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ŒUVRES
DE
RABELAIS
II
Édition limitée à mille cinq cents exemplaires
numérotés et tirés sur papier pur fil des Papeteries
Lafuma.
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COLLECTION " SELECTA " DES CLASSIQUES CARNIER
ŒUVRES
DE
RABELAIS
COLLATIONNEES SUR LES EDITIONS ORIGINALES
ACCOMPAGNiES
D'UNE BIBLIOGRAPHIE ET d'UN GLOSSAIRE
FAR
LOUIS MOLAND
IST O TJ V E IL. nii E ÉIDIXIOIT
précédée
d'une notice biographique
PAR
HENRI CLOUZOT
TOME II
PARIS
LIBRAIRIE GARNIER FRÈRES
6, RUE DES SAINTS-PÈRES, 6
LE QUART LIVRE
DES FAICTS ET DIGTS HEROÏQUES
DU NOBLE PANTAGRUEL
COMPOSÉ
PAR M. FRANÇOIS RABELAIS
DOCTEUR EN MEDICÎ>fE
T. Il,
ANCIEN PROLOGUE
Beuveurs très illustres, et vous Goutteux très precieulx.
j'ay veu, receu, ouy et entendu l'ambassadeur que la sei-
gneurie de vos seigneuries a transmis par devers ma paternité;
et m'a semblé bien bon et facond orateur. Le sommaire de sa
proposition je réduis en trois motz, les quelz sont de tant
grande importance que jadis, entre les Romains, par ces trois
motz le prêteur respondoit à toutes requestes exposées en
jugement. Par ces trois motz dccidoit toutes controversies,
tous complainctz, procès et diffurens, et estoient les jours dicts
ma'heureux et néfastes, es quelz le prêteur n'usoit de ces trois
motz : fastes et heureux, esquelz d'iceulx user souloit. Vous
donnez, vous dictes, vous adjugez. O gens de bien ! je ne vous
peulx voir. La digne vertus de Dieu vous soit, et non moins à
moy, éternellement en ayde ! Or ça, de par Dieu, jamais rien
ne faisons que son très sacré nom ne soit premièrement loué.
Vous me donnez. Quoy? un beau et ample bréviaire. Vray
bis, je vous en remercia : ce sera le moins de mon plus. Quel
bréviaire feust certes no pcnsoio, voyant les reigletz, la rose,
les fermailz, la reUeure, et la couverture, en laquelle je n'ay
omis à considérer les crocs, et les pies painctes au dessus et
semées en moult belle ordonnance. Par lesquelles (comme si
fussent lettres hieroglyphicques) vous dictes facilement qu'il
.n'est ouvrage que de maistres, et courage que de crocqueurs
4 LIVRE IV
de pies. Croquer pie signifie certaine joyeulseté, par méta-
phore extraicte du prodige qui advint en Bretaigne, peu de
temps avant la bataille donnée prés Sainct Aubin du Cormier.
Nos pères le nous ont exposé, c'est raison que nos successeurs
ne l'ignorent. Ce fut l'an de la bonne vinée; on donnoit la
quarte de bon vin et friand pour une aiguillette borgne.
Des contrées de levant advola grand n Dmbre de gays d'un
cousté, grand nombre de pies de l'aultre, tirans tous vers le
ponant. Et se coustoyoient en tel ordre que sur le soir, les
gays faisoient leur retraicte à gauche (entendez icy l'heur de
l'augure), et les pies à dextre, assez prés les uns des aultres.
Par quelque région qu'ilz passassent, ne demeuroyt pie qui ne
se ralhast aux pies, ne gay qui ne se joignist au camp des gays.
Tant allèrent, tant volèrent, qu'ilz passèrent sus Angiers,
ville de France, limitrophe de Bretaigne, en nombre tant
multipUé que, par leur vol, ilz tollissoyent la clarté du soleil
aux terres subjacentes.
En Angiers estoit pour lors un vieux oncle, seigneur de
sainct George, nonmié Frapin : c'est celluy qui a faict et
composé les beaulx et joyeulx noëlz en langage poictevin. Il
avoit un gay en dehces à cause de son babil, par lequel tous
les survenans invitoit à boyre, jamais ne chantoit que de
boyre, et le nommoit son goitrou. Le gay, en furie martiale,
rompist sa caige, et se joignist aux gays passans. Un barbier
voisin, nommé Bahuart, avoit une pie privée bien guallante.
Elle de sa personne augmenta le nombre des pies, et les suivit
au combat. Voicy choses grandes et paradoxes, vrayes tou-
te foys, veues et avérées. Notez bien tout. Qu'en advint il?
Quelle feust la fin? Qu'il en advint, bonnes gens? Cas merveil-
leux. Prés la croix de Malchara feust là bataille tant furieuse
que c'est horreur seulement y penser. La fin fut que les pies
perdirent la bataille, et sus le camp furent felonnement occi-
ses, jusques au nombre de 2,589,362,109, sans les femmes et
petitz enfans, c'est à dire sans les femelles et petitz piaux»
ANCIEN PROLOGUE 5
VOUS entendez cela. Les gays restèrent victorieux, non toutes-
foys sans perte de plusieurs de leurs bons soubdarz, dont fut
dommaige bien grand en tout le pays. Les Bretons sont gens,
vous le sçavez. Mais s'ilz eussent entendu le prodige, facille-
ment eussent congnu que le malheur seroit de leur cousté.
Car les queues des pies sont en forme de leurs hermines; les
gays ont en leurs pennaiges quelques pourtraictz des armes
de France.
A propos, le goitrou, troys jours après, retourna tout
hallebrené et fasché de ces guerres, ayant un œil poché. Tou-
tesfoys, peu d'heures après qu'il eust repeu en son ordinaire,
il se remit en bon sens. Les gorgias peuple et escoliers d'An-
giers par tourbes accouroient veoir Goitrou le borgne, ainsi
accoustré. Goitrou les invitoit à boyre comme de coustume,
adjoutant à la fin d'un chascun invitatoire : Crocquez pie.
Je présuppose que tel estoit le mot du guet au jour de la
bataille, tous en faisoient leur debvoir. La pie de Bahuart ne
retournoit poinct. Elle avoit esté crocquée. De ce feut dict
en proverbe commun : Boyre d'autant et à grands traitz
estre pour vray crocquel la pie. De telles figures à mémoire
perpétuelle fit Frapin peindre son tiner en salle basse. Vous
la pourrez voir en Angiers, sus le tartre sainct Laurent.
Geste figure, sus vostre bréviaire posée, me fit penser qu'il
y avoit je ne sçay quoy plus que bréviaire. Aussi bien à quel
propos me feriez vous présent d'un bréviaire? Je en ay. Dieu
mercy et vous, des vieulx jusques aux nouveaulx. Sus ce
doubte ouvrant ledict bréviaire, j'apperceu que c'estoit un
bréviaire faict par invention mirificque, et les reigleitz tous à
propous, avecques inscriptions opportunes. Donc vous vou-
lez qu'à prime je boive vin blanc; à tierce, sexte et none,
pareillement; à vespres et complies, vin clairet. Cela vous
appeliez crocquer pie; vrayement vous ne fustes oncques de
mauvaise pie couvés. J'y donnerai requeste.
Vous dictes. Quoy? Que en rien ne vous ay fasché par tous
6 LÎVRE ÎV
mes livres cy devant imprimez. Si à ce propous je vous allègue
la sentence d'un ancien Pantagrueliste, encorcs moins vous
faschcray.
Ce n'est (dit-il) louange populaire
Aux princes avoir peu complaire.
Plus dictes que le vin du tiers livre a, esté à vostre goust, et
qu'il est bon. Vray est qu'il yen avoit peu, et ne vous plaist ce
que l'on dict communément, un peu et du bon. Plus vous
plaist ce que disoit le bon Evispande Verron, beaucoup et du
bon. D'abondant m'invitez à la continuation de l'histoyre
Pantagrueline, alleguans les utilitez et fruictz perceus en la
lecture d'icelle, entre tous gens de bien; vous excusans de ce
que n'avez o'otemperé à ma prière, contenant que eussiez
vous reserver à rire au septante huitiesme li\Te. Je le vous
pardonne de bien bon cœur. Je ne suis tant farouche, ne im-
placable que vous penseriez. Mais ce que vous en disois n'es-
toit pour vostre mal. Et vous dis pour response, comme est la
sentence d'Hector proférée par Nevius, que c'est belle chose
estre loué de gens louables. Par réciproque déclaration je dist
et maintiens jusques au feu exclusivement (entendez et pour
cause) que vous estes grands gens de bien, tous extraictz de
bons pères et bonnes mères. Vous promettant, foy de piéton,
que, si jamais vous rencontre en Mésopotamie, je feray tant
avec le petit comte George de la basse Egypte qu'à chascun
de vous il fera présent d'un beau crocodile du Xil et d'un
cauquemare d'Euphrates.
Vous adjugez. Quoy? A qui? Tous les vieulx quartiers de
lune aux cafars, cagotz matagotz, botineurs, papelardz, bur-
gotz, patcspellues, porteurs de rogatons, chattemites. Ce sont
noms horrificques, seulement 03'ant leur son. A la prononcia-
tion desquelz j'ay veu les cheveulx dresser en teste de vostre
noble ambassadeur. Je n'y ay entendu que le hault allemant,
et ne sçay quelle sorte de bestes comprenez en ces denomina-
ANCIEN PROLOGUE 7
lions. Ayant faict diligente recherche par diverses contrées,
n'ay trouvé home qui les advouast, qui ainsi tolerast cstre
nommé ou désigné. Je présuppose que c'est oit quelque espèce
monstrueuse de animaulx barbares, on temps des haultz
bonnetz; maintenant est deperie en nature, comme toutes
choses sublunaires ont leur fin et période ; et ne sçavons quelle
en soit la diffinition, comme vous sçavez que, subject pery,
facillement périt sa dénomination.
Si, par ces termes, entendez les calumniateurs de mes
escripts, plus aptement les pourrez vous nommer Diables :
car, en grec, calumnie est dicte diabole. Voyez combien détes-
table est devant Dieu et les anges ce vice dict calumnie (c'est
quand on impugne le bien faict, quand on mesdit des choses
bonnes), que, par icelluy, non par aultre, quoy que plu-
sieurs sembleroient plus énormes, sont les Diables d'enfer
nommez et appeliez. Ceulx cy ne sont, proprement parlant,
diables d'enfer, ilz en sont appariteurs et ministres. Je les
nomme Diables noirs, blancs, diables privez, diables domes-
ticques. Et ce que ont faict envers mes livres, ilz feront, si on
les laisse faire, envers tous aultres. Mais ce n'est de leur inven-
tion. Je le dis, affin que tant désormais ne se glorifient au
surnom du vieulx Caton le Censorin.
Avez vous jamais entendu que signifie cracher au bassin?
Jadis les prédécesseurs de ces Diables privez, architectes de
volupté, everseurs d'honnesteté, comme un Philoxenus, un
Gnatho, et aultres de pareille farine, quand, par les cabaretz
et tavernes es quelz Ueuxtenoient ordinairement leurs escoles,
voyoient les hostes estre de quelques bonnes viandes et mor-
ceaux friandz serviz, ilz crachoient villainement dedans les
platz, afiîn que les hostes, abhorrons leurs infâmes crachatz
et morveaux, désistassent manger des viandes apposées, et
tout demourast à ces villains cracheurs et morveux. Presque
pareille, non toustes foys tant abhominable histoire nous
conte l'on du medicin d'eau doulce, neveu de l'advocat, feu
8 I,I\'RE IV
Amer, lequel disoit l'aislo du chappou gras estre maulvaise,
et le croppion rcdoubtable, le col assez bon, pourveu que la
peau fust ostéc, afin que les malades n'en mangeassent, tout
feust réservé pour sa bouche.
Ainsi ont faict ces nouveaulx Diables engipponcs. Voyans
tout ce monde en fervent appétit de veoir et lire mes escrits,
par les livres precedens, ont craché dedans le bassin, c'est à
dire les ont tous par leur maniment couchiez, descriez et
calumniez, en ceste intention que personne ne les eust, per-
sonne ne les leust, fors leurs poiltronités. Ce que je ay veu de
mes propres œilz, ce n'est oit pas des aureilles, voire jusques à
les conserver reUgieusement entre leurs besongnes de nuyct,
et en user comme de bréviaire à usaige quotidian. Hz les ont
tolluz es malades, es goutteux, es infortunez, pour lesquels
en leur mal esjouir les avois faicts et composez. Si je prenois
en cure tous ceulx qui tombent en meshaing et maladie, ja
besoing ne seroit mettre telz livres en lumière et impression.
Hippocrates a faict un livre exprès, lequel il a intitulé De
Testât du parfaict medicin (Gahen l'a illustré de doctes com-
mentaires), auquel il commande rien n'estre au medicin
(veoire jusqu'à particulariser Icb ongles) qui puisse oÊEenser le
patient : tout ce qu'est au médecin, gestes, visage, vestemens,
paroles, reguardz, touchement, complaire et délecter le ma-
lade. Ainsi faire en mon endroict, et à mon lourdoys, je me
peine et efforce envers ceulx que je prens en cure. Ainsi font
mes compaignons de leur cousté; dont, par adventure, som-
mes dicta parabolains au long faucile et au grand code, par
l'opinion de deux gringuenaudicrs aussi follement interprétée
comme fadement inventée.
Plus il y a ; sur un passaige du sixiesme des Épidémies
dudict père Hippocrates, nous suons disputans à sçavoir,
non si la face du medicin chagrin, tetricque, reubarbatif , mal-
plaisant, malcontent, centriste le malade, et du medicin la
face jo5-euse, seraine, plaisante, riante, ouverte, esjouyst le
ANCIEN PROLOGUE 9
malade (cela est tout esprouvé et certain) ; mais si telles con-
tristations et esjouyssemens proviennent par appréhension
du malade contemplant ces qualitez, ou par transfusion des
espritz serains ou ténébreux, joyeulx ou tristes, du medicin
au malade, comme est l'advis des Platonicques et Averroïstes.
Puis doncques que possible n'est que de tous malades sois
appelle, que tous malades je prenne en cure, quelle envie
est ce toUir es languoureux et malades le plaisir et passetemps
joyeulx (sans offense de Dieu, du roy, ne d'aultre) qu'ilz
prennent, ouyans en mon absence la lecture de ces livres
joyeulx?
Or puys que, par vostre adjudication et décret, ces mesdi-
sans et calumniateurs sont saisiz et emparez des vieulx quar-
tiers de Lune, je leur pardonne; il n'y aura pas à rire pour
tous désormais, quand voirrons ces folz lunaticques, aucuns
ladres, aultres boulgres, aultres ladres et boulgres ensemble,
courir les champs, rompre les bancz, grincer les dentz, fendre
carreaux, battre pavez, soy pendre, soy noyer, soy précipi-
ter, et à bride avallee courir à tous les Diables, selon l'énergie,
faculté et vertus des quartiers qu'ilz auront en leurs caboches,
croissans, initians, amphicyres, brisans et desinens. Seule-
ment, envers leurs malignités et impostures, useray de l'offre
que fit Timon le Misanthrope à ses ingratz Athéniens.
Timon, fasché de l'ingratitude du peuple athénien en son
endroict, un jour entra au conseil pubUc de la ville, requérant
luy estre donnée audience, pour certain négoce concernant le
bien public. A sa requeste feust silence faicte, en expectation
d'entendre choses d'importance veu qu'il estoit au conseil
venu, qui tant d'années auparavant s'estoit absenté de toutes
compaignies, et vivoit en son privé. Adoncques leur dist :
« Hors mon jardin secret, dessoubs le mur, est un ample,
beau et insigne figuier, auquel vous aultres messieurs les
Athéniens désespérez, hommes, femmes, jouvenceaux et
pucelles, avez de coustume à l'escart vous pendre et estran-
lO LIVRE IV
gler. Je voii=: adverty que, pour accommoder ma maison, je
ay délibéré huyctaine démolir icelluy figuier : pourtant,
quiconque de vous aultres, et de toute la ville aura à se pen-
dre, s'en depesche promptement. Le terme susdict expiré,
n'auront lieu tant apte, no arbre tant commode. »
A son exemple, je dénonce à ces calumniateurs diabolic-
ques que tous ayent à se pendre dedans le dernier chanteau
de ceste Lune : je les fourniray de licolz. Lieu pour se pendre
je leur assigne entre Midy et Faverolles. La lune rcnouvellée,
ilz n'y seront receuz à si bon marché, et seront contrainctz
eux mesmcs à leurs dépens acheter cordeaux, et choisir arbre
pour pendaige, comme fit la seignore Leontium, calumnia-
trice du tant docte et éloquent Théophraste.
A TRES ILLUSTRE PRINCE ET REVERENDISSIME
MON SEIGNEUR ODET
CARDINAL DE CHASTILLON
Vous estes deuement adverty, Prince très illustre, de quants
grands personaiges j'ay esté, et suis journellement stipulé,
requis et importuné pour la continuation des mythologies
PantagrueUcques : alleguans que plusieurs gens languoureux,
malades, ou autrement faschez et désolez, avoient, à la lec-
ture d'icelles, trompe leurs ennuictz, temps joyeusement
passé, et repceu alaigresse et consolation nouvelle. Es quelz
je suis coustumier de respondre que, icelles par esbat com-
posant, ne pretendois gloire ne louange aulcune; seulement
avois esguard et intention par escript donner ce peu de soulai-
gement que povois es affligez et malades absens : lequel
voluntiers, quand besoing est, je fais es presens qui soy aident
de mon art et service.
A MONSEIGNEUR ODET II
Quelques foys je leur expose par long discours comment
Hippocrates, en plusieurs lieux, mesmemcnt on sixiesme
livre des Epidémies, descrivant l'institution du medicin son
disciple; Soramus Ephesien, Oribasius, Cl. Galen, Hali Abbas,
autres auteurs consequens pareillement, l'ont composé en
gestes, maintien, reguard, touchement, contenance, grâce,
honesteté, netteté de face, vestemens, barbe, cheveulx, mains,
bouche, voire jusques à particulariser les ongles, comme s'il
deust jouer le rolle de quelque Amoureux ou Poursuy^^'ant
en quelque insigne comœdie, ou descendre en camp clos pour
combattre quelque puissant ennemy. De faict, la praticque
de IMedicine bien proprement est par Hippocrates comparée
à un combat et farce jouée à trois personnages, le malade,
le medicin, la maladie. Laquelle composition lisant quelque
fois, m'est soubvenu d'une parolle de Julia à Octavian
Auguste son père. Un jour elle s'estoit devant lui présentée
en habits pompeux, dissoluz et lascifz, et luy avoit grande-
ment despieu, quoy qu'il n'en sonnast mot. Au lendemain, elle
changea de vestemens, et modestement se habilla, comme
lors estoit la coustume des chastes dames Romaines. Ainsi
restue se présenta devant luy. Il qui, le jour précèdent,
n'avoit par parolles déclaré le desplaisir qu'il avoit en la
voiant en habits impudicques, ne peut celer le plaisir qu'il
prenoit la voiant ainsi changée, et luy dist : « O combien
cestuy vestement plus est séant et louable en la fille de
Auguste ! )) Elle eut son excuse prompte, et lui respondit :
« Huy, me suis je vestue pour les œilz de mon père. Hier, je
l'estois pour le gré de mon mary. »
Semblablement pourroit le medicin, ainsi desguisé en face
et habitz, mesmement revestu de riche et plaisante robbe à
quatre manches, comme jadis estoit Testât, et estoit appellée
Philonium, comme dit Petrus Alexandrinus, in vi, Epid.,
respondre à ceux qui trouveroient la prosopopée estrange :
« Ainsi me suis je accoustré, non pour me guorgiaser et pom-
12 LIVRE IV
per, mais pour le gré du malade lequel je visite, auquel seul
je veulx entièrement complaire, en rien ne l'oflfcnser ne fas-
cher. »
Plus y a. Sus un passaige du père Hippocrates on livre cy
dessus allégué, nous suons, disputans et rechcrchans, non si
le minois du medicin chagrin, tetrique, reubarbatif, Cato-
nian, mal plaisant, mal content, severe, rechigné, contriste
le malade ; et du medicin la face joyeuse, seraine, gratieuse,
ouverte, plaisante, resjouist le malade. Cela est tout esprouvé
et très certain. Mais si telles contristations et esjouissemens
proviennent par appréhension du malade contemplant ces
qualitez en son medicin, et par icelles conjecturant l'issue et
catastrophe de son mal ensuivir, sçavoir est, par les joyeuses,
joyeuse et désirée ; par les fascheuscs, fascheuse et abhorrente ;
ou par transfusion des esprits serains ou ténébreux, aërez ou
terrestres, joyeulx ou melancholicques du medicin en la
personne du malade. Comme est l'opinion de Platon et Aver-
roïs.
Sus toutes choses, les autheurs susdictz ont au medicin
baillé advertissement particulier des paroles, propous, abou-
chemens, et confabulations qu'il doibt tenir avecques les
malades de la part des quelz seroit appelé. Lesquelles toutes
doibvent à un but tirer, et tendre à une fin, c'est le resjouir
sans offense de Dieu, et ne le contrister en façon quelconques.
Comme grandement est par Herophilus blasmé Callianax
medicin, qui, à un patient l'interrogeant et demandant :
« Mourray je ? » impudentcment respondit :
Et Patroclus à mort succumba bien.
Qui plus estoit que n'es homme de bien.
A un aultre voulent entendre Testât de sa maladie, et l'in-
terrogeant à la mode du noble PateUn :
Et mon urine
Vous dict elle poinct que je meure?
A MONSEIGNEUR ODF.T T3
Il follement respondit : « Non, si t'eust Latona, mère des
beaulx enfans Phœbus et Diane, engendré. » Pareillement
est de Cl. Galen, lib. IV, Comment, in vi, Epidem., grande-
ment vitupéré Quintus, son précepteur en medicine, lequel à
certain malade en Rome, homme honorable, luy disant :
« Vous avez desjeuné, nostre maistre, vostre haleine me sent
le vin, » arroguamment respondit : « La tienne me sent la
fiebvre : duquel est le flair et l'odeur plus délicieux, de la
fiebvre ou du vin? »
Mais la calumnie de certains Canibales, misanthropes, age-
lastes, avoit tant contre moy esté atroce et desraisonnée
qu'elle avoit vaincu ma patience, et plus n'estois délibéré en
escrire un iota. Car l'une des moindres contumelies dont ilz
usoient estoit que telz livres tous estoient farciz d'heresies
diverses : n'en povoient toutes fois une seule exhiber en en-
droict aucun; de folastries joyeuses, hors l'ofîence de Dieu
et du Roy, prou (c'est le subject et thème unicque d'iceulx
livTes) ; d'heresies poinct, sinon, perversement et contre tout
usaige de raison et de langaige commun, interpretans ce que,
à poine de mille fois mourir, si autant possible estoit, ne voul-
drois avoir pensé : comme qui pain interpretoit pierre; pois-
son, serpent, œuf, scorpion. Dont quelque fois me complai-
gnant en vostre présence, vous dis librement que, si meilleur
Christian je ne m'estimois qu'ilz ne monstrent estre en leur
part, et que si en ma vie, escriptz, paroUes, voir certes pen-
sées, je recongnoissois scintille aulcune d'heresie, ilz ne tom-
beroient tant detestablement es lacs de l'esprit calumnia-
teur, c'est Atà6oXo;, qui par leur ministère me suscite tel
crime. Par moy mesmes, à l'exemple du Phoenix, seroit le
bois sec amassé, et le feu allumé, pour en icelluy me brusler.
Alors me dictes que de telles calumnies avoit esté le defunct
roy François, d'eterne mémoire, adverty; et curieusement
aiant, par la voix et pronunciation du plus docto et fidèle
Anagnoste de ce royaulme, ouy et entendu lecture distincte
I4 LIVRE ÏV
d'iceulx livres miens (je le diz, parce que meschantement l'on
m'en a aulcuns supposé faulx et infâmes), n'avoit trouvé pas-
saige aulcun suspect ; et avoit eu en horreur quelque mangeur
de scrpens, qui fondoit mortelle hérésie sus un N pour un M
par la faulte et négligence des imprimeurs.
Aussi avoit son filz, nostre tant bon, tant vertueux et des
cioulx benist roy Henry : lequel Dieu nous vueille longuement
conserver, de manière que, pour moy, il vous avoit octroyé
privilège et particulière protection contre les claumniateurs :
Cestuy évangile depuys m'avez de vostre bénignité réitéré
à Paris, et d'abondant lors que nagueres visitastes monsei-
gneur le cardinal du Bellay, qui pour recouvrement de santé
après longue et fascheuse maladie, s'estoit retiré à Sainct
Maur, heu, ou (pour mieulx et plus proprement dire) paradis
de salubrité, aménité, sérénité, conunodité, délices, et tous
honestes plaisirs de agriculture et vie rusticque.
C'est la cause, IMonseigneur, pourquoy présentement, hors
de toute intimidation, je mectz la plume au vent, espérant
que, par vostre bénigne faveur, me serez contre les calum-
niateurs comme un second Hercules GauUoys, en sçavoir,
prudence et éloquence; Alexicacos en vertuz, puissance et
auctorité; duquel véritablement dire je peuz ce que de Moses,
le grand prophète et capitaine en Israël, dict le saige roy Salo-
mon, Ecclesiastici, 45 : homme craignant et aimant Dieu,
agréable à tous humains, de Dieu et des hommes bien aymé,
duquel heureuse est la mémoire. Dieu en louange l'a comparé
aux Preux : l'a faict grand en terreur des ennemis. En sa
faveur a faict choses prodigieuses et espoventables : en pré-
sence des Roys l'a honoré; au peuple par luy a son vouloir
déclaré et par luy sa lumière a monstre. Il l'a en foy et debon-
naireté consacré et esleu entre tous humains. Par luy a voulu
estre sa voix ouye, et à cculx qui estoient en ténèbres estre
la loy de \ivificque science annoncée.
Au surplus vous promettant que ceulx qui par moy seront
PROLOGUE DE L'aUTEUR 15
rencontrez congratulans de ces joyeulx escriptz, tous je adju-
reray vous en sçavoir gré total : unicquement vous en remer-
cier, et prier nostre Seigneur pour conservation et accrois-
sement de ceste vostie Grandeur. A moy rien ne attribuer,
fors humble subjection et obéissance voluntaire à voz bons
commandemens. Car, par vostre exhortation tant honorable,
m'avez donné et couraige et invention, et, sans vous m'estoit
le cœur failly, et restoit tarie la fontaine de mes esprits ani-
maulx. Nostre Seigneur vous maintienne en sa saincte grâce.
De Paris, ce 28, de janvier 1552.
Vostre très humble et très obéissant serviteur.
Franc. RABELAIS, medicin.
PROLOGUE DE L'AUTEUR
M. FRANÇOIS RABELAIS
POUR
LE QUATRIEME LIVRE DES FAICTS ET DICTS HEROÏQUES DE PANTAGRUEL
AUX LECTEURS BENEVOLES
Gens de bien, Dieu vous saulve et guard ! Où estes vous? Je
ne vous peuz voir. Attendez que je chausse mes lunettes.
Ha, ha ! Bien et beau s'en va Quaresme ! je vous voy. Et
doncques? Vous avez eu bonne vinée, à ce que l'on m'a dict.
Je n'en serois en pièce marry. Vdus avez remède trouvé infi-
nable contre toutes altérations. C'est vertueusement opéré.
Vous, vos femmes, enfans, parens et familles, estez en santé
désirée. Cela va bien, cela est bon, cela me plaist. Dieu, le bon
l6 LIVRE IV
Dieu en soit éternellement loué, et, (si telle est sa sacre vo-
lunté), y soyez longuement maintenuz.
Quant est de moy, par sa saincte bénignité, j'en suys là, et
me recommande. Je suys, moiennant un peu de Pantagrue-
lisme (vous entendez que c'est certaines gayeté d'esprit con-
ficte en mespris des choses fortuites) , sain et degourt ; prest à
boire, si voulez. Me demandez vous pourquoy. Gens de bien?
Response irréfragable : Tel est le vouloir du tresbon, très-
grand Dieu, on quel je acquiesce, au quel je obtempère,
duquel je révère la sacrosaincte paroUe de bonnes nouvelles,
c'est l'Evangile, on quel est dict, Luc, iv, en horrible sarcasme
et sanglante dérision, au medicin négligent de sa propre
santé : o Medicin, o, gueriz toymesmes. »
Cl. Galen, non pour telle révérence, en santé soy mainte-
noit, quoy que quelque sentiment il eust des sacres Bibles et
eust congneu et fréquenté les saincts Christians de son temps,
comme appert lib. II, De usu partium, lib. II, De differentiïs
pulsuum, cap. m, et ibidem, lib. III, cap. ii, et lib. De rerum
affeciibus (s'il est de Galen) ; mais par craincte de tomber en
ceste vulgaire et Satyricque mocquerie :
'laTcô; aÀÀwv, aÙTo; sXxyai ppûtov.
Medicin est des aultres en effect;
Toutesfois est d'ulcères tout infect.
De mode qu'en grande braveté il se vante, et ne veult estre
medicin estimé si,depuys l'an de son aage vingt ethuistiesme
jusques en sa haulte vieillesse, il n'a vescu en santé entière,
exceptez quelques fiebvres Ephémères de peu de durée : com-
bien que, de son naturel, il ne feust des plus sains, et eust l'es-
tomach evidentement dyscrasié. « Car (dict il lib. V. De
sanit. tuenda) difficilement sera creu le medicin avoir soing de
la santé d'aultruy, qui de la sienne propre est négligent. »
Encores plus bravement se vantoit Asclepiades medicin
PROLOGUE DE l'AUTEUR I7
avoir avecques Fortune convenu en cestc paction, que medi-
cin réputé ne fcust si malade avoit esté depuys le temps qu'il
commença practiquer en l'art, jusques à sa dernière vieillesse.
A laquelle entier il parvint, et viguoureux en tous ses membres,
et de Fortune triiunphant. Finablement, sans maladie aul-
cune précédente, feist de vie à mort eschange, tombant par
maie guarde du hault de certains degrez mal emmortaisez et
pourriz.
Si, par quelque desastre, s'est santé de vos seigneuries
émancipée, quelque part, dessus, dessoubz, davant, dar-
riere, à dextre, à senestre, dedans, dehors, loing ou près vos
territoires qu'elle soit, la puissiez vous incontinent avecques
l'aide du benoist Servateur rencontrer ! En bonne heure de
vous rencontrée, sus l'instant soit par vous asserée, soit par
vous vendiquee, soit par vous saisie et mancipée. Les loigs
vous le permettent, le Roy l'entend, je le vous conseille. Ne
plus ne moins que les Législateurs antiques authorisoient
le seigneur vendiquer son serf fugitif, la part qu'il seroit
trouvé. Ly bon Dieu et ly bons homs ! n'est il escript et prac-
tiqué, par les anciennes coustumes de ce tant noble, tant anti-
que, tant beau, tant florissant, tant riche royaulme de France,
que le mort saisit le vif? Voyez ce qu'en a recentement exposé
le bon, le docte, le saige, le tant hmnain, tant débonnaire et
équitable André Tiraqueau, conseiller du grand, du victo-
rieux et triumphant roy Henry, second de ce nom, en sa très
redoubtée court de parlement à Paris. Santé est nostre vie
comme tresbien déclare Ariphon Sicyonien. Sans santé n'est
lavievie.n'estlavievivable: "ABI02 B'IOS, B'IOS, 'AB'IÛ
TOS. Sans santé n'est la vie que langueur; la vie n'est que
simulachre de mort. Ainsi doncques vous, estans de santé
privés, c'est à dire mors, saisissez vous du vif, saisissez vous
de vie, c'est santé.
J'ay cestuy espoir en Dieu qu'il ojTa nos prières, veue la
ferme foy en laquelle nous les faisons : et accomplira cestuy
T. IIj 4
l8 LIVRE IV
nostresoubhayt, attendu qu'il est médiocre. Médiocrité a esté
par les saiges anciens dicte aurée, c'est à dire précieuse, de
tous louée, en tous endroictz agréable. Discourez par les
sacrées Bibles, vous trouverez que de ceulx les prières n'ont
jamais esté esconduites qui ont médiocrité requis. Exemple
on petit Zachée, duquel les Musaphiz de Sainct Ayl prés
Orléans se vantent d'avoir le corps et reliques, et le nomment
sainct Sylvain. Il soubhaitoit, rien plus, veoir nostre benoist
Servateur autour de Hierusalem. C'estoit chose médiocre et
exposée à un chascun. Mais il estoit trop petit, et parmy le
peuple, ne p^uvoit. Il trépigne, il trotigne, il s'efforce, il s'es-.
carte, il monte sur un Sycomore. Le tresbon Dieu congneut
sa syncere et médiocre afiectation. Se présenta à sa veue, et
feut non seulement de luy veu, mais aultre ce feut ouy,
visita sa maison, et benist sa famille.
A un filz de Prophète en Israël, fendant du bois prés le
fleuve Jordan, le fer de sa coingnée eschappa (comme est
escript IV, Reg., vi), et tomba dedans icelluy fleuve. Il pria
Dieu le luy vouloir rendre. C'estoit chose médiocre. Et en
ferme foy et confiance jecta, non la coingnée après le manche,
comme, en scandaleux solécisme, chantent les diables Censo-
rius, mais le manche après la coingnée, comme proprement
vous dictes. Soubdain apparurent deux miracles. Le fer se leva
du profond de l'eaue, et se adapta au manche. S'il eust soiib-
haité monter es cieulx dedans un charriot flamboiant comme
Helie, multipher en lignée comme Abraham, estre autant
riche que Job, autant fort que Sanson, aussi beau que Absa-
lon, l'eust il impetré? C'est une question.
A propos de soubhaictz médiocres en matière de coingnée
(advisez quand sera temps de boire), je vous raconteray ce
qu'est escript parmy les apologues du sage ^Esope le François,
j'entens Phrygien et Troian, comme afferme Maxim. Planu-
des : duquel peuple, selon les plus veridiques chroniqueurs,
sont les nobles François descenduz. .^lian escript qu'il fut
PROLOGUE DE i/aUTEUR I9
Thracian; Agathias, après Hérodote, qu'il estoit Samien :
ce m'est tout un.
De son temps estoit un pauvre villageois natif de Gravot,
nommé Couillatris, abatteur et fendeur de bois, et, en cestuy
bas estât, guaingnant cahin caha sa paouvre vie. Advint
qu'il perdit sa coingnée. Qui feut bien faFché et marry? Ce
fut il : car de sa coingnée dépend oit son bien et sa vie; par
sa coingnée vivoit en honneur et réputation entre tous riches
buscheteurs; sans coingnée mouroit de faim. La mort six
jours après, le rencontrant sans coingnée, avecques son dail
l'eust fausché et cerclé de ce monde. En cestuy estrif commen-
ça crier, prier, implorer, invocquer Juppiter, par oiaisons
moult disertes (comme vous sçavez que Nécessité feut inven-
trice d'Eloquence), levant la face vers les cieulx, les genoilz
en terre, la teste nue, les bras haulx en l'air, les doigts des
mains esquarquillez, disant à chascun refrain de ses suffrages,
à haulte voix infatiguablement : « Ma coingnée, ma coingnée;
rien plus, ô Juppiter, que ma coingnée ou deniers pour en
achapter une aultre. Helas ! ma paouvre coingnée ! » Jupiter
tenoit conseil sus certains urgens affaires, et lors opinoit
la vieille Cybelle, ou bien le jeune et clair Phœbus, si le
voulez. Mais tante grande fut l'exclamation de Couillatris
qu'elle feut en grand efîroy oxiye on plein conseil et consis-
toire des Dieux.
« Quel diable, demanda Jupiter, est là bas qui hurle si
horrificquement ? Vertuz de Styx, ne avons nous pas cy de-
vant esté, présentement ne sommes nous assez icy à la déci-
sion empeschez de tant d'affaires controvers et d'impor-
tance? Nous avons vuidé le débat de Presthan, roi des Perses,
et de sultan Solyman, empereur de Constantinople. Nous
avons clos le passaige entre les Tartres et les Moscovites.
Nous avons respondu à la requeste du Cheriph. Aussi avons
nous à la dévotion de Guolgotz Rays. L'estat de Paime est
expédié, aussi est celluy de Maydenbourg, de la Mirandole
20 LIVRE IV
et de Afrique. Ainsi nomment les mortelz ce que, sus la mer
Méditerranée, nous appelions Aphrodisium. Tripoli a changé
de maistre par maie guarde. Son période estoit venu. Icy
sont les Guascons renians et demandans restablissement de
leurs cloches. En ce coing sont les Saxons, Estrelins, Ostro-
gotz et Alemans, peuple jadis invincible, maintenant ^bf r"
ketbs, et subjuguez par un petit homme tout estropié. Hz
nous demandent vengeance, secours, restitution de leur pre-
mier bon sens et liberté antique. Mais que ferons nous de ce
Rameau et de ce Gaiand, qui, capparassonnez de leurs mar-
mitons, suppous et astipulateurs, brouillent toute ceste Aca-
démie de Paris? J'en suis en grande perplexité. Et n'ay
encores résolu quelle part je doibve encliner. Tous deux me
semblent autrement bons compaignons et bien couilluz. L'un
a des escuz au Soleil, je dis beaulx et tresbuchans ; l'autre en
vouldroit bien avoir. L'un a quelque sçavoir; l'autre n'est
ignorant. L'un aime les gens de bien;raultre est des gens de
bien aimé. L'un est un fin et cauld renard; l'autre mesdisant,
mesescrivant et abayant contre les antiques Philosophes et
Orateurs, comme un chien. Que t'en semble, dis, grand Viet-
daze Priapus? J'ay maintes fois trouvé ton conseil et advis
équitable et pertinent : et habet tua meiitula mentem.
— Roy Juppiter, respondit Priapus defleublant son capus-
sion, la teste levée, rouge, flamboyante et asseurée, puis que
l'un vous comparez à un chien abayant, l'autre à un fin frété
renard, je suis d'ad\'is que, sans plus vous fascher ne altérer,
d'eulx faciez ce que jadis feistes d'un chien et d'un renard. —
Quoy? demanda Jupiter. Quand? Qui estoient ilz? Où feut
ce ? — O belle mémoire ! respondit Priapus. Ce vénérable
père Bacchus, lequel voyez cy à face cramoisie, avoit pour
soy venger des Thebains un Renard fée, de mode que, quel-
que mal et dommaige qu'il feist, de beste du monde ne seroit
prins ne offensé. Ce noble Vulcan avoit d'JErain ^Monesian
faict un chien et, à force de souffler, l'avoit rendu vivant et
PROLOGUE DE l'aUTEUR 21
animé. Il le vous donna : vous le donnastes à Europe vostre
mignonne. Elle le donna à Minos, JNIinos à Procris, Procris
enfin le d^nna à Cephalus. Il est oit pareillement fée; de mode
que, à l'exemple des advocatz de maintenant, il prendroit
toute beste rencontrée, rien ne luy eschapperoit. Advint qu'ilz
se rencontrèrent. Que feirent ilz? Le chien, par son destin
fatal doibvoit prendre le renard ; le renard, par son destin ne
doibvoit estre prins.
« Le cas fut rapporté à vostre conseil. Vous protestâtes non
contrevenir aux Destins. Les destins estoient contradictoires.
La vérité, la fin, l'effect de deux contradictions ensemble
feut declairé impossible en nature. Vous en suastes d'ahan.
De vostre sueur, tombant en terre, nasquirent les choux
cabutz. Tout ce noble consistoire, par default de resolution
catégorique, encourut altération mirifique : et feut en icelluy
conseil beu plus de soixante et dixhuict bussars de Nectar,
Par mon advis, vous les convertissez en pierres; soub-
dain feuste hors toute perplexité; soubdain feurent tres-
ves de soif criées par tout ce grand Olympe. Ce feut l'année
des couilles molles, prés Tcumesse, entre Thebes et Chal-
cide.
« A cestuy exemple, je suis d 'advis que pétrifiez ces chien
et renard. La métamorphose n'est incongneue. Tous deux
portent nom de Pierre. Et parce que, selon le proverbe des
Limosins, à faire la gueule d'un four sont trois pierres néces-
saires, vous les associerez à maistre Pierre du Coingnet, par
vous jadis pour mesmes causez pétrifié. Et seront, en figure
trigone equilaterale, on grand temple de Paris, ou au myUeu
du pervis, posées ces trois pierres mortes, en office de extain-
dre avecques le nez, comme au jeu de fouquet, les chandelles,
torches, cierges, bougies et flambeaux allumez : lesquelles,
vivantes, allumoient couillonniquement le feu de faction
simulte, sectes couillonniques, et partialité entre les ocieux
eschohers. A perpétuelle mémoire que ces petites philauties
22 LIVRE IV
couillonniformes plus tôt davant vous contempnees feureat
que condamnées. J'ay dict.
— Vous leur favorisez, dist Jupiter, à ce que je voy, bel
messer Priapus. Ainsi n'estes à tous favorable. Car, veu que
tant ilz couvoient perpétuer leur nom et mémoire, ce seroit
bien leur meilleur estre ainsi après leur vie en pierres dures et
marbrines convertiz que retourner en terre et pourriture. Icy
darriere, vers ceste mer Thyrrene et lieux circumvoisins de
l'Apennin, voyez vous quelles tragédies sont excitées par
certains Pastophores ? Ceste furie durera son temps comme les
fours des Limosins, puis finira; mais non si tost. Nous y
aurons du passetemps beaucoup. Je y voy un inconvénient :
c'est que nous avons petite munition de fouldres, depuis le
temps que vous autres Condieux, par mon oultroy particu-
lier, en jectiez sans espargne, pour vos esbatz, sus Antioche
la nt ufve. Comme depuis, à vostre exemple, les gorgias cham-
pions qui entreprindrent garder la forteresse de Dindenaroys
contre tous venens, consommèrent leurs munitions à force
de tirer aux moineaux; puis n'eurent de quoy, en temps de
nécessité, soy deffendre, et vaillamment cédèrent la place et
se rendirent à l'ennemy, qui jà levoit son siège comme tout
forcené et désespéré, et n'avoit pensée plus urgente que de sa
retraicte, acompagnee de courte honte. Donnez y ordre, fîlz
Vulcan : esveiglez vos endormiz Cyclopes, Asteropes, Bron-
tes, Arges, Pol)^heme, Steropes, P)n:acmon, mettez les en
besoigne et les faictes boire d'autant. A gens de feu ne fault
vin espargner. Or depeschons ce criart là bas. Voyez, Mercure,
qui c'est, et sachez qu'il demande. »
Mercure reguarde par la trappe des Cieulx, par laquelle ce
que l'on dict ça bas en terre ilz escoutent; et semble propre-
ment à un escoutillon de navire (Icaromenippe disoit qu'elle
semble à la gueule d'un puiz) ; et veoid que c'est Couillatris
qui demande sa coingnée perdue, et en faict le rapport au con-
seil. « Vrayement, dist Jupiter, nous en sommes bien. Nous à
PROLOGUE DE L'AUTEUR 2$
ceste heure n'avons aultre faciende que rendre coingnées per-
dues ? Si f ault il luy rendre. Cela est escript es Destins, entendez
vous? aussi bien comme si elle valust la duché de Milan. A la
vérité, sacoingnée luy est en tel prins et estimation que sercit
àun Roy son Royaulme. Ça, ça, que cestecoingnée soit rendue.
Qu'il n'en soit plus parlé. Rosoulvons le différent du clergé
et de la Taulpeteric de Landerousse. Où en estions nous? »
Priapus restoit debout au coing de la cheminée. Il, enten-
dant le rapport de Mercure, dist en toute courtoysie et joviale
honnesteté : « Roy Juppiter, on temps que, par vostre ordon-
nance et particulier bénéfice, j'estois guardian des jardins en
terra, je notay que ceste diction, coingnée, est equivocque à
plusieurs choses. Elle signifie un certain instrument par le
service duquel est fendu et couppé boys. Signifie aussi (au
moins jadis signifioit) la femelle bien à poinct et souvent gim-
bretiletolletée. Et veidz que tout bon compaignon appelloit sa
guarse fille de joye : Ma coingnée. Car, avecques cestuy ferre-
ment (cela disoit exhibant son coingnouoir dodrental) ilz
leurs coingnent si fièrement et d'audace leurs emmanchouoirs
qu'elles restent exemptes d'une paour epidemiale entre le
sexe féminin : c'est que du bas ventre ilz leurs tombassent
sur les talons, par default de telles agraphes. Et me soub-
vient (car j'ay mentule, voyre diz je mémoire bien belle, et
grande assez pour emphr un pot beurrier) avoir un jour du
Tubilustre, es feries de ce bon Vulcan en May, ouy jadis en un
beau parterre Josquin des Prez, Olkegan, Hobrethz, Agricola,
Brumel, Camehn, Vigoris, de la Fage, Bruyer, Prioris, Seguin,
de la Rue, Midy, Moulu, Mouton, Guascoigne, Loyset, Com-
père, Penet, Fevin, Rcuzée, Richardfort, Rousseau, Consi-
lion, Constantio Festi, Jacquet Btrcan, chantans mélodieu-
sement :
Grand Tibault, se voulant coucher
Avecques sa femme nouvelle,
S'en vint tout bellement cacher
Un gros maillet en la ruelle.
24 LIVRE IV
0 O ! mon doux amy (ce dist elle),
Quel maillet vous voy je empoingner?
— C'est (dist il) pour mieulx vous coingner.
— Maillet (dist elle) il n'y faut nul :
Quand gros Jan me vient besoingner,
Il ne me coingne que du cul. »
« Neuf Olympiades, et un an intercalare après (ô belle
mentule, voire dis je mémoire. Je solecise souvent en la sym-
bolization et colliguance de ces deux motz), je ouy Adrian
Villart, Gorabert, Janequin, Arcadelt, Claudin, Certon, Man-
chicourt, Auxerre, Villers, Sandrin, Sohier, Hesdin, Morales,
Passereau, Maille, Maillart, Jacotin, Heurteur, Verdelet, Car-
pentras, Lheritier, Cadeac, Doublet, Vermont, Bouteiller,
Lupi, Pagnier, Millet, du Mollin, Alaire, Marault, Morpain,
Gendre, et autres joyeulx musiciens en un jardin secret, soubz
belle feuiliade, autour d'un rampart de flaccons, jambons,
pastez et diverses Cailles coyphees, mignonnement chantans :
S'il est ainsi que coingnée sans manche
Ne sert de rien, ne houstil sans poingnée.
Afin que l'un dedans l'autre s'emmanche,
Prends que sois manche, et tu seras coingnée.
Ores seroit à sçavoir quelle espèce de coingnée demande ce
criart de Couillatris. »
A ces motz tous les vénérables Dieulx et Déesses s'eclate-
rent de rire, comme un microcosme de mouches. Vulcan,
avec sa jambe torte, en feist pour l'amour de s'amie, trois ou
quatre beaulx petitz saulx en plate forme. « Ça, ça, dist Jupi-
ter à Mercure, descendez présentement là bas, et jettez es
pieds de Couillatris troys coingnées : la sienne, une aultre
d'or et une tierce d'argent massives, toutes d'un qualibre.
Luy ayant baillé l'option de choysir, s'il prend la sienne et
s'en contente, donnez luy les deux autres. S'il en prend aultre
que la sienne, couppez luy la teste avecques la sienne propre.
Et désormais ainsi faictes à ces perdeurs de coingnées. »
PROLOGUE DE l'aUTEUR 25
Ces parolles achevées, Juppitcr, contournant la teste
comme un cinge qui avalle pillules, fit une morgue tant espou-
vantable que tout le grand Olympe trembla.
Mercure avecques son chappeau poinctu, sa capeline, talon-
nieres et caducée, se jecte par la trappe des Cieulx, fend le
vuyde de l'air, descend legierement en terre, et jecte es pieds
de Couillatris les trois coingnées; puis luy dict : « Tu as assez
crié pour boire. Tes prières s)nt exaulsees de Jupiter. Re-
guarde laquelle de ces troys est ta coingnée, et l'emporte. »
Couillatris soublieve la coingnée d'or, il la reguarde et la
trouve bien poisante, puis dit à Mercure : « Marmes, ceste cy
n'est mie la mienne. Je n'en veulx grain. » Autant faict de la
coingnée d'argent, et dict : « Non est ceste cy. Je la vous
quitte. » Puis prend en amin la coingnée de boys : il reguarde
au bout du manche, en icelluy recognoist sa marque, et tres-
saillant tout de joye, comme un renard qui rencontre poulies
esguarees, et soubriant du bout du nez, dict : « Merdigues,
ceste cy estoit mienne. Si me la voulez laisser, je vous sacri-
firay un bon et grand pot de laict, tout fin couvert de belles
frayres, aux Ides (c'est le quinziesme jour) de May. — Bon
homme, dist Mercure, je te la laisse, prens la. Et, pour ce
que eu as opté et soubhaité médiocrité en matière de coingnée,
par le vueil de Juppiter je te donne ces deux aultres. Tu as de-
quoy dorénavant te faire riche; soys homme de bien. »
Couillatris courtoisement remercie Mercure, révère le grand
Juppiter, sa coingnée antique atache à sa ceincture de cuyr,
et s'en ceinct sus le cul, comme Martin de Cambray. Les deux
aultres plus poisantes il charge à son cou. Ainsi s'en va prélas-
sant par le pays, faisant bonne troigne panny ses paroeciens
et voysins, et leur disant le petit mot de Patelin : « En ay
je? » An lendemain, vestu d'une sequenie blanche, charge sur
son dours les deux précieuses coingnées, se transporte à
Chinon, ville insigne, ville noble, ville antique, voyre première
dn monde, scelon le jugement et assertion des plus doctes
26 LIVRE IV
Massorcthz. En Chinon il change sa coingnée d'argent en
beaulx testons et aultre monnoye blanche; sa coingnée d'or,
en beaulx salutz, beaulx moutons à la grande laine, belles
riddes, beaulx royaulz, beaulx escutz au Soleil. Il en acheté
force mestairies, force granges, force censés, force mas, force
bordes et bordieux, force cassincs, prez, vignes, boys, terres
labourables, pastis, estangs, moulins, jardins, saulsayes;
bœufz, vaches, brebis, moutons, chèvres, tru3'es, pourceaulx,
asnes, chevaulx, poulies, coqs, chappons, pouUetz, oyes, jars,
canes, canars, et du menu. Et, en peu de temps, feut le plus
riche homme du pays : voyre plus que Mauleuvrier le boy-
teux.
Les francs gontiers et Jacques Bons homs du voysinage,
voyans ceste heureuse rencontre de Couillalris, feurent bien
estonnez; et feut, en leurs espritz, la pitié et commisération
que au paravant avoient du paouvre Couillatris, en envie
changée de ses richesses tant grandes et inopinées. Si com-
mencèrent courir, s'enquérir, guementer, informer par quel
moyen, en quel lieu, en quel jour, à quelle heure, comment et à
quel propous luy es toit ce grand thesaur advenu. Entendens
que c'estoit par avoir perdu sa coingnée : « Hen, hen, dirent
ilz, ne tenoit il qu'à la perte d'une coingnée que riches ne
feussions? Le moyen est facile, et de coust bien petit. Et
doncques telle est on temps présent la révolution des Cieulx,
la constellation des Astres et aspect des Planettes que qui-
conques coingnée perdera soubdain deviendra aussi nche?
Hen, hen, ha ! par Dieu, coingnée, vous serez perdue, et ne vous
en desplaise. » Adoncques tous perdirent leurs coingnées. Au
diable l'un à qui demeura coingnée. Il n'estoit filz de bonne
mère qui ne perdist sa coingnée. Plus n'estoit abatu, plus
n'estoit fendu boys on pays, en ce default de coingnées.
Encores, dict l'apologue .Esopicque que certains petitz
Janspill'hommes de bas rehef, qui à Couillatris avoient le
petit pré et le petit moulin vendu pour soy gourgiaser à la
PROLOGUE DE L'aUTEUR 27
monstre, advertiz que ce thesaur luy estoit ainsi et par ce
moyen seul advenu, vendirent leurs espées pour achapter
coingnées, affin de les perdre, comme faisoicnt les paysans,
et par icelle perte recouvrir montjoie d'Or et d'Argent. Vous
eussiez proprement dict que fussent petitz Romipetes, ven-
dens le leur, empruntans l'aultruy, pour acheter mandatz à
tas d'un pape nouvellement créé. Et de crier, et de prier, et
de lamenter et invocquer Juppiter. « Ma coingnée, ma coin-
gnée, Juppiter ! Ma coingnée deçà, ma coingnée delà, ma coin-
gnée, ho, ho, ho, ho ! Jupiter, ma coingnée ! » L'air tout
autour retentissoit aux cris et hurlemens de ces perdeurs de
coingnées.
Mercure feut prompt à leur apporter coingnées, à un chas-
cun offrant la sienne perdue, une aultre d'Or, et une tierce
d'Argent. Tous choisissoient celle qui estoit d'Or, et l'amas-
soient, remercians le grand donateur Juppiter; mais sus l'ins-
tant qu'ilz la levoient de terre, courbez et enclins, Mercure
leur tranchoit les testes, comme estoit l'edict de Juppiter.
Et feut des testes couppees le nombre equal et correspondent
aux coingnées perdues. Voylà que c'est. Voylà qu'advient à
ceulx qui en simplicité soubhaitent et optent choses médio-
cres.
Prenez y tous exemple, vous aultres gualliers de plats
pays, qui dictez que, pour dix mille francs d'intrade, ne quit-
teriez vos soubhaitz; et désormais ne parlez ainsi impuden-
tement, comme quelque foys je vous ay ouy soubhaitans :
« Pleust à Dieu que j'eusse présentement cent soixante et
dixhuict miUions d'Or ! Ho, comme je triumpheroys ! » Vos
maies mules ! Que soubhaiteroit un Roy, un Empereur, un
pape d'advantaige?
Aussi, voyez vous par expérience que, ayans faict telz
oultrez soubhayts, ne vous en advient que le tac et la cla-
velée, en bourse par maille; non plus que aux deux belistran-
diers soubhaiteux à l'usaige de Paris; desquelz l'un soubhai-
28 LIVRE IV
toyt avoir en bcaulx escuz au Soleil autant que a esté en
Paris despendu, vendu et achapté, depuys que pour l'édifier
on y jecta les premiers fondements jusques à l'heure pré-
sente : le tout estimé au taux, vente, et valeur de la plus
chère année qui ayt passé en ce laps de temps. Cestuy, en
vostre ad vis, estoit il degousté? Avoit il mangé des prunes
aigres sans peler? Avoit il les dens esguassées? L'aultre soub-
haitoit le temple de Nostre Dame tout plein d'aiguilles asse-
rees, depuys le pavé jusques au plus hault des voultes, et
avoir autant d'escuz au Soleil qu'il en pourroit entrer en
autant de sacs que l'on pourroit couldre de toutes et une
chascune aiguille, jusques à ce que toutes feussent crevées ou
espoinctées. C'est soubhayté cela ! Que vous en semble ?
Qu'en advint il? Au soir un chascun d'eulx eut les mules au
talon, le petit cancre au menton, la maie toux au poulmon,
le catarrhe au gavion, le gros fronde au cropion ; et au diable
le boussin de pain pour s'escurer les dents.
Soubhaitez donc médiocrité : elle vous adviendra; et, enco-
res mieulx, deuement ce pendent labourans et travaillans.
« Voire mais, dictes vous, Dieu m'en eust aussi toust donné
soixante et dixhuict mille comme la treziesme partie d'un
demy. Car il est tout puissant. Un million d'or luy est aussi
peu qu'une obole. » Hay, hay, hay. Et de qui estez vous ap-
prins ainsi discourir et parler de la puissance et prédestination
de Dieu, paou\T:es gens? Paix : st, st, st ; humiliez vous davant
sa sacrée face, et recongnoissez vos imperfections.
C'est, goutteux, sus quoy je fonde mon espérance, et croy
fermement que, s'il plaist au bon Dieu, vous obtiendrez
santé, veu que rien plus que santé pour le présent ne deman-
dez. Attendez encores un peu avecques demie once de pa-
tience. Ainsi ne font les Genevoys, quand, au matin, avoir
dedans leurs escriptoires et cabinetz discouru, propensé et
résolu de quietdequelz, celluyjour, ilz pourront tirer denares
et qui, par leur astuce, sera beUné, corbiné, trompé et affiné,
PANTAGRUEL ^9
ilz sortent en place, et s'entresaluant, disent : Sanita et gua-
dain, messer. Hz ne se contentent de santé, d'abondant ilz
soubhaytent gaing, voire les escuz de Guadaigne. Dont
advient qu'ilz souvent n'obtiennent l'un ne l'autre. Or, en
bonne santé toussez un bon coup; beuvez en trois, secouez
dehait vos aureilles, et vous oyrez dire merveilles du noble
et bon Pantagruel.
CHAPITRE I
COMMENT PANTAGRUEL MONTA SUS MER POUR VISITER L'oRACLE
DE LA DIVE BACBUC
On mois de juin, au jour des f estes Vestales, celluy propre
on quel Brutus conquesta Hespaigne et subjugua les Hespai-
gnolz; on quel aussi Crassus l'avaricieux feut vaincu et def-
faict par les Par thés, Pantagruel, prenant congé de bon Gar-
gantua son père, icelluy bien priant (comme en l'Eglise pri-
mitive est oit louable coustiune entre les saine ts Christians)
pour le prospère naviguaige de son filz et toute sa compai-
gnie, monta sus mer au port de Thalasse, accompaigné de
Panurge, frère Jan des Entommeures, Epistemon, Gym-
naste, Eusthenes, Rhizotome, Carpalim, et aultres siens ser-
viteurs et domestiques anciens; ensemble de Xenomanes le
grand voyageur et traverseur des voies périlleuses lequel,
certains jours paravant, estoit arrivé au mandement de
Panurge. Icelluy, pour certaines et bonnes causes, avoit à
Gargantua laissé et signé, en sa grande et universelle Hydro-
graphie, la route qu'ilz tiendroient visitans l'oracle de la dive
Bouteille Bacbuc.
30 LIVRE iV, CHAPITRE I
Le nombre des navires fut tel que vous ay exposé on tiefs
livre, en conserve de Trirèmes, Ramberges, GaUions et Libur-
nicques, nombre pareil, bien equippées, bien calfatées, bien
munies, avecqucs abondance de Pantagruelion. L'assemblée
de tous officiers, truchemens, pilotz, capitaines, nauchiers,
fadrins, hespailliers et matelots feut en la Thalamege. Ainsi
estoit nom.mée la grande et maistresse nauf de Pantagruel,
ayant en pouppe pour enseigne une grande et ample Bou-
teille, à moytié d'argent bien Hz et poUy, l'aultre moitié estoit
d'or esmaillé de couleur incarnat. En quoy facile estoit de
juger que blanc et clairet estoient les couleurs des nobles
voyagiers, et qu'ilz alloient pour avoir le mot de la Bouteille.
Sus la pouppe de la seconde estoit hault enlevée une lan-
terne antiquaire, faicte industrieusement de pierre sphengi-
tide et speculaire : dénotant qu'ilz passeroient par Lanter-
noys.
La tierce pour divise avoit un beau et profond hanat de
porcelaine. La quarte, un potet d'or à deux anses, comme
sifeust une urne antique. La quinte, un brocq insigne, de
sperme d'Emeraulde. La sizieme,un Bounabaquinmonachal,
faict des quatre metaulx ensemble. La septième, un enton-
noir de Ebene, tout requamé d'or, à ouvraige de Tauchie. La
huitième, un goubelet de Lierre bien précieux, battu d'or à
la Damasquine. La neuvième, une brinde de fin or obrizé.
La dixième, une breusse de odorant Agalloche (vous l'ap-
peliez boys d'aloës), porfilée d'or de Cj'pre, à ou\Taige d'Aze-
mine. L'unzieme, une portouoiie d'or faicte à la mosaicque.
La douzième, un barrault d'or tcrny, couvert d'une vignette
de grosses perles Indicques, en ouvraige topiaire. De mode
que personne n'estoit, tant triste, fasché, rechiné ou melan-
chohcque feust, voire y fust Herachtus le pleurart, qui
n'entrast en joye nouvelle, et de bonne ratte ne soubrist,
voyant ce noble convoy de navires en leurs devises; ne dist
que les voyagiers estoient tous beuveurs, gens de bien, et ne
{"ANTAGRÙÊt 51
jugeast en prognostic asccuré que le voyage, tant de l'aller
que du retour, seroit en alaigresse et santé pcrfaict.
En la Thalamege doncques feut l'assemblée de tous. Là
Pantagruel leur feist une briefve et saincte exhortation, toute
auctorisée de propous extraictz de la Saincte Escripture, sus
l'argument de naviguation. Laquelle finie, feut hault et clair
faicte prière à Dieu, oyans et entendens tous les bourgeoys et
citadins de Thalasse, qui est oient sus le mole accouruz pour
veoir l'embarquement.
Après l'oraison feut mélodieusement chanté le psaulme du
sainct Roy David, lequel commence : Quand Israël hors
d'^gpyte sortit. Le psaulme parachevé, feurent sus le tillac
les tables dressées, et viandes promptement apportées. Les
Thalassiens, qui pareillement avoient le psaulme susdict
chanté, feirent de leurs maisons force vivres et vinage
apporter. Tous beurent à eulx. Hz beurent à tous. Ce feut la
cause pourquoy personne de l'assemblée oncques par la
marine ne rendit sa guorge, et n'eut perturbation d'esto-
mach ne de teste. Ausquelz inconveniens n'eussent tant com-
modément obvié, beuvans par quelques jours paravant de
l'eaue marine, ou pure, ou mistionnée avecesl que vin; ou
usans de chair de Coings, de escorce de Citron, de jus de
Grenades aigresdoulces ; ou tenans longue diète, ou se cou-
vrans l'estomach de papier, ou autrement faisans ce que les
folz medicins ordonnent à ceulx qui montent sus mer.
Leurs beuvettes souvent réitérées, chascun se retira en sa
naulf, et en bonne heure feirent voile au vent Grec levant,
selon lequel le pilot principal, nommé Jamet Brayer, avoit
designé la routte, et dressé la calamité de toutes les bous-
soles. Car l'advis sien et de Xenomanes aussi feut, veu que
l'oracle de la diva Bacbuc estoit près le Catay en Indie supé-
rieure, ne prendre la routte ordinaire des Portugualoys, les-
quelz, passans la Ceincture ardente, et le cap de Bcna Spe-
ranza sus la poincte Méridionale d'Africque oultre l'^Equi-
32 LIVRE ÎV, CHAPITRE II
noxial, et pcrdens la vcue et guyde de l'aisseuil Septentrional,
font navigation énorme; ains suyvre au plus prés le parallèle
de ladicte Indie, et gyrer autour d'icelluy pôle par Occident,
de manière que, tournoyans soubs Septentrion, l'eussent en
pareille élévation comme il est au port de Olone, sans plus
en approcher, de paour d'entrer et estre retenuz en la mer
Glaciale. Et suyvans ce canonicque destour par mesme paral-
lèle, l'eussent à dextrc, vers le Levant, qui au département
leur estoit à senestre.
Ce que leurs vint à profict incroyable. Car sans naufrage,
sans dangier, sans perte de leurs gens, en grande sérénité
(exceptez un jour près l'isle des Macreons), f cirent le voyage
de Indie supérieure en moins de quatre moys, lequel à poine
feroient les Portugualoys en trois ans, avecques mille fasche-
ries et dangiers innumerables. Et suys en ceste opinion, sauf
meilleur jugement, que telle routte de Fortune fut suivie par
ces Indians qui naviguèrent en Germanie, et feurent honora-
blement traictez par le Roy des Suèdes, on temps que
Q. Metellus Celer estoit proconsul en Gaulle, comme descri-
vent Corn. Nepos, Pomp. Mêla, et Pline après eulx.
CHAPITRE II
COMMENT PANTAGRUEL, EN l'ISLE DE MEDAMOTHI,
ACHAPTA PLUSIEURS BELLES CHOSES
Cestuy jour, et les deux subsequens, ne leur apparut terre
ne chose aultre nouvelle. Car aultres foys avoient are ceste
routte. Au quatrième découvrirent une isle nommée Meda-
mothi, belle à l'œil et plaisante, à cause du grand nombre des
Phares et haultes tours marbrines des quelles tout le circuit
estoit orné, qui n'estoit moins grand que de Canada.
PANTAGRUEL 33
Pantagruel, s'enquerant qui en cstoit dominateur, entendit
que c'estoit le roy Philophanes, lors absent pour le mariage
de son frère Ph'ilotheamon avecques l'infante du royaulme
des Engys. Adoncques descendit on havre, contemplant, ce
pendent que les chormes des naufz faisoient aiguade, divers
tableaulx, diverses tapisseries, divers animaulx, poissons,
oizeaulx et aultres marchandises exotiques et peregrines, qui
estoient en l'allée du mole, et par les halles du port. Car c'es-
toit le tiers jour des grandes et solennes foires du lieu, es
quelles annuellement convenoient tous les plus riches et
fameux marchans d'Afrique et Asie. D'entre les quelles frère
Jan achapta deux rares et précieux tableaux, en l'un des
quelz estoit au vif painct le visage d'un appellant; en l'aultre
estoit le portraict d'un varlet qui cherche maistre, en toutes
qualitez requises, gestes, maintien, minois, alleures, physiono-
mie et affections : painct et inventé par maistre Charles Char-
mois, painctre du roy Megiste ; et les payaenmonnoiedeCinge.
Panurge achapta un grand tableau painct et transsumpt
de l'ouvraige jadis faict à l'aiguille par Philomela, expo-
sante et représentante à sa sœur Progne comment son beau-
frere Tereus l'avoit despucellee, et sa langue couppée af&n
que tel crime ne decelast. Je vous jure, par le manche de ce
fallot que c'estoit une paincture gualante et mirifique. Ne
pensez, je vous prie, que ce feust le protraict d'un homme
couplé sus une fille. Cela est trop sot et trop lourd. La painc-
ture estoit bien aultre et plus intelligible. Vous la pourrez
voir en Theleme, à main guausche, entrans en la haulte
guallerie.
Epistemon en achapta un aultre, on quel estoient au vif
painctes les Idées de Platon, et les Atomes de Epicurus. Rhi-
zotome en achapta un on quel estoit Echo selon le naturel
représentée.
Pantagruel par Gjmmaste feist achapter la vie et gestes de
Achilles, en soixante et dixhuict pièces de tapisserie à haultes
T. II ,
34 LIVRE IV, CHAPITRE II
lisses, longues de quatre, larges de trois toises, toutes de sa.ye
Phrygienne, requamée d'or et d'argent. Et commençoit la
tapisserie aux nopces de Peleus et Thetis; continviant la
nativité d'Achilles, sa jeunesse descripte par Stace Papinie,
ses gestes et faicts d'armes célébrez par Homère, sa mort et
exeques descriptz par Ovide et Quinte Calabrois, finissant
en l'apparition de son umbre, et sacrifice de Polyxene,
descript par Euripides. Feist aussi achapter trois beaulx et
jeunes Unicomes : un masle, de poil alezan tostade, et deux
femelles, de poil gris pommelé. Ensemble un Tarande, que
lui vendit un Scythien de la contrée des Gelones.
Tarande est un animal grand comme un jeune taureau, por-
tant teste comme est d'un cerf, peu plus grande, avec cornes
insigneslargement ramées ; les pieds forchuz, lepoillongcomme
d'un grand ours, la peau peu moins dure qu'im corps de cui-
rasse. Et disoit le Gelon peu en estre trouvé parmy la Scythie,
parce qu'il change de couleur selon la variété des lieux es
quelz il paist et demoxire. Et représente la couleur des herbes
arbres, arbrisseaulx, fleurs, Ueux, pastiz, rocloiers, générale-
ment de toutes choses qu'il approche. Cela luy est commun
avecques le Poulpe marin, c'est le Polype : avecques les
Thoës, avecques les Lycaons de Indie, avecques le Chame-
léon, qui est une espèce de Lizart tant admirable que Demo-
critus a faict im hvre entier de sa figure, anatomie, vertus,
et propriété en Magie. Si est ce que je l'ay veu couleur chan-
ger, non à l'approche seulement des choses colorées, mais de
soy mesmes, selon la paour et afîections qu'il avoit. Comme
sus un tapiz verd, je l'ay veu certainement verdoyer; mais y
restant quelque espace de temps, devenir jaulne, bleu, tanné,
violet par succès : en la façon que voiez la creste des coqs
d'Inde couleur scelon levurs passions changer. Ce que sus tout
trouvasmes en cestuy Tarande admirable est que, non seule-
ment sa face et peau, mais aussi tout son poil telle couleur
prenoit, quelle estoit es choses voisines. Près de Panurge
l'ANTAGRUEL 35
Vestu de sa, toge bure, le poil luy devenoit gris; près de Panta-
gruel vestu de sa mante d'escarlate, le poil et peau hiy rougis-
soit ; près du pilote vestu à la mode des Isiaces de Anubis en
Egypte, son poil apparut tout blanc. Les quelles deux der-
nières couleurs sont au Chameléon déniées. Quand hors toute
paour et affections il cstoit en son naturel, la couleur de son
ix)il estoit telle que voyez es asnes de Meung.
CHAPITRE III
COMMENT PANTAGRUEL REPCEUT LETTRES
DE SON PERE GARGANTUA,
ET DE l'ESTRANGE MANIERE DE SÇAVOIR NOUVELLES BIEN
SOUBDAIN DES PAYS ESTR.^NGIERS ET LCINGTAINS
Pantagruel occupé en l'achapt de ces animaux peregrins,
f eurent ouiz du mole dix coups de Verses et Faulconneaux ;
ensemble grande et joyeuse acclamation de toutes les naufz.
Pantagruel se tourne vers le havre, et veoyd que c'estoit une
des Celoces de son père Gargantua, nommé la Chelidoine,
pource que, sus la pouppe, estoit en sculpture de œrain Corin-
thien une hirondelle de mer élevée. C'est un poisson grand
comme un dar de Loyre, tout charnu, sans esquasmes, ayant
œsles cartilagineuses (quelles sont es Souriz chaulves), fort
longues et larges, moyenans les quelles je l'ay souvent veu
voler une toyse au dessus de l'eau, plus d'un traict d'arc. A
Marseille on le nomme Lendole. Ainsi estoit ce vaisseau legier
comme une Hirondelle, de sorte que plus toust sembloit sus
mer voler que voguer. En iceluy estoit Malicorne, escuyer
tranchant de Gargantua, envoyé expressément de par luy,
entendre Testât et portement de son filz le bon Pantagruel,
et luy porter lettres de créance.
36 LIVRE IV, CHAPITRE III
Pantagruel, après la petite accolade et barretade gracieuse,
avant ouvrir les lettres, ne aultres propous tenir à Malicome,
luy demanda : « Avez vous icy le Gozal, céleste mcssaiger? —
Ouy, respondit il; il est en ce panier emmailloté. » C'estoit un
pigeon prins on colombier de Gargantua, esclouant ses petitz
sus l'instant que le susdict Ccloce departoit. Si fortune
adverse feust à Pantagruel advenue, il y eust des jectz noirs
attaché es pieds; mais pource que tout luy estoit venu à bien
et prospérité, l'ayant faict demailloter, luy attacha es pieds
une bandelette de taffetas bjanc, et, sans plus différer, sus
l'heure le laissa en pleine liberté de l'air. Le pigeon soubdain
s'envole, haschant en incroyable hastiveté, comme vous
sçavez qu'il n'est vol que de Pigeon, quand il a œufz ou petitz,
pour l'obstinée solhcitude en luy par nature posée de recourir
et secourir ses pigeonneaulx. De mode qu'en moins de deux
heures, il franchit par l'air le long chemin que avoit le Celoce
en extrême diligence par troys jours et troys nuyctz perfaict,
voguant à rames et à vêles, et luy continuant vent en pouppe.
Et feut veu entrant dedans le colombier on propre nid de ses
petitz. Adoncques entendent le preux Gargantua qu'il por-
toit la bandelette blanche, resta en joye et sceureté du bon
portement de son filz.
Telle estoit l'usance des nobles Gargantua et Pantagruel,
quand sçavoir promptement vouloient nouvelles de quelque
chose fort affectée et véhémentement désirée, comme l'issue
de quelque bataille, tant par mer, comme par terre, la prmze
ou défense de quelque place forte, l'appoinctement de quel-
ques differens d'importance, l'accouchement heureux ou
infortuné de quelque royne ou grande dame, la mort ou con-
valescence de leurs amis ou aUiez malades, et ainsi des aultres.
Hz prenoient le Gozal, et par les postes le faisoient de main en
main jusques sus les Ueux porter dont ilz afîectoient les nou-
velles. Le Gozal, portant bandelette noire ou blanche scelon
les occurrences et accidens, les houstoit de pensement à son
PANTAGRUEL 37
retour, faisant en une heure plus de chemin par l'air que n'a-
voient faict par terre trente postes en un jour naturel. Cela
estoit rachapter et guaingner temps. Et croyez comme chose
vraysemblable que, par les colombiers de leurs cassines, on
trouvoit sus œufz on petitz, tous les moys et saisons de l'an,
les pigeons à foyson. Ce que est facile en mesnagerie, moyen-
nant le Salpêtre en roche et la sacre herbe Vervame.
Le Gozal lasché, Pantagruel leugt les missives de son père
Gargantua, des quelles la teneur en suyt :
« Filz très cher, l'affection que naturellement porte le père
à son filz bien aymé, est en mon endroict tant acreue, par
l'esguard et révérence des grâces particulières en toy par élec-
tion divine posées que, depuys ton partement, me a, non une
foys toUu tout aultre pensement, me délaissant on cueur ceste
unicque et soingneuse paour que vostre embarquement ayt
esté de quelque meshaing ou fascherie accompaigné : comme
tu sçays que à la bonne et syncere amour est craincte perpé-
tuellement annexée. Et pource que, selon le dict de Hésiode,
d'une chascune chose le commencement est la moytié du tout,
et, scelon le proverbe commun, à l'enfourner on faict les
pains cornuz, j'ay pour de telle anxiété vuider mon entende-
ment, expressément depesché Malicome, à ce que par luy je
soys acertainé de ton portement sus les premiers jours de ton
voyage. Car, s'il est prospère, et tel que je le soubhayte, facile
me sera preveoir, prognosticquer et juger du reste. J'ay ^i
recouvert quelques livres joyeulx, lesquelz te seront par le [
présent porteur renduz. Tu les liras, quand te vouldras )
refraischir de tes meilleurs estudes. Ledict porteur te dira
plus amplement toutes nouvelles de ceste court. La paix de
l'Eternel soit avecques toy. Salue Panurge, frère Jan, Epis-
temon, Xenomanes, Gymnaste, et autres tes domesticques,
mes bons amis. De ta maison paternelle, ce treziesme de juin.
« Ton père et amy,
«GARGANTUA».
38 LIVRE IV, CHAPITRE IV
CHAPITRE IV
COMMENT PANTAGRUEL ESCRIPT A SON PERE GARGANTUA,
ET LUY ENVOYE PLUSIEURS BELLES ET RARES CHOSES
Après la lecture des lettres susdictes, Pantagruel tint plu-
sieurs propous avecques l'escuyer Malicorne, et feut avecques
luy si long temps que Panurge, interrompant, luy dist : « Et
quand boyrez vous? Quand boyrons nous? Quand boyra
monsieur l'escuyer? N'est ce assez sermonné pour boyre? — •
C'est bien dict, respondit Pantagruel. Faitez dresser la colla-
tion en caste prochaine hostellerie, en laquelle pend pour
enseigne l'image d'un Satyre à cheval. Ce pendent pour la
depesche de l'escuyer, il escrivit à Gargantua comme s'en-
suyt :
« Père tresdebonnaire, comme à tous accidens en ceste vie
transitoire non doubtez ne soubsonnez, nos sens et nos facul-
tez animales pâtissent plus énormes et impotentes perturba-
tions (voyre jusques à en estre souvent l'ame désemparée du
corps, quoy que telles subites nouvelles feussent à conten-
tement et soubhayt), que si eussent auparavant esté propen-
sez et preveuz, ainsi me a grandement esmeu et perturbé
l'inopinée venue du vostre escuyer Malicorne. Car je n'espe-
roys aulcun veoir de vos domesticques, ne de vous nouvelles
ouyr avant la fin de cestuy nostre voyage. Et facilement,
acquiesçoys en la doulce recordation de vostre auguste
majesté, cscripte, voire certes insculpée et engravée on poste-
rieur ventricule de mon cerveau, souvent au vif me la représen-
tant en sa propre et naïfve figure.
« Mais, puys que m'avez prévenu par le bénéfice de vos
gfratieuses lettres, et par la créance de vostre escuyer mes es-
PANTAGRUEL 39
pritz recréé en nouvelles de vostre prospérité et santé, ensem-
ble de toute vostre royale maison, force m'est, ce que par le
passé m'estoit voluntaire, premièrement louer le benoist Ser-
vateur, lequel, par sa divine bonté, vous conserve en ce long
teneur de santé perfaicte; secondement, vous remercier sem-
piternellement de ceste fervente et invétérée affection que à
moy portez, vostre trcshumble filz et serviteur inutile. Jadis
un Romain, nommé Furnius, dist à César Auguste recepvant
à grâce et pardon son père, lequel avoit suyvy la faction de
Antonius : Au jourd'huy me faisant ce bien, tu m'as reduict
en telle ignominie que force me sera, vivant, mourant, estre
ingrat réputé, par impotence de gratuité. Ainsi pourray je
dire que l'excès de vostre paternelle affection me range en
ceste angustie et nécessité qu'il me conviendra vivre et mou-
rir ingrat. Sinon que de tel crime soys relevé par la sentence
des Stoïciens, lesquelz disoient troys parties estre en bénéfice :
l'une du donnant, l'aultre du recepvant, la tierce du recom-
pensant : et le recepvant tresbien recompenser le donnant
quand il accepte voluntiers le bienfaict, et le retient en soub-
venance perpétuelle. Comme, au rebours, le recepvant estre
le plus ingrat du monde, qui mespriseroit et oubliroit le bénéfice.
« Estant doncques opprimé d'obligations infinies toutes
procrées de vostre immense bénignité, et impotent à la minime
partie de recompense, je me saulveray pour le moins de
calumnie en ce que de mes esprits n'en sera à jamais la mé-
moire abolie : et ma langue ne cessera confesser et protester
que vous rendre grâces condignes est chose transcendente
ma faculté et puissance.
« Au reste, j'ay ceste confiance en la commisération et ayde
de nostre Seigneur, que, de ceste nostre pérégrination, la fin
correspondra au commencement, et sera le totaige en alai-
gresse et santé perfaict. Je ne fauldray à réduire en commen-
taires et ephemerides tout le discours de nostre naviguaige;
af&n que à nostre retour vous en ayez lecture veridicque.
40 LIVRE IV, CHAPITRE IV
« J'ay ici trouvé un Tarande de Scythie, animal estrange et
merveilleux à cause des variations de couleur en sa peau et
poil, selon la dictinction des choses prochaines. Vous le pren-
drez en gré. Il est autant maniable et facile à nourrir qu'un
aigneau. Je vous envoie pareillement troys jeunes Unicornes,
plus domesticques et apprivoisées que ne seroient petits chat-
tons. J'ay conféré avecques l'esouyer, et dict la manière de
les traicter. Elles ne pasturent en terre, obstant leur longue
corne on front. Force est que pasture elles prennent es arbres
fruictiers, ou en ratteliers idoines, ou en main, leur offrant
herbes, gerbes, pommes, poyres, orge, touzelle, brief toutes
espèces de fruictz et Icgumaiges. Je m'esbahis comment nos
escrivains antiques les disent tant farouches, féroces et dan-
gereuses, et oncques vives n'avoir esté veues. Si bon vous
semble ferez espreuve du contraire, et trouverez qu'en elles
consiste une mignotize la plus grande du monde, pourveu que
maUcieusement on ne les offense.
« Pareillement, vous envoie la vie et gestes de AchiUes en
tapisserie bien belle et industrieuse. Vous asceurant que les
nouveaultez d'animaulx, de plantes, d'oyzeaulx, de pierreries
que trouver pourray, et recouvrer en toute nostre pérégrina-
tion, toutes je vous porteray, aydant Dieu nostre Seigneur,
lequel je prie en sa saincte grâce vous conserver.
« De }^Iedamothi, ce quinziesme de juin. Panurge, frère
Jan, Epistemon, Xenomanes, Gymnaste, Eusthenes, Rhizo-
tome, Carpalim, après le dévot baisemain, vous resaluent en
usure centuple.
« Vostre humble filz et serxHteur,
« PANTAGRUEL. »
Pendent que Pantagruel escrivoit les lettres susdictes.
MaUcorne fut de tous festoyé, salué et accollé à double rebraz.
Dieu sçayt comment tout alloit, et comment recommenda-
tions de toutes parts trottoient en place. Pantagruel, avoir
PANTAGRUEL 4I
parachevé ses lettres, bancqueta avecques l'cscuycr. Et luy
donna une grosse chaîne d'Or, pesante huyct cens escuz, en
laquelle, par les chainons septénaires, estoient gros Diamans,
Rubiz, Esmerauldes, Turquoises, Unions, alternativement
enchâssez. A un chascun de ses nauchiers fit donner cinq cens
escuz au Soleil; à Gargantua son père envoya le ïarande
couvert d'une housse de satin broché d'Or, avecques la tapis-
serie contenant la vie et gestes de Achilles, et les troys Uni-
cornes capparassonnees de drap d'Or frizé. Ainsi départirent
de Medamothi, Malicorne, pour letourner vers Gargantua;
Pantagruel, pour continuer son naviguaige. Lequel en haulte
mer feist lire par Epistcmon les livres apportez par l'escuyer.
Desquels, pource qu'ils les trouva joyeulx et plaisans, le trans-
sumpt voluntiers vous donneray, si dévotement, le requérez.
CHAPITRE V
COMMENT PANTAGRUEL RENCONTRA UNE NAUF DE VOYaGERS
RETOURNANS DU PAYS LANTERNOIS
Au cinquième jour, ja commençans tournoyer le pôle peu
à peu, nous esloignans de l'^Siquinoctial, descouvrismes une
navire marchande faisant voile à horche vers nous. La joye
ne feut petite, tant de nous comme des marchans : de nous,
entendens nouvelle de la marine ; de eulx entendens nouvelles
de terre ferme. Nous ralUans avecques eulx congneusmes
qu'ilz estoient François Xantongeois. Devisant et raisonnant
ensemble, Pantagruel entendit qu'ilz venoient de Lanter-
noys. Dont eut nouveau accroissement d'alaigresse, aussi eut
toute l'assemblée mesmement, nous enquestans de Testât du
pays et mœurs du peuple Lanternier; et ayans advertisse-
ment que, sus la fin de Juillet subséquent, estoit l'assignation
42 LIVRE IV, CHAPITRE V
du chapitre gênerai des Lanternes : et que, si lors y arrivions
(comme facile nous estoit), voyrions belle, honorable et
joyeuse compaignie des Lanternes : et que l'on y faisoit
grands apprestz, comme si l'on y deust pro fondement lan-
terner. Nous feut aussi dict que, passans le grand royaulme
de Gebarim, nous serions honorifiquement repceuz et traictez
par le Roy Ohabé, dominateur d'icelle terre. Lequel et tous
ses subjectz pareillement parlent languaige François Tou-
rangeau.
Ce pendent que nous entendions ces nouvelles, Panurge
prend débat avecques un marchant de Taillebourg, nommé
Dindenault. L'occasion du débat feut telle : Ce Dindenault,
voyant Panurge sans braguette, avecques ses lunettes atta-
chées au bonnet, dist de luy à ses compai gnons : « Voyez là
une belle médaille de Coqu. » Panurge, à cause de ses lunettes,
oyoit des aureilles beaucoup plus clair que de coustume,
Doncques, entendant ce propoas, demanda au marchan :
« Comment diable seroys je coqu, qui ne suis encores marié,
comme tu es, scelon que juger je peuz à ta troigne mal gra-
cieuse ?
— Oui vrayement, respondit le marchant, je le suys : et ne
vouldrois ne l'estre pour toutes les lunettes d'Europe, non
pour toutes les bezicles d'Afrique. Car j'ay une des plus belles,
plus advenentes, plus honestes, plus prudes femmes en
mariage, qui soit en tout le pays de Xantonge; et n'en des-
plaise aux aultres. Je luy porte de mon voyage une belle et
de unze poulsees longue branche de Coural rouge, pour ses
estrenes. Qu'en as tu à faire ? Dequoy te mesles tu ? Qui es tu ?
Dont es tu ? O Lunetier de l' Antichrist, responds si tu es de
Dieu.
— Je te demande, dist Panurge, si, par consentement et
convenence de tous les elemens, j'avoys sacsacbezevezine-
massé ta tant belle, tant advcnente, tant honeste, tant
preude femme, de mode que le roydde Dieu des jardins Pria-
PANTAGRUEL 43
pus, lequel icy habite en liberté, subjection forclusc de bra-
guettes attachées, luy feust on corps demeuré, en tel desastre
que jamais n'en sortiroit, éternellement y resteroit, sinon que
tu le tirasses avec les dens, que feroys tu? Le laisscroys tu là
simpitemellement ? ou bien le tireroys tu à belles dents? Res-
ponds, o bclinier de Mahumet, puys que tu es de tous les dia-
bles. — Je te donneroys, respondit le marchant, un coup
d'espée sus ceste aureille lunetiere, et te tueroys comme un
bélier. « Ce disant desguainoit son espée. Mais elle tenoit au
fourreau, comme vous sçavez que, sus mer, tous hamoys
facilement chargent rouille, à cause de l'humidité excessive
et nitreuse. Panurge recourt vert Pantagruel à secours. Frère
Jan mist la main à son bragmard fraischementesmoulu, et
eust felonnement occis le marchant, ne feust que le patron de
la nauf, et aultres passagiers supplièrent Pantagruel n'estre
faict scandale en son vaisseau. Dont feut appoincté tout leur
différent : et touchèrent les mains ensemble Panurge et le
marchant, et beurent d'autant l'un à l'autre dehayt, en signe
de perfaicte reconciliation.
CHAPITRE VI
COMMENT, LE DEBAT APPAISÉ, P.'V.NURGE MARCHANDE AVEC
DINDENAULT UN DE SES MOUTONS
Ce débat du tout appaisé, Panurge dist secrètement à Epis-
temon et à frère Jan : « Retirez vous icy un peu à l'escart, et
joyeusement passez temps à ce que voirez. Il y aura bien beau
jeu, si la chorde ne rompt. » Puis se addressa au marchant, et
de rechef beut à luy plein hanat de bon vin Lanternoys. Le
marchant le pleigea guaillard, en toute courtoisie et honnes-
teté. Cela faict, Panurge dévotement le prioyt luy vouloir de
44 LIVRE IV, CHAPITRE VI
grâce vendre un de ses moutons. Le marchant luy respondit :
« Halas, halas, mon amy, nostre voisin, comment vous
sçavez bien trupher des paouvres gens. Vrayement vous estes
un gentil chalant. O le vaillant achapteur de moutons !
Vraybis, vous portez le minoys non mie d'un achapteur de
moutons, mais bien d'un couppeur de bourses. Deu Colas,
faillon, qu'il feroit bon porter bourse pleine auprès de vous
en la tripperie sus le dégel ! Han, han, qui ne vous congnois-
troyt, vous feriez bien des vostres. Mais voyez, hau, bonnes
gens, comment il taille de l'historiographe.
— Patience, dist Panurge. Mais, à propous, de grâce spé-
ciale, vendez moy un de vos moutons. Combien? — Com-
ment, respondit le marchant, l'entendez vous, nostre amy,
mon voisin? Ce sont moutons à la grande laine. Jason y print
la toison d'Or. L'ordre de la maison de Bourgoigne en fut
extraicit. Moutons de Levant, moutons de haulte fustaye,
moutons de haulte grosse. — Soit, dist Panurge, mais de
grâce vendez m'en un, et pour cause; bien et promptement
vous payant en monnoye de Ponant,' de taillis, et de basse
gresse. Combien?
— Nostre voisin, mon amy, respondit le marchant, escou-
tez ça un peu de l'aultre aureille.
Panurge. A vostre commandement.
Le ^Iarchant. Vous aUez en Lanternois?
Panurge. Voire.
Le Marchant. Veoir le monde ?
Panurge. Voire.
Le Marchant. Joyeusement.
Panurge. Voire.
Le Marchant. Vous avez, ce croy je, nom Robin mouton.
Panurge. Il vous plaist à dire.
Le Marchant. Sans vous fascher.
Panurge. Je l'entends ainsi.
Le Marchant. Vous estes, ce croy je, le joyeulx du Roy,
PANTAGRUEL 45
Panurge. Voire.
Le Marchant. Fourchez là. Ha, ha, vous allez veoir le
monde, vous estes le joyculx du Roy, vous avez nom Robin
mouton. Voyez ce mouton là, il a nom Robin comme vous.
Robin, Robin, Robin. — Bês, bês, bês, bês. — O la belle
voix?
Panurge. Bien belle et harmonieuse.
Le Marchant. Voicy un pact qui sera entre vous et moy,
nostre voisin et amy. Vous qui estes Robin mouton, serez en
ceste couppe de balance, le mien mouton Robin sera en l'aul-
tre : je guaige un cent de huytres de Busch que, en poidz, en
valleur, en estimation, il vous emportera hault et court, en
pareille forme que serez quelque jour suspendu et pendu.
— Patience, dist Panurge. Mais vous feriez beaucoup pour
moy et pour vostre postérité, si me le vouliez vendre, ou
quelque autre du bas cueur. Je vous en prie, syre monsieur. —
Nostre amy, respondit le marchant, mon voisin, de la toison
de ces moutons seront faictz les fins draps de Rouen ; les lou-
chetz des balles de Limestre, au pris d'elle, ne sont que
bourre. De la peau seront faictz les beaux marroquins, les-
quelz on vendra pour marroquins Turquins, ou de Monteli-
mart, ou de Hespaigne pour le pire. Des boyaulx, on fera
chordes de violons et harpes, lesquelles tant chèrement on
vendra comme si feussent chordes de Munican ou Aquileie.
Que pensez vous? — S'il vous plaist, dist Panurge, m'en ven-
drez un, j'en seray bien fort tenu au courrail de vostre huys.
Voyez cy argent content. Combien? » Ce disoit, monstrant son
esquarcelle pleine de nouveaulx Henricus.
40 LIVRE IV, CHAPITRE Vit
CHAPITRE VII
CONTINUATION DU MARCHIi ENTRE PANURGE ET DINDENAULT
« Mon amy, respondit le marchant, nostre voisin, ce n'est
viande que pour Roys et Princes. La chair en est tant déli-
cate, tant savoureuse, et tant friande que c'est basme. Je les
ameine d'un pays on quel les pourceaulx (Dieu soit avecques
nous) ne mangent que Myrobalans. Les truyes en leur gesine
(saulve l'honneur de toute la compaignie) ne sont nourriez
que de fleurs d'orangiers. — Mais, dist Panurge, vendez m'en
im, et je vous le payeray en Roy, foy de piéton. Combien? —
Nostre amy, respondit le marchant, mon voisin, ce sont mou-
tons extraictz de la propre race de celluy qui porta Phrixus
et Hellé par la mer dicte Hellesponte. — Cancre, dist Pa-
nurge, vous estes clericus vel adiscens. — Ita sont choux, res-
pondit le marchant, vere ce sont pourreaux. Mais rr. rrr. rrrr.
rrrrr. Ho Robin rr. rrrr. rrrr. Vous n'entendez ce languaige.
« A propous. Par tous les champs es quelz ilz pissent, le
bled y provient comme si Dieu y eust pissé. Il n'y faut autre
marne ne fumier. Plus y a. De leur urine les Quintessentiaux
tirent le meilleur Salpêtre du monde. De leurs crottes (mais
qu'il ne vous desplaise) les medicias de nos pays guérissent
soixante et dix huict espèces de maladies. La moindre des
quelles est le mal Sainct Eutropc de Xaintes, dont Dieu nous
saulve et guard. Que pensez vous, nostre voisin, mon amy?
Aussi me coustent ilz bon.
— Couste et vaille, respondit Panurge. Seulement vendez
m'en un, le payant bien. — Xostre amy, dist le marchant,
mon voisin, considérez un peu les merveilles de nature con-
sistans en ces animaulx que voyez, voire en un membre que
PANTAGRUEL 4^
estimeriez inutile. Prenez moy ces cornes là, et les concassez
un peu avecques un pilon de fer, ou avccques un landier, ce
m'est tout un. Puis les enterrez en veue du Soleil la part que
vouldrez, et souvent les arrousez. En peu de moys vous en
voirez naistre les meilleurs Asperges du monde. Je n'en dai-
gnerois excepter ceulx de Ravenne. Allez moy dire que les
cornes de vous aultres messieurs les coqus ayent vertu telle,
et propriété tant mirifique.
— Patience, respondit Panurge. — Je ne sçay, dist le mar-
chant, si vous estes clerc. J'ay veu prou de clercs, je dis grands
clercs, coqus. Ouy dea. A propous, si vous estiez clerc, vous
sçauriez que, es membres inférieurs de ces animaulx divins,
ce sont les piedz, y a un os, c'est le talon, l'astragale, si vous
voulez, duquel, non d'aultre animal du monde, fors de l'asne
Indian et des Dorcades de Libye, l'on jouoyt antiquement au
Royal jeu des taies, auquel l'empereur Octavian Auguste un
soir guaingna plus de 50.000 escuz. Vous aultres coqus n'avez
garde d'en guaingner aultant.
— Patience, respondit Panurge. Mais expédions. — Et
quand, dist le marchant, vous auray je, nostre amy, mon voi-
.sin, dignement loué les membres internes? Les espaules, les
esclanges, les gigotz, le hault cousté, la poictrine, le foye, la
râtelle, les trippes, la guogue, la vessie, dont on joue à la
balle; les coustelettes, dont on faict en Pygmion les beaulx
petitz arcs pour tirer des noyaulx de cerises contre les Grues;
la teste, dont, avecques un peu de soulphre, on fait une miri-
fîcque décoction pour faire \àander les chiens constippez du
ventre ?
— Bren, bren, dist le patron da la nauf au marchant, c'est
trop icy barguigné. Vends luy si tu veulx; si tu ne veulx, ne
l'amuse plus. — • Je le veulx, respondist le marchant, pour
l'amour de vous. Mais il en payera trois livres tournois de la
pièce en choisissant. — C'est beaucoup, dist Panurge. En nos
pays j'en aurois bien cinq, voire six pour telle somme de
48 LIVRE IV, CHAPITRE VIII
deniers. Ad visez que ne soit trop. Vous n'estes le premier de
ma congnoissance qui, trop toust voulant riche devenir et
parvenir, est à l'envers tombé en paouvreté, voire quelque
foys s'est rompu le col. — Tes fortes fiebvres quartaincs, dict
le marchant, lourdault sot que tu es ! Par le digne veu de
Charrous, le moindre de ces moutons vault quatre fois plus
que le meilleur de ceulx que jadis les Coraxiens en Tuditanie,
contrée d'Espaigne, vendoient un talent d'Or la pièce. Et que
penses tu, ô sot à la grande paye, que valoit un talent d'or?
— Benoist monsieur, dist Panurge, vous vous eschauffez en
votre hamois, à ce que je voy et congnois. Bien tenez, voyez
là vostre argent. » Panurge, ayant payé le marchant, choisit
de tout le trouppeau un beau et grand mouton, et l'emportoit
cr^'ant et beUant, oyans tous les aultres et ensemblcment
bcUans et regardans quelle part on menoit leur compaignon.
Ce pendant le marchant disoit à ses moutonniers : « O qu'il a
bien sceu choisir, le challant ! Il se y entend, le paiUard !
Vrayement, le bon \Tayement, je le reservoys pour le sei-
gneur de Cancale, comme bien congnoissant son naturel.
Car, de sa nature, il est tout joyeulx, et esbaudy quand il
tient une espaule de mouton en main bien séante et advenente,
comme une raquette gauschiere, et, avecques un cousteau
bien tranchant, Dieu sçait comment il s'en escrime. »
CHAPITRE VIII
COMMENT PANURGE FEIST EN MER NOYER LE MARCHANT
ET LES MOUTONS
Soubdain je ne sçay comment, le cas feut subit, je ne eus
loisir le consyderer, Panurge, sans aultre chose dire, jette en
pleine mer son mouton criant et bellant. Tous les aultres
PANTAGRUEL 49
moutons, crians et bellans en pareille intonation, commen-
cèrent soy jecter et saulter en mer après, à la file. La foulle
estoit à qui premier y saulteroit après leur compaignon. Pos-
sible n'estoit les enguarder, comme vous sçavez estre du mou-
ton le naturel, tous jours suyvre le premier, quelque part
qu'il aille. Aussi le dict Aristoteles, lib. IX, de Histor. anim.,
estre le plus sot et inepte animant du monde.
Le marchant, tout effrayé de ce que davant ses yeulx
périr voyoit et noyer ses moutons, s'efforçoit les empescher
et retenir de tout son pouvoir. Mais c'estoit en vain. Tous à
la file saultoient dedans la mer, et perissoient. Finablement,
il en print im grand et fort par la toison sus le tillac de la
nauf, cuydant ainsi le retenir, et saulver le reste aussi conse-
quemment. Le mouton fut si puissant qu'il emporta en mer
avecques soy le marchant, et feut noyé, en pareille forme que
les moutons de Polyphemus le borgne Cyclope emportèrent
hors la caverne Ulyxes et ses compaignons. Autant en feirent
les aultres bergiers et moutonniers, les prenens uns par les
cornes, aultres par les jambes, aultres par la toison. Lesquelz
tous furent pareillement en mer portez et noyez misérable-
ment.
Panurge, a cousté du fougon, tenant un aviron en main,
non pour ayder les moutonniers, mais pour les enguaider de
grimper sus la nauf, et évader le naufraige, les preschoit elo-
quentement, comme si feust un petit frère Olivier Maillard,
ou un second frère Jan Bourgeoys; leurs remonstrant par
lieux de Rethoricque les misères de ce monde, le bien et
l'heur de l'austre vie, affermant plus heureux estre les tres-
passez que les vivans en ceste vallée de misère, et à un chas-
cun d'eulx promettant ériger un beau cénotaphe et sepulchre
honoraire au plus hault du mont Cenis, à son retour de Lan-
temoys : leurs optant ce neantmoins, en cas que vivre encores
entre les humains ne leurs faschast, et noyer ainsi ne leur vint
à propous, bonne adventure, et rencontre de quelque Baleine,
T. II, 4
50 LIVRE IV, CHAPITRE IX
laquelle au tiers jour subséquent les rendist sains et saulves
en quelque pays de satin, à l'exemple de Jonas.
La nauf vuidee du marchant et des moutons : « Reste il
icy, dist Panurge, uUe ame moutonnière? Où sont ceux de
Thibault l'Aignelet? et ceux de Regnauld Belin, qui dorment
quand les aultres paissent? Je n'y sçay rien. C'est un tour de
vieille guerre. Que t'en semble, frère Jan? — Tout bien de
vous, respondit frère Jean. Je n'ay rien trouvé maulvais,
sinon qu'il me semble que, ainsi comme jadis on souloys en
guerre, au jour de bataille ou assault, promettre aux soub-
dars double paye pour celluy jour : s'ilz guaingnoient la
bataille, l'on avoit prou de quoy payer; s'ilz la perdoient,
c'eust esté honte la demander, comme feirent les fuyards
Gruyers après la bataille de Serizolles : aussi qu'en fin vous
doibviez le payement reserver; l'argent vous demourast en
bourse. — C'est, dist Panurge, bien chié pour l'argent. Vertus
Dieu, j'ay eu du passetemps pour plus de cinquaxite mille
francs. Retirons nous, le vent est propice. Frère Jan, escoutte
icy. Jamais homme ne me feist plaisir sans recompense, ou
recongnoissance pour le moins. Je ne suys point ingrat et ne
le feuz, ne seray. Jamais homme ne me feist desplaisir sans
repentance, ou en ce monde, ou en l'autre. Je ne suis poinct
fat jusques là. — Tu, dist frère Jan, te damnes comme un
i vieil diable. Il est escript : Mihi vindictam, etc. Matière de
v! bréviaire. »
CHAPITRE IX
COMMENT PANTAGRUEL ARRIVA EN L'ISLE ENNASIN,
ET DES ESTRANGES ALLIANCES DU PAYS
Zephyre nous continuoit en participation d'un peu du Gar-
bin, et avions un jour passé sans terre descouvrir. Au tiers
PANTAGRUEL 5I
jour, à l'aube des mousches, nous apparut une isle triangu-
laire, bien fort ressemblante quant à la forme et assiette à
Sicile. On la nommoit l'isle des Alliances. Les hommes et
femmes ressemblent aux Poictevins rouges, exceptez que
tous, hommes, femmes et petitz enfans, ont le nez en figure
d'un as de treuffles. Pour ceste cause, le nom antique de l'isle
estoit Ennasin. Et estoient tous parens et alliez ensemble,
comme ilz se vantoient; et nous dist librement le Protestât
du lieu : « Vous aultres gens de l'aultre monde tenez pour
chose admirable que, d'une famille Romaine (c'estoient les
Fabians), pour un jour (ce feut le trezieme du mois de Feb-
vrier), par une porte (ce feut la porte Carmentale, jadis située
au pied du Capitole, entre le roc Tarpéian et le Tibre, depuys
surnommée Scélérate), contre certains ennemis des Romains
(c'estoient les Veientes Hetrusques), sortirent trois cens six
hommes de guerre tous parens, avecques cinq mille autres
soubdars tous leurs vassaulx, qui tous furent occis (ce feut
prés le fleuve Cremere, qui sort du lac de Baccane). De ceste
terre, pour un besoing, sortiront plus de trois cens mille, tous
parens et d'une famille. »
Leurs parentez et alliances estoient de façon bien estrange ;
car, estans ainsi tous parens et aUiez l'un de l'aultre, nous
trouvasmes que persone d'eulx n'estoit père ne mère, frère ne
sœur, oncle ne tante, cousin ne nepveu, gendre ne bruz, par-
rain ne marraine de l'autre. Sinon vrayement un grand vieil-
lard ennasé, lequel, comme je veidz, appella une petite fille
aagée de trois ou quatre ans mon père; la petite fillette le
appelloit ma fille.
La parenté et alliance entre eulx estoit que l'un appelloit
une femme ma maigre; la femme le appelloit mon marsouin.
« Ceulx là, disoit frère Jan, doibvroient bien sentir leur marée,
quand ensemble se sont frottez leur lard. » L'un appelloit un
guorgiase bachelette, en soubriant : « Bon jour, mon estrille. »
Elle le resaliia, disant : « Bonne estrene, mon fauveau. —
52 LIVRE IV, CHAPITRE IX
Hay, hay, hay ! s'escria Panurge, venez veoir une estrille, une
fau et un veau. N'est ce estrille fauveau? Ce fauveau à la
raye noire doibt bien souvent estre estrille. » Un autre salua
une sienne mignonne, disant : « Adieu, mon bureau. » Elle luy
respondit : « Et vous aussi, mon procès. — Par sainct Trei-
gnant, dist Gymnaste, ce procès doibt estre soubvent sus ce
bureau. » L'un appelloit une autre mon verd. Elle l'appelloit
son coquin. « Il y a bien là, dist Eusthenes, du Verdcoquin. »
Un autre salua une sienne alliée, disant : « Bon di, ma coin-
gnee. » Elle respondit : « Et à vous, mon manche. — Ventre
bœuf, s'escria Carpalim, comment ceste coingnée est emman-
chée? Comment ce manche est encoingné? Mais seroit ce
poinct la grande manche que demandent les courtisanes
Romaines? Ou un cordeher à la grande manche? »
Passant oultre, je veids un averlant qui, saluant son alliée,
l'appella mon matraz : elle le appelloit mon lodier. De faict,
il avoit quelques traictz de lodier lourdault. L'un appelloit
une aultre ma mie, elle l'appelloit ma crouste. L'un une aultre
appelloit sa palle, elle l'appelloit son fourgon. L'un une autre
appelloit ma savate, elle le nommoit pantophle. L'im une
aultre nommoit sa botine, elle l'appelloit son estivallet. L'un
une aultre nommoit sa mitaine, elle le nommoit mon guand.
L'un une aultre nommoit sa couane, elle l'appelloit son lard :
et estoit entre eulx parenté de couane de lard.
En pareille alliance, l'un appelloit une sienne mon home-
laicte, elle le nommoit mon œuf : et estoient aUiez comme une
homelaicte d'œufz. De mesmes un autre appelloit une sienne
ma trippe, elle l'appeloit son fagot : Et oncques ne peuz sça-
voir quelle parenté, alliance, affinité ou consanguinité feust
entre eulx, la rapportant à nostre usaige commun, sinon qu'on
nous dist qu'elle estoit trippe de ce fagot. Un aultre, saluant
une sienne, disoit : « Salut, mon escalle. » Elle respondit : « Et
à vous, mon huytre. — C'est, dist Carpalim, ime huytre en
escalle. » Un aultre de mesmes saluoit une sienne, disant :
PANTAGRUEL 53
« Bonne vie, ma gousse. » Elle respondit : « Longue à vous,
monpoys. — C'est, dist Gymnaste, un poys en gousse. » Un
autre grand villain claquedens, monté sus haultes muUes de
boys, rencontrant une grosse, grasse, courte guarse, luy dist :
« Dieu gard mon sabbot, ma trombe, ma louppie. » Elle luy
respondit fièrement : « Guard pour guard, mon fouet. — Sang
sainct Gris, dist Xenomanes, est il fouet compétent pour
mener ceste touppie? »
Un docteur régent, bien peigné et testonné, avoir quelque
temps devisé avecqucs une haulte damoiselle, prenant d'elle
congié, luy dist : « Grand mercy, Bonne mine. — Mais, dist
elle, très grand à vous. Mauvais jeu. — De bonne mine, dist
Pantagruel, à mauvais jeu n'est alliance impertinente. » Un
bachelier en busche, passant, dist à une jeune bachclette :
« Hay, hay, hay ! Tant y a que ne vous veidz, Muse. — Je
vous voy, respondit elle. Corne, volvintiers. — Accouplez les,
dist Panurge, et leurs souf&ez au cul : ce sera une cornemuse. »
Un aultre appella une sienne ma truie, elle l'appella son foin.
Là me vint en pensement que cette truie voluntiers toumoit
à ce foin. Je veidz \xa demy guallant bossu, quelque peu prés
de nous, saluer une sienne alliée, disant : « Adieu, mon trou. »
Elle de mesmes le resalua, disant : « Dieu guard ma che-
ville. » Frère Jean dist : « Elle, ce croy je, est toute trou, et il
de mesmc tout cheville. Ores est à sçavoir si ce trou par ceste
cheville peut entièrement estre estouppé. » Un aultre salua
une sienne, disant : « Adieu, ma mue. » Elle respondit : « Bon
jour, mon oison. — Je croy, dist Ponocrates, que cestuy oison
est souvent en mue. » Un averlant, causant avec une jeune
gualoise, luy disoit : « Vous en souvieign, vesse. — Aussi
sera, ped, » respondit elle. « Appeliez vous, dist Pantagruel
au Potestat, ces deux là parens? Je pense qu'ilz soyent enne-
mis, non alliez ensemble, car il l'a appellee vesse. En nos
pays, vous ne pourriez plus oultrager une femme que ainsi
l'appellant. — Bonnes gens de l'autre monde, respondit le
54 LIVRE IV. CHAPITRE î:^
Potestat, vous avez peu de parens telz et tant proches comme
sont ce Ped et ceste Vesse. Hz sortirent invisiblement tous
deux ensemble d'un trou, en un instant. — Lèvent de Galeme,
dist Panurge, avoit doncques lanterné leur mère. — Quelle
mcre, dist le Potestat, entendez vous? C'est parenté de vostre
monde. Hz ne ont père ne mère. C'est à faire à gens delà l'eau,
à gens bottez de foin. » Le bon Pantagruel tout voyoit, et
escouioit ; mais, à ces propous il cuyda perdre contenence.
Avoir bien curieusement consyderé l'assiette de l'isle et
mœurs du peuple Ennasé, nous entrasmes en un cabaret pour
quelque peu refraichir. Là on f aisoit nopces à la mode du pays.
Au demeurant chère et demye. Nous presens feut faict un
joyeulx mariage d'une poyre, femme bien gaillarde, comme
nous sembloit, toutesfoys ceulx qui en avoient tasté la
disoient estre molasse, avecques un jeune fromaige à poil
follet, un peu rougeastre. J'en avoj'^s aultres foys ouy la
renommée, et ailleurs avoient esté faictz plusieurs telz ma-
riages. Encores dict on, en nostre pays de vache, qu'il ne feut
oncques tel mariage qu'est de la poyre et du fromaige. En une
autre salle, je veids qu'on marioit une vieille botte avecques
un jeune et soupple brodequin. Et feut dict à Pantagruel que
le jeune brodequin prenoit la vieille botte à femme, pource
qu'elle estoit bonne robbe,en bon poinct,et grasse à profict de
mesnaige, vojrte feust ce pour un peschetur. En une autre salle
basse je \'is un jeune escafignon espouser une vieille pan-
tophle. Et nous feut dict que ce n'estoit pour la beauté ou
bonne grâce d'elle, mais par avarice et convoitise d'avoir les
escuz dont elle estoit toute contrepoinctee.
PANTAGRUEL 55
CHAPITRE X
COMMENT PANTAGRUEL DESCENDIT EN L'iSLE DE CHELI,
EN LAQUELLE REGNOIT LE ROY SAINCT PANIGON
Le Garbin nous souffloit en pouppe, quand, laissans ces
mal plaisans AUianciers, avecques leur nez de as de treuffle,
montasmes en haulte mer. Sus la declination du Soleil, feis-
mez scalle en l'isle de Cheli, isle grande, fertile, riche et popu-
leuse, en laquelle regnoit le roy sainct Panigon. Lequel
accompaigné de ses enfans et princes de sa court, s'estoit
transporté jusque près le havre pour recepvoir Pantagruel.
Et le mena jusques en son chasteau : sus l'entrée du dongeon
se offrit la royne, accompaignéc de ses filles et dames de court.
Panigon voulut qu'elle et toute sa suyte baisassent Panta-
gruel et ses gens. Telle estoit la courtoisie et coustume du
pays. Ce que feut faict, excepté frère Jan, qui se absenta et
s'escarta par my les officiers du Roy. Panigon vouloit, en toute
instance, pour cestuy jour et au lendemain retenir Panta-
gruel. Pantagruel fonda son excuse sus la sérénité du temps
et opportunité du vent, lequel plus souvent est désiré des
voyagiers que rencontré, et le fault emplniter quand il advient,
car il ne advient toutes et quantes foys qu'on le soubhaycte.
A ceste remonstrance, après boyre vingt et cinq ou trente
foys par home, Panigon nous donna congié.
Pantagruel, retournant au port et ne voyant frère Jan,
demandoit quelle part il estoit, et pourquoy n'estoit ensemble
la compaignie. Panurge se sçavoit comment l'excuser, et
vouloit retourner au chasteau pour le appeller, quand frère
Jan accourut tout joyeulx, et s'escria en grande guayeté de
cœur, disant : « Vive le noble Panigon ! Par la mort beuf de
56 LIVRE IV, CHAPITRE X
boys, il rue en cuisine. J'en viens, tout y va par escuelles.
J'esperoys bien y cotonner à profict et usaige monacal le
moule de mon gippon. — Ainsi, mon amy, dist Pantagruel,
tousjours à ces cuisines ! — Corpe de galline, respondit frère
Jan, j'en sçay mieulx l'usage et cérémonies que de tant chia-
brener avecques ces femmes, magny, magna, chiabrena, révé-
rence, double, reprinze, l'accolade, la fressurade, baise la
main de vostre mercy, de vostre majesta, vous soyez tarabin,
tarabas. Bren, c'est merde à Rouan. Tant chiasser et urenil-
1er ! Dea, je ne diz pas que je n'en tirasse quelque traict dessus
la lie à mon lour dois, qui me laissast insinuer ma nomina-
tion. Mais ceste brenasserie de révérences me fasche plus
qu'un jeune diable; je voulois dire un jeusne double. Sainct
Benoist n'en mentit jamais. Vous parlez de baiser damoi-
zelles; par le digne et sacre froc que je porte, voluntiers je
m'en déporte, craignant que m'advieigne ce que advint au
seigneur de Guyercharois. — Quoy? demanda Pantagruel, je
le congnois; il est de mes meilleurs amis. — Il estoit, dist frère
Jan, invité à un sumptueux et magnificque banquet que
faisoit vm sien parent et voisin : au quel estoient pareillement
invitez tous les gentilz hommes, dames et damoyselles du
voysinage. Icelles, attendentes sa venue, déguisèrent les
paiges de l'assemblée, et les habillèrent en damoyseUes bien
pimpantes et atourées. Les paiges endamoysellez à luy en-
trant près le pont leviz se présentèrent. Il les baisa tous en
grande courtoisie et révérences magnificques. Sus la fin, les
dames, qui l'attendoient en la guaUerie, s'esclaterent de rire,
et feirent signe aux pages à ce qu'ilz houstassent leurs atours.
Ce que voyant le bon seigneur, par honte et despit ne daigna
baiser icelles dames et damoyselles naïfves. Alléguant, veu
qu'on luy avoit ainsi desguysé les pages, que, par la mort
beuf de boys, ce debvoient là estre les varletz, encores plus
finement desguysez. Vertuz Dieu, da ju^andi, pourquoy plus
toust ne transportons nous nos humanitez en belle cuisine
PANTAGRUEL 57
de Dieu? Et là ne consyderons le branslement des broches,
l'harmonie des contrehastiers, la position des lardons, la tem-
pérature des potaiges, les preparatifz du dessert, l'ordre du
service, du vin? Beati immaculaii in via. C'est matière de
bréviaire. »
CHAPITRE XI
POURQUOY LES MOINES SONT VOLUNTIERS EN CUISINE
« C'est, dist Epistemon, naïfvement parlé en moine. Je diz
moine moinant, je ne diz pas moine moine. Vrayement vous
me réduisez en mémoire ce que je veidz et ouy en Florence,
il y a environ vingt ans. Nous estions bien bonne compaignie
de gens studieux, amateurs de peregrinité, et convoyteux de
visiter les gens doctes, antiquitez et singularitez d'Italie. Et
lors curieusement contemplions l'assiette et beaulté de Flo-
rence, la structure du dôme, la sumptuosité des temples et
palais magnificques. Et entrions en contention qui plus apte-
ment les extolleroit par louanges condignes : quand un moine
d'Amiens, nommé Bernard Lardon, comme tout fasché et
monopole, nous dist : « Je ne sçay que diantre vous trouvez
icy tant à louer. J'ay aussi bien contemplé comme vous, et
ne suis aveugle plus que vous. Et puis? Qu'est-ce? Ce sont
belles maisons. C'est tout. Mais Dieu, et monsieur sainct Ber-
nard, nostre bon patron, soit avec nous, en toute ceste viUe
cncores n'ay je veu une seulle roustisserie, et y ay curieuse-
ment reguardé et consyderé. Voire je vous diz comme espiant
et prest à compter et nombrer, tant à dextre comme à senes-
tre, combien et de quel cousté plus nous rencontrerions de
roustisseries rouscissantes. Dedans Amiens, en moins de
chemin quatre fois, voire troys qu'avons faict en nos con-
5^ LIVRE IV, CHAPITRE Xt
templations, je vous pourrois monstrer plus de quatorze
roustisseries antiques et aromatizantes. Je ne sçay quel
plaisir avez prins voyans les Lions et Afiiquanes (ainsi nom-
miez vous, ce me semble, ce qu'ilz appellent Tygres) prés le
beffroy : pareillement voyans les Porcz espicz et Austruches
on palais du seigneur Philippe Strossi. Par ma foy, nos fieulx,
j'aymeroys mieulx voir un bon et gras oyzon en broche. Ces
Porphyres, ces marbres sont beaulx. Je n'en dis poinct de
mal, mais les Dariolcs d'Amiens sont meilleures à mon goust.
Ces statues antiques sont bien faictes, je le veulx croire; mris
par sainct Ferreol d'Abbeville, les jeunes bachelettes de nos
pays sont inille foys plus advenentes.
— Que signifie, demanda frère Jan, et que veult dire que
tousjours vous trouvez moines en cuysines; jamais n'y trou-
vez Roys, Papes, ne Empereurs? — Est ce, respondit Rhizo-
tome, quelque vertus latente et propriété spécifique absconse
dedans les marmites et contrehastiers, qui les moines y
attire, comme l'Amyant à soy le fer attire; n'y attire Empe-
reurs, Papes, ne Roys? Ou c'est une induction et inclination
naturelle, aux frocz et cagouUes adhérentes, laquelle de soy
mené et poulse les bons religieux en cuisine, encore qu'ilz
n'eussent élection ne délibération d'y aller? — Il veult dire,
respondit Epistemon, formes suyvantes la matière. Ainsi les
nomme Averroïs. — Voyre, voyre, dist frère Jan.
— Je vous diray, respondit Pantagruel, sans au problème
propousé respondre, car il est un peu chatouilleux, et à peine
y toucheriez vous sans vous espiner. Me soubvient avoir leu
que Antigonus, roy de Macédoine, un jour entrant en la cui-
sine de ses tentes, et y rencontrant le poëte Antagoras, lequel
fricassoit un Congre et luy mesmes tenoit la paille, luy de-
manda en toute alaigres^e : « Homère fricassoit il Congres,
lorsqu'il descripvoit les prouesses de Agamemnon ? — Mais,
respondit Antagoras au Roy, estimes tu que Agamemnon,
lors que telles prouesses faisoit, feust curieux de savoir si
PANTAGRUEL 50
personne en son camp fricassoit Congres? » Au Roy sembloit
indécent que en sa cuisine le poëte faisoit telle fricassée. Le
Poëte luy remonstroit que chose trop plus abhorrente estoit
rencontrer le Roy en cuisine. — Je dameray ceste cy, dist
Panurge, vous racontant ce que Breton Villandry respondit
un jour au seigneur duc de Guyse. Leur propous estoit de
quelque bataille du Roy François contre l'Empereur Charles
cinquiesme, en laquelle Breton estoit guorgiasement armé,
mesmement de grefves et solleretz asseréz, monté aussi à
l'adventaige n'avoit toutesfois esté veu au combat. « Par ma
foy, respondit Breton, je y ay esté, facile me sera le prouver,
voj^e en lieu on quel vous n'eussiez ausé vous trouver. » Le
seigneur duc prenant en mal ceste paroUe, comme trop brave
et trop témérairement proférée, et se haulsant de propous,
Breton facilement en grande risée l'appaisa, disant : « J'es-
tois avecques le baguage : on quel lieu vostre honneur n'eust
porté soy cacher comme je faisois. » En ces menuz devis arri-
vèrent en leurs navires. Et plus long séjour ne feirent en icelle
isle de CheH.
CHAPITRE XII
COMMENT PANTAGRUEL PASSA PROCURATION
ET DE L'ESTRANGE MANIERE DE VIVRE ENTRE LES CHICQUANOUS
Continuant nostre routte, au jour subséquent passasmes
Procuration, qui est un pays tout chaffouré et barbouillé.
Je n'y congneu rien.Làveismes des ProcultousetChiguanous,
gens à tout le poil. Hz ne nous invitèrent à boyre ne à manger.
Seulement, en longue multiplication de doctes révérences,
nous dirent qu'ilz estoient tous à nostre commendement, en
payant. Un de nos truchemens racontoit à Pantagruel com-
6o LIVRE IV, CHAPITRE XII
ment ce peuple guaignoient leur vie en façon bien estrange,
et en plein Diamètre contraire aux Romicoles. A Rome, gens
infiniz guaignent leur vie à empoisonner, à battre et à tuer; les
Chiquanous la guaignent à estre battuz. De mode que, si par
long temps demouroient sans estre battuz, ils mourroient de
maie faim, eulx, leurs femmes et enfans.
« C'est, disoit Panurge, comme ceux qui, par le rapport de
Cl. Galien, ne peuvent le nerf caverneux vers le cercle equa-
teur dresser, s'ilz ne sont très bien fouettez. Par sainct Thi-
bault, qui ainsi me fouetteroit me feroit bien au rebours
desarsonner, de par tous les diables.
— La manière, dist le truchement est telle : Quajid un
moine, prebstre, usurier, ou advocat veult mal à quelque
gentilhomme de son pays, il envoyé vers luy un de ces Chi-
quanous. Chiquanous le citera, l'adjoumera, le outragera, le
injurira impudentcment, suyvant son record et instruction;
tant que le gentilhomme, s'il n'est paralytique de sens, et
plus stupide qu'une Rane Gyrine, sera contrainct luy donner
bastonades et coups d'espée sur la teste, ou la belle jarretade,
ou mieulx le jecter par les creneaulx et fenestres de son chas-
teau. Cela faict, voylà Chiquanous riche pour quatre moys.
Comme si coups de baston f eussent ses naïfves moissons.
Car il aiura du moine, de l'usurier, ou advocat, salaire bien
bon, et réparation du gentilhomme, aulcunefois si grande et
excessive que le gentilhomme y perdra tout son avoir, avec-
ques dangier de misérablement pourrir en prison, comme s'il
eust frappé le Roy.
— Contre tel inconvénient, dist Panurge, je sçay un remède
très bon, duquel usoit le seigneur de Basché. — Quel? de-
manda Pantagruel. — Le seigneur de Basché, dist Panurge,
estoit homme couraigeux, vertueux, magnaxiime, chevaleu-
reux. II, retournant de certaine longue guerre en laquelle le
duc de Ferrare, par l'ayde des François, vaillamment se
défendit contre les furies du pape Jules second, par chascim
PANTAGRUEL 6l
jour estoit adjoumé, cité, chiquané, à l'appétit et passetemps
du gras prieur de Sainct Louant.
« Un jour, desjeunant avecques ses gens (comme il estoit
humain et débonnaire) , manda quérir son boulangier, nommé
Loyre, et sa femme, ensemble le curé de sa parœce, nommé
Oudart, qui le servoit de sommelier, comme lors estoit la
coustume en France ; et leurs dist en présence de ses gentilz-
hommes et aultres domesticques : « Enfans, vous voyez en
quelle fascherie me jectent journellement ces maraulx Chi-
quanous; j'en suys là résolu que, si ne m'y aydez, je délibère
abandonner le pays et prandre le party du Soudan à tous les
diables. Désormais, quand céans ilz viendront, soyez pretz
vous Loyre et vostre femme, pour vous représenter en ma
grande salle avecques vos belles robbcs nuptiales, comme si
l'on vous fiansoit, et comme premièrement feustes fiansés.
Tenez : voylà cent escuz d'Or, lesquelz je vous donne pour
entretenir vos beaulx accoustremens. Vous, messire Oudart,
ne faillez y comparoistre en vostre beavi suppellis et estolle,
avec l'eaue beniste, comme pour les fianser. Vous pareille-
ment, Trudon (ainsi estoit nommé son tabourineur), soyez y
avecques vostre flutte et tabour. Les paroUes dictes, et la
mariée baisée, au son du tabour, vous tous baillerez l'un à
l'aultre du souvenir des nopces, ce sont petitz coups de poing.
Ce faisans, vous n'en soupperez que mieulx. Mais, quand ce
viendra au Chiquanous, frappez dessus comme sus seigle
verde, ne l'espargnez. Tappez, daubez, frappez je vous en
prie. Tenez, présentement je vous donne ces jeunes guante-
letz de jouste, couvers de chevxotin. Donnez luy coups sans
compter à tors et à travers. Celluy qui mieulx le daubera, je
recongnoistray pour mieulx affectionné. N'ayez paour d'en
estre reprins en justice. Je seray guarant pour tous. Telz
coups serons donnez en riant, selon la coustume observée
en toutes fiansailles. — Voyre mais, demanda Oudart, à quoy
congnoistrons nous le Chiquanous? Car, en ceste vostre
62 LIVRE IV, CHAPITRE XII
maison, journellement abourdent gens de toutes pars. — Je y
ay donné ordre, rcspondit Basché. Quand à la porte de céans
viendra quelque home, ou à pied, ou assez mal monté, ayant
un anneau d'argent gros et large on poulce, il sera Chiqua-
nous. Le portier l'ayant introduict courtoisement, sonnera la
campanelle. Alors soyez pretz, et venez en salle jouer la Tra-
gicque comédie que vous ay expousé. »
« Ce propre jour, comme Dieu le voulut, arriva un vieil,
gros et rouge Chiquanous. Sonnant à la porte, feut par le
portier recongnu à ses gros et gras houzeaulx, à sa meschante
jument, à un sac de toille plein d'informations, attaché à sa
ceincture, signamment au gros anneau d'argent qu'il avoit
on poulce guausche. Le portier luy feut comrtoys, le introduict
honnestement, joyeusement, sonne la campanelle. Au son
d'icelle, Loyre et sa femme se vestirent de leurs beaulxhabille-
mens, comparurent en la salle, faisans bonne morgue. Oudart
se revestit de suppellis et d'estoUe : sortant de son office ren-
contre Chiquanous, le mené boyre en son of&ce longuement,
ce pendent qu'on chaussoit ganteletz de tous coustez, et luy
dist : « Vous ne poviez à heure venir plus opportune. Xostre
maistre est en ses bonnes : nous ferons tantouts bonne chère,
tout ira par escuelles : nous sommes céans de nopces : tenez,
beuvez, soyez joyeulx. »
« Pendent que Chiquanous beuvoit, Basché, voyant en la
salle ses gens en equippage requis, mande quérir Oudart.
Oudart vient portant l'eaue beniste. Chiquanous le suyt. Il,
entrant en la salle, n'oubha faire nombre de hvunbles révé-
rences, cita Basché, Basché luy feist la plus grande caresse du
monde, luy donna un Angelot, le priant assister au contract
et fiansailles. Ce que feut faict. Sus la fin coups de poing com-
mencèrent sortir en place. Mais, quand ce vint au tour de
Chiquanous, ilz le festoyèrent à grands coups de guanteletz,
si bien qu'il resta tout estourdy et meurtry, un œil poché au
beurre noir, huict costes freussées, le bréchet enfondré, les
PANTAGRUEL 63
omoplates en quatre quartiers, la maschouere inférieure en
trois loppins, et le tout en riant. Dieu sçait comment Oudart
y opcroit, couvrant de la manche de son suppellis le gios guan-
telet asseré, fourré d'hermines, car il estoit puissant ribault.
Ainsi retourne à l'isle Bouchard Chiquanous, accoustré à la
Tigresque : bien toutesfois satisfaict et content du seigneur de
Basché, et moyennant le secours des bons chirurgiens du pays
vesquit tant que vouldrez. Depuis n'en fut parlé. La mémoire
en expira avecqucs le son des cloches les quelles quarillonne-
rent à son enterrement. »
CHAPITRE XIII
COMMENT, A L'EXEMPLE DE M.MSTRE FRANÇOIS VILLON,
LE SEIGNEUR DE BASCHÉ LOUE SES GENS
« Chiquanous issu du chasteau, et remonté sus son esgue
orbe (ainsi nommoit il sa jument borgne), Basché, soubs la
treille de son jardin secret, manda quérir sa femme, ses
damoiselles, tous ses gens; feist apporter vin de collation,
associé d'un nombre de pastez, de jambons, de fruictz et
fromaiges, beut avecques eulx en grande alaigresse, puis leur
dist :
« Maistre François Villon, susses vieulx jours, se retira à
Sainct Maixent en Poictou, soubs la faveur d'un hommekle
bien, abbé dudict lieu. Là, pour donner passetemps au peuple,
entreprint faire jouer la Passion en gestes et languaije Poio-
tevin. Les roUes distribuez, les jourseu recollez, le théâtre pré-
paré, dist au Maire et eschevins que le mystère pourroit estre
prest à l'issue des foires de Niort; restoit seulement trouver
habillemens aptes aux personnaiges. Les Maire et eschevins y
64 LIVRE I*r; CHAPITRE XIII
donnèrent ordre. Il, pour un \'ieil paysant habiller qui jouoit
Dieu le pore, requist frère Etienne Tappccoue, secretain des
Cordeliers du lieu, luy prester une chappe et estolle. Tappe-
coue le refusa, alléguant que, par leurs statutz provinciaulx,
estoit rigoureusement défendu rien bailler ou prester pour les
jouans. Villon repUcquoit que le statut seulement concemoit
farces, mommeries et jeuz dissoluz, et qu'ainsi l'avoit veu
practiquer à Bruxelles et ailleurs. Tappecoue, ce non obstant,
luy dist péremptoirement qu'ailleurs se pourveust, si bon luy
sembloit, rien n'esperast de sa sacristie, car rien n'en auroit
sans faulte. Villon feist aux joueurs le rapport en grande
abhomination, adjoustant que de Tappecoue Dieu feroit ven-
geance et punition exemplaire bien toust.
« Au Samedy subséquent, Villon eut advertissement que
Tappecoue, sus la poultre du convent (ainsi nomment ilz une
jument non encores saiUie), estoit allé en queste à Sainct
Ligaire, et qu'il seroit de retour sus les deux heures après
midy. Adoncques fit la monstre de la Diablerie parmy la ville
et le marché. Ses diables estoient tous capparassonnez de
peaulx de loups, de veaulx et de béliers, passementees de
testes de mouton, de cornes de boeuf z, et de grands havetz de
cuisine; ceinctz de grosses courraies, esquelles pendoient
grosses cj-mbales de vaches, et sonnettes de muletz à bruit
horrificque. Tenoient en main aulcuns bastons noirs pleins de
fuzees; aultres portoient longs tizons allumez, sus lesquelz à
chascun carrefour jectoient pleines poingnées de parasine en
pouldre, dont sortoit feu et fumée terrible. Les avoir ainsi con-
duictz avecques contentement du peuple et en grande frayeur
des petitz enfans, finablement les mena bancqueter en une
cassine, hors la porte en la quelle est le chemin de Sainct
Ligaire. Arrivans à la cassine, de loing il apperceut Tappecoue
qui retoumoit de queste, et leurs dist en vers macaionicques :
Hic est de patria, natus de gente belistra,
Qui solet antiquo bribas portare bisacco.
PANTAGRUEL 65
« Par la mort dienc ! (dirent adoncques les Diables) il n'a
voulu prester à Dieu le perc une pauvre chappe ; faisons luy
paour. — C'est bien dict, respond Villon ; mais cachons nous
jusques à ce qu'il passe, et chargez vos fusées et tizons. » Tap-
pecoue arrivé au lieu, tous sortirent on chemin au davant de
luy, en grand effroy, jectant feu de tous coustez sus luy et
sa poultre, sonnans de leurs cymbales, et hurlans en diables :
« Hho, hho, hho, hho, brrrourrrourrrrs, rrrourrrs, rrrourrrs.
Hou, hou, hou. Hho, hho, hho. Frère Esticnne, faisons nous
pas bien les Diables ? »
« La poultre, toute effrayée, se mit au trot, à petz, à bondz,
et au gualot; à ruades, fressurades, doubles pédales, et petar-
rades; tant qu'elle rua bas Tappecoue, quoy qu'il se tint à
l'aulbe du bast de toutes ses forces. Ses estrivieres estoient
de chordes : du cousté hors le montouoir son soulier fenestré
estoit si fort entortillé qu'il ne le peut oncques tirer. Ainsi
estoit trainné à escorchecul par la poultre, tousjours multi-
pliante en ruades contre luy, et fourvoyante de paour par les
hayes, buissons et fossez. De mode qu'elle luy cobbit toute la
teste, si que la cervelle en tomba prés la cioix Osaniere, puys
les bras en pièces, l'un çà, l'aultre là, les jambes de mesmes;
puys des boyaulx fit un long camaige, en sorte que la poultre
au convent arrivante, de luy ne portoit que le pied droict,
et soulier entortillé.
« Villon, voyant advenu ce qu'il avoit pourpensé, dict à ses
Diables : Vous jourrez bien, messieurs les Diables, vous jour-
rez bien, je vous affiie. O que vous jourrez bien ! Je despite la
diablerie de Saulmur, de Doué, de Mommorillon, de Langés,
de Sainct Espain, de Angiers, voire, par Dieu, de Poictiers
avec leur parlouoire, en cas qu'ilz puissent estre à vous parra-
gonnez. O que vous jourrez bien ! »
« Ainsi, dist Basché, prevoy je, mes bons amys, que vous
dorénavant jouerez bien cestre tragicque farce, veu que à la
première monstre et essay, par vous a esté Chiquanous tant
T. II. «
66 LI\-RE IV, CHAPITRE XIV
disertement daubé, tappé et chatouillé. Présentement je
double à vous tous vos guaiges. Vous, mamie (disoit-il à sa
femme), faites vos honneurs comme vouldrez. Vous avez en
vos mains et conserve tous mes thesaurs. Quant est de moy,
premièrement, je boy à vous tous, mes bons arays. Or ça, il
est bon et frays. Secondement, vous, maistre d'hostel, prenez
ce bassin d'argent; je le vous donne. Vous, escuiers, prenez ces
deux couppes d'argent doré. Vos pages de troys moys ne
soient fouettez. M'amye, donnez leur mes beaulx plumailz
blancs, avec les pampillettes d'or. INIessire Oudart, je vous
donne ce fiaccon d'argent. Cestuy aultre je donne aux cuisi-
niers; aux varletz de chambre je donne ceste corbeille d'ar-
gent; aux palefreniers je donne cestc nasselle d'argent doré;
aux portiers je donne ces deux assiettes; aux muletiers, ces
dix happesouppes. Trudon, prenez toutes ces cuillères d'ar-
gent, et ce drageouoir. Vous lacquais, prenez ceste grande sal-
liere. Servez moy bien, amys, je le recongnoistraj'^ : croyans
fermement que j'aymerois mieulx, par la vertus Dieu, endu-
rer en guerre cent coups de masse sus le heaulme au service
de nostre tant bon Roy qu'estre une f oys cité par ces mastins
Chiquanous, pour le passetemps d'un tel gras Prieur. »
CHAPITRE %1V
CONTINUATION DES CHIQU.\X0U9 DAUBEZ EN LA MAISON
DE BASCHÉ
« Quatre jours après, un autre jeune, hault et maigre Chi-
quanous alla citer Basché à la requeste du gras Prieur. A son
arrivée, feut soubdain par le portier rencogneu, et la campa-
nelle sonnée. Au son d'icelle, tout le peuple du chasteau enten-
dit le mystère. Loyre poitrisoit sa paste, sa femme belutoit la
PANTAGRUEL 67
farine. Oudart tenoit son bureau. Les gentilzhomes jouoient
à la paulme. Le seigneur Basché jouoit aux troys cens troys
avecques sa femme. Les damoiselles jouoient aux pingres.
Les officiers jouoient à l'impériale, les pages jouoient à la
mourre à belles chinquenauldes. Soubdain feut de tous
entendu que Chiquanous estoit en pays. Lors Oudart se reves-
tir, Loyre et sa femme prendre leurs beaulx accoustremens,
Trudon sonner de sa fiutte, battre son tabourin ; chascun rire,
tous se préparer, et guanteletz en avant.
« Basché descend en la basse court. Là Chiquanous, le ren-
contrant, se meist à genoilz devant luy, le pria ne prendre en
mal si, de la part du gras Prieur, il le citoit, remonstra par
harangue diserte comment il estoit persone publicque, servi-
teur de Moinerie, appariteur de la mitre Abbatiale, prest à
en faire autant pour luy, voyre pour le moindre de sa maison,
la part qu'il luy plairoyt l'emploicter et commender. « Vraye-
ment, dist le seigneur, ja ne me citerez que premier n'ayez
beu de mon bon vin de Quinquenays, et n'ayez assisté aux
nopces que je foys présentement. Messire Oudart, faites le
boyre tresbien, et refraischir; puis l'amenez en ma salle. Vous
soyez le bien venu. »
« Chiquanous, bien repeu et abbrevé, entre avecques Oudart
en salle, en laquelle estoient tous les personaiges de la farce,
en ordre et bien deUberez. A son entrée chascun commença
soubrire. Chiquanous rioit par compaignie, quand par Oudart
feurent sus les fiansez dicts motz mystérieux, touchées les
mains, la mariée baisée, tous aspersez d'eau beniste. Pendent
qu'on apportoit vins et espices, coups de poing commencèrent
trotter. Chiquanous en donna nombre à Oudart. Oudart,
soubs son suppellis, avoit son guantelet caché : il s'en chausse
comme d'une mitaine. Et de daubber Chiquanous, et de drap-
per Chiquanous : et coups des jeunes guanteletz de tous cous-
tez pleuvoir sus Chiquanous. « Des nopces, disoient ilz, des
nopces, des nopces, vous en soubvieine. » Il feut si bien
68 LIVRE III, CHAPITRE XIV
accoustré que le sang luy sortoit par la bouche, par le nez, par
les aureilles, par les œilz. Au demourant, courbatu, espaultré
et froissé, teste, nucque, dours, poictrine, braz et tout.
Croyez qu'en Avignon au temps du Carneval, les bacheliers,
oncques ne jouèrent à la Raphe plus mélodieusement que feut
joué sus Chiquanous. En fin il tombe par terre. On lui jecta
force vin sus la face, on luy attacha à la manche de son pour-
poinct belle livrée de jaulne et verd, et le mist on sus son che-
val morveulx. Entrant en l'isle Bouchard ne sçay s'il fut bien
pensé et traicté, tant de sa femme comme des Myres du pays.
Depuis n'en feut parlé.
« Au lendemain, cas pareil advint, pour ce qu'on sac et gib-
bessiere du maigre Chiquanous n'avoit esté trouvé son
exploict. De par le gras Prieur feut nouveau Chiquanous
envoyé citer le Seigneur de Basché, avec deux Records pour
sa sceureté. Le Portier, sonnant la campanelle, resjouyt toute
la famille, entendans que Chiquanous estoit là. Basché estoit
à table, dipnant avec sa femme et gentilzhommes. Il mande
quérir Chiquanous, le feist asseoir prés de soy, les Records près
les damoiselles, et dipnerent très bien et joyeusement. Sus le
dessert, Chiquanous se levé de table, presens et oyans les
Records, cite Basché : Basché gracieusement lui demande
copie de sa commission. Elle estoit ja preste. Il prend acte de
son exploict : à Chiquanous et à ses Records feurent quatre
escuz Soleil donnez : chascun s'estoit retiré pour la farce.
Trudon commence sonner du tabourin. Basché prie Chiqua-
nous assister aux fiansailles d'un sien officier, et en recepvoir
le contract, bien le payant et contentent. Chiquanous feut
courtoys. Desgaina son escriptoire, eut papier promptement,
ses Records près de luy. Loyre entre en salle par une porte,
sa femme avecques les damoiselles par aultre, en accoustré*
mens nuptiaulx. Oudart, revestu sacerdotalement, les prend
par les mains, les interroge de leurs vouloirs, leurs donne sa
bénédiction, sans espargne d'eaue beniste. Le contract est
PANTAGRUEL 69
passé et minuté. D'un cousté sont apportez vins et espices;
de l'aultrc, livrée à tas, blanc et tanné; de l'aultre sont pro-
duictz guanteletz secrètement. »
CHAPITRE XV
COMMENT PAR CHIQUANOUS SONT RENOUVELÉES LES ANTIQUES
COUSTUMES DE FIANSAILLES
« Chiquanous, avoir degouzillé une grande tasse de vin Bre-
ton, dist au seigneur : « Monsieur, comment l'entendez-vous?
L'on ne baille poinct icy des nopces? Sainsambreguoy, toutes
bonnes coustumes se perdent. Aussi ne trouve Ion plus de
lièvres au giste. Il n'est plus d'amys. Voyez comment en plu-
sieurs ecclises l'on a desemparé les antiques beuvettes des
benoists saincts O O de Noël ? Le monde ne f aict plus que res-
ver. Il approche de sa fin. Or tenez : des nopces, des nopces,
des nopces ! » Ce disant, frappoit sus Basché et sa femme,
après sus les damoiselles et sus Oudart.
« Adonques feirent guanteletz leur exploict, si que à Chi-
quanous fut rompue la teste en neuf endroictz : à un des
Records feut le braz droict defaucilié, à l'aultre fut déman-
chée la mandibule superiem*e, de mode qu'elle luy couvroit le
menton à dcmy, avecques denudation de la luette et perte
insigne des dens molares, masticatoires et canines. Au son du
tabourin changeant son intonation, f eurent les guanteletz
mussez, sans estre aulcunement apperceuz, et confictures
multipliées de nouveau, avecques liesse nouvelle. Beuvans les
bons compaignons uns aux aultres, et tous à Chiquanous et
ses Records, Oudart renioit et despitoit les nopces, alléguant
qu'un des Records luy avoit desincornifistibulé toute l'aultre
espaule. Ce non obstant, beuvoit à luy joyeusement. Le
70 LIVRE IV, CHAPITRE XV
Records demandibulé joignoit les mains, et tacitement lui
demandoit pardon : car parler ne povoit il. Loyrc se plaignoit
de ce que le Records debradé luy avoit donné si grand coup
de poing sus l'aultre coubte qu'il en estoit devenu tout esper-
ruquancluzelubelouzerirelu du talon.
« Mais, disoit Trudon (cachant l'oeil guausche avecques
son mouchoir, et monstrant son tabourin défoncé d'un
cousté) , quel mal leur avois je faict? Il ne leurs a sufi&s m'avoir
ainsi lourdement morrambouzevezengouzequoquemorguata-
sacbacguevezinemaffressé mon paouvre oeil, d'abondant ilz
m'ont défoncé mon tabourin. Tabourins à nopces sont ordi- .
nairement battuz; tabourineurs bien festoyez, battuz jamais.
Le Diable s'en puisse coyffer ! — Frère, lui dist Chiquanous
manchot, je te donneray unes belles, grandes, vieilles Lettres
Royaulx, que j'ay 'cy en mon baudrier, pour repetasscr ton
tabourin : et pour Dieu pardonne nous. Par nostre dame de
Rivière la belle dame, je n'y pensoys en mal. »
Un des escuyers, chopant et boytant contrefaisoit le bon et
noble seigneur de la Roche Posay. Il s'adressa au Records
embaviere de machoueres, et luy dist : « Estes vous des Frap-
pins, des Frappeurs, ou des Frappais? Xe vous suffisoit nous
avoir ainsi morcrocassebezassevezassegrigueliguoscopapo-
pondrillé tous les membres supérieurs à grands coups de bobe-
lins, sans nous donner telz morderegrippipiotabirofrelucham-
burelurecoquelurintimpanemens sus les grefves à belles
poinctes de houzeaulz? Appeliez vous cela jeu de jeunesse?
Par Dieu, jeu n'est ce. »
K Le Records, joingnant les mains, sembloit luy en requérir
pardon, marmonnant de la langue : « Mon, mon, mon, vrelon,
von, von, » comme un Marmot.
« La nouvelle mariée pleurante rioyt, riante pleuroit, de ce
que Chiquanous ne s'estoit contenté la daubant sans choys ne
élection des membres, mais, l'avoir lourdement deschevelée,
d'abondant luy avoit trepignemampenillorifrizonoufressuré
PANTAGRUEL 7I
les parties honteuses en trahison. « Le diable, dist Basché, y
ayt part ! Il cstoit bien nécessaire que monsieur le Roy (ainsi
se nomment Chiquanous) me daubbast ainsi ma bonne femme
d'eschine. Je ne luy en vculx mal toutesfoys. Ce sont petites
caresses nuptiales. Mais apperçoy clairement qu'il m'a cité
en Ange, et daubbé en Diable. Il tient je ne sçay quoy du
frère frappart. Je boy à luy de bien bon coeur, et à vous aussi,
messieurs les Records. — Mais, disoit sa femme, à quel pro-
pous et sus quelle querelle m'a il tant et trestant festoyée à
grands coups de poing? — Le Diantre l'emport, si je le veulx. Je
ne le veulx pas pourtant, ma Dia. Mais je diray cela de luy
qu'il a les plus dures oinces qu'oncques je senty sus mes
espaules. »
«Le maistre d'hostel tenoit son braz guausche en escharpe,
comme tout raorquaquoquassé : « Le Diable, dist il, me feist
bien assister à ces nopces. J'en ay, par la vertus Dieu, tous
les braz enguoulevezinemassez. Appelez vous cecy fiansailles?
Je les appelle fiantailles de merde. C'est, par Dieu, le naïf
bancquet des Lapithes, descript par le philosophe Samo-
satoys. »
K Chiquanous ne parloit plus. Les Records s'excusèrent
qu'en daubbant ainsi n'avoient eu maligne volunté, et que
pour l'amour de Dieu on leurs pardonnast. Ainsi départent.
A demye lieu de là Chiquanous se trouva un peu mal. Les
Records arrivent à l'isle Bouchard, disans publicquement que
jamais n'avoient veu plus home de bien que le seigneur de
Basché, ne maison plus honorable que la sienne. Ensemble,
que jamais n'avoient esté à telles nopces. Mais toute la faulte
venoit d'eulx, qui avoient commencé la frapperie. Et vesqui-
rent encores ne sçay quants jours après.
« De là en hors feut tenu comme chose certaine que l'ar-
gent de Basché plus estoit au Chiquanous et Records pesti-
lent, mortel et pernicieux que n'estoit jadis l'or de Tholose,
et le cheval Sejan à ceulx qui le possédèrent. Depuis, feut le dict
72 LIVRE IV, CHAPITRE XVI
seigneur en repous, et les nopces de Basché en proverbe
commun. »
CHAPITRE XVI
COMMENT PAR FRERE JEAN EST FAICT ESSAY DU NATUREL
DES CHICANOUS
« Ceste narration, dist Pantagruel, sembleroit joyeuse, ne
f eust que devant nos oeilz f ault la craincte de Dieu continuel-
lement avoir. — Meilleure, dist Eipstemon, seroit, si la pluie
de ces jeunes guanteletz feust sus le gras Prieur tombée. Il
dependoit pour son passetemps argent, part à fascher Basché,
part à veoir ses Chiquanous daubbez. Coups de poing eussent
aptement atouré sa teste rase : attendue l'énorme concussion
que voyons huy entre ces juges pedanées soubs l'orme. En
quoy offensoient ces paouvres Diables Chiquanous ?
— Il me soubvient, dist Pantagruel à ce propous, d'un
antique gentilhomme Romain, nommé L. Neratius. Il estoit
de noble famiUe et riche en son temps. Mais en luy estoit
ceste tjrrannique complexion que, issant de son palais, il fai-
soit emplir les gibessieres de ses varletz d'or et d'argent
monnoyé, et, rencontrant par les rues quelques mignons bra-
guars et mieulx en poinct, sans d'iceulx estre aulcunement
offensé, par guayeté de cœur leurs donnoit de grands coups de
poing en face. Soubdain après, pour les appaiser et empescher
de non soy complaindre en justice, leurs departoit de son
argent. Tant qu'il les rendoit contens et satisfaictz, scelon
l'ordonnance d'une loig des douze Tables. Ainsi despendoit
son revenu, battant les gens au pris de son argent.
— Par la sacre botte de sainct Benoist, dist frère Jan, pré-
sentement j'en sçauray la vérité. » Adoncques descend en
PANTAGRUEL 73
terre, mist la main à son escarcelle, et en tira vingt escuz au
Soleil. Puis dist à haulte voix en présence et audience d'une
grande tourbe du peuple Chiquanourroys : « Qui veut guain-
gner vingt escuz d'or pour cstre battu en Diable? — lo, io, io,
respondirent tous. Vous nous affoUerez de coups, monsieur,
cela est sceur. Mais il y a beau guaing. » Et tous accouroient
à la foulle, à qui seroit premier en date pour estre tant précieu-
sement battu. Frère Jean, de toute la trouppe, choysit un
Chiquanous à rouge muzeau, lequel on poulse de la main
dextre portoit un gros et large anneau d'argent, en la palle
duquel estoit enchâssée une bien grande Crapauldine.
L'ayant choysi je veidz que tout ce peuple murmuroit et
entendiz un grand, jeune et maisgre Chiquanous, habile et
bon clerc, et, comme estoit le bruyt commun, honeste homme
en court d'ecclise, soit complaingnant et murmurant de ce
que le rouge muzeau leur oustoit toutes praticques; et que, si
en tout le territoire n'estoient que trente coups de bastons à
guaingner, il en emboursoit tousjours vingt huict et demy.
Mais tous ces complainctz et murmures ne procedoient que
d'envie.
Frère Jan daubba tant et trestant Rouge muzeau, dours et
ventre, bras et jambes, teste et tout, à grands coups de bas-
ton, que je lo cuydois mort assommé. Puys luy bailla les vingt
escuz. Et mon villain debout, ayse comme un Roy ou deux.
Les aultres disoient à frère Jan : « Monsieur frère Diable, s'il
vous plaist encores quelques uns battre pour moins d'argent,
nous sommes tous à vous, monsieur le Diable. Nous sommes
trestous à vous, sacs, papiers, plumes et tout. »
Rouge muzeau s'escria contre eulx, disant à haulte voix :
« Feston diene, Guallef retiers, venez vous sus mon marché?
Me voulez vous houster et seduyre meschalans? Je vous cite
par devant l'Ofïicial à huyctaine Mirelaridaine. Je vous chi-
quaneray en Diable de Vauverd. » Puys, se tournant vers
frère Jan, à face riante et joyeuse, luy dist : « Révérend père en
74 LIVRT n', CHAPITRE XVI
Diable Monsieur, si m'avez trouvé bonne robbc, et vous
plaist encores en me battant vous esbatre, je me conten-
teray de la moitié, de juste pris. Ne m'espargnez, je vous en
prie. Je suys tout et trestout à vous. Monsieur le Diable :
teste, poulmon, boyaulx et tout. Je le vous diz à bonne
chcrc. » Frère Jan interrompit son propous, et se destouma
aultrepart. Les aultres Chiquanous serctiroient vers Panurge,
Epistemon, Gymnaste et aultres, les supplians dévotement
estre par eulx à quelque petit pris battuz : aultrement estoient
en dangier de bien longuement jeusner. Mais nul n'y voulut
entendre.
Depuys, clierchans eau fraische pour la chorme des naufz,
rencontrasmes deux vieilles Chiquanoures du lieu, lesquelles
ensemble misérablement pleuroient et lamentoient. Panta-
gruel estoit resté en sa nauf, et ja faisoit sonner la retraicte.
Nous, doubtans qu'elles feussent parentes du Chiquanous
qui avoit eu bastonnades, interrogions les causes de telle
doleance. Elles respondirent que de plourer avoient cause
bien équitable, veu qu'à heure présente l'on avoit au gibbet
baillé le moine par le coul aux deux plus gens de bien qui
feussent en tout Chiquanourroys. « Mes Paiges, dist Gym-
naste, baillent le moine par les pieds à leurs compaignons
dormars. Bailler le moine par le coul, seroit pendre et estrem-
gler la persone. — Voire, voire, dist frère Jan; vous en parlez
comme sainct Jan de la Palisse. » Interrogées sus les causes
de cestuy pendaige, respondirent qu'ilz avoient desrobé les
ferremens de la messe, et les avoient mussez soubs le manche
de la parœce. « Voylà, dist Epistemon, parlé en terrible
Allégorie. »
PANTAGRUEL 75
CHAPITRE XVII
COMMENT PANTAGRUEL PASSA LES ISLES DE TOHU ET BOHU,
ET DE l'eSTRANGE MORT
DE BRINGUENARILLES, AVALLEUR DE MOULINS A VENT
Ce mesme jour, passa Pantagruel les deux isles de Tohu et
Bohu, es quelles ne trouvasmcs que frire : Bringuenarilles, le
grand géant, avoit toutes paelles, paellons, chaudrons,
coquasses, lichefretes et marmites du pays avallé, en faulte
de moulins à vent, des quelz ordinairement il se paissoit.
Dont estoit advenu que, peu davant le jour, sus l'heure de sa
digestion, il estoit en grief ve maladie tombé, par certaine
crudité d'estomach causée de ce (comme disoient les Medi-
cins) que la vertu concoctrice de son estomach, apte naturel-
lement à moulins à vent tous brandifz digérer, n'avoit peu à
perfection consommer les paelles et coquasses : les chaudrons
et marmites avoit assez bien digéré, comme disoient congnois-
tre aux hypostases et eneoremes de quatre hussards d'urine
qu'il avoit à ce matin en deux foys rendue.
Pour le secourir, usèrent de divers remèdes scelon l'art.
Mais le mal feut plus fort que les remèdes. Et estoit le ncble
Bringuenarilles à cestuy matin trespassé, en façon tant
estrange que plus esbahir ne vous fault de la mort de ^schy-
lus. Lequel, comme luy eust fatalement esté par les vaticina-
teurs predict qu'en certain jour il mourroit par ruine de quel-
que chose qui tomberoit sus luy, iceluy jour destiné, s'estoit
de la ville, de toutes maisons, arbres, rochiers et aultres choses
esloingné, qui tomber peuvent, et nuire par leur ruine. Et
demoura on mylieu d'une grande praerie, soy commettant
en la foy du ciel libre et patent, en sceureté bien asseurée,
'J^ LIVRE IV, CHAPITRE XVII
comme luy sembloit, si non vrayement que le ciel tombast :
ce que croyoit estre impossible. Toutes foys on dict que les
alouettes grandement redoubtent la ruine des cieulx tombans,
car les cieulx tombans, toutes seroient prinses.
Aussi la redoubtoient jadis les Celtes voisins du Rhin : ce
sont les nobles, vaillans, chevaleureux, bellicqueux et trium-
phans François : lesquelz, interrogez par Alexandre le Grand
quelle chose plus en ce monde craignoient, espérant bien que
de luy seul f croient exception, en contemplation de ses gran-
des prouesses, victoires, conquestes et triumphes, respondi-
rent rien ne craindre, sinon que le ciel tombast. Non toutes
foys faire refus d'entrer en ligue, confédération et amitié
avec un si preux et magnanime Roy.
Si vous croyez Strabo, liv. VII, et Arrian, liv. I, Plutarche
aussi, on livre qu'il a faict de la face qui apparoist on corps de
la Lune, allègue un nommé Phenace, lequel grandement crai-
gnoit que la Lune tombast en terre : et avoit commisération
et pitié de ceulx qui habitent sous iceUe, comme sont les
^Ethiopiens et Taprobaniens, si une tant grande masse tom-
boit sus eulx. Du ciel et de la terre avoit paour semblable, s'ilz
n'estoient deuement fulciz et appuyez sus les columnes de
Atlas, comme estoit l'opinion des anciens, scelon le tesmoi-
gnage de Aristoteles, liv. V, Metaphys.
iEschilus, ce non obstant, par ruine feut tué et cheute d'une
caquerolle de Tortue, laquelle, d'entre les gryphes d'une
Aigle haulte en l'air tombant sus sa teste, luy fendit la cer-
velle.
Plus de Anacréon poëte, lequel mourut estranglé d'un
pépin de raisin. Plus de Fabius prêteur Romain, lequel mou-
rut suffoqué d'un poil de chievre, mangeant une esculée de
laict. Plus de celluy honteux lequel, par retenir son vent, et
default de peter un meschant coup, subitement mourut en la
présence de Claudius, empereur Romain. Plus de celluy qui, à
Rome, est en la voye Flaminie enterré, lequel en son epitaphe
PANTAGRUEL 77
se complainct estrc mort par estre mords d'une chatte au
petit doigt. Plus de Q. Lecanius Bassus, qui subitement mou-
rut d'une tant petite poincture de aiguille au poulse de la
main guausche qu'à peine la pouvoit on veoir. Plus de Quene-
lault medicin normant, lequel subitement à Monspellier tré-
passa, par de bies s'estre avecques un trancheplume tiré un
Ciron de la main.
Plus de Philomenes, auquel son varlet, pour l'entrée de
dipner, ayant appresté des figues nouvelles, pendent le temps
qu'il alla au vin, un asne couillart esguaré estoit entré au logis,
et les figues apposées mangeoit religieusement. Philomenes
survenant, et curieusement contemplant la grâce de l'asne
Sycophage, dist au varlet qui estoit de retour : « Raison veult,
puis qu'à ce dévot asne as les figues abandonné, que pour
boire tu luy produises de ce bon vin qu'as apporté. » Ces pa-
roUes dictes, entra en si excessive guayeté d'esprit, et s'es-
clata de rire tant énormément, continuement, que l'exercice de
la Râtelle luy tollut toute respiration, et subitement mourut.
Plus de Spurius Saufeius, lequel mourut humant un œuf
mollet à l'issue du baing. Plus de celluy lequel dist Boccace
estre soudainement mort par s'escurer les dents d'un brin de
Saulge. Plus de Philippot Placut, lequel, estant sain et dru,
subitement mourut, en payant une vieille debte, sans aultre
précédente maladie. Plus de Zeuzis le painctre, lequel subite-
ment mourut à force de rire, considérant le minoys et por-
traict d'une vieille par luy représentée en paincture. Plus de
mil aultres qu'on vous die, feust Verrius, feust Pline, feust
Valere, feust Baptiste Fulgose, feust Bacabery l'aisné.
Le bon Bringuenarilles (helas !) mourut estranglé, man-
geant un coing de beurre frays à la gueule d'un four chaud,
par l'ordonnance des medicins.
Là, d'abondant, nous feut dict que le roy de Cullan en Bohu
avoit deffaict les satrapes du roy Mechloth, et mis à sac les
forteresses de Behma. Depuys, passâmes les isles de Nargues
78 LIVRE IV, CHAPITRE XVIII
et Zargues. Aussi les isles de Teleniabin et Geneliabin, bien
belles et fructueuses en matière de clysteres. Les isles aussi
de dFnijj et (Eutg, desquelles par avant estoit advenue l'esta-
fiUade au Langrauff d'Esse.
CHAPITRE XVIIl
COMMENT PANTAGRUEL EVADA UNE FORTE TEMPESTE EN MER
Au lendemain, rencontrasmes à pogc neuf Orques chargées
de moines, Jacobins, Jésuites, Capussins, Hermites, Augus-
tins, Bernardins, Celestins, Théatins, Egnatins, Amadeans,
Cordcliers, Cannes, Minimes, et aultres saincts religieux,
les quelz alloient au concile de Chesil pour grabeler les articles
de la foy contre les nouveaulx hereticques. Les voyant,
Panurge entra en excès de joye, comme asceuré d'avoir
toute bonne fortune pour celluy jour et aultres subsequens
en long ordre. Et, ayant courtoisement salué les béatz pères,
et recommendé le salut de son ame à leurs dévotes prières et
menuz suffraiges, fit jecter en leurs naufz soixante et dix-
huict douzaines de jambons, nombre de Caviatz, dizaines de
Cervelatz, centaines de Boutargues, et deux mille beaulx
Angelotz pour les âmes des trespassez.
Pantagruel restoit tout pensif et melancholique. Frère
Jan l'apperceut, et demandoit dont luy venoit telle fascherie
non accoustumee, quand le pilot, consyderant les voltige-
ïuens du peneau sus la pouppe, et prevoiant un tyrannicque
grain et fortunal nouveau, commenda tous estre à l'herte
tant nauchiers, fadrins et mousses quen ous aultres voya-
giers; feist mettre voiles bas, mejane, contremejane, triou,
maistralle, epagon, civadiere; feist caller les boulingues,
trinquet de prore et trinquet de gabie, descendre le grand
PANTAGRUEL 79
ai'temon, et de toutes les antemnes ne rester que les grizelles
et coustieres.
Soubdain la mer commença s'enfler et tumultuer du bas
abysme; les fortes vagues batre les flans de nos vaisscaulx;
le Maistral, accompaigné d'une cole effréné, de noires Grup-
pades, de terribles Sions, de mortelles Bourrasques, siffler à
travers nos antemnes. Le ciel tonner du hault, fouldroyer,
esclairer, pleuvoir, gresler; l'air perdre sa transparence, deve-
nir opacque, ténébreux et obscurcy, si queaultre lumière ne
nous apparoissoit que des fouldres, esclaires et infractions des
flambantes nuées; les categides, thielles, lelapes et presteres
enflamber tout au tour de nous par les psoloentes, arges, eli-
cies et aultres ejaculations etherées : nos aspectz tous estre
dissipez et perturbez; les horrificques Typhones suspendre
les montueuses vagues du courrant. Croyez que ce nous sem-
bloit estre l'antique Chaos, on quel estoient feu, air, mer,
terre, tous les elemens en refractaire confusion.
Panurge, ayant du contenu en son estomach bien repeu les
poissons scatophages, restoit acropy sus le tillac, tout affligé,
tout meshaigné, et à demy mort; invocqua tous les benoistz
saincts et sainctes à son ayde, piotesta de soy confesser en
temps et lieu, puys s'escria en grand efîroy, disant : « Major-
dome, hau, mon àmy, mon père, mon oncle, produisez un
peu de salle : nous ne boirons tantoust que trop, à ce que je
voy. A petit manger bien boire, sera désormais ma devise.
Pleust à Dieu, et à la benoiste, digne et sacrée Vierge, que
maintenant, je diz tout à ceste heure, je feusse en terre ferme
bien à mon aise !
« O que troys et quatre foys heureulx sont ceulx qui plan-
tent chous I O Parces, que ne me fillastes vous pour planteur
de chous ! O que petit est le nombre de ceulx à qui Juppiter a
telle faveur porté qu'il les a destinez à planter chous ! Car
ilz ont toujours en terre un pied, l'aultre n'en est pas loing.
Dispute de félicité et bien souverain qui vouldra ; mais quicon-
8o LIVRE IV, CHAPITRE XIX
ques plante choux est présentement par mon décret declairé
bien heureux, à trop meilleure raison que Pyrrhon, estant en
pareil dangier que nous sommes, et voyant un pourceau prés
le rivaige qui mangeoit de l'orge espandu, le declaira bien
heureux en deux qualitez, sçavoir est qu'il avoit orge à foison,
et d'abondant estoit en terre.
i( Ha ! pour manoir dcificque et seigneurial il n'est que le
plancher des vaches. Ccste vague nous emportera, Dieu ser-
vateur ! O mes amys, un peu de vinaigre. Je tressue de grand
ahan. Zalas, les vêles sont rompues, le prodenou est en pièces,
les cosses esclattent, l'arbre du hault de la guatte plonge en
mer, la carine est au Soleil, nos gumenes sont presque tous
rouptz. Zalas, zalas, où sont nos boulingues? Tout est frelore
bigoth. Nostre trinquet est à vau l'eau. Zalas, à qui appartien-
dra ce briz? Amis, prestez ici darriere une de ces rambades.
Enfans, vostre landrivel est tombé. Helas ! n'abandonnez l'or-
geau, ne aussi le Tirados. Je oy l'agneuillot frémir. Est il
cassé? Pour Dieu, saulvons la brague; du fernel ne vous sou-
ciez. Bebebe bous, bous, bous. Voyez à la calamitre de vostre
boussole, de grâce, maistre Astrophile, dont nous vient ce
fortunal : Par ma foy, j'ai belle paour. Bou bou bou, bous,
bous. C'est faict de moy. Je me conchie de maie raige de
paour. Bou, bou, bou, bou ! Otto to to to to ti ! Otto to to
to to ti ! Bou bou bou, ou ou ou bou bou bous bous ! Je naye,
je naye, je naye, je meurs. Bonnes gens, je naye. »
CHAPITRE XIX
QUELLES CONTENANCES EURENT PANURGE ET FRERE JEAN
DURANT LA TEMPESTE
Pantagruel, préalablement avoir imploré l'ayde du grand
Dieu Servateur, et faicte oraison publicque en fervente
PANTAGRUEL 8l
dévotion, par l'advis du pilot tenoit l'arbre fort et ferme, frère
Jan s'estoit mis en pourpoinct pour secourir les nauchiers.
Aussi estoicnt Epistemon, Pon ocrâtes, et les aultres. Panurge
rcstoit de cul sus le tillac, pleurant et lamentant. Frère Jan
l'apperceut, passant sus la Coursie, et luy dist : « Par Dieu,
Panurge le veau, Panurge le pleurart, Panurge le criart, tu
feroys beaucoup mieulx nous aydant icy que là pleurant
comme une vache, assis sus tes couillons comme un magot. —
Be be be bous, bous, bous, respondit Panurge, frère Jean
mon amy, mon bon père, je naye, je naye, mon amy, je naye.
C'est faict de moy, mon père spirituel, mon amy, c'en est faict.
Vostre bragmart ne m'en sçauroit saulver. Zalas, zalas ! nous
sommes au dessus de Ela, hors toute la gamme. Bebe be
bous bous. Zalas ! à ceste heure sommes nous au dessous de
Gamma ut. Je naye. Ha mon père, mon oncle, mon tout.
L'eau est entrée en mes souliers par le collet. Bous, bous, bous,
paisch, hu, hu, hu, ha, ha, ha, ha, ha, je naye. Zalas, zalas,
hu, hu, hu, hu, hu, hu. Bebe bous, bous, bobous, bobous, ho,
ho, ho, ho, ho. Zalas, zalas. A ceste heure foys bien à poinct
l'arbre forchu, les pieds à mont, la teste en bas. Pleust à Dieu
que présentement je fusse dedans la Orque des bons et beatz
pères concilipetes, les quelz ce matin nous rencontrasmes,
tant devotz, tant gras, tant joyeulx, tant douilletz, et de
bonne grâce. Holos, holos, holos, zalas, zalas, ceste vague
de tous les Diables {mea culpa, Deus), je dis ceste vague de
Dieu enfondrera nostre nauf. Zalas ! frère Jan, mon père,
mon amy, confession ! Me voyez cy à genoulx. Confiteor,
vostre saincte bénédiction.
— Vien, pendu au Diable, dist frère Jean, icy nous ayder,
de par trente légions de Diables, viens : viendra il? — Ne
jurons poinct, dist Panurge, mon père, mon amy, pour ceste
heure. Demain, tant que vouldrez. Holos, holos. Zalas ! nostre
nauf prend eau. Je naye, zalas, zalas ! Be be be be be bous,
bous, bous, bous. Or sommes nous au fond. Zalas, zalas ! Je
T. II. 6
82 LIVRE IV^ CHAPITRE XIX
donne dixhuict cens mille escuz de intrade à qui me mettra
en terre tout foireux et tout breneux comme je suis, si onc-
ques home feut en ma patrie de bien. Confiteor. Zalas ! un
petit mot de testament, ou codicille pour le moins.
— Mille diables, dist frère Jan, saultent on corps de ce
coqu. Vertus Dieu, parles tu de testament à ceste heure que
sommes en dangier, et qu'il nous convient évertuer ou jamais
plus? Viendras tu, ho Diable? Comité, mon mignon, o le
gentil algousan ! deçà ! Gymnaste, icy sus l'estanterol. Nous
sommes par la vertus Dieu troussez à ce coup. Voilà nostre
Phanal extainct. Cecy s'en va à tous les millions de Diables.
— Zalas, zalas, dist Panurge, zalas ! Bou, bou, bou, bou,
bous. Zalas, zalas ! Estoit ce icy que de périr nous estoit
prédestiné? Holos, bonnes gens, je naye, je meurs. Consum-
matum est. C'est faict de moy.
— Magna, gna, gna, dist frère Jan. Fy quil est laid, le
pleurart de merde. Mousse, ho, de par tous les Diables, guarde
l'escantoula. T'es tu blessé? Vertus Dieu, attache à l'un des
bitous. Icy, de là, de par le Diable, hay ! Ainsi, mon enfant.
— Ha frère Jan, dist Panurge, mon père spirituel, mon
amy, ne jurons poinct. Vous péchez. Zalas, zalas ! Be, be, be,
bous, bous, bous, je naye, je meurs, mes amys. Je pardonne
à tout le monde. Adieu, in manns. Bous, bous, bouououous.
Sainct Michel d'Aure, sainct Nicolas, à ceste foys et jamais
plus ! Je vous foys icy bon veu et à Nostre Seigneur que, si à
ce coup m'estez aydans, j'entends que me mettez en terre
hors ce dangier icy. je vous edifieray une belle grande petite
chapelle ou deux entre Quande et Monssoreau, et n'y paistra
vache ne veau. Zalas, zalas ! Il m'en est entré en la bouche
plus de dixhuict seiUeaux ou deux. Bous, bous, bous, bous.
Qu'elle est amere et sallee !
— Par la vertus, dist frère Jan, du sang, de la chair, du
ventre, de la teste, si encores je te oy pioller, coqu au diable,
je te gualleray en loup marin : vertus Dieu, que ne le jectons
PANTAGRUEL 83
nous au fond de la mer? Hespaillicr, ho gentil compaignon,
ainsi mon amy. Tenez bien lassus. Vrayement voicy bien
esclairé, et bien tonné. Je croy que tous les diables sont des-
chainez au jourdhuy ou que Proserpine est en travail d'en-
fant. Tous les Diables dansent aux sonnettes. »
CHAPITRE XX
COMMENT LES NAUCHIERS ABANDONNENT LES NAVIRES
AU FORT DE LA TEMPESTE
« Ha, dist Panurge, vous péchez, frère Jan, mon amy an-
cien. Ancien, dis je, car de présent je suys nul, vous estes nul.
Il me fasche le vous dire. Car je croy que ainsi jurer face grand
bien à la râtelle; comme, à un fendeur de bois, fait grand
soulaigement celluy qui à chascun coup près de luy crie :
Han ! à haulte voix, et comme un joueur de quilles est miri-
ficquement soulaigé quand il n'a jecté la boulle droit, si quel-
que homme d'esprit prés de luy panche et contourne la teste
et le corps à demy, du cousté auquel la boulle aultrement
bien jectée eust faict rencontre de quilles. Toutes foys vous
péchez, mon amy doulx. Mais, si présentement nous mangeons
quelque espèce de cabirotades' serions nous en sceureté de
cestuy oraige? J'ay leu que, sus mer, en temps de tempeste,
jamais n'avoient paour, tous jours estoient en sceureté les
ministres des Dieux Cabires, tant célébrez par Orphée, Apol-
lonius, Pherecydes, Strabo, Pausanias, Hérodote.
— Il radote, dist frère Jan, le paouvre Diable. A mille et
millions et centaines de millions de Diables soit le coqu cor-
nard au Diable ! Ayde nous icy, hau, tigre ÎVinsdra il? Icy à
orche. Teste Dieu plene de reliques, quelle patenostre de
Cinge est ce que tu marmottez là, entre les dens? Ce Diable de
84 LIVRE IV, CHAPITRE XX
fol marin est cause de la tempeste, et il seul ne ayde à la
chorme. Par Dieu, si je voys là, je vous chastieray en diable
terapestatif. Icy, Fadriu, mon mignon, tiens bien, que je y
face un nou Gregeoys. O le gentil mousse ! Pleust à Dieu que
tu fcusses abbé de Talemouze, et celluy qui de présent l'est
fust guardian de CrouUay ! Ponocrates, mon frère, vous bles-
serez là. Epistemon, guardez vous de la Jalousie, je y ay veu
tomber un coup de fouldre. — Inse ! — C'est bien dict. Inse,
inse, inse. Vieigne esquif ! Inse. Vertus Dieu, qu'est cela? Le
cap est en pièces. Tonnez, Diables, petez, rottez, fiantez.
Bren pour la vague ! Elle a, par la vertus Dieu.faillyàm'era-
porter soubs le courant. Je croy que tous les millions de Dia-
bles tiennent icy leur chapitre provincial, ou briguent pour
élection de nouveau recteur. — Orche ! — C'est bien dict.
Gare la caveche, hau, mousse, de par le diable, hay ! Orche,
orche.
— Bebebebous, bous, bous, dist Panurge, bous, bous, bebe,
be bous, bous, je naye. Je ne voy ne ciel ne terre. Zalas, zalas !
De quatre elemens ne nous reste icy que feu et eau. Boubou-
bous, bous, bous. Pleust à la digne vertus de Dieu que à heure
présente je feusse dedans le clos de SeuiUé, ou chez Innocent le
pastissier, davant la cave paincte, à Chinon, sus peine de me
mettre en pourpoinct pour cuyre les petits pastez ! Nostre
homme, sçauriez vous me jecter en terre? Vous sçavez tant
de bien, comme l'on m'a dict. Je vous donne tout Salmi-
guondinoys, et ma grande cacquerelliere, si par vostre indus-
trie je trouve unes foys terre ferme. Zalas, zalas ! je naye.
Dea, beaulx amys, puys que surgir ne pouvons à bon port,
mettons nous à la rade, je ne sçay où. Plongez toutes vos an-
cres. Soyons hors ce dangier, je vous en prie. Nostre amé,
plongez le scandai et les bohdes, de grâce. Sçaichons la haul-
teur du profond. Sondez, nostre amé, mon amy, de par Nostre
Seigneur ! Sçaichons si l'on bojToit icy aisément debout, sans
soy baisser. J'en croy quelque chose.
PANTAGRUEL 85
— Uretacque, haii ! cria le pilot, uretacque. ! La main à
l'insail. Amené, uretacque ! Bressine, uretacque, guare la
pane ! Hau amure, amure bas. Hau, uretacque, cap en houlle !
Desmanche le haulme. Acappaye.
— En sommes nous là? dist Pantagruel. Le bon Dieu ser-
vateur nous soyt en ayde ! — Acappaye, hau ! s'escria Jamet
Brahier, maistre pilot. Acappaye ! Chascun pense de soname,
et se mette en dévotion, n'esperans ayde que par miracle des
Cieulx ! — Faisons, dist Panurge, quelque bon et beau veu.
Zalas, zalas, zalas, bou, bou, bebebebous, bous, bous. Zalas,
zalas ! faisons un pèlerin. Cza, ça, chascun boursille à beaulx
liards; cza ! — Deçà, hau, dist frère Jean, de par tous les Dia-
bles ! A poge. Acappaye, on nom de Dieu ! Desmanche le
heaulme, hau ! Acappaye, Acappaye. Beuvons hau ! Je diz
du meilleur et plus stomachal. Entendez vous, hau, majour
dôme. Produisez, exhibez. Aussi bien s'en va cecy à tous les
millions de Diables. Apporte cy, hau, page, mon tirouoir
(ainsi nommoit il son bre\aaire). Attendez ! tyre, mon amy,
ainsi ! Vertus Dieu, voicy bien greslé et fouldroyé, vraye-
ment. Tenez bien là hault, je vous en prie. Quand aurons
nous la feste de Tous Sainctz? Je croy que aujourd'huy est
l'infeste feste de tous les millions de Diables.
— Helas ! dist Panurge, frère Jean se damne bien à crédit.
O que je y perds un bon amy ! Zalas, zalas, voicy pis que an-
tan. Nous allons de Scylle en Carybde, holos, je naye. Confi-
teor. Un petit mot de testament, frère Jan, mon père; mon-
sieur l'abstracteur, mon amy, mon Achates; Xenomanes,
mon tout. Helas ! je naye, deux motz de testament. Tenez icy
sur ce transpontin. »
86 LIVRE IV, CHAPITRE XXI
CHAPITRE XXI
CONTINUATION DE LA TEMPESTE, ET BRIEF DISCOURS
SUR TESTAMENTS FAICTZ SUS MER
« Faire testament, dit Epistemon, à ceste heure qu'il nous
convient évertuer et secourir nostre chorme sus poine de
faire naufrage, me semble acte autant importun et mal à
propous comme celluy des Lances pesades et mignons de
Caesar entrant en Gaule, les quelz s'amusoient à faire testa-
mens et codicilles, lamentoient leur fortune, pleuroient l'ab-
sence de leurs femmes et amys Romains, lorsque, par néces-
sité, leur convenoit courir aux armes et soy évertuer contre
Ariovistus leur ennemy. C'est sottise telle que du charretier,
lequel sa charrette versée par un retouble, à genoilz imploroit
l'aide de Hercules, et ne aiguillonnoit ses boeufz, et ne met-
toit la main pour soublever les roues. Dequoy vous servira
icy faire testament? Car, ou nous évaderons ce dangier, ou
nous serons nayez. Si évadons, il ne vous servira de rien. Tes-
tamens ne sont valables ne auctorizez sinon par mort des
testateurs. Si sommes nayez, ne nayera il pas comme nous?
Qui le portera aux exécuteurs ?
— Quelque bonne vague, respondit Panurge, le jectera à
bourt comme feist Ulyxes; et quelque fille de Roj', allant à
l'esbat sur le serain, le rencontrera, puis le fera tresbien exé-
cuter, et près le rivage me fera ériger quelquemagnificque céno-
taphe, comme fit Didio à son mary Sychée; iEnéas, à Déi-
phobus, sus le rivage de Troie, prés Rhoete; Andromache, à
Hector, en la cité de Buttrot; Aristoteles, à Hermias et Eu-
bulus; les Athéniens, au poëte Euripides; les Romains, à
Drusus en Germanie, et à Alexandre Severe, leur empereur.
PANTAGRUEL 87
en Gaulle; Argentier, à Callaischre; Xenocrite, à Lysidices;
Timares, à son filz Theleutagores ; Eupolices et Aristodice, à
leur filz Théotimc; Oneste, à Timocles; Callimache, à Sopo-
lis, filz de Dioclides; Catulle, à son frère; Statius, à son père;
Germain de Brie, à Hervé, le nauchier breton.
— Rcsves tu? dist frcre Jan. Ayde icy, de par cinq cens
mille millions de charretées de Diables, ayde; que le cancre
te puisse venir aux moustaches, et troys razes de anguou-
nages pour te faire un hault de chausse, et nouvelle bra-
guette ! Xostrenauf est elle encarée? Vertus Dieu, comment la
remolquerons nous? Que tous les Diables de coup de mer
voicy ! Nous n'eschapprons jamais, ou je me donne à tous les
Diables. »
Alors feut ouye une piteuse exclamation de Pantagruel,
disant à haulte voix : « Seigneur Dieu, saulve nous; nous péris-
sons. Non toutesfoys adveigne scelon nos affections, mais ta
saincte volunté soit faicte. — Dieu, dist Panurge, et la benoiste
Vierge soient avccques nous ! Holas, holas ! je naye. Bebe-
bebous, bebe, bous, bous. In manus. Vray Dieu, envoyé moy
quelque daulphin pour me saulver en terre comme un beau
petit Arion. Je sonneray bien de la harpe, si elle n'est desman-
chee.
— Je me donne à tous les Diables, dist frère Jan (Dieu soit
avecques nous, disoit Panurge entre les dans), si je descens
là, je te monstreray par évidence que tes coudions pendent
au cul d'un veau coquart, comart, escorné. Mgnan, mgnan,
mgnan ! Viens icy nous ayder, grand veau pleurart, de par
trente millions de Diables qui te saultent au corps ! Viendras
tu, ô veau marin? Fy, qu'il est laid le pleurart ! — Vous ne
dictes aultce chose. — Ça, joyeulx Tirouoir en avant, que je
vous espluche à contrepoil. Beatus vir qui non abiii. Je sçay
tout cecy par cœur. Voyons la légende de monsieur sainct
Nicolas :
Hoyrida tempestas montem turbavii acutum.
88 LIVRE IV, CHAPITRE XXII
Tempeste feut un grand fouetteur d'escholiers au collège de
Montagu. Si, par fouetter paouvres petitz enfans, escholiers
innocens, les pédagogues sont damnez, il est, sus mon hon-
neur, en la roue de Ixion, fouettant le chien courtault qui
l'esbranle; s'ilz sont par enfans innocens fouetter saulvez, il
doibt estre au dessus des... »
CHAPITRE XXII
FIN DE LA TEMPESTE
« Terre, terre, s'escria Pantagruel, je voy terre ! Enfans,
couraige de brebis ! Nous ne sommes pas loing de port. Je
voy le Ciel, du cousté de la Transmontane, qui commence s'es-
parer. Advisez à Siroch. — Couraige, enfans, dist le pilot, le
courant est refoncé. Au trinquet de gabie. Inse, inse. Aux bou-
lingues de contremejane. Le cable au capestan. Vire, vire,
vire. La main à l'insail. Inse, inse, inse. Plante le heaulme.
Tiens fort à guarant. Pare les couetz. Pare les escoutes. Pare
les bohnes. Amure bâbord. Le heaulme soubs le vent. Casse
escoute de tribord, filz de putain. (Tu es bien aise, homme de
bien, dist frère Jan au matelot, d'entendre nouvelles de ta
mère.) Vien du lo ! Prés et plain ! Hault la barre. (Haulte est,
respondoient les matelotz.) Taille vie; le cap au seuil! Ma-
lettes, hau ! que l'on coue bonnette. Inse, inse. — C'est bien
dict et advisé, disoit frère Jean. Sus, sus, sus, enfans, diligen-
tement. Bon. Inse, inse. — A poge. — C'est bien Jict et ad-
visé. L'orage me semble critiquer et finir en bonne heiire.
Loué soit Dieu pourtant. Nos Diables commencent escam-
per dehinch. — Mole ! — C'est bien et doctement parlé.
Mole, mole ! Icy, de par Dieu, gentil Ponocrates, puissant
PANTAGRUEL 8g
ribauld ! Il en fera qu'enfans maies, lo paillard. Eusthenes,
guallant homme, au trinquet de prore ! — Inse, inse. — C'est
bien dict. Inse ! de par Dieu, inse, inse. Je n'en daignerois
rien craindre, car le jour est feriau. Nau, Nau, Nau ! — Ces-
tuy Celeume, dist Epistemon, n'est hors de propous, et me
plaist, car le jour est feriau. — Inse, inse, bon ! — O ! s'escria
Epistemon, je vous commande tous bien espérer. Je voy
ça Castor à dextre. — Be be bous bous bous, dist Panurge,
j'ay grand paour que soit Hélène la paillarde. — C'est vraye-
ment, respondit Epistemon, Mixarchahevas, si plus te plaist
la dénomination des Argives. Haye, haye, je voy terre, je voy
port, je voy grand nombre de gens sus le havre. Je voy du feu
sur un Obeliscolychnie. — Haye, haye, dist le pilot, double
le cap et les basses. — Doublé est, respondoient les matelotz.
— Elle s'en va, dist le pilot : aussi vont celles de convoy.
Ayde au bon temps.
— Sainct Jean, dist Panurge, c'est parlé cela. O le beau
mot. — Mgna, mgna, mgna, dist frère Jan, situ en tastes
goutte, que le Diable me taste. Entends tu, couillu au diable?
Tenez, nostre amé, plein tanquart du fin meilleur. Apporte les
frizons, hau, GjTxinaste, et ce grand mastin de paste Jambi-
que, ou Jambonique, ce m'est tout un. Guardez de donner à
travers.
— Couraige, s'escria Pantagruel; couraige, enfans. Soyons
courtoys. Voyez cy prés nostre nauf deux lutz, trois flouins,
cinq chippes, huict volantaires, quatre gondoles, et six fré-
gates, par les bonnes gens de ceste prochaine isle envoyées à
nostre secours. Mais qui est cestuy Ucalegon là bas qui ainsi
crie et se desconforte? Ne tenoys je l'arbre sceurement des
mains, et plus droict que ne f croient deux cens gumenes? —
C'est, respondit frère Jan, le pauvre diable de Panurge, qui a
fiebvre de veau. Il tremble de paour quand il est saoul.
— Si, dist Pantagruel, paour il a eu durant ce Colle horrible
et périlleux Fortunal, pourveu qu'au reste il se feust ever-
QO LIVRE IV, CHAPITRE XXIII
tué, je ne l'en estime un pelct moins. Car, comme craindre
en tout heurt est indice de gros et lasche cœur, ainsi comme
faisoit Agamemnon, et pour ceste cause le disoit Achilles en
ses reproches ignominieusement avoir œilz de chien et cœur
de cerf, aussi ne craindre, quand le cas est evidentement
redoutable, est signe de peu ou faulte de appréhension. Ores,
si chose est en ceste vie à craindre, après l'offense de Dieu,
je ne veulx dire que soit la mort. Je ne veulx entrer en la dis-
pute de Socrates et des Academicques, mort n'estre de soy
maulvaise, mort n'estre de soy à craindre. Je dis ceste espèce
de mort par naufraige estre, ou rien n'estre à craindre. Car,
comme est la sentence de Homère, chose griefve, abhorrente
et dénaturée est périr en mer. De faict, ^î^néas, en la tempeste
de laquelle feut le convoy de ses navires près Sicile surprins,
regretoit n'estre mort de la main du fort Diomedes, et disoit
ceulx estre troys et quatre foys heureux qui estoient morts
en la conflagration de Troie. Il n'est céans mort personne :
Dieu servateur en soit éternellement loué. !Mais vrayement
voicy un mesnage assez mal en ordre. Bien. Il nous fauldra
reparer ce briz. Guardez que ne donnons par terre.
CHAPITRE XXIII
COMMEKT,
LA TEMPESTE FINIE, PANURGE FAICT LE BON COMPAIGNON
« Ha, ha, s'escria Panurge, tout va bien. L'oraige est passée.
Je vous prie, de grâce, que je descende le premier. Je vouldrois
fort aller un peu à mes affaires. Vous aideray je encores là.
Baillez que je \Tilonne ceste chorde. J'ay du couraige prou,
voyre. De paour bien peu. Baillez ça, mon may. Non, non,
pas maille de craincte. Vray est que ceste vague decumane.
PANTAGRUEL ÛI
/V laquelle donna de prorc en pouppe, m'a un peu l'artcrc altéré.
Y — Voile bas ! — C'est bien dict. Comment, vous ne falotes
\. rien, frère Jan? Est il bien temps de boire à ceste heure? Que
\ sçavons nous si l'estafïier de sainct Martin nous brasse encores
quelque nouvelle oraige? Vous iray je encores ayder de là?
Vertus guoy, je me repens bien, mais c'est à tard, que n'ay
suivy la doctrine des bons Philosophes, qui disent soy pour-
mener prés la mer, et naviger près la terre estre chose moult
sceure et délectable, comme aller à pied quand l'on tient son
cheval par la bride. Ha, ha, ha, par Dieu, tout va bien. Vous
aideray je encores là? Baillez ça, je feray bien cela, ou le Dia-
ble y sera. »
Epistemon avoit une main toute au dedans escorchée et
sanglante, par avoir en violence grande retenu un des gume-
nes, et, entendant le discours de Pantagruel, dist : « Croyez,
seigneur, que j'ay eu de paour et de frayeur non moins que
Panurge. Mais quoy? Je ne me suys espargné au secours. Je
consydere que si vrayement mourir est (comme est) de néces-
sité fatale et inévitable, en telle ou telle heure, en telle ou telle
façon mourir est en la saincte volunté de Dieu. Pourtant, icel-
luy fault incessamment implorer, invocqucr, prier, requérir,
suppHer. Mais là ne fault faire but et bournc : de nostre part,
convient pareillement nous évertuer, et, comme dict le sainct
Envoyé, estre cooperateurs avecques luy. Vous sçavez que
dist C. Flaminius, consul, lors que, par l'astuce de Annibal,
il feut resserré prés le lac de Peruse dict Thrasymene. « En-
fans, dist il à ses soubdards, d'icy sortir ne vous fault espérer
par veuz et imploration des Dieux. Par force et vertus il nous
convient évader, et à fil d'espée chemin faire par le mylieu
des ennemis. « Pareillement, eu Salluste, l'ayde (dist M. Por-
tius Cato) des Dieux n'est impetrée par veuz ocieux, par
lamentations muliebres. En veiglant, travaillant, soy éver-
tuant, toutes choses succèdent à soubhayt et bon port. Si, en
nécessité et dangicr, est l'homme négligent, eviré et paresseux,
92 LIVRE IV, CHAPITRE XXIV
sans propous il implore les Dieux. Ils sont irritez et indignez,
— Je me donne au Diable, dist frère Jan j'en suys de moi-
tié, dist Panurge), si le clous de Seuillénc fust tout vendangé
et destruict, si je ne eusse que chanté Contra hoslium insidias
(matière de bréviaire), comme faisoient les aultres Diables de
moines, sans secourir la vigne à coups de baston de la croix
contre les pillars de Lemé.
— Vogue la gualere, dist Panurge, tout va bien. Frère
Jan ne faict rien là. Il s'appelle frère Jan faictncant, et me
reguarde icy suant et travaillant pour ayder à ccstuy home
de bien. Matelot premier de ce nom. Nostre amé, ho. Deux
motz, mais que je ne vous fasche. De quante espesseur sont
les ais de ccste nauf ? — Elles sont, respondit le pilot, de deux
bons doigts espesses, n'ayez paour. — Vertus Dieu, dist
Panurge, nous sommes doncques continuellement à deux
doigtz près de la mort. Est ce cy une des neuf joyes de
j mariage? Ha, nostre aine, vous faictes bien, mesurant le péril
V ' à l'aulne de paour. Je n'en ay poinct, quant est de moy, je
m'appelle Guillaume sans paour. De couraige. tant et plus.
\ Je ne entends couraige de brebis; je diz couraige de loup,
' asceurance de meurtrier. Et ne crains rien que les dangiers. »
CHAPITRE XXIV
COMMENT, PAR FRERE JAN, PANURGE EST DECLAIRÉ AVOIR EU
PEUR SAKS CAUSE DURANT L'oRAIGE
« Bon jour, messieurs, dist Panurge, bon jour trestous.
Vous vous portez bien trestous. Dieu mercy, et vous? Vous
soyez les bien et à propous venuz. Descendons. Hespailliers,
hau, jectez le pontal : approche cestuy esquif. Vous ayderay
je encores là? Je suis allouvy et affamé de bien faire et tra-
PANTAGRUEL 93
vailler, comme quatre bœufz. Vrayement voycy un beau
lieu, et bonnes gens. Enfans, avez vous encores affaires de
mon ayde? N'espargnez la sueur de mon corps, pour l'amour
de Dieu. Adam, c'est l'home, nasquit pour labourer et tra-
vailler, comme l'oyseau pour voler. Nostre Seigneur veult,
entendez vous bien? que nous mangeons nostre pain en la
sueur de nos corps, non pas rien ne faisans, comme ce penail-
lon de moine que voyez, frexa Jan, qui boyt, et meurt de
paour. Voycy beau temps. A ceste heure congnois je la res-
ponse de Anacharsis le noble philosophe estre véritable et
bien en raison fondée, quand il, interrogé quelle navire luy
sembloit la plus sceure, respondit : Celle qui seroit on port.
— Encores mieulx, dist Pantagruel, quand il, interrogé
des quelz plus grand estoit le nombre, des mors ou des vivans,
demanda : Entre les quelz comptez vous ceux qui naviguent
sus mer ? Subtilement signifiant que ceulx qui sus mer navi-
gent, tant près sont du continuel dangier de mort qu'ilz vivent
mourans, et mourent vivons. Ainsi Portius Cato disoit de
troys choses seulement soy repentir. Sçavoir est s'il avoit
jamais son secret à femme révélé; si en oisyveté jamais avoir
un jour passé, et si par mer il avoit peregriné en lieu aultre-
ment accessible par terre.
— Par le digne froc que je porte, dist frère Jan à Panurge,
couillon mon amy, durant la tempeste tu as eu paour sans
cause et sans raison. Car tes destinées fatales ne sont à périr
en eau. Tu seras hault en l'air certainement pendu, ou bruslé
guaillard comme un père. Seigneur, voulez vous un bon gua-
ban contre la pluie ? Laissez moy ces manteaulx de Loup et de
Bedouault. Faites escorcher Panurge, et de sa peau couvrez
vous. N'approchez pas du feu, et ne passez par davant les
forges des mareschaulx, de par Dieu : en un moment, vous la
voyriez en cendres; mais à la pluie exposez vous tant que
vouldrez, à la neige et à la gresle. Voire, par Dieu, jectez vous
au plonge dedans le profond de l'eau, ja ne serez pourtant
Q^ LIVRE IV, CHAPITRE XXV
mouillé. Faictez en bottes d'hyver, jamais ne prendront eau.
Faitez en des nasses pour apprendre les jeunes gens à naiger :
ilz apprendront sans dangier.
— Sa peau doncques, dist Pantagruel, seroit comme l'herbe
dicte Cheveu de Venus, laquelle jamais n'est mouillée, ne
remoytie, tous jours est seiche, encores qu'elle feust au pro-
fond de l'eau tant que vouldrez : pouitant, est dicte Adiantos.
— Panurge, mon amy, dist frère Jan, n'aye jamais paour
de l'eau, je t'en prie. Par élément contraire sera ta vie ter-
minée. — Voire, respondit Panurge; mais les cuisiniers des
Diables resvent quelque foys, et errent en leur ofi&ce : et met-
tent souvent bouillir ce qu'on destinoit pour roustir; comme,
en la cuisine de céans, les maistres Queux souvent lardent
Perdris, Ramiers et Bizets, en intention (comme est vray
semblable) de les mettre roustir. Advient toutes foys que les
Perdris aux choux, les ramiers aux pourreaulx, et les bizets
ilz mettent bouillir auxnaveaulx.
« Escoutez, beaulx amis : Je proteste davanl la noble com-
paignie que, de la chapelle vouée à monsieur S. Nicolas entre
Quande et Monssoreau, j'entends que sera une chappelle
d'eau rose, en laquelle ne paistra vache ne veau; car je la
jetteray au fond de l'eau. — Voylà, dist Eusthenes, le gual-
lant. Voylà le guallant, guallant et demy ! C'est vérifié le,) \
proverbe Lombardique : • ; ' ■'^ . K^
Passato el pericolo, gàbbato el santo. iV ^^ ^j^ >
^^;- yi
CHAPITRE XXV
COMMENT, APRÈS LA TEMPESTE, PANTAGRUEL DESCENDIT
ES ISLES DES MACR.CONS
Sus l'instant nous descendismes au port d'une isle laquelle
on nommoit l'isle des Macraeons. Les bonnes gens du lieu nous
PANTAGRUEL 95
repceurent honorablement. Un vieil Macrobe (ainsi nom-
moient ilz leur maistrc eschevin) voiiloit mener Pantagruel
en la maison commune de la ville, pour soy rofraischir à son
aise, et prandre sa réfection. Mais il ne voulut partir du mole
que tous ses gens ne feussent en terre. Après les avoir recon-
gncuz, commenda chascun estrc mué de vestemens, et toutes
les munitions des naufz estre en terre exposées, à ce que
toutes les chormes feissent chère lie. Ce que feut incontinent
faict. Et Dieu sçayt comment il y eut beu et guallc. Tout
le peuple du lieu apportoit vivres en abondance. Les Panta-
gruelistes leurs en donnoient d'adventaigo. Vray est que leurs
provisions estoient aulcunement endommagées par la tem-
peste précédente. Le repas finy, Pantagruel pria un chascun
soy mettre en office et debvoir pour reparer le briz. Ce que
feirent et de bon hayt. La réparation leur estoit facile, parce
que tout le peuple de l'isle estoient charpentiers, et tous
artizanz telz que voyez en l'arsenac de Venise ; et l'isle grande
seulement estoit habitée en trois portz et dix parœces : le
reste estoit boys de haulte fustaye, et désert comme si feust
la forest de Ardeine.
A nostre instance, le vieil Macrobe monstra ce que estoit
spectable et insigne en l'isle. Et, par la forest umbrageuse et
déserte, descouvrit plusieurs vieulx temples ruinez, plusieurs
obelisces, pyramides, monumens et sepulchres antiques,
avecques inscriptions et epitaphes divers. Les uns en lettres
Hieroglyphicques, les aultres en languaigc lonicque, les aul-
tres en langue Arabicque, Agarene, Sclavonicquc, et aultres.
Des quelz Epistemon fit extraict curieusement. Ce pendent
Panurge dist à frère Jan : « Icy est l'isle des Macraeons.
Macraeon, en grec, signifie vieillart, home qui a des ans beau-
coup.
— Que veulx tu, dist frère Jan, que j'en face? Veulx tu que
je m'en defface? Je n'estoys mie on pays lors que ainsi feut
baptisée.
96 LIVRE IV, CHAPITRE XXVI
— A propous, respondit Panurge, je croy que le nom de
maquerelle en est extraict. Car maquerellaige ne compete
que aux vieilles : aux jeunes compete culletaige. Pourtant
scroit ce à penser que icy feust l'isle Maquerelle, original et
prototype de celle qui est à Paris. Allons pescher des huytres
en escalle. »
Le vieil Macrobe, en languaige lonicque, demandoit à Pan-
tagruel comment et par quelle industrie et labeur estoit
abourdé à leur port celle journée, en laquelle avoit esté trou-
blement de l'air, et tem peste de mer tant horrificque. Panta-
gruel luy respondit que le hault Servateur avoit eu esguard à
la simplicité et syncere affection de ses gens, les quelz ne
voyageoient pour guain ne traficque de marchandise. Une et
seule cause les avoit en mer mis, sçavoir est studieux désir de
veoir, apprendre, congnoistre, visiter l'oracle de Bacbuc, et
avoir le mot de la Bouteille, sus quelques difficultez proposées
par quelqu'un de la compaignie. Toutesfoys ce ne avoit esté
sans grande affliction et dangier évident de naufraige. Puis
luy demanda quelle cause luy sembloit estre de cestuy espou-
vantable fortunal, et si les mers adjacentes d'icelle isle
estoient ainsi ordinairement subjectes à tempestes, comme,
en la mer Océane, sont les Ratz de Sanmaieu, Maumusson, et,
en la mer ^lediterranée, le gouffre de Satalie, Montargentan ,
Plombin, Capo Melio en Laconie, l'estroict de Gilbathar, le
far de Messine, et aultres.
CHAPITRE XXVl
COMMENT LE BON MACROBE R.^CONTE A PANTAGRUEL LE MANOIR
ET DISCESSION DES HEROES
Adoncques respondit le bon Macrobe : « Amys peregrins,
icy est une des isles Sporades, non de vos Sporades qui sont
PANTAGRUEL 97
en la mer Carpathic, mais des Sporades de l'Océan : jadis
riche, fréquente, opulente, marchande, populeuse, et subjecte
au dominateur de Bretaigne. Maintenant, par laps de temps
et sus la declination du monde, paouvre et déserte comme
voyez.
« En ceste obscure forest que voyez, longue et ample plus
de soixante et dixhuict mille parasanges, est l'habitation des
Démons et Heroes, les quelz sont devenuz vieulx, et croyons,
plus ne luysant le comète présentement, lequel nous appa-
rent par trois entiers jours precedens, que hier en soit mort
quelqu'un, du trespas duquel soyt excitée celle horrible tem-
peste que avez paty : car, eulx vivens, tout bien abonde en ce
lieu et aultres isles voisines, et, en mer, est bonache et séré-
nité continuelle. Au trespas d'un chascun d'iceulx, ordinai-
rement ayons nous par la forest grandes et pitoyables lamen-
tations, et voyons en terre pestes, vimeres et afflictions; en
l'air, troublemens et ténèbres; en mer, tempeste et fortunal.
— Il y a, dist Pantagruel, de l'apparence en ce que dictes.
Car, comme la torche ou la chandelle, tout le temps qu'elle
est vivente et ardente, luist es assistans, esclairetout autour,
délecte un chascun, et à chascim expose son service et sa
clarté, ne faict mal ne desplaisir à personne; sus l'instant
qu'elle est extaincte, par sa fumée et evaporation elle infec-
tionne l'air, elle nuist es assistans, et à un chascun desplaist.
Ainsi est il de ces âmes nobles et insignes. Tout le temps
qu'elles habitent leurs corps, est leur demeure pacificque,
utile, délectable, honorable; sus l'heure de leur discession
communément adviennent par les isles et continens grands
tremblemens en l'air, ténèbres, fouldres, gresles; en terre,
concussions, tremblemens, estonnemens : en mer, fortunal et
tempeste, avec lamentations des peuples, mutations des
religions, transports des Royaulmes, et eversions des Repu-
bUcques.
— Nous, dist Epistemon, en avons naguieres veu l'expe-
T. II. 7
gS I.IVKE IV, CHAPITRE XXVI
rience on deces du preux et docte chevalier Guillaume du
Bellay, lequel vivant, France estoit en telle félicité que tout
le monde avoit sus elle envie, tout le monde se rallioit, tout
le monde la redoubtoit. Soubdain après son trespas, elle a esté
en mespris de tout le monde bien longuement.
— Ainsi, dist Pantagruel, mort Anchise à Drepani en Sicile,
la tempeste donna terrible vexasion à ^Enéas. C'est par adven-
ture la cause pourquoy Herodes, le tyrant et cruel roy de
Judée, soy voyant prés de mort horrible et espovantable en
nature (car il mourut d'une Phthiriasis, mangé des verms et
des poulx, comme paravant estoient morts L. Sylla, Phere-
tydes S^Tien, précepteur de Pythagoras, le poëte Gregeoys
Alcman et aultres), et prévoyant qu'à sa mort les Juifz
feroient feuz de joye, feist en son Serrail, de toutes les villes,
bourguades, et chasteaulx de Judée, tous les nobles et magis-
tratz convenir, soubs couleur et occasion fraudulente de
leurs vouloir choses d'importance communicquer, pour le
régime et tuition de la province. Iceulx venuz et comparens
en personnes feist en l'hippodrome du Serrail reserrer. Puys
dist à sa sœur Salomé, et à son mary Alexandre : « Je suis
asceuré que de ma mort les Juifz se esjouiront; mais, si
entendre voulez et exécuter ce que vous diray, mes exeques
seront honorables, et y sera lamentation publicque. Sus
l'instant que seray trespassé, faictez, par les archiers de ma
guarde, es quelz j'en ay expiess commission donné, tuer tous
ces nobles et magistratz qui sont céans reserrés. Ainsi faisans,
toute Judée maulgré soy en dueil et lamentation sera, et
semblera es estrangiers que ce soit à cause de mon trespas,
comme si quelque ame héroïque feust decedée. »
«Autant en afïectoit un désespéré tyran, quand il dist :
« Moy mourant, la terre soyt avecques le feu meslée; » c'est
à dire périsse tout le monde. Lequel mot Néron le truant
changea, disant : « I\Ioy vivant, » corrnne atteste Suétone.
Geste détestable parole, de laquelle parlent Cicero, lib. III,
PANTAGRUEL 99
de Finibus, et Seneque, lib. II, de Clémence, est par Dion
Nicseus et Suidas attribuée à l'empereur Tibère. »
CHAPITRE XXVII
COMMENT PANTAGRUEL RAISONNE SUR LA DISCESSION
DES AMES HEROÏQUES
ET DES PRODIGES HORRIFICQUES QUI PRECEDERENT LE TRESPAS
DU FEU SEIGNEUR DE LANGEY
« Je ne vouldrois (dist Pantagruel continuant) n'avoir
pati la tormente marine laquelle tant nous a vexez et tra-
vaillez, pour non entendre ce que nous dict ce bon Macrobe.
Encores suys je facilement induict à croyre ce qu'il nous a
dict du comète veu en l'air par certains jours precedens telle
dicession. Car aulcunes telles âmes tant son nobles, précieuses
et heroïcques, que, de leur deslogeraent et trespas, nous est
certains jours davant donnée signification des cieulx. Et,
comme le prudent medicin, voyant par les signes pronosticz
son malade entrer en decours de mort, par quelques jours
davant advertist les femme, enfans, parens et amis, du deces
imminent du mary, père, ou prochain, afïïn qu'en ce reste de
temps qu'il a de vivre ilz l'admonnestent donner ordre à sa
maison, exhorter et benistre ses enfans, recommander la
viduité de sa femme, declaii'cr ce qu'il sçaura estre néces-
saire à l'entretenement des pupilles, et ne soyt de mort sur-
prins sans tester et ordonner de son ame et de sa maison :
semblablement les cieulx bénévoles, comme joyeulx de la
nouvelle réception de ces béates âmes, avant leur deces sem-
blent faire feuz de joye par telz comètes et apparitions
météores. Les quelles veulent les cieulx estre aux humains
pour pronostic certain et veridicque prédiction que, dedans
lOO LIVRE IV, CHAPITRE XXVII
peu de jours, telles vénérables âmes laisseront leurs corps et
la terre.
« Ne plus ne moins que jadis, en Athènes, les juges Aréopa-
gites, ballotans pour le jugement des criminelz prisonniers;
usoient de certaines notes scelon la variété des sentences:
par 0 signifians condemnation à mort; par T, absolution;
par A, ampliation : sçavoir est quand le cas n'estoit encores
liquidé. Icelles, publiquement exposées, houstoient d'esmoy
et pensement les parens, amis et aultres, curieulx d'entendre
quelle seroit l'issue et jugement des malfaicteurs detenuz en
prison. Ainsi, par telz comètes, comme par notes etherées,
disent les cieulx tacitement : Hommes mortelz, si de cestes
hemreuses âmes voulez chose aulcune sçavoir, apprandre,
entendre, congnoistre, prévoir, touchant le bien et utilité
publicque ou privée, faitez diligence de vous représenter à
elles, et d'elles response avoir; car la fin et catastrophe de la
comœdie approche. Icelle passée, en vain vous les regretterez,
« Font d'adventaige. C'est que, pour declairer la terre et
gens terriens n'estre dignes de la présence, compaignie et
fruition de telles insignes âmes, Festonnent et espovantent
par prodiges, portentes, monstres, et aultres precedens signes
formez contre tout oidre de nature. Ce que veismes plusieurs
jours avant le département de celle tant illustre, généreuse et
héroïque ame du docte et preux chevalier de Langey, duquel
vous avez parlé.
— Il m'en souvient, dist Epistemon, et encores me fris-
sonne et tremble le cœur dedans sa capsule, quand je pense
es prodiges tant divers et horrificques lesquelz vismes aper-
tement cinq et six joms avant son départ. De mode que les
seigneurs de Assier, Chemant, Mailly le borgne, Sainct Ayl,
Villeneufve la Guyart, maistre Gabriel medicin de Savillan,
Rabelays, Cohuau, Massuau, Maiorici, Bullou, Cercu dit
Bourguemaistre, François Proust, Ferron, Charles Girard,
François Bourré, et tant d'aultres, amys, domesticques et
PANTAGRUEL lOI
serviteurs du defunct, tous effrayez, se regardoient les uns
les aultres en silence, sans mot dire de bouche, mais bien tous
pensans et prevoyans en leurs entendcmens que de brief
seroit France privée d'un tant perfaict et nécessaire chevalier
à sa gloire et protection, et que les cieulx le repetoient comme
à eulx deu par propriété naturelle.
— Huppe de froc, dist frère Jan, je veulx devenir clerc sus
mes vieulx jours. J'ay assez belle entendouoire, voire. Je vous
demande en demandant, comme le roy à son sergent, et la
Royne à son enfant : Ces Heroes icy et Semidieux des quelz
avez parlé peuvent ilz par mort finir? Par nettre dene, je
pensoys en pensaroys qu'ilz fussent immortelz, comme
beaulx anges. Dieu me le veueille pardonner. Mais ce reveren-
dissime Macrobe dict qu'ilz meurent finablement.
— Non tous, respondit Pantagruel. Les Stoïciens les disoient
tous estre mortelz, un excepté, qui seul est immortel, impas-
sible, invisible.
« Pindarus apertement dict es déesses Hamadryades plus
de fil, c'est à dire plus de vie n'estre fille de la quenoille et
fillasse des Destinées et Parces iniques que es arbres par elles
conservées. Ce sont chesnes, des quelz elles nasquirent scelon
l'opinion de Callimachus, et de Pausanias, in Phoci. Es quelz
consent Martianus Capella. Quant aux Semidieux, Panes,
Satyres, SyJvains, Folletz, ^gipanes. Nymphes, Heroes et
Démons, plusieurs ont, par la somme totale résultante des
aages divers supputez par Hésiode, compté leurs vies estre de
9,720 ans : nombre composé de unité passante en quadrinité,
et la quadrinité entière quatre foys en soy doublée, puys le
tout cinq fois multiplié par soUdes triangles. Voyez Plutarche
on livre de la Cessation des oracles.
— Cela, dist Irere Jan, n'est point matière de bréviaire.
Je n'en croy si non ce que vous plaira. — Je croy, dist Panta-
gruel, que toutes âmes intellecLives sont exemptes des
cizeaulx de Atropos. Toutes sont immortelles : Anges,
I02 LIVRE IV, CHAPITRE XXVIII
Démons et Humaines. Je vous diray toutes foys une histoire
bien estrange, mais escripte et asceurée par plusieurs doctes
et sçavans historiographes, à ce propous. »
CHAPITRE XXVHI
COMMENT PANTAGRUEL RACONTE UNE PITOYABLE HISTOIRE
TOUCHANT LE TRESPAS DES HEROES
« Epitherscs, père de iEmiUan rhéteur, naviguant de Grèce
en Itahe dedans une nauf chargée de diverses marchandises
et plusieurs voyagiers, sus le soir, cessant le vent auprès des
isles Echinades, les quelles sont entre la Morée et Tunis, feut
leur nauf portée près de Paxes. Estant là abourdée, aulcuns
des voyagiers dormans, aultres veiglans, aultres beuvans, et
souppans, feut de l'isle de Paxes ouie une voix de quelqu'un
qui haultement appeloit Thamoim. Auquel cry tous feurent
espovantez. Cestuy Thamous estoit leur pilot natif de ^Egypte,
mais non connu de nom, fors à quelques uns des voyagiers,
Fut secondement ouie ceste voix : laquelle appelloit Tha-
moiin en cris horrificques. Personne ne respondent, mais tous
restans en silence et trépidation, en tierce foys ceste voix fut
ouie plus terrible que davant. Dont advint que Thamous
respondit : « Je suis icy, que me demande tu? que veulx tu
que je face? » Lors feut icelle voix plus haultement ouie, luy
disant et commandant, quand il seroit en Palodes, publier et
dire que Pan le grand dieu estoit mort.
« Ceste parolle entendue , disoyt Epitherses tous les nauchiers
et voyaigiers s'estre esbahiz et grandement effrayés : et entre
eulx dehberans quel seroit meilleur ou taire ou publier ce que
avoit esté commandé, dist Thamous sou advis eslre, advenant
PANTAGRUEL I03
que lors ilz eussent vent en pouppc, passer oultre sans mot dire ;
advcnent qu'il feust calme en mer, signifier ce qu'il avoit ouy.
Quand doncques furent prés Palodes advint qu'ilz n'eurent ne
vent ne courant. Adoncques Thamous montant en propre, et
en terre projectant sa veuc, dist, ainsi que luy estoit com-
mandé, que Pan le grand estoit mort. Il n 'avoit encores
achevé le dernier mot quand feurent entenduz grands sous-
pirs, grandes lamentations et effroiz en terre, non d'une per-
sonne seule, mais de plusieurs ensemble. Cestc nouvelle (parce
que plusieurs avoient esté presens) feut bien toust divulguée
en Rome. Et envoya Tibère Caesar, lors empereur en Rome,
quérir cestuy Thamous. Et, l'avoir entendu parler, adjousta
foy à ses paroUes. Et se guementant es gens doctes qui pour
lors estoient en sa court et en Rome en bon nombre, qui estoit
cestuy Pan, trouva par leur raport qu'il avoit esté filz deîMcr-
cure et de Pénélope. Ainsi au paravant l'avoient escript Héro-
dote, et Ciceron on tiers hvre De la Nature des dieux. Toutes-
foys je le interpretcroys de celluy grand Servateur des fidèles,
qui feut en Judée ignominieusement occis par l'envie et ini-
quité des Pontifes, docteurs, prebstres et moines de la loy
Mosaïcque. Et ne me semble l'interprétation abhorrente :
car à bon droict peut il estre en languaige Gregoys dict Pan,
veu que il est le nostre Tout, tout ce que sommes, tout ce que
vivons, tout ce que avons, tout ce que espérons est luy, en
luy, de luy, par luy. C'est le bon Pan, le grand pasteur, qui,
comme atteste le bergier passionné Corydon, non seulement
a en amour et affection ses brebis, mais aussi ses bergiers. A
la mort duquel feurent plaincts, souspirs, effroys et lamen-
tations en toute la machine de l'Univers cieulx, terre, mer,
enfers. A ceste miene interprétation compete le temps, car
cestuy tresbon, tresgrand Pan, nostre unique Servateur,
mourut lez Hierusalem, régnant en Rome Tibère Caesar. »
Pantagruel, ce propos finy, resta en silence et profonde
contemplation. Peu de temps après, nous veismes les larmes
I04 LIVRE IV, CHAPITRE XXIX
decouller de ses œilz grosses comme œufz de Austruche. Je
me demie à Dieu, si j'en mens d'un seul mot.
CHAPITRE XXIX
COMMENT PANTAGRUEL PASSA L'ISLE DE TAPINOIS, EN LAQUELLE
REGNOIT QUARESMEPRENANT
Les naufz du joyeuix convoy refaictes et réparées, les vie-'
tuailles refraichiz, les Macraeons plus que contens et satis-
faicts de la despense que y avoit faict Pantagruel, nos gens
plus joyeuix que de coustume, au jour subséquent feut voile
faicte au serain et délicieux Aguyon, en grande alaigresse.
Sus le liault du jour feut, par Xenomanes, monstre de loing
l'isle de Tapinois, en laquelle regnoit Quaresmeprenant,
duquel Pantagruel avoit aultre foys ouy parler, et l'eust
voluntiers veu en personne, ne feut que Xenomanes l'en
descouraigea, tant pour le grand destour du chemin que
pour le maigre passetemps qu'il dist estre en toute l'isle et
court du Seigneur. « Vous y voirez, disoit-il, pour tout potaige
un grand avaUeur de poys gris, un grand cacquerotier, un
grand preneur de Taulpes, un grand boteleur de foin, un
demy géant à poil follet et double tonsure, extraict de Lan-
temoys, bien grand lantemier, confalonnier de Icthyophages,
dictateur de Moustardois, fouetteur de petitz enfans, calci-
neur de cendres, père et nourrisson des medicins, foisonnant
en pardons, indulgences et stations : homme de bien, bon
cathoUc et de grande dévotion. Il pleure les troys pars du
jour. Jamais ne se trouve aux nopces. Vray est que c'est le
plus industrieux faiseur de lardoueres et brochettes qui soit
en quarante royaulmes. Il y a environ six ans que, passant
PANTAGRUEL IO5
par Tapinois, j'en emportay une grosse, et la donnay aux
bouchiers de Quande. Hz les estimèrent beaucoup, et non
sans cause. Je vous en monstreray à nostre retour deux atta-
chées sus le grand portail. Les alimens des quelz il se paist
sont aubers saliez, casquets, morrions saliez et salades sallees.
Dont quelque foys patit une lourde pissechaulde. Ses habil-
lemens sont joyeulx, tant en façon comme en couleur, car
il porte gris et froid : rien davant et rien darriere, et les man-
ches de mesmes.
— Vous me ferez plaisir, dist Pantagruel, si, comme
m'avez exposé ses vestemens, ses alimens, sa manière de
faire, et ses passetemps, aussi me exposez sa forme et corpu-
lence en toutes ses parties. — Je t'en prie, CouiUette, dist
frère Jan, car je l'ay trouvé dedans mon bréviaire : et s'en-
suyt après les festes mobiles. — Voluntiers, respondit Xeno-
manes. Nous en oyrons par adventure plus amplement parler
passans l'isle Farouche, en laquelle dominent les Andouilles
farfelues, ses^nriemies mortelles, contre lesquelles il a guerre
sempiternçlle. Et ne feust l'aide du noble Mardigras, leur pro-
tecteur et bon voisin, ce grand Lantemier Quaresmeprenant
les eust ja piéça exterminées de leur manoir. — Sont elles,
demandoit frère Jan, masles ou femelles? anges ou mortelles?
femmes ou pucelles? — Elles sont, respondit Xenomanes,
femelles en sexe, mortelles en condition : aulcunes pucelles,
aultres non. — Je me donne au Diable, dist frère Jan, si je
ne suys pour elles. Quel desordre est ce en nature, faire guerre
contre les femmes? Retournons. Sacmentons ce grand villain.
— Combattre Quaresmeprenant, dist Panurge, de par tous les
Diables, je ne suys pas si fol et hardy ensemble. Ouid juris, si
nous trouvions enveloppez entre Andouilles et Quaresmepre-
nant? entre l'enclume et les marteaulx? Cancre. Houstez
vous de là. Tirons oultre. Adieu, vous diz, Quaresmeprenant.
Je vous recommande les Andouilles, et n'oubUez pas les Bou-
dins. »
io6
LIVRE IV, CHAPITRE XXX
CHAPITRE XXX
COMMENT PAR XENOMANES EST ANATOMISÉ
ET DESCRIPT QU ARESMEPREN ANT
« Quaresmeprenant, dist Xenomanes, quant aux parties
internes, a (au moins de mon temps avoit) la cervelle en gran-
deur, couleur, substance et vigueur, semblable au couillon
gauche d'un ciron masle.
Les ventricules d'icelle, comme un
tirefond.
L'excrescence vermiforme, comme
un pillemaille.
Les membranes, comme la coque-
luche d'un moine.
L'entonnoir, comme un oiseau de
masson.
La voulte, comme un gouimphe.
Le conare, comme un veze.
Le retz admirable, comme un
chanfrain.
Les additamens mammillaircs,
comme un bobelin.
Les tympanes, comme un moul-
linet.
Les os petreux, comme un plumail.
La nucque, comme un fallot.
Les nerfz, comme un robinet.
La luette, comme une sarbataine.
Le palat, comme une moufle.
La salive, comme une navette.
Les amygdales, comme limettes à
un œil.
Le isthme, comme une portouoire.
Le gouzier, comme un panier ven-
dangerct.
L'estomac, comme un baudrier.
Le pylore, comme une fourche fiere.
L'aspre artère, conune un gouet.
Le guaviet, comme un peloton d'es-
toupes.
Le poulmon, comme une aumusse.
Le cœur, comme une chasuble.
Le mediastin, comme un guodet.
La plèvre, comme un bec de corbin.
Les artères, comme une cappe de
Biart.
Le diaphragme, comme un bonnet
à la coquarde.
Le foye, comme une bezagiie.
Les venes, comme un châssis.
La râtelle, comme im courquaillet.
Les boyaulx, comme un tramail.
Le fiel, comme une dolouoire.
La fressure, comme un guantelet.
Le mesantere, comme une mitre
abbatiale.
L'intestin jeun, comme un daviet.
L'intestin borgne, comme un plas-
tron.
Le colon, comme une brinde.
Le boyau cullier, comme un bour-
rabaquin monachal.
Les roignons, comme une truelle.
Les lumbes, comme un cathenat.
Les pores uretères, comme une cra-
mailliere.
Les veines emulgeutes, comme deux
glyphouoires.
PANTAGRUEL
ÎO7
Les vases spennatiques, comme un
guasteau feueilleté.
Les parastates, comme un pot à
plume.
La vessie, comme un arc à jallet.
Le col d'icelle, comme un batail.
Le mirach, comme un chappeau
Albanois.
Le siphach, comme un brassai.
Les muscles, comme im soufflet.
Les tendons, comme un guand
d'oyseau.
Les ligamens, comme une escar-
celle.
Les os, comme cassemuseaulz.
La moelle, comme un bissac.
Les cartilages, comme ime tortue
de guarigues.
Les adenes, comme une serpe.
Les esprits animaulx, comme
grands coups de poing.
Les esprits vitaulx, comme longues
chiquenauldes.
Le sang bouillant, comme nazardes
multipliées.
L'urine, comme un papefigue.
La geniture, comme un cent de
clous à latte. Et me contoit sa
nourrice qu'il, estant marié avec
la Myquaresme, engendra seule-
ment nombre de Adverbes lo-
caul.x, et certains jeimes doubles.
La mémoire avait comme une es-
charpe.
Le sens commun, comme un bour-
don.
L'imagination, comme un carillon-
nement de cloches.
Les pensées, comme un vol d'es-
toumeaulx.
La conscience, comme un denige-
ment de heronneaulx.
Les délibérations, comme une
pochée d'orgues.
La repentance, comme l'equippage
d'un double canon.
Les entreprinses, comme la saboure
d'un gallion.
L'entendement, comme un bré-
viaire dessiré.
Les intelligences, comme limaz sor-
tans des fraires,
La volunté, comme troys noix en
une escuelle.
Le désir, comme six boteaux de
sainct foin.
Le jugement, comme un chausse-
pied.
La discrétion, comme une moufle.
La raison, comme un tabouret.
CHAPITRE XXXI
ANATOMIE DE QU ARESMEP REN ANT QUANÎ AUX PARTIES
EXTERNES
« Quaresmeprenant, disoit Xenomanes continuant, quant
aux parties externes, estoit un peu mieulx proportionné,
exceptez les sept costes qu'il a voit oultre la forme commune
des humains.
io8
LIVRE IV, CHAPITRE XXXI
Les orteilz avoit comme une espi-
nette orguanisée.
Les ongles, comme une vrille.
Les pieds, comme une guinteme.
Les talons, comme une massue.
La plante, comme un creziou.
Les jambes, comme un leurre.
Les genoulz, comme un escabeau.
Les cuisses, comme \m crenequin.
Les hanches, comme un vibrequin.
Le ventre à poulaines, boutonné
scelon la mode antique, et ceinct
à l'antibust.
Le nombril, comme ime vielle.
La peniUiere, comme ime dariolle.
Le membre, comme une pantouphle.
Les couilles, comme une guedoufle.
Les genitoires, comme un rabbot.
Les cremasteres, comme une ra-
quette.
Le perinœum, comme im flageolet.
Le trou du cul, comme un mirouoir
crystaUin.
Les fesses, comme une herse.
Les reins, comme vm pot beurrier.
L'alkatin, comme un biUart.
Le dours, comme une arbaleste de
passe.
Les spondyles, comme xme corne-
muse.
Les coustes, comme im rouet.
Le bréchet, comme un baldachin.
Les omoplates, comme un mortier.
La poictrine, comme im jeu de re-
guales.
Les mammelles, comme un cornet à
bouquin.
Les aisselles, comme un eschiquier.
Les espaules, comme une civière à
braz.
Les braz, comme une barbute.
Les doigts, comme landiers de frarie.
Les rasettes, comme deux eschasses.
Les fauciles, comme faucilles.
Les coubdes, comme ratouoires.
Les mains, comme une estrille.
Le col, comme ime salûeme.
La guorge, comme une chausse
d'Hippocras.
Le nou, comme un baril : auquel
pendoient deux guoytrouz de
bronze bien beaulx et harmo-
nieux, en forme d'une horologe
de sable.
La barbe, comme une lanterne.
Le menton, comme un potiron.
Les aureilles, comme deux mitaines.
Le nez, comme un brodequin anté
en escusson.
Les narines, comme un béguin.
Les soucilles, comme une hche-
frette.
Sus la soucille gauche avoir un seing
en forme et grandeur d'im urinai.
Les paulpieres, comme un rebec.
Les œilz, comme un estuy de
peigne.
Les nerfz opticques, comme un
fuzil.
Le front, comme une retombe.
Les temples, comme une chante-
pleure.
Les joues, comme deux sabbotz.
Les maschoueres, comme un guou-
belet.
Les dents, comme im vouge. De
ses telles dents de laict vous
trouverez une à Colonges les
Royaulx en Poictou, et deux à
la Brosse en Xantonge, sus la
porte de la cave.
La langue, comme ime harpe.
La bouche, comme ime housse.
Le visage historié, comme im bast
de mulet.
La teste, contournée, comme un
alambic.
Le crâne, comme une gibbessiere.
Les coustures, comme im anneau
de pescheur.
La peau, comme une gualvardine.
L'epidermis, comme im beluteau.
Les cheveulx, comme ime dcrotoire.
Le poil, tel comme a esté dict.
PANTAGRUEL
109
CHAPITRE XXXII
CONTINUATION DES CONTENANCES DE QUARES M EPRENANT
« Cas admirable en nature, dist Xenomanes continuant, est
veoir et entendre Testât de Quaresmeprenant.
S'il crachoit, c'estoient panerées de
chardonnette.
S'il mouchoit, c'estoient Anguil-
lettes salées.
S'il pleuroit, c'estoient Canars à
la dodine.
S'il trembloit, c'estoient grands
pastez de Lièvre.
S'il suoit, c'estoient Moulues au
beurre frays.
S'il rottoit, c'estoient huytres en
escalle.
S'il esternuoit, c'estoient pleins
barilz de Moustarde.
S'il toussoit, c'estoient boytes de
Coudignac.
S'il sanglouttoit, c'estoient denrées
de Cresson.
S'il baisloit, c'estoient potées de
poys pillez.
S'il souspiroit, c'estoient langues
de bœuf fumées.
S'il subloit, c'estoient bottées de
Cinges verds.
S'il ronfloit, c'estoient jadaulx de
febves frezes.
S'il rechinoit, c'estoient pieds de
Porc au sou.
S'il parloit, c'estoit gros bureau
d'Auvergne, tant s'en faUoit que
feust saye cramoisie, de laquelle
vouloit Parisatis estre les parolles
tissues de ceulx qui parloient à
son filz Cyrus, roy des Perses.
S'il soufloit, c'estoient troncs pour
les Indulgences.
S'il guygnoit des œilz, c'estoient
gauffres et Obelies.
S'il grondoit, c'estoient Chats de
Mars.
S'il dodelinoit de la teste, c'estoient
charrettes ferrées.
S'il faisoit la moue, c'estoient bas-
tons rompuz.
S'il marmonnoit, c'estoient jeux de
la bazoche.
S'il trepinoit, c'estoient respitz et
quinquenelles.
S'il recuUoit, c'estoient Coqueci-
grues de Mer.
S'il bavoit, c'estoient fours à
ban.
S'il estoit enroué, c'estoient entrées
de Moresques.
S'il petoit, c'estoient houzeaulx de
vache brune.
S'il vesnoit, c'estoient bottines de
cordouan.
S'il se grattoit, c'estoient ordon-
nances nouvelles.
S'il chantoit, c'estoient poys en
guousse.
S'il fiantoit, c'estoient potirons et
Morilles.
S'il buffoit, c'estoient choux à
l'huille, alias Caules amb'olif.
S'il discouroit, c'estoient neiges
d'Antan.
IIO LIVRE IV, CHAPITRE XXII
S'il se soucioit, c'estoit des rez et S'il songeoit, c'estoient vitz volans
des tonduz. et rampans contre une muraille.
Si rien donnoit, autant en avoit le S'il resvoit, c'estoient papiers ran-
brodeur. tiers.
« Cas cstrange : travailloit rien ne faisant, rien ne faisoit
travaillant. Corybantioit dormant, dormoit corybantiant,
les œilz ouvers comme font les Lièvres de Champaigne, crai-
gnant quelque camisade d'Andouilles, ses antiques ennemies.
Rioit en mordant, mordoit en riant. Rien ne mangeoit jeus-
nant, jeusnoit rien ne mangeant. Grignotoit par soubçon,
beuvoit par imagination. Se baignoit dessus les haults clo-
chers, se seichoit dedans les estangs et ri\deres. Peschoit en
l'air, et y prenoit Escrevisses decumanes. Chassoit on pro-
fond de la mer, et y trouvoit Ibices, Stamboucqs et Chamois.
De toutes Corneilles prinses en Tapinois, ordinairement pos-
choit les œilz. Rien ne craignoit que son umbre, et le cris des
gras chevreaulx. Battoit certains jours le pavé. Se jouoit es
cordes des ceincts. De son poing faisoit un maillot. Escrivoit
sus parchemin velu, avecques son gros gallimart, prognos-
tications et Almanachz.
— Voylà le guallant, dist frère Jean. C'est mon home. C'est
celluy que je cherche. Je luy vais mander un cartel.
— Voylà, dist Pantagruel, une estrange et monstrueuse
membreure d'home, si home le doibs nommer. Vous me rédui-
sez en mémoire la forme et contenance de Amodunt et Dis-
cordance.
— Quelle forme, demanda frère Jan, avoient ilz? Je n'en
ouy jamais parler. Dieu me le pardoient.
— Je vous en diray, respondit Pantagruel, ce que j'en ay
leu parmy les apologues antiques. Physis (c'est nature) en sa
première portée enfanta Beaulté et Harmonie sans copula-
tion chamelle, comme de soy mesmes est grandement féconde
et fertile. Antiphysie, laquelle de tout temps est partie ad-
verse de nature, incontinent eut envie sus cestuy tant beau et
PANTAGRUEL III
honorable enfantement : et au rebours, enfanta Amodunt et
Discordance par copulation de Tellumon. Hz avoient la teste
spherique et ronde entièrement, comme un ballon : non doul-
cement comprimée des deux coustez, comme est la forme
humaine. Les aureilles avoient hault enlevées, grandes comme
aureilles d'asne; les œilz hors la teste, fichez sur des os sem-
blables aux talons, sans soucilles, durs comme sont ceulx des
Cancres; les pieds ronds comme pelottes; les braz et mains
tournez en arrière vers les espaules. Et cheminoient sus leurs
testes, continuellement faisant la roue, cul sus teste, les pieds
contremont. Et (comme vous sçavez que es Cingesses sem-
blent leurs petits Cinges plus beaulx que chose du monde)
Antiphysie louoit et s'efforçoit prouver que la forme de ses
enfans plus belle estoit et advenente que des enfans de
Physis : disant que ainsi avoir les pieds et teste spheriques, et
ainsi cheminer circulairement en rouant, estoit la forme
compétente et perfaicte alleure retirante à quelque portion de
divinité : par laquelle les cieulx et toutes choses éternelles
sont ainsi contournées. Avoir les pieds en l'air, la teste en bas,
estoit imitation du créateur de l'Univers : veu que les che-
veulx sont en l'home comme racines, les jambes comme
rameaux. Car les arbres plus commodément sont en terre
fichées sus leurs racines que ne seroient sus leurs rameaux.
Par ceste démonstration alléguant que trop mieulx et plus
aptement estoient ses enfans comme une arbre droicte, que
ceulx de Physis, les quelz estoient comme une arbie renversée.
Quant est des braz et des mains, prouvoit que plus raisonna-
blement estoient tournez vers les espaules, parce que ceste
partie du corps ne doibvoit estre sans défenses : attendu que
le davant estoit competentement muny par les dens, des
quelles la personne peut, non seulement user en maschant,
sans l'ayde des mains, mais aussi s'en défendre contre les
choses nuisantes. Ainsi, par le tesmoignage et astipulation
des bestes brutes, tiroit tous les folz et insensez en a sens-
112 LIVRE IV, CHAPITRE XXIII
tence, et estoit en admiration à toutes gens escervelez et des-
guamiz de bon jugement et sens commun. Depuys elle engen-
dra les Matagotz, Cagotz et Papelars; les Maniacles, Pistoletz;
les Demoniacles Calvins, imposteurs de Genève; les enraigez
Putherbes, Briffaulx, Caphars, Chattemittes, Canibales, et
aultres monstres difformes et contrefaicts en despit de Na-
ture. »
CHAPITRE XXXIII
COMMENT PAR PANTAGRUEL PEUT UN MONSTRUEUX PHYSETERE
APPERCEU PRÉS L'ISLE FAROUCHE
Sus le hault du jour approchans l'isle Farouche, Pantagruel
de loing appercent un grand et monstrueux Physetere, venant
droict vers nous, bruyant, ronflant, enflé, enlevé plus hault
que les himes des naufz et jectant eaulx de la gueule en l'air
davant soy, comme si feust une grosse rivière tombante de
quelque montaigne. Pantagruel le monstra au pilot et à Xeno-
manes. Par le conseil du pilot feurent sonnées les trompettes
de la Thalamege en intonation de Guare Serre. A cestuy son,
toutes les naufz, gualhons, ramberges, liburnicques (scelon
qu'estoit leur discipline navale) se mirent en ordre et figure
telle qu'est le Y grégeois, lettre de Pithagoras; telle que
voyez observer par les Grues en leur vol; telle qu'est en un
angle acut : on cône et base de laquelle estoit ladicte Thala-
mege en equippage de vertueusement combattre.
Frère Jean, on chasteau guaillard monta guallant et bien
délibéré avecques les bombardiers. Panurge commença crier
et lamenter plus que jamais. « Babillebabou, disoit il, voicy
pis qu'antan. Fuyons. C'est, par la mort bœuf, Leviathan
descript par le noble prophète Moses en la vie du sainct
PANTAGRUEL I13
home Job. Il nous avallera tous, et gens et naufz, comme
pillules. En sa grande gueule infernale nous ne luy tiendrons
lieu plus que feroit un grain de dragée musquée en la gueule
d'un asnc. Voyez le cy. Fuyons, guaingnons terre. Je croy
que c'est le propre monstre marin que feut jadis destiné pour
dévorer Andromeda. Nous sommes tous perduz. O que pour
l'occire présentement feust icy quelque vaillant Perseus. —
Perse jus par moy sera, respondit Pantagruel. N ayez paour.
— Vertus Dieu, dist Panurge, faictes que soyons hors les
causes de paour. Quand voulez vous que j'aye paour, sinon
quand le dangier est évident? — Si telle est, dist Pantagruel,
vostre destinée fatale, comme nagueres exposoit frère Jan,
vous doibvez paour avoir de Pyrœis, Héoûs, Aethon, Phlegon,
célèbres chevaulx du Soleil flammivomes, qui rendent feu
par les narines; des Physeteres, qui ne jettent qu'eau par les
ouyes et par la gueule, ne doibvez paour aulcune avoir. Ja
par leur eau ne serez en dangier de mort. Par cestuy élément
plus tost serez guaranty et conservé que fasché ne ofîensé. —
A l'aultre, dist Panurge. C'est bien rentré de picques noires.
Vertus d'un petit poisson, ne vous ay je assez exposé la trans-
mutation des clcmens, et le facile symbole qui est entre rousty
et bouilly , entre bouilly et rousty ? Halas ! Voy le cy. Je
m'en voys cacher là bas. Nous sommes tous mors à ce coup.
Je voy sus la hune Atropos la félonne avecques ses cizeaulx
de frais esmouluz preste à nous tous coupper le filet de vie.
Guare ! Voy le cy. O que tu es horrible et abhominable ! Tu en
as bien noyé d'aultres, qui ne s'en sont poinct vantez. Dea,
s'il jectast vin bon, blanc, vermeil, friant, délicieux, en lieu
de ceste eau amere, puante, sallee, cela seroit toUerable aulcu-
nement : et y seroit aulcune occasion de patience, à l'exemple
de celluy milourt Anglois, auquel estant f aict commendement,
pour les crimes des quelz estoit convaincu, de mourir à son
arbitrage, esleut mourir nayé dedans un tonneau de Malvesie.
Voy le cy. Ho, ho. Diable Satanas, Leviathan ! Je ne te peuz
T. II. 8
114 LIVRE IV, CHAPITRE XXXIV
veoir, tant tu es hideux et détestable. Vestz à l'audience,
vestz aux Chiquanous. »
CHAPITRE XXXIV
COMMENT PAR PANTAGRUEL FUT DEFAICT LE MONSTRUEUX
PHYSETERE
Le Physetere, entrant dedans les brayes et angles des naufz
et guallions, jectoit eau sus les premiers à pleins tonneaulx,
comme si feussent les Catadupes du Nil en ^Ethiopie. Dards,
dardelles, javelotz, espieux, corsecques, partuisanes, voloient
sus luy de tous coustez. Frère Jan ne se y espargnoit. Panurge
mouroit de paour. L'artillerie tonnoit et iouldroyoit en Dia-
ble, et faisoit son debvoir de le pinser sans rire., Mais peupro-
fitoit, car les gros boulletz de fer et de bronze entrans en sa
peau sembloient fondre à les veoir de loing, comme font les
tuilles au Soleil. AUors Pantagruel, considérant l'occasion et
nécessité, desploye ses braz et monstre ce qu'il sçavoit faire.
Vous dictes, et est escript, que le truant Commodus, empe-
reur de Rome, tant dextrement tiroit de l'arc que de bien
loing il passoit les flèches entre les doigts des jeunes enfans
levans la main en l'air, sans aulcunement les ferir. Vous nous
racontez aussi d'un archier Indian, on temps que Alexandre
le Grand conquesta Indie, lequel tant estoit de traire périt,
que de loing il passoit ses flèches par dedans ml anneau, quoy
qu'elles feussent longues de troys coubtées et feust le fer
d'icelles tant grand et poisant, qu'il en persoit brancs d'acier,
boucliers espoys, plastrons asserez, tout généralement qu'il
touchoit, tant ferme, résistant, dur et valide feust, que sçau-
riez dire. Vous nous dictez aussi merveilles de l'industrie des
anciens François, les quelz à tous estoient en l'art sagittaire
PANTAGRUEL II5
préférez, et les quelz en chasse de bestes noires et rousses
frotoient le fer de leurs flèches avecques Ellébore, pource que
de la venaison ainsi férue la chair plus tendre, friande, salu-
bre et deUcieuse estoit : cernant toutesfoys et oustant la
partie ainsi attaincte tout autour. Vous faictes pareillement
narré des Parthes, qui par darriere tiroient plus ingénieuse-
ment que ne faisoient les aultres nations en face. Aussi célé-
brez vous les Scythes en ceste dextérité, de la part des quelz
jadis un ambassadeur envoyé à Darius, Roy des Perses, luy
offrit un oyseau, une grenouille, une souriz, et cinq flèches,
sans mot dire. Interrogé que pretendoient telz presens, et
s'il avoit charge de rien dire, respondit que non. Dont restoit
Darius tout estonné et hebeté en son entendement, ne fust
que l'un des sept capitaines qui avoient occis les INIages,
nommé Gobryes, luy exposa et interpréta, disant : « Par ces
dons et ofti-andes vous disent tacitement les Scythes : Si
les Perses comme oyseaulx ne volent au ciel, ou comme souriz
ne se cachent vers le centre de la terre, ou ne se mussent on
profond des estangs et paluz comme grenoilles, tous seront à
perdition mis par la puissance et sagettes des Scythes. »
Le noble Pantagruel en l'art de jecter et darder estoit sans
comparaison plus admirale. Car avecques ses horribles piles
et dards (les quelz proprement ressembloient aux grosses
poultres sus les quelles sont les portts de Xantes, Saulmur,
Bergerac, et à Paris les ponts au Change et aux 3tleusnier
soustenuz, en longueur, grosseur, poisanteur et ferrure) de
mil pas loing il ouvroit les huytres en escalle sans toucher les
bords; il esmouchoit une bougie sans l'extaindre, frappoit les
Pies par l'œil, dessemeloit les bottes sans les endommaiger,
deffourroit les barbutes sans rien guaster ; tournoit les feuil-
letz du bréviaire de frère Jan l'un après l'aultre sans rien des-
sirer. Avecques telz dards, des quelz estoit grande munition
dedans sa nauf, au premier coup il enferra le Physetere sus
le front, de mode qu'il luy transperça les deux machouoires
Il6 LIVRE IV, CHAPITRE XXXV
et la langue, si que plus ne ouvrit la gueule, plus ne puysa-
plus ne jecta eau. Au second coup il luy creva l'œil droict;
au troyzieme, l'œil guausche. Et feut veu le Physetere en
grande jubilation de tous porter ces troys cornes au front
quelque peu penchantes davant, en figure triangulaire equUa-
terale, et tournoyer d'un cousté et d'aultre, chancellant et
fourvoyant comme estourdy, aveigle et prochain de mort. De
ce non content, Pantagruel luy en darda un aultre sus la
queue, panchant pareillement en arrière. Puys troys aultres
sus l'eschine en ligne perpendiculaire, par equale distance
de queue et bac troys foys justement compartie. Enfin luy en
lança sus les flancs cinquante d'un cousté et cinquante de
l'aultre. De manière que le corps du Physetere sembloit à
la quille d'un gualUon à troys gabies, emmortaisée par com-
pétente dimension de ses poultres, comme si feussent cosses
et portehausbancs de la canne. Et estoit chose moult plaisante
à veoir. Adoncques mourant, le Physetere se renversa ventre
sus dours, comme font tous poissons mors : et ainsi renversé,
les poultres contre bas en mer, ressembloit au Scolopendre,
serpent ayant cent pieds comme le descript le saige ancien
Nicander,
CHAPITRE XXXV
COMMENT PANTAGRUEL DESCEND EN L'iSLE FAROUCHE,
MANOIR ANTIOUE DES ANDOUILLES
Les hespailUers de la nauf Lantemiere amenèrent le Phy-
setere lié en terre de l'isle prochaine, dicte Farouche, pour en
faire anatomie, et recueiUir la gresse des roignons : laquelle
disoient estre fort utile et nécessaire à la gucrison de certaine
maladie qu'ilz nommoient Faulte d'argent. Pantagruel n'en
tint compte, car aultres assez pareilz, voyre cncores plus
PANTAGRUEL II7
énormes, avoit veu en l'Océan Gallicque. Condescendit tou-
tesfoys descendre en l'isle Farouche pour seicher et refrais-
chir aulcuns de ses gens mouillez et souillez par le villain Phy-
setere, à un petit port désert vers le midy situé lez une touche
de boys haulte, belle et plaisante, de laquelle sortoit un déli-
cieux ruisseau d'eaue doulce, claire et argentine. Là, des-
soubs belles tentes feurent les cuisines dressées, sans espargne
de boys. Chascun mué de vestemens à son plaisir, feut par
frère Jan la campanelle sonnée. Au son d'icelle feurent les
tables dressées et promptement servies.
Pantagruel, dipnant avecques ses gens joyeusement, sus
l'apport de la seconde table apperceut certaines petites An-
douilles affaictees gravir et monter sans mot sonner sus un
hault arbre près le retraict du guoubelet, si demanda à
Xenomanes: «Quelles bestes sont ce là? » pensant que f eus-
sent Escurieux, Belettes, Martres ou Hermines. « Ce sont
AndouiUes, respondit Xenomanes. Icy est l'isle Farouche,
de laquelle je vous parlois à ce matin : entre les quelles et
Quaresmeprenant leur maling et antique ennemy est guerre
mortelle de long temps. Et croy que par les canonnades tirées
contre le Physetere ayent eu quelque frayeur et doubtance
que leur dict ennemy icy feust avecques ses forces pour les
surprendre, ou faire le guast parmy ceste leur isle, comme ja
plusieurs foys s'estoit en vain efforcé, et à peudeprofict, obs-
tant le soing et vigilance des AndouiUes, les quelles (comme
disoit Dido aux compaignons d'^Enéas voulens prendre port
en Carthage sans son sceu et licence) la malignité de leur
ennemy et vicinité de ses terres contraingnoient soy conti-
nuellement contreguarder et veigler. — Dea, bel amy, dist
Pantagruel, si voyez que par quelque honeste moyen puis-
sions fin à ceste guerre mettre, et ensemble les reconcilier,
donnez m'en advis. Je me y emploiray de bien bon cœur, et
n'y espargneray du mien pour contemperer et amodier les
conditions controverses entre les deux parties.
Il8 J.TVRTÎ IV, CHAPITRE XXXVI
— Possible n'est pour le présent, respondit Xenomanes-
Il y a environ quatre ans que, passant par cy et Tapinois, je
me mis en debvoir de traicter paix entre eulx, ou longues
trêves pour le moins : et ores feussent bons amis et voisins, si
tant l'un comme les aultres soy feussent despouillez de leurs
affections en un seul article. Ouarcsmeprenant ne vouloit on
traicté de paix comprendre les Boudins saulvaiges, ne les
Saulcissons montigenes leurs anciens bons compères et con-
federez. Les Andouilles requeroient que la forteresse de Cac-
ques feust par leur discrétion, comme est le chasteau de Sal-
louoir, régie et gouvernée, et que d'icelle feussent hors chassez
ne sçay quelz puans, villains, assasineurs, et briguans qui la
tenoient. Ce que ne peult estre accordé, et sembloient les
conditions iniques à l'une et à l'aultre partie. Ainsi ne feut
entre eulx l'appoinctement conclud. Restèrent toutesfoys
moins severe, et plus doulx ennemis que n'estoient par le
passé. Mais depuys la dénonciation du concile national de
Chesil, par laquelle elles feurent farfouillees, guodelurees et
intimées; par laquelle aussi feut Quaresmeprenant declairé
breneux, hallebrené et stocfisé en cas que avecques elles il
feist alliance ou appoinctement aulcun, se sont horrifique-
ment aigriz, envenimez, indignez et obstinez en leurs cou-
raiges; et n'est possible y remédier. Plus toust auriez vous les
chatz et ratz, les chiens et lièvres ensemble reconcilié. »
CHAPITRE XXXVI
COMMENT, PAR LES ANDOUILLES FAROUCHES, EST DRESSÉE
EMBUSCADE CONTRE PANTAGRUEL
Ce disant Xenomancs, frère Jan apperceut vingt et cinq ou
trente jeunes Andouilles de legiere taille sus le havre, soy
PANTAGRUEL II9
retirantes de grand pas vers leur ville, citadelle, chasteau et
rocquette de Cheminées, et dist à Pantagruel : « Il y aura icy
de l'asne, je le prevoy. Ces Andouilles vénérables vous pour-
roient, par adventure, prendre pour Quaresm éprenant, quoy
qu'en rien ne luy semblioz. Laissons ces repaissaillcs icy, et
nous mettons en debvoir de leur résister. — • Ce ne seroit, dist
Xenomanes, pas trop mal faict. Andouilles sont andouilles,
tous jours doubles et traistresses. «
Adoncques se levé Pantagruel de table pour descouvrir hors
la touche de boys; puis soubdain retourne, et nous asceure
avoir à gauche descouvert une embuscade d'Andouillcs far-
felues, et du cousté droict, à demie lieue loing de là, un gros
bataillon d'aultres puissantes et gigantales Andouilles, le
long d'une petite colline, furieusement en bataille marchantes
vers nous au son des vezes et pibolos, des guognes et des ves-
sies, des joyeulx pifres et tabours, des trompettes et clairons.
Par la conjecture de soixante et dixhuict ensaignes qu'il y
comptoit, estimions leur nombre n'estre moindre de quarante
et deux mille. L'ordre qu'elles tenoient, leur fier marcher et
faces asceurées, nous faisoient croire que ce n'estoient Fri-
quenelles, mais \'ieilles Andouilles de guerre. Par les pre-
mières fillieres jusques près les enseignes, estoient toutes
armées à hault appareil, avecques picques petites, comme
nous sembloit de loing : toutesfoys bien poinctues et asserées.
Sus les aesles estoient fiancquegees d'un grand nombre de
Boudins sylvaticques, de Guodiveaux massifz et Saulcissons
à cheval, tous de belle taille, gens insulaires, Bandouilliers
et Farouches. Pantagruel feut en grand esmoy, et non sans
cause, quoy que Epistemon luy remonstrast que l'usance et
coustume du pays Andouillois povoit estre ainsi caresser et
en armes recepvoir leurs amis estrangiers, come somnt les
nobles rois de France par les bonnes villes du royaulme rep-
ceuz et saluez à leurs premières entrées après leur sacre et
nouvel advenement à la couronne. « Par adventure, disoit il,
I20 LIVRE IV, CHAPITRE XXXVI
est ce la guarde ordinaire de la Royne du lieu, laquelle adver-
tie par les jeunes Andouilles du guet que veistes sus l'arbre,
comment en ce port surgeoit le beau et pompeux convoy de
vos vaisseaulx, a pensé que là doibvoit estre quelque riche et
puissant Prince, et vient vous visiter en persone. » De ce non
satisfaict, Pantagruel assembla son conseil pour sommaire-
ment leur advis entendre sus ce que faire debvoient en cestuy
estrif d'espoir incertain et craincte évidente.
Adoncques briefvement leurs remonstra comment telles
manières de recueil en armes avoit souvent porté mortel pré-
judice, soubs couleur de caresse et amitié. « Ainsi, disoit-il,
l'empereur Antonin Caracale, à l'ime foys occist les Alexan--
drins; à l'aultre, desfit la compaignie de Artaban, roy des
Perses, soubs couleur et fiction de vouloir sa fille espouser. Ce
que ne resta impuny : car peu après il y perdit la vie. Ainsi les
enfans de Jacob, pour venger le rapt de leur sœur Dyna,
sacmenterent les Sichymiens. En ceste hypocritique façon,
par Galien, empereur Romain, f eurent les gens de guerre
defaicts dedans Constantinople. Ainsi, soubs espèce d'amitié,
Antonius attira Artavasdes, loi de Arménie, puis le feist
lier et enferrer de grosses chaisnes : finablement, le feist
occire. Mille autres pareilles histoires trouvons nous par les
antiques monumens. Et à bon droict est, jusques à présent, de
prudence grandement loué Charles, roy de France sixième de
ce nom, lequel retournant victorieux des Flamens et Gantois
en sa bonne ville de Paris et, au Bourget en France, enten-
dent que les Parisiens avecques leurs mailletz (dont furent
surnommés Maillotins) estoient hors la ville issuz en bataille
jusques au nombre de vingt mille combattans, n'y voulut
entrer (quoy qu'ilz remontrassent que ainsi s'estoient mis en
armes pour plus honorablement le recuillir sans aultre fiction
ne mauvaise affection) que premièrement ne se feussent en
leurs maisons retirez et desarmez. »
PANTAGRUEL 121
CHAPITRE XXXVII
COMMENT PANTAGRUEL MANDA QUERIR
LES CAPITAINES RI FLAND OUI LLE ET TAI LLEBOU DI N ; AVECQUES
UN NOTABLE DISCOURS
SUR LES NOMS PROPRES DES LIEUX ET DES PERSONES
La resolution du conseil feut qu'en tout événement ilz se
tiendroient sus leurs guardes. Lors par CarpaUm et Gymnaste,
au mandement de Pantagruel, feurent appeliez les gens de
guerre qui estoient dedans les naufz Brindiere (des quelz
coronel estoit Riflandouille) et Portoueriere (des quelz coro-
nel estoit Tailleboudin le jeune). « Je soulaigeray, dist Pa-
nurge, Gymnaste de ceste peine. Aussi bien vous est icy sa
présence nécessaire. — Par le froc que je porte, dist frère Jan,
tu te veulx absenter du combat, Couillu, et j a ne retourneras,
sus mon honneur. Ce n'est mie grande perte. Aussi bien ne
feroit il que pleurer, lamenter, crier, et descouraiger les bons
soubdars. — Je retoumeray, certes, dist Panurge, frère Jan,
mon père spirituel, bien toust. Seulement donnez ordre à ce
que ces fascheuses Andouilles ne grimpent sus les naufz. Ce
pendant que combaterez, je prieray Dieu pour vostre victoire,
à l'exemple du chevaleureux capitaine Moses, conducteur du
peuple Israelicque.
— La dénomination, dist Epistemon à Pantagruel, de ces
deux vostres coronelz Riflandouille et Tailleboudin encestuy
conflict nous promect asceurance, heur et victoire, si, par for-
tune, ces Andouilles nous vouloient oultrager. — Vous le
prenez bien, dist Pantagruel, et me plaist que par les noms de
nos coronelz vous prevoiez et prognosticquez la nostre vic-
toire. Telle manière de prognosticquer par noms n'est mo-
122 LIVRE IV, CHAPITRE XXXVII
dcmc. Elle feut jadis célébrée et religieusement observée par
les Pythogaricns. Plusieurs grands seigneurs et empereurs en
ont jadis bien faict leur profict. Octavien Auguste, second
empereur de Rome, quelque jour rencontrant un paysan
nommé Euthyche, c'est à dire bien fortuné, qui menoit un
asne nommé Nicon, c'est en langue grecque Victorien, meu
de la signification des noms, tant de l'asnier que de l'asne,
se asceura de toute prospérité, félicité et victoire. Vespasian,
empereur pareillement de Rome, estant un jour seulet en
oraison on temple de Serapis, à la veue et venue inopinée d'un
sien serviteur, nommé Basilides, c'est à dire Royal, lequel il
avoit loing derrière laissé malade, print espoir et asccurance '
d'obtenir l'empire Romain. Regilian, non pour aultre cause
ne occasion, feut par les gens de guerre eslu empereur, que
par signification de son propre nom. Voyez le Cratyle du divin
Platon. — Par ma soif, dist Rhizotome, je le veulx lire : je
vous oy souvent le alléguant. — Voyez comment les Pytha-
goriens, par raison des noms et nombres, concluent que Patro-
clus doibvoit estre occis par Hector, Hector par Achilles,
Achilles par Paris, Paris par Philoctetes. Je suys tout confus
en mon entendement quand je pense en l'invention admirable
de Pythagoras, lequel, par le nombre par ou impur des syl-
labes d'un chascun nom propre, exposoit de quel cousté es-
toient les humains boyteulx, borgnes, goutteux, paralytiques,
pleuritiques, et aultres telz maléfices en nature : sçavoir est,
assignant le nombre par3.u cousté guausche du corps, le impar
au dextre.
— Vrayement, dist Epistemon, j'en veids l'expérience à
Xainctes, en une procession générale, présent le tant bon, tant
vertueux, tant docte et équitable président Briend Valée, sei-
gneur du Douhet. Passant un boiteux ou boiteuse, un borgne
ou borgnesse, un bossu ou bossue, on luy rapportoit son nom
propre. Si les syllabes du nom estoient en nombre impar,
soubdain, sans veoir les personnes, il les disoit estre maie fi-
PANTAGRUEL 123
ciez, borgnes, boiteux, bossus du cousté dextre. Si elles estoient
en nombre par, du cousté guausche. Et ainsi estoit la vérité;
oncques n'y trouvasmes exception.
— Par ceste invention, dist Pantagruel, les doctes ont
affermé que Achilles, estant à genoulx, feut par la fleiche de
Paris blessé on talon dextre : car son nom est de syllabes
impares. Icy est à noter que les anciens se agenouilloient du
pied dextre. Venus par Diomedes, davantTroye, blessée en la
main guausche, car son nom en Grec est de quatre syllabes.
Vulcan boiteux du pied guausche, par mesmes raisons. Phi-
lippe, roy de Macédoine, et Hannibal, borgnes de l'œil dextre.
Encores pourrions nous particularizer des Ischies, Hernies,
Hermicraines, par ceste raison Pythagorique. Mais, pour
retourner aux noms, consyderez comment Alexandre le
Grand, filz du roy Philippe, duquel avons parlé, par l'inter-
prétation d'un seul nom parvint à son entreprinse. Il assie-
geoit la forte ville de Tyre, et la battoit de toutes ses forces
par plusieurs sepmaines ; mais c'estoit en vain. Rien ne profi-
toient ses engins et molitions. Tout estoit soubdain démoli et
remparé par les Tyriens. Dont print phantasie de lever le
siège avec grande melancholie, voyant en cestuy départe-
ment perte insigne de sa réputation. En tel estrif et fascherie
se endormit. Dormant, songeoit qu'un Satyre estoit dedans
sa tente, dansant et sautelant avecques ses jambes bouqui-
nes. Alexandre le vouloit prendre : le Satyre tousjours luy
eschappoit. En fin, le roy le poursuivant en un destroict, le
happa. Sus ce point se esveigla et racontant son songe aux
philosophes et gens sçavans de sa court, entendit que les
dieux luy promettoient victoire, et que Tyre bien toust seroit
prinse : car ce mot Satyros, divisé en deux, est Sa Tyros,
signifiant : Tienne est Tyre. De faict, au premier assault qu'il
feist il emporta la ville de force, et en grande victoire sub-
jugua ce peuple rebelle. Au rebours, consyderez comment, par
la signification d'un nom, Pompée se désespéra. Estant vaincu
124 LIVRE IV, CHAPITRE XXXVII
par Caesar en la bataille Pharsalique, ne eut moyen aultre de
soy saulver que par fuyte. Fuyant par mer, arriva en l'isle
de Cypre. Prés la ville de Paphos, apperceutsus le rivage un
palais beau et sumptueux. Demandant au pilot comment
l'on nommoit cestuy palais, entendit qu'on le nommoit
Ka/oSaji/éa, c'est à dire Malroy. Ce nom luy feut en tel eflfroy
et abomination qu'il entra en desespoir, comme asceuré de
ne évader que bien touts ne perdist la vie. De mode que les
assistans et nauchiers ouirent ses cris, souspirs et gemisse-
mens. De faict, peu de temps après, un nommé Achillas, pay-
sant incongneu, luy trancha la teste. Encores pourrions nous,
à ce propous, alléguer ce que advint à L. Paulus ^mylius,'
lors que, par le sénat Romain, feut esleu Empereur, c'est à
dire chef de l'armée qu'ilz envoyoient contre Perses, roy de
Macedonie. Icelluy jour, sus le soir, retournant en sa maison
pour soy apprester au deslogement, baisant une siene petite
fille nommée Tratia, advisa qu'elle estoit aulcunement triste.
« Qui a il, dist il, ma Tratia? Pourquoy es tu ainsi triste et
faschée? — Mon père, respondit elle, Persa est morte. » Ainsi
nommoit elle une petite chienne qu'elle avoit en délices. A
ce mot print Paulus asceurance de la victoire contre Perses.
Si le temps permettoit que puissions discourir par les sacres
bibles des Hébreux, nous trouverions cent passages insignes
nous monstrans e\ddemment en quelle observance et religion
leurs estoient les noms propres avecques leurs significations. »
Sus la fin de ce discours, arrivèrent les deux coronelz,
accompaignez de leurs soubdards, tous bien armez et bien
délibérez. Pantagruel leur feist une briefve remonstrance, à ce
qu'ilz eussent à soy monstrer vertueux au combat, si par cas
estoient contraincts (car encores ne povoit il croire que les
Andouilles feussent si traistresses) , avecques défense de
commencer le hourt : et leur bailla Mardigras pour mot du
guet.
fANTAGRUEL 125
CHAPITRE XXXVIII
COMMENT ANDOUILLES NE SONT A MESPRISER
ENTRE LES HUMAINS
Vous truphez ici, Beuveurs, et ne croyez que ainsi soit en
vérité comme je vous raconte. Je ne sçaurois que vous en
faire. Croyez le, si voulez; si ne voulez, allez y veoir. Mais je
sçay bien ce que je veidz. Ce feut en l'isle Farouche. Je la
vous nomme. Et vous réduisez à mémoire la force des Géants
antiques, les quelz entreprindrent le hault mons Pelion impo-
ser sus Osse, et l'umbrageux Olympe avecques Osse envelop-
per, pour combattre les dieux, et du ciel les deniger. Ce n'es-
toit force vulgaire ne médiocre. Iceulx toutesfoys n'estoient
que Andouilles pour la moitié du corps, ou Serpents que je
ne mente.
Le serpens qui tenta Eve estoit andouillicque : ce nonobs-
tant est de luy escript qu'il estoit fin et cauteleux sus tous
aultres animans. Aussi sont Andouilles.
Encores maintient on en certaines Académies que ce tenta-
teur estoit l'andouille nommée Ityphalle, en laquelle feut
jadis transformé le bon messer Priapus, grand tentateur des
femmes par les paradis en Grec, ce sont jardins en François.
Les Souisscs, peuple maintenant hardy et belliqueux, que
sçavons nous si jadis estoient Saulcisses? Je n'en vouldroys
pas mettre le doigt on feu. Les Himantopodes, peuple en
.Ethiopie bien insigne, sont Andouilles, selon la description
de Pline, non autre chose.
Si ces discours ne satisfont à l'incrédulité de vos seigneuries,
présentement (j'entends après boyre) visitez Lusignan, Par-
tenay, Vovant, Mervant, et Ponseuges en Poictou. Là trou-
Î26 LIVRE IV, CHAPITRE XXXIX
vcrez tcsmoings vieulx de renom et de la bonne forge, les
quelz vous jureront sus le braz sainct Rigomé que Mellusine
leur première fondatrice avoit corps féminin jusqucs aux bour-
savitz, et que le reste en bas estoit andouille serpentine, ou
bien serpent andouillicque. Elle toutcsfoys avoit aile ures braves
et guallantes, lesquelles encores au jourdhuy sont imitées
par les Bretons balladins dansans leurs trioriz fredonnizcz.
Quelle fut la cause pourquoy Erichthonius premier inventa
les coches, lectieres, et charriotz? C'estoit parce que Vulcan
l'avoit engendré avec jambes de Andouilles : pour lesquelles
cacher, mieulx aima aller en lectiere que à cheval. Car encores
de son temps ne estoient Andouilles en réputation. La nym--
phe Scythique Ora avoit pareillement le corps my party en
femme et en Andouille. Elle toutesfoys tant sembla belle à
Juppiter qu'il coucha avecques elle et en eut un beau filz
nommé Colaxes. Cessez pourtant icy plus vous trupher, et
croyez qu'il n'est rien si vray que l'Evangile.
CHAPITRE XXXIX
COMMENT FRERE JAN SE RALLIE AVECQUES LES CUISINIERS
POUR COMBATTRE LES ANDOUILLES
Voyant frère Jan ces furieuses Andouilles ainsi marcher
dchayt, dist à Pantagruel : « Ce sera icy une belle bataille de
foin, à ce que je voy. Ho le grand honneur et louanges magni-
ficques qui seront en nostre victoire ! Je vouldrois que dedans
vostre nauf feussiez de ce conflict seulement spectateur, et
au reste me laissiez faire avecques mes gens. • — Quelz gens?
demanda Pantagruel. — IMaticre de bréviaire, respondit
frère Jan. Pourquoy Potiphar, maistre queux des cuisines
de Pharaon, celluy qui achapta Joseph, et lequel Joseph eust
PANTAGRUEL 12^
faict coqu s'il cust voulu, icut maistre de la cavallerie de
tout le royaulme d'iEgypte? Pourquoy Nabuzardan, maistre
cuisinier du Roy Nabugodonosor, feut entre tous aultres
capitaines esleu pour assiéger et ruiner Hierulalem? — J'es-
coute, respondit Pantagruel. — Par le trou Madame, dist
frère Jan, je auserois jurer qu'ilz austres foys avoient An-
douilles combatu, ou gens aussi peu estimez que Andouilles,
pour les quelles abatte, combatre, dompter et sacmenter,
trop plus sont sans comparaison cuisiniers idoines et suffi sans
que tous gendarmes, estradiotz, soubdars et piétons du
monde. — Vous me refraischissez la mémoire, dist Panta-
gruel, de ce que est escript entre les facecieuses et joyeuses
responses de Ciceron. On temps des guerres civiles à Rome
entre Cassar et Pompée, il estoit naturellement plus enclin à
la part Pompeiane, quoy que de Caesar feust requis et grande-
ment favorisé. Un jour entendent que les Pompéians à cer-
taine rencontre avoient faict insigne perte de leurs gens, vou-
lut visiter leur camp. En leur camp apperceut peu de force,
moins de couraige, et beaucoup de desordre. Lors prévoyant
que tout iroit à mal et perdition, comme depuis advint, com-
mença trupher et mocquer maintenant les uns, maintenant
les aultres, avec brocards aigres et picquans, comme très bien
sçavoit le style. Quelques capitaines, faisans des bons com-
paignons comme gens bien asceurez et délibérez, luy dirent :
« Voyez vous combien nous avons encores d'Aigles ? » C'estoit
lors la devise des Romains en temps de guerre. « Cela, res-
pondit Ciceron, seroit bon et à propous si guerre aviez contre
les Pies. » Doncques veu que combatre nous fault Andouilles,
vous inferez que c'est bataille culinaire, et voulez aux cuisi-
niers vous rallier. Faictes comme l'entendez. Je resteray icy
attendant l'issue de ces fanfares. »
Frère Jan de ce pas va es tentes des cuisines, et dict en
toute guayeté et courtoisie aux cuisiniers : « Enfans, je veulx
huy vous tous veoir en honneur et triumphe. Par vous seront
128
LIVRE IV, CHAPITRE XL
faictes apertises d'armes non encores veues de nostre mé-
moire. Ventre sus ventre, ne tient on aultre compte des vail-
lans cuisiniers? Allons combattre ces paillardes Andouilles.
Je seray vostre capitaine. Beuvons, amis. Ça, couraige. —
Capitaine, respondirent les cuisiniers, vous dictes bien. Nous
sommes à vostre joly commandement. Soubs vostre con-
duicte nous voulons vivre et mourir. — Vivre, dist frère Jan,
bien; mourir, poinct : c'est à faire aux AndouUles. Or donc
mettons nous en ordre. Nabuzardan vous sera pour mot du
guet. »
CHAPITRE XL
COMMENT PAR FRERE JAN EST DRESSÉE LA TRUYE,
ET LES PREUX CUISINIERS DEDANS ENCLOUS
Lors au mandement de frère Jan, feut par les maistres
ingénieux dressée la grande Truye, laquelle estoit dedans la
nauf Bourrabaquiniere. C'estoit un engin mirifîcque faict de
telle ordonnance que des gros couiUarts qui par rangs estoient
autour il jectoit bedaines et quarreaux empenez d'assier : et
dedans la quadrature duquel povoient aisément combattre
et à couvert demourer deux cens homes et plus ; et estoit faict
au patron de la Truye de la Riole, moyennant laquelle feut
Bergerac prins sus les Anglois, régnant en France le jeune
roy Charles sixième. Ensuyt le nombre et les noms des
preux et vaillans cuisiniers, les quelz, comme dedans le che-
val de Troye, entrèrent dedans la Truye.
Saulpicquet, Maindegourre, Maistre Hordoux, Carbonnade,
Ambrelin, Pamperdu, Grasboyau, Fressurade,
Guavache, Lasdaller, Pillemortier, Hoschepot,
Lascheron, Pochecuilliere, L'eschevin, Hasteret,
Porcausou, Moustamoulue, Saulgrenée, Balafré,
Salezart, Crespelet, Cabirotade, Gualimafré.
PANTAGRUEL
Î29
Tous ces nobles Cuisiniers portoient en leurs armoiries en
champ de gueuUes, lardouoire de Sinople, fessée d'un che-
vron argenté, penchant à guausche.
Lardonnet,
Lardon,
Croquelardon,
Tirelardon,
Graslardon,
Saulvelardon,
Archilardon,
Rondlardon,
Antilardon,
Frizelardon,
Larcelardon,
Grattelardon,
Marchelardon.
Guaillardon, par syncope, natif près de Rambouillet. Le
nom du docteur culinaire estoit Guaillartlardon. Ainsi dictes
vous idolâtre pour idololatre.
Roiddelardon, Trappelardon, Bellardon, Guignelardon,
Astolardon, Bastelardon, Neuflardon, Poyselardon,
Doulxlardon, Guyllevardon, Aigrelardon, Vezelardon,
Maschelardon, Mouschelardon, Billelardon, Myrelardon.
Noms incongneuz entre les Maranes et Juifz.
Couillu,
Salladier,
Cressonnadière,
Raclenaveau,
Cochonnier,
Peaudeconin,
Apigratis,
Pastissandierrc,
Raslard,
Francbeuignet,
Moustardiot,
Vinetteux,
Potageouart,
Frelault,
Benest,
Jusverd,
Marmitige,
Accodepot,
Hoschepot,
Brizepot,
Guallepot,
Frillis,
Guorgesalée,
Escarguotandière,
Bouillonsec,
Souppimars,
Eschinade,
Prezurier,
]\Iacaron,
Escarsaufle.
Bi-iguaille. Cestuy feust de cuisine tiré en chambre pour le
service du noble cardinal le Veneur.
Guasteroust,
Escouvillon,
Begninet,
Escharbottier,
Vitet,
Vitault,
Vitvain,
JoUvet,
Vitneuf,
Vistempenard,
Victorien,
Vitvieulx,
Vitvelu,
Hastiveau,
Alloyaudiere, Gabaonite,
Esclanchier,
Guastelet,
Rapimontet,
Soufflemboj'au,
Pelouze,
Bubarin,
Crocodillet,
Prelinguant,
Balafré,
Maschourré.
Mondam, inventeur de la saulse Madame, et pour telle
invention feut ainsi nommé en langage Escosse-François.
T. II. 0
130
LI\RE IV, CHAPITRE XLI
CUcquedens, Riiiccpot, Guauftreux, Xavelier,
Badiguoincier, Urefelipipinguet, Saffranier, Rabiolas,
MjTelanguoy, Maunet, Malparouart, Boudinandiere,
Becdassée, Guodepie, Antitus, Cochonnet.
Robert. Cestuy feut inventeur de la saulse Robert, tant salu-
bre et nécessaire aux Conmls roustiz, Canars, Porcfrays,
Œufz pochés, Merluz saliez et mille aultres telles viandes.
Froiddanguille,
Rougenraye,
Guoumeau,
Gribouillis,
Sacabribes,
Olymbrius,
Foucquet,
Dalyqiialquain,
Salmiguondin,
Gringualet,
Aransor,
Talemouse,
Grosbec,
Frippellippes,
Friantaures,
Guafielazc,
Saulpoudré,
Paellefrite,
Landore,
Calabre,
Xavelet,
Foyrart,
Grosguallon,
Brenous,
Mucydan,
Matatruys,
Cartevirade,
Cocqueçygrue,
Visedecache,
Badelorv,
Vedel.
Braguibus.
Dedans la Truye entrèrent ces nobles cuisiniers guaiUars,
guallans, brusquetz, et prompts au combat. Frère Jan avec-
ques son grand badelaire entre le dernier et ferme les portes
à ressors par le dedans.
CHAPITRE XLl
COMMENT PANTAGRUEL ROMPIT LES ANDOUILLES AUX GENOULX
Tant approchèrent ces Andouilles que Pantagruel apper-
ceut comment elles desployoient leurs braz, et ja commen-
çoient baisser boys. Adoncques envoyé Gymnaste entendre
ce qu'elles vouloient dire, et sus quelle querelle elles vouloient
sans défiance guerroyer conti^e leurs amis antiques, qui rien
n'avoient mesfaict ne medict. Gymnaste au davant des pre-
mières fiUieres feist une grande et profonde révérence, et
s'escria tant qu'il peult, disant : « Vostres, vostres, vostres
PANTAGRUEL Î3î
sommes nous trestous, et à commandement. Tous tenons de
Mardigras, vostre antique confédéré. » Aucuns depuys me
ont raconté qu'il dist Gradimars, non Mardigras. Quoy que
soit, à ce mot un gros Cervelat saulvaige et farfelu, anticipant
davant le front de leur bataillon, le voulut saisir à la guorge.
« Par Dieu, dist Gymnaste, tu n'y entreras qu'à taillons; ainsi
entier ne pourrois-tu. » Si sacque son espée Baise mon cul
(ainsi la nommoit il) à deux mains, et trancha le Cervelat en
deux pièces. Vray Dieu, qu'il estoit gras ! Il me soubvint du
gros Taureau de Berne, qui feut à Marignan tué à la defaicte
des Souisses. Croyez qu'il n'avoit gueres moins de quatre
doigts de lard sus le ventre. Ce Cervelat eccrvelé, coururent
Andouilles sus Gymnaste, et le terrassoient vilainnement,
quand Pantagruel avec ses gens accourut le grand pas au
secours. Adoncques commença le combat matrial pelle melle
Riflandouilles rifioit Andouilles, Tailleboudin tailloit Boudins.
Pantagruel rompoit les Andouilles au genoil. Frère Jan se
tenoit coy dedans sa Truye, tout voyant et considérant,
quand les Guodiveaulx, qui estoient en embuscade, sortirent
tous en grand effroy sus Pantagruel. Adoncques voyant frère
Jean le desarroy et tumulte, ouvre les portes de sa Truye, et
sort avecques ses bons soubdars, les uns portant broches de
fer, les aultres tenans landiers, contrehastiers, paesles, pales,
cocquasses, grisles, fovirguons, tenailles, lichefretes, ramons,
marmites, mortiers, pilons, tous en ordre comme brusleurs
de maisons; hurlans et crians tous ensemble espouvantable-
ment : Nabuzardan, Nabuzardan, Nabuzardan. En telz criz et
esmeute chocquerent les Guodiveaulx, et à travers les Saulcis-
sons. Les Andouilles soubdain apperceurent ce nouveau ren-
fort, et se mirent en fuyte le grand gallop, comme s'elles eus
sent veu tous les Diables. Frère Jan à coups de bedaines les
abbatoit menu comme mousches ; ses soubdars ne se y espar-
gnoient mie. C'estoit pitié. Le camp estoit tout convert
d' Andouilles mortes ou navrées. Et dict le conte que si Dieu
Î32 LIVRE IV, CHAPITRE XLI
n'y eust pourveu, la génération Andouillicque eust par ces
soubdars esté exterminée. Mais il advint un cas merveilleux.
Vous en croyrez ce que vouldrez.
Du cousté de la Transmontane advola un grand, gras, gros,
gris pourceau, ayant aesles longues et amples, comme sont
les scsles d'un moulin à vent. Et estoit le pennage rouge cra-
moisy, comme est d'un Phœnicoptere, qui en Languegoth est
appelle Flammant. Les œilz avoit rouges et flamboyans,
comme un Pyrope. Les aureilles verdes comme une Esme-
raulde prassine; les dens jaulnes comme un Topaze; la queue
longue, noire comme marbre Lucullian; les pieds blancs, dia-
phanes et transparens comme un Diamant, et estoient large-
ment pattez, comme sont les Oyes, et comme jadis à Tholose
les portoit la royne Pedaucque. Et avoit un collier d'or au
coul, autour duquel estoient quelques lettres Ioniques, des
quelles je ne peuz lire que deux mots ^YS 'AGEN^AN, Pour-
ceau Minerve enseignant. Le temps estoit beau et clair. Mais à
la venue de ce monstre il tonna du cousté guausche si fort que
nous restasmes tous estonnez. Les Andouilles soubdain que
l'apperceurent jecterent leurs armes et baston, et à terre
toutes se agenoillerent, levant haultes leurs mains joinctes,
sans mot dire, comme si elles le adorassent.
Frère Jan, avec ses gens, frappoit toujours, et embrochoit
Andouilles. Mais par le commendement de Pantagruel fut
sonnée retraicte, et cessèrent toutes armes. Le monstre,
ayant plusieurs foys volé et revolé entre les deux armées,
jecta plus de vingt et sept pippes de moustarde en terre,
.puis disparut volant par l'air et criant sans cesse : « Mardi-
gras, Mardigras, Mardigras ! »
PANTAGRUEL I33
CHAPITRE XLII
COMMENT PANTAGRUEL PARLEMENTE AVECOUES NIPHLESETH,
ROYNE DES ANDOUILLES
Le monstre susdict plus ne apparoissant, et restantes les
deux armées en silence, Pantagruel demanda parlementer
avecques la dame Niphleseth (ainsi estoit nommée la Royne
des Andouilles), laquelle estoit près les enseignes dedans son
coche. Ce qui fut facilement accordé. La Royne descendit en
ten-e, et gratieusement salua Pantagruel, et le veid voluntiers.
Pantagruel soy complaignoit de ceste guerre. Elle luy feist
ses excuses honestement, alléguant que par faulx rapports
avoit esté commis l'erreur, et que ses espions luy avoient
dénoncé que Quaresmeprenant, leur antique ennemy, estoit en
terre descendu, et passoit temps à veoir l'urine des Physe-
teres. Puys le pria vouloir de grâce leur pardonner ceste
offense, alléguant qu'en Andouilles plus toust l'on trouvoit
merde que fiel : en ceste condition, qu'elle et toustes ses suc-
cessitres Niphleseth à jamais tiendroient de luy et ses succes-
seurs toute l'isle et pays à foy et hommaige, obéiroient en
tout et par tout à ses mandemens, seroient de ses amis amies
et de ses ennemis ennemies; par chascun an, en recongnois-
sance de cette feaulté, luy envoyroient soixante et dixhuict
mille Andouilles Royalles pour à l'entrée de table le servir
six moys l'an. Ce que feust par elle faict : et envoya au lende-
main dedans six grands briguantins le nombre susdict d' An-
douilles Royalles au bon Gargantua, soubs la conduicte de la
jeune Niphleseth. Infante de l'isle. Le noble Gargantua en fit
présent, et les envoya au grand Roy de Paris. Mais au chan-
gement de l'air, aussi par faulte de moustarde (baume naturel
134 LIVRK IV, CHAPITRE XI.III
et restaurant d'andouilles) moururent presque toutes. Par
l'octroy et vouloir du gi^and Roy feurent par monceaulx en
un endroict de Paris enterrées, qui jusques à présent est
appelle la rue Pavée d'Andouilles.
A la requeste des dames de la court royalle fut Niphleseth la
jeune saulvée et honorablement traictée. Depuis feut mariée
en bon et riche lieu, et feist plusieurs beaulx enfans, dont loué
soit Dieu.
Pantagruel remercia gracieusement la Royne, pardonna
toute l'offense, refusa l'offre qu'elle avoit faict, et luy donna
un beau petit cousteau parguoys. Puys curieusement l'inter-
rogea sus l'apparition du monstre susdict. Elle respondit que
c'estoit l'Idée de Mardigras, leur dieu tutellaire en temps de
guerre, premier fondateur et original de toute la race Andouil-
licque. Pourtant sembloit il à un Pourceau, car Andouiiles
furent de Pourceau extraictes. Pantagruel demandoit à quel
propous et quelle indication curative il avoit tant de mous-
tarde en terre projecté. La royne respondit que moustarde
estoit leur Sangreal et Bausme céleste : duquel mettant quel-
que peu dedans les playes des Andouiiles terrassées, en bien
peu de temps les navrées guerissoient, les mortes ressusci-
toient.
Aultres propous ne tint Pantagruel à la Royne, et se retira
en sa nauf. Aussi feirent tous les bons compaignons avecques
leurs armes et leur Truye.
CHAPITRE XLIH
COMMENT PANTAGRUEL DESCENDIT EN L'ISLE DE RUACH
Deux jours après arrivasmes en l'isle de Ruach, et vous jure
par l'estoile Poussiniere que je trouvay l'esfat et la vie du
PANTAORTT-L 135
peuple estrânge plus que je ne dis. Hz ne vivent que de vent.
Rien ne beuvent, rien ne mangent, sinon vent. Ils n'ont
maisons que de gyrouettes. En leurs jardins ne sèment que
les troys espèces de Anémone. La Rue et aultres herbes car^
minativea ilz en escurent soingneusement. Le peuple commun,
pour soy alimenter, use de esvantoirs de plumes, de papier
de toille, selon leur faculté et puissance. Les riches vivent de
moulins à vent. Quant ilz font quelque festin ou banquet, on
dresse les tables soubs un ou deux moulins à vent. Là, repais-
sent aises comme à nopces. Et durant leur repas, disputent de
la bonté, excellence, salubrité, rarité des vens, comme vous,
Beuveurs, par les banquetz philosophez en matière de vins.
L'un loue le Siroch; l'aultre, le Besch, l'aultre, le Guarbin;
l'aultre, la Bise; l'aultre, Zephyre; l'aultre, Gualerne. Ainsi
des aultres. L'aultre, le vent de la chemise, pour les muguetz
et amoureux. Pour les malades ilz usent de vens coulis, com-
me de coulis on nourrist les malades de nostre pays. « O, me
disoyt un petit enflé, qui pourroyt avoir une vessie de ce bon
vent de Languegoth, que l'on nomme Cyerce ! Le noble Scur-
ron, medicin, passant un jour par ce pays, nous contoit qu'il
est si fort qu'il renverse les charrettes chargées. O le grand
bien qu'il feroit à ma jambe Œdipodicque ! Les grosses ne
sont les meilleures. — Mais, dist Panurge, une grosse botte
de ce bon vin de Languegoth, qui croit à Mirevaulx, Cante-
perdris et Frontignan ! »
Je y veiz un homme de bonne apparence bien ressemblant
à la Ventrose, amèrement courroussé contre un sien gros,
grand varlet et un petit paige, et les battoit en Diable à
grands coups de brodequin. Ignorant la cause du courroux
pensois que feust par le conseil des medicins, comme chose
salubre au maistre roy courrousser et battre, aux varletz
estre battuz. Mais je ouyz qu'il reprochoit aux varlets luy
avoir esté robbé à demy une oyre de vent Guarbin, laquelle il
guardoit chèrement, comme viande rare pour l'arriére saison.
136 LIVRE IV, CHAPITRE XLIII
Hz ne fiantent, ilz ne pissent, ilz ne crachent en ceste isle.
En recompense, ilz ressent, ilz pettent, ilz rottent copieuse-
ment. Hz pâtissent toutes sortes et toutes espèces de maladies.
Aussi toute maladie naist et procède de ventosité, comme
deduyt Hyppocrates, lib. de Flatihns. Mais la plus epidemiale
est la cholique venteuse. Pour y remédier, usent de ventôses
amples, et y rendent forte ventositez. Hz meurent tous hydro-
picques tympanites; et meurent les hommes en pétant, les
femmes en vesnant. Ainsi leur sort l'ame par le cul.
Depuis, nous pourmenans par l'isle, rencontrasmes trois
gros esventez les quelz alloient à l'esbat voir les pluviers, qui
là sont en abondance, et vivent de mesme diète. Je advisay
que ainsi, comme vous, Beuveurs, allans par pays portez fiac-
cons, ferrieres et bouteilles : pareillement chascun à sa ceinc-
ture portoit un beau petit soufflet. Si par cas vent leur fail-
loit, avccques ces joliz souffletz ilz en forgeoient de tout frays,
par attraction et expulsion réciproque, comme vous sçavez
que vent, en essentiale définition, n'est aultre chose que air
flottant et ondoj^ant.
En ce moment, de par leur Roy, nous fut faict commande-
ment que de troys heures n'eussions à retirer en nos navires,
home ne femme du pays. Car on luy avoit robbé une veze
pleine du vent propre que jadis à Ulysses donna le bon ron-
fleur yEolus pour guider sa nauf en temps calme. Lequel il
guardoit religieusement, comme un autre Sangreal, et en
guerissoyt plusieurs énormes maladies, seulement en laschant,
et eslargissant es malades autant qu'en fauldroit pour forger
un pet virginal : c'est ce que les Sanctimoniales appellent son-
net.
PANTAGRUEL I37
CHAPITRE XLIV
COMMENT PETITES PLUYES ABATTENT LES GRANDS VENT3
Pantagruel louoit leur police et manière de vivre, et dist à
leur potestat Hypenemien : « Si recepvez l'opinion de Epi-
curus, disant le bien souverain consister en volupté (Volupté)
dis je, facile et non pénible), je vous repute bien heureux.
Car vostre vivre, qui est de vent, ne vous couste rien, ou bien
peu : il ne fault que souffler. — Voyre, respondit le Potestat.
Mais en ceste vie mortelle, rien n'est beat de toutes pars. Sou-
vent, quand sommes à table, nous alimentans de quelques
bon et grand vent de Dieu, comme de Manne céleste, aises
comme pères, quelque petite pluye survient, laquelle nous
le toUist et abat. Auisi sont maints repas perduz par faulte de
victuailles. — C'est, dist Panurge, comme Jenin de Quin-
quenais, pissant sur le fessier de sa femme Quelot, abatit le
vent punays qui en sortoit comme d'une magistrale .^olipyle.
J'en feys nagueres un dizain joUiet :
Jenin, tastant un soir ses vins nouveaulx,
Troubles encor et bouillans en leur lie,
Pria Ouelot aprester des naveaulx
A leur soupper, pour faire chère lie.
Cela feut faict. Puis, sans melancholie,
Se vont coucher, belutent, prennent somme.
Mais ne povant Jenin dormir en somme.
Tant fort vesnoit Quelot, et tant souvent,
La compissa. Puis : « Voylà, dist il, comme
Petite pluye abat bien un grand vent, s
— Nous d'adventaige, disait le Potestat, avons une
annuelle calamité bien grande et dommaigeable. C'est qu'un
géant, nommé BringuenariUes, qui habite en l'isle de Tohu
I3S LIVRE IV, CHAPITRE XLIV
annuellement, par le conseil de ses medicins, icy se transporte
à la prime Vere pour prendre purgation, et nous dévore grand
nombre de moulins à vent, comme pillules, et de souffletz
pareillement, des quelz il est fort friant : ce que nous vient à
grande misère, et en jeusnons troys ou quatre quaresmes
par chascun an, sans certaines particulières rouaisons et orai-
sons. — Et n'y sçavez vous, demandoit Pantagruel, ob\'ier?
— Par le conseil, respondit le Potestat, de nos maistres Meza-
rims, nous avons mis, en la saison qu'il a de coustume icy
venir, dedans les moulins force coqs et force poulies. A la pre-
mière foys qu'il les avalla, peu s'en fallut qu'il n'en mourust.
Car ilz luy chantoient dedans le corps, et luy voloient à tra-
vers l'estomach, dont tomboit en lipothymie, cardiacque
passion et convulsion horrificque et dangereuse, comme si
quelque serpent lui feust par la bouche entré dedans l'esto-
mach. — Voylà, dist frère Jan, un comme mal à propous et
incongru. Car j'ay aultresfois ouy dire que le serpent entré
dedans l'estomach ne faict desplaisir aulcun, et soubdain
retourne dehors si par les pieds on pend le patient, luy présen-
tant prés la bouche un paeslon plein de laict chauld. — Vous,
dist Pantagruel, l'avez ouy dire : aussi avoient ceulx qui
vous l'ont raconté. Mais tel remède ne feut oncques veu ne leu.
Hippocrates {lib. V, Epid.) escript le cas estre de son temps
advenu, et le patient subit estre mort par spasme et convul-
sion.
• — Oultre plus, disoit le Potestat, tous les renards du pays
luy entroient en gueule, poursuyvans les gelines, et trespas-
soit à tous momens, ne feust que par le conseil d'un Badin
enchanteur, à l'heure du paroxysme il escorchoit un renard
pour antidote et contrepoison. Depuys eut meilleur advis, et y
remédie moyennant un clystere qu'on luy baille, faict
d'une décoction de grains de bled et de millet, es quelz accou-
rent les poulies : en semble de f oyes d'oysons, es quelz accou-
rent les renards. Aussi des pillules qu'il prend par la bouche,
PANTAGRUEL 139
composées de lévriers et de chiens terriers. Voyez là nostre
malheur. — ■ N'ayez paour, gens de bien, dist Pantagruel,
désormais. Ce grand Bringuenarilles, avalleur de moulins à
vent, est mort. Je le vous asceure. Et mourust sufEocqué et
estranglé, mangeant un coin de beurre frais à la gueule d'un
four chault par l'ordonnance des Medicins, »
CHAPITRE XLV
COMMENT PANTAGRUEL DESCENDIT EX L'ISLE DES PAPEFIGUES
Au lendemain matin rencontrasmes l'isle des Papefîgues,
les quelz jadis estoient riches et libres, et les nommoit on
Guaillardetz. Pour lors estoient paouvres, malheureux et sub-
jectz aux Papimanes. L'occasion avoit esté telle. Un jour
de feste annuelle à bastons, les Bourguemaistre, Syndicz et
gros Rabiz Guaillardetz, estoient allés passer temps, et veoir
la feste en Papimanie, isle prochaine. L'un d'eulx, voyant le
protraict Papal (comme estoit de louable coustume publicque-
ment le monstrer es jours de feste à doubles bastons), luy
feist la figue, qui est, en icelluy pays, signe de contemnement
et dérision manifeste. Pour icelle vanger, les Papimanes,
quelques jours après, sans dire guare, se mirent tous en armes,
surprindrent, saccaigerent, et ruinèrent toute l'isle des Guail-
lardetz, taillèrent à fil d'espée tout homme portant^ barbe. Es
femmes et jouvenceaulx pardonnèrent, avecques condition
semblable à celle dont l'empereur Federic Barberousse jadis
usa envers les Milanois.
Les Milanois s'estoient contre luy absent rebellez et avoient
rimperatrice sa femme chassé hors la ville, ignominieuse-
ment montée sus une vieille muUe nommée Thacor, à chevau-
140 LIVRE IV, CHAPITRE XLV
chons de rebours : sçavoir est, le cul tourné vers la teste de la
mulle, et la face vers la croppiere. Federic, à son retour, les
ayant subjuguez et resserrez, feist telle diligence qu'il recou-
vra la célèbre mule Thacor. Adoncques, au milieu du grand
Brouet, par son ordonnance, le bourreau mist es membres
honteux de Thacor une figue, presens et voyans les citadins
captifz; puys crya, de par l'empereur, à son de trompe, que
quiconques d'iceulx voudroit la mort évader, arrachast
publicquement la Figue avecques les dens, puis la remist on
propre lieu sans ayde des mains. Quiconque en feroit refus
seroit sus l'instant pendu et estranglé. Aulcuns d'iceulx
eurent honte et horreur de telle tant abhominable amende,
la postpouserent à la craincte de mort, et furent penduz. Es
autres la craincte de mort domina sus telle honte. Iceulx,
avoir à belles dens tiré la Figue, la monstroient au Boye,
apertement, disans : Ecco lo fico. En pareille ignominie, le
reste de ces pauvres et désolez Guaillaidetz feurent de mort
guarantiz et saulvez. Feurent faicts esclaves et tributaires,
et leur feut imposé nom de Papefigues, parce qu'au protraict
Papal avoient faict la Figue. Depuys celluy temps, les pau-
vres gens n'avoient prospéré. Tous les ans avoient gresle,
tempeste, famine et tout malheur, comme éternelle punition
du pcché de leurs ancestres et parcns.
Voyans la misère et calamité du peuple, plus avant entrer
ne voulusmes. Seulement pour prendre de l'eau beniste et à
Dieu nous recommander, entrasmes dedans une petite cha-
pelle près le havre, ruinée, désolée et descouverte, comme est à
Rome le temple de sainct Pierre. En la chapelle entrez et pre-
nens de l'eau beniste, apperceusmes dedans le benoistier un
home vestu d'estoUes, et tout dedans l'eaue caché, comme un
Canard au plonge, excepté un peu du nez pour respirer. Au
tour de luy estoient trois prebstres bien ras et tonsurez, lisans
le Grimoyre, et conjurans les Diables. Pantagruel trouva le
cas estrange, et, demandant quelz jeuz c'estoient qu'ilz
PANTAGRUEL 14!
jouoient là, feut adverty que depuys troys ans passez avoit
en l'isle régné une pestilence tant horrible que pour la moitié
et plus le pays estoit lesté désert, et les terres sans posses-
seurs. Passée la pestilence, cestuy home caché dedans le
benoistier aroyt un champ grand et restile, et le semoyt de
touzelle en un jour et heure qu'un petit Diable (lequel encores
ne sçavoit ne tonner ne gresler, fors seulement le persil et les
choux, encores aussi ne sçavoit lire ne escrire) avoit de Lucifer
impetré venir en ceste isle des Papefîgues, soy recréer et
esbattre, en la quelle les Diables a voient familiarité grande
avecques les hommes et femmes, et souvent y alloient passer
temps.
Ce Diable, arrivé au lieu, s'adressa au Laboureur, et luy
demanda qu'il faisoit. Le paouvre homme luy respondit qu'il
semoit celluy champ de touzelle pour soy ayder à vi\Te l'an
suyvant. « Voire mais, dist le diable, ce champ n'est pas tien,
il est à moy, et m'appartient. Car depuys l'heure et le temps
qu'au Pape vous feistes la figue, tout ce pays nous fut adjugé,
proscript et abandonné. Bled semer toutesfoys n'est mon
estât. Pourtant je te laisse le champ; mais c'est en condition
que nous partirons le profict. — Je le veulx, respondit le La-
boureur. — J'entends, dist le Diable, que du profit advenent
nous ferons deux lotz. L'un sera ce que croistra sus terre,
l'autre ce que en terre sera couvert. Le choix m'appartient,
car je suys Diable extraict de noble et antique race : tu n'es
qu'un villain. Je choizis ce que sera en terre, tu auras le des-
sus. En quel temps sera la cueillette? — A my Juillet, res-
pondit le Laboureur. — Or, dist le Diable, je ne fauldray me
y trouver. Fays au reste comme est le debvoir : travaille,
villain, travaille. Je oys tenter du guaillard péché de luxure
les nobles nonnains de Pettesec, les Cagotz et Briffaulx aussi.
-De leurs vouloirs je suys plus qu'asceuré. Au joindre sera le
combat. »
Î41 LIVRE IV, CHAPITRE XLVI
CHAPITRE XLVI
COMMENT LE PETIT DIABLE FEUT TROMPÉ PAR UN LABOUREUR
DE PAPEFIGUIERE
La my Juillet venue, le Diable se représenta au lieu, accom-
paigné d'un escadron de petitz Diableteaux de cœur. Là ren-
contrant le Laboureur, luy dist : « Et puys, villain, comment
t'es tu porté depuis ma départie? Faire icy convient nos par-
taiges. — C'est, respondit le Laboureur, raison. » Lors com-
mença le Laboureur avecques ses gens seyer le bled. Les
petitz Diables de mesme tiroient le chaulme de terre. Le
Laboureur battit son bled en l'aire, le venait, le mist en po-
ches, le porta au marché pour vendre. Les Diableteaux
feirent de mesmes, et au marché prés du laboureur, pour leur
chaulme vendre, s'assirent. Le laboureur vendit tresbien son
bled, et de l'argent emplit un vieulx demy brodequin, lequel
il portoit à sa ceincture. Les Diables ne vendirent rien : ains
au contraire les paizans en plein marché se mocquoient d'eulx.
Le marché clous, dist le Diable au Laboureur : « Villain, tu
m'as à ceste foys trompé, à l'aultre ne me tromperas. — Mon-
sieur le Diable, respondit le Laboureur, comment vous
aurois je trompé, qui premier avez choisy? Vray est qu'en
cestuy choix me pensiez tromper, espérant rien hors terre ne
yssir pour ma part, et dessoubs trouver tout entier le grain
que j'avois semé, pour d'icelluy tempter les gens souffreteux,
Cagotz, ou avares, et par temptation les faire en vos lacz
tresbucher. Mais vous estes bien jeune au mestier. Le grain
que voyez en terre est mort et corrompu, la corruption d'icel-
luy a esté génération de l'aultre que me avez veu vendre.
Ainsi choisissiez vous le pire. C'est pourquoy estez luaudict
PANTAGRUEL 143
en l'Evangile. — Laissons, dist le Diable, ce propous : de
quoy caste année sequente pourras tu nostre champ semer?
— Pour profict, respondit le Laboureur, de bon mesnagier, le
conviendroit semer de Raves. — Or, dist le Diable, tu es
villain de bien : semé Raves à force, je les guarderay de la
tempeste, et ne gresleray poinct dessus. Mais, entends bien,
je retiens pour mon partaige ce que sera dessus terre, tu
auras le dessoubs. Travaille, villain, travaille. Je voys tenter
les hereticques, ce sont âmes friandes en carbonnade : mon-
sieur Lucifer a sa cholicque, ce luy sera une guorge chaulde. »
Venu le temps de la cueillette, le Diable se trouva au lieu
avecques un esquadron de Diableteaux de chambre. Là
rencontrant le Laboureur et ses gens, commença seyer et
recueillir les feuilles des Raves. Après luy le Laboureur bechoit
et tiroyt les grosses Raves, et les mettoit en poches. Ainsi
s'en vont tous ensemble au marché. Le Laboureur vend oit
tresbien ses Raves. Le diable ne vendit rien. Que pis est, on
se mocquoit de luy publicquement. « Je voy bien, villain, dist
adoncques le Diable, que par toy je suys trompé, Je veulx
faire fin du cham_p entre toy et moy. Ce sera en tel pact que
nous entregratterons l'un l'aultre, et qui de nous deux pre-
mier se rendra quittera sa part du champ. Il entier demeu-
rera au vaincueur. La journée sera à huytaine. Va, villain, je
te gratteray en Diable. Je alloys tenter les pillars Chiquanous,
desguyseurs de procès, notaires faulseres, advocatz prévari-
cateurs; mais ilz m'ont faict dire par un truchement qu'ilz
estoient tous à moy. Aussi bien se fasche Lucifer de leurs
âmes. Et les renvoya ordinairement aux Diables souillars de
cuisine, sinon qunad elles sont saulpoudrees. Vous dictes
qu'il n'est desjeuner que de escholiers, dipner que d'advo-
catz, ressiner que de vinerons, soupper que de marchans,
regoubilloner que de chambrières, et tous repas que de Far-
fadetz. Il est vray ; de faict, monsieur Lucifer se paist à tous
ses repas de Farfadetz pour entrée de table. Et se souloit des-
144 LIVRE IV, CHAPITRE XLVI
jeûner de escholiers. Mais (las !) ne sçay par quel malheur
depuys certaines années ilz ont avecques leurs estudes adjoinct
les sainctes Bibles. Pour ceste cause plus n'en pouvons au
Diable l'un tirer. Et croy que si les Caphards ne nous y aident,
leurs ostans par menaces, injures, force, violence et brusle-
mens leur sainct Paul d'entre les mains, plus à bas n'en gri-
gnoterons. De avocatz peivertisseurs de droict et pilleurs
de paou\Tes gens, il se dipne ordinairement et ne luy man-
quent. Mais on se fasche de tousjours un pain manger. Il dist
nagueres en plein chapitre qu'il mangeroit voluntiers l'ame
d'un Caphard, qui eust oublié soy en son sermon recom-
mander. Et promist double paye et notable appoinctement-
à quiconques luy en apporteroit une de broc en bouc. Chas-
cun de nous se mit en queste. Mais rien n'y avons proficté.
Tous admonnestent les nobles dames donner à leur convent.
De ressieuner il s'est abstenu depuys qu'il eut sa forte coUc-
que prouvenante à cause que es contrées Boréales l'on avoit
ses nourrissons, vivandiers, charbonniers et chaircuitiers
oultragé villainement. Il souppe tresbien de marchands usu-
riers, apothecaires, faulsaires, billonneurs, adulterateurs de
marchandises. Et quelques foys qu'il est en ses bonnes,
reguobillonne de chambrières, les quelles, avoir beu le bon
vin de leurs maistres, reinplissent le tonneau d'eaue puante.
Travaille, viilain, travaille. Je voys tenter les eschohers de
Trebizonde laisser pères et mères, renoncer à la pohce com-
mune, soy émanciper des edictz de leur Roy, vivre en liberté
soubterraine, mespriser un chascun, de tous se mocquer, et
prenans le beau et joyeulx petit béguin d'innocence Poëtic-
que soy tous rendre Farfadetz gentiiz. »
PANTAGRUEL I45
CHAPITRE XLVII
COMMENT LE DIABLE FUT TROMPÉ PAR UNE VIEILLE
DE PAPEFIGUIERE
Le Laboureur retournant en sa maison estoit triste et
pensif. Sa femme, tel le voyant, cuydoit qu'on l'eust au mar-
ché desrobbé. Mais entendant la cause de sa melancholie,
voyant aussi sa bourse pleine d'argent, doulcement le recon-
forta et l'asceura que de ceste gratelle mal aulcun ne luy
adviendroit. Seulement que sus elle il eust à se poser et repo-
ser. Elle avoit ja pourpensé bonne yssue. « Pour le pis (disoit
le Laboureur) je n'en auray qu'une esrafflade : je me rendray
au premier coup et luy quitteray le champ. — Rien, rien,
dist la vieille; posez vous sus moy et reposez : laissez moy
faire. Vous m'avez dict que c'est un petit Diable : je le vous
feray soubdain rendre, et le champ nous demourera. Si c'eust
esté un grand Diable, il y auroit à penser. »
Le jour de l'assignation estoit lorsqu'en l'isle nous arrivas-
mes. A bonne heure du matin le Laboureur s'estoit très bien
confessé, avoit communié, comme bon cathodique, et par le
conseil du Curé s'estoit au plonge caché dedans le benoistier,
en Testât que l'avions trouvé.
Sus l'instant qu'on nous racontoit ceste histoire, eusmes
advertissement que la vieille avoit trompé le Diable et guain-
gné le champ. La manière feut telle. Le Diable vint à la porte
du Laboureur, et, sonnant, s'escria : « O villain, villain;
ça, ça à belles gryphes ! »
Puis entrant en la maison guallant et bien délibéré, et
ne y trouvant le Laboureur, advisa sa femme en terre pleu-
rante et lamentante. « Qu'est cecy ? demandoit le Diable. Où
T. II. 10
146 LIVRE IV, CHAPITRE XL\III
est-il? Que faict il? — Ha, dist la vieille, où il est le meschant,
le bourreau, le briguant? Il m'a affoUée, je suis perdue, je
meurs du mal qu'il m'a faict. — Comment, dist le Diable,
qu'y a il? Je le vous gualleray bien tantoust. — Ha, dist la
vieille, il m'a dict, le bourreau, le tyrant, l'esgratineur de
Diables, qu'il avoit huy assignation de se gratter avecqucs
vous : pour essayer ses ongles il m'a seulement gratté du
petit doigt icy entre les jambes, et m'a du tout affollée. Je
suys perdue, jamais je n'en gueriray, reguardez. Encores est
il allé ches le mareschal soy faire esguiser et apoincter les
gryphes. Vous estes perdu, monsieur le Diable, mon amy.
Saulvez vous, il n'arrestera poinct. Retirez vous, je vous en
prie. »
Lors se descouvrit jusques au menton en la forme que
jadis les femmes Persides se présentèrent à leurs enfans fuyans
de la bataille, et luy raonstra son comment a nom. Le Diable,
voyant l'énorme solution de continuité en toutes dimensions,
s'escria : « Mahon, Demiourgon, Megere, Alecto, Persephone,
il ne me tient pas ! Je m'en voys bel erre. Cela ! Je luy quitte
le champ. »
Entendens la catastrophe et fin de l'histoire, nous retiras-
mes en nostre nauf. Et là ne feismes aultre séjour. Pantagruel
donna au tronc de la fabricque de l'EccUse dixhuict mille
Royaulx d'or en contemplation de la paouvreté du peuple et
calamité du lieu.
CHAPITRE XLVIII
COMMENT PANTAGRUEL DESCENDIT EN L'ISLE DES PAPIMANES
Laissans l'isle désolée des Papefigues, navigasmes par un
jour en sérénité et tout plaisir, quant à nostre veue se offrit
PANTAGRUEL I47
la benoiste isle des Papimanes. Soubdain que nos ancres fcu-
rent au port jettées, avant que nous eussions encoche nos
gumenes, vindrent vers nous en un esquif quatre personnes
diversement vestuz. L'un en moine enfrocqué, crotté, botté,
L'aultre en faulconnier, avecques im leurre et guand de
oiseau. L'aultre en solliciteur de procès, ayant un grand sac
plein d'informations, citations, chiquaneries et adjournemens
en main. L'aultre en vigneron d'Orléans avecques belles
guestres de toille, une panouere et une serpe à la ceincture.
Incontinent qu'ilz f eurent joinctz à nostre nauf, s'escrierent
à haulte voix tous ensemble demandans : « L'avez vous veu,
gens passagiers? l'avez vous veu? — Qui? demandoit Panta-
gruel. — Celluy là. respondirent ilz. — Qui est il? demanda
frère Jan. Par la mort beuf, je l'assommeray de coups. « Pen-
sant qu'ils se guementassent de quelque larron, meurtrier ou
sacrilège. « Comment, dirent ilz, gens peregrins, ne congnois-
sez vous rUnicque. — Seigneurs, dist Epistemon, nous ne
entendons telz termes. Mais exposez nous, s'il vous plaist,
de qui entendez, et nous vous en dirons la vérité sans dissi-
mulation. — C'est, dirent ilz, celluy qui est. L'avez vous
jamais veu? — Celluy qui est, respondit Pantagruel, par nos-
tre Théologicque doctrine, est Dieu. Et en tel mot se declaira
à Moses. Oncques certes ne le veismes, et n'est visible à œilz
corporeiz. — Nous ne parlons mie, dirent ilz, de celluy hault
Dieu qui domine par les Cieulx. Nous parlons du Dieu en
terre. L'avez vous onques veu? ■ — Ilz entendent, dist Carpa-
lim, du Pape, sus mon honneur. — Ouy, ouy, respondit
Panurge, ouy dea, messieurs, j'en ay veu troys, à la veue
desquelz je n'ay gueres profité. — Comment, dirent ilz, nos
sacres decretales chantent qu'il n'y en a jamais qu'un vivant.
— J'entends, respondit Panurge, les uns successivement
après les aultres. Aultrement n'en ay je veu qu'un à une
fois. — O gens, dirent ilz, troys et quatre foys heureux, vous
soyez les bien et plus que tresbien venuz ! »
148 LIVRE IV, CHAPITRE XLVIII
Adoncques s'agenouillèrent devant nous, et nous vouloient
baiser les pieds. Ce que ne leurs voulusmes permettre, leur
remontrans que au Pape, si là de fortune en propre personne
venoit, ilz ne sçauroient faire d'adventaige. « Si ferions, si
respondirent ilz. Cela est entre nous ja résolu. Nous luy baise-
rions le cul sans feuille, et les couilles pareillement. Car il a
couilles le père sainct, nous le trouvons par nos belles Decre-
tales, aultrement ne seroit il Pape. De sorte qu'en subtile
philosophie Decretaline ceste conséquence est nécessaire : Il
est Pape, il a doncques couilles. Et quand couilles fauldroient
au monde, le monde plus Pape n'auroit. »
Pantagruel demandoit ce pendent à un mousse de leur'
esquif qui estoient ces personnaiges. Il luy feist response que
c'estoient les quatre estatz de l'isle : adjousta d'adventaige
que serions bien recueilliz et bien traictez, puys qu'avions
veu le Pape. Ce que il remonstra à Panurge, lequel luy dist
secrètement. « Je foys veu à Dieu, c'est cela. Tout vient à
poinct qui peult attendi-e. A la veue du Pape jamais n'avions
proficté : à ceste heure de par tous les Diables nous profi-
tera comme je voy. » AUors descendismes en terre, et venoit au
davant de nous comme en procession tout le peuple du pays,
homes, femmes, petitz enfantz. Nos quatre estatz leurs dirent
à haulte voix : « Hz le ont veu. Hz le ont veu. Hz le ont veu. »
A ceste proclamation tout le peuple se agenouilloit davant
nous, levans les mains joinctes au ciel, et cryans : « O gens
heureux ! O bien heureux ! » Et dura ce cr\'s plus d'un quart
d'heure. Puys y accourut le maistre d'eschoUe avecques tous
ses pédagogues, grimaulx et escholiers, et les fouettoit magis-
tralement, comme on souloit fouetter les petitz enfans en nos
pays, quand on pendoit quelque malfaicteur, afi&n qu'il leurs
en soubvint. Pantagruel en feut fasché, et leurs dist : « Mes-
sieurs, si ne désistez fouetter ces enfans, je m'en retourne. »
Le peuple s'estonna, entendent sa voix Stentoree, et veiz
un petit bossu à longs doigtz demandant au maistre d'es-
PANTAGRUEL I49
choie : « Vertus de Exti^avagantes, ceiilx qui voyent le Pape
deviennent ilz ainsi grands comme cestuy cy qui nous me-
nasse? O qu'il me tarde merveilleusement que je ne le voy,
afi&n de croistre et grand comme luy devenir. » Tant grandes
feurent leurs exclamations que Homenas y accourut (ainsi
appellent ilz leurs Evesque) sus une mule desbridée, caparas-
sonnée de verd, accompaigné de ses appous (comme ilz di-
soient), de ses suppos aussi, portans croix, banieres, confa-
lons, baldachins, torches, benoistiers. Et nous vouloit pareil-
lement les pieds baiser à toutes forces (comme feist au pape
Clément le bon Christian Valfinier) disant qu'un de leurs
hypophetes desgresseur et glossateur de leurs sainctes Decre-
tales avoit par escript laissé que ainsi comme le Messyas, tant
et si long temps des Juifz attendu, en fin leurs estoit advenu,
aussi en icelle isle quelque jour le pape viendroit. Attendens
ceste heureuse journée, si là arrivoit personne qui l'eust veu
à Rome ou aultre part, qu'ilz eussent à bien le festoyer, et
reverentement traicter. Toutesf oys nous en excusasmes hones-
tement.
CHAPITRE XLIX
Comment homenaz, evesque des papimanes, nous monstrA
les uran0petes decretales
Puys nous dist Homenas : « Par nos sainctes Decretales
nous est enjoinct et commendé visiter premier les Ecchses
que les cabaretz. Pourtant, ne decUnans de ceste belle institu-
tion, allons à l'Ecclise, après irons bancqueter. — Home de
bien, dist frère Jan, allez davant, nous vous suivrons. Vous
avez parlé en bons termes et en bon Christian. Ja long temps
a que n'en avions veu. Je m'en trouve fort resjouy en mon
130 LIVRE IV, CHAPITRE XLIX
esprit, et croy que je n'en repaistray que mieulx. C'est belle
chose rencontrer gens de bien. » Approchans de la porte du
temple, apperceusmez un gros livre doré, tout couvert de fines
et précieuses pierres, Balais, Esmerauldes, Diamans et Unions
plus ou autant pour le moins excellentes que celles que Octa-
\-ian consacra à Juppiter Capitolin. Et pendoit en l'air ataché
à deux grosses chaînes d'or au Zoophore du portai. Nous le
reguardions en admiration. Pantagruel le manyoit et tour-
noyt à plaisir, car il y pouvoit aizement toucher. Et nous
afîermoit que au touchement d'icelles, il sentoit un doulx pru-
rit des ongles et desgourdissement des bras : ensemble temp-
tation véhémente en son esprit de battre un sergent ou deux ■
pourveu qu'ilz n'eussent tonsure. Adoncques nous dist
Homenaz : « Jadis feut aux Juifz la loy par Moses baillée
esciipte des doigts propres de Dieu. En Delphes davant la face
du temple d'ApoUo fut trouvée ceste sentence divinement
escripte : rNÎ20I XEATTÔX. Et par certain laps de temps
après feut veue El, aussi divinement escripte et transmise
des Cieulx. Le simulachre de Cybele feut des Cieulx en
Phrj'^gie transmis on champ nommé Pesinunt. Aussi feut en
Tauris le simulachre de Diane, si croyez Euripides. L'ori-
flambe feut des Cieulx transmise aux nobles et treschrestians
Roys de France, pour combattre les Infidèles. Régnant
Numa Pompilius, Roy second des Romains en Rome, feut
du Ciel veu descendre le tranchant bouclier, dict Ancile. En
AcropoUs de Athènes jadis tomba du ciel empiré la statue de
Minerve. Icy semblablement voyez les sacres Decretales
escriptes de la main d'un ange Chérubin. Vous aultres gens
Transpontins, ne le croirez pas. — Assez mal, respondit Pa-
nurge. — Et à nous icy miraculeusement du Ciel des Cieulx
transmises, en façon pareille que par Homère, père de toute
Philosophie (exceptez tous jours les dives Decretales), le
fleuve du Nile est appelé Diipetes. Et parce qu'avez veu le
Pape, evangeUste d'icelles et protecteur sempiternel, vous
PANTAGRUEL 1 .5 I
sera de par nous permis les veoir et baiser au dedans, si bon
vous semble. Mais il vous conviendra par avant trois jours
jeûner et régulièrement confesser, curieusement espluchans
et inventorizans vos péchez tant dru qu'en terre ne tombast
une seule circonstance, comme divinement nous chantent les
dives Decretales que voyez. A cela fault du temps.
— Home de bien, respondit Panurge, Decrotoueres, voyre,
diz je, Decretales avons prou veu en papier, en parchemin
lanterné, en velin, escriptes à la main, et imprimées en mouUe.
Ja n'est besoing que vous penez à cestes cy nous monstrer.
Nous contentons du bon vouloir et vous remercions autant.
— Vraybis, dist Homenaz, vous n'avez mie veu cestes cy
angelicquement escriptes. Celles de vostres pays ne sont que
transsumpts des nostres, comme trouvons escript par un de
nos antiques Scholiastes Decretalins. Au reste vous prye n'y
espargner ma peine. Seulement advisez si voulez confesser et
jeûner les troys beaulx petitz jours de Dieu. — ■ De cons fesser,
respondit Panurge, tresbien nous consentons. Le jeune seule-
ment ne nous vient à propous, car nous avons tant et trestant
par la marine jeune que les araignes ont faict leurs toilles sus
nos dens. Voyez icy ce bon frère Jan des Entommeures (à ce
mot Homenaz courtoisement luy bailla la petite accolade),
la mousse luy est creue on gouzier par faulte de remuer et
exercer les badiguoinces et mandibules. — Il dict vray, res-
pondit frère Jan. J'ay tant et trestant jeune que j'en suys
devenu tout bossu.
— Entrons, dist Homenas, doncques en l'Ecclise, et nous
pa donnez si présentement ne vous chantons la belle messe de
Dieu. L'heure de myjour est passée, après laquelle nous
défendent nos sacrées Decretales messe chanter, messe, diz-je,
haulte et légitime. Mais je vous en diray une basse et seiche.
— J'en aimeroys mieulx, dist Panurge, une mouillée de quel-
que bon vin d'Anjou. Boutez doncq, boutez bas et roidde. —
Verd et bleu, dist frère Jan, il me desplaist grandement
152 LIVRE IV, CHAPITRE L
qu'encores est mon estomach à jeun. Car ayant t/esbien des-
jeuné et repeu à usaige monachal, si d'adventure il nous
chante de Requiem, je y eusse porté pain et vin par les traicts
passez. Patience. Sacquez, chocquez, boutez, mais troussez
la court, de paour que ne se crotte, et pour aultre cause
aussi, je vous en prye. »
CHAPITRE L
COMMENT, PAR HOMENAZ, NOUS FEUT MONSTRE L'ARCHETYPE"
d'un PAPE
La messe parachevée, Homenaz tira d'un coffre prés le
grand autel un gros faratz de clefz, des quelles il ou\Tit, à
trente et deux clavures et quatorze cathenatz, une fenestre
de fer bien barrée, au dessus dudict autel; puys, par grand
mystère, se couvrit d'un sac mouillé, et, tirant un rideau de
satin cramoisy, vous monstra une image paincte assez mal,
selon mon ad\ds, y toucha un baston longuet, et nous feist
à tous baiser la touche. Puys nous demanda : « Que vous
semble de ceste imaige? — C'est, respondit Pantagruel, la
ressemblance d'un pape. Je le congnois à la thiare, à l'au-
musse, au rochet, à la pantoplile. — Vous dictez bien, dist
Homenas. C'est l'idée de ceUuy Dieu de bien en terre, la
venue duquel nous attendons dévotement, et lequel espérons
une foys veoir en ce pays. O l'heureuse et désirée et tant
attendue journée ! Et vous, heureux et bienheureux, qui tant
avez eu les astres favorables que avez vivement en face veu
et realement celluy bon Dieu en terre, duquel voyant seule-
ment le portraict, pleine remission guaignons de tous nos
péchez mémorables : ensemble la tierce partie avecques
PANTAGRUEL I53
dixhuict quarantaines de péchez oubliez ! Aussi ne la voyons
nous qu'aux grandes {estes annuelles. »
Là disoit Pantagruel que c'estoit ouvraige tel que les faisoit
Daedalus. Encores qu'elle feust contrefaicte et mal traicte,
y estoit toutesfoys latente et occulte quelque divine énergie
en matière de pardons. « Comme, dist frère Jan, à Seuillé
les coquins souppans un jour de bonne feste à l'hospital, et se
vantans l'un avoir celluy jour guaingné six blancs, l'aultre
deux soulz, l'aultre sept carolus, un gros gueux se vantoit
avoir guaingné troys bons testons. Aussi (luy respondirent
ses compaignons) tu as une jambe de Dieu. Comme si quelque
divinité feust absconse en une jambe toute sphacelée et
pourrye. — Quand, dist Pantagruel, telz contes vous nous
ferez, soyez records d'apporter un bassin. Peu s'en fault que
ne rende ma guorge. User ainsi du sacre nom de Dieu en choses
tant ordes et abhominables ! Fy, j'en diz fy ! Si dedans vostre
moynerie est tel abus de paroUes en usaige, laissez le là ; ne le
transportez hors les cloistres. — Ainsi, respondit Epistemon,
disent les medicins estre en quelques maladies certaine parti-
cipation de divinité. Pareillement Néron louoit les champei-
gnons, et en proverbe Grec les appeloit « viande des Dieux »,
pource qu'en iceulx il avoit empoisonné son prédécesseur
Claudius, empereur Romain.
— Il me semble, dist Panurge, que ce portraict fault en
nos derniers Papes : car je les ay veu non aumusse, ains armet
en teste porter, thymbré d'une thiare persicque; et tout
l'empire cliristian estant en paix et silence, eulx seulz guerre
faire félonne et trescruelle. — C'estoit, dist Homenas, donc-
ques contre les rebelles, hereticques, protestans désespérez
non obéissans à la saincteté de ce bon Dieu en terre. Cela luy
est non seulement permis et licite, mais commendé par les
sacres Decretales, et doibt à feu incontinent Empereurs,
Rois, Ducz, Princes, Republicques, et à sang mettre, qu'ilz
transgresseront un iota de ses mandemens ; les spolier de leurs
154 LIVRE IV, CHAPITRE LI
bieiis, les déposséder de leurs Royaulmes, les proscrire, les
anathematizer, et non seulement leurs corps, et de leurs
enfans et parens aultres occire, mais aussi leurs âmes damner
au parfond de la plus ardente chauldiere qui soit en Enfer. —
Icy, dist Panurge, de par tous les Diables, ne sont ilz heretic-
ques comme fut Raminagrobis, et comme ilz sont parmy les
Almaignes et Angleterre. Vous estez Christians triez sur le
volet. — Ouy, vraybis, dist Homenaz; aussi serons nous
tous saulvez. Allons prendre de l'eau beniste, puys dipne-
rons. »
CHAPITRE LI
MENU2 DEVIS DURANT LE DIPNER, A LA LOUANGE
DES DECRETALES
Or, notez, Beuveurs, que durant la messe sèche de Home-
naz, troys manilliers de l'Ecclise, chascun tenant un grand
bassin en main, se pouimenoient par my le peuple, disans à
haulte voix : « N'oubliez les gens heureux qui l'ont veu en
face. » Sortans du temple, ilz apportèrent à Homenaz leurs
bassins tous pleins de monnoye papimanicque. Homenaz
nous dist que c'estoit pour faire bonne chère; et que de ceste
contribution et taillon, l'une partie seroit employée à bien
boyre, l'aultre à bien manger, suivant une mirificque glosse
cachée en un certain coingnet de leurs sainctes Decretales,
Ce que feut faict, et en beau cabaret assez retirant à celluy
de Guillot en Amiens. Croyez que la repaissaille feut copieuse,
et les beuvettes numereuses. En cestuy dipner je notay deux
choses mémorables ; l'une, que viande ne feut apportée,
quelle que feust, feussent chevreaulx, feussent chappons,
feussent cochons (des quelz y a foyson en Papimanie), feus-
sent pigeons, connilz, levreaulx, coqs de Inde, ou aultres, en
PANTAGRUEL 155
laquelle n'y eust abondance de farce magistrale; l'aultre, que
tous le sert et dessert feut porté par les filles pucelles maria-
bles du lieu, belles, je vous affiie, saffrettes, blondelettes,
doulcettes et de bonne grâce : lesquelles vestues de longues,
blanches et déliées aubes à doubles ceinctures, le chef ouvert,
les cheveux inscrophiez de petites bandelettes et rubans de
saye violette, semés de roses, œilletz, marjolaine, aneth, au-
rande, et aultres fleurs odorantes, à chascun cadence nous
invitoient à boyre avecques doctes et mignonnes révérences.
Et estoient voluntiers veues de toute l'assistence. Frère Jean
les reguardoit de cousté, comme un chien qui emporte un
plumail. Au dessert du premier metz feut par elles mélodieu-
sement chanté un Epode à la louange des sacrosainctes Deere-
taies.
Sus l'apport du second service, Homenaz. tout joyeulx et
esbaudy, adressa sa parolle à un des maistres Sommeliers,
disant : « Clerice, esclaire icy. » A ces motz, une des filles promp-
tement luy présenta un grand hanat plein de vin extrava-
guant. Il le tint en main, et, soupirant profondement, dist à
Pantagruel : « Mon Seigneur, et vous, beaulx amis, je boy à
vous tous de bien bon cœur. Vous soyez les tresbien venuz. »
Beu qu'il eut et rendu le hanat à la bachelette gentile, feist
une lourde exclamation, disant : « O dives Decretales ! tant
par vous est le vin bon bon trouvé ! — Ce n'est, dist Panurge,
pas le pis du panier. — Mieulx seroit, dist Pantagruel, si par
elles le mauvais vin devenoit bon. — O Seraphicque Sixies-
me ! dist Homenaz continuant, tant vous estes nécessaire
au saulvement des pauvres humains ! O Cherubicques Clé-
mentines ! comment en vous est proprement contenue et
descripte la perfaicte institution du vray Chi-istian ! O Extra-
vaguantes Angelicques, comment sans vous periroient les
paouvres âmes, les quelles, ça bas, errent par les corps m.or-
telz en ceste vallée de misère ! Helas, quand sera ce don de
grâce particulière faict es humains, qu'ilz désistent de toutes
I^Ô LIVRE IV, CHAPITRE LU
aultres estudes et négoces pour vous lire, vous entendre, vous
sçavoir, vous user, praticquer, incorporer, sanguifier et incen-
tricquer es profonds ventricules de leurs ccrveaulx, es internes
moelles de leurs os, es perples labyrintes de leurs artères?
O lors et non plus toust, ne aultrcment, heureux le monde ! »
A ces motz, se leva Epistemon, et dist tout bellement à
Panurge : « Faultc de selle persce, me contrainct d'icy partir.
Ceste farce me a desbondc le boyau cuUier : je ne arresteray
gueres. — O lors, dist Homenaz continuant, nullité de gresle,
gelée, frimatz, vimeres ! O lors, abondance de tous biens en
terre ! O lors paix obstinée, infringible en l'Univers : cessa-
tion de guerres, pilleries, anguaries, briguanderies, assassi-
nemens, exceptez contre les hereticques et rebelles maul-
dicts ! O lors joyeuseté, alaigresse, liesse, soûlas, deduictz,
plaisirs, délices en toute nature humaine ! Mais, o grande
doctrine, inestimable érudition, preceptions deificques,
emmortaisees par les di\'ins chapitres de ces eternes Décré-
tai es. O comment, lisant seulement un demy canon un petit,
paragraphe, un seul notable de ces sacrosainctes Decretales,
vous sentez en vos cœurs enflammée la fournaise d'amour
divin; de charité envers vostre prochain, pourveu qu'il ne
Soit hereticque; contemnement asceuré de toutes choses
fortuites et terrestres; ecstatique élévation de vos espritz,
voire jusques au tioizieme ciel; contentement certain en
toutes vos afifections ! »
CHAPITRE LU
CONTINUATION DES MIRACLES ADVENUZ FAR LES DECRETALES
« Voicy, dist Panurge, qui dict d'orgues. Mais j'en croy le
moins que je peuz. Car il me advint un jour à Poictiers, chez
I
PANTAGRUEL I57
l'Escossoys docteur Decretalipotens d'en lire un chapitre :
le Diable m'emporte si, à la lecture d'icelluy, je ne feuz tant
constipé du ventre que par plus de quatre, voyre cinq jours
je ne fiantay qu'une petite crotte. Sçavez vous quelle? Telle,
je vous jure, que Catulle dict estre celles de Furius son voisin
En tout un an je ne chie dix crottes :
Et, si des mains tu les brises et frottes,
Ja n'en pourras ton doigt souiller de erres
Car dures sont plus que febves et pierres.
• — Ha, ha ! dist Homenaz, Inian, mon amy, vous, par ad-
venture, estiez en estât de péché mortel. — Cestuy là, dist
Panurge, est d'un aultre tonneau. — Un jour, dist frère Jan
je m'estois à Seuillé torché le cul d'un feueillet d'unes mes-
chantes Clémentines, les quelles Jean Guymard nostre
recepveur avoit jecté on préau du cloistre : je me donne à
tous les Diables si les rhagadies et haemorrutes ne m'en advin-
drent si très horribles que le pauvre trou de mon clous bru-
neau en fut totit dehinguandé. — Inian, dist Homenaz, ce
feut évidente punition de Dieu, vengeant le péché qu'aviez
faict incaguant ces sacres livres, les quelz deviez baiser et
adorer, je diz d'adoration de latrie, ou de hyperdulie pour le
moins. Le Panormitan n'en mentit jamais.
— Jan Chouart, dist Ponocrates, àMonspellier avoit achapté
des moines de sainct Olary unes belles Decretales escriptes
en beau et grand parchemin de Lamballe, pour en faire des
Vélins pour battre l'or. Le malheur y feut si estrange que
oncques pièce n'y fut frappée qui vint à profict. Toutes
furent dilacerées et estrippées. — Punition, dist Homenas,
et vengeance divine.
— Au Mans, dist Eudemon, François Cornu, apothecaire,
avoit en cornetz emploicté unes Extra vaguantes frippees; je
desadvoue le Diable si tout ce qui dedans feut empacqueté
ne feut sus l'instant empoisonné, pourry et guasté : encens,
poyvre, gyrofie, cinnamone, safran, cire, espices, casse, reu-
158 LIVRE IV, CHAPITRE LU
barbe, tamarins : généralement tout, drogues, guogues et
senogues. — Vangeance, dist Homenaz, et divine punition.
Abuser en choses prophanes de ces tant sacres escriptures 1
— A Paris, dist Carpalim, Groignet cousturier avoit em-
ploicté unes vieilles Clémentines en patrons et mesures. O
cas estrange ! Tous habiUemens taillez sus telz patrons, et
protraictz sus telles mesures, feurent guastez et perduz :
robbes, cappes, manteaulx, sayons, juppes, cazaquins, col-
letz, pourpoincts, cottes, gonnelles, verdugalles. Groignet,
cuydant tailler une cappe, tailloit la forme d'une braguette.
En lieu d'un sayon, tailloit un cliappeau à prunes succees. Sus
la forme d'un cazaquin tailloit une aumusse. Sus le patron
d'un pourpoinct tailloit la guise d'une paele. Ses varletz,
l'avoir cousue, la deschicquetoient par le fond, et sembloit
d'une paele à fricasser les chastaignes. Pour un collet faisoit
un brodequin. Sus le patron d'une verdugualle tailloit une
barbute. Pensant faire un manteau faisoit un tabourin de
Souisse. Tellement que le paouvre home par justice fut con-
demné à payer les estoffes de tous ses challans, et de présent
en est au saphran. — Punition, dist Homenaz, et vengeance
divine.
• — A Cahusac, dist Gymnaste, feut pour tirer à la butte
partie faicte entre les seigneurs d'Estissac et vicomte de
Lausun. Perotou avoit dépecé unes demies Decretales du
bon canonge. De la carte et des feuilletz avoit taillé le blanc
pour la butte. Je me donne, je m.e vends, je me donne à tra-
vers tous les Diables si jamais harbalestier du pays (les quelz
sont suppelatifz en toute Guyenne) tira traict dedans. Tous
feurent coustiers. Rien du blanc sacrosainct barbouillé ne
feut, dépucelle ne entomné. Encores Sansornin l'aisné, qui
guardoit les guaiges, nous juroit Figues dioures (son grand
serment) qu'il avait veu apertement, visiblement, manifes-
tement le pasadouz de Carquelin droict entrant dedans la
grolle on mylieu du blanc, sus le poinct de toucher et enfon-
PANTAGRUEL I59
cer, s'estre escartô loing d'une toise coustier vers le fournil. —
Miracle, s'escria Homenaz, miracle, miracle ! Clerice, esclaire
icy. Je boy à tous. Vous me semblez vrays Christians. »
A ces motz les filles commencèrent ricasser entre elles.
Frère Jan hannissoit du bout du nez comme prest à roussiner
ou baudouiner pour le moins et monter dessus, comme Her-
bault sus paouvres gens. « Me semble, dist Pantagruel, que
en telz blancs l'on eust contre le dangier du traict plus sceu-
rement esté que ne feut jadis Diogenes. — Quoy? demanda
Homenaz. Comment? Estoit il Decretaliste? — C'est, dist
Epistemon retournant de ses affaires, bien rentré de picques
noires. — Diogenes, respondit Pantagruel, un jour s'esbattre
voulant, visita les arcliiers qui tiroient à la butte. Entre
iceulx un estoit tant faultier, imperit et mal adroict, que lors
qu'il estoit en ranc de tirer, tout le peuple spectateur s'escar-
toit de paour d'estre par fuy feruz. Diogenes, l'avoir un coup
veu si perversement tirer que sa flèche tomba plus d'un trabut
loing de la butte, au second coup le peuple loing d'un cousté et
d'aultre s'escartant, accourut et se tint en pieds jouxte le
blanc : affermant cestuy lieu estre le plus sceur, et que l'ar-
chier plus toust feriroit tout aultre lieu que le blanc, le blanc
seul estre en sceureté du traict.
— • Un paige, dist Gymnaste, du seigneur d'Estissac, nommé
Chamouillac, apercent le charme. Par son ad vis Perotou chan-
gea de blanc, et y employa les papiers du procès de Pouillac.
Adoncques tirèrent très bien et les uns et les aultres.
— A Landerousse, dist Rhizotome, es nopces de Jan
Delif, feut le festin nuptial notable et sumptueux, comme lors
estoit la coustume du pays. Apres soupper f eurent jouées plu-
sieurs farces, comédies, sornettes plaisantes; feurent dansées
plusieurs Moresques aux sonnettes et timbous; feurent intro-
duictes diverses sortes de masques et mommeries. Mes com-
paignons d'eschole et moy pour la feste honorer à nostre
povoir (car au matin nous tous avions eu de belles Uvrées
l6o LIVRE IV, CHAPITRE LU
blanc et violet) sus la fin feismes un barboire joyeulx avecques
force coquilles de sainct Michel et belles caqueroUes de lima-
çons. En faulte de Colocasie, Bardane, Personate et de papier
des feueilletz d'un vieil Sixième, qui là estoit abandonné
nous feismes nos faulx visaiges, les descouppans un peu à
l'endroict des œilz, du nez et de la bouche. Cas merveilleux.
Nos petites caroles et puériles esbatemens achevez, houstans
nos faulx \'isaiges, appareusmes plus hideux et villains que
les Diabletcaux de la passion de Doué : tant avions les faces
guastees aux lieux touchez par lesditz feueilletz. L'un y avoit
la picote, l'aultre le tac, l'aultre la veroUe, l'aultre la rougeolle,
l'aultre gros frondes. Somme, celluy de nous tous estoit le
moins blessé à qui les dens estoient tombées. — IMiracle,
s'escrin Homenaz, miracle ! — Il n'est, dist Rhizotome,
encores temps de rire. Mes deux sœurs, Catherine et Renée,
avoient mis dedans ce beau Sixième, comme en presse (car
il estoit couvert de grosses aisses et ferré à glez) leurs guim-
ples, manchons et collerettes savonnées de frais, bien blan-
ches, et empesées. Par la vertus Dieu... — Attendez, dist
Homenaz, du quel Dieu entendez vous? — • Il n'en est qu'un,
respondit Rhizotome. — Ouy bien, dist Homenaz, es cieulx.
En terre n'en avons nous un aultre? — Arry avant, dist Rhi-
zotome, je n'y pensois par mon ame plus. Par la vertus donc-
ques du Dieu Pape terre, leurs guimples, collerettes, bave-
rettes, couvrechefz et tout aultre hnge, y devint plus noir,
qu'un sac de charbonnier. — Miracle, s'escria Homenaz;
Clerice, esclaire icy, et note ces belles histoires. — Comment,
demanda frère Jan, dit on donc :
Depuis que Decretz eurent aies,
Et gensd'armes portèrent maies,
Moines allèrent à cheval,
En ce monde abonda tout mal.
— Je vous entens, dist Homenaz. Ce sont petitz QuoU-
betz des hereticques nouveaulx. »
I
PANTAGRUEL . l6l
CHAPITRE LUI
COMMENT, PAR LA VERTU DES DECRETALES,
EST l'or SUBTILEMENT TIRÉ DE FRANCE EN ROME
« Je vouldroys, clist Epistemon, avoir payé chopine de
trippes à embourser, et que eussions à l'original collationné
les terrificques chapitres, Execrabilis, De milita, Si phires, De
Annatis per totuwi-, Nisi essent, Cum ad Monasterium, Qiiod
dilectio, Mandatum. et certains aultres, lesquelz tirent par
chascun an de France en Rome quatre cens mille ducatz,
et d'adventaige. — Est ce rien cela? dist Homenaz; me sem-
ble toutesfoys estre peu, veu que la France la Treschristiane
est unicque nourrice de la court Romaine. Mais trouvez moy
livres en monde, soyent de Philosophie, de Médecine, des
Loigs, des Mathematicques, des lettres humaines, voyre (par
le mien Dieu) de la saincte Escriptuie, qui en puissent autant
tirer? Poinct. Nargues, nargues. Vous n'en trouverez poinct
de ceste auriflue énergie, je vous en asceure. Encores ces dia-
bles hereticques ne les veulent apprendre et sçavoir. Bruslez,
tenaillez, cizaillez, noyez, pendez, empaliez, espaultrez,
démembrez, exenterez, descouppez, fricassez, grisiez, tran-
sonnez, crucifiez, bouillez, escarbouillez, escartelez, debezillez,
dehinguandez, carbonnadez ces meschans Hereticques Decre-
talifuges, DecretaUcides, pires que homicides, pires que parri-
cides, Decretalictones du Diable. Vous aultres gens de bien,
si voulez estre dictz et reputez vrais Christians, je vous sup-
plie à joinctes mains ne croire aultre chose, aultre chose ne
penser, ne dire, n'entreprendre, ne faire, fors seulement ce que
contiennent nos sacres Decretales et leurs corollaires : ce beau
Sixième, ces belles Clémentines, ces belles Extra vaguantes. O
T. II. Il
l62 LIVRE IV, CHAPITRE LUI
livres deifiqucs ! Ainsi serez en gloire, honneur, exaltation,
richesses, dignitez, prelations en ce monde; de tous rêverez,
d'un chascun redoublez, à tous préférez, sus tous esleuz
et choisiz. Car il n'est soubs la chappe du ciel estât du quel
trouviez gens plus idoines à tout faire et manier que ceulx qui,
par divine prescience et eterne prédestination, adonnez se
sont à l'estude des sainctes Decretales. Voulez vous choisir
un preux Empereur, un bon capitaine, un digne chef et con-
. ducteur d'une armée en temps de guerre, qui bien sçaichc
tous' incorïveniens prévoir, tous dangiers éviter, bien mener
ses gens à l'assault et au combat en alaigresse, rien ne bazar-
der, tous jours vaincre sans perte de ses soubdars et bien user
de la \'ictoire? Prenez moy un Decretiste. Non; non, je dis
im Decretaliste.
— O le gros rat ! dist Epistemon.
— Voulez vous en temps de paix trouver homme apte et
suffisant à bien gouverner Testât d'une Republicque, d'un
royaulme, d'un empire, d'une monarchie; entretenir l'Ec-
clise, la noblesse, le sénat et le peuple en richesses, amitié,
concorde, obéissance, vertus, honnesteté? Pienez moy un
Decretaliste. Voulez vous trouver home qui par vie exem-
plaire, beau parler, sainctes admonitions, en peu de temps,
sans effusion de sang humain, conqueste la terre saincte, et
à la saincte foy convertisse les mescréans Turcs, Juifs, Tarta-
res, Moscovites, Mammeluz et Sarrabovites ? Prenez moy un
Decretaliste. Qui faict en plusieurs pays le peuple rebelle et
detravé, les paiges frians et mauvais, les escholiers badaulx
et asniers? Leurs gouverneurs, leurs escuiers, leurs précep-
teurs, n'estoient Decretahstes.
« Mais qui est ce (en conscience) qui a estably, confirmé,
authorisé, ces belles religions, des quelles en tous endroicts
voyez la Christianté omee, décorée, illustrée, comme est le
firmament de ses claires estoiiles? Dives Decretales. Oui a
fondé, pillotizé, talué, qui maintient, qui substante, qui nour-
PANTAGRUEL 163
rit les dévots religieux par les convens, monastères et abbayes,
sans les prières diurnes, nocturnes, continuelles des quelz
seroit le monde en dangier évident de retourner en son
antique Chaos? Sacres Decretales. Qui faict et journelle-
ment augmente en abondance de tous biens temporelz, cor-
porelz et spirituelz le fameux et célèbre patrimoine de sainct
Pierre? Sainctes Decretales. Oui faict le sainct Siège aposto-
licque en Rome de tout temps et au jourdhuy tant redoub-
table en l'Univers qu'il fault ribon ribaine que tous Roys,
empereurs, potentatz et seigneurs pendent de luy, tieignent de
lu5^ par luy soient couronnez, confirmez, authorisez, vieignent
là boucquer et se prosterner à la mirificque pantophle, de
la quelle avez veu le protraict? Belles Decretales de Dieu.
« Je vous veulx, declairer un grand secret. Les Universités
de vostre monde, en leurs armoiries et devises ordinairement
portent un livre, aulcunes ouvert, aultres fermé. Quel livre
pensez vous que soit?
— Je ne sçay certes, respondit Pantagruel. Je ne leus onc-
ques dedans.
— Ce sont, dist Homenaz, les Decretales, sans les quelles
periroient les privilèges de toutes Universités. Vous me doib-
vez ceste là. Ha, ha, ha, ha. »
Icy commença Homenaz rocter, peter, rire, baver et suer;
et bailla son gros, gras bonnet à quatre braguettes à une des
filles, laquelle le posa sus son beau chef en grande alaigresse,
après l'avoir amoureusement baisé, comme guaige et asceu-
rance qu'elle seroit première mariée. « Vivat ! s'eseria Epis-
temon, vivat, fi fat, pipat, bibat! O secret Apocalyptique !
— Clerice, dist Homenaz, Clerice, esclaire icy à doubles
lanternes. Au fruict, pucelles. Je disois doncqvies que ainsi
vous adonnans à l'estude unicque des sacres Decretales, vous
serez riches et honorez en ce monde. Je dis consequemment
qu'en l'aultre vous serez infailliblement saulvez on benoist
royaulme des Cieulx, du quel sont les clefz baillées à nostre
164 LIVRE IV, CHAPITRE LIV
bon Dieu Decretaliarchc. O mon bon Dieu, lequel j'adore,
et ne veids oncques, de grâce spéciale ouvre nous en l'article
de la mort pour le moins ce tressacré thesaur de nostre mère
saincte Ecclise, du quel tu es protecteur, conservateur, pro-
meconde, administrateur, dispensateur. Et donne ordre que
ces précieux œuvres de supererogation, ces beaulx pardons
au besoing ne nous faillent. A ce que les Diables ne trouvent
que mordre sus nos pauvres âmes, que la gueule horrificque
d'Enfer ne nous engloutisse. Si passer nous fault par Purga-
toire, patience ! En ton pouvoir et arbitre est nous en déli-
vrer, quand vouldras. » Icy commença Homenaz jetter grosses
et chauldes larmes, battre sa poictrine, et baiser ses poulces'
en croix.
CHALITRE LIV
COMMENT HOMENAZ DONNA A PANTAGRUEL DES POIRES
DU BON CHRISTIAN
Epistemon, frère Jan et Panurge, voyans ceste fâcheuse
catastrophe, commencèrent au couvert de leurs serviettes
crier : Myault, myault, myault, faignant ce pendent de s'es-
suer les œilz, comme s'ilz eussent ploré. Les filles feurent
bien aprises et à tous présentèrent pleins hanatz de vin Cle-
mentin avecques abondance de confictures. Ainsi feut de
nouveau le bancquet resjouy. En fin de table Homenaz nous
donna grand nombre de grosses et belles poyres, disant :
« Tenez, amis : poires sont singulières, lesquelles ailleurs
ne trouverez. Non toute terre porte tout. Indie seule porte
le noire Ebene. En Sabée provient le bon encens. En l'isle
de Lemnos la terre Sphragitide. En ceste isle seule naissent
ces belles poires. Faitez en si bon vous semble, pépinières
PANTAGRUEL 165
en vos pays. — Comment, demanda Pantagruel, les nommez
vous? Elles me semblent tresbonnes, et de bonne eau. Si on
les cuisoit en Casserons par quartiers avecques un peu de vin
et de sucre, je pense que seroit viande très salubre tant es
malades comme es sains. — Non aultrement, respondit Ho-
menaz. Nous sommes simples gens, puys qu'il plaist à Dieu.
Et appelons les figues figues, les prunes prunes, et les poires
poires. — Vrayement, dist Pantagruel, quand je seray en
mon mesnaige (ce sera, si Dieu plaist, bien toust), j'en af&eray
et hanteray en mon jardin de Touraine sus la rive de Loyre, et
seront dictes poires de bon Christian. Car oncques ne veiz
Christians meilleurs que ces bons Papimanes. — Je trouve-
roys, dist frère Jan, aussi bon qu'il nous donnast deux ou
trois chartees de ses filles. — Pourquoy faire? demandoit
Homenaz. — Pour les saigner, respondit frère Jan, droict
entre les deux gros orteilz avecques certains pistolandiers de
bonne touche. En ce faisant sus elles, nous hanterions des
enfans de bon Christian, et la race en nos pays multiplieroit ;
es quelz ne sont mie trop bons. — Vraybis, respondit Home-
naz, non ferons, car vous leurs feriez la follie aux guarsons : je
vous congnoys à vostre nez, et si ne vous avois oncques veu.
Halas, halas, que vous estes bon filz ! Vouldriez vous bien
damner vostre ame ? Nos Decretales le défendent. Je vouldrois
que les sceussiez bien. — Patience ! dist frère Jan. Mais, si
tu non vis dure, presta quœsamus. C'est matière de bréviaire.
Je n'en crains home portant barbe, feust il docteur de Cr^^s-
talin (je dis Decretalin) à triple bourlet. «
Le dipner parachevé, nous prinsmes congié de Homenaz
et de tout le bon populaire, humblement les remercyans, et
pour rétribution de tant de bien leur promettans que, venuz
à Rome, ferions avecques le Père sainct tant qu'en diligence
il les iroyt veoir en persone. Puys retournasmes en nostre
nauf. Pantagruel, par libéralité et recongnoissance du sacre
protraict Papal, donna à Homenaz neuf pièces de drap d'or
lOG I-IVKE IV, CHAPITRE LV
frizé sus frizc, pour e^tre appousees au davant de la fenestre
ferrée ; feist emplir le tronc de la réparation et fabricque tout
de doubles escuz au sabot, et feist délivrer à chascune des
filles, les quelles avoient servy à table durant le dipner, neuf
cent quatorze salutz d'or, pour les marier en temps oportun.
CHALITRE LV
COMMENT, EN HAVLTE MER, PANTAGRUEL OUVT DIVERSES
PAROLLES DÉGELÉES
En pleine mer nous banquetans, gringnotans, devisans et
faisans beaulx et cours discours, Pantagruel se leva et tint
en pieds pour discouvrir à l'environ. Puys nous dist : « Com-
paignons, oyez vous rien? Me semble que je oy quelques gens
parlans en l'air, je n'y voy toutesfoys personne. Escoutez. »
A son commandement nous feusmes tous attentif z, et à plei-
nes aureilles humions l'air comme belles huytres en escalle,
pour entendre si voix ou son aulcun y seroit espart : et pour
rien n'en perdre, à l'exemple de Antonin l'Empereur, aulcuns
oppousions nos mains en paulme darriere les aureilles. Ce
neantmoins protestions voix queconques n'entendre. Panta-
gruel continuoit affermant ouyr voix diverses en l'air, tant
d'hommes comme de femmes, quand nous feut advis, ou que
nous les oyons pareillement, ou que les aureilles nous cor-
noient. Plus persévérions escoutans, plus discernions les
voix, jusques à entendre motz entiers. Ce que nous effraya
grandement, et non sans cause, personne ne voyaus et enten-
dens voix et sons tant divers, d'homes, de femmes, d'enfans,
de chevaulx : si bien que Panurge s'escria : « Ventre bleu,
est ce mocque? nous sommes perduz. Fuyons. Il y a embusche
autour. Frère Jan, es tu là, mon amy ? Tiens toy près de moy.
PANTAGRUEL I67
je te supply. As tu ton bragmart? Advi.se qu'il ne tienne au
fourreau. Tu ne le desrouille poinct à demy. Nous sommes
perduz. Escoutez : ce sont par Dieu coups de canon. Fuyons.
Je ne diz de piedz et de mains, comme disoit Brutus en la
bataille Pharsalicque ; je diz à voiles et à rames. Fuyons. Je
n'ay poinct de couraige sur mer. En cave et ailleurs j'en ay
tant et plus. Fuyons. Saulvons nous. Je ne le diz pour paour
que je aye, car je ne crains rien fors les dangiers. Je le diz tous-
jours. Aussi disoit le Franc archier de Baignolet. Pourtant
n'hazardons rien, à ce que ne soyons nazardez. Fuyons.
Tourne visaige. Vire la peaultre, filz de putain ! Pleust à
Dieu que présentement je f eusse en Quinquenois à peine de
jamais ne me marier ! Fuyons, nous ne sommes pas pour
eulx. Hz sont dix contre un, je vous en asceure. D'adventaige
ilz sont sus leurs fumiers, nous ne congnoissons le pays. Hz
nous tueront. Fuyons, ce ne nous sera deshonneur. Demos-
thenes dist que l'home fuyant combattra de rechief. Retirons
nous pour le moins. Orche, poge, au trinquet, aux boulingues.
Fuyons de par tous les Diables, fuyons. «
Pantagruel, entendant l'esclandre que faisoit Panurge,
dist : « Qui est ce fuyart là bas? Voyons preinierement quelz
gens sont. Par adventure sont ilz nostres? Encores ne voy je
persone? Et si voy cent mille à l'entour. Mais entendons.
J'ay leu qu'un Philosophe nommé Petron estoyt en ceste
opinion que feussent plusieurs mondes soy touchans les uns
les aultres en figure triangulaire equilaterale, en la pâte et
centre des quelz disoit estre le manoir de Vérité, et là habiter
les Parolles, les Idées, les Exemplaires et protriactz de toutes
choses passées et futures : autour d'icelles estre le siècle. Et
en certaines années, par longs intervalles, part d'icelles tom-
ber sus les humains comme catarrhes, et comme tomba la
rousée sus la toison de Gedéon; part là rester réservée pour
l'ad venir, jusques à la consommation du Siècle. Me souvient
aussi que Aristoteles maintient les parolles de Homère estre
iGS LIVRE IV, CHAPITRE LVI
voltigeantes, volantes, mouventes, et par conséquent animées.
« D'adventaige Antiphanes disoit la doctrine de Platon es
paroUes estre semblable, lesquelles en quelque contrée, on
temps du fort hyver, lors que sont proférées, gèlent et plas-
sent à la froydeur de l'air, et ne sont ouyes. Semblablement
ce que Platon enseignoyt es jeunes enfans, à peine estre
d'iceulx entendu lors qu'estoient vieulx devenuz. Ores seroit
à pliilosopher et rechercher si forte fortune icy seroit l'en-
droict on quel telles paroUes dégèlent. Nous serions bien
esbahiz si c'estoient les teste et lyre de Orpheus. Car après
que les femmes Threisses eurent Orpheus mis en pièces, elles
jecterent sa teste et sa lyre dans le fleuve Hebrus. Icelles par.
ce fleuve descendirent en la mer Pontique, jusques en l'isle
de Lesbos tousjours ensemble sus mer naigeantes. Et de la
teste continuellement sortoyt un chant lugubre, comme la-
mentant la mort de Orpheus; la lyre, à l'impulsion des vents
mouvans, les chordes accordoit harmonieusement avecques
le chant. Reguardons si les voirons cv autour. »
CHAPITRE LVI
COMMENT, ENTRE LES PAROLLES GELÉES, PANTAGRUEL TROUVA
DES MOTZ DE GUEULE
Le pilot feist responce : « Seigneur, de rien ne vous effrayez.
Icy est le confin de la mer glaciale, sus laquelle feut, au com-
mencement de l'hyver dernier passé, grosse et félonne
bataille, entre les Arimaspiens et les Nephehbates. Lors gelè-
rent en l'air les parolles et crys des homes et femmes, les cha-
plis des masses, les hurtys des harnois, des bardes, les han-
nissemens des chevaulx, et tout aultre effroy de combat. A
ceste heure la rigueur de l'hyver passée, advenente la sere-
PANTAGRUEL l6g
nité et temperie du bon temps, elles fondent et sont ouyes. —
Par Dieu, dist Panurge, je l'en croy. Mais en pourrions nous
veoir quelqu'une. Me soubvient avoir leu que l'orée de la
montaigne en laquelle Moses receut la loy des Juifz, le peuple
voyoit la voix sensiblement. — Tenez, tenez, dist Pantagruel,
voyez en cy qui encores ne sont dégelées. » Lors nous jecta
sus le tillac pleines mains de paroUes gelées, et sembloient
dragées perlées de diverses couleurs. Nous y vismes des motz
de gueule, des motz de sinople, des motz de azur, des motz
de sable, des motz dorez. Les quelz, estre quelque peu eschauf-
fez entre nos mains, fondoient comme neiges, et les oyons
realement; mais ne les entendions; cai c'estoit langaige bar-
bare. Exceptez un assez grosset, lequel ayant frère Jan es-
chauffé entre ses mains, feist un son tel que font les chastai-
gnes jectees en la braze sans estre entommees lors que s'escla-
tent, et nous feist tous de paour tressaillir. « C'estoit, dist
frère Jan, un coup de faulcon en son temps. » Panurge requist
Pantagruel luy en donner encores. Pantagruel luy respondit
que donner paroUes estoit acte des amoureux. « Vendez m'en
doncques, disoit Panurge. — C'est acte de advocatz, res-
pondit Pantagruel, vendre paroUes. Je vous vendroys plus
tost silence et plus chèrement, ainsi que quelques foys la ven-
dit Demosthenes moyennant son argentangine. )>
Ce nonobstant il en jecta sus le tillac trois ou quatre poi-
gnées. Et y veids des paroUes bien picquantes, des paroUes
sanglantes, les quelles le pilot nous disoit quelquefois retour-
ner on lieu duquel estoient proférées, mais c'estoit la guorge
couppée; des paroUes horrificques, et aultres assez mal plai-
santes à veoir. Lesquelles ensemblement fondues ouysmes,
hin, hin, hin, hin, his, ticque, torche, lorgne, bredelin, bre-
dedac, frr, frrr, frrrr, bou, bou, bou, bou, bou, bou, bou, bou,
trace, trace, trr, trrr, trrrr, trrrrr, trrrrrr, on, on, on, on, on,
ououououon : goth, magoth, et ne sçay quelz aultres motz
barbares, et disoyt que c'estoient vocables du hourt et han-
I/o LIVRE IV, CHAPITRE LVII
iiissenient des chevaulx à l'heure qu'on chocque; puys en
ouysmes d'aultres grosses, et rendoient son en dégelant, les
unes comme des tabours et fifres, les aultres comme de clc-
rons et trompettes. Croyez que nous y eusmez du passe-
temps beaucoup. Je vouloys quelques motz de gueule mettre
en reserve dedans de l'huille comme l'on garde la neige et la
glace, et entre du feurre bien nect. Mais Pantagruel ne le
voulut : disant estre follie faire reserve de ce dont jamais
l'on n'a faulte et que tous jours on a en main, comme sont
motz de gueule entre tous bons et joyeulx Pantagruelistes.
Là Panurge fascha quelque peu frère Jan, et le feist entrer
en resveiie, car il le vous print au mot sus l'instant qu'il ne
s'en doubtoit mie, et frère Jan menassa de l'en faire repentir
en pareille mode que se repentit G. Jousseaulme vendant à
son mot le drap au noble Patelin, et advenant qu'il feust
marié le prendre aux cornes, comme un veau, puys qu'il
Tavoit prins au mot comme un home. Panurge luy feist la
babou, en signe de dérision. Puys s'escria, disant : « Pleust à
Dieu que icy, sans plus avant procéder, j'eusse le mot de la
dive Bouteille ! »
CHAPITRE LVII
COMMENT PANTAGRUEL DESCENDIT ON MANOIR
DE MESSERE GASTER,
PREMIER MAISTRE ES ARS DU MONDE
En icelluy jour, Pantagruel descendit en une isle admirable
entre toutes aultres, tant à cause de l'assiette que du gouver-
neur d'icelle. Elle de tous coustez pour le commencement
estoit scabreuse, pierreuse, montueuse, infertile, mal plai-
sante à l'oeil, tresdifficile aux pieds, et peu moins inaccessible
que le mons du Daulphiné, ainsi dict pource qu'il est en forme
PANTAGRUEL I7I
d'un potiron, et de toute mémoire persone surmonter ne l'a
peu, fors Doyac, conducteur de l'artillerie du Roy Charles
liuyctiesme, lequel avecques engins mirificques y monta, et au
dessus trouva un vieil bélier. C'estoit à diviner qui là trans-
porté l'avoit. Aucuns le dirent, estant jeune aignelet, par
quelque aigle ou duc chaûant là ravy, s'estre entre les buis-
sons saulvé. Surmontans la difficulté de l'entrée à peine bien
grande et non sans suer, trouvasmes le dessus du mons tant
plaisant, tant fertile, tant salubre et délicieux, que je pensoys
estre le vray Jardin et Paradis terrestre : de la situation
duquel tant disputent et labourent les bons Théologiens. Mais
Pantagruel nous affermoit là estre le manoir de Areté (c'est
vertu) par Hésiode descript, sans toutesfoys préjudice de
plus saine opinion.
Le gouverneur d'icelle estoit messerc Gaster, premier
maistre es ars de ce monde. Si croyez que le feu soit le grand
maistre des ars, comme escript Cicero, vous errez et vous
faictez tort. Car Cicero ne le creut oncques. Si croyez que
Mercure soit premier inventeur des ars, comme jadis croy oient
nos antiques Druides, vous fourvoyez grandement. La sen-
tence du Sat^^ricque est vraye, qui dit messere Gaster estre
de tous ars le maistre. Avecques icelluy pacificquement resi-
doit la bonne dame Penie. aultrement dite Souffrete, mère
des neuf INIuses : de laquelle jadis en compaignie de Porus,
seigneur de Abondance, nous nasquit Amour le noble enfant
médiateur du Ciel et de la Terre, comme atteste Platon in
Symposio. A ce chaleureux Royfor ce nous feut faire révérence
jurer obéissance et honneur porter. Car il est impérieux,
rigoureux, rond, dur, difficile, infiectible. A luy on ne pleut
rien faire croire, rien remonstrer, rien persuader. Il ne oyt
poinct. Et comme les ^Egyptiens disoient Harpocras, Dieu
de silence, en grec nommé Sigalion, estre astomé, c'est à dire
sans bouche, ainsi Gaster sans aureiUes feut créé : comme en
Candie le simulachre de Juppiter, estoit sans aureiUes. Il ne
172 LIVRE IV, CHAPITRE LVII
parle que par signes. Mais à ses signes tout le monde obeist
plus soubdain qu'aux edictz des Prêteurs, et mandemens des
Roys. En ses sommations, delay aulcun et demeure aulcune
il ne admet. Vous dictez que au rugissement du lyon toutes
bestes loing à l'entour frémissent, tant (sçavoir est) que estre
peult sa voix ouie. Il est escript. Il est vray. Je l'ay veu. Je
vous certifie que au mandement de messere Gaster tout le
ciel tremble, toute la terre bransle. Son mandement est nom-
mé : faire le fault sans delay, ou mourir.
Le pilot nous racontoit comment un jour, à l'exemple des
membres conspirans contre le Ventre, ainsi que descript iEsope
tout le royaume des Somates contre luy conspira et con-
jura soy soubstraire de son obéissance. Mais bien toust s'en
sentit, et s'en repentit, et retourna en son service en toute
humilité. Aultrement tous de maie famine perissoient. En
quelques compaignies qu'il soit, discepter ne fault de supé-
riorité et préférence ; tousjours va davant, y f eussent Roys,
Empereurs, voire certes le Pape. Et au concile de Basle, le
premier alla, quoy qu'on vous die que ledict concile fut sedic-
tieux, à cause des contentions et ambitions des lieux premiers.
Pour le servir tout le monde est empesché, tout le monde
labeure. Aussi pour recompense il fait ce bien au monde qu'il
luy invente toutes ars, toutes machines, tous mestiers, tous
engins et subtiUtez. Mesmes es animans brutaulx il apprend
axs desniees de Nature. Les Corbeaulx. les Gays, les Pape-
gays, les Estourneaulx, il rend poètes; les Pies il fait poëtri-
des, et leur aprent languaige humain proférer, parler, chanter.
Et tout pour la trippe.
Les Aigles, Gerfaulx, Faulcons, Sacres, Laniers, Autours,
Espavriers, EsmeriUons; oizeaux aguars, peregrins, essors,
rapineux, sauvages, il domesticque et apprivoise, de telle
façon que, les abandonnant en pleine liberté du Ciel, quand
bon luy semble, tant hault qu'il vouldra, tant que luy plaist,
les tient suspens; errans, volans, planans, le muguetans, luy
PANTAGRUEL I73
faisans la cour au dessus des nues : puys soubdain les fait du
Ciel en Terre fondre. Et tout pour la trippe.
Les Elephans, les Lyons, les RMnocerotes, les Ours, les
Chevaulx, les Chiens il faict danser, baller, voltiger, com-
battre, nager, soy cacher, aporter ce qu'il veult, prendre ce
qu'il veult. Et tout pour la trippe.
Les poissons tant de mer comme d'eau douice, balaines et
monstres-marins, sortir il faict du bas abisme, les Loups
jecte hors des boys, les Ours hors les rochiers, les Renards
hors des tesnieres, les Serpens lance hors la Terre, en grand
nombre. Et tout pour la trippe.
Brief est tant énorme que en sa rage il mange tous, bestes
et gens, comme feut veu entre les Vascons, lors que Q. Metel-
lus les assiegeoit par les guerres Sertorianes, entre les Sagun-
tins assiégez par Hannibal, entre les Juifz assiégez par les
Romains; six cens aultres. Et tout pour la trippe.
Quand Penie sa régente se mect en voye, la part qu'elle
va, tous parlemens sont clous, tous edictz mutz, toutes
ordonnances vaines. A loy aulcune n'est subjecte, de toutes
est exempte. Chacun la refuit en tous endroictz, plus toust
s'exposans es naufrages de mer, plus toust eslisans par
feu, par mons, par goulplires passer, que d'icelle estre ap-
préhendez.
CHAPITRE LVIII
COMMENT, EN LA COURT DU MAISTRE INGENIEUX, PANTAGRUEL
DETESTA LES E NGASTRI M YTIIES ET LES GASTROLATRES
En la court de ce grand maistre ingénieux, Pantagruel
apperceut deux manières de gens appariteurs, importuns et
par trop officieux, les quelz il eut en grande abhomination.
Les uns estoient nommés Engastrimythes, les aultres Castro-
T74 LIVRK IV, CHAPITRE LVIII
latres. Les Engastrimythes soy disoient estrc descenduz de
l'antique race des Eurycles, et sus ce alleguoient le tesmoi-
gnage d'Aristophanes, en la comédie intitulée les Tahons on
MouscJies guespes. Dont anciennement estoient dicts Eury-
cliens, comme escript Plato, et Plutarche on livre de la ces-
sation des oracles. Es sainctz Décrets, 26, quest. 3, sont appel-
lés Ventriloques : et ainsi les nomme, en langue lonicque.
Hippocrates, lib. V. Epid.. comme parlans du ventre. Sopho-
cles les appelles Sternomantes. C'estoient divinateurs, enchan-
teurs et abuseurs de simple peuple, semblans, non de la
bouche, mais du ventre parler et respondre à ceux qui iiiter-
rogeoient.
Telle estoit, environ l'an de nostre benoist Servateur 1513,
Jacobe Rodogine, Italiane, femme de basse maison. Du ventre
de laquelle nous avons souvent ouy, aussi ont aultres infiniz
en Ferrare et ailleurs, la voix de l'esprit immonde, certaine-
ment basse, foible et petite : toutesfoys bien articulée, dis-
tincte et intelligible, lorsque, par la curiosité des riches sei-
gneurs et princes de la Guaulle Cisalpine, elle estoit appelée
et mandée. Les quelz, pour hoster tout doubte de fiction et
fraulde occulte, la faisoient despouiller toute nue, et luy fai-
soient clourre la bouche et le nez. Cestuy maling esprit se
faisoit nommer Crespelu ou Cincinnatiile, et sembloit prendre
plaisir estant ainsi appelle. Quand ainsi on l'appelloit, soub-
dain aux propous respondoit. Si on l'interrogeoit des cas pre-
sens ou passez, il en respondoit pertinemment, jusques à tirer
les auditeurs en admiration. Si des choses futures tousjours
mentoit, jamais n'en disoit la vérité. Et souvent sembloit con-
fesser son ignorance, en lieu de y respondre, faisant un gros
pet, ou marmonant quelques motz non intelligibles et de
barbare termination.
Les Gastolatres, d'un aultre cousté, se tenoient serrez par
trouppes et par bandes, joyeuîx, mignars, douilletz aulcuns,
aultres tristes, graves, sévères, rechignez, tous ocieux, rien
PANTAGRUEL T 75
ne faisans, poinct ne travaillans, poys et charge inutile de la
Terre, comme dict Hésiode; craignans (selon qu'on povoit
juger) le Ventre offenser et emmaigrir. Au reste, masquez,
desguisez, et vestuz tant estrangement que c'estoit belle
chose. Vous dictes et est escript par plusieurs saiges et anti-
ques Ploilosophes que l'industrie de Nature appert merveil-
leuse en l'esbattement qu'elle semble avoir prins formant les
Coquilles de mer : tant y veoyd on de variété, tant de figures,
tant de couleurs, tant de traictz et formes non imitables par
art. Je vous asceure qu'en la vesture de ces Gastrolatres
Coquillons ne veismes moins de diversité et desguisement. Hz
tous tenoient Gaster pour leur grand Dieu, le adoroient com-
me Dieu, luy sacrifioient comme à leur Dieu omnipotens, ne
recongnoissoient aultre Dieu que luy; le servoient, aymoient
sus toutes choses, honoroient comme leur Dieu. Vous eussiez
dict que proprement d'eulx avoit le sainct Envoyé escript,
Philippens III : <( Plusieurs sont des quelz souvent je vous
ay parlé (encores présentement je le vous dis les larmes à
l'œil) ennemis de la croix du Christ, des quelz Mort sera 1^
consommation, des quelz Ventre est le Dieu. » Pantagruel les
comparoit au Cyclope Polypheraus, lequel Euripides faict
parler comme s'ensuyt : « Je ne sacrifie que à moy (aux dieux
poinct) et à cestuy mon Ventre, le plus grand de tous les
Dieux. »
CHAPITRE LIX
DE LA RIDICULE STATUE APPELÉE MANDUCE,
ET COMMENT, ET QUELLES CHOSES
SACRIFIENT LES GASTROLATRES A LEUR DIEU VENTRIPOTENT
Nous consyderans le minoys et les gestes de ces poiltrons
magnigoules Gastrolatres, comme tous estonnez, ouysmes un
176 LIVRE IV, CHAPITRE LIX
son de campane notable, auquel touse rangèrent comme en
bataille, chascun par son office, degré et antiquité. Ainsi vin-
drent devers messere Gaster, suyvans un gras, jeune, puis-
sant Ventru, lequel sus un long baston bien doré portoit une
statue de boys, mal taillée et lourdement paincte, telle que la
descrivent Plaute, Juvenal et Pomp. Festus. A Lyon, au
carneval, on l'appelle M aschecroutte ; ils la nommoient Alan-
duce. C'estoit une effigie monstrueuse, ridicule, hydeuse, et
terrible aux petitz enfans, ayant les ceilz plus grands que le
ventre, et la teste plus grosse que tout le reste du corps, avec-
ques amples, larges et horrificques maschoueres bien enden-
telées, tant au dessus comme au dessoubs : les quelles, avec-
ques l'engin d'une petite chorde cachée dedans le baston
doré, l'on faisoit l'une contre l'aultre terrificquement clic-
quetter, comme à Metz l'on faict du dragon de sainct Cle-
mens.
Approchans les Gastrolatres, je veids qu'ilz estoient suyviz
d'un grand nombre de gros varletz chargez de corbeilles, de
paniers, de balles, de potz, poches et marmites. Adoncques,
soubs la conduicte de Manduce, chantans ne sçay quelz
Dithyrambes. Craspalocomes, Epaenons, offrirent à leur Dieu,
ouvrans leurs corbeilles et marmites, Hippocras blanc, avec
la tendre roustie seiche.
Pain blanc. Fressures,
Pain mollet. Fricassées, neuf espèces,
Choine, Pastez d'assiette.
Pain bourgeoys. Grasses souppes de prime,
Carbonnades de six sortes, Souppes de Leurier,
Cabirotades, Souppes Lionnoises,
Longes de veau rousty froides, Chous cabutz à la mouelle de bœuf,
sinapisées de pouldre Zinzibe- Hoschepotz,
rine, Salmiguondins.
Coscotons,
Breuvaige éternel parmy, précèdent le bon et friand vin
blanc, suivant vin clairet et vermeil frais : je vous diz froyd
PANTAGRUEL
177
comme la glace, servy et offert en grandes tasses d'argent.
Puis offroient :
Andouilles capparassonnées de Cervelatz,
moustarde fine,
Saulsisses,
Langues de bœuf fumées,
Sauraates,
Eschinées aux poys,
Fricandeaux,
Boudins,
Saulcissons,
Jambons,
Hures de sangliers,
Venaison sallée aux naveaulx,
Hastereaux,
Olives colymbades.
Le tout associé de breuvaige sempiternel. Puis, luy enfour-
noient en gueule :
Esclanches à Taillade,
Pastés à la saulce chaulde,
Coustelettes de porc à l'oignonnade,
Chappons roustiz avecques leur
degout,
Huteaudeaux,
Becars,
Cabirotz,
Bischards, Dains,
Lièvres, Levraux,
Perdrix, Perdriaux,
Faisans, Faisandeaux,
Pans, Panneaux,
Ciguoignes, Ciguoineaux,
Bécasses, Becassins,
Hortolans,
Cocqs, poulies et pouUetz d'Inde;
Ramiers, Ramerotz;
Cochons au moust,
Canars à la dodine,
Merles, Rafles,
Poulies d'eaue,
Tadournes,
Aigrettes,
Cercelles,
Plongeons,
Butors, pâlies,
Courlis,
Gelinottes de boys.
Foulques aux pourreaux,
T. II.
Risses, Chevreaulx,
EspauUes de mouton aux cappres,
Pièces de bœuf royallcs,
Poictrines de veau
Poulies bouillies et gras chappons,
au blanc manger,
GeUnottes,
Poulletz,
Lappins, Lappereaux;
Cailles, Cailleteaux;
Pigeons, Pigeonneaux,
Hérons, Heronncaux,
Otardes, otardeaux,
Becquefigues,
Guynettes,
Pluviers,
Oyes, Oj'zons,
Bizets,
Hallebrans,
Maulvys,
Flamans, Cignes;
Pochecuillieres,
Courtes, Grues,
Tyransons,
Corbigeaux,
Francourlis,
Tourterelles,
Connilz,
Porcespicz,
Girardines.
Z2
178
LIVRE ÎV, CHAPITRE LX
Renfort de vinaigre parmy. Puis grands pastez
De Venaison,
D'AUouettcs,
De Lirons,
De Stamboucqs,
De Chevreuilz,
De Pigeons,
De Chainoys,
De Chappons,
Pastez de lardons.
Pieds de porc au sou,
Croustes de pastez fricassées,
Corbeaux de Chappons,
Fromaiges,
Pesches de Corbeil,
Artichaulx,
Guasteaux feueilletez.
Cardes,
Brides à veaux,
Beuignetz,
Tourtes de seize façons,
Guauffres, Crespes,
Pastez de coings,
Caillebottes,
Neige de Crème,
Myrobalans confictz,
Gelée,
Hippocras rouge et vermeil,
Poupelins, Macarons,
Tartres, vingt sortes,
Crème,
Confictures seiches et liquides,
soixante et dixhuyt espèces, •
Dragée, de cent couleurs.
Jonchées,
Mestiers au sucre fin.
Vinaige suivoit à la queue, de paour des esquinanches*
Item rousties.
CHAPITRE LX
COMMENT, ES JOURS MAIGRES ENTRELARDEZ, A LEUR DIEU
SACRIFIOIENT LES GASTROLATRES
Voyant Pantagruel ceste villcnaille de sacrificateurs, et
multiplicité de leurs sacrifices, se fascha, et feust descendu,
si Epistemon ne l'eust prié veoir l'issue de ceste farce. « Et
que sacrifient, dist il, ces maraulx, à leur dieu Ventripotent
es jours maigres entrelardez?
— Je vous le diray, respondit le pilot. D'entrée de table il
luy ofîrent l
Caviat,
Boutargues,
Beurre frays,
Purées de poys,
Espinars,
Arans blans bouf&z,
PANTAGRUEL
1/9
Araus sors,
Sardines,
Anchoys,
Tonnine,
Gaules emb'olif,
Saulgrenées de febves,
que, de responses, d'auieilks de
Judas (c'est une forme de funges
issans des vieux Suzeaulx), de
asperges, de chevrcfcuel : tant
d'autres.
Saulinons saliez.
Sallades cent diversités, de cresson, Anguillette sallées,
de Obclon, de la couille à l'eves- Huytres en escalles.
« Là fault bo^'rc, ou le Diable l'emportoit. Hz y donnent
bon ordre, et n'y a faulte; puys luy offixnt :
Lamproyes à saul-
ce d'Hippocras,
Barbeaulx,
Barbillons,
Meuille,
Meuilletz,
Rayes,
Casserons,
Esturgeons,
Balaines,
Macquereaulx,
Pucelles,
Plyes,
Huytres frittes,
Pétoncles,
Languoustes,
Espelans,
Guourneaulx,
Truites,
Lavaretz,
Guodepise,
Poulpres,
Limandes,
Carreletz,
Maigres,
Pageaux,
Gougeons,
Barbues,
Cradotz,
Carpes,
Brochetz,
Palamides,
Roussettes,
Oursins,
Vielles,
Ortigues,
Crespions,
Saulmonneaux,
Daulphins,
Porcilles,
Turbotz,
Pocheteau,
Soles,
Pôles,
Moules,
Homars,
Chevrettes,
Dards,
Ablettes,
Tanches,
Umbres,
Gracieux seigneursMerlus frays.
Empereurs,
Anges de mer,
Lempreons,
Lancerons,
Brochetons,
Carpions,
Carpeaulx,
Saulmons,
Seiches,
Rippes,
Tons,
Guoyons,
Meusniers,
Escre visses, 1
Palourdes,
Liguombeaulx,
Chatouilles,
Congres,
Oyes,
Lubines,
Aloses,
Murennes,
Umbrettes,
Darceaux,
Anguilles,
Anguillettes,
Tortues,
Serpens, id est,
Anguilles de
boys.
Dorades,
PouUardes,
Perches,
Realz,
Loches,
Cancres,
Escargotz,
Grenoilles,
« Ces viandes dévorées, s'il ne beuvoit, la Mort l'attendoit à
deux pas près. L'on y pourvoyoit tresbien. Puis luy estoient
sacrifiez :
Merluz saléSj tuvez, trainnez bouillez.gouil- Adotz,
Stoc&cz, par les cendres, dronnez, etc. Lancerons mari-
Œufzfritz, perduz, jectez par la Moulues, nez,
suSocquez, es- cheminée, bar- Papillons,
i8o
LIVRE IV, CHAPITRE LXI
pour lesquelz cuyre et digérer facilement vinaige estoit mul-
tiplié. Sus la fin oflfroient :
Riz, Pistaces, Millorque, Noizilles,
Mil, Fisticques, Fromentée, Pasquenades,
Gruau, Figues, Pruneaulx, Artichaulx.
Beurre d'amendesRaisins, Dactyles,
Neige de beurre, Escher\'iz, Noix,
« Pérennité d'abrevement panny.
« Croyez que par eulx ne tenoit que cestuy Gaster, leur dieu
ne feust apertement, précieusement et en abondance servy,
en ces sacrifices, plus certes que l'Idole de Heliogabalus,
voyre plus que l'idole Bel en Babylone, soubs le roy Bal-
thazar. Ce non obstant, Gaster confessoit estre, non Dieu,
mais paouvre, vile, chetifve créature. Et comme le roy Anti-
gonus, premier de ce nom, respondit à un nommé Hermodotus
(lequel, en ses poésies, l'appelloit Dieu et filz de Soleil),
disant : « Mon Lasanophore le nie » (Lasanon estoit une ter-
rine et vaisseau approprié à recepvoir les excremens du ven-
tre) ; ainsi Gaster renvoyoit ces Matagotz à sa selle persée
veoir, considérer, philosopher et contempler quelle di\'inité
ilz trouvoient en sa matière fécale. »
CHAPITRE LXI
COMMENT GASTER INVENTA LES MOYENS D'AVOIR
ET CONSERVER GRAIN
Ces diables Gastrolatres retirez, Pantagruel fut attentif à
l'estude de Gaster, le noble maistre des ars. Vous sçavez que
par institution de nature. Pain avecques ses apennaiges luy
a esté pour provision adjugé et aliment, adjoincte ceste bene-
PANTAGRUEL iSl
diction du ciel que pour pain trouver et guarder rien ne luy
defauldroit. Des le commencement il inventa l'art fabrile, et
agriculture pour cultiver la terre, tendant à fin qu'elle luy
produisist Grain. Il inventa l'art militaire et armes pour
Grain défendre; Medicine et Astrologie, avec les Mathema-
ticques nécessaires, pour Grain en saulveté par plusieurs
siècles guarder et mectre hors les calamités de l'air, deguast
des bestes brutes, larrecin des briguands. Il inventa les mou-
lins à eau, à vent, à bras, à aultres mille engins, pour Grain
mouldre et réduire en farine; le levain pour fermenter la
paste; le sel pour luy donner saveur (car il eust cestte con-
gnoissance que chose au monde plus les humains ne rendoit à
maladies subjectz que de pain non fermenté, non salé user), le
feu pour le cuire, les horologes et quadrans pour entendre le
temps de la cuycte de pain, créature de Grain.
Est advenu que Grain en un pays defailloit, il inventa
art et moyen de le tirer d'une contrée en aultre. Il, par inven-
tion grande, mesla deux espèces, de animans, Asnes et Ju-
mens, pour production d'une tierce, laquelle nous appelions
muletz, bestes plus puissantes, moins délicates, plus durables
au labeur que les aultres. Il inventa chariotz et charrettes
pour plus commodément le tirer. Si la mer ou rivières ont
empesché la traicte, il inventa basteaulx, gualeres et navires
(chose de laquelle se sont les elemens esbabiz) pour, oultre
mer, oultre fleuves et rivières, naviguer et de nations barbares,
incongneues, et loing séparées. Grain porter et transporter.
Est advenu depuys certaines années que, la terre cultivant,
il n'a eu pluye à propous et en saison, par default de laquele
Grain restoit en terre mort et perdu. Certaines années la
pluye a esté excessive, et nayoit le Grain, Certaines aultres
années la gresle le guastoit, les vents l'esgrenoient, la tem-
peste le renversoit. Il ja, davant nostre venue, avoit inventé
art et moyen de évoquer la pluye des Cieulx ; seulement une
herbe decouppant, commune par les praeries, mais à peu de
lS2 LIVRE IV, CHAPITRE LXI
gens congneue, laquelle il nous monstra. Et estimoys que
feust celle de laquelle une seule branche, jadis, mectant le
pontife Jovial dedans la fontaine Agrie sus le mont Lycien
en Arcadie, au temps de seicheresse, excitoit les vapeurs : des
vapeurs estoient formées grosses nuées, les quelles dissolues
en pluye, toute la région estoit à plaisir anousée. Inventoit
art et moyen de suspendre et arrester la pluye en l'air, et sus
mer la faire tomber. Inventoit art et moyen d'anéantir la
gresle, supprimer les vents, destourner la tempeste, en la
manière usitée entre les Methanensiens de Trezenie.
Aultre infortune est advenu. Les pillars et briguans desro-
boient Grain et Pain par les champs. Il inventa art de bastir
villes, forteresses et chasteaulx pour le reserrer et en sceureté
conserver. Est advenu que par les champs ne trouvant Pain,
entendit qu'il estoit dedans les \-illes, forteresses et chasteaulx
reserré, et plus curieusement par les habitans défendu et
guardé que ne feurent les pommes d'or des Hesperides par
les dracons. Il inventa art et moyen de battre et desmoUr
forteresses et chasteaulx par machines et tormens bellicques,
béliers, balistes, catapultes, des quelles il nous monstra la
figure, assez mal entendue des ingénieux architectes, disci-
ples de Victruve, comme nous a confessé Messere Philebert
de l'Orme, grand architecte du roy ^légiste. Les quelles,
quand plus n'ont proficté, obstant la maUgne subtihté et sub-
tile malignité des fortificateurs, il avoit inventé recentement
Canons, Serpentines, Coulevrines, Bombardes, Basilics, jec-
tans boullets de fer, de plomb, de bronze, pezans plus que
grosses enclumes, moyennant une composition de pouldre
liorrificque, de laquelle Nature mesmes s'est esbahie, et s'est
confessée vaincue par art, ayant eu mespris l'usaige des Oxy-
draces, qui, à force de fouldres, tonnoires, gresles, esclairs,
tempestes. vaincoient et à mort soubdaine mettoient leurs
ennemis en plain champ de bataille. Car plus est horrible, plus
espouvantable, plus diabolique, et plus de gens meurtrist.
PANTAGRUEL 183
casse, rompt et tue; plus estonne les sens des humains; plus
de murailles demolist un coup de Basilic, que ne feroient cent
coups de fouldre.
CHAPITRE LXII
COMMENT GASTER INVENTOIT ART ET MOYEr
PE NON ESTRE BLESSÉ NE TOUCHÉ PAR COUPS PE CANON
Est advenu que Gaster retirant Grains es forteresses s'est
veu assailly des ennemis, ses forteresses démolies, par ceste
triscaciste et infernale machine, son Grain et Pain toUu et
saccaigé par force Titanique : il invientoit lors art et moyen
non de conserver ses rempars, bastions, murailles et défenses
de telles canonneries, et que les boulletz ou ne les touchassent
et restassent coy et court en l'air, ou touchans ne portassent
nuisance ne es défenses ne aux citoyens defendens. A cestuy
inconvénient ja avoit ordre tresbon donné, et nous en raons»
tra l'essay : duquel a depuys usé Fronton, et est de présent
en usaige commun, entre les passetemps et exercitations
honestes des Telemites. L'essay estoit tel. Et dorénavant
soiez plus faciles à croire ce que asceure Plutarche avoir expé-
rimenté. Si un trouppeau de Chèvres s'en fuyoit courant en
toute force mettez un brin de Erynge en la gueule d'une der-
nière cheminante, soubdain toutes s'arresteront.
Dedans un faulconneau de bronze il mettoit sus la pouldre
de canon curieusement composée, degressee de son soulfre, et
proportionnée avecques Camphre fin. en quantité compé-
tente, une ballotte de fer bien qualibree, et vingt et quatre
grains de dragée de fer, uns ronds et sphericques, aultres en
forme lachrymale. Puys ayant prins sa mire contre un sien
jeune paige, comme s'il le voulust ferir parmy l'estomach, en
184 LIVRE rv, CHAPITRE LXII
distance de soixante pas, au mylieu du chemin entre le paige
et le faulconneau en ligne droyte suspendoit sus une potence
de bois à une chorde en l'air une bien grosse pierre Siderite,
c'est à dire Ferriere, aultrement appellée, Herculiane, jadis
trouvée en Ide on pays de Phrygie par un nommé Magnes,
comme atteste Nicander. Nous vulgairement l'appelons
Aymant. Puys mettoit le feu au Faulconneau par la bouche
du pulverin. La pouldrc consommée, advenoit que pour éviter
vacuité (laquelle n'est tolérée en Nature; plus toust seroit la
machine de l'Univers, Ciel, Air, Terre, Mer reduicte à l'anti-
que Chaos, qu'il advinst vacuité en lieu du monde) la ballotte
et dragées estoient impétueusement hors jectées par la gueule
du Faulconneau, afiSn que l'air penetrast en la chambre
d'icelluy, laquelle aultrement restoit en vacuité, estant la
pouldre par le feu tant soubdain consommée. Les ballotte et
dragées ainsi violentement lancées sembloient bien debvoir
ferir le paige; mais sus le poinct qu'elles approchoient de la
susdicte pierre, se perdoit leur impétuosité et toutes restoient
en l'air flottantes et tournoyantes autour de la pierre, et n'en
passoit oultre une, tant violente feust elle, jusques au paige.
Mais il inventoit l'art et manière de faire les boulletz arrière
retourner contre les ennemis, en pareille furie et dangier qu'ilz
ser oient tirez et en propre parallèle. Le cas ne trou voit diffi-
cile, attendu que l'herbe nommée Ethiopis ouvre toutes les
serrures qu'on luy présente, et que Echineis, poisson tant
imbecille, arreste contre tous les vents, et retient en plein
fortunal les plus fortes navires qui soient sus mer, et que la
chair de icelluy poisson, conservée en sel, attire l'or hors les
puyz, tant profonds soient ilz qu'on pourroit sonder.
Attendu que Democritus escript, Théophraste l'a creu et
esprouvé, estre une herbe, par le seul atouchement de laquelle
un coin de fer profondement et par grande violence enfoncé
dedans quelque gros et dur boys, subitement sort dehors.
De laquelle usent les Pics Mars (vous les nommez Pivars).
PANTAGRUEL 185
quand de quelque puissant coin de fer Ion estouppe le trou
de leurs nidz : les quelz ilz ont accoustumé industrieusement
faire et caver le dedans tronc des fortes arbres.
Attendu que les Cerfz et Bisches navrez profondement
par traicts de dars, flèches ou guarrotz, s ilz rencontrent l'herbe
nommée Dictame fréquente en Candie, et en mangent quel-
que peu, soubdain les flèches sortent hors, et ne leurs en reste
mal aulcun. De laquelle Venus guarit son bien aymé filz
iEnéas, blessé en la cuisse dextie d'une flèche tirée par la
sœur de Turnus Juturna.
Attendu qu'au seul flair issant des Lauriers, Figuiers, et
veaulx marins, est la fouidre détournée, et jamais ne les
ferit. Attendu que au seul aspect d'un Bélier les Elephans
enraigez retournent à leur bon sens; les Taureaux furieux et
forcenez approchans des figuiers saulvaiges dicts Caprifices se
apprivoisent, et restent comme grampes et immobiles ; la furie
des Vipères expire par l'attouchement d'un rameau de Fou-
teau. Attendu aussi qu'en l'isle de Samos, avant que le tem-
ple de Juno y fust basty, Euphorion escript avoir veu bestes
nommées Néades, à la seule voix des quelles la Terre fondoit
en chasmates et en abysme. Attendu pareillement que le
Suzeau croist plus canore et plus apte au jeu des flustes en
pays on quel le chant des Coqs ne sera ouy, ainsi qu'ont
escript les anciens sages, selon le rapport de Théophraste,
comme si le chant des Coqs hebetast, ammolist et estonnast
la matière et le boys du Suzeau; au quel chant pareillement
ouy le Lion, animant de si grande force et constance, devient
tout estonné et consterné. Je sçay que aultres ont ceste sen-
tence entendu du Suzeau saulvaige, provenant en lieux tant
esloignez de villes et villages que le chant des Coqs n'y pour-
roit estre ouy. Icelluy sans doubte doist pour flustes et aultres
instrumens de IMusicque estre esleu, et préféré au domes-
ticque, lequel pro\'ient autour des chesaulx et masures.
Aultres l'ont entendu plus haultement, non selon la lettre,
l86 LIVRE IV, CHAPITRE LXIII
mais allegoricquement scelon l'usaige des Pythogoriciena.
Comme quand il a esté dict que la statue de Mercure ne doibt
estre faicte de tous boys indifferentement, ilz l'exposent que
Dieu ne doibt estre adoré en façon vulgaire, mais en façon
esleue et religieuse. Pareillement en ceste sentence nous
enseignent que les gens saiges et studieux ne se doibvent
adonner à la Musique triviale et vulgaire, mais à la céleste,
divine, angelicque, plus absconse et de plus loing apportée :
sçavoir est d'une région en laquelle n'est ouj»^ des Coqs le
chant. Car, voulans dénoter quelque lieu à l'escart et peu
fréquenté, ainsi disons nous en icelluy n'avoir oncques esté
ouy Coq chantant.
CHAPITRE LXIII
COMMENT, PRÉS DE l'ISLE DE CH.\NEI'H,
PANTAGRUEL SOMMEILLOIT,
ET LES PROBLEMES PROPOUSEZ A SON REVEIL
Au jour subséquent, en menuz devis suyvans nostre route,
arrivasmes prés l'isle de Chaneph. En laquelle abourder ne
peut la nauf de Pantagruel, parce que le vent nous faillit, et
feut calme en mer. Nous ne voguions que par les Valentiennes,
changeans de tribort en babort, et de babort en tribort, quoy
qu'on eust es voiles adjoinct les bonnettes trainneresses. Et
estions tous pensifz, matagrabolisez, sesolfiez et faschez sans
mot dire les uns aux aultres. Pantagruel tenant un Heliodore
Grec en main sus un transpontin au bout des escoutilles som-
meilloit. Telle estoit sa coustume, que trop mieulx par livre
dormoit que par cœur. Epistemon reguardoit par son Astro-
labe en quelle élévation nous estoit le Pôle. Frère Jan s'estoit
en la cuisine transporté, et en l'ascendent des broches et
PANTAGRUEL 1S7
horoscope des fricassées consyderoit quelle heure lors pouvoit
estre.
Panurge avecques la langue parmy un tuyau de Panta-
gruelion faisoit des bulles et gargouUes. Gymnaste appoinc-
tûit des curedens de lentisce. Ponocrates resvant, resvoit, se
chatouilloit pour se faire rire, et avecques un doigt la teste
se grattoit. Carpalim d'une coquille de noix grosliere faisoit
un beau, petit, joyeulx, et harmonieux moulinet à œslc de
quatre belles petites aisses d'un tranchouoir de vergne. Eus-
thenes sus une longue Coulevrine jouoit des doigtz, comme
si feust im Monochordion. Rhizotome de la coque d'une Tor-
tue de Guarrignes compousoit une escarcelle veloutée. Xeno-
manes avecques des jectz d'esmerillon repetassoit une vieille
lanterne. Xostre pilot tiroit les vers du nez à ses matelotz;
quand frère Jan, retournant de la cabane, apperceut que
Pantagruel estoit resveillé.
Adoncq :es rompant cestuy tant obstiné silence, à haulte
voix, en grande alaigresse d'esprit, demanda Manière de
haulser le temps en calme. Panurge seconda soubdain, et
demarda pareillement Remède contre fascherie. Epistemon
tierce en guayeté de cœur, demandant Manière de uriner,
la personne n'en estant entalentée. Gymnaste, soy levant en
pixis, demanda Remède contre l'esblouissement des yeulx.
Ponocrates, s'estant un peu frotté le front et secoué les au-
reilles, demanda Manière de ne dormir poinct en chien.
« Attendez, dist Pantagruel. Par le décret des subtilz philo-
sophes Peripateticques nous est enseigné que tous problèmes,
toutes questions, tous doubtes propousez doibvent estre
certains, clairs et intelligibles. Comment entendez vous dor-
mir en chien?
— C'est, respondit Ponocartes, dormir à jeun en hault
soleil, comme font les chiens. »
Rhizotome estoit acropy sus le coursouoir. Adoncques
levant la teste et profondement baislant, si bien qu'il par
188 LIVRE IV, CHAPITRE LXIII
naturelle sympathie excita tous ses compaignons à pareille-
ment baisler, demanda Remède contre les oscitations et
baislements. Xenomanes, comme tout lanterne à l'accoustre-
ment de sa lanterne, demanda Manière de équilibrer et balan-
cer la cornemuse de l'estomac, de mode qu'elle ne panche
poinct plus d'un cousté que d'aultre. Carpalim, jouant de son
moulinet, demanda Quants mouvemens sont precedens en
Nature, avant que la personne soit dicte avoir faim. Eusthe-
nes, oyant le bruit, accourut sus le tillac, et des le capestan,
s'escria, demandant Pourquoy en plus grand dangier de
mort est l'home mords à jeun d'un Serpent jeun, qu'après
avoir repeu, tant l'home que le serpent? pourquoy est la salive
de l'home jeun vénéneuse à tous Serpens et Animaux véné-
neux ?
« Amis, respondit Pantagruel, à tous les doubtes et ques-
tions par vous proposées compete une seule solution, et à
tous telz symptomates et accidens une seule mcdicine. La
response vous sera promptement expousée, non par longs
ambages et discours de parolles : l'estomach affamé n'a
point d'aureilles, il n'oyt goutte. Par signes, gestes et effectz
serez satisfaicts, et aurez resolution à vostre contentement.
Comme jadis en RomeTarquin l'orgueilleux, Roy dernier des
Romains (ce disant, Pantagruel toucha la chordedela cam-
panelle, frère Jean soubdain courut à la cuisine), par signe
respondit à son filz Sex. Tarquin estant en la ville des Gabins,
lequel luy avoit envoyé home exprès pour entendre comment
il pourroit les Gabins du tout subjuguer et à perfaicte obéis-
sance réduire, le Roy susdict, soy défiant de la fidélité du
messaigier, ne luy respondit rien. Seulement le mena en son
jardin secret : et en sa veue et présence avecques son bracque-
mart couppa les haultes testes des Pavotz là estans. Le mes-
saigier retournant sans response, et au filz racontant ce qu'il
avoit veu faire à son père, feut facile par telz signes entendre
qu'il luy conseilloit trancher les testes aux principaulx de la
PANTAGRUEL I 89
ville, pour rnieulx en office et obéissance totale contenir le
demourant du menu populaire. »
CHAPITRE LXIV
COMMENT, PAR PANTAGRUEL,
NE FEUT RESPONDU AUX PROBLEMES PROPOUSEZ
Puys demanda Pantagruel : « Quelz gens habitent en ceste
belle isle de Chien? — Tous sont, respondit Xenomanes, Hy-
pocrites, Patenostriers, Chattemites, Santorons, Cagotz,
Hermites. Tous paouvres gens, vivans (comme l'hermite de
Lormont, entre Blaye et Bourdeaux) des aulmosnes que les
voyagiers leur donnent. Je n'y voys pas, dist Panurge, je
vous affie. Si je y voys, que le diable me souffle au cul ! Her-
mites, Santorons, Chattemites, Cagotz, Hypocrites, de par
tous les Diables, oustez vous de là ! Il me souvient encore de
nos gras Concilipetes de Chesil : que Belzebuz et Astarotz les
eussent conciliés avecques Proserpine, tant patismes, à leur
veue, de tempestes et Diableries. Escoute, mon petit bedon,
mon caporal Xenomanes, de grâce : Ces Hypocrites, Hermites,
Marmiteux icy, sont ilz vierges ou mahez ? Y a il du féminin
genre? En tireroyt on hypocriticquement le petit traict hypo-
criticque? — Vrayement, dist Pantagruel, voylà une belle et
joyeuse demande. — Ouy dea, respondit Xenomanes. Là sont
belles et joyeuses hypocritesses, chattemitesses, hemaitesses,
femmes de grande religion. Et y a copie de petits hypocritil-
lons, chattemitillons, hermitillons... — Oustez cela, dist
frère Jan interrompant. De jeune Hernùte, vieil Diable.
Notez ce proverbe authenticque. — ...Aultrement sans mul-
tiplication de Ugnée feust, longtemps y a, l'isle de Caneph
déserte et désolée. »
IÇO LIVRE IV, CHAPITRE LXIV
Pantagruel leurs envoya par Gymnaste dedans l'esquif son
aulmosne : soixante et dixhuict mille beaulx petitz demys
escuz à la lanterne. Puys demanda : « Quantes heures sont?
— Neuf et d'adventaige, respondit Epistemon. — C'est, dist
Pantagruel, juste heure de dipner. Car la sacre ligne tant
célébrée par Aristophanes en sa comédie intitulée les Predi-
cantes approche, laquelle lors eschoit quand l'ombre est
decempedale. Jadis entre les Perses l'heure de prendre
réfection estoyt es Roys seulement prescripte : à un chascun
aultre estoit l'appétit et le ventre pour horologe. De faict, en
Plante, certain parasite soy complainct, et déteste furieuse-
ment les inventeurs d'horologes et quadrans, estant chose '
notoire qu'il n'est horologe plus juste que le ventre. Diogenes,
interrogé à quelle heure doibt l'homme repaistre, respondit :
Le Riche, quand il aura faim; le Paouvre, quand il aura de-
quoy. Plus proprement disent les medicins l'heure canonicque
estre :
Lever à cinq, disner à neuf;
Souper à cinq, coucher à neuf.
0 La Magie du célèbre Roy Petosiris estoit aultre. » Ce mot
n' estoit achevé, quand les o£&ciers de gueule dressèrent les
tables et buffetz ; les couvrirent de nappes odorantes, assiettes,
serviettes, salières; apportèrent tanquars, frizons, flacons,
tasses, hanats, bassins, hydiies. Frère Jan, associé des mais-
tres d'hostel, escarques, panetiers, eschansons. escuyers
tranchans, couppiers, credentiers, apporta quatie honiiic-
ques pastez de jambons si grands qu'il me soubvint des quatre
bastions de Turin. Vray Dieu, comment il y feut beu et guallé !
Hz n'avoient encores le dessert, quand le vent Ouest Xorouest
commença enfler les voiles, papefilz, morisques, et trinquetz.
Dont tous chantèrent divers Cantiques à la louange du très
hault Dieu des Cielz.
Sus le fruict, Pantagruel demanda : « Ad visez, amis, si vos
PANTAGRUEL
191
doubtes sont à plein rcsoluz. — Je ne baisle plus, Dieu mercy,
dist Rhizotome.
— Je ne dors plus en chien, dist Ponocrates. — Je n'ay
plus les yeulx esblouiz, respondit Gymnaste. — Je ne suys
plus à jeun, dist Eusthenes. Pour tout ce jourd'huy seront en
sceureté de ma salive :
Aspicz,
Amphisbenes,
Anerudutes,
Abedessimons,
Alhartrafz,
Ammobates,
Apimaos,
Alhatrabans,
Aractes,
Astérions,
Alcharates,
Arges,
Araines,
Ascalabes,
Attelabes,
Ascalabotes,
iEmorrhoides,
Basilicz,
Belettes ictides,
Boies,
Buprestes,
Cantharides,
Chenilles,
Crocodiles,
Crapaulx,
Catoblepes,
Cérastes,
Cauquemares,
Chiens cnraigez
Colotcs,
Cychriodes,
Cafezates,
Cauhares,
Couleffres,
Cuharsces,
Chelhydres,
Croniocolaptes,
Chersydres,
Cenchrynes,
Coquatris,
Dipsades,
Domeses,
Dryinades,
Dracons,
Elopes,
Enhydrides,
Fanuises,
Galéotes,
Harmenes,
Handons,
Icles,
Jarraries,
Ilicines,
Ichneumones,
Kesudures,
Lièvres marin,
Lizars chalcidi-
iques.
Myopes,
Manticores,
Molures,
Myagres,
Musaraines,
Miliares,
Megalaunes,
Ptyades,
Porphyres,
Pareades,
Phalanges,
Penphredones,
Pityocampes,
Ruteles,
Rimoires,
Rhagions,
Rhaganes,
Salamandres,
Scytales,
Stellions,
Scorpenes,
Scorpions,
Selsirs,
Scalavotins,
Solofuidars,
Sourds,
Sangsues,
Salfuges,
Solifurges,
Sepes,
Stinces,
Stuphes,
Sabtins,
Sangles,
Sepedons,
Scolopendres,
Tarantoles,
Typholopes,
Tetragnaties,
Teristales,
Vipères.
CHAPITRE LXV
COMMENT PANTAGRUEL HAULSE LE TEMPS
AVECQUES SES DOMESTIQUES
« En quelle hiérarchie, demanda frère Jan, de telz animaux
vénéneux mettez vous la femme future de Panurge? — Dis
1^2 LIVRE IV, CHAPITRE LXV
tu mal des femmes, respondit Panurge, ho guodelureau, moine
culpelé? — Par la guogue Cenomaniquc, dist Epistemon,
Euripidcs escript et le prononce Andromache, que contre
toutes bestes vénéneuses a esté, par l'invention des Humains
et instruction des Dieux, remède profitable trouvé. Remède
jusques à présent n'a esté trouvé contre la maie femme. — Ce
guorgias Euripides, dist Panurge, tous jours a mesdict des
femmes. Aussi feut il par vengeance divine mangé des
chiens, comme luy reproche Aristophanes. Suivons. Qui ha,
si parle.
— Je urineray présentement, dist Epistemon, tant qu'on
vouldra.
— J'ay maintenant, dist Xenomanes, mon estomach
sabourré à profict de mesnaige. Ja ne panchera d'un cousté
plus que d'aultre.
— Il ne me faut (dist Carpalim) ne vin ne pain.
Trefves de soif, trefves de faim.
■ — Je ne suis plus fasché, dist Panurge. Dieu mercy et vous
Je suys guay comme un Papeguay, joyeux comme un Esme-
rillon, alaigre comme un Papillon, véritablement il est escript
par vostre beau Euripides, et le dit Silenus, beuvevu: mémo-
rable :
Furieux est, de bon sens ne jouist,
Quiconques boyt et ne s'en resjouist.
« Sans poinct de faulte nous doibvons bien louer le bon
Dieu nostre createvu*, servateur, conservateur, qui par ce
bon pain, par ce bon vin et frays, par ces bonnes v-iandes
nous guerist de telles perturbations, tant du corps comme de
l'ame : oultre le plaisir et volupté que nous avons beuvans
et mangeans. Mais vous ne respondez poinct à la question de
ce benoist vénérable frère Jan, quand il a demandé : Manière
de haulser le temps ?
PANTAGRUEL I93
— Puys, dist Pantagruel, que de ceste legiere solution des
doubtes proposez vous contentez, aussi foys je. Ailleurs, et
en aultre temps, nous en dirons d'adventaige, si bon vous
semble. Reste doncques à vuider ce que a frère Jan pro-
pousé. Manière de haulser le temps ? Xe l'avons nous à soub-
liayt haulsé ? Voyez le guabet de la hune. Voyez les siflemens
des voiles. Voyez la roiddeur des estailz, des utacques et
des escoutes. Nous haulsans et vuidans les tasses s'est pareil-
lement le temps haulsé par occulte sympathie de Nature.
Ainsi le haulserent Athlas et Hercules, si croyez les saiges
Mythologiens. Mais ilz le haulserent trop d'un demy degré :
Athlas, pour plus alaigrement festoyer Hercules, son hoste;
Hercules, pour les altérations précédentes par les desers de
Libye.
— Vray bis, dist frère Jan interrompant le propous, j'ay
ouy de plusieurs vénérables docteurs que Tirelupin, somme-
lier de vostre bon père, espargne par chascun an plus de dix-
huyct cens pippes de vin, par faire les survenens et domes-
ticques bo^-re avant qu'ilz aient soif.
— Car, dist Pantagruel continuant, comme les Chameaulx
et Dromadaires en la Caravane boyvent pour la soif passée,
pour la soif présente, et pour la soif future, ainsi feist Hercu-
les. De mode que par cestuy excessif haulsement de temps
advint au Ciel nouveau mouvement de titubation et trépi-
dation, tant controvers et debatu entre les folz Astrologues.
■ — C'est, dist Panurge, ce que l'on dit en proverbe commun ;
Le mal temps passe, et retourne le bon,
Pendant qu'on trinque autour de gras jambon.
■ — Et non seulement, dist Pantagruel, repaissans et beu-
vans avons le temps haulsé, mais giandement deschargé la
navire : non en la façon seulement que feut deschargée la
corbeille de .lEsope, sçavoir est, vuidans les victuailles, mais
aussi nous emancipans de jeusne. Car comme le corps plus
T. II. 13
194 Ln'RE IV, CHAPITRE LXVI
est poisant mort que vif, aussi est l'home jeun plus terrestre
et poisant que quand il a beu et repeu. Et ne parlent impro-
prement ceulx qui par long voyage au matin boivent et des-
jeunent, puis disent : Nos chevaulx n'en iront que mieulx.
Ne sçavez vous que jadis les Amycleens sus tous Dieux reve-
roient et adoroient le noble père Bacchus, et le nommoient
Psila en propre et convenante dénomination? Psila, en lan-
gue Doricque, signifie êesles. Car comme les oyzeaulx par
ayde de leurs sesles volent hault en l'air legierement; ainsi
par l'ayde de Bacchus (c'est le bon vin friant et délicieux),
sont hault eslevez les esprits des humains, leurs corps eviden-
tement alaigriz, et assouply ce que en eulx estoit terrestre. »
CHAPITRE LXVI
COMMENT, PRÉS l'iSLE DE GANABIK, AU COUMEKDE MENT
DE PANTAGRUEL, FEURENT LES MUSES SALUÉES
Continuant le bon vent, et ces joyeulx propous, Pantagruel
descou\Tit au loing et apperceut quelque terre montueuse,
laquelle il monstra à Xenomanes, et luy demanda : « Voyez
vous cy davant à Orche ce hault rochier à deux crouppes
bien ressemblant au mons Parnasse en Phocide ? — Très bien,
respondit Xenomanes. C'est l'isle de Ganabin. Y voulez vous
descendre? — Non, dist Pantagruel. — Vous faictes bien,
dist Xenomanes. Là n'est chose aulcune digne d'estre veue.
Le peuple sont tous voleurs et larrons. Y est toutesfoys vers
ceste crouppe dextre la plus belle fontaine du monde, et au
tour une bien grande forest. Vos chormes y pourront faire
aiguade et lignade. — C'est, dist Panurge, bien et doctement
parlé. Ha, da da. Ne descendons jatnais en terre des voleurs
et larrons. Je vous asceure que telle est ceste terre icy,
PANTAGRUEL ig5
quelles aultres foys j'ay veu les isles de Cerq et Herm entre
Bretaigne et Angleterre; telle que la Ponerople de Philippe
en Thrace isles des forfans, des larrons, des briguans, des
meurtriers et assasineurs : tous extraictz du propre original
des basses fosses de la Conciergerie. Ne y descendons poinct,
je vous en prie. Croyez, si non moy, au moins le conseil de
ce bon et sage Xenomanes. Hz sont, par la mort bœuf de
boys, pires que les Canibales. Hz nous mangeroient tous
vifz. Ne y descendez pas, de grâce. Mieulx vous serait en
Averne descendre. Escoutez. Je y oy, par Dieu, le tocque-
ceinct horrificque, tel que jadis souloient les Guascons en
Bourdeloys faire contre les guabelleurs et commissaires.
Ou bien les aureilles me cornent. Tirons vie de long. Hau I
Plus oultre !
— Descendez y, dist frère Jan, descendez y. Allons, alloiig,
allons tous jours. Ainsi ne poyrons nous jamais de giste.
Allons. Nous les sacmenterons trestous. Descendons.
— Le diable y ait part, dist Panurge. Ce Diable de moine
Icy, ce moine de Diable enraigé ne crainct rien. Il est hazar-
deux comme tous les Diables, et poinct des aultres ne se
soucie. Il luy est advis que tout le monde est moine comme
luy. — Va, ladre verd, respondit frère Jan, à tous les millions
de Diables, qui te puissent anatomizer la cervelle, et en faire
des entommeures. Ce Diable de fol est si lasche et meschant
qu'il se concilie à toutes heures de maie raige de paour. Si
tant tu es de vaine paour consterné, ne y descens pas, reste
icy avecques le baguaige. Ou bien te va cacher soubs la cotte
hardie de Proserpine à travers tous les millions de Diables. »
A ces motz Panurge esvanouyt de la compaignie, et se
mussa au bas dedans la soutte, entre les crouttes, miettes et
chaplys du pain. « Je sens, dist Pantagruel, en mon ame retrac-
tion urgente, comme si feust une voix de loing ouye, laquelle
me dict que ne y doibvons descendre. Toutes et quantes foys
qu'en mon esprit j'ay tel mouvement senty, je me suis trouvé
196 LIVRE IV. CHAPITRE LXVII
en heur, refusant et laissant la part dont il me retiroit : au
contraire en heur pareil me suys trouvé, suivant la part qu'il
me poussoit : et jamais ne m'en repent}'. — C'est, dist Epis-
temon, comme le Démon de Socrates, tant célébré entre les
Academicques. — Escouttez doncques, dist frère Jan, ce pen-
dent que les chormes y font aiguade. Panurge là bas contre
faict le Loup en paille. Voulez vous bien rire ? Faictez mettre
le feu en ce Basilic que voyez près le chasteau guaillard. Ce
sera pour saluer les Muses de cestuy mons Antiparnasse.
Aussi bien se guaste la pouldre dedans. — C'est bien dict,
respondit Pantagruel. Faites moy icy le maistre Bombardier
venir. »
Le Bombardier promptement comparut. Pantagruel luy
commenda mettre feu on Basilic et de fraisches pouldres en
tout événement le recharger. Ce que feut sus l'instant faict.
Les Bombardiers des aultres naufz, Ramberges, GuaUions
et Gualeaces du convoy, au premier deschargement du Basi-
hc qui estoit en la nauf de Pantagruel, mirent pareillement
feu chascun en une de leurs grosses pièces chargées. Croyez
qu'il y eut beau tintamarre.
CHAPITRE LXVII
COMMENT PANURGE, PAR MALE PAOUR, SE CONCHIA,
ET DU
GRAND CHAT RODILARDUS PENSOIT QUE FEUST UN DIABLETEAU
Panurge, comme un boucq estourdy, sort de la soutte en
chemise, ayant seulement un demy bas de chausses en jambe,
sa barbe toute mouschetée de miettes de pain, tenant en
main un grand chat. Soubelin attaché à l'aultre demy bas de
ses chausses. Et remuant les babines comme un Cinge qui
PANTAGRUEI, 197
cherche poulz en teste, tremblant et clacquetant des dens, se
tira vers frère Jean, lequel estoit assis sus le portehaubant
de tribort, et dévotement le pria avoir de luy compassion,
et le tenir en saulveguarde de son bragmart. Affermant et
jurant, par sa part de Papimanie, qu'il avoit à heure présente
veu tous les diables deschainez.
« Agua men emy, disoit il, men frère, men père spirituel,
tous les Diables sont au jourdhuy de nopces. Tu ne veids
oncques tel apprest de bancquet infernal. Voy tu la fumée
des cuisines d'Enfer? (Ce disoit, monstrant la fumée des poul-
dres à canon dessus toutes les naufz.) Tu ne veidz oncques
tant d'ames damnées. Et sçaiz tu quoy ? Agua, men emy, elles
sont tant douillettes, tant blondelettes, tant dehcates, que
tu diroys proprement que ce feust Ambrosie Stygiale. J'ay
cuydé (Dieu me le pardoient) que f eussent âmes Angloyses.
Et pense que ce matin ayt esté l'isle des Chevaulx prés Es-
cosse, par les seigneurs des Termes et Dessay saccagée et sac-
mentee avec tous les Angloys qui l'avoient surprinse. »
Frère Jan à l'approcher sentoit je ne sçay quel odeur aultre
que de pouldre à canon. Dont il tira Panurge en place, et
apperceut que sa chemise estoit toute foyreuse et embienee
de frays. La vertus retentrice du nerf qui restrainct le muscle
nommé Sphincter (c'est le trou du cul) estoit dissolue par la
véhémence de la paour qu'il avoit eu en ses phantasticques
visions. Adjoinct le tonnoirre de telles canonnades, lequel
plus est horrificque par les chambres basses que n'est sus le
tillac. Car un des symptômes et accidens de paour, est que
par luy ordinairement s'ouvre le guichet du serrail on quel
est à temps la matière fécale retenue.
Exemple en messere Pantolfe de la Cassine, Senoys, lequel,
en poste passant par Chambery, et chez le sage mesnagier
Vinet descendant, print une fourche de l'estable, puys luy
dist : Da Roma in qua io non son andato del corpo. Di gratta,
■piglia in mano questa forcha, et fa mi paura. Vinet, avecques
iqS LIVRE IV, CHAPITRE I.XVII
la fourche, laisoit plusieurs tours d'escrime, coixiuie feignant
le vouloir à bon essyant frapper. Le Senoys luy dist : Sa tu
non fat aliramente, in non fai nulla. Pero sforzati di adope-
rarli più guagliardamente. Adoncques Vinet de la fourche
luy donna un si grand coup entre col et collet qu'il le jetta
par terre à jambes rebidaiues. Puys, bavant et riant à pleine
gueule, luy dist : « Feste Dieu Bayart, cela s'appelle Datiim
Camberiaci. » A bonne heure avoit le Senoys ses chausses
destachées, car soubdain il fianta plus copieusement que
n'eussent faict neuf Beufles et quatorze Archiprebstres de
Hostie. En fin, le Senoys gracieusement remercia Vinet, se
luy dist : lo H ringratio, bel messere. Cosi facendo tu ni'hai
csparmiata la speza d'un serviiiale. Exemple aultre on roy
d'Angleterre, Edouard le quint. Maistre François Villon,
banny de France, s'estoit vers luy retiré. Il l'avoit en si
grande privaulté repceu que rien ne luy celoit des menues
négoces de sa mcdson. Un jour le Roy susdict, estant à ses
affaires, monstra à Villon les armes de France en paincture,
et luy dist : « Voyds tu quelle révérence je porte à tes roy s
Françoys? Ailleurs n'ay je leurs armoyries qu'en ce retraict
icy, prés ma scelle percée. — Sacre Dieu, respondit Villon,
tant vous estes saige, prudent, entendu et curieux de vostre
santé, et tant bien estes servy de vostre docte medicin,
Thomas Linacer ! Il, voyant que naturellement, sus vos
vieulx jours, estiez constippé du ventre, et que journeUe-
raent vous falloit au cul fourrer un apotliecaire, je dis un
clystere, aultiement ne poviez vous esmeutir, vou- a faict
icy aptement, non ailleiurs, paindre les armes de France, par
singulière et vertueuse providence. Car seulement les voyant,
vous avez teUe vezarde et paour si honificque que soubdain
vous fiantez comme dixhuyct Bonases de Péonie. Si painctes
estoient en aultre lieu de vobtre maison, en vostre chambre,
en vostre salle, en vostre chapelle, en vos gualleries, ou ail-
leurs, sacre Dieu ! vous clairiez partout sus l'instant que
PANTAGRUEL 109
les auriez veues. Et croy que si d'abondant vous aviez icy
en paincture la grande Oriflambe de France, à la veue d'icelle
vous rendriez les boyaulx du ventre par le fondement. Mais,
hcn, hen, atqiie iterum lien !
Ne suis je Badault de Paris?
De Paris, dis je, auprès Pontoise,
Et d'une chorde d'une toise
Sçaura mon coul que mon cul poise...
a Badault, diz je, mal advisé, mal entendu, mal entendant,
quand venant icy avec vous, m'esbahissoys de ce qu'en vos-
tre chambre vous estiez faict vas chausses destacher. Vérita-
blement je pensoys qu'en icelle, darriere la tapisserie, ou en
la venelle du lict, feust vostre scelle percée. Aultrement, me
sembloit le cas grandement incongru, soy ainsi destacher en
chambre pour si loing aller au retraict lignagier. N'est ce un
vray pensement de Badault? Le cas est faict par bien aultre
mystère, de par Dieu. Ainsi faisant, vous faictez bien. Je diz
si bien que mieulx ne sçauriez. Faictez vous à bonne heure,
bien loing, bien à poinct destacher. Car à vous entrant icy,
n'estant destaché, voyant cestes armoyries, notez bien tout,
sacre Dieu ! le fond de vos chausses feroit office de Lazanon,
pital, bassin fecal et de scelle percée. »
Frère Jan estouppant son nez avecques la main gauche,
avecques le doigt indice de la dextre monstroit à Pantagruel
la chemise de Panurge. Pantagruel, le voyant ainsi esmeu,
transif, tremblant, hors de propous, conchié, et esgratigné
des gryphes du célèbre chat Rodilardus, ne se peut contenir
de rire et luy dist : « Que voulez vous faire de ce chat? — De
ce chat? respondit Panurge; je me donne au Diable si je ne
pensoys que feust un Diableteau à poil follet, lequel nagueres
j'avois cappiettement happé en Tapinois, à belles moufles
d'un bas de chausses, dedans la grande husche d'Enfer. Au
Diable sojrt le Diable ! Il m'a icy deschicqueté la peau en
barbe d'escrevisse. » Ce disant, jetta bas son chat.
200 LIVRE IV. CHAPITRE LXVII
« Allez, dist Pantagruel, allez, de par Dieu, vous estuver,
vous nettoyer, vous asceurer, prendre chemise blanche, et
VOUS revestir. — Dictez vous, respondit Panurge, que j'ay
paour? Pas maille. Je suys, par la vertu Dieu, plus couraigeux
que si j'eusse autant de mousches avallé qu'il en est mis en
paste dedans Paiis, depuj's la feste de S. Jean jusques à la
Toussaints. Ha, ha, ha ! Houay ! Que Diable est cecy? Appel-
iez vous cecy foyre, bren, crottes, merde, fiant, déjection,
matière fécale, excrément, repaire, laisse, esmeut, fumée,
estron, scybale ou spyrate? C'est, croy je, sapphran d'Hiber-
nie. Ho, ho, hie. C'est sapphran d'Hibemie. Sela ! Beuvons. »
FIN DU QUATRIEME LIVRE DES FAICTS ET DICTS HEROICQUES
DU XOELE PANTAGRUEL
BRIEFVE DECLARATION
D'AUCUNES DICTIONS PLUS OBSCURES
CONTENUES ON OUATRIESME LIVRE
DES
FAICTS ET DICTS HEROÏQUES DE PANTAGRUEL
EN L EPISTRE LIMINAIRE
Mitologies, fabuleuses narrations. C'est une diction grecque.
Prosopopée, desguisement, fiction de persone.
Tetricque, rebours, rude, maussade, aspre.
Catonian, severe, comme feut Caton le Censorin,
Catastrophe, fin, issue.
Canibales, peuple monstrueux en Africque, ayant la face comme chiens,
et abbayant en lieu de rire.
Misantropes, haïssans les hommes, fuyans la compaignie des hommes.
Ainsi feut surnommé Timon Athénien. Cic, IV, Tuscul.
Agelastes, poinct ne rians, tristes, fascheux. Ainsi feut surnommé Crassus,
oncle de celuy Crassus qui feut occis des Parthes, lequel en sa vie ne
feut veu rire qu'une foys, comme escripvent Lucillius, Cicero, V, de
Finibus; PUne, lib. VII.
Iota, un poinct. C'est la plus petite lettre des Grecs : Cic, III de Orat. ;
Martial., lib. II, xcii; en l'Evangile, Matth. V.
Thème, position, argument. Ce que l'on propose à discuter, prouver et
déduire.
Anagnoste, lecteur.
Evangile, bonne nouvelle.
Hercules Gaulloys, qui par son éloquence tira à soy les nobles Fr£inçois,
comme descript Lucian. Alexicacos, défenseur, aydant en adversité,
destoumant le mal. C'est im des surnoms de Hercules : Pausanias,
in Attica. En mesmes effect est dict Apopompœus, et Apotropœus,
302 BRIEFVE DECLARATION
ON PROLOGUE
Sarcasme, mocquerie poignante et amere.
Satyricque mocquerie, comme est des antiques Sat>Tographes Lucillius,
Horatius, Persius. Juvenalis. C'est une manière de mesdire d'un
chascun à plaisir, et blasonner les Nices, ainsi qu'on faict es jeux de la
Bazoche, par pereoniiaiges desguisez en Satyres.
Ephémères fiebvies, lesquelles ne durent plus d'un jour naturel, sravoir
est de 24 heures.
Dyscrasié, mal tempéré, de mauvaise complexlon. Communément on
dict biscarié en languaige cùiroiupu.
AÇ;oî [3;o;, etc., vie non vie, vie non vivable,
Musaphiz, en langue Turque et Sclavonicque, docteurs et prophètes.
Cahu, caha, motz vulgaires en Touraine. Tellement quellement; que bien
que mal.
Vertus de Styx. C'est un paluz en Enfer, scelon les poètes, par lequel
jurent les dieux, conmie escript Virgile, VI, Mneid., et ne se perjurent.
La cause est pour ce que Victoire, fille de Styx, feut à Jupiter favorable
en la bataille des Geantz, pour laquelle recompenser Jupiter octroya
que les Dieux jurans par sa mère jamais ne fauldroient, etc. Lisez ce
qu'en escript Servius on heu dessus aUegué.
Categoricquc, plene, aperte et résolue.
Solœcisme, vicieuse manière de parler.
Période, révolution, clausule, fin de sentence.
Aber Keids, en allement, vUifiez. BiÉfo.
Nectar, vin des dieux, célèbre entre les poètes.
Métamorphose, transformation.
Figure trigone œquilaterale, ayant troys angles en eguale distance un de
l'autre.
Cyclopes, forgerons de Vulcan.
Tubilustre, on quel jour estoient en Rome benistes les trompettes dédiées
aux sacrifices, en la basse court des tailleurs.
Olympiades, manière de compter les ans entre les Grecs, qui estoit de cmq
en cinq ans.
An intercalaire, on quel escheoit le Bissexte, comme est en ceste présente
aimée 1552. Plinius, lib. Il, cap. .xlvii.
Philautie, amour de soy.
Olympe, le ciel. Ainsi dict entre les poètes.
Mer Tyrhetie, prés de Rome.
Appennin, les Alpes de Boloigne.
Tragœdies, tumultes et vacarmes excitez poiu" chose de petite valeur.
Pastophores, pontifes entre les Aegiptiens.
Dodrental, long d'ime domye coubdée, ou de neuf poulsées Romaines.
Microcosme, petit monde.
Alarmes, merdigues, juremens de gens villageois en Touraine.
Ides de May, esquelles nasquit Mercure.
d'aucunes dictions pi.us obscures 203
Massorethz, interprètes et glossateurs entre les Hebrieux.
St, St, Sf, une voix et sifflement par lequel on impose silence. Terence eu
use in Phor., et Ciceron, de Oratore.
Bacbuc, bouteille, en Hebrieu, ainsi dicte du son qu'elle faict quand on
la vuide.
Vestales, fastes en l'honneur de la déesse Vesta en Rome, C'est le sep<
tiesme jour de juing.
Thalasse, mer.
Hydrographie, charte marine.
Pierre sphengilide, transparente comme verre.
Ceincture ardente, zone torride. •
Vaisseuil septentrional, pôle Arctique.
Parallèle, Une droicte imaginée on ciel, egualement distante de ses voi-
sines.
Medamothi, nul lieu, en grec.
Phares, haultes tours sus le rivaige de la mer, esqueUes on allume une
lanterne on temps qu'est tempeste sus mer pour addresser les mari-
niers, comme vous povez veoir à la Rochelle et Aigues-Mortes.
Philophanes, convoiteux de veoir et estre veu.
Philothéamon, convoiteux de veoir.
Engys, auprès.
Megiste, tresgrand.
Idées, espèces et formes invisibles, imaginées par Platon.
Atomes, corps petitz et indivisibles, par la concurrence desquelz Epîcurus
disoit toutes choses estre faictes et formées.
Unicomes, vous les nommez Licornes.
Celoces, vaisseaulx legiers sus mer.
Gozal, en hebrieu : pigeon, colombe.
Postérieur ventricule du cerveati, c'est la mémoire.
Deu Colas, faillon, sont motz lorrains : De par sEiinct Nicolas, compai-
gnon.
Si Dieu y eust pissé. C'est une manière de parler vulgaire en Paris, et par
toute France, entre les simples gens, qui estiment tous les lieux avoir
eu particulière bénédiction, esquelz Nostre Seigneur avoit faict excré-
tion de urine ou autre excrément naturel, comme de la salive est escript
Joaimis, ix : Liitum fecit ex sputo.
Le mal sainct Eutrope, manière de parler vulgaire, comme le mal sainct
Jehan, le mal de sainct Main, le mal sainct Fiacre. Non que iceulx
benoist sainctz ayent eu telles maladies, mais pour ce qu'ilz en gué-
rissent.
Cénotaphe, tombeau vmde, onquel n'est le corps de celuy pour l'hormevir
et mémoire duquel il est érigé. Ailleurs est dict Sepulchre honoraire, et
ainsi le nomme Suétone.
Atne moutonnière, mouton vivant et animé.
Pantophle. Ce mot est extraict du grec ravxdçsÀÀoj, tout de liège.
Kane gyrine, Grenoille informe. Les Grenoilles en lein première génération
sont dictes Gyrins, et ne sont qu'une chair petite, noire, avecques deux
204 BRXEFVE DECLARATION
grands œilz et une queue. Dont estoient dictz les sotz Gjnrins. Plato,
in Theetelo; Aristoph.; Pline, lib. IX, cap. li; Aratus.
Tragicque comadie, farce plaisante au commencement, triste en la
fin.
Croix osaniere, en poictevin, est la croix ailleurs dicte Boysseliere, prés
laquelle au dimenche des Rameaux l'on chante : Osanna filio David, etc.
Ma dia est une maniera de parler vulguaire en Touraine; est toutesfoys
grecque : Mi A''a, non par Juppiter; comme Ne dea : Xt) At'a, ouy
par Juppiter.
L'or de Tholose, duquel parle Cic, lib. V, de Nat. deorum; Aul. Gellius,
lib. III; Justi., lib. XXII : Strabo, lib. IV, porta malheur à ceuLx qui
l'emportèrent, sçavoir est Q. Cepio, consul Romain, et toute son armée,
qui tous, comme sacrilèges, périrent malheureusement.
Le cheval Sejan, de Cn. Seius, lequel porta malheur à tous ceulx qui le
possédèrent. Lisez Aul. GeUius, lib. III, cap. ix.
Comme sainct Jan de la Palisse, manière de parler vulgaire par syncope,
en lieu de l'Apocalipse ; comme Idolâtre pour Idololatre.
Les ferremens de la messe, disent les Poictevins villageoys ce que nous
disons omemens, et le manche de la paroece ce que nous disons le
clochier, par métaphore assez lourde.
Tohu et Bohu, hebrieu : déserte et non cultivée.
Sycophage, maschefigue.
Nargues et Zargues, noms faicts à plaisir.
Teleniabin et Geleniabin, dictions arabicques : Manne et miel rosat.
Enig et Evig, motz allemans : sans, avecques. En la composition et
appoinctement du langraufï d'Esse avecques l'empereur Charles
cinquiesme, on lieu de Enig : sans détention de sa personne, feut mis
Evig : avecques détention.
Scatophages, maschemerdes, \-ivans de excremens. Ainsi est de Aristo-
phanes in Pluto nommé Aesculapius, en mocquerie commune à tous
medicins.
Concilipetes, comme Romipetes : allans au concile.
Teste Dieu plaine de reliques : C'est im des sermens du seigneur de la
Roche du Maine
Trois rases d'angonnages, tuscan. Trois demies aulnes de bosses chan-
creuses.
Celeusme, chant pour exhorter les mariniers, et leurs donner couraige.
Ucalegon, non aydant. C'est le nom d'im vieil Troyan, célébré par Ho-
mère, III, Iliad.
Vague decumane, grande, forte, violente. Car la dixiesme vague est ordi-
nairement plus grande en la mer Océane que les autres. Ainsi sont par
cy après dictes Escrevisses Decimianes, grandes; comme Columella
dict Poires Decumanes, et Fest. Pomp. : œufz decumans. Car le
dixiesme est toujours le plus grand. Et, en ^xa. camp, porte Decumane,
Passato, etc. Le dangier passé est le sainct mocqué.
Macréons, gens qui vivent longuement.
Macrobe, homme de longue vie.
d'aucunes dictions plus obscures 205
Hieroglyphicques, sacres sculptures. Ainsi estoient dictes les lettres des
antiques saiges Aegyptiens, et estoient faictes des images diverses de
arbres, herbes, animaulx, poissons, oiseaulx, instrumens, par la nature
et office desquelz estoit représenté ce qu'ilz vouloient désigner. De
icelles avez veu la divise de mon seigneur l'Admirai en ime ancre,
instrument très poisant, et im daulphin, poisson legier sur tous ani-
maulx du monde : laquelle aussi avoit porté Octavian Auguste, voulant
designer : Haste toy lentement; fays diligence paresseuse ; c'est à dire
expédie, rien ne laissant du nécessaire. D'icelles entre les Grecs a
escript Orus Apollon. Pierre Colonne en a plusieurs exposé en son
livre tuscan intitulé Hypnerotomachia Polyphili.
Obelisces, grandes et longues aiguilles de pieiTe, larges par le bas et peu à
peu unissantes en poincte par le hault. Vous en avez à Rome prés le
temple de Sainct Pierre une entière, et ailleurs plusieurs autres. Sus
icelles prés le rivage de la mer Ion aUumoit du feu pour luyre aux
mariniers on temps de tempeste, et estoient dictes Obeliscolychnies,
comme cy dessus.
Pyramides, grands bastimens de pierre ou de bricque quarrez, larges
par le bas et aiguz par le hault, comme est la forme d'une flambe de
feu, -up. Vous en pourrez veoir plusieurs sus le Nil, prés le Caire.
Prototype, première forme, patron, modeL
Parasanges, entre les Perses estoit ime mesure des chemins contenente
trente stades. Herodotus, lib. II.
Aguyon, entre les Bretons et Normans mariniers est vent doulx, serain
et plaisant, comme en terre est Zephyre.
Confallonnier, porte-enseigne. Tuscan.
Ichthyophages, gens \-ivans de poissons, en .^Ethiopie intérieure prés
l'Océan occidental. Ptoleme, libro IV, cap. ix; Strabo, lib. XV
Corybantier, dormir les œilz ouvers.
Escrevisses decumanes, grandes. Cy dessus a esté exposé.
Atropos, la Mort.
Symbole, conférence, collation.
Catudupes du Nil, lieu en iEthiopie onquel le Nil tombe de haultes mon-
taignes en si horrible bruyt que les voisins du lieu sont presque tous
sours, comme escript Claud. Galen. L'evesque de Caramith, celuy qui
en Rome feut mon précepteur en langue arabique, m'a dict que l'on
oyt ce bruj^ à plus de troyes journées loing, qui est autant que de
Paris à Tours. Voyez Ptol.; Ciceron, in Sam. Scipionis; Phne, lib. VI,
cap. IX, et Strabo.
Line perpendiculaire, les architectes disent tombante à plomb, droicte-
ment pendente.
Montigenes, engendrez es montaignes.
Hypocriticque, faincte, desguisée.
Venus en Grec a quatre syUabes, 'Açoooitt]. Vulcan en a trois : Hyphais-
tos.
Jschies, vous les appeliez sciaticques, hernies, ruptures du boyau devallan.
en la bourse, ou par aiguosité, ou camosité, ou varices, etc.
io6 BRIEFVE DECLARATION
Hetnicraines, vous les appelez migraines : c'est une douleur comprenente
la moytié de la teste.
Niphleseth, membre viril. Hebr.
Riiach, vent ou esprit. Hebr.
Herbes carmiuatives, lesquelles ou consomment ou vuident les ventositez
du corps humain.
Jambe adipodicque, enflée, grosse, comme les avoit Œdipus le divinateur,
qui en grec signifie Pied enflé.
Aeolus, Dieu des vents, selon les Poètes.
Sanctimoniales, a présent sont dictes nonnains.
Hypenemicn, venteux. Ainsi sont dictz les oeufz des poulies et aultres
animaulx faictz sans copulation du masle; desquelz jamais ne sont
esclouz pouUetz, etc., Arist., Pline, Columella.
£olipyle, porte d'.iEolus. C'est un instrument de bronze clous, onquel
est im petit pertuys, par lequel si mettez eaue, et l'approchez du feu,
vous voirez sortir vent continuellement. Ainsi sont engendrez les vents
en l'air et les ventositez es corps humains, par eschauffemens ou concoc-
tion commencée non perfaicte, comme expose Cl. Galen. Voyez ce que
en a escript nostre grand ami et seigneur Monsieur Phiilander sus le
premier livre de Victruve.
Bringuenarilles, nom faict à plaisir comme grand nombre d'autres en
cestuy livre.
Lipothymie, défaillance de cœur.
Paroxisme, accès.
Tachor, un fie au fondement. Hebr.
Brouet, c'est la grande halle de JNIillan.
Eceo lo fico, voilà la figue.
Camp restile, portant fruict tous les ans.
Voix stentorée, forte et haulte comme avoit Stentor, duquel escript
Homère, V, Iliad. ; Juvenal, îib. XIII.
Hypophetes, qui parlent des choses passées comme prophètes parlent des
choses futiures.
Vfanopetes, descendues du ciel.
Zoophot e,poitant animaulx. C'est en un portai et autres lieux ce que les
architectes appellent fii^e, entre l'architrave et la coronice, onquel
lieu l'on mettoit les manequins, sculptures, escriptures et autres divises
à plaisir.
rNQ0I SEAYTON, congnois toy mesmes.
El, tu es. Plutarche a faict un li\Te singulier de l'expositioa de ces deux
lettres.
Diipetes, descendens de Jupiter.
SchoUastes, expositeurs.
Archétype, original, protraict.
Sphacelée, corrompue, pourrie, vermoulue. Diction fréquente en Hippo*
crates.
Epode, une espèce de vers, comme en a escript Horace.
d'aucunes dictions plus obscures 207
Paragraphe, vous dictes parafe, corrompans la diction, laqueUe signifie
un signe ou note posée prés l'escripture.
Ecstase, ravissement d'esprit.
Auriflue énergie, vertus faisante couller l'or.
Decretalictonez, meurtriers des Decretales. C'est une diction monstrueuse,
composée d'un mot Latin et d'un autre Grec.
Corolaires, surcroistz, le parsus. Ce que est adjoinct.
Promecoiide, despansier, celerier, guardian, qui serre et distribue le bien
du seigneur.
Terre sphragitide, terra sigillata est nommée des apothecaire '
Argentangine, esquinance d'argent. Ainsi fut dict Demosthenes l'avoir
quand pour ne contredire à la requeste des ambassadeurs Milcsiens,
desquelz il avoit receu grande somme d'argent, il se enveloppa le coul
avecques gros drappeauLx et de laine, pour se excuser d'opiner, comme
s'il eust eu l'esquinance. Plutarche et A. GeUi.
Gaster, ventre.
Druydes, estoient les pontifes et docteurs des anciens François, desquelz
escript Cœsar, lib. VI, de Bello Gallico; Cicer., lib, I, de Divinai. ;
Pline, lib. XVI, etc.
Somates, corps, membres.
Engastrimythes, parlans du ventre,
Gastrolatres, adorateurs du ventre.
Sternomantes, divinans par la poictrine.
Gaule cisalpine, partie ancienne de Gaule entre les mons Cenis et le fleuve
Rubicon, prés Rimano, comprenente Piedmond, Montferrat, Astisane,
Vercelloys, Millan, Mantoue, Ferrare, etc.
Dithyrambes, crœpaloco'nes, epœnons, chansons de y\'roignerie en l'hon-
neur de Bacchus.
Olives colymbades, confictes.
Lasanon, ceste diction est là exposée.
Triscaciste, troys foys très mauvaise.
Force Titkanicquc, des géantz.
Chaneph, hypocrisie. Hebr.
Sympatic, compassion, consentement, semblable affection.
Symptomates, accidens survenans aux maladies, comme mal de cousté,
toux, difficulté de respirer; pleurésie.
XJmbre decempcdale, tombante sus le dixième poinct en un quadrant.
Parasite, bouffon, causeur, jangleur, cherchant ses repeues franches.
Ganabin, larron. Hebrieu.
Ponerople, vUle des meschants.
Ambrosie, viande des Dieux.
Stygiale, d'enfer, dict du fleuve Stj'x entre les poètes.
Da Roma, etc. Depuis Rome jusques icy je n'ay esté à mes affaires. De
grâces, prens en main ceste fourche et me fais paoïnr.
Si tu non fat, etc. Si tu ne fais autrement, tu ne fays rien. Partant efforce
toy de besoigner plus gaillardement.
Datum Camberiaci, donné à Chambery,
io8 BRIEFVE DECLARATION
lo ti ringratio, etc. Je te remercie, beauseigneur. Ainsi faisant tu me as
espargné le coust d'un clj'stere.
Bonases, animal de Péonie, de la grandeur d'un taureau, mais plus
trappe, lequel, chassé et pressé, fiante loing de quatre pas et plus. Par
tel moyen se saulve, bruslant de son fiant le poil des chiens qui le pro-
chassent.
Lazanon, cette diction est exposée [plus haut].
Pital, terrine de scelle persée. Tuscan. Dont son dicts Pitalieri certains
ofSciers à Rome, qui escurent les scelles persées des reverendissimes
cardinaux estans en conclave resserrez pour élection d'un nouveau
Pape.
Par la vertus Dieu. Ce n'est jurement; c'est assertion : moyennante la
vertus de Dieu. Ainsi est-il en plusieurs lieux de ce livre. Comme à
Tholose preschoit frère Quambouis : « Par le sang Dieu nous feusmes
rachetez. Par la vertus Dieu nous serons saulvez. >
Scybale, estront endurcy.
Spyrathe, crotte de chèvre ou de brebis.
Sela, certainement. Hebr.
LE
CINQUIESME ET DERNIER LIVRE
DES FAIGTS ET DICTS HEROÏQUES
DU BON PANTAGRUEL
COMPOSÉ
PAR M. FRANÇOIS RABELAIS
DOCTEUR EN MÉDECINE
AUQUEL EST CONTENU LA VISITATION DE L'ORACLg
DE LA DIVE BACBUC
ET LE MOT DE LA BOUTEILLE : POUR LEQUEL AVOIR,
EST ENTREPRINS TOUT CE LONG VOYAGE
NOUVELLEMENT MIS EN LUMIÈRE
T. II.
ÉPIGRAMME
Rabelais est il mort? Voicy encore un livre.
Non, sa meilleure part a repris ses espritz
Pour nous faire présent de l'un de ses escriptz
Qui le rend entre tous immortel, et faict vivre.
Nature Quite.
PROLOGUE DE M. FRANÇOIS RABELAIS
0
LE CÏNQUIESME LIVRE DES FAICTS ET DICTS HEROÏQUES
DE PANTAGRUEL
AUX LECTEURS BENEVOLES
Beuveurs infatigables, et vous, verollez, tresprecieux, pen-
dant qu'estes de loisir, et que n'ay aultre plus urgent affaire
en main, je vous demande en demandant : Pourquoy est ce
qu'on dit maintenant en commun proverbe : Le monde n'est
plus fat? Fat est un vocable de Languedoc, et signifie non
salle, sans sel, insipide, fade; par métaphore, signifie fol,
niais, despourveu de sens, esventé de cerveau. Voudriez vous
dire, comme de faict on peult logicaîement inférer, que par
cy devant le monde eust esté fat, maintenant seroit devenu
sage? Par quantes et quelles conditions estoit il fat? Quantes
et quelles conditions estoient reqiiises à le faire sage? Pour-
quoy estoit il fat? Pourquoy seroit il sage? Enquoy congnois-
sez vous la folie antique? Enquoy congnoissez vous la
sagesse présente? Qui le fist fat ! qui l'a faict sage ! Le nombre
desquels est plus grand, ou de ceux qui l'aimoyent fat, ou de
ceux qui l'ayment sage? Quant de temps fut il fat? Quant de
temps sera il sage? Dont procedoit la folie antécédente? dont
procède la sagesse subséquente? Pourquoy, en ce temps, non
plus tard, print fin l'antique folie? Pourquoy, en ce temps.
2 12 LIVRE V
non plustost, commença la sagesse présente? Quel mal estoit
de la folie précédente? Quel bien nous est de la sagesse suc-
cedente? Comment seroit la folie antique abolie? Comment
seroit la sagesse présente instaurée?
Respondez, si bon vous semble : d'autre adjuration n'use-
ray je envers vos révérences, craignant altérer vos pater-
nitez. N'ayez honte, faictes confusion à Her del Tyiel, enne-
my de Paradis, ennemy de vérité. Courage, enfans : si estes
des miens, beuvez trois ou cinq fois pour la première partie
du sermon, puis respondez à ma demande ; si estes de l'autre,
avalisque Satanas. Car je vous jure mon grand Hurluburlu
que si aultrement ne m'aydez à la solution du problesme
susdit, desja, et n'y a gueres, je me repens vous l'avoir pro-
posé, pourtant que ce m'est pareil estrif comme si le loup
tenois par les aureilles sans espoir de secours aulcun. Plaist?
J'entends bien : vous n'estes délibérez de respondre. Non
feray-je, par ma barbe : seulement vous allegueray ce qu'en
avoit prédit en esprit prophétique un vénérable docteur,
autheur du hvre intitulé la Cornemuse des prélats. Que dit il,
le paillart? Escoutez, vietz-d'azes, escoutez.
L'an Jubile, que tout le monde raire
Fadas se feist est supemumeraire
Au dessus trente. O peu de révérence !
Fat il sembloit; mais en perseveréuice
De longs brevets, fat plus ne gloux sera :
Car le doux fniict de l'herbe esgoussera.
Dont tant craignoit la fleur en prime vere.
Vous l'avez oy, l'avez vous entendu? Le doctein: est anti-
que, les paroles sont Laconiques, les sentences Scotines et
obscures. Ce nonobstant qu'il traitast matière de soy pro-
fonde et difficile; les meilleurs interprètes d'iceluy bon père
exposent, l'an Jubilé passant le trentiesme, estre les années
encloses entre ceste aage courante l'an mil cinq cens cin-
quante. Onques ne craindra la fleur d'icelle. Le monde plus
PROLOGUE 213
fat ne sera dit, venant la prime saison. Les fols, le nombre
desquelz est infiny, comme atteste Salomon, périront enra-
gez, et toute espèce de folie cessera : laquelle est pareillement
innombrable, comme dict Avicenne, maniœ infinïtce suni
species. Laquelle durant la rigueur hibernale estoit au centre
répercutée, apparoist en la circonferance, et est en cesves
comme les arbres. L'expérience nous le demonstre, vous le
sçavez, vous le voyez. Et fut jadis exploré par le grand
bon homme Hippocrates, Aphorism. Verœ eîenim maniœ,
etc. Le monde doncques ensagissant plus ne craindra la fleur
des febves en la prime vere, c'est à dire (comme pouvez, le
voirre au poing et les larmes à l'œil, pitoiablement croire),
en caresme, un tas de livres qui sembloient florides, florulens,
floris comme beaux papillons, mais au vray estoient ennuyeux
fascheux, dangereux, espineux et ténébreux, comme ceux
d'Heraclitus, obscurs comme les nombres de Pythagoras (qui
fut roi de la febve, tesmoin Horace). Iceux périront, plus ne
viendront en main, plus ne seront leuz ne veuz. Telle estoit
leur destinée, et là fut leur fin prédestinée.
Au lieu d'iceux ont succédé les febves en gousse. Ce sont
ces joyeux et fructueux livres de Pantagruelisme, lesquels
sont pour ce jourd'hui en bruit de bonne vente, attendant le
période du Jubilé subséquent, à l'estude desquels tout le
monde s'est adonné; aussi est il sage nommé. Voylà vostre
problesme solu et résolu; faictes vous gens de bien là dessus.
Toussez icy un bon coup ou deux et en beuvez neuf d'arra-
ché pied, puis que les vignes sont belles, et que les usuriers
se pendent; ils me cousteront beaucoup en cordeaux si bon
temps dure : car je proteste leur en fournir libéralement
sans payer, toutes et quantes fois que pendre ils se voudront,
espargnant le gain du bourreau.
A fin donques que soyez participans de ceste sagesse adve-
nente, et émancipez de l'antique folie, effacez moy présente-
ment de vos pancartes le Symbole du vieil philosophe à la
214 LIVRE V
cuysse dorée; par lequel il vous interdisoit l'usage et man-
geaille des febves, tenans pour chose vraye et confessée entre
tous bons compaignons qu'il les vous interdisoit en pareille
intention que le médecin d'eau douce feu Amer, nepveu de
l'advocat, seigneur de Camelotiere, defïendoit aux malades
l'aisle de perdrix, le cropion de geUnes et le col de pigeon,
disant ; ala malà, cropium dubium, collitm honum pelle rernota,
les reser\^ans pour sa bouche, et laissant aux malades seule-
ment les osseletz à ronger. A luy ont succédé certains Capu-
tions nous defendans les febves, c'est à dire hvres de Panta-
grueUsme, et à l'imitation de Philoxenus et Gnato SiciUen,
anciens architecques de leur monachale et ventrale volupté,
lesquels en plains banquets, lors qu'estoient les friands mor-
ceaux servis, crachoient sur la viande afin que par horreur
autres qu'eux n'en mangeassent. Ainsi cette hideuse, mor-
veuse, catarrheuse, vermoluë cagotaille, en public et privé
déteste ces Hvres frians, et dessus vilainement crachent par
leur impudence. Et combien que maintenant nous Hsons
en nostre langue Gallique, tant en vers qu'en oraison soluë,
plusieurs excellens escripst, et que peu de reliques restent
de capharderie et siècle Gotique, ay neantmoins esleu ga-
souiller et sifHer oye, comme dit le proverbe, entre les Cygnes,
plustost que d'estre entre tant de gentils poètes et faconds
orateurs mut du tout estimé : jouer aussi quelque villageois
personnage entre tant disers joueurs de ce noble acte, plustost
qu'estre mis au rang de ceux qui ne servent que d'ombre et
de nombre, seulement baislans aux mouches, chovans des
aureilles comme un asne d'Arcadie au chant des musiciens,
et par signes, en silence, signifians qu'ils consentent à la pro-
sopopée.
Prins ce choix et élection, ay pensé ne faire œuvre indigne
si je remuois mon tonneau Diogenic, afin que ne me dissiez
ainsi vivre sans exemple.
Je contemple un grand tas de Colline ts, Marots, Drouets,
PROLOGUE 2t5
Saingelais, Saliels, Masuels, et une longue centurie d'autres
poètes et orateurs Galliqiies.
Et voy que, par long temps avoir en mont Parnasse versé
à l'escole d'ApoUo, et du fons Cabalin beu à plein godet entre
les joyeuses Muses, à l'éternelle fabrique de nostre vulgaire
ils ne portent que marbre Parien, Alebastre, Porphire, et
bon ciment Royal; ils ne traitent que gestes héroïques,
choses grandes, matières ardues, graves et difficiles, et le tout
en rhétorique armoisine et cramoisine; par leurs escrits ne
produisent que nectar divin, vin précieux, f riant, riant, mus-
cadet, délicat, délicieux : et n'est ceste gloire en hommes
toute consommée, les dames y ont participé, entre lesquelles
une extraicte du sang de France, non allegable sans insigne
préfation d'honneurs, tout ce siècle a estonné tant par ses
escripts, inventions transcendentes, que par ornemens de
langage, de style miiifique. Imitez les, si sçavez; quant est de
moi, imiter je ne les sçaurois : à chascun n'est octroyé henter
et habiter Corinthe. A l'édification du temple de Salomon
chascun un sicle d'or offrit; à plaines poignées ne pouvoit.
Puis doncques qu'en nostre faculté n'est en l'art d'architec-'
ture tant promouvoir comme ils font, je suis délibéré faire ce
que fist Regnault de Montauban, servir les massons, mettre
bouillir pour les massons; et m'auront, puis que compagnon
ne puis estre, pour auditeur, je dis infatigable, de leurs tres-
celestes escripts.
Vous mourez de peur, vous autres les Zoïles em.ulateurs et
envieux; allez vous pendre, et vous mesmes choisissez arbre
pour pend âges; la hart ne vous faudra mie. Protestant icy
devant mon Helicon, en l'audience des divines Muses, que si
je vis encores l'aage d'un chien, ensemble de trois corneilles,
en santé et intégrité, telle que vescut le sainct capitaine Juif,
Xenopbile musicien, et Demonax philosophe, par argumens
non impertinans et raisons non refusables je prouveray en
barbe de je ne sçay quels centonifiques botteleurs de matières
2l6 LIVRE V
cent et cent fois grabelées, rappetasseurs de vieilles ferrailles
latines, revandeurs de vieux mots latins tout moisis et incer-
tains, que nostre langue vulgaire n'est tant vile, tant inepte,
tant indigente et à mespriser qu'ils l'estiment. Aussi en toute
humilité supplians que de grâce spéciale, ainsi comme jadis
estans par Phebus tous les trésors es grands poètes des-
partis, trouva toutesfois ^Esope lieu et office d'apologue,
semblablement veu qu'à degré plus hault je n'aspire, ils ne
desdaignent en estât me recepvoir de petit riparographe, sec-
tateur de Pyreicus; ils le feront, je m'en tiens pour asceuré :
car ils sont tous tant bons, tant humains, gracieux et débon-
naires que rien plus. Parquoy, beuveurs ; parquoy, goutteux,
iceux en veullent avoir fruition totalle, car les recitans parmy
leurs conventicules, cultans les haults misteres en iceulx
comprins, entrent en possession et réputation singuUere,
comme en cas pareil fit Alexandre le Grand des Hvres de la
prime philosophie composez par Aristote.
Ventre sus ventre, quels trinquenailles, quels guallefretiers !
Pourtant, beuveurs, je vous ad vise en temps et heure oppor-
tune, faites d'iceux bonne provision soudain que les trouverez
par les officines des hbraires, et non seulement les esgoussez,
mais dévorez, comme opiatte cordialle, ei les incorporez en
vous mesmes : lors cognoistrez quel bien est d'iceux préparé
à tous gentils esgousseurs de febves. Présentement je vous
en offre une bonne et belle panneree, cueillie on propre jardin
que les autres précédentes, vous supphant au nom de révé-
rence qu'ayez le présent en gré, attendant mieulx à la pro-
chaine venue des arondelles.
FIN DU PROLOGXJE
PANTAGRUEL 2iy
CHAPITRE I
COMMENT PANTAGRUEL ARRIVA EN L'iSLE SONNANTE
ET DU BRUIT QU'ENTENDIS MES
Continuans nostre routte, navigasmes par trois jours sans
rien descouvrir; au quatriesme, aperceusmes terre, et nous
fust dist par nostre pilot que c'estoit l'isle Sonnante, et enten-
dismes un bruit de loing venant, frequant et tumultueux,
et nous sembloit à l'ouïr que fussent cloches grosses, petites
et médiocres, ensemble sonnantes comme l'ont faict à Paris,
à Tours, Gergeau, Nantes et ailleurs, es jours de grandes
festes. Plus approchions, plus entendions ceste sonnerie ren-
forcée.
Nous doubtions que feust Dodone avecques ses chaudrons,
ou le porticque dit Heptaphone en Olympie, ou bien le bruit
sempiternel du Colosse érigé sus la sépulture de Mennon en
Thebes d'.Egypte, ou les tintamarres que jadis on oyoit au-
tour d'un sépulcre en l'isle Lipara, l'une des Aeolides; mais la
chorographie n'y consentoit. « Je doubte, dist Pantagruel,
que là quelque compaignie d'abeilles ayent commencé
prendre vol en l'air, pour lesquelles revocquer le voisinage
faict ce triballement de poiles, chaudrons, bassins, cymbales
corj'^bantiques de Cybele, mère grande des dieux. Entendons. »
Approchans davantage entendismes, entre la perpétuelle
sonnerie des cloches, chant infatigable des hommes là resi-
dens, comme estoit nostre ad vis. Ce fut le cas pourquoy,
avant que aborder en l'isle Sonnante, Pantagruel fut d'opi-
nion que descendissions ^.vecq' nostre esquif en un petit roc
auprès duquel recognoissions un hermitage et quelque petit
jardinet.
2l8 LIVRE V, CHAPITRE I
Là trouvasmes un petit bon homme hermite nommé Bra-
guibus, natif de Glenay, lequel nous donna pleine instruction
de toute la sonnerie, et nous festoya d'une estrange façon. Il
nous fîst quatre jours consequens jeusner, affermant qu'en
l'isle Sonnante autrement receus ne serions, parce que lors
estoit le jeusne des Quatre lemps. « Je n'entens point, dist
Panurge, cest énigme : ce seroit plustost le temps des quatre
vents, car jeusnans ne sommes farcis que de vent. Et quoy,
n'avez vous icy autre passe temps que de jeusner? Me semble
qu'il est bien maigre; nous nous passerions bien de tant de
festes du palais. — En mon Donat, dist frère Jehan, je ne
trouve que trois temps, prétérit, présent et futur : icy le
quatriesme doit estre pour le vin du valet. — Il est, dist Epis-
temon, aorist issu de prétérit tres-imparfaict des Grecs et
des Latins, en temps garré et bigarré reçu. Patience, disent les
ladres. — Il est, dist l'Hermite, fatal, ainsi comme je vous
l'ay dit : qui contredit est hérétique, et en luy fault rien que
le feu. — Sans faulte, Pater, dist Panurge, estant sus mer, je
crains beaucoup plus estre mouillé que chauffé, et estre noyé
que bruslé. Bien, jeusnons de par Dieu; mais j'ay par si long-
temps jeusné que les jeusnes m'ont sappé toute la chair, et
crains beaucoup qu'en fin les bastions de mon corps viennent
en descadence. Autre peur ai-je davantage, c'est de vous fas-
cher en jeusnant, car je n'^'' sçay rien, et y ay mauvaise grâce,
comme plusieurs m'ont affermé : et je les croy. De ma part,
di je, bien peu me soucie de jeusner : il n'est choses tant facile
et tant à main; bien plus me soucie de ne jeusner point à
l'advenir, car là il faut avoir dequoy drapper et dequoy
mettre au moulin. Jeusnons, de par Dieu, puisqu'entrez
sommes es feries esuriales; ja long temps a que ne les reco-
gnoissois. — Et si jeusner faut, dist Pantagruel, expédient
autre n'y est, fois nous en despecher comme d'un mauvais
chemin. Aussi bien veux je un peu visiter mes papiers, et
entendre si l'estude marine est aussi bonne comme la ter»
PANTAGRUEL 219
rienne; pource que Platon, voulant desciire un homme niais,
imperit et ignorant, le compare à gens nourris en mer dedans
les navires, comme dirions à gens nourris dedans un baril,
qui onques ne regardèrent que par un trou. »
Nos jeusnes furent terribles et bien espoventables, car le
premier jour nous jeusnasmes à battons rompus; le second, à
espees rabatues; le tiers, à fer esmoulu; le quart, à feu et à
sang. Telle estoil l'ordonnance des Fées.
CHAPITRE II
COMMENT l'iSLE SONNANTE AVOIT ESTÉ HABITÉE
PAR LES SITICINES,
LESQUELS ESTOYENT DEVENUS OISEAUX
Nos jeusnes parachevez, Thermite nous bailla une lettre
adressante à un qu'il nommoit Albian Camat, maistre Aeditue
de risle Sonnante; mais Panurge, le saluant, l'appella maistre
Antitus. C'estoit un petit bon homme vieux, chauve, à mu-
seau bien enluminé et face cramoisie. Il nous fist très bon
recueil, par la recommandation de l'hermite, entendant
qu'avions jeusné comme a esté déclaré. Après avoir très-bien
repeu, nous exposa les smgularitez de l'Isle, affermant qu'elle
avoit premièrement esté habitée par les Siticines; mais par
ordre de nature (comme toutes choses varient) ils estoient
devenus oiseaux.
Là j'eus pleine intelligence de ce qu'Atteius Capito, Pau-
lus, Marcellus, A. Gellius, Atheneus, Suidas, Ammonius et
autres, avoyent escrit des Siticines et Sicinnistes, et difficile
ne nous sembla croire les transformations de Nyctimene,
Progne, Itys, Alcmene, Antigène, Tereus et autres oiseaux.
Peu aussi de doubte fismes des enfans Matabrune convertis
220 LIVRE V, CHAPITRE II
en Cignes, et des hommes de Pallene en Thrace, lesquels soub-
dain que par neuf fois se baignent au palude Tritonique, sont
en oiseaux transformez. Depuis, autre propos ne nous tint
que de cages et d'oiseaux. Les cages estoient grandes, riches,
somptueuses, et faictes par merveilleuse architecture.
Les oiseaux estoient grands, beaux et polis à l'advenant,
bien ressemblans les hommes de ma patrie : beuvoient et
mangeoient comme hommes, esmoutissoient comme hommes,
enduisoient comme hommes, petoient, dormoient et roussi-
noient comme hommes : brief, à les veoir de prime face,
eussiez dit que fussent hommes; toutesfois ne l' estoient mie,
selon l'instruction de maistre Aeditue, nous protestant qu'ils
n' estoient ny séculiers, ny mondains. Aussi leur pennage nous
mettoit en resverie, lequel aucuns avoient tout blanc, autres
tout noir, autres tout gris, autres miparti de blanc et noir,
autres tout rouge, autres parti de blanc et bleu : c'estoit belles
choses de les veoir. Les masles il nommoit Clergaux, Mona-
gaux, Prestregaux, Abbegaux, Evesgaux, Cardingaux et
Papegaut, qui est unique en son espèce. Les femelles il nom-
moit Clergesses, Monagesses, Prestregesses, Abbegesses,
Evesgesses, Cardingesses, Papegesse. Tout ainsi toutefois,
nous dist il, comme entre les abeilles hantent les freslons, qui
rien ne font fors tout manger et tout gaster, aussi depuis
trois cens ans ne sçay comment, entre ces joyeux oiseaux,
estoit par chascune quinte lune avolé grand nombre de cagots,
lesquels avoient honny et conchié toute l'Isle, tant hideux et
monstrueux, que de tous estoient reffuis. Car tous avoient le
col tors, les pattes pelues, les griphes et ventre de Harpies, et
les culs de Stimphalides, et n'estoit possible les exterminer :
pour un mort en avoloit vingt quatre. Je y souhaitoye quelque
second Hercules, pour ce que frère Jehan y perdit le sens
par véhémente contemplation, et à Pantagruel ad\'int ce
qu'estoit advenu à messire Priapus contemplant les sacrifices
de Ceres, par faute de peau.
PANTAGRUEL 221
CHAPITRE III
COMMENT EN l'ISLE SONNANTE N'EST QU'UN PAPEGAUT
Lors demandasmes à maistre Aeditue, veu la multiplica-
tion de ces vénérables oiseaux en toutes leurs espèces, pour-
quoy là n'estoit qu'un Papegaut. Il nous respondit que telle
estoit l'institution première, et fatale destinée des estoilles :
que des Clergaux naissent les Prestregaux et Monagaux, sans
compagnie charnelle, comme se fait entre les abeilles d'un
jeune toreau accoustré selon l'art et pratique d'Aristeus.
Des Prestregaux naissent les Evesgaux; d'iceux les beaux
Cardingaux, et les Cardingaux, si par mort n'estoient préve-
nus, finissoient en Papegaut, et n'en est ordinairement qu'un,
comme par les ruches des abeilles n'y a qu'un roy , et au monde
n'est qu'un soleil. Iceluy decedé, en naist un autre en son lieu
de toute la race des Cardingaux : entendez tousjours sans
copulation chamelle. De sorte qu'il y a en ceste espèce unité
individiiale, avec perpétuité de succession, ne plus ne moins
qu'au Phœnix d'Arabie. Vray est qu'il y a environ deux mil
sept cens soifcante lunes que furent en nature deux Papegaux
produits; mais ce fut la plus grande calamité qu'on vist
onques en ceste Isle. « Car, disoit Aeditue, tous ces oiseaux
icy se pillèrent les uns les aultres, et s'entreplauderent si bien
ce temps duiant que l'Isle pericUta d'estre spoliée de ses habi-
tans. Part d'iceux adheroit à un, et le soutenoit; part à l'aul-
tre, et le defendoit; demeurèrent part d'iceux muts comme
poissons, et onques ne chantèrent, et part de ces cloches,
comme interdicte, coup ne sonna. Ce séditieux temps durant,
à leur secours évoquèrent Empereurs, Roys, Ducs, Marquis,
Monarques, Comtes, Barons et communautez du monde qui
habite en continent et terre ferme, et n'eut fin ce schisme et
223 LIVRE V, CHAPITRE IV
ceste sédition qu'un d'iccux ne fust toUu de vie, et la plura-
lité reduicte en unité, »
Puis demandasmes qui mouvoit ces oiseaux ainsi sans
chanter. Aeditue nous respondit que c'estoient les cloches
pendantes au dessus de leurs cages. Puis nous dist : « Voulez
vous que présentement je fasse chanter ces Monagaux que
voyez là bardocuculés d'une chausse d'hypocras, comme une
alouette sauvage? — De grâce, » respondismes nous. Lors
sonna une cloche six coups seulement, et Monagaux d'ac-
courir, et Monagaux de chanter. « Et si, dist Panurge, je son-
nois ceste cloche, ferois je pareillement chanter ceux icy qui
ont le pennage à couleur de haran soret? — Pareillement, »
respondit Aeditue.
Panurge sonna, et soudain accoururent ces oiseaux
enfumez, et chantoient ensemblement; mais ils avoient les
voix rauques et malplaisantes. Aussi nous remonstra Ae-
ditue qu'ils ne vivoient que de poisson, comme les Hérons et
Cormorans du monde, et que c'estoit une quinte espèce de
Cagaux imprimez nouvellement. Adjousta d'avantage qu'il
avoit eu advertissement par Robert Valbringue, qui par là,
n'agueres, estoit passé en revenant du pays d'Afirique, que
bientosty devoit avolerune sexte espèce, lesquels il nommoit
Capucingaux, plus tristes, plus maniaques et plus fascheux
qu'espèce qui fust en toute l'Isle. « Affrique, dist Pantagruel,
est coustumieie tousjours choses produire nouvelles et mons-
trueuses. »
CHAPITRE IV
COMMENT LES OISEAUX DE L'ISLE SONNANTE
ESTOIENT TOUS PASSAGERS
« Mais, dist Pantagruel, veu qu'exposé nous avez des Car-
dingaux naistre Papegaut, et les Cardingaux des Evesgaux,
PANTAGRUEL 223
les Evesgaux des Prestregaux, et les Prestregaux des Cler-
gaux, je voudrois bien entendre dont vous naissent ces Cler-
gaux. — Ils sont, dit Aeditue, tous oiseaux de passage, et
nous viennent de l'autre monde : part, d'une contrée grande
à merveilles, laquelle on nomme Joursanspain; part, d'une
autre vers le Ponant, laquelle on nomme Tropditieux. De ces
deux contrées tous les ans à boutées, ces Clergaux icy nous
viennent, laissans pères et mères, tous amis et parens. La
manière est telle quand en quelque noble maison de ceste
contrée dernière y a trop d'iceux enfans, soient masles, soient
femelles : de sorte que, qui à tous part feroit de l'héritage
(comme raison le veut, nature l'ordonne, et Dieu le com-
mande) la maison seroit dissipée. C'est l'occasion pourquoy
les parens s'en déchargent en ceste Isle Bossard. — ■ C'est,
dist Panurge, l'Isle Bouchard lez Chinon. — Je dis Bossard,
respondit Aeditue : car ordinairement ils sont bossus, bor-
gnes, boiteux, manchots, podagres, contrefaits et maleficiez :
poix inutile de la terre. — C'est, dist Pantagruel, coustume
du tout contraire es Institutions jadis observées en la récep-
tion des pucelles Vestales, par lesquelles, comme atteste
Labeo Antistius, estoit défendu à ceste dignité eslire fille qui
eust vice aucun en l'ame, ou en ses sens diminution, ou en
son corps tache quelconque, tant fust occulte et petite. — Je
m'esbahis (dist Aeditue continuant) si les mères de par de là
les portent neuf mois en leurs flancs, veu qu'en leurs maisons
elles ne les peuvent porter ne patir neuf ans, non pas sept le
plus souvent, et leur mettans vme chemise seulement sus
la robbe, sur le sommet de la teste leur couppans je ne sçay
quants cheveux avec certaines paroUes apotrophees et expia-
toires, comme entre les ^Egyptiens, par certaines linostoUes et
rasures, estoient créez les Isiacques, visiblement, apertement,
manifestement, par metempsichose Pythagorique, sans lésion
de blessure aucune, les font oiseaux tels devenir que présen-
tement les voyez. Ne sçay toutesfois, beaux amis, que peult
224 LIVRE V, CHAPITRE IV
estre ne d'où vient que les femelles, soient Clergesses, Mona-
gesses ou Abbegesses, ne chantent motets plaisans et charis-
teres, comme on souloit faire à Oroméisis, par l'institution de
Zoroaster ; mais catarates et sytorpees, comme on faisoit au
Démon Arimanian ; et font continuelles dévotions pour leurs
parens et amis, qui en oiseaux les transformèrent, je dis au-
tant jeunes que vieilles.
« Plus grand nombre nous en vient de Joursanspain, qui
est excessivement long. Car les Assaphis habitans d'icelle
contrée, quant sont en danger de patir malesuade famine par
non avoir dequoy soy alimenter, et ne sçavoir, ne vouloir rien
faire, ne travailler en quelque honneste art et mestier, ne
aussi f eablement à gens de bien soy asservir ; ceux aussi qui
n'ont peu jouir de leurs amours, qui ne sont parvenus à leurs
entreprinses, et sont désespérez ; ceux pareillement qui mes-
chantement ont commis quelque cas de crime, et lesquels
on cerche pour à mort ignominieusement mettre, tous avolent
icy : icy ont leur vie assignée, soubdain deviennent gras com-
me glirons, qui paravant estoient roEÙgres comme pics :
icy ont parfaicte seureté, indemnité et franchise.
— Mais, demandoit Pantagruel, ces beaux oiseaux icy
une fois avolez retournent ils jamais plus au monde où ils
furent ponnus? — Quelques uns, respondit Aeditue, jadis
bien peu, bien tard et à regret. Depuis certaines éclipses, s'en
est revolé une grande mouée par vertu des constellationo
célestes. Cela de rien ne nous melanchohe, le demeurant n'en a
que plus grande pitance. Et tous, avant que revoler ont leur
pennage laissé parmy ces orties et espines. »
Nous en trouvasmes quelques uns reallement, et en cher-
chant d'aventure rencontrasmes un pot aux roses descouvert.
PANTAGRUEL 225
CHAPITRE V
COMMENT LES OISEAUX GOURMANDEURS SONT MUETS
EN L'ISLE SONNANTE
Il n'avoit ces mots parachevez quand près de nous advo-
lerent vingt cinq ou trente oiseaux de couleur et pennage que
encores n'avois veu en l'Isle. Leur plumage estoit changeant
d'heure en heure, comme la peau d'un caméléon, et comme la
fleur de tripoUon ou teucrion. Et tous avoient au dessous de
l'aisle gauche une marque, comme de deux diamètres mipar-
tissant un cercle, ou d'une hgne perpendiculaire tombante
sur une hgne droite. A tous estoit presque d'une forme, mais
non à tous d'une couleur : es uns estoit blanc, es autres verde,
es autres rouge, es autres violette, es autres bleue. « Qui sont,
demanda Panurge, ceux cy, et comment les nommez? — Ils
sont, respondit Aeditue, metifs. Nous les appelions gourman-
deurs, et ont grand nombre de riches gourmanderies en vostre
monde. — Je vous prie, dis je, faites les un peu chanter, afin
qu'entendions leur voix. Ils ne chantent, respondit il, jamais;
mais ils repaissent au double en recompense. — Où sont,
demandois je, les femelles? — Ils n'en ont point, respondit il.
— Comment donc, infera Panurge, sont ils ainsi croustelevez
et tous mangez de grosse vérole? — Elle est, dist il, propre à
ceste espèce d'oiseaux, à cause de la marine qu'ils hantent
quelque fois. »
Puis nous dist : « Le motif de leur venue icy prés de vous
est cestuy pour veoir si parmy vous recognoistront une
magnifique espèce de gots, oiseaux de proye terribles, non
toutefois venans au leurre, ne recognoissans le gand, lesquels
ils disent estre en vostre monde : et d'iceux les uns porter
T. II. T,
226 LIVRE V, CHAPITRE VI
jects aux jambes bien beaux et précieux, avec inscription,
aux vervelles, par laquelle qui mal y pensera est condamné
d'estre soudain tout conchié; autres au devant de leur pen-
nage portre le trophée d'un calomniateur, et les autres y
porter ime peau de bélier. — Maistre Aeditue, dist Panurge,
il peut cstre, mais nous ne les cognoissons mie.
— Ores, dist Aeditue, c'est assez parlementé, allons boire.
— Mais repaiStre, dist Panurge. — Repaistre, dist Aeditue,
et bien boire, moitié au per, moitié à la couche : rien si cher ne
précieux est que le temps; employons le en bonnes œuvres. »
Mener il nous vouloit premièrement baigner dedans les ther-
mes des Cardingaux, belles et délicieuses souverainement, •
puis yssans des bains nous faire par les AUptes oindre de
précieux basme.
Mais Pantagruel luy dist qu'il ne bevroit que trop sans
cela. Adoncques nous conduit en un grand et délicieux
refectouer, et nous dist : « Je sça)^ que l'hermite Braguibus
vous a fait jeusner par quatre jours, quatre jours serez icy
à contrepoints sans cesser de boire et de repaistre. — Dormi-
rons nous point cependant? dist Panurge. — A vostre liberté,
respondit Aeditue, car qui dort, il boit. » Vray Dieu, quelle
chère nous fismes ! O le grand homme de bien !
CHAPITRE VI
COMMENT LES OISEAUX DE L'ISLE SONNANTE SONT ALIMENTEZ
Pantagruel monstroit face triste, et sembloit non contant
du séjour quatridien que nous interminoit Aeditue, ce qu'ap-
perceut Aeditue, et dist : « Seigneur, vous sçavcz que sept
jours devant et sept jours après breume, jamais n'y a sur mer
tempeste. C'est pour faveur que les elemens portent aux
PANTAGRUEL 227
Alcyones, oiseaux sacrez à Thetis, qui pour lora ponnent et
esclouent leurs petits lez le rivage. Tcy la mer se revenche de
ce long calme, et par quatre jours ne cesse de tempester énor-
mément, quant quelques voyagiers y arrivent. La cause nous
estimons afin que ce temps durant, nécessité les contraigne
y demeurer pour estre bien festoyez des revenus de sonnerie.
Pourtant n'estimez temps icy ocieusement perdu. Force
forcée vous y retiendra, si ne voulez combattre Juno, Nep-
tune, Doris, Acolus, et tous les Vejoves, seulement délibérez
vous de faire chère lie. »
Après les premières bauffrures, frère Jehan demandoit à
Aeditue : « En ceste Isle vous n'avez que cages et oiseaux ; ils
ne labourent, ne cultivent la terre. Toute leur occupation est
à gaudir, gaozuiller et chanter. De quel pays vous vient ceste
corne d'abondance, et copie de tant de biens et rians mor-
ceaux? — De tout l'autre monde, respondit Aeditue : excep-
tez moy quelques contrées des régions Aquilonaires, lesquelles
depuis quelques certaines années ont meu la Camarine. —
Chou, dist frère Jehan, ils s'en repentiront, dondaine, ils s'en
repentiront, dondon : beuvons, amis. — Mais de quel pays
estes- vous? demanda Aeditue. • — De Touraine, respondit
Panurge. — Vrayement, dist Aeditue, vous ne fustes onques
de mauvaise pie couvez, puisque vous estes de la benoiste
Touraine. De Touraine, tant et tant de biens annuellement
nous viennent que nous fut dit un jour, par gens du lieu par
cy passans, que le Duc de Touraine n'a en tout son revenu
dequoy son saoul de lard manger, par l'excessive largesse
que ses prédécesseurs ont fait à ces sacrosaincts oiseaux, pour
icy de phaisans nous saouler, de perdriaux, de gelinottes,
poulies d'Inde, gras chappons de Loudunois, venaisons de
toutes sortes, et toutes sortes de gibier.
« Beuvons, amis : voyez ceste perchée d'oiseaux, comment
ils sont douillets et en bon poinct, des rentes qui nous en
viennent : ausi chantent ils bien pour eux. Vous ne vistes
228 LIVRE V, CHAPITRE Vil
onques rossignols mieux gringoter qu'ils font en plat, quand
ils voyant ces deux bastons dorez... — C'est, dist frère Jehan
feste à bcistons. — ...Et quand je leur sonne ces grosses clo-
ches que voyez pendues aux tours de leurs cages. Beuvons,
amis, il fait certes huy beau boire, aussi fait il tous les jours.
Beuvons ! je boy de bien bon cœur à vous, et soyez les très-
bien venus. N'ayez peur que vin et vivres icy faillent, car
quand le ciel seroit d'airin et la terre de fer, encores vivres ne
nous faudroient, fussent ce par sept, voire huit ans, plus long
temps que ne dura la famine en Egypte. Beuvons ensemble
par bon accord en charité.
— Diables, s'escria Panurge, tant vous avez d'aises en ce
monde ! — En l'autre, respondit Aeditue, en aurons nous bien
d'avantage. Les champs Eliziens ne nous manqueront, pour
le moins. Beuvons, amis, je boy à vous tous. — C'a esté,
dis je, esprit moult divin et parfait à vos premiers Siticines
avoir le moyen inventé par lequel vous avez ce que tous
humains appetent naturellement, et à peu d'iceux, ou, propre-
ment parlant, à nul n'est octroyé. C'est paradis en ceste vie,
et en l'aultre pareillement avoir. O gens heureux ! O semi-
dieux ! Pleust au ciel qu'il m'avint ainsi. »
CHAPITRE VII
comment panurge racompte a maistre aeditue
l'apologue du roussin et de l'asne
Avoir bien beu et bien repeu, Aeditue nous mena en une
chambre bien garnie, bien tapissée et toute dorée. Là nous
fist apporter myrobalans, brain de basme, et zinzembre verd
confit, force hypocras et x-in dehcieux ; et nous invitoit par ces
antidotes comme par breuvage du fleuve de Lethé, mettre
PANTAGRUEL 229
en oubly et nonchalance les fatigues qu'avions paty sus la
marine; fist aussi porter vivres en abondance à nos navires
qui surgeoient au port. Ainsi reposasmes par icelle nuict, mais
je ne pouvois dormir à cause du sempiternel brinballement
des cloches.
A minuict, Aeditue nous esveilla pour boire; luy mesme
beut le premier, disant : « Vous autres de l'autre monde, dictes
que ignorance est mère de tous maux, et dictes vray; mais
toutesfois vous ne la bannissez mie de vos entendemens, et
vivez en elle, avec elle, par elle. C'est pourquoy tant de maux
vous meshaignent de jour en jour; tousjours vous plaignez,
tousjours lamentez, jamais n'estes assouvis. Je le considère
présentement. Car ignorance vous tient icy au Uct liez comme
fut le dieu des batailles par l'art de Vulcan, et n'entendez que
le devoir vostres estoit d'espargner de vostre sommeil, point
n'espargner les biens de ceste fameuse Isle. Nous debvriez
avoir ja faict trois repas, et tenez cela de moy que pour man-
ger les vivres de l'isle Sonnante se faut lever bien matin : les
mangeans, ils multiplient; les espargnans, ils vont en dimi-
nution. Fauchez le pré en sa saison, l'herbe y reviendra plus
drue, et de meilleure emploicte; ne la fauschez point, en peu
d'années il ne sera tapissé que de mousse. Beuvons, amis,
beuvons trestous : les plus maigres de nos oiseaux chantent
maintenant tous à nous, nous boirons à eux s'il vous plaist.
Beuvons de grâce : vous n'en cracherés tantost que myeulx.
Beuvons, une, deux, trois, neuf fois, non zelus, sed chantas. »
Au poinct du jour pareillement nous esveilla pour manger
souppes de prime. Depuis ne fismes qu'un repas, lequel dura
tout le jour, et ne sçavions si c'estoit disner ou soupper,
gouster au regoubilloner. Seulement par forme d'esbat nous
promenasmes quelques tours par l'isle pour veoir et ouir le
joyeux chant de ces benoists oiseaux.
Au soir, Panuige dist à Aeditue : « Seigneur, ne vous des-
plaise, si je vous raconte une histoire joyeuse, laquelle advint
230 I.UKE V, CHAPITRE \II
au pays de Chastelleraudois depuis vingt et trois lunes. Le
pallcfrenier d'un gentilhomme au mois d'Avril pourmenoit à
un matin ses grands chevaux parmy les guerests : là rencontra
une gaye bergère, laquelle à l'ombre d'un buissonnet ses bre-
blettes garduit, ensemble un asne et quelque chèvre. Devisant
avec elle, luy persuada monter derrière luy en crouppe, visiter
son escurie, et là faire un tronçon de bonne chère à la rusti-
que. Durant leur propos et demeure, le cheval s'adressa à l'asne
et luy dist en l'aureille (car les bestes parlèrent toute celle
année en divers lieux) : « Pauvre et chetif baudet, j'ay de toy
pitié et compassion. Tu travailles journellement beaucoup,.
je l'apperçoy à l'usure de ton bas-cul : c'est bien faict, puis-
que Dieu t'a créé pour le service des humains. Tu es baudet
de bien. Mais n'estre autrement torchonné. estrillé, phalerc
et alimenté que je te vois, cela me semble un peu tyrannique,
et hors les metes de raison. Tu es tout herissonné, tout halle-
brené, tout lanterné, et ne manges icy que joncs, espines et
durs chardons. C'est pourquoy je te semonds, baudet, ton
petit pas avec moy venir, et veoir comment nous autres, que
nature a produits pour la guerre sommes traittez et nourris.
Ce ne sera sans toy ressentir de mon ordinaire. — Vrayement,
respondit l'asne, j'iray bien volontiers, monsieur le cheval. — •
Il y a, dist le roussin, bien monsieur le roussin pour toy, bau-
det. — Pardonnez moy, respondit l'asne, monsieur le roussin;
ainsi sommes en nostre langage incorrects et mal apprins,
nous autres villageois et rustiques. A propos, je vous obéiray
volontiers et de loing vous suyvray, de peur des coups (j'en aj'^
la peau toute contrepointée) , puis que vous plaist me faire
tant de bien et d'honneur. »
« La bergère montée, l'asne suivoit le cheval, eu ferme déli-
bération de bien repaistre advenans au logis. Le pallefrenier
l'apperceut, et commanda aux garçons d'estable le traiter à la
fourche, et l'esrener à coups de bastons. L'asne, entendant
ce propos, se recommanda au Dieu Neptune, et commençoit
PANTAGRUEL 23I
à escamper du lieu à grande erre, pensant en soy mesme, et
syllogisant : « Il dict bien : aussi n'est ce mon estât de suyvre
les cours des gros seigneurs; nature ne m'a produit que pour
l'aide des pauvres gens, ^sope m'en avoit bien adverty par
un sien apoloigue; ce a esté outrecuidance à moy : remède
n'y a que d'escaraper de hait, je dis plus tost que ne sont
cuictes asperges. » Et l'asne au trot, à pets, à bonds, à ruades,
au gallot, à pétarades.
« La bergère, voyant l'asne desloger, dist au pallefrenier
qu'il estoit sien, et pria qu'il fust bien traité, autrement elle
vouloit partir, sans plus avant entrer. Lors commanda le
pallefrenier que plus tost les chevaux n'eussent de huit jours
avoine que l'asne n'en eust tout son saoul. Le pis fut de le
révoquer, car les garçons l'avoient beau flatter, et l'appeler :
« Truunc, truunc, baudet, ça. — Je n'y vois pas, disoit l'asne
je suis honteux. » Plus amiablement l'appeloient, plus rude-
ment s'escarmouchoit il, et à sault et à pétarades. Ils y fus-
sent encores, ne fust la bergère qui les advertit cribler avoine
hault en l'air en l'appeUant; ce que fut faist. Soudain l'asne
tourna visage, disant : « Avoine, bien, adveniat ; non la forche ;
je ne dis : qui me dit, passe sans flux. » Ainsi à eux se rendit,
chantant mélodieusement, comme vous sçavez que faict
bon ouïr la voix et musique de ces bestes Archadiques.
« Arrivé qu'il fut, on le mena en l'estable près du grand
cheval, fut froté, torchonné, estrillé, litière fresche jusqu'au
ventre, plain râtelier de foin, plaine mangeoire d'avoine,
laquelle, quand les garsons d'estable cribloient, il leur chau-
voit des aureilles, leur signifiant qu'il ne la mangeroit que
trop sans cribler, et que tant d'honneur en luy appayrtenoit.
« Quand ils eurent bien repeu, le cheval interroguoit l'asne,
disant : Et puis, pauvre baudet, et comment t'en va? Que te
semble de ce traitement? Encores n'y voulois tu pas venir.
Qu'en dis tu? — Par la figue, respondit l'asne, laquelle un de
nos ancestres mangeant, mourut Philemon à force de rire,
232 LIVRE V, CHAPITRE VII
voicy basme, monsieur le roussin. Mais quoy, ce n'est que
demie chère? Baudouynez vous rien céans, vous autres
messieurs les chevaux? — Quel baudouynage me dis tu,
baudet? demandoit le cheval; tes maies avivres, baudet, me
prens tu pour un asne? — Ha, ha, respondit l'asne, je suis un
peu dur pour apprendre le langage courtisan des chevaux. Je
demande : Roussinez vous point céans, vous autres, messieurs
les roussins? — Parle bas, baudet, dist le cheval, car si les
garçons t'entendent, à grands coups de fourche ils te pelaude-
ront si dru qu'il ne te prendra volonté de baudouyner. Nous
n'osons céans seulement roidir le bout, voire fust ce pour
uriner, de peur des coups : du reste aises comme roys. — Par
l'aube du bas que je porte, dist l'asne, je te renonce, et dis fy
de ta htiere, fy de ton foin, et fy de ton avoine : vive les char-
dons des champs, puisqu'à plaisir on y roussine; manger
moins, et tousjours roussin er son coup est ma devise : de ce
nous autres faisons foin et pitance. O monsieur le roussin,
mon amy, si tu nous avois veu en foires quand nous tenons
nostre chapitre provincial, comment nous baudouynons à
gogo pendant que nos maistresses vendent lem-s oisons et
poussins ! » Telle fut leur départie. J'ay dit. »
A tant se te ut Panurge, et plus mot ne sonnoic. Pantagruel
Tadmonestoit conclure le propos. Mais Aeditue respondit : « A
bon entendeur ne fault qu'une parolle. J'entends tresbien
ce que par cest apologue de l'asne et du cheval voudriez dire
et inférer, mais vous estes honteux. Sachez qu'icy n'y a rien
pour vous; n'en parlez plus. — Si ay je, dist Panurge, n'ague-
res icy veu une Abbegesse à blanc plumage, laquelle mieux
vaudroit chevaucher que mener en main. Et si les autres
sont dames oiseaux, elle me sembleroit dame oiselle. Je dis
cointe et joUe, bien valant un péché ou deux. Dieu me le par-
doint, partant je n'y pensois point en mal : le mal que j'y
pense me puisse soudain advenir ! »
PANTAGRUEL 233
CHAPITRE VIII
COMMENT NOUS FUT MONSTRE PAPEGAUT A GRANDE DIFFICULTÉ
Le tiers jour continua en festins et mesmes banquets que
les deux précédents. Auquel jour Pantagruel requeroit ins-
tamment veoir Papegaut; mais Aeditue respondit qu'il ne se
laissoit ainsi facilement veoir. « Comment, dist Pantagruel,
il a l'armet de Pluton en teste, l'anneau de Gyges es griffes, ou
un caméléon en sein, pour se rendre invisible au monde? —
Non, respondit Aeditue, mais il par nature est a veoir un peu
dififi-cUe. Je donneray toutesfois ordre que le puissiez veoir, si
faire se peut. » Ce mot achevé, nous laissa au lieu grignotans.
Un quart d'heure après retourné, nous dist Papegaut estre
pour ceste heure visible : et nous mena en tapinois et silence
droit à la cage en laquelle il estoit acroué, accompagné de
deux petits Cardingaux, et de six gros et gras Evesgaux.
Panurge curieusement considéra sa forme, ses gestes, son
maintien. Puis s'escria à haute voix, disant : « En mal-an soit
la beste ! il semble une duppe. — • Parlez bas, dist Aeditue, de
par Dieu, il a aureilles, comme sagement nota Michael de
Matiscones. — Si a bien une duppe, dist Panurge. — Si une
fois il vous entend ainsi blasphemans, vous estes perdus,
bonnes gens : voyez vous là dedans sa cage un bassin? D'ice-
luy sortira foudre, tonnoire, esclairs, diables et tempeste, par
lesquels en un moment serez cent pieds souz terre abismez. —
IVIieux seroit, dist frère Jehan, boire et banqueter. » Panurge
restoit en contemplation véhémente de Papegaut et de sa
compagnie, quand il apperceut au dessouz de sa cage une
chevêche; adonc se escria, disant : « Par la vertu Dieu, nous
sommes icy bien pippez à plaines pippes, et mal equippez. Il
234 LIVRE V, CHAPITRE XIII
y a, par Dieu, de la pipperie, fripperie et ripperie tant et plus
en ce manoir. Regardez là ceste chevêche, nous sommes par
Dieu assassinez. — Parlez bas, de par Dieu, dist Aeditue; ce
n'est mie une chevêche : il est masle, c'est un noble chevechier.
— Mais, dist Pantagruel, faites nous icy quelque peu Pape-
gaut chanter, afin qu'oyons son armonie. — Il ne chante, res-
pondit Aeditue qu'à ses jours, et ne mange qu'à ses heures. —
Non fay je, dist Panurge, mais toutes les heures sont miennes.
Allons donc boire d'autant. — Vous, dist Aeditue, parlez
à ceste heure correct : ainsi parlans jamais ne serez hérétique.
Allons, j'en suis d'opinion. » Retournans à la beuverie, apper-
çeusmes un \'ieil Evesgaut à teste verde, lequel estoit acroué,
accompagné d'un soufûegan et trois Onocrotales, oiseaux
joyeux, et ronfioit sous une fueillade. Prés luy estoit une joUe
Abbegesse, laquelle joyeusement chantoit, et y prenions plai-
sir si grand que desirions tous nos membres en aureilles con-
vertis pour rien ne perdre de son chant, et du tout, sans ail-
leurs estre distraicts, y vaquer, Panurge dist : « Ceste belle
Abbegesse se rompt la teste à force de chanter, et ce gros vil-
lain Evesgault ronfle ce pendant. Je le feray bien tantost
chanter de par le diable. » Lors sonna une cloche pendante
sus sa cage ; mais quelque snonerie qu'il fist, plus fort ronfioit
Evesgaut, point ne chantoit. « Par Dieu, dist Panurge, vieille
buze, par moyen autre bien chanter je vous feray. »
Adoncques print une grosse pierre, le voulant ferir par la
moitié. Mais Aeditue s'escria, disant : « Homme de bien, frap-
pe, feriê, tue et meurtris tous Roys et princes du monde, en
trahison, par venin ou autiement, quand tu voudras; déni-
ches des cieulx les anges, de tout auras pardon du Papegaut :
à ces sacrez oiseaux ne touche, d'autant qu'aymes la vie, le
profit, le bien, tant de toy que de tes parens et amis vifs et
trépassez ; encores ceux qui d'eux après naistroient en senti-
roient infortunez. Considère bien ce bassin. — Mieux donc-
ques vault, dist Panurge, boire d'autant et banqueter. — Il
l^ANTAGRUEL 235
dist bien, monsieur Aiititus, dist frère Jehan : cy voyans ces
diables d'oiseaux, ne faisons que blasphémer; vuydant vos
bouteilles et potz, ne faisons que Dieu louer. Allons donc boire
d'autant. O le beau mot ! »
Le troisième jour, après boire (comme entendez) , nous donna
Aeditue congé. Nous luy fismes présent d'un beau petit
Cousteau perguois, lequel il print plus à gré que ne fit Artaxer-
xes le voirre d'eauë froide que luy présenta un païsant. Et
nous remercia courtoisement : envoya en nos navires refres-
chissement de toutes munitions : nous souhaita bon voyage
et venir à sauvement de nos personnes et fin de nos entre-
prinses, et nous fist promettre et jurer par Jupiter Pierre, que
nostre retour seroit par son territoire. En fin nous dist :
« Amis, vous notterez que par le monde y a beaucoup plus de
couillons que d'hommes, et de ce vous souvienne. »
CHAPITRE IX
COMMENT DESCENDISMES EN L'ISLE DES FERREMENS
Nous estans bien à poinct sabourez l'estomach, eusmes
vent en pouppe : et fut levé nostre grand artemon, dont ad-
vint qu'en moins de deux jours arrivasmes en l'Isle des Ferre-
mens, déserte, et de nul habitée; et veismes gi-and nombre
d'arbres portans marroches, piochons, serfouettes, faux, fau-
ciles, bêches, truelles, congnees, serpes, scies, doloueres,
forces, scizeaux, tenailles, pelles, \drolets et vibrequins.
Aultres portoient daguenets, poignards, sangdedez, gani-
vets, poinssons, espées, verduns, braquemarts, simeterres,
estocs, raillons et coùsteaux.
Quiconque en vouloit avoir, ne falloit que crousler l'arbre :
soudain tomboient comme prunes; d'avantage, tombans en
236 LIVRE V, CHAPITRE IX
terre, rencontroient une espèce d'herbe, laquelle on nommoit
fourreau, et s'engainoient là dedans. A la cheute se falloit
bien garder qu'ils ne tombassent sus la teste, sus les pieds, ou
aultres parties du corps : car ils tomboient de poincte, c'estoit
pour droit engainer, et eussent affollé la personne. Dessouz
ne sçay quels autres arbres, je vis certaines espèces d'herbes,
lesquelles croissoient comme piques, lances, javelines, haie-
bardes, vouges, pertuisanes, rançons, fourches, espieux,
croissantes haut, ainsi qu'elles touchoient à l'arbre, rencon-
troient leurs fers et allumelles, chascune competante à sa
sorte. Les arbres supérieures ja les av oient apprestees à leur
venue et croissance, comme vous apprestez les robes des
petits enfans quand les voulez desmailloter. Plus y a, afin
que désormais n'abhorrez l'opinion de Platon, Anaxagoras
et Democritus (furent ils petits philosophes?), ces arbres nous
sembloient animaux terrestres, non en ce différentes des
bestes qu'elles n'eussent cuir, graisse, chair, veines, artères,
liguamens, nerfs, cartilages, adenes, os, moelle, humeurs,
matrices, cerveau et articulations congneues, car elles en
ont, comme bien déduit Theophraste; mais en ce qu'elles
ont la teste, c'est le tronc, en bas; les cheveux, ce sont les
racines, en terre; et les pieds, ce sont les rameaux, contre-
mont : comme si un homme faisoit le chesne fourchu.
Et ainsi comme vous, veroUez, de loin à vos jambes ischia-
tiques et à vos omoplates sentez la venue des pluyes, des
vents, du serain, tout changement de temps : aussi à leurs
racines candices gommes, medulles, elles pressentent quelle
sorte de baston dessouz elles croist, et leur préparent fers et
allumelles convenantes. Vray est qu'en toutes choses (Dieu
excepté) advient quelquefois erreur. Nature mesme n'en est
exempte quand elle produit choses monstrueuses et animaux
difiormes. Pareillement en ces arbres je notay quelque faute :
car une demye pique croissante haute en l'air souz ces arbres
ferrementiportes, en touchant les rameaux, en heu de fer
PANTAGRUEL 237
rencontra un ballay : bien, ce sera pour ramonner la cheminée.
Une pertuizane rencontra des cizailles ; tout est bon : ce sera
pour oster les chenilles des jardins. Une hampe de hallebarde
rencontra le fer d'une laux, et sembloit hermaphrodite; c'est
tout un : ce sera pour quelque faucheur. C'est belle chose
croire en Dieu ! Nous retournans à nos navires, je vis derrière
je ne sçay quel buysson, je ne sçay quelles gens faisans je ne
sçay quoy, et je ne sçay comment, aiguisans je ne sçay quel
ferremens, qu'ils avoient je ne sçay où, et ne sçay en quelle
manière.
CHAPITRE X
COMMENT PANTAGRUEL ARRIVA EN L'ISLE DE CASSADE
Delaissans l'isle des Ferremens, continuasmes nostre
chemin; le jour ensuyvant entrasmes en l'isle de Cassade
vraye Idée de Fontainebleau : car la terre y est si maigre que
les os (ce sont rocs) luy persent la peau : areneuse, stérile, mal
saine et mal plaisante. Là nous monstra nostre pilot deux
petits rochers carrez à huit esgalles poinctes en cube, lesquels
à l'apparence de leur blanchem: me sembloient estre d'al-
bastre, ou bien couverts de neige; mais il nous les asseura
estre d'osseletz. En iceux disoit estre à six estages le manoir
noir de vingt diables de hazard tant redoutez en nos pays,
dsequels les plus grands bessons et accouplez il nommoit
Senes, les plus petits Ambezas, les atdtres moyens Quines,
Quadernes, Ternes, Doubledeux; les aultres il nommoit Six et
cinq. Six et quatre. Six et trois, Six et deux. Six et as. Cinq et
quatre, Cinq et trois, et ainsi consécutivement. Lors je notay
que peu de joueurs sont par le monde qui ne soient invoca-
teurs des diables : car jettans deux dez sus table, quant en
238 LIVRE V, CHAPITRE X
dévotion ils s'escrient : « Senes, mon axay, » c'est le graxid dia-
ble; « Ambezas. mon mignon, « c'est le petit diable; « Quatre et
deux, mes enfans », et ainsi des aultres, ils invoquent les dia-
bles par leurs noms et surnoms. Et non seulement les invo-
q\ient, mais d'iceux se disent amis et familiers. Vray est que
ces diables ne viennent tousjours à souhait sus l'instant; mais
en ce sont ils excusables. Ils estoient ailleurs selon la dactc
et priorité des inovquans. Partant ne faut dire qu'ils n'ayent
sens et aureilles. Ils en ont, je vous dy belles.
Puis nous dist qu'autour et à bord de ces rochers carrez plus
a esté faict de brix, de naufrages, de pertes de vies et de biens,
qu'autour de toutes les Syrtes, Caribdes, SLraines, Scylles,
Strophades et goufres de toute la m.er. Je le creus facilement,
me recordant que jadis entre les sages ^g}-ptiens Neptune
estoit designé par le premier cube en lettres hieroghfiqucs,
comme ApoUo par as, Diane par deux, !Minerve par sept, etc.
Là aussi nous dist estre un flasque de Sang greal, chose divine
et à peu de gens congneue. Panurge fist tant par belles prières
avec les Sindicqs du lieu qu'ils le nous monstrerent; mais ce
fut avec plus de cérémonies et solennité plus grande trois
fois qu'on ne monstre à Florence les Pandectes de Justinian,
ne la Veronnique à Romme. Je ne \'is onques tant de scen-
deaux, tant de flambeaux, de torches, de glimpes, et d'agiots.
Finalement ce qui nous fust monstre estoit le visage d'un
connin rosty. Là ne veismes aultre chose mémorable fors
Bonne Mine, femme de Mauvais Jeu, et les cocques des deux
œufs jadis ponnus et esclos par Leda, desquels nasquirent
Castor et Pollux, frères d'Helaine la belle. Les Sindicqs nous
en donnèrent une pièce pour du pain. Au départir achetasmes
une botte de chapeaux et bonnets de Cassade, à la vente
desquels je me doubte que peu ferons de profit. Je croy qu'à
l'usage encores moins en feront ceux qui de nous les achète-
ront.
PANTAGRUEL 23g
CHAPITRE XI
COMMENT NOUS PASSAMES LE GUICHET
HABITÉ PAR GRIPPEMINAUD, ARCHIDUC DES CHATS FOURREZ
Quelques jours après, ayans failly plusieurs foys à faire
naufrage, passasmes Condemnation, qui est une aultre Isle
toute déserte ; passasmes aussi le Guichet, auquel lieu Panta-
gruel ne voulut descendre, et fit tresbien, car nous y fusmes
faits prisonniers, et arrestez de faict par le commandement de
Grippeminaud, archiduc des Chats fourrez, parce que quel-
qu'un de nostre bande voulut vendre à un serrargent des
chapeaux de Cassade. Les Chats fourrés sont bestes moult
horribles et espouvantables : ils mangent les petits enfans et
paissent sus des pierres de marbre. Advisez, beuveurs, s'ils
ne devroient bien estre camus. Ils ont le poil de la peau non
hors sortant, mais au dedans caché, et portent pour leur sym-
bole et devise tous et chascun d'eux une gibbeciere ouverte,
mais non tous en une manière : car aucuns la portent attachée
au col en escharpe, aultres sus le cul, aultres sus la bedaine,
aultres sus le costé, et le tout par raison et mistere. Ont aussi
les griphes tant fortes, longues et asserées, que rien ne leur
eschappe, depuis qu'une fois l'ont mis entre leurs serres. Et
se couvrent les testes, aucuns de bonnets à quatre gouttières
ou braguettes; aultres, de bonnets à revers; aultres, de mor-
tiers; aultres, de caparassons mortifiez. Entrans en leur Tapi-
naudiere, nous dist un gueux de l'hostiere, auquel avions
donné demy teston : « Gens de bien. Dieu vous doint de leans
bien tost en saulveté sortir : considérez bien le minois de ces
vaillans piUers, arboutans de justice Grippeminaudiere. Et
notez que si vivez encore six Olympiades et l'aage de deux
240 LIVRE V, CHAPITRE XI
chiens, vous verrez ces Chats-fourrez seigneurs de toute
l'Europe, et possesseurs pacifiques de tout le bien et domaine
qui est en icelle, si en leurs hoirs, par divine punition, soub-
dain ne deperissoit le bien et revenu par eux injustement
acquis; tenez-le d'un gueux de bien. Parmy eux règne la
sexte essence, moyennant laquelle ils grippent tout, dévorent
tout, et concluent tout. Ils bruslent, escartelent, décapitent,
meurdrissent, emprisonnent, ruinent et minent tout, sans
discrétion de bien et de mal. Car parmy eux vice est vertu
appelle ; meschanceté est bonté surnommée ; trahison a nom
de feaulté; laiTecin est dit liberlaité; pillerie est leur devise,
et par eux faicte est trouvée bonne de tous humains, exceptez
moy les hérétiques; et le tout font avec souveraine et irré-
fragable authoiité. Pour sigen de mon pronostic, adviserez
que leans sont les mangeoires au dessus des rasteUers. De ce
quelque jour vous souvienne. Et si jamais pestes au monde,
famine, ou guerres, vorages, catechsmes, conflagrations,
mal'heur adviennent, ne les attribuez, ne les referez aux con-
junctions des planettes maléfiques, aux abus de la cour
Romaine, aux tyrannies des Roys et Princes terriens, à l'im-
posture des caphars, hérétiques, faux prophètes, à la mali-
gnité des usuriers, faux monnoyeurs, longueurs de testons,
ne à l'ignorance, impudence, imprudence des médecins, cirur-
giens, apoticaires, ny à la perversité des femmes adultères,
venefiques, infanticides : attribuez le tout à l'énorme, indi-
cible, incroiable, inestimable meschanceté, laquelle est conti-
nuellement forgée et exercée en l'officine des Chats-fourrez, et
n'est au monde congneue, non plus que la cabale des Juifs :
pourtant n'est elle détestée, corrigée et punie, comme seroit
de raison. Mais si elle est quelque jour mise en évidence, et
manifestée au peuple, il n'est, et ne fut Orateur tant éloquent,
qui par son art le retint, ne loy tant rigoureuse et dracho-
nique qui par crainte de peine le gardast; ne magistrat tant
puissant, qui par force l'empeschast de les faire tous vifs là
PANTAGRUEL 24I
dedans leur rabuliere felonnement brusler. Leurs enfans pro-
pres Chats-fourrillons et autres parens les auroient en horreur
et abomination. C'est pourquoy ainsi que Hannibal eut de
son pcre Amilcar, souz solennelle et religieuse adjuration,
commandement de persécuter les Romains tant qu'il vivroit,
aussi ay je de feu mon père injonction icy hors demeurer,
attendant que là dedans tombe la fouldre du Ciel, et en cendre
les réduise, comme aultres Titanes, prophanes et théoma-
ches, puisque les humains tant et tant sont des corps endurciz
que le mal par iceux advenu, advenant et à venir ne recor-
dent, en sentent, ne prevoyent, ou le sentens n'osent et ne
veulent ou ne peuvent les exterminer. — Qu'esse ce cela? dist
Panurge; ha, non, non, je n'y vois pas, par Dieu; retournons
Retournons, dis je, de par Dieu :
Ce noble gueux m'a plus fort estonné
Que si du Ciel en automne eust tonné. »
Retournans, trouvasmes la porte fermée : et nous fut dict
que là facilement on y entroit comme en Averne ; à issir estoit
la difficulté, et que ne sortirions hors en manière que ce fust,
sans bulletin et descharge de l'assistance, par ceste seule rai-
son qu'on ne s'en va pas des foyres comme du marché, et
qu'avions les pieds pouldreux. Le pis fut, quand passasmes le
Guichet. Car nous f usmes présentez, pour avoir nostre bulletin
et descharge, devant un monstre le plus hideux que jamais
fust descrit. On le nommoit Grippeminaud. Je ne vous le
sçaurois mieux comparer qu'à Chimère, ou à Sphinx ou à
Cerberus, ou bien au simulachre d'Osiris, ainsi que le fîgu-
royent les .^Egyptiens, par trois testes ensemble joinctes :
sçavoir est d'un lyon rugient, d'un chien flattant, et d'un
loup baislant, entortillées d'un dragon soy mordaint la queue
et de rayons scintillans à l'entour. Les mains avoit plaines de
sang, les griphes comme de harpye, le museau à bec de corbin,
les dens d'un sanglier quadrannier, les yeux flamboyans
T. II 16
242 LIVRE V, CHAPITRE XII
comme une gueule d'enfer, tout couveit de mortiers entre-
lassez de pillons; seulement apparoissoyent les griphes. Le
siège d'iceluy et de tous ses collatéraux. Chats garaniers
estoit d'un long rattelier tout neuf au dessus duquel par
forme de revers instablees estoient mangeoires fort amples et
belles, selon l'advertissement du gueux. A l'endroit du siège
principal estoit l'image d'une vieille femme, tenant en main
dextre un fourreau de faucille, en senestre une ballance, et
portant bezicles au nez. Les coupes de la ballance estoient
de deux gibbescieres veloutées, l'une pleine de billon et pen-
dante, i'aultre vuide et longue eslevée au dessus du tresbu-
chet. Et suis d'opinion que c' estoit le pourtraict de justice-
Grippe-minaudiere, bien abhorrente de l'institution des anti-
ques Thebains, qui eiigeoyent les statues de leurs Dicastes et
juges après leur mort, en or, en argent, en marbre, selon leur
mérite, toutes sans mains. Quand fusmes devant luy présen-
tez, ne sçay quelle sorte de gens, tous vestus de gibbescieres
et de sacs, à grands lambeaux d'escritures, nous firent sus
une sellette asseoir. Panurge disoit : « Gallefretiers, mes amis,
je ne suis que trop bien ainsi debout : aussi bien elle est trop
basse pour homme qui a chausses neufves et court pourpoinct.
— Assoyez vous là, respondirent ils, et que plus on ne voua
le die. La terre présentement s'ouvrira pour tous vifs vous
engloutir si faillez à bien respondre. «
Chapitre xiî
Comment par grippeminaud nous fut proposé un énigme
Quand fusmes assis, Grippe-minaud, au milieu de ses Chats-
fourrez nous dist en parolle furieuse et enrouée : « Orçà, orçà,
drçà. (A boire, à boire ça, disoit Panuige entre ses dens.)
PANTAGRUEL Î43
Une biea jeuae et toute blondelette
Conceut un fils ^Ethiopien sans père,
Puis l'enfanta sans douleur la tendrettc.
Quoiqu'il sortist connue faict la vipcrc,
L'ayant rongé, en moult grand vitupère,
Tout l'un des flancs, pour son impatience.
Depuis passa monts et vaux en fiance.
Par l'air volant, en terre cheminant ;
Tant qu'estonna l'amy de sapience.
Qui l'estimoit estre humain animant.
(i Or çà, respous moy, dist Grippe-minaud, à cest énigme, et
nous resoulz présentement que c'est, orçà. — Or de par Dieu,
respondis je, si j'avois Splainx en ma maison, or de par Dieu,
comme l'avoit Verres, un de vos précurseurs, or de par Dieu,
resouldre pourroit l'énigme, or de par Dieu; mais certes je n'y
estois mie, et sois, or de par Dieu, innocent du faict. — Orçà,
dist Grippe-minaud, par Styx, puisqu'aultre chose ne veux
dire, orçà, je te monstreray, orçà, que meilleur te seroit estre
tombé entre les pattes de Lucifer, orçà, et de tous les diables,
or-çà, qu'entre nos griphes, orçà. Les vois tu bien? Orçà,
malautru, nous allègues tu innocence, orçà, comme chose
digne d'eschapper nos tortures. Orçà, nos loix sont comme
toille d'araignes : orçà, les simples moucherons et petits
papillons y sont prins; orçà, les gros taons malfaisans les
rompent, orçà, et passent à travers, orçà. Semblablement
nous ne cherchons les gros larrons et tyrans; orçà : ils sont
de trop dure digestion, orçà, et nous afîolleroient, orçà. Vous
aultres gentils innocens, orçà, y serez bien innocentés, orçà :
le grand diable, orçà, vous chantera messe, orçà. »
Frère Jean, irupatient de ce qu'avoit déduit Grippe-
minaud, luy dist : — « Hau, monsieur le diable engiponné,
comment veux tu qu'il responde d'un cas lequel il ignore? Ne
te contentes tu de vérité? — Orçà, dist Grippe-minaud,
encores n'estoit de mon règne adveneu, orçà, qu'icy personne
sans premier estre interrogué parlast, orçà. Qui nous a deslié
ce fol enragé icy? — Tu as menti, dist frère Jean sans les
244 LIVRE V, CHAPITRE XIII
lèvres mouvoir. — Orçà, quand seras en rang de respondre,
orçà, tu auras prou aSaire, orçà mauraut. — Tu as inenty,
disoit frère Jean en silence. — Penses tu estre en la forest de
l'Académie, orçà, avec les ocieux veneurs et inquisiteurs de
vérité? Orçà, nous avons bien icy aultre chose à faire, orçà :
icy on respond, je dis, orçà, orça, catégoriquement, de ce que
Ion ignore. Orçà, on confesse avoir faict, orçà, ce qu'on ne fit
onques. Orçà, on proteste sçavoir ce que jamais on n'apprint.
Orçà, on faict prendre patience en enrageant. Orçà, on plume
l'oye sans la faire crier. Orçà, tu parles sans procuration,
orçà, je le voy bien, orçà, tes fortes fiebvTes quartaines, orçà,
qui te puissent espouser, or çà ! — Diables, s'escria frère Jean,
archidiables, protodiables, pantodiables, tu donques veux
marier les moines? Ho hu, ho hou, je te prens pour hérétique. »
CHAPITRE XIII
COMMENT PANURGE EXPOSE L'ENIGME DE GRIPPE-MINAUD
Grippe-minaud, faisant semblant n'entendre ce propos,
s'adresse à Panurge, disant : « Orçà, orçà, orçà, et toy, guo-
guelu, n'y veux tu rien dire? » Respondit Panurge : « Or de
par le diable là, je voy clairement que la peste est icy pour
nous, or de par le diable là, veu qu'Innocence n'y est point
en seureté, et que le diable y chante messe, or de par le diable
là. Je vous prie que pour tous je la paye, or de par le diable là,
et nous laisser aller. Je n'en puis plus, or de pax le diable là. —
Aller ! dist Grippe-minaud, orçà encores n'advint depuis trois
cens ans en çà, orçà, que personne eschappast de céans sans
y laisser du poil, orçà, ou de la peau le plus souvent, orçà.
Car, quoy? orçà, ce seroit à dire que par devant nous icy
PANTAGRUEL 245
seroit injustement convenu, orçà, et de par nous injustement
traité, orçà. Malheureux es tu bien, orçà; mais encore plus le
seras, orçà, si ne responds à l'Enigme proposé. Orçà, que veut
il dire, orçà? — C'est, or de par le diable là, respondit Pa-
nurge, un cosson noir né d'une febve blanche, or de par le
diable là, par le trou qu'il avoit fait la rongeant, or de par
le diable là : lequel aucune fois voile, aucune fois chemine ne
terre, or de par le diable là : dont fut estimé de Pythagoras,
premier amateur de sapience, c'est en Grec philosophe, or de
par le diable là, avoir d'ailleurs par metempsichosie ame
humaine receuë, or de par le diable là. Si vous autres estiez
hommes, or de par le diable là, après vostre maie mort, selon
son opinion, vos âmes entreroient en corps de cessons, or de
par le diable là : car en ceste vie vous rongez et mangez tout ;
en l'aultre vous rongerez et mangerez, comme vipères, les
costez propres de vos mères, or de par le diable là.
— Cor Dieu ,dit frère Jean, de bien bon cœur je souhaite-
rois que le trou de mon cul devienne febve, et autour soit de
ces cossons mangé. »
Panurge, ces mots achevez, jetta au milieu du parquet une
grosse bourse de cuir pleine d'escuz au soleil. Au son de la
bource commencèrent tous les Chats-fourrez jouer des gri-
phes, comme si fussent violons desmanchés. Et tous s'escrie-
rent à haulte voix, disans : « Ce sont les espices : le procès fut
bien bon, bien friant et bien espicé. Ils sont gens de bien. —
C'est or, dist Panurge, je dis escus au soleil. — La cour, dit
Grippe-minaud, l'entend, or bien, or bien, or bien. Allez,
enfans, or bien, et passez outre : or bien, nous ne sommes tant
diables, or bien, que sommes noirs, or bien, or bien, or bien. »
Issans du Guichet, fusmes conduits jusques au port par
certains griphons de montagnes. Avant entrer en nos navires,
fusmes par iceux advertis que n'eussions à chemin prendre
sans premier avoir faict presens seigneuriaux, tant à la dame
Grippe-minaude qu'à toutes les Chattes-fourrées; autiement,
?4^> T.T','P.F V, CHAPITRr VTV
avoient commission nous ramener au G^uischet. « Bren, rcs-
pondit frère Jean; nous icy à l'escart visiterons le fond de nos
deniers, et donnerons à tous contentement. — Mais, dirent
les garsons, n'oubUez le vin des pauvres diables. — ■ Des
pauvres diables, respondit frère Jean, jamais n'est en oubly
le vin, mais est mémorial en tous pays et toutes saisons. »
CHAPITRE XIV
CÔMMEMt LES CHATS-FOURREZ VIVENT DE CORRUPTION
Ces parolles n'estoient achevées, quand frère Jean apper-
ceut soixante et huict Galleres et Frégates arrivantes au
port; là, soudain courut demander nouvelles : ensemble, de
quelle marchandise estoient les vaisseaux chargez, et vit
que tous chargez estoient de venaison, levraux, chappons,
palombes, cochons, chevreaux, vaneaux, poullets, canards,
alebrans, oisons, et aultres sortes de gibier. Parmy aussi
apperceut quelques pièces de velours, de satin et damas.
Adonques, interrogea les voyagiers où et à qui ils portoient
ces frians morceaux. Ils respondirent que c'estoit à Grippe-
minaud, aux Chats-fourrez et Chattes fourrées.
« Comment, dist frère Jean, appelez vous ces drogues là? — '
Corruption, respondirent les voyagiers. — Ils donques, dist
frère Jean, de corruption v-ivent, en génération périront. Par
la vertu Dieu, c'est cela : leurs pères mangèrent les bons gen-
tils-hommes, qui, par raison de leur estât, s'exerçoient à la
vollerie et à la chasse pour plus estre en temps de guerre
cscorts et ja endurcis au travail. Car venation est comme un
simulacre de bataille : et onques n'en mentit Xenophon escri-
vant estre de la vénerie, comme du cheval de Troye, yssus
PANTAGRUEL 247
tous bons chefs de guerre. Je ne suis pas clerc; mais on me l'a
dit, je le croy. Les âmes d'iceux, selon l'opinion de Grippe-
minaud, après leur mort entrent en sangliers, cerfs, chevreuilz,
lierons, perdrix, et aultres tels an mieux, lesquelz avoient,
leur première vie durante, tous] ours aimez et cherchez. Ores
ces Chats-fourrez, avoir leurs chasteaux, terres, dommaines,
possessions, rentes et revenus destruit et dévoré, encores
leur cherchent-ils le sang et l'ame en l'autre vie. O le gueux
de bien qui nous en donna advertissement à l'enseigne de la
mangoire instablée au dessus du râtelier ! — Voire mais, dist
Panurge aux voyagiers, on a faict crier, de par le grand Roy,
que personne n'eust, sur peine de la hart, prendre cerfs ne
biches, sanghers ne chevreuilz. — Il est vray, respondit un
pour tous. Mais le grand Roy est tant bon et tant bénin :
ces Chats-fourrez sont tant enragez et affamez de sang chres«
tien que moins de petir avons nous offenceans le grand Roy
que d'espoir n'entretenans ces Chats-fourrez par telles cor-
ruptions; mesmement que demain ]e Grippe-minaud marie
une sienne Chatte-fourrée avec un gros Mitouard, chat bien
fourré. Au temps passé, on les appelloit Machefoins ; mais las !
ils n'en maschent plus. Nous, de présent, les nommons mache-
levreaux, mache-perdrtjt, mache-becasses, mache-falsans,
mache-poullets, mache-chevreaux, mache-connils, mache-
cochons : d'aultres viandes ne sont alimentez. — Bran, bran,
dist frère Jean : l'année prochaine on les nommera mache-
estrons, mache-foires, mache-merdes. Me voulez vous croire?
— Ouy dea, resopndit la brigade. — Faisons, dit-il, deux
choses : preniierement, saisissons nous de tout ce gibbier que
voyez cy; aussi bien suis-je fasché de saleures : elles m'es-
chauffent les hypocondres. J'entent le bien payant. Secon-
dement, retournons au Guischet, et mettons à sac tous ces
diables de Chats-fourrez. — • Sans faute, dist Panurge, je
n'y vois pas : je suis un peu couart de ma nature. »
248 LIVRE V, CHAPITRE XV
CHAPITRE XV
COMMENT FRERE JEAN DES ENTOMMEURES DELIBERE
METTRE A SAC LES CHATS-FOURREZ
« Vertus de froc, dist frère Jean, quel voyage icy faisons
nous? C'est un voyage de foirards : nous ne faisons que ves-
sir, que peder, que fianter, que ravasser, que rien faire. Cor-
dieu, ce n'est mon naturel : si tousjours quelque acte héroïque
ne fais, la nuict je ne peux dormir. Donques vous m'avez en
compagnon prins pour en cestuy voyage messe chanter et
confesser? Pasques de soles, le premier qui y viendra, il aura
en pénitence soy comme lasche et meschant jecter au par-
fond de la mer, en déduction des peines du purgatoire, je dis
la teste la première. Qui a mis Hercules en bruit et renommée
sempiternelle? n'esse que il, peregrinant par le monde, met-
toit les peuples hors de tyrannie, hors d'erreur, de dangers
et angaries? Il mettoit à mort tous les brigands, tous les mons-
tres, tous les serpens vénéneux et bestes malfaisantes. Pour-
quoy ne suyvons nous son exemple, et comme il faisoit ne
faisons nous en toutes les contrées que passons ? Il deffist les
St^^mphahdes, l'Hydre de Leme, Cacus, Antheus, les Cen-
taures. Je ne suis pas clerc, les clercs le disent. A son imita-
tion deffaisons et mettons à sac ces Chats fourrez : ce sont
tiercelets de diables, et dehvrons ce païs de tyrannie. Je renie
Mahon, si j'estois aussi fort et aussi puissant qu'il estoit, je ne
vous demanderois n'ayde ny conseil. Ca, irons nous? Je vous
asseure que facilement nous les occirons, et ils l'endureront
patiemment : je n'en doute, veu que de nous ont patiemment
enduré des injures, plus que dix truyes ne boiroient de lavail-
les. Allons 1
PANTAGRUEL 249
— Des injures, dis je, et deshonneur ils ne se soucient,
pourveu qu'ils ayent escus en gibbeciere, voire fussent-ils
tous breneux : et les defferions peult-estre, comme Hercules :
mais il nous défaut le commandement d'Euristheus : et rien
plus pour ceste heure, fors que je souhaitte parmy eux Jupi-
ter soy pourmenei deux petites heures en telle forme que ja-
dis visita Semelé sa mye, mère première du bon Bacchus.
— Dieu, dist Panurge, nous a faict belle grâce d'eschapper
de leurs griphes; je n'y retourne pas, quant est de moy : je
me sens encore esmeu et altéré de l'ahan que j'y paty. Et y
fus grandement fasché pour trois causes : la première, pource
que j'y estois fasché; la seconde, pource que j'y estois fasché;
la tierce, pource que j'y estois fasché. Escoute icy de ton
oreiUe dextre, frère Jean, mon couillon gauche; toutes et
quantes fois que voudras aller à tous les diables, devant le
tribunal de Minos, jEacus, Rhadamantus et Dites, je suis
prest te faire compaignies indissoluble, avec toy passer Ache-
lon, Styx, Cocyte, boire plain goedt du fleuve Lethé, payer
pour nous deux à Caron le naule de sa barque; pour letorner
au guichet, si de fortune veux retourner, saisis toy d'autre
compaignie que de la mienne, je n'y retoumeray pas : ce mot
te soit une muraille d'airain. Si par force et violence ne suis
mené, je n'en approcheray, tant que ceste vie je vivray, en
plus que Calpe d'Abila. Ulysses retourna il quérir son espée
en la caverne du Cyclope? Ma dia, non : au guichet je n'ai
rien oublie, je n'y retourneray pas.
— O, dist frère Jean, bon cœur et franc compagnon de
mains paraUtiques ! Mais parlons un peu par escot, docteur
subtil : pourquoy est-ce, et qui vous meut leur jetter la bourse
plaine d'escus? en avons nous trop? n'eust-ce assez esté leur
jecter quelques testons rognez? — Parce, respondit Panurge,
qu'à tous périodes de propos Grippe-minaud ouvroit sa gib-
beciere de velours, exclamant : Orçà, orçà, orçà ! De là, je prins
conjecture comme pourrions francs et deHvres eschapper,
250 l-TVRr V, CHAPITRE XV
leur jectant or là, or là, de par Dieu, or là, de par tous les dia-
bles là. Car gibbesciere de velours n'est reliquaire de testons,
ne menue monnoie; c'est un réceptacle d'escus au soleil,
entends tu, frère Jean mon petit couillaud? Quand tu auras
autant rousty comme j'ay, et esté, comme j'ay esté, rousty,
tu parleras aultre latin. Mais par leur injonction, il nous con-
\'ient outre passer. »
Les gallefretiers tousjours au port attendoient en expecta-
tion de quelque somme de deniers. Et voyans que voulions
faire voile, s'adressèrent à frère Jean, l'advertissans qu'outre
n'eust à passer sans paier le vin des appariteurs, selon la taxa-
tion des espisses faictes. « Et sainct Hurluburlu, dist frère
Jean, estes vous encore icy, griphons de tous les diables? Ne
suis je icy assez fasché sans m'importuner davantage? Le
cordieu, vous aurez vostre vin à ces te heure, je le vous pro-
mets seurement. » Lors desgainant son bracqueniart, sortit
hors la navire, en dehberation de felonnement les occire ; mais
ils gaignerent le grand gallot, et plus ne les apperceusmes.
Non pourtant feusmes nous hors de fascherie : car aucuns
de nos mariniers, par congé de Pantagruel, le temps pendant
qu'estions devant Grippe-minaud , s'estoient retirez en une
hostellerie prés le havre pour banqueter, et soy quelque peu
de temps refraichir : je ne sçay s'ils avoient bien ou non payé
Tescot, si est ce qu'une vieille hostesse, voyant frère Jean en
terre, luy faisoit grande complainte présent un serrargent
gendre d'un des Chats-fourrez, et deux records de tesmoings.
Frère Jean impatient de leurs discours et allégations de-
manda : « Gallefretiers, mes amis, voulez vous diie en somme
que nos matelots ne sont gens de bien? Je maintien le con-
traire; par Justice je le vous prouveray : c'est ce maistre
bracquemard icy. » Ce disant, s'escrimoit de son braquemard.
Les paisans se meirent en fuite au trot : restoit seulement la
vieille, laquelle protestoit à frère Jean que ses matelots es-
toient gens de bien; de ce se complaignoit qu'ils n'avoient
PANTAGRTTFL 25T
rien payé du lict, auquel après disner ils avoient reposé, et
pour le lict demandoit cinq sols tounrois. « Vrayement, res-
pondit frère Jean, c'est bon marché, ils sont ingrats, et n'en
auront tousjours à tel prix : je le payeray volontiers, mais je le
voudrois bien voir. » La vieille le mena au logis et luy mons-
tra le lict, et l'ayant loué en toutes ses qualités, dist qu'elle
ne faisoit de l'encherie si en demandoit cinq sols. Frère Jean
luy bailla cinq sols : puis avec son bracquemard fendit la
coytte et coissin en deux, et par les fenestres mettoit la plume
au vent, quand la vieille descendit criant à l'aide, et au
meurtre, en s'amusant à recueillir sa plume. Frère Jean, de
ce ne se souciant, emporta la couverture, le mathelats et les
deux linceux en nostre nef, sans estre veu de personne : car
l'air estoit obscurcy de plume comme de neige, et les donna es
matelots. Puis dist à Pantagruel là les licts estre à meilleur
marché qu'en Chinonnois, quoy qu'y eussions les célèbres
oyes de Pautilé. Car pour le lict la vieille ne luy avoit demandé
que cinq douzains, lequel en Chinonnois ne vaudroit moins
de douze francs.
Si tost que frère Jean et les aultres de la compaignie f eurent
dans la na\dre, Pantagruel feit voile; mais il s'éleva un siroch
si véhément qu'ils perdirent routte, et quasi reprenant les
erres du pays des Chats-fourrez, ils entrèrent en ung grand
gouffre duquel, la mer estant fort haute et terrible, ung
mousse, qui estoit au haut du trinquet, cria qu'il voyoit
encore les fâcheuses demeures de Grippe-minaud : dont
Panurge forsené de paour s'escrioit : « Patron mon amy,
maugré les vents et les vagues, tourne bride. O mon amy,
ne retournons point en ce meschant pays, où j'ay laissé ma
bourse. » Ainsi le vent les porta prés d'une isle à laquelle
toutesfois ils n'osèrent aborder de prime face, et entrarent à
bien ung mille de là près de grands rochers.
252 LIVRE V, CHAPITRE XVI
CHAPITRE XVI
COMMENT PANTAGRUEL ARRIVA EN l'ISLE DES APEDEFTES
A LONGS DOIGTS ET MAINS CROCHUES,
ET DES TERRIBLES ADVENTURES ET MONSTRES QU'lL Y VIT
Si tost que les ancres furent jectees, et le vaisseau asseuré,
l'on descendit l'esquif. Apres que le bon Pantagruel eut fait
les prières et remercié le Seigneur de l'avoir sauvé et gardé
de si grand et périlleux danger, il entra et toute sa compagnie
dedans l'esquif, pour prendre terre : ce qui leur fut fort aisé,
car la mer estant calme et les vents baissez, enp eu de temps
ils furent aux rochiers. Comme ils eurent prins terre, Episte-
mon, qui admiroit l'assiette du lieu et l'estrangeté des rochiers
advisa quelques habitans dudict pays. Le premier à qui il
s'adressa estoit vestu d'une robbe gocourte, de couleur de
roy, avoit le pourpoinct de demy ostade à bas de manches de
satin, et le haut estoit de chamois, le bonnet à la coquarde :
homme d'assez bonne façon, et, comme depuis nous sçeusmes,
il avoit nom Guaingnebeaucoup. Epistemon luy demanda
comme s'appeloyent ces rochiers et vallées si estranges.
Guaingnebeaucoup luy dist que le pays des rochiers estoit une
colonie tirée du pays de Procuration, et l'appelloyent les
Cahiers; et qu'au delà des rochiers, ayans passé un petit
guay, nous trouverions l'isle des Apedeftes. « Vertus des
Extravagantes, dist frère Jean ! Et vous aultres gens de bien,
dequoy vivez vous icy ? Sçaurions nous boire en vostre voirre?
car je ne vous voy aucuns outils que parchemins, cornets et
plumes.
— Nous ne vivons, respondit Guaingnebeaucoup, que de
cela aussi : car il faut que tous ceux qui ont afEaire en l'isle
PANTAGRUEL 253
passent pax mes mains. — Pourquoy? dist Panurge, estes
vous barbiers, qu'il faut qu'ils soyent testonnez. — Ouy,
dist Guaingnebeaucoup, quant aux testons de la bourse. —
Par Dieu, dist Panurge, vous n'aurez de moy denier ny maille;
mais je vous prie, beau sire, menez nous à ces Apedeftes, car
nous venons du pays des sçavans, où je n'ay gueres guain-
gné. » Et comme ils devisoyent, ils arrivèrent en l'isle de Ape-
deftes : car l'eau uft tantost passée. Pantagruel fut en grande
admiration de la structure, de la demeure et habitation des
gens du pays : car ils demourent en un grand pressouër,
auquel on monte près de cinquante degrez ; et avant que d'en-
trer au maistre pressouër (car leans y en a des petits, grands,
secrets, moyens, et de toutes sortes) vous passez par un grand
Peristile, où vous voyez en païsage les ruines presque de
tout le monde, tant de potences de grands larrons, tant de
gibbets, de questions, que cela nous fit peur. Voyant Guain-
gnebeaucoup que Pantagruel s'amusoit à cela : « Monsieur,
dist il, allons plus avant : cecy n'est rien. — Comment, dist
frère Jean, ce n'est rien. Par l'ame de ma braguette eschauffée,
Panurge et moy tremblons de belle faim. J'aymeroys mieux
boire que veoir ces ruines icy. — Venez, » dist Guaingnebeau-
coup.
Lors nous mena en un petit pressouër qui estoit caché sus
le derrière, que l'on appelloit en langage de l'isle, Pithies. Là
ne demandez pas si maistre Jean se traicta, et Panurge : car
saulcisons de MiUan, cocqs d'Indes, chappons, autardes,
malvoisie, et toutes bonnes viandes estoyent prestes et fort
bien accoustrees. Un petit boutiller voyant que frère Jean
avoit donné une oeillade amoureuse sus une bouteiUe qui es-
toit prés d'un buffet, séparée de la trouppe boutiUique, dist à
Pantagruel : a Monsieur, je voy que l'un de vos gens fait l'a-
mour à ceste bouteille : je vous supplie bien fort qu'il n'y soit
touché, car c'est pour Messieurs. — Comment, dist Panurge,
il y a donc des Messieurs céans? Lon y vendange à ce que j«
254 LIVKli V, CHAPlTRii XVI
voy. » Alors Guainguebeaucoup nous fist monter, par un
petit degré caché, en une chambre par laquelle il nous mons-
tra les Messieurs qui estoyent dans le grand pressoucr,
auquel il nous dist qu'il n'estoit hcite à homme d'y entrer
sans congé, mais que nous les voirions bien par ce petit goulet
de fenestre, sans qu'ils nous vissent.
Quand nous y fusmes, nous advisasmes dans un grand
pressouër vingt ou vingtcinq gros pendars à l'entour d'un
grand bourreau tout habillé de verd, qui s'entreregardoyent,
ayans les mains longues comme jambe de grue, et les ongles
de deux pieds pour le moins : car il leur est défendu de les
rongner jamais, de sorte qu'ils leur deviennent croches comme
rançons ou rivereaux; et sus l'heure fut amenée une giosse
grappe des vignes qu'on vendange en ce pays là, du plant de
l'Extraordinaire, qui souvent pend à Eschalats. Si tost que
la grappe fut là, ils la meiient au pressouër et n'y eut grain
dont pas un ne pvessurast de l'huyle d'or : tant que la paou^Te
grappe fut ramportée si seiche et espluchee qu'il n'y avoyt
plus ne just ne liqueur du monde. Or, nous comptoit Guain-
gnebeaucoup, qu'ils n'ont pas souvent ces grosses grappes là;
mais qu'ils en ont toujours d'aultres sus le pressouër. « Mais,
mon compère, dist Panurge, en ont ils de beaucoup de plans?
— Ouy, dist Guiangnebeaucoup. Voyez vous bien ceste là
petite que voyez qu'on s'en va remettre au pressouër? elle est
du plan des Décimes : ils eu tirèrent desjà l'aultre jour jus-
ques au piessurage; mais l'huyle sentoit le coffre au prestre,
et Messieurs n'y trouvèrent pas grands appigrets. — Pour-
quoy donc, dist Pantagruel, la remettent ils au pressouër? — •
Pour veoir, dist Guaingnebeaucoup, s'il y a poinct quelque
omission de jus ou recepte dedans le marc. — ■ Et digne vertu
Dieu, dist frère Jean, appeliez vous ces gens là ignorans?
Comment diable ! ils tireroyent de l'huyle d'un mur. — Aussi
font-ils, dist Guaingnebeaucoup : car souvent ils mettent au
pressouër des chasteaux, des parcs, des forets, et de tout en
PANTAGRUEL 25^
tirent l'or potable. — Vous voulez dire portable, dist Epis-
temon. — Je dy potable, dist Guaingnebeaucoup : car l'on
en boit céans maintes bouteilles que l'on ne bevroit pas. Il y
en a de tant de plans que Ion n'en sçait le nombre. Passez
jusques icy, et voyez dans ce courtil : en voyla plus de mille
qui n'attendent que l'heure de estre pressurez. En voyla du
plan gênerai; voyla du particulier, des fortifications, des
emprunts, des dons, des casuels, des dommaines, des menuz
plaisirs, des postes, des offrandes, de la Maison. - — Et qui
est ceste grosse là, à qui toutes ces petites sont à l'environ? — ■
C'est, dist Guaingnebeaucoup, de l'Espargne, qui est le meil-
leur plan de tout ce pays. Quand on en pressure de ce plant,
siy moys après il n'y a pas un des Messieurs qui ne s'en
sente. »
Quand ces messieurs fuient levez, Pantagruel pria Guain-
gnebeaucoup qu'il nous menast en ce grand pressouër : ce
qu'il fist volontiers. Si tost que fusmes entrez, Epistemon, qui
entendoit toutes langues, commença à monstrer à Pantagruel
les devises du pressouër, qui estoit grand, beau, faict, à ce
que nous dist Guaingnebeaucoup, du bois de la croix : car
sus chacun ustencile estoient escripts les noms de chascunc
chose en langue du pays. La viz du pressouër s'appeloit
recepte; la mets, despense; le crouë, estât; le tesson, deniers
comptez et non receus; les fûts, souffrance ; les béliers, vadie-
t^lr; les jumelles, recuperetur; les cuves, plus vallenr ; les
ansees, rooles; les foullouaires, acquits; les hottes, valida-
tion ; les portoueres, ordonnance vallable ; les seilles, le pouvoir ;
l'entonnoir, le qiiittus.
« Par la royne des Andouilles, dist Panurge, toutes les hiero-
gliphyques d'/Egypte n'approchèrent jamais de ce jargon.
Que diable, ces mots là rencontrent de picques comme crottes
de chèvre. Mais pourquoy, mon compère, mon amy, appelle
ou ces gens icy ignorans? — Par ce, dist Guaingnebeaucoup,
qu'ils ne sont et ne doibvent nullement estre clercs, et que
236 LIVRE V, CHAPITRE XVI
céans, par leur ordonnance, tout se doibt manier par igno-
rance, et n'y doibt avoir raison, sinon que : Messieurs l'ont
dit : Messieurs le veulent; Messieurs l'ont ordonné. — Par le
vray Dieu, dist Pantagruel, puisqu'ils guaingnent tant aux
grappes le serment leur peut beaucoup valloir. — En doub-
tez vous? dist Guaingnebeaucoup. Il n'est mois qu'ils n'en
ayent. Ce n'est pas comme en vos pays, où le serment ne
vous vault rien qu'une fois l'année. »
De là, pour nous mener par mille petits pressouërs, en sor-
tant nous advisasmes un aultre petit bourreau, à l'entour
duquel estoyent quatre ou cinq de ces ignorans, crasseux et
choleres comme asne à qui Ion attache une fusée aux fesses,
qui, sus un petit pressouër qu'ils avoyent là, repassoyent
encore le marc des grappes après les aultres : Ion les appeloit, en
langue du pays, Coiirr acteur s. « Ce sont les plus rébarbatifs vil-
lains à les veoir, dist frère Jean, que j'aye jamais apperceu. »
De ce grand pressouër nous passasmes par infinis petits
pressouërs, tous pleins de vendangeurs qui espluchent les
grains avec des ferremens qu'ils appellent articles de comptes :
et finablement arrivasmes en une basse saUe où nous veismes
un grand dogue à deux testes de chien, venter de loup, griphé
comme un diable de Lamballe, qui estoit là nourry de laict
d'amendes, et estoit ainsi délicatement par l'ordonnance
de Messieurs traicté, par ce qu'il n'y avoit celuy à qui il ne
valust bien la rente d'une bonne mestairie; ils l'appeloient en
langue d'Ignorance, Dupple. Sa mère estoit auprès, qui
estoit de pareil poil et forme, hors mis qu'elle avoit quatre
testes, deux masles et deux femelles, et elle avoit nom Qtia-
druple, laquelle estoit la plus furieuse beste de leans, et la
plus dangereuse après sa grand mère, que nous veismes enfer-
mée en un cachot qu'ils appeloyent Omission de recepte.
Frère Jean, qui avoit tousjours vingt aulnes de boyaulx
vuides pour avaller une saugrenée d'advocats, se commençant
à fascher, pria Pantagruel de penser du disner, et de mener
PANTAGRUEL 257
avecques luy Guaingnebeaucoup : de sorte qu'en sortant de
leans par la porte de derrière, nous rencontrasmes un vieil
homme encheisné, demy ignorant et demy sçavant, comme un
Androgyne de diable, qui estoit de lunettes caparassonné
comme une tortue d'escailles, et ne vivoit que d'une viande
qu'ils appellent en leur -patois Appellations. Le voyant, Panta-
gruel demanda à Guaingnebeaucoup de quelle race estoit ce
protonotaire, et comment il s'appeloit. Guaingnebeaucoup
nous compta comme de tout temps et ancienneté il estoit
leans, au grand regret et desplaisir de Messieurs enchesnc,
qui le faisoyent mourir presque de faim, et s'appelloit Revisil.
« Par les saincts couillons du Pape, dist frère Jean, voyla un
beau danseur, et je ne m'esbahis pas si tous Messieurs les
ignorans d'icy font grand cas de ce papelard là. Par Dieu, il
m'est advis, amy Panurge, si tu y regardes bien, qu'il a le
minois de Grippe-minaud : ceux-cy, tous ignorans qu'ils
sont, en savent autant que les aultres. Je le renvoyerois bien
d'où il est venu, à grands coups d'anguillade. — Par mes
lunettes orientales, dist Panurge, frère Jean, mon amy, tu
as raison : car à veoir la trongne de ce faux villain Revisit,
il est encores plus ignorant et meschant que ces paouvres
ignorans icy, qui grappent au moins mal qu'ils peuvent, sans
long procez, et qui, en trois petits mots, vendangent le clos
sans tant d'interlocutoires ni decrotoires, dont ces Chats
fourrez en sont bien faschez. »
CHAPITRE XVII
COMMENT NOUS PASSAMES OUTRE,
ET COMMENT PANURGE Y FAILLIT D'eSTRE TUÉ
Sus l'instant nous prinsmes la routte d'Outre, et contasmes
nos adventures à Pantagruel, qui en eut commisération bien
T. II. ,7
258 LIVRE V, CHAPITRE XVII
grande, et en fit quelques élégies pax passeteraps. Là arrivez,
nous refraischismes un peu et puisasmes eau fresche, prinsmes
aussi du bois pour nos munitions. Et nous sembloient les
gens du pais à leur pliisionomie bons compagnons, et de
bonne cjiere. Ils estoient tous outrés et tous pedoient de
graisse : et apperceusmes (ce que n'avois encores veu es aul-
tres païs) qu'ils dechiquetoicnt leur peau pour y faire bouffer
la graisse, ne plus ne moins que les sallebrenaux de ma patrie
descouppent le hault de leurs chausses pour y faire bouffer
le taffetas. Et disoient ce ne faire pour gloire et ostentation,
mais aultrement ne pouvoient en leur peau. Ce faisant aussi,
plus soudain devenoient grands, comme les jardiniers incisent
la peau des jeunes arbres pour plustost les faire croistre.
Prés le ha\Te estoit un cabaret beau et magnifique en exté-
rieure apparence, auquel accourir voyans nombre grand de
peuple Outré, de tous sexes, toutes aages et tous estats, pen-
sions que là fust quelque notable festin, et banquet. Mais nous
fut dit qu'ils estoient invitez aux crevailles de l'hoste et y
alloient en diligence proches, parens et alliez. N'entendans ce
jargon, et estimans qu'en iceluy pays le festin on nommast
crevailles, comme deçà nous appelons enfiansailles, espousail-
les, rele vailles, tondailles, mestivailles, fusmes advertis que
l'hoste en son temps avoit esté bon raillard, grand grignoteur,
beau mangeur de souppes Lyonnaises, notable compteur de
horloge, éternellement disnant, comme l'hoste de Rouillac,
et ayans ja par dix ans pedé graisse en abondance, estoit venu
en ses crevailles, et selon l'usage du pays finoit ses jours en
crevant, plus ne pouvant le per^-toine et peau par tant d'an-
nées deschiquetee clorre et retenir ses trippes qu'elles ne
effondrassent par dehors, comme d'un tonneau deffoncé. « Et
quoy, dist Panurge, bonnes gens, ne luy sçauriez vous bien
à poinct avecques bonnes grosses sangles ou bons gros cercles
de cormier, voire de fer, si besoin est, le ventre relier? Ainsi
lié ne jetteroit si aissement ses fons hors, et si tost ne crevé-
PANTAGRUEL 259
roit. )) Ceste parolle n'estoit achevée quand nous entend isaies
en l'air un son haut et strident, comme si quelque gros chesne
esclatoit en deux pièces : lors fut dit par les voisins que les
crevailles estoient faictes, et que cestuy esclat estoit le ped
de la mort.
Là me souvint du vénérable Abbé de Castilliers, celuy qui
ne daignoit biscoter ses chambrières nisi in Ponlificalibus,
lequel importuné de ses parens et amis de resigner sus ses
vieux jours son Abbaye, dist et protesta que point ne se des-
pouilleroit devant soy coucher, et que le dernier ped que fer oit
sa paternité seroit un ped d'Abbé.
CHAPITRE XVIII.
comment nostre nauf fut encarrée, et feusmes aidez
d'aucuns voyagiers qui tenoient de la quinte
Ayans serpé nos ancres et gumenes, feismes voile au doux
Zephire. Environ 222 miles, se leva un furieux turbillon de
vens divers, autour duquel avec le trinquet et boulingues
quelque peu temporisasmes, pour seulement n'estre dicts mal
obéissans au Pilot, lequel nous asceuroit, veuë la douceur
d'iceux vens, veu aussi leur plaisant combat, ensemble le
sérénité de l'air et tranquillité du courant n'estre ny en espoir
de grand bien, ny en crainte de grand mal ; partant à propos
nous estre la sentence du philosophe, qui commandoit sous-
tenir et abstenir, c'est à dire temporiser. Tant toutesfois
dura ce turbillon qu'à nostre requeste importune, le Pilot
essaya le rompre et suivre nostre routte première. De faict,
levant le grand artemon, et à droitte calamité du Boussole
dressant le gouvernail, rompit, moyennant un rude cole sur-
venant, le turbillon susdict. Mais ce fut en pareil de.îConfort,
26o LIVRE V, CHAPITRE XVIII
comme si evitans Charybde, feussions tombez en Scylle.
Zar à deux miles du lieu feurent nos naufs encarrées par-my
les arènes, telles que sont les Rats Sainct-Maixant.
Toute nostre chorme grandement se contristoit, et force
vent à travers les mejanes; mais frère Jean onques ne s'en
donna melancholie, ains consoloit maintenant l'un, mainte-
nant l'aultre par douces parolles; leur remonstrant que de
brief aurions secours du Ciel, et qu'il avoit veu Castor sus le
bout des antennes. « Plust à Dieu, dist Panurge, estre à ceste
heure à terre, et rien plus, et que chascun de vous aultres,
qui tant aimez la marine, eussiez deux cens mille escus ; je
vous mettrois un veau en mue, et refraischirois un cent de
fagots pour vostre retour. Allez, je consens jamais ne me
marier; faictes seulement que je sois mis en terre, et que j'aie
cheval pour m'en retourner : de valet, je me passeray bien. Je
ne suis jamais si bien traité que quand je suis sans valet.
Plaute jamais n'en mentit disant le nombre de nos croix, c'est
à dire afflictions, ennuits. fascheries, estre selon le nombre de
nos valets, voire fussent-ils sans langue, qui est la partie plus
dangereuse et maie qui soit à un valet, et pour laquelle seule
furent inventées les tortures, questions et géhennes sur les
valets : ailleurs non, combien que les cotteurs de Droict en
ce temps, hors ce Royaume, le ayent tiré à conséquence alo-
gique, c'est à dire desraisonnable. »
En icelle heure vint vers nous droit aborder une navire
chargée de tabourins, en laquelle je recognu quelques passa-
gers de bonne maison, entre aultres Henry Cotiral, compai-
gnon vieux, lequel à sa ceinture un grand viet-d'aze portoit,
comme les femmes portent patenostres, et en main senestre
tenoit un gros, gras, vieux et salle bonnet d'un taigneux; en
sa dextre tenoit un gros trou de chou. De prime face qu'il me
recognut s'escria de joye, et me dit : « En ay je? voyez cy
(monstrant le viet d'aze le vray Algamana : cestuy bonnet
doctoial est nostre unique Elixo, et cecy (monstrant le trou
PANTAGRUEL 201
de chou) c'est Luuaria major. Nous la ferons à vostre retour.
— Mais, dis je, d'où venez? où allez? qu'apportez? avec
senty la marine? » Il nie respond : « De la Quinte, en Touraine,
Alchimie, jusques au cul. — Et quels gens, di je, avez là avec
vous sus le tillac? Chantres, respondit il. Musiciens, Poètes,
Astrologues, Rimasseurs, Gémontiens, Alchimistes, Horlo-
giers : tous tiennent de la Quinte; ils en ont lettres d'adver-
tissement belles et amples. » Il n'eut achevé ce mot, quand
Panurge, indigné et fasché, dist : « Vous donques qui faictes
tout jusques au beau temps et petits enfans, pourquoy icy
ne prenez le Cap, et sans delay en plain courant nous révo-
quez? — J'y allois, dist Henry Cotiral : à ceste heure, à ce
moment, présentement serez hors du fond. » Lors feist deffon-
cer 7,532,810 gros tabourins d'un costé, cestuy costé dressa
vers le gaillardet, et estroitement Uerent en tous les endroits
les gumenes; print nostre Cap en pouppe, et l'attacha aux
bitons. Puis en promier hourt nous serpa des arènes avec faci-
lité grande, et non sans esbattement. Car le son des tabou-
rins, adjoint le doux murmur du gravier et le celeume de la
Chorme. nous rendoient harmonie peu moindre que celle des
astres rotans, laquelle dit Platon avoir par quelques nuicts
ouye dormant.
Nous abhorrans d'estre envers eux ingrats pour ce bienfait
reputez, leur départions de nos andouilles, amplissions leurs
tabourins de saucisses, et tirions sur le tillac soixante et deux
aires de vin, quand deux grans Physiteres impétueusement
abordèrent leur nauf, et leur jetterent dedans plus d'eau
que n'en contient la Vienne depuis Chinon jusques à Saul-
mur, et en emplirent tous leurs tabourins, et mouillèrent
toutes leurs antennes, et leur baignoient les chausses par le
collet. Ce que voyant Panurge, entra en joye tant excessive,
et tant exerça sa râtelle qu'il en eut la cholique plus de deux
heures. « Je leur voulois, dit il, donner leur vin, mais ils ont
eu leur eau bien à propos. D'eau douce ils n'ont cure, et ne
2<>^ LIVRK V, eM.M'lrKK XIX
s'en servent qu"à lavci" les mains. De buurach leur servira
ceste belle eau sallee, de nitre et sel Ammoniac en la cuisine
de Geber. n Aultre propos ne nous fut loisible avec eux tenir :
le tourbillon premier nous tolUssant liberté de timon. Et nous
pria le Pilot que le laississions d'orenavant la nauf guider,
sans d'aultre chose nous empescher que de faire chère lie : et
pour l'heure nous convenoit costoyer cestuy tourbillon et
obtempérer au courant, si sans danger voulions au royaume
de la Quinte parvenir.
CHAPITRE XIX
COM.MtNT NOUS ARRIVASMES
AU ROYAUME DE LA QUINTE ESSENCE, NOMMÉE ENTELECHIE
Ayans prudemment coustoyé le turbillon par l'espace d'un
demy jour, au troisième suivant nous sembla l'air plus serain
que de coustume, et en bon sauvement descendismes au port
de Matheothecnie, peu distant du palais de la Quinte Essence.
Descendans au port trouvasmes en barbe grand nombre d'ar-
chiers et gens de guerre, lesquels gardoient l'Arsenac : de
prime arrivée, ils nous feisrent quasi peur, car ils nous feisrent
à tous laisser nos armes, et roguement nous interroguerent,
disans : « Compares, de quel pais est la venue? — Cousins,
respondit Panurge, nous sommes Tourengeaux. Ores venons
de France, convoiteux de faire révérence à la dame Quinte
Essence, et visiter ce trescelebre royaume d'Entelechie.
— • Que dictes vous? interrogunt ils; dictes vous Entele-
chie, ou Endelechie? — Beaux cousins, respondit Panurge,
nous sommes gens simples et idiots, excusez la rusticité de
nostre langage, car au demeurant les cœurs sont francs et
lovaux. — Sans cause, dirent ils. nous ne vous avons sus ce
PANTAGRUEL 263
différent interrogez : car grand nombre d'aultres ont icy passé
de vostre pays de Touraine, lesquels nous sembloient boiis
lourdaux, et parloient correct; mais d'aultres païs sont icy
venus, ne sçavons quels outrecuidez, fiers comme Escossois,
qui contre nous à l'entrée vouloient obstinément contester :
ils ont esté bien frottez, quoy qu'ils montrassent visaige
rubarbatif. En vostre monde avez vous si grande superfluité
de temps que ne sçavez en quoy l'employer, fors ainsi de
nostre dame Royne parler, disputer, et impudentement
escrire? Il estoit bien besoin que Ciceron abandonnast sa
Republique poui s'en empescher, et Diogenes Laërtius, et
Theodorus Gaza, et Argyiopile, et Bessarion, et Politian, et
Bude, et Lascaris, et tous les diables de sages fols : le nombre
desquels n' estoit assez grand, s'il n'eust esté récente ment
accreu par Scaliger, Brigot, Chambrier, François Fleurv, et ne
sçay quels autres tels jeunes haires esmouchetez. Leur maie
angine, qui leur suffocast le gorgeron avec l'epiglotide ! Nous
les... — Mais quoy, diantre, ils flattent les diables, disoit
Panurge entre les dens. — Vous icy n'estes venus pour en leur
folie les soustenir, et de ce n'avez procuration : plus aussi
d'iceux ne vous parlerons. Aristoteles, prime, homme, et
paragon de toute philosophie, fut parrin de nostre dame
Royne : il tresbien et proprement la nomma Entelechie. Ente-
lechie est son vray nom : s'aille cliier, qui aultrement la
nottime ! Oui aultrement la nomme, erre par tout le Ciel.
Vous soyez les tresbien venus. »
Nous présentèrent l'acolade; nous en feusmes tous rejouys.
Panurge me dist en l'aureille : « Compaignon, as tu rien eu peur
en ceste première boutée? — Quelque peu, respondy je.
— J'en ay, dist il, plus eu que jadis n'eurent les soldats
d'Ephraïm, quand les Galaadites feurent occis et noyez pour
en lieu de Schibboleth dire Sibboleth. Et n'y a homme, pour
tous taire, en Beauce, qui bien ne m'eust avec une charretée
de foin estouppé le trou du cul. »
264 LIVRE V, CHAPITRE XX
Depuis nous mena le Capitaine a . Palais de la Royne en
silence et grandes cérémonies. Pantagruel luy vouloit tenir
quelques propos; mais, ne pouvant monter si haut qu'il estoit,
souhaitoit une eschelle, ou des eschasses bien grandes. Puis
dist : « Baste ! si nostre dame Royne vouloit, nous serions
aussi grans comme vous. Ce sera quand il luy plaira. » Par les
premières galleries rencontrasmes grand tourbe de gens
malades, lesquels estoient installez diversement, selon la
diversité des maladies : les ladres à part, les empoisonnez en
un lieu, les pestiferez ailleurs, les verolez en premier rang :
ainsi de tous aultres.
CHAPITRE XX
COMMENT LA QUINTE ESSENCE GUARISSOIT LES MALADIES
PAR CHANSONS
En la seconde gallerie nous feut par le capitaine monstre la
dame jeune, et si avoit dixhuict cens ans pour le moins, belle,
délicate, vestue gorgiasement, au milieu de ses damoiselles
et gentils-hommes. Le Capitaine nous dist : « Heure n'est de
parler à elle, soyez seulement spectateurs attentifs de ce
qu'elle fait. Vous en vostre Royaume avez quelques Roys,
lesquels phantastiquement, guarissent d'aucunes maladies,
comme scrophule, mal-sacré, fiebvres quartes, par seule appo-
sition des mains. Ceste nostre Royne de toutes maladies
guarist sans y toucher, seulement leur sonnant une chanson
selon la competance du mal. « Puis nous monstra les orgues,
desquelles sonnant, faisoit ses admirables guarisons. Icelles
estoient de façon bien estrange : car les tuyaux estoient de
casse en canon, le sommier de gaiac, les marchettes de ru-
barbe, le suppied de turbith, le clavier de scammonie.
PANTAGRUEL 265
Lors que considérions ceste admirable et nouvelle struc-
ture d'orgues, par ses Abstracteurs, Spodizateurs, Massiteres,
Pregustes, Tabachins, Chachanins, Neemanins, Rabrebans,
Nereins, Rozuins, Nedibins, Nearins, Segamions, Perazons,
Chesinins, Sarins, Sotrins, Aboth, Enilins, Archasdarpenins,
Mebins, Giborins, et aultres siens officiers, furent les lépreux
introduits : elle leur sonna une chanson, je ne sçay quelle;
furent soudain et parfaictement guaris. Puis furent intro-
duits les empoisonnez : elle leur sonna une autre chanson, et
gens debout. Puis les aveugles, les sourds, les muets, les gens
apoplectiques de mesme. Ce que nous espouvanta, non à
tort, et tombasmes en terre, nous prosternans comme gens
ecstatiques et ravis en contemplation excessive et admiration
des vertus qu'avions veu procéder de la dame; et ne fut en
nostre pouvoir aucun mot dire. Ainsi restions en terre, quand
elle, touchant Pantagruel d'un beau bouquet de roses blan-
ches, lequel elle tenoit en main, nous restitua le sens, et fit
tenir en pieds. Puis nous dist en paroles byssines, telles que
vouloit Parysatis qu'on profeiast parlant à Cyrus son fils, ou
pour le moins de taffetas armoisi :
'( L'honnesteté scintillante en la circonferance de vos per-
sonnes jugement certain me fait de la vertu latente on centre
de vos esprits; et vo3^ant la suavité melliflue de vos discrettes
révérences, facilement me persuade le cœur vostre ne patir
vice aucun, n'aucune stérilité de sçavoir Uberal et hautain,
ainsi abonder en plusieurs peregrines et rares disciplines : les-
quelles à présent plus est facile, par les usages communs du
vulgaire imperit, désirer que rencontrer. C'est la raison pour-
quoy je, dominante par le passé à toute affection privée,
maintenant contenir ne me peux vous dire le mot trivial au
monde, c'est que soyez les bien, les plus, les fresques bien
venus.
— Je ne suis point clerc, me disoit secrètement Panurge;
respondez si voulez. » Je toutesfois ne respondis; non fîst
2(')('} LIVRE V, CHAPITRE XX
Pantagruel, et demeurions en silence. Adomiues dist la Royne :
« En ceste vostre taciturnité cognoy-je que, non seulement
estes issus de l'eschole Pythagorique, de laquelle print racine
en successive propagation l'antiquité de mes progeniteurs,
mais aussi que en Egypte, célèbre ofi&cine de haute philoso-
phie, mainte lime rétrograde vos ongles mords avez, et la
teste d'un doigt grattée. En l'eschole de Pythagoras, tacitur-
nité de congnoissance estoit symbole : et silence des Egyp-
tiens recongnu estoit en louange deifique, et sacrifioient les
Pontifes en Ilieropolis au grand Dieu en silence, sans bruit
faire, ne mot sonner. Le dessein mien est n'entrer vers vous
en privation de gratitude : ains, par vive formalité, encores
que matière se voulust de moy abstraire, vous excentriquer
mes pensées. »
Ces propos achevez, dressa sa parolle vers ses officiers, et
seulement leur dist : « Tabachins, à Panacée. » Sus ce mot les
Tabachins nous dirent qu'eussions la dame Royne pour
excusée, si avec elle ne disnions : car à son disner rien ne man*
geoit, fors quelques Cathegories, Jecabots, Eminins, Dimions,
Abstractions, Harborins, Chelimins, Secondes intentions,
Caradoths, Antithèses, Metempsichoses, transcendentes Pro-
lepsies.
Puis nous menèrent en un petit cabinet tout contre-
pointe d'allarmes : là, fusmes traictez. Dieu sçait comment.
On dict que Jupiter, en la peau diphtere de la chèvre qui
l'allaicta en Candie, de laquelle il usa comme de pavois,
combatans les Titanes, pourtant est il surnommé Egiuchus,
escrit tout ce que Ion fait au monde. Par ma soif, Beuveurs,
mes amis, en dixhuict peaux de chèvres on ne sauroit les
bonnes viandes qu'on nous servit, les entremets et bonne
chère qu'on nous flst, descrirê, voire fust-ce en lettres aussi
petites que dit Ciceron avoir leu V Iliade d'Homère, tellement
qu'on la couvroit d'une coquille de noix. De ma part, encores
que j'eusse cent langues, cent bouches, et la voix de fer, la
PANTAGRUEL 267
copie mellifiue de Platon, je ne sçauoris en quatre livres vous
en exposer la tierce partie d'une seconde. Et me disoit Panta-
gruel que, selon son imagination, la dame à ses Tabachins,
disant : « A Panacée, « leur donnoit le mot symbolique entr'
eux de chère souveraine, comme : « En ApoUo, « disoit Lu-
culle, quand festoyer vouloit ses amis singulièrement, encores
qu'on le print à l'improviste, ainsi que quelques fois faisoient
Ciceron et Hortensius.
CHAPITRE XXI
COMMENT LA ROYNE PASSOIT TEMPS APRES DISNER
Le disner parachevé, fusmes par un Chachanin menez en la
salle de la dame, et veismes comment, selon sa coustume,
après le past. elle, accompaignée de ses damoiselles et princes
de sa Cour, sassoit, tamisoit, belutoit, et passoit le temps
avec un beau et grand sas de soye blanche et bleue. Puis
apperceusmes que, revoquans l'antiquité en usage, ils jouè-
rent ensemble aux
Cordace, Calabrisme,
Emmelie, Molossicquc,
Sicinnie, Cemophoie,
lambicques, Mongas,
Persicque, Theimanstrie,
Phrygie, Florule,
Nicatisme, Pyrrhicque,
Thracic, Et mille autres danses.
Depuis, par son commandement, visitasmes le Palais, et
vismes choses tant nouvelles, admirables et estranges, qu'y
pensant suis encores tout ravy en mon esprit. Rien toutesfois
plus, par admiration, ne subvertit nos sens que l'exercice des
268 LIVRE V, CHAPITRE XXI
gentils-hommes de sa maison, Abstracteurs, Parazons, Nedi-
bins, Spodizateurs et aultres, lesquels nous dirent franche-
ment, sans dissimulation, que la dame Royne faisoit tout
impossible, et guarissoit les incurables seulement : eux, ses
officiers, faisoient et guarissoient le reste.
Là, je vy un jeune Parazon guarir les verolez, je dy de la
bien fine, comme vous diriez de Rouen, seulement leur tou-
chant le vertèbre dentiformc d'un morceau de sabot par trois
fois.
Un autre je vy hydropiques parfaitement guarir, timpa-
nistes, ascites et hyposargues, leur frappant par neuf fois sus
le ventre d'une besaguë Teuedie, sans solution de continuité.
Un guarissoit de toutes fiebvres sus l'heure, seulement
leurs pendant à la cinture sus le coslé gauche, une queue de
renard.
Un, du mal des dens, seulement lavant, par trois fois, la
racine de la dent affligée avec du vinaigre suzat, et au soleil
par demye heure la laissant desseicher.
Un autre, toute espèce de goutte, fust chaulde, fust froide,
fust pareillement naturelle, fust accidentalle : seulement fai-
sant es goutteux clorre la touche et ouvrir les yeux.
Un autre je \y, lequel, en peu d'heures, guarist neuf bons
gentilshommes du mal sainct François, les estant de toutes
debtes, et à chascun d'eux mettant une corde au col , à laquelle
pendoit une bourse pleine de dix mille escus au soleil.
Un autre, par engin mirifique, jettoit les maisons par les
fenestres : ainsi restoient emundees d'air pestilent.
Un autre guarissoit toutes les trois manières d'hetiques,
atrophes, tabides, emaciez, sans bains, sans laict Tabian, sans
dropace, pication, n'autre médicament : seulement les ren-
dant moynes par trois mois. Et nous affermoit que, si en
Testât monachal ils n'engraissoient, ne par art, ne par nature,
jamais n'engraisseroient.
Un autre vy accompaigné de femmes en grand nombre, par
PANTAGRUEL 269
deux bandes : l'une estoit de jeunes fillettes saffrettes, ten-
drettes, blondelettes, gratieuses, et de bonne volonté, ce me
sembloit; l'autre, de vieilles edentees, chassieuses, riddees,
bazanees, cadavéreuses. Là, fut dit à Pantagruel qu'il refon-
doit les vieilles, les faisant ainsi rajeunir, et telles, par son
art, devenir qu'estoient les fillettes là présentes, lesquelles il
avoit cestuy jour reffondues, et entièrement remises en pa-
reille beauté, forme, élégance, grandeur et composition des
membres, comme estoient en l'aage de quinze à seize ans,
excepté seulement les talons, lesquels leur restoient trop plus
courts que n'estoient en leur première jeunesse.
Cela estoit la cause pourquoy elles d'orenavant, à toutes
rencontres d'hommes, seront moult subjettes et faciles à
tomber à la renverse. La bande des vieilles attendoit l'autre
fournée en très grande dévotion, et l'importunoient en toute
instance, alleguans que chose est en nature intolérable quand
beauté faut à cul de bonne volonté. Et avoit en son art pra-
tique continuelle, et guain plus que médiocre. Pantagruel
interroguoit, si par fonte pareillement faisoit les hommes
vieux rejeunir : respondu luy fut que non; mais la manière
d'ainsi rejeunir estre par habitation avec femme refondue, car
là on prenoit ceste quinte espèce de vérole, nommée la Pel-
lade, en grec Ophiasis, moyennant laquelle on change de
poil et de peau, comme font annuellement les Serpens, et en
eux est jeunesse renouvellée, comme au Phénix d'Arabie.
C'est la vraye Fontaine de Juvence. Là, soudain, qui vieux
estoit et décrépit, devient jeune alaigre et dispos, comme dit
Euripides estre advenu à lolaûs; comme advint au beau
Phaon, tant aimé de Sappho, par le bénéfice de Venus; à
Tithone, par le moyen d'Aurora; à Eson, par l'art de Medée,
et à Jason pareillement, qui selon le tesmoignage de Phere-
cides et de Simonides, fut par icelle reteint et rejeuny; et
comme dit Eschilus estre advenu es nourrices du bon Bac-
chus, et à leurs maris aussi.
2 70 LIVRE V, CHAPITRE XXII
CHAPITRE XXII
comment les officiers de la quinte diversement
s'exercent,
ET COMMENT LA DAME NOUS RETINT EN ESTAT D' ABSTR ACTEU RS
Je vy après, grand nonabrc de ces of&ciers susdits, lesquels
blanchissoient les ^Ethiopiens en peu d'heures, du fond d'un
panier leur frottant seulement le ventre.
Autres à trois couples de renards souz un joug aroient le
rivage areneux, et ne perdoient leur semence.
Autres lavoient les tuiles, et leur faisoient perdre coulem.
Autres tiroient eau des Pumices, que vous appeliez Pierre-
ponce, la pillant long temps en un mortier de marbre, et luy
changeoient sa substance.
Autres tondoient les Asnes, et y trouvoient toison de laine
bien bonne.
Autres cueilloient des Espines raisins, et figues des char-
dons.
Autres tiroient laict des boucs, et dedans un crible le reco-
voient, à grand profit de mesnage.
Autres lavoient les têtes des Asnes, et n'y perdoient la
laixive.
Autres chassoient au vent avec des rets, et y prenoient
Escrevices Decumanes.
Je vis un jeune Spodizateur, lequel artificiellement tiroit
des pets d'un Asne mort, et en veudoit l'aune cinq sols.
Un autre putrefioit des Sechabots. O la belle viande !
Mais Panurge rendit vilainement sa gorge, voyant un Ai^-
chasdarpenim, lequel faisoit putréfier grande doye d'urine
humaine en fiant de cheval, avec force merde chrestienne.
Fy le vilain ! Il toutesfois nous respondit que d'icelle sacrée
PANTAGRUEL 'Z^\
distillation abbfeuvoit les Roys et grands Princes, et par icelle
leur allongeoit la vie d'une bonne toise ou deux.
Autres rompoient les Andouilles au genouil.
Autres escorclioient les Anguilles par la queue, et ne
crioient lesdictes Anguilles avant que d'estre escorchees,
çomnie font celles de Melun.
Autres de néant faisoient choses grandes, et grandes choses
faisoient à néant retourner.
Autres coupoient le feu avec un cousteau, et puisoient
l'eau avec un rets.
Autres faisoient de vessies lanternes, et de nues poisles
d'airain. Nous en veismes douze autres banquetans souz une
fueillade, et beuvans en belles et amples retumbes vins de
quatre sortes, frais et délicieux, à tous, et à toute reste, et
nous fut dit qu'ils haulsoient le temps selon la manière du
lieu, et qu'en ceste manière Hercules jadis haulsa le temps
avec Atlas.
Autres faisoient de nécessité vertu, et me sembloit l'ou'
vrage bien beau et à propos.
Autres faisoient Alchimie avec les dens; en ce faisant
emplissoient assez mal les selles percées.
Autres dedans un long parterre songneusement mesuroient
les sauts des pusses : et cestuy acte m'affermoient estre plus
que nécessaire au gouvernement des Royaumes, conduictes
des guerres, administrations des Republiques, alléguant que
Socrates, lequel premier avoit des cieux en terre tiré la Philo-
sophie, et d'oisive et curieuse, l'avoit rendue utile et profit
table, employoit la moitié de son estude à mesurer le saut des
pusses, comme atteste Aristophanes le Quintessential.
Je vy deux Giborins à part sus le haut d'une tour, lesquels
faisoient sentinelle, et nous fut dit qu'ils gardoient la Lune
des loups.
J'en rencontray quatre autres en un coing de jardin amère-
ment disputans, et prests à se prendre au poil l'un l'autre;
272 LIVRE V, CHAPITRE XXII
demandant dont sourdoit leur différent, entendy que jà qua-
tre jours estoient passez depuis qu'ils avoient commencé dis-
puter de trois hautes et plus que phisicales propositions, à la
resolution desquelles ils se promettoient montaignes d'or. La
première estoit de l'ombre d'un Asne couillard; l'autre, de la
fumée d'une Lanterne; la tierce, de poil de Chèvre, sçavoir
si c'estoit laine. Puis nous fut dit que chose estrange ne leur
sembloit estre deux contradictoires vrayes en mode, en forme,
en figure, et en temps. Chose pour laquelle les Sophistes de
Paris plus tost se feroient desbaptiser que la confesser.
Nous curieusement considerans les admirables opérations
de ces gens, survint la Dame avec sa noble compagnie, jà
reluisant le clair Hesperus. A sa venue fusmes de rechef en nos
sens espouvantez et esblouys en nostre veuë. Incontinent
nostre effray apperceut, et nous dist : « Ce que fait les hu-
mains pensemens esgarer par les abysmes d'admiration n'est
la souveraineté des effects, lesquels apertement ils esprouvent
naistre des causes naturelles, moyennant l'industrie des sages
artisans : c'est la nouveauté de l'expérience entrant en leurs
sens, non prevoyans la facilité de l'œuvre, avec jugement
serain s'y associe d'estude diligent. Pourtant soyez en cer-
veau, et de toute frayeur vous despouillez, si d'aucune estes
saisis à la considération de ce que voyez par mes officiers,
estre faict. Voyez, entendez, contemplez à vostre hbre arbitre,
tout ce que ma maison contient ; vous peu à peu emancipans
du servage d'ignorance. Le cas bien me siet en volonté. Pour
de laquelle vous donner enseignement non feint, en contem-
plation des studieux désirs desquels me semblez avoir en
vos cœurs fait insigne mont-joye et suffisante preuve, je vous
retiens présentement en estât et office de mes abstracteurs.
Par Geber, mon premier Tabachin, y serez descrits au parte-
ment de ce heu. » Nous la remerciasmes humblement, sans
mot dire : acceptasmes l'offre du bel estât qu'elle nous don-
noit.
PANTAGRUEL 273
CHAPITRE XXIII
COMMENT FUT LA ROYNE A SOUPPER SERVIE,
ET COMMENT ELLE MANGEOIT
La dame, ces propos achevez, se retourna vers ses gentils-
hommes, et leur dist : « L'orifice de l'estomach, commun am-
bassadeur pour ravitaillement de tous membres, tant infé-
rieurs que supérieurs, nous importune leur restaurer, par
apposition de idiones alimens, ce que leur est decheu par
action continue de la naïfve chaleur en l'humidité radicale.
Spodizateurs, Cesinins, Nemains et Perazons, par vous ne
tienne que promptement ne soient tables dressées, foison-
nantes de toute légitime espèce de restaurans. Vous aussi,
nobles Pregustes, accompagnez de mes gentils Massiteres,
l'espreuve de vostre industrie passementee de soin et dili-
gence fait que ne vous puis donner ordre que de sorte ne soyez
en vos ofi&ces et vous teniez tousjouis sus vos gardes. Seule-
ment vous ramente faire ce que faictes. »
Ces mots achevez, se retira avec part de ses damoiselles
quelque peu de temps, et nous fut dict que c'estoit pour soy
baigner, comme estoit la coustume des anciens autant usitée
comme est entre nous de présent laver les mains avant le
past. Les tables feurent promptement dressées, puis teurent
couvertes de nappes tresprecieuses. L'ordre du service fut
tel que la dame ne mangea rien, fors céleste ambrosie ; rien ne
beut que nectar divin. Mais les seigneurs et dames de sa
maison feurent, et nous avec eux, serviz de viandes rares,
friandes et précieuses, si onques en songea Appicius.
Sus l'issue de table fut apporté un pot pourry, si par cas
famine n'eust donné trefves : et estoit de telle amplitude et
T. II. 18
2~ ] LIVRE V, CHAPITRE XXIII
grandeur que ia plataine d'or, laquelle Pythius Bithynus
donna au roy Daire, à peine l'eust couvert. Le pot pourry
estoit plain de potages d'espece3 diverses, sallades, fricassées
saulgrenees, cabirotades, rousty, boully, carbonnades, gran-
des pièces de bœuf salle, janabons de antiquailles, saulmates
deifiques, pastisseries, tarteries, un monde de coscotons à la
moresque, fonnages, joncades, gelées, fruicts de toutes sortes.
Le tout me sembloit bon et friand; toutesfois n'y tastay,
poux estre bien remply et ref aict. Seulement ay à vous advertir
que là vy des pastez en paste, chose assez rare, et les pastez
en paste estoient pastez en pot. Au fond d'iceluy j'apperceu
force dez, cartes, tarots, luettes, eschets, et tabliers avec
plaines tasses d'escus au soleil pour tous ceux qui jouer
vouldroient.
Au dessous finablement j'advisay nombre de muUes bien
phalerees, avec housses de velours, hacquenecs de mesme à
usance d'hommes et femmes, hctieres bien veloutées pareil-
lement ne sçay combien, et quelques coches à la ferraroise
pour ceux qui voudroient aller hors à l'esbat.
Cela ne me sembla estrange, mais je trouvay bien nouvelle
la manière comment la dame mangeoit. Elle ne maschoit
rien, non qu'elle n'eust dens fortes et bonnes, non que ses
viandes ne requissent mastication ; mais tel estoît son usage
et coustume. Les viandes, desquelles ses Pregustes avoient
faict essay, prenoient ses Massiteres, et noblement les luy
ttiaschoient, ayans le gosier doublé de satin cramoisi, à petites
nerveures et canetilles d'or, et les dens d'Ivoire bel et blanc :
moyennant lesquelles, quand ils avoient bien à poinct masché
ses viandes, il les luy couUoient par un embut d'or fin jusques
dedans l'estomach. Par mesme raison nous fut dict qu'elle
ne fiantoit, sinon par procuration.
PANTAGRUEL 2/$
CHAPITRE XXIV
COMMENT FUT, EN LA PRESENCE DE LA QUINTE, FAICT
UN BAL JOYEUX EN FORME DE TOURNOY
Le soupper parfaict, fut en présence de la dame fait lin bal
en mode de tournoy, digne non seulement d'estre regardé,
mais aussi de mémoire éternelle. t*onr iceluy commencer fut
le pavé de la salle couvert d'une ample pièce de tapisselie
veloutée, faite en forme d'eschiquier, savoir est à carreaux,
moitié blanc, moitié j aulne, chascuii large de trois palmes, et
carré de tous costés. Quand en la salle entrèrent trente deux
jeunes personnages, desquels seize estoient vestus de drap
d'or, sçavoir est, huict jeunes Nymphes, ainsi que les pei-
gnoient les Anciens en la compagnie de Diane, un Roy, une
Royne, deux Custodes de la Rocque, deux Chevaliers, et
deux Archiers. En semblable ordre estoient seize autres
vestus de drap d'argent. Leur assiette sus la tapisserie fut
telle : les Roys se tindrent en la dernière ligne, sus le qua-
trième carreau, de sorte que le Roy Auré estoit sus le carreau
blanc, le Roy Argenté sus le ca.rreau j aulne, les Roy nés à
costé de leurs Roys ; la dorée siis le carreau j aulne, l'argentée
sus le caiTeau blanc; deux archiers auprès de chascun costé
comme gardes de leurs Roys et Roynes. Auprès des Archiers
deux Chevaliers, auprès des Chevaliers deux Custodes. Au
rang prochain devant eux estoient les huict Nymphes. Entre
les deux bandes des Nymphes restoient vuides quatre rancs
de caireaux.
Chascune bande avoit de sa part ses musiciens vestus de
pareille Uvrée, uns de damas orengé, autres de damas blanc,
et estoient huict de chascun costé avec instrumeris tous
276 LIVRE V, CHAPITRE XXIV
divers, de joyeuse invention, ensemblement concordans, et
mélodieux à merveille, varians en tons, en temps et mesure,
comme rcqueroit le progrez du bal : ce que je trou vois admi-
rable, attendu la numereuse diversité de pas, de desmarches,
de saux, sursaux, retours, fiaites, embuscades, retraictes et
surprinses. Encores plus transcendoit opinion humaine, ce
me sembloit que les personnages du bal tant soudain enten-
doient le son qui competoit à leurs desmarche ou retraicte,
que plustost n'avoit signifié le ton de la musique, qu'ils se
posoient en place designée, nonobstant que leur procédure
fust toute diverse. Car les Nymphes qui sont en première fil-
liere, comme prestes d'exciter le combat, marchent contre
leurs ennemis droit en avant, d'un carreau en autre : exceptée
la première desmarche, en laquelle leur est hbre passer deux
carreaux; elles seuUes jamais ne reculent. S'il advient qu'une
d'entr' elles passe jusques à la fiUiere de son roy ennemy, elle
est couronnée Royne de son Roy, et prend et desmarche doré-
navant en mesme privilège que la Royne; autrement jamais
ne ferissent les ennemis que en hgne diagonale obliquement,
et devant seulement. Ne leur est toutesfois n'a autres loisible
prendre aucuns de leurs ennemis, si, le prenant, elles lais-
soient leur Roy descouvert et en prinse. Les Roys marchent
et prennent leurs ennemis de toutes laces en carré, et ne pas-
sent que de carreau blanc et prochain au j aulne, et au con-
traire : exceptez qu'à la première desmarche, si leur filliere
estoit trouvée vuide d'autres officiers, tors les Custodes, ils le
peuvent mettre en leur siège, et a costé de luy se retirer. Les
Roynes desmarchent et prennent en plus grande liberté que
tous autres : sçavoir est en tous endroits et en toutes manières,
en toutes sortes, en hgne directe, tant loing que leur plaist
pourveu que ne soit des siens occupé : et diagonale aussi,
pourveu que soit en couleui de son assiette. Les archiers mar-
chent tant en avant comme en arrière, tant loing que prés.
Mesmement aussi jamais ne varient la couleur de leur pre-
PANTAGRUEL 277
miere assiette. Les Chevaliers marchent et prennent eu forme
ligneare, passans un siège franc, encores qu'il fust occupé, ou
des siens, ou des ennemis : et au second soy posans à dextre
ou à senestre, en variation de couleur, qui est sault grande-
ment dommageable à partie adverse, et de grande observa-
tion : car ils ne prennent jamais à face ouverte. Les Custodes
marchent et prennent à face tant à dextre qu'à senestre,
tant arrière que devant comme les Roys, et peuvent tant loing
marcher qu'ils voudront en siège vuide : ce que ne font les
Roys.
La loy commune es deux parties es toit en fin dernière du
combat assiéger et clorre le Roy de part adverse, en manière
qu'évader ne peust de costé quelconque. Iceluy ainsi clos,
fuir ne pouvant, ny des siens estre secouru, cessoit le combat
et perdoit le Roy assiégé. Pour donques de cestuy inconvé-
nient le guarentir, il n'est celuy ne celle de sa bande qui n'y
offre sa vie propre, et se prennent les uns les autres de tous
endroicts, advenant le son de la musique. Quand aucun pre-
noit un prisonnier de part contraire, luy faisant la reverance,
luy frappoit doucement en main dextre, le mettoit hors le
parquet et succedoit en sa place. S'il advenoit qu'un des Roys
fust en prise, n'estoit licite à partie adverse le prandre : ains
estoit faict rigoreux commandement à celuy qui l'avoit des-
couvert, ou le tenoit en prise, luy faire profonde reverance, et
l'advertir, disant : « Dieu vous gard ! » afin que de ses officiers
fust secouru et couvert, ou bien qu'il changeast de place, si
par malheur ne pouvoit estre secouru. N'estoit toutesfois
prins de partie adverse, mais salué le genoil gauche en teire
lui disant : Bon jour. Là estoit fin du toumoy,
2-/S LIVRE V, CHAPITRE XXV
CHAPITRE XXV
COMMENT LES TRENTE DEUX PERSONNAGES DU BAL COMBATENT
Ainsi posées en leurs assiettes les deux compagnies, les
musiciens commencent ensemble sonner en intonation mar-
tiale, assez espouvantablement comme à l'assault. Là voyons
les deux bandes frémir, et soy affermer pour bien combattre,
venant l'heure du hourt, qu'ils seront évoquez hors de leur
camp. Quand soudain les musiciens de la bande argentée ces- '
serent, seulement sonnoient les organes de la bande aurée.
En quoy nous estoit signifié que la bande aurée assailloit. Ce
que bientost advint, car à un ton nouveau veismes que la
Nymphe parquée devant la Royne fist un tour entier à
gausche vers son Roy, comme demandant congé d'entrer en
combat, ensemble aussi saluant toute sa compagnie. Puis des-
marcha deux carreaux avant en bonne modestie, et fist d'un
pied révérence à la bande adverse, laquelle elle assailloit. Là
cessèrent les musiciens aurez, commencèrent les argentez.
Icy n'est à passer en silence que la Nymphe, avoit en tour
salué son Roy et sa compagnie, afin qu'eux ne restassent
ocieux; pareillement la resaluerent en tour entier gyrans à
gauche : excepté la Royne, laquelle vers son Roy se destourna
à dextre. et fut ceste salutation de tous desmarchans obser-
vée, en tout le discours du bal, le ressaluement aussi, tant
d'une bande comme de l'autre.
Au son des musiciens argentez desmarcha la Nymphe
argentée laquelle estoit parquée devant sa Royne, son Roy
saluant gratieusement, et toute sa compagnie, eux de mesme
la resaluans, comme a esté dict des aurees, excepté qu'ils
tournoient à dextre et leur Royne à senestre : se posa sus le
second carreau avant, et faisant révérence à son adversaire.
PANTAGRUEL 279
se tint en face de la première Nymphe aurée sans distance
aucune, comme prestes à combattre, ne fust qu'elles ne frap-
pent que des costez. Leurs compagnes les suyvent, tant aurees
comme argentées, en figure intercalaire, et là font comme
apparence de escarmoucher, tant que la nymphe aurée
laquelle estoit première en camp entrée, frappant en main
une Nymphe argentée à gausche, la mist hors du camp, et
occupa son lieu; mais bien tost, à son nouveau des musiciens,
fut de mesme frappée par l'Archier argenté. Une Nymphe
aurée le fist ailleurs serrer : le Chevalier argenté sortit en
camp ; la Royne aurée se parqua devant son Roy.
Adonc le roy argenté change place, doubtant la furie de
la Royne aurée, et se retira au lieu de son Custode à dextre,
lequel lieu luy sembloit tresbien muny, et en bonne défense.
Les deux Chevaliers qui tenoient à gausche, tant aurez
qu'argentez, desmarchent et font amples prinses des Nym-
phes adverses, lesquelles ne pou voient arrière soy retirer,
mesmement le Chevalier auré, lequel met toute sa cure à
prinse de Nvmphes, Mais le Chevalier argenté pense chose
plus importante, dissimulant son entreprinse, et quelquefois
qu'il a pu prendre une Nymphe aurée, il la laisse et passe
outre, et a tant faict qu'il s'est posé prés ses ennemis, en lieu
auquel il a salué le Roy auré, et dit : « Dieu vous gard ! » La
bande aurée, ayant cestuy advertissement de secourir son
Roy, fremist toute, non que facilement elle ne puisse au Roy
secours soudain donner, mais que, levir Roy saulvant, ils
perdoient leur custode dextre, sans y pouvoir remédier.
Adonques se retira le Roy auré à gausche, et le Chevalier
argenté print le Custode auré : ce que leur fut en grande
perte. Toutesfois la bande aurée délibère de s'en venger, et
l'environnent de tous costez à ce que reffuir il ne puisse ny
eschapper de leurs mains : il fait mille effoits de sortir, les
siens font mille ruses pour le garentir mais enfin la Royne
aurée le print.
28o LIVRE V, CHAPITRE XXV
La bande aurée, privée d'un de ses supposts, s'esvertue, et
à tort et à travers cherche moyen de soy venger, assez incau-
tement, et fait beaucoup de dommage parmy l'osts de ses
ennemis. La bande argentée dissimule et attend l'heure de
revanche, et présente une de ses Nymphes à la Royne aurée,
luy ayant dressé une embuscade secrette, tant qu'à la prinse
de la Nymphe peu s'en faillit que l'Archier auré ne surprinst
la Royne argentée. Le Chevalier auré in'^ente prinse de Roy
et Royne argentée, et dit : « Bon jour. » L'Archier argenté
les saulve ; il fut prins par une Nymphe aurée, icelle fut prinse
par une Nymphe argentée. La bataille fut aspre. Les Custodes
sortent hors de leurs sièges au secours. Tout est en meslee
dangereuse. Enyo encores ne se déclare. Aucunefois tous les
argentez enfoncent jusques à la tente du Roy auré, soudain
sont repoussez. Entre autres la Royne aurée fait grandes
prouesses, et d'une venue prent l'Archier, et, costoyant,
prent le Custode argenté. Ce que voyant, la Royne argentée,
se met en avant, et foudroyé de pareille hardiesse : et prent
le dernier Custode auré, et quelques Nymphes pareillement.
Les deux Roynes combattirent longuement, part taschant
de s'entresurprendre, part pour soy saulver, et leurs, Roys
contregarder. Finalement la Royne aurée print l'argentée,
mais soudain après elle fut prinse par l'Archier argenté. Là
seulement au Roy auré restèrent trois Nymphes, un Archier
et un Custode. A l'argenté restoient trois Nymphes et le
Chevaher dextre : ce que fut cause qu'au reste plus caute-
ment et lentement ils combatirent.
Les deux Rois sembloient dolens d'avoir perdu leurs dames
Roynes tant aimées, et est toute leur estude et tout leur
effort d'en recevoir d'autres, s'ils peuvent, de tout le nombre
de leurs Nymphes, à ceste dignité et nouveau mariage, les
aimer joyeusement, avec promesses certaines d'y estre re-
ceues, si elles pénètrent jusqu'à la dernière fiUiere du Roy
ennemy. Les aurées anticipent, et d'elles est créée une Royne
PANTAGRUEL 28l
nouvelle, à laquelle on impose une couronne en chef, et baille
Ion nouveaux accoustremens.
Les argentées suyvent de mesme : et plus n'estoit qu'une
ligne, qu'une d'elles ne fust Royne nouvelle créée; mais en
cestuy endroit le Custode auré la guettoit; pourtant elle
s'arresta quoy.
La nouvelle Royne aurée voulut, à son advenement, forte,
vaillante et belliqueuse se monstrer. Fit grans faicts d'armes
parmy le camp. Mais en ces entrefaictes le Chevalier argenté
print le Custode auré, lequel gardoit la mete du camp; par
ce moyen fut faicte nouvelle Royne argentée, laquelle se
voulut semblablement vertueuse monstrer à son nouveau
advenement. Fut le combat renouvelle plus ardent que
devant. Mille ruses, mille assaux, mille desmarches furent
faictes, tant d'un costé que d'autre : si bien que la Royne
argentée clandestinement entra en la tente du Roy auré
disant : « Dieu vous gard ! » Et ne peust estre secouru que par
sa nouvelle Royne. Icelle ne fist aucune difficulté de soy oppo-
ser pour le sauver. Adonques le Chevalier argenté, voltigeant
de tous costez, se rend oit prés sa Royne, et misrent le Roy
auré en tel desarroy que pour son salut luy convint perdre
sa Royne. Mais le Roy auré print le ChevaUer argenté. Ce
nonobstant l'Archier auré avec deux Nymphes qui restoient,
à toute leur puissance défendoient leur Roy, mais enfin tous
furent prins et mis hors le camp, et demeura le Roy auré seul.
Lors de toute la bande argentée luy fut dit en profonde révé-
rence . « Bon jour, « comme restant le Roy argenté vainqueur.
A laquelle parole les deux compagnies des musiciens com-
mencèrent ensemble sonner, comme victoire. Et print fin ce
premier bal en tant grande allégresse, gestes tant plaisans,
maintien tant honneste, grâces tant rares, que nous fusmes
tous en nos esprits rians comme gens ecstatiques, et non à
tort nous sembloit que nous fussions transportez es souve-
raines délices et dernière félicité du ciel Olympe,
aSa MVKK V, CHAPITRE XXV
Finy le prenùer tournoy, retournèrent les deux bandes en
leur assiette première, et comme avoient combattu par avant,
ainsi commencèrent à combattre pour la seconde fois, excepté
que la musique fut en mesure sériée d'un demy temps plus
que la précédente; les progrez aussi totalement differens du
premier. Là je vis que la Royne aurée, comme despitée de
la route de son armée, fut par l'intonation de la musique
évoquée, et se mist des premieies en camp avec un Archer et
un Chevalier, et peu s'en faillit qu'elle ne surprint le roy
argenté en sa tente au milieu de ses officiers. Depuis voyant
son entreprinse descouverte s'escarmoucha parmy la trouppe,
et tant desconflt de Nymphes argentées et aultres officiers
que c'estoit cas pitoiable les voir. Vous eussiez dit que ce
fust une autre Panthasilée Amazone foudroyante par le
camp des Grégeois; mais peu dura cestuy esclandre car les
argentés, fremissans à la perte de leuis gens, dissimulans tou-
tesfois leur dueil, luy dressèrent occultement en embuscade
un Archer en angle lointain, et un Chevalier eirant, par les-
quels elle fut prinse et mise hois le camp. Le reste fut bien
tost défait. Elle sera une autre fois mieux advisée, prés de
son Roy se tiendra, tant loin ne s'escartera, et ira, quand aller
faudra, bien autiement accompagnée. Là donques restèrent
les argentez vainqueurs, comme devant.
Pour le tiers et dernier bal, se tindrent en pieds les deux
bandes, comme devant, et me semblèrent porter visage plus
gay et délibère qu'es deux precedens. Et fut la musique serrée
en la mesure plus que de hemiole, en intonation Phrygienne
et bellique, comme celle qu'inventa jadis Marsyas. Adonques
commencèrent tournoyer, et entrer en un merveilleux combat,
avec telle légèreté qu'en un temps de la musique ils faisoient
quatre desmarches, avec les révérences de tours competans,
comme avons dit dessus : de mode que ce n'estoient que
saux, gambades et voltigemens petauristiques entrelassez les
uns parmy les autres. Et les voyans sus un pied tournoyer
PANTAGRUEL 283
après la révérence faicte les comparions au mouvement d'une
rhombe girante au jeu des petits enfans moyennant les
coups de fouet lors que tant subit est son tour que son
mouvement est repos, elle semWe quiète, non soy mouvoir,
ains dormir, comme ils le nomment. Et y figurant un point de
quelque couleur, semble à nostre veuë non point estre, mais
ligne continue, comme sagement l'a noté Cusane, en matière
bien divine.
Là nous n'oyons que frappemens de mains, et episemasies
à tous destroits réitérés tant d'une bande que d'autre. Il
ne fut onques tant severe Caton, ne Crassus l'ayeul tant agCT
laste, ne Timon Athénien tant misanthrope ne Heraclitus
tant adhorrant du propre humain, qui est rire, qui n'eust
perdu contenance, voyant au son de la musique tant sou-
daine, en cinq cens diversitez si soudain se mouvoir, desmar-
cher, sauter, voltiger, gambader, tournoyer, ces jouven-
ceaux avecq' les Roynes et les Nymphes, en telle dextérité
qu'onques l'un ne fist empeschement à l'autre. Tant moindre
estoit le nombre de ceux qui restoient en camp, tant estoit le
plaisir plus grand, veoir les ruses et destours, desquels ils
usoient pour surprendre l'un l'autre, selon que par la musique
leur estoit signifié. Plus vous diray, si ce spectacle plus qu'hu-
main nous rendoit confus en nos sens, estonnez en nos esprits,
et hors de nous-mesmes, encores plus sentions nous nos coeurs
esmeus et eârayez à l'intonation de la musique : et croyrois
facilement que par telle modulation Ismenias excita Alexan-
dre le Grand, estant à table, et disnant en repos, à soy lever
et armes prendre. Au tiers tournoy fut le Roy auré vain-
queur.
Durant lesquelles dances la dame invisiblement se dispa-
rut, et plus ne la vismes. Bien fusmes menez par les miche-
lots de Geber, et là fusmes inscripts en Testât par elle ordonné.
Puis descendans au port Mateotechne, entrasmes en nos navi-
res, entendans qu'avions vent en pouppe, lequel si nous rcfu-
284 LIVRE V, CHAPITRE XXVI
sions sur l'heure, à peine pourroit estre recouvert de trois
quartiers brisans.
CHAPITRE XXVI
COMMENT NOUS DESCENDISMES EN L'ISLE D'ODES, EN LAQUELLE
LES CHEMINS CHEMINENT
Avoir par deux jours navigé, s'offrit à nostre veuë l'Isle
d'Odes, en laquelle vismes une chose mémorable. Les che-
mins sont animaux, si vraye est la sentence d'Aristote, disant
argument invincible d'un animant s'il se meut de soymesme.
Car les chemins cheminent comme animaux et sont les uns
chemins errans, à la semblance des planettes; autres chemins
passans chemins croisans, chemins traversans. Et vy que les
voyagiers, servans et habitans du pays demandoient ; « Où va
ce chemin? et cestuy cy? » On leur respondit : « Entre Midy
et Fevrolles, à la paroisse, à la ville, à la rivière. » Puis se
guindans au chemin opportun, sans autrement se peiner ou
fatiguer, se trouvoient au lieu destiné : comme vous voyez
advenir à ceux qui de Lyon en Avignon et Arles se mettent en
bateau sui le Rosne, et coinme vous savez qu'en toutes choses
il y a de la faute, et rien n'est en tous endroits heureux, aussi
là nous fut dict estre une manière de gens, lesquels ils nom-
moient guetteurs de chemins, et batteurs de pavez. Et les
pauvres chemins les craignoient et s'esloignoient d'eux com-
me des brigands. Il les guettoient au passage, comme on fait
les loups à la traînée, et les bécasses au fillet. Je vy un d'iceux,
lequel estoit appréhendé de la justice, pource qu'il avait prins
injustement, malgré Pallas, le chemin de l'escole, c'estoit le
plus long; un autre se ventoit avoir prins de bonne guerre le
plus court, disant luy estre tel advantage à ceste rencontre
que premier venpit à bout de son entreprinse.
PANTAGRUEL 285
Aussi dist Carpalim à Epistemon, quelque jour le rencon-
trant, sa pissotière au poing, contre une muraille pissant, que
plus ne s'esbahissoit si tous] ours premier estoit au lever du
bon Pantagruel, car il tenoit le plus court et le moins chevau-
chant.
Je y recongnu le grand chemin de Bourges, et le vy mar-
cher à pas d'Abbé, et le vy aussi fuir à la venue de quelques
charretiers qui le menassoient fouUer avec les pieds de leurs
chevaux, et luy faire passer les charrettes dessus le ventre,
comme Tullia fit passer son charriot dessus le ventre de son
père Servius Tullius, sixiesme roy des Romains.
Je y recongnu pareillement le vieux quemin de Peronne à
Sainct Quentin, et me sembloit quemin de bien de sa per-
sonne.
Je y recongnu entre les rochers le bon vieux chemin de la
Ferrate monté sur un grand Ours. Le voyant de loing me sou-
vint de sainct Hierosme en pcincture, si son Ours eust esté
Lyon : car il estoit tout mortifié, avoit la longue barbe toute
blanche et mal peignée ; vous eussiez proprement dit que fus-
sent glassons ; avoit sur soy force grosses patenostres de pinas-
tre mal rabottees, et estoit comme à genoillons, et non debout,
ne couché du tout, et se battoit la poitrine avec grosses et
rudes pierres. Il nous fist peur et pitié ensemble. Le regar-
dant nous tira à part un bachelier courant du pais, et, mons-
trant un chemin bien licé, tout blanc, et quelque peu feustré
de paille, nous dist : « Dorénavant ne desprisez l'opinion de
Thaïes Milesien, disant l'eau estre de toutes choses le com-
mencement, ne la sentence d'Homère, affermant toutes cho-
ses prendre naissance de l'Océan. Ce chemin que voyez nas-
quit d'eau, et s'y en retournera : devant deux mois les bas-
teaux par-cy passoient, à ceste heure y passent les charrettes.
— Vrayement, dist Pantagruel, vous nous la baillez bien
piteuse ! En nostre monde nous en voyons tous les ans de
pareille transformation cinq cens et davantage. »
286 LIVRE V, CHAPITRE XXVII
Puis considerans les alleures de ces chemins mouvans,
nous diat que, selon son jugement, Philolaûs et Aristarchus
avoient en icelle Isle philosophé, Seleucusprins opinion d'affer-
mer la terre véritablement autour des pôles se mouvoir, non
le Ciel, encores qu'il nous semble le contraire estre vérité;
comme estans sus la rivière de I.oire, noUs semblent les arbres
prochains se movoir, toutesfois ils rte se mouvent, mais nous
par le decours du batteau. Retournans à nos navires, vismes
que prés le rivage on mettoit sur la roue trois guetteurs de
chemins qui avoient esté prins en embuscade, et brusloit on à
petit feu un grand paillard, lequel avoit battu un chemin, et
luy avoit rompu une coste, et nous fut dict que c'estoit le
chemin des aggeres et levées du Nil en Egypte.
CHAPITRE XXVII
COMMENÎ PASSASMES EN L'ISLE DES ESCLOTS ET DE L'oRDRE
DES FRERES FREDONS
Depuis passasmes l'Isle des Esclots, lesquels ne vivent que
de souppes de merlus; fusmes toutesfois bien recuillis et
traitez du Roj^ de Tlsle, nommé Benius, tiers de ce nom.
lequel, après boire, vous mena voir un monastère nouveau,
fait, érigé et basty par son invention pour les Frères Fredons :
ainsi nommoit il ses religieux, disant qu'en terre ferme habi-
toient les Frères petits Serviteurs et Amis de la douce dame ;
item, les glorieux et beaux Frères Mineurs, qui sont semibriefs
de bulles; les Frères Minimes haraniers enfumez; aussi les
Frètes Minimes crochus, et que du nom plus diminuer ne
pouvoit qu'en Fredons. Pat les statuts et bulle patente obte-
nue de la Quinte, laquelle est de tous bon accords, ils estoient
tous habillez en brusleurs de maisons, excepté qu'ainsi que
PANTAGRUEL 287
les couvreurs de maisons en Anjou ont les genoux contre-
pointez, ainsi avoient ils les ventres carrelez, et estoient les
carreleurs de ventre en grande réputation parmy eux. Ils
avoient la braguette de leurs chausses à forme de pantoufle,
et en portoient chascun deux, l'une devant et l'autre derrière
cousue, affermans, par ceste duplicité braguatine, quelques
abscons et horrifiques misteres estre duement représentez. Ils
portoient souliers ronds comme bassins, à l'imitation de ceux
qui habitent la mer areneuse : du demourant avoient la barbe
tase et pieds ferrats. Et pour monstrer que de Fortune ils ne
se soucient, il les faisoit raire et plumer, comme cochons, la
partie postérieure de la teste, depuis le sommet jusques aux
omoplates, Les cheveux en devant, depuis les os biegmati-
ques, croissoient en liberté. Ainsi contrefortunoient, comme
gens aucunement ne se soucians des biens qui sont au monde.
Deffians davantage Fortune la diverse, portoient, non en
main comme elle, mais à la ceincture, en guise de patenostres,
chascun un rasouer tranchant, lequel ils esmouloient deux
fois par jour, et affiloient trois fois de nuict.
Dessus les pieds chascun portoit une boulle ronde, parce
qu'est dit Fortune en avoir une soubs ses pieds. Le cahuet de
leurs scaputions estoit devant attaché, non derrière ; en ceste
façon avoient le visaige caché, et se moquoient en liberté,
tant de Fortune comme des fortunez, ne plus ne moins que
font nos damoiselles quand c'est qu'elles ont leur cache-laid,
que vous nommez touret de nez : les anciens le nomment
chareté, parce qu'il couvre en elles de péchez grande multi-
tude. Avoient aussi tousjours patente la partie postérieure
de la teste, comme nous avons le visaige : cela estoit cause
qu'ils alloient de ventre ou de cul, comme bon leur sembloit.
S'ils alloient de cul, vous eussiez estimez estre leur alleure
naturelle, tant à cause des souliers ronds que de la braguette
précédente, la face aussi derrière rase et peinte rudement,
avec deux yeux, une bouche comme vous voyez es nois lûdi-
288 LIVRE V, CHAPITRE XXVII
ques. S'ils alloient de ventre, vous eussiez pensé que fussent
gens jouans au chapifou. C'estoit belle chose de les voir.
Leur manière de vivre estoit telle. Le clair lucifer commen-
çant apparoistre sus terre, ils s'entrebottoient et esperon-
noient l'un l'autre par charité. Ainsi bottez et esperonnez
dormoient ou ronfloient pour le moins : et dormans, avoient
bezicles au nez, ou lunettes pour pire.
Nous trouvions ceste façon de faire estrange ; mais ils nous
contentèrent en la response, nous remonstrans que, le juge-
ment final lors que seioit, les humains prendroient repos et
sommeil. Pour donc evidentement monstrer qu'ils ne refu-
soient y comparoistre, ce que font les fortunez, ils se tenoient
bottez, esperonnez, et prests à monter à cheval quand la
trompette sonner oit.
Midy sonnant (notez que leurs cloches estoient, tant de
l'horloge que de l'Eglise et refectoir, faictes selon la devise
Pontiale, savoir est, de fin duvet contrepoincté, et le batail
estoit d'une queue de renard), midy donques sonnant, ils
s'esveilloient et debottoient; pissoient qui vouloit, et esmeu-
tissoient qui vouloit; esternuoient qui vouloit. Mais tous, par
contrainte, statut rigoureux, amplement et copieusement
baisloient, se desjeun oient de baisler. Le spectacle me sem-
bloit plaisant : car, leurs bottes et espérons mis sus un raste-
lier, ils descendoient aux cloistres : là se lavoient curieuse-
ment les mains et la bouche, puis s'asseoient sus une longue
selle, et se enrôlent les dens jusques à ce que le Prévost fist
signe, sifflant en paulme : lors chascun ouvroit la gueule tant
qu'il pouvoit, et baisloient aucunefois demie heure, aucunefois
plus, et aucunefois moins, selon que le Prieur jugeoit le des-
jeusner estre proportionné à la feste du jour, et après cela
faisoient une belle procession, en laquelle ils portoient deux
bannières, en l'une desquelles estoit en belle peincture le
pourtrait de Vertu, en l'autre, de Fortune. Un Fredon pre-
mier portoit la bannière de Fortune, après luy marchoit un
PANTAGRUEL 289
autie portant celle de Vertu, en main tenant un aspersoir
mouillé en eau mercuriale, descrite par Ovide en ses Fastes,
duquel continuellement il comme fouettoit le précèdent Fre-
don, portant Fortune.
« Cest ordre, dist Panurge, est contre la sentence de Ciceron
et des Académiques, lesquels veulent Vertu précéder, suyvre
Fortune, b Nous fut toutesfois reraonstré qu'ainsi leur conve-
noit il faire, puis que leur intention estoit de fustiger For-
tune.
Durant la procession, ils fredoimoient entre les dens mélo-
dieusement ne sçay quelles antiphones, car je n'entendois
leur patelin : et ententivement escoutant, apperceu qu'ils ne
chantoient que des aureilles. O la belle armonie, et bien con-
cordante au son de leurs cloches ! Jamais ne les voirrez dis-
cordans. Pantagruel fîst un notable mirifique sus leur proces-
sion, et nous dist : « Avez vous veu et noté la finesse de ces Fre-
dons icy? Pour parfaire leur procession, ils sont sortis par
une porte de l'église, et sont entrez par l'autre. Ils se sont bien
gardez d'entrer par où ils sont yssus. Sus mon honneur, ce
sont quelques fines gens : je dy fins à dorer, fins comme une
dague de plomb, fins non affinez, mais afîinans, passés par
estamine fine. — Ceste finesse, dist frère Jean, est extraicte
d'occulte Philosophie, et n'y entends au diable, rien. — D'au-
tant, respondit Pantagruel, est-elle plus redoutable que Ion
n'y entend rien. Car finesse entendue, finesse preveuë, finesse
descouverte, perd de finesse et l'essence et le nom : nous la
nommons lourderie. Sur mon honneur, qu'ils en savent bien
d'autres ! »
La procession achevée comme promenement et exercita-
tion salubre, ils se retiroient en leur refectoir, et dessous les
tables se mettoient à genoux, s'appuyans la poictrine et
stomach chacun sus une lanterne. Eux estans en cest état,
cntroit au grand Esclot, ayant une fourche en main, et là
les traitoit à la fourche : de sorte qu'ils commençoient leur
T. II. 19
ago LIVR]-, V, CHAPITRE XXVII
repas pai* fourmage, et l'achevoient par moustaxde et laictue,
comme tesmoigne Martial avoir esté l'usage des Anciens.
Enfin on leur presentoit à chascun d'eux une platelee de
moustarde après disner.
Leur diette estoit telle : au dimanche ils mangeoient bou-
dins, andouilles, saucissons, fricandeaux, hastereaux, cail-
lettes, exceptez tousjours le fourmage d'entrée et moustarde
pour l'issue. Au lundy, beaux pois au lard, avec ample com-
ment et glose interlineare. Au mard}^ force pain benist,
fouaces, gasteaux, gallettes biscuites. Au mercredy, rusterie :
ce sont belles testes de mouton, testes de veau, testes de be-
douaux, lesquelles abondent en icelle contrée. Au jeudy, pota-
ges de sept sortes, et moustarde éternelle parmy. Au ven-
vredy, rien que cormes, encores n'estoient elles trop meures,
selon que juger je pou vois à leur couleur. Au samedy, ron-
geoient les os : non pourtant estoient ils pauvres ne souffre-
teux, car un chascun avoit bénéfice de ventre bien bon. Leur
boire estoit vin antifortunal : ainsi appelloient ils je ne sçay
quel breuvage du pays. Quand ils vouloient boire ou manger,
ils rabbatoient les cahuets de leurs scaputions par le devant,
et leur servoit de baviere.
Le disner parachevé, ils prioient Dieu tresbien et tout par
fredons; le reste du jour, attendans le jugement final, ils
s'exerçoient à œuvre de charité : au dimanche, se pelaudans
l'un l'autre; au lundy, s'entrenazardans ; au mardy, s'entres-
gratignans; au mercredy, s'entremouchans; au jeudy, s'en-
tretirans les vers du nez; au vendredy, s'entrechatouillans ; au
samedy, s'entrefouettans.
l^elle estoit leur diette quand ils residoiettt en couveht. Si
pai commandement du Prieur claustral ils issoient hors,
défense rigoureuse, sus peine horrifique, leur estoit faite,
poisson lors ne toucher ne manger qu'ils seroient sur tner ou
rivière; ne chair, telle qu'elle lust, lors que ils seroient en
terre ferme, afin qu'à un chascun fust évident qu'en jouyssans
t'ANTAGRUEL 29!
de Tobjct ne jouyssoient de la puissance et concupiscence, et
ne s'en esbranloient non plus que le roc Marpesian : le tout
faisoient avec antiphones compétentes et à propos, tous-
jours chantans des aureilles, comme avons dict. Le soleil
soy couchant en l'Océan, ils bottoient et esperonnoient l'un
l'autre comme devant, et bezicles au nez, se composoient à
dormir. A la minuit l'Esclot entroit, et gens debout : là
esmouloient et affiloient leurs lasouers, et la procession
faite, mettoient les tables sus eux, et repaissoient comme
devant.
Frère Jean des Entommeures. voyant ces joyeux frères
Fredons, et entendant le contenu de leurs statuts, perdit
toute contenance, et, s'escriant hautement, dist : « O le gros
rat à la table ! Je romps cestuy là, et m'en vais par Dieu de
pair. O que n'est icy Priapus, aussi bien que fust aux sacres
nocturnes de Candie, pour le veoir à plein fond peder, et
contrepedant fredonner ! A ceste heure congnois je, en vérité,
que sommes en serre Anticlitone et Antipode. En Germanie
Ion desmolit monastères et defroque-on les Moynes ; icy on les
érige à rebours et à contrepoil. »
CHAPITRE XXVIII
Comment panurge, interroguaxt un frère fredon,
n'eust respoxse de luy qu'en monosyllabes
Panurge, depuis nostre entrée, n'avoit autre chose que pro-
fondement contemplé le minois de ces royaux Fredons ; adonc
tira par la manche un d'iceux maigre comme un diable soret,
et luy demanda : « Frater, fredon, fredan, fredanguille, où est
lasrarse?»
^92
LIVRE V, CHAPIÎRE XXVIÎÎ
Le Frepon luy respond : « Bas.
Panurce. En avez vous beaucoup
céans?
Fr. Peu.
P. Combien au vray sont elles?
Fr. Vingt.
P. Combien en voudriez vous?
Fr. Cent.
P. Où les tenez vous cachées?
Fr. Là.
P. Je suppose qu'elles ne sont toutes
d'un aage, mais quel corsage ont
elles?
Fr. Droit.
P. Le teint, quel?
Fr. Lis.
P. Les cheveux?
Fr. Blonds.
P. Les yeux, quels?
Fr. Noirs.
P. Les tetins?
Fr. Ronds.
P. Le minois?
Fr. Coint.
P. Les sourcils?
Fr. Mois.
P. Leurs attraicts?
Fr. Meurs.
P. Leur regard?
Fr. Franc.
P. Les pieds, quels?
Fr. Plats.
P. Les talons?
Fr. Courts.
P. Le bas, quel?
Fr. Beau.
P. Et les bras?
Fr. Longs.
P. Que portent elles aux mains?
Fr. Gands.
P. Les anneaux du doigt, de quoy?
Fr. D'or.
P. Qu'employez à les vestir?
Fr. Drap.
P. De quel drap les vestez vous?
Fr. Neuf.
P. De quelle couleur est il?
Fr. Pers.
P. Leur chapperonnage, quel?
Fr. Bleu.
P. Leur chaussure, quelle?
Fr. Brun.
P. Tous les susdits draps, quels sont
ils?
Fr. Fins.
P. Qu'est ce de leurs soulliers?
Fr. Cuir.
P. Mais quels sont-ils volontiers?
Fr. Ords.
P. Ainsi marchent en place?
Fr. Tost.
P. Venons à la cuisine, je dis des
garses; et sans nous haster esplu-
chons bien tout par le menu.
Qu'y a il en cuisine?
Fr. Feu.
P. Qui entretient ce feu là?
Fr. Bois.
P. Ce bois icy, quel est il?
Fr. Sec.
P. De quels arbres le prenez?
Fr. D'If.
P. Le menu et les fagots?
Fr. D'houst.
P. Quel bois bruslez en chambre?
Fr. Pins.
P. Et quels arbres encores?
Fr. Teils.
P. Des garses susdites, j'en suis de
moitié; comment les nourrissez
vous?
Fr. Bien.
P. Que mangent elles?
Fr. Pain.
P. Quel?
Fr. Bis.
P. Et quoy plus?
Fr. Chair.
P. Mais comment?
Fr. Rost.
P. Mangent elles point souppesi
Fr. Point.
P. Et de pâtisserie?
Fr. Prou.
I
PANTAGRUEL
293
P. J'en suis; mangent elles point
poisson?
Fr. Si.
P. Comment? Et quoy plus?
Fr. Œufs.
P. Et les aiment?
Fr. Cuits,
P. Je demande comment cuits?
Fr. Durs.
P. Est ce tout leur repas?
Fr. Non.
P. Quoy donc, qu'ont-elles d'avan-
tage?
Fr. Bœuf.
P. Et quoy plus?
Fr. Porc.
P. Et quoy plus?
Fr. Oys.
P. Quoy d'abondant?
Fr. Jars.
P. Item?
Fr. Coqs.
P. Qu'ont elles pour leur saulce?
FR.^Sel.
P. Et pour les friandes?
Fr, Moust.
P. Pour l'issue du repas?
Fr. Ris.
P. Et quoy plus?
Fr. Laict.
P. quoy plus?
Fr. Pois.
P. Mais quels pois entendez vous?
Fr. Vers.
P. Que mettez vous avec?
Fr. Lard.
P. Et des fruicts?
Fr. Bons.
P. Quoy?
Fr. Cruds.
P. Plus?
Fr. Noi.K.
P. Mais comment boivent elles?
Fr. Net.
P. Quoy?
Fr. Vin.
P. Quel?
Fr. Blanc.
P. En hyver?
Fr. Sain.
P. Au printemps?
Fr. Brusq.
P. En esté?
Fr. Frais.
P. En autonne et vendange?
Fk. Doux.
— Pote de froc, s'escria frère Jean, comment ces mastines
icy fredonniques devroient estre grasses, et comment elles
devroient aller au trot, veu qu'elles repaissent si bien et copieu-
sement ! — Attendez, dist Panurge, que j'achève.
P. Quelle heure est quand elles se P. Et quand elles se lèvent?
couchent? Fr. Jour.
Fr. Nuyt.
— Voicy, dist Panurge, le plus gentil Fredon que je chevau-
chay de cest an : pleust à Dieu et au benoist sainct Fredon,
et à la benoiste et digne vierge saincte Fredonne, qu'il fust
premier Président de Paris ! Vertu goy, mon amy, quel expé-
diteur de causes, quel abreviateur de procès, quel vuydeur
^94
LIVRF. V, CHAPITRE XXVIII
de débats, quel esplucheur de sacs, quel fueilleteur de
papiers, quel minuteur d'escritures ce seroit ! Or maintenant
venons sur les aultres vivres, et parlons à traits et à sens
rassis de nos dictes sœurs en charité.
P. Quel est le formulaire?
Fr. Gros.
P. A l'entrée?
Fr. Frais.
P. Au fond?
Fr. Creux.
P. Je disois qu'il y fait?
Fr. Chaud.
P. Qu'v a il au bord?
FR.~Pûil.
P. Quel?
Fr. Roux.
P. Et celuy des plus vieilles?
Fr. Gris.
P. Le sacquement d'elles, quel?
Fr. Prompt.
P. Le remuement des fesses?
Fr. Dru.
P. Toutes sont voltigeantes?
Fr. Trop.
P. Vos instruments, quels sont ils?
Fr. Grands.
P. En leur marge, quels?
Fr. Ronds.
P. Le bout, de quelle couleur?
Fr. Baile.
P. Quand ils ont fait, quels sont ils?
I'r. Cois.
P. Les genitoires, quels sont?
Fr. Lourds.
P. En quelle façon troussez?
Fr. Prés.
P. Quand c'est fait, quels devien-
nent?
Fr. Mats.
P. Or par le serment qu'avez faict,
quand voulez habiter, comment
les projettez vous?
Fr. Jus.
P. Que disent elles en culletant?
Fr. Mot.
P. Seulement elles vous font bonne
chère; au demourant elles pen-
sent au jolj' cas?
Fr. Vray.
P. Vous font elles des enfans?
Fr. Nuls.
P. Comment couchez ensemble?
Fr. Nuds.
P. Par ledit serment qu'avez faict,
quantes fois de bon compte ordi-
nairement le faites vous par jour?
Fr. Six.
P. Et de nuyt?
Fr. Dix.
— Cancre, dist frère Jean, le paillard ne daigneroit passer
seize; il est honteux.
P. Voire, le ferois tu bien autant, Fr. Rien.
frère Jean? Il est, par Dieu, ladre P. Je perds mon sens en ce poinct.
verd. Ainsi font les aultres?
Fr. Tous.
P. Qui est de tous le plus gallant?
Fr. Moy.
P. N'y faites vous onques faute?
Ayant vuydé et espuisé en ce jour
précèdent tous vos vases sperma-
tiques, au jour subséquent y en
peut il tant avoir?
Fr. Plus. ■■
PANTAGRUEL 295
P. Ils ont, ou je resve, l'herbe de P. Comment les chastiez vous?
rindie célébrée par Thcophraste. Fr. Fort.
Mais si par empeschement legi- P. Et en faictes quoy sortir?
time, ou autrement, en ce déduit Fr. Sang.
advient quelque diminution de P. En cela devient leur teint?
membre, comment vous en trou- Fr. Tainct.
vez vous? P. Mieux pour vous il ne serait?
Fr. Mal. Fr. Painct.
P. Et lors que font les garses? P. Aussi restez vous tousjours?
Fr. Bruit. Fr. Craints.
P, Et si cessiez un jour? P. Depuis elles vous cuidcnt?
Fr. Pis. Fr. Saincts.
P, Alors que leur donnez vous? P. Par ledit serment de bois qu'avez
Fr. Trunc. fait, quelle est la saison de l'année
P, Que vous font elles pour lors? quand plus laschement le faites?
Fr. Bren. Fr. Aoust.
P. Que dis tu? P. Celle quand plus brusquement?
Fr. Peds. Fr. Mars.
P. De quel son? P. Au reste vous le faites?
Fr. Cas. Fr. Gay. »
Alors dist Panurge en souriant : « Voicy le pauvre Fredon
du monde : avez vous entendu comment il est résolu, som-
maire et compendieux en ses responses ? Il ne rend que mono-
syllabes. Je croy qu'il feroit d'une cerise trois morceaux. —
Corbieu, dist frère Jean, ainsi ne parle il mie avec ses garses,
il y est bien polysyllabe : vous parlez de trois morceaux d'une
cerise; par sainct Gris, je jurerois que d'une espaule de mous-
ton il ne feroit que deux morceaux, et d'une quarte de vin
qu'un traict. Voyez comment il est hallebrené. — ■ Ceste, dist
Epistemon, meschante ferraille de moines sont pour tout le
monde ainsi aspres sus les vivres, et puis nous disent qu'ils
n'ont que leur vie en ce monde. Que diable ont les Roys et
grands Princes? »
296 LIVRE V, CHAPITRE XXIX
CHAPITRE XXIX
COMMENT l'institution DE QUARESME DESPLAIST A EPISTEMON
« Avez vous, dist Epistemon, noté comment ce meschant
et malautru Fredon nous a allégué Mars comme mois de
luffiennerie? — Ouy, respondit Pantagruel, toutesfois il est
tousjours en quaresme, lequel a esté institué pour macérer
la chair, mortifier les appétits sensuels, et resserer les furies
vénériennes. — En ce, dist Epistemon, pouvez vous juger de
quel sens estoit celuy du Pape qui premier l'institua, que ceste
vilaine savatte de Fredon confesse soy n'estre jamais plus
embrené en paillardise qu'en la saison de quaresme : aussi
pour les eNddentes raisons produites de tous bons et sçavans
médecins, affermans en tout le decours de l'année n'estre
viandes mangées plus excitantes la personne à lubricité qu'en
cestuy temps : febves, poix, phaseols, chiches, oignons, noix,
huytres, harans, saleures, garon, salades toutes composées
d'herbes veneriques, comme eruce, nasitord, targon, cres-
son, berle, response, pavot cornu, houbelon, figues, ris, rai-
sins.
— Vous, dist Pantagruel, seriez bien esbahy, si voyant le
bon Pape, instituteur du Sainct quaresme, estre lors la saison
quand la chaleur naturelle sort du centre du corps, auquel
s'estoit contenue durant les froidures de l'hyver, et se dispert
par la circonférence des membres comme la sève faict es
arbres, auroit ces viandes, qu'avez dictes, ordonnées pour
aider à la multiplication de l'humain lignage. Ce que me l'a
faict penser est que, au papier baptistère de Touars, plus
grand est le nombre des enfans en Octobre et No\'embre nez,
qu'es dix autres mois de l'année, lesquels, selon la supputa-
PANTAGRUEL 297
tion rétrograde, tous estoient faits, conceus et engendrez en
quaresme.
— Je, dist frère Jean, escoute vos propos, et y prends plai-
sir non petit; mais le Curé de Jambert attribuoit ce copieux
engrossissement de femmes, non aux viandes de quaresme,
mais aux petits questeurs voultés, aux petits prescheurs
bottés, aux petits confesseurs crottés, lesquels damnent, par
cestuy temps de leur empire, les ribaulx mariez trois toises au
dessoubs les grifes de Lucifer. A leur terreur les mariez plus
ne biscotent leurs chambrières, se retirent à leurs femmes.
J'ay dict.
— Interprétez, dist Epistemon, l'institution de quaresme
à vostre phantasie : chascun abonde en son sens; mais à la
suppression d'iceluy, laquelle me semble estre impendente,
s'opposeront tous les médecins, je le sçay, je leur ay ouy dire.
Car sans le quaresme, seroit leur art en mespris, rien ne gai-
gneroient, personne ne seroit malade. En quaresme sont tou-
tes maladies semées : c'est la vraye pépinière, la naïfve couche
et promoconde de tous maux. Encores ne considérez que si
quaresme fait les corps pourrir, aussi faict il les âmes enrager.
Diables alors font leurs offices; Caffards alors sortent en
place; Cagots tiennent leurs grands jours, force sessions,
stations, perdonnances, confessions, fouettemens, anathema-
tisations. Je ne veux pourtant inférer que les Arismaspians
soient en cela meilleurs que nous, mais je parle à propos.
— Orçà, dist Panurge, couillon cultant et fredonnant, que
vous semble de cestuy cy? Est-il pas hérétique? — Fr. Très.
P. Doit il pas estre bruslé? Fr. Mort.
Fr. Doibt. P. Car il vous a trop fasché?
P. Et le plustost qu'on pourra? Fr. Las !
Fr. Soit. P. Que vous sembloit il estre?
P. Sans le faire pourbouillir? Fr. Fol !
Fr. Sans. P. Vous dictes fol ou enragé?
P. En quelle manière donc? Fr. Plus.
Fr. Vif. P. Que voudriez vous qu'il fust?
p. Si qu'enfin s'en ensuyve? Fr. Ars,
298 LIVRK V, CHAPITRE XXX
P. Oa en a bruslé d'aultres? Fr. Maints.
Fr. Tant. P. Les rachepterez vous?
P. Oui estoient hérétiques? Fr. Grain.
Fr. Moins. P. Les faut il pas tous bruslerî
P. Encores en bruslera on? Fr. Faut.
— Je ne sçay, dist Epistenion, quel plaisir vous prenez rai-
sonnant avecques ce meschant penaillon de moyne; mais si
d'ailleurs ne m' estiez congnu, vous me créeriez en l'entende-
ment opinion de vous peu honorable. — Allons de par Dieu,
dist Panurge, je l'emmenerois volontiers à Gargantua, tant
il me plaist; quand je seray marié il serviroit à ma femme de
fou. — Voire teur, dist Epistemon, par la figure de Tmesis. —
A ceste heure, dist frère Jean en riant, as tu ton vin, pauvre
Panurge; tu n'eschapperas jamais que tu ne sois coqu jusques
au cul. »
CHAPITRE XXX
COMMENT NOUS VISITASMES LE PAYS DE SATIN
Joyeux d'avoir veu la nouvelle religion des frères Fredons,
navigasmes par deux jours : au troisième, descouvrit nostre
Pilot une Isle belle et délicieuse sus toutes autres ; on l'appel-
loit risle de Frize, car les chemins estoient de frize. En icelle
estoit le pays de Satin, tant renommé entre les pages de Cour :
duquel les arbres et herbes jamais ne perdoient fleurs ne
feuilles, et estoient de damas et velous figuré. Les bestes et
oiseaux estoient de tapisserie. Là nous A'ismes plusieurs
bestes, oiseaux et arbres, tels que les avons de par de ça, en
figure, grandeur, amplitude et couleur : excepté qu'ils ne
mangeoient rien, et point ne chantoient, point aussi ne mor-
doient ils comme font les nostres. Plusieurs aussi y vismes que
n'avions encores veu : entre autres y \dsmes divers elephans
PANTAGRUEL 299
en diverse contenance ; sur tous j'y notay les six masles et six
femelles présentez à Rome, en théâtre, par leur instituteur,
au temps de Germauicus, nepveu de l'Empereur Tibère, cle-
phans doctes, musiciens, philosophes, dcinseurs, pavaniers,
baladins, et estoient à table assis en belle composition, beu-
vans et mangeans en silence comme beaux pères au refec-
touer. Ils ont le museau long de deux coudées, et le nommons
proboscide, avec lequel ils puisent eau pour boire, prennent
palmes, prunes, toutes sortes de mangeailles, s'en deffendent
et offendent comme d'une main : et au combat jettent les
gens haut en l'air, et à la cheute les font crever de rire. Ils ont
moult belles et grandes aureilles de la forme d'un van. Ils ont
joinctures et articulations es jambes; ceux qui ont escrit le
contraire n'en veirent jamais qu'en peinture. Enti'e leurs
dents ils ont deux grandes cornes : ainsi les appelloit Juba,
et dit Pausanias estre cornes, non dents. Philostrate tient que
soient dents, non cornes : ce m'est tout un, pourveu qu'en-
tendiez que c'est le vray yvoire, et sont longues de trois ou
quatre coudées, et sont en la mandibule supérieure, non
inférieure.
Si croyez ceux qui disent le contraire, vous en trouverez
mal, voire fust ce Elian, tiercelet de menterie. Là, non ail-
leurs, en avoit veu Pline, dansans aux sonnettes sus cordes,
et funambules : passant aussi sus les tables en plein banquet,
sans offenser les beuveurs beuvans.
J'y vy un rhinocéros du tout semblable à celuy que Henry
Clerberg m' avoit autrefois monstre, et peu differoit d'un
verrat qu'autrefois j'avois veu à Limoges : excepté qu'il avoit
une corne au muffle, longue d'une coudée et pointue, de la-
quelle il osoit entreprendre contre un éléphant en combat, et
d'icelle le poignant sous le ventre (qui est la plus tendre et
débile partie de Felephant) le rendoit mort par terre.
J'y vy trente deux Unicornes : c'est une beste félonne à
merveille, du tout semblable à un beau cheval, excepté qu'elle
300 LIVRE V, CHAPITRE XXX
a la teste comme un cerf, les pieds comme un éléphant, la
queue comme un sanglier, et au front une corne aiguë, noire,
et longue de six ou sept pieds, laquelle, ordinairement, luy
pend en bas comme la creste d'un coq d'Inde : elle, quand
veut combattre ou autrement s'en ayder, la levé roide et
droite. Une d'icelles je vy accompagnée de divers animaux
sauvages, avec sa corne emonder une fontaine. Là me dist
Panurge que son courtaut ressembloit à ceste Unicorne, non
en longueur du tout, mais en vertu et en propriété : car ainsi
comme elle purifioit l'eau des mares et fontaines d'ordure ou
venin aucun qui y estoit, et ces animaux divers, en seureté,
venoient boire après elle, ainsi seurement on pouvoit après
luy fatrouiller sans danger de chancre, vérole, pisse-chaulde,
pouUains grenes, et tels autres menus suffrages : car si mal
aucun estoit au trou méphitique, il esmondoit tout avec sa
corne nerveuse. — Quand, dist frère Jean, vous serez marié,
nous ferons l'essay sur vostre femme. Pour l'amour de
Dieu soit, puis que nous en donnez instruction fort salubre. —
Voire, respondit Panurge, et soudain en l'estomac la belle
petite pillule agrégative de Dieu, composée de vingt-deux
coups de poignart à la Cesarine. — Mieux vaudroit, disoit
frère Jean, une tasse de quelque bon vin frais. »
J'y vy la toison d'or, conquise par Jason. Ceux qui ont dit
n'estre toison, mais pomme d'or, parce que ar^Xa signifie
pomme et brebis, avoient mal visité le pays de Satin. J'y vy
un caméléon, tel que le descrit Aristoteles, et tel que me
l'avoit quelquefois monstre Charles Marais, médecin insigne
en la noble cité de Lyon sur le Rosne, et ne vivoit que d'air
non plus que l'autre.
J'y vy trois Hydres, telles qu'en avois ailleurs autrefois
veu. Ce sont Serpens, ayant chascun sept testes diverses. J'y
vy quatorze Phénix. J 'avois leu en divers autheurs qu'il n'en
estoit qu'un en tout le monde, pour un aage; mais, selon mon
petit jugement, ceux qui en ont escrit n'en veirent onques
PANTAGRUEL 30I
ailleurs qu'au pays de tapisserie, voire fust-ce Lactance Fir-
mian. J'y vy la peau de l'asne d'or d'Apulée. J'y vy trois cens
et neuf Pélicans, six mille et seize oiseaux Seleucides, mar-
chans en ordonnance, et devorans les austerelles parmy les
bleds; des Cynamolges, des Argathiles, des Caprimulges, des
Thynnuncules, des Crotenotaires, voire, dis je, des Onocro-
tales avec leur grand gosier, des Stymphalides, Harpies,
Panthères, Dorcades, Cemades, Cynocéphales, Satyres, Car-
tasonnes, Tarandes, Ures, Monopes, Pephages, Cèpes, Neares,
Stères, Cercopiteques, Bisons, Musimones, Bytures, Ophyres,
Stryges, Gryphes.
J'y vy la My quaresme à cheval (la My aoust et la My mars
luy tenoient l'estaphe) : Loups-garoux, Centaures, Tygres,
Léopards, Hyènes, Camelopardales, Oryges.
J'y vy une Remore, poisson petit, nommé Echeneis des
Grecs, auprès l'une grande nauf, laquelle ne se mouvoit,
encores qu'elle eust pleines voiles en haulte mer : je croy bien
que c'estoit celle de Periander, le tyran, laquelle un poisson
tant petit arrestoit contre le vent. Et en ce pays de Satin,
non ailleurs, l'avoit veuë Mutianus. Frère Jean nous dist que
par les Cours de Parlement, souloient jadis régner deux sortes
de poisson, lequels faisoient de tous poursuyvans, nobles,
roturiers, pauvres, riches, grands, petits, pourrir les corps et
enrager les âmes. Les premiers estoient poissons d'Avril : ce
sont maquereaux ; les seconds venefiques remores : c'est sem-
pitemité de procès sans fin de jugement.
J'y vy des Sphinges, des Raphes, des Oinces, des Cephes,
lesquels ont les pieds de devant comme les mains, et ceux de
derrière comme les pieds d'un homme; des Crocutes, des
Eales, lesquels sont grands comme hippopotames, ayans la
queue comme elephans, les mandibules comme sangliers, les
cornes mobiles comme sont les aureilles d'asnes. Les Cucro-
cutes, bestes très légères, grandes comme asnes de Mireba-
lais, ont le col, la queue et poictrine comme un lion, les jambes
302 LIVRE V, CHAPITRE XXXI
comme un cerf, la gueule fendue jusques aux aureilles, et
n'ont autres dents qu'une dessus et une autre dessous : elles
parlent de voix humaine, mais lors mot ne sonnèrent. Vous
dictes qu'on ne vit onques Aire de sacre; vrayement j'y en vy
onze, et le notez bien.
J'y vy des hallebardes gàucheres, ailleurs n'en avois veu.
J'y vy des Menthicores, bestes bien estranges : elles ont le
corps comme un lion, le poil rouge, la face et les aureilles
comme un homme, trois rangs de dents, entrant les unes
dedans les autres comme si vous entrelassiez les doigts des
deux mains les uns dedans les autres; en la queue elles ont un
aiguillon, duquel elles poignent, comme font les scorpions,
et ont la voix fort mélodieuse. J'y vy des Catoblepes. bestes
sauvages, petites de corps, mais elles ont les testes grandes
sans proportion : à peine les peuvent lever de terre : elles ont
les yeux tant vénéneux que quiconques les voit meurt sou-
dainement, comme qui verroit un basilic. J'y vy des bestes
à deux dos, lesquelles me sembloient joyeuses à merveille
et copieuses en culletis, plus que n'est la mocitelle, avecques
sempiternel remuement de cropions. J'y "^ des escre visses
laictees, ailleurs jamais n'en avois veu, lesquelles marchoient
en moult belle ordonnance, et les faisoit moult bon veoir.
CHAPITRE XXXI
LOMMENt X\i PAYS DE S.\TIN NOUS VEÎS.MliS OCV-DIRE,
TENANT ESCOLE DE TESMOIGNERIE
Passans quelque peu avant en ce pays de tapisserie, vis m e
la mer Méditerranée ouverte et descouverte jusques aux
abysmes, tout ainsi comme au gouffre Arabie se descouvrit la
mer Erithree, pour faire chemin aux Juifs issans d'Egypte.
PANTAGRUEL 303
Là je recongnu Triton, sonnant de sa grosse conchc, Glaucus,
Proteus, Nereus, et mille autres dieux et monstres marins.
Vismes aussi nombre infiny de poissons en espèces diverses,
dansans, volans, voltigeans, combatans, mangeans, respirans,
belutans, chassans, dressans escamourches, faisans embus-
cades, composans trefves, marchandans, jurans, s'esbatans.
En un coing là prés vismes Aristoteles tenant une lanterne,
en semblable contenance que l'on peint l'hermite prés saint
Christophe, espiant, considérant, le tout rédigeant par escrit.
Derrière luy estoient comme records de sergents plusieurs
autres philosophes : Appianus, Heliodorus, Atheneus, Por-
phyrius, Pancrates. Archadian, Numenius, Possidonius,
Ovidius, Oppianus, Olympius, Seleucus, Leonides, Agatho-
cles, Theophrastes, Damostrates, Mutianus, Nymphodorus,
Elianus, cinq cens autres gens aussi de loisir, comme fut Chry-
sippus uo Aristarchus de Sole, lequel demeura cinquante
huit ans à contempler Testât des abeilles, sans autre chose
faire. Entre iceux j'y advisay Pierre Gylles, lequel tenoit un
urinai en main, considérant en profonde contemplation l'u-
rine de ces beaux poissons.
Avoir longuement considéré ce pays de Satin, dist Panta-
gruel : « J'ay ici longuement repeu mes yeux, mais je ne m'en
peux en rien saouler; mon estomach brait de maie raige de
faim. ■ — Repaissons, repaissons, dis je, et tastons de ces ana-
campserotes qui pendent là dessus. Fy, ce n'est rien qui
vaille. » Je donques prins quelques mirobalans qui pendoient à
un bout de tapisserie; mais je ne les peus mascher, n'avaUer,
et les goustant eussiez proprement dict et juré que fust soye
retorse, et n'avoient saveur aucune. On penseroit qu'Heho-
gabalus là eust prins, comme transsumpt de bulle, forme de
festoyer ceux qu'il avoit longtemps fait jeusner, leur promet-
tant en fin banquet somptueux, abondant, impérial; puis les
paissoit de viandes en cire, en marbre, en potterie, en pein-
tures et nappes figurées.
304 LIVRE V, CHAPITRE XXXI
Cerchans donques par ledit pays si viandes aucunes trou-
verions, en entendismes un bruit strident et divers, comme si
fussent femmes lavant la buée ou traquets de moulins du
Bazacle lez Tolose; sans plus séjourner, nous transportasmes
au lieu où c'estoit, et vismes un petit vieillard bossu, contre-
fait et monstrueux ; on le nommoit Ouy dire : il avoit la gueule
fendue jusques aux aureilles, et dedans la gueule sept langues,
et chaque langue fendue en sept parties; quoy que ce fust, de
toutes sept ensemblement parloit divers propos et langages
divers : avoit aussi parmy la teste et le reste du corps autant
d'aureilles comme jadis eut Argus d'yeux; au reste estoit
aveugle et paralytique des jambes.
Autour de luy je vy nombre innumerable d'hommes et de
femmes escoutans et attentifs, et en recongnu aucuns parmy
la trouppe faisans bon minois, d'entre lesquels un pour lors
tenoit une mappemonde, et la leur exposoit sommairement
par petits aphorismes, et y devenoient clercs et sçavans en
peu d'heures, et parloient de prou de choses prodigieuses ele-
gantement et par bonne mémoire, pour la centiesme partie
desquelles sçavoir ne suffiroit la vie de l'homme : des Pyra-
mides, du Nil, de Babylone, des Troglodites, de Hymantopo-
podes, des Blemmyes, des Pigmees, des Canibales, des monts
Hyperborees, de ^gipanes, de tous les diables, et tout par
Ouy dire.
Là je vy, selon mon advis, Hérodote, Pline, Solin, Berose,
Philostrate, Mêla, Strabo, et tant d'autres antiques, plus
Albert le Jacobin grand, Pierre Tesmoin, Pape Pie second,
Volateran, Paulo Jovio le vaillant homme, Jacques Cartier,
Chaïton Armenian, Marc Paule Vénitien, Ludovic Romain,
Piètre Alvares, et ne sçay combien d'autres modernes histo-
riens cachez derrière une pièce de tapisserie, en tapinois escri-
vans de belles besongnes, et tout par Ouy dire.
Derrière une pièce de velours figuré à feuilles de menthe,
prés d'Owy dire, je vis nombre grand de Percherons et Man-
PANTAGRUEL 305
çeaux, bons estudians, jeunes assez : et demandans en quelle
faculté ils appliquoient leur estude, entendismes que là de
jeunesse ils apprenoient à estre tesmoins, et en cestuy art
proufitoient si bien que, partans du lieu et retournez en leur
province, vivoient lionnestement du niestier de tesmoignerie,
rendans seur tesmoignage de toutes choses à ceux qui plus
donneroient par journée, et tout par Ouy dire. Dictes en ce
que vouldrez, mais ils nous donnèrent de leurs chanteaux, et
beusmes à leurs barils à bonne chère. Puis nous advertirent
cordialement, qu'eussions à espargner vérité, tant que pos-
sible nous seroit, si voulions parvenir en Court de grands sei-
gneurs.
CHAPITRE XXXII
COMMENT NOUS FUT DESCOUVERT LE PAÏS DE LANTERNOIS
Mal traictez et mal repeus au pays de Satin navigasmes
par trois jours : au quatrième en bon heur approchasmes de
Lanternois. Approchans vismes sur mer certains petits feuz
volans : de ma part je pensois que fussent, non lanternes,
mais poissons, qui de la langue flamboyans, hors la mer fissent
feu; ou bien Lampy rides vous, les appelez Cicindeles, là
reluisans comme au soir font en ma patrie, l'orge venant à
maturité. Mais le Pilot nous advertit que c'estoient lanternes
des guets, lesquelles autour de la banlieue descouvroient le
pays, et faisoient escorte à quelques lanternes estrangeres,
qui, comme bons CordeUers et Jacobins, alloient là compa-
roistre au chapitre Provincial. Doutans toutesfois que fust
quelque prognostic de tempeste, nous asseura qu'ainsi estoit.
T. II.
306 LIVRE V, CHAPITRE XXXIII
CHAPITRE XXXIII
COMMENT NOUS DESCENDISMES AU PORT DES LYCHNOBIENS,
ET ENTRASMES EN LANTERNOIS
Sus l'instant entrasmes au port de Lanternois. Là sus une
haute tour recongnut Pantagruel la lanterne de la Rochelle,
laquelle nous fist bonne clarté. Vismes aussi la lanterne de
Pharos, de Xauplion, et d'Acropolis en Athènes sacrée à Pal-
las. Prés le port est un petit village habité par les Lychno-
biens, qui sont peuples vivans de lanternes, comme en nos
païs les frères briffaux vivent de Nonnains, gens de bien et
studieux. Demosthenes y avoit jadis lanterné. De ce heu
jusques au palais fusmes conduits par trois Obeliscolychnies,
gardes militaires du havre, à hauts bonnets, comme Albanois,
esquels exposasmes les causes de nos voyages et délibération,
laquelle estoit là impetrer de la Royne de Lanternois une
lanterne pour nous esclairer et conduire par le voyage que
faisions vers l'oracle de la Bouteille. Ce que nous promirent
faire, et volontiers : adjoustant qu'en bonne occasion et oppor-
tunité estions là arrivez, et qu'avions beau faire chois de lan-
ternes, lors qu'elles tenoient leur chapitre Provincial.
Advenans au palais royal, fusmes par deux lanternes
d'honneur, sçavoir est, la lanterne d'Aristophanes et la lan-
terne de Cleanthes, présentez à la Royne, à laquelle Panurge
en langage Lanternois exposa briefvement les causes de
nostre voyage. Et eusraes d'elle bon recueil, et commande-
ment d'assister à son soupper, pour plus facilement choisir
celle que voudrions pour guide. Ce que nous pleut grande-
ment, et ne fusmes negligens bien tout noter et tout consi-
dérer, tant en leurs gestes, vestemens et maintien, qu'aussi
en l'ordre du service.
PANTAGRUEL 307
La Royne estoit vestuë de cristallin vierge, par art de tau-
chie, et ouvrage damasquin, passementé de gros diamans.
Les lanternes du sang estoient vestues, aucunes de strain
autres de pierres phengites; le demourant estoit de corne, de
papier, de toile cirée. Les fallots pareillement selon leurs estats
et antiquité de leurs maisons. Seulement j'en advisay une de
terre comme un pot, en rang des plus gorgiases : de ce m'es-
bahissant, entendy que c'estoit la lanterne d'Epictetus, de
laquelle on avoit autresfois refusé trois mille dragmes.
J'y consideray diligentement la mode et accoustrement de
la lanterne Polymyxe de Martial, encores plus de l'Icosimixe,
jadis consacrée par Canope, iille de Tisias. J'y notay tresbien
la lanterne Pensile, jadis prinse de Thebes au temple d'Apollo
Palatin, et depuis transportée en la ville de Cyme Éolique
par Alexandre le Conquérant. J'en notay une autre insigne,
à cause d'un beau floc de soye cfamoisine qu'elle avoit sus la
teste. Et me fut dict que c'estoit Bartole, lanterne de droit.
J'en notay pareillement deux autres insignes, à cause des
bourses de clystere, qu'elles portoient à la ceinture, et me fut
dict que l'une estoit le grand, et l'autre le petit Luminaire des
apothicaires.
L'heure du soupper venue, la Royne s'assit en premier lieu,
consequemment les autres selon leur degré et dignité. D'en-
trée de table toutes furent servies de grosses chandelles de
mouUe, excepté que la Royne fut servie d'un gros et roidde
flambeau flamboyant de cire blanche, un peu rouge par le
bout; aussi furent les lanternes du sang exceptées du reste,
et la lanterne provinciale de Mirebalais, laquelle fut servie
d'une chandelle de noix, et la provinciale du bas Poitou,
laquelle je vis estre servie d'une chandelle armée; et Dieu
sçait quelle lumière après elles rendoient avec leur meche-
rons. Exceptez icy un nombre de jeunes lanternes, du gou-
vernement d'une grosse lanterne. Elles ne luisoient comme les
autres, mais me sembloient avoir les paillardes couleurs.
3o8
LIVRE V, CHAPITRE XXXIII bis
Après soupper nous relirasmes pour reposer. Le lendemain
matin la Royne nous fist choisir une lanterne, pour nous
conduire, des plus insignes. Et ainsi prinsmes congé.
CHAPITRE XXXIII *>isi
COMMENT FURENT LES DAMES LANTERNES SERVIES A SOUPPER
Les vezes, bouzines et cornemuses sonnèrent harmonieuse-
ment, et leur furent les viandes apportées. A l'entrée du pre-
mier service, la reine prit en guise de pillules qui sentent si
bon (je dis ante cihum) pour soy desgresser l'estomac, une
cueillerée de petasinne, puis furent servies :
Des corquignolles savoreuses.
Des happelourdes.
Des badigonyeuses.
Des coquemares à la vinaigrette.
Des coquecigrues.
Des etangourres.
Des ballivames en paste.
Des estrones fins à la nasardine.
Des aucbarcs de mer.
Des godiveaulx de lévrier bien bons.
Du promerdis grand viande.
Des bourbelettes.
Primeronges.
Des bregizollons.
Des lansbregotz.
Des freleginingues.
De la bistroye.
Des brigailles mortifiées.
Des genabins de haute fustaye.
Des starabillatz.
Des cormeabotz.
Des cornameuz revestus de bize.
De la gendarmenoyre.
Des jerangoys.
De la trismarmaiUe.
Des ordisopiratz.
De la mopsopige.
Des brebasenas.
Des fundrilles.
Des chinfrenaulx.
Des bubagotz.
Des volepupinges.
Des gafelages.
Des brenouzetz.
De la mirelaridaine.
De la croquepye.
I. Nous intercalons id nn chapitre contenant d'amples détails sur le souper des
Lanternes, dont il vient d'être question. Ce chapitre ne se trouve pas dans les édi-
tions anciennes; il est extrait d'un manuscrit du cinquième livre (voyez la B»W>o-
graphie). En passant ce chapitre, on a, sans aucune altération, le texte de la pre-
mière édition complète publiée en 1564.
PANTAGRUEL
309
En second service furent servies
Des ondrespondredetz.
Des entreduchz.
De la friande vestanpenarderye.
Des baguenauldes.
Des dorelotz de liepvre.
Des bandyelivagues, viande rare.
Des manigoulles de Levant.
Des brinborions de Ponnent.
De la petaradine.
Des notrodilles
De la vesse couliere.
De la foyre en braye.
Du suif d'asnon.
De la crotte en poil.
Du moinascon.
Des fanfreluches.
Des spopondrilloches.
Du laisse moy en paix.
Du tire toy là.
Du boute luy toy mesme.
De la claquemain.
Du sainct balleran.
Des epiboches.
Des ivrichaulx.
Des giboullées de mars.
Des triquebilles.
De la bandaille.
Des smubrelotz.
Des je renie ma vie.
Des hurtalis.
De la patissandrye.
Des ancrastabotz.
Des babillebabous.
De la marabire.
Des sinsanbregoys.
Des quaisse quesse.
Des coquelicous.
Des maralipes.
Du brochancultis.
Des hoppelatz.
De la marnitandaille avec beau pis-
sefort.
Du merdignon.
Des croquinpedaigues.
Des tintaloyes.
Des piedz à boulle
Des chinfrenaulx.
Des nez d'as de treffles en paste.
De pasques de soles.
Des estafilades.
Du guyacoux.
Pour le dernier service furent présentées :
Des drogues semogues.
Des triquedandaines.
Des gringuenauldes à la joncade.
Des brededins brededas.
De la galimaffrée à l'escafignade.
Des barabin barabas.
Des moque croquettes.
De la huquemasche.
De la tirlytantaine.
Des neiges d'antan, desquelles ilz
ont eu en abondance en Lanter-
nois.
Des gringalets.
Du sallehort.
Des mirelaridaines.
Des mizenas.
Des gresamines, fruict délicieux.
Des mariolets.
Des friquenelles.
De la piedebillorie.
De la mouchencuUade.
Du soufSe au cul mien.
De la menigance.
Des tritepoluz.
Des befaibemis.
Des aliborrins.
Des tirepetadans.
Du coquerin.
Des coquilles betissons.
Du croquignolage.
Des tinctamarrois.
310 LlVKi; \', CHAPITRE XXXIII bis
Pour desserte apportèrent ung plain plat de merde cou-
vert d'estrongs fleuris : c'estoit un plat plein de miel blanc,
couvert d'une guimple de soye cramoisine.
Leur boitte fut en tirelarigotz, vaisseaulx, beaulx et anti-
ques, et rien ne beurent fors Elaiodes, breuvage assez mal
plaisant en mon goust; mais en Lanternois c'est boitte déi-
fique; et s'enyvrent comme gens, si bien que je veiz une
vieille lanterne ed entée revestue de parchemin, lanterne
corporalle d'autres jeunes lanternes, laquelle criant aux seme-
tieres : Lampades nostrœ extinguntnr, fut tant ivre du breu-
vage qu'elle, sus chemin, y perdit v\^e et lumière : et feut dict
à Pantagruel que souvent en Lanternois ainsi perissoient les
lanternes, mesmes au temps qu'elles tenoient chapitre.
Le soupper finy, furent les tables levées. Lors, les menes-
triers plus que devant mélodieusement sonnantz, fut par
la Roy ne commancé un bransle double, auquel tous et falotz
et lanternes ensemble dansèrent. Depuys se retira la Royne
en son siège : les autres aux dives sons des bouzines dansa-
rent diversement comme vous pourrez dire :
Serre Martin. Marry de par sa femme.
C'est la belle franciscaue. La gaye.
Dessus les marches d'Arras. Malemaridade.
Bastienne. La pamine.
Le trihorry de Bretagne. Catherine.
Heh', pourtant si estes belle. Saint Poe.
Les sept visaiges. Sanxerre.
La gaillarde. Nevers.
La revergasse. Picardie la jolye.
Les crappaulx et les grues. La doulourouze.
La marquise. Sans elle ne puys.
Si j'ay mon joly temps perdu. Curé, venez donc.
L'espine. Je demeure seulle.
C'est à grand tort. La mousque de Biscaye.
La frisque. L'entrée du fol.
Pas trop je suys brunette. A la venue de Noël.
De mon dueil triste. La péronnelle.
Quand m'y souvient. Le gouvernai.
La galliott A la bannye.
La goutte. Foix.
PANTAGRUEL
3IÏ
Verdure.
Princesse d'amours.
Le cueur est mien.
Le cueur est bon.
Jouissance.
Cliasteaubriant.
Beurre fraiz.
Elle s'en va.
La ducate.
Hors de soulcy. .
Jacqueline.
Le grand helas.
Tant ay d'ennuy.
Mon cyeur sera.
La seignore.
Beauregard.
Perrichon.
Maulgré danger.
Les grandz regretz.
A l'ombre d'un buissonnet.
La douleur qui au cueur me blesse.
La fleurie.
Frère Pierre.
Va-t'en, regret.
Toute noble cité.
N'y boutez pas tout.
Les regretz de l'agneau.
Le bail d'Espaigne.
C'est simplement donné congé.
Mon con est devenu sergent.
Expect ung poc ou pauc.
Le renom d'un esgaré.
Qu'est devenu, ma mignonne.
En attendant la grâce.
En elle n'ay plus de fiance.
En plainctz et pleurs je prends
congé.
Tire-toy là, Guillot.
Amours m'ont faict desplaisir.
Les soupirs du polin.
Je ne sçay pas pourquoi.
Faisons la, faisons.
Noire et tannée.
La belle Françoise.
C'est ma pensée.
O loyal espoir.
C'est mon plaisir.
Fortune.
L'allemande.
Les pensées de ma dame.
Pensez tous la peur.
Belle, à grand tort.
Je ne sçay pas pourquoi.
Helas, que vous a fait mon cueuu
Hé Dieu! quelle femme j'avois'
L'heure est venue de me plaindre.
Mon cueur sera d'aymer.
Qui est bon à ma semblance.
Il est en bonne heure né.
De doleur de l'escuyer.
La douleur de la charte.
Le grand Allemant.
Pour avoir faict au gré de mon amy.
Les manteaulx jaulnes.
Le moût de la vigne.
Toute semblable.
Crémone.
La mercière.
La tripière.
Mes enffans.
Par faulx semblant.
La valantinoise.
Fortune à tort.
Testimonium.
Calabre.
L'estrac.
Amours.
Espérance.
Robinet.
Triste plaisir.
Rigoron Pirouy.
L'oysclet.
Biscaye.
La douloureuse.
Ce que sçavez.
Qu'il est bon.
Le petit helas.
A mon retour.
Je ne fais plus.
Pauvres gensdarmes.
Le faulcheron.
Ce n'est pas jeu.
Beauté.
Te gratie, roine.
3I'
LIVRE V, CHAPITRE XXXIII bis
Patience.
Navarre.
Jac Bourdaing.
Rouhault le fort
Noblesse.
Tout au rebours.
Cauldas.
C'est mon mal.
Dulcis arnica.
Le chauld.
Les chasteaulr
La giroflée.
Vaz an moy.
Jurez le prix.
La nuyt.
Dieu m'envoys.
Bon gouvernement.
My sonnet.
Pampelime.
Ilz ont menti.
Ma joye.
Ma cousine.
Elle revient.
A la moictié.
Tous les biens.
Ce qu'il vous plairra.
Puisqu'en amour suys malheureux.
A la verdure.
Sus toutes les couleurs.
En la bonne heure.
Or fait il bon aymer.
Mes plaisantz champtz.
Mon joly cueur.
Bon pied bon œiL
Hau, bergère, mamye.
La tisserande.
La pavane.
Hely, pourtant si estes belle,
La marguerite.
Or faict il bon.
La laine.
Le temps passé.
Le joly boys.
L'heiure vient.
Le plus dolent.
Touche luy l'anticaille.
Les hayes.
Encore les veiz je danser aux chansons de Poictou dictes
par ung fallot de Sainct Messant, ou un grand baislant de
Parthenay le Vieil.
Notez, beuveurs, que tout alloit de hait; et se faisoient bien
valoir les gentifs fallotz avecques leurs jambes de bois. Sus
la fin fut apporte vin de coucher avecques belle mouscheen-
culade, et fut cr^'é largesse de par la Roy ne, moyennant une
boitte de petasinne. Lors la royne nous octroya le choix
d'une de ses lanternes pour nostre conduicte, telle qu'il nous
plairoit. Par nous fut esleue et choisie la mye du grand
M. P. Lamy, laquelle j'avois autresfoys congneue à bonnes
enseignes. Elle pareillement me recongnoissoit, et nous sem-
bla plus divine, plus hiUque, plus docte, plus saige, plus
diserte, plus humaine, plus débonnaire et plus ydoine, que
autre qui fust en la compaignye pour nostre conduicte.
Remercians bien humblement la dame Royne, feusmes
PANTAGRUEL 313
accompagnez jusques à nostre nauf par sept jeunes fallotz
balladins, ja luysant la claire Diane.
Au départir du palais, je ouys la voix d'un grand fallot à
jambes tortes, disant qu'un bon soir vault mieux que aultant
de bons mastins qu'il y a eu de chastaignes en farce d'oye
depuis le déluge de Ogiges, voulant donner entendre qu'il
n'est bonne chère que de nuyt, lorsque lanternes sont en
place, accompagnées de leurs gentils fallotz. Telles chères
le soleil ne peult veoir de bon œil, tesmoing Jupiter : lorsqu'il
coucha avecques Alcmene mère d'Hercules, il le feit cacher
deux jours, car peu devant il avoit descouvert le larcin de
Mars et de Venus.
CHAPITRE XXXIV
COMMENT NOUS ARRIVASMES A L'oRACLE DE LA BOUTEILLE
Nostre noble Lanterne nous esclairant, et conduisant en
toute joyeuseté, arrivasmes en l'isle désirée, en laquelle estoit
l'oracle de la Bouteille. Descendant Panurge en terre fîst sur
un pied la gambade en l'air gaillardement, et dist à Panta-
gruel : « Aujourd'huy avons nous ce que cherchons avecques
fatigues et labeurs tant divers. » Puis se recommanda cour-
toisement à nostre Lanterne. Icelle nous commanda tous bien
espérer, et, quelque chose qui nous apparust, n'estre aucune-
ment effrayez.
Approchans au temple de la dive Bouteille, nous convenoit
passer parmy un grand vinoble faict de toutes espèces de
vignes, comme Phalerne, Malvoisie, Muscadet, Taige, Beaune,
Mirevaux, Orléans, Picardent, Arbois, Coussi, Anjou, Grave,
Corsicque, Vierron, Nerac et autres. Le dit vinoble fut jadis
par le bon Bacchus planté avec telle bénédiction que tous
314 LIVRE V, CHAl'lTRK XXXI V
temps il portoit feuille, fleur et fruict, comme les orangiers
de Suraine. Nostre Lanterne magnifique nous commanda
manger trois raisins par homme, mettre du pampre en nos
souliers, et prendre une branche verde en main gauche. Au
bout du vignoble passasmes dessous un arc antique, auquel
estoit le trophée d'un beuveur bien mignonnement insculpé,
sçavoir est en un lieu, long ordre de flaccons, bourraches,
bouteilles, fioles, f arriéres, barils, barraux, pots, pintes,
semaises antiques, pendentes d'une treille ombrageuse; en
autre, grande quantité d'ails, oignons, eschalottes, jambons,
boutargues, parodelles, langues de bœuf fumées, formages
vieux, et semblable confiture entrelassee de pampre, et ensem-
ble par grande industrie fagottee avecques des seps : en autre,
cent formes de verres comme verres à pied et verres à che-
val, cuveaux, retombes, hanaps, jadaux, salvernes, tasses,
gobelets, et telle semblable artillerie Bacchique. En la face
de l'arc dessous le zoophore estoient ces deux vers inscrips .
Passant icy ceste poterne
Garny toy de bonne lanterne.
« A cela, dist Pantagruel, avons nous pourveu. Car en toute
la région de Lanternois, n'y a Lanterne meilleure et plus
divine que la nostre. «
Cestuy arc finissoit en une belle et ample tonnelle, toute
faicte de ceps de vignes, aornez de raisins de cinq cens cou-
leurs diverses, et cinq cens diverses formes non naturelles,
mais ainsi composées par art d'agriculture, jaunes, bleux,
tanez, azurez, blancs, noirs, verds, violets, riolez, piolez,
longs, ronds, torangles, couillonnez, couronnez, barbus, ca-
bus, herbus. La fin d'icelle estoit close de trois antiques lierres,
bien verdoyans et tous chargez de bacques. Là nous commande
nostre illustrissime Lanterne, de ce lierre chascun de nous se
faire un chappeau albanois, et s'en couvrir toute la teste.
Ce que fut faict sans demeure. « Dessous, dist lors Pantagruel,
PANTAGRUEL 315
ceste treille d'eust ainsi jadis passé la Pontife de Jupiter. —
La raison, dist nostre preclare Lanterne, estoit mystique. Car
y passant auroit le vin, ce sont les raisins, au dessus de la
teste, et sembleroit estre comme maistrisée et dominée du
vin, pour signifier que les Pontifes, et tous personnages, qui
s'addonnent et dédient à contemplation des choses divines,
doivent en tranquillité leurs esprits maintenir, hors toute
perturbation de sens : laquelle plus est manifestée en yvro-
gnerie qu'en autre passion, quelle que soit.
« Vous pareillement au temple ne seriez receus de la dive
Bouteille, estans par cy dessous passez, sinon que Bacbuc
la noble Pontife vist de pampre vos souliers plains : qui est
acte du tout, et, par entier diamètre contraire au premier, et
signification évidente, que le vin vous est en mespris, et par
vous conculqué et subjugué. — Je, dist frère Jean, ne suis
point clerc, dont me desplaist; mais je trouve dedans mon
bréviaire qu'en la Révélation fut, comme chose admirable,
veue une femme ayant la lune sous les pieds : c' estoit, comme
m'a exposé Bigot, pour signifier qu'elle n' estoit de la race et
nature des autres, qui toutes ont à rebours la lune en teste,
et par conséquent le cerveau tou.çjours lunatique : cela m'in-
duit facilement à croire ce que dictes, madame Lanterne
m' amie. »
CHAPITRE XXXV
COMMENT NOUS DESCENDISMES SOUBS TERRE
POUR ENTRER AU TEMPLE DE LA BOUTEILLE, ET COMMENT
CHINON EST LA PREMIERE VILLE DU MONDE
Ainsi descendismes sous terre par un arceau incrusté de
piastre, peint au dehors rudement d'une danse de femmes et
Satyres, accompagnans le vieil Silenus riant sus son asne. Là
3l6 LIVRE V, CHAPITRE XXXV
je disois à Pantagruel : « Ceste entrée me révoque en souvenir
la Cave peinte de la première ville du monde : car là sont
peinctures pareilles en pareille fraicheur, comme icy. — Où
est? demanda Pantagruel; qui est ceste première ville que
dictes? — Chinon, dis je, ou Caynon en Touraine. — Je sçay,
respondit Pantagruel, où est Chinon, et la Cave peinte aussi,
j'y ay beu maints verres de vin frais, et ne fais doute aucune
que Chinon ne soit ville antique, son blason l'atteste, auquel
est dit : Chinon (deux ou trois fois :) Chinon, petite ville, grand
renom, assise sus pierre ancienne, au haut le bois, au pied la
Vienne. Mais comment seroit elle ville première du monde?
Où le trouvez vous par escrit? Quelle conjecture en avez ! —
Je, dy-je, trouve en l'Escriture sacrée que Cayn fut le premier
bastisseur de villes : vray donques semblable est que la pre-
mière il de son nom nomma Caynon, comme depuis ont à
son imitation tous autres fondateurs et instaurateurs de
viUes imposé leurs noms à icelles : Athene (c'est en grec
Minerve), à Athènes; Alexandre, à Alexandrie; Constantin, à
Constantinople ; Pompée, à PompéiopoHs en CiUcie ; Adrian, à
Adrianople; Cana, aux Cananéens; Saba, aux Sabéians;
Assur, aux Assyriens; Ptolomaïs, Cesarée, Tiberium, Hero-
dium, en Judée. »
Nous tenans ces menus propos, sortit le grand flasque (nos-
tre Lanterne l'appelloit Phlosque) gouverneur de la dive Bou-
teille, accompagné de la garde du temple, et estoient tous Bou-
teillons François. Iceluy nous voyant Tyrsigcre?, comme j'ay
dit, et couronnez de Lierre, recognoissant aussi nostre insigne
Lanterne, nous fist entrer en seureté, et commanda que droit
on nous menast à la princesse Bacbuc, dame d'honneur de
la Bouteille, et Pontife de tous les mystères. Ce que fut f aict.
PANTAGRUEL 317
CHAPITRE XXXVI
COMMENT NOUS DESCENDISMES LES DEGREZ TETRADIQUES,
ET DE LA PEUR QU'EUT PANURGE.
Depuis descendismes un degré marbrin sous terre, là estoit
un repos : tournans à gauche en descendismes deux autres, là
estoit un pareil repos; puis trois à destour, et repos pareil, et
quatre autres de mesme. Là demanda Panurge : « Est ce icy?
— Quants degrez, dist nostre magnifique Lanterne, avec
compté? — Un, respondit Pantagruel, deux, trois, quatre. —
Quants sont ce? demanda elle. — Dix, respondit Pantagruel.
— Par, dist elle, mesme tétrade Pythagorique, multipliez ce
qu'avez résultant. — Ce sont, dist Pantagruel, dix, vingt,
trente, quarante. — Combien fait le tout? dist elle. — Cent,
respondit Pantagruel. — Adjoustez, dist elle, le cube pre-
mier, ce sont huit; au bout de ce nombre fatal trouverons la
porte du temple. Et y notez prudentement que c'est la vraye
Psychogonie de Platon, tant célébrée par les Académiciens, et
tant peu entendue : de laquelle la moictié est composée
d'unité des deux premiers nombres plains, de deux quadran-
gulaires, et de deux cubiques.
Descendans ces degrez numereux sous terre, nous feirent
bien besoin premièrement nos jambes, car sans iceUes ne des-
cendions qu'en roullant comme tonneaux en cave; seconde-
ment nostre preclare Lanterne, car en ceste descente ne nous
apparoissoit autre lumière non plus que si nous fussions au
trou de sainct Patrice en Hybernie, ou en la fosse de Tropho-
nius en Bëotie. Descendue environ septante et huit degrez,
s'escria Panurge, addressant sa parolle à nostre luy santé lan-
terne : « Dame mirifique, je vous prie de cœur contrit, retour-
3l8 LIVRE V, CHAPITRE XXXVI
noiis en arrière. Par la mort bœuf, je meurs de malle peur. Je
consens jamais ne me marier. Vous avez prins de peine et
fatigues beaucoup pour moj''; Dieu vous le rendra en son
grand rendouer; je n'en seray ingrat issant hors ceste caverne
de Troglodytes. Retournons de grâce. Je doubte fort que soit
icy Tenare, par lequel on descend en Enfer, et me semble
que j'oy Cerberus abbayant. Escoutez, c'est luy, ou les aureil-
les me cornent : je n'ay à luy dévotion aucune, car il n'est
mal des dents si grand que quand les chiens nous tiennent aux
jambes. Si c'est icy la fossé de Trophonius, les Lémures et
Lutins nous mangeront tous vifs, comme jadis ils mangèrent
un des hallebardiers de Demetrius, par faute de bribes. Es
tu là, frère Jean? Je te prie, mon bedon, tiens toy prés de
moy, je meurs de peur. As tu ton bragmart? Encores n'ay je
armes aucunes, n' offensives, ne défensives. Retournons.
— J'y suis, dist frère Jean; j'y suis, n'ayes peur; je te tien
au collet, dix-huit diables ne t'emporteroient de mes mains,
encores que sois sans armes. Armes jamais au besoin ne failli-
rent, quand bon cœur est associé de bon bras ; plustost armes
du Ciel pleuveroient, comme aux champs de la Crau, prés les
fosses Mariannes en Provence, jadis pleurent cailloux (ils y
sont encores) pour l'aide d'Hercules, n'ayant autrement de-
quoy combattre les deux enfans de Neptune. Mais quoy !
descendons nous icy es limbes des petits enfans (par Dieu ils
nous concilieront tous), ou bien en Enfer à tous les diables?
Cor Dieu, je les vous galleray bien à ceste heure, que j'ay du
pampre en mes souliers. O que je me battray verdement !
Où est-ce? où sont-ils ? Je ne crains que leurs cornes. Mais
l'idée des cornes que Panurge marié portera m'en garantira
entièrement. Je le voy jà, en esprit prophétique, un autre
Actéon cornant, cornu, cornancul. — Garde, frater, dist
Panurge, attendant qu'on marira les Moines, que n'espouses
la fiebvre quartaine. Car je puisse donc, sauf et sain, i*etoumer
de cestuy Hypogée, en cas que je ne te la beline, pour seule-
PANTAGRUEL 3^9
ment te faire cornigere, cornipetant : autrement, pense- je
bien que la fiebvre quarte est assez mauvaise bague. Il me
souvient que Grippe-minaud te la voulut donner pour femme
mais tu l'appellas hérétique, n
Icy fut le propos interrompu par nostre splendide Lanterne,
nous remonstrant que là estoit le lieu auquel convenoit favo-
ret, et par suppression de paroUes, et taciturnité de langues;
du demourant, fit response pcremptoire que de retourner
sans avoir le mot de la Bouteille n'eussions d'espoir aucun,
puisqu'une fois avions nos souliers feustrez de pampre.
« Passons donques, dist Panurge. et donnons de la teste à
travers tous les diables. A périr n'y a qu'un coup. Toutesfois
je me reservois la vie pour quelque bataille. Boutons, bou-
tons, passons outre. J'ay du courage tant et plus : vray est
que le cœur me tremble; mais c'est pour la froideur et relen-
teur de ce cavayn. Ce n'est de peur, non, ne de fiebvre. Bou-
tons, boutons, passons, poussons, pissons : je m'appelle Guil-
laume sans peur. »
CHAPITRE XXXVII
COMMENT LES PORTES DU TEMPLE PAR SOY MESME
ADMIRABLEMENT s'ENTR'OUVRIRENT
En fin des degrez rencontrasmes un portail de fin jaspe,
tout compassé et basty à ouvrage et forme Dorique, en la
face duquel estoit en lettres Ioniques, d'or trespeur, escrite
cette sentence, 'Ev olvto àÀr;0:'.a. c'est à dire : en vin vérité.
Les deux portes estoient d'airain, comme Corinthian, mas-
sives, faites à petites vinettes, enlevées et esmaillees mignon-
neraent, selon l'exigence de la sculpture, et estoient ensemble
jointes et refermées epgalement en lem" mortaise, sans cla-
320 LIV^RE V, CHAPITRE XXXVII
vure, sans catenat, sans lyaison aucune : seulement y pendoit
un diamant Indique, de la grosseur d'une febve ^Egyptia-
tique, enchâssé en or obrize à deux pointes, en figure exa-
gone, et en ligne directe; à chascun costé vers le mur pendoit
une poignée de scordeon.
Là nous dist nostre noble Lanterne qu'eussions son excuse
pour légitime si elle desistoit plus avant nous conduire ; seule-
ment qu'eussions à obtempérer es instructions de la Pontife
Bacbuc : car entrer dedans ne luy estoit permis, pour certaines
causes, lesquelles taire meilleur estoit à gens vivans vie mor-
telle, qu'exposer. Mais, en tout événement, nous commanda
estre en cerveau, n'avoir frayeur ne peur aucune, et d'elle
se confier pour la retraite : puis tira le Diamant pendant à la
commissure des deux portes, et à dextre le jetta dedans une
capse d'argent, à ce expressément ordonnée; tira aussi de
l'essueil de chascune porte un cordon de soye cramoisine
longue d'une toise et demie, auquel pendoit le scordeon;
l'attacha à deux boucles d'or, expressément pour ce pendantes
aux costez, et se retira à part.
Soubdainement les deux portes, sans que personne y tou-
chast, de soy mesme s'ouvrirent, et, s'ouvrant, firent non
bruit strident, non frémissement horrible, comme font ordi-
nairement portes de bronze rudes et pesantes, mais doux et,
gracieux murmur, retentissant par la voulte du temple
duquel soudain Pantagruel entendit la cause, voyant sous
l'extrémité de l'une et l'autre porte un petit cylindre, lequel
par sus l'essueil joignoit la porte, et se tournant selon qu'elle
se tiroit vers le mur, dessus une dure pierre d'Ophytes, bien
terse, et esgalement polie par son frottement, faisoit ce doux
et harmonieux murmur.
Bien je m'esbahissois comment les deux portes, chascune
par soy, sans l'oppression de personne, estoient ainsi ouvertes,
pour cestuy cas merveiUeux entendre, après que tous fusmes
dedans entrez, je projettay ma veuë entre les portes et le
PANTAGRUEL 32I
mur, convoiteux de sçavoir par quelle force et par quel ins-
trument estoient ainsi refermées, doutant que nostre amiable
Lanterne eust, à la conclusion d'icelles apposé l'herbe dite
Ethiopis, m.oyennant laquelle on ouvre toutes choses fer-
mées; mais j'apperceu que la part en laquelle les deux portes
se fermoient en la mortaise intérieure estoit une lame de fin
acier, enclavée sur le bronze Corinthian.
J'apperceu d'avantage deux tables d'Aimant Indique,
amples et espoisses de demye paume, à couleur cerulee, bien
licees et bien polies; d'icelles toute l'espoisseur estoit dedans
le mur du temple engravee, à l'endroit auquel les portes,
entièrement ouvertes, avoient le mur pour fin d'ouverture.
Par donques la rapacité et violence de l'Aimant, les lames
d'acier, par occulte et admirable institution de nature, patis-
soient cestuy mouvement; consequemment les portes y
estoient lentement ravies et portées, non tous] ours toutes-
fois, mais seulement l'Aimant susdit osté, par la prochaine
cession duquel l'acier estoit de l'obéissance qu'il a naturelle-
ment à l'Aimant absout et dispensé, ostees aussi les deux
poignées de scordeon, lesquelles nostre joyeuse Lanterne
a voit, par le cordon cramoisi, esloignées et suspendues,
parce qu'il mortifie l'Aimant et despouille de ceste vertu at-
tractive.
En l'une des tables susdites, à dextre, estoit exquisitement
insculpé, en lettres Latines antiquaires, ce vers iambique,
senaire :
Ducunt voleniem fata, nolentem trahunt.
c Les destinées mènent celuy qui consent, tirent celuy qui refuse. »
En l'autre je veis à senestre, en majuscules lettres, elegante-
ment insculpé ceste sentence :
TOUTES CHOSES SE MEUVENT A LEUR FIN
T. II.
322 LIVRE V, CHAPITRE XXXVIII
CHAPITRE XXXVIII
COMMENT LE PAVÉ DU TEMPLE ESTOIT FAICT
PAR EMBLEMATURE ADMIRABLE
Luees ces inscriptions, jettay mes yeux à la contempla-
tion du magnifique temple, et considerois l'incredible com-
pacture du pavé, auquel, par raison, ne peut estre ouvrage
comparé quiconque, soit ou ait esté dessous le firmament, .
fust-ce celuy du temple de Fortune en Preneste, au temps de
Sylla; ou le pavé des Grecs, appelé Asarotiim, lequel fit Sosis-
tratus en Pergame. Car il estoit ouvTage tesseré, en forme de
petits carreaux, tous de pierres fines et polies, chascune en sa
couleur naturelle : l'une de Jaspe rouge, tainct plaisamment
de diverses macules; l'autre, d'Ophite; l'autre, de Porphyre;
l'autre, de Licopthalme, semé de scintiles d'or, menues
comme atomes ; l'autre, d'Agathe, à onde de petits flammeaux
confus et sans ordre, de couleur laictée; l'autre, de Calcé-
doine très cher; l'autre, de Jaspe verd, avec certaines veines
rouges et jaunes, et estoient en leur assiette desparties par
ligne diagonale.
Dessus le portique, la structure du pavé estoit une emble-
mature à petites pierres rapportées, chascune en sa naïf va
couleur, servans au dessein des figures, et estoit comme si
par dessus le pavé susdit on eust semé une jonchée de pam-
pre, sans trop curieux agensement. Car, en un lieu, sembloit
estre espandu largement; en l'autre, moins : et estoit ceste
infoliature insigne en tous endroits, mais singulièrement y
apparoissoient, au demy jour, aucuns limassons, en un heu,
rampans sus les raisins; en autre, petits hsars courans à tra-
vers le Pampre : en aultre apparoissoient raisins à demy, et
PANTAGRUEL 323
raisins totalement meurs, par tel art et engin de l'Archi-
tecte composez et formez qu'ils eussent aussi facilement deccu
les estourneaux et autres petits oiselets que fist la peinture
de Zeuxis Heracleotain ; quoy que soit, ils nous trompoient
tresbien, car, à l'endroit auquel l'Architecte avoit le pampre
bien espois semé, craignans nous offenser les pieds, nous mar-
chions haut à grandes enjambées, comme on fait passant
quelque lieu inégal et pierreux. Depuis, jetay mes yeux à
contempler la voulte du temple avec les parois, lesquels
estoient tous incrustez de marbre et porphire, à ouvrage
mosaycque, avec une mirifique emblemature depuis un bout
jusques à l'autre, en laquelle estoit, commençant à la part
senestre de l'entrée, en élégance incroiable, représentée la
bataille que le bon Bacchus gagna contre les Indians, en la
manière que s'ensuit.
CHAPITRE XXXIX
COMMENT EN L OUVR.\GE MOSAVQUE DU TEMPLE
ESTOIT REPRÉSENTÉE LA BATAILLE QUE BACCHUS GAGNA
CONTRE LES INDIANS
Au commencement estoient en figure diverses villes, vil-
lages, chasteaux, forteresses, champs, et forets, toutes
ardentes en feu. En figure aussi estoient femmes diverses
forcenées et dissolues, lesquelles nietoient furieusement en
pièces veaux, moutons et brebis toutes vives, et de leur chair
se paissoient. Là nous estoit signifié comme Bacchus entrant
en Indie mettoit tout à feu et à sang.
Ce nonobstant, tant fut des Indiens desprisé qu'ils ne dai-
gnèrent luy aller encontre, ayans advertissement certain par
leurs espions qu'en son ost n' estoient gens aucuns de guerre,
324 LU'RE V, CHAPITRE XXXIX
mais seulement un petit bon homme vieux, efféminé, et tou-
jours yvre, accompagné de jeunes gens agrestes, tous nuds,
tousjours dansans et sautans, ayans queues et cornes, comme
ont les jeunes chevreaux, et grand nombre de femmes yvres.
Dont se résolurent les laisser outre passer, sans y résister par
armes : comme si à honte non à gloire, à deshonneur et igno-
minie leur revinst, non à honneur et prouesse, avoir de telles
gens victoire. En cestuy despris, Bacchus tousjours gagnoit
païs, et mettoit tout à feu (pource que feu et foudre sont de
Bacchus les armes paternelles, et avant naistre au monde fut
par Jupiter salué de foudre, sa mère Semelé, et sa maison
maternelle arse et destruite par feu), et à sang pareillement,
car naturellement il en faict au temps de paix, et en tire au
temps de guerre. En tesmoignage sont les champs en l'Isle de
Samos dits Panema, c'est à dire tout sanglant, auxquels Bac-
chus les Amazones acconceut, fuyantes de la contrée des
Ephesians, et les mist toutes à mort par phlebothomie, de
mode que ledit champ estoit de sang tout ombeu et couvert.
Dont pourrez doresnavant entendre, mieux que n'a descrit
Aristoteles en ses problèmes, pourquoy jadis on disoit en pro-
verbe commun : « En temps de guerre ne mange et ne plante
menthe. » La raison est, car en temps de guerre sont ordinai-
rement départis coups sans respect : donques l'homme blessé,
s'il a celuy jour manié ou mangé menthe, impossible est, ou
bien difficile, luy restreindre le sang. Consequemment estoit
en la susdite emblemature figuré comment Bacchus marchoit
en bataille, et estoit sur un char magnifique tiré par trois
couples de jeunes pards joints ensemble; sa face estoit comme
d'un jeune enfant, pour enseignement, que tous bons beu-
veurs jamais n'envieiUissent, rouge comme un chérubin,
sans un poil de barbe au menton; en teste portoit cornes
aiguës ; au dessus d'icelles une belle couronne faite de pampres
et de raisins, avec une mitre rouge cramoisine, et estoit
chaussé de brodequins dorez.
PANTAGRUEL 325
En sa compagnie n'estoit un seul homme; toute sa garde
et toutes ses forces estoient de Bassarides, Evantes, Euhya-
des, Edonides, Trietherides, Ogygies, Mimallones, Menades,
Thyades et Bacchides, femmes forcenées, furieuses, enragées,
ceinctes de dragons et serpens vifs en lieu de ceinctures, les
cheveux voletans en l'air, avecques fronteaux de vignes ; ves-
tues de peaux de Cerfs et de Chevreuils, portans en main
petites haches, tyrses, rançons, et hallebardes en forme de
noix de pin, et certains petits bouchers légers sonnans et
bruyans quand on y touchoit, tant peu feust desquels elles
usoient, quand besoin estoit, comme de tabourins et de tym-
bons. Le nombre d'icelles estoit septante et neuf miUe deux
cens vingt sept. L'avant-garde estoit menée par Silenus,
homme auquel il avoit sa fiance totaUe, et duquel par le
passé avoit la vertu et magnanimité de courage et prudence en
divers endroits congneu. C'estoit un petit vieillard tremblant,
courbé, gras, ventru à plein bats ; et les aureilles avoit grandes
et droictes, le nez pointu et aquiUn, et les sourcilles rudes et
grandes; estoit monté sus un asne couiUard : en son poing
tenoit pour soy appuyer un baston, pour aussi gallantement
combattre, si par cas convenoit descendre en pieds, et estoit
vestu d'une roble jaulne à usage de femme. Sa compagnie
estoit de jeunes gens champestres, cornus comme chevreaux,
et cruels comme hons, tous nuds, tousjours chantans et dan-
sans les cordaces : on les appeloit Ty tires et Satyres. Le nom-
bre estoit octante cinq mille six vingts et treize.
Pan menoit l'arriére garde, homme horrifique et mons-
trueux. Car par les parties inférieures du corps il ressem-
bloit à un bouc, les cuisses avoit velues, portoit cornes en
teste droictes contre le Ciel. Le visage avoit rouge et
enfiambé, et la barbe bien fort longue, homme hardy, coura-
geux, hazardeux, et facile à entrer en courroux; en main se-
nestre portoit une flutte, en dextre un baston courbé, ses
bandes estoient semblablement composées de Satyres, Hemi-
3^6 LIVRE V, CHAPITRE XL
pans, Egipans, Aigipans, Sylvains, Faunes, Fatues, Lé-
mures, Lares, Farfadets et Lutins, en nombre de soixante et
dix-huit mille cent et quatorze. Le signe commun à tous
estoit ce mot : Evohe.
CHAPITRE XL
COMMENT EN l' E M BLE MATURE ESTOIT FIGURÉ LE HOURT
ET l'assaut
QUE DOKKOIT LE BON BACCHUS CONTRE LES INDIANS
Consequemment estoit figuré le hourt et l'assaut que don-
doit le bon Bacchus contre les Indians. Là considerois que
Silenus, chef de l'avant garde, suoit à grosses gouttes et son
asne aigrement tourmentoit; l'asne de mesme ouvroit la
gueule horriblement, s'esmouchoit, desmanchoit, s'escar-
mouchoit, en façon espouvantable, comme s'il eust un fieslon
au cul.
Ses Satyres, Capitaines, Sergens de bandes. Caps d'Escadre,
Corporals, avec cornaboux sonnant les orties, furieusement
tournoient au tour de l'armée à saux de chèvres, à bonds, à
pets, à ruades et penades, donnan courage aux compaignons
de vertueusement combattre. Tout le monde en figure cryoit
Evohe. Les Meandes premières faisoient incursion sur les
Indians avec cris horribles, et sons espouvantables de leurs
tymbons et boucliers : tout le Ciel en retentissoit, comme dési-
gnait l'Emblemature, afin que plus tant n'admiriez l'art
d'Apelles, Aristides Thebain, et autres, qui ont painct les
tonnerres, esclairs, foudres, vents, paroles, moeurs, et les
esprits.
Consequemment estoit l'ost des Indians comme adverty
que Bacchus mettoit leur pays en vastation. En front estoient
PANTAGRUEL 327
les Elephans, chargés de Tours, avec gens de guerre en nom-
bre infiny; mais toute l'armée estoit en routte et contre eux,
et sus eux se tournoient et marchoient leurs Elephans par le
tumulte horrible des Bacchides, et la terreur Panique qui leur
avoit le sens tollu. Là eussiez vcu Silenus son asne aigrement
talonner, et s'escrimer de son baston à la vieille escrime, son
asne voltiger après les Elephans la gueule bée, comme s'il
brailloit, et braillant martialement (en pareille braveté que
jadis es veilla la nymphe Lotis en plains Bacchanales, quand
Priapus plein de Priapisme, la vouloit dormant Priapiser
sans la prier) sonnast l'assaut.
Là eussiez veu Pan sauteler avec ses jambes tortes autour
des Menades, avec sa fluste rustique les exciter à vertueuse-
ment combastre. Là eussiez aussi veu en après un jeune
Satyre mener prisonniers dix-sept Roys, une Bacchide tirer
avec ses Serpens quarante et deux Capitaines, un petit
Faune porter douze enseignes prinses sur les ennemis, et le
bon homme Bacchus sur son char se pourmener en seureté
parmy le camp, riant, se gaudissant et beuvant d'autant à
un chascun. En fin estoit représenté, en figure emblématique,
le trophée de la victoire et triomphe du bon Bacchus.
Son char triomphant estoit tout couvert de Lierre, prins
et cueilly en la montagne Meros, et ce pour la rarité, laquelle
hausse le prix de toutes choses, en Indie expressément d'icelles
herbes. En ce depuis l'imita Alexandre le Grand en son triom-
phe Indique, et estoit le char tyré par Elephans joints ensem-
ble. En ce depuis l'imita Pompée le Grand à Rome, en son
triomphe Africain. Dessus estoit le noble Bacchus beuvant
en un canthare. En ce depuis l'imita Caius Marins, après la
victoire des Cymbres, qu'il obtint prés Aix en Provence.
Toute son armée estoit couronnée de Lierre; leurs tyrses,
boucliers et tymbons en estoient couvers. Il n'estoit l'asne
de Silenus qui n'en fust cappai'assonné.
Es costez du char estoient les Roys Indians, prins et liés
328 LIVRE V, CHAPITRE XLI
à grosses chaisnes d'or ; toute la brigade marchoit avec pom-
pes divines en joie et liesse indicibles, portant infinis trophées
et fercules et depsouilles des ennemis, en joyeux Epinicies
et petites chansons villatiques et dithyrambes resonnans.
Au bout estoit descript le pays d'Egypte, avec le Nil et ses
Crocodiles, Cercopithecques, Ibides, Singes, Trochiles, Ich-
neumones. Hippopotames, et autres bestes à luy domestiques,
et Bacchus marchoit en icelles contrées à la conduite de deux
bœufs, sus l'un desquels estoit escrit en lettres d'or : Apis,
sus l'autre : Osyris, pource qu'en Egypte, avant la venue de
Bacchus, n'a voit esté veu bœuf ny vache.
CHAPITRE XLI
COMMENT LE TEMPLE ESTOIT ESCLAIRÉ
PAR VNE LAMPE ADMIRABLE
Avant qu'entrer en l'exposition de la Bouteille, je vous
descriray la figure admirable d'une Lampe, moyennant
laquelle estoit eslargie lumière par tout le temple, tant
copieuse qu'encores qu'il fust subterrain on y voyoit comme
en plein midy nous voyons le Soleil cler et serain luysant sus
terre. Au miUeu de la voulte estoit un anneau d'or massif
attaché, de la grosseur de plein poing, auquel pendoient, de
grosseur peu moindre, trois chesnes bien artificiellement
faites, lesquelles de deux pieds et demy en l'air comprenoient
en figure triangle une lame de fin or, ronde, de telle grandeur
que le diamètre excedoit deux coudées et demye palme. En
icelle estoient quatre boucles ou pertuys, en chascune des-
quelles estoit fixement retenue une boule vuyde, cavée par le
dedans, ouverte du dessus, comme une petite Lampe, ayant
PANTAGRUEL 329
en circonférence environ deux palmes, et estoient toutes de
pierres bien précieuses : l'une d'Améthyste, l'autre de Car-
boucle Lybien, la tierce d'Opalle, la quarte d'Anthracithe.
Chascune estoit pleine d'eau ardente cinq fois distillée par
Alambic serpentm, incomsomptible comme l'huille que jadis
mist Callimachus en la lampe d'or de Pallas en l'Acropolis
d'Athènes, avec un ardent lychnion faict, part de lin Asbestin
(comme estoit jadis au temple de Jvipiter en Ammonie, et le
veit Cleombrotus philosophe tresstudieux) , part de lin Car-
pasien, lesquels par feu plustost sont renouveliez que con-
sommez.
Au dessouz d'icelle lampe, environ deux pieds et demy, les
trois chesnes en leurs figures premières estoient embouclées
en trois anses, lesquelles issoient d'une grande lampe ronde
de Cristalin trespur, ayant en diamètre une coudée et demye,
laquelle au dessus estoit ouverte environ deux palmes : par
ceste ouverture estoit au milieu posé un vaisseau de Cristalin
pareil, en forme de coucourde, ou comme un urinai, et descen-
doit jusques au fond de la grande lampe, avec telle quantité
de la susdicte eau ardente que la flamme du lin Asbestin estoit
droictement au centre de la grande lampe. Par ce moyen
sembloit donc tout le corps spherique d'icelle ardre et enflam-
boyer, parce que le feu estoit au centre et poinct moyen.
Et estoit difficile d'y asseoir ferme et constant regard,
comme on ne peut au corps du Soleil, obstant la matière de si
merveilleuse perspicuité, et l'ouvrage tant diaphane et subtil,
par la reflexion des diverses couleurs (qui sont naturelles es
pierres précieuses) des quatre petites lampes supérieures à
la grande inférieure, et d'icelles quatre estoit la resplandeur en
tous points inconstante et vacillante par le temple. Venant
davantage icelle vague lumière toucher sur la poUissure du
marbre, duquel estoit incrusté tout le dedans du temple,
apparoissoient telles couleurs que voyons en l'arc céleste,
quand le clair Soleil touche les nues pluvieuses.
330 LIVRE V, CHAPITRE XLIl
L'invention cstoit admirable, mais encores plus admirable,
ce me sembloit, que le sculpteur avoit, autour de la corpu-
lence d'icelle lampe ciistaline, engravée, à ouvrage catagly-
phc, une prompte et gaillarde bataille de petits enfants nuds,
montez sus des petits chevaux de bois, avec lances de viro-
lets, et pavois faits subtilement de grappes de raisins, entre-
lassez de pampre, avec gestes et efforts puériles tant ingénieu-
sement par art expiimez que nature mieux ne le pourroit. Et
ne sembloient engravez dedans la matière, mais en bosse, ou
pour le moins en crotesque apaproissoient enlevez totale-
ment, moyennant la diverse et plaisante lumière, laquelle
dedans contenue ressortissoit par la scuplture.
CHAPITRE XLII
COMMENT, PAR LA PONTIFE BACBUC, NOUS FUT MONSTRE
DEDANS LE TEMPLE UNE FONTAINE FANTASTIQUE
Considerans en ecstase ce temple mirifique et lampe mémo-
rable, s'offrit à nous la vénérable pontile Bacbuc avec sa
compagnie, à face joyeuse et riante; et, nous voyans accous-
trez comme a esté dit, sans difficulté nous introduit au lieu
moyen du temple, auquel dessouz la lampe susdite estoit la
belle fontaine fantastique, d'estoffe et ouvrage plus précieux,
plus rare et mirifique, que oncques ne songea Dedalus. Ees
limbe, plinthe et soubassement d'icelle estoient de trespur
et treslucide alabastre, hauteur ayant de trois palmes, peu
plus, en figure heptagonne, esgalement party par dehors, avec
force stylobates, arulettes, cimasultes et undiculations dori-
ques à l'entour. Par dedans estoit ronde exactement. Sus le
poinct moyen de chascun angle, en marge, estoit assise une
coulomne ventriculée, en forme d'un cycle d'yvoire ou
PANTAGRUEL 331
balustre (les modernes architectes l'appellent porfri). et
estoient sept en nombre total, selon les sept angles. La lon-
gueur d'icelles, depuis les bases jusques aux architraves,
estoit de sept palmes, peu moins, à juste et exquise dimension
d'un diamètre passant par le centre de la circonférence et
rotondité intérieure.
Et estoit l'assiette en telle composition que, projettans la
veuë derrière l'une, quelle que fust en sa cube, pour regarder
les autres opposites, trouvions le cône pyramidal de nostre
ligne visuale finer an centre susdit, et là recevoir, de deux
opposites, rencontre d'un triangle equilateral, duquel deux
lignes partissoient esgalement la colomne (celle que voulions
mesurer) et passante d'un costé et d'autre, deux colonnes
franches à la première, tierce partie d'intervalle, rencontroient
leur ligne basique et fondamentale; laquelle par ligne con-
sulte, pourtraicte jusques au centre universsal, esgalement
mipartie rendoit en juste départ la distance des sept colom-
nes et n'estoit possible faire rencontre d'autre colomne oppo-
site par ligne directe principiante à l'angle obtus de la
marge, comme vous sçavez qu'en toute figure angulaire
impare, un angle tousjours est au milieu des deux autres
trouvé intercalant. En quoy nous estoit tacitement exposé
que sept demis diamètres font, en proportion géométrique,
amplitude et distance, peu moins telle qu'est la circon-
ferance de la figure circulaire, de laquelle ils seroient extraits,
sçavoir est, trois entiers avec une huitiesme et demie, peu
plus, ou une septiesme et demie, peu moins, selon l'antique
advertissement d'Euclides, Aristoteles, Archimede et aultres.
La première colomne, sçavoir est, celle laquelle à l'entrée
du temple s'objettoit à nostre veuë, estoit de Saplnr azuré et
céleste.
La seconde, de Hiacinthe, naïfvement la couleur (avec let-
tres Grecques A. I. en divers Ueux) représentant de celle fleur
en laquelle fut d'Ajax le sang colérique converty.
332 LIVRE V, CHAPITRE XLII
La tierce, de Diamant Anachite, brillant et resplendissant
comme foudre.
La quarte, de Rubis ballay, masculin, et Amethistizant, de
manière que sa flamme et lueur finissoit en pourpre et violet,
comme est l'Amethiste.
La quinte, d'Emeraude, plus cinq cens fois magnifique
qu'onques ne fut celle de Serapis dedans le labyrinthe des
^gj'^ptiens, plus floride et plus luysante que n'estoient celles
qu'en lieu des yeux on avoit apposé au Hon marbrin gisant
prés le tombeau du roy Hermias.
La sexte, d'Agathe plus joyeuse et variante en distinctions
de macules et couleurs que ne fut celle que tant chère tenoit
Pirrhus, roy des Epirotes.
La septiesme, de Selenite transparente, en blancheur de
Berylle, avec resplendeur comme miel Hymetian, et dedans y
apparoissoit la Lune, en figure et mouvement telle qu'elles
est au ciel, pleine, silente, croissante, ou décroissante.
Qui sont pierres, par les antiques Chaldeans et mages attri-
buées aux sept planettes du ciel. Pour laquelle chose par plus
rude Minerve entendre, sus la première de Saphir estoit au-
dessus du chapiteau à la vive et centrique hgne perpendicu-
laire eslevée, en plomb elutian bien précieux, l'image de Sa-
turne tenant sa faux, ayant aux pieds une Grue d'or artificiel-
lement esmaillée, selon la competance des couleurs naïfve-
ment deuz à l'oiseau Saturnin.
Sus la seconde de Hiacinthe, tournant à gausche estoit
Jupiter en estain jovetian, sus la poictrine un Aigle d'or es-
maillé selon le naturel.
Sus la troisiesme, Phœbus en or obrize, en sa main dextre
un coq blanc.
Sus la quatriesme en airain corinthien. Mars, à ses pieds un
lion.
Sus la cinqmesme, Venus en cuyvre, de matière pareille
à celle dont Aristonides fist la statue d'Athamas exprimant
PANTAGRUEL 330
en rougissante blancheur la honte qu'il avoit contemplant
Léarche son fils mort d'une cheute, une colombe à ses pieds.
Sus la sixiesme, Mercure en hydrargyre, fixe, maléable et
immobile, à ses pieds une cigogne.
Sus la septiesme, Luna en argent, à ses pieds un lévrier.
Et estoient ces statues de telle hauteur qui estoit la tierce
partie des colomnes sujettes, peu plus; tant ingénieusement
représentées, selon le portraict des mathématiciens, que le
canon de Polycletus, lequel faisant fut dit l'art apprendre de
l'art avoir fait, à peine y cust esté receu à comparaison.
Les bases des colomnes, les chapiteaux, les architraves,
zoophores et cornices, estoient à ouvrage phrygien, massifves,
d'or plus pur et plus fin que n'en porte le Leede prés Mont-
peher, le Gange en Indie, le Pau en Italie, l'Hebrus en Thrace,
le Tage en Espagne, le Pactol en Lydie. Les arceaux entre les
colomne surgeoient, de la propre pierre d'icelles jusques à la
prochaine, par ordre : sçavoir est, de Saphir vers le Lliacinthe,
de Hiacinthe vers le Diamant, et ainsi consécutivement.
Dessus les arcs et chapiteaux de colomne en face intérieure
estoit une croppe érigée pour couverture de la fontaine,
laquelle derrière l'assiette des planettes commençoit en figure
heptagone, et lentement finissoit en figure spherique; et
estoit de Cristal tant emundé, tant diaphane et tant poly,
entier et uniforme en toutes ses parties, sans venes, sans
nuées, sans glassons, sans capilamans, que Xenocrates onques
n'en vid qui fust à luy à parangonner. Dedans la corpulence
d'icelle estoient par ordre en figure et characteres exquis arti-
ficieUement insculpez les douze signes du zodiaque, les douze
mois de l'an avec leurs proprietez, les deux solstices, les deux
equinoxes, la ligne eclyptique, avec certaines plus insignes
estoilles fixes, autour du pôle Antartique, et ailleurs, par tel
art et expression que je pensois estre ouvrage du Roy Necep-
sus, ou de Petosiris, antique Mathématicien.
Sus le sommet de la croppe susdite, correspondant au centre
334 LIVRE V, CHAPITRE XLII
de la fontaine, estoient trois unions eleichies, uniformes, de
figure turbinée en totale perfection lachrimale, toutes ensem-
ble cohérentes en forme de fleur de lys tant grande que la
fleur excedoit une palme. Du calice d'icelle sortoit un Car-
boucle gros comme un œuf d'Autruche, taillé en forme hep-
tagone (c'est nombre fort aimé de nature), tant prodigieux et
admirable que, levans nos yeux pour le contempler, peu s'en-
faillit que perdissions la veuë. Car plus flamboyant, ne plus
croissant n'est le leu du Soleil, ne l'esclair, que lors il nous
apparoissoit : tellement qu'entre justes estimateurs, jugé faci-
lement seroit plus estre, en ceste fontaine et lampes cy dessus
descriptes, de richesses et singularitez que n'en contiennent
l'Asie, l'Affrique et l'Europe ensemble. Et eust aussi facile-
ment obscurcy le pantharbe de larchas, magicien Indic, que
sont les estoilles par le Soleil et clair midy.
Aille maintenant se vanter Cléopatre. Royne d'^Egypte,
avec ses deux unions pendans à ses oreilles, desquels l'un,
présent Antonius triumvir, elle par force de vinaigre fondit
en eau et avala, estant à l'estimation de cent fois sexterces.
Aille se pomper Lullie Pauline avec sa robbe toute couverte
d'emeraudes et marguerites, en tissure alternative, laquelle
tiroit en admiration tout le peuple de la \alle de Rome. La-
quelle on disoit estre fosse et magazin des vainqueurs larrons
de tout le monde.
Le coulement et laps de la fontaine estoit par trois tubules
et canals faits de marguerites fines en l'assiette de trois angles
equilatêraux promarginaires cy dessus exposez : et estoient
les canals produits en ligne limaciale bipartiente. ISous, avoir
iceux considéré, ailleurs tournions nostre veuë, quand Bac-
buc nous commanda entendre à l'exiture de l'eau : lors enten-
dismes un son à merveille harmonieux, obtus toutesfois et
rompu, comme de loin venant et soubterrain. En quoy plus
nous sembloit délectable que si apert eust esté et de prés ouy.
De sorte qu'autant, par les fenestres de nos yeux, nos esprits
PANTAGRUEL 335
s'estoient oblectez à la contemplation des choses susdites,
autant en restoit il aux aureilles, à l'audiance de ceste har-
monie.
Adonc nous dist Bacbuc : « Vos Philosophes nient estre
par vertu de figures mouvement faict; oyez icy, et voyez le
contraire. Par la seule figure limaciale que voyez bipartiente,
ensemble une quintuple infoliature mobile à chascune ren-
contre intérieure (telle qu'est en la veine cave au lieu qu'elle
entre le dextre ventricule du cœur), est ceste sacrée fontaine
escoulée, et pai icelle une armonie telle qu'elle monte jusques
à la mer de vostre monde. «
CHAPITRE XLIII
COMMENT L EAU DE LA FONTAINE RENDOIT GOUST DE VIN
SELON l'imagination DES BEUVEURS
Puis commanda estre hanaps, tasses et goubeletz pré-
sentez, d'or, d'argent, de crystal, de porcelaine; et fusmes
gratieusement invitez à boire de la liqueur sourdante d'icelle
fontaine : ce que feismes volontiers.
Car, pour clerement vous âdvertir, nous ne sommes de
calibre d'un tas de veaux qui, comme les passereaux ne man-
gent sinon qu'on leur tappe la queue, pareillement ne boi-
vent ne mangent sinon qu'on les rue à grands coups de levier.
Jamais personne n'esconduisons nous invitant courtoise-
ment à boire. Puis nous interrogea Bacbuc, demandant que
nous en sembloit. Nous luy fismes response, que ce nous sem-
bloit bonne et fresche eau de fontaine, limpide et argentine,
plus que n'est Argirondes en Etoile, Peneus en Thessalie,
Axius en Migdonie, Cidnus en Cilicie, lequel voyant Alexan-
dre Macedon tant beau, tant clair et tant froid en cœur d'esté,
33^ LIVRE V, CHAPITRE XLIII
composa la volupté de soy dedans baigner au mal qu'il pre-
voyoit luy advenir de ce transitoire plaisir. « Ha ! dist Bac-
buc, voylà que c'est non considérer en soy, ne entendre les
mouvemens que faict la langue musculeuse, lorsque le boire
dessus coule pour descendre, non es poulmops, par l'artère
inequale, comme a esté l'opinion du bon Platon, Plutarque,
Macrobe, et autres, mais en l'estomac par l'œsophage. Gens
peregrins, avez vous les gosiers enduits, pavez et esmaillez,
comme eut jadis Pithyllus, dit Theutes, que de ceste liqueur
deifique onques n'avez le goust ne saveur recongneu ? Appor-
tez icy, dist elle à ses damoiselles, mes descrottoires que
sçavez, afin de leur racler, esmonder et nettoyer le palat. »
Furent donques apportez beaux, gros et joyeux jambons,
belles grosses et joyeuses langues de bœuf fumées, saumades
belles et bonnes, cervelats, boutargues, caviar, bonnes et
belles saucisses de venaison, et tels autres ramonneurs de
gosier. Par son commandement nous en mangeasmes j usques
là que confessions nos estomachs estre tresbien escurez et soif
nous importuner assez fascheusement ; dont nous dist : « Jadis
un Capitaine juif, docte et chevalereux, conduisant son
peuple par les desers en extrême famine, impetra des cieux
la manne, laquelle leur estoit de goust tel, par imagination,
que par avant réalement leur estoient les viandes ; ici de mes-
mes, beuvans de ceste liqueur mirifique, sentirez goust de
tel vin comme l'aurez imaginé. Or, imaginez et beuvez. » Ce
que nous fismes. Puis s'escria Panurge, disant : « Par Dieu,
c'est icy vin de Beaune, meilleur qu' onques jamais je beus, ou
je me donne à nonante et seize diables. O pour plus longue-
ment le gouster, qui auroit le col long de trois coudées, comme
desiroit Philoxenus, ou comme une grue, ainsi que souhaitoit
Melanthius ! — Foy de lanternier, s'escria frère Jean, c'est
vin de Grave, gallant et voltigeant. O pour Dieu, amye, ensei-
gnez moy la manière comment tel le faictes. — A moy, dist
Pantagruel, il me semble que sont vins de Mireveaux, car
PANTAGRUEL 337
avant boire je l'imaginois. Il n'a que ce mal qu'il est frais,
mais je dis frais plus que glace, que l'eau de Nonacris et
Derce, plus que la fontaine de Canthoporie en Corinthe,
laquelle glassoit l'estomach et parties nutritives de ceux qui
en beuvoient. — Beuvez, dist Bacbuc, une, deux ou trois fois.
De rechef, changeans d'imagination, telle trouverez au goust,
saveur ou liqueur, comme l'aurez imaginé. Et doresnavant,
dictes qu'à Dieu rien soit impossible. — Onques, respondis
je, je ne fut dit de nous; nous maintenons qu'il est tout puis-
sant. »
CHAPITRE XLIV
COMMENT BACBUC ACCOUSTRA PANURGE POUR AVOIR LE MOT
DE LA BOUTEILLE
Ces paroles et beuvettes achevées, Bacbuc demanda :
« Oui est celuy de vous qui veut avoir le mot de la dive Bou-
teille? — Je, dist Panurge, vostre humble et petit enton-
nouer. — Mon amy, dist elle, je n'ay à vous faire instruction
qu'une : c'est que venant à l'oracle, ayez soin n'escouter le
mot, sinon d'une aureille. — C'est, dist frère Jean, du vin à
une aureille. '>
Puis le vestit d'une galleverdine, l'encapitonna d'un beau
et blanc béguin, l'affeubla d'une chausse d'hypocras, au bout
de laquelle, en lieu de floc, mist trois obehsques, l'enguantela
de deux braguettes antiques, le ceignit de trois cornemeuses
liées ensemble, luy baigna la face trois fois dedans la fontaine
susdite, enfin luy jetta au visage une poignée de farine, mit
trois plumes de coq sus le costé droit de la chausse hypocra-
tique, le fit cheminer neuf fois autour de la fontaine, luy fist
faire trois beaux petits saux, luy fit donner sept fois du cul
T. II. 29
3^8 HVKli V, CltAPtTRE XLiV
contre terre, tousjours disant ne sçay quelles conjurations en
langue Ethrusque, et quelquefois lisant en un livre ritual,
lequel, prés elle, portoit une de ses mystagogues.
Somme, je pense que Numa Pompilius, Roy second des
Romains, les Cerites de Tuscic, et le saint Capitaine Juif,
n'instituèrent onques tant de cérémonies que lors je vy,
n' aussi les vaticinateurs Memphitiques à Apis en ^Egypte, ny
les Euboïens en la cité de Rhamnes à Rhamnasie, ny à Jupiter
Ammon, ny, à Feronia, n'usèrent les anciens d'observances
tant religieuses comme là considerois.
Ainsi accoustré le sépara de nostre compagnie, et mena à
main dextre par une porte d'or, hors le temple, en une cha- ,
pelle ronde, faite de pierres phengites et speculaires : par la
solide speculance desquelles, sans fenestre n'autre ouverture,
estoit receuë lumière du Soleil, là luysant par le précipice de
la roche, couvrante le temple major, tant facilement et en
telle abondance que la lumière sembloit dedans naistre, non
de hors venir. L'ouvrage n' estoit moins admirable que fut
jadis le sacré temple de Ravenne, ou en JEgypte celuy de
risle Cheminis : et n'est à passer en silence que l'ouvrage
d'icelle chapelle ronde estoit en telle symétrie compassé que
le diamètre du project estoit la hauteur de la voûte.
Au miUeu d'icelle estoit une fontaine de fin Alabastre, en
/ figure heptagonne, à ouvrage et infoliature singulière, pleine
1 d'eau tant claire que pourroit estre un élément en sa simpli-
cité, dedans laquelle estoit à demy posée la sacrée Bouteille,
v^ toute revestue de pur et beau cristalin, en forme Ovale,
excepté que le Umbe estoit quelque peu patent plus qu'icelle
forme ne porteroit.
Î'ANTAGRUEL 339
CHAPITRE XLV
COMMENT LA PONTIFE BACBUC PRESENTA PANURGE DEVANT
LA DIVE BOUTEILLE
Là fist Bacbuc, la noble pontife, Panurge baisser et baiser
la marge de la fontaine, puis le fist lever, et autour danser
trois Ithymbons. Cela fait, luy commanda s'asseoir entre deux
selles, le cul à terre, là préparées. Puis desploya son livre
ritual, et, luy soufflant en l'aureille gausche, le fist chanter
une Epilenie, comme s'ensuit :
O Bouteille
Pleine toute
De mystères,
D'une aureille
Je t'escoute :
Ne diSeres,
Et le mot profères
Auquel pend mon cœur.
En la tant divine liqueur,
Qui est dedans tes flancs reclose,
Baccus, qui fut d'Inde vainqueur,
Tient toute vérité enclose.
Vin tant divin, loing de toy est forclose
Toute mensonge et toute tromperie.
En joye soit l'aire de Noach close,
Lequel de toy nous fit la temperie.
Sonne le beau mot, je t'en prie,
Qui me doit oster de misère.
Ainsi ne se perde une goutte
De toy, soit blanchie, ou soit vermeillei
O Bouteille
Pleine toute
De mystères,
D'une aureille
Je t'escoute :
Ne diffères.
340 LIVRE V, CHAPITRE XLVI
Ceste chanson parachevée, Bacbuc jetta je ne sçay quoy
dedans la fontaine, et soudain commença l'eau bouillir à force,
comme fait la grande marmite de Bourgucil quand y est
feste à bastons. Panurge escoutoit d'une aureillc en silence;
Bacbuc se tenoit prés de luy agenouillée, quand de la sacrée
Bouteille issit un bruit tel que font les abeilles naissantes de la
chair d'un jeune taureau occis et accoustré selon l'art et
invention d'Aristeus, ou tel que fait un guarot desbandant
l'arbaleste, ou en esté une forte pluye soudainement tombant.
Lors fut ouy ce mot : Trinc. « Elle est, s'escria Panurge, par la
vertu Dieu, rompue, ou feslée, que je ne mente : ainsi parlent
les bouteilles crystalines de nos pays, quand elles près du-
feu esclattent. »
Lors Bacbuc se leva et print Panurge souz le bras doucet-
tement, luy disant : « Amy, rendez grâces es cieux, la raison
vous y oblige : vous avez eu promptement le mot de la dive
Bouteille. Je dy le mot plus joyeux, plus divin, plus certain,
qu'encores d'elle aye entendu depuis le temps qu'icy je minis-
tre à son tressacré Oracle. Levez-vous, allons au chapitre,
en la glose duquel est le beau mot interprété. — Allons, dist
Panurge, de par Dieu. Je suis aussi sage que entan. Esclairez :
où est ce livre? Tournez : où est ce chapitre? Voyons ceste
joyeuse glose. »
CHAPITRE XLVI
COMMENT BACBUC INTERPRETE LE MOT DE LA BOUTEILLE
Bacbuc jettant ne sçay quoy dans le timbre, dont soudain
fut l'ebuUition de l'eau restraincte, mena Panurge au temple
major, au Heu central auquel estoit la vivifique fontaine. Là
tirant un gros Uvie d'argent en fonne d'une demy muy ou
PANTAGRUEL 34I
d'un quart de Sentences, le puysa dedans la fontaine, et luy
dist : « Les philosophes, prescheurs et docteurs de vostre
monde vous paissent de belles paroUes par les aureilles; icy,
nous realement incorporons nos preceptions par la bouche.
Pourtant je ne vous dy : Lisez ce chapitre, entendez ceste
glose; je vous dis : Tastez ce chapitre, avaliez ceste belle glose.
Jadis un antique Prophète de la nation Judaïque mangea un
livre, et fut clerc jusques aux dents; présentement vous en
boirez un, et serez clerc jusques au foye. Tenez, ouvrez les
mandibules. »
Panurge ayant la gueule bée, Bacbuc print le livre d'argent,
et pensions que fust véritablement un livre, à cause de sa
forme, qui estoit comme d'un bréviaire; mais c'estoit un bré-
viaire vray et naturel flaccon, plein de vin Phalerne, lequel
elle fit tout avaller à Panurge.
« Voicy, dist Panurge, un notable chapitre, et glose fort
authentique : est ce tout ce que vouloit prétendre le mot de
la Bouteille trimegiste? J'en suis bien, vrayement. — Rien
plus, respondit Bacbuc, car Trinc est un mot panomphée,
célébré et entendu de toutes nations, et nous signifie : Beu-
vez. Vous dictes en vostre monde que sac est vocable commun
en toute langue, et à bon droit, et justement de toutes nations
receu. Car comme est l'Apologue d'Esope, tous humains
naissent un sac au col, souffreteux par nature, et mendians
l'un de l'autre. Roy souz le Ciel tant puissan n'est qui passer
se puisse d'aultruy : pauvre n'est tant arrogant, qui passer se
puisse du riche, voire fust-ce Hippias le philosophe, qui fai-
soit tout. Encores moins se passe l'on de boire qu'on ne fait
de sac. Et icy maintenons que non rire, ains boire est le propre
de l'homme, je ne dy boire simplement et absolument, car
aussi bien boivent les bestes : je dis boire vin bon et frais.
Notez, amis, que de vin divin on devient, et n'y a argument
tant seur, ny art de divination moins fallace. Vos Academi-
(jues l'affçnnent, rendans l'etimologie de vin, lec^uel ils disent
342 LIVRF, V, CHAPITRK XLVI
en Grec OINOS estre comme vis, force, puissance. Car pou-
voir il a d'emplir l'ame de toute vérité, tout savoir et philoso-
phie. Si avez noté ce qui est en lettres Ioniques escrit dessus
la porte du temple, vous avez peu entendre qu'en vin est
vérité cachée. La dive Bouteille vous y envoyé, soyez vous
mesmes interprètes de vostre entreprinse. — Possible n'est,
dist Pantagruel, mieux dire que fait ceste vénérable pontife.
Autant vous en dy-je, lorsque premièrement m'en parlastes.
Trùic donques; que vous en dit le cœur, eslevé par enthu-
siasme bacchique? — Trinquons, dist Panurge.
Trinquons, de par le bon Bacchus.
Ha, ho, ho, je voiray bas culs
De bref bien à poinct sabourez
Par couilles, et bien embourez
De ma petite humanité.
Qu'est cecy? la paternité
De rnon cœur me dit sceurement
Que je seray non seulement
Tost marié en nos quartiers;
Mais aussi que bien volontiers
Ma femme viendra au combat
Vénérien : Dieu, quel débat
J'y prevoy ! Je laboureray
Tant et plus, et saboureray
A gogo, puisque bien nourry
Je suis. C'est moy le bon mary
Le bon des bons. lo Pean,
lo Pean, lo Pean !
10 mariage trois fois.
Ça, ça, frère Jean, je te fais
Serment vray et intelligible.
Que cest oracle est infaillible
11 est seur, il est fatidique. »
PANTAGRUEL 343
CHAPITRE XLVII
COMMENT PANURGE ET LES AUTRES RITHMENT
PAR FUREUR POÉTIQUE
« Es tu, dist frère Jean, fol devenu ou enchanté? Voyez
comme il escume; entendez comment il rithmaille. Que tous
les diables a il mangé ? Il tourne les yeux en la teste comme une
chèvre qui se m.eurt : se retirera il à l'escart? fiantera il plus
loin? mangera il de l'herbe aux chiens pour descharger son
thomas? ou à usage monachal mettra il dedans la gorge le
poing jusques au coude afin de se curer les hypochondres ?
reprendra il du poil de ce chien qui le mordit? »
Pantagruel reprend frère Jean, et luy dit :
« Croyez que c'est la fureur poétique
Du bon Bacchus : ce bon vin eclyptique
Ainsi ses sens, et le faict cantique ur,
Car sans mespris,
A ses esprits
Du tout espris
Par sa liqueur.
De cris en ris.
De ris en pris,
En ce pourpris,
Faict son gent cœur
Rhetoriqueur,
Roy et vainqueur
De nos souris.
Et veu qu'il est de cerveau phanatique,
Ce me seroit acte de trop piqueur,
Penser moquer un si noble trinqueur.
— Comment? dist frère Jean, vous rithmez aussi. Par la
vertu de Dieu, nous sommes tous poivrez. Plust à Dieu que
Gargantua nous vist en cestuy estât? Je ne sçay par Dieu que
344 LIVRE V, CHAPITRE XLVII
faire de pareillement comme vous rithmer, ou non. Je n'y
sçay rien toutesfois, mais nous sommes en rithmaillerie. Par
sainct Jean, je rithmeray comme les aultres, je le sens bien;
attendez, et m'ayez pour excusé si je ne rithme en cramoisi,
O Dieu, père paterne,
Oui muas l'eau en vin,
Fais de mon cul lanterne.
Four luire à mon voisin. »
Panurge continue son propos, et dit :
« Onq' de Pythias le tréteau
Ne rendit, par son chapiteau,
Response plus seure et certaine.
Et croirois qu'en ceste fontaine
Y soit nommément colporté
Et de Delphes cy transporté.
Si Plustarque eust icy trinqué
Comme nous, il n'eust révoqué
En doute pourquoi les oracles
Sont en Delphes plus muts que macle;
Plus ne rendant response aucune.
La raison est assez commune :
En Delphes n'est, il est icy.
Le tréteau fatal; le voicy.
Qui presagit de toute chose :
Car Atheneus nous expose
Que ce tréteau estoit Bouteille,
Pleine de vin à une aureille,
De vin, je dis de vérité.
Il n'est telle sincérité
En l'art de divination.
Comme est l'insinuation
Du mot sortant de la Bouteille.
Ça, frère Jean, je te conseille
Ce pendant que sommes icy.
Que tu ayes le mot aussi
De la Bouteille trimegiste,
Pour entendre si rien obsiste
Que ne te doives marier.
Tien cy, de peur de varier,
Et joue l'amorabaquine :
Jettez luy un peu de farine, «
PANTAGRUEL 345
Frère Jean respondit en fureur, et dist :
« Marier ! par la grand bottine,
Par le houzeau de sainct Benoist,
Tout homme qui bien me congnoist
Jurera que feray le chois
D'estre desgradé ras, ainçois
Qu'estre jamais angarié
Jusques là que sois marié;
Cela ! que fusse spolié
De liberté? fusse lié
A une femme désormais?
Vertu Dieu, à peine jamais
Me liroit on à Alexandre,
Ny à César, ny à son gendre,
N'au plus chevaleureux du monde. »
Panurge, deffeublant sa gualleverdine et accoustrement
mystique, respondit :
« Aussi seras tu, beste immonde,
Damné, comme ime maie serpe.
Et je seray comme une herpe
Sauvé en paradis gaillard :
Lors bien sus toy, pauvre paillard,
Pisseray je, je t'en asseure.
Mais escoutez : advenant l'heure
Qu'à bas seras au vieux grand diable.
Si par cas assez bien croyable,
Advient que dame Proserpine
Fust espinée de l'espine
Qui est en ta brague cachée.
Et fust de fait amourachée
De ta dite paternité,
Survenant l'opportunité
Que vous feriez les doux accords.
Et luy montasses sus le corps :
Par ta foy, envoyeras tu pas
Au vin, pour fournir le repas.
Du meilleur cabaret d'enfer.
Le vieil ravasseur Lucifer?
Elle ne fut onques rebelle
Aux bons frères, et si fut belle.
»~- Va, vieil fol, dist frère Jean, au diable! Je ne samoij»
346 I.IVRF. V, CHAPITRK XLVIII
plus rithmer, la rithme me prend à la gorge; parlons de satis-
faire icy. »
CHAPITRE XLVIII
COMMENT, AVOIR PRIKS CONGÉ DE BACBUC,
DELAISSENT L'ORACLE DE LA BOUTEILLE
« D'icy satisfaire, respondit Bacbuc, ne soyez en esmoy :
à tout sera satisfait, si de nous estes contens. Ça bas, en ces
régions circoncentrales, nous establissons le bien souverain,
non en prendre et recevoir, ains en eslargir et donner, et
heureux nous reputons, non si d'autruy prenons et recevons
beaucoup, comme par adventure décrètent les sectes de vos-
tre monde, ains si à autruy tousjours eslargissons et donnons
beaucoup. Seulement vous prie vos noms et pays icy en ce
livre ritual par escrit nous laisser. »
Lors ouvrit un beau et grand livre, auquel, nous dictans,
une de ses mystagogues exequant, furent avecques un style
d'or quelques traits projectez comme si Ion eust escrit, mais
de l'escriture rien ne nous apparoissoit.
Cela faict, nous emplit trois oires de l'eau, phantastique,
et manuellement nous les baillant, dist : « Allez, amis, en pro-
tection de ceste sphère intellectuelle de laquelle en tous lieux
est le centre et n'a en lieu aucun circonferance, que nous
appelons Dieu : et venus en vostre monde portez tesmoignage
que sous terre sont les grands trésors et choses admirables.
Et non à tort Ceres, ja révérée par tout l'univers, parce qu'elle
avoit monstre et enseigné l'art d'agriculture, et par invention
de bled, aboly entre les humains le brutal aliment de gland, a
tant et tant lamenté de ce que sa fille fust en nos régions sub-
terraines ravie, certainement prévoyant que sous terre plus
trouveroit sa fille de biens et excellences qu'elle sa mère
PANTAGRUEL 347
n'avoit faict dessus. Qu'est devenu l'art d'evocquer des cieux
la fouldre et le feu céleste, jadis inventé par le sage Prome-
theus? vous certes l'avez perdu, il est de vostre hémisphère
departy, icy sous terre est en usage. Et à tort quelquefois
vous esbahissez, voyans villes conflagrer et ardre par foudre
et feu etheré, et estes ignorans de qui, et par qui, et quelle
part tiroit cestuy esclandre horrible à vostre aspect, mais à
nous familier et utile. Vos philosophes qui se complaignent
toutes choses estre par les anciens escriptes, rien ne leur estre
laissé de nouveau à inventer, ont tort trop évident. Ce que
du ciel vous apparoist, et appelez Phénomènes, ce que la terre
vous exhibe, ce que la mer et autres fleuves contiennent,
n'est comparable à ce qui est en terre caché.
« Pourtant est equitablement le soubterrain dominateur
presques en toutes langues nommé par epithete de richesses.
Il, quand leur estude ad donneront et labeur à bien rechercher
par imploration de Dieu souverain, lequel jadis les Egiptiens
nommoient en leur langue l'Abscond, le Musse, le Caché, et
par ce nom l'invoquant suppUoient à eux se manifester et
descouvrir, leur eslargira congnoissance et de soy et de ses
créatures; part aussi conduits de bonne Lanterne. Car tous
Philosophes et sages antiques à bien seurement et plaisam-
ment parfaire le chemin de la congnoissance divine et chasse
de sapience, ont estimé deux choses nécessaires, guyde de
Dieu et compagnie d'homme. Ainsi entre les Philosophes
Zoroaster print Asimaspes pour compagnon de ses pérégri-
nations; Esculapius, Mercure; Orpheus, Musée; Pytagoras,
Agléopheme; entre les Princes et gens belliqueux, Hercules
eut en ses plus difficiles entreprinses pour aray singulier
Theseus; Ulysses, Diomedes; Enéas, Achates. Vous autres
en avez autant fait, prenans pour guide vostre illustre dame
Lanterne. Or allez de par Dieu qui vous conduie^. »
I. Ainsi finissent ce chapitre et le cinquième livre dans toutes les anciennes édi»
lions.
348 LIVRE V, CHAPITRE XLVIII
ADDITION AU DERNIER CHAPITRE^
« Ainsi, entre les Perses Zoroaster print Arimaspes pour
compagnon de toute sa mystérieuse philosophie; Hermès le
Trismegiste entre les égyptiens eut Esculape; Orpheus en
Thrace eut Musée; illecques aussi Aglaophemus eut Pytha-
gore; entre les Athéniens Platon eut premièrement Dion de
Syracuse en Sicille, lequel défunt, print secondement Xeno-
crates; Apollonius eut Damis. Quand doncques vos philoso-
phes, Dieu guydant, accompaignans à quelque claire lanterne,
se adonneront à soigneusement rechercher et investiger
comme est le naturel des humains (et de ceste qualité sont
Hérodote et Homère appelles alphestes, c'est à dire recher-
cheurs et inventeurs), trouveront vraye estre la responce
faicte par le sage Thaïes à Amasis, roy des ^Egyptiens, quand,
par luy interrogé en quelle chose plus estoit de prudence,
respondit : « On temps » ; car par temps ont esté et par temps
seront toutes choses latentes inventées; et c'est la cause pour-
quoy les anciens ont appelle Saturne le Temps, père de
Vérité, et Vérité fille eut Temps. InfaiUiblement aussi trou-
veront tout le sçavoir, et d'eux et de leurs prédécesseurs, à
peine estre la minime partie de ce qui est et ne le sçavent.
De ces troys hoires que présentement je vous hvre, vous en
prendrez jugement et congnoissance, comme dict le pro-
verbe : « Aux ongles le lion. » Par la raréfaction de nostre eau
dedans enclose, intervenant la chaleur des corps supérieurs
et ferveur de la mer sallee ainsi qu'est la naturelle transmuta-
tion des elemens, vous sera air dedans tressalubre engendré,
lequel de vent clair, serein, delicieulx, vous servira, car vent
I. D'après le uianusçrit (vçy. I4 Bibliographie),
PANTAGRUEL 34g
n'est que air flottant et undoyant. Cestuy vent moyennant,
yrez à droicte routte, sans prendre terre si vouliez, jusques au
port de Olonne en Talmondois, en laschant à travers voz vel-
les, par ce petit soubspirail d'or que vous y voyez apposé
comme une lieute, autant que penserez vous suffire pour
tout au lanternent naviguer, tousjours en plaisir et seureté,
sans danger ne tempeste. De ce ne doubtez; et ne pensez la
tempeste yssir et procéder du vent ; le vent vient de la tem-
peste excitée du bas de l'abisme. Ne pensez aussi la pluye
venir par impotence des vertus retentives des cieulx et gra-
vité des nues suspendues : elle vient par évocation des soub-
terraines régions, comme, par évocation des Corps supérieurs,
elle de bas en hault estoit imperceptiblement tirée : et
vous en tesmoingne le roy prophète chantant et disant que
l'abysme invocque l'abysme. Des troys oyres, les deux sont
plaines de l'eau susdicte, la tierce est extraicte du Puys
des saiges Indiens, lequel on nomme le tonneau des Brach-
manes.
« Trouverez davantaige vos naufz bien duement pourvues
de tout ce qu'il pourroit estre utile et nécessaire pour le reste
de vostre mesnaige. Cependant que icy avez séjourné, je y
ay faict ordre tresbon donner. Allez, amys, en gayetté d'es-
prit, et portez ceste lettre à vostre roy Gargantua, le saluez
de par nous, ensemble les princes et les officiers de sa noble
court. »
Ces mots parachevez, elles nous bailla des lettres closes et
scellées; et nous, après actions de grâces immortelles, feist
yssir par une porte adjacente à la chapelle, où la Bacbuc les
semonoit de proposer questions autant deux foys qu'est hault
le mont Olympe. Par ung pays plain de toutes dehces, plai-
sant, tempéré plus que Tempe en Thessalie, salubre plus que
celle partie d'.cEgypte, laquelle a son aspect vers Libye, irrigu
et verdoyant plus que Thermischrie, fertile plus que celle
partie du mont Thaure, laquelle a son aspect vers Aquilon,
55Û LIVRE V, CHAPITRE XLVIII
plus que l'isle Hyperborée en la mer Judaïque, plus que Cali-
ges on mont Caspit, flairant, serain et gratieux aultant qu'est
le pays de Touraine, enfin trouvasmes nos navires au port.
FIX DU CINQUIEME LIVRE DE FAICTS ET DICTS HEROÏQUES
DU NOBLE PANTAGRUEL
PANTAGRUELINE PROGNOSTICATION
CERTAINE, VERITABLE ET INFAILLIBLE
POUR L'AN PERPETUEL
Nouvellonent composée au proffict et advisement de gens esioiirdis
et musars de nature.
PAR MAISTRE ALCOFRIBAS
ARCHITRICLIN DUDICT PANTAGRUEL
Du nombre d'Or no» dicitur ;
Je n'en trouve point ceste année, quelque calculation que j'en aye faict.
Passons oultre. Verte folium
AU LISEUR BENEVOLE
Salut et paix en Jésus le Christ.
Considérant infiniz abus estre perpétrez à cause d'un tas de Prognos-
tications de Lovain, faictes à l'ombre d'un verre de vin, je vous en ay
présentement calculé une la plus seure et véritable que feut oncques
veuë, comme l'expérience vous le demonstrera. Car sans double, veu
que dict le Prophète Royal, Psalme V, à Dieu : « Tu destruyras tous
ceulx qui dise mensonges, » ce n'est legier péché de mentir à son escient,
et abuser le pouvre monde curieux de sçavoir choses nouvelles. Comme
de tout temps ont esté singulièrement les François, ainsi que escript
César en ses Commentaires, et Jean de Gravot on Mythologies Galliques,
Ce que nous voyons encores de jour en jour par France, ou le premier
propos qu'on tient à gens fraischement arrivez sont : o Quelles nouvelles?
Sçavez-vous rien de nouveau? Qui dict? Qui bruict par le monde?»
Et tant y sont attentifz que souvent se couroussent contre ceulx qui
viennent de pays estranges sans apporter pleines bougettes de nouvelles,
les appelant veaulx et idiotz.
Si doncques, comme ilz sont promptz à demander nouvelles, autant
ou plus sont ilz faciles à croire ce que leur est annoncé, debvroit-on pas
352 PANTAGRUELINE PROGNOSTICATlON
mettre gens dignes de foy à gaiges à l'entrée du Royaulme, qui ne se
serviroyent d'aultre chose sinon d'examiner les nouvelles qu'on y
apporte, et à sçavoir si elles sont véritables? Ouy certes. Et ainsi ha
faict mon bon maistre Pantagruel par tout le pays de Utopie et Dipsodie.
Aussi luy en est il si bien advenu, et tant prospère son territoire, qu'ils
ne peuvent de présent avanger à boyre, et leur con\-icndra cspandre le
vin en terre si d'ailleurs ne leur vient renfort de beuveurs et bons raillars.
Voulant doncques satisfaire à la curiosité de tous bons compaignons,
j'ai revolvé toutes les Pantarches des cieulx, calculé les quadratz de la
lune, crocheté tout ce que jamais pensèrent tous les Astrophiles, Hyper-
nephelistes, Aneniophylaces, Uranopetes et Ombrophores, et conféré du
tout avecques Empedocles, lequel se recommande à vostre bonne grâce.
Et tout le Tu auicm ay icy en peu de chapitres rédigé, vous asseurant
que je n'en dy sinon ce que j'en pense, et n'en pense sinon ce que en est,
et n'en est aultre chose, pour toute vérité, que ce qu'en lirez à ceste
heure. Ce que sera dict au parsus sera passé au gros tamys à tors et à
travers, et par adventure adviendra, par adventure n'adviendra mie.
D'un cas vous advertys que si ne croyez le tout, vous me faictes un
maulvais tour, pour lequel icy ou ailleurs serez tresgriefvement puniz.
Les petites anguillades à la saulce des ners bovins ne seront espargnées
suz vos espaules. Et humez de l'air comme des huytres tant que vouldrez,
car hardiment il y aura de bien chauffez si le fomier ne s'endort. Or
mouschez vos nez, petitz enfans, et vous aultres, vieulx resveurs, affustez
vos bezicles, et pesez ces motz au pois du Sanctuaire.
CHAPITRE I
DU GOUVERNEMENT ET SEIGNEUR DE CESTE ANNÉE
Quelque chose que vous disent ces folz Astrologues de Lovain, de
Numberg, de Tubinge et de Lyon, ne croyez que ceste année y aie aultre
gouverneur de l'universel monde que Dieu le créateur, lequel par sa di\'ine
parolle tout regist et modère, par laquelle sont toutes choses en leur
nature et propriété et condition, et sans la maintenance et gouvernement
duquel toutes choses seroient en un moment reduictes à néant, comme
de néant elles ont esté par luy produictes en leur estre. Car deluy vient,
en luy est et par luy se parfaict tout estre et tout bien, toute \-ie et
mouvement, comme dict la Trompette evangehcque Monseigneur Sainct
Paul, Rom. xi. Doncques le gouverneur de ceste année et toutes aultres,
selon nostre veridicque resolution, sera Dieu tout-puissant. Et ne aura
Saturne, ne Mars, ne Jupiter, ne aultre planète, certes non les anges, ny
les saincts, ny les hommes, ny les diables, vertuz, efficace, puissance.
PANTAGRUELlNE PROGNOSTlCATION 353
hci influence aulcunes, si Dieu de son bon plaisir ne leur donne : comme
dict Avicenne, que les causes secondes ne ont influence ne action aulcune,
si la cause première n'y influe; dict-il pas vray, le petit bon hommct?
CHAPITRE II
DES ECCLIPSES DE GESTE ANNÉE
Ceste année seront tant d'ecclipses du Soleil et de la Lune que j'ay peur
(et non à tort) que noz bourses en pâtiront inanition, et noz sens pertur-
bation. Saturne sera rétrograde, Venus directe. Mercure inconstant. Et
un tas d'aultres Planètes ne iront pas à vostre comraendement.
Dont pour ceste année les chancres iront de cousté, et les cordiers à
reculons, les escabelles monteront sur les bancs, les broches sus les
landiers, et les bonnetz sus les chapeaulx ; les couilles pendront à plusieurs
par faulte de gibessieres; les pusses seront noires pour la plus grande
part; le lard fuyra les pois en Quaresme; le ventre ira devant; le cul se
assoira le premier; l'on ne pourra trouver la febve au gasteau des Roys;
l'on ne rencontrera poinct d'as au flux; le dez ne dira poinct à soubhait
quoy qu'on le flate, et ne viendra souvant la chance qu'on demande;
les bestes parleront en divers lieux. Quaresmeprenant gaignera son
procez : l'une partie du monde se desguisera pour tromper l'aultre, et
courront parmy les rues comme folz et hors du sens ; l'on ne veit oncques
tel desordre en Nature. Et se feront ceste année plus de xxvii verbes
anomaulx, si Priscian ne les tient de court. Si Dieu ne nous ayde, nous
aurons prou d'affaires; mais au contrepoinct, s'il est pour nous, rien ne
nous pourra nuyre, comme dict le céleste astrologue qui feut ravi jusques
au Ciel. Rom. vu. cap. Si Deus pro nobis, quis contra iws? Ma foy, nemo
Domine; car il est trop bon et trop puissant. Icy bénissez son sainct
nom, pour la pareille.
CHAPITRE III
DES MALADIES DE CESTE ANNÉE
Ceste année les aveugles ne verront que bien peu, les sourdz oyront
assez mal, les muetz ne parleront guieres, les riches se porteront un peu
mieulx que les pauvres, et les sains mieulx que les malades. Plusieurs
moutons, beufz, pourceaulx, oysons, pouletz et canars mourront, et ne
sera sy cruelle mortalité entre les cinges et dromadaires. Vieillesse sera
incurable ceste année à cause des années passées. Ceulx qui seront
pleureticques auront grant mal au cousté. Ceulx qui auront flus de
ventre iront souvent à la celle percée; les catharres descendront ceste
T. II. 2£
354 PANTAGRUELINE PROGNOSTICATION
année du cerveau es membres inférieurs; le mal des yeux sera fort
I imtraire à la veue; les aureilles seront courtes et rares en Guascongne
plus que de coustume. Et régnera quasi universellement une maladie
bien horrible et redoubtable, maligne, perverse, espoventable et mal-
plaisante, laquelle rendra le monde bien estonné, et dont plusieurs ne
sçauront de quel boys faire flèches, et bien souvent composeront en
ravasserie syllogisans en la Pierre philosophale, et es aureilles de Midas.
Je tremble de peur quand je y pense : car je vous diz qu'elle sera epidi-
miale, et l'appelle Averroys %ai CoUiget : faulte d'argent. Et attendu le
comète de l'an passé et la rétrogradation de Saturne, mourra à l'hospital
un grand marault tout catharré et croustclevé, à la mort du quel sera
sédition horrible entre les chatz et les rats, entre les chiens et les lièvres,
entre les faulcons et canars, entre les moines et les œufz.
CHAPITRE IV
DES FRUICTZ ET BIENS CROISSANT DE TERRE
Je trouve par les calcules de Albumasar on Livre de la grande Conjunc-
tion et ailleurs, que ceste année sera bien fertile, avecques planté de tous
bien à ceulx qui auront de quoy. Mais le hobelon de Picardie craindra
quelque peu la froidure; l'avoine fera grand bien es chevaux; il ne sera
gueres plus de lart que de pourceaulx; à cause de Pisces ascendant, il
sera grand année de caquerolles. Mercure menasse quelque peu le persil,
mais ce non obstant il sera à pris raisonnable. Le soucil et l'ancholil
croistront plus que de coustume, avecques abondance de poires d'an-
goisse. De bledz, de vins, de fniitages et legumages on n'en veit oncques
tant, si les soubhaj'tz des pouvres gens sont ouiz.
CHAPITRE V
DE l'eSTAT D'aULCUNES GENS
La plus grande folie du monde est penser qu'il y ayt des astres pour
les Roys, Papes et gros seigneurs, plustost que pour les pouvres et souf-
freteux, comme si nouvelles estoilles avoient estez créées depuis le
temps du déluge, ou de Romulus, ou Pharamond, à la nouvelle création
des Roys. Ce que Triboulet ny Cailhette ne diroient, qui ont esté toutes-
foys gens de bault sçavoir et grand renom. Et par adventure en l'arche
de Noé ledict Triboulet estoit de la lignée des Roys de Castille, et Cail-
hette du sang de Priam; mais tout cest erreur ne procède que par deffault
PANTAGRUELINE PROGNOSTICATION 335
de vraye foy catholicquc. Tenant doncqucs pour certain que les astres
se soucient aussi peu des Roys comme des gueux, et des riches connue des
maraux, je laisserai es aultres folz Prognosticqueurs à parler des Roys
et riches, et parleray des gens de bas estât.
Et premièrement des gens soubmiz à Saturne, comme Gens despour-
veuz d'argent, Jaloux, Resveurs, Malpensans, Soubsonneux, Preneurs de
taulpes. Usuriers, Rachapteurs de rentes. Tireurs de rivet z, Tanneurs
de cuirs, Tuillicrs, Fondeurs de cloches, Composeurs d'empruns, Rata-
conneurs de bobelins, Gens melancholicqucs, n'auront en ceste année
tout ce qu'ilz vouldroient bien; ilz s'estudiront à l'invention saincfe
Croix, ne getteront leur lart aux chiens, et se grateront souvent là oii il
ne leur démange poinct.
A Jupiter, comme Cagotz, Caffars, Botineurs, Porteurs de rogatons,
Abbreviateurs, Scripteurs, Copistes, BuUstes, Dataircs, Chiquaneurs,
Caputons, Moines, Hermites, Hypocrites, Chatemittes, Sanctorons,
Patepellues, TorticoUis, Barbouilleurs de papiers, Prchnguans, Esper-
rucquetz, Clercs de greffe, Dominotiers, Maminotiers, Patenostriers,
Chaffoureus de parchemin, Notaires, Raminagrobis, Portecolles, Pro-
moteurs, se porteront selon leur argent. Et tant mourra de gens d'Esglise
qu'on ne pourra trouver à qui conférer les Bénéfices, en sorte que plu-
sieurs en tiendront deux, troys, quatre, et davantaige. Caffarderie fera
grande jacture de son antique bruit, puisque le monde est devenu
maulvais garson, n'est plus gueres fat, ainsi comme dit Avenzagel.
A Mars, comme Bourreaux, Meurdriers, Adventuriers, Brigans, Scr-
geans. Records de tesmoings, Gens de guet, Mortepayes, Arracheurs de
dens, Coupeurs de couilles, Barberotz, Bouchiers, Faulx monnoieurs,
Medicins de trinquenicque, Tacuins et Marranes, Renieurs de Dieu,
Allumetiers, Boutefeux, Ramonneurs de cheminées, Franctaupins,
Charbonniers, Alchymistes, Coquassiers, Grillotiers, Chercuitiers, Bimbe-
lotiers, Manilliers, Lanterniers, Maignins, feront ceste année de beaulx
coups; mais aulcuns d'iceulx seront fort subjectz à recepvoir quelque
coup de baston à l'emblée. Ung des susdictz sera ceste année faict Eves-
que des champs, donnant la bénédiction avecques les piedz aux passons.
A Sol, comme Beuveurs, Enlumineurs de museaulx. Ventres à poulaine,
Brasseurs de bière, Boteleurs de foing, Portefaix, Faulcheurs, Recou-
vreurs, Crocheteurs, Emballeurs, Bergiers, Bouviers, Vachiers, Porchiers,
Oizelleurs, Jardiniers, Grangiers, Cloisiers, Gueux de l'hostiaire, Gaigne-
deniers, Degresseurs de bonnet z, Emboureurs de bastz, Loqueteurs,
Claquedens, Croquelardons, généralement tous portant la chemise nouée
sur le dos, seront sains et alaigres, et n'auront la goutte es dentz quand
ils seront de nopces.
A Venus, comme Putains, Maquerelles, Marjolets, Bougrins, Bragards,
Napleux, Eschancrez, Ribleurs, Rufiens, Caignardicrs, Chamberieres
d'hostelerie, nomina mxdierum desinentia in iere, ut Lingiere, Advocatiere,
Taverniere, Buandierc, Frippierc, seront ceste année en réputation;
mais le Soleil entrant en Cancer et aultres signes, se doibvent garder de
verolle, de chancre, de pisses chauldes, poullains grenetz, etc. Les
356 PANTAGRUELINE PROGNOSTICATION
iionnains à peine concepvront sans opération virile. Bien peu de pucelleS
auront en mamelles laict.
A Mercure, comme Pipeurs, Trompeurs, Affineurs, Thriacleurs, Lar-
rons, Ivleusniers, Dateurs de pavé. Maîtres es ars, Decretistes, Crocheteurs,
Harpailleurs, Rimasseurs, Basteleurs, Joueurs de passe passe, Enchan-
teurs, Vielleurs, Oblicurs, Poètes, Escorchcurs de latin. Faiseurs de rébus,
Papetiers, Cartiers, Bagatis, Escumeurs de mer, feront semblant de estre
plus joyeulx que souvent ne seront, quelquefoys riront lors que n'en
auront talent, et seront fort subjectz à faire bancques rouptes, s'ilz se
trouvent plus d'argent en bourse que ne leur en fault.
A la Lune, comme Bisouars, Veneurs, Chasseurs, Asturciers, Faulcon-
niers. Courriers, Saulniers, Lunaticqucs, Folz, Ecervelez, Acariastres,
Esvantez, Courratiers, Postes, Laquays, Nacquetz, Verriers, Estradiotz,
Riverans, Matelotz, Chevaucheurs de escuirie, AUeboteurs, n'auront
ceste année gueres d'arrest. Toutesfoys n'iront tant de hfrelofres à
Sainct Hiaccho comme feirent l'an DXXIIIL II descendra grand abun-.
dance de micquelotz des montaignes de Savoye et de Auvergne; mais
Sagittarius les menasse des mules aux talons.
CHAPITRE VI
DE L'eSTAT D'aULCUNS PAYS
Le noble Royaulme de France prospérera et triumphera ceste année
en tous plaisirs et délices, tellement que les nations estranges voluntiers
se y retireront. Petitz bancquetz, petitz esbattements, mille joyeusetez
se y feront, où un chascun prendra plaisir : on n'y veit oncques tant de
vins, ny plus frians; force raves en Lymousin, force chastaignes ea
Perigot et Daulphiné, force olyves en Languegoth, force sables en Olone,
force poissons en la mer, force estoilles au ciel, force sel en Brouage;
planté le bledz, legimiaiges, fruitages jardinaiges, beurres, laictages.
Nulle peste, nulle guerre, nul ennuj', bren de pouvreté, bren de soucy,
bren de melanchoUe; et ces vieulx doubles ducatz, nobles à la rose,
angelotz, aigrefins, royaulx et moutons à la grand laine retourneront en
uzance, avecques planté de serapz et escuz au soleil. Toutesfoys sus le
milieu de l'esté sera à redoubter quelque venue de pusses noires et
cheussons de la Deviniere. Adeo nihil est ex omni parte beatum. Mais il
les fauldra brider à force de collations vespertines.
Italie, Romanie, Naples, Cécile, demourront où elles estoient l'an
passé. Hz songeront bien profondément vers la fin du Caresme, et resve-
ront quelquefoys vers le hault du jour.
Allemaigne, Souisses, Saxe, Strasbourg, Anvers, etc., profiteront s'ilz
ne taillent; les porteurs de rogatons les doibvent redoubter, et ceste
année ne se y fonderont pas beaucoup de anniversaires.
PANTAGRUELINE PROGNOSTICATION 357
Hespaigne, Castille, Portugual, Airagon, seront bien subjectz à soub-
daines altérations, et craindront de mourir bien fort, autant les jeunes
que les vieulx; et pourtant se tiendront chaudement, et souvent compte-
ront leurs escutz, s'ils en ont.
Angleterre, Escosse, les Estrelins, seront assez mauvais Pantagrue-
listes. Aultant sain leurs seroit le vin que la bière, pourveu qu'il fust
bon et friant. A toutes tables leur espoir sera en l'arriere-jeu. Sainct Trei-
gnant d'Escosse fera des miracles tant et plus. Mais des chandelles qu'on
luy portera, il ne verra goutte plus clair si Aries ascendant de sa busche
ne trébuche, et n'est de sa corne escorné.
Moscovites, Indiens, Perses et Troglodytes souvent auront la cacque-
sangue, parce qu'ilz ne vouldront estre par les Romanistes belinez,
attendu le bal de Sagittarius ascendant.
Boësmes, Juifs, Egiptiens, ne seront pas ceste année reduictz en plate
forme de leur attente. Venus les menasse aigrement des escrouelles guor-
gerines; mais ilz condescendront au vueil du Roy des Parpaillons.
Escargotz, Sarabouytes, Cauquemarres, Canibales, seront fort molestez
des mousches bovines, et peu joueront des cymbales et manequins, si le
Guaiac n'est de requeste.
Austriche, Hongrie, Turquie, par ma foy, mes bons hillotz, je ne sçay
comment ilz se porteront, et bien peu m'en soucie, veu la brave entrée
du Soleil en Capricomus : et si plus en sçavez, n'en dictes mot, mais
attendez la venue du Boyteux.
CHAPITRE VU
DES QUATRE S.\ISONS DE L'.A.NNÉE, ET PREMIEREMENT DU PRINTEMPS
En toute ceste armée ne sera qu'une Lune, encores ne sera elle poinct
nouvelle; vous en estes bien marriz, vous aultres qui ne croyez mie en
Dieu, qui persécutez sa saincte et divine paroUe, ensemble ceux qui la
maintiennent. Mais aUez vous pandre, ja ne sera aultre lune que celle
laquelle Dieu créa au commencement du monde, et laquelle par l'efîect
de sa dicte sacre parolle a esté establie au lirmament pour luyre et
guider les humains de nuict. Ma Dia, je ne veulx par ce inférer qu'elle ne
monstre à la Tcire et gens terrestres diminution ou accroissement de sa
clarté, selon qu'elle approchera ou s'esloignera du Soleil. Car, pourquoy?
Pour aultant que, etc. Et plus pour elle ne priez que Dieu la garde des
loups, car ilz ne y toucheront de ccst an, je vous aff-e. A propos : vous
verrez ceste saison à moytié plus de fleurs qu'en toutes les troys aultres.
Et ne sera réputé fol cil qui en ce temps fera sa provision d'argent mieulx
que de arancs toute l'année. Les Gryphons et Marrons des montaignes de
Savoye, Daulphiné et Hyperborées, qui ont neiges sempiternelles, seront
frustrez de ceste saison, et n'en auront point seloji l'opiniou d'Avicenne,
358 PANTAGRUELINE PROGXOSTICATION
qui dict que le Printemps est lors que les neiges tombent des monts.
Croyez ce porteur. De mon temps l'on comptoit Ver quand le Soleil
entroit on premier degré de Aries. Si maintenant on le compte autrement,
je passe condemnation. Et jou mot.
CHAPITRE VIII
DE l'esté
En Esté je ne sçay quel temps ni quel vent courra; mais je sçay bien
qu'il doibt faire chault et régner vent marin. Toutes foys, si aultrement
arrive, pour tant ne fauldra renier Dieu. Car il est plus saige que nous, et
sçait trop mieidx ce que nous est nécessaire que nous niesnies, je vous en
asseure sus mon hoimeur, quoy qu'en ayt dict Haly et ses suppostz.'
Beau fera se tenir joyeulx et boire frays, combien qu'aulcims ayent dict
qu'il n'est chose plus contraire à la soif. Je le croy. Aussi, contraria
contrariis aiiaiiiiiy.
CHAPITRE IX
DE l'automne
En Autonne l'on vendangera, ou davant ou après; ce m'est tout im,
pourveu que ayons du piot à suffisance. Les cuidez seront de saison, car
tel cuidera vessir qui baudement fiantera. Ceulx et celles qui ont voué
jeûner jusques à ce que les estoilles soient au ciel, à heure présente peu-
vent bien repaistre, par mon octroy et dispense. Encores ont ilz beaucoup
tardé : car elles y sont devant seize mille et ne sçay qunntz jours; je vous
dy bien atachées. Et n'espérez dorenant prendre les aUouettes à la cheute
du ciel, car il ne tombera de vostre aage, sus mon honneur. Cagotz,
Caffars et Porteurs de rogatons, perpétuons, et autres telles triquedon-
daines, sortiront de leurs tesnieres. Chascun se guarde qui vouidra.
Guardez vous aussi des arestes quand vous mangerez du poisson, et de
poison Dieu vous en guard !
CHAPITRE X
DE l'hYVER
En Hyver, selon mon petit entendement, ne seront saiges ceulx qui
vendront leurs pellices et fourrures pour achapter du boys. Et ainsi ne
PANTAGRUELINE PROGNOSTICATIOX 359
faisoient les Antiques, comme tesmoigne Avenzouar. S'il pleut, ne vous
en melencholiez : tant moins aurez vous de pouldre pour chemin. Tenez-
vous chauldement. Redoubtez les catliarrcs. Beuvez du meilleur, atten-
dans que l'aultre amendera, et ne chiez plus dorénavant on lict. O o !
poullailles, faictes-vous voz nidz tant hault?
LA SCIOMACHIE
ET FESTINS
FAITS A ROME AU PALAIS DE MON SEIGNEUR REVERENDISSIMB
CARDINAL DU BELLAY
POUR l'heureuse naissance
DE MON SEIGNEUR D'ORLÉANS
Le tout extrait
d'une copie des lettres escrites a mon seigneur le reverendissime
CARDINAL DE GUISE
PAR .M. FRANÇOIS RABELAIS
docteur en medicine
Au troisième jour de février MDXLIX, entre trois et quatre heures
du matin, nasquit au chasteau de Saint-Germain-en-Laye.
Duc d'Orléans, fdz puisné du très chrestien Roy de France Henry
de Valois, second de ce nom, et de tresillustre Madame Catharine de
Medicis, sa bonne espouse. Cestuy propre jour, en Rome, par les banques
fut un bruit tout commun sans autheur certain de ceste heureuse nais-
sance, non seulement du lieu et jour susdits, mais aussi de l'heure
savoir est environ neuf heures, selon la supputation des Romains. Qui
est chose prodigieuse et admirable, non toutesfois en mon endroit, qui
pourrois alléguer, par les histoires Grecques et Romaines, nouvelles
insignes, comme de batailles perdues ou gaignées à plus de cinq cens
lieues loing, ou autre cas d'importance grande, avoir esté semées au
propre et mesme jour, voire devant, sans autheur congnu. Encorcs en
vtismes nous semblables à Lyon pour la journée de Pavic, en la personne
du feu seigneur de Rochefort, et recentement à Paris au jour que combat-
tirent les seigneurs de Jarnac et Chastaigneraye : mille autres. Est un
poinct sus lequel les Platoniques ont fondé la participation de divinité
es Dieux tutelaires, lesquelz nos Théologiens appellent Anges gardians.
Mais ce propos excederoit la juste quantité d'une epistre. Tant est que
l'on creut par les banques cestes nouvelles si obstinément que plusieuis
de la part Françoise, sur le soir, en feirent feuz de joie et marquèrent
LA SCIOMACHIE 36I
de croye blanche sus leurs calendriers ceste fauste et heureuse journée .
Sept jours après furent ces bonnes nouvelles plus au plein avérées par
quelques courriers de banque, venans uns de Lyon, autres de Ferrare.
Mes Seigneurs les Revercndissimes Cardinaux François qui sont en
ceste court Romaine, ensemble le seigneur d'Urfé, Ambassadeur de sa
Majesté, non ayans autre advis particulier, delayoient tousjours à declai-
rer leur joye et alaigresse de ceste tant désirée naissance, jusques à ce
que le seigneur Alexandre Schivanoia, gentilhomme mantuan, arriva au
premier jour de ce mois de Mars, expressément envoyé de la part de
Sa Majesté pour acertainer le Père Saint, les Cardinaux François et
Ambassadeur de ce que dessus. Adonques furent faits de tous costez
festins et feuz de joye, par trois soirs subsequens.
Mon Seigneur Reverendissime Cardinal du Bellay, non content de ces
menues et vulgaires significations de liesse pour la naissance d'un si grand
Prince, destiné à choses si grandes en matière de chevalerie et gestes
héroïques, comme il appert par son horoscope, si une fois il eschappe
quelque triste aspect en l'angle occidental de la septième maison, voulut
(par manière de dire) faire ce que feit le seigneur Jean Jordan Ursin,
lorsque le Roy François d'heureuse mémoire obtint la victoire à Mari-
gnan. Iceluy, voyant par la part ennemie, à un faux rapport, estre fais
feuz parmy les rues de Rome, comme si ledit roy eust perdu la bataille,
quelques jours après, adverty de la vérité du succès et de sa victoire,
acheta cinq ou six maisons contiguës en forme d'Isle, prés mons Jordan,
les feit emplir de fagotz, falourdes et tonneaux, avecques force pouldre
de canon, puis meit le feu dedens. C'estoit une nouvelle Alosis, et nouveau
feu de joye. Ainsi vouloit ledit Seigneur Reverendissime, pour declairer
l'excès de son alaigresse pour cestes bonnes nouvelles, faire, quoy qu'il
coustast, quelque chose spectable, non encores veuë en Rome de nostre
mémoire. Non la pouvant toutesfois exécuter à sa fantaisie et conten-
tement, obstant quelque maladie survenue en cestuy temps audit sei-
gneur Ambassadeur, auquel le cas touchoit pareillement à cause de son
estât, fut relevé de ceste perplexité par le moyen du seigneur Horace
Farnese, duc de Castres, et des seigneurs Robert Strossi et de Mahgni,
lesquelz estoient en pareille combustion. Ils mirent quatre testes en un
chapperon. En fin, après plusieurs propos mis en délibération, résolurent
une Sciomachie, c'est à dire im simulacre et représentation de bataille
tant par eaue que par terre.
La Naumachie, c'est-à-dire le combat par eau, estoit designé au dessus
du pont AeUan, justement devant le jardin secret du chasteau saint Ange,
lequel feu de mémoire étemelle Guillaume du Bellay, seigneur de Langey,
avoit avec ses bandes fortifié, gardé, et deffendu bien long temps contre
les lansquenetz qui depuis saccagèrent Rome. L'ordre d'iceluy combat
estoit tel que cinquante menuz vaisseaux, comme Fustes, Galiotes,
Gondoles et Frégates armées, assailleroient un grand et monstrueux
Gahon composé de deux les plus grans vaisseaux qui fussent en ceste
marine, lesquelz on avoit fait monter d'Hostie et Porto à force de beufles.
Et, après plusieurs ruses, assautz, repoulsemens, et autres usances d©
302 LA SCIOMACHIE
bataille navale, sus le soir l'on mettrait le feu dedens iceluy Galion. Il y
eust eu un terrible feu de joj'e, veu le grand nombre et quantité de feuz
artificielz qu'on avoit mis dedens. Ja estoit iceluy Galion prest à combat-
tre, les petits vaisseaux prestz d'assaillir, et peintz selon les livrées des
Capitaines assaillans, avecques la pavesade et chorme bien galante. Mais
ce combat fut obmis, à cause d'une horrible crue du Tybre et vorages
par trop dangereuses, comme vous savez que c'est un des plus inconstans
fleuves du monde, et croît inopinément, non seulement par esgoutz des
eaues tombantes des montaignes à la fonte des neiges ou autres pluies,
ou par regorgemens des lacs qui se deschargent en iceluy, mais encores
par manière plus estrange par les vents austraux qui, soufflans droit en
sa boucque prés Hostie, suspendans son cours et ne luy donnans lieu de
s'escouller en ceste mer Hetrusque, le font enfler et retourner arrière,
avecques misérable calamité, et vastation des terres adjacentes. Adjoint
aussi que deux jours devant avoit esté fait naufrage d'une des Gondoles,
en laquelle s'estoient jettez quelques Matachins imperitz de la marine,
cuydans fanfarer et bouffonner sus eaue, comme ilz font très bien en terre
ferme. Telle Naumachie estoit assignée pour le dimenche, dixième de ce
mois.
La Sciomachie par terre fut faite au jeudi subséquent. Pour laquelle
mieux entendre est à noter que, pour icelle aptement parfaire, fut eslue
la place de Saint Apostolo, parce qu'après celle d'Agone c'est la plus
belle et longue de Rome; par ce aussi et principalement que le palais
dudit Seigneur Reverendissime est sus le long d'icelle place. En icelle
doncques, devant la grand'porte d'iceluy palais, fut, par le deseing du
capitaine Jean Francisque de Monte Melino, érigé un chasteau en forme
quadrangulaire, chascune face duquel estoit longue d'environ vingt et
cinq pas, haute la moitié d'autant, comprenant le parapete. A chascun
angle estoit érigé im tourrion à quatre angles acutz, desquelz les trois
estoient projettez au dehors; le quatrième estoit amorti en l'angle de la
muraille du chasteau. Tous estoient percez pour canonnières par chascun
des flans et angles intérieurs en deux endroitz, savoir est, au dessouz et
au dessus du cordon. Hauteur d'iceux avecques leur parapete, comme de
ladite muraille. Et estoit iceUe muraille, pour la face principale qui
regardoit le long de la place, et le contour de ses deux fourrions, de fortes
tables et esses jusques au cordon; le dessus estoit de brique, pour la
raison qu'orrez par cy après. Les autres deux faces avecques leurs tour-
rion estoient toutes de tables et limandes. La muraille de la porte
du palais étoit pour quarte face. Au coing de laquelle, par le dedens du
chasteau, estoit érigé une tour quarrée de pareille matière, haute trois
fois autant que les autres fourrions. Pair le dehors tout estoit aptement
joint, collé et peint, comme si fussent murailles de grosses pierres entail-
lées à la rustique, telle qu'on voit la grosse tour de Boiu-ges. Tout le
circuit estoit ceint d'un fossé large de quatre pas, profond d'ime demie
toise et plus. La porte estoit selon l'advenue de la porte grande du palais,
eslevée pour le mâchicoulis en\'iron trois piedz plus haut que la muraille,
de laquelle descendoit im pont levis jusques sur la contrescarpe du fossé.
LA SCIO^FACHIE 363
Au jour susdit, xiiii de ce mois de Mars, le ciel et l'air semblèrent
favoriser à la feste. Car Ion n'avoit de long temps veu journée tant claire,
serene et joyeuse comme icelle fut en toute sa durée. La fréquence du
peuple estoit incroyable. Car, non seulement les Seigneurs Reverendis-
simes Cardinaux, presque tous les Evesques, Prelatz, Officiers, Seigneurs
et Dames et comxmm peuple de la ville y estoient accouruz, mais aussi
des terres circunvoisines à plus de cinquante lieues à la ronde estoient
convenuz nombre merveilleux de Seigneurs, Ducz, Comtes, Barons,
gentilzhommes, avecques leurs femmes et familles, au bruit qui estoit
couru de ce nouveau tournoy, aussi qu'on avoit veu es jours precedens
tous les brodeurs, tailleurs, recameurs, plumaciers et autres de telz
mestiers employez et occupez à parfaire les accoustremens requis à la
feste. De mode que, non les palais, maisons, loges, galeries et eschaffautz
seulement estoient pleins de gens en bien grande serre, quoy que la place
soit des plus grandes et spacieuses qu'on voye, mais aussi les toitz et
couvertures des maisons et églises voisines Au mylieu de la place pen-
doient les armoiries de mondit seigneur d'Orléans, en bien grande marge,
à double face, entoumoiees d'un joyeux feston de Mvrtes, Lierres, Lau-
riers et Orangiers, mignonnement instrophiées d'or clinquant, avec ceste
inscription :
Cresce, infans, fatis nec te ipse vocantibtis aufcr.
Sus les xviii heures, selon la supputation du pais, qui est entre ime et
deux après midy, ce pendant que les combatans foy mettoient en armes,
entrèrent dedens la place les deux Caporions Colonnois, avecques leurs
gens embastonnez, assez mal en poinct. Puis survindrent les Suisses de
la garde du Pape, avecques leur Capitaine, tous armez à blanc, la picque
au poing, bien en bon ordre, pour garder la place. Alors, pour temporiser
et esbattre l'assemblée magnifique, furent laschez quatre terribles et fiers
taureaux. Les premier et second furent abandonnez aux gladiateurs et
bestiaires à l'espée et cappe. Le tiers fut combattu par trois grans chiens
corses, auquel combat y eut de passe-temps beaucoup. Le quart fut
abandonné au long bois, savoir est picques, partusanes, halebardes,
corsecques, espieuz boulonnois, parce qu'il sembloit trop furieux, et eust
peu faire beaucoup de mal parmy le menu peuple.
Les taureaux desconfitz, et la place vuide du peuple jusques aux bar-
rières, siirvint le Moret, archiboufîon d'Italie, monté sus un bien puissant
roussin, et tenant en main quatre lances liées et entées dedens une, soy
vantant de les rompre toutes d'une course contre terre. Ce qu'il essaya,
fièrement picquant son roussin; mais il n'en rompit que la poignée, et
s'accoustra le bras en coureur buffonique. Cela fait, en la place entra,
au son des fifres et tabours, une enseigne de gens de pied, tous gorgia-
sement accoustrez, armez de harnois presque tous dorez, tant picquiers
qu'escoulpetiers, en nombre de trois cens et plus. Iceux furent suivis par
quatre trompettes, et im estanterol de gens de cheval, tous serviteurs
de Sa Majesté, et de la part Françoise, les plus gorgias qu'on pourroit
364 LA SCIOMACHIE
souhaiter, nombre de cinquante chevaux et d'avantage. Lesquelz, la
visière haulsée, feirent deux tours le long de la place en grande alaigresse,
faisans poppizer, bondir et penader leurs chevaux, uns parmy les autres,
au grand contentement de tous les spectateurs. Puis se retirèrent au bout
de la place à gauche, vers le monastère de Saint Marcel. D'icelle bande,
pour les gens de pied, estoit capitaine le seigneur Astorre Baglion,
l'enseigne duquel et escharpes de ses gens estoit de couleurs blanc et
bleu. Le seigneur duc Horace estoit chef des hommes d'armes, desquelz
voluntiers j'ay cy dessous mis les noms, pour l'honneur d'iceux.
1,'Excellence dudit seigneur Duc. Dominique de Massimis.
Paule Baptiste Fregose. P. Lois Capisucco.
Flaminio de I,anguillare. J- P- Paule de la Cecca.
Alexandre Cinquin. Bernardin Piovene.
Luca d'Onane. Ludovic Cosciari.
Theobaldo de la Molare. Jean Paule, escuier de Son Excellence.
Philippe de Serlupis.
Tous en hamois dorez, montez sur gros coiursiers, leurs pages montez
sus genetz et chevaux turcs pour le combat à l'espée.
La hvrée de Son Excellence estoit blanc et incarnat, laquelle pouvoit
on voir es habillemens, bardes, caparassons, pennaches, panonceaux,
lances, fourreaux d'espées, tant dessusdits chevaUers que des pages et
estaifiers qui les suivoient en bon nombre. Ses quatre trompettes, vestuz
de casaquins de velours incarnat, decouppe et double de toille d'argent.
Son Excellence estoit richement vestue sus les armes d'un accoustrement
fait à l'antique, de satin incarnat broché d'or, couvert de croissans estof-
fez en riche broderie de toille et canetille d'argent. De telle pamre estoient
semblablement vestuz et couvers tous les hommes d'armes susdits, et
leurs chevaux pareillement. Et n'est à obmettre qu'entre les susdits
croissans d'argent à haut reUef, par certains quadres estoient en riche
broderie posées quatre gerbes recamées à couleur verde, autour desquelles
estoit escrit ce mot, Flavescent : voulant signifier (selon mon opinion)
quelque sienne grande espérance estre prochaine de maturité et jouis-
sance.
Ces deux bandes ainsi escartees, et restant la place vuyde, soudain
entra, par le costé droit du bas de la place, une compagnie de jeimes et
belles Dames richement atoimiees, et vestues à la Nj-mphale, ainsi que
voyons les Nymphes par les monuments antiques. Desquelles la princi-
pale, plus eminente et haute de toutes autres, représentant Diane,
portoit sus le sonmiet du front un croissant d'argent, la chevelure
blonde esparse sur les espaules, tressée sus la teste avecques une guirlande
de laurier, toute instrophiée de roses, violettes, et autres belles fleiurs;
vestue, sus la sottane et verdugalle, de damas rouge cramoisi à riches
broderies, d'une fine toille de Cypre toute battue d'or, curieusement pliée
comme si fust un rochet de Cardinal, descendant jusques à my jambe,
et, par dessus, une peau de Léopard bien rare et précieuse, attachée à
gros boutons d'or sus l'cspaule gauche. Ses botines dorées, entaillées,
et nouées à la Nymphale, avec cordons de toille d'argent; son cor d'Ivoire
LA SCIOMACHIE 365
pendant souz le bras gauschc; sa trousse, précieusement recamee et
labourée de perles, pendoit de l'cspaule droite à gros cordons et houppes
de soye blanche et incarnate. Elle, en main droite, tenoit une dardelle
argentée. Les autres Nymphes peu differoient en accoustremens, exceptez
qu'elles n'avoient le croissant d'argent sus le front. Chacune tenoit im
arc Turquois bien beau en main, et la trousse comme la première. Aucunes
sus leurs rochetz portoient peau.x d'Africanes, autres de Loups cerviers,
autres de Martes Calabroiscs. Aucunes menoient des lévriers en lesse,
autres sonnoient de leurs trombes. C'estoit belle chose les voir. Ainsi soy
pourmenans par la place, en plaisans gestes comme si elles allassent à
la chasse, advint qu'une du trouppeau, soy amusant à l'escart de la
compagnie pour nouer un cordon de sa botine, fut prise par aucims
soudars sortiz du chasteau à l'improviste. A ceste prise fut horrible
etïroy en la compagnie. Diane hautement crj'oit qu'on la rendist, les
autres Nymphes pareillement en cris piteux et lamentables. Rien ne leur
fut respondu par ceux qui estoient dedens le chasteau. Adonques, tirans
quelque nombre de flesches par dessus le parapete, et fièrement menas-
sans ceux du dedens, s'en retournèrent portans faces et gestes au retour
autant tristes et piteuses comme avoient eu joyeuses et gayes à l'aller.
Sus la fin de la place rencontrans Son Excellence et sa compagnie,
feirent ensemble cris effroyables. Diane luy ayant exposé la deconveneue,
comme à son mignon et favorit, tesmoing la devise des croissans d'argent
espars par ses accoustremens, requist aide, secours et vengeance, ce que
luy fut promis et asseuré. Puis sortirent les Nymphes hors la place.
Adonques Son Excellence envoyé un héraut par devers ceux qui estoient
dedens le chasteau, requérant la Nymphe ravie luy estre rendue sus
l'instant, et, en cas de refus ou delay, les menassant fort et ferme de mettre
eux et la forteresse à feu et à sang. Ceux du chaseau feirent response qu'ilz
vouloient la Nymphe pour soy, et que, s'ilz la vouloient recouvrir, il failloit
jouer des cousteaux et n'oublier rien en la boutique. A tant non seulement
ne la rendirent à ceste sommation, mais la montèrent au plus haut de la
tour quarrée en veue de la part foraine. Le héraut retourné, et entendu le
refus. Son Excellence tint sommairement conseil avecques ses capitaines.
Là fut résolu de ruiner le chasteau et tous ceux qui seroient dedens. -
Auquel instant, par le costé droit du bas de la place entrèrent, au son de
quatre trompettes, fifres et tabours, un estanterol de gens de cheval et
une enseigne de gens de pied, marchans furieusement, comme voulans
entrer par force dedens le chasteau, au secours de ceux qui le tenoient.
Des gens de pied estoit capitaine le seigneur Chappin Ursin, tous hommes
galans, et superbement armez, tant picquiers que harquebousiers, en
nombre de trois cens et plus. Les couleurs de son enseigne et escharpes
estoient blanc et orangé. Les gens de cheval, faisans nombre de cinquante
chevaux et plus, tous en harnois dorez, richement vestuz et enharnachez,
estoient conduits par les seigneurs Robert Strossi et Maligni. La livrée
du seigneur Robert, de son accoustrement sus armes, des bardes, cappa-
rassons, pennaches, panonceaux, et des chevaliers par luy conduits,
des trompettes, pages et estafiiers, estoit des couleurs blanc, bleu et
3b6 LA SCIOMACHIE
orangé. Celle du seigneur de Maligni, et des gens par luy conduits, estoit
des couleur? blanc, roage et noir. Et si ceux de Son Excellence estoient
bien advantagement montez et richement accoustrez, ceux cy ne leurs
cedoient en rien. Les noms des hommes d'armes j'ay icy mis à leur
honneur et louenge.
Le seigneur Robert Strossi. S. de Villepemay.
Le seigneur de Malis:ni. Spagnino.
S. Averso de Langidllarre. Baptiste, picquer du iesugneur .\mbassa-
S. de ilalicome le jeune. deur. .,
M. Jean Baptiste de Victorio. Le cavalcador du seigneur Robert.
S. de Piebon. Jean Baptiste Altoviti.
M. Sôpion de Piovene. S. de la Garde.
Ces deux derniers ne furent au combat, parce que, quelques jours
Uavant la feste, soy essayans dedens le Thermes de Docletian avecques
la compaignie, au premier fut une jambe rompue, au second le poulse
taillé de long. Ces deux bandes donques, entrans fièrement en la place,
furent rencontrées de Son Excellence et de ses compagnies. Alors fut
l'escarmouche attaquée des uns parmy les autres, en braveté honnorable,
sans toutesfois rompre lances ni espées, les derniers entrez tousjours soy
retirems vers le fort, les premiers entrez tousjoiurs les poursuyvans,
jusques à ce qu'ilz furent près le fossé. Adonqucs fut tiré du chasteau
grand nombre d'artillerie grosse et moyenne, et se retira Son Excellence
et ses bandes en son camp : les deux bandes dernières entrèrent dedens
le chasteau.
Cette escarmouche finie, sortit im trompette du chasteau, envoyé
devers Son Excellence, entendre si ses chevaliers vouloient faire espreuve
de leurs vertus en Monomachie, c'est à dire homme à homme contre les
tenans. Auquel fut respondu que bien voluntiers le feroient. Le trompette
retourné, sortirent hors le chasteau deux hommes d'armes, ayans chascun
la lance au poing et la visière abbatue, et se posèrent sur le revehn du
fossé, en face des assaillans, de la bande desquelz pareillement se targe-
rent deux hommes d'armes, lance au poing, visière abbattue. Lors,
sonnans les trompettes d'un costé et d'autre, les hommes d'armes soy
rencontrèrent, piquans fiuieusement leurs dextriers. Puis, les lances
rompues tant d'un costé comme d'autre, nùrent la main aux espees, et
soy chamaillèrent l'on l'autre si brusquement que leiurs espees volèrent
en pièces. Ces quatre retirez, sortirent quatre autres, et combattirent
deux contre deux, comme les premiers, et ainsi consequentement comba-
tirent tous les gens de che\"al des deux bandes controverses.
Ceste Monomachie parachevée, ce pendant que les gens de pied entre-
tenoient la retraite, Son Excellence et sa compagnie, changeans de che-
vaux, reprindrent nouvelles lances, et, en trouppe, se présentèrent devant
la face du chasteau. Les gens de pied, sus le flanc droit, couvers d'aucims
rondcUers, apportoient eschelles, comme pour emporter le fort d'emblée,
et jà avoient planté quelques eschelles du costé de la porte, quand du
chasteau fut tant tiré d'artillerie, tant jette de mattons, micraines, potz
et lances à feu, que tout le \ oisinage en retondissoit, et ne voiyoit on
LA SCIOMACHIE 5^7
autour que feu, flambe et fumée, avec tonnoirres horrifiques de telle
canonneric. Dont furent contraints les forains soy retirer et abandonner
les eschelles. Quelques soudars du fort sortirent souz la fumée, et char-
gèrent les gens de pied forains, de manière qu'ilz prindrent deux prison-
niers. Puis, suyvans leur fortune, se trouvèrent enveloppez entre quelque
esquadron des forains, caché comme en embuscade. Là, craignans que
la bataille ensuivist, se retirèrent au trot, et perdirent deux de leurs gens,
qui furent semblablement emmenez prisonniers. A leur retraite sortirent
du chasteau les gens de cheval, cinq à cinq par ranc, la lance au poing.
Les forains de mesmes se présentèrent, et rompirent lances en tourbe,
par plusieurs courses, qui est chose grandement périlleuse. Tant y ha
que le seigneur de Maligni, ayant fait passe sans attainte contre l'escuyer
de Son Excellence, au retour le choqua de telle violence qu'il rua par
terre homme et cheval. Et en l'instant mourut le cheval, qui estoit un bien
beau et puissant coursier. Celuy dudit S. Maligni resta espaulé.
Le temps pendant qu'on tira hors le cheval mort sonnèrent en autre et
plus joyeuse harmonie les compagnies des musiciens, lesquelz on avoit
posé en divers eschaffautz sus la place, comme hautboys, cometz, sacque-
boutes, flûtes d'Allemans, doucines, musettes, et autres, pour esjouir les
spectateurs par chascune pose du plaisant tournoy. La place vuidée, les
hommes d'armes tant d'un costé comme d'autre, le S. de Mahgni monté
sur un genêt frais, et l'escuyer sus un autre (car peu s'estoient blessez),
laissans les lances, combattirent à l'espée en tourbe les uns parmi les
autres, assez felonnement; car il y eut tel qui rompit trois et quatre
espees : et, quoy qu'ilz fussent couvers à l'advantage, plusieturs y furent
desarmez.
La fin fut qu'une bande de harquebousiers forains chargèrent à coups
d'escoulpettes les tenans, dont furent contraintz soy retirer au fort, et
mirent pied à terre. Sus ceste entrefaite, au son de la campanelle du
chasteau, fut tiré grand nombre d'artillerie, et se retirèrent les forains qui
pareillement mirent pied à terre, et délibérèrent donner la bataille,
voyans sortir du fort tous les tenans, en ordre de combat. Pourtant
prindrent un chacun la picque mornee en poing, et, les enseignes desplo-
yees, à desmarche grave et lente se présentèrent en veuë des tenans, au
seul son des fifres et tabours, estans les hommes d'armes en première
fiUiere, les harquebousiers en flanc. Puis, marchans oultre encore quatre
ou cinq pas, se mirent tous à genouilz, tant les forains que les tenans,
par autant d'espace de temps en silence qu'on diroit l'oraison domini-
cale.
Par tout le discours du tournoy précèdent fut le bruit et applausion
des spectateurs grand en toute circunference. A ceste precation fut
silence de tous endroits, non sans effroy, mesmement des Dames et de
ceux qui n'avoient autre fois esté en bataille. Les combattans, ayans
baisé la terre, soudain au son des tabours se levèrent, et, les picques
baissées, en hurlemens espouventables vindrent à joindre : les harque-
bouziers de mesme sus les flans tiroient infatigablement. Et y eut tant
de picques brisées que la place en estoit toute couverte. Les picques
368 LA SCIOMACHIE
rompues, mirent la main aux espees, et y eut tant chamaillé à tors et à
travers qu'à une fois les tenans repoulsèrent les forains plus de la lon-
gueur de deux picques; à l'autre les tenans furent repoulsez jusques au
revelin des tournons. Lors furent sauvez par l'artillerie tirant de tous
les quantons du chasteau, dont les forains se retirèrent. Ce combat dura
assez longuement. Et y fut donné quelques esraflades de picques et
espees, sans courroux toutesfois, n'affection mauvaise. La retraite faite
tant d'un costé comme d'autre restèrent en place, à travers les picques
rompues et hamois brisez, deux hommes morts; mais c'estoient hommes
de foin, desquelz l'un avoit le bras gauche couppé, et le visage tout en
sang; l'autre avoit un transon de picque à travers le corps souz la faute
du hamois. Autour desquelz fut recréation nouvelle, ce pendant que la
musique sonnoit. Car Frérot, à tout son accoustrement de velours incar-
nat fueilleté de toille d'argent, à forme d'œsles de souris chauve, et Fabri-
tio avecques sa couronne de laurier, soy joingnirent à eux. L'un les admo-
nestoit de leur salut, les confessoit et absolvoit comme gens morts pour
la foy; l'autre les tastoit aux goussetz et en la braguette pour trouver
la bourse. Enfin, les descouvrans et despouillans, montrèrent au peuple
que ce n'estoient que gens de foin. Dont fut grande risée entre les spec-
tateurs, soy esbahissans comment on les avoit ainsi là mis et jettez
durant ce furieux combat.
A ceste retraite, le jour esclarci et purgé des fumées et perfums de la
canonnerie, apparurent au mylieu de la place huit ou dix gabions en
renc, et cinq pièces d'artillerie sus roue, lesquelles durant la bataille
avoient esté posées par les canonniers de Son Excellence. Ce qu'estant
apperceu par une sentinelle monté sus la haute tour du chasteau, au
son de la campanelle fut fait et ouy grand effroy et hurlement de ceux
du dedens. Et fut lors tiré tant d'artillerie par tous les endroits du fort,
et tant de sciopes, fusées en canon, pâlies et lances à feu vers les gabions
posez, qu'on n'eust point ouy tonner du ciel. Ce nonobstant, l'artillerie
posée derrière les gabions tira furieusement par deux fois contre le
chasteau, en grand espouventement du peuple assistant. Dont tomba
par le dehors la muraille jusques au cordon, laquelle, comme ay dit,
estoit de brique. De ce advint que le fossé fut remply. A la cheute, resta
l'artillerie du dedens descouverte. Un bombardier tomba mort du haut
de la grosse tour; mais c'estoit un bombardier de foin revestu. Ceux du
dedens adoncques commencèrent à remparer derrière ceste bresche, en
grand effort et dihgence. Les forains ce pendant feirent une mine par
laquelle ilz mirent le feu en deux fourrions du chasteau, lesquelz, tombans
par terre à la moitié, feirent un bruit horrible. L'un d'iceux brusloit
continuellement; l'autre faisoit fumée tant hideuse et espaisse qu'on ne
pouvoit plus voir le chasteau.
Derechef fut faite nouvelle batterie, et tirèrent les cinq grosses pièces
par deux fois contre le chasteau. Dont tomba toute l'escharpe de lamuraille,
laquelle, comme ay dit, estoit faite de tables et limandes. Dont, tombant
par le dehors, feit comme un pont tout couvrant le fossé jusques sus le
revelin. Resta seulement la barrière et rempart que les tenans avoient
LA SCIOMACHIE 369
dressé. Lors, pour empescher l'assaut des forains, lesquelz estoient tous en
ordonnance au bout de la place, furent jettees dix trombes de feu, canons
de fusées, pâlies, mattons, et potz à feu, et du rempart fut jette un bien
gros ballon en la place, duquel à un coup sortirent trente bouches de feu,
plus de mille fusées ensemble, et trente razes. Et couroit ledit ballon
parmy la place, jettant feu de tous costez, qui estoit chose espouventable :
fait par l'invention de messer Vincentio, romain, et Francisque, florentin,
bombardiers du Père Saint. Frérot, faisant le bon compagnon, courut
prés ce ballon, et l'appeUant gueulle d'enfer et teste de Lucifer; mais,
d'un coup qu'il frappa dessus avecques un transon de picque, il se trouva
tout couvert de feu, et crioit comme un enragé, fuyant deçà et delà, et
bruslant ceux qu'il touchoit. Puis devint noir comme un Ethiopien, et si
bien marqué au visage qu'il y paroistra encores d'icy à trois mois.
Sus la consommation du ballon fut sonné à l'assaut, de la part de Son
Excellence, lequel, avecques ses hommes d'armes à pied, couvers de
grandes targes d'arain doré à l'antique façon, et suivy du reste de ses
bandes, entra sus le pont susdit. Ceux du dedens luy feirent teste sus le
rempart et barrière. A laquelle fut combattu plus felonnement que n'avoit
encores esté. Mais par force en fin franchirent la barrière, et entrèrent
sus le rempart. Auquel instant l'on veit sus la haute tour les armoiries
de Sa Majesté, enlevées avecques festons joyeux. A dextre lesquelles,
peu plus bas, estoient celles de mon seigneur d'Orléans ; à gauche, celles de
Son Excellence. Oui fut sur les deux heures de nuict. La nymphe ravie fut
présentée à son Excellence, et sus l'heure rendue à Diane, laquelle se
trouva en place comme retournant de la chasse.
Le peuple assistant, grans et menuz, nobles et roturiers, réguliers et
séculiers, hommes et femmes, bien au plein esjouiz, contens et satisfaits,
feirent applausement de joye et alaigresse, de tous costez, à haute voiz
crians et chantans ! Vive France, France, France ! vive Orléans ! vive
Horace Farnese ! Quelques uns adjousterent : Vive Paris ! vive Bellay !
vive la coste de Langey ! Nous pouvons dire ce que jadis l'on chantoit à
la dénonciation des jeuz seculares : Nous avons veu ce que personne en
Rome vivant ne veit, personne en Rome vivant ne verra.
L'heure estoit jà tarde et opportune pour soupper, lequel, pendant
que Son Excellence se desarma et changea d'habiUemens, ensemble tous
les vaillans cliampions et nobles combatans fut dressé en sumptuosité
et magnificence si grande, quelle pouvoit effacer les célèbres banquetz de
plusieurs anciens Empereurs Romains et Barbares, voire certes la patine
et cuisinerie de Vitellius, tant célébrée qu'elle vint en proverbe, au ban-
quet duquel furent servies mille pièces de poissons. Je ne parleray point
du nombre et rares espèces des poissons icy serviz, il est par trop excessif.
Bien vous diray qu'à ce banquet furent servies plus de cinq cens pièces
de four, j'entends patez, tartes et darioUes. Si les viandes furent copieuses,
aussi furent les beuvettes numereuses. Car trente polnsons de vin et cent
cinquante douzaines de pains de bouche ne durèrent gueres, sans l'autre
pain mollet et commun. Aussi fut la maison de mon dit Seigneur Reveren-
dissime ouverte à tous venans, quelz qu'ils fussent, tout iceluy jour.
T. II. 24
37°
LA SCIOMACHIE
En la table première de la salle moyenne furent comptez douze Cardi-
naux, savoir est :
Le Reverendissime Cardinal Famese. R. C. de Lenoncourt.
R. C. de Saint Ange. R. C. de Meudon.
R. C. Sainte Floiir. R. C. d'Armignac.
R. C. Simonette. R. C. Pisan.
R. C. Rodolphe. R. C. Comare.
R. C. du Bellay. R. C. Gaddi.
Son Excellence, le seigneur Strossi, l'Ambassadeur de Venise; tant
d'autres Evesques et Prelatz.
Les autres salles, chambres, galleries d'iceluy palais, estoient toutes
pleines de tables servies de mesmes pain, vin et viandes. Les nappes
levées, pour laver les mains furent présentées deux fontaines artifi-
cielles sus la table, toutes instrophiees de fleurs odorantes, avecques com-
partimens à l'antique. Le dessus desquelles ardoit de feu plaisant et redo-
lent, composé d'eaue ardente musquée. Au dessouz, par divers canaux
sortoit eaue d'Ange, eaue de Naphe et eaue Rose. Les grâces dites en
musique honnorable, fut par Labbat prononcée avecques sa grande l\Te
l'Ode que trouverez icy à la fin, composée par mon dit Seigneur Reveren-
dissime.
Puis, les tables levées, entrèrent tous les Seigneurs en la salle majour,
bien tapissée et atoumée. Là cuydoit on que fust jouée une comédie; mais
elle ne le fut parce qu'il estoit plus de minuict. Et, au banquet que mon
Seigneur Reverendissime Cardinal d'Armignac avoit fait au paravant, en
avoit esté jouée une, laquelle, plus fâcha que ne pleut aux assistans, tant
à cause de sa longueur et mines Bergamasques assez fades, que pour l'in-
vention bien froide et argument trivial. En lieu de comédie, au son des
cornetz, hautzbois, sacqueboutes, etc., entra ime compagnie de Mata-
chins nouveaux, lesquelz grandement délectèrent toute l'assistance. Après
lesquelz furent introduites plusieurs bandes de masques, tant gentilz-
hommes que Dames d'honneur, à riches devises et habillemens sump-
tueux. Là commença le bal, et dura jusques au jour, lequel pendant,
mesdicts Seigneurs Reverendissimes, Ambassadeurs et autres Prelatz soy
retirèrent en grande jubilation et contentement.
En ces tournoy et festin je notay deux choses insignes : l'une est qu'il
n'y eut noise, débat, dissention ne tumulte aucim; l'autre que, de tant
vaisselle d'argent, en laquelle tant de gens de divers estatz furent serviz,
il n'y eut rien perdu n'esgaré. Les deux soirs subsequens furent faitz
feuz de joye en la place publique, devant le palais de mon dit Seigneur
Reverendissime, avecques force artillerie, et tant de diversitez de feuz
artificielz que c'estoit chose merveilleuse, comme de gros ballons, de gros
mortiers jettans par chacune fois plus de cinq cens sciopes et fusées, de
rouetz à feu, de moulins à feu, de nues à feu pleines d'estoiles coruscantes,
de sciopes en canon, aucunes pregnantes, autres reciprocantes, et cen-
autres sortes. Le tout fait par l'invention dudit Vincentio, et du Bois le
Court, grand salpetrier du Maine.
LA SCIOMACHIE
ODE SAPPHICA
R. D. JO. CARDIN A LIS BELLAY
Mercuri, interpres superum, venusto
Ore qui mandata refers vicissira,
Gratus hos circum volitans et illos,
Prœpete cursu,
Adveni sanctis Patribus, senique,
Praesidet qui consilio deorum,
Quem sui spectat soboles Quiritum
Numinis instar.
Die jubar, quod Sequanidas ad undas
Edidit Gallis Italisque mixtim
Diva, quam priraum Tiberi tenellam
Credidit Amus.
Tritonum post hanc comitante turba
Phocidum celsas subiisse turres,
Nec procellosum timuisse vidit
Nereis œquor.
O diem Hetruscis populis colendum,
Et simul Francis juveni puellam
Qui dédit, forma, genio, décore,
Ore coruscam !
Fauste tune in quos Hymenaje, quos tu
In jocos Cypri es resoluta ! vel quas
Juno succendit veniente primura
Virgine t aedas !
Ut tibi noctes, Catharina, iœtas,
Ut dies, Errice, tibi serenos,
Demum ut ambobus, sobolisque fausta es
Cuncta precata !
Ut deam primo dea magna partu
Juvit ! ut nec defuerit subinde,
Quartus ut matri quoque nunc per illam
Rideat infans.
371
372 LA SCIOMACHIE
Quartus is, quem non superi dedere
Galliae tantum : sibi namque partem
Vendicat, festisque vocat juventus
Nostra choreis.
Laeta si Franciscum etenim juventus
Hune petat, cui res pater ipse servat
Gallicas, et cui imperium spopondit
Juppiter orbis :
Provocet divos hominesque : tentet
Pensa fatorum : fuerit Latinis
Et satis Tuscis apibus secundos
Carpere flores.
Nam sibi primos adimi nec ipsae
Gratiœ Errici comités perennes,
Nec sinat raucis habitans Bleausi
Nympha sub antris.
Nec magis vos, o Latio petitae
Celticis, sed jam Laribus suetae, et
Vocibus Musae, ac patriis canentes
Nunc quoque plectris.
Et puellarum decus illud, una
Margaris tantum inferior Minerva,
Ac Navarrîeœ spécimen parentis
Jana reclamet.
Ne quidem nympha id probet illa, ab imis
Quae Padi ripis juvenem secuta est,
Si Parim forma, tamen et pudicum
Hectora dextra.
i\cc tuos haec quae patefecit ignés
Ignibus praeclare aliis Horati,
Cuncta dum clamant tibi jure partam
Esse theatra.
Tu licet nostro a genio tribut am ob
Gratiam nil non, Catharina, nobis
Debeas, nostro ab genio tuoque heic
Ipsa répugnes,
Spe parum nixis igitur suprema
Sorte contentis média, faveto.
Et recens per te in Latios feratur
Flosculus hortos.
LA SCIOMACHIE 373
At nihil matrem moveat, quod ipsis
Vix adhuc ex uberibus sit infans
T^'^ndulus, nullœ heic aderant daturae
Ubera niatres?
Nec tamen lac Romulidum parenti
Defuit : neve heic quiriteris, esse
Lustricas nondum puero rogatum
Nomen ad undas,
Nominis si te metus iste tangit,
Sistere infantem hue modo ne gravera,
Dîque, divjeque hune facient, et omnis
Roma Quirinum.
TéXo?
EPISTRE
DE MAISTRE FRANÇOIS RABELLAYS
Homme de gratis lettres Grecques et Latines.
A JEHAN BOUCHET
TRAICTANT DES YMAGINATIONS QU'ON PEUT AVOIR
ATTENDANT LA CHOSE DÉSIRÉE
L'espoîr certain et parfaicte asseurance
De ton retour plein de resjouyssance,
Que nous donnas à ton partir d'icy,
Nous a tenu jusques ore en soulcy
Assez fasciieulx, et tresgriefve ancolye,
Dont nos espritz, taincts de merencolie,
Par longue attente et véhément désir,
Sont de leurs lieux esquelz souloient gésir
Tant deslochez et haultement raviz
Que nous cuidons et si nous est advis
Qu'heures sont jours, et jours plaines années,
Et siècle entier ces neuf ou dix journées :
Non pas qu'au vray nous croyons que les astres.
Qui sont reiglez, permanans en leurs atres,
Ayent dévoyé de leur vray mouvement,
Et que les jours telz soient asseurement
Que cil quant print Josué Gabaon,
Car img tel jour depuis n'arriva on,
Ou que les nuyctz croyons estre semblables
A celle là que racontent les fables
Quant Jupiter de la belle Alcmena
Fist Hercules, qui tant se pourmena.
Ce ne croyons, ny n'est aussi de croire
Et toutesfoiz, quant nous vient à mémoire
Que tu promis retourner dans sept jours,
Nous n'avons eu joye, repos, séjours.
EPISTKE A J. BOUCHET 375
Depuis que fut ce temps prefix passé,
Que nous n'ayons les momens compassé.
Et calcullé les heures et mynutes,
En t'attendant quasi à toutes meutes.
Mais quant avons si long temps attendu,
Et que frustrez du désir prétendu
Nous sommes veuz, lors l'ennuy tedieux
Nous a renduz si tresfastidieux
En nos espritz que vray nous apparoist
Ce que vray n'est, et que noz sens ne croyst,
Ny plus ne moins qu'à ceulx qui sont sur l'eau,
Passans d'un lieu à l'autre par basteau.
Il semble advis, à cause du rivage
Et des grans fioz, les arbres du rivage
Se remuer, cheminer et dancer,
Ce qu'on ne croyt et qu'on ne peult penser.
De ce j'ay bien voulu ta seigneurie
Asçavanter, qu'en ceste resverie
Plus longuement ne nous vueillez laisser;
Mais quant pourras bonnement délaisser
Ta tant ayraée et cultivée estude,
Et différer ceste solicitude
De litiger et de patrociner,
Sans plus tarder et sans plus cachiner
Apreste toy promptement, et procure
Les tallonniers de ton patron Mercure,
Et sus les vents te metz alegre et gent;
Car Eolus ne sera négligent
De t'envoyer le bon et doulx Zephyre,
Pour te porter où plus on te désire.
Qui est céans, je m'en puis bien vanter.
Ja (ce croy) n'est besoing t'assavanter
De la faveur et parfaicte amitié
Que trouveras : car presque la moitié
Tu en congneuz quand vins dernièrement,
Dont peuz la reste assez entièrement
Conjecturer comme subsecutoire.
Ung cas y a, dont te plaira me croire,
Que quant viendras, tu verras les seigneurs
Mettre en oubly leurs estatz et honneurs
Pour te chérir et bien entretenir.
Car je les oy tester et maintenir
Appertement, quand escheoit le propos.
Qu'en Poictou n'a, ny en France, suppos
A qui plusgrant familiarité
Veullent avoir, ny plus grant charité.
Car tes escritz, tant doulx et meliflues,
37^ EPISTRE A J. BOUCHET
Leur sont, au temps et heures superflues
A leur affaire, un joyeulx passetemps,
Dont deschasser les ennuytz et contemps
Peuvent des cueurs, ensemble prouffiter
En bonnes meurs, pour honneur mériter,
Car, quant je liz tes œuvres, il me semble
Que j'apperçoy ces deux poincts tous ensemble
Esquelz le pris est donné en doctrine,
C'est assavoir, doulceur et discipline.
Parquoy te prie et semons de rechief
Que ne te soit de les venir veoir grief.
Si eschapper tu puis en bonne sorte.
Rien ne m'escrips, mais toy mesmes apporte
Ceste faconde et éloquente bouche
Par où Pallas sa fontaine desbouche
Et ses liqueurs castallides distille.
Ou, si te plaist exercer ton doulx style
A quelque traict de lettre me rescrire.
En ce faisant feras ce que désire.
Et toutes foys aye en premier esgard
A t'appriver, sans estre plus esguard,
Et venir veoir ici la compaignie,
Qui de par moy de bon cueur t'en supplie.
A Ligugé, ce matin, de septembre
Sixiesme jour, en ma petite chambi"
Que de mon lict je me renouvellais,
Ton serviteur et ami
Rabelais.
EPISTRE RESPONSIVE
DUDICT BOUCHET AUDICT RABELAIS
CONTENANT
LA DESCRIPTION D'UNE BELLE DEMEURE
ET LOUANGES DE MESSIEURS d'eSTIGNAC
Va, lettre, va, de ce fascheux Palays,
■Te présenter aux yeux de Rabelays.
Le promettre est on pouvoir des humains.
Mais le tenir n'est tousjours en leurs mains.
Car advenir peut tel cas sans finesse
Qu'on ne sçauroit accomplir sa promesse.
Et mesmement à moy, qui subject suis
A plusieiu^s gens, veu Testât que j'ensuis.
Cecy t'escriptz à ce qu'on ne m'accuse
De menterie, et à toy je m'excuse.
Seigneur très cher, l'im de mes grands amjrs,
Du brief retour lequel j'avois promis.
Car si n'estoit le labeur de practique
(Auquel pour vivre il fault que je m'applique),
De trois jours l'un irois veoir Ligugé,
Et pour m'induire à ce maints arguz j'é.
Le premier est le lieu tant délectable.
De toutes pars aux nymphes tressortable :
Car d'une part les Nayades y sont
Dessus le Clan, doulce rivière, où font
Chères très grans avecques les Hymnides,
Se gaillardans es prez verdz et humides.
Apres y sont, par les arbres et boys,
Autres qui font resonner hault leur voix;
C'est assavoir, les silvestres Driades
Portans le verd, et les Amadriades,
Et davantage, Oreades aux mons.
Dont bien souvent on oyt les doulx sermons :
37^ EPISTRE RESPONSIVE DE J. BOUCHET
Et puis après les gentilles Nappées,
Qui rage font, par chansons decouppées,
De bien chanter aux casteUins ruysseaux
Par les jardins nourrissans arbrisseaux.
Et lors qu'Aurore est en son appareil,
Pour dénoncer le lever du Soleil,
En cheminant sous les verdoyans umbres,
Pour oublier les ennuyeux encombres,
Tu puis ouyr des nymphes les doulx chaus,
Dont sont remplis boys, boucages et champs.
Et qui vouldra prier Dieu (ce que prise).
On trouvera la tresplaisante egUse
Où sainct Martin feit habitation
Par certain temps, en contemplation,
Et où deux mors par fureur et tempeste.
Resuscitez furent à sa requeste.
Après y sont les bons fruictz et bons viu»,
Que bien aymons entre nous Poictevins.
Et le parfaict, qu'il ne fault qu'on resecq^^v-
C'est la bonté du révérend evesque
De Maillezays, seigneur de ce beau Ueu,
Par tout aymé des hommes et de Dieu,
Prélat dévot, de bonne conscience.
Et fort sçavant en divine science,
En canonique, et en humanité.
Non ig:iorant celle mondanité
Qu'on doit avoir entre les Roys et princes,
Pour gouverner villes, citez, provinces.
A ce moyen, il ayme gens lettrez
En Grec, Latin et François, bien estrez
A diviser d'histoire ou théologie.
Dont tu es l'un : car en toute clergie
Tu es expert ; a ce moien te print
Pour le servir, dont très grant heur te vint.
Tu ne povois trouver meilleur service
Pour te pourveoir bien tost de bénéfice.
Aussi est il de noble sang venu :
Ses pères ont (comme il est bien congneu;
Tresbien servy jadis les Roys de France,
En temps de paix, de guerre et de souffrance.
Et tellement que leur nom de Stissac
On ne sçauroit par oubly mettre à sac
Leurs nobles faictz militaires louables
Si demourront au monde pardurables.
Du sien nepveu les vertuz et les menT:.
Augmenteront leurs immortelz honneurs.
Car, pour parler au vray de sa personne,
EPISTRE RESPONSIVE DE J. BOUCHET 379
One je n'en vy mieulx aux armes consonne.
Par ce qu'il est chevalier treshardy,
De corps, de bras et jambes bien ourdy,
Moien de corps et de la droic taille
Que les vouloit César en la bataille.
En son aller il est tout tempéré.
En son parler et maintien, modéré,
Tant bien orné deloquence vulgaire
Qu'il est partout estimé debonaire.
Et, quant à moy, encores suis honteux
Du bon recueil si franc et non doubteux
Que ces seigneurs me feirent de leur grâce,
■presens plusieurs, voire en publicque place.
Et au privé, dont les cornes d'honneur
Prins de Moyse, et présage en bon heur.
Non seulement me feirent telle chère,
Mais tous leurs gens, qui est relique chère :
Cir le penser de ce tant bon recueil
lie faict ouvrir l'intellectuel œil,
poiu: méditer qu'en telle seigneurie
A plus d'honneur, hors toute iîaterie,
Plus de doulceur et plus d'humiUté
Cent mille foiz qu'en la rusticité
Des pallatins et gros bourgeois de ville,
Dont l'arrogance est tant fâcheuse et vile,
Et leur cuider si trespresumptueulx
Qu'on ne peut veoir entre eulx les vertueux;
Qui fait congnoistre en grosse compaignée
Les gens de bien et de bonne lignée.
Or pense donc, tant dévot orateur,
Que rien de moy n'a esté détenteur
De retourner veoir le tien hermitage,
Fors seulement le petit tripotage
De plaictz, procès et causes que conduys
De plusieurs gens, où peu je me desduys.
Mais contrainct suis le faire pour le vivre
De moy, ma femme et enfans; car le livre
D'ung orateur, ou son plaisant diviz
Mieux aymerois, ainsi te soit adviz.
Plus n'en auras, fors que me recomande
Treshumblement a la tresnoble bande
De ces seigneurs dont j'ay dessus escript,
En suppUant le benoist saint Esprit
Qu'à tous vous donne et octroyé la vie
Du vieil Nestor, en honneur, sans envie,
Et que tousjours puissions leur grâce avoir.
Et bien souvent par epistres nous veoir.
300 EPISTRE RESPON'SIVE DE J. BOUCHET
C'est de Poictiers, le huitiesme septembre,
Lorsque Titan se mussoit en sa chambre,
Et que Lucyne ung peu se desbouchoit
Par le tout tien serviteur,
Jean Bouchet.
TROIS LETTRES
DE M. FRANÇOIS RABELAIS
TRANSCRIPTES SUR LES ORIGINAUX
ESCRIPTES DE ROME, 1535-1536
LETTRE DE RABELAIS
A MONSIEUR DE MAILLEZAIS
Escrite de Rome le 30 décembre 1535
MoNS'. Je vous escrivy du xxix" jour de novembre bien amplement, et
vous envoyay des graines de Naples pour vos salades, de toutes les sortes
que l'on mangue de par deçà, excepté de pimpinelle, de laquelle pour lors
je ne peus recouvrir. Je vous en envoyé présentement, non en grande
quantité, car pour une fois je n'en peux davantage charger le courrier;
mais si plus largement en voulez, ou pour vos jardins ou pour donner ail-
leurs, me l'escrivant, je vous l'envoiray.
Je vous avois paravant escript, et envoyé les quatre signatures concer-
nantes les bénéfices de feu Dom Philippes, impetrez ou nom de ceux que
couchiez par vostre mémoire. Depuis, n'ay receu de vos lettres qui fissent
mention d'avoir receu lesdictes signatures. J'en ay bien receu unes datées
de l'Ermenaud, lorsque madame d'Estissac y passa, par laquelle me escri-
viez de la réception de deux pacquets que vous avois envoyé, l'un de Fer-
rare, l'aultre de ceste ville, avecques le chiffre que vous escrivois; mais, à
ce que j'entends, vous n'aviez encore receu le pacquet ouquel estoient
lesdictes signatures.
Pour le présent, je vous peux advertir que mon affaire a esté concédé
et expédié beaucoup mieux et plus seurement que je ne l'eusse souhaitté;
et y ay eu aide et conseil de gens de bien, mesmement du Cardinal de
Genutiis, qui est Juge du Palais, et du Cardinal Simoneta, qui estoit audi-
teur de la Chambre, et bien sçavant, et entendant telles matières. Le
Pape estoit d'advis que je passasse mondict affaire per Camcram : les sus-
dicts ont esté d'advis que ce fust par la Cour des Contredits, pour ce que,
in foro contentioso, elle est irréfragable en France, et qucc per Contradic-
toria transiguntur transeunt in rem judicatam; quce autem per Cameranif
3S2 LETTRES DE RABELAIS
et impugnari possunl, et in judicium veniunt. En tout cas, il ne me reste
que lever les bulles sttb plumbo.
Monseigneur le Cardinal du Bellay, ensemble Monseigneur de Mascon,
m'ont asseuré que la composition me sera faicte gratis, combien que le
Pape, par usance ordinaire, ne donne gratis fors ce qui est expédié per
Cameram. Restera seulement à payer le référendaire, procureurs et autres
telz barbouilleurs de parchemin. Si mon argent est court, je me recom-
manderay à vos aulmosnes, car je croy que je ne partiray point d'icy
que l'Empereur ne s'en aille.
Il est de présent à Naples, et en partira, selon qu'il a escript au Pape, le
six« de janv-ier. Ja toute cette ville est pleine d'Espagnols, et a envoyé par
devers le Pape un Ambassadeur exprez, oultre le sien ordinaire, pour
l'advertir de sa venue. Le Pape luy cède la moictyé du Palais, et tout le
bourg de Sainct Pierre pour ses gents, et faict apprester trois mille licts à
a mode Romaine, sçavoir est,desmatrats, car la ville en est despourveue
depuis le sac des lansquenetz. Et a faict provision de foing, de paille, ,
d'avoine, spelte et orge, tant tant qu'il en a peu recouvrir, et de \an, tout
ce qu'en est arrivé en Ripe. Je pense qu'il luy coustera bon, dont il se
passast bien en la pouvreté où il est, qui est grande et apparente plus
qu'en Pape qui feust depuis trois cents ans en çà. Les Romains n'ont
encores conclud comment ilz s'y doivent gouverner, et souvent a esté
faicte assemblée de par le Sénateur, Conserv-ateurs et Gouverneur;
mais ilz ne peuvent accorder en opinions. L'Empereur, par sondict ambas-
sadeur, leur a dénoncé qu'il n'entend point que ses gens vivent à discré-
tion, c'est à dire sans payer, mais à discrétion du Pape, qui est ce que
plus griefve le Pape. Car il entend bien que, par cette parole, l'Empereur
veult veoir comment et de quelle affection il le traictera, luy et ses gens.
Le Sainct Père, par élection du Consistoire, a envoyé par devers luy
deux Legatz, sçavoir est, le Cardinal de Senes et le Cardinal Cassarin.
Depuis, y sont d'abondant allez les Cardinaux Salviati et Rodolphe, et
Monseigneur de Sainctes avecques eulx. J'entends que c'est pour l'affaire
de Florence, et pour le différend qui est entre le Duc Alexandre de Medicis
et Phihppe Strossi, duquel vouloit ledict Duc confisquer les biens, qui ne
sont petits; car, après les Fourques de Auxbourg, en Almaigne, il est
estimé le plus riche marchand de la Chrestienté. Et avoit mis gens en
cette ville pour l'emprisonner ou tuer, quoy que ce fust. De laquelle entre-
prise adverty, impetra du Pape de porter armes. Et alloit ordinairement
accompagné de trente souldars bien armés à poinct. Ledict Duc de Flo-
rence, comme je pense, adverty que ledict Strossi, avecques les susdits
Cardinaux, s'estoit retiré par devers l'Empereur, et qu'il offroit audict
Empereur quatre cents mille ducats pour seulement commettre gens qui
informassent sur la t>Tannie et meschanceté dudict Duc, partist de Flo-
rence, constitua le Cardinal Cibo son Gouverneur, et arriva en cette ville
le lendemain de Xoël, sur les vingt trois heures, entra par la porte Sainct
Pierre, accompagné de cinquante chevaux légers armez en blanc, et la
lance au poing, et environ de cent arquebusiers. Le reste de son train
estoit petit et mal en ordre; et ne luy fut faict entrée quelconque, excepté
LETTRES DE RABELAIS 383
que l'Ambassadeur de l'Empereur alla au-devant jusques à ladite porte.
Entré que fut, se transporta au Palais, et eut audience du Pape, qui peu
dura, et fut logé au palais Saint Georges. Le landemain matin, partist
accompagné comme devant.
Depuis huict jours en ça sont venues nouvelles en cette ville, et en a le
Sainct Père receu lettres de divers lieux, comment le Sophy, Roy des
Perses, a defïaict l'armée du Turcq. Hier au soir arriva icy le neveu de
Mons'' de Vely, Ambassadeur pour le Roy par devers l'Empereur, qui
compta à Mons'' le Cardinal du Bellay que la chose est véritable, et que
c'a esté la plusgrande tuerye qui fut faicte depuis quatre cens ans en
ça; car du costé du Turcq ont esté occis plus de quarante mille chevaulx.
Considérez quel nombre de gens de pied y est demouré. Pareillement du
costé dudict Sophy. Car, entre gens qui ne fuyent pas volontiers, non solct
esse incnicnta vidoria.
La defïaicte principale fut près d'une petite viUe nommée Cony, peu
distante de la grande ville Tauris, pour laquelle sont en différend le
Sophy et le Turcq. Le demourant fut faict près d'une place nommée
Betelis. La manière fut que ledict Turcq avoit party son armée, et part
d'icelle envoyé pour prendre Cony. Le Sophy, de ce adverty, avecques
toute son armée rua sur ceste partye, sans qu'ils se donnassent guarde.
Voilà qu'il faict mauvais advis de partir son ost devant la victoire. Les
François en sçauroient bien que dire quand de devant Pavye M, d'Albanie
emmena la fleur et force du camp. Ceste roupte et deffaicte entendue, Bar-
berousse s'est retiré à Constantinople pour donner seureté au pays, et
dict, par ses bons Dieux, que ce n'est rien en considération de la grande
puissance du Turcq. Mais l'Empereur est hors celle peur qu'il avait que
ledict Turcq ne vint en Sicile, comme il avoit deUberé à la prime vere. Et
se peult tenir la Chrestienté en bon repos d'icy à long temps, et ceubc qui
mettent les décimes sur l'Eglise, co pretcxtu qu'ils se veulent fortifier pour
la venue du Turcq, sont mal garnis d'arguments démonstratifs.
Monsieur, j'ai reçu lettres de Mons'' de Saint Cerdes, dattées de Dijon,
par lesquelles il m'advertist du procez qu'il a pendant en cette Cour
Romaine. Je ne luy oserois faire response sans me hasarder d'encourir
grande fascherie. Mais j'entends qu'il a le meilleur droict du monde, et
qu'on luy faict tort manifeste, et y devroit venir en personne, car il n'y a
procez tant équitable qui ne se perde quand on ne le soUicite, mesme-
ment ayant fortes parties, avec auctorité de menasser les solUciteurs s'ilz
en parlent. Faulte de chiffre m'en guarde vous en escrire davantage. Mais
il me desplaist veoir ce que je veoye, attendu la bonne amour que luy
portez principalement, et aussi qu'il m'a de tout temps favorisé et aymé.
En mon advis. Monsieur de Basilac, Conseiller de Tholouse, y est bien
venu cest hyver pour moindre cas, et est plus vieil et cassé que luy, et a
eu l'expédition bien tost à son proffit.
Monsieur, aujourdhuy matin est retourné ici le Duc de Ferrare, qui
ustoit allé par devers l'Empereur à Naples. Je n'ay encores sceu comment
3S4 LETTRES DE RABELAIS
il a appoincté touchant l'investiture et recognoissance de ses terres; mais
j'entends qu'il n'est pas retourné fort content dudict Empereur. Je me
doubte que il sera contrainct mettre au vent les escus que son feu père
luy laissa, et le Pape et l'Empereur le plumeront à leur vouloir, mesme-
ment qu'il a refusé le party du Roy, après avoir délayé d'entrer en la ligne
de l'Empereur plus de six mois, quelques remonstrances ou menasses
qu'on luy ait faict de la part du dict Empereur. De fait, Mons"" de Limo-
ges, qui estoit à Ferrare, Ambassadeur pour le Roy, voyant que ledict
Duc, sans l'advertir de son entreprise, s'en estoit retiré devers l'Empe-
reur, est retourné en France. Il y a danger que Madame Renée en souSre
fascherie. Ledict Duc lui a osté Madame de Soubize, sa gouvernante, et
la faict servir par Italiennes; qui n'est pas bon signe.
MoNS', il y a trois jours qu'un des gens de Mons' de Crissé est icy arrivé
en poste, et porte advertissement que la bande, du seigneur Rance, qui
estoit allé au secours de Genève, a esté deffaicte par les gens du duc de
Savoye. Avecques luy venoit un Courrier de Savoye, qui en porte les nou-
velles à l'Empereur. Ce pourroit bien estre seminarium futuri belli : car
volontiers ces petites noises tirent après soy grandes batailles, comme est
facile à veoir par les antiques histoires, tant Grecques que Romaines, et
Françoises aussi, ainsi que appert en la bataille qui fut à Vireton.
MoNS'', depuis quinze jours en ça, André Doria, qui estoit allé pour
avitailler ceux qui, de par l'Empereur, tiennent la Goleta près Tuniz,
mesmement les fournir d'eaux, car les Arabes du pays leur font guerre
continuellement, et n'osent sortir de leur fort, est arrivé à Naples, et n'a
demouré que trois jours avecques l'Empereur : puis est party avec-
ques x.xix galères. On dict que c'est pour rencontrer le Judeo et Caccia-
diavolo, qui ont bruslé grand païs en Sardaine et Minorque. Le Grand
Maistre de Rhodes, Piedmontois, est mort ces jours derniers : en son lieu
a esté esleu le Commandeur de Forton, entre Montauban et Thoulouse.
MoN's', je vous envoyé un livre de prognosticqs duquel toute cette ville
est embesongnée, intitulé De eversione Europœ. De ma part, je n'y ad-
jouste foy aucune. Mais on ne veit oncques Rome tant adonnée à ces
vanitez et divinations comme elle est de présent. Je croy que la cause est
car mobile mutatur semper cum principe vulgiis. Je vous envoyé aussi un
alinanach pour l'an qui vient 1536. Davantage, je vous envoyé le double
d'un brief que le Saint Père a decretté nagueres pour l'advenue de l'Em-
pereur. Je vous envoyé aussi l'Entrée de l'Empereur en Messine et Na-
ples, et l'oraison fimebre qui fut faicte à l'enterrement du feu duc de
Milan.
MoNS', tant humblement que faire je puis, à vostre bonne grâce me
recommande, priant Nostre-Seigneur vous donner en santé bonne et
longue vie.
A Rome, ce xxx* jour de Décembre.
Vostre très humble serviteur,
François RABELAIS.
LETTRES DE RABELAIS 385
LETTRE DE RABELAIS
A MONSi^ L'EVESQUE DE MAILLEZAIS
De Rome, le 28 janvier 1536.
MONS',
J'ay receu les lettres que vous a pieu m'escrire, dattées du second jour
de Décembre, par lesquelles ay congneu que aviez receu mes deux pac-
quets, l'un du xviii«, l'autre du xxn^ d'octobre, avecques les quatre signa-
tures que vous envoyois. Depuis, vous ay escript bien amplement du
XXIX* de Novembre et du xxx* de Décembre. Je croy que à ceste heure
ayez eu lesdicts pacquets. Car le sire Michel Parmentier, libraire, demeu-
rant à l'Escu de Basle, m'a escript, du cinquiesme de ce mois présent, qu'il
les avoit receus et envoyé à Poictier. Vous pouvez estre asseuré que
les pacquets que je vous envoyeray seront fidèlement tenus d'icy à Lyon,
car je les mects dedans le grand pacquet ciré qui est pour les affaires du
Roy : et quand le Courrier arrive à Lyon, il est desployé par Mons' le
Gouverneur. Lors son secrétaire, qui est bien de mes amis, prend le
pacquet que j'addresse, au dessus de la première couverture, audict Mi-
chel Parmentier. Pourtant n'y a ditticulté sinon depuis Lyon jusques à
Poictiers. C'est la cause pourquoy je me suis advisé de le taxer, pour plus
seurement estre tenu à Poictiers par les messagiers, soubs espoir d'y gai-
gner quelque teston. De ma part, j'entretiens tousjours ledict Parmentier
par petits dons que luy envoyé des nouvellettez de par deçà, ou à sa
femme, afin qu'il soit plus diUgent à chercher marchands ou messagiers
de Poictiers qui vous rendent les pacquetz. Et suis bien de cest advis que
m'escrivez, qui est de ne les Uvrer entre les mains des banquiers, de peur
que ne fussent crochetez et ouverts. Je serois d'opinion que, la première
fois que m'escrirez, mesmement si c'est d'affaire d'importance, que vous
escriviez un mot audict Parmentier, et dedans vostre lettre mettre un
escu pour luy, en considération des dihgences qu'il faict de m'envoyer
vos pacquets et vous envoyer les miens. Peu de chose obhge aulcunesfois
beaucoup de gens de bien, les rend plus fervens à l'advenir, quand le
cas importeroit urgente dépêche.
MoNS', je n'ay encores baille vos lettres à Mons' de Xainctes, car il
n'est retourné de Naples, où il estoit avecques les Cardinaux Salviati et
Rodolphe; dedans deux jours doibt icy arriver. Je luy bailleray vos dictes
lettres, et solliciteray pour la response, puis vous l'envoyeray par le pre-
mier courrier qui sera depesché. J'entends que leurs affaires n'ont eu
T. IL
25
386 LETTRES DE RABELAIS
expédition de l'Empereur telle comme ilz esperoient, et que l'Empereur
leur a dict péremptoirement que à leur requeste et insistance, ensemble
du feu pape Clément, leur Allié ei proche parent, il avoit constitué
Alexandre de Medicis Duc sur les terres de Florence et Pise, ce que ja-
mais n'avoit pensé faire, et ne l'eust faict. Maintenant, le déposer, ce
seroit acte de bateleurs, qui font le faict et le defîaict. Pourtant, que ils
se délibérassent le recognoistre comme leur Duc et seigneur, et luy obéis-
sent comme v-assaulx et subjects, et qu'ils ne y fissent faulte. Au regard
des plainctes qu'ils faisoient contre ledict Duc, qu'il en congnoistroit
sur le lieu. Car il délibère, après avoir quelque temps séjourné à Rome,
passer par Senes, et de là à Florence, à Bologne, à Milan et Gènes. Ainsi
s'en retournent lesdicts Cardinaulx, ensemble Mons' de Xainctes, Strossi,
et quelques aultres, re infecta.
Le XIII* de ce mois furent icy de retour les Cardinaulx de Senes et Cesa-
rin, lesquelz avoient esté esleus par le Pape et tout le Collège pour légats
par devers l'Empereur. Ils ont tant faict que ledict Empereur a remis sa
venue en Romme jusques à la fin de Feb\'Tier. Si j'avois autant d'escuz
comme le Pape vouldroit donner de jours de pardon, proprio motu, de
plenitudine potesUitis, et aultres telles circonstances favorables, à quicon-
que la remettroit jusques à cinq ou six ans d'icy, je serois plus riche que
Jacques Cœur ne fust oncques. On a commencé en cette ville gros aparat
pour le recevoir, et Ion a faict, par le commandement du Pape, un chemin
nouveau par lequel il doit entrer, sçavoir est, de la porte S' Sébastian,
tirant au Champ Doly, templum Pacis, et l'amphitéatre; et le faict on
passer soubs les antiques Arcs Triumphaux de Constantin, de Vespasian
et Titus, de Numetian et aultres; puis à costé du palais St-Marc, et, de là,
par Camp de Flour et devant le Palais Famese, où souloit demeurer le
Pape, puis par les banques et dessoubs le chasteau Sainct-Ange. Pour
lequel chemin dresser et equaller, on a demoly et abattu plus de deux
cents maisons et trois ou quatre églises ras terre. Ce que plusieurs inter-
prettent en mauvais présage. Le jour de la conversion St Paul, nostre
St Père alla ouir la messe à St Paoul, et fist banquet à tous les Cardi-
naulx. Après disner retourna passant par le chemin susdict, et logea au
palais St Georges. Mais c'est pityé de veoir la ruine des maisons qui ont
esté démolies, et n'est faict payement ny rescompense aucune es seigneurs
d'icelles.
Aujourdhuy sont icy arrivez les Ambassadeurs de Venise, quatre bons
vieillards tous grisons, lesquels vont par devers l'Empereur à Xaples. Le
Pape a envoyé toute sa famille au devant d'eulx, Cubiculaires, Cham-
briers, Genissaires, Lansqucnetz, etc. Les Cardinaux ont envoyé leurs
mulles en pontificat.
Au sept'' de ce mois furent pareillement receus les Ambassadeurs de
Senes, bien en ordre, et, après avoir faict leur harangue en Consistoire
ouvert, et que le Pape leur eust respondu en beau latin, briefvement
sont départis pour aller à Naples. Je croy bien que de toutes les Itales
iront Ambassadeurs par devers ledict Empereur, et sçait bien jouer son
roolle pour en tirer denares, comme il a esté descouvert depuis dix jours
LETTRES DE RABELAIS 3, "^7
en ça. Mais je ne suis encores bien à poinct adverty de la finesse qu'on
dict qu'il a usée à Naples. Par cy après je vous en escriray.
Le Prince de Piémont, fils aisné du Duc de Savoye, est mortà Naples
depuis quinze jours en ça : l'Empereur luy a faict faire excecques fort
honnorables, et y a personnellement assisté.
Le Roy de Portugal, depuis six jours en ça, a mandé à son Ambassa-
deur qu'il avoit à Rome que, subitement ses lettres receues, il se retirast
par devers luy en Portugal : ce qu'il fist sur l'heure, et, tout botté et espe-
ronné, vint dire adieu à Mons"" le Reverendissime Cardinal du Bellay.
Deux jours après a esté tué en plain jour prez le pont St Ange, un gen-
tilhomme Portugalois qui sollicitoit en ceste viUe pour la communité
des Juifs qui furent baptisez soubs le Roy Emanuel, et depuis estoient
molestez par le Roy de Portugal moderne, pour succéder à leurs biens
quand ils mouroicnt, et quelques aultres exactions qu'il faisoit sur eulx,
oultre l'Edict et ordonnance dudict feu Roy Emanuel. Je ne doubte que
en Portugal y ait quelque sédition.
MoNs'', par le dernier pacquet que vous avois envoyé, je vous advertis-
sois comment quelque partye de l'armée du Turc avoit esté deffaicte par
le Sophy auprès de Betelis. Ledict Turc n'a gueres tardé d'avoir sa revan-
che ; car, deux mois après, il a couru sus ledict Sophy en la plus grande
furye qu'on veit onques : et, après avoir mis à leu et sang un grand Pays
de Mésopotamie, a rechassé ledict Sophy par delà la Montagne de Tau-
rus. Maintenant faict faire force galleres sus le fleuve de Tanaïs, par
lequel pourront descendre en Constantinople. Barberousse n'est encores
party dudict Constantinople, pour tenir le pays en seureté, et a laissé
quelques garnisons à Bona et Algiery, si d'adventure l'Empereur le vou-
loit assailhr. Je vous envoyé son portraict tiré sus le vif, aussi l'assiette de
Tunis et des villes maritimes d'environ.
Les Lansquenets que l'Empereur mandoit en la Duché de Milan pour
tenir les places fortes sont tous noyez et péris par mer, jusques au nombre
de douze centz, en une des plus grandes et belles navires des Genevois : et
ce fut prez un port des Luquois, nommé Lerzé. L'occasion fut parce qu'ils
s'ennuyoient sur la mer, et, voulans prendre terre, mais ne pou vans à
cause des tempestes et difficulté du temps, pensèrent que le pilotte de la
Nave les voulust tous jours délayer sans aborder. Pour ceste cause le tuè-
rent, et quelques aultres des principaulx de la dicte Nef; lesquels occis
la Nef demeura sans Gouverneur, et, en lieu de caUer la voille, les Lans-
quenets la haussoient, comme gens non pratifs en la marine, et en tel
desarroy périrent à un gect de pierre prés ledict port.
MoNS"^, j'ay entendu que Monsieur de Lavaur, qui estoit Ambassadeur
pour le Roy à Venise, a eu son congé et s'en retourne en France. En son
lieu va Mons' de Rodez, et ja tient à Lyon son train prest, quand le Roy
lui aura baillé ses advertissemens.
MoNS', tant comme je puis, humblement à vostre bonne grâce me
388 LETTRES DE RABELAIS
recommande, priant Nostre Seigneur vous donner en santé bonne et
longue vie.
A Rome, ce vingt huict"-' de janvier 1536.
Vostre très humble serviteur,
François RABELAIS.
LETTRE DE RABELAIS
A M ON S' l'EVESOUE DE MAILLEZAIS
De Rome, le 1$ février 1836.
MoNS^
Je vous escrivy du vingt huit'' du mois de janvier dernier passé, bien
amplement de tout ce que je sçavois de nouveau, par un Gentilhomme
serviteur de Monsieur de Montreuil, nommé Tremeliere, lequel retournoit
de Naples, où avoit achapté quelques coursiers du Royaume pour son-
dict maistre, et s'en retournoit à Lyon vers luy en diligence. Ledict jour
je receus le pacquet qu'il vous a pieu m'envoyer de Legugé, datte du
X* dudict mois, en quoy pouvez congnoistre l'ordre que j'ay donné à
Lyon touchant le bail de vos lettres, comment elles me sont ici rendues
seurement et soudain. Vosdictes lettres et pacquet furent baillés à l'Escu
de Basleauxxi^ dudict mois : le xxviii^ me ont esté icy rendues. Et, pour
entretenir à Lyon, car c'est le poinct et lieu principal, la diUgence que
faict le hbraire dudict Escu de Basle en cest affaire, je vous réitère ce que
je vous escrivois par mon susdict pacquet, si d'adventure survenoient
cas d'importance pour cy après, c'est que je suis d'advis que, à la première
fois que m'escrirez, vous luy escriviez quelque mot de lettre, et dedans
icelle mettez quelque escu sol, ou quelque aultre pièce de vieil or, comme
royau, angelot ousalut, etc., en considération de la pejTie et dihgence qu'il
y prend : ce peu de chose luy accroistra l'affection de mieux en mieux
vous servir.
Pour respondre à vos lettres de poinct en poinct, j'ay faict diligente-
ment chercher ez registres du Palais, depuis le temps que me mandiez
sçavoir est, l'an mil cinq cents vingt neuf, trente et trente un, pour
entendre si on trouveroit l'acte de la résignation que fist feu dom Phi-
lippes à son nepveu, et ay baillé aux Clercs du registre deux escuz sol,
qui est bien peu, attendu le grand et fascheux labeur qu'ils y ont mis. En
somme, ils n'en ont rien trouvé, et n'ay onques sceu entendre nouvelles
de ses procurations. Par quoy me doubte qu'il y a de la fourbe en son cas,
ou les mémoires que m'escriviez n'estoient sufhsans à les trouver. Et faul-
LETTRES DE RABELAIS 389
dra, pour plus en estre acertainé, que me mandez cujus dioccsis estoit
ledit feu Domp Philippes, et si rien avez entendu pour plus esclaircir le
cas de la matière, comme si c'estoit pure et simpliciter, ou causa permuta-
tionis, etc.
MoNs', touchant l'article ouquel vous escrivois la response de Mons'' le
Cardinal du Bellay, laquelle il me fist lors que je luy presentay vos let-
tres, il n'est besoing que vous en faschez. Monsieur de Mascon vous en a
escript ce qui en est. Et ne sommes pas prests d'avoir Légat en France.
Bien vray est il que le Roy a présenté audict Pape le Cardinal de Lorraine ;
mais je croy que le Cardinal du Bellay taschera par tous moyens de l'avoir
pour soy. Le proverbe est vieux qui dit : Nemo sibi secundus, et veoy cer-
taines menées qu'on y faict, par lesquelles ledit Cardinal du Bellay pour
soy employera le Pape, et le fera trouver bon au Roy. Pourtant ne vous
faschez si sa response a esté quelque peu ambigiie en vostre endroict.
Moxs'', touchant les grenes que vous ay envoyées, je vous puis bien
asseurer que ce sont des meilleures de Naples, et desquelles le Saint Père
faict semer en son jardin secret de Belveder. D'aultres sortes de sallades
ne ont ils pas deçà, fors de Nasitord et d'Arousse. Mais celles de Legugé
me semblent bien aussi bonnes, et quelque peu plus doulces et amiables
à l'estomach, mesmement de vostre personne : car celles de Naples me
semblent trop ardentes et trop dures.
Au regard de la saison et semailles, il faudra advertir vos jardiniers qu'ils
ne les sèment du tout si tost comme on faict de par deçà, car le chmat ne
y est pas tant advancé en chaleur comme icy. Ils ne pourront faillir de
temer vos salades deux fois l'an, savoir est, en Caresmeeten Novembre, et
les Cardes ils pourront semer en Aoust et Septembre; les melons, citrouil-
Ise et aultres, en Mars, et les armer certains jours de joncs et fumier léger,
et non du tout pourry, quand ils se douteroient de gelée. On vend bien
icy encores d'aultres grenes, comme d'œillets d'Alexandrie, de violes
matronales, d'une herbe dont ils tiennent en esté leurs chambres frais-
ches, qu'ils appellent Belvédère, et aultres de médecine. Mais ce seroit
plus pour Madame d'Estissac. S'il vous plaist, de tout je vous envoiray,
et n'y feray faulte.
Mais je suis contrainct de recourir encores à vos aulmosnes. Car les
trente escus qu'il vous pleust me faire icy livrer sont quasi venus à leur
fin, et si n'en ay rien despendu en meschanceté, ny pour ma bouche, car
je bois et mangeue ordinairement chez Mons'' le Cardinal du Bellay, ou
Mons' de Mascon. Mais en ces petites barbouilleryes de despesches et
louage de meubles de chambre, et entretenement d'habillemens s'en va
beaucoup d'argent, encores que je m'y gouverne tant chichement qu'il
m'est possible. Si vostre plaisir est me envoyer quelque lettre de change,
j'espère n'en user que à vostre service, et n'en estre ingrat. Au reste, je
veoy en ceste ville mille petites mireUficques à bon marché qu'on apporte
de CîT)re, de Candie et Constantinople. Sy bon vous semble, je vous en
envoyeray ce que mieux je verray duisible tant à vous que à madicte
Dame d'Estissac. Le port d'icy à Lyon n'en coustera rien.
390 LETTRES îjE RABELAIS
J'ay, Dieu mercy, expédié tout mon affaire, et ne m'a cousté que l'ex-
pédition des Bulles : le Sainct Père m'a donné de son propre gré la com-
position, et croy que trouverez le moyen assez bon, et n'ay rien par icelles
iinpetré qui ne soit civile et juridicque ; mais il y a fallu bien user de boa
conseil pour la formalité. Et vous ose bien dire que je n'y ay quasi en
rien employé Mons^ le Cardinal du Bellay, ny Mons' l'Ambassadeur,
combien que de leur grâce s'y fussent offerts à y employer non seulement
leurs paroles et faveur, mais entièrement le nom du Roy.
MoNS', je n'ay encores baillé vos premières lettres à Mons' de Xainctes,
car il n'est encore retourné de Naples, où il estoit allé comme vous ay
escript. Il doibt estre icy dedans trois jours. Lors je luy bailleray vos
lettres premières, et quelques jours après bailleray vos secondes, et solli-
citeray pour la response. J'entends que ny luy ny les Cardinaux Salviati
et Rodolphe, ny Philippes Strossi avecques ses escuz, n'ont rien faict
envers l'Empereur de leur entreprise, combien qu'ils luy ayent voulu
livrer, ou nom de tous les forestiers et bannis de Florence, un million d'or,
du contant, parachever la Rocca commencée en Florence, et l'entretenir
à perpétuité avecques garnisons compétentes ou nom dudict Empereur,
et, par chacun an, luy payer cent mille ducats, pourveu et en condition
qu'il les remist en leurs biens, terres, et hberté première.
Au contraire, le Duc de Florence a esté de luy receu très honnorable-
ment, et, à sa prime venue, l'Empereur sortist au devant de luy, et,
post manus oscula, le fist conduire au chasteau Capouan en ladicte ville,
ouquel est logée sa bastarde et fiancée audict Duc de Florence, par le
prince de Saleme, viceroy de Xaplcs, marquis de Vast, duc d'Albe, et
aultres principaulx de sa Cour : et là parlementa tant qu'il voulust avec
elle, la baisa et souppa avecque elle. Depuis, les susdicts Cardinaulx,
Evesque de Xainctes et Strossi, n'ont cessé de solliciter. L'Empereur les
a remis pour resolution finale à sa venue en cette ville. En la Rocqua,
qui est une place forte à merveilles, que ledict Duc de Florence à basty en
Florence, au devant du portail il a faict peindre un Aigle qui a les aisles
aussi grandes que les moulins à vent de Mirebalais, comme protestant et
donnant entendre qu'il ne tient que de l'Empereur. Et a tant finement
procédé en sa t\Tannie que les Florentins ont attesté nominc communitaiis,
par devant l'Empereur, qu'ils ne veulent aultre seigneur que luy. Vray
est il qu'il a bien chastié les forestiers et bannis. Pasquil a faict depuis
nagueres im chantonnet ouquel il dict : à Strossi : Pugna pro patria;
à Alexandre, duc de Florence : Datum scrva; à l'Empereur : Quœ nocitura
Unes, quamvis sint chara, relinqv.c; au Roy : Quod potes, id tenta; aux deux
cardinaux Salviati et Rodolphe : Hos breviias sensus fecit conjimgerc
binos.
MoNs', au regard du duc de Ferrare, je vous ay escript comment il
estoit retourné de Naples et retiié à Ferrare. Madame Renée est accou-
chée d'une fille : elle avoit ja une aultre belle fille aagée de six à sept ans,
et un petit filz aagé de trois ans. Il n'a peu accorder avecques le Pape,
parce qu'il luy demandoit excessive somme d'argent pour l'investiture
LETTRES DE RABELAIS 391
de ses terres, nonobstant qu'il avoit rabattu cinquante mille escus pour
l'amour de ladicte dame, et ce par la poursuittc de Messieurs les Cardi-
naux du Bellay et de Mascon, pour tousjours accroistre l'affection conju-
gale dndict Duc de Ferrare envers elle. Et ce estoit la cause pour quoy
Lyon Jamet estoit venu en cette ville; et ne restoit plus que cent cin-
quante mil escus. Mias ils ne peurent accorder, parceque le Pape vouloit
qu'il recogneust entièrement tenir et posséder toutes ses terres en féode
du siège Apostolique. Ce que l'aultre ne voulut : et n'en \ouloit reco-
gnoistre sinon celles que son feu père avoit recogneu, et ce que l'Empe-
reur en avoit adjuge à Boloigne par arrest, du temps du feu Pape Clé-
ment.
Ainsi départit re infecta, et s'en alla vers l'Empereur, lequel luy pro-
mist que à sa venue il feroit bien consentir le Pape venir au poinct con-
tenu en sondict arrest, et qu'il se retirast en sa maison, luy laissant am-
bassade pour solliciter l'affaire quand il seroit de par deçà, et qu'il ne
payast la somme ja convenue sans qu'il fust de luy entièrement adverty.
La finesse est en ce que l'Empereur a faulte d'argent, et en cherche de
tous costez et taille tout le monde qu'il peult et en emprunte de tous
cndroicts. Luy estant icy arrivée, en demandera au Pape, c'est chose bien
évidente, car il luy remonstrera qu'il a faict toutes ces guerres contre le
Turc et Barberousse pour mettre en seureté l'Italie et le Pape, et que
force est qu'il y contribue. Ledict Pape respondra qu'il n'a point d'argent,
et luy fera preuve manifeste de sa pauvreté. Lors l'Empereur, sans qu'il
débourse rien, luj' demandera celuy du Duc de Ferrare, lequel ne tient
que à un Fiat. Et voylà comment les choses se jouent par mystères.
Toutesfois ce n'est chose asseurée.
MoNS', vous demandez si le s' Pierre Loys Farneze est légitime fils ou
bastard du Pape Paul. Sachez que le Pape jamais ne fust marié. C'est à
dire que le susdict est véritablement bastard. Et avoit le Pape une sœur
beUe à merveilles. On monstre encore, de présent, ou Palais, en ce corps
de maison ouquel sont les Sommistes, lequel fist faire le pape Alexandre,
une ymage de Nostre Dame, laquelle on dict avoir esté faicte à son por-
traict et semblance. Elle fut mariée à un gentilhomme cousin du seigneur
Rance, lequel estant en la guerre pour l'expédition de Naples, ledit pape
Alexandre la voyoit : ledict sieur Rance, du cas acertainé, en advertit
sondict cousin, luy remonstrant qu'il ne devoit permettre telle injure
estre faite en leur famille par un Espagnol Pape, et ou cas qu'il l'endurast,
que luy mesme ne l'endureroit point. Somme toute il la tua. Duquel
forfait le pape Paul trois fist ses doléances audict pape Alexandre VI,
lequel, pour appaiser son grief et dueil, le fit Cardinal estant encores bien
jeune, et luy fist quelques autres biens.
Ouquel temps entretint le Pape une Dame romaine de la case Ruffine,
de laquelle il eut une fille qui fust mariée au s'' Bauge, comte de Santa
Fiore, qui est mort en cette ville depuis que j'y suis, de laquelle il a eu
l'un des deux petits Cardinaux, qu'on appelle le cardinal de Saint-Flour.
Item eust un filz qui est ledict Pierre Louis que demandiez, qui a espousé
392 LETTRES DE RABELAIS
la fille du Comte dp Servelle, dont il a tout pleia foyer d'eafans, et entre
autres le petit Cardinalicule Famese, qui a esté faict vice chancelier par
lamort du feu Cardinal de Medicis. Parces propos susdicts pouvez entendre
la cause pourquoj- le Pape n'aimoit gueres le Seigneur Rance, et vice
versa, ledit Rance ne se fioit en luy : pour quoy aussi est grosse querelle
entre le s'' Jean Paule de Cere, fils dudict s' Rance, et le susdict Pierre
Loj-s, car il veult vanger la mort de sa tante.
Mais, quant à la part dudict s'' Rance, il en est quitte, car il mourut le
xj^ jour de ce mois, estant allé à la chasse, en laquelle il s'esbattoit volon-
tiers, tout %-ieillard qu'il estoit. L'occasion fust qu'il avoit recouvert
quelques chevaulx turcs des foires de Racana, desquelz en mena un à la
chasse qui avoit la bouche tendre, de sorte qu'il se renversa sur luy, et
de l'arson de la selle l'estouffa, en manière que, depuis le cas, ne vesquit
point plus d'une demye heure. Ce a esté une grande perte pour les
François, et y a le Roy perdu lui bon ser%-iteur pour l'Italie. Bien dict on
que ledict s' Jean Paule, son fils, ne le sera pas moins à l'advenir. Mais de
long temps n'aura telles expériences en faicts d'armes, ny telle réputation
entre les Capitaines et soldats, comme avoit le feu bon homme. Je voul-
drois de bon cœur que Mons^ d'Estissac de ses despouiUes eut la Comté
de Pontoise, car on dit quelle est de beau revenu.
Pour assister es exeques, et pour consoler la marquise sa femme,
Mons^ le Cardinal a envoyé jusques à Ceres, qui est distant de cette ville
par x.x milles, usions' de Rambouillet, et l'abbé de St-Xicaise, qui estoit
proche parent du deffunct (je croy que l'aj-ez veu en Court : c'est un petit
homme tout esveillé, qu'on appelloit l'archidiacre des Ursins), et quelques
aultres de ses protenotaires. Aussi a faict Mons' de Mascon.
MoNS'', je me remets à l'aultre fois que vous escriray pour vous advertir
des nouvelles de l'Empereur plus au long : car son entreprise n'est encores
bien descouverte. Il est encores à Xaples.On l'attend icy pour la fin
de ce mois, et faict on gros apprests pour sa venue, et force arcs trium-
phaux. Les quatre mareschaux de ses logis sont ja pieça en cette ville,
deux Espagnolz, un Bourguignon et un Flamand.
C'est pitié de veoir les ruines des Eglise-, Palais et maisons que le Pape
a faict démolir et abattre pom: luy dresser et applanerle chemin. Et, pour
les frais du reste, a taxé leur argent sus le collège de Messieurs les Cardi-
naulx, les Officiers Courtisans, les artisans de la ville, jusques aux aqua-
rols. Ja toute cette viUe est pleine de gens estrangers.
Le cinq« de ce mois arriva icy, par le commandement de l'Empereur,
le cardinal de Trente, Tridentinus, en Allemagne, en gros train et plus
sumptueux que n'est celuy du Pape. En sa compagnie estoient plus de
cent Alemans vestus d'une parure, savoir est, de robbes rouges avec ime
bande jaulne, et avoient en la manche droicte, en broderie, figuré une
jarbe de bled liée, à l'entour de laquelle estoit escript Uniias.
J'entends qu'il cherche fort la paix et appoinctement pour toute la
Chrestienté, et le Concile en tous cas. J'estois présent quand il dist à
Mons' le Cardinal du Bellay : o Le Sainct Père, les Cardinaulx, Evesques
LETTRES t)E RABELAIS 393
et Prelatz de l'Eglise, recullent au Concile, et n'en veulent oyr parler,
quoy qu'ils en soient scmonds du bras séculier; mais je voy le temps
prez et prochain que les Prclats d'Eglise seront contraincts le demander,
et les séculiers n'y voudront entendre. Ce sera quand ils auront tollu de
l'Eglise tout le bien et patrimoine lequel ils avoient donné du temps
que, par frequens Conciles, les Ecclésiastiques entretenoient paix et
union entre les Séculiers. »
André Doria arriva en cette ville le trois'' du cedict mois, assez malen
poinct. 11 ne luy fut faict honneurs quiconques à son arrivée, sinon que le
s' Pierre Loys le conduit jusques au palais du Cardinal Camerlin, qui est
Genevois, de la famille et maison de Spinola. Au landemain il salua le
Pape, et partist le jour suivant, et s'en alloit à Gènes de par l'Empereur,
pour sentir du vent qui court en France touchant la guerre. On a en icy
certain advertissement de la mort de la vieille Rojme d'Angleterre, et
dict on davantage que sa fille est fort malade.
Ouoy que ce soit, la Bulle qu'on forgeoit contre le Roy d'.\ngleterre,
pour l'excommunier, interdire et proscrire son Royaume comme je vous
escrivois, n'a esté passée par le consistoire, à cause des articles de commea-
iibus externorum et commerciis inutuis, auxquels se sont opposés Mons' le
Cardinal du Bellay et Mons'' de Mascon, pour les interests du Roy, qu'il
y pretendoit. On l'a remise à la venue de l'Empereur.
Monsieur, très humblement à vostre bonne grâce me recommande,
priant Nostre Seigneur vous donner en santé bonne vie et longue.
A Rome, ce xv'^ de Febvriei 1536.
Vostre très humble serviteur.
Suscripl:
A Monseigneur Mons' de Maillezais.
Franc. RABELAIS.
LETTRE
A MONS' LE BAILLIF DU BAILLIF DES BAILLIEZ
MONSIEUR MAISTRE ANTOYNE HULLET
SEIGNEUR DE LA COURT POMPIN, EN CKRESTIANTÉ,
A ORLÉANS
Hc, Pater Reverendissùne, quomodo hruslis? Quœ nova! Parisius non
sunt ova? Ces paroUes, propousées devant vos Révérences, translatées de
Patelinois en nostre Vulgaire Orléanois, valent autant à dire comme si je
disoys : « Monsieur, vous soyez le très bien revenu des nopces, de la feste,
39} LETTRES DE RABELAIS
de Paris. » Sy la \'ertu de Dieu vous inspiroit de transporter vostre Pater-
nité jusques en cestuy hermitaige, vous nous en raconteriez de belles :
aussy vous donneroit le S' du lieu certaines espèces de poissons carpion-
ncz, lesquclz se tirent par les cheveulx. Or vous le ferez, non quand il vous
playra, mais quand le vouloir vous y apportera de celluy Grand, Bon,
Piteux Dieu, lequel ne créa oncques le quaresine, ouy bien les sallades,
arancs, inerluz, carpes, bechetz, dares, umbrines, ablettes, rippes, etc.
Item, les bons vins, singuliairement celluy clc veteri jure enuclcaudo,
lequel on guarde icy à vostre venue, comme un g sang greal et une seconde,
voire quinte essence. Ergo vent, Domine, et noli tardare, j'entends suivis
saîvandis, id est, hoc est, sans vous incommoder ne distrajTC de vos affaires
plus urgens.
Monsieur, après m'estre de tout mon cuer recommandé à vostre bonne
grâce, je priray Nostre Seingneur vous conserver en parfaicte santé.
De Saint Ay, ce premier jour de mars.
Vostre humble architriclin, et amy,
France. RABELAIS, medicitt.
Monsieur l'esleu Pailleron trouvera icy mes humbles recommandations
à sa bonne grâce, aussi à Madame l'esleue, et à monsieur le baillif Daniel,
et à tous vous aultres bons amis et à vous. Je prieray monsieur le Scelleur
me envoyer le Platon lequel il m'avoit preste; je luy renvoiray bien tost.
LETTRE
AU CARDINAL DU BELLAY
Monseigneur, Si venant icy M. de Saint-Ayt eust eu la commodité de
vous saluer à son partement, je ne fusse, de présent, en telle nécessité et
anxiété, comme il vous pourra exposer plus amplement, car il me af&r-
moit que estiez en bon vouloir de me faire quelque aumosne, advenant
qu'il se trouvast homme seur, venant de par deçà. Certainement, Monsei-
gneur, si vous ne avez de moi pitié, je ne sache que doibve faire, sinon, en
dernier desespoir, me asservir à quelqu'un de pardeça, avec dommage et
perte évidente de mes estudes. Il n'est possible de vivre plus frugalle-
ment que je fais, et ne me sçauriez si peu donner de tant de biens que
Dieu vous a mis en main, que je n'eschappe en vivotant et m'entretenant
honnestement, comme j'ay fayt jusques à présent, pour l'honneur de la
maison dont j'estois issu à ma départie de France.
Monseigneur, je me recommande très humblement à vostre boime giacc
LETTRES DE RABELAIS 395
et prie Nostre Seigneur vous donner, en parfaicte santé, très bonne et
longue vie.
])ç JIctz, ce ô février (1547)
Vostre très humble serviteur,
François RABELAIS, mcdicin.
EPISTOLA AD B. SALIGNACUAI
BERXARDO SALIGNACO
s. p.
A JESU CHRISTO SERVATORE
Georgius ab Arminiaco, Rutenensis episcopus clarissimus, nuper ad
me misit <i>Xa&v;:\) 'lojjriço'j îsTooiav 'lo'joar.'.YjV rziçÀ a/mquoç. roga-
vitque, pro veteri nostra amicitia, ut si quando homiuem âfio'TTia'rov
nactus essein qui istuc proficisceretur, eam tibi prima quaque occasione
reddendam curarem. Lubens itaque ansam hanc arripui, et occasionem
tibi, pater mi humanissime, grato aliquo officio indicandi, que te animo,
qua te pietate colerem. Patrem te dixi, matrem etiam dicerem, si per
iudulgentiam mihi id tuam liceret. Quod enim utero gerentibus usui
venire quotidie experimur, ut quos nunquam viderunt fœtus alant, ab
aerisque ambientis incommodis tueantur, ajTO -qu'o aûy' k'-aO;;, qui me
tibi de facie ignotum, nomine etiam ignobilem sic educasti, sic castissi-
mis divinœ tuœ doctrinaa uberibus usque aluisti, ut quidquid sum et valeo,
tibi id uni acceptum ni f eram, hominum omnium qui sunt, aut aUis erunt in
annis, ingratissimus sim. Salve itaque etiam atque etiam, pater amantis-
sime, pater decusque patria\ littcrarum adscrtor k'/.z;iY.y.y.oç, veritatis
propugnator invirictissime.
Nuper rescivi ex Hilario Bertulpho, quo hic utor familiarissime, te
ncscio quid noliri adversus calumnias Hieronymi Aleandri, quem suspi-
caris sub persona factitii cujusdam Scahgeri, adversum te scripsisse. Non
patior te diutius animi pendere, atque hac tua suspicione falli. Nam
ScaUger ipse Veronensis est, ex illa Scaligerorum exsulum familia, exsul
et ipse. Nunc vero medicum agit apud Agennates. Vir mihi bene notas
où (Jià tÔv Af îjocix.îaaaO;!: éatt to:vjv O'.âÇoAo: ây.iïvoç, wç ivjvhÀovti
oavat, ~% a£V '.xz^v/.'y. oùx àv3-'.'jTï-|;j.fov. TaÀÀa oï nàvTr) -âvTfo? aOso;
(bî oùx àXXoî JctiSnoT' oùôît'ç. Ejus librum nondum videre contigit, nec
39^> LETTRES DE RABELAIS
hue tôt jam mensibus delatum est exemplar ullum; atque adeo suppfeS-
sum puto ab iis qui Lutetiœ bene tibi volunt. Vale /.%'. z-j-.j-/ ('^n ZCi-ù.z'. .
Lugduni, pridie calend. decembr. 1532.
Tuus quatenus suus,
Fr. RABEL^SUS, medicus.
EPISTOLA NU^XUPATORIA
EPISr. MEDICIN. MANARDI
F. RAB. MEDICUS ANDREO TIRAQUELLO
JUDICI -EOUISSIMO APUD PICTONES
S. P. D.
Qui fit, Tiraquelle doctissime, ut in tiac tanta seculi nostri luce, quo
disciplinas omneis meliores singulari quodam deorum munere post-
liminio receptas %àdemus, passim inveniantur, quibus sic affectis esse
contigit, ut e densa illa gothici temporis caligine plus quara Cimmeria
ad conspicuam solis facem oculos attollere aut nolint, aut nequeant?
An quod (ut est in Euthydemo Platonis) èv -av-i £T::~r,Ô£j;jLa-:; oi a:v
çaûÀo'. -o'/Xol. ■/.%'. ojo;voç aç;o;. oi 0= a~o-joa;o'. ô'/J.-yo:, zaî tovî —avrô;
àÇiO'.. An vero quod ea vis est tenebrarum hujuscemodi, ut quorum
oculis semel insederint, eos suffusione immedicabiU perpetuo sic hallu-
cinari necesse sit, et cœcutire; nullis ut postea colly-riis, aut conspiciliis
juvari possint : quemadmodum ab Aristotele in Categoriis scriptum legi-
mus, à~o tjiiv T/,; sçJ''>ç i~'. tt^v aTÉsriCJLV yivîTa; aiTaÇoÀr,, arrô 0= tï;;
(jTaoTJScw; ï~<. TTjV k'Çtv aoJvaTov. Mihi sane rem totam arbitranti, atque ad
Critolai (quod aiunt) libram expendenti, non aliunde ortum habere istha^c
errorum Odyssea, quam ab infami illa philautia tantopere a philosophis
damnata videtur, quae simul ac homines rerum expectendarum aversan-
darumque maie consultes perculit, eorum sensus et animos pra?stringere
solet et fascinaie, quominus videntes videant, inteUigentesque intelli-
gant. Nam quos plebs indocta aUquo in numéro habuit hoc nomine,
quod exoticam aUquam et insignem rerum peritiam prœ se ferrent, eis si
personam hanc y.ai Àîov:-?// detraxeris, perfecerisque, ut cujus artis
praetextu, luculenta eis rerum accessio facta est, eam vulgus meras pra?s-
tigias, ineptissimasque ineptias esse agnoscat, quid aUud quam cornicum
oculos confixisse videberis? ut qui pridem in orchestra sedebant, vix in
subselliis locura inveniant, donec eo ventum sit ut moveant non risum
tantum populo ac pueris, qui nunc passim nasum rhinocerotis habent, sed
LETTRES DE RABELAIS 397
stomachum et bilem, indigne ferentibus, quod sibi tandiu eorum dolis et
versutia impositum sit. Proinde quemadmodum naufragio pereuntibus
usu venire didicimus, ut quam sive trabem, sive vestem, sive stipulam
semel discissa pessumque eunte nave arripuerint, eam consertis manibus
retineant, natandi intérim immemores ac securi, modo ne quod in mani-
bus est, excidat, donec vasto gurgite funditus hauriantur : ad eum pêne
modum, amores isti nostri quibus libris a pueris insueverunt, etiam si
confractam videant et undequaque hiantem pseudologi.aî scapham, eos sic
qua vi quaque injuria retentant, ut si extundantur, animam quoque sibi
e sedibus extundi putent. Sic vestra ista juris peritia cum eo evaserit, ut
ad ejus instaurationem nihil jam desideretur, sunt tamen etiam dum
quibus exoleta illa barbarorum glossemata excutiere manibus non pos-
sunt. In hac autem medicinœ officina, quœ in dies magis ac magis expo-
litur, quotusquisque ad frugem meliorem se conferre enititur? Bene es
tamen, quod omnibus prope ordinibus subolevit quosdam esse inter
medicos et censeri, quos si penitus introspicias, inanes quidem ipsos doc-
trinal, fidei et consilii; fastus vero, invidentiœ ac sordium plenos depre-
hendes. Qui expérimenta per mortes agunt (ut es Plinii querela vêtus) a
quibusque plus aliquanto periculi quam a morbis ipsis imminet. Ma-
gnique nunc ii demum apud optimates fiunt, quos priscœ illius ac defe-
catœ medicinœ opinio commendat. Ea enim persuasio si latius invalescat,
res nimirum ad manticam reditura est propre diem circulatoribus istis
et planis, qui pauperiem longe lateque in humanis corporibus facere ins-
titerant.
Porro, inter eos qui nostra tempestate, ad restituendam nitore suo pris-
cam germanamque medicinam, animi contentione adpulerunt, solebas tu,
dum istic agerem, plausibiliter mihi laudare Manardum illum ferrarien-
sem, medicum solertissimuna doctissimumque; ejusque epistolas priores
ita probabas, ac si essent Pœone aut /Esculapio ipso dictante excepta\
Feci itaque pro summa mea in te observantia ut ejusdem posteriores
epistolas, cum nuper ex ItaUa recepissem, eas tui nominis auspiciis excu-
dendas invulgandasque darem. Memini enim et scio quam tibi ars ipsa
medica, cui felicius promovendae incumbimus, debeat, qui tam operose
laudes ipsius celebraris in praeclaris iUis tuis in Pictonum leges munici-
cipales C-Gij.vriaaT;. Quorum desiderio, ne diutius studiosorum animos
torqueas te etiam atque etiam rogo. Vale : saluta mihi clarissimum virura
d. antistitem Malleacensem, Mœcenatem meum benignissimum, si forte
Stic sit.
Lugduni, m nonas junii 1532.
398 LETTRES DR RABELAIS
EPISTOLA NUNCUPATORIA
APHORISMORUM HIPPOCRATIS
Lyon, Sebast. Gryph., 1543, in-iS.
CLARISSIMO DOCTISSIMOQUE VIRO D. GOTEFREDO
AB ESTISSACO
MALLEACENSI EPISCOP.
FRANC. RAB. MEDICUS
S. P. D.
Quum anno superiore Monspessuli aphorismos Hippocratis, et deinceps
Galeni artem medicam fréquent! auditorio publiée enarrarem, antistes
clarissime, annotaveram loca aliquot in quibus interprètes mihi non
admodum satisfaciebant. Collatis enira eorum traductionibus cum exem-
plari gracanico, quod, prêter éa quœ vulgo circumferuntur, habebam
vetustissimum, literisque lonicis elegantissime, castigatissimeque exa-
ratum, comperi illos quam plurima omisisse, quœdam exotica et notha
adjecisse, qua;dam minus expressisse, non pauca invertisse verius quam
vertisse. Id quod si usquara alibi vitio verti solet, est etiam in medicorum
libris piaculare. In quibus vocula unica, vel addita, vel expuncta, quin
et apiculus in versus, aut prœpostere adscriptus, multa hominura millia
haud raro neci dédit. Xeque vero ha;c a me eo dici putes, velim, ut viros
bene de literis meritos suggiUem, vjz,f^>xi': f^p- Nam eorum laboribus et
plurimum deberi arbitror, et me non leviter profecisse agnosco. Sed sicubi
ab eis erratum est, culpam totam in codices quos sequebantur, eisdem
nœvis inustos rejiciendam censeo. Annotatiunculas itaque illas Sebastia-
nus Gryphius chalcographus ad unguem consummatus et perpolitus,
cum nuper inter schedas meas vidisset, jamdiuque in animo habereî
priscorum medicorum libres ea quss in cœteris utitur diligentia, cui vix
aequiparabilem reperias, typis excudere, contendit a me multis verbis ut
eas sinerem in communem studiosorum utilitatem exire. Nec difficile
fuit impetrare quod ipse alioqui ultro daturus eram. S; demum labo-
riosum fuit, quod quae privatim nuUo unquam edendi consilio mihi ex-
cerpseram, ea sic describi flagitabat ut libro adscribi, eoque in enchiridii
formam redacto possint. Minus enim laboris nec plusculum fortasse
negotii fuisset, omnia ab integro latine reddere. Sic quia libro ipso erant
quœ annotaveram altero tanto prolixiora, ne Uber ipse deformiter
excresceret, visum est loca duntaxat, veluti per transermam, indicare, in
quibus Grœci codices adeundi jure essent. Hic non dicam qua ratione
adductus sim, id quicquid est laboris, tibi ut dicarem. Tibi enim jure
LETTRES DE RABELAIS 399
debctur quicquid efficere opéra mea potest : qui me sic tua benignitate
usque fovisti ut quocumquc oculos circuniferain oùoÈv fj ouoavo; rfiz
ÛâXa7Ta munificenti» tuœ seusibus mois obversetur. Qui sic pontificia?
dignitatis ad quani omnibus senatus populique Pictonici suffragiis assump-
tus es, munia orbis, ut in te, tanquani in celebri illo Polycleti canone,
nostrates episcopi absolutissimum probitatis, modestiœ, humanitatls
exemplar, veramque illam virtutis ideam habeant, in quam contuentes,
aut ad propositum sibi spéculum se, moresque suos componant, aut
(quod ait Persius) virtutem, videant, intabescantque relicta. Boni itaquc
omnia consule, et me (quod facis) ama. "'Eôvo^o. avTjO îjOoy.:<j.(j')~.'x~;,
Lugdnni idibiis julii 1532.
EPISTOLA NUXCUPATORÏA
EX RELIQUIIS VENERAND^ ANTIQUITATIS : LUCII CUSPIDII TESTAMENTUM
ITEM CONTRACTUS VENDITIONIS ANTIQUIS ROMANORUM TEMPORIBUS
INITUS
Lugduni, apud Grypkium, 1532
FRANCISCUS RABEL-^SUS
D. ALMERICO BUCHARDO
CONSILIARIO REGIO LIBELLORUMQUE IN REGIA MAGISTRO
Habes a nobis munus, Almarice clarissime, exiguum sane, si molem
spectes, quodque manum vix impleat : sed (mea quidem sententia) noa
indi'^num in quo tum tui, tura doctissimi cujusque tui similis oculi sese
sistant. Idque est Lucii illius Cuspidii Testamentum ex incendio, naufra-
gio ac ruina vetustatis, fato quodam meliore servatum, quod hinc disce-
dens ejuscemodi esse censebas propter quod vadimonium deseri vel ad
Dassiani Judicis tribunal posset. Neque vero tibi id uni privatim manu
describendum putavi (qui tan-^en hoc ipsum optare potius videbare),
sed prima quaquc occasione excudendum in exemplaria bis mille dedi...
ne diutius nesciant qua prisci illi Romani, dum disciplinœ meliores flore-
rent, in condendis testamentis formula usi sint... Exspecto in dies novum
libellum tuum de Architcdnra Orbis, quem patet ex sanctioribus philoso-
phise scriniis depromptum esse...
Lugduni, pridie nonas septembr. 1532.
^OO LETTRES DE RABELAIS
EPISTOLÂ NUNCUPATORIA
topographi.î; antique rom-e
JOANXE BARTHOLOM^O MARLIANO AUCTORE
Lugd., apud Seb. Gryphium, 1534
FRANC. R A B E L -ï S U S, M E D I C U S
CLARISS. DOCTISSIMOOUE VaRO D. JOANNI BELLAIO
PARISIENSI EPISCOPO, REGISQ. IN SANCTIORl CONSESSU CONSILIARIO
S. P. D.
Ingens ille beneficionim cumulus quibus me nuper augendum oman-
dumque putasti, antistes clarissirae, ita in meinoria mea penitus insedit,
nullo ut evelli modo, aut in oblivionem diuturnitatis adduci posse confi-
dam. Atque utinam mihi tam esset immortalitati laudum tuarum satis-
facere expeditum, quam certum est meritam tibi gratiam usque persol-
vere, teque si non paribus officiis (qui enim possem?), at justis tamen
honoribus et memori mente remunerare. Nam quod maxime mihi fuit
optatum jam inde ex quo in literis politioribus aliquem sensum habui,
ut Italiam peragrare, Romamque orbis caput invisere possem, id tu miri-
fica quadam benignitate prastitisti, perfecistique ut Italiam non inNàse-
rem solum (quod ipsum per se plausibile erat), sed etiam tecum invise-
rem, homine omnium quos cœlum tegit doctissimo, humanissimoque
(quod nondum constitui quanti sit asstimandum). .Mihi sane pluris fuit
Romœ te quam Romam ipsam vidisse. Roma? fuisse, sortis cujusdam est
in medio omnibus tantum non mancis et membris omnibus captis positœ :
vidisse vero Romae te incredibili hominum gratulatione florentem,
voluptatis : rébus gerendis interfuisse, quo tempore nobilem iUam lega-
tionem obires, cujus ergo Romam ab invictissimo rege nostro Francisco
missus eras, gloriaj : assiduum tibi fuisse cum sermonem -ly. twv zaTà
^àp TTJç Britanniae Ba7'.À;a in illo orbis terrse sanctissimo gratissimoque
consilio inferres, felicitatis fuit. Quœ nos tum jucunditas perfudit, quo
gaudio elati, qua sumus atfecti laetitia, cum te dicentem spectaremus, stu-
pente summo ipso pontifice Clémente, mirantibus purpuratis illis amplis-
simi ordinis judicibus, cunctis plaudentibus? quos tu aculeos in eorura
animis a quibus es ipse auditus cum delectatione reliquisti? quanta in
sententiis argutia, in disserendo subtilitas, majestas in respondendo,
acrimonia in confutando, libertas in dicendo enitebat? Dictio vero illa tua
erat pura sic ut latine loqui pêne solus in Latio viderere : sic autem gravis
ut in singulari dignitate omnis tamen adesset humanitas ac lepos. Ani-
LETTRES DE RABELAIS 40Î
madverti equidem scppenumero vlrorum illic quicquid erat naris emunc-
tioris vocare te Galliarum florem delibatum (quemadmodum est apud
Eniiium) pra^licareque unum post hominum memoriam antistitem pari-
siensem vere -accT,a!a'C£'-v. et vero etiam cum Francisco rege agi per-
belle, qui Bellaios haberet in consilio, quibus aut temere Gallia uUos aut
gloria clariores, aut autoritate graviores, aut humanitate politiores tulit.
Ante autem multo quam Roma^ essemus, ideam mihi quandam mente et
cogitatione firmaverara earuin rerum quarum me desiderium eo pertraxe-
rat. Statueram enim primum quidem viros doctos, qui iis in locis jacta-
tionem haberent, per quaî nobis via esset, convenire, conferreque cum
eis familiariter, et audire de ambiguis aliquot problematibus, quœ me
anxium jamdiu habebant. Deinde (quod artis erat mea?) plantas, ani-
mantia, et pharmaca nonnulla contueri, quibus Gallia carere, illi abun-
dare dicebantur. Postremo, sic urbis faciem calamo perinde ac penicillo
depingere ut ne quid esset quod non peregre reversus municipibus meis
de libris in promptu depromere possem. Eaque de re farraginem annota-
tionum ex variis utriusque linguœ autoribus collectam mecum ipse detu-
leram. Ac primum quidem illud etsi non usquequaque pro voto, haud
maie tamen successit. Plantas autem nullas, sed nec animantia ulla habet
Italia quœ non ante nobis et visa essent et nota. Unicam platanum vidi-
mus ad spéculum Dianœ Aricinœ. Quod erat postremum id sic perfici
diligenter, ut nulli notam magis domum esse suam quam Romam mihi
Romœque viculos omneis putem. Neque non tu quod temporis vacuum
erat in celebri illa tua et negotiosa legatione, id lubens coUustrandis urbis
monumentis dabas, nec tibi fuit satis exposita vidisse, eruenda etiam
curasti, coempto in eam rem vineto non contemnendo. Cum itaque ma-
nendum nobis illic esset diutius quam sperabas, et ut mihi studiorum
meorum fructus aliquis constaret ad urbis topographiam aggrederer as-
citis mecum Nicolao Regio, Claudioque Cappuisio, domesticis tuis juve-
nibus honestissimis, antiquitatisque studiosissimis, ecce tibi excudi cœp-
tus est Marliani liber. Cujus mihi quidem levationi confectio fuit, ut esse
solet Juno Lucina cum aegre parientibus adest. Eumdem enim fœtum
conceperam, sed de edicione angebar equidem animo atque intimis sen-
sibus. Et si enim argumentum ipsum excogitationem non habebat diffi-
cilem, non facile tamen videbatur rudem et congesticiam molem enuclca-
te, apte et concinne digerere. Ego ex Thaletis Milesii invento, sublato
Sciothero urbem vicatim ducta ab orientis obeuntisque solis, tum Austri
atque Aquilonis partibus orbita transversa partiebar, ocuUsque designa-
bam. Ille a montibus graphicen maluit auspicari. Hancce tanieii scribendi
rationem tantum abest ut reprehendam, ut valde ego ipsi gratuler, quod
id ipsum cum agere conarer, anteverterit. Plura enim unus pra:stitit
quam expectare quis ab omnibus sœculi hujusce nostri quamlibet eru-
ditis potuisset. Ita thesim absolvit, ita rem ex animi mei sententia trac-
tavit, ut quantum ipsi studiosi omnes disciplinarum honestiorum
debeant, quominus tantumdem ego unus debeam, non recusem. Molestum
id demum fuit quod clara principis patriœque voce revocatus urbc ante
cessisti quam ad umbilicum liber esset perductus. Curavi tamen sedulo ut
T. II. 26
402 LETTRKS DE RABELAIS
siuiul atque in vulgus editus esset, Lugdunum (ubi sedes est studioruin
raeorura) mitteretur. Id factum est opéra et diligeutia Joaunis Sevini,
hominis vere polytropou, sed ncscio quomodo missus sine epistola nun-
cupatoria. Ne igitur in lucem sic ut erat deformis et veluti acephalos
prodiret, visum est sub clarissiini nominis tui auspiciis emittere. Tu, pro
singulari tua huinanitate boni omnia consules, nosque (quod facis) ama-
bis. Vale.
Lugdiini, pridie calend. septemb. 155,4.
DE GARO SALSAMENTO
EPIGRAMMA
Quod medici quondam tanti fecere priores,
Ignotum nostris en tibi mitto Garum.
Vini addes acidi quantum vis, quantum olei v^s.
Smit quibus est oleo plus sapidura butynim.
Dejectam assiduis libris dum incumbis, orexim
Nulla tibi melius pharmaca restituent.
XuUa et aqualiculi mage détergent pituitam.
Nulla alvum poterunt solvere commodius.
IMirere id potius quantum vis dulcia sumpto
Salsamento, Garo, nulla placera tibi.
PIÈCES ATTRIBUÉES A RABELAIS
EPISTRE DU LY-AIOSIN DE PANTAGRUEL
GRAND EXCORIA.TEUK DE LA LANGUE LATIALE
ENVOYÉE A UN SIEN AMICISSIME
RESIDENT EN L'INCLYTE ET FAMOSISSIME URBE DE LUGDUNE
Aucuns, venans de tes lares patries,
Nos aures ont de tes noves remplies,
En recitant les placites extresmes
Dont à présent fruis et pisques à mesmes
Stant à Lugduue es gazes palladines,
Où on convys Nymphes plus que divines
A ton optât s'ofîerent et ostendent :
Les unes, pour tes divices, prétendent
T'accipier pour conjuge; autres sont
Lucrées par toy, aussi tost qu'elles ont
Gusté tes dicts d'excelse aménité
Tant bien fulcis, qu'une virginité
Rendroyent infirme, et preste à corruer
Lorsque tu veulx tes grands ictes ruer.
Par ainsi donc, si ton esprit cupie,
A tous momens de dapes il cambie.
Puis, si de l'iurbe il se sent saturé,
Ou du coït demy desnaturc.
Aux agrès migre et opines possesses
Que tes genitz t'ont laissé pour successes.
Pour un pauxille (en ce lieu) resveiller
Tes membres las, et les refociller.
Là tout plaisir te fait oblation,
Et d'un chascun prends oblectation.
Là du gracule et plaisant Philomene
Te rejouit la douce cantilene.
404 PIÈCES ATTRIBUÉES A RABELAIS
Là ton esprit tout mal desangonie,
S'exhilarant de telle symphonie.
Là les Satyrs, Faunes, Pan, et Seraines,
Dieux, demy Dieux courent à grands haleines.
Nymphes des bois, Dryades et Nayades,
Prestes à faire en fueillade giiambades,
Y vont en grande accélération.
Pour visiter ceste aggregation.
Et quand la turbe est toute accumulée,
Jucundité se fait, non simulée,
Avec festins, où dape ambrosienne
Ne manque point : Liqueur nectarienne
Y régurgite aux grands et aux petits,
Comme on festin de Peleus et Thetis.
Et, toust après les menses sublevées,
Les ims s'en vont incumber aux chorées :
L'un s'exercite à vener la Ferine,
Et l'autre fait venation Connine.
Dirons nous plus? Ludes et transitemps
En l'omiiiforme inveniez es champs,
Pour évincer la tristesse despite.
O deux, trois fois, tresfelice la vite.
Pour le respect de nous, qui, l'omnidie,
Sommes sequens l'ambulante curie.
Sans ster, n'avoir un seul jour de quiète
Infaustissime est cil qui s'y souhaite.
Depuis le temps que nous as absentez
Ne sommes point des Eques desmontez,
Ne le Cothurne est mové des tibies.
Pour conculquer les Burgades patries.
Où l'itinere aspere et montueux.
En aucims lieux aqueux et lutueux,
Souvent nous a fatiguez et lassez
Sans les urens receptz qu'avons passez.
Je ne veulx point tant du \erbes effundre,
Et de nos maux ton auricule obtundre,
Enumerant les confîitz martiaulx,
Obsidions, et les cruelz assaulx
Qu'en Burgundie avons faits et gérez.
J'obmetz aussi les travaulx tolérez
Dans les maretz du monstier envieux.
Que nous faisoit l'aquilon pluvieux
Où, par long temps, sans castre ne tentoire.
Avons esté, desperans la \-ictoire :
Finablement, pour la brume rigente,
Chascun du lieu se départ et absente.
Aussi, voyant la majesté regale.
EPISTRE DU LYMOSIN DE PANTAGRUEL 405
Q'appropinquoit la frigore hybernale,
Et que n'estoit le Dieu Mars de saison,
S'est retirée en sa noble maison,
Et est venue on palays délectable
Fontainebleau, qui n'a point son semblable,
Et ne se voit qu'en admiration
De tous humains. Le superbe Ilion,
Dont la mémoire est tousjours demourée.
Ne du cruel Néron la case aurée.
Ne de Diane en Ephese le temple.
Ne furent oncq'pour approcher d'exemple
De cestuy cy. Bien est vray qu'autresfois,
L'as assez veu : Si est ce toutesfois
Que l'œil qui l'a absenté d'un seul jour
Tout esgaré se trouve à son retour,
Pensant à veoir un nouvel édifice.
Dont la matière est plus que l'artifice.
Or (pour redir au premier proposite)
Il n'est décent que tu te disposite.
Tant que l'hiberné aura son curse intègre.
De relinquer l'opime pour le maigre.
Puisque bien staz (grâce au souverain Jove).
Nous t'exhortons que de là ne te move.
Si tu ne veulx veoir tes aures vitales
Bien tost voUer aux Sorores fatales :
Car cest air est inimice mortel
D'un jouvenceau deUcat et tenel :
Mesme en ce temps glacial, qui transfère
La couleur blonde en nigre et mortifère,
Estans incluz es laques et nemores :
A peine avons, pour pedes et femores
CaUifier, un pauvre fascicule.
Conclusion, tout aise nous recule;
Et si n'estoit quelque proximité
Que nous avons en la grande cité.
Où nous pouvons aller aUques vices,
Pour incumber aux jucunds sacrifices
De Genius, le grand Dieu de nature,
Et de Venus (qui est sa nourritrue).
De rester vifz nous seroit impossible
Une hebdomade : ou bien sain et habile
Seroit celuy qui pourroit eschapper
Que febvre à coup ne le vinst attrapper.
Voy par cela quelle est la différence
Du tien séjour, en mondaine plaisance.
Et de la vie amere et cruciée
Que nous menons, tousjours associée
40Ci PIÈCES ATTRIBUÉES A RABELAIS
D'ennuy, de soing, d'accident et naufrage
Et si tu es (comme cogitons) sage,
Ja ne viendras qu'à ceste prime vere :
Si ce n'estoit qu'ambition severe
Devant tes yeulx se voulsit présenter
Pour tes esprits aucunement tenter
De grands crédits, faveiu-, et honorences,
Dons gratuits, et grands munificences,
Que tu reçois en l'office auquel funge.
Estant icy : mais quoy? ce n'est qu'un songe
Car nous n'avons que la vite et la veste :
Et qui pour biens se jugiile est vray beste.
A tant mettrons cake à ceste epistole,
Qui de transir indague en ton escole,
Où la lime est pour les locutions,
Et éloquents verbocinations,
Escorticans la lingue latiale.
Si obsecrons que ta calame vale
Attramenter charte pap},Tracee,
Pour correspondre en forme rh^-thmassee.
En quoy faisant compilras le désir
De ceubc qui sont prestz te faire plaisir.
Ainsi signé :
Desbride Gousier.
DIZAIN
Pour indaguer en vocable anthenticque
La pirrité de la lingue Gallicque,
Jadis immerse ne calligine obscure.
Et profiiger la barbarie antique,
La renouant en sa candeur Attique,
Chascun y prend solicitude et cure.
Mais tel si fort les intestines cure,
Voulant saper plus que l'anime vale.
Qu'il se contrainct transgredir la tonture,
Et degluber la lingue latiale.
LA CHRESME PHILOSOPHALE 407
LA CHRESME PHILOSOPHALE
DES QUESTIONS ENCICLOPEDIQUES DE PANTAGRUEL
lesquelles seront disputées sorbonicolificabilitudinissement
ES ESCOLES DE DECRET
PRÉS SAINT DENYS DE LA CHATRE, A PARIS
Utrùnt, une idée Platonicque voltigeant dextrement sous l'orifice du
chaos, pourrait chasser les esquadrons des atomes Democrictiques.
Uiruni, les ratepenades, voyans par la translucidité de la porte corneé,
pourroient espionniticquement descouvrir les visions morphicques, devi-
dans gyronicquement le fil du crespe merveilleux enveloppant les atilles
des cerveaux mal calfretez.
Utrùm, les atomes, tournoyans on son de l'harmonie Hermagoricque,
pourroj'ent faire une compaction, ou bien une dissolution d'une quinte
essence, par la substraction des numbres Pythagoricques.
Vtrîun, la froidure hybernalle des Antipodes, passant en ligne ortho-
gonalle par l'omogenée solidité du centre, pourroit, par une douce anti-
peristasie, eschauffer la superficielle connexité de nos talons.
Ulrùm, les pendans de la zone torride pourroyent tellement s'abbreu-
ver des cataractes du Nil, que ilz vinssent à humecter les plus caus-
ticques parties du ciel empyrée.
Ulrùm, tant seulement par le long poil donné, l'Ourse métamorphosée,
ayant le darrière tondu à la bougresque pour faire une barbutte à Triton,
pourroit estre gardienne du pôle Articque.
Utrùm, ime sentence élémentaire pourroit alléguer prescription decen-
nalle contre les animaulx amphibies, et c contra l'autre respectivement
fermier complaincte en cas de saisine et nouvelleté.
Utrùm, une grammaire historique et meteoricque, contendentes de leur
antériorité et postériorité par la triade des articles, pourroyent trouver
quelque ligne ou charactere de leurs chronicques sus la palme Zenonicque.
Utrùm, les genres généralissimes, par violente élévation dessus leurs
predicamens, pourroyent grimper jusques aux estages des transcendentes,
408 PIÈCES ATTRIBUÉES A RABELAIS
et par conséquent laisser en friche les espèces spéciales et predicables, on
grand dommaige et interest des pauvres maistres es ars.
Utrùtn, l'omniforme Protée, se faisant cigale, et musicalement exer-
ceant sa voix es jours caniculaires, pourroit, d'une rosée matutine soin-
gneusement emballée on mois de May, faire une tierce concoction, davant
le court entier d'une escharpe Zodiacale.
Utrùtn, le noir Scorpion pourroit souffrir solution de continuité en sa
substance, et, par l'effusion de son sang, obscurcir et embrunir la voye
lactée, on grand interest et dommaige des lifrelofres jacobipetes.
FRAGMENT
EXTRAIT DU MANUSCRIT DU CINQUIEME LIVRE
S'evsuyt ce qui estait en marge, et non comprins on présent livre :
SeRVATO in 4. LIER. PaNORGUM AD NUPTIAS.
Les quatre quartiers du mouton qui porta Helle et Frixus au destroit
de Propontide.
Les deux chevreaulx de la célèbre chèvre Amaltée, nourrisse de Jupiter.
Le fans de la cerfve bische Egerye, consellere de Nmna Pompiliius.
Six oysons couvez par la digne oye Ilmaticque, laquelle par son champt
saulva la rocque Tarpée de Rome.
Les cochons de la truye...
Le veau de la vache Ino, mal jadis gardée par Argus.
Le poulmon du regnard et du chien que Neptune et Vulcan avoient
fées, [comme le dit] Julius Pollux in Canibus.
Le cigne auquel se convertit Jupiter pour l'amour de Leda.
Le beuf Apis, de Menphes en Egipte, qui reffusa sa pitance de la main
de Germanicus César, et six beufz desrobez par Cacus, recouvertz par
Hercules.
Les deux chevreaulx que Coridon reservoit pour Alexis.
Le sanglier Herimentien, Olimpicque, Calidonien.
Les cramasteres du toreau tant aymé de Pasiphe.
Le cerf auquel fut transformé Acthéon
Le foye de l'ourse Cahxto.
FIN DES ŒUVRES DE BABELAIS
GLOSSAIRE ET NOTES
A, avec : « Donnez dessus à vostre mast, »
avec votre màt. « A mon lourdoys, »
avec ma lourderie, naïvement. « A
bonne chère, » avec bonne chère.
A, en. A CACHETES, en cachette.
A CE QL-E, afin que.
A Dieu se.^s, salut à, en patois limousin :
« A Dieu seas, Rome ! » Salut à Rome !
A l'arme, alarme.
A l'herte, vigilant, en alerte.
A MONT, ASiONT, en haut.
A TANT, AT.\NT, alorS.
A TOUT, ATOUT, avec : « Atout son bas-
ton de la croix, » avec son bâton de la
croix.
Abastardis.\nt, abâtardisant, dégra-
dant.
Abastit, abattit.
Abayer, aboyer. Abayant, .ujBAY.iNT,
aboyant.
Abbegaux, pour abbés.
Abbegesses, pour abbesses.
Abboys du Parcheion (aux), en
aboyant, en chantant à pleine gorge
devant le parchemin d'un missel.
Abbre\ter les CREJWSTERES, raccour-
dr, resserrer les muscles des testicviles.
Abedessimont , nom de reptile em-
pnmté à Pline.
Aben Ezra (Rabi), savant rabbin du
xn^ siècle.
Aber-Keids, avilis, domptés, matés, en
allemand.
Abestin, inextinguible.
"AScTTOÇ, c'est le mot grec d'où l'on a
tiré le mot précédent.
Abhomin.vtion, abomination.
Abhominerent, détestèrent, eurent en
abomination.
Abhorrente, qui fait horreur.
Abhorrissez, détestez, ayez en horreur.
Abhorry, détesté, exécré.
Abila, ville de l'Anti-I^iban, dans la
Cœlé-Syrie.
'A€;o; J5;o;, [jîo; àSiwTo; ; il faut
ajouter: Xtopîç Oyîc'.aç, c'est-à-dire:
sans la santé, vie non vie, vie non
vivable.
Abondance (Porus, seigneur d') Pla-
ton raconte, dans le Banquet, qu'à la
naissance de Vénus, il se fit un festin
où assistèrent tous les dieux, et en
particuher Porus, fils du Conseil et
dieu de l'Abondance. Le repas fini, la
Pauvreté, étant venue en chercher les
débris, sui\-it Porus, qui, rassasié de
nectar, ne tarda pas à s'endormir dans
le jardin de Jupiter. Elle se coucha
près de lui. C'est de ces deux principes
si opposés que l'Amour prit naissance.
Fils de la Pauvreté et de l'Abondance,
il tient du naturel de l'im et de l'autre.
Abouchemens, discours.
Abourdement, abord ement.
Aboutrder, aborder.
Aboys de l'estom.\c, cris ou tiraille-
ments de l'estomac ayant faim.
ABRE\Œ^rENT, abreuvement.
Abre\'IER, abréger.
Abscon-d, abscons, absconse, caché,
impénétrable.
Absenter, éloigner : « Les absenter de
leurs femmes. »
Absoluz : « Je vous absoluz, » je vous
absous.
Absterger, nettoyer.
Abstersion, nettoyage.
Abstracteur, celui qui extrait; celui
qui sépare les éléments ou les qualités
d'ime substanse « Abstracteur de
quinte-essence. »
Abuntsant (d'), de plus, en outre.
Abyde, Abj-dos.
ACADEMICIENS, disciples de Platon.
Académie (l'), école philosophique d'A-
thènes.
ACADEMIE de Paris, l'Université de
Paris,
4IO
GLOSSAIRE ET NOTES
Académiques (les), même sens que
Académiciens.
AcAMAS, nom d'un des capitaines de Gar-
gantua. C'est im mot grec qui veut
dire : sans repos et toutefois sans fati-
gue. Homère l'applique au soleil: f,À'.o;
âx.aax;.
Ac.AR-VTiox, terme de palais signifiant la
confrontation, le récolement des cri-
minels avec les témoins.
ACCVPAYE ! tends les cordages ! terme de
marine de la Méditerranée.
AcciDiiNT.\L, accidentel.
AcciPiER, recevoir.
AccoLLADE, embrassade.
AccoLLER ime femme, faire l'amour
avec elle.
AccouBLER, accoupler.
AccouRSiERS, commentateurs d'Ac-
curse.
AccL-RSE, auteur d'une célèbre glose des
Pandectes.
AcEPHALOs, sans tête; mot grec.
ACERTAEs'ER, rendre quelqu'un certain
d'une chose.
ACHAPTER, acheter.
ACHAPTEUR, acheteur.
ACHATES, compagnon d'Énée, dont le
nom est devenu synonyme d'ami
fidèle.
AcHEROX, fleuve infernal.
Achever de peixdre, mettre le comble
à l'infortune.
AcHiLLES est pris dans le sens d'un argu-
ment in\-incible : Est unum bofiuin
Ackillcs.
ACHORIE, pays imaginaire, qui n'existe
pas, de a privatif et de /''jca.
ACOLLER, voir ACCOLLER.
AcoxcEPVoœ, atteindre.
AcoN'CEUT, atteignit.
AcoNiTE, plante vénéneuse.
AcotTDOrR, accoudoir, appui.
ACQUESTER, acquérir, procurer.
Acquiescer, s'abandonner.
ACRA VANTÉ, écrasé, broyé.
ACRE3TÉ, qui a ime belle crête, qui lève
la tête, et, par métaphore, fier, pim-
pant, huppé.
ACRisius, roi d'Argos, descendant de
Danaùs, eut d'Eurj-dice une fille, Da-
naé, et fut tué par son petit-fils Persée.
AcROsiiox (os) l'apophyse de l'omoplate,
de àV.coç. extrémité, et (ijaoç. épaule.
ACROPOi.is, ville haute, citadelle, et spé-
cialement l'Acropole d'Athènes.
AcROPY, accroupi, courbé, accurvatus.
.\CROUK, accroupi.
AcTÉox, petit-fils de Cadmus, chasseur
célèbre de Thèbes, fut changé en cerf
par Diane et déchiré par ses chiens.
AcuLER, éculer (les souliers).
AcuLLER, mettre à cul, abattre, déraci-
ner (un arbre).
AcfT, aigu.
A^l.A^L\SIOR, géant.
Additamess (mammillaircs), bouts des
mamelles.
Adenes, auat., les glandes du cou.
Adextre, adroit.
Ad for>l\m nasi cognoscitur ad te
LEV.wi. « \ la forme du nez on recon-
naît ad te levavi. » C'est une phrase
pour une ou deux sj-Uabes. Cette for-
mule comique est fréquente dans
Rabelais : tel est encore, par exemple,
le « comment a nom? » Tantôt c'est la
dernière syllabe qui compte seule,
tantôt la première.
Adh.erer, s'attacher.
Adi.\ntos, signifie, en grec, non hiunide.
AoiavTOv désignait la plante que
nous nommons capillaire, capillus Venc-
ris.
ADiAST\rsi, voyez le mot précédent.
ADjouD.\HY, aide-moi.
ADjorsTER, ajouter; ajuster.
Admiral (Monsieur 1'), Pliilippe Chabot,
qui avait pour devise Festina lente. —
Voyez la Briefve Déclaration au mot
Hiéroglypl: iqv.es.
Adoxc, Àdoxcques, Adoxques, alors.
Adoxis, aimé de Vénus, tué à la chasse
par lui sanglier.
Adotz, sorte de poissons de mer qui res-
semblent à la sèche.
Adiwste.a., nourrice de Jupiter.
Adresser, a, dans certains cas, le sens
de diriger.
.kDKiAS, Adrien, empereur romain.
Adscript, inscrit.
Adit-terateti-rs, falsificateurs.
Adultère troiax (l'), Paris, ra\'isseur
d'Hélène, femme de Ménélas.
Adultérer, altérer, falsifier.
Adv.\xtage (d'), plus, en outre.
Advexir, à venir.
Advexir. convenir : t Ceste livrée lui
advenoit bien. »
Ad\'ext.\ige (d'), voir d'advantage.
Advexture (d'), d'aventure, par lia-
sard.
AD\'EXTURES des gens CURBETJLX, leS
aventures qui arrivent aux gens cu-
rieux et ne Iciu" pennettent guère de
s'enrichir.
.\D\'EXTt-RiERS, aventurieTS, soldats
d'aveiiture. Sous François I", c'était
presque toute l'infanterie française
qu'on désignait de ce nom.
Ad\-ers, adverse, du parti opposé.
GLOSSAIRE ET NOTES
ADvasEiiENT, instruction.
Ad VISER, apercevoir; avertir; pour-
voir à.
AvT>iSER QUE, remarquer.
Advocat, avocat.
Adv'ocatiere, femme d'avocat.
Advoler, venir en volant.
Advolter, invoquer, prendre à témoin :
« Je ad voue Dieu. »
/TÎACUS, l'un des trois juges d'enfer.
.Editue, sacristain, gardien, œdituus.
.îÎGEON, géant.
^GITANS, Egipans, divinités des mon-
tagnes et des bois, espèces de satyres
avec des cornes et des pieds de chèvre,
quelquefois avec une queue de poisson.
-Egistus, Égiste, meurtier d'Agamem-
non.
-Ele, aile.
-îiLiAN, .ïiLiANUS, EUcn.
.Emili.\n, rhéteur.
•Emorrhoïdes, sorte de serpents men-
tionnée par PHne.
.îÎNÉAS, Enée.
-EOLICQUE, des Éoliens : « Cyme aeo-
licque, » la ville de Cyme ou Cume,
colonie des Éoliens en Asie Mineure.
.EoLiDES, îles Éoliennes, aujourd'hui
iles Lipari.
.3îOLYPn.E, porte d'Êole. — Voyez ce
mot dans la Bricfve Déclaration.
.EoLUS, Éole, dieu des vents.
-Equil.viéral, équilatéral.
-E;quinocte (l'), l'équinoxe.
-Equinoctial, équinoxial.
.Equiparer, égaler.
.E;quité, équité.
Aer, air.
-Erain, airain.
AERO,^L\^'TIE, divination par l'air.
-îîscHixES, Esclline, philosophe grec qui
engagea sa liberté à Socrate pour être
admis au nombre de ses disciples.
iEscHYLUS, Eschyle le tragique.
-Escfi-.^Pirs, Esculape.
Aesle, aile.
^EsoPE, Ésope.
.Eternel (l'), l'Étemel.
-Etherées, éthérées.
.-Ethiopie, Ethiopie.
-Ethiopiexs, Éthiopiens.
.Ethiopis. plante dont Pline a décrit les
propriétés nier\'eilleuse3.
.\ETHOx, un des chevaux du Soleil.
-Etyle, ville de I,aconie.
.\rESTER, réparer : « .\fester un tonneau. j>
Aff.mctkes, pleines de zèle.
AFFECTATION, désir.
.\FFECTi':, désiré ardemment.
Affené, repu, re:npli. .\u propre : fourni
de foin à discrétion, de fœnttm .
Affermer, affirmer, affermir.
411
Affié, attaché, lié par la fidélité, la foi.
Affier, assurer, certifier.
.\ffiert, appartient, nocvieut.
-Affiner, tromper; épurer.
.\ffin'ei'rs, trompeurs, pipeurs.
Affolé, fou, hors de sens. — Perdu, à
demi mort (de coups).
Affoller, battre, faire périr (de coups).
Affrique, .Africque, Afrique.
.Affuster, afcster, arrans;er, mettre
en ordre, aiguiser : « Affuster son artil-
lerie, affuster quelque pièce sur les
murailles. »
Africanes, afriquanes, tigres.
.\GAi,LOCHE, bois d'aloès.
'Xyi-ri O'j Tt,-:;'. -i i^j-f]:. tLa cha-
rité ne dierche pas ses propres inté-
rêts. » (Saint Paul, I"'" aux Corinthiens,
chapitre xm.)
.\G.VRENE, même sens que arabique.
Agathias, historien grec, de Jlyrine,
vivait au \i^ siècle.
Agatho, géant.
.•VGATHOCLES, tyran de Syracuse.
Agel.\stes, ceux qui ne rient jamais,
mot grec.
Agenor, roi de Phénicie, père de Cad-
mus et d'Europe.
Agesil.î;, gésilas, roi de Sparte.
.\ggeres, chaussées, levées de terre
faites sur les bords d'une rivière, du
latin agger.
Ay^o; 0 6hoç, le Dieu saint.
Agiot.^de ou agiot.ate, très saint, du
grec ayioç.
.\GiOTS, vaines cérémonies.
•\GLÉoPHEME, ami de Pythagore.
.A.GONE (place d'), place de Rome.
Agre, (de ager) champ.
.\GREGATi\'E, qui agrège (les humeiu^)
et les évacue : a Pilule agrégative. »
.\GRENÉ, repu, rempli. Au propre, fourni
de grain à discrétion.
.A.GRIE, fontaine d'.\rcadie.
AGRi.MEXSEn{, qui mesure les champs,
arpenteur.
AGU, .^GuE, aigu, subtil.
AGUA, pour agarde, regarde.
.\GUARD, hagard.
.\GU.\RS. sauvages, farouches : « Oy-
seaulx aguars. »
.A.GUEILLE, aiguille.
.■Vgtteillettes, .\guillettes, aiguil-
lettes.
.•VGUiLL.uncEtTF, fête du nouvel an en
Bretagne.
.\GuiLLONS DE \T>.', aiguillous de v'in,
ce qui excite à boire.
Aguyon. — Voyez ce mot dans la
Briefve Déclaration.
.\GUYSER, aiguiser.
41-
CLOSSAIRE ET NOTES
Ahan, peine, fatigue, d'où le verbe
Ahanner.
AlGNEUU-LOT, pour aiguillât, gond que
l'on fixe au gouvernail d'un navire
pour le faire tourner derrière l'ctam-
bot.
Aigrefins, pour aigles fins, monnaie
d'or marquée d'un aigle.
AlGREST, verjus.
Aigrette, aigri, aigre.
AIGRETTES, petits hérons.
AiGUADE, action d'approvisionner d'eau
douce les vaisseaux.
Aiguillette, le lacet qui fermait la bra-
guette.
Aiguillette (courir 1"), faire le métier
de prostituée.
Aiguosité, partie aqueuse d'une subs-
tance.
Aillade, ail, ragoût à l'ail.
AiNçois QUE, plutôt que.
Ains, mais, plutôt.
AiNS QUE, avant que : • Ains qu'estre en
Occident. »
Aire, mesure de capacité : « Deux aires
de vin. » Arche : « Aire de Noé; » sol
d'ime grange.
Aïs, petite planche.
AISOTE, %-illage du Poitou.
AisGUÉ (vin), vin mêlé d'eau.
AISSE, voir Aïs.
AissEUiL, essieu, pôle.
AiST, aide : a Ainsi vous aist Dieu. »
Aix (en Provence).
Alabastre, Alebastre, albâtre.
Alaigre, allègre, vit et léger : « Alaigre
comme un papillon. «
Al.aigriz, rendus plus légers.
Alaixe, haleine.
Alaire, musicien. Schmid cite des mes-
ses d'Alaire dans im recueil d'Attei-
gnant, 1534.
Axaxus is parabolis, les paraboles
d'Alain de I,isle, traduites et imprimées
en 1492.
A latere, altéré. Jeu de mots sur a
latere, titre donné aux légats du pape,
et altéré.
Albanie (M. d'), Jean Stuart, duc d'Al-
bany, de la maison roj'ale d'Ecosse.
Albanois, Albanais. Grec d'Épire.
Alberges, fruit, pèche précoce.
Albert le jacobin, Albert le Grand.
Albertus, lyéon Alberti, qui a publié
dix li\Tes de Re œdificatoria, Stras-
bourg, 1545, in-4».
Albian camar, blanc sacristain, en hé-
breu.
Albran, halbran : jeune canard sau-
vage.
Albumasar, astrologue arabe du ix^ siè-
cle.
Albunée, près Tivoli.
Alcharates, sorte de reptiles.
Alchistijies, alchimistes.
Alchvmie, alchimie : « Faire alchymie
avec les dents » est interprété par les
commentateurs : épargner sur sa nour-
riture, jeûner par économie. Je crois
que cela veut dire manger tout simple-
ment.
Alciian, poète lyrique grec dont parle
Pline, li\Te XI, chapitre xxxni.
Aloiêne, femme d'Amphitrj-on, mère
d'Hercule.
Alcofrib.\s, Alcofribas Nasier; c'est
l'anagramme de Rabelais.
Alcret, voir Alecret.
Alcyones, alcyons, martins-pêcheurs;
oiseaux de mer.
Alebarde, hallebarde.
Aleb.^stre, voir Alabastre.
Alecret, grand corset de fer.
Alecto, ime des trois Parques.
Alectryomantie, divination par le
moyen d'un coq.
Aleltiomaniie, divination qui se faisait
en mêlant du froment et de la farine.
Alexander Cornélius, surnommé Po-
lyhistor.
Alexander myndius.
Alexandre, Alexandre le Grand,
Alexandre Macedo.
Alexandre, beau-frère d'Hérode.
Alexandre V (le pape) .
Alexandre VI (le pape).
Alexandre de SIedicis, duc de Flo-
rence.
Alexandre, jurisconsulte.
Alexandre, écuyer de Gargantua.
Alexan-dre Aphrodise , Alexandre
d'Aphrodisias, célèbre commentateur
d'Aristote.
ALEX.ANDRE SEVÉRE.
Alexandrie.
Alex.\n"drins, habitants d'Alexandrie.
Alexicacos. — Voyez la Briefve Dé-
claration au mot Hercules Gaulois.
Algamala, alguamala, algamana.
Mercure des Hermétiques.
Algebra, algèbre.
Algiery, Alger.
Algorisme, science des chiffres, arith-
métique.
ALG0US.4N, argousin.
Alhartafz, sorte de reptiles.
Alh.4trab.an's, sorte de reptiles.
Alibantes, desséchés, absque humore.
Alibitz forains, incidents frustratoires
en vieille jurisprudence. « Trouver les
alibitz forains, » user de toutes les res-
sources du droit.
Alicacabut (pommes de), fruit de l'al-
kekenge, qu'on nomme aussi coqueret,
GLOSSAIRE ET NOTES
413
Alidada, règle pour aligner; mot arabe.
Aliptes (les), masseurs, frotteurs, du
grec aXstïw.
Alissiez, allassiez.
Al katim, mots arabes qui désignent le
péritoine.
Alkermes, sorte de graine.
Alleboteurs, grapilleurs, ramasseurs
de raisins.
Allebouter, grapiller.
Allegrer, rendre allègre, vif, agile.
Allejl\igne, Alemaigne, Almaigne,
Allemagne.
Allemant, on trouve aussi Axemant,
AL^L\IN : « N"y entendoit que le hault
alemant. >
Alliaco (de), Pierre d'Allly.
ALiL^ofCES, Allianciers, Rabelais joue
sur les alliances (par mariage) et les
alliances de mots.
Alliboron (maistre). On lit dans le pro-
cès de Gilles de Rais (xv" siècle) : « Il
fera venir maistre Aliboron, enten-
dant le diable par ce mot, intelligendo
diabolum per illiid vocabulum. » Une
pièce de vers de la fin du xv^ siècle est
intitulée les Dits de maistre Aliboron,
qui de tout se mesle. Rabelais l'emploie
dans le sens d'ignorant et de maladroit.
Il parait qu' Aliboron figura dans les
mystères dramatiques de la Passion,
parmi les diables plus au moins effroya-
bles ou plus ou moins comiques qui
formaient l'escorte de Lucifer. La plu-
part des noms de ces diables étaient
pris dans la démonologie orientale.
L'étymologie donnée par Grimm, qui
fait venir ce mot de l'arabe Altboran,
ancien ennemi, n'est donc pas aussi
invraisemblable qu'on l'a dit. Elle
vaut au moins celle de Le Duchat, qui
a écrit detix pages pour démontrer que
ce nom était ime corruption du nom
du fameux docteur Albert le Grand.
Allieger, alléger.
Allobroges, peuple de la Gaule, entre
l'Isère et le Rhône.
Allouettes, jeu inconnu.
Allouvy, affamé comme un loup.
Aixumelles, lames.
Alluz, à l'excès.
Alme, bon, illustre, fertile, de aUnus.
Almic\ntar.\th. On appelle ainsi en
arabe des cercles parallèles à l'hori-
zon, qu'on fait passer par tous les
degrés du méridien.
Aloé, géant, père d'Otus et d'Kphialte.
Aloïdes, descendants d'Aloé.
Alopecuros, t qui semble à la queue du
renard >.
Alosis, capture, pr se, destruction.
Alpharbal, roi des Canaries.
Alphitomantie, divination par la farine
d'orge. — Voyez Théocrite, Idylle 11,
et Virgile, Ëglogue vu, vers 85.
Alpinois, habitants des Alpes.
Alteratif, qui donne envie de boire.
Altérations, état de celui qui est altéré,
dans les différents sens de ce mot.
Altère, pour artère.
Altères, masses de plomb ou de pierre
que portaient dans chaque main ceux
qui s'exerçaient à sauter.
Alum de plume. — Voyez Pline, livre
XXV, chapitre xv.
Alv.^res ou Alvarez (Piètre), sans
doute le Portugais Pierre Alvarez Ca-
pral, auteur de la relation d'un voyage
fait, l'an 1300, de Lisbonne à Calicut.
Alyssltm, plante d'agrément; les An-
ciens lui attribuaient la vertu d'arrêter
le hoquet.
AsLVDEAXS, moines d'une communauté
religieuse fondée par Amédée de .Savoie
en 1448.
Amadouer (un tonneau), boucher les
fentes avec de l'amadou.
Amadriades, hamadryades.
Amalthée (la chèvre), nourrice de Ju-
piter.
A^LissER, ramasser.
Amate, femme du roi Latinus. — Voyez
Enéide, livre XII.
Amaltîotes, gens obscurs, inconnus, du
grec aaajpdç.
Amballeur, crocheteur.
Ambe, pronon. ambé : avec, en gascon.
Ambezars, ambezas, beset, double as.
Ambouchoir, embouchoir.
Ambrun, toiture, charpente.
Amé, aimé.
Amer, médecin cité par Rabelais.
A.MERI^■E, plante.
AirETHiSTiZANT, sc rapprochant de l'a-
méthyste.
Amicabilissime, très aimable.
Amicissime, très ami.
Amict, linge carré que le prêtre met sur
sa tête et sur ses épaules avant de se
revêtir de l'aube.
AAnLCAR. père d'Annibal.
AMM0B.4TES, sorte de reptiles.
Am.vestie, amnistie.
Amodéré, modéré.
Amodl'nt, nom propre formé du latin
a modo sine modo.
Amomon, sorte de drogue.
Amont en val (d'), de haut en bas.
Amorabonds, amoureux, amorabundi.
Amoureux de karesme, « lesquels
poinct à la chair ne touchent ».
Amoustillé, émoustillé; et aussi, par
414
GLOSSAIRE ET NOTES
jeu de mots, cjui est accoutumé au
moût ou moust.
Ampboaraus, fils d'Oîdès, fameiix de-
vin.
Amphibologies, ambiguïtés du discours.
Amphion, fils d'Antiope, releva les muts
de Thcbes aux sous de sa lyre.
AsiPHlSBE>rES, sorte de reptiles, d'après
Pline.
Amplitude, ampleur, étendue.
Amvre, cordage qui sert à tirer et assu-
jettir les voiles du côté de la proue, ce
qui s'appelle amurer.
Amy (Pierre). — Voyez la Vie de Rabe-
lais.
Anacampseroïes. herbe imaginaire qui
rallume l'amour éteint.
Anachite (diamant), diamant qui, sui-
vant Pline, prcser\-e des venins, de la
frayeur et de la folie.
AN.'i.GNOSTE, lecteur, du grec ava-
yvr,')3Tr,:.
An.\rche. Ce nom en grec signifie sans
cTief, sans gouvernement,
Aî;.\tole. de rOrient.
Anatomies, dissections.
Anatomiser, disséquer.
Anches, hanches.
Ancholye, .axcolye, fleur, en latin
aqiiilcgia; et aussi tristesse, mélan-
colie.
Ancile (bouclier), sacré chez les Ro-
mains.
Andouilles. ly'île Farouche, le manoir
des Andouilles, ait chapitre xxxv du
livre IV, représentent le temps de
chamade, le temps où l'on mange
gras, etc.. par opposition au temps de
carême. L'AndoiiilIe nommée Itiphalle,
c'était une effigie représentant mem-
brusn virile ercctwn.
André (Joh.), jurisconsulte de Bolo-
gne, né en 1270, mort en 1348.
Anemophylaces, ceux qui ont spécia-
lement étudié les vents de aVc'J.oç
et de çJXa;.
Anerudutes, sorte de reptiles.
Aneth ou .VXET, herbe odoriférante.
Ang.arier, vexer, tourmenter.
Ajs'Garies, angu.\ries, tourments, vexa-
tions.
Ange (eau d'). Veau d'ange s'obtenait
de la distillation de la fleur et de la
feuille de myrte.
Angelots, petits anges.
Angenart, sorte de jeu, d'on ne sait
quel genre.
Angest on Mans, peut-être Jérôme
Hangest, mort au Mans en 1538.
Anglet de l'œil, coin de l'œil.
AnguilljVde (bailler 1'), fouetter avec
des lanières faites de peau d'anguille,
avec une serviette nouée.
Anguille de JIelun, qui crie avant
qu'on l'écorche.
Anguilles de hoys, serpents.
Anguillettes, petites anguilles.
jVnguounages. — V. la Briefve Décla-
ration.
Angustie, détresse, anxiété.
Anijlvnt, cire animé.
ANlifE, àme.
Année (grande), grande moisson, grande
abondance.
Anom,\l. .\n-o>iale, anormal, irrégulier.
ANONCH.4LY, devenu nonchalant.
Ansée, vaisseau à anses.
Ansernie (plume), plume, duvet d'oie.
Antan, l'an passé.
Ante, tante.
Anté, enté.
Antée, géant.
Antemne, antenne, vergue d'une voile
latine.
Antenoru>es. les Padouans, qui préten-
daient descendre d'Anténor.
Antheus, Antée, géant.
ANTHROP03I.ANTIE, divination jîar l'ins-
pection des entrailles humaines.
ANTiBrsT (ceint à 1'), ceint sur la poi-
trine.
Anticiper, prendre les devants, barrer
le chemin.
Anticthone. même sens qu'antipode.
Antidote, muni d'im antidote, d'un pré-
servatif.
Antinojiie.s, lois contradictoires entre
elles, contradiction des lois.
Antiociie, Antiochus.
antioche. en Syrie.
Antu'.arnasse, mont qui est le contraire
du Parnasse, qui forme contraste avec
le Pâmasse.
Antiperi.ît.\sie, changement en sens
contraire.
Antiphon, historien et versificateur con-
temporain de Socrate, qui a écrit un
livre ~iz\ y.y.QiMi ovsîofov.
Antiphone, antienne, chant à deux
chœurs.
Antiphysie, antinature. 1,'anecdotc
d'Antiphysie et de ses fils Amodunt
et Discordance est tirée, ainsi que La
Monnoye nous l'apprend, d'un auteur
qui n'était ni ancien ni très connu,
Cœlius Calcagninus :
« Natura. ut est per se ferax, primo
partu Decorem atque Harmoniam
edidit, nulla opéra viri adjuta. Anti-
physia vero, semper Naturîe adversa,
tam pulchrum foetum protinus invidit.
GLOSSAIRE ET NOTES
415
usaque Tellumouis amplexu, duo ex
adverso inonstra peperit, Amoduntcm
ac Discrepanliam nomine. Si formam
indicaro, excitabo risum legentibus. Ea
enini capite circiiiiirotato incedebant,
auribus promimilis, manibus in poste-
riora versis, nitiiiidis pedibus in su-
blime porrectis. »
Antiquaille, antiquité, avec un sens
ironique (par révérence de l'anti-
quaille).
Antiquaille (sonner une), faire l'amour.
Antiquailles, choses de l'antiquité.
Antiquaire, digne de l'antiquité ; t O
chose rare et antiquaire. »
Antistrophe, figure de rhétorique,
rétorsion, jeu de mots par renverse-
ment des syllabes, ou des termes :
« Femme folle à la messe, molle à la
fesse, n
Antitus de Crossonniers ou des Cres-
sonnières, nom ridicule dont plu-
sieurs auteurs se sont emparés.
Aorné. orné.
Aorne.ment, ronement.
Apedeftes, illettrés, ignorants, de a pri-
vatif et de 7:a;Ô£'j(.) (j'enseigne). Ra-
belais désigne ainsil es membres de la
Cour des Comptes, qui n'avaient pas
besoin d'être gradués pour exercer
leurs charges. » Toute l'allégorie de
ce chapitre (xvi» du \« hvre), dit de
Jlarsy, consiste à représenter les diffé-
' rents bureaux de la chambre des
Comptes sotis l'image des pressoirs, et
les comptables sous celle des grappes
qu'on y presse, u
Apenn.\ges, apennaiges, apanages.
Apert, ouvert, distinct, de apertus.
Apertejient, clairement, d'ime façon
apparente.
Apertises (d'armes), actions d'éclat.
ApnL\os, sorte de reptiles.
Aplaxe, le ciel des étoiles fixes, du grec
Apoiltronner (s'), s'acoquiner, s'aca-
gnarder.
Apoincteiient, accommodement.
Apoincter, accommoder.
Apoincteur, qui accommode, qui récon-
cilie.
Aposteme, tiuneur, abcès.
Apostoles, compagnons, apôtres.
APOTE^rus, buvons (venite apotemus,
parodie du venite adorenius).
Apothecaire, apothicaire.
Apothecqtl'e, action de mettre de côté,
du verbe à~OTiOr|'j.'..
Apother.\pie, régime forUfiaut.
Apotropées, qui détournent. Paroles
apotropées, paroles magiques qui
détournent les malignes iniiuences des
astres.
Apoyé, appuyé.
Ai'PE.^ULX, appelLS.
Appert, paraît.
Appeter, désirer.
jVppigrets, jus, suc.
Applaner, aplanir.
Applausejient, applaudissement.
Appoincté, accordé, mis d'accord.
Apport, action d'apporter : « Sus l'ap-
port de la seconde table. »
Appoulle, la Fouille, l'ancienne Apulie.
Appous, appôts, comme suppôts.
APPREHENSIONS, Conceptions, idées ar-
rêtées.
Appri\-er, apprivoiser, familiariser.
Appropinquer, approcher.
Apreigne, apprenne.
Aprixt, apprit.
Aprivoisa, dans le sens de naturalisa.
Apulée, auteur de V Ane d'or.
Aqu.arols, marchands d'eau, acquaroli.
Aquileie, Aquila, ville de l'Abnizzc
supérieure.
Aquilonîjaires, de l'Aquilon, du nord :
« Régions aquUonnaires. »
Ar, as : « Deux et ar. »
Arachné, osa défier et vaincre Minerve
dans l'art de la broderie. Elle fut méta-
morphosée en araignée.
Ar actes, sorte de reptiles.
Araigxes, araignées.
.\raix. Arin, airain.
Araxnes, serpents des sables.
Arancs, Arans, harengs.
Aranthas, géant.
Arbaleste de passe, grosse arbalète
qu'on ne pouvait ordinairement bander
qu'à l'aide d'im engin nommé passe.
Arboriser, Arborizer, herboriser.
ARBOUT.iNS, arcs-boutants.
Arbre forchu (faire 1'), se tenir les
pieds en haut, la tête en bas.
Arcadelt (Jacques), musicien contem-
porain de Rabelais.
Arce.\u, petite arcade. Arceau Gua-
LEAU désigne un lieu de Touraine.
Arch.adL'VN. arcadicn.
Archadiques, arcadiques.
Archasd-IRPenins, un des noms em-
pruntés, dit-on, de l'hébreu, qui ser-
vent à désigner certains serviteurs de
la Quinte-Essence.
ARCHETYPE, prototype, image typique.
Archer tru, jeu indéterminé.
Architecte, construit.
Architriclin, maître d'hôtel, major-
dome.
Ardeine, Ardenues.
Ardoyzine (pierre), ardoise.
4i6
GLOSSAIRE ET NOTES
Ardre, brûler.
Ards, brûle.
Are, Arer, labouré, labourer.
Arènes, sables.
Areneux, Areneuse, sablonneiuc.
Aréopagites, juges de r.Vréopage.
Ares >rETYS (tout), sur l'instant, tout de |
suite, hora metipsa, locution gasconne.
Argathyles, espèce de mésanges.
Argent.\ngixe. — Voyez la Bric/ve
Déclaration.
Argentier, nom propre, 'Aoyupo-
"Aatrî;, dans V Anthologie.
Arges, éclairs subits et blanchâtres,
éloises.
Argière, -Uger.
Argip.\ns, sorte de satyres.
ARGn'ES, Argiens, ou plus généralement
Grecs.
Arguer, argumenter, discuter, accuser :
« Je faisois diables de arguer. »
Arguz, arguments.
Argyrondes, fontaine d'Étolie.
Aries, le Bélier, signe du zodiaque.
Ariet.vnt, heurtant, choquant, comme
fait un bélier (aries).
ARnL\NL\N, d'Arimane, adoré en Perse
comme le principe du mal.
Ardl^spes, compagnon de Zoroastre.
Arimaspians, Ardiaspiens, peuples qui,
au dire de Pline, n'avaient qu'un œil.
On croit que par ce mot Rabelais en-
tend les réformés.
Ariovistus, chef des Suèves, vaincu par
Jules César.
Ariphron, de Sicyone, médecin célèbre
de l'antiquité.
ARIST.EUS, Aristeus. Virgile, dans ses
Oéorgiques (li\Te IV, vers 283-285),
célèbre l'art prétendu d'Aristée :
Tempus et Arcadii memoranda inventa
tnagistri
Paitdere, guoque modo cœsis jam sape
juvencis
Itisincerus apcs tulerit cruor.
Aristides, de Thèbes, peintre ancien.
Aristolochia, aristolochie, plante.
Aristonides, sculpteur antique.
Aristoteles, Aristote.
Armes (m'), sur mon âme, juron rustique.
Armet, armure de tête.
Armoisi, armoisy, armoisin. On nom-
mait ainsi im taffetas fort estimé.
Armoisine, rhétorique armoisine, par
allusion au taffetas armoisin, douce
et souple comme ce taffetas.
Armonie, harmonie.
Arnovs. harnais.
Arom.\tiz.\nt, qui répand une odeur
d'aromates.
Arondelle, hirondelle.
Arousse, plante, la vesce sauvage.
Aroy, charrue.
ARQfEBorsE, ARQfEBOUZE, arquebuse.
.Vrrachit, arracha.
Arr.aper, attraper, empoigner.
Arresser, mettre la lance en arrct;
s'emploie dans le sens erotique.
ARRI.AN, Arrien, historien grec.
Arrouser, arrouzer, arroser.
Arroy, train, équipage : « Venir en
grand arroy. »
Arry av.ant ! exclamation.
Ars, arceaux.
Ars, arts : « Ars libéraux (les sept). »
Ars. arse, brûlé, brûlée.
Arsen.^c, arsenal.
Artaban, roi des Perses.
Artachées, géant.
Art.wasdes, roi d'Arménie.
Artemidore, Artemidori de somniorum
Interpretatione libri V; Venise, Aide,
1508, in-S".
Artejus, Diane.
Artemisia, veuve du roi Mausole.
Artemon, de Milet, qui a écrit sur l'in-
terprétation des songes.
Artemon, mât d'artimon.
Arterial, artériel.
Artice, du Xord.
Articles : 0 Prindrent articles contre
luy, » articulèrent, rédigèrent par arti-
cles leurs accusations contre lui. De
même, articulant, articuler (mon vin),
calomnier, diffamer.
Artiens, maîtres ou écoliers de la Fa-
culté des arts.
Artus Clt.let.'Vnt. Parmi les signataires
d'un acte d'achat fait par les cordeliers
de Fontenay-le-Comte (5 avril 15 19)
où figure la signature de Rabelais, on
cite un frère Artus Coultant, dont le
nom semble parodié id.
Arulettes, ornement architectural.
ARrspiciXE. l'art des aruspices.
Asarotum, du grec ajxcoTO;, non ba-
layé.
ASBESTE, que le feu ne consume pas, du
grec âiÇ^aTOç.
AsBESTON, même mot que le précédent.
Ascalabes, sorte de reptiles, d'après
Pline.
AscvLABOTES, autre sorte de reptiles,
d'après Pline.
Ascarides, vers qui se logent au rectum.
Asç.\v.\nter, Ass.av.vnter, instruire.
AsciTES, hydropiques.
AscLEPiADES, médecin de l'antiquité.
ASNE : « Faire de l'asne pour avoir du
bren, » faire le gentil, le g^racieux,
comme im âne poiu" avoir du son.
AsNE (MENER l') : € Tout le monde chc-
GLOSSAIRE ET NOTÉS
4*7
vrtuchera et je mènerai l'asne ! » je
regarderai faire les autres.
ASNIERS, dans le sens d'ignorants, de
brutes.
ASPERSER, asperger.
ASPERSOLR, instrument pour asperger.
AspnAR.\GE, gosier, du grec jsâpayo;.
ASPRE AUX POTZ, à propos; jeu de mots.
ASPRETTE, diminutif de âpre.
Ass.\BLK, pour ensablé.
AssAPHis, gens obscurs,du grecaaaçrlç.
ASSASSINATEUR, ASSASSESIEUR, aSSaSSiu.
AssASSLNEMENS, assassïnats.
Ass.w, essai.
AssÉOYT (se), s'asseyait.
ASSERÉE, allirniL-e.
AsSERER (LE cœitr), affermir.
AssERTix^EMEXT, allirmativeineiit, po-
sitivement.
AssiER, acier.
AssiMENTY, ASSIMENXÉ, fermé, bouché,
cimenté.
Assopiz, assoupis.
ASSORTEMEXS, assortiments.
ASSOT ■ , assoti, affolé.
ASSO\^', assouvi.
ASSt'ERE, Assuérus.
ji.STAROTS, ASTAROTZ, nom d'imc divi-
nité payenne, d'un démon, Astaroth.
ASTERIOMS, sorte d'araignées.
AsTEROPES, famille de Cyclopes.
AsTiPULATELTi, cclui qui sert d'appui, de
caution, de repondant.
ASTIPULATION, action d'appuyer, de
soutenir, de cautionner quelqu'un,
adstipulatio.
ASTOMÉ, sans bouche, du grec y. privatif
et atdaa, bouche.
ASTRAGALOMANTIE, divinatioH par le jeu
des osselets ou astragales.
ASTRIPOTENT, Dieu, le maître des astres.
AsTROPiiiLE, nom propre signifiant ami
des astres.
ASTURCIERS, fauconniers, ceux qui ont
soin des autours.
Ataves, aïeux.
Até, déesse malfaisante, vengeresse.
Atilwl\s, nom propre. Voyez Pline. His-
toire naturelle, livre XXXIV, chapi-
tre XL.
Atheneus, Athénée, l'auteur du livre
des Dcipnosophistes.
Athlantique (mer).
Atlanticques (les). Les habitants de
l'Atlas, "ATXavT:;.
Atojies : « Les atomes d'Épicure. »
Atouré, .\TOtTRNÉ. paré.
ATRES,fo3'er, intérieur des maisons, atria.
Atrophes, gens atrophiés, étiques.
Atropos, ime des trois Parques.
T. II.
Attediation (de la mer), ennui qu'on
éprouve sur mer.
Attelabes, espèce de reptiles.
Attempter, tenter, entreprendre.
Attentemext, attentivement.
Attractifz, attrayants, qui attirent.
Atxrejipé, tempéré, modéré.
Aube des mouches (l'), midi, c'est-à-
dire l'heure où les mouches sont le plus
éveillées.
Aube du bast, le châssis, la carcasse de
bois blanc sur laquelle l'embourrement
est monté.
Aubelière, licou, muselière blanche.
Aubergeon, haubergeon, cotte de maille
qui descendait jusqu'aux genoux.
Aubers, haubergeons.
AuTBERT, terme d'argot signifiant argent :
« Plus d'aubert n'estoit en fouillouse. »
Aubes, robes blanches.
Au CUL PASSIONS, en jouant sur le mot
occupations.
Aucun, aucune, pour quelque, quel-
qu'un, certain.
AUDLA.NCE, audition, action d'entendre.
Aulcunement, en quelque façon.
AuLCUNES FOYS, quelquefois.
Al'uques, de cour.
AuLMOSNiER, faisant des aiunônes.
Aulne : « Au bout de l'aulne faut le
drap, » juste la mesure.
Aulne de paour (mesurer le péril à 1'),
mesurer le péril selon la peur que l'on a
eue.
AuLTELissiERS, Ouvriers faisant des
tapisseries de haute lisse. ;
AuLTRE (l'), le diable.
AURANDE, plante odorante.
AiTRE, pays dans l'Armagnac (Hautes-
Pyrénées) : « Saint- Jlichel d'Aure ».
AURÉ, AURÉE, doré.
AuREiL, ALTREILLE, Oreille : « Aureilles
seront courtes et rares en Gascogne. »
Les Gascons passaient pour de mau-
vaises têtes et étaient stijets à perdre
les oreilles par accident ou pour une
autre cause.
Aureilles de judas, sorte de salade
que Rabelais définit chapitre LX du
Hvre IV.
AxjRÉLi.\N, Aurélien (Lucius Domitlus),
empereur romain.
AuRELLAJsis, pour Orléans.
AuRES, oreilles.
Auriade, petite oreiUe.
AuRiFLUE, qui coule ou fait couler de
l'or.
AuRiNiE, prophétesse germaine citée
pp.r Tacite.
.Î.UKIPEAUX. maladie des oreilles.
Aurora, Aiuore, déesse mythologique,
AusER, oser.
27
4i8
GLOSSAIRE ET NOTES
AusoNE, poète latiu de Bordeaux (an.
309-394).
AusTER, le vent d'est.
AUSTERE, sévère, méchant.
AcsTRicnE, Autriche.
AUT.\RDES, outardes.
AuxBOURG, Augsboiu-g.
AuzER, oser.
AvALADES, abaissées.
Av.ALER, AVALLER, cc mot signifie abat-
tre, baisser, descendre : de aval. Aval-
Icr le nez, avaler la teste, c'est abattre
le uez, la tête. A bride avallée, c'est-à-
dire à bride abattue. Se avaller, c'est
descendre. Il avait aussi le sens de
faire descendre par le gosier, d'où le
jeu de mots : « Si je montois aussi bien
comme j'avalle. »
Av.U-lSQUE S.\T.AXAS, imprécation en-
core usitée; elle répond au va Je rétro
des latins. S'avalir, en provençal,
s'abali, en castrais, signifient dispa-
raître, s'évanouit. Avalisque Satanas
veut donc dire : Disparais, Satan.
AV.iLLEURS DE FRIMARS OU FRIMAS, CeUX
qui se lèvent de grand matin, qui ab-
sorbent le brouillard, les gens du Pa-
lais.
Av.\LLUER, retrandier : a Ce que abon-
doit avalluant. d
Av.ALLVER, mettre eu valeur.
Av.\N-GER, avancer, atteindre, suffire :
« Xous n'avangerons que trop ».
Av.\ntl"riers, soldats d'aventure.
A.VE iLYRis STELLA, antienne à la Vierge.
A\"EIGLE. aveuglé.
Ax-EXTiTRER (s') : « Qui ne se adventure
n'a clieval ny m^ule, ce dist Salomon. —
Qui trop se adventure perd clieval et
mule, respondit Jlarcon. » Il y a une
série de dictons dans lesquels Jlarcon,
ou Marcoul, donne ainsi la réplique à
Salomon. — Voyez le Dit de Marcoul et
de Salomon, publié par Barbazan.
A%'ExzouAR, savant arabe, auteur de
li\Tes de médecine.
A\'ERi..VN-, A\'ERL.VN"T, OU 3. fait Venir ce
nom de l'allemand haverliiig, rouliets,
maquignons de Hoever (dans le Lim-
bourg). H a le sens de ribauds, pail-
lards, gars, compagnons.
AvERN-E, Tartare, enfer des anciens.
AvERRois, Averroès.
AvES, aïeux : « Aves et Ataves », aïeux et
bisaïeux.
.A.\T[T.\iLLÉ, poun-u de vivres.
AviTAiLLEMENT, raWtaillement, appro-
■l'isionuenient.
AvoiXE, adveniat; ilotes qu'avoine se
prononçait aveine.
A\-ois, pour après avoir : i Pantagruel,
avoir conquesté le pays de Dipsodie,
transporta en iceluy une colonie de
Utopieus. » C'est-à-dire après avoir.
Cette construction est très fréquente
dans Rabelais.
Avoir, pour être : » H y eut bu et galle. »
Patelin dit au Drapier :
// y aura beu et guallc
Chez riioy, ains que vous en aliez.
1,'auteiu- de Lancelot du Lac, volu-
me III, au feuillet 46 verso, édition de
1520, a dit : « Au matin, quand le jour
apparut, coururent aux nefz les povres
et les riches, entrèrent dedans, et tous
ceux qui en GaiJe dévoient passer. Si y
eut assez ploiiré et cryé. »
On lit aussi dans Froissart, volume I,
chapitre cxcn" : Là eut tire et escarmou-
che.
Je ne sache pas qu'il soit resté dans
notre langue aucun vestige de cette façon
de parler, qui, comme on voit, a eu cours
en France pendant plus de trois cents
ans. (I,e Duchat.)
AvoiSTRE. adultérin.
AvoLER, ^"oler vers.
AxrN-05iAXTiE, divination par le moyen
d'ime hache ou d'une cognée.
Axrrs, fontaine en Mygdonie.
AxrNGE, saindoux, graisse, substance des
corps adipeux.
AY5LVXT, aimant, minéral.
Aymer, aimer : « Qui me ayme si me
suive. T>
AzARS, hasards.
AzEjnxE, persan; ouvrage d'azemine,
ouvtage persan.
AzES GrAYES, zagaies, demi-piques, ja-
velines.
AzT."R, bleu, dans la langue du blason.
B
BiVAiLLER, bailler.
Eabin, personnage inconnu; peut-être
' un cordonnier en renom de ce temps-là.
Babines, lèvres.
B.\BOiNis (de), des babouins (singes).
Babou. — Qu'est-ce que faire la baboul
GLOSSAIRE EX NOTES
419
Il C'est, dit I,e Pudiat, s'appuyer le
ponce contre la joue, puis, avec le reste
de la main étendue, contrefaire un
oiseau qui bat des ailes, n Suivant nous
(et nous pourrions invoquer de graves
autorites parmi les nourrices et les
bonnes d'enfants), c'est faire clat|uer.
à l'aide d'un doigt, la lèvre inférieure
contre la supérieure. Cotgrave traduit
ce mot par to makc a mow, faire la
moue. (Burgaud des Jlaretz).
Babou, jeu inconnu; l'un des jeux de
Gargantua.
Babouyneries, dérivé du mot précé-
dent : enfantillages, singeries.
Bac, cuve.
Bacabery, personnage cité par Rabelais.
Bacalarius, bachelier.
Bacbuc, mot he'oreu qui signifie bou-
teille.
Baccaxe, Baccano, lac au nord-ouest de
Rome.
B.\ccE,s, baies, grains, graines.
Bacchanales, fêtes de Bacchus.
B.\ccHiDES, bacchantes.
Bacchus, Baccus. I,c chapitre xxxix du
\^ livre est imité du Bacchus de I,u-
cien,
Bachelette, jeune fille.
B.4.CTRIANS (les), les habitants de la
Bactriane (Asie ancienne).
Bacule, jeu qui consistait vraisembla-
blement à se saisir d'un des joueurs
et à lui faire donner du demère en
terre.
Badaud, b,\daude, niais, niaise : « Im-
positions badaudes, » allégations
niaises.
Badebec, femme de Gargantua. Ce
nom, cmprimté au patois sainton-
geais, veut dire, qui ouvre une large
bouche; et aussi, qui caquette niaise-
ment.
Badel-iire, sorte de glaive, large et
recourbé.
Badelorié, tiré probablement du mot
précédent : recourbé en forme de ba-
delaire ou de cimeterre.
B.vdigoinces, b.\digouinces, lèvres.
Badin, le personnoge du Badin était un
pcrsoîuiage traditionnel des Soties, le
Jocrisse, le Bobèche de ce temps.
Badinatorium, badinage.
Baffouer, culbuter.
Bagatis, alias bagatins, interprété :
rameurs, bateliers.
Bague, baie, grain, comme bacce.
Bagiie, femme, dans le langage erotique.
Baguen.^udes, futilités, bagatelles.
Bagues, anneaux, dans le sens moderne.
Bagues, bagages, hardes.
Baignolet, Bagnolet, village près Paris :
« L,e l'ranc archer de Baignolet ». mili-
cien poltron mis en scène dans une
pièce en forme de monologue attri-
buée à F. Villon.
B.AIL, action de donner, de transmettre.
Baii,, baile, couleur bai.
Bailbrun, bai-brun.
Bailler, donner : « Bailler la saccade, »
démonter son cavalier.
Bailler le moyne, proverbialement
porter malheur : « Bailler le moine v»^
le cou, » pendre.
Baillif, bailli.
Baillivernes, ballivernes, baliver-
nes : « Bailleur de baillivernes », con-
teur de bourdes.
Baillys, donnai.
Baise jion cul, nom donné par Gj-m-
naste à son épée, parodie des noms que
portent les épées des chevaliers célè-
bres dans les \ieux romans.
B.USLEJIEXS, bâillements.
Baisler, bâiller.
Baisler aux mouches, bayer aux mou-
ches, muser, ne rien faire.
B.iissiERE, le bas, le fond d'un to-
neau, ce qui est sur la lie.
Baladins, balladins, danseurs.
Balais, ealays, rubis balais.
B.4.L.\isE, gland, du grec paXavoç.
Balata (latin de cuisine), baillée, don-
née.
Bald, Balde, Baldus, célèbre juris-
consulte italien du xiv^' siècle.
Baldachin. baldaquin.
Baléare (mer), où sont les iles de ce
nom.
Baliste, machine à lancer des pierres.
Ball.ay, jeu incoimu.
Balle, mesure de quantité, d'où ballot.
On dit encore porte-balle.
Baller, danser.
Balleruc, Balanic. eaux thermales de
France (canton de Frontignan).
Ballotant, allant au suffrage, d'où le
mot ballottage, encore usité.
Ballotte, petite balle.
B.ANCQUE roupie, banqueroute. Dans
les banques (voyez ce mot), on brisait
le banc du marchand Insolvable.
Bancqueter, faire un banquet. Il s'em-
ploie aussi dans le sens de régaler : «Je
ne plains poinct ce que m'a cousté à
les bancqueter ».
Bandes, compagnies de soldats.
Bandouilliers, qui forment des bandes ,
qui marchent par bandes.
Banerol, portant bannière.
Banier, banal.
Banque de pardons, forum indulgen-
tiarum, comme on disait alors, l'en-
420
dtOSSAlRE ET NOTES
droit où, dans les églises, on achetait,
avec quelque argent et quelques dévo-
tions, les indulgences.
Banques, les banques en Italie étaient
les lieux où se réunissaient les notables
commer(;aJits.
Bar.\gouix, barragouix, jargon incom-
préhensible; semble signilier aussi les
gens qui emploient ce jargon.
BaR-VGOL'ixage, embrouillamini.
B.\RALiPTON' (en), une des espèces du
syllogisme; un vers cla-ssique servait
à désigner les diverses formes de cet
argument : • Barbara, celarent, Darii,
ferio baralipton ».
Baratter, battre comme on bat le
beurre dans une baratte.
B.arbacaxes, meurtrières, fentes pra-
tiquées dans les murs par où l'on fait
feu contre l'ennemi.
B.\rbarie, c'était le nom qu'on donnait
à la côte d'Afrique sur la Méditerranée.
B.\rb.vrus (Hermolaùs), Ermolao Bar-
baro. Il y a deiix savants italiens de ce
nom au xv* siècle.
B.\re.\tl\ ou B.\rbatlvs, jurisconsulte
sicilien du xv^ siècle.
Barbe (en), en. face de nous, devant
nous.
B.\rbe D■ESCRE^^SSE (déchiqueter la
peau en), en faire de fines lanières.
Barbe de Juppiter, plante.
B.VRBE d'oribus, l'uu des amusements
de Gargantua; on ignore en quoi il
consistait.
B.\rberotz, petits barbiers, chirurgiens.
Barberousse, Khaîr Eddyn, dit Barbe-
roiosse, corsaire et amiral ottoman,
contemporain de P^abelais. — - Bar-
berousse (l'empereur Frédéric I'',
• surnommé).
B.arbet : « Pour Vénus advieigne Bar-
bet le chien ». Dans l'andeu jeu des
taies ou osselets, le côté du dé le plus
favorable représentait Vénus, et le plus
mauvais un chien. — l,es Espagnols
ont nonuné encuer.tro la meilleure
chance, et azor la phis mauvaise.
« Puesto que de tal manera podia acor-
rer el dado, que eclialemos azor en
lugar de encuentro. » (Cervantes,
D. Qiiij.)
Barbiers, les chinirgiens étaient alors
confondus avec les barbiers.
B.VRBoiRE, en latin barbaioria, mas-
carade où l'on portait de fausses bar-
bes. Grégoire de Tours parle d'une
abbesse du Poitou qui fut accusée
« quod borbatorias intus monasterio
celebraverit ».
B.utBOTixE, absinthe de mer, dit un
commentateur.
Barbouillemens, barbouilleries, bar-
bouillages.
Barbute, capuclion rabattu, percé de
deux trous à la place des yeux.
Basdable, susceptible d'être bardé.
Bardane, plante.
Barde, armure défensive.
B.ardé, couvert d'vme barde.
B.\RDOcucuLi.É. Le bardoduCTiUe était
ime cape ou manteau garni d'un co-
queluchon à l'usage des Gaulois. Ce
mot se trouve dans Martial.
Barguigner, faire des cérémonies inu-
tiles, tourner autour des choses sans
prendre de décision, mardiander sans
aboutir à rien.
Barigxd.', jeu de trictrac.
Barizel, de l'italien barigello, chef des
sbires.
Barraige, droit qui se prélevait sur les
denrées pour l'entretien des ponts et
chaussées.
B.VRRAXCO (Joaninus de), auteur imagi-
naire d'un livre de CopiositaU rcvcn-
iianim.
Barravlt, mesure de liquides contenant
ordinairement \Tngt-sept pintes. (I,an-
guedoc).
Barre, longue pièce de bois.
Barrer, fermer avec un barreau, avec
une barre de bois.
BARREi.4DE,coup de barrette, salut de
bonnet.
Barrter, crier, pour désigner le cri pro-
pre aux éléphants.
B.^RRTNE (coiîille) d'éléphant.
B.ART.ACHTM, Jean de Bartachino, juris-
consulte italien, auteur d'un Reper-
torium juris.
Bartole, Bartolus, célèbre juriscon-
sulte.
Barytoner, émettre des sons graves.
Bas.vuchiexs, basochieus, gens de la
basoche.
Basch.\t, pacha.
Baschê, village du Chinonnais. Les noces
de Basché rappellent une vieille cou-
tume. Dans la symboUque de l'an-
cien droit, des soufflets donnés aux
enfants étaient un moyen de graver
dans leur mémoire le souvenir des
con\entions auxquelles ils assistaient.
Il en était de même pour le contrat de
mariage, à l'occasion duquel l'usage
était, dans certaines provinces, de se
donner • de petits coups de poing, en
souvenir des noces n. Dans le Printemps
d' Y ver, à propos des noces de Claribel,
célébrées à Poitiers, il est dit : « Notre
patient fut tout estonné qu'on lui
demanda la li\Tée; tellement qu'après
les coups de poing de fiançailles, à la
GLOSSAIRE ET NOTES
421
mode du pays, Claribel changea le
deuil de sou père pour les joies d'un
nouveau mariage ».
Bas cuecr, bas chœur, le groupe des
chanteurs vulgaires.
Bas-cul, croupière.
Basilic, baselic, sorte de canon, —
sorte de reptile.
B.^iSlQUE, adjectif de base, synonyme
de fondamental.
Basle, baUe.
Basle, Bâle, ville.
Basme, baume : « Ce sera basme de me
voir brider u.
Basque (le), laquaist de Grandgousier.
Bassarides, bacchantes, de Bassareus,
nom de Bacchus.
Basse dance, danse posée des gens bien
appris.
B.^STE, exclamation : Assez, il suffit.
Bastelelt*, bateleur.
Baster (un tontieau), remuer, trimbal-
ler.
Basteurs, batteurs.
Bastille, fort, château, refuge.
B.\STissEUKS, gens qui bâtissent.
Bastox, arme : « Essayoit de tous bas-
tons b; — court-baston : jeu. (Voir ce
mot.)
Baston (de croix), hampe sur laquelle la
croix est adaptée.
B.\STON (de mariage), eroticè, s'entend
aisément.
B.\STON A UN bout, comme baston de
mariage.
Bastonnier, bâtonnier : « De la confré-
rie des fouaciers. »
Basions (à), à doubles bastons, en par-
lant des fêtes, c'est-à-dire où les croix
et bannières sont déployées.
Bastons roiipitz (à), à coups de bâton.
Bat.^il, battant (de cloche).
Baïisfol.\giis (de), des batifolages.
B.\TTERIE, action de battre.
B.\TTERIE, groupe de pièces (artillerie).
Baudement, joyeusement.
Baudiciion (l'ami), nom comique en-
core employé.
Baudouhver, même sens. Ces mots s'ap-
pliquent par extension à l'espèce hu-
maine.
B.^iTEouYNAGE, action de saillir, chez
les baudets.
Baudrier, ceinturon.
Bauditfe, s'est dit dans le sens de bau-
druche. l,a baudruche est ime pelli-
cule de boyau de bœuf qui sert princi-
palement aux batteurs d'or pour
réduire l'or en feuilles. (Dict. Ac.)
Baut^frer, manger gloutonnement.
Bauffrltœ, action de bauffrer.
Baugears, terme injurieux, cjui est dé-
rivé sans doute de la bauge du sanglie
et du porc.
Baulex'res, b.\ulieviœs, lèvres, mâ-
choires.
Baurach, bourach, borax.
BAUTtACiNELtx, qui contient des particu-
les de borax.
B.WERETTE, bavette.
B.WEUX, qui bave, et, par extension,
qui est loquace et prolixe.
Bavière, partie de l'armet au-dessous
de la bouche.
Eavières, la Bavière; Bavardia.
Baye (gueule) . la bouche ouverte, béante.
B.\s CULZ (mettre à), s'asseoir.
Bazacle (les moulins du), moulins
renommés de Toulouse.
Béat, de beatus.
Be.\ti quorum, ce sont les deux pre-
miers mots du psaume lxxviii,
deuxième psaume de la pénitence.
Be.\ulne, Beaune.
Beauvoys, Beauvais.
Becard, le grand harle, espèce de pal-
mipède.
Becguetant, chevrotant, bégayant,
selon l'interprétation la plus plausible.
Bêchée, becquée : « Ne prennent leur
becliée sinon qu'on leur tape la queue. »
Bechets, brochets.
Beda. auteur d'un traité de Compuio seu
indigitilatione et de loquela manuali
per gestum digitorum. Venise, 1525.
Beda (Noël), théologien, ennemi de la
Réfonne. Rabelais lui attribue un trai-
té de Optimale triparum.
Bedaines, gros ventres.
Bedaud, bedault, terme amical, qui
dérive peut-être de bedaine.
Bedon, comme le mot précédent.
Bedondaine, bedaine.
Bedouaut-T, blaireau.
Been, nom arabe des niyrobolans ou
glandes aromatiques.
BEGUIN, coiffure de tête.
Bejaune, bec-jaune, blanc-bec, ap-
prenti, niais.
Bel, Belus, Baal.
Belijia, forteresse imaginaire.
Bêles', bélier.
Belinaige, coït des béliers; s'applique
par extension à l'espèce humaine.
Beliné, tondu, dépouillé, attrapé.
Beliné, un des jeux de cartes auxquels
jouait Gargantua.
Beliner, arietare, s'accoupler.
BELEsriER, bélier, homme qui beliné.
Belinière, de bélier.
Belistrandie, bêtise, belîtrerie, ba-
lourderie.
Belistrandeers, belistrandeis, aug-
mentatif de bdistre, bélître.
422
GLOSSAIRE ET NOTES
Bblistre, gi'eux.
Belle (guerre dicte), jeu de mots sur
bellutn.
Bellicque, de guene.
Belliers, béliers d'un pressoir, les deux
arbres qui en forment le fût.
Belusteau, nom d'un jeu d'enfants.
Bei.utaige, Vatto vctiereo.
Beluteau, blutoir, crible.
Belute.ment, action de bluter, et, par
extension : examen, discussion.
Beluter, bluter la farine, le temps, sa
femme.
Bender une arbalète, le gouvernail, son
esprit.
Bender (se), s'insurger : « .Se bender
contre son père. »
Bentifice, action, attribution bienfai-
sante.
Benevolence, bienveillance.
Bexistre, bénir.
Benoist, bexoiste, béni.
Bexoistier, bénitier.
Bercan (Jacquet), musicien contem-
porain de Rabelais.
Bergamasque, Bergamesque, de Ber-
game « Boucler à la Bergamasque »,
mettre une ceinture de chasteté.
Bergei^ottes, bergerettes, diminutif de
bergères.
Berilles, berylles, pierres précieuses.
Berl.and, brelau, jeu.
Berle, salade.
Bernard I<ardon, moine d'Amiens,
d'après Rabelais.
Berne (à la moresque), mantelet à capu-
chon, préser\'ant le visage du hàle.
Berose, historien chaldéen du rV^ siècle
avant J.-C.
Bers, berceau.
Besch, vent du sud-ouest.
Besoigner, travailler; est employé éro-
tiquement.
Besoignes, affaires, biens.
Besoing (faire), faire défaut, manquer.
Bess.vin, bassin.
Bess.arion (Jean), savant grec du sv»
siècle.
Bessé, village du Chiuonnais.
Be.sser (boys), baisser les lances, les
piques.
Bessons, doublets, jumeaux.
BeSTE a deux DOS (FAIRE LA), /«r V OltO
venereo.
Beste morte, Gargantua jouait à la
beste morte; cela consiste à porter
un enfant sur son dos la tête eu bas,
comme une « bête morte. »
Besterie, bêtise.
Bestes : a Si n'estoient messieurs les
bestes, nous vivrions comme clercs. »
Rabelais change la place des mots : si
n'étaient messieurs les clercs, nous vi-
vrions comme bêtes.
Bestiaires, belluaires, combattant les
animaux féroces.
Betelis, Teflis, ville d'Asie.
Bette, bour buvette, action de boire :
« Je ne peuz entrer en bette », je ne
peux me mettre en train de boire; —
plante de la famille des arroches.
Betl'ne, Bithynie, contrée de l'Asie
Mineure.
Beuffle, bufile.
Beuignet, beignet.
Beurre : « La grosse tour de beurre qui
estoit à Bourges. » On nommait ainsi,
dit-on, des tours construites avec l'ar-
gent provenant des permissions de
manger du beurre pendant le ca-
rême.
Beurs, Burs, moines vêtus de bure.
Beusse, bourg et rivière du I<oudunois.
Beux'ereau, petit buveur.
Beuxtsrie, action de boire.
Beuvettes, buvettes.
Beveur, buveur.
Bez.^gue, hache à deux tranchants.
Bezan, monnaie d'or. Son nom venait
de Bs'zance, où elle avait été frappée
du temps des empereurs chrétiens.
Bezicles. lunettes; est pris quelquefois
pour yeux.
Biart, Béam : « Cappe de Biart », cape
béarnaise.
Bib.aroys, Vivarais. En donnant cette
forme au mot Vivarais. Rabelais a l'in-
tention de le rapprocher du mot bibere
et de le confondre avec le pays des
buveurs.
BlCANE, sorte de raisin dont on se ser-
vait pour faire du verjiis.
BicocQUE, village du Jlilanais où I^u-
trec avait été battu par les Impé-
riaux en 1522.
Bien sé.\nce (droit de), droit de faire à
sa convenance, à son plaisir.
BiERE (forest de), forêt de Bièvre.
Les uns croient qu'il s'agit de l'an-
cienne forêt, voisine de Paris, à laquelle
la rivière de Bièvre donnait son nom;
les autres, qu'il s'agit de la forêt de
Fontainebleau, qui s'appela aussi
forêt de Biè\Tc.
BiÈs, biais : <c De biès, » de travers.
Bièvre (forest de), comme la forêt de
Bière.
BiGEARRE, bigarré, bizarre.
BiGORRE, pays entre les bassins de
l'Adour et de la Garonne.
BiGUA, palan; — au lieu de biga, cha-
riot à deux roues.
Bille, balle, bulle : « Danser comme bille
sur tabour », bondir comme balle sur
GLOSSAIRE ET NOTES
423
tambour. » Billes vezées », bulles plei-
nes de vent.
Bille, je>i de la bille : croquet.
Bille boucquet, bilboquet.
BlLLON->'Ei-RS, gens qui font un trafic de
monnaies défectueuses.
BiMBELOTER (uu tonueau), le tracasser.
BiP.\RTlENT, partagé en deux.
Blsc.\RiÉ, défait, en mauvais état.
BiscHARS, faons de biche.
BiscLE, bigle, louche.
BiscoTER, comme beluter, beliner ; jar
l'atto, disent les Italiens.
BiscriTES, biscuits.
Bisor.\RS, colporteurs, porte-balles du
Dauphiné.
BissEXTE, jour que l'on ajoute à l'année
tous les quatre ans.
BisTORiER, inciser, taillader, déchique-
ter.
BiTARS, outardes.
BiTOXS, petites charpentes qui servent à
arrêter les cables et gros cordages dans
les fortes manœuvres.
BiTOUS, comme Bitons.
Blanc, moimaie; le grand blanc valait
six deniers le petit blanc cinq.
Blanc signifie aussi le point central où
visent les tireurs : « Armés à blanc »,
c'est-à-dire armés d'armures polies,
reluisantes, i Celui qui n'a point de
blanc dans l'œil », c'est le diable.
« Blanc signifiera joye. Et n'est
signifiance par imposition humaine
instituée, mais receue par consente-
ment de tout le monde... » Cela n'est
pas exact; mais Rabelais ne pouvait
savoir qu'en Chine le blanc est signe
de deuil.
Blaxche, jeu; vraisemblablement, sorte
de jeu de cartes.
Blaxchée, la valeur d'un blanc.
BLANcnET, petite étoffe de laine blanche.
BL.'iJNCHETTE, Lcucece, Paris, « ainsi
nommée pour la blancheur des cuisses
des dames dudict lieu ».
Bl.vsTJLTœau, pommes ainsi nommées à
cause, dit-on, de leur blancheur et de
leur dureté.
Blason, le 'olason d'une cliose est l'en-
semble des traits qui caractérisent le
mieux cette chose en bien ou en mal.
I^ Blason des couleurs est un petit
livre publié vers 1530, où l'on donne le
sens et la signification des diverses
couleius.
Blasonner, caractériser une personne,
uiue chose, en bien ou en mal.
Blasphème, pour blasphématoire.
Bl.\ttes, vermine qui ronge les étoffes
et les livres; — s'est dit pour belettes.
Blaye, sur la Gironde.
Bled, blé.
Blejlmies, êtres fantastiques, sans tête,
ayant les yeux et la bouche sur la
poitrine.
Blocquer, choquer, tarabuster.
BOBELiNER, saveter; de bobelinandis, etc.
Bobelins, chaussures grossières et fer-
rées que les savetiers avaient le droit
de confectionner, d'où ils étaient appe-
lés bobelineurs.
BocACE , BoccACio , l'auteur du Déca •
méron.
BOESMES, bohémiens.
BOETTE, boîte.
Bœl"f viALÉ, ou bœuf vielle, c'est-à-dire
promené avec musique de viale ou de
vielle; l'un des jeux de Gargantua.
BoHf, nom d'une île imaginaire.
Boxes, sorte de reptiles.
BoiLLiR, bouUlir.
BOLEVARD, BOLT-LEVAR, boulevard.
BOLIDES, le plomb de la sonde.
BOLivoRAX, nom d'un géant.
BOLOGNE, BouLGlGN'E (en Italie).
BoLOiGNE, Boulogne, près de Paris.
BOMB.\RDE, pièce d'artiUerie.
Bon jo.\n, capitaine des Franctpoins.
BONA, BONE, ville d'Afrique.
BONACHE, bonace, calme en mer.
BoNADiES, nom propre formé de bona
dies, bon jour.
BoNASES (de Pœonie), animaux sau-
vages, Pline (li\Te VIII, chapitre xv)
dit que la fiente de cet animal est si
mordicante qu'elle brûle ceux contre
lesquels il la lance quand il est poiur-
suivi.
Bona Speranza (cap de), cap de Bonne-
Espérance.
BONDE, pièce de bois qui, baissée ou
haussée, sert à retenir ou à lâcher l'eau
d'un étang.
Bondes (de Herclt-es), colonnes d'Her-
cule.
Bon di, bonjour, buon di en italien.
Bor-TDON, morceau de bois rond qui sert
à boucher la bonde d'un tonneau; se
dit aussi de la bonde, de l'ouverture
eUe-même; a parfois un sens erotique.
BoNDRÉE, sorte de buse; « au nid de la
boudrée », jeu. sur lequel on n'a pas
de renseignements.
Bonedée, bona dea, bonne déesse.
Bonne Meste, personnifiée par Rabelais.
Bonnettes. Les bonnettes sont de peti-
tes voiles qu'on ajoute aux grandes.
La bonnette traîneresse est celle qu'on
attache au papafil du grand mât.
BONOSUS, empereiu: de Rome qui se
pendit.
Bons, bonds.
Bons hommes. I,es Jlimmes fondés par
424
GLOSSAIRE ET NOTES
saiut François de Paule étaient appelés
conimuncment les Bons boniines.
BoRDELiER, liabitué des maisons de pros-
titution.
Bordes, maisonnettes des champs.
BORDIEXJX, même sens que bordes.
BORÉAS, Borée.
BoRSOCFLÉ, boursounlé.
Boss.\Ri), île allégorique des bossus.
Bossu AULiCAX, jeu inconnu.
Bot, exclamation.
BOTAXOMANTIE, di%Tnation par le moyen
des plantes.
Butasses, bottes, chaussures.
Bote, botte, vaisseau, mesure des li-
quides.
BoiELEL-R, botteleur, qui fait ou qui
ramasse des bottes (de foin).
BoTi>rEURS, gens portant bottines,
moines.
Bottike, chaussure.
BoucvL, bocal.
Bouchard (Isle), ile de la Vieime, près
de Chinon.
BoucHET (Jean). — Voyez la Vie de
Rabelais.
Boucler, fermer : « Boucler une femme •
lui ceindre une ceinture de chasteté
qui se ferme à cadenas.
Boucler, bouclier.
BoucLUS, tranchées d'investissement.
De là vient sans doute le mot blocus.
BoucoN, poison.
BoucQUE, boucle, nombril; a aussi le
sens de bouche, embouchure.
BoucQUER, baiser par force, dit le dic-
tionnaire de l'Académie.
BoucQUix, bouc ou homme lascif comme
un bouc. Boucquin, boucquine, pris
adjecti%-ement, c'est-à-dire de bouc.
BouDAREa (ep'.scopi), nom burlesque.
B0LTDix.'a.LE (fressure), le boudin. Boii-
ditws, en latin de cuisine.
BoufFjUGE, ce qui se mange; de bouSer:
manger.
Bouffiz, farcis.
BOUGER, remuer, partir de.
Bougette, pochette, bourse.
Bougres, dans le sens actuel : « Brûler
comme bougres. »
Bougrin, diminutif de bougre, hérétique.
BouGRixo, le même mot avec la termi-
naison italieime.
BouGRiSQUE (barbe), bougresque, de
bougre, ou de Bulgare, en revenant à
l'étymologie du mot.
BouGUTER (Guy), un des compagnons
de Rabelais à Montpellier.
BouLAXGEERS, boulaugCTS; t ne valent
guères mieux que les meusniers. »
Bouleau, jeu inconnu.
BotJijNï:, cordage usé au milieu de cjia-
que côté d'une voile, et qui sert à la
tirer en avant, p.Dur prendre le vent,
lorsqu'il est oblique ou contraire.
Boulixgues, petites voiles du haut du
màt.
Boulle plate, sorte de jeu de quilles;
— courte boulle, jeu de boules
dans un terrain délimité.
BouRBOxxEXSY, Bourbonne - les - Bains
(Haute-Marne).
BouRBOxsoYS, province de France.
BOURDEAULX, Bordeaux.
BoxntDELOVs, le Bordelais.
Bourdes (les), village du Chinonnais.
BouRE, Bura, ville d'Achaie.
Bourgeoys (frère Jan), prédicateur du
temps de Rabelais.
Bourget, bourg près de Paris.
Bourguï:l"xl, petite ville du Chinonnais
où il y avait ime abbaye de bénédic-
tins.
Bourlet, bonnet doctoral.
Bourn'ée, bornée, limitée.
BouRNE, borne.
BouRRAEAQUiN, flacou de cuir, flûte ou
grand verre allongé.
BouRRABAQur^^ÈRE, adjectif formé du
mot précédent. Xa nef bourrabaqui-
nière est celle qui a un bourrabaquin
pour enseigne.
Bourrache, outre, de l'espagnol borra-
cha.
BouRRACHOUS, ivrogne qui aime à vider
bouteille (même origine que bourra-
che).
Bourré (François), domestique du sei-
gneur de Langeais.
Bourreau, bourreau et bureau, Rabe-
lais joue sur ces deux mots.
Bourrée; jeu qui consiste à sauter par-
dessus un obstacle, parfois sxu: \m
fagot enflammé.
Bourry, bourry, zou, Gargantua
jouait au « bourry, bourry, zou », jeu
inconnu.
BouRS.\v^TZ, mot composé qui s'entend
bien.
Bol-rseller, payer de sa bourse.
Bourt, bord, rivage.
BousQUiN-E, jeu inconnu.
Boussin", morceau.
Boutargues, cervelas composé d'ceuls
de muge ou d'esturgeon confits à
l'huile.
Eouta\'ext, eoutevext, soufflet.
Boutehors. sorte de jeu de balle.
Bouteilliql'e, adjectif du mot bouteille.
Bouteillox, de bottielione (Dictionn.
d'Oudin), grand buveur, sac à vin. Les
Italiens appUquaient cette injure aux
troupes françaises qui occupaient leur
pays : t Quid restât mihj? ut eypressis
GLOSSAIRE ET NOTES
425
butiliouibus, reguet Cœsar iuvictis-
simus. » (Pasquin, tome II, page 317
des Pasqiiilloritm Tonii duo).
Bouter, mettre, poser, pousser.
Bouton : « A restiiiiation d'mi bouton, »
valant un bouton.
Boutonné, couvert de boutons.
BoUTTE FOYRE, jeu indéterminé; — l'un
des jeux de Gargantia.
BOUYS, buis.
BouziNE, cornemuse.
BoviER, bouvier.
Bovins, Bovines, de bœuf.
BoYE, bourreau.
BOYERS, bouN-iers.
}!oYRE, quantité et mesure de liquide.
Boys (de moulle), bois à la mesure.
BoYSSON'NÉ (Jean de), professeur à
l'Université de Toulouse, pms conseil-
ler à Chambéry. — Voyez la Fie de
Rabelais.
Boyte, boisson.
Boyteux (le). On dit que paj ce mot
Rabelais désigne Charles-Quint.
Brabant, pro\ànce des Pays-Bas.
Brachm.\nes, prêtres indiens.
Bracque, carrefour de Bracque; depuis,
place de l'Estrapade.
Bracquemart, br.\quemart, courte
cpée. Est pris souvent dans un sens
erotique.
Bragard, braguart, beau-fils, mignon,
pimpant.
Brag>lar, même sens que bracquemart.
Brag>l\rd. braquemarder, jouer du
bragmard, eroticè.
Br.\gue, cordage court qui sert au grée-
ment d'un vaisseau.
Eragues, chausses, braies, braguette :
« Bragues avalades n, chausses baissées.
Braguette, appendice du haut-de-
cliausses servant à contenir les par-
ties de l'homme. Quelquefois Rabe-
lais prend le contenant pour le con-
tenu.
Braguibcs et braguetis (in), dans les
braies et les braguettes.
Brain, brin, petite quantité.
Braisler, désigne le cri de l'àne, braire.
BR.A.MER, brasmer, crier, désigne parti-
culièrement le cri du cerf; signifie aussi
aspirer, désirer vivement. Janotus de
Bragmardo applique ce mot à une
vache sans cymbales (sans clochettes).
Br.«iont (en Lorraine).
Bran, son et excrément; ce qui prête au
jeu de mots « Pet de botilanger, car
le bran vient après »; s'emploie en
forme d'interjection.
Branc, brand, lourde épée à un seul
tranchant.
Prançhides, famille d'origine nylé-
sienue vouée au culte d'Apollon à
Dydime.
Brancioer, qui se tient sur les bran-
ches.
Brancquars, vergues.
Brandelle, sorte de balançoire.
Brandes, arbustes secs, bruyères dessé-
chées. On dit proverbialement : « Com-
me le feu parmi les brandes. »
Brandie, vif, entier, debout.
Br.\ssal, brassard.
Brassée, embrassade.
Brassier, fronde.
Braveté, fierté, braverie, élégance.
Br.\ye, haut-de-cliausses.
Brayer, broyer.
Brayer (Jamet), pilote principal de
Pantagruel. C'est le nom d'un pilote
renommé à cette époque.
Braves, ouvertures, passages : c Faulses
brayes, » issues qui doivent être bou-
chées, dans une place forte, qiiand
l'ennemi approche.
Brayes, poiu: vraies.
Braze, braise.
Breaulté, danse.
Bréchet, l'os fourchu de la poitrine.
Breg.matiques, Bregmatis (os), os du
sinciput ; eu grec IJoiyax.
Brehaigne, stérile.
Brehemond, breiie.mont, village du
Chinonnais.
Brelant, jeu; tenir le brelant, tenir le
jeu; est pris dans un sens erotique.
Brelinguandus, nom imaignaire.
Bken, comme Br.4N dans le sens d'ex-
crément. Est surtout usité comme
interjection : « Bren, bren. Bren poiu:
lui. »
Bren.\sserie, mot formé avec le mot
bren, ordure.
Brène (la), la Brenne, pays sur les limi-
tes de la Touraine et du Berry, entre
Châteauroux et le Blanc.
Bren-eux, brenous, merdeux.
BRESIL, désigne la Provence bresillce,
brûlée par les troupes de Charles-
Quint. Antoine de Ley\'e périt au
siège de Marseille. — Voyez la Vie de
Rabelais.
Brésil, bois de Brésil.
Bresser, bercer.
Bressine, manœuvre pour traverser
l'ancre d'un vaisseau.
Bressuire, ville du Bocage, en Vendée.
Bretaigne, Bretagne : « A la mode de
Bretaignc. »
Bretesque (a la), la bretonne : « Boire
à la bretesque. »
Breume, brume, le solstice d'hiver.
Breusse, grande tasse, verre à boire.
426
glossairtî: et notes
Brbvaige, breuvage.
Bréviaire, livre d'heures; flacon fait eu
fomie d'un de ces livres. « Matière de
brcviaire. » théologie élémentaire, ce
qui se trouve dans le bréviaire.
Bri.^re, Bri.^reus, Briarée, géant.
Briber, manger.
Bribes, miettes, morceaux.
Bricquer, travailler, bâtir, revêtir de
briques.
Bride : « A bride avallée », à bride abat-
tue.
Brie (Germain de). — Voyez au mot
Germain.
Brief, bref. « En briefs jours, » en peu
de jours. Brief (de), bientôt.
Briefveté, brièveté, laconisme.
Briexd Vallée, seigneur de Douliet
en Saintonge, conseiller au parlement
de Bordeaux et président à Poitiers.
Bripf.wlt, jeu inconnu.
Briffaulx, frères lais fondés eu bief du
pape et entretenus par des religieuses
non rentées, afin de quêter pour elles.
Brigcanderye, brigandage, pillage.
Briguandine, armure légère faite de
petites lames de fer réunies.
BkimE;\xlement, action de brim'oaller.
Brimb.^ller, sonnailler les cloches, agi-
ter, mettre en mouvement. Est piis
quelquefois dans un sens erotique.
Brlmb.axleur, celui qui brimballe.
Brimbelettes, suivant Jlorellet, reli-
ques que les vo\-ageurs allaient cher-
cher à Rome. Brimbelettes avait le
sens qu'a maintenant brimborions.
Brimborions, menus suffrages, prières
sans attention.
Brinde, vase à anses, propre à mettre
du vin.
Brindiere, adjectif formé du mot pré-
cédent.
Bringuen.\rilles, nom d'un géant.
Bris.^ns (quartiers), quartiers de lune,
disent les commentateurs.
Brisgoutter, far l'alto.
Brix, eriz, débris, naufrage.
Brizepaille d'auprès sainct Genou (ve-
nue de), débauchée; suivant Le Du-
chat, prostituée dont la paille du lit
a été brisée pfir les genoux. Villon,
dans son Grand Testament (xciv), par-
le de » fiUes demourantes à Sainct-
Genou, près Sainct-Jxilien-des-Vo-
\antes, ilarches de Bretaigne ou de
Poitou ».
Broc en bouc (de), de broc en bouche,
\-ivement. instantanément.
Brocadium (juris). Un brocard de droit,
brocardiiim juris, est ime sorte de
dicton juridique. Bridoye altère ce
mot, et en fait le nom d'im professeur.
Brocards, dictons juridiques, pointes,
railleries.
Broche; tire la broche : jeu inconnu.
Brocq, isroc.
Brodé, bordé.
Brodeqltns, bottes fauves.
Brodelti, trompeur (au sens figuré).
BRODioRUii usu (DE), de l'usage des
brouets, potages bouillis.
BRODt'RE, bordure.
Brontes, cydopes.
Bronze (la), bronze employé au fémi-
nin.
Brosse (la), en Saintonge.
Brou.\Ge, marais salins dans la Charente
Inférieure.
Brouet (le grand), la grande halle de Mi-
lan. — Vo3ez la Briefve Diclaralion.
Brocster, brouter, manger.
Bruines, bnmies, petites pluies.
Brumel, musicien contemporain de Ra-
belais.
Bruncher, broncher.
Brun-eau (Clous), Clos Bnmeau, dans
le quartier latin. Rabelais se sert de ce
mot pour désigner l'anus.
Bruscq, brusq, âpre, vert, en parlant
du raisin et du vin.
Brushant de Mommiere, géant.
Bruslefer, géant.
BRUSLE\^EILLE. localité du Chinontiais.
Brusqu-et, im peu brusque.
Brute, Brutus.
Bruv.age, breuvage.
Brl-yer, nom d'un géant — et aussi
d'un musicien contemporain de Ra-
belais.
Bruyre, faire du bruit, retentir.
Bruyt, renommée.
BtTBAiALLER, soufflcr, bâiller, hennir, et
érotiquement, être en arrêt.
BUDÉ (Guillaume), savant, contempo-
rain de Rabelais.
BUÉE, lessive.
Butfer, souffleter, frapper.
Buffonique, de bouffon.
Buissontcet, petit buisson.
Bulin-e, voir boulDv'é.
Bulle, scellé, authentique comme une
bulle.
BuouR. butor, sorte d'oiseau de proie.
Buprestes, insectes venimeirx.
Bus, gris, vêtu de bure.
Bureau, étoffe gris-bnm. Panurge joue
sur ce sens du mot et sur le sens qu'il
a conser\-é.
Burgotz, moines vêtus de bure.
BURON, cabane, petite maison.
BusCH, pa3's du Bordelais.
BUSCHETEI.-R, bûcheron.
BussAR, BussARS, BussART, mesure de
capacité, tonneau.
GLOSSAIRE ET NOTES
427
BusT, bûcher, lieu où les anciens brû-
laient les morts.
BusTARix, ventru, ivrogne.
BusTr.^IRES, des bûchers ou des corps
morts : « Larves, cendres bustitaires*!
BuzANçAY, ville sur l'Indre.
BvssiXES, de lin.
Bytures, oiseaux imaginaires.
Cabal, deniers ou marchandises qu'on
prenait d'autrui à charge d'un partage
dans les bénéfices.
Cabale, science secrète.
C.CBALiCQi"E, adjectif du mot précédent.
Cabalin, CvVB.\i.LrNE : « Fons cabaUns,
fontaine caballine », ions caballinus,
Hippocrène.
Cabalistes, caballistes, les auteurs
hébreux qui ont traité de la cabale :
t Cabalistes de Sainlouand ». Sain-
louand était un célèbre prieuré près de
Chinon. Rabelais donne par moquerie
le nom de cabalistes aux moines de ce
prieuré.
Cab.\i.le, science secrète.
Ça BAS, ici bas.
Caeasser, amasser, entasser dans un
cabas.
Cabat, cabas, panier.
Cabires (dieux), divinités anciennes pré-
sidant aux forces redoutables et mys-
térieuses de la nature.
Cabirot, petit clievreau.
Cabirot.^des, grillades de clievreaux.
Caboche, tête.
C^BOLTiNE, chapeau profond à l'usage
des frères Britïaulx; capuclion.
C.\BRE, clièvre.
Cabre morte, chèvre morte : » Porter
à la cabre morte », comme on porte
ime chèvre morte, sur les épaules.
Cabus, choux cabus, choux-pommes.
Caccl\diavolo, fameux pirate du xvi«
siècle.
Cace, CAcrs, géant.
Cachecoul, cache-cou, mouchoir, fichu.
CACiiE-LArD, CACHELET, petit masque de
velours semblable aux loups, que les
femmes portaient alors.
Cachiner, rire aux éclats; cachinnare.
Cacoethe, pernicieux, de nature mali-
gne.
Cacque, mesure de quantité : «■ DLx-huit
cacques et un minot (de sel) ».
Cacquerole, coquille de colimaçon; es-
cargot.
CACQtiEROLlERE, magasin aux cacque-
roles.
CACQtiEROTiER, enfonceur de caquœ de
harengs.
Cacql-es, forteresse de Carême-prenant.
Cacqcesangue, flux de sang, dysen-
terie.
C.4DE.'^c, musicien contemporain de Ra-
belais.
Cadouyx, chef-Ueu de canton de l'arron-
dissement de Bergerac. L'égUse de
Cadouin se vante de posséder un des
suaires du Christ.
C.iîLioN' (mont), colline de Rome.
C.ïs.\iUN, cardinal Cesarini.
CAP.'Ut, CATF.iRS, cafard; encore usité.
C.\FEZATE, reptile.
C.-iFF.^RDERiE, hypocrisie.
Cag.vr, cacare.
Cagotz, cagaux, grimaciers de dévotion,
hypocrites, comme cafards.
Cagoui-LE, capuce, cucuUus.
Cahiers, mémoires, pièces de comptabi-
Uté ou autres.
C.AiR'.iii-LE, chaliuaiUe, comme diien-
naille, canaille.
Cahuet, extrémité du capuchon.
CAlcirE, de l'italien cazzo, membre virU :
« X'est-ce falotement mourir quand on
meurt le caiche roide? » .\llusion à ce
vers latin du moyen âge :
.invdii; i.wn!'jr r,;.Eacha quieiiri.'iue puliiur.
Caiché, caché.
Caigx.\rd, chenil, lieu malpropre.
Caigx,\iu3iers, gens de chenil, gueux,
vauriens.
C.4^illebottes, lait doux caillé.
Cailles coyphées, femmes.
Cailleteau, petite écaille; — aux cail-
leteaux, sorte de jeu.
Caillette, petite caille.
Caillette, fou célèbre.
C.usGNÉ ! Signifie ordinairement chien-
ne, de l'italien cagyia. Des érudits y
voient une onomatopée exprimant la
vibration du verre quand on débouche
la bouteille. Les buveurs, disent-ils,
font entendre, pour imiter ce bruit de
la bouteille, im son que le mot cais-
gne, en prolongeant la dernière syllabe
traduit assez bien.
Calabrissie, danse gaie, du grec za/.a-
Calaer, nom d'une tour de Thélème :
bel air.
Calame, de calamus, roseau dont les
andens se sers-aient pour écrire, et, par
extension, plume à écrire.
Calamité, l'aiguille aimantée et la bous-
sole elle-même.
Calaxus. Calanus montant au bûcher,
Alexandre lui demanda s'il avait un
désir à exprimer : « Optime, inquit,
propediem te videbo ». Peu de jours
après, Alexandre mourut à Babylone.
(Cic, de Div.).
Calathe, vase, corbeille.
Calccle, calcul.
Caldéaks, Chaldéens.
Caidée, Chaldée.
Caleil, lampe, en languedoden (cha-
pitre y X I ■ I du livre II) : t Et n'y avoit
plus d'olif en li caleil ». Il n'y avait
plus d'huile dans la lampe.
Calendes ou calexdes grecqtl-es. Les
calendes n'existant pas chez les Grecs,
cette locution a le sens de jamais.
Calepixtjs recensui, formule qui ser-
vait à terminer les copies et collations
de textes. Calepinus est un lexico-
graphe renommé de la seconde moitié
du x\'* siècle.
Calfreter, calfeutrer, mettre de la
bourre dans les fentes; s'emploie figu-
rément.
C.ALIBES. Chalybs, ri\-iêre du pays des
Celtibères qui passait pour donner
ime excellente trempe à l'acier.
Calibre, au figuré hmnein-, caractère.
Calicule, petit calice.
Calige, la chaussure miUtaire dite en la-
tin caliga.
Caliglxa, empereur romain.
Calexte, pape.
Callaf.^ter, calfater (im vaisseau).
Callaischre. Un Grec nommé IvxÀ-
Aaij/co; ayant péri sur la mer, on
lui fit des épitaphes. Il y en a deux
dans VAiiDiologic , dont l'une par
.\.yfjyj7:'/.7.~.'f,:. nom que Rabelais
traduit par Argentier.
Caller, caler : « Calleray mes voilles ».
Calll\xax, médecin de l'antiquité.
Callibistris. Rabelais appUque égale-
ment ce mot aux parties naturelles
de l'homme et de la femme. Il forge
le mot Callibistratorium {caffardiœ).
Cat.i.tm^che, Calldiachus, poète grec.
Çaluope, muse.
GLOSSAIRE ET NOTES
Callithrichdm, plante.
Calloier, calloier est formé sans doute
de zaz-oç '.izvjt (bon prêtre), de
xa/.o; 7^P'"'' on ■/.%'/ Jj-'r^'^.6z. que
H. Estieime traduit par monachus,
quasi bellus senex. Cette quaUfication
a été donnée dans le Levant à des
moines de certains ordres.
C.\LPE, Calpe et Abila sont les deux mon-
tagnes que sépare le détroit de Gibral-
tar, les colonnes d'Hercule des an-
ciens.
Calphurxius Bassus auteur d'un traité.
de Litteris illegibilibus, des caractères
invisibles.
C ALUMNIATK L'K, c'est Ordinairement le
diable; a parfois aussi le même sens
qu'aujourd'hui.
Camarine (mouvoir la), la Camarine
était un marais de Sicile. Movere Ca-
nuirinam se disait proverbialement
pour remuer im bourbier, en faire sortir
des exhalaisons pernicieuses, mettre
au jour des choses qui étaient faites
pour demeurer cachées.
C.VMAT ou CAiLiR (Albian), mots Ve-
nant de l'hébreu et signifiant : blanc
sacristain.
CAirBERL\ci, Chambérj'. — Voyez la
Briefve Déclaration.
C.\iiBlER, changer.
Cambles, roi des Lydiens.
Caiibos, jeu inconnu.
Cambyses, roi de Perse.
C.AMELIK, certaine allure d'un cheval,
par comparaison avec le pas du cha-
meau.
Camelix, nom d'un musicien contempo-
rain de Rabelais.
Camelopardaxes, animaux fantasti-
ques.
Camelotière (l'Advocat, seigneur de),
nom propre inconnu.
Camereie, pour Camarine. — Voyez ce
mot.
C.4MERLIX (cardinal), cardinal cham-
bellan.
Camille, nom de Mercure en langue
étrusque, messager.
Camille, Camtllus (Marcus Fmius),
dictateur romain, vainqueur des Gau-
lois.
Camille, amazone, fille du roi des Vols-
ques, célèbre par sa légèreté à la cour-
se, chantée par Virgile.
Camp de Flour. // campo di Fiore, à
Rome.
Campane, cloche.
Campanelle, clochette.
Campos (prendre), prendre les champs,
prendre la fuite.
GLOSSAIRE ET NOTES
429
Cana (nopces de). — Voyez l'Ûvangile
selon saint Jean, n, i.
Canaan, Chanaan, pays de Phénide,
de Palestine, la terre promise des Hé-
breux.
Canabasser, revoir, examiner avec soin,
repasser un canevas.
Canabasserie, substantif de canabas-
ser, ennui causé par un examen trop
minutieux.
Canachus, sculpteur sicj-onien.
Canada, nouvellement découvert par
Jacques Cartier.
Cananéens, habitants de la terre de
Canaan.
Canarre (isles de), îles Canaries (archi-
pel de l'océan Atlantique).
Canarriens, habitants des îles Canaries.
Cancale, à 15 kilomètres N.-E. de Saint-
Malo.
Cancelleresque (lettre), de chancel-
lerie.
Cancre ! exclamation. I,e mot cancre si-
gnifiait chancre et aussi écrevisse,
cancer.
Cande, Cande, Candes, et Quande,
village du Cliinonnais. lyiv. IV,
ch.xix :
« Entre Quande et Monssorcait
Et n'y paistra vache ne veau. »
11 y avait un dicton ainsi conçu :
Entre Cande et Monisoreau
Il ne paît brebis ni veau,
pour exprimer la proximité de ces
deux localités.
Candiens, habitants de l'île de Candie.
Cane (faire la), caner, faire le plongeon
se dérober, « se mettre au plongeon,
comme canes », se caclier au moment
du danger.
Canetille, broderie en fils d'or ou d'ar-
gent tortillés ou en petites lames.
Canibales, peuples d'Afrique, à faces
de chiens, et aboyants.
Canidie, sorcière. — Voyez Horace,
ép. va. 5, 17.
Canne, mesure de longueur égalant huit
empans ou une aune et demie.
Canne, roseau.
Cannepetière, canard de terre, anas
campcstris ou pratcnsis. Cet oiseau
court extrêmement \-ite.
Cannes, village célèbre par la victoire
d'Annibal, 216 ans avant Jésus-Christ.
Canon, règle, temps assigne à faire clia-
que chose : « N'avoir poinct fin ni
canon. » — • « Canons d'astronomie »,
règles, lois astronomiques.
Canonge, bon et fort papier, caria cano-
nica.
Canonique, régulier.
Canoniquement, régulièrement, con-
formément aux canons.
Canoniste, savant en droit canon.
Canoxneries, coups de canon.
Canope, ville de l'Egypte ancienne à
l'embouchure du Nil.
Canore, chanteur, en parlant des oi-
seaux, ou du sureau, dont on fait des
flûtes rustiques.
Canteperdeis, village de I^anguedoc.
Canth.\re. vase à boire, cantharus.
Cantharidisé, assaisonné de cautha-
rides.
CANTiQfEUR, chanteur.
CiP, tête.
Cap Blanco, le cap Blanc, à l'ouest de
l'Afrique.
Capeline, cappeline, espèce de cas-
que.
Capell.\ Martianus, écrivain latin pro-
bablement du v'' siècle.
Capestan, cabestan.
Caphard, caphart, hypocrite. — Voyez
Cafard.
Capharderie, hypocrisie.
CAPlLAivrENT, filet, Ugne fine comme un
cheveu.
Capitaine juif (le saint). Judas Jlacha-
bée.
Capito (Atteins), jurisconsulte romain.
Capitule, le Capitule romain.
Capitolin, du Capitole romain. Jupiter
Capitolin.
Capitoly, Capitole, lieu où s'assemblent
les capitouls, les magistrats de la cité.
Capitulum (ad), au chapitre. « Sonner
ad capitulum », appeler au chapitre au
son de la cloche.
Capnojiantie, divination par la fumée
de l'encens.
Capo Melio, cap de JVIalvoisie.
Caporion, capitaine, caporal, chef d'es-
couade.
Cappe, cape, chaperon, capuchon;
« cappe à l'espaignolle », petit manteau.
Cappiettement, furtivement.
C.\PRiFiCE, figuier sauvage.
Capruiulge, tette-chèvres, oiseau noc-
turne que l'on dit teter les cliêvres la
nuit.
Caps d'escadre, chefs d'escadron.
Capse, cassette, coffre.
Capsule, diminutif de capse : « Le cœur
dedans sa capsiile ».
Capuclsgaux, mot grotesque fonné du
mot capucin.
Capulaire, cercueil, bière, capuhis.
Capussion, capuchon.
Capussionnaire, encapuchonné, por-
tant capuchon.
Caputions, porte-capuchons, moines.
430
GLOSSAIRE ET NOTES
Cap \irido, le cap Vert, entre le Séné-
gal et la Gambie.
CAQVEROLLE, QUAQfEROLLE, COquillc
de limaçon, escargot.
C.\QtT.SANGUE, flux de sang;, dysenterie.
CaracaI-LE, Caracalla, empereur romain.
Caracqt'e, sorte de navire.
C.iRADOTH, mot licbreu : pensées em-
barrassantes.
Carbonn.ade, tranclie de bœuf grillée
sur les charbons.
Carboucle, escarboucle, carbunculus.
Carcan, sorte de collier très riche à
l'usage des femmes.
Cardiacque (passion), douleur au
cœur, du grec x.apoia. cœur.
Cardinalicule, diminutif de cardinal.
Cardinalizer, rendre rouge, comme les
écrevisses, i que l'on cardinalize à la
cuyte ».
C..\rdingaux, cardingesses, noms gro-
tesques formés du mot cardinal.
Caribde, Charybde, gouffre du détroit
de ^Messine.
C.\RrE, contrée de l'ancienne Asie.
Carixe, carène, la partie du vaisseau
qui plonge dans l'eau.
Carmaigxe, la Caramanie.
Carmentale (porte), porte de l'ancienne
Rome, située au pied du Capitole,
entre la roche Tarpéienne et le Tibre.
Carmes, vers.
Carminiformes (vers), vers qui ressem-
blent à des vers, pléonasme plaisant.
Carn.^ge, \'iande, chair.
C.\rvXEV.\L, carnaval.
C.\RXLFORME, chamu.
Carole, danse, branle.
Carolus, monnaie d'argent, marquée
d'un K, valant dix deniers, frappée
sous Charles VIII.
C.VROS ET .VLLUZ (trinquer), boire et re-
boirc, trinquer et retrinquer, de l'alle-
mand : Zutn S"''' 1"^ ""^ allaits iriii-
ken.
Carpalim, nom d'im des domestiques
de Pantagruel, son coureur, son mes-
sager. Ce nom équivaut à prompt,
alerte, véloce, et vient du grec y.ao-
~aÀ'.[j.oç (rapide).
C.\RPASIE. Ce nom désigne soit tme ville
de l'île de Chypre, soit une des petites
îles situées vis-à-vis.
Carp.'VSIen, de Carpasie. I<e Un carpasien
est l'amiante.
Carpathie (mer), Carpathium mare,
partie de la Méditerranée autour des
îles Sporades.
Carpions, carpeaux, petites carpes :
« Beuvans à gré comme beaulx car-
pions ».
Carr.\Con, car raque, bâtiment de tranâ
port, vaisseau marchand.
Carreleitrs. On appelle carreleurs soit
les ouvriers qui pavent en carreaux,
soit ceux qui ressemellent les souliers.
Rabelais emploie l'expression carre-
leurs de ventres par une métaphore
tirée de l'une des deux acceptions pro-
pres du mot, U n'est pas aisé de dire
laquelle.
Carrelez (ventres), bien garnis. Car-
reler, c'est daUer, paver en carreaux,
ou encore ressemeler des souliers.
Carrelure (de ventre), ce qui garnit le
ventre. C'est cette expression prover-
biale qui a donné naissance aux deux
précédentes.
Carrov, chemin à charrier, grande
route.
Cart..\soxxe, hcorne.
Carthagiens (les), les habitants de Car-
thage.
C^iRTiER (J.iCQUES), navigateur français
qui découvrit le Canada, en 1535.
Cas, sourd, étouffé.
Cas (par), par hasard.
Cas.\ Xov.a, vUle de bains en Italie.
Case, cabane, maisonnette.
Caséiforme (cerveau), qui a la forme
et la substance du fromage.
C.\SPIES (monts), monts Caspiens.
Casquet, petit casque.
Cassajde, supercherie, tromperie, caz-
sada en vénitien, cassada en provençal.
C.4SSE ESCOUTE, cassa la scotta: serrer
l'écoute, la haler avec une grande
force comme si on voulait la casser.
CASSEMVZE.iu, sorte de pâtisserie.
Casse-pot, jeu qui consistait à se lancer
un pot sans le casser.
Casserox, pour casserelle.
Casseron, sorte de poisson fort commun
en Poitou.
Cassidoixe, pierre précieuse de diverses
couleurs.
Cassie, Cassius, Romain célèbre.
Cassine, maisonnette.
Castallide, de la fontaine Castalie.
Castallie, source des Muses.
Castamen.\, vUle d'Asie.
Castaxe, châtaigne.
Caste, chaste. Rabelais joue sur les mots
castra, casta.
C.\stel (taverne du), citée parmi les
tavernes méritoires de Paris.
Castellins (ruisseaux), dans l'cpître
de Jean Bouchet, ce mot semble mis
pour cristallins.
Castilliers, les Chàteliers, abbaye de
l'ordre de Citeaux, diocèse de Poitiers.
Caston, chaton d'ime bague.
Castor, fils de I<éda.
GLOSSAIRE ET NOTES
431
Castre, castrat.
Castre, campement.
C.\STRES, vUle de France.
Castro (de), jurisconsulte.
C.ÀTADUPE, cataractes. — Voyez la
Bric/ve Diclaraiion.
C.vrAGLYPHE (ouvrage), ciselure, de xoc-
"ayÀJç;!;"/, tailler, inciser.
CATAPULTES, machines à lancer des
traits.
Cataracte, herse ou porte suspendue.
Cat.aracte, catilvracte (instrument),
instrument dentelé ou perforé propre
à teiller le clianvre.
Caï.arates, maudits; du grec zaTâ'a-
TOÇ.
Catarré, eatliarreirx, affligé d'im ca-
tharre.
Cat.ay, Chine.
Catéci.isme, cataclysme.
Categide, bourrasque, vent impétueux.
Catenat, cathen.at, chaîne, cadenas.
Caterve, compagnie, bande, foule, ca-
ler va.
Catharine de Medicis, reine de France.
Cathedrant, président.
C.\.THEXE, chaîne. « JNIat de cathene »,
inatto di catena, fou à enchaîner.
Catherine d'Ar.agon, reine d'Angle-
terre, morte en janvier 1536.
Cato, Caton.
Catoblepe, animal fantastique d'Ethio-
pie que Rabelais décrit d'après PUne,
livre VIII, chapitre xxn.
CATOXI.AX, catonien, de Caton.
Catoptromantie, divination à l'aide de
miroirs.
Cattène, voir Cathlne.
C.AUD.ATAIRE, porte-queue.
C.\iT)lCE, tige, fût d'un arbre, caudcx.
Cauiiare, sorte de serpent venimeux.
Cauld, rusé.
CArrLDAUREir, Chaudoreille, nom propre
forgé par Rabelais.
C.AULES amb'olif, choux à l'huile.
Caitoxizer, hanter les tavernes.
CAUQUEM.ARE, animal fantastique, d'où
vient le mot cauchemar.
Caut, rusé.
Cautele, cautelle, ruse, finesse.
Cauteleux, rusé, subtil.
Cautejient, adroitement.
C.WAA'X, caveau, souterrain.
C.AVECHE, caboche, tète.
Cave Paincte, taverne de Chinon.
Caver, creuser.
Cavlat, œufs de muge ou d'esturgeon
confits à l'huile.
Cayer, caliier.
Caynon, ou Chinon eu Touraine. Dans
Grégoire de Tours et dans d'autres
auteurs qui ont écrit en latin, Ciiinon
est nommé Caino.
CÉ.ANS, ici dedans.
Ceclas (vent dit), vent sud-est tiers d'est,
qui domine au solstice d'hiver. C'était
un proverbe chez les anciens : Mala ad
se trahit, <it Cœcias ntibes.
Cécile, pour Sicile.
Cedentes (choses), qui cèdent, qui flé-
chissent.
CEE, nom d'un géant.
Ceincts (se jouoyt es cordes DES), les
cordes des sins, c'étaient les cordes des
cloches (signa). En écrivant ceincts,
Rabelais fait un jeu de mots : ceincts
signifie les gens ceints d'ime corde,
comme les cordeliers.
Ceincture .ardente, équateur.
Celeujie, ordre, signal donné par les
officiers d'un vaisseau, du grec y.i-
Celicle, Cilide, pays de l'Asie Mineure.
Celle, cette.
Celle (persée), pour seUe.
Celles, vUle du bas Poitou.
Cellule, bâti, construit.
Celluy, celui.
Celoce, brigantin, aivso, petit bâti-
ment très rapide.
Celtica (spica), plante.
Ceilade, faon du cerf.
Cen, ce en : « Cen dessus dessous, cen
devant derrière. »
Cemchrynes, sorte de reptiles.
Cexe, ccen"e, repas, souper, cœna.
Cexot.aphe, sépulcre vide, monument
érigé en l'honneur d'un mort dont on
n'a point la dépouille.
Cens, cent.
Censé, métairie donnée à fermage.
Censorlns, censeurs.
Censorinus, grammairien latin, du m"
siècle après J.-C.
Cent, jeu de cartes que nous appelons
piquet.
Centaures, êtres mythologiques.
Centonifiqlies, faiseurs de centons,
compilateurs.
Centriqi^, central.
CentumvIral, composé de cent hommes.
Centltrie, centaine.
Cependent, pendant ; pendant ce temps.
Cèpes, cepiies, animaux fantastiques
décrits par Phne, Elien, etc.
Ceph.aleonom.antie, di\-inatiou au
moyen d'une tête d'âne que l'on fai-
sait rôtir.
CEPHALLTs,époux de Procris. — Voyez les
Métamorphoses d'Ovide.
Cepola (Barthélémy), auteur d'un livre
intitiUé Cautelce juris.
4-1 2
GLOSSAIRE ET NOTES
Ce que, employé pour ce qui.
Ceramite (terre), terre à potier.
Céraste, sorte de serpent cornu.
CERBERiguE (mastin), de l'espèce de
Cerbère.
Cerberus, chien inîcnial, dans la my-
tliologie.
Cercelle, sarcelle.
Cercher, chercher.
Cercle, jeu qui consiste à sauter dans
un cercle que l'on manie comme une
corde à sauter.
Cerclé, serclé, sarclé.
Cercopiïheces ou cercopitequcs, sorte
de singes à queue, révérés des Égyp-
tiens.
Cercu dict bourguemaistre, un des
domestiques de Giiillaume du Bellay.
Cere, cire.
Cerebreux, du cer\-eau; de ccrehrum.
Ceres, déesse de l'agriculture.
Cerfouette, outil de jardinier pour
remuer la terre autour des plantes.
Cerites (de Tusde), prêtres de la Tos-
cane antique.
Cerne, cercle.
Cerner (des noix), détacher le cerneau
de sa coque.
Cernophore, saltation que l'on exécu-
tait en tenant des coupes.
Cero>lus'tie, divination au moyen de la
cire fondue en eau chaude.
CÉRON, ciron.
Cerq (île), entre la Bretagne et l'Angle-
terre.
Certon, musicien du temps de Rabelais.
Cerulé, bleu, azuré, cœruleus.
Cerveau (soj-ez en), ayez l'esprit libre
et serein.
Cerveaulx a bourlet, têtes coiffées
du bourrelet ou bonnet doctoral.
Ces.vrea, ville fondée par César.
Ces.\rine, de César; a tondu à la Césa-
riue », tondu comme l'était César;
< coups de poignard à la Césarine »,
coups de poignard comme ceux dont
César fut frappé.
Cesinins, ser\-iteurs de la Quinte-Es-
sence.
Cessateur, désœuvré, nonchalant.
Ceste icy, celle-ci.
Cestrin, bois odoriférant dont ou fai-
sait des patenostres.
Cestuy, ce, celui.
Chach.\nins, ser^-iteurs de la Quinte-
Essence; un de ces termes que l'on dit
tirés de l'hébreu.
Ch.\ffourer, cgratigner, barbouiller.
Ch.affoureus (de parchemin), barbouil-
leurs.
Chagrin (un), un homme diagiiu, d'es-
prit tracassicr.
Chaire, siège, chaise.
Chaisne, chêne.
CiiAiSNON, pour Chinon.
Chaiton Armenian, Hayton, auteut
arménien.
Chalbrotii, nom d'un géant.
CitALCiDE, Chalcis, ville de l'Eubée dans
l'andenne Grèce.
CH.4LLANS, pratiques, terme injurieux.
CH.4LLER (les noiz), ôter la coque, écaler.
Chaloir, importer, être nécessaire. « Il
ne chault, » il n'importe.
Chamailler, battre, combattre : « Y eut
tant chamaillé, a Chamailler un ton-
neau, le tracasser.
Cham.\rre, robe d'apparat.
CiL'iMEERiÈRE, ser\'ante, chambrière.
Chambourg, Chambord.
Chambrier {Camerarins), savant du
'KXl" siède.
Chambrier, chambellan.
Ckameléon, camdéon.
Chamcuillac, nom d'un page du sd-
gneur d'Estissac.
Chai.ipeignons, diampignons.
CHAiiPls, enfant trouvé.
Chance, sorte de jeu de dés.
Chancre, cancre, écrevissc.
Chandelle armée, chandelle à armoi-
ries comme les derges bénits du jour
de Pâques.
Chaneph, mot hébreu qui signifie hypo-
crisie.
Chante.\u, morceau, quartier, reste de
pain, lorsqu'il a été entamé.
Chantelle, petite vUle du Bourbonnais,
arsenal renommé au moyen âge.
Ch.\ntepleure, arrosoir, entonnoir per-
cé de trous.
Chantonnet, couplet, petite chanson.
Chanu, blanchi par l'âge : « Mon anti-
quité chanue. »
Chaperon, t lis mirent quatre têtes en
un chaperon n, locution proverbiale :
ils rémiirent à quatre leur intelligence.
CiLU'ERONS A bourlet, bonncts des maî-
tres es arts.
Chapifou, jeu, colin-maiUard.
CliAPLis, conflit, rencontre, heurt, com-
bat, carnage.
CiL\PLYs, chapdure, miettes de pain.
Chapoter, cogner, tapoter (im tonneau).
Chappart, qui s'échappe.
Chappe, manteau.
Chappe,\u albanois, chapeau pointu.
Chappon (coudier en). En sortant de
souper, comme fait la gent volatile
(comme les poules). C'est ainsi que
Cotgrave l'entend.
Cette expression se trouve dans les
Arriis d'amour de Gilles d'Aurigny :
« Et (doibvent les maryz) aller coucher
GLOSSAIRE ET NOTES
433
et départir d'une coiiipagiiie à telle
heure que bon leur semble, voir en
chapon, si niestier est ».
Chappuys (le aipitaine). Le capitaine
Cliappuys et Alcofribas, cités au cha-
pitre vni du premier livre, sont proba-
blement Rabelais et Claude Chappuis,
attaché comme lui au cardinal du Bel-
lay.
Charanton (le Pont), près Paris.
Charbon (a souffler le), sorte de jeu
qui consiste à repousser en soufflant
vers les autres joueurs un morceau de
charbon, embrasé suspendu an pla-
fond et autour duquel les joueurs font
cercle.
CiLVRDONNETTE. On donne encore ce
nom. en Saintonge, à la fieur d'une
e?pcce d'artichaut sauvage, qui est
très employés pour faire caiUer le lait
Chardrier, chardonneret.
Charesse, caresse.
C!L\RETÉ, cachelet, masque.
Chargement, poids (d'un coup d'épée) .
Ch-^risteres, hymnes aux Grâces dites
Charités.
Charités, les Grâces.
Charles ciXQUiEirE, l'empereur Char-
les-Quint.
Ch.vrles SIXIEME, roi de France.
Ch.\rles HUYCHEiiE, roi de France.
Ch-ARLes ^Lugne, l'empereur Charle-
magne.
CiL^RiiER, chermer, enchanter, ensor-
celer. Dans im autre sens, Rabelais
dit : charmer un tonneau, le renfor-
cer.
Charmois (Charles), peintre du roi Fran-
çois I'?"'.
Charnier, office : « Charnier à mettre le
lard ».
CiLVRON, Caron, le noclier du Styx.
Ch.\rraxtoxs, charençons, insectes.
Charrette : « Mettoit la charrette de-
vant les bœufz ». Locution prover-
biale dont le sens est facile à com-
prendre.
Charrous (le digne vœu de). L'abbaye
de Charrous était une des sis grandes
églises qui prétendaient posséder la
parcelle du précure de Xotre-Seigneur
détachée à la circoncision. On lit dans
l'Alphabet de l'auteur français, vieux
glossaire de Rabelais :
« Charroux est ime petite ville en
haut Poitou sur les confins de la Mar-
che et du I^imosin, qui a eu grand re-
nom au siècle passé pour le regard des
reliques qui estoient gardées dans le
monastère de l'abbaye située au milieu
de la ville, et jadis bastie par le roi
Charlemagne, ainsi que racontent les
T. II.
moines; ces reliques tant révérées
estoient la Digne Vertu enfermée dans
une châsse enrichie d'or et de pierres.
Item le Digne Vœu, à sçavoir une
grande statué de bois, en forme d'un
homme tout couvert et revestu de
lames d'argent, qui estoit dressée
debout en im coin de ce monastère.
Ces reliques ne se montroient au peu-
ple que de sept ans en sept ans, et lors
on y abordoit de toutes parts. Outre
plus il n'estoit permis au sexe féminin
de s'approcher du Digne Vœu pour le
baiser, c'estoit seulement aux hommes
et jeunes enfans à qui cela apparte-
noit; mais les femmes estoient ordi-
nairement au guet pour attraper
celui qui l'avoit baisé, et se jettoient
au col de l'homme ou de l'enfant pour
le baiser et attirer par ce moyen
comme par un alambic la vertueuse
efficace qu'ils avoient pris en baisant
actuellement cette statue. Une grande
dame le voulut baiser, il se haussa de
quatre ou cinq pieds, ce qui passa
pour un grand miracle, quoique ce ne
fût qu'un effet de la fourberie des
moines qui avoient attaché imc poulie
par derrière. L'an 1562, il fut des-
pouiUé par des gentilshonunes hugue-
nots (comme le sieur Bouganet), les-
quels depuis par les gaudisseurs du
païs furent appeliez les valets de
diambre du Digne Vœu de Charroux;
or il sembloit à Dindenaut avoir fait
im grand serment quand il juroit par le
Digne Vœu de Charroux. »
Charte, pancarte sur laquelle étaient
inscrites les lettres de l'alphabet; abé-
cédaire.
Chartées, charretées.
Charte, cartes à jouer.
Charte vtrade, signifie carte retournée;
jeu de cartes auquel jouait Gargan-
tua.
CiL^RTiER, charretier.
Chartre, prison.
Chartres, \'ille de France.
Chascunière, le domicile de chacun :
€ Ainsi chascun s'en va à sa chascu-
nière. »
Chasxl\te, casemate, fortification, abri
contre les projectiles de l'ennemi.
Chasm.\te, abîme, ouverture subite faite
par un tremblement de terre.
Cil\ssetr.\pes, chausses-trapes.
Chastaigne, châtaigne.
Chastaigneray (le seigneur de La),
courtisan célèbre par son duel avec
Jamac.
Chastaine, châtaigne.
Chasteau (le cabaret du). C'est le même
28
^134
GI.OfîSAIRF: ET NOTES
que Rabelais nomme ailleurs taverne
du Cas tel.
Ch.\stei.eraid, \-ille de France : « Pays
de Chastelleraudois. »
Chastelet (petit), une des forteresses
ou prisons de Paris, sur la rive gauche
de la Seine.
Ckasielet, jeu qui consiste à abattre
un petit édifice, un petit château
(chastelet) formé de trois noyaux
d'abricots surmontés d'un quatrième.
en se servant d'un noyau d'abricot
comme projectile. On emploie aussi
pour l'édifice et comme projectile,
des châtaignes, des noix, etc..
Chastillcn" (cardinal de), frère aîné
de l'amiral de Coligny, fait cardinal à
dix-huit an?, en 1533.
Chat : • Esveigler le chat qui dort. » La
cution proverbiale qui s'est conservée.
CiiAT DE JLuis, martre.
CHATE>nTE, voir Chattemite.
CH,ATomLE, poisson de mer.
CHATS-FOURREZ, CHATTES-FOrSRÉES,
CHATS-FOURII.L0XS, gens de justice,
leurs femmes et leurs enfants : « Chats-
fourrez vivent de corruption. »
CHATTE^^TE, hvpocrite, doucereux; de
cata et mitis. Rabelais emploie le fémi-
nin chattemiteuse, et le diminutif chat-
temitillon.
Ch.^xtoxs, petits chats.
CHAiiANT, chat-huant, hibou.
CHAtFFOXTRER, chaffourer, égratigner
« le parchemin ». — Chaufïourer (se),
s'égratigner « le \-isage ».
CHAraEXY (pain), moisi; suivant de
l'Aulnaye, pain où il y a du chaume,
de la paille.
CHAU^nxE, maisormette couverte de
chaimie.
CH-it'XYS, ville de Picardie.
Chausse d'hjppocras, filtre à passer
l'hypocras.
Chausses, comprenant le bas-de-chaus-
ses, les bas, qiù étaient d'estamet ou
de serge drapée ; et le haut-de-chausses,
la culotte, les braies.
CHAU^^G^•y, ville sur la Vienne.
Ch.\u\"IR (les aureillc-3 comme asnes d'Ar-
câdie), remuer, dresser les oreilles.
Est écrit parfois chovir, et le participe
présent est chauiaiit ou cliovant.
CH.A\TN"i-, Cha^•igny, village près de
Chinon.
Chef, tête, extrémité supérietire.
Chelhydres, serpents aquatiques.
Cheli, nom que les uns tirent de l'hé-
breu Cheli (gâteau), les autres du grec
■/lUJjz. lèvre.
GhÈlidoine, hirondelle de mer.
CHELniixs, mot hébreu qui signifie
singes.
Chemaxt (François Errault, sieur de),
l'un des domestiques et familiers de
Guillaume du Bellay; fut garde des
sceaux sous Henri II.
Cheminées (roquette de), fort ou fortin,
retranchement qui était dans les che-
minées, attendu qu'il s'agit d'andouil-
les qui ont là leur retraite naturelle.
CHEiiNis, Ue d'Egypte.
Chen'evé, chènevLs.
Ckexins, raisins dont on fait le gros vin.
Chère, mine.
Chère, repas. — « Chère lye », joyeuse
chère.
Chereph, chérif, prince, particulière-
ment le chef de la Mecque.
CHER3LER, charmcr.
Chersydres, sorte de serpents d'après
Pline.
Cherubicque, de chérubin, céleste.
Chesauxx, maisons, édifices.
Chescux, chacim.
Chesil. Cesil ou Chesil était pour les
Hébreux, comme Orion pour les Grecs,
l'astre des tempêtes. 0 Condle de Che-
sU ', concile de Trente.
Chesixins, mot hébreu, les forts, sui-
vant de l'Aulnaye.
Chesxe, chêne : « Faire le chesne four-
chu », se tenir la tête en bas, les pieds
en l'air.
Chesn"e. chaîne.
Chesnts forchu, jeu qui consiste à se
tenir sur les mains, la tête en bis, en
écartant les jambes à la façon d'un
branchage ou d'une fourche.
Cheusson", insecte piquant, cousin.
Cheval : « De cheval doimé regarder en
la gueule », c'est commettre un acte
incongru; on ne doit pas faire le diffi-
cile quand il s'agit d'im présent.
Chevalerie, équitation; a im sens plus
élevé que tout le monde connaît.
Chevalier, cavalier au jeu d'échecs.
Chevallet, petit cheval.
Chevakce, le bien, l'avoir d'ime per-
sonne.
Chevau-fon-du, c'est le jeu encore en
usage du cheval-fondu; les joueurs
sautent à califourchon sm: le dos de
l'im d'eux qui est baissé pour les rece-
voir, et qui a généralement la tête
appuyée à un mur.
Chevaucher, monter un cheval, être à
califourchon : « Chevaucher un ca-
non ». Est pris souvent dans le sens
erotique.
Chev.\ulchex:r, cavalier, écuyer; bon
écuyer dans le sens erotique.
1 CHEVAtT-CHOXS DE REBOURS (a), montre
Glossaire kt notes
435
un cheval, une iniilc, le cul tourné
vers la tête de la mule, la faee vers la
croupière, ainsi que le dit Rabelais.
Chev"aulx (isle des) : (il,'isle des Chevaux
prés Escosse par les seigneui-s de Ter-
mes et Dessay saccagée ». Allusion
à im fait qui se passa, en juillet 1547,
sur la côte d'Kcosse, dans l'île de Keith,
autrement dite aux Chevaux. Cette
île ayant été enlevée par les Anglais,
fvit reprise peu après par André de
Montalembert, sieur de Dessé, qui
commandait le corps auxiliaire de
France. Paule de Thermes lui succéda
plus tard dans ce commandement.
Chevï:che, chouette : « Une chevêche...
Nous sommes îcy bien pippés. » Pris
à la pipée, parce que, pour prendre les
oiseaux de cette manière, on se sert
ordinairement d'une chevêche ou
chouette qui les attire par ses cris.
« On pensoit se servir de luy (la Noue),
comme de chevêche pour piper les
Rochelois ». (Mémoires de l'cstat de
France sous Charles IX, 177&, tome II,
page 12.)
Chevêche, jeu qui consistait vraisem-
blablement à imiter le cri de la
chouette.
Chevecier, celui qui est chargé d'ache-
ter la cire nécessaire à l'église; titre
d'une dignité ecclésiastique. Rabelais
joue sur ce mot et le mot précédent.
Cheveui-X de Vénus, nom d'une plante.
Chevreter, sauter et cabrioler, sauler
de dépit. « Prendre la chèvre » signifie
aussi se fâcher, se mettre en colère.
Chevrettes, crevettes.
Chevrotin (tirer au), boire.
Che\'rotix, cuir de chevreau.
Chiabrex.\ des pucelles, titre d'un
prétendu livre.
Chl\brexer, faire des façons, des mines,
des simagrées.
Chiasser, diminutif de chier.
Chice (pois), pois cliiches.
Chich-AR, avare,
Chicheface, maigre et triste \'isage.
Chiches, pois chiches.
Chien. « Vrais chiens de monstre », im
chien de monstre est un chien d'arrêt,
en espagnol : pcrro de miicsira, un chien
qui montre le gibier au chasseur. Re-
garder derrière soi » comme un chien
qui emporte un plumail (une vo-
laille) », locution proverbiale. « Battre
le chien devant le lion », loc. prov.,
faire une chose à contre-temps.
Chien (de), terme de mépris : « Belle
isle de cliien ! »
Chien chié chanté (c'est bien), ou seu-
lement : c'est bien chié chanté. Dans
les deux cas il n'y a qu'une plaisanterie
qui consiste à prononcer les deux
premiers mots comme si la langue
« fourchait » avant d'arriver au troi-
.sième.
Chienerie, vie comme celle que mènent
les chiens.
Chienlict, chienlitz, qui chie au lit,
terme injurieux, resté dans le vocabu-
laire populaire.
CniÈRE, pour chère, dans les différents
sens de ce mot : « Pire diière ».
Chiffre, écriture à l'aide de cliiffres
convenus pour correspondre secrète-
ment.
Chiliandre, qui contient mUle hommes.
Chilo, chilon, un des sept sages de la
Grèce.
Chimère, monstre mythologique.
Chinon, \-ille natale de Rabelais.
Chinonnovs, le pays autour de Chinon.
Chinquen.aude, chiquenaude.
Chippe, barque anglaise (s7«:/>) .
Chippoté, chipoté, gâté à force d'être
manié.
Chiquanourre, féminin de chiquanous.
CHiQL'.ANOtiRROYS, pays des chiquanous.
Chiquanous, cliicaneux; Rabelais se sert
de ce mot pour désigner les huissiers
et les sergents.
Ckeron.acte, qui prend à toutes mains.
Nom d'un capitaine de Gargantua.
Chismes, schismes.
Chocquer, heurter.
Chœromantie, divination qui se fait
avec des pourceaux, de zoicoç, ijorc.
Choine, pain blanc et délicat.
Chole, cholère, colère.
Choper, heurter du pied, faire un fairx
pas.
Chopiner, boire.
Chorde, corde.
Chorjie, chiourme, galère, le banc des
rameurs ou des forçats, et aussi la
troupe de ceiri-ci.
Chose, village du Chinonnais.
Chosette, diminutif de chose.
Chouart (Je-^n), désignation populaire
du phallus. — Nom d'un batteur d'or
à Montpellier.
Christallin (miroir de), cristal.
Christi.vn, cristlmst, chrétien : « Poires
de bon Christian. »
Christophle (saint), saint Christophe,
dont la légende est bien connue.
Chronique, pour maladie chronique.
Chrysippus, philosophe stoïcien floris-
sant au u.^ siècle avant notre ère.
Chrystallin (docteur de), jeu de mots,
pour docteur décrétalin ou décréta-
liste.
436
GLOSSAIRE ET NOTES
Chylifier, réduire en chyle.
CiBOT, dboule, petit oignon.
CiCEKO, CicÉRON (Marc Tulle), l'orateur
romain souvent cité. On fait de son
nom l'adjectif ciccronian, ciceronien.
CiCERONl.\N, ciceronien.
ClCErt)ELLE, ver luisant.
Ciel (le), père de Saturne.
CiGALLES (ferrer les), locution prover-
biale, prendre un soin inutile, perdre
son temps.
CiGuoiKGXE, cigogne : « Le comte de la
Cigoingne. »
Cil, celui, celui-là.
CiLiciE, pays de l'ancienne Asie Mineure.
CiMASULTE, cymaise ou moulure dite
ondée.
CiXAMOîîE, cinnamone, substance aro-
matique fort estimée chez les anciens.
CiNCiN'NATUi.E, nom du prétendu esprit
familier du Rhodogine; du latin cincin-
natus, qui a les cheveux bouclés.
CiNGE, singe : « Cinges verds )>, choses
fantastiques, t Oncques vieil cinge ne
feit belle moue », locution proverbiale.
CiNGESSE, féminin de siuge.
CiRCÉ, magicienne de l'antiquité.
CrRCONFÉRENCE : « Infinie et intellec-
tuale sphère, le centre de laquelle est
en chacun lieu de l'univers, la circon-
férence point, c'est Dieu, selon la doc-
trine de Hermès Tri.-=mégiste. »
Rabelais s'est trompé; il n'\- a rien
de pareil dans les ou\Tages attribués
au prétendu Hermès Trismégiste.
Cette image se trouve dans saint Bona-
venture : Itinerarium mentis ad Deum,
cliapitre v; de là elle a passé dans
Gerson. Vincent de Beauvais, dans le
premier chapitre de son Spéculum
hisloriale, l'attribue à Empédocle. —
Voir l'édition des Pensées de Pascal
donnée par M. Emest Havet, 1852,
page 4.
CiRCUMBILIVAGINATION, mOt forgé à
plaisir pour désigner un tournoiement
autour de quelque chose. « Par la
g>'rognomonique drcumbilivacination,
etc. », chapitre xxii du livre III; voici
à peu près le sens de cette phrase :
« Par le circulaire tournoiement des-
quels, comme par deux contrepoids
célestes, toute l'allégorique méca-
nisme del'Église romaine, quand elle se
sent tourmentée d'aucun malaise d'er-
reur ou d'hérésie, se trémousse autour
du même centre. »
CœcL'siBiLiVAGiîrER, tourner autour d'un
centre.
Cire : « Nous les faisons comme de
dre », dit Janotus en parlant des héré-
tiques, c'est-à-dire nous les faisons
fadlement, en un tour de main. La
dre se pétrit aisément, et die brûle, ce
qui offre un autre point de ressem-
blance.
CiRURGiEX, pour chirurgien.
CiSTEAULX, l'abbaye de Coteaux.
CiTRULLE, dtrouille.
CivADiÈRE, voile du mât de beaupré.
CiZAiLLER, couper, lacérer avec des ci-
seaux.
CL.A.B.4ULT, criant hors de propos; on
donne ce nom à des chiens qui aboient
mal à propos et ne sont bons qu'à
faire du bruit.
Clairet, vin blanc.
Clan', ou Clain, ri\-ière du bas Poitou.
Claqueden'T, qui daque des dents,
misérable, gueux. Rabelais cite un
prétendu livre intitulé le Claquedent
des maroufjîes.
Claude second, empereur romain.
Claldix, musiden contemporain de Ra-
bdais.
Cl.^udius, Claude, empereur romain.
Clause (en poing), close, fermée en
poing.
Claustral, du doître : « Prieur claus-
tral, »
Claustrier, doîtrier, doîtré.
Cla\"eaux, dous recourbés.
Cla\tel : « Hérétique davdé, hérétique
bruslabie, comme une belle petite ho-
rologe. ') Allusion à un hérétique ro-
chelïais du nom de Clavelle, condamné
au feu. Rabdais ajoute : « Bruslabie
comme une belle petite horologe »,
parce que ce Clavd était un horloger,
auteur d'ime curieuse horloge de bois,
et que cette horloge fut, dit-on, brûlée
avec son auteur.
Clavelée, maladie des moutons.
Cla\'er, douer (un tonneau).
Claveure, serrure.
Clkaxthes, philosophe stoïdeu; vécut
au m'^ siède avant notre ère.
Clefs, jeu d'adresse pour lequd on se
ser\-ait de defs au moyen desquelles
il s'agissait d'attdndre un but.
Clementix, clementixe, de Clément V,
pape; la dnquième collection de dé-
crétales porte le nom de ce pape.
Cleombrotus, philosophe anden.
Cléox de Daulie, qui passe pour
n'avoir jamais songé.
Cléopatra, Cléopàtre, rdne d'Egypte.
Clerberg (Henri), contemporain de
Rabelais.
Clerc, savant : « Clerc jusques es dents
en matière de bre\-iaire. » — « Si n'es-
toient messieurs les bêtes, nous vi-
vrions comme dercs ». Rabdais ren-
verse les termes de la proposition. Si
GLOSSAIRE ET NOTES
437
n'étaient messieurs les clercs, etc.
Clergaux, nom formé de clerc:.
Clergesses, féminin de Clergaux.
Clergie, science.
Clerice, vocatif de derïcus, clerc.
Clericus vel addiscens, clerc ou étu-
diant.
CLEROiL\NTiE, divination par le sort des
dés.
Clicquer, dicqueter.
Ci.iCQUETTES, cliquettes (des ladres).
Cldiatere, année climatérique, les an-
nées de la vie d'un homme qui sont des
multiples de 7 ou de 9, ou encore de 7
multiplié par uu nombre impair.
CLINE-MUZETTE, ou Cl.IGNE-lIUSETTE,
jeu d'enfants où l'un d'eux dierche
les autres qui se sont cachés pendant
qu'il fermait les yeux (clignait des
yeux).
Clisse, enveloppé d'osier.
Clocher, boiter : « Ne clochez pas devant
les boyteux y, locution proverbiale.
Clode Albix, Clodius Albinus, général
romain qui fut proclamé empereur par
ses soldats, mais qui ne régna point.
Cloisier, paysan qui tient une closerie.
Cloper, boiter.
Clou.\tier, cloutier.
Clourre, clore, fermer.
Clous, clos, fermé.
Clousti^tie, clôture.
Clu>-y (hostel de), à Paris.
CLYiiÉNOS, soud, plante.
Clystère barb.aein", terme erotique.
CoBBiR, fracasser.
CoccAïus (JlERLiNus), poème macaro-
nique de Folengo, auquel Rabdais a
fait plusieurs emprunts. Rabelais lui
attribue un livre de Patria dinboloriim.
COCCOGXIDE, graine de thymdéa dite
poivre de montagne.
Coches, voitures pour la promenade.
CocHONXET, petite boule ser\-ant de
but aux joueiirs de boules, jouer au
« cochonnet va devant » : jouer aux
boules en se promenant et en lançant
à chaque coup le cochonnet en avant.
CocQUASSE, COQUASSE, coquemar, chau-
dron.
CocQUASsrER, COQUASSIER, cuisinier,
alias, marchand d'oeufs, et aussi
chaudronnier.
CocQCE, COQUE, coquillc, écaille.
CocQUEClGRUE, animal imaginaire.
CocQUE^iART, coQUE.^L\RT, grand pot
où l'on fait bouillir l'eau, marmite.
Cocu, sorte de jeu de cartes auqud jouait
Gargantua.
CocYTE, fleuve infernal.
CoDERETZ, Coterets, station tliennale des
Pyrénées.
CoDicE, cahier, codex.
Cœlivage, qui va au dd, céleste.
Cœnaire (loi), loi qui règle les repas.
Cœur (Jacqi'es), riche finander du
temps de Charies VII.
Cœur, cueltr, s'emploie souvent pour
chœur.
Cogiter, penser.
C0GNOISTRE, connaître.
CoGULE, cagoule, robe de moine.
CoHUAU, domestique de Guillaume du
Bellay.
Coiffe, « laver la coiffe Jladame ^ jeu
inconnu.
CoiLLON, couillon.
CotN-, coing, fruit.
CoixcT, coixcTE, propre, bien arrangé,
bien paré, agréable.
COINGNÉE, COIGNÉE, COIGXIE, COgnéC.
Sur les deux acceptions de ce mot,
voir ce que dit messer Priape au nou-
veau prologue du Mvrt IV.
CoiN'GNET (Pierre du) : « Pierre du Coin-
gnet par vous pour même cause pé-
trifié II. (Nouveau prologue du li-
vre IV.) Une petite statue, placée
dans qudques églises et qui servait à
éteindre les derges, se nommait ainsi,
par allusion, dit-on, à Pierre de Cu-
gnières, avocat général sous Philippe
de Valois, qui avait attaqué les privi-
lèges du dergé.
Coingnouoir dodrext.\l, cognoir, ins-
trument ser\-ant à cogner; dodrental,
ayant neuf pouces de long.
CoiRAU, bœuf engraissé pour la bouche-
rie.
Coissix, coussin.
CoLAXES, fils de Jupiter et de la nymphe
Ora.
CoLDREAUX (les), village du Chinonnais.
CoLE, COLLE, tourmente, tempête.
Colix-Bridé, jeu dont on ignore la pra-
tique; son nom peut faire supposer
que c'était une sorte de colin-mail-
lard.
CoLEv-ET, Jacques Colin d'Auxerre, abbé
de Saint-Ambroise, poète alors en
réputation.
Collas, pour Nicolas. « Deu Collas, faU-
lon ». En patois lorrain : de par saint
Nicolas, compagnon.
CoLL.\rDER, louer, collauiare.
CoLLiGEAXGE, coLLiGUAXGE, lien, rap-
port.
COLOCYXTHE, coloquinte, plante.
CoLON'GES, Collonge-les-Royaulx, ville
du bas Poitou.
CoiopiroN, ville de l'andenne Lydie
(Asie Jlineure.)
COLOPHONL\CQUE, de colophone ou colo-
phane.
■13^
GLOSSAIRE ET NOTES
CoLOic. sorte de reptile.
CoL^TOBADES (oUvci), olives prùijarces
dons leur saumure.
CoxrBES, jeu inconnu.
Combien qite, quoique.
COMBRECELLE, l'actïon de se baisser en
avant pour recevoir quelqu'un sur
son dos. (De l'Aulnay.)
Combustion, ardent désir.
Co>nTE, compagnon, cornes.
Comment a xom? C'est, comme nous
avons dit à propos du dicton ad for-
main nasi, etc., une manière d'habiller
une syllabe indécente.
CoM^rER.viGE, baptême, de commère,
marraine.
Co>DnssiON, exploit judiciaire.
CoMinssuRE, point de jonction.
COMjnSSURE L.'iMBDOÏDE, SUtUTC dU
crâne ayant la forme du lambda grec.
CojiMODUS, COJUIODE, empereur romain.
CoMPACTiON, réunion, assemblage.
COMP.\lNG, compagnon.
CoMPANAGE, ce qui se mange avec le
pain; expression languedodeime et
provençale.
CoMP.\RENT, comparaissent.
CoMP.-VROlT (ne se) point, ne paraissait
pas.
CoMP.uiTi, partagé par égales distances.
Compas, mesure, proportion.
Compexdiel'x. abrégé.
Compère, musiden du temps de Rabe-
lais.
Compère, compère, prêtez-moi votre
SAC, Gargantua jouait « à compère,
compère, prêtez-moi votre sac; » on
ignore en quoi consistait ce jeu.
CoMPETAXCE (du mal), ce que réclame
la maladie, ce qui con%-ient à la mala-
die.
CoMPETEMENT, COMPETEXTEMEXT, Con-
venablement.
COMPETENT, appartenant, convenable.
CojlPETER, convenir.
CoMPisBER, pisser dessus.
CoMPlTE, carrefour.
CoMPL.\iNCT, COMPLAINCTE, plainte.
CoMPLAixDRE (sc), porter plainte, se
plaindre.
COMPL.VNiR, aplanir, niveler.
CoMPLEXiON-NÉ. Constitué.
Composer, mettre en comparaison; en-
trer en composition, faire un traité.
CojEPOSErRS (d'emprunts), composeurs
(de pets), gens qui font des emprunts,
etc.
Composition, ordonnance, distribution.
Compost, le calendrier.
COMPOVSTE, compote, marmelade.
Compter, dans le sens de conter, racon-
ter.
C0MPUL6OIRE DE BEUVETTES, synottyme
de jambon, qui aide à boire.
CONARE, la glande pincale.
CoNCHE, conque.
CoNCHiER, embrener, salir. — Se con-
CHIER, s'embrener.
CoNCiERGERrE, prison du Palais.
CoNCiLiPETES, allant au concile, conçu
Hum patentes .
CoNCiON, CONTION, discouts, hatanguc :
« I^a contion de Gargantua aux vain-
cus. »
Conclusions, propositions à soutenir en
discussion publique.
CONCOCTioN, cuisson, digestion.
CONCOCTRICE (vertu), puissance de cuire,
de digérer les aliments.
Concordat (le baUlif), personnification
plaisante, comme le bonhomme Con-
cile de I^tran et la bonne dame Pr^-
matique Sanction.
CoNCORDS, qui est d'accord : « Ton corps
concords », ton corps où tout s'har-
monise.
CoNcrLQUÉ, foiUc aux pieds : € Toute
amitié conculquée. »
Concussion, secousse, ébranlement.
Co>rDEMNADE, Sorte de jeu de cartes.
CoN-DlEUX, confrères en di\'inité.
CoNDiGNE, digne, égal.
CoNTJiTioNALES, Conditionnelles, propo-
sitions conditionnelles.
Conditionné, dont les conditions sont
fixées : « Pactes par vous-mêmes con-
ditionnés », pactes, traités dont vous
avez fixé vous-mêmes les conditions.
CONDUIREN-T, pour conduisirent.
CoNDUiST, poiu: conduisit.
CoNFABULATioNS, entretiens, conver-
sations.
CONTALON, enseigne, bannière, gonfalon.
CoNFALONNiER, porte-ensdgne .
Confection de cotoniat, confitures de
coing, cotignac.
CoNTtDÉRATiON, alliance.
Confermer, confirmer, rafïermir; on
rencontre aussi conformer dans le
même sens.
Contés, confessé.
CoNFlNlTÉ, voisinage.
Confins, voisins.
CoNTLAGRER, brûler, être en feu.
CONFORT.VTIF, qui réconforte.
CoNGiÉ, congé, permission, licence.
CONGNEU, connu. Ce mot avait parfois,
comme à présent, le sens d'avoir des
rdations chamelles.
CoNGNoissANCE, connaissaiîce.
CoNGNOiSTRE, connaître ; t congnois
toy. »
Congratl1.ant, félidtant.
Congre, crabe, homard.
GLOSSAIRE ET NOTES
•^39
Congru, convenable, approprié à la cir-
constance.
CoNNiL, CONXIN", lapin.
CoN'NUBL\i-ES, relative? au mariage.
CoNOPÉE, Kf.)Vfp)~:ïov. tin pavillon de
lit, duquel ordinairement les Égyp-
tiens se servaient pour se garantir des
injures des moucherons, en grec "/'•)"/-
fOTziç. en latin culiccs, en français cou-
sins. Les reines et grandes princesses
paraient leur lit et couches de superbes
pavillons d'où Horace : Interque signa
turpe militaria sol aspicii conopeum.
CONQUESTER, Conquérir; conquesta,
conquit.
CoNSEN'TiNOls, habitants du Conseutin,
pays autour du Consentia ou Cosenza,
dans la Calabre.
CoxsEQUEMJiENT, pour ensuite.
Considération, contemplation.
CoNSiLiON, musicien contemporain de
Rabelais.
Consister, se tenir, être situé, consis-
terc.
CoNSOLDE, consoude, plante.
CONSONNANTE, COnSOimC.
CONSONE. CONSONNE, qui convient, qui
s'accorde, comme consonnant.
CONSONER, coNSON'XER, être d'accord
avec, convenir.
Constantin (l'empereur).
Constantin (arc triomphal de), à Rome.
CoNST.^NTlNOBLE, Constautiuople.
Consulte (ligne), ligne brisée.
ÇoNSUMiiATUM EST (ainsi que dist sainct
Thomas), tout est consommé, ou c'est
fini (U\Te III, chapitre n). Saint Tho-
mas, distrait par la composition de son
hymne au saint Sacrement, mangea,
dit-on, toute ime lamproie servie sur.
la table de saint Louis, et, ayant fini
la lamproie en même temps que
l'hymne, s'écria : Consummatum est !
CoNTAiirNER, souiller; contamination,
souillure.
CONTEMNER, CONTESIPN'ER, mépriser.
CoNTEMPERER, movérer, apaiser.
CONTEMPNEilENT, mépris.
CONTEMPTIBLE, méprisable.
CoNTENDRE, disputer, avoir des préten-
tions contraires; d"où contentieux, liti-
gieux; contention, content, contemps,
chicane, tracas.
Content, comptant; « de content », en
argent comptant.
Conthoporie, fontaine de Corinthe.
Contikuement, d'ime manière continue,
sans interruption.
Contra hostium insidias, contre les
embûches des ennemis; oraison.
CoNTRACT, contracte, replié, contracté.
Contredits (cour des), cour romaine.
Contrefil (a), au contraire.
Contrefortwœr, mépriser, braver la
fortune.
Contregarder, contregu.\rder (se),
se tenir sur ses gardes, se garder con-
tre.
Contrehastier, grand chenet de cui-
sine à plusieurs crans, pour les bro-
ches.
Contremejane (voile), voile de contre-
artimon.
CoNTREMONT, en haut, en remontant.
Contrepeder, contrepeter, peter à
l'unisson.
Contrepoinct (au), au contraire, au
rebours.
Contrepoinctée, piquée comme ime
courte-pointe.
Contrevenier les bulestes, tendre les
voiles quand on est au plus près du
vent.
Contristations, tristesses. Rabelais
emploie aussi le verbe contrister, et se
contrister.
CoNTROVERS, CONTROVERSE, Contro-
versé, débattu.
Contumelie, injure, outrage.
CONTUNDRE OU CONTON"DRE, froiSSer,
piler, broyer.
Convalescence, bonne santé : « Réduit
à sa première convalescence ", revenu
en sa première santé.
CoN"VEN.\NiE, conven-ente. Convena-
ble, propre.
Convenir, falloir.
CoN\TENlR, se rendre, venir, se rassem-
bler.
CoNVENT, couvent.
Conventicule, réunion, assemblée.
Copie, abondance, d'où copieux, abon-
dant. « Copieux en révérence », qui pro-
disTue les révérences.
CopiEi'x, qui copie, qui imite et singe les
autres. « Les Copieux de la Flèche »
étaient passés en proverbe.
Coq : « Saulter du coq à l'asne )>, passer
d'une chose à une autre sans transi-
tion, d'où l'expression co?-ft-/'rf"c restée
en usage. — « Le coq d'Euclion tant
célébré par Plante en sa marmite. »
(Prologue du Livre III.) Dans la comé-
die de Plante intitulée Aulularia,
l'avare Euclion tue son coq, qu'il ac-
cuse d'avoir gratté la terre autour de
l'endroit où il a enfoui sa marmite
remplie d'or, et d'être complice des
voleurs.
CoQUANTiN, volant; jeu de volant.
Co quart, sot, stupide.
CoQU.ATRis, espèce de basilic.
CoQUELicous, coquelicot.
4-1 o
GLOSSAIRE ET NOTES
Coqueluche, pour coqueluchon, capu-
chon.
COQUILLON, qui porte le cucullio, le bon-
net doctorail; docteur, par conséquent.
COQUINBERT, « à coquinbert qui gasine
perd », jeu inconnu; c'est vraisembla-
blement le jeu de qui perd çagne.
CoRAXiENS, Corasicens, peuple de la
Colcliide.
CoRBiEU, coRBEur, CORDIEU, jurons
encore usités.
CoRBiGE.iux, cormorans.
CORBINER, voler, dérober, d'où corbi-
neur, voleur.
CoRD.iCE, danse comique et lascive des
anciens.
CoRDOU.\x, de Cordoue. Le cuir de cette
■ville était fort estime.
CoRDOUA>rxiER, cordonnicr.
CoRiNTiiE, ville de l'ancienne Grèce.
CoRjiARAM, cormoran, oiseau aquatique.
CoRMÉ, boisson du Poitou faite avec
des cormes.
CoRNABOUs (Journée des), allusion à
quelque conte populaire.
CoRNABOux, cornets à bouquin.
CoRX.VNcn,, augmentatif de cornu. Ra-
belais dit au chapitre xi.vi du livre III :
« Corné, comard et cornu ». Au cha-
pitre xxxvi du livre V : « Cornant,
cornu et comancul ». Et plus loin :
« Comigère, coniipetant, etc. »
CoRXE, Gargantua jouait « à la corne »,
jeu inconnu.
Cornemuse, instrument de musique vil-
lageoise encore en usage, d'où conie-
museur, joueiir de cornemuse.
Corner, crier avec un cornet.
CoRN-ES : « Depuis quand avez-vous prins
cornes? » Depuis quand vous est-il
poussé des cornes que vous êtes deve-
nus si rogues, si insolents?
Cornet É, écorné.
Cornette. C'était une sorte de coiffure
s'attachant sous le menton. On appe-
lait cornette de chanvre la corde qui
servait à pendre les condamnés.
Cornices, corniches.
Cornigere, qui porte cornes.
CoRNucopiE, corne d'abondance, la
corne de la chèvre .Imalthée, de la-
quelle fut allaité Jupiter et nourri en
l'ile de Crète par les deux nymphes
Adraste et Ida. En mémoire de ce bien-
fait, quand il \-ient en âge, il mit cette
cliévre au ciel au nombre des étoiles,
et donna aux nymphes une des cornes
de la chè%Te avec la vertu de leur four-
nir toutes choses en abondance et à
souhait.
CoRONE, Cyrène, ville d'Afrique.
CoRGNEi. colonel.
CORONICE, corniche.
CoRONOPOUS, plante dont le nom est
interprété par Rabelais : pied de cor-
neille.
CoRPE DE GALLXNE, juron traduit de
l'italien corpo di gallina ! corps de
poulet !
C0RPOR.AXS, chefs de corps, caporaux.
CoRPULANCE, corps, matière; mot appli-
qué à une lampe.
CORQUIGNOLLE, croquignollc ; chique-
naude; dans ce dernier sens sorte de
jeu.
CoRRTV'.Ai, rival.
CoRRUGATiON, action de se rider, de se
froncer.
CoRRUPTELE, comiption.
CORSECQUE, javeline, dard.
Corselet, armiue préser\-ant le corsage.
CoRsiCQUE, la Corse.
CoRusc.^^'T, brillant, éclatant.
CoRYS.-vxTiER, dormir les yeux ouverts,
comme fiasaient les Corybantes, prê-
tres de Cybèle, lorsqu'ils gardaient
Jupiter, de peur qu'il ne fût englouti
de Saturne.
CoRYB.\NTiQrES, des Corybantes.
COR\T)ON, berger virgilien.
CoRYTis, mari d'Electre, avec laquelle
Jupiter engendra Dardanus.
CosciNOJLANTiE, di\-ination au moyen
d'un crible qu'on faisait tourner.
COSCOSSONS, COSCOTONS A LA M.\X7RES-
QX^T, cour-coussou, mets emprunté à
la cuisine des Maures et des Arabes.
CoscOTÉ, granulé, taché de petits points :
« Ambre coscoté. »
Cosse, anneau de fer ou de bois que l'on
flxe aux vergues et haubans pour faire
passer les manœuvres courantes.
CossoN, charançon, cousin, insecte ron-
geant les légumes.
CoTAL, de l'italien cotale, chose, machin,
désignant le phallus. — Cot.\.l d'al-
BEs'GUES (messer). C'est le même mot
dont Panurge fait un nom propre.
Albingues est, dit-on, Albenga près
de Gênes.
CoTiR.\L (Henry). Des commentateurs
prétendent que c'est Henri Corneille
Agrrippa que l'auteur a voulu désigner
sous ce nom.
CoTONL\T, cotignac, sorte de confitures
de coing.
C0TONNER, rembourrer, ouater.
Cotte-hardie, vêtement, commun aiuc
deux sexes. « Il n'est pas facile, dit
M. Quicherat, dans son Histoire du
costume au xiV siècle, d'expliquer la
dénomination de cotte hardie, en latin
tunica audax, qui prévalut au commen-
cement du xi\''= siècle. XiO. forme de ce
Glossaire et notes
44Î
vêtement était celle d'une grande
robe taillée droite et fermée comme
un fourreau. Des fentes étaient dispo-
sées, soit autour de l'encolure pour faci-
liter le passage de la tête, soit par le
bas pour assurer la liberté des jambes. »
CoTTEtTRS (de Droict), annotateurs,
commentateurs; cotteur paraît former
tme sorte de jeu de mots avec docteur.
CoTUKNiQUE, qui se rapporte aux Co-
thurnes, aux chaussures.
CoTYXE, mesure de liquides équivalant à
peu près à un demi-septier ou neuf
onces d'Italie.
COTYLEDONS (de la matrice); du grec
x.O":'JÀr,ôojv. « l,es cotylédons ne sont
autre chose qu'orifice des extrémités
des veines et artères manstruelles. »
(A. Paré, l, 34.) « En anatomie, on a
donné le nom de cotylédons aux lobes
nombreux qui constituent le paren-
chyme du placenta. » (Nysten, 1855,
édition Littré.)
CouANE, couenne.
CouBDE, coude.
CouBDÉE, coudée.
CouBLE, couple.
CouBLEMEXT (des chicus), accouple-
ment.
CoiTBLER, accoupler.
CouBTE, coude.
CouBTÉE, coudée.
Couche : « Moitié au pair, moitié à la
couche », c'est-à-dire tout ensemble.
C'est une expression empruntée à
l'argot du jeu où la mise peut être faite
moitié au pari (au pair), sur parole,
moitié au comptant, en « couchant »
l'argent sur la table.
CoucofRDE, courge, citrouille, cale-
basse.
CouDiGNAC, coLTilN'AC, même sens que
cotignac. « Coudignac de four et eau
béniste de cave », c'est-à-dire du pain
et du vin.
CouER (bonnette), ajouter les bonnettes
aux grandes voiles.
CouET, cordage qui sert à assurer la
grande voile et la misaine.
Cot:tiardise, couardise.
CouiLLAGE (des promoteurs); le Ciilla-
gium serait, d'après Henri F.stienne,
ime redevance moyennant laquelle les
ecclésiastiques auraient pu, à une cer-
taine époque et en certains pays, gar-
der des femmes dans leurs maisons.
CouiLLATRYS. « Ce bou homme duquel
il est parlé au prologiie du livre I^^,
qui avoit perdu sa hache ou cognée, et
à qui Jlercure cîi donna une d'or, ce qui
causa que plusieurs de ses voisins se 1
ruinèrent, signifie un gentilhomme de
Poitou qui vint à Paris pour quelque
affaire avec sa femme, qui ctoit belle,
dont François I^'' devint amoureux et
enrichit le gentilhomme, qui s'en
retourna en son pays : ce qui fut cause
que plusieurs de ses voisins qui avoient
de belles femmes ou filles vinrent aussi
à Paris, croyant qu'ils feroient pareille
fortune; mais ils furent obligés de s'en
retourner après s'être ruinés. » {Al-
phabet de l'auteur français.)
C0UILLE, couiLLON, mots fréquents dans
Rabelais ; et nombreux dérivés : couil-
LART, COUTLLASSE, COUILLAUD, COUIL-
LETANT, COUILLETTE, COUILLONNAS,
COUILLONNÉS, COUILLONNIQUES,COUlI.-
LONNIFORMES , COUILLONTSIIQUEMENT ,
COUILI.U.
CouiLLE A l'évesque, herbe marine.
CouiLLE DE BÉLIER, balle faite avec cet
organe; jeu de ballon.
CouiLLEVEiNE, pour coulevrinc, sorte de
canon. Il n'est pas besoin de faire
remarquer que l'orthographe de ce
mot est altérée par Rabelais avec in-
tention.
CouL, col, cou.
CoirLAiNES, village du Chinonnais.
CouLDRAY (le), village du Chinonnais.
CouLEFFRE, Sorte de reptile.
CouLEJŒNT, écoulement.
Couleur de roy, selon Johanneau.
CouLOUoiR (redoubler au), c'est-à-dire
par un coup donné en glissant, en cou-
lant. C'était une des manœuvres de
la hache d'armes.
CoupE.\u, couppEAU, un morceau :
« Vous n'en eussiez donné un coupeau
d'oignon. »
C0UPELAI.T3 (au), à l'épreuve, disent les
uns, de coupelle, petit instrument à
essayer, éprouver les métaux. Ees au-
tres l'entendent : au cul levé.
CouppE, plateau.
CouppE-AUEEiLLE, sorte de couteau
dont la lame était extrêmement fine.
CouppE guorgi':e, pour gorge coupée,
par une de ces transpositions de lettres
fatnilièves à Rabelais.
COL'PPE TE.^TÉE, pour tête coupée.
CoiTPiER, oflîcicr de table; écuyer tran-
chant.
CouppLER, accoupler, réunir.
CoLiRAiGE, volonté.
CoLTRAL, corail.
Courant, courante : « Courante, com-
me bacheliers insensés ». (Livre III,
chapitre xviii). On appelait bache-
liers cursoires (cursorii) les bacheliers
qui, se préparant à la Ucence, fréquen-
taient les actes des facultés, faisaient
442
GLOSSAIRE ET NOTES
des coure, donnaient des leçons parti-
culiètes, couraient le cachet, comme
nous disons encore. Beaucoup de maî-
tres restaient bacheliers cursoires
toute leur vie : « Il y a des bacheliers
cursoires, disait Jean Petit au synode
de 1406, que je vais consulter quand
j'ai quelque affaire et qui y voient sou-
vent plus clair que d'autres qui ont
une grande renommée. Giiignecourt,
qui était réputé l'homme le plus savant
du monde, ne fut jamais que bachcher
cursoire. » {Origines littéraires de la
France, par I,ouis Moland, page 238).
Courbasse, courbé sous le poids des ans.
CorRBEAU, corbeau.
CouRCAiLLET, nom propre emprunt à
quelque légende populaire.
CouRLE, sorte de courge.
CouRLE, courlis, oiseau.
CouRiiAR.'Us-, cormoran.
CouRQV.^iLLET, appeau à cailles; sorte
de chausses pUssées comme l'appeau.
CouRRACTECRS, correcteurs de comptes.
CouRRAlES, courroies.
CouRRAiL, verrou, marteau d'ime porte.
CouRR.\TiÈRE, revendeuse, proxénète.
CouRSiE, passage pratiqué dans le mi-
lieu d'une galère, pour commimiquer
de la poupe à la proue.
Cot-RSIVES (lettres), cursives.
Coi-RsoroiR, pompe d'un vaisseau.
CouRT.-iULT, cheval ou chien de courte
taille. On appelait aussi courtault le
chien ou le cheval qui avait la queue
coupée. Métaphoriquement, ce mot
s'employait pour désigner le phallus.
Cox-TiT-BASTON, jeu qui consiste à tirer
sur un bâton de façon à le faire lâcher
au partenaire qui le tire en sens
inverse.
C0URTE-BOUI.LE, jeu de boules dans un
terrain déUmité.
CorRTlB.\t,TC, sorte de daluiatique courte
que les prêtres mettaient pour officier.
CoLTiTli,. petit jardin fcnné de haies.
Courtine, terme de fortification encore
employé.
CouRTiXES, rideaux de lit.
Courvée, corvée.
CouscoiL (Adam), nom probablement
forgé par Rabelais.
Cousix Gerv.ms remué, jeu de mots sur
cousin germain.
Coussin-, oreiller.
CoussoN, gousset de chemise.
CousTÉ, côté.
CousTE BOVIN-E, côte de bœuf.
CousTE ET v.viLLE, quoi quc la chose
coûte et vaille, peu importe.
Cousteau, coteau.
CousiELETTE, côtelette.
CousTELLEUH, coutclief.
CousTERETS, coustrets, cotfets.
CousTiER, à côté, donnant à côté.
CousTiÈRES (voiles), servant à naviguer
sur les côtes.
CoiSTOYER, suivre les côtes, côtoyer.
Cou\'ERCl.E; prov. : « Couvercle digne
du chaudron. i>
Couvert (au), en se couvrant.
Couverte, couverture.
Coi'VRECiîiEF, coiffure quelconque.
COY, COYE, coi, coite, tranquille, pai-
sible, sans mouvement.
CoYPHE, coiffe.
Coz, queux, pierre à aiguiser.
Cr.\chouoir, crachoir.
Crvvdot, poisson qui se pêche sur les
côtes de Bretagne.
Cr.îîpalocojtes, chants bachiques. - —
Voyez la Bricfie Dcclaration.
CR.\rN"E, crâne.
Cramaillière, crémaillère.
Cramoisint:, sorte d'étoffe de soie, teinte
en cramoisi.
Cr.vmoisy. Ce mot n'exprime point pro-
prement une couleur, comme on le
croit communément, mais bien la
perfection d'une teinture. Ainsi l'on
disait : rouge cramoisy, bleu cra-
moisy, violet cramoisy. Au livre X,
chapitre sixi, frère Jean rime en cra-
moisi, c'est-à-dire richement et en
perfection.
Crante (le), colline près de Corinthe.
Cr-^p-^udine, sorte de pierre précieuse.
Crapault : « Hz en estoient chargez
comme un crapault de plumes », locu-
tion proverbiale povir dire : n'avoir
lien du tout, être tout à fait dépour-
vu. ■ — Un des jeux de Gargantua; on
ne saurait dire en quoi exactement il
consistait.
CR-^iTYLE (le Cratyle du Divin Platon).
Ce dialogue est atissi intitulé : De la
propriitc des noms: il se trouve dans
le tome XI de la traduction de Pla-
ton publiée par 31. Victor Cousin.
Cr^\v^vn"t, sorte d'oie sauvage, oiseau
révéré des Égyptiens.
Crî.ance. croyance, foi.
Credencier, sommeher, qui a soin du
buffet appelé crcdcncc.
Créditeurs, créanciers.
Crejlvsteres, les muscles suspenseurs
des testicules.
Cremere, fleuve de l'ancienne Italie.
CREN"EQurs', armure de tête du cavalier,
assez semblable au heaiune. On appe-
lait aussi crenequin un outil de fer
qui servait à bander les arbalètes.
Crespelu. — Voyez Cincinnatule.
Cressokxière, marchande de cresson.
GLOSSAIRE ET NOTES
443
Crêtes, Cretois.
Crku. cru (substantif).
Creust, profita, accrut.
Ckeziou, c'est un creuset, en Dauphi-
nois.
Oritolacs, philosophe grec.
Croc, « croc-madamG », jeu inconnu.
Crocquemouche, personnage des contes
d'enfants.
CROCQUEXOT.'USE, ou CROTEXOTAIRE,
appelation burlesque pour protono-
taire.
CROCQtTETESTE, sottc de jcu de saute-
mouton.
Crocutes, animaux fantastiques. —
Voyez Pline, livre VIII, chapitre xxi.
Croix, aigent monnayé. Les pièces de
monnaie portaient une croix sur leur
face, d'où l'expression : n'avoir ni croix
ni pile. De là encore : n s'étudier à
l'Invention de Saiute-CroLx », pour :
chercher de l'argent; c'est dans le
même sens qu'il est dit (livre V, cha-
pitre XVI) que le pressoir des Apedefte
est fait du bois de la croix.
Croix osaxière. — - Voyez la Briefve
Déclaration.
Croix ou Pili.e, l'un des jeux de Gar-
gantua; c'est : pile et face.
Croix (Saixcte), église d'Orléans.
CRO^^ocoLAPTE, phalange, sorte d'in-
sectes.
Cropière, croppière, croupière.
Cropiox, croupion.
Croppe, croupe.
Croquigxolle, espèce de diiquenaude;
Gargantua jouait <t aux croquignoUes ».
Crosse, bâton recourbé avec lequel les
enfants s'amusent à chasser une pierre
ou une boule; — le jeu lui-même.
Gargantua jouait a à la crosse ».
Crotaphique (l'artère), artère tempo-
rale, du grec '/soTaçoç, tempe.
Grotesque, grotesque, sorte de dessins
d'ornementation architecturale.
Croteux, couvert de crotte.
Croue, l'écrou d'un pressoir.
CsouLAY (le), ■STllage du Chinonnais.
Crouller, agiter, secouer.
Croustelevé, couvert de croûtes.
Cboustelles, croutelles, près Poi-
tiers.
Croye, craie.
Croysade (la). — . Voyez Metclin.
Croyzer, jeu indéterminé.
Cruc, croc : « grupper au crue », saisir,
suspendre au croc.
Cruon, cruchon, tête : « Sauve, Tevot,
le pot au vin, c'est le cruon ». Chacun
sait que tête {testa en latin, vase de
terre cuite) était synonyme de pot au
vin. On disait donc par ironie aux
francs-taupins : Sauve le pot au vin,
ce qui signifiait à la fois sauve ta tête,
ta vie. et sauve la bouteille. Puis on
avait bien soin d'ajouter que par teste
on entendait le cruon (le cruchon, la
bouteille), et non leur tête, qu'on
savait très bien ne pas avoir besoin de
leur recommander. (B. des JI.).
Cryère, nom d'une tour de Thclème,
c'est-à-dire Froide, Kpvspoç.
Crystalix, cristal.
CuBicuLAiRES, camericrs, gentilshommes
de la chambre.
CucROCUTES, comme crocutes.
Cii'EiLLiR (se), se rassembler.
CuEUR, cœur.
CuHARSCE, sorte de reptile.
CuiDER, CUYDER, Croire, d'où cuideurs
de vendanges, ceux qui, relâches par le
raisin, « se concilient, en croyant ue
faire que vesner. »
CuL, d'où culleter, cultaige, culletis, cule-
tant, que Rabelais écrit parfois cul-
tant : culot est un diminutif : « Le Cu-
lot de discipline. »
CiT, S.A.LLÉ, jeu inconnu.
CuLiCE, inoucheron, cousin.
CuLLEBUTER, culbuter.
CujiANE (sibylle), de Cumes.
Cures, pour excréments, en ternies de
fauconnerie (rendre ses cures).
CuRLVL, de cour.
Curie, cour.
Curieusement, avec soia.
Cusane, Cusaxus, Nicolas de Cusa, au-
teur d'ouvrages sur les mathémati-
ques.
Cuscute, plante parasite.
Custode, garde, custos.
Cuticule, épiderme.
Cutte-cache (jeu de), cache-cache.
CuxfEAUX, petites cuves, cuvettes.
Cu\'E DE VÉNUS, un des noms du char-
don à foulon.
CuYTE, cuisson.
Cybele, mère des dieux.
Cychriode, sorte de reptile.
Cyclades, groupes d'îles de l'archipel
grec.
Cyclopes, forgerons de Vulcain, n'ayant
qu'un œil au milieu du front.
Cyclopicque (enclume), des Cydopes.
Cycî.-e, cygne.
Cydxus, fleuve de l'Asie.
Cyenes (ville d'Egypte) : a Le climat dia
Cj-énes ». Dia est sans doute la prépo-
sition grecque o l à ; le climat, le pays
qui entoure C3'ènes.
Cymb.\les, sonnettes. « Une vache sans
cymbales », locution proverbiale.
444
Cyme CÊolique), Cumes en Êolide.
Cynamolge, oiseau fabuleux d'Arabie,
qui tette les chiennes.
Cynar.\, plante, artichaut.
Cv'N'E, arbres d'Arabie, ser\-ant à faire
des vêtements, selon Pline.
Cynocéphale, singe à tête de chien,
animal fantastique.
GLOSSAIRE ET NOTES
Cypre, île de la Méditerranée.
Cyre, sire.
Cyre, Cyrus, roi des Perses.
C'VRRHE, Syra, une des Cydades.
CVRON, ciron.
CzA, même mot que ça. Dans les com-
mencements de l'imprimerie, le 2 te-
nait lieu de la cédille.
D
Dace, Dade.
Dactyle, datte, fruit du palmier.
D.ED.^LUS, sculpteur et ingénieur grec,
père d'Icare.
Dail, faulx; tenue languedocien.
Daire, Darius.
Da ji"RANDI, permettez-moi, passez-
moi de jurer.
Dal b.^roth, au feu ! en turc, d'après
Panurge.
Da>i, dommage, désavantage : « A leur
dam 11.
D.\JLA.SQurN, DAJLiSQLlNE, damasqulué.
D.vsns, compagnon d'Apollonius de
Tyane, synonyme d'ami fidèle.
D-^MPXER, damner : « Vous vous damp-
nez comme ime sarpe (une serpe, un
serpent) ».
D.VN'AIDES, les cinquante filles de Da-
naiis.
D.4XGIER, mal : c Nul n'en print dangier. »
Dangier, nom qui figurait, dans la poé-
sie allégorique du moyen âge, le mari
jaloux, le gêneur comme on dirait à
présent.
Danouble, Danube.
D.VPHXÉ, nymphe changée en laurier.
D.\RD, D.\R, DARE, poisson blanc, de la
grosseur d'un hareng.
Dardelle, dard, javeline.
D.\RDER, lancer un dard.
D.\RE, donner, en latin : Si lu non vis
(tare, prc^sta, qucrsumus. Si vous ne
voulez donner, prêtez-nous, de grâce.
Darie, Darius, roi des Perses.
Darioles (d'Ajmiexs), pâtisseries qu'on
faisait en cette ville.
Carrière, derrière.
Dast, Dax, ville où il y a des sources
thermales.
Datan conspira contre Moïse avec Coré
et Abiron.
Datel-r, donateur, qui donne.
Datum, donné, en latin.
Dauber, D.\tjLBER, frapper, battre.
Daulphtné, province de France.
D AVANT, devant.
Davant, avant : t Tout le temps davant
disner ». — D.want que, avant de.
Davantau, devanteau, tablier.
D.wtet, pince.
De (monsieur), m. de l'Ours. Tour de
phrase que I^a Fontaine a emprunté
de Rabelais.
Dea, interjection qu'on prononçait pro-
bablement da.
De.wibuler, promener, deambulare.
Debeziller, debeciller, disloquer, dé-
boîter.
Deeitorebus : t Bruncha quelque peu
comme debitoribiis, à gauche »; bron-
cher comme dehitoribus fait allusion au
passage du Pater nostcr où l'on bron-
che, où l'on s'embrouille souvent.
Deronnaireté, bonté, douceur préve-
nante, clémence.
Debouq, debout.
DEBOUTER, rejeter, repousser.
Debradé, qui a perdu les bras.
Debte, dette.
Debteur, débiteur.
Debvoir, devoir (substantif et verbe).
Decalogicque, du décalogue.
Decejiped.u,, ayant dix pieds de long.
Dechevelé, échevelé.
Décider, élire, choisir, extraire.
Declination, diminution, déclinaison,
abaissement.
Décliner, éviter en se détoimiant, es-
quiver.
Decollaz (saint Jean), decollatus.
Decoltler, couler, échapper, glisser.
Decourir, couler : « 1,'eau decourt tout
du long. »
Decours, cours : « Du decours de toute
la journée. »
DECRET, loi ci\'ile.
Decretales. Les Décrétales dont se
moque Rabelais étaient les constitu-
tions pontificales relatives à l'admi-
nistration et à la discipline. Avant
Boniface VIII il n'y avait que cinq
GLOSSAIRE ET NOTES
445
li%Tes de Décrétales. Ce pape y ajouta
le Sixte ou sixième, qui formait par
lui-même un fort gros volume. Les
Clémentines étaient les Décrétales de
Clément V. Les Extravagantes étaient
les constitutions papales en deliors
(extra) du Corpus juris canonici. La
puissance des papes s'est considéra-
blement accrue à l'aide des Décré-
tales. De ce mot, Rabelais en a formé
beaucoup d'autres : on les trouvera
d-après à leur rang alphabétique.
DECRET ALIARCFTR, gouvemant par les
Décrétales.
Decretalicide, meurtrier des Décré-
tales.
Decret.\lictone , même sens, voyez la
Briefie Déclaration.
DECRET.-U.IFUGE, qui fuit les Décrétales.
DÉCRÉT.\Lix, DÉCRETALINE, qui Se rap-
porte aux Décrétales.
Decretalipotens, puissant par les
Décrétales.
Decretaliste, savant en droit ecclé-
siastique.
Decretiste, savant en droit ci\'il.
Decrotoke, decrotouoire, descro-
TOIRE, DECROTATORIUM, instrument à
décrotter.
Decumane. — Voyez la Briefve Déclara-
tion.
Dedxjyt, amusement; a souvent im sens
erotique.
Defauciller, casser les fauciles, ou
faciles (nom que l'on donnait autrefois
aux os de l'avant-bras.)
Défaillir, manquer.
Defen^do, jeu indéterminé.
Déferrer l'axe, jeu inconnu.
Deffaict, deffaicte, le vaincu, la vic-
time.
Deffait : « Faire le fait et le deffait ",
faire et défaire sur le même coup,
comme les bateleurs, les escamoteurs.
Deffeubler, abaisser son capuchon,
sa galleverdine : c'est le contraire du
mot affubler, qui est resté.
Deffourer, c'est le contraire de four-
rer: par conséquent, ôter la fourrure,
la doublure.
Defl\nce, méfiance.
Deflvnce, défi, déclaration de guerre.
Défortunés, infortunés.
Degaster, gâter, dévaster, ravager.
Degocrt, dégom-di, alerte, joyeux.
DEGOUT, écoulement, ce qui dégoutte,
par exemple le jus tombant d'un rôti.
Degouziller, avaler.
DEGUE>rER, être comme hors du four-
reau, être tout en désirs, tout en l'air.
Et aussi dégainer, tirer du fourreau.
Dehait, de hayt, lestement, gaiement.
Dehinch, d'ici; mot latin francisé.
Dehinguaxdé, dégingandé, disloqué.
DÉIFICQUE, di%'in.
DÉIPHOBUS, fils de Priam et d'Iiécube,
troisième mari d'Hélène.
Deject, abattu, renversé : « Deject et
failly. »
Del.ayer, différer, retarder.
DELIBERATION', résolution.
Delos, la principale des Cydades.
Delpiiixium, plante.
DELUGE POETIQUE, celui de Deucalion.
Dejlander a, s'en référer à : « J'en de-
mande aux joueurs », je m'en rapporte.
Dem.\nder de, s'informer de.
De>l^>t3Ibulé, qui a la mâchoire, la
mandibule, brisée.
Dem.\rcheu, desmarcher, marcher, se
mouvoir en avant ou en arrière.
Demetrius. L'anecdote relative au hal-
lebardier de Démétrius mort dans
l'antre de Trophonius se trouve dans
Pausanias {Béat., chapitre xxxix).
Demeurant (au), quant au reste : « Au
demeurant le meillevir filz du monde. »
Demeil-re, temps qu'on demeure avec
quelqu'un ou dans un endroit.
De.uigrer, émigrer, aller autre part.
DEinoLTtGON, demogorgon, génie de la
terre, divinité infernale.
Democrite, Democritus, philosophe
grec.
DEiiocRlTiZANT, faisant comme Demo-
crite, riant comme lui des choses hu-
maines.
Demox.ax, philosophe grec dont la lon-
géWté fut remarquable.
Demouller (les reins), fracasser, défor-
mer.
Demourer, demeurer.
Demovore, mangeur de peuple : « Ho-
mère appelle le roy inique demovore »
— Voyez Iliade, I, 231.
Demy cein'CT, espèce de ceinture ou de
draperie à l'usage des femmes.
Demy-ost.ade. L'ostade était uae espèce
d'étamine; la demi-ostade était la
même étoffe plus légère.
Dex.are, argent, denier.
Dexdin', terme injurieux paraissant si-
gnifier mal bâti, marchant disgracieu-
sement, se dandinant. Rabelais a fait
de ce mot un nom propre, Perrin Den-
din, et Tenot (Etienne) Dendin, son
fils.
Dendro5LAX.\che, plante-arbre, du grec
ûÉvoGOv et 'j.aÀâ/:z, arbre tendre
comme une plante.
Denier, refuser, denegare.
DEXiGE.iJJS. dénichant.
Denigement, dénichement.
446
GLOSSAIRE ET NOTES
Dekiger, rtcnicher.
Denrées, menues marchandises, choses
valant ou rapportant un denier. « Den-
rée de cresson r, une boîte de cresson.
Dens. dedans.
Dentiforme. en fonne de dents.
Deparquer, comme décamper, s'éloi-
gner.
Departemen-t, départ.
Départie, môme sens : « Depuis ma
départie », depuis mon départ.
Départir, partir : a Dépars d'ici. » Est
pris substantivement : o Avant le
départir. «
Dep.\rtir, despartir, séparer, dis-
tribuer, partager : « L,euT departoit de
son argent. »
Dépenaillé, déguenillé.
DEPE^^^RE, despendre, dépenser.
Deperdre, perdre.
Depescher, despecher, dépêcher une
besogne, s'en acquitter promptement,
s'en libérer et dépêtrer; d'où le subs-
tantif depesche : « H y en a mauvaise
despesche », on s'en défait malaisé-
ment. « Avoir sa despesche, » être expé-
dié, satisfait. D'où encore despes-
clieur, qui dépêche, expédie rapide-
ment : <i Beau despescheur d'heures. »
DÉpopuLER, dépeupler.
Déportes, desporter (se), se transpor-
ter, aller dans im endroit; se dispen-
ser, s'exempter, s'en remettre à : « Je
m'en depors », je cesse de m'en occu-
per.
Deposcher, ôter de sa poche, livrer.
DepIiAvé, falsifié, corrompu. « Livres
dépravés », altérés par des interpola-
tions, etc.
Dépression, abaissement, himiiliation.
Déprimer, abattre, abaisser.
Deprisement, mépris.
Dercé, fontaine.
Desaxgonxer, soulager, délasser, désop-
presser.
Desarsonn-er, quitter les arçons : « H
me feroit bien désarsonner », erotice.
Des.wouer, renier : « Je désavoue le
diable si, etc ^.
Desbouciier (se), se montrer, devenir
\'isible, déboucher.
DESBR.\GfETTER, délacer la braguette.
Est pris substantivement : « Valoir
le desbraguetter ».
Desbrider, ôter la bride. Au figuré,
« donnoit sans desbrider ».
Desbridei-r, qui dépèche et expédie
lestement : « Beau desbrideur de mes-
ses. »
Descerte, dessert.
Deschaland É, qui n'a plus de chalands.
Dbschasser, chasser, expulser.
Deschiql-eter, taillader, — deschique-
ttire, ouverture faite dans le vêtement.
Descœuvre, découvTe.
Descontire, vaincre, défaire.
Desconpite, défaite, déconfiture.
Desconfort, affliction, désolation.
DESCROTEtTR, décrotteur; au figiiré :
t beau descroteur de vigiles ».
Descrouller, défoncer ; « Descrouller
les omoplates ».
Desduire (se), s'amuser; d'où desduys,
plaisirs.
Desemparer, détruirei renverser; s'em-
ploie flgurément : « Desemparer vos-
tre alliance », la dissoudre.
Deservir, être utile, mériter. Et quel-
quefois aussi démériter : « Il n'a rien
deser\-i envers vous ».
Desgonder faire sortir d es gonds, déboî-
ter.
DESHiNGti.ANDÉ, déhanché, démanché,
démantibulé.
DESica\TiF, qui sèche.
Désister, cesser de, désister, renoncer à
DESjrciiER (au), en se levant.
Deslgcicîr, disloquer.
Deslogement, déménagement, action
de quitter son logis.
Despris, mépris.
Despriser, mépriser.
Desprou\'eu, dépour\-u.
Despuiier, jeter de l'écume ou comme
de l'écume « Despumer la verbocina-
tion latiale », dégoiser du latin.
Desracher, arracher.
Desrayé, dévoyé.
Desrocher, détacher d'un roc, préci-
piter du haut d'un rocher.
Desroté, déplacé, dérangé, déUé.
Dessay (André Montalembert, sieur de
Dessé ou). — Voyez au mot Clievau/x.
Dessemeler les bottes, détacher les
semelles des bottes.
Dessirer, déchirer.
Dessus (venir au), triompher.
Destiné, fixé, désigué par le desUn.
Destitué, dépourvu, privé.
Destorse, détour, sentier détourné.
Destoupper, débonder (im tonneau).
Destr-VMPIT, détrempa.
Destrousser, détrousser, dérober.
Desultoyre (cheval), cheval de main
sur lequel on sautait sans prendre
terre; cheval de rechange dans les
combats.
Desvaller, devaller, descendre, aller
en bas. Ce verbe est aussi actif : por-
ter, traîner en bas. « Desvaller de mont
à val son tonneau, » précipiter son ton-
neau du haut en bas de la colhne.
DETENTEUR : « Que rien de moy n'a esté
détenteur, » qu'il n'a pas tenu à moi
I
i
GLOSSAIRE ET NOTES
447
Detraction, mcdisatice, noirceur, fausse
imputation.
Detravé, hors d'entraves, échappe et
débandé.
Detkichouere, dévidoir.
Deu C0LL.4P. — Voyez Collas.
Peult, troisième personne du présent
de l'indicatif du verbe dotiloir. —
Vo5'ez ce mot.
DEUS (MEA ctT-PA), « c'est ma faute. Sei-
gneur ! » paroles du Confiteor.
Deus det {nobis pacem), Dieu nous
donne la paix ! formule qui terminait
les grâces qu'on disait après le repas.
« Connaître comme son Deus det >',
c'était connaître comme ses grâces ou
son bénédicité.
Devajmt, en avant, avant, auparavant.
Devers, vers.
Devbdouerre, dévidoir.
Devieigne, devienne.
Dev^ntere (la), clos des environs de
Chinon.
Devis, gré, plaisir : « A mon devis, » à
mou gré.
DEVOT, dcvoius, cavalier ser%-ant, amou-
reux en titre.
DEVOTEMENT, chaleureusement, avec
zèle.
Dextre, droit, droite, main droite.
Dextrement, adroitement.
Dextrier, cheval de main, cheval de
combat.
Dez, dé : « Jeter le dez, » jjrendre une
résolution. « Être hors le dez d'estima-
tion, » être inestimable, ne pouvoir
être estimé à son prix.
Dl-vble bur, diable vêtu de bure, dkible
enfroqué : « I,abourer en diable bur. »
Di.ablerie. On appelait diablerie des
jeux dramatiques analogues aux Mira-
cles des saints, mais où les démons
avaient le rôle le plus considérable.
« Diablerie à quatre personnaiges. » —
« Diablerie pire que celle des jeux de
Doué. »
Dlvbliculer, calomnier, selon le vrai
sens du mot grec.
DiABOLOGiE, science diabolique. Rabe-
lais se sert également de l'adjectif dia-
bolngique. A'.xooÀoç, calomniateur,
diable.
Di.'i.LOGE, dialogue.
DiAMERDis (poudre de), poudre imagi-
naire.
Diane, déesse. Signal du réveil donné
aux soldats.
Diantre, diable.
DiAPH.\NÉlTÉ, transparence.
DI.4PHRAGME, musclc qui sépare la poi-
trine du ventre.
Diapré, éclatant, teint de couleurs bril-
lantes.
DiARHOMES (climat), qu'il faudrait écrire
dia Rome, comme dia Cyènes, que
nous avons vu précédemment; climat
sous lequel Rome est placée.
Dlaspermatisant, abondant en sperme.
DiASTOLiQiE (mouvement), mouvement
de dilatation des ventricules du cœur.
DiAVOL, diable.
Dicaste, juge, celui qui rend à diacun ce
qui lui appartient; mot grec.
Dict, dicté, récit, adage, parole.
Dicte de Candie, mons Dictaus, mon-
tagne de Crète.
DiDius JULiANUs, empereur de Rome.
Diecule, petit jour, diecula.
DiESELE, diable.
Diffame, diffamation, déshonneur.
DIFFERENCE, querelle, différend.
Dignité des braguettes (de la), pré-
tendu livre que liabelais s'attribue.
DiiPEïES, descendants de Jupiter.
DiL.\CERER, déchirer, mettre en pièces,
lacérer.
DiL.ATiON, délai, retard.
Diliof.ntement, diligennnent .
DiLiGER, chérir. Rabelais emploie aussi
le substantif dilection.
DiLLE, fausset d'un tonneau.
DiLUCULE, point du jour.
Dimension, action de mesurer.
DnnoN, apparence, idée fantastique
(héb.)
DiiiiTTER, laisser, remettre,] abandon-
ner.
DiN.\, fille de Jacob. Fosse de Lycie, où
Apollon rendait des oracles.
DiNDENAROYS, nom, forgé à plaisir,
d'une forteresse qui s'était rendtie
faute de munitions. I,e cas est trop fré-
quent, dans les guerres de cette épo-
que, pour qu'il soit possible de préciser
le fait auquel Rabelais fait allusion.
DiNDENAULT, nom d'un marchand de
moutons. 1,'anecdote de Panurge et du
marchand de moutons (livre IV, cha-
pitre VI) est tirée de la xi'' Macaronée
de Merlin Coccaie (P'olengo).
DiODORE (de Sicile), historien grec.
DioGENES, le philosophe cynique. L'a-
necdote racontée dans le prologue du
livre III est tirée du traité de Lucien :
De la manière d'écrire l'histoire. —
Rabelais emploie l'adjectif diogéniquc.
DioGENES IyAERtius, historien des phi-
losophes de l'antiquité.
DiOLE, diable.
DiOMEDES, uu des héros de l'Iliade.
Dion Nicevs, Dion Cassius, de Nicée en
Bithynie, historien grec.
Dionys, Denis, tyran de Sicile.
44 s
GLOSSAIRE ET NOTES
DioscoRiDES, médecin grec, auteur d'un
traité sur la matière médicale.
DiouRE, d'or, doré.
Dious, Dieu.
DiPHTERE, peau de parcheinia préparée
pour écrire.
DiPSADES, sorte de reptiles mentionnés
par Pline.
DiPSODES. Dypsodes, sujets de Panta-
gruel; mot grec qui signifie gens alté-
rés.
DiPSODiE, Dypsodie, pays des Dipsodes.
Directoire, ce qui sert à diriger.
DlREPTlON, pillage, destruction.
Dis. Jupiter ou Pluton. « Dis le père aux
escuz », c'est Pluton, qui préside aux
trésors souterrains.
DISCEDER, s'écarter, s'éloigner.
DiscEPTER, disputer, être en différend.
Discession, départ, éloignement.
Discipline, instruction, comme disci-
plina en latin.
Discordance. — Voyez au mot Anti-
physie.
Discrasié, dyscrasié, sans force, dé-
bile, de mauvaise constitution.
Discrétion, discernement, action de
distinguer.
Disert, éloquent, bien appris : « Diser-
tes révérences. »
DisGREGER, séparer, diviser, disperser.
DisjONCTiVES, propositions exactement
contraires.
DisPAROiR, disparaître.
DisPARTi, réparti, partagé.
Dissolu, rt-sola, dissous.
Dites, pour Dis, Pluton.
T>VVE (la), petite rivière de Poitou.
DiVE, divine, sacro-sainte : « Dive bou-
teiUe. »
Divers, contraire, fâcheux, inconstant :
« Fortune la diverse. ••
Dl\lDER, dévider.
DrviNER, deviner, pré%-oir, connaître l'a-
venir d'où divination, divinateur, divi-
natrice.
Dl\TNiTÉ, propriété divine, attribut
divin.
DmsER, deviser, causer; et de même :
divise, pour devise; et diviz, pour
devis, entretien.
D0CTRIN.\L (le), titre que portent plu-
sieurs livres d'éducation du moyen
âge.
Dodeliner (de la teste), bercer, remuer
la tête doucement.
Dodine (à la), sauce pour assaisonner les
canards et les oiseaux de ri\'ière.
DoiGTZ : « Il avait les doigtz faitz à la
main conune Miner\'e ou Arachné, » il
avait les doigts très prestes, très ha-
biles.
Doigtz de Merci're, plante.
DoiNT, donne.
DOLABELLA (Cn.), procousul. Le trait
relatif à ce personnage, qu'on trouve
au chapitre xliv du livre III, est rap-
porté par Valère-llaxime. livre VIII
des Faits et Dits mémorables, et par
Aulu-Gelle.
DoLEUR, douleur.
DOLOCERE, doloirc, outil de tonnelier et
de charpentier.
DOLY (CHAMP), Campidoglio, le Capi-
tule.
DoiEESES, sorte de reptiles. V.
DoMESTic, DOMESTIQUE, personne atta-
chée à la maison, précepteur, médecin,
etc.; chose qui regarde la maison et la
famille, « affaires domestiques ».
DoMiNO, camail noir que les prêtres met-
taient pendant l'hiver.
DOMITL\N LE CROQUE MOUSCHE, l'em-
pereur Domitien.
DoNAT (CElius Donatus), grammairien
latin.
DONT, don-d, d'où.
DoRBELLis, pour de Orbellis, nom d'un
commentateur de Pierre Lombard.
DoRCUJE, animal du genre du chevreuil
ou du daim, révéré en Egypte.
DORELOT, enfant gâté, caressé, dorloté.
DoRELOT Dr LiÈ\TiE, jeu iuconnu, l'un
des jeux de Gargantua.
DORis (aiots), dignes d'être écrits en let-
tres d'or, comme légende dorée.
DoRiBUS (nostre maistre) : selon les uns,
P. Doré, jacobin; selon les autres,
Jlatthieu d'Orry, dominicain.
DoRis (Jlicliel), Espagnol qui figure dans
la chronique d'Ènguerrand de ilons-
trelet.
DoRiiARS, dormeurs, aimant à dormir.
Dormir en chien, Rabelais explique lui-
même cette locution, livre IV, cha-
pitre Lxm.
Dormi secure, recueU de sermons sou-
^•ent réimprimé aux XV'' et x\"i'^ siècles.
Ce titre , dont on a souvent plaisanté
ne s'adressait pas, bien entendu, aiix
fidèles, mais aux prédicateurs, à qui
il fournissait des thèmes tout prépa-
rés, et qu'il dispensait ainsi de préoc-
cupations et de veilles.
DoROPH.\GES, qui vivent de dons.
Double, menue monnaie valant deux de-
niers.
DOL-BLET, musicien contemporain de
Rabelais.
DouBTANCE, soupçon. Crainte.
DouBTER, douter, soupçonner, redouter.
DouBTEUX, qm est dans le doute.
DouciNE, flûte douce.
DOUÉ, petite ville du Poitou dont les
GLOSSAIRE ET NOTES
449
représentations dramatiques avaient
de la réputation.
DouHET (Bricnd Vallée, seigneur du),
président à Saintes et lié avec Rabelais.
DouLum (se), se plaindre, s'aftliger.
DOURS, le dos, dorsum.
DouzAix, monnaie de cuivre allié d'ar-
gent, valant douze deniers.
DouziL, fausset avec lequel on bouche
ime pièce qu'on a percée.
DOYAC, conducteur de l'artillerie du roi
Charles VIII.
DoYE, vase, baquet.
Drachonique, draconien : « Loi dracho-
nique », très rigoureuse.
Dracox, dragon.
DRACOXXEAUI.X, petits dragons.
Drageouois, petite boîte à mettre les
dragées.
Drapper, faire le drap, fournir la matière
de l'étoffe.
DREP.4ICI, Trepani en Sicile.
Drogueur, droguiste.
Droict (au), vis-à-vis.
Droisser, dresser, ériger.
Droxos, des coups; terme de l'Anjou et
du Languedoc : « Soudain lui doanoit
dronos. «
Dropace, dépilatoire.
Drouet, pour Heroët, poète renommé
à cette époque.
Drue (l'herbe), épaisse, touffue.
Dry.ades, nymphes des bois.
Dryinades, sorte de reptiles.
Du Bellay, du Beslay, cvèque de Pa-
ris, cardinal, l'un des principaux pro-
tecteurs de Rabelais.
Du Bois le Court, grand salpêtrier du
Maine.
Duc, grand-duc, oiseau de proie : « Ju-
non avec son duc. »
DUEIL, deuil.
DuisiBLE, convenable, qui plaît, qui
sied, du verbe» duirc » .
DuMET, duvet.
DujiETÉ, garni de duvet.
Du MOLLIN, musicien contemporain de
Rabelais.
Du PAiGE (Monsieur), monsieur du
ROI, formule familière à Rabelais, de
qui La Fontaine l'a empruntée.
Duplique, réponse à une réplique.
DUPPE, huppe, oiseau.
DuppLE, amende du double.
DuRETTE, un peu dure.
Du TOUT, complètement.
DuYRE, convenir, plaire.
Dyas, deux, en grec.
Eage, âge, employé au féminin comme le
latin œtas.
Eale, animal fantastique, décrit par
Pline, Uvre VIII, chapitre xxx.
E.i.u ardente, eau-de-\'ie.
Ecclise, Ecuse, pour église, ecclesia.
Ecentricqlt;, pour excentrique.
EcKARBOTTER, fouiller, tisonner.
EcHEPHRON, nom tiré du grec, et signi-
fiant : ayant du sens et de la pru-
dence.
EcHiNADES, îles entre la Morée et Tunis.
Echine, enveloppe épineuse de certains
fruits, par exemple, des châtaignes.
EcHiNEis, rémora, poisson auquel les
anciens attribuaient la vertu d'ar-
rêter les navires.
Eclipses : a Depuis certaines éclipses »,
depuis certaines révolutions célestes.
EcLYPTiQUER, pour éclipser, troubler.
EcsTASE, extase.
EcsTATiQUE, extatique.
Edontdes, les bacciiantes, ainsi nom-
mées du mont Edon, en Thrace.
Edouard V, roi d'Angleterre. Anecdote
T. II.
où figiirent ce roi et François Villon,
chapitre Lxvn du livre IV.
Effegé, pour f, e, g.
Efferé, fier, indompté, sauvage.
EFFL^^.■cÉ, fiancé.
Efficace, efficacité.
Effray, voir Effroy.
Effroy, bruit destiné à effrayer : « Faire
effroy », pousser des clameurs. « Sans
effroi «, sans faire de bruit. Ce mot a
aussi le sens actuel : « Voyant nostre
effroy. »
Effructé, efîruité, dont on a cueilli le
fruit.
Efrené, sans frein : « Cheval efrené. »
Egene, nécessiteux, indigent.
Egest.a, fille d'un prince troyen qui
s'abaudoima au fleuve Crinisus méta-
morphosé en chien.
ÉGIPANES, égipans, satyres avec des cor-
nes et des pieds de chèvre.
Egiuchus, en g^ec aiyiovoç, qui tient
l'égide.
Egousser, écosser.
29
450
Gt-OSSATR-R ET NOTKS
ÊGRAPHnîER, égratigner, écorcher.
Eguallé. nivelé.
Ela, la note la plus élevée de la gamme,
dans l'ancienne musique.
Elaî;es, les landes.
Electre, métal composé d'or et d'ar-
gent. C'est aussi l'ambre jaune.
ELEEMOS'iivE, aumône.
Éi-ÉG.\NTE5iEN'T, avec élégance, élégam-
ment.
Eleichie, pierre précieuse taillée en for-
me de poire.
Elicte, éclair, lumière subite, éloise.
Elixo, pour élixir, nom donné par les al-
chimistes tantôt au mercure, tantôt au
soleil.
Elopes, sorte de reptiles. Ce nom dési-
gne aussi une espèce de poissons. —
Voyez Pline, li\Te IX, chapitre xxvn.
ELrER, laver, nettoyer, purifier.
Elutl-vx. épuré.
Hmacié amaigri, desséché.
Emanciper (se), se rendre indépendant.
Emb.M-LER, avaler, engloutir.
EsiBASTOXNÈR, armer.
EMBA\^ÉRÉ, qui a les mâchoires déboî-
tées.
Embesongné, engoué d'une chose, fort
occupé d'une besogne.
Embev, imbu, imbutus.
Emblée (à 1'), à la dérobée, en cacliette.
Emble>l\tl're, ensemble d'emblèmes,
peinture allégorique.
Embohœ, pomper, imbiber, au propre
et au figuré.
EsiBorRRER, bourrer, rembourrer; a
fréquemment un sens erotique.
EMBOt-RREURS (de bastz), rembourreurs.
Embovsé, souillé de boue, de fiente.
Embrasser : « Qui trop embrasse peu
estrainct. i
Embrexer, souiller de bren.
Embruiscké, entortillé, revêtu, enduit.
Embu, imbibé.
EMBfRELUCocQUER (s'), s'embarrasser,
s'enchevêtrer.
Embusche, embuscade.
Embut. entonnoir.
EilEvEXCE, supériorité.
EsiiNiN'S, espèces; mot hébreu.
Emmelie, genre de saltation décente et
posée.
Emmortaisées, fixées, établies d'ime
manière solide.
Emolument, tel que savent les médecins
gregeoys (livre 1", chapitre vui). Il
s'agit de la vertu prolifique qu'on pré-
tendait attachée au jaspe vert.
Empaletocqué, enveloppé; le paletocq
était une casaque à coqueluchon.
EsiPAX, mesure de longueur, équivalant
à huit pouces.
I Empantophi-é, enfermé comme dans
I une enveloppe.
! Empas (les), entraves, liens, empêche-
; ment.
I Empegé, englué, empêtré.
j Empenxé, em plumé, garni.
EsiPERET-R (1'), Charlcs-Quint.
Empereur, grand poisson du genre du
spado ou épée.
Empesche, empêchement, embarras :
« Empesche de maison, n
Empescher, embarrasser.
Empeté, embaumé de pets.
Empire (le ciel), le ciel empyrée.
Emploiter, employer, occuper.
Emposteur, imposteur.
Emulateurs, rivaux.
Emulgextes (veines), veines qui por-
tent le sang dans les reins.
Emuxder, nettoyer, purifier.
Exasé, qui n'a pas de nez, dont le nez
est écrasé, aplati.
Excapitoxxer, mettre autour de la
tète.
Encakré, échoué, en parlant d'un vais-
seau.
Enceixte, conçue, dans le sens figuré
« Chascim aye enceincte la parole
saincte ! »
Excext, encens.
Enchâsser, mettre en châsse.
ExcKERiE, (faire de 1'), enchérir, deman-
der un trop haut prix.
ExcHE\-ESTRER, mettre le chevêtre, le
licou : « Enchevestrer les mulets. «
Enclin, coirrbé, incliné.
ExcLiNER, incliner : « Encline en prière. »
Encloer, endouer.
ExcLOUS, enclos.
Encocher, ficher, mettre dans le cran;
est pris parfois dans xm sens eroti-
que.
ExcoixGNÉ, poursTi, garni de cognée.
Encontre, contre.
Excontre, rencontre.
ExcYLiGLOTTE, filet, attache de la lan-
gue.
Endextelées, garnies de dents.
En'de3\xr, enrager.
Ext)OUAYRé, doué, doté.
Exdousseure, dernier revêtement; ter-
me d'architecture.
Endltre, avaler, et par suite digérer;
terme de fauconnerie.
Exéoremes, nébulosités qui surnagent
dans l'urine.
ExFEPOkiiER, infirmier.
Enterrer, mettre aux fers, lier de chaî-
nes de fer.
ExFL\NS.\iLLES, flançaiUes.
Enfl.;vmber, enflammer, incendier; en-
flambé, flamboyant.
GLOSSAIRE ET NOTES
451
Enton'drer, enfoncer, défoncer, englou-
Ur.
EnfgxjTIXer, mettre au four : i A Ten-
foumer on faict les pains comuz. «
E^^FROCQrÉ, portant froc.
Engarder, empêcher, garder de, pren-
dre garde, obser\'er.
En'garier. — Voyez Atigarici'.
EN'GASTRrMYTHK, ventriloquc, qui parle
du ventre.
Engin, machine, ruse, moyen, malice.
Engiponxé, enjuponné, vêtu d'une
robe : « Veau engiponné », veau en
robe de docteur.
En'Golevext, nom d'un géant et d'im
capitaine de Picrochole.
Engout-lé, englouti, avallé.
Engourdely, engourdi.
Engravé, gravé, empreint.
Engressé, graisse.
Engroisser , rendre enceinte , devenir
enceinte.
ENGRO^rELA^•D , le Groenlan , terre aus -
traie.
ENGROSSissEjrEXT, actiou de rendre en-
ceinte ou de devenir enceinte.
Engu.^ixnant (frère), nom burlesque,
qui veut dire : mettant en gaîne.
En'Guaxteler, garnir de gants.
Emguarder, engarder, empêcher, ob-
server.
Enguerrant, Enguerrand de Monstre-
let, chroniqueur du xv" siêde.
ExGYS, voisin; mot grec. Rabelais fait
de ce mot le nom d'un royaume.
Entiydrides, couleuvres aquatiques. — ■
Voyez PUne, Uvre XXXII, chapi-
tre xx\-i.
Enig. — Voyez la Briefve Déclaration.
Ajoutons que la traduction que donne
Rabelais est fautive : Eitiig signifie
quelque, aucune, et cwig, perpétuelle.
Il s'agissait, pour le landgrave de
Hesse, de demeurer « sans aucune
prison » ou « sans prison perpétuelle ».
Enigme. 1 1,'énigme trouvé es fondemens
de l'abbaye des Thelemites » est em-
prunté aux œuvres de Mellin de Saint-
Gelais. Raillant l'obscurité du style,
Rabelais dit plaisamment qu'il est de
MerUn le prophète. Rabelais a ajouté
deux vers au commencement et dix
vers à la fin, à partir de celui-ci :
Reste en après gu'iceulx trop oblige':....
Enilims, officiers de la Quinte-Essence.
Enxter (se), s'efforcer, faire effort.
Enlevé, élevé, rehaussé, mis en relief.
Ennasé, camus.
Enn.\sin, l'ile des camus, des gens sans
nez.
Ennesiy (l'), le diable.
Ennicrochê, crochu, tourné en crochet.
Ennie, Ennius, poète latin.
En plus, non plus, pas plus.
Enquester. s'informer.
Enrimer (s'), s'enrhumer : — « Et en
rithmant, Ijien souvent je m'enrime »,
dit Clément Marot.
Enroiddy, roidi.
Ensacher, mettre en sac.
Ens.\gir, devenir sage.
Enseigne, insigne.
Ensemble eux, avec eux.
ENSEMBLEirENT, en même temps, de con-
cert, de compagnie.
Ensigne, insigne, marque.
Ensuivir, s'ensuivre.
Entalenter, faire naître le besoin, le
désir de quelque chose. Le mot talent
avait primitivement le sens de désir
et besoin
Entan, comme anian.
Entelechie, une perfection intérieure de
quelque chose. Rabelais, livre V, cha-
pitre XIX, donne ce nom au royaume
où règne la dame Quinte-Essence :
« Car les soulfieurs se vantent de ne
tirer seulement que le subtil, et sépa-
rer de la matière terrestre la simple
et pure essence, l'âme et interne perfec-
tion des choses . » {Alphabet de l'auteur
français.)
Budée explique ainsi le mot sv-
"£/,£"/£ '.a : « Actum et perfectionem
doctissimi Grœcorum interpretantur. »
« Et si avait dix huit cens ans pour
le moins. » En supposant Aristote père
de l'Entéléchie, cette dernière devait
en effet avoir à peu près cet âge au
temps où ce Uvre a été écrit, comme
l'ont très bien remarqué Le Duchat
et Johanneau.
Entend.^nt, intendant, inspecteur, con-
trôleur.
Entendouoire, substantif formé d'en-
tendre, Intelligence, compréhension :
« J'ai assez belle entendouoire », dit
frère Jean.
Ententivement, attentivement.
Enthusiasme, enthousiasme.
Ento.mericque, adjectif formé plaisam-
ment avec le nom de Jean des En-
tommeures : « Mer Entomericque. »
Entommer, entamer, tailler en pièces,
couper en morceaux.
Entommelties (Jean des), est inter-
prété Jean qui taiUe en pièces. Le long
de la Loire, entamer, entommer, se di-
sait et se dit encore pour entamer. Il
faut se rappeler aussi qu'en grec
àvToarJ signifie entaille. Frère Jean,
au chapitre lxvi du livre IV, dit lui-
452
GLOSSAIRE ET NOTES
même : « Va, ladre verd, à tous les
imllions de diables qui te puissent
atiatomiscr la cervelle et en faire des
entommeures. »
Entontœr, boire, et commencer un
chant. Rabelais joue volontiers sur
la double acception de ce mot : « Ung
motet entonnons; où est mon enton-
noir? »
Entonnoir, entonnotter, instrument à
entonner, à mettre en bouteille.
ENTOfR (d'), d'autour de.
Entournoié, ayant autour de soi, en-
guirlandé.
Entraict, emplâtre, onguent.
Entreillizé, entremêlé.
Entrelardèrent, entrelacement.
Entremettre (s'), se mêler de.
Entrepelauder (s'), se donner des
coups, se prendre aux cheveux, se
houspiller.
Entrer, employé comme verbe actif :
« Quels signes entroit le soleil (hvre I,
chapitre xxm). — Ceux qui estoient
entrés le clous (chapitre xx\tii) . »
Entrer en vin, se mettre en train de
boire.
Entretenement, entretien.
Enviz, en\-ie : « A tous enviz et toutes
restes », selon toute leur envie et tout
leur loisir.
Enyo, Bellone, déesse de la guerre.
EOLIPILE. — Voyez la Briejve Déclara-
tion.
EoLUS, Éole, dieu des vents.
Ep-ENONS, louanges, panégyriques.
Epagom, moufle.
Epanalepse, répétition de mots.
Ephecticque, sceptique, pyrrhonien,
qui suspend son jugement; mot grec.
EPHEMERE (fièvre), fiè\Te qui ne dure
que vingt-quatre heures.
Ephesians, Ephésiens, habitants d'É-
phèse.
Epicenauœ, d'après le repas.
ÉPIDEMIALE, épidémique.
Épiglottide, membrane cartilagineuse
qui couvre l'orifice de la trachée-ar-
tère.
Epilenie, chant en l'honneur de Bac-
chus, que l'on faisait résonner durant
le temps des vendanges, lors même
que l'on foulait les grappes de raisin,
£T:'.Àr,v'.o)V a:7;j.a.
Epinicie, chant de victoire; mot grec.
Episem.\sie, gesticulation, mouvement
des mains; mot grec.
Epistemon, ce mot vient du grec, et
signifie savant.
Epitherses, citoyen et maître de Plu-
tarque. I,e rédt d'Epitheises (Uvre IV,
chapitre xxvm) est puisé dans Plu-
tarque, "co; "wv v/.KiK'j:~(i~iii^t
Epode, sorte de vers propres à être mis
en musique.
Epvrotes, habitants de l'Épire.
Equal, égal, <Bqualis.
Equaller, égaliser.
Eque, cheval, equus.
Equif, esquif, barque, vaisseau.
Equiparer, égaler, œquiparare.
Equipollent, équivalant.
Equivocqder, faire un jeu de mots en
transposant des lettres ou des sylla-
bes. l,es équivoques sont très nom-
breuses dans Rabelais.
Eraige, race, lignée.
Erecti\-e (vertu), qui produit l'érection.
Ergoté, pour\-u d'ergots et d'arguments
sophistiques.
Ergotz, arguments sophistiques.
Eriger, élever, dresser, exhausser :
< Eriger les abymes au dessus des
nues ».
Erithrée, mer des Indes, mer Rouge.
Erraticque, vagabond, errant.
Erre, train, allure : « Aller bel erre,
grand erre », aller bon train, grand
train.
Errer, se tromper.
Erres, traces.
Eruce, plante, espèce de roquette; eruca.
Erynge, sorte de chardon.
Eryon, géant.
Eryx, géant.
Es, aux, dans, les.
ESB.VHY, l'un des jeux de Gargantua;
on ignore en quoi il consistait.
EsB.^NOY'ER, récréer, dilater : t Esba-
noj-t le cerveau ».
Esbatement, esbattement, ébats, di-
vertissement.
EsBAUDiR, ESBAxn-DiR, réjouir, amuser.
Esbucheter, ramasser des bûchettes.
EscvFiGNON, chausson, escarpin.
Escale, écaille : « Huytres en escalle ».
EsCAMPER, décamper, s'en aller.
EscANTOULA, chambre de l'argousin
dans ime galère.
ESCAPPER, échapper.
Esc\RBOun.LER, brouiller, éparpiller,
écraser.
Escarcelle, bourse.
EscARL.^TTE, nom d'une étoffe : « Chaus-
ses d'escarlatte. »
E^carques, poiu: escalques, serviteurs;
du \"ieil allemand scalk.
Escarrabillat, de belle humeur, réjoui,
en train de se divertir.
EsCARTELÉ, divisé en quartiers; terme
de blason.
GLOSSAIRE ET NOTES
453
EscELLE, aisselle.
E^CHAFFAUT, cstrade.
EscHALLEUR (DE NOYS), qiii écale des
noix.
EscH.\LLON, éclielon, degré.
EscHANCRÉ, rongé de cliancres.
EscHARBOT LE BRUTN, jcu indéterminé.
EscHARBOTTER, écarter, éparpiller, re-
muer : « Escharbotter le feu », le tison-
ner.
EscHAUBOUiLLURE, ampoulc.
EscHAUGtTETTE. guérite du soldat en
faction, vedette. — D'où eschaugtiei-
ter, épier.
ESCHELETTE (MONTE, MONTE), jCU d'en-
fants.
EscHENEAXJ, chenal, canal pour la con-
duite de l'eau.
EscHETZ, échecs.
EscHEsTE, hérisson, du grec r/ïvo;.
ESCHIXÉE, chair de cochon levée sur le
dos ou l'échiné. « Eschiuées aux
poys. »
ESCHYLUS, le tragique grec. Valère
ilaxime et Pline ont raconté la mort
d'Eschyle; ce n'est probablement
qu'une de ces fables qui sont fréquen-
tes chez les auteurs anciens. Montai-
gne, livre I, chapitre xix, relate ce
trépas, ainsi que plusieurs autres assez
étranges sans les révoquer nullement
en doute.
Esclaffer (s'), de rire, éclater de rire.
EscLAiRER, pour verser à boire (livre IV,
chapitre li) .
EscLOT, sabot, sandale ou chaussure de
bois : « Comme font les Limousins à
bels esclots », comme les Limousins
font à pleins sabots.
EscLOUANT (SES PETITS), faisant éclore.
EscLOURRE, éclore.
EscLUSE, écluse.
EscoNDUiRE, éconduire, refuser.
EscoRCHER LE LATIN, parler vm mau-
vais latin.
EscoRCHER LE RENARD, vomir, rendre sa
gorge; — • nom d'un jeu inconnu, l'un
des jeux de Gargantua.
EscoRiER, ôter le cuir, écorcher.
EscoRNÉ, vil, méprisable, abject; de
l'italien scorno.
EscoRNÉ, de mauvaise humeur.
EscoRNiFLÉ, affronté, bafoué.
EscoRT, avisé, prudent, circonspect; de
l'italien scorto.
Escosse-François ; le langage Ecosse-
François était le baragouin que par-
laient les Écossais servant en France.
EscoT, écot. Rabelais joue sur ce mot
et sur le nom du fameux Scot, sur-
nommé le Docteur subtil.
ESCOUBLETTES ENRAIGÉES, tm dc'S jeuX
de Gargantua, dont on ne sait rien.
EscouFFE, ESCOUFFLE, signifie à la fois
un cerf-volant, un milan, oiseau de
proie; une monnaie de Flandre, et un
vêtement de cuir.
EscouLPETlERS, soldats portant l'esco-
pette.
ESCOUPETTE, ESCOULPETTE, CSCOpette,
petite arquebuse.
EscouTE, cordage attaché au coin infé-
rieur d'une voile pour servir à la
déployer et à la tendre.
EscouTiLLON, trappe pratiquée dans le
panneau d'ime ccoutille.
EscREVTissE, écrevisse.
EscROULLER, agiter, secouer fortement.
Escu DE B.^SLE, esneigne d'un libraire
de Lyon.
EscuLÉE, écuellée.
EscuLLER, secouer, et aussi éculer, écra-
ser les talons des chaussures.
EscuRER, nettoyer : « F^scurer l'esto-
mac, s'escurer les dents ».
EscuRiEUX, écureuil.
EscuTZ ELLES DE BOIS (fracasser), c'est
un calembour qui se comprend aisé-
ment.
Escuz, écMS. A l'imitation des écus au
soleil, Rabelais suppose des écus à la
lanterne, des écus à l'étoile poussi-
nière, etc.
Escuz DU P.vLAYS, jetons servant à
compter.
ESGORGETER, ESGUORGETER, diminutif
d'égorger.
EsGous, dégouttant.
ESGOCSSER, tirer de sa gousse, de sa co-
que; écosser.
EsGOUSSEUR DE FEBVES, écosseux de
fèves.
EsGu.iRD, liagard, farouche, sauvage.
EsGUASSÉ, agacé.
EsGUE ORBE, cheval aveugle.
EsLE, aile.
ESMERAUGDE, émeraude.
ï^MEUT, excrément.
lîSMEUTiR, rendre les excréments.
E^.MONDER, nettoyer.
EsMORCHE, amorce.
EsJioucHAlL, instrument à chasser les
mouches, analogue à l'éventaU.
EsMoucHER, ESMOUCHETER, chasser.
écarter les mouches.
EsMOUCHETÉ, dont on a écarté les mou-
ches; et ailleurs : moucheté, piqué des
mouches.
EsMoucHETEUR, celui qui chasse les
mouches.
ESMOULER, émoudre.^
EsoPET, diminutif d'fisope.
EspADE, épée, spada.
43 4
GLOSS.MKl. ET NOTES
Esp.uiER (s'), s'cdaircir, s'i'purcr, en
parlant du ciel.
ESPARTD», répandre, partager.
ESPAR\lER, éper\ier; « esparviers de
MontaiRU. • des pous.
EsPArLÉ, ESPAULTRÉ, qui a l'épaule
déboîtée.
Espaces (mots), mots inusités, rejetés,
flottants, que l'usage n'a pas fixés.
ESPECL\L, spédaJ : « Grâce especiale ».
EspÉE : « Espée à deux mains. — bas-
tarde. — espagnole. — Chascun sur
son espée », en mettant diacun son
espée en gage.
ESPEL.«^-, éperlan.
EsPERDu, perdu, introuvable.
EsPERiT, esprit.
ESPERRUCQUETZ, porte-perruques, ga-
lants, coquets.
ESPICES, confitures, dragées, et par ex-
tension, présent fait aux juges.
EspiES, espions.
EspiNAY (1'), jeu de cartes inconnu.
Espint; du douss, épine dorsale.
EspcsER (s'), se piquer aux épines.
Espixette, instrument de musique.
EspixG.iRDERiE. cc qui concerne les es-
pingardes, arbalètes sur roues et mous-
quets de remparts.
EspoiRE, espère.
ESPOCTLLERESSE DE BELISTRES, qui Ôte
la vermine des bélîtres.
Espo\'ENTER, épouvanter.
EspRixs, épris : a Esprins de témérité •>.
ESPURGE, plante laiteuse et vénéneuse.
ESQU.VME, écaille.
EsQUARQm-LÉ, écarquillé, ouvert, écar-
té.
Esquarrer, tailler en carré : f Esquarrer
ra vélins ».
EsQCiNANCE, esquinancie.
EsRAFFLADE, action de grifter, d'érafiier
en passant.
EsRENER, éreinter.
Esse. — Voyez aisse.
EssELLE, aisselle.
Essors, adjectif; qui prend bien l'es-
sor, qui s'élève rapidement dans les
airs, en parlant d'un oiseau.
EssuEiL, essieu, pôle.
EssuER, essuj'er.
EsTACHÉ, attaché.
ESTAFFIER, valet armé qui tient l'étrier.
« Estaffier de saint Martin », le diable
qui, d'après la légende, ne quittait pas
saint Slartin, soit pour le tenter, soit
pour le contrarier et le persécuter.
EsTAlL, cordage qui sert à guinder dans
im vaisseau la chaloupe, la marchan-
dise, etc.
EsTA>LET, étamine, étoflfe de laine : « Es-
tamet blanc ».
EsT.\xGorRRE (le pa.\s d'), ou d'Estran-
gor, comme on dit dans le roman de
Lancelot du Lac. Le Duchat y voit
VEast Fn^laiid ou l'Estangle, une des
heptarchies saxonnes.
EsT.\NTEROL, partie du vaisseau voisine
de la poupe; escadron, enseigne.
EsTAPHE, étrier.
ESTAPPES, étapes, stations des troupes.
EsTAU, boutique, étal.
ESTERXUER, éternuer.
lisTEUF, balle du jeu de paume.
ESTIOJIEXÊ. malin, corrosif, purulent.
EsTiv.iL, d'été : « Solstice estival. »
ESTIV.\LLET, bottine ou chaussure d'été.
E.STOC, épée, bâton ferré; souche d'un
arbre.
Estoc, coup de pointe : « D'estoc et de
taille. »
EsToiLLE poussi>aèRE, les Pléiades,
constellation dans le signe du Taureau,
EsTOMMi, étourdi, abattu.
EsTON'KEZ : I! Estonnés comme fondeurs de
cloches 1', locution proverbiale.
EsTORCE, entorse, effort, croc-en- jambe :
« Luy ai-je baillé belle estorce? » {Pa-
thdin.)
EsTOtTER, boucher.
EsTRADioz, stradiots, chevau-légers d'Al-
banie, vêtus comme les Turcs.
EsTR.\XGE, étranger.
ESTRAP.\DE, ancien supplice consistant
à élever le criminel au moyen d'une
corde, puis à le laisser tomber rapi-
dement. Figurément, • bailler l'estra-
pade à ces vins blancs d'Anjou ».
EsTRE, nature, parties naturelles.
ESTRÉ, animé, plein de feu, du latin
œstrum.
EsTRELixs (les), peuples de l'Esthonie,
situés à l'est de la Baltique.
EsTREXE (EX BOXNE), de bou cocur, sin-
cèrement.
EsTRiF, peine, chagrin, débat, rixe.
EsTRTLLE-FAin'EAU. étriUe-jument. —
C'était un rébus populaire exprimé
par une étrille, une faux et un veau,
n servait d'enseigne.
ESTRIXDORE. danse anglaise : « Danser
l'estrindore ".
EsTRiPÉ, éventré, brisé, étripé.
ESTROCZ (le bois d'), bois du bas Poitou.
EsTROiCT, détroit : n Estroict de Sibyle »,
détroit de Sé\-ille ou de Gibraltar.
EsTROPiATZ, estropiés.
Estropié (im petit homme tout), allu-
sion à Ciiarles-Quint, perclus de gout-
te.
Estu\-er, aller aux étuves, prendre un
bain de vapeur.
EsuRiALES, de jeûne; • féeries esuriales »,
jours de jeûne.
GLOSSAIRE ET NOTES
455
ESVEIGLER, EVEIGLER, t^veiUcr.
Eterxe, étemel, alernus.
EïHiopis, herbe fabuleuse, moyennant
laquelle on ouvre toutes portes fer-
mées.
Etion, géant.
Euci.iON, principal personnage de VA u-
hilaria de Plaute.
EtDEMOX, paeg de Gargantua; mot grec
qui signifie : qui est bien né, qui a un
bon génie.
EuGXTBE, ville de l'ancienne Ombiie.
EuHYADES, hyades, nomiices de Bac-
dius.
EuiiETRlDES (pierre), pierre précieuse. —
Voyez Pline, livre XXXVII, cha-
pitre X.
EuNxrcHE, eunuque.
Euphorbe, une liqueur qui découle d'un
certain arbre d'Africiue. de couleur de
lait, et d'une faculté fort diaude et
brûlante; on use de sa poudre pour
faire étemuer. (Livre II, chapitre
xx\'in.)
EuPHORBus, médecin du roi Juba.
EuRYCLiEXS, devineurs engastriens ab
Eurycle Engastrimytho, cujus meminit
Scholiast. Aristoph. in Vespis, et Cœl.
Rhodig., li\Te VIII. chapitre x.
ErsTHEXES, fort, robuste, puissant et
galant homme; en grec î'jaOîvr,;.
Ev.'VDER, éviter.
Ev/VNGELISTE, cclui qui aunoncc, qui
proclame une chose heureuse, dans
le sens étymologique du mot.
Evangile, pris dans le sens de vérité.
Evangiles de bois, c'est-à-dire ta-
bUers, tables à jouer aux dés, aux
échecs, etc.
Ev.\NTES, bacchantes.
Evergetes, surnom d'Osiris, bienfai-
teur; mot grec.
EvERSEL"R, qui renveree, qui détruit.
EvERSiON, destruction, bouleversement.
E\'ESGAUX, E\rESGESSES, mots grotesques
faits avec le mot évesque.
E\'ESQUE DES champs; être fait évêque
des champs, qm donne sa bénédic-
tion avec ses pieds, c'est être pendu.
EviDENiEJiEXT, évidemment.
EviG. — Voj-ez Enig.
EviRÉ, épuisé, sans forces.
Ev'OCQUER, appeler, mander, faire com-
paraître.
EvoHE ! cri des bacchantes.
ExAGOXE, hexagone.
Exclamer, s'écrier, crier.
ExcALER, filtrer, tirer au clair.
ExcoRiATEUR, écorcheuT.
ExcoRTiQUER, ôtcr l'écorcc.
EXCRE.SCENSE, excroissaucc.
Exemptile, facile à ôter, à enlever
exemptais.
Exenterk, éventré, dont on a arraché
les entrailles.
ExEQUANT, exécutant; mot latin, exc-
qtiens ; i Nous dictans, une de ses
mystagogues exequant. » C'est un
latinisme : nobis dictantibus, una ex
mystagosis exequcnte, tandis que nous
dictions et qu'ime de ses prêtresses
écrivait.
ExEQUES, obsèques, funérailles.
Exercitation, exercice, travail, occu-
pation.
ExERCiTE, armée.
Exercité, exercé.
Exhalation, exhalaison.
ExHAUSTE, épuisé, tari.
ExHiLARER (s'), s'égaycr.
ExiMÉ, fiuet, maigre, décharné.
ExixANiz, épuisés, défaits : « Corps exi-
naniz par long jeusne. »
ExisT»L\TiON, estimation, apprécia-
tion.
ExisTUiER, EXSTIMER, estimer, juger,
croire.
ExiTURE, issue, sortie, porte.
Expédié, prompt, véloce : « Expédiés à
courir, j)
Expiration : « Suffoqué par deffault de
expiration ».
Expirer, périr, se perdre.
Explorer, regarder, examiner, visiter,
éprouver.
ExpoLY, poli, achevé, cultivé, perfec-
tionné.
ExpoNiBLES (de M. Haultechaussade),
ouvrage et auteur imaginaires que Ra-
belais dit avoir été commentés par
Ockam, fameux théologien anglais
du XIV* siècle.
Exposé, à la portée de tout le monde,
fadle.
Exposer, expliquer, énoncer.
Exposition, explication.
Exprimé, dont le suc a été exprimé.
ExpRouvÉ, éprouvé, mis à l'essai.
ExpcnsÉ, ESPUYSÉ, épuisé.
ExQuisiTEMENT, Soigneusement, exac-
tement, d'une manière rare et choisie.
ExTAixcT, éteint.
ExTAixDRE, éteindre.
ExTEXDRE, étendre.
ExTERioRE, extérieur.
ExTÉRioREMEXT, extérieurement.
Extirpé, arraché, extrait.
ExTispiciXE, divination par l'inspection
des entrailles des victimes.
Extoller, exalter, élever au-dessus.
ExTRANEiZER, chasser, mettre dehors,
envoyer au loin.
Extraordinaire (1') : % I<' extraordinaire
456
GLOSSAIRE ET NOTES
qui souvent pend à eschalas, « c'est-à-
dire, suivant Le Duchat, provenant de
la confiscation des biens de ceux qui,
pour raison de leurs malversations
dans l'extraordinaire des guerres, sont
condamnes à être pendus.
Extravagantes, constitutions des pa-
pes publiées depuis les Clémentines. —
Voyez au mot Décrétales.
ExuLCÉRER, tilcércr, blesser, envenimer.
ExuLER, être exilé, quitter, partir :
« Où faim règne force exulte. »
Iv/OofTiv 'oLO'or^y. Ofîlca, c'est-à-dire,
les dons que fout les ennemis ne doivent
être réputés dons. — Voyez Érasme
en ses Adages; l'auteur au livre III,
chapitre xrv.
Fabians, Fabies, gens Fabia, famille
historique de l'ancienne Rome.
F.'iBiE, Fabius cunctator, dictateur, ro-
main.
Fabius Pictor, le plus ancien des anna-
listes latins.
Fabrile, d'artisan; fahrilis.
Facet (le), livre d'éducation alors en
usage : Liber Faccti morosi, doccns
mores homiiium. Daventriœ, Jac. de
Breda, 1494, in- 4°. L'auteur de ce Uvre
est Jean de Garlande.
Faciexde, occupation, cliose à faire.
Facond, s'exprimant aisément et avec
élégance.
Faconde, facihté et élégance de parole.
Facquin, portefaix, crocheteur.
Facteur, celui qui fait, fabricant.
Facultatule, diminutif de faculté.
Fadrin, jeune matelot, mousse.
Fage (de La), musicien du temps de
Rabelais.
Fagot, paquet ou basson; de l'itaUen
fagotto.
Faguenat, odeur fétide qui s'exhale des
corps malpropres.
Fagutal, lieu forestier, planté de bois et
surtout de liétres.
Faictice, fait à plaisir, artistement
fait.
F.\illir, manquer, faire ime faute.
Faillon, compagnon; mot lorrain.
Faixdre (se), se ménager.
Faire : « Vous ramente faire ce que fai-
tes. » Qu'il vous souvienne d'être tout
entiers à ce que vous faites. C'est Vage
guod agis des Romains (Uvre V, cha-
pitre xxm) . — f Xous la ferons à no-
tre retour, » c'est-à-dire la pierre philo-
sophale (Uvre V, chapitre x\tii).
Fall.\ce, substantif et adjectif : ruse,
tromperie; fallacieux, mensonger :
t Fallaces espèces • trompeuses appa-
rences.
Fallot, lanterne.
Fali.ot, falot, plaisant, amusant.
FALOTEjrENT, plaisamment, gaiement.
Falourdin, nom d'un géant.
Fan, faon.
Fanfare, fanfaronnade, forfanterie.
Fanfarer, faire le fanfaron, parader.
F.^nfrelucher, faire la bagatelle, dans
le sens erotique.
F.\NFREi,ucHES, flammèchcs qui volent
quand on brûle du papier; figurément,
bagatelles : « Fanfreluches antido-
tées. '■ On a fait sur cet amphigouri des
essais d'interprétation aribtraire. Ce
qu'on y voit de plus clair, c'est une
imitation plaisante des Prophéties
de Merlin.
F.\NTESQUE, ser\-ante; de l'i'alien fan-
iesca.
Fanuises, sorte de reptiles.
Far, phare : i On Far de mal'encontre,
au phare de mauvaise fortune.
Farat, tas, amas, monceau.
Farce, comédie: « Farce du Pot au laict.
Farce, préparation cuUnaire. Rabelais
joue parfois sur les deux sens de ce
mot : 0 Farce magistrale. »
Farf.vdetz (les), esprits folets qui vont
de nuit et font peur aux mal assurés.
Rabelais entend presque toujours par
ce mot les moines mendiants. « Comme
les farfadets firent de la prevosté d'Or-
léans (livre III, chapitre xxm). » Allu-
sion à un fait contemporain : la femme
de M. de Saint-Mesmin, prévôt d'Or-
léans, étant morte en 1533, et ayant
été enterrée dans l'égUse des Corde-
Uers d'Orléans, ces religieux suppo-
sèrent que l'âme de la prévôté venait
les tourmenter dans leur couvent.
Convaincus d'impwsture, treize d'en-
tre eux furent condamnés à l'amende
honorable et à la prison. — Voyez
Lottin, Recherches historiques sur
Orléans.
Farfelu, gras, rebondi.
GLOSSAIRE ET NOTES
457
Faribole, niaiserie, parole inutile, conte
insignifiant.
Fariboth, nom d'un géant.
Faschek, fatiguer, ennuyer, persécuter.
Fascherie, ermui, persécution.
Faseolz, espèce de fèves.
Fasque, facque, pochette, petit sac.
Fat, sot.
Fatal, marqué par le destin : a Les fata-
les dispositions du ciel. »
Fatrasserie, fatras.
Patrouiller, fouiller, manier.
Fatue (la dive), la déesse de la Folie.
Fatuel, fou; surnom de Faunus, fils de
Ficus, roi des Latins.
Fauciles, les deux os de Tavant-bras,
depuis le coude jusqu'au poignet; os
de la jambe.
Faulce, Faulse, méchante, mauvaise.
Faulcheron, danse.
Faulcon, pièce d'artillerie plus forte
que le fauconneau.
FAULCO>rN"EAU, pièce d'artillerie.
Faulte, manque, défaut : t Faulte d'ar-
gent, c'est douleur non pareille. »
Faultiers, ceux qui font fiasco, qui
manquent leur coup. « Confrairie des
faultiers. »
Fault-villain, jeu indéterminé.
Faulx (je), je me trompe.
Faulx v^s.■i.IGE, masque : « Toiuna son
faulx visaige », reprit sa physionomie
naturelle.
Fauxus, le dieu Faune.
Fauste, heureux, fortuné.
Fauveau, faulveau, animal au poil
fauve.
Favorer, faire silence; favere linguis.
Faye, foie.
Faye, Faye-la-Viemie, bourg situé siu-
une hauteur, où l'on n'arrive que par
de nombreux détours.
Fays, faLx, charge , fardeau.
FÉABLEMENT, loyalement, fidèlement.
FÉAL, loyal, fidèle.
Féaulté, féauté, loyauté, fidéUté.
Feb\'e ; 0 Le monde donc ensagissant
plus ne craindra la fleur des febves en
la prime vere. " Nos lecteurs connais-
sent cet ancien proverbe :
Quand les fcves sont en fleur.
Les fous sont en vigueur.
Fecan, Fécamp, sur la côte normande.
FÉE, charmé, ensorcelé.
Fellé, fêlé.
Feloxnement, traîtreusement, cruelle-
ment.
Felonnte, trahison.
Fenabregue, c'est le nom qu'on donne
en Languedoc à l'alisier.
Fené, fané, flétri.
Fenestré (soulier), sandale dont le des-
sus était formé par des courroies qui,
lacées à jour, représentaient une
espèce de fenêtre.
Feode, fief.
Fercule, plat, bassin.
Feriau (jour), jour férié, jour de fête.
Feries, fêtes.
Ferir, frapper; participe passé : féru.
Fermer, affermir, appuyer, attacher for-
tement.
Fernel, pièce de bois de la proue d'un
vaisseau.
Feroxia, antique divinité des Sabins,
des Étrusques et des Romains.
Ferragus, nom d'un géant.
Ferrast (pieds), pieds chaussés de san-
dales ou souliers ferrés.
Ferratte : « I<e chemin de la Ferratte
monté sur xm grand ours ». Le chemin
de la Ferratte se trouvait sur la route de
Limoges à Tours; il coupait la mon-
tagne du Grand Ours couverte de
neige, de pins, de rochers.
Ferreiiens, outils, instruments, armes
de fer : t Isle des ferremens. »
Ferrementiporte, mot forgé : qui porte
des ferrements.
Ferrière, bouteille en métal ou en cuir
bouilli pour le voyage.
Ferron, nom d'un domestique de Guil-
laume du Bellay.
FERRraiNÉ (métal), argent dans le lan-
gage de l'écolier limousin.
Fers d'or, au bout des aiguillettes.
Ferulacé, qui ressemble à la plante
appelée férule.
Férule et boulas, férule et bouleau
sont nuisibles aux écoliers, dit Rabe-
lais, faisant allusion à la férule sco-
lasUque et aux verges de bouleau.
Fessart, jeu inconnu.
Fessepinie, personnage des contes
populaires.
Feste a B.4ST0NS. — Voycz Basions.
Festi, musicien contemporain de Rabe-
lais.
Festdja lente. Hâte-toi lentement. —
Voyez la Briefve Déclaration au mot
Hiéroglyphicques.
Festival, de fête.
Feston diene. Par la Fête-Dieu !
Festu, brin de paUle.
Feuhre, paille, fourrage.
Feurre (rue du), rue du Fouarre.
Feurre (les escholes du), les écoles de
la rue du Fouarre.
Feustré, garni de paille.
Fevin, musicien du temps de Rabelais.
Fevrolles, fa\-erolles : « Entre midy
et FevroUes ». La plaisanterie consiste
à mêler un nom de temps avec un nom
de lieu. Entre midi (on croit que l'au-
-I5«
GLOSSAIRE ET NOTES
leur va ajouter : cl une heure)... ci Vd-
vroUes.
Fiacre : « 1,'espinc dorsale de salut Fia-
cre en Brie. » Cette épine dorsale était
conservée dans la cathédrale de
Meaux.
Fiance, confiance.
FiANSAiLLES, fiançaiUcs.
FlANTOroiR, endroit où l'on fiante.
FiCTiL, fait de terre, d'argile.
FlCTlL, fait de terre, d'argile.
FiERABRAS, géant.
l'iERS (raisins), appelés aussi fumés.
FiEui-x, fils, garçon, en dialecte picard.
Figue (faire la), montrer à quelqu'un le
poing fermé, le pouce passant entre
l'index et le second doigt. L'explica-
tion que Rabelais donne de cette locu-
tion au chapitre x\x du Uvre IV n'a
aucun fondement historique; — nom
d'un jeu indéterminé.
FiGVES DE 5I.VRSEILLE, nom d'un jeu
incoimu.
Figues dioures, figures d'or, figues
dorées, suivant de l'Aulnay.
FiLLAXT, effilant.
Fillière, rang. •
FiLLOL, filleul.
FiLOPE^TDOLES, poids suspendus à des
fils, contrepoids. — Voyez Circum-
bilivagination.
Fin (à dorer), locution proverbiale pour
dire très fin : « Fin à dorer comme une
dague de plomb », c'est ime ironie.
FiNABLEMEXT, enfin.
Finer, finir.
FiSTiCQUE, sorte de pistache.
Flac, fl.icque, fiasque : « Flac con à
^^z n, jeu de mots sur flacon.
Flacce, Horace.
Fl.\ccon'ner, boire, ■s-ider les flacons.
Flac que, flasque.
Flagitiose, criminel; mot latin.
Flagrant, brûlant, enflammé.
Flambe, flammé; d'où flamber, flam-
bant.
Flammans, oiseaux à longues jambes et
d'un rouge couleur de flamme.
FLAMMn'OME, qui vomit des flammes.
Flancquegé, flanqué.
Fl.\squ-e, flacon.
Flatry, dompté, abattu.
Fleurer, flairer.
Fleurin, florin.
Flexuosité, détour, sLimosité.
Floc, flocqu.-vr, houppe, « floc de soie ».
Flocquer, aller au gré du vent.
Flocquets, porteurs de flocs, muguets,
beaux fils.
1-"lor.4, Flore, déesse des fleurs.
Floralies, fêtes de Flore.
I'loride, fleuri; de floridus.
Florule, danse antique.
Florulent, fleurissant.
Flotz aérés, flots de l'air, flots du vent.
Flouin, sorte de bâtiment léger.
Flux, jeu et terme de jeu : » Pa,«se sans
flux », je passe, je ne tiens pas la main;
fig^urément passons, n'insistons pas.
Fluz de BOiTiSE, flux, écoulement, ma-
ladie de la bourse, qui fait qu'elle est
toujours ^^de.
FOCILES, voir FAUCILES.
Foillouse, fouillouse, poche; terme
d'argot.
Foire : « On ne s'en va pas des foires
comme du mardié. • Le marché finit
de très bonne heure; les foires se pro-
longent toute la journée.
FoLFRÉ, affolé, rendu fou.
Follie Goubelix (la), les Gobelins.
FoLLiER, jouer, plaisanter.
FoLZ : n En toutes compaignies il y a plus
de folz que de saiges », locution pro-
verbiale.
Fondement, pièce justificative, procu-
ration; d'où le jeu de mots : « Jlons-
troieut leurs fondemeas. »
Fondes, frondes.
FONS, fonds, entrailles.
Forain, étranger.
FoRBE, fourbe, tromperie.
FoRBEU, fourbu.
Force : « Cela non force ». libre â vous.
Force, ■violence : « Appeler à la force »,
crier à la violence.
Force, beaucoup : a A force d'eau »,
avec beaucoup d'eau.
Forcé, l'un des jeux de Gargantua; vrai-
semblablement sorte de jeu de dames.
Forcer, \-iolenter, violer.
Forces, forcettes, cisailles, ciseaux.
Forcés, forçats.
Forcettes, cisailles.
FoRCHE, fourche.
FORCLUS, mis hors, exclus.
Fore (A pille, n/oje, jocque), jeu in-
connu.
Forestiers, bannis, vivant dans les
forêts.
Forfant, ayant forfait, criminel.
FoRissER, faire sortir, conduire hors :
« Forissoient patrouilles. »
FoRissiR, sortir.
FORJiAGE, fromage.
Forme (à la), de la façon.
Fors, excepté.
Forteresse, force.
FoRTU'NAL, orage, ouragan.
Fortune, hasard, cliance.
Fossé : t De terre d'aultruy remplir sou
fossé 11, locution proverbiale.
Fou, \Tllage de Lorraine. « En Lorraine,
Fou est prés de Tou. » Dicton signi-
GLOSSAIRE ET NOTES
459
fiant que presque tout le monde est
fou.
Fouace, gâteau : » Slanger sa fouace sans
pain. »
Fou.vciER, qui fait des fouaces.
FoucQUET, jeu indéterminé.
FouGER, fouiller.
FouGON, foyer, cuisine d'un vaisseau.
FouLLE (à), à la foule, en foule.
FouLLER, écraser, surcharger : « Sans
que l'argent foullast le cuivre. »
FoULLOUAiRE, instrument du foulon.
Foupi, chiffonné, froissé : « Bonnet
foupi. »
FouQUET, jeu qui consiste à éteindre
avec son nez un flambeau allumé.
FouRBY, jeu de cartes, inconnu; l'un
de ceux auxquels jouait Gargantua.
Fourche Fii;RE, fourche ferrée.
FouRNER, mettre au four : « Aussi sage
qu'oncques puis ne foumasmes nous. »
On trouve plusieurs exemples de cette
locution qui signifie littéralement :
aussi sage que nous en mîmes jamais
au four; comme on dirait : aussi bien
cuit, aussi bien revenu et doré, d'un
pain ou d'une pâtisserie.
FouRNiER, celui qui chauffe le four.
FouRQUES (les), Fuggers, célèbres ban-
quiers d'Augsbourg.
FoLTivoYER, se fourvoycr, quitter la
voie.
FouTRS A BAN, fours banaux.
FoussE, fosse.
FoussETTE, fossette, jeu de billes.
FouTARABiE, pour Foutarabic.
FouTASNOx, nom d'un géant.
FouTE.^u, hêtre.
FouTiGN'AN, pour Froutignan.
FouYR, fuir.
FouziL, briquet.
FoYNE, fouine.
FoYRARD, foirard.
FoYRARS (raisins), qui font foirer.
FOYS, fais.
Fracassus, nom d'un géant.
Frain, frein, mors : « Prendre le frain
aux dentz. »
Fraires, fraises.
Franc alloy, franc-alleu, terre franche.
Fr.\nc archier de Baigxolet, nom
d'un monologue comique attribué à
Fr. Villon.
Franc du carreau, sorte de jeu de palet.
F'ranchise, liberté, indépendance : « Se
mettre en franchise. »
Fr.\nciscane, danse.
Francourlys, francolys, francolins,
espèce de faisans.
Francrepas (le duc de), nom composé
par Rabelais.
Francs aubiers, sorte de raisins blancs.
Francs Gontiers, paysans libres.
FR.\NCTAtiPiNS, franctopins, soldats
des milices urbaines ou villageoises.
Frapars, frappars, sobriquet de moi-
nes : « Estes-vous des frappins, des
frappeurs ou des frappars? »
FR.\PE^rENS, battements.
P'rapperie. action de frapper.
Frarie, confrérie.
Frater. fratres, frère, frères, moines.
Fraudulent, trompeur.
Frayer, pour^•oir aux frais, à la dépense.
Fredon, cliant en sourdine, à demi-
voix. Rabelais emploie aussi le mot
frcdonncinciit.
Fredonnique, adjectif de fredon.
Fredonnisé, embelli de fredons; € trio-
riz fredonnisés », danses accompa-
gnées de fredons.
Fredons (frères), moines qui chantent à
demi- voix.
Freg.\des, frégates.
Frelore bigoth (tout est). Allemand
corrompu : Tout est perdu {verlo-
rcn), par Dieu.
Fremoir, fermoir.
Frérot, bouffon romain.
Freslonniqu-e, de frelon.
Fressurade, embrassade, vive caresse;
du mot fressure, entrailles, cœur et
foie.
Fretinfretailler, far l'atto.
Freusser, froisser, briser : « Freusser
l'arreste du douz », briser l'épine dor-
sale.
Freze (febve), fève nouvellement écos-
sée.
Friandeau, gounnand.
Frigidis (de) et maleficiatis, c'est-à-
dire : Des impiûssants et des malé-
ficiés.
Friiiars, frimas.
Frixguer, être fringant.
Fripesaulce, cuisinier de Grandgousier
Friquenelle, petite andouille; coquette
novice.
Friscade, rafraîchissement.
Frisque, leste, éveillé, joli.
Frize. étoffe.
Frizon, vase de terre à boire.
Frobisseur de harnoys, fourbisseur
de harnais.
Froissis, froissement : « Le froissis des
piques. »
Fromentée, plat dont le froment est la
base.
Froncle, furoncle, abcès.
Frondillon, fil ou soie que l'on dévide.
Fronteau, bandelette, diadème.
Frotte-coutlle, nom donné au pre-
mier son de matines.
Fructice, arbrisseau.
460
GLOSSAIRE ET NOTES
Fruitage, des fruits.
Fruition, jouissance.
Frument, froment.
Fryperie, marché aux habits.
FuiCY, appuyé, soutenu.
Funambules, danseurs de corde.
FUNGES, cliampignons.
FuRON, le petit du furet; Gargantua
jouait au furon; c'est le jeu du furet.
FURT, vol, larcin; furlum.
FuST, bois.
FusTE, flûte, espèce de navire.
FuSTlGUER, fustiger, fouetter.
FuYANS, fuyards.
Fy, foi : « Jurant sa fy. »
Fyfy (maistrc), sobriquet donné aux
vidangeurs.
Fysicien, physicien, médecin.
Gabbara, im des ancêtres de Panta-
gruel.
Gabeler (se), se moquer.
G.'V.BELLE, pris au sens général, signifie
impôt, tribut.
Gabelleltis, percepteurs de la gabelle.
Gabie, moquerie, raillerie; et, en terme
de marine, hune.
Gabion^xer, façonner des gabions, gar-
nir de gabions.
G.\gner au pied, fuir, s'esquiver.
Gaige, g.\ge : h Je veulx perdre la teste,
qui est le gaige d'im fol. »
Galaffre, nom d'un géant.
Galant, gual.\nt, galant, dispos, vigou-
reux.
Galantement, galamment, vigoureu-
sement.
Galehault, géant, inventeur des fla-
cons, selon Rabelais.
Galen, Galieu, célèbre médecin de l'an-
tiquité.
Galeotes, sorte de reptiles.
Galerne, vent entre nord et couchant.
— Voyez livre IV, diapitre ix.
Galice, province d'Espagne.
G.\LIEN RESTAURÉ, titre d'un roman de
chevalerie plusieurs fois imprimé au
xvt;" siècle.
G.\LioM, gros vaisseau marchand.
Galiotes, vaisseaux plus petits que le
galion.
Galland : « Que ferons-nous de ce Ra-
meau et Galland »? I,a querelle entre
Pierre Ramus et PieiTe Galland divisa
l'Université vers cette époque, 1551.
I,e second défendait Aristote contre le
premier.
Gallefretier, guallefretier, calfa-
tier, goudronnetir de vaisseaux, pauvre
hère.
Galler, gualler, se réjouir, se diver-
tir.
Galler, gualler, battre, frapper, ros-
ser.
Galleverdine, jaquette ou cape de
paysan.
Galli, les Français.
Gallicque, de France.
Gallier, gualller, viveur, farceur,
vaurien.
G.VLLOCHIER, faiseur de galoches.
Galls, prêtres de Cybèle.
Gama ut, la note la plus basse de la
gamme dans l'ancienne musique. La
gamme est ainsi nommée parce qu'elle
commençait par cette lettre gamma.
Gambre, Sénégambie.
Gammare, homard.
Ganabin. — Voyez la Briejve Décla-
ration.
G.\N.\RRIENS, Canariens, habitants des
Canaries.
Gani\'et, canivet, petit canif.
Gantelet, armure de la main.
Gany\ttier, faiseur de canifs, mar-
chand de canifs, coutelier.
G.ARA^tiERS (chats), chats de garenne,
chats sauvages.
Garavane, caravane.
Garbin, guarbin, vent du sud-ouest;
garbino, en italien et en espagnol.
Garse, jeune fille. Ne se prenait pas en
mauvaise part, pas plus que garçon.
G.'\scon : 0 Ici sont les Gascons renions,
etc ». (Prologue du livTe IV.) A la suite
d'une révolte en 1549, les habitants de
la Guienne avaient été privés de leurs
cloches et de leurs franchises.
Gasté, gâté, dévasté.
G.\STER, le ventre.
G.\STER (se), se faire du mal, s'estropier.
Gastrol.\tres, adorateurs du ventre.
GASTRO>L\2JTrE, divinatiou des engas-
trimythes.
Gaubregeaux, ricaneurs, flâneurs, qui
se gobergent.
Gaudebillaux, tripes de bœuf gras.
Gaudez, menues prières.
Gaudir, se réjouir.
GLOSSAIRE ET NOTES
Gaudisserie, divertissement, moquerie.
Gauschiùre, gauchère, qu'on tient de
la main gauche.
Gautier, g.^ultier, farceur, mauvais
plaisant. Bon gauUicr, bon compa-
gnon, ami du plaisir.
Gauvatm, persoimage des romans de la
Table ronde.
Gavache, lâche, fainéant.
Gavion, gosier.
Gay, sorte de jeu de cartes; l'un de ceux
auxquels jouait Gargantua.
G.^YET, jais.
G.w'ETiER, fabricant d'objets en jais.
Gayoffe, nom d'un géant.
Gebarim, en hébreu : coq.
Geber ou Jeber, chimiste arabe de la fin
du \in'' siècle.
Gehaigxer, geindre, gémir, se lamenter.
GEH.UXER, tourmenter, torturer, gêner.
Gehen>-e, tourment, torture.
Gelaslm, pars imaginaire, pays du rire
du grec vr/,â'ij.
Geler : « Des paroles qui gèlent ». Cette
plaisanterie est attribuée par Plutar-
que, dans le traité : Si l'on profite en
l'exercice de la vertu, à un disciple de
Platon. Voici le passage traduit par
Amj'ot : « Et comme Antiphanes, l'un
des familiers de Platon, en se joimnt
disoit qu'il y avoit une ville là où les
paroles se geloient en l'air incontinent
qu'elles estoient prononcées, et puis,
quand elles venoient à se fondre l'esté,
les habitants entendoient ce qu'ilz
avoient devisé et parlé l'hiver. »
Geleur, qui gèle, qui cause la gelée.
Geline, poule.
Geloxes, peuple de Scythie qu'on nom-
me aujourd'hui Tartares.
Gemm.\gog, nom d'un géant.
Gexdre, musicien du temps de Rabelais.
Généalogie, est pris dans le sens de
génération, lignée.
Gexeliabix, mots arabes signifiant
miel rosat. Rabelais en a fait le nom
d'ime île fertile en clystères.
GENETHLiAQrE, thème astrologique,
horoscope.
Genette, petite belette d'Espagne ta-
chetée de noir.
Genevoys, ce mot désigne souvent les
Génois, les habitants de Gênes.
Génial, de nature, d'essence, du mot
génie ou geyiius.
Geniss.ures, janissaires.
Geniture, génération, rejeton.
Genics, génie, type essentiel de l'indi-
vidu d'après les néoplatoniciens.
Genoil, genou.
Genoillons (à), à genoux.
461
Genoulx (rompre les andouilles au,
c'est un exploit impossible, parce que
l'andouiUe plie et ne rompt pas.
Gentius, roi d'Esclavonie.
Genuxus (de). Ginucchi, cardinal ro-
main.
Geoffroy de I,usignan, dict Geoffroy
à la grand dent. Il avait fait brûler
l'abbaye de Maillezais, et avait été
condamné à la rebâtir à ses frais : de
là, suivant Rabelais, l'air fâché qu'on
lui avait donné dans son portrait.
Géom'VNtie, divination par des points
projetés en terre.
GÉOM-1NTIEN, qui pratique la géomantie.
Gerbe, botte : « Gerbe de feurre, x botte
de paille.
Gergon, pour jargon.
Gerion. Su.'tone dit de Tibère, cha-
pitre înv : « Allant en Illyrie, il \-isita
l'oracle de Gérion, auprès de Padoue;
le sort l'avertit de jeter des dés d'or
dans la fontaine d'Apone, pour obte-
rjr ime réponse à ses consultations :
or il amena tout d'abord le nombre le
plus élevé. On voit encore aujourd'hui
ces dés au fond de l'eau. »
Gerjlum de Brie. Sous Louis XII, la
flotte française et la flotte anglaise se
rencontrèrent, le 10 août 1513, à la
hauteur du cap Saint-JIathieu. La
flotte anglaise, forte de quatre-vingts
vaisseaux, attaqua celle de France,
qui n'en avait que vingt. Les Français
suppléèrent au nombre par le courage
et l'adresse. Us con3er\'èrent l'avan-
tage du vent, allèrent à l'abordage,
brisèrent et coulèrent à fond plus de
la moitié des vaisseairx ennemis. Le
Breton Her\-é de Porzmoguer était
capitaine de la Cordilière, vaste na^^re
pouvant contenir douze cents soldats
outre l'équipage. Il fut attaqué par
douze vaisseaiux anglais, se défendit
avec un courage qui tenait de la fureur,
coula à fond plusieurs vaisseaux enne-
mis et écarta les autres. Un capitaine
anglais osa s'en approdier encore, lui
jeta quantité de feux d'artifice et
mit le feu au vaisseau. Hervé pouvait
se sauver dans une chaloupe, comme
faisaient la plupart des officiers et
des soldats; mais ce vaillant marin ne
voulut pas survivre à la perte de son
bâtiment; il ne songea qu'à vendre
chèrement sa vie et à ôter smx An-
glais le plaisir de jouir de la défaite
des Français. Tout eu feu, U alla sur
le vaisseau amiral des ennemis, l'ac-
crocha, y communiqiia le feu, et sauta
avec lui quelques instants après.
Germain de Brie, ami de Rabelais,
4^,2
GLOSSAIRE ET NOTES
composa à ce sjuet une pièce intitulée
Hervei Cenotaphium.
Germinavit rabix jesse : t Je renye ma
vie, je meurs de soif. » Plaisanterie du
genre du Qui fama mata et autres, où
l'on forme approximativement une
phrase française avec des syllabes lati-
nes.
Gesixe, couches, accouchement.
Getter, jeter.
Gettons, jetons.
GiBBESSIERE, GIBBECIERE. bOUTSC de CUir
que l'on portait devant soi.
Gœorixs, forts, puissants; mot hébreu.
Officiers de la Quinte-Essence.
Giga:^-t.u„ de géants, gigantesque.
GiGLAX, personnage des roman? de la
Table ronde.
GlLBATHAK, Gibraltar.
GiMBRETiLETOLLETÉE, mot forgé, signi-
fie chiffonnée, et ce qui s'ensuit.
GiPPON, jupon.
GlR.\XT, tournant, tournoyant.
Girard (Charles), un des domestiques
de Guillaume du Bellay.
GlZARMER, manier comme une gizanne
ou gmsarme, sorte de hache à deux
tranchants.
Gland, balle, petit boulet.
Classons, glaçons, noeuds formés dans
le cristal.
Glateron, plante nommée aussi gra-
teron.
Glaz : « Ferré à glaz », ferré à glace ou
garni de gros clous pointus comme les
chaussures ferrées à glace.
Glener, glaner.
Gleneur, glaneur.
Glic, sorte de jeu de cartes.
Glimpe, flambeau.
Gliron, loir.
Gloitt, cloute, glouton, goulu.
Gluber, écorcher, peler; glubere.
Glyphouoire, calonnière, petite sarba-
cane avec laquelle jouent les enfants.
Gnave OPERE, je travaille à; expression
toute latine : operam iiavare.
GOBRYES, capitaine de Darius.
Gocourte (robe), courte, suivant Cot-
grave; longo-curta, suivant I<e Du-
chat; ni longue, ni courte, suivant de
l'Aulnay; mal faite, sans mine, sui-
vant Johanneau; bouffante et courte,
suivant Biu-gaud des Marets. La pre-
mière interprétation me paraît la
meilleure.
Godalle, sorte de bière.
Godemare, gros ventre, ventre à la pou-
laine.
Godet, tasse, gobelet : « Boire a p.iin
godet ».
GoGUE, GUOGLTE, farce, dans le sens d'in-
grédient culinaire, et dans le sens de
plaisanterie : « Par la gogue cénoma-
nique ! » Par la farce du Mans !
GoGUELU, GUOGELU, mauvais plaisant,
mauvais rieur.
Goildronné, goudronné, accoutré, paré.
GoiLDRONNER, goudronner : « Goildron-
I ner un tonneau. »
I GoiLDRO.vNEUR, goudronneuT : « Goil-
I dronneur de mommye ».
I GOLETTA, la Goulette, fort bâti devant
Tunis.
GoMBERT, musicien contemporain de
Rabelais.
GONXELLE, casaque blasonnée qu'on
revêtait par-dessus l'armure et qui
descendait à mi-jambe.
GORDLOî LE JEUXE, GordicH II, empe-
reur romain.
Gorge chaulde, régal : « En faire une
bonne gorge chaulde », s'en réga-
ler.
Gorgery. guorgery, gorgerin, partie
de l'armure défendant la gorge.
GORGLVS, substantif; sorte de fraise ou
tour de gorge, servant de parure.
Gorglas, adjectif; pimpant, paré, fier de
sa parure.
Gorglasemen't, en se rengorgeant, en se
pavanant, coquettement.
Gorgl\ser (se), se parer, se pavaner.
Gorglasit.\te (de) >r'lierclt,.\rl'm, de
la parure et de la coquetterie des
femmes, ouvrage imaginaire.
Gossampixe, le cotonnier.
GOTS (oiseaux de proie terribles), mem-
bres des ordres de la Jarretière, de
Saint-Michel et de la Toison d'or.
GoniS, pour gothique.
Goubelet, gobelet.
GouD f.-u-lot, bon compagnon; en an-
glais, good fellow. Rabelais joue sur le
mot fallût, qui en français signifie à la
fois plaisantin et torche.
Gol'et, petit couteau.
Gouge, fille.
Gougeox, goujon.
GouLPHRES, gouffres.
GouRiL\XDER, piquer, larder : « Gour-
mander poule ».
GouR.M.\XDERlE, c'est-à-dire comman-
derie.
GouRJiEX'DEUR, c'est-à-dire comman-
deur. Les oiseaux gourmandeurs du
cliapitre v de VIslc sonnante sont les
chefs et chevaliers des ordres mili-
taires.
GouRRET, petit cochon.
GouRRLER, richement couvert : « Pale-
froy gourrier. »
Gousset, partie de l'armure placée sous
les aisselles.
GLOSSATRF. F,T NOTES
463
GotJTTE, adverbe; point, nullement.
€ N'y veoir goutte. »
GOZAI-, pigeon, colombe; eu hébreu.
Grabeau, discussion, examen.
Grabeler, examiner, épluclier débrouil-
ler.
GRABELEtTR, élpucheur, examinateur :
« Grabeleurs de corrections. »
GRACE (port de), Havre-de-Grâce.
GRACES, prière après le repas.
GRACES (les trois).
Gracieux seigneur, poisson de mer à
écailles, fort délicat et peu commun.
Gr.adiil\rs, pour mardi gras.
Grain, adverbe; pas du tout, nulle-
ment : Il Je n'en veulx grain. »
Graisler, griller, rôtir. « Graisler des
chastaines. »
Grampe, qui a une crampe, engourdi.
Gr.\ne, graine.
Gr.4PHINi:r, égratigner.
Grapper, grappiller, cueUlir des grappes.
GRATLVN'.^rxD, Gascon, dont Rabelais
rapporte, au chapitre xlu du livre III,
une anecdote empruntée au Dialogo
del Giuoco de l'Arétin. Dans cette
anecdote les paroles que le Gascon et
l'Allemand écliangent doivent se tra-
dmre ainsi : « Pao cap de bious, bil-
lots, etc. » Tête-bœuf, mes petits, que
le mal du tonneau (l'ivresse) vous
rovile à terre ! Maintenant que j'ai perdu
mes vingt-quatre vachettes (petite
pièce de moimaie), je n'en donnerai
que mieux coups de griffes, coups de
poing et taloches : y a-t-il quelqu'un
de vous autres qui veuille se battre
avec moi de franc jeu?
« Der Guascogner thut sich, etc ». Ceci
est du vieux allemand et signifie : Le
Gascon se flatte de se battre avec n'im-
porte qui, mais il est plus enclin à
voler : ainsi donc, chères femmes,
veillez aux bagages.
« Cap de sainct Arnaud, qu'au seys,
etc ». Tête de saint Arnaud, qui es-tu,
toi qui me réveilles? Que le mal de
cabaret (l'ivresse) te retourne ! Ho !
saint Sever, patron de la Gascogne, je
dormais si bien quand ce taquin est
venu me réveiller.
« Hé ! pauvret, iou te esquineriou,
etc. » Hé ! malheureux ! je t'éreinterais
maintenant que je suis bien reposé.
Ya-t-en un peu dormir comme moi;
après cela nous nous battrons.
Gratuité, gratitude, reconnaissance.
Gratui,.\tion, action de grâces, congra-
tulation.
Grave, vignoble du Bordelais.
Grave, grève, les bords aréneux de la
mer, d'une ri\'ière.
Graver, monter, gravir.
Gravot, village du Chinonnais.
Gréai, (sang) : « ITn flasque de sang
gréai. D C'est par corruption que le
mot Sangraal a pu s'écrire et s'enten-
dre ainsi. Le Sangraal ou saint Graal
est le sanctum gradale, le saint vase, où
fut reçu le sang du Christ crucifié,
mais ce n'est pas ce sang même.
Grecisjie (Hebrard), Grœcismus, par
Hébrard de Béthime.
Gregeoys, grégovs, grec.
Greignel'r, plus grand.
Grene, graine.
Grené, grenet, en graine.
Grenoillère, grenouillère : « Mon âme
s'en fuyra en quelque grenoillère. »
Grenoilles, grenouilles.
Grenoillibus (depiscando) , en péchant
aux grenouilles; latin de cuisine.
Grephiers, greffiers.
Gresleur, qui grêle, qui cause la grêle
Gresse, graisse : « De haulte gresse; de
basse gresse », de haute qualité et va-
leur, de petite valeur et mauvaise qua-
lité, a Beaux hvres de haulte gresse. '
Gresseur, graisseur, qui graisse : « Gres-
seur de bottes, graisseur de veroUe. n
Grève, jambard, armure de la jambe.
Grèves, jambes.
Greziller, brûler.
Grezillons, bruits du feu brûlant la
paille ou des branches sèches. Figurè-
ment, « les grezillons de dévotion, s
Griays, gris bleuâtre.
Gribouillis, nom comique de diable.
Grief, substantif; peine, tourment,
mal.
Grief, adjectif; pénible, fâcheux.
Grief VES, grègues.
Griesche, l'un des jeux de Gargantua,
probablement sorte de jeu de vo-
lant.
Grignoter, manger par plaisir, figuré-
ment : « Grignoter un tronson de quel-
que missique précation » (livre II,
chapitre xxxiv), ronger un morceau de
quelque prière de la messe. Rabelais
emploie le substantif gn'gnoieiir.
GRn IC.'iinNoi (deHomère), c'est-à-dire :
vieille enfumée (Odyssée, livre XVIII,
vers 27).
Grilgoth, nom comique d'un diable.
Grillotier, rôtisseur.
Grimal-lx, écoliers.
Gruicyre, grimoire, livre contenant les
• formules d'exorcisme.
Gringorienne (eau), eau bénite.
Gringoter, fredonner, gazouiller.
Griphon, griffon.
Grippeminaud, archiduc des Chats-
fourrés. C'est le président de la cham-
464
GLOSSAIRE ET NOTES
bre criminelle, ou, selon d'autres, le
grand inquisiteur.
Grippeminaudière, adjectif formé du
mot précédent : « Justice grippemi-
naudière. » Rabelais représente cette
Justice sous l'image d'une vieille fem-
me tenant en main dextre un fourreau
de faucille. C'est tout l'opposé de
l'image symbolique de la Justice.
Gritpeminavlt, capitaine de Picro-
chole.
Gripper, prendre.
Gris (saint) : « Sang saint Gris ! s comme
Ventre saint Gris. Saint Gris se disait
pour saint François, fondateur des
franciscains ou cordeliers vêtus de
gris. Kenri IV jurait par le ventre
de Dieu. I<e Père Cotton lui en faisait
de sévères reproclies. « Eh bien ! dit
le Béarnais, je jurerai par le ventre
saint François. — Oh ! sire, un si
grand saint ! s'écria le Père. — Eh
bien, transigeons, je jurerai par le
ventre saint Gris, » dit le monarque,
qui adojjta ce juron.
Grisle. gril.
Grislesient, pétillement, bruit que les
feuilles sèches font au feu.
Grisler, griller.
Grivolé, grivelé, tacheté.
Grizelle, antenne.
Grobis (faire du), faire l'important, se
donner des airs d'importance.
Groisse, grossesse.
Grolle, corneille, corbeau; centre de la
cible où l'on peignait souvent une
corneille; l'un des jeux de Gargan-
tua, sur lequel on n'a pas de préci-
sions.
Grollier (noyer), noyer de corneille,
qui produit les grosses noix que les
corneilles peuvent seules entamer. Le
noyer de cendrille ou de mésange est
celui dont les noix sont assez tendres
pour que les mésanges puissent les
entamer.
Groslière (noix), noix de noyer grol-
lier.
Grosse, douze douzaines.
Grue, nom de jeu inconnu.
Gruppade, action de happer, de saisir,
de grupper; bourrasque.
Gruppement, comme gruppade.
Grupper, accrocher, saisir.
Gruyers, soldats suisses.
Gryfon, gryphe, griffon, oiseau fabu-
leux.
Gryphons, habitants des montagnes al-
pestres.
Grvson (pierres de), grès.
GUABAN, caban, capote, manteau pour
garantir de la pluie.
GuABARRiER, batelier, conducteur d'une
gabare.
GuADAiGNE, Thomas de Guadagne, fi-
nancier du temps qui prêta de l'argent
à François I^', prisonnier.
GUADAIK, gain; en italien, guadagno.
GU.4.ILLARDETZ, Rabelais désigne par ce
mot les réformés.
GuAiLL.\RTL.MiDox, Hom comique d'un
cuisinier.
GuAiGN'EDENiERS , gagne - deniers , ga -
gne-petit.
GuAiN', gain.
GUAIMGNER, gagner.
Gu.UNGNER AU PIED, s'enfuir.
GuALE.\CES, galions, vaisseaux.
Gu.\i,ÉE, galère : « Et vogue la gualéc » !
GUALENTIR, fortifier : t Gualentir les
nerfs ».
GuALiMART, étui à plumes, écritoire.
GuALiNOTTE, gelinotte.
GuALLERiE, galerie.
GuALOiSE, G.ALOiSE, luTonnc, fille de joie.
Gu.Ai.OT, galop.
GuALOus, galeux.
Gu.wiBAYER (se), se dégourdir les jam-
bes.
GUAXDS, gants.
GUARD, garde.
Gu.uiD (pont du), une des belles anti-
quités romaines.
GUARE-SERRE, sonnerie pour avertir les
soldats ou les vaisseaux de serrer leurs
rangs et d'être au guet.
GUARGUAREON', le gOSiCT.
GUARGOULLE, effet de l'air introduit
dans l'eau.
GuARiGUES, landes, terres incultes,
broussailles.
GUAROT, garot, trait d'arbalète.
GuAROU, sorcier, sauvage, féroce.
GUAKRE, bigarré, de deux couleurs.
Gu.\scoiGNE, Gascogne.
Gu.-vscox, Gascon.
GuASCTOngu-E, de Gascon.
GuAST, dégât.
GuASTEURS, qui gâtent, ravagent, dé-
truisent : « Guasteurs de bourgeons. »
GuATTE, hune du moj-en mât.
GuAVASCHE, lâche, sans cœur.
GUAVTET, gosier, comme gavion.
GuAY, gai.
GUAYETÉ, gaieté.
GUEDOFLE, GUEDOLTLE, bouteillc à grOS
ventre; au figuré nigaud, sot.
GUESiENTER (se). Se lamenter, gémir.
GuENAUX, gueux : t Guenaux des Saincts
Innocents », mendiants du cimetière
des Innocents.
GuEXET (par la dive oye). Cette dtve
oye Guenet est probablement celle qui
figure dans la légende de saint Guen-
GLOSSAIRE ET NOTES
liolé. Une oie sauvage ayant arraché
vm œil à sa sœur et l'ayant avalé, le
saint empoigna l'animal, lui fendit le
ventre, en retira l'œil et le remit à sa
place, t Aies nullam nde sustulit in-
juriam; illsesus quasi a nuUo con-
tactus, exultans, superbe gradiendo,
extento coUo decantans, adibat sodos
aves. »
GUERDONNER, récompenser.
GuERDONNEtTï, qui récompense.
GUESPIN, mordant, piquant.
Guetteurs de che.mtns, brigands.
Gueules, rouge, dans la langue du bla-
son.
Gueux (de l'Hostière), gueux deman-
dant l'aumône aux portes des églises
ou des hôtels.
Le distique : • Ce noble gueux, etc n,
(chapitre xi, livre V), est imité de Jla-
rot : Ëpilre au Roi pour le délivrer de
prison.
Guidon, enseigne, bannière.
GuiLDix, cheval hongre.
Guillaume sans paour, héros des contes
populaires.
GUILLEMIN BAILLE MY MA LANCE, jeU OÙ
l'im des joueurs armé d'une lance
comme un chevaher, est à cheval svu:
le dos d'un autre.
GxTiLLOT, hôtelier d'Amiens. Le cabaret
de Guillot à Amiens était renommé.
Voici comment Jean de La Bruyère
Champier en parle au chapitre i" de
son hvre De re cibaria ; e Nous avons
connu de nos jours à Amiens dans la
Gaule Belgique, Ma tavemier (popi-
nariutn) nommé GuilIaiune et \iilgai-
rement Guillot, qui savoit préparer à
la minute des repas composés des mor-
ceaux les plus exquis et les plus rares
en volaille, viande, poisson, gibier,
repas dignes d'être servis sur la table
des rois. Il a, sans conteste, mérité
la palme entre tous les tavemiers de
France. »
465
Guillot le songeur (être'logé chez), lo-
cution proverbiale, c'est-à-dire rêver,
se bercer de chimères.
Guilverdon, pour galverdinc.
GuiLMAUX, prés que l'on fauche deux
fois l'an.
GuiMPLE, guimpe, fichu.
GuTNDER (se), monter, s'élever.
GuiNGUOYS, qui a l'esprit de travers.
GuiNTERNE, GL^TERNE, guitare.
GuisARME, GuizARME, hachc à deux
tranchants.
Gliiene, cordage de navire.
GuoBELiN, célèbre teinturier, qui a
donné son nom à l'établissement des
GobeUns.
Guodebu-laux, tripes de bœuf.
Guodelureau, galantin.
GuoDELURÉE, courtisée, muguetéc, etc
Guodepie, poisson.
GuoGUE, boyau.
GuoLGOTZ Rays, peut-être Dragus
Rays, amiral turc de ce temps-là.
GuoRET, jeune porc.
GuoRRE (GRANDE), grande truie. Le peu-
ple de Paris appela Isabelle de Ba-
vière la Grand'Oore.
Guoubelet, gobelet : a Retraict du guou-
belet, » endroit où l'on se retire pour
boire.
GuoLTRNE.\u, poisson de mer.
GuoYON, poisson de mer.
GuoYTROU, GoiTRou, goîtreux.
Guy DE Flandre, plâtre très fin dont
on se servait en Flandre.
GuYERCHAROis (le Seigneur de), de La
Guierche ou de La Guerche, seigneu-
rie à dix lieues de Tours.
GuYNETTE, jeime poule de Guinée.
Gyrine. — Voyez la Bricfve Déclara-
tion.
Gyrognomonique. — Voyez Circum-
bilivaignation.
Gyromantie, divination qui se fait au
moyen de cercles.
H
Ha, a : « Qui ha, si parle ! » Que celui qui
a quelque chose à dire parle !
Ha (y), il y a.
Haan, hahan, ahan, fatigue : t Suer de
haan. »
Habaliné, fâché, consterné : distem-
pered, dit Cotgrave.
HABn.KR (se), s'habiller.
T. II.
Habiliter, rendre habile, apte.
Habit ne faict point le moine; locution
proverbiale.
Hacquebute, arquebuse.
Hacql'ebuter, tirer l'arquebuse ou
comme une arquebuse.
Hacquebutier, harquebousibr, ar-
quebusier.
460
GLOSSAIRE ET NOTES
Hacquelebac, nom d'un géant.
Hjîmorrutes, hémorroïdes.
Hjereditant, héritant.
Hag.vrene, arabe.
Haie, h.aye, danse.
Haims, hameçons, crochets.
Haire, hère : « Pauvre liairc. »
Haire, membre : « Mou pauvre haire
esmoucheté. »
Haire, jeune cerf d'un an : « Tels jeunes
haires esmouchetés », tels jemies cerfs
piqués par les mouches.
Haires, Havres, mistres : o I<esquels
leur faisoient mille hayres. »
Hait, Hayt, bonne humeur, disposition
allègre : « De bon hayt », de bon
cœur.
Haiter, hayter, plaire, réjouir, agréer.
Haitié, haytié, allègre, joyeux.
Halcret, corselet en fer battu : « Non
et un halcret pour non durabit (dur
habit) ». Rébus.
Haie ! prends, happe.
Haleiner, respirer.
Halleboter, H.\i,LEBorTER, grappil-
ler : t N'y aura que halleboter. »
Hallebran, halbran, canard sauvage.
Hallebrené, conchié, malheureux,
échiné.
Halotz, le cercle lumineux qui se forme
quelquefois autour de la Urne et qui
pronostique la pluie.
Hamadryades, nymphes des bois.
H.\messon, hameçon.
Hammon (corne de), déaite par Rabelais
au chapitre xrv du livre III.
Hanat, han'^vp, coupe, vase à boire.
Ha^'dons, sorte de reptiles, d'après Pline.
Hanebame, jusquaime.
Hamcroche, longue pique au fer re-
courbé dont on se servait pour tirer
les cavaliers à bas de leurs chevaux.
Hanicrochement, dérivé du précé-
dent : accroc, contrariété, empêche-
ment.
HANNETO>fièios, magasin aux haime-
tons.
HANNfEERS, habitants du Hainaut.
Hans Carvel. Le conte de l'Anneau de
Hans Car%-el se trouve dans Pogge,
dans l'Arioste, il a été popularisé chez
nous par La Fontaine.
Hapelopiks, qui happent les morceaux;
gueux et quêteurs de franches repues.
Happelooude, bourde, tromperie.
Happemousche, nom d'un géant.
H.\ppESOn>PE, cuiller.
Haquenées, chevaux harnachés pour
dames.
Harak, hareng; earan saxjret, ha-
reng saur : « Brûlés tout vifs comme
haratis soretz. >
Haranier, mangeur de liarengs, qoî
vit de harengs.
Harborins, pensées; mot hébreu.
Hardeau, gars, jeune garçon.
IlARiiEXES, reptiles.
Harnois, équipement, armure.
Harnoys (de gueulles), victuailles, pro-
visions de bouche.
Harpaix-LEUR, voleur, brigand.
Harpocras, dieu du silence.
Harpy.acque, de harpie.
Harquebousier, harquebouzier, ar-
quebusier.
Harry bourriquet, en avant, bour-
rique ! cri pour inciter les ânes à mar-
cher.
Hart, licol, pendaison : • Sur peine de la
hart. »
Hascher, hacher.
Haste ! dépêchons !
Hastellier, atelier.
HASTEREAfx, foies dc vol; lies coupés
par rouelles et enfilés dans des bro-
chettes nommées hâter ets.
Hastille, boudin, andouille.
Hasti\tîment, hâtivement.
Hastiveté, hàtiveté, promptitude,
adresse à éviter.
Haubelox, kobelon, houblon.
Haubergeon, H-Aitsert, cotte de mailles
descendant jusqu'aux genoux. t*
Haulser i£ temps, laisser le temps
redevenir favorable, l'aider à passer.
Cette expression est dans Brantôme,
Naude, etc.
Hault du jour, milieu du jour.
Hault appareil (ai-mé à), armé de
toutes pièces et d'une puissante ar-
mure.
Hault de chausses. — Voyez Chausses.
Hault dommaine, le ciel.
Haultechaussade, nom comique in-
venté par Rabelais. — Voyez Expo-
nibles.
Hauxte dance, danse avec des grands
sauts et gambades, comme la danse
des baladins de professions.
Haulte fustaye (livres de), comme on
dit : bois de haute futaye.
Haulte gajde, ton élevé.
Haultelissier, faiseur de tapisserie de
haute lisse.
Haultz bonxetz, coiffure du temps de
Louis XI.
Haulx boys (jouer des), abattre les
grands arbres.
Ha VET, croc, crodiet.
Hay, HAYE, exclamation.
Haye, ilme, danse.
Haymok (les gestes des quatre filz),
conte populaire remontant aux poèmes
du cycle carolingien.
GLOSSAIRE ET NOTES
4'' 7
Hayt, voir IIAIT.
Hasardeux, téméraire.
IlAZARS, hasards.
HebdoM-\de, semaine.
Hebetation, hébétement, abrutisse-
ment.
Hebrard. — Voyez Grccisme.
Hebrieu, hébreu.
Hectique (fièvre), fièvre continuelle,
consomption.
Hegroxxe.\u, héronneau.
Helepolide, machine de guerre em-
ployée par les aaciens à la prise des
_ villes.
Hellé, Hdlé et Phrix, enfants d'Atha-
mas, roi de Thèbes, transportés en
Codiilde par le bélier à la toison d'or.
nEJilCR.AlXE, mal de tète qui n'affecte
que la moitié de la tête, migraine.
liEMioLE, nombre qui contient un autre
nombre (pair), plus la moitié de ce
dernier nombre, comme six à l'égard
de quatre. De l'hémiole naît le rap-
port de la consonnance dite diapente
ou quinte.
Hemip.\xs, comme .Egipans.
Henilles, contes de vieilles femmes,
suivant de l'Aulnay.
Henry de Valois, Henri II, roi de
France.
Heous, un des chevaux du Soleil.
Heouse, houx; arbrisseau.
Hept.\phon-e, se dit d'un pieu, d'im
écho, qui répète sept fois le son.
Her, monsieur : « Her der Tyflet », mon-
sieur le diable, en allemand. Rabelais
emploie le pluriel hers, dans les Fan-
freluches antidotées.
Heracledes Poxiicq, Héradide de
Pont, philosophe, historien et astro-
nome grec.
Heraclite, Heraclyte, Heraclitus,
philosophe grec, qui vécut au vi" siècle
avant Jésus-Christ.
Heraclitizer. faire comme le philoso-
phe Heraclite, c'est-à-dire pleurer.
HERB..\LrLT, chien hargneux. Rabelais
joue sur ce mot et sur le nom de Ga-
briel de Puits-Herbaut, qui l'avait
vivement attaqué. — Voyez la Vie de
Rabelais.
Herbe au charpentier, plante vulné-
raire.
Herber (s'), s'étendre sur l'herbe.
Herberger, héberger, loger : « Soy her-
berger sous des salades ».
Herbier, herboriste.
Herclt-es G.4ULLOYS. — Voycz la
Briefve Déclaration.
HERCULLiiœ, herculéeime, d'Hercule.
Herexicojietra, mesurant, jaugeant les
hérétiques; qualification que Rabelais
donne à J. Hocstraten, fougueux do-
minicain de Cologne.
Hergneux, hargneux, agressif.
Heri.ssonné, qui a le poil hérissé.
Herm, île entre la Bretagne et l'Angle-
terre.
Hermès Trismegiste, dieu égyptien
auquel on attribuait des livres sacrés.
Quelques fragments apocryphes sont
restés sous ce nom.
Hermitesse, féminin d'hermite: dont
Rabelais emploie également le dimi-
nutif hermitillon.
Hermodactyxes, plante dont le nom
signifie doigts de Mercure.
Herjiolaus. — Voyez Barbarus.
Heroes, héros.
Heron-nière (aiisse), cuisse de héron,
c'est-à-dire longue, sèche et maigre.
Herpe, harpe.
Herselé, harcelé.
Hersoir, hier au soir.
Her Trippa. Dans ce personnage, Rabe-
lais paraît avoir eu en vue Cornélius
Agrippa, auteur de li\Tes de Occulta
P/iihsophia et de Vanitate scientia-
rum.
Hervé, le nocher breton. — Voyez Ger'
main de Brie.
Hesdin. ville de l'Artois.
Hespagne, Hespaigke, Hespane, Es-
pagne.
Hespaigxolz, Espagnols.
Hespaillier, rameur.
Hesp.\îjolz, chiens épagueuls.
Hesperxdes (jardin des), gardé par xm
dragon que tua Hercule pour y enlever
les pommes d'or.
Hespérie, nom d'une tour de Thélème;
occidentale.
Hespercs étoile du soir.
Heur, chance, bonheiu:.
Heurt, choc.
Heu-rteur, musicien du temps de Rabe-
lais.
Hibernal, d'hiver.
Hiberxe, hiver.
Hteracla, plante.
HiÈRES (îles), anciennement dites Stœ-
chades.
HiERUSALEM, Jérusalem.
HiLiQL-E, propice, favorable; du grec
iÀ£OÇ.
HiLLOT, fillot, garçon, en gascon. —
Voyez Graiianauld.
Hbiantopodes, peui)Ie à jambes torses
que Pline place en Ethiopie.
HiPPES, Hippone.
HrppiATRiE, médecine des chevatix.
HiPPOCRAS, hypocras, boisson.
HippoTKADÉB, composé de hippos, cHc-
468
GLOSSAIRE ET NOTES
'■ val, et Thadée, apôtre. Hippos est
' quelquefois un simple augmentatif,
comme le remarque l'auteur de Y Al-
phabet de l'auteur françois.
HiPPURis. prelle, plante qui ressemble à
une queue de cheval, dit Rabelais.
HiRCAiCE (mer), partie sud de la mer Cas-
pienne.
ttœcAîncQUE, d'Hircanie.
HiRC.\xiE, contrée de l'ancienne Asie,
sur la côte sud-est de la mer Caspienne.
HOBELON, houblon.
HOBIK, allure du cheval écossais.
HOBRETHZ, musicien du temps de Ra-
belais.
Hocher, secouer, remuer.
HOCQUETOX, cotte d'armes, timique.
HoGuiXE, cuissard, jambard.
Hoirs, héritiers.
HoLOS ! hélas !
HoLOSTEON, plante dont le nom signifie
tout d'os, par antiphrase, car elle est
très fragile et très tendre.
HOMELAICTE, Omelette.
HOMMEFLEUR, Honflcur.
HOMMET (bon), bonhomme, petit bon-
homme.
HoMOX"Y3iiES, similitudes de noms et de
mots, calembours : peine (chagrin) et
penne (plume), etc.
Hondrespoxdres, Allemands, ceux qui
pèsent cent li\Tes.
Honneurs, terme du jeu de cartes dési-
gnant les figures; peut-être, au temps
de Rabelais, nom d'un jeu spécial.
HoRCHE. — Voyez Orche.
HoRD, HORDE, Sale, malpropre.
HoRDOus, même sens. Rabelais fait de
ce mot im nom propre pour désignei
im cuisinier.
Horologe, horloge; horologiers, horlo-
gers.
Hors. Au chapitre xxvm du livre V, à
cette demande de Panurge : « Quels
sont ils volontiers (leurs souliers) »?
le Fredon répond : « Hors ». C'est une
correction. Il y a dans le texte ords ou
kords, malpropres, ce qui ne peut s'ex-
pliquer. Nous entendons et nous avons
écrit hors, c'est-à-dire hors des pieds,
de sorte que pieds nus « elles marchent
en place vitement ». De l'Aulnay a
proposé la correction orbz, qu'il tra-
duit : ronds, mais orbz veut dire aveu-
gles. Cela ne répond pas, d'ailleurs, à
l'interrogation : « Quels sont ils volon-
tiers »? ni à la suite : « Ainsi marchent
en place? — Tost ».
Hors (de là en), dorénavant.
Hors mis, sans compter.
Hortolan, ortolan.
Hoschepot, cuisinier de Grandgousier.
HosCHEPOT, mélange de plusieurs viatl*
des cuites ensemble.
Hospitalière, tenant tin hôpital.
HosTARDE, outarde.
HosTE, HousTE, hôte : « Corps, hoste de
l'esprit. »
HosTEL, maison.
HosTLURE, nosTiÈRE. — Voyez Gueux.
HosTiATEMENT, de porte en porte.
Hostie, port à l'embouchure du Tibre.
HoTTÉES, hottes pleines : « Trente mille
hottées de diables. •
HocLTAiGE, otage.
HofRD, HOtJRT, comme heurt.
HofSEAUX, HOU ZE AUX, bottcs, bottines.
HousÉ, botté, chaussé, caparaçonné.
HOUSSEPAILLIER,HOUSSEP.\ILLEUR, souil-
lon, marmiton, comme qui dirait :
Housé (botté) de paille.
HousT, houx, arbrisseau.
HOUSTAGE, HOUSTAIGER, otage.
HousTER, ôter, prendre.
HouSTiL, outil.
HuGREMEXT, aigrement, rudement, vi-
goureusement.
HuiLLiER, fabricant d'huile.
Humanité : « Lettres de humanité »,
les humanités.
HujLVNiTÉ : t Nos humanités », nos per-
sonnes, comme nos palernitcs. Dans le
même sens : « Ma petite humanité »,
mon petit individu.
Humer, boire.
HujiERiE, action de humer : « A la hume-
rie », buvons !
HuMEUx, humeur, buveur.
HuMEVESNE (M. de), nom comique, forgé
par Rabelais et dont le sens n'a pas
besoin d'être expliqué.
HuoN" DE LA BouRDEAXJLX, personnage
des poèmes du cycle carolingien,
resté populaire.
HtTPE DE FROC ! houppe de froc.
HuRLUBURLU (saint), nom inventé par
Rabelais.
HuRTALY, géant dont Rabelais explique
le rôle pendant le déluge.
HuRTE, choc, coup.
HuRTER, heurter.
Hl-rtis, hurtys, comme heurt, hourl.
hurfe, formes diverses d'un même
mot.
HuscHE, huche.
HuscHER, crier, appeler : t Huscher en
paulme », crier, appeler en se faisant
un porte-voix de la main.
HuTAUDEAU, chapon gras.
Hu^-, aujourd'hui.
HuYS, porte.
Hybernie, Irlande.
HyBOU, Gargantua jouait t au hybou » ;
on ne sait en quoi consistait ce jeu.
GLOSSAIRE ET NOTES
469
peut-être simplement à imiter le cri de
cet oiseau.
Hydrargyre, argent liquide, vif-argent,
mercure.
Hydrie, cruche, vase.
HYDROM-iNTiE, divination par l'eau.
HvMETL-iN, du mont Hymette : « Miel
hymétian ».
HvMNiDES, nymphes; peut-être il faut
lire Limtiides, nymphes des étangs.
Hyos CYAJIE, plante.
Hypenemiex, plein de vent.
H^TERDCLiE, culte au-des3us d'un autre.
Hypern-epheliste, qui s'élève au-des-
sus des nues parses spéculations.
Hypocritesse, féminin d'hypocrite.
Hypocriticque, hypocrite.
Hvpocriticquemen't, hjrpocritement.
HYPOCRlTrLi,ON, diminutif d'hypocri-
tique ou hypocrite.
Hypogée, lieu souterrain.
HypoPHETii, qui parle des choses passées
comme les prophètes des choses fu-
tures.
Hyposargue, hydropique.
Hypost.\se, ou plus régulièrement
hy posthathme , sédiment de l'urine.
Hyrondelle, hirondelle.
Hy^tiogne, ivrogne.
I.\MBIQUE, danse ancienne.
LwtBus. Rabelais joue sur iambus, pied
de vers, et sur le mot jambe.
ip.iCE, bouc sauvage.
Ibide, ibis, oiseau d'Égj'pte.
IcvROiiExiPPE , surnom domié par Lu-
cien au philosophe Ménippe, qui avait
voulu se faire des ailes comme Icare.
Ic.\RUS, Icare, fils de Dédale, qui se fit
des ailes artificielles, et se noya dans
la mer de Crête.
ICELLE, cette, celle-là.
ICELON, ministre ou enfant du Som-
meil.
Iceluy, ce, celui-là.
ICHXEUJION, sorte de rat d'eau détrui-
sant les œufs de crocodile et adoré chez
les Égyptiens.
ICHTiTi o.M-VN'TiE, divination au moyen
des poissons.
IcHTHYOPHAGE, qui sc Hourrit de pois-
sons.
ICLES, sorte de reptiles.
IcosiMYXE, à vingt mèches, en parlant
d'une lampe.
ID.\, IDE, mont Ida en Phrygie.
IDEUX, hideux.
Idiot, simple, sans artifice.
Idoine, propre, bien disposé, capable.
IGNAVE, lâche, paresseux, sans cœur.
iLiciNES, sorte de reptiles mentionnés
par Pline.
ILLECQUES, là.
ILLUCESCER, luirc, briller.
IMBÉCILLE, faible, impuissant.
iMBÉciLLixÉ, faiblesse, inertie, impuis-
sance.
Immutation, changement, mutation,
altération,
Imp.\r, impare, impar.
IMPENDENT, imminent, qui est sur le
point d'arriver.
IMPERF.A.ICT, imparfait.
Imperit, inhabile, ignorant.
Imperméable, où l'on ne parvient pas,
inaccessible.
Impertinence, inaptitude, empêche-
ment.
IMPETRER, obtenir.
Imposer, placer dessus.
Impossible, substantif; chose impos-
sible, l'impoKible.
Impotence impuissance.
Impotent, impuissant « au devoir du
mariage ».
IMPREOABLE, inappréciable.
Impression {l'.\rt d'), l'imprimerie.
IMPROPERE, reproche, honte, chagrin.
Impudentement, impudemment.
iN.^RiiiE, île où Typhée fut foudroyé
par Jupiter.
lNCAGL'ER,conchier,embrener; au figuré,
narguer, braver.
INCAUTEJIENT, imprudemment, sans
réflexion.
INCENTRICQUER, placcT au Centre.
INCE.STE, désignant le commerce entre un
religieux et ime religieuse.
Inceste, souUlé.
Inciser, couper.
iNcisuRE, incision, coupure.
Inciter, exciter.
INCLITE, iNCLYTE, Célèbre, illustre.
Incommoder a, être nuisible, perni-
cieux à.
Incongru, inconvenant.
INCONSOMPTIBLE, INCONStrMPTIBLE, qui
ne se consume point.
470
GLOSSAIUE ET NOTES
lNCORNiPiSTiBiTi,BR. Introduire, faire
entrer, mot forgé par Rableais.
INCRÉABLE, incroyable.
INCREDIBLE, incroyable.
iNCUi.Qi'ER, insinuer, faire pénétrer.
INDAGUER. chercher, recherdier; d'où
l'adjectif indague, maniéré, recherché,
subtil.
INDE (POULLES DE), dlndes.
Indemne, sans perte, sans dommage,
indemne.
INDIAN, INDIAME, Indien.
iNDic, IXDICQUE, indien, de l'Inde :
« Noix indicques ».
Indic:e (doigt), index.
INDIE, Inde.
Indiferentement, indifféremment.
INDITION, indiction.
iNDmDUAL, individuel, propre à l'indi-
vidu, à l'objet : « Propriété indivi-
duale. »
INDULT, bref pontifical, concession et
faveur du pape.
Inepte, inapte : t Inepte à tous offi-
ces ».
Inertes (maistres), parodie de « maî-
tres es arts ».
iNEXPUisiBLE, inépuisable.
INFALIBLE, infaillible.
Infauste, malheureux; infaustissime,
très malheureux.
IXFEcn'iON, peste, contagion.
INFELICITÉ, malheur.
INFERER, conclure.
INFINABLE, qui n'a point de fin.
INFLECTIBLE, inflexible.
lNFOLL\TURE, incTustation qui souvent
représente des feuilles.
iNTR-^crriONS , ruptures, déchirures :
« Infractions des flambantes nuées. »
INFRINGIBLE, qu'on ne peut rompre,
briser.
IXHIBER, défendre.
INIAN, hihan, imitation du cn^i de l'âne
INIGO (Fr,\y). On doit que Rabelais a
voulu désigner Ignace de Loyola, alors
à Paris avec ses compagnons, et qui
fit ses vœux à Montmartre, en 1535.
Inimic:e, ennemi.
IN-NOCENT, pâtissier de Chinon.
Innocenter, Jadis, le jour des Inno-
cents, lorsqu'on pouvait surprendre les
jeunes filles au lit, on se permettait de
leur donner des claques sur les fesses,
et l'on appelait cela les innocen-
ter.
lONiCQUE, d'Ionie.
lo PÉAN ! cri en l'honneur du dieu Pan,
cri de fête chez les anciens.
iKQt-TNAMENS, souUlure, crrdiu-e.
INS.AIL, gouvernail d'im vaisseau.
INSCULPÉ, taillé, buriné, sculpté dans.
INSE, Uinse; terme de la marine proven-
çale par lequel on commande de hisser
les voiles.
Insigne, enseigne, signe, emblème.
Insinuer, inscrire : « Je t'insinue ma
nomination en mon tour », c'est-à-dire
je me mets en mesure de profiter de
mon droit, quand viaidra mon tour.
— Allusion à la loi bénéficiale : « Les
gradués qui auront omis d'in.=inuer...
seront privés de accepter ou acquitter
les bénéfices qui vaqueront esdites
années qu'ils n'auront insinué ».
(Louis XII, Lyon, 1510.) L'insinuation
était ime inscription sur des registres
publics, comme est aujourd'hui l'ins-
cription hypothécaire.
iNSOLrBtLLi, problèmes insolubles.
INSPIRER, aspirer l'air.
Instable, installé.
Instant, pressant, se pressant : « Ins- '
tant à f'estude », plein de zèle pour
l'étude.
INSTANTEMENT, d'une manière pressante
et active : « Soi instantement exercer
et travailler ».
iNSTAtTRATEUR, qui rétablit.
INST.AURER, restaurer, rétablir.
Instituer, instruire.
INSTITUTE, les Institutes de Justinien.
INSTROPHIÉ, ceint, couronné.
INSTRCER, instruire.
INSTRLIIENT, équipage, attirail.
INSCPERABLE, insurmontable, invin-
cible, qu'on ne peut surpasser.
INTE5IPERÉ, mal tempéré : « Air intem-
peré et pluvieux ».
INTEMPERIE, mauvais temps.
iNTENDicn-, ancien terme de droit, acte
par lequel le demandeur déclarait son
intention de fonder son droit sur telle
ou telle loi.
INTENTEMENT, attentivement : « Regar-
dant intentement. «
Intension, tension, contention, atten-
tion.
INTERBASTÉ, piqué, contrepointc.
iNTERavLARE. intercalaire. — Voyez la
Briiii-c Déclaration.
INTEREST, dommage, préjudice, risque :
« Pour l'interest qu'il y pourroit pré-
tendre, a
INTERINER, achcveT, parfaire, mettre la
dernière main.
INTERLINÉARE, interlinéaire.
INIERMINATION, peine assignée et déter-
minée par la loi.
Interminé, assigné, déterminé.
INTERMISSION, interruption, disconti-
nuation.
INTERNITION. meurtre, carnage.
INTERPOLL.4TION, intcrcalation.
GLOSSAIRE ET NOTES
471
INTERROGUER, înterroger : s'interro«uer,
s'informer.
Intestin, intestine, intérieur, interne
INTRADE (d'), d'emblée.
INTRANS, ceux qui étaient élus par les
Facultés et les Nations pour choisir le
recteur de l'Université.
INTRICQI'É, embrouillé, empêtre.
INTRONIFICQUÉ, introduit; mot forgé
par Rabelais.
Inventé, trouvé, découvert.
Invention Sainte-Croix. — Voyez au
mot Croix.
In\'entoire. inventaire.
INVENTORIZANT, inventoriant.
Inviser, visiter, aller voir.
lo, je, moi.
Ire, colère.
IRRIGU, arrosé, irrigué.
IRRISION (en), ironiquement, en dérision,
Irrorer. arroser, asperger.
IscHL\TiQUE, goutte sciatique.
ISCHIES, hanches.
IsiACES, IsLA.CQrES, prêtres d'Isis.
ISLE Bouc.\RD (1"), île de a Vienne, près
Chinon.
ISLE S0NN.\NTE, allégorie de l'Église
romaine.
Issir, sortir.
Isthme, l'entrée du gosier.
ITA, ainsi.
Itales, Italiens.
iTAUCQt-E, d'Italie.
ITHYBOLE, homme droit, qui n'est ni
tortu ni bossu ; nom d'un des capitai-
nes de Gargantua.
ITHY.MBON, saltation laconique en l'hon-
neur de Bacchus.
ITYPHALLE, phalIus droit, attribut de
Priape. Il y avait des prêtres ainsi
nommés et des danses ithyphalH-
ques.
ITIEULX, iTEUx, tels. Au chapitre iv du
V* livre : Tropdiiieux ou Trop d'itieux
veut dire : trop de tels, sous-entendu :
enfants. — Tropditeux, ou Trop
d'ileiix, c'est-à-dire gens dont il y a
de trop, est une des injures que les
fouaciers de I<emé adressent aux ber-
gers de Gargantua.
lYNGE, philtre, breuvage, inspirant
l'amour.
JA, déjà.
JAC, danse.
JACQVEM.^RT, heurtoir, marteau d'hor-
loge.
Jacques Bonshoms, c'était le nom
donné aux paysans.
JACTURE, perte, dommage.
J.\D.\u, JADEAU, écuelle, jatte : « Jadeau
de vergue », écuelle de bois d'aune, bois
rougeàtre.
J.\LLET (ARC A), petite arbalète qui ser-
vait à lancer des balles de moyennes
grosseurs, dites jallets ou gallds.
JAMBONIQUE, de jambon.
jAMBONî.'iER, autre adjectif formé du
mot jambon : « Commandeur jambon-
nier ».
JAN, cocu : « le Jan en vault deux ». Au
jeu de lourche et du trictrac, le grand
Jan ou le petit Jan valaient deux
points.
JANEQUIN, musicien du temps de Rabe-
lais.
J.'VNGLEL'R, jongleur.
Janspill'hooies, pour gentilshommes.
JAPHES, Jaifa, port de Syrie sur la Médi-
terranée.
JARBE, gerbe.
JARD, oie mâle.
Jargonner, parler comme les enfants.
J.ARGONNOYS, jargou.
JARR.\RIES, reptiles mentionnés par Pli-
ne.
J.\RRETADE, taillade, coup de taille des-
tiné à couper le jarret.
Jars, oie mâle.
JARTIERS, jarretières.
JAU, coq : « Comme jau sur breze. »
Javart, chancre ou apostéme particu-
lier au cheval.
jAZER.wr, chaîne d'or très déliée.
Jean de Paris, héros d'une légende
populaire.
Jean Jeudy, pour désigner le phallus.
JE.\N LE JLAXRE DES BELGES, auteur Con-
temporain de Rabelais, originaire du
Hainaut, 1473-1545.
jE.i^î LE Ve.\u, imbécile, pleurard.
Jecabot, abstraction; mot hébreu.
JECT, bandelette, attache que l'on met à
la patte d'un oiseau.
JECTER, jetter.
Jectigation, mouvement brusque, re-
muement convulsif de la tête ou des
épaules.
JEJUNE, sec, aride, affaibli.
472
GLOSSAIRE ET NOTES
J'en suis, sorte de jeu de balle.
Je te pinse sans rire, jeu qui consiste à
s'efforcer de garder son sérieux; le
premier qui rit est le perdant.
Jeudis (l.^^ sepmaine des trois), c'est-
à-dire une semaine impossible, qui n'a
pu exister. De l'Aulnay, s'est pour-
tant chargé de la trouver, t C'est, dit-
il, la première du mois de janvier de
l'année qui suit une séculaire, et qui
commence par un lundi; car alors il
y aura dans cette semaine le premier
jeudi du mois, le premier jeudi de
l'année et le premier jeudi du siè-
cle. »
Jeun, qui est à jeun.
Je vous prends sans verd, sorte de
jeu.
JOAN (Seigny), le fol, citadin de Paris.
Iv'anecdote dont Rabelais fait Seigny
Joan le héros (chapitre xxxvil du
livre III) se trouve dans la neuvième
des Cento Novelle antiche.
JOBELIN, niais, nigaud : t Jobelia Bride »,
comme on dit : oison bridé.
Jocqueter, far l'alto, prendre le déduit.
JOLLIET, joli.
JONCADE, crème sucrée, parfimiée d'eau
rose, et qu'apparemment on servait
sur des joncs.
Jonchée, comme joncade. Et aussi une
botte, un fagot, de l'herbe ou de la
paille répandue.
Jonchées (les), jeu; c'est notre jeu
des jonchets.
Jongleur, faiseur de tours, chanteur,
ménestrel.
JOSQUIN DES Ppjîz, musidcn contempo-
rain de Rabelais.
Jou MOT, et moi motus, plus un mot.
Jouer du serrecropière, des cymballes
et des mannequins; expressions éro
tiques.
Joueur de farces, acteur comique.
Joueurs de quille la (beaux), c'est
probablement le refrain d'une chan-
son.
Journée, bataille.
JouRSANSPAiN, mot composé facile à
entendre.
Jousseaulme, personnage de la Farce
de Patelin.
Jouvence (fontaine de), qui avait la
vertu de rajeunir les vieillards.
Jouste, joute, combat à la lance.
Jouxte, auprès, au bord : « Jouxte la
rivière. »
Jovetian, de Jupiter.
Jovial, qm appartient à Jupiter; de
Jovis.
Joyes de MARLiGE (ueuf). H y en avait
quinze, suivant un opuscule facétieux
et satirique du xv^ siècle.
JOYELT,x DU ROY (le), le fou, cclui qui
est chargé de divertir le roi.
JUBE, la crinière d'un lion.
Juge vif et juge mort, l'un des jeux
de Gargantua; ce jeu est inconnu.
Juges pédanés sous l'orme, juges am-
bulants et sans siège.
Jumelles, les joues d'un pressoir.
Jupiter Pierre, le pape.
JuppiN, Jupiter.
Jus, à bas : t Jlettre jus », abattre.
Just, jus, le jus du raisin, par exemple.
Justixiaxus, de Cagotis tollendis, dans
la bibliothèque de Saint-Victor. Il y a
ime loi de Justinien : de Caducis tol-
lendis.
JuvENTi (M.), Juventius. — Voyez
Pline, livre VII, chapitre Lm; et Va-
lère Maxime, livre IX, chapitre xii.
K
Kt./.o^t.'J'.'/Ax. c'est-à-dire Malroy,
comme traduit Rabelais.
Kalendes. — Voyez Calendes.
Kesudures, sorte de reptiles d'après
Pline.
KniY (Rabi). David Kimchi, célèbre
docteur juif des xii« et xm* siè-
cles.
Kyne, chienne; ce mot est grec.
Kyrielles, oraisons, litanies.
GLOSSAIRE ET NOTES
473
I,A Basmette, abbaye près de Poitiers,
où Rabelais aurait fait, d'après la
tradition, ses humanités et son novi-
ciat.
Labeo (Antistius), jurisconsulte ro-
main.
IvABOURÉ, sillonné, ouvragé.
I,ABOUliER, travailler : « Qui non labo-
rat, non manige ducat. » Au lieu de
non manducat, ne mange pas, qui est
dans le proverbe latin, Rabelais dit :
« Xe manie ducat. »
I<ABOCRErR, le bœuf, qui laboure; jeu
d'enfants inconnu, l'im des jeux de
Gargantua.
X,.\BouiŒUR DE NATURE, il cazzo, discnt
les Italiens.
Laboureux, laboureurs.
I<.\CHRYMA Christi, larme du Christ;
pour désigner im vin excellent.
I<.\ Crau, pays de Provence.
1,A Devtnière, cru du Chinonnais, où
l'on récoltait du bon vin blanc, et que
l'on croit avoir appartenu au père de
Rabelais.
I<ADRE, lépreux : « Ladre verd. » On dis-
tinguait, dans l'ancienne médecine, le
ladre blanc et le ladre vert; le ladre
vert était plus hideux, plus infect,
pliis incurable que la ladre blanc. « Il
îst, par Dieu, dit Panurge, en parlant
du frère Fredon,ladreverd».Les ladres
étaient réputés pour la chaleur de leur
tempérament.
Ladrye, ladrerie, lèpre.
La Paye Montau, village du Chinonnais.
Lagona edatera ( compagnon à boire !
en basque). On doit écrire laguna, du
moins c'est ainsi que nous le lisons
dans les plus anciens textes basques;
Yu se prononce différemment, suivant
les dicdectes. Mais dans la plupart, et
ainsi que le dit Liçarrague en tète de
son éiditon du Nouveau Testament
basque, u voyelle se prononce à pleine
bouche, comme si c'était ou.
Edatera [ad bibendum, à boire) est
le gérondif accusatif du verbe edatea,
boire. (Larramendi.)
L.AIAU TRU; Gargantiui jouait à laiau
tru; jeu inconnu.
Laict, lait.
Laicter, teter : c En la laictant », en la
tétant.
Latdure, laideur.
Lairront, laisseront.
Laise, laize, lé, largeur de l'étoffe : t A
la grande laise », à la grande mesure:
t Six arpens de pré à la grande laize ».
Laisse, fiente du sanglier.
Lamie, sorcière; ces sorcières, suivant
Plutarque, étaient leurs yeux, comme
on ôte des limettes, quand elles ren-
traient chez elles.
L-'^AUNE, sorte de corset ou de cuirasse
formée de petites lames d'acier adap-
tées l'une à l'autre.
Lampreon, petite lamproie.
Lampyrides ou cidndeles, vers luisants.
Lancement, landsmann, compagnon,
compatriote.
Lanceron, espèce d'esturgeon.
Lancinantes, piquantes.
Lanciz (les), la foudre.
L-WJCY, esquinancie.
L.'^NDEROUSSE (les usuriers de) se pen-
dent. — Voyez Clêm. Marot.
L.ANDIER, grand clienet de cuisine.
Landore, landoré, fainéant, lourdeau,
endormi.
L-'^NDRiVEL, lanterne de vaisseau.
L-ANERET, petit larder, oiseau de proie.
L-A^^ES, les Landes.
Langés, langey. Langeais.
L-AN'GO, ancienne Cos, patrie d'Hippo-
crate.
Langoreux, langoureux, malade.
Languegoth, Languedoc; ainsi écrit
dans les trois premières éditions.
Lanificque, laiueux, porte-laine.
Lansquenet, sorte de jeu de cartes.
Lansquenetz, soldats allemands.
Lansquenette (espée), épée des lans-
quenets.
Lansquenettes, femmes des lansque-
nets.
Lans, tringue (en allemand corrompu) :
Compagnon, donne-moi à boire :
Landsmann, zu trinken.
Lanterné, si maigre que le corps est
transparent comme une lanterne.
Lanternter, i,.anterniere, porte-lan-
terne.
L.anternoys, pays des lanternes; allé-
goriquement, pays des lumières.
La Palisse (saint j.aen de), pour saint
Jean de l'Apocalypse.
Lapaihuim acuium de died. I,ap4"
474
thiuin, c'est la patience, plante amère.
On comprend le calembour que fait
Rabelais sur la Passion.
Lappia, Lapon ie.
l,ARDOi"ERE, lardoir.
Larege, nom que les Vénitiens et les
Padouans donnaient au mélèze.
Laricnans, habitants de Lartgito ou
Lari^num, forteresse du Piémont, as-
siégée par Jules César.
Ir.MUNGUES, ville que Rabelais dit située
dans le gosier de Pantagruel; de la-
rynx.
La Riole, la Réole.
Larix, l.\rrix, arbre que les anciens
regardaient comme incombustible.
L-'VRsnER, re^•êtement, avance, corniche,
chaperon d'un mur, incliné pour faire
écouler l'eau.
Larrokker, voler, brigander.
Larrys, membranes du vagin.
Lart, lard : « Frotter son lart ».
La Rce (de), musicien contemporain
de Rabelais.
L.^^VES, ombres, fantômes, infernaux.
Lasanon. — Voyez la Briefve Décla-
ration.
Lasaxophore, celui qui porte la chaise
percée.
Laschemeîtt, mollement.
L.'VSCi\TE, lascivité.
L.^sd'.^u,I-ER, nom comique d'un pèlerin.
Lassés, enlacés, croisés.
Lasset, filet de chasseur.
Lassus, là-haut, là-dessus.
Late, largeur : « Late imguicale », lar-
geur de l'ongle.
Latlvl, latin.
Latinicome, latin; mot formé du latin.
LATDas.\TErR, qui latinise, qui parle
latin.
Latitude, largeur.
L-'^TONîTE (le fils de), Apollon.
Latrialeiient, avec un culte de latrie.
Latrie, culte.
Laudateur, qui loue.
La vailles, eaux ménagères.
Lavaret, espèce de saumon.
Laved.\n, cheval du pays de ce nom,
en Bigorre.
Laver la coiffe iiadasie, un des jeux
de Gargantua; on ignore en quoi il
consistait.
L.'vvE, route dans un bois, et par suite
le bois ou la forêt.
Layz, lais, frères lais, serviteurs des
couvents.
Le.vstjer, Léandre, amant de Héro.
LÉANS, là, là-dedans.
Lecanom.\ntie, divination à l'aide d'un
bassin plein d'eau.
Lectiere, litière.
GLOSSAIRE ET NOTES
Lectde, la tue.
Lede, Léda.
Legiere, facile.
Legieremext, facilement.
Legiereté des pieds, légèreté, vitesse.
Legugé, prieuré du bas Poitou.
Lelapes, vent accompagné de pluie.
Le.movique, de Limoges, limousin.
Lémures, fantômes nocturnes.
Lexdole, nom qu'on donnait à Mar-
seille à la chélidoine ou hirondelle de
mer.
Lextisce, lentisque.
Lentules, nom d'une branche illustre
de la ^ens Cornelia. Lentulus venait de
lens, lentille.
Leox, lion.
Leonicus, Nicolo Leonico, Vénitien,
auteur d'un livre intitulé Sannutus
sive de liido talario, Paris, 1530; Lyon,
Gryphe, 1532, 1542.
Leschar, gourmand, noceur.
Lecsiie, petite tranche, légère traînée.
Let.\xies, litanie?.
Lethe, fleuve infernal.
Letr.\ix, lutrin.
Leuce, blanc, du grec 'Kvjv.'jt.
Leucece, Lucece, Lutèce, Paris. —
Voyez Blanchette.
Leur, régime, reçoit ou ne reçoit pas la
marque du pluriel. On rencontre : « il
leurs dit, il leurs adressa, etc. », aussi
fréquemment que : « U leur dit, il leur
adressa ».
Leutiier, laurier : « Souppe de leurier »,
soupe au lait, dans laquelle on faisait
infuser quelques feuilles de laurier.
Leurre, forme d'oiseau pour rappeler
le faucon, appât, tromperie.
Levain', locution proverbiale : « Qui au
soir ne laisse levain, jà ne fera au ma-
tin lever paste ».
Levé, levé, au jeu de cartes : t Pour ce
jeu, nous ne voulerons pas, car j'ay
faict un levé ».
Le Vexei:-r (cardinal). « Le noble car-
dinal le Veneur », suivant Le Ducliat,
c'est Jean le Veneur-Carrouges, évo-
que de Lisieux, fait cardinal en 1533
par Clément VII. — J. de La Bruyère-
Champier dit au livre XV, chapitre
xxxii. De rc cibaria, que, pour ne
manquer jamais de perdrix, ce cardinal
les faisait nourrir toute l'année en une
de ses maisons de campagne.
Len'ER, se lever :
Lever matin n'est point bonheur;
Boyre matin est le meilleur.
Rabelais modifie le dicton vulgaire :
Lever matin n'est point bonheur,
Mais venir à point est meilleur.-
GLOSSAIRE KT \OTES
475
Lever guerre, faire la guerre, movire \
beilum.
Lexif, lessive.
Lez. près, auprès de.
Lheritier, musicien contemporain de
Rabelais.
Lhormont (hermite de), entre Blaye et
Bordeaux.
I4, forme ancienne de /f et de les ; * De
par li bon Dieu et 11 bons homs ».
LiARD, monnaie.
LiBANOMAXTiE, divination par la fiunée
de l'encens.
LiBENTissEMENT, très volontiers.
Libères (personnes), nobles, généreuses,
bien nées.
Librairie, bibliothèque.
LIBtJR^^CQUES, bâtiments à rames des
Libumiens (Dalmatiens).
LiCÉ, lisse, imi, nivelé.
LicENTiÉ, ayant licence, autorisation :
€ Licentié à faire ce qu'on veut ».
LlCENTlER, donner licence, permettre.
LiCHECiSSE, Icdie-casseroles, marmiton.
LiCHEFRETES, lècliefritcs.
LicT SANS CIEL, calembour ou homo-
nymie, poiu" licencié.
LiEGÉ, garni de Hêge.
Liesse, joie, gaieté. ,
LiFRELOPRE, grand buveur, comme les
Suisses et les Allemands, dont ce nom
imite le baragouin. Pantagniel joue
sur ce mot et sur le mot philosophe, au
chapitre n du livre II.
LiGNADE, provision de bois.
LiGNÉAKE : a En forme lignéare », (li-
vre V, chapitre xxrv') paraît signifier,
comme l'entend M. Burgaud des Ma-
rets, en forme de potence, c'est-à-dire
en passant une case et en sautant de
côté.
LiGUOiiBE.\txx, espèce d'écrevisses.
LlcrRXE, la côte de Gênes.
LiGVSTiQUE (mer), golfe de Gênes.
LniAciALE (ligne), ligne spirale, tournée
eu colimaçon.
Lm.'issox, limaçon.
LiiL\z, limasses, limaçons.
Limbe, bordiu^e.
LiMESTRE. • — Voyez Louchefs.
Limons, Limoux, station thermale.
LiMOSiN, Lymosin. Limousin. L« jar-
gon de l'écolier limousin (cliapitre v,
du livre II) est une satire amusante de
l'abxis des mots latins francisés qui
sévissait étrangement à cette époque.
H n'est pas probable que Rabelais ait
visé un écrivain particulier; il a frondé
iin travers général. On pourrait citer
des morceaux écrits sérieusement qui
sont à peine moins chargés que le
ramage du Limousin. Biaise d'Auriol,
poète et prcsateur du temps, com-
mence ainsi la Départie d'amours :
« Enclos dans mon secret repagule, sur
celluy point que oppacosité noctiale
a termine ses umbrages et Diane com-
mencé ses rays illuminatifs, par le
dinias universel espandre, etc. » Rabe-
lais lui-même abuse des mots tirés du
grec et du latin.
Lorsqu'il reprend son patois natu-
rel, le Limousin s'écrie : « Vee dicou,
gentilastre, etc. », c'est-à-dire : « Et
dites donc, mon gentilhomme ! O saint
IVIartial, à mon secours ! Ho ! ho !
finissez, au nom de Dieu, et ne me frap-
pez pas ! »
LiNACER (Thomas), médecin du roi
d'Angleterre Edouard V.
Lin CEUX, draps.
LiNE, Ugne.
Lingue, langue.
LiNOSTOLiE, robe de lin.
LiPOTHYiHE, défaillance de cœur, éva-
nouissement.
LiRON, loir.
LiSAR, léazrd.
LiTHONTRiPON, remède qui rompt les
pierres dans la vessie.
LiTiGER, plaider, être en procès.
LiviER, levier.
Li^TiÉE, rubans que l'on distribuait aux
gens de la noce.
Liz, LiZE, hsse, poli.
Liz.VRT, lézard.
LocuLES, bourse, cassette.
LocuPLETER, enrichir.
Locustes, sauterelles : « Multipliez
comme locustes ».
LoDiER, LOUTiiER, couverture piquée.
LoGiCAL, logique : « Sens logical ».
LoGiCAXEMENT, logiquement.
LoiGS, LOix, lois : « Loix sont comme
toilles d'araignes ».
LoLLLE. « ...lisdem consulibus, atrox
odii Agrippina, ac LoUiae infensa
quod secum de matrimonio principis
certavisset, molitur crimina, et accu-
sa torem qui objiceret Chaldaeos, ma-
gos, interrogatumque Apollinis Clarii
simulacnun, super nuptiis impera-
toris...
« ...In Lolliam mittiturtribunus, a
quo ad mortem adigeretur. » (Tacite,
.4n;i.XII, 22.)
Lombard (boucon), poison lombard,
italien.
Londres : « Londres en Cahors et Bour-
deaux en Brie ». Il y a en effet un Lon-
dres près de !ilarmande (Lot-et-Ga-
ronne) et un Bordeaux près de Ville-
Parisis (Seine-et-Marne).
Longitude, longueur.
476
GLOSSAIRE ET NOTES
IvONGUET, un peu long.
I^ONGYS, nom d'un géant.
I,OQUETEUX, déguenillé, couvert de lo-
ques. ■,
I/)RDEMENT, lourdement.
I/as, louange.
I/)s, HOLOS, las, hélas !
I^LXHETZ paraît désigner ime étoffe de
laine de fabrique anglaise. On entend
louchetz de Luccstre ou de Limcsire,
comme louchets de Leicester.
I/DUDCNOis, pays de Loudun : « Chapons
de Loudunois ».
l,oupGAROU, chef des géants du roi Anar-
che.
Loups, ulcères aux jambes.
L,ocPS GUAROUS. — Voyez Guaroiis.
LouRCHE, combinaison du jeu de tric-
trac.
LouKDERiE, balourdise : « Licencié en
lourderie ».
LouRDOis, LOURDOYS, lourdaud, naïf :
c A mon lourdois », naïvement, sans
cherclier finesse.
LouRPlDOX, vieille sorcière.
Lov.-UN, Louvain.
Loyer, récompense, salaire.
LoYSErr, musicien contemporain de Ra-
belais.
LuBiN (un frère), tm moine; le mot était
mis à la mode par Marot dans les vers
si coimus :
Pour faire plutôt mal que bien.
Frère Lubin le fera bien.
Mais si c'est quelque bonne affaire.
Frère Lubin ne le peut faire.
Le frère Lubin auquel Rabelais fait
allusion est Thomas Walles, domini-
cain anglais, auteur d'un ouvrage inti-
tulé Metamorplwsis Ovidiana mora-
litcr explanata. Paris, 1509, in-4<'.
LUBIN'E, poisson de mer.
Lubricité, qualité glissante : « Lubri-
cité de l'eau de mer ».
Luc, luth.
LucESTRE, probablement Leicester.
LuciFlQUE, lumineux, porte-lumière.
LuciFUGE, qui fuit la lumière.
LucTER, lutter.
LrcuLLiAN, de Lucullus.
LuDiPiCATOYRES, trompeurs : « Phan-
tasmes ludificatoyres », fantômes qui
vous abusent.
I,UETXES, jeu de cartes.
LuiTON, lutin.
LuLLiE Pauline, que Pline déclare avoir
vue smaragdis >• art;aritisque opertam,
alierno textu fulgenlibus {Hist. natt,
IX, 58).
Nous avons suivi le manuscrit de la
Bilbiothèque nationale.
Dans toutes les éditions imprimées
on lit à tort : Pompéie Plautine. qui
était épouse de l'empereur Julien.
LULLius (art de), de Raymond Lulie.
LuMBRiQUE. ver de terre.
LuMTN'AlRE (des apothicaires), allusion à
deux ouvrages : Luminare (majus et
minus) apothecariorum, plusieurs fois
publiés ensemble ou séparément, au
commencement du xvi« siècle.
LuNARiA MAJOR, plante crucifère, ainsi
nommée parce que la cloison qui sépare
les valves de son fruit forme un disque
d'un blanc brillant et comme argenté.
Lune : « Garder la lune des loups », locu-
tion proverbiale : prendre un soin inu-
tile.
Lunettes des princes, titre d'im ou-
vrage de Jean Jleschinot, poète et
moraliste du xv^ siècle.
Lunettier, luneteere, qui porte lu-
nettes.
LuPANARES, lieux de prostitution.
LuPi, musicien contemporain de Rabe-
lais.
Lustre, clarté, éclat.
Lut, petite barque.
Lycaon, loup; nom d'un roi d'Arcadie
métamorphosé en cet animal.
Lychnion, mèche de lampe, lumignon.
Lychnobiexs, peuples vivant de lumiè-
res, habitants du pays des Lanternes.
Lycisque orgoose, chienne en chaleur.
Lycoptalxie, œil de loup, pierre pré-
cieuse décrite par Pline.
Lyra (Nicolas de), commentateur de
la Bible. Son nom appelait naturelle-
ment le jeu de mots : c Si de Lyra ne
delyre ».
Lyripipié, en forme de lyripipion.
Lyripipion, chaperon des docteiu^ de
Sorbonne. Rabelais a mis dans la bi-
bliothèque de Saint- Victor un li%Te
intitulé Lyripipii sorbonici Moralisa-
iiones, per M. Lupoldum, Moralités
ou Moralisations sur le chaperon
sorbonique. M. Lupold était un doc-
tçur en théologie de Cologne^
GLOSSAIRE ET NOTES
À7l
M
Mabrun, nom d'un géant.
Macedoxes, Macédoniens.
>L4.CEDOXiCQra;, de Jlacédonien.
Macedonie, Macédoine.
Macle, vme sorte de poisson : t Plus
mutz que niacles ».
Macr-EON, JLiCRÉox, qui vit longtemps.
Macrobe, même sens que macréon.
Macule, tache; macula.
Ma Dia, serment de Jlaine, Touraine et
Poitou, tiré du grec ;j.à A!a. non par
Jupiter, comme Nenda ou Ne Dea,
vr, A!a, ouy par Jupiter (Alphabet de
l'auteur français).
Madourrez, fainéants, malotrus.
M.ENADES, niénades, baccliantes.
Magdaleine (taverne de la), une des
tavernes méritoires de Paris.
Magdaleon d'entraict, médicament en
forme cylindrique.
Mage (place), la grande place.
Magence (jambons de), Mayence, ville
d'Allemagne.
MAGISTRONOSTRAiEilENT, pOUr VMgis-
tralemcnf.
Magnès, Phrygien, aurait fait la décou-
verte de l'aimant et lui aurait donné
son nom.
Magnigoule, à grande gueule.
Magots, JL^goths, géants qui jouaient
un grand rôle dans les contes popu-
laires.
Maguelet (huile de), huile tirée dufruit
de l'aubépine dit aussi senelle.
Mahom, Mahon, ]\L\ht.tmet, Slaliomet.
Mahumetistes, mahométans.
Maignans, maignins, chaudronniers
ambulants.
Maigordo.me, majousdoihe, major-
dome.
Maigre, poisson de mer appelé aussi
ombre.
Maillard (Olivier), prédicateur popu-
laire du temps.
Maillart, musicien contemporain de
Rabelais.
Maille, annelet d'un tissu métallique;
locution proverbiale : « Maille à maille
on fait les haubergeons ».
Maille, la plus petite monnaie valant
un demi-denier.
Maille bourse au cul, jeu inconnu;
l'un des jeux de Gargantua.
Mailuezais, ville du bas Poitou, évê-
ché, à 15 kilomètres de Fontenay-le-
Comte.
Maillotins, Parisiens insurgés en 1382,
sous Charles VI, ainsi nommés à cause
des maillets de plomb dont ils étaient
armés. — De ce mot Rabelais a fait
maillotinier, enclin à la révolte, sédi-
tieux.
Mailly le borgne, un des domestiques
de Guillaume du Bellay.
jMAEsf, locution proverbiale : « Il y a mis
la main jusques au coulde ».
Maimten.^nce, action de maintenir :
t Pour la maintenance de la loy ».
Maiorici, un des domestiques de Guil-
lamne du Bellay.
jMais, des si et des fnais, des difficultés,
des objections.
Mais, bien plus; de magis. Au chapi-
tre Lxn, du livre I\^.
JL\isoN (la), la Maison du roi.
Maison ni buron, maison ni cabane; on
disait : i H n'a ni maison ni buron ».
Maistral, jlaistralle, vent nord-
ouest : le mistraou des Provençaux.
Maistre Passé, prebstre Macé. Cette
équivoque entre maistre Passé et
prebstre Macé est très probablement à
l'adresse du moine René Macé, con-
tinuateur de la chronique de Crétin.
En outre, nous ferons remarquer
qu'au x\^'' siècle Jlacé était syno-
nyme de simple, niais.
On lit dans Coquillart :
m;i Macé goguetu
Je un pauvre Jenin ou Macé.
Maixent (Saint-), ville sur la Sèvre
mortaise, en Vendée.
Mal, JIale, adjectif; mauvais, méchant,
funeste.
Mal acquis, locutions proverbiales :
e Les choses mal acquises mal dépé-
rissent ». f Des choses mal acquises
tiers hoir ne jouira ».
M.ALADERYE, maladreric.
Mal.use, mal fait, mal proportionné,
embarrasse de sa personne.
Malandres, gale, crevasses qui viennent
aux jambes des chevaux. Rabelais
emploie aussi l'adjectif malandré.
Malautru (un), ou malotru, mal bâti,
bélître, pauvre diable.
ItALCHus, malcus, couteau, sabre.
Mal des dents : « H n'est mal des dents
47«
GLOSSAIRE ET NOTES
plus graud que quand les chiens vous
ticniicnl aux jambes ».
MALEFiCQfE, malfaisant.
Mâle heure, heure funeste, maudite.
Male-mort, jeu indétenuiné.
Mal empolnct, qui est en misérable état,
délabré, débraillé.
Mal'encontre, mauvaise rencontre, ac-
cident, malheur.
Malengrous', mauvaise humeur, mau-
vais vouloir.
Mâles avives, proprement : inflamma-
tion des glandes de la gorge.
ÎIalemaridade, sorte de danse.
^lALES MULES, engelure aux talons : « Les
maies mules ! » C'est ime sorte d' impré-
cation alors en usage.
Malesuade, mauvaise conseillère; mot
latin.
^lALHEUREUX, slmheureuse, Gargan-
tua jouait « au malheureux >, et < à la
malheureuse », jeux de cartes.
MAI.HEUSTÉ, infortime, disgrâce, mal-
heur.
Malicorne, écuyer trandiant de Gar-
gantua.
iLu-ivoLE, malveillant, malintentionné.
Malogranatum viiiorum, la Grenade
des Vices, titre d'un livre imaginé ou
caricaturé par Rabelais.
Mal saikt François, la pauvreté, dont
les franciscains faisaient im vœu spé-
cial.
Malvedi, maravédi, petite monnaie
d'Espagne.
Malvesie, Malvoisie.
Mal vexer, vexer, maltraiter.
Mal vouloir, être malveillant.
JLiMiNOTIERS, comme dominoiicrs.
Mamjiallemexi, adverbe formé avec
le mot mamina, mamelle; c'est-à-dire,
par rapport aux mamelles.
Mammeluz, mamelouks, milice otto-
mane.
Mammote, déesse des ridiesses; Mam-
moiia.
Manant, habitant.
MAxancouRT, musicien du temps de
Rabelais.
Manchon, manchette.
ilANCiPE, esclave; de inaitcipium.
Mancipé, approprié, saisi, rendu, esclave.
SlANTiEMENT, Convocation, action de
mander, de faire venir.
Mandés, île d'Égypte.
Mandibules, mâchoires.
Mandousiaxe, épée très courte.
Mantjragore, plante somnifère à la-
quelle on attribuait des vertus magi-
ques.
Mant>ucation, appétit : « îlanducation
insatiable >.
Manduce. C'estoit mie efli!;ic qu'ancien
nement les païens portoicnt en pompe
pour faire peur, et rire quant et quant.
Elle avoit un masque en façon de teste
d'homme avec de grosses et amples
maschoires, et de grandes dents qu'elle
faisait peter l'une contre l'autre, ou-
vrant ime grande gueule, afin de faire
fuir les spectateurs en riant. Plaute
touche de cette solennité in Kudente,
quand il introduit un Sicilien qui
étant tout mouillé, trembloit de froid
et faisoit craqueter ses dents. — Ch.
Quid si aliçtto ad ludos me pro inanduco
locem? — Sa. Quaproptcr? — Ch. Quia
pol clare crcpito dentibus. Juvénal quo-
que, sat. 3 :
Taoïlciuqiie vtrrit ai! pulpiunoliiin
Exuiliuai, l'um prrscau: paHculis hialuni
la grcmiti mitris foriiiilat rustirus inran^.
{Alphabet de fauteur français.)
Mantducité, appétit : « Barrage de man-
ducité », jeu de mots sur manduciti
et mendicité.
M.\XEQUIN, en architecture : panier de
fleurs et de fruits.
Manequin, en musique : castagnettes
ou ime espèce d'épinette : « Jouer des
mannequins à Ixisses marches », c'est
une métaphore erotique.
Mange.^ille, action de mançer.
JIangeailles, munitions de bouche.
>LVNGE0IRES au-dessus des râteliers :
€ Ces mangeoires, dit Johanneau, sont
les bancs des jua:es, qui se trouvent
plus hauts que le bureau des greffiers,
et c'est ce bureau, couvert de tant de
procédures, qui est appelé le râtelier
de la justice grippeminaudière. n
Manger, locutions proverbiales : t Man-
ger son pain blanc le premier ». i Man-
ger sou bled en herbe ».
M.\NiACLES, maniaques.
Manillier, marguiilier.
Maniicore, jîexthickore, animal fan-
tastique. — Voyez Pline, livre VIII,
cliapitre xxs.
Manubies, coups de foudre. Ce mot si-
gnifie aussi la part du butin quirevient
au général.
JIappe, nappe.
Maquerelle (ile), appelée ensuite ile
des Cygnes.
ILaranes, marranes, Maures.
AlARBRiN, iiARBRiNE, de marbre.
AIarché, bordé, entremêlé.
Marches, bordures; frontières d'un
État.
JLvRCON. — Voyez A venturer.
JI.\RC Pai^t.e, Jlarco Polo, célèbre voya-
geur du xm* siècle.
GLOSSAIRE ET NOTES
479
Ma»c Tulle, Cicéron.
Marelles, jeu.
ISlARFORii, ETC. — Voyez le cataloffue de
Saint-Victor. Marforio était, comme
Pasquin, une statue de marbre, repré-
sentant un fleuve couché, et qui ser-
vait de poteau aux affiches médi-
santes.
JlARGUERITE DE XAV.\RRE, SOEUT de
François I''"'. Le dizain « à l'esprit de
la Reine de Xavarre », qui est en tête
du livre III, a été écrit du vivant de
cette princesse. On le trouve dans
l'édition de 1546, et Marguerite ne
mourut qu'en 1549.
Maiuage, jeu de cartes auquel jouait
Gargantua et auquel on joue encore.
Marlanes (Fosses), en Provence, dans
la Crau.
5L4RINE, la navigation, la mer.
aiARjOLET, damoiseau, jeune fat.
MiRLOTTE, mantelet d'été.
Marmiteux, piteux, dolent; et aussi
marmiton.
Marmonner, marmotter.
Marmotrf.t. livre : Mainmctraclus, sive
expositio in sùigulis lihris Biblia, auc-
tore Marchesino. — Rabelais met ime
parodie de cet ouvrage dans le cata-
logue de Saint-Victor.
!iL\RMOUZELLE, féminin de marmouzet.
JlARO, Virgile.
JL\ROT (Clément), contemporain de
Rabelais.
Marotus du L.^c, nom d'im auteur ima-
ginaire d'une histoire des Gestes des
rois de Canarre.
Marpault, frippé.
M.\RPESL\N, Marpesia cautes (Virgile),
SIarques d'or aux patenôtres, ce sont
les grains plus gros marquant les di-
zaines.
Marrabais, descendants des Maures en
Espagne.
Marrabeise (bonnetz à la), à la mau-
resque.
Marre, M^rroche, marrochon, houe,
instrument de jardinage ser^-ant à
biner.
Marri, fâché, chagrin affligé.
Marrons, ceux qui portent à hxas les
voyageurs dans les mauvais chemins
des Alpes.
Marroufle coquin, maraud.
Marry, fâché, chagrin, affligé.
Marsdpie, bourse.
Marsy.^s, rival d'Apollon dans l'art de
jouer de la flûte, écorché vif.
Martin (sainct) : a Les maladies fuyoient
la venue de sainct Martin à Ouande. »
Allusion à une scène comique du Mys-
tère de la vie de sainct Martin par
personnages, réimprimé dans la collec-
tion Silvestre, 1841.
L'aveugle et le boiteux (l'cspette)
s'enfuient, l'aveugle emportant le boi-
teux sur son dos, afin d'éviter la ren-
contre du corps de saint Martin, qui
les guérirait malgré eux et les empê-
cherait de vivre désormais de gueiKe-
rie.
Cours tost, cours tost, sans arrester.
— Je ne te puis plus soutenir.
— Tu as grand envie de guarir,
Je le voy trop bien maintenant.
— Non ay, sire, par mon serment.
Guarir ne voudroye jamais !
MaiS l'aveugle n'a pas fui assez vite :
ils se trouvent tous deux sains; ils
se désole:it, et se font tous deux des
reproches.
Ha ! maugré bieu, je voy tout clair.
— De mes pieds je puis bien aller.
De par le diable ! je suis guary.
— Tu l'avois bien vcu venir cy,
Ordoux paillard, villain truant,
Bellistre, villain et mexhanl!
Martin B.\ston, personnification du
bâton, dont La Fontaine a fait usage.
Martin de Cambray, jaquemart or-
nant le carillon de Cambray.
M^rtiner, boire.
MiRTiNGUALLE (chausses à la), dont le
pont était placé par derrière et for-
mait, comme dit Rabelais, un « pont-
levis de cul ».
JL\RTRES, jeu d'osselets.
JLis, bâtiment, grange, métairie.
Mascarer (se), barbouiller, salir, ma-
churer.
Maschecroutte, image grotesque, ana-
logue à la Manduce antique dont on
vient de parler tout à l'heure.
M^SCHEF.AIN, mâche-foin, appétit insa-
tiable.
Mascherable, mâche-rave ou navet;
sobriquet donné aux Limousins.
Mascon (Mgr de), ambassadeur de Fran-
çois !"■ auprès de Charles-Quint.
MASCI.TLANT, faisant les fonctions de
mâle.
:MASCULrN.\NT, même sens.
Masse, masse d'armes; arme offensive.
MiSSlTERES, massiers, porte-masses;
officiers de la Quinte-Essence.
Massoretz, philologues et érudits hé-
breux.
M\SSUAU (Claude), un des domestiques
de Guillaume du Bellay, et traducteur
d'un ouvrage latin de Rabelais, qui
n'est point parvenu jusqu'à nous.
Masuel, le même probablement que
Massuau.
48o
GLOSSAIRE ET N'OTES
Mat, fou; de l'italien tnatto.
Matabrl'n-e, personnage du roman du
Chevalier au Cygne.
Matachcjs, danseurs comiques.
Matafain ou matefaim, pâte lourde et
rassasiante.
Mat.\got, vieux singe, vieux fou.
Matagraboliser, mot burlesque ayant
le sens de se donner beaucoup de mal
pour rien, de s'ennuyer et d'ennuyer
les autres.
^L•VTÉ0LOGIE^"S, instruits de choses vai-
nes et oiseuses.
Matéotechne, nom d'un port du
royaume d'Entélécliie, signifiant :
vaine science, enseignement futile.
Matéotechxie, même sens.
JlATiscoxES, Màcon, en Bourgogne.
Mattons, briques, pierres qu'on lançait
sur les eimemis.
JlATRATZ, MATRAZ, Mathelats, mate-
las.
^L\TROx.AiE, de matrone : « Pudicité
matronale. »
Matute, MAxrTiNAi,, du matin.
SlAU, mal : t Jiau de terre, bous bire. . . le
maulubec vous trousque... le mau fin
feu de ricqueracques, etc ». Que le mal
de terre (en provençal l'épUepsie) vous
retourne... que l'xilcère vous trousse...
que le fie vous puisse entrer, etc.
JtAUCONTEXT, (mal content), jeu de
cartes.
JtlAUGis, l'enchanteur, personnage de la
Geste des quatre fils Ayinon, resté long-
temps populaire.
Maujoin-, m.4i:joixct, mal joint; il
mozzo, comme disent les Italiens. Ra-
belais plaisante sur ce mot et sur le
mot benjoin, substance aromatique :
« Parfums de maujoinct ».
€ Barbier de maujoinct, » barbier
qui rasait cet endroit-là.
^L\ULGOUVERT, qui se gouverne mal.
Maulvais, mauvais.
Maul\'y, mauviette.
ilAL-NETTES : c Non Maimettes, mais
Monette ». Non mal nettes, mal pro-
pres, mais donnant avis, comme Junon
surnommée moneta, de monere.
Mausolus, ilausole, mari d'Artémise.
Mautalext, incapacité, mauvais vou-
loir.
Maydenbourg, Magdebourg.
Mebin, mot hébreu : intelligent, prudent,
les MEBiNS sont parmi les officiers de
la Quinte- Essence.
MECHERO>fS, mèches.
JlECREDY, mercredi.
MED.\iiOTHi, qui n'existe nulle part;
nom que Rabelais donne à un pays
imaginaire. D'autres interprètent :
île des Re^emblances; de damah,
semblable, en hébreu.
Meden, n'existant pas, autre nom de
contrée imaginaire.
Medere, île de Madère.
MEDL\STrN, MÉDWSTDîE, Continuation
de la plève; anatomie.
MEDICAL (doigt), le doigt du milieu.
Medicec, médecin : € Medicin d'eau
douce. » On a dit d'abord : marin d'eau
douce; puis cette expression de mépris
a été étendue à d'autres professions.
On trouve dans le Pathelin ; advocat
d'eau douce.
Medicine, femme sachant la médecine.
Medicin-er, traiter, dans le sens médi-
cal.
Medcxare (os), à moelle.
^Iedulle, moelle.
Mec^u-aotes, sorte de reptiles.
Megiste, grand, du grec [AE^ar. Le roi
Mégiste, c'est le roi de France.
Meillieu, milieu.
Me j axe, la voile et le mât que noias nom-
mons misaine.
Mel.\ncholie, proprement : bile noire.
MEL.\xcHOLrEusE, mélancoUque.
Meliflue, melliflue, coulant comme
du miel : « Paroles melliflues ».
Melin'de, royaume d'Afrique : t Ainsi
(conquesta) philosophie Melinde. » Phi-
losophie est ici dans le sens d'habileté,
adresse. Les Portugais, pour s'assiirer
la possession de Mélinde, firent boire
aux natiu'els du pays du vin et des
liqueurs fortes.
3IELI.USIXE, Mélusine, fée, personnage
des légendes populaires.
Melze, mélèze; arbre.
Memxon, Men-nox : t Le bruit sempi-
ternel du colosse érigé sur la sépiJture
de Meimon. »
Strabon et Pline parlent de cette
statue de Memnon et du bruit que ce
colosse faisait entendre; mais ils ne
le donnent pas le moins du monde
comme sempiternel.
€ Quem quotidiano solis ortu con-
tractum radiis crepare dicunt. »
Memor-VBLE, dont on se souvient.
Mémorial, digne qu'on s'en souvienne.
Memoriallement, adverbe de l'adjectif
précédent.
SIemphitique, de Memphis.
Mex emy, pour mon ami; prononciation
poitevine.
MÊxER, déterminer.
Menixge, la pie-mère, l'enveloppe du
cer\-eau.
Mexteries, mensonges.
Mexxulb, du latin mentula.
si».
GLOSSAIRE Et NOTES
48t
Mentulé (bien), bien pour\'u de men-
tule.
Menu, petit : « Menus suffraiges. » « Me-
nus plaisirs. »
Menuail (duc de), un des conseillers de
Picrochole. Menuaille avait le sens de
canaille.
Mephitis, nom d'une divinité antique
présidant aux exhalaisons sulfureuses,
aux vapeurs malsaines. Rabelais sem-
ble en faire le nom d'un gouffre ou
d'un marais.
Meratre, marâtre.
Merci, pitié, grâce : « Ayez de moy mer-
cy. » « Prendre à mercy. » « Vostre
mercy «, votre grâce.
Mercier : « Je tuerois un pigne pour un
mercier », au lieu de : tuer un mercier
pour un peigne; par une de ces inter-
versions de mots qui sont liabitixelles à
Rabelais.
Mercy, voir merci.
Merdallle, nom d'un des capitaines de
Picrochole.
Mer Dé (par la), par la Mère-Dieu! en
patois.
Merdigues, juron populaire, ayant,
dit de l'Aulnay, le sens de : Jlerci
Dieu. La racine de ce mot pourrait
bien être tout autre.
MEREFAiULLES, mater familias.
Merencolie, pour mélancolie.
Meretricules, courtisanes.
Méridional, méridien.
MÉRIR, mériter.
Merlin le prophète, personnage de la
ms'thologie galloise, célèbre dans les
légendes du moj'en âge.
Merlin Coccaie, pseudonyme de
Théoph. Foleiigo, qui écrit des Ma-
caronées que Rabelais connaissait
bien.
Merluz, merluche, morue sèche : « A
queue de merluz n.
Mesantere, MESENTERE, replis du
péritoine qui maintiennentlesdiverses
parties du canal intestinal dans leur
situation respective.
Mesaraiques (veines), du mésentère.
Mesarims, de mesarceum, le milieu des
intestins, où sont contenues le plus
souvent les causes des maladies du
ventre inférieur, ex Fernel., lib. VI,
cap. \1I. Patholog. Voilà pourquoi les
maîtres qui enseignent le moj'en et les
remèdes pour guérir ces affections,
Rabelais les appelle Mesarims, ne plus
ne moins qu'on appelle oculistes ceux
qui s'appliquent aux maladies des
yeux, livre IV, chapitre xliv {Alpha-
bet de l'auteur français).
Meschant, misérable; mauvais.
T. II.
Meschantement, MEaUNTEMENT, mé-
chamment.
Mesembrine, nom d'une tour de The-
lème Méridionale.
Mesescrivant, écrivant mal, comme
mcsdisant: diffamant par écrit.
Mésiiaigner, chagriner, affliger, impor-
tuner, estropier.
Mesilmm, meshaing, chagrin, affliction,
tourment, mutilation.
Mesle, nèfle.
Mesmement, particulièrement.
Mesnagerte, ménage, économie domes-
tique.
JLesnagier, mesn.uger, qui ménage,
qui vit économiquement.
Mesnaice, ménage, économie.
Mesou.'Usi, de cette année.
Mesprendre, se tromper : a Pardonnez-
moi si je mesprends », c'est-à-dire si
je me trompe ou si je commets ime
faute; c'est une formule de politesse,
quand on va contredire ouvertement
son interlocuteur.
Messieurs : • Il y a donc des messieurs
céans? On y vendange à ce que je
voy '•. Le Duchat voit là une équivo-
que entre messieurs des comptes, et
messiers, « comme on appelle ces
hommes qui gardent les vignes dès que
le raisin commence à mûrir ».
Mestier, menue pâtisserie, faite en cor-
net; oublie.
ilESTiVALES, fêtes, Tcpas des moisson-
neurs.
JlESTlviERS, moissonneurs.
Met, pétrin; les conduits d'un pressoir
par où s'écoule le vin.
JlET.-iLEPSis, métalepse : figure de rhéto-
rique dans laquelle on prend l'antécé-
dent pour le conséquent, ou vice versa.
ilETAPIIRENE, le doS.
Metelln : « Lorsqu'on alla à Metelin
en la maie heure. » Allusion à une
petite croisade qui eut lieu en 1502
contre les Turcs. — Voyez Chroniques
de J . d' Autan, troisième partie, cha-
pitres xx\'u et xxvm.
MÈTES, bornes, limites.
Methanensiens, habitants de Methène
ou Méthane, aujourd'hui Modon, ville
du Péloponèse, près de Trézène.
îiIÉTOPOJi.AN-TiE, divination par l'inspec-
tion des lignes du front.
Métoposcopie, partie de la physiono-
mie.
Mètre, mesure, vers.
Meu, mû, part. pass. de mouvoir.
Meudon (cardinal de), Antoine de San-
guin, dit le cardinal de Meudon.
Meuilles, meuillets, poissons de mer.
Meur, meure, mûr; adjectif.
31
4^2
GLOSSAIRE ET NOTES
Meurdrir, meurtrir, tuer.
Meurk, mûre, fruit.
JIEURIR, mûrir.
MEtTTE, par syncope, pour minute.
M.\ZEAtiLX, lépreux.
Miche, pain.
MicQi-ELOTZ, sncHELOTS, petits garçons
qui vont en pèlerinage à Saint-Michel,
et qui gueusent le long du chemin.
AIicRAiNE, grenade, petit boulet creux.
Microcosme, petit monde.
MiDY, musicien du temps de Rabelais.
MiE, pas du tout, nullement.
MiGNE ^aG^•E bœit, l'un des jeux de
Gargantua.
Mignon, coquet, joli.
JUGNOXNEMENT, joliment, coquette-
ment.
JIiGNOTiZE, gentillesse, caresse.
Migraine, grenade, fruit.
Migraine, teinture écarlate, à peu près
de la couleur des pépins de la grenade.
I^a migraine était moins précieuse que
la véritable écarlate, tirée de la coche-
nille, et que l'on appelait graine.
Migraine de feu, charbon ardent.
Mih, millet : o PiUe à mil », mortier à
piler le mil.
MiiJ.-URE, mille, mesure de distance.
MiLi.\RES, miUe-pieds ou perce-oreille,
insecte.
>In.i,E, mesure de distance.
MiLLESOui-DlERS, Soldats blessés, inva-
lides, à qui Ton donnait mille sous de
pension.
Millet : « Pas plus qu'im grain de millet
en la gueule d'un asne », locution pro-
verbiale.
Millet, musicien du temps de Rabelais.
MiLO, Milon de Crotone.
JliLOL-RT, milord. Panurge qualifie ainsi
un Turc.
MI^L■\LLONES, bacchantes, ainsi nom-
mées du mont Mimas, dans l'Asie
Mineure.
MniALLONiDES, même sens que le mot
précédent.
Minere, minière, mine
SIiNEfRS ET MINIMES, Hom dcs rcllgieux
des ordres fondés par saint François
d'Assise et par saint François de Paule.
JIiNISTRER, ser\-ir, prêter son ministère.
JIiNORATlF, purgatif doux.
MiNTJTULE LESCHE, très petit morceau,
lambeau.
Ml-PARTIR, partager en deux, par moitié.
;Mir.\ch, partie extérieure du ventre,
contenant la peau, la graisse et huit
muscles; mot arabe.
MiRACLiFlQVE, faisant des miracles.
MiRALLlER, faiseur de miroirs.
MiREBALAIS, MIREBAIOTS, paj'S du Poi-
tou, formant aujourd'hui les arron-
dissements de Poitiers et de Loudtm,
dont Mirebeau était la capitale.
5IIRELANGACLT, nom d'un géant.
MmELARDDAiNE, refrain de clianson.
MiRELiFiCQUES, rarctés, curiosités.
MiRELiNGiES, pays où l'on parle mille
langues. C'est probablement Paris
que Rabelais désigne de la sorte.
JIlRiFICQrE, admirable, merveilleux.
MIROBAL.4NS, MYROBOLANS, Sorte de
fruits desséchés apportés de l'Améri-
que.
iliROVER, iUROCOiR, miroir : « >rirouers
ardens », « mirouoir crystallin i>.
MISERERE : « Du Miserere jusques à
vituhs », c'est-à-dire d'im bout à l'au-
tre. l,e psaume Miserere finit par le
mot l'itulos.
SIisSA AD MENS.VM (de), de la messe à la
table.
MissAiRE, MISSAYRE, mcssirc : ï ^lissairc
Bougrino y.
MissiCQUE, de la messe.
MiSTlONNL, mixtioimé.
Mitaine : « Le cœur me bat dedans le
corps comme une mitaine ». Le Duchat
prétend que mitaine est là poitf mi-
saine, voUe toujours agitée par le
vent, puis il ajoute que Rabelais a dit
mitaine plutôt que misaiy\e, par allu-
sion à im ancien usage du Poitou, où
les gens d'une noce se donnaient entre
eux, après avoir ganté leurs mitaines,
d' inoffensifs coups de poing.
Nous avons entendu diie : battre la
mitaine, pour exprimer un amusement
des enfants qui consiste à se frap-
per par im mouvement croisé l'extré-
mité des épaules avec la paume de la
main, comme les marins le pratiquent.
Ce mouvement régulier et très préci-
pité nous semble, mieux que les coups
de poing des gens de noces, donner ime
idée des pulsations fréquentes du
cœiu:. (B. des M.).
Mitouard, chat, matou, et par exten-
sion hypocrite.
JMlTOLTLÉ, empaqueté, enveloppé emmi-
touflé.
MiXARCHAGEV.\s, nom que les Argiens
donnaient à Castor.
JlNADIES, bonjour, par corruption pour
bona dies.
Mocitelle, hoche-queue, oiseau.
MocQfE, mocquerie.
MocQL'E Dieu, moquerie de Dieu : < Non
oraison, mais moque-Dieu ».
Mocquette, moquerie, plaisanterie.
MoDis siGNiFiCANDi {de), ouvTage de
Jean de Garlande.
Moine : « A ceste heure avons-nous le
CiLOSâAlRE ET NOTES
^«3
Inoine ». Expression populaire alors
pour dire : nous sommes attrapes;
nous sommes bassinés, dirait-on au-
jourd'hui. On appelait moine un usten-
sile de ménage équivalant à la bassi-
noire.
On trouve « bailler le moine par le
cou », pour signifier : pendre. — Voyez
Bailler.
:\IoiNE, sorte de toupie ou de sabot; l'un
des jeux de Gargantua.
MorxERiE, état de moine.
MoiNETOx, petit moine.
Mony-s DE MON PLUS (le), tout Ce que je
puis faire de moins.
MoissoNxiERS (dievraubc), chevreaux
de lait.
Moitié, milieu : «Ferir par la moitié, »
frapper au milieu du corps.
MoLARES, (dents), molaires.
Mole, meule; s. f. — • Jetée en maçonne-
rie pour fermer un port et mettre les
vaisseaux à l'abri; s. m.
Moleste, fâcheux : « A molestes ensei-
gnes ».
Molestesient, fâcheusement, importu-
nément.
MoLixET, l'un des jeux ou des jouets de
Gargantua.
MOLITION, entreprise, effort.
JIollice, mollesse, souplesse.
MoLLiFiCATiON, ramollissement.
ilOLOSSicQL'E, danse ancienne.
MoLLTRES, sorte de reptiles.
MoMiiERiE, mascarade.
MoNACHus, moine. Monachus in claus-
tra, etc. I^ivre I, chapitre li. Traduc-
tion :
Un moine dans son cloître
Ne vaut pas deux œufs,
Afajs, lorsqu'il est dehors.
Il en vaut bien trente.
liloNAG.^ux, nom burlesque formés du
mot moine.
MONAGESSES, féminin de monagaux.
Mo>rDANlTÉ, urbanité, science du monde.
Monde (petit), l'homme.
MoNTSE (l'aultre), l'homme.
MoNETiES. — Voyez Manuelles
MoNGAS, danse.
MoNOCHORDioN, instiiimcnt à ime seule
corde.
MoNoaiORDiSER des doigts, c'est pro-
mener les doigts vivement, comme
ceux qui jouent de cet instrument.
MoNOJiACHiE, combat seul à seul, d'hom-
me à homme.
MoNOPE, animal fabuleux à un seul pied.
Monopole, faction, révolte.
JIONOPOLÉ, irrité, soulevé, révolté.
MONORTicuLER, mot forgé par Rabe-
lais, signifiant : accuser, calomnier.
MoNSLEiiERY, Moutlhérv, en Hurcpoix.
MoNSSERRiVT, Montferrat.
MONSTIER, couvent.
Monstre, revue, parade.
MoNSTREusE, monstrucuse.
MONSTRIBLE : « Pont de Monstrible »,
Mantrible. Montrible, Mons terri-
bilis. C'est le pont fantastique sur
lequel Ferragus soutient son fameux
combat dans le roman de Fierabras.
Il reposait sur vingt arches de marbre
blanc, d'après les romanciers du
moyen âge.
MoNT.\GU, collège de Montaigu, à Paris.
Mont talent, Gargantua jouait à k mon
talent »; jeu inconnu.
Mont-joye, monticule, monceau.
MoNTouER (côté du ), côté par lequel on
monte sur le cheval.
MoR.\LES, musicien du temps de Rabe-
lais.
Morcrocassebezassevezassegrigueli-
GUOSCOPAPOPONT3RILLÊ, mot forgédont
on devine le sens, mais qu'il est im-
possible d'analyser.
JIorderecrippipiotabirofre-
luchamburelurecoquelurin-
thipanemens, de même.
Mordicantes, fréquentatif de mordan-
tes.
Mords, mordu.
Moresqlte, morisque. Mauresque; dan-
se des Mauresques.
Moret, sorte d'encre.
MORTLAILLER, manger, baffrer.
3I0RGANT, MORGUAN, il Morgante, chan-
té par Pulci, etc.
MORGL^E, Slorgain, fée des légendes bre-
tonnes.
Morgue, grimace et fière mine. Ce mot
signifie proprement un certain pli des
lèvres exprimant l'orgueil et le conten-
tement de soi.
JIORNÉ, émoussé, mouclieté; en parlant
d'une arme dont on se sert pour les
combats fictifs.
MoRosoPHE, mot composé de deux mots
grecs et signifiant : Fou-sage. Il existe
tm ouvrage de Guillaume de la Pereisc,
la Morosophie. Lyon, 1553, in-8".
MORPAIN, musicien contemporain de
Rabelais.
MoRPiAiLLE (vicomte de), un des capi-
taines de Picrochole.
MoRQUAQUOQUASSÉ, mot forgé par Ra-
belais.
MORR AMBOUZE VE ZENGOUZE QUO QUEMOR-
GATASACBACGL'EVEZINEMAFFRESSÉ, de
même.
Mortier, coiffure des magistrats.
Mortifié, faist en forme de mortier.
484
GLOèSAIRÈ ET NOTES
MosES, Moïse.
Mouche (maistre) : « Plus fin que mais-
tre Mouche ». « Il fera plus que maistre
Mouche... » C'est le type de l'escamo-
teur.
MoucHET, instrument à t esmoucheter »,
à chasser les mouches.
MocÉE, foule, grand nombre d'individus
qui se meuvent; vol nombreux d'oi-
seaux.
MofELLE, moelle.
MOLFFLES, mitaines : • A belles moufiles
d'im bas de chausses ». En me servant
d'un bas-dc-chausses comme de mouf-
fles ou mitaines. Au figiiré, baliver-
nes, niaiserie: tireur sapience n'estoit
que moufHes ».
MouFLiN MOUFLART, nom forgé par Ra-
belais.
Moule (busche de). Xa moule était une
mesure pour le bois, valant une demi-
corde.
Moule (chandelles de), chandelles mou-
lées.
Moule, pour môle.
Moule du bonnet, la tète : « MotJe de
mon gippon », l'estomac et le ventre.
MouLLE, lettres moulées : i Imprimé
en moulle ».
Moult, très, beaucoup.
Moulu, musicien du temps de Rabe-
lais.
Moulues, moules, coquillages.
JIOURION", morion, armet de la tète,
casque.
MouRRE, jeu qui consiste à lever autant
dedoigtsqu'en indiqueceluiquidirige
le jeu.
MouRRE, museau.
MouRRix, insecte qui dévore les grains.
MOUSCH.UIT, jeu inconnu.
MouscHouoiR, mouchoir.
MouSQUE, mouche; — sorte de danse; —
mousque, jeu qui consiste à se pour-
suivre autour d'ime meule de gerbes.
Mousserons, champignons; peut-être
mouron.
Moussines, branches chargées de raisins.
MouST.ARDOis, pays de la moutarde,
imaginé par Rabelais.
MOUT, pour moult.
Mouton, musicien contemporain de
Rabelais.
Moutonniers, gardiens de moutons.
Moutons, moimaie d'or. Rabelais dit :
t Sloutons à la grand'laine », en jouant
sur le mot.
Mouvoir, remuer, émouvoir.
5Io\'EMENT, mouvement.
Mo\"ENTE, remuante.
Moyennant, au moyen de.
Mo\'ENS, médiateurs.
MoYEL-x d'œutfz, jaunes de l'œuf.
MOYN-E, voir MOINE.
MoYNEAUX, guérites ambulantes, mon-
tées sur des roues et parfois doublées
en fer.
Moynerie, état de moyne.
MoYNETON, petit moine.
Mucer, cacher.
Ml^e, grande cage à mettre la volaille que
l'on veut engraisser.
Muer, changer.
Mugu'eter, conter fleurette, courtiser.
MuGL"ET, MUGUETE, galautin, coquette.
5IULES EN PONTIFICAT, mules icvétues
de leurs plus magnifiques harnais.
MuLiEBRE, de femme.
MuLiEBRiTÉ, condition de femme.
Ml^xde, pur.
MuNic\N, Monaco, ville de I,igurie.
JIUNIR, fortifier.
Mus.^Fiz, JIus.vPHiz, docteurs mahomé-
tans. Rabelais se sert de ce mot pour
désigner les moines.
Musou)E.\u-LX (raisins), raisin mu-scat.
MusER.\iGNES, petits rats.
MusmoN'Es, béliers de Sardaigne, ayant
le poil de chèvre au lieu de laine.
MuT.\TioNS, changements.
MuTL'E, mutuelle.
MuY", muid.
My, moi.
My, demi, milieu; tmy-jour; my-aoust».
Myagre, cameline, plante férulacée.
Myopes, sorte de reptiles.
Myrallier, miroitier.
JlYRELiMOFLE, jeu inconnu; l'un des
jeux de Gargantua.
Myrian^dre, quicontient dix mille hom-
mes.
Myst.4GOGU"e, servant dans les mystè-
res.
Mystère, représentation dramatique
d'un sujet religieux.
Mystes, prêtres.
Mythologes et mythologiens, hom-
mes instruits dans les mystères.
GLOSSAIRE ET NOTES
485
N
Nabuzardan, maître cuisinier du roi
Nabuchodonosor.
Ce nom se trouve dans une facétie
en vers : « Sermon joyeulx de la vie de
sainct Ong^on, comment Nabuzar-
dan, le maistre cuisinier, lefitmartiri-
zer. »
Nacelles, pièces d'argenterie de table.
Nacquetz, valets des jeux de paume,
marqueurs.
Nageade, naïade.
N'a guères, n'a guyeres, naguère.
Naïf, naturel.
Naphe (eau de), ou eau de naffe, eau de
fleurs d'oranger.
Napleux, qui la le mal de Naples.
Nappées, nymphes des ruisseaux et des
fontaines.
Nappes FiotmÉES, nappes où des figiu-es
sont dessinées.
N.\RGUES, nargues ! mot et geste déri-
soire, dont on a fait le verbe narguer.
Rabelais a imaginé deux îles portant
le nom de Nargues et de Zargucs, ter-
mes équivalents.
Narré, relation, récit.
Narsay, bourg du Chinonnais.
N.\siTOR, cresson alenois.
Nason et Ovide, Rabelais fait deux per-
sonnages avec le nom d'Ovidius Naso.
Nasse corbeille d'osier servant à prendre
les poissons.
Nasselles, même sens que nacelles.
Natatoire, lieu pour nager.
Nate, né; natus.
Nature Quite. Cette signature de l'épi-
gramme placée en tête du cinquième
livre est généraleemnt considérée
comme l'anagramme de Jean Xurquet,
poète obscur de ce temps.
Nau, nau, nau ! Noël ! cri de joie.
Nauchiers, nautonniers, matelots.
Nauf, navire.
Naumachie, combat de vaisseaux.
Nausiclete, riche en vaisseaux. « (i>o'.-
viy.£ç vaja:/.)vJTOi àv'jp£ç, » dit Ho-
mère dans l'Odyssée.
Naute, prix du passage sur rm bateau.
Navarre (la royne de). — Voyez Mar-
guerite.
Navé, navire.
Naveau, navet.
Navette, jeu inconnu; l'uo des jeux de
Gargantua.
Naviger, naviguer.
Naviguaige, navigation.
Navire, substantif du genre féminin.
Navré, blessé.
Nay, né.
Nayer, noyer, se noyer : « Naye » ! excla-
mation : je me noie !
N.vz.ARDES, jeu analogue au jeu des cro-
quignoUes et au jeu des chiquenaudes.
Nazdec\bre, nom imaginé par Rabelais
et signifiant : nez de chèvre.
Ne, ni ou pas.
NÉ .\, au lieu de né pour ; t Né à paix,
non à guerre ».
NÉADES, bêtes fabuleuses dont parle
Euphorion.
NÉARES, bêtes fabuleuses.
NÉARINS, officiers de la Quinte-Essence.
Nebulon, vaurien, affronteur, mauvais
sujet.
NÉCEPSOS, roi d'Egypte, homme juste
et grand astrologue, qui a écrit de
l'invention des remèdes contre les
maladies, enseignant le moyen com-
ment on peut connoître de loin et
prévoir les maladies causées par la
constellation des figures et astres cé-
lestes, qu'il divisoit en trois dizaines
ainsi qu'enseigne Jul. Firmic. (Lib. I
Mathes.) Galien parle de ce roi et de
ses jaspes au neuvième livre des Sim-
ples, et touclie en brief ce que l'auteur
en dit au chapitre vin du livre I. [Al-
phabet de l'auteur fratiçois.)
Necromantie, divination par l'évoca-
tion des morts.
Nectarique (liqueur), vin.
Nedibins, officiers de la Quinte-Essence.
Neemanests, de même : mots hébreux
voulant dire puissants, fidèles, assidus.
Nephelibates, qui cheminent siu: les
nuées; peuple imaginaire.
Nephrocatarticon, remède pour les
maux de reins.
Nercins, adolescents, serviteurs de la
Quinte; mot tiré de l'hébreu.
Néric, eaux minérales dans le Bourbon-
nais.
Nestorien, de Nestor.
Netti, nettoyé, propre.
Nettre Dene, pour Notre-Dame,
Neu, nœud.
Neuf-mains , jeu indéterminé ; c'est
peut-être, ocmme on l'a supposé Iç
jeu du pied de bœx^JE.
486
GLOSSAIRE ET NOTES
NiCATiSME, danse.
Nice, naïf, joli.
NiCHiLAUDOS, vêtement dont les de-
vants étaient fort riches, et dont le
derrière, caché par d'autres habits,
était d'étoffe très commune; de nihil
ad dorsum : gilet.
NiCQUENOCQUE, cliiquenaudc, croqui-
gnole ; — nom de l'un des jeu.^ de Gar-
gantua ; on ne sait en quoi il consistait
on a émis l'hypothèse que ce pou-
vait être le trictrac.
Nid de la brondée, un des jeux de Gar-
gantua; on ignore en quoi il consis-
tait.
NiEBLL, frappé de la nielle, gâté, cor-
rompu.
Niés, niais.
NiPHi.ESETH, nom de la reine des An-
douilles. C'est un mot hébreux signi-
fiant membrum virile.
Nisi IN- PONTiFic\LiBUS, sinon en habits
pontificaux.
Noble a la rose, monnaie d'or d'Angle-
terre. Sur l'une des faces de ces pièces
était une rose.
Noël xcuvellett, refrain des chants de
Noël.
NoiRETTES, jeimes noyers.
Noise, querelle, dispute, bruit.
Noisettes, petites noises, petites que-
relles.
NoiziLLES, petites noix, noisettes.
NoNACRis, ville et fontaine de l'an-
cienne Arcadie.
NoNANTE, quatre-vingt-dix.
NoNCHALOiR, insouciance, paresse.
NoPCES, NOCES : « Aises comme s'ilz f eus-
sent de nopces. »
NosocoME, infirmerie, hôpital.
Notable, substantif : dit notable, sen-
tence digne d'être notée.
Note, pour rien : « Je n'y entends
note. »
Notice, connaissance; notUia.
Notre Dame de Cmiault; — de J^nw-
rette ; — de Bonnes-Nouvelles ; — de
La Lenou; — de Rivière, etc.
Nou, nœud : t Un nou gregeoys ».
NouDZ, nœuds.
Noi-RRissEMENT, nourriture.
NoCRRm, élever.
No\TAU, nouveau.
Novelleté, nouveauté.
Noyer (B.\lth.\z.\r), un des condisci-
ples de Rabelais à Montpellier.
NUBILEUX, nébuleux.
Nuisance, action de nuire.
NvLLUY, NrxLY, aucun, personne.
Nliierale (science), science des nom-
bres, arithmétique.
Nliierecx, nombreux.
NttMERosiTÉ, grand nombre.
NrRXBERG, Nuremberg.
Nyctimf.ke, transformée en chouette. — ■
Voyez les Métamorphoses d'Ovide,
livre II.
NYMPH.3EA, lis d'étang, plante aquati-
que.
Nymphal, de nymphe.
o
Obédience, obéissance.
Obelie, oublie, petite pâtisserie.
Obelisce, obélisque. — Voyez la Briefve
Déclaration.
Obeliscolychnie, obélisque ayant une
liunière à son sommet, et servant de
phare.
Obelon, houblon.
Obfcsqué, offusqué.
Object, objecté, mis devant, opposé à,
interposé.
Objecter (s'), se mettre devant, s'in-
terposer.
Objection, interposition.
OBLiErR, marchand d'oubliés.
Objus, omis.
Obrizê. alïîné, épuré par le feu.
Observance, observation, pratique.
Obsister, s'opposer, résister.
Obstant, empêchant, mettant obstacle.
OBTEMPERER, Consentir, obéir.
Obtenir, remporter.
03TESTER. attester, prendre à témoin.
Obti-rber, troubler, renverser, inter-
rompre.
Occasion, a tous ses cheveulx au front.
Occire, tuer.
OcÉANE (la mer), l'Océan.
Ocieusement, oisivement, sans rien fai-
re.
OciEUX, oisif.
Octante, quatre-vingts.
OcTA\x\N. OcTA\^A^I Auguste, l'empe-
reur Auguste.
Odoré, senti.
CEdipodicql'e (jambe), jambe enflée,
comme celle d'CEdipe.
CEiLZ, yeux.
GLOSSAIRE EX NOTES
487
Œstre junonicque, un taon, dit juno-
nique. parce que Junon en envoya
un pour tourmenter la nymphe lo
changée en vache par Jupiter.
CEuvRÉ, travaillé.
Offendre, attaquer.
Office, devoir : a Contenir en oifice »,
contenir dans son devoir.
Official, pot de chambre.
Officl-^l, juge ecclésiastique.
Officlu-Ement, officieusement.
Officiers de gueule, officiers de bou-
che, cuisiniers, etc.
Offot, nom d'un géant.
Og, roi de Basan, géant mentionné dans
la Bible.
Ogier le D.\nnoys, héros des poèmes
carolingiens.
Ogvgies, bacchantes.
OGY\TES (isles), îles placées entre la
France et l'Angleterre, d'après Plu-
tarque.
Oh.\bé, roi de Gebarim.
Oignonîî.uje, sauce aux oignons.
O1NCE, lynx.
OINCES, les phalanges des doigts, les
os que présente le poing fermé.
OlxDRE, frotter comme d'un onguent :
« Oignez villain, il vous poindra ».
Oingnement, onguent.
OiNSESTRE, Winchester, en Angleterre.
OlRE, GYRE, vase, vaisseau, mesure de
liquides. — Voyez Aire.
OiSE.\u de maçon, sorte de chevalet qui
sert à porter du ciment, du mortier.
OiziLLET, oiselet, petit oiseau.
OiziLLEURS, oiseleurs.
Olary (Saint-), monastère de Montpel-
lier.
Olif, huUe : t N'y avoit plus d'olif en
ly cacaleU ». — Vo3-ez Caleil.
OLiirpicoLES, habitants de l'Olympe,
les saints, dans le langage de l'écolier
limousin.
Olivier, héros des poèmes carolingiens.
Olkam, Occam, théologien anglais du
xiv* siècle, chef des Nominaux.
OLKEG.\>f, musicien contemporain de
Rabelais.
Oltroy, action d'accorder, d'octro3'er;
— octroy.
Olyjipiade, manière de mesurer le
temps entre les Grecs, espace de qua-
tre ans.
Ombrophore, qui prévoit la pluie.
Omniforjie, qui prend toutes les formes.
Omnigene, qui engendre toutes choses.
OaiNijuGE, qui juge et décide de tout.
Omogené, rendu homogène.
On, au, dans le.
On.^grxer, allure de cheval : pas vite et
menu comme celui de l'onagre.
Oncq, oncques, ONQtTES, jamais.
Oneraire, destiné à porter des fardeaux:
<t Naufz oneraires », vaisseaux de trans-
port.
Oneste, honnête.
OxiRiCRiTE, qui inteiprète les songes.
OxiROPOLE, même sens.
Onocrot.^l, onocrotale, oiseau aqua-
tique dont le cri imite celui de l'âne,
d'après Pline. C'est, croit-on, le péli-
can ; d'autres disent le butor. Rabelais
joue souvent sur ce mot : « Un souffie-
gan et trois onocrotales. » Un suffra-
gant et trois proto-notaires, suivant
Le Duchat.
Onojl\tomaniie, divination par le nom
du consultant.
Onquel, auquel, dans lequel.
Onymantie, divination par l'ongle de la
main enduit de cire et d'huile
Onys, Aunis, province de France.
O O DE Noël, antiennes que l'on chante
pendant l'Avent, et qui commencent
toutes par l'invocatif O.
Op.\cité, qualité de ce qui est opa-
que.
Ophiasis, sorte de lèpre de la tète.
Ophite, marbre tacheté comme la peau
d'im serpent, et aussi serpent à la peau
tadietée.
Ophyre, animal fabuleux.
OPL-iTTE, opiat.
Opignere, enrichi, orné.
Opinion (l'), l'un des jeux de Gargan-
tua, vraisemblablement sorte de jeu
de cartes.
Oppiler, boucher, fermer, obstruer.
Opposite, opposé, situé du côté opposé.
Oppression, action de presser, de pous-
ser, de fouler.
Oppugner, combattre, attaquer.
Opter, désirer, souhaiter, choisir.
Option, choix.
Or, ores, maintenant.
Or.\, nymphe scythique aimée de Jupi-
ter.
Or-USON solue, prose.
Orange, oiseau de mer, espèce d'alcj'on.
Orbiculairesient, en rond.
Orche (.4), à gauche; dans le vocabulaire
des marins on dirait maintenant : à
bâbord.
Orchis le petit. Les orchis sont une
plante à qui la ressemblance de ses
racines avec les testicules a fait attri-
buer des vertus aplirodisiaques.
Selon Théophraste (li%Te IX, cha-
pitre six), le phxs grand de ses deux
tubercules, pris dans du lait de chèvre,
favorise l'acte vénérien, tandis qu'au
contraire le plus petit l'empêche.
Ord, sale.
GLOSSAIRE ET NOTES
488
Ordalies, épreuves que l'on faisait subir
aux accusés.
Ordres, rangs : « Reçu entre les ordres «.
Oré-^des, nymphes des montagnes.
Orée, bord, lisière, entrée.
Oreille de judas, espèce d'agaric ou
de champignon.
Orer, prier.
ORFEVRERIE, travail de rorfè\Te, cise-
lure.
Orgeau, pour ayeau, barre du gouver-
nail.
Orgdes (dire d'), parler comme un ora-
cle. Nous voyons dans un vieil auteur
cité par iïabillon : organa (en français,
les orgues) prophetarum, expliqués par
vaiicinia, oracida, les oracles des pro-
phètes.
Ortbus (pouldre d'), poudre imaginaire,
comme la poudre die Perlimpinpin.
Oriflaiibe, oriflanune.
Oriflan, orifl.ant, éléphant.
Orme (Philibert de l'), célèbre archi-
tecte du temps de François I*', lié avec
Rabelais comme on le voit par ce qui
est dit au chapitre lxi du li\Te IV.
Orob.anche, herbe teigne, ers.
Oromedon, nom^ d'un géant.
Orque, grand bateau.
ORRiPiL.'i.Tlox, pour horripilation.
Ortie, poème que l'on chaintait dans les
combats.
Ortigl'E. ortie de mer, petit poisson.
Ortuinus, auteur d'un prétendu livre
Ars honesie petandi in societate. Rabe-
lais veut parler sans doute d'Ortuinus
Gratins (Hardouin de Graetz), doc-
teiu' de Cologne, ardent ennemi d'É-
rasme, de Reuclilin, etc. ^Morellet
voit là ime allusion à im fait relaté
dans les EpistoliB obscuroruni viro-
rum. Maître Ortuinus, à qui elles sont
adressées, voulant un jour étrangler un
vent, conchia vilainement ses chaus-
ses. Il est plaisant de lui prêter un li\Te
sur un art qu'il entendait si mal.
Oryge, animal d'Afrique de l'espèce des
licornes. — Voyez Pline, li^Te VIII,
chapitre lxxes.
Os.\XNTERE. — Voyez la Briefve Décla-
ration.
OsciNE, oiseau dont on consulte le chant
pour en tirer des augures.
OsT, OUST, armée.
OST.ARDE, outarde; oiseau aquatique.
Otacuste, espion, délateur.
Othe, nom d'un géant.
Otieus, oisif.
Ou, au, dans le.
Ouailles, brebis : « Aux ouailles, ma.s
tins! »
Ol^liance, oubli.
Oum, entendre : « Je oy », j'entends;
t j'oyois », j'entendais; t j'oiray, nous
oyrons », j'entendrai, nous entendrons;
t oyant », entendant; t oy, ouy », en-
tendu.
OuLTR.\GE, outrage.
OuLTRAGER, outrager.
OuLTRE, enflé comme ime outre.
OrLTRECUIDAXCE, OULTRECUYDANCE,
présomption, témérité.
Olxtrecuidé, oultrecuydê, présomp-
tueux, téméraire.
Oultrepasser, outrepasser, commettre
une faute.
OuLTROY, action d'accorder, d'octroyer,
— octroy.
Oultroyer, octroyer, accorder^
OuQUEL, auquel, dans lequel.
Ous, os.
OrsT, OST, armée.
OusTER, ôter.
OusTRE (plus) ! Passons outre, n'arrê-
tons pas.
Outre (passasmes). Rabelais se sert de
cette expression : « passer outre »,
pour faire de ce dernier mot le nom
d'une île, et, continuant de jouer sur
les mots, il fait des habitants de cette
île des gens outrés, enflés, crevant de
graisse.
Ou\^RT, pour découvert: « Chef ouvert »,
tête découverte.
Ouvert, locution proverbiale : t Tou-
jours ouvert, comme la gibbessière
d'un advocat ».
Ox-VROIR, atelier, boutique, comptoir.
OuvROUorR, ouvToir.
OUY.ANT, oyant, entendant.
OUYR. entendre. Voir : Ouïr.
OuzEAULX, pour houzeaux, bottes.
Oxidraces, peuples de l'Inde dont il est
question dans Philostrate et dans
Quinte-Curce.
Oye (petite), l'abatis d'une oie; par
extension, en appliquant ce mot à
un homme ou à une femme : bras,
jambes, tête, poumons et râtelle.
Oyes, poissons.
Oysox bridé, oison dans le bec duquel
on a passé xme pliune pour l'empêcher
de traverser les haies et les clôtures des
jardins.
OziLLOXS, petits oiseaux.
GLOSSAIRE ET NOTES
489
Pacolet, cheval de bois enchanté qui
sen-ait de monture au héros du roman
populaire de Valentin et Orson.
Paction, pacte, accord.
Pactol, fleuve de Lydie, roulant des
paillettes d'or.
Padres, pères.
P.VELE, PAELLE, pelle, poêlc : « H croyoit
que nues sont paeles d'airain, d
Paellox, p.\esi,on', poêlon.
Paffdz, nom d'une arme nommée pa-
furttim en basse latinité. Paftirtum
ferreum : e Un grand paffus à taillans «,
dans Du Cange.
Page, jeune domestique : « Hors de
page », ayant passé l'âge où l'on était
page.
Pageau, pagre; poisson de mer sembla-
ble à la brème.
P.^GiNE, page d'un livre.
Pacxier, musicien contemporain de
Rabelais.
P.\iLLARD, paillarde, SU propre, qui se
roule sur la paille de son lit, sur sa
paillasse; figurément, débauché, vi-
cieux.
Paillarder, au propre, se rouler sur sa
paillasse; figiuément, faire la débau-
che.
P.\ill.\rdise, débauclie, libertinage.
Paille, comme pacle, poêle.
Paillier, grenier à la paille : « Vous au-
rez mauvais hyver, le feu est en vos-
tre paillier ».
P.iix, locution proverbiale : « Faire de tel
pain telle souppe ».
P.iiN B.\LLiî, pain grossier où le son est
mêlé.
Painctre, peintre.
PAiNCTtJRE, peintiu-e.
Paixexsac (le seigneur de), nom forgé
par Rabelais.
Pair, paire : « Une pair de chausses est
bon »; — couple : « Un nouveau pair
d'amitié ».
P.-viR, égal.
P.4IR Err SÉQUENCE, uu des jeux de cartes
auquel jouait Gargantua.
Pair ou non, c'est le jeu, encore en
usage de « pair ou impair ».
PAIS.4NT, paysan.
Paistre, nourrir.
Pal, pieu.
Pal.amides, sorte de poissoo.
PvUAT, palais.
Palatin, paladin.
Pales, pelles.
P.\LEFROY, cheval à l'usage des dames,
richement harnaché; cheval de parade
et de cérémonie.
Palerée, pelletée.
Palet (le), l'un des jeux de Gargantua.
Palingenesie, itérative génération.
Palixtocie, enfantement renouvelé.
Palladin, de PaUas.
Pallatins, gens du palais, des tribunaux
Pallatins, gens du palais, des tribu-
naux.
Palle, manteau; pallium.
P.\LLE, pauche-cuiller; oiseau.
P.\LLE, arquebuse de cliasse.
Palle, cliaton d'une bague.
Palletocql:é, enveloppé d'un palle-
tocq. ou comme d'un palletocq, vête-
ment en forme de jaquette devenu le
paletot moderne.
Palme, palmier.
P.\LODES. KaTa -Ji rTaÀtoosç. dit
Plutarque. Amyot traduit ces mots par
« à l'endroit des basses », comme s'il
lisait T:T|Àfoo;ç. vaseux, boueux; mais
il y avait en Épire iin port nommé
Pelades ou Palodes (les Épirotes permu-
tant dans leur dialecte Vr^ et l'a), nom
qui du reste a probablement la racine
que nous indiquons plus haut. Or Épi-
therses, venant de passer auprès des îles
Échinades et Paxos se trouvait préci-
sément à la hauteur des côtes de l'É-
pire.
Palombe, pigeon ramier.
Palourde, sorte de coquillage bivalve.
Palude tritonique.
[sîe viros lama est in Hypcrborea Pallcne,
Qui sûleant levibns veiari corpora plumis,
Quiiia iriinniaoum novies sabie!-e paludem ;
Dadilequiilemcreilo.
(Ovide, Mét.^\ïv. XV, v. 356 & s..
Palus, marais.
Palys, palissade, piquets, pieux : « Saul-
ter le palys ».
Pampillettes, brins, paillettes.
Pamyle. L'auteur a pris de Plutarque,
au traité d'Isis et d'Osiris, tout ce qu'il
raconte de cette femme, chapitre l du
livre III; de laquelle a pris son nom
la teste des Pamyliens en Egypte, où
l'ou sacrifioitaudieu Osjris, qu'aucuns
490
GLOSSAIRE ET NOTES
disent cstre le dieu Bacchus; car on
monstroit le Priape, et le portoit on en
pompe durant tels sacrifices. (.4/-
phabet de l'auteur français.)
Pan, pour empan, mesure.
Panace, fille d'Esciilape.
Panacée, sorte de plante, remède à tous
maux.
P.VNDECTES, recueil des lois romaines.
Pane, panne, aile d'une voile enflée
en bouline.
Panem-i, tout sanglant; nom de champs
de l'île de Samos.
Panerée, plein panier : « Panerées de
diables ».
Panerot. petit panier.
Panes, satires, égipans.
PANic\tiLT, chardon à cent tètes dit
aussi eryngium.
Panice, panique.
PANOiiPHtE, qui convient à tous les
pays, à toutes les nations.
Panoriie, canon iste, jurisconsulte, qui
est le même sans doute que le sui-
vant.
P.\NOJiiRT.«*, Nicolas de Tudeschis, ar-
chevêque de Palerme, auteur de com-
mentaires sur les Décrétales.
P.ANOUERE, hotte, corbeille pour la ven-
dange.
Pans, panneaux, pour paons, paon-
neaux.
P.\NSE, proverbe : « De la panse vient la
danse ».
Pantagruel, l'étymologie de ce nom
est donnée par Rabelais au chapitre n
du livre II.
Dans un mystère de la Vie de saint
Louis, remontant au delà de 1742 et
conserv-é à la Bibliothèque nationale,il
y a, parmi les démons qui entourent
Lucifer, un diable nommé Pentha-
gruel (sic), qui raconte ainsi ses ex-
ploits : a Si tu savais d'où je viens, dit
il, tu me tiendrois homme de bien. Je
viens de la grande cité de Paris : j'ai
été toute la nuit — oncques je n'eus
telle peine — autour de ces galants
qui, hier soir, avaient bu jusqu'à He-
braos. Tandis qu'ils étaient au repos,
je leur ai subtilement bouté du sel dans
la bouche, doucement, sans les réveil-
ler. Aussi, par ma foi ! au réveil ils
ont eu plus soif que devant ! » On voit
d'où venait le fameux héros rabelai-
sien. Près de cent ans avant Rabe-
lais, nous le découvrons dans nos vieux
mystères dramatiques.
PANTAGRUELiCQtTE, adjcctif formé du
nom précédent.
Pantagrvelion, le chanvre, comme cela
ressort assez de la description très
exacte que Rabelais en donne. Rabe-
lais en fait en outre le symbole de la
discipline sociale et de l'activité et de
l'industrie humaine, une sorte de talis-
man positif, de Saint-Graal matériel,
qu'il oppose aux mythes des vieux ro-
mans.
Pantagrueliser. suivre l'exemple et la
doctrine de Pantagruel.
Pant.\gruelis.me, c'est, suivant Rabe-
lais, « certaine gayeté d'esprit conficte
en mespris des choses fortuites ». —
Voyez Prologue du livre IV.
Pantagrueliste, qui pratique le Panta-
gruelisme.
Pantarches, pant.\rques, pancartes,
paperasses.
Panth.\rbe. Suivant Philostrate, dans
sa Vie d'Apollonius, le pantarbe était
une pierre précieuse de l'Inde, ayant
de l'analogie avec l'aimant. — Voyez
Philostrate, livre III, chapitre xiv.
Panthéologie, mot forgé pour expri-
mer l'universalité de la théologie, qui
embrassait toutes les autres science-;.
Pantofle, p.^ntophle, pantoufles.
Paniolfe, Paudolfo, nom italien.
P.\nurge. « Un factotum, un maistre
Aliboriuu, qui de tout se mesle. Item
un matois, fin et malicieux. Jupiter,
au 2" Dialogue des Dieux de I^ucian,
reproche à l'Amour qu'il est y^otov
v.tX ~avrJ■J^Yoç. vieux, fin et trom-
peur. Panurge est un homme qui met
toute pièce en œuvre. » (Alph.).
Panurge entre en scène en parlant
divers langages. Voici la traduction
de ces discours :
1° « lunker, Gott geb, etc. » En alle-
mand.
« Jeune gentilhomme. Dieu vous
donne joie et prospérité avant tout.
Cher gentilhomme, je dois vous ap-
prendre que ce que vous voulez savoir
est triste et digne de pitié. J'en aurais
loag à vous conter, et ce ne serait pas
plus amusant pour vous d'écouter que
pour moi de narrer, bien que les poètes
et les orateurs d'autrefois aient sou-
tenu, dans leurs adages et sentences,
que le souvenir des peines et de la
pau\Teté endiu-ées soit un vrai plai-
sir. »
2° « Al barildim gotfano, etc. •« In-
compréhensible. M. Burgaud des Jla-
rets fait cette remarque qu'on peut
décomposer en monosyllabes anglais
tout ce passage.
i Ail bar iU dim god Fan o deck mine
brine ail ado adoor din fall brot zing
van ail bar as. Nine pork adit kin ail
GLOSSAIRE ET NOTES
491
mug at In mllh o prime ail em him,
etc. »
3" <i Signor m io, vo i vcdete per essem-
pio... » En italien.
« Monsieur, vous voyez, par exemple,
que la cornemuse ne sonne jamais
si elle n'a pa5 le ventre plein. Ainsi moi
pareillement, je ne puis vous raconter
mes aventures si mon ventre affamé
n'a pas auparavant sa réfection accou-
tumée; il lui semble que les mains et
les dents ont perdu leurs fonctions
naturelles, et sont entièrement anéan-
ties. »
4° « I/)rd, if you be so vertuous... » En
anglais.
« Si vous aviez, seigneur, les senti-
ments aussi élevés que votre stature,
voxis auriez pitié de moi : car la nature
nous a faits égaux, mais la fortime en a
élevé quelques-uns et rabaissé d'au-
tres. Néanmoins la vertu est souvent
avilie et les hommes vertueux sont
souvent méprisés, car avant le terme
filial, personne n'est bon ».
s" « Jona andie, guaussa goussy
etan... » C'est du basque défiguré :
L. Urhersigarria {Examen critique
du Manuel de la langue basque) le réta-
blit ainsi :
« Jaun handia, gauza gucietan behar
da erremedio; bebar da, bercela icer
lan da. Ambatez othoyez nauzu, eguin
ezazu gur, aya proposatia ordine den.
Xon izanen baita facheria gabe, gina-
raci bada zadazu neure asia. Arren
horen hondoan, galde zadazu nahi
duzuna; eztut hutcic eguinen zuri nie,
erten derauzut eguia arimaz, Jaincoac
placer badu. »
C'est-à-dire, littéralement :
0 Alon grand monsieur, à toute chose
il faut un remède; il en faut un, autre-
ment besoin est de suer. Je vous prie
donc de me faire connaître par signe
si ma proposition est dans l'ordre; et
si elle vous par^t sans inconvénient,
donnez-moi ma subsistance. Puis après
cela, demandez-moi tout ce que vous
voudrez, je ne vous ferai faute en rien;
je vous dis la vérité du fond du cœur,
s'il plaît à Dieu. »
f « Prug frest frinst sorgdmand... »
Ce sont des mots forgés à plaisir.
7° 0 Heere, ik en spreeke anders... »
En hollandais.
a Monsieur, je ne parle point une
langue qui ne soit pas chrétienne : il
me paraît toutefois que, sans que je
vous dise un seul mot, mes haillons
vous décèlent assez ce que je souhaite.
Soyez assez charitable pour me don-
ner de quoi me restaurer. »
S" « Segnor, de tanto hablar yo soy
cansa<lo... » En espagnol.
« Monsieur, je suis las d'avoir tant
parlé; aussi je vous supplie d'avoir
devant vos yeux les préceptes de
l'Évangile, pour qu'ils émeuvent votre
conscience : s'ils étaient insuffisants
à exciter votre charité, j'invoque la
pitié naturelle, et vous n'y serez point
insensible. Sur ce, je me tais. »
ij" <( Jlin lierre, endog ieg med in-
gen... 11 En vieux danois.
« Monsieur, même au cas que, com-
me les enfants et les bêtes brutes, je ne
parlasse aucune langue, mes vête-
ments et la maigreur de mon corjjs
montreraient clairement les choses
dont j'ai besoin, ce qui est vraiment
de quoi manger et de quoi boire. Ayez
donc pitié de moi et ordonnez qu'on
me donne de quoi maîtriser mon esto-
mac aboyant, de même qu'on met une
soupe devant Cerbère. En ce cas, vous
vi\Tez longtemps et heureux. »
10° « Adoni scholom lecha... » C'est
de l'hébreu altéré. M. Carmoli le réta-
blit ainsi :
« Adonai, schalôm. lacliêm. Im is-
char hatob aal aabdecha, bimherali
thithên li kikar lechêm, chachatub :
malveli adonaï chonèn dal. »
« ilonsieur, la paix soit sur vous. Si
vous voulez faire du bien à votre ser-
viteur, donnez-moi tout de suite une
miche de pain, ainsi qu'il est écrit :
Celui-là prête au Seigneur, qui a pitié
du pauvre. » (Proverbes, xix, 17.)
II" « Despota tynin panagatlie. . . »
En grec.
<c Pourquoi donc, excellent maître,
ne me donnez- vous pas de pain? Vous
me voyez bien mourir misérablement
de faim; et vous êtes pour moi sans
pitié, et vous me faites des questions
inutiles. Pourtant tous ceux qui ai-
ment et cultivent les letlreï n'avouent-
ils pas qu'il n'est nul besoin de recou-
rir aux mots et aux harangues quand
la chose elle-même est claire pour tout
le monde? Les discours ne sont néces-
saires que là où les choses sur lesquel-
les nous discutons ne se montrent pas
à point. »
I,' orthographe du grec de Rabelais,
comme le fait remarquer M. de Moutai-
glon, se rapporte non pas à la pronon-
ciation réglée par Érasme et adoptée
jusqu'à nos jours, mais à la pronon-
ciation qu'on lui substitue maintenant
d'après celle qui s'est conservée tradi-
492
GLOSSAIRE ET NOTES
tionnellement en Grèce. Rabelais, ami
de Lascaris, la connaissait.
12" € Agonou dont oussys vou dena-
guez... » Inintelligible.
1 3» « jam toties vos, per sacra. . . » En
latin.
€ Je vous ai déjà bien des fois con-
juré, par ce qu'il y a de plus sacré, par
tous les dieux et par toutes les déesses,
si quelque pitié peut vous toucher, de
me soulager dans mon indigence; mais
mes cris et mes lamentations ne ser-
vent à rien. Permettez, je vous prie,
permettez-moi, hommes impitoyables,
de m'en aller partout où les destins
m'appellent, et ne me fatiguez point
davantage de vos vaines interpella-
tions, vous souvenant de l'ancien pro-
verbe qui dit que veiiire affamé n'a
point d'oreilles. »
Panzoust, village du Chinonnais.
P.\ouR, peur.
PAorrvRE, pao\tœ:, pau\Te.
Paou\tiet, paovset, pauvret.
PAOtrvTŒTÉ, p.iioVRETÉ, pauvreté.
Papefigues, qui font la figue au pape,
qui se moquent du pape; ce sont les
protestants.
P.iPEFiGuiÊRE, pays des Papefigues.
L'anecdote du diable de Papefiguière
a été contée par La Fontaine.
P.^PEFiL, la partie supérieure d'une voile.
P.tPEGAUT, PAPEGESSE, nomS gTOtCSqUCS
formés du mot pape.
Pagegay, papeguay, perroquet.
P.\PEL.\RD, hypocrite, faux dévot.
Papeligosse, pays où l'on se gosse du
pape, comme celui de Papefiguière.
Paperasser, manier, consulter des
paperasses.
Paperat, papier, paperasse.
Papillettes, brins; diminutif de pail-
lettes.
Papiixox, raie bouclée; poisson.
P.-vpiM.\XE, ayant la manie, la folie du
pape. D'où Papimanie, pays des Papi-
manes, et l'adjectif papimanique.
Papinian, Papinien, célèbre juriscon-
sulte romain.
P.\PPE, duvet qui enveloppe certaines
fleurs, comme celle du chardon.
Papver, commencer à parler comme les
enfants, bégayer, babiller.
V.KR, pour : « Par trop avoir mangé des
tripes. •
P.\R (de), de )a part de : « De par Grand-
gousier. »
Par, pour part, partie ; t La par senes-
tre », la partie gauche, t Par de ceci,
par de cela », en partie de ceci, en par-
tie de cela, t Par tachant de s'entresur-
prendre, par pour soi sauver, • les uns,. .
les autres, etc.
Par, p)air; impar, impair.
Parabolains, charlatans, hâbleurs; de
l'italien parabolani ; t Parabolains au
long faucile et au grand code. » Char-
latans au long avant-bras et au grand
coude, par allusion aux doubles man-
ches de l'ancienne robe des médecins.
Paradis, en grec : « Ce sont jardins en
françois ».
P.4RADOXE, paradoxal.
P.\ragox, PARJtAGOf, modclc, terme de
comparaison : • Sans paragon », sans
pair, incomparable.
P.^raige, famUle, rang : c Dames de
hault paraige. »
P.\R.\xGON->rER , PARRAGONER, compa-
rer.
Paranymphe, latin pronubus, celuy qui
de la part du futur marié avoit toute-
charge d'adviser au contrat de ma-
riage. Item qui conduisoit le marié eu
sa maison. Tout ainsi que pronuba
estoit celle qui menoit coucher la
mariée. Davantage le paranymphe
s'appeloit en latin auspex, pour ce
qu'il prenoit augure de bon ou de
mauvais succez du mariage. Voilà
pourquoy on peut attribuer ce mot à
ceux qui conduisent quelques affaires,
comme fait l'Auteur au chapitre xxxix
du li%-re III. {Alphabet de Fauteur
fraitçois.)
Paras.axge, mesure de distance chez les
anciens, elle variait de trente à soixan-
te stades.
P.\RASIXE, poLx-résine.
Parast.\tes, coq)s longs placés sur les
testicules; épididyme et prostate.
P.\R.\v.\XT, auparavant.
Parce, Parque.
P.\RCHEiiDf : < Le diable... allongea son
parchemin... »
Allusion à une légende, ainsi racon-
tée par Pierre Grosnet dans les Mots et
Sentences dorées de CfUhon (Lyon et
Paris, 1533) :
.... En l'Ecclise de Dieu
Femmes ensemble caquetoyent.
Le diable y estoit en ung lieu,
Escripvant ce qu'elles disoyent.
Son rollet plein de point en point.
Tire aux dents pour le faire croistre.
Sa prinsc cschappe et ne tient point.
Au pilier s'est heurté la teste.
Pard, léopard.
Pardoint, pardonne.
P.^RDON'NAiRES, vendeurs de pardons.
Pardon-n'ate, en italien : pardonnez.
Pardonïjeur, gagneur de pardons.
GLOSSAIRE ET NOTES
493
PARDONNIGèRE, vendeur de pardons ou
d'indulgences.
Pardons (guaigner les), gagner les indul-
gences.
Pardurable, étemel.
P.\RÉADES, serpents venimeux cités par
Pline.
Parkmext, ce qui pare : « Parement de
buffet », argenterie.
Parp.uct, parfait.
Parfaire, faire, accomplir, achever.
P.VRFOND, profond.
Parfondement, profondément.
Parforcer (se), s'efforcer, faire effort.
Parfunct, parfum.
Parguoys, perguois (couteairs), petits
couteaux que l'on fabriquait dans le
Perche.
Parien, de Parcs.
Parisatis, mère de Cyrus, roi des Perses.
Pariser, parier, appareiller, assortir,
joindre.
Parlement, parlage, bavardage.
Parlementer, parler, converser.
P.IlRlouoir, parloir, lieu d'audience et
de conversation.
P.\RMENTIER (Miclicl), libraire de Lyon.
Parmy, dans, au milieu, à travers, le
long de : « Parmy le lict », dans le lict.
« Suer parmy le corps », avoir tout le
corps en sueur. « Petits banquets
parmiy », petits banquets au milieu de
tout cela.
Parodelle, fromage rond.
Parœce, paroisse, canton.
Parpaillon, papillon.
Parpaillos (le roy des). Par paillas vou-
lait dire à la fois papillons et mé-
créants.
Parquet, le parterre d'un théâtre.
P.4JtRHESlENS, qui parlent avec facilité
et avec liberté, du grec Tzy.OGr^rj'.o.'Çî'.v.
C'est l'étymologie du mot Parisien,
selon Rabelais.
Pars (les), livre, rudiment qui traite des
huit parties du discours.
Parsus (au), par-dessus, au surplus.
Part, partie, côté, parti.
Part (se), se partage.
Partement, départ.
Parthisane, partusane, pertuisane,
hallebarde.
Partlaxitez, querelles.
Partie, part, lot.
Partir, partager : j Avoir maille à par-
tir », avoir un centime à partager. On
dit encore : « Nous sommes bien par-
tis », nous sommes bien lotis.
Partusane, parthisane, pertuisane.
Partuys, pertuis, trou.
Party, traitement, partage : « Faire
party raisonnable », traiter raisonna-
blement et sans rigueur.
Parva logicalla; il y a un traité sous
ce titre : Pclri Hispani Ulyssiponensis
Parva logicalia, Cologne, 1500, in-8°
Pasle, pelle.
Pasquenade, poisson de mer aussi nom
mé taronde.
Pasques de soles ! Pâques de soleil ! JU'
ron de Louis XI.
Pasqltil, Pasquin. — Voyez Marforio
Passade, traversée.
Passadouz, trait, flèche.
PASS.ITO EL PERICOLO, GABATO EL SAN-
to, le péril passé, le saint est moqué;
proverbe lombard.
Passavant, jeu inconnu; l'un des jeux
de Gargantua.
P.\ssAVANTus, Jacobo Passavento, jaco-
bin de Ferrare.
Passe. — Voyez Arbalesie.
Passe dix, sorte de jeu de dés, et peut-
être aussi sorte de jeu de cartes; l'un
des jeux de Gargantua.
Passé, inscrit.
P.\SSE1IENTÉ, brodé, chargé, comme
d'une passementerie.
Passepasse (jouer de), escamoter.
Passereau, musicien du temps de Rabe-
lais.
Passe temps des dez : « Passe temps de
la fortime des dez », opuscule popu-
laire.
Passevolant, grosse pièce d'artillerie
comme la bombarde. Le passevolant
est, au propre, un canon de parade
en bois bronze.
Passion, souffrance.
Passion : 0 La Passion de Saulmur »,
mystère dramatique de la Passion de
Notre-Seigneur, joué à Saxunur.
Past, nouniture, repas.
Paste, pâte : « S'eslevoit comme la paste
dedans la met. »
Pastifz, pastiz, pâtis, pâturages, terres
cultivées.
Pasxophore, prêtre qui portait la statue
d'iin dieu.
Patac, patar, menue monnaie.
Petarrades, jeu indéterminé.
Pâté, pattu.
Patelin, pathelin (la farce de) .
Patelinage, farce à la manière de celle
de Patelin.
Patelineux, rusé, fourbe comme Pate-
lin.
Patelinois, Patelinoys, langage imité
de celui de Patelin.
Patenostre du singe (dire lai, c'est-à-
dire, suivant Le Duchat, murmurer
entre ses dents, comme fait le singe en
remuant les babines.
494
GLOSSAIRE ET NOTES
Patenostres, chapelet.
Patenostriers, diseurs et faiseurs de
chapelets.
Patepelue, patte velue, qui fait patte
velue ou de velours. Ce mot a été
adopte par Ia Fontaine.
PATERNlTii (ma); le mot Paternité était
donné comme titre honorifique à cer-
tains personnages ecclésiastiques.
P.'VTIBIJLAIRE. gibet.
Patine, cuisine.
Patins, pattixs, cliaussure de femmes
très élevée. Jules-César Scaliger cite
un mot de son père disant que les
maris ne retrouvaient au lit que la
moitié de leurs femmes, l'autre moitié
était restée avec les patins.
Patir, souffrir.
Patrocin.\tion, plaido3-er, discours.
Patrociner, plaider, discourir.
Patroiller, patrouiller, piétiner dans
la boue; d'où patrouiUe.
Patron, modèle, exemple.
P.vu, pal, pieu.
Paulpiers, paupières.
P.waniers, dansant la pavane.
P.wÉE D'ANDomLLES (rue), aujourd'hui
rue Séguier.
Pavesade, palissade que l'on formait
avec des pavois, sur une galère.
Pavoys, bouclier large et plat.
Paxes, Paxos, la plus petite des îles
Ioniennes.
PtcAGE, droit ou tribut à payer pour pas-
ser, pour entrer.
Vexv : « I^ peau de sou ventre s'estoit
beaucoup csloiagnée des rognons »,
c'est-à-dire, il avait engraissé.
Peaultraille. canaille, populace.
Pe.\utre. gouvernail d'un vaisseau. On
appelait aussi peaulre une chaloupe,
ime barque.
Pecile, de couleur variée, en parlant du
poil d'un dieval.
Pécore, animal, bête : « Grosse pécore ».
Pectoncles, sorte de coquillages.
Peculier, spécial, particulier.
Pecl-xes, argent : « I,es nerfz des batail-
les sont les pecunes. »
Ped, pet.
Ped.4i,es, dans le sens de mouvements
des pieds.
Pedanés. — Voyez Juges.
Pedaucque. Ia tradition a conserv-é,
dans le pays toulousain, le souvenir
d'une reine plus ou moins fantastique
rc^ina pcdauca, la reine aux pieds
d'oie. 1a reine Pédauque a des sta-
tues dans plusieurs villes du Midi :
des momunents portent encore son
nom; on montrait même son tombeau
dans le cimetière de l'église Notre-
Dame de la Daurade.
Peder, peter.
Pedes, pieds.
Pedest.-vl, piédestal.
Peguad, pot de vin, mesure de Ixingue-
doc.
Peigne de almain, les quatre doigtz et
le poulce. Les uns croient que Almain
veut dire Allemand ; les autres, qu'il
s'agit de Jacques Alemain, ancien doc-
teur de Paris, dont la malpropreté
aurait été notoire.
Peignouoir, peignoir.
PEL.Aur)ER (se), se tenir au poil, se bat-
tre.
PÉ LÉ QUAtT DÉ, par le corps Dieu ! pro-
nonciation poitevine.
Pelet, un morceau de pelure, un rien,
une misère.
Pellade, teigne, maladie qui fait tom- .
ber les cheveux.
Pellauderies, peaux, fragments de
peau.
Pellicvn, instrument de dentiste; vais-
seau de chimie à deux anses tubulées;
quart de coulevrine portant six livres
de balles.
Pempiiredones, espèce de reptiles.
Penade, action de pcnadcr.
Penader. piaffer, se redresser, frapper
du pied, eu parlant du ciieval.
Penaillon, déguenillé, lascif.
Pen.-vrd, poignard.
Pendage, pendaige, action de pendre.
Pendilloche, ce qui pend; s'entend du
phallus.
Pendre : « Autant nous en pend à
l'œil. » A aussi le sens de dépendre ;
« Rois et potentats pendent de lui. »
Pexe du nez, extrémité du nez.
Peneau, banderole d'un navire.
Penet, musicien contemporain de Rabe-
lais.
Penetramment, d'ime manière péné-
trante.
Pexeux, penaud, honteux, confus.
Penie, indigence.
Pexier, panier.
Penil. poil.
Fenillière, parties garnies de poil.
Pexitissuie, très profond.
Pennache, panache.
Pennage, pennaige, plumage.
Penne, plume.
Pensement, pensée, réflexion.
Penser, panser.
Pensile, pendu, suspendu.
Pent.^phyllon, plante à cinq feuilles.
Penthecoste, Pentecôte. Dicton : i I,a
Penthecoste ne vient foys qu'elle ne
me couste. »
GLOSSAIRE ET NOTES
495
I'epiiages, animaux fabuleux.
PER.\xxiTf , PEREXNiTi':, éternité : « Pe-
rannitc de arronsciucnt. »
Perazons, serviteurs de la Quinte; en
hébreu : chevaliers.
Perceforest, géant converti par Ro-
land, et qui lui sert de second, d'é-
cuyer, dans le M or gante viaggiore de
Pulci.
Percé jus, percé bas, percé à terre, fait
im calembour avec Perseus, Persée.
Perdon.n'anxes, pardons.
PERDOX>rER, pardonner.
Perdriaux, perd: eaux.
Perdrier (Jean), un des condisciples
de Rabelais à Montpellier.
Perditiaxt, qui dure longtemps.
Peref.\mile. père de famille.
Peregrin, voyageur, passager : < Vie
pérégrine... »
Peregrin.ation, voyage.
Peregriner, voyager.
Peregrinité qualité de ce qui est étran-
ger.
Perf.aict, parfait.
Perfectissuie (la), la plus parfaite.
Perforajœn'é, piqué, percé.
Perfl"m, parfum.
Perguois, voir P.arguoys.
pERiciLURrE, joie excessive.
Periclymenos, espèce de chè\Tefeuille.
Perigot, Perigort, Périgord.
Periller, péricliter.
Perin.eum, le périnée.
Période, révolution. « Toutes choses ont
leur fin et période. »
Périt, habile, instruit.
Péronnelle, danse.
Perpétrer, commettre, accomplir, me-
ner à fin.
Pi;rpetdons, les membres des corpora-
tions religieuses.
Perple, perplex, perplexe, compli-
qué, embrouillé, embarrassé, incertain.
Pers, bleu foncé.
Perser, percer.
Persicque, sorte de pèche; — sorte de
danse.
Perside, persan, de Perse.
Personate, la grande bardane, plante.
Perspectitz (esprits), faculté de perce-
voir.
Pertinemsient, convenablement.
Pertuis, trou.
PERins.ANE, hallebarde dont le fer
était large et trancliant.
Pertuisé, percé, troué.
Perturbé, troublé : « Perturbé en son
entendement ».
Pertuys, trou.
Peruse, Perouse, ville d'Italie.
Pesades (lances), officiers subalternes.
Peslier, poêlier.
Pestilence, contagion, peste.
Pestilent, pestilente, contagieux.
Petault (le roy), monarque des vieux
contes qui nous a légué le dicton :
« C'est la cour du roi Pétaud. »
Petauristique, de voltige, qui tient à la
vol itge.
Petit, peu : « Si n'estoit potir un pe-
tit... "
Peton, petit pied; terme de mignîu*
dise : « Mon peton. »
Petreux, petruz (os), os des tempes.
Petrocil, persil.
Petron, Pétrone, auteur du Satyricon.
Peuple, peuplier.
Peur, pur.
Pe\ier (canon), pierrier.
Phais.ans, pqvx faisans.
Phal.anges, araignées venimeuses.
Phal.arice, caparaçon.
Phaleré, caparaçonné, bardé.
Pii.\NAL, fanal.
Phantasie, pour fantaisie.
PiL\NT.\sjiES, fantômes.
PHANT.4.STIQUEMENT, fautastiquementl
Phantasus, un des trois ministres ou en-
fants du Sommeil.
PiLARiNGUES, ville que Rabelais dit
située dans le gosier de Pantagruel;
de pharynx.
PiLARiLACEUTRiE, deuxième idylle de
Théocrite. — Voyez vers i8.
PH.ARSALICQUTE, de Pharsalc.
Phaséols, espèce de fèves, comme /»•
séols.
Phebol, île du golfe Arabique.
Phée, ensorcelé, magique, comme fée.
Phées (isles des), poiir fées.
Phengite, sphingitide, pierre de Cappa-
doce, dure comme le marbre, blanche
et transparente.
Phil.ivutie, amour de soi-même.
Philemon, cette anecdote se retrouve
dans Lucien, au chapitre de la longue
vie de quelques personnages, tome IV,
page 368 de la tiaduction de Belin de
Bailu.
Philippens. Epistola B. Pauli ad Philip-
penses.
Philippus, monnaie de Flandre et d'Es-
pagne.
Philologe, philologue.
Philoalela, PmLOMÈNES, Philomèle, le
ross ignol .
PHILOPH.ANES, aimant à paraître, à être
vu.
Philosophe S.a-mosatovs, Lucien, origi-
naire de -Samosate en Syrie.
Philosophie a parfois le sens d'adresse
et d'habileté. — Voyez Melinde.
Philotheamon, qui aime à voir.
496
GLOSSAIRE ET NOTES
pHrro>îissE, Python isse, prophétesse.
Phlebotomie, saignée.
Phlegmaticql^e, pour flegmatique.
Phlegon, un des chevaux du Soleil.
Phobétor, un des ministres ou des en
fants du Sommeil.
VnŒSiQE. Phénice.
Phœxicoptére, oiseau ainsi nommé
pour la rougeur de son plumage.
Phren'e, diaphragme.
Phrix. — Voyez Udlé.
Phrontiste, homme industrieux, soi-
gneux et diligent; nom d'im des capi-
taines de Gargantua.
Phrontistère, commimauté, école.
Phryzon", cheval de Frise (Pays-Bas).
Phihiriasis, maladie pédiculaire.
Physetere, le souffleur, testacé; baleine.
Physic-u,, phj-sique.
Physicalemext, physiquement.
Physis, nature.
PUYSON", fleuve d'Asie.
PiAU, petit de la pie.
PiBOLE, musette, cornemuse.
Pic, coup de pointe.
PicYNDEAU, sorte de flèche aiguë; nom
d'un jeu qui consiste à lancer cette
flèche.
PiCARDENT, vin blanc de I,anguedoc.
Picardie (la), sorte de jeu de cartes,
inconnu; l'un de ceux auxquels jouait
Gargantua.
Pication, action d'enduire de poix.
Picote, petite vérole.
Picoter (.\), un des jeux de Gargantua;
on ignore en quoi il consistait.
Picqu'a Rome, jeu qui consiste à en-
voyer au loin (à Rome), en frappant
sur ime de ses extrémités, im bâtonnet
affilé aux deux bouts.
PlCQUES (c'est bien rentré de), ou de pic-
ques noires, cela veut dire : parler
mal à propos; allusion probable à un
jeu de cartes où il ne fallait pas ren-
trer, jouer pique.
PiCQUET, jeu analogue au précédent.
PiCQClERS, porte-pique.
PiCROCHOLE, nom formé du grec et signi-
fiant : bile amère.
Picrz, PIS, poitrine.
Picus JIiR.\>'DLXA, Pic de la Mirandole,
contemporain de Rabelais.
Picz-JLVRS, piverts; oiseaux.
Pieça, il y a longtemps.
Pièce, en pièce, nullement, en aucime
façon.
Pied du Cousteau, jeu de palet où le
but était un couteau.
Pieds (en), debout.
PiEDZ NEUFZ (faire), accoucher.
Pierre levée, pierre de vingt pieds de
diamètre, posée sur cinq autres pier-
res, à peu de disL-ince de Poitiers.
Pierre 1,oys, Pierre-Louis Famèse,
duc de Parme. Suivant la Biographie
universelle, il était fils légitime de
Paul III, qui avait été marié.
Pierres d'.\rtillerie, pierres qui ser-
vaient à charger les canons, boulets de
pierre.
Pies, jeu d'enfants; on ignore en quoi il
consistait.
PIETONS, fantassins, soldats à pied.
PiFRE, gourmand, mangeur goulu : t Et
en usentcomme un cnicifixd'un pifre. »
n y a inter\-ersiou des mots, c'est-à-
dire : comme ua pifre, tm goinfre, use
d'un crucifix.
Pifre, fifre.
PiGNE, peigne : « Donner un tour de
pigue », rosser. « Je tueroys im pigiic
I>our un mercier «, inter^'ersion des
mots, c'est-à-dire : je tuerais xm mer-
cier pour wxx peigne, pour jjeu de
chose.
Pigxer, peigner.
PiGON'KET, ou encore pigeonnet; jeu de
« pigeon vole ".
Pile, javelot.
Pile, pilon, mortier.
PiLETTES, petits pilons, ornements des
bonnets à mortier.
Pille, pillage.
Pille, pilon, mortier.
Pille, sorte de jeu de cartes.
Pille moustakde, jeu incoimu.
PILLE^L\ILLE, PiLE>LUL, maillet à jouer
au mail.
Pille\'erjus, cuisinier de Grandgousier.
PiLLOT, PiLOT, pilote.
Pillotizer, fonder, établir sur pilotis.
PiMPOxxET, l'un des jeux auxquels se
livrait Gargantua.
PiN.ARD, petite monnaie.
PiNART, manieur d'argent.
Pinastre, pin sauvage.
PiXDARisER, imiter Pindare, viser au
sublime.
PiXE, comme pénis, il cazzo.
PiXEAULX (raisins), sorte de raisins
petits, serrés et d'un beau noir, dont
on fait un excellent vin.
Pingres, jeu d'osselets.
PiNNE, arête, pointe : t Pinne de pois-
son. '
Pinot, jeu Inconnu.
PiNSE MORILLE, jcu qui Consistait à se
pincer.
Piochons, pioches.
PioLÉ, pie, de deux couleurs
PiOLLER, piailler, c'ert proprement le
cri de la poule.
Pions, buveurs.
GLOSSAIRE ET NOTES
PloT, PYOT, vin, boisson.
Pipe, pippe, mesure de liquides, et fu-
taiUe.
PiPEPiE, tromperie.
PiPEUR, trompeur, filou.
PrppER, tromper, attraper : « Pipper à
pleines pippes ».
PiRATiCQUE, piraterie.
PisCES, les poissons.
PisoNS, famille de l'ancienne Rome,
dont le nom vient de pisum, pois.
PiSTOLANDIER, pistolet.
Piston, pilon de mortier; — nom d'un
jeu inconnu, l'un des jeux de Gargan-
tua.
PiSTRiNE, moulin.
PiTAL. — Voyez la Briefve Déclaration.
Piteux, qui éprouve de la pitié.
PiTHlES, buvettes, lieu où l'on boit.
PiTYOCAiiPE, vers ou chenille qui habite
les pins.
Pla, bien, en Gascogne et en I,anguedoc.
PL.'UDoy.AN-T, qui a des procès.
Pl.aln'CTS, plaintes, gémissements.
Plaisantemext, avec plaisir.
Pl.vn"ettes, jeu de mots : c Le grand
Dieu feist les planettes, et nous fai-
sons les platz netz. »
Plante, lieu planté d'arbres.
Planté, abondance, grande quantité.
Plasmateur, créateur, formateur.
Plasmature, création, forme.
Plastron, partie de l'armiu-e qui garan-
tit la poitrine.
Platine, plaque.
Playdoiant, quia des procès, qui plai-
de.
Pleger, pleiger, cautionner, être ga-
rant, répondre de.
Pléonas>uque, faisant pléonasme.
Plombées, coups d'armes à feu.
Plotbin, Piombino.
Plonge, action de plonger.
Plorer, pleurer.
Plliiail, volaille, oiseau.
Plumart, plumet.
Pluyra, pleuvra.
Poche, sac.
Pochecullière, pauche, palle; oiseau.
Pocheteau, petit pauche ou palle.
PoETRiDE, femme poète.
POGE (à), à droite, à tribord.
Poictrail, poitrail.
PoiERAY, payerai.
Poignant, piquant.
Poignent, piquent; à l'indicatif présent
du verbe poindre.
PoiNCTURE, piqûre.
Poindre, piquer, blesser.
PoiNE, peine.
Poisson. H y avait un proverbe :
PorRiER (le), jeu qui consiste à faire
T. II.
497
l'arbre fourchu, le poirier, ense tenant
sur les mains, les pieds en l'air et écar-
tés.
Pois, pour poids.
PoiSANT, pois.\NTE, pesant.
PoiNSON, mesure de liquides.
De tout poisson, fors que la tanche.
Prenez le dos, laissez la panche.
Rabelais introduit la variante :
« Prenez l'aesle de la perdrys et la
cuisse d'une nonnain. »
Poissons d'avril, ce sont maquereaux.
PoiTRiR, pétrir.
Poix, pois.
POLES, espèces de soles, poissons.
PoLEMONiA : d Guerroyère », plante.
POLEST, danse.
POLYMYXE, à plusieurs mèclies.
POLYPHILE (Songe d'amours de), ouvrage
de Franciscus Columna : Polyphili
Hypnerotomackia ; Venitiis, in œdibus
Aldi Manutii, 1499, in-fol.
POLYPR.VGMON, qui s'enquieil et se mêle
de tout.
POLYSTYLO, l'ancienne Abdère.
Pomme de pin (la), ime des tavernes
méritoires de Paris.
POMONA, Pomone, déesse des fruits.
PoMPÉiANS, partisans de Pompée.
Pomper (se), se parer, se pavaner.
Pompes, les genouillères d'un cheval.
Pompettes, boutons, rougeurs, qui vien-
nent sur le nez des ivrognes.
PoN/VNT, le couchant.
PONE PRO duo; bus twn est in usu. Met-
tez, versez pour deux. La grammaire
latine exige pro duobus; mais la syllabe
bus déplaît au buveur qui parle, et il
déclare qu'elle est hors d'usage.
PONEROPLE, ville des méchants.
PoN'NER, pondre.
PoNOCRATES, homme laborieux, qui ne
peut être surmonté au travail.
Pont, pondu.
PoNTAL, le petit pont que l'on jette d'un
vaisseau pour aborder.
Pont Alais, poète et acteur de farces,
célèbre en ce temps-là. Maistre Jehan
du Pont-Alais ou du Pontalez (on ne
sait pas au juste si c'est un nom réel
ou un nom de guerre) fut arrêté, avec
deux de ses compagnons, au mois de
décembre 1516, pour s'être raillé de
la reine-mère dans les jeux de la Mère-
Sotte. Il est souvent question de ce per-
sonnage dans les conteurs du temps.
PoNTANUS, Jean Jovien Pontan, poète
latin alors renonuué.
PONTIALE, de Pontanus; adjectif irrégu-
lièrement formé.
Pontife, employé au féminin.
32
498
PONTZCHEUS, OU ponts chus, tombés,
jeu indéterminé.
POPISMES. roPPis>tES, gentillesses, ma-
nœuvres élégantes d'un cavalier.
PoppizER, faire des poppismes.
PoRCiLLES. poisson, espèce de grenaud.
Pore, Porus, dont Philostrate fait un
géant.
PoRFiLÉ, entremêlé de diverses tissiu-es :
• Porfilé d'or », où se mêlent des fils
d'or.
PoRPm-RES, serpents de couleur pour-
pre, d'après Pline, livre X, chapi-
tre LXIX.
PoRPHYRio, nom d'im géant.
PoRREAUl-X, poireaux.
P0RT.1L, portail.
PoRTEB.\i,LES, colportcurs.
PûRTECOLE, souffleur, au théitre.
Portée (à la), au porter, à l'apport.
PoRTEKTE, prodige.
Porter (se), se comporter.
PORTOUERE, PORTOUOIRE, hottC pOUr
porter le raisin.
PoRTOfERlERE, adjectif fait avec le mot
précédent.
PORTRi, pourtour, contour.
PoRTUorALOYS, PortuE;ais.
Poser (se), s'en remettre, se reposer sur
quelqu'un.
PossouER, poussouES, instrument de
divers métiers, servant à pousser, à
enfoncer.
Poste, poutre, poteau, solive.
Poste, station postale, distance entre les
postes.
Posteres, postérieur, derrière.
PosTERlorR, postérieur.
PosTLLLER, courir en poste, se répandre
avec rapidité.
PosTPorsER, mettre après, le con-
traire de préférer.
PoT.UGE, potage.
Por.\TiFS (évesques). On appelait autre-
fois portalifs des cvèques in partibus,
qui se transportaient d'im diocèse à
l'autre. Us ne buvaient sans doute pas
plus que les autres: mais Rabelais
trouve l'occasion d'im jeu de mots, et
il ne la laisse pas échapper.
Potée, plein un pot.
PoTEST.\T, podestat.
PoTET, petit pot.
PfTixGrE, grand pot à boire.
PoTZ à feu, pour la guerre.
Pou.\CRE, goutteux, plein d'ulcères.
PocACRES, espèce de hérons.
PouDREBir, poudre de bœuf salé et sé-
ché, dont on se servait dans les ra-
goûts.
Poulain, châssis de bols sur lequel on
GLOSSAIRE ET NOTES
fait glisser et on descend les tonneaux
dans une cave.
PouLAiNE (souliers à), chaussure termi-
née par une longue pointe. « Ventres
à poulaine », fxjurpoints boutonnés
fort bas, dit de l'Aulnay. Rabelais se
sert de cette expression pour désigner
des ventres proéminents.
PouLCE. pouce.
P0ULEM.\RT (à fils de), gros fil d'embal-
lage; mot dauphinois.
PoT^T-ioT, plante aromatique du genre
des menthes.
POTJLL.'MLLES. Volailles, poulettes.
FovLL.MS, bubon.
PouLLARDES, poules de mer.
PouiPRE, pourpre.
POLT-PRE, polype; poisson.
PocLSE, pouce.
PotTLSÉ, tourné, aigri :€ Vin poulsé. »
POCLTRE, jeune cavale, poulain.
POUPELIX, pâtisserie délicate et sucrée.
PoupiE, pourpier; plante.
Pouppix, mignon, mignard.
PofRBOUiLLiR, bouillir.
Pour CE, à cause de cela.
POURCE-AU MORTY, pourceau mort; jeu
indéterminé; voir : beste morte.
PouRiiEXER, promener.
Poi'RPEXSER, méditer, réfléchir.
PontPRis, endos, jardin.
PouRRE.^rLX, poireaux.
POURRÉE, p>oirée.
PouRT.ANT, c'est pourquol.
POCRTR.URE, dessiner, peindre, faire un
portrait.
Pov, peu : t Poy plus, poy moins. »
POYABiTis, vous payerez; latin de cui-
sine.
POYS, pois; — poids.
PoY\'RÉ, poi\Té, pincé : • Poyvré sera
soubs un habit d'ermite. •
POYZAR, tige des pois, après qu'ils ont
été cueillis.
Pr.\erie, prarie, prairie.
Pr.es.iges, devins, prophètes.
Pr.es.\gir, i^révoir, prédire.
Prassixe, couleur de poireau.
Pratif, pratricien, expérimenté.
Praye, proie.
Prec^tion, prière.
Preception, précepte, enseignement.
Precl.are, illustre, célèbre.
PRECt_-xES horaires, heures, prières.
Predic.able, recommandable.
Prefts, fixé d'avance.
Pregnaxte, enceinte : « Fusées pre-
gnantes, «fusées qui en produisent plu-
sieurs.
Pregcstes, essayant, goûtant les mets:
officiers de la Quinte-Essence.
Prelation", préférence, prééminence.
GLOSSAIRE ET NOTES
499
Prëlinguant, écuyer tranchant, dégus-
tateur. — Conseiller qui donne son
avis avant le président du tribunal.
Premier, premièrement.
Premier que, avant de.
Presch.\ns, chants d'église : « Beaulx
preschans et letanies. »
Prescript, précepte, prescription.
Présent (de), à présent.
Presteres, tourbillons ardents qui ren-
versent et brùleut tout ce qu'ils ren-
contrent.
Prestolans, juges de campagne.
Prestoler, attendre.
Prestregau, mot grotesque formé avec
le mot prestre.
Prestregesse, féminin de prestregau.
Prestre Jean, presthan, nom donné,
au moyen âge, à un souverain oriental
dont les États étaient mal délinis, et
sur lequel des légendes fabuleuses
avaient cours.
Préteur, les trois mots qui résumaient
les fonctions du préteur à Rome
étaient : Do, dico, addico.
Preu, profit, avantage : « Ny preu ny
raison. »
Preu, preude, sage, vertueux, et aussi
vaillant, qui est le sens primitif de ce
mot.
Preudhomtf., sagesse, vertu.
Prévoste d'Orléans. — Voyez Far-
fadets.
Prieratem, Sylvestre de Prieria, jaco-
bin mort en 1520, a traité du jeûne
dans ses écrits théologiques.
Prime, sorte de jeu de cartes.
Prime cuvée, première cuvée.
Prime vere, printemps.
PrimH'ile, du premier ordre. C'était,
chez les Romains, le premier soldat de
la première centurie.
Primus secundus, jeu indéterminé; l'un
des jeux de Gargantua.
Prinsaulteer, prime-sautier, qui va du
premier saut.
Prioris, musicien du temps de Rabelais.
Priour, prieur.
Pris, prix.
Privé, lieu d'aisance.
Pri\tng, beau-fils; privignus.
Proboscide, trompe d'éléphant.
Prociias, pourchas, poursuite : « I.e-
giers au prociias. »
Proculteur, PROCUI.TOUS, pour pro-
cureur.
Procurer, avoir soin, cultiver, recher-
cher : a N'ay rien tant procuré que
paix. 1)
Prodenou, cordage fixé à l'antenne d'im
vaisseau.
Proficiat, bienvenue, gratification.
Profliger, renverser, abattre.
Profundite, profondeur.
Prognosticqueurs, faiseurs de pronos-
tications et prophéties.
Prolepsie, figure de rhétorique par la-
quelle on prévoit les objections que
l'on peut vous faire.
Promjvrgixare, qui occupe la marge,
marginal.
Promeconde, économe, dépensier.
Promovoir, aller en avant, avancer;
exciter, conseiller.
PromptujVrie, source, issue; dépôt de
marchandises.
Propenser, méditer, réfléchir.
Prophylactique, préservatif.
Propous, propos; — jeu : propos inter-
rompus.
Propouser, exposer.
Prore, proue.
Proscript, mis à l'encan.
Prosopopée, figure de rhétorique par
laquelle on fait parler des personnes
absentes ou mortes; fiction, supposi-
tion de personnes.
Protervte, insolence, impudence; sacri-
fice propter viain, chez les Romains.
Ce que dit Rabelais au chapitre 11 du
livre III est tiré du chapitre n du livre
II des Saturnales de Jlacrobe.
Prototype, premier exemplaire, origi-
nal.
Protraict, portrait.
Portraictl-res, dessins.
PoRTRAiRE, représenter, dessiner.
Prou, assez, beaucoup : « Prou sacs »,
beaucoup de sacs.
Proveut, poun-ut.
Providence, prévoyance, prudence.
Provoir, pourvoir.
Proxime, prochain.
Prudentement, prudemment.
Psoloentes, résidu noir et fuligineux
provenant de la foudre.
Psycogoxie, génération de l'âme.
Psylion, plante.
PTISS.4NE, tisane.
Ptochal.'Vzon, un pauvre glorieux (li-
vre III, chapitre XXV) ; T.XiM/6t, pau-
vre, aXaiTfôv, fier, arrogant, insup-
portable.
Ptyades, sorte de serpents.
Pucelle, un des noms vulgaires de la
feinte; poisson qui ressemble à l'alose
PUDENDES, parties honteuses.
Pulmon, poumon.
PULSE, puce.
PUL VERIN, la lumière d'ime pièce d'artil-
lerie, où se met la poudre de l'amorce.
PUMICE, pierre ponce.
Punays, puant, infect.
50O
GLOSSAIRE ET NOTES
PUNGITIF, f>oignant, piqviant.
PupuT, huppe; oiseau.
Purée septembrale, vin.
Purgatoire de Saint-Patrice, fameux
au moyen âge, était une caverne som-
bre, située au milieu d'un lac, dans le
comté de Donegal, en Irlande. On
croyait que ceux qui s'y renfermaient
pendant une nuit, et accomplissaient
certaines cérémonies, en sortaient
purgés de tout péché, après avoir eu
des visions de l'autre monde.
PURPURÉ, pourpré, rouge.
Pusse, puce.
Putherbe, pour Puits-Herbaui, moine
de Fontevrault, ennemi de Rabe-
lais.
PcYS, puis.
Pye, pie, de deux couleurs; poil de cer-
tains chevaux.
Pyot, PICT, vin, boisson.
Pyreicus, c'était un peintre de genre
dont parle Pline. — Voyez livre
XXXV, chapitre xxx\ti — i, traduc-
tion de M. Ifittré.
t Se bornant à des sujets bas, il a
dans cette bassesse obtenu la plus
grande gloire. On a de lui des bouti-
ques de barbier et de cordonnier, des
ânes, des provisions de cuisine et
autres choses semblables; ce qui le fit
surnommer Rhyparographe ('P'jT:a-
povpâço;, sordidarum rerum pictor).
1 Ses tableaux font toujours im
plaisir infini, et ils se sont vendus plus
cher que de très grands morceaux de
beaucoup d'autres. »
Pirevollet, sorte de jeu de volant.
Pyromantie, divination par le feu.
Pyrope, escarboude couleur de feu.
PYROUi TE, jeu indéterminé.
Pyrrhoxiens, philosophes sectateurs de
Pyrrho, qui enseignait qu' il fallait tou-
jours douter. Ils ont été nommés
Sceptiques, Aporrhétiques, et Éphec-
tiqueà. — Voyez Aulu-Gelle, chapitre
rv du livre II.
Pyrricque, danse année.
Python, devin, sorcier.
Q
QuADERXES, double quatre, au jeu de
dés.
QuADRANNiER, qui a quatre ans.
Quadrant, cadran.
QUADRAT, carré, qtiadrature.
Quadrature, enceinte, charpente.
QUADRixiTÉ, multiplication d'un nom-
bre par quatre.
QuADRi\TES, carrefours.
QUADRi\-iUM, les quatre parties du se-
cond cours d'études, au xn" siècle,
savoir: l'arithmétique, l'astronomie,
la géométrie, la musique.
Quadruple, amende du quadruple.
QuALiBRE, calibre.
QUANARD, canard.
Quand, quant : « Quand à moi •.
Quand, pour si ; « Quand je le saurois »,
si je le savais.
Qu.wstde. — Voyez Martin (saint).
QuANQUE, tout ce que.
Quant, quante, adjectif : quel nombre,
combien : « Quelles et quantes cou-
leurs... » t Quantes victoires ont été,
etc. »
Quant est de, en ce qui concerne, à
l'égard de.
Qu.\QUET, caquet. ?"
Quaquerolles. — - Voyez Caquerolles.
QuARRE.iu d'arbalète, grosse flèche à fer
quadrangulaire.
QUARRELEURE, pavage, piqûre à car-
reaux; la formation et la couture de la
semelle des souliers. — Voyez Carre-
lure.
QUARRES, facettes d'im diamant taillé.
QuARiLLONNER, Carillonner.
Qu.^RROY, chemin. — Voyez Carroy.
Quart, quarte, quatrième.
QuARTEiiENT, quatrièmement.
Qu.\TlR, ébranler, agiter, renverser.
Qu.^tridien, de quatre jours.
Que, qui, lequel ; « qu'est..., » qui est.
Que, ce que : « Voyià que c'est ».
Que, tant : t Dix ou douze que le%Taulx
que lapins ». — « Que masles que fe-
melles ».
QtiEEECu (de) , auteur d'un prétendu
li\Te sur l'utilité d'écorcher les che-
vaulx. De l'.^ulnay croit qu'il s'agit
de GuUlaïune du Chêne (.\. Quercu),
commentateur de saint Grégoire.
QuECONQUES, quelconque.
QUEHUE, queue.
Quel, tel que : « Quel fut Silène. »
Quelle, laquelle : t A quelle voix tous
se levèrent. »
QUEMIN, chemin, dialecte picard.
GLOSSAIRE ET NOTES
501
Quentin (Jean), un des condisciples
de Rabelais à Montpellier.
QUERIR, QUERKE, cherclier.
QUERITANS, chercliaut, demandant.
Questeurs, quêteurs.
Queue au loup, jeu : queue leu leu.
Queue de merluz (à), terminé en pointe
divisée en deux parties.
Queux (5L\istre), cuisinier.
Qui a si parle, jeu de cartes où les
joueurs annoncent leurs cartes.
Quicqonqlies, quiconque, quelconque.
QuiDDiTATiF, essentiel.
QUIETE, repos. Ce mot est aussi adjectif.
Qui faict l'ltng f.\ict l'autre, jeu de
cartes sur lequel on n'a pas de préci-
sions.
Quinaire (nombre), cinq.
QuiNAUD, camus : « Faire quelqu'un
quiuaud », le coller au mm', le mettre à
court de réponses.
QuiNCUNCE (ordre), c'est une disposi-
tion d'arbres rangés de telle façon
qu'ils représentent la figure de la
lettre V. Or cette lettre en latin sert de
marque pour le nombre cinq, qu'ils
appellent quinque, d'où vient quin-
cunce. Davantage, si vous ajoutez au-
dessous de V lux autre V renversé A,
vous ferez une disposition et figure
qui représentera un X, qui s'appelle
en latin ordo per déçusses, en françois
ordre croisé, fait en croix Saint- André.
Il faut, outre plus, noter que par ce
mot de quincunce l'on entend toujours
l'une et l'autre disposition des arbres,
car ce ne sont que deux V, joints
ensemble l'un sur l'autre, mais celui
de dessous est renversé : l'Auteur en
fait mention au livre I, chapitre lv.
(Alphabet de l'auleur /raiiçois.)
QuiNES, do'.;b!e cinq au jeu de dés.
QuLNQL-ENAYS, viUage du Chinonnais.
Quinquentelle, répit de cinq ans ac-
cordé à un débiteur.
Quint, qudcte, cinquième.
QuiNTAiNE, but, poteau ou jaquemart
contre lequel on joutait : « Jouster à
la quintaine. »
Quinte Calabrois, Quintus Calabre,
dont nous avons les Praterniissa ab
H orner 0.
Quinte-essence. La quintessence est la
couleur, la saveur, la vie et les pro-
priétés des choses, c'est un esprit sem-
blable à l'esprit de vie. Le vin contient
en soi une quintessence de grande
vertu et en grande quantité, par la-
quelle il fait des actions admirables.
(Abrégé de la doctrine de Paracelse.)
QUINTESSENCIEL, QUIXTESSENTIAUX, ad-
jectifs faits du mot quinte-essence.
Quitte, celui qui a payé ses dettes: «Un
pet pour les quittes ».
Quitter, céder, abandonner.
Quotter, coter, noter.
QuoY, tranquille, en repos; comme
coy.
R
Rabanistes, porteurs de rabat; on di-
sait aussi rabaniste pour rabbiniste.
Rabat, lutin, esprit foUet.
Rabbe, rave.
Rabiller, réparer.
Rabouilllere, trou à l'écart où la lapine
fait ses petits.
Rabreb.\ns, (mot hébreu), grands, prin-
cipaux, officiers de la Quinte-Es-
sence.
Rachapter, racheter.
Rachapteur, racheteur.
R.\cletorets, ceux qui, dans les bains,
raclent la peau du corps pour la rendre
plus douce.
Racquedenare, racle-deniers, capi-
taine de Picrochole.
R'Ullard (bon), bon compagnon, joyeux
compère.
Raillon, flèche, dard.
R.4IRE, raser.
Raitz, rasés : « Se soudoyt aussi peu des
raitz comme des tonduz ».
Ramasse, jeu indéterminé; — l'un des
jeux de Gargantua.
Rambades, garde-fous placés au-dessus
des fronteairx, des gaillards et dunet-
tes d'un vaisseau.
RvJiBERGE, vaisseau long et étroit, à
rames.
R.\jIeau, Ramus. — Voyez Galland.
Rame.\u d'or tant célébré par Virgile :
Primo avulso non déficit aller
Aureus, et simili frondescit virga métallo.
(Mneid, lib. VI, v. 136.)
Ramée, branches d'arbre, berceau de
verdure, ombrage.
Ramenter, r.\mentevoir, rappeler à
la mémoire, remémorer.
502
GLOSSAIRE ET NOTES
Raminagrobis. Ou veut que ce soit
Guillautiic Du Bois, dit Crctin, dont
les pixî-sics ont iiù recueillies; Paris,
Simon du Bois, 1527, in-S"; et, ce qui
le prou%-e, c'est que le rondeau que
Rabelais lui attribue {Prenez la) se
trouve en effet dans les poésies de
Crétin. Il est adressé à Christophe de
Reluge, qui l'avait consulté sur son
mariage. Ce rondeau présente, dans
l'original, de légères différences. Au
lieu de si ne la prenez, on y lit : et si
la laissez; au lieu de reculiez, di (Jerez;
au lieu de sotibliaittez luy vie, on lit :
desirez sa vie. Les vers 9 et 10 sont
dans un ordre inverse; enfin le refrain
est prenez la, au lieu de prenez la, ne.
Ce rondeau porte la signature ordi-
naire de Crétin : mieux que pis.
Rajitn'AGRobis, gens fourrés d'hermines.
R.\MON, balai à long manche; d'où l'on
a fait ramoner et ramoneur.
Ramper, grimper, gravir : « Rampant
contre une muraiUe. »
IvANCE. Rance, baron de Cère, gentil-
homme romain, comte de Pontoise,
général des troupes du pape, du roi de
France et des Vénitiens, joua iin très
grand rôle dans les guerres d'Italie.
Ran'CO (de), de rang en rang, de main en
main.
Rançon, arme dont le fer, plat, se termi-
nait en pointe avec un crochet recour-
bé de chaque côté, en forme de fleur
de lis. De l'italien rampicone, crodiet.
Raxcon, outil de tisserand.
Rane, grenouille.
Rane Gyrine. — Voyez la Briefve Dé-
claration.
Rapeau, sorte de jeu de quilles.
Raphe, pour rafle, jeu de mains.
Raphes, espèce de loups mouchetés
comme le léopard.
R.u>lNEUX, voleur, pillard, qui vit de
rapines.
Rapp^U-lus, nom comique de diable.
Rarité, rareté.
Rasettes, petit os du bras et de la jam-
be.
Rat, lapsus, faute de langue ou de con-
duite.
RATACOîraErR, rapetasseur : « Ratacon-
neur de bobelins. »
Rataconniculer, far l'atto.
Râtelle, rate.
Ratepenade, cliauve-souris.
Ratiocinatitoî, raisonnement.
R.VTiociNER, raisonner.
Ratioxal, rationnel, logique.
Ratouere, ratouoire, ratière.
Ravaller en pris, baisser de prix
Ravasser, rêver.
Ravasserie, rêverie.
Ravassei-r, rêveur.
Ravelins, ravins, revers d'un fossé;
terme de fortification.
Razes. — Voyez la Briefve Déclara-
tion.
RÉALEMENT, réellement.
Realz, espèce d'esturgeons.
Rebec, ancien violon à troLs cordes.
Rebec (visage de), parce que sur le man-
che de cet instrument était ordinaire-
ment sculpté un visage grotesque.
Rebecquer (se), se rebiffer, se révol-
ter.
Rebindalnes (à jambes), les quatre fers
en l'air.
Rebours, rebous, reeousse, revêche,
acariâtre : « Femme rebousse. >
Rebouscher, s'émousser.
Rebrasser (se), se retrousser, relever
sa robe : « Par la Vierge qui se rebras-
se ! » Allusion à quelque image de
sainte Marie l'Égyptienne. Cette
ainte a, dans sa légende, un trait peu
édifiant que reproduisaient naïve-
ment les peintres du moyen âge.
Rebrassit (se), se retroussa.
Rebr.\z, repli ; « Entendement à double
rebraz », entendement profond.
Recamé, brodé.
Rec.ameurs, brodeurs.
Recenser, compter.
Recentement, récemment.
Recepv.\ns, ceirx qui reçoivent.
Recepvoir, recevoir.
Recesse, enfoncement, retraite, lieu
caché.
Recheute, jeu inconnu; l'un des jeux
de Gargantua.
Reciner. Voir Resieuner.
Rechiner, rechigner, faire la moue, être
de mauvaise humeur.
Reciprocantes, réciproques.
Recoler, rassembler, recueillir, réciter :
<i Recoler les passages des auteiu^. a
Recontorter (se), se rassurer, se con-
soler.
Recoquillette (la), jeu inconnu; l'un
des jeux de Gargantua.
Recori>.\tion, mémoire, souvenir.
Recorder, rappeler, remettre en mé-
moire.
Records, qui se souvient.
Recourser, retrousser.
Recouvert, recouverte, recouvré, ob-
tenu.
RECou\TaR, recouvrer.
Recreu, fatigué.
Rectifier, redresser : « Rectifie le mem-
bre. 1)
Recueil, accueil.
Recueillir, accueillir.
GLOSSAIRE ET NOTES
503
Recullons (à); ceux qui gagnent leur
vie à reculons, ce sont les cordiers.
Recvlorcm (à), en arrière, à l'écart.
Recutitz, circoncis.
Red.\iier, aimer.
REDIGER, réduire.
Redolent, odorant, aromatique.
RÉDUIRE, ramener : « Luy réduit à mé-
moire », lui remet en mcmoirc.
Reffuir, fuir : « Retni du monde », fui,
évité, repoussé du monde.
Refr.\ischir, rafraîchir. D'où refrais-
chisseinent . rcfreschisseurs.
Refraischir (se), se rafraîchir, se repo-
ser : » Se refraischir en courage. »
Reg.\rd (au), à l'égard.
Regnault de Wontaub.vn, personnage
des poèmes carolingiens, resté popu-
laire.
REG0UBII.I-ONTVER, faire le réveillon,
manger la nuit.
REGURGITER, regorger.
Réhabiliter, ranimer ; « Rehabiliter
le cerveau. »
Rii ITERATIONS, actes de procédure.
Relenteur, mauvais goût, mauvaise
odeur, que nous nommons relent.
Reles, relais.
Reliefz, restes.
Relieve, relève : « Reliève mon appel. »
Remb.arrer, renforcer, consolider.
Remembrer, rappeler.
Remollir, ramollir.
Remolql-er, remorquer.
Remore, petit poisson auquel les anciens
attribuaient la vertu d'arrêter la mar-
che des vaisseaux.
Remparer, élever, relever les remparts
d'une ville, la fortifier.
Renard : « Écorcher le renard », vomir,
rendre sa gorge.
Ren.vrd (de), jeu de tables, comme les
dames ou les échecs.
Renette (la), autre jeu de tables.
Rengée, ou rangée, jeu de billes.
Reniguebieu, sorte de jeu, vraisembla-
blement jeu de dés.
Ren"yer, renier : <t Je renye bien ", jiu-on.
Repaire, crotte de lapin.
Repaiss.\ille, repas.
Rep.-ustre, nourrir, se nourrir, prendre
son repas, manger.
Rep.\ration de dessoubz le nez, repas.
Rep.IiSTZ, repas.
Repous, repos; adjectif: reposé.
Repugn.ance, opposition, contradic- |
tion.
REPUGN.'mT, contradictoire.
Repugn.\toire, défensif.
Requamé, brodé.
Requérir, demander.
Requeste (de), demandé, recherché.
Requiesce, repose.
Requis, nécessaire.
Resecquer, couper, retrancher.
Reserrk, renfermé; s'appliquaut aux
choses et aux personnes.
Re.sieuner, ressiner, reciner verbe
et substantif : repas entre le dîner et
le souper, collation; collationner, faire
ce repas.
Résolus, au temps présent du verbe
résoudre ; « Là je nie résolus, a
Respit. répit, délai.
Resplendent, resplendissant.
Resplende™, splendeur.
Respons.ailles, jeu de cache-cache.
Responses, réponse, sorte de salade.
Responsif, responsive, qui répond.
Ress.vper, réparer : « Ressaper contres-
carpes. »
Ressin'er. Voir Resieuner.
Reste, loisir : « A toutes restes ». —
Voyez Enviz.
Reste, ce qui reste : « La reste du sel. »
Restile, qui produit, qui rapporte tous
les ans.
Restitl^er, rétablir.
Restrinctif, médicament astringent.
Resud.\nt, plein de suc.
Resudation, sueur.
Res^'eigler, réveiller.
Resverie, resverye, sottise, vaine
imagination.
Resvouoir, endroit où l'on rêve.
Ret.\illatz, circoncis; alias châtré,
eunuque.
Retaillons, morceaxix, rognures, grat-
te.
Retombe, vase à boire.
Retondir, retentir.
Retorner, retourner.
Retouble, champ nouvellement mois-
sonné.
Retraict du goubelet, lieu retiré,
retraite pour les buveurs.
Retraict lignagier. On nommait
retraict les lieux d'aisance. Le retrait
lignagier était l'action par laquelle,
dans l'ancienne jurisprudence, le
parent d'une certaine ligne pouvait
retirer l'héritage des mains de celui
qui l'avait acheté. Rabelais fait une
équivoque sur ces deux expressions.
Retributeu-r, qui rend à chacun ce qui
lui est dû : « Dieu juste et retribu-
teur. »
Retz admirable, lacis de vaisseaux que
les anciens anatomistes disaient situé
aux côtés de la selle de l'os sphénoïde.
REVELATION, l'Apocalypse.
Reverentement, avec révérence, avec
respect.
Revergasse, danse.
504
GLOSSAIRE ET NOTES
RivVOCQtjER, rappeler.
Revolver, ddrouler, feuilleter.
Rkz, rasés : « Des rcz et des tondus. »
Rh.\cadies, crevasses, gerçures.
RiiAGANES, sorte de reptiles.
Rhagions, araiçnées venimeuses. Voyez
Pline, livre XXIX, chapitre xxvu.
RHETORICQUETJR. poète, orateur.
Rhizotome, était un jeune page qui
ser\'ait à Gargantua comme d'un apo-
thicaire, aulivre I, chapitre xxrn. Il
vient du grec yZfj~('t'j.ù;, un coupeur
et tailleur de racines, tels que sont les
droguistes et herboristes.
RnoDiEXS (chevaliers), chevaliers de
Saint-Jean de Jérusalem, établis à
Rhodes, puis à Malte.
Rhombe, sabot, toupie.
RIBAUDAILLE, canaiUe.
RXBAULT, R1BAULDE, débauché, vatirien.
KXBLEUR, coureur de nuit, batteur de
pavé.
RiBON, RIBAINE, bon gré, mal gré.
Ricochet (la chanson de). Cette locution
remonte au delà de l'époque de Rabe-
lais. On la trouve dans les sermons
français de Gerson.
RlDDE, monnaie d'or valant 50 sous.
Rien^-evaulx, vauriens.
RiFLER, égratigner, érafler. Ce mot a de
plus le sens de manger, avaler.
Rigoler (se), soy rigouller, se diver-
tir, s'ébattre.
RiGORON PiRouY, danse.
Rillé, restes, desserte.
RiMER, faire des vers, prendre au pot.
I As-tu prins au pot, vu que tu rimes
déjà. » Le mot rimer, dans quelques
dialectes pro%anciaux, se dit des vian-
des qui, par suite d'ime cuisson trop
ardente, attachent aux parois du vase
où elles cuisent, ou, comme dit Grand-
gousier, prennent au pot.
RiOLÉ, rayé de diverses couleurs, bigar-
ré.
RioTTE, dispute, rixe.
RiPAROGRAPHE. — Voyez Pyrccius.
Repe (en), in ripa: sur le rivage.
RiPPE, artière, petit poisson.
Ripperie, comme frippcrie.
Rire, employé activement : « Riant les
faictz. »
Risses, hérissons.
RiTUAL, rituel.
RiVERAN, batelier.
RlVERE.iu, grappin.
Rivet, cordeau : 1 Selon la loy que l'on
tire au rivet. »
RoBBE (en), en cachette, à la dérobée :
« Boire deux petits coups en robbe. »
ROBBER, dérober, voler.
RoBiDiLARDiCQUE, adjcctif forgé par
Rabelais et ayant le sens de : favorable
à ceux qui aiment le lard.
Robin, nom traditionnel d'un mouton.
Robinet (François), un des condisci-
ples de Rabelais à Jlontpellier.
RoBOASTE, nom d'un géant.
RociiES SAiNCT Raoul (les), les Roches-
Saiut-Pol, paroisse et prieuré du dio-
cèse de Tours.
RocQUETTE, petite roche, élévation, for-
tin.
Rocter, roter.
Rocz, tours, au jeu d'échecs : i Rocz et
pions. »
Rodh-ardus, ronge-lard; nom d'un chat.
RODOGINE (Jacobe), célèbre engastri-
mythe ou ventriloque.
Rogatons, résidus de toutes sortes :
• Porteurs de rogatons et de costrets. •
RoGUE, fier, hargneux.
Roguement, fièrement, avec hauteur.
RoiGNER, rogner.
Roland (la mort) : t Mourut de la mort
Roland », c'est-à-dire de soif.
ROJL^NICQUE (compte), supputation ro-
maine qui faisait commencer l'année
au i'^"' janvier, et non à Pâques.
Ro^^cOLES, soumis à Rome.
RoMlPETES, allant à Rome.
R0MIVAGE, pèlerinage.
RONDELIER, soldat armé de la rondelle,
petit bouclier rond.
RoNDiBlLls, c'est Guillaume Rondelet,
médecin de Montpellier, de qui nous
avons une Histoire des poissons, dont
la traduction fut imprimée à Lyon,
chez Macé Bonhomme, 1558, in-folio.
Rontlart, jeu inconnu.
Ronfle veue : t Vous me remette' à
point en ronfle veue », voiis rompez
toutes mes idées, vous me décon-
certez. L'expression est tirée d'un an-
cien jeu de cartes où le point s'appe-
lait ronfle; — ce jeu de cartes lui-même.
Rostocostoj.vmbed.vnesse, nom bur-
lesque forgé par Rabelais.
Rotte, vielle, instrument ainsi nommé
de la roue {rota) qui tourne sur les
cordes.
RouAisoNS, Rogations.
Rou.'UiT, bourreau.
Rouen, poil rougeàtre du cheval.
Rou'ER, tourner : « En rouant », en tour-
nant, en faisant la roue.
RouPT, rompu, défait.
RouPTE, ROUTE, déroutc, fracture, tron-
çon : « Fuyoient à la route », fuyaient
en déroute.
RouscHE, ruche.
RousÉE, rosée.
Roussettes, chiens de mer.
GLOSSAIRE ET NOTES
RoussiN, cheval de service; d'où rous-
siner, faire le roussin, saillir.
RousT, rôt.
RousTiR, rôtir : « Je vous les vends à
roustir ou boillir. »
RouY, macéré, pourri dans l'eau; opé-
ration que l'on fait subir au chanvre
et au lin.
RouzEAUx, roseaux.
RouzÉE, musicien contemporain de Ra-
belais.
RoYAiiLX d'or, monnaie frappée sous
Philippe le Bel. Les petits royaux va-
laient onze sous parisis, et les gros le
double.
Royaume : « Bon coursier du royaume n
ou du règne, comme on disait commu-
nément, c'est-à-dire du royaume de
Naples.
Ro YDDiiiET (frère) ; il est fac ile de décom-
poser ce nom.
RoYNES (LES), l'un des jeux de Gargan-
tua; on ignore en quoi il consis-
tait.
RozriNS (mot hébreu), princes, officiers
de la Quinte-Essence.
RfACH, souffle, vent; mot hébreu.
RuBETTES, grenouilles venimeuses :
« Sang de rubettes. »
Ruer, frapper, abattre, jeter : t Rués »,
jetés à bas, renversés.
Ruer, se jeter : « Ruer en cuysine. »
RuTTiEN, débauché, souteneur de fille.
RuFFiEi«fERiB, substantif du mot pré-
cédent.
RuGiENT, rugissent.
Ruiner, tomber en ruine : « Si ta maison
debvoit ruiner. »
RusTERiE, tète de mouton assaisonnée;
manger de rustre.
RuSTREMENT, à la Histique, à la rustre"
RUTELES, sorte de reptiles.
RUYT, rut : « Entrer en ru5't », entrer en
rut.
S', si : « S'en rien oultrepassa. »
Sabaoth (Dieu), Dieu des armées.
Sabine, plante, espèce de genévrier.
S.4B0ULER, houspiller, bousculer, dans
un sens erotique.
Sabourre, lest.
S.-VBOURRER, lester, garnir; embourrer,
dans im sens erotique.
Sabtins, sorte de reptiles.
Sabuleuse (mer), mer sablonneuse, aré-
neuse.
Saburrer, comme saboxmer.
Saccade, secousse. Erotid : « Aura la
saccade. »
S.vcCADER, donner la saccade dans im
sens erotique.
Sacmenter, mettre à sac, saccager.
Sacqueboutte, trompette harmonique;
aujourd'hui le trombone.
Sacquer de l'espée, tirer l'épée du
fourreau, dégainer.
Sacre, oiseau de proie.
Sacre, sacré : « I^s sacres Bibles n. « I,e3
sacres Lettres », la sainte Écriture. « La
feste du Sacre », la fête du Saint-Sacre-
ment, Fête-Dieu.
Sacrificules, petits sacrifices.
Sacs.\cbeze\'ezixem.\ssé, mot forgé par
Rabelais et dont on peut deviner le
sens.
Sade, gentil, gracieux.
Saffrette, agréable, appétissante.
SAGAiHONS, préfets; mot hébreu.
Sagane, sorcière, devineresse.
Sage, saie, habit court, casaque.
Sagette, flèche.
Sagittaire (art), le talent de tirer des
flèches.
S.4GITTARIUS, le Sagittaire, signe du zo-
diaque.
S.ilNCT FOIN, sainfoin.
Sainct Gris. — Voyez Gris.
S,\iNCT HiACCHO, Saint Jacques de Corn-
postelle.
S.iiNGELAis, IMellin de Saint-Gelais,
poète contemporain de Rabelais.
S.\in.çambreguoy, juron, est écrit par-
fois : Sainct sang bregxioy.
Saint Antoine (feu), mal des ardents.
S.'^INT Ayl, Saint-Ay, près d'Orléans.
Saint Eutrope (mal), hydropisie.
Saint Genou (mal), la goutte.
S.\iNT Gildas (mal), la folie.
S.4.INT Jacques (le chemin), la voie lac-
tée.
S.unct-Trouvé, jeu inconnu; on peut
induire de son nom que c'était peut-
être une sorte de jeu de cache-cache.
Sainct Victor (la librairie de), la biblio-
thèque de l'abbaye de Saint-Victor,
dont Rabelais a dressé le catalogue
burlesque et satirique.
S.iLACiTÉ, luxure.
Salade, casque, armure de tête.
5o6
GLOSSAIRE ET NOTES
iJALEi. (Hugues), de Casais en Ouercy.
abbé de Saint-Chi^ron, né vers 150^.
mort en 1553, compatriote et ami
de Marot, et comme lui valet de cham-
bre de François !"■.
Saleures, salaisons.
Salbrenaux, personnages ridicules et
puants.
Salfuges, sangsues, parce que le sel leur
est nuisible.
Salle, sale.
Salmigondes", chatellenie en Utopie,
d'où SaJmiguoitdinoys. pays de Sal-
migondin, et Salmtguondins, habi-
tants de ce pays.
Salse, salé.
Salltz d'or, monnaie du xv* siècle,
valant 22 sous parisis
Salvant, sauvant, réservant.
Salvation", salut, réserv-c, acte juridique
de conservation.
Salvern"E, grande tasse, écuelle.
Sammateu, Saint-Matthieu, cap de Bre-
tagne.
Sammalo (port), Saint-Malo.
Sanctimoxlales, religieuses.
Saxctoroxs, dévots aux saints.
Sangedé, courte épée.
Sang de les c-^bres ! juron gascon,
c'est-à-dire : Sang des chèvres !
Sanglade d'estrivières, coups d'étri-
vières.
S.WÎGLERON, marcassin.
Sangles, sorte de reptiles.
Sanglouter, sangloutter, sangloter.
S.'VNGReal. — Voyez Gràal.
Sangltfier, changer en sang.
Sanita et Gr.\D.\ix, MESSER ! Santé et
gain, monsieur !
S.\NXloNS, sanctions, prescriptions.
Sanxir, sanctionner.
Saphiz, saphirs.
Sapience. savoir, sagesse.
S.APORTA (Ant.), im des condisciples de
Rabelais à Montpellier.
Sapper, enlever.
S.AQUEBOUTES, commc sacqueboutes.
Sarabovities, SARABOriTES, sarabaïtes,
moines déréglés dont parle Bernard
de Luxembourg.
S.iRABROTH, géant.
S.VRBATAINE. Sarbacane.
Sard.uxe, Sardaigne.
Sard.unes, sardines.
Sarge, serge : « Sarge de soye. •
Sarins, mot hébreu, auliques, eunuques,
officiers de la Quinte-Essence.
S.\RISSE, pique macédonienne.
Sarpe, serpe.
SARRAZiNESQLrE, de Sarrasin.
Sassé, passé au sas.
Satin (pays de), pays qu'où voit sur les
tapis.-ieries.
Satinize, satiné.
Satisfaire, payer ce qu'on doit.
SAT-i-RiCQUE (le), c'est Perse, qui dit :
Mai;isler artis ingenique largitor
Venter.
S.ArcoNDUiCT, sauf-conduit.
Saulce, sauce.
Sai'lcevert , sauce piquante qu'on
criait dans les rues de Paris.
Saulgrenke, ragoût de pois assaisonnés
au beurre, aux fines herbes, etc. Figu-
rément. mélange, macédoine.
Saullaye, saussaie, lieu planté de sau-
les.
SACL^LATES, cretons, menues fritures,
viandes salées.
Sax."lnier, marchand de sel.
Saulse, sauce.
Saulser, tremper : « Ja ne saulcera'son
pain en ma soupe », c'est-à-dire, ne me
fera cocu.
SAfLVAGiNE, gibier, venaison.
S.^ULVE. sauf.
S.'VCLVEMENT, sûreté, abri, salut.
Saulveté, salut, sûreté.
Sait-X, saules; arbres.
S.AV.^TiER, l'un des jeux de Gargantua;
probablement semblable au jeu du
furet et pour lequel on se servait
d'une savate.
S.AVORADOS, potage fait d'os et de débris
de viande.
S.AYE, soie.
S.AYON, saie, habit court.
SCAL.woTiN, espèce de lézards.
Scalle, escale, mouillage : « Faire scal-
le », aborder.
Sc.iND.\L, sonde d'un vaisseau.
ScAND.ALÉ, scandaleux, faisant scandale.
Se\iOPHAGE, qui se noiurit d'excré-
ments.
SçAV.\NT, sachant.
SCELON, selon.
ScENDE.\ux, étoffes de soie.
ScEUR, sûr.
ScHEDULES, cédules, billets : t Si le pa-
pier de mes schedules beuvoyt ausà
bien que je fays, mes créditeurs, etc.,»
SCHIBBOLETH, mot hébreu qui signifie
également im épi et un fleuve; qui
jadis, dit-on, servit de mot du guet
aux habitants de Galaad, dans la
guerre qu'ils firent aux Éphraïmites.
Ces derniers ne pouvaient pas bien
prononcer le schin hébreu, et disaient
Sibboletk au lieu de Schibboleth: ils
étaient aussitôt ma.=sacrés par ceux
de leurs ennemis qui les rencontraient.
SciNTiLANT, et incelant.
GLOSSAIRE ET NOTES
507
SciNTlLE, scintille, étincelle.
SciOJL\CHiE, combat simulé, ombre d'un
combat.
.Sclo^lA^^■IE, divination par les ombres.
ScioPE, arquebuse, de l'italien schioppo.
ScizEArx, ciseaux.
ScL.woNaQUE, d'Esclavonie.
ScuRRHOTlQiTî, squirrciLX, qui a un
squirre.
Scolopendre, sorte de mille-pieds.
ScoRDÉoN, ail, en grec.
ScoRPENE, scorpion de mer; genre de
poisson d'une forme bizarre et hi-
deuse.
Scorpion, fouet d'armes; arme offen-
sive.
ScoTiNE, obscure, ténébreuse.
ScoTiSTES (docteurs), disciples de Duns
Scot, le Docteur subtil.
ScRiPTEUR, écrivain.
ScROPHULES, écrouelles.
Sci-RRON, Jean Schyron. maître es arts
et professeur de médecine à Montpel-
lier.
ScYBALE, étron; mot grec.
SCYLLE, 803- lia.
ScYTALES, sorte de reptiles.
ScYTHROPES, lugubres, du mot grec
az'jOpto~o:.
Se, ce.
Sebaste, vénérable; nom d'un des capi-
taines de Gargantua.
Sechaboth, escarbot, scarabée.
Secretain, sacristain.
SEcuRrD.\c.\, fève de loup, herbe nui-
sible aux lentilles.
Sedé, apaisé : n Ces rys du tout sedez. »
Segvette (la), jeu de billes appelé
encore b la poursuite. '
Segitn, musicien contemporain de Ra-
belais.
Seiche, poisson qui épanche à volonté
ime liqueur noirâtre.
Seigle, locut. prov. : i Frapper comme
sus seigle verd. a
Seigner (se), faire le signe de la croix :
« Faulte de s'estre seignez de la bonne
main au matin. 1
SEiGNY,jpour senex, le vieux : « Seigni
Joan ». On trouve le portrait de Seigny
Joan dans la Nef des fols.
Seillau, seilleau, seau.
Seille, baquet, seau.
Seilt.e, .=cigle : n I,es abbastoit comme
seiUe. a
SijAN, Seian (cheval). — "Voyez la
Briefvc Déclaration.
Aulu-GeUe parle d'après Gabius
Bassus et Modestinus de ce cheval,
descendant en )is;ne directe de ceux
de Piomède. « Primum (dit-jl), ilhim
Cn. .Sejum domiinim ejus a M. Anto-
nio qui postea triumvir rcipublicee
constituendoe fuit, capitis damnatum
miserando supplicio affcctum esse: eo-
dem tempore Comelium Dolabelam
consulem in Syriam profîciscentem
famam istius equi adductum Argos
devertisse, cupidineque habendi ejus
exarsisse, emisseque eum sestertiis
centum millibus : sed ipsum quoque
Dolabellam in Syria bello civili ob-
sessum atque interfectum esse : mox
eumdem equum, qui Dolabdlae fue-
rat, C. Cassium, qui Dolabellam obse-
derat, abduxisse. Eum Cassium, pos-
tea satis notum est, victis partibus,
fusoque exercitii suo niiseram mortem
oppetiisse : deinde Antonium post
interitumCasssii.partavictoria,equum
illum nobilem Casii requisisse;et eum
eo potitus esset, ipsum quoque postea
victum atque desertmn detestabili
exitio interisse. Hinc proverbium de
hominibus calamitatis ortum, dicique
solitum : Ille homo habet equum Seja-
tf.um.
SEJOUR (de), reposé, de loisir,
SÉJOURNER, tarder.
Sel.\. certainement; mot hébreu.
Selande, Zélande.
Selsir, serpent dit le sepedon ou le
pourrisseur.
Semaise, sorte de récipient.
Semer l'avoine, nom d'un jeu d'en-
fants.
SEMBL.VNXE, ressemblance, similitude.
SEjrETiKRE, cimetière.
SEinBRiEFS, demi-briefs, de demi-brè-
ves; crochus, de croches, et f redons,
forment une suite de jeux de mots
empruntés à la musique.
SE>n-DiEux, demi-dieux.
Semondre, avertir, inviter, convoquer,
d'où semonce, invitation, somma-
tion.
Sempiterneuse, sempiternelle : « VieHle
sempitemeuse. »
SEiiPiTERNiTÉ, éternité.
Seneca, De quatuor Virtutibus cardina-
libus ; traité pseudonyme de Martin,
évoque de Slondonedo.
Senege, Sénégal.
Senes, double si.x, au jeu de dés.
Senestre, gauche.
Senogue, qui purge les humeurs étran-
gères.
Sentejient, sentiment.
Sententier, juger, décider.
Sep, sepe, cep.
Sepedon. — Voyez Selsir.
Sequaxe, la Seine.
Séquence : « A pair et séquence », un
5o8
GLOSSAIRE ET NOTES
des jeux de cartes auxquels jouait Gar-
gantua.
SÉQUENCE (la) ; autre jeu de cartes.
Sequenye, souquenille.
Serain, serein, tranquille.
Seraine, sirène.
Ser.\pp, scharati, monnaie d'or d'Egyp-
te, d'un or très pur.
Sercleurs, sarcleurs.
Seres, peuples de la Chine.
Serfouette, outil de jardinier pour
remuer la terre.
Serizolles, Cérisolles, où se li%Ta ime
des batailles les plus impoilantes de
cette époque.
Serment, pour sarment, en jouant sur
ces mots.
Sermones de Utino, sermon de Léo-
nard Matthei, dominicain d'Udine
Serpentine, grosse pièce d'artUlerie.
Serper, tirer, remorquer un vaisseau;
— lever l'ancre.
Serpillière, loque, toile ser\-ant à net-
toyer.
Serpoullet, serpolet.
Serrail, domicile : « Tous gens de bien
en leur serrail et privé ».
Serr.\rgent, pour sergent, en faisant un
jeu de mots.
Serrecropyere (jouer du), prendre le
déduit, far l'atio.
Sert, le ser\ice de la table, par opposi-
tion : dessert.
Sertorlvnes (guerres), de Sertorius.
SERV.4TEUR, sauveur, conservateur.
Server, obser\-er, conserver.
Service du \tn, service divin; jeu de
mots.
Servîtes, religieux consacrés à la Vierge.
Ses, ces.
Sesolfie, pensif, troublé, morne.
Seulet, tout seul.
Seur, sûr.
Sexte-Essence, pour encliérir sur la
Quinte-Essence.
Sexterée, mesure de terrain; ce que
peut cou\Tir un setier de blé en se-
maine .
Seyer, scier, couper : « Seyer le bled ».
Si, de telle sorte : « Si que l'umbre tom-
boit... »
Si : i Des si et des mais n.
Sibylle : « VoUà le trou delà sibylle ! »
Horreitdcsgue procul sécréta sibyllcE
Anirum immane, petit...
(Enéide, livre VI, v. lo et ii.)
Sicinnie, saltation satirique du genre
du cordax.
SiciNNiSTES, qui dansent la sicinnis.
SiCLE d'or, moimaie hébraïque.
SiDERiïE, de fer : « Pierre slderite », l'ai-
mant.
SiGiLLATiF, qui scelle, de sigillum, sceau.
SiGNAiMENT, surtout, particulièrement.
Signé, marqué : • Signé d'un goubelet ».
SILENES, petites boîtes décrites par Ra-
belais au prolog\ie du livre I.
SlLENTE (lune), la nouvelle lune, invi-
sible; luna siletis, dit Pline.
SiMETERRE, cimcterre.
Smplesse, simplicité, naïveté.
SiMULTÉ, haine, inimitié
SiN.\PiSER, saup^'udrer.
SINGULIEREMENT, particulièrement.
SiPHACH, mot arabe : membrane qui
contient l'estomac; le foie, etc.
SiRiACE (mer), de Syrie.
SiROCH, vent de sud-est.
SiSAME, Sésame.
SiTiciNES, chanteurs et joueurs d' instru-
ments sur le tombeau des morts.
SixiESME. — Voyez Décrétâtes.
Six-\'INGTS, cent-vingt.
Smach, pour schmach, (mot allemand),
affront, injure, outrage.
SoBRESAULT, soubresaut.
SOBRESSE, sobriété.
SocRATES : « Socrate mesuroit le saut
des pulces ». Voyez la comédie des
Nuées, vers 144.
SoHiER, musicien du temps de Rabelais.
Sol, soleil.
SoLAS, SOULAS, récréation, consolation.
Soleil, locution proverbiale : « Quand
le soleil est couché, toutes bestes sont
à l'ombre ».
SoLERETS, sollerets, armure des pieds.
Solide, vrai, réel, entier.
SOLIER, plancher.
SOLIFUGES, fourmis venimeuses, qui
fuient le soleU. — Voyez Pline, li-
vre XXII, chapitre lxxxi.
SoLiSTiME. Les anciens appelaient solis-
timtim triptidium le mouvement des
oiseaux sacrés qui, en mangeant, lais-
saient tomber à terre quelques grains
qui frappaient le sol. Cet augure était
réputé favorable. C'est cette expres-
sion solistimum tripudium que Rabelais
rend par bal soUstime.
SoLŒCiSER, faire des solécismes, des
fautes.
SoLŒCiSER, faire des solécismes, se
tromper, prendre un mot pour tm
autre; manquer son coup.
SOLOFUTDARZ, comme soli/uges.
SoLU, participe passé du verbe souldre,
résoudre.
SOLUE (oraison), prose.
SOLVABLE, payable.
Somme, sommeil : t Sommelier étemel,
guarde-nous de somme. »
GLOSSAIRE ET NOTES
509
Sommer, compter, calculer.
SOMMISTES, théologiens, des Summce
formant le corps des études théologi-
ques.
SoMNiAX, du sommeil, qui a rapport au
sommeil.
Songe d'.wiours. — Voyez Poliphilc.
SoNGE.MLLES, augmentatif de songes.
SoNGEARS. songeurs.
SONGECREUX, persouna^e comique figu-
rant dans les Soties. Un poète du temps
de Rabelais a composé un livre inti-
tulé les Contredits de Songecreux.
Songeur : » Voicy nostre songeur. » —
Voyez Genèse, chapitre xxvm.
SoNGN'ECSEMENT, Soigneusement.
Sonnet, un pet, expression que Rabelais
attribue aux sanctimoniales. — Voyez
la Briefve Déclaration.
SoRBONE : « Le punais lac de Sorbone,
dont parle Strabo. » Rabelais écrit
Sorbone au lieu de Serbone.
SoRET, hareng saur.
SoRORiTÉ, qualité de sœur.
Sors, sorts; substantif féminin.
SORTIBR.WIT DE CONIMBRES, géaut.
Sot, mari trompé.
SOTRINS, mot hébreu; préfets, ofificiers
de la Quinte-Essence.
SoTT.^îTE, soutane.
SotT, soûl, substantif masculin : « Tu
parleras ton sou. »
Sou, soûl, adjectif : « Sou comme un
Anglois. »
Sou, saindoux.
SouB.^RBADE, coup SOUS le meutou.
SouB.^STESiENT, soubassemeut.
SouBçoN, soupçon.
SouBD-iON, soudain.
SouBD.iiNEMENT, Soudainement.
SouBDAN (le), le Soudan, le Sultan.
SouBD.iRT, soldat.
SouBELiN, semble être le même mot que
zibelin ; au poil soyeux, comme celui
de la martre zibeline.
SOUBHAIT, SOUBH.WT, SOUhait.
SOUBHAITER, SOUBHAYTER, Souhaiter.
SouBREQUART, quatrième par supplé-
ment.
SouBRYS, sourire.
SOUBS, SOUBZ, SOUS.
SouBSECRETAiN, sous-sacristain.
SouBSTRAiCTE, lie, ce qui est au-dessous
du vin : « Fou de soubstraicte », le
rebut, la lie des fous.
SoucTLLE, sourcil.
SouEF, suave, doux.
SouEVE, Souabe.
Souffler le charbon, jeu; voir :
CHARBON.
SouFFRETÉ, misère, pauvreté.
SouiCE, Suisse.
Souillarde (de cuisine), laveuse de
vaisselle.
SouissES, Suisses.
Soulcil, souci; plante.
SouLDOYÉ, soldé, payé.
SOULDRE, résoudre.
SouLLE, jeu indéterminé.
SOULOIR, avoir coutume.
.Sourcilles, sourcils.
SOURDRE, jaillir, sortir : t Sourdre de
bon et loyal courage. »
SouRiz CHAULVES, chauvcs-souris.
Soutenir et abstenir, c'est une sen-
tence d'Épictète.
Souventesfoys, souvent.
Spad.\ssin (comte), un des capitaines
de Picrochole.
Spadonicque, d'eunuque, stérile.
Spagitides (artères), artères parotides.
Spatules vervecines, épaules de mou-
ton.
Spect.\ble, remarquable, digne d'atten-
tion.
Spectacle : « En vue et spectacle de
toute Europe. »
Speculaire (pierre). — Voyez Phen-
gite.
Speculance, transparence, diaphanéité.
Spelte, épeautre; plante.
Sperme d'esmeraugde, ce que nous ap-
pelons prime d'émeraude.
Sperme de baleine, ambre gris.
Sph.\celé, meurtri, gangrené.
Sphaceler, meurtrir : « Sphaceler les
grèves. »
Sphengitide. — Voyez Phengite.
Sphragitide (terre), terra sigillata. On
la nQva.ni3.it sphragitide parce qu'elle ne
se vendait que marquée d'un sceau.
Spinale (mouelle), moelle épinière,
Spir-ANT, respirant.
Spirole, petite coule\Tine.
Spleneticque, maladie de la rate.
Spodizateur, proprement : celui qui fait
cuire sous la cendre; au figuré, souf-
fleur, alchimiste.
Spolier, dépouiller.
Spondyles du coul, vertèbres du cou.
S. P. Q. R. : • Si peu que rien», traduc-
tion plaisante de l' inscription Senatus
poptclusqiie rotnanus.
Spyrathe, crotte de chèvre.
SQITIN.-VNCHE, esquinancie.
Squin.\nthi, calamus aromaticus; plante.
SS (allonger les), falsifier les comptes.
SS dans les comptes signifiait sous.
Stade, mesure de longueur de 125 pas
géométriques.
Stamboucq, bouquetin.
Stellions, espèce de lézards.
5IO
GLOSSAIRE ET NOTES
Stentorée, de Stentor : t Voix stento-
rée. »
Sternomantes, engastriniythes ou ven-
triloques.
Sternomaxtie, divination des engastri-
mythes.
Steropes, cy dopes.
Stichomaktie, divination par les vers
des sibylles.
Stinces, crocodiles.
Stipe, pièce de monnaie.
Stipulé, requis, sollicité.
Stocficz, de stockfisch, morues sèches,
en allemand.
Stocfisé, morue sèche; du même mot
allemand.
StomjVCH, estomac.
Strae*, straz.
Strident, ardent, dévorant : t Strident
appétit ». Perçant : « Son strident. »
Striphe, sorte de reptile.
Stryge, oiseau de nuit.
Strygial, du Styx.
Stylobate, piédestal, appui, soutien des
colonnes.
Stymphalides, oiseaux vastateurs du
lac Stymphale, qu'extermina Hercule.
Stypticité, vertu astringente.
Sl'bjacext, qui est, qui repose au-des-
sous.
SCBJECT, sujet.
SuBjEcnoN", asservissement.
SrsLER, siffler.
SCBLET, sifflet, sifflement.
SuBLEVER, relever, soulager, secourir.
SuBMnoHLLER, marmotter.
SuBoinoîER, exciter, séduire, suborner.
SuBSECUioiRE, qui s'ensuit.
SOBSEQUE>rr, suivant, qui vient après :
« Au subséquent jour ■•.
Subside, aide, secoxus, troupes auxi-
liciires, provisions, vivres.
SuBST.iXTER, nourrir, faire vi\Te.
SuBSTAN'TiFiQUE, Substantiel, nourris-
sant.
ScBSTRACTiox, soustraction, vol.
SuBTERRAEs', Souterrain.
SuB\'ENiR, secourir, aider.
SuB\'ERSiox, destruction, renversement :
« Subversions de droict. »
SUB\-ERTIR, détruire, ruiner : « Subvertir
l'estomac ».
SuccESSlTRES, féminin de successeurs.
Sucrée, délicate : « I,€s plus sucrées
damoiselles. »
Suffisance (à), en quantité suffisante.
Suffrages, prières.
SuGCER, SUGSER, sucer : c Sugcera, » su-
cera.
SuiLLE, de cochon.
SXTLZ, sureau.
Supellatif, superlatif.
SuTELUS, surplis.
Scpercoquelicantieux, superlatif.
Supererogation, ce qui est donné par
surcroît.
Supereroger, donner par surcroît.
Superficiaire, superficielle.
SuPERGURGiTER, verser, vomir.
SuPERNEL, d'en haut, de là-liaut.
SuPERXuiiER.AiRE, Surnuméraire.
SuPERSTiTiosiiÉ, superstition.
Supplier, suppléer.
Suppositoire, médicament de forme
conique, que l'on introduit dans l'anus
pour exciter à la selle ou guérir quel-
que inflammation.
Suppors, suppôts.
SuRAlKE : • Comme les oraugiers de Su-
raine. • Les orangers des parcs royaux
de Suresnes, suivant certains commen-
tateius. M. Barré croit qu'il faut lire
San-Remo (sur la côte de Gênes) au
lieu de Suraine.
SuRGEOiT, surgissait; surgeani, surgis-
sant.
Surie, Syrie.
SuROT, maladie du canon du cheval.
Surprisse, surprise.
SuRSAULTER, sauter brusquement, se
lever tout à coup.
SURS.4UX, sursauts, sauts brusques.
Sus, sur, en haut, dessus : « Sus ou soubs
la corde ». « Sus ce point >>, à ce mo-
ment.
Sus (mettre), reprocher, accuser, impu-
ter.
SusAXXÉ, suranné.
Suspens, en suspens, irrésolu.
SuzAT, de suzeau, sureau : « Vinaigre
suzat. »
SwEDEN RiCH, Suède.
Sycomantie, divination au moyen des
figues ou des feuilles de figuier.
Sycophage, mangeur de figues.
Syt>er.\le (lumière), liunière des atres.
Syllogiser, raisonner.
Sylv.^^in, sylvatique, sauvage, des fo-
rêts.
Symboles pythaGoriques. Ce sont
certaines sentences notables, brèves,
aucimement obscures et pleines d'énig-
mes, desquelles se servoit Pythagoras,
ainsi qu'enseigne Érasme au cotmnen-
cement de ses Adages. En outre le mot
de symbole signifie écot. Et les bons
drôles disent, après qu'ils ont fait
grande chère aux tavernes et que cha-
cim a payé son écot, c'est-à-dire sa
quote de ce qui avoit été dépensé :
Symbolum dédit, canavit ; H a soupe
et payé son écot. Ter eut. in Aitdria.
Item, symbole signifie la marque ou
enseigne de connaissance pour faire
GLOSSAIRE ET NOTES
511
discerner les uns des autres, comme
les fleurs de lys sont les symboles des
François, qui les l'ont remarquer pour
tels et séparer des autres nations, ce
que l'auteur touche au livre I, cha-
pitre X. Item, sj'mbole se prend pour
conférence, collation, chapitre xxxiii
du livre IV; mais en cette significa-
tion les Grecs disent ct'ju.SoXyj et non
aû'J-OoÀov. Par ce moyen on dit que
les éléments symbolisent les uns avec
les autres. (Alphabet de l'auteur fran-
çais. )
Symbolisation, ressemblance, analogie
assimilation.
Symboliser, convenir par analogie.
Symmyste, qui est initié dans les mys-
tères.
Symptomates, symptômes, accidents qui
surviennent aux maladies.
Synapizer, saupoudrer.
Syndicqué, blâmé, réprimandé.
Synopien, de Syuope.
Syrop vignolat, vin, sirop de la vi-
gne.
Syrtes, gouffres marins.
Tabachins, cuisiniers, en hébreu; offi-
ciers de la Quinte-Essence.
Tabellalres, lettres, messages, ou mes-
sagers.
Tabellion, notaire.
Tabide, desséché, maigri, étique.
Table (diamant en), diamant taillé plat.
Table rgntde, institution de la chevale-
rie bretonne, objet de nombreux con-
tes populaires.
Tables, planches épaisses, madriers.
Tables, jeu de dames ou de trictrac;
T.\BLES rabattues, probablement
variété de jeu de dames; — Toutes
t.\bles, variété du jeu de trictrac.
Tablier, échiquier, damier.
Tabolti, tambour. Locutions prover-
biales : « Joyeulx comme tabour à
nopces ». « Battu comme tabour à
nopces ».
Tabourer, tambourer, tambouriner.
Est employé avec im sens erotique.
Taboureurs, tambours, tambourineurs;
a parfois une signification erotique.
T.\BOURlx, diminutif de tambour.
Tabourineus, qui joue du tambourin.
Tabus, bruit, vacarme, querelle.
Tabusïer, ennuyer, tounnenter, hébé-
ter.
Tac, maladie contagieuse des moutons,
et qui aurait attaqué les Français
en 141 1. — Voyez Pasquier, livre IV,
chapitre xxviu.
Tacuins. it Buhahylyba Bengezla, Ara-
be, médecin de Charlemagne, fit un
livre intitulé Tacuins. raoi qui signifie
tables, répertoires, parce que c'étaient
des tables où toutes les maladies
étaient rapportées, et où les remèdes
étaient aussi contêiius. Ge livre fut
traduit d'arabe en latin par le juif
Ferragut, autre médecin de Charle-
magne. Ea traduction reste, mais l'ori-
ginal est perdu. Les Italiens ont adop-
té le mot tacuino, qu'on doit expliquer
par faiseur d'almanachs. — Cette
explication convient fort à ces méde-
cins de triquenique, lesquels, s'atta-
chant à de ridicules et scrupuleuses
observations d'astrologie, selon la pra-
tique des Arabes et des Juifs, méritent
le nom de tacuins et de marranes «. (Ee
Duchat.)
Tadourne, canard tadorne.
Tahon, taon, guêpes.
Taillade, coup de taille ou du tran-
chant du glaive.
Taillebacon, charcutier.
T.ailleboltîin, nom d'un cuisinier.
T.\rLLE-coLT>, jeu inconnu; l'im des jeux
de Gargantua.
Taillon, taille, impôt, contribution.
Taillon, tranche, morceau.
Talare (robe), robe qui descend jus-
qu'aux talons.
Talemouse, gâteau de pâte ferme, casse-
museau.
Talés, osselets; jeu des taies; jeu des
osselets.
Tallonières, ailes aux talons.
Tallonniers, faiseurs de talons.
Talir'distes, commentateurs du Tal-
mud.
Talocher, taper, tabourer : « Talochet
ses amours ». en jouir à l'excès.
Taluer, former en talus : « Taluer para-
pets. »
Talvassier, fanfaron, hâbleur.
Tamarix, arbre épineux d'Egypte, et
àue^i le tamarin.
512
GLOSSAIRE ET NOTES
Tanche. — Voyez Poi'.snn.
Tané, tanné, couleur du tan, enfumé.
Tanquart, mesure contenant environ
deux pintes. •
TAPiNAuniÈRE, lieu où l'on se cache.
Tapineux, tapinois, qui se cache, qui
se tapit. « En tapinois », en cachette,
sournoisement.
Tarande, animal fabuleux décrit par
Rabelais, livre IV, chapitre n.
Tarau, tarot; jeu de cartes.
T.\RE, tache.
Tarentule, tarentule.
Targer (se), se couvrir de la targe ou
bouclier.
Targon, estragon; plante.
T.ARIN, oiseau du genre chardonneret.
Tartertes, tartes, pâtisseries.
Tartes, tartres, Tartares.
Tartre borbonnoise, « trous que les
Dieds des bœufs font en terre dans
les chemins, dont le dessus se gerce au
soleil; le dedans demeure plein de
boue ». {Xote manuscrite de Huet.)
Bonav. Desperiers a aussi parlé
(Nouv., XXIX) d'un âne qui vous plan-
tait en im fossé ou en quelque tarte
bourbonnaise.
On voit que c'était une image em-
pruntée aux bourbiers, commims dans
le Bourbonnais. Ajoutons que Taille-
vent a donné deux fois la recette des
tartes bourbonnaises, comme d'im mets
usité de son temps.
Tassette, armure de la ceinture aux
genoux; cuissards.
Taster, goûter.
Tastonner, tâtonner.
Tatin (un), un tantinet.
Tauchie (ouvrage de), damasquinure.
Taureau : t I,e gros taureau de Berne
qui fut tué à Jlarignan ». On appelait
taureau celui qui dormait le signal du
combat avec une corne de taureau. Le
taureau de Berne qui périt à Marignan
se nommait Pontiner.
Tedieux, ennuyeux.
Teil, tilleul.
TELEPHiuii, plante.
Telle... qudle : « Telle est cette terre,
quelle j'ai vue, etc. »
Tellltion, la Terre, considérée comme
mâle.
Température, tempérament, conditions
de santé.
Tejiperement, modérément.
Tempest.\tif (DIABLE), diable qui excite
des tempêtes.
Temples, tempes.
Templettes, bandeaux qui serrent les
tempes.
Tenaud : t Si Tenaud dict vray. • Rabe-
lais a voulu parler du Voyage et itiné-
raire de oultre mer faict par frère Jehan
Thenaud, tnaistre es arts, docteur en
théologie et gardien des frères mineurs
d'Angoulcsme. Paris, sans date, petit
in-S' goth. 64 i. Ce Voyage fut com-
mencé le 2 juillet 1511 et imprimé
sans doute avant la publication du
Gargantua.
Teneerioxs, esprits des ténèbres.
Tenebry, jeu ou jouet inconnu; l'un
de ceux de Gargantua.
Teneliabin, manne liquide, dont on
usait dans les dystéres. — Voyez
Geneliahin.
Teneitr, continuité, non interruption;
substantif masculin.
Tenissiez. tinssiez.
Tenues (les déesses), déesses des Sorts.
Tentativtes, épreuves, thèses : « Tenta-
tives de Sorboime ».
TEPHR.vM.\N~riE, divination au moyen
de la cendre.
Terière, tarière, outil qui sert à percer.
Teristales, sorte de reptiles.
Termes, limites.
Ternes, double trois, au jeu de dés.
Terresterité, qualité terrestre.
Terrien, terriene, terrestre.
Terrificque, terrible.
Terrigoles, oiseaux.
Ters, terse, nettoyé, propre.
Tesmoignerie, témoignage en justice.
Tesmoin (Pierre), Pierre Jlartyr, théo-
logien protestant.
Tesnière, tanière.
Tesseré, en mosaïque.
Tessons, parties latérales d'un pres-
soir; morceaux de pots cassés.
Test, crâne; enveloppe des fruits.
Test.\ment, comiquement pour tête.
Teste, tête et cruchon, d'où le jeu de
mots : € Femmes de bien ont commu-
nément mauvaise tetse; aussi ont elles
bon vinaigre. •
Teston, monnaie d'argent : t Rogner les
testons. »
Testonn'er, coiffer, friser, arranger la
tête. Se festonner, se peigner.
Testoxneur, coiffeur.
Tétrade, quartenaire.
Tetradique, adjectif formé du mot
précédent.
Tetragnaties, araignées à quatre mâ-
choires. — Voyez Pline, livre XXIX,
chapitre l\ti.
Tetragonb, qui a quatre angles et qua-
tre côtés.
Tetrique, chagrin, d'humeur noire.
Teucrion, tripolion; arbrisseau.
Tevot, Tenot, diminutif d'Estienne.
Tezé, toisé, pauvre diable.
GLOSSAIRE ET NOTES
5^3
>9 : t Par 6 signifiant condamnation à
niort. » IyC 0 était la première lettre
deOàvaTO;, mort; le -, de -ïX^Im
j'absous. Quantàl'a. si Rabelais ou
plutôt É''asme (Adages), ne fait pas
d'erreur, il pouvait être la première
lettre d'un mot grec exprimant la
même idée que le latin non liquet,
OLW]Xov par exemple.
Th.\cor, voj'ez la Briefve Déclaration.
Tii.\LAMEGE, sorte de grand vaisseau.
Th-axasse, mer. Rabelais donne ce nom
à un port d'Utopie.
Thalassiens, marins, habitants de Tha-
lasse.
Theleme, mot grec : 6îVT)[xa, volonté;
Oiv/~j!jLOç. qui agit spontanément.
Theologalemext, à la manière des
tliéologiens : a Chopiaer théologale-
ment. »
rHÉOiiACHE, qui veut combattre Dieu.
Theoricque, théorie.
rHER.'VPEUTicE, la partie curative de la
médecine.
Theriacle, drogue de charlatan, c Et
avoit aultrefoys crié le theriacle. »
Theriacleur, charlatan.
Therslanstrie, saltation très vive.
Thesaur, thesor, trésor.
ThesauRIER, trésorier.
Thibault l'Aigxelet, nom emprunté
à la Farce de maistre Paihelin.
Thibault BIitaine, nom fait à plai-
sir.
Thtklle, ouragan subit, mot grec.
Thijtntjncule, crécerelle, oiseau de
proie.
Thlasié, froissé, moulu, brisé.
'Thlibié, usé, épuisé, tabifié.
Thoes, le papion, espèce de loup chas-
seur.
Tholose, Toulouse : 1 1,'or de Tholose. »
Aulu-Gelle, livre III, chapitre ix,
explique ainsi l'origine du proverbe
« Ciun oppidum Tolosanum in terra
Gallia Q. Cœpio consul diripuisset,
multumque auri in ejus oppidi tem-
plis fuisset, quisquis ex ea aunun atti-
git,misero cruciabilique exitu periit. »
Ronsard a dit :
Et l'or sainc! desrobé leur soit l'or de Iholosel
Thomas. Rabelais emploie ce mot pour
estomac.
Threisse, Tiiracienne.
Tho-scan, Thxjsque, Toscan.
Thyades, Bacchantes; danses des bac-
chantes.
Thymbré, ayant pour timbre ; « I,e tim-
T. II.
bre, dit le Père Ménestrier, est tout
ce qui se met au-dessus de l'écu. »
Thyrrene, Tyrrhénienne.
TicQUE, torche, lorgne, tape dessus, à
tort et à travers.
Tiercelet, le mâle de quelques oiseatix
de proie. Au figuré : « Tiercelet de
Job », type parfait de Job.
Tiercejient, en troisième lieu.
TiERCER, venir au troisième rang; être
le troisième en quelque action.
Tiers, tierce, troisième.
Tigresque, de tigre : « A la tigresque »,
à la manière d'un tigre.
TniBors, tambours de basque.
Timbre, sorte de grande auge en pierre.
Timon Athénien, Timon d'Athènes le
misanthrope.
TiMPANT, résonnant.
Temper, faire sonner.
TiNTALORisÉ, revéche, fâcheux, en triste
état.
TiNTAM-VRRE, brouillamini, confusion;
semble signifier titc, au chapitre xu
du li\T:e II.
TlNTOiNS, tintements d'oreilles; ennuis,
tracas.
TiPH.vrxE, Epiphanie.
TiRADOS, de l'italien tiradore ; garant du
palan avec lequel on manœuvrait le
gouvernail.
Tire la broche, Gargantua jouait « à
tire la broclie », on ne sait en quoi con-
sistait ce jeu.
Tire I^akigot (boire à). La Rigaud était
une cloche de la cathédrale de Rouen,
portant le nom d'un évèque du temps
de saint Louis. Boire à tire la Rigaud,
c'était boire comme ceux qui tiraient,
sonnaient cette cloche, ou comme tou-
tes bonnes âmes aux jours de fête où
elle était sonnée.
Tirelitantaine (la), jeu de la queue-
leu-leu.
Tirelupin, bouffon; au xn® siècle, ime
secte d'hérétiques scandaleux était
désignée sous le nom de turelupins.
Tirer les fers du four, jeu inconnu.
Tirer les métaux, battre, forger les
métaux.
TiRouom, tyrouer, flacon en forme de
livre, de bréviaire.
TisSERANDE, sortc de danse.
TissoTiERS, faiseurs de tissus, de ru-
bans.
Tissu, ruban : « Avec im antique tissu
piolé. » (Livre III, chapitre x\Tai.)
Tissure, texture.
TiT.WES, les Titans.
TiTAïaQUE, de Titan.
Tithone, Tithon, époux de l'aurore.
Titubation, vacUlement.
33
5M
GLOSSAIRE ET NOTES
TxBSis, figiire de rhétorique par laquelle
on divise les mots composés.
TocQi-ECEiNT, tocsin : » Le Tocqueceint
horrifique tel que jadis les Guascons
et Bourddois souloient faire contre
les guabelleurs. = AJlusion au sotilève-
ment de la Guyenne (au sujet de la ga-
belle, en 154S), dont le souvenir était
encore récent, et dont il est déjà ques-
tion au prologue du livre IV. Il fallut
deux corps de troupes, dont l'un était
commandé par le coimétable de ilout-
morency, pour venir à bout de la
révolte, qui s"était étendue à la Sain-
tonge et à l'Angoumois. Ta. gabelle
lut révoquée en 1534. ou plutôt rache-
tée par la province moyennant
r. 200.000 t-cu3.
ToiLLE, toile : « A quoi vault toile? •"
Jeu de mots pour : à quoi vaut-elle
(toile se prononçait tdc) ? ce qui amène
la réponse du moine : « A faire des che-
mises. »
Tou-i^s. filets à prendre les sangliers.
TOLDRE, voir TOLLIR.
ToLEXE, Tolède.
ToLLiR, enlever, ôter; toUu, ôté, pris,
enlevé; iollissant, étant, enlevant.
TooiERE, audacieux; mot grec. C'est le
nom d'un des capitaines de Gargan-
tua.
ToNDAUXES, repas que l'on donnait aux
tondeurs de troupeaux.
ToNîTCvE, chair de thon préparée, salée.
TopiâlRE, ouvrage de verdure; buis et
ifs taillés.
TopiCQtTES, partie de la logique qui trai-
tait des lieux, c'est-à-dire des diverses
manières de former les argum.ents;
de Tonoç. lieu.
TopiCQDBUR, raisomieur, aigmnenta-
teur.
ToRANGLES, à facettes.
ToRCoui,s, au col tordu, de travers.
ToRMENS, machines de guerre; du latin
tonnettia.
ToRMENT, tourment.
ToRMENT, jeu de cartes inconnu auquel
jouait Gargantua.
ToRMEXTE, tourmente, tempête.
Tors, tort dans l'expression : t A tort
et à travers. »
ToRTE, torse.
ToRncuLBR, tortiller.
ToRTRE, tordre.
ToRTYCOLLY, ayant le cou tors : « Qu'il
feust tortycoUy ».
ToSTADE (alesau), alezan brûlé.
TosTÉE, rôtie de pain.
ToTAGE, TOT.'UGE, le total, le tout.
Tou, Toul, en Lorraine.
Touche, petit bois de haute futaie.
ToucHEJŒNT, attouchement.
Toucher, pousser, conduire devant soi.
ToucHERONDE (l'élu), nom fait à plai-
sir.
TotTOM, bouchon garni d'étoupe.
ToLTŒT DE ^•EZ, petit masque.
TouRN.w, toiuTiois.
TouRXEMOULE (duc de), capitaine de
Picrochole.
TotJRRiONS, petites tours.
TocsDis, toujours.
TocsjouRS, toujours.
ToussEUX, tousseur.
TorssiR, tousser.
ToussoiR, endroit où l'on tousse.
TOUST, tôt.
TouST.\X)E (alezan), alezan brûlé.
Tout (du), entièrement, en totalité.
Toutes tables, variété du jeu de tric-
trac.
TouzEixE, blé sans barbe.
Tr-VBUT, mesure agraire, équivalant à'
mie perche.
Trac, train : « J'entends le trac de no=
ennemys ». c Nécessaire au trac de
batailles t.
TRACTEiiENT, traitement.
Trafic QUE, commerce.
Tragique comédie. — Voyez la Eriefve
Déclaration.
Traict (à), posément, avec mfôure :
« Parlez à traict ».
TrjUCT, traicie, tiré.
Traicte, action de tirer; ce que l'on
tire d'un tonneau.
Traictis, doux, attrayant.
Tr-VICTs, cordages d'un bâtiment (li-
\Te I, chapitre xxm) .
Traicts passés, trépassés; Rabelais joue
sur ces mots : « J'y eusse porté pain et
vin par les traicts passés. » C'était im
ancien usage de porter du pain et du
vin aux messes d'enterrement. Par
raillerie on disait de ceux qui déjeu-
naient avant d'aller à la messe : « Il va
à la messe des morts, à la messe des tré-
passés; il y porte pain et vin. »
Traîne, soii%-eau. et aussi traîneau :
t Traîne à bœufs. »
Xraixnée, trakxée, piège, fosse recou-
verte d'une trappe mobile : t Prendre
les loups à la trainnée. •
Trainneguaixes, traîne-fourreaux; ter-
me injiu'ieux.
TR.URE, tracer.
Traire, tirer, lancer des traits; tirer,
attirer.
Tranche, tranchoir, tailloir; outil.
TR.AN-CHEPLUME, Canif.
TsANCHiT, trancha.
TR.AXCHOuom, plat où l'on découpe, où
l'on tranche les viandes.
GLOSSAIRE ET NOTES
515
Transcentjer, monter au delà; d'où
transcendant.
Transcoullé, écoulé au dehors.
Transfketer, traverser : t Transfreter
la mer Hircanierme. »
Transit, transi.
Transite jrps, passetemps.
Transitoire, passager.
Translater, traduire.
TR-VKSinGRER, émigrer.
Tk-vnsmoxtaxe, le nord : « Vent de la
transmontane », vent du nord.
Tr-VXSMuer, changer; d'où transmuta-
iion.
Transon, tronçon, tranche, morceau :
« Un transon de chère lye », un bout
de festin.
Transonxer, couper en morceaux.
Trakspasser, traverser.
ïranspoxiim, habitant ou situé outre-
mer, trans poiUum; « Monarchie trans-
pontine. »
TsANSSi^rPT, tiré, extrait : « Trans-
sumpt de bulle », copie de bulle.
Traquenard, espèce d'amble; allure de
cheval.
TRjiQxrENARD, cheval qui a cette allure.
Traquet, cliquet de moulin.
TîtAVERSEUK des VOYES PERII.I.EUSES,
c'était le surnom de Jean Bouchet qui
a signé ainsi la plupart de ses ouvrages.
Trebuchet, piège où l'on trébuche.
Trefeuh-, trèfle, plante.
Teegexier, muletier.
Treignan (sainct) : c Sainct Treignaa
foutys vous d'Escoss, ou j'ai faiUy à
entendre. » Saint Treignan était un
des saints patrons de l'Ecosse. 31. Bu-
gaud des Marets entend ces mots :
« Saint Treignan, fuyez d'Ecosse, ou
j'ai failli à comprendre. »
Trejectaire, bateleur.
Trexte-et-l"ng, jeu de cartes auquel
jouait Gargantiia, et auquel on joue
encore de nos jours.
Trepelu, barbu, négligé. Appliqué à un
li\-Te, il faut entendre : très-peu lu.
Treper, trépigner.
Trépid.\tion , trouble, alarme, épou-
vante, tremblement.
TREPIGNEMAiIPKXII,I.ORIPRIZ02«OUFRES-
SURÉ, mot forgé à plaisir, signifiant
meiutri.
Trespasser, sortir, outre-passer, trans-
gresser : I Tout droit trespassé ».
Tresque, tresques, plus que, jusque.
Tresstjer, suer abondamment, se fati-
guer.
Trestant, tant, si fort.
Trestous, tous.
Treufles noires, trèfle au jeu de cartes;
t As de treufles. »
Tri.4iCI.eurs, marchands ou fabricants
de thériaque: charlatans, comme thé-
riaclcurs.
Trias, triade, nombre trois.
TRIB.-i.LLE, TRrB.\LLEMENT, trimballc-
ment, remuement, sonnerie des clo-
ches.
Tkib.aller, remuer de côté et d'autre,
agiter, pendre, brandiller.
Tribard, gros et comt 'oâton; désigne
parfois le phallus.
Tribars, ragoût de tripes.
Tribouler, tarabuster, bousculer, har-
celer.
Triboulet, fou de I/Duis XII.
Triboulletinales, fêtes de Triboulet
qu'on pourrait instituer en l'honneur
des fous.
Tribunl^j^, célèbre jurisconsulte romain.
Trietherides, bacchantes, ainsi nom-
mées des Trieteriques, fêtes de Bac-
chus, célébrées tous les trois ans
Trlmegiste, frois fois grand. — Voyez
Hermès.
Trinch, mot panomphée, commun à
toutes les langues et à tous les peuples,
selon Rabelais; le mot de l'Oracle de
la Dive Bouteille.
TRr>:GUER, boire.
TRINQCA2IELLE, fanfaron, feadeur de
naseaux.
Trixqueballer, trimbaler, sonner les
cloches.
TRiXQrEXAiLLE, Canaille.
TsiNQrEXiCQCE (médecins de), de tri-
quenique, de fariboles, de niaiseries.
Trinquet, mât d'avant d'ime voile la-
tine.
Trin QUETER, buveur.
Triori, danse bretonne, sur un air à trois
temps, très-vite.
Tripier, trépied.
Triplicque, troisième réplique.
Tripoli : « Tripoli a changé de maitre •.
Cette ville fut reprise en 1551 par les
Turcs sur les chevaliers de Saint- Jean.
Tripolion, turbit; plante marine.
Trippe, panse ; « Tout pour la trippe j>,
tout pour la panse, pour le ventre.
Tri QUEDOND AINES, gros ventrus.
Thireme, vaisseau à trois rangs de ra-
mes.
Triscaciste, trois fois mauvais.
Trismegiste, trois fois grand. — Voyez
Hermès.
Trisulce, trisulque, à trois pointes.
Ce mot, qui s'entendait de la foudre de
Jupiter, ou du trident de Neptime,
est appliqué par Rabelais à l'excom-
munication.
TRmiPHE, triomphe, grand appareil :
I I,es femmes se mettent en leur
GLOSSAIRK ET NOTES
516
triumphe ». t C'étoit triumphe de les
voir bauffrer ».
Triumphe, sorte de jeu de cartes.
Trivium, les trois parties des premières
études au xn" siècle : la grammaire, la
rhétorique et la logique.
Trochile, roitelet, oiseau.
Troglodytes, peuples qui habitent
dans des cavernes.
Troigne, trogne, visage, miue.
Trois cents (à), jeu; voir ïroys cents
(A).
Trois dez, jeu qui se jouait avec trois
dés. I
Trombes, trompes. I
Trongne, trogne, visage, mine. |
Tropditetjlx. — Voyez Iteulx.
Trophée d'un calo.mni.\teur, le diable
vaincu par saint Jlicliel, insigne de
l'ordre de Saint-JIicliel.
Trophonius, était fils d'Erginus ou
d'Apollon. D rendait des oracles dans
im antre célèbre, dont l'ouverture
ressemblait à l'entrée d'im four.
Trop plus, pour trop ou plus.
Trou, tronc, trognon : « Un gros trou de
chou. »
Trou, pour jour : « I«e premier trou de
l'an ».
Trou, détroit : « Le trou de Gibraltar. »
Trousque, trousse (indicatif présent de
trousser); en languedocien.
Troys cents (.\), sorte de jeu de cartes
dans lequel probablement il fallait
atteindre trois cents points pour ga-
gner la partie; comme cela a lieu pour
le jeu de cinq cents.
Tru.'»>>-DjUlle racaille ; de truand, g^eux,
mendiant.
Truchement, interprète.
Truelle : i A propos truelle », le dicton
est incomplet. On dit : « A propos
truelle, bonjour, ou Dieu te gard
de mal, maçon. »
Trl'NC, des coups.
Trupher, truffer, railler, plaisanter.
Trut avant ! En avant ! passons outre,
allons plus loin.
Truye : « Tourner la truye au foin », locu-
tion proverbiale : changer de discours
pour éviter de répondre.
Truye, machine de guerre qui pouvait
receler des hommes armés, t Au pa-
tron de la Truye de la Réole ». Le Du-
chat fait obser\-er que Rabelais est un
peu en défaut, et que la prise de Ber-
gerac eut lieu en 1378, sous Charles V,
et deux ans avant la mort de ce roi.
€ Ilz envoyèrent quérir à la Kiole,
dit Froisîart, im grand engin qu'on
appelle Truye, lequel engin estoit
de telle ordormance que il jetoit pier-
res de faix et se pouvoient bien cent
hommes d'armes ordonner dedans, et
en approchans, assaillir la ville. •
Truye (l.\), un des jeux de Gargantua,
qui consiste à crosser ime boulle en
chercliant à la lancer dans im trou.
Tubilustre, fête de la purification des
trompettes.
Tucquet, tertre, butte, bouquet de bois.
Tlte (pierre de), pierre tendre et po-
reuse.
TuGURE, chaumière, cabane : « Tugure
pastoral ».
TuMBER, tomber.
Tumultuer, entrer en tumulte, se trou-
bler; d'où tumultuairc et iumultuai-
rement.
TuPiN, pot de grès.
TtJRBiNE, tourbillon, trombe.
Turbine, qui a la forme d'une toupie,
d'une poire.
Turquoys, turquin, turc, de Turc ou de
Turquie.
TrscAN, toscan, italien.
Tusqlt:, toscane, italienne : t A la tus-
que », à l'italienne.
Ty.^nien (le philosophe) . Apollonius de
Tyane. — Voyez la vie de ce philo-
sophe par Philostrate, livre VI, 4-10.
Tymbons, tambourins.
Tymbre, tambour de basque.
TYMPAjaTES, tympanistes, hydropi-
ques, enflés.
Typhoe, nom d'tm géant.
Typholopes, serpents venimeux.
Typhones, tourbillons, vents impé-
tueux.
Ti-RANSON, oiseau.
Tyreurs de ri\'etz, tireurs de cordeaux,
arpenteurs.
Tyrofageux, mangeur de fromage.
Tyrosl^vntie, divination par le moyen
d'un fromage.
Tyrsigere, armé d'im thyrse.
GLOSSAIRE ET NOTES
517
U
TJbi prenx'S, où le prenez- vous? I,atm
de cuisine.
UcALEGON, nom d'un Troyen, dont il est
question dans Y Iliade et dans Y Enéide :
nom qui signifie : ne donnant aucune
aide, auciui secours.
Uden, pays imaginaire, de O'jSs'v, rien
Ulement, m-LEMENT, hurlement.
Uler, uller, hurler.
Uligixeux, humide, marécageux.
Ulisbontce, Lisbonne.
TJlixes, Ulysse.
XJlle, nulle, aucune.
Uller, uler, hurler
Ulîie.'^u, ormeau.
Ulpl\n, célèbre jurisconsulte romain.
UMBILIC4RE, de l'ombilic.
Umbrageux, ombrageux.
UîiDlctrLATioxs, sinuosités, ondulations.
Unes : unes matines, unes vespres, unes
lettres.
Ung, un.
Unguicule, petit ongle.
Unicorne, animal fabuleux.
Union, subst. ma.sc, perle, pierre pré-
cieuse, joyau.
Unzain, monnaie, le grand blanc, valant
onze deniers.
Uranopete, qui s'occupe des choses
célestes.
Urée, ville.
Ure, taureau noir.
Ureniler, diminutif d'uriner.
Uretacque, ureteau : manœuvre pas-
sée dans ime poulie tenue par une
herse dans l'éperon au-dessous de la sai-
sine du beaupré, pour renforcer l'ar-
mure de misaine; et commandement
pour la faire mouvoir.
Urinal, pot de chambre.
Urin'al, adjectif formé du mot urine :
« Déluge urinal. »
USANCs, usage, coutume, habitude.
^ V;. AOi'iVàv. C'est un dicton grec,
passé dans la langue latine :
Ne sus Mincrvam.
Utacque, comme uretacque.
Uti, du grec o'jti. rien.
Utopie, pays imaginaire de ou et 'ÔTZOÇ .
Lettre d'Utopie, chapitre vm du
livre II . — Voyez l'appréciation
qu'a donnée JI. Guizot de cette admi-
rable lettre dans les An?iales d'édu-
cation, tome III, page 251.
Uy, aujourd'hui.
V
Vacqxjes, vacantes, vides.
Vacuité, le vide.
Vadit, cadit, intcr^-ereion de ces mots :
K Non de ponte vadit qui cum sapien-
tia cadit », au lieu de : « Non de ponte
cadit, qui cum sapioitia vadit », c'est-
à-dire, celui qui marche prudemment
ne tombe pas du pont.
Vagine, gaine, étui, fourreau.
Vaguer, aller çà et là, vagabonder.
Vaisseaulx, vases : « Vaisseaulx de
potier. •
Val, bas : « De mont à val », de haut en
bas, 0 de val en mont », de bas en haut.
Valache, Valachie.
Valantixoise, danse.
Valbringue (Robert), c'est François
de la Roque, sieur de Roberval, qui
fit, eni54o et 1543, le voyage du Cana-
da.
Valentiennes (voguer par les), avancer
lentement, tourner sur soi-même.
Valentin et Orson, conte populaire.
Valentin pour galaniin. Dans plusieurs
provinces, le dimanche des brandons
(premier du carême), on éhsait à cha-
que fiUe un valentin, galant ou pré-
tendu, et la fille était sa valentine. Il
était tenu de lui faire un présent avant
la mi-carême, sans quoi la fiUe brûlait
xxn fagot de sarment, et l'accord était
rompu.
V/vNereau, jeune vanneau; oiseau.
Vaporement, exhalaison, émanation.
Varlet, valet.
Vasches, jeu analogue au jeu de dames.
5i8
GLOSSAIRE ET KOTES
Vascons, Vascoxes, Gascons.
Yasqvtsb, basquine.
Vastadours, fourrageure, faisant le
dégât.
Vastation', dévastation.
VATiciNATErR, dcvin, prophète.
Vaticination, prédiction.
VATiciNrai, prédire, prophétiser.
V.\CLTRE, chien de l'espèce du inàtin,
qui sert à la chasse du sanglier.
Vauxtrer (se), voytres (se), se vau-
trer.
■\"AtA"E?.x (diable de), c'était alors une
locution pioverbiale. La maison de
Vauvert, hantée, disait-on, par les
démons, aurait donné le nom d'Enfer
à la rue où elle était située.
Veac, locutions rabelaisiennes : « Rire
comme un veau ^. « Veaulx engipon-
nés t, veaux habillés. « Veauhc de
dime ». t Je laveroj"s voluutiers les
tripes de ce veau que j'ay ce mntin
habillé. »
Veau (Jehan le). — Voyez Jehan.
Vedeaulx, veaux et bedeaux.
Vefve, veuve.
Veget.\bi,e, végétal, plante.
Vegcade, une fois, im coup : « Boire
quelque vegiiade ».
Veientes Hetrusques, les Étrusques
de la ville de Véies.
Veigler, veiller.
Vejo\'es. C'étoient entre les Romains
dieux malfaisants. Au livre l, cha-
pitre XLV, et livre V, chapitre ^^. Les
anciens au lieu de ce nominatif Jupi-
ter, disoient Dijovis, et le prenoient
en bonne part, Eo quod nos juvct et
die et vita ipsa. Son contraire étoit
Vejovis, im dieu malin qui apportoit
tout malencontre; son imxige étoit
petite avec des dards en main, et ime
mine de les vouloir élancer. Ils lui
faisoient sacrifice, non pour lui deman-
der aide et secours, mais de pevu: qu'il
ne leur fît du mal. (Alphabet de l'au-
teur françois.)
Vêle, Velle, voUe.
Vellication, action de pincer.
Velotiers, velouhers, fabricants de
velours.
Velovs, \"elous, velours.
Vexation, chasse.
Vendiquer, revendiquer, s'arroger, s'at-
tribuer.
Vendre l'avoine, Gargantua jouait c à
vendre l'avoine »; on ignore en quo ■
consistait ce jeu.
Venefique, empoisonneur.
Venelle, ruelle, sentier.
Veneréique, de Vénus, vénérien.
Venter, vanner.
Ventilé, vanné, nettoyé.
Vent», vanner.
Ventôse, ventouse.
Ventre (porter), être grosse.
Ventrée, portée.
Ventricule (colonne), renflée par le
milieu.
Ventripotent, puissant du ventre.
Vi;ntrose, enflure du ventre.
Venu, advenu.
Venue, trait : « Xe prendre que une
venue. »
Venuste, gracieux, joli.
Veoir, voire.
Verbasce, bouillon blanc; plante.
Verdenicque, sacré comme la ver-
veine.
Verbocination, langue, parole.
Verd, \'erde, vert, verte : « Entre à&is.
verdes une meure. >
Verd : « Le diable me prendre it sans
verd, s' il me rencontroit sans dez ». Al-
lusion à un ancien usage ou divertisse-
ment : si l'on était pris sans quelque
brin de verdure sur soi, pendant le
premier jour de mai, on avait droit sur
vous, on pouvoit, selon le cas, exiger
un baiser de l'imprévoyante ou ver-
ser im seau d'eau sur la tête du cou-
pable. Ce jeu paraît s'être prolongé
fort longtemps. H y a une petite comé-
die de La Fontaine sous ce titre : Je
vous prends sans vert.
Verd coquin. Ce mot, qui se trouve
encore dans le Dictionimire de l'Aca-
démie, signifiait proprement un ver
qui ronge la vigne, et, au figuré, im
vertige, une espèce de monomanie.
VERDEitENT, Vertement.
Verdet, vert-de-gris.
Verdugale, sorte de cerceau, panier
ou jupon bouffant pour soutenir les
jupes.
Verduns, épées que l'on fabriquait à
Verdxm .
Vere, vraiment; mot latin que Dinde-
nault explique à sa façon.
Veretre, verge, il cazzo.
Vergette, sorte de jeu.
Vergne, aune.
Vergoigxe, honte, affront.
Veriforme, \'ERisiiiiLE, \Taisemblable.
Verisslme, très vrai.
Verm, ver; d'où vermiforme, ayant la
forme d'un ver.
VERN.A.CULE GALLIQUE, langue vulgaire
française.
Verre pleurant, verre plein jusqu'à
déborder.
Versal, en vers.
Vers.alles (lettres), majuscules.
Verse, sorte de fauconneau; artillerie.
1
GLOSSAIRE ET NOTES
519
Versctre, changement; jacere versuram,
changer de crcaiicier. emprunter à
l'xm pour payer l'autre.
Vertoil, petite pierre ronde et forée que
les fileuses mettaient à leurs fuseaux
pour les faire mieux tourner.
Vervelle, anneau de pied du faucon.
Vesne, vesse; vesner,-vssse.r.
Vessir, vesser.
Vespertej, du soir.
VESQxrrr, vécut (de vivre).
Vessaille, marmaille, menu fretin :
I Vessaille des Déesses. »
Vesten xokd-est, ouest-nord-est.
Vestes, vesiimeks, vêtements.
Vestz, va-t'en, d'après Cotgrave. C'est,
dit-il, ime locution picarde.
Vétusté, vieillesse.
Veu, ^^l.
Veute FiGrRE (en), en présence.
Vezarde, effroi, alarme.
Veze, pibole, cornemuse.
ViAKDER, fianter : e Faire viander les
chiens constipés du ventre. •
V1.4NDES, toute sorte de comestibles,
noinriture quelconque.
VrBREQUES", vilebrequin.
Vice versement, vice versa.
ViCTEUR, vainqueur.
VmuiTÉ, veuvage.
ViEiGNE, vienne; subjonctif présent
de venir.
Vielleur, vtelleus, joueur de vielle.
ViEXDASÉ, berné.
ViET-DAZE, visage d'âne; terme pro-
vençal : « Escoutaz, vietz dazes, que
le maulubec vous trousque ! n Écoutez,
visages d'ânes, que l'ulcère vous ron-
ge!
ViLiTÉ, bassesse, abjection.
ViLLAiN, roturier, homme grossier.
ViLLAXiE, vilenie.
ViLLATiQUE, rustique, champêtre :
« Chansonnettes villatiques ».
Ville au mère (la), la Ville-au-Maire,
en Anjou.
ViLLENAiLLE, racaille.
Villon (François), le poète.
ViMERE, accident, événement impré\ni,
irrésistible.
Vin, locutions rabelaisiennes : c Vin de
taffetas », vin de velours. • Vin à une
oreille », vin de première qualité qu'on
met dans des cruchons à une seule
anse.
Vin AGE, provision de vin.
ViNBRENT, vinrent (de venir).
VlNETTES, vignettes, broderie ou dessin
représentant des feuilles de vigne.
ViOLENTEiiENT, avcc violcnce.
Violet cramoisy. — Voyez Cramoisy.
ViOLiERS, pièces d'argenterie de table.
Virade, tour.
Virer, tourner, renverser.
Vires, forces.
ViRETON, petite flèche.
ViREVousTORiroi, les virevoutes sont
des tours de passe-passe.
ViRLAis, virelais.
ViROLET, canne à dard.
ViROLET, sorte de vilebrequin.
ViROLET, il cazzo ; i Dresser le virolet ».
€ Il faut que le virolet trotte. »
VrROLLET, petit moulin à vent pour les
enfants. « Des ailes d'un moulin à
vent faisoit im virollet. »
Visiez, visuels, de la vue.
ViSTEJlPENARD, c'était. Suivant Cot-
grave, im plumeau monté sur un long
bâton. • XiC Vistempenard des pres-
cheurs composé par Pépin. » Guillau-
me Pépin avait une telle réputation
qu'on disait : Qui nescit pepinare, nes-
cit prœdicare. Le balai des prêcheurs,
qui les nettoie tous, pouvait bien
être donné comme l'œui-re de Pé-
pin.
ViSTEMPENARDÉ, mal bâti, allant de tra-
vers.
VlTEX, plante.
VITUPERE, blâme, censure.
Vitupérer, blâmer, censurei".
VIVANDIER, fournisseur de vi\Tes.
ViviFiCQUE, vivifiant, donnant la viej
Viz, escalier.
Vocal, oral.
Vociter, nommer.
VOERRES A PIED, vcTres à pied, et, pour
jouer siu: ces mots, Rabelais ajoute :
« voerres à cheval ».
Voiras, verras; voirez, verrez; voiriez,
verriez.
Voire, voyee, vraiment, oui vraiment.
VoiRRE, verre.
Vois, voys, vais : < Je n'y vois pas. »
Voise, aille : t H faut que je m'en
voise. »
VOLAIN, arme offensive.
Volantaikes, paquebots, vaisseaux d'ar-
mateurs.
Vole, au jeu de cartes faire la vole, c'est
faire toutes les levées; mentionné
comme jeu spécial parmi les jeux de
Gargantua.
Vole, la paume de la main. Jeu de la
main chaude. Toutes les levées au jeu
de cartes.
VOLERiE, dans les représentations dra-
matiques des Mystères, c'était la par-
tie du théâtre où les anges volaient.
VoLERiE, chasse au faucon et avec d'au-
tres oiseaux.
VoLUNTÉ, volonté.
VoMiiER, vomir.
GLOSSAIRE ET NOTES
VouAGE, gouffre, abîme.
VosTRE, votre.
Votes, vaux, offrandes.
VouGE, cpieu, pique.
VouLER, faire la vole : t Pour ce jeu,
nous ne voulerons pas, car j'ay faict
un levé. >
VouLSiT, voursissENT; voulût, voulus-
sent.
VocLTE, visage, face.
VouSTRE, votre.
VOYAGIER, voyageur.
Voyez cy, voyez la, voici, voilà :
* Voyez en cy », en voici.
VOY ME LA, VOY vous LA, me Toilà,
vous voilà.
VoYS (JE), poiu- : je vais.
VoYTRER (se), se vautrer.
Vray bot ! juron, comme vray bis !
Vrelopper, replanir, finir ime planche
avec la varlope.
Vrilonker, tortiller, rouler, arrêter,
a5Siu-er.
Vued, vx-eil, volonté, vouloir.
Vuidange, action de vider : i Vuidange
des procès ».
VuiDER, vider.
i Vulgce, le peuple, le ^•ulgaire.
w
West, ouest : t Nord-nord- west. »
WUNDERBERUCH, mot allemand : TF«ji-
derbar, Wunderbarlich, admirable, pro-
digieux.
X
XArXCTES, Xaktonge, Xantoxgeoys,
Saintes, Saintonge, Saintongeois.
Xenomakes, qui a la manie des choses
étrangères, et, par conséquent, de
voyager; Ae^xenos et mania. Rabelais
l'appelle Iraverseur des voycs péril-
leuses, par allusion à Jean Bouchet,
qxii prit ce titre dans ses poésies.
Y GREGEOIS, y grec, Y.
YcELUi, iceUuy, ce, celui-là.
YssiR, sortir, être issu, procéder :
soit, yssans, yssu ».
YssuE, sortie d'assiégés.
YvRAYE, i\Taie, plante.
Yvkoigne, ivrogne.
Zachée : t Exemple on petit Zachée ».
Saint Luc, chapitre xrs.
Zalas ! hélas !
Zaphran, safran.
Zargues, comme nargues.
ZELATExm, fanatique, ou hj-pocrite.
Zelotypie, jalousie, envie.
ZELUS (non), sed charitas, point de
zèle, nulle rigueur; mais charité et
bonne affection.
Zencle, tacheté de marques faites en
forme de faux; poil de cheval
GLOSSAIRE ET NOTES
5-2 1
Zeusis, Zeiixis d'Héraclée, peintre grec.
ZiNZEMBRE, gingembre.
ZmziBERixE (povUdre), poudre de gin-
gembre.
ZivETTE, civette, sorte de parfum.
ZOOPHORE, une frise, ainsi nommée
parce que l'on y voit ordinairement
sculptée ime suite d'animaux.
ZOOPHYTE, animal-plante; qui participe
également du règne végétal et du règne
animal.
ZopiRE, grand ami de Darius, roi de
Perse; s'étant coupé le nez et les
oreilles, il se retira vers les Babylo-
niens, que Darius tenait assiégés, leur
montrant le tort qu'il feignait avoir
reçu de Darius, et par ce moyen fut
cause de la prise et du saccagement de
la ville.
ZoROASTER, législateur religieux des
poptUations bactriennes, et fondateur
de la religion appelée Parsisme ou
?.iazdcis;ne.
Zythe, orge fermcntée, bière.
TABLE DES MATIERES
LE QUART LIVRE
CHAPITEES PAGES
Le quart livre des faicts et dicts héroïques du noble
Pantagruel, composé par M. François Rabelais,
docteur en medicine i
Ancien prologue 3
A mon seigneur Odet, cardinal de Chastillon lo
Prologue de l'auteur 15
I. Comment Pantagruel monta sus mer pour visiter
l'Oracle de la dive Bacbuc 29
IL Comment Pantagruel, en l'isle de Medamotbi, achapta
plusieurs belles choses 32
III. Comment Pantagruel repceut lettres de son père Gar-
gantua, et de l'estrange manière de sçavoir nouvelles
bien soubdain des pays estrangiers et loingtains 35
IV. Comment Pantagruel escript à son père Gargantua, et
luy envoyé plusieurs belles et rares choses 38
V. Comment Pantagruel rencontra une nauf de voj^agers
retoumans du pays Lantemois 41
VI. Comment, le débat appaisé, Panurge marchande avec
Dindenault mi de ses moutons 43
.VIL Continuation du marché entre Panurge et Dindenault . . 46
VIII. Comment Panurge feist en mer noyer le marchant et les
moutons 48
IX. Conament Pantagruel arriva en l'isle Ennasin, et des
estranges alliances du pays 50
X. Comment Pantagruel descendit en l'isle de CheU, en la-
quelle regnoit le Roy sainct Panigon 55
524
TABLE DES MATIERES
OEAPITRF.S PAGES
XI. Pûurquoy les moines sont voluntiers en cuisine 57
XII. Comment Pantagruel passa Procuration, et de l'es-
trange manière de vivre entre les Chicquanous 59
XIII. Comment, à l'exemple de maistre François Villon, le sei-
gneur de Basché loue ses gens 63
XIV. Continuation des Chiquanous daubez en la maison de
Basché 6G
XV. Comment par Chiquanous sont renouvellées les anti-
ques cousturaes de fiansailles 69
XVI. Comment par frère Jean est faict essay du naturel des
Chicanous 72
XVII. Comment Pantagruel passa les isles de Tohu et Bohu,
et de l'estrange mort de BringuenariUes, avalleur de
moulins à vent ■ 75
XVIII. Comment Pantagruel évada une forte tempeste en mer. 78
XIX. Quelles contenances eurent Panurge et frère Jean durant
la tempeste 80-
XX. Comment les nauchiers abandonnent les navires au fort
de la tempeste 83.
XXI. Continuation de la tempeste et brief discours sur testa-
ments faictz sus mer 86
XXII. Fin de la tempeste 83
XXIII. Comment, la tempeste finie, Panurge faict le bon com-
paignon 90
XXIV. Comment, par frère Jan, Panurge est declairé avoir eu
peur sans cause durant l'oraige 92
XXV. Comment, après la tempeste, Pantagruel descendit es
isles des Macrœons 94
XXVI. Comment le bon Macrobe raconte à Pantagruel le ma-
noir et discession des Herocs 96
XXVII. Comment Pantagruel raisonne sur la discession des
ame Héroïques et des prodiges horrificques qui prp
cédèrent le trespas du feu seigneur de Langey 99
XXVIII. Comment Pantagruel raconte une pitoyable histoire
touchant le trespas des Heroes 102
XXIX. Comment Pantagruel passa l'isle de Tapinois, en la-
quelle regnoit Quaresmeprenant 104
XXX. Comment par Xenomanes est anatomisé et descript
Quaresmeprenant 106
XXXI. Anatomie de Quaresmeprenant quant aux parties
externes 1 07
XXXII. Continuation des contenences de Quaresmeprenant .. . 109
XXXIII. Comment par Pantagruel feut im monstrueux Physe-
tere apperceu près l'isle Farouche 112
XXXIV. Conunent par Pantagruel fut defaict le monstrueux
Physetere 114
TABLE DES MATIERES
525
CHAPITRES PAGES
XXXV. Comment Pantagruel descend en l'isle Farouche, ma-
noir antique des Andouilles 116
XXXVI. Comment, par les Andouilles farouches, est dressée
embuscade contre Pîmtagruel 118
XXXVII. Comment Pantagruel manda quérir les capitaines
Riflandouille et Tailleboudin ; avecques un notable
discours sur les noms propres des heux et des per-
sonnes 121
XXXVIII. Comment Andouilles ne sont,_à mespriser entre les
humains 125
XXXIX. Comment frère Jan se rallie avecques les cuisiniers pour
combattre les Andouilles 126
XL. Comment par frère Jan est dressée la Truye, et les preux
cuisiniers dedans enclous 128
XLI. Comment Pantagruel rompit les An/iouiUes aux genoulx 130
XLII. Comment Pantagruel parlemente avecques Niphleseth,
royne des AndouiUes 133
XLIII. Comment Pantagruel descendit en l'isle de Ruach 134
XLIV. Comment petites pluyes abattent les grands vents 137
XLV. Comment Pantagruel descendit en l'isle des Papefigues . 139
XLVI. Comment le petit diable feut trompé par un laboureur
de Papefiguiere , 142
XLVII. Comment le diable feut trompé par une vieille de Pape-
figuiere 145
XLVIII. Comment Pantagruel descendit enTisle des Papimanes . i 46
XLIX. Comment Homenaz, evesque des Papimanes, nous
monstra les uranopetes Decretales 149
L. Comment, par Homenaz, nous feut monstre l'arché-
type d'un Pape 152
LI. Menuzdevisdurantledipner.àlalouangedes Decretales. 154
LU. Continuation des miracles advenuz par les Decretales . 156
LUI. Comment, par la vertu des Decretales, est l'or subtile-
ment tiré de France en Rome 161
LIV. Comment Homenaz donna à Pantagruel des poires de
bon Christian 164
LV. Comment, en haulte mer, Pantagruel ouyt diverses pa-
roUes dégelées 166
LVI. Comment, entre les parolles gelées, Pantagruel trouva
des motz de gueule 168
LVII. Comment Pantagruel descendit on manoir de messere
Gaster, premier maistre es ars du monde i 70
LVIII. Comment, en la court du maistre ingénieux, Pantagruel
détesta les Engastrimythes et les' Gastrolatres i 73
LIX. ■ De la ridicule statue appelée Manduce, et comment et
quelles choses sacrifient les Gastrolatres à leur dieu
ventripotent 1 75
526
TABLK DES MATIERES
CHAMIFES PAGBS
LX. Comment, es jours maigres entrelardez, à leur Dieu
sacri&oient les Gastrolatres 178
LXI. Comment Gaster inventa les moyens d'avoir et con-
server Grain 180
LXII. Comment Gaster Lnventoit art et moyen de non estre
blessé ne touché par coups de Canon i .^ 3
LXIII. Comment, près de l'isle de Chaneph, Pantagruel som-
meiUoit, et les problèmes propousez à son réveil 1 86
LXIV. Comment, par Pantagruel, ne feut respondu aux pro-
blèmes propousez 180
LX\'. Comment Pantagruel haulse le temps avecques ses
domestiques 191
LX\^I. Comment, près l'isle de Ganabin, au commandement
de Pantagruel, feurent les Muses saluées 194
LXVII. Comment Panurge, par maie paour, se conchia, et du
grand chat Rodilardus pensoit que feust un Diable-
teau 1 96
Briefve Déclaration d'aucunes dictions plus obs-
cures COXTEXUES ON QUATRIESME LIVRE DES Fuicts
et Dicts héroïques de Pantagruel 201
LE CINOUIESME ET DERNIER LIVRE
IIL
IV.
V.
VI.
VII.
Le cinquiesme et dernier livre des faicts et dicts héroï-
ques du bon Pantagruel, composé par M. François
Rabelais, docteur en médecine, auquel est contenu la
Visitation de l'Oracle de la Dive Bacbuc,et le mot de
la Bouteille, pour lequels avoir est entreprins tout ce
long voyage :iouvellement mis en lumière 209
Épigramme :: 10
Prologue a II
Comment Pantagi-uel arriva en l'isle Sonnante et du
bruit qu'entendismes 217
Comment l'isle Sonnante avoit esté habitée par les
Siticines, lesquels estoyent devenus oiseaux 219
Comment en l' Isle Sonnante n'est qu'un Papegaut 221
Comment les oiseaux de l'isle Sonnante estoient tous
passagers 222
Comment les oiseaux gourmandexirs sont muets en
l'isle Sonnante 225
Comment les oiseaux de l'isle Sonnante sont alimentez . 226
Comment Panurge racompte à maistre Aeditue l'apolo-
gue du Roussiû et de L'Aine 228
TABLE DES MATIÈRES 527
OHAPlUiES PAGE3
VIII. Comment nous fut monstre Papegaut à grande diffi-
culté 233
IX. Comment descendismes en l'Isle des Ferremens 235
X. Comment Pantagruel aniva en l'Isle de Cassade 237
XI. Comment nous passasmes le guichet habité par Grippe-
minaud, archiduc des Chats-fourrez 239
XII. Coumaent par Grippeminaud nous fut proposé un.
énigme 242
XIII. Conxment Panurge expose l'énigme de Grippe-minaud . 244
XIV. Comment les Chats-fourrez vivent de corruption 246
XV. Comment frère Jean des Entommeures délibère mettre
à sac les Cliats-fourrez 248
XVI. Comment Pantagruel arriva en l'Isle des Apedeftes à
longs doigts et mains crochues, et des terribles adven-
tures et monstres qu'il y vit 252
XVII. Comment nous passasmes outre, et comment Panurge y
faillit d'estre tué 257
XVIII. Comment nostre nauf fut enquarrée et feusmes aidez
d'aucuns voyagiers, qui tenoient de la Quinte 259
XIX. Comment nous arrivasmes au Royaume de la Quinte
Essence, nommée Entelechie 262
XX. Comment la Quinte Essence guarissoit les maladies par
chansons 264
XXI. Comment la Royne passoit temps après disner 267
XXII. Comment les officiers de la Quinte diversement s'exer-
cent, et comment la dame nous retint en estât d'abs-
tracteurs 270
XXIII. Comment fut la Royne à soupper servie, et comment
elle mangeoit 273
XXIV. Comment fut, en la présence de la Quinte faict un bal
joyeux, en forme de Toumoy 275
XXV. Com.ment les trente deux personnages du bal combatent 278
XXVI. Comment nous descendismes en l'Isle d'Odes, en laquelle
les chemins cheminent 2S4
XX\'II. Comment passasmes en l'Isle des Esclots, et de l'ordre
des frères Fredons 286
XXVIII. Comment Panurge, interrogeant un frère Fredon,
n'eust response de luy qu'en monosillabes 291
XXIX. Comment l'institution de Quaresme desplaist à Epis-
temon 296
XXX. Comment nous visitasmes le pays de Satin 298
XXXI. Comment au pays de Satin nous veismes ouy-dire,
tenant escole de tesmoignerie 302
XXXII. Comment nous fut descouvert le païs de Lantemois .. . 305
XXXIII. Comment nous descendismes au port des Lichnobiens,
et entrasmes en Lantemois 306
528 TABLE DES MATIÈRES
CHAPITRES PAGES
X XXIIIfcisCorament feurent les dames Lanternes servies à soupper 308
XXXIV. Comment nous arrivasmes à l'oracle de la Bouteille ... . 313
XXXV. Comment nous descendismes soubs terre pour entrer au
temple de la Bouteille, et comment Chinon est la
première ville du inonde 315
XXXVI. Comment nous descendismes les degrez tetradiques, et
de la peur qu'eut Panurge 317
XXXVII. Comment les portes du temple par soy mesme admi-
rablement s'entr'ouvrirent 319
XXXVIII. Comment le pavé du temple estoit faict par emblema-
ture admirable 322
XXXIX. Conmient en l'ouvrage mosayque du temple estoit
représentée la bataille que Bacchus gagna contre
les Indians 323
XL. Comment en l'emblemature estoit figuré le hourt et
l'assaut que donnoit le bon Bacchus contre les
Indians 326
XLI. Comment le temple estoit esclairé par une lampe admi-
rable 328
XLII. Comment par la Pontife Bacbuc nous fut monstre
dedans le temple une fontaine fantastique 330
X LU I . Comment l'eau de la fontaine rendoit goust de vin, selon
l'imagination des beuveurs 335
XLIV. Comment Bacbuc accoustra Panurge pour avoir le mot
de la Bouteille 337
XLV. Comment la pontife Bacbuc présenta Panurge devant
ladicte Bouteille 339
XLVI. Comment Bacbuc interprète le mot de la Bouteille ... . 340
XLVII. Comment Panurge et les autres rithment par fureur poé-
tique 343
XLVIII. Comment, avoir prins congé de Bacbuc, délaissent
l'Oracle de la Bouteille 346
Addition au dernier chapitre 348
PaNTAGRUELINE FROGNOSTIC.-VTION pour l'an PERPE-
TUEL, par maistre Alcofribas 351
Au Hseur benivole 351
I. Du gouvernement et seigneur de ceste année 352
II. Des eccUpses de ceste année 353
III. Des maladies de ceste année 353
IV. Des fruictz et biens croissant de terre 354
V. De Testât d'aulcimes gens 354
VI. De Testât d'aulcuns pays 356
TABLE DES MATIERES 529
CHAPITRKS PAGES
VII. Des quatre saisons de l'année, et premièrement du
Printemps 357
VIII. De l'Esté 358
IX. De l'Autonue 358
X. Del'Hyver 358
La Sciomachie et festins faicts a rome, extraict d'une copie
des lettres escrites à mon seigneur le cardinal de Guise par
M. François Rabelais 360
Epistre de maistre François Rabellays à Jehan Bouchet 374
Epistre responsive dudict Bouchet audict Rabelais 377
Trois lettres de M. François Rabelais, transcriptes de Rome,
1535-1536 381
Lettre à M. le baillif du bailUf des baillifz, M. Maistre Antoyne Hul-
let 393
Lettre au cardinal duBellay 394
Epistola ad B. Salignacum 395
Epistola nuncupatoria epist. medicin. Manardi 396
Epistola nuncupatoria Aphorismorum Hippocratis 398
Epistola nuncupatoria ex reUquiis venerandœ antiquitatis 399
Epistola nuncupatoria topographie antiqua? Roms 400
De garo salsamento epigramma 402
Pièces attribuées a Rabelais 403
Epistre du Limosin de Pantagruel 403
Dizain 406
La Chresme philosophale 407
Fragment extrait du manuscrit du cinquième livre 408
Glossaire 409
FIN DE LA TABLE DES MATIÈRES
T. n.
34
PQ Rabelais, François
1682 Oeuvres ^
:46
1920
t. 2
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