l'honneur  d'iceux. 

1,'Excellence  dudit  seigneur  Duc.  Dominique  de  Massimis. 

Paule  Baptiste  Fregose.  P.  Lois  Capisucco. 

Flaminio  de  I,anguillare.  J-  P-  Paule  de  la  Cecca. 

Alexandre  Cinquin.  Bernardin  Piovene. 

Luca  d'Onane.  Ludovic  Cosciari. 

Theobaldo  de  la  Molare.  Jean  Paule,  escuier  de  Son  Excellence. 

Philippe  de  Serlupis. 

Tous  en  hamois  dorez,  montez  sur  gros  coiursiers,  leurs  pages  montez 
sus  genetz  et  chevaux  turcs  pour  le  combat  à  l'espée. 

La  hvrée  de  Son  Excellence  estoit  blanc  et  incarnat,  laquelle  pouvoit 
on  voir  es  habillemens,  bardes,  caparassons,  pennaches,  panonceaux, 
lances,  fourreaux  d'espées,  tant  dessusdits  chevaUers  que  des  pages  et 
estaifiers  qui  les  suivoient  en  bon  nombre.  Ses  quatre  trompettes,  vestuz 
de  casaquins  de  velours  incarnat,  decouppe  et  double  de  toille  d'argent. 
Son  Excellence  estoit  richement  vestue  sus  les  armes  d'un  accoustrement 
fait  à  l'antique,  de  satin  incarnat  broché  d'or,  couvert  de  croissans  estof- 
fez  en  riche  broderie  de  toille  et  canetille  d'argent.  De  telle  pamre  estoient 
semblablement  vestuz  et  couvers  tous  les  hommes  d'armes  susdits,  et 
leurs  chevaux  pareillement.  Et  n'est  à  obmettre  qu'entre  les  susdits 
croissans  d'argent  à  haut  reUef,  par  certains  quadres  estoient  en  riche 
broderie  posées  quatre  gerbes  recamées  à  couleur  verde,  autour  desquelles 
estoit  escrit  ce  mot,  Flavescent  :  voulant  signifier  (selon  mon  opinion) 
quelque  sienne  grande  espérance  estre  prochaine  de  maturité  et  jouis- 
sance. 

Ces  deux  bandes  ainsi  escartees,  et  restant  la  place  vuyde,  soudain 
entra,  par  le  costé  droit  du  bas  de  la  place,  une  compagnie  de  jeimes  et 
belles  Dames  richement  atoimiees,  et  vestues  à  la  Nj-mphale,  ainsi  que 
voyons  les  Nymphes  par  les  monuments  antiques.  Desquelles  la  princi- 
pale, plus  eminente  et  haute  de  toutes  autres,  représentant  Diane, 
portoit  sus  le  sonmiet  du  front  un  croissant  d'argent,  la  chevelure 
blonde  esparse  sur  les  espaules,  tressée  sus  la  teste  avecques  une  guirlande 
de  laurier,  toute  instrophiée  de  roses,  violettes,  et  autres  belles  fleiurs; 
vestue,  sus  la  sottane  et  verdugalle,  de  damas  rouge  cramoisi  à  riches 
broderies,  d'une  fine  toille  de  Cypre  toute  battue  d'or,  curieusement  pliée 
comme  si  fust  un  rochet  de  Cardinal,  descendant  jusques  à  my  jambe, 
et,  par  dessus,  une  peau  de  Léopard  bien  rare  et  précieuse,  attachée  à 
gros  boutons  d'or  sus  l'cspaule  gauche.  Ses  botines  dorées,  entaillées, 
et  nouées  à  la  Nymphale,  avec  cordons  de  toille  d'argent;  son  cor  d'Ivoire 


LA    SCIOMACHIE  365 

pendant  souz  le  bras  gauschc;  sa  trousse,  précieusement  recamee  et 
labourée  de  perles,  pendoit  de  l'cspaule  droite  à  gros  cordons  et  houppes 
de  soye  blanche  et  incarnate.  Elle,  en  main  droite,  tenoit  une  dardelle 
argentée.  Les  autres  Nymphes  peu  differoient  en  accoustremens,  exceptez 
qu'elles  n'avoient  le  croissant  d'argent  sus  le  front.  Chacune  tenoit  im 
arc  Turquois  bien  beau  en  main,  et  la  trousse  comme  la  première.  Aucunes 
sus  leurs  rochetz  portoient  peau.x  d'Africanes,  autres  de  Loups  cerviers, 
autres  de  Martes  Calabroiscs.  Aucunes  menoient  des  lévriers  en  lesse, 
autres  sonnoient  de  leurs  trombes.  C'estoit  belle  chose  les  voir.  Ainsi  soy 
pourmenans  par  la  place,  en  plaisans  gestes  comme  si  elles  allassent  à 
la  chasse,  advint  qu'une  du  trouppeau,  soy  amusant  à  l'escart  de  la 
compagnie  pour  nouer  un  cordon  de  sa  botine,  fut  prise  par  aucims 
soudars  sortiz  du  chasteau  à  l'improviste.  A  ceste  prise  fut  horrible 
etïroy  en  la  compagnie.  Diane  hautement  crj'oit  qu'on  la  rendist,  les 
autres  Nymphes  pareillement  en  cris  piteux  et  lamentables.  Rien  ne  leur 
fut  respondu  par  ceux  qui  estoient  dedens  le  chasteau.  Adonques,  tirans 
quelque  nombre  de  flesches  par  dessus  le  parapete,  et  fièrement  menas- 
sans  ceux  du  dedens,  s'en  retournèrent  portans  faces  et  gestes  au  retour 
autant  tristes  et  piteuses  comme  avoient  eu  joyeuses  et  gayes  à  l'aller. 
Sus  la  fin  de  la  place  rencontrans  Son  Excellence  et  sa  compagnie, 
feirent  ensemble  cris  effroyables.  Diane  luy  ayant  exposé  la  deconveneue, 
comme  à  son  mignon  et  favorit,  tesmoing  la  devise  des  croissans  d'argent 
espars  par  ses  accoustremens,  requist  aide,  secours  et  vengeance,  ce  que 
luy  fut  promis  et  asseuré.  Puis  sortirent  les  Nymphes  hors  la  place. 
Adonques  Son  Excellence  envoyé  un  héraut  par  devers  ceux  qui  estoient 
dedens  le  chasteau,  requérant  la  Nymphe  ravie  luy  estre  rendue  sus 
l'instant,  et,  en  cas  de  refus  ou  delay,  les  menassant  fort  et  ferme  de  mettre 
eux  et  la  forteresse  à  feu  et  à  sang.  Ceux  du  chaseau  feirent  response  qu'ilz 
vouloient  la  Nymphe  pour  soy,  et  que,  s'ilz  la  vouloient  recouvrir,  il  failloit 
jouer  des  cousteaux  et  n'oublier  rien  en  la  boutique.  A  tant  non  seulement 
ne  la  rendirent  à  ceste  sommation,  mais  la  montèrent  au  plus  haut  de  la 
tour  quarrée  en  veue  de  la  part  foraine.  Le  héraut  retourné,  et  entendu  le 
refus.  Son  Excellence  tint  sommairement  conseil  avecques  ses  capitaines. 
Là  fut  résolu  de  ruiner  le  chasteau  et  tous  ceux  qui  seroient  dedens. - 

Auquel  instant,  par  le  costé  droit  du  bas  de  la  place  entrèrent,  au  son  de 
quatre  trompettes,  fifres  et  tabours,  un  estanterol  de  gens  de  cheval  et 
une  enseigne  de  gens  de  pied,  marchans  furieusement,  comme  voulans 
entrer  par  force  dedens  le  chasteau,  au  secours  de  ceux  qui  le  tenoient. 
Des  gens  de  pied  estoit  capitaine  le  seigneur  Chappin  Ursin,  tous  hommes 
galans,  et  superbement  armez,  tant  picquiers  que  harquebousiers,  en 
nombre  de  trois  cens  et  plus.  Les  couleurs  de  son  enseigne  et  escharpes 
estoient  blanc  et  orangé.  Les  gens  de  cheval,  faisans  nombre  de  cinquante 
chevaux  et  plus,  tous  en  harnois  dorez,  richement  vestuz  et  enharnachez, 
estoient  conduits  par  les  seigneurs  Robert  Strossi  et  Maligni.  La  livrée 
du  seigneur  Robert,  de  son  accoustrement  sus  armes,  des  bardes,  cappa- 
rassons,  pennaches,  panonceaux,  et  des  chevaliers  par  luy  conduits, 
des  trompettes,  pages  et  estafiiers,  estoit  des  couleurs  blanc,  bleu  et 


3b6  LA    SCIOMACHIE 

orangé.  Celle  du  seigneur  de  Maligni,  et  des  gens  par  luy  conduits,  estoit 
des  couleur?  blanc,  roage  et  noir.  Et  si  ceux  de  Son  Excellence  estoient 
bien  advantagement  montez  et  richement  accoustrez,  ceux  cy  ne  leurs 
cedoient  en  rien.  Les  noms  des  hommes  d'armes  j'ay  icy  mis  à  leur 
honneur  et  louenge. 

Le  seigneur  Robert  Strossi.  S.  de  Villepemay. 

Le  seigneur  de  Malis:ni.  Spagnino. 

S.  Averso  de  Langidllarre.  Baptiste,  picquer  du  iesugneur  .\mbassa- 

S.  de  ilalicome  le  jeune.  deur.  ., 

M.  Jean  Baptiste  de  Victorio.  Le  cavalcador  du  seigneur  Robert. 

S.  de  Piebon.  Jean  Baptiste  Altoviti. 

M.  Sôpion  de  Piovene.  S.  de  la  Garde. 

Ces  deux  derniers  ne  furent  au  combat,  parce  que,  quelques  jours 
Uavant  la  feste,  soy  essayans  dedens  le  Thermes  de  Docletian  avecques 
la  compaignie,  au  premier  fut  une  jambe  rompue,  au  second  le  poulse 
taillé  de  long.  Ces  deux  bandes  donques,  entrans  fièrement  en  la  place, 
furent  rencontrées  de  Son  Excellence  et  de  ses  compagnies.  Alors  fut 
l'escarmouche  attaquée  des  uns  parmy  les  autres,  en  braveté  honnorable, 
sans  toutesfois  rompre  lances  ni  espées,  les  derniers  entrez  tousjours  soy 
retirems  vers  le  fort,  les  premiers  entrez  tousjoiurs  les  poursuyvans, 
jusques  à  ce  qu'ilz  furent  près  le  fossé.  Adonqucs  fut  tiré  du  chasteau 
grand  nombre  d'artillerie  grosse  et  moyenne,  et  se  retira  Son  Excellence 
et  ses  bandes  en  son  camp  :  les  deux  bandes  dernières  entrèrent  dedens 
le  chasteau. 

Cette  escarmouche  finie,  sortit  im  trompette  du  chasteau,  envoyé 
devers  Son  Excellence,  entendre  si  ses  chevaliers  vouloient  faire  espreuve 
de  leurs  vertus  en  Monomachie,  c'est  à  dire  homme  à  homme  contre  les 
tenans.  Auquel  fut  respondu  que  bien  voluntiers  le  feroient.  Le  trompette 
retourné,  sortirent  hors  le  chasteau  deux  hommes  d'armes,  ayans  chascun 
la  lance  au  poing  et  la  visière  abbatue,  et  se  posèrent  sur  le  revehn  du 
fossé,  en  face  des  assaillans,  de  la  bande  desquelz  pareillement  se  targe- 
rent  deux  hommes  d'armes,  lance  au  poing,  visière  abbattue.  Lors, 
sonnans  les  trompettes  d'un  costé  et  d'autre,  les  hommes  d'armes  soy 
rencontrèrent,  piquans  fiuieusement  leurs  dextriers.  Puis,  les  lances 
rompues  tant  d'un  costé  comme  d'autre,  nùrent  la  main  aux  espees,  et 
soy  chamaillèrent  l'on  l'autre  si  brusquement  que  leiurs  espees  volèrent 
en  pièces.  Ces  quatre  retirez,  sortirent  quatre  autres,  et  combattirent 
deux  contre  deux,  comme  les  premiers,  et  ainsi  consequentement  comba- 
tirent  tous  les  gens  de  che\"al  des  deux  bandes  controverses. 

Ceste  Monomachie  parachevée,  ce  pendant  que  les  gens  de  pied  entre- 
tenoient  la  retraite,  Son  Excellence  et  sa  compagnie,  changeans  de  che- 
vaux, reprindrent  nouvelles  lances,  et,  en  trouppe,  se  présentèrent  devant 
la  face  du  chasteau.  Les  gens  de  pied,  sus  le  flanc  droit,  couvers  d'aucims 
rondcUers,  apportoient  eschelles,  comme  pour  emporter  le  fort  d'emblée, 
et  jà  avoient  planté  quelques  eschelles  du  costé  de  la  porte,  quand  du 
chasteau  fut  tant  tiré  d'artillerie,  tant  jette  de  mattons,  micraines,  potz 
et  lances  à  feu,  que  tout  le  \  oisinage  en  retondissoit,  et  ne  voiyoit  on 


LA    SCIOMACHIE  5^7 

autour  que  feu,  flambe  et  fumée,  avec  tonnoirres  horrifiques  de  telle 
canonneric.  Dont  furent  contraints  les  forains  soy  retirer  et  abandonner 
les  eschelles.  Quelques  soudars  du  fort  sortirent  souz  la  fumée,  et  char- 
gèrent les  gens  de  pied  forains,  de  manière  qu'ilz  prindrent  deux  prison- 
niers. Puis,  suyvans  leur  fortune,  se  trouvèrent  enveloppez  entre  quelque 
esquadron  des  forains,  caché  comme  en  embuscade.  Là,  craignans  que 
la  bataille  ensuivist,  se  retirèrent  au  trot,  et  perdirent  deux  de  leurs  gens, 
qui  furent  semblablement  emmenez  prisonniers.  A  leur  retraite  sortirent 
du  chasteau  les  gens  de  cheval,  cinq  à  cinq  par  ranc,  la  lance  au  poing. 
Les  forains  de  mesmes  se  présentèrent,  et  rompirent  lances  en  tourbe, 
par  plusieurs  courses,  qui  est  chose  grandement  périlleuse.  Tant  y  ha 
que  le  seigneur  de  Maligni,  ayant  fait  passe  sans  attainte  contre  l'escuyer 
de  Son  Excellence,  au  retour  le  choqua  de  telle  violence  qu'il  rua  par 
terre  homme  et  cheval.  Et  en  l'instant  mourut  le  cheval,  qui  estoit  un  bien 
beau  et  puissant  coursier.  Celuy  dudit  S.  Maligni  resta  espaulé. 

Le  temps  pendant  qu'on  tira  hors  le  cheval  mort  sonnèrent  en  autre  et 
plus  joyeuse  harmonie  les  compagnies  des  musiciens,  lesquelz  on  avoit 
posé  en  divers  eschaffautz  sus  la  place,  comme  hautboys,  cometz,  sacque- 
boutes,  flûtes  d'Allemans,  doucines,  musettes,  et  autres,  pour  esjouir  les 
spectateurs  par  chascune  pose  du  plaisant  tournoy.  La  place  vuidée,  les 
hommes  d'armes  tant  d'un  costé  comme  d'autre,  le  S.  de  Mahgni  monté 
sur  un  genêt  frais,  et  l'escuyer  sus  un  autre  (car  peu  s'estoient  blessez), 
laissans  les  lances,  combattirent  à  l'espée  en  tourbe  les  uns  parmi  les 
autres,  assez  felonnement;  car  il  y  eut  tel  qui  rompit  trois  et  quatre 
espees  :  et,  quoy  qu'ilz  fussent  couvers  à  l'advantage,  plusieturs  y  furent 
desarmez. 

La  fin  fut  qu'une  bande  de  harquebousiers  forains  chargèrent  à  coups 
d'escoulpettes  les  tenans,  dont  furent  contraintz  soy  retirer  au  fort,  et 
mirent  pied  à  terre.  Sus  ceste  entrefaite,  au  son  de  la  campanelle  du 
chasteau,  fut  tiré  grand  nombre  d'artillerie,  et  se  retirèrent  les  forains  qui 
pareillement  mirent  pied  à  terre,  et  délibérèrent  donner  la  bataille, 
voyans  sortir  du  fort  tous  les  tenans,  en  ordre  de  combat.  Pourtant 
prindrent  un  chacun  la  picque  mornee  en  poing,  et,  les  enseignes  desplo- 
yees,  à  desmarche  grave  et  lente  se  présentèrent  en  veuë  des  tenans,  au 
seul  son  des  fifres  et  tabours,  estans  les  hommes  d'armes  en  première 
fiUiere,  les  harquebousiers  en  flanc.  Puis,  marchans  oultre  encore  quatre 
ou  cinq  pas,  se  mirent  tous  à  genouilz,  tant  les  forains  que  les  tenans, 
par  autant  d'espace  de  temps  en  silence  qu'on  diroit  l'oraison  domini- 
cale. 

Par  tout  le  discours  du  tournoy  précèdent  fut  le  bruit  et  applausion 
des  spectateurs  grand  en  toute  circunference.  A  ceste  precation  fut 
silence  de  tous  endroits,  non  sans  effroy,  mesmement  des  Dames  et  de 
ceux  qui  n'avoient  autre  fois  esté  en  bataille.  Les  combattans,  ayans 
baisé  la  terre,  soudain  au  son  des  tabours  se  levèrent,  et,  les  picques 
baissées,  en  hurlemens  espouventables  vindrent  à  joindre  :  les  harque- 
bouziers  de  mesme  sus  les  flans  tiroient  infatigablement.  Et  y  eut  tant 
de  picques  brisées  que  la  place  en  estoit  toute  couverte.  Les  picques 


368  LA    SCIOMACHIE 

rompues,  mirent  la  main  aux  espees,  et  y  eut  tant  chamaillé  à  tors  et  à 
travers  qu'à  une  fois  les  tenans  repoulsèrent  les  forains  plus  de  la  lon- 
gueur de  deux  picques;  à  l'autre  les  tenans  furent  repoulsez  jusques  au 
revelin  des  tournons.  Lors  furent  sauvez  par  l'artillerie  tirant  de  tous 
les  quantons  du  chasteau,  dont  les  forains  se  retirèrent.  Ce  combat  dura 
assez  longuement.  Et  y  fut  donné  quelques  esraflades  de  picques  et 
espees,  sans  courroux  toutesfois,  n'affection  mauvaise.  La  retraite  faite 
tant  d'un  costé  comme  d'autre  restèrent  en  place,  à  travers  les  picques 
rompues  et  hamois  brisez,  deux  hommes  morts;  mais  c'estoient  hommes 
de  foin,  desquelz  l'un  avoit  le  bras  gauche  couppé,  et  le  visage  tout  en 
sang;  l'autre  avoit  un  transon  de  picque  à  travers  le  corps  souz  la  faute 
du  hamois.  Autour  desquelz  fut  recréation  nouvelle,  ce  pendant  que  la 
musique  sonnoit.  Car  Frérot,  à  tout  son  accoustrement  de  velours  incar- 
nat fueilleté  de  toille  d'argent,  à  forme  d'œsles  de  souris  chauve,  et  Fabri- 
tio  avecques  sa  couronne  de  laurier,  soy  joingnirent  à  eux.  L'un  les  admo- 
nestoit  de  leur  salut,  les  confessoit  et  absolvoit  comme  gens  morts  pour 
la  foy;  l'autre  les  tastoit  aux  goussetz  et  en  la  braguette  pour  trouver 
la  bourse.  Enfin,  les  descouvrans  et  despouillans,  montrèrent  au  peuple 
que  ce  n'estoient  que  gens  de  foin.  Dont  fut  grande  risée  entre  les  spec- 
tateurs, soy  esbahissans  comment  on  les  avoit  ainsi  là  mis  et  jettez 
durant  ce  furieux  combat. 

A  ceste  retraite,  le  jour  esclarci  et  purgé  des  fumées  et  perfums  de  la 
canonnerie,  apparurent  au  mylieu  de  la  place  huit  ou  dix  gabions  en 
renc,  et  cinq  pièces  d'artillerie  sus  roue,  lesquelles  durant  la  bataille 
avoient  esté  posées  par  les  canonniers  de  Son  Excellence.  Ce  qu'estant 
apperceu  par  une  sentinelle  monté  sus  la  haute  tour  du  chasteau,  au 
son  de  la  campanelle  fut  fait  et  ouy  grand  effroy  et  hurlement  de  ceux 
du  dedens.  Et  fut  lors  tiré  tant  d'artillerie  par  tous  les  endroits  du  fort, 
et  tant  de  sciopes,  fusées  en  canon,  pâlies  et  lances  à  feu  vers  les  gabions 
posez,  qu'on  n'eust  point  ouy  tonner  du  ciel.  Ce  nonobstant,  l'artillerie 
posée  derrière  les  gabions  tira  furieusement  par  deux  fois  contre  le 
chasteau,  en  grand  espouventement  du  peuple  assistant.  Dont  tomba 
par  le  dehors  la  muraille  jusques  au  cordon,  laquelle,  comme  ay  dit, 
estoit  de  brique.  De  ce  advint  que  le  fossé  fut  remply.  A  la  cheute,  resta 
l'artillerie  du  dedens  descouverte.  Un  bombardier  tomba  mort  du  haut 
de  la  grosse  tour;  mais  c'estoit  un  bombardier  de  foin  revestu.  Ceux  du 
dedens  adoncques  commencèrent  à  remparer  derrière  ceste  bresche,  en 
grand  effort  et  dihgence.  Les  forains  ce  pendant  feirent  une  mine  par 
laquelle  ilz  mirent  le  feu  en  deux  fourrions  du  chasteau,  lesquelz,  tombans 
par  terre  à  la  moitié,  feirent  un  bruit  horrible.  L'un  d'iceux  brusloit 
continuellement;  l'autre  faisoit  fumée  tant  hideuse  et  espaisse  qu'on  ne 
pouvoit  plus  voir  le  chasteau. 

Derechef  fut  faite  nouvelle  batterie,  et  tirèrent  les  cinq  grosses  pièces 
par  deux  fois  contre  le  chasteau.  Dont  tomba  toute  l'escharpe  de  lamuraille, 
laquelle,  comme  ay  dit,  estoit  faite  de  tables  et  limandes.  Dont,  tombant 
par  le  dehors,  feit  comme  un  pont  tout  couvrant  le  fossé  jusques  sus  le 
revelin.  Resta  seulement  la  barrière  et  rempart  que  les  tenans  avoient 


LA    SCIOMACHIE  369 

dressé.  Lors,  pour  empescher  l'assaut  des  forains,  lesquelz  estoient  tous  en 
ordonnance  au  bout  de  la  place,  furent  jettees  dix  trombes  de  feu,  canons 
de  fusées,  pâlies,  mattons,  et  potz  à  feu,  et  du  rempart  fut  jette  un  bien 
gros  ballon  en  la  place,  duquel  à  un  coup  sortirent  trente  bouches  de  feu, 
plus  de  mille  fusées  ensemble,  et  trente  razes.  Et  couroit  ledit  ballon 
parmy  la  place,  jettant  feu  de  tous  costez,  qui  estoit  chose  espouventable  : 
fait  par  l'invention  de  messer  Vincentio,  romain,  et  Francisque,  florentin, 
bombardiers  du  Père  Saint.  Frérot,  faisant  le  bon  compagnon,  courut 
prés  ce  ballon,  et  l'appeUant  gueulle  d'enfer  et  teste  de  Lucifer;  mais, 
d'un  coup  qu'il  frappa  dessus  avecques  un  transon  de  picque,  il  se  trouva 
tout  couvert  de  feu,  et  crioit  comme  un  enragé,  fuyant  deçà  et  delà,  et 
bruslant  ceux  qu'il  touchoit.  Puis  devint  noir  comme  un  Ethiopien,  et  si 
bien  marqué  au  visage  qu'il  y  paroistra  encores  d'icy  à  trois  mois. 

Sus  la  consommation  du  ballon  fut  sonné  à  l'assaut,  de  la  part  de  Son 
Excellence,  lequel,  avecques  ses  hommes  d'armes  à  pied,  couvers  de 
grandes  targes  d'arain  doré  à  l'antique  façon,  et  suivy  du  reste  de  ses 
bandes,  entra  sus  le  pont  susdit.  Ceux  du  dedens  luy  feirent  teste  sus  le 
rempart  et  barrière.  A  laquelle  fut  combattu  plus  felonnement  que  n'avoit 
encores  esté.  Mais  par  force  en  fin  franchirent  la  barrière,  et  entrèrent 
sus  le  rempart.  Auquel  instant  l'on  veit  sus  la  haute  tour  les  armoiries 
de  Sa  Majesté,  enlevées  avecques  festons  joyeux.  A  dextre  lesquelles, 
peu  plus  bas,  estoient  celles  de  mon  seigneur  d'Orléans  ;  à  gauche,  celles  de 
Son  Excellence.  Oui  fut  sur  les  deux  heures  de  nuict.  La  nymphe  ravie  fut 
présentée  à  son  Excellence,  et  sus  l'heure  rendue  à  Diane,  laquelle  se 
trouva  en  place  comme  retournant  de  la  chasse. 

Le  peuple  assistant,  grans  et  menuz,  nobles  et  roturiers,  réguliers  et 
séculiers,  hommes  et  femmes,  bien  au  plein  esjouiz,  contens  et  satisfaits, 
feirent  applausement  de  joye  et  alaigresse,  de  tous  costez,  à  haute  voiz 
crians  et  chantans  !  Vive  France,  France,  France  !  vive  Orléans  !  vive 
Horace  Farnese  !  Quelques  uns  adjousterent  :  Vive  Paris  !  vive  Bellay  ! 
vive  la  coste  de  Langey  !  Nous  pouvons  dire  ce  que  jadis  l'on  chantoit  à 
la  dénonciation  des  jeuz  seculares  :  Nous  avons  veu  ce  que  personne  en 
Rome  vivant  ne  veit,  personne  en  Rome  vivant  ne  verra. 

L'heure  estoit  jà  tarde  et  opportune  pour  soupper,  lequel,  pendant 
que  Son  Excellence  se  desarma  et  changea  d'habiUemens,  ensemble  tous 
les  vaillans  cliampions  et  nobles  combatans  fut  dressé  en  sumptuosité 
et  magnificence  si  grande,  quelle  pouvoit  effacer  les  célèbres  banquetz  de 
plusieurs  anciens  Empereurs  Romains  et  Barbares,  voire  certes  la  patine 
et  cuisinerie  de  Vitellius,  tant  célébrée  qu'elle  vint  en  proverbe,  au  ban- 
quet duquel  furent  servies  mille  pièces  de  poissons.  Je  ne  parleray  point 
du  nombre  et  rares  espèces  des  poissons  icy  serviz,  il  est  par  trop  excessif. 
Bien  vous  diray  qu'à  ce  banquet  furent  servies  plus  de  cinq  cens  pièces 
de  four,  j'entends  patez,  tartes  et  darioUes.  Si  les  viandes  furent  copieuses, 
aussi  furent  les  beuvettes  numereuses.  Car  trente  polnsons  de  vin  et  cent 
cinquante  douzaines  de  pains  de  bouche  ne  durèrent  gueres,  sans  l'autre 
pain  mollet  et  commun.  Aussi  fut  la  maison  de  mon  dit  Seigneur  Reveren- 
dissime  ouverte  à  tous  venans,  quelz  qu'ils  fussent,  tout  iceluy  jour. 

T.  II.  24 


37° 


LA    SCIOMACHIE 


En  la  table  première  de  la  salle  moyenne  furent  comptez  douze  Cardi- 
naux, savoir  est  : 

Le  Reverendissime  Cardinal  Famese.  R.  C.  de  Lenoncourt. 

R.  C.  de  Saint  Ange.  R.  C.  de  Meudon. 

R.  C.  Sainte  Floiir.  R.  C.  d'Armignac. 

R.  C.  Simonette.  R.  C.  Pisan. 

R.  C.  Rodolphe.  R.  C.  Comare. 

R.  C.  du  Bellay.  R.  C.  Gaddi. 


Son  Excellence,  le  seigneur  Strossi,  l'Ambassadeur  de  Venise;  tant 
d'autres  Evesques  et  Prelatz. 

Les  autres  salles,  chambres,  galleries  d'iceluy  palais,  estoient  toutes 
pleines  de  tables  servies  de  mesmes  pain,  vin  et  viandes.  Les  nappes 
levées,  pour  laver  les  mains  furent  présentées  deux  fontaines  artifi- 
cielles sus  la  table,  toutes  instrophiees  de  fleurs  odorantes,  avecques  com- 
partimens  à  l'antique.  Le  dessus  desquelles  ardoit  de  feu  plaisant  et  redo- 
lent, composé  d'eaue  ardente  musquée.  Au  dessouz,  par  divers  canaux 
sortoit  eaue  d'Ange,  eaue  de  Naphe  et  eaue  Rose.  Les  grâces  dites  en 
musique  honnorable,  fut  par  Labbat  prononcée  avecques  sa  grande  l\Te 
l'Ode  que  trouverez  icy  à  la  fin,  composée  par  mon  dit  Seigneur  Reveren- 
dissime. 

Puis,  les  tables  levées,  entrèrent  tous  les  Seigneurs  en  la  salle  majour, 
bien  tapissée  et  atoumée.  Là  cuydoit  on  que  fust  jouée  une  comédie;  mais 
elle  ne  le  fut  parce  qu'il  estoit  plus  de  minuict.  Et,  au  banquet  que  mon 
Seigneur  Reverendissime  Cardinal  d'Armignac  avoit  fait  au  paravant,  en 
avoit  esté  jouée  une,  laquelle,  plus  fâcha  que  ne  pleut  aux  assistans,  tant 
à  cause  de  sa  longueur  et  mines  Bergamasques  assez  fades,  que  pour  l'in- 
vention bien  froide  et  argument  trivial.  En  lieu  de  comédie,  au  son  des 
cornetz,  hautzbois,  sacqueboutes,  etc.,  entra  ime  compagnie  de  Mata- 
chins  nouveaux,  lesquelz  grandement  délectèrent  toute  l'assistance.  Après 
lesquelz  furent  introduites  plusieurs  bandes  de  masques,  tant  gentilz- 
hommes  que  Dames  d'honneur,  à  riches  devises  et  habillemens  sump- 
tueux.  Là  commença  le  bal,  et  dura  jusques  au  jour,  lequel  pendant, 
mesdicts  Seigneurs  Reverendissimes,  Ambassadeurs  et  autres  Prelatz  soy 
retirèrent  en  grande  jubilation  et  contentement. 

En  ces  tournoy  et  festin  je  notay  deux  choses  insignes  :  l'une  est  qu'il 
n'y  eut  noise,  débat,  dissention  ne  tumulte  aucim;  l'autre  que,  de  tant 
vaisselle  d'argent,  en  laquelle  tant  de  gens  de  divers  estatz  furent  serviz, 
il  n'y  eut  rien  perdu  n'esgaré.  Les  deux  soirs  subsequens  furent  faitz 
feuz  de  joye  en  la  place  publique,  devant  le  palais  de  mon  dit  Seigneur 
Reverendissime,  avecques  force  artillerie,  et  tant  de  diversitez  de  feuz 
artificielz  que  c'estoit  chose  merveilleuse,  comme  de  gros  ballons,  de  gros 
mortiers  jettans  par  chacune  fois  plus  de  cinq  cens  sciopes  et  fusées,  de 
rouetz  à  feu,  de  moulins  à  feu,  de  nues  à  feu  pleines  d'estoiles  coruscantes, 
de  sciopes  en  canon,  aucunes  pregnantes,  autres  reciprocantes,  et  cen- 
autres  sortes.  Le  tout  fait  par  l'invention  dudit  Vincentio,  et  du  Bois  le 
Court,  grand  salpetrier  du  Maine. 


LA    SCIOMACHIE 

ODE  SAPPHICA 
R.  D.  JO.  CARDIN  A  LIS  BELLAY 


Mercuri,  interpres  superum,  venusto 
Ore  qui  mandata  refers  vicissira, 
Gratus  hos  circum  volitans  et  illos, 
Prœpete  cursu, 

Adveni  sanctis  Patribus,  senique, 
Praesidet  qui  consilio  deorum, 
Quem  sui  spectat  soboles  Quiritum 
Numinis  instar. 

Die  jubar,  quod  Sequanidas  ad  undas 
Edidit  Gallis  Italisque  mixtim 
Diva,  quam  priraum  Tiberi  tenellam 
Credidit  Amus. 

Tritonum  post  hanc  comitante  turba 
Phocidum  celsas  subiisse  turres, 
Nec  procellosum  timuisse  vidit 
Nereis  œquor. 

O  diem  Hetruscis  populis  colendum, 
Et  simul  Francis  juveni  puellam 
Qui  dédit,  forma,  genio,  décore, 
Ore  coruscam  ! 

Fauste  tune  in  quos  Hymenaje,  quos  tu 
In  jocos  Cypri  es  resoluta  !  vel  quas 
Juno  succendit  veniente  primura 
Virgine  t  aedas  ! 

Ut  tibi  noctes,  Catharina,  iœtas, 
Ut  dies,  Errice,  tibi  serenos, 
Demum  ut  ambobus,  sobolisque  fausta  es 
Cuncta  precata  ! 

Ut  deam  primo  dea  magna  partu 
Juvit  !  ut  nec  defuerit  subinde, 
Quartus  ut  matri  quoque  nunc  per  illam 
Rideat  infans. 


371 


372  LA    SCIOMACHIE 

Quartus  is,  quem  non  superi  dedere 
Galliae  tantum  :  sibi  namque  partem 
Vendicat,  festisque  vocat  juventus 
Nostra  choreis. 

Laeta  si  Franciscum  etenim  juventus 
Hune  petat,  cui  res  pater  ipse  servat 
Gallicas,  et  cui  imperium  spopondit 
Juppiter  orbis  : 

Provocet  divos  hominesque  :  tentet 
Pensa  fatorum  :  fuerit  Latinis 
Et  satis  Tuscis  apibus  secundos 
Carpere  flores. 

Nam  sibi  primos  adimi  nec  ipsae 
Gratiœ  Errici  comités  perennes, 
Nec  sinat  raucis  habitans  Bleausi 
Nympha  sub  antris. 

Nec  magis  vos,  o  Latio  petitae 
Celticis,  sed  jam  Laribus  suetae,  et 
Vocibus  Musae,  ac  patriis  canentes 
Nunc  quoque  plectris. 

Et  puellarum  decus  illud,  una 
Margaris  tantum  inferior  Minerva, 
Ac  Navarrîeœ  spécimen  parentis 
Jana  reclamet. 

Ne  quidem  nympha  id  probet  illa,  ab  imis 
Quae  Padi  ripis  juvenem  secuta  est, 
Si  Parim  forma,  tamen  et  pudicum 
Hectora  dextra. 

i\cc  tuos  haec  quae  patefecit  ignés 
Ignibus  praeclare  aliis  Horati, 
Cuncta  dum  clamant  tibi  jure  partam 
Esse  theatra. 

Tu  licet  nostro  a  genio  tribut  am  ob 
Gratiam  nil  non,  Catharina,  nobis 
Debeas,  nostro  ab  genio  tuoque  heic 
Ipsa  répugnes, 

Spe  parum  nixis  igitur  suprema 
Sorte  contentis  média,  faveto. 
Et  recens  per  te  in  Latios  feratur 
Flosculus  hortos. 


LA    SCIOMACHIE  373 

At  nihil  matrem  moveat,  quod  ipsis 
Vix  adhuc  ex  uberibus  sit  infans 
T^'^ndulus,  nullœ  heic  aderant  daturae 

Ubera  niatres? 

Nec  tamen  lac  Romulidum  parenti 
Defuit  :  neve  heic  quiriteris,  esse 
Lustricas  nondum  puero  rogatum 
Nomen  ad  undas, 

Nominis  si  te  metus  iste  tangit, 
Sistere  infantem  hue  modo  ne  gravera, 
Dîque,  divjeque  hune  facient,  et  omnis 
Roma  Quirinum. 

TéXo? 


EPISTRE 
DE  MAISTRE  FRANÇOIS  RABELLAYS 

Homme  de  gratis  lettres  Grecques  et  Latines. 
A  JEHAN  BOUCHET 

TRAICTANT    DES    YMAGINATIONS    QU'ON    PEUT    AVOIR 
ATTENDANT    LA    CHOSE    DÉSIRÉE 


L'espoîr  certain  et  parfaicte  asseurance 

De  ton  retour  plein  de  resjouyssance, 

Que  nous  donnas  à  ton  partir  d'icy, 

Nous  a  tenu  jusques  ore  en  soulcy 

Assez  fasciieulx,  et  tresgriefve  ancolye, 

Dont  nos  espritz,  taincts  de  merencolie, 

Par  longue  attente  et  véhément  désir, 

Sont  de  leurs  lieux  esquelz  souloient  gésir 

Tant  deslochez  et  haultement  raviz 

Que  nous  cuidons  et  si  nous  est  advis 

Qu'heures  sont  jours,  et  jours  plaines  années, 

Et  siècle  entier  ces  neuf  ou  dix  journées  : 

Non  pas  qu'au  vray  nous  croyons  que  les  astres. 

Qui  sont  reiglez,  permanans  en  leurs  atres, 

Ayent  dévoyé  de  leur  vray  mouvement, 

Et  que  les  jours  telz  soient  asseurement 

Que  cil  quant  print  Josué  Gabaon, 

Car  img  tel  jour  depuis  n'arriva  on, 

Ou  que  les  nuyctz  croyons  estre  semblables 

A  celle  là  que  racontent  les  fables 

Quant  Jupiter  de  la  belle  Alcmena 

Fist  Hercules,  qui  tant  se  pourmena. 

Ce  ne  croyons,  ny  n'est  aussi  de  croire 

Et  toutesfoiz,  quant  nous  vient  à  mémoire 

Que  tu  promis  retourner  dans  sept  jours, 

Nous  n'avons  eu  joye,  repos,  séjours. 


EPISTKE     A    J.     BOUCHET  375 

Depuis  que  fut  ce  temps  prefix  passé, 

Que  nous  n'ayons  les  momens  compassé. 

Et  calcullé  les  heures  et  mynutes, 

En  t'attendant  quasi  à  toutes  meutes. 

Mais  quant  avons  si  long  temps  attendu, 

Et  que  frustrez  du  désir  prétendu 

Nous  sommes  veuz,  lors  l'ennuy  tedieux 

Nous  a  renduz  si  tresfastidieux 

En  nos  espritz  que  vray  nous  apparoist 

Ce  que  vray  n'est,  et  que  noz  sens  ne  croyst, 

Ny  plus  ne  moins  qu'à  ceulx  qui  sont  sur  l'eau, 

Passans  d'un  lieu  à  l'autre  par  basteau. 

Il  semble  advis,  à  cause  du  rivage 

Et  des  grans  fioz,  les  arbres  du  rivage 

Se  remuer,  cheminer  et  dancer, 

Ce  qu'on  ne  croyt  et  qu'on  ne  peult  penser. 

De  ce  j'ay  bien  voulu  ta  seigneurie 
Asçavanter,  qu'en  ceste  resverie 
Plus  longuement  ne  nous  vueillez  laisser; 
Mais  quant  pourras  bonnement  délaisser 
Ta  tant  ayraée  et  cultivée  estude, 
Et  différer  ceste  solicitude 
De  litiger  et  de  patrociner, 
Sans  plus  tarder  et  sans  plus  cachiner 
Apreste  toy  promptement,  et  procure 
Les  tallonniers  de  ton  patron  Mercure, 
Et  sus  les  vents  te  metz  alegre  et  gent; 
Car  Eolus  ne  sera  négligent 
De  t'envoyer  le  bon  et  doulx  Zephyre, 
Pour  te  porter  où  plus  on  te  désire. 
Qui  est  céans,  je  m'en  puis  bien  vanter. 
Ja  (ce  croy)  n'est  besoing  t'assavanter 
De  la  faveur  et  parfaicte  amitié 
Que  trouveras  :  car  presque  la  moitié 
Tu  en  congneuz  quand  vins  dernièrement, 
Dont  peuz  la  reste  assez  entièrement 
Conjecturer  comme  subsecutoire. 

Ung  cas  y  a,  dont  te  plaira  me  croire, 
Que  quant  viendras,  tu  verras  les  seigneurs 
Mettre  en  oubly  leurs  estatz  et  honneurs 
Pour  te  chérir  et  bien  entretenir. 
Car  je  les  oy  tester  et  maintenir 
Appertement,  quand  escheoit  le  propos. 
Qu'en  Poictou  n'a,  ny  en  France,  suppos 
A  qui  plusgrant  familiarité 
Veullent  avoir,  ny  plus  grant  charité. 

Car  tes  escritz,  tant  doulx  et  meliflues, 


37^  EPISTRE    A    J.    BOUCHET 

Leur  sont,  au  temps  et  heures  superflues 
A  leur  affaire,  un  joyeulx  passetemps, 
Dont  deschasser  les  ennuytz  et  contemps 
Peuvent  des  cueurs,  ensemble  prouffiter 
En  bonnes  meurs,  pour  honneur  mériter, 
Car,  quant  je  liz  tes  œuvres,  il  me  semble 
Que  j'apperçoy  ces  deux  poincts  tous  ensemble 
Esquelz  le  pris  est  donné  en  doctrine, 
C'est  assavoir,  doulceur  et  discipline. 

Parquoy  te  prie  et  semons  de  rechief 
Que  ne  te  soit  de  les  venir  veoir  grief. 
Si  eschapper  tu  puis  en  bonne  sorte. 
Rien  ne  m'escrips,  mais  toy  mesmes  apporte 
Ceste  faconde  et  éloquente  bouche 
Par  où  Pallas  sa  fontaine  desbouche 
Et  ses  liqueurs  castallides  distille. 

Ou,  si  te  plaist  exercer  ton  doulx  style 
A  quelque  traict  de  lettre  me  rescrire. 
En  ce  faisant  feras  ce  que  désire. 

Et  toutes  foys  aye  en  premier  esgard 
A  t'appriver,  sans  estre  plus  esguard, 
Et  venir  veoir  ici  la  compaignie, 
Qui  de  par  moy  de  bon  cueur  t'en  supplie. 

A  Ligugé,  ce  matin,  de  septembre 
Sixiesme  jour,  en  ma  petite  chambi" 
Que  de  mon  lict  je  me  renouvellais, 

Ton  serviteur  et  ami 

Rabelais. 


EPISTRE    RESPONSIVE 

DUDICT   BOUCHET   AUDICT    RABELAIS 

CONTENANT 

LA  DESCRIPTION  D'UNE  BELLE  DEMEURE 

ET   LOUANGES    DE   MESSIEURS    d'eSTIGNAC 


Va,  lettre,  va,  de  ce  fascheux  Palays, 
■Te  présenter  aux  yeux  de  Rabelays. 

Le  promettre  est  on  pouvoir  des  humains. 
Mais  le  tenir  n'est  tousjours  en  leurs  mains. 
Car  advenir  peut  tel  cas  sans  finesse 
Qu'on  ne  sçauroit  accomplir  sa  promesse. 
Et  mesmement  à  moy,  qui  subject  suis 
A  plusieiu^s  gens,  veu  Testât  que  j'ensuis. 

Cecy  t'escriptz  à  ce  qu'on  ne  m'accuse 
De  menterie,  et  à  toy  je  m'excuse. 
Seigneur  très  cher,  l'im  de  mes  grands  amjrs, 
Du  brief  retour  lequel  j'avois  promis. 
Car  si  n'estoit  le  labeur  de  practique 
(Auquel  pour  vivre  il  fault  que  je  m'applique), 
De  trois  jours  l'un  irois  veoir  Ligugé, 
Et  pour  m'induire  à  ce  maints  arguz  j'é. 

Le  premier  est  le  lieu  tant  délectable. 
De  toutes  pars  aux  nymphes  tressortable  : 
Car  d'une  part  les  Nayades  y  sont 
Dessus  le  Clan,  doulce  rivière,  où  font 
Chères  très  grans  avecques  les  Hymnides, 
Se  gaillardans  es  prez  verdz  et  humides. 

Apres  y  sont,  par  les  arbres  et  boys, 
Autres  qui  font  resonner  hault  leur  voix; 
C'est  assavoir,  les  silvestres  Driades 
Portans  le  verd,  et  les  Amadriades, 
Et  davantage,  Oreades  aux  mons. 
Dont  bien  souvent  on  oyt  les  doulx  sermons  : 


37^  EPISTRE     RESPONSIVE    DE    J.     BOUCHET 

Et  puis  après  les  gentilles  Nappées, 
Qui  rage  font,  par  chansons  decouppées, 
De  bien  chanter  aux  casteUins  ruysseaux 
Par  les  jardins  nourrissans  arbrisseaux. 

Et  lors  qu'Aurore  est  en  son  appareil, 
Pour  dénoncer  le  lever  du  Soleil, 
En  cheminant  sous  les  verdoyans  umbres, 
Pour  oublier  les  ennuyeux  encombres, 
Tu  puis  ouyr  des  nymphes  les  doulx  chaus, 
Dont  sont  remplis  boys,  boucages  et  champs. 

Et  qui  vouldra  prier  Dieu  (ce  que  prise). 
On  trouvera  la  tresplaisante  egUse 
Où  sainct  Martin  feit  habitation 
Par  certain  temps,  en  contemplation, 
Et  où  deux  mors  par  fureur  et  tempeste. 
Resuscitez  furent  à  sa  requeste. 

Après  y  sont  les  bons  fruictz  et  bons  viu», 
Que  bien  aymons  entre  nous  Poictevins. 

Et  le  parfaict,  qu'il  ne  fault  qu'on  resecq^^v- 
C'est  la  bonté  du  révérend  evesque 
De  Maillezays,  seigneur  de  ce  beau  Ueu, 
Par  tout  aymé  des  hommes  et  de  Dieu, 
Prélat  dévot,  de  bonne  conscience. 
Et  fort  sçavant  en  divine  science, 
En  canonique,  et  en  humanité. 
Non  ig:iorant  celle  mondanité 
Qu'on  doit  avoir  entre  les  Roys  et  princes, 
Pour  gouverner  villes,  citez,  provinces. 

A  ce  moyen,  il  ayme  gens  lettrez 
En  Grec,  Latin  et  François,  bien  estrez 
A  diviser  d'histoire  ou  théologie. 
Dont  tu  es  l'un  :  car  en  toute  clergie 
Tu  es  expert  ;  a  ce  moien  te  print 
Pour  le  servir,  dont  très  grant  heur  te  vint. 
Tu  ne  povois  trouver  meilleur  service 
Pour  te  pourveoir  bien  tost  de  bénéfice. 

Aussi  est  il  de  noble  sang  venu  : 
Ses  pères  ont  (comme  il  est  bien  congneu; 
Tresbien  servy  jadis  les  Roys  de  France, 
En  temps  de  paix,  de  guerre  et  de  souffrance. 
Et  tellement  que  leur  nom  de  Stissac 
On  ne  sçauroit  par  oubly  mettre  à  sac 
Leurs  nobles  faictz  militaires  louables 
Si  demourront  au  monde  pardurables. 

Du  sien  nepveu  les  vertuz  et  les  menT:. 
Augmenteront  leurs  immortelz  honneurs. 
Car,  pour  parler  au  vray  de  sa  personne, 


EPISTRE    RESPONSIVE     DE    J.     BOUCHET  379 

One  je  n'en  vy  mieulx  aux  armes  consonne. 
Par  ce  qu'il  est  chevalier  treshardy, 
De  corps,  de  bras  et  jambes  bien  ourdy, 
Moien  de  corps  et  de  la  droic  taille 
Que  les  vouloit  César  en  la  bataille. 
En  son  aller  il  est  tout  tempéré. 
En  son  parler  et  maintien,  modéré, 
Tant  bien  orné  deloquence  vulgaire 
Qu'il  est  partout  estimé  debonaire. 

Et,  quant  à  moy,  encores  suis  honteux 
Du  bon  recueil  si  franc  et  non  doubteux 
Que  ces  seigneurs  me  feirent  de  leur  grâce, 
■presens  plusieurs,  voire  en  publicque  place. 
Et  au  privé,  dont  les  cornes  d'honneur 
Prins  de  Moyse,  et  présage  en  bon  heur. 

Non  seulement  me  feirent  telle  chère, 
Mais  tous  leurs  gens,  qui  est  relique  chère  : 
Cir  le  penser  de  ce  tant  bon  recueil 
lie  faict  ouvrir  l'intellectuel  œil, 
poiu:  méditer  qu'en  telle  seigneurie 
A  plus  d'honneur,  hors  toute  iîaterie, 
Plus  de  doulceur  et  plus  d'humiUté 
Cent  mille  foiz  qu'en  la  rusticité 
Des  pallatins  et  gros  bourgeois  de  ville, 
Dont  l'arrogance  est  tant  fâcheuse  et  vile, 
Et  leur  cuider  si  trespresumptueulx 
Qu'on  ne  peut  veoir  entre  eulx  les  vertueux; 
Qui  fait  congnoistre  en  grosse  compaignée 
Les  gens  de  bien  et  de  bonne  lignée. 

Or  pense  donc,  tant  dévot  orateur, 
Que  rien  de  moy  n'a  esté  détenteur 
De  retourner  veoir  le  tien  hermitage, 
Fors  seulement  le  petit  tripotage 
De  plaictz,  procès  et  causes  que  conduys 
De  plusieurs  gens,  où  peu  je  me  desduys. 
Mais  contrainct  suis  le  faire  pour  le  vivre 
De  moy,  ma  femme  et  enfans;  car  le  livre 
D'ung  orateur,  ou  son  plaisant  diviz 
Mieux  aymerois,  ainsi  te  soit  adviz. 

Plus  n'en  auras,  fors  que  me  recomande 
Treshumblement  a  la  tresnoble  bande 
De  ces  seigneurs  dont  j'ay  dessus  escript, 
En  suppUant  le  benoist  saint  Esprit 
Qu'à  tous  vous  donne  et  octroyé  la  vie 
Du  vieil  Nestor,  en  honneur,  sans  envie, 
Et  que  tousjours  puissions  leur  grâce  avoir. 
Et  bien  souvent  par  epistres  nous  veoir. 


300  EPISTRE     RESPON'SIVE     DE    J.    BOUCHET 

C'est  de  Poictiers,  le  huitiesme  septembre, 
Lorsque  Titan  se  mussoit  en  sa  chambre, 
Et  que  Lucyne  ung  peu  se  desbouchoit 

Par  le  tout  tien  serviteur, 

Jean  Bouchet. 


TROIS    LETTRES 
DE    M.    FRANÇOIS    RABELAIS 

TRANSCRIPTES   SUR   LES    ORIGINAUX 

ESCRIPTES   DE    ROME,    1535-1536 


LETTRE  DE  RABELAIS 

A    MONSIEUR    DE     MAILLEZAIS 

Escrite  de  Rome  le  30  décembre  1535 


MoNS'.  Je  vous  escrivy  du  xxix"  jour  de  novembre  bien  amplement,  et 
vous  envoyay  des  graines  de  Naples  pour  vos  salades,  de  toutes  les  sortes 
que  l'on  mangue  de  par  deçà,  excepté  de  pimpinelle,  de  laquelle  pour  lors 
je  ne  peus  recouvrir.  Je  vous  en  envoyé  présentement,  non  en  grande 
quantité,  car  pour  une  fois  je  n'en  peux  davantage  charger  le  courrier; 
mais  si  plus  largement  en  voulez,  ou  pour  vos  jardins  ou  pour  donner  ail- 
leurs, me  l'escrivant,  je  vous  l'envoiray. 

Je  vous  avois  paravant  escript,  et  envoyé  les  quatre  signatures  concer- 
nantes les  bénéfices  de  feu  Dom  Philippes,  impetrez  ou  nom  de  ceux  que 
couchiez  par  vostre  mémoire.  Depuis,  n'ay  receu  de  vos  lettres  qui  fissent 
mention  d'avoir  receu  lesdictes  signatures.  J'en  ay  bien  receu  unes  datées 
de  l'Ermenaud,  lorsque  madame  d'Estissac  y  passa,  par  laquelle  me  escri- 
viez  de  la  réception  de  deux  pacquets  que  vous  avois  envoyé,  l'un  de  Fer- 
rare,  l'aultre  de  ceste  ville,  avecques  le  chiffre  que  vous  escrivois;  mais,  à 
ce  que  j'entends,  vous  n'aviez  encore  receu  le  pacquet  ouquel  estoient 
lesdictes  signatures. 

Pour  le  présent,  je  vous  peux  advertir  que  mon  affaire  a  esté  concédé 
et  expédié  beaucoup  mieux  et  plus  seurement  que  je  ne  l'eusse  souhaitté; 
et  y  ay  eu  aide  et  conseil  de  gens  de  bien,  mesmement  du  Cardinal  de 
Genutiis,  qui  est  Juge  du  Palais,  et  du  Cardinal  Simoneta,  qui  estoit  audi- 
teur de  la  Chambre,  et  bien  sçavant,  et  entendant  telles  matières.  Le 
Pape  estoit  d'advis  que  je  passasse  mondict  affaire  per  Camcram  :  les  sus- 
dicts  ont  esté  d'advis  que  ce  fust  par  la  Cour  des  Contredits,  pour  ce  que, 
in  foro  contentioso,  elle  est  irréfragable  en  France,  et  qucc  per  Contradic- 
toria  transiguntur  transeunt  in  rem  judicatam;  quce  autem  per  Cameranif 


3S2  LETTRES    DE    RABELAIS 

et  impugnari  possunl,  et  in  judicium  veniunt.  En  tout  cas,  il  ne  me  reste 
que  lever  les  bulles  sttb  plumbo. 

Monseigneur  le  Cardinal  du  Bellay,  ensemble  Monseigneur  de  Mascon, 
m'ont  asseuré  que  la  composition  me  sera  faicte  gratis,  combien  que  le 
Pape,  par  usance  ordinaire,  ne  donne  gratis  fors  ce  qui  est  expédié  per 
Cameram.  Restera  seulement  à  payer  le  référendaire,  procureurs  et  autres 
telz  barbouilleurs  de  parchemin.  Si  mon  argent  est  court,  je  me  recom- 
manderay  à  vos  aulmosnes,  car  je  croy  que  je  ne  partiray  point  d'icy 
que  l'Empereur  ne  s'en  aille. 

Il  est  de  présent  à  Naples,  et  en  partira,  selon  qu'il  a  escript  au  Pape,  le 
six«  de  janv-ier.  Ja  toute  cette  ville  est  pleine  d'Espagnols,  et  a  envoyé  par 
devers  le  Pape  un  Ambassadeur  exprez,  oultre  le  sien  ordinaire,  pour 
l'advertir  de  sa  venue.  Le  Pape  luy  cède  la  moictyé  du  Palais,  et  tout  le 
bourg  de  Sainct  Pierre  pour  ses  gents,  et  faict  apprester  trois  mille  licts  à 
a  mode  Romaine,  sçavoir  est,desmatrats,  car  la  ville  en  est  despourveue 
depuis  le  sac  des  lansquenetz.  Et  a  faict  provision  de  foing,  de  paille,  , 
d'avoine,  spelte  et  orge,  tant  tant  qu'il  en  a  peu  recouvrir,  et  de  \an,  tout 
ce  qu'en  est  arrivé  en  Ripe.  Je  pense  qu'il  luy  coustera  bon,  dont  il  se 
passast  bien  en  la  pouvreté  où  il  est,  qui  est  grande  et  apparente  plus 
qu'en  Pape  qui  feust  depuis  trois  cents  ans  en  çà.  Les  Romains  n'ont 
encores  conclud  comment  ilz  s'y  doivent  gouverner,  et  souvent  a  esté 
faicte  assemblée  de  par  le  Sénateur,  Conserv-ateurs  et  Gouverneur; 
mais  ilz  ne  peuvent  accorder  en  opinions.  L'Empereur,  par  sondict  ambas- 
sadeur, leur  a  dénoncé  qu'il  n'entend  point  que  ses  gens  vivent  à  discré- 
tion, c'est  à  dire  sans  payer,  mais  à  discrétion  du  Pape,  qui  est  ce  que 
plus  griefve  le  Pape.  Car  il  entend  bien  que,  par  cette  parole,  l'Empereur 
veult  veoir  comment  et  de  quelle  affection  il  le  traictera,  luy  et  ses  gens. 

Le  Sainct  Père,  par  élection  du  Consistoire,  a  envoyé  par  devers  luy 
deux  Legatz,  sçavoir  est,  le  Cardinal  de  Senes  et  le  Cardinal  Cassarin. 
Depuis,  y  sont  d'abondant  allez  les  Cardinaux  Salviati  et  Rodolphe,  et 
Monseigneur  de  Sainctes  avecques  eulx.  J'entends  que  c'est  pour  l'affaire 
de  Florence,  et  pour  le  différend  qui  est  entre  le  Duc  Alexandre  de  Medicis 
et  Phihppe  Strossi,  duquel  vouloit  ledict  Duc  confisquer  les  biens,  qui  ne 
sont  petits;  car,  après  les  Fourques  de  Auxbourg,  en  Almaigne,  il  est 
estimé  le  plus  riche  marchand  de  la  Chrestienté.  Et  avoit  mis  gens  en 
cette  ville  pour  l'emprisonner  ou  tuer,  quoy  que  ce  fust.  De  laquelle  entre- 
prise adverty,  impetra  du  Pape  de  porter  armes.  Et  alloit  ordinairement 
accompagné  de  trente  souldars  bien  armés  à  poinct.  Ledict  Duc  de  Flo- 
rence, comme  je  pense,  adverty  que  ledict  Strossi,  avecques  les  susdits 
Cardinaux,  s'estoit  retiré  par  devers  l'Empereur,  et  qu'il  offroit  audict 
Empereur  quatre  cents  mille  ducats  pour  seulement  commettre  gens  qui 
informassent  sur  la  t>Tannie  et  meschanceté  dudict  Duc,  partist  de  Flo- 
rence, constitua  le  Cardinal  Cibo  son  Gouverneur,  et  arriva  en  cette  ville 
le  lendemain  de  Xoël,  sur  les  vingt  trois  heures,  entra  par  la  porte  Sainct 
Pierre,  accompagné  de  cinquante  chevaux  légers  armez  en  blanc,  et  la 
lance  au  poing,  et  environ  de  cent  arquebusiers.  Le  reste  de  son  train 
estoit  petit  et  mal  en  ordre;  et  ne  luy  fut  faict  entrée  quelconque,  excepté 


LETTRES    DE     RABELAIS  383 

que  l'Ambassadeur  de  l'Empereur  alla  au-devant  jusques  à  ladite  porte. 
Entré  que  fut,  se  transporta  au  Palais,  et  eut  audience  du  Pape,  qui  peu 
dura,  et  fut  logé  au  palais  Saint  Georges.  Le  landemain  matin,  partist 
accompagné  comme  devant. 

Depuis  huict  jours  en  ça  sont  venues  nouvelles  en  cette  ville,  et  en  a  le 
Sainct  Père  receu  lettres  de  divers  lieux,  comment  le  Sophy,  Roy  des 
Perses,  a  defïaict  l'armée  du  Turcq.  Hier  au  soir  arriva  icy  le  neveu  de 
Mons''  de  Vely,  Ambassadeur  pour  le  Roy  par  devers  l'Empereur,  qui 
compta  à  Mons''  le  Cardinal  du  Bellay  que  la  chose  est  véritable,  et  que 
c'a  esté  la  plusgrande  tuerye  qui  fut  faicte  depuis  quatre  cens  ans  en 
ça;  car  du  costé  du  Turcq  ont  esté  occis  plus  de  quarante  mille  chevaulx. 
Considérez  quel  nombre  de  gens  de  pied  y  est  demouré.  Pareillement  du 
costé  dudict  Sophy.  Car,  entre  gens  qui  ne  fuyent  pas  volontiers,  non  solct 
esse  incnicnta  vidoria. 

La  defïaicte  principale  fut  près  d'une  petite  viUe  nommée  Cony,  peu 
distante  de  la  grande  ville  Tauris,  pour  laquelle  sont  en  différend  le 
Sophy  et  le  Turcq.  Le  demourant  fut  faict  près  d'une  place  nommée 
Betelis.  La  manière  fut  que  ledict  Turcq  avoit  party  son  armée,  et  part 
d'icelle  envoyé  pour  prendre  Cony.  Le  Sophy,  de  ce  adverty,  avecques 
toute  son  armée  rua  sur  ceste  partye,  sans  qu'ils  se  donnassent  guarde. 
Voilà  qu'il  faict  mauvais  advis  de  partir  son  ost  devant  la  victoire.  Les 
François  en  sçauroient  bien  que  dire  quand  de  devant  Pavye  M,  d'Albanie 
emmena  la  fleur  et  force  du  camp.  Ceste  roupte  et  deffaicte  entendue,  Bar- 
berousse  s'est  retiré  à  Constantinople  pour  donner  seureté  au  pays,  et 
dict,  par  ses  bons  Dieux,  que  ce  n'est  rien  en  considération  de  la  grande 
puissance  du  Turcq.  Mais  l'Empereur  est  hors  celle  peur  qu'il  avait  que 
ledict  Turcq  ne  vint  en  Sicile,  comme  il  avoit  deUberé  à  la  prime  vere.  Et 
se  peult  tenir  la  Chrestienté  en  bon  repos  d'icy  à  long  temps,  et  ceubc  qui 
mettent  les  décimes  sur  l'Eglise,  co  pretcxtu  qu'ils  se  veulent  fortifier  pour 
la  venue  du  Turcq,  sont  mal  garnis  d'arguments  démonstratifs. 

Monsieur,  j'ai  reçu  lettres  de  Mons''  de  Saint  Cerdes,  dattées  de  Dijon, 
par  lesquelles  il  m'advertist  du  procez  qu'il  a  pendant  en  cette  Cour 
Romaine.  Je  ne  luy  oserois  faire  response  sans  me  hasarder  d'encourir 
grande  fascherie.  Mais  j'entends  qu'il  a  le  meilleur  droict  du  monde,  et 
qu'on  luy  faict  tort  manifeste,  et  y  devroit  venir  en  personne,  car  il  n'y  a 
procez  tant  équitable  qui  ne  se  perde  quand  on  ne  le  soUicite,  mesme- 
ment  ayant  fortes  parties,  avec  auctorité  de  menasser  les  solUciteurs  s'ilz 
en  parlent.  Faulte  de  chiffre  m'en  guarde  vous  en  escrire  davantage.  Mais 
il  me  desplaist  veoir  ce  que  je  veoye,  attendu  la  bonne  amour  que  luy 
portez  principalement,  et  aussi  qu'il  m'a  de  tout  temps  favorisé  et  aymé. 
En  mon  advis.  Monsieur  de  Basilac,  Conseiller  de  Tholouse,  y  est  bien 
venu  cest  hyver  pour  moindre  cas,  et  est  plus  vieil  et  cassé  que  luy,  et  a 
eu  l'expédition  bien  tost  à  son  proffit. 

Monsieur,  aujourdhuy  matin  est  retourné  ici  le  Duc  de  Ferrare,  qui 
ustoit  allé  par  devers  l'Empereur  à  Naples.  Je  n'ay  encores  sceu  comment 


3S4  LETTRES    DE    RABELAIS 

il  a  appoincté  touchant  l'investiture  et  recognoissance  de  ses  terres;  mais 
j'entends  qu'il  n'est  pas  retourné  fort  content  dudict  Empereur.  Je  me 
doubte  que  il  sera  contrainct  mettre  au  vent  les  escus  que  son  feu  père 
luy  laissa,  et  le  Pape  et  l'Empereur  le  plumeront  à  leur  vouloir,  mesme- 
ment  qu'il  a  refusé  le  party  du  Roy,  après  avoir  délayé  d'entrer  en  la  ligne 
de  l'Empereur  plus  de  six  mois,  quelques  remonstrances  ou  menasses 
qu'on  luy  ait  faict  de  la  part  du  dict  Empereur.  De  fait,  Mons""  de  Limo- 
ges, qui  estoit  à  Ferrare,  Ambassadeur  pour  le  Roy,  voyant  que  ledict 
Duc,  sans  l'advertir  de  son  entreprise,  s'en  estoit  retiré  devers  l'Empe- 
reur, est  retourné  en  France.  Il  y  a  danger  que  Madame  Renée  en  souSre 
fascherie.  Ledict  Duc  lui  a  osté  Madame  de  Soubize,  sa  gouvernante,  et 
la  faict  servir  par  Italiennes;  qui  n'est  pas  bon  signe. 

MoNS',  il  y  a  trois  jours  qu'un  des  gens  de  Mons'  de  Crissé  est  icy  arrivé 
en  poste,  et  porte  advertissement  que  la  bande,  du  seigneur  Rance,  qui 
estoit  allé  au  secours  de  Genève,  a  esté  deffaicte  par  les  gens  du  duc  de 
Savoye.  Avecques  luy  venoit  un  Courrier  de  Savoye,  qui  en  porte  les  nou- 
velles à  l'Empereur.  Ce  pourroit  bien  estre  seminarium  futuri  belli  :  car 
volontiers  ces  petites  noises  tirent  après  soy  grandes  batailles,  comme  est 
facile  à  veoir  par  les  antiques  histoires,  tant  Grecques  que  Romaines,  et 
Françoises  aussi,  ainsi  que  appert  en  la  bataille  qui  fut  à  Vireton. 

MoNS'',  depuis  quinze  jours  en  ça,  André  Doria,  qui  estoit  allé  pour 
avitailler  ceux  qui,  de  par  l'Empereur,  tiennent  la  Goleta  près  Tuniz, 
mesmement  les  fournir  d'eaux,  car  les  Arabes  du  pays  leur  font  guerre 
continuellement,  et  n'osent  sortir  de  leur  fort,  est  arrivé  à  Naples,  et  n'a 
demouré  que  trois  jours  avecques  l'Empereur  :  puis  est  party  avec- 
ques x.xix  galères.  On  dict  que  c'est  pour  rencontrer  le  Judeo  et  Caccia- 
diavolo,  qui  ont  bruslé  grand  païs  en  Sardaine  et  Minorque.  Le  Grand 
Maistre  de  Rhodes,  Piedmontois,  est  mort  ces  jours  derniers  :  en  son  lieu 
a  esté  esleu  le  Commandeur  de  Forton,  entre  Montauban  et  Thoulouse. 

MoN's',  je  vous  envoyé  un  livre  de  prognosticqs  duquel  toute  cette  ville 
est  embesongnée,  intitulé  De  eversione  Europœ.  De  ma  part,  je  n'y  ad- 
jouste  foy  aucune.  Mais  on  ne  veit  oncques  Rome  tant  adonnée  à  ces 
vanitez  et  divinations  comme  elle  est  de  présent.  Je  croy  que  la  cause  est 
car  mobile  mutatur  semper  cum  principe  vulgiis.  Je  vous  envoyé  aussi  un 
alinanach  pour  l'an  qui  vient  1536.  Davantage,  je  vous  envoyé  le  double 
d'un  brief  que  le  Saint  Père  a  decretté  nagueres  pour  l'advenue  de  l'Em- 
pereur. Je  vous  envoyé  aussi  l'Entrée  de  l'Empereur  en  Messine  et  Na- 
ples, et  l'oraison  fimebre  qui  fut  faicte  à  l'enterrement  du  feu  duc  de 
Milan. 

MoNS',  tant  humblement  que  faire  je  puis,  à  vostre  bonne  grâce  me 
recommande,  priant  Nostre-Seigneur  vous  donner  en  santé  bonne  et 
longue  vie. 

A  Rome,  ce  xxx*  jour  de  Décembre. 

Vostre  très  humble  serviteur, 

François  RABELAIS. 


LETTRES    DE    RABELAIS  385 

LETTRE  DE  RABELAIS 

A     MONSi^     L'EVESQUE     DE     MAILLEZAIS 

De  Rome,  le  28  janvier  1536. 

MONS', 

J'ay  receu  les  lettres  que  vous  a  pieu  m'escrire,  dattées  du  second  jour 
de  Décembre,  par  lesquelles  ay  congneu  que  aviez  receu  mes  deux  pac- 
quets,  l'un  du  xviii«,  l'autre  du  xxn^  d'octobre,  avecques  les  quatre  signa- 
tures que  vous  envoyois.  Depuis,  vous  ay  escript  bien  amplement  du 
XXIX*  de  Novembre  et  du  xxx*  de  Décembre.  Je  croy  que  à  ceste  heure 
ayez  eu  lesdicts  pacquets.  Car  le  sire  Michel  Parmentier,  libraire,  demeu- 
rant à  l'Escu  de  Basle,  m'a  escript,  du  cinquiesme  de  ce  mois  présent,  qu'il 
les  avoit  receus  et  envoyé  à  Poictier.  Vous  pouvez  estre  asseuré  que 
les  pacquets  que  je  vous  envoyeray  seront  fidèlement  tenus  d'icy  à  Lyon, 
car  je  les  mects  dedans  le  grand  pacquet  ciré  qui  est  pour  les  affaires  du 
Roy  :  et  quand  le  Courrier  arrive  à  Lyon,  il  est  desployé  par  Mons'  le 
Gouverneur.  Lors  son  secrétaire,  qui  est  bien  de  mes  amis,  prend  le 
pacquet  que  j'addresse,  au  dessus  de  la  première  couverture,  audict  Mi- 
chel Parmentier.  Pourtant  n'y  a  ditticulté  sinon  depuis  Lyon  jusques  à 
Poictiers.  C'est  la  cause  pourquoy  je  me  suis  advisé  de  le  taxer,  pour  plus 
seurement  estre  tenu  à  Poictiers  par  les  messagiers,  soubs  espoir  d'y  gai- 
gner  quelque  teston.  De  ma  part,  j'entretiens  tousjours  ledict  Parmentier 
par  petits  dons  que  luy  envoyé  des  nouvellettez  de  par  deçà,  ou  à  sa 
femme,  afin  qu'il  soit  plus  diUgent  à  chercher  marchands  ou  messagiers 
de  Poictiers  qui  vous  rendent  les  pacquetz.  Et  suis  bien  de  cest  advis  que 
m'escrivez,  qui  est  de  ne  les  Uvrer  entre  les  mains  des  banquiers,  de  peur 
que  ne  fussent  crochetez  et  ouverts.  Je  serois  d'opinion  que,  la  première 
fois  que  m'escrirez,  mesmement  si  c'est  d'affaire  d'importance,  que  vous 
escriviez  un  mot  audict  Parmentier,  et  dedans  vostre  lettre  mettre  un 
escu  pour  luy,  en  considération  des  dihgences  qu'il  faict  de  m'envoyer 
vos  pacquets  et  vous  envoyer  les  miens.  Peu  de  chose  obhge  aulcunesfois 
beaucoup  de  gens  de  bien,  les  rend  plus  fervens  à  l'advenir,  quand  le 
cas  importeroit  urgente  dépêche. 

MoNS',  je  n'ay  encores  baille  vos  lettres  à  Mons'  de  Xainctes,  car  il 
n'est  retourné  de  Naples,  où  il  estoit  avecques  les  Cardinaux  Salviati  et 
Rodolphe;  dedans  deux  jours  doibt  icy  arriver.  Je  luy  bailleray  vos  dictes 
lettres,  et  solliciteray  pour  la  response,  puis  vous  l'envoyeray  par  le  pre- 
mier courrier  qui  sera  depesché.  J'entends  que  leurs  affaires  n'ont  eu 


T.   IL 


25 


386  LETTRES    DE    RABELAIS 

expédition  de  l'Empereur  telle  comme  ilz  esperoient,  et  que  l'Empereur 
leur  a  dict  péremptoirement  que  à  leur  requeste  et  insistance,  ensemble 
du  feu  pape  Clément,  leur  Allié  ei  proche  parent,  il  avoit  constitué 
Alexandre  de  Medicis  Duc  sur  les  terres  de  Florence  et  Pise,  ce  que  ja- 
mais n'avoit  pensé  faire,  et  ne  l'eust  faict.  Maintenant,  le  déposer,  ce 
seroit  acte  de  bateleurs,  qui  font  le  faict  et  le  defîaict.  Pourtant,  que  ils 
se  délibérassent  le  recognoistre  comme  leur  Duc  et  seigneur,  et  luy  obéis- 
sent comme  v-assaulx  et  subjects,  et  qu'ils  ne  y  fissent  faulte.  Au  regard 
des  plainctes  qu'ils  faisoient  contre  ledict  Duc,  qu'il  en  congnoistroit 
sur  le  lieu.  Car  il  délibère,  après  avoir  quelque  temps  séjourné  à  Rome, 
passer  par  Senes,  et  de  là  à  Florence,  à  Bologne,  à  Milan  et  Gènes.  Ainsi 
s'en  retournent  lesdicts  Cardinaulx,  ensemble  Mons'  de  Xainctes,  Strossi, 
et  quelques  aultres,  re  infecta. 

Le  XIII*  de  ce  mois  furent  icy  de  retour  les  Cardinaulx  de  Senes  et  Cesa- 
rin,  lesquelz  avoient  esté  esleus  par  le  Pape  et  tout  le  Collège  pour  légats 
par  devers  l'Empereur.  Ils  ont  tant  faict  que  ledict  Empereur  a  remis  sa 
venue  en  Romme  jusques  à  la  fin  de  Feb\'Tier.  Si  j'avois  autant  d'escuz 
comme  le  Pape  vouldroit  donner  de  jours  de  pardon,  proprio  motu,  de 
plenitudine  potesUitis,  et  aultres  telles  circonstances  favorables,  à  quicon- 
que la  remettroit  jusques  à  cinq  ou  six  ans  d'icy,  je  serois  plus  riche  que 
Jacques  Cœur  ne  fust  oncques.  On  a  commencé  en  cette  ville  gros  aparat 
pour  le  recevoir,  et  Ion  a  faict,  par  le  commandement  du  Pape,  un  chemin 
nouveau  par  lequel  il  doit  entrer,  sçavoir  est,  de  la  porte  S'  Sébastian, 
tirant  au  Champ  Doly,  templum  Pacis,  et  l'amphitéatre;  et  le  faict  on 
passer  soubs  les  antiques  Arcs  Triumphaux  de  Constantin,  de  Vespasian 
et  Titus,  de  Numetian  et  aultres;  puis  à  costé  du  palais  St-Marc,  et,  de  là, 
par  Camp  de  Flour  et  devant  le  Palais  Famese,  où  souloit  demeurer  le 
Pape,  puis  par  les  banques  et  dessoubs  le  chasteau  Sainct-Ange.  Pour 
lequel  chemin  dresser  et  equaller,  on  a  demoly  et  abattu  plus  de  deux 
cents  maisons  et  trois  ou  quatre  églises  ras  terre.  Ce  que  plusieurs  inter- 
prettent  en  mauvais  présage.  Le  jour  de  la  conversion  St  Paul,  nostre 
St  Père  alla  ouir  la  messe  à  St  Paoul,  et  fist  banquet  à  tous  les  Cardi- 
naulx. Après  disner  retourna  passant  par  le  chemin  susdict,  et  logea  au 
palais  St  Georges.  Mais  c'est  pityé  de  veoir  la  ruine  des  maisons  qui  ont 
esté  démolies,  et  n'est  faict  payement  ny  rescompense  aucune  es  seigneurs 
d'icelles. 

Aujourdhuy  sont  icy  arrivez  les  Ambassadeurs  de  Venise,  quatre  bons 
vieillards  tous  grisons,  lesquels  vont  par  devers  l'Empereur  à  Xaples.  Le 
Pape  a  envoyé  toute  sa  famille  au  devant  d'eulx,  Cubiculaires,  Cham- 
briers,  Genissaires,  Lansqucnetz,  etc.  Les  Cardinaux  ont  envoyé  leurs 
mulles  en  pontificat. 

Au  sept''  de  ce  mois  furent  pareillement  receus  les  Ambassadeurs  de 
Senes,  bien  en  ordre,  et,  après  avoir  faict  leur  harangue  en  Consistoire 
ouvert,  et  que  le  Pape  leur  eust  respondu  en  beau  latin,  briefvement 
sont  départis  pour  aller  à  Naples.  Je  croy  bien  que  de  toutes  les  Itales 
iront  Ambassadeurs  par  devers  ledict  Empereur,  et  sçait  bien  jouer  son 
roolle  pour  en  tirer  denares,  comme  il  a  esté  descouvert  depuis  dix  jours 


LETTRES    DE    RABELAIS  3, "^7 

en  ça.  Mais  je  ne  suis  encores  bien  à  poinct  adverty  de  la  finesse  qu'on 
dict  qu'il  a  usée  à  Naples.  Par  cy  après  je  vous  en  escriray. 

Le  Prince  de  Piémont,  fils  aisné  du  Duc  de  Savoye,  est  mortà  Naples 
depuis  quinze  jours  en  ça  :  l'Empereur  luy  a  faict  faire  excecques  fort 
honnorables,  et  y  a  personnellement  assisté. 

Le  Roy  de  Portugal,  depuis  six  jours  en  ça,  a  mandé  à  son  Ambassa- 
deur qu'il  avoit  à  Rome  que,  subitement  ses  lettres  receues,  il  se  retirast 
par  devers  luy  en  Portugal  :  ce  qu'il  fist  sur  l'heure,  et,  tout  botté  et  espe- 
ronné,  vint  dire  adieu  à  Mons""  le  Reverendissime  Cardinal  du  Bellay. 
Deux  jours  après  a  esté  tué  en  plain  jour  prez  le  pont  St  Ange,  un  gen- 
tilhomme Portugalois  qui  sollicitoit  en  ceste  viUe  pour  la  communité 
des  Juifs  qui  furent  baptisez  soubs  le  Roy  Emanuel,  et  depuis  estoient 
molestez  par  le  Roy  de  Portugal  moderne,  pour  succéder  à  leurs  biens 
quand  ils  mouroicnt,  et  quelques  aultres  exactions  qu'il  faisoit  sur  eulx, 
oultre  l'Edict  et  ordonnance  dudict  feu  Roy  Emanuel.  Je  ne  doubte  que 
en  Portugal  y  ait  quelque  sédition. 

MoNs'',  par  le  dernier  pacquet  que  vous  avois  envoyé,  je  vous  advertis- 
sois  comment  quelque  partye  de  l'armée  du  Turc  avoit  esté  deffaicte  par 
le  Sophy  auprès  de  Betelis.  Ledict  Turc  n'a  gueres  tardé  d'avoir  sa  revan- 
che ;  car,  deux  mois  après,  il  a  couru  sus  ledict  Sophy  en  la  plus  grande 
furye  qu'on  veit  onques  :  et,  après  avoir  mis  à  leu  et  sang  un  grand  Pays 
de  Mésopotamie,  a  rechassé  ledict  Sophy  par  delà  la  Montagne  de  Tau- 
rus.  Maintenant  faict  faire  force  galleres  sus  le  fleuve  de  Tanaïs,  par 
lequel  pourront  descendre  en  Constantinople.  Barberousse  n'est  encores 
party  dudict  Constantinople,  pour  tenir  le  pays  en  seureté,  et  a  laissé 
quelques  garnisons  à  Bona  et  Algiery,  si  d'adventure  l'Empereur  le  vou- 
loit  assailhr.  Je  vous  envoyé  son  portraict  tiré  sus  le  vif,  aussi  l'assiette  de 
Tunis  et  des  villes  maritimes  d'environ. 

Les  Lansquenets  que  l'Empereur  mandoit  en  la  Duché  de  Milan  pour 
tenir  les  places  fortes  sont  tous  noyez  et  péris  par  mer,  jusques  au  nombre 
de  douze  centz,  en  une  des  plus  grandes  et  belles  navires  des  Genevois  :  et 
ce  fut  prez  un  port  des  Luquois,  nommé  Lerzé.  L'occasion  fut  parce  qu'ils 
s'ennuyoient  sur  la  mer,  et,  voulans  prendre  terre,  mais  ne  pou  vans  à 
cause  des  tempestes  et  difficulté  du  temps,  pensèrent  que  le  pilotte  de  la 
Nave  les  voulust  tous  jours  délayer  sans  aborder.  Pour  ceste  cause  le  tuè- 
rent, et  quelques  aultres  des  principaulx  de  la  dicte  Nef;  lesquels  occis 
la  Nef  demeura  sans  Gouverneur,  et,  en  lieu  de  caUer  la  voille,  les  Lans- 
quenets la  haussoient,  comme  gens  non  pratifs  en  la  marine,  et  en  tel 
desarroy  périrent  à  un  gect  de  pierre  prés  ledict  port. 

MoNS"^,  j'ay  entendu  que  Monsieur  de  Lavaur,  qui  estoit  Ambassadeur 
pour  le  Roy  à  Venise,  a  eu  son  congé  et  s'en  retourne  en  France.  En  son 
lieu  va  Mons'  de  Rodez,  et  ja  tient  à  Lyon  son  train  prest,  quand  le  Roy 
lui  aura  baillé  ses  advertissemens. 

MoNS',  tant  comme  je  puis,  humblement  à  vostre  bonne  grâce  me 


388  LETTRES    DE    RABELAIS 

recommande,  priant  Nostre  Seigneur  vous  donner  en  santé  bonne  et 
longue  vie. 

A  Rome,  ce  vingt  huict"-'  de  janvier  1536. 

Vostre  très  humble  serviteur, 

François  RABELAIS. 


LETTRE  DE  RABELAIS 

A     M  ON  S'    l'EVESOUE     DE     MAILLEZAIS 

De  Rome,  le  1$  février  1836. 

MoNS^ 

Je  vous  escrivy  du  vingt  huit''  du  mois  de  janvier  dernier  passé,  bien 
amplement  de  tout  ce  que  je  sçavois  de  nouveau,  par  un  Gentilhomme 
serviteur  de  Monsieur  de  Montreuil,  nommé  Tremeliere,  lequel  retournoit 
de  Naples,  où  avoit  achapté  quelques  coursiers  du  Royaume  pour  son- 
dict  maistre,  et  s'en  retournoit  à  Lyon  vers  luy  en  diligence.  Ledict  jour 
je  receus  le  pacquet  qu'il  vous  a  pieu  m'envoyer  de  Legugé,  datte  du 
X*  dudict  mois,  en  quoy  pouvez  congnoistre  l'ordre  que  j'ay  donné  à 
Lyon  touchant  le  bail  de  vos  lettres,  comment  elles  me  sont  ici  rendues 
seurement  et  soudain.  Vosdictes  lettres  et  pacquet  furent  baillés  à  l'Escu 
de  Basleauxxi^  dudict  mois  :  le  xxviii^  me  ont  esté  icy  rendues.  Et,  pour 
entretenir  à  Lyon,  car  c'est  le  poinct  et  lieu  principal,  la  diUgence  que 
faict  le  hbraire  dudict  Escu  de  Basle  en  cest  affaire,  je  vous  réitère  ce  que 
je  vous  escrivois  par  mon  susdict  pacquet,  si  d'adventure  survenoient 
cas  d'importance  pour  cy  après,  c'est  que  je  suis  d'advis  que,  à  la  première 
fois  que  m'escrirez,  vous  luy  escriviez  quelque  mot  de  lettre,  et  dedans 
icelle  mettez  quelque  escu  sol,  ou  quelque  aultre  pièce  de  vieil  or,  comme 
royau, angelot  ousalut,  etc.,  en  considération  de  la  pejTie  et  dihgence  qu'il 
y  prend  :  ce  peu  de  chose  luy  accroistra  l'affection  de  mieux  en  mieux 
vous  servir. 

Pour  respondre  à  vos  lettres  de  poinct  en  poinct,  j'ay  faict  diligente- 
ment  chercher  ez  registres  du  Palais,  depuis  le  temps  que  me  mandiez 
sçavoir  est,  l'an  mil  cinq  cents  vingt  neuf,  trente  et  trente  un,  pour 
entendre  si  on  trouveroit  l'acte  de  la  résignation  que  fist  feu  dom  Phi- 
lippes  à  son  nepveu,  et  ay  baillé  aux  Clercs  du  registre  deux  escuz  sol, 
qui  est  bien  peu,  attendu  le  grand  et  fascheux  labeur  qu'ils  y  ont  mis.  En 
somme,  ils  n'en  ont  rien  trouvé,  et  n'ay  onques  sceu  entendre  nouvelles 
de  ses  procurations.  Par  quoy  me  doubte  qu'il  y  a  de  la  fourbe  en  son  cas, 
ou  les  mémoires  que  m'escriviez  n'estoient  sufhsans  à  les  trouver.  Et  faul- 


LETTRES    DE    RABELAIS  389 

dra,  pour  plus  en  estre  acertainé,  que  me  mandez  cujus  dioccsis  estoit 
ledit  feu  Domp  Philippes,  et  si  rien  avez  entendu  pour  plus  esclaircir  le 
cas  de  la  matière,  comme  si  c'estoit  pure  et  simpliciter,  ou  causa  permuta- 
tionis,  etc. 

MoNs',  touchant  l'article  ouquel  vous  escrivois  la  response  de  Mons''  le 
Cardinal  du  Bellay,  laquelle  il  me  fist  lors  que  je  luy  presentay  vos  let- 
tres, il  n'est  besoing  que  vous  en  faschez.  Monsieur  de  Mascon  vous  en  a 
escript  ce  qui  en  est.  Et  ne  sommes  pas  prests  d'avoir  Légat  en  France. 
Bien  vray  est  il  que  le  Roy  a  présenté  audict  Pape  le  Cardinal  de  Lorraine  ; 
mais  je  croy  que  le  Cardinal  du  Bellay  taschera  par  tous  moyens  de  l'avoir 
pour  soy.  Le  proverbe  est  vieux  qui  dit  :  Nemo  sibi  secundus,  et  veoy  cer- 
taines menées  qu'on  y  faict,  par  lesquelles  ledit  Cardinal  du  Bellay  pour 
soy  employera  le  Pape,  et  le  fera  trouver  bon  au  Roy.  Pourtant  ne  vous 
faschez  si  sa  response  a  esté  quelque  peu  ambigiie  en  vostre  endroict. 

Moxs'',  touchant  les  grenes  que  vous  ay  envoyées,  je  vous  puis  bien 
asseurer  que  ce  sont  des  meilleures  de  Naples,  et  desquelles  le  Saint  Père 
faict  semer  en  son  jardin  secret  de  Belveder.  D'aultres  sortes  de  sallades 
ne  ont  ils  pas  deçà,  fors  de  Nasitord  et  d'Arousse.  Mais  celles  de  Legugé 
me  semblent  bien  aussi  bonnes,  et  quelque  peu  plus  doulces  et  amiables 
à  l'estomach,  mesmement  de  vostre  personne  :  car  celles  de  Naples  me 
semblent  trop  ardentes  et  trop  dures. 

Au  regard  de  la  saison  et  semailles,  il  faudra  advertir  vos  jardiniers  qu'ils 
ne  les  sèment  du  tout  si  tost  comme  on  faict  de  par  deçà,  car  le  chmat  ne 
y  est  pas  tant  advancé  en  chaleur  comme  icy.  Ils  ne  pourront  faillir  de 
temer  vos  salades  deux  fois  l'an,  savoir  est,  en  Caresmeeten  Novembre,  et 
les  Cardes  ils  pourront  semer  en  Aoust  et  Septembre;  les  melons,  citrouil- 
Ise  et  aultres,  en  Mars,  et  les  armer  certains  jours  de  joncs  et  fumier  léger, 
et  non  du  tout  pourry,  quand  ils  se  douteroient  de  gelée.  On  vend  bien 
icy  encores  d'aultres  grenes,  comme  d'œillets  d'Alexandrie,  de  violes 
matronales,  d'une  herbe  dont  ils  tiennent  en  esté  leurs  chambres  frais- 
ches,  qu'ils  appellent  Belvédère,  et  aultres  de  médecine.  Mais  ce  seroit 
plus  pour  Madame  d'Estissac.  S'il  vous  plaist,  de  tout  je  vous  envoiray, 
et  n'y  feray  faulte. 

Mais  je  suis  contrainct  de  recourir  encores  à  vos  aulmosnes.  Car  les 
trente  escus  qu'il  vous  pleust  me  faire  icy  livrer  sont  quasi  venus  à  leur 
fin,  et  si  n'en  ay  rien  despendu  en  meschanceté,  ny  pour  ma  bouche,  car 
je  bois  et  mangeue  ordinairement  chez  Mons''  le  Cardinal  du  Bellay,  ou 
Mons'  de  Mascon.  Mais  en  ces  petites  barbouilleryes  de  despesches  et 
louage  de  meubles  de  chambre,  et  entretenement  d'habillemens  s'en  va 
beaucoup  d'argent,  encores  que  je  m'y  gouverne  tant  chichement  qu'il 
m'est  possible.  Si  vostre  plaisir  est  me  envoyer  quelque  lettre  de  change, 
j'espère  n'en  user  que  à  vostre  service,  et  n'en  estre  ingrat.  Au  reste,  je 
veoy  en  ceste  ville  mille  petites  mireUficques  à  bon  marché  qu'on  apporte 
de  CîT)re,  de  Candie  et  Constantinople.  Sy  bon  vous  semble,  je  vous  en 
envoyeray  ce  que  mieux  je  verray  duisible  tant  à  vous  que  à  madicte 
Dame  d'Estissac.  Le  port  d'icy  à  Lyon  n'en  coustera  rien. 


390  LETTRES    îjE    RABELAIS 

J'ay,  Dieu  mercy,  expédié  tout  mon  affaire,  et  ne  m'a  cousté  que  l'ex- 
pédition des  Bulles  :  le  Sainct  Père  m'a  donné  de  son  propre  gré  la  com- 
position, et  croy  que  trouverez  le  moyen  assez  bon,  et  n'ay  rien  par  icelles 
iinpetré  qui  ne  soit  civile  et  juridicque  ;  mais  il  y  a  fallu  bien  user  de  boa 
conseil  pour  la  formalité.  Et  vous  ose  bien  dire  que  je  n'y  ay  quasi  en 
rien  employé  Mons^  le  Cardinal  du  Bellay,  ny  Mons'  l'Ambassadeur, 
combien  que  de  leur  grâce  s'y  fussent  offerts  à  y  employer  non  seulement 
leurs  paroles  et  faveur,  mais  entièrement  le  nom  du  Roy. 

MoNS',  je  n'ay  encores  baillé  vos  premières  lettres  à  Mons'  de  Xainctes, 
car  il  n'est  encore  retourné  de  Naples,  où  il  estoit  allé  comme  vous  ay 
escript.  Il  doibt  estre  icy  dedans  trois  jours.  Lors  je  luy  bailleray  vos 
lettres  premières,  et  quelques  jours  après  bailleray  vos  secondes,  et  solli- 
citeray  pour  la  response.  J'entends  que  ny  luy  ny  les  Cardinaux  Salviati 
et  Rodolphe,  ny  Philippes  Strossi  avecques  ses  escuz,  n'ont  rien  faict 
envers  l'Empereur  de  leur  entreprise,  combien  qu'ils  luy  ayent  voulu 
livrer,  ou  nom  de  tous  les  forestiers  et  bannis  de  Florence,  un  million  d'or, 
du  contant,  parachever  la  Rocca  commencée  en  Florence,  et  l'entretenir 
à  perpétuité  avecques  garnisons  compétentes  ou  nom  dudict  Empereur, 
et,  par  chacun  an,  luy  payer  cent  mille  ducats,  pourveu  et  en  condition 
qu'il  les  remist  en  leurs  biens,  terres,  et  hberté  première. 

Au  contraire,  le  Duc  de  Florence  a  esté  de  luy  receu  très  honnorable- 
ment,  et,  à  sa  prime  venue,  l'Empereur  sortist  au  devant  de  luy,  et, 
post  manus  oscula,  le  fist  conduire  au  chasteau  Capouan  en  ladicte  ville, 
ouquel  est  logée  sa  bastarde  et  fiancée  audict  Duc  de  Florence,  par  le 
prince  de  Saleme,  viceroy  de  Xaplcs,  marquis  de  Vast,  duc  d'Albe,  et 
aultres  principaulx  de  sa  Cour  :  et  là  parlementa  tant  qu'il  voulust  avec 
elle,  la  baisa  et  souppa  avecque  elle.  Depuis,  les  susdicts  Cardinaulx, 
Evesque  de  Xainctes  et  Strossi,  n'ont  cessé  de  solliciter.  L'Empereur  les 
a  remis  pour  resolution  finale  à  sa  venue  en  cette  ville.  En  la  Rocqua, 
qui  est  une  place  forte  à  merveilles,  que  ledict  Duc  de  Florence  à  basty  en 
Florence,  au  devant  du  portail  il  a  faict  peindre  un  Aigle  qui  a  les  aisles 
aussi  grandes  que  les  moulins  à  vent  de  Mirebalais,  comme  protestant  et 
donnant  entendre  qu'il  ne  tient  que  de  l'Empereur.  Et  a  tant  finement 
procédé  en  sa  t\Tannie  que  les  Florentins  ont  attesté  nominc  communitaiis, 
par  devant  l'Empereur,  qu'ils  ne  veulent  aultre  seigneur  que  luy.  Vray 
est  il  qu'il  a  bien  chastié  les  forestiers  et  bannis.  Pasquil  a  faict  depuis 
nagueres  im  chantonnet  ouquel  il  dict  :  à  Strossi  :  Pugna  pro  patria; 
à  Alexandre,  duc  de  Florence  :  Datum  scrva;  à  l'Empereur  :  Quœ  nocitura 
Unes,  quamvis  sint  chara,  relinqv.c;  au  Roy  :  Quod  potes,  id  tenta;  aux  deux 
cardinaux  Salviati  et  Rodolphe  :  Hos  breviias  sensus  fecit  conjimgerc 
binos. 

MoNs',  au  regard  du  duc  de  Ferrare,  je  vous  ay  escript  comment  il 
estoit  retourné  de  Naples  et  retiié  à  Ferrare.  Madame  Renée  est  accou- 
chée d'une  fille  :  elle  avoit  ja  une  aultre  belle  fille  aagée  de  six  à  sept  ans, 
et  un  petit  filz  aagé  de  trois  ans.  Il  n'a  peu  accorder  avecques  le  Pape, 
parce  qu'il  luy  demandoit  excessive  somme  d'argent  pour  l'investiture 


LETTRES    DE    RABELAIS  391 

de  ses  terres,  nonobstant  qu'il  avoit  rabattu  cinquante  mille  escus  pour 
l'amour  de  ladicte  dame,  et  ce  par  la  poursuittc  de  Messieurs  les  Cardi- 
naux du  Bellay  et  de  Mascon,  pour  tousjours  accroistre  l'affection  conju- 
gale dndict  Duc  de  Ferrare  envers  elle.  Et  ce  estoit  la  cause  pour  quoy 
Lyon  Jamet  estoit  venu  en  cette  ville;  et  ne  restoit  plus  que  cent  cin- 
quante mil  escus.  Mias  ils  ne  peurent  accorder,  parceque  le  Pape  vouloit 
qu'il  recogneust  entièrement  tenir  et  posséder  toutes  ses  terres  en  féode 
du  siège  Apostolique.  Ce  que  l'aultre  ne  voulut  :  et  n'en  \ouloit  reco- 
gnoistre  sinon  celles  que  son  feu  père  avoit  recogneu,  et  ce  que  l'Empe- 
reur en  avoit  adjuge  à  Boloigne  par  arrest,  du  temps  du  feu  Pape  Clé- 
ment. 

Ainsi  départit  re  infecta,  et  s'en  alla  vers  l'Empereur,  lequel  luy  pro- 
mist  que  à  sa  venue  il  feroit  bien  consentir  le  Pape  venir  au  poinct  con- 
tenu en  sondict  arrest,  et  qu'il  se  retirast  en  sa  maison,  luy  laissant  am- 
bassade pour  solliciter  l'affaire  quand  il  seroit  de  par  deçà,  et  qu'il  ne 
payast  la  somme  ja  convenue  sans  qu'il  fust  de  luy  entièrement  adverty. 
La  finesse  est  en  ce  que  l'Empereur  a  faulte  d'argent,  et  en  cherche  de 
tous  costez  et  taille  tout  le  monde  qu'il  peult  et  en  emprunte  de  tous 
cndroicts.  Luy  estant  icy  arrivée,  en  demandera  au  Pape,  c'est  chose  bien 
évidente,  car  il  luy  remonstrera  qu'il  a  faict  toutes  ces  guerres  contre  le 
Turc  et  Barberousse  pour  mettre  en  seureté  l'Italie  et  le  Pape,  et  que 
force  est  qu'il  y  contribue.  Ledict  Pape  respondra  qu'il  n'a  point  d'argent, 
et  luy  fera  preuve  manifeste  de  sa  pauvreté.  Lors  l'Empereur,  sans  qu'il 
débourse  rien,  luj'  demandera  celuy  du  Duc  de  Ferrare,  lequel  ne  tient 
que  à  un  Fiat.  Et  voylà  comment  les  choses  se  jouent  par  mystères. 
Toutesfois  ce  n'est  chose  asseurée. 

MoNS',  vous  demandez  si  le  s'  Pierre  Loys  Farneze  est  légitime  fils  ou 
bastard  du  Pape  Paul.  Sachez  que  le  Pape  jamais  ne  fust  marié.  C'est  à 
dire  que  le  susdict  est  véritablement  bastard.  Et  avoit  le  Pape  une  sœur 
beUe  à  merveilles.  On  monstre  encore,  de  présent,  ou  Palais,  en  ce  corps 
de  maison  ouquel  sont  les  Sommistes,  lequel  fist  faire  le  pape  Alexandre, 
une  ymage  de  Nostre  Dame,  laquelle  on  dict  avoir  esté  faicte  à  son  por- 
traict  et  semblance.  Elle  fut  mariée  à  un  gentilhomme  cousin  du  seigneur 
Rance,  lequel  estant  en  la  guerre  pour  l'expédition  de  Naples,  ledit  pape 
Alexandre  la  voyoit  :  ledict  sieur  Rance,  du  cas  acertainé,  en  advertit 
sondict  cousin,  luy  remonstrant  qu'il  ne  devoit  permettre  telle  injure 
estre  faite  en  leur  famille  par  un  Espagnol  Pape,  et  ou  cas  qu'il  l'endurast, 
que  luy  mesme  ne  l'endureroit  point.  Somme  toute  il  la  tua.  Duquel 
forfait  le  pape  Paul  trois  fist  ses  doléances  audict  pape  Alexandre  VI, 
lequel,  pour  appaiser  son  grief  et  dueil,  le  fit  Cardinal  estant  encores  bien 
jeune,  et  luy  fist  quelques  autres  biens. 

Ouquel  temps  entretint  le  Pape  une  Dame  romaine  de  la  case  Ruffine, 
de  laquelle  il  eut  une  fille  qui  fust  mariée  au  s''  Bauge,  comte  de  Santa 
Fiore,  qui  est  mort  en  cette  ville  depuis  que  j'y  suis,  de  laquelle  il  a  eu 
l'un  des  deux  petits  Cardinaux,  qu'on  appelle  le  cardinal  de  Saint-Flour. 
Item  eust  un  filz  qui  est  ledict  Pierre  Louis  que  demandiez,  qui  a  espousé 


392  LETTRES    DE    RABELAIS 

la  fille  du  Comte  dp  Servelle,  dont  il  a  tout  pleia  foyer  d'eafans,  et  entre 
autres  le  petit  Cardinalicule  Famese,  qui  a  esté  faict  vice  chancelier  par 
lamort  du  feu  Cardinal  de  Medicis.  Parces  propos  susdicts  pouvez  entendre 
la  cause  pourquoj-  le  Pape  n'aimoit  gueres  le  Seigneur  Rance,  et  vice 
versa,  ledit  Rance  ne  se  fioit  en  luy  :  pour  quoy  aussi  est  grosse  querelle 
entre  le  s''  Jean  Paule  de  Cere,  fils  dudict  s'  Rance,  et  le  susdict  Pierre 
Loj-s,  car  il  veult  vanger  la  mort  de  sa  tante. 

Mais,  quant  à  la  part  dudict  s''  Rance,  il  en  est  quitte,  car  il  mourut  le 
xj^  jour  de  ce  mois,  estant  allé  à  la  chasse,  en  laquelle  il  s'esbattoit  volon- 
tiers, tout  %-ieillard  qu'il  estoit.  L'occasion  fust  qu'il  avoit  recouvert 
quelques  chevaulx  turcs  des  foires  de  Racana,  desquelz  en  mena  un  à  la 
chasse  qui  avoit  la  bouche  tendre,  de  sorte  qu'il  se  renversa  sur  luy,  et 
de  l'arson  de  la  selle  l'estouffa,  en  manière  que,  depuis  le  cas,  ne  vesquit 
point  plus  d'une  demye  heure.  Ce  a  esté  une  grande  perte  pour  les 
François,  et  y  a  le  Roy  perdu  lui  bon  ser%-iteur  pour  l'Italie.  Bien  dict  on 
que  ledict  s'  Jean  Paule,  son  fils,  ne  le  sera  pas  moins  à  l'advenir.  Mais  de 
long  temps  n'aura  telles  expériences  en  faicts  d'armes,  ny  telle  réputation 
entre  les  Capitaines  et  soldats,  comme  avoit  le  feu  bon  homme.  Je  voul- 
drois  de  bon  cœur  que  Mons^  d'Estissac  de  ses  despouiUes  eut  la  Comté 
de  Pontoise,  car  on  dit  quelle  est  de  beau  revenu. 

Pour  assister  es  exeques,  et  pour  consoler  la  marquise  sa  femme, 
Mons^  le  Cardinal  a  envoyé  jusques  à  Ceres,  qui  est  distant  de  cette  ville 
par  x.x  milles,  usions'  de  Rambouillet,  et  l'abbé  de  St-Xicaise,  qui  estoit 
proche  parent  du  deffunct  (je  croy  que  l'aj-ez  veu  en  Court  :  c'est  un  petit 
homme  tout  esveillé,  qu'on  appelloit  l'archidiacre  des  Ursins),  et  quelques 
aultres  de  ses  protenotaires.  Aussi  a  faict  Mons'  de  Mascon. 

MoNS'',  je  me  remets  à  l'aultre  fois  que  vous  escriray  pour  vous  advertir 
des  nouvelles  de  l'Empereur  plus  au  long  :  car  son  entreprise  n'est  encores 
bien  descouverte.  Il  est  encores  à  Xaples.On  l'attend  icy  pour  la  fin 
de  ce  mois,  et  faict  on  gros  apprests  pour  sa  venue,  et  force  arcs  trium- 
phaux.  Les  quatre  mareschaux  de  ses  logis  sont  ja  pieça  en  cette  ville, 
deux  Espagnolz,  un  Bourguignon  et  un  Flamand. 

C'est  pitié  de  veoir  les  ruines  des  Eglise-,  Palais  et  maisons  que  le  Pape 
a  faict  démolir  et  abattre  pom:  luy  dresser  et  applanerle  chemin.  Et,  pour 
les  frais  du  reste,  a  taxé  leur  argent  sus  le  collège  de  Messieurs  les  Cardi- 
naulx,  les  Officiers  Courtisans,  les  artisans  de  la  ville,  jusques  aux  aqua- 
rols.  Ja  toute  cette  viUe  est  pleine  de  gens  estrangers. 

Le  cinq«  de  ce  mois  arriva  icy,  par  le  commandement  de  l'Empereur, 
le  cardinal  de  Trente,  Tridentinus,  en  Allemagne,  en  gros  train  et  plus 
sumptueux  que  n'est  celuy  du  Pape.  En  sa  compagnie  estoient  plus  de 
cent  Alemans  vestus  d'une  parure,  savoir  est,  de  robbes  rouges  avec  ime 
bande  jaulne,  et  avoient  en  la  manche  droicte,  en  broderie,  figuré  une 
jarbe  de  bled  liée,  à  l'entour  de  laquelle  estoit  escript  Uniias. 

J'entends  qu'il  cherche  fort  la  paix  et  appoinctement  pour  toute  la 
Chrestienté,  et  le  Concile  en  tous  cas.  J'estois  présent  quand  il  dist  à 
Mons'  le  Cardinal  du  Bellay  :  o  Le  Sainct  Père,  les  Cardinaulx,  Evesques 


LETTRES    t)E    RABELAIS  393 

et  Prelatz  de  l'Eglise,  recullent  au  Concile,  et  n'en  veulent  oyr  parler, 
quoy  qu'ils  en  soient  scmonds  du  bras  séculier;  mais  je  voy  le  temps 
prez  et  prochain  que  les  Prclats  d'Eglise  seront  contraincts  le  demander, 
et  les  séculiers  n'y  voudront  entendre.  Ce  sera  quand  ils  auront  tollu  de 
l'Eglise  tout  le  bien  et  patrimoine  lequel  ils  avoient  donné  du  temps 
que,  par  frequens  Conciles,  les  Ecclésiastiques  entretenoient  paix  et 
union  entre  les  Séculiers.  » 

André  Doria  arriva  en  cette  ville  le  trois''  du  cedict  mois,  assez  malen 
poinct.  11  ne  luy  fut  faict  honneurs  quiconques  à  son  arrivée,  sinon  que  le 
s'  Pierre  Loys  le  conduit  jusques  au  palais  du  Cardinal  Camerlin,  qui  est 
Genevois,  de  la  famille  et  maison  de  Spinola.  Au  landemain  il  salua  le 
Pape,  et  partist  le  jour  suivant,  et  s'en  alloit  à  Gènes  de  par  l'Empereur, 
pour  sentir  du  vent  qui  court  en  France  touchant  la  guerre.  On  a  en  icy 
certain  advertissement  de  la  mort  de  la  vieille  Rojme  d'Angleterre,  et 
dict  on  davantage  que  sa  fille  est  fort  malade. 

Ouoy  que  ce  soit,  la  Bulle  qu'on  forgeoit  contre  le  Roy  d'.\ngleterre, 
pour  l'excommunier,  interdire  et  proscrire  son  Royaume  comme  je  vous 
escrivois,  n'a  esté  passée  par  le  consistoire,  à  cause  des  articles  de  commea- 
iibus  externorum  et  commerciis  inutuis,  auxquels  se  sont  opposés  Mons'  le 
Cardinal  du  Bellay  et  Mons''  de  Mascon,  pour  les  interests  du  Roy,  qu'il 
y  pretendoit.  On  l'a  remise  à  la  venue  de  l'Empereur. 

Monsieur,  très  humblement  à  vostre  bonne  grâce  me  recommande, 
priant  Nostre  Seigneur  vous  donner  en  santé  bonne  vie  et  longue. 

A  Rome,  ce  xv'^  de  Febvriei  1536. 

Vostre  très  humble  serviteur. 


Suscripl: 
A  Monseigneur  Mons'  de  Maillezais. 


Franc.  RABELAIS. 


LETTRE 

A   MONS'  LE  BAILLIF  DU  BAILLIF  DES  BAILLIEZ 

MONSIEUR  MAISTRE  ANTOYNE  HULLET 

SEIGNEUR     DE    LA     COURT    POMPIN,     EN     CKRESTIANTÉ, 
A    ORLÉANS 


Hc,  Pater  Reverendissùne,  quomodo  hruslis?  Quœ  nova!  Parisius  non 
sunt  ova?  Ces  paroUes,  propousées  devant  vos  Révérences,  translatées  de 
Patelinois  en  nostre  Vulgaire  Orléanois,  valent  autant  à  dire  comme  si  je 
disoys  :  «  Monsieur,  vous  soyez  le  très  bien  revenu  des  nopces,  de  la  feste, 


39}  LETTRES    DE    RABELAIS 

de  Paris.  »  Sy  la  \'ertu  de  Dieu  vous  inspiroit  de  transporter  vostre  Pater- 
nité jusques  en  cestuy  hermitaige,  vous  nous  en  raconteriez  de  belles  : 
aussy  vous  donneroit  le  S'  du  lieu  certaines  espèces  de  poissons  carpion- 
ncz,  lesquclz  se  tirent  par  les  cheveulx.  Or  vous  le  ferez,  non  quand  il  vous 
playra,  mais  quand  le  vouloir  vous  y  apportera  de  celluy  Grand,  Bon, 
Piteux  Dieu,  lequel  ne  créa  oncques  le  quaresine,  ouy  bien  les  sallades, 
arancs,  inerluz,  carpes,  bechetz,  dares,  umbrines,  ablettes,  rippes,  etc. 
Item,  les  bons  vins,  singuliairement  celluy  clc  veteri  jure  enuclcaudo, 
lequel  on  guarde  icy  à  vostre  venue,  comme  un  g  sang  greal  et  une  seconde, 
voire  quinte  essence.  Ergo  vent,  Domine,  et  noli  tardare,  j'entends  suivis 
saîvandis,  id  est,  hoc  est,  sans  vous  incommoder  ne  distrajTC  de  vos  affaires 
plus  urgens. 

Monsieur,  après  m'estre  de  tout  mon  cuer  recommandé  à  vostre  bonne 
grâce,  je  priray  Nostre  Seingneur  vous  conserver  en  parfaicte  santé. 

De  Saint  Ay,  ce  premier  jour  de  mars. 

Vostre  humble  architriclin,  et  amy, 

France.  RABELAIS,  medicitt. 

Monsieur  l'esleu  Pailleron  trouvera  icy  mes  humbles  recommandations 
à  sa  bonne  grâce,  aussi  à  Madame  l'esleue,  et  à  monsieur  le  baillif  Daniel, 
et  à  tous  vous  aultres  bons  amis  et  à  vous.  Je  prieray  monsieur  le  Scelleur 
me  envoyer  le  Platon  lequel  il  m'avoit  preste;  je  luy  renvoiray  bien  tost. 


LETTRE 
AU  CARDINAL  DU  BELLAY 


Monseigneur,  Si  venant  icy  M.  de  Saint-Ayt  eust  eu  la  commodité  de 
vous  saluer  à  son  partement,  je  ne  fusse,  de  présent,  en  telle  nécessité  et 
anxiété,  comme  il  vous  pourra  exposer  plus  amplement,  car  il  me  af&r- 
moit  que  estiez  en  bon  vouloir  de  me  faire  quelque  aumosne,  advenant 
qu'il  se  trouvast  homme  seur,  venant  de  par  deçà.  Certainement,  Monsei- 
gneur, si  vous  ne  avez  de  moi  pitié,  je  ne  sache  que  doibve  faire,  sinon,  en 
dernier  desespoir,  me  asservir  à  quelqu'un  de  pardeça,  avec  dommage  et 
perte  évidente  de  mes  estudes.  Il  n'est  possible  de  vivre  plus  frugalle- 
ment  que  je  fais,  et  ne  me  sçauriez  si  peu  donner  de  tant  de  biens  que 
Dieu  vous  a  mis  en  main,  que  je  n'eschappe  en  vivotant  et  m'entretenant 
honnestement,  comme  j'ay  fayt  jusques  à  présent,  pour  l'honneur  de  la 
maison  dont  j'estois  issu  à  ma  départie  de  France. 

Monseigneur,  je  me  recommande  très  humblement  à  vostre  boime  giacc 


LETTRES    DE    RABELAIS  395 

et  prie  Nostre  Seigneur  vous  donner,  en  parfaicte  santé,  très  bonne  et 
longue  vie. 

])ç  JIctz,  ce  ô  février  (1547) 

Vostre  très  humble  serviteur, 

François  RABELAIS,  mcdicin. 


EPISTOLA  AD  B.  SALIGNACUAI 

BERXARDO  SALIGNACO 
s.  p. 

A  JESU  CHRISTO  SERVATORE 


Georgius  ab  Arminiaco,  Rutenensis  episcopus  clarissimus,  nuper  ad 
me  misit  <i>Xa&v;:\)  'lojjriço'j  îsTooiav  'lo'joar.'.YjV  rziçÀ  a/mquoç.  roga- 
vitque,  pro  veteri  nostra  amicitia,  ut  si  quando  homiuem  âfio'TTia'rov 
nactus  essein  qui  istuc  proficisceretur,  eam  tibi  prima  quaque  occasione 
reddendam  curarem.  Lubens  itaque  ansam  hanc  arripui,  et  occasionem 
tibi,  pater  mi  humanissime,  grato  aliquo  officio  indicandi,  que  te  animo, 
qua  te  pietate  colerem.  Patrem  te  dixi,  matrem  etiam  dicerem,  si  per 
iudulgentiam  mihi  id  tuam  liceret.  Quod  enim  utero  gerentibus  usui 
venire  quotidie  experimur,  ut  quos  nunquam  viderunt  fœtus  alant,  ab 
aerisque  ambientis  incommodis  tueantur,  ajTO  -qu'o  aûy'  k'-aO;;,  qui  me 
tibi  de  facie  ignotum,  nomine  etiam  ignobilem  sic  educasti,  sic  castissi- 
mis  divinœ  tuœ  doctrinaa  uberibus  usque  aluisti,  ut  quidquid  sum  et  valeo, 
tibi  id  uni  acceptum  ni  f eram,  hominum  omnium  qui  sunt,  aut  aUis  erunt  in 
annis,  ingratissimus  sim.  Salve  itaque  etiam  atque  etiam,  pater  amantis- 
sime,  pater  decusque  patria\  littcrarum  adscrtor  k'/.z;iY.y.y.oç,  veritatis 
propugnator  invirictissime. 

Nuper  rescivi  ex  Hilario  Bertulpho,  quo  hic  utor  familiarissime,  te 
ncscio  quid  noliri  adversus  calumnias  Hieronymi  Aleandri,  quem  suspi- 
caris  sub  persona  factitii  cujusdam  Scahgeri,  adversum  te  scripsisse.  Non 
patior  te  diutius  animi  pendere,  atque  hac  tua  suspicione  falli.  Nam 
ScaUger  ipse  Veronensis  est,  ex  illa  Scaligerorum  exsulum  familia,  exsul 
et  ipse.  Nunc  vero  medicum  agit  apud  Agennates.  Vir  mihi  bene  notas 
où  (Jià  tÔv  Af  îjocix.îaaaO;!:  éatt  to:vjv  O'.âÇoAo:  ây.iïvoç,  wç  ivjvhÀovti 
oavat,  ~%  a£V  '.xz^v/.'y.  oùx  àv3-'.'jTï-|;j.fov.  TaÀÀa  oï  nàvTr)  -âvTfo?  aOso; 
(bî  oùx  àXXoî  JctiSnoT'  oùôît'ç.  Ejus  librum  nondum  videre  contigit,  nec 


39^>  LETTRES    DE    RABELAIS 

hue  tôt  jam  mensibus  delatum  est  exemplar  ullum;  atque  adeo  suppfeS- 
sum  puto  ab  iis  qui  Lutetiœ  bene  tibi  volunt.  Vale  /.%'.  z-j-.j-/ ('^n  ZCi-ù.z'. . 

Lugduni,  pridie  calend.  decembr.  1532. 

Tuus  quatenus  suus, 

Fr.  RABEL^SUS,  medicus. 


EPISTOLA  NU^XUPATORIA 

EPISr.    MEDICIN.    MANARDI 

F.  RAB.  MEDICUS  ANDREO  TIRAQUELLO 

JUDICI    -EOUISSIMO    APUD    PICTONES 
S.  P.  D. 


Qui  fit,  Tiraquelle  doctissime,  ut  in  tiac  tanta  seculi  nostri  luce,  quo 
disciplinas  omneis  meliores  singulari  quodam  deorum  munere  post- 
liminio  receptas  %àdemus,  passim  inveniantur,  quibus  sic  affectis  esse 
contigit,  ut  e  densa  illa  gothici  temporis  caligine  plus  quara  Cimmeria 
ad  conspicuam  solis  facem  oculos  attollere  aut  nolint,  aut  nequeant? 
An  quod  (ut  est  in  Euthydemo  Platonis)  èv  -av-i  £T::~r,Ô£j;jLa-:;  oi  a:v 
çaûÀo'.  -o'/Xol.  ■/.%'.  ojo;voç  aç;o;.  oi  0=  a~o-joa;o'.  ô'/J.-yo:,  zaî  tovî  —avrô; 
àÇiO'..  An  vero  quod  ea  vis  est  tenebrarum  hujuscemodi,  ut  quorum 
oculis  semel  insederint,  eos  suffusione  immedicabiU  perpetuo  sic  hallu- 
cinari  necesse  sit,  et  cœcutire;  nullis  ut  postea  colly-riis,  aut  conspiciliis 
juvari  possint  :  quemadmodum  ab  Aristotele  in  Categoriis  scriptum  legi- 
mus,  à~o  tjiiv  T/,;  sçJ''>ç  i~'.  tt^v  aTÉsriCJLV  yivîTa;  aiTaÇoÀr,,  arrô  0=  tï;; 
(jTaoTJScw;  ï~<.  TTjV  k'Çtv  aoJvaTov.  Mihi  sane  rem  totam  arbitranti,  atque  ad 
Critolai  (quod  aiunt)  libram  expendenti,  non  aliunde  ortum  habere  istha^c 
errorum  Odyssea,  quam  ab  infami  illa  philautia  tantopere  a  philosophis 
damnata  videtur,  quae  simul  ac  homines  rerum  expectendarum  aversan- 
darumque  maie  consultes  perculit,  eorum  sensus  et  animos  pra?stringere 
solet  et  fascinaie,  quominus  videntes  videant,  inteUigentesque  intelli- 
gant.  Nam  quos  plebs  indocta  aUquo  in  numéro  habuit  hoc  nomine, 
quod  exoticam  aUquam  et  insignem  rerum  peritiam  prœ  se  ferrent,  eis  si 
personam  hanc  y.ai  Àîov:-?//  detraxeris,  perfecerisque,  ut  cujus  artis 
praetextu,  luculenta  eis  rerum  accessio  facta  est,  eam  vulgus  meras  pra?s- 
tigias,  ineptissimasque  ineptias  esse  agnoscat,  quid  aUud  quam  cornicum 
oculos  confixisse  videberis?  ut  qui  pridem  in  orchestra  sedebant,  vix  in 
subselliis  locura  inveniant,  donec  eo  ventum  sit  ut  moveant  non  risum 
tantum  populo  ac  pueris,  qui  nunc  passim  nasum  rhinocerotis  habent,  sed 


LETTRES    DE    RABELAIS  397 

stomachum  et  bilem,  indigne  ferentibus,  quod  sibi  tandiu  eorum  dolis  et 
versutia  impositum  sit.  Proinde  quemadmodum  naufragio  pereuntibus 
usu  venire  didicimus,  ut  quam  sive  trabem,  sive  vestem,  sive  stipulam 
semel  discissa  pessumque  eunte  nave  arripuerint,  eam  consertis  manibus 
retineant,  natandi  intérim  immemores  ac  securi,  modo  ne  quod  in  mani- 
bus est,  excidat,  donec  vasto  gurgite  funditus  hauriantur  :  ad  eum  pêne 
modum,  amores  isti  nostri  quibus  libris  a  pueris  insueverunt,  etiam  si 
confractam  videant  et  undequaque  hiantem  pseudologi.aî  scapham,  eos  sic 
qua  vi  quaque  injuria  retentant,  ut  si  extundantur,  animam  quoque  sibi 
e  sedibus  extundi  putent.  Sic  vestra  ista  juris  peritia  cum  eo  evaserit,  ut 
ad  ejus  instaurationem  nihil  jam  desideretur,  sunt  tamen  etiam  dum 
quibus  exoleta  illa  barbarorum  glossemata  excutiere  manibus  non  pos- 
sunt.  In  hac  autem  medicinœ  officina,  quœ  in  dies  magis  ac  magis  expo- 
litur,  quotusquisque  ad  frugem  meliorem  se  conferre  enititur?  Bene  es 
tamen,  quod  omnibus  prope  ordinibus  subolevit  quosdam  esse  inter 
medicos  et  censeri,  quos  si  penitus  introspicias,  inanes  quidem  ipsos  doc- 
trinal, fidei  et  consilii;  fastus  vero,  invidentiœ  ac  sordium  plenos  depre- 
hendes.  Qui  expérimenta  per  mortes  agunt  (ut  es  Plinii  querela  vêtus)  a 
quibusque  plus  aliquanto  periculi  quam  a  morbis  ipsis  imminet.  Ma- 
gnique  nunc  ii  demum  apud  optimates  fiunt,  quos  priscœ  illius  ac  defe- 
catœ  medicinœ  opinio  commendat.  Ea  enim  persuasio  si  latius  invalescat, 
res  nimirum  ad  manticam  reditura  est  propre  diem  circulatoribus  istis 
et  planis,  qui  pauperiem  longe  lateque  in  humanis  corporibus  facere  ins- 
titerant. 

Porro,  inter  eos  qui  nostra  tempestate,  ad  restituendam  nitore  suo  pris- 
cam  germanamque  medicinam,  animi  contentione  adpulerunt,  solebas  tu, 
dum  istic  agerem,  plausibiliter  mihi  laudare  Manardum  illum  ferrarien- 
sem,  medicum  solertissimuna  doctissimumque;  ejusque  epistolas  priores 
ita  probabas,  ac  si  essent  Pœone  aut  /Esculapio  ipso  dictante  excepta\ 
Feci  itaque  pro  summa  mea  in  te  observantia  ut  ejusdem  posteriores 
epistolas,  cum  nuper  ex  ItaUa  recepissem,  eas  tui  nominis  auspiciis  excu- 
dendas  invulgandasque  darem.  Memini  enim  et  scio  quam  tibi  ars  ipsa 
medica,  cui  felicius  promovendae  incumbimus,  debeat,  qui  tam  operose 
laudes  ipsius  celebraris  in  praeclaris  iUis  tuis  in  Pictonum  leges  munici- 
cipales  C-Gij.vriaaT;.  Quorum  desiderio,  ne  diutius  studiosorum  animos 
torqueas  te  etiam  atque  etiam  rogo.  Vale  :  saluta  mihi  clarissimum  virura 
d.  antistitem  Malleacensem,  Mœcenatem  meum  benignissimum,  si  forte 
Stic  sit. 

Lugduni,  m  nonas  junii  1532. 


398  LETTRES    DR    RABELAIS 


EPISTOLA  NUNCUPATORIA 

APHORISMORUM    HIPPOCRATIS 

Lyon,  Sebast.  Gryph.,  1543,  in-iS. 

CLARISSIMO  DOCTISSIMOQUE  VIRO  D.  GOTEFREDO 
AB  ESTISSACO 

MALLEACENSI    EPISCOP. 

FRANC.    RAB.    MEDICUS 

S.    P.    D. 


Quum  anno  superiore  Monspessuli  aphorismos  Hippocratis,  et  deinceps 
Galeni  artem  medicam  fréquent!  auditorio  publiée  enarrarem,  antistes 
clarissime,  annotaveram  loca  aliquot  in  quibus  interprètes  mihi  non 
admodum  satisfaciebant.  Collatis  enira  eorum  traductionibus  cum  exem- 
plari  gracanico,  quod,  prêter  éa  quœ  vulgo  circumferuntur,  habebam 
vetustissimum,  literisque  lonicis  elegantissime,  castigatissimeque  exa- 
ratum,  comperi  illos  quam  plurima  omisisse,  quœdam  exotica  et  notha 
adjecisse,  qua;dam  minus  expressisse,  non  pauca  invertisse  verius  quam 
vertisse.  Id  quod  si  usquara  alibi  vitio  verti  solet,  est  etiam  in  medicorum 
libris  piaculare.  In  quibus  vocula  unica,  vel  addita,  vel  expuncta,  quin 
et  apiculus  in  versus,  aut  prœpostere  adscriptus,  multa  hominura  millia 
haud  raro  neci  dédit.  Xeque  vero  ha;c  a  me  eo  dici  putes,  velim,  ut  viros 
bene  de  literis  meritos  suggiUem,  vjz,f^>xi':  f^p-  Nam  eorum  laboribus  et 
plurimum  deberi  arbitror,  et  me  non  leviter  profecisse  agnosco.  Sed  sicubi 
ab  eis  erratum  est,  culpam  totam  in  codices  quos  sequebantur,  eisdem 
nœvis  inustos  rejiciendam  censeo.  Annotatiunculas  itaque  illas  Sebastia- 
nus  Gryphius  chalcographus  ad  unguem  consummatus  et  perpolitus, 
cum  nuper  inter  schedas  meas  vidisset,  jamdiuque  in  animo  habereî 
priscorum  medicorum  libres  ea  quss  in  cœteris  utitur  diligentia,  cui  vix 
aequiparabilem  reperias,  typis  excudere,  contendit  a  me  multis  verbis  ut 
eas  sinerem  in  communem  studiosorum  utilitatem  exire.  Nec  difficile 
fuit  impetrare  quod  ipse  alioqui  ultro  daturus  eram.  S;  demum  labo- 
riosum  fuit,  quod  quae  privatim  nuUo  unquam  edendi  consilio  mihi  ex- 
cerpseram,  ea  sic  describi  flagitabat  ut  libro  adscribi,  eoque  in  enchiridii 
formam  redacto  possint.  Minus  enim  laboris  nec  plusculum  fortasse 
negotii  fuisset,  omnia  ab  integro  latine  reddere.  Sic  quia  libro  ipso  erant 
quœ  annotaveram  altero  tanto  prolixiora,  ne  Uber  ipse  deformiter 
excresceret,  visum  est  loca  duntaxat,  veluti  per  transermam,  indicare,  in 
quibus  Grœci  codices  adeundi  jure  essent.  Hic  non  dicam  qua  ratione 
adductus  sim,  id  quicquid  est  laboris,  tibi  ut  dicarem.  Tibi  enim  jure 


LETTRES    DE     RABELAIS  399 

debctur  quicquid  efficere  opéra  mea  potest  :  qui  me  sic  tua  benignitate 
usque  fovisti  ut  quocumquc  oculos  circuniferain  oùoÈv  fj  ouoavo;  rfiz 
ÛâXa7Ta  munificenti»  tuœ  seusibus  mois  obversetur.  Qui  sic  pontificia? 
dignitatis  ad  quani  omnibus senatus  populique  Pictonici  suffragiis  assump- 
tus  es,  munia  orbis,  ut  in  te,  tanquani  in  celebri  illo  Polycleti  canone, 
nostrates  episcopi  absolutissimum  probitatis,  modestiœ,  humanitatls 
exemplar,  veramque  illam  virtutis  ideam  habeant,  in  quam  contuentes, 
aut  ad  propositum  sibi  spéculum  se,  moresque  suos  componant,  aut 
(quod  ait  Persius)  virtutem,  videant,  intabescantque  relicta.  Boni  itaquc 
omnia  consule,  et  me  (quod  facis)  ama.  "'Eôvo^o.    avTjO    îjOoy.:<j.(j')~.'x~;, 

Lugdnni  idibiis  julii  1532. 


EPISTOLA  NUXCUPATORÏA 

EX  RELIQUIIS  VENERAND^  ANTIQUITATIS  :  LUCII  CUSPIDII  TESTAMENTUM 
ITEM  CONTRACTUS  VENDITIONIS  ANTIQUIS  ROMANORUM  TEMPORIBUS 
INITUS 

Lugduni,  apud  Grypkium,  1532 

FRANCISCUS    RABEL-^SUS 

D.    ALMERICO    BUCHARDO 

CONSILIARIO    REGIO    LIBELLORUMQUE    IN    REGIA    MAGISTRO 


Habes  a  nobis  munus,  Almarice  clarissime,  exiguum  sane,  si  molem 
spectes,  quodque  manum  vix  impleat  :  sed  (mea  quidem  sententia)  noa 
indi'^num  in  quo  tum  tui,  tura  doctissimi  cujusque  tui  similis  oculi  sese 
sistant.  Idque  est  Lucii  illius  Cuspidii  Testamentum  ex  incendio,  naufra- 
gio  ac  ruina  vetustatis,  fato  quodam  meliore  servatum,  quod  hinc  disce- 
dens  ejuscemodi  esse  censebas  propter  quod  vadimonium  deseri  vel  ad 
Dassiani  Judicis  tribunal  posset.  Neque  vero  tibi  id  uni  privatim  manu 
describendum  putavi  (qui  tan-^en  hoc  ipsum  optare  potius  videbare), 
sed  prima  quaquc  occasione  excudendum  in  exemplaria  bis  mille  dedi... 
ne  diutius  nesciant  qua  prisci  illi  Romani,  dum  disciplinœ  meliores  flore- 
rent,  in  condendis  testamentis  formula  usi  sint...  Exspecto  in  dies  novum 
libellum  tuum  de  Architcdnra  Orbis,  quem  patet  ex  sanctioribus  philoso- 
phise  scriniis  depromptum  esse... 

Lugduni,  pridie  nonas  septembr.  1532. 


^OO  LETTRES    DE    RABELAIS 


EPISTOLÂ  NUNCUPATORIA 
topographi.î;  antique  rom-e 
JOANXE    BARTHOLOM^O  MARLIANO    AUCTORE 
Lugd.,  apud  Seb.  Gryphium,  1534 

FRANC.    R  A  B  E  L  -ï  S  U  S,    M  E  D  I  C  U  S 

CLARISS.    DOCTISSIMOOUE    VaRO    D.    JOANNI    BELLAIO 

PARISIENSI     EPISCOPO,     REGISQ.     IN     SANCTIORl     CONSESSU     CONSILIARIO 

S.  P.  D. 


Ingens  ille  beneficionim  cumulus  quibus  me  nuper  augendum  oman- 
dumque  putasti,  antistes  clarissirae,  ita  in  meinoria  mea  penitus  insedit, 
nullo  ut  evelli  modo,  aut  in  oblivionem  diuturnitatis  adduci  posse  confi- 
dam.  Atque  utinam  mihi  tam  esset  immortalitati  laudum  tuarum  satis- 
facere  expeditum,  quam  certum  est  meritam  tibi  gratiam  usque  persol- 
vere,  teque  si  non  paribus  officiis  (qui  enim  possem?),  at  justis  tamen 
honoribus  et  memori  mente  remunerare.  Nam  quod  maxime  mihi  fuit 
optatum  jam  inde  ex  quo  in  literis  politioribus  aliquem  sensum  habui, 
ut  Italiam  peragrare,  Romamque  orbis  caput  invisere  possem,  id  tu  miri- 
fica  quadam  benignitate  prastitisti,  perfecistique  ut  Italiam  non  inNàse- 
rem  solum  (quod  ipsum  per  se  plausibile  erat),  sed  etiam  tecum  invise- 
rem,  homine  omnium  quos  cœlum  tegit  doctissimo,  humanissimoque 
(quod  nondum  constitui  quanti  sit  asstimandum).  .Mihi  sane  pluris  fuit 
Romœ  te  quam  Romam  ipsam  vidisse.  Roma?  fuisse,  sortis  cujusdam  est 
in  medio  omnibus  tantum  non  mancis  et  membris  omnibus  captis  positœ  : 
vidisse  vero  Romae  te  incredibili  hominum  gratulatione  florentem, 
voluptatis  :  rébus  gerendis  interfuisse,  quo  tempore  nobilem  iUam  lega- 
tionem  obires,  cujus  ergo  Romam  ab  invictissimo  rege  nostro  Francisco 
missus  eras,  gloriaj  :  assiduum  tibi  fuisse  cum  sermonem  -ly.  twv  zaTà 
^àp  TTJç  Britanniae  Ba7'.À;a  in  illo  orbis  terrse  sanctissimo  gratissimoque 
consilio  inferres,  felicitatis  fuit.  Quœ  nos  tum  jucunditas  perfudit,  quo 
gaudio  elati,  qua  sumus  atfecti  laetitia,  cum  te  dicentem  spectaremus,  stu- 
pente  summo  ipso  pontifice  Clémente,  mirantibus  purpuratis  illis  amplis- 
simi  ordinis  judicibus,  cunctis  plaudentibus?  quos  tu  aculeos  in  eorura 
animis  a  quibus  es  ipse  auditus  cum  delectatione  reliquisti?  quanta  in 
sententiis  argutia,  in  disserendo  subtilitas,  majestas  in  respondendo, 
acrimonia  in  confutando,  libertas  in  dicendo  enitebat?  Dictio  vero  illa  tua 
erat  pura  sic  ut  latine  loqui  pêne  solus  in  Latio  viderere  :  sic  autem  gravis 
ut  in  singulari  dignitate  omnis  tamen  adesset  humanitas  ac  lepos.  Ani- 


LETTRES    DE    RABELAIS  40Î 

madverti  equidem  scppenumero  vlrorum  illic  quicquid  erat  naris  emunc- 
tioris  vocare  te  Galliarum  florem  delibatum  (quemadmodum  est  apud 
Eniiium)  pra^licareque  unum  post  hominum  memoriam  antistitem  pari- 
siensem  vere  -accT,a!a'C£'-v.  et  vero  etiam  cum  Francisco  rege  agi  per- 
belle,  qui  Bellaios  haberet  in  consilio,  quibus  aut  temere  Gallia  uUos  aut 
gloria  clariores,  aut  autoritate  graviores,  aut  humanitate  politiores  tulit. 
Ante  autem  multo  quam  Roma^  essemus,  ideam  mihi  quandam  mente  et 
cogitatione  firmaverara  earuin  rerum  quarum  me  desiderium  eo  pertraxe- 
rat.  Statueram  enim  primum  quidem  viros  doctos,  qui  iis  in  locis  jacta- 
tionem  haberent,  per  quaî  nobis  via  esset,  convenire,  conferreque  cum 
eis  familiariter,  et  audire  de  ambiguis  aliquot  problematibus,  quœ  me 
anxium  jamdiu  habebant.  Deinde  (quod  artis  erat  mea?)  plantas,  ani- 
mantia,  et  pharmaca  nonnulla  contueri,  quibus  Gallia  carere,  illi  abun- 
dare  dicebantur.  Postremo,  sic  urbis  faciem  calamo  perinde  ac  penicillo 
depingere  ut  ne  quid  esset  quod  non  peregre  reversus  municipibus  meis 
de  libris  in  promptu  depromere  possem.  Eaque  de  re  farraginem  annota- 
tionum  ex  variis  utriusque  linguœ  autoribus  collectam  mecum  ipse  detu- 
leram.  Ac  primum  quidem  illud  etsi  non  usquequaque  pro  voto,  haud 
maie  tamen  successit.  Plantas  autem  nullas,  sed  nec  animantia  ulla  habet 
Italia  quœ  non  ante  nobis  et  visa  essent  et  nota.  Unicam  platanum  vidi- 
mus  ad  spéculum  Dianœ  Aricinœ.  Quod  erat  postremum  id  sic  perfici 
diligenter,  ut  nulli  notam  magis  domum  esse  suam  quam  Romam  mihi 
Romœque  viculos  omneis  putem.  Neque  non  tu  quod  temporis  vacuum 
erat  in  celebri  illa  tua  et  negotiosa  legatione,  id  lubens  coUustrandis  urbis 
monumentis  dabas,  nec  tibi  fuit  satis  exposita  vidisse,  eruenda  etiam 
curasti,  coempto  in  eam  rem  vineto  non  contemnendo.  Cum  itaque  ma- 
nendum  nobis  illic  esset  diutius  quam  sperabas,  et  ut  mihi  studiorum 
meorum  fructus  aliquis  constaret  ad  urbis  topographiam  aggrederer  as- 
citis  mecum  Nicolao  Regio,  Claudioque  Cappuisio,  domesticis  tuis  juve- 
nibus  honestissimis,  antiquitatisque  studiosissimis,  ecce  tibi  excudi  cœp- 
tus  est  Marliani  liber.  Cujus  mihi  quidem  levationi  confectio  fuit,  ut  esse 
solet  Juno  Lucina  cum  aegre  parientibus  adest.  Eumdem  enim  fœtum 
conceperam,  sed  de  edicione  angebar  equidem  animo  atque  intimis  sen- 
sibus.  Et  si  enim  argumentum  ipsum  excogitationem  non  habebat  diffi- 
cilem,  non  facile  tamen  videbatur  rudem  et  congesticiam  molem  enuclca- 
te,  apte  et  concinne  digerere.  Ego  ex  Thaletis  Milesii  invento,  sublato 
Sciothero  urbem  vicatim  ducta  ab  orientis  obeuntisque  solis,  tum  Austri 
atque  Aquilonis  partibus  orbita  transversa  partiebar,  ocuUsque  designa- 
bam.  Ille  a  montibus  graphicen  maluit  auspicari.  Hancce  tanieii  scribendi 
rationem  tantum  abest  ut  reprehendam,  ut  valde  ego  ipsi  gratuler,  quod 
id  ipsum  cum  agere  conarer,  anteverterit.  Plura  enim  unus  pra:stitit 
quam  expectare  quis  ab  omnibus  sœculi  hujusce  nostri  quamlibet  eru- 
ditis  potuisset.  Ita  thesim  absolvit,  ita  rem  ex  animi  mei  sententia  trac- 
tavit,  ut  quantum  ipsi  studiosi  omnes  disciplinarum  honestiorum 
debeant,  quominus  tantumdem  ego  unus  debeam,  non  recusem.  Molestum 
id  demum  fuit  quod  clara  principis  patriœque  voce  revocatus  urbc  ante 
cessisti  quam  ad  umbilicum  liber  esset  perductus.  Curavi  tamen  sedulo  ut 

T.  II.  26 


402  LETTRKS    DE    RABELAIS 

siuiul  atque  in  vulgus  editus  esset,  Lugdunum  (ubi  sedes  est  studioruin 
raeorura)  mitteretur.  Id  factum  est  opéra  et  diligeutia  Joaunis  Sevini, 
hominis  vere  polytropou,  sed  ncscio  quomodo  missus  sine  epistola  nun- 
cupatoria.  Ne  igitur  in  lucem  sic  ut  erat  deformis  et  veluti  acephalos 
prodiret,  visum  est  sub  clarissiini  nominis  tui  auspiciis  emittere.  Tu,  pro 
singulari  tua  huinanitate  boni  omnia  consules,  nosque  (quod  facis)  ama- 
bis.  Vale. 

Lugdiini,  pridie  calend.  septemb.  155,4. 


DE  GARO  SALSAMENTO 


EPIGRAMMA 


Quod  medici  quondam  tanti  fecere  priores, 

Ignotum  nostris  en  tibi  mitto  Garum. 
Vini  addes  acidi  quantum  vis,  quantum  olei  v^s. 

Smit  quibus  est  oleo  plus  sapidura  butynim. 
Dejectam  assiduis  libris  dum  incumbis,  orexim 

Nulla  tibi  melius  pharmaca  restituent. 
XuUa  et  aqualiculi  mage  détergent  pituitam. 

Nulla  alvum  poterunt  solvere  commodius. 
IMirere  id  potius  quantum  vis  dulcia  sumpto 

Salsamento,  Garo,  nulla  placera  tibi. 


PIÈCES    ATTRIBUÉES   A   RABELAIS 


EPISTRE  DU  LY-AIOSIN  DE  PANTAGRUEL 

GRAND  EXCORIA.TEUK  DE   LA   LANGUE  LATIALE 

ENVOYÉE  A  UN  SIEN  AMICISSIME 

RESIDENT    EN    L'INCLYTE    ET    FAMOSISSIME    URBE    DE    LUGDUNE 


Aucuns,  venans  de  tes  lares  patries, 
Nos  aures  ont  de  tes  noves  remplies, 
En  recitant  les  placites  extresmes 
Dont  à  présent  fruis  et  pisques  à  mesmes 
Stant  à  Lugduue  es  gazes  palladines, 
Où  on  convys  Nymphes  plus  que  divines 
A  ton  optât  s'ofîerent  et  ostendent  : 
Les  unes,  pour  tes  divices,  prétendent 
T'accipier  pour  conjuge;  autres  sont 
Lucrées  par  toy,  aussi  tost  qu'elles  ont 
Gusté  tes  dicts  d'excelse  aménité 
Tant  bien  fulcis,  qu'une  virginité 
Rendroyent  infirme,  et  preste  à  corruer 
Lorsque  tu  veulx  tes  grands  ictes  ruer. 

Par  ainsi  donc,  si  ton  esprit  cupie, 
A  tous  momens  de  dapes  il  cambie. 
Puis,  si  de  l'iurbe  il  se  sent  saturé, 
Ou  du  coït  demy  desnaturc. 
Aux  agrès  migre  et  opines  possesses 
Que  tes  genitz  t'ont  laissé  pour  successes. 
Pour  un  pauxille  (en  ce  lieu)  resveiller 
Tes  membres  las,  et  les  refociller. 

Là  tout  plaisir  te  fait  oblation, 
Et  d'un  chascun  prends  oblectation. 

Là  du  gracule  et  plaisant  Philomene 
Te  rejouit  la  douce  cantilene. 


404  PIÈCES    ATTRIBUÉES    A    RABELAIS 

Là  ton  esprit  tout  mal  desangonie, 
S'exhilarant  de  telle  symphonie. 

Là  les  Satyrs,  Faunes,  Pan,  et  Seraines, 
Dieux,  demy  Dieux  courent  à  grands  haleines. 
Nymphes  des  bois,  Dryades  et  Nayades, 
Prestes  à  faire  en  fueillade  giiambades, 

Y  vont  en  grande  accélération. 
Pour  visiter  ceste  aggregation. 

Et  quand  la  turbe  est  toute  accumulée, 
Jucundité  se  fait,  non  simulée, 
Avec  festins,  où  dape  ambrosienne 
Ne  manque  point  :  Liqueur  nectarienne 

Y  régurgite  aux  grands  et  aux  petits, 
Comme  on  festin  de  Peleus  et  Thetis. 
Et,  toust  après  les  menses  sublevées, 
Les  ims  s'en  vont  incumber  aux  chorées  : 
L'un  s'exercite  à  vener  la  Ferine, 

Et  l'autre  fait  venation  Connine. 
Dirons  nous  plus?  Ludes  et  transitemps 
En  l'omiiiforme  inveniez  es  champs, 
Pour  évincer  la  tristesse  despite. 

O  deux,  trois  fois,  tresfelice  la  vite. 
Pour  le  respect  de  nous,  qui,  l'omnidie, 
Sommes  sequens  l'ambulante  curie. 
Sans  ster,  n'avoir  un  seul  jour  de  quiète 
Infaustissime  est  cil  qui  s'y  souhaite. 

Depuis  le  temps  que  nous  as  absentez 
Ne  sommes  point  des  Eques  desmontez, 
Ne  le  Cothurne  est  mové  des  tibies. 
Pour  conculquer  les  Burgades  patries. 
Où  l'itinere  aspere  et  montueux. 
En  aucims  lieux  aqueux    et  lutueux, 
Souvent  nous  a  fatiguez  et  lassez 
Sans  les  urens  receptz  qu'avons  passez. 
Je  ne  veulx  point  tant  du  \erbes  effundre, 
Et  de  nos  maux  ton  auricule  obtundre, 
Enumerant  les  confîitz  martiaulx, 
Obsidions,  et  les  cruelz  assaulx 
Qu'en  Burgundie  avons  faits  et  gérez. 

J'obmetz  aussi  les  travaulx  tolérez 
Dans  les  maretz  du  monstier  envieux. 
Que  nous  faisoit  l'aquilon  pluvieux 
Où,  par  long  temps,  sans  castre  ne  tentoire. 
Avons  esté,  desperans  la  \-ictoire  : 
Finablement,  pour  la  brume  rigente, 
Chascun  du  lieu  se  départ  et  absente. 

Aussi,  voyant  la  majesté  regale. 


EPISTRE    DU    LYMOSIN    DE  PANTAGRUEL  405 

Q'appropinquoit  la  frigore  hybernale, 
Et  que  n'estoit  le  Dieu  Mars  de  saison, 
S'est  retirée  en  sa  noble  maison, 
Et  est  venue  on  palays  délectable 
Fontainebleau,  qui  n'a  point  son  semblable, 
Et  ne  se  voit  qu'en  admiration 
De  tous  humains.  Le  superbe  Ilion, 
Dont  la  mémoire  est  tousjours  demourée. 
Ne  du  cruel  Néron  la  case  aurée. 
Ne  de  Diane  en  Ephese  le  temple. 
Ne  furent  oncq'pour  approcher  d'exemple 
De  cestuy  cy.  Bien  est  vray  qu'autresfois, 
L'as  assez  veu  :  Si  est  ce  toutesfois 
Que  l'œil  qui  l'a  absenté  d'un  seul  jour 
Tout  esgaré  se  trouve  à  son  retour, 
Pensant  à  veoir  un  nouvel  édifice. 
Dont  la  matière  est  plus  que  l'artifice. 

Or  (pour  redir  au  premier  proposite) 
Il  n'est  décent  que  tu  te  disposite. 
Tant  que  l'hiberné  aura  son  curse  intègre. 
De  relinquer  l'opime  pour  le  maigre. 

Puisque  bien  staz  (grâce  au  souverain  Jove). 
Nous  t'exhortons  que  de  là  ne  te  move. 
Si  tu  ne  veulx  veoir  tes  aures  vitales 
Bien  tost  voUer  aux  Sorores  fatales  : 
Car  cest  air  est  inimice  mortel 
D'un  jouvenceau  deUcat  et  tenel  : 
Mesme  en  ce  temps  glacial,  qui  transfère 
La  couleur  blonde  en  nigre  et  mortifère, 

Estans  incluz  es  laques  et  nemores  : 
A  peine  avons,  pour  pedes  et  femores 
CaUifier,  un  pauvre  fascicule. 

Conclusion,  tout  aise  nous  recule; 
Et  si  n'estoit  quelque  proximité 
Que  nous  avons  en  la  grande  cité. 
Où  nous  pouvons  aller  aUques  vices, 
Pour  incumber  aux  jucunds  sacrifices 
De  Genius,  le  grand  Dieu  de  nature, 
Et  de  Venus  (qui  est  sa  nourritrue). 
De  rester  vifz  nous  seroit  impossible 
Une  hebdomade  :  ou  bien  sain  et  habile 
Seroit  celuy  qui  pourroit  eschapper 
Que  febvre  à  coup  ne  le  vinst  attrapper. 
Voy  par  cela  quelle  est  la  différence 
Du  tien  séjour,  en  mondaine  plaisance. 
Et  de  la  vie  amere  et  cruciée 
Que  nous  menons,  tousjours  associée 


40Ci  PIÈCES    ATTRIBUÉES    A    RABELAIS 

D'ennuy,  de  soing,  d'accident  et  naufrage 
Et  si  tu  es  (comme  cogitons)  sage, 
Ja  ne  viendras  qu'à  ceste  prime  vere  : 
Si  ce  n'estoit  qu'ambition  severe 
Devant  tes  yeulx  se  voulsit  présenter 
Pour  tes  esprits  aucunement  tenter 
De  grands  crédits,  faveiu-,  et  honorences, 
Dons  gratuits,  et  grands  munificences, 
Que  tu  reçois  en  l'office  auquel  funge. 
Estant  icy  :  mais  quoy?  ce  n'est  qu'un  songe 
Car  nous  n'avons  que  la  vite  et  la  veste  : 
Et  qui  pour  biens  se  jugiile  est  vray  beste. 

A  tant  mettrons  cake  à  ceste  epistole, 
Qui  de  transir  indague  en  ton  escole, 
Où  la  lime  est  pour  les  locutions, 
Et  éloquents  verbocinations, 
Escorticans  la  lingue  latiale. 

Si  obsecrons  que  ta  calame  vale 
Attramenter  charte  pap},Tracee, 
Pour  correspondre  en  forme  rh^-thmassee. 
En  quoy  faisant  compilras  le  désir 
De  ceubc  qui  sont  prestz  te  faire  plaisir. 

Ainsi  signé  : 
Desbride  Gousier. 


DIZAIN 


Pour  indaguer  en  vocable  anthenticque 
La  pirrité  de  la  lingue  Gallicque, 
Jadis  immerse  ne  calligine  obscure. 
Et  profiiger  la  barbarie  antique, 
La  renouant  en  sa  candeur  Attique, 
Chascun  y  prend  solicitude  et  cure. 
Mais  tel  si  fort  les  intestines  cure, 
Voulant  saper  plus  que  l'anime  vale. 
Qu'il  se  contrainct  transgredir  la  tonture, 
Et  degluber  la  lingue  latiale. 


LA    CHRESME    PHILOSOPHALE  407 


LA  CHRESME  PHILOSOPHALE 
DES   QUESTIONS   ENCICLOPEDIQUES   DE    PANTAGRUEL 

lesquelles  seront  disputées  sorbonicolificabilitudinissement 
ES    ESCOLES  DE   DECRET 
PRÉS   SAINT   DENYS   DE   LA   CHATRE,   A   PARIS 


Utrùnt,  une  idée  Platonicque  voltigeant  dextrement  sous  l'orifice  du 
chaos,  pourrait  chasser  les  esquadrons  des  atomes  Democrictiques. 

Uiruni,  les  ratepenades,  voyans  par  la  translucidité  de  la  porte  corneé, 
pourroient  espionniticquement  descouvrir  les  visions  morphicques,  devi- 
dans  gyronicquement  le  fil  du  crespe  merveilleux  enveloppant  les  atilles 
des  cerveaux  mal  calfretez. 

Utrùm,  les  atomes,  tournoyans  on  son  de  l'harmonie  Hermagoricque, 
pourroj'ent  faire  une  compaction,  ou  bien  une  dissolution  d'une  quinte 
essence,  par  la  substraction  des  numbres  Pythagoricques. 

Vtrîun,  la  froidure  hybernalle  des  Antipodes,  passant  en  ligne  ortho- 
gonalle  par  l'omogenée  solidité  du  centre,  pourroit,  par  une  douce  anti- 
peristasie,  eschauffer  la  superficielle  connexité  de  nos  talons. 

Ulrùm,  les  pendans  de  la  zone  torride  pourroyent  tellement  s'abbreu- 
ver  des  cataractes  du  Nil,  que  ilz  vinssent  à  humecter  les  plus  caus- 
ticques  parties  du  ciel  empyrée. 

Ulrùm,  tant  seulement  par  le  long  poil  donné,  l'Ourse  métamorphosée, 
ayant  le  darrière  tondu  à  la  bougresque  pour  faire  une  barbutte  à  Triton, 
pourroit  estre  gardienne  du  pôle  Articque. 

Utrùm,  ime  sentence  élémentaire  pourroit  alléguer  prescription  decen- 
nalle  contre  les  animaulx  amphibies,  et  c  contra  l'autre  respectivement 
fermier  complaincte  en  cas  de  saisine  et  nouvelleté. 

Utrùm,  une  grammaire  historique  et  meteoricque,  contendentes  de  leur 
antériorité  et  postériorité  par  la  triade  des  articles,  pourroyent  trouver 
quelque  ligne  ou  charactere  de  leurs  chronicques  sus  la  palme  Zenonicque. 

Utrùm,  les  genres  généralissimes,  par  violente  élévation  dessus  leurs 
predicamens,  pourroyent  grimper  jusques  aux  estages  des  transcendentes, 


408  PIÈCES    ATTRIBUÉES    A    RABELAIS 

et  par  conséquent  laisser  en  friche  les  espèces  spéciales  et  predicables,  on 
grand  dommaige  et  interest  des  pauvres  maistres  es  ars. 

Utrùtn,  l'omniforme  Protée,  se  faisant  cigale,  et  musicalement  exer- 
ceant  sa  voix  es  jours  caniculaires,  pourroit,  d'une  rosée  matutine  soin- 
gneusement  emballée  on  mois  de  May,  faire  une  tierce  concoction,  davant 
le  court  entier  d'une  escharpe  Zodiacale. 

Utrùtn,  le  noir  Scorpion  pourroit  souffrir  solution  de  continuité  en  sa 
substance,  et,  par  l'effusion  de  son  sang,  obscurcir  et  embrunir  la  voye 
lactée,  on  grand  interest  et  dommaige  des  lifrelofres  jacobipetes. 


FRAGMENT 
EXTRAIT  DU  MANUSCRIT  DU  CINQUIEME  LIVRE 

S'evsuyt  ce  qui  estait  en  marge,  et  non  comprins  on  présent  livre  : 

SeRVATO  in  4.  LIER.   PaNORGUM  AD  NUPTIAS. 

Les  quatre  quartiers  du  mouton  qui  porta  Helle  et  Frixus  au  destroit 
de  Propontide. 

Les  deux  chevreaulx  de  la  célèbre  chèvre  Amaltée,  nourrisse  de  Jupiter. 

Le  fans  de  la  cerfve  bische  Egerye,  consellere  de  Nmna  Pompiliius. 

Six  oysons  couvez  par  la  digne  oye  Ilmaticque,  laquelle  par  son  champt 
saulva  la  rocque  Tarpée  de  Rome. 

Les  cochons  de  la  truye... 

Le  veau  de  la  vache  Ino,  mal  jadis  gardée  par  Argus. 

Le  poulmon  du  regnard  et  du  chien  que  Neptune  et  Vulcan  avoient 
fées,  [comme  le  dit]  Julius  Pollux  in  Canibus. 

Le  cigne  auquel  se  convertit  Jupiter  pour  l'amour  de  Leda. 

Le  beuf  Apis,  de  Menphes  en  Egipte,  qui  reffusa  sa  pitance  de  la  main 
de  Germanicus  César,  et  six  beufz  desrobez  par  Cacus,  recouvertz  par 
Hercules. 

Les  deux  chevreaulx  que  Coridon  reservoit  pour  Alexis. 

Le  sanglier  Herimentien,  Olimpicque,  Calidonien. 

Les  cramasteres  du  toreau  tant  aymé  de  Pasiphe. 

Le  cerf  auquel  fut  transformé  Acthéon 

Le  foye  de  l'ourse  Cahxto. 

FIN  DES  ŒUVRES  DE  BABELAIS 


GLOSSAIRE  ET  NOTES 


A,  avec  :  «  Donnez  dessus  à  vostre  mast,  » 
avec  votre  màt.  «  A  mon  lourdoys,  » 
avec  ma  lourderie,  naïvement.  «  A 
bonne  chère,  »  avec  bonne  chère. 

A,  en.  A  CACHETES,  en  cachette. 

A  CE  QL-E,  afin  que. 

A  Dieu  se.^s,  salut  à,  en  patois  limousin  : 
«  A  Dieu  seas,  Rome  !  »  Salut  à  Rome  ! 

A  l'arme,  alarme. 

A  l'herte,  vigilant,  en  alerte. 

A  MONT,  ASiONT,  en  haut. 

A  TANT,  AT.\NT,  alorS. 

A  TOUT,  ATOUT,  avec  :  «  Atout  son  bas- 
ton  de  la  croix,  »  avec  son  bâton  de  la 
croix. 

Abastardis.\nt,  abâtardisant,  dégra- 
dant. 

Abastit,  abattit. 

Abayer,  aboyer.  Abayant,  .ujBAY.iNT, 
aboyant. 

Abbegaux,  pour  abbés. 

Abbegesses,  pour  abbesses. 

Abboys  du  Parcheion  (aux),  en 
aboyant,  en  chantant  à  pleine  gorge 
devant  le  parchemin  d'un  missel. 

Abbre\ter  les  CREJWSTERES,  raccour- 
dr,  resserrer  les  muscles  des  testicviles. 

Abedessimont  ,  nom  de  reptile  em- 
pnmté  à  Pline. 

Aben  Ezra  (Rabi),  savant  rabbin  du 
xn^  siècle. 

Aber-Keids,  avilis,  domptés,  matés,  en 
allemand. 

Abestin,  inextinguible. 

"AScTTOÇ,  c'est  le  mot  grec  d'où  l'on  a 
tiré  le  mot  précédent. 

Abhomin.vtion,  abomination. 

Abhominerent,  détestèrent,  eurent  en 
abomination. 

Abhorrente,  qui  fait  horreur. 

Abhorrissez,  détestez,  ayez  en  horreur. 

Abhorry,  détesté,  exécré. 

Abila,  ville  de  l'Anti-I^iban,  dans  la 
Cœlé-Syrie. 


'A€;o;  J5;o;,  [jîo;  àSiwTo;  ;  il  faut 
ajouter:  Xtopîç  Oyîc'.aç,  c'est-à-dire: 
sans  la  santé,  vie  non  vie,  vie  non 
vivable. 

Abondance  (Porus,  seigneur  d')  Pla- 
ton raconte,  dans  le  Banquet,  qu'à  la 
naissance  de  Vénus,  il  se  fit  un  festin 
où  assistèrent  tous  les  dieux,  et  en 
particuher  Porus,  fils  du  Conseil  et 
dieu  de  l'Abondance.  Le  repas  fini,  la 
Pauvreté,  étant  venue  en  chercher  les 
débris,  sui\-it  Porus,  qui,  rassasié  de 
nectar,  ne  tarda  pas  à  s'endormir  dans 
le  jardin  de  Jupiter.  Elle  se  coucha 
près  de  lui.  C'est  de  ces  deux  principes 
si  opposés  que  l'Amour  prit  naissance. 
Fils  de  la  Pauvreté  et  de  l'Abondance, 
il  tient  du  naturel  de  l'im  et  de  l'autre. 

Abouchemens,  discours. 

Abourdement,    abord ement. 

Aboutrder,  aborder. 

Aboys  de  l'estom.\c,  cris  ou  tiraille- 
ments de  l'estomac  ayant  faim. 

ABRE\Œ^rENT,    abreuvement. 

Abre\'IER,  abréger. 

Abscon-d,  abscons,  absconse,  caché, 
impénétrable. 

Absenter,  éloigner  :  «  Les  absenter  de 
leurs  femmes.  » 

Absoluz  :  «  Je  vous  absoluz,  »  je  vous 

absous. 

Absterger,  nettoyer. 

Abstersion,    nettoyage. 

Abstracteur,  celui  qui  extrait;  celui 
qui  sépare  les  éléments  ou  les  qualités 
d'ime  substanse  «  Abstracteur  de 
quinte-essence.   » 

Abuntsant  (d'),  de  plus,  en  outre. 

Abyde,  Abj-dos. 

ACADEMICIENS,  disciples  de  Platon. 

Académie  (l'),  école  philosophique  d'A- 
thènes. 

ACADEMIE  de  Paris,  l'Université  de 
Paris, 


4IO 


GLOSSAIRE    ET    NOTES 


Académiques  (les),  même  sens  que 
Académiciens. 

AcAMAS,  nom  d'un  des  capitaines  de  Gar- 
gantua. C'est  im  mot  grec  qui  veut 
dire  :  sans  repos  et  toutefois  sans  fati- 
gue. Homère  l'applique  au  soleil:  f,À'.o; 
âx.aax;. 

Ac.AR-VTiox,  terme  de  palais  signifiant  la 
confrontation,  le  récolement  des  cri- 
minels avec  les  témoins. 

ACCVPAYE  !  tends  les  cordages  !  terme  de 
marine  de  la  Méditerranée. 

AcciDiiNT.\L,   accidentel. 

AcciPiER,  recevoir. 

AccoLLADE,  embrassade. 

AccoLLER  ime  femme,  faire  l'amour 
avec  elle. 

AccouBLER,  accoupler. 

AccouRSiERS,  commentateurs  d'Ac- 
curse. 

AccL-RSE,  auteur  d'une  célèbre  glose  des 
Pandectes. 

AcEPHALOs,  sans  tête;  mot  grec. 

ACERTAEs'ER,  rendre  quelqu'un  certain 
d'une  chose. 

ACHAPTER,  acheter. 

ACHAPTEUR,  acheteur. 

ACHATES,  compagnon  d'Énée,  dont  le 
nom  est  devenu  synonyme  d'ami 
fidèle. 

AcHEROX,  fleuve  infernal. 

Achever  de  peixdre,  mettre  le  comble 
à  l'infortune. 

AcHiLLES  est  pris  dans  le  sens  d'un  argu- 
ment in\-incible  :  Est  unum  bofiuin 
Ackillcs. 

ACHORIE,  pays  imaginaire,  qui  n'existe 
pas,  de  a  privatif  et  de  /''jca. 

ACOLLER,  voir  ACCOLLER. 

AcoxcEPVoœ,  atteindre. 

AcoN'CEUT,  atteignit. 

AcoNiTE,  plante  vénéneuse. 

AcotTDOrR,  accoudoir,   appui. 

ACQUESTER,  acquérir,  procurer. 

Acquiescer,  s'abandonner. 

ACRA VANTÉ,  écrasé,  broyé. 

ACRE3TÉ,  qui  a  ime  belle  crête,  qui  lève 
la  tête,  et,  par  métaphore,  fier,  pim- 
pant, huppé. 

ACRisius,  roi  d'Argos,  descendant  de 
Danaùs,  eut  d'Eurj-dice  une  fille,  Da- 
naé,  et  fut  tué  par  son  petit-fils  Persée. 

AcROsiiox  (os)  l'apophyse  de  l'omoplate, 
de  àV.coç.  extrémité,  et  (ijaoç.  épaule. 

ACROPOi.is,  ville  haute,  citadelle,  et  spé- 
cialement l'Acropole  d'Athènes. 

AcROPY,  accroupi,  courbé,  accurvatus. 

.\CROUK,  accroupi. 

AcTÉox,  petit-fils  de  Cadmus,  chasseur 
célèbre  de  Thèbes,  fut  changé  en  cerf 


par  Diane  et  déchiré  par  ses  chiens. 

AcuLER,  éculer  (les  souliers). 

AcuLLER,  mettre  à  cul,  abattre,  déraci- 
ner (un  arbre). 

AcfT,  aigu. 

A^l.A^L\SIOR,  géant. 

Additamess  (mammillaircs),  bouts  des 
mamelles. 

Adenes,  auat.,  les  glandes  du  cou. 

Adextre,  adroit. 

Ad  for>l\m  nasi  cognoscitur  ad  te 
LEV.wi.  «  \  la  forme  du  nez  on  recon- 
naît ad  te  levavi.  »  C'est  une  phrase 
pour  une  ou  deux  sj-Uabes.  Cette  for- 
mule comique  est  fréquente  dans 
Rabelais  :  tel  est  encore,  par  exemple, 
le  «  comment  a  nom?  »  Tantôt  c'est  la 
dernière  syllabe  qui  compte  seule, 
tantôt  la  première. 

Adh.erer,  s'attacher. 

Adi.\ntos,  signifie,  en  grec,  non  hiunide. 
AoiavTOv  désignait  la  plante  que 
nous  nommons  capillaire,  capillus  Venc- 
ris. 

ADiAST\rsi,  voyez  le  mot  précédent. 

ADjouD.\HY,  aide-moi. 

ADjorsTER,  ajouter;  ajuster. 

Admiral  (Monsieur  1'),  Pliilippe  Chabot, 
qui  avait  pour  devise  Festina  lente.  — 
Voyez  la  Briefve  Déclaration  au  mot 
Hiéroglypl:  iqv.es. 

Adoxc,  Àdoxcques,  Adoxques,  alors. 

Adoxis,  aimé  de  Vénus,  tué  à  la  chasse 
par  lui  sanglier. 

Adotz,  sorte  de  poissons  de  mer  qui  res- 
semblent à  la  sèche. 

Adiwste.a.,  nourrice  de  Jupiter. 

Adresser,  a,  dans  certains  cas,  le  sens 
de  diriger. 

.kDKiAS,  Adrien,  empereur  romain. 

Adscript,  inscrit. 

Adit-terateti-rs,  falsificateurs. 

Adultère  troiax  (l'),  Paris,  ra\'isseur 
d'Hélène,  femme  de  Ménélas. 

Adultérer,  altérer,  falsifier. 

Adv.\xtage  (d'),  plus,  en  outre. 

Advexir,  à  venir. 

Advexir.  convenir  :  t  Ceste  livrée  lui 
advenoit  bien.  » 

Ad\'ext.\ige  (d'),  voir  d'advantage. 

Advexture  (d'),  d'aventure,  par  lia- 
sard. 

AD\'EXTURES    des    gens    CURBETJLX,    leS 

aventures  qui  arrivent  aux  gens  cu- 
rieux et  ne  Iciu"  pennettent  guère  de 
s'enrichir. 

.\D\'EXTt-RiERS,  aventurieTS,  soldats 
d'aveiiture.  Sous  François  I",  c'était 
presque  toute  l'infanterie  française 
qu'on  désignait  de  ce  nom. 

Ad\-ers,  adverse,  du  parti  opposé. 


GLOSSAIRE    ET    NOTES 


ADvasEiiENT,  instruction. 

Ad  VISER,  apercevoir;  avertir;  pour- 
voir à. 

AvT>iSER  QUE,  remarquer. 

Advocat,  avocat. 

Adv'ocatiere,  femme  d'avocat. 

Advoler,  venir  en  volant. 

Advolter,  invoquer,  prendre  à  témoin  : 
«  Je  ad  voue  Dieu.  » 

/TÎACUS,  l'un  des  trois  juges  d'enfer. 

.Editue,  sacristain,  gardien,  œdituus. 

.îÎGEON,  géant. 

^GITANS,  Egipans,  divinités  des  mon- 
tagnes et  des  bois,  espèces  de  satyres 
avec  des  cornes  et  des  pieds  de  chèvre, 
quelquefois  avec  une  queue  de  poisson. 

-Egistus,  Égiste,  meurtier  d'Agamem- 
non. 

-Ele,  aile. 

-îiLiAN,  .ïiLiANUS,  EUcn. 

.Emili.\n,  rhéteur. 

•Emorrhoïdes,  sorte  de  serpents  men- 
tionnée par  PHne. 

.îÎNÉAS,  Enée. 

-EOLICQUE,  des  Éoliens  :  «  Cyme  aeo- 
licque,  »  la  ville  de  Cyme  ou  Cume, 
colonie  des  Éoliens  en  Asie  Mineure. 

.EoLiDES,  îles  Éoliennes,  aujourd'hui 
iles  Lipari. 

.3îOLYPn.E,  porte  d'Êole.  —  Voyez  ce 
mot  dans  la  Bricfve  Déclaration. 

.EoLUS,  Éole,  dieu  des  vents. 

-Equil.viéral,   équilatéral. 

-E;quinocte  (l'),  l'équinoxe. 

-Equinoctial,  équinoxial. 

.Equiparer,  égaler. 

.E;quité,  équité. 

Aer,  air. 

-Erain,  airain. 

AERO,^L\^'TIE,  divination  par  l'air. 

-îîscHixES,  Esclline,  philosophe  grec  qui 
engagea  sa  liberté  à  Socrate  pour  être 
admis  au  nombre  de  ses  disciples. 

iEscHYLUS,  Eschyle  le  tragique. 

-Escfi-.^Pirs,    Esculape. 

Aesle,  aile. 

^EsoPE,  Ésope. 

.Eternel  (l'),  l'Étemel. 

-Etherées,  éthérées. 

.-Ethiopie,  Ethiopie. 

-Ethiopiexs,  Éthiopiens. 

.Ethiopis.  plante  dont  Pline  a  décrit  les 
propriétés  nier\'eilleuse3. 

.\ETHOx,  un  des  chevaux  du  Soleil. 

-Etyle,  ville  de  I,aconie. 

.\rESTER,  réparer  :  «  .\fester  un  tonneau.  j> 

Aff.mctkes,  pleines  de  zèle. 

AFFECTATION,  désir. 

.\FFECTi':,  désiré  ardemment. 

Affené,  repu,  re:npli.  .\u  propre  :  fourni 
de  foin  à  discrétion,  de  fœnttm . 

Affermer,  affirmer,  affermir. 


411 

Affié,  attaché,  lié  par  la  fidélité,  la  foi. 

Affier,  assurer,  certifier. 

.\ffiert,  appartient,  nocvieut. 

-Affiner,  tromper;  épurer. 

.\ffin'ei'rs,  trompeurs,  pipeurs. 

Affolé,  fou,  hors  de  sens.  —  Perdu,  à 
demi  mort  (de  coups). 

Affoller,  battre,  faire  périr  (de  coups). 

Affrique,  .Africque,   Afrique. 

.Affuster,  afcster,  arrans;er,  mettre 
en  ordre,  aiguiser  :  «  Affuster  son  artil- 
lerie, affuster  quelque  pièce  sur  les 
murailles.  » 

Africanes,  afriquanes,  tigres. 

.\GAi,LOCHE,  bois  d'aloès. 

'Xyi-ri  O'j  Tt,-:;'.  -i  i^j-f]:.  tLa  cha- 
rité ne  dierche  pas  ses  propres  inté- 
rêts. »  (Saint  Paul,  I"'"  aux  Corinthiens, 
chapitre  xm.) 

.\G.VRENE,  même  sens  que  arabique. 

Agathias,  historien  grec,  de  Jlyrine, 
vivait  au  \i^  siècle. 

Agatho,  géant. 

.•VGATHOCLES,  tyran  de  Syracuse. 

Agel.\stes,  ceux  qui  ne  rient  jamais, 
mot  grec. 

Agenor,  roi  de  Phénicie,  père  de  Cad- 
mus  et  d'Europe. 

Agesil.î;,  gésilas,  roi  de  Sparte. 

.\ggeres,    chaussées,    levées    de    terre 
faites  sur  les  bords  d'une  rivière,  du 
latin  agger. 
Ay^o;  0  6hoç,  le  Dieu  saint. 

Agiot.^de  ou  agiot.ate,  très  saint,  du 
grec  ayioç. 

.\GiOTS,  vaines  cérémonies. 

•\GLÉoPHEME,  ami  de  Pythagore. 

.A.GONE  (place  d'),  place  de  Rome. 

Agre,  (de  ager)  champ. 

.\GREGATi\'E,  qui  agrège  (les  humeiu^) 
et  les  évacue  :  a  Pilule  agrégative.  » 

.\GRENÉ,  repu,  rempli.  Au  propre,  fourni 
de  grain  à  discrétion. 

.A.GRIE,  fontaine  d'.\rcadie. 

AGRi.MEXSEn{,  qui  mesure  les  champs, 
arpenteur. 

AGU,  .^GuE,  aigu,  subtil. 

AGUA,  pour  agarde,  regarde. 

.\GUARD,  hagard. 

.\GU.\RS.  sauvages,  farouches  :  «  Oy- 
seaulx  aguars.  » 

.A.GUEILLE,  aiguille. 

.■Vgtteillettes,  .\guillettes,  aiguil- 
lettes. 

.•VGUiLL.uncEtTF,  fête  du  nouvel  an  en 
Bretagne. 

.\GuiLLONS  DE  \T>.',  aiguillous  de  v'in, 
ce  qui  excite  à  boire. 

Aguyon.  —  Voyez  ce  mot  dans  la 
Briefve  Déclaration. 

.\GUYSER,  aiguiser. 


41- 


CLOSSAIRE    ET    NOTES 


Ahan,  peine,  fatigue,  d'où  le  verbe 
Ahanner. 

AlGNEUU-LOT,  pour  aiguillât,  gond  que 
l'on  fixe  au  gouvernail  d'un  navire 
pour  le  faire  tourner  derrière  l'ctam- 
bot. 

Aigrefins,  pour  aigles  fins,  monnaie 
d'or  marquée  d'un  aigle. 

AlGREST,  verjus. 

Aigrette,  aigri,  aigre. 

AIGRETTES,  petits  hérons. 

AiGUADE,  action  d'approvisionner  d'eau 
douce  les  vaisseaux. 

Aiguillette,  le  lacet  qui  fermait  la  bra- 
guette. 

Aiguillette  (courir  1"),  faire  le  métier 
de  prostituée. 

Aiguosité,  partie  aqueuse  d'une  subs- 
tance. 

Aillade,  ail,  ragoût  à  l'ail. 

AiNçois  QUE,  plutôt  que. 

Ains,  mais,  plutôt. 

AiNS  QUE,  avant  que  :  •  Ains  qu'estre  en 
Occident.  » 

Aire,  mesure  de  capacité  :  «  Deux  aires 
de  vin.  »  Arche  :  «  Aire  de  Noé;  »  sol 
d'ime  grange. 

Aïs,  petite  planche. 

AISOTE,  %-illage  du  Poitou. 

AisGUÉ  (vin),  vin  mêlé  d'eau. 

AISSE,  voir  Aïs. 

AissEUiL,  essieu,  pôle. 

AiST,  aide  :  a  Ainsi  vous  aist  Dieu.  » 

Aix  (en  Provence). 

Alabastre,  Alebastre,  albâtre. 

Alaigre,  allègre,  vit  et  léger  :  «  Alaigre 
comme  un  papillon.  « 

Al.aigriz,  rendus  plus  légers. 

Alaixe,  haleine. 

Alaire,  musicien.  Schmid  cite  des  mes- 
ses d'Alaire  dans  im  recueil  d'Attei- 
gnant, 1534. 

Axaxus  is  parabolis,  les  paraboles 
d'Alain  de  I,isle,  traduites  et  imprimées 
en  1492. 

A  latere,  altéré.  Jeu  de  mots  sur  a 
latere,  titre  donné  aux  légats  du  pape, 
et  altéré. 

Albanie  (M.  d'),  Jean  Stuart,  duc  d'Al- 
bany,  de  la  maison  roj'ale  d'Ecosse. 

Albanois,  Albanais.  Grec  d'Épire. 

Alberges,  fruit,  pèche  précoce. 

Albert  le  jacobin,  Albert  le  Grand. 

Albertus,  lyéon  Alberti,  qui  a  publié 
dix  li\Tes  de  Re  œdificatoria,  Stras- 
bourg, 1545,  in-4». 

Albian  camar,  blanc  sacristain,  en  hé- 
breu. 

Albran,  halbran  :  jeune  canard  sau- 
vage. 

Albumasar,  astrologue  arabe  du  ix^  siè- 
cle. 


Albunée,  près  Tivoli. 

Alcharates,  sorte  de  reptiles. 

Alchistijies,  alchimistes. 

Alchvmie,  alchimie  :  «  Faire  alchymie 
avec  les  dents  »  est  interprété  par  les 
commentateurs  :  épargner  sur  sa  nour- 
riture, jeûner  par  économie.  Je  crois 
que  cela  veut  dire  manger  tout  simple- 
ment. 

Alciian,  poète  lyrique  grec  dont  parle 
Pline,  li\Te  XI,  chapitre  xxxni. 

Aloiêne,  femme  d'Amphitrj-on,  mère 
d'Hercule. 

Alcofrib.\s,  Alcofribas  Nasier;  c'est 
l'anagramme  de  Rabelais. 

Alcret,  voir  Alecret. 

Alcyones,  alcyons,  martins-pêcheurs; 
oiseaux  de  mer. 

Alebarde,  hallebarde. 

Aleb.^stre,  voir  Alabastre. 

Alecret,  grand  corset  de  fer. 

Alecto,  ime  des  trois  Parques. 

Alectryomantie,  divination  par  le 
moyen  d'un  coq. 

Aleltiomaniie,  divination  qui  se  faisait 
en  mêlant  du  froment  et  de  la  farine. 

Alexander  Cornélius,  surnommé  Po- 
lyhistor. 

Alexander  myndius. 

Alexandre,  Alexandre  le  Grand, 
Alexandre  Macedo. 

Alexandre,  beau-frère  d'Hérode. 

Alexandre  V  (le  pape) . 

Alexandre  VI  (le  pape). 

Alexandre  de  SIedicis,  duc  de  Flo- 
rence. 

Alexandre,  jurisconsulte. 

Alexandre,  écuyer  de  Gargantua. 

Alexan-dre  Aphrodise  ,  Alexandre 
d'Aphrodisias,  célèbre  commentateur 
d'Aristote. 

ALEX.ANDRE  SEVÉRE. 

Alexandrie. 

Alex.\n"drins,   habitants  d'Alexandrie. 

Alexicacos.  —  Voyez  la  Briefve  Dé- 
claration au  mot  Hercules  Gaulois. 

Algamala,  alguamala,  algamana. 
Mercure  des  Hermétiques. 

Algebra,  algèbre. 

Algiery,  Alger. 

Algorisme,  science  des  chiffres,  arith- 
métique. 

ALG0US.4N,  argousin. 

Alhartafz,  sorte  de  reptiles. 

Alh.4trab.an's,  sorte  de  reptiles. 

Alibantes,  desséchés,  absque  humore. 

Alibitz  forains,  incidents  frustratoires 
en  vieille  jurisprudence.  «  Trouver  les 
alibitz  forains,  »  user  de  toutes  les  res- 
sources du  droit. 

Alicacabut  (pommes  de),  fruit  de  l'al- 
kekenge,  qu'on  nomme  aussi  coqueret, 


GLOSSAIRE    ET    NOTES 


413 


Alidada,  règle  pour  aligner;  mot  arabe. 

Aliptes  (les),  masseurs,  frotteurs,  du 
grec  aXstïw. 

Alissiez,  allassiez. 

Al  katim,  mots  arabes  qui  désignent  le 
péritoine. 

Alkermes,  sorte  de  graine. 

Alleboteurs,  grapilleurs,  ramasseurs 
de  raisins. 

Allebouter,  grapiller. 

Allegrer,  rendre  allègre,  vif,  agile. 

Allejl\igne,  Alemaigne,  Almaigne, 
Allemagne. 

Allemant,  on  trouve  aussi  Axemant, 
AL^L\IN  :  «  N"y  entendoit  que  le  hault 
alemant.  > 

Alliaco  (de),  Pierre  d'Allly. 

ALiL^ofCES,  Allianciers,  Rabelais  joue 
sur  les  alliances  (par  mariage)  et  les 
alliances  de  mots. 

Alliboron  (maistre).  On  lit  dans  le  pro- 
cès de  Gilles  de  Rais  (xv"  siècle)  :  «  Il 
fera  venir  maistre  Aliboron,  enten- 
dant le  diable  par  ce  mot,  intelligendo 
diabolum  per  illiid  vocabulum.  »  Une 
pièce  de  vers  de  la  fin  du  xv^  siècle  est 
intitulée  les  Dits  de  maistre  Aliboron, 
qui  de  tout  se  mesle.  Rabelais  l'emploie 
dans  le  sens  d'ignorant  et  de  maladroit. 
Il  parait  qu' Aliboron  figura  dans  les 
mystères  dramatiques  de  la  Passion, 
parmi  les  diables  plus  au  moins  effroya- 
bles ou  plus  ou  moins  comiques  qui 
formaient  l'escorte  de  Lucifer.  La  plu- 
part des  noms  de  ces  diables  étaient 
pris  dans  la  démonologie  orientale. 
L'étymologie  donnée  par  Grimm,  qui 
fait  venir  ce  mot  de  l'arabe  Altboran, 
ancien  ennemi,  n'est  donc  pas  aussi 
invraisemblable  qu'on  l'a  dit.  Elle 
vaut  au  moins  celle  de  Le  Duchat,  qui 
a  écrit  detix  pages  pour  démontrer  que 
ce  nom  était  ime  corruption  du  nom 
du  fameux  docteur  Albert  le  Grand. 

Allieger,  alléger. 

Allobroges,  peuple  de  la  Gaule,  entre 
l'Isère  et  le  Rhône. 

Allouettes,  jeu  inconnu. 

Allouvy,  affamé  comme  un  loup. 

Aixumelles,  lames. 

Alluz,  à  l'excès. 

Alme,  bon,  illustre,  fertile,  de  aUnus. 

Almic\ntar.\th.  On  appelle  ainsi  en 
arabe  des  cercles  parallèles  à  l'hori- 
zon, qu'on  fait  passer  par  tous  les 
degrés  du  méridien. 

Aloé,  géant,  père  d'Otus  et  d'Kphialte. 

Aloïdes,  descendants  d'Aloé. 

Alopecuros,  t  qui  semble  à  la  queue  du 
renard  >. 

Alosis,  capture,  pr  se,  destruction. 


Alpharbal,  roi  des  Canaries. 

Alphitomantie,  divination  par  la  farine 
d'orge.  —  Voyez  Théocrite,  Idylle  11, 
et  Virgile,  Ëglogue  vu,  vers  85. 

Alpinois,  habitants  des  Alpes. 

Alteratif,  qui  donne  envie  de  boire. 

Altérations,  état  de  celui  qui  est  altéré, 
dans  les  différents  sens  de  ce  mot. 

Altère,  pour  artère. 

Altères,  masses  de  plomb  ou  de  pierre 
que  portaient  dans  chaque  main  ceux 
qui  s'exerçaient  à  sauter. 

Alum  de  plume.  —  Voyez  Pline,  livre 
XXV,  chapitre  xv. 

Alv.^res  ou  Alvarez  (Piètre),  sans 
doute  le  Portugais  Pierre  Alvarez  Ca- 
pral,  auteur  de  la  relation  d'un  voyage 
fait,  l'an  1300,  de  Lisbonne  à  Calicut. 

Alyssltm,  plante  d'agrément;  les  An- 
ciens lui  attribuaient  la  vertu  d'arrêter 
le  hoquet. 

AsLVDEAXS,  moines  d'une  communauté 
religieuse  fondée  par  Amédée  de  .Savoie 
en  1448. 

Amadouer  (un  tonneau),  boucher  les 
fentes  avec  de  l'amadou. 

Amadriades,  hamadryades. 

Amalthée  (la  chèvre),  nourrice  de  Ju- 
piter. 

A^LissER,  ramasser. 

Amate,  femme  du  roi  Latinus.  —  Voyez 
Enéide,  livre  XII. 

Amaltîotes,  gens  obscurs,  inconnus,  du 
grec  aaajpdç. 

Amballeur,  crocheteur. 

Ambe,  pronon.  ambé  :  avec,  en  gascon. 

Ambezars,  ambezas,  beset,  double  as. 

Ambouchoir,   embouchoir. 

Ambrun,  toiture,  charpente. 

Amé,  aimé. 

Amer,  médecin  cité  par  Rabelais. 

A.MERI^■E,  plante. 

AirETHiSTiZANT,  sc  rapprochant  de  l'a- 
méthyste. 

Amicabilissime,  très  aimable. 

Amicissime,  très  ami. 

Amict,  linge  carré  que  le  prêtre  met  sur 
sa  tête  et  sur  ses  épaules  avant  de  se 
revêtir  de  l'aube. 

AAnLCAR.  père  d'Annibal. 

AMM0B.4TES,  sorte  de  reptiles. 

Am.vestie,  amnistie. 

Amodéré,  modéré. 

Amodl'nt,  nom  propre  formé  du  latin 
a  modo  sine  modo. 

Amomon,  sorte  de  drogue. 

Amont  en  val  (d'),  de  haut  en  bas. 

Amorabonds,    amoureux,    amorabundi. 

Amoureux  de  karesme,  «  lesquels 
poinct  à  la  chair  ne  touchent  ». 

Amoustillé,  émoustillé;   et  aussi,  par 


414 


GLOSSAIRE     ET    NOTES 


jeu  de  mots,  cjui  est  accoutumé  au 
moût  ou  moust. 

Ampboaraus,  fils  d'Oîdès,  fameiix  de- 
vin. 

Amphibologies,  ambiguïtés  du  discours. 

Amphion,  fils  d'Antiope,  releva  les  muts 
de  Thcbes  aux  sous  de  sa  lyre. 

AsiPHlSBE>rES,  sorte  de  reptiles,  d'après 
Pline. 

Amplitude,  ampleur,  étendue. 

Amvre,  cordage  qui  sert  à  tirer  et  assu- 
jettir les  voiles  du  côté  de  la  proue,  ce 
qui  s'appelle  amurer. 

Amy  (Pierre).  —  Voyez  la  Vie  de  Rabe- 
lais. 

Anacampseroïes.  herbe  imaginaire  qui 
rallume  l'amour  éteint. 

Anachite  (diamant),  diamant  qui,  sui- 
vant Pline,  prcser\-e  des  venins,  de  la 
frayeur  et  de  la  folie. 

AN.'i.GNOSTE,  lecteur,  du  grec  ava- 
yvr,')3Tr,:. 

An.\rche.  Ce  nom  en  grec  signifie  sans 
cTief,  sans  gouvernement, 

Aî;.\tole.  de  rOrient. 

Anatomies,  dissections. 

Anatomiser,  disséquer. 

Anches,  hanches. 

Ancholye,  .axcolye,  fleur,  en  latin 
aqiiilcgia;  et  aussi  tristesse,  mélan- 
colie. 

Ancile  (bouclier),  sacré  chez  les  Ro- 
mains. 

Andouilles.  ly'île  Farouche,  le  manoir 
des  Andouilles,  ait  chapitre  xxxv  du 
livre  IV,  représentent  le  temps  de 
chamade,  le  temps  où  l'on  mange 
gras,  etc..  par  opposition  au  temps  de 
carême.  L'AndoiiilIe  nommée  Itiphalle, 
c'était  une  effigie  représentant  mem- 
brusn  virile  ercctwn. 

André  (Joh.),  jurisconsulte  de  Bolo- 
gne, né  en  1270,  mort  en  1348. 

Anemophylaces,  ceux  qui  ont  spécia- 
lement étudié  les  vents  de  aVc'J.oç 
et  de  çJXa;. 

Anerudutes,  sorte  de  reptiles. 

Aneth  ou  .VXET,  herbe  odoriférante. 

Ang.arier,  vexer,  tourmenter. 

Ajs'Garies,  angu.\ries,  tourments,  vexa- 
tions. 

Ange  (eau  d').  Veau  d'ange  s'obtenait 
de  la  distillation  de  la  fleur  et  de  la 
feuille  de  myrte. 

Angelots,  petits  anges. 

Angenart,  sorte  de  jeu,  d'on  ne  sait 
quel  genre. 

Angest  on  Mans,  peut-être  Jérôme 
Hangest,  mort  au  Mans  en  1538. 

Anglet  de  l'œil,  coin  de  l'œil. 


AnguilljVde  (bailler  1'),  fouetter  avec 
des  lanières  faites  de  peau  d'anguille, 
avec  une  serviette  nouée. 

Anguille  de  JIelun,  qui  crie  avant 
qu'on  l'écorche. 

Anguilles  de  hoys,  serpents. 

Anguillettes,  petites  anguilles. 

jVnguounages.  —  V.  la  Briefve  Décla- 
ration. 

Angustie,  détresse,  anxiété. 

Anijlvnt,  cire  animé. 

ANlifE,  àme. 

Année  (grande),  grande  moisson,  grande 
abondance. 

Anom,\l.  .\n-o>iale,  anormal,  irrégulier. 

ANONCH.4LY,  devenu  nonchalant. 

Ansée,  vaisseau  à  anses. 

Ansernie  (plume),  plume,  duvet  d'oie. 

Antan,  l'an  passé. 

Ante,  tante. 

Anté,  enté. 

Antée,  géant. 

Antemne,  antenne,  vergue  d'une  voile 
latine. 

Antenoru>es.  les  Padouans,  qui  préten- 
daient descendre  d'Anténor. 

Antheus,  Antée,  géant. 

ANTHROP03I.ANTIE,  divination  jîar  l'ins- 
pection des  entrailles  humaines. 

ANTiBrsT  (ceint  à  1'),  ceint  sur  la  poi- 
trine. 

Anticiper,  prendre  les  devants,  barrer 
le  chemin. 

Anticthone.  même  sens  qu'antipode. 

Antidote,  muni  d'im  antidote,  d'un  pré- 
servatif. 

Antinojiie.s,  lois  contradictoires  entre 
elles,  contradiction  des  lois. 

Antiociie,  Antiochus. 

antioche.  en  Syrie. 

Antu'.arnasse,  mont  qui  est  le  contraire 
du  Parnasse,  qui  forme  contraste  avec 
le  Pâmasse. 

Antiperi.ît.\sie,  changement  en  sens 
contraire. 

Antiphon,  historien  et  versificateur  con- 
temporain de  Socrate,  qui  a  écrit  un 
livre  ~iz\  y.y.QiMi  ovsîofov. 

Antiphone,  antienne,  chant  à  deux 
chœurs. 

Antiphysie,  antinature.  1,'anecdotc 
d'Antiphysie  et  de  ses  fils  Amodunt 
et  Discordance  est  tirée,  ainsi  que  La 
Monnoye  nous  l'apprend,  d'un  auteur 
qui  n'était  ni  ancien  ni  très  connu, 
Cœlius  Calcagninus  : 

«  Natura.  ut  est  per  se  ferax,  primo 
partu  Decorem  atque  Harmoniam 
edidit,  nulla  opéra  viri  adjuta.  Anti- 
physia  vero,  semper  Naturîe  adversa, 
tam  pulchrum  foetum  protinus  invidit. 


GLOSSAIRE    ET    NOTES 


415 


usaque  Tellumouis  amplexu,  duo  ex 
adverso  inonstra  peperit,  Amoduntcm 
ac  Discrepanliam  nomine.  Si  formam 
indicaro,  excitabo  risum  legentibus.  Ea 
enini  capite  circiiiiirotato  incedebant, 
auribus  promimilis,  manibus  in  poste- 
riora  versis,  nitiiiidis  pedibus  in  su- 
blime porrectis.  » 

Antiquaille,  antiquité,  avec  un  sens 
ironique  (par  révérence  de  l'anti- 
quaille). 

Antiquaille  (sonner  une),  faire  l'amour. 

Antiquailles,  choses  de  l'antiquité. 

Antiquaire,  digne  de  l'antiquité  ;  t  O 
chose  rare  et  antiquaire.  » 

Antistrophe,  figure  de  rhétorique, 
rétorsion,  jeu  de  mots  par  renverse- 
ment des  syllabes,  ou  des  termes  : 
«  Femme  folle  à  la  messe,  molle  à  la 
fesse,  n 

Antitus  de  Crossonniers  ou  des  Cres- 
sonnières, nom  ridicule  dont  plu- 
sieurs auteurs  se  sont  emparés. 

Aorné.  orné. 

Aorne.ment,  ronement. 

Apedeftes,  illettrés,  ignorants,  de  a  pri- 
vatif et  de  7:a;Ô£'j(.)  (j'enseigne).  Ra- 
belais désigne  ainsil  es  membres  de  la 
Cour  des  Comptes,  qui  n'avaient  pas 
besoin  d'être  gradués  pour  exercer 
leurs  charges.  »  Toute  l'allégorie  de 
ce  chapitre  (xvi»  du  \«  hvre),  dit  de 
Jlarsy,  consiste  à  représenter  les  diffé- 

'  rents  bureaux  de  la  chambre  des 
Comptes  sotis  l'image  des  pressoirs,  et 
les  comptables  sous  celle  des  grappes 
qu'on  y  presse,  u 

Apenn.\ges,  apennaiges,  apanages. 

Apert,  ouvert,  distinct,  de  apertus. 

Apertejient,  clairement,  d'ime  façon 
apparente. 

Apertises  (d'armes),  actions  d'éclat. 

ApnL\os,  sorte  de  reptiles. 

Aplaxe,  le  ciel  des  étoiles  fixes,  du  grec 

Apoiltronner  (s'),  s'acoquiner,  s'aca- 
gnarder. 

Apoincteiient,  accommodement. 

Apoincter,  accommoder. 

Apoincteur,  qui  accommode,  qui  récon- 
cilie. 

Aposteme,  tiuneur,  abcès. 

Apostoles,  compagnons,  apôtres. 

APOTE^rus,  buvons  (venite  apotemus, 
parodie  du  venite  adorenius). 

Apothecaire,  apothicaire. 

Apothecqtl'e,  action  de  mettre  de  côté, 
du  verbe  à~OTiOr|'j.'.. 

Apother.\pie,  régime  forUfiaut. 

Apotropées,    qui    détournent.    Paroles 


apotropées,  paroles  magiques  qui 
détournent  les  malignes  iniiuences  des 
astres. 

Apoyé,  appuyé. 

Ai'PE.^ULX,  appelLS. 

Appert,  paraît. 

Appeter,  désirer. 

jVppigrets,  jus,  suc. 

Applaner,  aplanir. 

Applausejient,  applaudissement. 

Appoincté,  accordé,  mis  d'accord. 

Apport,  action  d'apporter  :  «  Sus  l'ap- 
port de  la  seconde  table.  » 

Appoulle,  la  Fouille,  l'ancienne  Apulie. 

Appous,  appôts,  comme  suppôts. 

APPREHENSIONS,  Conceptions,  idées  ar- 
rêtées. 

Appri\-er,  apprivoiser,  familiariser. 

Appropinquer,  approcher. 

Apreigne,  apprenne. 

Aprixt,  apprit. 

Aprivoisa,  dans  le  sens  de  naturalisa. 

Apulée,  auteur  de  V Ane  d'or. 

Aqu.arols,  marchands  d'eau,  acquaroli. 

Aquileie,  Aquila,  ville  de  l'Abnizzc 
supérieure. 

Aquilonîjaires,  de  l'Aquilon,  du  nord  : 
«  Régions  aquUonnaires.  » 

Ar,  as  :  «  Deux  et  ar.  » 

Arachné,  osa  défier  et  vaincre  Minerve 
dans  l'art  de  la  broderie.  Elle  fut  méta- 
morphosée en  araignée. 

Ar  actes,  sorte  de  reptiles. 

Araigxes,  araignées. 

.\raix.  Arin,  airain. 

Araxnes,  serpents  des  sables. 

Arancs,  Arans,  harengs. 

Aranthas,  géant. 

Arbaleste  de  passe,   grosse  arbalète 

qu'on  ne  pouvait  ordinairement  bander 
qu'à  l'aide  d'im  engin  nommé  passe. 

Arboriser,  Arborizer,  herboriser. 

ARBOUT.iNS,  arcs-boutants. 

Arbre  forchu  (faire  1'),  se  tenir  les 
pieds  en  haut,  la  tête  en  bas. 

Arcadelt  (Jacques),  musicien  contem- 
porain de  Rabelais. 

Arce.\u,  petite  arcade.  Arceau  Gua- 
LEAU  désigne  un  lieu  de  Touraine. 

Arch.adL'VN.  arcadicn. 

Archadiques,  arcadiques. 

Archasd-IRPenins,  un  des  noms  em- 
pruntés, dit-on,  de  l'hébreu,  qui  ser- 
vent à  désigner  certains  serviteurs  de 
la  Quinte-Essence. 

ARCHETYPE,  prototype,  image  typique. 

Archer  tru,  jeu  indéterminé. 

Architecte,  construit. 

Architriclin,  maître  d'hôtel,  major- 
dome. 

Ardeine,  Ardenues. 

Ardoyzine  (pierre),  ardoise. 


4i6 


GLOSSAIRE    ET    NOTES 


Ardre,  brûler. 

Ards,  brûle. 

Are,  Arer,  labouré,  labourer. 

Arènes,  sables. 

Areneux,  Areneuse,  sablonneiuc. 

Aréopagites,  juges  de  r.Vréopage. 

Ares  >rETYS  (tout),  sur  l'instant,  tout  de  | 

suite,  hora  metipsa,  locution  gasconne. 
Argathyles,  espèce  de  mésanges. 
Argent.\ngixe.    —    Voyez    la    Bric/ve 

Déclaration. 
Argentier,    nom    propre,     'Aoyupo- 

"Aatrî;,  dans  V Anthologie. 
Arges,    éclairs    subits    et    blanchâtres, 

éloises. 
Argière,  -Uger. 
Argip.\ns,  sorte  de  satyres. 
ARGn'ES,  Argiens,  ou  plus  généralement 

Grecs. 
Arguer,  argumenter,  discuter,  accuser  : 

«  Je  faisois  diables  de  arguer.  » 
Arguz,  arguments. 
Argyrondes,  fontaine  d'Étolie. 
Aries,  le  Bélier,  signe  du  zodiaque. 
Ariet.vnt,  heurtant,  choquant,  comme 

fait  un  bélier  (aries). 
ARnL\NL\N,  d'Arimane,  adoré  en  Perse 

comme  le  principe  du  mal. 
Ardl^spes,  compagnon  de  Zoroastre. 
Arimaspians,  Ardiaspiens,  peuples  qui, 
au  dire  de  Pline,  n'avaient  qu'un  œil. 
On  croit  que  par  ce  mot  Rabelais  en- 
tend les  réformés. 
Ariovistus,  chef  des  Suèves,  vaincu  par 

Jules  César. 
Ariphron,  de  Sicyone,  médecin  célèbre 

de  l'antiquité. 
ARIST.EUS,  Aristeus.  Virgile,  dans  ses 
Oéorgiques    (li\Te    IV,    vers    283-285), 
célèbre  l'art  prétendu  d'Aristée  : 
Tempus  et  Arcadii  memoranda  inventa 

tnagistri 
Paitdere,  guoque  modo  cœsis  jam  sape 

juvencis 
Itisincerus  apcs  tulerit  cruor. 
Aristides,  de  Thèbes,  peintre  ancien. 
Aristolochia,  aristolochie,  plante. 
Aristonides,  sculpteur  antique. 
Aristoteles,  Aristote. 
Armes  (m'),  sur  mon  âme,  juron  rustique. 
Armet,  armure  de  tête. 
Armoisi,  armoisy,  armoisin.  On  nom- 
mait ainsi  im  taffetas  fort  estimé. 
Armoisine,    rhétorique   armoisine,    par 
allusion  au   taffetas  armoisin,   douce 
et  souple  comme  ce  taffetas. 
Armonie,  harmonie. 
Arnovs.  harnais. 
Arom.\tiz.\nt,    qui   répand   une   odeur 

d'aromates. 
Arondelle,  hirondelle. 


Arousse,  plante,  la  vesce  sauvage. 

Aroy,  charrue. 

ARQfEBorsE,  ARQfEBOUZE,  arquebuse. 

.Vrrachit,  arracha. 

Arr.aper,  attraper,  empoigner. 

Arresser,  mettre  la  lance  en  arrct; 
s'emploie  dans  le  sens  erotique. 

ARRI.AN,  Arrien,  historien  grec. 

Arrouser,  arrouzer,  arroser. 

Arroy,  train,  équipage  :  «  Venir  en 
grand  arroy.  » 

Arry  av.ant  !  exclamation. 

Ars,  arceaux. 

Ars,  arts  :  «  Ars  libéraux  (les  sept).  » 

Ars.  arse,  brûlé,  brûlée. 

Arsen.^c,  arsenal. 

Artaban,  roi  des  Perses. 

Artachées,  géant. 

Art.wasdes,  roi  d'Arménie. 

Artemidore,  Artemidori  de  somniorum 
Interpretatione  libri  V;  Venise,  Aide, 
1508,  in-S". 

Artejus,  Diane. 

Artemisia,  veuve  du  roi  Mausole. 

Artemon,  de  Milet,  qui  a  écrit  sur  l'in- 
terprétation des  songes. 

Artemon,  mât  d'artimon. 

Arterial,  artériel. 

Artice,  du  Xord. 

Articles  :  0  Prindrent  articles  contre 
luy,  »  articulèrent,  rédigèrent  par  arti- 
cles leurs  accusations  contre  lui.  De 
même,  articulant,  articuler  (mon  vin), 
calomnier,  diffamer. 

Artiens,  maîtres  ou  écoliers  de  la  Fa- 
culté des  arts. 

Artus  Clt.let.'Vnt.  Parmi  les  signataires 
d'un  acte  d'achat  fait  par  les  cordeliers 
de  Fontenay-le-Comte  (5  avril  15 19) 
où  figure  la  signature  de  Rabelais,  on 
cite  un  frère  Artus  Coultant,  dont  le 
nom  semble  parodié  id. 

Arulettes,    ornement   architectural. 

ARrspiciXE.  l'art  des  aruspices. 

Asarotum,  du  grec  ajxcoTO;,  non  ba- 
layé. 

ASBESTE,  que  le  feu  ne  consume  pas,  du 
grec  âiÇ^aTOç. 

AsBESTON,  même  mot  que  le  précédent. 

Ascalabes,  sorte  de  reptiles,  d'après 
Pline. 

AscvLABOTES,  autre  sorte  de  reptiles, 
d'après  Pline. 

Ascarides,  vers  qui  se  logent  au  rectum. 

Asç.\v.\nter,  Ass.av.vnter,  instruire. 

AsciTES,  hydropiques. 

AscLEPiADES,  médecin  de  l'antiquité. 

ASNE  :  «  Faire  de  l'asne  pour  avoir  du 
bren,    »   faire   le   gentil,    le   g^racieux, 
comme  im  âne  poiu"  avoir  du  son. 
AsNE  (MENER  l')  :  €  Tout  le  monde  chc- 


GLOSSAIRE    ET    NOTÉS 


4*7 


vrtuchera  et  je   mènerai  l'asne  !   »  je 

regarderai  faire  les  autres. 
ASNIERS,  dans  le  sens  d'ignorants,   de 

brutes. 
ASPERSER,  asperger. 

ASPERSOLR,   instrument   pour   asperger. 
AspnAR.\GE,  gosier,  du  grec  jsâpayo;. 
ASPRE  AUX  POTZ,  à  propos;  jeu  de  mots. 
ASPRETTE,  diminutif  de  âpre. 
Ass.\BLK,  pour  ensablé. 
AssAPHis, gens  obscurs,du  grecaaaçrlç. 

ASSASSINATEUR,    ASSASSESIEUR,    aSSaSSiu. 

AssASSLNEMENS,  assassïnats. 

Ass.w,  essai. 

AssÉOYT  (se),  s'asseyait. 

ASSERÉE,  allirniL-e. 

AsSERER  (LE  cœitr),  affermir. 

AssERTix^EMEXT,  allirmativeineiit,  po- 
sitivement. 

AssiER,  acier. 

AssiMENTY,  ASSIMENXÉ,  fermé,  bouché, 
cimenté. 

Assopiz,  assoupis. 

ASSORTEMEXS,  assortiments. 

ASSOT  ■ ,  assoti,  affolé. 

ASSO\^',  assouvi. 

ASSt'ERE,  Assuérus. 

ji.STAROTS,  ASTAROTZ,  nom  d'imc  divi- 
nité payenne,  d'un  démon,  Astaroth. 

ASTERIOMS,  sorte  d'araignées. 

AsTEROPES,  famille  de  Cyclopes. 

AsTiPULATELTi,  cclui  qui  sert  d'appui,  de 
caution,  de  repondant. 

ASTIPULATION,  action  d'appuyer,  de 
soutenir,  de  cautionner  quelqu'un, 
adstipulatio. 

ASTOMÉ,  sans  bouche,  du  grec  y.  privatif 
et  atdaa,  bouche. 

ASTRAGALOMANTIE,  divinatioH  par  le  jeu 
des  osselets  ou  astragales. 

ASTRIPOTENT,  Dieu,  le  maître  des  astres. 

AsTROPiiiLE,  nom  propre  signifiant  ami 
des  astres. 

ASTURCIERS,  fauconniers,  ceux  qui  ont 
soin  des  autours. 

Ataves,  aïeux. 

Até,  déesse  malfaisante,  vengeresse. 

Atilwl\s,  nom  propre.  Voyez  Pline.  His- 
toire naturelle,  livre  XXXIV,  chapi- 
tre XL. 

Atheneus,  Athénée,  l'auteur  du  livre 
des  Dcipnosophistes. 

Athlantique  (mer). 

Atlanticques  (les).  Les  habitants  de 
l'Atlas,  "ATXavT:;. 

Atojies  :  «  Les  atomes  d'Épicure.  » 

Atouré,  .\TOtTRNÉ.  paré. 

ATRES,fo3'er,  intérieur  des  maisons,  atria. 

Atrophes,  gens  atrophiés,  étiques. 

Atropos,  ime  des  trois  Parques. 

T.   II. 


Attediation  (de  la  mer),  ennui  qu'on 

éprouve  sur  mer. 
Attelabes,  espèce  de  reptiles. 
Attempter,  tenter,  entreprendre. 
Attentemext,  attentivement. 
Attractifz,  attrayants,  qui  attirent. 
Atxrejipé,  tempéré,  modéré. 

Aube  des  mouches  (l'),  midi,  c'est-à- 
dire  l'heure  où  les  mouches  sont  le  plus 
éveillées. 

Aube  du  bast,  le  châssis,  la  carcasse  de 
bois  blanc  sur  laquelle  l'embourrement 
est  monté. 

Aubelière,  licou,  muselière  blanche. 

Aubergeon,  haubergeon,  cotte  de  maille 
qui  descendait  jusqu'aux  genoux. 

Aubers,  haubergeons. 

AuTBERT,  terme  d'argot  signifiant  argent  : 
«  Plus  d'aubert  n'estoit  en  fouillouse.  » 

Aubes,  robes  blanches. 

Au  CUL  PASSIONS,  en  jouant  sur  le  mot 
occupations. 

Aucun,  aucune,  pour  quelque,  quel- 
qu'un, certain. 

AUDLA.NCE,  audition,  action  d'entendre. 

Aulcunement,  en  quelque  façon. 

AuLCUNES  FOYS,  quelquefois. 

Al'uques,  de  cour. 

AuLMOSNiER,  faisant  des  aiunônes. 

Aulne  :  «  Au  bout  de  l'aulne  faut  le 
drap,  »  juste  la  mesure. 

Aulne  de  paour  (mesurer  le  péril  à  1'), 
mesurer  le  péril  selon  la  peur  que  l'on  a 
eue. 

AuLTELissiERS,  Ouvriers  faisant  des 
tapisseries  de  haute  lisse.     ; 

AuLTRE  (l'),  le  diable. 

AURANDE,  plante  odorante. 

AiTRE,  pays  dans  l'Armagnac  (Hautes- 
Pyrénées)  :  «  Saint- Jlichel  d'Aure  ». 

AURÉ,  AURÉE,  doré. 

AuREiL,  ALTREILLE,  Oreille  :  «  Aureilles 
seront  courtes  et  rares  en  Gascogne.  » 
Les  Gascons  passaient  pour  de  mau- 
vaises têtes  et  étaient  stijets  à  perdre 
les  oreilles  par  accident  ou  pour  une 
autre  cause. 

Aureilles  de  judas,  sorte  de  salade 
que  Rabelais  définit  chapitre  LX  du 
Hvre  IV. 

AxjRÉLi.\N,  Aurélien  (Lucius  Domitlus), 
empereur  romain. 

AuRELLAJsis,  pour  Orléans. 

AuRES,  oreilles. 

Auriade,  petite  oreiUe. 

AuRiFLUE,  qui  coule  ou  fait  couler  de 
l'or. 

AuRiNiE,  prophétesse  germaine  citée 
pp.r  Tacite. 

.Î.UKIPEAUX.  maladie  des  oreilles. 

Aurora,  Aiuore,  déesse  mythologique, 

AusER,  oser. 

27 


4i8 


GLOSSAIRE    ET    NOTES 


AusoNE,  poète  latiu  de  Bordeaux  (an. 
309-394). 

AusTER,  le  vent  d'est. 

AUSTERE,  sévère,  méchant. 

AcsTRicnE,  Autriche. 

AUT.\RDES,  outardes. 

AuxBOURG,  Augsboiu-g. 

AuzER,  oser. 

AvALADES,  abaissées. 

Av.ALER,  AVALLER,  cc  mot  signifie  abat- 
tre, baisser,  descendre  :  de  aval.  Aval- 
Icr  le  nez,  avaler  la  teste,  c'est  abattre 
le  uez,  la  tête.  A  bride  avallée,  c'est-à- 
dire  à  bride  abattue.  Se  avaller,  c'est 
descendre.  Il  avait  aussi  le  sens  de 
faire  descendre  par  le  gosier,  d'où  le 
jeu  de  mots  :  «  Si  je  montois  aussi  bien 
comme  j'avalle.  » 

Av.U-lSQUE  S.\T.AXAS,  imprécation  en- 
core usitée;  elle  répond  au  va  Je  rétro 
des  latins.  S'avalir,  en  provençal, 
s'abali,  en  castrais,  signifient  dispa- 
raître, s'évanouit.  Avalisque  Satanas 
veut  donc  dire  :  Disparais,  Satan. 

AV.iLLEURS  DE  FRIMARS  OU  FRIMAS,  CeUX 

qui  se  lèvent  de  grand  matin,  qui  ab- 
sorbent le  brouillard,  les  gens  du  Pa- 
lais. 

Av.\LLUER,  retrandier  :  a  Ce  que  abon- 
doit  avalluant.  d 

Av.ALLVER,  mettre  eu  valeur. 

Av.\N-GER,  avancer,  atteindre,  suffire  : 
«  Xous  n'avangerons  que  trop  ». 

Av.\ntl"riers,  soldats  d'aventure. 

A.VE  iLYRis  STELLA,  antienne  à  la  Vierge. 

A\"EIGLE.  aveuglé. 

Ax-EXTiTRER  (s')  :  «  Qui  ne  se  adventure 
n'a  clieval  ny  m^ule,  ce  dist  Salomon.  — 
Qui  trop  se  adventure  perd  clieval  et 
mule,  respondit  Jlarcon.  »  Il  y  a  une 
série  de  dictons  dans  lesquels  Jlarcon, 
ou  Marcoul,  donne  ainsi  la  réplique  à 
Salomon.  —  Voyez  le  Dit  de  Marcoul  et 
de  Salomon,  publié  par  Barbazan. 

A%'ExzouAR,  savant  arabe,  auteur  de 
li\Tes  de  médecine. 

A\'ERi..VN-,  A\'ERL.VN"T,  OU  3.  fait  Venir  ce 
nom  de  l'allemand  haverliiig,  rouliets, 
maquignons  de  Hoever  (dans  le  Lim- 
bourg).  H  a  le  sens  de  ribauds,  pail- 
lards, gars,  compagnons. 


AvERN-E,  Tartare,  enfer  des  anciens. 

AvERRois,  Averroès. 

AvES,  aïeux  :  «  Aves  et  Ataves  »,  aïeux  et 

bisaïeux. 
.A.\T[T.\iLLÉ,  poun-u  de  vivres. 
AviTAiLLEMENT,  raWtaillement,   appro- 

■l'isionuenient. 
AvoiXE,    adveniat;    ilotes   qu'avoine   se 

prononçait  aveine. 
A\-ois,  pour  après  avoir  :  i  Pantagruel, 

avoir  conquesté  le  pays  de  Dipsodie, 

transporta  en  iceluy  une  colonie  de 

Utopieus.   »  C'est-à-dire  après  avoir. 

Cette  construction  est  très  fréquente 

dans  Rabelais. 
Avoir,  pour  être  :  »  H  y  eut  bu  et  galle.  » 

Patelin  dit  au  Drapier  : 

//  y  aura  beu  et  guallc 

Chez  riioy,  ains  que  vous  en  aliez. 

1,'auteiu-  de  Lancelot  du  Lac,  volu- 
me III,  au  feuillet  46  verso,  édition  de 
1520,  a  dit  :  «  Au  matin,  quand  le  jour 
apparut,  coururent  aux  nefz  les  povres 
et  les  riches,  entrèrent  dedans,  et  tous 
ceux  qui  en  GaiJe  dévoient  passer.  Si  y 
eut  assez  ploiiré  et  cryé.  » 

On  lit  aussi  dans  Froissart,  volume  I, 
chapitre  cxcn"  :  Là  eut  tire  et  escarmou- 
che. 

Je  ne  sache  pas  qu'il  soit  resté  dans 
notre  langue  aucun  vestige  de  cette  façon 
de  parler,  qui,  comme  on  voit,  a  eu  cours 
en  France  pendant  plus  de  trois  cents 
ans.  (I,e  Duchat.) 
AvoiSTRE.  adultérin. 
AvoLER,  ^"oler  vers. 
AxrN-05iAXTiE,  divination  par  le  moyen 

d'ime  hache  ou  d'une  cognée. 
Axrrs,  fontaine  en  Mygdonie. 
AxrNGE,  saindoux,  graisse,  substance  des 

corps  adipeux. 
AY5LVXT,  aimant,  minéral. 
Aymer,  aimer  :  «  Qui  me  ayme  si  me 

suive.  T> 
AzARS,  hasards. 
AzEjnxE,   persan;    ouvrage   d'azemine, 

ouvtage  persan. 
AzES  GrAYES,  zagaies,  demi-piques,  ja- 
velines. 
AzT."R,  bleu,  dans  la  langue  du  blason. 


B 


BiVAiLLER,  bailler. 

Eabin,   personnage  inconnu;   peut-être 
'  un  cordonnier  en  renom  de  ce  temps-là. 


Babines,  lèvres. 

B.\BOiNis  (de),  des  babouins  (singes). 

Babou.  —  Qu'est-ce  que  faire  la  baboul 


GLOSSAIRE    EX    NOTES 


419 


Il  C'est,  dit  I,e  Pudiat,  s'appuyer  le 
ponce  contre  la  joue,  puis,  avec  le  reste 
de  la  main  étendue,  contrefaire  un 
oiseau  qui  bat  des  ailes,  n  Suivant  nous 
(et  nous  pourrions  invoquer  de  graves 
autorites  parmi  les  nourrices  et  les 
bonnes  d'enfants),  c'est  faire  clat|uer. 
à  l'aide  d'un  doigt,  la  lèvre  inférieure 
contre  la  supérieure.  Cotgrave  traduit 
ce  mot  par  to  makc  a  mow,  faire  la 
moue.  (Burgaud  des  Jlaretz). 

Babou,  jeu  inconnu;  l'un  des  jeux  de 
Gargantua. 

Babouyneries,  dérivé  du  mot  précé- 
dent :  enfantillages,  singeries. 

Bac,  cuve. 

Bacabery,  personnage  cité  par  Rabelais. 

Bacalarius,  bachelier. 

Bacbuc,  mot  he'oreu  qui  signifie  bou- 
teille. 

Baccaxe,  Baccano,  lac  au  nord-ouest  de 
Rome. 

B.\ccE,s,  baies,  grains,  graines. 

Bacchanales,  fêtes  de  Bacchus. 

B.\ccHiDES,  bacchantes. 

Bacchus,  Baccus.  I,c  chapitre  xxxix  du 
\^  livre  est  imité  du  Bacchus  de  I,u- 
cien, 

Bachelette,  jeune  fille. 

B.4.CTRIANS  (les),  les  habitants  de  la 
Bactriane  (Asie  ancienne). 

Bacule,  jeu  qui  consistait  vraisembla- 
blement à  se  saisir  d'un  des  joueurs 
et  à  lui  faire  donner  du  demère  en 
terre. 

Badaud,  b,\daude,  niais,  niaise  :  «  Im- 
positions badaudes,  »  allégations 
niaises. 

Badebec,  femme  de  Gargantua.  Ce 
nom,  cmprimté  au  patois  sainton- 
geais,  veut  dire,  qui  ouvre  une  large 
bouche;  et  aussi,  qui  caquette  niaise- 
ment. 

Badel-iire,  sorte  de  glaive,  large  et 
recourbé. 

Badelorié,  tiré  probablement  du  mot 
précédent  :  recourbé  en  forme  de  ba- 
delaire  ou  de  cimeterre. 

B.vdigoinces,   b.\digouinces,  lèvres. 

Badin,  le  personnoge  du  Badin  était  un 
pcrsoîuiage  traditionnel  des  Soties,  le 
Jocrisse,  le  Bobèche  de  ce  temps. 

Badinatorium,  badinage. 

Baffouer,  culbuter. 

Bagatis,  alias  bagatins,  interprété  : 
rameurs,  bateliers. 

Bague,  baie,  grain,  comme  bacce. 

Bagiie,  femme,  dans  le  langage  erotique. 

Baguen.^udes,     futilités,     bagatelles. 

Bagues,  anneaux,  dans  le  sens  moderne. 

Bagues,  bagages,  hardes. 

Baignolet,  Bagnolet,  village  près  Paris  : 


«  L,e  l'ranc  archer  de  Baignolet  ».  mili- 
cien poltron  mis  en  scène  dans  une 
pièce  en  forme  de  monologue  attri- 
buée à  F.  Villon. 

B.AIL,  action  de  donner,  de  transmettre. 

Baii,,  baile,  couleur  bai. 

Bailbrun,  bai-brun. 

Bailler,  donner  :  «  Bailler  la  saccade,  » 
démonter  son  cavalier. 

Bailler  le  moyne,  proverbialement 
porter  malheur  :  «  Bailler  le  moine  v»^ 
le  cou,  »  pendre. 

Baillif,  bailli. 

Baillivernes,  ballivernes,  baliver- 
nes :  «  Bailleur  de  baillivernes  »,  con- 
teur de  bourdes. 

Baillys,  donnai. 

Baise  jion  cul,  nom  donné  par  Gj-m- 
naste  à  son  épée,  parodie  des  noms  que 
portent  les  épées  des  chevaliers  célè- 
bres dans  les  \ieux  romans. 

B.USLEJIEXS,  bâillements. 

Baisler,  bâiller. 

Baisler  aux  mouches,  bayer  aux  mou- 
ches, muser,  ne  rien  faire. 

B.iissiERE,  le  bas,  le  fond  d'un  to- 
neau,  ce  qui  est  sur  la  lie. 

Baladins,  balladins,  danseurs. 

Balais,  ealays,  rubis  balais. 

B.4.L.\isE,  gland,  du  grec  paXavoç. 

Balata  (latin  de  cuisine),  baillée,  don- 
née. 

Bald,  Balde,  Baldus,  célèbre  juris- 
consulte italien  du  xiv^'  siècle. 

Baldachin.  baldaquin. 

Baléare  (mer),  où  sont  les  iles  de  ce 
nom. 

Baliste,  machine  à  lancer  des  pierres. 

Ball.ay,  jeu  incoimu. 

Balle,  mesure  de  quantité,  d'où  ballot. 
On  dit  encore  porte-balle. 

Baller,  danser. 

Balleruc,  Balanic.  eaux  thermales  de 
France  (canton  de  Frontignan). 

Ballotant,  allant  au  suffrage,  d'où  le 
mot  ballottage,  encore  usité. 

Ballotte,  petite  balle. 

B.ANCQUE  roupie,  banqueroute.  Dans 
les  banques  (voyez  ce  mot),  on  brisait 
le  banc  du  marchand  Insolvable. 

Bancqueter,  faire  un  banquet.  Il  s'em- 
ploie aussi  dans  le  sens  de  régaler  :  «Je 
ne  plains  poinct  ce  que  m'a  cousté  à 
les  bancqueter  ». 

Bandes,  compagnies  de  soldats. 

Bandouilliers,  qui  forment  des  bandes , 
qui  marchent  par  bandes. 

Banerol,  portant  bannière. 

Banier,  banal. 

Banque  de  pardons,  forum  indulgen- 
tiarum,  comme  on  disait  alors,  l'en- 


420 


dtOSSAlRE    ET    NOTES 


droit  où,  dans  les  églises,  on  achetait, 
avec  quelque  argent  et  quelques  dévo- 
tions, les  indulgences. 

Banques,  les  banques  en  Italie  étaient 
les  lieux  où  se  réunissaient  les  notables 
commer(;aJits. 

Bar.\gouix,  barragouix,  jargon  incom- 
préhensible; semble  signilier  aussi  les 
gens  qui  emploient  ce  jargon. 

BaR-VGOL'ixage,  embrouillamini. 

B.\RALiPTON'  (en),  une  des  espèces  du 
syllogisme;  un  vers  cla-ssique  servait 
à  désigner  les  diverses  formes  de  cet 
argument  :  •  Barbara,  celarent,  Darii, 
ferio  baralipton  ». 

Baratter,  battre  comme  on  bat  le 
beurre  dans  une  baratte. 

B.arbacaxes,  meurtrières,  fentes  pra- 
tiquées dans  les  murs  par  où  l'on  fait 
feu  contre  l'ennemi. 

B.\rbarie,  c'était  le  nom  qu'on  donnait 
à  la  côte  d'Afrique  sur  la  Méditerranée. 

B.\rb.vrus  (Hermolaùs),  Ermolao  Bar- 
baro.  Il  y  a  deiix  savants  italiens  de  ce 
nom  au  xv*  siècle. 

B.\re.\tl\  ou  B.\rbatlvs,  jurisconsulte 
sicilien  du  xv^  siècle. 

Barbe  (en),  en.  face  de  nous,  devant 
nous. 

B.\rbe  D■ESCRE^^SSE  (déchiqueter  la 
peau  en),  en  faire  de  fines  lanières. 

Barbe  de  Juppiter,  plante. 

B.VRBE  d'oribus,  l'uu  des  amusements 
de  Gargantua;  on  ignore  en  quoi  il 
consistait. 

B.\rberotz,  petits  barbiers,  chirurgiens. 

Barberousse,  Khaîr  Eddyn,  dit  Barbe- 
roiosse,  corsaire  et  amiral  ottoman, 
contemporain  de  P^abelais.  — -  Bar- 
berousse    (l'empereur    Frédéric    I'', 

•    surnommé). 

B.arbet  :  «  Pour  Vénus  advieigne  Bar- 
bet le  chien  ».  Dans  l'andeu  jeu  des 
taies  ou  osselets,  le  côté  du  dé  le  plus 
favorable  représentait  Vénus,  et  le  plus 
mauvais  un  chien.  —  l,es  Espagnols 
ont  nonuné  encuer.tro  la  meilleure 
chance,  et  azor  la  phis  mauvaise. 
«  Puesto  que  de  tal  manera  podia  acor- 
rer  el  dado,  que  eclialemos  azor  en 
lugar  de  encuentro.  »  (Cervantes, 
D.  Qiiij.) 

Barbiers,  les  chinirgiens  étaient  alors 
confondus  avec  les  barbiers. 

B.VRBoiRE,  en  latin  barbaioria,  mas- 
carade où  l'on  portait  de  fausses  bar- 
bes. Grégoire  de  Tours  parle  d'une 
abbesse  du  Poitou  qui  fut  accusée 
«  quod  borbatorias  intus  monasterio 
celebraverit  ». 

B.utBOTixE,  absinthe  de  mer,  dit  un 
commentateur. 


Barbouillemens,  barbouilleries,  bar- 
bouillages. 

Barbute,  capuclion  rabattu,  percé  de 
deux  trous  à  la  place  des  yeux. 

Basdable,  susceptible  d'être  bardé. 

Bardane,  plante. 

Barde,  armure  défensive. 

B.ardé,  couvert  d'vme  barde. 

B.\RDOcucuLi.É.  Le  bardoduCTiUe  était 
ime  cape  ou  manteau  garni  d'un  co- 
queluchon  à  l'usage  des  Gaulois.  Ce 
mot  se  trouve  dans  Martial. 

Barguigner,  faire  des  cérémonies  inu- 
tiles, tourner  autour  des  choses  sans 
prendre  de  décision,  mardiander  sans 
aboutir  à  rien. 

Barigxd.',  jeu  de  trictrac. 

Barizel,  de  l'italien  barigello,  chef  des 
sbires. 

Barraige,  droit  qui  se  prélevait  sur  les 
denrées  pour  l'entretien  des  ponts  et 
chaussées. 

B.VRRAXCO  (Joaninus  de),  auteur  imagi- 
naire d'un  livre  de  CopiositaU  rcvcn- 
iianim. 

Barravlt,  mesure  de  liquides  contenant 
ordinairement  \Tngt-sept  pintes.  (I,an- 
guedoc). 

Barre,  longue  pièce  de  bois. 

Barrer,  fermer  avec  un  barreau,  avec 
une  barre  de  bois. 

BARREi.4DE,coup  de  barrette,  salut  de 
bonnet. 

Barrter,  crier,  pour  désigner  le  cri  pro- 
pre aux  éléphants. 

B.^RRTNE  (coiîille)  d'éléphant. 

B.ART.ACHTM,  Jean  de  Bartachino,  juris- 
consulte italien,  auteur  d'un  Reper- 
torium  juris. 

Bartole,  Bartolus,  célèbre  juriscon- 
sulte. 

Barytoner,  émettre  des  sons  graves. 

Bas.vuchiexs,  basochieus,  gens  de  la 
basoche. 

Basch.\t,  pacha. 

Baschê,  village  du  Chinonnais.  Les  noces 
de  Basché  rappellent  une  vieille  cou- 
tume. Dans  la  symboUque  de  l'an- 
cien droit,  des  soufflets  donnés  aux 
enfants  étaient  un  moyen  de  graver 
dans  leur  mémoire  le  souvenir  des 
con\entions  auxquelles  ils  assistaient. 
Il  en  était  de  même  pour  le  contrat  de 
mariage,  à  l'occasion  duquel  l'usage 
était,  dans  certaines  provinces,  de  se 
donner  •  de  petits  coups  de  poing,  en 
souvenir  des  noces  n.  Dans  le  Printemps 
d' Y  ver,  à  propos  des  noces  de  Claribel, 
célébrées  à  Poitiers,  il  est  dit  :  «  Notre 
patient  fut  tout  estonné  qu'on  lui 
demanda  la  li\Tée;  tellement  qu'après 
les  coups  de  poing  de  fiançailles,  à  la 


GLOSSAIRE    ET    NOTES 


421 


mode  du  pays,  Claribel  changea  le 
deuil  de  sou  père  pour  les  joies  d'un 
nouveau  mariage  ». 

Bas  cuecr,  bas  chœur,  le  groupe  des 
chanteurs  vulgaires. 

Bas-cul,  croupière. 

Basilic,  baselic,  sorte  de  canon,  — 
sorte  de  reptile. 

B.^iSlQUE,  adjectif  de  base,  synonyme 
de  fondamental. 

Basle,  baUe. 

Basle,  Bâle,  ville. 

Basme,  baume  :  «  Ce  sera  basme  de  me 
voir  brider  u. 

Basque  (le),  laquaist  de  Grandgousier. 

Bassarides,  bacchantes,  de  Bassareus, 
nom  de  Bacchus. 

Basse  dance,  danse  posée  des  gens  bien 
appris. 

B.^STE,  exclamation  :  Assez,  il  suffit. 

Bastelelt*,  bateleur. 

Baster  (un  tontieau),  remuer,  trimbal- 
ler. 

Basteurs,  batteurs. 

Bastille,  fort,  château,  refuge. 

B.\STissEUKS,  gens  qui  bâtissent. 

Bastox,  arme  :  «  Essayoit  de  tous  bas- 
tons  b;  —  court-baston  :  jeu.  (Voir  ce 
mot.) 

Baston  (de  croix),  hampe  sur  laquelle  la 
croix  est  adaptée. 

B.\STON  (de  mariage),  eroticè,  s'entend 
aisément. 

B.\STON  A  UN  bout,  comme  baston  de 
mariage. 

Bastonnier,  bâtonnier  :  «  De  la  confré- 
rie des  fouaciers.  » 

Basions  (à),  à  doubles  bastons,  en  par- 
lant des  fêtes,  c'est-à-dire  où  les  croix 
et  bannières  sont  déployées. 

Bastons  roiipitz  (à),  à  coups  de  bâton. 

Bat.^il,  battant  (de  cloche). 

Baïisfol.\giis  (de),  des  batifolages. 

B.\TTERIE,  action  de  battre. 

B.\TTERIE,  groupe  de  pièces  (artillerie). 

Baudement,  joyeusement. 

Baudiciion  (l'ami),  nom  comique  en- 
core employé. 

Baudouhver,  même  sens.  Ces  mots  s'ap- 
pliquent par  extension  à  l'espèce  hu- 
maine. 

B.^iTEouYNAGE,  action  de  saillir,  chez 
les  baudets. 

Baudrier,  ceinturon. 

Bauditfe,  s'est  dit  dans  le  sens  de  bau- 
druche. l,a  baudruche  est  ime  pelli- 
cule de  boyau  de  bœuf  qui  sert  princi- 
palement aux  batteurs  d'or  pour 
réduire  l'or  en  feuilles.  (Dict.  Ac.) 

Baut^frer,  manger  gloutonnement. 

Bauffrltœ,  action  de  bauffrer. 

Baugears,  terme  injurieux,  cjui  est  dé- 


rivé sans  doute  de  la  bauge  du  sanglie 
et  du  porc. 

Baulex'res,  b.\ulieviœs,  lèvres,  mâ- 
choires. 

Baurach,  bourach,  borax. 

BAUTtACiNELtx,  qui  contient  des  particu- 
les de  borax. 

B.WERETTE,  bavette. 

B.WEUX,  qui  bave,  et,  par  extension, 
qui  est  loquace  et  prolixe. 

Bavière,  partie  de  l'armet  au-dessous 
de  la  bouche. 

Eavières,  la  Bavière;  Bavardia. 

Baye  (gueule) .  la  bouche  ouverte,  béante. 

B.\s  CULZ  (mettre  à),  s'asseoir. 

Bazacle  (les  moulins  du),  moulins 
renommés  de  Toulouse. 

Béat,  de  beatus. 

Be.\ti  quorum,  ce  sont  les  deux  pre- 
miers mots  du  psaume  lxxviii, 
deuxième  psaume  de  la  pénitence. 

Be.\ulne,  Beaune. 

Beauvoys,  Beauvais. 

Becard,  le  grand  harle,  espèce  de  pal- 
mipède. 

Becguetant,  chevrotant,  bégayant, 
selon  l'interprétation  la  plus  plausible. 

Bêchée,  becquée  :  «  Ne  prennent  leur 
becliée  sinon  qu'on  leur  tape  la  queue.  » 

Bechets,  brochets. 

Beda.  auteur  d'un  traité  de  Compuio  seu 
indigitilatione  et  de  loquela  manuali 
per  gestum  digitorum.  Venise,  1525. 

Beda  (Noël),  théologien,  ennemi  de  la 
Réfonne.  Rabelais  lui  attribue  un  trai- 
té de  Optimale  triparum. 

Bedaines,  gros  ventres. 

Bedaud,  bedault,  terme  amical,  qui 
dérive  peut-être  de  bedaine. 

Bedon,  comme  le  mot  précédent. 

Bedondaine,  bedaine. 

Bedouaut-T,  blaireau. 

Been,  nom  arabe  des  niyrobolans  ou 
glandes  aromatiques. 

BEGUIN,  coiffure  de  tête. 

Bejaune,  bec-jaune,  blanc-bec,  ap- 
prenti, niais. 

Bel,  Belus,  Baal. 

Belijia,  forteresse  imaginaire. 

Bêles',  bélier. 

Belinaige,  coït  des  béliers;  s'applique 
par  extension  à  l'espèce  humaine. 

Beliné,  tondu,  dépouillé,  attrapé. 

Beliné,  un  des  jeux  de  cartes  auxquels 
jouait  Gargantua. 

Beliner,    arietare,   s'accoupler. 

BELEsriER,  bélier,  homme  qui  beliné. 

Belinière,  de  bélier. 

Belistrandie,  bêtise,  belîtrerie,  ba- 
lourderie. 

Belistrandeers,  belistrandeis,  aug- 
mentatif de  bdistre,  bélître. 


422 


GLOSSAIRE    ET    NOTES 


Bblistre,  gi'eux. 

Belle  (guerre  dicte),  jeu  de  mots  sur 
bellutn. 

Bellicque,  de  guene. 

Belliers,  béliers  d'un  pressoir,  les  deux 
arbres  qui  en  forment  le  fût. 

Belusteau,  nom  d'un  jeu  d'enfants. 

Bei.utaige,  Vatto  vctiereo. 

Beluteau,  blutoir,  crible. 

Belute.ment,  action  de  bluter,  et,  par 
extension  :  examen,  discussion. 

Beluter,  bluter  la  farine,  le  temps,  sa 
femme. 

Bender  une  arbalète,  le  gouvernail,  son 
esprit. 

Bender  (se),  s'insurger  :  «  .Se  bender 
contre  son  père.  » 

Bentifice,  action,  attribution  bienfai- 
sante. 

Benevolence,  bienveillance. 

Bexistre,  bénir. 

Benoist,  bexoiste,  béni. 

Bexoistier,  bénitier. 

Bercan  (Jacquet),  musicien  contem- 
porain de  Rabelais. 

Bergamasque,  Bergamesque,  de  Ber- 
game  «  Boucler  à  la  Bergamasque  », 
mettre  une  ceinture  de  chasteté. 

Bergei^ottes,  bergerettes,  diminutif  de 
bergères. 

Berilles,  berylles,  pierres  précieuses. 

Berl.and,  brelau,  jeu. 

Berle,  salade. 

Bernard  I<ardon,  moine  d'Amiens, 
d'après  Rabelais. 

Berne  (à  la  moresque),  mantelet  à  capu- 
chon, préser\'ant  le  visage  du  hàle. 

Berose,  historien  chaldéen  du  rV^  siècle 
avant  J.-C. 

Bers,  berceau. 

Besch,  vent  du  sud-ouest. 

Besoigner,  travailler;  est  employé  éro- 
tiquement. 

Besoignes,  affaires,  biens. 

Besoing  (faire),  faire  défaut,  manquer. 

Bess.vin,  bassin. 

Bess.arion  (Jean),  savant  grec  du  sv» 
siècle. 

Bessé,  village  du  Chiuonnais. 

Be.sser  (boys),  baisser  les  lances,  les 
piques. 

Bessons,  doublets,  jumeaux. 

BeSTE  a  deux  DOS  (FAIRE  LA),  /«r  V OltO 

venereo. 

Beste  morte,  Gargantua  jouait  à  la 
beste  morte;  cela  consiste  à  porter 
un  enfant  sur  son  dos  la  tête  eu  bas, 
comme  une  «  bête  morte.  » 

Besterie,  bêtise. 

Bestes  :  a  Si  n'estoient  messieurs  les 
bestes,  nous  vivrions  comme  clercs.  » 
Rabelais  change  la  place  des  mots  :  si 


n'étaient  messieurs  les  clercs,  nous  vi- 
vrions comme  bêtes. 

Bestiaires,  belluaires,  combattant  les 
animaux  féroces. 

Betelis,  Teflis,  ville  d'Asie. 

Bette,  bour  buvette,  action  de  boire  : 
«  Je  ne  peuz  entrer  en  bette  »,  je  ne 
peux  me  mettre  en  train  de  boire;  — 
plante  de  la  famille  des  arroches. 

Betl'ne,  Bithynie,  contrée  de  l'Asie 
Mineure. 

Beuffle,  bufile. 

Beuignet,  beignet. 

Beurre  :  «  La  grosse  tour  de  beurre  qui 
estoit  à  Bourges.  »  On  nommait  ainsi, 
dit-on,  des  tours  construites  avec  l'ar- 
gent provenant  des  permissions  de 
manger  du  beurre  pendant  le  ca- 
rême. 

Beurs,  Burs,  moines  vêtus  de  bure. 

Beusse,  bourg  et  rivière  du  I<oudunois. 

Beux'ereau,  petit  buveur. 

Beuxtsrie,  action  de  boire. 

Beuvettes,  buvettes. 

Beveur,  buveur. 

Bez.^gue,  hache  à  deux  tranchants. 

Bezan,  monnaie  d'or.  Son  nom  venait 
de  Bs'zance,  où  elle  avait  été  frappée 
du  temps  des  empereurs  chrétiens. 

Bezicles.  lunettes;  est  pris  quelquefois 
pour  yeux. 

Biart,  Béam  :  «  Cappe  de  Biart  »,  cape 
béarnaise. 

Bib.aroys,  Vivarais.  En  donnant  cette 
forme  au  mot  Vivarais. Rabelais  a  l'in- 
tention de  le  rapprocher  du  mot  bibere 
et  de  le  confondre  avec  le  pays  des 
buveurs. 

BlCANE,  sorte  de  raisin  dont  on  se  ser- 
vait pour  faire  du  verjiis. 

BicocQUE,  village  du  Jlilanais  où  I^u- 
trec  avait  été  battu  par  les  Impé- 
riaux en  1522. 

Bien  sé.\nce  (droit  de),  droit  de  faire  à 
sa  convenance,  à  son  plaisir. 

BiERE  (forest  de),  forêt  de  Bièvre. 
Les  uns  croient  qu'il  s'agit  de  l'an- 
cienne forêt,  voisine  de  Paris,  à  laquelle 
la  rivière  de  Bièvre  donnait  son  nom; 
les  autres,  qu'il  s'agit  de  la  forêt  de 
Fontainebleau,  qui  s'appela  aussi 
forêt  de  Biè\Tc. 

BiÈs,  biais  :  <c  De  biès,  »  de  travers. 

Bièvre  (forest  de),  comme  la  forêt  de 
Bière. 

BiGEARRE,  bigarré,  bizarre. 

BiGORRE,  pays  entre  les  bassins  de 
l'Adour  et  de  la  Garonne. 

BiGUA,  palan;  —  au  lieu  de  biga,  cha- 
riot à  deux  roues. 

Bille,  balle,  bulle  :  «  Danser  comme  bille 
sur  tabour  »,  bondir  comme  balle  sur 


GLOSSAIRE    ET    NOTES 


423 


tambour.  »  Billes  vezées  »,  bulles  plei- 
nes de  vent. 

Bille,  je>i  de  la  bille  :  croquet. 

Bille  boucquet,  bilboquet. 

BlLLON->'Ei-RS,  gens  qui  font  un  trafic  de 
monnaies  défectueuses. 

BiMBELOTER  (uu  tonueau),  le  tracasser. 

BiP.\RTlENT,  partagé  en  deux. 

Blsc.\RiÉ,  défait,  en  mauvais  état. 

BiscHARS,  faons  de  biche. 

BiscLE,  bigle,  louche. 

BiscoTER,  comme  beluter,  beliner  ;  jar 
l'atto,  disent  les  Italiens. 

BiscriTES,  biscuits. 

Bisor.\RS,  colporteurs,  porte-balles  du 
Dauphiné. 

BissEXTE,  jour  que  l'on  ajoute  à  l'année 
tous  les  quatre  ans. 

BisTORiER,  inciser,  taillader,  déchique- 
ter. 

BiTARS,  outardes. 

BiTOXS,  petites  charpentes  qui  servent  à 
arrêter  les  cables  et  gros  cordages  dans 
les  fortes  manœuvres. 

BiTOUS,  comme  Bitons. 

Blanc,  moimaie;  le  grand  blanc  valait 
six  deniers   le  petit  blanc  cinq. 

Blanc  signifie  aussi  le  point  central  où 
visent  les  tireurs  :  «  Armés  à  blanc  », 
c'est-à-dire  armés  d'armures  polies, 
reluisantes,  i  Celui  qui  n'a  point  de 
blanc  dans  l'œil  »,  c'est  le  diable. 

«  Blanc  signifiera  joye.  Et  n'est 
signifiance  par  imposition  humaine 
instituée,  mais  receue  par  consente- 
ment de  tout  le  monde...  »  Cela  n'est 
pas  exact;  mais  Rabelais  ne  pouvait 
savoir  qu'en  Chine  le  blanc  est  signe 
de  deuil. 

Blaxche,  jeu;  vraisemblablement,  sorte 
de  jeu  de  cartes. 

Blaxchée,  la  valeur  d'un  blanc. 

BLANcnET,  petite  étoffe  de  laine  blanche. 

BL.'iJNCHETTE,    Lcucece,    Paris,    «    ainsi 
nommée  pour  la  blancheur  des  cuisses 
des  dames  dudict  lieu  ». 
Bl.vsTJLTœau,  pommes  ainsi  nommées  à 
cause,  dit-on,  de  leur  blancheur  et  de 
leur  dureté. 
Blason,  le  'olason  d'une  cliose  est  l'en- 
semble des  traits  qui  caractérisent  le 
mieux  cette  chose  en  bien  ou  en  mal. 
I^  Blason   des   couleurs  est   un   petit 
livre  publié  vers  1530,  où  l'on  donne  le 
sens  et  la  signification  des  diverses 
couleius. 
Blasonner,  caractériser  une  personne, 

uiue  chose,  en  bien  ou  en  mal. 
Blasphème,  pour  blasphématoire. 
Bl.\ttes,  vermine  qui  ronge  les  étoffes 
et  les  livres;  —  s'est  dit  pour  belettes. 
Blaye,  sur  la  Gironde. 


Bled,  blé. 

Blejlmies,  êtres  fantastiques,  sans  tête, 
ayant  les  yeux  et  la  bouche  sur  la 
poitrine. 

Blocquer,  choquer,  tarabuster. 

BOBELiNER,  saveter;  de  bobelinandis,  etc. 

Bobelins,  chaussures  grossières  et  fer- 
rées que  les  savetiers  avaient  le  droit 
de  confectionner,  d'où  ils  étaient  appe- 
lés bobelineurs. 

BocACE  ,  BoccACio ,  l'auteur  du  Déca  • 
méron. 

BOESMES,  bohémiens. 

BOETTE,  boîte. 

Bœl"f  viALÉ,  ou  bœuf  vielle,  c'est-à-dire 
promené  avec  musique  de  viale  ou  de 
vielle;  l'un  des  jeux  de  Gargantua. 

BoHf,  nom  d'une  île  imaginaire. 

Boxes,  sorte  de  reptiles. 

BoiLLiR,  bouUlir. 

BOLEVARD,  BOLT-LEVAR,  boulevard. 

BOLIDES,  le  plomb  de  la  sonde. 

BOLivoRAX,  nom  d'un  géant. 

BOLOGNE,  BouLGlGN'E  (en  Italie). 

BoLOiGNE,  Boulogne,  près  de  Paris. 

BOMB.\RDE,  pièce  d'artiUerie. 

Bon  jo.\n,  capitaine  des  Franctpoins. 

BONA,  BONE,  ville  d'Afrique. 

BONACHE,  bonace,  calme  en  mer. 

BoNADiES,  nom  propre  formé  de  bona 
dies,  bon  jour. 

BoNASES  (de  Pœonie),  animaux  sau- 
vages, Pline  (li\Te  VIII,  chapitre  xv) 
dit  que  la  fiente  de  cet  animal  est  si 
mordicante  qu'elle  brûle  ceux  contre 
lesquels  il  la  lance  quand  il  est  poiur- 
suivi. 

Bona  Speranza  (cap  de),  cap  de  Bonne- 
Espérance. 

BONDE,  pièce  de  bois  qui,  baissée  ou 
haussée,  sert  à  retenir  ou  à  lâcher  l'eau 
d'un  étang. 

Bondes  (de  Herclt-es),  colonnes  d'Her- 
cule. 

Bon  di,  bonjour,  buon  di  en  italien. 

Bor-TDON,  morceau  de  bois  rond  qui  sert 
à  boucher  la  bonde  d'un  tonneau;  se 
dit  aussi  de  la  bonde,  de  l'ouverture 
eUe-même;  a  parfois  un  sens  erotique. 
BoNDRÉE,  sorte  de  buse;  «  au  nid  de  la 
boudrée  »,  jeu.  sur  lequel  on  n'a  pas 
de  renseignements. 
Bonedée,  bona  dea,  bonne  déesse. 
Bonne  Meste,  personnifiée  par  Rabelais. 
Bonnettes.  Les  bonnettes  sont  de  peti- 
tes voiles  qu'on  ajoute  aux  grandes. 
La  bonnette  traîneresse  est  celle  qu'on 
attache  au  papafil  du  grand  mât. 
BONOSUS,   empereiu:   de   Rome   qui   se 

pendit. 
Bons,  bonds. 
Bons  hommes.  I,es  Jlimmes  fondés  par 


424 


GLOSSAIRE    ET    NOTES 


saiut  François  de  Paule  étaient  appelés 
conimuncment  les  Bons  boniines. 
BoRDELiER,  liabitué  des  maisons  de  pros- 
titution. 
Bordes,  maisonnettes  des  champs. 
BORDIEXJX,  même  sens  que  bordes. 
BORÉAS,  Borée. 
BoRSOCFLÉ,  boursounlé. 
Boss.\Ri),  île  allégorique  des  bossus. 
Bossu  AULiCAX,  jeu  inconnu. 
Bot,  exclamation. 
BOTAXOMANTIE,  di%Tnation  par  le  moyen 

des  plantes. 
Butasses,  bottes,  chaussures. 
Bote,  botte,  vaisseau,  mesure  des  li- 
quides. 
BoiELEL-R,  botteleur,  qui  fait  ou  qui 

ramasse  des  bottes  (de  foin). 
BoTi>rEURS,     gens     portant     bottines, 

moines. 
Bottike,  chaussure. 
BoucvL,  bocal. 
Bouchard  (Isle),  ile  de  la  Vieime,  près 

de  Chinon. 
BoucHET   (Jean).  —  Voyez  la   Vie  de 

Rabelais. 
Boucler,  fermer  :  «  Boucler  une  femme  • 
lui  ceindre  une  ceinture  de  chasteté 
qui  se  ferme  à  cadenas. 
Boucler,  bouclier. 

BoucLUS,     tranchées     d'investissement. 
De  là  vient  sans  doute  le  mot  blocus. 
BoucoN,  poison. 
BoucQUE,   boucle,   nombril;   a  aussi  le 

sens  de  bouche,  embouchure. 
BoucQUER,  baiser  par  force,  dit  le  dic- 
tionnaire de  l'Académie. 
BoucQUix,  bouc  ou  homme  lascif  comme 
un   bouc.   Boucquin,   boucquine,   pris 
adjecti%-ement,  c'est-à-dire  de  bouc. 
BouDAREa  (ep'.scopi),  nom  burlesque. 
B0LTDix.'a.LE   (fressure),  le  boudin.  Boii- 

ditws,  en  latin  de  cuisine. 
BoufFjUGE,  ce  qui  se  mange;  de  bouSer: 

manger. 
Bouffiz,  farcis. 
BOUGER,  remuer,  partir  de. 
Bougette,  pochette,  bourse. 
Bougres,  dans  le  sens  actuel  :  «  Brûler 

comme  bougres.  » 
Bougrin,  diminutif  de  bougre,  hérétique. 
BouGRixo,  le  même  mot  avec  la  termi- 
naison italieime. 
BouGRiSQUE    (barbe),    bougresque,    de 
bougre,  ou  de  Bulgare,  en  revenant  à 
l'étymologie  du  mot. 
BouGUTER   (Guy),   un   des   compagnons 

de  Rabelais  à  Montpellier. 
BouLAXGEERS,  boulaugCTS;   t  ne  valent 

guères  mieux  que  les  meusniers.  » 
Bouleau,  jeu  inconnu. 
BotJijNï:,  cordage  usé  au  milieu  de  cjia- 


que  côté  d'une  voile,  et  qui  sert  à  la 
tirer  en  avant,  p.Dur  prendre  le  vent, 
lorsqu'il  est  oblique  ou  contraire. 

Boulixgues,  petites  voiles  du  haut  du 
màt. 

Boulle  plate,  sorte  de  jeu  de  quilles; 
—  courte  boulle,  jeu  de  boules 
dans  un  terrain  délimité. 

BouRBOxxEXSY,  Bourbonne  -  les  -  Bains 
(Haute-Marne). 

BouRBOxsoYS,  province  de  France. 

BOURDEAULX,  Bordeaux. 

BoxntDELOVs,  le  Bordelais. 

Bourdes  (les),  village  du  Chinonnais. 

BouRE,  Bura,  ville  d'Achaie. 

Bourgeoys  (frère  Jan),  prédicateur  du 
temps  de  Rabelais. 

Bourget,  bourg  près  de  Paris. 

Bourguï:l"xl,  petite  ville  du  Chinonnais 
où  il  y  avait  ime  abbaye  de  bénédic- 
tins. 

Bourlet,  bonnet  doctoral. 

Bourn'ée,  bornée,  limitée. 

BouRNE,  borne. 

BouRRAEAQUiN,  flacou  de  cuir,  flûte  ou 
grand  verre  allongé. 

BouRRABAQur^^ÈRE,  adjectif  formé  du 
mot  précédent.  Xa  nef  bourrabaqui- 
nière  est  celle  qui  a  un  bourrabaquin 
pour  enseigne. 

Bourrache,  outre,  de  l'espagnol  borra- 
cha. 

BouRRACHOUS,  ivrogne  qui  aime  à  vider 
bouteille  (même  origine  que  bourra- 
che). 

Bourré  (François),  domestique  du  sei- 
gneur de  Langeais. 

Bourreau,  bourreau  et  bureau,  Rabe- 
lais joue  sur  ces  deux  mots. 

Bourrée;  jeu  qui  consiste  à  sauter  par- 
dessus un  obstacle,  parfois  sxu:  \m 
fagot  enflammé. 

Bourry,  bourry,  zou,  Gargantua 
jouait  au  «  bourry,  bourry,  zou  »,  jeu 
inconnu. 

BouRS.\v^TZ,  mot  composé  qui  s'entend 
bien. 

Bol-rseller,  payer  de  sa  bourse. 

Bourt,  bord,  rivage. 

BousQUiN-E,  jeu  inconnu. 

Boussin",  morceau. 

Boutargues,  cervelas  composé  d'ceuls 
de  muge  ou  d'esturgeon  confits  à 
l'huile. 

Eouta\'ext,  eoutevext,  soufflet. 

Boutehors.  sorte  de  jeu  de  balle. 

Bouteilliql'e,  adjectif  du  mot  bouteille. 
Bouteillox,  de  bottielione  (Dictionn. 
d'Oudin),  grand  buveur,  sac  à  vin.  Les 
Italiens  appUquaient  cette  injure  aux 
troupes  françaises  qui  occupaient  leur 
pays  :  t  Quid  restât  mihj?  ut  eypressis 


GLOSSAIRE    ET    NOTES 


425 


butiliouibus,  reguet  Cœsar  iuvictis- 
simus.  »  (Pasquin,  tome  II,  page  317 
des  Pasqiiilloritm  Tonii  duo). 

Bouter,  mettre,  poser,  pousser. 

Bouton  :  «  A  restiiiiation  d'mi  bouton,  » 
valant  un  bouton. 

Boutonné,  couvert  de  boutons. 

BoUTTE  FOYRE,  jeu  indéterminé;  —  l'un 
des  jeux  de  Gargantia. 

BOUYS,  buis. 

BouziNE,  cornemuse. 

BoviER,  bouvier. 

Bovins,  Bovines,  de  bœuf. 

BoYE,  bourreau. 

BOYERS,  bouN-iers. 

}!oYRE,  quantité  et  mesure  de  liquide. 

Boys   (de  moulle),  bois  à  la  mesure. 

BoYSSON'NÉ  (Jean  de),  professeur  à 
l'Université  de  Toulouse,  pms  conseil- 
ler à  Chambéry.  —  Voyez  la  Fie  de 
Rabelais. 

Boyte,  boisson. 

Boyteux  (le).  On  dit  que  paj  ce  mot 
Rabelais  désigne  Charles-Quint. 

Brabant,  pro\ànce  des  Pays-Bas. 

Brachm.\nes,  prêtres  indiens. 

Bracque,  carrefour  de  Bracque;  depuis, 
place  de  l'Estrapade. 

Bracquemart,  br.\quemart,  courte 
cpée.  Est  pris  souvent  dans  un  sens 
erotique. 

Bragard,  braguart,  beau-fils,  mignon, 
pimpant. 

Brag>lar,  même  sens  que  bracquemart. 

Brag>l\rd.  braquemarder,  jouer  du 
bragmard,  eroticè. 

Br.\gue,  cordage  court  qui  sert  au  grée- 
ment  d'un  vaisseau. 

Eragues,  chausses,  braies,  braguette  : 
«  Bragues  avalades  n,  chausses  baissées. 

Braguette,  appendice  du  haut-de- 
cliausses  servant  à  contenir  les  par- 
ties de  l'homme.  Quelquefois  Rabe- 
lais prend  le  contenant  pour  le  con- 
tenu. 

Braguibcs  et  braguetis  (in),  dans  les 
braies  et  les  braguettes. 

Brain,  brin,  petite  quantité. 

Braisler,  désigne  le  cri  de  l'àne,  braire. 

BR.A.MER,  brasmer,  crier,  désigne  parti- 
culièrement le  cri  du  cerf;  signifie  aussi 
aspirer,  désirer  vivement.  Janotus  de 
Bragmardo  applique  ce  mot  à  une 
vache  sans  cymbales  (sans  clochettes). 

Br.«iont  (en  Lorraine). 

Bran,  son  et  excrément;  ce  qui  prête  au 
jeu  de  mots  «  Pet  de  botilanger,  car 
le  bran  vient  après  »;  s'emploie  en 
forme  d'interjection. 

Branc,  brand,  lourde  épée  à  un  seul 
tranchant. 

Prançhides,    famille    d'origine    nylé- 


sienue  vouée  au  culte  d'Apollon  à 
Dydime. 

Brancioer,  qui  se  tient  sur  les  bran- 
ches. 

Brancquars,  vergues. 

Brandelle,  sorte  de  balançoire. 

Brandes,  arbustes  secs,  bruyères  dessé- 
chées. On  dit  proverbialement  :  «  Com- 
me le  feu  parmi  les  brandes.  » 

Brandie,  vif,  entier,  debout. 

Br.\ssal,  brassard. 

Brassée,  embrassade. 

Brassier,  fronde. 

Braveté,  fierté,  braverie,  élégance. 

Br.\ye,  haut-de-cliausses. 

Brayer,  broyer. 

Brayer  (Jamet),  pilote  principal  de 
Pantagruel.  C'est  le  nom  d'un  pilote 
renommé  à  cette  époque. 

Braves,  ouvertures,  passages  :  c  Faulses 
brayes,  »  issues  qui  doivent  être  bou- 
chées, dans  une  place  forte,  qiiand 
l'ennemi  approche. 

Brayes,  poiu:  vraies. 

Braze,  braise. 

Breaulté,  danse. 

Bréchet,  l'os  fourchu  de  la  poitrine. 

Breg.matiques,  Bregmatis  (os),  os  du 
sinciput  ;  eu  grec  IJoiyax. 

Brehaigne,  stérile. 

Brehemond,  breiie.mont,  village  du 
Chinonnais. 

Brelant,  jeu;  tenir  le  brelant,  tenir  le 
jeu;  est  pris  dans  un  sens  erotique. 

Brelinguandus,  nom  imaignaire. 

Bken,  comme  Br.4N  dans  le  sens  d'ex- 
crément. Est  surtout  usité  comme 
interjection  :  «  Bren,  bren.  Bren  poiu: 
lui.  » 

Bren.\sserie,  mot  formé  avec  le  mot 
bren,  ordure. 

Brène  (la),  la  Brenne,  pays  sur  les  limi- 
tes de  la  Touraine  et  du  Berry,  entre 
Châteauroux  et  le  Blanc. 

Bren-eux,  brenous,  merdeux. 

BRESIL,  désigne  la  Provence  bresillce, 
brûlée  par  les  troupes  de  Charles- 
Quint.  Antoine  de  Ley\'e  périt  au 
siège  de  Marseille.  —  Voyez  la  Vie  de 
Rabelais. 

Brésil,  bois  de  Brésil. 

Bresser,  bercer. 

Bressine,  manœuvre  pour  traverser 
l'ancre  d'un  vaisseau. 

Bressuire,  ville  du  Bocage,  en  Vendée. 

Bretaigne,  Bretagne  :  «  A  la  mode  de 
Bretaignc.  » 

Bretesque  (a  la),  la  bretonne  :  «  Boire 
à  la  bretesque.  » 

Breume,  brume,  le  solstice  d'hiver. 

Breusse,  grande  tasse,  verre  à  boire. 


426 


glossairtî:   et  notes 


Brbvaige,  breuvage. 

Bréviaire,  livre  d'heures;  flacon  fait  eu 
fomie  d'un  de  ces  livres.  «  Matière  de 
brcviaire.  »  théologie  élémentaire,  ce 
qui  se  trouve  dans  le  bréviaire. 

Bri.^re,  Bri.^reus,  Briarée,  géant. 

Briber,  manger. 

Bribes,  miettes,  morceaux. 

Bricquer,  travailler,  bâtir,  revêtir  de 
briques. 

Bride  :  «  A  bride  avallée  »,  à  bride  abat- 
tue. 

Brie  (Germain  de).  —  Voyez  au  mot 
Germain. 

Brief,  bref.  «  En  briefs  jours,  »  en  peu 
de  jours.  Brief  (de),  bientôt. 

Briefveté,  brièveté,  laconisme. 

Briexd  Vallée,  seigneur  de  Douliet 
en  Saintonge,  conseiller  au  parlement 
de  Bordeaux  et  président  à  Poitiers. 

Bripf.wlt,  jeu  inconnu. 

Briffaulx,  frères  lais  fondés  eu  bief  du 
pape  et  entretenus  par  des  religieuses 
non  rentées,  afin  de  quêter  pour  elles. 

Brigcanderye,  brigandage,  pillage. 

Briguandine,    armure   légère   faite   de 

petites  lames  de  fer  réunies. 

BkimE;\xlement,  action  de  brim'oaller. 

Brimb.^ller,  sonnailler  les  cloches,  agi- 
ter, mettre  en  mouvement.  Est  piis 
quelquefois  dans  un  sens  erotique. 

Brlmb.axleur,  celui  qui  brimballe. 

Brimbelettes,  suivant  Jlorellet,  reli- 
ques que  les  vo\-ageurs  allaient  cher- 
cher à  Rome.  Brimbelettes  avait  le 
sens  qu'a  maintenant  brimborions. 

Brimborions,  menus  suffrages,  prières 
sans  attention. 

Brinde,  vase  à  anses,  propre  à  mettre 
du  vin. 

Brindiere,  adjectif  formé  du  mot  pré- 
cédent. 

Bringuen.\rilles,  nom  d'un  géant. 

Bris.^ns  (quartiers),  quartiers  de  lune, 
disent  les  commentateurs. 

Brisgoutter,  far  l'alto. 

Brix,  eriz,  débris,  naufrage. 

Brizepaille  d'auprès  sainct  Genou  (ve- 
nue de),  débauchée;  suivant  Le  Du- 
chat,  prostituée  dont  la  paille  du  lit 
a  été  brisée  pfir  les  genoux.  Villon, 
dans  son  Grand  Testament  (xciv),  par- 
le de  »  fiUes  demourantes  à  Sainct- 
Genou,  près  Sainct-Jxilien-des-Vo- 
\antes,  ilarches  de  Bretaigne  ou  de 
Poitou  ». 

Broc  en  bouc  (de),  de  broc  en  bouche, 
\-ivement.  instantanément. 

Brocadium  (juris).  Un  brocard  de  droit, 
brocardiiim  juris,  est  ime  sorte  de 
dicton  juridique.  Bridoye  altère  ce 
mot,  et  en  fait  le  nom  d'im  professeur. 


Brocards,  dictons  juridiques,  pointes, 
railleries. 

Broche;  tire  la  broche  :  jeu  inconnu. 

Brocq,  isroc. 

Brodé,  bordé. 

Brodeqltns,  bottes  fauves. 

Brodelti,  trompeur  (au  sens  figuré). 

BRODioRUii  usu  (DE),  de  l'usage  des 
brouets,  potages  bouillis. 

BRODt'RE,  bordure. 

Brontes,  cydopes. 

Bronze  (la),  bronze  employé  au  fémi- 
nin. 

Brosse  (la),  en  Saintonge. 

Brou.\Ge,  marais  salins  dans  la  Charente 
Inférieure. 

Brouet  (le  grand),  la  grande  halle  de  Mi- 
lan. —  Vo3ez  la  Briefve  Diclaralion. 

Brocster,  brouter,  manger. 

Bruines,  bnmies,  petites  pluies. 

Brumel,  musicien  contemporain  de  Ra- 
belais. 

Bruncher,  broncher. 

Brun-eau  (Clous),  Clos  Bnmeau,  dans 
le  quartier  latin.  Rabelais  se  sert  de  ce 
mot  pour  désigner  l'anus. 

Bruscq,  brusq,  âpre,  vert,  en  parlant 
du  raisin  et  du  vin. 

Brushant  de  Mommiere,  géant. 

Bruslefer,  géant. 

BRUSLE\^EILLE.  localité  du  Chinontiais. 

Brusqu-et,  im  peu  brusque. 

Brute,  Brutus. 

Bruv.age,  breuvage. 

Brl-yer,  nom  d'un  géant  —  et  aussi 
d'un  musicien  contemporain  de  Ra- 
belais. 

Bruyre,  faire  du  bruit,  retentir. 

Bruyt,  renommée. 

BtTBAiALLER,  soufflcr,  bâiller,  hennir,  et 
érotiquement,  être  en  arrêt. 

BUDÉ  (Guillaume),  savant,  contempo- 
rain de  Rabelais. 

BUÉE,  lessive. 

Butfer,  souffleter,  frapper. 

Buffonique,  de  bouffon. 

Buissontcet,  petit  buisson. 

Bulin-e,  voir  boulDv'é. 

Bulle,  scellé,  authentique  comme  une 
bulle. 

BuouR.  butor,  sorte  d'oiseau  de  proie. 

Buprestes,  insectes  venimeirx. 

Bus,  gris,  vêtu  de  bure. 

Bureau,  étoffe  gris-bnm.  Panurge  joue 
sur  ce  sens  du  mot  et  sur  le  sens  qu'il 
a  conser\-é. 

Burgotz,  moines  vêtus  de  bure. 

BURON,  cabane,  petite  maison. 

BusCH,  pa3's  du  Bordelais. 

BUSCHETEI.-R,  bûcheron. 

BussAR,  BussARS,  BussART,  mesure  de 
capacité,  tonneau. 


GLOSSAIRE    ET    NOTES 


427 


BusT,  bûcher,  lieu  où  les  anciens  brû- 
laient les  morts. 
BusTARix,  ventru,  ivrogne. 
BusTr.^IRES,  des  bûchers  ou  des  corps 


morts  :  «  Larves,  cendres  bustitaires*! 
BuzANçAY,  ville  sur  l'Indre. 
BvssiXES,  de  lin. 
Bytures,  oiseaux  imaginaires. 


Cabal,  deniers  ou  marchandises  qu'on 
prenait  d'autrui  à  charge  d'un  partage 
dans  les  bénéfices. 

Cabale,  science  secrète. 

C.CBALiCQi"E,  adjectif  du  mot  précédent. 

Cabalin,  CvVB.\i.LrNE  :  «  Fons  cabaUns, 
fontaine  caballine  »,  ions  caballinus, 
Hippocrène. 

Cabalistes,  caballistes,  les  auteurs 
hébreux  qui  ont  traité  de  la  cabale  : 
t  Cabalistes  de  Sainlouand  ».  Sain- 
louand  était  un  célèbre  prieuré  près  de 
Chinon.  Rabelais  donne  par  moquerie 
le  nom  de  cabalistes  aux  moines  de  ce 
prieuré. 

Cab.\i.le,  science  secrète. 

Ça  BAS,  ici  bas. 

Caeasser,  amasser,  entasser  dans  un 
cabas. 

Cabat,  cabas,  panier. 

Cabires  (dieux),  divinités  anciennes  pré- 
sidant aux  forces  redoutables  et  mys- 
térieuses de  la  nature. 

Cabirot,  petit  clievreau. 

Cabirot.^des,  grillades  de  clievreaux. 

Caboche,  tête. 

C^BOLTiNE,  chapeau  profond  à  l'usage 
des  frères  Britïaulx;  capuclion. 

C.\BRE,  clièvre. 

Cabre  morte,  chèvre  morte  :  »  Porter 
à  la  cabre  morte  »,  comme  on  porte 
ime  chèvre  morte,  sur  les  épaules. 

Cabus,  choux  cabus,  choux-pommes. 

Caccl\diavolo,  fameux  pirate  du  xvi« 
siècle. 

Cace,  CAcrs,  géant. 

Cachecoul,  cache-cou,  mouchoir,  fichu. 

CACiiE-LArD,  CACHELET,  petit  masque  de 
velours  semblable  aux  loups,  que  les 
femmes  portaient  alors. 

Cachiner,  rire  aux  éclats;  cachinnare. 

Cacoethe,  pernicieux,  de  nature  mali- 
gne. 

Cacque,  mesure  de  quantité  :  «■  DLx-huit 
cacques  et  un  minot  (de  sel)  ». 

Cacquerole,  coquille  de  colimaçon;  es- 
cargot. 

CACQtiEROLlERE,  magasin  aux  cacque- 
roles. 


CACQtiEROTiER,  enfonceur  de  caquœ  de 
harengs. 

Cacql-es,  forteresse  de  Carême-prenant. 

Cacqcesangue,  flux  de  sang,  dysen- 
terie. 

C.4DE.'^c,  musicien  contemporain  de  Ra- 
belais. 

Cadouyx,  chef-Ueu  de  canton  de  l'arron- 
dissement de  Bergerac.  L'égUse  de 
Cadouin  se  vante  de  posséder  un  des 
suaires  du  Christ. 

C.iîLioN'  (mont),  colline  de  Rome. 

C.ïs.\iUN,  cardinal  Cesarini. 

CAP.'Ut,  CATF.iRS,  cafard;  encore  usité. 

C.\FEZATE,  reptile. 

C.-iFF.^RDERiE,  hypocrisie. 

Cag.vr,  cacare. 

Cagotz,  cagaux,  grimaciers  de  dévotion, 
hypocrites,  comme  cafards. 

Cagoui-LE,  capuce,  cucuUus. 

Cahiers,  mémoires,  pièces  de  comptabi- 
Uté  ou  autres. 

C.AiR'.iii-LE,  chaliuaiUe,  comme  diien- 
naille,  canaille. 

Cahuet,  extrémité  du  capuchon. 

CAlcirE,  de  l'italien  cazzo,  membre  virU  : 
«  X'est-ce  falotement  mourir  quand  on 
meurt  le  caiche  roide?  »  .\llusion  à  ce 
vers  latin  du  moyen  âge  : 
.invdii;  i.wn!'jr  r,;.Eacha  quieiiri.'iue  puliiur. 

Caiché,  caché. 

Caigx.\rd,  chenil,  lieu  malpropre. 

Caigx,\iu3iers,  gens  de  chenil,  gueux, 
vauriens. 

C.4^illebottes,  lait  doux  caillé. 

Cailles  coyphées,  femmes. 

Cailleteau,  petite  écaille;  —  aux  cail- 
leteaux,  sorte  de  jeu. 

Caillette,  petite  caille. 

Caillette,  fou  célèbre. 

C.usGNÉ  !  Signifie  ordinairement  chien- 
ne, de  l'italien  cagyia.  Des  érudits  y 
voient  une  onomatopée  exprimant  la 
vibration  du  verre  quand  on  débouche 
la  bouteille.  Les  buveurs,  disent-ils, 
font  entendre,  pour  imiter  ce  bruit  de 
la  bouteille,  im  son  que  le  mot  cais- 


gne,  en  prolongeant  la  dernière  syllabe 
traduit  assez  bien. 
Calabrissie,  danse  gaie,  du  grec  za/.a- 

Calaer,  nom  d'une  tour  de  Thélème  : 
bel  air. 

Calame,  de  calamus,  roseau  dont  les 
andens  se  sers-aient  pour  écrire,  et,  par 
extension,  plume  à  écrire. 

Calamité,  l'aiguille  aimantée  et  la  bous- 
sole elle-même. 

Calaxus.  Calanus  montant  au  bûcher, 
Alexandre  lui  demanda  s'il  avait  un 
désir  à  exprimer  :  «  Optime,  inquit, 
propediem  te  videbo  ».  Peu  de  jours 
après,  Alexandre  mourut  à  Babylone. 
(Cic,  de  Div.). 

Calathe,  vase,  corbeille. 

Calccle,  calcul. 

Caldéaks,  Chaldéens. 

Caidée,  Chaldée. 

Caleil,  lampe,  en  languedoden  (cha- 
pitre y  X I  ■  I  du  livre  II)  :  t  Et  n'y  avoit 
plus  d'olif  en  li  caleil  ».  Il  n'y  avait 
plus  d'huile  dans  la  lampe. 

Calendes  ou  calexdes  grecqtl-es.  Les 
calendes  n'existant  pas  chez  les  Grecs, 
cette  locution  a  le  sens  de  jamais. 

Calepixtjs  recensui,  formule  qui  ser- 
vait à  terminer  les  copies  et  collations 
de  textes.  Calepinus  est  un  lexico- 
graphe renommé  de  la  seconde  moitié 
du  x\'*  siècle. 

Calfreter,  calfeutrer,  mettre  de  la 
bourre  dans  les  fentes;  s'emploie  figu- 
rément. 

C.ALIBES.  Chalybs,  ri\-iêre  du  pays  des 
Celtibères  qui  passait  pour  donner 
ime  excellente  trempe  à  l'acier. 

Calibre,   au  figuré  hmnein-,   caractère. 

Calicule,  petit  calice. 

Calige,  la  chaussure  miUtaire  dite  en  la- 
tin caliga. 

Caliglxa,  empereur  romain. 

Calexte,  pape. 

Callaf.^ter,  calfater  (im  vaisseau). 

Callaischre.  Un  Grec  nommé  IvxÀ- 
Aaij/co;  ayant  péri  sur  la  mer,  on 
lui  fit  des  épitaphes.  Il  y  en  a  deux 
dans  VAiiDiologic ,  dont  l'une  par 
.\.yfjyj7:'/.7.~.'f,:.  nom  que  Rabelais 
traduit  par  Argentier. 

Caller,  caler  :  «  Calleray  mes  voilles  ». 

Calll\xax,  médecin  de  l'antiquité. 

Callibistris.  Rabelais  appUque  égale- 
ment ce  mot  aux  parties  naturelles 
de  l'homme  et  de  la  femme.  Il  forge 
le  mot  Callibistratorium  {caffardiœ). 

Cat.i.tm^che,  Calldiachus,  poète  grec. 

Çaluope,  muse. 


GLOSSAIRE    ET    NOTES 


Callithrichdm,  plante. 

Calloier,  calloier  est  formé  sans  doute 
de  zaz-oç  '.izvjt  (bon  prêtre),  de 
xa/.o;  7^P'"''  on  ■/.%'/ Jj-'r^'^.6z.  que 
H.  Estieime  traduit  par  monachus, 
quasi  bellus  senex.  Cette  quaUfication 
a  été  donnée  dans  le  Levant  à  des 
moines  de  certains  ordres. 

C.\LPE,  Calpe  et  Abila  sont  les  deux  mon- 
tagnes que  sépare  le  détroit  de  Gibral- 
tar, les  colonnes  d'Hercule  des  an- 
ciens. 

Calphurxius  Bassus  auteur  d'un  traité. 
de  Litteris  illegibilibus,  des  caractères 
invisibles. 

C ALUMNIATK L'K,  c'est  Ordinairement  le 
diable;  a  parfois  aussi  le  même  sens 
qu'aujourd'hui. 

Camarine  (mouvoir  la),  la  Camarine 
était  un  marais  de  Sicile.  Movere  Ca- 
nuirinam  se  disait  proverbialement 
pour  remuer  im  bourbier,  en  faire  sortir 
des  exhalaisons  pernicieuses,  mettre 
au  jour  des  choses  qui  étaient  faites 
pour  demeurer  cachées. 

C.VMAT  ou  CAiLiR  (Albian),  mots  Ve- 
nant de  l'hébreu  et  signifiant  :  blanc 
sacristain. 

CAirBERL\ci,  Chambérj'.  —  Voyez  la 
Briefve  Déclaration. 

C.\iiBlER,  changer. 

Cambles,  roi  des  Lydiens. 

Caiibos,  jeu  inconnu. 

Cambyses,  roi  de  Perse. 

C.AMELIK,  certaine  allure  d'un  cheval, 
par  comparaison  avec  le  pas  du  cha- 
meau. 

Camelix,  nom  d'un  musicien  contempo- 
rain de  Rabelais. 

Camelopardaxes,  animaux  fantasti- 
ques. 

Camelotière  (l'Advocat,  seigneur  de), 
nom  propre  inconnu. 

Camereie,  pour  Camarine.  —  Voyez  ce 
mot. 

C.4MERLIX  (cardinal),  cardinal  cham- 
bellan. 

Camille,  nom  de  Mercure  en  langue 
étrusque,  messager. 

Camille,  Camtllus  (Marcus  Fmius), 
dictateur  romain,  vainqueur  des  Gau- 
lois. 

Camille,  amazone,  fille  du  roi  des  Vols- 
ques,  célèbre  par  sa  légèreté  à  la  cour- 
se, chantée  par  Virgile. 

Camp  de  Flour.  //  campo  di  Fiore,  à 
Rome. 

Campane,  cloche. 

Campanelle,  clochette. 

Campos  (prendre),  prendre  les  champs, 
prendre  la  fuite. 


GLOSSAIRE    ET    NOTES 


429 


Cana  (nopces  de).  —  Voyez  l'Ûvangile 
selon  saint  Jean,  n,  i. 

Canaan,  Chanaan,  pays  de  Phénide, 
de  Palestine,  la  terre  promise  des  Hé- 
breux. 

Canabasser,  revoir,  examiner  avec  soin, 
repasser  un  canevas. 

Canabasserie,  substantif  de  canabas- 
ser, ennui  causé  par  un  examen  trop 
minutieux. 

Canachus,  sculpteur  sicj-onien. 

Canada,  nouvellement  découvert  par 
Jacques  Cartier. 

Cananéens,  habitants  de  la  terre  de 
Canaan. 

Canarre  (isles  de),  îles  Canaries  (archi- 
pel de  l'océan  Atlantique). 

Canarriens,  habitants  des  îles  Canaries. 

Cancale,  à  15  kilomètres  N.-E.  de  Saint- 
Malo. 

Cancelleresque  (lettre),  de  chancel- 
lerie. 

Cancre  !  exclamation.  I,e  mot  cancre  si- 
gnifiait chancre  et  aussi  écrevisse, 
cancer. 

Cande,  Cande,  Candes,  et  Quande, 
village  du  Cliinonnais.  lyiv.  IV, 
ch.xix  : 

«  Entre  Quande  et  Monssorcait 
Et  n'y  paistra  vache  ne  veau.  » 

11  y  avait  un  dicton  ainsi  conçu  : 
Entre  Cande  et  Monisoreau 
Il  ne  paît  brebis  ni  veau, 

pour   exprimer  la  proximité   de   ces 

deux  localités. 
Candiens,  habitants  de  l'île  de  Candie. 
Cane  (faire  la),  caner,  faire  le  plongeon 

se  dérober,  «  se  mettre  au  plongeon, 

comme  canes  »,  se  caclier  au  moment 

du  danger. 
Canetille,  broderie  en  fils  d'or  ou  d'ar- 
gent tortillés  ou  en  petites  lames. 
Canibales,   peuples  d'Afrique,   à  faces 

de  chiens,  et  aboyants. 
Canidie,    sorcière.    —    Voyez    Horace, 

ép.  va.  5,  17. 
Canne,  mesure  de  longueur  égalant  huit 

empans  ou  une  aune  et  demie. 
Canne,  roseau. 
Cannepetière,   canard   de   terre,    anas 

campcstris    ou    pratcnsis.    Cet    oiseau 

court  extrêmement  \-ite. 
Cannes,  village  célèbre  par  la  victoire 

d'Annibal,  216  ans  avant  Jésus-Christ. 
Canon,  règle,  temps  assigne  à  faire  clia- 

que  chose   :    «   N'avoir  poinct  fin   ni 

canon.  »  — •  «  Canons  d'astronomie  », 

règles,  lois  astronomiques. 
Canonge,  bon  et  fort  papier,  caria  cano- 

nica. 


Canonique,  régulier. 
Canoniquement,     régulièrement,     con- 
formément aux  canons. 
Canoniste,  savant  en  droit  canon. 
Canoxneries,  coups  de  canon. 
Canope,   ville  de  l'Egypte  ancienne  à 

l'embouchure  du  Nil. 
Canore,   chanteur,   en  parlant  des   oi- 
seaux, ou  du  sureau,  dont  on  fait  des 
flûtes  rustiques. 
Canteperdeis,  village  de  I^anguedoc. 
Canth.\re.  vase  à  boire,  cantharus. 
Cantharidisé,    assaisonné    de    cautha- 

rides. 
CANTiQfEUR,  chanteur. 
CiP,  tête. 
Cap  Blanco,  le  cap  Blanc,  à  l'ouest  de 

l'Afrique. 
Capeline,   cappeline,   espèce   de  cas- 
que. 
Capell.\  Martianus,  écrivain  latin  pro- 
bablement du  v''  siècle. 
Capestan,  cabestan. 
Caphard,  caphart,  hypocrite.  —  Voyez 

Cafard. 
Capharderie,  hypocrisie. 
CAPlLAivrENT,  filet,  Ugne  fine  comme  un 

cheveu. 
Capitaine  juif  (le  saint).  Judas  Jlacha- 

bée. 
Capito   (Atteins),  jurisconsulte  romain. 
Capitule,  le  Capitule  romain. 
Capitolin,  du  Capitole  romain.  Jupiter 

Capitolin. 

Capitoly,  Capitole,  lieu  où  s'assemblent 

les  capitouls,  les  magistrats  de  la  cité. 

Capitulum  (ad),  au  chapitre.  «  Sonner 

ad  capitulum  »,  appeler  au  chapitre  au 

son  de  la  cloche. 

Capnojiantie,  divination  par  la  fumée 

de  l'encens. 
Capo  Melio,  cap  de  JVIalvoisie. 
Caporion,  capitaine,  caporal,  chef  d'es- 
couade. 
Cappe,      cape,      chaperon,      capuchon; 
«  cappe  à  l'espaignolle  »,  petit  manteau. 
Cappiettement,  furtivement. 
C.\PRiFiCE,  figuier  sauvage. 
Capruiulge,  tette-chèvres,  oiseau  noc- 
turne que  l'on  dit  teter  les  cliêvres  la 
nuit. 
Caps  d'escadre,  chefs  d'escadron. 
Capse,  cassette,  coffre. 
Capsule,  diminutif  de  capse  :  «  Le  cœur 

dedans  sa  capsiile  ». 
Capuclsgaux,  mot  grotesque  fonné  du 

mot  capucin. 
Capulaire,  cercueil,  bière,  capuhis. 
Capussion,  capuchon. 
Capussionnaire,     encapuchonné,     por- 
tant capuchon. 
Caputions,  porte-capuchons,  moines. 


430 


GLOSSAIRE    ET    NOTES 


Cap  \irido,  le  cap  Vert,  entre  le  Séné- 
gal et  la  Gambie. 

CAQVEROLLE,       QUAQfEROLLE,      COquillc 

de  limaçon,  escargot. 

C.\QtT.SANGUE,  flux  de  sang;,  dysenterie. 

CaracaI-LE,  Caracalla,  empereur  romain. 

Caracqt'e,  sorte  de  navire. 

C.iRADOTH,  mot  licbreu  :  pensées  em- 
barrassantes. 

Carbonn.ade,  tranclie  de  bœuf  grillée 
sur  les  charbons. 

Carboucle,  escarboucle,  carbunculus. 

Carcan,  sorte  de  collier  très  riche  à 
l'usage  des  femmes. 

Cardiacque  (passion),  douleur  au 
cœur,  du  grec  x.apoia.  cœur. 

Cardinalicule,  diminutif  de  cardinal. 

Cardinalizer,  rendre  rouge,  comme  les 
écrevisses,  i  que  l'on  cardinalize  à  la 
cuyte  ». 

C..\rdingaux,  cardingesses,  noms  gro- 
tesques formés  du  mot  cardinal. 

Caribde,  Charybde,  gouffre  du  détroit 
de  ^Messine. 

C.\RrE,  contrée  de  l'ancienne  Asie. 

Carixe,  carène,  la  partie  du  vaisseau 
qui  plonge  dans  l'eau. 

Carmaigxe,  la  Caramanie. 

Carmentale  (porte),  porte  de  l'ancienne 
Rome,  située  au  pied  du  Capitole, 
entre  la  roche  Tarpéienne  et  le  Tibre. 

Carmes,  vers. 

Carminiformes  (vers),  vers  qui  ressem- 
blent à  des  vers,  pléonasme  plaisant. 

Carn.^ge,  \'iande,  chair. 

C.\rvXEV.\L,  carnaval. 

C.\RXLFORME,  chamu. 

Carole,  danse,  branle. 

Carolus,  monnaie  d'argent,  marquée 
d'un  K,  valant  dix  deniers,  frappée 
sous  Charles  VIII. 

C.VROS  ET  .VLLUZ  (trinquer),  boire  et  re- 
boirc,  trinquer  et  retrinquer,  de  l'alle- 
mand :  Zutn  S"'''  1"^  ""^  allaits  iriii- 
ken. 

Carpalim,  nom  d'im  des  domestiques 
de  Pantagruel,  son  coureur,  son  mes- 
sager. Ce  nom  équivaut  à  prompt, 
alerte,  véloce,  et  vient  du  grec  y.ao- 
~aÀ'.[j.oç  (rapide). 

C.\RPASIE.  Ce  nom  désigne  soit  tme  ville 
de  l'île  de  Chypre,  soit  une  des  petites 
îles  situées  vis-à-vis. 

Carp.'VSIen,  de  Carpasie.  I<e  Un  carpasien 
est  l'amiante. 

Carpathie  (mer),  Carpathium  mare, 
partie  de  la  Méditerranée  autour  des 
îles  Sporades. 

Carpions,  carpeaux,  petites  carpes  : 
«  Beuvans  à  gré  comme  beaulx  car- 
pions  ». 


Carr.\Con,  car  raque,  bâtiment  de  tranâ 
port,  vaisseau  marchand. 

Carreleitrs.  On  appelle  carreleurs  soit 
les  ouvriers  qui  pavent  en  carreaux, 
soit  ceux  qui  ressemellent  les  souliers. 
Rabelais  emploie  l'expression  carre- 
leurs de  ventres  par  une  métaphore 
tirée  de  l'une  des  deux  acceptions  pro- 
pres du  mot,  U  n'est  pas  aisé  de  dire 
laquelle. 

Carrelez  (ventres),  bien  garnis.  Car- 
reler, c'est  daUer,  paver  en  carreaux, 
ou  encore  ressemeler  des  souliers. 

Carrelure  (de  ventre),  ce  qui  garnit  le 
ventre.  C'est  cette  expression  prover- 
biale qui  a  donné  naissance  aux  deux 
précédentes. 

Carrov,  chemin  à  charrier,  grande 
route. 

Cart..\soxxe,  hcorne. 

Carthagiens  (les),  les  habitants  de  Car- 
thage. 

C^iRTiER  (J.iCQUES),  navigateur  français 
qui  découvrit  le  Canada,  en  1535. 

Cas,  sourd,  étouffé. 

Cas  (par),  par  hasard. 

Cas.\  Xov.a,  vUle  de  bains  en  Italie. 

Case,  cabane,  maisonnette. 

Caséiforme  (cerveau),  qui  a  la  forme 
et  la  substance  du  fromage. 

C.\SPIES  (monts),  monts  Caspiens. 

Casquet,  petit  casque. 

Cassajde,  supercherie,  tromperie,  caz- 
sada  en  vénitien,  cassada  en  provençal. 

C.4SSE  ESCOUTE,  cassa  la  scotta:  serrer 
l'écoute,  la  haler  avec  une  grande 
force  comme  si  on  voulait  la  casser. 

CASSEMVZE.iu,  sorte  de  pâtisserie. 

Casse-pot,  jeu  qui  consistait  à  se  lancer 
un  pot  sans  le  casser. 

Casserox,  pour  casserelle. 

Casseron,  sorte  de  poisson  fort  commun 
en  Poitou. 

Cassidoixe,  pierre  précieuse  de  diverses 
couleurs. 

Cassie,  Cassius,  Romain  célèbre. 

Cassine,  maisonnette. 

Castallide,  de  la  fontaine  Castalie. 

Castallie,  source  des  Muses. 

Castamen.\,  vUle  d'Asie. 

Castaxe,  châtaigne. 

Caste,  chaste.  Rabelais  joue  sur  les  mots 
castra,  casta. 

C.\stel  (taverne  du),  citée  parmi  les 
tavernes  méritoires  de  Paris. 

Castellins  (ruisseaux),  dans  l'cpître 
de  Jean  Bouchet,  ce  mot  semble  mis 
pour  cristallins. 

Castilliers,  les  Chàteliers,  abbaye  de 
l'ordre  de  Citeaux,  diocèse  de  Poitiers. 

Caston,  chaton  d'ime  bague. 

Castor,  fils  de  I<éda. 


GLOSSAIRE    ET    NOTES 


431 


Castre,  castrat. 

Castre,  campement. 

C.\STRES,  vUle  de  France. 

Castro  (de),  jurisconsulte. 

C.ÀTADUPE,     cataractes.    —    Voyez    la 

Bric/ve  Diclaraiion. 
C.vrAGLYPHE  (ouvrage),  ciselure,  de  xoc- 

"ayÀJç;!;"/,   tailler,  inciser. 
CATAPULTES,    machines    à    lancer    des 

traits. 
Cataracte,  herse  ou  porte  suspendue. 
Cat.aracte,    catilvracte    (instrument), 

instrument  dentelé  ou  perforé  propre 

à  teiller  le  clianvre. 
Caï.arates,  maudits;  du  grec  zaTâ'a- 

TOÇ. 

Catarré,  eatliarreirx,  affligé  d'im  ca- 
tharre. 

Cat.ay,  Chine. 

Catéci.isme,  cataclysme. 

Categide,  bourrasque,  vent  impétueux. 

Catenat,  cathen.at,  chaîne,  cadenas. 

Caterve,  compagnie,  bande,  foule,  ca- 
ler va. 

Catharine  de  Medicis,  reine  de  France. 

Cathedrant,  président. 

C.\.THEXE,  chaîne.  «  JNIat  de  cathene  », 
inatto  di  catena,  fou  à  enchaîner. 

Catherine  d'Ar.agon,  reine  d'Angle- 
terre, morte  en  janvier  1536. 

Cato,  Caton. 

Catoblepe,  animal  fantastique  d'Ethio- 
pie que  Rabelais  décrit  d'après  PUne, 
livre  VIII,  chapitre  xxn. 

CATOXI.AX,  catonien,  de  Caton. 

Catoptromantie,  divination  à  l'aide  de 
miroirs. 

Cattène,  voir  Cathlne. 

C.AUD.ATAIRE,  porte-queue. 

C.\iT)lCE,  tige,  fût  d'un  arbre,  caudcx. 

Cauiiare,  sorte  de  serpent  venimeux. 

Cauld,  rusé. 

CArrLDAUREir,  Chaudoreille,  nom  propre 
forgé  par  Rabelais. 

C.AULES  amb'olif,  choux  à  l'huile. 

Caitoxizer,  hanter  les  tavernes. 

CAUQUEM.ARE,  animal  fantastique,  d'où 
vient  le  mot  cauchemar. 

Caut,  rusé. 

Cautele,  cautelle,  ruse,  finesse. 

Cauteleux,  rusé,  subtil. 

Cautejient,  adroitement. 

C.WAA'X,  caveau,  souterrain. 

C.AVECHE,  caboche,  tète. 

Cave  Paincte,  taverne  de  Chinon. 

Caver,  creuser. 

Cavlat,  œufs  de  muge  ou  d'esturgeon 
confits  à  l'huile. 

Cayer,  caliier. 

Caynon,  ou  Chinon  eu  Touraine.  Dans 
Grégoire  de  Tours  et  dans  d'autres 


auteurs  qui  ont  écrit  en  latin,  Ciiinon 
est  nommé  Caino. 

CÉ.ANS,  ici  dedans. 

Ceclas  (vent  dit),  vent  sud-est  tiers  d'est, 
qui  domine  au  solstice  d'hiver.  C'était 
un  proverbe  chez  les  anciens  :  Mala  ad 
se  trahit,  <it  Cœcias  ntibes. 

Cécile,  pour  Sicile. 

Cedentes  (choses),  qui  cèdent,  qui  flé- 
chissent. 

CEE,  nom  d'un  géant. 

Ceincts  (se  jouoyt  es  cordes  DES),  les 
cordes  des  sins,  c'étaient  les  cordes  des 
cloches  (signa).  En  écrivant  ceincts, 
Rabelais  fait  un  jeu  de  mots  :  ceincts 
signifie  les  gens  ceints  d'ime  corde, 
comme  les  cordeliers. 

Ceincture  .ardente,  équateur. 

Celeujie,  ordre,  signal  donné  par  les 
officiers  d'un  vaisseau,   du   grec   y.i- 

Celicle,  Cilide,  pays  de  l'Asie  Mineure. 

Celle,  cette. 

Celle  (persée),  pour  seUe. 

Celles,  vUle  du  bas  Poitou. 

Cellule,  bâti,  construit. 

Celluy,  celui. 

Celoce,  brigantin,  aivso,  petit  bâti- 
ment très  rapide. 

Celtica  (spica),  plante. 

Ceilade,  faon  du  cerf. 

Cen,  ce  en  :  «  Cen  dessus  dessous,  cen 
devant  derrière.  » 

Cemchrynes,  sorte  de  reptiles. 

Cexe,  ccen"e,  repas,  souper,  cœna. 

Cexot.aphe,  sépulcre  vide,  monument 
érigé  en  l'honneur  d'un  mort  dont  on 
n'a  point  la  dépouille. 

Cens,  cent. 

Censé,  métairie  donnée  à  fermage. 

Censorlns,  censeurs. 

Censorinus,  grammairien  latin,  du  m" 
siècle  après  J.-C. 

Cent,  jeu  de  cartes  que  nous  appelons 
piquet. 

Centaures,  êtres  mythologiques. 

Centonifiqlies,  faiseurs  de  centons, 
compilateurs. 

Centriqi^,  central. 

CentumvIral,  composé  de  cent  hommes. 

Centltrie,  centaine. 

Cependent,  pendant  ;  pendant  ce  temps. 

Cèpes,  cepiies,  animaux  fantastiques 
décrits  par  Phne,  Elien,  etc. 

Ceph.aleonom.antie,  di\-inatiou  au 
moyen  d'une  tête  d'âne  que  l'on  fai- 
sait rôtir. 

CEPHALLTs,époux  de  Procris.  — Voyez  les 
Métamorphoses  d'Ovide. 

Cepola  (Barthélémy),  auteur  d'un  livre 
intitiUé  Cautelce  juris. 


4-1  2 


GLOSSAIRE    ET    NOTES 


Ce  que,  employé  pour  ce  qui. 
Ceramite  (terre),  terre  à  potier. 
Céraste,  sorte  de  serpent  cornu. 
CERBERiguE    (mastin),    de    l'espèce    de 

Cerbère. 
Cerberus,  chien  inîcnial,  dans  la  my- 

tliologie. 
Cercelle,  sarcelle. 

Cercher,  chercher. 

Cercle,  jeu  qui  consiste  à  sauter  dans 
un  cercle  que  l'on  manie  comme  une 
corde  à  sauter. 

Cerclé,  serclé,  sarclé. 

Cercopiïheces  ou  cercopitequcs,  sorte 
de  singes  à  queue,  révérés  des  Égyp- 
tiens. 

Cercu  dict  bourguemaistre,  un  des 
domestiques  de  Giiillaume  du  Bellay. 

Cere,  cire. 

Cerebreux,  du  cer\-eau;  de  ccrehrum. 

Ceres,  déesse  de  l'agriculture. 

Cerfouette,  outil  de  jardinier  pour 
remuer  la  terre  autour  des  plantes. 

Cerites  (de  Tusde),  prêtres  de  la  Tos- 
cane antique. 

Cerne,  cercle. 

Cerner  (des  noix),  détacher  le  cerneau 
de  sa  coque. 

Cernophore,  saltation  que  l'on  exécu- 
tait en  tenant  des  coupes. 

Cero>lus'tie,  divination  au  moyen  de  la 
cire  fondue  en  eau  chaude. 

CÉRON,  ciron. 

Cerq  (île),  entre  la  Bretagne  et  l'Angle- 
terre. 

Certon,  musicien  du  temps  de  Rabelais. 

Cerulé,  bleu,  azuré,  cœruleus. 

Cerveau  (soj-ez  en),  ayez  l'esprit  libre 
et  serein. 

Cerveaulx  a  bourlet,  têtes  coiffées 
du  bourrelet  ou  bonnet  doctoral. 

Ces.vrea,  ville  fondée  par  César. 

Ces.\rine,  de  César;  a  tondu  à  la  Césa- 
riue  »,  tondu  comme  l'était  César; 
<  coups  de  poignard  à  la  Césarine  », 
coups  de  poignard  comme  ceux  dont 
César  fut  frappé. 

Cesinins,  ser\-iteurs  de  la  Quinte-Es- 
sence. 

Cessateur,  désœuvré,  nonchalant. 

Ceste  icy,  celle-ci. 

Cestrin,  bois  odoriférant  dont  ou  fai- 
sait des  patenostres. 

Cestuy,  ce,  celui. 

Chach.\nins,  ser^-iteurs  de  la  Quinte- 
Essence;  un  de  ces  termes  que  l'on  dit 
tirés  de  l'hébreu. 

Ch.\ffourer,  cgratigner,  barbouiller. 

Ch.affoureus  (de  parchemin),  barbouil- 
leurs. 

Chagrin  (un),  un  homme  diagiiu,  d'es- 
prit tracassicr. 


Chaire,  siège,  chaise. 

Chaisne,  chêne. 

CiiAiSNON,  pour  Chinon. 

Chaiton  Armenian,  Hayton,  auteut 
arménien. 

Chalbrotii,  nom  d'un  géant. 

CitALCiDE,  Chalcis,  ville  de  l'Eubée  dans 
l'andenne  Grèce. 

CH.4LLANS,   pratiques,   terme   injurieux. 

CH.4LLER  (les  noiz),  ôter  la  coque,  écaler. 

Chaloir,  importer,  être  nécessaire.  «  Il 
ne  chault,  »  il  n'importe. 

Chamailler,  battre,  combattre  :  «  Y  eut 
tant  chamaillé,  a  Chamailler  un  ton- 
neau, le  tracasser. 

Cham.\rre,  robe  d'apparat. 

CiL'iMEERiÈRE,  ser\'ante,  chambrière. 

Chambourg,  Chambord. 

Chambrier  {Camerarins),  savant  du 
'KXl"  siède. 

Chambrier,  chambellan. 

Ckameléon,  camdéon. 

Chamcuillac,  nom  d'un  page  du  sd- 
gneur  d'Estissac. 

Chai.ipeignons,  diampignons. 

CHAiiPls,  enfant  trouvé. 

Chance,  sorte  de  jeu  de  dés. 

Chancre,  cancre,  écrevissc. 

Chandelle  armée,  chandelle  à  armoi- 
ries comme  les  derges  bénits  du  jour 
de  Pâques. 

Chaneph,  mot  hébreu  qui  signifie  hypo- 
crisie. 

Chante.\u,  morceau,  quartier,  reste  de 
pain,  lorsqu'il  a  été  entamé. 

Chantelle,  petite  vUle  du  Bourbonnais, 
arsenal  renommé  au  moyen  âge. 

Ch.\ntepleure,  arrosoir,  entonnoir  per- 
cé de  trous. 

Chantonnet,  couplet,  petite  chanson. 

Chanu,  blanchi  par  l'âge  :  «  Mon  anti- 
quité chanue.  » 

Chaperon,  t  lis  mirent  quatre  têtes  en 
un  chaperon  n,  locution  proverbiale  : 
ils  rémiirent  à  quatre  leur  intelligence. 

CiLU'ERONS  A  bourlet,  bonncts  des  maî- 
tres es  arts. 

Chapifou,  jeu,  colin-maiUard. 

CliAPLis,  conflit,  rencontre,  heurt,  com- 
bat, carnage. 

CiL\PLYs,  chapdure,  miettes  de  pain. 

Chapoter,  cogner,  tapoter  (im  tonneau). 

Chappart,  qui  s'échappe. 

Chappe,  manteau. 

Chappe,\u  albanois,  chapeau  pointu. 

Chappon  (coudier  en).  En  sortant  de 
souper,  comme  fait  la  gent  volatile 
(comme  les  poules).  C'est  ainsi  que 
Cotgrave  l'entend. 

Cette  expression  se  trouve  dans  les 
Arriis  d'amour  de  Gilles  d'Aurigny  : 
«  Et  (doibvent  les  maryz)  aller  coucher 


GLOSSAIRE    ET    NOTES 


433 


et  départir  d'une  coiiipagiiie  à  telle 
heure  que  bon  leur  semble,  voir  en 
chapon,  si  niestier  est  ». 

Chappuys  (le  aipitaine).  Le  capitaine 
Cliappuys  et  Alcofribas,  cités  au  cha- 
pitre vni  du  premier  livre,  sont  proba- 
blement Rabelais  et  Claude  Chappuis, 
attaché  comme  lui  au  cardinal  du  Bel- 
lay. 

Charanton  (le  Pont),  près  Paris. 

Charbon  (a  souffler  le),  sorte  de  jeu 
qui  consiste  à  repousser  en  soufflant 
vers  les  autres  joueurs  un  morceau  de 
charbon,  embrasé  suspendu  an  pla- 
fond et  autour  duquel  les  joueurs  font 
cercle. 

CiLVRDONNETTE.  On  donne  encore  ce 
nom.  en  Saintonge,  à  la  fieur  d'une 
e?pcce  d'artichaut  sauvage,  qui  est 
très  employés  pour  faire  caiUer  le  lait 

Chardrier,  chardonneret. 

Charesse,  caresse. 

C!L\RETÉ,  cachelet,  masque. 

Chargement,  poids  (d'un  coup  d'épée) . 

Ch-^risteres,  hymnes  aux  Grâces  dites 
Charités. 

Charités,  les  Grâces. 

Charles  ciXQUiEirE,  l'empereur  Char- 
les-Quint. 

Ch.vrles  SIXIEME,  roi  de  France. 

Ch.\rles  HUYCHEiiE,  roi  de  France. 

Ch-ARLes  ^Lugne,  l'empereur  Charle- 
magne. 

CiL^RiiER,  chermer,  enchanter,  ensor- 
celer. Dans  im  autre  sens,  Rabelais 
dit  :  charmer  un  tonneau,  le  renfor- 
cer. 

Charmois  (Charles),  peintre  du  roi  Fran- 
çois I'?"'. 

Charnier,  office  :  «  Charnier  à  mettre  le 
lard  ». 

CiLVRON,  Caron,  le  noclier  du  Styx. 

Ch.\rraxtoxs,  charençons,  insectes. 

Charrette  :  «  Mettoit  la  charrette  de- 
vant les  bœufz  ».  Locution  prover- 
biale dont  le  sens  est  facile  à  com- 
prendre. 

Charrous  (le  digne  vœu  de).  L'abbaye 
de  Charrous  était  une  des  sis  grandes 
églises  qui  prétendaient  posséder  la 
parcelle  du  précure  de  Xotre-Seigneur 
détachée  à  la  circoncision.  On  lit  dans 
l'Alphabet  de  l'auteur  français,  vieux 
glossaire  de  Rabelais  : 

«  Charroux  est  ime  petite  ville  en 
haut  Poitou  sur  les  confins  de  la  Mar- 
che et  du  I^imosin,  qui  a  eu  grand  re- 
nom au  siècle  passé  pour  le  regard  des 
reliques  qui  estoient  gardées  dans  le 
monastère  de  l'abbaye  située  au  milieu 
de  la  ville,  et  jadis  bastie  par  le  roi 
Charlemagne,  ainsi  que  racontent  les 

T.    II. 


moines;  ces  reliques  tant  révérées 
estoient  la  Digne  Vertu  enfermée  dans 
une  châsse  enrichie  d'or  et  de  pierres. 
Item  le  Digne  Vœu,  à  sçavoir  une 
grande  statué  de  bois,  en  forme  d'un 
homme  tout  couvert  et  revestu  de 
lames  d'argent,  qui  estoit  dressée 
debout  en  im  coin  de  ce  monastère. 
Ces  reliques  ne  se  montroient  au  peu- 
ple que  de  sept  ans  en  sept  ans,  et  lors 
on  y  abordoit  de  toutes  parts.  Outre 
plus  il  n'estoit  permis  au  sexe  féminin 
de  s'approcher  du  Digne  Vœu  pour  le 
baiser,  c'estoit  seulement  aux  hommes 
et  jeunes  enfans  à  qui  cela  apparte- 
noit;  mais  les  femmes  estoient  ordi- 
nairement au  guet  pour  attraper 
celui  qui  l'avoit  baisé,  et  se  jettoient 
au  col  de  l'homme  ou  de  l'enfant  pour 
le  baiser  et  attirer  par  ce  moyen 
comme  par  un  alambic  la  vertueuse 
efficace  qu'ils  avoient  pris  en  baisant 
actuellement  cette  statue.  Une  grande 
dame  le  voulut  baiser,  il  se  haussa  de 
quatre  ou  cinq  pieds,  ce  qui  passa 
pour  un  grand  miracle,  quoique  ce  ne 
fût  qu'un  effet  de  la  fourberie  des 
moines  qui  avoient  attaché  imc  poulie 
par  derrière.  L'an  1562,  il  fut  des- 
pouiUé  par  des  gentilshonunes  hugue- 
nots (comme  le  sieur  Bouganet),  les- 
quels depuis  par  les  gaudisseurs  du 
païs  furent  appeliez  les  valets  de 
diambre  du  Digne  Vœu  de  Charroux; 
or  il  sembloit  à  Dindenaut  avoir  fait 
im  grand  serment  quand  il  juroit  par  le 
Digne  Vœu  de  Charroux.  » 

Charte,  pancarte  sur  laquelle  étaient 
inscrites  les  lettres  de  l'alphabet;  abé- 
cédaire. 

Chartées,  charretées. 

Charte,  cartes  à  jouer. 

Charte  vtrade,  signifie  carte  retournée; 
jeu  de  cartes  auquel  jouait  Gargan- 
tua. 

CiL^RTiER,  charretier. 

Chartre,  prison. 

Chartres,  \'ille  de  France. 

Chascunière,  le  domicile  de  chacun  : 
€  Ainsi  chascun  s'en  va  à  sa  chascu- 
nière.  » 

Chasxl\te,  casemate,  fortification,  abri 
contre  les  projectiles  de  l'ennemi. 

Chasm.\te,  abîme,  ouverture  subite  faite 
par  un  tremblement  de  terre. 

Cil\ssetr.\pes,   chausses-trapes. 

Chastaigne,  châtaigne. 

Chastaigneray  (le  seigneur  de  La), 
courtisan  célèbre  par  son  duel  avec 
Jamac. 

Chastaine,  châtaigne. 

Chasteau  (le  cabaret  du).  C'est  le  même 

28 


^134 


GI.OfîSAIRF:    ET    NOTES 


que  Rabelais  nomme  ailleurs  taverne 
du  Cas  tel. 

Ch.\stei.eraid,  \-ille  de  France  :  «  Pays 
de  Chastelleraudois.  » 

Chastelet  (petit),  une  des  forteresses 
ou  prisons  de  Paris,  sur  la  rive  gauche 
de  la  Seine. 

Ckasielet,  jeu  qui  consiste  à  abattre 
un  petit  édifice,  un  petit  château 
(chastelet)  formé  de  trois  noyaux 
d'abricots  surmontés  d'un  quatrième. 
en  se  servant  d'un  noyau  d'abricot 
comme  projectile.  On  emploie  aussi 
pour  l'édifice  et  comme  projectile, 
des  châtaignes,  des  noix,  etc.. 

Chastillcn"  (cardinal  de),  frère  aîné 
de  l'amiral  de  Coligny,  fait  cardinal  à 
dix-huit  an?,  en  1533. 

Chat  :  •  Esveigler  le  chat  qui  dort.  »  La 
cution  proverbiale  qui  s'est  conservée. 

CiiAT  DE  JLuis,  martre. 

CHATE>nTE,  voir  Chattemite. 

CH,ATomLE,  poisson  de  mer. 

CHATS-FOURREZ,      CHATTES-FOrSRÉES, 

CHATS-FOURII.L0XS,    gens    de    justice, 
leurs  femmes  et  leurs  enfants  :  «  Chats- 
fourrez  vivent  de  corruption.  » 
CHATTE^^TE,   hvpocrite,   doucereux;   de 
cata  et  mitis.  Rabelais  emploie  le  fémi- 
nin chattemiteuse,  et  le  diminutif  chat- 
temitillon. 
Ch.^xtoxs,  petits  chats. 
CHAiiANT,  chat-huant,  hibou. 
CHAtFFOXTRER,     chaffourer,     égratigner 
«  le  parchemin  ».  —  Chaufïourer  (se), 
s'égratigner  «  le  \-isage  ». 
CHAraEXY    (pain),    moisi;    suivant    de 
l'Aulnaye,  pain  où  il  y  a  du  chaume, 
de  la  paille. 
CHAU^nxE,     maisormette    couverte    de 

chaimie. 
CH-it'XYS,  ville  de  Picardie. 
Chausse   d'hjppocras,    filtre   à   passer 

l'hypocras. 
Chausses,  comprenant  le  bas-de-chaus- 
ses,  les  bas,  qiù  étaient  d'estamet  ou 
de  serge  drapée  ;  et  le  haut-de-chausses, 
la  culotte,  les  braies. 
CHAU^^G^•y,  ville  sur  la  Vienne. 
Ch.\u\"IR  (les  aureillc-3  comme  asnes  d'Ar- 
câdie),    remuer,    dresser    les    oreilles. 
Est  écrit  parfois  chovir,  et  le  participe 
présent  est  chauiaiit  ou  cliovant. 
CH.A\TN"i-,    Cha^•igny,    village    près    de 

Chinon. 
Chef,  tête,  extrémité  supérietire. 
Chelhydres,  serpents  aquatiques. 
Cheli,  nom  que  les  uns  tirent  de  l'hé- 
breu Cheli  (gâteau),  les  autres  du  grec 
■/lUJjz.    lèvre. 
GhÈlidoine,  hirondelle  de  mer. 


CHELniixs,    mot    hébreu    qui    signifie 

singes. 
Chemaxt  (François  Errault,  sieur  de), 
l'un  des  domestiques  et  familiers  de 
Guillaume  du  Bellay;   fut  garde  des 
sceaux  sous  Henri  II. 
Cheminées  (roquette  de),  fort  ou  fortin, 
retranchement  qui  était  dans  les  che- 
minées, attendu  qu'il  s'agit  d'andouil- 
les  qui  ont  là  leur  retraite  naturelle. 
CHEiiNis,  Ue  d'Egypte. 
Chen'evé,  chènevLs. 

Ckexins,  raisins  dont  on  fait  le  gros  vin. 
Chère,  mine. 
Chère,  repas.  —  «  Chère  lye  »,  joyeuse 

chère. 
Chereph,    chérif,    prince,    particulière- 
ment le  chef  de  la  Mecque. 
CHER3LER,  charmcr. 
Chersydres,  sorte  de  serpents  d'après 

Pline. 
Cherubicque,  de  chérubin,  céleste. 
Chesauxx,  maisons,  édifices. 
Chescux,  chacim. 

Chesil.   Cesil  ou   Chesil  était  pour  les 
Hébreux,  comme  Orion  pour  les  Grecs, 
l'astre  des  tempêtes.  0  Condle  de  Che- 
sU  ',  concile  de  Trente. 
Chesixins,   mot  hébreu,  les  forts,   sui- 
vant de  l'Aulnaye. 
Chesxe,  chêne  :  «  Faire  le  chesne  four- 
chu »,  se  tenir  la  tête  en  bas,  les  pieds 
en  l'air. 
Chesn"e.  chaîne. 

Chesnts  forchu,  jeu  qui  consiste  à  se 
tenir  sur  les  mains,  la  tête  en  bis,  en 
écartant  les  jambes  à  la  façon  d'un 
branchage  ou  d'une  fourche. 
Cheusson",  insecte  piquant,  cousin. 
Cheval  :  «  De  cheval  doimé  regarder  en 
la  gueule  »,  c'est  commettre  un  acte 
incongru;  on  ne  doit  pas  faire  le  diffi- 
cile quand  il  s'agit  d'im  présent. 
Chevalerie,  équitation;  a  im  sens  plus 

élevé  que  tout  le  monde  connaît. 
Chevalier,  cavalier  au  jeu  d'échecs. 
Chevallet,  petit  cheval. 
Chevakce,  le  bien,  l'avoir  d'ime  per- 
sonne. 
Chevau-fon-du,  c'est  le  jeu  encore  en 
usage    du    cheval-fondu;    les   joueurs 
sautent  à  califourchon  sm:  le  dos  de 
l'im  d'eux  qui  est  baissé  pour  les  rece- 
voir,  et   qui  a  généralement  la  tête 
appuyée  à  un  mur. 
Chevaucher,  monter  un  cheval,  être  à 
califourchon    :    «   Chevaucher   un   ca- 
non ».  Est  pris  souvent  dans  le  sens 
erotique. 
Chev.\ulchex:r,   cavalier,   écuyer;   bon 
écuyer  dans  le  sens  erotique. 
1  CHEVAtT-CHOXS  DE  REBOURS  (a),  montre 


Glossaire   kt  notes 


435 


un  cheval,  une  iniilc,  le  cul  tourné 
vers  la  tête  de  la  mule,  la  faee  vers  la 
croupière,  ainsi  que  le  dit  Rabelais. 

Chev"aulx  (isle  des)  :  (il,'isle  des  Chevaux 
prés  Escosse  par  les  seigneui-s  de  Ter- 
mes et  Dessay  saccagée  ».  Allusion 
à  im  fait  qui  se  passa,  en  juillet  1547, 
sur  la  côte  d'Kcosse,  dans  l'île  de  Keith, 
autrement  dite  aux  Chevaux.  Cette 
île  ayant  été  enlevée  par  les  Anglais, 
fvit  reprise  peu  après  par  André  de 
Montalembert,  sieur  de  Dessé,  qui 
commandait  le  corps  auxiliaire  de 
France.  Paule  de  Thermes  lui  succéda 
plus  tard  dans  ce  commandement. 

Chevï:che,  chouette  :  «  Une  chevêche... 
Nous  sommes  îcy  bien  pippés.  »  Pris 
à  la  pipée,  parce  que,  pour  prendre  les 
oiseaux  de  cette  manière,  on  se  sert 
ordinairement  d'une  chevêche  ou 
chouette  qui  les  attire  par  ses  cris. 
«  On  pensoit  se  servir  de  luy  (la  Noue), 
comme  de  chevêche  pour  piper  les 
Rochelois  ».  (Mémoires  de  l'cstat  de 
France  sous  Charles  IX,  177&,  tome  II, 
page  12.) 

Chevêche,  jeu  qui  consistait  vraisem- 
blablement à  imiter  le  cri  de  la 
chouette. 

Chevecier,  celui  qui  est  chargé  d'ache- 
ter la  cire  nécessaire  à  l'église;  titre 
d'une  dignité  ecclésiastique.  Rabelais 
joue  sur  ce  mot  et  le  mot  précédent. 

Cheveui-X  de  Vénus,  nom  d'une  plante. 

Chevreter,  sauter  et  cabrioler,  sauler 
de  dépit.  «  Prendre  la  chèvre  »  signifie 
aussi  se  fâcher,  se  mettre  en  colère. 

Chevrettes,  crevettes. 

Chevrotin  (tirer  au),  boire. 

Che\'rotix,  cuir  de  chevreau. 

Chiabrex.\  des  pucelles,  titre  d'un 
prétendu  livre. 

Chl\brexer,  faire  des  façons,  des  mines, 
des  simagrées. 

Chiasser,  diminutif  de  chier. 

Chice  (pois),  pois  cliiches. 

Chich-AR,  avare, 

Chicheface,  maigre  et  triste  \'isage. 

Chiches,  pois  chiches. 

Chien.  «  Vrais  chiens  de  monstre  »,  im 
chien  de  monstre  est  un  chien  d'arrêt, 
en  espagnol  :  pcrro  de  miicsira,  un  chien 
qui  montre  le  gibier  au  chasseur.  Re- 
garder derrière  soi  »  comme  un  chien 
qui  emporte  un  plumail  (une  vo- 
laille) »,  locution  proverbiale.  «  Battre 
le  chien  devant  le  lion  »,  loc.  prov., 
faire  une  chose  à  contre-temps. 

Chien  (de),  terme  de  mépris  :  «  Belle 
isle  de  cliien  !  » 

Chien  chié  chanté  (c'est  bien),  ou  seu- 
lement :  c'est  bien  chié  chanté.  Dans 


les  deux  cas  il  n'y  a  qu'une  plaisanterie 
qui  consiste  à  prononcer  les  deux 
premiers  mots  comme  si  la  langue 
«  fourchait  »  avant  d'arriver  au  troi- 
.sième. 

Chienerie,  vie  comme  celle  que  mènent 
les  chiens. 

Chienlict,  chienlitz,  qui  chie  au  lit, 
terme  injurieux,  resté  dans  le  vocabu- 
laire populaire. 

CniÈRE,  pour  chère,  dans  les  différents 
sens  de  ce  mot  :  «  Pire  diière  ». 

Chiffre,  écriture  à  l'aide  de  cliiffres 
convenus  pour  correspondre  secrète- 
ment. 

Chiliandre,  qui  contient  mUle  hommes. 

Chilo,  chilon,  un  des  sept  sages  de  la 
Grèce. 

Chimère,  monstre  mythologique. 

Chinon,  \-ille  natale  de  Rabelais. 

Chinonnovs,  le  pays  autour  de  Chinon. 

Chinquen.aude,  chiquenaude. 

Chippe,  barque  anglaise  (s7«:/>) . 

Chippoté,  chipoté,  gâté  à  force  d'être 
manié. 

Chiquanourre,  féminin  de  chiquanous. 

CHiQL'.ANOtiRROYS,  pays  des  chiquanous. 

Chiquanous,  cliicaneux;  Rabelais  se  sert 
de  ce  mot  pour  désigner  les  huissiers 
et  les  sergents. 

Ckeron.acte,  qui  prend  à  toutes  mains. 
Nom  d'un  capitaine  de  Gargantua. 

Chismes,  schismes. 

Chocquer,  heurter. 

Chœromantie,  divination  qui  se  fait 
avec  des  pourceaux,  de  zoicoç,  ijorc. 

Choine,  pain  blanc  et  délicat. 

Chole,  cholère,  colère. 

Choper,  heurter  du  pied,  faire  un  fairx 
pas. 

Chopiner,  boire. 

Chorde,  corde. 

Chorjie,  chiourme,  galère,  le  banc  des 
rameurs  ou  des  forçats,  et  aussi  la 
troupe  de  ceiri-ci. 

Chose,  village  du  Chinonnais. 

Chosette,  diminutif  de  chose. 

Chouart  (Je-^n),  désignation  populaire 
du  phallus.  —  Nom  d'un  batteur  d'or 
à  Montpellier. 

Christallin  (miroir  de),  cristal. 

Christi.vn,  cristlmst,  chrétien  :  «  Poires 
de  bon  Christian.  » 

Christophle  (saint),  saint  Christophe, 
dont  la  légende  est  bien  connue. 

Chronique,  pour  maladie  chronique. 

Chrysippus,  philosophe  stoïcien  floris- 
sant au  u.^  siècle  avant  notre  ère. 

Chrystallin  (docteur  de),  jeu  de  mots, 
pour  docteur  décrétalin  ou  décréta- 
liste. 


436 


GLOSSAIRE    ET    NOTES 


Chylifier,  réduire  en  chyle. 

CiBOT,  dboule,  petit  oignon. 

CiCEKO,  CicÉRON  (Marc  Tulle),  l'orateur 
romain  souvent  cité.  On  fait  de  son 
nom  l'adjectif  ciccronian,  ciceronien. 

CiCERONl.\N,  ciceronien. 

ClCErt)ELLE,  ver  luisant. 

Ciel  (le),  père  de  Saturne. 

CiGALLES  (ferrer  les),  locution  prover- 
biale, prendre  un  soin  inutile,  perdre 
son  temps. 

CiGuoiKGXE,  cigogne  :  «  Le  comte  de  la 
Cigoingne.  » 

Cil,  celui,  celui-là. 

CiLiciE,  pays  de  l'ancienne  Asie  Mineure. 

CiMASULTE,  cymaise  ou  moulure  dite 
ondée. 

CiXAMOîîE,  cinnamone,  substance  aro- 
matique fort  estimée  chez  les  anciens. 

CiNCiN'NATUi.E,  nom  du  prétendu  esprit 
familier  du  Rhodogine;  du  latin  cincin- 
natus,  qui  a  les  cheveux  bouclés. 

CiNGE,  singe  :  «  Cinges  verds  )>,  choses 
fantastiques,  t  Oncques  vieil  cinge  ne 
feit  belle  moue  »,  locution  proverbiale. 

CiNGESSE,  féminin  de  siuge. 

CiRCÉ,  magicienne  de  l'antiquité. 

CrRCONFÉRENCE  :  «  Infinie  et  intellec- 
tuale  sphère,  le  centre  de  laquelle  est 
en  chacun  lieu  de  l'univers,  la  circon- 
férence point,  c'est  Dieu,  selon  la  doc- 
trine de  Hermès  Tri.-=mégiste.  » 

Rabelais  s'est  trompé;  il  n'\-  a  rien 
de  pareil  dans  les  ou\Tages  attribués 
au  prétendu  Hermès  Trismégiste. 
Cette  image  se  trouve  dans  saint  Bona- 
venture  :  Itinerarium  mentis  ad  Deum, 
cliapitre  v;  de  là  elle  a  passé  dans 
Gerson.  Vincent  de  Beauvais,  dans  le 
premier  chapitre  de  son  Spéculum 
hisloriale,  l'attribue  à  Empédocle.  — 
Voir  l'édition  des  Pensées  de  Pascal 
donnée  par  M.  Emest  Havet,  1852, 
page  4. 

CiRCUMBILIVAGINATION,      mOt      forgé      à 

plaisir  pour  désigner  un  tournoiement 
autour  de  quelque  chose.  «  Par  la 
g>'rognomonique  drcumbilivacination, 
etc.  »,  chapitre  xxii  du  livre  III;  voici 
à  peu  près  le  sens  de  cette  phrase  : 
«  Par  le  circulaire  tournoiement  des- 
quels, comme  par  deux  contrepoids 
célestes,  toute  l'allégorique  méca- 
nisme del'Église  romaine,  quand  elle  se 
sent  tourmentée  d'aucun  malaise  d'er- 
reur ou  d'hérésie,  se  trémousse  autour 
du  même  centre.  » 

CœcL'siBiLiVAGiîrER,  tourner  autour  d'un 
centre. 

Cire  :  «  Nous  les  faisons  comme  de 
dre  »,  dit  Janotus  en  parlant  des  héré- 
tiques,   c'est-à-dire    nous    les    faisons 


fadlement,  en  un  tour  de  main.  La 
dre  se  pétrit  aisément,  et  die  brûle,  ce 
qui  offre  un  autre  point  de  ressem- 
blance. 

CiRURGiEX,  pour  chirurgien. 

CiSTEAULX,  l'abbaye  de  Coteaux. 

CiTRULLE,  dtrouille. 

CivADiÈRE,  voile  du  mât  de  beaupré. 

CiZAiLLER,  couper,  lacérer  avec  des  ci- 
seaux. 

CL.A.B.4ULT,  criant  hors  de  propos;  on 
donne  ce  nom  à  des  chiens  qui  aboient 
mal  à  propos  et  ne  sont  bons  qu'à 
faire  du  bruit. 

Clairet,  vin  blanc. 

Clan',  ou  Clain,  ri\-ière  du  bas  Poitou. 

Claqueden'T,  qui  daque  des  dents, 
misérable,  gueux.  Rabelais  cite  un 
prétendu  livre  intitulé  le  Claquedent 
des  maroufjîes. 

Claude  second,  empereur  romain. 

Claldix,  musiden  contemporain  de  Ra- 
bdais. 

Cl.^udius,  Claude,  empereur  romain. 

Clause  (en  poing),  close,  fermée  en 
poing. 

Claustral,  du  doître  :  «  Prieur  claus- 
tral, » 

Claustrier,  doîtrier,  doîtré. 

Cla\"eaux,  dous  recourbés. 

Cla\tel  :  «  Hérétique  davdé,  hérétique 
bruslabie,  comme  une  belle  petite  ho- 
rologe. ')  Allusion  à  un  hérétique  ro- 
chelïais  du  nom  de  Clavelle,  condamné 
au  feu.  Rabdais  ajoute  :  «  Bruslabie 
comme  une  belle  petite  horologe  », 
parce  que  ce  Clavd  était  un  horloger, 
auteur  d'ime  curieuse  horloge  de  bois, 
et  que  cette  horloge  fut,  dit-on,  brûlée 
avec  son  auteur. 

Clavelée,  maladie  des  moutons. 

Cla\'er,  douer  (un  tonneau). 

Claveure,  serrure. 

Clkaxthes,  philosophe  stoïdeu;  vécut 
au  m'^  siède  avant  notre  ère. 

Clefs,  jeu  d'adresse  pour  lequd  on  se 
ser\-ait  de  defs  au  moyen  desquelles 
il  s'agissait  d'attdndre  un  but. 

Clementix,  clementixe,  de  Clément  V, 
pape;  la  dnquième  collection  de  dé- 
crétales  porte  le  nom  de  ce  pape. 

Cleombrotus,  philosophe  anden. 

Cléox  de  Daulie,  qui  passe  pour 
n'avoir  jamais  songé. 

Cléopatra,  Cléopàtre,  rdne  d'Egypte. 

Clerberg  (Henri),  contemporain  de 
Rabelais. 

Clerc,  savant  :  «  Clerc  jusques  es  dents 
en  matière  de  bre\-iaire.  »  —  «  Si  n'es- 
toient  messieurs  les  bêtes,  nous  vi- 
vrions comme  dercs  ».  Rabdais  ren- 
verse les  termes  de  la  proposition.  Si 


GLOSSAIRE    ET    NOTES 


437 


n'étaient  messieurs  les  clercs,  etc. 

Clergaux,  nom  formé  de  clerc:. 

Clergesses,  féminin  de  Clergaux. 

Clergie,  science. 

Clerice,  vocatif  de  derïcus,  clerc. 

Clericus  vel  addiscens,  clerc  ou  étu- 
diant. 

CLEROiL\NTiE,  divination  par  le  sort  des 
dés. 

Clicquer,  dicqueter. 

Ci.iCQUETTES,  cliquettes  (des  ladres). 

Cldiatere,  année  climatérique,  les  an- 
nées de  la  vie  d'un  homme  qui  sont  des 
multiples  de  7  ou  de  9,  ou  encore  de  7 
multiplié  par  uu  nombre  impair. 

CLINE-MUZETTE,      ou      Cl.IGNE-lIUSETTE, 

jeu  d'enfants  où  l'un  d'eux  dierche 
les  autres  qui  se  sont  cachés  pendant 
qu'il   fermait  les   yeux    (clignait   des 
yeux). 
Clisse,  enveloppé  d'osier. 
Clocher,  boiter  :  «  Ne  clochez  pas  devant 

les  boyteux  y,  locution  proverbiale. 
Clode  Albix,  Clodius  Albinus,  général 
romain  qui  fut  proclamé  empereur  par 
ses  soldats,  mais  qui  ne  régna  point. 
Cloisier,  paysan  qui  tient  une  closerie. 
Cloper,  boiter. 
Clou.\tier,  cloutier. 
Clourre,  clore,  fermer. 
Clous,  clos,  fermé. 
Clousti^tie,  clôture. 
Clu>-y  (hostel  de),  à  Paris. 
CLYiiÉNOS,  soud,  plante. 
Clystère  barb.aein",  terme  erotique. 
CoBBiR,  fracasser. 

CoccAïus   (JlERLiNus),  poème  macaro- 

nique  de  Folengo,  auquel  Rabdais  a 

fait  plusieurs  emprunts.  Rabelais  lui 

attribue  un  livre  de  Patria  dinboloriim. 

COCCOGXIDE,   graine   de   thymdéa   dite 

poivre  de  montagne. 
Coches,  voitures  pour  la  promenade. 
CocHONXET,    petite    boule    ser\-ant    de 
but  aux  joueiirs  de  boules,  jouer  au 
«  cochonnet  va  devant  »  :   jouer  aux 
boules  en  se  promenant  et  en  lançant 
à  chaque  coup  le  cochonnet  en  avant. 
CocQUASSE,  COQUASSE,  coquemar,  chau- 
dron. 
CocQUASsrER,     COQUASSIER,     cuisinier, 
alias,    marchand    d'oeufs,    et    aussi 
chaudronnier. 
CocQCE,  COQUE,  coquillc,  écaille. 
CocQUEClGRUE,  animal  imaginaire. 
CocQUE^iART,    coQUE.^L\RT,    grand    pot 

où  l'on  fait  bouillir  l'eau,  marmite. 
Cocu,  sorte  de  jeu  de  cartes  auqud  jouait 

Gargantua. 
CocYTE,  fleuve  infernal. 
CoDERETZ,  Coterets,  station  tliennale  des 
Pyrénées. 


CoDicE,  cahier,  codex. 
Cœlivage,  qui  va  au  dd,  céleste. 
Cœnaire  (loi),  loi  qui  règle  les  repas. 
Cœur    (Jacqi'es),    riche    finander    du 

temps  de  Charies  VII. 
Cœur,  cueltr,  s'emploie  souvent  pour 

chœur. 
Cogiter,  penser. 
C0GNOISTRE,  connaître. 
CoGULE,  cagoule,  robe  de  moine. 
CoHUAU,  domestique  de  Guillaume  du 

Bellay. 
Coiffe,  «  laver  la  coiffe  Jladame  ^  jeu 

inconnu. 
CoiLLON,  couillon. 
CotN-,  coing,  fruit. 
CoixcT,  coixcTE,  propre,  bien  arrangé, 

bien  paré,  agréable. 

COINGNÉE,     COIGNÉE,     COIGXIE,     COgnéC. 

Sur  les  deux  acceptions  de   ce  mot, 
voir  ce  que  dit  messer  Priape  au  nou- 
veau prologue  du  Mvrt  IV. 
CoiN'GNET  (Pierre  du)  :  «  Pierre  du  Coin- 
gnet  par  vous  pour  même  cause  pé- 
trifié   II.    (Nouveau    prologue    du    li- 
vre   IV.)    Une    petite    statue,    placée 
dans  qudques  églises  et  qui  servait  à 
éteindre  les  derges,  se  nommait  ainsi, 
par  allusion,  dit-on,  à  Pierre  de  Cu- 
gnières,  avocat  général  sous  Philippe 
de  Valois,  qui  avait  attaqué  les  privi- 
lèges du  dergé. 
Coingnouoir  dodrext.\l,  cognoir,  ins- 
trument ser\-ant  à  cogner;  dodrental, 
ayant  neuf  pouces  de  long. 
CoiRAU,  bœuf  engraissé  pour  la  bouche- 
rie. 
Coissix,  coussin. 
CoLAXES,  fils  de  Jupiter  et  de  la  nymphe 

Ora. 
CoLDREAUX  (les),  village  du  Chinonnais. 
CoLE,  COLLE,  tourmente,  tempête. 
Colix-Bridé,  jeu  dont  on  ignore  la  pra- 
tique; son  nom  peut  faire  supposer 
que  c'était  une  sorte  de  colin-mail- 
lard. 
CoLEv-ET,  Jacques  Colin  d'Auxerre,  abbé 
de    Saint-Ambroise,    poète    alors    en 
réputation. 
Collas,  pour  Nicolas.  «  Deu  Collas,  faU- 
lon  ».  En  patois  lorrain  :  de  par  saint 
Nicolas,  compagnon. 
CoLL.\rDER,  louer,  collauiare. 
CoLLiGEAXGE,  coLLiGUAXGE,  lien,  rap- 
port. 
COLOCYXTHE,  coloquinte,  plante. 
CoLON'GES,    Collonge-les-Royaulx,    ville 

du  bas  Poitou. 
CoiopiroN,    ville    de    l'andenne    Lydie 

(Asie  Jlineure.) 
COLOPHONL\CQUE,  de  colophone  ou  colo- 
phane. 


■13^ 


GLOSSAIRE    ET    NOTES 


CoLOic.  sorte  de  reptile. 

CoL^TOBADES    (oUvci),    olives   prùijarces 

dons  leur  saumure. 
CoxrBES,  jeu  inconnu. 
Combien  qite,  quoique. 
COMBRECELLE,  l'actïon  de  se  baisser  en 

avant    pour    recevoir    quelqu'un    sur 

son  dos.  (De  l'Aulnay.) 
Combustion,  ardent  désir. 
Co>nTE,  compagnon,  cornes. 
Comment  a  xom?   C'est,   comme  nous 

avons  dit  à  propos  du  dicton  ad  for- 

main  nasi,  etc.,  une  manière  d'habiller 

une  syllabe  indécente. 
CoM^rER.viGE,     baptême,     de     commère, 

marraine. 
Co>DnssiON,  exploit  judiciaire. 
CoMinssuRE,  point  de  jonction. 

COMjnSSURE       L.'iMBDOÏDE,       SUtUTC       dU 

crâne  ayant  la  forme  du  lambda  grec. 

CojiMODUS,  COJUIODE,  empereur  romain. 

CoMPACTiON,    réunion,   assemblage. 

COMP.\lNG,  compagnon. 

CoMPANAGE,  ce  qui  se  mange  avec  le 
pain;  expression  languedodeime  et 
provençale. 

CoMP.\RENT,  comparaissent. 

CoMP.-VROlT  (ne  se)  point,  ne  paraissait 
pas. 

CoMP.uiTi,  partagé  par  égales  distances. 

Compas,  mesure,  proportion. 

Compexdiel'x.  abrégé. 

Compère,  musiden  du  temps  de  Rabe- 
lais. 

Compère,  compère,  prêtez-moi  votre 
SAC,  Gargantua  jouait  «  à  compère, 
compère,  prêtez-moi  votre  sac;  »  on 
ignore  en  quoi  consistait  ce  jeu. 

CoMPETAXCE  (du  mal),  ce  que  réclame 
la  maladie,  ce  qui  con%-ient  à  la  mala- 
die. 

CoMPETEMENT,  COMPETEXTEMEXT,  Con- 
venablement. 

COMPETENT,  appartenant,  convenable. 

CojlPETER,  convenir. 

CoMPisBER,  pisser  dessus. 

CoMPlTE,  carrefour. 

CoMPL.\iNCT,  COMPLAINCTE,  plainte. 

CoMPLAixDRE  (sc),  porter  plainte,  se 
plaindre. 

COMPL.VNiR,  aplanir,  niveler. 

CoMPLEXiON-NÉ.  Constitué. 

Composer,  mettre  en  comparaison;  en- 
trer en  composition,  faire  un  traité. 

CojEPOSErRS  (d'emprunts),  composeurs 
(de  pets),  gens  qui  font  des  emprunts, 
etc. 

Composition,  ordonnance,  distribution. 

Compost,  le  calendrier. 

COMPOVSTE,  compote,  marmelade. 

Compter,  dans  le  sens  de  conter,  racon- 
ter. 


C0MPUL6OIRE  DE  BEUVETTES,  synottyme 
de  jambon,  qui  aide  à  boire. 

CONARE,  la  glande  pincale. 

CoNCHE,  conque. 

CoNCHiER,  embrener,  salir.  —  Se  con- 
CHIER,  s'embrener. 

CoNCiERGERrE,  prison  du  Palais. 

CoNCiLiPETES,  allant  au  concile,  conçu 
Hum  patentes . 

CoNCiON,  CONTION,  discouts,  hatanguc  : 
«  I^a  contion  de  Gargantua  aux  vain- 
cus. » 

Conclusions,  propositions  à  soutenir  en 
discussion  publique. 

CONCOCTioN,  cuisson,  digestion. 

CONCOCTRICE  (vertu),  puissance  de  cuire, 
de  digérer  les  aliments. 

Concordat  (le  baUlif),  personnification 
plaisante,  comme  le  bonhomme  Con- 
cile de  I^tran  et  la  bonne  dame  Pr^- 
matique  Sanction. 

CoNCORDS,  qui  est  d'accord  :  «  Ton  corps 
concords  »,  ton  corps  où  tout  s'har- 
monise. 

CoNcrLQUÉ,  foiUc  aux  pieds  :  €  Toute 
amitié  conculquée.  » 

Concussion,    secousse,    ébranlement. 

Co>rDEMNADE,  Sorte  de  jeu  de  cartes. 

CoN-DlEUX,  confrères  en  di\'inité. 

CoNDiGNE,  digne,  égal. 

CoNTJiTioNALES,  Conditionnelles,  propo- 
sitions conditionnelles. 

Conditionné,  dont  les  conditions  sont 
fixées  :  «  Pactes  par  vous-mêmes  con- 
ditionnés »,  pactes,  traités  dont  vous 
avez  fixé  vous-mêmes  les  conditions. 

CONDUIREN-T,  pour  conduisirent. 

CoNDUiST,  poiu:  conduisit. 

CoNFABULATioNS,  entretiens,  conver- 
sations. 

CONTALON,  enseigne,  bannière,  gonfalon. 

CoNFALONNiER,  porte-ensdgne . 

Confection  de  cotoniat,  confitures  de 
coing,  cotignac. 

CoNTtDÉRATiON,  alliance. 

Confermer,  confirmer,  rafïermir;  on 
rencontre  aussi  conformer  dans  le 
même  sens. 

Contés,  confessé. 

CoNFlNlTÉ,  voisinage. 

Confins,  voisins. 

CoNTLAGRER,  brûler,  être  en  feu. 

CONFORT.VTIF,  qui  réconforte. 

CoNGiÉ,  congé,  permission,  licence. 

CONGNEU,  connu.  Ce  mot  avait  parfois, 
comme  à  présent,  le  sens  d'avoir  des 
rdations  chamelles. 

CoNGNoissANCE,  connaissaiîce. 

CoNGNOiSTRE,  connaître  ;  t  congnois 
toy.  » 

Congratl1.ant,  félidtant. 

Congre,  crabe,  homard. 


GLOSSAIRE    ET     NOTES 


•^39 


Congru,  convenable,  approprié  à  la  cir- 
constance. 
CoNNiL,  CONXIN",  lapin. 

CoN'NUBL\i-ES,  relative?  au  mariage. 

CoNOPÉE,  Kf.)Vfp)~:ïov.  tin  pavillon  de 
lit,  duquel  ordinairement  les  Égyp- 
tiens se  servaient  pour  se  garantir  des 
injures  des  moucherons,  en  grec  "/'•)"/- 
fOTziç.  en  latin  culiccs,  en  français  cou- 
sins. Les  reines  et  grandes  princesses 
paraient  leur  lit  et  couches  de  superbes 
pavillons  d'où  Horace  :  Interque  signa 
turpe  militaria  sol  aspicii  conopeum. 

CONQUESTER,  Conquérir;  conquesta, 
conquit. 

CoNSEN'TiNOls,  habitants  du  Conseutin, 
pays  autour  du  Consentia  ou  Cosenza, 
dans  la  Calabre. 

CoxsEQUEMJiENT,  pour  ensuite. 

Considération,  contemplation. 

CoNSiLiON,  musicien  contemporain  de 
Rabelais. 

Consister,  se  tenir,  être  situé,  consis- 
terc. 

CoNSOLDE,  consoude,  plante. 

CONSONNANTE,    COnSOimC. 

CONSONE.  CONSONNE,  qui  convient,  qui 
s'accorde,  comme  consonnant. 

CONSONER,  coNSON'XER,  être  d'accord 
avec,  convenir. 

Constantin  (l'empereur). 

Constantin  (arc  triomphal  de),  à  Rome. 

CoNST.^NTlNOBLE,  Constautiuople. 

Consulte  (ligne),  ligne  brisée. 

ÇoNSUMiiATUM  EST  (ainsi  que  dist  sainct 
Thomas),  tout  est  consommé,  ou  c'est 
fini  (U\Te  III,  chapitre  n).  Saint  Tho- 
mas, distrait  par  la  composition  de  son 
hymne  au  saint  Sacrement,  mangea, 
dit-on,  toute  ime  lamproie  servie  sur. 
la  table  de  saint  Louis,  et,  ayant  fini 
la  lamproie  en  même  temps  que 
l'hymne,  s'écria  :   Consummatum  est  ! 

CoNTAiirNER,  souiller;  contamination, 
souillure. 

CONTEMNER,    CONTESIPN'ER,   mépriser. 

CoNTEMPERER,  movérer,  apaiser. 

CONTEMPNEilENT,  mépris. 

CONTEMPTIBLE,  méprisable. 

CoNTENDRE,  disputer,  avoir  des  préten- 
tions contraires;  d"où  contentieux,  liti- 
gieux; contention,  content,  contemps, 
chicane,  tracas. 

Content,  comptant;  «  de  content  »,  en 
argent  comptant. 

Conthoporie,  fontaine  de  Corinthe. 

Contikuement,  d'ime  manière  continue, 
sans  interruption. 

Contra  hostium  insidias,  contre  les 
embûches  des  ennemis;  oraison. 

CoNTRACT,  contracte,  replié,  contracté. 


Contredits  (cour  des),  cour  romaine. 

Contrefil  (a),  au  contraire. 

Contrefortwœr,  mépriser,  braver  la 
fortune. 

Contregarder,  contregu.\rder  (se), 
se  tenir  sur  ses  gardes,  se  garder  con- 
tre. 

Contrehastier,  grand  chenet  de  cui- 
sine à  plusieurs  crans,  pour  les  bro- 
ches. 

Contremejane  (voile),  voile  de  contre- 
artimon. 

CoNTREMONT,  en  haut,  en  remontant. 

Contrepeder,  contrepeter,  peter  à 
l'unisson. 

Contrepoinct  (au),  au  contraire,  au 
rebours. 

Contrepoinctée,  piquée  comme  ime 
courte-pointe. 

Contrevenier  les  bulestes,  tendre  les 
voiles  quand  on  est  au  plus  près  du 
vent. 

Contristations,  tristesses.  Rabelais 
emploie  aussi  le  verbe  contrister,  et  se 
contrister. 

CoNTROVERS,  CONTROVERSE,  Contro- 
versé, débattu. 

Contumelie,  injure,  outrage. 

CONTUNDRE      OU      CONTON"DRE,      froiSSer, 

piler,  broyer. 

Convalescence,  bonne  santé  :  «  Réduit 
à  sa  première  convalescence  ",  revenu 
en  sa  première  santé. 

CoN"VEN.\NiE,  conven-ente.  Convena- 
ble, propre. 

Convenir,  falloir. 

CoN\TENlR,  se  rendre,  venir,  se  rassem- 
bler. 

CoNVENT,  couvent. 

Conventicule,  réunion,  assemblée. 

Copie,  abondance,  d'où  copieux,  abon- 
dant. «  Copieux  en  révérence  »,  qui  pro- 
disTue  les  révérences. 

CopiEi'x,  qui  copie,  qui  imite  et  singe  les 
autres.  «  Les  Copieux  de  la  Flèche  » 
étaient  passés  en  proverbe. 

Coq  :  «  Saulter  du  coq  à  l'asne  )>,  passer 
d'une  chose  à  une  autre  sans  transi- 
tion, d'où  l'expression  co?-ft-/'rf"c restée 
en  usage.  —  «  Le  coq  d'Euclion  tant 
célébré  par  Plante  en  sa  marmite.  » 
(Prologue  du  Livre  III.)  Dans  la  comé- 
die   de    Plante    intitulée    Aulularia, 
l'avare  Euclion  tue  son  coq,  qu'il  ac- 
cuse d'avoir  gratté  la  terre  autour  de 
l'endroit  où  il  a  enfoui  sa  marmite 
remplie  d'or,   et  d'être  complice  des 
voleurs. 
CoQUANTiN,  volant;  jeu  de  volant. 
Co  quart,  sot,  stupide. 
CoQU.ATRis,  espèce  de  basilic. 
CoQUELicous,  coquelicot. 


4-1  o 


GLOSSAIRE    ET    NOTES 


Coqueluche,  pour  coqueluchon,  capu- 
chon. 

COQUILLON,  qui  porte  le  cucullio,  le  bon- 
net doctorail;  docteur,  par  conséquent. 

COQUINBERT,  «  à  coquinbert  qui  gasine 
perd  »,  jeu  inconnu;  c'est  vraisembla- 
blement le  jeu  de  qui  perd  çagne. 

CoRAXiENS,  Corasicens,  peuple  de  la 
Colcliide. 

CoRBiEU,  coRBEur,  CORDIEU,  jurons 
encore  usités. 

CoRBiGE.iux,  cormorans. 

CORBINER,  voler,  dérober,  d'où  corbi- 
neur,  voleur. 

CoRD.iCE,  danse  comique  et  lascive  des 
anciens. 

CoRDOU.\x,  de  Cordoue.  Le  cuir  de  cette 
■ville  était  fort  estime. 

CoRDOUA>rxiER,  cordonnicr. 

CoRiNTiiE,  ville  de  l'ancienne  Grèce. 

CoRjiARAM,  cormoran,  oiseau  aquatique. 

CoRMÉ,  boisson  du  Poitou  faite  avec 
des  cormes. 

CoRNABOUs  (Journée  des),  allusion  à 
quelque  conte  populaire. 

CoRNABOux,  cornets  à  bouquin. 

CoRX.VNcn,,  augmentatif  de  cornu.  Ra- 
belais dit  au  chapitre  xi.vi  du  livre  III  : 
«  Corné,  comard  et  cornu  ».  Au  cha- 
pitre xxxvi  du  livre  V  :  «  Cornant, 
cornu  et  comancul  ».  Et  plus  loin  : 
«  Comigère,  coniipetant,  etc.  » 

CoRXE,  Gargantua  jouait  «  à  la  corne  », 
jeu  inconnu. 

Cornemuse,  instrument  de  musique  vil- 
lageoise encore  en  usage,  d'où  conie- 
museur,  joueiir  de  cornemuse. 

Corner,  crier  avec  un  cornet. 

CoRN-ES  :  «  Depuis  quand  avez-vous  prins 
cornes?  »  Depuis  quand  vous  est-il 
poussé  des  cornes  que  vous  êtes  deve- 
nus si  rogues,  si  insolents? 

Cornet É,  écorné. 

Cornette.  C'était  une  sorte  de  coiffure 
s'attachant  sous  le  menton.  On  appe- 
lait cornette  de  chanvre  la  corde  qui 
servait  à  pendre  les  condamnés. 

Cornices,  corniches. 

Cornigere,  qui  porte  cornes. 
CoRNucopiE,     corne     d'abondance,     la 
corne  de  la  chèvre  .Imalthée,  de  la- 
quelle fut  allaité  Jupiter  et  nourri  en 
l'ile  de  Crète  par  les  deux  nymphes 
Adraste  et  Ida.  En  mémoire  de  ce  bien- 
fait, quand  il  \-ient  en  âge,  il  mit  cette 
cliévre  au  ciel  au  nombre  des  étoiles, 
et  donna  aux  nymphes  une  des  cornes 
de  la  chè%Te  avec  la  vertu  de  leur  four- 
nir toutes  choses  en  abondance  et  à 
souhait. 
CoRONE,  Cyrène,  ville  d'Afrique. 
CoRGNEi.  colonel. 


CORONICE,  corniche. 

CoRONOPOUS,  plante  dont  le  nom  est 
interprété  par  Rabelais  :  pied  de  cor- 
neille. 

CoRPE  DE  GALLXNE,  juron  traduit  de 
l'italien  corpo  di  gallina  !  corps  de 
poulet  ! 

C0RPOR.AXS,  chefs  de   corps,    caporaux. 

CoRPULANCE,  corps,  matière;  mot  appli- 
qué à  une  lampe. 

CORQUIGNOLLE,  croquignollc  ;  chique- 
naude; dans  ce  dernier  sens  sorte  de 
jeu. 

CoRRTV'.Ai,  rival. 

CoRRUGATiON,  action  de  se  rider,  de  se 
froncer. 

CoRRUPTELE,  comiption. 

CORSECQUE,  javeline,  dard. 

Corselet,  armiue  préser\-ant  le  corsage. 

CoRsiCQUE,  la  Corse. 

CoRusc.^^'T,  brillant,  éclatant. 

CoRYS.-vxTiER,  dormir  les  yeux  ouverts, 
comme  fiasaient  les  Corybantes,  prê- 
tres de  Cybèle,  lorsqu'ils  gardaient 
Jupiter,  de  peur  qu'il  ne  fût  englouti 
de  Saturne. 

CoRYB.\NTiQrES,  des  Corybantes. 

COR\T)ON,  berger  virgilien. 

CoRYTis,  mari  d'Electre,  avec  laquelle 
Jupiter  engendra  Dardanus. 

CosciNOJLANTiE,  di\-ination  au  moyen 
d'un  crible  qu'on  faisait  tourner. 

COSCOSSONS,    COSCOTONS   A    LA    M.\X7RES- 

QX^T,  cour-coussou,  mets  emprunté  à 
la  cuisine  des  Maures  et  des  Arabes. 

CoscOTÉ,  granulé,  taché  de  petits  points  : 
«  Ambre  coscoté.  » 

Cosse,  anneau  de  fer  ou  de  bois  que  l'on 
flxe  aux  vergues  et  haubans  pour  faire 
passer  les  manœuvres  courantes. 

CossoN,  charançon,  cousin,  insecte  ron- 
geant les  légumes. 

CoTAL,  de  l'italien  cotale,  chose,  machin, 
désignant  le  phallus.  —  Cot.\.l  d'al- 
BEs'GUES  (messer).  C'est  le  même  mot 
dont  Panurge  fait  un  nom  propre. 
Albingues  est,  dit-on,  Albenga  près 
de  Gênes. 

CoTiR.\L  (Henry).  Des  commentateurs 
prétendent  que  c'est  Henri  Corneille 
Agrrippa  que  l'auteur  a  voulu  désigner 
sous  ce  nom. 

CoTONL\T,  cotignac,  sorte  de  confitures 
de  coing. 

C0TONNER,  rembourrer,  ouater. 

Cotte-hardie,  vêtement,  commun  aiuc 
deux  sexes.  «  Il  n'est  pas  facile,  dit 
M.  Quicherat,  dans  son  Histoire  du 
costume  au  xiV  siècle,  d'expliquer  la 
dénomination  de  cotte  hardie,  en  latin 
tunica  audax,  qui  prévalut  au  commen- 
cement du  xi\''=  siècle.  XiO.  forme  de  ce 


Glossaire  et  notes 


44Î 


vêtement  était  celle  d'une  grande 
robe  taillée  droite  et  fermée  comme 
un  fourreau.  Des  fentes  étaient  dispo- 
sées, soit  autour  de  l'encolure  pour  faci- 
liter le  passage  de  la  tête,  soit  par  le 
bas  pour  assurer  la  liberté  des  jambes.  » 

CoTTEtTRS  (de  Droict),  annotateurs, 
commentateurs;  cotteur  paraît  former 
tme  sorte  de  jeu  de  mots  avec  docteur. 

CoTUKNiQUE,  qui  se  rapporte  aux  Co- 
thurnes, aux  chaussures. 

CoTYXE,  mesure  de  liquides  équivalant  à 
peu  près  à  un  demi-septier  ou  neuf 
onces  d'Italie. 

COTYLEDONS  (de  la  matrice);  du  grec 
x.O":'JÀr,ôojv.  «  l,es  cotylédons  ne  sont 
autre  chose  qu'orifice  des  extrémités 
des  veines  et  artères  manstruelles.  » 
(A.  Paré,  l,  34.)  «  En  anatomie,  on  a 
donné  le  nom  de  cotylédons  aux  lobes 
nombreux  qui  constituent  le  paren- 
chyme du  placenta.  »  (Nysten,  1855, 
édition  Littré.) 

CouANE,  couenne. 

CouBDE,  coude. 

CouBDÉE,  coudée. 

CouBLE,  couple. 

CouBLEMEXT  (des  chicus),  accouple- 
ment. 

CoiTBLER,  accoupler. 

CouBTE,  coude. 

CouBTÉE,  coudée. 

Couche  :  «  Moitié  au  pair,  moitié  à  la 
couche  »,  c'est-à-dire  tout  ensemble. 
C'est  une  expression  empruntée  à 
l'argot  du  jeu  où  la  mise  peut  être  faite 
moitié  au  pari  (au  pair),  sur  parole, 
moitié  au  comptant,  en  «  couchant  » 
l'argent  sur  la  table. 

CoucofRDE,  courge,  citrouille,  cale- 
basse. 

CouDiGNAC,  coLTilN'AC,  même  sens  que 
cotignac.  «  Coudignac  de  four  et  eau 
béniste  de  cave  »,  c'est-à-dire  du  pain 
et  du  vin. 

CouER  (bonnette),  ajouter  les  bonnettes 
aux  grandes  voiles. 

CouET,  cordage  qui  sert  à  assurer  la 
grande  voile  et  la  misaine. 

Cot:tiardise,  couardise. 

CouiLLAGE  (des  promoteurs);  le  Ciilla- 
gium  serait,  d'après  Henri  F.stienne, 
ime  redevance  moyennant  laquelle  les 
ecclésiastiques  auraient  pu,  à  une  cer- 
taine époque  et  en  certains  pays,  gar- 
der des  femmes  dans  leurs  maisons. 

CouiLLATRYS.  «  Ce  bou  homme  duquel 
il  est  parlé  au  prologiie  du  livre  I^^, 
qui  avoit  perdu  sa  hache  ou  cognée,  et 
à  qui  Jlercure  cîi  donna  une  d'or,  ce  qui 
causa  que  plusieurs  de  ses  voisins  se  1 


ruinèrent,  signifie  un  gentilhomme  de 
Poitou  qui  vint  à  Paris  pour  quelque 
affaire  avec  sa  femme,  qui  ctoit  belle, 
dont  François  I^''  devint  amoureux  et 
enrichit  le  gentilhomme,  qui  s'en 
retourna  en  son  pays  :  ce  qui  fut  cause 
que  plusieurs  de  ses  voisins  qui  avoient 
de  belles  femmes  ou  filles  vinrent  aussi 
à  Paris,  croyant  qu'ils  feroient  pareille 
fortune;  mais  ils  furent  obligés  de  s'en 
retourner  après  s'être  ruinés.  »  {Al- 
phabet de  l'auteur  français.) 
C0UILLE,  couiLLON,  mots  fréquents  dans 
Rabelais  ;  et  nombreux  dérivés  :  couil- 

LART,  COUTLLASSE,  COUILLAUD,  COUIL- 
LETANT,  COUILLETTE,  COUILLONNAS, 
COUILLONNÉS,  COUILLONNIQUES,COUlI.- 
LONNIFORMES  ,     COUILLONTSIIQUEMENT , 

COUILI.U. 

CouiLLE  A  l'évesque,  herbe  marine. 

CouiLLE  DE  BÉLIER,  balle  faite  avec  cet 
organe;  jeu  de  ballon. 

CouiLLEVEiNE,  pour  coulevrinc,  sorte  de 
canon.  Il  n'est  pas  besoin  de  faire 
remarquer  que  l'orthographe  de  ce 
mot  est  altérée  par  Rabelais  avec  in- 
tention. 

CouL,  col,  cou. 

CoirLAiNES,  village  du  Chinonnais. 

CouLDRAY  (le),  village  du  Chinonnais. 

CouLEFFRE,  Sorte  de  reptile. 

CouLEJŒNT,  écoulement. 

Couleur  de  roy,  selon  Johanneau. 

CouLOUoiR  (redoubler  au),  c'est-à-dire 
par  un  coup  donné  en  glissant,  en  cou- 
lant. C'était  une  des  manœuvres  de 
la  hache  d'armes. 

CoupE.\u,  couppEAU,  un  morceau  : 
«  Vous  n'en  eussiez  donné  un  coupeau 
d'oignon.  » 

C0UPELAI.T3  (au),  à  l'épreuve,  disent  les 
uns,  de  coupelle,  petit  instrument  à 
essayer,  éprouver  les  métaux.  Ees  au- 
tres l'entendent  :  au  cul  levé. 

CouppE,  plateau. 

CouppE-AUEEiLLE,  sorte  de  couteau 
dont  la  lame  était  extrêmement  fine. 

CouppE  guorgi':e,  pour  gorge  coupée, 
par  une  de  ces  transpositions  de  lettres 
fatnilièves  à  Rabelais. 

COL'PPE  TE.^TÉE,  pour  tête  coupée. 

CoiTPiER,  oflîcicr  de  table;  écuyer  tran- 
chant. 

CouppLER,  accoupler,  réunir. 

CoLiRAiGE,  volonté. 

CoLTRAL,  corail. 

Courant,  courante  :  «  Courante,  com- 
me bacheliers  insensés  ».  (Livre  III, 
chapitre  xviii).  On  appelait  bache- 
liers cursoires  (cursorii)  les  bacheliers 
qui,  se  préparant  à  la  Ucence,  fréquen- 
taient les  actes  des  facultés,  faisaient 


442 


GLOSSAIRE    ET    NOTES 


des  coure,  donnaient  des  leçons  parti- 
culiètes,  couraient  le  cachet,  comme 
nous  disons  encore.  Beaucoup  de  maî- 
tres restaient  bacheliers  cursoires 
toute  leur  vie  :  «  Il  y  a  des  bacheliers 
cursoires,  disait  Jean  Petit  au  synode 
de  1406,  que  je  vais  consulter  quand 
j'ai  quelque  affaire  et  qui  y  voient  sou- 
vent plus  clair  que  d'autres  qui  ont 
une  grande  renommée.  Giiignecourt, 
qui  était  réputé  l'homme  le  plus  savant 
du  monde,  ne  fut  jamais  que  bachcher 
cursoire.  »  {Origines  littéraires  de  la 
France,  par  I,ouis  Moland,  page  238). 

Courbasse,  courbé  sous  le  poids  des  ans. 

CorRBEAU,  corbeau. 

CouRCAiLLET,  nom  propre  emprunt  à 
quelque  légende  populaire. 

CouRLE,  sorte  de  courge. 

CouRLE,  courlis,  oiseau. 

CouRiiAR.'Us-,  cormoran. 

CouRQV.^iLLET,  appeau  à  cailles;  sorte 
de  chausses  pUssées  comme  l'appeau. 

CouRRACTECRS,  correcteurs  de  comptes. 

CouRRAlES,  courroies. 

CouRRAiL,  verrou,  marteau  d'ime  porte. 

CouRR.\TiÈRE,  revendeuse,  proxénète. 

CouRSiE,  passage  pratiqué  dans  le  mi- 
lieu d'une  galère,  pour  commimiquer 
de  la  poupe  à  la  proue. 

Cot-RSIVES  (lettres),  cursives. 

Coi-RsoroiR,  pompe  d'un  vaisseau. 

CouRT.-iULT,  cheval  ou  chien  de  courte 
taille.  On  appelait  aussi  courtault  le 
chien  ou  le  cheval  qui  avait  la  queue 
coupée.  Métaphoriquement,  ce  mot 
s'employait  pour  désigner  le  phallus. 

Cox-TiT-BASTON,  jeu  qui  consiste  à  tirer 
sur  un  bâton  de  façon  à  le  faire  lâcher 
au  partenaire  qui  le  tire  en  sens 
inverse. 

C0URTE-BOUI.LE,  jeu  de  boules  dans  un 
terrain  déUmité. 

CorRTlB.\t,TC,  sorte  de  daluiatique  courte 
que  les  prêtres  mettaient  pour  officier. 

CoLTiTli,.  petit  jardin  fcnné  de  haies. 

Courtine,  terme  de  fortification  encore 
employé. 

CouRTiXES,  rideaux  de  lit. 

Courvée,  corvée. 

CouscoiL  (Adam),  nom  probablement 
forgé  par  Rabelais. 

Cousix  Gerv.ms  remué,  jeu  de  mots  sur 
cousin  germain. 

Coussin-,  oreiller. 

CoussoN,  gousset  de  chemise. 

CousTÉ,  côté. 

CousTE  BOVIN-E,  côte  de  bœuf. 

CousTE  ET  v.viLLE,  quoi  quc  la  chose 
coûte  et  vaille,  peu  importe. 

Cousteau,  coteau. 

CousiELETTE,  côtelette. 


CousTELLEUH,  coutclief. 

CousTERETS,  coustrets,  cotfets. 

CousTiER,  à  côté,  donnant  à  côté. 

CousTiÈRES  (voiles),  servant  à  naviguer 
sur  les  côtes. 

CoiSTOYER,  suivre  les  côtes,  côtoyer. 

Cou\'ERCl.E;  prov.  :  «  Couvercle  digne 
du  chaudron.  i> 

Couvert  (au),  en  se  couvrant. 

Couverte,  couverture. 

Coi'VRECiîiEF,  coiffure  quelconque. 

COY,  COYE,  coi,  coite,  tranquille,  pai- 
sible, sans  mouvement. 

CoYPHE,  coiffe. 

Coz,  queux,  pierre  à  aiguiser. 

Cr.\chouoir,  crachoir. 

Crvvdot,  poisson  qui  se  pêche  sur  les 
côtes  de  Bretagne. 

Cr.îîpalocojtes,  chants  bachiques.  - — 
Voyez  la  Bricfie  Dcclaration. 

CR.\rN"E,  crâne. 

Cramaillière,  crémaillère. 

Cramoisint:,  sorte  d'étoffe  de  soie,  teinte 
en  cramoisi. 

Cr.vmoisy.  Ce  mot  n'exprime  point  pro- 
prement une  couleur,  comme  on  le 
croit  communément,  mais  bien  la 
perfection  d'une  teinture.  Ainsi  l'on 
disait  :  rouge  cramoisy,  bleu  cra- 
moisy,  violet  cramoisy.  Au  livre  X, 
chapitre  sixi,  frère  Jean  rime  en  cra- 
moisi, c'est-à-dire  richement  et  en 
perfection. 

Crante  (le),  colline  près  de  Corinthe. 

Cr-^p-^udine,  sorte  de  pierre  précieuse. 

Crapault  :  «  Hz  en  estoient  chargez 
comme  un  crapault  de  plumes  »,  locu- 
tion proverbiale  povir  dire  :  n'avoir 
lien  du  tout,  être  tout  à  fait  dépour- 
vu. ■ —  Un  des  jeux  de  Gargantua;  on 
ne  saurait  dire  en  quoi  exactement  il 
consistait. 

CR-^iTYLE  (le  Cratyle  du  Divin  Platon). 
Ce  dialogue  est  atissi  intitulé  :  De  la 
propriitc  des  noms:  il  se  trouve  dans 
le  tome  XI  de  la  traduction  de  Pla- 
ton publiée  par  31.  Victor  Cousin. 

Cr^\v^vn"t,  sorte  d'oie  sauvage,  oiseau 
révéré  des  Égyptiens. 

Crî.ance.  croyance,  foi. 

Credencier,  sommeher,  qui  a  soin  du 
buffet  appelé  crcdcncc. 

Créditeurs,  créanciers. 

Crejlvsteres,  les  muscles  suspenseurs 
des  testicules. 

Cremere,  fleuve  de  l'ancienne  Italie. 

CREN"EQurs',  armure  de  tête  du  cavalier, 
assez  semblable  au  heaiune.  On  appe- 
lait aussi  crenequin  un  outil  de  fer 
qui  servait  à  bander  les  arbalètes. 

Crespelu.  —  Voyez  Cincinnatule. 

Cressokxière,  marchande  de  cresson. 


GLOSSAIRE    ET    NOTES 


443 


Crêtes,  Cretois. 

Crku.  cru  (substantif). 

Creust,  profita,  accrut. 

Ckeziou,  c'est  un  creuset,  en  Dauphi- 
nois. 

Oritolacs,  philosophe  grec. 

Croc,  «  croc-madamG  »,  jeu  inconnu. 

Crocquemouche,  personnage  des  contes 
d'enfants. 

CROCQUEXOT.'USE,       ou      CROTEXOTAIRE, 

appelation  burlesque  pour  protono- 
taire. 

CROCQtTETESTE,  sottc  de  jcu  de  saute- 
mouton. 

Crocutes,  animaux  fantastiques.  — 
Voyez  Pline,  livre  VIII,  chapitre  xxi. 

Croix,  aigent  monnayé.  Les  pièces  de 
monnaie  portaient  une  croix  sur  leur 
face,  d'où  l'expression  :  n'avoir  ni  croix 
ni  pile.  De  là  encore  :  n  s'étudier  à 
l'Invention  de  Saiute-CroLx  »,  pour  : 
chercher  de  l'argent;  c'est  dans  le 
même  sens  qu'il  est  dit  (livre  V,  cha- 
pitre XVI)  que  le  pressoir  des  Apedefte 
est  fait  du  bois  de  la  croix. 

Croix  osaxière.  — -  Voyez  la  Briefve 
Déclaration. 

Croix  ou  Pili.e,  l'un  des  jeux  de  Gar- 
gantua; c'est  :  pile  et  face. 

Croix  (Saixcte),   église  d'Orléans. 

CRO^^ocoLAPTE,  phalange,  sorte  d'in- 
sectes. 

Cropière,  croppière,  croupière. 

Cropiox,  croupion. 

Croppe,  croupe. 

Croquigxolle,  espèce  de  diiquenaude; 
Gargantua  jouait  <t  aux  croquignoUes  ». 

Crosse,  bâton  recourbé  avec  lequel  les 
enfants  s'amusent  à  chasser  une  pierre 
ou  une  boule;  —  le  jeu  lui-même. 
Gargantua  jouait  a  à  la  crosse  ». 

Crotaphique  (l'artère),  artère  tempo- 
rale, du  grec  '/soTaçoç,  tempe. 

Grotesque,  grotesque,  sorte  de  dessins 
d'ornementation  architecturale. 

Croteux,  couvert  de  crotte. 

Croue,  l'écrou  d'un  pressoir. 

CsouLAY  (le),  ■STllage  du  Chinonnais. 

Crouller,  agiter,  secouer. 

Croustelevé,  couvert  de  croûtes. 

Cboustelles,  croutelles,  près  Poi- 
tiers. 

Croye,  craie. 

Croysade  (la).  — .  Voyez  Metclin. 

Croyzer,  jeu  indéterminé. 

Cruc,  croc  :  «  grupper  au  crue  »,  saisir, 
suspendre  au  croc. 

Cruon,  cruchon,  tête  :  «  Sauve,  Tevot, 
le  pot  au  vin,  c'est  le  cruon  ».  Chacun 
sait  que  tête  {testa  en  latin,  vase  de 
terre  cuite)  était  synonyme  de  pot  au 


vin.  On  disait  donc  par  ironie  aux 
francs-taupins  :  Sauve  le  pot  au  vin, 
ce  qui  signifiait  à  la  fois  sauve  ta  tête, 
ta  vie.  et  sauve  la  bouteille.  Puis  on 
avait  bien  soin  d'ajouter  que  par  teste 
on  entendait  le  cruon  (le  cruchon,  la 
bouteille),  et  non  leur  tête,  qu'on 
savait  très  bien  ne  pas  avoir  besoin  de 
leur  recommander.  (B.  des  JI.). 

Cryère,  nom  d'une  tour  de  Thclème, 
c'est-à-dire  Froide,    Kpvspoç. 

Crystalix,  cristal. 

CuBicuLAiRES,  camericrs,  gentilshommes 
de  la  chambre. 

CucROCUTES,  comme  crocutes. 

Cii'EiLLiR  (se),  se  rassembler. 

CuEUR,  cœur. 

CuHARSCE,  sorte  de  reptile. 

CuiDER,  CUYDER,  Croire,  d'où  cuideurs 
de  vendanges,  ceux  qui,  relâches  par  le 
raisin,  «  se  concilient,  en  croyant  ue 
faire  que  vesner.  » 

CuL,  d'où  culleter,  cultaige,  culletis,  cule- 
tant,  que  Rabelais  écrit  parfois  cul- 
tant  :  culot  est  un  diminutif  :  «  Le  Cu- 
lot de  discipline.  » 

CiT,  S.A.LLÉ,  jeu  inconnu. 

CuLiCE,  inoucheron,  cousin. 

CuLLEBUTER,  culbuter. 

CujiANE  (sibylle),  de  Cumes. 

Cures,  pour  excréments,  en  ternies  de 
fauconnerie  (rendre  ses  cures). 

CuRLVL,  de  cour. 

Curie,  cour. 

Curieusement,  avec  soia. 

Cusane,  Cusaxus,  Nicolas  de  Cusa,  au- 
teur d'ouvrages  sur  les  mathémati- 
ques. 

Cuscute,  plante  parasite. 

Custode,  garde,  custos. 

Cuticule,  épiderme. 

Cutte-cache  (jeu  de),  cache-cache. 

CuxfEAUX,  petites  cuves,  cuvettes. 

Cu\'E  DE  VÉNUS,  un  des  noms  du  char- 
don à  foulon. 

CuYTE,  cuisson. 

Cybele,  mère  des  dieux. 

Cychriode,  sorte  de  reptile. 

Cyclades,  groupes  d'îles  de  l'archipel 
grec. 

Cyclopes,  forgerons  de  Vulcain,  n'ayant 
qu'un  œil  au  milieu  du  front. 

Cyclopicque   (enclume),   des  Cydopes. 

Cycî.-e,  cygne. 

Cydxus,  fleuve  de  l'Asie. 

Cyenes  (ville  d'Egypte)  :  a  Le  climat  dia 
Cj-énes  ».  Dia  est  sans  doute  la  prépo- 
sition grecque  o  l  à  ;  le  climat,  le  pays 
qui  entoure  C3'ènes. 

Cymb.\les,  sonnettes.  «  Une  vache  sans 
cymbales  »,  locution  proverbiale. 


444 


Cyme  CÊolique),  Cumes  en  Êolide. 
Cynamolge,  oiseau  fabuleux  d'Arabie, 

qui  tette  les  chiennes. 
Cynar.\,  plante,  artichaut. 
Cv'N'E,  arbres  d'Arabie,  ser\-ant  à  faire 

des  vêtements,  selon  Pline. 
Cynocéphale,   singe  à  tête  de  chien, 

animal  fantastique. 


GLOSSAIRE    ET    NOTES 


Cypre,  île  de  la  Méditerranée. 

Cyre,  sire. 

Cyre,  Cyrus,  roi  des  Perses. 

C'VRRHE,  Syra,  une  des  Cydades. 

CVRON,  ciron. 

CzA,  même  mot  que  ça.  Dans  les  com- 
mencements de  l'imprimerie,  le  2  te- 
nait lieu  de  la  cédille. 


D 


Dace,  Dade. 

Dactyle,  datte,  fruit  du  palmier. 

D.ED.^LUS,  sculpteur  et  ingénieur  grec, 
père  d'Icare. 

Dail,  faulx;  tenue  languedocien. 

Daire,  Darius. 

Da  ji"RANDI,  permettez-moi,  passez- 
moi  de  jurer. 

Dal  b.^roth,  au  feu  !  en  turc,  d'après 
Panurge. 

Da>i,  dommage,  désavantage  :  «  A  leur 
dam  11. 

D.\JLA.SQurN,  DAJLiSQLlNE,    damasqulué. 

D.vsns,  compagnon  d'Apollonius  de 
Tyane,  synonyme  d'ami  fidèle. 

D-^MPXER,  damner  :  «  Vous  vous  damp- 
nez  comme  ime  sarpe  (une  serpe,  un 
serpent)  ». 

D.VN'AIDES,  les  cinquante  filles  de  Da- 
naiis. 

D.4XGIER,  mal  :  c  Nul  n'en  print  dangier.  » 

Dangier,  nom  qui  figurait,  dans  la  poé- 
sie allégorique  du  moyen  âge,  le  mari 
jaloux,  le  gêneur  comme  on  dirait  à 
présent. 

Danouble,  Danube. 

D.VPHXÉ,  nymphe  changée  en  laurier. 

D.\RD,  D.\R,  DARE,  poisson  blanc,  de  la 
grosseur  d'un  hareng. 

Dardelle,  dard,  javeline. 

D.\RDER,  lancer  un  dard. 

D.\RE,  donner,  en  latin  :  Si  lu  non  vis 
(tare,  prc^sta,  qucrsumus.  Si  vous  ne 
voulez  donner,  prêtez-nous,  de  grâce. 

Darie,  Darius,  roi  des  Perses. 

Darioles  (d'Ajmiexs),  pâtisseries  qu'on 
faisait  en  cette  ville. 

Carrière,  derrière. 

Dast,  Dax,  ville  où  il  y  a  des  sources 
thermales. 

Datan  conspira  contre  Moïse  avec  Coré 
et  Abiron. 

Datel-r,  donateur,  qui  donne. 

Datum,  donné,  en  latin. 

Dauber,  D.\tjLBER,  frapper,  battre. 

Daulphtné,  province  de  France. 


D  AVANT,  devant. 

Davant,  avant  :  t  Tout  le  temps  davant 
disner  ».  —  D.want  que,  avant  de. 

Davantau,  devanteau,  tablier. 

D.wtet,  pince. 

De  (monsieur),  m.  de  l'Ours.  Tour  de 
phrase  que  I^a  Fontaine  a  emprunté 
de  Rabelais. 

Dea,  interjection  qu'on  prononçait  pro- 
bablement da. 

De.wibuler,  promener,  deambulare. 

Debeziller,  debeciller,  disloquer,  dé- 
boîter. 

Deeitorebus  :  t  Bruncha  quelque  peu 
comme  debitoribiis,  à  gauche  »;  bron- 
cher comme  dehitoribus  fait  allusion  au 
passage  du  Pater  nostcr  où  l'on  bron- 
che, où  l'on  s'embrouille  souvent. 

Deronnaireté,  bonté,  douceur  préve- 
nante, clémence. 

Debouq,  debout. 

DEBOUTER,  rejeter,  repousser. 

Debradé,  qui  a  perdu  les  bras. 

Debte,  dette. 

Debteur,  débiteur. 

Debvoir,  devoir  (substantif  et  verbe). 

Decalogicque,  du  décalogue. 

Decejiped.u,,  ayant  dix  pieds  de  long. 

Dechevelé,  échevelé. 

Décider,  élire,  choisir,  extraire. 

Declination,  diminution,  déclinaison, 
abaissement. 

Décliner,  éviter  en  se  détoimiant,  es- 
quiver. 

Decollaz  (saint  Jean),  decollatus. 

Decoltler,  couler,  échapper,  glisser. 

Decourir,  couler  :  «  1,'eau  decourt  tout 
du  long.  » 

Decours,  cours  :  «  Du  decours  de  toute 
la  journée.  » 

DECRET,  loi  ci\'ile. 

Decretales.  Les  Décrétales  dont  se 
moque  Rabelais  étaient  les  constitu- 
tions pontificales  relatives  à  l'admi- 
nistration et  à  la  discipline.  Avant 
Boniface  VIII  il  n'y  avait  que  cinq 


GLOSSAIRE    ET    NOTES 


445 


li%Tes  de  Décrétales.  Ce  pape  y  ajouta 
le  Sixte  ou  sixième,  qui  formait  par 
lui-même  un  fort  gros  volume.  Les 
Clémentines  étaient  les  Décrétales  de 
Clément  V.  Les  Extravagantes  étaient 
les  constitutions  papales  en  deliors 
(extra)  du  Corpus  juris  canonici.  La 
puissance  des  papes  s'est  considéra- 
blement accrue  à  l'aide  des  Décré- 
tales. De  ce  mot,  Rabelais  en  a  formé 
beaucoup  d'autres  :  on  les  trouvera 
d-après  à  leur  rang  alphabétique. 

DECRET ALIARCFTR,  gouvemant  par  les 
Décrétales. 

Decretalicide,  meurtrier  des  Décré- 
tales. 

Decret.\lictone ,  même  sens,  voyez  la 
Briefie  Déclaration. 

DECRET.-U.IFUGE,  qui  fuit  les  Décrétales. 

DÉCRÉT.\Lix,  DÉCRETALINE,  qui  Se  rap- 
porte aux  Décrétales. 

Decretalipotens,  puissant  par  les 
Décrétales. 

Decretaliste,  savant  en  droit  ecclé- 
siastique. 

Decretiste,  savant  en  droit  ci\'il. 

Decrotoke,  decrotouoire,  descro- 
TOIRE,  DECROTATORIUM,  instrument  à 
décrotter. 

Decumane.  —  Voyez  la  Briefve  Déclara- 
tion. 

Dedxjyt,  amusement;  a  souvent  im  sens 
erotique. 

Defauciller,  casser  les  fauciles,  ou 
faciles  (nom  que  l'on  donnait  autrefois 
aux  os  de  l'avant-bras.) 

Défaillir,  manquer. 

Defen^do,  jeu  indéterminé. 

Déferrer  l'axe,  jeu  inconnu. 

Deffaict,  deffaicte,  le  vaincu,  la  vic- 
time. 

Deffait  :  «  Faire  le  fait  et  le  deffait  ", 
faire  et  défaire  sur  le  même  coup, 
comme  les  bateleurs,  les  escamoteurs. 

Deffeubler,  abaisser  son  capuchon, 
sa  galleverdine  :  c'est  le  contraire  du 
mot  affubler,  qui  est  resté. 

Deffourer,  c'est  le  contraire  de  four- 
rer: par  conséquent,  ôter  la  fourrure, 
la  doublure. 

Defl\nce,  méfiance. 

Deflvnce,   défi,    déclaration  de  guerre. 

Défortunés,  infortunés. 

Degaster,  gâter,  dévaster,  ravager. 

Degocrt,  dégom-di,  alerte,  joyeux. 

DEGOUT,  écoulement,  ce  qui  dégoutte, 
par  exemple  le  jus  tombant  d'un  rôti. 

Degouziller,  avaler. 

DEGUE>rER,  être  comme  hors  du  four- 
reau, être  tout  en  désirs,  tout  en  l'air. 
Et  aussi  dégainer,  tirer  du  fourreau. 
Dehait,  de  hayt,  lestement,  gaiement. 


Dehinch,  d'ici;  mot  latin  francisé. 

Dehinguaxdé,  dégingandé,  disloqué. 

DÉIFICQUE,  di%'in. 

DÉIPHOBUS,  fils  de  Priam  et  d'Iiécube, 
troisième  mari  d'Hélène. 

Deject,  abattu,  renversé  :  «  Deject  et 
failly.  » 

Del.ayer,  différer,  retarder. 

DELIBERATION',  résolution. 

Delos,  la  principale  des  Cydades. 

Delpiiixium,  plante. 

DELUGE  POETIQUE,  celui  de  Deucalion. 

Dejlander  a,  s'en  référer  à  :  «  J'en  de- 
mande aux  joueurs  »,  je  m'en  rapporte. 

Dem.\nder  de,  s'informer  de. 

De>l^>t3Ibulé,  qui  a  la  mâchoire,  la 
mandibule,  brisée. 

Dem.\rcheu,  desmarcher,  marcher,  se 
mouvoir  en  avant  ou  en  arrière. 

Demetrius.  L'anecdote  relative  au  hal- 
lebardier  de  Démétrius  mort  dans 
l'antre  de  Trophonius  se  trouve  dans 
Pausanias  {Béat.,  chapitre  xxxix). 

Demeurant  (au),  quant  au  reste  :  «  Au 
demeurant  le  meillevir  filz  du  monde.  » 

Demeil-re,  temps  qu'on  demeure  avec 
quelqu'un  ou  dans  un  endroit. 

De.uigrer,  émigrer,  aller  autre  part. 

DEinoLTtGON,  demogorgon,  génie  de  la 
terre,  divinité  infernale. 

Democrite,  Democritus,  philosophe 
grec. 

DEiiocRlTiZANT,  faisant  comme  Demo- 
crite, riant  comme  lui  des  choses  hu- 
maines. 

Demox.ax,  philosophe  grec  dont  la  lon- 
géWté  fut  remarquable. 

Demouller  (les  reins),  fracasser,  défor- 
mer. 

Demourer,  demeurer. 

Demovore,  mangeur  de  peuple  :  «  Ho- 
mère appelle  le  roy  inique  demovore  » 
—  Voyez  Iliade,  I,  231. 
Demy  cein'CT,  espèce  de  ceinture  ou  de 

draperie  à  l'usage  des  femmes. 
Demy-ost.ade.  L'ostade  était  uae  espèce 
d'étamine;    la    demi-ostade    était    la 
même  étoffe  plus  légère. 
Dex.are,  argent,  denier. 
Dexdin',  terme  injurieux  paraissant  si- 
gnifier mal  bâti,  marchant  disgracieu- 
sement,  se  dandinant.  Rabelais  a  fait 
de  ce  mot  un  nom  propre,  Perrin  Den- 
din,   et   Tenot   (Etienne)    Dendin,  son 
fils. 
Dendro5LAX.\che,  plante-arbre,  du  grec 
ûÉvoGOv  et  'j.aÀâ/:z,    arbre  tendre 
comme  une  plante. 
Denier,  refuser,  denegare. 
DEXiGE.iJJS.  dénichant. 
Denigement,  dénichement. 


446 


GLOSSAIRE    ET    NOTES 


Dekiger,  rtcnicher. 

Denrées,  menues  marchandises,  choses 
valant  ou  rapportant  un  denier.  «  Den- 
rée de  cresson  r,  une  boîte  de  cresson. 

Dens.  dedans. 

Dentiforme.  en  fonne  de  dents. 

Deparquer,  comme  décamper,  s'éloi- 
gner. 

Departemen-t,  départ. 

Départie,  môme  sens  :  «  Depuis  ma 
départie  »,  depuis  mon  départ. 

Départir,  partir  :  a  Dépars  d'ici.  »  Est 
pris  substantivement  :  o  Avant  le 
départir.  « 

Dep.\rtir,  despartir,  séparer,  dis- 
tribuer, partager  :  «  L,euT  departoit  de 
son  argent.  » 

Dépenaillé,  déguenillé. 

DEPE^^^RE,  despendre,  dépenser. 

Deperdre,  perdre. 

Depescher,  despecher,  dépêcher  une 
besogne,  s'en  acquitter  promptement, 
s'en  libérer  et  dépêtrer;  d'où  le  subs- 
tantif depesche  :  «  H  y  en  a  mauvaise 
despesche  »,  on  s'en  défait  malaisé- 
ment. «  Avoir  sa  despesche,  »  être  expé- 
dié, satisfait.  D'où  encore  despes- 
clieur,  qui  dépêche,  expédie  rapide- 
ment :  <i  Beau  despescheur  d'heures.  » 

DÉpopuLER,  dépeupler. 

Déportes,  desporter  (se),  se  transpor- 
ter, aller  dans  im  endroit;  se  dispen- 
ser, s'exempter,  s'en  remettre  à  :  «  Je 
m'en  depors  »,  je  cesse  de  m'en  occu- 
per. 

Deposcher,  ôter  de  sa  poche,  livrer. 

DepIiAvé,  falsifié,  corrompu.  «  Livres 
dépravés  »,  altérés  par  des  interpola- 
tions, etc. 

Dépression,  abaissement,  himiiliation. 

Déprimer,  abattre,  abaisser. 

Deprisement,  mépris. 

Dercé,  fontaine. 

Desaxgonxer,  soulager,  délasser,  désop- 
presser. 

Desarsonn-er,  quitter  les  arçons  :  «  H 
me  feroit  bien  désarsonner  »,  erotice. 

Des.wouer,  renier  :  «  Je  désavoue  le 
diable  si,  etc  ^. 

Desbouciier  (se),  se  montrer,  devenir 
\'isible,  déboucher. 

DESBR.\GfETTER,  délacer  la  braguette. 
Est  pris  substantivement  :  «  Valoir 
le  desbraguetter  ». 

Desbrider,  ôter  la  bride.  Au  figuré, 
«  donnoit  sans  desbrider  ». 

Desbridei-r,  qui  dépèche  et  expédie 
lestement  :  «  Beau  desbrideur  de  mes- 
ses. » 

Descerte,  dessert. 

Deschaland  É,  qui  n'a  plus  de  chalands. 

Dbschasser,  chasser,  expulser. 


Deschiql-eter,  taillader,  —  deschique- 
ttire,  ouverture  faite  dans  le  vêtement. 

Descœuvre,  découvTe. 

Descontire,  vaincre,  défaire. 

Desconpite,   défaite,  déconfiture. 

Desconfort,  affliction,  désolation. 

DESCROTEtTR,  décrotteur;  au  figiiré  : 
t  beau  descroteur  de  vigiles  ». 

Descrouller,  défoncer  ;  «  Descrouller 
les  omoplates  ». 

Desduire  (se),  s'amuser;  d'où  desduys, 
plaisirs. 

Desemparer,  détruirei  renverser;  s'em- 
ploie flgurément  :  «  Desemparer  vos- 
tre  alliance  »,  la  dissoudre. 

Deservir,  être  utile,  mériter.  Et  quel- 
quefois aussi  démériter  :  «  Il  n'a  rien 
deser\-i  envers  vous  ». 

Desgonder  faire  sortir  d  es  gonds,  déboî- 
ter. 

DESHiNGti.ANDÉ,  déhanché,  démanché, 
démantibulé. 

DESica\TiF,  qui  sèche. 

Désister,  cesser  de,  désister,  renoncer  à 

DESjrciiER  (au),  en  se  levant. 

Deslgcicîr,  disloquer. 

Deslogement,  déménagement,  action 
de  quitter  son  logis. 

Despris,  mépris. 

Despriser,  mépriser. 

Desprou\'eu,  dépour\-u. 

Despuiier,  jeter  de  l'écume  ou  comme 
de  l'écume  «  Despumer  la  verbocina- 
tion  latiale  »,  dégoiser  du  latin. 

Desracher,  arracher. 

Desrayé,  dévoyé. 

Desrocher,  détacher  d'un  roc,  préci- 
piter du  haut  d'un  rocher. 

Desroté,  déplacé,  dérangé,  déUé. 

Dessay  (André  Montalembert,  sieur  de 
Dessé  ou).  —  Voyez  au  mot  Clievau/x. 

Dessemeler  les  bottes,  détacher  les 
semelles  des  bottes. 

Dessirer,  déchirer. 

Dessus  (venir  au),  triompher. 

Destiné,  fixé,  désigué  par  le  desUn. 

Destitué,  dépourvu,  privé. 

Destorse,   détour,  sentier  détourné. 

Destoupper,  débonder  (im  tonneau). 

Destr-VMPIT,  détrempa. 

Destrousser,  détrousser,  dérober. 

Desultoyre  (cheval),  cheval  de  main 
sur  lequel  on  sautait  sans  prendre 
terre;  cheval  de  rechange  dans  les 
combats. 

Desvaller,  devaller,  descendre,  aller 
en  bas.  Ce  verbe  est  aussi  actif  :  por- 
ter, traîner  en  bas.  «  Desvaller  de  mont 
à  val  son  tonneau,  »  précipiter  son  ton- 
neau du  haut  en  bas  de  la  colhne. 

DETENTEUR  :  «  Que  rien  de  moy  n'a  esté 
détenteur,  »  qu'il  n'a  pas  tenu  à  moi 


I 


i 


GLOSSAIRE    ET    NOTES 


447 


Detraction,  mcdisatice,  noirceur,  fausse 
imputation. 

Detravé,  hors  d'entraves,  échappe  et 
débandé. 

Detkichouere,  dévidoir. 

Deu  C0LL.4P.  —  Voyez  Collas. 

Peult,  troisième  personne  du  présent 
de  l'indicatif  du  verbe  dotiloir.  — 
Vo5'ez  ce  mot. 

DEUS  (MEA  ctT-PA),  «  c'est  ma  faute.  Sei- 
gneur !  »  paroles  du  Confiteor. 

Deus  det  {nobis  pacem),  Dieu  nous 
donne  la  paix  !  formule  qui  terminait 
les  grâces  qu'on  disait  après  le  repas. 
«  Connaître  comme  son  Deus  det  >', 
c'était  connaître  comme  ses  grâces  ou 
son  bénédicité. 

Devajmt,  en  avant,  avant,  auparavant. 

Devers,  vers. 

Devbdouerre,  dévidoir. 

Devieigne,  devienne. 

Dev^ntere  (la),  clos  des  environs  de 
Chinon. 

Devis,  gré,  plaisir  :  «  A  mon  devis,  »  à 
mou  gré. 

DEVOT,  dcvoius,  cavalier  ser%-ant,  amou- 
reux en  titre. 

DEVOTEMENT,  chaleureusement,  avec 
zèle. 

Dextre,  droit,  droite,  main  droite. 

Dextrement,  adroitement. 

Dextrier,  cheval  de  main,  cheval  de 
combat. 

Dez,  dé  :  «  Jeter  le  dez,  »  jjrendre  une 
résolution.  «  Être  hors  le  dez  d'estima- 
tion, »  être  inestimable,  ne  pouvoir 
être  estimé  à  son  prix. 

Dl-vble  bur,  diable  vêtu  de  bure,  dkible 
enfroqué  :  «  I,abourer  en  diable  bur.  » 

Di.ablerie.  On  appelait  diablerie  des 
jeux  dramatiques  analogues  aux  Mira- 
cles des  saints,  mais  où  les  démons 
avaient  le  rôle  le  plus  considérable. 
«  Diablerie  à  quatre  personnaiges.  »  — 
«  Diablerie  pire  que  celle  des  jeux  de 
Doué.  » 

Dlvbliculer,  calomnier,  selon  le  vrai 
sens  du  mot  grec. 

DiABOLOGiE,  science  diabolique.  Rabe- 
lais se  sert  également  de  l'adjectif  dia- 
bolngique.  A'.xooÀoç,  calomniateur, 
diable. 

Di.'i.LOGE,  dialogue. 

DiAMERDis  (poudre  de),  poudre  imagi- 
naire. 

Diane,  déesse.  Signal  du  réveil  donné 
aux  soldats. 

Diantre,  diable. 

DiAPH.\NÉlTÉ,    transparence. 

DI.4PHRAGME,  musclc  qui  sépare  la  poi- 
trine du  ventre. 


Diapré,  éclatant,  teint  de  couleurs  bril- 
lantes. 

DiARHOMES  (climat),  qu'il  faudrait  écrire 
dia  Rome,  comme  dia  Cyènes,  que 
nous  avons  vu  précédemment;  climat 
sous  lequel  Rome  est  placée. 

Dlaspermatisant,  abondant  en  sperme. 

DiASTOLiQiE  (mouvement),  mouvement 
de  dilatation  des  ventricules  du  cœur. 

DiAVOL,  diable. 

Dicaste,  juge,  celui  qui  rend  à  diacun  ce 
qui  lui  appartient;  mot  grec. 

Dict,  dicté,  récit,  adage,  parole. 

Dicte  de  Candie,  mons  Dictaus,  mon- 
tagne de  Crète. 

DiDius  JULiANUs,  empereur  de  Rome. 

Diecule,  petit  jour,  diecula. 

DiESELE,  diable. 

Diffame,  diffamation,  déshonneur. 

DIFFERENCE,  querelle,  différend. 

Dignité  des  braguettes  (de  la),  pré- 
tendu livre  que  liabelais  s'attribue. 

DiiPEïES,  descendants  de  Jupiter. 

DiL.\CERER,  déchirer,  mettre  en  pièces, 
lacérer. 

DiL.ATiON,  délai,  retard. 

Diliof.ntement,  diligennnent . 

DiLiGER,  chérir.  Rabelais  emploie  aussi 
le  substantif  dilection. 

DiLLE,  fausset  d'un  tonneau. 

DiLUCULE,  point  du  jour. 

Dimension,  action  de  mesurer. 

DnnoN,  apparence,  idée  fantastique 
(héb.) 

DiiiiTTER,  laisser,  remettre,]  abandon- 
ner. 

DiN.\,  fille  de  Jacob.  Fosse  de  Lycie,  où 
Apollon  rendait  des  oracles. 

DiNDENAROYS,  nom,  forgé  à  plaisir, 
d'une  forteresse  qui  s'était  rendtie 
faute  de  munitions.  I,e  cas  est  trop  fré- 
quent, dans  les  guerres  de  cette  épo- 
que, pour  qu'il  soit  possible  de  préciser 
le  fait  auquel  Rabelais  fait  allusion. 

DiNDENAULT,  nom  d'un  marchand  de 
moutons.  1,'anecdote  de  Panurge  et  du 
marchand  de  moutons  (livre  IV,  cha- 
pitre VI)  est  tirée  de  la  xi''  Macaronée 
de  Merlin  Coccaie  (P'olengo). 

DiODORE  (de  Sicile),  historien  grec. 

DioGENES,  le  philosophe  cynique.  L'a- 
necdote racontée  dans  le  prologue  du 
livre  III  est  tirée  du  traité  de  Lucien  : 
De  la  manière  d'écrire  l'histoire.  — 
Rabelais  emploie  l'adjectif  diogéniquc. 

DioGENES  IyAERtius,  historien  des  phi- 
losophes de  l'antiquité. 

DiOLE,  diable. 

DiOMEDES,  uu  des  héros  de  l'Iliade. 

Dion  Nicevs,  Dion  Cassius,  de  Nicée  en 
Bithynie,  historien  grec. 

Dionys,  Denis,  tyran  de  Sicile. 


44  s 


GLOSSAIRE    ET    NOTES 


DioscoRiDES,  médecin  grec,  auteur  d'un 
traité  sur  la  matière  médicale. 

DiouRE,  d'or,  doré. 

Dious,  Dieu. 

DiPHTERE,  peau  de  parcheinia  préparée 
pour  écrire. 

DiPSADES,  sorte  de  reptiles  mentionnés 
par  Pline. 

DiPSODES.  Dypsodes,  sujets  de  Panta- 
gruel; mot  grec  qui  signifie  gens  alté- 
rés. 

DiPSODiE,  Dypsodie,  pays  des  Dipsodes. 

Directoire,  ce  qui  sert  à  diriger. 

DlREPTlON,  pillage,  destruction. 

Dis.  Jupiter  ou  Pluton.  «  Dis  le  père  aux 
escuz  »,  c'est  Pluton,  qui  préside  aux 
trésors  souterrains. 

DISCEDER,  s'écarter,  s'éloigner. 

DiscEPTER,  disputer,  être  en  différend. 

Discession,   départ,   éloignement. 

Discipline,  instruction,  comme  disci- 
plina en  latin. 

Discordance.  —  Voyez  au  mot  Anti- 
physie. 

Discrasié,  dyscrasié,  sans  force,  dé- 
bile, de  mauvaise  constitution. 

Discrétion,  discernement,  action  de 
distinguer. 

Disert,  éloquent,  bien  appris  :  «  Diser- 
tes révérences.  » 

DisGREGER,   séparer,   diviser,   disperser. 

DisjONCTiVES,  propositions  exactement 
contraires. 

DisPAROiR,  disparaître. 

DisPARTi,  réparti,  partagé. 

Dissolu,  rt-sola,  dissous. 

Dites,  pour  Dis,  Pluton. 

T>VVE  (la),  petite  rivière  de  Poitou. 

DiVE,  divine,  sacro-sainte  :  «  Dive  bou- 
teiUe.  » 

Divers,  contraire,  fâcheux,  inconstant  : 
«  Fortune  la  diverse.  •• 

Dl\lDER,  dévider. 

DrviNER,  deviner,  pré%-oir,  connaître  l'a- 
venir d'où  divination,  divinateur,  divi- 
natrice. 

Dl\TNiTÉ,  propriété  divine,  attribut 
divin. 

DmsER,  deviser,  causer;  et  de  même  : 
divise,  pour  devise;  et  diviz,  pour 
devis,  entretien. 

D0CTRIN.\L  (le),  titre  que  portent  plu- 
sieurs livres  d'éducation  du  moyen 
âge. 

Dodeliner  (de  la  teste),  bercer,  remuer 
la  tête  doucement. 

Dodine  (à  la),  sauce  pour  assaisonner  les 
canards  et  les  oiseaux  de  ri\'ière. 

DoiGTZ  :  «  Il  avait  les  doigtz  faitz  à  la 
main  conune  Miner\'e  ou  Arachné,  »  il 
avait  les  doigts  très  prestes,  très  ha- 
biles. 


Doigtz  de  Merci're,  plante. 

DoiNT,  donne. 

DOLABELLA  (Cn.),  procousul.  Le  trait 
relatif  à  ce  personnage,  qu'on  trouve 
au  chapitre  xliv  du  livre  III,  est  rap- 
porté par  Valère-llaxime.  livre  VIII 
des  Faits  et  Dits  mémorables,  et  par 
Aulu-Gelle. 

DoLEUR,  douleur. 

DOLOCERE,  doloirc,  outil  de  tonnelier  et 
de  charpentier. 

DOLY  (CHAMP),  Campidoglio,  le  Capi- 
tule. 

DoiEESES,  sorte  de  reptiles.         V. 

DoMESTic,  DOMESTIQUE,  personne  atta- 
chée à  la  maison,  précepteur,  médecin, 
etc.;  chose  qui  regarde  la  maison  et  la 
famille,  «  affaires  domestiques  ». 

DoMiNO,  camail  noir  que  les  prêtres  met- 
taient pendant  l'hiver. 

DOMITL\N    LE    CROQUE    MOUSCHE,    l'em- 

pereur  Domitien. 

DoNAT  (CElius  Donatus),  grammairien 
latin. 

DONT,  don-d,  d'où. 

DoRBELLis,  pour  de  Orbellis,  nom  d'un 
commentateur  de  Pierre  Lombard. 

DoRCUJE,  animal  du  genre  du  chevreuil 
ou  du  daim,  révéré  en  Egypte. 

DORELOT,  enfant  gâté,  caressé,  dorloté. 

DoRELOT  Dr  LiÈ\TiE,  jeu  iuconnu,  l'un 
des  jeux  de  Gargantua. 

DORis  (aiots),  dignes  d'être  écrits  en  let- 
tres d'or,  comme  légende  dorée. 

DoRiBUS  (nostre  maistre)  :  selon  les  uns, 
P.  Doré,  jacobin;  selon  les  autres, 
Jlatthieu  d'Orry,  dominicain. 

DoRis  (Jlicliel),  Espagnol  qui  figure  dans 
la  chronique  d'Ènguerrand  de  ilons- 
trelet. 

DoRiiARS,  dormeurs,  aimant  à  dormir. 

Dormir  en  chien,  Rabelais  explique  lui- 
même  cette  locution,  livre  IV,  cha- 
pitre Lxm. 

Dormi  secure,  recueU  de  sermons  sou- 
^•ent  réimprimé  aux  XV''  et  x\"i'^  siècles. 
Ce  titre ,  dont  on  a  souvent  plaisanté 
ne  s'adressait  pas,  bien  entendu,  aiix 
fidèles,  mais  aux  prédicateurs,  à  qui 
il  fournissait  des  thèmes  tout  prépa- 
rés, et  qu'il  dispensait  ainsi  de  préoc- 
cupations et  de  veilles. 

DoROPH.\GES,  qui  vivent  de  dons. 

Double,  menue  monnaie  valant  deux  de- 
niers. 

DOL-BLET,  musicien  contemporain  de 
Rabelais. 

DouBTANCE,  soupçon.  Crainte. 

DouBTER,  douter,  soupçonner,  redouter. 

DouBTEUX,  qm  est  dans  le  doute. 

DouciNE,  flûte  douce. 

DOUÉ,  petite  ville  du  Poitou  dont  les 


GLOSSAIRE    ET    NOTES 


449 


représentations   dramatiques   avaient 

de  la  réputation. 
DouHET   (Bricnd   Vallée,   seigneur  du), 

président  à  Saintes  et  lié  avec  Rabelais. 
DouLum  (se),  se  plaindre,  s'aftliger. 
DOURS,  le  dos,  dorsum. 
DouzAix,  monnaie  de  cuivre  allié  d'ar- 
gent, valant  douze  deniers. 
DouziL,  fausset  avec  lequel  on  bouche 

ime  pièce  qu'on  a  percée. 
DOYAC,  conducteur  de  l'artillerie  du  roi 

Charles  VIII. 
DoYE,  vase,  baquet. 
Drachonique,  draconien  :  «  Loi  dracho- 

nique  »,  très  rigoureuse. 
Dracox,  dragon. 
DRACOXXEAUI.X,  petits  dragons. 
Drageouois,  petite  boîte  à  mettre  les 

dragées. 
Drapper,  faire  le  drap,  fournir  la  matière 

de  l'étoffe. 
DREP.4ICI,  Trepani  en  Sicile. 
Drogueur,  droguiste. 
Droict  (au),  vis-à-vis. 
Droisser,  dresser,  ériger. 
Droxos,  des  coups;  terme  de  l'Anjou  et 

du  Languedoc  :  «  Soudain  lui  doanoit 

dronos.  « 
Dropace,  dépilatoire. 


Drouet,  pour  Heroët,  poète  renommé 
à  cette  époque. 

Drue  (l'herbe),  épaisse,  touffue. 

Dry.ades,  nymphes  des  bois. 

Dryinades,  sorte  de  reptiles. 

Du  Bellay,  du  Beslay,  cvèque  de  Pa- 
ris, cardinal,  l'un  des  principaux  pro- 
tecteurs de  Rabelais. 

Du  Bois  le  Court,  grand  salpêtrier  du 
Maine. 

Duc,  grand-duc,  oiseau  de  proie  :  «  Ju- 
non  avec  son  duc.  » 

DUEIL,  deuil. 

DuisiBLE,  convenable,  qui  plaît,  qui 
sied,  du  verbe»  duirc  » . 

DuMET,  duvet. 

DujiETÉ,  garni  de  duvet. 

Du  MOLLIN,  musicien  contemporain  de 
Rabelais. 

Du  PAiGE  (Monsieur),  monsieur  du 
ROI,  formule  familière  à  Rabelais,  de 
qui  La  Fontaine  l'a  empruntée. 

Duplique,  réponse  à  une  réplique. 

DUPPE,  huppe,  oiseau. 

DuppLE,  amende  du  double. 

DuRETTE,  un  peu  dure. 

Du  TOUT,  complètement. 

DuYRE,  convenir,  plaire. 

Dyas,  deux,  en  grec. 


Eage,  âge,  employé  au  féminin  comme  le 
latin  œtas. 

Eale,  animal  fantastique,  décrit  par 
Pline,  Uvre  VIII,  chapitre  xxx. 

E.i.u  ardente,  eau-de-\'ie. 

Ecclise,  Ecuse,  pour  église,  ecclesia. 

Ecentricqlt;,  pour  excentrique. 

EcKARBOTTER,  fouiller,  tisonner. 

EcHEPHRON,  nom  tiré  du  grec,  et  signi- 
fiant :  ayant  du  sens  et  de  la  pru- 
dence. 

EcHiNADES,  îles  entre  la  Morée  et  Tunis. 

Echine,  enveloppe  épineuse  de  certains 
fruits,  par  exemple,  des  châtaignes. 

EcHiNEis,  rémora,  poisson  auquel  les 
anciens  attribuaient  la  vertu  d'ar- 
rêter les  navires. 

Eclipses  :  a  Depuis  certaines  éclipses  », 
depuis  certaines  révolutions  célestes. 

EcLYPTiQUER,  pour  éclipser,  troubler. 

EcsTASE,  extase. 

EcsTATiQUE,  extatique. 

Edontdes,  les  bacciiantes,  ainsi  nom- 
mées du  mont  Edon,  en  Thrace. 

Edouard  V,  roi  d'Angleterre.  Anecdote 

T.   II. 


où  figiirent  ce  roi  et  François  Villon, 
chapitre  Lxvn  du  livre  IV. 

Effegé,  pour  f,  e,  g. 

Efferé,  fier,  indompté,  sauvage. 

EFFL^^.■cÉ,  fiancé. 

Efficace,  efficacité. 

Effray,  voir  Effroy. 

Effroy,  bruit  destiné  à  effrayer  :  «  Faire 
effroy  »,  pousser  des  clameurs.  «  Sans 
effroi  «,  sans  faire  de  bruit.  Ce  mot  a 
aussi  le  sens  actuel  :  «  Voyant  nostre 
effroy.  » 

Effructé,  efîruité,  dont  on  a  cueilli  le 
fruit. 

Efrené,  sans  frein  :  «  Cheval  efrené.  » 

Egene,  nécessiteux,  indigent. 

Egest.a,  fille  d'un  prince  troyen  qui 
s'abaudoima  au  fleuve  Crinisus  méta- 
morphosé en  chien. 

ÉGIPANES,  égipans,  satyres  avec  des  cor- 
nes et  des  pieds  de  chèvre. 

Egiuchus,  en  g^ec  aiyiovoç,  qui  tient 
l'égide. 

Egousser,  écosser. 

29 


450 


Gt-OSSATR-R    ET    NOTKS 


ÊGRAPHnîER,  égratigner,  écorcher. 

Eguallé.  nivelé. 

Ela,  la  note  la  plus  élevée  de  la  gamme, 
dans  l'ancienne  musique. 

Elaî;es,  les  landes. 

Electre,  métal  composé  d'or  et  d'ar- 
gent. C'est  aussi  l'ambre  jaune. 

ELEEMOS'iivE,  aumône. 

Éi-ÉG.\NTE5iEN'T,  avec  élégance,  élégam- 
ment. 

Eleichie,  pierre  précieuse  taillée  en  for- 
me de  poire. 

Elicte,  éclair,  lumière  subite,  éloise. 

Elixo,  pour  élixir,  nom  donné  par  les  al- 
chimistes tantôt  au  mercure,  tantôt  au 
soleil. 

Elopes,  sorte  de  reptiles.  Ce  nom  dési- 
gne aussi  une  espèce  de  poissons.  — 
Voyez  Pline,  li\Te  IX,  chapitre  xxvn. 

ELrER,  laver,  nettoyer,  purifier. 

Elutl-vx.  épuré. 

Hmacié  amaigri,  desséché. 

Emanciper  (se),  se  rendre  indépendant. 

Emb.M-LER,  avaler,  engloutir. 

EsiBASTOXNÈR,  armer. 

EMBA\^ÉRÉ,  qui  a  les  mâchoires  déboî- 
tées. 

Embesongné,  engoué  d'une  chose,  fort 
occupé  d'une  besogne. 

Embev,  imbu,  imbutus. 

Emblée  (à  1'),  à  la  dérobée,  en  cacliette. 

Emble>l\tl're,  ensemble  d'emblèmes, 
peinture  allégorique. 

Embohœ,  pomper,  imbiber,  au  propre 
et  au  figuré. 

EsiBorRRER,  bourrer,  rembourrer;  a 
fréquemment  un  sens  erotique. 

EMBOt-RREURS  (de  bastz),  rembourreurs. 

Embovsé,  souillé  de  boue,  de  fiente. 

Embrasser  :  «  Qui  trop  embrasse  peu 
estrainct.  i 

Embrexer,  souiller  de  bren. 

Embruiscké,  entortillé,  revêtu,  enduit. 

Embu,  imbibé. 

EMBfRELUCocQUER  (s'),  s'embarrasser, 
s'enchevêtrer. 

Embusche,  embuscade. 

Embut.  entonnoir. 

EilEvEXCE,  supériorité. 

EsiiNiN'S,  espèces;  mot  hébreu. 

Emmelie,  genre  de  saltation  décente  et 
posée. 

Emmortaisées,  fixées,  établies  d'ime 
manière  solide. 

Emolument,  tel  que  savent  les  médecins 
gregeoys  (livre  1",  chapitre  vui).  Il 
s'agit  de  la  vertu  prolifique  qu'on  pré- 
tendait attachée  au  jaspe  vert. 

Empaletocqué,  enveloppé;  le  paletocq 
était  une  casaque  à  coqueluchon. 

EsiPAX,  mesure  de  longueur,  équivalant 
à  huit  pouces. 


I  Empantophi-é,    enfermé    comme    dans 

I      une  enveloppe. 

!  Empas  (les),  entraves,  liens,  empêche- 

;      ment. 

I  Empegé,  englué,  empêtré. 

j  Empenxé,  em plumé,  garni. 

EsiPERET-R  (1'),  Charlcs-Quint. 

Empereur,  grand  poisson  du  genre  du 
spado  ou  épée. 

Empesche,  empêchement,  embarras  : 
«  Empesche  de  maison,  n 

Empescher,  embarrasser. 

Empeté,  embaumé  de  pets. 

Empire  (le  ciel),  le  ciel  empyrée. 

Emploiter,  employer,  occuper. 

Emposteur,  imposteur. 

Emulateurs,  rivaux. 

Emulgextes  (veines),  veines  qui  por- 
tent le  sang  dans  les  reins. 

Emuxder,  nettoyer,  purifier. 

Exasé,  qui  n'a  pas  de  nez,  dont  le  nez 
est  écrasé,  aplati. 

Excapitoxxer,  mettre  autour  de  la 
tète. 

Encakré,  échoué,  en  parlant  d'un  vais- 
seau. 

Enceixte,  conçue,  dans  le  sens  figuré 
«    Chascim    aye    enceincte    la    parole 
saincte  !  » 

Excext,  encens. 

Enchâsser,  mettre  en  châsse. 

ExcKERiE,  (faire  de  1'),  enchérir,  deman- 
der un  trop  haut  prix. 

ExcHE\-ESTRER,  mettre  le  chevêtre,  le 
licou  :  «  Enchevestrer  les  mulets.  « 

Enclin,  coirrbé,  incliné. 

ExcLiNER,  incliner  :  «  Encline  en  prière.  » 

Encloer,  endouer. 

ExcLOUS,  enclos. 

Encocher,  ficher,  mettre  dans  le  cran; 
est  pris  parfois  dans  xm  sens  eroti- 
que. 

ExcoixGNÉ,  poursTi,  garni  de  cognée. 

Encontre,  contre. 

Excontre,  rencontre. 

ExcYLiGLOTTE,  filet,  attache  de  la  lan- 
gue. 

Endextelées,  garnies  de  dents. 

En'de3\xr,  enrager. 

Ext)OUAYRé,  doué,  doté. 

Exdousseure,  dernier  revêtement;  ter- 
me d'architecture. 

Endltre,  avaler,  et  par  suite  digérer; 
terme  de  fauconnerie. 

Exéoremes,  nébulosités  qui  surnagent 
dans  l'urine. 

ExFEPOkiiER,  infirmier. 

Enterrer,  mettre  aux  fers,  lier  de  chaî- 
nes de  fer. 

ExFL\NS.\iLLES,  flançaiUes. 

Enfl.;vmber,  enflammer,  incendier;  en- 
flambé,  flamboyant. 


GLOSSAIRE    ET    NOTES 


451 


Enton'drer,  enfoncer,  défoncer,  englou- 
Ur. 

EnfgxjTIXer,  mettre  au  four  :  i  A  Ten- 
foumer  on  faict  les  pains  comuz.  « 

E^^FROCQrÉ,  portant  froc. 

Engarder,  empêcher,  garder  de,  pren- 
dre garde,  obser\'er. 

En'garier.  —  Voyez  Atigarici'. 

EN'GASTRrMYTHK,  ventriloquc,  qui  parle 
du  ventre. 

Engin,  machine,  ruse,  moyen,  malice. 

Engiponxé,  enjuponné,  vêtu  d'une 
robe  :  «  Veau  engiponné  »,  veau  en 
robe  de  docteur. 

En'Golevext,  nom  d'un  géant  et  d'im 
capitaine  de  Picrochole. 

Engout-lé,  englouti,  avallé. 

Engourdely,  engourdi. 

Engravé,  gravé,  empreint. 

Engressé,  graisse. 

Engroisser  ,  rendre  enceinte ,  devenir 
enceinte. 

ENGRO^rELA^•D ,  le  Groenlan ,  terre  aus  - 
traie. 

ENGROSSissEjrEXT,  actiou  de  rendre  en- 
ceinte ou  de  devenir  enceinte. 

Engu.^ixnant  (frère),  nom  burlesque, 
qui  veut  dire  :  mettant  en  gaîne. 

En'Guaxteler,  garnir  de  gants. 

Emguarder,  engarder,  empêcher,  ob- 
server. 

Enguerrant,  Enguerrand  de  Monstre- 
let,  chroniqueur  du  xv"  siêde. 

ExGYS,  voisin;  mot  grec.  Rabelais  fait 
de  ce  mot  le  nom  d'un  royaume. 

Entiydrides,  couleuvres  aquatiques.  — ■ 
Voyez  PUne,  Uvre  XXXII,  chapi- 
tre xx\-i. 

Enig.  —  Voyez  la  Briefve  Déclaration. 
Ajoutons  que  la  traduction  que  donne 
Rabelais  est  fautive  :  Eitiig  signifie 
quelque,  aucune,  et  cwig,  perpétuelle. 
Il  s'agissait,  pour  le  landgrave  de 
Hesse,  de  demeurer  «  sans  aucune 
prison  »  ou  «  sans  prison  perpétuelle  ». 

Enigme.  1 1,'énigme  trouvé  es  fondemens 
de  l'abbaye  des  Thelemites  »  est  em- 
prunté aux  œuvres  de  Mellin  de  Saint- 
Gelais.  Raillant  l'obscurité  du  style, 
Rabelais  dit  plaisamment  qu'il  est  de 
MerUn  le  prophète.  Rabelais  a  ajouté 
deux  vers  au  commencement  et  dix 
vers  à  la  fin,  à  partir  de  celui-ci  : 
Reste  en  après  gu'iceulx  trop  oblige':.... 


Enilims,  officiers  de  la  Quinte-Essence. 
Enxter  (se),  s'efforcer,  faire  effort. 
Enlevé,  élevé,  rehaussé,  mis  en  relief. 
Ennasé,  camus. 
Enn.\sin,  l'ile  des  camus,  des  gens  sans 

nez. 
Ennesiy  (l'),  le  diable. 


Ennicrochê,  crochu,  tourné  en  crochet. 

Ennie,  Ennius,  poète  latin. 

En  plus,  non  plus,  pas  plus. 

Enquester.  s'informer. 

Enrimer  (s'),  s'enrhumer  :  —  «  Et  en 
rithmant,  Ijien  souvent  je  m'enrime  », 
dit  Clément  Marot. 

Enroiddy,  roidi. 

Ensacher,  mettre  en  sac. 

Ens.\gir,  devenir  sage. 

Enseigne,  insigne. 

Ensemble  eux,  avec  eux. 

ENSEMBLEirENT,  en  même  temps,  de  con- 
cert, de  compagnie. 

Ensigne,  insigne,  marque. 

Ensuivir,  s'ensuivre. 

Entalenter,  faire  naître  le  besoin,  le 
désir  de  quelque  chose.  Le  mot  talent 
avait  primitivement  le  sens  de  désir 
et  besoin 

Entan,  comme  anian. 

Entelechie,  une  perfection  intérieure  de 
quelque  chose.  Rabelais,  livre  V,  cha- 
pitre XIX,  donne  ce  nom  au  royaume 
où  règne  la  dame  Quinte-Essence  : 
«  Car  les  soulfieurs  se  vantent  de  ne 
tirer  seulement  que  le  subtil,  et  sépa- 
rer de  la  matière  terrestre  la  simple 
et  pure  essence,  l'âme  et  interne  perfec- 
tion des  choses  .  »  {Alphabet  de  l'auteur 
français.) 

Budée  explique  ainsi  le  mot  sv- 
"£/,£"/£ '.a  :  «  Actum  et  perfectionem 
doctissimi  Grœcorum  interpretantur.  » 
«  Et  si  avait  dix  huit  cens  ans  pour 
le  moins.  »  En  supposant  Aristote  père 
de  l'Entéléchie,  cette  dernière  devait 
en  effet  avoir  à  peu  près  cet  âge  au 
temps  où  ce  Uvre  a  été  écrit,  comme 
l'ont  très  bien  remarqué  Le  Duchat 
et  Johanneau. 

Entend.^nt,  intendant,  inspecteur,  con- 
trôleur. 

Entendouoire,  substantif  formé  d'en- 
tendre, Intelligence,  compréhension  : 
«  J'ai  assez  belle  entendouoire  »,  dit 
frère  Jean. 

Ententivement,    attentivement. 

Enthusiasme,  enthousiasme. 

Ento.mericque,  adjectif  formé  plaisam- 
ment avec  le  nom  de  Jean  des  En- 
tommeures  :  «  Mer  Entomericque.  » 

Entommer,  entamer,  tailler  en  pièces, 
couper  en  morceaux. 

Entommelties  (Jean  des),  est  inter- 
prété Jean  qui  taiUe  en  pièces.  Le  long 
de  la  Loire,  entamer,  entommer,  se  di- 
sait et  se  dit  encore  pour  entamer.  Il 
faut  se  rappeler  aussi  qu'en  grec 
àvToarJ  signifie  entaille.  Frère  Jean, 
au  chapitre  lxvi  du  livre  IV,  dit  lui- 


452 


GLOSSAIRE    ET    NOTES 


même  :  «  Va,  ladre  verd,  à  tous  les 
imllions  de  diables  qui  te  puissent 
atiatomiscr  la  cervelle  et  en  faire  des 
entommeures.  » 

Entontœr,  boire,  et  commencer  un 
chant.  Rabelais  joue  volontiers  sur 
la  double  acception  de  ce  mot  :  «  Ung 
motet  entonnons;  où  est  mon  enton- 
noir? » 

Entonnoir,  entonnotter,  instrument  à 
entonner,  à  mettre  en  bouteille. 

ENTOfR  (d'),  d'autour  de. 

Entournoié,  ayant  autour  de  soi,  en- 
guirlandé. 

Entraict,  emplâtre,  onguent. 

Entreillizé,  entremêlé. 

Entrelardèrent,  entrelacement. 

Entremettre  (s'),  se  mêler  de. 

Entrepelauder  (s'),  se  donner  des 
coups,  se  prendre  aux  cheveux,  se 
houspiller. 

Entrer,  employé  comme  verbe  actif  : 
«  Quels  signes  entroit  le  soleil  (hvre  I, 
chapitre  xxm).  —  Ceux  qui  estoient 
entrés  le  clous  (chapitre  xx\tii)  .  » 

Entrer  en  vin,  se  mettre  en  train  de 
boire. 

Entretenement,  entretien. 

Enviz,  en\-ie  :  «  A  tous  enviz  et  toutes 
restes  »,  selon  toute  leur  envie  et  tout 
leur  loisir. 

Enyo,  Bellone,  déesse  de  la  guerre. 

EOLIPILE.  —  Voyez  la  Briejve  Déclara- 
tion. 

EoLUS,  Éole,  dieu  des  vents. 

Ep-ENONS,  louanges,  panégyriques. 

Epagom,  moufle. 

Epanalepse,  répétition  de  mots. 

Ephecticque,  sceptique,  pyrrhonien, 
qui  suspend  son  jugement;  mot  grec. 

EPHEMERE  (fièvre),  fiè\Te  qui  ne  dure 
que  vingt-quatre  heures. 

Ephesians,  Ephésiens,  habitants  d'É- 
phèse. 

Epicenauœ,  d'après  le  repas. 

ÉPIDEMIALE,  épidémique. 

Épiglottide,  membrane  cartilagineuse 
qui  couvre  l'orifice  de  la  trachée-ar- 
tère. 

Epilenie,  chant  en  l'honneur  de  Bac- 
chus,  que  l'on  faisait  résonner  durant 
le  temps  des  vendanges,  lors  même 
que  l'on  foulait  les  grappes  de  raisin, 
£T:'.Àr,v'.o)V  a:7;j.a. 

Epinicie,  chant  de  victoire;  mot  grec. 

Episem.\sie,  gesticulation,  mouvement 
des  mains;  mot  grec. 

Epistemon,  ce  mot  vient  du  grec,  et 
signifie  savant. 

Epitherses,  citoyen  et  maître  de  Plu- 
tarque.  I,e  rédt  d'Epitheises  (Uvre  IV, 


chapitre  xxvm)  est  puisé  dans  Plu- 
tarque,    "co;     "wv     v/.KiK'j:~(i~iii^t 

Epode,  sorte  de  vers  propres  à  être  mis 

en  musique. 
Epvrotes,  habitants  de  l'Épire. 
Equal,  égal,  <Bqualis. 
Equaller,  égaliser. 
Eque,  cheval,  equus. 

Equif,  esquif,  barque,  vaisseau. 

Equiparer,  égaler,  œquiparare. 

Equipollent,  équivalant. 

Equivocqder,  faire  un  jeu  de  mots  en 
transposant  des  lettres  ou  des  sylla- 
bes. l,es  équivoques  sont  très  nom- 
breuses dans  Rabelais. 

Eraige,  race,  lignée. 

Erecti\-e  (vertu),  qui  produit  l'érection. 

Ergoté,  pour\-u  d'ergots  et  d'arguments 
sophistiques. 

Ergotz,  arguments  sophistiques. 

Eriger,  élever,  dresser,  exhausser  : 
<  Eriger  les  abymes  au  dessus  des 
nues  ». 

Erithrée,  mer  des  Indes,  mer  Rouge. 

Erraticque,  vagabond,  errant. 

Erre,  train,  allure  :  «  Aller  bel  erre, 
grand  erre  »,  aller  bon  train,  grand 
train. 

Errer,  se  tromper. 

Erres,  traces. 

Eruce,  plante,  espèce  de  roquette;  eruca. 

Erynge,  sorte  de  chardon. 

Eryon,  géant. 

Eryx,  géant. 

Es,  aux,  dans,  les. 

ESB.VHY,  l'un  des  jeux  de  Gargantua; 
on  ignore  en  quoi  il  consistait. 

EsB.^NOY'ER,  récréer,  dilater  :  t  Esba- 
noj-t  le  cerveau  ». 

Esbatement,  esbattement,  ébats,  di- 
vertissement. 

EsBAUDiR,  ESBAxn-DiR,  réjouir,  amuser. 

Esbucheter,  ramasser  des  bûchettes. 

EscvFiGNON,   chausson,   escarpin. 

Escale,  écaille  :  «  Huytres  en  escalle  ». 

EsCAMPER,  décamper,  s'en  aller. 

EscANTOULA,  chambre  de  l'argousin 
dans  ime  galère. 

ESCAPPER,  échapper. 

Esc\RBOun.LER,  brouiller,  éparpiller, 
écraser. 

Escarcelle,  bourse. 

EscARL.^TTE,  nom  d'une  étoffe  :  «  Chaus- 
ses d'escarlatte.  » 

E^carques,  poiu:  escalques,  serviteurs; 
du  \"ieil  allemand  scalk. 

Escarrabillat,  de  belle  humeur,  réjoui, 
en  train  de  se  divertir. 

EsCARTELÉ,  divisé  en  quartiers;  terme 
de  blason. 


GLOSSAIRE    ET    NOTES 


453 


EscELLE,  aisselle. 

E^CHAFFAUT,  cstrade. 

EscHALLEUR  (DE  NOYS),  qiii  écale  des 
noix. 

EscH.\LLON,  éclielon,  degré. 

EscHANCRÉ,  rongé  de  cliancres. 

EscHARBOT  LE  BRUTN,  jcu  indéterminé. 

EscHARBOTTER,  écarter,  éparpiller,  re- 
muer :  «  Escharbotter  le  feu  »,  le  tison- 
ner. 

EscHAUBOUiLLURE,  ampoulc. 

EscHAUGtTETTE.  guérite  du  soldat  en 
faction,  vedette.  —  D'où  eschaugtiei- 
ter,  épier. 

ESCHELETTE   (MONTE,  MONTE),  jCU  d'en- 

fants. 

EscHENEAXJ,  chenal,  canal  pour  la  con- 
duite de  l'eau. 

EscHETZ,  échecs. 

EscHEsTE,  hérisson,  du  grec  r/ïvo;. 

ESCHIXÉE,  chair  de  cochon  levée  sur  le 
dos  ou  l'échiné.  «  Eschiuées  aux 
poys.  » 

ESCHYLUS,  le  tragique  grec.  Valère 
ilaxime  et  Pline  ont  raconté  la  mort 
d'Eschyle;  ce  n'est  probablement 
qu'une  de  ces  fables  qui  sont  fréquen- 
tes chez  les  auteurs  anciens.  Montai- 
gne, livre  I,  chapitre  xix,  relate  ce 
trépas,  ainsi  que  plusieurs  autres  assez 
étranges  sans  les  révoquer  nullement 
en  doute. 

Esclaffer  (s'),  de  rire,  éclater  de  rire. 

EscLAiRER,  pour  verser  à  boire  (livre  IV, 
chapitre  li)  . 

EscLOT,  sabot,  sandale  ou  chaussure  de 
bois  :  «  Comme  font  les  Limousins  à 
bels  esclots  »,  comme  les  Limousins 
font  à  pleins  sabots. 

EscLOUANT  (SES  PETITS),  faisant  éclore. 

EscLOURRE,  éclore. 

EscLUSE,  écluse. 

EscoNDUiRE,  éconduire,  refuser. 

EscoRCHER  LE  LATIN,  parler  vm  mau- 
vais latin. 

EscoRCHER  LE  RENARD,  vomir,  rendre  sa 
gorge;  — •  nom  d'un  jeu  inconnu,  l'un 
des  jeux  de  Gargantua. 

EscoRiER,  ôter  le  cuir,  écorcher. 

EscoRNÉ,  vil,  méprisable,  abject;  de 
l'italien  scorno. 

EscoRNÉ,  de  mauvaise  humeur. 

EscoRNiFLÉ,  affronté,  bafoué. 

EscoRT,  avisé,  prudent,  circonspect;  de 
l'italien  scorto. 

Escosse-François  ;  le  langage  Ecosse- 
François  était  le  baragouin  que  par- 
laient les  Écossais  servant  en  France. 

EscoT,  écot.  Rabelais  joue  sur  ce  mot 
et  sur  le  nom  du  fameux  Scot,  sur- 
nommé le  Docteur  subtil. 


ESCOUBLETTES  ENRAIGÉES,  tm  dc'S  jeuX 

de  Gargantua,  dont  on  ne  sait  rien. 
EscouFFE,  ESCOUFFLE,  signifie  à  la  fois 

un  cerf-volant,   un   milan,  oiseau  de 

proie;  une  monnaie  de  Flandre,  et  un 

vêtement  de  cuir. 
EscouLPETlERS,  soldats  portant  l'esco- 

pette. 

ESCOUPETTE,     ESCOULPETTE,     CSCOpette, 

petite  arquebuse. 

EscouTE,  cordage  attaché  au  coin  infé- 
rieur d'une  voile  pour  servir  à  la 
déployer  et  à  la  tendre. 

EscouTiLLON,  trappe  pratiquée  dans  le 
panneau  d'ime  ccoutille. 

EscREVTissE,  écrevisse. 

EscROULLER,  agiter,  secouer  fortement. 

Escu  DE  B.^SLE,  esneigne  d'un  libraire 
de  Lyon. 

EscuLÉE,  écuellée. 

EscuLLER,  secouer,  et  aussi  éculer,  écra- 
ser les  talons  des  chaussures. 

EscuRER,  nettoyer  :  «  F^scurer  l'esto- 
mac, s'escurer  les  dents  ». 

EscuRiEUX,  écureuil. 

EscuTZ  ELLES  DE  BOIS  (fracasser),  c'est 
un  calembour  qui  se  comprend  aisé- 
ment. 

Escuz,  écMS.  A  l'imitation  des  écus  au 
soleil,  Rabelais  suppose  des  écus  à  la 
lanterne,  des  écus  à  l'étoile  poussi- 
nière,  etc. 

Escuz  DU  P.vLAYS,  jetons  servant  à 
compter. 

ESGORGETER,     ESGUORGETER,     diminutif 

d'égorger. 

EsGous,  dégouttant. 

ESGOCSSER,  tirer  de  sa  gousse,  de  sa  co- 
que; écosser. 

EsGOUSSEUR  DE  FEBVES,  écosseux  de 
fèves. 

EsGu.iRD,  liagard,  farouche,  sauvage. 

EsGUASSÉ,  agacé. 

EsGUE  ORBE,  cheval  aveugle. 

EsLE,  aile. 

ESMERAUGDE,  émeraude. 

ï^MEUT,  excrément. 

lîSMEUTiR,   rendre  les   excréments. 

E^.MONDER,  nettoyer. 

EsMORCHE,  amorce. 

EsJioucHAlL,  instrument  à  chasser  les 
mouches,  analogue  à  l'éventaU. 

EsMoucHER,  ESMOUCHETER,  chasser. 
écarter  les  mouches. 

EsMOUCHETÉ,  dont  on  a  écarté  les  mou- 
ches; et  ailleurs  :  moucheté,  piqué  des 
mouches. 

EsMoucHETEUR,  celui  qui  chasse  les 
mouches. 

ESMOULER,  émoudre.^ 

EsoPET,  diminutif  d'fisope. 

EspADE,  épée,  spada. 


43  4 


GLOSS.MKl.     ET    NOTES 


Esp.uiER  (s'),  s'cdaircir,  s'i'purcr,  en 
parlant  du  ciel. 

ESPARTD»,  répandre,  partager. 

ESPAR\lER,  éper\ier;  «  esparviers  de 
MontaiRU.  •  des  pous. 

EsPArLÉ,  ESPAULTRÉ,  qui  a  l'épaule 
déboîtée. 

Espaces  (mots),  mots  inusités,  rejetés, 
flottants,  que  l'usage  n'a  pas  fixés. 

ESPECL\L,  spédaJ  :  «  Grâce  especiale  ». 

EspÉE  :  «  Espée  à  deux  mains.  —  bas- 
tarde.  —  espagnole.  —  Chascun  sur 
son  espée  »,  en  mettant  diacun  son 
espée  en  gage. 

ESPEL.«^-,  éperlan. 

EsPERDu,  perdu,  introuvable. 

EsPERiT,  esprit. 

ESPERRUCQUETZ,  porte-perruques,  ga- 
lants,   coquets. 

ESPICES,  confitures,  dragées,  et  par  ex- 
tension, présent  fait  aux  juges. 

EspiES,  espions. 

EspiNAY  (1'),  jeu  de  cartes  inconnu. 

Espint;  du  douss,  épine  dorsale. 

EspcsER  (s'),  se  piquer  aux  épines. 

Espixette,  instrument  de  musique. 

EspixG.iRDERiE.  cc  qui  concerne  les  es- 
pingardes,  arbalètes  sur  roues  et  mous- 
quets de  remparts. 

EspoiRE,  espère. 

ESPOCTLLERESSE  DE   BELISTRES,   qui   Ôte 

la  vermine  des  bélîtres. 

Espo\'ENTER,  épouvanter. 

EspRixs,  épris  :  a  Esprins  de  témérité  •>. 

ESPURGE,  plante  laiteuse  et  vénéneuse. 

ESQU.VME,  écaille. 

EsQUARQm-LÉ,  écarquillé,  ouvert,  écar- 
té. 

Esquarrer,  tailler  en  carré  :  f  Esquarrer 
ra vélins  ». 

EsQCiNANCE,  esquinancie. 

EsRAFFLADE,  action  de  grifter,  d'érafiier 
en  passant. 

EsRENER,  éreinter. 

Esse.  —  Voyez  aisse. 

EssELLE,  aisselle. 

Essors,  adjectif;  qui  prend  bien  l'es- 
sor, qui  s'élève  rapidement  dans  les 
airs,  en  parlant  d'un  oiseau. 

EssuEiL,  essieu,  pôle. 

EssuER,    essuj'er. 

EsTACHÉ,  attaché. 

ESTAFFIER,  valet  armé  qui  tient  l'étrier. 
«  Estaffier  de  saint  Martin  »,  le  diable 
qui,  d'après  la  légende,  ne  quittait  pas 
saint  Slartin,  soit  pour  le  tenter,  soit 
pour  le  contrarier  et  le  persécuter. 

EsTAlL,  cordage  qui  sert  à  guinder  dans 
im  vaisseau  la  chaloupe,  la  marchan- 
dise, etc. 

EsTA>LET,  étamine,  étoflfe  de  laine  :  «  Es- 
tamet  blanc  ». 


EsT.\xGorRRE  (le  pa.\s  d'),  ou  d'Estran- 
gor,  comme  on  dit  dans  le  roman  de 
Lancelot  du  Lac.  Le  Duchat  y  voit 
VEast  Fn^laiid  ou  l'Estangle,  une  des 
heptarchies  saxonnes. 

EsT.\NTEROL,  partie  du  vaisseau  voisine 
de  la  poupe;  escadron,  enseigne. 

EsTAPHE,  étrier. 

ESTAPPES,  étapes,  stations  des  troupes. 

EsTAU,  boutique,  étal. 

ESTERXUER,  éternuer. 

lisTEUF,  balle  du  jeu  de  paume. 

ESTIOJIEXÊ.  malin,  corrosif,  purulent. 

EsTiv.iL,  d'été  :  «  Solstice  estival.  » 

ESTIV.\LLET,  bottine  ou  chaussure  d'été. 

E.STOC,  épée,  bâton  ferré;  souche  d'un 
arbre. 

Estoc,  coup  de  pointe  :  «  D'estoc  et  de 
taille.  » 

EsToiLLE  poussi>aèRE,  les  Pléiades, 
constellation  dans  le  signe  du  Taureau, 

EsTOMMi,  étourdi,  abattu. 

EsTON'KEZ  :  I!  Estonnés comme  fondeurs  de 
cloches  1',  locution  proverbiale. 

EsTORCE,  entorse,  effort,  croc-en- jambe  : 
«  Luy  ai-je  baillé  belle  estorce?  »  {Pa- 
thdin.) 

EsTOtTER,  boucher. 

EsTRADioz,  stradiots,  chevau-légers  d'Al- 
banie, vêtus  comme  les  Turcs. 

EsTR.\XGE,  étranger. 

ESTRAP.\DE,  ancien  supplice  consistant 
à  élever  le  criminel  au  moyen  d'une 
corde,  puis  à  le  laisser  tomber  rapi- 
dement. Figurément,  •  bailler  l'estra- 
pade à  ces  vins  blancs  d'Anjou  ». 

EsTRE,  nature,  parties  naturelles. 

ESTRÉ,  animé,  plein  de  feu,  du  latin 
œstrum. 

EsTRELixs  (les),  peuples  de  l'Esthonie, 
situés  à  l'est  de  la  Baltique. 

EsTREXE  (EX  BOXNE),  de  bou  cocur,  sin- 
cèrement. 

EsTRiF,  peine,  chagrin,  débat,  rixe. 

EsTRTLLE-FAin'EAU.  étriUe-jument.  — 
C'était  un  rébus  populaire  exprimé 
par  une  étrille,  une  faux  et  un  veau, 
n  servait  d'enseigne. 

ESTRIXDORE.  danse  anglaise  :  «  Danser 
l'estrindore  ". 

EsTRiPÉ,  éventré,  brisé,  étripé. 

ESTROCZ  (le  bois  d'),  bois  du  bas  Poitou. 

EsTROiCT,  détroit  :  n  Estroict  de  Sibyle  », 
détroit  de  Sé\-ille  ou  de  Gibraltar. 

EsTROPiATZ,  estropiés. 

Estropié  (im  petit  homme  tout),  allu- 
sion à  Ciiarles-Quint,  perclus  de  gout- 
te. 

Estu\-er,  aller  aux  étuves,  prendre  un 
bain  de  vapeur. 

EsuRiALES,  de  jeûne;  •  féeries  esuriales  », 
jours  de  jeûne. 


GLOSSAIRE    ET    NOTES 


455 


ESVEIGLER,  EVEIGLER,  t^veiUcr. 

Eterxe,  étemel,  alernus. 

EïHiopis,  herbe  fabuleuse,  moyennant 
laquelle  on  ouvre  toutes  portes  fer- 
mées. 

Etion,  géant. 

Euci.iON,  principal  personnage  de  VA  u- 
hilaria  de  Plaute. 

EtDEMOX,  paeg  de  Gargantua;  mot  grec 
qui  signifie  :  qui  est  bien  né,  qui  a  un 
bon  génie. 

EuGXTBE,  ville  de  l'ancienne  Ombiie. 

EuHYADES,  hyades,  nomiices  de  Bac- 
dius. 

EuiiETRlDES  (pierre),  pierre  précieuse.  — 
Voyez  Pline,  livre  XXXVII,  cha- 
pitre X. 

EuNxrcHE,  eunuque. 

Euphorbe,  une  liqueur  qui  découle  d'un 
certain  arbre  d'Africiue.  de  couleur  de 
lait,  et  d'une  faculté  fort  diaude  et 
brûlante;  on  use  de  sa  poudre  pour 
faire  étemuer.  (Livre  II,  chapitre 
xx\'in.) 

EuPHORBus,  médecin  du  roi  Juba. 

EuRYCLiEXS,  devineurs  engastriens  ab 
Eurycle  Engastrimytho,  cujus  meminit 
Scholiast.  Aristoph.  in  Vespis,  et  Cœl. 
Rhodig.,  li\Te  VIII.  chapitre  x. 

ErsTHEXES,  fort,  robuste,  puissant  et 
galant  homme;  en  grec   î'jaOîvr,;. 

Ev.'VDER,  éviter. 

Ev/VNGELISTE,  cclui  qui  aunoncc,  qui 
proclame  une  chose  heureuse,  dans 
le  sens  étymologique  du  mot. 

Evangile,  pris  dans  le  sens  de  vérité. 

Evangiles  de  bois,  c'est-à-dire  ta- 
bUers,  tables  à  jouer  aux  dés,  aux 
échecs,  etc. 

Ev.\NTES,  bacchantes. 

Evergetes,  surnom  d'Osiris,  bienfai- 
teur; mot  grec. 

EvERSEL"R,  qui  renveree,  qui  détruit. 

EvERSiON,  destruction,  bouleversement. 

E\'ESGAUX,  E\rESGESSES,  mots  grotesques 
faits  avec  le  mot  évesque. 

E\'ESQUE  DES  champs;  être  fait  évêque 
des  champs,  qm  donne  sa  bénédic- 
tion avec  ses  pieds,  c'est  être  pendu. 

EviDENiEJiEXT,     évidemment. 

EviG.  —  Voj-ez  Enig. 

EviRÉ,  épuisé,  sans  forces. 

Ev'OCQUER,  appeler,  mander,  faire  com- 
paraître. 

EvoHE  !  cri  des  bacchantes. 

ExAGOXE,  hexagone. 

Exclamer,  s'écrier,  crier. 

ExcALER,  filtrer,  tirer  au  clair. 

ExcoRiATEUR,  écorcheuT. 

ExcoRTiQUER,  ôtcr  l'écorcc. 

EXCRE.SCENSE,  excroissaucc. 


Exemptile,  facile  à  ôter,  à  enlever 
exemptais. 

Exenterk,  éventré,  dont  on  a  arraché 
les  entrailles. 

ExEQUANT,  exécutant;  mot  latin,  exc- 
qtiens  ;  i  Nous  dictans,  une  de  ses 
mystagogues  exequant.  »  C'est  un 
latinisme  :  nobis  dictantibus,  una  ex 
mystagosis  exequcnte,  tandis  que  nous 
dictions  et  qu'ime  de  ses  prêtresses 
écrivait. 

ExEQUES,  obsèques,  funérailles. 

Exercitation,  exercice,  travail,  occu- 
pation. 

ExERCiTE,  armée. 

Exercité,  exercé. 

Exhalation,  exhalaison. 

ExHAUSTE,  épuisé,  tari. 

ExHiLARER  (s'),  s'égaycr. 

ExiMÉ,  fiuet,  maigre,  décharné. 

ExixANiz,  épuisés,  défaits  :  «  Corps  exi- 
naniz  par  long  jeusne.  » 

ExisT»L\TiON,  estimation,  apprécia- 
tion. 

ExisTUiER,  EXSTIMER,  estimer,  juger, 
croire. 

ExiTURE,  issue,  sortie,  porte. 

Expédié,  prompt,  véloce  :  «  Expédiés  à 
courir,  j) 

Expiration  :  «  Suffoqué  par  deffault  de 
expiration  ». 

Expirer,  périr,  se  perdre. 

Explorer,  regarder,  examiner,  visiter, 
éprouver. 

ExpoLY,  poli,  achevé,  cultivé,  perfec- 
tionné. 

ExpoNiBLES  (de  M.  Haultechaussade), 
ouvrage  et  auteur  imaginaires  que  Ra- 
belais dit  avoir  été  commentés  par 
Ockam,  fameux  théologien  anglais 
du  XIV*  siècle. 

Exposé,  à  la  portée  de  tout  le  monde, 
fadle. 

Exposer,  expliquer,  énoncer. 

Exposition,  explication. 

Exprimé,  dont  le  suc  a  été  exprimé. 

ExpRouvÉ,  éprouvé,  mis  à  l'essai. 

ExpcnsÉ,  ESPUYSÉ,  épuisé. 

ExQuisiTEMENT,  Soigneusement,  exac- 
tement, d'une  manière  rare  et  choisie. 

ExTAixcT,  éteint. 

ExTAixDRE,  éteindre. 

ExTEXDRE,  étendre. 

ExTERioRE,  extérieur. 

ExTÉRioREMEXT,  extérieurement. 

Extirpé,  arraché,  extrait. 

ExTispiciXE,  divination  par  l'inspection 
des  entrailles  des  victimes. 

Extoller,  exalter,  élever  au-dessus. 

ExTRANEiZER,  chasser,  mettre  dehors, 
envoyer  au  loin. 

Extraordinaire  (1')  :  %  I<' extraordinaire 


456 


GLOSSAIRE    ET    NOTES 


qui  souvent  pend  à  eschalas,  «  c'est-à- 
dire,  suivant  Le  Duchat,  provenant  de 
la  confiscation  des  biens  de  ceux  qui, 
pour  raison  de  leurs  malversations 
dans  l'extraordinaire  des  guerres,  sont 
condamnes  à  être  pendus. 
Extravagantes,  constitutions  des  pa- 
pes publiées  depuis  les  Clémentines.  — 
Voyez  au  mot  Décrétales. 


ExuLCÉRER,  tilcércr,  blesser,  envenimer. 

ExuLER,    être    exilé,    quitter,    partir    : 

«  Où  faim  règne  force  exulte.  » 
Iv/OofTiv  'oLO'or^y.  Ofîlca,  c'est-à-dire, 
les  dons  que  fout  les  ennemis  ne  doivent 
être  réputés  dons.  —  Voyez  Érasme 
en  ses  Adages;  l'auteur  au  livre  III, 
chapitre  xrv. 


Fabians,  Fabies,  gens  Fabia,  famille 
historique  de  l'ancienne  Rome. 

F.'iBiE,  Fabius  cunctator,  dictateur,  ro- 
main. 

Fabius  Pictor,  le  plus  ancien  des  anna- 
listes latins. 

Fabrile,  d'artisan;  fahrilis. 

Facet  (le),  livre  d'éducation  alors  en 
usage  :  Liber  Faccti  morosi,  doccns 
mores  homiiium.  Daventriœ,  Jac.  de 
Breda,  1494,  in- 4°.  L'auteur  de  ce  Uvre 
est  Jean  de  Garlande. 

Faciexde,  occupation,  cliose  à  faire. 

Facond,  s'exprimant  aisément  et  avec 
élégance. 

Faconde,  facihté  et  élégance  de  parole. 

Facquin,  portefaix,  crocheteur. 

Facteur,  celui  qui  fait,  fabricant. 

Facultatule,  diminutif  de  faculté. 

Fadrin,  jeune  matelot,  mousse. 

Fage  (de  La),  musicien  du  temps  de 
Rabelais. 

Fagot,  paquet  ou  basson;  de  l'itaUen 
fagotto. 

Faguenat,  odeur  fétide  qui  s'exhale  des 
corps  malpropres. 

Fagutal,  lieu  forestier,  planté  de  bois  et 
surtout  de  liétres. 

Faictice,  fait  à  plaisir,  artistement 
fait. 

F.\illir,  manquer,  faire  ime  faute. 

Faillon,  compagnon;  mot  lorrain. 

Faixdre  (se),  se  ménager. 

Faire  :  «  Vous  ramente  faire  ce  que  fai- 
tes. »  Qu'il  vous  souvienne  d'être  tout 
entiers  à  ce  que  vous  faites.  C'est  Vage 
guod  agis  des  Romains  (Uvre  V,  cha- 
pitre xxm) .  —  f  Xous  la  ferons  à  no- 
tre retour,  »  c'est-à-dire  la  pierre  philo- 
sophale  (Uvre  V,  chapitre  x\tii). 

Fall.\ce,  substantif  et  adjectif  :  ruse, 
tromperie;  fallacieux,  mensonger  : 
t  Fallaces  espèces  •  trompeuses  appa- 
rences. 

Fallot,  lanterne. 


Fali.ot,  falot,  plaisant,  amusant. 

FALOTEjrENT,  plaisamment,  gaiement. 

Falourdin,  nom  d'un  géant. 

Fan,  faon. 

Fanfare,  fanfaronnade,  forfanterie. 

Fanfarer,  faire  le  fanfaron,  parader. 

F.^nfrelucher,  faire  la  bagatelle,  dans 
le  sens  erotique. 

F.\NFREi,ucHES,  flammèchcs  qui  volent 
quand  on  brûle  du  papier;  figurément, 
bagatelles  :  «  Fanfreluches  antido- 
tées.  '■  On  a  fait  sur  cet  amphigouri  des 
essais  d'interprétation  aribtraire.  Ce 
qu'on  y  voit  de  plus  clair,  c'est  une 
imitation  plaisante  des  Prophéties 
de  Merlin. 

F.\NTESQUE,  ser\-ante;  de  l'i'alien  fan- 
iesca. 

Fanuises,  sorte  de  reptiles. 

Far,  phare  :  i  On  Far  de  mal'encontre, 
au  phare  de  mauvaise  fortune. 

Farat,  tas,  amas,  monceau. 

Farce,  comédie:  «  Farce  du  Pot  au  laict. 

Farce,  préparation  cuUnaire.  Rabelais 
joue  parfois  sur  les  deux  sens  de  ce 
mot  :  0  Farce  magistrale.  » 

Farf.vdetz  (les),  esprits  folets  qui  vont 
de  nuit  et  font  peur  aux  mal  assurés. 
Rabelais  entend  presque  toujours  par 
ce  mot  les  moines  mendiants.  «  Comme 
les  farfadets  firent  de  la  prevosté  d'Or- 
léans (livre  III,  chapitre  xxm).  »  Allu- 
sion à  un  fait  contemporain  :  la  femme 
de  M.  de  Saint-Mesmin,  prévôt  d'Or- 
léans, étant  morte  en  1533,  et  ayant 
été  enterrée  dans  l'égUse  des  Corde- 
Uers  d'Orléans,  ces  religieux  suppo- 
sèrent que  l'âme  de  la  prévôté  venait 
les  tourmenter  dans  leur  couvent. 
Convaincus  d'impwsture,  treize  d'en- 
tre eux  furent  condamnés  à  l'amende 
honorable  et  à  la  prison.  —  Voyez 
Lottin,  Recherches  historiques  sur 
Orléans. 

Farfelu,  gras,  rebondi. 


GLOSSAIRE    ET    NOTES 


457 


Faribole,  niaiserie,  parole  inutile,  conte 
insignifiant. 

Fariboth,  nom  d'un  géant. 

Faschek,  fatiguer,  ennuyer,  persécuter. 

Fascherie,  ermui,  persécution. 

Faseolz,  espèce  de  fèves. 

Fasque,  facque,  pochette,  petit  sac. 

Fat,  sot. 

Fatal,  marqué  par  le  destin  :  a  Les  fata- 
les dispositions  du  ciel.  » 

Fatrasserie,  fatras. 

Patrouiller,  fouiller,  manier. 

Fatue  (la  dive),  la  déesse  de  la  Folie. 

Fatuel,  fou;  surnom  de  Faunus,  fils  de 
Ficus,  roi  des  Latins. 

Fauciles,  les  deux  os  de  Tavant-bras, 
depuis  le  coude  jusqu'au  poignet;  os 
de  la  jambe. 

Faulce,  Faulse,  méchante,  mauvaise. 

Faulcheron,  danse. 

Faulcon,  pièce  d'artillerie  plus  forte 
que  le  fauconneau. 

FAULCO>rN"EAU,  pièce  d'artillerie. 

Faulte,  manque,  défaut  :  t  Faulte  d'ar- 
gent, c'est  douleur  non  pareille.  » 

Faultiers,  ceux  qui  font  fiasco,  qui 
manquent  leur  coup.  «  Confrairie  des 
faultiers.  » 

Fault-villain,  jeu  indéterminé. 

Faulx  (je),  je  me  trompe. 

Faulx  v^s.■i.IGE,  masque  :  «  Toiuna  son 
faulx  visaige  »,  reprit  sa  physionomie 
naturelle. 

Fauxus,  le  dieu  Faune. 

Fauste,  heureux,  fortuné. 

Fauveau,  faulveau,  animal  au  poil 
fauve. 

Favorer,  faire  silence;  favere  linguis. 

Faye,  foie. 

Faye,  Faye-la-Viemie,  bourg  situé  siu- 
une  hauteur,  où  l'on  n'arrive  que  par 
de  nombreux  détours. 

Fays,  faLx,  charge  , fardeau. 

FÉABLEMENT,  loyalement,  fidèlement. 

FÉAL,  loyal,  fidèle. 

Féaulté,  féauté,  loyauté,  fidéUté. 

Feb\'e  ;   0  Le  monde  donc  ensagissant 
plus  ne  craindra  la  fleur  des  febves  en 
la  prime  vere.  "  Nos  lecteurs  connais- 
sent cet  ancien  proverbe  : 
Quand  les  fcves  sont  en  fleur. 
Les  fous  sont  en  vigueur. 

Fecan,  Fécamp,  sur  la  côte  normande. 

FÉE,  charmé,  ensorcelé. 

Fellé,  fêlé. 

Feloxnement,  traîtreusement,  cruelle- 
ment. 

Felonnte,  trahison. 

Fenabregue,  c'est  le  nom  qu'on  donne 
en  Languedoc  à  l'alisier. 

Fené,  fané,  flétri. 

Fenestré  (soulier),  sandale  dont  le  des- 


sus était  formé  par  des  courroies  qui, 
lacées  à  jour,  représentaient  une 
espèce  de  fenêtre. 

Feode,  fief. 

Fercule,  plat,  bassin. 

Feriau  (jour),  jour  férié,  jour  de  fête. 

Feries,  fêtes. 

Ferir,  frapper;  participe  passé  :  féru. 

Fermer,  affermir,  appuyer,  attacher  for- 
tement. 

Fernel,  pièce  de  bois  de  la  proue  d'un 
vaisseau. 

Feroxia,  antique  divinité  des  Sabins, 
des  Étrusques  et  des  Romains. 

Ferragus,  nom  d'un  géant. 

Ferrast  (pieds),  pieds  chaussés  de  san- 
dales ou  souliers  ferrés. 

Ferratte  :  «  I<e  chemin  de  la  Ferratte 
monté  sur  xm  grand  ours  ».  Le  chemin 
de  la  Ferratte  se  trouvait  sur  la  route  de 
Limoges  à  Tours;  il  coupait  la  mon- 
tagne du  Grand  Ours  couverte  de 
neige,  de  pins,  de  rochers. 

Ferreiiens,  outils,  instruments,  armes 
de  fer  :  t  Isle  des  ferremens.  » 

Ferrementiporte,  mot  forgé  :  qui  porte 
des  ferrements. 

Ferrière,  bouteille  en  métal  ou  en  cuir 
bouilli  pour  le  voyage. 

Ferron,  nom  d'un  domestique  de  Guil- 
laume du  Bellay. 

FERRraiNÉ  (métal),  argent  dans  le  lan- 
gage de  l'écolier  limousin. 

Fers  d'or,  au  bout  des  aiguillettes. 

Ferulacé,  qui  ressemble  à  la  plante 
appelée  férule. 

Férule  et  boulas,  férule  et  bouleau 
sont  nuisibles  aux  écoliers,  dit  Rabe- 
lais, faisant  allusion  à  la  férule  sco- 
lasUque  et  aux  verges  de  bouleau. 

Fessart,  jeu  inconnu. 

Fessepinie,  personnage  des  contes 
populaires. 

Feste  a  B.4ST0NS.  —  Voycz  Basions. 

Festi,  musicien  contemporain  de  Rabe- 
lais. 

Festdja  lente.  Hâte-toi  lentement.  — 
Voyez  la  Briefve  Déclaration  au  mot 
Hiéroglyphicques. 

Festival,  de  fête. 

Feston  diene.  Par  la  Fête-Dieu  ! 

Festu,  brin  de  paUle. 

Feuhre,  paille,  fourrage. 

Feurre  (rue  du),  rue  du  Fouarre. 

Feurre  (les  escholes  du),  les  écoles  de 
la  rue  du  Fouarre. 

Feustré,  garni  de  paille. 

Fevin,  musicien  du  temps  de  Rabelais. 

Fevrolles,  fa\-erolles  :  «  Entre  midy 
et  FevroUes  ».  La  plaisanterie  consiste 
à  mêler  un  nom  de  temps  avec  un  nom 
de  lieu.  Entre  midi  (on  croit  que  l'au- 


-I5« 


GLOSSAIRE    ET    NOTES 


leur  va  ajouter  :  cl  une  heure)... ci  Vd- 
vroUes. 

Fiacre  :  «  1,'espinc  dorsale  de  salut  Fia- 
cre en  Brie.  »  Cette  épine  dorsale  était 
conservée  dans  la  cathédrale  de 
Meaux. 

Fiance,  confiance. 

FiANSAiLLES,  fiançaiUcs. 

FlANTOroiR,  endroit  où  l'on  fiante. 

FiCTiL,  fait  de  terre,  d'argile. 

FlCTlL,  fait  de  terre,  d'argile. 

FiERABRAS,  géant. 

l'iERS  (raisins),  appelés  aussi  fumés. 

FiEui-x,  fils,  garçon,  en  dialecte  picard. 

Figue  (faire  la),  montrer  à  quelqu'un  le 
poing  fermé,  le  pouce  passant  entre 
l'index  et  le  second  doigt.  L'explica- 
tion que  Rabelais  donne  de  cette  locu- 
tion au  chapitre  x\x  du  Uvre  IV  n'a 
aucun  fondement  historique;  —  nom 
d'un  jeu  indéterminé. 

FiGVES  DE  5I.VRSEILLE,  nom  d'un  jeu 
incoimu. 

Figues  dioures,  figures  d'or,  figues 
dorées,  suivant  de  l'Aulnay. 

FiLLAXT,  effilant. 

Fillière,  rang.  • 

FiLLOL,  filleul. 

FiLOPE^TDOLES,  poids  suspendus  à  des 
fils,  contrepoids.  —  Voyez  Circum- 
bilivagination. 

Fin  (à  dorer),  locution  proverbiale  pour 
dire  très  fin  :  «  Fin  à  dorer  comme  une 
dague  de  plomb  »,  c'est  ime  ironie. 

FiNABLEMEXT,  enfin. 

Finer,  finir. 

FiSTiCQUE,  sorte  de  pistache. 

Flac,  fl.icque,  fiasque  :  «  Flac  con  à 
^^z  n,  jeu  de  mots  sur  flacon. 

Flacce,  Horace. 

Fl.\ccon'ner,  boire,  ■s-ider  les  flacons. 

Flac  que,  flasque. 

Flagitiose,  criminel;  mot  latin. 

Flagrant,  brûlant,  enflammé. 

Flambe,  flammé;  d'où  flamber,  flam- 
bant. 

Flammans,  oiseaux  à  longues  jambes  et 
d'un  rouge  couleur  de  flamme. 

FLAMMn'OME,  qui  vomit  des  flammes. 

Flancquegé,  flanqué. 

Fl.\squ-e,  flacon. 

Flatry,  dompté,  abattu. 

Fleurer,  flairer. 

Fleurin,  florin. 

Flexuosité,  détour,  sLimosité. 

Floc,  flocqu.-vr,  houppe,  «  floc  de  soie  ». 

Flocquer,  aller  au  gré  du  vent. 

Flocquets,  porteurs  de  flocs,  muguets, 
beaux  fils. 

1-"lor.4,  Flore,  déesse  des  fleurs. 

Floralies,  fêtes  de  Flore. 

I'loride,  fleuri;  de  floridus. 


Florule,  danse  antique. 

Florulent,  fleurissant. 

Flotz  aérés,  flots  de  l'air,  flots  du  vent. 

Flouin,  sorte  de  bâtiment  léger. 

Flux,  jeu  et  terme  de  jeu  :  »  Pa,«se  sans 
flux  »,  je  passe,  je  ne  tiens  pas  la  main; 
fig^urément  passons,  n'insistons  pas. 

Fluz  de  BOiTiSE,  flux,  écoulement,  ma- 
ladie de  la  bourse,  qui  fait  qu'elle  est 
toujours  ^^de. 

FOCILES,  voir  FAUCILES. 

Foillouse,  fouillouse,  poche;  terme 
d'argot. 

Foire  :  «  On  ne  s'en  va  pas  des  foires 
comme  du  mardié.  •  Le  marché  finit 
de  très  bonne  heure;  les  foires  se  pro- 
longent toute  la  journée. 

FoLFRÉ,  affolé,  rendu  fou. 

Follie  Goubelix  (la),  les  Gobelins. 

FoLLiER,  jouer,  plaisanter. 

FoLZ  :  n  En  toutes  compaignies  il  y  a  plus 
de  folz  que  de  saiges  »,  locution  pro- 
verbiale. 

Fondement,  pièce  justificative,  procu- 
ration; d'où  le  jeu  de  mots  :  «  Jlons- 
troieut  leurs  fondemeas.  » 

Fondes,  frondes. 

FONS,  fonds,  entrailles. 

Forain,  étranger. 

FoRBE,  fourbe,  tromperie. 

FoRBEU,  fourbu. 

Force  :  «  Cela  non  force  ».  libre  â  vous. 

Force,  ■violence  :  «  Appeler  à  la  force  », 
crier  à  la  violence. 

Force,  beaucoup  :  a  A  force  d'eau  », 
avec  beaucoup  d'eau. 

Forcé,  l'un  des  jeux  de  Gargantua;  vrai- 
semblablement sorte  de  jeu  de  dames. 

Forcer,  \-iolenter,  violer. 

Forces,   forcettes,   cisailles,   ciseaux. 

Forcés,  forçats. 

Forcettes,  cisailles. 

FoRCHE,  fourche. 

FORCLUS,  mis  hors,  exclus. 

Fore  (A  pille,  n/oje,  jocque),  jeu  in- 
connu. 

Forestiers,  bannis,  vivant  dans  les 
forêts. 

Forfant,  ayant  forfait,  criminel. 

FoRissER,  faire  sortir,  conduire  hors  : 
«  Forissoient  patrouilles.  » 

FoRissiR,    sortir. 

FORJiAGE,  fromage. 

Forme  (à  la),  de  la  façon. 

Fors,  excepté. 

Forteresse,  force. 

FoRTU'NAL,  orage,  ouragan. 

Fortune,  hasard,  cliance. 

Fossé  :  t  De  terre  d'aultruy  remplir  sou 
fossé  11,  locution  proverbiale. 

Fou,  \Tllage  de  Lorraine.  «  En  Lorraine, 
Fou  est  prés  de  Tou.  »  Dicton  signi- 


GLOSSAIRE    ET    NOTES 


459 


fiant  que  presque  tout  le  monde  est 

fou. 
Fouace,  gâteau  :  »  Slanger  sa  fouace  sans 

pain.  » 
Fou.vciER,  qui  fait  des  fouaces. 
FoucQUET,  jeu  indéterminé. 
FouGER,  fouiller. 

FouGON,  foyer,  cuisine  d'un  vaisseau. 
FouLLE  (à),  à  la  foule,  en  foule. 
FouLLER,   écraser,  surcharger  :    «  Sans 

que  l'argent  foullast  le  cuivre.  » 
FoULLOUAiRE,  instrument  du  foulon. 
Foupi,    chiffonné,    froissé    :    «    Bonnet 

foupi.  » 
FouQUET,   jeu   qui   consiste  à  éteindre 

avec  son  nez  un  flambeau  allumé. 
FouRBY,    jeu   de   cartes,   inconnu;    l'un 

de  ceux  auxquels  jouait  Gargantua. 
Fourche  Fii;RE,  fourche  ferrée. 
FouRNER,  mettre  au  four  :  «  Aussi  sage 

qu'oncques  puis  ne  foumasmes  nous.  » 

On  trouve  plusieurs  exemples  de  cette 

locution    qui    signifie    littéralement    : 

aussi  sage  que  nous  en  mîmes  jamais 

au  four;  comme  on  dirait  :  aussi  bien 

cuit,  aussi  bien  revenu  et  doré,  d'un 

pain  ou  d'une  pâtisserie. 
FouRNiER,  celui  qui  chauffe  le  four. 
FouRQUES  (les),  Fuggers,  célèbres  ban- 
quiers d'Augsbourg. 
FoLTivoYER,    se    fourvoycr,    quitter    la 

voie. 
FouTRS  A  BAN,  fours  banaux. 
FoussE,  fosse. 

FoussETTE,  fossette,  jeu  de  billes. 
FouTARABiE,  pour  Foutarabic. 
FouTASNOx,  nom  d'un  géant. 
FouTE.^u,  hêtre. 
FouTiGN'AN,  pour  Froutignan. 
FouYR,  fuir. 
FouziL,  briquet. 
FoYNE,  fouine. 
FoYRARD,  foirard. 
FoYRARS  (raisins),  qui  font  foirer. 
FOYS,  fais. 

Fracassus,  nom  d'un  géant. 
Frain,  frein,  mors  :  «  Prendre  le  frain 

aux  dentz.  » 
Fraires,  fraises. 

Franc  alloy,  franc-alleu,  terre  franche. 
Fr.\nc   archier  de   Baigxolet,   nom 

d'un   monologue  comique  attribué  à 

Fr.  Villon. 
Franc  du  carreau,  sorte  de  jeu  de  palet. 
F'ranchise,  liberté,  indépendance  :  «  Se 

mettre  en  franchise.  » 
Fr.\nciscane,  danse. 
Francourlys,    francolys,    francolins, 

espèce  de  faisans. 
Francrepas  (le  duc  de),  nom  composé 

par  Rabelais. 
Francs  aubiers,  sorte  de  raisins  blancs. 


Francs  Gontiers,  paysans  libres. 

FR.\NCTAtiPiNS,  franctopins,  soldats 
des  milices  urbaines  ou  villageoises. 

Frapars,  frappars,  sobriquet  de  moi- 
nes :  «  Estes-vous  des  frappins,  des 
frappeurs  ou  des  frappars?  » 

FR.\PE^rENS,  battements. 

P'rapperie.  action  de  frapper. 

Frarie,  confrérie. 

Frater.  fratres,  frère,  frères,  moines. 

Fraudulent,  trompeur. 

Frayer,  pour^•oir  aux  frais,  à  la  dépense. 

Fredon,  cliant  en  sourdine,  à  demi- 
voix.  Rabelais  emploie  aussi  le  mot 
frcdonncinciit. 

Fredonnique,  adjectif  de  fredon. 

Fredonnisé,  embelli  de  fredons;  €  trio- 
riz  fredonnisés  »,  danses  accompa- 
gnées de  fredons. 

Fredons  (frères),  moines  qui  chantent  à 
demi- voix. 

Freg.\des,  frégates. 

Frelore  bigoth  (tout  est).  Allemand 
corrompu  :  Tout  est  perdu  {verlo- 
rcn),  par  Dieu. 

Fremoir,  fermoir. 

Frérot,  bouffon  romain. 

Freslonniqu-e,  de  frelon. 

Fressurade,  embrassade,  vive  caresse; 
du  mot  fressure,  entrailles,  cœur  et 
foie. 

Fretinfretailler,  far  l'atto. 

Freusser,  froisser,  briser  :  «  Freusser 
l'arreste  du  douz  »,  briser  l'épine  dor- 
sale. 

Freze  (febve),  fève  nouvellement  écos- 
sée. 

Friandeau,  gounnand. 

Frigidis  (de)  et  maleficiatis,  c'est-à- 
dire  :  Des  impiûssants  et  des  malé- 
ficiés. 

Friiiars,  frimas. 

Frixguer,  être  fringant. 

Fripesaulce,  cuisinier  de  Grandgousier 

Friquenelle,  petite  andouille;  coquette 
novice. 

Friscade,  rafraîchissement. 

Frisque,  leste,  éveillé,  joli. 

Frize.  étoffe. 

Frizon,  vase  de  terre  à  boire. 

Frobisseur  de  harnoys,  fourbisseur 
de  harnais. 

Froissis,  froissement  :  «  Le  froissis  des 
piques.  » 

Fromentée,  plat  dont  le  froment  est  la 
base. 

Froncle,  furoncle,  abcès. 

Frondillon,  fil  ou  soie  que  l'on  dévide. 

Fronteau,  bandelette,  diadème. 

Frotte-coutlle,  nom  donné  au  pre- 
mier son  de  matines. 

Fructice,  arbrisseau. 


460 


GLOSSAIRE    ET    NOTES 


Fruitage,  des  fruits. 
Fruition,  jouissance. 
Frument,  froment. 
Fryperie,  marché  aux  habits. 
FuiCY,  appuyé,  soutenu. 
Funambules,  danseurs  de  corde. 
FUNGES,  cliampignons. 
FuRON,   le  petit  du  furet;    Gargantua 
jouait  au  furon;  c'est  le  jeu  du  furet. 


FURT,  vol,  larcin;  furlum. 

FuST,  bois. 

FusTE,  flûte,  espèce  de  navire. 

FuSTlGUER,  fustiger,  fouetter. 

FuYANS,  fuyards. 

Fy,  foi  :  «  Jurant  sa  fy.  » 

Fyfy    (maistrc),    sobriquet   donné   aux 

vidangeurs. 
Fysicien,  physicien,  médecin. 


Gabbara,  im  des  ancêtres  de  Panta- 
gruel. 

Gabeler  (se),  se  moquer. 

G.'V.BELLE,  pris  au  sens  général,  signifie 
impôt,  tribut. 

Gabelleltis,  percepteurs  de  la  gabelle. 

Gabie,  moquerie,  raillerie;  et,  en  terme 
de  marine,  hune. 

Gabion^xer,  façonner  des  gabions,  gar- 
nir de  gabions. 

G.\gner  au  pied,  fuir,  s'esquiver. 

Gaige,  g.\ge  :  h  Je  veulx  perdre  la  teste, 
qui  est  le  gaige  d'im  fol.  » 

Galaffre,  nom  d'un  géant. 

Galant,  gual.\nt,  galant,  dispos,  vigou- 
reux. 

Galantement,  galamment,  vigoureu- 
sement. 

Galehault,  géant,  inventeur  des  fla- 
cons, selon  Rabelais. 

Galen,  Galieu,  célèbre  médecin  de  l'an- 
tiquité. 

Galeotes,  sorte  de  reptiles. 

Galerne,  vent  entre  nord  et  couchant. 
—  Voyez  livre  IV,  diapitre  ix. 

Galice,  province  d'Espagne. 

G.\LIEN  RESTAURÉ,  titre  d'un  roman  de 
chevalerie  plusieurs  fois  imprimé  au 
xvt;"  siècle. 

G.\LioM,  gros  vaisseau  marchand. 

Galiotes,  vaisseaux  plus  petits  que  le 
galion. 

Galland  :  «  Que  ferons-nous  de  ce  Ra- 
meau et  Galland  »?  I,a  querelle  entre 
Pierre  Ramus  et  PieiTe  Galland  divisa 
l'Université  vers  cette  époque,  1551. 
I,e  second  défendait  Aristote  contre  le 
premier. 

Gallefretier,  guallefretier,  calfa- 
tier,  goudronnetir  de  vaisseaux,  pauvre 
hère. 

Galler,  gualler,  se  réjouir,  se  diver- 
tir. 

Galler,  gualler,  battre,  frapper,  ros- 
ser. 


Galleverdine,  jaquette  ou  cape  de 
paysan. 

Galli,  les  Français. 

Gallicque,  de  France. 

Gallier,  gualller,  viveur,  farceur, 
vaurien. 

G.VLLOCHIER,  faiseur  de  galoches. 

Galls,  prêtres  de  Cybèle. 

Gama  ut,  la  note  la  plus  basse  de  la 
gamme  dans  l'ancienne  musique.  La 
gamme  est  ainsi  nommée  parce  qu'elle 
commençait  par  cette  lettre  gamma. 

Gambre,  Sénégambie. 

Gammare,  homard. 

Ganabin.  —  Voyez  la  Briejve  Décla- 
ration. 

G.\N.\RRIENS,  Canariens,  habitants  des 
Canaries. 

Gani\'et,  canivet,  petit  canif. 

Gantelet,  armure  de  la  main. 

Gany\ttier,  faiseur  de  canifs,  mar- 
chand de  canifs,  coutelier. 

G.ARA^tiERS  (chats),  chats  de  garenne, 
chats  sauvages. 

Garavane,  caravane. 

Garbin,  guarbin,  vent  du  sud-ouest; 
garbino,  en  italien  et  en  espagnol. 

Garse,  jeune  fille.  Ne  se  prenait  pas  en 
mauvaise  part,  pas  plus  que  garçon. 

G.'\scon  :  0  Ici  sont  les  Gascons  renions, 
etc  ».  (Prologue  du  livTe  IV.)  A  la  suite 
d'une  révolte  en  1549,  les  habitants  de 
la  Guienne  avaient  été  privés  de  leurs 
cloches  et  de  leurs  franchises. 

Gasté,  gâté,  dévasté. 

G.\STER,  le  ventre. 

G.\STER  (se),  se  faire  du  mal,  s'estropier. 

Gastrol.\tres,    adorateurs   du    ventre. 

GASTRO>L\2JTrE,  divinatiou  des  engas- 
trimythes. 

Gaubregeaux,  ricaneurs,  flâneurs,  qui 
se  gobergent. 

Gaudebillaux,  tripes  de  bœuf  gras. 

Gaudez,  menues  prières. 

Gaudir,  se  réjouir. 


GLOSSAIRE    ET    NOTES 


Gaudisserie,  divertissement,  moquerie. 
Gauschiùre,  gauchère,  qu'on   tient  de 

la  main  gauche. 
Gautier,   g.^ultier,   farceur,   mauvais 
plaisant.    Bon   gauUicr,    bon    compa- 
gnon, ami  du  plaisir. 
Gauvatm,  persoimage  des  romans  de  la 

Table  ronde. 
Gavache,  lâche,  fainéant. 
Gavion,  gosier. 
Gay,  sorte  de  jeu  de  cartes;  l'un  de  ceux 

auxquels  jouait  Gargantua. 
G.^YET,  jais. 

G.w'ETiER,  fabricant  d'objets  en  jais. 
Gayoffe,  nom  d'un  géant. 
Gebarim,  en  hébreu  :  coq. 
Geber  ou  Jeber,  chimiste  arabe  de  la  fin 

du  \in''  siècle. 
Gehaigxer,  geindre,  gémir,  se  lamenter. 
GEH.UXER,  tourmenter,  torturer,  gêner. 
Gehen>-e,  tourment,  torture. 
Gelaslm,  pars  imaginaire,  pays  du  rire 

du  grec  vr/,â'ij. 
Geler  :  «  Des  paroles  qui  gèlent  ».  Cette 
plaisanterie  est  attribuée  par  Plutar- 
que,  dans  le  traité  :  Si  l'on  profite  en 
l'exercice  de  la  vertu,  à  un  disciple  de 
Platon.  Voici  le  passage  traduit  par 
Amj'ot  :  «  Et  comme  Antiphanes,  l'un 
des  familiers  de  Platon,  en  se  joimnt 
disoit  qu'il  y  avoit  une  ville  là  où  les 
paroles  se  geloient  en  l'air  incontinent 
qu'elles  estoient  prononcées,  et  puis, 
quand  elles  venoient  à  se  fondre  l'esté, 
les  habitants  entendoient  ce  qu'ilz 
avoient  devisé  et  parlé  l'hiver.  » 
Geleur,  qui  gèle,  qui  cause  la  gelée. 
Geline,  poule. 

Geloxes,  peuple  de  Scythie  qu'on  nom- 
me aujourd'hui  Tartares. 
Gemm.\gog,  nom  d'un  géant. 
Gexdre,  musicien  du  temps  de  Rabelais. 
Généalogie,   est  pris  dans  le  sens  de 

génération,  lignée. 
Gexeliabix,     mots     arabes     signifiant 
miel  rosat.  Rabelais  en  a  fait  le  nom 
d'ime  île  fertile  en  clystères. 
GENETHLiAQrE,      thème     astrologique, 

horoscope. 
Genette,  petite  belette  d'Espagne  ta- 
chetée de  noir. 
Genevoys,  ce  mot  désigne  souvent  les 

Génois,  les  habitants  de  Gênes. 
Génial,  de  nature,  d'essence,  du  mot 

génie  ou  geyiius. 
Geniss.ures,  janissaires. 
Geniture,  génération,  rejeton. 
Genics,  génie,  type  essentiel  de  l'indi- 
vidu d'après  les  néoplatoniciens. 
Genoil,  genou. 
Genoillons  (à),  à  genoux. 


461 

Genoulx  (rompre  les  andouilles  au, 
c'est  un  exploit  impossible,  parce  que 
l'andouiUe  plie  et  ne  rompt  pas. 

Gentius,  roi  d'Esclavonie. 

Genuxus  (de).  Ginucchi,  cardinal  ro- 
main. 

Geoffroy  de  I,usignan,  dict  Geoffroy 
à  la  grand  dent.  Il  avait  fait  brûler 
l'abbaye  de  Maillezais,  et  avait  été 
condamné  à  la  rebâtir  à  ses  frais  :  de 
là,  suivant  Rabelais,  l'air  fâché  qu'on 
lui  avait  donné  dans  son  portrait. 

Géom'VNtie,  divination  par  des  points 
projetés  en  terre. 

GÉOM-1NTIEN,  qui  pratique  la  géomantie. 

Gerbe,  botte  :  «  Gerbe  de  feurre,  x  botte 
de  paille. 

Gergon,  pour  jargon. 

Gerion.  Su.'tone  dit  de  Tibère,  cha- 
pitre înv  :  «  Allant  en  Illyrie,  il  \-isita 
l'oracle  de  Gérion,  auprès  de  Padoue; 
le  sort  l'avertit  de  jeter  des  dés  d'or 
dans  la  fontaine  d'Apone,  pour  obte- 
rjr  ime  réponse  à  ses  consultations  : 
or  il  amena  tout  d'abord  le  nombre  le 
plus  élevé.  On  voit  encore  aujourd'hui 
ces  dés  au  fond  de  l'eau.  » 

Gerjlum  de  Brie.  Sous  Louis  XII,  la 
flotte  française  et  la  flotte  anglaise  se 
rencontrèrent,  le  10  août  1513,  à  la 
hauteur  du  cap  Saint-JIathieu.  La 
flotte  anglaise,  forte  de  quatre-vingts 
vaisseaux,  attaqua  celle  de  France, 
qui  n'en  avait  que  vingt.  Les  Français 
suppléèrent  au  nombre  par  le  courage 
et  l'adresse.  Us  con3er\'èrent  l'avan- 
tage du  vent,  allèrent  à  l'abordage, 
brisèrent  et  coulèrent  à  fond  plus  de 
la  moitié  des  vaisseairx  ennemis.  Le 
Breton  Her\-é  de  Porzmoguer  était 
capitaine  de  la  Cordilière,  vaste  na^^re 
pouvant  contenir  douze  cents  soldats 
outre  l'équipage.  Il  fut  attaqué  par 
douze  vaisseaiux  anglais,  se  défendit 
avec  un  courage  qui  tenait  de  la  fureur, 
coula  à  fond  plusieurs  vaisseaux  enne- 
mis et  écarta  les  autres.  Un  capitaine 
anglais  osa  s'en  approdier  encore,  lui 
jeta  quantité  de  feux  d'artifice  et 
mit  le  feu  au  vaisseau.  Hervé  pouvait 
se  sauver  dans  une  chaloupe,  comme 
faisaient  la  plupart  des  officiers  et 
des  soldats;  mais  ce  vaillant  marin  ne 
voulut  pas  survivre  à  la  perte  de  son 
bâtiment;  il  ne  songea  qu'à  vendre 
chèrement  sa  vie  et  à  ôter  smx  An- 
glais le  plaisir  de  jouir  de  la  défaite 
des  Français.  Tout  eu  feu,  U  alla  sur 
le  vaisseau  amiral  des  ennemis,  l'ac- 
crocha, y  communiqiia  le  feu,  et  sauta 
avec  lui  quelques  instants  après. 
Germain  de  Brie,   ami  de    Rabelais, 


4^,2 


GLOSSAIRE    ET    NOTES 


composa  à  ce  sjuet  une  pièce  intitulée 
Hervei  Cenotaphium. 

Germinavit  rabix  jesse  :  t  Je  renye  ma 
vie,  je  meurs  de  soif.  »  Plaisanterie  du 
genre  du  Qui  fama  mata  et  autres,  où 
l'on  forme  approximativement  une 
phrase  française  avec  des  syllabes  lati- 
nes. 

Gesixe,  couches,  accouchement. 

Getter,  jeter. 

Gettons,  jetons. 

GiBBESSIERE,  GIBBECIERE.  bOUTSC  de  CUir 

que  l'on  portait  devant  soi. 

Gœorixs,  forts,  puissants;  mot  hébreu. 
Officiers  de  la  Quinte-Essence. 

Giga:^-t.u„  de  géants,  gigantesque. 

GiGLAX,  personnage  des  roman?  de  la 
Table  ronde. 

GlLBATHAK,  Gibraltar. 

GiMBRETiLETOLLETÉE,  mot  forgé,  signi- 
fie chiffonnée,  et  ce  qui  s'ensuit. 

GiPPON,  jupon. 

GlR.\XT,   tournant,   tournoyant. 

Girard  (Charles),  un  des  domestiques 
de  Guillaume  du  Bellay. 

GlZARMER,  manier  comme  une  gizanne 
ou  gmsarme,  sorte  de  hache  à  deux 
tranchants. 

Gland,  balle,  petit  boulet. 

Classons,  glaçons,  noeuds  formés  dans 
le  cristal. 

Glateron,  plante  nommée  aussi  gra- 
teron. 

Glaz  :  «  Ferré  à  glaz  »,  ferré  à  glace  ou 
garni  de  gros  clous  pointus  comme  les 
chaussures  ferrées  à  glace. 

Glener,  glaner. 

Gleneur,  glaneur. 

Glic,  sorte  de  jeu  de  cartes. 

Glimpe,  flambeau. 

Gliron,  loir. 

Gloitt,  cloute,  glouton,  goulu. 

Gluber,  écorcher,  peler;  glubere. 

Glyphouoire,  calonnière,  petite  sarba- 
cane avec  laquelle  jouent  les  enfants. 

Gnave  OPERE,  je  travaille  à;  expression 
toute  latine  :  operam  iiavare. 

GOBRYES,  capitaine  de  Darius. 

Gocourte  (robe),  courte,  suivant  Cot- 
grave;  longo-curta,  suivant  I<e  Du- 
chat;  ni  longue,  ni  courte,  suivant  de 
l'Aulnay;  mal  faite,  sans  mine,  sui- 
vant Johanneau;  bouffante  et  courte, 
suivant  Biu-gaud  des  Marets.  La  pre- 
mière interprétation  me  paraît  la 
meilleure. 

Godalle,  sorte  de  bière. 

Godemare,  gros  ventre,  ventre  à  la  pou- 
laine. 

Godet,  tasse,  gobelet  :  «  Boire  a  p.iin 
godet  ». 

GoGUE,  GUOGLTE,  farce,  dans  le  sens  d'in- 


grédient culinaire,  et  dans  le  sens  de 
plaisanterie  :  «  Par  la  gogue  cénoma- 
nique  !  »  Par  la  farce  du  Mans  ! 

GoGUELU,  GUOGELU,  mauvais  plaisant, 
mauvais  rieur. 

Goildronné,  goudronné,  accoutré,  paré. 

GoiLDRONNER,  goudronner  :  «  Goildron- 
I      ner  un  tonneau.  » 
I  GoiLDRO.vNEUR,  goudronneuT  :  «  Goil- 
I      dronneur  de  mommye  ». 
I  GOLETTA,  la  Goulette,  fort  bâti  devant 
Tunis. 

GoMBERT,  musicien  contemporain  de 
Rabelais. 

GONXELLE,  casaque  blasonnée  qu'on 
revêtait  par-dessus  l'armure  et  qui 
descendait  à  mi-jambe. 

GORDLOî  LE  JEUXE,  GordicH  II,  empe- 
reur romain. 

Gorge  chaulde,  régal  :  «  En  faire  une 
bonne  gorge  chaulde  »,  s'en  réga- 
ler. 

Gorgery.  guorgery,  gorgerin,  partie 
de  l'armure  défendant  la  gorge. 

GORGLVS,  substantif;  sorte  de  fraise  ou 
tour  de  gorge,  servant  de  parure. 

Gorglas,  adjectif;  pimpant,  paré,  fier  de 
sa  parure. 

Gorglasemen't,  en  se  rengorgeant,  en  se 
pavanant,  coquettement. 

Gorgl\ser  (se),  se  parer,  se  pavaner. 

Gorglasit.\te  (de)  >r'lierclt,.\rl'm,  de 
la  parure  et  de  la  coquetterie  des 
femmes,   ouvrage  imaginaire. 

Gossampixe,  le  cotonnier. 

GOTS  (oiseaux  de  proie  terribles),  mem- 
bres des  ordres  de  la  Jarretière,  de 
Saint-Michel  et  de  la  Toison  d'or. 

GoniS,  pour  gothique. 

Goubelet,  gobelet. 

GouD  f.-u-lot,  bon  compagnon;  en  an- 
glais, good  fellow.  Rabelais  joue  sur  le 
mot  fallût,  qui  en  français  signifie  à  la 
fois  plaisantin  et  torche. 

Gol'et,  petit  couteau. 

Gouge,  fille. 

Gougeox,  goujon. 

GouLPHRES,  gouffres. 

GouRiL\XDER,  piquer,  larder  :  «  Gour- 
mander  poule  ». 

GouR.M.\XDERlE,  c'est-à-dire  comman- 
derie. 

GouRJiEX'DEUR,  c'est-à-dire  comman- 
deur. Les  oiseaux  gourmandeurs  du 
cliapitre  v  de  VIslc  sonnante  sont  les 
chefs  et  chevaliers  des  ordres  mili- 
taires. 

GouRRET,  petit  cochon. 

GouRRLER,  richement  couvert  :  «  Pale- 
froy  gourrier.  » 

Gousset,  partie  de  l'armure  placée  sous 
les  aisselles. 


GLOSSATRF.    F,T    NOTES 


463 


GotJTTE,    adverbe;     point,    nullement. 
€  N'y  veoir  goutte.  » 

GOZAI-,  pigeon,  colombe;  eu  hébreu. 

Grabeau,  discussion,  examen. 

Grabeler,  examiner,  épluclier  débrouil- 
ler. 

GRABELEtTR,   élpucheur,   examinateur  : 
«  Grabeleurs  de  corrections.  » 

GRACE  (port  de),  Havre-de-Grâce. 

GRACES,  prière  après  le  repas. 

GRACES  (les  trois). 

Gracieux  seigneur,  poisson  de  mer  à 
écailles,  fort  délicat  et  peu  commun. 

Gr.adiil\rs,  pour  mardi  gras. 

Grain,    adverbe;    pas    du    tout,    nulle- 
ment :  Il  Je  n'en  veulx  grain.  » 

Graisler,  griller,  rôtir.  «  Graisler  des 
chastaines.  » 

Grampe,  qui  a  une  crampe,  engourdi. 

Gr.\ne,  graine. 

Gr.4PHINi:r,  égratigner. 

Grapper,  grappiller,  cueUlir  des  grappes. 

GRATLVN'.^rxD,  Gascon,  dont  Rabelais 
rapporte,  au  chapitre  xlu  du  livre  III, 
une  anecdote  empruntée  au  Dialogo 
del  Giuoco  de  l'Arétin.  Dans  cette 
anecdote  les  paroles  que  le  Gascon  et 
l'Allemand  écliangent  doivent  se  tra- 
dmre  ainsi  :  «  Pao  cap  de  bious,  bil- 
lots, etc.  »  Tête-bœuf,  mes  petits,  que 
le  mal  du  tonneau  (l'ivresse)  vous 
rovile  à  terre  !  Maintenant  que  j'ai  perdu 
mes  vingt-quatre  vachettes  (petite 
pièce  de  moimaie),  je  n'en  donnerai 
que  mieux  coups  de  griffes,  coups  de 
poing  et  taloches  :  y  a-t-il  quelqu'un 
de  vous  autres  qui  veuille  se  battre 
avec  moi  de  franc  jeu? 
«  Der  Guascogner  thut  sich,  etc  ».  Ceci 
est  du  vieux  allemand  et  signifie  :  Le 
Gascon  se  flatte  de  se  battre  avec  n'im- 
porte qui,  mais  il  est  plus  enclin  à 
voler  :  ainsi  donc,  chères  femmes, 
veillez  aux  bagages. 

«  Cap  de  sainct  Arnaud,  qu'au  seys, 
etc  ».  Tête  de  saint  Arnaud,  qui  es-tu, 
toi  qui  me  réveilles?  Que  le  mal  de 
cabaret  (l'ivresse)  te  retourne  !  Ho  ! 
saint  Sever,  patron  de  la  Gascogne,  je 
dormais  si  bien  quand  ce  taquin  est 
venu  me  réveiller. 

«  Hé  !  pauvret,  iou  te  esquineriou, 
etc.  »  Hé  !  malheureux  !  je  t'éreinterais 
maintenant  que  je  suis  bien  reposé. 
Ya-t-en  un  peu  dormir  comme  moi; 
après  cela  nous  nous  battrons. 

Gratuité,  gratitude,  reconnaissance. 

Gratui,.\tion,  action  de  grâces,  congra- 
tulation. 

Grave,  vignoble  du  Bordelais. 

Grave,  grève,  les  bords  aréneux  de  la 
mer,  d'une  ri\'ière. 


Graver,  monter,  gravir. 

Gravot,  village  du  Chinonnais. 

Gréai,  (sang)  :  «  ITn  flasque  de  sang 
gréai.  D  C'est  par  corruption  que  le 
mot  Sangraal  a  pu  s'écrire  et  s'enten- 
dre ainsi.  Le  Sangraal  ou  saint  Graal 
est  le  sanctum  gradale,  le  saint  vase,  où 
fut  reçu  le  sang  du  Christ  crucifié, 
mais  ce  n'est  pas  ce  sang  même. 

Grecisjie  (Hebrard),  Grœcismus,  par 
Hébrard  de  Béthime. 

Gregeoys,  grégovs,  grec. 

Greignel'r,  plus  grand. 

Grene,  graine. 

Grené,  grenet,  en  graine. 

Grenoillère,  grenouillère  :  «  Mon  âme 
s'en  fuyra  en  quelque  grenoillère.  » 

Grenoilles,  grenouilles. 

Grenoillibus  (depiscando) ,  en  péchant 
aux  grenouilles;  latin  de  cuisine. 

Grephiers,  greffiers. 

Gresleur,  qui  grêle,  qui  cause  la  grêle 

Gresse,  graisse  :  «  De  haulte  gresse;  de 
basse  gresse  »,  de  haute  qualité  et  va- 
leur, de  petite  valeur  et  mauvaise  qua- 
lité, a  Beaux  hvres  de  haulte  gresse.  ' 

Gresseur,  graisseur,  qui  graisse  :  «  Gres- 
seur  de  bottes,  graisseur  de  veroUe.  n 

Grève,  jambard,  armure  de  la  jambe. 

Grèves,  jambes. 

Greziller,  brûler. 

Grezillons,  bruits  du  feu  brûlant  la 
paille  ou  des  branches  sèches.  Figurè- 
ment,  «  les  grezillons  de  dévotion,  s 

Griays,  gris  bleuâtre. 

Gribouillis,  nom  comique  de  diable. 

Grief,  substantif;  peine,  tourment, 
mal. 

Grief,  adjectif;  pénible,  fâcheux. 

Grief VES,  grègues. 

Griesche,  l'un  des  jeux  de  Gargantua, 
probablement  sorte  de  jeu  de  vo- 
lant. 

Grignoter,  manger  par  plaisir,  figuré- 
ment  :  «  Grignoter  un  tronson  de  quel- 
que missique  précation  »  (livre  II, 
chapitre  xxxiv),  ronger  un  morceau  de 
quelque  prière  de  la  messe.  Rabelais 
emploie  le  substantif  gn'gnoieiir. 

GRn  IC.'iinNoi  (deHomère),  c'est-à-dire  : 
vieille  enfumée  (Odyssée,  livre  XVIII, 
vers  27). 

Grilgoth,  nom  comique  d'un  diable. 

Grillotier,  rôtisseur. 

Grimal-lx,  écoliers. 

Gruicyre,  grimoire,  livre  contenant  les 

•    formules  d'exorcisme. 

Gringorienne  (eau),  eau  bénite. 

Gringoter,   fredonner,   gazouiller. 

Griphon,  griffon. 

Grippeminaud,  archiduc  des  Chats- 
fourrés.  C'est  le  président  de  la  cham- 


464 


GLOSSAIRE    ET    NOTES 


bre  criminelle,  ou,  selon  d'autres,  le 
grand  inquisiteur. 

Grippeminaudière,  adjectif  formé  du 
mot  précédent  :  «  Justice  grippemi- 
naudière. »  Rabelais  représente  cette 
Justice  sous  l'image  d'une  vieille  fem- 
me tenant  en  main  dextre  un  fourreau 
de  faucille.  C'est  tout  l'opposé  de 
l'image  symbolique  de  la  Justice. 

Gritpeminavlt,  capitaine  de  Picro- 
chole. 

Gripper,  prendre. 

Gris  (saint)  :  «  Sang  saint  Gris  !  s  comme 
Ventre  saint  Gris.  Saint  Gris  se  disait 
pour  saint  François,  fondateur  des 
franciscains  ou  cordeliers  vêtus  de 
gris.  Kenri  IV  jurait  par  le  ventre 
de  Dieu.  I<e  Père  Cotton  lui  en  faisait 
de  sévères  reproclies.  «  Eh  bien  !  dit 
le  Béarnais,  je  jurerai  par  le  ventre 
saint  François.  —  Oh  !  sire,  un  si 
grand  saint  !  s'écria  le  Père.  —  Eh 
bien,  transigeons,  je  jurerai  par  le 
ventre  saint  Gris,  »  dit  le  monarque, 
qui  adojjta  ce  juron. 

Grisle.  gril. 

Grislesient,  pétillement,  bruit  que  les 
feuilles  sèches  font  au  feu. 

Grisler,  griller. 

Grivolé,  grivelé,  tacheté. 

Grizelle,  antenne. 

Grobis  (faire  du),  faire  l'important,  se 
donner  des  airs  d'importance. 

Groisse,  grossesse. 

Grolle,  corneille,  corbeau;  centre  de  la 
cible  où  l'on  peignait  souvent  une 
corneille;  l'un  des  jeux  de  Gargan- 
tua, sur  lequel  on  n'a  pas  de  préci- 
sions. 

Grollier  (noyer),  noyer  de  corneille, 
qui  produit  les  grosses  noix  que  les 
corneilles  peuvent  seules  entamer.  Le 
noyer  de  cendrille  ou  de  mésange  est 
celui  dont  les  noix  sont  assez  tendres 
pour  que  les  mésanges  puissent  les 
entamer. 

Groslière  (noix),  noix  de  noyer  grol- 
lier. 

Grosse,  douze  douzaines. 

Grue,  nom  de  jeu  inconnu. 

Gruppade,  action  de  happer,  de  saisir, 
de  grupper;  bourrasque. 

Gruppement,  comme  gruppade. 

Grupper,  accrocher,  saisir. 

Gruyers,  soldats  suisses. 

Gryfon,  gryphe,  griffon,  oiseau  fabu- 
leux. 

Gryphons,  habitants  des  montagnes  al- 
pestres. 

Grvson  (pierres  de),  grès. 

GUABAN,  caban,  capote,  manteau  pour 
garantir  de  la  pluie. 


GuABARRiER,  batelier,  conducteur  d'une 
gabare. 

GuADAiGNE,  Thomas  de  Guadagne,  fi- 
nancier du  temps  qui  prêta  de  l'argent 
à  François  I^',  prisonnier. 

GUADAIK,  gain;  en  italien,  guadagno. 

GU.4.ILLARDETZ,  Rabelais  désigne  par  ce 
mot  les  réformés. 

GuAiLL.\RTL.MiDox,  Hom  comique  d'un 
cuisinier. 

GuAiGN'EDENiERS ,  gagne  -  deniers ,  ga  - 
gne-petit. 

GuAiN',  gain. 

GUAIMGNER,  gagner. 

Gu.UNGNER  AU  PIED,  s'enfuir. 

GuALE.\CES,  galions,  vaisseaux. 

Gu.\i,ÉE,  galère  :  «  Et  vogue  la  gualéc  »  ! 

GUALENTIR,  fortifier  :  t  Gualentir  les 
nerfs  ». 

GuALiMART,  étui  à  plumes,  écritoire. 

GuALiNOTTE,  gelinotte. 

GuALLERiE,  galerie. 

GuALOiSE,  G.ALOiSE,  luTonnc,  fille  de  joie. 

Gu.Ai.OT,  galop. 

GuALOus,  galeux. 

Gu.wiBAYER  (se),  se  dégourdir  les  jam- 
bes. 

GUAXDS,  gants. 

GUARD,  garde. 

Gu.uiD  (pont  du),  une  des  belles  anti- 
quités romaines. 

GUARE-SERRE,  sonnerie  pour  avertir  les 
soldats  ou  les  vaisseaux  de  serrer  leurs 
rangs  et  d'être  au  guet. 

GUARGUAREON',  le  gOSiCT. 

GUARGOULLE,  effet  de  l'air  introduit 
dans  l'eau. 

GuARiGUES,  landes,  terres  incultes, 
broussailles. 

GUAROT,  garot,  trait  d'arbalète. 

GuAROU,  sorcier,  sauvage,  féroce. 

GUAKRE,  bigarré,  de  deux  couleurs. 

Gu.\scoiGNE,  Gascogne. 

Gu.-vscox,  Gascon. 

GuASCTOngu-E,  de  Gascon. 

GuAST,  dégât. 

GuASTEURS,  qui  gâtent,  ravagent,  dé- 
truisent :  «  Guasteurs  de  bourgeons.  » 

GuATTE,  hune  du  moj-en  mât. 

GuAVASCHE,  lâche,  sans  cœur. 

GUAVTET,  gosier,  comme  gavion. 

GuAY,  gai. 

GUAYETÉ,  gaieté. 

GUEDOFLE,  GUEDOLTLE,  bouteillc  à  grOS 

ventre;  au  figuré  nigaud,  sot. 
GUESiENTER  (se).  Se  lamenter,  gémir. 
GuENAUX,  gueux  :  t  Guenaux  des  Saincts 

Innocents  »,  mendiants  du  cimetière 

des  Innocents. 
GuEXET  (par  la  dive  oye).  Cette  dtve 

oye  Guenet  est  probablement  celle  qui 

figure  dans  la  légende  de  saint  Guen- 


GLOSSAIRE    ET    NOTES 


liolé.  Une  oie  sauvage  ayant  arraché 
vm  œil  à  sa  sœur  et  l'ayant  avalé,  le 
saint  empoigna  l'animal,  lui  fendit  le 
ventre,  en  retira  l'œil  et  le  remit  à  sa 
place,  t  Aies  nullam  nde  sustulit  in- 
juriam;  illsesus  quasi  a  nuUo  con- 
tactus,  exultans,  superbe  gradiendo, 
extento  coUo  decantans,  adibat  sodos 
aves.  » 

GUERDONNER,  récompenser. 

GuERDONNEtTï,  qui  récompense. 

GUESPIN,  mordant,  piquant. 

Guetteurs  de  che.mtns,  brigands. 

Gueules,  rouge,  dans  la  langue  du  bla- 
son. 

Gueux  (de  l'Hostière),  gueux  deman- 
dant l'aumône  aux  portes  des  églises 
ou  des  hôtels. 

Le  distique  :  •  Ce  noble  gueux,  etc  n, 
(chapitre  xi,  livre  V),  est  imité  de  Jla- 
rot  :  Ëpilre  au  Roi  pour  le  délivrer  de 
prison. 

Guidon,  enseigne,  bannière. 

GuiLDix,  cheval  hongre. 

Guillaume  sans  paour,  héros  des  contes 
populaires. 

GUILLEMIN  BAILLE  MY  MA  LANCE,  jeU  OÙ 

l'im  des  joueurs  armé  d'une  lance 
comme  un  chevaher,  est  à  cheval  svu: 
le  dos  d'un  autre. 
GxTiLLOT,  hôtelier  d'Amiens.  Le  cabaret 
de  Guillot  à  Amiens  était  renommé. 
Voici  comment  Jean  de  La  Bruyère 
Champier  en  parle  au  chapitre  i"  de 
son  hvre  De  re  cibaria  ;  e  Nous  avons 
connu  de  nos  jours  à  Amiens  dans  la 
Gaule  Belgique,  Ma  tavemier  (popi- 
nariutn)  nommé  GuilIaiune  et  \iilgai- 
rement  Guillot,  qui  savoit  préparer  à 
la  minute  des  repas  composés  des  mor- 
ceaux les  plus  exquis  et  les  plus  rares 
en  volaille,  viande,  poisson,  gibier, 
repas  dignes  d'être  servis  sur  la  table 
des  rois.  Il  a,  sans  conteste,  mérité 
la  palme  entre  tous  les  tavemiers  de 
France.  » 


465 


Guillot  le  songeur  (être'logé  chez),  lo- 
cution proverbiale,  c'est-à-dire  rêver, 
se  bercer  de  chimères. 

Guilverdon,  pour  galverdinc. 

GuiLMAUX,  prés  que  l'on  fauche  deux 
fois  l'an. 

GuiMPLE,  guimpe,  fichu. 

GuTNDER  (se),  monter,  s'élever. 

GuiNGUOYS,  qui  a  l'esprit  de  travers. 

GuiNTERNE,  GL^TERNE,  guitare. 

GuisARME,  GuizARME,  hachc  à  deux 
tranchants. 

Gliiene,  cordage  de  navire. 

GuoBELiN,  célèbre  teinturier,  qui  a 
donné  son  nom  à  l'établissement  des 
GobeUns. 

Guodebu-laux,  tripes  de  bœuf. 

Guodelureau,  galantin. 

GuoDELURÉE,  courtisée,  muguetéc,  etc 

Guodepie,  poisson. 

GuoGUE,  boyau. 

GuoLGOTZ  Rays,  peut-être  Dragus 
Rays,  amiral  turc  de  ce  temps-là. 

GuoRET,  jeune  porc. 

GuoRRE  (GRANDE),  grande  truie.  Le  peu- 
ple de  Paris  appela  Isabelle  de  Ba- 
vière la  Grand'Oore. 

Guoubelet,  gobelet  :  a  Retraict  du  guou- 
belet,  »  endroit  où  l'on  se  retire  pour 
boire. 

GuoLTRNE.\u,  poisson  de  mer. 

GuoYON,  poisson  de  mer. 

GuoYTROU,  GoiTRou,  goîtreux. 

Guy  DE  Flandre,  plâtre  très  fin  dont 
on  se  servait  en  Flandre. 

GuYERCHAROis  (le  Seigneur  de),  de  La 
Guierche  ou  de  La  Guerche,  seigneu- 
rie à  dix  lieues  de  Tours. 

GuYNETTE,  jeime  poule  de  Guinée. 

Gyrine.  —  Voyez  la  Bricfve  Déclara- 
tion. 

Gyrognomonique.  —  Voyez  Circum- 
bilivaignation. 

Gyromantie,  divination  qui  se  fait  au 
moyen  de  cercles. 


H 


Ha,  a  :  «  Qui  ha,  si  parle  !  »  Que  celui  qui 

a  quelque  chose  à  dire  parle  ! 
Ha  (y),  il  y  a. 
Haan,  hahan,  ahan,  fatigue  :  t  Suer  de 

haan. » 
Habaliné,   fâché,   consterné    :    distem- 

pered,  dit  Cotgrave. 
HABn.KR  (se),  s'habiller. 

T.    II. 


Habiliter,  rendre  habile,  apte. 

Habit  ne  faict  point  le  moine;  locution 
proverbiale. 

Hacquebute,  arquebuse. 

Hacql'ebuter,  tirer  l'arquebuse  ou 
comme  une  arquebuse. 

Hacquebutier,  harquebousibr,  ar- 
quebusier. 


460 


GLOSSAIRE    ET    NOTES 


Hacquelebac,  nom  d'un  géant. 

Hjîmorrutes,  hémorroïdes. 

Hjereditant,  héritant. 

Hag.vrene,  arabe. 

Haie,  h.aye,  danse. 

Haims,  hameçons,  crochets. 

Haire,  hère  :  «  Pauvre  liairc.  » 

Haire,  membre  :  «  Mou  pauvre  haire 

esmoucheté.  » 
Haire,  jeune  cerf  d'un  an  :  «  Tels  jeunes 
haires  esmouchetés  »,  tels  jemies  cerfs 
piqués  par  les  mouches. 
Haires,   Havres,  mistres  :   o  I<esquels 

leur  faisoient  mille  hayres.  » 
Hait,  Hayt,  bonne  humeur,  disposition 
allègre    :    «   De   bon   hayt  »,   de  bon 
cœur. 
Haiter,  hayter,  plaire,  réjouir,  agréer. 
Haitié,  haytié,  allègre,  joyeux. 
Halcret,  corselet  en  fer  battu  :   «  Non 
et  un  halcret  pour  non  durabit    (dur 
habit)  ».  Rébus. 
Haie  !  prends,  happe. 
Haleiner,  respirer. 

Halleboter,    H.\i,LEBorTER,    grappil- 
ler :  t  N'y  aura  que  halleboter.  » 
Hallebran,  halbran,  canard  sauvage. 
Hallebrené,     conchié,     malheureux, 

échiné. 
Halotz,  le  cercle  lumineux  qui  se  forme 
quelquefois  autour  de  la  Urne  et  qui 
pronostique  la  pluie. 
Hamadryades,  nymphes  des  bois. 
H.\messon,  hameçon. 
Hammon  (corne  de),  déaite  par  Rabelais 

au  chapitre  xrv  du  livre  III. 
Hanat,  han'^vp,  coupe,  vase  à  boire. 
Ha^'dons,  sorte  de  reptiles,  d'après  Pline. 
Hanebame,  jusquaime. 
Hamcroche,   longue  pique  au  fer  re- 
courbé dont  on  se  servait  pour  tirer 
les  cavaliers  à  bas  de  leurs  chevaux. 
Hanicrochement,    dérivé    du    précé- 
dent :  accroc,  contrariété,  empêche- 
ment. 
HANNETO>fièios,    magasin    aux    haime- 

tons. 
HANNfEERS,  habitants  du  Hainaut. 
Hans  Carvel.  Le  conte  de  l'Anneau  de 
Hans  Car%-el  se   trouve  dans   Pogge, 
dans  l'Arioste,  il  a  été  popularisé  chez 
nous  par  La  Fontaine. 
Hapelopiks,  qui  happent  les  morceaux; 
gueux  et  quêteurs  de  franches  repues. 
Happelooude,  bourde,  tromperie. 
Happemousche,  nom  d'un  géant. 
H.\ppESOn>PE,  cuiller. 
Haquenées,   chevaux  harnachés  pour 

dames. 
Harak,    hareng;    earan    saxjret,    ha- 
reng saur  :  «  Brûlés  tout  vifs  comme 
haratis  soretz.  > 


Haranier,  mangeur  de  liarengs,  qoî 
vit  de  harengs. 

Harborins,  pensées;  mot  hébreu. 

Hardeau,  gars,  jeune  garçon. 

IlARiiEXES,  reptiles. 

Harnois,  équipement,  armure. 

Harnoys  (de  gueulles),  victuailles,  pro- 
visions de  bouche. 

Harpaix-LEUR,  voleur,  brigand. 

Harpocras,  dieu  du  silence. 

Harpy.acque,  de  harpie. 

Harquebousier,  harquebouzier,  ar- 
quebusier. 

Harry  bourriquet,  en  avant,  bour- 
rique !  cri  pour  inciter  les  ânes  à  mar- 
cher. 

Hart,  licol,  pendaison  :  •  Sur  peine  de  la 
hart.  » 

Hascher,  hacher. 

Haste  !  dépêchons  ! 

Hastellier,  atelier. 

HASTEREAfx,  foies  dc  vol;  lies  coupés 
par  rouelles  et  enfilés  dans  des  bro- 
chettes nommées  hâter ets. 

Hastille,  boudin,  andouille. 

Hasti\tîment,  hâtivement. 

Hastiveté,     hàtiveté,     promptitude, 
adresse  à  éviter. 

Haubelox,  kobelon,  houblon. 

Haubergeon,  H-Aitsert,  cotte  de  mailles 
descendant  jusqu'aux  genoux.        t* 

Haulser  i£  temps,  laisser  le  temps 
redevenir  favorable,  l'aider  à  passer. 
Cette  expression  est  dans  Brantôme, 
Naude,  etc. 

Hault  du  jour,  milieu  du  jour. 

Hault  appareil  (ai-mé  à),  armé  de 
toutes  pièces  et  d'une  puissante  ar- 
mure. 

Hault  de  chausses.  —  Voyez  Chausses. 

Hault  dommaine,  le  ciel. 

Haultechaussade,  nom  comique  in- 
venté par  Rabelais.  —  Voyez  Expo- 
nibles. 

Hauxte  dance,  danse  avec  des  grands 
sauts  et  gambades,  comme  la  danse 
des  baladins  de  professions. 

Haulte  fustaye  (livres  de),  comme  on 
dit  :  bois  de  haute  futaye. 

Haulte  gajde,  ton  élevé. 

Haultelissier,  faiseur  de  tapisserie  de 
haute  lisse. 

Haultz  bonxetz,  coiffure  du  temps  de 
Louis  XI. 

Haulx  boys  (jouer  des),  abattre  les 
grands  arbres. 

Ha  VET,  croc,  crodiet. 

Hay,  HAYE,  exclamation. 

Haye,  ilme,  danse. 

Haymok  (les  gestes  des  quatre  filz), 
conte  populaire  remontant  aux  poèmes 
du  cycle  carolingien. 


GLOSSAIRE    ET    NOTES 


4'' 7 


Hayt,  voir  IIAIT. 

Hasardeux,  téméraire. 

IlAZARS,  hasards. 

HebdoM-\de,  semaine. 

Hebetation,  hébétement,  abrutisse- 
ment. 

Hebrard.  —  Voyez  Grccisme. 

Hebrieu,  hébreu. 

Hectique  (fièvre),  fièvre  continuelle, 
consomption. 

Hegroxxe.\u,  héronneau. 

Helepolide,  machine  de  guerre  em- 
ployée par  les  aaciens  à  la  prise  des 

_  villes. 

Hellé,  Hdlé  et  Phrix,  enfants  d'Atha- 
mas,  roi  de  Thèbes,  transportés  en 
Codiilde  par  le  bélier  à  la  toison  d'or. 

nEJilCR.AlXE,  mal  de  tète  qui  n'affecte 
que  la  moitié  de  la  tête,  migraine. 

liEMioLE,  nombre  qui  contient  un  autre 
nombre  (pair),  plus  la  moitié  de  ce 
dernier  nombre,  comme  six  à  l'égard 
de  quatre.  De  l'hémiole  naît  le  rap- 
port de  la  consonnance  dite  diapente 
ou  quinte. 

Hemip.\xs,  comme  .Egipans. 

Henilles,  contes  de  vieilles  femmes, 
suivant  de  l'Aulnay. 

Henry  de  Valois,  Henri  II,  roi  de 
France. 

Heous,  un  des  chevaux  du  Soleil. 

Heouse,  houx;  arbrisseau. 

Hept.\phon-e,  se  dit  d'un  pieu,  d'im 
écho,  qui  répète  sept  fois  le  son. 

Her,  monsieur  :  «  Her  der  Tyflet  »,  mon- 
sieur le  diable,  en  allemand.  Rabelais 
emploie  le  pluriel  hers,  dans  les  Fan- 
freluches antidotées. 

Heracledes  Poxiicq,  Héradide  de 
Pont,  philosophe,  historien  et  astro- 
nome grec. 

Heraclite,  Heraclyte,  Heraclitus, 
philosophe  grec,  qui  vécut  au  vi"  siècle 
avant  Jésus-Christ. 

Heraclitizer.  faire  comme  le  philoso- 
phe Heraclite,  c'est-à-dire  pleurer. 

HERB..\LrLT,  chien  hargneux.  Rabelais 
joue  sur  ce  mot  et  sur  le  nom  de  Ga- 
briel de  Puits-Herbaut,  qui  l'avait 
vivement  attaqué.  —  Voyez  la  Vie  de 
Rabelais. 

Herbe  au  charpentier,  plante  vulné- 
raire. 

Herber  (s'),  s'étendre  sur  l'herbe. 

Herberger,  héberger,  loger  :  «  Soy  her- 
berger  sous  des  salades  ». 

Herbier,  herboriste. 

Herclt-es  G.4ULLOYS.  —  Voycz  la 
Briefve  Déclaration. 

HERCULLiiœ,  herculéeime,  d'Hercule. 

Herexicojietra,  mesurant,  jaugeant  les 
hérétiques;  qualification  que  Rabelais 


donne  à  J.  Hocstraten,  fougueux  do- 
minicain de  Cologne. 

Hergneux,  hargneux,  agressif. 

Heri.ssonné,  qui  a  le  poil  hérissé. 

Herm,  île  entre  la  Bretagne  et  l'Angle- 
terre. 

Hermès  Trismegiste,  dieu  égyptien 
auquel  on  attribuait  des  livres  sacrés. 
Quelques  fragments  apocryphes  sont 
restés  sous  ce  nom. 

Hermitesse,  féminin  d'hermite:  dont 
Rabelais  emploie  également  le  dimi- 
nutif hermitillon. 

Hermodactyxes,  plante  dont  le  nom 
signifie  doigts  de  Mercure. 

Herjiolaus.  —  Voyez  Barbarus. 

Heroes,  héros. 

Heron-nière  (aiisse),  cuisse  de  héron, 
c'est-à-dire  longue,  sèche  et  maigre. 

Herpe,  harpe. 

Herselé,  harcelé. 

Hersoir,  hier  au  soir. 

Her  Trippa.  Dans  ce  personnage,  Rabe- 
lais paraît  avoir  eu  en  vue  Cornélius 
Agrippa,  auteur  de  li\Tes  de  Occulta 
P/iihsophia  et  de  Vanitate  scientia- 
rum. 

Hervé,  le  nocher  breton.  —  Voyez  Ger' 
main  de  Brie. 

Hesdin.  ville  de  l'Artois. 

Hespagne,  Hespaigke,  Hespane,  Es- 
pagne. 

Hespaigxolz,  Espagnols. 

Hespaillier,  rameur. 

Hesp.\îjolz,  chiens  épagueuls. 

Hesperxdes  (jardin  des),  gardé  par  xm 
dragon  que  tua  Hercule  pour  y  enlever 
les  pommes  d'or. 

Hespérie,  nom  d'une  tour  de  Thélème; 
occidentale. 

Hespercs  étoile  du  soir. 

Heur,  chance,  bonheiu:. 

Heurt,  choc. 

Heu-rteur,  musicien  du  temps  de  Rabe- 
lais. 

Hibernal,  d'hiver. 

Hiberxe,  hiver. 

Hteracla,  plante. 

HiÈRES  (îles),  anciennement  dites  Stœ- 
chades. 

HiERUSALEM,  Jérusalem. 

HiLiQL-E,   propice,   favorable;    du  grec 

iÀ£OÇ. 

HiLLOT,   fillot,   garçon,   en   gascon.  — 

Voyez  Graiianauld. 
Hbiantopodes,  peui)Ie  à  jambes  torses 

que  Pline  place  en  Ethiopie. 
HiPPES,  Hippone. 

HrppiATRiE,  médecine  des  chevatix. 
HiPPOCRAS,   hypocras,   boisson. 
HippoTKADÉB,  composé  de  hippos,  cHc- 


468 


GLOSSAIRE    ET    NOTES 


'■  val,   et   Thadée,   apôtre.    Hippos   est 

'  quelquefois  un  simple  augmentatif, 
comme  le  remarque  l'auteur  de  Y  Al- 
phabet de  l'auteur  françois. 

HiPPURis.  prelle,  plante  qui  ressemble  à 
une  queue  de  cheval,  dit  Rabelais. 

HiRCAiCE  (mer),  partie  sud  de  la  mer  Cas- 
pienne. 

ttœcAîncQUE,  d'Hircanie. 

HiRC.\xiE,  contrée  de  l'ancienne  Asie, 
sur  la  côte  sud-est  de  la  mer  Caspienne. 

HOBELON,  houblon. 

HOBIK,  allure  du  cheval  écossais. 

HOBRETHZ,  musicien  du  temps  de  Ra- 
belais. 

Hocher,  secouer,  remuer. 

HOCQUETOX,  cotte  d'armes,  timique. 

HoGuiXE,  cuissard,  jambard. 

Hoirs,  héritiers. 

HoLOS  !  hélas  ! 

HoLOSTEON,  plante  dont  le  nom  signifie 
tout  d'os,  par  antiphrase,  car  elle  est 
très  fragile  et  très  tendre. 

HOMELAICTE,  Omelette. 

HOMMEFLEUR,  Honflcur. 

HOMMET  (bon),  bonhomme,  petit  bon- 
homme. 

HoMOX"Y3iiES,  similitudes  de  noms  et  de 
mots,  calembours  :  peine  (chagrin)  et 
penne  (plume),  etc. 

Hondrespoxdres,  Allemands,  ceux  qui 
pèsent  cent  li\Tes. 

Honneurs,  terme  du  jeu  de  cartes  dési- 
gnant les  figures;  peut-être,  au  temps 
de  Rabelais,  nom  d'un  jeu  spécial. 

HoRCHE.  —  Voyez  Orche. 

HoRD,  HORDE,  Sale,  malpropre. 

HoRDOus,  même  sens.  Rabelais  fait  de 
ce  mot  im  nom  propre  pour  désignei 
im  cuisinier. 

Horologe,  horloge;  horologiers,  horlo- 
gers. 

Hors.  Au  chapitre  xxvm  du  livre  V,  à 
cette  demande  de  Panurge  :  «  Quels 
sont  ils  volontiers  (leurs  souliers)  »? 
le  Fredon  répond  :  «  Hors  ».  C'est  une 
correction.  Il  y  a  dans  le  texte  ords  ou 
kords,  malpropres,  ce  qui  ne  peut  s'ex- 
pliquer. Nous  entendons  et  nous  avons 
écrit  hors,  c'est-à-dire  hors  des  pieds, 
de  sorte  que  pieds  nus  «  elles  marchent 
en  place  vitement  ».  De  l'Aulnay  a 
proposé  la  correction  orbz,  qu'il  tra- 
duit :  ronds,  mais  orbz  veut  dire  aveu- 
gles. Cela  ne  répond  pas,  d'ailleurs,  à 
l'interrogation  :  «  Quels  sont  ils  volon- 
tiers »?  ni  à  la  suite  :  «  Ainsi  marchent 
en  place?  —  Tost  ». 
Hors  (de  là  en),  dorénavant. 
Hors  mis,  sans  compter. 
Hortolan,  ortolan. 
Hoschepot,  cuisinier  de  Grandgousier. 


HosCHEPOT,  mélange  de  plusieurs  viatl* 

des  cuites  ensemble. 
Hospitalière,  tenant  tin  hôpital. 
HosTARDE,  outarde. 
HosTE,  HousTE,  hôte  :  «  Corps,  hoste  de 

l'esprit.  » 
HosTEL,  maison. 

HosTLURE,  nosTiÈRE.  —  Voyez  Gueux. 
HosTiATEMENT,  de  porte  en  porte. 
Hostie,  port  à  l'embouchure  du  Tibre. 
HoTTÉES,  hottes  pleines  :  «  Trente  mille 

hottées  de  diables.  • 
HocLTAiGE,  otage. 
HofRD,  HOtJRT,  comme  heurt. 
HofSEAUX,  HOU  ZE AUX,  bottcs,  bottines. 
HousÉ,  botté,  chaussé,  caparaçonné. 

HOUSSEPAILLIER,HOUSSEP.\ILLEUR, souil- 
lon, marmiton,  comme  qui  dirait  : 
Housé  (botté)  de  paille. 

HousT,  houx,  arbrisseau. 

HOUSTAGE,  HOUSTAIGER,  otage. 

HousTER,  ôter,  prendre. 
HouSTiL,  outil. 

HuGREMEXT,  aigrement,  rudement,  vi- 
goureusement. 
HuiLLiER,  fabricant  d'huile. 
Humanité  :  «  Lettres  de  humanité  », 

les  humanités. 
HujLVNiTÉ  :  t  Nos  humanités  »,  nos  per- 
sonnes, comme  nos  palernitcs.  Dans  le 

même  sens  :  «  Ma  petite  humanité  », 

mon  petit  individu. 
Humer,  boire. 
HujiERiE,  action  de  humer  :  «  A  la  hume- 

rie  »,  buvons  ! 
HuMEUx,  humeur,  buveur. 
HuMEVESNE  (M.  de),  nom  comique,  forgé 

par  Rabelais  et  dont  le  sens  n'a  pas 

besoin  d'être  expliqué. 
HuoN"  DE  LA  BouRDEAXJLX,  personnage 

des    poèmes    du    cycle     carolingien, 

resté  populaire. 
HtTPE  DE  FROC  !  houppe  de  froc. 
HuRLUBURLU  (saint),  nom  inventé  par 

Rabelais. 
HuRTALY,  géant  dont  Rabelais  explique 

le  rôle  pendant  le  déluge. 
HuRTE,  choc,  coup. 
HuRTER,  heurter. 
Hl-rtis,  hurtys,  comme  heurt,   hourl. 

hurfe,    formes    diverses    d'un    même 

mot. 
HuscHE,  huche. 
HuscHER,  crier,  appeler  :  t  Huscher  en 

paulme  »,  crier,  appeler  en  se  faisant 

un  porte-voix  de  la  main. 
HuTAUDEAU,  chapon  gras. 
Hu^-,  aujourd'hui. 
HuYS,  porte. 
Hybernie,  Irlande. 
HyBOU,  Gargantua  jouait  t  au  hybou  »  ; 

on  ne  sait  en  quoi  consistait  ce  jeu. 


GLOSSAIRE    ET    NOTES 


469 


peut-être  simplement  à  imiter  le  cri  de 
cet  oiseau. 

Hydrargyre,  argent  liquide,  vif-argent, 
mercure. 

Hydrie,  cruche,  vase. 

HYDROM-iNTiE,  divination  par  l'eau. 

HvMETL-iN,  du  mont  Hymette  :  «  Miel 
hymétian  ». 

HvMNiDES,  nymphes;  peut-être  il  faut 
lire  Limtiides,  nymphes  des  étangs. 

Hyos  CYAJIE,  plante. 

Hypenemiex,  plein  de  vent. 

H^TERDCLiE,  culte  au-des3us  d'un  autre. 

Hypern-epheliste,  qui  s'élève  au-des- 
sus des  nues  parses  spéculations. 


Hypocritesse,  féminin  d'hypocrite. 

Hypocriticque,  hypocrite. 

Hvpocriticquemen't,  hjrpocritement. 

HYPOCRlTrLi,ON,  diminutif  d'hypocri- 
tique  ou  hypocrite. 

Hypogée,  lieu  souterrain. 

HypoPHETii,  qui  parle  des  choses  passées 
comme  les  prophètes  des  choses  fu- 
tures. 

Hyposargue,  hydropique. 

Hypost.\se,  ou  plus  régulièrement 
hy posthathme ,  sédiment  de  l'urine. 

Hyrondelle,  hirondelle. 

Hy^tiogne,  ivrogne. 


I.\MBIQUE,  danse  ancienne. 

LwtBus.  Rabelais  joue  sur  iambus,  pied 
de  vers,  et  sur  le  mot  jambe. 

ip.iCE,  bouc  sauvage. 

Ibide,  ibis,  oiseau  d'Égj'pte. 

IcvROiiExiPPE ,  surnom  domié  par  Lu- 
cien au  philosophe  Ménippe,  qui  avait 
voulu  se  faire  des  ailes  comme  Icare. 

Ic.\RUS,  Icare,  fils  de  Dédale,  qui  se  fit 
des  ailes  artificielles,  et  se  noya  dans 
la  mer  de  Crête. 

ICELLE,  cette,  celle-là. 

ICELON,  ministre  ou  enfant  du  Som- 
meil. 

Iceluy,  ce,  celui-là. 

ICHXEUJION,  sorte  de  rat  d'eau  détrui- 
sant les  œufs  de  crocodile  et  adoré  chez 
les  Égyptiens. 

ICHTiTi  o.M-VN'TiE,  divination  au  moyen 
des  poissons. 

IcHTHYOPHAGE,  qui  sc  Hourrit  de  pois- 
sons. 

ICLES,  sorte  de  reptiles. 

IcosiMYXE,  à  vingt  mèches,  en  parlant 
d'une  lampe. 

ID.\,  IDE,  mont  Ida  en  Phrygie. 

IDEUX,  hideux. 

Idiot,  simple,  sans  artifice. 

Idoine,  propre,  bien  disposé,  capable. 

IGNAVE,  lâche,  paresseux,  sans  cœur. 

iLiciNES,  sorte  de  reptiles  mentionnés 
par  Pline. 

ILLECQUES,  là. 

ILLUCESCER,  luirc,  briller. 

IMBÉCILLE,  faible,  impuissant. 

iMBÉciLLixÉ,  faiblesse,  inertie,  impuis- 
sance. 

Immutation,  changement,  mutation, 
altération, 


Imp.\r,  impare,  impar. 

IMPENDENT,  imminent,  qui  est  sur  le 
point  d'arriver. 

IMPERF.A.ICT,  imparfait. 

Imperit,  inhabile,  ignorant. 

Imperméable,  où  l'on  ne  parvient  pas, 
inaccessible. 

Impertinence,  inaptitude,  empêche- 
ment. 

IMPETRER,  obtenir. 

Imposer,  placer  dessus. 

Impossible,  substantif;  chose  impos- 
sible, l'impoKible. 

Impotence  impuissance. 

Impotent,  impuissant  «  au  devoir  du 
mariage  ». 

IMPREOABLE,  inappréciable. 

Impression  {l'.\rt  d'),  l'imprimerie. 

IMPROPERE,  reproche,  honte,  chagrin. 

Impudentement,    impudemment. 

iN.^RiiiE,  île  où  Typhée  fut  foudroyé 
par  Jupiter. 

lNCAGL'ER,conchier,embrener;  au  figuré, 
narguer,  braver. 

INCAUTEJIENT,  imprudemment,  sans 
réflexion. 

INCENTRICQUER,  placcT  au  Centre. 

INCE.STE,  désignant  le  commerce  entre  un 
religieux  et  ime  religieuse. 

Inceste,  souUlé. 

Inciser,  couper. 

iNcisuRE,  incision,  coupure. 

Inciter,  exciter. 

INCLITE,  iNCLYTE,  Célèbre,  illustre. 

Incommoder  a,  être  nuisible,  perni- 
cieux à. 

Incongru,  inconvenant. 

INCONSOMPTIBLE,   INCONStrMPTIBLE,    qui 

ne  se  consume  point. 


470 


GLOSSAIUE    ET    NOTES 


lNCORNiPiSTiBiTi,BR.  Introduire,  faire 
entrer,  mot  forgé  par  Rableais. 

INCRÉABLE,  incroyable. 

INCREDIBLE,  incroyable. 

iNCUi.Qi'ER,  insinuer,  faire  pénétrer. 

INDAGUER.  chercher,  recherdier;  d'où 
l'adjectif  indague,  maniéré,  recherché, 
subtil. 

INDE  (POULLES  DE),  dlndes. 

Indemne,  sans  perte,  sans  dommage, 
indemne. 

INDIAN,  INDIAME,  Indien. 

iNDic,  IXDICQUE,  indien,  de  l'Inde  : 
«  Noix  indicques  ». 

Indic:e  (doigt),  index. 

INDIE,  Inde. 

Indiferentement,   indifféremment. 

INDITION,  indiction. 

iNDmDUAL,  individuel,  propre  à  l'indi- 
vidu, à  l'objet  :  «  Propriété  indivi- 
duale.  » 

INDULT,  bref  pontifical,  concession  et 
faveur  du  pape. 

Inepte,  inapte  :  t  Inepte  à  tous  offi- 
ces ». 

Inertes  (maistres),  parodie  de  «  maî- 
tres es  arts  ». 

iNEXPUisiBLE,  inépuisable. 

INFALIBLE,  infaillible. 

Infauste,  malheureux;  infaustissime, 
très  malheureux. 

IXFEcn'iON,  peste,  contagion. 

INFELICITÉ,  malheur. 

INFERER,  conclure. 

INFINABLE,  qui  n'a  point  de  fin. 

INFLECTIBLE,  inflexible. 

lNFOLL\TURE,  incTustation  qui  souvent 
représente  des  feuilles. 

iNTR-^crriONS ,  ruptures,  déchirures  : 
«  Infractions  des  flambantes  nuées.  » 

INFRINGIBLE,  qu'on  ne  peut  rompre, 
briser. 

IXHIBER,  défendre. 

INIAN,  hihan,  imitation  du  cn^i  de  l'âne 

INIGO  (Fr,\y).  On  doit  que  Rabelais  a 
voulu  désigner  Ignace  de  Loyola,  alors 
à  Paris  avec  ses  compagnons,  et  qui 
fit  ses  vœux  à  Montmartre,  en  1535. 

Inimic:e,  ennemi. 

IN-NOCENT,  pâtissier  de  Chinon. 

Innocenter,  Jadis,  le  jour  des  Inno- 
cents, lorsqu'on  pouvait  surprendre  les 
jeunes  filles  au  lit,  on  se  permettait  de 
leur  donner  des  claques  sur  les  fesses, 
et  l'on  appelait  cela  les  innocen- 
ter. 

lONiCQUE,  d'Ionie. 

lo  PÉAN  !  cri  en  l'honneur  du  dieu  Pan, 
cri  de  fête  chez  les  anciens. 

iKQt-TNAMENS,  souUlure,  crrdiu-e. 

INS.AIL,  gouvernail  d'im  vaisseau. 

INSCULPÉ,  taillé,  buriné,  sculpté  dans. 


INSE,  Uinse;  terme  de  la  marine  proven- 
çale par  lequel  on  commande  de  hisser 
les  voiles. 

Insigne,  enseigne,  signe,  emblème. 

Insinuer,  inscrire  :  «  Je  t'insinue  ma 
nomination  en  mon  tour  »,  c'est-à-dire 
je  me  mets  en  mesure  de  profiter  de 
mon  droit,  quand  viaidra  mon  tour. 
—  Allusion  à  la  loi  bénéficiale  :  «  Les 
gradués  qui  auront  omis  d'in.=inuer... 
seront  privés  de  accepter  ou  acquitter 
les  bénéfices  qui  vaqueront  esdites 
années  qu'ils  n'auront  insinué  ». 
(Louis  XII,  Lyon,  1510.)  L'insinuation 
était  ime  inscription  sur  des  registres 
publics,  comme  est  aujourd'hui  l'ins- 
cription hypothécaire. 

iNSOLrBtLLi,  problèmes  insolubles. 

INSPIRER,  aspirer  l'air. 

Instable,  installé. 

Instant,  pressant,  se  pressant  :  «  Ins-  ' 
tant  à  f'estude  »,  plein  de  zèle  pour 
l'étude. 

INSTANTEMENT,  d'une  manière  pressante 
et  active  :  «  Soi  instantement  exercer 
et  travailler  ». 

iNSTAtTRATEUR,  qui  rétablit. 

INST.AURER,  restaurer,  rétablir. 

Instituer,  instruire. 

INSTITUTE,  les  Institutes  de  Justinien. 

INSTROPHIÉ,  ceint,  couronné. 

INSTRCER,  instruire. 

INSTRLIIENT,  équipage,  attirail. 

INSCPERABLE,  insurmontable,  invin- 
cible, qu'on  ne  peut  surpasser. 

INTE5IPERÉ,  mal  tempéré  :  «  Air  intem- 
peré  et  pluvieux  ». 

INTEMPERIE,  mauvais  temps. 

iNTENDicn-,  ancien  terme  de  droit,  acte 
par  lequel  le  demandeur  déclarait  son 
intention  de  fonder  son  droit  sur  telle 
ou  telle  loi. 

INTENTEMENT,  attentivement  :  «  Regar- 
dant intentement.  « 

Intension,  tension,  contention,  atten- 
tion. 

INTERBASTÉ,  piqué,  contrepointc. 

iNTERavLARE.  intercalaire.  —  Voyez  la 
Briiii-c  Déclaration. 

INTEREST,  dommage,  préjudice,  risque  : 
«  Pour  l'interest  qu'il  y  pourroit  pré- 
tendre, a 

INTERINER,  achcveT,  parfaire,  mettre  la 
dernière  main. 

INTERLINÉARE,  interlinéaire. 

INIERMINATION,  peine  assignée  et  déter- 
minée par  la  loi. 

Interminé,  assigné,  déterminé. 

INTERMISSION,  interruption,  disconti- 
nuation. 

INTERNITION.  meurtre,  carnage. 

INTERPOLL.4TION,   intcrcalation. 


GLOSSAIRE    ET    NOTES 


471 


INTERROGUER,  înterroger  :  s'interro«uer, 

s'informer. 
Intestin,  intestine,  intérieur,  interne 
INTRADE  (d'),  d'emblée. 
INTRANS,  ceux  qui  étaient  élus  par  les 

Facultés  et  les  Nations  pour  choisir  le 

recteur  de  l'Université. 
INTRICQI'É,  embrouillé,  empêtre. 
INTRONIFICQUÉ,    introduit;    mot    forgé 

par  Rabelais. 
Inventé,     trouvé,     découvert. 
Invention  Sainte-Croix.  —  Voyez  au 

mot  Croix. 
In\'entoire.    inventaire. 
INVENTORIZANT,    inventoriant. 
Inviser,  visiter,  aller  voir. 
lo,  je,  moi. 
Ire,     colère. 
IRRIGU,   arrosé,   irrigué. 
IRRISION  (en),  ironiquement,  en  dérision, 
Irrorer.    arroser,    asperger. 
IscHL\TiQUE,  goutte  sciatique. 
ISCHIES,  hanches. 
IsiACES,  IsLA.CQrES,  prêtres  d'Isis. 
ISLE  Bouc.\RD  (1"),  île  de  a  Vienne,  près 

Chinon. 


ISLE  S0NN.\NTE,  allégorie  de  l'Église 
romaine. 

Issir,  sortir. 

Isthme,  l'entrée  du  gosier. 

ITA,  ainsi. 

Itales,  Italiens. 

iTAUCQt-E,  d'Italie. 

ITHYBOLE,  homme  droit,  qui  n'est  ni 
tortu  ni  bossu  ;  nom  d'un  des  capitai- 
nes de  Gargantua. 

ITHY.MBON,  saltation  laconique  en  l'hon- 
neur de  Bacchus. 

ITYPHALLE,  phalIus  droit,  attribut  de 
Priape.  Il  y  avait  des  prêtres  ainsi 
nommés  et  des  danses  ithyphalH- 
ques. 

ITIEULX,  iTEUx,  tels.  Au  chapitre  iv  du 
V*  livre  :  Tropdiiieux  ou  Trop  d'itieux 
veut  dire  :  trop  de  tels,  sous-entendu  : 
enfants.  —  Tropditeux,  ou  Trop 
d'ileiix,  c'est-à-dire  gens  dont  il  y  a 
de  trop,  est  une  des  injures  que  les 
fouaciers  de  I<emé  adressent  aux  ber- 
gers de  Gargantua. 

lYNGE,  philtre,  breuvage,  inspirant 
l'amour. 


JA,  déjà. 

JAC,  danse. 

JACQVEM.^RT,  heurtoir,  marteau  d'hor- 
loge. 

Jacques  Bonshoms,  c'était  le  nom 
donné  aux  paysans. 

JACTURE,  perte,  dommage. 

J.\D.\u,  JADEAU,  écuelle,  jatte  :  «  Jadeau 
de  vergue  »,  écuelle  de  bois  d'aune,  bois 
rougeàtre. 

J.\LLET  (ARC  A),  petite  arbalète  qui  ser- 
vait à  lancer  des  balles  de  moyennes 
grosseurs,  dites  jallets  ou  gallds. 

JAMBONIQUE,  de  jambon. 

jAMBONî.'iER,  autre  adjectif  formé  du 
mot  jambon  :  «  Commandeur  jambon- 
nier  ». 

JAN,  cocu  :  «  le  Jan  en  vault  deux  ».  Au 
jeu  de  lourche  et  du  trictrac,  le  grand 
Jan  ou  le  petit  Jan  valaient  deux 
points. 

JANEQUIN,  musicien  du  temps  de  Rabe- 
lais. 

J.'VNGLEL'R,  jongleur. 

Janspill'hooies,  pour  gentilshommes. 

JAPHES,  Jaifa,  port  de  Syrie  sur  la  Médi- 
terranée. 

JARBE,  gerbe. 


JARD,  oie  mâle. 

Jargonner,  parler  comme  les  enfants. 

J.ARGONNOYS,  jargou. 

JARR.\RIES,  reptiles  mentionnés  par  Pli- 
ne. 

J.\RRETADE,  taillade,  coup  de  taille  des- 
tiné à  couper  le  jarret. 

Jars,  oie  mâle. 

JARTIERS,  jarretières. 

JAU,  coq  :  «  Comme  jau  sur  breze.  » 

Javart,  chancre  ou  apostéme  particu- 
lier au  cheval. 

jAZER.wr,  chaîne  d'or  très  déliée. 

Jean  de  Paris,  héros  d'une  légende 
populaire. 

Jean  Jeudy,  pour  désigner  le  phallus. 

JE.\N  LE  JLAXRE  DES  BELGES,  auteur  Con- 
temporain de  Rabelais,  originaire  du 
Hainaut,  1473-1545. 

jE.i^î  LE  Ve.\u,  imbécile,  pleurard. 

Jecabot,  abstraction;  mot  hébreu. 

JECT,  bandelette,  attache  que  l'on  met  à 
la  patte  d'un  oiseau. 

JECTER,  jetter. 

Jectigation,  mouvement  brusque,  re- 
muement convulsif  de  la  tête  ou  des 
épaules. 

JEJUNE,  sec,  aride,  affaibli. 


472 


GLOSSAIRE    ET    NOTES 


J'en  suis,  sorte  de  jeu  de  balle. 

Je  te  pinse  sans  rire,  jeu  qui  consiste  à 
s'efforcer  de  garder  son  sérieux;  le 
premier  qui  rit  est  le  perdant. 

Jeudis  (l.^^  sepmaine  des  trois),  c'est- 
à-dire  une  semaine  impossible,  qui  n'a 
pu  exister.  De  l'Aulnay,  s'est  pour- 
tant chargé  de  la  trouver,  t  C'est,  dit- 
il,  la  première  du  mois  de  janvier  de 
l'année  qui  suit  une  séculaire,  et  qui 
commence  par  un  lundi;  car  alors  il 
y  aura  dans  cette  semaine  le  premier 
jeudi  du  mois,  le  premier  jeudi  de 
l'année  et  le  premier  jeudi  du  siè- 
cle. » 

Jeun,  qui  est  à  jeun. 

Je  vous  prends  sans  verd,  sorte  de 
jeu. 

JOAN  (Seigny),  le  fol,  citadin  de  Paris. 
Iv'anecdote  dont  Rabelais  fait  Seigny 
Joan  le  héros  (chapitre  xxxvil  du 
livre  III)  se  trouve  dans  la  neuvième 
des  Cento  Novelle  antiche. 

JOBELIN,  niais,  nigaud  :  t  Jobelia  Bride  », 
comme  on  dit  :  oison  bridé. 

Jocqueter,  far  l'alto,  prendre  le  déduit. 

JOLLIET,  joli. 

JONCADE,  crème  sucrée,  parfimiée  d'eau 
rose,  et  qu'apparemment  on  servait 
sur  des  joncs. 

Jonchée,  comme  joncade.  Et  aussi  une 
botte,  un  fagot,  de  l'herbe  ou  de  la 
paille  répandue. 

Jonchées  (les),  jeu;  c'est  notre  jeu 
des  jonchets. 

Jongleur,  faiseur  de  tours,  chanteur, 
ménestrel. 

JOSQUIN  DES  Ppjîz,  musidcn  contempo- 
rain de  Rabelais. 

Jou  MOT,  et  moi  motus,  plus  un  mot. 

Jouer  du  serrecropière,  des  cymballes 


et  des  mannequins;  expressions  éro 
tiques. 

Joueur  de  farces,  acteur  comique. 

Joueurs  de  quille  la  (beaux),  c'est 
probablement  le  refrain  d'une  chan- 
son. 

Journée,  bataille. 

JouRSANSPAiN,  mot  composé  facile  à 
entendre. 

Jousseaulme,  personnage  de  la  Farce 
de  Patelin. 

Jouvence  (fontaine  de),  qui  avait  la 
vertu  de  rajeunir  les  vieillards. 

Jouste,  joute,  combat  à  la  lance. 

Jouxte,  auprès,  au  bord  :  «  Jouxte  la 
rivière.  » 

Jovetian,  de  Jupiter. 

Jovial,  qm  appartient  à  Jupiter;  de 
Jovis. 

Joyes  de  MARLiGE  (ueuf).  H  y  en  avait 
quinze,  suivant  un  opuscule  facétieux 
et  satirique  du  xv^  siècle. 

JOYELT,x  DU  ROY  (le),  le  fou,  cclui  qui 
est  chargé  de  divertir  le  roi. 

JUBE,  la  crinière  d'un  lion. 

Juge  vif  et  juge  mort,  l'un  des  jeux 
de  Gargantua;  ce  jeu  est  inconnu. 

Juges  pédanés  sous  l'orme,  juges  am- 
bulants et  sans  siège. 

Jumelles,  les  joues  d'un  pressoir. 

Jupiter  Pierre,  le  pape. 

JuppiN,  Jupiter. 

Jus,  à  bas  :  t  Jlettre  jus  »,  abattre. 

Just,  jus,  le  jus  du  raisin,  par  exemple. 

Justixiaxus,  de  Cagotis  tollendis,  dans 
la  bibliothèque  de  Saint-Victor.  Il  y  a 
ime  loi  de  Justinien  :  de  Caducis  tol- 
lendis. 

JuvENTi  (M.),  Juventius.  —  Voyez 
Pline,  livre  VII,  chapitre  Lm;  et  Va- 
lère  Maxime,   livre  IX,  chapitre  xii. 


K 


Kt./.o^t.'J'.'/Ax.    c'est-à-dire    Malroy, 

comme  traduit  Rabelais. 
Kalendes.  —  Voyez  Calendes. 
Kesudures,   sorte   de  reptiles   d'après 

Pline. 


KniY  (Rabi).  David  Kimchi,  célèbre 
docteur  juif  des  xii«  et  xm*  siè- 
cles. 

Kyne,  chienne;  ce  mot  est  grec. 

Kyrielles,  oraisons,  litanies. 


GLOSSAIRE    ET    NOTES 


473 


I,A  Basmette,  abbaye  près  de  Poitiers, 
où   Rabelais   aurait   fait,    d'après   la 
tradition,  ses  humanités  et  son  novi- 
ciat. 
Labeo    (Antistius),    jurisconsulte    ro- 
main. 
IvABOURÉ,  sillonné,  ouvragé. 
I,ABOUliER,  travailler  :  «  Qui  non  labo- 
rat,  non  manige  ducat.  »  Au  lieu  de 
non  manducat,  ne  mange  pas,  qui  est 
dans  le  proverbe  latin,  Rabelais  dit  : 
«  Xe  manie  ducat.  » 
I<ABOCRErR,  le  bœuf,  qui  laboure;  jeu 
d'enfants  inconnu,  l'im  des  jeux  de 
Gargantua. 
X,.\BouiŒUR  DE  NATURE,  il  cazzo,  discnt 

les  Italiens. 
Laboureux,   laboureurs. 
I<.\CHRYMA   Christi,   larme   du   Christ; 

pour  désigner  im  vin  excellent. 
I<.\  Crau,  pays  de  Provence. 
1,A  Devtnière,  cru  du  Chinonnais,  où 
l'on  récoltait  du  bon  vin  blanc,  et  que 
l'on  croit  avoir  appartenu  au  père  de 
Rabelais. 
I<ADRE,  lépreux  :  «  Ladre  verd.  »  On  dis- 
tinguait, dans  l'ancienne  médecine,  le 
ladre  blanc  et  le  ladre  vert;  le  ladre 
vert   était   plus   hideux,   plus   infect, 
pliis  incurable  que  la  ladre  blanc.  «  Il 
îst,  par  Dieu,  dit  Panurge,  en  parlant 
du  frère  Fredon,ladreverd».Les  ladres 
étaient  réputés  pour  la  chaleur  de  leur 
tempérament. 
Ladrye,  ladrerie,  lèpre. 
La  Paye  Montau,  village  du  Chinonnais. 
Lagona  edatera  (  compagnon  à  boire  ! 
en  basque).  On  doit  écrire  laguna,  du 
moins  c'est  ainsi  que  nous  le  lisons 
dans  les  plus  anciens  textes  basques; 
Yu  se  prononce  différemment,  suivant 
les  dicdectes.  Mais  dans  la  plupart,  et 
ainsi  que  le  dit  Liçarrague  en  tète  de 
son    éiditon    du    Nouveau    Testament 
basque,  u  voyelle  se  prononce  à  pleine 
bouche,  comme  si  c'était  ou. 

Edatera  [ad  bibendum,  à  boire)  est 
le  gérondif  accusatif  du  verbe  edatea, 
boire.  (Larramendi.) 
L.AIAU  TRU;   Gargantiui  jouait  à  laiau 

tru;  jeu  inconnu. 
Laict,  lait. 

Laicter,  teter  :  c  En  la  laictant  »,  en  la 
tétant. 


Latdure,  laideur. 

Lairront,  laisseront. 

Laise,  laize,  lé,  largeur  de  l'étoffe  :  t  A 
la  grande  laise  »,  à  la  grande  mesure: 
t  Six  arpens  de  pré  à  la  grande  laize  ». 

Laisse,  fiente  du  sanglier. 

Lamie,  sorcière;  ces  sorcières,  suivant 
Plutarque,  étaient  leurs  yeux,  comme 
on  ôte  des  limettes,  quand  elles  ren- 
traient chez  elles. 

L-'^AUNE,  sorte  de  corset  ou  de  cuirasse 
formée  de  petites  lames  d'acier  adap- 
tées l'une  à  l'autre. 

Lampreon,  petite  lamproie. 

Lampyrides  ou  cidndeles,  vers  luisants. 

Lancement,  landsmann,  compagnon, 
compatriote. 

Lanceron,  espèce  d'esturgeon. 

Lancinantes,  piquantes. 

Lanciz  (les),  la  foudre. 

L-WJCY,  esquinancie. 

L.'^NDEROUSSE  (les  usuriers  de)  se  pen- 
dent. —  Voyez  Clêm.  Marot. 

L.ANDIER,  grand  clienet  de  cuisine. 

Landore,  landoré,  fainéant,  lourdeau, 
endormi. 

L-'^NDRiVEL,  lanterne  de  vaisseau. 

L-ANERET,  petit  larder,  oiseau  de  proie. 

L-A^^ES,  les  Landes. 

Langés,  langey.  Langeais. 

L-AN'GO,  ancienne  Cos,  patrie  d'Hippo- 
crate. 

Langoreux,  langoureux,  malade. 

Languegoth,  Languedoc;  ainsi  écrit 
dans  les  trois  premières  éditions. 

Lanificque,  laiueux,  porte-laine. 

Lansquenet,  sorte  de  jeu  de  cartes. 

Lansquenetz,  soldats  allemands. 

Lansquenette  (espée),  épée  des  lans- 
quenets. 

Lansquenettes,  femmes  des  lansque- 
nets. 

Lans,  tringue  (en  allemand  corrompu)  : 
Compagnon,  donne-moi  à  boire  : 
Landsmann,  zu  trinken. 

Lanterné,  si  maigre  que  le  corps  est 
transparent  comme  une  lanterne. 

Lanternter,  i,.anterniere,  porte-lan- 
terne. 

L.anternoys,  pays  des  lanternes;  allé- 
goriquement,  pays  des  lumières. 

La  Palisse  (saint  j.aen  de),  pour  saint 
Jean  de  l'Apocalypse. 

Lapaihuim  acuium  de  died.   I,ap4" 


474 

thiuin,  c'est  la  patience,  plante  amère. 
On  comprend  le  calembour  que  fait 
Rabelais  sur  la  Passion. 

Lappia,  Lapon  ie. 

l,ARDOi"ERE,  lardoir. 

Larege,  nom  que  les  Vénitiens  et  les 
Padouans  donnaient  au  mélèze. 

Laricnans,  habitants  de  Lartgito  ou 
Lari^num,  forteresse  du  Piémont,  as- 
siégée par  Jules  César. 

Ir.MUNGUES,  ville  que  Rabelais  dit  située 
dans  le  gosier  de  Pantagruel;  de  la- 
rynx. 

La  Riole,  la  Réole. 

Larix,  l.\rrix,  arbre  que  les  anciens 
regardaient   comme  incombustible. 

L-'VRsnER,  re^•êtement,  avance,  corniche, 
chaperon  d'un  mur,  incliné  pour  faire 
écouler  l'eau. 

Larrokker,  voler,  brigander. 

Larrys,  membranes  du  vagin. 

Lart,  lard  :  «  Frotter  son  lart  ». 

La  Rce  (de),  musicien  contemporain 
de  Rabelais. 

L.^^VES,  ombres,  fantômes,  infernaux. 

Lasanon.  —  Voyez  la  Briefve  Décla- 
ration. 

Lasaxophore,  celui  qui  porte  la  chaise 
percée. 

Laschemeîtt,  mollement. 

L.'VSCi\TE,  lascivité. 

L.^sd'.^u,I-ER,  nom  comique  d'un  pèlerin. 

Lassés,  enlacés,  croisés. 

Lasset,  filet  de  chasseur. 

Lassus,  là-haut,  là-dessus. 

Late,  largeur  :  «  Late  imguicale  »,  lar- 
geur de  l'ongle. 

Latlvl,  latin. 

Latinicome,  latin;  mot  formé  du  latin. 

LATDas.\TErR,  qui  latinise,  qui  parle 
latin. 

Latitude,  largeur. 

L-'^TONîTE  (le  fils  de),  Apollon. 

Latrialeiient,  avec  un  culte  de  latrie. 

Latrie,  culte. 

Laudateur,  qui  loue. 

La  vailles,  eaux  ménagères. 

Lavaret,  espèce  de  saumon. 

Laved.\n,  cheval  du  pays  de  ce  nom, 
en  Bigorre. 

Laver  la  coiffe  iiadasie,  un  des  jeux 
de  Gargantua;  on  ignore  en  quoi  il 
consistait. 

L.'vvE,  route  dans  un  bois,  et  par  suite 
le  bois  ou  la  forêt. 

Layz,  lais,  frères  lais,  serviteurs  des 
couvents. 

Le.vstjer,  Léandre,  amant  de  Héro. 

LÉANS,  là,  là-dedans. 

Lecanom.\ntie,  divination  à  l'aide  d'un 
bassin  plein  d'eau. 

Lectiere,  litière. 


GLOSSAIRE    ET    NOTES 


Lectde,  la  tue. 

Lede,  Léda. 

Legiere,  facile. 

Legieremext,  facilement. 

Legiereté  des  pieds,  légèreté,  vitesse. 

Legugé,  prieuré  du  bas  Poitou. 

Lelapes,  vent  accompagné  de  pluie. 

Le.movique,  de  Limoges,  limousin. 

Lémures,  fantômes  nocturnes. 

Lexdole,  nom  qu'on  donnait  à  Mar- 
seille à  la  chélidoine  ou  hirondelle  de 
mer. 

Lextisce,  lentisque. 

Lentules,  nom  d'une  branche  illustre 
de  la  ^ens  Cornelia.  Lentulus  venait  de 
lens,  lentille. 

Leox,  lion. 

Leonicus,  Nicolo  Leonico,  Vénitien, 
auteur  d'un  livre  intitulé  Sannutus 
sive  de  liido  talario,  Paris,  1530;  Lyon, 
Gryphe,  1532,  1542. 

Leschar,  gourmand,  noceur. 

Lecsiie,  petite  tranche,  légère  traînée. 

Let.\xies,  litanie?. 

Lethe,  fleuve  infernal. 

Letr.\ix,  lutrin. 

Leuce,  blanc,  du  grec  'Kvjv.'jt. 

Leucece,  Lucece,  Lutèce,  Paris.  — 
Voyez   Blanchette. 

Leur,  régime,  reçoit  ou  ne  reçoit  pas  la 
marque  du  pluriel.  On  rencontre  :  «  il 
leurs  dit,  il  leurs  adressa,  etc.  »,  aussi 
fréquemment  que  :  «  U  leur  dit,  il  leur 
adressa  ». 

Leutiier,  laurier  :  «  Souppe  de  leurier  », 
soupe  au  lait,  dans  laquelle  on  faisait 
infuser  quelques  feuilles  de  laurier. 

Leurre,  forme  d'oiseau  pour  rappeler 
le  faucon,  appât,  tromperie. 

Levain',  locution  proverbiale  :  «  Qui  au 
soir  ne  laisse  levain,  jà  ne  fera  au  ma- 
tin lever  paste  ». 

Levé,  levé,  au  jeu  de  cartes  :  t  Pour  ce 
jeu,  nous  ne  voulerons  pas,  car  j'ay 
faict  un  levé  ». 

Le  Vexei:-r  (cardinal).  «  Le  noble  car- 
dinal le  Veneur  »,  suivant  Le  Ducliat, 
c'est  Jean  le  Veneur-Carrouges,  évo- 
que de  Lisieux,  fait  cardinal  en  1533 
par  Clément  VII.  —  J.  de  La  Bruyère- 
Champier  dit  au  livre  XV,  chapitre 
xxxii.  De  rc  cibaria,  que,  pour  ne 
manquer  jamais  de  perdrix,  ce  cardinal 
les  faisait  nourrir  toute  l'année  en  une 
de  ses  maisons  de  campagne. 

Len'ER,  se  lever  : 

Lever  matin  n'est  point  bonheur; 
Boyre  matin  est  le  meilleur. 
Rabelais  modifie  le  dicton  vulgaire  : 
Lever  matin  n'est  point  bonheur, 
Mais  venir  à  point  est  meilleur.- 


GLOSSAIRE    KT    \OTES 


475 


Lever  guerre,  faire  la  guerre,  movire  \ 
beilum. 

Lexif,  lessive. 

Lez.  près,  auprès  de. 

Lheritier,  musicien  contemporain  de 
Rabelais. 

Lhormont  (hermite  de),  entre  Blaye  et 
Bordeaux. 

I4,  forme  ancienne  de  /f  et  de  les  ;  *  De 
par  li  bon  Dieu  et  11  bons  homs  ». 

LiARD,  monnaie. 

LiBANOMAXTiE,  divination  par  la  fiunée 
de  l'encens. 

LiBENTissEMENT,  très  volontiers. 

Libères  (personnes),  nobles,  généreuses, 
bien  nées. 

Librairie,  bibliothèque. 

LIBtJR^^CQUES,  bâtiments  à  rames  des 
Libumiens  (Dalmatiens). 

LiCÉ,  lisse,  imi,  nivelé. 

LicENTiÉ,  ayant  licence,  autorisation  : 
€  Licentié  à  faire  ce  qu'on  veut  ». 

LlCENTlER,    donner   licence,   permettre. 

LiCHECiSSE,  Icdie-casseroles,  marmiton. 

LiCHEFRETES,  lècliefritcs. 

LicT  SANS  CIEL,  calembour  ou  homo- 
nymie, poiu"  licencié. 

LiEGÉ,  garni  de  Hêge. 

Liesse,  joie,  gaieté.  , 

LiFRELOPRE,  grand  buveur,  comme  les 
Suisses  et  les  Allemands,  dont  ce  nom 
imite  le  baragouin.  Pantagniel  joue 
sur  ce  mot  et  sur  le  mot  philosophe,  au 
chapitre  n  du  livre  II. 

LiGNADE,  provision  de  bois. 

LiGNÉAKE  :  a  En  forme  lignéare  »,  (li- 
vre V,  chapitre  xxrv')  paraît  signifier, 
comme  l'entend  M.  Burgaud  des  Ma- 
rets,  en  forme  de  potence,  c'est-à-dire 
en  passant  une  case  et  en  sautant  de 
côté. 

LiGUOiiBE.\txx,  espèce  d'écrevisses. 

LlcrRXE,  la  côte  de  Gênes. 

LiGVSTiQUE  (mer),  golfe  de  Gênes. 

LniAciALE  (ligne),  ligne  spirale,  tournée 
eu  colimaçon. 

Lm.'issox,  limaçon. 

LiiL\z,  limasses,  limaçons. 

Limbe,  bordiu^e. 

LiMESTRE.  • —  Voyez  Louchefs. 

Limons,  Limoux,  station  thermale. 

LiMOSiN,  Lymosin.  Limousin.  L«  jar- 
gon de  l'écolier  limousin  (cliapitre  v, 
du  livre  II)  est  une  satire  amusante  de 
l'abxis  des  mots  latins  francisés  qui 
sévissait  étrangement  à  cette  époque. 
H  n'est  pas  probable  que  Rabelais  ait 
visé  un  écrivain  particulier;  il  a  frondé 
iin  travers  général.  On  pourrait  citer 
des  morceaux  écrits  sérieusement  qui 
sont  à  peine  moins  chargés  que  le 
ramage  du  Limousin.  Biaise  d'Auriol, 


poète  et  prcsateur  du  temps,  com- 
mence ainsi  la  Départie  d'amours  : 
«  Enclos  dans  mon  secret  repagule,  sur 
celluy  point  que  oppacosité  noctiale 
a  termine  ses  umbrages  et  Diane  com- 
mencé ses  rays  illuminatifs,  par  le 
dinias  universel  espandre,  etc.  »  Rabe- 
lais lui-même  abuse  des  mots  tirés  du 
grec  et  du  latin. 

Lorsqu'il  reprend  son  patois  natu- 
rel, le  Limousin  s'écrie  :  «  Vee  dicou, 
gentilastre,  etc.  »,  c'est-à-dire  :  «  Et 
dites  donc,  mon  gentilhomme  !  O  saint 
IVIartial,  à  mon  secours  !  Ho  !  ho  ! 
finissez,  au  nom  de  Dieu,  et  ne  me  frap- 
pez pas  !  » 

LiNACER  (Thomas),  médecin  du  roi 
d'Angleterre  Edouard  V. 

Lin  CEUX,  draps. 

LiNE,  Ugne. 

Lingue,  langue. 

LiNOSTOLiE,  robe  de  lin. 

LiPOTHYiHE,  défaillance  de  cœur,  éva- 
nouissement. 

LiRON,  loir. 

LiSAR,  léazrd. 

LiTHONTRiPON,  remède  qui  rompt  les 
pierres  dans  la  vessie. 

LiTiGER,  plaider,  être  en  procès. 

LiviER,  levier. 

Li^TiÉE,  rubans  que  l'on  distribuait  aux 
gens  de  la  noce. 

Liz,  LiZE,  hsse,  poli. 

Liz.VRT,  lézard. 

LocuLES,  bourse,  cassette. 

LocuPLETER,  enrichir. 

Locustes,  sauterelles  :  «  Multipliez 
comme  locustes  ». 

LoDiER,  LOUTiiER,  couverture  piquée. 

LoGiCAL,  logique  :  «  Sens  logical  ». 

LoGiCAXEMENT,  logiquement. 

LoiGS,  LOix,  lois  :  «  Loix  sont  comme 
toilles  d'araignes  ». 

LoLLLE.  «  ...lisdem  consulibus,  atrox 
odii  Agrippina,  ac  LoUiae  infensa 
quod  secum  de  matrimonio  principis 
certavisset,  molitur  crimina,  et  accu- 
sa torem  qui  objiceret  Chaldaeos,  ma- 
gos,  interrogatumque  Apollinis  Clarii 
simulacnun,  super  nuptiis  impera- 
toris... 

«  ...In  Lolliam  mittiturtribunus,  a 
quo  ad  mortem  adigeretur.  »  (Tacite, 
.4n;i.XII,  22.) 

Lombard  (boucon),  poison  lombard, 
italien. 

Londres  :  «  Londres  en  Cahors  et  Bour- 
deaux  en  Brie  ».  Il  y  a  en  effet  un  Lon- 
dres près  de  !ilarmande  (Lot-et-Ga- 
ronne) et  un  Bordeaux  près  de  Ville- 
Parisis  (Seine-et-Marne). 

Longitude,  longueur. 


476 


GLOSSAIRE    ET    NOTES 


IvONGUET,  un  peu  long. 

I^ONGYS,   nom   d'un   géant. 

I,OQUETEUX,  déguenillé,  couvert  de  lo- 
ques. ■, 

I/)RDEMENT,  lourdement. 

I/as,  louange. 

I/)s,  HOLOS,  las,  hélas  ! 

I^LXHETZ  paraît  désigner  ime  étoffe  de 
laine  de  fabrique  anglaise.  On  entend 
louchetz  de  Luccstre  ou  de  Limcsire, 
comme  louchets  de  Leicester. 

I/DUDCNOis,  pays  de  Loudun  :  «  Chapons 
de  Loudunois  ». 

l,oupGAROU,  chef  des  géants  du  roi  Anar- 
che. 

Loups,  ulcères  aux  jambes. 

L,ocPS  GUAROUS.  —  Voyez  Guaroiis. 

LouRCHE,  combinaison  du  jeu  de  tric- 
trac. 

LouKDERiE,  balourdise  :  «  Licencié  en 
lourderie  ». 

LouRDOis,  LOURDOYS,  lourdaud,  naïf  : 
c  A  mon  lourdois  »,  naïvement,  sans 
cherclier  finesse. 

LouRPlDOX,  vieille  sorcière. 

Lov.-UN,  Louvain. 

Loyer,  récompense,  salaire. 

LoYSErr,  musicien  contemporain  de  Ra- 
belais. 

LuBiN  (un  frère),  tm  moine;  le  mot  était 
mis  à  la  mode  par  Marot  dans  les  vers 
si  coimus  : 

Pour  faire  plutôt  mal  que  bien. 
Frère  Lubin  le  fera  bien. 
Mais  si  c'est  quelque  bonne  affaire. 
Frère  Lubin  ne  le  peut  faire. 

Le  frère  Lubin  auquel  Rabelais  fait 
allusion  est  Thomas  Walles,  domini- 
cain anglais,  auteur  d'un  ouvrage  inti- 
tulé Metamorplwsis  Ovidiana  mora- 
litcr  explanata.  Paris,  1509,  in-4<'. 

LUBIN'E,  poisson  de  mer. 

Lubricité,  qualité  glissante  :  «  Lubri- 
cité de  l'eau  de  mer  ». 

Luc,  luth. 

LucESTRE,  probablement  Leicester. 

LuciFlQUE,  lumineux,   porte-lumière. 

LuciFUGE,  qui  fuit  la  lumière. 

LucTER,  lutter. 

LrcuLLiAN,  de  Lucullus. 

LuDiPiCATOYRES,  trompeurs  :  «  Phan- 
tasmes ludificatoyres  »,  fantômes  qui 
vous  abusent. 

I,UETXES,  jeu  de  cartes. 


LuiTON,  lutin. 

LuLLiE  Pauline,  que  Pline  déclare  avoir 
vue  smaragdis  >•  art;aritisque  opertam, 
alierno  textu  fulgenlibus  {Hist.  natt, 
IX,  58). 

Nous  avons  suivi  le  manuscrit  de  la 
Bilbiothèque  nationale. 

Dans  toutes  les  éditions  imprimées 
on  lit  à  tort  :  Pompéie  Plautine.  qui 
était  épouse  de  l'empereur  Julien. 
LULLius  (art  de),  de  Raymond  Lulie. 
LuMBRiQUE.  ver  de  terre. 
LuMTN'AlRE  (des  apothicaires),  allusion  à 
deux  ouvrages  :   Luminare  (majus  et 
minus)  apothecariorum,  plusieurs  fois 
publiés  ensemble  ou  séparément,  au 
commencement  du  xvi«  siècle. 
LuNARiA  MAJOR,  plante  crucifère,  ainsi 
nommée  parce  que  la  cloison  qui  sépare 
les  valves  de  son  fruit  forme  un  disque 
d'un  blanc  brillant  et  comme  argenté. 
Lune  :  «  Garder  la  lune  des  loups  »,  locu- 
tion proverbiale  :  prendre  un  soin  inu- 
tile. 
Lunettes  des  princes,  titre  d'im  ou- 
vrage  de   Jean   Jleschinot,    poète   et 
moraliste  du  xv^  siècle. 
Lunettier,   luneteere,   qui  porte  lu- 
nettes. 
LuPANARES,  lieux  de  prostitution. 
LuPi,  musicien  contemporain  de  Rabe- 
lais. 
Lustre,  clarté,  éclat. 
Lut,  petite  barque. 
Lycaon,  loup;  nom  d'un  roi  d'Arcadie 

métamorphosé  en  cet  animal. 
Lychnion,  mèche  de  lampe,  lumignon. 
Lychnobiexs,  peuples  vivant  de  lumiè- 
res, habitants  du  pays  des  Lanternes. 
Lycisque  orgoose,  chienne  en  chaleur. 
Lycoptalxie,   œil   de  loup,   pierre  pré- 
cieuse décrite  par  Pline. 
Lyra    (Nicolas    de),    commentateur   de 
la  Bible.  Son  nom  appelait  naturelle- 
ment le  jeu  de  mots  :  c  Si  de  Lyra  ne 
delyre  ». 
Lyripipié,  en  forme  de  lyripipion. 
Lyripipion,  chaperon  des  docteiu^  de 
Sorbonne.  Rabelais  a  mis  dans  la  bi- 
bliothèque de   Saint- Victor   un   li%Te 
intitulé  Lyripipii  sorbonici  Moralisa- 
iiones,    per   M.    Lupoldum,    Moralités 
ou     Moralisations    sur    le    chaperon 
sorbonique.  M.  Lupold  était  un  doc- 
tçur  en  théologie  de  Cologne^ 


GLOSSAIRE    ET    NOTES 


À7l 


M 


Mabrun,  nom  d'un  géant. 
Macedoxes,  Macédoniens. 
>L4.CEDOXiCQra;,  de  Jlacédonien. 
Macedonie,  Macédoine. 
Macle,  vme  sorte  de  poisson  :  t  Plus 

mutz  que  niacles  ». 
Macr-EON,  JLiCRÉox,  qui  vit  longtemps. 
Macrobe,  même  sens  que  macréon. 
Macule,  tache;  macula. 
Ma  Dia,  serment  de  Jlaine,  Touraine  et 

Poitou,  tiré  du  grec  ;j.à  A!a.  non  par 

Jupiter,  comme   Nenda  ou  Ne   Dea, 

vr,  A!a,  ouy  par  Jupiter  (Alphabet  de 

l'auteur  français). 
Madourrez,   fainéants,  malotrus. 
M.ENADES,  niénades,  baccliantes. 
Magdaleine   (taverne  de  la),   une  des 

tavernes   méritoires   de    Paris. 
Magdaleon  d'entraict,  médicament  en 

forme  cylindrique. 
Mage  (place),  la  grande  place. 
Magence  (jambons  de),  Mayence,  ville 

d'Allemagne. 

MAGISTRONOSTRAiEilENT,      pOUr      VMgis- 

tralemcnf. 

Magnès,  Phrygien,  aurait  fait  la  décou- 
verte de  l'aimant  et  lui  aurait  donné 
son  nom. 

Magnigoule,  à  grande  gueule. 

Magots,  JL^goths,  géants  qui  jouaient 
un  grand  rôle  dans  les  contes  popu- 
laires. 

Maguelet  (huile  de),  huile  tirée  dufruit 
de  l'aubépine  dit  aussi  senelle. 

Mahom,  Mahon,  ]\L\ht.tmet,  Slaliomet. 

Mahumetistes,  mahométans. 

Maignans,  maignins,  chaudronniers 
ambulants. 

Maigordo.me,  majousdoihe,  major- 
dome. 

Maigre,  poisson  de  mer  appelé  aussi 
ombre. 

Maillard  (Olivier),  prédicateur  popu- 
laire du  temps. 

Maillart,  musicien  contemporain  de 
Rabelais. 

Maille,  annelet  d'un  tissu  métallique; 
locution  proverbiale  :  «  Maille  à  maille 
on  fait  les  haubergeons  ». 

Maille,  la  plus  petite  monnaie  valant 
un  demi-denier. 

Maille  bourse  au  cul,  jeu  inconnu; 
l'un  des  jeux  de  Gargantua. 

Mailuezais,  ville  du  bas  Poitou,  évê- 


ché,  à  15  kilomètres  de  Fontenay-le- 
Comte. 

Maillotins,  Parisiens  insurgés  en  1382, 
sous  Charles  VI,  ainsi  nommés  à  cause 
des  maillets  de  plomb  dont  ils  étaient 
armés.  —  De  ce  mot  Rabelais  a  fait 
maillotinier,  enclin  à  la  révolte,  sédi- 
tieux. 

Mailly  le  borgne,  un  des  domestiques 
de  Guillaume  du  Bellay. 

jMAEsf,  locution  proverbiale  :  «  Il  y  a  mis 
la  main  jusques  au  coulde  ». 

Maimten.^nce,  action  de  maintenir  : 
t  Pour  la  maintenance  de  la  loy  ». 

Maiorici,  un  des  domestiques  de  Guil- 
lamne  du  Bellay. 

jMais,  des  si  et  des  fnais,  des  difficultés, 
des  objections. 

Mais,  bien  plus;  de  magis.  Au  chapi- 
tre Lxn,  du  livre  I\^. 

JL\isoN  (la),  la  Maison  du  roi. 

Maison  ni  buron,  maison  ni  cabane;  on 
disait  :  i  H  n'a  ni  maison  ni  buron  ». 

Maistral,  jlaistralle,  vent  nord- 
ouest  :  le  mistraou  des  Provençaux. 

Maistre  Passé,  prebstre  Macé.  Cette 
équivoque  entre  maistre  Passé  et 
prebstre  Macé  est  très  probablement  à 
l'adresse  du  moine  René  Macé,  con- 
tinuateur de  la  chronique  de  Crétin. 
En  outre,  nous  ferons  remarquer 
qu'au  x\^''  siècle  Jlacé  était  syno- 
nyme de  simple,  niais. 
On  lit  dans  Coquillart  : 

m;i  Macé  goguetu 

Je  un  pauvre  Jenin  ou  Macé. 

Maixent  (Saint-),  ville  sur  la  Sèvre 
mortaise,  en  Vendée. 

Mal,  JIale,  adjectif;  mauvais,  méchant, 
funeste. 

Mal  acquis,  locutions  proverbiales  : 
e  Les  choses  mal  acquises  mal  dépé- 
rissent ».  f  Des  choses  mal  acquises 
tiers  hoir  ne  jouira  ». 

M.ALADERYE,  maladreric. 

Mal.use,  mal  fait,  mal  proportionné, 
embarrasse  de  sa  personne. 

Malandres,  gale,  crevasses  qui  viennent 
aux  jambes  des  chevaux.  Rabelais 
emploie  aussi  l'adjectif  malandré. 

Malautru  (un),  ou  malotru,  mal  bâti, 
bélître,  pauvre  diable. 

ItALCHus,  malcus,  couteau,  sabre. 

Mal  des  dents  :  «  H  n'est  mal  des  dents 


47« 


GLOSSAIRE    ET    NOTES 


plus  graud  que  quand  les  chiens  vous 
ticniicnl  aux  jambes  ». 

MALEFiCQfE,  malfaisant. 

Mâle  heure,  heure  funeste,  maudite. 

Male-mort,  jeu  indétenuiné. 

Mal  empolnct,  qui  est  en  misérable  état, 
délabré,  débraillé. 

Mal'encontre,  mauvaise  rencontre,  ac- 
cident, malheur. 

Malengrous',  mauvaise  humeur,  mau- 
vais vouloir. 

Mâles  avives,  proprement  :  inflamma- 
tion des  glandes  de  la  gorge. 

ÎIalemaridade,  sorte  de  danse. 

^lALES  MULES,  engelure  aux  talons  :  «  Les 
maies  mules  !  »  C'est  ime  sorte  d' impré- 
cation alors  en  usage. 

Malesuade,  mauvaise  conseillère;  mot 
latin. 

^lALHEUREUX,  slmheureuse,  Gargan- 
tua jouait  «  au  malheureux  >,  et  <  à  la 
malheureuse  »,  jeux  de  cartes. 

MAI.HEUSTÉ,  infortime,  disgrâce,  mal- 
heur. 

Malicorne,  écuyer  trandiant  de  Gar- 
gantua. 

iLu-ivoLE,  malveillant,  malintentionné. 

Malogranatum  viiiorum,  la  Grenade 
des  Vices,  titre  d'un  livre  imaginé  ou 
caricaturé  par  Rabelais. 

Mal  saikt  François,  la  pauvreté,  dont 
les  franciscains  faisaient  im  vœu  spé- 
cial. 

Malvedi,  maravédi,  petite  monnaie 
d'Espagne. 

Malvesie,  Malvoisie. 

Mal  vexer,  vexer,  maltraiter. 

Mal  vouloir,  être  malveillant. 

JLiMiNOTIERS,  comme  dominoiicrs. 

Mamjiallemexi,  adverbe  formé  avec 
le  mot  mamina,  mamelle;  c'est-à-dire, 
par  rapport  aux  mamelles. 

Mammeluz,  mamelouks,  milice  otto- 
mane. 

Mammote,  déesse  des  ridiesses;  Mam- 
moiia. 

Manant,  habitant. 

MAxancouRT,  musicien  du  temps  de 
Rabelais. 

Manchon,  manchette. 

ilANCiPE,  esclave;  de  inaitcipium. 

Mancipé,  approprié,  saisi,  rendu,  esclave. 

SlANTiEMENT,  Convocation,  action  de 
mander,  de  faire  venir. 

Mandés,  île  d'Égypte. 

Mandibules,  mâchoires. 

Mandousiaxe,  épée  très  courte. 

Mantjragore,  plante  somnifère  à  la- 
quelle on  attribuait  des  vertus  magi- 
ques. 

Mant>ucation,  appétit  :  «  îlanducation 
insatiable  >. 


Manduce.  C'estoit  mie  efli!;ic  qu'ancien 
nement  les  païens  portoicnt  en  pompe 
pour  faire  peur,  et  rire  quant  et  quant. 
Elle  avoit  un  masque  en  façon  de  teste 
d'homme  avec  de  grosses  et  amples 
maschoires,  et  de  grandes  dents  qu'elle 
faisait  peter  l'une  contre  l'autre,  ou- 
vrant ime  grande  gueule,  afin  de  faire 
fuir  les  spectateurs  en  riant.  Plaute 
touche  de  cette  solennité  in  Kudente, 
quand  il  introduit  un  Sicilien  qui 
étant  tout  mouillé,  trembloit  de  froid 
et  faisoit  craqueter  ses  dents.  —  Ch. 
Quid  si  aliçtto  ad  ludos  me  pro  inanduco 
locem?  —  Sa.  Quaproptcr?  —  Ch.  Quia 
pol  clare  crcpito  dentibus.  Juvénal  quo- 
que,  sat.  3  : 

Taoïlciuqiie  vtrrit  ai!  pulpiunoliiin 

Exuiliuai,  l'um  prrscau:  paHculis  hialuni 

la  grcmiti  mitris  foriiiilat  rustirus  inran^. 

{Alphabet  de  fauteur  français.) 

Mantducité,  appétit  :  «  Barrage  de  man- 
ducité  »,  jeu  de  mots  sur  manduciti 
et  mendicité. 

M.\XEQUIN,  en  architecture  :  panier  de 
fleurs  et  de  fruits. 

Manequin,  en  musique  :  castagnettes 
ou  ime  espèce  d'épinette  :  «  Jouer  des 
mannequins  à  Ixisses  marches  »,  c'est 
une  métaphore  erotique. 

Mange.^ille,  action  de  mançer. 

JIangeailles,  munitions  de  bouche. 

>LVNGE0IRES  au-dessus  des  râteliers  : 
€  Ces  mangeoires,  dit  Johanneau,  sont 
les  bancs  des  jua:es,  qui  se  trouvent 
plus  hauts  que  le  bureau  des  greffiers, 
et  c'est  ce  bureau,  couvert  de  tant  de 
procédures,  qui  est  appelé  le  râtelier 
de  la  justice  grippeminaudière.  n 

Manger,  locutions  proverbiales  :  t  Man- 
ger son  pain  blanc  le  premier  ».  i  Man- 
ger sou  bled  en  herbe  ». 

M.\NiACLES,  maniaques. 

Manillier,  marguiilier. 

Maniicore,  jîexthickore,  animal  fan- 
tastique. —  Voyez  Pline,  livre  VIII, 
cliapitre  xxs. 

Manubies,  coups  de  foudre.  Ce  mot  si- 
gnifie aussi  la  part  du  butin  quirevient 
au  général. 

JIappe,  nappe. 

Maquerelle  (ile),  appelée  ensuite  ile 
des  Cygnes. 

ILaranes,  marranes,  Maures. 

AlARBRiN,  iiARBRiNE,  de  marbre. 

AIarché,  bordé,  entremêlé. 

Marches,  bordures;  frontières  d'un 
État. 

JLvRCON.  —  Voyez  A  venturer. 

JI.\RC  Pai^t.e,  Jlarco  Polo,  célèbre  voya- 
geur du  xm*  siècle. 


GLOSSAIRE    ET    NOTES 


479 


Ma»c  Tulle,  Cicéron. 

Marelles,  jeu. 

ISlARFORii,  ETC.  —  Voyez  le  cataloffue  de 
Saint-Victor.  Marforio  était,  comme 
Pasquin,  une  statue  de  marbre,  repré- 
sentant un  fleuve  couché,  et  qui  ser- 
vait de  poteau  aux  affiches  médi- 
santes. 

JlARGUERITE     DE      XAV.\RRE,      SOEUT     de 

François  I''"'.  Le  dizain  «  à  l'esprit  de 
la  Reine  de  Xavarre  »,  qui  est  en  tête 
du  livre  III,  a  été  écrit  du  vivant  de 
cette  princesse.  On  le  trouve  dans 
l'édition  de  1546,  et  Marguerite  ne 
mourut  qu'en  1549. 

Maiuage,  jeu  de  cartes  auquel  jouait 
Gargantua  et  auquel  on  joue  encore. 

Marlanes  (Fosses),  en  Provence,  dans 
la  Crau. 

5L4RINE,  la  navigation,  la  mer. 

aiARjOLET,  damoiseau,  jeune  fat. 

MiRLOTTE,  mantelet  d'été. 

Marmiteux,  piteux,  dolent;  et  aussi 
marmiton. 

Marmonner,  marmotter. 

Marmotrf.t.  livre  :  Mainmctraclus,  sive 
expositio  in  sùigulis  lihris  Biblia,  auc- 
tore  Marchesino.  —  Rabelais  met  ime 
parodie  de  cet  ouvrage  dans  le  cata- 
logue de  Saint-Victor. 

!iL\RMOUZELLE,  féminin  de  marmouzet. 

JlARO,  Virgile. 

JL\ROT  (Clément),  contemporain  de 
Rabelais. 

Marotus  du  L.^c,  nom  d'im  auteur  ima- 
ginaire d'une  histoire  des  Gestes  des 
rois  de  Canarre. 

Marpault,  frippé. 

M.\RPESL\N,   Marpesia  cautes    (Virgile), 

SIarques  d'or  aux  patenôtres,  ce  sont 
les  grains  plus  gros  marquant  les  di- 
zaines. 

Marrabais,  descendants  des  Maures  en 
Espagne. 

Marrabeise  (bonnetz  à  la),  à  la  mau- 
resque. 

Marre,  M^rroche,  marrochon,  houe, 
instrument  de  jardinage  ser^-ant  à 
biner. 

Marri,  fâché,  chagrin  affligé. 

Marrons,  ceux  qui  portent  à  hxas  les 
voyageurs  dans  les  mauvais  chemins 
des  Alpes. 

Marroufle  coquin,  maraud. 

Marry,  fâché,  chagrin,  affligé. 

Marsdpie,  bourse. 

Marsy.^s,  rival  d'Apollon  dans  l'art  de 
jouer  de  la  flûte,  écorché  vif. 

Martin  (sainct)  :  a  Les  maladies  fuyoient 
la  venue  de  sainct  Martin  à  Ouande.  » 
Allusion  à  une  scène  comique  du  Mys- 
tère de  la   vie  de  sainct   Martin    par 


personnages,  réimprimé  dans  la  collec- 
tion Silvestre,  1841. 

L'aveugle  et  le  boiteux  (l'cspette) 
s'enfuient,  l'aveugle  emportant  le  boi- 
teux sur  son  dos,  afin  d'éviter  la  ren- 
contre du  corps  de  saint  Martin,  qui 
les  guérirait  malgré  eux  et  les  empê- 
cherait de  vivre  désormais  de  gueiKe- 
rie. 

Cours  tost,  cours  tost,  sans  arrester. 

—  Je  ne  te  puis  plus  soutenir. 

—  Tu  as  grand  envie  de  guarir, 
Je  le  voy  trop  bien  maintenant. 

—  Non  ay,  sire,  par  mon  serment. 
Guarir  ne  voudroye  jamais  ! 

MaiS  l'aveugle  n'a  pas  fui  assez  vite  : 
ils  se  trouvent  tous  deux  sains;  ils 
se  désole:it,  et  se  font  tous  deux  des 
reproches. 

Ha  !  maugré  bieu,  je  voy  tout  clair. 

—  De  mes  pieds  je  puis  bien  aller. 
De  par  le  diable  !  je  suis  guary. 

—  Tu  l'avois  bien  vcu  venir  cy, 
Ordoux  paillard,  villain  truant, 
Bellistre,  villain  et  mexhanl! 

Martin  B.\ston,  personnification  du 
bâton,  dont  La  Fontaine  a  fait  usage. 

Martin  de  Cambray,  jaquemart  or- 
nant le  carillon  de  Cambray. 

M^rtiner,  boire. 

MiRTiNGUALLE  (chausses  à  la),  dont  le 
pont  était  placé  par  derrière  et  for- 
mait, comme  dit  Rabelais,  un  «  pont- 
levis  de  cul  ». 

JL\RTRES,  jeu  d'osselets. 

JLis,  bâtiment,  grange,  métairie. 

Mascarer  (se),  barbouiller,  salir,  ma- 
churer. 

Maschecroutte,  image  grotesque,  ana- 
logue à  la  Manduce  antique  dont  on 
vient  de  parler  tout  à  l'heure. 

M^SCHEF.AIN,  mâche-foin,  appétit  insa- 
tiable. 

Mascherable,  mâche-rave  ou  navet; 
sobriquet  donné  aux  Limousins. 

Mascon  (Mgr  de),  ambassadeur  de  Fran- 
çois !"■  auprès  de  Charles-Quint. 

MASCI.TLANT,  faisant  les  fonctions  de 
mâle. 

:MASCULrN.\NT,  même  sens. 

Masse,  masse  d'armes;  arme  offensive. 

MiSSlTERES,  massiers,  porte-masses; 
officiers  de  la  Quinte-Essence. 

Massoretz,  philologues  et  érudits  hé- 
breux. 

M\SSUAU  (Claude),  un  des  domestiques 
de  Guillaume  du  Bellay,  et  traducteur 
d'un  ouvrage  latin  de  Rabelais,  qui 
n'est  point  parvenu  jusqu'à  nous. 

Masuel,  le  même  probablement  que 
Massuau. 


48o 


GLOSSAIRE    ET    N'OTES 


Mat,  fou;  de  l'italien  tnatto. 
Matabrl'n-e,  personnage  du  roman  du 

Chevalier  au  Cygne. 
Matachcjs,  danseurs  comiques. 
Matafain  ou  matefaim,  pâte  lourde  et 
rassasiante. 

Mat.\got,  vieux  singe,  vieux  fou. 

Matagraboliser,  mot  burlesque  ayant 
le  sens  de  se  donner  beaucoup  de  mal 
pour  rien,  de  s'ennuyer  et  d'ennuyer 
les  autres. 

^L•VTÉ0LOGIE^"S,  instruits  de  choses  vai- 
nes et  oiseuses. 

Matéotechne,  nom  d'un  port  du 
royaume  d'Entélécliie,  signifiant  : 
vaine  science,  enseignement  futile. 

Matéotechxie,  même  sens. 

JlATiscoxES,  Màcon,  en  Bourgogne. 

Mattons,  briques,  pierres  qu'on  lançait 
sur  les  eimemis. 

JlATRATZ,  MATRAZ,  Mathelats,  mate- 
las. 

^L\TROx.AiE,  de  matrone  :  «  Pudicité 
matronale.  » 

Matute,  MAxrTiNAi,,  du  matin. 

SlAU,  mal  :  t  Jiau  de  terre,  bous  bire. . .  le 
maulubec  vous  trousque...  le  mau  fin 
feu  de  ricqueracques,  etc  ».  Que  le  mal 
de  terre  (en  provençal  l'épUepsie)  vous 
retourne...  que  l'xilcère  vous  trousse... 
que  le  fie  vous  puisse  entrer,  etc. 

JtAUCONTEXT,  (mal  content),  jeu  de 
cartes. 

JtlAUGis,  l'enchanteur,  personnage  de  la 
Geste  des  quatre  fils  Ayinon,  resté  long- 
temps populaire. 

Maujoin-,  m.4i:joixct,  mal  joint;  il 
mozzo,  comme  disent  les  Italiens.  Ra- 
belais plaisante  sur  ce  mot  et  sur  le 
mot  benjoin,  substance  aromatique  : 
«  Parfums  de  maujoinct  ». 

€  Barbier  de  maujoinct,  »  barbier 
qui  rasait  cet  endroit-là. 

^L\ULGOUVERT,  qui  se  gouverne  mal. 

Maulvais,  mauvais. 

Maul\'y,  mauviette. 

ilAL-NETTES  :  c  Non  Maimettes,  mais 
Monette  ».  Non  mal  nettes,  mal  pro- 
pres, mais  donnant  avis,  comme  Junon 
surnommée  moneta,  de  monere. 

Mausolus,  ilausole,  mari  d'Artémise. 

Mautalext,  incapacité,  mauvais  vou- 
loir. 

Maydenbourg,     Magdebourg. 

Mebin,  mot  hébreu  :  intelligent,  prudent, 
les  MEBiNS  sont  parmi  les  officiers  de 
la  Quinte- Essence. 

MECHERO>fS,  mèches. 

JlECREDY,  mercredi. 

MED.\iiOTHi,  qui  n'existe  nulle  part; 
nom  que  Rabelais  donne  à  un  pays 
imaginaire.    D'autres    interprètent    : 


île    des    Re^emblances;    de    damah, 
semblable,  en  hébreu. 
Meden,  n'existant  pas,  autre  nom  de 

contrée  imaginaire. 
Medere,  île  de  Madère. 
MEDL\STrN,    MÉDWSTDîE,    Continuation 

de  la  plève;  anatomie. 
MEDICAL  (doigt),  le  doigt  du  milieu. 
Medicec,    médecin    :    €    Medicin    d'eau 
douce.  »  On  a  dit  d'abord  :  marin  d'eau 
douce;  puis  cette  expression  de  mépris 
a  été  étendue  à  d'autres  professions. 
On  trouve  dans  le  Pathelin  ;  advocat 
d'eau  douce. 
Medicine,  femme  sachant  la  médecine. 
Medicin-er,  traiter,  dans  le  sens  médi- 
cal. 
Medcxare  (os),  à  moelle. 
^Iedulle,  moelle. 
Mec^u-aotes,  sorte  de  reptiles. 
Megiste,  grand,  du  grec  [AE^ar.  Le  roi 

Mégiste,  c'est  le  roi  de  France. 
Meillieu,  milieu. 

Me j axe,  la  voile  et  le  mât  que  noias  nom- 
mons misaine. 
Mel.\ncholie,  proprement  :  bile  noire. 
MEL.\xcHOLrEusE,  mélancoUque. 
Meliflue,  melliflue,  coulant  comme 

du  miel  :  «  Paroles  melliflues  ». 
Melin'de,  royaume  d'Afrique  :  t  Ainsi 
(conquesta)  philosophie  Melinde.  »  Phi- 
losophie est  ici  dans  le  sens  d'habileté, 
adresse.  Les  Portugais,  pour  s'assiirer 
la  possession  de  Mélinde,  firent  boire 
aux  natiu'els  du  pays  du  vin  et  des 
liqueurs  fortes. 
3IELI.USIXE,   Mélusine,   fée,   personnage 

des  légendes  populaires. 
Melze,  mélèze;  arbre. 
Memxon,  Men-nox  :  t  Le  bruit  sempi- 
ternel du  colosse  érigé  sur  la  sépiJture 
de  Meimon.  » 

Strabon  et  Pline  parlent  de  cette 
statue  de  Memnon  et  du  bruit  que  ce 
colosse  faisait  entendre;  mais  ils  ne 
le  donnent  pas  le  moins  du  monde 
comme  sempiternel. 

€  Quem  quotidiano  solis  ortu  con- 
tractum  radiis  crepare  dicunt.  » 
Memor-VBLE,  dont  on  se  souvient. 
Mémorial,  digne  qu'on  s'en  souvienne. 
Memoriallement,  adverbe  de  l'adjectif 

précédent. 
SIemphitique,   de  Memphis. 
Mex  emy,  pour  mon  ami;  prononciation 

poitevine. 
MÊxER,  déterminer. 
Menixge,  la  pie-mère,  l'enveloppe  du 

cer\-eau. 
Mexteries,  mensonges. 
Mexxulb,  du  latin  mentula. 


si». 


GLOSSAIRE    Et    NOTES 


48t 


Mentulé  (bien),  bien  pour\'u  de  men- 
tule. 

Menu,  petit  :  «  Menus  suffraiges.  »  «  Me- 
nus plaisirs.  » 

Menuail  (duc  de),  un  des  conseillers  de 
Picrochole.  Menuaille  avait  le  sens  de 
canaille. 

Mephitis,  nom  d'une  divinité  antique 
présidant  aux  exhalaisons  sulfureuses, 
aux  vapeurs  malsaines.  Rabelais  sem- 
ble en  faire  le  nom  d'un  gouffre  ou 
d'un  marais. 

Meratre,  marâtre. 

Merci,  pitié,  grâce  :  «  Ayez  de  moy  mer- 
cy.  »  «  Prendre  à  mercy.  »  «  Vostre 
mercy  «,  votre  grâce. 

Mercier  :  «  Je  tuerois  un  pigne  pour  un 
mercier  »,  au  lieu  de  :  tuer  un  mercier 
pour  un  peigne;  par  une  de  ces  inter- 
versions de  mots  qui  sont  liabitixelles  à 
Rabelais. 

Mercy,  voir  merci. 

Merdallle,  nom  d'un  des  capitaines  de 
Picrochole. 

Mer  Dé  (par  la),  par  la  Mère-Dieu!  en 
patois. 

Merdigues,  juron  populaire,  ayant, 
dit  de  l'Aulnay,  le  sens  de  :  Jlerci 
Dieu.  La  racine  de  ce  mot  pourrait 
bien  être  tout  autre. 

MEREFAiULLES,  mater  familias. 

Merencolie,  pour  mélancolie. 

Meretricules,  courtisanes. 

Méridional,  méridien. 

MÉRIR,  mériter. 

Merlin  le  prophète,  personnage  de  la 
ms'thologie  galloise,  célèbre  dans  les 
légendes  du  moj'en  âge. 

Merlin  Coccaie,  pseudonyme  de 
Théoph.  Foleiigo,  qui  écrit  des  Ma- 
caronées  que  Rabelais  connaissait 
bien. 

Merluz,  merluche,  morue  sèche  :  «  A 
queue  de  merluz  n. 

Mesantere,  MESENTERE,  replis  du 
péritoine  qui  maintiennentlesdiverses 
parties  du  canal  intestinal  dans  leur 
situation  respective. 

Mesaraiques  (veines),  du  mésentère. 

Mesarims,  de  mesarceum,  le  milieu  des 
intestins,  où  sont  contenues  le  plus 
souvent  les  causes  des  maladies  du 
ventre  inférieur,  ex  Fernel.,  lib.  VI, 
cap.  \1I.  Patholog.  Voilà  pourquoi  les 
maîtres  qui  enseignent  le  moj'en  et  les 
remèdes  pour  guérir  ces  affections, 
Rabelais  les  appelle  Mesarims,  ne  plus 
ne  moins  qu'on  appelle  oculistes  ceux 
qui  s'appliquent  aux  maladies  des 
yeux,  livre  IV,  chapitre  xliv  {Alpha- 
bet de  l'auteur  français). 

Meschant,  misérable;  mauvais. 

T.   II. 


Meschantement,  MEaUNTEMENT,  mé- 
chamment. 
Mesembrine,  nom  d'une  tour  de  The- 

lème  Méridionale. 

Mesescrivant,  écrivant  mal,  comme 
mcsdisant:  diffamant  par  écrit. 

Mésiiaigner,  chagriner,  affliger,  impor- 
tuner, estropier. 

Mesilmm,  meshaing,  chagrin,  affliction, 
tourment,  mutilation. 

Mesle,  nèfle. 

Mesmement,  particulièrement. 

Mesnagerte,  ménage,  économie  domes- 
tique. 

JLesnagier,  mesn.uger,  qui  ménage, 
qui  vit  économiquement. 

Mesnaice,  ménage,  économie. 

Mesou.'Usi,  de  cette  année. 

Mesprendre,  se  tromper  :  a  Pardonnez- 
moi  si  je  mesprends  »,  c'est-à-dire  si 
je  me  trompe  ou  si  je  commets  ime 
faute;  c'est  une  formule  de  politesse, 
quand  on  va  contredire  ouvertement 
son  interlocuteur. 

Messieurs  :  •  Il  y  a  donc  des  messieurs 
céans?  On  y  vendange  à  ce  que  je 
voy  '•.  Le  Duchat  voit  là  une  équivo- 
que entre  messieurs  des  comptes,  et 
messiers,  «  comme  on  appelle  ces 
hommes  qui  gardent  les  vignes  dès  que 
le  raisin  commence  à  mûrir  ». 

Mestier,  menue  pâtisserie,  faite  en  cor- 
net; oublie. 

ilESTiVALES,  fêtes,  Tcpas  des  moisson- 
neurs. 

JlESTlviERS,  moissonneurs. 

Met,  pétrin;  les  conduits  d'un  pressoir 
par  où  s'écoule  le  vin. 

JlET.-iLEPSis,  métalepse  :  figure  de  rhéto- 
rique dans  laquelle  on  prend  l'antécé- 
dent pour  le  conséquent,  ou  vice  versa. 

ilETAPIIRENE,  le  doS. 

Metelln  :  «  Lorsqu'on  alla  à  Metelin 
en  la  maie  heure.  »  Allusion  à  une 
petite  croisade  qui  eut  lieu  en  1502 
contre  les  Turcs.  —  Voyez  Chroniques 
de  J .  d' Autan,  troisième  partie,  cha- 
pitres xx\'u  et  xxvm. 

MÈTES,  bornes,  limites. 

Methanensiens,  habitants  de  Methène 
ou  Méthane,  aujourd'hui  Modon,  ville 
du  Péloponèse,  près  de  Trézène. 

îiIÉTOPOJi.AN-TiE,  divination  par  l'inspec- 
tion des  lignes  du  front. 

Métoposcopie,  partie  de  la  physiono- 
mie. 

Mètre,  mesure,  vers. 

Meu,  mû,  part.  pass.  de  mouvoir. 

Meudon  (cardinal  de),  Antoine  de  San- 
guin, dit  le  cardinal  de  Meudon. 

Meuilles,  meuillets,  poissons  de  mer. 

Meur,  meure,  mûr;  adjectif. 

31 


4^2 


GLOSSAIRE    ET    NOTES 


Meurdrir,  meurtrir,  tuer. 

Meurk,  mûre,  fruit. 

JIEURIR,  mûrir. 

MEtTTE,  par  syncope,  pour  minute. 

M.\ZEAtiLX,  lépreux. 

Miche,  pain. 

MicQi-ELOTZ,  sncHELOTS,  petits  garçons 
qui  vont  en  pèlerinage  à  Saint-Michel, 
et  qui  gueusent  le  long  du  chemin. 

AIicRAiNE,  grenade,  petit  boulet  creux. 

Microcosme,  petit  monde. 

MiDY,  musicien  du  temps  de  Rabelais. 

MiE,  pas  du  tout,  nullement. 

MiGNE  ^aG^•E  bœit,  l'un  des  jeux  de 
Gargantua. 

Mignon,  coquet,  joli. 

JUGNOXNEMENT,  joliment,  coquette- 
ment. 

JIiGNOTiZE,  gentillesse,  caresse. 

Migraine,  grenade,  fruit. 

Migraine,  teinture  écarlate,  à  peu  près 
de  la  couleur  des  pépins  de  la  grenade. 
I^a  migraine  était  moins  précieuse  que 
la  véritable  écarlate,  tirée  de  la  coche- 
nille, et  que  l'on  appelait  graine. 

Migraine  de  feu,  charbon  ardent. 

Mih,  millet  :  o  PiUe  à  mil  »,  mortier  à 
piler  le  mil. 

MiiJ.-URE,  mille,  mesure  de  distance. 

MiLi.\RES,  miUe-pieds  ou  perce-oreille, 
insecte. 

>In.i,E,  mesure  de  distance. 

MiLLESOui-DlERS,  Soldats  blessés,  inva- 
lides, à  qui  Ton  donnait  mille  sous  de 
pension. 

Millet  :  «  Pas  plus  qu'im  grain  de  millet 
en  la  gueule  d'un  asne  »,  locution  pro- 
verbiale. 

Millet,  musicien  du  temps  de  Rabelais. 

MiLO,  Milon  de  Crotone. 

JliLOL-RT,  milord.  Panurge  qualifie  ainsi 
un  Turc. 

MI^L■\LLONES,  bacchantes,  ainsi  nom- 
mées du  mont  Mimas,  dans  l'Asie 
Mineure. 

MniALLONiDES,  même  sens  que  le  mot 
précédent. 

Minere,  minière,  mine 

SIiNEfRS  ET  MINIMES,  Hom  dcs  rcllgieux 
des  ordres  fondés  par  saint  François 
d'Assise  et  par  saint  François  de  Paule. 

JIiNISTRER,  ser\-ir,  prêter  son  ministère. 

JIiNORATlF,  purgatif  doux. 

MiNTJTULE  LESCHE,  très  petit  morceau, 
lambeau. 

Ml-PARTIR,  partager  en  deux,  par  moitié. 

;Mir.\ch,  partie  extérieure  du  ventre, 
contenant  la  peau,  la  graisse  et  huit 
muscles;  mot  arabe. 

MiRACLiFlQVE,  faisant  des  miracles. 

MiRALLlER,  faiseur  de  miroirs. 

MiREBALAIS,  MIREBAIOTS,  paj'S  du  Poi- 


tou,  formant  aujourd'hui  les  arron- 
dissements de  Poitiers  et  de  Loudtm, 
dont  Mirebeau  était  la  capitale. 

5IIRELANGACLT,  nom  d'un  géant. 

MmELARDDAiNE,  refrain  de  clianson. 

MiRELiFiCQUES,  rarctés,  curiosités. 

MiRELiNGiES,  pays  où  l'on  parle  mille 
langues.  C'est  probablement  Paris 
que  Rabelais  désigne  de  la  sorte. 

JIlRiFICQrE,   admirable,   merveilleux. 

MIROBAL.4NS,  MYROBOLANS,  Sorte  de 
fruits  desséchés  apportés  de  l'Améri- 
que. 

iliROVER,  iUROCOiR,  miroir  :  «  >rirouers 
ardens  »,  «  mirouoir  crystallin  i>. 

MISERERE  :  «  Du  Miserere  jusques  à 
vituhs  »,  c'est-à-dire  d'im  bout  à  l'au- 
tre. l,e  psaume  Miserere  finit  par  le 
mot  l'itulos. 

SIisSA  AD  MENS.VM  (de),  de  la  messe  à  la 
table. 

MissAiRE,  MISSAYRE,  mcssirc  :  ï  ^lissairc 
Bougrino  y. 

MissiCQUE,  de  la  messe. 

MiSTlONNL,  mixtioimé. 

Mitaine  :  «  Le  cœur  me  bat  dedans  le 
corps  comme  une  mitaine  ».  Le  Duchat 
prétend  que  mitaine  est  là  poitf  mi- 
saine, voUe  toujours  agitée  par  le 
vent,  puis  il  ajoute  que  Rabelais  a  dit 
mitaine  plutôt  que  misaiy\e,  par  allu- 
sion à  im  ancien  usage  du  Poitou,  où 
les  gens  d'une  noce  se  donnaient  entre 
eux,  après  avoir  ganté  leurs  mitaines, 
d' inoffensifs  coups  de  poing. 

Nous  avons  entendu  diie  :  battre  la 
mitaine,  pour  exprimer  un  amusement 
des  enfants  qui  consiste  à  se  frap- 
per par  im  mouvement  croisé  l'extré- 
mité des  épaules  avec  la  paume  de  la 
main,  comme  les  marins  le  pratiquent. 
Ce  mouvement  régulier  et  très  préci- 
pité nous  semble,  mieux  que  les  coups 
de  poing  des  gens  de  noces,  donner  ime 
idée  des  pulsations  fréquentes  du 
cœiu:.  (B.  des  M.). 

Mitouard,  chat,  matou,  et  par  exten- 
sion hypocrite. 

JMlTOLTLÉ,  empaqueté,  enveloppé  emmi- 
touflé. 

MiXARCHAGEV.\s,  nom  que  les  Argiens 
donnaient  à  Castor. 

JlNADIES,  bonjour,  par  corruption  pour 
bona  dies. 

Mocitelle,  hoche-queue,  oiseau. 

MocQfE,  mocquerie. 

MocQL'E  Dieu,  moquerie  de  Dieu  :  <  Non 
oraison,  mais  moque-Dieu  ». 

Mocquette,  moquerie,  plaisanterie. 

MoDis  siGNiFiCANDi  {de),  ouvTage  de 
Jean  de  Garlande. 

Moine  :  «  A  ceste  heure  avons-nous  le 


CiLOSâAlRE    ET    NOTES 


^«3 


Inoine  ».  Expression  populaire  alors 
pour  dire  :  nous  sommes  attrapes; 
nous  sommes  bassinés,  dirait-on  au- 
jourd'hui. On  appelait  moine  un  usten- 
sile de  ménage  équivalant  à  la  bassi- 
noire. 

On  trouve  «  bailler  le  moine  par  le 
cou  »,  pour  signifier  :  pendre.  —  Voyez 
Bailler. 

:\IoiNE,  sorte  de  toupie  ou  de  sabot;  l'un 
des  jeux  de  Gargantua. 

MorxERiE,  état  de  moine. 

MoiNETOx,  petit  moine. 

Mony-s  DE  MON  PLUS  (le),  tout  Ce  que  je 
puis  faire  de  moins. 

MoissoNxiERS  (dievraubc),  chevreaux 
de  lait. 

Moitié,  milieu  :  «Ferir  par  la  moitié,  » 
frapper  au  milieu  du  corps. 

MoLARES,  (dents),  molaires. 

Mole,  meule;  s.  f.  — •  Jetée  en  maçonne- 
rie pour  fermer  un  port  et  mettre  les 
vaisseaux  à  l'abri;  s.  m. 

Moleste,  fâcheux  :  «  A  molestes  ensei- 
gnes ». 

Molestesient,  fâcheusement,  importu- 
nément. 

MoLixET,  l'un  des  jeux  ou  des  jouets  de 
Gargantua. 

MOLITION,  entreprise,  effort. 

JIollice,  mollesse,  souplesse. 

MoLLiFiCATiON,  ramollissement. 

ilOLOSSicQL'E,   danse  ancienne. 

MoLLTRES,  sorte  de  reptiles. 

MoMiiERiE,  mascarade. 

MoNACHus,  moine.  Monachus  in  claus- 
tra, etc.  I^ivre  I,  chapitre  li.  Traduc- 
tion : 

Un  moine  dans  son  cloître 
Ne  vaut  pas  deux  œufs, 
Afajs,  lorsqu'il  est  dehors. 
Il  en  vaut  bien  trente. 

liloNAG.^ux,  nom  burlesque  formés  du 
mot  moine. 

MONAGESSES,  féminin  de  monagaux. 

Mo>rDANlTÉ,  urbanité,  science  du  monde. 

Monde  (petit),  l'homme. 

MoNTSE  (l'aultre),  l'homme. 

MoNETiES.  —  Voyez  Manuelles 

MoNGAS,  danse. 

MoNOCHORDioN,  instiiimcnt  à  ime  seule 
corde. 

MoNoaiORDiSER  des  doigts,  c'est  pro- 
mener les  doigts  vivement,  comme 
ceux  qui  jouent  de  cet  instrument. 

MoNOJiACHiE,  combat  seul  à  seul,  d'hom- 
me à  homme. 

MoNOPE,  animal  fabuleux  à  un  seul  pied. 

Monopole,  faction,  révolte. 

JIONOPOLÉ,  irrité,  soulevé,  révolté. 

MONORTicuLER,    mot   forgé   par   Rabe- 


lais, signifiant  :  accuser,  calomnier. 

MoNSLEiiERY,  Moutlhérv,  en  Hurcpoix. 

MoNSSERRiVT,  Montferrat. 

MONSTIER,  couvent. 

Monstre,  revue,  parade. 

MoNSTREusE,  monstrucuse. 

MONSTRIBLE  :  «  Pont  de  Monstrible  », 
Mantrible.  Montrible,  Mons  terri- 
bilis.  C'est  le  pont  fantastique  sur 
lequel  Ferragus  soutient  son  fameux 
combat  dans  le  roman  de  Fierabras. 
Il  reposait  sur  vingt  arches  de  marbre 
blanc,  d'après  les  romanciers  du 
moyen  âge. 

MoNT.\GU,  collège  de  Montaigu,  à  Paris. 

Mont  talent,  Gargantua  jouait  à  k  mon 
talent  »;  jeu  inconnu. 

Mont-joye,  monticule,  monceau. 

MoNTouER  (côté  du  ),  côté  par  lequel  on 
monte  sur  le  cheval. 

MoR.\LES,  musicien  du  temps  de  Rabe- 
lais. 

Morcrocassebezassevezassegrigueli- 
GUOSCOPAPOPONT3RILLÊ,  mot  forgédont 
on  devine  le  sens,  mais  qu'il  est  im- 
possible d'analyser. 

JIorderecrippipiotabirofre- 
luchamburelurecoquelurin- 
thipanemens,  de  même. 

Mordicantes,  fréquentatif  de  mordan- 
tes. 

Mords,  mordu. 

Moresqlte,  morisque.  Mauresque;  dan- 
se des  Mauresques. 

Moret,  sorte  d'encre. 

MORTLAILLER,   manger,   baffrer. 

3I0RGANT,  MORGUAN,  il  Morgante,  chan- 
té par  Pulci,  etc. 

MORGL^E,  Slorgain,  fée  des  légendes  bre- 
tonnes. 

Morgue,  grimace  et  fière  mine.  Ce  mot 
signifie  proprement  un  certain  pli  des 
lèvres  exprimant  l'orgueil  et  le  conten- 
tement de  soi. 

JIORNÉ,  émoussé,  mouclieté;  en  parlant 
d'une  arme  dont  on  se  sert  pour  les 
combats  fictifs. 

MoRosoPHE,  mot  composé  de  deux  mots 
grecs  et  signifiant  :  Fou-sage.  Il  existe 
tm  ouvrage  de  Guillaume  de  la  Pereisc, 
la  Morosophie.  Lyon,  1553,  in-8". 

MORPAIN,  musicien  contemporain  de 
Rabelais. 

MoRPiAiLLE  (vicomte  de),  un  des  capi- 
taines de  Picrochole. 

MoRQUAQUOQUASSÉ,  mot  forgé  par  Ra- 
belais. 

MORR  AMBOUZE  VE  ZENGOUZE  QUO  QUEMOR- 
GATASACBACGL'EVEZINEMAFFRESSÉ,   de 

même. 
Mortier,  coiffure  des  magistrats. 
Mortifié,  faist  en  forme  de  mortier. 


484 


GLOèSAIRÈ    ET    NOTES 


MosES,  Moïse. 

Mouche  (maistre)  :  «  Plus  fin  que  mais- 
tre  Mouche  ».  «  Il  fera  plus  que  maistre 
Mouche...  »  C'est  le  type  de  l'escamo- 
teur. 

MoucHET,  instrument  à  t  esmoucheter  », 
à  chasser  les  mouches. 

MocÉE,  foule,  grand  nombre  d'individus 
qui  se  meuvent;  vol  nombreux  d'oi- 
seaux. 

MofELLE,  moelle. 

MOLFFLES,  mitaines  :  •  A  belles  moufiles 
d'im  bas  de  chausses  ».  En  me  servant 
d'un  bas-dc-chausses  comme  de  mouf- 
fles  ou  mitaines.  Au  figiiré,  baliver- 
nes, niaiserie:  tireur  sapience  n'estoit 
que  moufHes  ». 

MouFLiN  MOUFLART,  nom  forgé  par  Ra- 
belais. 

Moule  (busche  de).  Xa  moule  était  une 
mesure  pour  le  bois,  valant  une  demi- 
corde. 

Moule  (chandelles  de),  chandelles  mou- 
lées. 

Moule,  pour  môle. 

Moule  du  bonnet,  la  tète  :  «  MotJe  de 
mon  gippon  »,  l'estomac  et  le  ventre. 

MouLLE,  lettres  moulées  :  i  Imprimé 
en  moulle  ». 

Moult,  très,  beaucoup. 

Moulu,  musicien  du  temps  de  Rabe- 
lais. 

Moulues,  moules,  coquillages. 

JIOURION",  morion,  armet  de  la  tète, 
casque. 

MouRRE,  jeu  qui  consiste  à  lever  autant 
dedoigtsqu'en  indiqueceluiquidirige 
le  jeu. 

MouRRE,  museau. 

MouRRix,  insecte  qui  dévore  les  grains. 

MOUSCH.UIT,  jeu  inconnu. 

MouscHouoiR,  mouchoir. 

MouSQUE,  mouche;  —  sorte  de  danse;  — 
mousque,  jeu  qui  consiste  à  se  pour- 
suivre autour  d'ime  meule  de  gerbes. 

Mousserons,  champignons;  peut-être 
mouron. 

Moussines,  branches  chargées  de  raisins. 

MouST.ARDOis,  pays  de  la  moutarde, 
imaginé  par  Rabelais. 

MOUT,  pour  moult. 

Mouton,  musicien  contemporain  de 
Rabelais. 

Moutonniers,  gardiens  de  moutons. 


Moutons,  moimaie  d'or.  Rabelais  dit  : 
t  Sloutons  à  la  grand'laine  »,  en  jouant 
sur  le  mot. 

Mouvoir,  remuer,  émouvoir. 

5Io\'EMENT,  mouvement. 

Mo\"ENTE,  remuante. 

Moyennant,  au  moyen  de. 

Mo\'ENS,  médiateurs. 

MoYEL-x  d'œutfz,  jaunes  de  l'œuf. 

MOYN-E,  voir  MOINE. 

MoYNEAUX,  guérites  ambulantes,  mon- 
tées sur  des  roues  et  parfois  doublées 
en  fer. 

Moynerie,  état  de  moyne. 

MoYNETON,  petit  moine. 

Mucer,  cacher. 

Ml^e,  grande  cage  à  mettre  la  volaille  que 
l'on  veut  engraisser. 

Muer,  changer. 

Mugu'eter,   conter  fleurette,  courtiser. 

MuGL"ET,  MUGUETE,  galautin,  coquette. 

5IULES  EN  PONTIFICAT,  mules  icvétues 
de  leurs  plus  magnifiques  harnais. 

MuLiEBRE,  de  femme. 

MuLiEBRiTÉ,  condition  de  femme. 

Ml^xde,  pur. 

MuNic\N,  Monaco,  ville  de  I,igurie. 

JIUNIR,  fortifier. 

Mus.^Fiz,  JIus.vPHiz,  docteurs  mahomé- 
tans.  Rabelais  se  sert  de  ce  mot  pour 
désigner  les  moines. 

Musou)E.\u-LX  (raisins),  raisin  mu-scat. 

MusER.\iGNES,  petits  rats. 

MusmoN'Es,  béliers  de  Sardaigne,  ayant 
le  poil  de  chèvre  au  lieu  de  laine. 

MuT.\TioNS,  changements. 

MuTL'E,  mutuelle. 

MuY",  muid. 

My,  moi. 

My,  demi,  milieu;  tmy-jour;  my-aoust». 

Myagre,  cameline,  plante  férulacée. 

Myopes,  sorte  de  reptiles. 

Myrallier,  miroitier. 

JlYRELiMOFLE,  jeu  inconnu;  l'un  des 
jeux  de  Gargantua. 

Myrian^dre,  quicontient  dix  mille  hom- 
mes. 

Myst.4GOGU"e,  servant  dans  les  mystè- 
res. 

Mystère,  représentation  dramatique 
d'un  sujet  religieux. 

Mystes,  prêtres. 

Mythologes  et  mythologiens,  hom- 
mes instruits  dans  les  mystères. 


GLOSSAIRE    ET    NOTES 


485 


N 


Nabuzardan,  maître  cuisinier  du  roi 
Nabuchodonosor. 

Ce  nom  se  trouve  dans  une  facétie 
en  vers  :  «  Sermon  joyeulx  de  la  vie  de 
sainct  Ong^on,  comment  Nabuzar- 
dan, le  maistre  cuisinier,  lefitmartiri- 
zer.  » 

Nacelles,  pièces  d'argenterie  de  table. 

Nacquetz,  valets  des  jeux  de  paume, 
marqueurs. 

Nageade,  naïade. 

N'a  guères,  n'a  guyeres,  naguère. 

Naïf,  naturel. 

Naphe  (eau  de),  ou  eau  de  naffe,  eau  de 
fleurs  d'oranger. 

Napleux,  qui  la  le  mal  de  Naples. 

Nappées,  nymphes  des  ruisseaux  et  des 
fontaines. 

Nappes  FiotmÉES,  nappes  où  des  figiu-es 
sont  dessinées. 

N.\RGUES,  nargues  !  mot  et  geste  déri- 
soire, dont  on  a  fait  le  verbe  narguer. 
Rabelais  a  imaginé  deux  îles  portant 
le  nom  de  Nargues  et  de  Zargucs,  ter- 
mes équivalents. 

Narré,  relation,  récit. 

Narsay,  bourg  du  Chinonnais. 

N.\siTOR,  cresson  alenois. 

Nason  et  Ovide,  Rabelais  fait  deux  per- 
sonnages avec  le  nom  d'Ovidius  Naso. 

Nasse  corbeille  d'osier  servant  à  prendre 
les  poissons. 

Nasselles,  même  sens  que  nacelles. 

Natatoire,  lieu  pour  nager. 

Nate,  né;  natus. 

Nature  Quite.  Cette  signature  de  l'épi- 
gramme  placée  en  tête  du  cinquième 
livre  est  généraleemnt  considérée 
comme  l'anagramme  de  Jean  Xurquet, 
poète  obscur  de  ce  temps. 

Nau,  nau,  nau  !  Noël  !  cri  de  joie. 

Nauchiers,  nautonniers,  matelots. 

Nauf,  navire. 

Naumachie,  combat  de  vaisseaux. 

Nausiclete,  riche  en  vaisseaux.  «  (i>o'.- 
viy.£ç  vaja:/.)vJTOi  àv'jp£ç,  »  dit  Ho- 
mère dans  l'Odyssée. 

Naute,  prix  du  passage  sur  rm  bateau. 

Navarre  (la  royne  de).  —  Voyez  Mar- 
guerite. 

Navé,  navire. 

Naveau,  navet. 

Navette,  jeu  inconnu;  l'uo  des  jeux  de 
Gargantua. 


Naviger,  naviguer. 

Naviguaige,  navigation. 

Navire,  substantif  du  genre  féminin. 

Navré,  blessé. 

Nay,  né. 

Nayer,  noyer,  se  noyer  :  «  Naye  »  !  excla- 
mation :  je  me  noie  ! 

N.vz.ARDES,  jeu  analogue  au  jeu  des  cro- 
quignoUes  et  au  jeu  des  chiquenaudes. 

Nazdec\bre,  nom  imaginé  par  Rabelais 
et  signifiant  :  nez  de  chèvre. 

Ne,  ni  ou  pas. 

NÉ  .\,  au  lieu  de  né  pour  ;  t  Né  à  paix, 
non  à  guerre  ». 

NÉADES,  bêtes  fabuleuses  dont  parle 
Euphorion. 

NÉARES,  bêtes  fabuleuses. 

NÉARINS,  officiers  de  la  Quinte-Essence. 

Nebulon,  vaurien,  affronteur,  mauvais 
sujet. 

NÉCEPSOS,  roi  d'Egypte,  homme  juste 
et  grand  astrologue,  qui  a  écrit  de 
l'invention  des  remèdes  contre  les 
maladies,  enseignant  le  moyen  com- 
ment on  peut  connoître  de  loin  et 
prévoir  les  maladies  causées  par  la 
constellation  des  figures  et  astres  cé- 
lestes, qu'il  divisoit  en  trois  dizaines 
ainsi  qu'enseigne  Jul.  Firmic.  (Lib.  I 
Mathes.)  Galien  parle  de  ce  roi  et  de 
ses  jaspes  au  neuvième  livre  des  Sim- 
ples, et  touclie  en  brief  ce  que  l'auteur 
en  dit  au  chapitre  vin  du  livre  I.  [Al- 
phabet de  l'auteur  fratiçois.) 

Necromantie,  divination  par  l'évoca- 
tion des  morts. 

Nectarique  (liqueur),  vin. 

Nedibins,  officiers  de  la  Quinte-Essence. 

Neemanests,  de  même  :  mots  hébreux 
voulant  dire  puissants,  fidèles,  assidus. 

Nephelibates,  qui  cheminent  siu:  les 
nuées;  peuple  imaginaire. 

Nephrocatarticon,  remède  pour  les 
maux  de  reins. 

Nercins,  adolescents,  serviteurs  de  la 
Quinte;  mot  tiré  de  l'hébreu. 

Néric,  eaux  minérales  dans  le  Bourbon- 
nais. 

Nestorien,  de  Nestor. 

Netti,  nettoyé,  propre. 

Nettre  Dene,  pour  Notre-Dame, 

Neu,  nœud. 

Neuf-mains  ,  jeu  indéterminé  ;  c'est 
peut-être,  ocmme  on  l'a  supposé  Iç 
jeu  du  pied  de  bœx^JE. 


486 


GLOSSAIRE    ET    NOTES 


NiCATiSME,  danse. 

Nice,  naïf,  joli. 

NiCHiLAUDOS,  vêtement  dont  les  de- 
vants étaient  fort  riches,  et  dont  le 
derrière,  caché  par  d'autres  habits, 
était  d'étoffe  très  commune;  de  nihil 
ad  dorsum  :  gilet. 

NiCQUENOCQUE,  cliiquenaudc,  croqui- 
gnole  ;  —  nom  de  l'un  des  jeu.^  de  Gar- 
gantua ;  on  ne  sait  en  quoi  il  consistait 
on  a  émis  l'hypothèse  que  ce  pou- 
vait être  le  trictrac. 

Nid  de  la  brondée,  un  des  jeux  de  Gar- 
gantua; on  ignore  en  quoi  il  consis- 
tait. 

NiEBLL,  frappé  de  la  nielle,  gâté,  cor- 
rompu. 

Niés,  niais. 

NiPHi.ESETH,  nom  de  la  reine  des  An- 
douilles.  C'est  un  mot  hébreux  signi- 
fiant membrum  virile. 

Nisi  IN-  PONTiFic\LiBUS,  sinon  en  habits 
pontificaux. 

Noble  a  la  rose,  monnaie  d'or  d'Angle- 
terre. Sur  l'une  des  faces  de  ces  pièces 
était  une  rose. 

Noël  xcuvellett,  refrain  des  chants  de 
Noël. 

NoiRETTES,  jeimes  noyers. 

Noise,  querelle,  dispute,  bruit. 

Noisettes,  petites  noises,  petites  que- 
relles. 

NoiziLLES,  petites  noix,  noisettes. 

NoNACRis,  ville  et  fontaine  de  l'an- 
cienne Arcadie. 


NoNANTE,  quatre-vingt-dix. 

NoNCHALOiR,  insouciance,  paresse. 

NoPCES,  NOCES  :  «  Aises  comme  s'ilz  f eus- 
sent de  nopces.  » 

NosocoME,  infirmerie,  hôpital. 

Notable,  substantif  :  dit  notable,  sen- 
tence digne  d'être  notée. 

Note,  pour  rien  :  «  Je  n'y  entends 
note.  » 

Notice,  connaissance;  notUia. 

Notre  Dame  de  Cmiault;  —  de  J^nw- 
rette  ;  —  de  Bonnes-Nouvelles  ;  —  de 
La  Lenou;  —  de  Rivière,  etc. 

Nou,  nœud  :  t  Un  nou  gregeoys  ». 

NouDZ,  nœuds. 

Noi-RRissEMENT,  nourriture. 

NoCRRm,  élever. 

No\TAU,  nouveau. 

Novelleté,  nouveauté. 

Noyer  (B.\lth.\z.\r),  un  des  condisci- 
ples de  Rabelais  à  Montpellier. 

NUBILEUX,  nébuleux. 

Nuisance,  action  de  nuire. 

NvLLUY,  NrxLY,  aucun,  personne. 

Nliierale  (science),  science  des  nom- 
bres, arithmétique. 

Nliierecx,  nombreux. 

NttMERosiTÉ,  grand  nombre. 

NrRXBERG,  Nuremberg. 

Nyctimf.ke,  transformée  en  chouette.  — ■ 
Voyez  les  Métamorphoses  d'Ovide, 
livre  II. 

NYMPH.3EA,  lis  d'étang,  plante  aquati- 
que. 

Nymphal,  de  nymphe. 


o 


Obédience,  obéissance. 

Obelie,  oublie,  petite  pâtisserie. 

Obelisce,  obélisque.  —  Voyez  la  Briefve 
Déclaration. 

Obeliscolychnie,  obélisque  ayant  une 
liunière  à  son  sommet,  et  servant  de 
phare. 

Obelon,  houblon. 

Obfcsqué,  offusqué. 

Object,  objecté,  mis  devant,  opposé  à, 
interposé. 

Objecter  (s'),  se  mettre  devant,  s'in- 
terposer. 

Objection,  interposition. 

OBLiErR,  marchand  d'oubliés. 

Objus,  omis. 

Obrizê.  alïîné,  épuré  par  le  feu. 

Observance,  observation,  pratique. 

Obsister,  s'opposer,  résister. 


Obstant,  empêchant,  mettant  obstacle. 

OBTEMPERER,  Consentir,  obéir. 

Obtenir,  remporter. 

03TESTER.  attester,  prendre  à  témoin. 

Obti-rber,  troubler,  renverser,  inter- 
rompre. 

Occasion,  a  tous  ses  cheveulx  au  front. 

Occire,  tuer. 

OcÉANE  (la  mer),  l'Océan. 

Ocieusement,  oisivement,  sans  rien  fai- 
re. 

OciEUX,  oisif. 

Octante,  quatre-vingts. 

OcTA\x\N.  OcTA\^A^I  Auguste,  l'empe- 
reur Auguste. 

Odoré,  senti. 

CEdipodicql'e  (jambe),  jambe  enflée, 
comme  celle  d'CEdipe. 

CEiLZ,  yeux. 


GLOSSAIRE    EX    NOTES 


487 


Œstre  junonicque,  un  taon,  dit  juno- 
nique.  parce  que  Junon  en  envoya 
un  pour  tourmenter  la  nymphe  lo 
changée  en  vache  par  Jupiter. 

CEuvRÉ,  travaillé. 

Offendre,  attaquer. 

Office,  devoir  :  a  Contenir  en  oifice  », 
contenir  dans  son  devoir. 

Official,  pot  de  chambre. 

Officl-^l,  juge  ecclésiastique. 

Officlu-Ement,  officieusement. 

Officiers  de  gueule,  officiers  de  bou- 
che, cuisiniers,  etc. 

Offot,  nom  d'un  géant. 

Og,  roi  de  Basan,  géant  mentionné  dans 
la  Bible. 

Ogier  le  D.\nnoys,  héros  des  poèmes 
carolingiens. 

Ogvgies,  bacchantes. 

OGY\TES  (isles),  îles  placées  entre  la 
France  et  l'Angleterre,  d'après  Plu- 
tarque. 

Oh.\bé,  roi  de  Gebarim. 

Oignonîî.uje,  sauce  aux  oignons. 

O1NCE,  lynx. 

OINCES,  les  phalanges  des  doigts,  les 
os  que  présente  le  poing  fermé. 

OlxDRE,  frotter  comme  d'un  onguent  : 
«  Oignez  villain,  il  vous  poindra  ». 

Oingnement,  onguent. 

OiNSESTRE,  Winchester,  en  Angleterre. 

OlRE,  GYRE,  vase,  vaisseau,  mesure  de 
liquides.  —  Voyez  Aire. 

OiSE.\u  de  maçon,  sorte  de  chevalet  qui 
sert  à  porter  du  ciment,  du  mortier. 

OiziLLET,  oiselet,  petit  oiseau. 

OiziLLEURS,  oiseleurs. 

Olary  (Saint-),  monastère  de  Montpel- 
lier. 

Olif,  huUe  :  t  N'y  avoit  plus  d'olif  en 
ly  cacaleU  ».  —  Vo3-ez  Caleil. 

OLiirpicoLES,  habitants  de  l'Olympe, 
les  saints,  dans  le  langage  de  l'écolier 
limousin. 

Olivier,  héros  des  poèmes  carolingiens. 

Olkam,  Occam,  théologien  anglais  du 
xiv*  siècle,  chef  des  Nominaux. 

OLKEG.\>f,  musicien  contemporain  de 
Rabelais. 

Oltroy,  action  d'accorder,  d'octro3'er; 
—  octroy. 

Olyjipiade,  manière  de  mesurer  le 
temps  entre  les  Grecs,  espace  de  qua- 
tre ans. 

Ombrophore,  qui  prévoit  la  pluie. 

Omniforjie,  qui  prend  toutes  les  formes. 

Omnigene,  qui  engendre  toutes  choses. 

OaiNijuGE,  qui  juge  et  décide  de  tout. 

Omogené,  rendu  homogène. 

On,  au,  dans  le. 

On.^grxer,  allure  de  cheval  :  pas  vite  et 
menu  comme  celui  de  l'onagre. 


Oncq,  oncques,  ONQtTES,  jamais. 

Oneraire,  destiné  à  porter  des  fardeaux: 
<t  Naufz  oneraires  »,  vaisseaux  de  trans- 
port. 

Oneste,  honnête. 

OxiRiCRiTE,  qui  inteiprète  les  songes. 

OxiROPOLE,  même  sens. 

Onocrot.^l,  onocrotale,  oiseau  aqua- 
tique dont  le  cri  imite  celui  de  l'âne, 
d'après  Pline.  C'est,  croit-on,  le  péli- 
can ;  d'autres  disent  le  butor.  Rabelais 
joue  souvent  sur  ce  mot  :  «  Un  souffie- 
gan  et  trois  onocrotales.  »  Un  suffra- 
gant  et  trois  proto-notaires,  suivant 
Le  Duchat. 

Onojl\tomaniie,  divination  par  le  nom 
du  consultant. 

Onquel,  auquel,  dans  lequel. 

Onymantie,  divination  par  l'ongle  de  la 
main  enduit  de  cire  et  d'huile 

Onys,  Aunis,  province  de  France. 

O  O  DE  Noël,  antiennes  que  l'on  chante 
pendant  l'Avent,  et  qui  commencent 
toutes  par  l'invocatif  O. 

Op.\cité,  qualité  de  ce  qui  est  opa- 
que. 

Ophiasis,  sorte  de  lèpre  de  la  tète. 

Ophite,  marbre  tacheté  comme  la  peau 
d'im  serpent,  et  aussi  serpent  à  la  peau 
tadietée. 

Ophyre,  animal  fabuleux. 

OPL-iTTE,  opiat. 

Opignere,  enrichi,  orné. 

Opinion  (l'),  l'un  des  jeux  de  Gargan- 
tua, vraisemblablement  sorte  de  jeu 
de  cartes. 

Oppiler,  boucher,  fermer,  obstruer. 

Opposite,  opposé,  situé  du  côté  opposé. 

Oppression,  action  de  presser,  de  pous- 
ser, de  fouler. 

Oppugner,   combattre,   attaquer. 

Opter,  désirer,  souhaiter,  choisir. 

Option,  choix. 

Or,  ores,  maintenant. 

Or.\,  nymphe  scythique  aimée  de  Jupi- 
ter. 

Or-USON  solue,  prose. 

Orange,  oiseau  de  mer,  espèce  d'alcj'on. 

Orbiculairesient,  en  rond. 

Orche  (.4),  à  gauche;  dans  le  vocabulaire 
des  marins  on  dirait  maintenant  :  à 
bâbord. 

Orchis  le  petit.  Les  orchis  sont  une 
plante  à  qui  la  ressemblance  de  ses 
racines  avec  les  testicules  a  fait  attri- 
buer des  vertus  aplirodisiaques. 

Selon  Théophraste  (li%Te  IX,  cha- 
pitre six),  le  phxs  grand  de  ses  deux 
tubercules,  pris  dans  du  lait  de  chèvre, 
favorise  l'acte  vénérien,  tandis  qu'au 
contraire  le  plus  petit  l'empêche. 

Ord,  sale. 


GLOSSAIRE    ET    NOTES 


488 


Ordalies,  épreuves  que  l'on  faisait  subir 
aux  accusés. 

Ordres,  rangs  :  «  Reçu  entre  les  ordres  «. 

Oré-^des,  nymphes  des  montagnes. 

Orée,  bord,  lisière,  entrée. 

Oreille  de  judas,  espèce  d'agaric  ou 
de  champignon. 

Orer,  prier. 

ORFEVRERIE,  travail  de  rorfè\Te,  cise- 
lure. 

Orgeau,  pour  ayeau,  barre  du  gouver- 
nail. 

Orgdes  (dire  d'),  parler  comme  un  ora- 
cle. Nous  voyons  dans  un  vieil  auteur 
cité  par  iïabillon  :  organa  (en  français, 
les  orgues)  prophetarum,  expliqués  par 
vaiicinia,  oracida,  les  oracles  des  pro- 
phètes. 

Ortbus  (pouldre  d'),  poudre  imaginaire, 
comme  la  poudre  die  Perlimpinpin. 

Oriflaiibe,  oriflanune. 

Oriflan,  orifl.ant,  éléphant. 

Orme  (Philibert  de  l'),  célèbre  archi- 
tecte du  temps  de  François  I*',  lié  avec 
Rabelais  comme  on  le  voit  par  ce  qui 
est  dit  au  chapitre  lxi  du  li\Te  IV. 

Orob.anche,  herbe  teigne,  ers. 

Oromedon,  nom^  d'un  géant. 

Orque,  grand  bateau. 

ORRiPiL.'i.Tlox,  pour  horripilation. 

Ortie,  poème  que  l'on  chaintait  dans  les 
combats. 

Ortigl'E.  ortie  de  mer,  petit  poisson. 

Ortuinus,  auteur  d'un  prétendu  livre 
Ars  honesie  petandi  in  societate.  Rabe- 
lais veut  parler  sans  doute  d'Ortuinus 
Gratins  (Hardouin  de  Graetz),  doc- 
teiu'  de  Cologne,  ardent  ennemi  d'É- 
rasme, de  Reuclilin,  etc.  ^Morellet 
voit  là  ime  allusion  à  im  fait  relaté 
dans  les  EpistoliB  obscuroruni  viro- 
rum.  Maître  Ortuinus,  à  qui  elles  sont 
adressées,  voulant  un  jour  étrangler  un 
vent,  conchia  vilainement  ses  chaus- 
ses. Il  est  plaisant  de  lui  prêter  un  li\Te 
sur  un  art  qu'il  entendait  si  mal. 
Oryge,  animal  d'Afrique  de  l'espèce  des 
licornes.  —  Voyez  Pline,  li^Te  VIII, 
chapitre  lxxes. 
Os.\XNTERE.  —  Voyez  la  Briefve  Décla- 
ration. 
OsciNE,  oiseau  dont  on  consulte  le  chant 

pour  en  tirer  des  augures. 
OsT,  OUST,  armée. 

OST.ARDE,  outarde;  oiseau  aquatique. 
Otacuste,  espion,  délateur. 
Othe,  nom  d'un  géant. 
Otieus,  oisif. 


Ou,  au,  dans  le. 

Ouailles,  brebis  :  «  Aux  ouailles,  ma.s 
tins!  » 

Ol^liance,  oubli. 

Oum,  entendre  :  «  Je  oy  »,  j'entends; 
t  j'oyois  »,  j'entendais;  t  j'oiray,  nous 
oyrons  »,  j'entendrai,  nous  entendrons; 
t  oyant  »,  entendant;  t  oy,  ouy  »,  en- 
tendu. 

OuLTR.\GE,  outrage. 

OuLTRAGER,  outrager. 

OuLTRE,  enflé  comme  ime  outre. 

OrLTRECUIDAXCE,     OULTRECUYDANCE, 

présomption,  témérité. 
Olxtrecuidé,  oultrecuydê,  présomp- 
tueux, téméraire. 
Oultrepasser,  outrepasser,  commettre 

une  faute. 
OuLTROY,  action  d'accorder,  d'octroyer, 

—  octroy. 
Oultroyer,  octroyer,  accorder^ 
OuQUEL,  auquel,  dans  lequel. 
Ous,  os. 

OrsT,  OST,  armée. 
OusTER,  ôter. 

OusTRE  (plus)  !  Passons  outre,  n'arrê- 
tons pas. 
Outre  (passasmes).  Rabelais  se  sert  de 
cette  expression  :  «  passer  outre  », 
pour  faire  de  ce  dernier  mot  le  nom 
d'une  île,  et,  continuant  de  jouer  sur 
les  mots,  il  fait  des  habitants  de  cette 
île  des  gens  outrés,  enflés,  crevant  de 
graisse. 
Ou\^RT,  pour  découvert:  «  Chef  ouvert  », 

tête  découverte. 
Ouvert,  locution  proverbiale  :  t  Tou- 
jours  ouvert,   comme  la  gibbessière 
d'un  advocat  ». 
Ox-VROIR,  atelier,  boutique,  comptoir. 
OuvROUorR,  ouvToir. 
OUY.ANT,  oyant,  entendant. 
OUYR.  entendre.  Voir  :  Ouïr. 
OuzEAULX,  pour  houzeaux,  bottes. 
Oxidraces,  peuples  de  l'Inde  dont  il  est 
question    dans    Philostrate    et    dans 
Quinte-Curce. 
Oye    (petite),   l'abatis   d'une   oie;    par 
extension,  en   appliquant   ce   mot  à 
un  homme  ou  à  une  femme  :    bras, 
jambes,  tête,  poumons  et  râtelle. 
Oyes,  poissons. 

Oysox  bridé,  oison  dans  le  bec  duquel 
on  a  passé  xme  pliune  pour  l'empêcher 
de  traverser  les  haies  et  les  clôtures  des 
jardins. 
OziLLOXS,  petits  oiseaux. 


GLOSSAIRE    ET    NOTES 


489 


Pacolet,  cheval  de  bois  enchanté  qui 
sen-ait  de  monture  au  héros  du  roman 
populaire  de  Valentin  et  Orson. 

Paction,  pacte,  accord. 

Pactol,  fleuve  de  Lydie,  roulant  des 
paillettes  d'or. 

Padres,  pères. 

P.VELE,  PAELLE,  pelle,  poêlc  :  «  H  croyoit 
que  nues  sont  paeles  d'airain,  d 

Paellox,  p.\esi,on',  poêlon. 

Paffdz,  nom  d'une  arme  nommée  pa- 
furttim  en  basse  latinité.  Paftirtum 
ferreum  :  e  Un  grand  paffus  à  taillans  «, 
dans  Du  Cange. 

Page,  jeune  domestique  :  «  Hors  de 
page  »,  ayant  passé  l'âge  où  l'on  était 
page. 

Pageau,  pagre;  poisson  de  mer  sembla- 
ble à  la  brème. 

P.^GiNE,  page  d'un  livre. 

Pacxier,  musicien  contemporain  de 
Rabelais. 

P.\iLLARD,  paillarde,  SU  propre,  qui  se 
roule  sur  la  paille  de  son  lit,  sur  sa 
paillasse;  figurément,  débauché,  vi- 
cieux. 

Paillarder,  au  propre,  se  rouler  sur  sa 
paillasse;  figiuément,  faire  la  débau- 
che. 

P.\ill.\rdise,  débauclie,  libertinage. 

Paille,  comme  pacle,  poêle. 

Paillier,  grenier  à  la  paille  :  «  Vous  au- 
rez mauvais  hyver,  le  feu  est  en  vos- 
tre  paillier  ». 

P.iix,  locution  proverbiale  :  «  Faire  de  tel 
pain  telle  souppe  ». 

P.iiN  B.\LLiî,  pain  grossier  où  le  son  est 
mêlé. 

Painctre,  peintre. 

PAiNCTtJRE,  peintiu-e. 

Paixexsac  (le  seigneur  de),  nom  forgé 
par  Rabelais. 

Pair,  paire  :  «  Une  pair  de  chausses  est 
bon  »;  —  couple  :  «  Un  nouveau  pair 
d'amitié  ». 

P.-viR,  égal. 

P.4IR  Err  SÉQUENCE,  uu  des  jeux  de  cartes 
auquel  jouait  Gargantua. 

Pair  ou  non,  c'est  le  jeu,  encore  en 
usage  de  «  pair  ou  impair  ». 

PAIS.4NT,  paysan. 

Paistre,  nourrir. 

Pal,  pieu. 

Pal.amides,  sorte  de  poissoo. 

PvUAT,  palais. 


Palatin,  paladin. 

Pales,  pelles. 

P.\LEFROY,  cheval  à  l'usage  des  dames, 
richement  harnaché;  cheval  de  parade 
et  de  cérémonie. 

Palerée,  pelletée. 

Palet  (le),  l'un  des  jeux  de  Gargantua. 

Palingenesie,  itérative  génération. 

Palixtocie,  enfantement  renouvelé. 

Palladin,  de  PaUas. 

Pallatins,  gens  du  palais,  des  tribunaux 

Pallatins,  gens  du  palais,  des  tribu- 
naux. 

Palle,  manteau;  pallium. 

P.\LLE,  pauche-cuiller;  oiseau. 

P.\LLE,  arquebuse  de  cliasse. 

Palle,  cliaton  d'une  bague. 

Palletocql:é,  enveloppé  d'un  palle- 
tocq.  ou  comme  d'un  palletocq,  vête- 
ment en  forme  de  jaquette  devenu  le 
paletot  moderne. 

Palme,  palmier. 

P.\LODES.  KaTa  -Ji  rTaÀtoosç.  dit 
Plutarque.  Amyot  traduit  ces  mots  par 
«  à  l'endroit  des  basses  »,  comme  s'il 
lisait  T:T|Àfoo;ç.  vaseux,  boueux;  mais 
il  y  avait  en  Épire  iin  port  nommé 
Pelades  ou  Palodes  (les  Épirotes  permu- 
tant dans  leur  dialecte  Vr^  et  l'a),  nom 
qui  du  reste  a  probablement  la  racine 
que  nous  indiquons  plus  haut.  Or  Épi- 
therses,  venant  de  passer  auprès  des  îles 
Échinades  et  Paxos  se  trouvait  préci- 
sément à  la  hauteur  des  côtes  de  l'É- 
pire. 

Palombe,  pigeon  ramier. 

Palourde,  sorte  de  coquillage  bivalve. 

Palude  tritonique. 

[sîe  viros  lama  est  in  Hypcrborea  Pallcne, 
Qui  sûleant  levibns  veiari  corpora  plumis, 
Quiiia  iriinniaoum  novies  sabie!-e  paludem  ; 
Dadilequiilemcreilo. 

(Ovide,  Mét.^\ïv.  XV,  v.  356  &  s.. 

Palus,  marais. 

Palys,  palissade,  piquets,  pieux  :  «  Saul- 
ter  le  palys  ». 

Pampillettes,  brins,  paillettes. 

Pamyle.  L'auteur  a  pris  de  Plutarque, 
au  traité  d'Isis  et  d'Osiris,  tout  ce  qu'il 
raconte  de  cette  femme,  chapitre  l  du 
livre  III;  de  laquelle  a  pris  son  nom 
la  teste  des  Pamyliens  en  Egypte,  où 
l'ou  sacrifioitaudieu  Osjris,  qu'aucuns 


490 


GLOSSAIRE    ET    NOTES 


disent  cstre  le  dieu  Bacchus;  car  on 
monstroit  le  Priape,  et  le  portoit  on  en 
pompe  durant  tels  sacrifices.  (.4/- 
phabet  de  l'auteur  français.) 

Pan,  pour  empan,  mesure. 

Panace,  fille  d'Esciilape. 

Panacée,  sorte  de  plante,  remède  à  tous 
maux. 

P.VNDECTES,  recueil  des  lois  romaines. 

Pane,  panne,  aile  d'une  voile  enflée 
en  bouline. 

Panem-i,  tout  sanglant;  nom  de  champs 
de  l'île  de  Samos. 

Panerée,  plein  panier  :  «  Panerées  de 
diables  ». 

Panerot.  petit  panier. 

Panes,  satires,  égipans. 

PANic\tiLT,  chardon  à  cent  tètes  dit 
aussi  eryngium. 

Panice,  panique. 

PANOiiPHtE,  qui  convient  à  tous  les 
pays,  à  toutes  les  nations. 

Panoriie,  canon iste,  jurisconsulte,  qui 
est  le  même  sans  doute  que  le  sui- 
vant. 

P.\NOJiiRT.«*,  Nicolas  de  Tudeschis,  ar- 
chevêque de  Palerme,  auteur  de  com- 
mentaires sur  les  Décrétales. 

P.ANOUERE,  hotte,  corbeille  pour  la  ven- 
dange. 

Pans,  panneaux,  pour  paons,  paon- 
neaux. 

P.\NSE,  proverbe  :  «  De  la  panse  vient  la 
danse  ». 

Pantagruel,  l'étymologie  de  ce  nom 
est  donnée  par  Rabelais  au  chapitre  n 
du  livre  II. 

Dans  un  mystère  de  la  Vie  de  saint 
Louis,  remontant  au  delà  de  1742  et 
conserv-é  à  la  Bibliothèque  nationale,il 
y  a,  parmi  les  démons  qui  entourent 
Lucifer,  un  diable  nommé  Pentha- 
gruel  (sic),  qui  raconte  ainsi  ses  ex- 
ploits :  a  Si  tu  savais  d'où  je  viens,  dit 
il,  tu  me  tiendrois  homme  de  bien.  Je 
viens  de  la  grande  cité  de  Paris  :  j'ai 
été  toute  la  nuit  —  oncques  je  n'eus 
telle  peine  —  autour  de  ces  galants 
qui,  hier  soir,  avaient  bu  jusqu'à  He- 
braos.  Tandis  qu'ils  étaient  au  repos, 
je  leur  ai  subtilement  bouté  du  sel  dans 
la  bouche,  doucement,  sans  les  réveil- 
ler. Aussi,  par  ma  foi  !  au  réveil  ils 
ont  eu  plus  soif  que  devant  !  »  On  voit 
d'où  venait  le  fameux  héros  rabelai- 
sien. Près  de  cent  ans  avant  Rabe- 
lais, nous  le  découvrons  dans  nos  vieux 
mystères  dramatiques. 

PANTAGRUELiCQtTE,  adjcctif  formé  du 
nom  précédent. 

Pantagrvelion,  le  chanvre,  comme  cela 
ressort  assez  de  la  description  très 


exacte  que  Rabelais  en  donne.  Rabe- 
lais en  fait  en  outre  le  symbole  de  la 
discipline  sociale  et  de  l'activité  et  de 
l'industrie  humaine,  une  sorte  de  talis- 
man positif,  de  Saint-Graal  matériel, 
qu'il  oppose  aux  mythes  des  vieux  ro- 
mans. 

Pantagrueliser.  suivre  l'exemple  et  la 
doctrine  de  Pantagruel. 

Pant.\gruelis.me,  c'est,  suivant  Rabe- 
lais, «  certaine  gayeté  d'esprit  conficte 
en  mespris  des  choses  fortuites  ».  — 
Voyez  Prologue  du  livre  IV. 

Pantagrueliste,  qui  pratique  le  Panta- 
gruelisme. 

Pantarches,  pant.\rques,  pancartes, 
paperasses. 

Panth.\rbe.  Suivant  Philostrate,  dans 
sa  Vie  d'Apollonius,  le  pantarbe  était 
une  pierre  précieuse  de  l'Inde,  ayant 
de  l'analogie  avec  l'aimant.  —  Voyez 
Philostrate,  livre  III,  chapitre  xiv. 

Panthéologie,  mot  forgé  pour  expri- 
mer l'universalité  de  la  théologie,  qui 
embrassait  toutes  les  autres  science-;. 

Pantofle,  p.^ntophle,  pantoufles. 

Paniolfe,  Paudolfo,  nom  italien. 

P.\nurge.  «  Un  factotum,  un  maistre 
Aliboriuu,  qui  de  tout  se  mesle.  Item 
un  matois,  fin  et  malicieux.  Jupiter, 
au  2"  Dialogue  des  Dieux  de  I^ucian, 
reproche  à  l'Amour  qu'il  est  y^otov 
v.tX  ~avrJ■J^Yoç.  vieux,  fin  et  trom- 
peur. Panurge  est  un  homme  qui  met 
toute  pièce  en  œuvre.  »  (Alph.). 

Panurge  entre  en  scène  en  parlant 
divers  langages.  Voici  la  traduction 
de  ces  discours  : 

1°  «  lunker,  Gott  geb,  etc.  »  En  alle- 
mand. 

«  Jeune  gentilhomme.  Dieu  vous 
donne  joie  et  prospérité  avant  tout. 
Cher  gentilhomme,  je  dois  vous  ap- 
prendre que  ce  que  vous  voulez  savoir 
est  triste  et  digne  de  pitié.  J'en  aurais 
loag  à  vous  conter,  et  ce  ne  serait  pas 
plus  amusant  pour  vous  d'écouter  que 
pour  moi  de  narrer,  bien  que  les  poètes 
et  les  orateurs  d'autrefois  aient  sou- 
tenu, dans  leurs  adages  et  sentences, 
que  le  souvenir  des  peines  et  de  la 
pau\Teté  endiu-ées  soit  un  vrai  plai- 
sir. » 

2°  «  Al  barildim  gotfano,  etc.  •«  In- 
compréhensible. M.  Burgaud  des  Jla- 
rets  fait  cette  remarque  qu'on  peut 
décomposer  en  monosyllabes  anglais 
tout  ce  passage. 

i  Ail  bar  iU  dim  god  Fan  o  deck  mine 
brine  ail  ado  adoor  din  fall  brot  zing 
van  ail  bar  as.  Nine  pork  adit  kin  ail 


GLOSSAIRE    ET    NOTES 


491 


mug  at  In  mllh  o  prime  ail  em  him, 
etc.  » 

3"  <i  Signor  m  io,  vo  i  vcdete  per  essem- 
pio...  »  En  italien. 

«  Monsieur,  vous  voyez,  par  exemple, 
que  la  cornemuse  ne  sonne  jamais 
si  elle  n'a  pa5  le  ventre  plein.  Ainsi  moi 
pareillement,  je  ne  puis  vous  raconter 
mes  aventures  si  mon  ventre  affamé 
n'a  pas  auparavant  sa  réfection  accou- 
tumée; il  lui  semble  que  les  mains  et 
les  dents  ont  perdu  leurs  fonctions 
naturelles,  et  sont  entièrement  anéan- 
ties. » 

4°  «  I/)rd,  if  you  be  so  vertuous...  »  En 
anglais. 

«  Si  vous  aviez,  seigneur,  les  senti- 
ments aussi  élevés  que  votre  stature, 
voxis  auriez  pitié  de  moi  :  car  la  nature 
nous  a  faits  égaux,  mais  la  fortime  en  a 
élevé  quelques-uns  et  rabaissé  d'au- 
tres. Néanmoins  la  vertu  est  souvent 
avilie  et  les  hommes  vertueux  sont 
souvent  méprisés,  car  avant  le  terme 
filial,  personne  n'est  bon  ». 

s"  «  Jona  andie,  guaussa  goussy 
etan...  »  C'est  du  basque  défiguré  : 
L.  Urhersigarria  {Examen  critique 
du  Manuel  de  la  langue  basque)  le  réta- 
blit ainsi  : 

«  Jaun  handia,  gauza  gucietan  behar 
da  erremedio;  bebar  da,  bercela  icer 
lan  da.  Ambatez  othoyez  nauzu,  eguin 
ezazu  gur,  aya  proposatia  ordine  den. 
Xon  izanen  baita  facheria  gabe,  gina- 
raci  bada  zadazu  neure  asia.  Arren 
horen  hondoan,  galde  zadazu  nahi 
duzuna;  eztut  hutcic  eguinen  zuri  nie, 
erten  derauzut  eguia  arimaz,  Jaincoac 
placer  badu.  » 

C'est-à-dire,  littéralement  : 
0  Alon  grand  monsieur,  à  toute  chose 
il  faut  un  remède;  il  en  faut  un,  autre- 
ment besoin  est  de  suer.  Je  vous  prie 
donc  de  me  faire  connaître  par  signe 
si  ma  proposition  est  dans  l'ordre;  et 
si  elle  vous  par^t  sans  inconvénient, 
donnez-moi  ma  subsistance.  Puis  après 
cela,  demandez-moi  tout  ce  que  vous 
voudrez,  je  ne  vous  ferai  faute  en  rien; 
je  vous  dis  la  vérité  du  fond  du  cœur, 
s'il  plaît  à  Dieu.  » 

f  «  Prug  frest  frinst  sorgdmand...  » 
Ce  sont  des  mots  forgés  à  plaisir. 

7°  0  Heere,  ik  en  spreeke  anders...  » 
En  hollandais. 

a  Monsieur,  je  ne  parle  point  une 
langue  qui  ne  soit  pas  chrétienne  :  il 
me  paraît  toutefois  que,  sans  que  je 
vous  dise  un  seul  mot,  mes  haillons 
vous  décèlent  assez  ce  que  je  souhaite. 


Soyez  assez  charitable  pour  me  don- 
ner de  quoi  me  restaurer.  » 
S"  «  Segnor,  de  tanto  hablar  yo  soy 
cansa<lo...  »  En  espagnol. 

«  Monsieur,  je  suis  las  d'avoir  tant 
parlé;  aussi  je  vous  supplie  d'avoir 
devant  vos  yeux  les  préceptes  de 
l'Évangile,  pour  qu'ils  émeuvent  votre 
conscience  :  s'ils  étaient  insuffisants 
à  exciter  votre  charité,  j'invoque  la 
pitié  naturelle,  et  vous  n'y  serez  point 
insensible.  Sur  ce,  je  me  tais.  » 

ij"  <(  Jlin  lierre,  endog  ieg  med  in- 
gen...  11  En  vieux  danois. 

«  Monsieur,  même  au  cas  que,  com- 
me les  enfants  et  les  bêtes  brutes,  je  ne 
parlasse  aucune  langue,  mes  vête- 
ments et  la  maigreur  de  mon  corjjs 
montreraient  clairement  les  choses 
dont  j'ai  besoin,  ce  qui  est  vraiment 
de  quoi  manger  et  de  quoi  boire.  Ayez 
donc  pitié  de  moi  et  ordonnez  qu'on 
me  donne  de  quoi  maîtriser  mon  esto- 
mac aboyant,  de  même  qu'on  met  une 
soupe  devant  Cerbère.  En  ce  cas,  vous 
vi\Tez  longtemps  et  heureux.  » 

10°  «  Adoni  scholom  lecha...  »  C'est 
de  l'hébreu  altéré.  M.  Carmoli  le  réta- 
blit ainsi  : 

«  Adonai,  schalôm.  lacliêm.  Im  is- 
char  hatob  aal  aabdecha,  bimherali 
thithên  li  kikar  lechêm,  chachatub  : 
malveli  adonaï  chonèn  dal.  » 

«  ilonsieur,  la  paix  soit  sur  vous.  Si 
vous  voulez  faire  du  bien  à  votre  ser- 
viteur, donnez-moi  tout  de  suite  une 
miche  de  pain,  ainsi  qu'il  est  écrit  : 
Celui-là  prête  au  Seigneur,  qui  a  pitié 
du  pauvre.  »  (Proverbes,  xix,  17.) 

II"  «  Despota  tynin  panagatlie. . .  » 
En  grec. 

<c  Pourquoi  donc,  excellent  maître, 
ne  me  donnez- vous  pas  de  pain?  Vous 
me  voyez  bien  mourir  misérablement 
de  faim;  et  vous  êtes  pour  moi  sans 
pitié,  et  vous  me  faites  des  questions 
inutiles.  Pourtant  tous  ceux  qui  ai- 
ment et  cultivent  les  letlreï  n'avouent- 
ils  pas  qu'il  n'est  nul  besoin  de  recou- 
rir aux  mots  et  aux  harangues  quand 
la  chose  elle-même  est  claire  pour  tout 
le  monde?  Les  discours  ne  sont  néces- 
saires que  là  où  les  choses  sur  lesquel- 
les nous  discutons  ne  se  montrent  pas 
à  point.  » 

I,' orthographe  du  grec  de  Rabelais, 
comme  le  fait  remarquer  M.  de  Moutai- 
glon,  se  rapporte  non  pas  à  la  pronon- 
ciation réglée  par  Érasme  et  adoptée 
jusqu'à  nos  jours,  mais  à  la  pronon- 
ciation qu'on  lui  substitue  maintenant 
d'après  celle  qui  s'est  conservée  tradi- 


492 


GLOSSAIRE    ET    NOTES 


tionnellement  en  Grèce.  Rabelais,  ami 
de  Lascaris,  la  connaissait. 

12"  €  Agonou  dont  oussys  vou  dena- 
guez...  »  Inintelligible. 

1 3»  «  jam  toties  vos,  per  sacra. . .  »  En 
latin. 

€  Je  vous  ai  déjà  bien  des  fois  con- 
juré, par  ce  qu'il  y  a  de  plus  sacré,  par 
tous  les  dieux  et  par  toutes  les  déesses, 
si  quelque  pitié  peut  vous  toucher,  de 
me  soulager  dans  mon  indigence;  mais 
mes  cris  et  mes  lamentations  ne  ser- 
vent à  rien.  Permettez,  je  vous  prie, 
permettez-moi,  hommes  impitoyables, 
de  m'en  aller  partout  où  les  destins 
m'appellent,  et  ne  me  fatiguez  point 
davantage  de  vos  vaines  interpella- 
tions, vous  souvenant  de  l'ancien  pro- 
verbe qui  dit  que  veiiire  affamé  n'a 
point  d'oreilles.  » 

Panzoust,  village  du  Chinonnais. 

P.\ouR,  peur. 

PAorrvRE,  pao\tœ:,  pau\Te. 

Paou\tiet,  paovset,  pauvret. 

PAOtrvTŒTÉ,  p.iioVRETÉ,  pauvreté. 

Papefigues,  qui  font  la  figue  au  pape, 
qui  se  moquent  du  pape;  ce  sont  les 
protestants. 

P.iPEFiGuiÊRE,  pays  des  Papefigues. 
L'anecdote  du  diable  de  Papefiguière 
a  été  contée  par  La  Fontaine. 

P.^PEFiL,  la  partie  supérieure  d'une  voile. 

P.tPEGAUT,  PAPEGESSE,  nomS  gTOtCSqUCS 

formés  du  mot  pape. 

Pagegay,  papeguay,  perroquet. 

P.\PEL.\RD,  hypocrite,  faux  dévot. 

Papeligosse,  pays  où  l'on  se  gosse  du 
pape,  comme  celui  de  Papefiguière. 
Paperasser,    manier,    consulter   des 
paperasses. 

Paperat,  papier,  paperasse. 

Papillettes,  brins;  diminutif  de  pail- 
lettes. 

Papiixox,  raie  bouclée;  poisson. 

P.-vpiM.\XE,  ayant  la  manie,  la  folie  du 
pape.  D'où  Papimanie,  pays  des  Papi- 
manes,  et  l'adjectif  papimanique. 

Papinian,  Papinien,  célèbre  juriscon- 
sulte romain. 

P.\PPE,  duvet  qui  enveloppe  certaines 
fleurs,  comme  celle  du  chardon. 

Papver,  commencer  à  parler  comme  les 
enfants,  bégayer,  babiller. 

V.KR,  pour  :  «  Par  trop  avoir  mangé  des 
tripes.  • 

P.\R  (de),  de  )a  part  de  :  «  De  par  Grand- 
gousier.  » 

Par,  pour  part,  partie  ;  t  La  par  senes- 
tre  »,  la  partie  gauche,  t  Par  de  ceci, 
par  de  cela  »,  en  partie  de  ceci,  en  par- 
tie de  cela,  t  Par  tachant  de  s'entresur- 


prendre,  par  pour  soi  sauver,  •  les  uns,. . 
les  autres,  etc. 
Par,  p)air;  impar,  impair. 
Parabolains,  charlatans,  hâbleurs;  de 
l'italien  parabolani  ;  t  Parabolains  au 
long  faucile  et  au  grand  code.  »  Char- 
latans au  long  avant-bras  et  au  grand 
coude,  par  allusion  aux  doubles  man- 
ches de  l'ancienne  robe  des  médecins. 
Paradis,  en  grec  :  «  Ce  sont  jardins  en 

françois  ». 
P.4RADOXE,  paradoxal. 
P.\ragox,  PARJtAGOf,  modclc,  terme  de 
comparaison  :  •  Sans  paragon  »,  sans 
pair,  incomparable. 
P.^raige,   famUle,   rang  :   c  Dames  de 

hault  paraige.  » 
P.\R.\xGON->rER ,   PARRAGONER,    compa- 
rer. 
Paranymphe,  latin  pronubus,  celuy  qui 
de  la  part  du  futur  marié  avoit  toute- 
charge  d'adviser  au  contrat  de  ma- 
riage. Item  qui  conduisoit  le  marié  eu 
sa   maison.   Tout   ainsi   que   pronuba 
estoit    celle    qui    menoit    coucher    la 
mariée.    Davantage    le    paranymphe 
s'appeloit   en   latin   auspex,   pour   ce 
qu'il   prenoit   augure   de   bon   ou   de 
mauvais    succez    du    mariage.    Voilà 
pourquoy  on  peut  attribuer  ce  mot  à 
ceux  qui  conduisent  quelques  affaires, 
comme  fait  l'Auteur  au  chapitre  xxxix 
du    li%-re    III.    {Alphabet    de   Fauteur 
fraitçois.) 
Paras.axge,  mesure  de  distance  chez  les 
anciens,  elle  variait  de  trente  à  soixan- 
te stades. 
P.\RASIXE,  poLx-résine. 
Parast.\tes,  coq)s  longs  placés  sur  les 

testicules;  épididyme  et  prostate. 
P.\R.\v.\XT,  auparavant. 
Parce,  Parque. 

P.\RCHEiiDf  :  <  Le  diable...  allongea  son 
parchemin...  » 

Allusion  à  une  légende,  ainsi  racon- 
tée par  Pierre  Grosnet  dans  les  Mots  et 
Sentences  dorées  de  CfUhon  (Lyon  et 
Paris,  1533)  : 

....  En  l'Ecclise  de  Dieu 
Femmes  ensemble  caquetoyent. 
Le  diable  y  estoit  en  ung  lieu, 
Escripvant  ce  qu'elles  disoyent. 
Son  rollet  plein  de  point  en  point. 
Tire  aux  dents  pour  le  faire  croistre. 
Sa  prinsc  cschappe  et  ne  tient  point. 
Au  pilier  s'est  heurté  la  teste. 

Pard,  léopard. 
Pardoint,  pardonne. 
P.^RDON'NAiRES,  vendeurs  de  pardons. 
Pardon-n'ate,  en  italien  :  pardonnez. 
Pardonïjeur,  gagneur  de  pardons. 


GLOSSAIRE    ET    NOTES 


493 


PARDONNIGèRE,  vendeur  de  pardons  ou 
d'indulgences. 

Pardons  (guaigner  les),  gagner  les  indul- 
gences. 

Pardurable,  étemel. 

P.\RÉADES,  serpents  venimeux  cités  par 
Pline. 

Parkmext,  ce  qui  pare  :  «  Parement  de 
buffet  »,  argenterie. 

Parp.uct,  parfait. 

Parfaire,  faire,  accomplir,  achever. 

P.VRFOND,  profond. 

Parfondement,  profondément. 

Parforcer  (se),  s'efforcer,  faire  effort. 

Parfunct,  parfum. 

Parguoys,  perguois  (couteairs),  petits 
couteaux  que  l'on  fabriquait  dans  le 
Perche. 

Parien,  de  Parcs. 

Parisatis,  mère  de  Cyrus,  roi  des  Perses. 

Pariser,  parier,  appareiller,  assortir, 
joindre. 

Parlement,  parlage,  bavardage. 

Parlementer,  parler,  converser. 

P.IlRlouoir,  parloir,  lieu  d'audience  et 
de  conversation. 

P.\RMENTIER  (Miclicl),  libraire  de  Lyon. 

Parmy,  dans,  au  milieu,  à  travers,  le 
long  de  :  «  Parmy  le  lict  »,  dans  le  lict. 
«  Suer  parmy  le  corps  »,  avoir  tout  le 
corps  en  sueur.  «  Petits  banquets 
parmiy  »,  petits  banquets  au  milieu  de 
tout  cela. 

Parodelle,  fromage  rond. 

Parœce,  paroisse,  canton. 

Parpaillon,  papillon. 

Parpaillos  (le  roy  des).  Par  paillas  vou- 
lait dire  à  la  fois  papillons  et  mé- 
créants. 

Parquet,  le  parterre  d'un  théâtre. 

P.4JtRHESlENS,  qui  parlent  avec  facilité 
et  avec  liberté,  du  grec  Tzy.OGr^rj'.o.'Çî'.v. 
C'est  l'étymologie  du  mot  Parisien, 
selon  Rabelais. 

Pars  (les),  livre,  rudiment  qui  traite  des 
huit  parties  du  discours. 

Parsus  (au),  par-dessus,  au  surplus. 

Part,  partie,  côté,  parti. 

Part  (se),  se  partage. 

Partement,  départ. 

Parthisane,  partusane,  pertuisane, 
hallebarde. 

Partlaxitez,  querelles. 

Partie,  part,  lot. 

Partir,  partager  :  j  Avoir  maille  à  par- 
tir »,  avoir  un  centime  à  partager.  On 
dit  encore  :  «  Nous  sommes  bien  par- 
tis »,  nous  sommes  bien  lotis. 

Partusane,  parthisane,  pertuisane. 

Partuys,  pertuis,  trou. 

Party,   traitement,   partage   :   «   Faire 


party  raisonnable  »,  traiter  raisonna- 
blement et  sans  rigueur. 

Parva  logicalla;  il  y  a  un  traité  sous 
ce  titre  :  Pclri  Hispani  Ulyssiponensis 
Parva  logicalia,  Cologne,  1500,  in-8° 

Pasle,  pelle. 

Pasquenade,  poisson  de  mer  aussi  nom 
mé  taronde. 

Pasques  de  soles  !  Pâques  de  soleil  !  JU' 
ron  de  Louis  XI. 

Pasqltil,  Pasquin.  —  Voyez  Marforio 

Passade,  traversée. 

Passadouz,  trait,  flèche. 

PASS.ITO  EL  PERICOLO,  GABATO  EL  SAN- 

to,  le  péril  passé,  le  saint  est  moqué; 
proverbe  lombard. 

Passavant,  jeu  inconnu;  l'un  des  jeux 
de  Gargantua. 

P.\ssAVANTus,  Jacobo  Passavento,  jaco- 
bin de  Ferrare. 

Passe.  —  Voyez  Arbalesie. 

Passe  dix,  sorte  de  jeu  de  dés,  et  peut- 
être  aussi  sorte  de  jeu  de  cartes;  l'un 
des  jeux  de  Gargantua. 

Passé,  inscrit. 

P.\SSE1IENTÉ,  brodé,  chargé,  comme 
d'une  passementerie. 

Passepasse  (jouer  de),  escamoter. 

Passereau,  musicien  du  temps  de  Rabe- 
lais. 

Passe  temps  des  dez  :  «  Passe  temps  de 
la  fortime  des  dez  »,  opuscule  popu- 
laire. 

Passevolant,  grosse  pièce  d'artillerie 
comme  la  bombarde.  Le  passevolant 
est,  au  propre,  un  canon  de  parade 
en  bois  bronze. 

Passion,  souffrance. 

Passion  :  0  La  Passion  de  Saulmur  », 
mystère  dramatique  de  la  Passion  de 
Notre-Seigneur,  joué  à  Saxunur. 

Past,   nouniture,   repas. 

Paste,  pâte  :  «  S'eslevoit  comme  la  paste 
dedans  la  met.  » 

Pastifz,  pastiz,  pâtis,  pâturages,  terres 
cultivées. 

Pasxophore,  prêtre  qui  portait  la  statue 
d'iin  dieu. 

Patac,  patar,  menue  monnaie. 

Petarrades,  jeu  indéterminé. 

Pâté,  pattu. 

Patelin,  pathelin  (la  farce  de) . 

Patelinage,  farce  à  la  manière  de  celle 
de  Patelin. 

Patelineux,  rusé,  fourbe  comme  Pate- 
lin. 

Patelinois,  Patelinoys,  langage  imité 
de  celui  de  Patelin. 

Patenostre  du  singe  (dire  lai,  c'est-à- 
dire,  suivant  Le  Duchat,  murmurer 
entre  ses  dents,  comme  fait  le  singe  en 
remuant  les  babines. 


494 


GLOSSAIRE    ET    NOTES 


Patenostres,  chapelet. 

Patenostriers,  diseurs  et  faiseurs  de 
chapelets. 

Patepelue,  patte  velue,  qui  fait  patte 
velue  ou  de  velours.  Ce  mot  a  été 
adopte  par  Ia  Fontaine. 

PATERNlTii  (ma);  le  mot  Paternité  était 
donné  comme  titre  honorifique  à  cer- 
tains personnages  ecclésiastiques. 

P.'VTIBIJLAIRE.  gibet. 

Patine,  cuisine. 

Patins,  pattixs,  cliaussure  de  femmes 
très  élevée.  Jules-César  Scaliger  cite 
un  mot  de  son  père  disant  que  les 
maris  ne  retrouvaient  au  lit  que  la 
moitié  de  leurs  femmes,  l'autre  moitié 
était  restée  avec  les  patins. 
Patir,  souffrir. 

Patrocin.\tion,   plaido3-er,   discours. 
Patrociner,  plaider,  discourir. 
Patroiller,   patrouiller,  piétiner  dans 

la  boue;  d'où  patrouiUe. 
Patron,  modèle,  exemple. 
P.vu,  pal,  pieu. 
Paulpiers,  paupières. 
P.waniers,  dansant  la  pavane. 
P.wÉE  D'ANDomLLES  (rue),  aujourd'hui 

rue  Séguier. 
Pavesade,   palissade   que  l'on   formait 

avec  des  pavois,  sur  une  galère. 
Pavoys,  bouclier  large  et  plat. 
Paxes,   Paxos,  la  plus  petite  des  îles 

Ioniennes. 
PtcAGE,  droit  ou  tribut  à  payer  pour  pas- 
ser, pour  entrer. 
Vexv  :  «  I^  peau  de  sou  ventre  s'estoit 
beaucoup   csloiagnée   des    rognons    », 
c'est-à-dire,  il  avait  engraissé. 
Peaultraille.  canaille,  populace. 
Pe.\utre.  gouvernail  d'un  vaisseau.  On 
appelait  aussi  peaulre  une  chaloupe, 
ime  barque. 
Pecile,  de  couleur  variée,  en  parlant  du 

poil  d'un  dieval. 
Pécore,  animal,  bête  :  «  Grosse  pécore  ». 
Pectoncles,  sorte  de  coquillages. 
Peculier,  spécial,  particulier. 
Pecl-xes,  argent  :  «  I,es  nerfz  des  batail- 
les sont  les  pecunes.  » 
Ped,  pet. 
Ped.4i,es,  dans  le  sens  de  mouvements 

des  pieds. 
Pedanés.  —  Voyez  Juges. 
Pedaucque.  Ia  tradition  a  conserv-é, 
dans  le  pays  toulousain,  le  souvenir 
d'une  reine  plus  ou  moins  fantastique 
rc^ina  pcdauca,  la  reine  aux  pieds 
d'oie.  1a  reine  Pédauque  a  des  sta- 
tues dans  plusieurs  villes  du  Midi  : 
des  momunents  portent  encore  son 
nom;  on  montrait  même  son  tombeau 


dans  le  cimetière  de  l'église   Notre- 
Dame  de  la  Daurade. 
Peder,  peter. 
Pedes,  pieds. 
Pedest.-vl,  piédestal. 
Peguad,  pot  de  vin,  mesure  de  Ixingue- 

doc. 
Peigne  de  almain,  les  quatre  doigtz  et 
le  poulce.  Les  uns  croient  que  Almain 
veut  dire  Allemand  ;  les  autres,  qu'il 
s'agit  de  Jacques  Alemain,  ancien  doc- 
teur de   Paris,   dont  la  malpropreté 
aurait  été  notoire. 
Peignouoir,  peignoir. 
PEL.Aur)ER  (se),  se  tenir  au  poil,  se  bat- 
tre. 
PÉ  LÉ  QUAtT  DÉ,  par  le  corps  Dieu  !  pro- 
nonciation poitevine. 
Pelet,  un  morceau  de  pelure,  un  rien, 

une  misère. 
Pellade,  teigne,  maladie  qui  fait  tom-  . 

ber  les  cheveux. 
Pellauderies,    peaux,    fragments    de 

peau. 
Pellicvn,  instrument  de  dentiste;  vais- 
seau de  chimie  à  deux  anses  tubulées; 
quart  de  coulevrine  portant  six  livres 
de  balles. 
Pempiiredones,  espèce  de  reptiles. 
Penade,  action  de  pcnadcr. 
Penader.  piaffer,  se  redresser,  frapper 

du  pied,  eu  parlant  du  ciieval. 
Penaillon,  déguenillé,  lascif. 
Pen.-vrd,  poignard. 

Pendage,  pendaige,  action  de  pendre. 
Pendilloche,  ce  qui  pend;  s'entend  du 

phallus. 
Pendre   :   «   Autant  nous   en  pend  à 
l'œil.  »  A  aussi  le  sens  de  dépendre  ; 
«  Rois  et  potentats  pendent  de  lui.  » 
Pexe  du  nez,  extrémité  du  nez. 
Peneau,  banderole  d'un  navire. 
Penet,  musicien  contemporain  de  Rabe- 
lais. 
Penetramment,   d'ime   manière   péné- 
trante. 
Pexeux,  penaud,  honteux,  confus. 
Penie,  indigence. 
Pexier,  panier. 
Penil.  poil. 

Fenillière,  parties  garnies  de  poil. 
Pexitissuie,  très  profond. 
Pennache,  panache. 
Pennage,  pennaige,  plumage. 
Penne,  plume. 

Pensement,  pensée,  réflexion. 
Penser,  panser. 
Pensile,  pendu,  suspendu. 
Pent.^phyllon,  plante  à  cinq  feuilles. 
Penthecoste,  Pentecôte.  Dicton  :  i  I,a 
Penthecoste  ne  vient  foys  qu'elle  ne 
me  couste.  » 


GLOSSAIRE    ET    NOTES 


495 


I'epiiages,  animaux  fabuleux. 

PER.\xxiTf ,  PEREXNiTi':,  éternité  :  «  Pe- 
rannitc  de  arronsciucnt.  » 

Perazons,  serviteurs  de  la  Quinte;  en 
hébreu  :  chevaliers. 

Perceforest,  géant  converti  par  Ro- 
land, et  qui  lui  sert  de  second,  d'é- 
cuyer,  dans  le  M  or  gante  viaggiore  de 
Pulci. 

Percé  jus,  percé  bas,  percé  à  terre,  fait 
im  calembour  avec  Perseus,  Persée. 

Perdon.n'anxes,  pardons. 

PERDOX>rER,  pardonner. 

Perdriaux,  perd: eaux. 

Perdrier  (Jean),  un  des  condisciples 
de  Rabelais  à  Montpellier. 

Perditiaxt,  qui  dure  longtemps. 

Peref.\mile.  père  de  famille. 

Peregrin,  voyageur,  passager  :  <  Vie 
pérégrine...  » 

Peregrin.ation,  voyage. 

Peregriner,  voyager. 

Peregrinité  qualité  de  ce  qui  est  étran- 
ger. 

Perf.aict,  parfait. 

Perfectissuie  (la),  la  plus  parfaite. 

Perforajœn'é,  piqué,  percé. 

Perfl"m,  parfum. 

Perguois,  voir  P.arguoys. 

pERiciLURrE,  joie  excessive. 

Periclymenos,  espèce  de  chè\Tefeuille. 

Perigot,  Perigort,  Périgord. 

Periller,  péricliter. 

Perin.eum,  le  périnée. 

Période,  révolution.  «  Toutes  choses  ont 
leur  fin  et  période.  » 

Périt,  habile,  instruit. 

Péronnelle,  danse. 

Perpétrer,  commettre,  accomplir,  me- 
ner à  fin. 

Pi;rpetdons,  les  membres  des  corpora- 
tions religieuses. 

Perple,  perplex,  perplexe,  compli- 
qué, embrouillé,  embarrassé,  incertain. 

Pers,  bleu  foncé. 

Perser,  percer. 

Persicque,  sorte  de  pèche;  —  sorte  de 
danse. 

Perside,  persan,  de  Perse. 

Personate,  la  grande  bardane,  plante. 

Perspectitz  (esprits),  faculté  de  perce- 
voir. 

Pertinemsient,  convenablement. 

Pertuis,  trou. 

PERins.ANE,  hallebarde  dont  le  fer 
était  large  et  trancliant. 

Pertuisé,  percé,  troué. 

Perturbé,  troublé  :  «  Perturbé  en  son 
entendement  ». 

Pertuys,  trou. 

Peruse,  Perouse,  ville  d'Italie. 

Pesades  (lances),  officiers  subalternes. 


Peslier,  poêlier. 

Pestilence,  contagion,  peste. 

Pestilent,  pestilente,  contagieux. 

Petault  (le  roy),  monarque  des  vieux 
contes  qui  nous  a  légué  le  dicton  : 
«  C'est  la  cour  du  roi  Pétaud.  » 

Petauristique,  de  voltige,  qui  tient  à  la 
vol  itge. 

Petit,  peu  :  «  Si  n'estoit  potir  un  pe- 
tit... " 

Peton,  petit  pied;  terme  de  mignîu* 
dise  :  «  Mon  peton.  » 

Petreux,  petruz  (os),  os  des  tempes. 

Petrocil,  persil. 

Petron,  Pétrone,  auteur  du  Satyricon. 

Peuple,  peuplier. 

Peur,  pur. 

Pe\ier  (canon),  pierrier. 

Phais.ans,  pqvx  faisans. 

Phal.anges,  araignées  venimeuses. 

Phal.arice,  caparaçon. 

Phaleré,  caparaçonné,  bardé. 

Pii.\NAL,  fanal. 

Phantasie,  pour  fantaisie. 

PiL\NT.\sjiES,  fantômes. 

PHANT.4.STIQUEMENT,     fautastiquementl 

Phantasus,  un  des  trois  ministres  ou  en- 
fants du  Sommeil. 

PiLARiNGUES,  ville  que  Rabelais  dit 
située  dans  le  gosier  de  Pantagruel; 
de  pharynx. 

PiLARiLACEUTRiE,  deuxième  idylle  de 
Théocrite.  —  Voyez  vers  i8. 

PH.ARSALICQUTE,  de  Pharsalc. 

Phaséols,  espèce  de  fèves,  comme  /»• 
séols. 

Phebol,  île  du  golfe  Arabique. 

Phée,  ensorcelé,   magique,   comme  fée. 

Phées  (isles  des),  poiir  fées. 

Phengite,  sphingitide,  pierre  de  Cappa- 
doce,  dure  comme  le  marbre,  blanche 
et  transparente. 

Phil.ivutie,  amour  de  soi-même. 

Philemon,  cette  anecdote  se  retrouve 
dans  Lucien,  au  chapitre  de  la  longue 
vie  de  quelques  personnages,  tome  IV, 
page  368  de  la  tiaduction  de  Belin  de 
Bailu. 

Philippens.  Epistola  B.  Pauli  ad  Philip- 
penses. 

Philippus,  monnaie  de  Flandre  et  d'Es- 
pagne. 

Philologe,  philologue. 

Philoalela,  PmLOMÈNES,  Philomèle,  le 
ross  ignol . 

PHILOPH.ANES,  aimant  à  paraître,  à  être 
vu. 

Philosophe  S.a-mosatovs,  Lucien,  origi- 
naire de  -Samosate  en  Syrie. 

Philosophie  a  parfois  le  sens  d'adresse 
et  d'habileté.  —  Voyez  Melinde. 

Philotheamon,  qui  aime  à  voir. 


496 


GLOSSAIRE    ET    NOTES 


pHrro>îissE,  Python  isse,  prophétesse. 
Phlebotomie,  saignée. 
Phlegmaticql^e,  pour  flegmatique. 
Phlegon,  un  des  chevaux  du  Soleil. 
Phobétor,  un  des  ministres  ou  des  en 

fants  du  Sommeil. 
VnŒSiQE.  Phénice. 
Phœxicoptére,    oiseau    ainsi    nommé 

pour  la  rougeur  de  son  plumage. 
Phren'e,  diaphragme. 
Phrix.  —  Voyez  Udlé. 
Phrontiste,   homme  industrieux,   soi- 
gneux et  diligent;  nom  d'im  des  capi- 
taines de  Gargantua. 
Phrontistère,  commimauté,  école. 
Phryzon",  cheval  de  Frise  (Pays-Bas). 
Phihiriasis,  maladie  pédiculaire. 
Physetere,  le  souffleur,  testacé;  baleine. 
Physic-u,,  phj-sique. 
Physicalemext,  physiquement. 
Physis,  nature. 
PUYSON",  fleuve  d'Asie. 
PiAU,  petit  de  la  pie. 
PiBOLE,  musette,  cornemuse. 
Pic,  coup  de  pointe. 
PicYNDEAU,  sorte  de  flèche  aiguë;  nom 
d'un  jeu  qui  consiste  à  lancer  cette 
flèche. 
PiCARDENT,  vin  blanc  de  I,anguedoc. 
Picardie  (la),  sorte  de  jeu  de  cartes, 
inconnu;  l'un  de  ceux  auxquels  jouait 
Gargantua. 
Pication,  action  d'enduire  de  poix. 
Picote,  petite  vérole. 
Picoter  (.\),  un  des  jeux  de  Gargantua; 

on  ignore  en  quoi  il  consistait. 
Picqu'a  Rome,  jeu  qui  consiste  à  en- 
voyer au  loin  (à  Rome),  en  frappant 
sur  ime  de  ses  extrémités,  im  bâtonnet 
affilé  aux  deux  bouts. 
PlCQUES  (c'est  bien  rentré  de),  ou  de  pic- 
ques  noires,   cela  veut  dire   :   parler 
mal  à  propos;  allusion  probable  à  un 
jeu  de  cartes  où  il  ne  fallait  pas  ren- 
trer, jouer  pique. 
PiCQUET,  jeu  analogue  au  précédent. 
PiCQClERS,  porte-pique. 
PiCROCHOLE,  nom  formé  du  grec  et  signi- 
fiant :  bile  amère. 
Picrz,  PIS,  poitrine. 
Picus  JIiR.\>'DLXA,  Pic  de  la  Mirandole, 

contemporain  de  Rabelais. 
Picz-JLVRS,  piverts;  oiseaux. 
Pieça,  il  y  a  longtemps. 
Pièce,  en  pièce,  nullement,  en  aucime 

façon. 
Pied  du  Cousteau,  jeu  de  palet  où  le 

but  était  un  couteau. 
Pieds  (en),  debout. 
PiEDZ  NEUFZ  (faire),  accoucher. 
Pierre  levée,  pierre  de  vingt  pieds  de 


diamètre,  posée  sur  cinq  autres  pier- 
res, à  peu  de  disL-ince  de  Poitiers. 

Pierre  1,oys,  Pierre-Louis  Famèse, 
duc  de  Parme.  Suivant  la  Biographie 
universelle,  il  était  fils  légitime  de 
Paul  III,  qui  avait  été  marié. 

Pierres  d'.\rtillerie,  pierres  qui  ser- 
vaient à  charger  les  canons,  boulets  de 
pierre. 

Pies,  jeu  d'enfants;  on  ignore  en  quoi  il 
consistait. 

PIETONS,  fantassins,  soldats  à  pied. 

PiFRE,  gourmand,  mangeur  goulu  :  t  Et 
en  usentcomme un cnicifixd'un pifre.  » 
n  y  a  inter\-ersiou  des  mots,  c'est-à- 
dire  :  comme  ua  pifre,  tm  goinfre,  use 
d'un  crucifix. 

Pifre,  fifre. 

PiGNE,  peigne  :  «  Donner  un  tour  de 
pigue  »,  rosser.  «  Je  tueroys  im  pigiic 
I>our  un  mercier  «,  inter^'ersion  des 
mots,  c'est-à-dire  :  je  tuerais  xm  mer- 
cier pour  wxx  peigne,  pour  jjeu  de 
chose. 

Pigxer,  peigner. 

PiGON'KET,  ou  encore  pigeonnet;  jeu  de 
«  pigeon  vole  ". 

Pile,  javelot. 

Pile,  pilon,  mortier. 

PiLETTES,  petits  pilons,  ornements  des 
bonnets  à  mortier. 

Pille,  pillage. 

Pille,  pilon,  mortier. 

Pille,  sorte  de  jeu  de  cartes. 

Pille  moustakde,  jeu  incoimu. 

PILLE^L\ILLE,  PiLE>LUL,  maillet  à  jouer 
au  mail. 

Pille\'erjus,  cuisinier  de  Grandgousier. 

PiLLOT,  PiLOT,  pilote. 

Pillotizer,  fonder,  établir  sur  pilotis. 

PiMPOxxET,  l'un  des  jeux  auxquels  se 
livrait  Gargantua. 

PiN.ARD,  petite  monnaie. 

PiNART,  manieur  d'argent. 

Pinastre,  pin  sauvage. 

PiXDARisER,  imiter  Pindare,  viser  au 
sublime. 

PiXE,  comme  pénis,  il  cazzo. 

PiXEAULX  (raisins),  sorte  de  raisins 
petits,  serrés  et  d'un  beau  noir,  dont 
on  fait  un  excellent  vin. 

Pingres,  jeu  d'osselets. 

PiNNE,  arête,  pointe  :  t  Pinne  de  pois- 
son. ' 

Pinot,  jeu  Inconnu. 

PiNSE  MORILLE,  jcu  qui  Consistait  à  se 
pincer. 

Piochons,  pioches. 

PioLÉ,  pie,  de  deux  couleurs 

PiOLLER,  piailler,  c'ert  proprement  le 
cri  de  la  poule. 

Pions,  buveurs. 


GLOSSAIRE    ET    NOTES 


PloT,  PYOT,  vin,  boisson. 

Pipe,  pippe,  mesure  de  liquides,  et  fu- 

taiUe. 
PiPEPiE,  tromperie. 
PiPEUR,  trompeur,  filou. 
PrppER,  tromper,  attraper  :  «  Pipper  à 

pleines  pippes  ». 
PiRATiCQUE,  piraterie. 
PisCES,  les  poissons. 
PisoNS,    famille    de    l'ancienne    Rome, 

dont  le  nom  vient  de  pisum,  pois. 

PiSTOLANDIER,   pistolet. 

Piston,  pilon  de  mortier;  —  nom  d'un 
jeu  inconnu,  l'un  des  jeux  de  Gargan- 
tua. 

PiSTRiNE,  moulin. 

PiTAL.  —  Voyez  la  Briefve  Déclaration. 

Piteux,  qui  éprouve  de  la  pitié. 

PiTHlES,  buvettes,  lieu  où  l'on  boit. 

PiTYOCAiiPE,  vers  ou  chenille  qui  habite 
les  pins. 

Pla,  bien,  en  Gascogne  et  en  I,anguedoc. 

PL.'UDoy.AN-T,  qui  a  des  procès. 

Pl.aln'CTS,  plaintes,  gémissements. 

Plaisantemext,  avec  plaisir. 

Pl.vn"ettes,  jeu  de  mots  :  c  Le  grand 
Dieu  feist  les  planettes,  et  nous  fai- 
sons les  platz  netz.  » 

Plante,  lieu  planté  d'arbres. 

Planté,  abondance,  grande  quantité. 

Plasmateur,  créateur,  formateur. 

Plasmature,  création,  forme. 

Plastron,  partie  de  l'armiu-e  qui  garan- 
tit la  poitrine. 

Platine,  plaque. 

Playdoiant,  quia  des  procès,  qui  plai- 
de. 

Pleger,  pleiger,  cautionner,  être  ga- 
rant, répondre  de. 

Pléonas>uque,  faisant  pléonasme. 

Plombées,  coups  d'armes  à  feu. 

Plotbin,  Piombino. 

Plonge,  action  de  plonger. 

Plorer,  pleurer. 

Plliiail,  volaille,  oiseau. 

Plumart,  plumet. 

Pluyra,  pleuvra. 

Poche,  sac. 

Pochecullière,  pauche,  palle;  oiseau. 

Pocheteau,  petit  pauche  ou  palle. 

PoETRiDE,  femme  poète. 

POGE  (à),  à  droite,  à  tribord. 

Poictrail,  poitrail. 

PoiERAY,  payerai. 

Poignant,  piquant. 

Poignent,  piquent;  à  l'indicatif  présent 
du  verbe  poindre. 

PoiNCTURE,  piqûre. 

Poindre,  piquer,  blesser. 

PoiNE,  peine. 

Poisson.  H  y  avait  un  proverbe  : 

PorRiER  (le),  jeu  qui  consiste  à  faire 

T.    II. 


497 

l'arbre  fourchu,  le  poirier,  ense  tenant 
sur  les  mains,  les  pieds  en  l'air  et  écar- 
tés. 

Pois,  pour  poids. 

PoiSANT,  pois.\NTE,  pesant. 

PoiNSON,  mesure  de  liquides. 

De  tout  poisson,  fors  que  la  tanche. 
Prenez  le  dos,  laissez  la  panche. 

Rabelais  introduit  la  variante  : 
«  Prenez  l'aesle  de  la  perdrys  et  la 
cuisse  d'une  nonnain.  » 

Poissons  d'avril,  ce  sont  maquereaux. 

PoiTRiR,  pétrir. 

Poix,  pois. 

POLES,  espèces  de  soles,  poissons. 

PoLEMONiA  :  d  Guerroyère  »,  plante. 

POLEST,  danse. 

POLYMYXE,  à  plusieurs  mèclies. 

POLYPHILE  (Songe  d'amours  de),  ouvrage 
de  Franciscus  Columna  :  Polyphili 
Hypnerotomackia  ;  Venitiis,  in  œdibus 
Aldi  Manutii,  1499,  in-fol. 

POLYPR.VGMON,  qui  s'enquieil  et  se  mêle 
de  tout. 

POLYSTYLO,  l'ancienne  Abdère. 

Pomme  de  pin  (la),  ime  des  tavernes 
méritoires  de  Paris. 

POMONA,  Pomone,  déesse  des  fruits. 

PoMPÉiANS,  partisans  de  Pompée. 

Pomper  (se),  se  parer,  se  pavaner. 

Pompes,  les  genouillères  d'un  cheval. 

Pompettes,  boutons,  rougeurs,  qui  vien- 
nent sur  le  nez  des  ivrognes. 

PoN/VNT,  le  couchant. 

PONE  PRO  duo;  bus  twn  est  in  usu.  Met- 
tez, versez  pour  deux.  La  grammaire 
latine  exige  pro  duobus;  mais  la  syllabe 
bus  déplaît  au  buveur  qui  parle,  et  il 
déclare  qu'elle  est  hors  d'usage. 

PONEROPLE,  ville  des  méchants. 

PoN'NER,  pondre. 

PoNOCRATES,  homme  laborieux,  qui  ne 
peut  être  surmonté  au  travail. 

Pont,  pondu. 

PoNTAL,  le  petit  pont  que  l'on  jette  d'un 
vaisseau  pour  aborder. 

Pont  Alais,  poète  et  acteur  de  farces, 
célèbre  en  ce  temps-là.  Maistre  Jehan 
du  Pont-Alais  ou  du  Pontalez  (on  ne 
sait  pas  au  juste  si  c'est  un  nom  réel 
ou  un  nom  de  guerre)  fut  arrêté,  avec 
deux  de  ses  compagnons,  au  mois  de 
décembre  1516,  pour  s'être  raillé  de 
la  reine-mère  dans  les  jeux  de  la  Mère- 
Sotte.  Il  est  souvent  question  de  ce  per- 
sonnage dans  les  conteurs  du  temps. 

PoNTANUS,  Jean  Jovien  Pontan,  poète 
latin  alors  renonuué. 

PONTIALE,  de  Pontanus;  adjectif  irrégu- 
lièrement formé. 

Pontife,  employé  au  féminin. 

32 


498 

PONTZCHEUS,  OU  ponts  chus,  tombés, 
jeu  indéterminé. 

POPISMES.  roPPis>tES,  gentillesses,  ma- 
nœuvres élégantes  d'un  cavalier. 

PoppizER,  faire  des  poppismes. 

PoRCiLLES.  poisson,  espèce  de  grenaud. 

Pore,  Porus,  dont  Philostrate  fait  un 
géant. 

PoRFiLÉ,  entremêlé  de  diverses  tissiu-es  : 
•  Porfilé  d'or  »,  où  se  mêlent  des  fils 
d'or. 

PoRPm-RES,  serpents  de  couleur  pour- 
pre, d'après  Pline,  livre  X,  chapi- 
tre LXIX. 

PoRPHYRio,  nom  d'im  géant. 

PoRREAUl-X,  poireaux. 

P0RT.1L,  portail. 

PoRTEB.\i,LES,  colportcurs. 

PûRTECOLE,  souffleur,  au  théitre. 

Portée  (à  la),  au  porter,  à  l'apport. 

PoRTEKTE,  prodige. 

Porter  (se),  se  comporter. 

PORTOUERE,     PORTOUOIRE,     hottC     pOUr 

porter  le  raisin. 

PoRTOfERlERE,  adjectif  fait  avec  le  mot 
précédent. 

PORTRi,  pourtour,  contour. 

PoRTUorALOYS,  PortuE;ais. 

Poser  (se),  s'en  remettre,  se  reposer  sur 
quelqu'un. 

PossouER,  poussouES,  instrument  de 
divers  métiers,  servant  à  pousser,  à 
enfoncer. 

Poste,  poutre,  poteau,  solive. 

Poste,  station  postale,  distance  entre  les 
postes. 

Posteres,  postérieur,  derrière. 

PosTERlorR,  postérieur. 

PosTLLLER,  courir  en  poste,  se  répandre 
avec  rapidité. 

PosTPorsER,  mettre  après,  le  con- 
traire de  préférer. 

PoT.UGE,  potage. 

Por.\TiFS  (évesques).  On  appelait  autre- 
fois portalifs  des  cvèques  in  partibus, 
qui  se  transportaient  d'im  diocèse  à 
l'autre.  Us  ne  buvaient  sans  doute  pas 
plus  que  les  autres:  mais  Rabelais 
trouve  l'occasion  d'im  jeu  de  mots,  et 
il  ne  la  laisse  pas  échapper. 

Potée,  plein  un  pot. 

PoTEST.\T,  podestat. 

PoTET,  petit  pot. 

PfTixGrE,  grand  pot  à  boire. 

PoTZ  à  feu,  pour  la  guerre. 

Pou.\CRE,  goutteux,  plein  d'ulcères. 

PocACRES,  espèce  de  hérons. 

PouDREBir,  poudre  de  bœuf  salé  et  sé- 
ché, dont  on  se  servait  dans  les  ra- 
goûts. 

Poulain,  châssis  de  bols  sur  lequel  on 


GLOSSAIRE    ET    NOTES 


fait  glisser  et  on  descend  les  tonneaux 
dans  une  cave. 

PouLAiNE  (souliers  à),  chaussure  termi- 
née par  une  longue  pointe.  «  Ventres 
à  poulaine  »,  fxjurpoints  boutonnés 
fort  bas,  dit  de  l'Aulnay.  Rabelais  se 
sert  de  cette  expression  pour  désigner 
des  ventres  proéminents. 

PouLCE.  pouce. 

P0ULEM.\RT  (à  fils  de),  gros  fil  d'embal- 
lage; mot  dauphinois. 

PoT^T-ioT,  plante  aromatique  du  genre 
des  menthes. 

POTJLL.'MLLES.  Volailles,  poulettes. 

FovLL.MS,  bubon. 

PouLLARDES,  poules  de  mer. 

PouiPRE,  pourpre. 

POLT-PRE,  polype;  poisson. 

PocLSE,  pouce. 

PotTLSÉ,  tourné,  aigri  :€  Vin  poulsé.  » 

POCLTRE,  jeune  cavale,  poulain. 

POUPELIX,  pâtisserie  délicate  et  sucrée. 

PoupiE,  pourpier;  plante. 

Pouppix,  mignon,  mignard. 

PofRBOUiLLiR,  bouillir. 

Pour  CE,  à  cause  de  cela. 

POURCE-AU  MORTY,  pourceau  mort;  jeu 
indéterminé;  voir  :  beste  morte. 

PouRiiEXER,  promener. 

Poi'RPEXSER,  méditer,  réfléchir. 

PontPRis,  endos,  jardin. 

PouRRE.^rLX,  poireaux. 

POURRÉE,  p>oirée. 

PouRT.ANT,  c'est  pourquol. 

POCRTR.URE,  dessiner,  peindre,  faire  un 
portrait. 

Pov,  peu  :  t  Poy  plus,  poy  moins.  » 

POYABiTis,  vous  payerez;  latin  de  cui- 
sine. 

POYS,  pois;  —  poids. 

PoY\'RÉ,  poi\Té,  pincé  :  •  Poyvré  sera 
soubs  un  habit  d'ermite.  • 

POYZAR,  tige  des  pois,  après  qu'ils  ont 
été  cueillis. 

Pr.\erie,  prarie,  prairie. 

Pr.es.iges,  devins,  prophètes. 

Pr.es.\gir,  i^révoir,  prédire. 

Prassixe,  couleur  de  poireau. 

Pratif,  pratricien,  expérimenté. 

Praye,  proie. 

Prec^tion,  prière. 

Preception,  précepte,  enseignement. 

Precl.are,  illustre,  célèbre. 

PRECt_-xES  horaires,  heures,  prières. 

Predic.able,  recommandable. 

Prefts,  fixé  d'avance. 

Pregnaxte,  enceinte  :  «  Fusées  pre- 
gnantes, «fusées  qui  en  produisent  plu- 
sieurs. 

Pregcstes,  essayant,  goûtant  les  mets: 
officiers  de  la  Quinte-Essence. 

Prelation",  préférence,  prééminence. 


GLOSSAIRE    ET    NOTES 


499 


Prëlinguant,  écuyer  tranchant,  dégus- 
tateur. —  Conseiller  qui  donne  son 
avis  avant  le  président  du  tribunal. 

Premier,  premièrement. 

Premier  que,  avant  de. 

Presch.\ns,  chants  d'église  :  «  Beaulx 
preschans  et  letanies.  » 

Prescript,  précepte,  prescription. 

Présent  (de),  à  présent. 

Presteres,  tourbillons  ardents  qui  ren- 
versent et  brùleut  tout  ce  qu'ils  ren- 
contrent. 

Prestolans,  juges  de  campagne. 

Prestoler,  attendre. 

Prestregau,  mot  grotesque  formé  avec 
le  mot  prestre. 

Prestregesse,  féminin  de  prestregau. 

Prestre  Jean,  presthan,  nom  donné, 
au  moyen  âge,  à  un  souverain  oriental 
dont  les  États  étaient  mal  délinis,  et 
sur  lequel  des  légendes  fabuleuses 
avaient  cours. 

Préteur,  les  trois  mots  qui  résumaient 
les  fonctions  du  préteur  à  Rome 
étaient  :  Do,  dico,  addico. 

Preu,  profit,  avantage  :  «  Ny  preu  ny 
raison.  » 

Preu,  preude,  sage,  vertueux,  et  aussi 
vaillant,  qui  est  le  sens  primitif  de  ce 
mot. 

Preudhomtf.,  sagesse,  vertu. 

Prévoste  d'Orléans.  —  Voyez  Far- 
fadets. 

Prieratem,  Sylvestre  de  Prieria,  jaco- 
bin mort  en  1520,  a  traité  du  jeûne 
dans  ses  écrits  théologiques. 

Prime,  sorte  de  jeu  de  cartes. 

Prime  cuvée,  première  cuvée. 

Prime  vere,  printemps. 

PrimH'ile,  du  premier  ordre.  C'était, 
chez  les  Romains,  le  premier  soldat  de 
la  première  centurie. 

Primus  secundus,  jeu  indéterminé;  l'un 
des  jeux  de  Gargantua. 

Prinsaulteer,  prime-sautier,  qui  va  du 
premier  saut. 

Prioris,  musicien  du  temps  de  Rabelais. 

Priour,  prieur. 

Pris,  prix. 

Privé,  lieu  d'aisance. 

Pri\tng,  beau-fils;  privignus. 

Proboscide,  trompe  d'éléphant. 

Prociias,  pourchas,  poursuite  :  «  I.e- 
giers  au  prociias.  » 

Proculteur,  PROCUI.TOUS,  pour  pro- 
cureur. 

Procurer,  avoir  soin,  cultiver,  recher- 
cher :  a  N'ay  rien  tant  procuré  que 
paix.  1) 

Prodenou,  cordage  fixé  à  l'antenne  d'im 
vaisseau. 

Proficiat,  bienvenue,  gratification. 


Profliger,  renverser,  abattre. 

Profundite,  profondeur. 

Prognosticqueurs,  faiseurs  de  pronos- 
tications  et  prophéties. 

Prolepsie,  figure  de  rhétorique  par  la- 
quelle on  prévoit  les  objections  que 
l'on  peut  vous  faire. 

Promjvrgixare,  qui  occupe  la  marge, 
marginal. 

Promeconde,  économe,  dépensier. 

Promovoir,  aller  en  avant,  avancer; 
exciter,  conseiller. 

PromptujVrie,  source,  issue;  dépôt  de 
marchandises. 

Propenser,  méditer,  réfléchir. 

Prophylactique,  préservatif. 

Propous,  propos;  —  jeu  :  propos  inter- 
rompus. 

Propouser,  exposer. 

Prore,  proue. 

Proscript,  mis  à  l'encan. 

Prosopopée,  figure  de  rhétorique  par 
laquelle  on  fait  parler  des  personnes 
absentes  ou  mortes;  fiction,  supposi- 
tion de  personnes. 

Protervte,  insolence,  impudence;  sacri- 
fice propter  viain,  chez  les  Romains. 
Ce  que  dit  Rabelais  au  chapitre  11  du 
livre  III  est  tiré  du  chapitre  n  du  livre 
II  des  Saturnales  de  Jlacrobe. 

Prototype,  premier  exemplaire,  origi- 
nal. 

Protraict,  portrait. 

Portraictl-res,  dessins. 

PoRTRAiRE,  représenter,  dessiner. 

Prou,  assez,  beaucoup  :  «  Prou  sacs  », 
beaucoup  de  sacs. 

Proveut,  poun-ut. 

Providence,  prévoyance,  prudence. 

Provoir,  pourvoir. 

Proxime,  prochain. 

Prudentement,  prudemment. 

Psoloentes,  résidu  noir  et  fuligineux 
provenant  de  la  foudre. 

Psycogoxie,  génération  de  l'âme. 

Psylion,  plante. 

PTISS.4NE,  tisane. 

Ptochal.'Vzon,  un  pauvre  glorieux  (li- 
vre III,  chapitre XXV) ;  T.XiM/6t,  pau- 
vre, aXaiTfôv,  fier,  arrogant,  insup- 
portable. 

Ptyades,  sorte  de  serpents. 

Pucelle,  un  des  noms  vulgaires  de  la 
feinte;  poisson  qui  ressemble  à  l'alose 

PUDENDES,  parties  honteuses. 

Pulmon,  poumon. 

PULSE,  puce. 

PUL VERIN,  la  lumière  d'ime  pièce  d'artil- 
lerie, où  se  met  la  poudre  de  l'amorce. 

PUMICE,  pierre  ponce. 

Punays,  puant,  infect. 


50O 


GLOSSAIRE    ET    NOTES 


PUNGITIF,  f>oignant,  piqviant. 

PupuT,  huppe;  oiseau. 

Purée  septembrale,  vin. 

Purgatoire  de  Saint-Patrice,  fameux 
au  moyen  âge,  était  une  caverne  som- 
bre, située  au  milieu  d'un  lac,  dans  le 
comté  de  Donegal,  en  Irlande.  On 
croyait  que  ceux  qui  s'y  renfermaient 
pendant  une  nuit,  et  accomplissaient 
certaines  cérémonies,  en  sortaient 
purgés  de  tout  péché,  après  avoir  eu 
des  visions  de  l'autre  monde. 

PURPURÉ,  pourpré,  rouge. 

Pusse,  puce. 

Putherbe,  pour  Puits-Herbaui,  moine 
de  Fontevrault,  ennemi  de  Rabe- 
lais. 

PcYS,  puis. 

Pye,  pie,  de  deux  couleurs;  poil  de  cer- 
tains chevaux. 

Pyot,  PICT,  vin,  boisson. 

Pyreicus,  c'était  un  peintre  de  genre 
dont  parle  Pline.  —  Voyez  livre 
XXXV,  chapitre  xxx\ti  —  i,  traduc- 
tion de  M.  Ifittré. 


t  Se  bornant  à  des  sujets  bas,  il  a 
dans  cette  bassesse  obtenu  la  plus 
grande  gloire.  On  a  de  lui  des  bouti- 
ques de  barbier  et  de  cordonnier,  des 
ânes,  des  provisions  de  cuisine  et 
autres  choses  semblables;  ce  qui  le  fit 
surnommer  Rhyparographe  ('P'jT:a- 
povpâço;,  sordidarum  rerum  pictor). 
1  Ses  tableaux  font  toujours  im 
plaisir  infini,  et  ils  se  sont  vendus  plus 
cher  que  de  très  grands  morceaux  de 
beaucoup  d'autres.  » 

Pirevollet,  sorte  de  jeu  de  volant. 

Pyromantie,  divination  par  le  feu. 

Pyrope,  escarboude  couleur  de  feu. 

PYROUi  TE,  jeu  indéterminé. 

Pyrrhoxiens,  philosophes  sectateurs  de 
Pyrrho,  qui  enseignait  qu'  il  fallait  tou- 
jours douter.  Ils  ont  été  nommés 
Sceptiques,  Aporrhétiques,  et  Éphec- 
tiqueà.  —  Voyez  Aulu-Gelle,  chapitre 
rv  du  livre  II. 

Pyrricque,  danse  année. 

Python,  devin,  sorcier. 


Q 


QuADERXES,  double  quatre,  au  jeu  de 
dés. 

QuADRANNiER,  qui  a  quatre  ans. 

Quadrant,  cadran. 

QUADRAT,    carré,    qtiadrature. 

Quadrature,  enceinte,  charpente. 

QUADRixiTÉ,  multiplication  d'un  nom- 
bre par  quatre. 

QuADRi\TES,  carrefours. 

QUADRi\-iUM,  les  quatre  parties  du  se- 
cond cours  d'études,  au  xn"  siècle, 
savoir:  l'arithmétique,  l'astronomie, 
la  géométrie,  la  musique. 

Quadruple,  amende  du  quadruple. 

QuALiBRE,  calibre. 

QUANARD,  canard. 

Quand,  quant  :  «  Quand  à  moi  •. 

Quand,  pour  si  ;  «  Quand  je  le  saurois  », 
si  je  le  savais. 

Qu.wstde.  —  Voyez  Martin  (saint). 

QuANQUE,  tout  ce  que. 

Quant,  quante,  adjectif  :  quel  nombre, 
combien  :  «  Quelles  et  quantes  cou- 
leurs... »  t  Quantes  victoires  ont  été, 
etc.  » 

Quant  est  de,  en  ce  qui  concerne,  à 
l'égard  de. 

Qu.\QUET,  caquet.    ?" 

Quaquerolles.  — -  Voyez  Caquerolles. 


QuARRE.iu  d'arbalète,  grosse  flèche  à  fer 
quadrangulaire. 

QUARRELEURE,  pavage,  piqûre  à  car- 
reaux; la  formation  et  la  couture  de  la 
semelle  des  souliers.  —  Voyez  Carre- 
lure. 

QUARRES,  facettes  d'im  diamant  taillé. 

QuARiLLONNER,  Carillonner. 

Qu.^RROY,  chemin.  —  Voyez  Carroy. 

Quart,  quarte,  quatrième. 

QuARTEiiENT,    quatrièmement. 

Qu.\TlR,  ébranler,  agiter,  renverser. 

Qu.^tridien,  de  quatre  jours. 

Que,  qui,  lequel  ;  «  qu'est...,  »  qui  est. 

Que,  ce  que  :  «  Voyià  que  c'est  ». 

Que,  tant  :  t  Dix  ou  douze  que  le%Taulx 
que  lapins  ».  —  «  Que  masles  que  fe- 
melles ». 

QtiEEECu  (de)  ,  auteur  d'un  prétendu 
li\Te  sur  l'utilité  d'écorcher  les  che- 
vaulx.  De  l'.^ulnay  croit  qu'il  s'agit 
de  GuUlaïune  du  Chêne  (.\.  Quercu), 
commentateur  de  saint  Grégoire. 

QuECONQUES,  quelconque. 

QUEHUE,  queue. 

Quel,  tel  que  :  «  Quel  fut  Silène.  » 

Quelle,  laquelle  :  t  A  quelle  voix  tous 
se  levèrent.  » 

QUEMIN,  chemin,  dialecte  picard. 


GLOSSAIRE    ET    NOTES 


501 


Quentin  (Jean),  un  des  condisciples 
de  Rabelais  à  Montpellier. 

QUERIR,  QUERKE,  cherclier. 

QUERITANS,  chercliaut,  demandant. 

Questeurs,  quêteurs. 

Queue  au  loup,  jeu  :  queue  leu  leu. 

Queue  de  merluz  (à),  terminé  en  pointe 
divisée  en  deux  parties. 

Queux  (5L\istre),  cuisinier. 

Qui  a  si  parle,  jeu  de  cartes  où  les 
joueurs  annoncent  leurs  cartes. 

Quicqonqlies,  quiconque,  quelconque. 

QuiDDiTATiF,  essentiel. 

QUIETE,  repos.  Ce  mot  est  aussi  adjectif. 

Qui  faict  l'ltng  f.\ict  l'autre,  jeu  de 
cartes  sur  lequel  on  n'a  pas  de  préci- 
sions. 

Quinaire  (nombre),  cinq. 

QuiNAUD,  camus  :  «  Faire  quelqu'un 
quiuaud  »,  le  coller  au  mm',  le  mettre  à 
court  de  réponses. 

QuiNCUNCE  (ordre),  c'est  une  disposi- 
tion d'arbres  rangés  de  telle  façon 
qu'ils  représentent  la  figure  de  la 
lettre  V.  Or  cette  lettre  en  latin  sert  de 
marque  pour  le  nombre  cinq,  qu'ils 
appellent  quinque,  d'où  vient  quin- 
cunce.  Davantage,  si  vous  ajoutez  au- 
dessous  de  V  lux  autre  V  renversé  A, 
vous  ferez  une  disposition  et  figure 
qui  représentera  un  X,  qui  s'appelle 
en  latin  ordo  per  déçusses,  en  françois 
ordre  croisé,  fait  en  croix  Saint- André. 
Il  faut,  outre  plus,  noter  que  par  ce 


mot  de  quincunce  l'on  entend  toujours 
l'une  et  l'autre  disposition  des  arbres, 
car  ce  ne  sont  que  deux  V,  joints 
ensemble  l'un  sur  l'autre,  mais  celui 
de  dessous  est  renversé  :  l'Auteur  en 
fait  mention  au  livre  I,  chapitre  lv. 
(Alphabet  de  l'auleur  /raiiçois.) 

QuiNES,  do'.;b!e  cinq  au  jeu  de  dés. 

QuLNQL-ENAYS,  viUage  du  Chinonnais. 

Quinquentelle,  répit  de  cinq  ans  ac- 
cordé à  un  débiteur. 

Quint,  qudcte,  cinquième. 

QuiNTAiNE,  but,  poteau  ou  jaquemart 
contre  lequel  on  joutait  :  «  Jouster  à 
la  quintaine.  » 

Quinte  Calabrois,  Quintus  Calabre, 
dont  nous  avons  les  Praterniissa  ab 
H  orner  0. 

Quinte-essence.  La  quintessence  est  la 
couleur,  la  saveur,  la  vie  et  les  pro- 
priétés des  choses,  c'est  un  esprit  sem- 
blable à  l'esprit  de  vie.  Le  vin  contient 
en  soi  une  quintessence  de  grande 
vertu  et  en  grande  quantité,  par  la- 
quelle il  fait  des  actions  admirables. 
(Abrégé  de  la  doctrine  de  Paracelse.) 

QUINTESSENCIEL,  QUIXTESSENTIAUX,  ad- 
jectifs faits  du  mot  quinte-essence. 

Quitte,  celui  qui  a  payé  ses  dettes:  «Un 
pet  pour  les  quittes  ». 

Quitter,  céder,  abandonner. 

Quotter,  coter,  noter. 

QuoY,  tranquille,  en  repos;  comme 
coy. 


R 


Rabanistes,  porteurs  de  rabat;  on  di- 
sait aussi  rabaniste  pour  rabbiniste. 

Rabat,  lutin,  esprit  foUet. 

Rabbe,  rave. 

Rabiller,  réparer. 

Rabouilllere,  trou  à  l'écart  où  la  lapine 
fait  ses  petits. 

Rabreb.\ns,  (mot  hébreu),  grands,  prin- 
cipaux, officiers  de  la  Quinte-Es- 
sence. 

Rachapter,  racheter. 

Rachapteur,  racheteur. 

R.\cletorets,  ceux  qui,  dans  les  bains, 
raclent  la  peau  du  corps  pour  la  rendre 
plus  douce. 

Racquedenare,  racle-deniers,  capi- 
taine de  Picrochole. 

R'Ullard  (bon),  bon  compagnon,  joyeux 
compère. 

Raillon,  flèche,  dard. 


R.4IRE,  raser. 

Raitz,  rasés  :  «  Se  soudoyt  aussi  peu  des 
raitz  comme  des  tonduz  ». 

Ramasse,  jeu  indéterminé;  —  l'un  des 
jeux  de  Gargantua. 

Rambades,  garde-fous  placés  au-dessus 
des  fronteairx,  des  gaillards  et  dunet- 
tes d'un  vaisseau. 

RvJiBERGE,  vaisseau  long  et  étroit,  à 
rames. 

R.\jIeau,  Ramus.  —  Voyez  Galland. 

Rame.\u  d'or  tant  célébré  par  Virgile  : 
Primo  avulso  non  déficit  aller 
Aureus,  et  simili  frondescit  virga  métallo. 
(Mneid,  lib.  VI,  v.  136.) 

Ramée,   branches  d'arbre,   berceau  de 

verdure,  ombrage. 
Ramenter,    r.\mentevoir,    rappeler   à 

la  mémoire,  remémorer. 


502 


GLOSSAIRE    ET    NOTES 


Raminagrobis.  Ou  veut  que  ce  soit 
Guillautiic  Du  Bois,  dit  Crctin,  dont 
les  pixî-sics  ont  iiù  recueillies;  Paris, 
Simon  du  Bois,  1527,  in-S";  et,  ce  qui 
le  prou%-e,  c'est  que  le  rondeau  que 
Rabelais  lui  attribue  {Prenez  la)  se 
trouve  en  effet  dans  les  poésies  de 
Crétin.  Il  est  adressé  à  Christophe  de 
Reluge,  qui  l'avait  consulté  sur  son 
mariage.  Ce  rondeau  présente,  dans 
l'original,  de  légères  différences.  Au 
lieu  de  si  ne  la  prenez,  on  y  lit  :  et  si 
la  laissez;  au  lieu  de  reculiez,  di (Jerez; 
au  lieu  de  sotibliaittez  luy  vie,  on  lit  : 
desirez  sa  vie.  Les  vers  9  et  10  sont 
dans  un  ordre  inverse;  enfin  le  refrain 
est  prenez  la,  au  lieu  de  prenez  la,  ne. 
Ce  rondeau  porte  la  signature  ordi- 
naire de  Crétin  :  mieux  que  pis. 

Rajitn'AGRobis,  gens  fourrés  d'hermines. 

R.\MON,  balai  à  long  manche;  d'où  l'on 
a  fait  ramoner  et  ramoneur. 

Ramper,  grimper,  gravir  :  «  Rampant 
contre  une  muraiUe.  » 

IvANCE.  Rance,  baron  de  Cère,  gentil- 
homme romain,  comte  de  Pontoise, 
général  des  troupes  du  pape,  du  roi  de 
France  et  des  Vénitiens,  joua  iin  très 
grand  rôle  dans  les  guerres  d'Italie. 

Ran'CO  (de),  de  rang  en  rang,  de  main  en 
main. 

Rançon,  arme  dont  le  fer,  plat,  se  termi- 
nait en  pointe  avec  un  crochet  recour- 
bé de  chaque  côté,  en  forme  de  fleur 
de  lis.  De  l'italien  rampicone,  crodiet. 

Raxcon,  outil  de  tisserand. 

Rane,  grenouille. 

Rane  Gyrine.  —  Voyez  la  Briefve  Dé- 
claration. 

Rapeau,  sorte  de  jeu  de  quilles. 

Raphe,  pour  rafle,  jeu  de  mains. 

Raphes,  espèce  de  loups  mouchetés 
comme  le  léopard. 

R.u>lNEUX,  voleur,  pillard,  qui  vit  de 
rapines. 

Rapp^U-lus,  nom  comique  de  diable. 

Rarité,  rareté. 

Rasettes,  petit  os  du  bras  et  de  la  jam- 
be. 

Rat,  lapsus,  faute  de  langue  ou  de  con- 
duite. 

RATACOîraErR,  rapetasseur  :  «  Ratacon- 
neur  de  bobelins.  » 

Rataconniculer,  far  l'atto. 

Râtelle,  rate. 

Ratepenade,  cliauve-souris. 

Ratiocinatitoî,  raisonnement. 

R.VTiociNER,  raisonner. 

Ratioxal,  rationnel,  logique. 

Ratouere,  ratouoire,  ratière. 

Ravaller  en  pris,  baisser  de  prix 

Ravasser,  rêver. 


Ravasserie,  rêverie. 

Ravassei-r,  rêveur. 

Ravelins,  ravins,  revers  d'un  fossé; 
terme  de  fortification. 

Razes.  —  Voyez  la  Briefve  Déclara- 
tion. 

RÉALEMENT,  réellement. 

Realz,  espèce  d'esturgeons. 

Rebec,  ancien  violon  à  troLs  cordes. 

Rebec  (visage  de),  parce  que  sur  le  man- 
che de  cet  instrument  était  ordinaire- 
ment sculpté  un  visage  grotesque. 

Rebecquer  (se),  se  rebiffer,  se  révol- 
ter. 

Rebindalnes  (à  jambes),  les  quatre  fers 
en  l'air. 

Rebours,  rebous,  reeousse,  revêche, 
acariâtre  :  «  Femme  rebousse.  > 

Rebouscher,  s'émousser. 

Rebrasser  (se),  se  retrousser,  relever 
sa  robe  :  «  Par  la  Vierge  qui  se  rebras- 
se !  »  Allusion  à  quelque  image  de 
sainte  Marie  l'Égyptienne.  Cette 
ainte  a,  dans  sa  légende,  un  trait  peu 
édifiant  que  reproduisaient  naïve- 
ment les  peintres  du  moyen  âge. 

Rebrassit  (se),  se  retroussa. 

Rebr.\z,  repli  ;  «  Entendement  à  double 
rebraz  »,  entendement  profond. 

Recamé,  brodé. 

Rec.ameurs,  brodeurs. 

Recenser,  compter. 

Recentement,  récemment. 

Recepv.\ns,  ceirx  qui  reçoivent. 

Recepvoir,  recevoir. 

Recesse,  enfoncement,  retraite,  lieu 
caché. 

Recheute,  jeu  inconnu;  l'un  des  jeux 
de  Gargantua. 

Reciner.  Voir  Resieuner. 

Rechiner,  rechigner,  faire  la  moue,  être 
de  mauvaise  humeur. 

Reciprocantes,  réciproques. 

Recoler,  rassembler,  recueillir,  réciter  : 
<i  Recoler  les  passages  des  auteiu^.  a 

Recontorter  (se),  se  rassurer,  se  con- 
soler. 

Recoquillette  (la),  jeu  inconnu;  l'un 
des  jeux  de  Gargantua. 

Recori>.\tion,  mémoire,  souvenir. 

Recorder,  rappeler,  remettre  en  mé- 
moire. 

Records,  qui  se  souvient. 

Recourser,  retrousser. 

Recouvert,  recouverte,  recouvré,  ob- 
tenu. 

RECou\TaR,  recouvrer. 

Recreu,  fatigué. 

Rectifier,  redresser  :  «  Rectifie  le  mem- 
bre. 1) 
Recueil,  accueil. 
Recueillir,  accueillir. 


GLOSSAIRE    ET    NOTES 


503 


Recullons  (à);  ceux  qui  gagnent  leur 
vie  à  reculons,  ce  sont  les  cordiers. 

Recvlorcm  (à),  en  arrière,  à  l'écart. 

Recutitz,  circoncis. 

Red.\iier,  aimer. 

REDIGER,  réduire. 

Redolent,  odorant,  aromatique. 
RÉDUIRE,  ramener  :  «  Luy  réduit  à  mé- 
moire »,  lui  remet  en  mcmoirc. 

Reffuir,  fuir  :  «  Retni  du  monde  »,  fui, 
évité,  repoussé  du  monde. 

Refr.\ischir,  rafraîchir.  D'où  refrais- 
chisseinent .  rcfreschisseurs. 

Refraischir  (se),  se  rafraîchir,  se  repo- 
ser :  »  Se  refraischir  en  courage.  » 

Reg.\rd  (au),  à  l'égard. 

Regnault  de  Wontaub.vn,  personnage 
des  poèmes  carolingiens,  resté  popu- 
laire. 

REG0UBII.I-ONTVER,  faire  le  réveillon, 
manger  la  nuit. 

REGURGITER,  regorger. 

Réhabiliter,  ranimer  ;  «  Rehabiliter 
le  cerveau.  » 

Rii  ITERATIONS,  actes  de  procédure. 

Relenteur,  mauvais  goût,  mauvaise 
odeur,  que  nous  nommons  relent. 

Reles,  relais. 

Reliefz,  restes. 

Relieve,  relève  :  «  Reliève  mon  appel.  » 

Remb.arrer,  renforcer,  consolider. 

Remembrer,  rappeler. 

Remollir,  ramollir. 

Remolql-er,  remorquer. 

Remore,  petit  poisson  auquel  les  anciens 
attribuaient  la  vertu  d'arrêter  la  mar- 
che des  vaisseaux. 

Remparer,  élever,  relever  les  remparts 
d'une  ville,  la  fortifier. 

Renard  :  «  Écorcher  le  renard  »,  vomir, 
rendre  sa  gorge. 

Ren.vrd  (de),  jeu  de  tables,  comme  les 
dames  ou  les  échecs. 

Renette  (la),  autre  jeu  de  tables. 

Rengée,  ou  rangée,  jeu  de  billes. 

Reniguebieu,  sorte  de  jeu,  vraisembla- 
blement jeu  de  dés. 

Ren"yer,  renier  :  <t  Je  renye  bien  ",  jiu-on. 

Repaire,  crotte  de  lapin. 

Repaiss.\ille,  repas. 

Rep.-ustre,  nourrir,  se  nourrir,  prendre 
son  repas,  manger. 

Rep.\ration  de  dessoubz  le  nez,  repas. 

Rep.IiSTZ,  repas. 

Repous,  repos;  adjectif:  reposé. 

Repugn.ance,  opposition,  contradic-  | 
tion. 

REPUGN.'mT,  contradictoire. 

Repugn.\toire,  défensif. 

Requamé,  brodé. 

Requérir,  demander. 

Requeste  (de),  demandé,  recherché. 


Requiesce,  repose. 

Requis,  nécessaire. 

Resecquer,  couper,  retrancher. 

Reserrk,  renfermé;  s'appliquaut  aux 
choses  et  aux  personnes. 

Re.sieuner,  ressiner,  reciner  verbe 
et  substantif  :  repas  entre  le  dîner  et 
le  souper,  collation;  collationner,  faire 
ce  repas. 

Résolus,  au  temps  présent  du  verbe 
résoudre  ;  «  Là  je  nie  résolus,  a 

Respit.  répit,  délai. 

Resplendent,  resplendissant. 

Resplende™,  splendeur. 

Respons.ailles,  jeu  de  cache-cache. 

Responses,  réponse,  sorte  de  salade. 

Responsif,  responsive,  qui  répond. 

Ress.vper,  réparer  :  «  Ressaper  contres- 
carpes. » 

Ressin'er.  Voir  Resieuner. 

Reste,  loisir  :  «  A  toutes  restes  ».  — 
Voyez  Enviz. 

Reste,  ce  qui  reste  :  «  La  reste  du  sel.  » 

Restile,  qui  produit,  qui  rapporte  tous 
les  ans. 

Restitl^er,  rétablir. 

Restrinctif,  médicament  astringent. 

Resud.\nt,  plein  de  suc. 

Resudation,  sueur. 

Res^'eigler,  réveiller. 

Resverie,  resverye,  sottise,  vaine 
imagination. 

Resvouoir,  endroit  où  l'on  rêve. 

Ret.\illatz,  circoncis;  alias  châtré, 
eunuque. 

Retaillons,  morceaxix,  rognures,  grat- 
te. 

Retombe,  vase  à  boire. 

Retondir,  retentir. 

Retorner,  retourner. 

Retouble,  champ  nouvellement  mois- 
sonné. 

Retraict  du  goubelet,  lieu  retiré, 
retraite  pour  les  buveurs. 

Retraict  lignagier.  On  nommait 
retraict  les  lieux  d'aisance.  Le  retrait 
lignagier  était  l'action  par  laquelle, 
dans  l'ancienne  jurisprudence,  le 
parent  d'une  certaine  ligne  pouvait 
retirer  l'héritage  des  mains  de  celui 
qui  l'avait  acheté.  Rabelais  fait  une 
équivoque  sur  ces  deux  expressions. 

Retributeu-r,  qui  rend  à  chacun  ce  qui 
lui  est  dû  :  «  Dieu  juste  et  retribu- 
teur.  » 

Retz  admirable,  lacis  de  vaisseaux  que 
les  anciens  anatomistes  disaient  situé 
aux  côtés  de  la  selle  de  l'os  sphénoïde. 

REVELATION,  l'Apocalypse. 

Reverentement,  avec  révérence,  avec 
respect. 

Revergasse,  danse. 


504 


GLOSSAIRE    ET    NOTES 


RivVOCQtjER,  rappeler. 

Revolver,  ddrouler,  feuilleter. 

Rkz,  rasés  :  «  Des  rcz  et  des  tondus.  » 

Rh.\cadies,  crevasses,  gerçures. 

RiiAGANES,  sorte  de  reptiles. 

Rhagions,  araiçnées  venimeuses.  Voyez 
Pline,  livre  XXIX,  chapitre  xxvu. 

RHETORICQUETJR.  poète,  orateur. 

Rhizotome,  était  un  jeune  page  qui 
ser\'ait  à  Gargantua  comme  d'un  apo- 
thicaire, aulivre  I,  chapitre  xxrn.  Il 
vient  du  grec  yZfj~('t'j.ù;,  un  coupeur 
et  tailleur  de  racines,  tels  que  sont  les 
droguistes  et  herboristes. 

RnoDiEXS  (chevaliers),  chevaliers  de 
Saint-Jean  de  Jérusalem,  établis  à 
Rhodes,  puis  à  Malte. 

Rhombe,  sabot,  toupie. 

RIBAUDAILLE,  canaiUe. 

RXBAULT,  R1BAULDE,  débauché,  vatirien. 

KXBLEUR,  coureur  de  nuit,  batteur  de 
pavé. 

RiBON,  RIBAINE,  bon  gré,  mal  gré. 

Ricochet  (la  chanson  de).  Cette  locution 
remonte  au  delà  de  l'époque  de  Rabe- 
lais. On  la  trouve  dans  les  sermons 
français  de  Gerson. 

RlDDE,  monnaie  d'or  valant  50  sous. 

Rien^-evaulx,  vauriens. 

RiFLER,  égratigner,  érafler.  Ce  mot  a  de 
plus  le  sens  de  manger,  avaler. 

Rigoler  (se),  soy  rigouller,  se  diver- 
tir, s'ébattre. 

RiGORON  PiRouY,  danse. 

Rillé,  restes,  desserte. 

RiMER,  faire  des  vers,  prendre  au  pot. 
I  As-tu  prins  au  pot,  vu  que  tu  rimes 
déjà.  »  Le  mot  rimer,  dans  quelques 
dialectes  pro%anciaux,  se  dit  des  vian- 
des qui,  par  suite  d'ime  cuisson  trop 
ardente,  attachent  aux  parois  du  vase 
où  elles  cuisent,  ou,  comme  dit  Grand- 
gousier,  prennent  au  pot. 

RiOLÉ,  rayé  de  diverses  couleurs,  bigar- 
ré. 

RioTTE,  dispute,  rixe. 

RiPAROGRAPHE.  —  Voyez  Pyrccius. 

Repe  (en),  in  ripa:  sur  le  rivage. 

RiPPE,  artière,  petit  poisson. 

Ripperie,  comme  frippcrie. 

Rire,  employé  activement  :  «  Riant  les 
faictz. » 

Risses,  hérissons. 

RiTUAL,  rituel. 

RiVERAN,  batelier. 

RlVERE.iu,  grappin. 

Rivet,  cordeau  :  1  Selon  la  loy  que  l'on 
tire  au  rivet.  » 

RoBBE  (en),  en  cachette,  à  la  dérobée  : 
«  Boire  deux  petits  coups  en  robbe.  » 

ROBBER,  dérober,  voler. 


RoBiDiLARDiCQUE,  adjcctif  forgé  par 
Rabelais  et  ayant  le  sens  de  :  favorable 
à  ceux  qui  aiment  le  lard. 

Robin,  nom  traditionnel  d'un  mouton. 

Robinet  (François),  un  des  condisci- 
ples de  Rabelais  à  Jlontpellier. 

RoBOASTE,  nom  d'un  géant. 

RociiES  SAiNCT  Raoul  (les),  les  Roches- 
Saiut-Pol,  paroisse  et  prieuré  du  dio- 
cèse de  Tours. 

RocQUETTE,  petite  roche,  élévation,  for- 
tin. 

Rocter,  roter. 

Rocz,  tours,  au  jeu  d'échecs  :  i  Rocz  et 
pions.  » 

Rodh-ardus,  ronge-lard;  nom  d'un  chat. 

RODOGINE  (Jacobe),  célèbre  engastri- 
mythe  ou  ventriloque. 

Rogatons,  résidus  de  toutes  sortes  : 
•  Porteurs  de  rogatons  et  de  costrets.  • 

RoGUE,  fier,  hargneux. 

Roguement,  fièrement,  avec  hauteur. 

RoiGNER,  rogner. 

Roland  (la  mort)  :  t  Mourut  de  la  mort 
Roland  »,  c'est-à-dire  de  soif. 

ROJL^NICQUE  (compte),  supputation  ro- 
maine qui  faisait  commencer  l'année 
au  i'^"'  janvier,  et  non  à  Pâques. 

Ro^^cOLES,  soumis  à  Rome. 

RoMlPETES,  allant  à  Rome. 

R0MIVAGE,  pèlerinage. 

RONDELIER,  soldat  armé  de  la  rondelle, 
petit  bouclier  rond. 

RoNDiBlLls,  c'est  Guillaume  Rondelet, 
médecin  de  Montpellier,  de  qui  nous 
avons  une  Histoire  des  poissons,  dont 
la  traduction  fut  imprimée  à  Lyon, 
chez  Macé  Bonhomme,  1558,  in-folio. 

Rontlart,  jeu  inconnu. 

Ronfle  veue  :  t  Vous  me  remette'  à 
point  en  ronfle  veue  »,  voiis  rompez 
toutes  mes  idées,  vous  me  décon- 
certez. L'expression  est  tirée  d'un  an- 
cien jeu  de  cartes  où  le  point  s'appe- 
lait ronfle;  —  ce  jeu  de  cartes  lui-même. 

Rostocostoj.vmbed.vnesse,  nom  bur- 
lesque forgé  par  Rabelais. 

Rotte,  vielle,  instrument  ainsi  nommé 
de  la  roue  {rota)  qui  tourne  sur  les 
cordes. 

RouAisoNS,  Rogations. 

Rou.'UiT,  bourreau. 

Rouen,  poil  rougeàtre  du  cheval. 

Rou'ER,  tourner  :  «  En  rouant  »,  en  tour- 
nant, en  faisant  la  roue. 

RouPT,  rompu,  défait. 

RouPTE,  ROUTE,  déroutc,  fracture,  tron- 
çon :  «  Fuyoient  à  la  route  »,  fuyaient 
en  déroute. 

RouscHE,  ruche. 

RousÉE,  rosée. 

Roussettes,  chiens  de  mer. 


GLOSSAIRE    ET    NOTES 


RoussiN,  cheval  de  service;  d'où  rous- 
siner,  faire  le  roussin,  saillir. 

RousT,  rôt. 

RousTiR,  rôtir  :  «  Je  vous  les  vends  à 
roustir  ou  boillir.  » 

RouY,  macéré,  pourri  dans  l'eau;  opé- 
ration que  l'on  fait  subir  au  chanvre 
et  au  lin. 

RouzEAUx,  roseaux. 

RouzÉE,  musicien  contemporain  de  Ra- 
belais. 

RoYAiiLX  d'or,  monnaie  frappée  sous 
Philippe  le  Bel.  Les  petits  royaux  va- 
laient onze  sous  parisis,  et  les  gros  le 
double. 

Royaume  :  «  Bon  coursier  du  royaume  n 
ou  du  règne,  comme  on  disait  commu- 
nément, c'est-à-dire  du  royaume  de 
Naples. 

Ro YDDiiiET  (frère)  ;  il  est  fac  ile  de  décom- 
poser ce  nom. 

RoYNES  (LES),  l'un  des  jeux  de  Gargan- 


tua;  on  ignore  en  quoi  il  consis- 
tait. 

RozriNS  (mot  hébreu),  princes,  officiers 
de  la  Quinte-Essence. 

RfACH,  souffle,  vent;  mot  hébreu. 

RuBETTES,  grenouilles  venimeuses  : 
«  Sang  de  rubettes.  » 

Ruer,  frapper,  abattre,  jeter  :  t  Rués  », 
jetés  à  bas,  renversés. 

Ruer,  se  jeter  :  «  Ruer  en  cuysine.  » 

RuTTiEN,  débauché,  souteneur  de  fille. 

RuFFiEi«fERiB,  substantif  du  mot  pré- 
cédent. 

RuGiENT,  rugissent. 

Ruiner,  tomber  en  ruine  :  «  Si  ta  maison 
debvoit  ruiner.  » 

RusTERiE,  tète  de  mouton  assaisonnée; 
manger  de  rustre. 

RuSTREMENT,  à  la  Histique,  à  la  rustre" 

RUTELES,  sorte  de  reptiles. 

RUYT,  rut  :  «  Entrer  en  ru5't  »,  entrer  en 
rut. 


S',  si  :  «  S'en  rien  oultrepassa.  » 
Sabaoth  (Dieu),  Dieu  des  armées. 
Sabine,  plante,  espèce  de  genévrier. 
S.4B0ULER,    houspiller,    bousculer,    dans 

un  sens    erotique. 
Sabourre,  lest. 
S.-VBOURRER,   lester,   garnir;    embourrer, 

dans  im  sens  erotique. 
Sabtins,  sorte  de  reptiles. 
Sabuleuse  (mer),  mer  sablonneuse,  aré- 

neuse. 
Saburrer,  comme  saboxmer. 
Saccade,  secousse.  Erotid  :  «  Aura  la 

saccade.  » 
S.vcCADER,  donner  la  saccade  dans  im 

sens  erotique. 
Sacmenter,  mettre  à  sac,  saccager. 
Sacqueboutte,  trompette  harmonique; 

aujourd'hui  le  trombone. 
Sacquer  de   l'espée,   tirer  l'épée  du 

fourreau,  dégainer. 
Sacre,  oiseau  de  proie. 
Sacre,  sacré  :  «  I^s  sacres  Bibles  n.  «  I,e3 

sacres  Lettres  »,  la  sainte  Écriture.  «  La 

feste  du  Sacre  »,  la  fête  du  Saint-Sacre- 
ment, Fête-Dieu. 
Sacrificules,  petits  sacrifices. 
Sacs.\cbeze\'ezixem.\ssé,  mot  forgé  par 

Rabelais  et  dont  on  peut  deviner  le 

sens. 
Sade,  gentil,  gracieux. 
Saffrette,  agréable,  appétissante. 


SAGAiHONS,  préfets;  mot  hébreu. 

Sagane,  sorcière,  devineresse. 

Sage,  saie,  habit  court,  casaque. 

Sagette,  flèche. 

Sagittaire  (art),  le  talent  de  tirer  des 
flèches. 

S.4GITTARIUS,  le  Sagittaire,  signe  du  zo- 
diaque. 

S.ilNCT  FOIN,  sainfoin. 

Sainct  Gris.  —  Voyez  Gris. 

S,\iNCT  HiACCHO,  Saint  Jacques  de  Corn- 
postelle. 

S.iiNGELAis,  IMellin  de  Saint-Gelais, 
poète  contemporain  de  Rabelais. 

S.\in.çambreguoy,  juron,  est  écrit  par- 
fois :  Sainct  sang  bregxioy. 

Saint  Antoine  (feu),  mal  des  ardents. 

S.'^INT  Ayl,  Saint-Ay,  près  d'Orléans. 

Saint  Eutrope  (mal),  hydropisie. 

Saint  Genou  (mal),  la  goutte. 

S.\iNT  Gildas  (mal),  la  folie. 

S.4.INT  Jacques  (le  chemin),  la  voie  lac- 
tée. 

S.unct-Trouvé,  jeu  inconnu;  on  peut 
induire  de  son  nom  que  c'était  peut- 
être  une  sorte  de  jeu  de  cache-cache. 

Sainct  Victor  (la  librairie  de),  la  biblio- 
thèque de  l'abbaye  de  Saint-Victor, 
dont  Rabelais  a  dressé  le  catalogue 
burlesque  et  satirique. 

S.iLACiTÉ,  luxure. 

Salade,  casque,  armure  de  tête. 


5o6 


GLOSSAIRE    ET    NOTES 


iJALEi.  (Hugues),  de  Casais  en  Ouercy. 
abbé  de  Saint-Chi^ron,  né  vers  150^. 
mort  en  1553,  compatriote  et  ami 
de  Marot,  et  comme  lui  valet  de  cham- 
bre de  François  !"■. 

Saleures,  salaisons. 

Salbrenaux,  personnages  ridicules  et 
puants. 

Salfuges,  sangsues,  parce  que  le  sel  leur 
est  nuisible. 

Salle,  sale. 

Salmigondes",  chatellenie  en  Utopie, 
d'où  SaJmiguoitdinoys.  pays  de  Sal- 
migondin,  et  Salmtguondins,  habi- 
tants de  ce  pays. 

Salse,  salé. 

Salltz  d'or,  monnaie  du  xv*  siècle, 
valant  22  sous  parisis 

Salvant,  sauvant,  réservant. 

Salvation",  salut,  réserv-c,  acte  juridique 
de  conservation. 

Salvern"E,  grande  tasse,  écuelle. 

Sammateu,  Saint-Matthieu,  cap  de  Bre- 
tagne. 

Sammalo  (port),  Saint-Malo. 

Sanctimoxlales,  religieuses. 

Saxctoroxs,  dévots  aux  saints. 

Sangedé,  courte  épée. 

Sang  de  les  c-^bres  !  juron  gascon, 
c'est-à-dire  :  Sang  des  chèvres  ! 

Sanglade  d'estrivières,  coups  d'étri- 
vières. 

S.WÎGLERON,  marcassin. 

Sangles,  sorte  de  reptiles. 

Sanglouter,   sangloutter,   sangloter. 

S.'VNGReal.  —  Voyez  Gràal. 

Sangltfier,  changer  en  sang. 

Sanita  et  Gr.\D.\ix,  MESSER  !  Santé  et 
gain,  monsieur  ! 

S.\NXloNS,   sanctions,   prescriptions. 

Sanxir,  sanctionner. 

Saphiz,  saphirs. 

Sapience.  savoir,  sagesse. 

S.APORTA  (Ant.),  im  des  condisciples  de 
Rabelais  à  Montpellier. 

Sapper,  enlever. 

S.AQUEBOUTES,  commc  sacqueboutes. 

Sarabovities,  SARABOriTES,  sarabaïtes, 
moines  déréglés  dont  parle  Bernard 
de  Luxembourg. 

S.iRABROTH,  géant. 

S.VRBATAINE.  Sarbacane. 

Sard.uxe,  Sardaigne. 

Sard.unes,  sardines. 

Sarge,  serge  :  «  Sarge  de  soye.  • 

Sarins,  mot  hébreu,  auliques,  eunuques, 
officiers  de  la  Quinte-Essence. 

S.\RISSE,  pique  macédonienne. 

Sarpe,  serpe. 

SARRAZiNESQLrE,  de  Sarrasin. 

Sassé,  passé  au  sas. 


Satin  (pays  de),  pays  qu'où  voit  sur  les 

tapis.-ieries. 
Satinize,  satiné. 
Satisfaire,  payer  ce  qu'on  doit. 
SAT-i-RiCQUE  (le),  c'est  Perse,  qui  dit  : 

Mai;isler  artis  ingenique  largitor 

Venter. 

S.ArcoNDUiCT,  sauf-conduit. 

Saulce,  sauce. 

Sai'lcevert  ,  sauce  piquante  qu'on 
criait  dans  les  rues  de  Paris. 

Saulgrenke,  ragoût  de  pois  assaisonnés 
au  beurre,  aux  fines  herbes,  etc.  Figu- 
rément.  mélange,  macédoine. 

Saullaye,  saussaie,  lieu  planté  de  sau- 
les. 

SACL^LATES,  cretons,  menues  fritures, 
viandes  salées. 

Sax."lnier,  marchand  de  sel. 

Saulse,  sauce. 

Saulser,  tremper  :  «  Ja  ne  saulcera'son 
pain  en  ma  soupe  »,  c'est-à-dire,  ne  me 
fera  cocu. 

SAfLVAGiNE,  gibier,  venaison. 

S.^ULVE.  sauf. 

S.'VCLVEMENT,  sûreté,  abri,  salut. 

Saulveté,  salut,  sûreté. 

Sait-X,  saules;  arbres. 

S.AV.^TiER,  l'un  des  jeux  de  Gargantua; 
probablement  semblable  au  jeu  du 
furet  et  pour  lequel  on  se  servait 
d'une  savate. 

S.AVORADOS,  potage  fait  d'os  et  de  débris 
de  viande. 

S.AYE,  soie. 

S.AYON,  saie,  habit  court. 

SCAL.woTiN,  espèce  de  lézards. 

Scalle,  escale,  mouillage  :  «  Faire  scal- 
le  »,  aborder. 

Sc.iND.\L,  sonde  d'un  vaisseau. 

ScAND.ALÉ,  scandaleux,  faisant  scandale. 

Se\iOPHAGE,  qui  se  noiurit  d'excré- 
ments. 

SçAV.\NT,  sachant. 

SCELON,  selon. 

ScENDE.\ux,  étoffes  de  soie. 

ScEUR,  sûr. 

ScHEDULES,  cédules,  billets  :  t  Si  le  pa- 
pier de  mes  schedules  beuvoyt  ausà 
bien  que  je  fays,  mes  créditeurs, etc.,» 

SCHIBBOLETH,  mot  hébreu  qui  signifie 
également  im  épi  et  un  fleuve;  qui 
jadis,  dit-on,  servit  de  mot  du  guet 
aux  habitants  de  Galaad,  dans  la 
guerre  qu'ils  firent  aux  Éphraïmites. 
Ces  derniers  ne  pouvaient  pas  bien 
prononcer  le  schin  hébreu,  et  disaient 
Sibboletk  au  lieu  de  Schibboleth:  ils 
étaient  aussitôt  ma.=sacrés  par  ceux 
de  leurs  ennemis  qui  les  rencontraient. 

SciNTiLANT,  et  incelant. 


GLOSSAIRE    ET    NOTES 


507 


SciNTlLE,  scintille,  étincelle. 

SciOJL\CHiE,  combat  simulé,  ombre  d'un 
combat. 

.Sclo^lA^^■IE,  divination  par  les  ombres. 

ScioPE,  arquebuse,  de  l'italien  schioppo. 

ScizEArx,  ciseaux. 

ScL.woNaQUE,  d'Esclavonie. 

ScuRRHOTlQiTî,  squirrciLX,  qui  a  un 
squirre. 

Scolopendre,  sorte  de  mille-pieds. 

ScoRDÉoN,  ail,  en  grec. 

ScoRPENE,  scorpion  de  mer;  genre  de 
poisson  d'une  forme  bizarre  et  hi- 
deuse. 

Scorpion,  fouet  d'armes;  arme  offen- 
sive. 

ScoTiNE,  obscure,  ténébreuse. 

ScoTiSTES  (docteurs),  disciples  de  Duns 
Scot,  le  Docteur  subtil. 

ScRiPTEUR,  écrivain. 

ScROPHULES,  écrouelles. 

Sci-RRON,  Jean  Schyron.  maître  es  arts 
et  professeur  de  médecine  à  Montpel- 
lier. 

ScYBALE,  étron;  mot  grec. 

SCYLLE,  803- lia. 

ScYTALES,  sorte  de  reptiles. 

ScYTHROPES,  lugubres,  du  mot  grec 
az'jOpto~o:. 

Se,  ce. 

Sebaste,  vénérable;  nom  d'un  des  capi- 
taines de  Gargantua. 

Sechaboth,  escarbot,  scarabée. 

Secretain,  sacristain. 

SEcuRrD.\c.\,  fève  de  loup,  herbe  nui- 
sible aux  lentilles. 

Sedé,  apaisé  :  n  Ces  rys  du  tout  sedez.  » 

Segvette  (la),  jeu  de  billes  appelé 
encore  b  la  poursuite.  ' 

Segitn,  musicien  contemporain  de  Ra- 
belais. 

Seiche,  poisson  qui  épanche  à  volonté 
ime  liqueur  noirâtre. 

Seigle,  locut.  prov.  :  i  Frapper  comme 
sus  seigle  verd.  a 

Seigner  (se),  faire  le  signe  de  la  croix  : 
«  Faulte  de  s'estre  seignez  de  la  bonne 
main  au  matin.  1 

SEiGNY,jpour  senex,  le  vieux  :  «  Seigni 
Joan  ».  On  trouve  le  portrait  de  Seigny 
Joan  dans  la  Nef  des  fols. 

Seillau,  seilleau,  seau. 

Seille,  baquet,  seau. 

Seilt.e,  .=cigle  :  n  I,es  abbastoit  comme 
seiUe.  a 

SijAN,  Seian  (cheval).  —  "Voyez  la 
Briefvc  Déclaration. 

Aulu-GeUe  parle  d'après  Gabius 
Bassus  et  Modestinus  de  ce  cheval, 
descendant  en  )is;ne  directe  de  ceux 
de  Piomède.  «  Primum  (dit-jl),  ilhim 


Cn.  .Sejum  domiinim  ejus  a  M.  Anto- 
nio qui  postea  triumvir  rcipublicee 
constituendoe  fuit,  capitis  damnatum 
miserando  supplicio  affcctum  esse:  eo- 
dem  tempore  Comelium  Dolabelam 
consulem  in  Syriam  profîciscentem 
famam  istius  equi  adductum  Argos 
devertisse,  cupidineque  habendi  ejus 
exarsisse,  emisseque  eum  sestertiis 
centum  millibus  :  sed  ipsum  quoque 
Dolabellam  in  Syria  bello  civili  ob- 
sessum  atque  interfectum  esse  :  mox 
eumdem  equum,  qui  Dolabdlae  fue- 
rat,  C.  Cassium,  qui  Dolabellam  obse- 
derat,  abduxisse.  Eum  Cassium,  pos- 
tea satis  notum  est,  victis  partibus, 
fusoque  exercitii  suo  niiseram  mortem 
oppetiisse  :  deinde  Antonium  post 
interitumCasssii.partavictoria,equum 
illum  nobilem  Casii  requisisse;et  eum 
eo  potitus  esset,  ipsum  quoque  postea 
victum  atque  desertmn  detestabili 
exitio  interisse.  Hinc  proverbium  de 
hominibus  calamitatis  ortum,  dicique 
solitum  :  Ille  homo  habet  equum  Seja- 
tf.um. 

SEJOUR  (de),  reposé,  de  loisir, 

SÉJOURNER,  tarder. 

Sel.\.  certainement;  mot  hébreu. 

Selande,  Zélande. 

Selsir,  serpent  dit  le  sepedon  ou  le 
pourrisseur. 

Semaise,  sorte  de  récipient. 

Semer  l'avoine,  nom  d'un  jeu  d'en- 
fants. 

SEMBL.VNXE,  ressemblance,  similitude. 

SEjrETiKRE,  cimetière. 

SEinBRiEFS,  demi-briefs,  de  demi-brè- 
ves; crochus,  de  croches,  et  f redons, 
forment  une  suite  de  jeux  de  mots 
empruntés  à  la  musique. 

SE>n-DiEux,  demi-dieux. 

Semondre,  avertir,  inviter,  convoquer, 
d'où  semonce,  invitation,  somma- 
tion. 

Sempiterneuse,  sempiternelle  :  «  VieHle 
sempitemeuse.  » 

SEiiPiTERNiTÉ,  éternité. 

Seneca,  De  quatuor  Virtutibus  cardina- 
libus  ;  traité  pseudonyme  de  Martin, 
évoque  de  Slondonedo. 

Senege,  Sénégal. 

Senes,  double  si.x,  au  jeu  de  dés. 

Senestre,  gauche. 

Senogue,  qui  purge  les  humeurs  étran- 
gères. 

Sentejient,  sentiment. 

Sententier,  juger,  décider. 

Sep,  sepe,  cep. 

Sepedon.  —  Voyez  Selsir. 

Sequaxe,  la  Seine. 

Séquence  :  «  A  pair  et  séquence  »,  un 


5o8 


GLOSSAIRE    ET    NOTES 


des  jeux  de  cartes  auxquels  jouait  Gar- 
gantua. 

SÉQUENCE  (la)  ;  autre  jeu  de  cartes. 

Sequenye,  souquenille. 

Serain,  serein,  tranquille. 

Seraine,  sirène. 

Ser.\pp,  scharati,  monnaie  d'or  d'Egyp- 
te, d'un  or  très  pur. 

Sercleurs,  sarcleurs. 

Seres,  peuples  de  la  Chine. 

Serfouette,  outil  de  jardinier  pour 
remuer  la  terre. 

Serizolles,  Cérisolles,  où  se  li%Ta  ime 
des  batailles  les  plus  impoilantes  de 
cette  époque. 

Serment,  pour  sarment,  en  jouant  sur 
ces  mots. 

Sermones  de  Utino,  sermon  de  Léo- 
nard Matthei,  dominicain  d'Udine 

Serpentine,  grosse  pièce  d'artUlerie. 

Serper,  tirer,  remorquer  un  vaisseau; 
—  lever  l'ancre. 

Serpillière,  loque,  toile  ser\-ant  à  net- 
toyer. 

Serpoullet,  serpolet. 

Serrail,  domicile  :  «  Tous  gens  de  bien 
en  leur  serrail  et  privé  ». 

Serr.\rgent,  pour  sergent,  en  faisant  un 
jeu  de  mots. 

Serrecropyere  (jouer  du),  prendre  le 
déduit,  far  l'atio. 

Sert,  le  ser\ice  de  la  table,  par  opposi- 
tion :  dessert. 

Sertorlvnes  (guerres),  de  Sertorius. 

SERV.4TEUR,  sauveur,  conservateur. 

Server,  obser\-er,  conserver. 

Service  du  \tn,  service  divin;  jeu  de 
mots. 

Servîtes,  religieux  consacrés  à  la  Vierge. 

Ses,  ces. 

Sesolfie,  pensif,  troublé,  morne. 

Seulet,  tout  seul. 

Seur,  sûr. 

Sexte-Essence,  pour  encliérir  sur  la 
Quinte-Essence. 

Sexterée,  mesure  de  terrain;  ce  que 
peut  cou\Tir  un  setier  de  blé  en  se- 
maine . 

Seyer,  scier,  couper  :  «  Seyer  le  bled  ». 

Si,  de  telle  sorte  :  «  Si  que  l'umbre  tom- 
boit...  » 

Si  :  i  Des  si  et  des  mais  n. 

Sibylle  :  «  VoUà  le  trou  delà  sibylle  !  » 
Horreitdcsgue  procul  sécréta  sibyllcE 
Anirum  immane,  petit... 

(Enéide,  livre  VI,  v.  lo  et  ii.) 

Sicinnie,  saltation  satirique  du  genre 

du  cordax. 
SiciNNiSTES,  qui  dansent  la  sicinnis. 
SiCLE  d'or,  moimaie  hébraïque. 


SiDERiïE,  de  fer  :  «  Pierre  slderite  »,  l'ai- 
mant. 

SiGiLLATiF,  qui  scelle,  de  sigillum,  sceau. 

SiGNAiMENT,  surtout,  particulièrement. 

Signé,  marqué  :  •  Signé  d'un  goubelet  ». 

SILENES,  petites  boîtes  décrites  par  Ra- 
belais au  prolog\ie  du  livre  I. 

SlLENTE  (lune),  la  nouvelle  lune,  invi- 
sible; luna  siletis,  dit  Pline. 

SiMETERRE,  cimcterre. 

Smplesse,  simplicité,  naïveté. 

SiMULTÉ,  haine,  inimitié 

SiN.\PiSER,  saup^'udrer. 

SINGULIEREMENT,  particulièrement. 

SiPHACH,  mot  arabe  :  membrane  qui 
contient  l'estomac;  le  foie,  etc. 

SiRiACE  (mer),  de  Syrie. 

SiROCH,  vent  de  sud-est. 

SiSAME,  Sésame. 

SiTiciNES,  chanteurs  et  joueurs  d' instru- 
ments sur  le  tombeau  des  morts. 

SixiESME.  —  Voyez  Décrétâtes. 

Six-\'INGTS,  cent-vingt. 

Smach,  pour  schmach,  (mot  allemand), 
affront,  injure,   outrage. 

SoBRESAULT,  soubresaut. 

SOBRESSE,  sobriété. 

SocRATES  :  «  Socrate  mesuroit  le  saut 
des  pulces  ».  Voyez  la  comédie  des 
Nuées,  vers  144. 

SoHiER,  musicien  du  temps  de  Rabelais. 

Sol,  soleil. 

SoLAS,  SOULAS,  récréation,  consolation. 

Soleil,  locution  proverbiale  :  «  Quand 
le  soleil  est  couché,  toutes  bestes  sont 
à  l'ombre  ». 

SoLERETS,  sollerets,  armure  des  pieds. 

Solide,  vrai,  réel,  entier. 

SOLIER,  plancher. 

SOLIFUGES,  fourmis  venimeuses,  qui 
fuient  le  soleU.  —  Voyez  Pline,  li- 
vre XXII,  chapitre  lxxxi. 

SoLiSTiME.  Les  anciens  appelaient  solis- 
timtim  triptidium  le  mouvement  des 
oiseaux  sacrés  qui,  en  mangeant,  lais- 
saient tomber  à  terre  quelques  grains 
qui  frappaient  le  sol.  Cet  augure  était 
réputé  favorable.  C'est  cette  expres- 
sion solistimum  tripudium  que  Rabelais 
rend  par  bal  soUstime. 

SoLŒCiSER,  faire  des  solécismes,  des 
fautes. 

SoLŒCiSER,  faire  des  solécismes,  se 
tromper,  prendre  un  mot  pour  tm 
autre;  manquer  son  coup. 

SOLOFUTDARZ,  comme  soli/uges. 

SoLU,  participe  passé  du  verbe  souldre, 
résoudre. 

SOLUE  (oraison),  prose. 

SOLVABLE,  payable. 

Somme,  sommeil  :  t  Sommelier  étemel, 
guarde-nous  de  somme.  » 


GLOSSAIRE    ET    NOTES 


509 


Sommer,  compter,  calculer. 

SOMMISTES,  théologiens,  des  Summce 
formant  le  corps  des  études  théologi- 
ques. 

SoMNiAX,  du  sommeil,  qui  a  rapport  au 
sommeil. 

Songe  d'.wiours.  —  Voyez  Poliphilc. 

SoNGE.MLLES,  augmentatif  de  songes. 

SoNGEARS.  songeurs. 

SONGECREUX,  persouna^e  comique  figu- 
rant dans  les  Soties.  Un  poète  du  temps 
de  Rabelais  a  composé  un  livre  inti- 
tulé les  Contredits  de  Songecreux. 

Songeur  :  »  Voicy  nostre  songeur.  »  — 
Voyez  Genèse,  chapitre  xxvm. 

SoNGN'ECSEMENT,   Soigneusement. 

Sonnet,  un  pet,  expression  que  Rabelais 
attribue  aux  sanctimoniales.  —  Voyez 
la  Briefve  Déclaration. 

SoRBONE  :  «  Le  punais  lac  de  Sorbone, 
dont  parle  Strabo.  »  Rabelais  écrit 
Sorbone  au  lieu  de  Serbone. 

SoRET,  hareng  saur. 

SoRORiTÉ,  qualité  de  sœur. 

Sors,  sorts;  substantif  féminin. 

SORTIBR.WIT  DE  CONIMBRES,  géaut. 

Sot,  mari  trompé. 

SOTRINS,  mot  hébreu;  préfets,  ofificiers 

de  la  Quinte-Essence. 
SoTT.^îTE,  soutane. 
SotT,  soûl,  substantif  masculin  :  «  Tu 

parleras  ton  sou.  » 
Sou,  soûl,  adjectif  :   «  Sou  comme  un 

Anglois.  » 
Sou,  saindoux. 

SouB.^RBADE,  coup  SOUS  le  meutou. 
SouB.^STESiENT,  soubassemeut. 
SouBçoN,  soupçon. 
SouBD-iON,  soudain. 
SouBD.iiNEMENT,  Soudainement. 
SouBDAN  (le),  le  Soudan,  le  Sultan. 
SouBD.iRT,  soldat. 
SouBELiN,  semble  être  le  même  mot  que 

zibelin  ;  au  poil  soyeux,  comme  celui 

de  la  martre  zibeline. 

SOUBHAIT,   SOUBH.WT,  SOUhait. 

SOUBHAITER,  SOUBHAYTER,  Souhaiter. 
SouBREQUART,    quatrième   par   supplé- 
ment. 
SouBRYS,  sourire. 

SOUBS,  SOUBZ,  SOUS. 

SouBSECRETAiN,  sous-sacristain. 
SouBSTRAiCTE,  lie,  ce  qui  est  au-dessous 

du  vin  :  «  Fou  de  soubstraicte  »,  le 

rebut,  la  lie  des  fous. 
SoucTLLE,  sourcil. 
SouEF,  suave,  doux. 
SouEVE,  Souabe. 
Souffler    le    charbon,    jeu;    voir    : 

CHARBON. 

SouFFRETÉ,  misère,  pauvreté. 
SouiCE,  Suisse. 


Souillarde  (de  cuisine),  laveuse  de 
vaisselle. 

SouissES,  Suisses. 

Soulcil,  souci;  plante. 

SouLDOYÉ,  soldé,  payé. 

SOULDRE,  résoudre. 

SouLLE,  jeu  indéterminé. 

SOULOIR,  avoir  coutume. 

.Sourcilles,  sourcils. 

SOURDRE,  jaillir,  sortir  :  t  Sourdre  de 
bon  et  loyal  courage.  » 

SouRiz  CHAULVES,  chauvcs-souris. 

Soutenir  et  abstenir,  c'est  une  sen- 
tence d'Épictète. 

Souventesfoys,  souvent. 

Spad.\ssin  (comte),  un  des  capitaines 
de  Picrochole. 

Spadonicque,  d'eunuque,  stérile. 

Spagitides  (artères),  artères  parotides. 

Spatules  vervecines,  épaules  de  mou- 
ton. 

Spect.\ble,  remarquable,  digne  d'atten- 
tion. 

Spectacle  :  «  En  vue  et  spectacle  de 
toute  Europe.  » 

Speculaire  (pierre).  —  Voyez  Phen- 
gite. 

Speculance,  transparence,  diaphanéité. 

Spelte,  épeautre;  plante. 

Sperme  d'esmeraugde,  ce  que  nous  ap- 
pelons prime  d'émeraude. 

Sperme  de  baleine,  ambre  gris. 

Sph.\celé,  meurtri,  gangrené. 

Sphaceler,  meurtrir  :  «  Sphaceler  les 
grèves.  » 

Sphengitide.  —  Voyez  Phengite. 

Sphragitide  (terre),  terra  sigillata.  On 
la  nQva.ni3.it  sphragitide  parce  qu'elle  ne 
se  vendait  que  marquée  d'un  sceau. 

Spinale  (mouelle),  moelle  épinière, 

Spir-ANT,  respirant. 

Spirole,  petite  coule\Tine. 

Spleneticque,  maladie  de  la  rate. 

Spodizateur,  proprement  :  celui  qui  fait 
cuire  sous  la  cendre;  au  figuré,  souf- 
fleur, alchimiste. 

Spolier,  dépouiller. 

Spondyles  du  coul,  vertèbres  du  cou. 

S.  P.  Q.  R.  :  •  Si  peu  que  rien»,  traduc- 
tion plaisante  de  l' inscription  Senatus 
poptclusqiie  rotnanus. 

Spyrathe,  crotte  de  chèvre. 

SQITIN.-VNCHE,  esquinancie. 

Squin.\nthi,  calamus  aromaticus;  plante. 

SS  (allonger  les),  falsifier  les  comptes. 
SS  dans  les  comptes  signifiait  sous. 

Stade,  mesure  de  longueur  de  125  pas 
géométriques. 

Stamboucq,  bouquetin. 

Stellions,  espèce  de  lézards. 


5IO 


GLOSSAIRE    ET    NOTES 


Stentorée,  de  Stentor  :  t  Voix  stento- 
rée.  » 

Sternomantes,  engastriniythes  ou  ven- 
triloques. 

Sternomaxtie,  divination  des  engastri- 
mythes. 

Steropes,  cy dopes. 

Stichomaktie,  divination  par  les  vers 
des  sibylles. 

Stinces,  crocodiles. 

Stipe,  pièce  de  monnaie. 

Stipulé,  requis,  sollicité. 

Stocficz,  de  stockfisch,  morues  sèches, 
en  allemand. 

Stocfisé,  morue  sèche;  du  même  mot 
allemand. 

StomjVCH,  estomac. 

Strae*,  straz. 

Strident,  ardent,  dévorant  :  t  Strident 
appétit  ».  Perçant  :  «  Son  strident.  » 

Striphe,  sorte  de  reptile. 

Stryge,  oiseau  de  nuit. 

Strygial,  du  Styx. 

Stylobate,  piédestal,  appui,  soutien  des 
colonnes. 

Stymphalides,  oiseaux  vastateurs  du 
lac  Stymphale,  qu'extermina  Hercule. 

Stypticité,  vertu  astringente. 

Sl'bjacext,  qui  est,  qui  repose  au-des- 
sous. 

SCBJECT,  sujet. 

SuBjEcnoN",    asservissement. 

SrsLER,  siffler. 

SCBLET,  sifflet,  sifflement. 

SuBLEVER,    relever,    soulager,    secourir. 

SuBMnoHLLER,  marmotter. 

SuBoinoîER,  exciter,  séduire,  suborner. 

SuBSECUioiRE,  qui  s'ensuit. 

SOBSEQUE>rr,  suivant,  qui  vient  après  : 
«  Au  subséquent  jour  ■•. 

Subside,  aide,  secoxus,  troupes  auxi- 
liciires,  provisions,  vivres. 

SuBST.iXTER,  nourrir,  faire  vi\Te. 

SuBSTAN'TiFiQUE,  Substantiel,  nourris- 
sant. 

ScBSTRACTiox,  soustraction,  vol. 

SuBTERRAEs',  Souterrain. 

SuB\'ENiR,  secourir,  aider. 

SuB\'ERSiox,  destruction,  renversement  : 
«  Subversions  de  droict.  » 

SUB\-ERTIR,  détruire,  ruiner  :  «  Subvertir 
l'estomac  ». 

SuccESSlTRES,  féminin  de  successeurs. 

Sucrée,  délicate  :  «  I,€s  plus  sucrées 
damoiselles.  » 

Suffisance  (à),  en  quantité  suffisante. 

Suffrages,  prières. 

SuGCER,  SUGSER,  sucer  :  c  Sugcera,  »  su- 
cera. 

SuiLLE,  de  cochon. 

SXTLZ,  sureau. 

Supellatif,  superlatif. 


SuTELUS,  surplis. 

Scpercoquelicantieux,     superlatif. 

Supererogation,  ce  qui  est  donné  par 
surcroît. 

Supereroger,  donner  par  surcroît. 

Superficiaire,  superficielle. 

SuPERGURGiTER,  verser,  vomir. 

SuPERNEL,  d'en  haut,  de  là-liaut. 

SuPERXuiiER.AiRE,    Surnuméraire. 

SuPERSTiTiosiiÉ,  superstition. 

Supplier,  suppléer. 

Suppositoire,  médicament  de  forme 
conique,  que  l'on  introduit  dans  l'anus 
pour  exciter  à  la  selle  ou  guérir  quel- 
que inflammation. 

Suppors,  suppôts. 

SuRAlKE  :  •  Comme  les  oraugiers  de  Su- 
raine. •  Les  orangers  des  parcs  royaux 
de  Suresnes,  suivant  certains  commen- 
tateius.  M.  Barré  croit  qu'il  faut  lire 
San-Remo  (sur  la  côte  de  Gênes)  au 
lieu  de  Suraine. 

SuRGEOiT,  surgissait;  surgeani,  surgis- 
sant. 

Surie,  Syrie. 

SuROT,  maladie  du  canon  du  cheval. 

Surprisse,  surprise. 

SuRSAULTER,  sauter  brusquement,  se 
lever  tout  à  coup. 

SURS.4UX,    sursauts,    sauts   brusques. 

Sus,  sur,  en  haut,  dessus  :  «  Sus  ou  soubs 
la  corde  ».  «  Sus  ce  point  >>,  à  ce  mo- 
ment. 

Sus  (mettre),  reprocher,  accuser,  impu- 
ter. 

SusAXXÉ,  suranné. 

Suspens,  en  suspens,  irrésolu. 

SuzAT,  de  suzeau,  sureau  :  «  Vinaigre 
suzat.  » 

SwEDEN  RiCH,  Suède. 

Sycomantie,  divination  au  moyen  des 
figues  ou  des  feuilles  de  figuier. 

Sycophage,  mangeur  de  figues. 

Syt>er.\le  (lumière),  liunière  des  atres. 

Syllogiser,  raisonner. 

Sylv.^^in,  sylvatique,  sauvage,  des  fo- 
rêts. 

Symboles  pythaGoriques.  Ce  sont 
certaines  sentences  notables,  brèves, 
aucimement  obscures  et  pleines  d'énig- 
mes, desquelles  se  servoit  Pythagoras, 
ainsi  qu'enseigne  Érasme  au  cotmnen- 
cement  de  ses  Adages.  En  outre  le  mot 
de  symbole  signifie  écot.  Et  les  bons 
drôles  disent,  après  qu'ils  ont  fait 
grande  chère  aux  tavernes  et  que  cha- 
cim  a  payé  son  écot,  c'est-à-dire  sa 
quote  de  ce  qui  avoit  été  dépensé  : 
Symbolum  dédit,  canavit  ;  H  a  soupe 
et  payé  son  écot.  Ter  eut.  in  Aitdria. 
Item,  symbole  signifie  la  marque  ou 
enseigne  de  connaissance  pour  faire 


GLOSSAIRE    ET    NOTES 


511 


discerner  les  uns  des  autres,  comme 
les  fleurs  de  lys  sont  les  symboles  des 
François,  qui  les  l'ont  remarquer  pour 
tels  et  séparer  des  autres  nations,  ce 
que  l'auteur  touche  au  livre  I,  cha- 
pitre X.  Item,  sj'mbole  se  prend  pour 
conférence,  collation,  chapitre  xxxiii 
du  livre  IV;  mais  en  cette  significa- 
tion les  Grecs  disent  ct'ju.SoXyj  et  non 
aû'J-OoÀov.  Par  ce  moyen  on  dit  que 
les  éléments  symbolisent  les  uns  avec 
les  autres.  (Alphabet  de  l'auteur  fran- 
çais. ) 


Symbolisation,  ressemblance,  analogie 
assimilation. 

Symboliser,  convenir  par  analogie. 

Symmyste,  qui  est  initié  dans  les  mys- 
tères. 

Symptomates,  symptômes,  accidents  qui 
surviennent  aux  maladies. 

Synapizer,  saupoudrer. 

Syndicqué,  blâmé,  réprimandé. 

Synopien,  de  Syuope. 

Syrop  vignolat,  vin,  sirop  de  la  vi- 
gne. 

Syrtes,  gouffres  marins. 


Tabachins,  cuisiniers,  en  hébreu;  offi- 
ciers de  la  Quinte-Essence. 

Tabellalres,  lettres,  messages,  ou  mes- 
sagers. 

Tabellion,  notaire. 

Tabide,  desséché,  maigri,  étique. 

Table  (diamant  en),  diamant  taillé  plat. 

Table  rgntde,  institution  de  la  chevale- 
rie bretonne,  objet  de  nombreux  con- 
tes populaires. 

Tables,  planches  épaisses,  madriers. 

Tables,  jeu  de  dames  ou  de  trictrac; 
T.\BLES  rabattues,  probablement 
variété  de  jeu  de  dames;  —  Toutes 
t.\bles,  variété  du  jeu  de  trictrac. 

Tablier,  échiquier,  damier. 

Tabolti,  tambour.  Locutions  prover- 
biales :  «  Joyeulx  comme  tabour  à 
nopces  ».  «  Battu  comme  tabour  à 
nopces  ». 

Tabourer,  tambourer,  tambouriner. 
Est  employé  avec  im  sens  erotique. 

Taboureurs,  tambours,  tambourineurs; 
a  parfois  une  signification  erotique. 

T.\BOURlx,  diminutif  de  tambour. 

Tabourineus,  qui  joue  du  tambourin. 

Tabus,  bruit,  vacarme,  querelle. 

Tabusïer,  ennuyer,  tounnenter,  hébé- 
ter. 

Tac,  maladie  contagieuse  des  moutons, 
et  qui  aurait  attaqué  les  Français 
en  141 1.  —  Voyez  Pasquier,  livre  IV, 
chapitre  xxviu. 

Tacuins.  it  Buhahylyba  Bengezla,  Ara- 
be, médecin  de  Charlemagne,  fit  un 
livre  intitulé  Tacuins.  raoi  qui  signifie 
tables,  répertoires,  parce  que  c'étaient 
des  tables  où  toutes  les  maladies 
étaient  rapportées,  et  où  les  remèdes 
étaient  aussi  contêiius.   Ge  livre   fut 


traduit  d'arabe  en  latin  par  le  juif 
Ferragut,  autre  médecin  de  Charle- 
magne. Ea  traduction  reste,  mais  l'ori- 
ginal est  perdu.  Les  Italiens  ont  adop- 
té le  mot  tacuino,  qu'on  doit  expliquer 
par  faiseur  d'almanachs.  —  Cette 
explication  convient  fort  à  ces  méde- 
cins de  triquenique,  lesquels,  s'atta- 
chant  à  de  ridicules  et  scrupuleuses 
observations  d'astrologie,  selon  la  pra- 
tique des  Arabes  et  des  Juifs,  méritent 
le  nom  de  tacuins  et  de  marranes  «.  (Ee 
Duchat.) 

Tadourne,  canard  tadorne. 

Tahon,  taon,  guêpes. 

Taillade,  coup  de  taille  ou  du  tran- 
chant du  glaive. 

Taillebacon,  charcutier. 

T.ailleboltîin,  nom  d'un  cuisinier. 

T.\rLLE-coLT>,  jeu  inconnu;  l'im  des  jeux 
de  Gargantua. 

Taillon,  taille,  impôt,  contribution. 

Taillon,  tranche,  morceau. 

Talare  (robe),  robe  qui  descend  jus- 
qu'aux talons. 

Talemouse,  gâteau  de  pâte  ferme,  casse- 
museau. 

Talés,  osselets;  jeu  des  taies;  jeu  des 
osselets. 

Tallonières,  ailes  aux  talons. 

Tallonniers,  faiseurs  de  talons. 

Talir'distes,  commentateurs  du  Tal- 
mud. 

Talocher,  taper,  tabourer  :  «  Talochet 
ses  amours  ».  en  jouir  à  l'excès. 

Taluer,  former  en  talus  :  «  Taluer  para- 
pets. » 

Talvassier,  fanfaron,  hâbleur. 

Tamarix,  arbre  épineux  d'Egypte,  et 
àue^i  le  tamarin. 


512 


GLOSSAIRE    ET    NOTES 


Tanche.  —  Voyez  Poi'.snn. 

Tané,  tanné,  couleur  du  tan,  enfumé. 

Tanquart,   mesure  contenant  environ 

deux  pintes.  • 

TAPiNAuniÈRE,  lieu  où  l'on  se  cache. 
Tapineux,  tapinois,  qui  se  cache,  qui 
se  tapit.  «  En  tapinois  »,  en  cachette, 
sournoisement. 
Tarande,   animal   fabuleux   décrit   par 

Rabelais,  livre  IV,  chapitre  n. 
Tarau,  tarot;  jeu  de  cartes. 
T.\RE,  tache. 
Tarentule,  tarentule. 
Targer  (se),  se  couvrir  de  la  targe  ou 

bouclier. 
Targon,  estragon;  plante. 
T.ARIN,  oiseau  du  genre  chardonneret. 
Tartertes,  tartes,  pâtisseries. 
Tartes,  tartres,  Tartares. 
Tartre  borbonnoise,  «  trous  que  les 
Dieds  des  bœufs  font  en  terre  dans 
les  chemins,  dont  le  dessus  se  gerce  au 
soleil;    le   dedans   demeure   plein    de 
boue  ».  {Xote  manuscrite  de  Huet.) 

Bonav.  Desperiers  a  aussi  parlé 
(Nouv.,  XXIX)  d'un  âne  qui  vous  plan- 
tait en  im  fossé  ou  en  quelque  tarte 
bourbonnaise. 

On  voit  que  c'était  une  image  em- 
pruntée aux  bourbiers,  commims  dans 
le  Bourbonnais.  Ajoutons  que  Taille- 
vent  a  donné  deux  fois  la  recette  des 
tartes  bourbonnaises,  comme  d'im  mets 
usité  de  son  temps. 
Tassette,  armure  de  la  ceinture  aux 

genoux;  cuissards. 
Taster,  goûter. 
Tastonner,  tâtonner. 
Tatin  (un),  un  tantinet. 
Tauchie    (ouvrage   de),   damasquinure. 
Taureau  :  t  I,e  gros  taureau  de  Berne 
qui  fut  tué  à  Jlarignan  ».  On  appelait 
taureau  celui  qui  dormait  le  signal  du 
combat  avec  une  corne  de  taureau.  Le 
taureau  de  Berne  qui  périt  à  Marignan 
se  nommait  Pontiner. 
Tedieux,  ennuyeux. 
Teil,  tilleul. 
TELEPHiuii,  plante. 
Telle...  qudle  :  «  Telle  est  cette  terre, 

quelle  j'ai  vue,  etc.  » 
Tellltion,  la  Terre,  considérée  comme 

mâle. 
Température,  tempérament,  conditions 

de  santé. 
Tejiperement,  modérément. 
Tempest.\tif  (DIABLE),  diable  qui  excite 

des  tempêtes. 
Temples,  tempes. 
Templettes,  bandeaux  qui  serrent  les 

tempes. 
Tenaud  :  t  Si  Tenaud  dict  vray.  •  Rabe- 


lais a  voulu  parler  du  Voyage  et  itiné- 
raire de  oultre  mer  faict  par  frère  Jehan 
Thenaud,  tnaistre  es  arts,  docteur  en 
théologie  et  gardien  des  frères  mineurs 
d'Angoulcsme.  Paris,  sans  date,  petit 
in-S'  goth.  64  i.  Ce  Voyage  fut  com- 
mencé le  2  juillet  1511  et  imprimé 
sans  doute  avant  la  publication  du 
Gargantua. 
Teneerioxs,  esprits  des  ténèbres. 
Tenebry,  jeu  ou  jouet  inconnu;   l'un 

de  ceux  de  Gargantua. 
Teneliabin,    manne    liquide,    dont    on 
usait    dans    les    dystéres.    —   Voyez 
Geneliahin. 
Teneitr,    continuité,    non  interruption; 

substantif  masculin. 
Tenissiez.  tinssiez. 

Tenues  (les  déesses),  déesses  des  Sorts. 
Tentativtes,  épreuves,  thèses  :  «  Tenta- 
tives de  Sorboime  ». 
TEPHR.vM.\N~riE,    divination    au   moyen 

de  la  cendre. 
Terière,  tarière,  outil  qui  sert  à  percer. 
Teristales,  sorte  de  reptiles. 
Termes,  limites. 

Ternes,  double  trois,  au  jeu  de  dés. 
Terresterité,  qualité  terrestre. 
Terrien,  terriene,  terrestre. 
Terrificque,  terrible. 
Terrigoles,  oiseaux. 
Ters,  terse,  nettoyé,  propre. 
Tesmoignerie,   témoignage  en  justice. 
Tesmoin  (Pierre),  Pierre  Jlartyr,  théo- 
logien protestant. 
Tesnière,  tanière. 
Tesseré,  en  mosaïque. 
Tessons,    parties   latérales   d'un   pres- 
soir; morceaux  de  pots  cassés. 
Test,  crâne;  enveloppe  des  fruits. 
Test.\ment,   comiquement  pour  tête. 
Teste,  tête  et  cruchon,  d'où  le  jeu  de 
mots  :  €  Femmes  de  bien  ont  commu- 
nément mauvaise  tetse;  aussi  ont  elles 
bon  vinaigre.  • 
Teston,  monnaie  d'argent  :  t  Rogner  les 

testons.  » 
Testonn'er,  coiffer,  friser,  arranger  la 

tête.  Se  festonner,  se  peigner. 
Testoxneur,  coiffeur. 
Tétrade,  quartenaire. 
Tetradique,    adjectif    formé    du    mot 

précédent. 
Tetragnaties,  araignées  à  quatre  mâ- 
choires. —  Voyez  Pline,  livre  XXIX, 
chapitre  l\ti. 
Tetragonb,  qui  a  quatre  angles  et  qua- 
tre côtés. 
Tetrique,  chagrin,  d'humeur  noire. 
Teucrion,  tripolion;  arbrisseau. 
Tevot,  Tenot,  diminutif  d'Estienne. 
Tezé,  toisé,  pauvre  diable. 


GLOSSAIRE    ET    NOTES 


5^3 


>9  :  t  Par  6  signifiant  condamnation  à 
niort.  »  IyC  0  était  la  première  lettre 
deOàvaTO;,  mort;  le  -,  de  -ïX^Im 
j'absous.  Quantàl'a.  si  Rabelais  ou 
plutôt  É''asme  (Adages),  ne  fait  pas 
d'erreur,  il  pouvait  être  la  première 
lettre  d'un  mot  grec  exprimant  la 
même  idée  que  le  latin  non  liquet, 
OLW]Xov  par  exemple. 

Th.\cor,  voj'ez  la  Briefve  Déclaration. 

Tii.\LAMEGE,  sorte  de  grand  vaisseau. 

Th-axasse,  mer.  Rabelais  donne  ce  nom 
à  un  port  d'Utopie. 

Thalassiens,  marins,  habitants  de  Tha- 
lasse. 

Theleme,  mot  grec  :  6îVT)[xa,  volonté; 
Oiv/~j!jLOç.  qui  agit  spontanément. 

Theologalemext,  à  la  manière  des 
tliéologiens  :  a  Chopiaer  théologale- 
ment.  » 

rHÉOiiACHE,  qui  veut  combattre  Dieu. 

Theoricque,  théorie. 

rHER.'VPEUTicE,  la  partie  curative  de  la 
médecine. 

Theriacle,  drogue  de  charlatan,  c  Et 
avoit  aultrefoys  crié  le  theriacle.  » 

Theriacleur,  charlatan. 

Therslanstrie,    saltation    très    vive. 

Thesaur,  thesor,  trésor. 

ThesauRIER,  trésorier. 

Thibault  l'Aigxelet,  nom  emprunté 
à  la  Farce  de  maistre  Paihelin. 

Thibault  BIitaine,  nom  fait  à  plai- 
sir. 

Thtklle,  ouragan  subit,  mot  grec. 

Thijtntjncule,  crécerelle,  oiseau  de 
proie. 

Thlasié,  froissé,  moulu,  brisé. 

'Thlibié,  usé,  épuisé,  tabifié. 

Thoes,  le  papion,  espèce  de  loup  chas- 
seur. 

Tholose,  Toulouse  :  1 1,'or  de  Tholose.  » 
Aulu-Gelle,  livre  III,  chapitre  ix, 
explique  ainsi  l'origine  du  proverbe 
«  Ciun  oppidum  Tolosanum  in  terra 
Gallia  Q.  Cœpio  consul  diripuisset, 
multumque  auri  in  ejus  oppidi  tem- 
plis  fuisset,  quisquis  ex  ea  aunun  atti- 
git,misero  cruciabilique  exitu  periit.  » 
Ronsard  a  dit  : 

Et  l'or  sainc!  desrobé  leur  soit  l'or  de  Iholosel 

Thomas.  Rabelais  emploie  ce  mot  pour 
estomac. 

Threisse,  Tiiracienne. 

Tho-scan,  Thxjsque,  Toscan. 

Thyades,  Bacchantes;  danses  des  bac- 
chantes. 

Thymbré,  ayant  pour  timbre  ;  «  I,e  tim- 

T.  II. 


bre,  dit  le  Père  Ménestrier,  est  tout 
ce  qui  se  met  au-dessus  de  l'écu.  » 

Thyrrene,  Tyrrhénienne. 

TicQUE,  torche,  lorgne,  tape  dessus,  à 
tort  et  à  travers. 

Tiercelet,  le  mâle  de  quelques  oiseatix 
de  proie.  Au  figuré  :  «  Tiercelet  de 
Job  »,  type  parfait  de  Job. 

Tiercejient,  en  troisième  lieu. 

TiERCER,  venir  au  troisième  rang;  être 
le  troisième  en  quelque  action. 

Tiers,  tierce,  troisième. 

Tigresque,  de  tigre  :  «  A  la  tigresque  », 
à  la  manière  d'un  tigre. 

TniBors,  tambours  de  basque. 

Timbre,  sorte  de  grande  auge  en  pierre. 

Timon  Athénien,  Timon  d'Athènes  le 
misanthrope. 

TiMPANT,  résonnant. 

Temper,  faire  sonner. 

TiNTALORisÉ,  revéche,  fâcheux,  en  triste 
état. 

TiNTAM-VRRE,  brouillamini,  confusion; 
semble  signifier  titc,  au  chapitre  xu 
du  li\T:e  II. 

TlNTOiNS,  tintements  d'oreilles;  ennuis, 
tracas. 

TiPH.vrxE,  Epiphanie. 

TiRADOS,  de  l'italien  tiradore  ;  garant  du 
palan  avec  lequel  on  manœuvrait  le 
gouvernail. 

Tire  la  broche,  Gargantua  jouait  «  à 
tire  la  broclie  »,  on  ne  sait  en  quoi  con- 
sistait ce  jeu. 

Tire  I^akigot  (boire  à).  La  Rigaud  était 
une  cloche  de  la  cathédrale  de  Rouen, 
portant  le  nom  d'un  évèque  du  temps 
de  saint  Louis.  Boire  à  tire  la  Rigaud, 
c'était  boire  comme  ceux  qui  tiraient, 
sonnaient  cette  cloche,  ou  comme  tou- 
tes bonnes  âmes  aux  jours  de  fête  où 
elle  était  sonnée. 

Tirelitantaine  (la),  jeu  de  la  queue- 
leu-leu. 

Tirelupin,  bouffon;  au  xn®  siècle,  ime 
secte  d'hérétiques  scandaleux  était 
désignée  sous  le  nom  de  turelupins. 

Tirer  les  fers  du  four,  jeu  inconnu. 

Tirer  les  métaux,  battre,  forger  les 
métaux. 

TiRouom,  tyrouer,  flacon  en  forme  de 
livre,  de  bréviaire. 

TisSERANDE,  sortc  de  danse. 

TissoTiERS,  faiseurs  de  tissus,  de  ru- 
bans. 

Tissu,  ruban  :  «  Avec  im  antique  tissu 
piolé.  »  (Livre  III,  chapitre  x\Tai.) 

Tissure,  texture. 

TiT.WES,  les  Titans. 

TiTAïaQUE,  de  Titan. 

Tithone,  Tithon,  époux  de  l'aurore. 

Titubation,  vacUlement. 

33 


5M 


GLOSSAIRE    ET    NOTES 


TxBSis,  figiire  de  rhétorique  par  laquelle 

on  divise  les  mots  composés. 
TocQi-ECEiNT,  tocsin  :  »  Le  Tocqueceint 
horrifique  tel  que  jadis  les  Guascons 
et    Bourddois   souloient   faire   contre 
les  guabelleurs.  =  AJlusion  au  sotilève- 
ment  de  la  Guyenne  (au  sujet  de  la  ga- 
belle, en  154S),  dont  le  souvenir  était 
encore  récent,  et  dont  il  est  déjà  ques- 
tion au  prologue  du  livre  IV.  Il  fallut 
deux  corps  de  troupes,  dont  l'un  était 
commandé  par  le  coimétable  de  ilout- 
morency,   pour  venir  à  bout  de  la 
révolte,  qui  s"était  étendue  à  la  Sain- 
tonge  et  à  l'Angoumois.  Ta.  gabelle 
lut  révoquée  en  1534.  ou  plutôt  rache- 
tée    par     la     province     moyennant 
r. 200.000  t-cu3. 
ToiLLE,  toile  :  «  A  quoi  vault  toile?  •" 
Jeu  de  mots  pour  :  à  quoi  vaut-elle 
(toile  se  prononçait  tdc)  ?  ce  qui  amène 
la  réponse  du  moine  :  «  A  faire  des  che- 
mises. » 
Tou-i^s.  filets  à  prendre  les  sangliers. 
TOLDRE,  voir  TOLLIR. 
ToLEXE,  Tolède. 
ToLLiR,    enlever,    ôter;    toUu,  ôté,  pris, 

enlevé;   iollissant,   étant,   enlevant. 
TooiERE,  audacieux;  mot  grec.  C'est  le 
nom  d'un  des  capitaines  de  Gargan- 
tua. 
ToNDAUXES,  repas  que  l'on  donnait  aux 

tondeurs  de  troupeaux. 
ToNîTCvE,  chair  de  thon  préparée,  salée. 
TopiâlRE,  ouvrage  de  verdure;  buis  et 

ifs  taillés. 
TopiCQtTES,  partie  de  la  logique  qui  trai- 
tait des  lieux,  c'est-à-dire  des  diverses 
manières   de   former   les   argum.ents; 
de  Tonoç.  lieu. 
TopiCQDBUR,    raisomieur,    aigmnenta- 

teur. 
ToRANGLES,  à  facettes. 
ToRCoui,s,  au  col  tordu,  de  travers. 
ToRMENS,  machines  de  guerre;  du  latin 

tonnettia. 
ToRMENT,  tourment. 
ToRMENT,  jeu  de  cartes  inconnu  auquel 

jouait  Gargantua. 
ToRMEXTE,  tourmente,  tempête. 
Tors,  tort  dans  l'expression  :  t  A  tort 

et  à  travers.  » 
ToRTE,  torse. 
ToRncuLBR,  tortiller. 
ToRTRE,  tordre. 
ToRTYCOLLY,  ayant  le  cou  tors  :  «  Qu'il 

feust  tortycoUy  ». 
ToSTADE  (alesau),  alezan  brûlé. 
TosTÉE,  rôtie  de  pain. 
ToTAGE,  TOT.'UGE,  le  total,  le  tout. 
Tou,  Toul,  en  Lorraine. 
Touche,  petit  bois  de  haute  futaie. 


ToucHEJŒNT,  attouchement. 
Toucher,  pousser,  conduire  devant  soi. 
ToucHERONDE  (l'élu),  nom  fait  à  plai- 
sir. 
TotTOM,  bouchon  garni  d'étoupe. 
ToLTŒT  DE  ^•EZ,  petit  masque. 
TouRN.w,  toiuTiois. 
TouRXEMOULE   (duc  de),   capitaine  de 

Picrochole. 
TotJRRiONS,  petites  tours. 
TocsDis,  toujours. 
TocsjouRS,  toujours. 
ToussEUX,  tousseur. 
TorssiR,  tousser. 
ToussoiR,  endroit  où  l'on  tousse. 
TOUST,  tôt. 

TouST.\X)E  (alezan),  alezan  brûlé. 
Tout  (du),  entièrement,  en  totalité. 
Toutes  tables,  variété  du  jeu  de  tric- 
trac. 
TouzEixE,  blé  sans  barbe. 
Tr-VBUT,  mesure  agraire,  équivalant  à' 

mie  perche. 
Trac,  train  :  «  J'entends  le  trac  de  no= 
ennemys  ».  c  Nécessaire  au  trac  de 
batailles  t. 
TRACTEiiENT,  traitement. 
Trafic  QUE,  commerce. 
Tragique  comédie.  —  Voyez  la  Eriefve 

Déclaration. 
Traict   (à),   posément,   avec  mfôure   : 

«  Parlez  à  traict  ». 
TrjUCT,  traicie,  tiré. 
Traicte,   action  de  tirer;   ce  que  l'on 

tire  d'un  tonneau. 
Traictis,  doux,  attrayant. 
Tr-VICTs,    cordages   d'un   bâtiment   (li- 

\Te  I,  chapitre  xxm) . 
Traicts  passés,  trépassés;  Rabelais  joue 
sur  ces  mots  :  «  J'y  eusse  porté  pain  et 
vin  par  les  traicts  passés.  »  C'était  im 
ancien  usage  de  porter  du  pain  et  du 
vin  aux  messes  d'enterrement.  Par 
raillerie  on  disait  de  ceux  qui  déjeu- 
naient avant  d'aller  à  la  messe  :  «  Il  va 
à  la  messe  des  morts,  à  la  messe  des  tré- 
passés; il  y  porte  pain  et  vin.  » 
Traîne,   soii%-eau.   et  aussi   traîneau   : 

t  Traîne  à  bœufs.  » 
Xraixnée,  trakxée,  piège,  fosse  recou- 
verte d'une  trappe  mobile  :  t  Prendre 
les  loups  à  la  trainnée.  • 
Trainneguaixes,  traîne-fourreaux;  ter- 
me injiu'ieux. 
TR.URE,  tracer. 
Traire,  tirer,  lancer  des  traits;   tirer, 

attirer. 
Tranche,  tranchoir,  tailloir;  outil. 

TR.AN-CHEPLUME,  Canif. 

TsANCHiT,  trancha. 

TR.AXCHOuom,  plat  où  l'on  découpe,  où 
l'on  tranche  les  viandes. 


GLOSSAIRE    ET    NOTES 


515 


Transcentjer,    monter    au    delà;    d'où 

transcendant. 
Transcoullé,  écoulé  au  dehors. 
Transfketer,  traverser  :  t  Transfreter 

la  mer  Hircanierme.  » 
Transit,  transi. 
Transite jrps,  passetemps. 
Transitoire,  passager. 
Translater,  traduire. 
TR-VKSinGRER,  émigrer. 
Tk-vnsmoxtaxe,  le  nord  :  «  Vent  de  la 

transmontane  »,  vent  du  nord. 
Tr-VXSMuer,   changer;   d'où  transmuta- 

iion. 
Transon,   tronçon,   tranche,   morceau  : 

«  Un  transon  de  chère  lye  »,  un  bout 

de  festin. 
Transonxer,  couper  en  morceaux. 
Trakspasser,  traverser. 
ïranspoxiim,  habitant  ou  situé  outre- 
mer, trans  poiUum;  «  Monarchie  trans- 

pontine.  » 
TsANSSi^rPT,    tiré,    extrait    :    «   Trans- 

sumpt  de  bulle  »,  copie  de  bulle. 
Traquenard,  espèce  d'amble;  allure  de 

cheval. 
TRjiQxrENARD,  cheval  qui  a  cette  allure. 
Traquet,  cliquet  de  moulin. 

TîtAVERSEUK    des    VOYES    PERII.I.EUSES, 

c'était  le  surnom  de  Jean  Bouchet  qui 
a  signé  ainsi  la  plupart  de  ses  ouvrages. 

Trebuchet,  piège  où  l'on  trébuche. 

Trefeuh-,  trèfle,  plante. 

Teegexier,  muletier. 

Treignan  (sainct)  :  c  Sainct  Treignaa 
foutys  vous  d'Escoss,  ou  j'ai  faiUy  à 
entendre.  »  Saint  Treignan  était  un 
des  saints  patrons  de  l'Ecosse.  31.  Bu- 
gaud  des  Marets  entend  ces  mots  : 
«  Saint  Treignan,  fuyez  d'Ecosse,  ou 
j'ai  failli  à  comprendre.  » 

Trejectaire,  bateleur. 

Trexte-et-l"ng,  jeu  de  cartes  auquel 
jouait  Gargantiia,  et  auquel  on  joue 
encore  de  nos  jours. 

Trepelu,  barbu,  négligé.  Appliqué  à  un 
li\-Te,  il  faut  entendre  :  très-peu  lu. 

Treper,  trépigner. 

Trépid.\tion ,  trouble,  alarme,  épou- 
vante, tremblement. 

TREPIGNEMAiIPKXII,I.ORIPRIZ02«OUFRES- 

SURÉ,  mot  forgé  à  plaisir,  signifiant 
meiutri. 

Trespasser,  sortir,  outre-passer,  trans- 
gresser :  I  Tout  droit  trespassé  ». 

Tresque,  tresques,  plus  que,  jusque. 

Tresstjer,  suer  abondamment,  se  fati- 
guer. 

Trestant,  tant,  si  fort. 

Trestous,  tous. 

Treufles  noires,  trèfle  au  jeu  de  cartes; 
t  As  de  treufles.  » 


Tri.4iCI.eurs,  marchands  ou  fabricants 
de  thériaque:  charlatans,  comme  thé- 
riaclcurs. 

Trias,  triade,  nombre  trois. 

TRIB.-i.LLE,       TRrB.\LLEMENT,       trimballc- 

ment,  remuement,  sonnerie  des  clo- 
ches. 

Tkib.aller,  remuer  de  côté  et  d'autre, 
agiter,  pendre,  brandiller. 

Tribard,  gros  et  comt  'oâton;  désigne 
parfois  le  phallus. 

Tribars,  ragoût  de  tripes. 

Tribouler,  tarabuster,  bousculer,  har- 
celer. 

Triboulet,  fou  de  I/Duis  XII. 

Triboulletinales,  fêtes  de  Triboulet 
qu'on  pourrait  instituer  en  l'honneur 
des  fous. 

Tribunl^j^,  célèbre  jurisconsulte  romain. 

Trietherides,  bacchantes,  ainsi  nom- 
mées des  Trieteriques,  fêtes  de  Bac- 
chus,  célébrées  tous  les  trois  ans 

Trlmegiste,  frois  fois  grand.  —  Voyez 
Hermès. 

Trinch,  mot  panomphée,  commun  à 
toutes  les  langues  et  à  tous  les  peuples, 
selon  Rabelais;  le  mot  de  l'Oracle  de 
la  Dive  Bouteille. 

TRr>:GUER,  boire. 

TRINQCA2IELLE,  fanfaron,  feadeur  de 
naseaux. 

Trixqueballer,  trimbaler,  sonner  les 
cloches. 

TRiXQrEXAiLLE,  Canaille. 

TsiNQrEXiCQCE  (médecins  de),  de  tri- 
quenique,  de  fariboles,  de  niaiseries. 

Trinquet,  mât  d'avant  d'ime  voile  la- 
tine. 

Trin QUETER,   buveur. 

Triori,  danse  bretonne,  sur  un  air  à  trois 
temps,  très-vite. 

Tripier,  trépied. 

Triplicque,  troisième  réplique. 

Tripoli  :  «  Tripoli  a  changé  de  maitre  •. 
Cette  ville  fut  reprise  en  1551  par  les 
Turcs  sur  les  chevaliers  de  Saint- Jean. 

Tripolion,  turbit;  plante  marine. 

Trippe,  panse  ;  «  Tout  pour  la  trippe  j>, 
tout  pour  la  panse,  pour  le  ventre. 

Tri QUEDOND AINES,  gros  ventrus. 

Thireme,  vaisseau  à  trois  rangs  de  ra- 
mes. 

Triscaciste,  trois  fois  mauvais. 

Trismegiste,  trois  fois  grand.  —  Voyez 
Hermès. 

Trisulce,  trisulque,  à  trois  pointes. 
Ce  mot,  qui  s'entendait  de  la  foudre  de 
Jupiter,  ou  du  trident  de  Neptime, 
est  appliqué  par  Rabelais  à  l'excom- 
munication. 

TRmiPHE,  triomphe,  grand  appareil  : 
I    I,es   femmes    se   mettent   en   leur 


GLOSSAIRK    ET    NOTES 


516 


triumphe  ».  t  C'étoit  triumphe  de  les 

voir  bauffrer  ». 
Triumphe,  sorte  de  jeu  de  cartes. 
Trivium,  les  trois  parties  des  premières 

études  au  xn"  siècle  :  la  grammaire,  la 

rhétorique  et  la  logique. 
Trochile,  roitelet,  oiseau. 
Troglodytes,    peuples    qui    habitent 

dans  des  cavernes. 
Troigne,  trogne,  visage,  miue. 
Trois  cents  (à),  jeu;  voir  ïroys  cents 

(A). 

Trois  dez,  jeu  qui  se  jouait  avec  trois 

dés.  I 

Trombes,  trompes.  I 

Trongne,  trogne,  visage,  mine.  | 

Tropditetjlx.  —  Voyez  Iteulx. 

Trophée  d'un  calo.mni.\teur,  le  diable 
vaincu  par  saint  Jlicliel,  insigne  de 
l'ordre  de  Saint-JIicliel. 

Trophonius,  était  fils  d'Erginus  ou 
d'Apollon.  D  rendait  des  oracles  dans 
im  antre  célèbre,  dont  l'ouverture 
ressemblait  à  l'entrée  d'im  four. 

Trop  plus,  pour  trop  ou  plus. 

Trou,  tronc,  trognon  :  «  Un  gros  trou  de 
chou.  » 

Trou,  pour  jour  :  «  I«e  premier  trou  de 
l'an  ». 

Trou,  détroit  :  «  Le  trou  de  Gibraltar.  » 

Trousque,  trousse  (indicatif  présent  de 
trousser);  en  languedocien. 

Troys  cents  (.\),  sorte  de  jeu  de  cartes 
dans  lequel  probablement  il  fallait 
atteindre  trois  cents  points  pour  ga- 
gner la  partie;  comme  cela  a  lieu  pour 
le  jeu  de  cinq  cents. 

Tru.'»>>-DjUlle  racaille  ;  de  truand,  g^eux, 
mendiant. 

Truchement,  interprète. 

Truelle  :  i  A  propos  truelle  »,  le  dicton 
est  incomplet.   On  dit  :    «  A  propos 
truelle,    bonjour,    ou    Dieu    te    gard 
de  mal,  maçon.  » 
Trl'NC,  des  coups. 

Trupher,  truffer,  railler,  plaisanter. 
Trut  avant  !  En  avant  !  passons  outre, 

allons  plus  loin. 
Truye  :  «  Tourner  la  truye  au  foin  »,  locu- 
tion proverbiale  :  changer  de  discours 
pour  éviter  de  répondre. 
Truye,  machine  de  guerre  qui  pouvait 
receler  des  hommes  armés,  t  Au  pa- 


tron de  la  Truye  de  la  Réole  ».  Le  Du- 
chat  fait  obser\-er  que  Rabelais  est  un 
peu  en  défaut,  et  que  la  prise  de  Ber- 
gerac eut  lieu  en  1378,  sous  Charles  V, 
et  deux  ans  avant  la  mort  de  ce  roi. 

€  Ilz  envoyèrent  quérir  à  la  Kiole, 
dit  Froisîart,  im  grand  engin  qu'on 
appelle  Truye,  lequel  engin  estoit 
de  telle  ordormance  que  il  jetoit  pier- 
res de  faix  et  se  pouvoient  bien  cent 
hommes  d'armes  ordonner  dedans,  et 
en  approchans,  assaillir  la  ville.  • 
Truye  (l.\),  un  des  jeux  de  Gargantua, 
qui  consiste  à  crosser  ime  boulle  en 
chercliant  à  la  lancer  dans  im  trou. 
Tubilustre,  fête  de  la  purification  des 

trompettes. 
Tucquet,  tertre,  butte,  bouquet  de  bois. 
Tlte  (pierre  de),  pierre  tendre  et  po- 
reuse. 
TuGURE,  chaumière,  cabane  :  «  Tugure 

pastoral  ». 
TuMBER,  tomber. 

Tumultuer,  entrer  en  tumulte,  se  trou- 
bler;  d'où  tumultuairc  et  iumultuai- 
rement. 
TuPiN,  pot  de  grès. 
TtJRBiNE,  tourbillon,  trombe. 
Turbine,  qui  a  la  forme  d'une  toupie, 

d'une  poire. 
Turquoys,  turquin,  turc,  de  Turc  ou  de 

Turquie. 
TrscAN,  toscan,  italien. 
Tusqlt:,  toscane,  italienne  :  t  A  la  tus- 

que  »,  à  l'italienne. 
Ty.^nien  (le  philosophe) .  Apollonius  de 
Tyane.  —  Voyez  la  vie  de  ce  philo- 
sophe par  Philostrate,  livre  VI,  4-10. 
Tymbons,  tambourins. 
Tymbre,  tambour  de  basque. 
TYMPAjaTES,     tympanistes,     hydropi- 
ques, enflés. 
Typhoe,  nom  d'tm  géant. 
Typholopes,  serpents  venimeux. 
Typhones,     tourbillons,     vents    impé- 
tueux. 
Ti-RANSON,  oiseau. 
Tyreurs  de  ri\'etz,  tireurs  de  cordeaux, 

arpenteurs. 
Tyrofageux,  mangeur  de  fromage. 
Tyrosl^vntie,  divination  par  le  moyen 

d'un  fromage. 
Tyrsigere,  armé  d'im  thyrse. 


GLOSSAIRE    ET    NOTES 


517 


U 


TJbi  prenx'S,  où  le  prenez- vous?  I,atm 
de  cuisine. 

UcALEGON,  nom  d'un  Troyen,  dont  il  est 
question  dans  Y  Iliade  et  dans  Y  Enéide  : 
nom  qui  signifie  :  ne  donnant  aucune 
aide,  auciui  secours. 

Uden,  pays  imaginaire,  de  O'jSs'v,  rien 

Ulement,  m-LEMENT,  hurlement. 

Uler,  uller,  hurler. 

Uligixeux,  humide,  marécageux. 

Ulisbontce,  Lisbonne. 

TJlixes,  Ulysse. 

XJlle,  nulle,  aucune. 

Uller,  uler,  hurler 

Ulîie.'^u,  ormeau. 

Ulpl\n,  célèbre  jurisconsulte  romain. 

UMBILIC4RE,  de  l'ombilic. 

Umbrageux,  ombrageux. 

UîiDlctrLATioxs,  sinuosités,  ondulations. 

Unes  :  unes  matines,  unes  vespres,  unes 
lettres. 

Ung,  un. 

Unguicule,  petit  ongle. 

Unicorne,  animal  fabuleux. 

Union,  subst.  ma.sc,  perle,  pierre  pré- 
cieuse, joyau. 

Unzain,  monnaie,  le  grand  blanc,  valant 
onze  deniers. 


Uranopete,  qui  s'occupe  des  choses 
célestes. 

Urée,  ville. 

Ure,  taureau  noir. 

Ureniler,  diminutif  d'uriner. 

Uretacque,  ureteau  :  manœuvre  pas- 
sée dans  ime  poulie  tenue  par  une 
herse  dans  l'éperon  au-dessous  de  la  sai- 
sine du  beaupré,  pour  renforcer  l'ar- 
mure de  misaine;  et  commandement 
pour  la  faire  mouvoir. 

Urinal,  pot  de  chambre. 

Urin'al,  adjectif  formé  du  mot  urine  : 
«  Déluge  urinal.  » 

USANCs,    usage,    coutume,    habitude. 

^  V;.    AOi'iVàv.   C'est  un    dicton    grec, 
passé  dans  la  langue  latine  : 
Ne  sus  Mincrvam. 

Utacque,  comme  uretacque. 

Uti,  du  grec  o'jti.  rien. 

Utopie,  pays  imaginaire  de  ou  et  'ÔTZOÇ . 
Lettre  d'Utopie,  chapitre  vm  du 
livre  II .  —  Voyez  l'appréciation 
qu'a  donnée  JI.  Guizot  de  cette  admi- 
rable lettre  dans  les  An?iales  d'édu- 
cation, tome  III,  page  251. 

Uy,  aujourd'hui. 


V 


Vacqxjes,  vacantes,  vides. 

Vacuité,  le  vide. 

Vadit,  cadit,  intcr^-ereion  de  ces  mots  : 
K  Non  de  ponte  vadit  qui  cum  sapien- 
tia  cadit  »,  au  lieu  de  :  «  Non  de  ponte 
cadit,  qui  cum  sapioitia  vadit  »,  c'est- 
à-dire,  celui  qui  marche  prudemment 
ne  tombe  pas  du  pont. 

Vagine,  gaine,  étui,  fourreau. 

Vaguer,  aller  çà  et  là,  vagabonder. 

Vaisseaulx,  vases  :  «  Vaisseaulx  de 
potier.  • 

Val,  bas  :  «  De  mont  à  val  »,  de  haut  en 
bas,  0  de  val  en  mont  »,  de  bas  en  haut. 

Valache,  Valachie. 

Valantixoise,  danse. 

Valbringue  (Robert),  c'est  François 
de  la  Roque,  sieur  de  Roberval,  qui 


fit,  eni54o  et  1543,  le  voyage  du  Cana- 
da. 

Valentiennes  (voguer  par  les),  avancer 
lentement,  tourner  sur  soi-même. 

Valentin  et  Orson,  conte  populaire. 

Valentin  pour  galaniin.  Dans  plusieurs 
provinces,  le  dimanche  des  brandons 
(premier  du  carême),  on  éhsait  à  cha- 
que fiUe  un  valentin,  galant  ou  pré- 
tendu, et  la  fille  était  sa  valentine.  Il 
était  tenu  de  lui  faire  un  présent  avant 
la  mi-carême,  sans  quoi  la  fiUe  brûlait 
xxn  fagot  de  sarment,  et  l'accord  était 
rompu. 

V/vNereau,  jeune  vanneau;  oiseau. 

Vaporement,  exhalaison,  émanation. 

Varlet,  valet. 

Vasches,  jeu  analogue  au  jeu  de  dames. 


5i8 


GLOSSAIRE    ET    KOTES 


Vascons,  Vascoxes,  Gascons. 

Yasqvtsb,  basquine. 

Vastadours,  fourrageure,  faisant  le 
dégât. 

Vastation',  dévastation. 

VATiciNATErR,  dcvin,  prophète. 

Vaticination,  prédiction. 

VATiciNrai,  prédire,  prophétiser. 

V.\CLTRE,  chien  de  l'espèce  du  inàtin, 
qui  sert  à  la  chasse  du  sanglier. 

Vauxtrer  (se),  voytres  (se),  se  vau- 
trer. 

■\"AtA"E?.x  (diable  de),  c'était  alors  une 
locution  pioverbiale.  La  maison  de 
Vauvert,  hantée,  disait-on,  par  les 
démons,  aurait  donné  le  nom  d'Enfer 
à  la  rue  où  elle  était  située. 

Veac,  locutions  rabelaisiennes  :  «  Rire 
comme  un  veau  ^.  «  Veaulx  engipon- 
nés  t,  veaux  habillés.  «  Veauhc  de 
dime  ».  t  Je  laveroj"s  voluutiers  les 
tripes  de  ce  veau  que  j'ay  ce  mntin 
habillé.  » 

Veau  (Jehan  le).  —  Voyez  Jehan. 

Vedeaulx,  veaux  et  bedeaux. 

Vefve,  veuve. 

Veget.\bi,e,  végétal,  plante. 

Vegcade,  une  fois,  im  coup  :  «  Boire 
quelque  vegiiade  ». 

Veientes  Hetrusques,  les  Étrusques 
de  la  ville  de  Véies. 

Veigler,  veiller. 

Vejo\'es.  C'étoient  entre  les  Romains 
dieux  malfaisants.  Au  livre  l,  cha- 
pitre XLV,  et  livre  V,  chapitre  ^^.  Les 
anciens  au  lieu  de  ce  nominatif  Jupi- 
ter, disoient  Dijovis,  et  le  prenoient 
en  bonne  part,  Eo  quod  nos  juvct  et 
die  et  vita  ipsa.  Son  contraire  étoit 
Vejovis,  im  dieu  malin  qui  apportoit 
tout  malencontre;  son  imxige  étoit 
petite  avec  des  dards  en  main,  et  ime 
mine  de  les  vouloir  élancer.  Ils  lui 
faisoient  sacrifice,  non  pour  lui  deman- 
der aide  et  secours,  mais  de  pevu:  qu'il 
ne  leur  fît  du  mal.  (Alphabet  de  l'au- 
teur françois.) 

Vêle,  Velle,  voUe. 

Vellication,  action  de  pincer. 

Velotiers,  velouhers,  fabricants  de 
velours. 

Velovs,  \"elous,  velours. 

Vexation,  chasse. 

Vendiquer,  revendiquer,  s'arroger,  s'at- 
tribuer. 

Vendre  l'avoine,  Gargantua  jouait  c  à 
vendre  l'avoine  »;  on  ignore  en  quo  ■ 
consistait  ce  jeu. 

Venefique,  empoisonneur. 

Venelle,  ruelle,  sentier. 

Veneréique,  de  Vénus,  vénérien. 

Venter,  vanner. 


Ventilé,  vanné,  nettoyé. 

Vent»,  vanner. 

Ventôse,  ventouse. 

Ventre   (porter),  être  grosse. 

Ventrée,  portée. 

Ventricule  (colonne),  renflée  par  le 
milieu. 

Ventripotent,  puissant  du  ventre. 

Vi;ntrose,  enflure  du  ventre. 

Venu,  advenu. 

Venue,  trait  :  «  Xe  prendre  que  une 
venue.  » 

Venuste,  gracieux,  joli. 

Veoir,  voire. 

Verbasce,  bouillon  blanc;  plante. 

Verdenicque,  sacré  comme  la  ver- 
veine. 

Verbocination,  langue,  parole. 

Verd,  \'erde,  vert,  verte  :  «  Entre  à&is. 
verdes  une  meure.  > 

Verd  :  «  Le  diable  me  prendre  it  sans 
verd,  s' il  me  rencontroit  sans  dez  ».  Al- 
lusion à  un  ancien  usage  ou  divertisse- 
ment :  si  l'on  était  pris  sans  quelque 
brin  de  verdure  sur  soi,  pendant  le 
premier  jour  de  mai,  on  avait  droit  sur 
vous,  on  pouvoit,  selon  le  cas,  exiger 
un  baiser  de  l'imprévoyante  ou  ver- 
ser im  seau  d'eau  sur  la  tête  du  cou- 
pable. Ce  jeu  paraît  s'être  prolongé 
fort  longtemps.  H  y  a  une  petite  comé- 
die de  La  Fontaine  sous  ce  titre  :  Je 
vous  prends  sans  vert. 

Verd  coquin.  Ce  mot,  qui  se  trouve 
encore  dans  le  Dictionimire  de  l'Aca- 
démie, signifiait  proprement  un  ver 
qui  ronge  la  vigne,  et,  au  figuré,  im 
vertige,  une  espèce  de  monomanie. 

VERDEitENT,  Vertement. 

Verdet,  vert-de-gris. 

Verdugale,  sorte  de  cerceau,  panier 
ou  jupon  bouffant  pour  soutenir  les 
jupes. 

Verduns,  épées  que  l'on  fabriquait  à 
Verdxm . 

Vere,  vraiment;  mot  latin  que  Dinde- 
nault  explique  à  sa  façon. 

Veretre,  verge,  il  cazzo. 

Vergette,  sorte  de  jeu. 

Vergne,  aune. 

Vergoigxe,  honte,  affront. 

Veriforme,  \'ERisiiiiLE,  \Taisemblable. 

Verisslme,  très  vrai. 

Verm,  ver;  d'où  vermiforme,  ayant  la 
forme  d'un  ver. 

VERN.A.CULE  GALLIQUE,  langue  vulgaire 
française. 

Verre  pleurant,  verre  plein  jusqu'à 
déborder. 

Versal,  en  vers. 

Vers.alles  (lettres),  majuscules. 

Verse,  sorte  de  fauconneau;  artillerie. 


1 


GLOSSAIRE    ET    NOTES 


519 


Versctre,  changement;  jacere  versuram, 
changer   de    crcaiicier.    emprunter   à 
l'xm  pour  payer  l'autre. 
Vertoil,  petite  pierre  ronde  et  forée  que 
les  fileuses  mettaient  à  leurs  fuseaux 
pour  les  faire  mieux  tourner. 
Vervelle,  anneau  de  pied  du  faucon. 
Vesne,  vesse;  vesner,-vssse.r. 
Vessir,  vesser. 
Vespertej,  du  soir. 
VESQxrrr,  vécut  (de  vivre). 
Vessaille,    marmaille,    menu    fretin    : 

I  Vessaille  des  Déesses.  » 
Vesten  xokd-est,  ouest-nord-est. 
Vestes,  vesiimeks,  vêtements. 
Vestz,  va-t'en,  d'après  Cotgrave.  C'est, 

dit-il,  ime  locution  picarde. 
Vétusté,  vieillesse. 
Veu,  ^^l. 

Veute  FiGrRE  (en),  en  présence. 
Vezarde,  effroi,  alarme. 
Veze,  pibole,  cornemuse. 
ViAKDER,  fianter  :  e  Faire  viander  les 

chiens  constipés  du  ventre.  • 
V1.4NDES,   toute   sorte   de   comestibles, 

noinriture  quelconque. 
VrBREQUES",  vilebrequin. 
Vice  versement,  vice  versa. 
ViCTEUR,  vainqueur. 
VmuiTÉ,  veuvage. 
ViEiGNE,    vienne;     subjonctif    présent 

de  venir. 
Vielleur,  vtelleus,  joueur  de  vielle. 
ViEXDASÉ,  berné. 

ViET-DAZE,   visage   d'âne;    terme    pro- 
vençal :  «  Escoutaz,  vietz  dazes,  que 
le  maulubec  vous  trousque  !  n  Écoutez, 
visages  d'ânes,  que  l'ulcère  vous  ron- 
ge! 
ViLiTÉ,  bassesse,  abjection. 
ViLLAiN,  roturier,  homme  grossier. 
ViLLAXiE,  vilenie. 
ViLLATiQUE,  rustique,  champêtre  : 

«   Chansonnettes   villatiques  ». 
Ville  au  mère  (la),  la  Ville-au-Maire, 

en  Anjou. 
ViLLENAiLLE,  racaille. 
Villon  (François),  le  poète. 
ViMERE,  accident,  événement  impré\ni, 

irrésistible. 
Vin,  locutions  rabelaisiennes  :  c  Vin  de 
taffetas  »,  vin  de  velours.  •  Vin  à  une 
oreille  »,  vin  de  première  qualité  qu'on 
met   dans  des   cruchons  à  une  seule 
anse. 
Vin  AGE,  provision  de  vin. 
ViNBRENT,  vinrent  (de  venir). 
VlNETTES,  vignettes,  broderie  ou  dessin 

représentant  des  feuilles  de  vigne. 
ViOLENTEiiENT,  avcc  violcnce. 
Violet  cramoisy.  —  Voyez  Cramoisy. 
ViOLiERS,  pièces  d'argenterie  de  table. 


Virade,  tour. 

Virer,  tourner,  renverser. 

Vires,  forces. 

ViRETON,  petite  flèche. 

ViREVousTORiroi,  les  virevoutes  sont 
des  tours  de  passe-passe. 

ViRLAis,  virelais. 

ViROLET,  canne  à  dard. 

ViROLET,  sorte  de  vilebrequin. 

ViROLET,  il  cazzo  ;  i  Dresser  le  virolet  ». 
€  Il  faut  que  le  virolet  trotte.  » 

VrROLLET,  petit  moulin  à  vent  pour  les 
enfants.  «  Des  ailes  d'un  moulin  à 
vent  faisoit  im  virollet.  » 

Visiez,  visuels,  de  la  vue. 

ViSTEJlPENARD,  c'était.  Suivant  Cot- 
grave, im  plumeau  monté  sur  un  long 
bâton.  •  XiC  Vistempenard  des  pres- 
cheurs  composé  par  Pépin.  »  Guillau- 
me Pépin  avait  une  telle  réputation 
qu'on  disait  :  Qui  nescit  pepinare,  nes- 
cit  prœdicare.  Le  balai  des  prêcheurs, 
qui  les  nettoie  tous,  pouvait  bien 
être  donné  comme  l'œui-re  de  Pé- 
pin. 

ViSTEMPENARDÉ,  mal  bâti,  allant  de  tra- 
vers. 

VlTEX,  plante. 

VITUPERE,  blâme,  censure. 

Vitupérer,  blâmer,  censurei". 

VIVANDIER,  fournisseur  de  vi\Tes. 

ViviFiCQUE,  vivifiant,  donnant  la  viej 

Viz,  escalier. 

Vocal,  oral. 

Vociter,  nommer. 

VOERRES  A  PIED,  vcTres  à  pied,  et,  pour 
jouer  siu:  ces  mots,  Rabelais  ajoute  : 
«  voerres  à  cheval  ». 

Voiras,  verras;  voirez,  verrez;  voiriez, 
verriez. 

Voire,  voyee,  vraiment,  oui  vraiment. 

VoiRRE,  verre. 

Vois,  voys,  vais  :  <  Je  n'y  vois  pas.  » 
Voise,  aille  :  t  H  faut  que  je  m'en 
voise.  » 

VOLAIN,  arme  offensive. 

Volantaikes,  paquebots,  vaisseaux  d'ar- 
mateurs. 

Vole,  au  jeu  de  cartes  faire  la  vole,  c'est 
faire  toutes  les  levées;  mentionné 
comme  jeu  spécial  parmi  les  jeux  de 
Gargantua. 

Vole,  la  paume  de  la  main.  Jeu  de  la 
main  chaude.  Toutes  les  levées  au  jeu 
de  cartes. 

VOLERiE,  dans  les  représentations  dra- 
matiques des  Mystères,  c'était  la  par- 
tie du  théâtre  où  les  anges  volaient. 

VoLERiE,  chasse  au  faucon  et  avec  d'au- 
tres oiseaux. 

VoLUNTÉ,  volonté. 

VoMiiER,  vomir. 


GLOSSAIRE    ET    NOTES 


VouAGE,  gouffre,  abîme. 

VosTRE,  votre. 

Votes,  vaux,  offrandes. 

VouGE,  cpieu,  pique. 

VouLER,  faire  la  vole  :  t  Pour  ce  jeu, 
nous  ne  voulerons  pas,  car  j'ay  faict 
un  levé.  > 

VouLSiT,  voursissENT;  voulût,  voulus- 
sent. 

VocLTE,  visage,  face. 

VouSTRE,  votre. 

VOYAGIER,  voyageur. 

Voyez  cy,  voyez  la,  voici,  voilà  : 
*  Voyez  en  cy  »,  en  voici. 


VOY  ME  LA,  VOY  vous  LA,  me  Toilà, 

vous  voilà. 
VoYS  (JE),  poiu-  :  je  vais. 
VoYTRER  (se),  se  vautrer. 
Vray  bot  !  juron,  comme  vray  bis  ! 
Vrelopper,  replanir,  finir  ime  planche 

avec  la  varlope. 
Vrilonker,    tortiller,    rouler,    arrêter, 

a5Siu-er. 
Vued,  vx-eil,  volonté,  vouloir. 
Vuidange,  action  de  vider  :  i  Vuidange 

des  procès  ». 
VuiDER,  vider. 
i  Vulgce,  le  peuple,  le  ^•ulgaire. 


w 


West,  ouest  :  t  Nord-nord- west.  » 
WUNDERBERUCH,  mot  allemand  :  TF«ji- 


derbar,  Wunderbarlich,  admirable,  pro- 
digieux. 


X 


XArXCTES,  Xaktonge,  Xantoxgeoys, 
Saintes,  Saintonge,  Saintongeois. 

Xenomakes,  qui  a  la  manie  des  choses 
étrangères,    et,    par    conséquent,    de 


voyager;  Ae^xenos  et  mania.  Rabelais 
l'appelle  Iraverseur  des  voycs  péril- 
leuses, par  allusion  à  Jean  Bouchet, 
qxii  prit  ce  titre  dans  ses  poésies. 


Y  GREGEOIS,  y  grec,  Y. 
YcELUi,  iceUuy,  ce,  celui-là. 
YssiR,  sortir,  être  issu,  procéder  : 
soit,  yssans,  yssu  ». 


YssuE,  sortie  d'assiégés. 
YvRAYE,  i\Taie,  plante. 
Yvkoigne,  ivrogne. 


Zachée  :  t  Exemple  on  petit  Zachée  ». 

Saint  Luc,  chapitre  xrs. 
Zalas  !  hélas  ! 
Zaphran,  safran. 
Zargues,  comme  nargues. 
ZELATExm,  fanatique,  ou  hj-pocrite. 


Zelotypie,  jalousie,  envie. 

ZELUS  (non),  sed  charitas,  point  de 

zèle,   nulle  rigueur;    mais   charité   et 

bonne  affection. 
Zencle,  tacheté  de  marques  faites  en 

forme  de  faux;  poil  de  cheval 


GLOSSAIRE    ET    NOTES 


5-2  1 


Zeusis,  Zeiixis  d'Héraclée,  peintre  grec. 

ZiNZEMBRE,  gingembre. 

ZmziBERixE  (povUdre),  poudre  de  gin- 
gembre. 

ZivETTE,  civette,  sorte  de  parfum. 

ZOOPHORE,  une  frise,  ainsi  nommée 
parce  que  l'on  y  voit  ordinairement 
sculptée  ime  suite  d'animaux. 

ZOOPHYTE,  animal-plante;  qui  participe 
également  du  règne  végétal  et  du  règne 
animal. 

ZopiRE,  grand  ami  de  Darius,  roi  de 


Perse;  s'étant  coupé  le  nez  et  les 
oreilles,  il  se  retira  vers  les  Babylo- 
niens, que  Darius  tenait  assiégés,  leur 
montrant  le  tort  qu'il  feignait  avoir 
reçu  de  Darius,  et  par  ce  moyen  fut 
cause  de  la  prise  et  du  saccagement  de 
la  ville. 

ZoROASTER,  législateur  religieux  des 
poptUations  bactriennes,  et  fondateur 
de  la  religion  appelée  Parsisme  ou 
?.iazdcis;ne. 

Zythe,  orge  fermcntée,  bière. 


TABLE   DES   MATIERES 


LE  QUART  LIVRE 

CHAPITEES  PAGES 

Le  quart  livre  des  faicts  et  dicts  héroïques  du  noble 
Pantagruel,    composé    par    M.    François    Rabelais, 

docteur  en  medicine i 

Ancien  prologue 3 

A  mon  seigneur  Odet,  cardinal  de  Chastillon lo 

Prologue  de  l'auteur 15 

I.  Comment    Pantagruel   monta   sus    mer   pour    visiter 

l'Oracle  de  la  dive  Bacbuc 29 

IL  Comment  Pantagruel,  en  l'isle  de  Medamotbi,  achapta 

plusieurs  belles  choses 32 

III.  Comment  Pantagruel  repceut  lettres  de  son  père  Gar- 

gantua, et  de  l'estrange  manière  de  sçavoir  nouvelles 
bien  soubdain  des  pays  estrangiers  et  loingtains 35 

IV.  Comment  Pantagruel  escript  à  son  père  Gargantua,  et 

luy  envoyé  plusieurs  belles  et  rares  choses 38 

V.  Comment  Pantagruel  rencontra  une  nauf  de  voj^agers 

retoumans  du  pays  Lantemois 41 

VI.  Comment,  le  débat  appaisé,  Panurge  marchande  avec 

Dindenault  mi  de  ses  moutons 43 

.VIL  Continuation  du  marché  entre  Panurge  et  Dindenault . .       46 

VIII.  Comment  Panurge  feist  en  mer  noyer  le  marchant  et  les 

moutons    48 

IX.  Conament  Pantagruel  arriva  en  l'isle  Ennasin,  et  des 

estranges  alliances  du  pays 50 

X.  Comment  Pantagruel  descendit  en  l'isle  de  CheU,  en  la- 

quelle regnoit  le  Roy  sainct  Panigon 55 


524 


TABLE    DES    MATIERES 


OEAPITRF.S  PAGES 

XI.  Pûurquoy  les  moines  sont  voluntiers  en  cuisine 57 

XII.  Comment   Pantagruel  passa   Procuration,  et  de  l'es- 

trange  manière  de  vivre  entre  les  Chicquanous 59 

XIII.  Comment,  à  l'exemple  de  maistre  François  Villon,  le  sei- 

gneur de  Basché  loue  ses  gens 63 

XIV.  Continuation  des  Chiquanous  daubez  en  la  maison  de 

Basché 6G 

XV.  Comment  par  Chiquanous  sont  renouvellées  les  anti- 

ques cousturaes  de  fiansailles 69 

XVI.  Comment  par  frère  Jean  est  faict  essay  du  naturel  des 

Chicanous 72 

XVII.  Comment  Pantagruel  passa  les  isles  de  Tohu  et  Bohu, 

et  de  l'estrange  mort  de  BringuenariUes,  avalleur  de 
moulins  à  vent ■ 75 

XVIII.  Comment  Pantagruel  évada  une  forte  tempeste  en  mer.       78 

XIX.  Quelles  contenances  eurent  Panurge  et  frère  Jean  durant 

la  tempeste 80- 

XX.  Comment  les  nauchiers  abandonnent  les  navires  au  fort 

de  la  tempeste 83. 

XXI.  Continuation  de  la  tempeste  et  brief  discours  sur  testa- 

ments faictz  sus  mer 86 

XXII.  Fin  de  la  tempeste 83 

XXIII.  Comment,  la  tempeste  finie,  Panurge  faict  le  bon  com- 

paignon 90 

XXIV.  Comment,  par  frère  Jan,  Panurge  est  declairé  avoir  eu 

peur  sans  cause  durant  l'oraige 92 

XXV.  Comment,  après  la  tempeste,  Pantagruel  descendit  es 

isles  des  Macrœons 94 

XXVI.  Comment  le  bon  Macrobe  raconte  à  Pantagruel  le  ma- 

noir et  discession  des  Herocs 96 

XXVII.  Comment   Pantagruel  raisonne  sur  la  discession  des 

ame    Héroïques  et  des  prodiges  horrificques  qui  prp 
cédèrent  le  trespas  du  feu  seigneur  de  Langey 99 

XXVIII.  Comment   Pantagruel  raconte  une  pitoyable  histoire 

touchant  le  trespas  des  Heroes 102 

XXIX.  Comment  Pantagruel  passa  l'isle  de  Tapinois,  en  la- 

quelle regnoit  Quaresmeprenant 104 

XXX.  Comment  par   Xenomanes   est   anatomisé  et  descript 

Quaresmeprenant 106 

XXXI.  Anatomie    de    Quaresmeprenant    quant    aux    parties 

externes 1 07 

XXXII.  Continuation  des  contenences  de  Quaresmeprenant .. .     109 

XXXIII.  Comment  par  Pantagruel  feut  im  monstrueux  Physe- 

tere  apperceu  près  l'isle  Farouche 112 

XXXIV.  Conunent  par  Pantagruel  fut  defaict   le  monstrueux 

Physetere 114 


TABLE    DES    MATIERES 


525 


CHAPITRES  PAGES 

XXXV.  Comment  Pantagruel  descend  en  l'isle  Farouche,  ma- 

noir antique  des  Andouilles 116 

XXXVI.  Comment,  par  les  Andouilles  farouches,  est  dressée 

embuscade  contre  Pîmtagruel 118 

XXXVII.  Comment    Pantagruel    manda    quérir    les    capitaines 

Riflandouille  et  Tailleboudin  ;  avecques  un  notable 
discours  sur  les  noms  propres  des  heux  et  des  per- 
sonnes        121 

XXXVIII.  Comment  Andouilles  ne  sont,_à  mespriser  entre  les 

humains 125 

XXXIX.  Comment  frère  Jan  se  rallie  avecques  les  cuisiniers  pour 

combattre  les  Andouilles 126 

XL.  Comment  par  frère  Jan  est  dressée  la  Truye,  et  les  preux 

cuisiniers  dedans  enclous 128 

XLI.  Comment  Pantagruel  rompit  les  An/iouiUes  aux  genoulx     130 

XLII.  Comment  Pantagruel  parlemente  avecques  Niphleseth, 

royne  des  AndouiUes 133 

XLIII.         Comment  Pantagruel  descendit  en  l'isle  de  Ruach 134 

XLIV.         Comment  petites  pluyes  abattent  les  grands  vents 137 

XLV.  Comment  Pantagruel  descendit  en  l'isle  des  Papefigues .     139 

XLVI.         Comment  le  petit  diable  feut  trompé  par  un  laboureur 

de  Papefiguiere , 142 

XLVII.  Comment  le  diable  feut  trompé  par  une  vieille  de  Pape- 
figuiere       145 

XLVIII.      Comment  Pantagruel  descendit  enTisle  des  Papimanes .     i  46 
XLIX.  Comment   Homenaz,   evesque   des    Papimanes,   nous 

monstra  les  uranopetes  Decretales 149 

L.  Comment,  par  Homenaz,  nous  feut  monstre  l'arché- 
type d'un  Pape 152 

LI.               Menuzdevisdurantledipner.àlalouangedes  Decretales.     154 
LU.               Continuation  des  miracles  advenuz  par  les  Decretales  .     156 
LUI.            Comment,  par  la  vertu  des  Decretales,  est  l'or  subtile- 
ment tiré  de  France  en  Rome 161 

LIV.  Comment  Homenaz  donna  à  Pantagruel  des  poires  de 

bon  Christian 164 

LV.  Comment,  en  haulte  mer,  Pantagruel  ouyt  diverses  pa- 

roUes  dégelées 166 

LVI.  Comment,  entre  les  parolles  gelées,  Pantagruel  trouva 

des  motz  de  gueule 168 

LVII.  Comment  Pantagruel  descendit  on  manoir  de  messere 

Gaster,  premier  maistre  es  ars  du  monde i  70 

LVIII.         Comment,  en  la  court  du  maistre  ingénieux,  Pantagruel 

détesta  les  Engastrimythes  et  les' Gastrolatres i  73 

LIX.  ■  De  la  ridicule  statue  appelée  Manduce,  et  comment  et 
quelles  choses  sacrifient  les  Gastrolatres  à  leur  dieu 
ventripotent  1 75 


526 


TABLK    DES    MATIERES 


CHAMIFES  PAGBS 

LX.  Comment,  es  jours  maigres  entrelardez,  à  leur  Dieu 

sacri&oient  les  Gastrolatres 178 

LXI.            Comment  Gaster  inventa  les  moyens  d'avoir  et  con- 
server Grain 180 

LXII.  Comment  Gaster  Lnventoit  art  et  moyen  de  non  estre 

blessé  ne  touché  par  coups  de  Canon i  .^  3 

LXIII.         Comment,  près  de  l'isle  de  Chaneph,  Pantagruel  som- 

meiUoit,  et  les  problèmes  propousez  à  son  réveil 1 86 

LXIV.          Comment,  par  Pantagruel,  ne  feut  respondu  aux  pro- 
blèmes propousez 180 

LX\'.  Comment  Pantagruel  haulse  le  temps  avecques  ses 

domestiques  191 

LX\^I.         Comment,  près  l'isle  de  Ganabin,  au  commandement 

de  Pantagruel,  feurent  les  Muses  saluées 194 

LXVII.        Comment  Panurge,  par  maie  paour,  se  conchia,  et  du 
grand  chat  Rodilardus  pensoit  que  feust  un  Diable- 

teau  1 96 

Briefve  Déclaration  d'aucunes  dictions  plus  obs- 
cures COXTEXUES  ON  QUATRIESME  LIVRE  DES  Fuicts 

et  Dicts  héroïques  de  Pantagruel 201 


LE  CINOUIESME  ET  DERNIER  LIVRE 


IIL 

IV. 


V. 


VI. 
VII. 


Le  cinquiesme  et  dernier  livre  des  faicts  et  dicts  héroï- 
ques du  bon  Pantagruel,  composé  par  M.  François 
Rabelais,  docteur  en  médecine,  auquel  est  contenu  la 
Visitation  de  l'Oracle  de  la  Dive  Bacbuc,et  le  mot  de 
la  Bouteille,  pour  lequels  avoir  est  entreprins  tout  ce 

long  voyage  :iouvellement  mis  en  lumière 209 

Épigramme ::  10 

Prologue   a II 

Comment  Pantagi-uel  arriva  en  l'isle  Sonnante  et  du 

bruit  qu'entendismes 217 

Comment  l'isle  Sonnante  avoit  esté  habitée  par  les 

Siticines,  lesquels  estoyent  devenus  oiseaux 219 

Comment  en  l' Isle  Sonnante  n'est  qu'un  Papegaut 221 

Comment  les  oiseaux  de  l'isle  Sonnante  estoient  tous 

passagers 222 

Comment  les  oiseaux  gourmandexirs  sont  muets  en 

l'isle  Sonnante 225 

Comment  les  oiseaux  de  l'isle  Sonnante  sont  alimentez .     226 
Comment  Panurge  racompte  à  maistre  Aeditue  l'apolo- 
gue du  Roussiû  et  de  L'Aine 228 


TABLE    DES    MATIÈRES  527 

OHAPlUiES  PAGE3 

VIII.  Comment  nous  fut  monstre  Papegaut  à  grande  diffi- 

culté       233 

IX.  Comment  descendismes  en  l'Isle  des  Ferremens 235 

X.  Comment  Pantagruel  aniva  en  l'Isle  de  Cassade 237 

XI.  Comment  nous  passasmes  le  guichet  habité  par  Grippe- 

minaud,  archiduc  des  Chats-fourrez 239 

XII.  Coumaent  par   Grippeminaud    nous    fut  proposé  un. 

énigme 242 

XIII.  Conxment  Panurge  expose  l'énigme  de  Grippe-minaud .     244 

XIV.  Comment  les  Chats-fourrez  vivent  de  corruption 246 

XV.  Comment  frère  Jean  des  Entommeures  délibère  mettre 

à  sac  les  Cliats-fourrez 248 

XVI.  Comment  Pantagruel  arriva  en  l'Isle  des  Apedeftes  à 

longs  doigts  et  mains  crochues,  et  des  terribles  adven- 
tures  et  monstres  qu'il  y  vit 252 

XVII.  Comment  nous  passasmes  outre,  et  comment  Panurge  y 

faillit  d'estre  tué 257 

XVIII.  Comment  nostre  nauf  fut  enquarrée  et  feusmes  aidez 

d'aucuns  voyagiers,  qui  tenoient  de  la  Quinte 259 

XIX.  Comment  nous  arrivasmes  au  Royaume  de  la  Quinte 

Essence,  nommée  Entelechie 262 

XX.  Comment  la  Quinte  Essence  guarissoit  les  maladies  par 

chansons  264 

XXI.  Comment  la  Royne  passoit  temps  après  disner 267 

XXII.  Comment  les  officiers  de  la  Quinte  diversement  s'exer- 

cent, et  comment  la  dame  nous  retint  en  estât  d'abs- 
tracteurs  270 

XXIII.  Comment  fut  la  Royne  à  soupper  servie,  et  comment 

elle  mangeoit 273 

XXIV.  Comment  fut,  en  la  présence  de  la  Quinte  faict  un  bal 

joyeux,  en  forme  de  Toumoy 275 

XXV.  Com.ment  les  trente  deux  personnages  du  bal  combatent     278 

XXVI.  Comment  nous  descendismes  en  l'Isle  d'Odes,  en  laquelle 

les  chemins  cheminent 2S4 

XX\'II.       Comment  passasmes  en  l'Isle  des  Esclots,  et  de  l'ordre 

des  frères  Fredons 286 

XXVIII.  Comment    Panurge,    interrogeant    un    frère    Fredon, 

n'eust  response  de  luy  qu'en  monosillabes 291 

XXIX.  Comment  l'institution  de  Quaresme  desplaist  à  Epis- 

temon    296 

XXX.  Comment  nous  visitasmes  le  pays  de  Satin 298 

XXXI.  Comment    au   pays  de  Satin  nous  veismes  ouy-dire, 

tenant  escole  de  tesmoignerie 302 

XXXII.  Comment  nous  fut  descouvert  le  païs  de  Lantemois .. .     305 

XXXIII.  Comment  nous  descendismes  au  port  des  Lichnobiens, 

et  entrasmes  en  Lantemois 306 


528  TABLE    DES    MATIÈRES 

CHAPITRES  PAGES 

X XXIIIfcisCorament  feurent  les  dames  Lanternes  servies  à  soupper     308 

XXXIV.  Comment  nous  arrivasmes  à  l'oracle  de  la  Bouteille ... .      313 

XXXV.  Comment  nous  descendismes  soubs  terre  pour  entrer  au 

temple  de  la  Bouteille,  et  comment  Chinon  est  la 
première  ville  du  inonde 315 

XXXVI.  Comment  nous  descendismes  les  degrez  tetradiques,  et 

de  la  peur  qu'eut  Panurge 317 

XXXVII.  Comment  les  portes  du  temple  par  soy  mesme  admi- 

rablement  s'entr'ouvrirent 319 

XXXVIII.  Comment  le  pavé  du  temple  estoit  faict  par  emblema- 

ture  admirable 322 

XXXIX.  Conmient   en  l'ouvrage   mosayque  du  temple  estoit 

représentée  la  bataille  que  Bacchus  gagna  contre 

les  Indians 323 

XL.  Comment  en  l'emblemature  estoit  figuré  le  hourt  et 
l'assaut  que  donnoit  le  bon  Bacchus  contre  les 
Indians    326 

XLI.  Comment  le  temple  estoit  esclairé  par  une  lampe  admi- 
rable       328 

XLII.  Comment  par  la   Pontife  Bacbuc  nous  fut  monstre 

dedans  le  temple  une  fontaine  fantastique 330 

X  LU  I .         Comment  l'eau  de  la  fontaine  rendoit  goust  de  vin,  selon 

l'imagination  des  beuveurs 335 

XLIV.  Comment  Bacbuc  accoustra  Panurge  pour  avoir  le  mot 

de  la  Bouteille 337 

XLV.  Comment  la  pontife  Bacbuc  présenta  Panurge  devant 

ladicte  Bouteille 339 

XLVI.  Comment  Bacbuc  interprète  le  mot  de  la  Bouteille ... .     340 

XLVII.  Comment  Panurge  et  les  autres  rithment  par  fureur  poé- 
tique         343 

XLVIII.      Comment,   avoir  prins  congé  de   Bacbuc,   délaissent 

l'Oracle  de  la  Bouteille 346 

Addition  au  dernier  chapitre 348 


PaNTAGRUELINE    FROGNOSTIC.-VTION    pour  l'an    PERPE- 
TUEL, par  maistre  Alcofribas 351 

Au  Hseur  benivole 351 

I.  Du  gouvernement  et  seigneur  de  ceste  année 352 

II.  Des  eccUpses  de  ceste  année 353 

III.  Des  maladies  de  ceste  année 353 

IV.  Des  fruictz  et  biens  croissant  de  terre 354 

V.  De  Testât  d'aulcimes  gens 354 

VI.  De  Testât  d'aulcuns  pays 356 


TABLE    DES    MATIERES  529 

CHAPITRKS  PAGES 

VII.  Des  quatre  saisons  de  l'année,  et  premièrement   du 

Printemps 357 

VIII.  De  l'Esté 358 

IX.  De  l'Autonue 358 

X.  Del'Hyver 358 


La  Sciomachie  et  festins  faicts  a  rome,  extraict  d'une  copie 
des  lettres  escrites  à  mon  seigneur  le  cardinal  de  Guise  par 

M.  François  Rabelais 360 

Epistre  de  maistre  François  Rabellays  à  Jehan  Bouchet 374 

Epistre  responsive  dudict  Bouchet  audict  Rabelais 377 

Trois  lettres  de  M.  François  Rabelais,   transcriptes   de    Rome, 

1535-1536 381 

Lettre  à  M.  le  baillif  du  bailUf  des  baillifz,  M.  Maistre  Antoyne  Hul- 

let 393 

Lettre  au  cardinal  duBellay 394 

Epistola  ad  B.  Salignacum 395 

Epistola  nuncupatoria  epist.  medicin.  Manardi 396 

Epistola  nuncupatoria  Aphorismorum  Hippocratis 398 

Epistola  nuncupatoria  ex  reUquiis  venerandœ  antiquitatis 399 

Epistola  nuncupatoria  topographie  antiqua?  Roms 400 

De  garo  salsamento  epigramma 402 

Pièces  attribuées  a  Rabelais 403 

Epistre  du  Limosin  de  Pantagruel 403 

Dizain    406 

La  Chresme  philosophale 407 

Fragment  extrait  du  manuscrit  du  cinquième  livre 408 

Glossaire 409 


FIN  DE  LA  TABLE  DES  MATIÈRES 


T.  n. 


34 


PQ      Rabelais,  François 

1682       Oeuvres    ^ 

:46 

1920 

t. 2 


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