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Full text of "Oeuvres completes de Chamfort"

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ŒUVRES 



COMPLÈTES 



DE CHAMFORT. 



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DE L'IltfPRlB([ER:I£ D^ FAIN. 






ŒUVRES 

COMPLÈTES 

DE CHAMFORT, 

DE L'ACADÉMIE FRANÇAISE. 



TROISIÈME ÉDITION. 



TOME SECOND. 



A PARIS, 

Chez Maradan, Libraire, rue des Grands-Augostios, N^ g. 

M. DCCC. xu. 



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MAXIMES ET PENSÉES. 



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CHAPITRE PREMIER. 

Maximes générales. 

JLes maximes , les aiiomes sont , ainsi que Içs abrégés y 
Touvrage des gens d'esprit, qui ont travaillé , ce semble, 
à l'usage des esprits médiocres ou paresseux. Le pares- 
seux s'accommode d'une maxime qui le dispense de 
faire lui-même les observations qui ont mené l'auteur 
de la maxime au résultat dont il fait part à son lecteur. 
Le paresseux et l'bomme médiocre se croient dispensé^ 
d'aller au delà, et donnent à la maxime une généralité 
que l'auteur, à moins qu'il ne soit lui-même médiocre; 
ce qui arrive quelquefois, n'a pas prétendu lui donner. 
L'homme supérieur saisit tout d'un coup les ressem- 
blances, les différences qui font que la maxime est plus 
ou moins applicable à tel on tel cas , ou ne l'est pas du 
tout. 11 en est de cela comme de l'histoire naturelle, où 
le désir de simplifier a imaginé les classes et les divisions. 
Il a fallu avoir de l'esprit pour les faire ; car il a fallu rap- 
procher et observer des rapports : mais le grand natu- 
raliste, l'homme de génie, voit que la nature prodigue 
des êtres individuellement différens, et voit l'insuffisance 
des divisions et des classes , qui sont d'un si grand usage 
aux esprits médiocres ou paresseux. On peut les asso^i 
cier : c'est souvent la même chose, c'est souvent la eaUsé 
et l'efiet. 

II. I 



2 MAX4MË5 £T i^ENS^ES. 

r— La. plupart des faiseurs de recueils de vers ou de 
boftts mots ressemblent à ceux qui mangent des cerises 
jÇtijL des huîtres 9 choisissant d'abord les meilleiires, et fi-* 
nissant par tout manger. 

— Ce secôit une chose curieuse qu'un livre qui îndi- 
queroit toutes les idées corruptrices de l'esprit humain , 
de la société , de la morale, et qui se trouvent dévelop- 
pées ou supposées dans les écrits les plus célèbres , dans 
les auteurs les plus consacrés ; les idées qui propagent 
la supersûtion religieuse , les mauvaises maximes poli- 
tiques, le despotisme, la vanité de rang, les préjugés 
populaires de toute espèce. On verroit que presque lous 
les livres sont des corrupteurs, que les meilleurs font 
{Presque autant de mal que de bien. 
^. —On ne cesse d'écrire sur l'éducation, et les ou- 
vrages écrils sur celte matière ont produit quelques 
idées heureuses, quelques m('thodes utiles ; ont fait, eu 
un mot, quelque bien partiel. Mais quelle peut être, eu 
grand , l'utilité de ces écrils, tant qu'on ne fera pas mar- 
cher de front les réformes relatives à la législation, à la 
religion, à l'opinion publique ? L'éduculion n'ayant 
d autre objet que de conformer la raison de l'enfance à 
la raison publique relativement à ces trpis objets ^ quelle 
instruction donner tant que ces trois objets se combat- 
tent ? En formant la raison de lenfance , que faites-vous 
que de la préparer à voir plus tôt l'absurdité des opinions 
et des mœurs consacrées par le sceau de l'autorité sacrée^ 
publique, ou légi^ative^ par consécjuent, à lui en inspi- 
rer le. méprisjj? 

-« C'est une source de plabir et de philosophie d^ 



MAXIMES ET PENSÉES. 5 

fùre Fanalise des idées qui entrent dans les divers juge<« 
mens que portent tel ou tel homme , telle ou telle socié- 
té. L'examen des idées qui déterminent telle ou telle 
opinion publique, n'est pas moins intéressant , et Test 
souvent davantage. 

— Il en est de la civilisation comme de la cuisine. 
Quand on. voit sur une table des mets légers, sains et 
bien préparés , on est fort aise que la cuisine soit deve- 
nue une science ; mais quand on y voit des jus, des cou« 
lis , des pâtés de truffes , on maudit les cuisiniers et leur 
art funeste : à Tapplication. 

— L'homme, dans Fétat actuel de la société, me pa* 
rott plus corrompu par sa raison que par ses passions* 
Ses passions ( j'entends ici celles qui appartiennent à 
l'homme primitif) ont conservé, dans l'ordre social, Im 
peu de nature qu'on y retrouve encore. 

-"— La société n'est pas, comme on le croit d'ordinaire, 
le dévdoppement de la nature, mais bien sa décompo- 
sition et sa refonte entière. C'est un second édifice , bâti 
avec les décombres cjlu premier. On en retrouve les dé^ 
bris avec un plaisir mêlé de surprise. C'est celui qu'oc- 
casionne l'expression naïve d'un sentiment naturel qui 
échappe dans la société ; il arrive même qu'il plaît da- 
vantage , si la personne à laquelle il échappe est d'un 
rang plus élevé, c'est-à-dire , plus loin de la nature, 
n charme dans un roi, parce qu'un roi est dans l'extré- 
mité opposée. C'est un débris d'ancienne architecture 
dorique ou corinthienne, dans un édifice grossier et 
moderne. 

-*- En général ^ si la société n'étoit pas une compo* 



4 MAXIMES ET PENSÉES. 

silion factice, tout sedlinient ^mplèctvrai ne produî- 
Toitpasle grand efïët qu'il produit : il plairoitsans éton- 
ner ; mais ît étonne et il plaît. Notre surprise est la 
isatire x]e la société , ^ notre plaisir est un hommage à 
la nature. 

— Les fripons ont toujours im peu besoin de leur 
lionneur , a peu près comme les espions de police, qui 
5ont payés moins cher quand ils voient moins bonne 
compagnie. 

— Un homme du peuple , un mendiant , peut se lais- 
ser mépriser, sans donner Fidée d'un homme yil, si le 
mépris ne parott s'adresser qu'à son extérieur : mais ce 
tpême mendiant, <\\À laisseroit insulter sa conscience, 
fût-ce par le premier souverain de l'Europe , devient 
alors aussi vil par sa personne que par son état. 

— Il faut convenir qu'il est impossible de vivre dans 
le monde , sans jouer de temps en temps la comédie, 
de qui distingue l'honnête homme du fripon , c'est de 
ne la jouer que dans les cas forcés, et pour échapper 
:au péril ; au lieu que l'autre va au-devant des occasions. 

— On fait quelquefois dans le monde un nôsonne- 
ment bien étrange. On dit à un homxne, en voulant ré- 
cuser son témœgnage en faveur d'un autre homme : 
C'est votre ami. Eh ! morbleii , c'est mon ami , parce 
tjue le bien que j'en dis est vrai, parce qu'il est tel que 
je le peins. Vous prenez la cause pour l'effet, et l'effet 
pour la cause. Pourquoi supposez-vous que j'en dis du 
bien , parce qu'U-est mon ami ; et pourqum nesupposez* 
vous pas plutôt qu'il est mon ami, parce qu'il y a du 
i>ien à en dire ? 



MAXIMES ET? P1£NSÉE§. 5 

— B J a deux clasëes de moralistes et de pc^lti* 
ques : ceux qui n ont vu la natuce humaine que da 
côté odieiis ou ridicule , et c est le plus grand nombre ^ 
Lucien , Moïitaigne , Labmyère^ Larochefbucaut^ 
Swiû, Mandeville ^ Helvétius , etc. :xeux qui ne llpot 
vue que du beau côté et dans se^ perfections; tels 
sont Sbaftersbury et quelques autres. Les premiers ne 
connoissent pas le palais dont ils n ont vu que les la- 
trines , les seconds, sont des enthousiastes qui détour* 
nent leurs yeux loiu de ce qui les offense , et qui a'ea 
existe pas moins. Est in me(fi€h pçvurp.^ ., 

— Veut-oiji avoir la preuve de la parfaite inutilité.de 
tous les livres de. morale , de sermons, etc.; il ny.a.qu'à 
jeter les yeijx sur le préjugé :de la noblesse héœditaire». 
Y a-t-il un travers contre lequel les philosophes,, les. 
orateurs , les poëtes ^. aient lancé plus de traits, satiri- 
ques , qui ait plus exercé les esprits de toute espèce , 
qui ait fait naître plus, de sarcasmes? cela act-il fait 
tomber les présentations ^.k fantaisie de monter dans 
le§ carrosses? cela a-t-il fait supprimer la p]ace^d^ 
Cherin ? - . .... , 

— Au théâtre , on vise J^ leffet; maïs ce qui dls-^ 
tingue le bon et Je mauvais poëte 9 c'est que le prepiier. 
veut faire effet par des moyens raisonnables-, et, pour 
le second , tous les moyens .so»t excellens. U en est 
de cela comme .des honnête^ gens et des fripons ^ qui 
veulent également faire fortunie i les premiers, n'em-, 
ploient que des moyens honnêtes , et les autres toutes, 
sortes de moyens. , , . 

-— ' La philosophie, ainsi que Lt médecine y a l^au- 



6 MAXIMES ET PENSÉES. 

coup dé drogues , très-peu de bons remèdes , et presque 
{)omt de spécifiques* 

— • On compte environ cent cinquante millions 
d'âmes en Europe , le double en Afrique , plus du 
triple en Asie ; en admettant que l'Amérique et les 
Terres Australes n'en contiendroient que la moitié dé 
ce que donne notre hémisphère , on peut assurer qu'il 
ineurt tous les jours , sur notre globe ^ plus de cent 
mille hommes. Un homme qui n'auroit vécu que trente 
ans 9 auroit échappé environ mille quatre cents fdis à 
cette épouvantable destruction. 

— J'ai vu des hommes qui n'étoient doués que 
d'une raison simple et drcnte, sans une grande étendue 
ni sans beaucoup d'élévation d'esprit ; et cette raison 
simple avoit suffi pour leur faire mettre à leur place 
tes vanités et les sottises humaines , pour leur donner 
le sentiment de leur dignité personnelle , leur faire 
apprécier ce même sentiment dans autrui. J'ai vu des 
iS^mmes à peu près dans le même cas, qu'un senti* 
soient vr4 9 éprouvé de bonne heure , avoit mises au 
niveau des mêmes idées. Il suit de ces deux observa- 
VJtftis que ceux qui mettent un grand prix à ces vanités ^ 
à ces attises humsâties , sont de la dernière classe de 
notre espèce. 

— Cdui qui ne Sait point recourir à pircipos à la plai- 
santerie , et qui manque de souplesse dans l'esprit , se 
trouve très-souvent placé entre la nécessité d'être faux 
du d'être pédant : alternative fâcheuse à laquelle un 
honnête homme se soustrait , pour l'ordinaire , par de 
la gréée et de la gatté. 



MAXIMES ET PENSÉES. j 

•—Souvent une opinion , une couiurae commence 
à paroître absurde dans la première jeunesse, et en 
avançant dans la vie , on en trouve la raison : elle pa- 
roît moins absurde. En fàudroit-il conclure que de 
certaines coutumes sont moins ridicules? On seroit 
porté à penser quelquefois qu elles ont été établies par 
des gens qui avoient lu le livre entier de la vie , el 
qu'elles sont jugées par des gens qui , myalgré leur esprit , 
nen ont lu que quelques pages. 

— U semble que , d'après les idées reçues dans le 
monde et la décence sociale, il faut qu'un prêtre, un. 
curé croie un peu pour n'être pas hypocrite , ne soit pas 
sài* de son fait pour n'être pas intolérant. Le grand* 
vicaire peut sourire à un propos contre la religion, 
Pévêque rire toui-à-fait , le cardinal y joindiré son 
mot. 

— La plupart des nobles rappellent leurs ancêtres ^ 
a peu près comme v&n Cicérone dlt^lie rappelle Ci-^ 
cérôn. . 

— J'ai lu , daqs je fte sais quel voyagjBurj^cpç certains, 
sauvages de TAfriqa^ proieut à rimmoi:t2ji^^ 4^ V43^^« 
Sans prétendre ei^pliq^er ce qu'elle^ ^^vie^t , i)$ 1% 
croient errante , après la moFt> dans les bi:Qm$$ailJ!e8ti(|in 
environnent leurs boui^gade&,r et ta cfaecchent pliisieur& 
matinées de ^uîte* Ne la trouvant pas^ 'ib^ abandon*- 
i^ent cette recfa^ché, et n'y pensetit plps; d'est à peu 
près ce <fue nos' phildèojphes ont fait, et avoient de 
meilletir à faire. i" > 

• - « ■ • 

--« II faut quSin honnête^ homine ait Tiéàtiiiie publia 



8 MAXIMES ET PENSÉES. 

que sans y avoir pensé , et , pour" ainsi dire , malgré lui* 
Celui qui la cherchée , donne sa mesure . 

• — C'est une belle allégorie ^ dans la Bible , que cet 
arbre de la science du bien et du mal qui produit la 
mort. Cet emblème ne veut-il pas dire que , lorsqu ou 
a pénétré le fond des choses^ la perte des illusk^ns 
amené la ihort de 1 ame , c'est-^à-dire , un désinlére^se- 
ment complet sur tout ce qui touche et occupe les au- 
tres hommes ? 

' 7- H faut qu'il y ait de tout dans Iç monde; il faut 
que, même dans les combinaisons factices du système 
social , il se tnouye des hommes qui opposent la nature 
à la société^ la vérité* à Topinion,. la réalité à la ch()se 
convenue. C est un genre d'esprit et de caractère fort 
piquant, et dont Tempire se fait sentir plus souvent 
qu'on ne croit. Il y a des gens à qui on n'a besoin que 
de présenter le vrai, pour qu'ils y courent avec uoe sur- 
prise naïve et intéressante. Ils s'éldnnent qu une chose 
frappante (^and on sait la rendre telle) leur ail échappé 
jusqu'alors. 

-^Ori^croit le sourd ibalHiefnrédx dans là "société. 
N'est-ce pas un jugement pronobëé par l'amotir-prdpre 

• ■ ■ « 

dé la société, ^ui dit : Cet hôiliU)^-)là>n'e!^t-il pà3 trOp à 
plaindre de n'entendre pas ce' (fié nous disons ? • ^ 

— La peneée' con^e de . tout , < et remédie à tout. Si 
quelquefois ' elle vous fait du:mal,'d9iBâi|d9h-luiJj9 re- 
mède du mal qu'elle vous a fai)^ e>,6[lle yofi^ Iq^poiçra, 

— Il y ^ , on jae peut le, ijij^^, quelques sr^uids, ca- 
ractères dans l'histoire moderne; et oa ne peiiUcom^ 
prendre çomiaen^t ik se soijt fçjrpé^,: ils , y/semblent 



MAXIMES ET PENSÉES. ^ 

domine déplacés 3 ils y sont comme des» cariatides daii^. 
un enlre-sol., : . , ., 

— La meilleure philosophie, relativement au monde, 
est d'allier ) à squ égard, le sarcasme 4^ la gaîté^ ^veo; 
Imdulgence du m^^. 

— - Je ne suis pas plus étonné de voir un homme far 
tigué de la gloire , que je ne le suis d'en voir un autre 
importuné du bruit qu on fait dans spn antichambre.' , 

— J'ai vu,;dans le monde', qu'on sacrifîoit sap^^sse^ 
l'estime des honnêtes gens à la considération ,. et le re^os . 
à la célébrité. • • 'î î ». 

, — Une forte preuve de l'existence de Dieu , selon 
Dorilas, c'est J'existence de fhomme^ de Fhomme par» 
excellence, dans le sens le moins susceptible d'équivo- 
que , dans le sens le plus exact , et, par conséquent ,; ua 
peu circonscrit;^ en un mot, de l'homme de quarté*. 
C'est le chef-d'oeuvre de la providence, ou plulot .le 
seul ouvrage immédiat de ses- ma^ns. Mais on prétend-y> 
çn çis^ire ^qu'il existe des étr^ jd'une ressemblance pair- 
faite avec tîelf Ire privilégié. E)|orilas a dit : Est-il Vjçai ?. 
quoi! même figure, merne conformation extérieure !. 
Eh bien , l'existence de ces individus, de ces hommes, 
puisqu'on les appeHe ainsi , qu il a niée autrefois , ^qu'il 
a vue , à sa grande surprise , reconnue par plusieurs de, 
ses égaux*, que par cette raison s<qule il ne nie plusibr« 
inellement, sur laquelle il n'a plus que des nuages^ 
4es doutes ^p pardonnables, tçut-à-fait involontaires^ 
contre laquelle il se contente, d^.prptester i^in^plemei).! 
par;,des hauteurs, par l'oubU des.ljiienséaqces,^ /ou paç 
des bontés dédaigneuses y l'existence de tous ceii êt^^ 



10 MAXIMES ET PENSÉES. 

saos doute mal dâink , qu^en fera-t-il , comment Yex^ 
pliquera-t-il ? Comment accorder ce pheDomène avecr 
sà théorie? Dans quel système physique^ mëtapbyd- 
que 9 ou> 8;'il le feut, mytfaol'ogique , ira-t-il chercher la 
solution de ce problème ? Il réfléchit , il rêve, il est de 
bonne foi ; l'objection est spécieuse ; il eh est ébranlé. 

11 ade Tesprit , des connoissances^ il va trouver le mot 
de Ténigme *, il Ta trouvé, il le tient ; la joie brille dana 
ses yeux. Silence. On connott , dans la théologie per- 
sanxie, la doctrine des deux principes, celui du bien' 
et celui du mal. Eh quoi ! vous ne saisissez pas? Riea 
de plus simple. Le génie, les talens, les vertus, sont 
des inventions du mauvais principe, d'Orimane, du 
Diable , pour mettre en évidence , pour produire au 
grand jour eertaîns misérables , plébéiens reconnus ^ 
vrais roturiers, ou à peine gentilshommes. 

— Combien de militsdres distingués, combien d'oflS- 
<âers généraux sont morts , sans avoir transmis leurs 
noms à la postérité : en cela moins heureut que Bucé*' 
phale, et même que le dogue espagnol Bérécillo , qui 
dévoroit les Indiens de Saint-Domingue , et qui avoit 
la paie de trois soldats ! 

— On souhaite la paresse d'un méchant et le silence 
d'un sot. 

-»— Ce qui explique le mieux comment le malhonnête 
honime, et quelquefois même le sot, réussissent pres- 
que toujours mieux dans le monde 'que l'honnête 
Iiômme et que Thomme d'esprit , à faire leur chemin ^ 
c'est iquc le tnalhonnête homme et le sot ont moins de 
peine àrse mettre aa courant et au ton du monde , qui^ 



MAXIMES ET PENSÉES. tt 

engendrai, n^est que mâlhoDnételë et sottise; au lieu 
qae Thoniiéte homme et Fhomme sensé , ne ponvant 
pas entrer sitôt en commerce avec le monde , perdent 
un temps précieux pour la fortune. Les uns sont des 
marchands qui , sachant la langue du pays , vendent et 
s'approvisionnent tout 'de- suite ; tandis que les autrefll 
sont obligés d'apprendre la langue de leurs vendeurs et 
dé leurs chalands, avant que d'exposer leu^ marcfaan* 
dise , et d'entrer en traité avec eux : souvent même ib 
d^aîgnent d'apprendre cette langue, et alors ils s'en 
retournent sans étrennèr. 

— Il y a une prudence supérieure ii celle qu'on qua- 
lifie ordinairement de ce nom : l'une est la prudence 
de Faigle , et l'autre celle des taupes. La première con* 
sîste à suivre hardiment son caractère , en acceptait 
avec cdurage leâ désavantagea et lés inconvéniens qu^il 
petit produire. ' 

— Pour parvenir 1i pardonner à la raison le mal 
qn^elle ' fait à la plupart des hommes , on a besoin tlé 
considérer ce que ce sérblfnque l'homme ^ns sa raison» 
Cétoit nh mal nécessaif*e. 

— Il y a des sottises bien habillées , comme il y a des 
ix)ts très*bien vêtus. * 

—*- Si Ton iavoit dît à Adam , le lendemain de la mort 
d* Abel , que dans quelques siècles il y àtnrtAt des endroits 
"où, dans rencéînie de quatre liéUes carrées , se trouve* 
roient réunis et amoncelés sept ôu huit cent milte 
hommes , auroit-il cru que ces muUitudes {dussent ja- 
mais vivre ensemble? Ne se seroit-îl pas iaitune idée 
«ncore plus affreuse de ce qui< s'y ieànaâxet de crimes ei 



tit MAXIMES ET PENSÉES. 

de moDStFUpsitës? Cest la réflexion qu'il faut faire pour 
fie consoler des abus attachés à ces étonnantes réunions 
d'hommes. 

-— Les prétentions sont une source de peines , et l'é- 
poque du bonheur de la vie commence au moment où 
elles finissent. Une femme est-elle encore jolie au mo- 
ment où sa beauté baisse? ses prétentions la rendent ou 
ridicule ou malheureuse : dix ans après , plus laide et 
!i^ieille, elle est calme et trapquille. Un homme est dans 
l'âge, où l'on peut réussir et ne;p9S réussir auprès des 
femmes; il s'expose à des incony^niens , 6t même à des 
affronts : il devient nul ^ dès. lors plus d'incertitude , et 
il est tranquille. En tout,, Iq mal yî^nt de ce que les 
idées ne sont pas fixes et arrêtées : il vaut mieux être 
moins , et être ce qu'on e$t incontestablement. L'état 
des ducs et pairs ^ bien constaté , yaut mieux que celui 
des princes étrangers, qui ont à lutter sans cesse pour la 
prééminence. Si Chapelain eût pris le parti que- lui con* 
seilloit Boileau , par le fameui:. hémistiche : Que n* écrit" 
il en prose? 'A se fût épargpé bien des tourmens, et 
se fiit peut-être fait un nom^ autrement que par le 
ridicule. , , . ■ , 

— N'as-tu pas honte de vouloir parler mieux ,que tu 
ne peux ? disoit Sénèque à l'un de ses fils , qui ne pou- 
voit trouver l'exorde d'une harangue qu'il ayoit cqm* 
mencée. On pourroit dire de même à ceux qui adoptent 
des principes plus forts que leur caractère : N'as - lu pas 
honte de vouloir être philosophe plus que tu ne peux ? 

— - La plupart des hommes qui vivent dans le monde, 
y vivent si étourdiment ^ pensent si peu, qu'ils ne cou-- 



MAXIMES ET PENSÉES. iS 

Bcnssent pas ce moncle qu'ils ont toujours sous les yeux. 
Us ne le connoissent pas , disoit plaisamment M. de B. , 
par la raison qui fait que les hannetons ne saveqt pas 
rhistoire naturelle. 

— En voyant Bacon ^ dans le commencement du sei- 
zième siècle , in^quer à Tesprit humain ta marche qu'il 
doit suivre pour reconstruire 1 édifice des sciences , oa 
cesse presque d'admirer les grands hommes qui lui ont 
succédé, tels que Boile, Loke, etc. Il leur distribue d'a- 
vance le terrain qu'ils ont à défricher ou à conquérir* 
C'est César , maître du monde après la victoire de Phar- 
sale , donnant des royaumes et des provinces à ses parti- 
sans ou à ses favoris. 

— Notre raison nous rend quelquefois aussi malheu- 
reux que nos passions ; et on peut dire de l'homme , 
quand il est dans ce cas , que c'est un malade empcÂ- 
sonné par son médecin. 

— Le moment où l'on perd les illusions , les passions 
de la jeunesse, laisse souvent des regrets; mais quelque* 
fois on hait le prestige qui nous a trompés. C'est 
Armide qui brûle et détruit le palais où elle fut en- 
chantée. 

— Les médecins et le commun des hommes ne 
voient pas plus clair les uns que les autres dans les ma- 
ladies et dans l'intérieur du corps humain. Ce sont tous 
des aveugles; mais les médecins sont des quinze-vingts 
qui connoissent mieux les rues, et qui se tirent mieux 
d'affaire. 

— Vous demandez comment on fait fortune. Voyez 
ce qui se passe au parterre d'un spectacle, le jour où il 



/ 



Î4 MAXIMES ET PENSÉES. 

j a fotile; comme les uns restent en arrière, comme lei 
premiers reculent , conime les derniers sont portés en 
ayant. Cette image est si juste que le mot qui l'exprime 
a passé dans le langage du peuple. Il appelle faire for-* 
tune , se pousser. Mon fils , mon neveu se poussera. 
Les honnêtes gens disent, «'a^o/zc^r^ avancer, arri-^ 
ver, termes adoucis , qui écartent Tidée accessoire de 
fbrce, de yiolence, de grossièreté \ mais qui laissent sub- 
sister ridée principale. 

— Le monde physique paroit l'ouvrage d'un être 
puissant et bon, qui a été obligé d'abandonner à un être 
malfaisant l'exécution d'une partie de son plan. Mais le 
xnopde moral paroît être le produit des caprices d'un 
diaUe devenu fou. 

— Ceux qui ne donnent que leur parole pour ga- 
rant d'uûe assertion qui reçoit sa force de ses preu- 
ves , ressemblent à cet homme qui disoit : J'ai l'hon- 
tieur de vous assurer que la terre tourne autour du 
soleil. 

— Dans les grandes choses , les hommes se montrent 
conmie il leur convient de se niioûtrer; dans les petites^ 
ils se montrent comme ils sont. 

— Qu'est-ce qu'un philosophe? Cest un homme 
qui oppose la nature à la loi, la raison à l'usage, sa coiis- 
eîence à l'opinion , et son jugement à l'erreur. 

•— Un sot qui a un moment d'esffrît, étonne et scan* 
iSiâise , ^eomme des chevaux de fiacre au galop. 

^-— Ne tenir dans la main de personne, être X homme 
tle èdn cœur y de ses principes, da ses sentimens : c'est 
te e(ue j'ai yu de plus rare. 



MAXIMES J^T BENSÉESc l5 

. — Au lieu de youloir corriger les hommes de eer- 
tains travers insupportables à la soâëté, il auroit fallu 
corriger la foiblesse de ceux qui lès souffrent. 

— - Les trois quarts des folies ne sont que des sot* 
tises. 

— ^ L'o{»nion est la r^ne du monde , parce que la sot* 
tise est la reine des sots. 

— Il faut savoir faire les sottises que nous demanda 
notre caractère. 

— L'importance sans mérite obtient des ^[ards sans 
estime. 

-— Grands et petits, on a beau faire, il faut toujours 
se dire comme le fiacre aux courtisanes dans le moulift , 
de Javelle : Voub autres et nous autres ^ nous ne 
pouvons nous passer les uns ties autres* 
. — Quelqu'un disoit que la providence étoit ie nom 
de bapiéme du hasard : quelque dévot dira que le ha^^ 
lard est un sobriquet de la providence. 

— Il y a peu d'hommes qui se permettent un usage 
vigoureux et intrépide de leur raison, et osent l'appli^^ 
quer à tous les objets dans toute sa force. Le temps est 
venu où il faut l'appliquer ainsi à tous les objets de la 
morale, de la politique et de la société; aux rois, aut 
ministres, aux grands, aux philosophes; aux principes 
des sciences^, des beaux-arts, etc. : sans quoi, oa restera 
dans la médiocrité. 

— Il y a des hommes qui ont besoin de primer, de 
s'élever au-dessus des autres, à quelque prix que ce 
puisse être. Tout leiirest égal, |>ourvu qu'ils soient en 
évidence sur des tréteaux decharlatan ; sur uu tfaéatret 



l6 MAXIMES ET PENSÉES. 

ua trône, un échafaud, ils seront toujours }Ma , s'ils at- 
tirent les yeux. 

— Les hommes deiviennent petits en se rassemblant : 
ce sont les diables de Milton , obligés de se rendre pyg- 
mées, pour entrer dans le Pandaemonion. 

— On anéantit son propre caractère dans la crainte 
d'attirer les regards et lattention , et on se précipite 
dans la nullité , pour échapper au danger d'être peint. 

— Les fléaux physiques et les calamités de la nature 
humaine ont rendu la société nécessaire. La société a 
ajouté aux malheurs de la nature. Les inconvéniens de 
la société ont amené la nécessité du gouvernement , et 
le gouvernement ajoute aux malheurs de la société. 
lYoilà l'histoire de la nature humaine. 

-—L'ambition prend aux petites âmes plus facile^ 
ment qu'aux grandes , comme le feu prend plus aisé- 
ment à la paille , aux chaumières qu'aux palais. 

— L'homme vit souvent avec lui-même , et il a be- 
soin • de vertu ] û vit avec les autres , et il a besoin 
d'honneur. 

y ■ — La fable de Tantale n'a presque jamais servi 
d'emblème qu'à l'avarice $ mais elle est , pour le moins, 
autant celui de l'ambition , de l'amour de la gloire , 
de presque toutes les passions. 

— La nature , en faisant nsdtre à la fois la raison et 
les passions , semble avoir voulu , par le second pré- 
sent , aider l'homme à s'étourdir sur le mal qu'elle lui 

, a fait par le premier, et , en ne le laissant vivre que 
peu. d'années après la perle de ses passions, semble 
prendre pitié de lui , en le délivrant bientôt d'une vie 



ÎÉÀXlSlÈS Et <>ÈNSÉÈ8. tf 

<fâi lé déduit à sa raîsoa pour toute tesSource« 

— Toutes les passions sont exagératrices^ et elles ne 
sont dés passions que parce qu^elles exagèrent. 

-*- Le philosophe qui veut éteindre ses passions > 
ressemble au chihiiste qui voudroit éteindre son fed. 

— Le premier des dons de la nature est cette force 
de raison qui vous élève au-^dessus de vos propres pas- 
sions et de vos foiblesses , et qui vous fait gouvernéf 
Vos qualités mêmes > vos talens et vos vertus, 

— • Pourquoi les hommes sont-ils si sots , si ^pbjii-^ 
gués pai* la coutume ou par la crainte de faire un le^ 
tament ; en un mot , si imbécilles ^ qu'après eut ik 
laissent aller leurs biens à ceux qui rient de leur mJûiét 
plixtôi qu'à céut qui la pleurent ? 

— La ùature a voulu que les illusions fbs^ent poW* 
lès sages comme pour les fous , afin que les premiéiis 
ne fiissent pas trop malheureux par le'ut^ propre é^h 
gesse. 

— A voir là manière dont on en ùsè ëiivérà les riiét^* 
lades dans les hôpitaux, on diroit que les faoïhnûL^'btft 
imaginé ces tristes asiles , non pour soigner les mala'» 
dés , mais poiir les soustraire aux regards des heurëMc 
dont ces infortunés troubleroient les jouissances. 

— De nos jours , ceux qui aiment la nature sont 
accusés d'être romanesques. 

— Le théâtre tragique a le grand inconvénient ttiô- 
rai de mettre trop dimporiance à la vie et à la mort» 

-*- La plus perdue de toutes les journées est ccSie 
où l'on n'a pas ri. 

'-^ La plupart des folies ne viennent que de sottise* 
IL a 



l8 MAXIMES ET PENSÉES. 

-T- On fausse son esprit, sa conscience',^ sa raison , 
comme on gale son estomac. 

— Les lois du secret et du dépôt sont les mêmes. 

— L'esprit n'est souvent au cœur que ce que la bi- 
bUothéque d'un cbâipâu est à. la personne du maître. 

-^ Ce que les poêles , les orateurs , même quelques 
philosophes nous disent sur Famour de la gloire, on 
nous le disoit au collège pour nous encourager à avoir 
les prix. Ce que Ton dit aux enfans pour les engager 
à préférer à iUne tartelette les louanges de leurs bonnes, 
c'est ce qu'on répète aux hommes pour leur faire pré- 
férer à un intérêt personnel les éloges de leurs con- 
temporains ou de la postérité. 

— Quand on veut devenir philosophe , il ne faut pas 
se rebuter des pçeraiéres découvertes affligeantes qu'on 
fait dans la connoissance des hommes. Il faut , pour 
les connoîlre , triompher du mécontentement qu'ils 
donnent , comme l'anatomiste triomphe de la nature , 
d|e ses organes et de son dégoût , pour devenir habile 
dans son art. , 

1 

•— En apprenant à connoitre les maux de Ja nature , 
pn méprise la mort -, en apprenant à. connoitre ceux 
de la société >, on méprise la vie. 

—«Il en est.de la valeur des hommes comme de 
celle des diamans , qui , à une certaine mesure de 
grosseiTr , de pureté, de perfection^. ont un prix fixe 
et u.iarqi;ié,^.jnais qui, par-delà cette mesure., res- 
tent sans prix, et; ne ti^ouvent point d'acheteurs. 



MAXIMES ET PENSÉES. 19 



r • 



^^^^<^^^^^^^^0s m 



CHAPITRE ir. 
i Suite des Maximes générales. 

En France , tout le monde 'parott avoir de Tesprit , 
et la raison en est simple : comme tout y est une suite 
de contradictions , la plus légère attention possible 
suffit pour les faire remarquer, et rapprocher deux 
choses conti^dictoires. Cela fait des contrastes tout 
naturels , qui donnent à celui qui s'en avise Tair d'un 
homme qui a beaucoup d'esprit. Raconter , c'est faire 
des grotesques. Un simple nouvelliste devient un bon 
plaisant, comme l'historien un jour aura l'air d'un 
auteur satirique. 

— Le public ne croit poiqt à Ja pureté de certaines 
vertus et de certains séritimens^ et, en général, le 
public ne peut guère s'élever qu'à des ùlées basses. 

— Il n'y a pas d'homme qui puisse être , à lui tout 
seul , aussi méprisable qu'un corps. 11 n'y a point de 
corps qui puisse être aussi méprisable que le public. . 

— Il y a des siècles où l'opinion, publique est fa 
plus mauvaise des opinions. 

— L'espérance n'est qu'un charlatan qui nous trom- 
pe sans cesse ^ et, pour moi, le bonheur n'a commencé 
que lorsque je Tai eu perdue. Je mettrois volontiers 
sur la porte du paradis le vers que le Dailte a mis sur 
celle de l'enfer: 



itt» ..>•• i.fii 



l^asçiate qgrd.ispqf^^;(V^ y4»,ç^'€ntra($. 



ao MAXIMEà ±T PElSSÉÉS. 

— L'homme pauvre, mais indépendant des hommes, 
n'est qu'aux ordres de la nécessité. L'homme riche , 
mais dépendant , est aux ordres d'un autre homme ou 
de plusieurs. 

— L'ambitieux qui a manqué son objet , et qui vit 
dans le désespoir, me rappelle Ixion mis sur. la roue 
pour avoir embrassé un nuage. 

— Il y a , entre l'homme d^esprît , méchant par ca- 
râclère , et l'homme d'esprit , bon et honnête , la (fiflfé- 
fence qui se trouve entre un assassin et un hommiè du 
inonde qui tait bien des armes. 

— Qu'importe de paroître avoir moins de foiblesse^ 
qu'un autre , et donner aux hommes moins de prises 
sur vous ? 11 sufnt qu'il y eri ait une , et qu elle soit 
connue, lï ifaudroit être un Achille sans tàton y et 
c'est ce qui paroit impossible. 

. — r Telle est la misérable cônoiliou des hommes, qu'il 
lëuf^àut Chercher, oans la société, dés consolations 
aux mâux de la nature \ et , dans la nature , des conso- 
làtions aux maux de la société. Combien d'hommes 
ii'ont trouvé , ni dans l'une ni dans l'autre , des distrac- 
tions à leurs peines ! 

— La préleiïtion la pliis inique et la plus absurde ça 
matière d'intérêt , qui .seroit condamnée avec mépris , 
comîhe insoutenable , ()ans line société d'honnêtes gens 
choisis jpoùr arbitres , faites- en la matière d'un procès 
en justice réglée. Tout procès f)eùt se perdre ou se ga- 
gner , et il n y a pas plds à paner pour que contre :. de 
même, toute opinion, toute assertion, quelque ridi- 
cule qu'elle soit, Êiitëi$-i6tii .b 1!ii&tiéi« If un débat entre 



MAXIMES ET PENSÉES. ai 

des partis dijSerens : dam up corps, 4ans une a^mhlée^ 
elle peut emporter la pluriilité d^$ suffr^es. 

— C'est une vérité recQt^xmfiçpxç QQtT^ fi^ède a re^ 
mis les mots à letir place -, qu'en b^ûui^swjt )^ ^i;|btUit^ 
scolastiques, dialecticiennes, métaphysique^, il pst rçr 
venu au^mpie et au. vrai, eâ physique» en mpf^e et 
en.|)olitique. Pour ne parler qïie df^ piorale, on sçut 
combien ce mot , ï honneur ^ renferme d'ic^es qoiq- 
pleves et)métapliy«que8. Notre $îèçle en a ^^û les in- 
x2onYéniens;<et ^ pour ramener toutou sin)p\e,.pour 
prévenir tbat abus de mots, il a jéj^hli que V /içtix^efir 
itetifiit dans 3on intégrité à iQUt l^ooMue qui |i'|tvoit 
point été repris de justice. Ai:itr^oi$ oe mot éto^t unç 
source d'équivoques et de QQiite9t9ÙQQ$ ; fi présent, 
lien de plusxilair, .U^bpmme.a-tn|l été rm au q^rcaa, 
n'y a-t-il pas été mis? voilà ll&é^d^h question. Ç'-çpt 
4me simple quèsttaa de fuki <im ^'écl^ircit facilement 
par les' registres du f;pefie. .Un bopame n'a pas été mi^ 
au carcan : c'est tm homi^e^l'hoîifLeur, qui peut préiep- 
dve à toiat , aut plaoes ^ cninistere , etc. ; il entre dans 
ies corps^ dans les académies, dans lés cQurs souve-* 
raînes^OnsentJcàmbifBi l^nfitbeté et la précision éparr 
gnent de xjuérdies ;et de discussions, et combien 1^ 
commerce de la vie devient commode et facile. 

-r- L'amour de Ja gloire , unte vertu ! Etrange vertu 
fjue cdle qui se fait aider p^ l'action dé tous les vicçis ; 
qui reçoit pour stimulans l'orgueil , l'ambition , l'çnvie , 
Ja vanité ^quelquefcHS l'avarice même! Titus seroit-il 
Titus, S'il avoit eu pour ministres Séjan , Narcisse et 
Tijgellin? 



22 MAXIMES ET PENSÉES. 

' — La gloire met souvent un honnête hoimne aux 
mêmes épreu^;^ que la fortune ; c'est-à-dire , que l'une 
et l'autre l'obligent , ayant de le laisser parvenir jusqu'à 
elles ^ à faire ou souffrir des choses indignes de son ca- 
ractère. L'homme intrépidement vertueux les repousse 
alors paiement Tune et l'autre, et s'enveloppe ou; dans 
l'obscurité ou dans l'infortune, et quelquefois dans 
l'une et dans l'autre. . i 

-^ Celui qui est Juste ati milieu entre ïiotre ennemi 
et nous, nousparoit être plus voisin de notre ennemie 
c'est un effet des lois de l'optique , comme celui par* le^ 
quel le jet d'eau d'un bassin parott moins éloigné de 
ïàùlre bord que de celui où vous êtes. • • .. • 

— L'opinion publique est uiie juridiction que l'hoir» 
iuéte homme ne doit jamais reconQoitre parfaitement , et 
qu'il ne doit jamais décliner, . - * \ - 

— Vain veut dire vide-, ainsi la vanité çst si miséra- 
ble, qu'on ne peut guère lui dire pis que son nom.' Elle 
se donne elle-même pour ce qu'elle est. • 

• — On croit communément que l'art de plaire est un 
grand moyen de faire fortuné : savoir s'ennuyer est un 
art qui réussit bien davantage. Le talent de faire for- 
tune, comme celui de réussir auprès des femmes, se 
réduit piesque à cet art-là. 

— Il y a peu d'hommes à grand caractère qui n'aient 
quelque chose de romanesque dans la tête ou dans le 
cœur. L'homme qui en est entièrement dépourvu , 
quelque honnêteté, quelque esprit qu'il puisse avoir ^ 
est , à l'égard du grand caractère, ce qu'un artiste , d'ail- 
leurs très-habile , mais qui n'aspire point au beau idéal , 



MAXIMES ET PENSÉES. aS 

€st à r^ard de Fartkte, homme de géme, qui s'est ren- 
du ce beau idéal familier. : '*» 
' ■- ^ U y a de certains hommes dont la vertu brille da- 
vantage- dans* la condition privée, qu*elle ne le feroit 
dané' une fonction publique. Le cadre les dépareroit. 
Plus un diamant est beau, plus il faut que la monture 
soit l^ère. Plus le cbatdh est riche, moins le diamant 
est ipii évidence. ^ 

— Quand on veut éviter d'être charlatan , il faut fuir 
les tréteaôt'^'càr, si Ton'y monte , on est bien forcé d*ê- 
trfe charlatat^^ns^quot-t'assémblée vous jette des' 
pierres. • *»• "■ - - ■•'';■ • 

— Il y a peu de vices qui empêchent un homme d'à- 
voir, beaucoup d'amis, aiitéht que peuvent* le faire de 
ti^p' grandes qualités. ^ ■ 

— D y a telle supériorité , telle prétention qu'il suffit 
de ne pas reconnoître pour quelle soit anéantie ;^kelle 
autre qu'il' suffît de ne pas apercevoir pdi!it*'la rébdrè sans 

— 'Ce seroit être trèâ-avànté dans* l'Àtfdife; Bti la* 
morale , de savoir distinguer tous les traits ^i dimriéh^ ' 
dieâl rôrgueil et la vanité. ' Le prèrtàér est hàtit*; <5aÏEûlfe^?^ 
6èrj tranquille, inébranlable ;'fei seconde ieètWîlè^lWf^J 
certaine, mobile , inquiète et chancelante. L'ttft** pan- 
dit rbommie; l'autre le retofle. Le premièt*'èst la rfoorcc 
demille vertus; Vautre, celle de presque* tôtis les viee* 
el'touê^ les travers; Il y a uii gétiré d'orgueil âûiié lequel 
sont epmpris tous les coramandemens -de Dieu ; ètiin 
géate de vanité- qui contient les sept péehés capitaux. 

•^r Vivre est unenialadie', dont le sommeil nous sou- 



:?4 BJAXilH^« m PJEflSÉEflf^ 

est le remède. 

„ n-r JL4 n^re paroît se servir deslioiBpie& pQ^r $esdes- 
sfÎQS j^ S9ps ^e§9ucier des fQStri^^i^QS qu'iell^ i^jtttploie^^ 
pei;L près coi^me }es lyraps q]ui $§ jdâfoal de cew da|3^. 
ils Sf8 sopt ^ryis. . : • 

-— * Il y 4 (Jeui^.phoses auxquelles il faut se. fair^, $q^i 
peine de trouver la vie insupportable : cç a^^( i^ ipj^- 
rçs du temps^t 1^ injustices des J^Qipni^. ; . . 

-rr Jç ne. pQ^goi^ p^s de ^agejse. js^açn^^. défonee. JL'éçei^ 
t|2rie a dit que le comipeQcetfie^t 4^ 1^ .i^ge^se* ^oit 1^. 
crainte de Dieu ^ moi , je crois que c'est la crain4e.^â^ 

T-r IK y. g q9r4t^ 44fwlJ.^ pr^jery^W ffe q»^^!**. 
vices épidémiqnes : comme on voit^ .4^p§ pp 't^^ps 4^ 
p^le^ Jes.oHJ^^^ 4eûçjvrf çw^rtie §çhappçr k h con- 

« 

tourmens quelles causent; mais dans les fautes, dpQf 

tr<^^ dfavafttîigeft ^ur fe feoid^e râi^pn^qui 11^ rmd pWêl 
h^e^Sli/I^, pa^WQU^ fgpt 4(î|^rfl l'homme î )a $agf^sç^j0 
fait seulftf^^t 4i#r^r.. . .: V 

bp^; il tif|.p^t avoir que dçj^jbwbomie.. . 

rrrnîl fewîroit pouvoir unir le$ çoQtr^es , TapACëir de • 
la vertu avisfc Tindifierence pour Fopinion publîqiie ^ le 
goût :4i^ travail avec l'indi^'érepce po^.la gloire^ §l)e^ 

sc4p^§^ g^Btj^gvfjpria^ifiçpftftfieppurla vio^..: / :- 



*^ . Ge|iiirlà ùix .plusi pour im JKjdrbpiqae^ ^ kl. 
guérit de la soif, que celui qui lui donne un toiMnrattd» 
YÎkiv lAp{^qaç» x»h -mol licbesées; / 

.rrr. Les.mécbaD& Sosal queb^udB^isdetlKnmes aèlîbiis.: 
On idUroit qu'ijlfi yeulent vois sil est Vrai que eèla fasse 
s^laiH de pl^âsir que le pnéteadeàtles honnêtes gens* > 

r-T-Si'PiagèBevîvoitdexias jourS) il faudroitqnesar 
lanterne fût unie) lanterne sounde. !::.*: 

-r- Q faut coni^nîr >que , pour . ^ti^ heureux en Vivant 
dans le oiûnde, 'iliy a)de&QQtés de son âme qu'il âuic en^ 
i]èremeo%]pcipafya0r. •î>r.;i..'\ ... !•..... • -» 

•!*^ La ibrUiipé' étrleâcéknxne €jak *f entoqne V ^^ ^^ ^ 
vie me refHiéaeniBdon ai; mtteutde laquelle A €aM^fatèt 
la longue , Thomme le plus honnête devieime ioom^dîen: 

;mr Donadasi oho^^ :i<mttwè.^]^|WM M^tfi^-^iiBiisi 
les hommes , tout est pièces de rapport*r^Jùx japonà igti 
aÀ^L^t^siqùe^ àait ast nÛKlè :' jrian n'esi ont, «âênf rtest 

PlIPfc . ' . ' "' 1 1 ' ' i '{'■'<' . \' .'.i' : » ' . '.' . ' ' î î l t - • M 1 ! M H 

• i «nr Sidal^émiis pomâio^ iaà fildieqstsIuÊbécoiJW'cMs;' 
les secrets de la société , qui .octns|bbscat ia 4disac#'d^àî 
hoaimè dn 'iBÔode pat*vesiu:rà f^ de.:qu^^r«&iefais, 
ayfiîentiéiéfoiiiiiies de cêopâoiéhdtnmeàl'ige devingt^: 
ou il fût tombé dans Ie'dé908paiP9.an ttse.«ôroit'«pniomi^ 
puparbdrtmèmfi, par pDeyotj iet:ce{ieodant oa>itéit iin 
petit nombre d'hommes sages, parvenus àioétigelà;* 
inJstruits .de tentes ces 'jciu^es fH tiw** éclairés ; -n'être -ni 
corrompus, ni malheureux. La prudence dirige ieurs.' 
verti^ à tNi\«eiiS k Gerruptioa: pqbbque; etipToreede 
I^uiroavacière^'jpî^M aux lumières if pn esprit <éiea4a,.> 



^6 MAXIMES ET FEnSÉES. 

les élev^. m* dessus du chag^n qu'iospire la^perversité 
désiicHnmes. '. .^..V .; 

— Voulez-vous voir à qudi pohit^chaqiie'état 'de la 
société corrompt les hommes? Examinez ce qu'ils ^ont 
quand: ils en ont: ëprourë plus loûg<^ temps Iinfluénce, 
c'e&(;^à<*dire dans la viefiUesse. Yqyez cq que c'est cpi'un/ 
vieux; courtisaii ,- un vieux •prêtre y nn' vieux jugej-un 
vieux procureur, un vieux chirurgien, etc. - 

—r^! L'homme sans -principes est aussi ordinairement 
un homjtne sans^cwadèi^e!: càr.s'iljétoit né.avec du cârao-* 
tère, il auroit senti le besoin de se-créer^des principes. 
il — r il y a à parier que; teote îdéepublique ^toutè con- 
tention reçue jest:une aociise; car cllea convaora aii 
pIufi.gRandsomhré.^ {^ ■ x!. . : / . :: :. 

— L'estime vaut mieux que la célëbrité^ la éonsidé*' 
ration, yalit mieux;que?Ia innommée v et Fhbnneur ^raut 
miaixjque.lagloire/v, ;A, -J 

: -— C'est jaouvent Je mobile de: la vanité qui ja engagé 
l'homme à montrer toute l'énergie de son âme. Du bois* 
ajoutéià. un' acier, poinlii Ëdt undard; deaxplomes ajou- 
téesiau bois font unev flèche... \* ^ c\' trr / . ,1 

< rr- Les gens foibles «sont les troupes légènés de Far** < 
mée.deS' médians^» Ils font. plus de mal < que l^rmée 
méme;il$in£ssteiitetilsxavagebt. . . . .-; *■ 

I — i> U est^pluslfacile del^fa&seï: certaines choses que 
de les legitiiner. ...^ .. .<^ • ) ." . r. :. 

lir^ Célébrité : .l'avânts^. d'étiré rconnu de ceux que. 
vousinecohnoissez.pas.' V .. 

i.-r^.On.partageayécpldiwTamilÂédé «ses amis pour 
des personnes auzqijielJbLÔn s'intâ-essepeUfSèi*' même ; 



MAXIMES ET >ENSÉES. 27 

mais la haitie , même celle qui est la plus juste, a de la 
peiue à se faire respecter. . 

• — Tel homme d été craint pour ses taleus, haï pour 
ses verttis, et n a rassuré que par son caractère. Mais 
combijén de temps Vest passé avant que justice se fît! 
' -^ Dans f ordre naturel , comme dans l'ordre social , il 
ne faut pas vouloir être plus qu'on ne peut. ' 

— Lasottise» ne seroit pas tout-à-fait la sottise^ si 
elietie cràignoit pas Fesprit; Le vice ne seroit pas toât- 
à-fait le vice ^ s'il ne haïsisèii pas la vertu. 
' ^—11 n'est pàS'Vrai( eequ'a dit Rousseau après Plu- 
tapque ) que ^us ^ pense , moins on' sent ^ mais il est 
vrai que plus oâ juge, moins on aime. Peu d'hommes 
"voiis-tiie^étil dans le cas de faire exception à cette 
règle. 

'- — ' Otn qui rapportent tout à l'opinion , ressemblent 
'à ^es comédiens qui jouent mal pour être applandï», 
quaiid'le goût du public est mauvais : quelques-uns au* 
rèient le moyen de bien jouer, si (e goût du public étoit 
hbo: L'hôQnéte homme joue son rôle le mieux qu'A 
•peut , sans songer à la galerie. 

'■ -^ U y à une'sorte de plaisir attaché au courage qui se 
met iauMlessus de la fortune. Mépriser l'argent, c'est dé« 
trôner tiû rôi : il y a du ragoût. ^ 

— - Û y a un genre d'indulgence pour ses ennemis ^ 
qui paro^ une sottise plutôt que delà bonté ou de la 
grandeur d'étiie* M. de C; . i . . me paroît ridicule par la 
siennië.'Il mê paroît ressemblera Arlequin , qui dit : Tu 
me donnes un soufflet 5 eh bien ! je ne suis point encore 
fiicbé. il faiU avoif l'esprit de haïr ses ennemis. 



9$ .MAXIME? f.^ PfflJSjljE)^. 

. -rr Robia^QH daif^ son île , priy/é:4? ÎQ^t , 6t fojrp^ 
aux plus pénibles travaux poi^ a^sur^c $k sub$istanae 
|Qiu*p$jière y ;$iijif>porte la vi^^ et ^^oc^e.gpi^tev ^ ^^ 
«ijfeu, plqsiçur^ mpmeos d^ ly^^heur. $JuppQse3 quil ¥^ 
daa$ .une île enchantée , pourvue dç tout qe qui c^ 
(Igré^ble à la vie^ peut-être le dé^OBi^vr^a^çt lui eùt-il 
rendu l'existence in$uppoFlable. 
: . ! — jLes idée^des hommes $oiit oQinmei les caries et 
«itt^^res jeux. Des idées que j'ai vu autr^fo}^ regf^itiôr 
comme dangereuses et trçp hardies , sppt de|>uis d^ycrr 
«mes ^c;onuxiMnes et presque trivis^vi^. «|^:iii»cendu 
jusquà.des.bQUinii^s peu dijgn^s d'elles*; <j|^elquef^^iq!^ 
d^ Jolies, à' jqiÉ ^oua donnons Ip nom dlaiidagieM^I^^ 
ffii^ânt. vues: fOHMPie foibl^s ^ coimnwiei^p^ ws de^ 

cendans. \ r 

1^,'trTr.«}'19â^p^yanl;. remarqwi) dauft^i^ft Ipo^^ires, que 
Jb {mipj/^r moi^v^ineat de ceux qui opt f^t .quelqu^e 
«Mlioft hérojfqine, , qiji $e :^nt livrés p qiielque impfi^fr 
moa gépérew«p ,..qui qnt .«une dejs JRiforiMaés,; comriji 
iqupicpie ^gtaed i9sqi)Q et procuné;qu^]qpçQ:^$ind avam> 

tage y soit au public , soit p des pai^^^lier!^^^ j-'^^dis-je^ 
«em^rqué «q^^ lewr i^fimier wH)U!i^e«i^t^.^é ^o refuser 
Jà.rée<Hi^)ense qulon Jeur qq o0f|qît«.:Q0 sjçptittj^nt ^mt^ 
trouvé dans le cœur des hommes, les plus indigon^ et df 
Ja. idepnîère classe >du peufde. Quel est dopc cet Âpstinct 
•moral qui apprend à Thomme saqs éduca^ûoisi ^ qu0 la 
Incompensé de ces actions, est daqs là cœur de ccfluî 
qpi Jes a faites ? Il semble qu'en nous les payante ou. qou^ 

— Un acte de vertu, un sacrifice pu dp $esiniérêtf 



MAXIMES BT PENSÉE9: ^9 

OU db sm-^méme , est le besoin d'une âme tïohh : Tamour- 
propre d'un cœur généreux est , en quelque sorte , Fé- 
gdïdilje d-un grand caractère. 

— La coroeorde des frères e^t si rare que fa fable ne 
cite ^ëdeux frères amis*, et ^e snpjpose qu'ils ne se 
voyoient jamais , puisqu'ils passoient tour-à-tour de là 
Urte âUt Champs ËJysées , ce qui tie bfssoit pas d'^i- 
giler tom sujet de disputer et de rùpmi*e. 

^ — ^Ity a pliis dé fotiîiquedesages^et dàiûB leseige inéme 
il y a f^ de fblie que de sagesse. 

— Les maximes générales Sont dan^ là (Conduite dé k 
tie M que lé» routiotés sont dans les artS; 

— La éô&victioa est la oonscîéiioe dfeïlôôprft. : " 
-^ Oti est heureux ou malheureux pér une foide de 

thoses qui ne paroissent pas , qti'éti aé dk jpoitit e^qa'dil 
ne peut dire. 

— Le plaisir peut s'appuyer sûr rilliisioil ^ maU le 
fconhèifi^ repose sur fa vérité. H n'y k qiÈfëlle qlii puisse 
nous donner celui dont la nature htitbdîiié est Suscep^ 
tible. L'homme heureux par rillusièn a sa fortune eâ 
agiotage ; Phomufie heureux p«af la Vérité ^ û Sa fortune 
en fonds de terre et en bôtfileë èôtirtiltitioilSi 

—•11 y a dans le inondé bien {>&« de chetes sur les- 
quelles un honnête homme ptiissé re{)d9ér àgréâblanent 
son âme ou sa pensée. * 

— Quandbn soutientquéleSgéiÀsIéà hiôin^ sensibles 
sont^ à tout prendre, les plus heureux, je me rappelle 
le proverbe indien : 11 Vaut teiéUx éttë assis que debout, 
être couché qu assis ; mais il vaut âiSèiùc éf^exnOrt )^ 
tomcelii; .* - * 



5o MAXIMES ET PENSÉES. 

— r L^habileté est à la ruse , ce que ja dextérité est à 
filouterie. 

— L'entêtement représente le caractère y à peu pré» 
comme le tempérament représente \ amour. 

— - Amour, folie aimable : ambition > souise se-* 
rieuse. 

- — : Préjugé, vanité, calcul : voilà ce qui gouverne lé 
monde. Celui qui ne connoit pour règles de sa conduite 
que raison , vérité j sentimeat, n a presque rien die com- 
mun avec la société. Cest en lui-même qu'il doit cher- 
cher et trouver presque tout son bonheur. 

— Il faut être juste, avant d'être généreux, comme 
on a de$ chemises avant d'avoir des dentelles. . 

— Les Hollandais n'ont aucune commisération de 
ceux qui. font des dettes. Us pensent que tout. homme 
endetté vit aux dépens de ses concitoyens , s'il est pauvre j 
et de ses héritiers, s'il est riche^ * . 

— La fortune est souvent comme les femmes riches 
et dépensières , qui ruinent les maisons pu elles, ont ap- 
porté une riche dot. . . } 

— Le changement de modes est l'impôt que l'industrie 
du pauvre- met sur la vanité du riche. . , 

— L'intérêt d'argent est la grande épreuve des petits 
caractères; mais ce n'e&t encore que la , plus petite 
pour les caractères distingués ; et il y a loin de l'homme 
qui méprise l'argent à celui qui est véritablement 
honnête. 

— Le plus riche des hpmiâes, c'est l'économe : le plus 
pauvre , c'est l'avare. 

— fl y a quelquefois entre deux hommes dé feiisses 



MAXIMES ET PENSÉES: Sx 

ressemblances de caractère , qui les rapprochent et qui 
les unissent pour quelque temps. Maïs la méprise' cesse 
jpar degrés , et ils sont tout étonnés de se trouver très- 
écartés Tiin de lautre , et repousses, en quelque sprle, 
par tous, leurs points de contact. 

— N'est-ce pas une chose plaisante de considérer que 
la gloire de plusieurs grands hommes soit d avoir em-^ 
ployé leur vie entière à combattre des préjugés ou des 
sottises. qui font pitié , et quisembloient ne devoir jamais 
entrer dans une tête humaine ? La gloire de Bayle , par 
exemple , est d'avoir montré ce qu il y a d absurde dans 
les subtilités philosophiques et scolastiqùes, qui feroient 
lever les épaules à un paysan du Gatinois doué d'un grand 
sens nature] ; celle de Loke , d'avoir prouvé qu'on ne 
doit point parler sans s'entendre, ni croire entendre ce 
qu'on n'entend pas ; celle de plusieurs philosophes, d'a- 
voir Composé de gros livres contre des idées supersti- 
tieuses qui feroient fuir, avec mépris, un sauvage du 
Canada; celle de Montesquieu, et de quelques auteurs 
avant lui, d'avoir (en respectant une foule de préjugés 
mbérables) laissé entrevoir que les gouvemans sont faits 
pour les gouvernés, et non les gouvernés pour les gou- 
•vernans. Si le rêve des philosophes qui croient au per- 
fectionnement de la société s'accomplit, que dirfila pos- 
térité de voir qu'il ait fallu tant d'efforts pour arriver à 
des résultats si simples et si naturels ? 

— Un homme sage en même temps qu'honnête se 
doit à lui-même de joindre à la pureté qui ^satisfait 
sa conscience, la prudence qui devine et prévient la 
caloflBiiie... . . 



Si MAllMES fT PENSÉES. 

> —^ Le rôle de Fhomme pré?oyant est assébE liiÈXë : il 
idOUgeses amis^ e&Ieur annonçant les malheurs aus^ 
quels les expose leur imprudence. On né le croil pas ; 
et^ quand oes naalheùrs sont àrrÎTes ^ ces mêmes amis 
lui savent mauvais gré du mal qu'il a prédili) ec léfùt 
itmour-|)t*6pre baisse les yeux devant fami qui devoit 
être leur consolateur^ et tju'ils auroient choisi s^^ikli'é- 
loient pas Jbumiliés en sa présence. , 

. -^ Celui qui' veut trop faire dépendre^ soti ^bdtilheii^ 
de sa raison.^ qui le soumet à Texamien, qiû chicané^ 
poilr ainsi dire^ ses joubsàiïces , et n'adi!âet ^e des 
plaîsirs délicats^ £(nit par a en ^us avoir. Cest un hoinme 
^ui, à force dé faire cài'dérson matelas^ le voit dkni* 
lauer, et finit par coucher stir la dure. 
:; — - Le temps diminue dhez dous fintensité d^ |)laî^ 
ùts absolus, comme parlent les métaphysidiëdS ^ mais 
il paroit qu'il accroît les plaisirs relatifs : ei je soup- 
çonne que c'est l'artifice par lequel la nature a su liei* 
les hommes à la vie^ après la perte des objets ou des 
l^laisi^s qui la rendoient le plus agréable. 
. . -^ Quand on a été -bien tourmenté , bien fatigue ipAt 
sa proftre sensibilité, on s'aperçoit qu'il faut vivre tfH 
îour le jour , oublier beaucoup, enfin éponger la Pi^ 
4 mesuré qu'elle s'écoule. 

/ — La fausse modestie est lé j[)las décent de toèili lc% 
mensonges. 

: -^ On dit qtt'il faut s'efforcer de retrancfeer ions les 
Î0%n9 de nos besoins* C'est surtout aux besoÎHé de l'â^ 
ihourr^pre qu'il faut appliquer cette n^anme: oe sont 
les plus tyranniques , et qu'on doit le plus cofinbantre. 



MAXIMES ET PENSÉE^ ZS 

— H n*est pas rare de voir des âmes foibles qui , par 
la fréquentatioQ avec des âmes d'une trempe plus vi« 
goureuse, veulent s'élever au-dessus de leur caractère. 
Cela produit des disparates aussi plaisans que les pré- 
tentions d un sot à Fesprit. 

— La vertu, comme la santé , n'est pas le souverain 
bien. Elle est la place du bien plutôt que le bien même. 
Il est plus sur que le vice rend malheuœux , qu'il ne Test 
que la vertu donne le bonheur. La raison pour laquelle 
.la vertu est le plus désirable , c'est parce qu'elle est ce 
qu'il y a de plus opposé au vice. 

CHAPITRE IIL 

De îa Société^ des Grands y des Riches^ des Gens 

du Monde. 

Jamais le monde n'est connu par les livres ; on l'a dit 
autrefois *, mais ce qu'on n'a pas dit , c'est la raison ; la 
voici : C'est que cette connoissance est un résufet de 
mille observations fines dont l'amour-propre n'ose faire 
confidence à personne , pas même au meilleur ami. On 
craint de se montrer comme un homme occupé de pe- 
tites choses, quoique ces petites choses soient très-im- 
portantes au succès des pkis grandes affaires. 

— En parcourant les mémoires et monùmetis du 
siècle de Louis xiv, on trouve, même dans la mau- 
vaise compagnie de ce temps-là, quelque chose qui 

ziianque à la bonne d'aujourd'hui. ' 

II. 3 



84 MAXIMES ET PENSÉES. 

. . —Qu est-ce que la société, quand la raison n'en 
forme pas les nœuds^ quand le sentiment n'y jette pats 
d'intérêt , quand elle n'est pas un échange de pensées 
agréables et de vraie bienveillance ? Une foire , un tri- 
pot , une auberge, un bois, un mauvais lieu et des pe- 
tites-maisons : c'est tout ce qu elle est tour-à-tour pour 
la plupart de ceux qui la composent. 

— On peut considérer Fédifice métaphysique de la 
société comme un édifice matériel qui seroit composé 
de différentes niches , ou compartimens', d'une gran- 
deur plus ou moins considérable. Les places avec leurs 
prérogatives, leurs droits , etc. , forment ces divers com- 
partimens, ces différentes niches. Elles sont durables, 
et les hommes passent. Ceux qui les occupent sont tan- 
tôt grauds, tantôt petits, et aucun ou presque aucun 
n'est fait pour sa place. Là, c'est un géant, courbé ou 
accrotipi dans sa niche ; là , c'est un nain sous une ar- 
cade : rarement la niche est faite pour la stature. Au- 
tour de l'édifice circule une foule d'hommes de diflé- 
rentes tailles. Ils attendent tous qu'il y ait une niche 
de vide, afin de s'y placer, quelle qu'elle soit. Chacun 
fait valoir ses droits, c'est à-dire sa naissance, ou ses 
protections, pour y être admis. On sifïleroit celui qui, 
pour avoir la préférence, feroit valoir la proportion qui 
existe entre la niche et l'homme , entre l'instrument et 
l'étui. Les concurrens même s'abstiennent d'objecter à 
leur adversaire celte disproportion. . 

— On ne peut vivre dans la société après l'âge des 
passions. Elle n'est tolérable que dans l'époque où l'on se 



MAXIMES ET PENSÉES. 55 

lert) de soa estomac pour s'amuser, et de sa personne 
pour tuer le temps. 

— Les gens de robe , les magistrats , connoissent la 
Gour , les intérêts du moment , à peu près comme les 
écoliers qui ont obtenu un exeat, et qui ont dîné hors 
du collège , connoissent le monde. 

«-^ Ce qui se dit dans les cercles , dans les salons , 
dans les soupers, dans les assemblées publiques, dans les 
livres , même ceux qui ont pour objet de faire connoître 
la société) tout cela est faux ou insuffisant. On peut dire 
sur cela le mot italien per la predica ^ ou le mot latia 
cidpopulum phaleras. Ce qui est vrai , ce qui est ins- 
tructif, c'est ce que la conscient^e d'un honnête homme 
qui a beaucoup vu et bien vu , dit à son ami au coin du 
feu : quelques-unes de ces conversations là m'ont plus 
instruit que tous les livres et le conmierce ordinaire de 
la société. C'est qu'elles me mettoient mieux sur la voie, 
et me faisoient réflécitir davantage. 

— L'influence qu'exerce sur notre âme une idée mo-^ 
raie, contrastante avec des objets physiques et matérids, 
se montre dans bien des occasions ; mais on ne la voit 
jamais mieux que quand le passage est rapide et impré- 
vu. Promenez-vous sur le boulevard, le soir : vous 
voyez un jardin charmant, au bout duquel est un sa- 
lon illuminé avec goût. Vous entrevoyez des groupes 
de joUes femmes , des bosquets et entr 'autres une allée 
fuyante où vous entendez rire : ce sont des nymphes ; 
vous en jugez par leur taille svelte , etc. Vous demandez 
quelle est. cette femme, et on vous répond : c'est ma-* 
dsonç de B « la maîtresse de la maison. lise trouy# 



56 MAXIMES ET PENSÉES. 

p^r Qiidbeur que vous la connoissez , et le charme a 
disparu. 

— YQUsx^ccmtr^Jb bacoo de 'Breteuil ; il vous en- 
Jtr$tiQpt,4e^sQ3>boQue$ forluues, de ses amours grossières, 
I3lc. ^ il jS^up^r vQvis uiQQ(rer le poctrait de ia ceine au 
milieu d'une rose garpie deidiaruaos. 

— îUiû ;sQt, .fî^ de quelques cordons, me.paroît au- 
^esçoys (k cot ibo^xae .ddicule qui , dans ses plaisirs , 
§e faisait .mettre. des .plumes de paon au derrière par ses 
Ipo^tresises. Au.moins , il ^y ^agnoit le plaisir de.... Mais 
) autre !.,. Ije «baron de ^reteuil est fort au-dessous de 
Pei^oto. 

— On v^ , .par rexeanple de Breteuil , x|u*on peut 
fefJlotter d^n&ses poches les portraits eu diamansde douze 
Q}^ q^in^iS^iuji^erâiQS, et, n'être qu un sot. 

•^iC:€iSt TO 50t , .c'est un ^ol , c'est bientôt dit : voilà 
Ç^i^ime yqu^ Aies extneme .en tout. A quoi cela se rré- 
duit-il ? 11 prend sa place pour sa personne , son impor^ 
taMepQW du, mérite, et son crédit pour une vertu. 
^QiiilJe xnQKld^ xk'est-'il.pfks comme cela ? Y a-rt-il là de 
^wi ft^iït ciier ? 

.TT Qpai;^d îl^ sols sortent de place , soit qu'ils aient 
tté miniâti^s ^ou premiers commis , ils conservent une 
iWrgue.Qu une importance ridicule. 

jTr-»Ci^u1c xjui ont, de l'esprit ont mille ^^bons contes à 
§iiire.smr Jes. sottises ettle^ valetages dont ils ont été té- 
^p^^KVs, let cl^t ce qu'on peut voir par cent exemples. 
CoPEmoie c'est un mal aussiancien que la monfirqhie, rien 
u/e{>rQU?^ niieux combien il est irrémédiable. De mille 
MSM^> qM^ j!tii .entûOtduiJCâGOxiler , \e concHirois-xjue , ^si fes 



MAXIMES ET PENSÉES: S7 

sibges avôient le talent des perroquets, onetiferoit Kdoo'^ 
tiers des ministres. 

— Rien de si difficile à faire tomber qu'une idée tri- 
viale ou un proverbe accrédite. Louis iv a fait banque- 
route en détail trois ou quatre fois, et on nen jure pas 
mbins foi dé gentilhomme. Celle^de M. deGuimenée 
n y réussira pas mieux. 

-— Led gens dû n^osde ne sonC ]^^ plutôt ift(roupés(^ 
qulls se croient en société. 

— J'ai vu des hommes trahir leur codsoietooe pewt 

complaire à un homniequta ub mortieh ouameaidianre : 

étoùnez^vous* ensuite de ceux qui Técliangent .pour lé 

Hioràer, ou pour la simarre même! Tous- égaléibeiit 

vils 9' et les premiers absurdes^plus- que les* aftitrte^ 

— La société est composée de deux grafndes classés : 
ceu^ qui ont plus de dîners quêd ap|iétit> et ceux<qui oni 
plus d'appétit qqe de dîners; 

— On donne des repas de dix louis ou dcvic^à-deé 
gens, en faveur de- chacctndesquek'On ne donnehbit pas 
un petit édu pour qullk' fissent ùhebonnedtgestionde 
ee mêine dioer de vingt lônis« 

. — ' Cést une réglé excellente sradopteV sur Fart de la 
taillerie et de la plaisanterie, que le' {disant et lé railleur 
doivent être garans du succès de leur plmsaoterïe à le*- 
gard de la personne plaisantée , et que , quand celle>-ci'Se 
fâche , Tautre à tort. 

-^M**"*" me disoit que j'avoi» un grand maîheur'5, 
ce toit de ne pas me faii*e à là tôute^ puissance des sot^ 
H avoitjraison , et j.'ai vu qii'en entrant daœle Aïonde y 
un sot avoit de grands avantages, celui de se trouver par» 



58 MAXIMES ET PENSÉES, 

mi ses pairs. C'est comme frère Lourdis dans le temple 
de la Sottise : 

Tout lui plaisoît; et, même en arrivant ^ 
II crut encore être dans son couvent. 

*— En voyant quelquefois les friponneries des petits 
et les brigandages desJiommes en place , on est tenté 
de regarder la société comme un bois rempli de vo- 
leurs ^ dont les plus dangereux sont les archers préposés^ 
pour arrêter les autres. 

— - Les gens du monde et de la cour donnent ans 
4ionunes et aux choses une valeur conventionnelle dont 
Us s'étonnent de se trouver les dupes. Us ressemblent 
à des calculateurs qui, en faisant un compte, donne-» 
roiént aux chiffres une valeur variable et arbitraire, et 
qui, ensuite, dans l'addition, leur rendant leur valeur 
réelle et réglée, seroient tout surpris de ne pas trouver 
leur compte. 

— Il y a des momens où le monde paroît s*appré* 
cier lui-même ce qu'il vaut. J'ai souvent démêlé qu'il 
estimoit ceux qui n'en faîsoient aucun cas ; et il arrive 
souvent que c'est une recommandation auprès de lui 
que de le m^riser souverainement, pourvu que ce ra^ 
pris soit vrai , sincère , naïf, sans affectation,' sans jac<* 
tance. 

— Le monde est si méprisable que le peu de gêna 
honnêtes qui s'y trouvent, estiment ceux qui le mépri- 
sait , et y sont déterminés par ce mépris même. 

— Amitié de cour > foi de renards , et société da 
loiïds. 



MAXIMES ET PENSÉES. $g^ 

— Je conselllerois à qaekju un cpii veut obtenir une 
grâce d'un ministre de l'aborder d'un air triste , plutôt 
que d'un air riant. On n'aime pas à voir plus héuHèbx' 
que soi. 

— Une vérité cruelle, mais dont il faut convenir,' 
c'est que dans le monde , et surtout dans un mondé 
choisi, tout est art, science, cacul, même l'apparence 
de la simplicité, de la facilité la plus aimable. J'ai vu 
des hommes dans lesquels ce qui paroissoit la grâce d'un' 
premier mouvement, étoit une combinaison , à la vérité 
très-prompte, mais très fine et très-savante. J'en ai vu 
associer le calcul le plus réfléchi à la naïveté apparente 
de l'abandon le plus étourdi. C'est le. négligé savant 
d'une coquette , d'où l'art a banni tout ce qui ressemble 
à l'art. Cela est fâcheux , mais nécessaire. En général , 
malheur à l'homme qui , même dans l'amitié la plua 
intime , laisse découvrir son foible et sa prise ! J'ai vu 
les plus intimes amis faire des blessiires à l'amour-pro- 
pre de ceux dont ils avoient surpris le secret. Il paroît 
impossible que , dans l'état actuel de la société je parle 
toujours du grand monde }, il y ait un seul homme qut 
puisse montrer le fond de son âme et les détails de sou 
caractère et surtout de ses faiblesses, à son meilleur 
ami. Mais, encore une fois, il faut porter (dans ce 
monde là) le raffinement si loin qu'il ne puisse pas mê- 
me y être suspect , ne fùt-K;e que pour ne pas être raé* 
prisé comme acteur dans une troupe d'excellens co^ 
médiens. 

-— Les gens qui croient aimer un prince, dans l'ips-^ 
tant pu ils viennent d'en être bien traités, me rapelleoi les^ 



f 



4l> MAXIMES ET PENSÉES. 

çnfaDS qui veulent élre prêtres le lendernsôn d'une belle 
procession, ou soldats Iç lendemain d'une revue à la- 
quejOie ils ont assiste. 

— Les favoris , les hommes en place mettent quel- 
quefois de rintérét à s'attacher des hommes de mérite ^ 
mais ils en exigent un avilissement préliminaire qui re^ 
pousse loin d'eux tous ceux qui ont quelque pudeur. 
J'ai vu des hommes dont un favori ou un ministre au- 
roit eu bon. marché, aussi indignés de cette disposition 
<|a'auroient pu l'être des hommes d'une vertu parfaite. 
X^'jaû d'eux me disoit : Les grands veulent qu'on se dé-^ 
grade , non pour un bienfait, mais pour une espérance. 
]|ls prétendent vous- acheter , non [xariin lot, mais par 
uû billet de loterie^ et je sais des fripons , en apparence 
bien traités par eux , qui dans le fait n'en ont paà tiré 
9ieilleur parti que ne l'auroient fait les plus honnêtes 
gens du monde. 

. ^T-»Les actions utiles, même avec éclat, les services 
iféels et les plus grands qu'on puisse rendre à la nation 
et même à là cour, ne sont, quand on n^a point la fk- 
"^^eur de la cour, que des péchés splendide», comme 
(gisent les théologiens. 

• — ^On n'imagine pas combien il faut d'esprit pour 
n'être jamais ridicule. 

r— Tout homme qui vit beaucoup dans lé monde 
me persuade qu'il est peu sensible ; car je ne vois pla- 
que rien qui puisse y intéresser le cœur, ou plutôt 
rien qui ne l'endurcisse ; ne fût-ce que le spectaidé dé 
Einsensibilité , de la frivolité et de la vatiité qui y 
n&gnent. 






MAXIMÎIS ET PENSÉES. 4i 

' -^ Quand les princes sortent de lëav^ misënablës éti- 
quettes, ce n'est jamais en faveur d^uû' hbmtne àe tmé^ 
rite, niaise d'une: filte on d'un bouffon; Quaîid> 1^ fbth-^ 
mes S'affiiehent, ce n'est presque jam^s^pour un hon-^ 
dôttf homme V c est pour une espèce '. Ën^ tbuti, lors^ 
que Ton brise ]e joug de Fopinion , eW itii^gmétit'pôiÉii 
s'élwet au- dessus 9- maii^ presque toujcrniis poul^ dés-> 
cendre au^dëssousF. 

*^ li y a des fàut;es de conduite que , dé ii(û^* jbiir!9| 
on ne fkit plus gu^e , ou> qu^otf fbit beaocmpf âibittsî 
On est tellemenvraffitteques nïettant>reipfit'à Ikpi&cé 
de Fâoie , uii- homme vil , pour peu» qU'il^ ait réfléchi, 
s^abstient dé certaine plàtitudiiïS,^ qui' autrelbiâ^ pôu-^ 
voient réussir. Sm Vtt dès homme*^ mîilhotittéttes^ èn/>dit 
quelquefois une coisAiiié fîèi^ er décente atee uh^pritt^ 
èe,<un minière; ne point déchii^, etc. Gela' tk*ompe^ toi 
jeunes geiks et lés^ nbvietô'qtii ne s&Vèu^ pa^, ou bi^ 
oublient, qu'il fstot jugër tfdliiommé pài'l>en^m]Më'dd 
ses prineijpes et de son caractère. 

— ^ A voir lé É(Âxi que l^èsîcOtt^midtis socîhles [^ft)is^ 
sent avoir pris d'écarter le mérite de toutes leS'^làleeSf 
où il pbtif'roit' éttie' utile à ik ^èéiété;;e«)f éxHittiio^nt la 
ligue des sots Côûtt«é« leSf gëtià^d^iesprit?, dtt cfôk^it voii< 
uue conjui^on^vsdétsr p6ii^ ébfift*tëi^']ë£Pmatt»^ 

—'<^ue trouve utt^j^n^ bbtiime^, étientrdM <)iiii» I<» 
monde ? I^es' g^^tii^ qui veuiénr h ptétëi^, fitévànâsmu 
Vhènb^ér, \&^cm^tûét .léaS^Ê^s^ét, Siê ne pâiid^ pk^i^ 
dë'<teuijf qui vfeUleilt^rébartèf , lui dUlt^, léiptt^re é«t 

>' £e mot csi^èî*** éfott aatreffiîs , Akiï's'\hs's6àvétik ai prttèfc* 
tièn^ employé coinme tende de mépnar. C-Noiè de VÈdUtàY:))' 



4^ MAXIMES £T PEI9SËES. 

le tromper. S'il est d'un cdractère assez élevé pour vou- 
loir n'être protégé que par ses mœurs, ne s'honorer de 
rien ni de personne , se gouverner par ses principes , se 
conseiller par ses lumières, par son caractère et d'après 
ta position, qu'il connoît mieux que personne, on ne 
manque pas de dire qu'il est original , singulier , in-« 
domptable. Mais, s'il a peu desprit, peu d'élévation^ 
peu de principes; s'il ne s'aperçoit pas qu'on le protège , 
qu'on veut le gouverner *, s'il est l'instrument des gen» 
qui s'en emparent: on le trouve charmant, et c'est ^ 
comme on dit, le meilleur enfant du monde. 

•— La société y ce qu'on appelle le monde , n'est que 
la lutte de mille petits intérêts opposés, une lutte éter- 
nelle de toutes les vanités qui se croisent , se choquent , 
toiu>-à-tour blessées, humiliées l'une par lautre, qui egi^ 
pienl le lendemain , dans le dégoût d'une défaite , le 
triomphe dç la veille. Vivre solitaire, ne p<Mnt être 
froissé dans ce choc misérable, où l'on attire im instant 
les yeux pour être écrasé l'instant d'après , c'est ce qu'on 
appelle n'être rien , n'avcâr pas d'existence. Pauvre ha^ 
inanité! 

— » Il y a une profcmde insensibilité aux vertus qui 
surprend et scandalise beaucoup phis que le vice. Ceux 
que la bassesse publique appdle grands sdgneurs, ou 
grands, les hommes &ï place, paroîssent, pour la plu- 
part, doQQS de celle insmsibîlilé odieuse. Gela ne vien^ 
droilnl pas de fidee vague et peu dévdoppée dans leur 
file, que les hommes, doues de ces venus, ne sont 
pas propres a être des inslramens dinlrigoe ? Ils les né* 
fKgem» ces houmes» comme inutiles acux^onêoies ^ 



MAXIMES ET PENSÉES. 45 

aui autres, daos un pays où, sans rintrigue^ la fausseté 
et la ruse , on n'arrive à rien ! 

— Que voit-on dans le monde ? Partout un respect 
naïf et sincère pour des conventions absurdes, pour 
une sottise ( les sots saluent leur reine ) , ou bien des 
mënagemens forcés pour cette même sottise (les gens 
d'esprit craignent leur tyran. ) 

— Les bourgeois , par une vanité ridicule , font de 
leurs filles un fumier pour les terres des gens de qualité. 

— Supposez vingt hommes , même honnêtes , qui 
tous connoissent et estiment un homme d'un mérite 
reconnu , Dorilas, par exemple ^ louez , vantez ses talens 
et ses vertus ; que tous conviennent de ses vertus et de 
ses talens y Tun des assistans ajoute : C'est dommage qu il 
soit si peu favorisé de la fortune. Que dites-vous ? re- 
prend un autre; c'est que sa modestie l'oblige à vivre 
sans luxe. Savez-veus qu'il a vingt-cinq mille livres de 
rente ? — Vraiment ! — Soyez en sûr , j'en ai la preuve. 
Qu'alors cet homme de mérite paroisse , et qu'il compare 
l'accueil de la société et la manière plus ou moins froide, 
quoique distinguée, dont il étoit reçu précédemment. 
C'est ce qu'il a fait : il a comparé , et il a gémi. Mais 
dans cette société il s'est trouvé un homme dont le main* 
tien a été le même à son égard. Un sur vingt, dit notre 
philosophe, je suis content. 

— Quelle vie que celle de la plupart des gens de la 
ôour ! Us se laissent ennuyer, excéder, avilir, asservir, 
tourmenter pour des intérêts misérables. Us attendent^ 
pour vivre, pour être heureux, la mortdeleursenneraib/ 
de léûrs^rivaux d'ambition , deoeux jnêîBe qu'ilsàppeUeKlit' 



44 MAXIMES ET PENSÉES. 

heurs ami^ ; et pendant que leurs vœux appellent cette 
mort , ils sèchent , ils deperissetit , meurent eux- 
mêmes, en demandant des nouvelles de la santé de 
monsieur tel, de m^me telle , qui s'obstinent à ne 
pas mourir. i 

— Quelques folies qu'aient éciites certains phy- 
sionomistes de nos jours , il est cei^tain que l'habitude 
de nos penséespeut déterminer quelques traits de notre 
physionomie. Nombre de courtisans ont J'œil faux , 
par la même raison que la plupart des tailleurs sont 
cagneux. 

-^ II n'est peut-être' pa* vrai que les gfàndès fortunes 
supposent toujours de l'espiit , comme je l'ai souvent ouï 
dire même à des gens d'esprit : mais il est bien plus vrai 
qu'il y a des doses d'esprit et d'iiabilèté à qui la for- 
tune ne sauroit échapper , quand bien même celui qui 
les a posséderoit l'honnêteté la plus pure, obstacle qui, 
comme on sait , est le plus grand de tous pour la 
fortune. 

— Lorisque Moi^taigtie a dit, à propos dé la gran- 
deur : « Puisque nous ne pouvons y atteindre, vengeons^ 
» âOuS en à en'médi^e », il a dit une chose plaisanté , 
souvent vraie, mais slcandaleuse, et qln'dbnne des armes 
aux sots que la foiH.uné à favorisés. Souvent c'est par pe- 
titesse qu'on hait l'inégalité des conditions; mais un vrai 
sâgé et un honnête homme poùrroient la haîY coiâime la 
barrière qui sépare des âmes faites pour se rapprdebei\ 
U est peu d'hprames dim caractère distingué qui ne se 
soient refusés aux sentimens que leur inspiroit iei ou tel 
hoBiiiie d'iitl rang supérieur ^ qui nVieût repoussé ^ eta 



MAXIMES ET PENSÉES. 45 

è'afiUgeaot eux-mêmes, telle ou telle amitié qui pouvoit 
être pour eux une source de douceurs et dçcousolations. 
Chacun d'eux , au lieu de répéter le mot de Montaigne ^ 
peut dire : Je hais la grandeur qui m'a fait fuir ce que 
j'aimois^ ou ce que j'aurois aimé. 

— Qui est-ce qui n'a que des liaisons entièrement 
honorables? Qui estrce qui ne voit pas quelqu'un dont 
il demande pardon à ses amis ? Quelle est la femme qui 
ne s'est pas .vue forcée d'expliquer à la société la visité 
de telle ou telle femme qu'on a été surpris de voir chez 
elle ? 

A 

— £tes-vous Tami d'un homme de la cour, d'un 
homme de qualité , comme on dit, et souhaitez-vous 
lui inspirer le plus yif attacheoient dont le cœur humain 
soit susceptible ? Ne vous bornez pas à lui prodiguer les 
soins de la plus-tendre amitié, à le soulager dans ses maux, 
à le consoler dans ses peines, à lui consacrer tous vos mo- 
mens , à lui sauver dans l'occasion la vie ou l'honneur ; ne 
perdez point votre temps à ces bagatelles ^ faites plus, faites 
mieux ^faites sa généalogie. 

— Vou3 croyez qu'un ministre, uû homme en place, 
a tel ou tel principe , et vous le croyez parce que vous 
le lui avez entendu dire. En conséquence , vous vous 
abstenez de lui demander telle ou telle chose qui le 
mettroit en contradiction avec sa maxime favorite. Vous 
apprenez bientôt que vous avez été dupe , et vous lui 
voyez faire des choses qui vous prouvent qu'un minis- 
tre p'a point de principes , mais seulement Fhabitude^ 
le tic de dire -telle ou telle chose. 

— *- >BiasieuFS courtisans sont haïs sans profit, et poi^ 



46 MAXIMES ET PENSÉES. 

le plaisir de Fétre. Ce sont d& lézards qui , à ramper 
n'ont gagné que de perdre leur queue. 

— Cet homme n'est pas propre à avoir jamais de la 
considération : il faut qu il fasse fortune , et vive avec 
de la canaille. 

— Les corps ( parlemens , académies , assemblées ) 
ont beau se dégrader, ils se soutiennent par leur masse ^ 
et on ne peut rien contre eux. Le déshonneur , le ridicule 
glissent sur 6ux , comme les balles de fusil sur uu 

.. sanglier , sur un crocodile. 

— En voyant ce qui se passe dans le monde , Tliomme 
le plus misanthrope finiroit par s égayer, et Heraclite par 
mourir de rire. 

— 11 me semble qu'à égalité d'esprit et de lumière , 
l'homme né riche ne doit jamais connoitre, aussi bien 
que le pauvre , la nature , le cœur humain et la société. 
C'est que dans le moment oii l'autre plaçoit une jouis- 
sance , le second se consoloit par une réflexion. 

— En voyant les princes faire de leur propre mou- 
vement certaines choses honnêtes , on est tenté de 
reprocher à ceux qui les entourent la plus grande par- 
tie de leurs torts ou de leurs foiblesses ; on se dit : 
Quel malheur que ce prince ait pour amis Damis ou 
Aramont ! On ne songe pas que , si Damis ou Aramont 
avoient été des personnages qui eussent de la noblesse 
ou du caractère , ils n'auroient pas été les amis de cq 
prince. 

— A mesure que la philosophie fait des progrès , 
la sottise redouble ses efforts pour établir l'empire des 
préjugés. Voyez la faveur que le gouvernement donne 



MAXIMES ET PENSÉES. ^j 

^ux idées de gentilhommerie. Cela est venu au point 
qu il n y a plus que deux états pour les femmes : fem«- 
mes de qualités , ou filles ; le reste n'est rien. Nulle 
vertu n élève une femme au-dessus de son état ; elle 
n'en sort que par le vice, 

— Parvenir à la fortune , à la considération , malgré 
le désavantage d'être sans aïeux , et cela à travers de 
tant de gens qui ont tout apporté en naissant , c'est 
-gagner ou remettre une partie d'échecs , ayant donné 
la tour à son adversaire. Souvent aussi les autres ont 
•sur vous trop d'avantages conventionnels , et alors il 

faut renoncer à la partie. On peut bien céder une tour, 
mais non la .dame. 

— Les gens qui élèvent les princes et qui préten- 
dent leur donner une bonne éducation , après s'être 
soumis à leurs formalités et a leurs avilissantes étiquet- 
tes , ressemblent à des maîtres d'arithmétique qui vou- 
droient former de grands calculateurs , après avoir ac- 
cordé à leurs élèves que trois et trois font huit. 

— Quel est l'être le plus étranger à ceux qui l'en- 
vironnent? est-ce un Français à Pékin ou à Macao ? 
est-ce un I^apon au Sénégal? ou ne seroit-ce pas par 
hasard un homme de mérite sans or et sans parchemin , 
au milieu de ceux qui possèdent l'un de ces deux avan- 
'tages , ou tous les deux réunis ? N'est-ce pas une mer- 
veille que la société subsiste avec la convention tacite 

^'exclure du pattage de ses droits les dix-neuf ving- 
tièmes de la sociéié ? • / 

— Le monde et la société ressemblent à une biUio- 
>théque où au premier coup d'œil tout paroît en règle. 



^ «rAXIMEg JET PENSÉES, 

iporce .-que Jes livres y so«t places raivant le format et 
Jii grandeur de» ivoliunes.^ mais oii daus le fond tout 
.«t içn .désordrie , ffsuree que rien n!y est rangé suivant 
4!o(dre ;des t^^iedCQs. , des . matières ^ni des auteurs. 

— Avoir des liaisons considérables , ou même iilus^ 
ftres , /ne :peut ,plu3 êtse uo .mérite .pour personne , dans 
(Un pays -PÙ Ïqu pjatt wuvent par »çs vices , et oùylon 
.loat qufilqi3«fQis Feabevché pour %s ridicules. 

— jlly a dos ^hommes qui ne, sont :poiiit aimables, 
jxnais qui nempê^heut jpas les autres de Fêtre : leur 
icommeroe ost ;qu!dquefois supportable, il y ena.daur 
,tres qui , n étant point aimables , nuisent encore par 
leur seule présence au développement de Tamabilite 
^'autrui ; ceux-tlà sont ânsqppor tables : cest le grand 
inconvénient de la pédanterie. 

- — jL'expédence ., .qui éclaire les particuliers , cc»^ 
«x>mpt les princes et les gens en place. 

— Le public.de ce moment-ci est ycomm^ la tragédie 
moderne, . absurde ^atroce et plat. 

— L'état de courtisan est un mcétier dont on a voulu 
faire une «cience. Chacun cherche à sehausser. 
' -r-La plupart des liaisons de société , la camaraderie., 
|3t€. , tout cela est à Jlamitié ce que le sigisbéisme est ji 
Tamour. 

• r — L art 4e Ja parenthèse est un4es giarnds secrets de 
féloquence dansia société. 

-r-T- A la cour lout est courtisan : le .prince du sang , 
le chapelain de semaine, le chirurgien de quartier, 
fapolhicaire. 

— - Les uAagistrats chargés de ^^Uer isur Tordre public, 



'MAXIMES ET PENSÉES, 4g 

lels que le lieutenant criminel , le lieutenant civil , le 
lieutenant de police ^ et tant d autres , finissent presque 
iCHijours par avoir une c^nnion horrible de la sodëlé. Ils 
croient connoitre les honuues et n en connoissent que 
le rebut. On ne juge pas d'une ville par ses ëgouts , et 
d'une maison par ses latrines. La plupart de ces magis- 
trats me rappellent toujours le collège où les correcteurs 
ont une cabane auprès des commodités , et n en sortent 
que pour donner le fouet. 

• — Cest la plaisanterie qui doit faire jt^tice ^e tous 
les travers des hommes et de la société y c'est par elle 
qu'cm évite de se compromettre ; c est par elle qu-on 
met tout en place sans sortir de la sienne 9 c'est elle 
qui atteste notre supériorité sur les choses et sur les 
personnes dont nous nous moquons , sans -que les per- 
sonnes puissent s'en offenser, à moins qu'elles ne man-* 
quent de gaîté ou de mœurs. La réputation de savoir 
bien manier cette arme donne à l'homme d'un rang 
inférieur, dans le monde et dans la meilleure cmnpa^ 
gnie 9 cette sorte de considération que les militaires ont 
pour ceux qui manient supérieurement l'épée. J'ai en-^ 
tendu dire à un homme d'esprit : Otez à la plaisanterie 
son empire, et je quitte demain la société. C'est une 
sorte de duel où il n'y a pas de sang versé, et qui, 
comme l'autre , rend les hommes plus mesurés et plus 

•—On ne se doute pas, au premier coup d'œil, dH 

mal que fait l'ambition de mériter cet éloge si commun :: 

Monsieur un tel est très^aimakie. Il arrive v je ne sais 

comment , qu'U y a un genre de &cilité , d'iusouciance, 
IL " 4 



^ 



5o MAXIMES ET PENSÉES." 

de fmblesse, de déraison , qui phitt beaucoup , quatid ce^ 
qualités se ti'ouveni mêlées avecde Tesprit -, que Thomme ,-' 
doqt en fait.ce qu on veut, qui appartient au monoent , 
est .plus agréable que celui qui a de la suite , du carac- 
tère;, des principes , qui n'oublie pas son ami malade ou 
absent, qui sait quitter une:partie de plaisirs pour lui 
rendre service , €40. Ce serait > une liste enquyeuse que 
celle des défauts, des torts et des travers qui plaisent. 
Aussi, les gens du monde, qui -ont réfléchi sur Fart de 
plaire plu$,quon ne croit «t qu ils ne croient eux* 
mêmes , ont la plupart de ces défauts^ et cela vient de 
la nécessité de faire dire de soi : Monsieur un tel est 
très-aimable. 

— - U y a des choses indeviiiables pour un jeune homme 
bien aé^ Gomment se défiepoit*on , à vingt ans , d'ua 
espion de police qui a le cordon rouge? 

* — L^ coutumes les plus absurdes , les étiquettes les 
plu$ ridicules, sont en France et ailleurs sous la pro- 
tection de. ce mot : C^est rusage.'C est précisément ce 
même mot que répondent les Hottentots , quand les 
Européens leur demandent pourquoi ils mangent des 
sauterelles^ pourquoi ils dévorent la vermine dont ils 
sont çomverts. Ils disent aussi ^ Cest Tuisage. 

--- Jaa ^prétention, la plus absurde et la plus injuste , 
qui serpit sifilée dans une assemblée d'honnêtes gens, 
peut devenir la matière d'un procès, et dès-lors être dé- 
^l^ée légitiiiKQ ^ ciar > tout procès peut se perdre ou se 
gagneru,de.mêmëique , dans les corps , l'opinion la plus 
fpUf? jet la plus rididdfî^piimt être admise, et l'avis le 
le plAsjsiage «rejeté avec mépris.. U ne s'agit que de faire 



MAXIMES ET PENSÉES. 5i . 

regarder Fun.ou Fautre comme une affaire de parti, et 
rien n est si facile entre les deux partis opposes qui divi«» 
sent presque tous les corps. 

—^Qu'est-ce que c'est qu'un fat sans fatuité? Otez* 
les ailes à un papillon, c'est une chenille. 

— Les courtisans sont des pauvres eîiiichis p^ la' 
mendicité. 

— Il est aisé de réduire à des termes simples la valeur 
précise de la célébrité : celui qui se fait connôftre par 
quelque talent ou quelque vertu , se dénonce k là bien- 
veillance inaclive de quelques honnêtes gens /et a Tàq- 
dve malveillance de tous les hommes malhonnêtès.- 
Compiez les deux classes , et pesez les deux forcés. 

— Peu de personnes peuvent aimer un philosophe. 
C'est presque un ennemi public qu^uh hoiiimé qui, dans 
les différentes prétentions des honitiiés, et dans le men- 
songe des choses, dit à chaque homme et â/chàquè 
chose : Je ne te prends .que pour ce que t^ es; Je rie 
t'apprécie que ce que tù vaux. Et ce n'est pas une petite 
entreprise de se faire aimer et estimer avec rahnôrice 
de ce ferme propos. 

— Quatid on est trop frappé dés niàiax dé la. société 
universelle et des horreurs que présenténtia capitale ou 
Tes graùdes Villes,' il faut se itfire : Il pou voit naître de 
plus grands malheurs encore^de ïa^ùitedé cpmbinaîsôus 
quia soumis vingt-cinq milHons d'hommes à un seul, 
et qui a réuni sept cent mille hommes sur un espace de 
deux lieues carrées. ' , , 

— Des qualités trop supérieures rendent souvent un 
homme moins propre à la société. On ne va pas au mar« 



^2 MAXIMES ET PENSÉES* 

<;hé avec àes lingots ; on y va avec de Fargdt ou de h 

É 

petite monnoie. 

— Là société, les cercles, les salons, ce qu'on ap* 
pelle le monde , est une pièce misérable , un mauvais 
opéra, sans intérêt , qui se soutient uu peu par les ma« 
chines et les décorations. 

— Pour avoir une idée juste des choses, il faut prendre 
les mots dans la signification opposée à celle qu on leur 
donne dans le monde. Misanthrope, par exemple, cela 
veut dire philanthrope ; mauvais Français, cela veut dire 
bon citoyen , qui indique certains abus monstrueux ; 
philosophe , homme simple , qui sait que deux et deux 
font quatre, etc. 

— De nos jours , un peintre fait votre portrait en sept 
minutes \ un autre vous appre;nd à peindre en trois jours ; 
un troisième vous enseigne langlais en quatre leçons. 
On veut vous apprendre huit langues, avec des gravures 
qui représentent les choses et leurs noms au-dessous en 
huit langues ; enfin , si on pouvoit mettre ensemble les 
plaisirs , les sentimens ou les idées de la vie entière , et 
les réunir dans l'espace de vingt-quatre heures, on le fe- 
roit i on vous feroit avaler cette pilule , et on vous di- 
roit : Allez* vous en. 

— Il ne faut pas regarder. Burrhus comme un homme 
vertueux absolument. Il ne Test qu'en opposition avec 
Narcisse. Sénèque et Burrhus sont les honnêtes gens 
d'un siècle où il n'y en avoit pas. 

—Quand on veut plaire dans le monde, il faut se ré- 
^udre à se laisser apprendre beaucoup de choses qu'on 
sait par des gens qui les ignorept. 



MAXIMES ET PENSÉES. 55 

— Les hommes qu'on ne connoît qu'à moitié , otk 
ne les connoît pas ; les choses qu'on ne sait qu'aux trois 
quarts, on ne les sait pas du tout. Ces deux reflexions 
suffisent pour faire apprécier presque tous les discours 
qui se tiennent dans le monde. 

— Dans un pays où tout le monde cherche à pa*' 
roître , beaucoup de gens doivent croire , et croient en 
effet , qu'il vaut mieux être banqueroutier que de n'être 
rien. 

— La menace du rhume négligé est pour les mé- 
decins ce que le purgatoire est pour les prêtres , un 
Pérou* 

— Les conversations ressemblent aux voyages qu'on 
fait sur Feau : on s'écarte de la terre sans presque le séni- 
tir, et l'on ne s'aperçoit qu'on a quitté le bord que quaad 
on est déjà bien loin. 

— Un homme d'esprit prétendoît , devant des mil- 
lionnsâres, qu'on pouvoit être hébreux avec deux mille 
écus de rente. Ils soutinrent le contraire avec aigreur, et 
même avec emportement. Au sortir de chez eux, il 
cherchoit la cause de cette aigreur de la part de gens qui 
avoient de l'amitié pour lui. Il la trouva enfin. C'est que 
par là il leur faisoit entrevoir qu'il n'étoit pas dans leur 
dépendance. Tout homme qui a peu de besoins semble 
menacer les riches d'être toujours prêt à leur échapper. 
Les tyrans voient parla qu'ils perdent un esclave. Où 
peut appliquer cette réflexion à tontes les passions eti 
général. L'homme qui a vaincu le penchant à l'amour, 
montre une indiflerence toujours odieuse aux femmes : 
elles cessent aussitôt de s'intéresser à Im, C'est peut-être 



54 MAXIMES ET PENSÉES. 

pour cela qne personne ne s'intéresse à la fortune d'un 
philosophe : il n a pas les passions qui émeuvent la socié*- 
té. On voit qu'on ne peut presque rien faire pour son 
bonheur, et on le laisse là. 

— Il est dangereux pour un philosophe attaché à un 
grand (si; jamais leSvgrands ont eu auprès d'eux un philo- 
sophe), de moûtrér tout son désintéressement; on le 
prendroitau mot. Il se trouve dans la nécessité de cacher 
ses vrais sentimens, et c'est, pour ainsi dire, un hypo- 
crite d'ambition. 

CHAPITRE IV. 

Du goût pour la Retraite , et de la Dignité du 

Caractère. 

Un philosophe regarde ce qu'on appelle un état 
dans le monde, comme les Tartares regardent les 
TÎlles, c'est-à-dire, comme une prison : c'est un cercle 
où les idées se resserrent , se concentrent , en ôtant à 
Tâme et à l'esprit. leur étendue et leur développement. 
Un homn]\e qui a un grand état dans le monde, a une 
prison plus grande et plus ornée ; celui qui n'y a qu'un 
petit état est dans un cachot ; l'homme sans état est le 
seul homme libre, pourvu qu'il soit dans l'aisanpe, ou 
du n^oins qu'il n'ait aucun besoin des hommes. . 

— I^'ljiomme le plus modeste , en vivant dans Je mon- 
^,,dpit, s'il est pauvre, avoir un maintien très-assuré 
et^ une certaine aisance , qui empêchent qu'on ne prenne 



MAXIMES ET PENSÉES. 5'5 

quelque avantage sur lui. U faut, dans ce cas , parer sa 
modestie de sa fierté. 

— La foiblesse de caractère ou le défaut d'idées^ en 
un mot, tout ce qui peut nous empêcher ée vivre avec 
nous-mêmes, sont les choses qui préservent beaucoup 
de gens de la misanlliropie. 

— On est plus heureux dans la solitude que dati^ le 
monde. Cela ne'vieudroit-il pas de ce que dans- la so- 
litude on pense aux choses, et que dans le monde on 
est forcé de penser aux homoies ? 

— Les pensées d'un solilaire , homme de sens , et 
fût-il d'ailleurs médiocre, seroient bien pende cîxose, 
si elles ne valoient pas ce qui se dit et se fait dans le 
monde. 

— Un homme qui s^obstine à ne laisser plôyei' ni 
sa raison , ni sa probité , ou du moins sa délicatesse ^ 
sous le poids d'aucune des conventions absurdes ou 
malhonnêtes delà société; qui ne fléchit jamais dans les 
occasions où il a intérêt de fléchir ,, finit infailliblement 
par rester sans appui, n'ayant d'autre ami qu'un être- 
abstrait qu\>n appelle la vertu, qui vous laisse mourir 
de faim. 

— 11 ne faut pas ne savoir vivre quVivec ceux qui 
peuvent nous apprécier : ce seroit le besoin d'un 
amour- propre trop délicat et trop difficile à contenter 5 
mais il faut ne placer le fond de sa vie habituelle qu'a- 
vec ceux qui peuvent sentir ce que nous valons. Le 
philosophe même ne blâme point ce genre d'amour^ 
propre. 

'-< On dit quelquefois d'un homme qui vit seul : I! 



56 MAXIMES ET PENSÉES. 

n'aime pas la sociéié. C'est souvent comme d on disoil 
d'un homme qu'il n'aime pas la promenade, sous le 
prétexte qu'il ne se promène pas volontiers le soir dans 
la forêt de Bondy. 

-^ Est-il bien sûr qu'un homme qui auroit une rai-> 
son parfaitement droite , un sens moral parfaitement 
exquis, pût vivre avec quelqu'un ? Par vivre, je n'en- 
tends pas se trouver ensemble sans se battre : j'entends 
se plaire ensemble, s'aimer, commercer avec plaisir. 

— * Un homme d'esprit est perdu s'il ne joint pas h 
l'esprit lenergie de caractère. Quand on a la lanterne de 
IKogène, il faut avoir son bâton. 

-*- U u'y a personne qui ait plus d'ennemis dans le 
monde qu'un homme droit, fier -et sensible, disposé à 
laisser les personnes et les choses pour ce qu elles sont, 
plutôt qu'à les prendre pour ce qu'elles ne sont pas. 

— Le monde endurcit le cœur à la plupart des hom- 
mes *, mais ceux qui sont moins susceptibles d'endur-> 
cissement,sont obligés de se créer une sorte d'insensibi- 
lité factice pour n'être dupes ni des hommes, ni des 
femmes. Le sentiment qu'un homme honnête emporte, 
après s'être livré quelques jours à la société, est ordinai- 
rement pénible et tiîste : le seul avantage qu'il produi- 
ra , c'est de faire trouver la retraite aimable. 

— Les idées du public ne sauroient manquer d'être 
presque toujours viles et basses. Comme il ne lui re- 
vient guère que des scandales et des actious d'une in- 
décence marquée, il teint de ces mêmes couleurs pres- 
que tous les faits ou les discours qui passent jusqu'à lui. 
Voît-il une liaison même de la plus noble espèce, entre 



MAXIMES ET PEKSÉES. S'f 

un grand seigneur et un homme de mérite, entré un 
homme en place et un particuKer? H ne voit, dans lé 
premier cas , qu'un protecteur et un client i dans le se^ 
cond, que du manège et de Tespionnage. Souvent 
dans un acte de générosité mêlé de circonstances no- 
bles et intéressantes , il ne voit que de l'argent prêté à 
un homme habile par une dupe. Dam le fait qui donne 
de la publicité à une passion , quelquefois très-intéres^ 
santé, d'une femme honnête et d'up homme digne 
détre aimé , il ne voit que du catinisbie ou du liberti- 
nage. C'est que ses jugemens sont déterminés d'avance 
par le grand nombre de cas où il a dû condamner et 
mépriser. H résulte de ces observations que ce qui 
peut arriver de mieux aux honnêtes gens , c'est de lui 
échapper. 

-— La nature ne m'a point dit : Ne sois point pauvre • 
encore moins : Sois riche ; mais elle me crie : Sois in- 
dépendant. 

— Le philosophe 9 se portant pour un être qui ne 
donne aux hommes que leur valeur véritable, il est 
fort simple que cette manière de juger ne plaise à per- 
sonne. 

— L'honune du monde, l'ami de la fortune , même 
l'amant de la gloire , tracent tous devant eux une Egne 
directe qui ^s conduit à un terme inconnu. Le sage , 
l'ami de lui-même, décrit une ligne circulaire, dont 
l'extrémité le ramène à lui. Cest le totus teres atquè 
rotundua d'Horace. 

— Il ne faut point s'étonner du goût de J.-J. Rous- 
seau pour la retndte : de pareilles âmes sont exposées it 



58 MAXIMES ET PENSÉES. 

se voir seules, à vivre isolées, comme Taigle^maî» 
comme lui, Fétendue de leurs regards et la hauteur de 
leur vol soDt le charme de leur solitude. 

— Quiconque n a pas de caractère n'est pas un hoix^ 
me : c'est une chose. 

— On a trouvé le 7710/ de Médée suLlime ; mais cetni 
qui ne peut pas le dire dans tous les accidens de la vie ^ 
est bien peu de chose , ou plutôt n'est rien. 

-« On -ne connoît pas du tout l'homme (pi'on ne cou» 
noit pas très-bien ; mais peu d'hommes méritent qu*oa 
les étudie. De là vient que rhoj[nme d'un vrai mérite 
doit avoir en général peu d'empressement d'être connu* 
Il sait que peu de gens peuvent l'apprécier; que dans ce 
petit nombre chacun a ses liaisons, ses intérêts, son 
amour* propre, qui l'empêchent d'accorder au mérite 
l'attention qu'il faut pour le mettre à sa place. Quant 
aux éloges communs et usés qu'on lui accorde quand 
on soupçonne son existence , le mérite ne sauroit ea 
être flatté. 

— Quand un homme s'est élevé par son caractère , 
au point de mériter qu'on devine quelle sera sa con- 
duite dans toutes les occasions qui intéressent l'honnê- 
teté, non-seulement les fripons, mais les demi-hon- 
nêtes gens, le décrient et l'évitent avec soin 5 il y a plus/ 
Içs gens honnêtes, persuadés que par un effet de^ ses 
principes ils le trouveront dans les rencontres où ils au- 
ront besoin de lui, se permettent de le négliger, pour 
s^assurer de ceux sur lesquels ils ont des doutes. 

— Presque tous les hommes sont esclaves par la rai- 
tN>n que les Spartiates donnoient de la servitude de& 



MAXIMES ET PENSÉES. 5g 

Perses, faute de savoir prononcer la syllabe non. Sa- 
voir prononcer ce mot et savoir vivre seul sont les 
deux seuls moyens de conserver sa liberté et son ca- 
ractère. 

•i— Quand on a pris le parti de ne voir que ceux qui 
sont capables de traiter avec vous aux termes de la mo- 
rale , de la vertu , de la raison , de la vérité , en ne re- 
gardant les conventions, les vanités, les étiquettes, que 
comme les supports de la société civile; quand, dis-je, 
on a pris ce parti (et il faut bien le prendre, sous peine 
d'être sot, foible ou vil), il arrive qu'on vit à peu près 
solitaire. 

— Tout homme qui se connoit des sentimens éle- 
vés , a le droit , pour se faire traiter comme il convient, 
de partir de son caractère plutôt que de sa position. 



CHAPITRE V. 



Pensées morales. 



< 
Les philosophes reconnqi^sent quatre vertus pritici- 

pales dont ils font dériver toutes les autres. Ces vertus 
sont la justice, la tempérance, la force et la prudence. 
On peut dire que cette dernière renferme les deux pre- 
mières, la justice et la tempérance, et quelle supplée, 
en quelque sorte , à la force , en sauvant à l'homme qui 
aie malheur d'en manquer, une grande partie des occa- 
sions où elle est nécessaire. 
^ — Les moralistes , ainsi que les philosophes qui ont 



6o MAXIMES ET PENSÉES. 

feit des systèmes en physique ou en mëthaphysîque, cmt 
trop gënéi^alisé, ont trop multiplié les maiimes. Que 
devient, par exemple, le mot de Tacite : Neque mu* 
lier y amissâ pudiciiiâ^ alla ahnuerit, après l'exem- 
ple de tant de femmes qu'une fo3>Iesse n*a pas empê- 
chées de pratiquer plusieurs vertus? J'ai vu madame de 
L...., après une jeunesse peu différente de celle de 
Manon Lescaut, avoir, dans Tâge mûr, une passion di- 
gne d'Héloïse. Mais ces exemples sont d'une morale 
dangereuse à établir dans les livres. Il faut seulement les 
observer, afin de n'être pas dupe de la cfaarlatanerie des 
moralistes. 

— On a, dans le monde, ôté des mauvaises mœurs 
tout ce qui choque le bon goût : c'est une réforme qui 
date des dix dernières années. 

— L'âme , lorsqu'elle est malade, fait précisément 
comme le corps : elle se tourmente et s'agite en tous 
sens, mais finit par trouver un peu de calme ; elle s'ar- 
rête enfin sur le genre de sentimens et d'idées le plus 
nécessaire à son repos. 

— Il y a des hommes à qui les illusions sur les choses 
qui les intéressent sont aussi nécessaires que la vie. 
Quelquefois cependant ils ont des aperçus qui feroiait 
croire qu'ils sont près de la vérité ; mais ils s'en éloi- 
^ent bien vite , et ressemblent aux enfans qui courent 
après un masque, et qui s'enfuient si le masque vient à 
se retourner. 

— Le sentiment qu'on a pour la plupart des bien- 
faiteurs , ressemble à la reconnoissance qu'on a pour les 
arracheurs de dents. On se dit qu'ils vous ont fait du 



MAXIMES ET PENSÉES. 6| 

bien; qu'ils vous ont délivré d'un mal : maïs on se rap- 
pelle la douleur quils ont causée, et on ne les aime 
guère avpc tendresse. 

— tJn bienfaiteur délicat doit songer qu il y a dans 
le bienfait une partie matérielle dont il faut-dérober l'i- 
dée à celui qui est l'objet de sa bienfaisance. Il faut , 
pour ainsi dire, que cette idée se perde et s'enveloppe 
dans le sentiment qui a produit le bienfait; comme» 
entre deux amans, l'idée de la jouissance s'enveloppe 
et s'anoblit dans le charme de l'amour qui l'a fait 
naître. 

— Tout bienfait qui n'est pas cher au cœur, est 
odieux. C'est une relique, ou un os de mort : il faut 
1 enchâsser ou le fouler aux pieds. 

— La plupart des bienfaiteurs qui prétendent êlrç 
cachés, après vous avoir fait du bien, s'enfuient comme 
la Galatée de Virgile : et se cupit ante pîderi. 

— On dit conununément qu'on s'attache par ses 
l»enfaits. C'est une bonté de la nature. Il est juste que la 
récompense de bien faire soit d'aimer. 

— La ^omnie est comme la guêpe qui vous im* 
portune, et contre laquelle il ne faut faire aucun mour 
vement, à moins qu'on ne soit sûr de la tuer, sans quoi 
elle revient à la charge plus furieuse que jamais. 

Les nouveaux amis que nous faisons après un 

certain âge, et par lesquels nous cherchons à remplacer 
ceux que nous avons perdus, sont à nos anciens amisi 
ce que les yeux de verre, les dents postiches et les jam- 
bes de bois sont aux véritables yeux , aux dents naturel- 
les et aux jambes de chair et d'os. 



6^ MAXIMES ET PENSÉES. 

— Dans les naïvetés d'un enfant bien né , il y a quel- 
quefois une philosophie bien aimable. 

— La plupart des amitiés sont hérissées de si et de 
mais y et aboutissent à de simples liaisons, qui subsis- 
tent à force de sous-entendus* 

— Il y a entre les mœurs anciennes et les notices le 
même rapport qui se trouve entre Aristide, contrôleur-, 
général des Athéniens , et l'abbé Terray. 

— Lé genre humain , mauvais de sa nature, est de- 
venu plus mauvais par la société. Chaque homme y 
porte les défauts : i**. de lliumanité; 2°. de l'individu; 
S"*, de la classe dont il fait partie dans l'ordre social. Ces 
défauts s'accroissent avec le temps -, et chaque homme^ 
en avançant en âge, blessé de tous ces travers d'autruî, 
et malheureux par les siens mêmes , prend pour Thu- 
manité et pour la société un mépris qui ne peut tour* 
ner que contre l'une et l'autre. 

— 11 en est du bonheur comme des montres. Les 
moins compliquées sont celles qui se dérangent le 
moins. La niontre à répétition est plus sujette aux va- 
riations; si elle marque de plus les secondes, nouvelle 
cause d'inégalité \ puis celle qui marque le jour de la se- 
maine et le mois de l'année , toujours plus prête à se 
détraquer. 

^ ' — Tout est également vain dans les hommes, leurs 
joies et leurs chagrins; mais il vaut niieux que la 
boule de savon soit d'or ou d'azur, que noire ou gri- 
sâtre. 

— Celui qui déguise la tyrannie, la protection ou 
même les bienfaits, sous l'air et le nom de l'amitié, me 



MAXIMES ET PENSÉES. 65 

rappelle ce prêtre scélérat qui empoisonnoit dans une 
hostie. 

— II y a peu de bienfaitears qui ne disent comme 
Satan : Si cadens adoraueris me. ^ 

— La pauvreté met le crime au rabais. 

— Les stoïciens sont des espèces d'inspirés , qui por- 
tent dans la morale Texaltation et lenthousiasme poé'* 
tiqiies. 

— - S'il étoit possible qu'une personne , sans esprit, 
put sentir la grâce , la finesse, le tendue et les différentes 
qualités de Fesprit d'autrui, et montrer qu'elle le sent, 
la soc^té d'une telle personne, quand même elle ne 
produiroit rien d'elle-même , seroit encore très-recher- 
chée. Même résultat de la même supposition à fégard 
des qualités de Fâme. 

— En voyant ou en éprouvant les peines attachées 
aux sentimens extrêmes, en amour, en amitié, soit par 
la mort'de ce qu'on aime , soit par les accidens de la vie , 
on est tenté de croire que la. dissipation et la frivolité 
ne sont pas de â grandes sottises , et que la vie ne vaut 
guère que ce qu'en font les gens du monde. 

— .Dons de certaines amitiés passionnées , on a le 
bonheur des passions et l'aveu de la raison pàr^-déssus le 
marché. 

— L'amitié extrême et délicate est souvent méssée 
du repli d'une rose. » 
• •^— ^ La générosité n'est que la pitié deis âmes nobles. 

——Jouis et fais jouir, sans faire de mal ni à toi ni à 
personne : voilà , je crois toute la morale. 

— Pour les hommes vraiment honnêtes , et qui ijUat, 



64 MAXIMES ET PENSÉES. 

de oertains prinâpes, les cpinmaiidemeiis de Diea ont 
été mis en abr^é sur le frontispice de FaUbaye de Thé- 
léme : Fais ce que tu poudrcu. 

— L'éducation dent porter sur deux bases, la morale 
et la prudence : la morale, pour stppuyer la vertu; la 
prudence , pour vous défendre contre les vices Jautrui. 
En Élisant pencher la balance du côté de la morale^ 
vous ne faites que des dupes ou des martyrs -, en la Êôsant 
pencher de lautre coté, vous faites des calculateurs 
égoïstes. Le principe de toute société est de se rendre 
justice à soi-même et aux autres. Si l'on doit aimer soi^ 
prochain comme soi-même, il est au moins aussi juste 
de s'aimer comme son prochain. 

— U n'y a que l'amitié entière qui développe toutes 
les qualités de l'âme et de l'esprit de certaines per« 
sonnes. La société ordinaire ne leur laisse déployer que 
quelques agrémens. Ce sont de beaux fruits , qui n'ar* 
rivent à leur maturité qu'au soleil , et qui , dans la 
serre chaude , n'eussent produit que quelques feuilles 
agréables et inutiles. 

-— Quand j'étois jeune , ayant les besoins des pas- 
sons, et attiré par elles dans le monde , forcé de cher- 
cher dans la société, et dans les plaisirs quelques dis-' 
tractions à des peines cruelles , on me prêchoit l'amour 
de la retraite , du travail , et on m'assommoit de sermons 
pédantesques sur ce sujet. Arrivé à quarante; ans, ayant 
perdu les passions qui rendent la société supportable , 
n'en voyant plus que la misère et la futilité , n'ayant 
plus besoin du monde pour échapper à des peines qui 
u'eûstoi^At plus , le goût de la retraite et du travail 



MAXIMES ET PENSÉES. 65 

est devenu très- vif chez moi , et a remplacé tout le 
reste ^ j'ai cessé d'aller dan^ le monde : alors , ou na 
cessé de me tourmenter pour que j'y revinsse y j'ai éle 
accusé d'être misanthrope, etc. Que conclure de cette 
bigarre difiërence ? le besoin que les hommes ont de 
tout blâmer. 

— Je n'étudie que ce qui me plaît ; je n'occupe mon 
esprit que des idées qu\ m'intéressent. Elles seront 
utiles ou inutiles , soit à moi soit aux autres , le temps 
amènera ou n'amènera pas les circonstances qui me 
feront faire de mes acquisitions un emploi profitable. 
Pans tous les cas , j'aurai eu l'avantage inestimable de ne 
me pas contrarier, et d'avoir obéi à ma pensée et à mon 
caractère. 

—* J'ai détruit mes passions, à peu près comme nq, 
bomme violent tue son cheval , ne pouvant le gou- 
verner. 

— Lies premiers sujets de cliagrin m'ont servi ^e 
cuirasse contre les autres. 

— Je conserve pour M. de laB.... le sendment qu'ui^ 
honnête homme éprouve en passant devant le tombeau 
d'un ami. 

— *- J'ai à me [Jaindre des choses trés«certainementj 
et peut-^re des hommes : mais je me tais sur ceux-ci ; 
je ive tue plains que deâ cbp^e^*, et, si j'évite les hommes , 
c'est pour ne pas vivre &v#c Ceux qui me font porter 
le poids des choses. 

— La fortune , pour arriver à moi , pa$s&*a p«r les 
conditions que lui impose mon caractère. 

-«- Lorsque mon cqevir a besoin d'attendrissement^ 
II. 5 ' 



66 MAXIMES ET PENSÉES. 

je me rappelle la perte des amis que je n aï plud / de9 
femmes que la mort m'a ravies 5 j^babife leur cercueil ^ 
j'envoie mon âme errer autour des leura. Hélas! je pos- 
sède trois tombeaux. 

— Quand j'ai fait quelque bien et qu'on vient à le 
savoir, je me crois puni , au lieu de me croire récom- 
pensé. 

-* £n renonçant au monde et à la fortune , j'ai 
trouvé le bonheur, }e calme, la santé, même la richesse; 
et, en dépit du proverbe , je m'aperçois que, qui quitte 
la partie la gagne. 

— La célébrité est le châtiment du mérite et la pu- 
nition du talent. Le mien , quel qu'il soit , ne me paroit 
qu'un délateur, né pour troubler mon repos. J'éprouve , 
en le détruisant , la joie de triompher d'un ennemi. Le 
sentiment a triomphé cheï moi de l'amour - propre 
même , et la vanité littéraire a péri dans la destruction 
de l'intérêt que je prenois aux hommes. 

— L'amitié délicate et- vraie ne souffre ralliëge 
d'aucun autre sentiment. Je regarde comme un grand 
bonheur que l'amitié fût déjà parfaite entre M:.... et 
moi, avant que j'eusse occasion de lui rendre le service 
que je lui ai rendu et que je pouvois seul lui rendre. 
Si tout ce qu'il a fait pour moi avoit pu être suspect 
d'avoir été dicté par l'intérêt de me trouver tel qu'il 
zki'a trouvé dans cette circonstance ; s'il eût été possible 
qu'il là prévît, le bonheur de ma vie étoit empoisonné 
piour jamais. 

— Ma vie entière est un tissu de contrastes appa- 
rens avec mes principes. Je n'aime point les princes , 



MAXIMES ET PENSÉES. 67 

et je suis attaché à une princesse et à un prince. On 
me connoît des maximes républicaines ^ et plusieurs 
de mes amis sont revêtus de décorations monarchi-* 
ques. J aime la pauvreté volontaire ^ et je vis avec des 
gens riches. Je fuis les honneurs ^ et quelques-uns sont 
venus à mc^. Les lettres sont presque ma seule conso-*- 
lation , et je ne vois point de beaux-esprits , et ne vais 
point à Tacadémie. Ajoutez que je crois les illusions 
nécessaires à Thomme , et je vis sans illusion ; que je 
crois les passions plus utiles que la raison , et je ne 
sais plus ce que c'est que les passions , etc. 

— Ce que j'ai appris , je ne le sais plus. Le peu que 
je sais encore , je l'ai deviné. 

— ~ Un des grands malheurs de l'homme » c'est que ses 
jbonnes qualités même lui sont quelquefois inutiles , et 
que l'art de s'en servir et de les bien gouverner n'est 
souvent qu'un fruit tardif de l'expérience. 

— L'indécision , l'anxiété sont à l'esprit et à l'âme ce 
que la question est au corps. 

— - L'honnête homme , détrompe de toutes les illu- 
sions , est l'homme par excellence. Pour peu qu'il ait 
d'esprit , sa société est très-aimablè.'Il ne sauroit être 
pédant , ne mettant d'importance à rien. U est iudulr 
gent , parce qu'il se souvient qu'il a eu des illusions , 
comme ceux qui en sont encore occupés. C'est un 
e£kt de son insouciance d'être sûr dans le commerce, 
de ne se permettre ni redites , ni tracasseries. SirOii. 
$e led, pe<*met à son égard y il les oubUe ou les dédaigne. 
Il doit 4tre plus gai qu'un autre , parce qu'il est cons-^ 
tamment w état d'épigra^^n^ ccHitre son proche. Il 



68 MAXIMES ET PENSÉES. 

est dans le yrai , ei rit dm faux pas de ceux qui m^r^ 
chent à tâtons dans le faux. C'est un homme qui, d'un 
endroit éclairé y voit dans une chambre obscure les 
gestes ridicules de eeux qui sy promènent au hasard» 
U brise en riant les faux poids et les fausses mesures 
•qu'on applique aux hommes et aux choses. 

—-On s'effraie des partis violens^, mais i)s convien-» 
«lent aux âmes fortes , et les caractères vigoureux se 
reposent dans l'extrême. 

— La vie contemplative est souvent misérable. H 
faut agir davantage , penser n^oias , et ne pas s^ re* 
garder vivre. 

— L'homme peut as^rer à la vei^u : il ne peut Mtt- 
«onnaUement prétendre de trouver la vérité. 

•r— Le jansénisiisie d^ chrétiens c'est le stoïcisme des 
'ps^eos, dégradé de figurent mis à la portée d'tine po« 
pulace chrétienne^ et cette secte a eu des Pii$ca1 et des 
Arnaud pour défenseurs I ^ 



CHAPITRE VI- 

i}es FejïUfnes y de V Amour y du Manche et de la 

Galanterie. 

Je suis lionteux àè fo^^nion que vom av«it de mei. 
Je n'ai pas toujours été aussi Céladon qu^ vous me 
"voyez. ^ je vous oomptois Ipois w quatre traits de ma 
jeunesse , vous verriez que cela n'est pas trçp honnéfee^ 
«t que cdia appartient à la meîUeiire eompagnie. 



MAXIMES ET PENSÉE& 69 

— L'amour est un sentiment qui , pour paroitre 
honnête , a besoin de n être compose que de Im-méme» 
de ne vivre et de ne subsister que par lui* 

— Toutes les fois que je vois de Tengoume^t ddn& 
une femme , ou même dans un homme , je Gomiûance 
a me défier de sa sensibilité* Cette règle ne m'a ja- 
mais trompé. 

. — En fait de sentimens , ce qui peut être évalué us^ 
pas de valeur^ 

— L'amour est comme' les msdadies épidémiq^es : 
plus on les craint , plus on y est exposé. 

— Un homme amoureux est un homme qui veut 
être plus aimable qu'il ne peut ^ et voilà pourquoi 
presque tous les amoureux sont ridicules. 

-— II y a telle femme qui s'est rendue malheureuse 
pour la vie, qui s'est perdue et déshonorée pour un 
amant qu'dle a cessé d'aimer parce qu'il a mal oté sa 
poudre, 011 mal coupé up de ses ongles, ou mis son bas 
à l'envers. 

-^ Une âme fière et honnête^ qui sk coqna les pas-r 
sions fortes , les fuit, les craint , dédaigne la g^anterie \ 
comme fâm^ quia senti l'amitié^ dédaigne les liaisons 
communes et les petits ititérêts. 

-^ On demande pourquoi les femmes affichent le» 
hommes ; on en donne [dusieurs r^Qni$ dont la p}upart 
sont offensantes pour les hommes. La véritable , c'est 
qu'elles ne peuv^it ^lùr de leup empire^ sir eox que 
par ce moyen* 

— Les femmes d'un état mlf6yen , qui ont l'espc- 
rakice ou la in^ie d'être quelqkie çlK>se dans le monde ^ 



yo MAXIMES ET PENSÉES. 

n'ont ni le bonheur de la nature, ni celui de Topinion : 
ce sont les plus malheureuses créatures que j'aie con- 
nues. 

— La société, qui rapetisse beaucoup les hommes, 
réduit lés femmes à rien. 

— Les femmes ont des fantaisies , des engoûrtiens , 
quelquefois des goûts ; elles peuvent même s élever jus- 
qu'aux passions : ce dont elles sont le moins Suscep- 
tibles, c'est l'attachement. Elles sont faites pour com- 
mercer avec nos foiblesses , avec notre folie , mais non 
avec notre raison. 11 existe'entre elles et les hommes des 
sympathies d'épiderme , et très-peu de sympathies d'es- 
prit , d'âme et de caractère. C'est ce qui est prouvé par 
le peu de cas qu'elles font d'un homme de quarante ans ; 
je dis , même celles qui sont à peu près de cet âge. Ob- 
servez que, quand elles lui accordent une préférence , 
c'est toujours d'après quelques vues malhonnêtes , d'a- 
près un calcul d'intérêt ou de vanité; et alors l'exception 
prouve la règle , et même plus que la règle. Ajoutons 
que ce n'est pas ici le cas de l'axiome : Qui prouve trop 
ne prouve rien. 

— C'est par notre amour-propre que l'amour nous 
séduit. Eh ! comment résister à un sentiment qui em- 
bellit à nos yeux ce que nous avons , nous rend ce que 
nous avons perdu , et nous donne ce que nous n'avons 
pas ? 

- — Quand un homme et une femme ont l'un pour 
l'autre une passion violente, il me semble toujours que, 
quels que soient les obstacles qui les séparent , un mari , 
des pàtens , etc. , les deux am^ns sont l'un ii l'autre , de 



MAXIMES ET PENSÉES. 71 

par la nature ; qu Us s'appartiennent de droit divin , 
malgré les lois et les conventions humaines. 

— Otez Faraour-propre de l'amour, U en reste trop 
peu de chose. Une fois purgé de vanité, c'est un con- 
valescent aObibli , qui peut à peine se traîner. 

— L'amour, tel qu'il existe dans la société, n'est 
que l'échange de deux fantaisies et le contact de deux 
epidermes. 

— On vous dit quelquefois , pour vous engager à 
aller chez telle ou telle femme : Elle est très-aimable; 
mais, si je ne veux pas l'aimer ! Il vaudroit mieux dire : 
JE lie est très-aimante j parce qu'il y a plus de gens 
qui veulent être aimés , que de gens qui veulent aimer 
eux-mêmes. 

— Si Ton veut se faire une idée de Famour-propre 
des femmes dans leur jeunesse , qu'on en juge par 
celui qui leur reste après qu elles ont passé l'âge de 
plaire. 

— n me semble, dîsoit M. de à propos des fa- 
veurs des femmes , qu'à la vérité cela se dispute au con- 
cours ; mais que cela ne se donne ni au sentiment , ni 
au mérite. 

— Les jeunes femmes ont un malheur qui leur est 
commun avec les rois , celui de n'avoir point d'amis ^ 
mais , heureusement , elles ne sentent pas ce malheur 
plus que les rois eux-mêmes : la grandeur des uns et la 
vanité des autres leur en dérobent le sentiment. 

— On dit , en politique , que les sages ne font 
point de conquêtes : cela peut aussi s'appliquer à la 
|[alanterie. 



'J2 MAXIMES ET PENSÉE^. 

•— II 68t plaisant que le mot , connoître une femme, 
veuille dire , coucher avec une femme , et cda dans [^« 
aieurslangnesaneiennes , dans les mœurs les plus ^niples^ 
les plus approchantes de la nature ; comme si on ne con- 
noissoit point une femme sans cela. Si les patriarches 
avoiènt fait cette découverte , ils étoient plus avancés 
qu'on ne croit. 

— Les femmes font avec les hommes une guerre où 
ceux-ci ont un grand avantage , parce qu ils ont \es filles 
de leur côte. 

— Il y a tdie fille qui trouve àsev«idre, et ne trouve- 
roit pas à se donner. 

«—L'amour ie plus honnête ouvre Tâme aux petites 
passions : le mariage ouvre votre âme aux petites passons 
de votre femme , ^ l'ambition , à la vanité , etc. 

-— Soyez aussi aimahle , aussi honnête qu'il est pos* 
siUe, aimes la femme la plus parfnte qui se puisse ima- 
giner ; vous n en serez pas moins dans le cas de lui par? 
donner ou voire prédécesseur, ou votre successeur. 

— Peut-être faut41 avcMr senti farnoor pour Uen con* 
nottre f unitié. 

— Le comm^t^ des hcmunes avec les femmes res- 
semble à cdui que ks Européens font dans flnde ; cest 
un commerce guerrier. 

— Pour qu^une liaiscm dThomme à femme soit vrai- 
ment iateressante, il fiiut qa^ y ait entre eux jouîssaDce, 
mémoire ou désir. 

— Une femme d'esprit m^a A\ un jour un mot qui 
pourroil bien être le secret de son sexe : cest que 
toute femme y en {venant un amant y ûcnt plus et 



MAXIMES ET PENSÉES. y5 

compte de la manière dont les autres femmes voient cet 
homme, que de la manière dont elle le voit elle- 
même. 

— Madame de..... a été rejoindre son amant en An- 
gleterre, pour faire preuve d'une grande tendresse, quoi- 
qu'elle n'en eût guère. A présent, les scandales se don- 
nent par respect humain. 

— Je me souviens d'avoir vu un homme quitter les 
filles d'opéra , parce qu'il y avoit vu, disoit-il , autant de 
fausseté que dans les honnêtes femmes. 

-i- Il y a des redites pour l'oreille et pour l'esprit; il 
n'y en a point pour le cœur. 

— Sentir fait penser ; on en convient assez aisément : 
on convient moins que penser fasse sentir -, mais cela 
n'est guère moins vrai. 

— Qu'est - ce que c'est qu'une mâttresse ? une 
femme près de laquelle on ne se souvient plus de ce 
qu'on sait par cœur , c'est-à-dire, de tous les défauts de 
son sexe. 

— Le temps a fait succéder dans la galanterie le pi- 
quant du scandale au piquant du mystère. 

— 11 semble que l'amour ne cherche pas les perfec- 
tions réelles ; on diroit qu'il les craint. Il n aime que 
celles qu'il crée , qu'il suppose ; il ressemble à ces rois 
qui ne reconnoissent de grandeurs que celles qu'ils ont 
faites. 

— Les naturalistes disent que , dans tputes les espèces 
animales, la d^énération commence par les femelles. 
Les philosophes peuvent appliquer au moral cette obser- 
vaùon , dans Ja société civilisée. 



74 MAXIMES ET PENSÉES. 

— Ce qui rend le commerce des femmes si piquant , 
c'est qu'il y a toujours une foule de sous-entendus , eit - 
que les sous-entendus qui, entre hommes , sont génans, 
ou du moins insipides , sont agréables d'un homme à 
une femme. 

— On dit communément : La plus belle femme du 
monde ne peut donner que ce qu'elle a \ ce qui est très- 
faux : elle donne précisément ce qu'on croit recevoir, 
puisqu'en ce genre c'est l'imagination qui fait le prix de 
ce qu'on reçoit. 

— L'indécence, le défaut de pudeur sont absurdes 
dans tout système : dans la pliilosophie qui jouit , comme 
dans celle qui s'abstient. 

— J'ai remarqué , en lisant l'Ecriture , qu'en plusieurs 
passages, lorsqu'il s'agit de reprocher à l'humanité des 
fureurs ou des crimes, l'auteur dit, lesenfansdes hommes^ 
et quand il s'agit de sottises ou de foiblesses , il dit , les en- 
fans des femmes. 

— On seroit trop malheureux , si auprès des femmes 
on se souvenoit le moins du monde de ce qu'on sait par 
cœur. 

— Il semble que la nature , en donnant aux hommes 
un goût pour les femmes, entièrement indestructible, 
ait deviné que , sans cette précaution , le mépris qu'ins- 
pirent les vices de leur sexe , principalement leur vanité, 
seroit un grand obstacle au maintien et à la propagation 
de l'espèce humaine. 

— Celui qui n'a pas vu beaucoup de filles ne connoit 
point les femmes, me disoit gravement un homme, 
grand admirateur de la sienne , qui le trompoit. 



MAXIMES ET PENSÉES. 75 

-—Le mariage et le célibat ont tous deux des incon- 
'Véniens; il faut préférer celui dont les inconvéuiens ne 
«ont pas sans remède. 

— En amour, il suffit de se plaire par ses qualités aif- 
jnables et par ses agrémens -, mais en mariage , pour être 
lieureux, il faut s'aimer, ou du moins ^ se convenir par 
ses défauts. 

— L'amour plaît plus que le mariage, par la raison 
que les romans sont plus amusans que Thistoire. 

— L'hymen vient après l'amour, comme la fumée 
après la flamme. 

— Le mot le plus raisonnable et le plus mesuré qui 
ml été dit sur la question du célibat et du mariage, est 
celui-ci : Quelque parti que tu prennes , tu t'en repen- 
tiras. FonteneUe se repentit , dans ses dernières années , 
de ne s'être pas marié. Il oublioit quatre-vingt-quinze 
ans passés dans l'insouciance. 

— En fait de mariage, il n'y a de reçu que ce qui 
est sensé, et il n'y a d'intéressant que ce qui est fou. Le 
reste est un vil calcul. 

— On marie les femmes avant qu'elles soient rien et 
qu'elles puissent rien être. Un mari n'est qu'une espèce 
de manoeuvre qui tracasse le corps de sa femme , ébau- 
che son esprit et dégrossit son âme. 

— Le mariage , tel qu'il se pratique chez les grands, 
est une indécence convenue. 

— Nous avons vu des hommes réputés honnêtes, 
des sociétés considérables, applaudir au bonheur de 

Mademoiselle , jeune pereonne , belle , spirituelle, 

vertueuse , cjui obtenoit l'avantage de devenir l'épouse 



•^6 MAXIMES ET PENSÉES. 

de M. • . • • 9 vieillard malsain , repdussaiit , malhonnête , 
imbécile , mais riche. Si iquelque chose caractérise un 
siècle infâme , c'est un pareil sujet de triomphe , c'est le 
ridicule d'une telle joiô, c'est ce renversement de toutes 
les idées morales et naturelles. 

— • L'état de mari a cela de fôcheut ^ que le mari qui 
a le plus d'esprit peut être de trop partout, même che:i 
lui 9 enimyeux san^ ouvrit* la bouche , et ridicule en di- 
santla chose la plus simple. Etre aimé de sa femme » 

^uve une partie de ces travers. De là vient que M 

disoit à sa femme : Ma chère amie , aidez-moi a n'être 
pas ridicule. 

— Le divorce est si naturel que, dans plusieurs tuai- 
sons y il couche toutes les nuits entre deux époux. 

"^ Grâce à la passion déa femmes y il faut que 
l'homme le plus honnête soit ou un mari ^ou un sigisbe i 
ou un crapuleux, ou un impuissant. 

"-^ La pire de toutes les itiéssdliances eat celle du cœu r* 

— Ce n'est pas tout d être ainié , il faut être appré<^ 
cié , et on ne peut i'4tre que par ce qui nous ressemble. 
De là vient que Tamour n'existe pas y ou du moins ne 
dure pas^edtre de» êtres dont l'un est trop inférieur à 
l'autre; et ce n'est point là Teffet de 1^ vanité, c'est ce^ 
lui d'un juste amour-propre dont il seroit absurde et im* 
possible de vouloir dépouiller la nature humaine. La va* 
nité n'appartient qu'à la nature foible ou corrompue; 
mais l'amour-prûpre, bien connu , appar lient à la na- 
ture bien oixlonnée. * 

— Les femmes ne dorment à l'amitié que ce qu elleê 
empruntent à Tamour. 



MAXIMES ET VEIISÉES. 77 

«•^Une laide impérieuse y et qui veut plaire, est un 
pauvre qui commande qu On lui fasse . la cliarilé. 

— L'amant trop aimé de sa maîtresse , semble l'ai* 
sner moins, et iJiice versa. En seroit«^il des sentimens 
^Ju ocenr comme des bienfaits? QiKipd on n'espère plus 
pouvoir les payer , ou tombe dans l'ingratitude. 

***- Lfd femme qui s estime plus pour les qualités de 
floa âme ou de sou esprit que pour sa beauté , est supé« 
lîeureà son sexe. Celle qui s'estime plus pour sa beauté 
que pour soà esprit ou pour les qualités de son ime^ 
est de son sexe. Mais celle qui s'estime plus pour sa 
uaissauce ou pour son rang que pour sa beauté, est hors 
de son sexe, et au^iessous de son sexe. 

' — Il paroît qu'il y a dans le cerveau des femmes uii^ 
case de moins, et dans leur cœur une fibre de pljis, que 
ehez les hommes. U falloit une organisation partteu«« 
iiène,pour les rendre capaUes de supporter, soigner, 
caresser des en&ns. 

< — C'est à l'amour maternel que la nature a ooio&é la 
coDservÂtion de tous les êtres; et, pour assurer aux 
mères leur récompense, elle l'a mise dans )es plaâ$ii^^ 
H même dans le^ peines attacha à ce délicieiii senti<- 
meut. 

^— En amour, tout est vrai, <out est (am^ et e^ k 
(61^ chose sur laquelle on ne paisse p^s dire une #1>* 
surdité. 

— Un homme amoureux, qui plaint l'homme rai- 
sonnable, me paroît ressembler à un homme qui lit 
des contes de fées, et qui raille ceux qui lisent l'his- 
toire. 



^8 MAl^IMES ET PENSÉE5. 

— L!amour est un commerce orageux, qui finit toa— 
jours par une banqueroute, et c'est la personne à qui onc 
fait banqueroute qui est déshonorée. 

. — Une des meilleures raisons qu'on puisse avoir de 
ne se marier jamais , c'est qu'on n'est pas tout-à*fait la 
dupe d'une femme tant qu'elle n'est point la vôtre. 

— Avez-vous jamais connu une femme qui, voyant 
lin de ses amis assidu auprès d'une autre femme, ait 
supposé que cette autre femme lui fut cruelle ? On voit 
par-là l'opinion qu'elles ont les unes des autres. Tirez vos 
conclusions. 

; — Quelque mal qu'un homme puisse penser des 
femmes, il n'y a pas de femme qui n'en pense encore 
plus mal que lui. 

— Quelques hommes avoient ce qu'il faut pour s'é- 
lever au -'dessus des misérables considérations qui ra- 
bmssentles hommes au-dessous de leur mérite^ mais le 
mariage , les liaisons de femmes , les ont mis au niveau 
de ceux qui n'approchoient pas d'eux. Le mariage , la 
galanterie sont une sorte de conducteur qui fait arriver 
ces petites passions jusqu'à eux. 

► — J'ai vu, dans le monde, quelques hommes el 
quelques femmes qui ne demandent pas l'échange du 
sentiment contre le sentiment, mais du procédé contre 
le procédé ;>t qui abandonneroieat ce dernier marché^ 
fii^il pouvoit conduire à l'autre. 



MAXIMES ET PENSÉES. 79 

CHAPITRE VIL 

Des Sapans et des Gens de lettres* 

Il y a noe certaine énergie ardenle , mère on compa-* 
gne nécessaire de telle espèce de talens , laquelle pour 
fordinaire condamne ceux qui les possèdent au mal* 
heur, non pas d'être sans morale, de n avoir pas de très- 
beaux mouvemens , mais de se livrer fréquemment à 
des écarts qui supposeroient Tabsence de toute morale. 
C est une âpreté dévorante dont ils ne sont pas mattres 
et cpii les fend très-odieux. On s'afflige, en songeant 
que Pope et Swift en Angleterre, Vohaire et Rousseau 
en France, jugés non par la haine , non par la jalousie , 
mais par Féquité, par la bienveillance , sur la foi des faits 
attestés ou avoués par leurs amis et par leurs admira- 
teurs , seroient atteints et convaincus d actions très-con- 
damnables, de sentimens quelquefois très -pervers. O 
aliitudo t 

— • On a observé que les écrivains en physique, his- 
toire naturelle, physiologie, chimie, étoient ordinaire- 
ment des hommes d'un caractère doux, égal,«t en gé- 
néral heuf eux ; qu'au contraire les écrivains de politi- 
que , de législation , même de morale , étoient d'une 
humeur triste, mélancolique, etc. Rien de plus simple : 
leé uns étudient la nature ; les autres la société : les uns 
contemplent l'ouvrage du grand Être •, les autres arrê- 
tent leurs regards sur l'ouvrage de l'homme. Les résid- 
tats doivent être différens* 



8o MAXIMES ET PENSÉES. 

-~ Si foD cpRiinoit aTec soin Fassemblage de quali* 
lés rares de Fesprit et de Fâme qu il faut pour juger , 
sentir et apprécier les bons yers; le tact, la délicatesse 
des organes , de Foreille et de l'intelligence , etc. , on 
se Gonyaîncroit que, malgré les prétentions de toutes 
les classes de la société à juger les ouvrages d'agrément, 
les poètes ont dans le fait encore moins de vrais juges 
que les géomètres. Alors les poètes, comptant le public 
pour rien, et ne s'occupant que des connoisseurs , fe- 
roient à F^ard de leurs ouvrages ce que le fameux ma- 
thématicien ^ete faisoit à Fi^^ard des siens dans un 
temps où Fécnde des mathématiques étoit moins répan- 
due qu aujounfhuL U n en tiroit qu un petit nombi*e 
d*ezem[Jaires qu^il faisoit distribuer à ceu¥ qui pou* 
voient l'entendre et jouir de son livre ou s en aider. 
Quant aux autres , il n y pensoit pas. Mais Viete étoit 
riche « et la plupart des poètes sont pauvres. Puis un 
géomètre a peut-être moins de vanité qu un poëte j ou , 
s'il en a autant , il doit la calculer mieux. 

— II y a des hommes chez qui V esprit ( cet instru- 
ment applicable à tout). n'est quuii Udent^ par lequel 
ils semblent dominés, quil$ ne gouvernent pas, et qui 
n'est point aux ordres de leur raison. 

— Je dirois volontiers des métaphysiciens ce que 
$caliger dîsoit des Basques : Ofk dit qu'ils s'entendent ; 
mais je n'en crois rien. 

— Le philosophe qui fait tout pour la vanité, a-t-4I 
droit de mépriser le courtisan qui fait tout (KHir Finté- 
rêt ? U me semble que l'un emporte les louis d*or , et 
que Fautre se retire content après en avoir entendu le 



MAXIMES ET PENSÉES. 8i 

Iruit. D'Alembert, courtisaQ de Voltaire par ùii intérêt 
^e vanité, est-il bien au-dessus de tel ou tel courtisan 
de Louis xiy , qui youloit une pendon ou un gouyer- 
Dément? 

— Quand un homme aimable ambitionne le petit 
avantage de plaire à d'autres quà ses amis, comme le 
font tant d'hommes, surtout de gens de lettres , pour 
qui plaire est comme un métier, il est clair qu'ils ne 
peuvent y être portés que par un motif d'intérêt ou de 
vanité. Il faut qu'ils choisissent entre le rôle d'une cour- 
tisane et celui d'une coquette, ou,, si l'on veut, d'un 
comédien*. L'homme qui se rend aimable pour une so- 
ciété, parce qu^il s'y plaît, est le seul qui joue le rôle 
d'un honnête hônune. 

-— Quelqu'un a dit que de prendre sur les anciens , 
c étoit pirater au-delà de b ligne; mais que de piller lés 
modernes, c*étoit filouter au coin des rues. 

— Les vers ajoutent de l'esprit à la pensée de l'hom- 
me qui en a quelquefois assez peu ; et c'est ce qu'on apj*> 
pelle talent. Souvent ils ôtent de l'esprit à b pensée de 
celui qui a beaucoup d'esprit, et c^est la meilleure preuve 
de l'abseûce du talent pour lies vers. 

— La plupart des livres d'à présent ont l'air d'avoir 
été faits en un jour avec des livres lus de la veille.' • 

-^- Le bon goût, le tact et le bon ton, ont plus de 
rapport que n'aflFectent de lé croire les gens de lettres.* 
Le tact, c'est le bon goût appliqué au maintien et à la 
conduite ; le bon ton , c'est le bon goût appliqué aux 
discours et à la conversation. . 

•— C'est une remarque excellente d'Arîstole , dans sa 
H. 6 



Sa MAXIMES ET PEKSÉÊtk 

• * 

rU^toqcj^e, jque toute loéuipbor^ fçndé^ sur f malogi^^ 

doit^étre ^alemeui; ju^tedaDs ]q ^eo^ neuversé. Aûisi, 

f4>li a dit de la lô^^lesse qu elle ^t Thiver de b vie ; 

renversez la métaphore et vous la trouver^ ég/fi^ 

lueAt juste^ ea djuiaut que rbiver est Ja lâeillasse . de 

l'aiméeu 

. .f^^Pûweti:«.uj)|padl¥>o»^ied3]as)f^ 

Bioios opérer ui»e révolution ,9e»i«iM^^ U Ëmt^.fxi^ip^ 

dgmlordi» foi^iff^ , trouver tout prepsiré et a^t^e k 

prqpos» 

>«- I^^grwds feigueurs i9t les Jbeaux^^pnts , 4w4 
clauses qni^ i«climcjb(3ut mutuellemeut , veulent uuk 
d^iespéoes d'-l^fmsuef dont les un^ fioiiit uu {)eu plus 
de pèpssière et les autres un peu plus de bruikt. 

'***'V?9 86f?# d» l^wes woei^t ^\^ qu'îb amusent, 

çûfuwié les voy.agwra aiment .ora:ic(|u'îls <é 

— Qu estsse que c^ qu'un homme d0 leUnes qui 
nW pasTyeb»^ par son oara^stère , fiar le inéiite de ^s 
an»s, ^ par ^ja p^u d'âîs^mee? Sî^ee deimer avantage lui 
ma!^qu?>au point qu'iil soit bors d'état^ i^vre couve- 
idbleme^t dans h ^oàé^ ou >^n mérite l^ppelle t qiiV 

t-îl besoin du monde ? J$Qn Sieul parti n'eM-^l pas de s^ 
chpijsir une reitraite où il i^uisse cultiver en paix son 
âme, son oaractère et ^ ifêÂaou? FautnA qu'il porte h, 
pç(ids de la société sws raoueiUir un ^ul des avantages 
^'elle procureaux autres ^l^ssea de^^toyeu^? Plqs d'ui^L. 
bouïm/3 de lettres , forcé de pnsndre ce psrû» y a trouvé 
le Jbonheur qu'jU eût içlierqhé ailleurs ^aMioment. Cest 
celui-là qui peut dire qu çn lui ^fou^ut tout OU lui a 

if^ 4px3m, ^Jt^,çmhîwi£(¥i€mm^.n§ peut -ou f as 



MAXIMES ET PERSÊE^S. «S 

^répéier le mot de Théanàode: H&si^ 1 nous p^iissibiDS; 
si nom n'eudsions péiî ! ^ 

— On dit et on répète ; après avoir 1^ gu«|)[que ou- 
vrage qui respire la vertu : C'est dommage que les au- 
tiears ue se peignent pas daps Jeors «cnts , et qu'on ne 
puisse pas conclure d'un pareil ouvragée que f auteur.4fll 
ce qu'il paroit être. Il est vr^ que beaucoup (f eiemples 
autorisent ce^te pensée ; m^ j'ai nemarqué qu'on fait 
jsouvent cette i^^xion poMr l^ dispenser d'faonorer léft 
vertus dçnt on t|*ouve liou^ dnas les écrits d'un hcN(^ 
liétebonune. 

"•^ Un auteiu-, bomme de goût, est parmi ce public 
blasé, ce qu'we jeune £smme est aa mtteu d'ttti -terdb 
de vieux libertins. 

— Peu de philosophie mèi^ .à mé^pmer l'érudition ; 
beaucoup de philosophie mène à l'estimer. 

-r- Le traysôl du poëte, et souvent de Phommë de 
lettres, lui est bien peu fructueux à lui-même: et, de 
jU psrt du publie, il se trouve' j^lacé entre le grand 
merci elle paie promener* Sh fortune se réduit à jbàîr 
4e lui-même let du temps. 

-T^ Le repos d'un ^écrivain tpai a l%iit de bons ouvra- 
ges , est plus respecté du -ptiUtc que la fécondité ac- 
4Ûre d'un auteur qui multiplie l€^ ouvrages médiocres. 
Cest ainsi quele ôlmice d'un hômime côntafii ^ourbiëii 
fiailsp^' impose beaucoup plus que le bavardage d'un 
Jboiiupie /qui ne parle pas mal. 

rr- Ce qui Sàk le^pceès de quantité douvrages est le 
rapport qui se trouve entre la médiocrité des idées d^ 
Jl'iaj4e]pr; et la «iiédîo<»4té dès idées du public. 



\ 



8^ MAXIMES ET PENSÉES. 

, — A voir la composition de racadémie français '^ 
croiroit qu'elle a pris pour devise ce vers de Lueracè : 

"■■' Certareingenio, contenderenôbilitatc. 

; -— L*lioniieiir d être de l'académie française est com- 
ipela croix de Salnt-^Louis , qu'on voit également aux 
Mupers de Marly et dans les àuberges-àvingtHleur sous. 
.. ,. -^ L'académie française èsl coniraie lX)i)éra , qui- se 
soutient par des choses éti^angères à lui ^ les pensions 
^l'on exige pour lui des Opéras-Comiques de province, 
la permission d'aller du parterre aux foyers, etc. De mê- 
me 9 rl'académie se soutient par tous les avantages qu'ielle 
«procure..: EUe ressemble à la Cidalise de Gresset : 

Ayez-la, c'est d'abord ce que vous lui devez ^ 
; . .• '.£t vous l'estimerez après , si vous pouvez. 

, ^ rr- Il en est un peu des réputations littéraires j et 
.surtout des réputations de. théâtre, coiaime'des for- 
tunes qu'on faisoit autrefois dans les tles. 11 suffisoit 
|)resqu^ autrefoi3 d'y passer, pour parvenir à une gran- 
de richesse \ mais ces grandçs fortunes même ont nui 
à celles de la générat^oi^ sliivante ; les terres épuisées 
u'ont plus rendu si abondampiént. 

— i De nos jours , les succès de théâtre.. et de littér 
^^ture ne. sont guère que des ridicules^ 
,. ,7— C'est la philosophie. qui découvre les vertU3'Utileis 
de la morale et de la politique. C'est l'éloquence qui les 
nepd populaires. C'est la poésie qui les kend pour ainsi 
dire proverhiales. ; , . 

— Uu sophiste éloquent , ipiais dénué de logique , 



MAXIMES ET censées; 8^* 

^sl à' un' ora4e^r[lhilosophe ce quW faiseirr de tours dé 
passe-passe est à un mathématicieu y ee que Fin^tti est 
à Archimède.1 . •: *r: -'./j;.. ' i » . i- -:••.-; ' • •• -"^ 
— On n'est point un homme d*€sprit pour aVmr 
b€«i|ic€^4'idées , comme :oa n'est pa^ oti- bon général 
pour avoir beaucoup de soldats. •' ;. : .u 

. «rrOto s^ fâqhe«80ttvebt')09ntre les gens de lettres 
qui Sfe.i^etirem; du monde ^ on Teut qu'ik prendèlltiâ^^ 
térétà la société dont ils>ne tireôl pesqoepoiiit d'âtfoù- 
tage ; on veut les forcer d'âènster écemëUëm^m àUé'ti^J 
rages d'u^ loterie où ils n'ëat poine de-Httét. *' -^ 

— Ce. qpe j'^dmtre dans les iôiciens^ philosôpbèâ' l 
c'est le d^sir^.xk éoniormer letkvsmœuns à- leurs ^écrite : 
c'est ce que/l'onireimaMlue dans Platoù^V'Théophrasté 
^t plusieurs. arOreis^ La ài0cd)e:pafatiq)ae é|oit si bien M 
pamç/f^s^tielle de leur [^osopliié V qne plusiêtApà fh- 
ri^ptqiiaàla^téte de&écçWv ^iiâaV<oiv rkfHèmiT^tels 
que XénocraLe , Fc4émopl','>Hei|sîppë^:ècc'.-^Socrate , 
$an^ avoir dbnné un saulioiiirrage'jet sans'ayoir. étàdïlé 
aucune autre science quéJà morale»^ o'ietiifiit pists mûitis 
le premier philosophe^ son 'siccloï • : ^ '^ i:-. '';i 

— Çer qu'on sait le miétii^est i ® . ce <pi(m â (fevhïé J 
2?. ce qu'on a appris par l'expérience des hommes ^l 
d^ chQs^^ 5^'Cè: qu'o& a* af^nia y non dand leslirres , 
xn4s. par \çs ^l^vrie^ ^rç^t^à-dise ,rpar les réflexions qu'ils 
font faire ; 4^. ce qu'on a appris dans les livres on avec 
des. iQ^itres*. ;,^\ ,■•)..• le:' . '-'^gf» ' -.'Tn ...• '..>- — 
t , -p I^s^ ;g^s de .l6tutt&, tortout jes^ poètes , ^om t^otXH 
^. Jes. paonsi, ^ qujk oq jettç mè^qninoment mielqaes 
graines dans leur loge , et qu'on en tire quelquefois poun 






96 MArXlWE»^ ET PBirSÉES. 

kss voir égaler hùt qaéaae -y tandb qiitg les eM(|9 ^ fe^ poti-» 
W , |e$ çskiard^ q% le3 dKiidons se po>mâïtgat lft»H7ÂiEéfie 
dans la basse-cour , et remplissent leur jabo% tdtlt à lèuir . 
aise*. :.;..■■ * ' ■ 

r^Les Aiocé» prodàbeut les mcch) têsUÈiÈë FàT-^ 
gent produit largent. •♦ : 

rrr-. II y » de» livres ^pse ThoMme' ijuiak jflÀ d'as- 
^ pr^.M sauroît f»re smsoin; carrosse de Vifiii^, é'ésf>^ 
i-dke ,> saôs aUer eonsulteo Jes kÎAÊmtes , U^ th&^às^iïèi 
HNioi^béicpeft'^ les'iÀaimscrkj , eiiÊi; 

-^11 est^aofBieiiDpofisîble ^^im fAiSâ^ôj^lcitt^im 
po^n^sidieptpas'misaBtliropë» : i^^p^cie ^ë leur goût 
eil0^i^ ti4eBiIés|KH^teatirrobserTaiîàw 
qiû «filigo • (Sôuataisitiieiiit Ife ci0i|ir ) Hf^. f^éé tfiié feur ta^ 
IffiH ÂeUnt presse* japulis^^ i^^p^it^ {)â(r là âbciétë 
(il](ei]f^x Èaêmcm s'ilié'est pds; pUM ) , (?è dt^ d'àffiic-^ 
iJeii mfakqm vèdouèler Ieiti^|fe&6hadt à lé iàéiàiibôlié^ 
. .«--XiésxnQmoire^qiiéles'gefl èû plsf^^ tès^gene^ 
dé lettres y même €em<qmoiif^silë*pôWlés<^^iii(W' 
^eètea s laissent pour >éernr à'rbistoit^ d^ tëitl' vie, {M^ 
hissent leur vanité secrtÂey et ybppëlleÈ^t l-bisëd)^ dtfr (^ 
^dksk 4uir a¥ôî« lansé cbnfcimUe écm pQ^f^t^f srssrca- 

G'e^l «xi grnidmaHh|0u» dié p^dHe , |ai- ^l«Hi^ 6^ 
,. les drcms cpiç 0Oë tâlëâs tio^tt dôiitièâl fci^ fi( 



société,- • -vi-' • ^" ••:• -> • . 

— C est après f^ des passions que les giWii^t!ri3Éa^ 
nues ont produit leilrb cbeft -^d^^Vt^é ^ éctei^ "ifest 
aprèd les éniptioitt!>élS' vtAtvûà qeit k t^itté ë^ j^ 



\- . l . J .'I I »« I ! <■■ > ■ ^ 



de la vanité des gens de kptlt^s. Celil^^i tMI /âlk [liai 
&nûe r^putâtioû qui » ttiMé k à^ gtéÊkàéê j[daces. 
D'iJbord f der part et d'soifd i e& 1A%k'4faê dà i^éiii) 
mais les intrigans adroits enflent de céifi^tlê^isi^ëiéê 

lent tonmtti. "'*■ ' *'■• *'' '"** "•-' — 

•'^ Les éeoûottiisfle^ sont à^ dntttrigiétlks tjfàiidàt iill 
excellent scapel et un bistouri ébréché , opérant à Uiët^ 
veille sur le nioti et tttm*tyiîsalit le vif. '* - 

•^ Leci gém dé lettHé^ s<MUt rârëifteniiit {ctléfdt'^è^ rét 
{)Utaflioils qtielqtfeefbb l^géi^ qtfdni éeftfeâè^^bnvra- 
ges de g&ns^ àe^Ui taux*), ûëiki^tûim b^'ëUiJoesi éùai^ 
me les hoftfnétes Éemiam regafHkittlirfo^tuiiié dekâles. 

Le Ûiéiittë:tëùe0rcé hd Màeù^' ôû ha dhàn^:' H 

faut dé tiécéss^ i^'it eOttti^ lé ridicule ôii tfàlA h pi^ 
page. On Ta Vu ëfliPifitiiee opà^ér téèi<4i-^^ âetijè 
eflèts. ' .ï.*;» 

-r Plusâetir^ gëni de letf re^ ' etkâéért éittœr k^ gloire 
et n'aiment epé k tanitë. Ce sMi dëtlt êhi39e& Sièt» diJfi 
féreiités et même t)ppo8éeë ;*c^ limé és« dné j^tifè 
pi^oti , Pàtrtrè eu eM tthé grâtidé. à y 8 ^ èàîtéh vbâi«é 
etlagldine, k diffârteéé qn'il y ^ tfii 

amant. ^ ■■ • ' ' •'•' 'V ■'' ••"•■• "" ■ -' ■• • '-' 

^^ La pététérkë tié «onéîdèrëM ^iUi( idé léftr^ <)ttë 

pirt* léérrs otnwgèà', et non pat leufs* ]^iiiciés.^ 'Pîàtdt dé 

qu'ils &rajàîtgfuecei]i/ilé(Mt^té'/9^ 

clevide. - - ' ..»j .^ - ,.. j.. 

— Spéroti-Sp<fttmi' êtpfique trâs-bien ëâtaàï^i nn 
stuteurqtit s'énonce trèi-^sMréméiiit pour luî-^t^^^^ éii 
qnekïuéfois ob^trf pcârf W ktetéto^ t 'Ctàsx ; yte-»;'^fe 



8S >1AXIM]S;S CT PENSÉES. 

Fauteur va de la pep$<^. à l'expression^ et que le lecteur 
va !de J^pr^ssion à la peusëe< 

. «T^Xes ouvrage^ q^' un aut^r.fâît avec plaiâr , sont 
souvent les^jp^i^Iéurs.^ comme les enfan» de f amour 

— En fait de beaux-arts, et même en beaucoup d'au- 
tf^çs choses y. P9 ne sait jbien que ce que Ton n'a point 

appri^i . . . , . 

— Le peintreildpàqei-une âme à nue figure , et le 
poëte'pré^e;une figure à un sentiment et à une idée. 

--T* Qii^pd La. f*Qp^ne est mauvais ^ c'est qu'il est 
n^lig^ ; quand Lampthe l'est, c'est qu'.il est recherché. 
. rr— (La piçrffs^ç^ ;d'v^^^. coqiédie de caractère consi^ 
t^roit à dispcfsçr ,rii)ti;i^e de façon, que cette intrigue 
ne put seryiïlià mçmpi ^çtr^f^^^; Peutretré n'y a-t-il 
au théâtre, que cq][le du .Tartufe. qui pût siipporter cette 
épreuve. 

. -^ U y .auroit une manière plaisante de prouver qa'en 
Francei.Ies pbiLlosopbe§,spnt les plus.iqaativàifii citoyens du 
mpnde. La ^ preuve';, I^. ,voiçi : C'est qu'ayant imprimé 
une. grande quantité de yérités.importantes dans L'ordre 
politique et économique;, ^^yant fdpniié, plusieurs çour 
seils utiles , consignés dans leurs livres , ces cpnseils 
opt été suivis par j^e^ue tous les souvera^ui^de FEuro- 
pe, presque..par|Loutj;]bQn5; en France; d'où j^l ^uitique 
la.^ospçriKç,.des étrai^ers augmentant leur puissance , 
tandis que la France reste aux mêmes termes , conserve 
ses abus, , etc. , elle finina par être dans l'état d'infério- 
rité , relativement aiiz autres puissances ; et c'est évi- 
demn;ient Jla faute desphi^osophes. On sait^ à ce sujet , 



MAXIMBS ET VE^StES. 89 

la repOtise du duc de Toscane à un Français ^ à pro- 
pos des heureuses innovations faites par lui -dans ses 
états : Vous me louez trop à cet égard , disoit-il ^ j'ai 
pris toutes mes idées dans vos livres français* . 1 ' > 
— J'ai vu à Anvers , dans une des principales églises, 
le tombeau du célèbre imprimeur Flanûn., orné de 
tableaux superbes, ouvrages de Rubens , et èonsacrés à 
sa mémoire. Je me suis rappelé , à cette vue , que les 
Etienne ( Henri et Robert ) qui , par leur érudition 
grecque et latine , ont rendu les plus grands services 
aux lettres , traînèrent en France une vieillesse misé- 
rable y et que Charles Etienne , leur successeur , mou- 
rut à rhôpital , après avoir contribué presqu'autant 
qu eux aux progrès dé la littérature. Je me suis rappelé 
qu'André Duchêne, qu on peut regarder connue le père 
de rhîstoire de France, fut chassé de Paris parla misère, 
et réduit à se réfugier dans une petite ferme qu'il avoit 
en Champagne : il se tua en tombant du haut d'une 
charrette chargée de foin ^ à une hauteur, immense.^ 
Adrien d^ Valois , créateur de rhistcÂi^iiiiéuIliqùe ^ 
n'eut guère une meilleure d^tinée. $amson , le père 
de la géographie , ^pit. , à soii^nte-dix ans ,. faire des 
leçpiii^ à. pied pqur tiyre. :Tout h mond^^ait la des- 
^i^ée 4es Duryer ,:Tristâtt , Mi^ypard>, «t.de tant dau- 
tr^s«: jCorn€iiI}e..man)^iH>it deiboiuiUofi à ;S9;dermèré ma- 
ladie^' La {*ontame n éioit guèire miwff^ Si. Racine, 
Boileâu^ Molière et Quionautt éurctot i^n^prtplusî heu- 
reux, c'est que leurs talens étcâent coqsACrés au roï 
p}u^ ;partîculièrercient. h'^kké Deloîuguertie., qt|i- rap- 
porte, et rapproche plusieurs de ces anecdotes sUi; le. 



gb MAXIMES fiT PCIISÉI^ 

^te sort des homities de kttres^ illdstré» e& Ffâiicé f 
qeute : Cest ainsi qu'cm ea â fou^fô wé dms* <^ 
mkérafale pa;^s. Cette Hste si cël^e des geùé de kef tm 
que le roi youloit pensionner y et qui fbt pnéscmée Jt 
Colbert , étoit f ouvrage de Chapelain , Femittlt', Tal- 
lein«id> Tablw Gallois ^ qui oirnirem eeuiÉ de feuril èoil^ 
frères qu'Us faaïssoieot ; tafticfis qu'ils yfiaeèremlesiionM 
àe plusieurs* salins étrangers , saohatit trè&^bîen que h 
roi et le ministre seroient plos flatiés de se &ire kutcfr à 
qvaitre e^ats Keues^de Pàiis. 

' ; CHAPITRE VIII. 

2)é PJSsctaPage et de la Liberté , de la France 
àffdnt et depuis la Résolution. 

On- éi^i beauKH>up moqué dé ceû:t qui parloient âved 
enthousiasme de l'état sauvage eb of^K)Sitioil h l'état 
«ocfal. Cependant je voudrois savoir ce qu'ofn peut ré- 
p^idre à ces trois objections : Il est aiM ététûi^ que, 
^bezr lés sauvages $ on ait vu I^ un fou, â^ un suicide, 
S\tLtk^ sauvâ^e" qui ait voulu embrasa h vîe soc^ale^ 
t«sdb qu'on grand nombi^e ^Ëurô^eâS ; tisnt au €^ 
que dm» les èm% Amériques , après^ avmr véeâ cbez tei 
sauvages, ^ ti^îMvatit ramenés chez Jettr&rcotnpairioteà^; 
smt retdtittM^^ns les bois. Qu'oh^néf^lique a cela satis 
terbiàgé^, sdtars sophisme. ^ 

^ .^^Lfi malheur de Thumafiité cèiifsidérée dans Tétai 
ÈùcM^ ^€M; qiKé^ qdoiqu'éâi âiori^le éi eii jftoKtique tm 



MAXIME* Èi f^tmiE^. ^i 

l^aiâaë doàMt cdTtime défiâitkm qtfe lé mtit èàt ce gui 
HùHj û&nié péiit fto^^cBre qtre fe Bien ëài be ^ui$ét*t; 
eat' ée qui sert xm nioftifeat peiït ittàte long-tempâ 6tL 
tôùiùùts. 

-^ Lôrtqtie Yûû tôtïûdèté (fae h ptùàtnt âa tfâvsrâ 
et dés hiftiières âe xréûttè ou quaràûte siècle^ a été de t- 
trclf ti^Hii ééùt nitlHoûs ifhotmïiei^ répandue sttr h glôlié 
à tiiïè trèntsimé dé despotes , là phipûtt igùàvam et Itn- 
bécilès , ddût ôhâôtia ei^t jgomemé par trbis ou qtiatfe 
itiélérûtÈ^ cfùèlqaéRjiii stapîdes : c|tie peûser de Ffautiisc-^ 
uSté , et qiiàtiendte d'efflé à ravèûh* ? 

— Pi^e^fiè? tonte rtfetoît^ tf e!st (jtfutie sirite dhcn*- 
réiir^. Si Iki tftàti^lat détient fâûdts (joTth viretlt, il 
semble que leurs successeurs soufirent qu'ôfi ttàtrstuetté 
à la poitéHtéles eritlie^dèrfearâ devanciers, pour faire 
divefsîoif à hsûiftettt 4«% îtisph*ent eux-mêmes. En 
effet, il fie testé guère, pôUf éottscfler lés petrples, qUé 
dé létiA^ a^pi^dre que Tétit^ àbéétf éS cmt été ausâinial-. 
&ém^tti';'cW j[)It« ittalhéttliéttt 

— Lé éai^étêrè riafutd dti FrîiiiÇiaîs est composé deS 
tfdSIiiékSùAtge et èû éùët tbitiMûtt: Bi^in gaird^ 
dant comme le singe , et dans le fond très-ntâtf/àt^ùt 
àtfartfrelta j a est , éctàtDfè 1er ti^ëtâdiMi^^ tiéTas, 
caressant, léJ^t ^ ih^fë^^tiffe'fr^ 

Ai^tiilè^ à k tSiafUéV ptAs bôtiAsiaîl< déjdtà^àtsâ on le 
déKe pour aller âfedHàfesè;.' ' ' ^ 

' -^ Aùti^éfois lé trésttt* Tc^àU'âtppeloit Xépàrgfté.On 
à tad^ déf ce nom qui séiiibMt iitié èôtitfé-vërité dé^ 
ptâi$'qu''ôààpt*ckfiguëlé$trâbt^d^^ et ôiïFa tdut 

sîttipléttfèiit appelé httééorTôydl ^ ' > • ' 



9!1 MAXIMES ET PENSÉES* 

— Le titre le plus respectable de la noblesse française, 
c'est de descendre immédiatement de quelques-uns de 
ces trente mille hommes casqués, cuirassés , brassai^dés^ 
cuissardes, qui, sur de grands chevaux bardés dç &r^ 
fouloient aux pieds huit pu neuf millions d^honaa}piesj[x\;is, 
qui sont les ancêtres de la nation actuelle. .Voilà un 
droit l»en avéré à famour et au respect de leur^ des- 
cendans ! et , pour achever de rendre cettç noblesse 
respectfJ)Ie , dtte se recrute et se régénère ps^ f adoptioii 
de ces bqmmes qui ont accru leur fortune en dépouillant 
la cabane du pauvre hors d^état depayei;')esimpp8itionSi; 
Misérables institutions humaines! qui, faites.paur inspi- 
rer le mépris et Thorreuf , exigent qu'on 1^$ inspecte et 

qu'on les révère I ; .^ . -'..ii:': 

— La nécessité d'être geptilhonimç pour etfe, ç^-^, 
taine de vaisseau, est tout^aus^ raisonfî|a^lp quç^^lle^ 
d'être secrétaire du roi pour être matçlpt ou mousse. . ; 

' — Cette impossibilité d'arriver aux grs^des, places ^ 
à moins que d'être gentilhpnimey estujae.^^ apçurdité^ 
les plus funestes dans presq^ç ^ous Iç^ pjay$«,I]li:^q ^mble 
voir des âues défendre Içs c^ousels et les tQurpois aux^ 
chevaux. 

— Lfi natuiie, ppi^r.fai^e un homme vertuieuxpu uu 
hommp de génie ,* ne va .pas. consulter Cherin. ; . , , 

— Qu'importe qu'il y ait sur le; trope im Tibèfis oa 
un Titus, s*il a des Séjan pour ministres ? .. . -, 

^ , -j— Si un historien , tel guç /JT^^cite, eût écrit l'Iiîstpire 
de npç meilleurs rois, en f^ôsap.^ ui;i relev|a e^act de tous 
les actes tyranniques, de.jtôys le^ abus d'autqrijté, dont 
la plupart sont ensevelie dw$i'pbsçurité.|apli^ grofonde^ 



MAXIMES ET PENSÈE& g5 

* * 

il j a peu de règnes qui ne nous inspirassent là même 
liorreùr que celui de Tibère. 

— On peut dire qu'il n'y eut plus de gouvernement 
tsivil à Rome après la mort de Tiberius Gracchus^ et 
Scipiôn Nasica , en partant du sénat pour employer la 
violence contre le tribun , apprit aux Romains que la 
ibrcé seule donneront des lois dans le forum. Ce fut lui 
qui avoit révèle avant Sylla ce mystère funeste. 

—Ce qui fait Finlérêt secret qui attache si fort à la 
lecture de Tacite, c'est le contraste continuel et toujours 
nouveau de l'ancienne liberté républicaine avec les vib 
esdaves que peint l'auteur ; c'est la comparaison des an- 
ciens Scâurus , Scipion , etc. , avec les lâchetés de leurs 
' tlescëndans ; en un mot , ce qui contribue à l'effet de 
Tacite, c'est Tite-Live; 

— • Les rois et les prêtres, en proscrivant la doctrine 
du^uidide, ont voulu assurer la durée dé notre escla- 
vage. Us veulent nous tenir enfermés dans un cachot 
' ^ns issue : semblables à ce scélérat , dans le Dante , qm 
fait murer la porte de la prison où étoit enfermé le mal« 
heurfeùx Ugolin. 

' — On a fait dés livres stir les intérêts des princes ; on 
'parle d'étudier les intérêts des princes : quelqu'un a-t-il 
jamais parlé d'étudier les intérêts des peuples ? 

— Il n'y a d'histoire digne d'attention que celle des 
péufples libres : Thistoiré des peuples Soumis au despo- 
tisme n'est quiin recueil d'anecdotes. 

— La vraie Turquie d'Europe , c'étoit la France. Ou 
trouve dans viiigt écrivains anglais : Les pays despo-^ 
tiques , tels que la France et la Turquie^ 



q4 SfAXIM£^ £T PENSÉES. 

— Les mipistres ne jSront que deis geos d*afi^r^, ^ 
ne sont si importans que parce ^ue la terre àfx g^ofiA- 
homme leur maUre est trè$-<x;)p^déral^. 

— IJn piinistre y en faisant faire à ses mattres ^ 
fyales et des sottises nuisibles aupujbUc, ne f^t jBÇi^y^epp 
que sWermir dans sa place : on dicoit qi^'il se lie éiftr 
vantage ayeç eus ppr le^ li^çis d<3 <^tf^ ^^jp«èp& 4ç çç^^r 
plicité. 

T— Pourquoi iairive-Jt-il qu'en Frapjqe uçi ipjnistre 
reste placé après cent mauvaises opérations, et popffyip^ 
Qst-il cliasç^ pomr k seule jbqnqe qu'il ^t faite ? 

— Croiipit-oA que le d^poiisinp a (ks parUas^, KP^ 
le rapport de la «icipcssité (J'eWPUr^eqieiU poiijur Jia^ 
beausrarts? Qi^ ne sampit cnq(U!e GQipIneçi fétat i^ 
âècle de Louis xiv a multiplié lie nçdiiibre dp ce^9( ^^ 
pensent aip^. .$ejlçu;i.eu^, leiçtiâfi^iisr ,teripie4^ V>9te so« 
ci^té huitaine esjt ^Voir de 1]^^ jUr^é^içs, 4e hdlffif 
çoQçiédie^, etc. Ce sonjt dc^ ^ens qin pfuxlonpeat Ji tout Ip 
mal qu'prvt f^t Jies prctreç , çajçpnsidér^ .que, ^nfi )§§ 
pêtre^ , jQpus q'^jultÂQi;)^ pas la comédie du 'J^flrf^fe^ 

— En France , le mérite et la réputat^n flç 49^^[^^9t 
pas plus d.e droit ai^^L places xju^ Jp çl/f^au 4^ rosière 
ve donne à tyg(C yiU^P^ h d«>it d ptre présentée ^ ^ 
cour. 

— La France , pays où il esit souy>ept ti^ile de i^ontrer 
sesviœs^et toujours dan^fere^x de nio^trer^^ verdis. 

— Paris, sin^^uli|Ç!jr pay^, ov il faujt tre;nte sous pp^f 
djiner; quatre francs pourprendj^ l'air ; cent loi^^ pour 
le super^ui <d^s 1^ nécessaire , et .quatre çej^ts Amw 
pour n'aToir ip^ If^fiéçes^e (^^ ]xi s^jpçr^u. 



WA^iMSS {^7 PENSÉES» gS 

. <^— Piui^, ville 4'wai#Q«i^P3, <fe pbUir», jefte* 9 OÙ 
les quatre cinquièmes des habitans meurent de /duH 

griA. 

;r^Oa ppurroit appli^u^ à la ville de Paris les pro« 
pnes termes 4e Sidâte- Thérèse» pour définir f enfers 
L'endroit où il pue et où Ton n'aime point. 
. — ^ C'iest une chose remArquable que la multitude des 
étiquettes dans une naûon msà^ vive et aussi gaie que 
la nôtre. On peut s'étonner aussi de l'esprit pédantesqui^ 
çt 4^ J« cavité de$ corps et' dos compagnies; il semble 
qu^ le li^^lataur pit cberdi^ à niietire un contre^prâfa 
qvû ^^ètAi U iégér^ié 4^ Français» 

-7-.Çest une chose avérée qu'au moment où M», de 
Guibert fut nompié gouverdo^r 4es Invalides, il sft 
tr^puva ^f Inval^s^ cents préi^iylas soldats qui «'é- 
toîisn^t point lilmés et qû , pri^que tous , n'avoiest jêl^ . 
Q^is Assisté ^ #U<^9 3iég^ 9 à aucune bataille -, maisqui^ 
en récompense, aypiQot éié cochers ou. laquais de 
grands i^igpeur!» ou de gws cp pUK)e. Qud texte et 

quelle j^aplÂère II réftes^iOi^! 

•^r- Jgn Pr^cç 9 W hm^ §A neposceux qui metientfe 
feu , et on persécute ceux qui.sonm^t le tocsin. . 

m«> Pitesque toutes 1^ £p!mmes^ soit^ VeraailleSySoit 
de Paris , quand ^^ d^rpiéres sont d'un état un pett 
Qon4çiérf»ble , o^ swt putre ^ose que des bourgeœses 
de qualité, des o^idA^lt^ N$i^piart, présentées, ou natt 
pn^^^t^es^ 

^^-^Mf\ f:rsfl^Q§jf il n y ^ plus de public ni de nation^ 
p^49 vsm^ ^l^ 4^ 1^ dxarpie n'est pas du Imge. 

"^ iie|>Vildîç ^ gwvemé comme il raisonne. Soa 



96 MAXIMES ET PENSÉES. 

droit est de dire des sottises , comme celui des miûis- 
ires est d en faire. 

— Quand il se fait quelque sottise publique , je songe 
à un petit nombre d'étrangers qui peuvent se trouver à 
Paris , et je suis prêt à m'af&iger , car j'aime toujours ma 
patrie. 

^ *— - Les Anglais sont le seul peuple qui ait trouvé le 
moyen de limiter la puissance d'un homme dont la fi- 
gure est sur un petit écu. 

'. —Comment se fait-il que , sous le despotisme le plus 
affireux, on puisse se résoudre à se reproduire? C'est 
que la nature a ses lois plus douces , mais plus impérieu- 
ses que celles des tyrans ; c'est que l'enfant sourit à sa 
mère sous Domitien comme sous Titus. 
* -— Un philosophe disoit : Je ne sais pas comment 
un Français qui a été une fois dans l'antichambre dit 
toi , ou dans rOËil-de-Bœuf 9 peut dire de qui que ce 
pubse être : C'est un grand seigneur. 

— Les flatteurs des princes ont dit que la chasse 
étoitune image de la guerre; et en effet, les paysans 
dont elle vient de ravager les champs , doivent trouver 
qu elle la représente assez bien. 

' -— !- Il est malheureux pour les hommes, heureux 
peut-être pour les tyrans , que les pauvres , les malheu- 
reux , n'aient pas l'instinct ou la fierté de Téléphant qui 
ne se reproduit point dans la servitude. 

— Dans la lutte éternelle que la société amène entre 
le pauvre et le riche, le noble et le plébéien , l'homme 
accrédité et l'homme inconnu, il y a deux observations 
à faire : la première est que leurs actions , leurs dis- 



MAXIMES ET PENSÉES. ^7 

cours sont évalués à des mesures différentes , à dès poids 
différens, lune d'une livre, Fautre de dix ou de cent^ 
disproportion convenue, et dont. on part comme d'une 
chose arrêtée ; et cela même e^t horrible. Cette accep* 
tion de personnes, autorisée par la loi et par l'usage , est 
un des vices énormes de la société, qui suffîroit seul 
pour expliquer tous ses vices. L'autre observation est 
qu'en partant même de cette inégalité, il se fait ensuite 
une autre malversation; c'est qu'on diminue la Uvre du 
pauvre, du plébéien , qu'on la réduit à un quart ; tandi$ 
qu'on porte à cent hvres les dix livres du riche ou du 
noble, à mille seà cent Hvres, etc« C'est l'effet naturel 
et nécessaire de leur position respective : le pauvre et le 
plébéieni^ant pour envieux tons leurs ^ux ; et lé ri- 
che, le noble , ayant pour appuis et pour complices là 
petit nombre des siens qui le secondent pour partager 
ses avantages et en obtenir de pareils^. 

— C'est une vérité incontestable qu'il y a en France 
sept millions d'hommes qui demandent l'aumône , et 
tlouze millions hors d'état de la leur faire. 

— La noblesse , disent les. nobles, est un ii^termé-- 
diaire entre le roi et le peuple. • . . Oui, comme le chien 
de chasse est un intermédiaire entré le chasseur et les 

lièvres. ,. , . 

» ■ . » ./ . • 

— r Qu'est-ce que c'est qWun cardinal? C'est un prêr 

tre habillé de rouge , qui a cent mille écii$ du roi ,.pour 

se moquer de lui au nom du pape. *'' 

. — La plupart des institutions sociales parbis^nt 

avoir pour objet de iDainteoir Thomme (Jbns une nié* 
IL 7 



9d MAXIMES ET PENSÉES. 

. . . ■ • 
diocrité dldées et de sentimeDS qui le rendent pluspro^ 

pre à gouverner ou à être gouverné. 

— Un citoyen de Vii^inie , possesseur de cinquante 
acres de terre fertile, paie quarante-deux sous de notre 
monnoie pour jpuir en paix , sous des lois justes et 
douces , de la prçtection du gouvernement, de la sûreté 
de sa personne et de sa propriété, de la liberté civile et 
religieuse, du droit de voter aux élections, d'être mem- 
bre du copgrès, et par conséquent législateur, etc. Tel 
paysan français, de l'Auvergne, ou du Limousin, est 
écrasé de tailles , dé vingtièmes , de corvées de toute 
espèce, pour être insulté par le caprice d'un subdélé- 
gué, emprisonné arbitrairement , etc. , et transmettre à 
une famille dépouillée cet héritage d'infortune et d'avi* 
lissement. . . , ' 

— L'Amérique septentrionale est l'endroit de l'uni- 
vers oùles droits de Thoninsie sont le mieux connus. Les 
Américains sont les dignes descendans de ces fameux ré- 
publicains qui se sont expatriés pour fuir la tyrannie, 
d'est là que se sont formés^des hommes dignes de corn* 
battre et de vaincre les Anglais mêmçs , à l'époque où 
ceux-ci avoient recouvré leur liberté , et étolent parve- 
iius à se former le plus beau gouvernement qui fut ja- 
mais. La révolution de l'Amérique sera utile à l'Angle- 
terre même, en la forçant à faire un examen nouveau 
de sa constitution, et à en bannir les abus. Qu'arrivera* 
t-il? Les Anglais, chassés du continent de l'Amérique 
septentrionale, se jetteront sur les îles et sur les posses- 
sions françaises et espagnoles, leur donneront leur gou- 
Tcraementqui est fondé sur l'amour naturel que les 



MAXIMES ET PENSÉES. gg 

hommes ont pour h liberté , et qui augmente cet amour 
même. 11 se formera dans ces îles espagnoles et fran^ 
çaîses , et surtout dans le continent de T Amérique espa- 
gnole, alors devenue anglaise ^ il se formera de nouvel- 
les constitutions dont la liberté sera le principe et la 
base. Ainsi les Anglais auront la gloire unique d avoir 
formé presque les seuls peufJes libres de runivet*S9 les 
^uls , à proprement parler, dignes du nom d'hommes , 
puisqu'ils seront les seuls qui aient su connoître et côa« 
server les droits des hommes. Mais combien d'années 
ne faut-il pas pour opérer cette révolution ? Il iaùt avoir 
purgé de Français et d'Espagnols ces terres immense», 
où il ne. pourroit se former que des esclaves, y avoir 
transplanté des Anglais, pour y porter les premiers ger- 
mes de la liberté. Ces germes se développeront , e|tc> 
produisant des fruits nouveaux ^ opéreront là révolution 
qui chassera les Anglais eux-mêmes des deux An^^4- 
ques et de toutes les îles. ' 

— L'Anglais respecte la loi î et repoussé, Qu mé- 
prise l'autorité. Le Français , au* contraire , : re$pecte 
l'autorité et méprise la loi. il f^tit lui enseigner àiàire 
le contraire, et peut-çtre .la chose Qst-9lleimpf>$sible,, 
vu l'ignorance dans laqueUç .99 ^Qn( la nation, ignorance 
qu'il ne faut pas contester en jugean^d^'^prèsleslun^érçs 
répandues dans les capitales. ^ n . 

— Moi, tout.^ le reste^ rien : voilà le de^potin^et^ 
Faristocratie et/leurs partisans» Moi ^ c'c^t ^unautre;. \ia 
autre, c'est moi : voilàle régime popijaire et ses par liaanf. 
Après cela décidez. , ; . ,\: .. \ . r.. 

. ' — ^9\^^ c^. 4^. ^^}^ ^ ^ /^li^^s^ <ilvt peup^ s'^^ine 



ÎOO MAXIMES ET PENSÉES. 

Gomre lui pour ropprimer, depuis le milicien , le négo 
ciant devenu secrétaire du roi, le prédicateur sorti d un 

-village pour prêcher la soumission au pouvoir aii)itraire , 
riiistoriographe £Is d'un bourgeois, etc. Ce sont les 

yfioldats de C^idmus: les premiers armés se tournent 

icomre leurs fiwes , et se précipitent sur eux. 
*— Les pauvres sont les nègres de FEurope. 
-^ Sembifitbiè aux animaux ^ui ne peuvent respirer 

ïair Ji une certaine hauteur sans périr, Te^Iave meurt 

dans latmospfière de la liberté* 

*— Oïl gouverne les hommes avec la tête ^ km ne joue 

'Ptô âUx échecs avec un bon <5œur. 

-— Il faxit fecommentér la société humaine ^ comme 

-l^acoH ^oit qu'il faut recommence Fentendement 

Jb%unain« . 

• —i- Diminuez les maux du peuple , vous diminuez sa 

€âH>cué \ comtne vous ;^éri3sez ses maladies avec da 

IkHiillon. 

•j:.i-.. iTdbâerve^t^uéles hommes les plus extraordinaires 
<!t'^V»î ont fait dés l'évolutions, lesquelles semblent être 

le produit de leur seul genîé , ont été secondés par les 
élt^con^tâncés les jiliis favorables et par Fesprit de leur 
lÉ^ttJ>s.' On ^ait tentes Ite^teiitetîves faites avant le grand 
'V^^^è d^ VasCo de Gama Sûx Indes occidentales. On 
n'ignore pas que plusieurs navigateurs étoient persuadés 

•qtfS y wôit de ghwadès îles, étsàns doute un continent à 

4^ùest , lavant que -Colomb Féàt dédoûvert^ et il avoit 

•Kirmême entre fcs- ïùainsf les papiers d'un célèbre pilote 
avec qui il avoit. été enHIiaison. Philippe avoit tout pré- 

'•jwiré pour la gikà^rë éë Perse, avant sa mort. Husieurs 



MAXIMES ET PENSÉES. X-OI. 

sectes (Tliéréûques, dëchaîaées contre les shus de la 
oommuoioii romaine , précédèrent Luther et Calvin y 
et même Viclef. 

— On croit communément que Pierre4e-*GraDd se 
réveilla un jour avec Tidée de tout Créer en Russie ^ M. de 
Voltaire avoue lui-même que Son père Alexis forma le 
dessein dy transpoi*ter les arts. Il j a dans tout une ma- 
turilé qu il faut attendre. Heureux Ihomme cjfà arrive: 
dans le moment de cette maturité ï 

— L'assemblée nationale de 1 789 a donné imi 'peuple- 
français une constitution plus forte que lui. U faut qu'elle 
se bâte d'élever la nation à cette bauteur par une bonne 
éducation publique. Les législateurs doivent faire, 
comme ces médecins babiles qui , . traitant un nue^e 
épuisé 9 font passer les resttauraûs à Taidê des stoma-»: 
chiques. 

— En voyant le grand nombre des députés à rassem- 
blée nationale de 1 7 89 ^ et' tous les pr^ugés dont la plu- 
part étoient remplis , on eut dit qu'ils ne les avoient dé- 
truits que pour les prendre ; comme ces gens qui abattent 
un édifice pour s'approprier les décombres» 

— Une des raisons pour lesquelles les corps et les as- 
semblées ne peuvent guère faire autre cbeseque des sot- 
tises , c'est que , dans une délibération publique, la meil* 
leure chose qu'il y ait à dire pour ou contre l'afTaire ou 
la personne dont il s'agit , ne peut presque jamms se. 
dire tout haut sans de grands dangers ou d'èxtrémes in- 
çonvéniens. 

— Dans l'instant où Dieu créa le monde, le mouve- * 
meut du chaos dut faire trouver le chaos plus désoi- 



I02 MAXIMES ET PENSÉES. 

donné que lorsqu'il reposoit dans un désordre paisible. 
C est ainsi que chez nous Tembarras d'une société qui 
se réorganise doit pàroitre Texcès du désordre. 

—Les courtisans et ceux qui viyoient des abus mons- 
trueux qui écrasoient la France , sont sans cesse à dire 
qu on pouvoit réformer les abus sans détruire comme 
on a détruit. Us auroient bien voulu qu'on nettoyât Té- 
table d'Augias avec un plumeau. 

— Dans Fancien régime, un philosophe écrivoit des 
vérités hardies. Un de ces hommes que la naissance ou 
des circonstances favorables appeloient aux places, lisoit' 
ces véritâi , les affoiblissoit , les modifioit , en prenbit un 
vingtième, passoit pour un homme inquiétant, n^ 
pour homme d'esprit. U tempéroit son zèle et parvenoît 
à: tout ^ le philosophe étoit mis à la Bastille. Dans le ré- 
gime nouveau , c'est le philosophe qui parvient à tout ; 
ses idées lui servent , non plus à se faire enfermer , non 
plus à déboucher l'esprit d'un sot, à le placer, mais à 
parvenir lui-même aux places. Jugez comme la foule de 
ceux qu'il écarte peut s'accoutumer à ce nouvel ordre 
de choses ! 

• — N'est- il pas trop plaisant de voir le marquis de 
Bièvre (petit-fils du chirurgien Maréchal) se croire obligé 
de fuir en Angleterre, ainsi que M. de Luxembourg et 
les grands aristocrates , fugitifs après la catastrophe du 14 
juillet 1789. 

— Les théologiens, toujours fidèles au projet d'aveu- 
gler les hommes; les suppôts des gouvernemens, tou- 
jours fidèles à celui de les opprimer , supp osent gratui- 
tement que la grande majorité des hommes est condam^ 



MAXIMES ET PENSÉES. io3 

née à la stupidité qu entraînent les travaux purement 
mécaniques ou manuels ; ils supposent que les artisans 
ne peuvent s'élever aux connoissances nécessaires pour 
faire valoir les droits d'hommes et de citoyens. Nediroit- 
on pas que ces connoissances sont bien compliquées ? 
Supposons qu'on eût employé, pour éclairer les dernières 
classes , le quart du temps et des soins qu'on a mis à les 
abrutir ; supposons qu'au lieu de mettre dans leurs mains 
un catéchisme de métaphysique absurde et inintelli- 
gible , on en eût fait un qui eût contenu les premiers 
principes des droits des hommes et de leurs devoirs 
fondés sur leurs droits, on seroit étonné du terme où ils 
seroient parvenus en suivant cette route , tracée dans un 
bon ouvrage élémentaire. Suppposez qu'au lieu de leur 
prêcher cette doctrine de patience, de souffrance , d'ab- 
négation de soi-même et d'avilissement , si commode aux 
nsurpateurs , on leur eût prêché celle de connoître leurs 
<lroits et le devoir de les défendre : on eût vu que la na- 
^ure, qui a formé les honoimes pour la société, leur a 
clonné tout le bon sens nécessaire pour former une so- ' 
ciété raisonnable. 



FIN DES MAXIMES ET PENSEES. 



I 



CARACTÈRES 

r 

ET 

ANECDOTES. 

INoTRE siècle a produit huit grandes comédiennes : 
quatre du théâtre et quatre de la société. Les quatre pre- 
mières sont mademoiselle d'Angeville, mademoiselle 
Dumenil , mademoiselle Clairon et madame Sain t-Hu^ 
I>erti; les quatre autres sont madame de Mont..., ma- 
dame de Genl. ..^ madame N.. . et madame d'Angiv.. . 

— M...... me disoit : Je me suis réduit à trouver 

tous mes plaisirs en moi-même , c'est-à-dire dans le seul 
exercice de mon intelligence. La nature a mis dans lo 
cerveau de Thomme une petite glande appelée cervelet, 
laquelle fait office d'un miroir ; on se représente, tant 
bien que mal, en petit et en grand , en gros et en dé* 
tail , tous les objets de Tunivers , et même les produite 
de sa propre pensée. Cest une lanterne magique dont 
fhomme est propriétaire et devant laquelle se passent 
des scènes où il est actëlir et spectateur. C'est là pro- 
prement Fhomme \ là se borne son empire : tout le reste 
lui est étranger. 

— Aujourd'hui, i5 mars 1782, j'ai fait, disoit 
M. de. . ., une bonne œuvre d'une espèce asses rare : 
j'ai consolé un honmie honnête, plein de vertus, riche 
de cent mille livres de rente , d'un très-grand nom, de 
beaucoup d'esprit, d'une très-bonne santé, etcj et moi, 
je suis pauvre , obscur et malade* 



lo6 CARACTÈRES 

— On sait le discours fanatique que Févêque de Dol 
a tenu au roi , au sujet du rappel des proteslans. U parla 
au nom du clergé. L'ëvêque de Saint-Pol lui ayant de- 
mandé pourquoi il avoit parlé au nom de ses confrè- 
res , sans les consulter : J'ai consulté, dit-il, mon cru- 
cifix. En ce cas, répliqua Tévêque de Saint-Pol , il fal- 
loit répéter exactement ce que votre crucifix vous avoit 
répondu. 

— C'est un fait avéré que Madame, fille du roi, 
jouant avec une de ses bonnes, regarda à sa main, et, 
après avoir compté ses doigts : Comment ! dit Fenfknt 
avec surprise, vous avez cinq doigts aussi, comme moi? 
Et elle recompta pour s'en assurer. 

— • Le maréchal de Richelieu , ayant proposé pour 
maîtresse à Louis xv une grande dame , j'ai oublié la- 
quelle; le roi n^en voulut pas, disant qu'elle coûleroil 
trop cher à renvoyer. 

— M. de Tressan avoit fait en 17 38 des couplets 
contre M. le duc de Nivernois , et sollicita l'académie 
en 1780. 11 alla chez M. de Nivernois, qui le reçut à 
merveille , lui pailla du succès de ses derniers ouvrages , 
cl le renvoyoit comblé d'espérances , lorsque, voyant 
M. de Tressan jprêt à remonter en voiture, il lui dit : 
Adieu, monsieur le comte, je vous félicite de n'avoir 
pas plus de mémoire. • 

— Le maréchal de Biron eut une maladie très-dan- 
gereuse; il voulut se confesser, et dit devant plusieurs 
de ses amis : Ce que je dois à Dieu, ce que dois au roi , 

ce que je dois à l'état Un de ses amis l'interrompit : 

Tais-toi , dit-il , tu mourras insolvable. - 



ET ANECDOTES. 107 

— Duclos avolt Thabilude de prononcer sans cesse ,« 
en pleine académie, des f..., des b...-, labbé du Renel, 
qui , à cause de sa longue figure , étoit appelé un grand 
serpent sans venin , lui dit : Monsieur , sachez qu'on ne 
doit prononcer dans Facadémie que des mots qui se 
trouvent dans le dictionnaire. 

' — M. de L..... parloit à son ami M. de B , homme 

très-respectable^ et cependant très-peu ménagé par le 
public ; il lui avouoit les bruits et les faux jugemens qui 
couroient sur son compte. Celui-ci répondit froide- 
ment : C'est bien à une bête et à un coquin comme le 
public actuel à juger un caractère de ma trempe ! 

— M.... me disoit : J'ai vu des femmes de tous les 
pays -, riialienne ne croit être aimée de son amant que 
quand il est capable de commettre un crime pour elle j 
l'Anglaise , une folie ; et la Française , une sottise. 

— Duclos disoit de je ne sais quel bas coquin qui 
avoit fait fortune : On lui crache au visage, on le lui 
essuie avec le pied, et il remercie. 

— D'Alembert, jouissant déjà de la plus grande ré- 
putation, se trouvoit chez madame du Detfant, où 
étoient M. le président Hénault et M. de Pont-de- 
Veyle. Arrive un médecin , nomme Foumier , qui , en 

' entrant , dit à madame du Deffant : Madame , j'ai l'hon- 
neur de vous présenter mon très-humble respect ; à M. le 
président Hénault : Monsieur , j'ai bien l'honneur de 
vous saluer*, à, M. de Pont-de-Veyle : Monsieur, je suis 
votre très-humble serviteur; et à d'Alembert : Bonjour, 
monsieur. 

-— Un homme alloit, depuis trente ans, passer tou- 



I08 CAmACTÊEES 

te» lo soirées dm fludme de. —^ n 

OD crut qaH qMmeraîi fantiv, cc on Fj 

Bfcfoai: JeiiesaDraiftplitt,i£l-il,<naBcrpaaBr mes 



— Madme de TcnÔD, am des 

âoît une fianme ans pnoôpes^ cc capa b le de tout, 

CTariniirnL Uo jour oo louoû si dooceor : OiSy (fit 

Tdbbé Trubld, â eOe eut eo îoierét de nias cmpoî* 

'ycHecàtclioiâ le poisoole plus doux. 

M. de BragGe, qoi d admire que le mériie nûfr* 

j dttoit un jour : Ce Virflwe qa oo Tante tant , 

et dont je fiis peu de c», il a pourtant fiit un beau 



^m fiit ra lot un loUat ueuicux. 

— On lâotmt je ne sais qodie opinion de Bf...- sar 
un oavra^, enlm parlant da public qui en jogeoit au- 
trement : Le public, le public, dit-il ! combien faul-il 
de sols pour faire un pubbc ? 

— M. cTArgenson disoit à M. le comte de S&aoFgy 
qui etmt façiant de sa femme : Il y a deux places qui 
TOUS convieudroient également : le gouvem^nent de 
la Bastille et celui des hivalîdes ; si je vous donne la 
Bastille, tout le monde dira que je tous j ai envoyé; 
M je vous donne les Invalides, on croira que c'est ma 
femme* 

— n.existe une médaille que M. le priace de Condé 
m'a dit avoir possédée , et que je lui ai vu regretter. 
Celte médaille représente d'un côlé Louis xiii, aveo 
les mots ordinaires : Rex Franc, et Nau.j et de lautre 



ET ANECDOTES. 109 

h cardinal de Richelieu y avec ces mots autour : iVïZ 

€ine consilio* 

— r M.-.., ayant lu la lettre de saint Jérôme où U 
peint avec Ja plus grande énergie la violence de ses 
passions, disoit : La force de ses tentations nie fait plus 
d'envie que sa pénitence ne me fait peur. 

— M.é.,., disoit : Les femmes nont de bon que ce 
qu'elles ont de meillem*. 

-^ Madame la princesse de Marsan , maintenant si 
dévote , vivoit autrefois avec M. de Bissy. Elle avoit 
lovké une petite maison, rue Plumet, où elle alla, tandis 
quç M. de Bissy y étoit avec des filles : il lui fit refuser 
la porter Les fruitières de la rue de Sève s'assemblèrent 
autour de son carrosse , disant : C'est bien vilain de re- 
fuser la maison à la princesse qui paie, pour y donner à 
souper à des filles de joie I 

— Un homme y épris des charmes de l'état de pré*» 
trise, disoit : Quand je devrois être damné > il faut que 
je me fasseprétre. 

"^ Un homme étoit en deuil de la tête aux pieds: 
grandes pleureuses, perruque noire, figure allonge* 
Un de ses amis l'aborde tristement : Eh ! bon Dieiil 
qui est-ce donc que vous avez perdu ? Moi , ditril, je 
.n'ai rien .perdu 9 c'est ^e je suis veuf. ■ ' — - 

--^ Madame de Bassompierre , vivant à la' cour da 
roi Stanislas, -étoit la maîtresse connue de M. de la O»- 
laîssère , chancelier du roi de Pologne. Le roi^ alla un 
jour <^iez elle,'et prit avec elle quelques libertés qui ne 
^ussireat pas* : Je mfi tais^ dit Stanislas, mon chance- 
fier vous dira le reste. 



no . CAHACTÈRES 

-— Autrefois on ilroit le gâteau des rois avant le 
repas. M. de Fonienelle fut roi , et comme il uëgli- 
geoit de servir d'un excellent plat qu'il avoit devant 
lui , on lui dit : Le roi oublie ses sujets. A quoi il 
répondit : Voilà comme nous sommes , nous autres. 

— Quinze jours avant l'attentat de Damien , un né- 
•gociant provençal, passant dans une petite ville à six 
lieues de Lyon, et étant à l'auberge , entendit dire dans 
une chambre qui n'é toit séparée de là sienne que par 
une cloison, qu'un nommé Damien devoit assassiner Je 
roi. Ce négociant venoit à Paris ^ il alla se préseijter 
chez M. Berner, ne le trouva point, lui écrivit ce 
qu'il avoit entendu, retourna voir M. Beriier, et lui dit 
qui il étoit. II repartit pour sa province : comme îl 
étoit en route arriva l'attentat de Damien; Mj Bërrier , 
qui comprit que ce négociant conteroit son histoire , et 
■que cette négligence le perdroit; lui Berrier, envoie 
•un exempt de police et des gardes sur la route de 
Lyon ; on saisit l'homme , on le bâillonne , on l'amène 
à Paris, on le met à la Bastille; où il est resté pendant 
dix-huit ans. M. de Male^herbes , qui en délivra plu^- 
!âieurs prisonniers eu 1775 , conta cette histoire dans le 
premier moment de son indignation. .■■.,..> 

— Le cardinal de Rohan , qui a été arrêté pour.dettes 
dans son ambassade .de Yienne , alla , en qualité de 
-grand aumônier, délivra* des prisonniers du.Chi|teIety 
à l'occasion de la naissance du dauphin. Un. homme ^ 
Toyant un grand tumulte autour.de la prison, en.xle^ 
manda la cause ^ on lui répondit que c'étoit pour. M. le 
pardioisil de KçhaU; qui^ ce jour^lày venoit aH^Cb»* 






ET AHECDOTES. Ill 

telet : Commeal ! dit-il naïvement y est-ce qu'il est 
arrêté ? 

— M. de Roquemont , dont la femme étoit Irès-ga- 
lante, coucboit une fois par mois dans la chambre de 
madame , pour prévenir les mauvais propos si elle de- 
venoit grosse , et s en alloit en disant : Me voilà net \ ar- 
rive qui plante. 

— M. de...., que des chagrins amers empéchoient 
de reprendre sa santé , me disoit : Qu on me montre le 
fleuve d'Oubli, et je trouverai la fontaine de Jou- 
vence. 

— Un jeune homme sensible, et portant Flionné- 
teté dans Famour , étoit bafoué par de» libertins qui 
se moquoient de sa tournure sentimentale. U leur ré- 
pondit avec naïveté : Est-ce ma faute à moi si j'aime 
mieux les femmes que j'aime , que les femmes que je 
n'aime pas? . . 

— On faisoit une quête à Facadémie- française-, il 
manquoit un écu de six francs ou un louis d'or. Un des 
membres, connu par son avarice, fut soupçonné de n'a- 
voir pas contribué ; il soutint qu'il avoit mis ; celui qui 
Êdsoit la collecte dit : Je ne faipas vu ; je le crois. M. de 
Fontenelle termina la discussion en disant : Je l'ai vu^ 
tnoi^ mais je ne le crois pas. 

• — L'abbé Maury, allant chez le cardinal de la Roche- 
Aimon , le rencontra revenant de l'assemblée du clergé. 
U lui trouva de l'humeur , et lui en demanda la raison. 
J'en ai de bien bonnes, dît le vieux cardinal : on m'a 
engagé à présider cette assemblée du clergé, où tout 
«est passé on ne sauroit plus mal, U n'y a pas jusqu'à 



112 CARACTÈRES 

ces jeunes dgensdu clergé , cet abbe de la Luzerne, qui 
ne veulent pas se payer de mauvaises raisons. 

— L'abbé Raynal, jeune et pauvre, accepta une 
messe à dire tous les jours pour vingt sous ^ quand il fut 
plus riche , il la céda à Fabbé de La Porte , en retenant 
huit sous dessus : celui-ci , devenu moins gueux , la 
sous-loua à Tabbé Dinouart, en retenant quatre sous 
dessus , outre la portion de Tabbé Raynal ; si bien que 
cette pauvre messe , grevée de deux pensions , ne valoit 
que huit sous à Fabbé Dinouart. 

— Un évêque de Saint-Brieux, dans une oraison fu- 
nèbre de Marie-Thérèse, se tira d'affaire fort simple- 
ment sur le partage de la Pologne : La France , dit-il , 
n ayant rien dit sur ce partage , je prendrai le parti de 
faire comtne la France^ et de n'en rien dire non plus. 

— * MUord Malborough étapt à la tranchée avec un 
de ses amis et un de ses neveux, un coup de canon fit 
sauter la cervelle à cet ami et en couvrit le visage du 
jeune homme, qui recula avec effroi. Malborough lui 
dit iutrépidemment : EJi quoi !: monsiefur , vous parois- 
sez étonné? Oui, dit le jeune honame en s'essuyant la 
£gure , jeje suis qu un homme qui a autant de cervelle 
restât exposé gratuitement à un danger si inutile. 

— Madame la duchesse, du Maine, dont la' Santé 
^oit vpLsl i, grondoit son médecin , et lui disoit : Étoit- 
ce la peine de m'imposer tant de privations , et de me 
faire vivrç en mon particulier ? — Mais votre altesse a 
mainteuaDt quarante personnes au château ? — Eh 
bien! ne savez^oùs pas que quarante ou cinquante per^ 
tonnes sont le particulier d'une princesse P 



ET ANECDOTES. Il5 

— Le duc de Chartres ^ , apprenant Finsulte faite à 
madame la duchesse de Bourbon , sa sœur, par M. le 
comte d'Artois , dit : On est bien heureux de li eu*é ni 
père ni mari. 

— Un jour que Ton né s'entendoit pas dans une dis- 
pute à l'académie, M. de Maîran dit : Messieurs, si 
nous ne parlions que quatre à la fois ! 

— Le comte de Mirabeau , très-laid de figure , mais 
plein d'esprit , ayant été mis en cause pour un prétendu 
rapt de séduction , fut lui-même son avocat. Messieurs , 
dit-il, je suis accusé de séduction; pour toute réponse 
et pour toute défense, je demande que mon portrait 

'soit mis au greffe. Le commissaire n'entendoit' pas : 
Béte, dit le juge, regarde donc la figure de mon- 



sieur! 



— M.... me disoit : C'est faute de pouvoir placer un 
sentiment vrai, que j'ai pris le parti de traiter l'amour 
comme tout le monde. Celte ressource a été mon pis 
^ler , comme un homme qui , voulant aller au spectacle, 
et n'ayant pas trouvé de place à Iphigénie ^ s'en va aux 
T^ariétés Amusantes* 

*— Madame de Bnoqne rompit avec le cardinal de 
Rohan , à l'occasion du duc de Choiseul , que le cardi- 
nal vouloit faire renvoyer. Il y eut enlr'eux une scène 
violente, que madame de Brionne termina en mena- 
çant dé lé faire jeter par la fenêtre : Je puis bien descen- 
dre , dit-il , par où je suis monté si souvent. 

— M. le duc de Choiseul étoit du jeu de Louis xv , 
quand il fut exilé. M. de Chauvelin , qui en étoit aussi, 

J Le dernier duc d'0rléaxi3« 

II. 8 



Il4 CARACTÈRES 

dit au roi qu'il ne poiivoit le coudaner , parCe que le 
duc en étoit de mcnty . Le roi dit à M. de Ghauvelin : 
DemandezJui s'il veut continuer. M. de Chautelia 
écrivit à Chanteloup ; M. de Ghoiseul accepta. Aa 
bout dti mois 9 lie roi demanda si le partage des gains 
ëtoit fak. Oui, dit M. de Ghauvelin; M. de Gh(»sei4 
gagné trob mille louis. Ahf j'en suis biai aise , dit lé 
wi; mandez-le lui Hen vite. 

— L'sràour , disdit M....^ , détroit n'être le plaisir 
4|M des èmès défieates. Quand je vois des homnies 
grossiers s^ mâ^ âiêeûxmr , je suis teiité de dire : De 
€fûm vous mêfefr-vous? Du ^eu , dé U table, de f ambi- 
ikNa à cette canaille. 

•^-^ Ne me vai^àe point le caractère de N..... c*eat 
un homme dur , inébranlable, appuyé sur une philo^ 
sopbte froide 9 coâmie Ime statue de bronze sur du 
ttlaibre. 

-^ Savez-vou$ pourquoi, me disoit M» êe , on 

est plus hdnnétè, en France , dam^ la ^unesse et jus- 
qu'à trente ans que passé cet ^e ? C'est c|ue ce n'est 
qu'après cet âge qu'on s'est détrompé ; que chez nous 
il i^ut être encltmisie ou marteau ; que l'on voit daire- 
ment que les màus dont gémit la nation sont irremé« 
diables. Jusqu'alors on avcnt ressemblé au chien qui dé- 
fend le ditterde sûti mattre coâtre les autres <^ens; 
après cette ^ioi|ae^ en fidt comn^e le Haàoie chien, <pii 
en prend sa part avec les auU'eSi 

»— Machme de B ne pouvant y malgré son grand 

crédit, rien feire pour M. de D...., son amant , homme 
par trop médiocre , l'a épousé* Eut fiûldramans, it n'est 



ET ANECDOTES. uS 

pas dé ceux qae l'on montre^ en &i t dé maris , on mon- 
tre tout. 

— M> le comte d^Orssk , fib-d'un 'fermîer-^g jtierd , et 
iBÎ connu pm* âa manie d^étre homme de qualité, setron- 
Ta avec M. de Choiseed-Gouflier xAitt le |rrévÔt des 
marchands. Cdui-civeno^<che£ ce magistrat ponrfiiire 
diminuer sa capîtahon consîdénÙemem Mgm^trtée ; 
f autre y yenôitporter ses ^ilaîiAes ^e ee 'qvt<m âvok d^ 
minué la sienne , et oréyeit ^què oétte dikmttatxon snp^ 
posoit quelque atteiulepoi^iseBtki^de nribteise. 

— On disoît de M. fâMbé:j^ratfad, qài "ùe conte 
jamais : il parie beauoeup, tmt i^pCû mit faàvanél v'itttis 
cest qu*en pai4aait, on neisoniepâs. 

— M. D'Autrep diseit ée M. de Ximenas : c*e^ un 
homme qui aime mieux la|d^ que le %e^au teinps ; et 
qui , entendant chanter le Tlissigni^ , dtl : Ahl la nâaine 
bête! 

— Le oear Pierre i*'. étam à Spitfaead, im:Am savoir 
te que c'étoit que le ciiaûmesitdefe cAt ^qêkfn iisffigè 
aux mateiots. U ne se trouva pour forsaudon-^eoùpé^; 
Pierre dit : Qu'on prenne imde mes jgens. Prinoe y ïiâ 
répondit-on, vos gens ^sonl^en Ang^eive,et pttT'GOtt» 
séquent sous la protection des kns. 

— M. de Yaucanson s*éloit trouve Potjjct prindpdl 
des attentions d'cm prince franger, qneiqHfe % ide 
VcJtaire ftst prëseETt. ËM^anttffië €it 'bôifteuQt que^oe 
prince n'eut rien dit i Yokiape , ii ^'«^procha et oe^der'- 
oier ethii dit : Le prince vient de iiie4tiriK teiie i^ése* 
{ Un compliment très-ftatteur pour Votlaipe. ) Celi!i^4& 
vit bien que c'étoil une politesse 4Je Vauc^aiM^ , et lui 



Iî6 CARACTÈRES 

dit : Je reconnois tout votre talent dans la manière dont 
TOUS faites parler le prince. 

— A l'époque de Fasssfssinat de Louis xv par Da- 
mien^ M. d'Argenson étoit en rupture ouverte avec 
xnadame de Pompadour. Le lendemain de cette catas- 
trophe^ le roi le fit venir pour lui donner Tordre de 
renvoyer madame de Pompadour. Il se conduisit en 
liomme consommé dans l'art des cours : sachant bien 
que la blessure du roi n'étoit pas considérable, il crut 
quele roi, après s'être rassuré, rappelleroit madame de 
Pompadour^ en conséquence, il fit observer au roi, 
qu'ayant eu le malheur de déplaire à la reine , il seroit 
barbare de lui faire porter cet ordre par une bouche 
ennemie, et il engagea le roi à donner cette commission 
à M. de Machaut, qui étoit des amis de madame de 
Pompadour , et qui adouciroit cet ordre par toutes les con- 
solations de l'amitié^ ce fut cette commission qui per- 
dit M. dé Machaut. Mais ce même homme, que cette 
conduite savante avoit réconcilié avec madame de Pom- 
padour, fît une faute d'écolier^ en abusant de sa victoire, 
et la chargeant d'invectives , lorsque , revenue à lui , elle 
alloit mettre la France a ses pieds. 

■— Lorsque madaime Dubarry et le duc d'Aiguillon 
jGrént renvoyer M. de Choiseul^ les places que sa re- 
traite laissoit vacantes n'étoient point encore données. 
Le roi ne voulait point de M. d'Aiguillon pour minis- 
tre des affaires étrangères ; M. le prince de Condé por- 
toit M. de Vergennes^, qu'il avoit connu en Bourgogne; 
madâ^me Dubarry portoit le cardinal de Rohan , qui s'é- 
toit attaché à elle ; M. d'Aiguillon > alors son amant , 



ET ANECDOTES. IÏ7 

Toulul les écarter Tun et Faùtre, ete'est ce qui fit doa- 
lier Tambassade de Suède à M. de Vergennes , alors ou- 
Wié et retiré dans ses terres , et Fambassade de Vienne 
au cardinal dé Rohan , alors le priiïce Louis. 
- — Mes idées , mes principes , disoit M. . . . , ne con- 
Tiennent pas à tout le monde : c'est comme les poudres 
d' Ailhaut et certaines drc^es qui cmt fait grand tort à 
des tempéramens foibles , et ont été très-profitables à des 
gens robustes» U donnoit cette râfison pour se dispenser 
de se lieravecM.de J....J ffetme homme de la cour, 
avec qui on vouloitle mettre en liaison. 

— J'ai vu M. de Foncemagne jouir dans sa vieillesse 
d'une grande considération. Cependant , ayant eu occa- 
sion de soupçonner un moment sa droiture, je deman- 
dai à M. Saurin s'il l'avoit connu particulièrement. U 
me répondit qu'oui. J'insistai pour savoir s'il n'avoit ja- 
mais rien eu contre lui. M. Saurin , après un moment 
de réflexion, me répondit : H y a long -temps quU est 
honnête homme. Jç ne pus en tirer rien de positif, si^. 
non qu'autrefois M. de Foncemagne avoit tenu une 
conduite oblique et rusée dans plusieurs affaires d'in- 
térêt. 

— M.d'Argenson, apprenant à k bataiI^e de Rau- 
Goux qu'un valet d'armée avoit été bïesàé d'un coup de 
cdiK>n derrière l'^diroit o&il étok lui-même avec leroî, 
disoit: Ce drôle-là ne nous fera pas Fhonneur d'ea 
mourir. 

. — rDans les malhem^ de la fin du règne de Louis xrv, 
s^rès la perte des batailles de Turin , d'Oudenarde, de- 
Malplaquet > de HamilUes , d'Hochstei ^ les plus liouae<^ 



\ 



Il8 CARACTÈRES 

tes gess de la cour disoleaii : Au moins le roi se porte 
Usa t c'est le prîncipaL; 

-<* QuaKid M» le comte d'Estdiag ,. a[>rès sa campag^ 
de la Grenade , vint jaîre sa cour à^la* reine pour la pre- 
ttûèpe fois 2 il ami^poirtésup ses. béquilles, et accompa- 
gné de plusîewsi Qfficîer& blessa ccxnme lui : la reine 
Qe sutkû dire, aulve chose,, sinon : M. le comte» ayez- 
TOUS été coiHeiH du petit Labordei^ 

-^ Je n'ai yu dan& te monde ,,disoî( AI* ..«r que tle» 
dîners |san9 digestioti « d»» so.up^i^' s^ns plaisirs y des 
conversations sana coc^fiancet d<y» UaicMiS' saoa amiiiéy. 
•t des QQudbepÎQs sans a«»ouit. 

-T«^ Le curé dç $«liH>^iitpief»^ éws^ sjié voir madame 
de Malaria p^fidaat: s^rderpiève msJadie, pewr liui foire 
qudques peiMes aihortiE^^n^t» ^ hii dÎA ee Çap^ce*^ 
Tant : Ah !,]V|. le cw4 j^sms ^ebautéc^de yqus wîr ; j'sâ à 
'VOUS due que le beuçre de ÏEn^mt-Jési^ niesk plus à 
In^uBoup près si boa : c^est à veus: d'y mettre ordre y 
pnis^e ÏËn%Hr Jésusi ^^ une dépendance de votre 
église. 

— ^ Je diseur à M. R...», misanthrope plaisanl;,. qui 
m'avoit présenté un jeune homme de sa connoissance :. 
Yqtre ami n'a aucun usc^ du monde, ne sait rien de 
râen. Oui, dût-il) et il est dé j|i triste comme s il savoit tout. 
, r-^ M. . • . disoit qu'nn eq^irit sagje ^ pénétrant et <|ai 
M9^roit la société telle qu'elle est , ne: trouveront partout 
que de lamertume. Il faut absolument diriger sa vue 
vers le côté [disant, et s accoutumer à ne regarder 
rhomme que comme nn pantin , et la société comme la 
planche sur laquçUe il saute. Dès -lors, tout change; 



ET ANECDOTES. ng 

fesprit des différens états, la vanité particulière à cha* 
cun d'eux , ses différentes nuances dans les individus, 
les friponneries^ etc., tout devient divertissant^ et on 
conserve sa santé. 

— Ce n'est qu'avec beaucoup de peine» ^âkçil JEk|.«»« « 
qu tin homme de mérite se soutient daps le mpt^ saojfr 
lappui d'un nom , d'un rang, d'une fortUQe. ; l'homma 
(|ui a ces avantages y est, au contrée, soutenu 
comme malgré lui-même* U y a entre ces dent 
Iiommes la diffisrence qu'il y a du scaphandre au 
pageui*. 

. — M. .«• me disoit : J'ai renoncé à Ys^f^é de deu& 
iKHmnes : fup , parce qu'il .ne m'a jamais parlé de lui ; 
l'avitr^iipiUice qu'il ne n^'a jamais parlé de miÀ* 

«HOu demandoit au même , poim^i 1^ gouver- 
neurs de province avoient plusd^iàs^ que h ^oi : Ces! 
diiril, que les comédi^as de campagne charge)^ plw 
que ceux de Paris. 

-^ Un prédicateur de la ligue avoit pris ppor text;e d^ 
son serdion : Eripe ho$^ Domine^ « lutQfûifci$i qu'il 
traduisoit ainsi : Seigneur, débouibonne^lioi^s! 

— M. • . . , intendant de province, hpnup^ fort ridi- 
cule , avoit plusieurs personnes dans son salon , tandis 
qu'il étôitdans son cabinet dont la porte étoit ouverte. 
Il prend un air affairé ; et , tenant des papiers à la main , 
il dicte gravement à son secrétaire : Louis, par la grâce 
de Dieu roi de France et de Navarre , à tous ceux qui 
ces présentes lettres verront (verront, un ^ à la fin ) 
salut. Le reste est de formé, dit-il, en remettant les pa- 
piers ; et il passe dans la salle d'audience , pour livrer au 



120 CARACTÈRES 

public le grand homme occupe de tant de grandea 
affaires. 

— M. de Montesquiou prioit M. de M aurepas de 
s'intéresser à la prompte décision de son affaire et dé 
se$ prétentions sur le nom de Fézenzac. M. de Mau- 
repas lui dit : Rien né "ptesse ; M. le comte d* Artois a 
des enfans. Cétoit avant la naissance du dauphin; :* 

— Le régent envoya demander au président Dai^c^ 
la démission de sa place de premier président du Dafrle-* 
ment de Bordeaux. Celui-ci répondit quon ne pouvoit 
lui ôter sa place sans lui faire son procès. Le régent j 
ayant reçu la lettre, mit au bas : Qu*d cela ne tienne^ 
et la renvoya pour réponse.. Le président , conâoî^^àlMi 
le prince-i^uquel il avpit affaire, envoya sa dén^isâton. ^ 

— Un homme de lettres menoit de froftt «û jÀrëme 
et une affaire d'où dépendoit sa fortune. ' On lui de- 
mandoit comment alloit son poëme : Demandez-moi 
plutôt , dit-il , comment va mon affaire. Je ne - res- 
semble pai9 mal à ce gentilhomme qui , ayant une affaire 
criminelle, laissoit croître sa barbe : Ne voulant pas, 
disoit-il , la faire faire avant .<ie savoir si sa tête lui ap- 
partiendroit» Avant d être immortel , je veux savoir si je 
vivrai. 

• 

' * — • M. de la Reynière, obligé dé choisir entre la place 
d'administratetir des postes, et celle de fermier-général, 
après avoir possédé ces deux places , dans lesquelles il 
avoit été maintenu par le crédit des grands seigneurs 
qui soupoient chez lui , se plaignit à eux de Fallernalive 
qu'on lui proposoit et qui diminuoit de beaucoup son 
revenu. Un deux lui dit naïvement : Eh, mon Dieu, 



ET ANECDOTES. 121 

cela ne fhit pas une grande différence dans votre fortune. 
C'est un million à mettre à fonds perdu; et nous nea' 
viendrons pas moins souper chez tous. 

— M...i , provençal , qui a des idées assez plaisantes, 
me disoit ^ à propos de rois et 'm^ême de ministres , que , 
la machine étant bien montée, le choix des uns et des 
autres étoit' indifférent : Ce sont, disoit-il, des chiens 
dans un toumebroche, il suffit qu*ib remuent les pâtes 
pour que tout aille bien. Que le chien soit beau , qu'il 
ait de Tintelligence ou du nez , ou rien de tout cela , 

• « • • ■ » 

la broche tourne , et le souper sera toujours à peu près 
bon. 

— On faisoit une processiod avec la châsse de sainte 
Geneviève,' pour obtenir de la sécheresse. A p^ne'la 
procession fut-«lle en route y qu'il commeni^ à pleuvoir. 
Sur quoi l'évéque de Oestres dii:' plaisamment : La 
sainte se trompe; elle ctdil (|U'ôn Itii dèmstode-aiB la 
pluie. 

— • Au ton qui règne dèptii»dfx ^ns dans* la littéra- 
ture , disoit M.... , la célébrité liUëraire ilié )pàrott une 
espèce de diffamation qui n'a pas encore' 'totft-^à<-fait' 
alitant de mauvais effets que té ii^can ^ mais ^da vièn-*^ 
ara, • • • ■ : 

— On venoit dé citer quelques tr&its cfe la gour- 
mandise de plusieùi*s sbiivérîaiùs;' Que Virtflèz- vous, 
dit le bonhomme M. de B^éqingny, que vèulez^vôus 
que fassent ces pauvres rois? Il faut bien qu^ils man-> 
gent. . ». 

— On demandoit à une duchesse de Rohan à quelle 
époqtie elle comptoit accoucher. Je me flotte , dit-elle , 



T22 CARACTÈRES 

d'avoir cet honneur dans deux mois. L'honDmr éuÂt^ 
d'accoucher dW Roban* j 

— Un plaisant^ ayant vu ewcuter en baD^ti '4 f Qp^^ 
le fameux Qu'il mourAt de CorneUle ^ pn^ Noverre 
de Êôre danser les Maximes de La RocH^fQuoaut; 

•*— M. de Malesberbe$ disent à M. de Mimnepas qu'il 
falloit engager le roi à aller voir la Bastille. Il;i^Ut hmx 
s en garder, lui répondis M. de Maurepas} U ne von- 
droit plus y faire wenre peraopue. 

r— Pendant im siège, ua porteur d'eau i^lioit daDsla 
viUe : A six sous la voie d'eau I Une bombe vient et ^eilir- 
porte un de ses seaux : A douze sous le seau d'eau ! 
s'écrie le porteur inns^^'étoimer. 

-^ L'aUbé da Molière étoit un homme »mple ^t 
pauvre , étrange à tout , hors à ses tQivai^ sur le sys^ 
tème de De8cart;es } i} B'^voit point de vsdet ; eit travaitr 
Imt dans son lit,; fdut^dab^s, sa culotte sur sa tête 
par - dessus son bonnet , les deux côtés pendant à 
droite etJL.à gftadm* ^n matio^il entend frapper à sa 
porte : Qv^ va là? r^Omre^i^.^ H tire un cordon et la 
pQitte s!o^vre« L'^ibbé de Aldière , De regardant point ; 
Qui étes^ VQW? — JDfooneswnoi de l'argent. -* De l'ar- 
gent ? — Oui, de l'argent. — Ah ! j'entends , vous êtes 
un voleur?.-- Voleur ou non, il me faut de l'argent. 
-7- Vraiment oui^àl V9^$ e^ âiut : eb Uen ! cherchez là 
dedans.... U tend le cou ^ et pré^nte un des côt& deja 
culotte ; le voleur fouille * Eh bien I il n'y a point d'ar- 
gent. — Vraiment non ; mais il y a ma clef — Eh bien ! 
cette clef... -^ Cette clef, prenez-la — Je la tiens, — 
Allez-vous en à ce secrétaire ; ouvrez.... Le voleur met 



ET ANECDOTES. 1^5 

la def à un autre tiroir. — Laissez donc , ne dérangea 
pas ! ce sont mes papiers. VentrelJeu l finirez-vous ? 09 
soi^tnest papiers: à lautre tiroir ^ vous trouverez; de Tar* 
gent. — Le voilà, •— Eh bien ! prenez. Fermez donc h 
tiroir.... Le voleur «'enfuit. — M., le voleur, fermez 
donc la porte. Morbleu ! il laisse la porte ouverte !«•« 
Quel chien de voleur! Il £aaxê qiae jie me lève par le 
froid qu'il fait ! maudît voleur I L'abbé saule en pied» 
va fermer 1» porte » et revient se remettre à son travs^U 

-r-*!^ . . . ^ à prqpos dos $i%. mi% JMas de Moîse^i^ 
en considérant l^r knxeur des progrès des art&, et l^état 
actuel cje la civilisation ? Que vent-il ^a'oa fasse de se« 
six mille ans ? Il en a fallu plus que cela pour satvw 
battre h brîquolip et pour inventer les attom/ettes. 

— ^ QQmtess^de BouQera disoit auprince de Çoipiti^ 
qu il ^toitle meilleur des tjurana. 

--^ Madame de MoiUmonn disoit à son fiU s Youa eoh 
trez dan&le mood^^ je n'ai qa'ua conseil àvous donner; 
c est detre anG#ureu9;de U^q^ les femmes» 

— Un^ lei^Qo^aa dÀsoil à])if .^r qujd^ le soiipçonncHt 
de n'avoir y^pojmpardké Ur^a av^ les femmiçi^i: i^i^^.i 
lui dLt^ily si c;e n'^ d^ns le qiekn £n efiçt, jpa;awouf 
s'accroissoix toujoiws par UgQqissance , apârèiiavoii: c^^n» 
meucé assez tranquiUei|]kent* 

. — Du temps^ d^.âl. de Itfacb^ut, on préien^jf^roi 
le projet d'une cour plënière , telle qu'on a v,auhi fexér 
enter depuis^ Tout fut réglé entre le roi„ mad^^neLde 
Ponipadour elles ministres. On. dicta au roi les r^^ponsea 
qn il feroit au premier président f tout fut expl^ué danâ^ 
un mémoire dans leqç}^ ondisok : Ici te roi pr^odra un 



i:i4 CARACTÈRES 

* 

sIt sévère ; ici le front du roî s'adoucira ; ici le roi fera 
tel geste , etc. Le mémoire existe. 

— Il faut, disoit M..,, flatter Flntérêt ou effiler 
l'amour-propre des hommes : ce sont des singes qui né 
sautent que pour des noix ^ ou bien dans la crainte du, 
coup de fouet. 

— Madame de Créqui parlant à la dacfa^se de 
Ghaulnes de son mariage avec M. de Giac,' après les 
suites désagréables qu'il a eues, lui dit qu'elle isturoit dû 
les prévoir , et insista sur la distance des âjges. Madame, 
lui dit madame de Giac , apprenez qu'une' fenune de la 
cour n'est jamais vieille, et qu'un homme de robe est 
toujours vieux. 

— M. de Saint- Julien , le père , ayant ordonné à son 
fils de lui donner la liste de ses dettes, celui-ci mit à la 
tête de son bilan soixante mille livres pour une charge 
de conseiller au parlement de Bordeaux. Le père indigné 
crut que c'étoit une raillerie, et lui en fit des reproches 
amers. Le fils soutint qu'il avoit psyé cette charge. C'é- 
toit, dit-il, lorsque je fis connoissawée avec madame Ti- 
lâurier: Elle sduhaitoit d'avbîr une charge de conseiller 
au parléfali&nt de Bordeaux" pour ^on mari; et jamais, 
sans cela,''ëlie n'auroit eu 'd'amitié pour moi; j'ai payé 
la place, et vous voyez, mon jJèrë,'*qu'iln'y a pas de quoi 

être iéh éolère contre moi , et que je ne suis |)as un mau- 

• » ^1 * 
vais plaisant. ^ . ?. ? . 

— Le comte d' Argenson , homme d'esprit , mais dé- 
pravé, et se jouant de sa propre honte, disoit*: Mes en- 
nemis ont beau faire, ils ne me culbuteront pas; il n'y 
a ici personne plus valet que moi» ' 



ET ANECDOTES. Il5 

— M. de Boulainyllliers, homme sans esprit, très- 
vain, et fier d'un cordon bleu par charge, disoit à ua 
homme , en mettant ce cordon , pour lequel il avoit 
acheté une place de cinquante mille écus : Ne seriez- 
vous pas bien aise d'avoir un pareil ornement ? Non , dit 
l'autre ; mais je voudroîs avoir ce qu'il vous coûte. 

— Le marquis de Ghatelux , amoureux comn^e à 
vingt ans , ayant vu sa femme occupée pendant tout un, 
dîner d'un étranger jeune et beau , l'^orda au sortir de 
table et lui adressoit d'humbles reproches ; le marqui3 
de Genlis lui dit : Passez, passez, bonhomme,, on vous 
a donné. (Formule usitée envers les pauvres qui rede- 
mandent l'aumône. ) 

— • M...., connu par son usage du monde, me disoit 
que ce qui Favoit le plus formé , c'étoît d'avoir su cou- 
cher, dans l^occasion, avec des femmes de quarante 
ans , et écouler des vieillards de quatre-vingts. 

— M.,, disoit que de courir après la fortune avec de 
l'ennui, des soins, des assiduités auprès des grands, 
en négUgeant la culture de son esprit et de son âme , 
c'est pêcher au goujon avec un hameçon d'or. 

— Le duc de Choiseul et le duc de Praslin avoient 
eu une dispute pour savoir lequel étoit le plus bete du 
roi ou de M. de la Vrilière : le duc de Praslin soutenoit 
que c étoit M. de la Vrilière ; l'autre , en fidèle sujet , 
parioit pour le roi. Un jour au conseil le roi dit une 
grosse bêtise. Eh bien ! M. de Praslin, dit le duc de 
Choiseul , qu'en pensez-vous ? 

— M. de BuflFon s'environne de flatteurs et de sols 
qui le louent sans pudeur. Un homme avoit dîné chez lui 



ïi6 CARACTÈRES 

avec r^^bé Leblanc , M. de Juvigny et deux autres bàm- 
mes de cette force. Le soir , il dit à souper qu'il avoit 
Ttt , dans le cœur dis Paris, quatre fauttres attachées à 
un rocher. On clierdba long-temps le sens de cette 
érugtne dont il donna enfin le mot. 

— Pendant la dermère maladie de Louis xv, cpii 
dès les premiers jouis se présenta comme mortelle » 
Lony, qui fut mande avecBordeu, employa, danis le 
détail des conseils qu*il donnoit , le mot : H faut. Le 
Rci , t^oqiié de ce mot , répètent tout bis^ et d*upe 
voîx mounmte : îîjfaM 1 il faut ! 

— Vdci nne anecdote que j'ai ouS conter \ M. dfe 
Clermont-Tonnerre sur le baron de Bneteuil. Le baron , 
qui sHntéressmt à M. de Clermont-Tonnerre, le gron- 
dent de ce qu^Hne se motmtrit pas assez darnsle monde. 
Tai trop peu de iformne, rëponcfit M. dé Clermont. — 
Il faut remprunter : votts paierez avec TOtre nom. — 
Mms , si je meurs ? *— Vous ne mourrez pas. — Je Tes- 
père; mais enfinà cda antvoh? — £h bieni toqs mour- 
riez arec tles dcfttes ^ comme tant d'autres. — Je ne 
veux pas miocrrir banqueroutier. — Monteur , il faut 
dlcr dans le monde : avec votre nom , vous devez ar- 
river à tout. Ah ! si f avob eu votre nom ï — Voyez \ 
tjuoiil me sert. — C'est Totre fente. Moi, j'ai emprun- 
te; tous Toyez le chemin que j'aifeit, moiqui ne suis 
xjv^un jne&plat. Ce mot Bol repété deux oti trois fois , 
tkia grande mirprise de Fauditeur, qui ne pouvott com«. 
prendre qu'on parlât ainsi de soi-même. 

— Cailhava qui , pendant tome la révolution , ne 
songeoitqu^aox sujets de plaintes des auteurs contre les 



ET ANECDOTES. iny . 

eomédiens , se plaignoit à un hcMnme de lettres lié avec 
plusieurs membres de rassemblée natiouale que le dé- 
cret u'arrivoit pas. Celui-ci lui dit : Mais pensez>Vous 
qu'il ne s'agisse ici que de repr^ntatiûos d'ouvrages 
dramatiques? Non, léponc£t Csilhara ; je sais bien qu'H 
s'ag[it aussi d'impression. 

— Quelque temps ayant €pe Lotâs xv fût arrangé 
avec madame de Pompadour y elle conroit après lui aux 
chassés. Le roi eut la comfdaiianoe d'envoyer à M. d'É- 
tioles une ramure de cerf. Celui^r la fit mettre dans 
sa salle à manger , avec ces mots : Présent fait par le 
roi à M. d*Étioles. 

— Madame de vivoit avec M. de Senevoî. Un 

jour qu'elle avoit son mari à sa^oîlette, un soldat arri-» 
ve y et lui demande sa protection auprès de M. de S^ 
nevoi , son colonel , auquel il demandoit un congé. 

Bladame de se fSche contre cet impertinent; dit 

qu'elle ne connoit M. de Senevoi que comme tout le 
monde; en un mot, refuse. M. de retient le sol- 
dat, et lui dit : Va demander ton congé en mon nom, 
et , si Senevoi te le refuse , dis*lui que }e lui ferai doi^ 
ner le sien. 

— M.... délntoit souvent des ^oaiimes d& Fouéj» en 
fait d'amour ; vms , dans le ùmà^ il iioit sensiUe, et fait 
pour les passions. Aussi quelqu'un disoit-il de lui : U a 
ikit semUanc détM miboxmità, «£• ^ ks tamaes 
ne le rebateâi pas. 

•*— * M. de RicheKeu (&oît, an sujet êa siégede M»- 
bon par M. le duc de ûrilloii : J'ai pris Mafaon par une 



1^8 CARACTÈRES 

étourderie; et, dans ce genre, M. de Grillon parôîten 
savoir plus que moi. 

— A la bataille de Aocoux ou de Lawfeld, le, jeune 
M. de Thyange eut son cheval tué sous lui, et luirmême 
fut jeté fort loin ^cependant il n en fut point blesse. Le 
maréchal de Saxe lui dit : Petit Thyange , tu as eu une 
belle peur ? Oui , M. le maréchal , dit celui-ci ; j'ai craint 
ique vous ne fussiez blessé. 

— Voltaire disoit, à propos de X Anti^Machiavel 
du roi de Prusse : Il crache au plat pour en dégoûter 
les autres. 

-— On faisoit compliment à madame Denis de la 
façon dont elle venoit de jouer Zaïre : Il faudroit , dit- 
.elle , être belle et jeune. Ah ! madame , reprit le com* 
plimenteur naïvement, vous êtes bien la preuve du con- 
traire. 

— M. Poissonnier , le médecin , après son retour de 
Russie, alla à Femey, et parlant à M. de Voltaire de 
tout ce qu'il avoit dit de faux et d'exagéré sur ce pays- 
là : Mon ami , répondit naïvement Voltaire , au lieu de 
s'amuser à contredire, ils m'ont donné de bonnes pe- 
lisses , et je suis trés-frileux. 

— Madame de Tencin disoit que les gens d'esprit 
faisoient beaucoup de fautes en conduite , parce qu'ils 
ne croyoient jamais le monde assez béte , aussi béte 
qu'il l'est. 

— Une fenmGie avoit im procès au parlement de Di- 
jon. Elle vint à Paris , sollicita M. le garde des sceaux 
( 1784) de vouloir bien écrire, en sa faveur, un mot 
qui lui feroit gagner un procès très-juste 3 le garde des 



ET ANBCDOTES. 129 

teâtox là refusai La côrntesse^TalIeyraiid pienoit in- 
térêt à c^te femme ; elle ea parla au garde des sceaux : 
nouveau refus. J^dame de Tallejrand en fit parier par 
la reJtae^ autre refus^ Madame de Taligrand se souvint 
•que le garde des seeaux caressoit beaucoup fabbé de 
Périgord 9 son fils ; elle fit écrire, par lui : refus très-bien 
tourné. Cette femme désespérée résolut de faire une 
tentative 5 et d'aller à Versailles. Le lendemain elle part $ 
l'incommodité de la voiture . publique Teugage à des^- 
^endre à Sèvres , et à taire le reste de la route à piedk 
Uiibomme lui ofire de la mener pr. un chemin jius 
agréable et qui abrège; elle accepte, et lui conte son 
lûstoire. Cet boâaoiè loi dit : Vous aurez demain ce que 
vous demandiez. Elle le .i*egarde', et reste confondue* 
Elle ^à: chea àè • garde, des soeaux ; est. reiîisée eocore ^ 
veut partir. L'homme f engage à coucher à Versailles > 
et,. te léiidenAaîn malid, lui. âppoite le papier qu'elle 
deiKVMidmt^ C'^toît unt:^oiamia d'un conuiiisy nomme 
1VI« Etienne. ; . i, 

. ; — • Le duc de lalVaUiercî^ vpjant à l'Opéra la. petite 
L^çoiiûr èaUS] diamans , s'àppiioche d'dle , et lui demande 
corafiOfeiUiOela aei faitt^CIest^ loi dit-elle ,- que lès diamans 
«ont la croix de Saint-Louis de notre état. Sur ce mot^ 
^- il detHnfc arifourduî fini d'«lbi H a .vécu >av«c elle, long- 
|ettps.:ËBHji)le;'ssubji^dit4pflr les «bémdS' moyens qui 
rétiséircDt: à \ marlaniè DnfaaHry ^ près de l^ouis x v. -EUci 
)iMr> ôtostisoii cordodi bleu, té oiettoh à terre , et lui dî^ 
eoîl^ Mpts^toi* m genouil JUiNdèis^us^ ' Vieilfe dttcaille. 
' «^-^wUu'joikettrJanièux^ nommé SalJifère , venoit d'é- 

tce* : ar cêti^. . U • étoit au àéusÊÇfskt'^ ee ^ Uisoit à. Be^umar^ 
ÎL 9 



l5ô CARACTÈRES 

chais , qui Touloit Fempécher de se tuer : Mcn , drrélé 
pour deut cents louîsJ abandcmnë par tous mes amis f 
C'est moi qui les ai formes, qui leur ai appris à fripon- 
iier. Sans moi, que serotent B..^. , D«... , N.... ? ( Ils vi- 
^nt tous )• Enfin, monsieur, jugez de Fexcès de mon 
avilissement : pour vivre, je suis espion de police. 

•— Un banquier anglais , nommé Ser ou Sair, fut 
accusé d avoir fait une conspiration pour enlever le roi 
{ George m ), et le transporter à Philadelphie. Ameùé 
devant ses juges, il leur dit : Je sais très-bien ce qu'un 
roi peut faire d'un banquier ; mais j'ignore ce qu'un 
banquier peut faire d'un roi* ' 

*<« On disoit au satirique anglais Donne : Tonnes 
sur les vices ; mais ménagez les vicieux. Comment; 
dit-il, condamner les cartes, et pardonner aux és* 
crocs? 

' — On demandoit à M. de Lauzun ce qu'il répons 
droit à sa femme ( qu'il n'avoit pas vue depuis^dix ans ); 
si elle lui écrivoit : Je viens de découvrir que je suis 
grosse. U réfléchit, et répondit : je loi écrirois : Je^suis 
charmé d'apprendre que. le ciel ait enfin béni notre 
union ; soignez ^iotre santé ^ j'irai vous faire ma cour ce 
soir. • 

— Madame de H. . • . me raeontbit la mort de M. lof 
duc d'AumonuCela a tourné bien court, disoit -eUe; 
deux jours auparavant M. Bouvard lui avoit pemis de 
manger, et le jour même de sa mort, deux heu|[té8 avant 
la récidive de sa paralysie , il étoit, comme à trente ans, 
comme il avoit été toute sa .vie; il avoit demandé -son 
perroquet, avoit dit : Brossez ce • Êiuteuil , voyons mes 



ET ANECDOTES. l5x 

deux broderies nouvelles ; enfin , toute sa tête , ses idées 
comme à fordinaire. 

--- M.... y qui, après avoir connu le monde, prît le 
parti de la solitude, disoit pour ses raisons, qu'après 
avoir examiné les conventions de la société dans le rap- 
port qu'il y a de Thomme de qualité à Thomme vulgai- 
re, il avoit trouvé que cetoit un marché d'imbécile et 
dedupe.«rai ressemblé, a joutoit- il, à un grand joueur 
d'échecs, qui se lasse de jouer avec des gens auxquels il 
&ut donner la dame. On joue divinement , on se casse 
la tête , et on finit par gagner un petit écu. 
- — Un courtisan disoit à la miort de Loub xiv : Après 
la mort du roi , on peut tout croire. ' 

— J.. J- Rousseau passe pour avoir eu madame la 
oomtesse de Bouflers, et même (qu'on me passe ce 
terme ) pour lavoir manquée , ce qui leur donna beau- 
coup d'humeur l'un contre l'autre. Un jour on disent 
devant eux que l'amour du genre humain éteignoit l'a- 
mbur de la patrie. Pour moi, dit-eile, je sais , par mon 
eietnple , et . jç seps que cela n'est pas vrai ^ je suis très- 
lionne Française, et je ne m'intéresse pas iirâins^au' bon- 
heur de tous les peuples. Oui, je vous entends^ [dit 
Rousseau , vous êtes Française par votre buste , ^t cos- 
mopolite du reste de votre personne. 

— « La maréchale de Noailles, actuellement vivante 
(1780), est une mystique comme madame Guyon, à 
l'esprit près. Sa tête s'étoit n^ontée au point d'écrire à 
la vierge. Sa lettre fut mise dans le tronc de l'église 
8aint-Roch ; et la réponse à cfétte lettre fut faite par un 
prêtre de cette paroisse. Ce faiàtoégè dura lông-teimps ; 



Ig prêtlre i^t decouyçrt et ipqiû^t^; maû c»Q9S9QapS»' 
cette afTaire. ^ . .... 

après ^ 4^^^ ^^ I'<^9#. ; vAppr^Be^ quiL isiaidroiit 
niieux av,Qii; offe^sé^ h ip^su^^wêm^ qfx^ ïhqxome 
gpife ^t 4aç9 .^ garde-r^V^.^^ 
. «rr U,w djdSi m9Îiïïfsse^ de AI. le r^égenx hà e^ant 
paçlé 4'^|iÇ&ire3 daç^ yn ç^b^^tvw^ , il psirut l'écouter 
çyçjCi %Uça^ioft,: Çrojre^i-yQW i Ipi répiwiÀ^^il , çie 1# 
chancelier soit^ uqej kip4^f#. puissance ? ' . . , > . 
. . rrr^ Mv4l^* •- . ,.q^.?yçirt vécu ^yf?c de» pnoceises d'Al- 
lemagne, me disoit : C^Qye&rVQi|3 qtM^ M* de: L.. ^. ait 
:pi^jdUif]|e (^ Sa. .. ? Jelil^vféfiiQadî^ : (l a^eii apaâlïmême 
1^ prétenUç«i;.U s^ doi^if^poui: ç^ quil e6t> pcnir un & 
b^rtûfi^ UQ, l^o^^oie qyi.^ime leS( tàii^ par-dessus .tout, 
^u^^ bpxfio^e , ^^ répppidîtril, u en «oym pas la dupe ) 
ç eçt ^vec ce]^ qMf'pu a 4^ reines. . 

Trr^M« die i^aiuYÎtt^fU^uteuaiit-gêuéral, venoit deâiii^ 
esiffrnier as^ fcmmie* M. de Vaubocowt , maréchal de 
camp^ 8oUicboiii;nr ordre f>ourfeiî'e enfermer h'sïénne^ 
Il vendit d'obt^ir Tordit , et sortoit de chez le mînis«^ 
tre avec urt air triomphant. M. de Stàiri ville , qui crût 
qu'il venoit d'être fiiotnimé lieutenant-général, m^diC de» 

Vani beaucoup de monde : Je vous féliciie, vous êtes 

«• ... ,•..»....,■ ■*. ■ ^ ^ 

sûrement des nôtres. 

-^ t'Eciiisè , celui qui a été i la t»çt^ des PariéldA 
amusantes^ racontçitçjue, tQutjeunpet s^ns fi^rtunei 
Uiu^rUa,à Lu^^^ ' 



,t7 



.'' •»»« 



ET ANE'CDOtfeS. l55 

du roî Stanislas ^ précti^ëmeût le jour où le roi perdit À 
dernière denU 

. — On assure cpie niadëtne de Montpeûsîf^ , tlyàttt é\Jè 
qudquéfois obligi^ , pendit Tabsence dé se3 dames , de 
se faire remetU'e un soulier par quel(|u*Uil dé s^ pa^ 
lui demandoît s^il n'a voit pas «eil qùek^ ieniatibà. Le 
page répondoit qu'oui. La princesse, trop hotaiiête 
Your profiler de àeï avHl, lui doUnôlt quelques fouis 
•pour le mettre en état d'aller chéfe quelque fiHe ^idtie h 
tentation dont elle éttnt la causé* i 

— M, de Marvillé disoit qu'il ne pôùVùît y avoh: 
d'honnête homme à la poli(ie, <^e lé lièutéhattt âè p6*> 
4ice tout iau plus. 

— Quand le duc de Ghdi^eul étoit <;ontënt d*uii 
maître de poste , par lequel il arbit été bien ihen^ , oh 
dont les enfàns étoient phs \ il lui disôit : Combien 
paie-t-on ? Est-ce poste ou ^Ste et' demié^ dé Votre de- 
meure à tel endroit?' — Poîsté, monseigneur. —-Eh 
bien ! il y aura désormais poste et demie^ La ft^ûne dtt 
maître de poste éloit faite. 

—^Madame de Priey maîtresse du ré^t , dirigée par 
son père , un traitant nommé , je crois , Pletlëuf , àvort 
fait un accaparement de blé , qui avmt nû^le peuple au 
désespoir, et enfin causé un soulèvement. Une compa- 
^ie de mousquetaires reçut ordre d'aller apaiser le tu- 
multe ; et leur chef, M. d' Aveîan , avdit drtlré , (fatis ses 
I ÎBfttAiClions , de tirer siir la canaille : t'est ain» qf^'pn 
LaiMÉ lftit fe t»nJe en France. Cet honnête homme Se 
'^'■^^*^"^Vto fidre feu anr ses t^oncitoyens, et voici 

ipour MttAj^ sa commission. U fit 



l54 CARACTÈRES 

Êôre tous les apprêts d une salve de mousqueterie ; et, 
avant de dire : Tirez j il s'avança vers la foule, tenacit 
dWe main son chapeau, et de lautre Tordre delà 
cour. Messieurs , dit-il , mes ordres portent de tirer sur 
la canaille ; je prie tous les honnêtes gens de se retirer, 
avant que j'ordonne de faire feu. Tout s enfuit et dis- 
parut. 

— Cest un fait connu que la lettre du roi , envoya 
à M. de Maurepas, avoit été écrite pour M. de Ma- 
chault On sait quel intérêt particulier fit changer cette 
disposition ; mais ce qu'on ne sait point, c'est que M. de 
Maurepas escamota, pour ainsi dire, la place qu'on 
croit qui lui avoit été offerte. Le roi ne vouloit que cau- 
ser avec lui; à la fin de la conversation , M. de Maure- 
pas lui dit.: Je développerai mes idées demain au con- 
seil. On assure aussi que, dans cettémême conversation, 
.il avoit dit au roi : Votre majesté me fait donc premier 
ministre ? Non , dit le roi, ce n'est point du tout mon 
intention. J'entends, dit M. de Maurepas , votre majesté 
veut que je lui apprenne à s'en passer. 

— On disputoit chez madame de Luxembourg sur 
te vers de l'abbé Delilie : 

Et ces deux grands débris se consoloient entre eux; 

on annonce le bailli de Breteuil et madame de La 
Reynière : Le vers €St bon , dit la maréchale. 

— M m'ayant développé ses principes sur la so- 
ciété, sur le gouvernement, sa manière de voir Tes 
hommes et les choses , qui me sembla triste et affli- 
geante , je lui en fis la j^marque , et j'ajoutai qu'il de- 



ET ANECDOTES. l35 

voît être malheureux ': il me répondît qti^en eflet il 
layoît été asse^ longr^temps^ mais que ces-mêmes idées 
n'avoient plus rien d'effrayant pour lui. Je ressemble ^ 
c(»itinuart-il , aux Spartiates , à qui Foq donnoic pour 
lit des joncs épineux , dont il ne leur étoit permis de 
briser les épines qu avec leur corps , opération après la- 
quelle leur lit leur paroissoit très-supporlable. 

—-Un homme de qualité' se marie sans aimer sa 
femme ; {H^end une fille d'opéra qu'il quitte en disant ; 
C'est comme ma femme ; prend une femme hoanête 
pour varier, et quitte celle-ci en disant : C'est comme 
une telle ; ainsi de suite. 

— Des jeunes gens de la cour soupoient chez M. de 
Conflans. On débute par une chanson libre, mais 
sans excès d'indécence ; M. de Fronsac ^ sur-le-ch^onp 
se met à chanter des couplets abominables qui éton- 
nèrent même la bande joyeuse. M. de Conflans in* 
terrorapt le silence universel en disant : Que diable I 
Fronsac? il y a dix bouteilles de vin de Champagne entre 
cette chanson et la première. 

— Madanie du Deffant , étant petite fiUe et au cout 
vent, y préchoit l'irréligion à ses petites camarades. 
L'abbesse fît venir Massillon , à qui la petite exposa 
ses raisons. Massillon se retira , en disant : Elle est char*» 
mante. L'abbesse, qui xpettoit de l'importance à tout 
cela , demanda à l'éyêque qudi livre il falloit faice lir^ 
à cettje enfant. Il réfléchit une minute, et il répondit : 
Un catéchisme de cinq spus. On ne puteil tirer autr^ 
chose. . . . ■ . ^ . .; 

* Lé ûhàfi maréchal de Richelieu. : \ 



;i56 CAHACTÊRE» 

— L'abbé Baudeau disoit ide M. Turgot , qtre c etoîl * 
«n iDstrumetit d'une trem|»e excdl^te , maîs^ ^ui n'avoit 
pas de maœhe^ 

"^Le préieûdaBt ,. retiré à Rome, vîeuï et tour-» 
mente de h goutte , crimt dtos ses accès : Pauvre 
roi! pauvre roif Vu Français Toyàgeury qui alioit 
souvent chez tui , lui dh qu'il sfécotitioit de n'y pa^ 
itôii"' d' Auglëds. Je sais pourqud^ , répondit^il; ils s'ifûa^ 
g^nf que je me ressouviens de ce qui ^'tést piassé. Je 
les verrois encore avec plaisir. J^aime mes Àujets^ 
Bioi-. » ^. ■ ■ . 

— M. de Barbançon, qui âvoil été trés'-bean j pos-^ 
sédoit un t^ès-joli jardin qtiie madame la dùcbesse de 
La Vdlieré stflar voir. Le-' pi^oj>riëtaire ; alors très^vieux 
et très-^goutteUt f hd c^t qu'il avoit été aihoureux d'elle 
à la folie* Madame de La Vàllière lui répondit : Hélas t 
mon Dieu, que ne pariiez <^ vous ? vous m'auriez eue 
comme les iautres. 

.— L'abbé Fraguîer perdit un procès qui avoit duré 
vingt ans. On lui faisoit remafrqùer toutes les peines^ 
que lui avoit causées un pi^x^ès qn'il avoit fini par 
perdre. Oh! dit-îl , je l'ai gagné tous les soirs pendant 
viugt ans. Ce mot est trèà-philosophique , et peut s'ap- 
pliquer à tout. Il expfique comment on aime la coquette : 
eHe'voUs fait gagner Votre prbcès pendant six mois', pour 
un jour du elle vous le fait perdre. 
■ •— Madame Dnbarry, étant à Lucienne, eut la fan- 
taisie de vdir lé Val , ibaison de M. de Beaùveara. Elle 
fit demander à celui-ci si cela ne déplairoit pas à ma-» 
dame de Beauveati. Madsnie de Beaûveau crut plaisant 



Et ANÈC0ÔTÈ5. lif 

de s'y trouver et âteû faire lèà bonoeurs. On parla dé 
ce qui s'ëtoit passé sous Louis xv. Madame Dubâtiy Sé 
plaignit de différentes choses qui sembloient faire voir 
qa'on haïssoit sa personne. Point du tout, dit madame 
de Beauveau , nous n'en voulions qu'à vôtre placée 
Après eetaveu naïf, oti demanda à madame Ddbàrry $i 
Louis XV ne disoit pas beaucoup de mal d elle (tUâdâitié 
de Béàûveau) et de madame de Grammont. -^ Oh! 
beaucoup.—-- Eb bîeû ! quel mal , dé moi , par exemple ? 
-—De vous, madame, que vous édez hautaine., iû- 
trigante -, que Vous meniez votre màiî par le nez. M. dé 
Beauvéâti éioit pinésent : OU se hâta de changer de ton* 
versation. 

— -M. dé Maurepas et M. de Saint^Florentîtï, tous 
deux ministres dans le temps de madame de Pbmpsi^ 
dour, firent un jour, par plaïsâmterié , h répêtitlôù dtl 
complimetit dé renvoi qu'ils prétèjroient que ruti feroîi 
tin jour à l'autre. Quinze jours après cette fâcédé , 
M. de Maurepas entre im jour chez M. de Saitit-^ 
Florentin , prend uti ôir triste et grave , et vient lui 
demander sa démission. M. de Sàint-FIoréntin parois- 
soit en être la dupé ^ lorsqu'il fut rassuré par un édat 
de rire de M. de Maurepas. Trois semaines âpréi , âr^ 
riva le tour dé celui-d, mais ' sérieu^ment. M. de 
Samt* Florentin entré che2 lui , et , se rappelant lé 
commencement dé la harangue de M. de Maurépàs^ 
le JQiar de sa facétie , il répéta ses propres mots. M. dé 
Matirepas crut d'abord que é'étoit une plaisanterie i 
tri^j voyant que l'autre parloit tout de bon : Alldùs 



dit-il , je vois bien que v6us né me perrîffléZ'pdS; V6 



tB 



s58 CARACTERES 

êtes un honnête homme ^ je vais vous donner ma dé- 
mission. 

-«- L*abbé Mauiy, tachant de faire conter à Fabbé 
de Beaumont , vieox et paralytique , les détails de sa 
jeunesse et de sa vie : L*abbé , lui dit celui-ci , vous 
me prenez mesure ; indiquant qu'il cherchoit des ma- 
tériaux pour son éloge à lacadémie. 

— D*Alembert se trouva chez Voltaire avec un cé- 
lehre professeur de droit à Genève. Celui-ci, admirant 
Funiversalité de Voltaire , dit à d'Alembert : Il n'y a 
qu'en droit public que je le trouve un peu foible. Et 
moi , dit d'AIembert , je ne le trouve un peu foible 
qu'en géométrie. 

— Madame de Maurepas avoit de Famitié pour le 
5X>mte Lowendal ( fils du maréchal ) , et celui^û , à 
son retour de Saint-Domingue , bien fadgué du voyage, 
descendit chez elle. Ah ! vous voilà , cher comte , dit- 
elle ! vous arrivez bien à propos ; il nous manque un 
danseur, et vous nous êtes nécessaire. Celui-ci n'eut 
que le temps de faire une courte toilette et dansa. 

— M. de Caloune , au moment où il fut renvoyé , 
apprit qu'on ofiroit sa place à M. de Fourqueux ; mais 
que celui-ci balançoit à l'accepter. Je voudrois qu'il la 
prît , dit Fex-ministre : il étoit ami de M. Turgot , il 
entreroit dans mes plans. Cela est vrai, dit Dupont , 
lequel étoit fort ami de M. de Fourqueux \ et il s'oflTrit 
pour aller Fengager à accepter la place. M. de Calonne 
l'y envoie. Dupont revient une heure après , criant : 
Victoire! victoire! nous le tenons, il accepte. M. de 
Calonne pensa crever de rire. 



ET ANECDOTES. iSg 

«— L'archevêque de Toulouse a fait avoir à M. de 
Cadignan quarante mille livres de graûfiéation pour les 
services qu'il avoit rendus à la province. Le plus grand 
ëtoit d'avoir eu sa mère , vieille et laide ^ madame de 
Loménie. 

■— Le comte de Saînt-Priest , envoyé en Hollande^ 
et retenu à Anvers huit ou quinze jours , après lesquels 
il est revenu à Paris , a eu pour son voyage quatre- 
vingt mille livres , dans le moment même où Ton mut- 
tiplioit les suppressions de places , d'emplois , de pen- 



sions, etc. 



— Le vicomte de Saint-Priest , intendant de Lan- 
guedoc pendant quelque temps , voulut se retirer , et 
demanda à M. de Calonne une pension de dix mille liv. 
Que voulez-vous faire de dix mille livres , dit celui-ci ? 
et il fit porter la pension à vingt mille. EUe est du petit 
nombre de celles qui ont été respectées, à l'époque du 
retranchement des pensions , par l'archevêque de*<Tou« 
louse , qui avoit fait plusieurs parties de filles avec le 
vicomte de Saint-Priest. 

— M disoit, à propos de madame de :J'ai cru 

qu'elle me demandoit un fou , et j'étois près de le lui 
donner^ mais elle me demandoit im sot , et je le lui 
ai. refusé net. 

— M..... disoit, à propos de sottises ministérielles 
et ridicules : Sans le gouvernement , on ne rirpit plus 
en France. 

— En France , disoit M. . . . , il faut purger l'hu- 
meur mélancolique et l'esprit patriotique. Ce sont deux 
maladies contre-nature dans le pays qui se trouve ea- 



i^O CAKACTÈRE5 

tre lé Rhm et lies Pyrénées ; et quand nn Français sô 
trouve auemt de Fun de ces deux maux, il y a^oiit 
«craindre pour lui. . 

' T-U a- plu un motnent à madame la duchesse de 
Grammont de dire que M. de Liancour avoit autant 
d*esprit que M. de Lauzuii. Mk de Gréqui rencontre 
eelui-<d , et lui dit : Tu dînes aujourd'hui chessmoi.-^ 
Mpixami , cda m'est imposiUe. > — Il le faut; et d aiï* 
leurs tii y es intéressé. — Gomment ? «—Liancour y 
.dîne 3 On Itii donne ton espiit ; il ne s'en sert pinnt ; 11 
te le rendra. 

-—On (fiaoit de J.-J. Rousseau : G'est un hibou, 
^ui , dit ' quelqu'un , mais t'est celui de Minerve ; et 
quand je 6ori du Deifin du FiUage^ j'ajouterôis , 
déniché par les Grâces. 

-^ Deux femmes de la cour , passant stir le Pont- 
Neuf-, virent en deux minutés un moine et un cheval 
Uanc ; une des deux , poussant l'autre du coude , lui dit : 
Pour la catin , vous et mot nous n'en sommes pas en 
peine \ 

— Le prince de Gond actuel s'affligeoit de ce que le 
comte d'Artois^venoit d'acquérir une terre auprès de ses 
cantons de chasses : on lui fit entendre que les limites 
étoient bien marquées , qu'il n'y avoit rien à craindre 
pour lui , etc. Le prince de Gonti interrompit le haran- 
gueur , en lui disant rVons ne savez pas ce que c'est 
que les princes ! 

■ • 

* Alltmon à f anôîen proverbe populaire : On ne passe jamai» 
sur lé )Pont-Nouf sans y voir un moine, un cheval blanc et une 
catin* 



ET ANECDOTES. i4l 

*— M (Ësoit que la goutte ressembloît auxMtards 

^esi princes , qu ou baptise le plus: tard qu on peut. 

. --^ M disoit à M. de Vaudreuil , dont fespiit est 

^oit et )uste , mais encore livré à quelques illusions : 
Yous n'ayez pas de taie dans f œil ; mais il y a un peu 
de poussière sur votre luuette« 

. — f M. de Bu.*..« disoit qu'on-ne dit point à- une fem- 
me à troisheures , ce qu'on lui dît à six ; à six ^ ee qu'otl 
Im dit à neuf ,^ à minuit, etc. 11 ^outoit que le plein 
midi a une sorte de seyeriié. U préteo4oil que son ton 
^ conversation avec madame de^... éi<nt ebang^ depuis 
qu elle, avoit changé en cnuuoisi le meuble jde son ca-* 
binet qui étoit Ueii.. 

-rr J.* Je Rousseau étan( , à Footaind^leau ,' à la re-^ 
présentation de son Devin du J^iUage^-^ ud courtisan 
Taborda » et lui dit poHment : Monsieur ^ j[iermettez*- 
vous que je voui^ fuisse mon compUi^nt?'— r- Oui , mon^ 
sieur y dit Rousseau , s il est bien. Le courtisan s'en 
alla. On dit à Rousseau : Maïs y songez-vous ? quelle 
réponse vous venez de faire i — Fort bonn^, <iKt Rous^ 
seau \ connoisaez-vous rien de pife qu'un' éompfiment 
mal fait ? 

-?- M^ de y<»ltair« y étant à Postdanî » cm- soir après 
souper , fit un portrait d'un bon roi en «otitrel^ avee 
celui duu tyran, et a'échatiffiint'pâr degrés, ilât une 
desoripii(Hi épouvantable :des malheurs doAii l'humanité 
étôit accablée sous un m despotique ,; conquéram / etc. 
Le coi de Prusse. émn laisse tomber quelque^ lal^mes. 
Voyez , vojreiK ! ^'éeria M*' ^ Voltaire , il pjeure^ le 
tigre* -.., * i- .: V. L •• /..•.. .. ' :•, 



tj^2 CARACTÈRES 

— ^On sait que M. de Luyne , ayant quitté le semée 
pour un soufflet qu'il avoit reçu sans en tirer vengeance ^ 
fut fait bientôt après archevêque de Sens. Un jour qu'il 
avoit officié pontifîcs^ement , un mauvais plaisant prit 
sa mitre et lecartant des deux côtés : C'est singulier, 
dit-il , comme cette mitre ressemble à un soufflet* 

•«— Fontenelle avoit été refusé trois fois de l'acadé* 
mie , et le racontoit souvent. Il ajoutoit : J'ai fait cette 
histoire à tous ceux que j'ai vus s'affliger d'un refus de 
l'académie , et je n'ai consolé personne. 

. — A propos des choses de ce bas monde , qui vont 
de mal en pis , M.... disoit : J'ai lu quelque part , qu^en 
politique il n'y avoit rien de si malheureux pour les peu* 
(des que les règnes trop longs. J'entends dire que Dieu 
est éi^rnel j tout est dit. 
: — - C'est une remarque très-fine et très-judicieuse 
de M.^ ..,.., que quelqu'importuns , quelqu'insuppor* 
tables que nous soient les défauts des gens avec qui 
nous vivons 9 npus ne laissons* pas d'en prendre une 
partie : être ,1a victime de ces défauts étrangers à no« 
tre caractère, n'est pas même un préservatif contre 
eux. 

— J'ai assisté hier à une conversation philosophicpe 

entre M. D...... et M. L , où un mot m'a frappé. 

M. D...... disoit : Peu de. personnes et peu de choses 

m'intéressent 9 mais rien ne m'intéresse moins que moi. 

M. L lui répondit : N'esl-«ce point par la même 

raison ; et l'un n'explique-t«il pas l'autre ? Cela est très<* 

bien ce que vous dites'-là , repiit froidement M. D ; 

mais je vous dis le Êdt. J'ai été amené là par degrés : ea 



ET ANECDOTES. l45 

Vivant et en voyant les hommes , il faut que le cœur se 
brise ou se bronze. 

— C'est une anecdote , connue en Espagne, que le 
comte d'Aranda reçut un soufflet du prince des Asturies 
( aujourd'hui roi ). Ce fait se passa à l'époque où il fut 
envoyé ambassadeur en France. 

— Dans ma première jeunesse , feus occasion d'aller 
voir dans la même journée M. MarmonteletM.d'Alem* 
bert. J'allai le matin chez M. Marmontel , qui demeu-' 
roit alors diez madame Geoffrin ; je frappe , en me 
trompant de porte ; je demande M. Marmontel ; le suisse 
me répond : M. de Montmartel ne demeure plus dans 
ces quartiers-ci ; et il me donna son adresse. Le soir ,' 
je vais chez M« d'Alembert , rue Saint-Dominique. Je 
demande l'adresse à un suisse, qui me dit : M. Starenî-' 
berg y ambassadeur de Venise ? La tromème porté...—» 
Non , M; d'Aleinbert , de l'académie française. -*^ Je 
ne le connois pas. 

— M. Helyétius dans^ sa jeunesse étoit beau comme 
r Amour. Un soir qu'il étoit assis dans le foyer et fort 
tranquille, quoiqu'auprés de mademoiselle Gaussin, un 
câèbre iSnancier vint dire à l'oreille de cette actrice, àsi^ 
sez haut pour qu'Helvétius l'entendit : Mademoiselle , 
vous seroit-*il agréable d'accepter six centis louis en 
échange de quelques complaisances ? Monsieur ^ répon-^ 
dit-elle assez haut pour être entendue aussi, et en mon- 
trant Helvétius , je vous en donnerai deux dents si 
vous voulez venir demain matin chez moi avec cette 
figure-là. 

— La duchesse de Fronsac , jeune et jolie , p'avoit 



f44 CARAÇTÈneS 

point eu d>raaa$ et Y on s'ieo étonnoit *, une autre femme , 
voulant rappeler qu'elle étoit rousse et que cette rsôson 
«iToit pu coçitribtvçir à la maiv^^t dans sa tranquille 
fages^^ dit : ËU^ est oomo^Sanison ^ sa force^est dans 

— Madame Brisard , c^Ièbl^ par des galanteries , étant 
k Hofpbi^re^, plwsi^iir^ f^^mix^de la ocur ne vouloient 
p^t la voir, l^^tdwlim^e de Grisors ëtoit du noihbre ; 
qt^ CQqp^q^^ elle ét^% très-dëvQte , les amis de nobidame 
Brisard cpmpr^rei^t que 9 si. madame de Gisers la rece« 
toit 9 le$ £|utr^ n'en ftaroîeat auicuiie diffiçnltë;^Us'enh' 
trepi:ijrent oçtte négociation et réussirent. GomUELe ma^ 
dame l^i^rd étoit aim^4e, içlle plut bientôt à ladéyote 4 
^t elbs en vinrent à. fia^mité. Un jour madame de Gir 
^prs lui iSt entendis ^piiç y loUt en conoevanl très-ibien 
qu'on eut une foibl^sisô 9\eJUê m. ooimpreixm pas qu'vme 
jG^mme vînt à iiiuliif)^^ ^ tm certain point le ; nombre 
de ses amans. Hélas! lui dit madame Brisard, c'est 
qu a chaque fois f4 of^ que oelui-Ià ëeroit le der- 
nietf. . , . 

, r-^ C'est une chose ri^inatrquahkt que MoKère,.qui 
n'épajçg^oit rien y q'a p^ lancé w seul trait contre les 
gens de finance. On (fit que Molière et les aoleurs 
comiques dix tenpps eurent là-dessus des ordres de 
Çolbert. 

"T^he, n%enl; voiiik>i^ aller au biJ, et n'y être pas te-» 
çomi^ : J'en saiiî un môyea > dit Fahhé Dubois } et , Jdans 
\pi 13^,, il lui. donna des coups de pied daus le dorrièrob 
Le régent, qui les trouva trop forts , lui dit : Llabbé , ;o 
«ft^ui^&trï^^ 



ET ANECDOTES. l45 

. .i.» Un énergumèiie de gentilhômmerie , ayant ob- 
servé que le contour du château de Versailles étoit em- 
puanti d'urine, ordonna à ses domestiques et à ses vas- 
saux de venir lâcher de Feau autour de son château. 

— La Fontaine, entendant plaindre le sort des dam- 
nés au milieu du feu de Tenfer , dit : Je me flatte qu'ils 
s^y accoutument , et qu'à la fin ils sont là comme lé pois* 
son dans l'eau. 

. — Madame de Nesie avoit M. de Soulûse. M. de 
Nesie , qui méprisent sa fenime , eut un jour une dispute 
avec elle -en prince de son amant ^ il lui dit : Madame , 
on sait bien que je vous passe tout 3 je dois pourtant vous 
dire que vous avez des fantaisies trop dégradantes, que 
je ne vous passerai pas : telle est celle que vous avez 
pour le perruquier de mes gens , avec lequel je vous ai 
vue sortir et. rentrer chez vous. Après quelques mena- 
ces y il sortit ; et la laissa avec M. de Soubise , qui la 
souffleta , quoiqu'elle pût dire. Le mari alla ensuite con«' 
ter cet exploit, ajoutant que l'histoire du perruquier 
étoit fausse, se moquant de M. de Soubise qui l'avoit 
crue , et de sa fenmie qui avoit été souffletée. 
• — On a dit , sur le résultat du conseil de guerre tenu 
à l'Orient pour juger l'afifoire de M. de Grasse : U armée 
innocentée y le général innocent , le ministre hors de 
eour, le roi condamné aux dépens. 11 faut savoir que 
ce conseil coûta au roi quatre millions, et qu'on pré- 
voyoit la chute de M. de^Castries. 

— On répétoit cette plaisanterie devant une assem-^ 
iAée de jeunes gens de la cour. Un d'eux, enchanté jus- 

qu'à riyresse , dit eu levant les loûns après un instant 
II. 10 



^46 CARACTÈRES 

de silence et avec ud air profond : Ck)mment ne sepoit- 
ou pas charmé des grand» évàiemens, des bouleverse^ 
fggpjxs même qui font dir^ de si )oIâs mots ? On suivit 
cette idée, on repassa les mots, les. cfaansons faites sur 
tçw les désastres dç la Fraqc^e. ]La ichs^mm sur la bataille 
d'Hochstet fut trouvée mauvaise , et ({aelques-uns dirent 
à ce sujet : Je ^ins iaché de la perte de cette bataille, la 
chanson ne vaut rien. 

— f 11 s'agissait de corriger Louis xv, jeune enc^« , 
^ riiabitude de déchirer les dentelles de ses courtisans ; 
M« de B^urepas s'en chargea. Il parut devant le rot avec 
les plus belles deoteUes du monde; le f oi s'approdie , 
0tlui en déchitp une; AL de Maurqfias fFOsdemcnt dé- 
4c4ure çeDe de f^^ittre main , et dit simplement : Cela ne 
in a i^t nul pljHSÎr. Le roi surpris devint ronge , et de- 
jpuis pe temps ne déchira plus de dentelles. 

^— Beaumarphlâs , qiû . s'étoit laissé maltraiter par 
le duc de Cbalilnes sans se batu^e avec lui, reçut 
un déû de Af . de la Blacbe. U lui r^pdît : J'ai refîisé 
mieux. 

— M...., pour peindre d'un seul mot la rareté des 
Iionnetes gens, me disoit que, dans la société, Thon- 
nêle homme est une variété de Fespèce humaine. 

— Louis XV pensoit qu'il falk^t changer l'esprit de 
la nation , et causoit sur les moyens d'opérer ce grand 
effet avec M- Bertin (le petit ministre) , lequel demanda 
gravement du temps pour y rêver. Le résultat de son 
rêve, c'est-à-dire, de ses réflexions, fut qu'il seroit à 
souhaiter que la nation fut animée de l'esprit qui règne 
a la Chine. Et c'est cette belle idée qui a vahi au pu- 



e \ 



ET ANECDOTES. "i^j 

blic la cdiection intitulée i ÏHstoire de la Chine ^ 
oa Annales des Chinois. ' 

— M. de Sourches , petit fat, hideux, le tdint noîr^ 

* " ' ♦' ta' * 

el t'éssemblant à un hibou, dit un jour en se retirant : 
Voilà la première fois , dëpiiis deux ads, que jé ^^3^ 
coucher chez moi. L^évéque d'Agde, se retoùrmmt et 
voyant cette figure, lui dil en le regardant-: Monsiétt^ 
perche apparemment ? . 

— M. de R. venoit dé lire dans une ioéiéié trois 
ou c(uatre épigrammes contre autant de persoiiné^ ddilt 
Siucune li'étôit vivante. On se tourna vers M. de.*...l 
comme pour lui demander s'il n'en avoit pas quelques^ 
Unes dont il pût régaler FassemUée. Moi ! dit-il naïve- 
tnent : tout mton monde vit, je ne puis vous rien dire. 

-^ Plusieurs femmes s'élèvent dans le monde au- 
dessus de leur rang , donnent à souper aux grands srî- 
neurs, aux grandes dames, reçoivent des princes, des 
princesses, qoi doivent cette considération à la galan- 
teiriei Xlé sont, en quelque sorte, des filles avouées 
par les honnêtes gens , et chez lesquelles on va, comme 
en vertu de cette convention tacite , sans que cela si- 
gnifie quelque chose et tire le liiôins du motiidte à con- 
séquence. Telles ont été, de nos jours , niadameBii-» 
SArd , madame Gaze et tant d'autres. 
' —M. de Fontenielte, âgé de quatre*vingl-dix*sept 
ans , venant de dire à madame Hélvétius, jeune , belle 
êt^ nduvelieâiént mariée, miQé choses aimables èt'ga- 
lanties , passa devant elle pour se mettre à table , ne 
f ayant pas àperçiie. Voyez, lui dit madame Heïvé- 
tius,1é cas qu^e je dois feire de vos galanteries; veut 



548 CARACTÈRES 

passes devant moi sans me regarder. Madame, dît le 
vieillard, si je tous eusse, regardée , je naurois pas 
passe» .!...! 

— r Dans les dernières, années du règne de Louis xy, 
le toi étant à la cliasse , et ayant peut^tre de Thumeur 
ççntre madame Dubarry, s'avisa de dire un mot contre 
les fenmies; le maréchal de Noailles se répandit en 
invectives contre dles, et dit que, quand on avoit fait 
d'elles ce qu'il faut en faire, elles n'étoient' bonnes 
qu'à, renvoyer» Après la chasse , le maître et le valet 
se retrouvèrent chez màdsoatie Dubarry, à qui M. de 
Noailles dit mille jolies choses. Ne le croyez pas , dit 
le roi , et .alors il répéta ce qu'avoit dit le maréchal 
9 la cillasse. Madame Dubarry se mit en colère , et le 
maréchal lui répondit : Madame , à la vérité, j'ai dit 
cela au roi; mais c'étoit à propos des dames de Saint* 
Germain, et non pas de ceUes de Versailles. Les da- 
mes de Saint-Germain étoient sa femnie, madame de 
Tes^é, madame de Duras, etc. Cette anecdote m'a été 
contée par le maréchal de Duras , témoin oculaire. 

— Le duc de Lauzun disoit : J'ai souvent de vives 
disputes avec M. de Galonné; mais, comme ni l'un 
ni l'autre nous n'avons de caractère , c'est à qui se 
dépêchera de céder ; et celui de nous deux qui trouve 
la plus jolie tournure pour battre en retraite , est celui 
qui se retire le premier, 

-^ Le roi Stanislas venoit d'accorder des pensions 
à plq^eurs ex-jésuites ; M. de Tressan lui dit : Sire , 
votre majesté ne fera*t-e]le rien pour la famille de 
pamien , qui est dans la plus profonde mi^e ? 



ET ANECDOTES. l49 

•^ Fûntaielle , âgé de quatre-vingts ans , s^eïupressa 
de relever 1 éventail cTune femme jeune et belle, 
mais niai élevée, qui reçut sa politesse dédaigneuse- 
ment. Ah ! madame, lui dit-it, vous prodiguez bien 
vos rigueurs. . . . . ^ 

— M. de Brissac , ivre dé gentilhommerie , déâgnoît 
souvent Dieu par cette phrase : Le gentilhomme d'en 
haut. 

— Mi... disent que d^obligér, rendre 'service, sans 
y mettre toute la délicatesse possible , étoit ' presque 
peine perdue. Ceux qui ' y Manquent n'obtiennent 
jamais le cœur , et c est lui qu'il faut com^érir. Ces 
bienfaiteurs liialadroits ressemblent à céï généraux qid 
prennent une ville, en laissant la garnison se retire^ 
dans la citadeUe, et qui rendent ainsi leur cônqifête 
presqu inutile.' ' • 

' .— M. Lorri, médecin, racOntoit que niadamede 
Sully , étant indisposée , Tavoit appelé et lui avoit conté , 
une insoleiace de Borde»; lequel lui avoit (fit : Votrâ 
maladie vient de vos besoins, voilà un homme ^ et en 
même temps il se présenta dans un 'état pen décent. 
Lorri excusa son confrère, et dît- à madame de SuII^ 
force galanteries respectneu^ses. Il ajautôit : Je ne sais 
ce qui est arrivé depuis ;iiiais ce qu'il y a 'de oèrtaitt^ 
c'est qu'après m'âvoili» >aj]f^lé* une fois, elle reprit 
Bordeu. ■^- • "' ■'■''■ '"''•- ■ ' c 

— Labbé Amaùd- avôit téùu autrdPois sur ses ge- 
noux une petite fille, devenue depuis madame Dubafry. 
Un jour elle lui dit qu'elle VOUknt lui fkire Idu bien; 
die ajouta :I>(»mèzF>fiuii îi&i tbéiÀbire. Un mémoire! 



%So CARACTÈRES 

lui dit-U ; il est tout fait ; le voici : je suis l'^bbe Arnaud. 
•— ^ Le curé de Bray, ayant pa^^. trois ou quatre fois 
de I^ religion catholique à la religion protest^tqfey et se9 
fom s'ëtonnant de cette indifférence. •— Moi i indiffé* 
rent! dit le curé; moi, inconstant! rien [de tout cela j 
«u. contraire 9 je ne ch^^e point : je veux être curé de 

Bray* 

«— On sait quelle familiarité le roi de Prusse permets 
toit à quelques-uns de ceux qui vivoient avec lui. Le 
général Quiixtus-'Icilius étoit celui qui en profîloit le 
vdus librement. Le roi de. Prusse , avant k bataille dé 
JPlofibac^ luidit que, s'il 1^ perdoit , il se rendroit à Ve- 
jûse^ OÙ ityivroit en exerçant la naédecine. Quintus lui 
içép(Xûàii^ :. Toujours Msas^ût.1 
. ^^ Le cl;i|efi£er de Mc^ïtbarey avoit v^u dans je ne 
sais quelle ville de province , et , à son retour^ ses anm 
le plaignoient.de la* société qu'il avoit eue. C'est ce qui 
vou^ trompe, répoi;Klit-il j la bonne compagnie de cette 
ville y. est cqmme partout i et la mauvaise y est excel* 

leptet : - :• 

•-^ P^n ps^san partagea le j peu. de.>bî(en§qi\'il avoil 
feutre sçs quatre fils , et a|la yi^fi 4Wtà( >i^bez l'un » \»n^ 
tôt c)^2 l'autre. On lui dit^j^ifon r^etotif ;4up <1®^^ 
vpy^gescli^%.ses;enfan^;: Ebibi^n.l ^ïpmï^^tiVOM^OBt- 
ils reçu? commuent vous^p^oVriilis u^ité'PJIS'm'oiH traité, 
dit-il, comme leur enfant. Ce mot paroit sublime dans 
]a boucbe d'uu père tçl que iCelvii-tîi. . ' - . 

*r- Dans une société qù se trouvoit M. de Scbwalow^ 
ancien ^mant de rirapératrico JÉ)J|îjsabiet|i',.Dn VQuIoit 
savoir quolqaçs traits Telaûf^ |^s}fi|iuii$i$.:Le bailli de 



ET AUnCDOdBS. tSt 

Çh^hnUant dii : M* de Schwalèffi y diteft-nons eene hw 
foire ^ vous devei^ lasavoîr ^ vous qui étîes le Poi»p«foi2i^ 
de ce paj^s^ 

<-^ Le <)oiiile d'Artois, le joiir de ses noceH, prêt « se 
meune à t^e, eteoidràiiDi^ dé ions s^ . gfusds offi-t 
çiers eti de ceux, dé madame la comtesse ^Anxi&i «dît ft 
sa femuieydefsçoB que -plusieurs personms IVofi^ii^ 
i^dit ; Tout ce moode ^e vous^ voyee, ce sont iMê 
gens. Ce. mol à couru ^mifis c'est le milKèiiàe j et (detà 
nôUe autres pareils.. n'empediero&t jamsis 1# tiol)lèMé 
française de briguer en ibide des emplois bà tàiî èik 

f ■ • 

exaclemetil la IbnctioDcfe valet.. - '^ -'-i 

. — i POur^ger .de œ que c'est que la uoblesse , disioit 

M 9 il suffit d'observer qUe M. leprince deTaneniM^l 

actuetleméut vivant , est plus Dol>le que M. de Ttiremie , 
^ ^que le iuarquis de Laval est plus noble qfjièle éOoùi^ 
fable de Montmorenix. ' ■: l. i \ 

—^ M. de. .:. ; ^; qui voyofi la ilecutre die Wtii^i^dtttkMÉ 
de l'espèce humaine dans rétablissement de la secte' lïfeM 
zaréêjQoë el diQi^:Ia'^ffk>âalité','<fisok '0péj ^wftir valoir 
foelque chose pîl falkât J8 défiraodbef et' S0 éâbj^tiéef % 
erre^eveuirGrrkd^oftiVomaÎQ^pdr^tQlê.* * ' '' i 

sr^.Le roi de Prusse deérâiMibit à #AlM9Alert ^^ 
Dvoit vuile.roi4e;Fraiiçe^i3ai))iwfi^ dit éek^,' tfètftà 
présentant mon discours de réception à ïétàdlàêtckéftiiA^ 
çaisé. Eh UenH 'reprit le tm'è^99tmi^^b^'ar='iC'\\ 
dit? n ne «b'a pas patléfW^/^^M^fui'dotic ^fâ^^-ff? 
pour^ivit Foétbâricj " : i '> *vTî'v.'ii^'î'»*l - ■\ -^ *'■' '>••••••- * 

i ^ M. Aknelot, nkiilibtre de3^ai«^ |hiQbMé»4i<)é^sivè^ 
aieotboniéi:diBO«k;âJI|) Sligniu t» Acheter be^^ 



lB2 CARACTÈRES 

de Imw pour hr bibliothèque da roi , que nûos mi- 
mijfôs ce Necker. II croyoit que trente ou quarante 
mille francs de plus feroient une grande aâmi^. 

«-- Cesc un fût certaîn et connii des amisde M. <F Ai-* 
guillon., quç le roi ne Ta jamais nommé ministre des af» 
&ires étrangères; ce Ait madame Dubarry qui lui dit : 
B faut que tout ceci ânisse, et je veuxque'vous aUiefl 
demain matin remercier le roi de vous aroir nomimë à 
la. place. Elle dit au roi : Mi d' Aiguilbn iira dem»a 
vous remercier de sa nomination à la place de secrëtûre 
d*4tat des affaires étrangères ; le roi ne dit mot. M. d* Ai« 
guillon n osoît pas y aller : madame Dubarry le loi or-^ 
doona; il y îBill^. Le roi ne lui ditrieuj^ et Mjd^Aigml*' 
)o9 entra en fonction sur-le-champ. 

.-—.M»..., faisant sa cotir au prince Henri, à Neuf-* 
cbâtel , lui dit que les Neufchaidois adoroient le roi 
de Prusse. Il est fort simple, <£t le prince, que les 
sjujets aiment un maître cpû- est à trois loents^ lieues 
d'eux. 

, *^ L'abbé. Rji^al , dhaiit h Neufdbâtd avec le prince 
Henri , s'empara de la. conversation et ne laissa point ai» 
prince le moment de placer un mot. Celui-ci , pour ob- 
tenir, audience, iSt. semblant' de croire que qudque 
cbosa tomboitdu plancher, et profita du sileiiCe pour 
parler ^ son tour • 

• . -— Le roi de T^nmQ Causant avec d' Alembert , il en- 
t^ .chez le roi un ; de aesLgéns du service domesûque , 
homme de la plus belle figure qu'on pût voir ^ d' Alem- 
bert en parut frappé. . C'est , ^t le roi, : le plus bel 
hoii]9pe4e mes ébta lilaété cpelque tempsmon co- 



ET ANECDOTES. t55 

cher , et j'ai eu une tentation bien violente de renvoyer 
ambassadeur en Russie. 

— Quelqu'un disoit que la goutte est la seule maladie 
qui donne de la considération dans le monde. Je le crois 
Hen , répondit M. .... , c'est la croix de Saint-Louis de 
la galanterie. 

— M, de la Reynière devoit épouser mademoiselle 
de Jarinte , jeune et aimable. Il revenoit de la voir, en- 
chanté du bonheur qui f attendoit , et disoit à M. de 
Maledherbes, son beau -frère : Ne pensez- vous pas eH 
effet que mon bonheur sera parfait ? — Cela dépend de 
quelques circonstances. -— Comment! que voulez- 
'Voos dire ? — Cela dépend du premier amant qu^elIe 
aura. ' 

-—Diderot étoit lié avec un mauvais sujet qui , pso* je 
ne sais quelle mauvaise action récente, vendit de perdre 
l'amitié d'un oncle , riche chanoine, qui vouloit le pri- 
mer de sa sncceâsiôn. Dicferot va voir l'oncle , prend un 
air grave et philosophique j jpréche en faveur du neven ', 
et essaie de reniuer la passionet de prendre le ton pathé> 
tiqcie. I/oncie prend là pafble, et luicdnte deux ou 
trpiflf indignités de son neveu. Il a &it pis que tout cela, 
reprend-Diderot. Et quoi ?- dit= ronclé. -^ 11' a voulu 
TOUS assassiner un; jôui^dand la sàèrisJiev'.^ati sortir de 
votre messe; et c'est Farrrivée de deux bu trob per- 
sonnes qui l'en à empébbé. Cela' n'est pas vrai,-s^écria 
l'onde; c'est une calomnie. Sort; dit Diderot^maii^ 
quand cela seroit vrai , il faudit>it ^tfcOfré^rdonner h la 
vérité dé son repentir, à sa portion et mt Indbeurs qni 
l'attendent si vous fabandonnez. 



l54 CARACI^ËIIES 

—r Parmi cette classe cTbommes nés avec nna imagi- 
nation vive et une sensibilité délicate qui font regarder 
jes femneies avec un vif intérêt , plusieurs na'onLdit 
.qu'ils avoient été frappés devoir conibien peu dçt.f^n^- 
ines avcxi^t de goût pour les arts, et particulièrement 
pour la poésie. Un poëte connu par des ouvrageci trèsh 
agréables me peignoit un jour la surprise qu'il avoit 
éprouvée en voyant une fenuoie jJeîne d'esprit , de gttr 
ces ^ de sentiment , de goût dans sa parure , . bonne saur 
sicienne et jouso^ de plusieurs instrumens , qui n avoft 
pas ridée 4ç I^ mesure d'un vers » du mélange des riniiéa^ 
.qui sjubstit^il à un mot heureux et de génie un:a^ife 
jpiot trivial et quimeme rofnpoit la mesure du Versh;!! 
m^ajoutoit qu'il avoit éprouvé plusieurs fois ce qu'il apr 
peloit ua, petit malheur,; mais qtii^ en étoît UD- très- 
jgrand pour un poëte erotique, l^^el av<Mt sollicité tout^ 
sa vie le suffrage des femmes. ' 

,. -^ M« de Voltaire se tro^v^t avec madame lai . dur* 
chesse dç: Çhaubies., cdle^i ,^<pQ^)m Jes éloges qtt'elfe 
lui donna y insista principaletnent ^ur rharmoniê,de fia 
prose. Tout d'un coup , voila M; deVoItatre qui sejelie 
à ses pieds^. Ah;! Madame, \e vis avec uti cochoi^iquâ 
n'a pas^ dler^ne , qutne: sait ce que c'est qa'hatuamtev 
jfQcsure, etc.. Le cochon dont il parloit , c'était mst 
dame Pucb4i^t) son Emilie. < 

H-<- Leroi de Pruspe;;a;iait .pUi^d'uue fois leven des 
jg^ans géograf^qjiiias tp^-défè.ctueni& de tel ou . tel pays ; 
)a carte iiidiquoit td marais impraticable qui oe! Vétciâ 
poknty et (pe les ennemi» croyoienl tel sur kl Icn-^m 
faux plan. ' l 



ET AWEGDOTKS. 1^5 

-r- Bf .,.. disent que le grand moude est un mauvais 
lieu que Ton. avoue» 

'y Je ^emaudoisà M...» pourquoi aucun des plaisirs 
ne paroissoit avoir piise sur lui; il me répondit : Ce 
n'est pas que j y sois insensible ^ mais il q-y en a pas un 
qui ne m'ait paru sur-paye. La gloire expose à la ca- 
lomnie y la considération demande d^ soins coùtinuels; 
1^5 plaisirs , du mouvement , de la fatigue corporelle. La 
société entraîne mille inconvéniens : tout est vu , revu 
et jugé. Le monde ne ma rien offert de tel quen desr 
cendant en moi-? même, je n aie trouvé encore mieut 
chez moi. U est résulté de ces expérience» réitérées cent 
Ibis, que, sans être apathique ni indifiérent ^ je suis do^ 
venu cpn»me immobile, et que ma position actuelle 
me paroit toujours la i^eiUeure , parce que sa bonté 
même^ré^te de spa. immobilité et ,s'açqrott avec ellew 
L'amour est ixù^ source (fe peines, la volupté san/iâmour 
^t ua plaîjiirde quelque^ minutes ; le mariage est jugé 
encore ;piviff,qi|ç le.rçsta.^ Vhonneur d'être pèt^e.mnèn^ 
^ne $191^ j^e.calati^tés) t^enir maiaon est leméci^dAiy 
ai:d>e;i gîj|l|9v L^ mûéraihles inoti/s' qui fpnt que ïùfpLrer 
cl^erçhe.iju;i hpjy^^çou ^'€ple< considère ^ sont tram^ 
pareil etnjrfe f&ayQ^i Xfim^V q^tia «o|^ iji; flouer 
qu un , l}o^q[ig iddiculen^nt vain. J'en, sa conclu quf 
le repos, lamiiié et la pensée ét^ieaM tes$epls.biep& qf:^ 
çouyin^M à.ua homme qui a passé ï&ge^4^ la l^lie. 

r-: l^ jpf^quis de Villequier étpit dqs arpî^ du| grmd 
Condé. Au oïpment où ce pripce fui acrété j^; Ordr^ 
delacçur^Jemarqiiis de Vill^uicr., eapitaine^^^g^tf* 
^.\^^>^\ii^hfi^ naadama de Motievilto, loitjqf^ o^, {inr 



l56 CARACTÈRES " 

nonca cette nouvelle. Ah mon Dieu ! s'éciîa le ittar^ 
quis , je suis perdu. Madame de Motteville, surprise de 
cette exclamation , lui dit : Je savois bien que vous étiez 
des amis de M. le prince \ mais j'ignorois que vous fus<^ 
8Îez son ami à ce point. Comment ! dit le marquis de 
Villequier , ne voyez-vous pas que cette éxecution me 
regardoit; et, puisqu'on ne ma point employé, n'est-il 
|)as clair qu on n a nulle confiance en moi ? Madame de 
Motteville , indignée , lui répondit : II me semble que, 
n'ayant point donné lieu à la cour de soupçonner votr^ 
fidélité, vous devriez n'avoir point cette inquiétude, 
et jouir tranquillement du plaisir de n'avoir point mis 
votre ami en prison. Villequier fut honteux du premier 
mouvement qui.avoit trahi la/4)assesse de son âme. 

^— On aivionça , dans une maison où soupoit ma- 
dame d'Ëgmont, un homme qui s'appeloit Duguesclin. 
A ce nom son imagination s'allume ; elle fait mettre 
cet homme à table à côté d'elle , lui fait mille politesses 

r 

et enfin lui offre du plat qu'elle avoit devatit die (c'é* 
toient des truffes ) : Madame, répond le sot, il n'en &ut 
pas à côté de vous. A ce ton, dit-elle en contant cette 
histoire, j'eus grand regret à mes'h^inêtetés. Je fis 
comme ce dauphin qui, dans le naufrage d'un vaisseau, 
crut sauver im homme et le rejeta dans la mer en 
voyant que c'étoit un singe^ 

— Marmontel dans sa jeunesse rechérchoit beau- 

• • • 

coup le vieux Boindin , célèbre par son esprit et son 
incrédulité. Le vieillard lui dit : Trouvez-vous au café 
Procope. -^ Mais nous ne pourt^ons pas parler de ma- 
tières philosophiques. — - Si &ki , en convenant dune 



t 



ET ANECDOTES- 167 

langue particulière, d'un argot. Alors ils firent leur 
dictionnaire. L'âme s'appeloit Margot; la religion, /a* 
potte; la liberté, Jeanneton; et le Père Etemel , M* de 
VÊtre. Les voilà disputant et s'entendant très -bien. 
Un homme en habit noir, avec une ipauvaise mine,^ 
se mêlant à la conversation, dit à Boindin : Monteur, 
oseroia-je vous demander ce que c'étoijt que ce monsieur 
de rËtre qui s'est si souvent mal conduit et dont vous 
êtes si mécontent ? Monsieur , reprit Boindin , c étoit 
\xa espion de police. On peut juger de Féclat de rire^ 
cet homme étant lui-même du jnétier. 

— Le lord Bolingbroke donna à Louis xiv mille 
preuves de sensibilité pendant une maladie très-dan-, 
gereuse. Le roi étonné lui dit : Jen suis d'autant plus 
touché , que vous autres Anglais vous n'aimez pas les 
rois. Sire, dit Bolingbroke , nous ressemblons aux maris 
qui, n'aimant pas leurs femmes, li'en sont que plus em« 
pressés à plaire à celles de leurs voisins. 

-— Dans une dispute que les représentans de Genève 
eurent avec le chevalier de Bouteville, l'un d'eux s'é- 
chauffant, le chevalier lui dit : Savez-vous que je suis 
le représentant du roi mon maître ? Savez-vous , lui dit 
le Genevois , que je suis le représentant de mes égaux? 

-— La comtesse d'Ëgmont , ayant trouvé un homme 
du premier mérite à mettre à la tête de l'éducation de 
M. de Chinon, son neveu , n'osa pas le présenter en son 
nom. EJle étoit pour M. de Fronsac , son frère, ua 
personnage trop grave. E^e pria, le poëte Bernard da 
passer chez elle. II y alla; elle le mit au fait. Bernard lui 
dît : Madame, l'auteur de XJrt dP aimer n'est pas uu 



l58 CARACTÈRES 

« 

persoùnage bien imj^sànt; mais je le suis ei3c6re un 
peu trop pour cette occasion : je pourrois vous dire 
que mademoiselle Amould seroit un passe-port beau- 
coup meilleur auprès de monsieur votre frè^..'.^. Eh 
bien ! 'dit madame d'Ëgmont en riant , arrangez le sou-^ 
per ehez mademoiselle Amould. Le souper s^àrrangea. 
Bernard y proposa l'allé Lapdant pour précepteur : il fiit 
i^frée. Cest celui qui a depuis achevé réducaticm du 
duc d'Eoghien. 

—-Un philosophe', à qui Ton reprochoit son eitréme 
amour pour la retraite, répondit : Dans le monde tout 
tend à me faire descendre ^ dans la solitude, tout tend 
è me faire monter. 

— M. de B. est un de ces sots qui r^ardent de bonne 
foi féchelle des conditions comme eélle du mérite ; qui 
le plus naïvement du monde' ne conçoit pas qu'un hon- 
nête homme noû-décôré ou au-dessous de luirait plcà 
estimé que lui. Le rencontre-t-il dans une de ces mai^ 
sons où Ton sait encore honorer le mérite ; M. de B. 
tiuvrede gititids yeut, montre un étonnement stufnde; 
il croit que cet homme vient de gagner un quateme à 
la loterie : il Tappelle mon cher un tel , quand la so«- 
cieté la plus distinguée vient de le traiter avec la plus 
grande considération. J ai vu plusieurs de ceà scènes 
dignes du pinceau de La Bruyère. 

•i-^ J^ai bien examiné M...., et son' caractère m^a paru 
piquant : trèâ-aimable et nulle envie de plaire , si ce 
TLeéi à ses amis ou à ceux qu'il estime ; en récompeilsè 
une grande crainte de déplaire. Ce sentiment est juste ^ 
#t aocprde te qu on doit à 1 amitié et ce' qu'on doit à 



V 



ET ANECDOTES. i5g 

la société. On peut faire plus de bien (jjlle lui : nul -ne 
fera moins de mal. On sera plus empressé : jamais 
moins importun. On caressera davantage ; on ne cho- 
quera jamais moins. 

— L'abbé Delille devott lire des vers à Tacadérmê 
pour la réception d'un de ses amis. Sur «pioi il disoit : 
Je voudrois bien qu'on ne le sût pas d'avance ^ mais je 
crains bien de le dire à tout le monde. 

-«— Madame Beawsée couchent avec un maitre de lan^ 
pie allemande. M. Beeuzée les surprit au retour de l'a- 
cadémie. L'Allemand cfit à la femme : Quand je vous 
cKsois qu'il étoit temps que je m'en aUle» M. Beautée^ 
toujours purisie j lui dit : que je m'en allasse j mon- 
teur. 

— « M. Dubreinl , pendant la maladie dont il mourut , 
disoit à son ami M. Pehméja : Mon mm , pourquoi tout 
ce monde dans ma chambre ? fl ne devroit y avoir que 
toi ; ma maladie est contagieuse. 

— On demandoit à Pehméjà quelle étoit sa fortune? 
— Quinze cents livres de rente. — CTest- Iwen peu. — 
Oh ! reprit Pehméjà , Dnbreuil est riche. 

— Madame la comtesse de Tessé disoit après la mort 
de M. Dubreuil : II étoit trop inflexiUe , trop inabor-> 
dable aux présens , et j'avois un accès de fièvre toutes 
ies fois que je songeois à lui en faire. Et moi aussi, lui 
répondit madame de Champagne qui avoit placé trente- 
six mille livres sur sa tête : voilà pourquoi f ai mieux 
aimé me donner tout de suite une bonne maladie que 
d'avoir tons ces petits accès de fièvre dont vous parlez. 

•— » L'abbé Maury , étant pauvre , avoit enseigoé te la* 



i6q . CARACTÈRES 

Un à un viéux-ieonseiller de grand'chambre^ qui vouloit 
entendre les Instiiutea de Justinien. Quelques années 
se passent, et il rencontre ce conseiller étonné de le 
voir dans une maison honnête. Ah ! Tabbé, vous voilà? 
lui dit-il lestement \ par quel hasard vous trouvez-vous 
dans cette maison-ci? — Je m y trouve comme vous 
vous y trouvez. — Oh! ce n'est pas la même chose/ Vous 
êtes donc mieux dans vos affaires ? Avez-vous fait quel- 
que chose dans votre métier de prêtre ? — Je suis grand- 
vicaire de M. de Lombez. — Diable ! c'est quelque 
chose : et combien cela vaut-il ? — Mille francs. — Cest 
bien peu \ et il reprend le ton leste et l^er. — Mais j'ai 
un [MÎeuré de mille écus. — Mille écus ! bonne a£^e. 
{avec Pair de la considération). — Et j'ai fait la ren* 
contre du maître de cette maison-ci chez M. le cardinal 
de Rohan. — Peste ! vous allez chez le cardinal de Ro- 
faan ! — Oui , il m'a fait avoir une abbaye. *— Une abbaye ' 
ah! cela posé , monsieur Tabbé, faites-moi l'honneur de 
venir dîner chez moi. 

— M. de la Popelinière se déchaussoit un soir devant 
ses complaisans, et se chauffoit les pieds; un petit chien 
les lui léchoit. Pendant ce temps-là la société parloit 
d'amitié, d'amis : Un ami , dit M. de La Popelinière , 
montrant son chien y le voilà. 

— Jamais Bossuet ne put apprendre au grand dau- 
.phin à écrire une lettre. Ce prince étoit très-indolent. 
On raconte que ses billets à la comtesse du Rourefinisr 
soient tous par ces mots : LéS roi méfait mander pour 
le conseiL Le jour que cette comtesse fut exilée, im 
des courtisans lui demanda s'il ne toit pas bien affligé» 



ET ANECDOTES. i6i 

Sans doute, dit le daupliin-, mais cependant me voilà 
délivré de la nécessité d'écrire le petit billet. 

— L'archevêque de Toulouse ( Brienne ) disoit a 
M. de Saint'^Priest, grand-père de M« d'Ëutragues i II 
ny a eu en France ^ sous aucun roi , aucim ministre qui 
sÂt poussé ses vues et son ambition jusqu'où elles pou-* 
voient aller. M. de Saint-Prie$t lui dit : Et le cardinal de 
Richelieu ? Arrêté à moitié chemin , répondit Farche* 
véque. Ce mot peint tout un caractère. 

— r Le maréchal de Broglie avoit épousé la fille d'ua 
négociant ; il eut deux filles. On lui proposoit , en pré- 
sence de madame de Broglie , de faire en trer l'une dans un 
chapitre. Je me suis fermé , dit-il , en épousaat madame, 
l'entrée de tous les chapitres.... Et de l'hôpital , ajouta-t- 
elle. 

— La maréchsde de Luxembourg ^ arrivant à l'église 
un peu trop tard , demanda où en étoit la messe , et 
dans cet instant la sonnette du lever-dieu sonna. Le 
comte de Chabot lui dit en bégayant : Madame la ma- 
réchale, 

J'entends la petite clochette , 

Le petit mouton n'est pas loin. 

Ce sont deux vers d'un opéra comique. 

— La jeune madame de M...., étant quittée par le 
vicomte de Noailles, étoit au désespoir et disoit : J'au- 
rai vraisemblablement beaucoup d'amans^, mais je n'en 
aimerai aucun autant que j'aime le vicomte de Noailles. 

— Le duc de Choiseul , à qui on parloit de son étoile , 
qu'on regardoit comme sans exemple , répondit : Elle 
l'est pour le mal autant que pour le bien. — Comment ? 

X II. II 



l62 CARACTÈRES 

—Le voi<n : faî toujours très-bien traité les filles : il y 
»en a «ne que je néglige ; elle devient reine de France , 
ou à peu près. JTaî traité à merveille tous les inspecteurs ^ 
je leur ai prodigué Tor et les honneurs : il y en a uu 
extrêmement méprisé que je traite légèrement 5 il de- 
vient ministre de la guerre , c'est M. de Monteynard: 
Les ambassadeurs , on sait ce que j'ai &it pour eux sans 
H^ception, hormis un seul : mais il y en a un qui a le 
travail lent et lourd, que tous les autres méprisent ^ 
qu'ils ne veulent plus voir à cause d'un ridicule mariage : 
c'est M, de Vei^nnes ; et il devient ministre des affaires 
•étrangères. Convenez que j'ai dès raisons de dire que 
mon étoile est aussi extraordinaire en mal qu'en bien. 

— M. le président de Montesquieu avoit un caractère 
Tort au-dessous de son génie. On connoît ses foiblesses 
^surla gentUhommerie, sa petite ambition, etc. Lorsque 
f Esprit des Lois parut, il s'en fit plusieurs critiques 
mauvaises ou médiocres qu'il méprisa fortement. Mais 
un homme de lettres connu en fit une dont M. du Pin 
voulut bien se reconnoître l'auteur, et qui contenoit 
<î'excellentes choses. M. de Montesquieu en eut con- 
noissance et en fut au désespoir. On la fit imprimer, et 
«elle alloit paroître lorsque M. de Montesquieu alla trou-< 
ver madame de Pompadour qui, sur sa prière , fit venir 
rimprimèur et l'édition toute entière. Elle fut hachée , 
et on n'en sauva que cinq exemplsdres. 

—Monsieur et madame JAngev..., monsieur et ma- 
dame N. paroissent deux couples uniques, chacun dans 
son genre. On croiroil que chacun d'eux convenoit à 
fautro exclusivement y et que laihour ne peut aller plus 



ET ANECDOTES. l65 

loin. Je les ai étudiés, et f ai trouvé qu'ils se tenaient 
très-peu par le cœur, et que, quant au caractère, ils ne 
se tenoient que par des contrastes. 

— '• Le maréchal de Noailles disoit beaucoup de mal 
d'ime tragédie nouvelle. On lui dit : Mais M. d'Aumonl, 
dans la loge duquel vous l'avez entendue , prétend qu'elle 
vous a fait pleurer. Moi ! dit le maréchal , pîoint du 
tout ; mais, comme il pleuroit lui-même dès la première 
scène, j ai cru honnête de prendre part à sa douleur. ' 

-^ M. Th.... me disoit un jour, qu'en général dans 
k société, lorsqu'on avoit fait quelque action honnête 
et courageuse par un motif digne d'elle , c'est-à-dire , 
très-noble, il falloit que celui qui avoit fait cette action 
lui prêtât, pour adoucir l'envie, quelque motif moins 
honnête et plus vulgaire. 

— Louis XV demanda au duc d'Ayen( depuis maré- 
chal de Noailles) Vil avoit envoyé sa vaisselle à la mon- 
noie; le duc répondit que non. Moi, dit le roi, j'ai en- 
voyé la mienne. Ah ! sire, dit M. d'Ayen , quand J.-C, 
mourut le vendredi-saint, -il savoit bien qu'il ressusci- 
teroit le dimanche. 

— Dans le temps qu'il y avoit des jansénistes, on les 
distinguoit à la longueur du collet dé leur manteau. 
L'archevêque de Lyon avoit fait plusieurs enfans; mais, 
k chaque équipée de cette espèce , il avoit soin de faire 
allonger d'un pouce le collet de son manteau. Enfin le 
collet s'allongea tellement qu'il a passé quelque temps 
pour janséniste , et a été suspect à la cour. 

— Un Français avoit été admis à voir le cabinet du 
roi d'Espagne. Arrivé devant son fauteuil et son bureau ; 



l64 CARACTÈRES 

C'est doDC ici, dit-il, que ce graod roi traVailIci Cotn-* 
ment, travaille ! dit le conducteur : quelle insolence ! ce 
grand roi travailler! Vous venez chez lui pour insulter sa 
majesté ! U s'engagea une querelle où le Français eut beau- 
coup de peine à faire entendre à l'Espagnol qu'on n'avoit 
pas eu l'intention d'offenser la majesté de son mattre. 

: — M. de... ayant aperçu que M. Barlfae étoit jaloux(de 
sa femme ) , lui dit : Vous, jaloux ! mais savez-vous bien 
que c'est une prétenlion ? C'est bien de l'honneur que 
vous votis faites : je m'explique. N'est pas cocu qui veut : 
savez-vous que, pour l'être , il faut savoir tenir une mai- 
son , être poli , sociable, honnête ? Commencez par ac- 
quérir toutes ces qualités, et puis les honnêtes gens 
verront ce qu'ils auront à faire pour vous. Tel que vous 
êtes, qui pourroit vous faire cocu ? une espèce ! Quand 
il sera temps de vous effrayer, je vous en ferai mon 
compliment. 

— ^ Madame de Créqui me dîsoit du baron de Bre- 
teuiL: Ce n'est, morbleu, pas une bête que le baron ; 
c'est un sot. 

— Un homme d'esprit me dîsoit un jour : Que le 
gouvernement de France étoit une monarchie absolue y 
tempérée par des chansons. 

— L'abbé Delille , entrant dans le cabinet de M. Tur- 
got , le vit lisant un manuscrit : c'étoit celui des Mois 
de M. Roucher. L'abbé Delille s'en douta , et dit en 
plaisantant: 

Odeur de vers se sentoit à la ronde. 

Vous êtes trop parfumé , lui dit M. Turgot , pour 
sentir les odeurs. 



ET ANECDOTES. l65 

— M. de Fleuri , procureur général , dîsoit devaot 
quelques gens de lettres : 11 n'y a que depuis ces der- 
niers temps que j'entends parler du peuple dans les 
conversations où il s'agit du gouvernemenr. Cest un 
fruit de la philosophie nouvelle» Est-ce que l'on ignore 
que le tiers n*est qu* adventice dans la constitution ? 
(Cela veut dire, en d'autres termes, que vingt -trois 
millicms neuf cent mille hommes ne sont qu'un hasarii 
et un accessoire dans la totalité de viogt-quatre millions 
d'hommes. ) 

— Milord Hervey, voys^eant dans l'Italie et se trou- 
vant non lob de la mer, traversa une lagune dans l'eau 
de laquelle il trempa son doigt : Ah ! ah! dit-il , l'eau est 
salée *, ceci .est à nous. 

— Dudos disoit à un homme ennuyé d*un. sermon 
prêché à Versailles :> Pourquoi avez*vous entendu ce 
sermon jusqu'au bout ? :— J'ai craint de déranger l'au- 
ditoire et de le scandaliser. -^ Ma foi»' reprit Duclos » 
plutôt que d'entendre ce sermon , je me serois converti 
au 'premier point. 

— Sf.d'AiguîHon, dans le temps qu'A atoii madame 
Dubarry, prit ailleurs une galaoterie : il se crut perdu ^ 
s'imagin^tut l'avoir donnée à la comtesse ; heureusement 
il n'en étoit rue». Pendant le traitement, qui lui parois* 
soit trèsi-long et qui l'obligeoit à s'abstenir de madame 
Dubarry , il disoit au, médecin : Ceci me perdra , si vous 
ne me dépêchez. Ce médecin étoijL M* Busson , qui 

.l'a v<Ht guéri, en Bret^gUfÇ, dfune maladie mortelle et dojit 
les autres n^édecins àvoient désespéré. Le souvenir de 
oe mauvais sem^ice rendu à la province avdt fait ôter à 



l66 CARACTÈRES 

M. Bussoa toutes ses places après la ruine de M. d'Ai- 
guilloD» Celui-<;i devenu ministre fut très-long-temps 
«ans rien faire pour M. Busson , qui , en voyant la ma- 
nière dont le duc en nsoit avec Linguet , disoit : M. d'Ai- 
guillon ne néglige rien , hors ceux qui lui ont sauvé 
Thonneur et la vie. 

— M. de Turenne , voyant un enfant passer derrière 
tm cheval , de façon à pouvoir être tôtropié par 
mie ruade , Tappéla et lui dit : Mon bel enfant , ne 
passez jamais derrière un cheval sans laisser entre lui et 
vous rinteiTalle nécessaire .pour que vous ne puissiez 
-en être blessé. Je V0v» promet que cela ne vous fera 
pas fair« une démi^Keue de jplm dans le cours de votre 
vie entière ; et souvenez-vous que c'est M, de Turenne 
qui voug Fa dit. 

•i— On demandoit à Diderfet quel homme étoit 
'M. d'Épinài. Cest un homme j dit-il , qui a mangé deux 
«millions ssùB dire un bott mot-etisans faire une bonne 
action. 

— M. de Th , pour exprimer l'insipidité des ber- 

'geries de M. de Flori^fn , disait : Je les aimerois assez , 
s'il y mettoit des loup^J ^> 

— M* de Fronsad alla voir urte mappemonde- que 
inontroit l'àrtisfe qtii l'avoir i^^tifefc. C^l homme , ne 
lie connoissâtit^pâs et lui Vdyatft ^upe croix • de Saint- 
Louis , ne l'appeloit que le chevalier. Là vaùité de 
M. de Fronsac, blessée de ne pas être appelé duc , lui 
fit inventer une histoire , dont un des interlocuteurs , 
un de ses gens, l'appeloit monseigneur. M. de Genlis 
larrête i ce moty et lui dit : Qu'est-ce que tu dislà ? 



ET ANECDOTES. iCj 

monseigneur! on v^ te prendre pour un évêque» 

— M. de Lassay , homme très-doux , nuôs qui avpit 
une grandie, çouopissance de lasciçieté , disoit qu'il £iu* 
droit avaler un crapaud tous les. matins , pour ne tjrouver 
plus rien de dégoûtant le rest/e de ]|a )pi;imée,i quand 
on devoit la passer dans. le z^tondet 

— M. d'Alembert eut occasion de vqû* madame 
Denis le lendemain de son mariage aVQC M. du Vivier» 
On lui demanda si elle avoit Tair d être heureuse. Heu<* 
reuse! dit-il, je vous çn. répond» ; hwrouse à f^e mal 
au oœur. 

— Quelqu^un ^ ayant entendu.]» iraçkiction à^ GéQp- 
gigues.de Tabbé Delifle, lui dit ; Cela e^ ei^q^Ilent; j^ 
ne doute pas que vous n'ayez le premier hénéfice qi 
sera à la nomination de Virgile. . . , 

— M* d^ B. et ]VX. de C, sont intimes ami^g au point 
d'être cités pour modèles. M. de B. disoit un jour à 
M.<le G. i Ne l'çst'-il po^t an;ivé ^e trouver j parmi le» 
femmes qu^ tu as eues , quelque étourdie qui t'ait der 
mandé â ta renoncerois à moi pour elle, ^si tu , mW 
mois mieux qu'elle? — Oui, répondit celui-^^. -^ Qui 
donc.^ ^-r Madame de M««.« Cétoit la maîtresse da 

^on ami. ; . . . ; . ... 

— M..... me racontoit, avec indigoatipu^ ^ine mal- 
versation dç vivfiçrs. U an coi^ta, me dit-il , la vi^ à cinq 
mille hommes qui moururent exactement de faim \ et 
voiiày m/msl^urp cqmme le rai est aend ! 

-^ M.; de fVokaire , voyant la reKgion tomber tous 
les jours, disoit une fois : Geb est pourtant fâcheux ; 
car de 9101 nous moquerons-* nous? Oh l lui dit 



ï68 CARACTÈRES 

M- Sabader de Cabré , consolez-vous ; les occasions ne 
vous manqueront pas plus que les moyens. Ah ! mon- 
sieur, reprit doulonreusenient M. de Voltaire, hors 
de réglise point dé ' salut. 

^ Lé prince de Conti disoit, dans sa deraière ma- 
ladie, à Beaumarchiaiis ;* qu'il ne pourroit s'en tirer, vu 
Fëtat de sa personne épuisée par les fatigues dé la 
guerre , dû vin et de la jouissance. A f égard de la guerre , 
dit çelui--ci, le prince Eugène a fait vingt et une campa- 
gnes, et il est mort à soixante-dix-huit ans ; quant au 
vin^ le marquis de Brancas buvoit par jour six Bou- 
teilles devin de Champagne , il est mort à quatre-vingt- 
quatr<s ans. Oui ; mais le coït ? reprit le* prince. -^ 
Madame votre mère.... répondit Beaumarchais. (La 
princesse étoit morte à soixante-dix-neuf ans. ) Tu as 
raison , dit le prince 5 il li^est pas ii^possible que j'en re* 
vienne. 

*^ M, le r^ent avoît promis de faire quelque chose 
du jeune Arrôtiet , c'est'.-à-dire , d*en foire un important 
et de le placer. Le jeune poëte attendit lè prince au 
sortir du conseil , au moment où il étoit suivi de qùaïre 
secrétaires d'état. Le régent le vit et lui dit : Arrouet, 
je ne t'ai pas oublié, et je te destine le département 
des niaiseries. Monseigneur, dit le jeune Arroùet , fau- 
rois trop de rivaux : en voilà quatre; Le prince pensa 
étouffer de rire. 

— Quand le maréchal de Richelieu vint faire sa cour 
u Louis XV après la prise de Mahon , la première chose 
ou plutôt la seule que lui dit le roi , fut celle-ci : Ma- 
réchal, savez -vous la mort de ce pauvre Lansmatt ? 



ET ANECDOTES. 169 

Lansmatt étoit un vieux garçon de la chambre. 

— Quelqu'un, ayant lu une lettre très -sotte de 
M. Blanchard sur le ballon y dans le Journal de Parié : 
Avec cet esprit-là, dit-il, ce M. Blanchard doit bien 
s'ennuyer en Tair. 

— - Un bon trait de prêtre de cour , c'est la ruse dont 
s'avisa l'évêque d'Autun, Montazet, depuis archevêque 
de Lyon. Sachant bien qu'il y avoit de bonnes frasques 
à lui reprocher, et qu'il étoit facile de le p^xlre auprès 
de l'évéque de Mirepoix, le théatin Boyer, il écrivit 
contre lui-même une lettre anonime pleine de calom- 
nies absurdes et: faqies à convaincre d'absurdité. U l'a- 
dressa à l'évéque de Narbonne ; il entra ensuite en ex- 
plication avec Jûi,-et fit voir l'atrocité de ses ennemie 
prétendus. Airivèrent ensuite les lettres anonimes 
écrites en effet par eux , et contenant des inculpations 
réelles; ces lettres furent méprisées. Le résultat des 
premières avoit mené le théatin à l'incrédulité sur les 
secondes. . * * : . . 

— - Louis XV se fit peindre par La Tourv Le peintre , 
tout en. travaillant, caijisoîti avec le roi , qui pa^oi&soit fe 
trouver bon. La Tour ^ encouragé et naturdUément in- 
discret , poussa la témérité jusqu'à lui dire : Au fait , sire, 
•vous n'avez point de marine. Le roi répondit sèchement : 
Que dites-vous là ? Et Vernet , donc ? 

— On c£t à la duchesse de Chaulnes , mourante et 
séparée de son mari: Les sacremens sont là. — Un 
petit moment. -*^ M. le duc de Chaulnes voudroit vous 
revoir, t^ Estril là ? ~ Oui. —^ Qu'il attende : il entrera 
avec les sacremens. 



I^O CARACTEKES 

— Je me promenob un jour avec un de mes anus , 
qui fut salué par un homme d'assez mauvaise miae. Je 
lui demandai ce que c etdu que cet homme.: il me re- 
pondit que c etoit un homme qui faisoit pour sa patrie 
ce que Brutus n'auroit pas fait pour la sienne. Je le priai 
de mettre cette grande idée à mon niveau. J'appris 
^ue son homme étoit un espion de police. 

— M. Lemière a mieux dit qu'il ne vouloit , en di- 
sant qu'entre sa Preuve de Malabar ^ jouée en 1770, 
et sa fleuve de Malabar, jouée en 1781 , il y avoit 
Ja différence d'une falourde ^ une voie de bois. C'est 
en efiet le bûcher perfectionjaé qui a &it le succès de 
ia. pièce. 

«— Un philos<^[^, reûré du monde , m'écrivoit une 
lettre pleine ^ vertu et de raison. Elle finissoit par ce» 
mots : Adieu , mon ami ; conservez , si vous pouvez, les 
intérêts qui vous attachent à la société ; mais cultivez les 
sentiment qui vous en s^arent» 

— - Diderot, âgé de soixante-deux ans et amoureux de 
toutes les femmes, di^t à un de ses amis : Je me dis sou- 
vent à moi-même: vieux fou-, vieux gueux ', quand 
cesseras-tii donc dé Vexposer à Taffront d'un refos ou 
d'un ridicule P 

M. de C....k. parlant un jour du gouvernement J An- 
gleterre et de ses avantages, dans une assemblée où se 
trouvoient quelques évéques, quelques abbés ; un d'^ux , 
<nommé l'abbé de Seguerand , lui dit : Monsieur, sur le 
peu que je sais de ce pays-là , je ne suis nullement tenté 
d'y vivre , et je sens que je m'y trouverois très-mal. 
M. l'abbé , lui répondit naïvement M. de C....,., c'est 



ET ANECDOTES. ïji 

parce que vous y seriez mal que le pays est excellent. 

— Plusieurs officiers français étant alléd à Berlin , 
Tun d'eux parut devant le roi sans uniforme et en bas 
blancs. Le roi s'approcha de lui , et lui demanda soa 
nom. Le marquis de Beaucour. — De quel régiment ? 
— De Champagne. — Ah ! oui, ce r^iment où l'on 

se f. de l'ordre ; et il parla ensuite aux officies^ qui 

éloient en uniforme et en bottes. 

— M. deChaulnesavoit fàitpirâiklresafemmeenHâ)é; 
il ne sayoit comment se faire peindre pour faire pendant. 
MademcMselle Quinaut , à qui il disoit sOn embÈunras , lui 
dit : Faites-vous peindre en hâ>êté. 

— Le médecin Bouvard avoit sur le visage une bala- 
fre en forme de C , qui le défigtiroit beaucoup. IXderQt 
disoit que c étoit un coup.qu'il s'étoit dcMmé.en tenant 
maladroitement la Êiuxde la mort. 

— L'empereur , en passant à Trieste incognito, se- 
lon sa couiume , entra dans une auberge. U demanda 
s'il y avoit une bonne chambre ; on lui dit qu'un évêque 
d'Allemagne v^cât de prendre la dernière , et qu'il nie 
restoit plus que deux petits bouges. Il demanda à sou- 
per ^ xm lui dit qu'il n'y avoit |ilus que des œufs et des 
l^umes, parce que l'évêque et sa suite avoient demandé 
toute la volaille. L'empereur fit demander à l'évêque si 
un étranger pouvoit souper avec lui ; l'évêque refusa. 
L'empereur soupa avec un aumônier de l'évêque, qui 
ne mangeoit ppint avec son maître. II demanda à cet 
aumônier ce qu'il alloit faire à Rome. Monseigneur, dit 
celui-ci , va solliciter un bénéfice de cinquante mille li- 
vres de rente, aitmt que l'empereur soit informé qu'il 



irj2 CARACTÈRES 

est vacant. On' ehange de conversation. L'empereur 
écrit une lettre au cardinal dataire, et une autre à son 
ambassadeur. Il fait promettre à raumônier de remettre 
ees deux lettres à leur adresse , en arrivant à Rome. Ce- 
lui-ci tient sa promesse. Le cardinal dataire fait espé^ 
dier les provisions à laumânier surpris. Il va cot^ter soû 
histoire à son évéque qui veut partir. L'autre , ayant 
affaire à Rome , voulut rester , et apprit a son ëvêque 
que cette aventure étoit leJOTet d'une lettre écrite au 
cardinal dataire et à l'ambassadeur de l'empire, par Fem*- 
pereur , lequel étoit cet étranger avec lequel monseigneur 
n'avoit pas voulu souper à Trieste. 

— Le comte de et le marquis de me deman- 
dant quelle différence je faisois entre eux , en fait dfe 
principes \ je répondis : La différence qu'il y a entre 
vous , est que l'un lécheroit Pécumcâre ; et que l'autre 
l'avalerôit. 

-^ Le baron de Brieteuil , après son départ du minis^ 
tère, en 1788, blânioit la conduite de l'archevêque 'de 
-Sens. 'H le qualifioit de despote , et disoit : Moi , je veux 
que la puissance royale ne dégénère point en despo- 
tisme 5 et je veux qu'elle se renferme dans lès limites où 
elle étoit resserrée soils Louis xiv. Il croyoit , en te- 
nant ce discours-, faire acte de. citoyen , et risquer de 
-se perdre à la cour. 

— Madame Diesparbès , couchant avec Louis xv , le 
rœ lui dit : Tu as couché avec tous mes sujets. — Ab! 
sire. — Tu as eu le duc de Choiseul. — Il est si puis- 
sant ! — Le maréchal de Richelieu. — Il a tant d'es»- 
:prit! — • Manville. — Il a une si belle jambe! — A la 



ET ANECDOTES tyî 

bonne heure; mais le duc d'Auraont , qui n'a lien de 
tout cela. — Ah ! sire , il est si attaché à votre majestél 
-— Madame de Maintenon et madame de Caylus se 
promenoient autour de la pièce d'eau de Marly. L'eau 
étoit très-transparente, et on y voyoit des carpes dont 
les mouvemens étoient lents , et qui paroissoient aussi 
tristes qu elles ètpient maigres. Madame de Caylus le 
fit remarquer à madame de Maintenon, qui répondit: 
Elles sont comme moi; elles regrettent leur bourbe. 

— Collé avoit placé une somme d'argent conddéra- 
ble , à fonds perdus et à dix pour cent , chez un finan- 
cier qui, à la seconde année, ne lui avoit pas encore 
donné un sou. Monsieur, lui dit Collé, dans une visite 
qu'il lui fit, quand je place mon. argent en viager , c'est 
pour être payé de mon vivant. 

— Un ambassadeur anglaisa Naples avoit donné une 
fête charmante, mais qui n'avoit pas coûté bien cher. 
On le sut, et on partit de là pour dénigrer sa fête , qui 
avoit d'abord beaucoup réussL 11 s'en vengea en vérita- 
ble Anglais, et en homme à qui lesguinéesne coûtoient 
pas grand' chose. 11 annonça une autre fête. On crut 
que c'étoit pour prendre sa revanche, et que la fête se- 
roit superbe. On accourt. Grande affluence. Point d'ap- 
prêts. Enfin, on apporte un réchaud à l'esprit -de - vio. 
On s'attendoit à quelque miracle. Messieiu^, dit-il, ce 
sont les dépenses, et non l'agrément d'une fête, que 
vous cherchez : regardez bien (. et il entr'ouvre son ha- 
bit dont il montre la doublure ) , c'est un tableau du Do- 
minicain, qui vaut cinq nulle guinées; mais ce n'est 
pas tout : voyez ces dix billets^ ils sont de mille guinées 



174 CARACTÈRES 

chacun , payables à vue sur la banque d'Amsterdam. 
en fait un rouleau , et les met sur le réchaud allumé. Je 
ne doute pas, messieurs, que cette fête ne vous satis* 
fasse , et que vous ne vous retiriez tous contens de moi. 
Adieu , messieurs , la fête est finie. 

«-*- La postérité , disoit M. de B , n'est pas autre 

chose qu'un public qui succède à un autre : or, vous 
voyez ce que c'est que le public d'à présent. 

-*— Trois choses , disoit N. • . . , m'importunent , tant 
au moral qu'au plFjrsique^ au sens figuré comme 
au sens propre : le bruit, le vent et la fumée. 

— A propos d'une fille qui avoit fait un mariage avec' 
un homme jusqu'alors réputé assez honnête , madame 
de L.... disoit: Si j'étois une catin, je serois encore 
une fort honnête femme \ car je ne voudrois point 
prendre pour amant un homme qui seroit capable de 
m'épouser. 

— Madame de G , disoit M. . . ., a trop d'esprit 

et d'habileté pour être jamais méprisée autant que beau- 
coup de femmes moins méprisables. 

— Feue madame la duchesse d'Orléans étoit fort 
éprise de son mari , dans les commencemens de son 
mariage •, il y avoit peu de réduits dans le Palais - Royal 
qui n'en eussent été témoins. Un jour les deux époux 
allèrent faire visite à la duchesse douairière qui étoit 
malade. Pendant la conversation, elle s'endormit; et le 
duc et la jeune duchesse trouvèrent plaisant de se di- 
vertir sur le pied du Ht de la malade. Elle s'en aperçut , 
et dit à sa belle-fille : Il vous étoit réservé, madame, de 
faire rougir du mariage. 



ET ANECDOTES. ijS 

— • Le maréchal de Duras, mëconlent d'un de ses 
fils, lui dit : Misérable, (si tu continues, je te ferai sou- 
per avec le roi. Cest que le j^ine homme avoit soupe 
deux fois à Marly, où û s'étoit ennuyé à périr. 

-^ Dudos, qui disoit sans cesse des injures a Fal^ 
d'Olivet, disoit de lui : Cest un aï grand coquin, que , 
malgré les duretés dont je raocable , il ne me hait pa» 
plus qu'un autre. 

— Duclos parloit un jour du paradis que chacun se 
fait à sa manière. Madame de Rochefort lui dit : Pour 
vous, Duclos, voici de quoi composer le vôtre : du 
pain, du vin , du fromage et la première venue. 

--*- Je ne sais quel homme disoit : je voudrois voir le 
dernier des rois étranglé avec le boyau du dernier des 
prêtres. 

— C etoit Fufiage chee naadame Dduchet que Ton 
achetât une bonne histoire à celuiqui la faisoit. • . . Com- 
bien ^1 voulez -^vous?».. Tant. Il arriva que madame 
Deluchet demandant à sa femme de chambre Temploi 
de cent écus, celle-ci parvint à rendre ce compte, à 
fexception* de trente-six livres; lorsque tout-à-coup elle 
s'écria : Ah ! madame, et cette histoire pour laquelle 
vous m'avez sonnée, que vous avez achetée à M. Co- 
queley, et que j'ai payée trente-six livres ! 

-^ M. de Bissi , voulant quitter la présidente d' Ali- 
gre , trouva sur sa cheminée une lettre dans laquelle elle 
disoit à un homme avec qui elle étoit en intrigue , qu'elle 
vouloit ménager M. de Bissi et s'arranger pour qu'il la 
quittât le premier. ËUe avoit même laissé cette lettre à 
dessein. AlaisM. de Bissi ne fit semblant de rien , et I91 



176 CARACTÈRES 

garda six mois, en Fimportunant de sed assiduit^^ 

— M. de R, a beaucoup d'esprit , mais tant de sottise» 
dans Tesprit , que beaucoup de gens pourroient le croire 
on sot. 

— M. d^Epréménil vivoit depuis long*» temps avec 
madame Tilaurier. Celle -^ ci vouloit Tépouser. Elle se 
servit de CagUostro y qm faisoit espérer la découverte 
de la pierre philosophale. On sait que Cagliostro mé-* 
loit le fanatisme et la superstition aux sottises de 1 al- 
chimie. D'Epréménil se plaignant de ce que cette 
pierre philosophale n'arrivoit pas , et une certaine for- 
mule n^ayant point eu d'effet , Cagliostro lui fît entendre 
que cela venoit de ce qu'il vivoit dans un commerce 
criminel avec madame Tilaurier. Il faut, pour réussir , 
que vous soyez en harmonie avec les puissances invi-^ 
cibles et avec leur chef, l'Être Suprême. Épousez ou 
quittez madame Tilaurier. Celle-ci redoubla de co* 
quetterie^ d'Epréménil épousa, et il n'y eut que sa 
femme qui trouva la pierre philosophale. 

— On disoit à Louis xv qu'un de ses gardes, qu'on 
lui nommoit, alloit mourir sur-le-champ, pour avoir 
&it la mauvaise plaisanterie d'avaler un écu de six livres. 
Ah ! bon Dieu , dit le roi , qu'on aille chercher Andouil- 
let , Lamartinière , Lassone. Sire, dit le duc de NoaUles, 
ce ne sont point là les gens qu'il faut. — Et qui donc ? 
— Sire, c'est l'abbé Terray. -^ L'abbé Terray! com- 
ment? — U arrivera, il mettra sur ce gros écu un pre- 
mier dixième , un second dixième , un premier ving- 
tième, un second vingtième; le gros écu sera réduit à 
trente-six sous, comme les nôtres j il s'en ira par les 



tr ANECDOTES. 177 

Voies ordinaires, et voilà le malade guéri. Celle plai- 
santerie fut la seule qui ait fait de la peine à Fabbé Ter- 
ray 5 c'est la seule dont il eût conservé le souvenir : il le 
dit lui-même au marquis de Sesmaisons. 

— M. d'Ormesson, étant contrôleur général, disoit 
devant vingt personnes qu il avoit long-temps cherché à 
quoi pouvoient avoir été utiles des gens comme Cor- 
beille , Boileau , La Fontaine ) et quil ne Tavoit jamais 
pu trouver. Cela passoit ^ car , quand on est contrôleur 
généi-al, tout passe. M. Pelletier de Mort-Fon laine, son 
beau-père , lui dit avec douceur : Je sais que c'est votre 
façon de penser 5 mais ayei pour moi le ménagement de ' 
ne le pas dire. Je voudrois bien obtenir que vous ne 
vous vantassiez point de ce qui vous manque. Vous oc- 
4;upezla place d'un homme qui s'enfermoit souvent 
avec Racine et Boileau , qui les meûôit souvent à sa 
maison de campagne, et disoit, en apprenant l'arrivée 
de plusieurs évêques : Qu'on leur montre le château , les 
jardins , tout , excepté moi. 

— La source des mauvais procédés du cardinal de 
Fleury à l'égard de la reine , femme dé Louis xv , fut le 
refus qu'elle fit d'écouter ses propositions galantes. On 
en a eu la preuve depuis la mort de la reine , par une 
lettre Jdu roi Stanislas en réponse à celle où elle lui de- 
mandoit conseil sur la conduite qu elle devoit tenir. Le 
cardinal avoit pourtant soixante-seize ans ^ mais , quel- 
ques mois auparavant , il avoit violé deux femmes. Ma- 
dame la maréchale de Mouchi et une autre femme ont 
vu la lettre de Stanislas. -^ ■ 

^— De toutes les violencw exercées à la fin du règne 
II. 12 



178 CARACTÈRES 

de JLoiub XIV , on ne ste souvient guère ^ue des drago- 
n^des, de$ persécutioqs contre les huguenots quon 
^qrmçntoit çn france et qu'on y retenoit par force , 
des lettres de cachet prodiguées contre Port-Royal , les 
j^psénisleS) le molinisme et lequiétisme. C'est bien as* 
s^9 : m^\^ on. oublie finquisition secrète , et quelquefois 
dççle^ée^ çme la bigoterie dç Louis 3^1 v çxerça contre 
ÇçUl^qui f^oieqt gras les jours maigres; les recherches 
4 Pî^is çt daos les provinces que fai^oient les évêques et 

lg$ intendAO$ sur h» homiwes ei\ le$ femmes qui étoient 

' * • • • . 

^upçonnésde vivre ensemble » recherches qui firent dé- 
çJflrerplnâçursTOîV'igges 3ççret§. Owairnoitmieu? s'expo- 
ser «,yn inçpnvéoieos d ua iwariage déclaré avaat le 
temps , qiû'wx effets de la persécution du rçi oudesprê- 
irçs. ]N etpit-ce ^m "^e ru^e de niadame de Maintenoa 
q^tti vouloU par là faire deviner qu eUe étoit reine? 

r — On appela à la cour le célèbre Levret , pour ac- 
coucher la feue dauphine. M. le dauphin lui dit : Vous 
êtes bien content , M. Levret, d'accoucher madame la 
daupliine ? cela va voua faijre de la réputation. Si ma ré- 
putation nétoit pa3 faite , dit tranquillement l'accou- 
cheur , je ne serois pas ici. 

— Duclos disoit un jour à madame de Roçhefort et 
à madame de Mirepoix , que les çourti3a»ea devenoient 
bégueules, et ne voulpient plus entendre le moindre 
conte un peu trop vif. Elles étpient,,. disoit-il, plus 
liniorées que les femmes honnêtes \ et là-dessus , il en- 
file une histoire fort gaie ; puis une autre encore plus 
forte; enfin, à une troisième qui commençoit encore 

plus vivement ; madame clfii Roçhefort ^arrete^ et lui 



ET ANECDOTES. i^g 

dît : Prenez donc garde, Dudkis; vous nous croyei 
aussi par trop honnêtes femmes. 

— ^ Le cocher du rûî [de Prusse f ayant réKkièrsé y le 
roi entra dans utie <:oiére épouvantable. Eh bieii! dit k 
cocher, c est un malheur ; et tous , naiTeB<Yûu6 jamaîs 
perdu une bataille? 

«'^ M. de Choîseul^Oouffier, Touhnt faille , à les 
frais , couvrir de tuiles les maisons de ses paysans éxp<h 
sées à des incendies , ils leremerâèrenl de sa boulé , et 
le priereût de laisser leurs maisons coUhiio eUes étcmnl; 
disant que , si leurs maisons ëtoient Cfmvenes de luito 
au lieu de charnue , les subdélégués augmieiaiteroMiit 
leurs tailles. 

— Le maréchal de Villars fut adonné au yîii ^ ment 
dans sa vieillesse. Allant en Italie , potir ie nùLeltl*e à la 
tête de IWméedaAsIa ^erre de 1734^ îl alla fidre ëa 
cour au roi de Sardaâ|g[tie , teDement pris de ^n qu'il 
ne poutoit se soutenir , et qu'il tmnba à terre. Dans 
cet âaft il n'avoit pourtant pas perdu la tètêy et il dit 
au roi : Me votlàr porté tout aatiU'elleiiient éuk: pieds de 
votre majesté. . , > 

— Madame Geoffria (fisoit de madame de la Ferté* 
Imbaut, sa fiUe : Quand je la considère ^ )«( sms éton- 
née comme une poule qui » couvé un œuf: de cane. 

^*— Le lord Roefaester arr^ fait dans une pièce de 
vefd râoge ék la pôltromlerle^ H étoit dans un café ; 
9m.ve im homme qui avoit reçu des coups de bâton sana 
ée pkitidfl^e; lïAùfù Roi^hesiér ^ apràâ beiai»eoiip de cont- 
plimens, lui Ai t Mô^fsieu^, si von» étiez homme à re«* 
«eydir de$ coup^ de bfton al patieB»i0ttlr^ qiie ne le 



l8ô CARACTÈRES 

di^^2^vousP- je vous les aùrois donnés^ moi , pour mù 
remettre eu crédit. ... 
'-■■•■ r^ Louis xïv se [daignant chez madame de Main- 
ttfiiôii ducliagriu queiJui causoit la division des ëvé- 
ques*:; Si Ton^pouvoit^ disoit^l, ramener les neuf op- 
posans, ou éviteroit uu schisme; mais cela ne sera pas fa- 
cile;£ii bien l sirev dit .en riant madame la duchesse, que 
ne dites^vous aux quarante de revenir à lavis de& neuf? 
ik.ne^voûs refuseront pas. : . . . 
; J:«^'Le roi, quelque temps après la mort (Je Louis xr, 
fit •të^rdinei'' avant le temps ordinaire un concert qui 
renou^ôdit , et dit : Voilà assez de musique. Les con- 
cerlans le surent , et l'un d'eux dit à l'autre.; Mon ami ^ 
quél'règBe se prépare ! ' ': v' ' : . 
lA H-4- Gfe fat }exx>mte.de Grammont lui-même qui ven- 
dit quinze cents livres le manuscrit des mémoires où il 
est. si clûir^naent traité de. fripon. "Fonienelle, censeur 
de:lk)uvrage, refusoit de l'approuver par égaitl pour le 
conite^'O^ui-ci s'eD plaignit au. chancelier, à qui Fon- 
tènelle ditJes^ raisons de son refus. Le comté, ne vou- 
lant pas perdre les quinze cents livres, força Fontenelle 
Jdpprouver le livre d'Hamiltou. 
- — M. de L;..., misanthrope à la manière de Timôn, 
venoit d'avoir une èonversaiion un peu mélancolique 
avec M. de B..., misauthnoi^e moins sombre, et quelque- 
fois même U-ès-gai ] M^ d^.L.... parlqit de M. de B.... 
avec beaucoup d'intérêt , et disoit qu'il vouloit se lier 
avec lui.;Qudquùn lui dk*» Prenez-garde 5 malgré son 
air grave, il»ésl quelquefois très-gai, ne vousy fiez pas. 
.. , — Le mai*éehal de Belle -Isle, voyant que M. de 



ET ATCECDOTES. l8l 

Cboiseul prpD(Ht trop d'ascendant, til faire contre lui 
un mémoire pc«urlerc»i.parle j»rs4iite Xeuiille. Il moiimt 
sans avoir présenté ce mémoire, et le portefeuille fut 
porté à M. le duc de Cboiseul, qui y trouva le mémoire 
fait contre lui. Il fit Fimpossible pour reconnoitre ré- 
criture, mais inutilement. 11 ny songeoit plus, lorsc 
<]u un jésuite considérable lui fit demander la permis- 
sion de lui lire leloge qu on faisoit de lui dans loraison 
funèbre du marécbal de Belle - Isle • composée par le 
père de Xeuville. La lecture se fît sur le manuscrit de 
fauteur , et M. de Cboiseul reconnut alors f écriture. 
La seule vengeance qu'il en tira , ce fut de faire dire au 
père Neuville quil réussissoit mieux dans le f;enre de 
foraison funèbre que dans celui des mémoires au 
roi. 

— M. d'fnvan , étant contrôleur général , demanda 
au roi la permission de se marier; le n)i, instruit du 
nom de la demoiselle , lui dit : Vous n*ctcs |kis assez 
riclie. Celui-ci lui parla de sa place, comme d'une cliose 
qui suppléoit à la richesse : Oti ! dit le roi , la place {)eut 
s en aller, et la femme reste. 

— Des députés de Bretagne soiipèrcnt chez M. de 
Cboiseul; un deux d'une mine très-grave ne dit pas lui 
inot« Le duc de Grammont , qui avoit été frappe de sa 
figure , dit au chevalier de Court, colonel des Suisses ; 
Je voudrois bien savoir de quelle couleur sont les [>a- 
roles de cet homme. Le chevalier lui adressa la parole. 
— Monsieur , de quelle ville êles-vons ? — 1^- Saint- 
Malo. — De Saint-Malo ! Par quelles bi/..'"Torio la vill« 
est-elle gardée par des chiens ? Quelle bizarrerie y a-t-il 



l8s GAUACTÈRES 

là f répondît le grave persoanage j le roi est bîm garde 
par des Suisses. 

-H^ Pendant la guerre d'Amérique , un Écossais dî«r 
aeÂt à un Français, en Im BU>ntranl quelques prisonnier^ 
amàneains : Vous vous êtes battu pour votre maiure ; 
BiMn, pour le mien; mais ces gensHsi , pour qui se bat- 
fent<-ils ? Ce trait vaut bien celui du roi de Pegu , qui 
pensa monrir de rire en apprepant que les Vénitiens 
si'avoient pas de roi. 

*«« Un vieillard , me trouvant trop sen^Ue à je ne 
aais qudle injustice, me dit : Mon cher enfant, il faut 
apprendre de la vie à souffrir la vie. 

^n« L aUbé de La Galaisiere étoit fort lié avec M. Orri , 
avant qu'il fût contrôleur généi'al. Quand il fut nommé 
à cette place, son portier, devenu suisse, sembloit ne 
pas k reconnotere. Mon ami , lui dit Tabbé de La Ga- 
kôsière, vous êtes insolent beaucoup trop tôt; votre 
mattre ne Test pas encore. 

-^ Une femme âgée de quatre-vingt-dix ans disoit à 
M. de Foptenelle , âgé de qHati*e*vingt-quinze: La mort 
nous a oubliés. Chut ! lui rependit M. de Fontenette , 
en mettant le doigt sur sa boucbe. 

"»- M. de Vendôme disoit à madame de Nemours , 
qui avoit un long nez courbé sur de» lèvres vermeilles : 
EUe a Pair d'un perroquet qui mange une cerise. 

-^M. le prince de Cbarolois ayant surpris M. de Bris* 
sae chez sa maîtresse , lui dit : sortez. M. de Brissac hn 
xtépondit : Monseigneur , vos ancêtres auroient Ai : 
sortons. 

•^ M. de Castries, dans le temps de la quereOé de 



ET ARECDorjirs. i85 

l^derot et de Rousseau, dit avec impatienée a M. de 
R.. .. , qui me Fa répété : Cela est iucroyable -, on ne parle 
que de ces gens-là, gens sans éiât, qui n'ont point de 
maison , logés dans un grenier : on ne s accoutume point 
à cela. 

—M. de Voltaire, étant chei madame du Cliâtelet 
et même dans sd chambre , s amusoit arec Fabbé MigUOt , 
encore enfant et qu'il tenoit sur ses genoux. Il se mit à 
jaser mec lui, et à lui donner des instructiotis. Mon 
ami, lui dit-il, pour réussir avec les hommes, il faut 
aroir les femmes pour soi ; pour avoir les femmes pour 
soi , il faut les connoître. Vous saureâ^ donc que toutes 
les femmes sont fausses et catios.... Comment ! toutes les 
femmes! Que dîtes-vons là, monsieur? dit madame dû 
Châtelet en colère. Madame , dit M. de Voltaire, il ne 
faut pas trompcfr l'enfance. 

— M. de Turenne dhiam chez M. de Lamoignon, 
celui-ci lui demanda si son intrépidité n'étoit pas ébran- 
lée au commencement d'une bataille. Oui , dit M. de 
Turenne , j'éprouve une grande agitation ; mais il y a 
dans Farméé plusieurs officiers subalternes et un grstnd 
nombre de soldats qui n'en éprouvent aucune. 

— Diderot , voulant faire un ouvrage qui pouvotl 
compromettre son repos , confioit son secret à Un ami 
qui , le connoissant bien , lui dit : Mais , vous-même , 
me garderez-vous bien le secret ? En eflfet , ce fut Kde- 
rot qui le trahit. 

— C'est M. de Maugirôn qui a commis cette action 
horrible , que j'ai entendu conter, et qui me parut une 
fable. Étant à Farmée , son cuisinier fut pris cotnme 



î84 CARACTÈRES 

maraudeur \ on vient le lui dire : Je suis très-content éé 
mon cuisinier ^ répondit-il ; mais j'ai un mauvais marmi* 
ton. 11 fait venir ce dernier, lui donne une lettre ^ur 
le grand-prévôt. Le malheureux y va, est saisi, proteste 
de son innocence, et est pendu; 

— Je proposois à M. de L.... un mariage qui sembloit 
avantageux. 11 me répondit : Pourquoi me marierois-je ? 

Je mieux qui puisse m'arriver, en me mariant, est de 
n'être pas cocu , ce que j'obtiendrai encore plus sûrement 
en ne me mariant pas. 

— Fontenelle avoit fait un opéra où il y avoit un 
chœur de prêtres qui scandalisa les dévots ; Tarchevêque 
de Paris voulut le faire supprimer : Je ne me mêle point 
de son clergé, dit Fontenelle ^ qu'il ne se mêle pas du 
mien. 

— M. d'Alembert a eniendu dire au roi de Prusse, 
qu'à la bataille de Minden, si M. de Broglie eût attaqué 
les ennemis et secondé M. de Contades, le prince Fer- 
dinand ctoit battu. Les Broglie ont fait demander à 
M. d'Alembert s'il étoit vrai qu'il eût entendu dire ce 
fait au roi de Prusse, et il a répondu qu'oui. 

— Uu courtisan disoit : Ne se brouille pas avec moi 
qui veut. 

— On demandoit à M. de Fontenelle mourant : 
Comment cela va-l-il?Cela ne va pas, dil-il^ cela 
s'en va. 

— Le roi de Pologne Stanislas avoit des bontés pour 
l'abbé Porquet, et n'avoit encore rien fait pour lui. 
L'abbé lui en faisoit l'observation : Mais, mon cher ab- 
bé, dit le roi, il y a beaucoup de votre faute ; vous le- 



ET ANECDOTES. l85 

Ifiéz des discours très-libres ; on prétend que vous ne 
<5royez pas en Dieu ; il faut vous modérer '- tachez d'y 
<5roire ; je vous donne un an pour cela. 

— M. Turgot, qu'un de ses amis ne vbyoît plus de- 
puis long-temps , dit à cet ami, en le retrouvant : Depuis 
que je suis ministre vous m'avez disgracié. 

— Louis XV ayant refusé vingt-cinq 'inille francs de 
sa cassette à Lebel , son valet de chambre , pour la dé- 
pense de ses petits appartemens , et lui disant de s'adres- 
ser au trésor royal, Lebel lui répondit : Pourquoi m'ex- 
poserois-je au refus et aux tracasseries de ces gens-là, 
tandis que vous avez là plusieurs millions ? Le roi lui 
répondit : Je n'aime point à me dessaisir ; il faut toujours 
;avoir de quoi vivre. ( anecdote contée par Lebel à 
M* Buscher.) 

— Le feu roi étoit , comme on sait , en correspon- 
dance secrète avec le comte de Broglie. Il s'agissoit de 
nommer un ambassadeur en Suède \ le comte de Broglie 
proposa M. de Vergennes, alors retiré dans ses terres, 
à son retour de Constantinople ^ le roi ne vouloit pas ; 
le comte insistoit. Il étoit dans l'usage d'écrire au roi à 
mi-marge , et le roi mettoit la réponse à côté. Sur la 
dernière lettre le roi écrivit : Je n'approuve point le 
choix de M. de Vergennes ; c'est vous qui m'y forcez : 
soit, qu'il parte ; mais je défends qu'il amène sa vilaine 
femme avec lui. {Anecdote contée par Favier ^ qui 
avoit vu la réponse du roi dans les mains du comte 
de Broglie* ) 

— On s'étonnoit de voir le duc de Choiseul se sou- 
teoir aussi long-temps contre madame Dubarry. Son sq- 



l86 CARACTÈRES 

cret ëtoit simple : au moment où il paroissoit le pi 
chanceler , il se procurent une audience ou un travaôL 
avec le roi , et lui demandoit ses ordres rdativemcm à 
cinq ou six millions d'économie qu'il aroit faite dans le- 
département de la guerre , observant qu'il n'étoil pas 
convenable de les envoyer au trésor rojal. Le roi en- 
tendoit ce que cela vouloit dire , et Icd répondoit : Par- 
les à Bertin ; donnez^lui trois millions en tels effets : je 
TOUS fais présent du rçste. Le roi partageoit ainsi avec le 
ministre ; et n'étant pas sur que son successeur lui ofirtt 
les mêmes fecilités , gardoit M. de Choiseul malgré les 
intrigues de madame Dubarry. 

--* M. Harris , fameux ^négociant de Londres y se 
trouvant à Paris dans le cours de l'année 1 786 , à l'épo^ 
que de la signature du ti^ité de commerce , disoit à des 
Français : Je crois que la France n'y perdra un million 
sterling par an que pendant les vingt-cinq ou trente pre- 
mières années ; mais qo'ensuite k balance sera parfai- 
tement égale. 

— On sait que M. de Maurepas se jouoit de tout:; 
en voici une preuve nouvelle. M. Francis avoit été ins- 
truit par une voie sure , mais sous le secret , que l'Es- 
pagne ne se déclareroît dans la gaerre d' Amérique que 
pendant l'année 1780. II l'avoit affirmé à M. de Mau- 
repas ; et une année s'étant passée sans que FËspagne 
se déclarât , le prophète avoit pris du crédit. M. de Yer- 
gCTneies fit venir M. Francis y et lui demanda pourquoi il 
répandoit ce bruit. Celui-ci répondit : C'est que f en 
suis sàr. Le ministre , prenant la morgue mimîstértelle , 
ïxà ordonna de lui &e sur qutH îl fondoit scm opinÎM. 



ET ANECDOTES. 187 

M. Francis répondit que c'étoit son secret ; et que, né-* 
tant pas en activité , il ne deroit rien au gouvernement. 
H ajouta que M. le comte de Maorepas savoît , sinon 
son aeeret , au moins tout ce qu'il pouvoit dire là-dessus; 
M. de Vergennes fut étonné ; il eu parla à M. de Mau« 
rqpas y qui lui dit : Je le savois ; j'ai oublié de vous le 
dire. 

-«^M. de Tressan ^ autrefois amant de madame de 
Gpcnlis , et père de ses deux enfans^ alla^ dans sa viâl-« 
lesse, les voir à Sillery y une de leurs terres. UsTaocom* 
pegnèredt dans sa chambre à coucber , et ouvrirent les 
rideaux de son lit , dans lequel ils avoîent Êiit mettre le 
portrait de leur défunte mère. Il les embrassa , s'atten* 
drit -, ils partagèrent sa sensibilité : et cela produisit une 
scène de sentiment la plus ridicule du monde. 

— Le duc de Choiseul avoît grande envie de ravoir 
les lettres qu'il avoit écrites à M. de Calonne dans l'af- 
faire de M. de La Chalotais ; mais il étoit dangereux 
de manifester ce désir. Cela produisit mie scène plai* 
sànte entre kà et M. de Calonne, qui liroit ces lettres 
d'un portefeuille, bien numérotées, les parcouroit, 
et disoit à chaque fois : En imlà une bonne à bn&Ier , ou 
tette autre ptaisanlerie ; M. de Choîsenldîssîniuiant too- 
jocirs Fhpportaoee qu'il y metloit , et KL de Calonne se 
divertissant de son embarras , et lui disant : Si je ne Êds 
pas une chose dangereuse pour mos , cela m'ôle tout le 
piquant de la scène. Mais ce qu il y eut de plus singulier, 
c'est que M. d' Aiguillon, l'ayant su, écrivit k M. de Ca- 
lonne : Je sais , monsieur , que vous avez brûlé les let- 
tres de M. de Choiseul relatives à L'affiûre de M. de La 



l88 CARACTÈRES 

Chalotaîs ; je vous prie de garder toutes les mîeîmefs^ 

— Un homme très-pauvre , qui avoit fait un livrer 
contre le gouvernement , disoit : Morbleu ! la Bastillar _ 
n'arrive point 5 et voilà qu'il faut tout à l'heure payée 
mon terme. 

— Quand l'archevêque de Lyon , Montazet , alla 
prendre possession de son siège , une vieille chanoi- 
nesse dé...... , sœur du cardinal de Tencin , lui fit com- 
pliment de ses succès auprès des femmes , et entr'au- 
tres de l'enfant qu'il avoit eu de madame de Mazarin. 
Le prélat nia tout , et ajouta : Madame , vous savez que 
la calomnie ne vous a pas ménagée vous-même ; mon 
histoire avec madame de Mazarin n'est pas plus vraie 
que celle qu'on vous prêle avec M. le cardinal. En ce 
cas , dit la chanoinesse tranquillement , l'enfant est de 
vous. 

• — Le roi et la reine de Portugal éloient à Belem , 
pour aller voir un combat de taureaux , le jour du trem- 
blement de terre de Lisbonne ; c'est ce qui les sauva : 
et une chose avérée , et qui m'a été garantie par plu- 
sieurs Français alors en Portugal , c'est que le roi n'a 
jamais su l'énormité du désastre. On lui parla d'abord 
de quelques maisons tombées , ensuite de quelques égli- 
ses 5 et , n'étant jamais revenu à Lisbonne , on peut dire 
qu'il est le seul homme de l'Europe qui ne se soit pas 
fait une véritable idée du désastre arrivé à une lieue de 
lui. 

— Madame de C disoit à M. B : J'aime en 

vous Ah , madame ! dit-il avec feu , si vous save« 

quoi , je suis perdu. 



ET ANECDOTES. . îSg 

•^-^ «Tai connu un misanthrope , qui avoit des instans 
de bonhomie , dans lesquels il disoit : Je ne serois pas 
étonné qu'il y eût quelque honnête homme caché dans 
quelque coin et que personne ne connoisse. 
. -— - Le maréchal de Broglie affrontant un danger inu- 
tile et ne voulant pas se retirer , tous ses amis faisoient 
de vains efforts pour lui en faire sentir la nécessité. Enfin 
liun d'entr'eux , M. de Jaucour , s'approcha , et lui dit 
à l'oreille': Monsieur le maréchal , songez que, si vous 
êtes tué , c'est M. de Routlie qui commandera. C'étoit 
Hi.pUis sot des lieutenans généraux. M. de Broglie, 
frappé du danger que couroit l'armée, se retira. 
-* -^— Le prince de Conti pensoit et parloit mal de 
M. de Silhouette. Louis x v lui dit un jour : On songe 
pourtant à le faire contrôleur généi^aL Je le sais , dît le 
prince ; et , s'il arrive à cette place , je supplie votre 
majesté. de me garder le secret. Le roi, quand M. de 
Silhouette fut nommé , en apprit la nouvelle au prince, 
et lui ajouta : Je n'oublie point la promesse que je vous 
ai faite , d'autant plus que vous avez une affaire qui doit 
$e rapporter au conseil. (Anecdote contée par mada^ 
me de Boujlers. ) 

— Le jour de la mort de madame de Châteauroux y 
Louis XV paroissoît accablé: de chagrin.; mais ce qui est 
extraoi*dinaire , c'est le mot par lequel il le témoigna : 
Etre malheureux pendant quàtrerpingt*-dix ans ! 
car je suis sur que je vwrai Jusquesrld. , Je l'ai ouï 
raconter par madame de 'Luxembourg',, qui l'entendit 
elle-même ,- et qui ajoutoii : Je n'ai raconté. ce trait que 
depuis la mort de Louis xy. Ce trait mériioit pourtant 



I^ CARACTÈRES 

d'être su , pour le singulier mélange qu'il contiébt cTa- 
mour et d'ëgoïsme. 

•^ Un homme buvoit à table d'excellent tîo ^ san v 
le louer. Le maître de ]a maison lui en fit servir d^^ 
lrè»-mëdio€re. Ycôlà du bon vin , dit le buveur »len- 
cieux. Cest du vin à dix sous , dit le maître , et ïêxavù 
est un vin des dieux. Je le sab , reprit le convive ; anssi 
ne Fai-je pas loué : c'est celui-ci cpi a besoin de rdeOBa« 
mandation. 

*-<* Duclos disoit , pour ne pas profaner le nom de 
RcMnain , en parlant des Ronaains modernes : Uit fttk 
lien de Rome^ 

-*-- Dans ma jeunesse même, me disoit M , faî- 

mois à intéresser^ j'aimois assez peu. à séduire , et fai 
toujours détesté de oorronipre« 

***^ M me disoit : Tomes les fbid que je vais ebef 

qae£qu'ua , c est une puéference que je loi dooiie sof 
mot \ je ne sni& pas assez désœuvré pour y être cou-» 
doit par un autre nx>ti£ 

-— Malgré toutes les plaisanteries qu'on rebat sAir la 

mariage , disdt M ^ je ne vois pas ce qu'on< peut 

dire contre un homme de soixante ans qui épouse une 
femme de cinquante-cinq. 

— M. deL me disoit de M. de R : Ce^ IW 

trepot du venin de to«ite la société. Ule rassemUecoiii^ 
me les crapauds^ , et le darde comme les vipères. 

•-^ On disoit de M, de Colonne , châssé £^rès la dé-» 
daraition du déficit : On l'a laissé tranquille quaneid il a 
nns le feu, et on Fa puni qua«id il a somyé te toié;^. 

-^ Je causctts^ uu^ jour avec M* de V..... , qui parott 



ET ANECDOTES. igi 

Tivre sans iUusions daiw^ un âge où l'oo en esteocora 
susceptible. Je loi témoignou la surprise qu'on avoit 
de son indifférence. U me répondit gravement : On ne 
peut pas être et avoir été. «Tai été dans mon temps , 
tout comme un autre , Pâmant dune £emme galante , 
le jouet d'une coquette , le passe-temps dune fenmie 
firivde , Vinstrument dune inuîgaate. Que peut-on être 
de plus? — L'ami d'une femme sensible.-— Ah! nous 
voîlà dans les romans. 

«**^ J^ vous prie de croire , disent M à un h(Hnme 

Vn^Srriche , que ja n ai pa9 besoin de ce cpâ i»e manque, 

— M.... , à qui on offroit une place dont quelques 
fiH)Ciiou^ ble^soîent sa délicatesse , répondit : Cette 
place ne convient ni à l'amour-propre que je me per- 
mets , ni à celui que je me . commande. 

— Un b<Miime d'esprit ayant lu les petits traita de 
VL d'Alembert sur l'élocution oratoire , sur la poésie ^ 
sur l'ode , on lui denaanda ce qu'il en pensoit. Il ré- 
pondit ; Tout le monde ne peut pas être sec. 

-'^ Je repousse, disoit M.... , les bien&its de la pro- 
leelâon ; je pourroia peutrtêtre reoevoir et hcmorer ceux 
de l'estime \, nsâis je ne chéris que oeui de l'amitié. 

-— M;..^. ^.qui avoit une oedlection des discours de 
fîéeeptÀQOL'làl'aeadémie française, me disoit -.Lorsque 
},'y jette les yeux, it me s^cnble voir des carcasses de 
feu dartifiee, après la.Saiot^Jean. 

— On demandoit à M.... : Qu'est-ce qui rend jJus 
àisMbte daofi ht société ; Il réponcbt : C'est de plaire. 

-*• Oa disoit à un h(unme que M.... , autrefois son 
bîei)iââteur , le baïssoît Je demande , répondiit-il , la 



iga CARACTÈRES 

permission d'avoir un peu d'incrédulilé à cet égard* 
J'espère qu'il ne me forcera pas à changer en respect 
pour moi le seul sentiment que j'ai besoin de lui con- 
server. 

— M.... lient à ses idées. Il auroit de la suite dans 
l'esprit , s'il avoit de l'esprit. On en feroit quelque 
chose 5 si' l'on pouvoit changer ses préjugés en prin- 
cipes. ■ 

— Une jeune personne , dont la mèi'e étôit jalouse 
et à qui léSf treize ans de sa fille déplaisoient infiniment, 
me disoit uil ^ur : J'ai toujours enyie de lui demander 
pardon d'être née. ' ■ 

— M.... , homtne de lettres connu , n'avoit fait aucune 
démarche ^pour \'oir tous ces princes voyageurs, qui, 
dans l'espace de trois ans, sont venus en France l'un 
après l'autre. Je lui demandai la raison de ce peu d'em- 
pressement. Il me répondit : Je n'aime , dans les scènes 
de la vie ; que ce qui met les hommes dans un rapport 
simple et vrai les uns avec les autres. Je -sais, par 
exemple, <;e que c'est qu'un père et -un fMs^ un ûmant 
et une «maîtresse, un ami et un. ami , un protecteur 
et un protégé, et mêmcun acheteur et un vendeur, etc.^ 
mais ces visites produisant des' scènes sans oËjet, où 
tout est comme réglé 'par i'étiquêttè',idoiit'lecidfâlpgtie 
est comme écrit d'avance", je n'en flis aucunes; J'iàme 
mieux un canevas italien ,: qui i a du moins'ile' mérite 
d'être joué à l'impromptu..^ 

— tM .... voyant, dans ces! derniers temps' , jusqu'à 
quel point l'opinion publique influoit sur lee grandes 
affaires , sur les places , sur' le choix des ministres , di- 



ET ANECDOTES. igS 

9oit à M. de L.... , en faveur d'un homme qu'il vouloit 
"voir arriver : Eaites-nous, en sa faveur, un peu d'opi- 
nion publique. 

— Je demandons à M. N.«... pourquoi il n'alloit plus 
^dans le monde, U me répondit : C'est que je n aime 
plus les femmes , et que je connois les hoiiimes. 

.— tMm,.. disoit de Sainle-F «homme indifférent 

au mal et au bien , dénué de tout instinct moral : C'est 
un chien placé entre une pastillé et un excrément , et 
ne trouvant d'odeur ni à l'une ni. à. l'autre. • 

— M..... avoit montré beaucoup d'insolence et de 
vanité, après une espèce d^ succès au théâtre ; c'étôit 
son premier ouvrage. Un d^ ses ami$ liii dit : Mon ami, 
tu sèmes les ronces devant toi j tu les trouveras en re- 
passant.- ... .■;..,,■.' V.\\ ••'. '-"••> ■ "•■" 

— La manière dont je vois distribuer lîéfogeét-le 
blâpae , disoit M. de B.... /.dbnneiroit au plus honnête 
homme l'envie d'être diffamé. ; • : -i ' • • • 

— Une mère, après un . trait d'eutêtenient de son 
fils, disoit que les enfans ploient irès-égoïstés/ Oui", 
dit, M. . . , , . en attendant, .qu'ils js'oiënt polis. 

-r- On disoit à M..... : yuus aimez beaucoup la con- 
sidération. U répondit cq mot qui kie frappa- :Non, j^en 
ai pour moi -, ce qui m'attire quelquefois celle des entres; 

— On; compte çinquanterîsiix vidatioDS de là foi'pu- 
bUque , depuis Henri iv jusqu'au minisièrb ddf cardinal 
de Lomàaie inclusivemeata iM. D. . ... appË<|iioit^ aux fré- 
quentes J)^q^erputes de nos foiaces deuis vers deflacki'e : 

Et d'un trque ai saini la Jiiditié'tt?e8t ïbùdée V ' ^^ '^'^ * 
Qi}B si^r la |bî J»r<ani8é »■ et irareneat gardée.' ''.'■'••' • ■ ' ' 

'ir • i3 



194 CAKÂCTËRES 

'^Ot diaoît à M*... V acsKl^îden : YorA tou^ ma- 
jiei^ quelque ^our^ U ^poodit : J'm tant plâi^nté 
racadémie, et j'en suis ; j'ai toujours pedr qu'il ne 
^VriM h inènie cbose f>our leinatiag^^ 

«<r« JM»»..' dîsQk de miideiaunsdle.... , qui n'étoit point 
vénale t. aécomoît que ^(Hx ^eœur, et restoit fidéte a 
f objet de son ch6ix : Cést une persotme charmante, 
'et c|ui fît Je i^us iiotmétement qu'il est possilde hors 
ni!» mariage «t du eâibÉrt^. 

— Un mari diaoît àte femnste : Madame, cet homme 
« àf» dmtà êar vens , â tôt» a manqué devant moi ; 
^ Ae le flouflfinrai pas. Qu'il vous mâhraite qnand vôiis 
éim Aeilte; nmà , c» ma pt^éseftce , c'est me manquer 



M ,n»oi<4ném& 



-— «Tétois à table à côté d'un homme qui me de^ 
inanda ai la femme qu'il ârvoîn dèrmit lui n'étoit pas la 
iesnioe die eehu qcn étoit à côté d^eHe. ^vols^ remar- 
qué que celui-ci ne luiaiirdic pas <fit un mot \ c'est oe 
qui me fit répondre à mon voisin : Monsieur, ou il n« 
la connaît pm , ou c'est sa femme. 

*— Je demandais à M. de.... sHl se mafîénnt. Je ue 
le crois pas ^ me dîsoit^il -, et il ajouta en riant : La 
iemme qu il me fandroit , je ne la cherche point , Je 
œ l'évita «oéfDO pas. 

'-^ Je dbnwHsdoia à M. de T<... pourquoi il negli- 
geott sQipi tdeM) et paroiâfoit â. -complètement insen- 
ÂUe à la giwe} il me répéoAt ces propres parole^ : 
M(m omQmr-pn^re a péri dans le naufrage de 
l'intérêt que je pi^enoie ûmx hommes. 

On disoit. k ua knmnemodMe : Il y a qu^tjuefois 



ET ANECDOTES. tgS 

èc^ fentes ^ att boisseaa ioas leq[iiel i^ câehém les 
vertus. 

9 

-^ M.... , €(fx*ott vatiloît f^tfre pstiiét- $tir difféfâis abus 
poblîcs ou particofief^, répôtk^t ttoiàétùeût: l^oùs I«s 
fou» faecrots la liste des choses dont je ne parlé plus. 
Le plus philosophe est cend dom la liste est la pltls 
longue. 

— Je prcçoseroîs vobûtîèrS', disoit M. Û....; jepro- 
poierois aux calomniateurs et àûlih^fyii[sîélm(é que 
totci. Jecfifois ûut^etùi&s : Je teot hiéù (|ue l'on 
me calomnie , pounrâ que ^ par ùâe aCtidti où în^i^ 
' rente ou même iotlablé , f aie Mbii fe fond de la ca« 
^pmnie ; potirtu qtré soil tt^vàS ne Soit que la liroderie 
du canevas ^ pourvu qu'on n invente pas les faits eh 
même temps que les circonstances ; en nti mot', pourvu 
que la calomnie ne fasse pas les frais h la'lfeîs et du foù^ 
et de la forme. Je diroisai» méchant ^ Je trouvé 
^mple qu'on me nuise , poui'vii que celui qui me nùït 
y ait quelque intérêt persotlnél; en un mot, qu'on ne 
me fasse pas du mal gratuitement , comme il arrivé. 
^— On <fisoit d'un escrîmèùf adroit , mais poltron ; 
spiritnel et galam auprès des femtnes, mais impuissant: 
Il manie très-bien le fllenret et la fleurette , mçis le 
duel et ta jotiissance loi font petif. i " 

-^ Cest bien mal fait, disoit M...., d'avoir laisse tom- 
ber le cbcuage, c'est-à-dire, de s'être arradgë pour que 
ce ne soit pin» rien. Autrefois, cétoit un état dans te 
-monde, comme de nos jours celui de joiier. A pré- 
sent ce n'est pM net^ du tout. 

^M. ék h»..:^ connu pour xuisantlirOp^, Me disoit 






jiqR . CARACTÈRES 

un IquTip àj)rppos de son goût pour la solitude : U faat 
diablemeut aimer quelqu'un pour le voir. 

r«7- M».«. /aime qu'on ,dkje quil est méchant, à peu 
pf es. comme les jésuites nétoieut pas facixés quon dit 
qu'ils assassinpient les rois. Çe^t.rorgueil.qui Teut ré- 
gner par la crainte sur la foiblesse. 

— Un célibataire qu'on pressoit de se marier, répon- 
dit plaisamment < Je prie. Dieu de me préserver,. des 
femmes ^ussi bienque. je me préserverai du mariage. . 

'—7 Un homme pajrloit.du respect que mérite le pur 
Ibïic Ouif dit M...... le respect qu'il .obtiei;it de la pru- 
dence. Tout lei^Qpde mépris^ < les harangères ; cepçn^ 
Gant qvii oseroit risquer de les qfienser en .traversant 
la halle? 

— Je. demahdoi^ à M. R..., homme plein. d'esprit et 
fi^etal^ps^ pourquoi il ne s'étoit nullement montré dans 
la réxolirtion de 1789.^.1! me répondit : C'est que, 
depuis trente ans, j'ai trouvé les hommes si méchans 
len particulier et pris un à un^ que je n'ai osé espérer 
rien de bon d'eux , en public et pris collectivement. . 

—7 U faut que ce qv'qn appelle lu police, soil.une 
<fhose bien terrible , disoit plaisamment madame de;.. .^ 
puisque les Anglais «aiment mieux les voleurs. et. les as- 
sassins , et que les Turcs aiment mieux la peste. 

— T- Ccr qui r-end le monde désagréable, j^e disoit 
M. de L*..., ce, sont les fripons, et puis les honnêtes 
jgéns } dé sorte que , pour que tout fût passable , il fau- 
drpit anéantir les uns, et corriger les autres. Il faudroit 
détruire l'enfer et recomposer le paradis. 

— D.,.. s étonnoit de voir M« de L,..., hommetirc»- 



ET ANECnotES. i"^^ 

«ccrétKié, échouer dans tout ce quil essayoît de faTre 
poor un de ses amis. C'est que la foiblesse desitoicsi-* 
ractère anéantit la puissance de sa position'. Gëlùî quî 
ne sait pas ajouter sa volonté à sa force, n'a point dé' 
force. ' .î ' .) 

— Quand madame de F.:., a dit joliment une cBdse 
Ken pensée, elle croit avoir tout fait \ de façon que , si 
une de ses amies faisoit à sa place ce quelle'a dit qu'il 
falloit faire, cela feroit à elles deux une philosophe. 
M. de..... disoit d'elle : Que quand elle a dit une jolie 
chose sur l'ématique ,* elle est toute surprise de n'être 
point purgée. ^ ' 

— Un homme d'esprit définissoit Versailles , un 
pays où , en descendant-, il faut toujours paroître mon- 
ter, c'est-à-dire, s'honorer de fréquenter ce qu'ort. 
méprise. 

-^ M..... me disoit qoTû s'étoit toujours bien trouva 
des maximes suivantes sur les femmes : Parler toujours- 
hien du sexe en g^éral^ louer celles qui sont aima*' 
Wes; se taire sur les autres; les voir peu; ne sy fier ja- 
mais; et ne jamais laisser dépendre son bonheur d*ime 
femme, quelle qu'elle soit. » 

— Un philosophe me disoit qu^après avoir examine 
l'ordre civil et politique des sociétés, il n'étudioit plus 
que les sauvages dans les Kvres des voyageurs , et les 
enfans dans la vie ordinaire. 

' — Madame de.... disoit de M. B.... : Il est honnête , 
mais médiocre et d'un caractère épineux : c^est comme 
la perche , blanche , saine ; mai» insipide et pleine 
d'arêtes. 



iqS caractères 

. — % l^*.,.» etouffç plutôt ses passions qu*il ne sait les. 
<x>mclwç- Il me^isoit là -^dessus : Ja ressemble à ua 
homme (jipi^ (étant à çbevs] « çt w sdchant: pa» gouTer- 
tvor «a hêtç qui r^mporte^ la tu« d'ua coup de pi(»tolet 
et se précipite avec elle. 

— • Je dismaodoi^ à AI - pourquoi il avoit refuse 

jdusieui^ places j il me répondit : Je ne Yeux riaoL de ce 
qm met jijx mU à la place dun bomme. 

— Ne ▼oye;6-vous pa^^ me disoit M,.., que je ne «nia 
rien que par fc^^nnion qu'on a de moi , que lorsque je 
m'abais^ je peida de ma force » et que je tombe lors- 
que je descends? 

•r— C'est; nm chose jww eiAraordinaîr^ que deux au- 
teurs 9 pénétrée ef.pan^rMt^a ; luneu vfrs, l'autre en 
prose y de l'amour immoral et libertin , CrébiUon et 

Bernard, soient morts épris passionnément de deux; 
$Ues. Siquelquechosee^ plus étonnant, c'est devoir 
Tamour seinimental posséder madame de Voyer jus* 
qu'au dernier moment, et la passionner pour le vicomte 
de Noaîlles ; tandis que , de son coté, M- de Voyer a 
laissé deux cassettes pleines de lettres céladoniques co^ 
piées deux fois de sa main. Gela rappelle les poltrons» 
qui: chantent pour déguiser leur peur. 

— Qu'un homme d'e$prit , disoit en riant Qf. de«..., 
ait.dei^ doutes 3ur sa maîtresse , cela ^ conçoit î mais sur 
sa femme ! il faut être bien béte. 

T— C'est nn earactère curieux que celui de M. L.... : 
son esprit est plaisant et profond ^ son cœur est fier et 
calme ; son imagination est douce , vive et même ps- 
sionuée. 



ET ANECDOTES. 19g 

— « Dans le monde , disoit M...... yoiii$ avez uroîs sor- 
tes d'amis : vos amis qui vous aimeat ^ vos- 9mi« qui n9 
se soucient pas de vous , et vos^ amis qiû vousi haiteéiit 

— M disoit ; Je ne s^i» poiax^oi iiMdfifias de 

L..... désire tant que } aille chez elW f ^st^fmod faî été 
quelque tem^ps sans y aller , je la soéprisiQ mCpsniL Oo 
poiirroit dire cela du monde en g/éuéf^sL 

— D...., misanthrope plaisant , myt, (^ît, à ptc^M 
de la méchanceté des hommes : Il n y a que VimJtaHté 
du premier déluge qui empêche Di^ d w envoyer nu 
second. 

-^ On attribuoît à la philosophie moden^e le torldV 
voir multiplié le nombre des çélihatas^es^ sur quci M*.^ 
dit : Tant quon ne me prouvera pais qiue <;« sOnt, k« 
philosophes ^i se sont cotisés pour £we^^les fc^oda de 
mademoiselle Bevtin, et pour élever sa hoiMquay)^ 
croirai que ce célibat pourroit bien avoir v/ç^ autr^ causte^ 

— N.... disoit quil falloit toujours ,e:|uuui^er si 1^ 
liaison dune fenune et d'un homme e;^ d'âaie à âme , 
ou de corps à corps; si celle d'un |)articulier et d'iw 
homme en place ou d'un homme de la coor, cst.de 
sentiment à sentiment , ou de posHi^i;]^ f posi^i^ji eu;. 

— M. de.... disoit qu'il ne fa^oit fi/ealirc^) .4w>'^ 1<)& 
séances publiques de l'académie françjad^e » pai;-i:|ie!là.ce 
qui est imposé par les statuit& j et il mpti^it, sioii am 
en disant : JEnfait êiw^ifiié^iil pSxfiuit j|U4e le 
nécessaire* 

— M.... disoit que le dçsi^vai^e d'être w -dessow 
des princes est rîchemem oompen^i^jp^ii: l'aLVi^n^ge d'en 
être loin. 



flOO CARACTÈRES 

— • On proposoit un mariage à M... .5 îl répondît : Il 
y a deux choses que j'ai toujours aimées à la folie , ce 
sont les femmes et le célibat. .Tai perdu ma pre- 
mière passion , il faut que je conserve la seconde. 

— La rareté d'un sentiment vrai fait que je m'arrête 
quelquefois dans les rues à regarder un chien ronger 
un os : c'est au retour de Versailles , Marli , Fontaine- 
bleau, disoit M. de...., que je suis plus curieux de ce 
spectacle. 

— M. Thomas me disoit un jour : Je n'ai pas besoin 
de mes contemporains ; mais j'ai besoin de la postérité : 
il aimoit beaucoup la gloire. Beau résultat de philoso* 
pbie, lui.dis-je , de pouvoir se passer des vivans, pour 
avoir besoin de ceux qui ne sont pas nés ! 

— N disoit à M. Barthe : Depuis dix ans que je 

tous connois, j'ai toujours cru qu'il éloît impossible 
d'être votre ami ; mais je me suis trompé ; îl y en au- 
roit un moyen. •*- Et lequel ? - — Celui de faire une 
parfaite abnégation de soi , et d'adorer sans cesse votre 
égoïsme. 

— M. de R étoît autrefois moins dur et moins 

dénigrant qu'aujourd'hui; il a usé toute son indulgence, 
et le peu qui lui en reste ^ il le garde pour lui. 

— On proposoit à un célibataire de se marier. U ré- 
pondit par de la plaisanterie ; et comme il y avoit mis 
beaucoup d'esprit , on lui dit : Votre femme ne s'en- 
nuieroit pas. Sur quoi il répondit : Si elle étoit jolie 9 
sûrement elle s'amuseroit tout comme une autre. 

— On accusoitM d'être misanthrope. Moi, dit- 
il , je ne le suis pas *, mais j'ai bien pensé l'être y et j'ai 



%T ANECDOTES. JîOl 

vraiment bien fait cfy mettre ordre. ^—Qu'avez -vous 
fait pour Fempecher ? — Je me suis fait solitaire. 

— Il est temps , disoit M...... , que la philosopïiie ait 

aussi son index , comme Finquisition de Rome et de 
Madrid. Il faut qu'elle fasse une liste des Kvrês qu'elle 
proscrit , et cette proscription sera plus considérable 
que celle de sa rivale. Dans les livres même qu'elle ap- 
prouve en géoéral, combien d'idées particulières ne 
condamneroit-elle pas cbnune contraires à la morale, et 
même au bon sens ! 

* — Ce jour-là je fus très-aimable , point brutal , ine 
dismt M. S...... , qui éloit en effet l'un et l'autre. 

— M me dit un jour plaisamment , à propos des 

femmes et de leurs défauts : Il faut choisir d'aimer les 
femmes ou de les connoître : il n'y a pas de milieu. 

— M , qui venoit de publier un ouvragé qui ayôit 

beaucoup réussi , étoit sollicité d'en publier un second , 
dont ses amis faisoient grand cas. Non , dit-il , il faut 
laisser à l'envie le temps d'essuyer son écume. 

— M , jeune homme , me demandoit pourquoi 

madame de B avoit refusé son hommage qu'il lui^ 

offroit,pour courir après celui de M. de L , qui 

sembloit se refuser à ses avances. Je Itii dis : Moù cher 
ami , Gênes , riche et puissante , a offert sa souverai- 
neté à plusieurs rois qui l'ont refusée , et on a fait la 
guerre pour la Corse , qui ne produit que des châtai- 
gnes , mais qui étoit fière et indépendante. 

— ^^Un des parens de M. de Vergennes lui demandoit 
pourquoi il avoit laissé arriver au ministère de Paris le 
baron de Breteuil , qui étoit dans le cas de lui succéder. 



:?03 CARACTÈRES r 

G est que,dîtril, cest un homme qui, ayant toujours 
vécu dans le pays étranger, nest pas connu ici ^ ces< 
qu'il a une réputation usurpée ; que quantité de gens 
le croient digne du ministère : il faut les détromper ^ 
)j9 mettre en évideiice , et faire voir ce que c'est que le 
)>furon de Breteuil. 

— On rèprochoit à M. L , honame de lettres , de 

pe plus rien donner au puMic. Que voulez-vous qu'oa 
imprime , dit-il , dans un pays où Falmanach de Li^Q 
est défendu de temps en temps ? 

— - M disoit de M. de la Reynière, chez qui tout 

le monde va pour sa table , et qu'on trouve trè&-en- 
nuyeux : On le mange , mais on ne le digère pas. 

— - M. de F , qui avoit vu à sa fenmie plusieurs 

amans , et qui avoit toujours joui de temps en temps de 
ses droits d'époux , s'avisa un soir de vouloir en profiter. 
Sa femme s'y refuse. Eh quoi ! lui dit-elle,ne sayez-vous 

pas que je suis en affaire avec M ? — Belle raison , 

dit-il ! ne m'avez-vous pas laissé mes droits quand vous 

aviez L ,S ,N ,B ,T ?— Ohîquelle 

différence ! étoit-ce de l'amour qug j avois pour eux ! 

Rien , pures fantaisies ; mais avec M c'est un senti- 

xnent : c'est à la vie et à la mort. — Ah ! je ne savois pas 
cela \ n'en parlons plus. Et en effet tout fut dit. M. de 

R , qui entendoit conter cette histoire , s'écria : 

Mon Dieu ! que je vous remercie d'avoir anaené le ma- 
riage à produire de pareilles gentillesses ! 

— Mes ennemis ne peuvent rien contre moi , disoit 
M \ car ils ne peuvent m'ôter la faculté de bien pen- 
ser , ni celle de biea faire. 



ET ANECDOTES. 3oS' 

-^ Je deinandois à M....;. s*il se marièrent. Il î&e i^ 
pondit : Pourquoi &ireP Pour payer au roi de France la 
capitatio» et les trois vingtièmes après ma me»! ? 

"^M. de...M.deiiiandoitlirévécpe de ixoe maison 

de campagne où il n alIcÀ jamais. Celui-ci loi répondit : 
Ne savez-vous pas qu'il faut toujours avoir un endroit 
où Fou n'aille point et où ïoa croie que Ton seroit heu" 
reux si on y allôît? M. de...... » après un instant de silen» 

ce , répondît : Gela est vrai , et c'est ce qui a fiât la fi)r« 
tune du paradisi 

— MikoD f après le rétablissement de Charles it , étoit 
dans le cas de reprendre une place trè»<-lncratite qu'il 
avoit perdue ; sa femme l'y exhortoit ; il lui répondit : 
Vous êtes femme ^ et vous voulez avoir un oarosse } 
moi , je veux vivae et mourir en bonnéte homme» 

*~ Je {«assois M« de L d^ouUier les torts de 

M. de B qui favoit autrefois obligé; il me répondit : 

Dieu a recommandé le pardon des injures ; il n'a point 
recommandé celui des bienfaits. 

— M me disoit: Je ne regarde le roi de France 

que comme le roi d^eqviron cent mille hommëiV'^^*'* 
quels il partage et sacrifie la suem*, le sang et It^ dé^ 
pouilles de vingt*quatrè millions neuf cent mîlk h(mi-« 
mes , dans des proportions déterminées par les idées 
féodales , militaires , antimorales et antipolitiqu^ qui 
avilissent l'Europe depuis vingt âèdes. 

M. de Galonné , voulant introduire des femmes dans 
son cabinet , trouva que la clef n'entrait point dans la 
serrure. U lâcha un C—* d'impatience ; et , sentant sa 
&ute : Pardon , mesdames I dit-^il ; j'ai fait bien des af<-^ 



:9(l4 CARACTÈRES 

(aires dans ma vie , et j'ai vu qu*il n y a qa^un mot qui 
sfirve. En effet , la clef entra tout de suite. ; 

— Je.démandois à M pourquoi , en se condam-^ 

Bant à Fobscurité , il se déroboit au bien qu'on ponvoit 
bii faire. Les hommes , me dit-il , ne peuvent rien faire 
pour moi qui vaille leur oubli. 

- — M. de.... promettoit je ne sais quoi à M. L.... , et 
proil foi de gentilhomme ;. celui-ci lui dit : Si cela vous 
est égal ,'ne pourriez-vouspasdire foi d'honnête hommes 
<— Le fameux Ben-Jonhson disoit que tous ceux qui 
avoîent pris les muses pour feinmes étoient morts de 
faim , et que ceux qui les avoient prises pour mailresses^ 
s'en étoient: fort rbien trouvés. Cda rerient assez à ce^ 
que j'ai ouï dire à Diderot , qu'un homme de lettres 
sensé pouvoit être Famant d^une femme qui fait un 
Kvre ; mais ne devoit être le mari que de celle qui sait 
faire unéichemise. Il y a mieux que tout cela : c'est de 
n'être m l'amant de celle qui fait un livre, ni le mari 
d'aucune. » 

'. — «Tespère qu'un jour, disoit M , au sortir de 

l'assemblée nationale présidée par un juif, j'assisterai 
au nuiriage d'un catholique séparé par divorce de sa pre- 
mière femme luthérienne , et épousant une jeune ana- 
baptiste ; qu'ensuite nous irons dioer chez le curé , qui 
pous présentera sa femme , jeune personne de la religion 
anglicane , qu'il aura lui-même épousée en secondes 
noces , étant veuf d'une calviniste. 

— Ce n'est pas , me disoit M. de M...... , un homme 

très-vulgaire , que celui qui dit à la fortune : Je ne veux 
de toi qu'à telle condition ; tu subiras le joug que je veux 



LT ANECDOTES. ao$ 

t'împoi^er ; et qui dit à la. gloire : Tu n'e^ qu'une fille à 
.qui je veipc bien faire quelques cares^s, mais que je 
repousserai si tu en risques ayee moi de trop faouUères 
et qui ne me .conviennent pas. Cetoit lui-même qu'il 
peignent^ et tel est en effet son Ciaraçtère. 
, — On disoit d'un xx)ur tisan léger , mais, non corromr 
fu. : Il 9 pris de la poussière dans le tout^billon ; mais 
il n'a pas priç de tache dans la boue. i 

, . -7- M disoit qu'il falloit qu'un philosophe com- 

jmençât par avoir le bonheur des morts , celui de .ne. pas 
^souffrir et d être tranquiÛç \ puis celui des yiyàns , de 
penser , seAtir et s'amusjer. , ,.; 

— :M. de yergennes n'aimoit point; les geps de. let- 
tres , et on. remarqua qu'aucun écrivain distingué nst^ 
voit Caijt des vers sur la.paix de lySS.^ sur qii^ quelt> 
/qu'un disoit : Il y en a deux raiso>as^ il neidoiuie rien 
aux poêles et ne: prête pas]à;la poésie. / \ . > \ 

, — : J[e demandois à M. ... quelle étoit sa raison de re- 
fuser, un mariage avantageux? Je ne veux point me 
marier, dit-il , dans la crainte d'ayoir un.fils qui.me 
fes$eix4>Ie.: Comme j'étois surpris ,.vu qu^.o'estï un tsès^ 
liopnéte homme : Oui ' ditril , oui , dans la orainie 
d'avoir un fils qui , étant paijvre comn^^i^oi', ne sache 
ni mentir, ni flatter, ni nmiper, et ait .à siibif Jpsnjkémes 
épreuves qpe moi. )..:':>:: 

— 'JJj^ femme parlpit çn^phatiquemw^ de;9d vertu -, 
.et ne voulpJLt plus , disoit-elle , entendre parler d'aniour. 
XJn homme d'esprit dit là*flfîs^tis::A^qMQi( bon cette for- 
.fauterîe? ne peut*on pa^ trouvei: uu souaut sans dire 
.tout cela? ,j :. . .. -, , ;^ .: 



ao6 CARACTÈRES 

•— Dttûs le temps de Fassemblëe des notables, tm 
Bomme TOidoîf ùire parler le perroqaet de madame 
de-.r* Ne wtis Êitigue^ pas ^ toi dît-elle , il n^otivre ja- 
mais le bec« ^^ Gomment irf ezMrous an peiroqaet qui 
ne dit mot ? Ayee-en xm qui dise au moins : p^çe le 
toit Dieu m'en préserve , dît-eHe : rm perroqtret disant 
yvm le roii \e ne faurois jius^ on en antoh ^t un 
notable. 

--« Un malheuremc portier, à qui les enfans de son 
mairre refilèrent de payer un legs de mille lîvres/qu^H 
pouTOie rëelamer par justiee , me dit : Voulez-vous ; 
monsieur, que faille plaider eontre les enfens d^uA 
Ikobulàe qoe f ai serti vingt-^inq ans, et que je sers 
«ux-métuêis depfûs quinze? B se faîsoit, de leur itijus- 
fice^niéttie V ^ûe raison d'être géné'enx à leur ëgatxjL 
1- -^Oaidemandoit à M...., pourquoi h nature avoit 
rendu l'amour indépendant de notre raison, CTest, dit-il; 
parcttqne k uMnrene songe qu'au maintien de Fespèce ; 
et, pour la perpétuer, elle n^a que faire de nôtre sot- 
tise. Qu'étant ivre, je m'adresse à une servante de ca- 
baret ou à une fîUe , te but de la nature peut être ausa 
lûen rempM! que si j'eusse obtenu Clarisse après deux 
ans de soins ; an lien que ma raison me sauveroit de la 
«ervaAte, de la fiUe, et de Clarisse même peut-être. A 
ne consulter que la raison , quel est Thomme qui vou- 
àtcki être pênep et se préparer tant de soucis pour un 
Jbng avenir ? jQoetle femrbe , pour une ^tepsie dà 
^ekptu» voixncMSj se donnèrent une mahcfie d'une 
année enàère ? La nature , en nous détc^MOit a notre 
raison , assure mieux son empire j et voiUi pourquoi 



ET ANECDOTES. àOJ 

elle a mis de niveau sur ce point Zénobie et sa i$He 
de bas9e<;our, Marc-Aurèle et son palefrenier. 

M.... est im homme mobile , dont Fâme est ouverte 
à toutes les impressions, dépendant de ce qu'il voit, de 
ce qu'il MIend , ajrant une lamie prête pour la belle 
eeikm qu'on lui raconte , et un sonrire pour le ridicule 
qu'un sot essaie de jeter sur die. 

— M.... prétend que le monde le pins choiâ est en- 
tièrettient coriferme à h description qtrî lui fut faite 
d'uu mauvifts fien*, par utie jeune personne qui y logeoit. 
Il la fencontreaù Vauiballf il s'approche d^dle, et lui 
demande en quel endroit on pourrott là voir seule pour 
lui confier qudques petits secrets. Monsieur, dit -elle , 
je demMre tbe2 madame.... C'est un lieu trés^honnête, 
où il ne va (pie des gens comme 3 faut, la plupart en 
carrosse; une porte cochère, un joli salon oh ily a des 
gbcës et mi beau lustre. On y soupe quelquefois et ou 
est servi en vàissdle plate. ^-^ Comment donc, made^ 
moiselle \ j*ai vécu en bontie compagnie , et je n^aî rien 
yn de mieux que cda.-*-* If î mot non plus, qui ai poup- 
tam habité presque toutes ces sortes de nlâdsons. M..*, 
reprenoit toutes les circoristaàcés , et fàîsoit vbîr qu^il 
n'y en avoit pas «me qui né Vàp{âiqùât an monde tdi 

— M.... jouit excesâvement des ridicules qu'il peut 
Masir et aperèévoip dans lé monde. U parott même 
tdiarmé lonsi^'il vok quélqii'imustice siisurde ; des places^ 
«tmn^ à eonti^-eens ; dèé eontradicdons ridictdes dans 
la conduite de ceux qui gànverîiènt ^ des sdandaies de 
tout» espèce qtke la soeiëië offit^ tri^ souvent^ IVsdxird 



2to8 CARACTÈRES 

j'ai cru qu il étoit méchaDt; mais , en le fréquentant da- 
vantage y I ai démêlé à quel principe appartient cette 
étrange manière de voir ; c'est un sentiment honnête, 
une indignation vertueuse qui la rendu long-temp 
.malheureux , et à laquelle il a substitué une habitude 
,de plaisanterie , qui voudroit n'être que gaie /mais qui, 
devenant quelquefois amére et sarcasmatiquej.de- 
^QQOce la source dont elle part. . . 

: r—.Le^ amitiés de N,.,. i^e sont autre chose que le 
rapport de ses intérêts avec ceux de ses prétendus amis. 
Ses amours ne sont que le produit de quelques bonnes 
.digestions. Tout ce qui est au-dessus ûu au-delà n existe 
pointpour lui. Un mouvement noble et désintéressé en 
amitié, un sendment délicat lui paroissent une folie non 
moins absurde que celle qui fait mettre un hpmme aux 
Petites-Maisons. 

^ , -f— M. de Ségur ayant publié une ordonnance qiii 
pbligeoit à ne receyoir)dans. le corps de l'artillferie que 
.dçsi gei;itilshQmmes^,, et ,41une autre part cette fonction 
V admettait que des genç ^nslruiis , il arriva Une chQse 
pl^^nte; c'iest. qu^.jiabbé.^^Qssiit, examinateur;des élè^ 
veSp.jie/donnadaltesladQn.qnà des roturiers , et Che- 
)rin, qu^^des gentilshommes, Sur , une centaine d élèves , 
il n'y en eut que quatre ou cinq qui remplirent Jies deux 
conditioçs. . ..,,-;. ^ . 

' i^i^r?^ L,... me disoitj relativement au plaisir de$ 
femmes y que lorsqu'on cesse de pouvoir, être prodigue , 
i| faut devenir avare, et qu'en | ce genre celtû qui cesse 
d'êlve.Ti)che,commeac€| à, êtrp pjauvre. Pour moi , dit-il , 
aussitôt qi|ie j'ai été obligé de distinguer entre la lettre 



ET ANECDOTES. 209 

de change payable à vue et la lettre payable à échéaace, 
j'ai quitté la banque. 

— Un homme de lettres à qui^ un grand seigneur 
faisoit sentir la supériorité de son rang , lui dit -: Mon- 
sieur le duc , je n'ignore pas ce que je dois savoir; mais 
je sais aussi qu il est plus aisé d'être au-dessus de moi 
qua cote. 

— Madame de L.... est coquette avec illusion^ eu 
se trompant elle-même. Madame de B.... Test sans illu- 
sion , et il ne faut pas la chercher parmi les dupes 
qu'elle fait. 

— Le maréchal de NoaiUes avoit un procès au par- 
lement avec un de ses fermiers. Huit à neuf conseillers 
se récusèrent, disant tous : En qualité de parent de 
M. de Noailles ; et ils l'étoient en effet au huitantième 
degré. Un conseiller, nommé M. Hurson , trouvant 
cette vanité ridicule , se leva , disant : Je me récuse 
aussi. Le premier président lui demanda en quelle qua- 
lité. 11 répondit : Comme parent du fermier. 

— Madame de...., âgée de soixante- cinq ans, ayant 
épousé M...., âgé de vingt-deux, quelqu'un dit que 
c étoit le mariage de Pyrame et de Baucis. 

— M.... , à qui on reprochoit son indifférence pour 
les femmes ^ disoit : Je puis dire sur elles ce que ma- 
dame de C... disoit sur les enfans : J'ai dans la tête un 
.fils dont je n'ai pu accoucher. J'ai dans l'esprit une 

femme comme il y en a peu y qui me préserve des 
femmes comme il y en a beaucoup : j'ai bien des obli- 
gations à cette femme-là. 

•I-- Ce qui me paroît le plus comique dans le monde 
II, 14 



aïO CARACTÈRES 

civil , âiscit M.... , c^est le mariage , c est Fëtat de mari ; 
ce qui me paroît le plus ridicule dans le monde politi- 
cpc , c'est la royamté , c'est le métier de roi. Voilà les 
é&&K choses qui m'égaient le plus : ce sont les deux 
sonroes intarissables de mes plaisanteries. Ainsi , qui 
iùie marieroit et me feroit roi, m'ôteroit à la fois une 
partie de mon esprit et de ma gaîté. 

— On avisoit dans une société aux moyens de dé- 
']^!acer im mauvais ministre , déshonoré par vingt (ur- 
^tudes. Un de ses ennemis connus dit tout-a-coup ; 
Ne pourroit-on pas lui faire faire quelque opération 
taisonnable , quelque chose d'hônnéte pour le faire 

— <^e peuvent pour moi , disoit M.... , les grands 
et les princes? Peuv^i-îls me rendre ma jeunesse 
6â m'ôter ma pensée, dont l'usage me console de 
tout? 

— Madame de. . . . disoit un jour à M. ... : Je ne 
saurois être à ma j^lace dans votre esprit , parce que j ai 

))eaucoup vu pendant quelque temps M. d'Ur Je 

vais vous en dire la raison , qtti est en même temps nia 
meilleure excuse. Je couchois avec lui 5 et je hais si fort 
lamauvalise compagnie , qu'il n'y avoit quune pareille 
raison qui put me justifier à mes yeux, et, je m'ima* 
gine, aux vôtres. 

— M. de B, . . . voyoît madame de L. . . . tous lés 
jours ; le bruit courut qu'il alloit Fépouser, Sur quoi il 
dit à l'un de ses amis : Il y a peu d'hommes qu'elle n'é* 
pousat pas plus volontiers que moi , et réciproquement, 
il seroit bien étrange que , dans quinze ans d'amitié , 



ET ANECDOTES. ait 

nous n^èus^ons pas vu combien nous sommes antipa- 
thiques Fun à lauU'e. 

— L'illusion , disoit M. . . . , ne fait d'effet sur moi , 
relativement aux personnes que j'aime , que celui d'un 
verre sur un pastel. Il adoucit les traits sans changer les 
rapports ni les proportions . 

— On agitoitdaoïs une société la question : Lequel 
étoit plus agréable de donner ou de recevoir ? Les uns 
prétendoientque c éloit de donner , d'autres, que, quand 
Famitié étoit parfaite , le plaisir de recevoir étoit peut- 
être aussi délicat et plus vif. Un homme d'esprit , à qui 
on demanda son avis, dit : Je ne demanderai pas lequel 
des deux plaisirs est le plus vif; mais je p^référerois celui 
dé donner; il m'a semblé qiïau moins il étok le j^us 
dm*able, et j'ai toujours vu que c'étoit celui des deux 
dont on se souv^tioit plus long'-temps. / 

— Les «mis de M. . . . voutoient plier son caractère 
à leurs fantaisies , et, le trouvant toujours le même, di- 
soient qu'il ét<nt incorrigible. Il leur r^ondit : Si j^ 
n'étois pas incorrigible, il y a Uen long -^ temps que je 
serois corrompu. 

— Je me refuse , disoit M. • . • , aur avances ^e M. de 
B. . . . , parce que j'estime assefe peu Içs quaii|és j^our les- 
quelles il me recherclie, et que s'il sàV(Ât les qu^ditës 
pour lesquelles je m'estime , il me fernoteik^ sa porte. 

-^ On reprocJhoit à M. -de.... d'être le médecin 
l^antr-Pis, Cela vient, répondit-il , de ce <pie j'ai va 
enterrer tous les malades du médecin Tant- Mieux. 
Au* moins, si les miens n^urent , on n'a point à me re- 
fH^Ocher d'être un sot. 



2ia CARACTÈRES 

— Un homme qui avoit refusé d'avoir madame de 
S. . . . , disoit : A quoi sert l'esprit , s'il ne sert à n'avoir 
point madame de. ... ? 

— M. Joli de Fleuri, contrôleur-général en 1781 , a 
dit à mon ami , M. B. . . . : Vous parlez toujours de na- 
tion -, 11 n'y a point de nation. Il faut dire le peuple 5 le 
peuplé que nos plus anciens publicistes définissent : 
Peuple serf y corvéable et tail(able à merci et misé^ 
ricorde. 

— On ofFroit à M^ • . . une place lucrative qui ne lui 
convenoit pas 5 il répondit : Je sais qu!ou vit avec de 
l'argent; mais je sais aussi qu'il ne faut pas vivre pour 
de l'argent. 

— Quelqu'un disoit d'un homme très -personnel : 
Il brûleroit votre maison pour se faire cuire deux œufs; 

— Le duc de, ... , qui avoit autrefois de l'esprit, qui 
recherchoil la conversation des honnêtes geus , s'est mis, 
à cinquante ans ^ à mener la vie d'un courtisan ordir 
naire. Ce métier et la vie de Versailles lui conviennent 
datis la décadence de son esprit, comme le jeu convient 
aux vieilles femmes. 

— Un homme , dont la santé s'étoit rétablie en assez 
peu de temps et à qui on en demandoit la faison , répon- 
dit : C'est que je compte avec moi , au lieu qu'aupara- 
vant je comptois sUr moi. . 

— Je croîs , disoit. M. . . . , sur lé diic de. ... , que son 
nom est son plus grand mérite , et qu'il a toutes les 
vertus qui se font dans une parcheminerie. 

— On accusoit un jeune homme de la cour d'aimer 
les fUles avec fureur. U y avoit là plusieurs femmes 



ET ANECDOTES. 2l5 

honnêtes et considérables avec qui cela pouvoit ]e 
brouiller. Un de ses amis , qui étoit présent, répondit : 
Exagération ! méchanceté ! il a aussi des femmes. 

— M...., qui aimoit beaucoup les femmes, me di- 
soit que leur commerce lui étoit nécessaire , pour tem- 
pérer la sévérité de ses pensées , et occuper la sensibi*»» 
lité de son âme. Jai, disoil-il, du Tacite dans la tête, 
et du Tibulle dans le cœur. 

— M. de L. . . . disoit qu'on auroit dû appliquer au 
mariage la police relative aux maisons, qu'on loue par 
jun bail pour trois , six et neuf ans , avec pouvoir d'ache- 
ter la maison , si elle vous convient. 

— La différence qu'il y a de vous à moi , me disoit 
M. . . . , c'est que vous avez dit a tous les masques : Je 
vous connois ; et moi je leur ai laissé l'espérance de 
me tromper. Voilà pourquoi le monde m'est plus fa- 
vorable qu'à vous. C'est un bal dont vous avez détruit 
l'intérêt pour les autres, et l'amusement pour vous- 
même. 

— Quand M. de R. ... a passé une journée sans 
écrire , il répète le mot de Titus : J'ai perdu un jour. 

-^ L'homme, disoit M. • . ., est un sot animal, si j'en 
juge par moi. 

— M. .. . avoit, pour exprimer le mépris, une for* 
mule favorite : C'est l'avant-derniei' des hommes. Pour- 
quoi l'avant -dernier? lui demandoit-on. — Pour ne 
décourager personne ; car il y a presse. 

— Au physique, disoit M. . .., homme d'un^ santé 
délicate et d'un caractère très-fort, je suis le roseau qui 
plie et ne rompt pas ^ au moral, je suis au. contraire le 



ai4 CARACTÈRES 

chêne qui rompt et qui ne plie points Homo interior 
totusnerpus y àài\^iAie\m.oui. 

— - J'ai connu , me disoit M. de L. . • • , âgé de qua- 
tre-vingt-onze ans, des hommes qui avoient un carac- 
tère grand , mais sans pureté ; d autres qui avoient un 
caractère pur^ mais sans grandeur. 
« -^ IVL de C. • . • avoit reçu un bienfait de M. d" A.... : 
celui-ci avoit reconunandé le secret. Il fut gardé. Plu^ 
sîeurs années après, ils se brouillèrent-, alors M. de C... 
révéla le secret du bienfait qu'il avoit reçu. M. T. . . . , 
leur ami commun , instruit^ demanda à M. de C. ... la 
raison de cette apparente bizarrerie. Celui-ci répondit : 
iTai tu son bienfsât tant que je Tai aimé. Je pâi;Ie , parce 
cjjue je ne ïaime [Jus. Cétoit alors son secret j à pré- 
9€xAj c est le mien. 

-^ M.... disoit du prince de Beauveau,. grand 
{ynnste : Quand je le rencontre dans ses promenades du 
xnatin , et que je passe dans Fombre de son cheval ( il se 
promène souvent à cheval pour sa santé), j'ai remarqué 
que je ne- fais pas une faute de français de toute la 
journée. 

— N. . . . disoit qu'il s'étonnoit toujours de ces festins 
meurtriers qu'on se donne dans le monde. Cek se con* 
cevroit entre pm*ens qui héritent les uns des autres; 
mais^ entre amis qui n'hérileot pas, quel peut en être 
l'objet? 

— J'ai vu, disoit M. . . • , peu de fiertés dont j'aie été 
content. Ce que je connois de mieux en ce genre, c'est 
celle de Satan dans le Paradis perdu- 

. .^ Le hoii^ur^disoitM.... s n'est pas chose aisée. U 



Eï' ANECDOTES. ùlS 

est très-difficile de le trouver en nous i et impassible de 
le trouver aLUeurs, 

— Ou engpgeoLt M. de. « ». à quitter une place , doni 
Je titre seul faisoit sa sûreté contre des hcMUBies puiasaos; 
il répondit : On peut couper à Samsoa sa cbevelUne ^ 
mais il ne faut pas lui conseiller de prendre perruque. 

-— On dîsoit que M. . . . étc^t peu sociable : Oni , dit 
un de ses ainis , il est choque de plu^ufs choses qui 
dans k société choquent la nature. 

— On fdisoît la guerre à M. ... sur son go4t pcmr h 
solitude ; il répondit : Cest que je suis plijis 9GCOUIUIXI& 
à mes délauts qu à ceux d*autruî. 

-^ M. de...» , se prétendant ami de M. Turgôt, aUb 
faire complimait à M. de Maurepas , d'être délivré de 
M. Turgot. 

Ce même ami de M. Turgot fut un an sans le vcâr 
après sa disgrâce ^ et M. Tui^ot ayaat eu besoin de le 
voir, il lui donna un rendez-vous, non chez M. Turgot^ 
non diez lui-niême, mais chez. Duplesna, au moment 
où il se faisait peindre. 

11 eut cfepuis la hardiesse de dire à M. Berf. . . ^cptt 
B^éioit parti de Parié que huit jours après la BMMrt de 
M. Turgot : M<H, qmai vu M^ Turgoi dans tous k&mo» 
mens de sa vie, Bnoi, son ami intime, et qui: loi ai fer* 
mélesyenx* 

D n a commencé à braver M. Nek. ..., que qnand ce«^ 
]iii<Â foi très-mal avec M. de Maurepas, ec a sa chuta, 
il alb dîner chez Saîo^te-Foîx avec Bonrboidkni , enoe* 
mis de Nek. é .., qu'il méprisck tons les detu» 

Uapaasesavieàmâficeée VLdeCaiooaef ijpill m 



ai6 CARACTÈRES 

fini par loger ; de M^ de Vergennes , qu'il n'a cesse de 
capter , par le moyen d'Hérin qu'il a ensuite mis à l'é- 
cart; il lui a substitué dans son amitié Renneval, dont 
il s'est servi pour faire faire un traitement irès-considé- 
rsble à M. Domano, nommé pour présider à la démar- 
cation des limites de France et d'Espagne. 

Inerédule , il fait maigre les vendredis et samedis à 
tout hasard. Il s'est fait donner cent mille livres du roi 
pour payer les dettes de son frère, et a eu Fair de faire 
de son propre argent tout ce qu'il a fait pour lui, comme 
fi*aispour son logement du Louvre, etc. Nommé tu- 
teur du petit Bart. . . . , à qui sa mère avoit donné ceni 
mille écus par testament, au préjudice de sa sœur, ma- 
dame de Verg. . . . , il a fait une assemblée de famille, 
dans laquelle il a engagé le jeune homme à renoncer à 
son legs , a déchirer le testament ; et , à la première faute 
de jeune homme qu'a faite son pupille , il s'est débar- 
rassé de la tutelle. 

— On se souvient encore de la lîdicule et excessive 
vanité de rarchevêquedeRelms, Le Tellier-Ijouvols , 
sur son rang et sur sa naissance. On sait combien , de 
son temps, elle étoit célèbre dans toute la France. Voici 
une des occasions où elle se montra toute entière le 

plus plaisamment. Le duc d' A , absent de la cour 

depuis plusieurs années, revenu de son gouvernement 
de Berri, alloit à Versailles. Sa voiture versa et se rom- 
pit. Il faisoit un froid très-aigu. On lui dît qu'il falloit 
deux heures pour la remettre en état. Il vit un relai et 
demanda pour qui c'étoit : on lui dit que c'étoit pour 
l'archevêque de Reims qui alloil à Versailles aussi. Il 



ET ANECDOTES. 217 

envoya ses gens devant lui, n'en réservant qu'un, au- 
quel il recommanda de ne point paroi ire sans Son ordre. 
L'archevêque arrive. Pendant qu'on alteloit, le duc 
charge un des gens de l'archevêque de lui demander 
une place pour un honnête homme , dont la voiture 
vient de se briser, et qui est condamné à attendre deux- 
heures qu'elle soit rétablie. Le domestique va et fait la 
commission. Quel homme est-ce? dit l'archevêque. Est- 
ce quelqu'un comme il faut? — Je le crois, monsei- 
gneur; il a un air bien honnête. — Qu'appelles-lu hon- 
nête? est-il bien mis? — Monseigneur, simplement, 
mais bien. — A-t-il des gens? — Monseigneur, je l'i- 
magine. — Va-t-en le savoir. Le domestique va et re- 
i^ient. Monseigneur , il les a envoyés devant à Versail- 
les. — Ah ! c'est quelque chose. Mais ce n^est pas tout. 
Demande-lui s'il est gentilhomme. Le laquais va etre^ 
vient. Oui, monseigneur, il est gentilhomme. — A la 
bonne heure , qu'il vienne , nous verrons ce que c'est. 
Le duc arrive, salue. L'archevêque fait un signe de 
tête, se range à peine pour faire une petite place dans sa 
voiture. Il voit une croix de Saint-Louis. Monsieur, 
dit-il au duc, je suis fâché de vous avoir fait attendre ; 
mais je ne pouvois donner une place dans ma voiture k 
un homme de rien : vous en conviendrez. Je sais que 
vous êtes gentilhomme. Vous avez servi, à ce que je 
vois? — Oui, monseigneur. — Et vous allez à Ver- 
sailles? — Oui, monseigneur. — Dans les bureaux appa- 
remment ? — Non; je n'ai rien à faire dans les bureaux. 
Je vais remercier. . • . Qui ? M. de Louvois ? — Non , 
monseigneur, le roi, —Le roi! (Ici l'archevêque se 



ai8 CARACTÈRES 

» 

reculé et fait un peu déplace. ) — ^^ Le roi vient don« 
de vous faire quelque grâce loule récente? — Non , mon«» 
seigneur , c'est une longue bis£ou*e» — Contez toy^ours. 
— ^ G est qu'il y a deux dos , f ai marié ma fille à un 
Jiomme peu riche ( V archevêque reprend un peu de 
f espace qu^il a cédé dans la voiture) y mais d'un 
^'<9r^\^ à nom {l'archevêque recède la placé). Le 
duc coatiuue : Sa majesté avcât bien voulu s'intéresser 
à ce mariage...» {P archevêque fait beaucoup de place} 
et avoit même promis à mou gend e lé premier goit^ 
vememeHl cpui vaqueroii. — Comment donc ? Un petit 
gouva^nement sai^ doute ! De quelle ville ? — Ce n'esl 
pas d'une ville , Hionseigneur^ c'est d'une proviace. 
•?— D'une province , monsieur! crie l'archevêque, en 
reculant dans l'angle de sa voiture; d'une province ! 
— Oui , et il va y en avoir un de vaquant. — Lequel 
donc? — Le mien, celui de Berri, que je veux faire 
passer à mon gendre. — Quoi t monsieur .... vous 
êtes gouverneur de. ... ? Vous êtes dbnc le duc de .... ? 
et il veut descendre de sa voiture. . . Mais , M. te 
duc, que ne parliez - vous ? Mais cela est incroyable t 
Mais à quoi m'exposez - vous ! Pardon de vous avoir 
£dt attendre. ... Ce maraud de laquais qui ne me dit 
pas. ... Je suis bien heureux encore d avoir cru , sur vo- 
ire parole^ que vous étiez gentilhomme : tant de gens 
le disent sans Fêtre ! Et puis ce d'Hosier est un (r^)ona 
Ah ! M. le dkiG, je suis^ confus. — Remettez -vous ^ 
monseigneur. Pardonnez à voire laquais, il s'est con- 
tenté de vous dire que j'éiois un honnête homme -^ par- 
donnez à d'Hozier ^ qui vous e^^posoît à reeevoûr dans 



ET ANECDOTES. i^ig 

votre Yoijture un vieux militaire non titré ; et pardonnez^ 
moi aussi.de n'avoir p^ commencé par faire mea preu- 
ves pour monter dans votre çarosse. 

— l^nis XIV, voulant envoyer eu Espagne un por- 
trait du duc de Bourgogne , le fit Ëiire par Coypel, et » 
voulant en retenir un pour lui-même, chargea Coypel 
d'en faire faire une copie. Les deux tableaux fureat 
exposés en même tçmps dans la giderie : il étoit impoa<» 
aîUe de les di^tiugiier. Louis xiv, prévoyant qu'il alloît 
se trouver dans cet embstf-ras , prit Coypel à patt , et lui 
dit : Il n est pas décent que je me trompe en cette occa- 
sion; dites-moi de quel côlé est le taUeau original. Coy- 
pel le lui ii^iqua , et Louis xiv, repassant , dit : La co- 
pie et l'original sont si semblsjbles qu on pourroit s'y 
méprendre ; cependant on peut voir avec un peu d'at- 
tention que celui-ci est l'original. 

— Au Péroii, il n étoit permis qu'aux nobles d'étu-^ 
dier* Les nôtres pensent différemment. 

— M. ... disoit d'un sol sur lequel il n'y a pas de 
prise : C'est une cruche sans anse. 

-r- Henri iv fut un grand roi : Louis xiv fut le roi 
d'un beau règne. Ce mot de Voisenon passe sa portée 
4)r^aire. 

. — Le fea prince de Coati, ayant été très -p maltraite 
de paroles par Louis xv> conta cette scène désagréable à 
son ami le lord Tirconnel à qui il demandoit conseil. 
Celui-ci, après avoir rêvé, lui dit naïvement ; Mour* 
seigneur , il ne seroit pas impossible de vous venger^ â 
TOUS aviez de l'argent et de h considération. 
^ tr- Le roi de.Prusse^c^ ne laisse pas d'avoir emr 



:i30 CARACTÈRE* 

ployé son. temps, dit qu'il n'y a peut-être pas d'homme 
qui ait fait la moitié de ce qu'il auroit pu faille, 

— Messieurs Montgolfier, après leur superbe décou- 
verte des aérostats, sollicitoient à Paris un bureau de 
^abac pour un de leurs parens ; leur demande éprouvoit 
mille difficultés de la part de plusieurs personnes et en- 
•tr autres de M. de Ck)lonia de qui dépendoit le succès 
de l'affaire. Le comte d' Antraigues , ami des Montgol- 
fier, dit à M. de Colonia : Monsieur, s'ils n'obtiennent 
pas ce qu'ils demandent , j'imprimerai ce qui s'est passé 
« leur égard en Angleterre , et ce qui, grâce à vous, 
leur arrive en France dans ce moment -ci. — Et que 
«'est-il passé en Angleterre? — Le voici, écoutez: 
M. Etienne Montgolfier est allé en Angleterre l'année 
-dernière. Il a été présenté au roi qui lui a fait un grand 
accueil, et l'a invité à lui demander quelque grâce. 
M. Montgolfier répondit au lord Sidney, qu'étant étran- 
ger, il ne voyoil pas ce qu'il pouvoit demander. Le lord 
le pressa de faire une demande quelconque. Alors 
M. Montgolfier se rappela qu'il avoit à Québec un frère 
prêtre et pauvre 5 il dit qu'il souhaiteroit bien qu'on lui 
fit avoir un petit bénéfice de cinquante guinées. Le 
lord répondit que cette demande n'éloit digne ni de 
messieurs Montgolfier. ni du roi, ni du ministre. 
Quelque temps après , J'évêché de Québec vint à vaquer; 
le lord Sidney le demanda au roi qui l'accorda, en or- 
donnant au duc de Glocester de cesser la sollicita- 
tion qu'il faisoit pour un autre. Ce ne fut point sans 
peine que messieurs Montgolfier obtinrent que cette 
bonté du roi n'eût de moins grands effets. -— Il y 



ET ANECDOTES. 22J 

Q loin de^ là au bureau de tabac refusé eu France. 

— On parloit de la dispute sur la préférence quon 
devoit donner, pour les inscriptions, à la langue latine 
ou à la langue française. Comment peut-il y avoir unci 
dispute sur cela , dit M. B.... ? — Vous avez bien rabon , 
dit M. T.... ? — Sans doute, reprit M. B.... c'est la langue 
latine , n'est- il pas vrai ? — Point du tout , dit M. T.... , 
c'est la langue française. 

— Comment trouvez-vous M. de.., ? Je le trouve 
Irès-aimable ; je ne l'aime point du tout. L'accent dont 
le dernier mot fut dit, marquoit très-bien la diflfé- 
rence de l'homme aimable et de l'homme digne d être 
aimé. 

— Le moment où j'ai renoncé à l'amour, disoit M. ..., 
le voici : c'est lorsque les femmes ont commencé à dire : 
M. . . . , je l'dime beaucoup , je l'aime de tout mon 
cœur, etc. Autrefois, ajoutoit-il, quand j'étois jeune ^ 
elles disoient : M...., je l'estime infiniment, c'est un 
jeune homme bien honnête. 

— Je hais si fort le despotisme , disoit M.... , que je 
ne puis souffrir le mot ordonnance du médecin. 

— Un homme éioit abandonné des médecins ; on de- 
manda à M. Tronchin s'il falloit lui donner le viatique. 
Cela est bien colant, répondit-il. 

— • Quand l'abbé de Saint-Pierre approuvoit quelque 
chose , il disoit : Ceci est bon , pour moi, quant à pré- 
sent. Bien ne peint mieux la variété des jugemens 
humains , et la mobilité du jugement de chaque 
homme. 

f— Avant que mademoiselle Chdron eût établi le cos- 



122 caractèhes 

tKime au Théâtre-Français, on ne connoissoît pour le 
ifaeAtre tragique qu'un seul habit qu'on appeloit Thabit 
à ia romaine, et avec lequel on jouoit les pièces grecques, 
M^ricaitteê, espagnoies, etc. Lekain fut le premier à 
semiiimeure au costume , et fit faire un habit grec pour 
\&Mt Oreste '^Anâromaque* Dauberval arrive dans la 
loge de Lekain au moment que le tailleur de la comédie 
apportoit Thabit d'Oreste. La nouveauté de cet hdbït 
firâ^a J)at^rval qui demanda ce qile cétoit. Gela 
s appelle un habit à la grecque, dit Lekain. Ahl qu'il 
e»t beau , r^^nd Dauberval ! le premier haînt à la 
t*o«!iaîûe doût j'aurai besoin^ je le ferai faire à la 
grecque. 

--— Sf .... AsxÀt <ja'ir y avoît tels ou tels pruacipes ex- 
odlens pour tel ou tel caractère ferme et vigoureux , et 
1^ ne vaudroieat rien pour des caractères d^un ordre 
icrférieur. Ce ^nt les armeft d^ Aciiille ^t ne peuvent 
convenir cpi'à lui , et sous lesquelles Patrocle lui-même 
est opprimé. 

•—Après le crime et le mal faits à deifeksfîn, il faut 
miettre les mauvais effets des bonnes intentions, les 
bonnes actions nuisibles à la société publique, comme 
le bien fait aux méchans, les sottises de la bonhomie', 
les abus de la philosophie appliquée mal à propos, la 
miAadiesse en servant ses amis, les fausses applications 
des maximes utiles ou tionnêies , etc. 

— La nature , en nous accaMant de tant de misère et 
en nous donnant un attachement invincible pour la vie, 
semble en avoir agi avec Tliomme comme un incen- 
di»re qui mettroit le feu i notre maison après avoir po- 



ET ANECDOTES. 2a5 

né des sentinelles à notre porte. U faut que le danger 
âoit bien grand pour nous obliger à sauter par la fe- 
nêtre. 

— Les ministres enplace s^avisent quelquefob,lorsque 
par hasard ils ont de Tesprit , de parler du temps où ib 
ne seront plus rien. On en est communément la dupe , 
et Ton s'imagine qu'ils croient ce qu'ils disent. Ce n'est 
de leur part qu'un trait d'esprit. Us sont comme les ma- 
lades qui parlent souvent de leur mort , et qui n'y croient 
pas y comme on peut le voir par d'autres mots qui leur 
échappent. 

-—On disoit à Delon, médecin mesmériste: Eh 
bien! M. de B... est mort, malgré la promesse que 
vous aviez faite de le guérir. Vous avez , dit-il , été ab- 
usent, vous n'avez pas suivi les progrès de la cure : il est 
mort guéri. 

— On disent de M...., qui se créoit des chimères 
tristes et qui voy<Ht tout en noir : U fait des cachots en 
Espagne. 

-— L'abbé Dangeau, de l'académie française, grand 
puriste , travailloit à une grammaire et ne .parloit d'autre 
t^hose. Un jour on se lamentoit devant lui sur les mal- 
heurs de la dernière campagne (c'étoit pendant les der- 
nières années de Louis xiv). Tout cela n'empêche pas, 
dit-il , que je n'aie dans ma cassette deux mille verbes 
français bien conjugués. 

«— Un gazetier mit dans sa galette : Les nns disent le 
cardinal Mazarin mort , les autres vivant ; moi , je ne 
crois ni l'un ni l'autre. 

— ^ Le vieux d'Amonoour avoit fait un contrat de 



224 CARACTÈRES 

douze cents livres de rente à une fille , pour tout lo 
temps qu'il en seroit aimé. Elle se sépara de lui élour— 
diment, et s^ lia avec un jeune homme qui, ayant vix 
ce contrat , se mit en tête de le faire revivre. EMe ré- 
clama en conséquence les quartiers échus depuis le der- 
nier paiement, en lui faisant signifier, sur papier tim- 
bré, qu'elle l'aimoit toujours. 

— Un marchand d'estampes vouloit (le aS juin) vendre 
cher le portrait de madame Lamotte( fouettée et mar- 
quée le 2 1 ), et donnoit pour raison que l'estampe étoit 
avant la lettre. 

-r- Massillon étoit fort galant. II devint amoureux de 
madame de Simiane, petite-fille de madame de Sévigné. 
Cette dame. aimoit beaucoup le style soigné, et ce fut 
pour lui plaire qu'il mit tant de soin à composer ses Sy- 
nodes , un de ses meilleurs ouvrages. Il logeoit à l'Ora- 
toire et devoit être rentré à neuf heures 5 madame de 
Simiane soupoit à sept par complaisance pour lui. Ce 
fut à l'un de ces soupers tête-à-tête qu'il fit une chan- 
son très-jolie , dont j'ai retenu la moitié d'un couplet : 



Aimons-nous tendrement , Elvire : 
Ceci n'est qu'une chanson 
Pour qui voudroit en médire; 
Mais , pour nous, c'est tout de bon. 

— On demandoit à madame de Rochefort, si elle au- 
roit envie de connoître l'avenir : Non, dit-elle, il res- 
semble trop au passé. 

— On pi essoit l'abbé Valri de solliciter une place 
vacante au Collége-Royal . Nous verrons cela, dit-il , et 



ET ANECDOTES; ^25 

fiie sollicita point. La place fat donnée à. no autrCc Un 
ami de Tabbé court chez lui : Eb bien ! voilà comme 
vous êtes ! vous n avez point voulu solliciter la place , 
elle est donnée. Elle est donnée, reprit-il! eh bien! je 
vais la demander, — Etes*vous fou? — Parbleu I non; 
j'avois cent concurrens , je n en ai plus qu'un. 11 deman- 
da la place , et rd)tint. 

— Madame. . . . , tenant un bureau d'esprit , disoit 
de L^.. : Je n'en fais pas grand cas ; il ne vient pas chez 
moi. 

— - L'abbé de Fleury avoit été amoureui de madame la 
maréchale de Noailles , qui le traita avec mépris. 11 devint 
premier ministre \ elle eut besoin de lui , et.il lui rappela 
ses rigueurs. Ah ! monseigneur ^ lui dit naïvement la 
maréchale , qui l'auroit pu prévoir ! 

— M. le duc de Chabot ayant fait peindre une Re- 
nommée sur son carrosse , on lui appliqua ces vers : 

Vôtre prudence est endormie 
De loger magnifiquement 
Et de traiter superbement 
Yotre plus cruelle ennemie. 

— Un médecin de village alloit visiter un malade au 
village prochain. U piit avec lui un fusil pour chasser 
en chemin et se désennuyer. Un paysan le rencontra, 
et lui demanda où il alloit. — Voir un malade. —Avez» 
vous peur de le manquer ? 

— Une fille , étant à confesse , dit : Je m'accuse d'a- 
voir estimé un jeune homme. Estimé ! combien de fois? 

demanda le père» 

II. i5 



caractéi(es 

•^ Uki'kiûliûiie ^tam à réxtrémité, un confesseur 
aHa le voir, et lliii dît : Je Viens vous exhorter à mourir: 
Et moi 9 répondit Vmtre j je vous exhorte à me laisser 
mourir. 

— On parloit à Tâbbe Terrasson d'une certaine 
édition de k BiMe, et on la vantoit beaucoup. Oui , 
dit-il , le scandale du texte y est conserve dans toute sa 
j>ureté. 

— Une fi34àme , causant avec M. de M... . , lui dit \ 
Allez, vous ne savez que dire des sottises. Madame, ré- 
{>obdii-il , fêtai entèofds t^ébjuefois , et vous me prenez 
Mrlelriit. 

— Vous baiUez , diism une feAime à son mari : Ma 
XiYïètt amie, lixi dit celtti-ci, le mari et là femme ne sont 
qu'un , et , quand je suis seul , je m'ennuie. 

— Maùpertuis , étendu' dans son fauteuil et baillant , 
dit un jour : Je voudrois dans ce moment-ci r&oudre 
un beau problème qui ne fût pas difficile. Ce mot le 
peint tout entier. 

— Mademoiselle d'Entragues, piquée delà façon dont 
Bassompierre refusoit de l'épouser , lui dit : Vous êtes 
le plus sot homme de la cour. — Vous voyez bien le 
contraire, répondit-iï. 

— Un entrepreneur de spectacles ayant prié M. de 
Villars d'ôtér l'entrée gratis aux pages , lui dit : Mon- 
seigneur , observez que plusieurs pages font un vo- 
lume. 

— Le roi nomma M. de Navailles gouverneur deM. le 
duc de Chartres, depuis régent ; M. de Navailles mou- 
rut au bout de huit jours : le roi nonima M. d'Esti^ades 



Eï AWÏCDQTESj :ia7 

pour lui succéder ; il mourul; aui).oiit 4u même terme : 
sur qupi Benserade dil : On oe peut pas élever un. gou- 
verneur pour M. le duc de Chartres. 

— Diderot I s étant aperçu qu un homme à, (|ui U prc^ 
noîc quelqu 'intérêt, av<Ht le vice de voler et Tavoiit volé 
lui-même, lui conseilla de quitter ce pays-ci. L'autre 
profita du conseil , et ÏKderot i^'en entendit plus parler 
pendant dix aD3. Après dix ans, un jour il entend tirer 
sa sonnette avec violence. U va ouvrir lui-même^ recon< 
noit son homme, et, d'un air étonné, il s'écrie : Hal 
ha ! c est vous ! Celui-ci lui répcmd : Ma fdl, il ne s'^ 
est guère fallu. — H avoit démêlé que E^ecot s*étonn<idt 
qu'il ne fût pas pendu. 

— M. de...., fort adonné au jeu, perdit en un seul 
coup de dés son revenu d'une année ; c étoit nsÂUe écuâ» 
Il les envoya demander à M;.#.| son ami, quî connoisr- 
soit sa passion pour le jeu , et qui vouloit fen guérir. 
11 lui envoya la lettre de change suivante : Je prie M...^ 
banquier, de donner à M.... ce quil lui demandera, à 
•la concurrence de ma fortune. Cette leçon terrible et gé< 
néreuse produisit son efiet. . 

^- On faisoit l'éloge de Louis xiv devant le roi de 
Prusse. U lui oontestoit toutes ses vertus et ses talens. 
jAu moins votre majesté accordera qu'il faiscât bien le 
roi. Pas si bien que-Baroja, dit le roi de Pxusse avec 
humeur. ' » 

— Une femme étoit à une représantation ;de Méro^ 
pe, .et ne pleuroit point \ on étoit surpris. Je pleurerois 
bien , dit-elle \ mais je dois souper en ville. 

— Un pape causant avec un étranger de tputes les 



1128 CARACTÈRES 

merveilles de lllalie > celuinû dit gauchement : «Tai tout 
ya , hors^ un c(Hiclave que je youdrois bien voir« 

-^ L'abbe de Canaye disoii que Louis xy auroit dh 
faire une pension à Cahusac. Et pourquoi? — Cest que 
Cahûsac faoïpéche d'être Thomme de son royaume le 
plusméprisé. 

— Henri iv s'y prit singulièrement pour faire con- 
Dottre à un amba^ssadeur d'Espagne le caractère de ses 
trois ministres, ViUeroi, le 'président Jeannin et Sully, 
n fît appeler d'abord Villeroi : Yoyez-yous cette poutre 
qui menace ruine ? Sans doute , dit Villeroi , sans lever 
la tête ] il faut la faire raccommoder, je vais donner des 
ordres. Il appela ensuite le président Jeannin : Il faudra i 
s'en assurer, dit celui^-ci^ On fait venir Sully qui regarde 
la poutre : £h I sire , y pensez-vous , dit-il ? cette pour 
tre durera plus que vous et moi. 

— J'ai entendu un dévot, parlant contre des gens 
qui discutoient des articles de foi , dire naïvement : 
Messieurs, un vrai chrétien n'examine point ce qu'on 
lui ordonne de croire; Tenez , il en est de cela comme 
d'une pilule amère , si vous la mâchez , jamais vous ne 
pourrez lavaler. 

— M. le régent disoit à madame de Parabère , dé- 
vote, qui , pou» lui plaire, tenoit quelques discours peu 
chrétiens : Tu as beau faire, tu seras sauvée. 

— Un prédicateur disoit : Quand le père Bourdaloue 
préchoit à Rouen , il y causoit bien du désordre : les 
artisans quittoient leurs boutiques, les médecins leurs 
malades, etc. J'y prêchai Tannée d'après, j'y remis tout 
dans l'ordre. 



ET ANirCDaTES. 22g 

— Les papiers anglais rendirent compte ainsi d'une 
opération de finances de M .Fabbé Terray : Le roi vient 
de réduire les actions des fermes à la moiûé. Le reste y 
à l'ordinaire prochain.. 

— Quand M. de B.,.. lisoit ^ ou voyoit, ou enten- 
doit conter quelqu'action bien infâme ou très-criminelle^ 
il s'écrioit :.0 ! comme je YOudroi$ qu il mr'en eut coûté 
un petit écu, et qu'il y eut un Dieu. 

-^ Bachelier avoit &it un mauvais poptrait de Jésus ; 
un de ses ami& lui dit : Ce portrait ne vaut rien , ^'e lu» 
trouve une figure basse et niaise. Qu est-ce que vous 
dites ? répondit naïvemait Bachelier ; d'Alembert et 
Diderot^ qui sortent d'ici, l'ont trouvé très- ressem- 
blant. 

-T M. de Saint-Germain demandoit à* M. de Maies- 
berbë^ quelques réi^gnemens sur s» conduite^ sur lès 
affaires qu'41r^evoi^ proposer au conseil ; Décidez les 
grandes vous-même, lui dit M. de Malesberhês , et 
portez lés autres au conseils 

— Le dianoine Récupère^ eâèbre*|^ydicieii^ ayant 
publié une savante dissertation^ sur le> ivont ■. Etna 9 oiJk 
il prouvoit y d'après les dates de» :érupt»Ofis !et la na* 
ture db leurs* laves , cpié Je monde ne poiivbit pasavcÀf 
moins de quatorze miSe ai}s> la cour lui fi.t dire dé se 
taire, et que l'arche sainte avoit aussi ses éruptious. II se 
le tint pour (£t. C'est lùi-méine.qui a conté (ietté anec- 
dote au chevalier de la Tremblaye» , 

— ^ Marivaux disoit que le stj^le a un sexe y et qu!oQr 
reconnoissoit les femmes^ à une phrase». 

— On avoit diit à im rqkM, Satrd^igiie cpe h nor* 



:^5o CARACTÈRES 

blesse de Sarvcâe étcât trè»-pauvre. Un jour plusieurs 
gentildiommes, apprenant que le roi passoit par je ne 
^ais quelle ville , vinrent lui faire leur, cour en habits de 
gala magnifiques. Le roi leur fit entendre qu'ik né* 
tment pas aussi pauvres qu'on le disoiu Sire y rëpondi- 
reiit4Is , nous avons appris Fârrivëe de votre fnajesté ; 
nous avons fak tout ce que nous délions, mais nous 
devons tout ce que nous avons fait. 
; -^ On condamna en même temps le livre de ï Esprit 
tt le poëme de la Pucêllê* Ils furent tous les deux 
défendus en Suisse. Un magbtrat.ide Berne , après une 
grandeTecfaerehe def ces dèuJc ouvrages , écrivit au sénat : 
Non» n'avons trouvé dans tout le xanton ^ ni Esprit 

ni Pucelle* 

. ^ iTappdle tm honnête homme 'celui 'à qui-^ le récit 
d'une boiincl action rafraichic le sang, et un malhonnête 
celui qm'cherche chicane à une bonne action. C'est un 
6K>t de M: -^ Maïrad. 

— La Gabrielli, célèbre chanteuse , ayant demandé 
dnq mille >âu^|sr/à l'impératrice , pour •chanter deux 
mois à :PétërdMUt^ , rimpéfatrice répondit : Je ne paie 
sur ce piied-Jà'aAlK^un^de lnes*feId«maréohaux. En ce cas^ 
dit la Qabrielfi^jvoitrê tnajeslé n-a qu'à faire chanter 
ses feld <^ inàt^cl^ar.oL'impét«tr^ les cinq mille 

ducats. •'•.•• '■■-'•■ ■ -■ ^ •' 

*-^ Madame diriD'.^é.'dismt de M.... qu'il éloit aux 
petits soins pour déplaire. 

— rLes athééàscttit'uà^ilieûrrê compagnie pour moi, 
disoit M. D.,.., que céu<^ôicrôîciit en Dieu. A la vue 
d'un athë^>, tOUJfes tes déitni épreuves de Texistence de 



ET ANECDOTES. :i3l 

Dieu me viennent a l'esprit j et , à la vue d^M^ crpjfipt , 
toutes les demi-preuves, contre sQft ei^n^iBÇ^ ?ç PT^f!^ 
tent à moi en foule. 

— M.... disoit : On m'a dit du mal de .Rf. 4?-iM» i'ft^r 
rois cru cela il y a six mois ; mais novis ^mpie^ r^qQUr 
ciliés. 

à 

— Un jour que quelques conseillers parlpiept ifp , pei| 
trop haut à l'audience, M. de Harlay, premier pré^dpnt^ 
dit : Si ces messieurs qui causent De faî^iept. p^s plu^^ 
de bruit que ces messieurs qui dorment , çelfi ^ç(;am- 
moderoit fort ces ines^ieyrs qui ecputiçnt* 

— Colbert disoit, à prppos de l'ipdiistrie dé b na- 
tion , que le Français çbapgeroit le^ irocbçrs en or ^ si 
on le laissoit £»re. 

— Un certain marchand 9 ayocal;^ hpi^mç d'eaprit^ 
disoit : On court les risques dud^oût .en.yçya^t çqwat- 
ment l'administration, la justice et laouisp^ç s^ prér 
parent. .. 

-^ Je sais ?ne 3uJ[Gre,.fli^it M—n .et djin? l'ocGasIoi^ 
je saurai bien me passer de moi» vo^lafit dj^e çfj^'fj^vfm^ 
roit sans chagrin. .;,.'. 

— Une idée qui se mofttrç (dt^inç foji^ nî^ipa 41P mpnr^r 
ge, surtout à peu dedistance , disdit M;.f» me i^l^ JT^ffitt 
de ces gens qui, après avoir pria çougé, f*^t|^|g^t pouf 
reprendre leur épée ou leur cb0peîai;t. „.. . 

— Je joue aux échecs à vjpgl; -qi^atrp #QUs f}^s, im 
salon où le passe-drj;^ est ^ cent ]puis^ dispi^ uin général 
employé dans une guerre difficile jet ingrate, t^^ qu/$ 
d'autres faisoiept des campçignes faciles et briUantea' 

— Mademoiselle du Thé, ayant perdu ua de ses 



% 



tr^ 



:a5:2 caractères 

amans , et cette aventure ayant fait du bruit, un homme 
qui alla la voir la trouva jouant de ]a harpe, et lui dit 
avec surprise : Eh ! mon Dieu ! je m'attendois à vous 
trouver dans la désolation. Ah ! dit-elle d'un ton pa- 
thétique , c*est hier qu'il falloit me voir. 

— La marquise de Saint-Pierre étoit dans une société 
àh. - on disoit que M. de Richelieu avoit eu beaucoup 
de femmes sans en avoir jamais aimé une. Sans aimer! 
c'est bientôt dit, reprit-elle ; moi je sais uiae femme jpoùr 
laquelle il est revenu de trois cents lieues. Ici elle ra- 
conte rhistoire en troisième persoiahe, et, gagnée par 
sa narration : Il la porte sur le lit avec une violence 
incroyaUe, et nous y sommes restés trois jours. 

-^ On faisoit une question épineuse à M.... , qui ré- 
pondit : Ce sont de ces choses que je sais à merveille 
quand on ne m'en parle pas , et que j'oublie quand on 
me les demande. 

— Le marquis de Choiseuil-Ia-Baume ^ neveu de 
révéque de Ghâlons, dévot et grand janséniste, étant 
très-jeune, devint triste tout-à-coup. Son oncle, l'é- 
véque , lui en demanda la raison : Il lui dit qu'il avoit 
vu une cafetière qu'il voudroit bien avoir, mais qu'il en 
désespéroit. -^ Elle est donc bien chère ? — Oui , mon 
oncle : vingt-cinq louis. — L'oncle les donna à condition 
qu'il verroit cette cafetière. Quelques jours après , il en 
demanda des nouvelles à son neveu. — Je l'ai , mon 
oncle , et la journée de demain ne se passera pas sans 
que vous ne l'ayez vue. Il la lui montra en eflet au sortir 
de la grand'messe. Ce n'étoit point un vase à verser du 
café, c'étoit une jolie cafetière, cW à-dire, limona- 



ET ANECDOTES* 255 

dière , connue depuis sous le nom de madame de Bussi. 
On conçoit la colère du vieil ëvéque janséniste. 

— Je ne vois j^ais jouer les pièces de ***, et le peti 
de monde qrfify a , sans me rappeler le mot d'un major 
de place qui avoit indiqué Texercice pour telle heure. 
D arrive, il ne voit qu'un trompette : Parlez donc > 

messieurs les b , d'où vient donc est-ce que vous 

n'êtes qu'un ? 

— Voltaire disoit du poëte Roi , qui avoit été sou- 
vent repris de justice, et qui sortoit de Saint-Lazare': 
C'est un homme qui a de l'esprit ^ mais ce n'est pas 
un auteur assez châtié. 

— Le marquis de Villette appeloit la banqueroute 
de M. de Guémené, la sérénissime banqueroute. 

— Luxembourg , le crieur qui appeloit les gens et 
les carrosses au sortir de la comédie, disoit , lorsqu'elle 
fut transportée au Carrousel : La comédie sera mal ici ^ 
il n'y a point d'écho. 

— On demandoit à un homme qui faisoit professioti 
d'estimer beaucoup les femmes , s'il en avoit eu beau* 
coup. Il répondit : Pas autant que si je les méprisoîs. 

*— On faisoit entendre à un homme d'esprit qvTû ne 
connoissôit pas bien' la cour. II répondit : On peut être 
très-bon géographe sans être sorti de chez soi. D^An- 
viUe n'avoit jamais quitté sa chambre. 

— Dans une dispute sur le préjugé relatif àtix peines 
infamantes qui flétrissent la famille du coupable, 
M.... dit : C'est bien assez de voir des honneurs et des 
récompenses où il n'y a pas de vertu , sans'qu'îlTàilIe 
voir encore un châtiment où il n'y a pas de crime. 



a54 CARACTÈRES 

— Mylord Tirauley disoit qu'après avoir dlé à uu 
Espagnol ce qu'il ^voit de bon , ce qu'il en restoit ëtpit 
un Portugais. U disoit cela étant ambassadeur qn Por-- 
tugal. . 

,, — M. de L...., pour détourner madame de B.... y 
veuve depuis quelque temps , de l'idée du maidage y lui 
dit : Savez-vpus que c'est une bien belle chose de porter 
le nom d'un homme qui ne peut plus faire de sottises! 
— : Le vicomte de S.-, aborda un jour M. de Vaines , 
€^n lui disant ; Est-il vrai , monsieur, que dans une maison 
où l'on avoit eu la bonté de me trouver de l'esprit, vous 
avez dit que je n'en avois pas du tout? M. de Vaines lui 
répondit : Monsieur, il ny a pas un seul mot de vrai 
dans tout cela \ je ,u'ai jamais été dans une maison où 
Jl'on vous trouvât de l'çsprit , et je n'ai jamais dit que 
vous n'eu aviez pas. : \ 

— M—, me disoit que. ceux qui entrent par écrit 
dans de longues justifications devant le public , lui pa* 
roissoieut ressçn^jler ^ux chiens qui courent et jappent 
après une ch^e de poste» 

— I^'bpmpcie. arrive uovice à chaque âge de la vie. 
—7 Mm.^ disoit à un j^une homme qui ne s'apercevoît 

pas qu'il étoitaimé d'une femme : Vous êtes encore bien 
jeune, vous ne savez lire que les gros caractères. 

— Pourquoi donc, disoit mademoiselle de...., âgée 
de douze ans , pourquoi cette phrase : Apprenjdre à 
mourir? je vois qu'on y réussit très-bien dès la première 
fois. 

— On disoit à M...., qui n'étoit plus jeune: Vous 
n'êtes plus capable d'aimer. Je ne l'ose plus ^ dit-il ^ mais 



ET ANECDOTES. a35 

je me dis encore quelquefois en voyant uuq jolie fenune : 
Combien je laimerois , si j etois plus aimable ! 

—Dans le temps où parut le livre de Mirabeau sur 
lagiotage , dans lequel M. de Galonné est très-maltraité, 
pn disoitpotu-tant, à cause d'un passage contre M. Nec- 
ker, que le livre étoit payé par M* de CaloQoe , et que 
lie mal qu on y disait de lui n avoit d'autre objet que 
de masquer la collusion. Sur quoi, M. de..» dit que 
cela ressembleroit trop à Thistoire du régeat qui avoit 
dit au bal à Tabbé Dubois : Sois bien familier, avec moi 
pour qu'on ne me $pupço)Que pas ^ ^ur quoi l'^bé lui 
donna des coups de pied au c^et |e d^M^^ûar étaQtyU9 
peu fort y le r^eot,; passant ^.main sur son derrière , 
Jui dit : L'abbé, tu me déguises trop. : 

— Je n'aime poinf , dispit M...., ces femmes. im^ 
peccables, au-dessus de toute foible^. JU ip^jsemble 
que je vois sur leur porte le vers du Dante, sur 1^. porte 
de l'enfer.:*. 

Quiche intraùd, lascidie'Ogrdspèremza. 

• - ! ■ , - - » 

' VOUS qui èîQtrè2 ici, laissez toute eJsperance. '" 

C'est Ja devise destlamnés. « . ' , , < /. i : .. 

— J'estinae Iç plus que jp puis, disoit ^^..vy çtoçH 
pendant j'estime peu;, je ^e sais cpmmeuf c^^ Sje (ait» 

— Un,lipmpie d'une fprtune médiocre se fjbargea 
de secourir un malbem^eux, qui 9voi.% çlé iiiyi^ti|epieqt 
recommandé à la bienfaisance d'un grand. ^^^g^^ur Qt 
tj'un fermier-générd^ Je lui. appri^ cçs, deu^ circons- 
tances chargées de détails qui ^ggravoiat^t la.. faute de 
.C€;s depQ^^rs. U mejcépoodft t^anquUleme^t ;JC^^ 



256 CARACTÈRèS 

voudriez-vous que le monde subsistât, si les pauvres 
n'ëtoient pas continuellement occupés à faire le bien 
que les riches négligent de faire, ou à réparer le mal 
qu'ils font? 

— On disoit à un jeune homme de redemander ses 
lettres à une femme d'environ quarante ans , dont il 
àvoit été fort amoureui. Vraisemblablement elle ne lès 
a plus, dit -il. Si fait, lui répondit quelqu'un*, les 
femmes commencent vers trente ans à garder les let- 
tres d-ameur. 

— • M. (fisoît , à propos de Futilité de la retraite et 
de la forée que Tesprit y acquiert : Malheur au poëte 
qui se fait fHser tons lès jours ! Pour &ire de bonne 
besogne , il faut être en bonnet de nuit , et pouvoir 
fidre le tour de sa tête avec sa mûn. 

-— Les grands vendent toujours leur société à la va« 
nité des petits. 

■— C'est une chose curieuse que l'histoire de Port- 
Royal écrite par Racine. H est plsôsant de voir l'auteur 
de Phèdre parler des grands desseins de Dieu sur la 
mère Agnès. 

— D'Arnaud, entrant chez M. le comte de Frise, 
le vit à sa toilette ayant les^q[)aules couvertes de ses 
beaux cheveux. Ah ! Monsieur, dit-il , voilà vraiment 
des cheveux de génie. Vous trouvez? dit le comte. Si 
vous Toulez , je me les fersd couper pour vous en faire 
une perruque, 

— Il n'y a pas maintenant en France un plus grand 
objet de politique étrangère que la connoîssance par- 
faite dç ce qui regarde l'Inde. C'est à cet objet que 



ET ANECDOTES. iiS; 

Brissot de Warville a consacre des années entières; et 
je lui ai entendu dire que M. de Vergennes étoit celui 
qui lui avoit suscité le plus d'obstacles pour le détourner 
de cette étude. 

-^ On diseit h J.-J. Rousseau, qui avoit gagné plu- 
sieurs parties d'écbecs au prince de Conti, qu'il ne lui 
avoit pas Êdtsa cour^ et qu il falloit lui en laisser ga<^ 
gner quelques-unes : Comment! dit -il, je lui donne la 
tour. 

-— -M^.». medisoitque madame de C...., qui tache 
d'être dévote, n'y parviendroit jamsâs, parce que> outre 
la sottise de croire^ il falloit, pour faire son salut, un 
fond de bêtise quotidienne qui lui manqueroit trop sou^ 
vent; et c'est ce fond, ajoutoit-il, qu'on appelle la 
grâce. 

— Madame de Talmont^ voyant M. de Richelieu > 
au lieu de s'occuper d'elle > fsire sa cour à madame de 
Brionne, fort belle femme , mais qui n'avoit pas la répu- 
tation d'avoir beaucoup d'esprit, lui dit ' M. le maré- 
chal, vous n'êtes point aveugle*) mais je vous crois 
un peu sourd. 

— L'abbé Delaville vouloit engager à entrer dans la 
carrière politique M. de. ... , homme modeste et hon- 
nête , qui doutoit de sa capacité et qui se refusoit à. ses 
invitations. Eh! monsieur, lui dit labbé, ouvrez 1'^/- 
manach royal. 

— II y a une farce italienne où Arlequin dit , à pro- 
pos des travers de chaque sexe, que nous serions tous 
parfaits , si nous n'étions ni hommes ni femmes. 

, — Sixte-Quint^ étant pape , manda à Rome un jaco- 



â^8 CARACTÈRES 

bin de Milan , et te laoca comme mauvais adminiâUra^ 
teur de sa maison, en lui rappdant une certaine sfomn» 
d argent qu'il avoit prêtée qmnze ans auparavant à un 
certain cordelier. Le coupable dit : Cela est vrai , c'étoil 
nn mauvais sujet qui m'a escroqué.'— Cest mcH -, dit le 
pape , qui suis ce cordelier ; voilà votre argent ; mais n'j 
retombez plus, et ne prêtez jamais* à des gens di^ cett« 
robe. 

— La finesse et la mesure sont peut-être les qualités 
les plus Usuelles et qui donnent le plus d'avantages dans 
le monde. Elles font cfire des mots qui valent mieux 
quedes saillies. On louoit excessivement dans une so* 
ciéle le miniscère de M. Necker^ quelqu'un, qui appa«- 
refâmeottie r^imoit pas ^ demanda: Monsieur, combien 
de temps est-il resté en place depuis la mort de M., de 
Peaay ? Ce mot, en rappelant que M. Netier étoit l'ou- 
vrage de ce dernier , fit tomber à l'instant tout cet en*- 
thousiasme. 

-^ Le roi de Prusse, vopnt un de ses soldats balafré 
ta visage, lui dit : Dans quel cabaret t'a-t-on équipé de 
la sorte? Dans un cabaret où vous avez payé votre écot , 
4 CoRne, dit le soldat. Le roi, qui avoit été battu à 
t}d[ine, trouva cependant le mot excellent. 

— Christine , reine de Suède, avoit appdié à sa cour 
le célèbre Naudé , qui avoit composé un livre très-savant 
sur les différentes danses grecques, et Meibomius , én>- 
$t allemand , auteur eu Recueil et de la traduction de 
sept auteur^ grecs qui ont écrit sur la musique. Bour- . 
deldt , son premier médedn , espèce de favori et plaisant 
de profession, diemna à la reine l'idée d'engager ces. 



ET ANECD0TB8. ^^" 

deux «svaas , Fan à dianter un air de muskjoe akicienne^ 
et Faulre a le danser. Elle y réussit, et cette farce cou«* 
TTÎt de ridicule les deux savatis qui en avoient ëté les 
auteurs. Naudé prit la plaisanterie en patience; ïnais le 
savant en us s emporta et poussa la colère jusqu'à meur- 
trir de coups de poing le visage de Bourdelot, et , après 
cette équipée , il se sauva de la cour^ et même quitta la 
Suède. 

— M. le chancelier d' Aguesseau ne doana jamais de 
privilège pour l'impression d'aucun roman nouveau, et 
n'accordoit même de permission tacite que sous des 
conditions expresses. Il ne donna à VAlbé Prévôt la per- 
mission d'imprimer les premiers volumes de déveland, 
que sous la condition que Clévelanâ se ferait catholi- 
que au dernier volume. 

— M. • . . disoit de madame la princesse de. ... : C'est 
une femme qu'il faut absolument irMiper ; car elle n'est 
pas de la classe de celles qu'on quitte. 

— Le cardinal de la Roche -Aknon, malade de la 
maladie dont il mourut , se confessa de la façon de je 
ne sais quel prêtre , sur lequd on Itn demanda sa 
façon de penser. J'en suis trè»content, dit -il ; il parle 
de l'enfer comme un ange. 

— On demandoit à La Calprenède quelle étoit l'-étoffid 
de ce bel habit qu'il portoit. t7'est du S^U^andré ^^l-îày 
un de ses romans qui avoit réussi. 

<--- L'abbé de Vteftet changea d^ét«t trè&^soovent. (ki 
appdoit cela les révolutions de r|iU)é de Ver tôt. 

— M.... disoit : Je ne me soucierob pas d'être 
chrétien*, mais je ne serois pas fâché de croire en Dieu. 



a4o caractères 

— 11 est extraordinaire que M. de Voltaire n'ait pib 
mis dans la Pucelle, un fou comme nos rois en avoient 
alors. Cela pou voit fournir quelques traits heureux pris 
<lans les mœurs du temps. 

—M. de...., homme violent, à qui on reprochoit quel- 
ques torts, entra en fureur et dit qu'il iroit vivre dans 
une chaumière. Un de ses amis lui répondit tranquille- 
ment : Je vois que vous aimez mieux garder vos dëfàUts 
que vosàmisr 

— Louis XIV , après la bataille de Ramillies dont il 
vaiCHt d apprendre le détail , dit : Dieu a donc oublié 
tout ce que j'ai fait pour lui ? ( Anecdote contée à M. de 
.Voltaire par un vieux duc de Brancas» ) 

— Il est d'usage en Angleterre que les voleurs dé- 
tenus en prison et sûrs d'être condamnés vendent tout 
ce qu'ils possèdent, pour en faire bonne chère avant de 
mourir. C'est ordinairement leurs chevaux qu'on est le 
plus empressé d'acheter, parce qu'ils sont pour la plu- 
part excëllens. Un d'eux, a qui un lord demandoit le 
sien, prenant le lord pour quelqu'un qui vouloit faire 
le métier , lui dit : Je ne veux pas vous tromper ^ mon 
cheval, quoique bon coureur, a un très -grand dé- 
faut, c'est qu'il recule quand il est auprès de la por* 
tièrè. 

— Oh ne distingue pas aisément l'intention de l'au- 
teur dans le Temple de Gnide, et il y a même quel- 
qu'obscurité dans les détails ; c'est pour cela que ma- 
dame du Défiant , l'appeloit \ Apocalypse de la galan- 
terie. 

— On disoit d'un certain homme qui répétoil à dif- 



ET ANECDOTES. it^i 

ferentes personnes le bien qu'elles (fisoîent Tune dà 
Faulre, qu'il étoit tracassier en bien. 

— Fox ayoit emprunté des sommes immenses à dif* 
férens Juifs, et se flattoit que la succession d'un de ses 
oncles paieroit toutes ces dettes. Cet onde se maria et 
eut un fils ; à la naissance de Tenfant , Fox dit : C'est le 
Mesâe que cet enfant ; il vient au monde pour la des-> 
truction des Juifs. 

— M. Dubuc disoit que les femmes sont si décriées 
qu'il n'y a même {dus d'hommes à bonnes fortunes. 

— Un homme disoit à M. de Voltaire qu'il abusoît 
du travail et du café , et qu'il se tuoit. Je suis né tué , 
répondit-il. 

-— Une femme venoit de perdre son mari. Son con- 
fesseur, ad honores^ vint la voir le lendemain et la 
trouva jouant avec un jeune homme très-bien mis. Mon* 
âeur, lui dit -elle, le voyant confondu, si vous étiez 
Tenu une demi-heure jJus tôt , vous m'auriez trouvée les 
yeux baignés de larmes; mais j'ai joué ma douleur coa^ 
tre monsieur , et je l'ai perdue. 

— On disoit de l'avant - dernier évéque d' Autun , 
monstrueusement gros , qu'il avoit été créé et mis au 
monde pour faire voir jusqu'où peut sUgt la peau 
humaine. 

— M.... disoit, à propos de la manière dont on vît 
dans le monde : La société seroit .une chose charmante» 
si on s'intéressoit les uns aux autres. 

•— - Il paroît certain que l'homme au masque de fer 
est un frère de Loui» xiv : sans cette explication , c'est 
un mystère absurde. U parent certain non -seulement 
IL 16 



34^ CARACTÈRES 

que Mazarin eut la reiue, mais, ce qui est plus incon- 
cevable, qu'il étoit marié avec elle; sans cela, comment 
expliquer la lettre qu il lui écrivit de Cologne , lors- 
qu'apprenant qu'eUe avoit pris parti sur une grande 
affaire , il lui mande : « H vous convient bien , mada-i 
)) me , etc. ? » Les vieux courtisans racontent d'ailleurs 
que, quelques jours avant la mort de la reine, il y eut 
une scène de tendresse , de larmes, d'explication entrQ 
la reine et son fib j et l'on est fondé à croire que c'esl 
dans cette scène que fut faite la confidence de la mèrt 
au fils. 

— Le baron de la Houze , ayant rendu quelques ser*» 
vices au pape Ganganellî, ce pape lui demanda s'il pou- 
voit faire quelque chose qui lui fût agréable. Le 
baron de la Houze , rusé gascon, le pria de lui faire 
donner un corps saint» Le pape fut très-surpris de cette 
demande de la part d'un Français. Il lui fit donner ce 
qu'il demandoit. Le baron, qui avoit une petite terre 
dans les Pyrénées , d'un revenu très-mince, sans dé- 
bouché pour les denrées , y fit porter son saint , le fit 
accréditer. Les chalans accoururent, les miracles arri- 
vèrent , un village d'auprès se peupla, les denrées aug- 
mentèrent de prix , et les revenus du baron triplèrent, 

— Le roi Jacques, retiré à Saint - Germain , et vi- 
vant des libéralités de Louis xiv , venoit à Paris pour 
guéiir les écrouelles qu'il ne touchoit qu'en qualité de 
roi de France. 

— M. Cérulti avoit fait une pièce de vers où il j 
avoit ce vers : 

Le vieillard de Ferney; celui de Pont^-Chartraio. 



1^ 



ET ANECDOTES. 2^5 

D^AIembert, en lui renvoyant le manuscrit , changea le 
vers ainsi : 

Le vieHIard de Femey, le \fîeux de Pont-Chartrain. 

"-— M. de B...., âge de cinquante ans , venoit d'épouser 
mademoiselle de C. . . . , âgée de treize ans. On disoit de 
lui, pendant qu il soUicitdit ce mariage , qu'il demandoit 
la survivance de la poupée de cette demoiselle. 

-— Un sot disoit au milieu d'une conversation : U me 
vient une idée. Un plaisant dit : J'en suis bien sur- 
pris. 

^ — MUord HamUton , personnage très-singuUer , 
étant ivre dans une hôtellerie d'Angleterre, avoit tué 
un garçon d'auberge et étoit rentré sans savoir ce qu'il 
avoit fait. L'aubergiste arrive tout effrayé et lui dit : 
Milord, savez -vous que vous avez tué ce garçon ? Le 
lord lui répondit, en balbutiant : Mettez-le sur la carte. 

— Le chevalier de Narbonne , accosté par un im- 
portant dont la familiarité lui déplaisoit, et qui lui dit, 
en l'abordant : Bonjour, mon ami, comment te por- 
tes-tu ? répondit : Bonjour , mon ami , comment t'ap- 
pelles-tu ? 

— Un avare souffi*oit beaucoup d'un mal de dent ; 
on lui conseilloit.de la faire arracher : Ah ! dit-il, je 
vois bien qu'il faudra que j'en fasse la dépense. 

— On dit d'un homme tout-à-fait malheureux : Il 
tombe sur le dos et se casse le nez. 

-— Je venois de raconter une histoire galante de ma- 
dame la présidente de , et je ne l'avois pas nommée. 

M reprit naïvement ; Cette présidente dé J^rnîère 



^44 CARACTÈRES 

dont vous venez de parler Toute la société partîi 

d'un ëclat de rire. 

— M...... disoit , à son retour d'Allemagne : Je ne 

sache pas de chose à quoi j^eusse été moins pix)pre qu'à 
être un Allemand. 

— Le roi de Pologne Stanislas avançoit tous les jours 
l'heure de son dîner. M. de la Galaisière lui dit à ce 
sujet : Sire , si vous continuez , vous finirez par dîner 
la veille. 

-^ M me disoit , à propos des fautes de régime 

qu'il commet sans cesse , des plaisirs qu'il se permet et 
qui rempecheût seuls de recouvrer sa santé : SansBaK)i ^ 
je me porterois à m^rveiDe. 

-^ Un catholique de Breslatt vola , dans une église 
de sa communion , des petits cœurs d'or et autres offhdti'^ 
de&. Traduit en justice , il dit qu'il les tient de la Vierge. 
Oti le coûdsuntie. La sentence est envoyée au roi de 
Prusse pour là signer , suivant l'usage. Le roi ordonne 
une assemblée de théologiei» pour décider s'il est ri^ 
goiu'eusement impossible que la vierge fasse à un dévot 
catholique de petits présens« Les théologiens de cette 
communion , bien embarrassés , décident que la chose 
n'est pas rigoureusement impossible. Alors le roi écrit 
$u bas de la sentence du coupable : Je fais grâce au 

nommé N \ mais je lui défends , sous peine de la 

vie , de l'ecevoir désof mi&s aucune espèce de cadeau 
de la vierge ni des sainte. 

-— M^ l'évêquede L.,.>.. étant à d^euner , il lui vint 

en visite l'abbé de ; l'évéque le prie de déjeuner , 

l'abbé refoscw Le prélat insiste ; Monseigneur , dit Tab- 



ET ANECDOTE», a45 

bé 9 f ai déjeuné deux fois , et d'aiUeurs ç est aujourd'hui 
jeûne. 

— • M. de Voltaire , passant par $oisi3on9 , reçut la 
vi^te des députés de racadémiede$oisson3»qui(^ieot 
^e cette académie étoit la fille aînée de racadémie 
française. Oui , messieurs , réponditril , la fille aînée , 
fille sage, fille honnête» qui na jaipaû» fait parler 
d'elle. 

— L'évêqiie J Arras , recevant dans w cathédrale 1er 
corps du maréchal de Levi ^ dit 9 en mettant la main 
sur le <;ercuei| ; Je le possède enfin cet homme Ter* 
tueux. 

— Madame 1^ princesse de Can ti , .fille de Xioius x iv, 
aysâot TU madame la dauphine de Bavière qui doniioît , 
ou faÎBoit semblant de dormir ^ dît., après Taveir consi-* 
dérée : Madame la dauphine est encore phis laide en 
dormant que lofïsqu/^e veille. Madame la daupiiine^ 
prenant la parole sans faire te moindre mouveinent , lui 
répondit : Madame , tout le monde n'est pas enfant de 
famour. 

— Un Américain , ayant vu six Anglais sépai^s de 
leur troupe , eut Faudace inconcevable de leur courir 
sus , d'en blesser deux , de désarmer les autres, et de les 
amener au général Washington. Le général lui de- 
manda comment il avoit pu faire pour se rendre maître 
de six hommes. Aussitôt que je les ai vus , dit-il , j'ai 
couru sur eux , et je les ai environnés. 

— Dans le temps qu'on établit plusieurs impôts qui 
portoient sur les riches , un nnlUonnaire , se trouvant 
parmi des gens riches qui se plaignoient du malheur 



246 CARACTÈRES ET ANECDOTES. 

des temps , dit : Qui est-ce qui est heureux dans ces 
temps-ci? Quelques misérables. 

-— Ce fut l'abbé S.... qui administra le viatique à 
l'abbé Pédot dans une maladie très-dangereuse , et il ra- 
conte qu'en voyant la manière très-prononcée dont 
celui-ci reçut ce que vous savez , il se dit à lui-même : 
S'il en revient , ce sera mon ami. 

— • Un poëte coDsultoit Chamfort sur un distique : 
Excellent , répondit-il , sauf les longueurs. 

•— Rullière lui disoit un jour : Je n'ai jamais fait 
qu'une méchanceté dans ma vie. Quand finira- t-elle ? 
demanda Chamfort. 

— M. de Yaudreuil se plaignoit à Chamfort de son 
peu de confiance en ses amis. Vous n'êtes point riche y 
lui disoit-il , et vous oubliez notre amitié. Je vous pro- 
mets, répondit Chamfort, de vous emprunter vingt-» 
cinq louis quand vous aurez payé vos dettes. 



FIN DES CARACTÈRES ET ANECDOTES. 



MUSTAPHA 



ET 



ZÉANGIR, 



Tragédie représentée sur le théâtre de la G>mcdie 
Française, le i5 décembre 1777. 



»#<»#»»#»»*»»<»»^»^»^»*»**'**^^****'»^**»*»**^ ^m^mimmmmmmmmimmmmmmm 



PERSONNAGES. 

SGL19&AS y ttupeieor des Turcs. 

ROXELAIŒ, épouse de SoHmaii. 

MUSTAPHA, fils aine de SoKniaiiy maïs d'une antre fiemme^ 

ZÉANGIRy fils de Sotiman et de Roxelane. 

AZiÉMIRE, princesse de Perse. 

OSMAN, grand-¥isnr. 

ALI 9 dief des Janissaires. 

ACHMET, ancien g ouve rne u r de Bfust^hu 

FÉUME, confidente d'Azémire. 

IfESSIE, GAEDES. 



La fcène est dans le téDÛl de OmsuntinoDle, antrcBent 



> u i ^ > r i r<^if f i rrrrm .->>-i^ ■■«■■»«■»■ «■«■ ■■•■•■■■»i^i»^^>^é 



MUSTAPHA 

ET ZÉANGIR, 

TRAGÉDIE. 



ACTE PREMIER. 

SCÈNE PREMIÈRE. 

ROXELANE, OSMAN. 

OSMAN. 

(y m y madame, en secret le sultan vient d'entendre 
Le récit des succès que je dois vous apprendre^ 
Les Hongrois sont vaincus , et Témeswar surpris, 
Garant de ma victoire , en est encor le prix. 
Mais, tout près d'obtenir une gloire nouvelle. 
Dans Byzance aujourd'hui tfael ordre me rappelle? 

ROXELANE. 

Eh quoi! vous Pignorez!.... Oui, c'est moi seule ^ Osman^ 

Dont les soins ont hâté Tordre de Soliman. 

Yisir , notre ennemi se livre à ma vengeance^ 

Le prince, dès ce jour, va paroitre à Byzance« 

Il revient : ce moment doit décider enfin 

Et du sort de l'empire et de notre destin. i 

On saura si , toujours puissante , fortunée , 

Roxelane , vingt ans d'honneurs environnée , 



i5o Mustapha 

i)m vît cla mtmâe entier l'arbitre à ses gendta. 
Tremblera sous les lois dvt fils ie son époux; 
On si de Zéangir l'heureuse et tendre mëre , 
Dans le sein des grandeurs achevant sa carrière , 
Dictant les volontés d'un fils respectueux. 
De l'univers encof attachera les yeux. 

OSMAN. 

Que n'ai-je , en abattant une tête ennemie i 
* Assuré d'un seul coup vos grandeurs etma vie! 
Xosois vous en flatter : le sultan soupçomieiix 
M'ordonnoit de saisir un fils victorieux. 
Dans son gouvernement, au sein de l'Amasîe. 
Je pars sur cet espoir : j'arrive dans l'Asie : 
Xj vois notre ennemi des peuples révéré , 
Chéri de ses soldats, partout idolâtré; 
Ma présence effrayoit leur tendresse alarmée , 
Et, si le moindre indice eût instruit son armée 
De l'ordre et du dessein <pii oonduisoient mes pas. 
Je périssois^ madame , et ne vous servois pas. 

BOXELANE. 

Soyez tranquille, Osman , vous m'avez bien servie : 
Puisqu'on l'aime à ce point , qu'il tremble pour sa vie. 
Je sais que Soliman n'a point, dans ses rigueurs, 
De SCS cruels aïeux déployé les fureurs; 
Que souvent , près de lui , la terre avec surprise 
Sur le trône ottoman vît la clémence assise; 
Mais, sll est moins féroce, il est plus soupçonneux. 
Fins despote, plus fier , non moins terrible qu'eux. 
Tigoore si, d'ailleurs, au comble de la gloire. 
Couronné quarante ans des mains de la victoire, 
3ans regret par son fils un përe est égalé; 



.«< 



ET ZÉANGIK. aSl 

Mais le fils est perdu , si le père a trembla. 

OSMAN. 

Ne m'écrîvez-vous point qu'une lettre surprise , 
Par une main vénale entre vos mains remise , 
Du prince et de Thamas trahissant les secrets. 
Doit prouver qu'à la Perse il vend nos intérêts? 
Cette lettre, sans doute, au sultan parvenue.... 

ROXELANE. 

Cette lettre, vîsir, est encore inconnue. 

Mais apprenez quel prix le sultan , par ma voix , 

Annonce en ce moment au vainqueur des Hongrois. 

De ma fille , à vos vœux par mon choix destinée , 

Il daigne à ma prière approuver lliyménée , 

Et ce nœud sans retour unit nos intérêts. 

J'ai pu , jusqu'aujourd'hui , sans nuire à nos projets , 

Dans le fond de mon coeur ne point laisser surprendre 

Tous les secrets qu'ici j'abandonne à mon gendre. 

Écoutez : Du moment qu'un hymen glorieux 

Du sultan pour jamais m'eut asservi les vœux , 

Je redoutai le prince : idole de son père , 

Il pouvoit devenir le vengeur de sa mëre j 

n pouvoit.... Cher Osman , j'en frémissois d'horreur. 

Au faite du pouvoir, au sein de la grandeur; 

Du sérail, de l'état souveraine paisible , 

Je voyois dans le fond de ce palais terrible 

Un enfant s'élever poiu* m'imposer la loi : 

Chaque instant redoubloit ma, haine et mon effroi. 

Les cœurs voloient vers lui : sa fierté, son courage, 

Ses vertus s'annonçoient dans les jeux de son âge , 

Et ma rivale, un jour , arbitre de mon sort , 

M'eût présenté le choix des fers ou de la mort. 



^$2 MUSTAPHA 

Tandis que ces dangers occupoient ma prudence f 
Le ciel de Zéangir m'accorda la naissance. 
Je triomphois , Osman, j^étois mëre; et ce nom 
Ouvroit un champ plus vaste à mon ambitioB. 
Je cachai toutefois ma superbe espérance; 
t)e mon fils près du prince on éleva l'eli&nce. 
Et même l'amitié , vain fruit des premiers ans. 
Sembla mêler son charme à leurs jeux innocens. 
Bientôt mon ennemi , plus âgé que son frëre , 
S'enflanunant au récit des exploits de son père. 
S'indigna de languir dans le sein du repos y 
Et brûla de marcher sur les pas des héros. 
Avec plus d'art alors cachant ma jalousie y 
Je fis à son pouvoir confier l'Amasie; 
Et, tandis que mes soins l'exiloient prudemment. 
Tout l'empire me vit avec étonhement 
Assurer à ce prince un si noble partage, 
De l'héritier du trâne ordinaire apanage; 
Sa mëre auprès de lui courut cacher ses pleurs. 
Mon fils , demeuré seul , attira tous les cœurs : 
Mon fils à ses vertus sait unir l'art de plaire : 
Presqu'autant qu'à moi-même il fut cher à son père. 
Et, remplaçant bientôt le rival que je crains, 
Déjà , sans les connoître , il servoit mes desseins» 
Je goùtois, en silence, une joie inqiûëte; 
Lorsque , las de payer le prix de sa défaite, 
Thamas à Soliman refusa les tributs , 
Salaire de la paix que l'on vend aux vaincus. 
^ Il fallut poui^arbitre appeler la victoire. 

Le prince , jeune , ardent , animé par la gloire , 
Brigua près du sultan l'honneur de commande^ : 
Aux vœux de tout l'empire il me fallut céder. 
Eh! qui savoit , Osman ^ si la guerre inconstante , 



SX ZÉANGIR. a^55 

Punissant d'un soldat la valeur imprudente , 

I^'auroit pu?.... Vain espoir! les Persans terrassés , 

Trois fois dans leurs déserts devant loi dispersés; 

La fille de Thamas aux chaînes réservée , 

Dans Tauris pris, d'assaut par ses mains enlevée t 

Ces rapide^ exploits l'ont mis , des son printemps | 

Au rang de c^s héros, honneur des Ottomans.... 

«Peu rends grâces au ciel...,. Oui, c'est sa renommée. 

Cet amour , ces transp<Hrts du peuple et de l'armée » 

Qui , d'un maître superbe aigrissant les soupçons , 

A ses regards jaloux ont paru des affronts. 

Il n'a pu se contraindre; et son impatience 

Rappelle , sans détour , le prince dans Byaince : 

Je m'en applaudissois , quand le sort dans mes maina 

Fit passer cet écrit propice à mes desseins. 

Je voulois au sultan^ contre un fils que j'abhorre. < 

Il faut que ce billet soit plus funeste encore; 

Le prince est violent et son malheur l'aigrit; 

Il est fier, inflexiUe , il me hait.... H suffit. 

Je sais l'art de pousser ce superbe courage 

A des emportemens qui serviront ma. rage ; 

Son orgueil finira ce que j'ai commencé. 

OSMAK. 

Hâtez-vons : qu'à l'instant Farrêt soit prononcé, 
Avant que l'ennemi que vous voulez proscrire 
Sur le cœur de son père ait repris son empire. 
Mais ne craignez-vous point cette ardente amitié 
Dont votre fils, madame , à son firere est lié? 
Vous-même , pardonnez à ce discours sincère , 
Vous-même , l'envoyant sur les pas de son firëre , 
D'une amitié fatale avex serré les nœuds- 



!.*• 



254 MUSTAPHA 

ROXELANE. 

Eh quoi! falloîtp-il donc qu'enchaîné dans ces lieux ^ 
Au sentier de l'honneur mon fils n'osât paroitre? 
Entouré de héros, Zéangir voulut l'être. 
Je l'adore , il est vrai; niais c'est avec grandeur. 
J'approuvai , j'admirai, j'excitai son ardeur : 
La pohtique même appuyoit sa prière : 
Du trône sous ses pas j'abaissois la barrière. 
Je crus que, signalant une heureuse valeur, 
Il devoit à nos vœux promettre un empereur 
Digne de soutem'r la splendeur ottomane. 
£h ! comment soupçonner qu'un fils de Roxelane , 
Si près de ce haut rang, pourroit le dédaigner , 
Et former d'autres vœux que celui de régner? 
Mais, non : rassurez-vous; quel excès de prudence 
Redoute une ancûtié, vaine erreur de l'enfance. 
Prestige d'un moment, dont les foibles lueurs 
Vont soudain disparoitre à l'éclat des grandeurs? 
Mon fils.... 

OSMAN. 

Vous ignorez à quel excès il l'aime. 
Je ne puis vous tromper ni me tromper moi-même i 
Je déteste le prince autant que je le crains : 
Il doit haïr en moi l'ouvrage de vos mains , 
Un visir qui le brave et bientôt votre gendre. 
D'Ibrahim qu'il aimoit il veut venger la cendre. 
Successeur d'Ibrahim , je puis prévoir mon sort. 
S'il vit, je dois trembler; s'il règne , je suis mort : 
Jugez sur ses destins quel intérêt m'éclaire. 
Perdez votre ennemi; mais redoutez son frère : 
Par des nœuds étemels ils soat unis tous deux. 



ET ZÉA19GtR. ^^55 

ROXELANE. 

Zéangîr!.... ciel! mon fils!.... il trahiroit mes vœux! 
Ah ! s'il étoit possible. • • . Oui , malgré ma tendresse. ... 
Je suis mëre, il le sait, mais mëre sans foiblesse. 
Ses fi-ivoles douleurs ne pourroient m'alarmer^ 
£t mon cœur en Faimant sait comme il Ëiut l'aimer. 

OSMAN. 

II est d'autres périls dont je dois vous instruire. 
Je crains que, dans ces lieux, cette jeune Azémire 
^'ouvre à i'amour enfin le cœur de votre fil$. 

ROXELANE. 

J'ai mes desseins, Osman. Captive dans Taïuîs, 
Je la fis demander au vainqueur de son père : 
La fille de Thamas peut m'étre nécessaire. 
Vous saurez mes projets , quand il en sera temp. 
Allez, j'attends nion fils ; profitez des instans : 
Assiégez mon époux } sultane et belle-mëre , 
Jusqu'au moment fatal je dois ici me taire ^ 
Parlez : de ses soupçons nourrissez la fureur : 
C'est par eux qu'en secret j'ai détrui dans son cœur^ 
Ce fameux Ibrahim , cet ami de son maître , 
S'il est vrai toutefois qu'un sujet puisse l'être. 
Plus craint, notre ennemi sera plus odiQ^x. 
Du despotisme ici tel est le sort aiSreux : 
Ainsi que la terreur le danger l'environne : 
Tout tremble à ses genoux; il tremble sur le trône. 
On vient. C'est Zéangîr. Un instant d'entretien , 
Me dévoilant son cœur, va décider le mien. 



:i58 MU&TAPHA 

Que depuis son rappel, ses délais, qu'on redoute, 
Sur lui, sur ses desseins ne laissent aucun doute. 
Mais tremblèt tfoe son përe aujourd'hui ^ dam ceê lii^ttt , 
N'ait d« h trafaÎMn k preuve sonssei yeux. 

2ÉANGIR. 

Quoi!.... non, je ne crains rien, rien que la calomnie. 
Rougissez du soupçon qui veut flétrir sa \ie : 
U est indigne , afireux. 

ROSCÈLAIIE. 

Modérez-vous, mon fils. 
Eh bien! ndll^ poti)rrblis Vtoir nos doutés tfelaincis. 
Cependant VttHis ëeviés j ft^ii &ut ici lé diiis , 
Excuser une erreur qui vous donne un empire. 
Vous le sacrifiez : quel repentir un jour!.... 

ZÉAIfGIR. 
Moi! jamais. 

BOXELANE. 

Prévenez ce (îineste retour. 
Quel fruit de mes travaux! Quel indigne salaire! 
Savez-vous pour son fils ce qu'a fait votre mère ? 
Savez-vous quels degrés , préparant ma grandeur , 
D'avancé, par mes soins , fotidoietit votre bonheur? 
Née , OH vous l'a pu dire , au sein de l'Italie , 
Surprise sur les mers qui baignent ma patrie^ 
Esclave ^ je parus aux yeux de Soliman : 
Je lui plus : il pensa qu'éprise d'un sultan , 
M'honorant d'un caprice , heureuse de ma honte , 
Je briguerois moi-même une défaite prompte. 
Qu'il se vit détronipé ! ma main , ma propre main^ 
Prévenant mon outrage > alloit percer mon sein : 



ET ÏÉANGIR. 259 

ïl pâlit à mes pieds, il connut sa maîtresse. 
Ma fierté , son estime accrurent sa tendresse : 
Je sus m'en prévaloir i une orgueilleuse loi 
Défendoit que Thymen assujettît sa foi; , 

Cette loi fut proscrite , et la terre étonnée 
Yit un sultan soumis au jbug de ni3rménée : 
Je goûtai , je l'avoue, un instant de bonheur; 
Mais bientôt, mon cher fils, lasse de ma grandeur ^ 
Une langueur secrète empoisonna ma vie : 
Je te reçus du ciel , naon âme fut remplie. 
Ce nouvel intérêt, siléndre, si {pressant, 
Képandit sur mes jours un charme renaissant; 
J'aimois plus que jamais ma nouvelle patrie ; 
La gloire vint parler à mon âme agrandie; 
J'enflammai d'un époux l'heureuse ambition : 
Près de son nom peutnétre on jylacera mon nom. 
£h bien ! tous ces surcroîts de gloire, de puissance, 
C'est à toi que mon cœur les soumettoit d'avance ; 
C'est pour toi que j'aimois et Pelhpire et le jour; 
£t mon ambition n'est qu'un excès d'amour. 

ZÉAJMGIR. 

Ah! vous me déchirez.... Mais quoi! que faut-il Ëiîre? 
Faut- il tremper mes mains dans le sang de naon frère, 
Moi qui voudrôis pour lui voir le mîett r^âtodu? 

ROXELANE. 

Quoi! vous l'aiiXLéz ainsi? Dieu! qixd charme incomta 
Peut lui donner sur vous cet excès 4e puissance? 

ZÉATfGIR. 

Le charmé dès vertus , de la ^^è(:minoissance ^ 
Celui dé l'amîtîé. . . . Vous mè glacéi fféiR-di. 



:26o MUSTAPHA 

ROXELANE. 
Adieu. 

ZÉANGIR. 
Qu'allez-vous faire? 

ROXELANE. 

Il est afiEreux pour moi 
D^avoir à séparer mes intérêts des vôtres : 
Ce cœur n'étoit pas £ût pour en connoitre d'autres. 

ZËAN6IR. 

Tous fiiyez.... Dans quel temps m'accable son courroux? 
Quand un autre intérêt m'appelle à ses genoux , 
Quand d'autres vœux.... 

ROXELANE. 
Comment! 

ZÉANGIR. 

Je tremble de le dire. 

ROXELANE. 



Parlez.- 



ZÉANGIR. 



Si mon destin m'écarte de l'empire, 
II est un bien plus cher et plus fait pour mon cœur, 
Qui pourroit à mes yeux remplacer la grandeur. 
Sans vous, sans vos bontés je n'y dois pas prétendre j 
Je l'oserois par vous. 

ROXELANE. 

Je ne puis vous entendre^ 
Mais y quel que soit pour vous ce bien si précieux ^ 



ET ZÉANGIR. 261 

Mon fils, il est à vous , si vous ouvrez les yeux. 
Yotre imprudence ici renonce au rang suprême^ 
Vous en voyez le fruit : et dans cet instant même 
11 vous faut implorer mon secours, ma Êiveur : 
Régnez , et de vous seiû dépend votre bonheur, 
£t , sans avoir besoin qu'une mère y consente , 
Vous verrez à vos lois la terre obéissante. 



SCENE IIL 

ZÉANGIR, seul. 

Quels assauts on prépare à ce coeur effrayé ! 
Craindrai-je pour l'amour, tremblant pour Famitié?. 
O mon firëre ! 6 cher prince! après un an d'absence! 
Hâas ! étoit-ce à moi de craindre sa présence? 

J'augmente ses dangers.... je volé à ton secours 

£t c'est ma mère , ô ciel ! qui menace tes jours ! 
Se peut-il que d'un crime on me rende complice , 
£t que je sois formé d'un .sang qui te haïsse? 

SCÈNE îV,;'' 

ZÉANGIR, AZÉMIRE. 

ZÉANGmi ; 

Ah ! priiicesse , apprenez , partagea* ma donleux» 
Ma voix, de la sukane implcuraiit la £siv«ur> . 

J^t de mes feux secrets- découvrant le myst^e,. 

Alloit à mon bonheur intéresser ma mère, 

Quand j'ai compris soudain , sur' un ^^eux discours „ 

Quels périls vont d'un prince environner les jours. 

AZÉMIRE. 
£h quoi ! que faut-fl craindre? Et quel nouvel orage.i..« 



N :•»» ■»/.. 



• ' . • ■" 



202 - mustapha 

zéà'ngir'. 

Sduffrez quVffjtr^.^^ww ^nif, moQ l^f ^ ya^S^^ 
Que d'un frèçe .k vt». yexhx i W oçc^pw vm^ cçhut* 
yous pouvez ^Q Ime/lfi te fiws,,.. 



Moi , seigneur l 

• ■ H ■ 

ZÉANGIR. 

», 

Je ne me flatte point; par lui seul prisonnière^ 
C'est par lui qu'Azemire ést-aiiY inaii» de quétr js^re. 
L'instant ôii jè Voiïs ris -és^mi' malhenr pour vo|i5 % 
£t mon fiti^' est Fobjet d'tm trôp juste ceiiinreu:rv. 

AZÊMiBE. > 



Par mon seul intérêt mon âme prérénftie 

A ses vertus , seiffriéuf, n'a' point fernié ma vue 5 

Je suis loin de haïr un généreux vaincpieur. 

Ses soins ont de mes fers ^v^uci la rigueur; 

II a même permis que nies yeux , dans son âme, 

fissent... quelle anûlip-papt fon &^e re^fia^mel 

ZÉANGIK. 

Ah! que n'avet^oiu» pu Mlr^au ^foààè 80|i.oœur; 
De tous ses sentinmius eèmott^e ]i^gra«iâe«ip! 
Vous sauriez à qme^ poiiii se» amitié' m^ chère. 

... AÏÉRWRB. 

Je vous l'ai dit, seigneur; j'adimire votre frëre ; 
Je sens que son danger doit vous feure frémir. 
QuelǤt-il? .. . ^ i -, ; . . ; .. : 



*r' 



ET zAak^ir: jdS 

ZÉAKGIR. 

On prétend , on ose soutenir 
Qu'avec Thamas , madame, il' est d^nteUigence. 

AEÉMIRE. 
O ciel! qui peut ainsi flétrir son Itmocênce? 

De ces affreux soupçons je coOffeadrai Fauteur. 

Mais, si j'ose, à mon tour , soigneux de mon bonheur..... 

Faut-il que de mes vœux vous le faniez d^ndr'e / 

D'un trop funeste amour qp^ jiçv^^vous attendre ? 

Nos destins par l'hymen peuye^ils être unis? 

Thamas et SoUnian^ étçrnete çjçiiie|]pift| 

Dans le cours d'u9 long règne , illustre; ^paiT- )d gm^i'iC^i, 

De leurs sanglans dëlu^ts ont occupé la terre 5 

Et , malgré ses succès, votre pèr^ , sçigiaei^,^ 

Laisse , au seul nom du mien , éclater sa i^ureur. 

Je vois que votre amour gémjt 4c ce langage;, 

Mais mon cœur, je le sens^ gémijrojt d^yai^i^Ç^., . f 

Si le vôtre, seiçneur.par.le teqip^4çtc<Mï^» 
Me reprochoit l'espoir dçnt il s'est pccup^. 



ZÉAHGlft. - 

Non : je serai t^lqî s^yj ir^Uteur ^.e V^m, «WP^Çcfl^^ 
Cruelle ^ je you^ dois çç^te ^ffreus^ jjuçjip^^ .... 
Mais je veux ^ malgré vous, p^ri^içs soin^ i^CcIPubH^:.». 
Triompher des raisons qu'ici vous rassemblez; 
Et , si dans vos refus votre âme persévère , 
Mes larmea eoukront: àans, h feia. de mpa frère. 



'Yi 



:a64 MUSTAPHA 

SCÈNE V. 

AZÉMIRE, FÉLIME. 

AZÉMIRE. 

Dans le sein ie ton frëre.... ah! sourenir ùlUII 

Pour essuyer ses pleurs, il attend son rival! 

Quelle épreuve ! et c'est moi , grand Dieu! qui la prépare! 

FÉLIME 

Je conçois les terreurs ou votre cœur s'égare; 
Mais un mot, pardonnez , pouvoit les prévenir. 
L'aveu de votre amour.... 

AZÉMIRE. ^ 

Tâi dA le retenir. 
Quand un ordre cruel, m'appelant à Byzance, 
Du prince, après trois mois , m'eut ravi la présence ^ 
Sa tendresse , Félime, exigea de ma foi 
Que ce fatal secret ne fât livré qu'à toi. 
Il craignoit pour tous deux sa cruelle ennemie. 
Est-ce elle dont la haine arme la calomnie 7 
A-t-il pour notre hjmen sollicité Thamas? 
O ciel! que de dangers j'assemhle sous ses pas ! 
Étrange aveuglement d'un amour téméraire ! 
Ces raisons qu'à l'instant j'opposois à son frëre , 
Contre le prince, hélas! parloient plus fortement^ 
Je les sentois à peine auprès de mon amant! 
£t quand plus que jamais ma flamme est combattue , 
C'est l'amour d'un rival qui les offre à ma vue ! 

FÉLIME. 
Je frémis avec vous pour vous-même et pour eux. 



ET ZÉATIGIB. a65 

£h ! qui peut sans douleur voir deux cœurs vertoeiiz 
Briser les nœuds sacrés d'une amitié si chère , 
Et contraints de haïr un rival dans un frère ? 

AZÉMIRE. 

Ah! loin d'aigrir les maux d'un cœur trop agité. 
Peins-moi plutôt, peins-moi leur générosité; 
Peins-moi de deux rivaux l'amitié courageuse | 
De ses nobles combats sortant victorieuse , 
Et d'un exemple unique étonnant l'univers. 
Mais un trône , l'amour, des intérêts si chers.... 
Fuyez , soupçons affreux ; gardez-vous de paroltre ! 
Quel espoir, cher amant, dans mon cœur vient de naître f 
Quand ton frère, à mes yeux partageant mon effroi, 
Au lieu de son amour ne parloit que de toi ! 
L'amitié dans son âme égaloit l'amour même : 
n te rendoit justice , et c'est ainsi qu'on t'aime» 
Tu verras une amante, un rival malheureux , 
Unir pour te sauver leurs efforts et leurs vœux. 
Le del , qui veut confondre et punir ta marâtre , 
Charge de ta défense un fils qu'elle idolâtre. 



I ..• I . t 



2l6$ MUSTAPHA 

I 

ACTE IL 

SCÈNE PREMIÈRE. 

LE PRINCE, ACHMET. 
LE PRINCE. 

Est-ce toi , cher Achmet , que ^'embrasse «ujourd'I^i ^ 
Toi , de mes premiers ans et le guide et Fappui? 
Ah! puisqu'à mes regards o^ perçiet ta présex^ce , 
De mes fiers ennemis jje crains peu la vengeance. 
Par tes conseils pruden3 je puk parer leurs, coups : 
Un si fidèle ami***. 

ACHMET. 

Prince, cjue faites-vous? 
D'un tel excès d'honneur mon âme est accablée. 
Je voudrois voir ma, vie à la votre immolée ^ 
Mais ce titre.... 

LE PRINCE. 

Tes soins ont su le mériter. 
Pour en être plus digne il le faut accepter. 
On m'accuse en ces Heux d'un orgueil inflexible. 
C'est du moins , cher Achmet, celui d'un cœur sensible. 
Je sais chérir toujours et ton zèle et ta foi | 
Et l'orgueil des grandeurs est indigne de moi. 
Voilà donc ce séjour si cher à mon enfance ^ 
Cil jadis !.... Quel accueil après huit ans d'absence I 
Tu le vois^ cet ainsi qu'on reçoit un vainqueur!.... 
On dérobe à mes yeux l'empressement flatteur 



ET ZÉANGIR. ^GfJ 

D'un peùpk àaai la joie honoroit mon entrée. 
Une barque en secret , sur la mer préparée , 
Aux portes du serrail me mène obscurément : 
Un ordre me prescrit d'attendre le moment 
Qui doit m'admettre aux pieds 4e mon juge sévère ; 
Il faut que je redoute un regard de mon père , 
Et que Tainour d'un Bh, muet à son aspect y 
Se cache avec terreur sous un morne re^ecl 

ACHMET. 

Écartez , croyez-moi , cette sombre pensée. 
N'enfoncez point les traits dont votre âme est blessée : 
A vos dangers , au sort con|b|rmez votre cœnr a 
Du joug, sans murmurer^ sc^aSrez la pesanteur : 
De vos exploits, surtout, bannisses la mémoire s 
Plus ^ue vos ennemis , redoutez votre gloire : ' - 
Et, d'un visir jàlocvc confondant les desseins',' - 
Tremblez aux pieds d'un-frAiié âflenni pttr Vos mains. 

* f 

Le lâche! îcPIbrabîm il oecttpe la plaee! ' ' ' ; ' ''^ 

Un jour.... Diroi»-tubîen c|uesaMiperlie Aédaoe, ' '- 

Dans mon camp, sOusWtésryëâk,teiiiIoàdîôtèP des lois > >' 

De vos ressentânoiq, prtiiGes^!élbiiSBE4a.Tixx4 . 






LE PRINCE. . . 

Qui! moi! souffiôr J^i^nre-'etSétschrcr Foffenieli> 
Détester sans courrou^refefrénif 8ant.^<ea9eané8 i..*. ' 
Je le voudrois, eu vain^ n^attotdiipoîiitc»! effart,^** 
Pardonne , cher Achmet, pardonne à ce transport ; 
Je devais , je le sens , vaincre ma violence. 



1 

> f 



>•••« 



^68 MUSTAPHA 

Mais prends pitié d'un coeur déchiré des TenEsnce,' 

Que d'horreur, d'amertume on se plut à nourrir^ 

DW cœur &it pour aimer, qu'on force de haïr* 

£h! qui jamais du sort sentit mieux la colère? 

Témoin , presqu'en naissant , des ennuis de ma mëre^ 

Confident de sei pleurs dans mon sein recueillis , 

Le soin de les sécher (ut l'emploi de son fils. 

Elle fuit avec moi , je pars pour l'Amasie : 

Dès ce moment, Achmet, l'imposture , l'envie , 

Quand je verse mon sang , osent flétrir mes jours : 

Ude indigne marâtre empoisonne leur cours* 

Yaiftqueur dans les comhats, consolé par la gloire , 

Je n'ose aux pieds d'un mattre apporter ma victoire. 

Je m'écarte en tremUant du tràœ paternel; 

Je languis dans l'exil, en craignant mon rappel. 

J'en reçois Tordre , Achmet ; et quand? Lorsque ma mère 

A besoin ile ma main pour ferm^ sa paujnère i 

A cet ordre fiital juge de son effroî; 

Expirante à mes yeux, elle a pâli pour moi; 

Ses soupirs , ses sanglots , ses muettes caresses, 

Remplissoient de terreur nos; dernières tendresses s 

J'ai lu tous mes dangers dans ses regards écrits; 

Et sar son lit de mort. elle a pleuré sfm. fils. 

Ah ! cette image encor me poursuit et m'accable; 

Et tandis qu'occupé d'un devoir lamentable , 

Je recueillois sa cendre et la baignois de pleurs ^ 

Ici l'on accusoit mes coupables lenteurs : 

On cherchoit à douter de mon obéissance : 

Un fils pleurant sa înèrea besoin de démence, 

Et doit justifier, en abordant ces lieux, 

Quelques momens perdus il loi fermer ks yeux ^ 



ET ZÉANGIR. 269 

AGHMET. 

Ah ! d'un nouvel ei&oi vous pénétref mon âme. 
Si votre cœur se livre au courroux qui Tenflamme, 
De la sultane ici soutiendrez-vous l'aspect? 
Feindrez-vous devant elle une ombre de respect? 
N'allez point à sa haine offrir une victime } 
Contenez ^ renfermez l'horreur qui vous anime* 

LE PRINCE. 

Ah ! voilà de mon sort le coup le plus a£Breux. 

C'est peu de l'abhorrer, de parottre à ses yeuxi 

D'étouffer des douleurs qu'irrite sa présence. 

Mon cœur s'est pour jamais interdit la vengeance.' 

Mère de Zéangir , ses jours me sont sacrés. 

Que les miens, s'il le Ssiut, à sa fiireur livrés.... 

Mais quoi ! puis-je penser qu'un grand honmie, qu'un perey 

Adoptant contre un fils une haine étrangère.... 

ACHMET. 

Ne vous aveuglez point de ce crédule espoir : 
Par la mort d'Ibrahim jugez de son pouvoir. 
Connoissez , redoutez votre fiëre ennemie. 
Vingt ans sont écoulés depuis que son génie 
Préside aux grands destins de l'empire ottoman, 
Et , sans le dégrader , règne sur Soliman. 
Le séjour odieux qui lui donna naissance. 
Lui montra l'art de feindre et l'art de la vengeance. 
Son âme aux profondeurs de ses dégnisemens 
Joint l'audace et l'orgueil de nos fiers musulmans. 
Sous tm maître absolu souveraine maîtresse. 
Elle osa dédaigner , même dans sa jeunesse, 
Ce frivole artifice et ces loûis séductenn 



t2jO MUSTAPHA 

Par qui son foible sexe , enchaînant de grands cœnrs^ 

Offre aux yeux indignés la douloureuse image 

D'un héros avili dans un Ibtig esclavage. 

De son illustre époux seconde!- les projets; 

Utile dans la guièire; utile dàiis la paix; 

Sentir aiiisi que lui les fiirëurs de la gloire; 

L'enflammer, le pOUsser de victoire en victoire. 

Voilà par quelle adresse elle a èU l'àsSërvir. 

Sans la braver, du moins, laissez-la vous haïr. 

£h! par quelle imprudence augmentant nos alarmes^ 

Contre voiî^tii^e ici lui dotataèe-voùs des àrtaes? 

LE PRINCE. 
Comment? 

A&HMET. 

Pourquoi , seigneur , tous ces chefs , ces soldats , 
Qui jusqu'au pied des murs ont marché sur vos pas? 
Pourquoi cet appareil qui menace Bjzance , 
Et qui d'un caihp guerrier présente l'apparence? 

LE PRITTCE. 

N'accuse qaé dès tnléns le ttanspoi-t indiscret. 
Aux ordres du sultan j'obéissois , Acfamet; 
J'annonçois mon rappel; et le penple et l'armée, 
Tout frémit : on s'assemble, une troupe alarmée 
M'enviromie, me presse et s'attache à mes pas. 
On s'écrie , en {Retirant , que je cours au trépas : 
Je m'arrache à leUr foule : alors , pleins d'épouvante, 
Furieui , égarés , ils volent à leur tente , 
Saisissent l'étendard , et d'un zële insensé , 
Croyant me suivre , ami , m'ont déjà devancé. 
Pardonne : k tant d'amour, hélas! je fiis sensible. 
Et quel seroit, dis*-moi , le mortel inflexible. 
Qui, sous le poids des maux dont je suis opprimé, 



ET ZÈANGIR. 27X 

Aiiroît fermé son cœur au plaisir d'être aimé? 
Mais mion frère en ceè Itëul tardé bien à paroître. 

aChMët. 

Il s'occupe de vous y quçlque part (fu'il puisse être. 
De sa tendre amitié je me suis tout promis : 
C'est mon plus ferme espoir contre vos ennemis. 

LE PhtNCfi. 

Hélas ! nous m>us aimons dë$ la plus teisdre én&hce • 

£t, de son âge au mien oubliant la distance, 

Nos âmes se cherchoient alors comme aujourd'hui. 

Un charme attendrissant régnoit autour de lui, 

£t, le cogur encor plein des douleurs de ma mère, 

L'amitié m'ajqpeloit au berceau de mon firère. 

Tu lé sais , tu le vis ; et lorsque les combats 

Loin de lui vers la gloire emportèrent mes pas , 

La gloire , loin de lui , mo^ns touchante et moins belle ^ 

M'apprit qu'il est des biens plus désirables qu'elle. 

Il vint la partager. Là victoire deux fois 

Associa nos noms , confondit nos exploits. 

C'étoit le prix des miens , et mon âmie enchantée 

Crut la gloire d'un frère à la mienne ajoutée. 

Mais je té retiens trop. Cours , observe ces lieux : 

Sur les pièges cachés ouvre pour nioi les yeux. 

Aux regards du sultan je dois bientôt paroître : 

Reviens.... J'entends dii bruit. C'est Zéangir peut-être. 

C'est lui. Va , laisse-moi dans ces heureux momens 

Oublier mes douleurs dans ses embrassemens. 



2^!k MUSTAPHA 

SCÈNE IL 

LE PRINCE, ZÉANGIR. 

ZËANGIR. 

Ou trouver?:... C'est lui-même. O mon ami! mon frère! 
Que, malgré mes frayeurs, ta présence m'est chère! 
Laisse-moi, dans tes bras, laisise-moi respirer , 
De èe bonheur si pur laisse-moi m'enivrer! 

LE PRINCE. 

Ah! que mon âme ici répond bien à la tienne ! 

Ami, que ta tendresse égale bien la mienne ! 

Que ces épanchemens ont pour moi de douceurs I 

Pour moi , près de mon frère , il n'est plus de malheurs !. . . 

ZÉANGIR. 
Je comtois tes dangers , ils redonUent mon zèle* 

LE PRINCE, 
Tu ne les sais pas tous. 

ZÉANGIR. 

Quelle crainte nouvelle?...; 

LE PRINCE» 
ZÉANGIR. 



Ecoute. 

Je frémis. 



LE PRINCE. 

Tu vis de quelle ardeur 
Les charmes de la gloire avoient rempli mon cœur j 
Tu sais si l'amitié le pénètre et l'enflanmie: 
A ces doux sentimens dont s'occupoitmon âme, 
Le oiel en joint un autre, et peut-être ce jour...» 



ET ZÉANGm. 275 

ZÉANGIR. 
fii^ bien.-... 

LE PaiNCE. 
Àxfc transport mëconnois-tu l'amour? 

ZÉANGIR. 
'^•'entendsrje? et que! objet?...- 

XTE PRINCE. 

Je prévois tes alarmes. 

• ■ ■ i • 

* ZÉANGIR. 

-Achevée 

LE PKIINCE. 

^ Il te souvient que la faveur des armes 
Dans les murs de Tauris remi( entre mes mains.... • 

ZÉANGIft. 

Azéndre?.... 

LÉ PRINCE. 
Elle-même. 

aÉANCl'R. 

O douleur ! ^6 destins! 

LE PRINÇe. 

ie te i'aVais Inen dit : ta crainte est légitime : 

Je sens que sous mes pas j'ouvre un nouvel abîme. 

Mais c'est d'elle k 'jamais ^e dépendra mon sort. 

C'est pour elle qu'iéî jé Viens b'raVer la mort. 

J^en suis aimé , du moins , et ml teqidresse extrême.. ..•: 

£n croirai-je oaa vue?.... 6'Ciel! c'est elle-même. 



» ; ■ 



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. .1 ■.!;.■ \." 

IL 18 



374 MUSTAPHA 

SCÈNE III. 

LE PRINCE, ZÉANGIR, AZÉMIRE; 

LE PRINCE* 

AzÉMiRE, est-ce «^ous? Qui vous ouvre ces lieux? 
Quel miracle remplit le plus cher de mes vœux ? 
Puis-je enfin devant vous montrer la violence 
D'un amour loin de vous accru dans le silence? 
Comptiez-vous quelquefois, sensible à mes tourmens, 
Des jours dont ma tendresse a compté les momens ? 
J'ose encor m'en flatter^ mais daignez me le dire. 
Yous baissez vos regards , et votre cœur soupire ! 
Je vois.... Ah! pardonnez , ne craignez pointses yeux» 
Qu'il soit le confident , le témoin de nos feux. 
Je vous l'ai dit cent fob, c'est un autre moi-même. 
Ce séjour , cet instant m'offre tout ce que j'aime; 
Mon bonheur est parfait.... Vous pleurez.... tu pâlis.... 
De douleur et d'effroi vos regard» sont remplis.... 

ZÉANGIR. 
O tourmensi 

AZÉMIRE. 
Jour affreux! 

LE PRINCE. 

Quel transport! quel langage! 
Du sort qui me poursuit est-ce vn nouvel outrage? 

ZÉANGIR. 

Non : c'est moi seuï ici qu'opprime son courroux. 
C'est à moi désormais qu'il réserve ses coups. 
Il me perce le cœur par la main la plus chère : 
J'aime ^ et pour mon rival il a choisi mon frère ! 



Eï 2ÉANGIR- 2^5 

LE PRIIfCE- 
Cieux ! 

ZÉANGIR. 

Ma mière , en secret , j'ignore à qnel deaseîa / 
Dans ce pi^e fiatal m'a conduit de ia main. 
Sa cruelle bonté , secondant mon adresse , 
A permis à mes yeux l'a^ect de la princesse ; 
J'ai prodigué les soins d'un amour indiscret , * 
Pour attendrir , hélas ! un coeur qm t'adoroit. 
Je venois, à tes yeux dévoilant ce mystère.... 
Cruelle, eh I quel devoir, vous forçant k vous taire y 
Me laissoit enivrer de ce poison fatal ? 
A-t-on craint de me voir haïr un tel rival ? 

AZÉMIRE. 

Je l'avouerai, seigneur, ce reproche m'étonne; 
L'ayant peu mérité , mon cœur vous le pardonne : 
J'en plains même la cause , et je crois (ju'eA secret 
Déjà vous condamnez un transport indiscret: 

■ (Au prince.) 

Vous n'avez pas pensé , prince , que votre amante \ 

* 

Négligeant d'étouffer une flanmie imprudente, 

Fiëre d'un autre honunage à ses yeux présenté. 

Ait d'un frivole encens nourri sa Vanité : 

£t me justifier , c'est vous &ire une offense. 

Mais, puisque je vous dois explî^er mon silence, 

Du repos dW ami. comptable^ devant vonS; 

Souffrez qu'en ce moment je rappelle entre nous 

Quels sermens redoublés me. forçoient à lui taire 

Un secret ' / 

• I^fi PRINCfc 

' Ciel ! madame , im secret pour mon frère î 
En: pouvoise^jfe preVôir 



276 MUSTAPHA: 

Je sais que ce palaid 
Devoît à tmis les yeux me soustraire à jamais ; 
Qu'entouré d'ennemirempressëffà vous nuire , 
De nos vœux mutuels vous n'aA'^^ez pu l'instmiixh; 
Hélas ! me chargeoit«-on de ce soin douloureux, 
Moi qui , dan» ce-^éjour pour vous, ai dangereux , ' 
Craignant moxï cœur, mes yeux et mon silence méme^- 
Yingt fois ai souhaité de me cacher qui j 'aime ? 
Mais , non , j.e lui parlois de vous , de vos vertus 1 ' 
Enfin y je vous nommois. ; que falloit"-iI de plu&9> ' 
£t quand de son an\our la prompte violence 
A condamné ma houcl^e à- rompre le silence , 
J'ai vu son désespoir, tout prêt à s'exhaler, 
Kepousser le secret que j allois révéler. 

LE PRINCE. 

Ouï , sans doute 5 et ce trait manquoit à ma misère : 
Je devois voir«ouler les larmes de mon frère , 
Voir l'amitié , l'amour , unis , armés tous deux 
Contre un infortuné qui ne vit que pour eux. 
Mon âme à l'espérance étoit encor ouverte: 
C'en est fait; je l'abjure , et le ciel veut ma perte : > 
Je la veux comme iui , si, je &is ton malheur. . 

ZÉANtîIR, ' 



•r. 



Ta perte!..,. Achève , ingrat, de déchirer mon cœur. , 

II te falloit.... Cruel , ^s-tu la barbarie 

D'offenser un rival qui tremble pour ta vie I 

Ta perte î. . . et de quel crime ?. . . Il n'en est qu'un pour toi ; 

Tu viens de le commettre en doutant de ma foi. 

Crois^tu que ton ami , dans sa jalouse ivresse , 

Devienne ton tyran, celui de ta m.aitresse; 



M ÏÉANGIR. ^'jf 

Abjure râmilré, la vertu, le devoir , 
Pour contempler partout les pleurs du' désespoir ; 
Pour mériter son sort en perdant ce qu'il aime 2 
Qui de nous deux ici doit s'immoler lui-même ? 
Est-ce toi qu'à mourir son choix a condamné ? 
Ne suis-je pas enfin le seul infortuué ? 



r • * 



LE PRINCE. 

Arrête ! peux-tu bien me teilir ce langage î 
C'est un frère , un ami qui me fait cet outrage ? ' 
Cruel ! quand ton amour' au mien veut s*immoler, 
Est-ce par ton malheur qu'il faut me consoler ! 
Que tu craignes ma mort qui t'assure le trône y 
Cette vertu n'a rien dont la mienne s'étonne : 
Le ciel , en te privant d'un ami couronné , ' 
Te raviroit bien plus qu'il ne t'auroit donné : 
Mais te voir à mes vœux sacrifier ta flamme , 
Sentir tous les combats qui déchirent ton âme ^ 
Et ne pouvoir t'oflFrir, pour prix de tes bienfaits ^ 
Que le seul désespoir de t'égaler jamais : 
Ce supplice est affreux , si tu peux me connoitre. 

ZÉANGIR. 

Va , ce seul sentiment m*a tout payé peut-être. 
Mon frère , laisse-moi , dans mes vœux confondus , 
Laisse-moi ce bonheur que donnent les vertus ; 
Il me coûte assez cher pour que j\>se y prétendre ; 
Tu dois vivre et m'aimer ; moi , vivre et te défendre : 
Tout l'ordonne, le ciel, la natiure, Hionneur. 
Respecte cette loi qu'ils font tous à mon cœur î 
Je t'en conjure ici par un frère qui t'aim^e , 
Par toi, par tes malheurs.... par ton amour lui-mêitlëy 
(A Azcfmîre. ) 

Joignez-vous 4. mes vœux } c'est à vous ^âédiic 



3^8 ^ MUSTAPHA 

Un cœur aimé de vous , qui peut vouloir mourir j 

LE PRINCE y avec transport. 

C'en est fait , je me rends ; ce cœur me justifie. 
Je vous aime encor plus que je ne hais la vie : 
Oui , dans les nœuds sacrés qui m'unissent à toi , 
Ton triomphe est le mien , tes vertus sont à moi. 
.Va ^ ne crains point ^ ami , que ma fierté génûsse , 
I^i qu'opprimé du poids d'un si grand sacrifice , 
Mon cœur de tes bienfaits puisse être humilié : 
Eh ! connoit-on l'orgueil auprès de Famitié I 

SCÈNE IV. 

LE PRINCE, ZÊANGIR, AZÉMIRE, ACHMET- 

ACHMET. 

Pardonnez si déjà mon zële en diligence 
A vos épanchemens vient mêler ma présence : 
Mais d*un subit effroi le palais est troublé. 
Déjà , près du sultan le visir appelé , 

(Aa prince.) 
Prodigue contre vous les conseils de la haine. 
La moitié du sérail , que sa voix seule entraine f 
Séduite des long-temps , s'intéresse pour lui. 
Même on dit qu'en secret un plus puissant appui.... 
Pardonnez.... Dans vos cœurs mes regards ont d& lii^^ 
Mais une mère.... hélas ! je crains.... 

LE PRINCE. 

Qu'oscs-tu dire? 

ZÉANGIR, transporKf. 

Achevé, . 

ACHMET. 
.Ehluen I l'on dit qu'invisible à regret , 



ET ÏÉAIfaiR. jyg 

Sa main conduit les coups qu^on prépare en secret. 
On redoute un cooffoux^ qu'elle force au silence. 
On craint son artifice , on craint sa violence ^ 
Mais un bruit , dont surtout mon cceur est consterné.... 
Le sultan veut la voir, et l'ordre en est donné. 

AZÉMIRE. 
Ciel! 

ACHMET. 

On tremble, on attend cette grande entrevue t 
On parle d'une lettre au sultan inconnue.... 

LE PRINCE. 

(A Z^angir. ) 

Dieu ! mon sort voudroit-il ?. . . . Tu sauras tout. ... 

ACUMET. 

Seigneuri 

Contre un juste courroux défendez votre cœur. 

Vous ignorez quel ordre et quel projet sinistre 

Mena dans votre camp un odieux ministre : 

Ije visir , je voudrois envain vous le cache)* , 

Aux bras de vos soldats devoit vous arracher. 

LE PRINCE. ' 
Que dis-tu ? 

ACHMET. 

Le péril arrêta son audace. 
Cher prince , devant vous si mes pleurs trouvent grâce , 
Si mes vœux, si mes soins méritent quelque prix , 
Si d'un vieillard tremblant vous souffrez les avis , 
Modérez vos transports , et, loin d'aigrir un peré , 
Réveillez dans son cœur sa tenchresse première 3 
Il aima votre enfance , il aime vos vertus. 
Vous pourriez,... Pardonnez. Je n'ose en dire plus. 



:î8o. MUSTAPHA 

A de plus diers conseils mon cœur vous abandonne^ 
Et yole à d'autres soins que mon zèle m'ordonne.. 

SCÈNE V. 

ZÉANGIR, LE PRINCE^ AZÉMIRE-. 

ZÉANGIR. 

Quel est donc le péril dont je t'ai vu frémir? 
Cette lettre fatale.... Ami, daigne ëclaircii:..^ 

LJE PRINCE.. 
J'accr^trai tes douleurs, 

ZÊANGIR. 

Parle. 

LE PRINCE. 

Avant que mon per^ 
Demandât la princesse en mes mains prisonnière ^ 
Thamas secrètement députa prë&de moi , 
Et pour briser ses fers , et pour tenter ma foi: 
Ami , tu me connois ; et mon devoir t'annonce ^ 
Malgré mes vœux naissans , quelle fut ma réponse ; 
Mais lorsque, chaque jour, ses vertus, ses atti:aits...« 
Je t'arrache le cœur.... 

ZÉANGIR- 

Non , mon cœur est en paîx;. 
Poursuis. 

LE PRINCE. 

O ciel!.... Eh bien! brûlant d'amour pour elle^ 
Et depuis , accablé d'une absence cruelle. 
Je crus que je pou vois, sans blesser mon devoir,. 
De la paix à Thamas présenter quelque espoir, 



JET ZÉANGIH. tSl 

Et clemancler, ponr prix d'une heureuse entremise jr 
Que la main de sa fille à ina foi fût promise. 
Nadir, de mes desseins fidèle confident, 
Autorisé d'un mot , partit secrètement; 
J'attendois son retour. J'apprends qu'en Assyrie, 
Attaqué , défendant mon secret et sa vie , 
Accablé sous le nombre , il avoit succombé. 

ZÉANGIR, 

Je vois dans quelles mains ce billet est tombé. 
Je vois ce que prépare une mère inhumaine : 
Cette lettre aujourd'hui vient d'enhardir sa haine. 
Hélas ! de toi bientôt dépendront ses destins , 
Bientôt son empereur.... 

LE PRINCE. 

Que dis-tu? Quoi ! tu crains.. . 

ZÉANGIR. 

Non, mon âme à ta foi ne fait point cette offense. 
Sans crainte pour ses jours , je vole à ta défense. 
Je vois quels coups bientôt doivent m'étre portés. 
II en est un surtout.... J'en frémis.... Écoutez. 
Je jure ici par vous que dans cette journée , 
Si je pouvois surprendre en mon âme indignée 
Quelque désir jaloux , quelque perfide espoir, 
Capable un seul moment d'ébranler mon devoir, 
Dans ce cœur avili. . . . Non , il n'est pas possible. 
Le ciel me soutiendra dans cet instant terrible; 
Et satisfEÛt d'un cœur trop long-temps combattu , 
De l'affront d'un remords sauvera ma vertu. 



^Sa MUSTAPHA 

ACTE III. 

SCÈNE PREMIÈRE. 

SOLIMAN, ROXELANE. 

SOLIMAN. 

PREinsz place , madame ; il £iut que dans ce jour 
Votre âme à me» regards se montre sans détour s 
Le prince dans ces lieux vient enfin de se rendre. ] 

ROXELANE. 
XjCS cris de ses soldats viennent de me l'apprendre. 

SOLIMAN. 

J'entrevois par ce mot y os secrets sentimens; 
Vous jugerez des miens : daignez quelques momens 
Tous imposer la loi de m'entendre en silence. 
Mon fils a mérité ma juste défiance^ 
Et son retour, d'ailleurs, îaàt pour me d^armer. 
Avec quelque raison peut encor m'alarmer. 
Sans doute je suis loin de lui chercher des crimes; 
Mais il faut éclaircir des soupçons légitimes. 
Vos yeux , si du visir j -explique les discours, 
Ont surpris des secrets d'oii dépendent mes jours» 
Je n'examine point si pour mieux me confondre, 
De concert 'avec lui.... vous pourrez me répondre. 
Hélas! il est afirettx de soupçonner la foi 
Des cœurs que Ton chérit , et qu'on croyoit à soi. 
Mais au bord du tombeau telle est ma destinée. 
Par d'autres intérêts maintenant gouvernée , 



ET ZÉANGUl. 28S 

Aux soins de l'avenir vous croyez vous devoir. 
Je conçois vos raisons , vos craintes , votre espoir ; 
Et y malgré mes vieux ans , ma tendresse constante 
A vos destins futurs n'est point indifEerente. 
Mais vous n'espérez point que pour votre repos 
Je répande le sang d'un âls et d'un héros. 
Son juge , en ce moment , se souvient qu'il est père. 
Je ne veux écouter ni soupçons ni colère. 
Ce sérail , qui jadis , sous de cruels sultans , 
Craignoit de leurs fureurs les caprices sanglans , 
A connu , dans le cours d'un règne plus propice , 
Quelquefois ma clémence et toujours ma justice. 
Juste envers mes sujets , juste envers mes enCsins , 
Un jour ne perdra point l'honneur de quarante ans. 
Après un tel aveu , parlez , je vous écoute } 
Mais que la vérité s'offre sans aucun doute. 
Je dois , s'il faut porter un jugement cruel, 
£n répondre à l'état, à l'avenir, au ciel. 

ROXELANE. 

Seigneur, d'étonnement je demeure frappée. 

De vous , de votre fils en secret occupée , 

J'ai dû , sans m'expliquer sur ce grand intérêt, 

Muette , avec l'empire , attendre son arrêt. 

Mais , puisque le premier vous quittez la contrainte 

D'un silence affecté , trop semblable à la feinte , 

De mon âme à vos yeux j'ouvrirai les repb's. 

Je déteste le prince, et j'adore mon fils 5 

Ainsi que vous, du moins, je parle avec franchise : ' 

Et, loin qu'avec 'effort ma haine se déguise. 

J'ose entreprendre ici de la justifier , 

Vous invitant vous-même à vous en défier. 

Je ne vous cache poii]^(qu'est-il besoin de feindre?)- 



234 MUi^TAPHA 

Que prompte en ce péril à tout voir , à tout craindre^ 
J'ai d'un vîsir fidèle emprunté les avis , 
Et moi-même éclairé les pas de votre fils. 
Tout fondoit mes soupçons : un père les partage. 
Eh ! qui donc , en effet , pourroit voir sans ombragr 
iJn jeune ambitieux qui , d'orgueil enivré , 
Des cœurs qu'il a séduits disposant à son gré^ 
A vous intimider semble mettre sa gloire , 
Et croit tenir ce droit des mains de la victoire ? 
Qui , mandé par son maître , a jusques à ce jc^ir 
Fait douter de sa foi , douter de son retour ^ 
Et du grand Soliman a réduit la puissance 
A craindre , je l'ai vu , sa désobéissance ? 
' Qui , j'ose l'attester , et mes garans sont prêts , 
Acheté ici des yeux ouverts sur vos secrets. 
Parle, agit en sultan^ et , si Ton veut l'entendre-. 
Et la guerre et la. paix de lui seul vont dépendre? 
Oui , seigneur , oui , vous dis^je , et peut-être aujourd'hui 
Vous en aurez la preuve et la tiendrez de lui. 

SOLIMAN. 

Ciel : 

ROXELANE. 

D'un fils , d'un sujet est-ce donc la conduite ! 
Et depuis quand , seigneur, n'en craint-on plus la suite 7 
Est-ce dans ce séjour ?.... Vainement , sous vos lois , 
La clémence en ces lieux fit entendre sa voix ; ' 
Une autre voix peut-être y parle plus haut qu'elle , 
La voix de ces sultans qu'une main criminelle , 
Sanglans, a renversés aux genoux de leurs fils^ 
La voix des fils encor qui , près du trône assis , 
N'ont point devant ce trône assez courbé la tête. 
Il le sait ; d'oii vient donc que nul frein ne l'arrête ? 



£T ZÉANGllt a85 

iSans dodte nyeux qu'un autre 11 connoît son pouvoir t 

De l'empire , en efEet , il est l'unique espoir» 

£h ! qui d'un peuple ingrat n'a vu cent fois l'ivresse 

Oser à vos vieux ans égaler sa jeunesse , . 

£t d'un héros ^ l'honneur des sultans , des guerriers | 

Devant un fier soldat abaisser les lauriers ? 

i)ui peut vous rassurer contre tant d'insolence? 

Est-ce un camp qui frémit aut portes de Bysance ? 

Un peuple de mutins , esclaves factieux , 

De leur maître indigné tyrans capricieux ? 

Ah ! Seîgneiu" , est-ce ainsi , je vous cite à vous-même , 

Que , rassurait Sélim, dans un péril extrême , 

Vous vîntes dans ses mains ici vous déposer , 

Quand ces mêmes soldats ^ ardens à tout oser , 

Pour vous , malgré vous seul , plçins d'un zële unanime. 

Rebelles , prononçoient votre nom dans leur crime ? 

On vous vit accourir, seul , désarmé , soumis , 

Plein d'un noble c^rroux coiitre ses ennemis, 

£t tombant à ses pieds , otage volontaire , 

Echapper au malheur de détrôner un père. 

Tel étoit le devoir d'un fils plus soupçonné : 

£t votre exemple au moins l'a d/é\k condanmé. 

SOLIMAN.' 

Ce qu'a fait Soliman , Scdimaa dut le faire. 

-Celui qui fut bon fils doit être ^u$si bon père ; 

Et quand vous rappelez ces preuves de 19a jEoi , 

Vôtre y 61% uTavertlt d'être digne de moi. , 

Des revers des sultans vous me tracez l'image ? ' 

Je reconnois vos soins , madame , et je présage 

Que , grâce aux miens peut-être , un sort moins rigoureux 

Ecartera mon nom de ces noms malheureux. 

ïrop d'autres ; négligeant le devoir qui m'arrête^ 



a86 MUSTAPHA 

A des fils soupçonnés ont demandé leur tête. 

Oui 5 mais n'ont-ils jamais, après ces rudes coups. 

Détesté les transports d'un aveugle courroux ? 

pelas ! si ce moment doit m'offrir un coupable, 

Peutvétre que mon sort est assez déplorable. 

Serai-je donc rangé parmi ces souverains 

Qu'on a vus , de leurs fils juges trop inhumains , 

Réduits à s'imposer ce £atal sacrifice 7 

Malheureux qu'on veut plaindre et qu'il faut qu'on haïsse ! 

Quelqu'éclat dont leur règne ait ébloui les yeux , 

De ces grands chàtîmens le souvenir affireux , 

Eternisant l'effroi qu'imprime leur mémoire , 

Mêle un sombre nuage aux rayons de leur gloire. 

Le nom de Sdlîman , madame , a mérité 

De parvenir sans tâche à la postérité. 

Dans mon ctieur vainement Totre cruelle adresse 

Cherche d'un vil dé|^*la vulgaire foiblesse , 

Et voudroit par là ètatne irriter mes sovj^ons , 

J'écarte ici la h^âne et pfese les raisons. 

L'intérêt de mon sang me dit , pour le défendre , 

Qu'un coupable en ces lieux eut tremblé de se rendre ; 

Qu'adoré des soldats.... Je l'étdis comme lui. 

ROXELANE. 
Comme lui , des Persans imploriee-vous l'appui ? 

SOLIMAN. 

Des Persans !..:. Lui ! grands dieux! Je retiens ma colore : 
Ce n'est pas vous ici que doit en croire un père. 
Que des garans certains à mes yeux présentés, 
Que la preuve à l'instant.... 

ROXELANE. 

Je le veux. 



ET ZÉAINGIR. sSj 

SOLIMAN, selerant. 

Arrêtez» 
Je redoute un courroux trop facile à surprendre. 
Son maître en vain frémit , son juge doit l'entendre» 
Que mon fib soit présent.... Faites venir mou fils. 

(Roxdane te lève, le TÎtir paroit. ) 

Que veut-on ? 

SCÈNE IL 

SOLIMAN, ROXELANE, OSMAN. 

OSMAN. 

JVttendois le moiaent d'ebre adflQib» 
Seigneur , je viens chercher désordres nécesasûres. 
Ali , ce brave Ali , ce che£ des janissaires , 
Qui même sous Sélîoi s'est «ilhstre jadis, 
Et'malgvé son •grand âge a suiiri votre fils , 
Se flatte qu'à vos pieds vous daigneree l'admette } 
Il apporte uU'^ecret qu'il a laraint de commettre s 
Le salut de l'-empire , a-t<-il dit, en d^iend , 
Et des moindres délais il me nendoit garant. 
J'ai cru que son ^rand ném ^ ses exjrfoits.... 

SOLIMAN. 

Qu'il paroisse.' 

ROXELANE, à part. 
Queveut-ii? 

SOLIMAN, laifaisanta^cdesortir. 
Vous s«vez ^pielle «st votre promesse» 

ROXELANE. 
Je ne reparotti[;ai.qiie k proiive à k nitûiL 



i88 MUSTAÏ^MA 

SCÈNE lit. 

SOLIMAN, OSMAN, ALt 

SOLlMÀN. 

^^EL soiia pressant t'amène , et cj[uel est ton dessein ? 
Veux^tu qu'il se retire ? 

ÀLi. 

Il le faudroit peut-eti*é. 
Mais je 'vhnè <^6litré lui m'adresser à son mattre } • 
Qu'il demeure , il le peut. Sultan , tu né croîs pas 
Que j'eusse d'un rebelle accompagné les pas. 
Ton fils , ainsi que mot ^ vit et mourra fidèle. 
J'ai su calmer 4es siens et la fbugue et le zèle, ^ 
Us te révèrent tous. Mais on craiht les coinplots 
Que la haine en ces lieux tTâinJet^ontrë un: héros. . . \ ' ^ 
K Ah ! du moins , disoient-dls , dans leur secret kaurnuu'éf^ 
to Ah ! si là vérité confondoit l'imposture I ' * - 
>> Si détrompant un maître et cherchant ses .regards , 
» Elle osoit pénétrer ces tertiUes remparts ! . 
» Mais la mort puniroit un zèle bémérâire .»» . 
On peut près du c^cueil hasarder de déplaire ^ 
Sultan ; d'un vieux guerrier ces restes languissans j 
Ce sang j dans les combats prodigué soixante ans , 
Exposé pour ton fils que tout l'empire adore, 
S'ils sauvoient un héros , te servîroient encore. 
De notre atnour pour lui ne prends aucuns soupçons : 
C'est le grand Soliman qu'eti lui' nous chérissons; 
Il nous rend tes vertus , et. tu permets qu'on l'aime. 
Mais crains ses ennemis , crains ton pouvoir suprême , 
Crains d'éternels regrets , et surtout un remord. 
J*ai rempli laoA devoir i ordonnes^ tu ma mort ? 



ET ZÉANGIR. ^jSg 

SOLIMAN. 

JPestime ce courage et ce zèle sincère : 

Jie permets à tes yeux de lire au cœur d'un père. 

Ne crains point un courroux imprudent ni crueL 

J'aime un fils innocent, je le hais criminel : 

!Ne crains pour lui que lui. L'audace et l'artifice 

En moi de leurs fureurs n'auront point un complice. 

Contiens dans son devoir le soldat turbulent : 

Leur idole répond d'un caprice insolent. 

Sans dicter mon arrêt , qu'on l'attende en silence. 

Tu peux de ce séjour sortir en assurance : 

Va , les cœurs généreux ne craignent rien de moi, 

ALL 

i 

Sur le sort de ton fils je suis donc sans effroi. 

SCENE IV. 

SOLIMAN, LE PRINCE. 

SQLIIVIAN. . 

Approchez : à mon ordre on daigpe enfin se rendre. 
J'ai cru qu'avant ce jour je pouvois vous attendre. 

LE PRINCE., 

Un devoir douloureux a retenu mes pas. 
Une mère, seigneur, expirante en mes bras.... 

SOLIMAN. 

Elle n'est plus!.... Je dois des regrets à sa cendre. 

LE PRINCE. 
Occupée, en mourant, d'un souvenir trop tendre.... 
II. «9 



390 MUSTAPHA 

SOLIMAN. 

C'est assez. PlÂt au ciel qu'à cle justes raisons 
Je pusse voir encor céder d'autres soupçons , 
Sans que de vos soldats l'audace et l'insolence 
Vinssent d'un fils suspect attester l'innocence ! 

LE PRINCE. 

Ne me reprochez point leurs transports effrénés 
Qu'en ces^lieux ma présence a déjà condamnés. 
Ah! seigneur, si pour moi l'excès de leur tendresse 
Jusqu'à l'emportement a poussé leur ivresse , * 
Daignez ne l'imputer, hélas! qu'à mon malheur : 
C'est mon ûmeste sort qui parle en ma faveur. 
Privé de vos bontés oii je pduvoîs prétendre, 
J'inspire une pitié plus pressante et plus tendre. 

SOLIMAN. 

Peut-être il vaudroit mieux leur en inspirer moins : 
Peut-être qu'un sujet devroit borner ses soins 
A savoir obéir, à faire aimer sa gloire , 
A servir sans orgueil , à ne point laisser croire 
Que ses desseins secrets, de la Perse approuvés...» 

LE PRINCE, 
O ciel! le croyez-vous ! 

SOLIMAN. 

Nou; puisque vous virez. 



ET ZÉANGIR. :igij 

SCÈNE V. 

LES PRÉCÉDENS, ROXELANE. 

ROXELANE. 

SuLTAïf , VOUS pourrez voir ma promesse accomplie; 
Prince, un destin cruel m'a fSait votre ennemie^ 
M^s cette haine, au moins, en s'atta<}uant à vous^ 
Dans la nuit du secret ne cache point ses coups : 
lYous êtes accusé 9 vous pourrez vous défendre» 

LE PRINCE. 
A ce trait généreux j'avoîs droit de m'attendre* 

SOLIMAK, prenant la lettre. 
Donnez. 

n A vos désirs on refusa la paix : 
» Un heureux changement vous permet d*y prétendre^ 
» Victorieux par moi , peut^-étre à mes souhaits 

» Le sultan voudra condescendre. 
» Les raisons de cette offre et le prix que j'y mets, 
» Je les tairai^ Kadir doit seul vous les apprendre ». 

Que vois-je? avoùrez-vous cette lettre, ce seing? 

LÉ PRINCE. 
Oui , ce.billet , seigneur, fut tracé de ma main» 

SOLIMAN. ,; 

Holà ! gardes. . . ^ 

LE PRINCE. 

Je dois vous paroître coupable , 
Je le sais. Cependant:, si le sort qui m'accable * ' 

Souffroit que votre fils pût se justifier. 
Si mon cœur à vos yeux âemontroit tout entier.. ..\ ,; U 



^99^ ikl^S^APHA 

aOXËLANE. 

(Aaprîaoe.J . CAu snltao. ) . (An prince.) 

n le faut... Permettez.... Vous n'avez rien à craîncfre; 

Parlez , Nadir n'est plus, et yods pouvez tout feindre. 

LEPRINCfe. 

Barbare ! à cet opprobre étoîs-je réservé ? 

Par piti^ , si mon crime à vos yeux est prouvé , 

D'un përe', d'un sultan déployez la puissance. 

Par mille affreux tourmens éprouvez ma constance : 

Je puis chérir des coups 'que voué aurez portés ; 

Mais ne me livrez point k tant d'indignité». 

Yotre gloire l'exige , et votre fils peut croire.... 

SOLIMAN. 

Perfide , il te sied bien d'iutéresser ma gloire , 
Toi qui veux la pétrir , toi , l'ami des Persans,! 
Toi , qui devant leur maître avilis mes vieux ans ! 
Qui y sachant contre lui quelle fureur m'anime.... 

LE PRINCE, 

Ah ! croyez que son nom fait seul mon plus grand crime ; 
Que , sans ce fier courroux , j'aurois pu. * . . Non , lamais. 

( BlontraDt AoKelane. ) 
J'ai mérité la mort , et voilà mes forfaits. 
Cette lettre en vos mains, seigneur, m'accusoît-elle , 
Quand , d'avance par v^us traité o6mme un rebelle ^ 
L'ordre de m'arré ter dans mon camp?.... 

SOLIMAN. 
- ' Jnstescieuxl 

Tu savois....' Je vois tout. D'un écrit odieux 

Ta bouche en ce moment m'éclaircit le mystère j 

Il demande i Thaxnas des recours contre im père. 



£T ZÉANGIIL ,Xp 



LE PRINCE. 



i > 



Quoi! ce secret fatal qu'à l'instant dans ces lieux.... 

» * . . . . — . . . . ; . 1 . \ ' . I 

SOLIMAM. 



1 M » 



Traître ! c'en est assez. Qu'on 1 ote de mes jwux* 

SCBNE VI. 

» • . * 

LES PRÉCÉDENS , ZÉANGIR. 

"1 ■ , ' . '. 

LE PRINC£> Tojant Zeaogir. 
Ciel! . -^ 

ZÉANGIR, I 

Mon père , damnez..». O mèr^ tropcrueUçI 

SOLIMAN. 

Quoi! sans être appelé? 



O 



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• ^ A & ^ . «^ 



ROXELANE. ? 

;QueUè aodiudé nouvelle f 

. SOLIMAN. i 

Qu'on m'en réponde , allez., 

• ZÉANG;[R. ■ . ■^- yu\ 
SuspêudsB fUBi Bmiieiil» ^ 

LÉ PMNCE. 

Ahl qu'il suffiië au moins k cet embrassèinentL'^ 

Ya , de ton amitié cette preuve dernière 

A trop bien démenti les fiireurs de la mère : . 

Elle surpasse tout , sa rage et mes màlKeurs^ ' • • * ^ 

£t la haine qu'on doit à ses persécuteurs. 



a§4 MUSTAPHA 

SCÈNE VIL 

SOLIMAN, ROXELANE, ZÉANGIIU 

SOLIMAN* 
QuELorguenf 

ZÉANGIR. 

Ah! craignez que dans votre vengeance...» 

SOLIMAN. 

Je veux bien de ce zèle excuser l'imprudence, , ^ 

Et j'aimerois , mon fils , à vous voir généreux , 
Si le crime du moins pouVoit'étre douteux : 
Mais ne me parlez -point en faveur d'un perfide 
Qui peidrêtre dëfà mëdite un parricide: 

(ARozdanfe. )' 
J'excuse votre haine , et je vais de ce pas 
Prévenir les effets de ces noirs attentats. 



• ♦ * 



^ ! SCÈNE VIIL 

ROXELANE, ZÉANGIR. 

ZÉANGIR. 

Quoi ! déjà votre haine' a'frîàppé sa victime ! 
Un père en itn moment la trouve légitime ! 

ROXELANE. 
Pour convaincre im coup^hle^ il ne faut (ja'un instant. 

ZÉANCIR. 
Si vous n'aviez un fils , il seroit innocent. 

ROXELANE..; 
Le ciel me l'abonné, peut-être en sa colère. 



ET ZÉANGIR. 2^ 

ZÉANGIR. 

Le ciel vous l'a donné.... pour attendrir sa mère. 

Je veux croire , et je crois que , prête k l'opprimer. 

Contre un coupable ici vous pensez vous armer y 

Et l'amour maternel que dans vous je révère 

(Car je combats des vœux dont la source m'est chère) , 

Abusant vos esprits sur moi seul arrêtés , 

Vous persuade encor ce que vous souhaitez^ 

Mais cet amour vous trompe y et peut être funeste. 

ROXELANE. 

Dieu ! quel aveuglement ! le crime est manifeste, 
Son père en a tenu le gage de sa main. 

ZÉANGIR, à part.. 
Que ne puis-je parler ? 

ROXELANE. 

Vous frémissez en vain. 
Abandonnez un traître à son sort déplorable. 
Vous l'aimez vertueux , oubliez-le coupable. 
Ou , si votre amitié lui donne quelques pleurs , 
Voyez du moins^ voyez , k travers vos douleur^,. 
Quel brillant avenir le destin vous présente 5. 
Cet éclat des sultans y cette pompe imposante ,. 
L'univers de vos lois docile adorateur,, 
Et la gloire plus belle encor que la grandeur^ 
. La gloire que vos vœux.... 

ZÉANGIR. 

Sans doute elle m'anime. 

ROXELANE. 
Un tjTÔne ici la donne. 



2196 MUSTAPHA 

ZÉANGIR. 

Un trône acquis sans crimew 

ROXELANE. 

Quels crimes commets-tu? ' 

ZÉAPÏGIR. 

Ceux qu'on commet pour mof*. 

ROXËLANE. 
Des attentats d'autrui je profite pour te». 

ZÉANGIR. 

Vous le croyez coupable et c'est là votre excuse. 

Mais moi , qui voi» son coeur , mais moi que rien n'abuse» ^ 

ROXELANE. 
Tu pleureras un jour, quand l'absolu pouvoir..... > 

ZÉANGIR. 

A-t-on jamais pleure d'avoir fait son devoir? 

ROXELANE. 

J'ai pitié , mon cher fils , d'un tel excès d'ivresse f 
Je vois avec quel art, séduisant ta jeunesse, 
Il a su , plus prudent , par cette illusion 
T'écartant du sentiei* de son ambition.... 

ZÉANGIR. 
Quoi! vous doutez...» 

ROXELANE. 

Eh bien ! je veux le croire, il t'aime : 
Ainsi que toi , mon fils ! il se trompe lui-même. 
Vous ignorez tous deux , dans votre aveugle erreur , 



ET ZÉATiGfR* Ûgy 

Et le cœur des humains et votre propre cœur. 

Mais le temps , d'autres vœux , l'orgueil de la puissance , 

Du monarque au sujet cet intervalle immense , 

Tout va briser bientôt un nœud mal affermi ^ 

Et sur le trône un jour tu verras..,. 

ZÉANGIR. 

Un ami. 

ROXELANE. 
L'ami d'un maître ! 6 ciel ! ah ! quitte un vain prestige; \ 

ZÉANGIR. 
Jamais. - ' " 

ROXELANE. 



tes Ottomans ont-ils vu ce prodige? 

ZÉANGIR.'- '■ 
Ils levèrent. 

ROXELANE. 

» 

Mon fils , songes-tu dans quels lieux?.... 
Encor, si tu vivois dans ces climats heureux. 
Qui, grâce à d'autres mœurs , à' des lois nioilis sévir A^' 
Peuvent offrir des rois fçxe diérissent leurs frères ^ 
Cil près du maître assis , brillans de sa splendeur , - 
Quelquefois partageant le- poîd^ de sa grandeur , 
Ils vont à des sujets placés loin de sa vue 
De leurs devoirs sacrés rappeler l'étendue;' * 
Et , marchant , sur sa traée , aux conseils , aux comhats^f' 
Recueillent les honneurs attachés à ses pas! 
Qu'à ce prix ,' signalant Famitië- fraternelle , 
On mette son orgueil à s'inunôler pour elle , 
Je conçois cet efforts Mais en ces Ueux! xha^ toi! 



,..> 



dgS MUSTAPHA 

ZÉANGIR. 

n est fait pour mon âme , il est digne de moi. 

Est-ce donc un eflfbrt que de chérir son frère ? 

Seroit-ce une vertu quelque part étrangère ? 

Ai-je dû m'en défendre? £h! quel cœur endurci 

Ne l'eût aimé partout comme je l'aime ici? 

Partout il eût trouvé des cœurs aussi sensibles , 

Un père , hélas ! plus doux.... des destins moins terribles. 

Non , vous ne savez pas tout ce que je lui dois. 

Si mon nom près du sien s'est placé quelquefois , 

C'est lui qui yers l'honneur appeloit ma jeunesse, 

Encourageoit mes pas , soutenoit ma foiblesse : 

Sa tendresse inquiète au milieu des combats y 

Prodigue de ses jours , m'arrachoit au trépas. 

La gloire enfin , ce bien qu'avec excès on aime 9 

Dont le cœur est avare envers l'amitié même , 

Lui sembloit le trahir y et manquoit à ses vœux , 

Si son éclat du moins ne nous couvroit tous deux. 

Cent fois..., 

ROXELANE. 

Ahî c'en est trop : va , quoi qu'il ait pu faire , 
Tu peux, tout acquitter par le sang de ta m.ère. 

ZÉANGIR. 

O ciel ! 

ROXELANE. 

Oui , par mon sang : lui seul doit expier 
D^s affironts que jamais rien ne fait oublier. 
Sous les yeux de son fils , ma rivale en silence 
Vingt ans de ses appas a pleuré Timpuissance» 
Il Ta vue exhaler dans ses derniers soupirs ^ 

L'amertume et le fiel de ses longs déplaisirs. 



ET ZÉANGIR. 399 

II revient poursuivi de cette affreuse image ; 
Et , lorsque mon nom seul doit exciter sa rage, 
Il me voit , calme et fiëre , annonçant mon dessein. 
Lui montrer son forfait attesté par son seing. 
Dis-moi si, poiu* le trône élevé dès l'enfance y 
Le plus fier des humakis oubliera cette offense. 

ZÉANGIR. 

Je vais vous étonner : le plus fier des humains 
Verroit, sans se venger, la vengeance en ses mains» 
Le plus fier des humains est encor le plus tendre.... 
Je prévoyois qu'ici vous ne pcfurriep m'entendre ^ 
Mais y quoi que vous pensiez, je le connois trop bien^.... 

KOXELANE. 
Insensé ! 

ZÉANGIH. 

Votre cœur ne peut juger le siéh ; 

Pardonnez. Mon respiect frémit de' ce langage; 
Mais vous concevez mal qu'on pardonne un outrage. 
Un autre l'a conçu. Je réponds de sa foi , 
Et vos jours sont sacrés pour lui bonmie pour moi ^ 
Il sait trop qu'à.<!e coup je ne pourrois survivre. 

ROXELANï:. 

J'entends.... pour prix des soim oii l'amitié vous livre , 

Sa bonté souffrira que du plus beau destin 

Je coure dans l'Opprobre eiiséVelït* la fin ^ 

Et ramper, Vile' esclave, et rebut "de sa hamey ' * 

En ces lieux oii vingt ans j'ai 'marché souveraine! •'■■' 

Décidons notre sort, et daignez écouter 

Ce qu'un amour de mëre avoit su me dicter. 

De mon époux bientôt je vais pleurer la perte ; 

Et de la gloire ici la carrière est ouverte : 



ioo * MUSTAPHA 

Soliman la cherchoît ^ mais déte&tant Thamaf ^ 
Malgré moi cette haine en détournoit ses pas. 
Loin de porter ses coups à la Perse abbatue. 
Dans ses vastes déserts sàns fruit toujours ysdncuit^ 
n falloit s'appuyer des secours du Persan 
Ccmtre les vrais rivaux de l'empire ottoman. 
L'hymen Êiit les traités , et la main d'Azémire 
Pourroit unir par vous et l'un et l'autre empire. 

ZÉANGlIt 
Par moi ! 

ROXELAÏfll 

J'ô£Erè à vos vœnt la gloire et le bonheur. 

ZÉAN6IR. 

Le bonheur I désormais fst-tl fait pour mon cœur? 
Si vous saviez 

ROXELANE. 

Mon fils , je sais tout. 

ZÉANGIR. 

Que dit-eHe l 
ROXELANE. 



Vous l'aimez. 



ZÉANGIR. ^ 



Je l'adore , et je suis.. .. Ab ! cruelle 
O ciel , dont la rigueur vend si cher les vertus , 
D'un doeuT: au désespoir n'exigez rien de plus* 






ET zÉANGiit. Soi 

SCÈNE IX, 

ROXELANE, seule. 

Voila donc de ce cœur quel est Tendroit sensible ! 
Allons , frappons un coup plus sûr et plus terrible. 
Mon fils est amoureux , sans doute il est aimé; 
Intéressons l'objet dont il est enflammé. 
Pour être ambitieux , il porte un cœwr trop tendre; 
Mais l'amour va parler, j'ose tout en attendre. 
Espérons. Qui pourroit triompher en un jour 
Des charmes d'un empire et de ceux de l'amour? 



5o!à MUSTAPHA 

ACTE IV. 

SCÈNE PREMIÈRE. 

ZÉANGIR, AZÉMIRE. 

AZÉMIRE. 

Non, je n'ai point donté qu'un héroïque zële 
Ne signalât toujours votre amitié fidèle ; 
Je vous ai trop connu. Votre frère arrêté, 
Aujourd'hui, de vous seul attend sa Hherté. 
La sultane one quitte^ et, dans sa violence.... 
Quel entretien fatal et quelle confidence! 
De ses desseins secrets complice malgré moi , 
Ainsi que ma douleur j'ai caché mon effroi. 
Je respire par vous; et , dans ma tendre estime , 
J'ose encor implorer un rival magnanime : 
Je tremble pour le prince , et mes vœux éperdus 
Lui ch'^rchent un asile auprès de vos vertus. 

ZÉANGIR. 

J'ai subi comme vous cette épreuve cruelle , 
Je n'ai pu désarmer une main maternelle. 
Ma mère , en son erreur, se flatte qu'aujourd'hui 
Vos vœux, fixés pour moi, me parlent contre lui; 
Que le sang de Thamas doit détester mon frère. 
Ignorant mon malheur, elle croit , elle espère 
Que la séduction d'un amour mutuel 
M'intéresse pour vous à son projet cruel : 
Il sera confondu. Déjà jusqu'à mon père 
Une lettre en secret a porté ma prière : 
On Ta vu s'attendrir, ses larmes ont coulé, 
C'est par son\ordre ici qug je suis appelé. 



ET ZÉANGIR. 5o5 

•Tobtîendrai qu'à ses yeux le prince reparoisse ^ 
Je saurai pour son fils reveiller sa tendresse. 
Songez, dans vos frayeurs , qu'il lui reste un appui; 
Et tant que je vivrai , ne craignez rien pour lui. 

AZÉMIRE. 

Je retiens les transports de ma reconnoissance. 
Mais, par pitië peut-être, on me rend l'espérance: 
Pour mieux me rassurer, vous cachez vos terreurs; 
Vous détournez les yeux en essuyant mes pleurs.. 
Que de périls pressans! le visir, votre mère, 
Moi-même , cette lettre et ce fatal mystère j 
Un sultan soupçonneux, l'ivresse des soldats , 
L'horreur de Soliman pour le nom de Thamas, 
Horreur toujours nouvelle et par le temps accrue, 
Que sans fruit la sultane a même combattue! 
Ah ! si dans les dangers qu'on redoute pour moi , 
Ceux du prince à mon cœur inspiroient moins d'effiroi j' 
Je vous dirois : Forcez son généreux silence; 
Dévoilez son secret , montrez son innocence : 
Heureuse si j'avois, en voulant le sauver, 
£t des périls plus grands, et la mort à braver. 

ZÉAjNGIR. 

Comme elle sait aimer! \e vois toute ma perte. 
Pardonnez; ma blessure un instapt s'est ouverte; 
Laissez-nu)i : loin de vous je suis plus généreux. 
Le sultan va paroitre : on vient. Fuyex ces lieux* 



$o4 MUSTAPHA 

SCÈNE IL 

SOLIMAN, ZÉANGIR. 

ZÉANGIR. 

SoCFTREZ qu'à vos genoux j'adore Tindulgence 
Qui rend à mes regards votre auguste présence , 
£t d'un ordre sévère adoucit la rigueur. 

SOLIMAN. 

Touché d^ tes vertus , satisfait de ton cœur, 

D'un sentiment plus doux je n'ai pu me défendre. 

Dans ces premiers momens j'ai bien voulu t'entenjre ; 

Mais que vas-tu me flire en ipaveur d'un ingrat 

Dont ce jour a prouvé le rebelle attentat? ^ 

De ce triste entretien quel fruit peux-tu prétendre? 

£tde ma complaisant , hélas! que dois-je attendre, 

Hors la douceur de voir que le ciel aujourd'hui 

Me laisse au moins en toi plus qu'il ne m'ôte en lui ? 

ZÉANGIR. 

Il n'est point prononcé cet arrêt sanguinaire ^ 
Le prince a pour appui les bontés de son père. 
Vous l'aimâtes, seigneur; je vous »i vu cent fois 
Entendre avec transport et conter ses exploits , 
Des splendeurs de l'empire en tirer le présf^ge , 
Et montrer ce modèle a mou jeune oourage. 
Depuis plus de huit ans éloigné de ces lieux , 
On a de ses vertus détourné trop vos yeux. 

SOLIMAN. 

Quoi ! quand toi-même as vu jusqu'où sa violence 
A fait de ses adieux éclater l'insolence I 



S^ÉÀJÎGIR. 

Oarclez de le juger sur un emportement , 

D'une âme au désjeqK>ir rapidie.ëgarement. » ^ * - 

Vous savez quel affront enflammoit son courage 9 

On excuse l'orgueil qui repoussé un outrage. 

1 

SOLIMAN. 

De l'orgueil devant moi ! menacer à mes yeux I 

Dès long-temps.. •• ' ^ 

ZÉAlSGIIt ^ 

Pardonnez, il ëtoit mallieureixx^ " 

Dans les rigueurs du sort^son Âme ëtoit plus fière : 

Tels sont tous les grands cœurs, tel doit être mon frère» 

Rendez-lui vos bontés , vous le verrez" soumis , ' 

Embrasser vos genoux, vous rendre votre fils. 

J'en réponds. 

SOLIMAN. 

£h ! pourquoi réveiller ma tendresse , 

l^uand je dois à mon cœur reprocher ma foiblesse } 

Quand un traître aujourd'hui sollicite Thamas ^ 

Quand son crime avéré....? . 

ZÉÀNGIR. 

Seigneur, il ne Test pas : 
Croyez-en l'amitié qui me parle et m'anime ; 
De tels nœuds ne sont point resserrés par le crime. 
Quels que soient les garans qu'on ose vous donner, 
Croyez qu'il est des cœurs qu'on ne peut, soupçonner* . 
£h! qui sait, si , fermant la bouche à l'innocence...* 

SOLIMAN. 

Ya , son forfait lui se<d l'a réduit au silence. 

£h ! peut-il démentir ce canîip , dont les clameurs 

Déposent contire lui potn ses accusateurs ? 

IL 20 



5o6 )«USTAP«A 

zéàugiii. 

Oui. Souffrez 5eidèiB«vt(ia'il{mi»eif«^<IJiMb^. 
Daignez , daignet dn moins k v«voîr «H fêOUèûàté. 

SOLIMAN. 

Que dis-tu ! Ciel ! qui ? lui I qu'il paroisse à mes yeux ! 
Me voir encor braver par cet audacieux I 

ZÉANGIR. 

• • • » 

Eh ! quoi ! votre vertu , éeigûéi&j votre justice ^ 
De sespersecutéufff se niotitrcBoit complice ? 
Vous aves entendu aea mortel» emiemii^ 
£t prâurrîea , sans Fenttendre , imsaoim' yatte fib , 
L'héritier de l'einpire l Air! jimi fkre cM ttap juste» 
Ou seroit , paedounvz^ .cette démener augufte ' 
Qui dicta vos décrets , pair qui vous effacez 
I^os plus fameux sultans y pfèi dé Vous éclipsés ? 

SOLIMAN. 

Eh ! qui l'atteste mietEo: , dis-moi , cette clétiÊffùce , 
Que les soins paternels qu'avoit pris ma prudence 
D'étouffer mes soupçons , d'exiger qu'en ma main 
Fût remis du forfait le gage trop certain ? 
D'ordonner que présent , et prêt à les confondre , 
A ses accusateurs lui-même il' pût re'jJondre ? 
Hélas ! je m'en flattois , et lorsque ses soldats^ 
Menacent un sultan des derniers attentats , 
Qu'ils me bravent pour lui : réponds-moi , qui m'arrête ? 
Quel autre dans leur camp n'eôt fait voler sa télé ? 
Et moi , loin de frapper , je tremble en ce moment , 
Que leur zèle , poussé jusqu'au soulèvement , 
Malgré moi ne m'arrache un ordrç nécessaire^ 
£h ! qui sait si tantôt , secondant 1;a. prière , 



ET ZËANGIR. 507 

Ce reste de bonté , qui m'enchaine le bras , 
N'a point porté rers toi mes regrets et mes pas ; 
Si je n'ai point cherché , dans Tiiorreor qui m'accaUc , 
A pleurer avec toi le crime et le coupable 7 
Hélas ! il est trop rrai qu'au déclin de mes ans ^ 
Fuyant des yeux cruels , suspects , indifFérens, 
tk>ntraint dé renfermer mon chagrin solitaire , 
J^ chéri l'intérêt que tu prends à ton frëre ; 
Et qu'en te refusant , ma douleur aujourd'hui 
Goùtje'^elque plaisir à te parler de lui. 

2ÉANGIR. 

Vous l'aimez , votre cœur embrasse sa défense. 
Ah ! si vos yeux trop tard voyoient son innocence ; 
Si le sort vous condanme à cet affreux malheur , 
Avouez qu'en efiet vous mourrez de douleur. 

SOLIMAN. 

Oui. Je mourrois , mon fils , sans toi , sans ta tendresse , 
Sans les vertus qu'en toi va chérir ma vieillesse. 
Je te rends grâce , 6 ciel , qui , dans ta cruauté , 
Yeux que mon malheur même adore ta bonté ; 
Qui dans l'un de mes fils prenant une victime , 
De l'autre me fait voir la douleur magnamme , 
Oubliant les grandeurs dont il doit hériter , 
Pleurant au pied du trône et tremblant d'y monter. 

ZÉANGIR. 

Ah! si vous m'approuvez , si mon cœur peut vous plaire , 
Accordez-m'en le prix en nie rendant mon frëre. 
Ces sentimens qu'en moi vous daignez applaudir , 
Communs à vos deux fils, oiit trop su les unir. 
Vous formâtes ces nœuds aux jours de mon en^Einoe; 
Le temps les a serrés,..* c'étoit votre espérance t 



5a8 MUSTAPHA 

Ali! ne les brisez point. Songez quels ennemis 

Sa valeur a domptas , son bras vous a soumis. 

Quel triômpbe pour eux! et bientôt quelle audace. 

Si leur haine apprenoit le coup qui le menace ! 

Quels vœux , s'ils contemploient le bras levé sur lui! 

Et dans quel temps veùt-on vous ravir cet appui? 

Voyez le Transilvain, le Hongrois, le Moldave, 

Infester à l'envi le Danube et la Drave. 

Rhodes n'est plus! D'oii vient que ses fiers défenseurs^ 

Sur le rocher de Make , insultent leurs vainqueurs? . . 

Et que sont devenus ces projets d'un grand homme , 

Quand vous deviez , seigneur , dans les remparts de Rome | 

Détruisant des chrétiens le culte florissant , 

Aux murs du Capitole arborer le croissant? 

Parlez, armez nos mains , et que notre jeunesse 

Fasse encor respecter cette auguste vieillesse. 

Vous, craint de l'univers,. revoyez vos deux fils 

Vainqueurs, à vos genoux retomber plus soumis , 

Baiser avec respect cette main triomphante , 

IncHner devant vous leur tête obéissante , 

Et chargés d'une gloire offerte à vos vieux ans , 

De leurs doubles lauriers couvrir vos cheveux blancs. 

Vous vous troublez, je vois vos larmes se répandre. 

SOLIMAN. 

Je cède à ta douleur et si noble et si tendre. 

Ah! qu'il soit innocent, et mes vœux sont remplis. 

Gardes , que devant moi l'on amène mon fils. 

ZÉANGIR. 

( Aux gardes. ) 
lif/OfL père.... demeurez.... Ah! souffrez que mon zelr- 
Coure de vos bontés lui porter la nouvelle; 
Je reviens avec lui me jeter à vos pieds. 



ET ZÉANGllt. Sog 

« 

sc^NE m. 

SOLIMAN, seul. 

O NATURE ! ô plaisirs trop long-temps ou];»liës ! 

O doux épanchemens qu'une contrainte austère 

A long-temps interdits aux tendresses d'un père , 

Vous rendez quelque calme à mes sens oppressés l 

Égalez vos douceurs à mes ennuis passés. 

Quoi donc! ai-je oublié dans quels lieux je respire j 

Et par qui mon aïeul , dépouillé de l'empire , 

Yit son fils?.... Murs affireux ! séjour des noirs soupçons, 

Ne me retracez plus vos sanglantes leçons. - 

Mon fils est vertueux , ou du moins je l'espère. 

Mais si de ses soldats la fureur téméraire 

Malgré lui-même osoit.... Triste sort des sultans 

Héduits à redouter leurs sujets , leurs enfans ! 

Qui? moi! je souffrirois qu'arbitre de ma vie.... 

Monarques des chrétiens , que je vous porte envie! 

Moins craints et plus chéris , vous êtes plus heureux» 

Vous voyez de vos lois vos peuples amoureux -; 

Joindre un plus doux hommage à leur obéissance ; 

Ou, si quelque coupable a besoin d'indulgence. 

Vos coeurs à la pitié peuvent s'abandonner , ■ 

Et , sans effroi du moins , vous pouvez pardonner. 

SCÈNE IV. 

SOLIMAN, LE PRINCE, ZÉANGIR, 

SOLIIVÏAN. 

9 

Vous me voyez encor, je vous fais cette grâces 
Je veux bien oublier votre nouvelle audace. 
Sans ordre , sans aveu , traiter avec Xhamas ^ 



SlO MUSTAPHA 

Est un crime qui seul mëritoit le trépas. 
Offrir la paix! qui? vous! de quel droit? à quel titre? 
De ces grands interéjts qui vous « fait l'arbitre? 
Sachez , si votre main combattit pour l'état. 
Qu'un vainqueur n'est encor qu'un sujet, un soldat. 

LE PRINCEL 

Oui , j'ai tâché du moins , seigneur , de le paroitre^ 
Et mon sang prqdigué.... 

SOLIMAN. 

Vous serviez votre maître. 
Votre orgueil croiroît-îl faire ici mes destins? 
Soliman peut encor vaincre par d'autres mains. 

Un autre avec succès a marché sur ma trace, 

* \ 

Et votre égal un jour.... 

LE PRINCE. 

Mon frère ! il me surpasse : 
Le ciel, qui pour moi seul garde sa cruauté. 
S'il vous laisse un tel fils , ne vous a rien ôté. > 

SOLIMAN. 
Qu'entends-je ? à la grandeur joint-on la perfidie ? 

ZÉANGIR. 
En se montrant à vous , son cœur se justifie. 

SOLIMAN. 

Je le souhaite au moins. Mais n'apprendrai-je pas 
Le prix que pour la paix on demande à Thamas? 
Le perfide ennemi, dont le nom seul m'offense, 
Vous a-t-il contre moi promis son assistance ? 



ET KÉAKGlIt Su 

LE PRINCE. 

Juste CîeH ee soapçeiî me feit frémir d'horreur. 
Si le crime un moment îùt entré dans mott coeur 
( Vous ne penserez pas que k mort m'intimide) y 
Je vous dirmst Frappée, pmiifisez un perfide. 
Mais je suis innocent, mais Fombre cPun forfidt...» 

SOLINAH. 
Eh bien ! je veux vous croire, expliquée ce bOlet. 

LE PRINCE» après wi moment de silence. 

Je frémis de Faveu (pi'il faut que je vous fasse ; 
Mon respect s.'y résout , sans espérer ma grâce r 
J'ai craiitt , je l'iavonerai , pour des jours procieuXi. 
J'ai craint , non le courroux d'u& sultan généreux , . 
Mais une aain.«.. Seigneur , votre mom , votre fjiom^ 
Soixante ans de vertus cfaers k nptre mémoire , 
Tout me répond des jours commis à votre foi , 
Et mes malheurs du moins n'accableront que moi. 

SOLIMAN. 
Et pour qui ces terreurs ? 

LE PRINCE. 

Cet écrit , ce message ^ 
Que de la trahison vous afvee cm l'ouvrage y 
C'est celui de l'amouir ^ ord/Qi^ieïi mon trépas t 

Votre fils brûle ici pour le sang de Thamas*. 

•. ■ j ... 

SOLIMAN. 
Pour le sang de ThamasT 

Oui , j'adore AaAnjrew 



3l^ MUSTAPHA 

Pal9->je l'entendre , ô oîel ! et qu'oses-tu me dire? 

Est-ce là le secret que j'ay(H$ attiendu? 

Yoîlà donc le garant que m'offre ta vertu ! 

Quoi ! tu pars de.ces lieux , chargé de ma vengeance^ 

Et de mon ennemi tu brigue» l'alliance! 

ZÉAIfGIR. 
S'il mérite ia mort, si votre haine.... 

SOLIMAN. 

.Eh bien? 

ZÉANGIR. 

lu'amour est son seul crime , et ce crime est le mîenv- 
Vous voyez mon rival ^- mon rival que l'oii aime : 
Ou prononces sa grâce j ovd xa'immolez moi-même* 

SOLIMAN. 

• (•••■/•, 

Ciel! de mes ennemis suis-je donc entouré? 

ZÉANGIR. 

De deux fils vertueux vous êtes adoré. 

■'..•. 

SOLIMAN. 
O surprise ! o douleur ! 

ZÉANGIR. 
Qu'ordonnez-vous ? 

LE PRINCE. 

Mon père y 

Bien n'a pu m'abaisser jusques à la prière , 

Rien n'a pu me contraindre à ce cruel effort ^ 

Et je le fais enfin , pour demander la mort. 

Ne punissez que moi. 



Et ZÉANGIR. Si 5 

ZÉANGIR. 

C'est perdre l'un et l'autre* 

LE PRINCE. 
Cest Vôtre unique espoir. 

ZÉANGIR. 

$a mort seroit la vôtre. 

LE PRINCE. 
C'est pour moi qu'il révèle un secret dangereux^ 

ZÉANGIR. 

Pour vous fléchir ensemble j ou pour périr tous deux^ - . 

LE PRINCE. 
D m'îmmoloit l'amour qui seul peut vous déplaire* 

ZÉANGIR. 
J'ai d sauver des jours consacrés à son përe* 

SOLIMAN. 

Mes enfans , suspendes ces généreux débats* 
O tendresse héroïque ! admirables combats I 
iSpectacle trop touchant offert .à ma vieillesse ! 
Mes yeux connoîtront-ils des larmes d'allégresse ! 
Grand EHéu! me paye2>vous-de mes longues douleurs? 
De mes troubles niortels chasseE-Voos les hcNrreura? 
Non, je ne croirai point qu'un jCXBur.si magnanime 
Parmi tant de vertus ait laissé f^ace au^crimeV- ! 
Dieu ! vous m'épargnerez 1^ malheur.... 



Si4 MUSTAPHA 

SCÈNE V. 

LES PRÉCÉDENS, OSMAN. 

OSMAN. 

PAEOtssst'; 

Le trâne est en péril , vp6 Jourt font menacés. 
Transfuges de leur camp , de lu^mbreux Janissaîres> 
Des fureurs de l'armée insolens émissaires. 
Dans les murs de Byzance ont semé leur terreur ; 
Séditieux !m§ .çh?f , mit^ pt? Iflt donleiir» 
Ils marchent. Leur maintien , leur silence menace. 
Et pâlissant de crainte , ils frémissent d'audace^ 
Leur câlmë est effrayant ,' leurs yetix avec horreur 
De8 remparts du sérail mesurent la hauteur. 
Déjà, devançant l'heure aux prières marquée, 
Les flots d'un peuple immense inondent la mosquée ^ 
Tandis que dans le can>p tiBf &^M séditieux 
D'un désespoir ^^i|<[^)iet;qpmy«;^l^ I9» yeiiiif. ' 
Que des plus forcenés l'emportement funeste 
Des drapeaux déchirés ensevelit le reste: 
Comme si leur courroux , en \eg foulant aux pîéds^^ 
y enoit d'anéantir lem-s sermens oubliés. 
Montrez*voa5, inn>osdt à leur foule insolente. ' 

S^QLIWAJIiL 

J'y cours s v* , poér %^ senl un per« 8*^K»zvtfBtè. 
Frémis ée mon danger, fr&ttis d^ tour fureur } ' ■ 
Et surtout faà deft vceux p^ur me revoir vainqiiiéol' 



■•"«t 






LE PRINCE. 



Je fais plus : sans frémir je deviens leur otage ; 
J'aime à l'être , seigneur, je dois ce témoignage 
A de braves guerriers qu'on veut rendre suspects,. 



ET kéângir. 5i5 

Quand leur douleur soumise atteste leurs respects. 
Ah! s'il m'ëtoit permis , si ma vertu fidèle 
Pouvoit , k vos cét^ , désavouant leur thlcy 
Se montrer, leur apprendre en signalant ma foi , 
Comment doit éclater l'amour qu'ils ont pour moi!.,.» 

SOLIMAN : moiQ^m de lileacf. 

Ckurdes , qu'il soit conduit dans Fenceint» «icrëe • 
Des plus audadeuK en tout temps révérA. 
Qu'au fidèle Nessir ce dépôt eoit commis. 
Va y mpn destin jamais ne dépendra d'un fils. 
Yisir , à set soldats , aux «vainqueurs dé l'Asie i 
Opposez vos f^rriers vainqueurs de la Hongrie | 
Qii'qh 4oit prêt à marcher à mon cammandemcntt 
Veillez sur le sérail* 

SCENE VI. 

ZÉANGIR, 05MAN- 

ZÉAI^GIR. 

Arriêtbs un moment. 

C'est vous qui y fie ifion ff èrci accusât l'innpcence , 

. t ■ ■ ■ 

Contre lui du sultan excitez la vengeance. 

Je lis dans votre cœur^ et cençeîs vos desseins : 

Vous voulez par si^ mort. ^WKfir me§ 4ç^itiu$» 

Et des pièges qu'ici l'amitié me présente 

Garantir par pitié ma jeunesse imprudente. 

Vous croyez que vos soins , en m'immolant ses jours , 

M'affligent un moment pour me servir toujours j 

Que, dans l'art de régner sans doute moins novioe^ 

Je sentirai le prix d'un si ra^TÇ service , 

£t que j'approuverai dans le fond de mon cœur 

Un crime malgré moi coBi^iif pour wa grandeui^. 



5l6 MUSTAPHA^. 

OSMAN. 

Moi, seigneur^ cpe mon âme à ce point abaissée.... 

ZÉANGIR. 

Vous le nieriez en vain , telle est votre pensée. 
Yous attende? de moi le prix de son trépas y 
Et même en ce moment Von^ne mie croyez pas» 
Quoi qu'il en soit , visir, tâchez de me connoitre : 
D'un écueil à mon tour je vous«auve peut-être^ 
Ses dangers sont les miens, son sort fera mon sort,.: 
Et c'est moi qu'on trahit en conspirant sa mort. 
Vous-même, redoutez les fureurs de tna mère, 
TremUez autant que mdl pour les jours de laon frëre : 
A ce péril nouveau c'est vous qui les livrez^ " 
Je vous en &is garant et vous m'en répondrez. 

OSMAN, senl. 
Quel avenir, 6 ciel! quel destin dois-je attendre l 

SCÈNE VIL 

ROXELANE, OSMAN. 
ROXELANE. 
Viens , les momens sont chers : marchons. 

OSMAN. 

Daignez m'entendre. 

ROXELANE. 

Eh quoi? 

OSMAN. 
Dans cet instant Zéangir en courroux...» 



ET ZÉANGIR. S17 

RpXELANE. 

IS^'importe. Ciel ! Fingrat!.... Frappons les derniers coups. 
Le sultan hors des murs va porter sa présence. 
Dans un projet hardi viens servir ma vengeance* 

OSMAN. 

Quel projet? ah! craignez.... 

KOXELANE. 

Quand un sort rigoureux 
A voulu qu'un dessein terrible ^dangei^eux y 
Devînt en nos malheurs notre unique espérance, 
Il faut, pour l'assurer, consulter la prudence, 
Balancer les hasards , tout voir , tout prévenir^ 
£t , si le sort nous trompe ^ il faut savoir mourir. 



3l8 MUSTAPHA 

ACTE V. 

Le thëÂtre repraente rintmcnr de renoeiiite sacrëe : Nessir et les Gardes 
au fond du théâtre j le Prince sur le devant , et assis au commenceount. 
dumonok^ue. 

SCÈNE PREMIÈRE. 

LE PRINCE , seul. 

L'excès du désespoir semUe calmer mes sens. 

Quel repos ! moi des fers! 6 douleur! 6 tonrmeiisr 

Sultane ambitâense , adLève ton ouvrage } 

Joins pour m'assassiner l'artifice à la rage ; 

A ton lâche visir dicte tous ses forfaits. 

Le traître! avec quel art, secondant tes projets , 

De son récit trompeur la perfide industrie 

Du sultan par degrés réveilloit la furie ! 

Combien de ses discours l'adroite fausseté 

A laissé , malgré lui , percer la vérité I 

Ce peuple consterné , ce silence , ces larmes 

Qu'arrache ma disgrâce aux publiques alarmes , 

Ce deuil marqué du sceau de la religion , 

C'étoit donc le signal de la rébellion ! 

Hélas! prier, gémir, est-ce trop de licence? 

Est-on rebelle enfin pour pleurer l'innocence ? 

£t le sultan le craint ! 11 croit , dans son erreur, 

Aller d'un camp rebelle apaiser la fureur ! 

Il verra leurs respects dans leur sombre tristesse ; 

On m'aime en chérissant sa gloire et sa vieillesse. 

Suspect dans mon exil , nourri presque opprimé , 



ET S&ÉAKGIR. 3a^ 

A révérer son nom je les accoutumai; 

Son fils à ses vertus se plut à rendre hommage ; 

Que ne m'a-t-i! permis de Faimer davantage* ! 

On ne vient point : 6 ciel ! on me laisse en ces Keux y 

£n ces lieux si souvent teints d'un sang précieux , 

Ou tant de criminels et d'innocens , peut-être , 

Sont morts sacrifiés aux noirs soupçons d'un maître! 

Que tarde le sultan 7 s'esl-îl enfift montré? 

A-t-il vu ce tumulte , etyesb-il rassuré? 

Et Zéangir! mon jBrëre , ô vertus ! ô tendresse ! 

Mon frère ! je le vois , il s'alarme , il s'empresse ^ 

De sa cruelle mère il fléchit les fiireurs; 

Il rassure Azémîre , il lui donne des pleiirs,. . . 

Lui prodigue des soins y me sert dans ce que. j^aime : 

Une seconde fois il s'immole lui-même. 

Quelle ardeur enflammoit sa gétiérosité , 

En se chargeant dm. crime k moi seul imptité! 

Quels combats ! quels transports ! il me rendoit mon père; 

C'est un de ses bienfaits, je dois tout à mon frëre. 

Non , le ciel , je le vtns, n'ordonne point ma mort; 

Non , j'ai trop accusé mon déplorable sort; 

J'ai trop cru mes douleurs , tout mon cœur les eondàsÉiiè. 

Je sens qu'en ce moment je ftàis tfioins Roxelane. 

Mais quel bruit I «h! da iftoiflfis... que vois^e? le visir ! 

Lui y dans un tel moment ! lui dans ces litiM ! 

SCÈNE a 

LE PRINCE, OSMAN. 
OSMAN. 



NESSIR; 



Adores k genoux f ordre de votre maître. 

<ii lui vemn wê. fafitr. ) 



Sm MUSTAPHA 

LE PRINCE , assis et après un moment de sikace. 
Et VOUS a-t-on permis de le £siire connoitre? 

OSMAN. 
Bientôt vous l'apprendrez. 

LE PRINCE. 

Et que fait le sultan? 

OSMAN. 
Contre les révoltés il marche en cet instant. 

LE PRINCE. 

(A part.) (Haat.) 

Les révoltés! 6 ciel! contraignons-nous. J'espère 

Qu'on peut m'apprendre aussi ce ^e devient mon frère* 

OSMAN. 
Un ordre du sultan l'éloigné de aes yeux. 

LE PRINCE, à part. 

Zéangir éloigné ! mon appui ! justes cieux ! 

(Haut.) 
Azémire.... 

OSMAN. 

Azémire à Thamas est rendue ; 
Elle quitte Byzance. 

LE PRINCE, à part. 
O rigueur imprévue ! 

( Haut. ) 
Quel présage! Et Nessir.... cet ordre.... 

OSMAN. 

Est rigoureux. 
Craignez de vos aipis le secours dangereux*. 



Et 2ÊAN6IR. Z21 

Qui vouait vous servir vous trahiroit peat-4tre. 
Ce séjonr est sacre ; puisse-tp-il toujours Titre ! 
Souhaiteat-le , et trenJïles : vos përils sont accrui t 
Ce zële impétueux qu'excitent vos vertus.... 

LE PRINCE. 

Cessez } je sais le prix qu'il fkut que j'en espère ; 

Roxelane avec vous les vautoit à mon père. 

Sortez. 

OSMAN. 

Vous avez lu, Nessir, obéissez, 

SCÈNE IIL 

LE PRINCE, seul. 

O CIEL ! que de malheurs à la fois annoncés I 
Zéangir écarté ! le départ d'Azémire I 
Tout ce qui me confond , tout oe qui me dédiiret 
Craignez de vos amis le secours dangereux I.... 
Je lis avec horreur dans ce mystère a£Preux. 

(A Nessir. } 

Si l'on s'armoit pour moi, si Ton forçoit Pencemte....' 
Tu frémis, je t'entends.... D'où peut naître leur crainte? 
Leur crainte ! on l'espéroit : cet espoir odieux 
Le visir Tannonçoit , le portoit dans ses yeux. 
S'il ne s'en croyoit sur, eût-il osé m'instruire? 
Viendroit-il insulter l'héritier de l'empire? 
Comme il me regardoit , incertain de mon sort, 
Mendier chaque mot qui me doimoit la mort I 
Et j'ai dû le souffrir, l'insolent qui me brave I 
Le fils de Soliman bravé par un esclave I 
Cet affront , cette hoireur manquoient à mon destin ; 
Après ce coup affreux, le trépas I...« Mais enfin, 
II. ai 



Sua MUSTAPHA 

Qnî peut les eniiardir? quelle est leur ^pérance? 

Qu^on attaque Tenceinte ? et sur quelle apparence ? . . . J 

Est-ceidaiw ce sérail que j'ai donc tant d'amis ! 

Parmi ces cœurs rampans , à l'intérêt soumis , 

Qu'importent mes périls, mon sort, ma renommée? 

C'est le peuple qui plaint l'innocence opprimée. 

JL'esclavè du pouvoir ne tremble point pour moi t 

A Roxelane ici tout a vendu sa foi.... 

Quel jour vient m'éclairer? Si c'étoit la sultane..^; 

Ce crime est en effet digne de B.oxclane. 

Oui , tout est éclaircL Le trouble renaissant, ' 

Le peuple épouvanté , le soldat frémissant , 

C'est elle qui l'excite : îelle effrajoit mon père , 

Pour surprendre à sa main cet ordre sanguinaire. 

Les meurtriers sont pré lis, par sa rage apostés ^ 

Les coups sDnt4itteiidui j les momens sont comptés. 

Grand Dieu ! si le Malheur*, si la foible innoceuce 

Ont ^oit à ton secours non. jnoins qu'à ta vengeance; 

Toi dont le bras prévien.t ou punit les forfaits , 

Au lieu de ton courrpuX; signale tes bienfaits ; 

Je t'en conjure , ô Dieu , j^ar la voix gémissante 

Qu'élevé à tes autels la douleur suppliante , 

Par mon respect copstant pour ce père trompé 

Qui périra du coup dont tu m'auras frappé , 

Par ces vœux qu'en mourant t'offroit pour moi ma mëre\^ 

Je t'en conjure.... au nom des vertus de mon frère. 

Calnaom-nous , espérons : je respire ; mes pleurs 

De mon cœur moins saisi soulagent les douleurs : 

Le ciel Qu'ai-je, entendu?.... 

( Au bi'iiit q[ii*on- entend, les gardes tirent leurs coaCclas. Nessir 
tire Sun poignaid. IX^ssir ccouie s^ii entend un second bruit.) 

Frappe } ta main chancelle; 
Frappe^ 



tl^ seeonâ brait se fait jentfo^ïe. Ceux desgardet qui-sQHt à 1a 
droite da prince , passent devant lui pour aller vers la porta 
de la prison , et en passant ^ovmem un rideaa > ^t'Aliu^ 
aller absoloment Taction de Nessir aux jeux, du public. J 



^ i 



■■> T 



LE PaiNGj:, ZÉATÎGIIL 

tl&ÉAMGIit^.MTaiiçaiit jfifcpie,fi|r le devant da tbcâtre de:^«l»tr•^ 

côi^. , , 

YiBirs., signalons .notre foL,- notre «ëlej , ... ■ ; ; 
Courons vers le sultanj désarmons les soldats s 
4Qu!il reconnoisse enfin.... •ri 

(En ce moment les j^^udet |j«t y^iiTironnoîent le prince mou- 
rant , se rangent et se développent de manière à laisser voir le 
'prinée à'Zéaikgir et aux spectiâenrs.) 

( . :0 ciel! que, v^)i&2;kâ4s:L:.u 

Mon frërc^ mqn .cjier i&jer<ei ô cr;pnç j .^ I^iiarie l . , ^ , j. , - 

(Aux gardes.) . , . j,^ , 

Monstres, quel noir projet ^ queO^ aveugle furie l-^ 

( Nessir Jui montre l'ordre , sur lec|ael 2^ang^r jette les yeux. ) 

^u'ai-]e la? qu'ai-'je ùl\3 malbenreuxt quoi! ma maîo...* 
O mon frère! et c^éstm6!'^ij\ti'siiàryi assassin! 
O sorti c'est Zeangir que tu i&is pMnrfcidef ; 
Quel pouvoir ibrmidat^lç 4 nc^. 4$stiiis préside! 
' Ciel! \ \ ■'' " 

tLê Grince, 






' « M < • » I > ' 



De trop d'ennenàfe j'étbiB enveloppé ; 
Ton frëre. ji Içurs. foreurs a^'ai^ro^t point éc^ppé. 
Je plains le désespoir ^ii ton âmq est en, proie. 
La mienne en ce malheur goûte au moins quelque joie 
Je te revois encor : je ne Fèsperoîs pas ^ 
Ta présente adoucit Fhorreur de «i^tfépsis. 






t • 



Sfl4 .«USTAPHA 

ZÉANGIft. ' 

Tu BMors l «hi c^ea «fit &kl 

SCÈNE V et dernière. 

LE PRINCE, ZÉAIÏGm, iSOUMAN, ROXELANE. 

SOLIUttAN. 

QoeOe morne terreur àiuâi tous les yeux écrite ! 
Que yoî»je ? se peirt41 7À * . "mon €ls mouranft , t cieux I 

ROXELANK 
n n'est pins. 

SOLIMAN. 
Quoi! Nessisy quel bras aiidadei:(i?.**« 

ZÉAlfCrIii /•iè'niefuit de êéum le corps de son frètcSi 

r , 

Pleurez' sur l'attentât /pleurez 6ur lé edi^U^ 
CestZéangir. 

SblitMAN. 
crime ! ô jour ëpouvantalle ! 

ROXp^APfÇ, àpart. 
lour plus affreox pour mdt I 

SOLIMAN. 

Cruel ! c[u*espérois-tu? 

2ÉANG». 

Prévenir vos clangers, vous montrer sa vertu; 
Des soldats désarmés arrêter la licence» 

SOLIMAN. 

Hélas I dans leurs rec^iects j'ai vusos ionoçenoew' 



£T:zÉANGIR. SfiS 

» 

Détrompe , pléiade JM, en les ti oarâiit souonif , 
'Tout mon cœuf i^écrîoit t Vous mci rente mxm filsf 
Et pom- des jou«eMoher»^piaaâ)€r Atîs UB»i\»aÊe9f 
Quand j'apporte eacie* £««KBia tefidpeMf etweelamMi.'.** 

* 

^É A KG I R > hors de li|i et s'adressailt à Rozelaiie. 

C'est vous dont la furenjr régor|;e j»t mpu bra3 y. 
Vous dont L'ambition jouit de son tréjfsn^f 
Qui , suc tant de vertus fenni^it l^yeux-d'un përei 
L'avez fait un memeut injuste ^ «anguinaûce.... 

(A Solimi^. }- 
Pardonnes., j/» vous plwi^s )^ vow qbéri^i^«. bob»!' 
Je connois votre coeur, vous n*y survivrez pas^. 
C'est la dernière fois €pB le miieB voue oSense» 

( Regardant sa mère. ) 

Mon supplice finit y et le vôtre commence. 

( n jM tne sur le ctxep desoi\ frire.) . ^ 

O comble de»^ barreurs! 

ROXELANE. 

sot WAir. 

O père mfiMrhitié !' 

ROXELANE. 

Alalheureuse ! mon fils • 
Lui pour qui j'ai tout fait ; lui , depuis sa naissance ^ 
De mon ambition l'objet , la récompense ! 
Lui qui punit sa mère en se donnant Ta mort y 
Par qui mon désespoir me tient lieu de remord ! 
Pour lui j'ai tout séduit y ton visir , ton armée 5 
Je t'effrayois du deuil de Bysance alarmée ; 



• \ 



/ .1' y 






Sa6 MUSTAPHA ET TiËANGIR; 

ÏJé ton fils en secret f exdtoîs les soldatà :;.! 

Par cet ordre swrpns tu signois son tpépàf: ^ 

Je focçok sa prison , sa perte ëtoît certaine* 

L'anûlié de iBon fils a. devancé toa haine. 

Un Dieu vengeur |^ lai prévenant mon dessein..^ 

Le Musulman le pense j et je le crois enfia,. 

Qu'une fatalfté terriBTe , irrcvocaBle , 

Vous enchaîne à ses lois , de soti joug nous accahlé f 

Qu'un Dieu , près de l'abîme ôii nou^evons périr ^ 

Même en nous le nfiontrant^ nous force d^y courir i 

J'y tombe sans efiBroi 5 j'y brave sa colère , 

Le pouvoir d'undedpëté etlte fureurs d^ùn père. 

Ma mort.. .^' 

f Elle ifiik an pM tci»ion filf. V 

SOLIMAJM. * 

* ^ ■ 

Non , ta vivras pour pleurer tes forfaits^ 
Monstre l De ses transports prévenez les e£Eets. 
Qu'on l'enchaîne en ces"' lieux , qu'en veille sur sa viei. 
Tu vivras dans les fers et dans l'iguoxninie y 
Aux plus vils des humains vil objet de mépris , 
Sous ces lambris affreux teints du sang de ton fils^ 
Que cet horrible aspect Ite poursuive sans cesse y 
Que le Ciel , prolongeant ton o1>scure vieillesse , 
T'abandonne au courroux de ces mânes sanglans t 
Que mon ombre bientôt redouble tes tourmens ^ 
Et puisse en inventer de qui la barbarie 
Egale mes malheurs , ma haine et ta furie. 

FIN DE MUSTAPEA ET ZÉANGIIL 



LA 



JEUNE INDIENNE, 



COMÉDIE 



EN UN ACTE EX EN TER S. 



V 



PERSONNAGES. 



BETTI. 
BELTON. 
MQWBRAI. 
MYLFORD. 
UN NOTAIRE, 
JOHN, hyiaû. 






mmlmmÊmmimiimm 



Ia fcèoe e^t à Gbifflenown « colonie angliûw de F Amérifae leptenttioiiale^ 



p»»»#»»»»^»»*^»»>l^»*»^»»»l** »*•<»• *####^»»<^»»#»»<##»#»#<^###»^»^ 



LA 



JEUNE INDIENNE, 



COMÉDIE. 



SCÈNE PREMIÈRE. 

BELTON, MYLFORD. 

MYLFORD. 

XX Charlestown , enfin , vous voilà revenu : 

L'axni que je pleurois à mes vœux est rendu. 

Je vous vois , vous calmez ma juste impatience. 

Mais de ce morne accueil que faut-il que je pense ? 

J'arrive au moment même : en entrant dans le port , 

J'apprends votre retour , j'accours avec transport. 

Je m'attends au bonheur de rëpandre ma joie 

Dans le sein d'un ami que le ciel me renvoie : 

Je vous trouve abattu , pénëtrë de douleur. 

Daignez me rassurer ^ ouvrez^moi votre coeur* 

Tout semble vous promettre un destm plus tranquille. 

De ces lieux à Boston le trajet est Ëicile ; 

D'un përe j avant trois jours , vous comblerez les voeux... 

BELTON. 

Ah ! j'ai ùât son malheur ! Comment puis-je être heureux ? 
La jeunesse d'un fils est le vrai bien d'un përe. 
Je r^ette mes jours passés dans hi nûsere. 



35a LA JEUNE INDIENNE, 

Ces fours sî prodigués , dont un plus sage emplor 

Pouvoît me rendre utile à ma. famille , à moi. 

Des long-temps , cher Mylford , une fougueuse ivresse ^ 

L'ardeur de voyager domina ma jeunesse. 

J'abandonnai mon père , et le ciel m'en punît. 

Dans un orage affreux notre vaisseau périt. 

Je fus porté mourant vers une île sauvage : 

Un vieillard et sa fille accourent au rivage. 

J'allais périr , hélas ! sans eux , sans leur secours : 

Quels soins , quels tendres soins ils prirent de mes jours f 

Leur chasse me nourrit : leur force , leur adresse ^ 

Pourvut à mes besoins et soutint ma foiblesse. 

Voilà donc les mortels parmi nous avilis! 

J'avois passé quatre ans dans ce triste pays , 

Quand ce vieillard mourut. L'ennui, rinquiétude. 

Mon père , mon état , ma longue solitude , 

Cet espoir si flatteur d'être utile à mon tour 

A celle dont les soins m'avoient sauvé le jour , 

Tout me rendit alors ma retraite importune : 

J'engageai ma compagne à tenter la fortune. 

Vous savez tout. Apres mille périls divers , 

Nous fibnes à la fin rencontrés sur les mers 

Par un de vos vaisseaux qui nous sauva la vie. 

Mais quels chagrins encor il faudra que j'essuie I 

Il faudra retourner vers un përe indigné 

Contre un fils criminel et plus infortuné. 

Soutiendrai-je ses yeux en cet état funeste? 

Irai-je de sa vie empoisonner le reste ? 

Prodigue de ses biens , et même de ses jours , 

Puis-je encor justement prétendre à ses secours? 

MYLFORD. 
L'amour et l'amitié vont d'une ardeur coniiauao 



COMÈDIEc 5Sl 

jyxm amant , d'un ami réparer la fortune» 

BELTON. 
Li'amour?.... 

M\LFORD. 

Oabliez-vous qa'Arabelle antrefins 
Fut promise à vos voeux ? £h ! vous l'aimiez , je croîs«. 

BELTON. 

Personne sans Taimer ne peut voir Arabelle : 
Mais quand Mowbrai formoit cette union si belle , 
Quand cet aimable objet à mes voeux fut promis ^ 
De l'amour , je le sens , il n'étoit pas le prix. 
Votre oncle affermissoit une amitié sincère 
Qui joignoit ses destins aux destins de mon père ^ 
Mais croyez-vous encor qu'il voulût aujourd'hui ^ 
Après cinq ans passés.... 

MYLFORD. 

Quoi! vous doutez de lui? 
Vous ignorez pour vous jusqu'oii va sa tendresse. 
Vos malheurs vont hâter l'effet de sa promesse. 
Les charmes d'Arabelle augmentent chaque jour.r 
Je lirai dans son coeur , il sera sans détour. 
Pour vous , voyez mon oncle; il est d'un caractère 
Excellent , sans façon ; d'une vertu sévère. 
La secte dont il est tranche les complimens ; 
Les Quakers y comme on sait , ne sont pas fort galam» 

BELTOII. 
Eh ! depuis si long-temps vous croyez qa'Arabelle...» 

MYLFORD. 
Répondez-moi de vous j je réponds presque d'elle. 



5SS LA^JEUNE INDIENI9E, 

BELTON. 

Revenez an plus tôt : un ceenr comme le mien 

Doit y TOUS n'en cloutez pas y goûter votre éntretieil» 

Vojre onde m'est fort cher : }e Faîme ^ mais son âge 

M'impose cEVi respect ^ et m'interdit Fos^e 

De ces ëpancfaemens à Famitië si doox : 

Mon cœur en a besoin , et les garde poor vous» 

SCÈNE II. 

BELTON , seul. 

Je revois ce séjour ! je vis parmi des bonmieà ! 
Quel'sort vais-je éprouver dans les lieux oii nonssomédiés? 
Cet hymen d'ArabelIe y autrefois projeté y 
Devient , dans ma disgrâce , une nécessité. 
Généreuse Betii , tes soins et ton conrage • . ' 

Sauvent mes tristes jonra, ni'àri'athent an naufrage : 
Je saisis le bonheur au fi»nd de tes déserts , 
£t je trouve mue amante au bout de Funivers. 
Pourq[uoi donc te ravir à ce climat s^uvagis ? 
Étois-je malbaureux? Ton cœur fiit mon partage* 

ciel ! je possédok , dans ma félicité , 
Ce cœur tendre et sublime afvec simplicité. 
Heureux et satisfaits, du. bonheur Fun de l'autre , 
Dans un affreux séjour ^iel< d/estia {ut le nâtre ! 
Le mépris n'y suit point la triste pauvreté ^ ^ 

Le mépris , ce tyran de la société , 
Cet horrible fléau , ce poids ihsiipportable 
Dont FhoBiané aecaJ^le Fhomme^t char^ son semhldbil»^ 
Oui , Betti , je le sens , j'aurois bravé pour toi 
Les maux que ton amonr a supportés pour moi. 

I 

Mais je ne pvis dompter F horreur inconsevftUe.^' 



COMÉDIE. 535 

Ma foiblesse à Betti paroitra pardonnable , 
Quand elle connoîtra nos usages , no« mœurs, 
Mon déplorable état et nos communs malheurs, 

SCÈNE m. 

MOWBRAI, BELTON. 

( BdiOB loi fait ane profonde r^e vence. ) 

MOWBAAl. 

LiissK-LA tes saluts , mon cher, couvre ta tète. 

Pour être un peu plus franc, sois un peu moins lionaéte. 

Je te Taî jd^à dit , et le dis 'de nouveau : 

Aime-moi , tu le dois; mais laisse total chapeau* 

Mon ami, tes erreurs et ta folle jeunesse 

De ton malheureux père ont hâté la vieiResse. 

Ce père fut pour moi le meilleur des amis. 

Je te retrouve enfin , je lui rendrai son fili* 

' I BELTON. 

Mais, monsienr... • 

MOWBRAL 
Heum, monsieur; c^est Mowbrai qu*bn menommë. 

BELTON. 
Pensez-vous.... 

MOWBRAL 

Penses-tu...;.' Je ne suis qu'un seul homme I 
Et non deux. Souviens-tf-en , et pairie au singulier» 

BELTON. 

Tu le veux t ehbieni^ok» Je va» vous.... tutoyer. 
Mon père est in^ulgentftoutfs ma 4rop'Iougu^ absence 
A peatrétre depoiftlossé;» j»i^tieace? 



534 ^^ JEUNE IIVDIENNE, 

Apres tous les chagnns que j'ai pu loi donner^ 
Le penses-tu? peut-îl encor me pardonner? 

MOWBRAI. 

Tune sais ce que c'est que l'âme paternelle. 

Des qu'un en£amt revient se ranger sous notre aile , 

On n'examine plus s'il est coupable ou non^ 

Et l'aveu de Terreur est l'instant du pardon. 

Mais après ce qu'ici je consens à te dire , 

Si désormais encor un imprudent délire 

T'égaroit, t'éloignoit des routes du devoir. 

Si d'un pareil aveu tu t'osois prévaloir. 

Je te mépriserois sans retour ; mais je pense 

Qu'après cinq ans entiers d'erreurs et d'imprudence , 

Le fils infortuné d'un ami généreux , 

Puisqu'il s'adresse à moi , veut être vertueux : 

Et , pour me mettre en droit d'adoucir ta misère.... 

(Ici Belton frëmit. ) 

Ta misère!.... oui. Voyez un peu la belle affaire ! 

Regardez comme il est confus ^ humilié , 

Pour ce mot de misère !.... O ciel ! quelle pitié! 

De ton père envers moi l'amitié peu commune 

Dernièrement encor a sauvé ma fortune. 

Je perdis deux vaisseaux , presqu'au port ; sous mes'yeux^ 

On me crut sans ressource : un créancier fougueux. 

Afin de ras^iûrer sa timide avarice , 

Veut que je fixe un terme , et que j'aille en justice , .- ? 

Par jan serment coupable autant que solennel , 

Déshonorer pour lui le nom de l'Eternel. 

A l'Être tout-puissant faire une telle injure î "^^ ''. ' ' 

J'*alIoîs m'exécu ter , la faillite étoit sûre , : 

Quand je reçus soudain ce billet. Lisw ^ '. 



COMÉDIE. ■ 355 

BELTQ N pread le billet et lit. 

« Monsieur. •••' 

MOWBRAL 
Ah! sans doute. 

BELTON commue. 

« Je viens d'apprendre le malheur 
» Qui vous met hors d'état de pouvoir £aire face 
» A quelqu'arrangement. Je vous demande en grâce 
» D'accepter de ma part cinquante mille ëcus, 
M Que j'ai fort à propos nouvellement reçus. 
» Ignorez , s'il vous plaît , l'auteur de ce service. 
^ Si la fortune un jour vous redevient propice , 
M Je les réclamerai. Conservez ce billet : 
a» Il est votre quittance , et je suis satisfait >». 

MO WBRAI, reprenant le billet. 

Ton père de ce trait me parut seul capable. 
C'est en effet à lui que j'en suis redevable. . . . 
Ne te voîlà-t-il pas interdit, confondu! 
Mon fils , ne sois jamais surpris de la vertu. 
Te voilà m^aintenant en état de comprendre 
Quel intérêt sensible à tous deux je dois prendre : 
Mais n'attends pas de moi des protestations, 
Des élans d'amitié , des exclamations. 
Je suis tout uni , moi. Sois donc de la famille : 
Dès ce jour mon neveu te présente à ma fille. 

BELTON. 
Vptre.... ta fille!.... 

MOWBKAI. 

» , ■ . I. 

£h ! oui. Tu semblés t'étonner ? 
A ton aise , s^entead, ne vas pas te gêner. .' 



556 LA JEUNE INDIENNE, 

BELTON* 

Des long^temps, en faveur d'une amitié fidèle ^ 
Ta bouche à mon amour promettoit Arabelle* 
J'aspirois à ces nœuds ^ et cet espoir flatteur^ 
Précieux à mon père y étoit cher à mon cœur. 
Mais je me rends justice , et j'ai trop lieu de craindre 
Que mes longues erreurs n'aient dû peut-être éteindre 
Cet espoir dont jadis mon cœur s'étoit flatté. 
Je sens que cet hymen , entre nous concerté , 
Seroit le seul moyen de me rendre à mon père ^ 
£t de m'ofirir à lui digne encor de lui plaire. 

MOWBRAL 

Va , mon cœur est encor ce qu'il fut autrefois; 

Je chéris ton malheur, il ajoute à tes droits. 

Oui , tant de maux soufferts , fruits de ton imprudence , 

Doivent t'avoir donné vingt ans d'expérience. 

Belton , il faut du sort mettre à profit les coups ; 

Oublier ses malheurs , c'est le plus grand de tous. 

Adieu.... Bon! glisse donc le pied! la révérence! 

( A part. ) 

Il me ùit enrager avec son élégance. 

Depuis trois jours entiers que nous l'avons ici, 

n ne se forme pas , il est toujours poli. 

( Haut. ) 

La franchise , mon cher, voilà la politesse : 

Les bois t'en auroient dû donner de cette espèce. 

( Il Teut sortir, et revient sur ses pas. ) 

A propos , j'oubliois.... Quelle est donc cette enfant 
Que toute ma famille entoure en l'admirant? 
En haint de sauvage , en longue chevelure , 
Je viens de Tentrevcnr. L'aimable créature ! 



COMÉDIE. 55^ 

BELTON. 

C'est elle dont les soins et les heureux travaux 
Ont protégé mes jours, m'ont conduit sur les eaux; 
Elle étoit avec moi , lorsque ton capitaine , 
l^ous voyant lutter seuls contre une mort certaine , 
Cingla soudain vers nous y et nous prit sur son bord. 

MOWBRAI. 

Ah ! ce que tu m'en dis m'iiDtéresse à son sort. 
Elle a des droits sacrés sur ta reconnoissance; 
Mais je te laisse. Adieu : la voici qui s'avance. 

(Usort.) 
BELTON, seul. 

Hélas! puis-je à mon coeur dissimuler jamais 

Qu'il n'est qu'un seul moyen de payer ses bienfaits? 

« 

SCÈNE IV. 

BETTI, BELTON. 

BETTL 

Ah ! je te trouve enfin. L'on m'assiège sans cesse. 
D'oii vient qu'autour de moi tout le monde s'empresse? 
On me fait à la fois cinq ou six questions ; 
J'écoute de mon mieux , à toutes je réponds : 
On rit avec excès. Que faut-il que j'en croie , 
Belton? Le rire ici marque toujours la joie?.... 

BELTON. 
Tu leur as fait plaisir.... 

BETTL 

Oh btea r ^ c'est ainsi I 
IL ai 



558 ^A JEUNE INDIENNE, 

Tant mieux. Mais , toi , d'où vient ne ris-tu pas aussi? 
On te croiroit fâché. 

BELTON. 

J'ai bien raison de Tétre. 

BETTI. 

Quelle raison? Dis-moi , ne puis-je la connoitre? 
Tu parois incpiet ?.... 

BELTON. 

Je le suis.... non pour moi. 

BETTI. 
Pour qui donc , mon ami ? 

BELTON. 

Le dirai-je ? pour toi. 
Je crains que dans ces lieux ton sort ne soit à plaindre. 

BETTL 
Tu m'aimes y il suffit : que puis-je avoir à craindre? 

BELTON. 

Non , il ne suffit pas. Il £aLut, pour être heureux, 
Quelque chose de plus.... 

BETTL 

Que faut-il en ces lieux? 

BELTON. 
La richesse. 

BETTL 
A parler tu m'instruisis sans cesse j 
Mais tu ne m'as pas dit ce qu'étoit la richesse^ 



COMÉDIE. 339 

BELTON. 

Z!hl peut-on se passer ?.... 

BETTI. 

Tu parles de l'amour : 
On ne s'aime donc pas dans ce triste séjour? 

BELTON, 

-On s'aime; mais souvent l'amour laisse coonoitre 
Des l)esoins plus pressans.... 

BETTI. 

Et quels peuvent-ils être? 

BELTON. 
L'amoiur sans d'autres biens. 

BETTI. 

L'amour sans la gattë 
JXe peut guère suffire à la félicite; 
Mais dans votre pays , ainsi que dans le n6tre, 
Ne peut-on à la fois conserver l'un et l'autre? 

BELTON. 

Il faut , pour bien jouir de l'un et l'autre don, 

Être riche. 

BETTI. 

Eh! dis-moi , suis- je riche , Belton? 

BELTON. 
Toi? non; tu n'as point d'or. 

BETTL 

Quoi ! ce métal stéril«^ 
^e j'ai vu?.... 



3^ LA JEDIHB IfilDlËNNE» 

BSIO'OfiL 

Justement. 

BXTTl . 

11 te ^inutile 9 
Tu ne fen serns pas pepubnit jim •àtifmtate ânik 
Mais dans ce pays-ci tu connais bien des gens ; 
lis t'en donneront tous , sll t'est si nécessaire ; 
Ils ne vQudroBtfam^ Uosict «ouffiir letor fi%te« 

BELTON. 

Écoute-moi , Detti ; tu n'es plus dans tes bois. 
Les hommes en ces lieux sont soumis à des lois ; 
Le besoin les rapproche çf^li^ràtiensemble : 
Ces mortels opposés , que Tintéri^t jrassiembJe» 
Youdroient ne voir admis dans la société 
^ue ceux dont les travaux leti oat Uen mérité* 

BjEJXI. 

Mais.... Cela me paroit tout à fait raisonnablf . 

BELTON, à paît. 
Chaque instant à mes yeux l» rend plus estimable.. 

( Haut. ) 

Setti.... la pauvreté m'inspire im juste ejSroi. 

BETTL 
La pauvreté ! mais c^est manquer de tout , je oroi ? 

FELTONi 
Oui, 

BETTI. 

J'eA sauvai toujours et toi-même et mon père : 
Quoi! nous pourrions ici manquer du nécessaire?' 



COMÉDIE. 54r 

ftELTaNu 

Non j mais il ne £iat pas^y borner tou&^nos soîas; 

Nous sommes assiégés de dxSerens besoins ^ 

Ils naissent chaque jour, cbo^e iasbmt le» raaMiief 

Et lorsque par hasard la fortune inhumaine 

Ne nous a pas donne.... 

BETTI. 

Je ne te comprends pas.... 
Manquer d'un vêtement , d'un aBri , d'un repas , 

r 

Voilà la pauvreté r fr nfeir cdtmois pasr d'antre. 

fiELTÔN. 
Voilà la tienne : hélas! connpis quelle est la nôtre. 

BETJnF. 

Une autre pàatreté! voii^ett wpeê^àmc èefoaû 
On doit dans ce pays être ^a malheureux ! 

nrirTON. 

C'est peu dis contetiti^r les^^ besoiùs de la vie : 
Une prettmtSon , parmi' nous ëtâbtié , ' • 

Fait ici , par malheur, MU^ né^^ité 
Des choses d'agrément et de commodité 
Dont tes yeux étonnés oii|; fcbairé l'usage ; 
Et d'étemeU besoins un ftpie^te a&semhlaggf.^;- 

Oh! cette pauvreté.... C'est votre faute atfsn. 
Pourquoi donc inventer encbre celle-ci ? 
Chez iumS', gMoe à vm soinfli y 1» tevfè ifiépuisable 
Étoit de tauf nos bi«n« la lourde întavisad^leV : 
Belton, comment ont fait., et comnieirtfMiteiicer 
Tous ceux iflpi favmi yonài yossUkn^ h pi»» d'ov? 



54^ LA JEUNE INmENWE,. 

BELTOrc: 

L'un le tient cln hasard , et tel autrfe d'un perei. 
Du crime trop souvent il deyxent le salaire; 
Mais Ta vertu parfois^ a produit. . . . • 

BEÏTI. 

Que dis-tu 2 
Avec de Tor ici vous payez là vertu ? 

BELTON. 
Contre le besoin d'or Tin&illible remède 

BETTL 
Ehbienl 

BELTON. 

C'est de servir quiconque le possède f 
De lui ven«|re son cœur, de. ramper sous ses Ioi9^ - , 

BETTI. 

O ciel ! j'aime bien mieux retourner dans nos bois. 
Quoi ! quiconque a de For, oblige un autre à faire 
Ce qu'il juge à propos, tout ce qui peut lui plairjeî 

BELTON. 

Souvent. 

BETTL 
En laissez-vous aux malhonnêtes gensl' 

BELTON. 

Plus qu'à d^utres.. 

BETTL 

De l'or dansliesmains des méchans ï 
Mais vous n'y pensez point, et cela n'est pas sage: 
N'en pourroient-ils pas faire un dangereux usage?' 
Vous devez trembler tous , si l'or peut tout oser* 



«• 

T 



COMÉDIE. ^z^^ 

De vous et cle vos Jours ils peuvent disposer. 
La flèche qui dans Fair cherchoit ta nourriture , 
Étoit , entre mes mains, moins terrible et moins s&re» 

BELTON. 

Chacun suivant son cœur s*en sert difFéremment, 
Des vertus ou du vice il devient l'instrument* 
Avec avidité celui-ci le resserre , 
L'enfouit en secret , et le rend à la terre.«.. 

BETTI, 

Ah ! fuyons ces gens-là. Tu viens de me parler 

D'un pays plus heureux oii nous pouvons aller^ 

Ce pays oii les gens veulent qu'on soit utile 

A leur société. Si la terre est fertile , 

Ils en auront de trop : nous le demanderons ^ 

£t , comme elle est à tous , soudain nous l'obtiendrons. 

BELTON. 

Ils ne donneront rien : les champs les plus fertiles 
Ne suf&sent qu'à peine aux habitans des villes.^. 

BETTI. 
Tant pis } car j'aurois bien travaillé. 

BELTON. 

Dans ces lieux 
On épargne à ton sexe un travail odieux. 

BETTI. 

C'est que vos femmes sont languissantes , débiles : 
J'en ai déjà vu deux tout-à-fait immobiles ; 
Mais pour moi le travail eut toujours des appas ; 
Dans nos champs y des l'enfance , il exerça mes bras. 



$44 ^^ jeunî: indienne, 

BELTON. 

Tu ne peux travailler au séjour où nous sommet : 
L'usage le défend. 

fiETTI. 
Le permet^n ârarx hommes? 

BELTON. 
Sans doute , il le permet. 

BETTI, avéojoic. 

Behon y embrasMHBoi. 

BELTON. 
Quoi donc ?* 

BETTI. 
Tit me rendbras oe que f ai fait pour toL 

BELTON. 

Ah ! c'est trop prolonger un supplice si rude ! 
Vois la cau^ et Fexcës de mon inquiétude. 
Va, Betti, j'ai déjà regretté ton pays : 
Ici par ces travaux nous sommes avilis. 
Vois à quel sort , hélas ! nous devons nous attendre ! 
Des besoins renaissans l'hû^reur vâ nous surprendre 5 
Prive's d'appuis , de biens , abandonnés de tous , 
L'œil affreux du mépris s'attachera sur nous. 
Nous n'oserons encor prendre ces soins utiles 
Que l'amour ennoblit , qu'ici l'on croit serviles. 
11 faudra- dévorer , mendier les dédains^ 
Rebutés , condamnés à l'affront d'être plaints , 
Tout aigrira nos maux , jusqu'à notre tendresse. 
Kous hsù'rons l'amour , nous <nraindron8 la vieillesse^ 



COMEDIE. 345^ 

En d'autres malheureux reproduits , chaque jour , 
Nos mains repousseront les fruits de notre amour. 

BETTI. 

cidr 

SCÈNE Y- 

BETTI, BELTON^ MYLFORD. 

MTLFaRD à Bdton. 
Je quitte Arabelle, et je vais vous instruire.... 

BETTI à Mylford. 
Aimes-tu Belton ? 

MTfLFORD. 
Oui. 

BETTI. 

r • » - 

Bon! Il vient de me dire 
Qu'il n'a point d'or.... 



r 



O cieM ckénei^yom pchsèi^'!. 



MYLFAB:D. 



< > • . 



' i . I i j tt ■ 



J t 1 ■ 



' » ". • I p 



Par un vain désaveu crmgneEd»iiiV)iffl0nwr« 

Vous connoissez mon cœur^.mesu^antimens , mon zële ; 

Je sais l'heureux devoir de, l'amitié fidèle ; 



• » •• 'é ' * • • i . i I 



Tout mon hien est à vous. 

BELTON, bas à Beui. ' 

A qucri BWf rtffltri».tit? ' ' 

■ • 'i 
BETTÎ à helion. 

Mais il t'offre son or: que ne le reçoia^-tu? 



546 LA JEUNE INDIENNE, 

(AMjlford.) 
Nous ne prendrons pas tou^. 

'bELTON à Mjplford. 

Souffrez que je Instruise; 
(ABetli.) 
Il se fait tort pour moi : son cœur le lui déguise. 
Il m'oflfre tout son bien ^ je dois le refuser , 
Ou de son amitié ce seroit abuser. 
Cette offre oii quelquefois un ami se résigne , 
Quand on l'ose accepter , on en devient indign«^, 

BETTI. 
Quoi ! l'on rejette ici les dons de l'amitié ? 

BELTON. 
Souvent qui les reçoit excite la pîljé. 

BETTL 

Je ne vous entends point. Si cjhez vous la paroTc 

ç 1 .•'•.11-. 

Ne présente aucun sens , c'est donc un bruit frivole. 
Des cris dans nos forêts parloient plus clairement , 
Que ce langage vain que votre ûœwr dément. 
Quoi ! tu. veux que les dons puissent être une tache? 
Que sur qui les reçoit quelqu'opprobre s'attache? 
Que la main d'un ami..;. Non , td t'es abusé , 
J'en suis sûre : jamais je ne t'ai méprisé. 

MYLFORD. 

Bel ton , vous entendez la voix de la nature. 
Elle me venge , ami ; vous m'aviez fait injure.. 

( A Betti. ) 
Je voudrois lui parler^ Betti,. retire-toi. 

BETTI. 
Pourquoi donc ? ne peux-tu lui parler devant moi? 



COMÉDIE. 547 

Est-îl quelcjue secret que Ton doive me taîre? 

{J^ Belton qa'elle regarde tendrement. ) 

Quand je t'en confiois , élofgnois-je mon père ? . 
Tu le veux?.... 

(Belton lui fait nn signe de tête. ) 
Allons donc ! 
(Betti y en sortant , sonpire > et regarde plusieurs fois Btllo».) 

SCÈNE VI. 

BELTOIî, RJYLFORD. 

MYLFORD. 

-. . • # 

Enfin tout est conclu. 
Je SUIS s&r d'Arabelle , et son cœur m'est connu. . 
Sa réponse p6ur vous est des plus favorables. 
« Ces nœuds , a-t-elle dit , me semblent dësiraUes; 
M Mon cœur depuis siiL ans h ^Iton &t promise 
» Mes yeux ont vu Belton , et ce cœur s'est soumis. 
» Je déplorois sa mort , le ciel nous le renvoie ; 
» Mon père a c<»nmandé , j'obéis avec joie. » 
Mais de cet air chagrin que dois- je enfin penser ? 
L'amitié doit savoir. ... 

BBLTOTÏ. 

Ah ! c'est trop l'offenser. 
Connoissez mon état. La jeune infortunée , 
Compagne de mes maux , en, ces lieux amenée.... 
L'honmie est fait pour aimer. J'ai possédé son cœur. 
Dans un climat barbare elle a fait mon bonheur. 
Non , je ne puis trahir sa tendresse fidèle : 
£lle a tout fait pour moi. . ' 



348 LA JEUNlî reDlENN.E, 

MYL^ORD. 

Vous ferez tout pouc. elle. 
II m'est donx de trouver mon ami généreux f 
Mais mon premier désir est de vous voir heureux» 
De l'hymen d'Arahelle oBservez l'avantage ^ 
Ohservez que déjà vous touchez à cet âge ^ 
Oii pour un état sAr votre choix aErref& 
Doit vous donner un rang dans la société. 
Pour vous, par cet hymen^ là t^rUme est fixée; 
Et de tous vos malheurs la trace est effacée. 

BÎÊÉtOIl. 

Je le sens , vos raisons pénètrent mon esprit. 
Sans peine , il les admet ; lÀais mon cœur les détruit. 
Qui , moi , trahnr Bètti! la rendre malheureuse ! 
Je n'en pu» soutenir l'image^ dbàloûreiMi •* ' : 
Hélas ! si voos siàVier to«t t&ipi&f^ Mdcifef' ^ : 
Mais qi» pé«« Its savoir ? C'eM" èllë , )^ kr^oifii 
Le remof ds< à ses yeux m'a^te>^ é€ nié âétote. 



' > . i 



S.CENJE yi.L.. 

BETTI, BELTÔN, MYLrORB. 

• . . . :.: --..^ • • 

BETTI à Bclion.. 

Afr-TU quelque secret à me cacher encore? 
Hélas î oui.... Loin de irioî ttr détournes les yeux. 
Ah ! je veux t'aYTâCher ce séçx^lT 6dieux. 
Mais qui vient nous tiKm^kr? . .. ' ' 

MTfLFO'RÔ à BelW 

- ■ . 1 t ■• • 

Cf'est pfion oncle lui-même. 

BETTI. 
Quel pays ! on n'y peut jouir de ce qu'on aime. 



COMÉDIE. 349 

MYLFORD. 

Adieu , décidez-vous 5 vous n'avez qu'un instant: 
Songez à votre état , au prix qui vous attencT, 

■ 

A cinq ans de malheurs , à vous , à votre père , 
Et prenez un parti que je crois nécessaire. 

B ET T I à Belton , lai moiuraut JMowbsai. 

Ne £&ut-il pas sortir encor pour celui-là? 
Moi y j'aime ce vieillard, je reste. 

SC£NJE VIII. 

BETTI, BELTON, MOWBRAI. 

MOWBRAI. 

TEvoflà! 
Je te cherchpis^ J'apjporte iu»e .heureuse nouvelle* 
J'ai pour toi la promesse ejt h& VjQei». d'Ar^heUe. 
Le contrat est tout prêt. 

BEizroioi. 

Une Aedle (faveur. . . • 
Autant qu'il est en vous.... pept £ûre mon honheur. 

BETXl à J\lpwtoâ, Awisgénail^ 
Bien d!>ligé.... 

MOWBRAt. 

Betti , tu strwsts ma iftlle ; 
Et je tÇ:V<ettx f<Qiijow3S gaudor dans ma famille. 

. BETTL 

Oh ! pour moK^ îe m v^ok^aomr que iiiwi «BH. 

MOWBft-AH à Belton. 

Combien tu dois l'aimer ! je me sen$ attendri. . 



S5o l'A JEUNE INDIENNE, 

En formant ces doux nœuds ^ ramitié paternelle 

Croit assurer aussi le lx>nheur d'Arabelle ; 

Et par rëgalitë cet hymen assorti» 

A ma fille.... 

BETTI. 

Belton , que parle-t-il ici 
De sa fiUe ? et qu'importe ?. . . . 

MOWBRAIIk Belton. 

Eh ! daigne lui répondre. 

BELTON» à part. 
Dieu ! quel afOreux moment ! que je mç sens confondre ! 

MOWBRAI. 

Son amitié mérite un nieîlleur traitement , 
Et tu dois avec elle en user autrement. 
Et quand elle sauroit qu'un prochain hjinénée 
De ma fille à ton sort joindra la destinée? 
Elle prend part assez.... 

BETTI. 

Bon vieillard» que dis-otu? 

MOWBRAI à Belton. * 
Mais d'où vient donc cet air inquiet » éperdu ? 

(ABetti.) 

Dès aujourd'hui ma filTe..;: * 

BELTON, à part. 

Il va lui percer Tàme;.* \ *^ 

MOWBRAL 
Par des nœuds étemels va devenir sa femme* 

BETTL 
Sa femme ! votre fille !..- 



COMÉDIE. 55l 

( A Belton. ) 
Est-il bien vrai, cruel! 
Aurois-tu bien formé ce projet criminel? 
Quoi I tu pourrois trahir l'amante la plus tendre? 
O malheur ! 6 forfait que je ne puis comprendre ! 
JVIais je ne te crains plus : tu m'as dit mille fois 
i^u'ici contre le crime on a recours aux lois. 
J'ose les implorer 3 tu m'y forces, perfide- 
Hespectable vieillard , sois mon juge et mon guide y 
Que ta voix avec moi les implore aujourd'hui. 

MOWBRAL 

{ A part. ) (A Betti. ) 

Qu'allois-je faire? ô ciel !.... Je serai ton appui. 
Mais, mon enfant , ces lois que ton amour réclame, 
Envain.... 

BETTL 

Quoi ! par vos lois il peut trahir ma flammie ! 
Il pourroit oublier.... Dieu ! quels afireux climats! 
Dans quel pays, ô ciel! a^tu conduit mes pas? 
Ârrache-moi des lieux, témoins de mon injure, 
Qui d'un amant chéri font un amant parjure : 
Exécrable séjour, asile du malheur, 
Oii l'on a des besoins autres que ceux du cœur^ 
Oii les bienfaits trahis , oii l'amour qu'on outrage;... 
De la fidélité quel est ici le gage? 

Quel appui.... 

MOWBRAL 

Des témoins , sûrs garans de l'honneur. 

BETTI, TÎTemenc. 
Oh! j'en ai.... 

MOWBRAI. 
Quels sont-ils? 



552 LA JEi}N£ INDIENNE^ 

BETTI. 

Moi , le ciel et son cœur. 

MOWBRAI. 
Si par une promesse auguste et solennelle.... 

BETTI. 
Il m'a promis cent fois l'amour le plus fidèle. 

MOWBRAI. 
A-t-il par un écrit ?. . . . 

BETTI. 

O ciel ! qu'ai-je entendu ? 
Quoi ! tu peux demander un-écrit? l'oses-tu? 
Un écrit! oui, j'en ai.... Les horreurs du naufrage, 
Mes soins dans un climat que tu nommas sauvage , 
Les dangers que pour toi j'ai mille fois courus j 
Voilà mes titres. Viens, puisqu'ils sont méconnus , 
Dans le fond des forets , barbare , viens les lire : 
Partout à chaque pas l'amour sut les écrire , 
Au sommet des rochers, dans nos antres déserts , 
Sur le bord du rivage et sur le sein des mers. 
Il me doit tout. C'est peu d'avoir sauvé ta vie , 
Qu'un tigre ou que la faimt'auroit cent fois ravie 5 
Mes travaux , mes périls t'ont sauvé chaque jour.... 
Entre mon përe et lui partageant mon amour.... 
Mon përe !.... Ah! je l'entends à son heure dernière, 
Au mioment oii nos mains lui fermoient la paupière , 
Nous dire : Mes enfans , aimez-vous à jamais^ 
Je t'entends lui répondre : Oui , je te le promets. 
( Se tournant vers le quaker.) 

Tu t'attendris.... 



COMÉDIE, 355 

BELTON, h part. 

O ciel ! quel homme impitoyable 
Pourroît.... 

MOWBRAI. 

De la trahir seroîs-tu bien capable ? 

BETTI àBclton. 

. Que ne me laisMHS-tu dans le fond des forets ? 
J'y pourrois sans témoins gémir de tes forfaits. 
Dans mon obscur réduit, dans ma grotte profonde ^ 
Savois-je s'il étoit des malheureux au monde 7 
Ah ! combien je le sens, quand tu, ne m'aimes plus! 
£h bien ! puisqu'à jamais nos liens sont rompusi... 
Tire-moi de ces lieux. Qu'au moins, dans ma misère ^ 
Mes pleurs puissent couler sur le tombeau d'un père. 
Toi , cruel , vis ici parmi les malheureux , 
Ils te ressemblent tous, s'ils te souffrent chez eux. 

BELTON, se toarnant tendrement. 
Betti!...» 

BETTI. 

Tu m'as donné ce nom que je déteste. 
Ce nom qui me rappelle un souvenir funeste , 
Ce nom qui fait, hélas! mon malheur aujourd'hui. 
Jadis il me fut cher : il me venoit de lui. 
A ce nom qu'il aimoit , autrefois sa tendresse 
Daignoit joindre le sien , les prononçoit sans cesse , 
Se faisoit im bonheur de les unir tous deux : 
Prononcés par ma bouche ils rallumoient ses feax : 
Son affreux changement pour jamais les sépare* 

MOWBRAI, à part. 
Mon cœur estoppcessé***. 

II. a3 



354 ^A JEUNE INDIENNE, 

(A Belton.) 
Quoi! tu pourrois, barbare. ••. 

BELTON. 

Je le SUIS en effet pour avoir résiste 

A cet amour si tendre et trop peu mérité. 

( A Beui. ) 
Ah! crois-en les sermens de mon âme attendrie! 
L'indigence et les maux oii j'exposois ta vie , 
Seuls à t'abandonner pouvoient forcer mon cœur : 
Même en te trahissant , je voulois ton bonheur. 
Dût cent fois dans tes bras la misère et l'outrage 
M'accabler, m'écraser, je bénis mon partage. 
Je brave ces besoins qui pouvoient m'alarmer : 
Je n'en connois plus qu'un , c'est celui de t'aimer. 
Je te perdois ! O ciel ! que j'àllois être à plaindre ! 

( n se jette à ses pieds. ) 
Voudras-tu pardonner? 

BETTI. 

Ah! tu n'as rien à craindre , 
Cruel , tu le sais trop : ce cœur qui t'est connu 
Peut-il?.... 

BELTON. 

Chëre Betti ! quel cœur j'aurois perdu ! 

( Ils s'embrassent. } 

MOWBRAL 

O spectacle touchant! Tendresse aimable et pure! 
L'amour porte en mon sein le cri de la nature ! 
Livrez-vous sans réserve à des transports si doux ; 
Je les sens , et mon cœur les partage avec vous. 

(ABellon.) (A Betti.) 

Tu fus vil un instant.... £t toi ^ que tu m'es chère! 



COMÉDIE. 555 

(H Ta Yers la coidiise. } 
John y John. 

SCÈNE IX. 

BETTI, MOWBRAI, BELTON, JOHN. 

MOWBRAI. 

Écoute. 

JOHN. 

Quoi? 

MOWBRAI. 

Fais venir le notaire. 

( Joba tort. ) 

Belton, rends gr&ce au ciel de t'avoir réservé 
Ce cœur si généreux par toi-même éprouvé ^ 
£t que ton âme un jour puisse égaler la sienne. 

BETTI. 

Egale, cher Belton, ta tendresse à la mienne : 

Existant dans ton cœur, riche de ton amour, 

Le mien peut être heureux , même dans ce séjour* 

( A Mowbrai. ) 
Cesse de l'accabler par un cruel reproche : 
n m'aime...» 

MOWBRAI. 
Quelqu'un vient : c'est le notaire. 



356 LA JEUNE INDIENNE, 

SCÈNE X et dernière. 

BETTI, BELTON, MOWBRAI, LE NOTAHUE. 

MOWBRAI. 

AppaocBE* 

LE NOTAIRE. 
Serviteur. 

MOWBRAL 
Assieds-toi : c'est pour ces deux époux. 

BETTI à Bdton. 

Quel est cet homme-là? 

BELTON. 
Cet homme vient pour nous» 

LE NOTAIRE à Mowbrai. 

Tu te trompes , je crois ^ je ne viens pas pour elle y 
Et j'ai sur ce contrat mis le nom d'Arabelle. 

MOWBRAI. 
£fface-moi ce nom^ mets celui de Bettî. 

LE NOTAIRE. 

BeUi! 

MOWBRAL 
Vite , dépêche. 

LE NOTAIRE. 

Allons soit...» J'ai fini* 

BELTON. 

Signons. 

LE NOTAIRE. 

C'est bien dit^ mais , avant la signature ^ 
{1 faudroit mettre au moins la dot de la future. 



COMÉDIE. 35/, 

MOWBRAI. 
Allons y mets : les vertus. 

LE NOTAIRE laisse umiber sa plttme. 

Bon ! tu raiUes y je croi ? 

MOWBRAI. 

Ses vertus. 

LE NOTAIRE. 

Alkms donc , tu te tnocpes de moi. 
Qui jamais auroit vu ?. . . . 

MOAYBRAI, ayec impatience. 

Mets ses vertus , te dis-je» 

LE NOTAIRE. 

Tout de bon ! par ma foi , ceci tient du prodigi.: 
N'ajoute-t-on plus rien ? 

MOWBRAt. 

Est>41 rien au-dessus?....* 
Ajoute , si tu veux ^ dncpaate mille ëcuf » 

LE NOTAIRE. 

Cinquante millid icm , ai tu veux ! UàiùCMùîtè 
Vaut bien le principal , autant que je puis croire. 

&ELTON h Berà. 

Il nous comble de biens ! Ah I courons dans ses bras...* 

BETTI. 
Ah ! surtout, bon vieillard , ne nous méprise pas. 

MOWBftAÏ. 
Que dit-eHe ? 



558 LA JEUNE INDIENNE, 

BEiTTI. 

, Je sais que chez vous on méprise. ».# 
Qniconque en recevant des dons.... 

MOWBRAI. 

Autre sottise. 
Ofa prcnd-t-elle cela? Seroit-ce toi , Belton , 
Qui peux la prévenir de cette illusion ? 
De rougir des bienfaits ton âme a la foiblesse 7 
Puisqu'avec le malheur tu confonds la bassesse , 
Je dois te rassurer. Je ne te donne rien : 
La somme est à ton père , et je te rends ton bien» 

LE NOTAIRE à Bdton. 
Signez. 

(Belton signe.) 

(ABetti.) 
A vous..... 

BETTL 

Qui ? moi , je ne sais point écrire-i 

BELTON. 
Donnez-moi votre main, l'amour va la conduire*- 

BETTL 
Et le cœur et la main, Belton , tout est à toi. 

BELTON. 

Votre cœur en aimant ne le cède qu'à moi. 

BETTL 

Eh bien ! c'est donc fini! Que cek veut-il dire ? 

BELTON. 

Qu'au bonheur de tous deux vous venez de souscrire j 
Vous m'assurez l'objet qui m'avoit su charmer» 



COMÉDIE- 359 

BETTI. 

Quoi! sans cet homme noir je n'am'ois pu t'aimer? 

( Au Nolaire. ) 
Donne-moi cet écrit. 

LE NOTAIRE. 

Il n'est pas nécessaire; 
Cet écrit doit toujom's rester chez le notaire* 
D'ailleurs , que feriez-vous de.... 

BETTI. 

Ce que j'en ferois? 
S'il cessoit de m'aimer, je le lui montrerois. 

LE NOTAIRE. 
Peste ! le beau secret qu'a trouvé là madame ! 

BELTON. 
£n doutant de mes feux vous affligez mon âme. 

MOWBRAL 

Par les noeuds les plus saints je viens de vous unir. 
Ton père l'auroit fait, j'ai dû le prévenir. 
Il approuvera tout ^ 

( En montrant Betti. ) 

et voilà notre excuse. 
Instruisons mon ami que sa douleur abuse. 
Lui-même en t'embrassant voudra tout oublier : 
Consoler ses vieux jours, c'est te juistifier. 

FIN D£ LA JEUNE INDIENNE. 



LE MARCHAND 



DE SMYRNE; 



COMÉDIE 



EN UN ACTE ET EN PROSE, 



Hcprésentéc, pour la première fols, le 26 janvier 1770.' 



PERSONNAGES, 

HASSAN, Tnrc, habitant de Smynie. 

ZAYDE, femme de Hassan. 

DORNAL, Marseillois. 

AMÉLIE, promise à Domal. 

KALED I marcliand dVsdavet. 

NÉBI , Turc. 

PATMÉ , esclave de Zajde. 

ANDRÉ p dbmc»tiqne de DomaL 

Um Espagnol. 

V'ir Italieit. 

Un yieillaad turc, esdtre. 



Ia scène est à Smyrne , dans nn jardin commun à Hassan et k K-aledy dont 
les denx maisons sont en regard snr le bord de la mer. 



l^^^l^^^#^MM»#^#^<^#^*^*^*^*>»»»*>»^^^^^^^'^|^*^»»«»|»*^**'*'^*^*»*^>»#■0»*^***^ 



LE MARCHAND 



DE SMYRNE, 

COMÉDIE. 



mi ^ 4 



SCENE PREMIERE. 

HASSAN, seul. 

V/N dit que le mal passé n'est qu'un songe 3 c'est bien mieux: 
il sert à faire sentir le bonheur présent. Il y a deux ans que j'e- 
tois esclave chez les chrétiens , à Marseille , et il y a un an au- 
jourd'hui , jour pour jour , que j'ai épousé la plus jolie fille de 
Smyme. Cela fait une différence. Quoique bon musulman , je 
n'ai qu'une femme. Mes Toisins en ont deux , quatre , cinq , 
six, et pourquoi faire?.... La loi le permet.... heureusement elle 
ne l'ordonne pas. Les Français ont raison de n'en avoir qu'une; 
îe ne sais pas s'ils l'aiment ^ j'aime beaucoup la mienne , moL 
Mais elle tarde bien à venir prendre le frais. Je ne la gène pas* 
Il ne faut pas gêner les femmes. On m'a dit en France que cda 
portoit malheur.... La voici, 

SCÈNE II. 

HASSAN, ZAYDE. 

HASSAN. 
Yous êtes descendue bien tard , ma chère Zayde ? 

ZAÏDE. 
Je me suis amusée k voir , du haut de mon pavillon ^ lei 



364 l ^^ MARCHAND DE SMÎR»Ë, 

vaisseaux rentrer dans le port. J'ai cm remarquer plus cle ta* 
multe qu'à rordinaire. Seroit-<e que no$ corsaires auroient &it 
quelque prise ? 

HASSAN. 

Il y a long-temps qu'ils n'en ont faft^ et , en vérité, je n'en 
suis pas fôché. Depuis qu'un chrétien m'a délivré d'esclavage, 
et m'a rendu à ma chëre Zayde, il m'est impossible de les 
haïr. 

ZAYDE. 

Et pourquoi les hâîr ? parce qu'ils ne connoisfent pas notre 
saint prophète ? Ne sont-ils pas assez à plaindre ? D'ailleurs je 
les aime , moi ; il faut que ce soient de bonnes gens , ils n'<Hit 
qu'une femme : je trouve cela très-bien. 

HASSAN, souriant. 
Oui j mais en récompense.... 

ZAYDE. 
Quoi ? 

HASSAN. 

Rien. 

( A part. ) 

Pourquoi lui dire cela ? c'est détruire nae idée agréable. 

( Tout haut. ) 

J'ai fait vœu d'en délivrer un tons les ans. Si nos gens avaient 

fait quelques esclaves aujourd'hui , qui est précisément l'attni- 

versaire de mon mariage , je croirofs que le ciel bénit ma re- 

connoissance. 

ZAYDE. 

Que j'aime votre libérateur , sans le connoitre ! Je ne le ver- 
rai jamais.... je ne le souhaite pas au moins. 

HASSAN. 

Son image est à jamais gravée dans mon cœur. Quelle âme.... 
Si vous aviev W'.*. On rachetoit quelques-uns de nos compa- 



COMÉDIE. 565 

piOQS ; j'étois coucbé à terre ; je songeois à vous , et je soupîrois^: 
un chrétien s'avance et me demande la cauce de mes larmes. 
J'ai été arraché , lui dis-je , à mie maîtresse que j'adore; j'étois 
près de l'épouser , et je mourrai loin d'elle , faute de deux cents 
sequins. A peine eus-je dit ces mots , des pleurs roulèrent dans 
ses yeux. Tu es séparé de ce que tu aimes ! dit-il; tiens , mon 
ami , voilà deux cents sequins , retourne chez toi , sois heureux, 
et ne hais pas les chrétiens. Je me lève avec transport ; je re* 
tombe à ses pieds ; je les embrasse ; je prononce votre nom avec 
des sanglots ; je lui demande le sien pour lui faire remettre son 
argent à mon retour. Mon ami , me dit-il en me prenant par 
la main , j'ignorois que tu pusses me le rendre ; j'ai cru faire 
ime action honnête : permets qu'elle ne dégénère pas en sim- 
ple prêt, en échange d'argent. Tu ignoreras mon nom. Je restai 
confondu , et il m'accompagna jusqu'à la chaloupe , oh nouf 
nous séparâmes les larmes aux yeux. 

ZAYDE. 

Puisse le ciel le bénir à jamais ! Il sera heureux sans doute , 
avec une âme si sensible ! 

HASSAN. 

n étoit près d'épouser une jeune personne qu'il devoit aller 
chercher à Malte. 

ZAYDE. 
G>mme elle doit l'aimer! 

SCÈNE III. 

HASSAN , ZAYDE , F ATMÉ. 

ZAYDE. 

Fatmé , que viens-tu donc nous annoncer? tu parois bon 
d'haleine. 

FATMÉ. 

n vient d'arriver des esclaves chrétiens. Cet Arménien , dont 



366 LE MARCHAND DE SMYRNE, 

vousi êtes fôché d'être le voisin , et que vous méprisez tant j 
parce qu'il vend des hommes , en a acheté une doiuaine , et en 
9l déjà vendu plusieurs. 

HASSAN. 

Voici donc le jour oii je vais remplir mon vœu ! J'aurai le 
plaisir d'être libérateur à mon tour. 

ZAÏDE. 
Mon cher Hassan , sera-ce une femme que vous délivrerez? 

HASSAN, souriant. 
Pourquoi? Gela vous inquiète : vous craignez que l'exemple... 

ZAI^DE. 

Non 9 je suis sans alarmes. J'espère que vous ne me donne- 
rez jamais un si cruel chagrin. Vous ne m'entendez pas. Sera* 
ce un hoDune ? 

HASSAN. 

Sans doute. 

ZAÏDE. 

Pourquoi pas une fenune? 

HASSAN. 

C'est un honmie qui m'a délivré. 

ZAÏDE. 
C'est une femme que vous aimez. 

HASSAN. 

Oui Mais, Zayde, un peu de conscience. Un pauvre 

homme en esclavage est bien malheureux } au lieu qu'une 
femme , à Smyrne , à Constantinople , à Tunis , en Alger , n'est 
jamais à plaindre. La beauté est toujours dans sa patrie. Allons ^ 
ce sera un homme , si vous^ voulez bien. 

ZAÏDE. 

Soit y puisqu'il le faut. 



COMÉDIBV S67 

HASSAN. 

Aâieu. Je me hâte d'aller chercher ma bom'se ; il ne fatut 
]pas qu'un bon Musulman paroisse devant un Arménien sans 
ja*gent comptant , et surtout devant un avare conune celui-Ui» 

SCÈNE IV- 

ZAYDE, FATMÉ. 

ZAI^DE. 

Mon mari a quelque dessein , ma chëre Fatmë^ il me pré« 
pare une fête ; je fais semblant de ne pas m'en apercevoir , 
comme cela se pratique. Je veux le surprendre aussi, moi» 
J'entends du bruit : c'est sûrement Kaled avec ses esclaves : 
je ne veux pas voir ces malheureux ; cela m'attendriroit trop» 
Suis-moi y et exécute fidèlement mes ordres. 

SCÈNE V. 

KALED, DORNAL, AMÉUE, ANDRÉ, UN ESPAGNOL, 

UN ITALIEN , enchaînés. 



\ 



KALED. 

Jamais on ne s'est si fort empressé d'acheter ma marchan- 
dise. On voit bien qu'il y a long-temps qu'on n'avoit fait d'es- 
claves } il fallait qu'on fût en paix: cela étoit bien malheureux. 

DORNAL. 
O désespoir ! la veille d'un mariage ! ma chère Amélie ! 

KALED, regardant aatonr de lui . 

Qu'est-ce que c'est? On dit qu'il y a des pays oii l'on ne 
connoît point l'esclavage.... Mauvais pays. Aurois-je fait for- 
tune là? J'ai déjà fait de bonnes affaires aujourd'hui; je me 
iuis débarrassé de ce vieil esclave qui tiroit de ses poches de 
vieilles médailles de cuivre , toutes rouillées , qu'il regardoit 



S68 LE margbaud de smyrise, 

attentivement. Ces gens-là sont d'une dure dé&ite. J'y ai déjà 
4té pris. Je ne suis pas ùché non plus d'être délivré de ce 
médecin français. Rentrons ; avancez. Qu'est-ce qui ^arrive? 
C'est Nébi ; il a l'air furieux. Seroit-il mécontent de son 
empiète ? 

SCÈNE VL 



» -^ —t 



LES ACTEURS PREGEDENS, NEBI. 

NÉBI. 

Kalbd , je viens vous déclarer qu'il faut vous résoudre à 
l*eprendre votre esclave , à me rendre mon argent , ou à par 
Itrître devant le cadi. 

KALED. 

Pourquoi donc? de quel esclave parlez-vous? est-ce de cet 
ouvrier, de ce marchand? Je consens à les reprendre. 

MÉBI. 

n s'agît bien de cela ? Vous faites l'ignorant : je parle de 
votre médecin français. Rendez-moi mon argent , ou venes 
chez le cadi. 

KALED. 

Comment? qu'a-t-il donc fait? 

NÉBI. 

Ce qu'il a frdt? J'ai dans mon sérail une jeune Espagnole , 
actuellement ma favorite. Elle est inconunodée : savez -vous 
ce qu'il lui a ordonné ? 

KALED- 
Ma foi, non. 

NÉBL 
L'air natal. Cela ne m'arrange-t-il pas bien , moi ? 

KALED. 

Eh!.... Taîr natal.... Quand je vais dans mon pays , je me 
porte bien* 



COMÉDIE. 569 

NÉBI. 

Qael mMecin ! apparemment que ses malades ne guàrissent 
qu'à cinq cents lieues de lui ! L'ignorant ! il a bien fait d'éviter 
ma colère ^ il s'est enfui dans mes jardins : mais mes esclaves 
le poursuivent et vont vous l'amener. Mon argent y mon argent t 

KALED. 
Votre argent ! Oh ! le marché est bon : il tiendra. 

NÉBI. 

n tiendra ! Non , par Mahomet. J'obtiendrai {ustice cette 
fois-ci. Vous vous êtes prévalu du besoin que j'avois d'un mé- 
decin. C'est bien malgré moi que j'ai eu recours à vous ; mais 
je n'en serai plus la dupe. Vous croyez que cela se passera 
comme Tannée dernière, quand vous m'avez vendu ce savant?. 

KALED. 

Quel savant? 

NÉBI. 

Oui y oui y ce savant qui ne savoit pas distinguer du maïs 
d'avec du blé , et qui m'a fait perdre six cents sequins , pour 
avoir ensemencé ma terre suivant une nouvelle méthode de 
son pays. 

KALED. 

Eh bien ! est-ce ma faute à moi 7 Pourquoi faites-^vous en- 
semencer vos terres par des savans ? est-ce qu'ils y entendent 
rien ? n'avez-vous pas des laboureurs 7 II n'y a qu'à les bien 
nourrir, et les faire travailler. Regardez -le donc avec ses 

savans! 

NÉBL 

Et cet autre que vous m'avez vendn au poids de l'or, qui 
disoit toujours : De qui est-îl fils ? de qui est-il fils? et quel 
est le père , et le grnnd'phre , et te bisaïeul? Il appeloit cela , 
je croîs , être généalogiste. Ne Vouloit-îl pas me faire des- 
cendre , moi , du grand-visir Ibraliim ! 

IL 24 



SyO LE MARCHAND DE SMYRNE, 

KALED. 

Voyez le grand malheur ! quel tort cela vous fait-il ? Autant 
yaut descendre d^Ibrahim que d'un autre. 

WÉBI. 
Vraiment , je le sais bien^ mais le prix.... 

KALED. 

Eh bien! le prix î Je vous l'ai vendu cher? Apparemment 
qu'il m'avoit aussi coûte beaucoup. Il y a long-temps de cela. 
Je n'étois point alors au fait de mon commerce. Pouvois-je 
deviner que ceux qui me coûtent le plus sont les plus inutUes? 

NÉBI. 

Belle raison ! cela est-il vraisemblable ? Est-il possible qu'il y 
ait im pays oii l'on soit assez dupe!.... Excuse de fripon, excuse 
de fripon. Je ne m'étonne pas si on fait des fortunes. 

KALED. 

Excuse de fripon! des fortunes ! vraiment oui, des fortunes! 
Ne croit-il pas que tout est profit? et les mauvais marchés qui 
me ruinent? N'ont-ils pas cent métiers oii l'on ne comprend 
rien ? Et quand j'ai acheté ce baron allemand dont je n'ai ja- 
mais pu me défaire , et qui est encore là-dedans à manger mon 
pain! Et ce riche Anglais qui voyageoit pour son spleen , dont 
j'ai refusé cinq cents sequins , et qui s'est tué le lendemain à ma 
vue , et m'a emporté mon argent : cela ne fait-il pas saigner le 
cœur? Et ce docteur , comme on l'appeloit , croyez-vous qu'on 
gagne là-dessns? Et à la dernière foire de Tunis, n'ai-je pas eu 
la bêtise d'acheter un procureur , et trois abbés , que je n'ai 
pas daigné exposer sur la place , et qui sont encore chez moi 
avec le baron allemand ? 

NÉBL 

Maudit infidèle ! tu crois m'en imposer par des clameurs ! 
Biais le cac^i me fera justice. 



COMÉDIE. 571 

RALED. 

Je ne vous crains pas; le cadi est un homme juste, intelli- 
gent , qui soutient le commerce , qui sait très-bien que celui 
des esclaves va tomber, parce que tous ces gens-là valent moins 
de jour en jour. . . 

NÉBI. 

Ah ça! une fois, deux fois , voulez-vous reprendre votre mé- 
decin? 

&ALED. 

Non , ma foi. 

NÉBI. 

£h bien! nous allons voir. ' 

KALED. 
À la bonne heure. 

SCÈNE VIL 

KALED , LES ESCLAVES, 

KALED ans «flclaves. 

Eh bien! vous autres , vous voyez combien on â de peifie à 
vous vendre. Quel diable d'homme! il m'a mis hors de moi. II 
n'y a pas d'apparence qu'il me vienne d'acheteurs aujour- 
d'hui : rentrons. Qui est-ce que j'entends? est-ce un chaland? 

SCÈNE VIII. 

UN VIEILLARD TURC, LES ACTEURS PRÉCÉDEIS§. 

KALED. 

_ ■ ■ • 

Bon! ce n'est rien. C'est un esclave d'ici prëi. 

US VXEILLAHa 

Bon jour , voisin : est-ce là votre reste? 



57:1 LE MARCHAND DE SMYRNE, 

KALED. 

Ne m'arrête pas, tu ne m'achèteras rien. 

LE VIEILLARD. 
Je n'achèterai rien ? Oh ! vous allez voir. 

KALED. 

Que veut-il dire ? 

DORNAL, à pan* 
Je tremble.. 

LE VIEILLARD. 
Avez-vous bien des femmes? C'est une femme que je veux.' 

KALED. 
Quel gaillard , à son âge ! 

LE VIEILLARD. 
Eh ! il n'y en a qu'une ? 

KALED. 

Encore n'est-elle pas pour toi. 

LE VIEILLARD, , 

Pourquoi donc cela? 

KALED. 

Je l'ai refusée à de plus riches. 

LE VIEILLARD, 
Vous me la vendrez. 

KALED. 

Oui!ouil 

DORNAL. 

Seroit-il possible ! quoi ! ce misérable...; 

LE VIEILLARD, 
Combien vaut-elle 7 



COMÉDIE. Sy5 

EALED. 
Quatre cents sequins. 

LE VIEILLARD. 
Quatre cents sequins ! c'est bien cher. 

KALED. 

Oh dame ! c'est une Française : cela se vend bien ; tout le 
monde m'en demande. 

LE VIEILLARD. 

Voyons-la. 

EALED. 
Oh ! elle est bien. 

LE VIEILLARD. 

Elle baisse* les yeux; elle pleure; elle me touche. C'est poux^ 
tant une chrétienne : cela est singulier. Trois cent cinquante I 

KALED. 
Pas un de moins. 

LE VIEILLARD. 
Les voilà. 

KALED. 

Emmenez. 

DORNAL. 
Arrêtez. . . . O ma chëre AméHe ! . . . . Arrêtez ! 

KALED. 

Ne vas-tu pas m'empecher de vendre? Vraiment, je n'aurai 
pas assez de peine à me défaire de toi. Vous autres Français , les 
maris de ce pays<i ne vous achètent point. Vous êtes toujours 
à rôder autour des sérails , à risquer le tout pour le tout. 

DORNAL. 
Vieillard y vous ne paroissez pas tout-à-fait insensible; lai^ 



574 LE MARCHAND DE SMÏRNE, 

sez-vous toucher. Peut-être avez-vous une femme, des enfains? 

LE Vieillard. 

Moi , non. 

DORNAL. 

Par tout ce que vous avez de plus cher, ne nous séparez pas ! 
C'est ma femme. 

LE VIEILLARD. 

Sa femme ? Cela est fort di£férent : mais , vraiment , Kaled , 
si c'est sa femme, vous me surfaites. 

DORNAL. 
Pour toute grâce , achetez-moi du moins avec elle. 

LE VIEILLARD. 

Hélas ! mon ami , je le voudrois bien ^ mais je n'ai besoin que 
d'une femme. 

DORNAL. 
Je vous servirai fidèlement. 

LE VIEILLARD. 
Tu me serviras ! Je suis esclave. 

KALED. 

Est-ce que tu les écoutes ? 

ANDRÉ. 
Mes pauvres maîtres ! 

AMÉLIE. 

O ! mon ami , quel sort ! 

DORNAL. 

Ne Tachetez pas. Quelque homme riche nous achètera peut 

être ensemble. 

LE VIEILLARD. 

C'est bien ce qui pourroit t'arriver de pis : il t'en feroit le 
gardien. 



COMÉDIE. ^5 

DORNAL à Kalcd. 
Ne pouvcz-vous différer de quelques jours? 

KALED. 

Différer ! on voit bien que tu n'entends rien au commerce. 
Est-ce que je le puis ? Je trouve mon profit^ je le prends. 

DORNAL. 

O ciel! se peut-il?.... Mais que dirai-je pour attendrir un pa- 
reil homme ? Quel métier ! quelles âmes I trafiquer de ses sem- 
blables ! 

KALED. 

Que veut-il donc dire? Ne vendez-vous pas des nègres? Eh 
bien! prioi, je vous vends.. . N'est-ce pas la même chose? Il n'y 
a jamais que la différence du blanc au noir. 

LE VIEILLARD. 
En vérité, je n'ai pas le courage.... 

KALED. 
Allons, toi, ne vas-tu pas pleurer aussi? Je garde tonar* 
gent^ emmène ta marchandise , si tu veux. Il se fait tard. 

AMÉLIE. 
Adieu, mon cher Domal! 

DORNAL. 
Chère Amélie ! 

AMÉLIE. 

Je n'y survivrai pas ! 

KALED. 
Cela ne me regarde plus. 

DORNAL. 
J'en mourrai. 



576 LE MARCHAND DE SMYRNE» 

KALED. 

Tout doucement , toi , je t'en prie : ce n'est pas là mon 

compte. Ne vas-tu pas faire conuue l'Anglais? 
( Repoussant Domal. ) 

DORNAL. 
Ah Dieu ! faïut-il que je sois enchainé !.... 

ANDRÉ. 
O ma chère maîtresse ! 

SCÈNE IX. 

KALED, DORNAL, ANDRÉ , L'ESPAGNOL, L'ITALIEN. 

KALED. 

M'en voilà quitte pourtant. Je suis bien heureux d'avoir un 
cœur dur : j'aurois succombé. Ma foi , sans son argent comp- 
tant , il ne l'auroit jamais emmenée , tant je m'en sentois ému. 
Diable ! si je m'étois attendri , j'aurois perdu quatre cents se- 
quins. 

( n compte ses esclaves. ) 

Un, deux.... Il n'y en a plus que quatre. Oh! je m'en déferai 
bien , je m'en déferai bien. 

SCÈNE X. 

LES ACTELRS PRÉCÉDENS , HASSAN. 

HASSAN à Kaled. 
Eh bien ! voisin , comment va le commerce? 

KALED. 

Fort mal , le temps est dur. 

( A part. ) 

Il faut toujours se plaindre. % 



\ 



COMÉDIE. 577 

HASSAN. 

Voilà donc ces pauvres malheureux! Je ne puis les délivrer 
tous : j'en suis bien fâché. Tâchons au moins de bien placer 
notre bonne action. C'est un devoir que cela y c'est im devoir. 

( A TEspagnol. ) 
De quel pays es-tu , toi? parle. Tuas l'air bien haut.... parle 
donc... 

^ESPAGNOL. 

Je suis gentilhomme espagnol. 

HASSAN. 

Espagnols ! braves gens ! un peu fiers , à ce qu'on m'a dit en 
France. . . . Ton état ? 

L'ESPAGNOL. 
Je vous l'ai déjà dit : gentilhomme. 

HASSAN. 
Gentilhomme ! je ne sais pas ce que c'est. Que fais-tu? 

L'ESPAGNOL. 
Bien. 

HASSAN. 

Tant pis pour toi , mon ami ; tu vas bien t'ennuycr. 

( A Kaleà. } 

Vous n'avez pas fait une trop bonne empiète. 

KALED. 

Ne voilà-t-il pas que je suis encore attrapé? Gentilhomme , 
c'est sans doute coiiune qui diroit baron allemand. C'est ta faute 
aussi : pourquoi vas- tu dire que tu es gentilhonmie ? Je ne 
pourrai jamais me défaire de toi. 

HASSAN à ritalîen. 
Et toi, qui es-tu avec ta jaquette noire? Ton pays? 

UITALIEN, 
Je suis de Padoue. 



878 LE MARCHAND DE SMÏRNE, 

HASSAN. 
Padoue? Je ne connois pas ce pays-là.... Ton métier? 

L'ITALIEN. 
Homme de loi. 

HASSAN. 
Fort bien. Mais quelle est ta fonction particulière ? 

L'ITALIEN. 

De me mêler des affaires d'autrui pour de l'argent, de Ëôre 
souvent réussir les plus désespérées , ou du moins de les faire 
durer dix ans , quinze ans, vingt ans. 

HASSAN. 

Bon métier ! et dis-moi , rends-tu ce beau service à ceux qui 
ont tort, à ceux qui ont raison indifférenmient ? 

L'ITALIEN. 
Sans doute ^ la justice est pour tout le monde. 

HASSAN, riant. 
Et on souffre cela à Padoue ? 

L'ITALIEN. 

Assurément. 

HASSAN. 

Le drôle de pays que Padoue! Il se passera bien de toi , je 

m'imagine. 

( A André. ) 
Et toi , qui es-tu 7 

ANDRÉ. 

Moins que rien. Je suis un pauvre homme. 

HASSAN. 
Tu es pauvre? Tu ne fais donc rien? 

ANDRÉ. 
Hélas ! je suis fils d'un paysan : je l'ai été moi-même. 



COMÉDIE 379 

KALED. 
Bon ! c'est sur ceux-là que je me sauve. 

ANDRÉ. 

Je me suis ensuite attaché au service d'un bon maître , mais 
qui est plus malheureux que moi. 

HASSAN. 

Cela se peut bien : il ne sait peut-être pas labourer la terre. 
Mais c'est l'habit français que tu as là ? 

ANDRÉ. 
Je le suis aussi. 

HASSAN. 

Tu es Français ! bonnes gens que les Français ! ils ne haïssent 
personne. Tu es Français , mon ami ! il suffit , c'est toi qu'il 
faut que je délivre. 

ANDRÉ. 

Généreux musulman , si c'est un Français que vous voulez 
délivrer , choisissez quelqu'autre que moi. Je n'ai ni père , ni 
inëre , ni femme , ni enfans ^ j'ai l'habitude du malheur : ce 
n'est pas moi qui suis le plus à plaindre. Délivrez mon pauvre 

maître. 

HASSAiy. 

Ton maître! Qu'est-ce que j'entends? Quelle générosité! 
Quoi !.... Ces Français.... Mais est-ce qu'ils sont tous conome 
cela?.... Et où est-il ton maître? 

' ANDRÉ, lai montrant Doraal. 

Le voilà : il est abîmé dans sa douleur. 

HASSAN. 

Qu'il parle donc! Il se cache , il détourne la vue; il garde le 
silence. 



58o LE MARCHAND DE SMYRNE, 

(Hassan ayance, le considère maigre' lui.) 

Que vois-je! est-il possible! je ne me trompe pas. C'est lui, 
c'est lui-même ; c'est mon libérateur ! 
(U Tembrasse avec transport. ) 

DORNAL. 
O bonheur! ô rencontre imprévue ! 

KALED. 
Comme ils s'embrassent ! Il l'aime : bon ! il le paiera* 

HASSAN. 
Je n'en reviens point. Mon ami ! mon bienfaiteur ! 

KÀLED. 

Peste ! un ami , un bienfaiteur! cela doit bien se vendre) 
cela doit bien se vendre. 

HASSAN. 

Mais , dites-moi donc , comment se fait-il ?.... par quel bon- 
heur?.... Qu'est-ce que je dis? la tête me tourne. Quoi! c'est 
envers vous-même que je puis m'acquitter ? J'ai fait vœu de 
délivrer tous les ans un esclave chrétien : je venois pour rem- 
plir mon vœu ) et c'est vous.... 

DORNAL. 
O mon ami ! connoissez tout mon malheur. 

HASSAN. 
Du malheur! il n'y en a plus pour vous. 

( Se tournant du côle' de Kaled. ) 

Kaled , combien vous dois-je pour l'emmener ? 

KALED. 

Cinq cents sequins. 

HASSAN. 

Cinq cents sequins Kaled, je ne marcbaude point mon 

ami^ tenez. 



COMÉDIE. S8l 

DOaNAL. 
Quelle générosité ! 

HASSAN à Raled. 

Je vous dois ma fortune ) car Vous pouviez me la de^ 
mander. 

KALED. 

Que je suis une grande bete ! bonne leçon. 

HASSAN. 

Laissez-nous seulement , je vous prie : que je jouisse des 
embrassemens de mon bienfaiteur. 

KALED. 

G ! cela est juste , cela est juste. Il est bien à vous. Allons, 
vous autres , suivez-moi. 

ANDRÉ à Doraal. 
Adieu , mon cher maître. 

DORNAL. 

( A Andrd. } (A Hassan. ) 

Que dis-tu? peux-tu penser?.... Mon cher ami , ce pauvre 
malheureux , vous avez vu s'il m'est attaché , s'il est fidèle , 
8*il a un cœur sensible! 

HASSAN. 
Sans doute , sans doute ; il fsiut le racheter. 

KALED. 
Quel homme! comme il prodigue l'or ! Si je profitois de cette 
occasion pour faire délivrer mon baron allemand.... Mais il ne 
. voudra pas. 

HASSAN. 

Tenez y Kaled. 

K A L E D y regardant les seqaint. 
En vérité y voisia, cela ne suffit pas ! 



33^ LE MARCHAND DE SMYRNE, 

HASSAN. 
Comment! cent sequins ne suffisent pas! Un domestique.... 

KALED. 

£h! mais.... un domestique.... Apres tout, c'est un homme 
comme un autre. 

HASSAN. 
Bon ! voilà de la morale à présent. 

KALED. 

Et puis un valet fidèle , qui a ujq cœur sensible , qui trar 
vaille, qiii laboure la terre , qui n'est pas gentilhomme.... En 
conscience.... 

HASSAN , donnant quelques sequins. 

Allons , laissez-nous. Qu'attende^vous ? qu'est-ce que vous 
voulez ? 

KALED. 

Voisin , c'est que j'ai chez 'moi un pauvre malheureux , un 
brave homme , qui est au pain et à Teau depuis trois ans ; cela 
fend le cœur : cela s'appelle un baron allemand. Vous qui êtes 
si bon , vous devriez bien.... 

HASSAN. 

Je ne puis pas délivrer tout le monde. 

KALED. 
A moitié perte. 

HASSAN. 
.Cela est impossible. 

KALED. 

Quand je disois que cet , homme-là me resteroit ! Oh ! si 
jamais on m'y rattrappe Allons , homme de loi, gentil- 
homme , rentrez là-dedans ', allez vous coucher , il faut que 
je soupe. 



COMÉDIE. 585 

SCÈNE XI. 

HASSAN, DOilNAL. 

HASSAN. 

Mon cher ami , que je vous présente à ma femme. Savez- 
vous que je suis marié? C'est à vous que je le dois. Et vous, 
cette jeune personne que vous deviez aller chercher à Malte ? 

DORNAL. 
Je l'ai perdue. 

HASSAN. 
Que dites-vous? 

DORNAL. 

Je Temmenois à Marseille pour l'épouser : elle a été prise 
avec moi. 

HASSAN. 

Eh bien ! est-ce l'Arménien qui Ta achetée ? 

DORNAL. 
Oui. 

HASSAN. 

Courons donc vite. 

DORNAL. 
n n'est plus temps : le barbare Ta vendue. 

HASSAN. 
A qui? 

DORNAL. 

Je l'ignore. Un esclave de quelque homme riche l'a arrachée 
de mes bras. 

HASSAN. 

Ah ! malheureux ! c'est peut-être pour quelque pacha. Est- 
elle belle ? 

DORNAL. 
Si elle est belle ! 



584 ^^ MARCHAND DE SMYRNE, 

SCÈNE XIL 

LES ACTEURS PRÉCÉDENS, ZAYDE. 

ZAYDE, 

Mon ami , vous me laissez bien loDg-temps seule* Et votre 
esclave chrétien? 

HASSAN. 

Mon esclave ! c'est mon ami , c'est mon libérateur que je 
vous présente. J'ai eu le bonheur de le délivrer à mon tour. 

ZAYDE. 
Etranger , je vous dois le bonheur de ma vie. 

SCÈNE XIII. 

LES ACTEURS PRÉCÉDENS, FATMÉ. 

FATMÉ, 

Est-il temps ? Ferai-je entrer ? 

ZAYDE. 
Oui, tu peux... 

SCÈNE XIV. 

ZAYDE, HASSAN, DORNAL. 

HASSAN. 
Quel est ce mystère? 

ZAYDE. 

Mon ami , vous m'avez tantôt soupçonnée de jalousie ; je 
vais vous prouver ma confiance. Je me suis servie de vos bien- 
faits pour acheter une esclave chrétienne ; je venois vous la 
présenter, afin qu'elle tînt sa liberté de vos mains. 



COMÉDIE. 385 

SCENE XV et dernière. 

HASSAN, ZAYDE , DORNAL, FATMÉ , une esclave 

chrétienne , vêtue en musulmane , avec un voile sur la 

tête. 

Z AY DE. 

La voici : voyez le spectacle le plus intéressant , la beauté 
dans la douleur. 

HASSAN s'approche et lère le voile. 

Qu'elle est touchante et belle ! 

DORNAL. 
Amélie ! Ciel ! 

(H voie dans ses bras.) 

AMELIE y aTec joie* 
Que vois-je? mon cher Domal ! 

DORNAL 

Ma chëre Amélie , vous êtes Ubre ! je le suis aussi. Vous êtes 
auprès de votre bien£dtrice, de mon libérateur. 

(U sàate an coa de Hassan , et veut ensuite embrasser Zajde» qui recnle 

aTec modestie. ) 

HASSAN à DomaL 

Embrassez! embrassez! il est honnête ce transport-là. 

(A Zayde, qni reste confnse. ) 

Ma chëre amie , c'est la coutume de France. 

AMÉLIE à Zayde. 

Madame , je vous dois tout ! Que ne puis-je vous donner 

ma vie! 

ZAYDE. 

C'est à moi de vous rendre grâces. Vous ne me devez que 
votre liberté , et je dois à votre époux la liberté du mien. 

AMÉLIE. 
Quoi! c'est lui!.... 

HASSAN. 

Oh! cela est incroyable! A propos, vous n'êtes point mariés! 
IL a5 



386 LE MARCHAND DE SMYRNE. 

DORNAL. 

Yraiment , non : nous ne le serons qu'ji notre; retour. Une 
cle ses tantes nous accompagnoit : elle est morte dans la tra- 
versée. V 

HASSAN. 

Vite, vite, un cadi, un cadi Ah! Mais à propos , on ne 

peut pas.... c'est cet habit qui me trompe. 

DORNAL. 

Ma chëre petite musulmane , quand serons-nous en terre 
chrétienne ? Ah ! mon Dieu , nos pauvres compagnons d'in- 
fortune ! 

HASSAN. 

Si j'étois assez riche«... Mais , après tout , l'homme de loi ^ 
et cet autre , cela ne doit pas coûter cher, n'est-ce pas? 

DQRNAL. 
Ah I mon Dieu, non! Nous Us aurons àbon ntiarché* 

FATMÉ. 

Ah ! c'est bien vrai. Je viens de rencontrer l'Arménien ^ tout 
ce qu'il demande , c'est de les vendre au prix coûtant. 

DORNAL. 

D'ailleurs , moi, je suis riche, et je prétends bien...» 

HASSAN. 
Allons , délivrons-les. 

(A Fatmé. ) 
Va les chercher. Qu'ils partagent notre joie ; qu'ils soient heu- 
reux , et qu'ils nous pardonnent de porter un doliman au lieu 
d'un juste-au-corps. 

(Fatmé imène l'Arménien sniTi de« esclaves qai ont paru dans la pièct et 
de ceux dont il y est parlé. Us forment un baUet, et témoignent leur 
reconnoissance à Zajde, à Hassan et à Dornal.) 

FIN DU MARCHAND DE SMYRNE. 



POÉSIES DIVERSES. 



l»l<»»<»»<»^S<i^«»»><»^«0^^»«»« 



LA QUERELLE DU RICHE ET DU PAUVRE, 

APOLOGUE. 

Xj k riche avec le pauvre a partagé la terre, 

Et vous voyez comment l'un eut tout , l'autre rien» 

Mais depuis ce traité, qui régloit tout si bien, 

Les pauvres ont parfois recommencé la guerre : 

On sait qu'ils sont vaincus , sans doute pour toujours. 

J'ai lu, dans un écrit, tenu pour authentique, 

Qu'après le siècle d'or, qui dura quelques jours. 

Les vaincus, opprimés sous un joug tyrannique, 

S'adressèrent au ciel : c'est là leur seul recours. 

Un humble député de l'humble république 

Au souverain des Dieux présenta leur supplique. 

La pièce étoit touchante , et le texte étoit bon ; 

L'orateur j plaidoit très-bien les droits des hommes : 

Elle parloit au cœur non moins qu'à la raison; 

Je ne la transcris point , vu le siècle oii nous sommes. 

Jupiter, l'ayant lue , en parut fort frappé. 

Mes amis , leur dit-il , je me suis bien trompé. 

C'est le destin des rois; ils n*en conviennent guères. 

J'avois cru qu'à jamais les hommes seroient frères : 

Tout bon père se flatte, et pense que ses fils. 

D'un même sang formés, seront toujours amis. 

J'ai bâti sur ce plan. J'aperçois ma méprise. 

Je m'en suis repenti souvent, quoi qu'on en dise; 

Mais , soumis à dçs lois que je ne puis changer, 



588 POÉSIES DIVERSES. 

Je n'ai plus qu'un moyen propre à vous soulager. 
Je hais vos oppresseurs : les riches sont barbares; 
Ils paroitront souvent l'objet de mon courroux; 
Mëcontens, ennuyés, prodigues, vains , bizarres : 
Ce sont de vrais tourmens; mais le plus grand de tous 
C'est l'avarice; eh bien! je vais les rendre avares : 
C'en est fait, les voilà pauvres tout comme vous. 
Ainsi fit Jupiter. Les Dieux ont leur système. 
Mais , soit dit sans fronder leur volonté suprême , 
Je voudrois que le ciel , moins prompt à nous venger. 
Sût un peu moins punir , et sut mieux corriger. 



LA JAMBE DE BOIS ET LE BAS PERDU. 

I 

Est-ce un conte? est-ce un apologue? 
Vous en déciderez : voilà tout mon prologue. 

Une dame en faveur, je vous tairai son nom , 
Belle encor , quoiqu'un peu passée , 

Eut, je ne sais comment, la jambe fracassée : 

11 fallut en venir à l'amputation. 

Grand fut le désespoir, plus grande la souffrance; 

Mais on se tira bien de l'opération. 

Bref, on touche au moment de la convalescence : 

Il fallut s'habiller ; une jambe d'emprunt , 

Dans une double éclisse avec art enchâssée , 
Supplément du membre défunt , 
Au lieu vacant fut promptement placée : 

L'autre jambe , la bonne , étoit déjà chaussée. 

Madame de son lit descendoit; mais , hélasl 
Admirez l'étrange caprice , 

La malade soudain veut ravoir l'autre bas. 



POÉSIES DIVERSES! SSg 

On cherche, on se tracasse, il ne se trouve pas : 
Elle de s'obstiner, soit sottise ou malice j 
La voilà qui gronde ses gens , 
Maltraite époux, amis, parens, 
Troupe indulgente, autour du lit groupée 
Par pitié , voyez-vous , pour la pauvre éclopée. 
Jugez oii l'on en fut lorsqu'en sa déraison 
Elle parla de quitter la maison ! 

Même travers chez nous s'est montré tout à l'heure. 
Perdre bon marquisat fit pousser moins de cris 
Que perdre le beau nom de monsieur le marquis : 
Une jambe est coupée , et c'est le bas qu'on pleure. 



LE HÉROS ÉCONOME, 

CONTE. 

Pourquoi faut-il que l'humaine foiblesse, 
Chçz les mortels que nous nommons héros , 
Souvent se. montre, et par de tels défauts. 
Qu'en les voyant, on se dit : Pauvre espèce! 
Livrons le monde et la gazette aux sots. 
Pourquoi de l'or l'avidité cupide 
A-t-elie , hélas! souillé plus d'un grand nom, 
Flétri , perdu Détnosthënes, Bacon; 
Et, qui pis est, de sa rouille sordide 
Atteint Brutus et le premier Gaton? 
La vanité me gâte Cicéron; 
Annibal fourbe, Agésilas perfide, 
Luxembourg fat , et Yillarjs fanfaron , 
C'est grand pitié : Catinat.... je ménage 
Et ma pudeur et les mânes d'un sage^ 



SgO POÉSIES DIVERSEflU 

Sur Malboroug je serai moins discret^ 
Car son péché n'étoit pas ub secret. 
Dans l'Angleterre, éprise de sa gloire, 
Sur sa lésine on faisoit mainte histoire , 
En affublant d'épigramme ou chanson 
Ce grand rival de Mars et d'Harpagon. 
Chez les guerriers ce mélange est trësHrare } 
Et tout héros est plus voleur qu'avare : 
Mais je finis , mon prologue est trop long» 
Pour regagner sur la narration 
Le temps perdu , courons de compagnie 
Yite en Hollande, aux états généraux, 
OU l'on reçoit en grand'cérémonie 
Des alliés le support, le héros, 
CeMalboroug, qui, repassant les flots, 
S'en va revoir sa brillante patrie. 
Le général à Windsor est mandé ^ 
De ses emplois il est dépossédé. 
Vu que soudain , milédi , son épouse , 
Brusque et hautaine , imprudente et jalouse. 
Près la reine Anne a perdu sa faveur. 
Sur une robe une aiguière versée , 
Même la jatte avec dépit cassée , 
Au cœur royal ont donné de l'humeur. 
Tout va changer : la Hollande , l'Empire 
Baissent le ton , et la France respire. 
La paix naîtra de ce grave incident, 
Qui dans l'Europe est encor un mystère^ 
Mais Malboroug , qui le sait cependant , 
Fait son paquet, et maudit, en partant, 
Anne , et sa femme, et la jatte , et l'aiguière; 
Ce grand méchef , ces débats féminins 
Ferment pour lui le champ de la victoire. 



POÉSIES DIVERSES. Sgi 

n se coDSole à l'aspect de sa gloire , 

Surtout de l'or qu'elle verse en ses mains. 

Le Hollandais y moins par reconnoissance 

Que pour mater le vieux roi, dit le Grand , 

Va cette fois écorner sa finance. 

Faire dépit à cette cour de France , 

Est, comme on sait, pour messieurs d'Amsterdam ^ 

Le seul plaisir qui vaille leur argent. 

La fête s'ouvre, et le vainqueur s'avance ^ 

Dieu ! quel accueil , quelle munificence ! 

On lui prodigue , on étale à ses yeux 

Cent raretés de l'un et l'autre monde y 

Mais tout s'efifaoe à l'éclat radieux 

D'un diamant le plus beau que Golconde 

Depuis long-temps ait vu sortir du sein 

De son argile opulente et féconde. 

U est trop cher pour plus d'un souverain : 

Il est sans prix : nul Juif ne l'évalue. 

Déjà placé , par une adroite main. 

Sur un chapeau qu'au sien on substitue , 

Sous un panache , il brille au front du lord. 

On applaudit sa noble contenance , 

Son air , son geste , et l'on pouvoit encôr, 

Comme on va voir, louer sa prévoyance 2 

Yers un des siens, qui du riche joyau , 

Grands yeux ouverts , contemploit Ift merveilte , 

Milord s'approche , et tout bas à l'oreille : 

Songe ^ ravoir , dit-il, mon vieux chapeau. 



3ga POÉSIES DIVERSES. 



LE RENDEZ -VOUS INUTILE, 

CONTE. 

Hier au soîr on nous a fait un conte, 
Qui me parut assez original; 
Il faut , messieurs , que je vous le raconte } 
Il est trës-cOurt et surtout point moral. 

Damis, Ëglé, couple élégant, volage, 

£toient unis, mais par le sacrement; 

L'amour jadis. les unit davantage. 

Ëglé sensible , au sortir du couvent , 

Avoit aimé son époux sans partage ; 

Quoiqu'à la cour tout s'excuse à son âge , 

Damis lui-même étoit un tendre amant. 

Mais tout à coup, sans qu'on sût trop comment , 

Par ton , par air , fuyant le tête à tête , 

Avec fracas courant de fête en fête , 

Croyant surtout avoir bien du plaisir , 

De s'adorer on n'eut plus le loisir. 

Un mari mort, on souffre le veuvage; 

Mais quand il vit , c'est un cruel outrage; 

Èglé le sent : Églé va se venger. 

Je vois d'ici ces messieurs s'arranger , 

Et minuter le beau brevet d'usage 

Au bon Damis. Pour vous faire enrager, 

Mes chers amis , Eglé restera sage ; 

Et du mari l'honneur est sans danger. 

Madame , un soir après la comédie , 

Rentre chez elle : aimable compagnie : 

Cercle brillant : on apporte un billet : 



POESIES DIVERSES. SqS 

Elle ouvre...-. 6 ciel I sottise de valet.... 

Églë rougit y et regarde à l'adresse. 

Or, vous saurez que le susdit poulet 

Est pour Damis : <jue certaine canitesse 

Vers le minuit rendez-^ous lui donnoit, 

Et que d'un mot l'orthographe mal mise 

Peut d'un vieux suisse excuser la méprise. 

La helle Ëglé prend son parti soudain : 

En un clin d'œil elle devient charmante : 

Noble enjouement, ganté vive et piquante 

Sont mis en jeu : le souper fut divin ^ 

Nul quoHbet^ des contes agréables : 

Les gens d'esprit , les convives aimables 

Etinceloient ^ les sots , les ennuyeux 

Furent bruyans; ne pouvant faire mieux. 

Madame avoit cette coquetterie 

Qui plaît, enflanune , amuse tour à tour, 

Et qui permet à la gakmterie . 

De ressembler quelquefois à l'amour. 

Or, devinez si chacun voulut plaire. 

Mais save&-vou8 sur qui le charme opère 

Plus puissamment? c'est sur notre mari. 

De son bonheur avisé par autrui , 

De la tendresse il a pris le langage 5 

Malgré l'affront de paroître amoureux , 

Un air folâtre , im riant badinage, 

Cachoient , montroient ses transports et ses feux. 

Chacun sourit , on s'en va , bon voyage. 

Damis est seul : voilà Damis heureux; 

Même on prétend que , dans cette occurrence, 

Un doux refus , une adroite défense 

Fit d'un époux un amant merveilleux. 

A pareil trai( on ne poavoit s'attendre ; 



$94 POÉSIES DIVERSES. 

Mais un mari s'étonne d'être aime : 

On est surpris , on veut aussi surprendre^ 

L'honneur s'en mêle , on se trouve animé. 

Damis se croit vainqueur de l'aventure^ 

Baissant les yeux , sa modeste moitié 

Prend plaisamment un air humilié : 

Écoutez-moi, Damis, je vous conjure ^ 

Je sens , dit-elle avec timidité , 

Qu'à vous fixer je ne saurois prétendre; 

A la raison je sens qu'il faut se rendre^ 

£tvous céder à la société. 

Fait comme vous.... — O ciel ! êtes-vous folle? 

Songez-vous bien ? — Oui, monsieur . . . Je m'immole. . . 

Lisez.... £h bien! reprit>-on d'un air doux, 

Vous n'allez pas bien vitç au rendez-vous ? 

•—Qui? moi?... J'y suis. — Le mot estbieatainiaUe... 

Mais songez-vous qu'une femme adorable 

En ce moment.... Ah! du moins écrivez.. iv 

— - Écrire ! quoi!.... — Je le veux , vous deveK 

Une réplique à la tendre semonce. 

Alors Damis confus , un peu troublé , 

Je ne dois rien , dit-il , et mon Ëglé 

A tout surpris, la lettre.... et la réponse. 

ENVOI A MADAME LA COMTESSE DE R***. 

Si ce Damis , que j'ai peint si volage, 

OR , eût été votre époux , 

L'heureux Damis , tendre et digne de vous , 
Jamais ailleurs n'eût porté son hommage. 
Non moins heureux , si le sort eût permis 
Que vous fussiez son aimable comtesse y 
Jamais d'Eglé la beauté ni L'adresse 
A ses genoux n'eût ramené Damis j 



POÉSIES DIVERSES. SgS 

Ou , de céder s'il eût eu la foiblesse , 
Volant chez vous , honteux de ses svLCchs , 
Il eût si bien » dans son ardeur nouvelle , 
Rendu justice à vos charmans attraits , 
Qu'il n'auroitpa vous paroitre infidèle. 



LE CHAPELIER, 

CONTE. 

Un Pénitent venoit purifier 

Sa conscience aux pieds d'un bamabite. 

Ça , mon ami , votre état ? — Chapelier. 

— Bon. Et quelle est la coulpe favorite ? 

— Yoir la donzelle est mon cas familier. 

— Souvent ? — Assez. — Et quel est l'ordinaire ? 
Hem ! tous les mois? — Ah ! c'est trop peu ,mon përe. 
*— Tous les huit jours? — Je suis plus coutumier. 

— De deux jours l'un? — Plus encor; j'ai beau faire 
^ A tous momens le plus ferme propos ... 

— Quoi ! tous les jours ? — Je suis un misérable. 
-^ Soir et matin? — Justement. — Comment diable ! 
Et dans quel temps faites^vous des chapeaux ? 



LA MARIEE SANS MARI, 

CONTE. 

ff 

YoiR marier dauphin ou fils Je France, 
C'est , je l'avoue , un vrai plaisir pour moi | 
Car , sans compter (pie Pon a l'espérance 
De ne pouvoir jamais manquer de roi y 
Fille sans dot , à Paris , aa village , 



596 POÉSIES DIVERSES. 

Qui sans hymen eût langui tristement , 

Se voit payer pour prendre son amant ^ 

Veuille le ciel conserver cet usage ! 

Or , vous saurez que tout nouvellement 

Certaine Agnes , désirant mariage j 

Chez so^ cure s'en alla honnement. 

Je viens m'inscrire. — |0h ! soit. Votre nom? — Lise. 

— £t le futur.... Ma foi , Lise est à bout. 

— Parlez. — Eh ! mais , dit la fille surprise , 
Je croyois , moi , qu'on fournissoit de tout. 



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L'AVARE ÉBORGNÉ, 

CONTE. 

Un Harpagon , d'un œil hypothéqué, 
Gardoit la chambre en mauvaise posture. 
Grave est le cas , le globe est attaqué , 
Lui disoit-on y craignez quelqu'aventure } 
Voyez Granjean. — Non , parbleu , je vous jure, 
. Il est habile , il doit être bien cher ^ 
Pour me guérir , il suffit d'un frater. 
Le frater vient , entreprend cette cure , 
Le bistourise , et de son instrument 
Lui crève Tœil , mais trës-parfaitement. 
Harpagon crie , Esculape s'évade 
A petit bruit le long de l'escalier , 
Trës-inquiet de sa sotte algarade. 
Vite on accourt aux clameurs du malade. 
Un œil ! G ciel ! ah ! quel aventurier ! 
Dans les deux cas , ignorance ou malice : 
Pourvoyez-vous en réparation ; 
Un bon procès doit vous faire justice y 



POÉSIES DIVERSES. 397 

Et contre lui vous avez action. 
Le borgne alors , d'uti ton tout débonnaire , 
Laissez , dit-il , laissez ce pauvre hère ; 
Je sais très-bien qu'il peut être plaidé ; 
Mais il en coûte à poursuivre une affaire : 
Et puis d'ailleurs il n'a rien demandé. 



FRAGMENT D'UN CONTE, 

PROLOGUE. 

Vous croyez tous que , brodant quelquefois 

Nouvelle en vers , ou conte , ou comédie , 

J'aime à surprendre ou sottise , ou folie j 

Et suis charmé de tout ce que je vois ; 

Que quand Églé , qui veut être à la mode , 

Suit à la piste un fat suivant la cour , 

Donne une scène , ou fait quelque bon tour , 

Qui peut m'offrir un plaisant épisode , 

J'en fais les feux , et que je ris d'autant. 

Non , point du tout , j'en suis très-mécontent. 

Bien il est vrai que l'amour m'intéresse : 

J'en suis fâché , mais j'ai cette foiblesse. 

Damis s'en moque , et me trouve pédant; 

Cléon me plaint , il fuit le sentiment , 

Se croit un sage ; et que s'il a Delphire , 

Ne l'aimant point , on n'a rien à lui dire. 

Delphire même est fort de cet avis : 

C'est sans aimer qu'on trompe les maris. 

C'est un grand mal , mais très-grand. Que les femmes 

Aiment un peu , qu'on les ait à son tour ; 

Je ne dis mot ) mais , s'il se peut , mesdames , 



SqS poésies diverses. 

Dans vos boudoirs daignez placer l'Amour. 
^ • 

PROLOGUB D'UN AUTRE CONTE. 

Je fîis toujours un peu républicain^ 

C'est un travers dans une monarchie. 

Vous conclurez , certes , que le destin 

Sous Louis-Quinze a mal placé ma vie. 

Assez long-temps j'en ai gémi tout bas. 

On me disoit : La France est ta patrie , 

n faut l'aimer. Cela ne prenoit pas. 

Triste habitant d'une terre avilie , 

Je consolois ma pensée eimoblie , 

En la tournant vers ces climats heureux , 

Qui présentoient à mon cœur, à mes vœux, 

La liberté , ma maîtresse chérie. 

Je m'étois fait Anglais , faute de mieux ^ 

Ou bien , parfois , rêveur silencieux , 

Je saluois les monts de THelvétie , 

Cherchant des yeux , dans le simple Apenzel , 

L'égalité , cette fille du ciel , 

Faite pour Thonmie et par l'homme haïe , 

Péché d'orgueil que son malheur expie. 



CALCUL PATRIOTIQUE. 

Cent mille écus pour la justice ! 
Deux cents pour la religion ! 
Prêtres , juges , la nation 
Surpaie un peu votre service. 



POÉSIES DIVERSES. ^gg 

Mais aussi j vous craignez , dit-on , 
Qu'habilement on ne saisisse 
Cette attrayante occasion 
D'opérer , par suppression 
De ftiaint office et bénéfice ^ 
Quelque bonification : 
Et vraiment , vous avez raison : 
Plaise au ciel qu'on y réussisse ! 
Croire et plaider sont deux impàts 
Que tout peuple met sur lui-même , 
Aux dépens des heureux travaux 
De Bacchus et de Triptoléme. 
Croire et plaider sont deux besoins 
De notre mince et folle espèce , 
Que k France , dans sa détresse. 
Tâche de satis&ire à moins. 
De nos jours la j^losophie 
A porté quelqu'économie 
Dans la dépense du chrétien* 
Mettons de côté l'autre vie : 
Ce qu'on perd en théologie , 
En finance on le gagne bien. 
L'américaine prud'homie 
Croit trësrpeu pour ne payer rien. 
Que dites-vous de ce moyen? 
Il est bien fort pour ma patrie ; 
Mais elle y viendra , je parie. 
£n attendant un si grand bien. 
Je me console j en citoyen , 
Des malheurs de la sacristie. 
Courage I allons, mes chers Français , 
Méritez an second succès : 
Attaquez cettç autre manie : 



4oO POÉSIES DIVERSES. 

Émondez Farbre des procès ; 
Et mettant de même au rabais 
De messieurs l'avare industrie , 
Économisez sur les frais 
De la seconde maladie , 
Dont nous ne guérirons jamais. 



^^^<»^^i^>»^«x»i^ 



LA VRAIE SAGESSE. 

C'est encor parmi nous un grand bien d'être sage 5 
11 en £siut convenir 5 mais ce bonheur , si doux , 
Chez les Grecs autrefois l'étoit bien davantage : 
Il laissoit partager tous les plaisirs des fous. 
L'ivresse de Bacchus , une plus douce ivresse , 
Chez ce peuple charmant , moins ennuyé que nous , 

Etoit le prix de la sagesse. 
Mais ne seroit-ce point la sagesse en eflfet? 

Et pourquoi non ? Consultons les sept sages : 
Leur nom , sans leurs plaisirs , eût pe'ri tout-à-fait. 

]N 'avons-nous pas oublie net, 

Et leurs écrits et leurs ouvrages ? 

On parle encor de leur banquet. 

Socrate , qui le remarquoit , 

Un jour alla chez Aspasie, 
Qui ne vouloit jamais être que son amie. 
Il entre : elle brodoit dans ce goût élégant , 
Que la mode aujourd'hui parmi nous renouvelle , 
Car la Grèce est toujours en tout notre modèle. 

Hé bien ! dit-il en s'approchant , 

Serez-vous donc toujours la même ? 
Rien que de Tamilié ! quoi î jamais rien de plus? 
Et d'autres vœux jamais ne seront entendus! 



POÉSIES DIVERSES. 4oi 

Quoi ! n'être que l'ami de l'objet que Ton aimei 
Encor si votre cœur sa voit , ainsi que nous, 
Mêler à Tamitié des mouvemens plus doux ! 
Car toujours dans notre âme un grain de convoitise 

Assaisonne , quoi qu'on en dise , 
Cette pure amitié que nous avons pour vous ? 
Yous paroissez rêveuse, et vos regards baissés 

Sur le canevas sont fixés : 

Parlez , daignez au moins m'apprendra 
Pour quel heureux mortel vos mains , dans ce moment... 
Pour qui? dit Âspasie, avec étonnement. 
£h ! mais.... en vérité.... je ne puis vous comprendre; 

C'est pour.. . — Eh bien? — Pour un de mes amis. 
Pour un de vos amis ! Achevez de m'instruire , 

Dit Socrate avec un souris. 
Parlez. — Eh bien ! c'est vous , puisqu'il faut vous le dire. 

Le philosophe , au comble de ses Vœux , 
Sentit. . . . que sais-je , moi ? ce que l'amour inspire , 
Quand , par bonheur pour lui , le sage est amoureux. 



i»^^^^<»^<»^^'»i» 



LA JOUISSANCE TARDIVE. 

Je te disois : Chloé, prends mes leçons, prends-moi; 
Tu ris : de nos beaux jours il n'est qu'un seul emploi; 
Use de ton printemps : chasteté , c'est vieillesse , 
Pour les femmes surtout. Chloé ne m'a point cru; 
Les roses de son teint, hélas! ont disparu : 
Elle connoît Terreur de sa triste sagesse. 
Moins belle et plus sensible , au midi de ses ans , 
Elle ressent l'injure et les bienfaits du temps. 
Elle gagne , elle perd , et compte avec son âge. 
Plus de fête : elle fuit les yains amusepiens ; 

ir. 26 



4oa POÉSIES DIVERSEfiU 

Il loi faut des plaisirs et non des passe-temps. 

Le passe-temps Fennuie , un soupir la soulage; 

Pensive , son miroir, liioins entoure d'amans, 

Lui parle du passé , lui dit : c'est bien donmiage ! 

Un désir inquiet le lui dit davantage. 

J'ai vu tomber sur moi ses regards languissans. 

J'ignore si je plais ; je vois que j'intéresse : 

Sa longue indifférence est un poids qui l'oppresse. 

A mes vœux négligés elle accorde un regret , 

Ses sens aident son cœur à trahir son secret ; 

Son repentir tardif ressemble à la tendresse. 

Ma Chloé, jouissons : près de toi ranimé. 

Mon cœur, mes souvenirs te rendent ta jeunesse ; 

Donne^moi ce que j'aime , ou Inen ce ^e j'aimai. 



»^«i»^^^^^ »*»*<» 



PARIS JUSTIFIÉ. 

C'est toi , c'est ta funeste flamme 9 
Disoit Anténor à Paris , 
Qui va mettre en cendre Pergame , 
£t rougir de sang ses débris. 
Quand , de trois déesses rivales , 
L'une offre à tes vœux la grandeur, 
L'autre des palmes triomphales , 
£t la sagesse et le bonheur : 
C'est Vénus que tu leur préfères! 
De ses promesses mensongères 
Hélène est le gage imposteur I 
La jouissance d'une belle , 
Arbitre insensé , valoit-elle 
La sagesse ou la royauté ? 
Oui , répond Paris irrité ^ 



IPOÉSIES DIVERSES. 4^S 

Croyons-cn les trcfis immortelles , 
Qui , dans lem^ jalouses querelles y 
Ne s'envioient que la beauté. 

MADRIGAL. 

Elle est à moi, si par£utement timte, 
Qu'eUe et nul autre en elle n'ont plus rien^ 
£t je n'aurois moins tort4'en &ire doute , 
Qu'elle k penser qu'on puisse être plifô sien. 
Aucun ennui n'a su troubler mon bien ; 
Rien qui m'afflige et rien que je redoute; 
Bors qu'il me peine k me trop souvenir 
D'un qui l'avoit pour mattresse choisie , 
Et rien que mal n'a pu d'elle obtenir ; 
Mais mal et bien m'en doit appartenir. 
Et du passé je sms en jalousie. 



A M. DE M**% 

QUI M'AVOrr ENVOYÉ UNE TASSE DE PORCELAINE, 
AVEC UN QUATRAIN OU IL ME RECOMMANDOIT 
DE NE PAS IMITER DIOGÈNE. 

On boit commodément aux sources «lu Permesse 

Dans ce brillant émail , présent de votre main. 
De feu Pibrac vous prêchez la sagesse , 
Mais vous tournez beaucoup mieux un quatrain. 
Votre morale trës-humaine 

Assure à vos conseils plus de succès qu'aux siens. 

De suivre vos leçons vous donnez les moyens ; 

Jamais sage avant vous n'avoit pris cette peine. 



4o4 POÉSIES DIVERSES. 

Je ne cours point après la pauvreté. 
D'un cynisme orgueilleux c'est l'absurde manie ^ 
Il suffit de la voir avec tranquillité. 
La souffrir, c'est vertu ^ la chercher, c'est folie. 
Ce fou de Diogëne est trop sâge pour moi : 
J'aime sa fermeté, son mépris pour la vie } 
Mais son manteau percé ne m'iroit point , je croi. 
La besace est de trop : je n'ai point ce beau zële. 
On est pauvre , on est sage , on est heureux sans elle. 
Sans la besace enfin je prétends au bonheur. 
Ah! plaignez-le avec moi d'une plus triste erreur; 
Il n'avoit point d'amis , ce n'est point là mon maître : 
J'aurois fîii ce faux sage. Un ami, c'est mon bien; 
Mes vœux l'auroient cherche , trop vainement peut-être ^ 
Et sa lanterne , hélas ! ne m'eût servi de rien. 






<^^>^^I0^^I0 U 0<^<^^ 



VERS A M. ***. 

Je serai q[uitte dans huitaine 
De mon dramatique démon ; 
Et je prétends , l'autre semaine , 
Congédier ma Melpomëne , 
Et voir ta petite maison. 
De ta charmante Magdeleine , 
Embrasse pour moi sans façon 
Cette aimable et tendre chrétienne : 
Fais-lui , de grâce , un beau sermon 
Sur son goût pour la pénitence ; 
Détourne-la de l'abstinence ; 
De la table cours dans ses bras , 
Et mets-lui sur la conscience 
Tous les péchés que tu pourras. 



POÉSIES DIVERSES. 4^5 

De ma morale un peu friponne 
Peut-être tu t'étonneras ^ 
J'en rougis , mais il est dés cas 
Oii ma gravité m'abandonne : 
Quelquefois même je soupçonne 
Qu'Aristippe vaut bien Zenon , 
Et qu'après tout , le vieux Caton 
Eut moins de plaisir que Pétrone. 



A MADAME '^^^ 

SUR UNE LOTERIE. 

J'ose espérer quelque bonheur. 

Votre nom , si cher à mon cœur, 

Doit être cher à la fortune. 

Pour vaincre sa haine importuné , 

Mon nom peut- il mieux s'assortir? 

De nos désirs elle se joue ; 

Mais si TAmour touriioit la roue y. 

Je verrois le vôtre en sortir. 

Ah ! pourquoi de la loterie 

L'Amour n'est-il pas directeur ? 

Il sauroit , adroit imposteur^ 

Par une aimable tricherie , 

Vous soustraire à Tétourderie 

Du hasard . autre escamoteur, 

Dont on adore les caprices. 

Des destins , par vous pîus propices , 

Je partagerois la faveur : 

Pour être heureux selon mon cœur,. 

Il &ut l'être sous vos auspices. 



4o6 POÉSIES DIVERSES. 



<»»»^#^i»«»*<»#i<» 



A CELLE QUI N'EST PLUS. 

Dans ce moment épouvantable , 
Oii des sens ûitigués , des organes rompus , 
La mort avec fureur déchire les tissus , 

Lorsqu'en cet assaut redoutaUe 

L'âme , par un dernier e£Fort , 
Lutte contre ses maux et dispute à Ta mort 
Du corps qu'elle animoit le débris périssable^ 
Dans ces momens affreux oii l'homme est sans appui ^ 
Cil l'amant fuit l'amante , oii l'ami luit l'ami , 
Moi seul , en frémissant , j'ai forcé mon courage 
A supporter pour toi cette effrayante image- 
De tes derniers combats j'ai ressenti l'horreur ; 
Le sanglot lamentable a passé <[aii$ mon ccQur }. 
Tes yeux fixes , muets , oii la mort étojt peinte. 
D'un sentiment plus doux sembloient porter l'empreinte ^ 
Ces yeux que j'avois vus par l'amour animés , 
Ces yeux que j'adorois. , ma main les a fermés! 



IMITÉ DE L'ANTHOLOGIE. 

YÉifus sortoit des bras de son aoiant: 

Une agrafe de sa cuii;a;»e 
Au bras de la déesse a laissé quelque trace. 

Diane vint , et méchamment , 
Aux dieux , par un seul mot , découvrit le mystère» 

Voyez , dit^elle avec douceur , 

Voyez comment un téméraire y 
Un Diomëde encor ose blesser ma sœur. 



POÉSIES DIVERSES. 4o^ 



^ ^ i# w ^#i <»i^i#<» 1»»^ 



A MADAME ***. 

On ne vit qu'à trente ans 5 tel est Totre système : 

C'est celui de mon cœur depuis que je vous aime. 

Mes plu9 chers souvenirs , mes momens les plus dons ^ 

Me laissent le regret d'avoir vécu sans vous i 

J'ai connu des plaisirs et }'ai perdu ma vie. 

Elle commence à vous ; elle est à son printemps : 

Un sentiment de vous m'a rendu mes beaux ans. 

Possédez à jamais mon âme rajeunie. 

Vos grâces , votre esprit , vos vertus , vos taleas ^ 

Ëtçrniseront mon ivresse. 

Elle épure mes sentimens j 

Et le délire de mes sens 

Est approuvé par la sagesse. 

A MADAME **% 

EN LUI ENVOYANT UN CHIEN. 

Vous l'aimerez ; il passera sa vie 

A vos pieds ou sur vos genoux 5 
Près du chevet peut-être.... Ah ! je lui porte envié 
Sur les soins d'adoucir les tonrmens d'un jaloux. 

MOTIFS DE MON SILENCE. 

Je touche au midi de mes ans , 
Et je me dois tous mes insians 
Pour jouir, non pour faire un livre. 
Ami , penser , sentir, c'est vivre j 
Ecrire 9 c'est perdre du ten^ps; 



4o8 POÉSIES DIVERSES. 



»»<»i»i»i»»^i»«»i»<»*»» 



IMITATION DE MARTIAL. 

J'ai fîii loin de la ville , Arîstc , et pour jamais : 
J'ai vu votre surprise , et je vous la pardonne. 
Quitter Rome et ses jeux , son cirque , son palais! 
Tout Romain de nos jours, en pareil cas , s'ëtonne» 
Écoutez mes raisons , vous jugerez après. 
Dans Rome , Tor payoit mon étroit domicile ; 
Sans frais , j'ai dans les champs agrandi mon asile. 
Une cendre économe , en mon humble foyer, 
Réprimoit la chaleur d'un ruineux brasier 5 
Ici la flanune y brille , et le chêne et le hélre 
Pétille impunément dans un âtre champêtre. 
Chez vous , à chaque pas , ma bourse décroissoît ; 
Chacun de mes besoins , vivre m'appauvrissoit : 
Du luxe de mon champ ma table est décorée ^ 
De mon rustique habit j'admire la durée. 
Pour chercher vos plaisirs et quelquefois l'ennui , 
On me vit me contraindre et dépendre d'autrui : 
Je dépens de moi seul pour être heureux et sage : 
Et j'ai fait loin des cours ma fortune au village. 
Cultivez donc les grands : demandez- leur en vain, 
Ce qu'en changeant de lieu vous obtenez soudain ! 



AUTRE DU MEME. 

J'ai dit , belle Aglaé , partout et constamment , 
Que Cléon , votre ami , n'étoit point votre amant ^^ 

Et j 'a vois presque dans le monde 

Etabli mon opinion : 



POÉSIES DIVERSES. 4^9 

Maïs votre mari mort , vous épousez Cléon : 
Que voulez-vous que je réponde? 



i»^^^ii^»i»«»»<^^<i 



AUTRE DU MEME. 

Recherché par les grands, invité par les belles, 
Vous négligez peut-être un peu trop l'amitié , 

Qui vaut mieux qu'eux, qui vaut mieux qu'elles : 
Vous le disiez jadis ^ vous l'avez oublié. 
Adieu : jouissez bien de toute votre gloire; 
Brillez dans les salons ; réussissez , plaisez : 
Gardez-vous cependant de vous en faire accroire j 
On ne vous aime point , Damis : vous amusez. 

MORALITÉ. 

Brillante et vaine ambition , 
Et vous , gloire , émulation , 
Que l'on vante et que l'on déifie , 
Vous êtes l'honorable nom 
Et de l'orgueil et de l'envie : 
Du cœur vous êtes le poison , 
Et le tourment de notre vie. 



^^*<»>»«#'^<'*»»»»*» 



A UNE FEMME 

QUI PRÉTENDOrr QUE SES AMIS NE S'OCCUPOIENT 

PAS lyELJLE. 

h * 

Tous vos amis songent à vous, Hortense; 
Plus d'un voudroit peut-être y penser moins souvent 5 



4lO POÉSIES DIVERSES. 

Mais vous devez , je crois, la préférence 
A celui-là <jui rêve en j songeant. 



i#^»^»#»»< 



SUR UN MARI. 

L'heureux époux! que son sort est charmant! 

Il est trompé si bien , si finement; 

Il est si sûr de sa tendre Égérie y 

Que , si l'hymen s'engage avec serment 

A m'accorderle même aveuglement. 

Sur mon honneur, demain je me miarie* 



iPii^N»^*»»»» »i»#^ 



VERS 

MIS AU BAS DU PORTHAIT DE MIRABEAU. 

Peintre de Frédéric , il a jug^ ses lois , 

£t soumis l'héroïsme à la philosophie. 

Chez nous , vengeur du peuple , il sert , par son génie , 

L'humanité , l'état, peut-être tous les rois. 



VERS 

A METTRE AU BAS DU PORTRAIT DE D'AL*♦^ 

J E change , à mon gré , de visage. 
Je deviens tour à tour d'Angeville , Poisson , 
Rimeur ' , historien * , géomètre , bouffon ^ ^ 

Je contrefais même le sage 4. 

' M. d'Aï faîsoit alors des vers. 

• Les Mémoires de ia reine Christine, 

^ On connoit les talens de M. d'Al pour contrefaire. 

^ Il y a sans cesse dans les ouvrages de d'Al. .... : Le sage fait c«€i 
ou cel£h ( IVotts de tAuteus* ) 



POÉSIES mVERSES. 4il 



ÉPIGRAMME. 

J'aimai Damîs des ma jeunesse : 
Zële y bienfaits , soins délicats , 
Ont prouve pour lui ma tendresse; 
£h bien ! Damis ne m'aime pas. 
H me voit 5 il m'écrit , me toue : 
Je me j^amdrois ii^ustement. 
Jamais personne , je Fàvoue > 
Ne ftit ingrat si décemment. 



»<»[»» ^»»*l» 0t»4 



AUTRE. 



Un théologien expert , 
Célèbre pat le aylIbgÎBmc , 
Prétendoit convetrtir Eobert, 
Et le guécir d« l'atbéisxae. 
Mais voyez, à quoi- c^ sert ? 
C'est beaucoup qa» le bon IMMrt 
Yeuilk a» iréduipe a» déisous ^ 
Encoi» dit^ii qu'il j pecd 



i»<i^»»^i< ^ ^y •»>#<»<■ 



LE ROI DE IXANEMARCK, 

RU; PARTAKK DE PABI& 

Tristi Paris ^ que tu m»'àasM«oli«» 
De^vavs f de soupets , d'opëraar 
Je suis verni poav voir de» honanMi ^ 
Range»-Y<Mii 9 mMieur» à$ DoDasi 



4ia POÉSIES DIVERSES. 

ÉPIGRAMME 

CONTRE LAH***. 

C E cher Lah.... , il ne siégera pas 
Comme Gaillard dans le fauteuil à brasJ 
J'en suis fâché 5 sa fortune étoit faite. 
Faite ! et comment ? cent jetons partagés 
Sur un tapis entre tant d'agrégés ^ 
C'est pour chacun si modiipie recette I 
Et puis on court après ces jetons. — Oui 5 
Mais des l'abord on auroit du confrère 
Vu tout l'orgueil , le fiel , le caractère : 
Il restoit seul ; la bourse étoit à lui. 



i»^»»»^^i^o»^#^ 



AUTRE CONTRE LE MEME. 

Mon pauvre ami , te voilà bien confus 
De voir qu'enfin chez les quarante élus 
Tu ne pourras jamais prendre ton somme. 
^ Confus! pourquoi? Mes talens sont connus; 
Avec éclat sans cesse on me renomme 
Dans mon Mercure^ et si je suis exclus , 
C'est simplement , relisez les statuts , 
C'est simplement qu'il faut être honnête homme. 



AUTRE CONTRE LE MEME. 

Depuis un temps Lab.... a des aïeux ; 
, Surcroît d'orgueil. Le vitrier , son frère ^ 
En est blessé; moi , je suis furieux y 
Bien moins pourtant que la hmonadiëre» 



POÉSIES DIVERSES. 4x5 

£h! mon ami , baisse les yeux sar moi : 
Ma race est neuve, il est vrai; mais qu'y faire? 
Dieu ne m'a point accordé , comme à toi , 
Près de trente ans pour bien choisir mon père. 



I^^^lj'^^^i»^!»»^!^^» 



LE PALAIS DE LA FAVEUR, 

ALLÉGORIE EN VERS ET EN PROSE. 

J'aime , vous le savez, les promenades solitaires; et vous , 
mon ami , vous aimez les rencontres qu'elles me procurent , 
les récits que je vous en fais , les rêveries même qu'elles m'oc 
casionnent. Prose , vers , séparés ou confondus , tout est bien 
reçu de vous ; tout vous convient également. Il ne me faut 
rien moins que cet excès d'indulgence et l'amitié qui en est 
la source , pour m'engager à vous écrire ces bagatelles. Écoutez 
le récit de ma dernière aventure. 

Je m'étois assis au pied d'un arbre , dans le carrefour de la 
foret de *** le moins fréquenté et que cependant je connoissois» 
J'aperçus un sentier qui me parut charmant; je me levai pour 
le suivre , persuadé qu'il me conduiroit à un lieu plus délicieux 
encore. Je le suivis assez long-temps : le marcher étoit doux , 
et c'est ce qui me faisoit poursuivre , malgré la variété des dé- 
tours qui sans doute ont fait abandonner cette route. Le terme 
oii elle conduit est très-désiré , et l'on cherche à y arriver le 
plus tôt possible. J'arrivai enfin au bout de ce sentier , et je me 
trouvai dans une avenue superbe qui conduisoit à un palais 
dont l'éclat m'éblouit. Je vis de loin une foule innombrable 
qui remplissoit les cours. Je crus qu'il y avoit une fête : ma 
conjecture étoit d'autant plus fondée , que dans ce tumulte et 
cette confusion je ne distinguai , ni n'entendis aucune marque 
de joie. Quelle que îàt cette fête , je voulus en avoir ma part , 
et je cédai à cet instinct de curiosité qui maîtrise presque tous 
les hommes , et souvent les philosophes plus que les autres. 



« \jàBi 



4i4 POÉSIES DlVERSEa 

J'eus beaucoup de peine à pénétrer , k me £ûr« jonr à trvren 
la foule. Des gens plus pressés qpe moi me pousioieQt, me hem^ 
toient j me frappoient même prescpi'à dessein ^ et se précîpî- 
toient pour passer les premiers : il est vrai <{a*i]s se trouvoient 
ensuite renversés ou écartés par d'autres plus forts et pfaïf 
adroits. Cet empressement général redoubloit ma curiosité; 
mais je craîgnois bien de ne pouvoir la satisfaire , lorsque je me 
sentis enlevé et comme porté sur les marches du palais par on ' 
flot impétueux qui me fit courir de grands risques , mais qui 
m'abrégea la moitié du chemin. Je me dégageai de œ chaos et 
youlus entrer pour m'asseoir. 

Le garde qui étoit dans l'intérieur m'aborda , etmt demandi 
ce que je voulois. Hélas ! rien , lui répondis-je du ton d'an 
homme &tigué. Dans le lieu oii vous êtes , me dit-il , on ne 
croit plus à cette réponse. £h l^en I monsieur , hn répliquai-jei 
ce que je demande , c'est un peu de repos. — Ce n'est pas non 
plus ce que l'on vient chercher ici , et je doute que vous puis* 
siez le trouver. Cependant asseyeiE-vons ; mais st vous ne dé- 
sirez que la tranquillité , n'attendez pas le retour de ma m^ 
tresse. Eh ! puis-je , monsieur , vous demander qui elle est? 
lui dis-je trës-polîment. — • Elle se nonmie Faveur. — En quoi 
votre maîtresse pourroit-elle troubler mon repos? -^Monsieur 
paroît étranger ? ^- Je le suis à beaucoup de choses , à presque 
tout. C'est de bien bonne heure , me réplîqua-t-il : et il me re- 
garda fixement. Je ne sais si ma figure lui plut ; mais prenant 
un air plus ouvert et plus poli : Faites-moi l'honneur de me 
suivre , me dit-il , je veux vous faire voir les appartemens de 
ma maîtresse. Je le suivis ; il ouvrit une porte , et je fus ébloui 
à la vue de toutes les merveilles qui s'offrirent à mes yeux. 
J'avançai , et y après m'étre livré à ma surprise , je regardai 
mon guide. Tout ceci est magique , lui dis-je. Point du tout , 
me répondit-il : tous ces chefs-d'œuvre sont réels, mais faux. 
Sortons vite , si vous voulez que l'effet ne soit pas détruit dans 
quelques instans. Je m'approchai tour à tour de la tapisserie y 



POÉSIES DIVERSES. 4l5 

des meubles , des cristaux y des lustres : tout étoit faux. Uor y 
l'argent n'en avoient que l'apparence j les broderies n'étoient 
que de vaines découpures 5 les cristaux y les diamans n'étoient 
que des verres à facettes ; et la perspective du fond de l'appar- 
tement y une perspective trompeuse , telle qu'on en voit sur nos 
théâtres ; les coussins , les lits , les sophas sont formés de roses 
amoncelées à la hâte , et dont on a oublié d'arracher les épines. 
£h ! monsieur y dis-je à mon conducteur , que faites-vous 
ici ? Je n'y suis , me répondit-il , que par hasard : j'y remplis la 
fonction d'un ami absent que rien ne peut détromper y et qui a 
vieilli auprès de Faveur dans un service assez ingrat. Je vous 
parlerai d'elle avec une liberté qu'il ne me permet pas , et qui 
a pensé me brouiller avec lui. Tout ce que vous voyez ici de 
£aiux et de frivole est l'emblème de son caractère et de son esprit . 
Coquette et inconstante , elle vous recherche et vous rebute 
l'instant d'après. Importune y c'est elle qui pourtant fuit la pre- 
mière. Dans son âme , comme dans son palais y tout est joué y 
tout est trompeur , sa beauté , sa bonté même ; mais elle a des 
grâces dont l'attrait est presque invincible. 

On ne sait quel enchantement 
Vers elle en secret vous attire , 
Et remplit l'âme en un moment 
D'un crédule ravissement, 
Qui devient ivresse ou délire. 
Sans pouvoir se faire estimer. 
Elle a su fonder son empire 
Sur tous les moyens de séduire y 
Hors toutefois celui d'aimer : 
Aimer pour elle est impossible^ 
Mais elle sait le feindre , hélas ! 
Et c'est le charme irrésistible 
Qui nous enchaîne sur ses pas. 
Oui , dans un profil trop rapide y 
$oit naïf y iioit étudié; 



4l6 POÉSIES DIVERSES. 

Souvent elle offre à l'œil timide 
Une ressemblance perfide, 
Faut-il dire ? avec l'amitié. 
Ce faux air, cette vaine image 
Conunence la séduction ; 
La vanité nous encourage , 
Et complète l'illusion : 
On se croit heureux , presque sage^ 
En voyant que l'opinion 
Complimente votre esclavage. 
Mais l'erreur dure-t-elle? Oh! non. 
Bientôt sur le pâle horizon 
Vont se ternir, et c'est dommage , 
La pourpre et l'or de ce nuage 
Oii votre imagination 
Voyoit briller d'un doux rayon 
Votre bonheur et son ouvrage : 
Tout disparoît , et la raison 
Ne voit plus qu'un froid paysage, 
Ornement de votre prison. 

De votre prison! m'écriai -je. Oh! monsieur, je ne veux 
point être emprisonné. Mon guide ne put s'empêcher de rire 
de ma terreur. Fuyez donc , me dit-il , et craignez que ma 
maîtresse ne vous voie. — Quelle étrange idée î Craignez- 
vous qu'elle ne me prenne pour un des objets de son caprice? 
—Pourquoi non? — Mais, Monsieur, d'oii vient n'avez-vous pas 
cette crainte pour vous-même? — Elle m'a vu , croit me con- 
noître , et c'est assez pour elle. Mais vous êtes pour ses yeux 
un objet nouveau : il n'en faut pas davantage. — Soyez tran- 
quille: je veux la voir, et la verrai sans être aperçu.— Mais 
savez-vous qu'on se fait souvent une peine de ne pas l'être? 
— Pour moi , je ne m'intéresse pas aux chagrins de cette es- 
pèce ? — Vous êtes un philosophe , je le vois ; et ce que j'aime 
encore mieux , un philosophe gai ; mais , après tout , seriez- 



POÉSIES DIVERSES. 417 

vous le premier sage qui eût été pris à ce pîége?— Non; 
mais je ne seroîs pas non plus le premier qui s'en (Ht ga- 
ranti. — J'entends : vous voulez risquer l'aventure , pour avoir 
l'honneur attaché au triomphe d'un refus. — Peut-être ne suis- 
}e pas insensible à cette gloire : je suis jeune encore 5 il faut 
me pardonner ce petit amour -propre. Jeune sage , prenez 
garde j me répliqua mon guide : 

Affronter la tentation 
C'est manquer de philosophie : 
La sagesse veut que l'on fuie ; 
Mais de la cour, hélas ! fuit-on , 
Sinon quand le roi vous en prie? 

J'allois répondre , lorsque j'entendis un grand mouvement 
dans la salle des gardes; et je crus, je dis même à mon conduc- 
teur que sans doute c'étoit la princesse. Il ne fit que détour- 
ner la tête , et à la sorte de tumulte qu'il entrevit : Non , me 
dit-il , ce n'est que Laetitia , sa favorite. — Peut-on vous de- 
mander son genre d'esprit, sa tournure?.... Ne le devinez-vous 
pas? me dit-il. Au reste , peut-être que non. C'est un carac- 
tère assez singulier : 

A Son air est vif et sémillant; 

Son esprit ne pTait qu'en surface; 

Son âme est im cristal mouvant 

Oii tout brille, change et s'eflFace; 

Son crédit , comme elle inconstant , 

Naît , meurt et revit par instant. 

Jamais elle n'est en disgrâce , * 

Jamais en faveur pleinement. 

Mais qu'elle amuse un seul moment , 

Il n'est honneur, titre , ni place , 

Qu'elle n'enlève lestement. 

Bien ne l'émeut , ne l'embarrasse : 
IL 27 



- *» 



4l8 POÉSIES DIVERSES. 

^ On la traite légèrement ^ 

An ton du jour elle se plie: 
Dame ou soubrette , elle est ravie : 
Nouvel emploi , nouveau talent. 
Soit calcul , routine ou folie , 
Son rôle , qui monte ou descend , 
Comme lui là diversifie. 
Son désir le plus permanent 
N'a l'air qae d'une fantaisie 
Dont elWméme rit souvent^ * 
Dont l'iosiioûës* strmp plaisant , > '. 
£t le ânocës la justifie, ..•■ r. i - 
Égoifeté Jivec enjouemeiitl^ : i : 
Despotique avec bonhomie > 
Ottla voit , ^ brtisqiièf '6ti poliéV 
) :• Vd«sgou<V€^nieroblfgèainm€fntV v' ^ 
' ♦ yottdol>b*g(Êt*'étDardmiftit': 

' Ellie est^tout du i4eti'pèir sàiXSe ; 
Vous nuit; t^tti- fête, *««éiis^^bliê, 
Mais toujours agréablement : 
Oh ! c'est une feihmê accomplie , 
Qui nous restera sûrement. = ,- .i> . . 

Enfin, la princesse parut, suivie de son brillant fiprtége; 
je reconnus aisément; Laetitia, à^ l'air foUtre et familier dont 
elle aborda sa souveraine. Çaveur ,. tout en regardant de coté 
et d'autre avec des yeux careçsaps , qui sembloiont prodiguer 
les promesses et ne donnoient que des espérances , lui fit un 
petit signe d'amitié, à peu. près pareil à celui dont on ac- 
cueille un joli épagneuL Laetitia en fut ravie ^ le ministre en 
fut jaloux, et , s'approchant de la princesse, il lui parla à l'o- 
reille. Oui , oui , lui dit-elle sans avoir entendu 5 tout ce qu'il 
vous plaira. Retirez-vous , voire temps est trop précieux. Ce 
dernier mot le charma^ et il regarda tout autour de lui les 
nombreux témoins de sa gloire. FaYefur traversa ensuite deux 



1 1 






POÉSIES DIY£KS£S. ^ig 

lignes composées de. femmes du plus haut rang, autant que je 
pus en )uger,. et qu'elle ne regarda point , attendu qu'elles 
étoient pour la plupart assez vieilles. Ces dames n'en parurent, 
pas surprises autant que je l'aurois cru , ce que j'attribuai 
moins à leur philosophie qu'à l'habitude de se yoir négligées. 
Tout en avançant ^ Faveur approchoit du groupe dont je £air 
sois partie. Ma figure n'a rien qui provoque l'attention; mais; 
elle lui étoit inconnue : c'est sans doute ce qui m'attira ses 
regards. £lle fit quelques pas pour venir vers moi.. Alors la 
foule de ses esclaves se sépara pour me faire place. Je m'a- 
vançai, mais sans cet empressement étourdi qui seul flatte 
la vanité de Faveur. Sa coquetterie en fut redoublée. Elle 
me dit que dans un moment elle m'inviterpit à passer dans 
son cabinet , et elle se remit à parcourir la salle d'as- 
semblée. 

Aussitôt la foide , qui , deux heures auparavant , avoit pensé, 
m'étouffer , fut à mes pieds ; on me demanda mes ordres , et 
chacun de ces inconnus s'efforçoit d'être remarqué de moi. (Jn 
moment après , Faveur me fit appeler, mé fit asseoir auprèj^ 
d'elle. C'est alors que je sentis tout l'empire de sa séduction. 
£lle prétendit me connoître par la renommée , me dit qu'elle 
vouloit me fixer à sa cour. Ce qu'il y a d'inconcevable , c'est 
que ses discours me flattoient ; mais , comme j'hésitois dans 
mes réponses , elle me dit : Ne jugez pas de moi sur les bruits 
qu'on s'efforce de répandre ; je vaux mieux que ma réputa- 
tion. Obligée par état d'être la dispensatrice des grâces , je 
suis quelquefois condamnée à paroitre oublier mes amis , à pa- 
roître inconstante et frivole : ce qui me fait une peine affreuse^ 
car , dans le fond , je suis très-solide. Et puis les peines atta- 
chées à ma place , l'ennui qui me tourmentCi... L'ennui , 
m'écriai-je avec un air étonné ! — Eh! sans douter Voyez celte 
foule importune! et les affaires I et Taediosus , mon ministre , 
qui m'assonmie , à qui j'acccnrde tout pour m'eln défaire ! Il 
est si ennuyeux , que je suis quelquefois tentée de lui céder 



420 POÉSIES DIVERSES. 

FeiQpîre ; mais on m'assure que cela anroit des ituotayémeiik. 
Ne iBeroit-Q pas plus simple j lui âîs-je , ie le renvoyer? Le 
renvoyer ! s*écria-t-elle , cela est impossible. Comment ! dis-je , 
il ne s'en iroit pas? Un grand éclat de rire fut la réponse de 
Faveur. Mon Dieu , dit-elle , que cela est plaisant ! Vous êtes 
trës-aimable ; je prévois que vous me deviendrez nécessaire^ 
Quand vous reverrai^je ? Demain , je m'imagine , n'est-ce pas ? 
Madame , on ne vous a jamais ^t sa cour pour une fois seu- 
lement. Adieu y dit-elle : ne me manquez point de parole , je 
compte sur vous au moins. Je la saluai respectueusement y et 
Je me retirai par un escalier qui se trouva sur mon chemin , 
et qui rendoit dans les cours. Je recueillis mes esprits au grand 
air. Je regrettai de n'avoir pas revu mon garde , pour jouir k 
ses yeux de ma victoire ; tant il est vrai qu'après la vanité 
vaincue , il reste à vaincre l'amour-propre , triomphe plus 
rare et bien plus difficile, s'il n'est même tout-à-fait im- 
possible. 

Ce fut avec un plaisir bien vif que je me vis hors de ce 
pays , ou ) pour obtenir des grâces , il faut ennuyer ou amuser, 
être le digne rival de Taediosus ou de Laetitia , sans caractère , 
sans dignité , ne sentir , ni n'inspirer soi-même nul véritable 
intérêt. Avec quel empressement je regagnai ma maison ! J'y 
étois attendu , ce qui n'arrive à personne dans le lieu d'oii je 
sortois. Mon asile me parut plus riant , mon jardin plus déli- 
cieux , le sourire d'une femme aimable animé d'une grâce plus 
touchante. D'où naissoit dans mon âme ce surcroît d'attendris- 
sement et de bonheur? Apres en avoir godté le charme, j'en 
cherchai malgré moi la cause , et je crus l'avoir trouvée : 

Peut«tre la triste imposture 
Des biens qu'offre la vanité , 
Montre mieux la réalité 
De ceux que la raison procure. 
Peut-être, ouverte au sentiment, 



POÉSIES DIVERSES. 4ai 

L'âme alors , plus simple et plus pure } 
S'abandonne plus aisément 
Au doux besoin d'épanchement 
Qui nous ramené à la nature. 

Adieu , mon ami 5 le même intérêt qui nous ramène li la 
nature , nous rappelle aussi vers l'amitic. 



FIN DU SECOND ET DERNIER VOLUME. 



TABLE 

DU SECOND ET DERNIER VOLUME- 






Maximes et pensées. — Chapitre pre- 
mier. — Maximes générales I . t 

Chapitre ir. — Suite des maximes générâtes. . ^9 
Chapitre in. — De la société^ des grùtids^ des 

riches j des gens du monde • ; • . 33 

Chapitre ïv. — Du goiitpourla retraité^ etHe 

la dignité du caractère â\ . ^. 54 

Chapitre v. — ^ Pensées morales V • . 5g 

Chapitre vi. — Des femmes^ de Vamour^ du 

mariage, de la galanterie 68 

Chapitre VII. -— Des sapans et des gens de 

lettres ......;......... 79 

Chapitre vni. — De tesclaPùge et dé la liberté 
de la France avant et depuis ta réi^olûtion. 90 

Caractères et anecdotes i o5 

Mustapha et Zéangir^ tragédie 247 

La jeune Indienne. . 327 

Le' Marchand de Smyrne , comédie. ..... 56 1 

'Poési:es DirERSES. -^ La querelle du riche 

et du pauvre. .... : 587 

La jambe de bois et le bas perdu. ....... 388 

Le héros économe, . 389 

T^e rendez-vous inutile 392 

Envoi à madame la comtesse de Jîî***. .... 394 
Le chapelier.^ ;;;.;;;;::;.;.... SgS 



4^4 TABLE. 



VAGEt 



La mariée sans marU SgS 

Uavare éborgné» ................ Sgô 

Fragment d'un conte * . 397 

Prologue d'un autre conte SgS 

Calcul patriotique M. 

La vraie sagesse. . . • t 4^^ 

La jouissance tardive 4^^ 

Paris justifié. 4^^ 

Madrigal. 4^^ 

ui M. de itt***, qui m'auoit envoyé une tasse 
de porcelaine^ avec un quatrain où il me 
recommandoit de ne pas imiter Diogène. . . H. 

'Vers à Jf.*'^* 404 

ji Madame ***, sur une loterie. . . * 4^^ 

ji celle qui n'est plus • 4^ 

Imité de l'anthologie * M- 

j4 madame "^"^"^ 4^7 

j4 madame ''*'*^, en lui envoyant un chien* ... W. 

Motifs de mon silence M. 

Imitation de Martial 4^^ 

Autre du mém>e • M. 

Autre du même 4o9 

Moralité U. 

A une femm^e qui prétendoit que ses amis ne 

soccupoient pas d'elle M« 

Sur un mari. 4^^ 

Vers mis au bas du portrait de Mirabeau. . . M- 

Vers pour le portrait de d'Aï^"^"^ W« 

JBpigramme 4^^ 



TABLE. 4^5 



PAOBS 



Autre 4^ ^ 

Le roi de Danemarck en partant de Paris. . Id. 

Epigramme contre LaJi''^'^ 4^^ 

Autre contre le même Id. 

Autre contre le w,éme Id. 

Le palais de la faveur 4^^ 



FIN DE LA TABLE DU SECOND ET DERNIER VOLUME. 



I 

I 





DATE DUE 1 










Mi ' 


,2 1981 














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