No lfi I ^
l-'IlZ'o
Library
of the
University of Toronto
(Ë U VRES
COMPLETTES
DE J. J. ROUSSEAU.
ŒUVRES
COMPLETTES
DE J. J. ROUSSEAU;
CiToyE> DE Ge>-ève.
NOUVELLE ÉDITION.
TOME DEUXIÈME.
A PARIS,
'BÊLix, Libraire, rue St. Jacques, n**. 26.
Caille , rue de la Harpe, n°. i5o,
J GrÉgoibe, rue ilu Coq St. Honoré.
V'oLLAND , quai des Augusiius , u*. a5.
T 7 9
3.
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University of Ottawa
littp://www.arcli ive.org/details/oeuvrescomplette02rous
D M
CONTRAT SOCIAL,
o u
PRINCIPES
DROIT POLITIQUE,
J)ira7;ius /c^ds.
fœ de ris œ ./ lias
xEuc.'d. XI.
Politique. Toir.c II.
AVERTISSEMENT.
KyEj?t
^et'it traité est extrait d' un ouvrage
plus étendu , entrepris autrejois sans
avoir consultâmes forces ^ & abandonné
depuis long-temps. Des divers morceaux
qu on pouvoit tirer de ce qui étoit fait y
celui-ci est le plus considérable , et m\i
paru le moins indigne d^étre o^ïrt au
public. Le reste nest déjà plus^
D M
CONTRAT SOCIAL,
o ir
PRINCIPES
1) i;
DROIT POLITIQUE.
LIVRE I.
^J F, TeuxclieiclifTsi dans l'ordre civil il peut
y a voir quelque règle d'aduiiiiistratioii légitime
et sûre, eu prenant les hommes tels qu'ils sont,
et les lois telles qu elles peuvent élrc : je tâche-
rai d'allier toujours dans cette recherche co
que le droit permet avec ce quel'inte'rct pres-
crit , afin que la justicectl'utilité ne se trouvent
point divisées.
J'ffnlre en matière sans prouverrimportanco
A 2
4 D U C O N T R A T
de mon sujet. On me clcinanJera si je suis
prince ou législateur pour écrire sur la politi-
que ? Je réponds que ïion , et que c'est pour
cela, que j'écris sur la politique. Si j'étais
prince ou le'gislatcur , je ne perdrais pas mon
temps à dire ce qu'il iaut luire, je le ferais,
ou je me tairais.
Ne' citoyen d'un Etat libre , et membre du
souverain , quelque faible influence que puisse
avoir ma voix daiis les affaires publiques, le
droit d'y voter suifit pour m'imposer le droit
dciu'en instruire. Heureux , toutes lesfois que
je médite sur les gouveriicmens , de trouveîr
toujours dans mes recherches de uouvcUes
raisons d'aimer celui de mon pay» !
CHAPITRE PREMIER.
Sujet de ce premier livre.
L
HO:vr?,rE est né libre, et par-tout il est
dans les fers, l'el se croit le, maitrc desautres,
qui ne laisse pas d'être plus esclave qu'eux.
Comment ce chang;emcnt s'cst-il fait ? je
l'ignore. Qu'est-ce qui peut le rendre légitime':?
Recrois pouvoir rcjoudre cette question.
s O C 1 A L. $
Si je lie considcrais que la force et rciTctqiii
cil dciive, je dirais: Tant qu'uir peuple est
contraint d'obëir et qu'il obc'it, il fait hicii ;
sitôlqu'il pcutsccouerlc joug,et qu'il le secoue,
il fuit encore mieux ; car , recouvrant sa liberté
par le mèir.e droit qui la lui a ravie , ou il est
fonde à la reprendre , ou l'on neTetait point à
laluiôler. MaisTordrc social est un droit sa-
cre, qui sert de base à tous les autres.
Cependantcedro:^uc vient point de la nature;
il est donc fondé sur des coiiventions.il s'agit
de savoir quelles sont ces conventions. Avant
d'en vpnir là, je dois établir ce que je viens
d'avancer.
CHAPITRE IL
Des yremicres soc II le s»
JLj A plus ancienne de toutes les sociétés, et la
seule naturelle , est celle de la famille. Encore
les enfans ne restent-ils liés au père qu'aussi
long-temps qu'ils ont besoin de lui pour se
conserver. Sitôt que ce besoin cesse , le lien
naturel se dissout. Les cnfan? , exempts d*;
A3
6 D U C O N T R A T
l'oJjeissance qu'ils devaient au pcre , le père
exempt des soins qu'il devait aux enfans ,
rentrent tous également dans l'indépendance.
S'ils continuent de ret^tcr unis, ce n'est pins
naturellement , c'est volontairement , et la
famille elle-mcme ne se maintient que par
convention.
Cette liberté commune est une conséquence
delà nature de l'homme. Sa première loi est
de veiller à sa propre conservation, scsprcmicrs
soins sont ceux qu'il se doit à lui-mcme , et ,
sitôt qu'il est en âge de raison , lui seul , étant
juge desmoyens proprcsàle conserver , devient
par-là son propre maître.
La famille est donc, sil'onveut, le premier
modèle des sociétés politiques; lechef es t l'image
du père, le peuple est l'image des enfans , et
tous étant nés égaux et libres , n'aliènent leur
liberté que pour leur utilité. Toute la diflé-
reuce est que dans la famille l'amour du père
pour ses enfans le paye des soins qu'il leur rend,
et que dans l'Etat le plaisir de commander
supplée a cet amour que lecLcfu'a pas pour
ses peuples.
Grotins nie que tout pouvoir humain soit
établi en faveur de ceux qui sont gouvernés ;
il cite l'esclavage en exemple. Saplusconslanlc
s O C I A L. 7
manière de raisonner est dctablir toujours le
droit par le fait, (rt) On pourrait employer
une metliodc plus conse'quente, mais non pas
plus favorable aux tyrans.
Il est donc douteux, selon G rotins ^ si lo
genre-humain appartieutàuneccntained'iiom-
nics, ou si cette centaine dliommesajîparlient
au genre-humaiu , et il paraît dans toutsoîi
livre pencher pour le premier avis : c'est aussi
le sentiment de Hobbes. Ainsi voilà l'espèce
humaine divisée entroupeaux de bétail , dont
chacun a son chef, f[ni le garde pour le dévorer.
Comme un pâtre est dune nature supérieure
à celle de son troupeau , les pajteursd'bommes,
qui sont leurs clicfs, sont aussi d'une nature
iuperieure à celle de leurs peuples. Ainsi
raisonnait , au rapport de Philon , l'empereur
Caligula ; concluant assez bien de cette analo-^
gie que les rois étaient des dieux, ou que Icjî
peuples étaient des bétes.
{a) 5) Les savantes recherches sur le droit puWi«
» iiesontsouveut que l'histoire des anciens abus,
a> et on s'est entêté mal-à-pro])os quand on s'est
a» donné la peine de les trop étudier. » Traite des
intérêts delà France avec ses voisins , par M. le mar?
quis d'Argenscn, ( imprimé chez Rcy à Amstei Jante
\ oilà précisément ce qu'a fait Grotius.
A 4
8 D U C O N T R A T
Le raisonnement de CaJigzila revient à celui
ÙQ Hohbeseiàe Grotius. Arisfote avant eux
tous avait dit aussi que les hommes ne sont
point naturellement égaux , mais que les uns
naissent pour l'esclavage et les autres pour la
domiLiation.
^/v.?/^/^ avait raison , mais il prenaitTeffet
pour la cause. Tout homme ne' dans l'esclavage
naît pour l'esclavage , rien n'est plus certain.
Les esclaves perdent tout dans leurs frrs, jus-
qu'au désir d'en, sortir : ils aiment leur servitu-
de comme les compagnons à' Ulysse aimaient
leur abrutissement. (/;) S'il y a do ne des esclave?
par nature , c'est parce qu'il y a eu des esclave»
contre nature. La force afait les premiers es-
claves , leur lâcheté les a perpétués.
Je n'ai rien dit du roi ^dam , ni de l'emr.''-»
reur iV'cf' père de trois grands monarquesqui
se pavtarrcrent l'univers , comme firent les
cnfans de Saturne , qu'oji a cru reconnaître
en eux. J'c^^père qu'oii me saiTra gré de cette
modération ; car descendant directement de
l'un de CCS princes, et peut-être de la hranche
aînée , que sais-Jc si parla vérification des titres
{h ) Voye? un petit rrn'ré tîe P//.'î::r^us intitulé :
Ç.vr Us btics uscit ae la raison.
s O C I A r,. 9
je HP m? troiTvrinis point le h'gitlmo roi du
f;ciiic-liuniaiii ? (^)iioi qu'il en soit, on ne peut
disconvenir (\\\Adaui n'ait été souverain du
jnonde conuuc lîohiiison de sou île , tant qu'il
en tnt le senl habitant; et ce qu'il y avait de
coiuînode dans cet empire , était que le monar-
que assuré sur sou trône n'avait à craindre ni
rebellions, ul guerres, ni conspirateurs.
CHAPITRE I I L
Vu droit du plus fort.
J_iE pins fort n'est jamais assez fort pour
rtic toujours le maître, s'il ne transforme sa
force endroitet l'obéissance en devoir. De-là
le droit du plus fort ; droit pris ironiquement
en apparence , et réellement établien principe:
mais nenonsexpliqucra-t-on jamais ce mot?
La force est une puissance physique; je ne vois
poijitquellc moralité pcutrésulterde ses efî'cts.
Cédera laforceest un acte de nécessité, non
de volonté; c'est tout au plus un acte de pru-
dence. En quel sens pourra-cc être un devoir?
Supposons Tui uiomcnt ce prétendu droit.
Jcdis qu'il n'en résuite qu'un galimatias inex-
plicable. Car sitôt que c'est la force qui fait le
A. 5
ïo D U C O N T R A T
droit , l'effet cbaiir^eavec la cause : lonle force
qui simiionte la première succède à son droit.
Sitôtqu'ou peut désobéir inij)iinèiiiciit , ouïe
peut légitiuiement , et puisque le plus fort a
toujours raison ,il ncs'apjit qucde faircen sorte
qu'où soiL le plus fort. Or, qu"csl-ce qu'u!!
droit qui périt quand la force cesse ? S"il faut
obéir par force on n'a pas besoin d'obéir par
devoir, et si l'on n'est pas forcé d'obéir ou
n'y est pkis obligé. On voit donc que ce mot
de ^rozV n'ajoute rien à la force ; il ne signifie
ici rien du tout.
Obéissez aux puissances. vSi cela veut dire,
cédez à la force, le précepte est bon mais su-
perflu, je répouds qu'il ne sera jamais viole.
Toute puissance vient de Dieu, je l'avoue;
mais toute maladie en vieiitaussi. Est-ce à dire
qu'il soit défendu d'appeller le médecin? Qu'un
brigand me surprenne au coin du bois, uon-
seulement il faut par forcç donner la bourse ,
mais quand je pourrais la soustraire , suis-je
eu conscience obligé de la donner ?carenfin le
pistolet qu'il tient est aussi une puissance.
Convenons donc que force ne fait pas droit,
et qu'on n'est obligé d'obéirqu 'aux puissances
légitimes. Ainsi ma question prnnitive revient
toujours.
SOCIAL. II
C II A P I T Pl E I Y.
JJô Vesclaçage.
_l uisqu'aucii>- homme n'a uiie autorité
naturelle sur, son semblable, et puisque la force
ne produitaucuii droit , restent doue les con-
ventions pour base de toute autorité légitime
parmi les hommes.
Si unparticulier , dit^^-^^'/V/.T , peut aliéner
sa liberté et se rendre esclave d'un maître ,
pourquoi tout un peuple ne pourrait-il pas
aliéner la sienne et se rendre sujet d'un roi ?il
y a là bien des mots équivoques qui auraient
besoin d'explication , înais tenons-nous en à
celui d^ilitner. Aliéner cVst donner ou vendre.
Or, un homme qui se fait enclave d'un autre
ne se donne pas, il se vend, tout aumoins pour
la subsistance: mais un peuple, pourquoi se
vend-il ? Bien loin qu'un roi fournisse à ses
sujets leur subsistance , il ne tire la sienne que
d'eux, et selon Rabelais ^ un roi ne vit pas
de peu. Les sujets donnent donc leur \yçv-
sonne à condition qu'on prendra aussi Icr.r
bien ? je ne vois pas ce qu'il leur reste à
toiiservtif.
A 6
IS DU CONTRAT
On dira que le despote assure a ses sujets la
tranquillité' civile. Soit ; mais qu'y gagnent-ils,
si les guerres que son ambition leur attire , si
son insatiable avidité , si les vexations de son
ministère lesdésolentplusque ne feraient leurs
dissentions ? <^uV gagnent-ils, si cette tran-
quillité même est une de leurs misères? On
vit tranquille aussi dans les cachots ; en est-ce
assez pour sy trouver bien ? Les Grecs eu-
ferme's dans l'antre du cyclope y vivaient
tranquilles, en attendant que leu^r tour vînt
d'être dévores.
Dire qu'un homme se donne gratuitement,
c'est direuîiecliose absurdcet inconcevable ; un
tel acte est illégitime et nul , par cela seul que
celui qui le fait n'est pas dans son bon sens.
Dire la même chose de tout un peuple, c'est
supposer un peuple de fous : la folie ne fait
pas droit.
Quand chacun pourrait s aliéner lui-même,
il ne peut aliéner ses enfans ; ils naissent
hommes et libres; leur liberté leur appartient,
nul n'a droit d'en disposer qu'eue. Avant
qu'ils soient en âge déraison, le père peut eu
leur nom stipuler des conditions pour leur
conservation, pour leur bien-être, mais non
les donner irrévocablement et sans condi»
s O C I A L. i3
tioii ; car un tel don est contraire aux fuis de
1r (Mlurc et passe les droits de la paternité.
Il faiulrait donc, pour qu'un gouvernement
arbitraire fut légitime , qu'à chaque géné-
ration le peuple fût le maître de l'admettre
o!i de le rejeter: mais alors cegouvernemcut
ne seroit plus arbitraire.
Renoncer à sa liberté c'est renoncer à s^a
qualité d'homme, aux droits de l'humanité,
même à srs devoirs. Il n'y a nul dédommage-
ment possible pour quiconque renonce à tout.
Une telle renonciation est incompatible avec la
naturede rhomme,et c'est ôter toute moralité
à ses actions que d'ôtcr toute liberté à sa volon^
té. Rntin c'est inie convention vaine et contra-
dictoire de stipuler d'une part une autorité ab-
solueet de l'autre une obéissaiice san.s bornes.
;N'est-il pas clair qu'on n'est engagé à rien en-
vers celui dont on a droit de tout exiger, et
cette seule condition sans équivalent , sans
échange, n'entraîne -t- elle pas la nullité de
l'acte? (,'ar quel droit mou esclave aurait- il
contre moi , pui.squetout ce qu'il a m'appar-
tient , et que .^on droit étant le mien , ce droit
de moi contre moi-méine est un mot qui n'a
aucun sens ?
Grotius et les autres tirent de la guerre uno
14 DU CONTRAT
antre origine du prétendu droit d'esclavage. Le
vainqueur ayant, seloneux, ledroitde tuerie
vaiiicu,celui-ci peut racheter sa vie aux dépens
de sa lil)erté; couvention d'autant plus Icgi—
tinie qu'elle tourne au proiit de tous deux.
Mais il est clair que ce prétendu droit de
tuer les vaincus ue résulte en aucune manière
del'étatde guerre. Par cela seul que les hommes,
vivant dansleur primitive indépendance, n'ont
pointentr'eux de rapport assez constant pour
constituer ni l'état de paix ni l'état de guerre,
ils ne sont poiut natiirellement ennemis. C'est
le rapport des choses et non des hommes qui
constitue la guerre; et l'état de guerre ne pou-
vant naître des simples relations personnelles,
mais seulement des réelles, la guerre privée ou
d'homme à homme ne peut exister, ni dans
l'étai: de nature où il n'y a point de propriété
constante , ni dans l'état social où tout est
sous l'autorité des lois.
Les combats particuliers , les duels , les
rencontres sont des actes qui ue constituent
poiut un Etat; et à l'égard des guerres privées,
autorisées par les établisscmcns de Louis IX
roi de Frauce et suspendues par la paix de
Dieu, ce sont des abus du gouvernement féo-
dal, syiitémc absurde s'il en iut jamais, cou-
5 O C I A L. iS
traire aux principes du droit naturel , et à
toute bonne jK)litique.
La guerre n'est donc poltit une relatiou
d'Iionnne à liojume , maisiuie relation d'Etat
à Etat, dans laquelle les particuliers ne sont
ennemis qu'accidentellement , non point
comme hommes ni même comme citoyens , (c)
mais comme soldats: n^n point com^me mem-
bres de la patrie , mais comme ses défenseurs.
Enlin chaque Etat ne peut avoir pour ennemi»
( c ) Les Romains , qui ont entendu et plus
respecté ce droit de la guerre qu'aucune nation
du monde, portaient si loin le scrupule à cet égard
qu'il n'était pas permis à un citoyen de servir
comme volontaire, sans s'être engagé expressément
contre l'ennemi, et nom.niément contre tel en-
nemi. Une légion où Caton le fils lésait ses pre-
mières armes sous Popilius ayant été réformée ,
Caton le père écrivit à Popilius que s'il voulait bien
que son fils continuât de servir sous lui, il fallait
lui faire prêter un nouveau serment militaire, parce
que le premier étant annuUé, il ne pouvait plus
porteries armes contre l'ennemi. Et le même Ca-
ton écrivit à son fils de se bien garder de se présen-
ter au combat q u'il n'eut prêté ce nouveau serment.
Je saisqu'on j»ourram'opposer le siège de Clusium
et d'autres faits particuliers ; mais moi je cite des
lois, des usages. Les Romains sont ceux qui ont
le moins souvent transgressé leurs lois , et ils souc
les seuls qui en aient eu d'aussi belles.
i6 D U C O N T Pc A T
que d'autres Etats et non pas des hommes ,
attendu qu'entre choses de diverses natures ou
lie peut fixer aucun vrai rapport.
Ce principe est lucmeconforme auxmaximcs
établies de tous les temps , et à Ta pratique
constante de tons les peuples polices. Les dé-
clarations de gîierre sont moins des avcrtisse-
mens aux puissances quà leurs sujets. L'e'tran-
gcr , soit roi , soit particulier, soit peuple,
qui vole, tue ou détient les sujets sans déclarer
la guerre au prince , n'est pas un etnicmi ,
c'est u!i brigand. Même eu pleine guerre
un prince juste s'empare bien en paj^s en-
nemi de tout ce qui appartient au public;
mais il respecte la personne et les biens des
particuliers : il respecte des droits sur les-
quels sont fondés les siens. La fin de la
guerre étant la destruction de l'Etat ennemi,
ou a droit d'en tuer les défenseurs tant qu'ils
ont les armes à la main; mais sitôt qu'ils les
posent et se rendent, cessant d'être ennemis
ou instrumens de l'ennemi, ils rcdevicnnv-^iit
simplement hommes et l'on n'a plus de droit
sur leur vie. (Quelquefois on peut tuer l'Etat
sans tuer un seul de ses membres : or la guerre
ne donne aucun droit qui ne soit nécessaire
à sa lia. Ces principes ne sont pas ceux de
SOCIAL. T7
Crotlus ; ils ne sont pas fondes snr ArS' au-
toritcs do poictcs , niiiis ils dcrivcMit de la nature
des choses , et sont fondes sur la raison.
A l'égard du droit de conquête, il n'a d'autre
fondement que la loi du plusfort. Si la guerre
ne donne point au vainqueur lo droit de mas-
sacrer les peuples vaincus, ce droit qu'il n'a
pas no peut fonder celui de les asservir. Ou
n'aie droitdc tuer l'ennemi quequandou ne
peutle faireescldvc;ledroitde le faire esclave ne
vient donc pas du droit de le tuer: c'est donc
un e'cliange inique de lui faire acheter au prix
de sa liberté sa vie sur laquelle on n'a aucuu
droit. En établissant le dx-oit de vie et de moit
fur le droit d'esclavage, et Icd^oit d'esclavnge
«ur le droit de vie et de mort, n'est-il pas clair
qu'on tombe dans le cercle vicieux ?
En supposant même ce terrible droit de
tout tuer , je dis qu'un esclave fait à la guerre,
ou un peuple coTiquis n'est tenu à rien du
tout envers son maître, qu'à lui obéir autant
qu'il y est force. Eu prenant nu équivalent à sa
vie , le vainqueur ne lui en a point (ait grâce ,
au lieu de le tuer sans fruit, il l'a tué utile-
ment. Loin donc qu'il ait acquis sur lui nulle
autorité jointcàla force, l'étatde ^mrre sub-
siste entre eux comme auparavant , leur velu-
i8 D U C O N T R A T
tiou même en est FeSet , et l'usage du droit
de la guerre ue suppose aucuu traité de paix.
lis out fait une convention ; soit : mais cette
convention, loin de détruire Tctat de guerre,
en suppose la continuité.
Ainsi, de quelque sens qu'on envisage les
choses, le droit d'esclavage est nul , non-seule-
ment parce qu'il est illégitime, mais parce
qu'il est absurde et ne signifie rien. Ces mots
esclavage et droit sont contradictoires ; ils
s'excluent mutuellement. Soit d'un homme
à im honune , soit d'un homme à un peuple,
ce discours sera toujours également insensé :
Je fais avec toi une convention toute à ta.
charge et toute à mon profit ^ que j^ observerai
tant (ju^il 7ne plaira ^ et que tu observeras
tant qu^il me plaira.
CHAPITRE V.
Qu ''il faut toujours remonter à une première
coiireiition.
V^uAND j'accorderais tout ce que j'ai ré-
futé jusqu'ici, les favi Leurs du despotisme n'en
seraieiit pas plus avancés. Il y aura toujours
SOCIAL. 19
niijltituflCjCtrc'glr une soclrte. (^)nc dcslioui-
uies épais sou'iit successivement asservis à un
seul, en quelque nouibrc qu'ils puissent être,
je ne vois là qu'un maître et des esclaves : je
n'y vois point un peuple et son chef; c'est si
l'on veut une aggregation , mais non pas une
association ; il n'y a là ni bien public , ni corps
politique. Cethoimne, eût-il asservi la moitié
dn monde, n'est toujours qu'un particulier;
son intérêt, se'parê de celui des autres , n'est
toujours qu'un intérêt prive. Si ce môme
liomme vient à pe'rir, son empire après lui
reste êpars et sans liaison ; comme un chêne
se dissout et tombe en un tas de cendres , après
que le feu l'a consumé.
IJn peuple, dit Groiius , peut se donner
à un roi. Selon Grotius un peuple est donc
un peuple, avant de se donner à un roi. Ce
don même est un acte civil , il suppose une
délibération publique. Avant donc que d'exa-
miner l'acte par lequel un peuple élit un roi ,
il serait bon d'examiner l'acte par lequel un
peuple est un peuple. Car cet acte étant né-
cessairement antérieur a l'autre , il est le vrai
fondement de la société.
En'eiïct, s'il n'y avait point de convention
antérieure, où serait, a moins que l'élceliOU
2© D U C O X T R A T
lie fi'it unanime, robligation pour le petit
nombre de se soumettre au choix du grand ,
et d'où cent qui veulent un maître ont-ils le
droitde voter pour dis qui n'en veulent point?
La loi de la pluralité des sufi'rages est elie-
inémc un ét.iblissement de convention , et
suppose au moins une fois l'unaniiuite'.
CHAPITRE VI.
Du pacte social.
%i E suppose les lionunes parvenus a ce point
où les obstacles , qnimiisenta leur conserva-
tion dans rctat de uatu.rc , l'emportent par
leur résistance sur les forces que chaque indi-
vidu peut employer pour se maintenir dans
cet état: alors cet ctat primitif ne peut plus
subsister, et le geine humain périrait s'il no
changeait de manière d'être.
Or, comme les houunes ne peuVeiit engen-
drer de nouvelles forces, mais seulement unir
et diriger celles qui existent , ils n'ont plus
d'autre moyen pour se conserver, que de
former p-ir aggrcgation une somme de forces
qui puisse l'emporter sur la résistance, de les
mettre en jeu par lui seul mobile, et de les
faire a-rir de concert.
s O C I A L. 21
Cette soimnc de forces ne peut naUrc que
du toncoiirs de plusieurs : mais la force et
la libelle de chaque hoiJiuie c'taiit les piciiiier*
instruiueus de sa conservation , couuneiil les
cngagera-t-il sans se nuire , et sans ncii^liger
les soins qu'il scdoit? Cette di flic ul té rainencG
à mou sujet, peut s'énoncer eu ces termes ;
» Trouver une forme d'association qui dé-
» fende ctprotège de toute la force couununo
> la personncct les biens d^ cbaque associé,
» et par laquelle chacun s'unissantà tous,
» n'obéisse pourtaut qu'à lui-même et reste
» aussi libre qu'auparavant. » Tel est le
problème fondamental dont le contrat social
donne la solution.
Les clauses de ce contrat sont tellement
déterminées par la nature de l'acte, que la
moindre modilication les rendrait vaines et
de nul cflct jeu sorte que, bien qu'ellesn'aieiit
peut-être jamais été bien formellement énon-
cées, elles sont par-toutles mêmes, par-tout ta-
citement admises et reconnues jusqu'à ce que ^
le pacte social étant violé , chacun rentre alors
dnis ses premiers droits, et reprenne sa li-
berté conventionnelle pour laquelle il y
renonça.
(x-s clauses bien entendues se réduisciît
22 D U C O N T R A T
toutes a une seule , savoir , raliéuation totale
de chaque associe' avec tous ses droits à ton^e
îa coinniunautc. Car premièrement , cliaciiii
se donnant tout entier , la condition est
égale pour tous, et la condition étant égale
pour tous, nul n'a intérêt de la rendre onéreuse
aux autres.
De plus, l'aliénation se faisant sans réserve,
l'union est aussi parfaite qu'elle peut l'être ,
et nul associé n'a plus rien à réclamer: car
s'il restait quelques droits aux particuliers,
comme il n'y aurait aucuu'supérlciir commun
qui pût prononcer entre eux et le public , cha-
cun étant en quelque point son propre
juge , prétendrait bientôt l'être en tous , l'état
de nature subsisterait , et l'association de-
viendrait nécessairement tyrannique ou vaine.
Eniin , chacun se donnant à tous ne se
douîieà personne, et comme il n'y a pas un
associé sur lequel ou n'acquière le même
droit qu'on lui cède sur soi, on gagne l'é-
quivalent de tout ce qu'on perd, et plus
de force pour conserver ce qu'on a.
Si donc on écarte du pacte social ce qui li'est
JDas de son essence , on trouvera qu'il se ré-
duit aux termes suivaus: Chacun de nous
met en co/umun sa personne et tçute sa
s o c r A L. 23
puissance sous la suprême direction de la
râlante gént'rale ; et nous recevons en corps
clunjue membre comme partie indi^^isible du
tout.
ArJnstnnt, au Heu de la personne particu-
lière de chaque contractant, cet acte d'asso-
ciation produit un corps moral et collectif
compose d'autant de mendjres que rassemblée
a de voix , lequel reçoit de ce même acte sou
unité, sou /«(^/commun, sa vie etsa volonté.
Cette personne publique , qui se forme ainsi
par l'union de toutes les autres, prenait au-
trefois le nom de Cité (dj et prend maintc-
(tf)Le vrai sens de ce mot s'est presque entière-
meut effaré chez les modernes; la phipart pren-
nent une ville pour une cite? et un bourgeois pour
nn citoyen. Ils ne savent pas que les maisons font
la ville, mais que les citoyens font la cité. Cette
même erreur coûta cher autrefois aux Carthasi-
nois. Je n'ai pas lu que le titre de cïves ait jamais
été donné aux sujets d'aucun prince, pas même
anciennement aux jNIacédoniens , ni de nos jours
aux Anglais , quoique plus près de la liberté
que tous les autres. Les seuls Français prennent
Tous familièrement ce nom de citoyens , parce
qu'ils n'en ont aucune véritable idée, comme ou
peut le voir dans leurs dictionnaires, sans quoi
ils tomberaient, en l'usurpant, dans le crime
de lèse-majesté: ce nom chez eux exprime uno
-4 D U C O N T R A T
liant celui de république ou de corps pofiiî^
//«e, lequel est appelé par ses membres Etat
quand ilest \)<i?>û{^ sou i e?'a in quand il est actif,
puissance en le comparant à ses semblables. A
regard desassociés, ils prennentcollectivem.ent
le nom de yP^/y/?/^ et s'appellent en particulier
citoyens ^ comme participant à l'autorité sou-
Ycralne, et sujets, comme soumis aux lois
de l'Etat. Mais ces teiines se confondent sou-
vent et se prennent l'un pour l'autre; il suffit de
les savoir distinguer quand ils sont employés
dans toute leur précision.
vertu et non pas un droit. Quand Bodin a voulu
parler de nos citoyens et bourgeois , il a fait une
lourde bévue en prenant les uns pour les autres.
M. tVAlembert ne s'y est pas trompé, et a bien
distingué , dans son article Genève, les quatre
ordres d'bomnies ( même cinq en y comptant les
simples étrangers ) qui sont dans notre ville, et
dont deux seulement composent la république.
î*Jul autre auteur Français, que je siiche, n a
compris le vrai sens du mot citoyen.
CHAPITRE
SOCIAL. nh
CHAPITRE VII.
Z)u souverain.
o
N volt par cette formule que l'acte d'asso-
ciation renferme un engagement reciprof|iie
du public avec les particuliers , et que chaque
individu contractant, pour ainsi dire, avec
lui-inême , se trouve engage sous un double
rapport; savoir, cojunic membre du souve-
rain envers les particuliers, et comme membre
de l'Etat envers le souverain. Mais on uff
peut appliquer ici la maxime du droit civil ,
que nul n'est tenu aux engagemeus pris avec
lui-uiéme ; car il y a bien de la ditterence
entre s'obliger envers soi ,ou envers un tout
dont on fait partie.
Il faut remarquer encore que la délibéra-
tion publique qui peut obliger tous les su;ets
«nvers le souverain , à cause des deux diil'erens
rapports sous lesquels chacun d'eux est envi-
sagé , ne peut par la raison contraire obliger
le souverain cîivcrs lui-même; et que, par
con;?cquent il est contre la nature du corps
politique que le souverain s'impose wwq loi
qu'il ne puisse enfreindre. ISe pouvant se con-
Foliticjue, Toiue II. B
26 DU CONTRAT
sidc'rer qnc sous un seul et même rapport, il
est alors dans le cas d'un particulier cou-
tractant avec soi-même: par où l'on voit
qu'il n'y a ni ne peut y avoir nulle espèce dé
loi fondamentale obligatoire pour le corps
du peuple, pas même le contrat social. Ce
qui ne signilic pas que ce corps ne puisse
fort bien s'engager envers autrui en ce qui
ne déroge point à ce contrat; car à Tégard
de l'étranger , il devient un être simple, un
individu.
Mais le corps politique ou le souverain ne
tirant son être que de la sainteté du contrat,
îiepeutjamais s'obliger, même envers autrui,
arien qui déroge à cet acte primitif, comme
d'aliéner quelque portion de lui-même ou de
se soumettre a. un autre souverain. Violer
l'acte par lequel il existe serait s'anéantir, et
ce qui n'est rien ne produit rien.
Sitôt que cette multitude est ainsi réunie
en un corps , ou ne peut offenser uîi des
membres sans attaquer le corps ; encore moins
oîicuser le corps sans que les membres s'en
ressentent. Ainsi le devciret Tlntérêt obligent
également les deux parties contractantes à
s'entraider mutuellement, et les mêmes boui-
llies doivent chcrciigrà réunir sous ce double
SOCIAL. 27
rapport tous les avantages qui en dépendent.
Or le souvcraiu n'étant forme' que des par-
ticuliers qui le composent , n'a ni ne peut
avoir d'intérêt contraire au leur ; par con-
séquent la puissance souveraine n'a nul besoin
de garant envers les sujets ; parce qu'il est
impossible que le corps veuille nuire à tous
ses membres , et nous verrons ci-après qu'il
jic peut nuire à aucun en particulier. Le sou-
Tcrain , par cela seul qu'il est, est toujours
ce qu'il doit être.
Mais il ncn est pas ainsi des sujets envers le
souverain, auquel, uialgrc l'intérêt commun,
rien ne repondrait de leurs engagemens s'il ne
trouvait des moyens de s'assurer de leur fi-
délité.
En effet chaque individu peut , comme
liomLQie , avoir une volonté' particulière ,
contraire ou dissemblable à la volonté géné-
rale qu'il a comme citoyen. Son intérêt par-
ticulier peut lui parler tout autrement que
l'intérêt commun ; son existence absolue et
naturellement indépendante peut lui faire
envisager ce qu'il doit à la cause coiTunune
comme une contribution gratuite, dont la
perte sera moins nuisible aux autres que
le payement n'eu est onéreux pour lui: et rc-
B2
2S D U C O N T R A T
gaidautla personne morale qui constitncrEtat
connue un être de raison, parce que ce n'est
pas un homme, il jouirait des droits du ci-
toyen sans vouloir remplir les devoirs du
sujet: injustice dont le progrès causerait la
ruine du corps politique.
Aûn donc que le pacte social ne soit pas
un vain formulaire, il renferme tacitement
cet engagement qui seul peut donner de la
force aux: autres , que quiconque refusera
d'obéirà la volonté générale y sera contraint
par tout le corps : ce qui ne signifie autra
chose , sinon qu'on le forcera d'être libre :
car telle est la condition , qui donnant chaque
citoven à la patrie , le garantit de toute dé-
pendance personnelle ; condition qui fait l'ar-
tifice et le jeu de la machine poli tique , et qui
seule rend légitimes les cngagcmens civils,
lesquels sans cela seraient absurdes , tyrauni-
queSjCt sujets aux plus énormes abus.
s o c r A L. T^
CHAPITRE V I î L
De rCtat ciiiL
c
.j E passage de l'état de nalure a Tctat cl-
■vil produit dans riiomme un changcincuf
trcs-icmarquable , en substituant dans sa con-
duite la justice à l'iustinct, et donnant à ses
actions la moralité qui leur manquait aupa-
ravant. C'est alors seulement que la voix da
devoir suece'dant à l'impulsion physique et he
droit à l'appétit , l'homme , qui jusque-là
n'avait regardé que lui-même se voit l'orcé
d'agir sur d'autres principes , et de consulter
sa raison avant d'écouter ses penchans. Ouoî-
qu'il se prive dans cet état de plusicursavan-
tages qu'il tient de la nature , il eu rcgngire
de si grands , ses facultés s'exercent et se
développent , ses idées s'étendent , scîj scnti-
uiens s'ennoblissent , son ame toute enticrfe
s'élève à tel points , quo si les abus de cette
nouvelle condition ne le dégradaient souvent
au-dessous de celle dont il est sorti, il devrait
bénir sans cesse l'instant heureux qui l'en aiia-
cha pour jamais,et qui , d'un animal stupid©
«t borné, lit un être mtelligent et un hoiiuue.
2o D U C O N T R A T
Réduisons toute cette balance à des termes
faciles à comparer. Ce que rhonimeperd par
le contrat social, c'est sa liberté naturelle et
un droit illimité à tout ce qui le tente et quHi
peut atteindre ; ce qu'il gagne , c'est la liberté
civil° et la proprie'te de tout ce qu'il possède.
Pour nepasse tromper dans ces compensations,
il faut bien distinguer la liberté naturelle , qui
n'a pour bornes que les forces de l'individu ,
de la liberté civile qui est limitée par la vo-
lonté générale, et la possession, qui n'est
que l'efFet de la force ou le droit du premier
occupant , de la propriété qui ne peut être
fondée que sur un titre positif.
On pourrait sur ce qui précède ajouter a
l'acquit de l'état civil la liberté morale, qui
seule rend rbomme vraiment maitre de lui :
car l'impulsion du seul appétit est l'esclavage,
et l'obéissance à la loi qu'on s'est prescrite ,
est liberté. Mais )e n'en ai déjà que trop dit sur
cet article, et le sens philosophique du mot
liberté nest pas ici de mou sujet.
SOCIAL. 3r
CHAPITRE IX.
Du dojiiaine réel.
V^ H A Q u E incuil)ie de la communauté se
donne à elle au moment qu'elle se forme ,
tel qu'il se trouve actuellement , lui et toutes
ses forces , dont les biens qu'il possède font
partie. Ce n'est pas queparcet acte la posses-
sion change de natLue en changeant demain»
et devienne propriété dans celle du souverain:
mais comme les forces de la cite' sont incom-
parablement plus grandes que celles d'un par-
ticulier , la possession publique est aussi dans
le fait plus forte et plus irrévocable , sans être
plus légitime, au moins pour les étrangers. Car
l'Etat à l'égard de ses membres est maître de
tous leurs biens par le contrat social , qui dans
l'Etat sert de base à tous les droits; mais il
ne l'est à l'égard des autres puissances que par
le droit de premier occupant, qu'il tient des
particuliers.
Le droit de premier occupant, quoique
plus réel que celui du plus fort, ne devient
\\\\ vrai droit qu'après l'établissement de celui
de propriété. Tout homme a naturellement
droit a tout ce qui lui est nccc3*airo; mais
32 D U C O N T Pu A T
l'acte positif, qui le rendproprietairecTe quel-
que bicu , l'exclut de tout le reste. Sa part
étant faite il doit s'y borner , et n'a plus au-
cun droit à la coniniunauté. Voilà pourquoi
le droit de premier occupant, si faible dans
l'clat de nature ,est respectable à toutboiiuue
civil. On respecte uroins dans ce droit ce qui
est à autrui que ce qui n'est pas a. soi.
Eu gênerai , pour autoriser sur un terraiîi
quelconque le droit de premier occupant, il
faut les conditions suivantes. Premièrement
que ce terrain ne soit encore liabité parper-
somie; secondement qu'on n'en occupe que la
quantité dont on a besoin pour subsister; eu
troisième lieu qu'on eu prenne possession,
non par une vaine cérémonie, mais par le
travail et la culture, seul signe de propriété
qui au défaut de titres juridiques doive être
respecté d'autrui.
Eu effet, accorder au besoin et au travail le
droit de premier occupant , n'est-ce pas l'éten-
dre aussi loin qu'il peut aller ? Peut-on ne pas
donner des borjies à ce droit? Sufiira-t-il de
mettre le pied sur un terrain conuuuu pour
s'en prétendre aussitôt le maître ? Suffira-t-il
d'avoir la force d'en écarter un moment îes^
autres hommes pour leur ôtcr le droit d'y
s O C I A L. S3
jamais revenir ? Cominciit un lionnnc on
nii peiij)lc peut-il s'emparer d'un tcrritoiro
immense et en priver tout le genrc-lmmain
au trement que par une usurpation punissable,
2)ui.squ'ellc ôtc au reste des hommes le séjour
et les alimens que la nature leur donne eu
«omuiun ? Quand A'uunez Balhao prenait
5iir le rivMî^c possession de la mer du Sud et
d-e touter.Ameriquemeridionale aunom delà
couronne de Castille, était-ce assez pour en
déposséder tous les liabitaus et en exclure
tous le.>» princes du monde ? Sur ce picd-la, ces
cereuionies se multipliaient assez vainement,
et le roi catholique n'avait tout d'un coup
qu'à prendre de son cabinet possession d»
tout l'univers; stiuf à retrancher ensuite de
son empire ce qui était auparavant possède
par les autres princes.
On conçoit couunent les terres des parti--
euliers réunies et contigues deviennent le
territoire public, ctcommentle droit desou-
Tcrainetc, s'etcndant des sujets au terrain
qu'ils occupent , devient à-la-fois réel et per-
sonnel ; ce qui met les possesseurs dans uno-
))lus grande dépendance , et fait de leius forces
mêmes les garants do leur fidélité; avantage
qui ne paraît pas avoir été bien: senti dci»
S4 D U C O N T P. A T
aucieus monarques qui ne s'appellaut que rois
des Perses , des Scytes , des Macédoniens,
seinblaieiit se regarder comme les chefs des
Ijommes plutôt que comme les maîtres du
pays. Ceux d'aujourd'hui s'appellent plus
habilement rois de France , d'Espagne , d'An-
gleterre, etc. Eu tenant ainsi le terrain , il*
sont bien sûrs d'en tenir les haJDitans.
Ce qu'il y a de singulier dans cette aliéna-
tion , c'est que , loin qu'en acceptant les biens
des^pa'rticulierslacommunautélesen dc'pouil-i
le, elle ne fait que leur en assurer la le'gitime pos-
session , changer l'usurpation en un véritable
droit et la jouissaiice en propriété. Alor.s les
possesseurs étant considérés comme déposi-
taires du bien public , leurs droits étant res-
pectés de tous les membres de l'Etatet main-
tenus de toutes ses forces contre l'étranger ,
par une cession avantageuse au public et
plus encore à eux-mcTues , ils ont , pour ainsi
dire , acquis tout ce qu'ils ont donné. Para-
doxe qui s'explique aisément par la distinc-
tion des droits que le souverain et le propriétaire
ont sur le même fonds, comme on verra
ci-après.
11 peut arriver aussi que les hommes com-
mencent à s'unir avant que de rien posséder.
SOCIAL. 35
et qnc , sVmparaiit ensuite d'un terrain suIFi-
sant pour tous, ils en jouissent eu commuu ,
ou qu'ils lepartagententi'cux , soitégalcjncut,
soit selon des proportions établies par le sou-
verain. De quelque manière que se fasse cette
acquisition, le droit que chaque particulier a
sur son propre fonds ,e3t toujours subordonné
au droit que la communauté a sur tous ; sans
quoi il n'y aurait ni solidité dans le lien social ,
ni force réelle dans l'exercice de la souveraineté.
Je termi4ierai ce chapitre et ce livre par uua
remarque qui doit servir de base à tout le
système social ; c'est qu'au lieu de détruire
l'égalité naturelle , le pacte fondamental subs-
titue au contraire uneéCTnlitémoralect légitime
a. ce que la nature avait pu mettre d'inégalité
physique entre les hommes, et que, pou vaut
étreinégaux en force ou en génie, ils deviennent
tous égaux par convention et de droit. (£•)
(e) Sous les mauvais goinernemens, certo éga-
lité n'est qu'apparente et illusoire ; elle ne sert
qu'à maintenir le pauvre dans sa misère et 1©
riche dans son usurpation. Dans le fait, les lois
sont toujours utiles à ceux qui possèdent , et
nuisibles à ceux qui n'ont rien: d'où il suit que
l'état social n'est avantageux aux hommes qu'au-
tant cpi'ils ont tous quelque chose et qu'aucun
d'eux n'a rien de trop.
36 D U C O ^' T R A T
LIVRE I I.
CHAPITRE P R E M I E R.
Crie la souveraineté est inaliénable,
JLi A première et la plus Importante coiise-
queucc des principes ci-devant établis est , que
îa volonté géiiérale peut seule diriger les forces
•de l'Etat selon la fin de son institution, qui
est le bien commun : car si l'opposition des
intérêts particuliers a rendu nécessaire l'éta-
blissement des sociétés , c'est l'accord de ces
niémes intérêts qui l'a rendu possible. C'est
ce qu'il y a de commun dans ces différens
intérêts qui fonne le lien social, et s'il n'y
avait pas quelque point dans lequel tous les
intérêts s'accordent, nulle société ne saurait
exister. Or, c'est uniquement sur cet intérêt
commun que la société doit être gouvernée.
Je dis donc que la souveraineté n'étant
que rcxercic€ de la volonté générale , elle ne
peut jamais s'aliéuer , et que le souverain ,
qui n'est qu'un être collectif, ne peut être
K.'présenté que par lui-même; le poiuoirpeut
fcieu s« traiismc'vtie , Laaii non pas ia volojité.
Eu
SOCIAL. Sy
F.ii effet, s'il n'est pas impossible qu'un©
volonté particulière s'accorde sur quelque
point avec la volonté générale, il est inipos-
Siible au moins que cet accord soit durable et
constant: car la volonté particulière tend par
sa natnre aux préférences , et la volonté géné-
rale à Tégalité. Il est plus impossible encore
qu'onaitun garantde cet accord, même quand
il devrait toujours exister , ce uc serait pas un
cltctde l'art, mais du basaixl. Le souverain
peut bien dire: Je veux actueilemeut ce quo
veut un tel liomme, ou du moins ce qu'il
dit vouloir ; mais il ne peut pas dire : Ce que
cet homme voudra demain , je le voudrai
CJicore: puisqu'il est absurde que la volonté
se donne des chaînes pour l'avenir, et puis»
qu'il ne dépend d'aucuue volonté de consentir
à rien de contraire au bieu de l'être qui veut.
Si donc le peuple promet simplement d'obéir,
il se dissout par cet acte, il perd sa qualité
de peuple ; a l'iustant qu'il y a un maître , il
n'y a plus de souverain, et dès-lors le corps
politique est détruit.
Ce n'est point à dire que les ordres des chef»
nr puissent passer pour des volontés générales ,
tant que le souverain libre de s'y opposer ne
le fait pas. En pareil cas, du sileuce universel
PQÏitUpu\ Tome li, G
"Sn D U C O N T R A T
on doit présumer le conseRtemeïit du peuple*
'Ceci s'expliquera plus au loug.
CHAPITRE II.
Que la souperaineté est indh'isible.
P
A R la même raison que la souveraineté
est inaliénable , elle est indivisible. Car la
voloiitc est générale , (/*) ou elle ne l'est pas;
elle est celle du corps du peuple , ou seuiement
tl'uiie partie. Dans le premier cas , cette volonté
déclarée est un acte de souveraiîieLc et fait la
loi. Dans le second , ce n'est qu'une volonté
particulière, ou un acte de magistrature ; c'est
un décret tout au plus.
?»Iais nos politiques ne pouvant diviser la
souveraineté dans son principe , la divisent
dans son objet ; ils la divisent en force et ea
volonté, en puissance législcitive et en puis-
sance executive, en droits d'impôts, de justice
et de guerre , en administration intérieure et
(/) Pour qu'une volonté soit générale, il n'est
pas toujours nécessaire qu'elle soit unanime, mais
il est nécessaire que toutes les voix soient comp-
çétJ5; toute exclusion formelle rompt la généralité.
s O C I A L. 39
en pouvoir de traiter avec l'étranger : tantôt
ils confondent tontes ces parties, et tantôt
ils les se'parent ; ils font du souverain un être
fantastique et forme' de pièces rapportées ; c'est
connue s'ils composaient l'iiounnc de plusieurs
corps, dont l'un aurait des yeux , l'autre des
bras, l'autre des pieds, et rien de plus. Les
charlatans du Japon dépècent, dit-on, un
enfant aux yeux des spectateurs, puis jetant
en l'air tous ses membres l'un après l'autre ,
ils font retomber l'enfant vivant et tout ras-
semble. Tels sont à-peu-prcs les tours de go-
belets de nos politiques; aprèsavoir démembré
le corps social par un prestige digne de la foire,
ils rassemblent les pièces on ne sait comment.
Cette erreur vient de ne s'être pas fait des
notions exactes de l'autorité' souveraine , et
d'avoir pris pour des parties de cette autorité
ce qui ncii étoit que des e'manations. Ainsi,
par exemple, on a regarde l'acte de déclarer
la guerre et celui de faire la paix comme des
actes de souveraineté', ce qui n'est pas; puisque
chacun de ces actes n'est point une loi, mais
seulement une application de la loi , un acte
particulier qui détermine le cas de la loi ,
comme on le verra clairement quand l'idée
attachée au mot /oi sera fixée.
C 2
40 Tj U C O N T R a T
En suiva?it de nicitie les autres divisions,
ou trouverait que toutes les fois qu'où croit
voir la souveraineté partagée, ou se trompe;
que les droits qu'où preud pour des parties
de cette souvcraiucté lui sont toussubcrdou-
nés , et snpposeat toujours des volontés su-
prêmes dont ces droits ne donnent que lexé-
Cutiou.
Ou ne saurait dire combien ce défaut
d'exactitude a jeté d'obscurité sur les décisions
des a'.iteurs en matière de droit politique ,
quand ils ont voulu juger des droits respec-
tif? des rois et des peuples , sur les principe*
qu'ils avoient établis. Chacun peut voir dans
les chapitres ÎIÎ et IV du premier livre d»
GrotLus , comment ce savant homme et son.
traducteur Barheyrac s'enchevêtrent , s'em-
barrassent dans leurs sophismes, crainte d'eu
dire trop ou de ïi'en pas dire assez selon leur*
vues , et de choquer les intérêts qu'ils avaient
à concilier. Grotius réfugié en France , mé-
content de sa patrie , et voulant faire sa cour à
Louis XIII a. qui sou livre est dédié ,u'épar-
g!ie rien pour dépouiller les peuples de tous
leurs droits et pour en revêtir les rois avee
tout l'art possible. C'eût bien été aussi le goût
4e HarbeyraG i qui dédiait sa traduction au
s O C I A T.. 41
roi d'Angleterre George I. y\'\\\\ ni ni heure u sè-
ment rcxpulsion de Jacques II , qu'il ap])clle
ahdieatioii ,1e forçait à se tenir sur la réserve,
à gauchir , à tergiverser pour 11c pas faire de
Guillaume un usurpateur. Si ces deux écri-
vains avaientadoptc' les vrais principes, toutes
les difficultés étaient levées, et ils cusseut été
toujours consequens ; mais ils auraient tris-
tement dit la vérité et ii'auroient fait leur
cour qu'au peuple. Or la vérité ne mène point
à la fortune, et le peuple ne donne ni anibas-
ïadcs , ni chaires, ni pensions.
CHAPITRE III,
Si la volonté générale peut errer.
I
L s'ensuit de ce qui précède que la volonté
générale est toujours droite et tend toujours
à l'utilité publique : mais il ne s'ensuit pas que
les dc'libe'rations du peuple aient toujours la
ïncme rectitude. On veut toujours sou bien,
mais on ne le voit pas toujours : jamais ou
ne corrompt le peuple , mais souvent ou le
trompe , et c'est alors seulement qu'il parait
Touloir ce qui est mal.
Ci
42 D U C O N T U A T
Il y a souvent bien de la différeuce entre la
voloatéde tousetla volonté' géuéiale : celle-ci
ne regarde qu'à rintérét coiumuu ; l'autre
regarde à l'intérêt prive, et n'est qu'une somme
de volonte's particulières : mais ôtez de ces
mêmes volontés les plus et les moins qui s'en*
tre-détruisent, (^) reste pour somme des dif*
fe'reuces la volonté' ge'néiale.
8i , quand le peuple suffisamment informé
délibère , les citoyens n'avoient aucune com-
munication entr'eux , du grand nombre d»
petites différences résulterait toujours la vo-
lonté générale , et la délibération serait tou-
jours bonne. Mais quand il se fait des bri-
gues , des associations partielles aux dépens
de la grande , la volonté de chacune de ces
associations devient générale par rapport à
ses membres , et particulière par rapport à
l'Etat ; ou peut dire alors qu'il n'y a plus-
(g) Chante intérêt , dit le marquis d'Argenson,
a des principes dlfférens. L'a:cord de deux intérêts
particuliers se forme par opposition a celui d'an tiers.
Il eût pu ajouter que l'accord de tous les intérêts
se forme par opposition à celui de chacun. S'il
n'y avait point d'iuiéiêrs différens, à peine sen-
tirait-on l'intérêt commun qui ne trouverait ja-
mais d'obstacle : tout irait de lui-même , et la
politique cesserait d'être un arf.
SOCIAL. 43^'
autant de votans que d'hommes , mais^
seulement autant que d associatious. Le» dif-
férences deviennent moins nombreuse* et
donnent un re'sultat moins général. En (in ,.
quand une de ces associatious est si grande
qu'elle l'emporte sur toutes les autres, vous
n'avez plus pour re'sultat une somme de petites-
difTérenccs , mais une diflérence unique ; alors
il n'y a plus de volonté' ge'nc'rale , et l'avi»
qui l'emporte n'est qu'un avis particulier.
Il importe donc pour avoir bien l'énoncé
de la volonté générale qu'il n'y ait pas de
société partielle dans l'Etat, et que chaque
citoyen n'opine que d'après lui. ^A^ Telle fut
l'unique et sublime institution du grand Zj-
cur^nic. Que s'il y a des sociétés partielles , ii
en faut multiplier le nombre et en prévenir
l'illégalité, comme firent Solon , Numa ,
Sert>ius. Ces précautions sont les seules bonne»
{h) Vera cosa è , dit Machiavel, che alcuni dhi-
s'ionï nuocono aile repnbuche , e alcuno giovano : quelle-
nuocono cke sono dalle sette e ia partiglani accompa-
gnate: quelle giovano che sen^a sette senia parti ^':anl j£
mentagono. l^on potendo adunque provedere urijunda^
tore d'una repuhlica che nonsiano nimicliie in .[UcUc, hà
da provedsr almeno ciie non yi siano sette. Kist,
Fioi-tiûl. I. VU.
C 4.
'44 D U C O N T R A T
pour que la volonté j^enérale soit toujours
éclairée, et que le pcu^^le ne se trompe point,
CHAPITRE IV.
Des bornes du pcin>oir soui'erain.
S.
TEtat ou la cite n'est qu'une personne
morale dont la vie consiste dans l'union de
ses membres , et si le plus important de ses
soins est celui de sa propre conservation , il
lui faut une force universelle et compulsive
pour mouvoir et disposer chaque partie de
la manière la plus convenable au tout.
Comme la nature donne à chaque homme
un pouvoir absolu sur tous ses membres, le
pacte social donne au corps politique un
pouvoir absolu sur tous les siens, et c'est ce
même pouvoir qui dirigé parla volonté géné-
rale, porte, comme j'ai dit , le nom de
souveraineté.
Mais, outre la personne publique, nous
avons à considérer les personnes privées qui
la composent, et dont la vie et la liberté
sont naturellement indépendantes d'elle. Il
s'agit donc de bien distinguer les droits ïes-
s o c ; A L. 45
pçctifs du citoyen et du souverain , fij et
Ip"-. devoirs i{u'oiit ù rcniplir les premiers cri
quaiilé de sujets, du droit naturel dont ils
doivent jouir en qualité d'hommes.
On convient que tout ce que chacun aliène
par le pacte social de sa puissance , de ses
biens, de sa liberté', c'est seulement la partie
de tout cela dont l'usage importe à la com-
munauté', mais il faut convenir aussi que le
souverain seul est jnsjc de cette importance.
Tous les services qu'un citoyen peut rendre
à l'Etat, il les lui doit sitôt que le souverain
les demande; mais le souverain de son côté
lie peut charger les sujeLs d'aucune chaîne
inutile à la communauté : il ne peut pas même
le vouloir: car sous la loi de raison rien ne
se fait sans cause , non plus que sous la loi
de nature.
Les engagemens qui nous lient au corps
social ne sont obligatoires que parce qu'ils
sont mutuels , et leur nature est telle qu'en
les remplissant on ne peut travailler pour
autrui sans travailler pour soi. Pourquoi la
(i) Lecteurs atientifs, ne vous pressez pas, je
vous prie, de m'accuser ici de contradiction. Je
n'ai pu l'éviter dans les termes , vu la pauvreté
flle la langue ; niais attendez.
C 5
46 D U C O N T R A T
volonté générale est-elle toujours droite, et
pourquoi tous veulent-ils constamment le
bonheur de cliacun d'eux , si ce n'est parce
qu'il n'y a personne qui ne s'approprie ce mot
chacun^ et qui ne songe à lui-même en vo-
tant pour tous? Ce qui prouve que l'égalité
de droit et la notion de justice qu'elle produit,
dérive de la préférence que chacun se donne
et par conséquent de la nature de l'homme ,
que la volonté générale , pour et c vraiment
telle, doit l'être dans son objctaiusi que dans
son essence, qu'elle doit partir de tous pour
s'appliquera tous, et qu'elle perd sa rectitude
naturelle lorsqu'elle tend à quelque objet in-
dividuel et déterminé, parce qu'alors jugeant
de ce qui nous est étranger , nous n'avons
aucun vrai principe d'équité qui nous guide.
En effet, sitôt qu'il s'agit d'un fait ou d'un
droit particulier, sur un point qui n'a pas
été réglé par une convention générale et an-
térieure , l'allairc devient coutentieuse. C'est
un procès où les particuliers intéressés sont
une des parties , et le public l'autre , mais où
je ue vois ni la loi qu'il faut suivre , ni ie
juge qui doit prononcer. Il serait ridicule de
vouloir alors s'en rapporter à une expresse
décision de la volonté générale, qui ne peut
SOCIAL. 47
être que la conclusion de l'une cÏp3 parties ^
et qui par coMsoquentn'c?t pour 1 autre qn'uuc
volonté étraugcre, particulit're , portée cii
cette occasiou à l'injustice et sujette a Terreur.
Ainsi de menie qu'une volonté particulière-
ne peut reprc'senter la volonté j^éuéralc , la.
volonté gcuéralc à son tourchange dénature,
ayant un objet particulier , et ne peut com-
me générale prononcer ni sur un homme ni
sur un fait. Ouand le peuple d'Atlicnes, par
exemple, nommait ou cassait ses chefs, dé-
cernait des honneurs à l'un , imposait des
peines a raulrc , et par des multitudes de
décrets particuliers exerçait indistinctement
tous les actes du gouvernement , le peuple
alors n'avait pins de volonté générale pro*
prement dite, il n'agissait plus comme sou-
verain, mais comme magistrat. Ceci paraîtra
contraire aux idées communes, mais il faut
me laisser le temps d'exposer les miennes.
On doit concevoir par-la que ce qui gc'jé-
ralise la volonté est moins le nombre des voix
que l'intérêt commiui qui les unit, car dans
cette institution chacun se soumet nécessai-
ïcment aux conditions qu'il impose auT
autres; accord admirable de l'intérêt et de-
la justice 3 gui dounc aux délibérations.
C 6
4S D U C O rc T R A T
communes un caractère dVquité qu'on voit
s'évanouir dans la discussion de toute affaire
particulière , faute d'un intérêt commun
qui unisse et identifie la règle du juge avec
celle de la partie.
Par quelque côte' qu'on remonte au prin-
cipe , on arrive toujours à la même conclu-
sion ; savoir, que le pacte social e'tablit entre
les citoyens une telle égalité qu'ils s'engagent
tous sous les mêmes conditions , et doivent
jouir tous des m.ênîes droits. Ainsi par la
nature du pacte, tout acte de souveraineté ,
c'est-à-dire tout acte authentique de la vo-
lonté générale oblige ou favorise également
tous les citoyens, en sorte que le souverain
connaît seulement le corps de la nation , et
ne distingue aucun de ceux qui la composent.
Qu'est-ce donc proprement qu'un acte de
souveraineté ? ce n'est pas une convention
du supérieur avec l'inférieur , mais une con-
vention du corps avec chacun de ses membres:
convention légitime , pai-cc qu'elle a pour
base le cojiti a t social ; équitable , parce qu'elle
est commune a tous ; utile, parce qu'elle ne
peut avoir d'autre objet que le bien général ;
et solide, parce qu'elle a pour gnrantla force
publique et le pouvoir suprême. Tant qu»
s O C I A L. 49
les su)cts ne sont soumis qu'à de telles cori-
\eutions , ils n'o])cissent à personne , mais
seulement à leur propre volonté ; et demander
jusqu'où s'étendent les droits respectifs du
souverain et des citoyens , c'est demander
jusqu'à quel poiut ccu\-ci peuvent s'engager
avec eux-mêmes, chacun envers tous et tous
envers chaciui d'eux.
On voit par-là que le pouvoir souverain,
tout a]>solu , tout sacré , tout inviolaljle qu'il
est , ne passe ni ne peut passer les bornes des
conventions générales, et que tout houuuc
peut disposer pleinement de ce qui lui a été
laissé de ses biens et de sa liberté par ces
conventions; de sorte que le souverain n'est
jamais en droit de charger un sujet plus qu'rui
autre , parce qu'alors l'aiFaire devenant parti-
culière , son pouvoir n'est plus compétent.
Ces distinctions une fois admises, il est si
faux que dans le contrat social il y ait de la
part des particuliers aucune renonciatioa
véritable, que leur situation, par l'effet de ce
contrat , se trouve réellement préférable à ce
qu'elle était auparavant, et qu'au lieu d'iuie
aliéiialion , ils n'ont fait qu'un écliani^e
avantageux d'une manière d'être iuccrtaxuc
5o DU CONTRAT
et précaire contre une autre meilleure et plus
sure , de rinciepeudance naturelle contre la
liberté, du pouvoir de nuire à autrui contre
leur propre surete' , et de leur force que
d'autres pouvaient sunuonter contre un droit
que l'union sociale rend invincible. Leur vie
même qu'ils ont de'voue'e à l'Etat en est
continuellement protége'e, et lorsqu'ils l'ex-
posent pour sa défense , que font-ils alors
que lui rendre ce qii'ils ont reçu de lui ?
(^)ue font-ils qu'ils ne fissent plus fréquem-
ment et avec plus de danger dans l'état de
la nature, lorsque livraiit des combats inévita-
bles , ils défendraient au péril de leur vie c&
qui leur sert à la conserver? Tous ontà com-
battre au bcî^oin pour la patrie, il est vrai;
mais aussi nul n'a jamais à combattre pour soi.
]Ve gagne-t-on pas encore à courir pour ce
qui fait notre sûreté, une partie des risques
qu'il faudrait courir pour uous-mémes sitôt,
qu'elle uous serait ôtée l
s O C I J! L. 5i
C H A P I ï R E V.
Du droit de vie et de mort.
o
N demande comment les particuliers
n'ayant pointdroitdc disposer dcleur propre
■vie , peuvent transmettre au souverain ce
même droit qu'ils n'ont pas ? Cette question
ne paraît difficile a résoudre que parce qu'elle
e.-^t mal posée. Tout homme a droit de risquer
sa propre vie pour la conserver. A-t-on jamais
dit que celui qui se jette par une fenêtre pour
eciîapperàun incendie , soit coupable de sui-
oidc ? A-t-on jamais impuléce crime à celui
qui périt dans une tempête dont en s embar-
quant il n'ignorait pas le danger ?
Le traité social a pour fin la conservation
des contractans. Qui veut la lin veut aussi les
moyens, et ces moyeus sont inséparables de
quelques risques, même de quelques pertes»
Qui veut conserver sa vie aux dépens des
autres , doit la donner aussi pour eux quand
il f{uit. Or le citoyen n'est plus juge dupéril
auquel la loi veut qu'il s'expose , et quai^d
le prince lui a dit , il est expédient h l'Etat
que tu meures , il doit luo urir; puisque ce u'est
52 D U C O 1\ T R A T
qu'a cette condition qu'il a vécu eu sûreté
jusqu'alors , et que sa vie uVst plus seulement
un bienfait de la nature , mais un don coji-
ditionncl de l'Etat.
La peine de mort infligée aux criminels
peut être cnvisage'e à-peu-près sous le même
point de vu&: c'est pour n'être pas la victime
d'un assassin que l'on consent à mourir si on
le devient. Dans ce traité , loin de disposer
de sa propre vie , on ne songe qu'à la garaa- '
tir, et il n'est pas à présumer qu'aucun des
coutractans prémédite alors de se faire pendre.
D'ailleurs , tout malfaiteur attaquant le
droit social devient par ses forfaits rebelle et
traître à la patrie; il cesse d'en être membre
en violant ses lois, et même il lui faitla guerre.
Alors la conservation de l'Etat est incompa-
tible avec la sienne; il faut qu'un des deux
périsse , et quand on fait mourir le coupable,
c'est moins comme citoyen que comme en-
nemi. Les procédures . le jugement sont les
preuves et la déclaration qu'il a rompu le
traité social , et par conséquent qu'il n'est
plus membre d€ l'Etat. Or, comme il s'est
reconnu tel, tout au moins par son séjour,
il en doit être retranché par i'exil, comin©
SOCIAL. 53
ïnfractcnr du pacte , ou par la mort , comme
un ennemi public ; car un tel cnneini u est
pas une personne morale , c'est un lioumie ,
et c'est alors qncle droit de la guerre est de
tuer le vaincu.
?»Iais , dira-t-on , la condamnation d'un
criminel est un acte particulier. D'accord ;
aussi cette condamnation ii'appartient-ellc
point au souverain ; c'est un droit qu'il peut
conférer sans pouvoir l'cvorcer lui-même.
Toutes mes idées se tienn ": , mais je ne
saurais les exposer toutes à-la-fois.
Au reste , la fréquence des supplices est
toujours un signe de faiblesse ou de paresse
dans le gouvernement. Il n'y a point de
méchant qu'on ne pût rendre bon à quelque
chose. On n'a droit de faire mourir , même
pour l'exemple , que celui qu'on ne peut
conserver sans danger.
A l'égard du droit de faire grnce , ou
d'exempter un coupable de la peine portée
par la loi et prononcée par le juge, il n'ap-
partient qu'à celui qui est au-dessus du juge
et de la loi , c'est-à-dire au souverain : encore
«on droit en ceci n'est-il pas bien net, et les
cas d'en user sont-ils très- rares. Dans mu
Etat bien gouverné il y a peu de puiutious.
54 D U C O N T R A T
non parce qu'on fait beaucoup de grâces, mais
parce qu'il y a peu de crinihicls: la multi-
tude des crimes eu assure riiupunité lorsque
l'Etat de'pe'rit. Sous la re'publique romaine ,
jamais le sénat ni les consuls ne tentèrent de
faire grâce: le peuple même n'en fcsait pas
quoiquil révoquât quelquefois son propre ju-
gement. Les fréquentes grâces annoncent que
bientôt les forfaits n'en auront plus besoin,
et chacun voit où cela mène. Mais je sens
que mon cœur * urmure et retient ma plu-
me ; laissons discuter ces questions à l'homm»
juste qui n'a point failli, et qui jamais n'eut
lui-même besoin de grâce.
CHAPITIIE VI.
De la loi.
_l A rIc pacte social nous evons donné l'exis-
tence et la vie au corps politique : il s'agit
maintenant de lui donner le mouvement et
la volonté parla législation. Car l'acte primitif
par lequel ce corps se forme et s'unit, ne dé-
termine rien encore de ce qu'il doit faire pour
se coîiscrver.
Ce qui est bien et conforme a l'ordre est tel
par la nature des choses et indépendammcafc
55 O C I A L. 55
clrs conventions humaines. Toute justice vient
de Dieu , lui seul eu est la source ; mais si
nous savions la recevoir de si haut, nous n'au-
rions hcsoin ni de gouvernement ni de lois.
Sansdoute ilestunejusticeuuiversclle, cinane»
de la raison seule ; mais cette justice , pour
être admise entre nous, doit être rc'ciprcque.
A considérer humainement les choses , faute
de sanction naturelle les lois delà justice sont
vaines parmi les hommes; elles ne font qu©
le bien du méchant et le mal du juste, quand
celui-ci les observe avec tout le monde sans
que personne les observe avec lui. Ilfautdono
des conventions et des lois pour unir les droits
aux devoirs et ramener la justice à son objet.
Dans l'clat de nature, où tout est commun,
je ne dois rien à ceux à qui je n'ai rien promis ,
je ne reconnais pour être à autrui que ce qui
m'est iuutije. Il n'en est pas ainsi dans l'état
civil où tou.s les droits sont fixés par la loi.
Mais qu'est-ce donc enQn qu'une loi ? Tant
qu'on sccontentera de n'attacher à ce mot que
des idées métaphysiques, on continuera d«
raisonner sans s'entendre, et quand on aura
dit ce quec'est qu'une l-oide la nature , on n'en
saura pas mieux ce que c'cstqu'uneloiderF^tat.
J'ai déjà dit qu'il n'y avait point de voloulâ
56 DU C O N T R A T
geiiëiaîesuriiîi objet particulier; en effet, cet
objet particulier est dans l'Etat ou hors do
l'Etat. vS'ii est hors de l'Etat, une volonté' qui
lui est étrangère n'est point géuévale par rap-
portalui: et si cet objctestdans l'Etat, ilenlait
partie : alors il se forme entre le toutetra partie
unerelation quienfaitdeux êtres séparés, dont
la partie est l'un , et le tout moins cette luéme
partie est l'autre. Mais le tout moins une partie
n'est point le tout , et tant que ce rapport sub-
siste il ny a plus de tout , mais deux parties
inégales;d'où ilsuitque la volonté dcru.ne n'est
point non plus générale par rapport a l'autre.
Mais quand tout le peuple statue sur tout
le peuple , il ne considère qne lui-même , et
s'il se foiiiie alors un rapport , c'est de l'objet
entier sous un point de vue à l'objet entier sous
un autre point de vue , sans aucune division
du tout. Alors la matière sur laquelle ou
statue est générale coîume la volonté qui sta-
tue. C'est cet acte que j'appelle une loi.
Quand je dis que l'objet des lois est toujours
général , j'entends que la loi considère les
sujets en corps et les actions comme abs-
traites, jamais un homme comme individu,
ni une action particulière. Ainsi la loi peut
bien statuer qu'il y aura des privilèges, mais
SOCIAL. 57
clic nVnpent donner noiiiincmeul h personne;
laloipcnt l'aire plusieurs classes de ciloycjis,
assigner mèmcicp qualités qui donneront droit
à CCS classes , mais clic ne peut nouuner tels
et tels pour y être admis; elle peut établir un
gouvernement royal, et une succession héré-
ditaire , mais elle ne peut élire un roi, ni nom-
mer une famille royale: en un mot, toute
fonction qui se rapporte à un objet individuel
n'appartient point à la puissance léi^islatlve.
.Sur cette ide'e, on voit à l'instant qu'il ne
faut plus demander a qui il appartient de faire
des lois, puisqu'elles sont des actes de la vo-
lonté' j^énerale; ni si le prince est au-dessus
des lois, puisqu'il est membre de l'Etat; ni
si la loi peut être injuste, puisque nul n'est
injuste envers lui-iîiême ; ni commeiit on est
libre et soumis aux lois, puisqu'elles ne sont
que des registres de nos volontés.
On voit encore que la loi réunissant l'u-
niversalité de la volonté et celle de l'objet,
ce qu'un homme , quel qu'il puisse être , or-
donne de son chef n'est point une loi ; ce
qu'ordoiîiic même le souverain sur un o])jet
particulier n'est pus non plus une loi , mais
un décret; ni un acte de souveraineté, uiai»
de magistrature.
58 D U C O N T R A T
J'appelle donc république tout Etat regî
par des lois, sous quelque forme d'admiuis-
tratioiique ce paisse être: car alors seulemeut
l'inte'rét public gouverne , et la chose publique
est quelque chose. Tout gouvernement légi-
time est républicain : ( /^) j'expliquerai ci-après
ce que c'est que gouveniemeut.
Les lois ne sout proprement que les con-
ditions deTassociatiou civile. Le peuple soumis
aux lois en doit être l'auteur , il n'appartient
qu'à ceux qui s'associent de régler les condi-
tions de la société; mais comment les régle-
ront-ils? sera-ce d'un commun accord, par
une inspiration subite ? Le corps politique a-
t-il un organe pour énoncer ses volontés ? Qui
lui donnera la prévoyance nécessaire pour
en former les actes et les publier d'avance ,
ou comment les prononccra-t-il au moment
du besoin ? Comment une multitude aveugle
(A) Je n'entends pas seulement par ce mot
une aristocratie , ou une démocratie , mais en
général tout gouvernement guidé par la volonté
générale , qui est la loi. Pour être légiiirae , il
ne faut pa^ qne le gouvernement se confond»
avec le souverain, mais qu'il en soit le ministre;
alors la monarchie elle-même est république.
Ceci s'éclaircira dans le livre suivant.
SOCIAL. 59
qui souvent 11c sait ce qu'elle veut, parce
qvi'cllc sait rarrinctit ce qui lui est bon, cxé-
cuterait-cUc d'cllc-mcnie u)ie entreprise aussi
grande, aussi diiBcilc qu'un système delegis-
latioii? Delui-inéiue le peuple veut toujours
le bien, mais de lui-même il ne le voit pas
toujours. La volonté générale est toujours
droite , mais le jugement qui la guide n'est pas
toujours éclairé. Il faut lui faire voir les objets
tels iju'ils sont , quelquefois tels qu'ils doivent
lui paraître, lui montrer le bon chemin qu'eiie
cherche , la garantir de la séduction des volon-
tés particulières , rapprocher à ses yeux les
lieux et les temps <, balancer l'attrait des
avantages présens et sensibles , par le danger
des maux éloignés et caches. Les particuliers
voient le bien qu'ils rejettent: le public veut
le bien qu'il ne voit pas. Tous ont également
besoin de guides. Il faut obliger les uns à
conCormer leurs volontés à leur rai-son ; il
faut apprendre à l'autre à connaître ce qu'il
veut. Alors des lumières publiques résulte
l'union de rentcndemcnt et delà volonté dans
ic corps social; dc-là l'exact concours des par-
lies, et cnûn la plus grande force du tout.
Voilà d'où uaît la nécessité d'un législateur.
6o DU CONTRAT
CHAPITRE VIL
£)u légLsJateu7\
Jl ouR découvrir les meilleures règles de
société' qui couvieuneut aux natious , il fau-
drait une iutelligeuce supe'rieure qui vît toutes
les passions des liouimcs , et qui n*eu éprouvât
aucune , qui n'ciit aucau rapport avec notre
nature , et qui la connût à fond ; dont le. bon-
heur fût inde'pendant de nous, et qui pour-
tant voulût bien s'occuper du nôtre ; enlia
qui , dans le progrès des {emps se me'uageant
une gloire e'ioignée , pût travailler dans un
siècle et jouir dans un autre. (/) Il faudrait
des dieux pour donner des lois aux hommes.
Le même raisoTinementque içL^^xtCaligiila
quant au ï^Lit^ Platon le fesait quant au droit
pour deiinir l'homme civil ou royal qu'il
cherche dans son livre du règne; mais s'il est
{l) Un peuple ne devient célèbre que quand
sa législation commence à décliner. On ignore
•durant combien de siècles l'institution de Xj-
curgue fit le bonheur des Spartiates , avant qu'il
fùi question d'eux dans le re^tQ de la Grèce.
vrai
I
s O C I A T.. 6-c
vrai qu'un grand priticc est \\\\ hoirtinc rare,
<jue sera-ce d'un grand législateur ? Le }3reiiiier
n'a qu a suivre le modèle que l'autre doit pro-
poser. Cclni-cicst le mécanicien qui invente la
machine, celui là n'est que l'oiivrier qui lamon-
tc et la faitinarcher. Dans la naissaneedes socié-
tés ,iï\i Mon tcsquieii y ce sont lescliefsdes répu-
bliques qui font l'insliinlion , et c'est ensuito
linstitulionqui forme Icschefsdcs republiques.
Celui qui ose entreprendre d'instituer ufi
peiiplc , doit se sentir en état de clianger ,
pour ainsi dire, la nature humaine; de trans-
iormcr chaque individu , qui par Ini-mcme
est un tout parfait et solitaire , en partie d'un
plus grand tout dont cet individu reçoive eu
quelque sorte sa vie et son être; d'altérer la
constitution de l'hoDunc pour la renforcer ;
de substituer une existence partielle et moralo
à l'existence physique et indépendaTitc que
iioiii; avons tous reçue de la nature. Il faut,
en un mot, qu'il ôte à l'homme ses forces
propres pour lui en donner ([ui lui soient
étrangères, et dont il ne puisse faire usage
sans le secours d'auti ni. Plus ces forces nalu-
leiles son t mo rtes et anéanties , plus les acqu iscs
sont grandes et durables , plus aussi rinstitu-
tion est solide et parfaite : eu sorte que si
Po/iîùjue. Tome II. D
62 D U C O N T p. A T
cLsqne citoyen n'est rien , uc peut rien crue
par tous les antres, et que la force aequise
parie tout soit égale on supérieure a la somme
des forces naturelles de tons les individus ,
oiî peut dire que la législation est au plus
haut point de perfection qu'elle puisse at-
teindre.
Le le'gisiateur est à tous t-gards un homme
extraordinaire dans rEt.:it. S'il doit lYtre
par son génie, il ne l'est pas moins par sou
emploi. Ce n'est point magistraturc , ce n'est
point souveraiiîcté. Cet emploi , qui cons-
titue la république , n'eiître point dans sa
cous itution : c'est une fonction particulière
et supérieure qui n'a rien de commun avec
l'empire humain; car si celui qui coiumandc
aux hommes ne doit pas commander aux lois ,
celui qui comm.andeanx lois ne doit pas non
plus commander aux hommes ; autrement
ses lois , ministres de ses passions , ne feraient
souvent que perpétuer ses injustices , jamais
il ne pourrait éviter que des vues particulières
n'altérassent la sainteté de sou ouvrage.
(^uand Lycurgne donna des lois à sa pa-
trie , il commença par abdiquer la royauté.
C'était la coutume de la plupart des villes
gi-ecques deconlier à des étrangers l'établisse-
s O C I A L. 63
Tncnt dos leurs. Les rt'publiqucs inodcrncs de
l'Iîalic imitèrent so;iveiit cet us.if^c , celle de
Genève en lit ai:la!it et s'en tionva liicn.
Cm) Rome dans son plus bel cK'^c vit renaitrc
e:i son sein tous les crimes de la tyrannie,
et se vit prête à périr, pour avoir réuni sur
les mciucs têtes l'autorité lêj^islativc et le
pouvoir souverain.
Cependant les déccuivirs eux-mêmes ne
s'airogèrent jamais le droit de faire passer
aucune loi de leur seule autorité. Fàen de ce
que nous vous proposons y disaient-ils au peu-
ple , ne peut passer en loi sans votre con-^
sentement. Romains , soyez vous-mêmes /es
auteurs des lois qui doii-'ent faire votre
bonheur.
Celui qui rédige les lois n'a doue ou ue
doit avoir aucun droit législatif, et le peuple
(m) Ceux qui ne consitlèrent Calvin que comme
tfiéolu^ien, connaissent niaU'étendue de son i^éni?.
La rédaciion de nos sages étlits , à laquelle il euli
beaucoup lie pai t , lui lait autant ffhunneur que
son institution. Quelque révolution que le temps
puisse amener ààns notre culte, tant que l'amour
de la patrie et de la liberté ne sera pas éteint
paimi nous, jamais la mémoire de ce grand-
liomnxe ce cessera d'êtie eu vénération.
D 2
64 D U C 0 N T K 1 T
îiicme ne peut, quand il le voudrait, se dépouil-
ler de ce-d roi t i iieoiniuunicablc; pa rce que selo !i
le pacte foudaïueutal il n'y a qne la volonté
ge'nérale qui oblige les particuliers, etqu'oii
lie peut jamais s'assurer qu'une voloîite' par-
tien licrc est conforme k la volonté générale ,
qu'après l'avoir soumise auK suffrages libres
du peuple: j'ai déjà dit cela, mais il n'est
pas inutile de le répéter.
Ainsi l'on trouve à-la-fois dans l'ouvrage
de la léj2;isîation deux choses qui semblent
iiicompati]>îes : luie entreprise an-dessr.s de
la force humaine , et pour l'exécuter , une
autorité qui n'est rien.
Autre diificulté qui mérite attention. Les
sages qui veulent parler au vulgaire leur lan-
gage au lieu du sien, n'en sauraient être en-
tendus: or il y a mille sortes d'idées qu'il est
impossible de traduire dans la langue du
peuple. Les vues trop générales et les objets
trop éloignes sont également hors de sa por-
tée ; chaque individu ne goûtant d'autre
plan de gouvernement que celui qui se rap-
porte à son intérêt parlicilier , appcrçoit dif-
ficilement les avantages qu'il doit retirer des
privations continuelles qu'imposent les lion-
nes lois. Pour qu'un peuple naissant pût
5 O C r A L. 65
gniVtcr les sair.cs maximes do la politique et
suivre les n'j;!cs rouclanieTitaics de la raison
d'KUit, il faudrait que Veiïct pût devenir la.
cause , que l'esprit so-cial qui doit êtit 1 Du-
vrai;e de l'iiistitutiou pré.sidàt a l'inst-tuliou
uinuc , et que les hommes fussent avant Ic^
lois ec qu'ils doivent devenir pa '( iles. Ainsi
donc le législateur ue pouvant employer ni
la force ni le raisonnement, c'est une nécessité
qu'il recoure à une autorité d'un autre ordre^
qui puisse entraîner sans violence et persuader
sa 11- convaincre.
Voilà ce qui força de tons temps les pères
des )iations de recourir à riaterventiou du
ciel et dlionorcr les dieux de leur propre
sa^i^esse , afin que les peuples , soninis aus
lois de TEtat counne à celles de la nature ^
et reconnaissant le mcme pouvoir dans-
la formation de l'homme et d^ns celle
de la cite , obéissent avec liberté^ et por-
tassent docilement le joug de la feîicilc pu^-
bJiquc.
Cette raison suL>lime , qui s'e'lève au-dcssu»
de la porte'c des hommes vulgaires, est celle
dont le législateur met les décision* dans la.
bouche dies immortels, pour entraîner par
l'autorité divine ceux que ue pourrait ébra:ir-
D 3
66 D U C O N T R A T
1er la pnidence huiiiaiiie. C^tJ Mais il n'ap-
partient pas à tout h cdiiuie de faire parler les
d-enx, ni d'en étie cru quand il s'annonce
pour être leur interprète, La graiide ame du.
le'gisîateur est le vrai miracle qui doit prou-
ver sa mission. Tout bommepeut graver des
tables de |,'irre , ou acheter un oracle , ou
feindre un secret coramcrce avec quelque di-
-vinite' , ou dresser \x\\ oiseau pour lui parler
à l'oreille , ou trouver d'autres moyens gros-
siers d'en imposer au peuple. Celui qui ne
saura que cela pourra même assembler par
hasard une troupe d'inseuscs , mais il ne fon-
dera jamais uu empire, et son extravagant
ouvrage périra biculôt avec lui. De valus
prestiges forment \\\\ lien passager, il n'y a
que la sagesse qui le rende durable. La loi
judaïque toujours subsistante, celle de l'eu-
faut à: Ismael qui depuis dix siècles re'git la
«iioiticdu monde , annoncent encore .iJîjour-
(n) 'E vcmmznte , dit Machiavel, mai nonfual-
€uno ord^natore d't leggi sîraordinane in un popolo,
che non ricurrcsse a Dio , perche altrimentl non sit-
rebboro accettate ; pcrchs sono molti béni conosciutl
da uno prudents^ i qnali non îianno in se ra^gioni
tvidenti daputergli persuadere adaltrui. Dicorsisopra
Tito Liviû. /. I. c. -XI.
SOCIAL. 67
d'hni le? grands hommes qui les ont dictées;
et tandis que rori:;uelUeuse phdosopiiie ou
^av^■U};le esprit de parti ne voit eu eux que
d'heureux imposteurs ,1e vrai politique admire
dans leurs institutions ce grand et puissant
génie qui pre'sidc aux étabiissemcns durables.
Il ne faut pas de tout ceci conclure avec
Tf^arliirton que la politique et la religion
aient parmi nous un objet comnmn, mais
que dans l'orij^ine des nations i'uue sert
d'instrument à l'autre.
CHAPITRE VII I.
Du peuple.
V^o>rME avant d'cîever un grand édiGce
l'architecte observe et sonde le sol, pourvoir
s'il en peut soutenir le poids, le sage institu-
teur ne commence pas par rédiger de bonnes
lois en elles-mêmes, mais il examine aupara-
vant si le peuple auquel il les destine est
propre a les supporter. Cest pour cela que
Platon refusa de donner des lois aux virca-
diens et aux Cyréniens , sachant que ees deux
peuples e'taieut riches et ne pouvaientsouffrir
6^ D U C O N T R. A T
l'égalité: c'est pour coia qu'on vit en Crète de
bouucs lois et de uiechaiis liouimcs , parce
que Minos n'avait discipliné qu'un peuple
chargé de vices.
Mille nations ont brille' sur la terre qui
n'auraient jajuais })u souRïir de bonnes lois,
et celles uicjnes qui l'auraient pu n'ont eu
dans toute leur durée qu'un temps fortconrt
pour cela. La plupart des peuples ainsi que
des hommes ne sont dociles que dans leur jeu-
nesse ilsdcviennent incorrigibles eu vieillissant;
quand une fois les coutumes sont établies et
les ^îréjugés enraciué's , c'est une entreprise
dangereuse et vaine de vouloir les rél'orincr;
le peuple ne peut pas jnéme souffrir qu'on
touche à ses maux pour les détruire, sem-
blable à ces malades stupides et sans coui âge
qui frémissetït à l'aspect du médecin.
Ce n'est pas que , counne quelques maladies
bouleversent la tête des hommes et îeurôtent
te souve.'îir du passé , il ne se trouve quel-
quefois dans la durée des Etats des époques
"violentes où les révolutions font sur les peuple*
ce que certaines crises font sur les individus,
où l'horreur du passé tient lieu d'oubli, et
où l'Etat embrasé par les guerres civiles , renaît
pour ainsi cjire de sa cendre tt reprend U
s o c r A r.. /Ç9
TÎguciir de la jeunesse eu sortant des bras de
kl mort. Telle fut Sparte au temps de» Ly enroue y.
telle fut Rome après les Tarquin.-^ , et telle»
o!it etc panui uou? la lîollaude et ia Huisso*
après l'expulsiou des tj^raus.
Mais ces c'vciîcmens sont rares; ce sontdcà
execptions dont la raison se trouve toujours
dans la constitution particulière de l'Etat
excepté. Elles ne sauraient incnie avoir lieu
deux fois pour le même peuple , car il peut
se rendre libre tant qii'il n'est que barbare,
jnais il ne le peut plus quar.cl le ressort civil
est uïc. Alors les troubles peuvent le cetruiro
sans que les re'volutions puissent le rétablir,
et sitôt que ses fers sont brise's , il lombe
cpars et n'existe plus : il lui faut désor-
mais un maître et non pas \i\\ libérateur.
Pc-uples libres, souvenez-vous de cette maxi-
me : ou peut acquérir la ILîjerté, mais on ne
la recouvre jamais.
La jeunesse Ji'est pas l'enfance. Il est pour
les^ nations connue pour les liommcsun temps^
de jeuiressc , ou si l'on veut de maturité, qu'it
faut attendre avant de les soumettre à des lois ;
mais ia maturité d'un peuple n'est oas toujours
facile à connaître, et si on la prcvic:: , l'ou-
vrage est manque. Tel peuple e^^t uiicipliuabls-
70 D U C O N T R A T
en naissant, tel autre ne l'est pas au bout de
dix siècles . Les Russes ne seront jamais
■vraiment policés , parce qu'ils l'ont été' trop
tôt. Pierre avait le génie imitatif-, il n'avait
pas le vrai génie, celui qui crée et fait tout
de rien. (Quelques-unes des choses qu'il fit
étaient bien, la plupart étaient déplacées. Il
a vu que son peuple était barbare, il n'a
point vu qu'il n'était pasn)ir pour la police;
il l'a voulu civiliser quand il ne fallait que
l'aguerrir. Il a d'abord voulu faire des Alle-
mands , des Anglais , quand il fallait com-
mencer par faire des Russes ; il a empêché
ses sujets de jamais devenir ce qu'ils pour-
raie-.it être , en leur persuadatit qu'ils étaient
ce qu^ils ne sont pas. C'est ainsi qu'un pré-
cepteur français foniie son élève pour briller
un moment dans son enfance , et puis n'être
jamais rien. L'empire de Russie voudra sub-
juguer l'Europe , et sera subjugué lui-même.
Les Tartares ses sujets ou ses voisins devien-
dront ses maîties et les nôtres : cette révolution
me paraît infaillible. Tous les rois de l'Europo
travaillent de concert à l'accélérer.
SOCIAL. 71
CHAPITRE IX.
Suite.
V_>f o WME la Tîntiire a donné des termes à la
stature d'tin homme bien confoiiné , passé
lesquels elle ne fait plus que des gcaiis ou des
nain? , il y a de même , eu égard à la mcil-
Irme constHutioii îi^^wM Etat, des bornes à
i'e'LC'îdne qu'il peut avoir, a.'iu qu'il jie soit
ni trop grand pour pouvoir être bien gou-
verné , ni trop petit jîour pouvoir se ruaia-
nir par lui-mcmc. Il y a dans tout corps
politique un maximum de force qu'il ne
saurait passer , et duquel souvejit il s'éloigne
à force de s'agrandir. Plus le lien social s'é-
tend , plus il se relâche , et en général un
petit Etat est proportionnellemeut plus fort
qu'an grand.
Mille raisons démontrent cette maxime.
Prcmièrcraent , l'administration devient plus
pe'nii)le dans les grandes distances, comme
un poids devient plus lourd au bout d'un
grand levier. Elle devient aussi plus onéreuse
à mesure que les degrés se multiplient ; car
7^! DU C O N T R A T
c'a qiîcviîlca crabord la sienne que îc pciiple
paye, cbaque district la sicaiie cugoît payée
par le pciiplc , ensuite diaque province, pui«
les graîids gouvcriiemeiis , les satrapies , les
vice - royautés qu'il faut toiijonrs payer plus
^4ier à mesure qu'on monte, et toujours aux
dépens du inaîheiireiix peuple ; ciiûu vicuÉ
î'adîîiiïiiïuation suprême qui écrase tout. Tant
de ïiachargcs e'piiisent continuellenient les
sujets : loin d'être mieux gouvernés par tous
ces dilîorens ordres , ils le sont moins bieit
que s'il n'y en avait qu'un seul au-dcssns
ci eux. Opendantà peine reste-t-il de.s ressour-
ces pour les cas extraordinaires, et quand il
y faut recourir , l'Etat est toujours à la veiile
de sa raine.
Ce n'est pas tout; nou-seulemcTît le gcu-
verneinent a moins de vigueur et de célérité
pour faire observer les lois, empêcher les
Texations , corriger les abus , prévenir les en-
treprises sédicieiises qui peuvent se faire dans
des lieux éloignés; mais le peuple a moins
d'ail'ection pour ses chefs qu'il ne voit jamais,
pour la patrie qui est à ses yeux comme le
Xrimde. etpoursesconcitoyens dont la plupart
lui sont étrangers. Les mêmes lois ne peuvent
Gô.uveuixùtaat de pioYiïices diverses qui ont
de»
SOCIAL. 73
des moeurs dilïërcntcs, qui vivent sons des
climats opposos , et qui ne peuvent soulîiir
la même ibrme de gouvernement. Des lois
diîVc'rentes n'engendrent que troubîc et eon-
fubion parmi des peuples qui , vivant sous
les mêmes chefs et dans une communication
continuelle , passent ou se marient les uns
chez les autres, et soumis à d'autit-s coutum.es,
ne savent jamais si leur patrimoine est bien
à eux. Les talcns sont enfouis , les vertus igiio->
rces , les vices impunis, dans cette multitude
d'iiouunes inconnus les uns aux autres, que
le sicL^e de radministratioa suprême rassemble
dans un même lieu. Les chefs accables d'ariblres
ne voient rien par eux-mêmes , des commis
gouvernent l'Etat. Enfin les mesures qu'il faut
prendie pour maintenir l'autorité générale,
à Inquelle tant d'officiers éloic;ne':^ veulcut
se soustraire ou en imposer, absorbent tous
les soins pu}3lics , il n'en reste plus pour l'e
bonheur du peuple, à peine en reste-t-il
pour sa défense au besoin; et c'est ainsi
qu'un corps trop grand pour sa constitution ,
s'affaisse et périt écrasé sous son propre
poids.
D'un autre côté , l'Etat doit se donner une
certaine base pour avoir de la solidité, pour
FoUtiijue. Tome II. E
74 D U C O N T R A T
3"eslster aax secousses qu'il ne uiaiiqiicra pas
<l'e'prouver et aux efforts qu'il sera contraint
de faire pour se soutenir : car tous les peuples
ont une espèce de force centrifuge, par laquelle
ils agissent continuellement les uns contre les
autres , et tendent à s'agrandir aux dépens de
leurs voisins, comme les tourbillons de Z?^^-
cartes. Ainsi les faibles risquent d'être bientôt
«tigloutis ; et nul ne peut guère se conserver
qu'en se mettant avec tous dans une espèce
■d'équilibre qui rend la comprcsbion par-tout
ix peu près e'gale.
Oii voit par-là qu'il y a d<js raisons de
sVtendre et des raisons de se resserrer, et ce
n'est pas le uioindre talent du politique de
trouver, entre les unes eî les autre», la pro-
portion la i^lus avantageuse à la conservation
de l'Etat. On peut dire en ^cûie'ral que leg
premières, n'étant qu'extérieures et relatives ,
doivent être subordonnées aux autres , qui
^ont internes et absolues; une saine et forte
constitution est la première chose qu'il fai;î
rechercher, et l'on doit plus compter sur la
yigucur qui naît d'un bon gouvernement ,
que sur les ressources que fournit un grand
territoire.
j^.ur»ï£«^ Gtt a vu de* Lt^U te]le>îneiirconi-
SOCIAL. -5
tilucs , que la nécessite des conquêtes entrait
dans leur constitution même , et que pour
se maintenir, ils étaient forces de s'agrandir
sans cesse. Peut-être se felicltaient-ils licau-
conp de cette heureuse nécessite , qui leur
montrait pourtant , avec le terme de leur
grandeur, l'inévitable moment de leur chute.
CHAPITRE X.
Suite.
o
X peut mesurer un corps politique de
deux manières ; savoir par l'étendue du ter-
ritoire, et par le nombre du peuple : et il y
a , entre l'une et l'autre de ces mesures, un
rapport convenable pour donner à l'Etat sa
véritable grandeur : ce sont les hommes qui
font l'Etat , et c'est le terrain qui nourrit les
hommes ; ce rapport est donc que la terre
suffise à l'entretien de ses habitons et qu'il y
ait autant d'hahitans que la terre en peut
nourrir. C'est dans cette proportion que se
trouve le maximum de force d'un nombre
donné de peuple ; car s'il y a du terrain de
trop , la garde eu cit onéreuse , la cultur*
E 2
rjG DU CONTRAT
iusuffisaiite , le produit superflu ; c'est la cause
prochaine des guerres défensives : s'il n'y er>
a pas assez , l'Etat se trouve pour le supplé-
ment à la discrétion de ses voisins ; c'est 1»
cause prochaine des guerres ofieusives. Ton 6
peuple cjui n'a par sa position que ralterna*
tive entre le commerce ou la guerre , est
faible en lui-même, il dépend de ses voisins,
il dépend des événemcns; il;i'a jamais qu'un»
existence incertaine et courte. Il subjugue et
change de situation , ou il est subjugué eC
n'est rien. Il ne peut se conserver libre qu'à
force de petitesse ou de grandeur.
On ne peut donner en calcul un rapport
fixe entre l'étendue de terre et le nombre
d'hommes qui se suffisent l'un à l'autre , tant
à cause des dilfcrences qui se trouvent dans
les qualités du terrain , dans ses degrés de
fertilité, dans la nature de ses productions,
dans l'influence des climats , que de celles
qu'on remarque dans les tempéramens dc$
liommes qui les habitent, dont les uns con-
somment peu dans un pays fertile, les autre»
beaucoup sur un sol ingrat. Il faut encore
avoir égard à la plus grande ou moindre
fécondité des femmes , à ce que le pays peut
avoir do plus ou de moins favorable à la
s O C I A L. 77
population, a la quantité dont le lc<;i.slntciir
peut espc'rcr d'y concourir par ses ctablisse-
>ucns ; de sorte qu'il ne doit pas fonder son
jugement sur ce qu'il voit, mais sur ce qu'il
prévoit, ni s'arrêter aillant à l'état actuel do
la population qu'à celui où elle doit natu-
rellement parvenir. Enlin il y a mille occa-
sions oh les accidens particuliers du lieu
evij^ent ou permettent qu'on embrasse plus
de terrain qu'il ne parait nécessaire. Ainsi
l'on s'étendra beaucoup dans un pays de
montagnes, où les productions naturelles,
savoir les bois , les pâturages , demandent
moins de travail , où l'expérience apprend
que les feunnes sont plus fécondes que dans
les plaines, et où un grand sol incliné ne
donne qu'une petite base borisontale, la seule
qu'il faut compter pour la végétation. An
contraire, on peut se resserrer au bord de la
mer, même dans des rochers et des sables
presque stériles ; parce que la pèche y })eut
suppléer en grande partie au\ productions de
la terre, que les honmies doivent être plus
rassemblés pour repousser les pirates , et qu'on
a d'ailleurs plus de facilité pour délivrer le
pays par les colonies, des habitans dont il
est surcharge.
E 3
-8 D U C O N T R A T
A CCS conditions pour instituer un peuple^
il en faut ajouter une qui ne peut suppléer
à nulle autre , mais sans laquelle elles sont
toutes inutiles ; c'est qu'on jouisse de l'abon-
dance et de la paix ; car le temps oli s'ordonno
un Etat est , comme celui oti se forme un ba-
taillon , l'instant où le corps est le moins
capable de résistance et le plus facile a de'-
tniire. On re'sisterait mieux dans un de'sordrc
absolu que dans un moment de fermentation ,
où chacun s'occupe de son rang et non du
péril. Qu'une guerre , une famine , une sédi-
tion survienne en ce temps de crise , l'Etat
est infailliblement renversé.
Ce n'est pas qu'il n'y ait bcciucoup de gon-
vcrncmcns établis durant ces orages ; mais
alors ce sont ces gouverncmcns mcmes qui
détruisent l'Etat. Les usjirpateurs amènent
ou cboisissent toujours ces temps de troubles
pour faire passer, à la faveur de l'efTroi pu-
blic, des lois destructives que le peuple n'a-
dopterait jamais de sang-froid. Le choix du
moment de l'institution est un des caractères
les plus sûrs par lesquels on peut distinguer
l'œuvre du législateur d'avec celle du tyran.
Quel peuple est donc propre à la iégisla-
tiou ? celui qui , ss trouvant déjà lié par
SOCIAL. 7^
*^u''\(^vr iiniow (] 'origine , d'iiiloict ou de
roiivc'utioii , n'y point encore porte le vrai
;ong d<'.s lois;ccJui qr.i n'a ni coutumes ni
superstitions bien cTH-acinccs;eclui cjni ne craint-
pas d'être accablé par une invasion subite j-
qui , sans entrer dans les querelles de ses
voisins , peut résister seul à cbaeun d'eux ,
ou s'aider de l'un pour repousser l'autre ;
celui dont chaque nieiubre peut être conmi
de tous, et où l'on n'est point force' de charger"
un homme d'un plus grand fardeau qu'un
liouiine ne [>cut porter \ celui qui peut se
passer des autres peuples et dont tout autre
peuple peut se passer; (o) celui qui u'cst nL
riche ni pauvre et peut se safTirc h lui-même j
(a) Si de deux peuples voisins- l'un ne pouraici
s*» passer de l'autre, ce seroit une situation très-
dure poiir le premier et très-dangereuse pour I»
second. Toute nation sage, ert pareil cas, s'ef-
forcera bien vite de délivrer l'autre de ceits
dépendance. La république deTblascala, encla-
vée <\nn< re.'npfre dn INIexique , aima mieux se-
passer de sel ipe d'en acheter des Mexicains^
er m«>me que d'en accepter gratuitement. Le*
s.iges Tldascalans virent le piège caché sous cette
liîjLrali é. Ils se conservèrent libres, et ce petit
Lrui , enfermé dans ce ^rand empire, fut enha
l'instrinnent de^ sa ruine;
E 4
8o D U C O :N' T R A T
eiifiu celui qui réunit la consistance d'un
ancien peuple avec la docilité d'un peuple
nouveau. Ce qui rend pénible Touvrage de
la législation, est moins ce qu'il faut éîviblir
que ce qu'il faut détruire ; et ce qui rend le
succès si rare , c'est rimpossibilité de trouver
la siiupiicité de la nature jointe aux besoins
de la société. Toutes ces coîiditious , il est
vrai , se trouvent diiEcilemeut rassemblées.
Aussi voit-on peu d'Etats bien constitues.
îl est encore en Europe un pays capable
de législation ; c'est Tile de Corse. La valeur
et la constance avec laquelle ce brave peuple
a su recouvrer et défeudre sa liberté , mé-
riterait bien que quelque licjnme sage lui ap-
prît à la conserver. J'ai quelque presseutiinent
qu'un jour cette petite île étonnera l'Europe*
CHAPITRE XI.
JDcs divers systèmes de It.i^tslatlon,
■O I l'on recherche en quoi consiste précisé-
ment le plus grand bien de tous , qui doifc
être la tin de tout système de législation, on
trouvera qu'il se réduit à ces deiix obiets
s O C I A L. 8i
principaux , la liberté et V égalité. La liberté ,
parce que toute dépendance particulière est
autant de force ôte'e au corps de rfltat; l'ej^a-
lité , parce que la liberté ne peut subsister
sans elle.
J'ai déjà dit ce que c'est que la liberté
civile ; à l'égard de l'égalité, il ne faut pas
entendre par ce mot que les degrés de puis-
sance et de richesse soient absolument les
mêmes , mais que quant à la puissance , elle
soit au-dessous de toute violence , et ne s'exerce
jamais qu'en vertu du rang et des lois ; et
quant h la richesse , que nul citoyen ne soit
assez opulent pour en pouvoir acheter un
autre, et nul assez pauvre pour être contraint
de se vendre: (^) ce qui suppose, du côté
des grands, modération de biens et de crédit.
(;?) Voulez-vou-î donc donner à l'Etat de la
consistance ? Rapprochez les degrés extrêmes
autant qu'il est possible : ne souffrez ni des
gens opulens ni des gueux. Ces deux états natu-
rellement inséparables sont également funestes
«u bien commun; de l'un sortent les fauteurs
de la tyrannie et de l'autre les tyrans ; c'est
tOTijonrs entr'eux que se fait le trafic de la
liberté publique ; l'un l'achète et l'autre la
vend.
E 5
82 D U C O N T R A T
et du côté des petits, modcratiou d'avarice
et de convoitise.
Cette égalité , disent-ils , est une chimère
de spéculation qui ne peut exister dans la
pratique. Mais si l'abus est inévitable , s'cn-
suit-il qu'il ne faille pas au moins le réj^ler ?
C'est précisément parce que la force des choses
tend toujours à détruire ré2;alité , que la force
de la législation doit toujours tendre à la
maintenir.
Mais ces objets généraux de toute bonne
institution, doivent être modibés en chaque
pays parles rapports qui naissent , tant de la
situation locale qne du caractère des habitans;
et c'est sur ces rapports qu'il faut assigner à
chaque peuple un système particulier d'insti-
tution, qui soit le meilleur , non peut-être en
lui-même , mais pour TP'.tat auquel il est des-
tiné. Par exemple , le sol est-il iiiî^iat et stérile ,
ou le pays trop serré pour les habitans ? tour-
nez-vous du côté de l'industrie et des arts dont
vous échangerez les productions contre les
denrées qui vous manquent. Au contraire , oc-
cnpez-vous de riches plaines et des coteaux
fertiles ? dans un bon terrain manquez-vous
dhabitans ? donnez tous vos soins à l'agri-
culture qui multiplie les hommes , et chassée
Ç O CI A L. f 3
\e% arts qui uf feraient qu'achever â'c depeu-i^
])Ier le pays, en attroupant sur quelques point»
du territoire le peu d'hal>itaiis qu'il a. f(j^
Occupez-vous des rivages c'tendus et comme-*
des? couvrez la mer de vaisseaux, cultivca
le couïmercc et la na^vii^ation ; vous aurez une
ev.siencc )>ri]lanto et courte, La nier ne baJgne-
t-clle sur vos côtes que des rochers presqna
iiincces'.îibles ? restez barbares et iclityophages^
vous en vivrez plus trai>quiiles, lueilicurs peut-
ctrc , et sûrement plus heureux. Eu wn mot,
outre les maximes communes à tous, chaque
peuple renferme en lui queîquje cause qui les
ordoimc d'uur manière particulière et rend sa
législation propre à lui seuL C'est ainsi qu'au-
trefois les Hébreux et re'cerHmcnt les Arabes ont
eu pour principal objet la rcligio.i>, les Athé-
niens les lettres , Carthage et Tyr le commerce,
Riiodes la marine , Sparte la guerre , et Rome
la vertu. L'auteur de V Esprit des lois a
montré dans des foules d excmj>les par quei
(ç) Quelque branche de commerce extérieur^
*lit le M, ùO^.. , ne répand guère qu'une fauss»?
utiîirc pour ua royaume en général ; elle peu»
enrichir quelques particulif-rs , même quelque**
Tilles, mais la nadon entière n'y gagne ri«a, es
1« peuple u'gn est pus mieux^
£ 6
^4 D U C O N T R. A T
art le législateur dirige l'institation vers
chacun de ces objets.
Ce qui rend la constitution d'un Etat vé-
ritablement solide et durable , c'est quand les
convenances sont tcUcmeut o])servées, que
les rapports naturels et les lois tombent tou-
jours de concert sur les mêmes points , et
que celles-ci ne font, pour ainsi dire , qu'as-
surer , accompagner et rectifier les autres. Mais
si le législateur , se trompant dans son objet,
prend nu principe diffeVent de celui qui naît
de la nature des choses ; que l'un tende à la
servitude , et l'autre à la lilicrtc ; l'un aux
richesses , l'autre à la population ; l'un à
la paix, l'autre ans conquêtes; on verra les
lois s'aîîaiblir insensiblement , la constitu-
tion s'altérer , et l'Etat ne cessera d'être
agité jusqu'à ce qu'il soit détruit ou chan-
gé , et que rinyinçible nature ait repris son
eiiinirc.
SOCIAL. 85
CHAPITRE X I I.
Division des lois.
JT o u R ordonner le tont , ou donner la meil-
leure forme possible à la cliose pnbliqne , il y
a diverses relations à considérer. Premièreinetit
l'action du corps entier agissant sur lui-même ,
cVst-à-dire le rapport du tout au tout , ou du
souverain à TEtat; et ce rapport est compo-
se de celui des termes intermédiaires , comme
nous le verrons ci-après.
Les lois qui rèj^lent ce rapport portent le
iiotn de lois politiques, et s'appellent aussi
lois fondamentales, non sans quelque raison
si ces lois sont sages. Car s'il n'y a dans
chaque Etat qu'une bonne manière de l'or-
donner , le peuple qui l'a trouvée doit s'y
tenir : mais si l'ordre établi est mauvais ,
pourquoi prendrait-on pour fondamentales
des lois qui l'empêchent d'être bon ? D'ail-
leurs, en tont e'tat de cause, un peuple est
toujours le maître de chan::;cr ses lois, même
les meilleures ; car s'.l lu; plaît de se faire
mal à lui-même , qui est-ce qui a droit de
l'eu empêcher ?
86 DUC vO K T R A T
La seconde relation est celle des membres
enti'eux ou avec le corps entier, et ce rapport
doit être au premier égard anssi petit, et au
second aussi grand qu'il est poss!j3le5 en sorte
que chaque citoyen soit dans une parfaite
indépendance de tous les autres , et dans une
excessive dépendance de la cité ; ce qui se fait
toujours par les mêmes moyens , car il nV
a qiîe la force de l'Etat qui fasse la liberté de
ses membres. C'est de ce deuxième rapport
que naissant les lois civiles.
On peut considérer une troisième sarte de
relation entre l'homme et la loi, savoir, celle
de la désobéissance à la peine , et celle-ci
donne lieu à l'établissement des lois crlmi—
uellcs , qui dans le fond sont ]nolns une es-
jjèce particulière de lois , que la i^auctiou de
tontes les autres.
A ces trois sortes de lois il s'en joint une
quatrièuie, la plus importante de toutes , qui
ne se j;rave ni sur le marbre , ni sur l'airain ,
mais dans les cœurs des citoyens; qui fait la
■véritable constitution de l'Etat ; qui prend
tous les jours de nouvelles forces : qui , lors-
que le» autres lois vieillissent ou s'éteignent ,
les ranime ou les supplée , conserve un peuple
dans Tesprit de sou institution, et substitue
s O C T A L. 87
insensiblement la force de rha])iinrle à celle
de l'autorité. Je parle des moeurs , des gou-
tûmes, et sur-tout de l'opinion; partie in-
connue à nos politiques , mais de laquelle
dc'pend le succès de toutes les autres; partie
dont le grand législateur s'occupe en secret,
tandis qu'il paraît se borner a des règlemcns
p-^rticuliers qui ne sont que le ceintre de la
Toûte dont les mœurs plus lentes à uaître ,
forment enfin l'inébranlable clef.
Entre ces diverses classes , les lois politi-
ques, qui constituent la forme du gouverne-
ment , sont la seule relative à mon sujet»
88 D U C O N T n. A T
LIVRE III.
/\ta>"t de parler des diverses formes de
gouvernement , tâchons de lixer le sens précis
de ce mot qui n'a pas encore été' fort bien
expliqué.
CHAPITRE PREMIER.
Du gouvernement en général.
%J 'avertis le lecteur qne ce chapitre doit
être lu posément, et je ne fais pas l'art d'être
clair pour qui ne veut pas être attentif.
Toute action libre a deux causes qui con-
coureut à la produire ; l'une morale , savoir
la volonté qui détermnie l'acte , l'autre phy-
sique , savoir la puissance qui l'exécute. Quand
je marche vers un objet, il faut premièrement
que j'y veuille aller; en second lieu, que mes
pieds m'y portent. Qu'un paralytique veuille
courir, qu'un homme agile ne le veuille pas,
tous deux resteront ea place. Le corps poli-
8 () C I A L. 89
liqnc a les incuics mobiles ; on y distingue
(le incjuc la force et la volonté ; celle-ci sous
le nom Cm puissance législative , l'autre sous
le nom de puissance exécutii^e. Rien ne s'y
f.iit ou ne s'y doit faire sans leur concours.
Nous avons vu que la puissance législative
appartieiit au peuple , et ne peut appartenir
qu'à lui. 11 est aisé de voir au contraire, par
les principes ci-devant établis , que la puis-
sance executive ne peut appartenir à la géné-
ralité comme législatrice ou souveraine, parce
que ci'ttc puissance 11c consiste qu'en des actes
particuliers qui ne sont point du ressort de
la loi, ni par conséquent de celui du souve-
rain dont tous les actes ne peuvent être que
des lois.
11 faut donc à la force publique un agent
propre qui la réunisse et la mette en œuvre
selon les directions de la volonté générale,
qui serve à la communication de l'Etat et du
souverain, qui fasse en quelque sorte dans la
personne publique ce que i^it dans l'iionnue
l'union de l'amc et du corps. Voilà quelle
est dans l'Etat la raison du gouvernement,
confondu mal à propos avec le souverain
dont il n'est que le ministre.
(Qu'est-ce donc que le gouvcrucmeut ? ua
90 D U C O N T R A T
corps intermédiaire établi entre les sujets c*
le souverain pour leur iniitnclle eorrcspon-
daiicc, chargé de l'exécution des lois et du
maintien de la liberté , tant civile que poli-
tique.
Les membres de ce corps s'appellent ma-
gistrats ou rois j cesUd-d'iic ^'^oiwc/-?ieurs j.
et le corps entier porte le uom de prince. (;)
Ainsi ceux qui prétendent que l'acte par le-
quel un peuple se soumet à des chefs n'est
point un contrat , ont une grande raison. Ce
n'est absolument qu'une commission , nu
emploi dans lequel, simples officiers du sou-
Terain , ils exercent en son noin le pouvoir
dont il les a faits dépositaires, et qu'il peut
limiter, modifier et reprendre quand il lui
plaît , l'aliénation d'un tel droit étant incom-
patible avec la nature du corps social et con-
traire au but de l'association.
J'appelle àonc gouvernement ou suprême
administration l'exercice légitime de la puis-
sance executive , et prince ou magistrat l'hoin-
Bie ou le corps charge de cette administration.
(r) C'est ainsi qu'à Venise on donne au col-
lège le nom cie sérémsslmc prince i inéuie quand
le doge n'y assis le pas.
s O C I A T.. 9t
C'est dans le gouvernement que se trouvent
les forces intcriuediaires dont les rapports
composent celui du tout au tout ou du sou-
verain à l'Etat. On peut rcpre'scnter ce der-
nier rapport par celui des extrêmes d'une
proportion continue dont la moyenne pro-
portionnelle est le gouvernement. Le gou-
"vernement reçoit du souverain les ordre»
qu'il donne au peuple , et pour que l'Etat
soit dans un bon équilibre , il faut , tout
compensé, qu'il y ait e'gali té entre le produit
ou la puissance du gouvernement pris en lui-
même , et le produit ou la puissance des
citoyens qui sont souverains d'un côté et su-
jets de l'autre.
De plus, on ne saurait altérer aucun des
trois termes sans rompre à l'instant la propor-
tion. Si le souverain veut gouverner , ou si
le magistrat veut donner des lois , ou si les
sujcls refusent d'obéir, le désordre succède
a la règle, la force et la volonté n'agissent
plus de concert, et l'Etat dissous tombe ainsi
dans le despotisme ou dans l'anarcliie. Enfin
comme il n'y a qu'une moyenne proportion-
nelle entre chaque rapport , il n'y a non plus
qu'un bon gouvernement possible dans un
Etat: mais comme mille événemcns peuvent
92 D U C O i\ T R A T
changer les rapports d'un peuple , noii-seuîe-
nieutdiffe'rensgoLivernemenspeuvciitétrebons
à divers peuples , mais au méiue peuple eu
dilTéreus temps.
Pour tâcher de donner une idée des divers
rapports qui peuvent re'giier entre ces deux
extrêmes , je prendrai pour exemple le nombre
du peuple comme un rapport plus facile à
exprimer.
Supposons que l'Etat soit compose' d© dix
mille citoyens. Le souverain ne peut être con-
sidéré que collectivement cten corps. Maischa-
que particulier en qualité de sujet est considéré
connue un individu: ainsi le souverain est au
sujet comme dix mille est à un : c'est-à-dire
que chaque membre de l'Etat n a pour sa part
que la dix-millième partie de l'autorité sou-
veraine, quoiqu'il lui soit soumis tout entier.
Que le peuple soit composé de cent mille
hommes , l'état des sujets ne change pas , et
chacun porte également tout l'empire des lois,
tandis que sou suffrage , réduit à un cent-
millième , a dix fois moins d'influence dans
leur rédaction. Alors le sujet restant toujours
un , le rapport du souverain augmente en rai-
son du nombre des citoyens. D'où il suit que
plus l'Etat s'agrandit j plus la liberté diminue.
s O C I A L. 95
Quand je dis que le rapport aiigniciite,
J'entends qu'il s'e'loigne de l'égalité. Ainsi pin*
ic rapport est grand dans l'aeception des géo-
mîtics, moins il y a de rapport dans raccej)-
tion comiRUue ; dans la première le rapport
considéré selon la quantité se mesure par -l'ex-
posant, et dans l'autre, considéré selonl'idcn-
tité, il s'estime par la similitude.
Or moins les volontés particulières se rap-
portent à la volonté générale, c'est-à-dire les
mœurs aux lois, plus la force réprimante doit
augmenter. Donc le gouvernement, pour être
Lon , doit être relativement plus fortù mesure
que le peuple est plus nombreux:.
D'un autre côté , l'agrandissement de l'Etat
donnant aux dépositaires de l'autorité pu-
blique plus de tcîitations et de moyens d'a-
huser de leur pouvoir, plus le gouvernement
doit avoir de force pour contenir le pcu'plc ,
plus le souverain doit eu avoir à son tour
pour contenir le gouvernemcTit. Je ne parle
pas ici d'une force absolue , mais de la force
relative des diverses parties de l'Etat.
Il suit de ce double rapport que la pro-
portion continue entre le souverain , le prince
et le peuple, Ti'cst point une idée arbitraire,
ûiais une couàéqucuce nécessaire de la nature
94 D U C O N T R A T
du corps politique. Il suit encore que l'un
des extrêmes, savoir le peuple comme sujet,
étant fixe et repre'senté par l'unité , toutes les
fois que la raison doublée augmente ou di-
minue, la raison simple augmente ou diminue
seiublableraeut , et que par conséquent le
moyen terme est changé. Ce qui fait voir
qu'il n'y a pas une constitution de gouver-
nement unique et absolue , mais qu'il peut y
avoir autant de gouvernemeus difiéreus eu
nature que d'Etats différeus en grandeur.
vSi , tournant ce système eu ridicule , ou
disait que pour trouver cette moyenne pro-
portionnelle et former le corps du gouverne-
ment , il ne faut, selon moi, que tirer la
racine quarree du nombre du jjeuplc , je
répondrais que je ne preuds ici ce nombr©
que .pour un exemple , que les rapports dont
je parle ne se mesurent pas seulement par le
nombre des hommes ,mais en général par la
quantité d'action , laquelle se combine par
des multitudes de causes ; qu'au reste si , pour
m'exprimer en moins de paroles, j'emprunte
un moment des termes de géométrie , je n'i-
gnoje pas cependant que la précision géo-
métrique n'a point lieu dans les quantités
ULior^ics.
s G C I A L. 95
Le gouvcniemciit est en petit ce que la
corps politique qui le rcut'erme est en grand.
(Test une personne morale douée de certaine»
facultés , active couiuie le souverain , passiva
<OLnnie l'Etat, et qu'on peut décomposer (yn
d'antres rapports sesnblables , d'où nait jjar
couccquent une nouvelle proportion , une
autre encore dans celle-ci selon l'ordre des
liihunaux, jusqu'à ce qu'on arriveà un moyen
ici nie indivisible , c'est-à-dire à un seul chef
eu magistrat suprême, qu'on peut se repré-
î>enter au milieu de cette progression, connue
l'unité entre La série des iractions et celle des
nombres.
isans nous embarrasser dans cette nuillipli-
catlon de termes, contentons-nous de cont^i-
dérer le gouvcitieincnt comme un nouveau
corps dans l'Etat, distinct du peuple et du
souverain , et intermédiaire entre l'un et
l'autre-
Il y a cette difTérence essentielle entre ces
deux corps, que l'Etat existe par lui-inéme ,
et que le gouvernement n'existe que par le
souverain. Ainsi la volonté dominante du
prince n'est ou ne doit être que la volonté
générale ou la loi , sa force n'est que la force
.|jubliqu« cQucentrée eu lui j sitôt qu'il veut
96 D U C O N T R A T
tirer de lui-même quelque acte asolu et iiide'-
pendant , la liaison du tout commence a se
relâcher. S'il arrivait enfin que. le priiice eiH
.une volonté particulière plus active que celle
du souverain, et qu'il usât, pour obéir à
cette voioîitc particulier'' , de la force publiqu.e
qui est dans ses mains , en sorte qu'on eût
pour ainsi dire , deux souverains , l'un de
droit et l'autre de fait ; à l'instant l'union
sociale s'évanouirait et le corps politique serait
dissous.
Cependant pour que le corps du gouver-
nement ait une existence , une vie réelle qui
le distingue du corps de TEtat , pour que
tous ses membres puissent agir de concert,
et répondre à la fin pour laquelle il est ins-
titué, il faut un 7noi particulier, une sensi-
bilité commune à ses membres , une force ,
une volonté propre qui tende à sa conserva-
tion. Cette existence particulière suppose des
assemblées, des conseils, un pouvoir de déii«
bérer , de résoudre , des droits , des titres, des
privilèges qui apparticnucnt au prince exclu-
sivement , et qui rendent la condition du
niagistrat plus honorable à proportion qu'elle
est plus pénible. Les diflicullés sont da)}s la
xnanière d'ordoiuier dans le tout ce tout su-
balterne ,
SOCIAL. 97
i)alLcrnc , de sorte qu'il n'altorc point la
constitution gene'rale eu affennii^sant la sienne ,
qu'il distingue toujours sa force particnlière
destinée à sa propre cuîiservation , de la force
publique destinée à la conservation de TEiat,
et qu'en un mot il soit toujours prêt a sacri-
fier le gouverjiement au peuple , et non le
J)cuplc au gouvenicjuent.
D'ailleurs, bien que le corps artificiel du
gouvcrneuient soit l'ouvrage d'un autre corps
artiliciel , et qu'il n'aiten qiu'lque sorte qu'une
vie cnipninlce et subordonnée, cela n'empêche
pas qu'il ne puisse agir avec plus ou moins
de vigueur ou de célérité, jouir, pour ainsi
dire , d'une santé plus ou moins robuste.
Enlin, sans s'cloigner directement du l)ut de
sou institution, il peut s'en écarter plus ou
inoins , selon la manière dont il est constitué.
C'est de toutes ces dillércnces que naissent
les rapports divers que le gouvernement doit
avoir avec le corps de l'Etat, scion les rap-
ports accidentels et particuliers par lesquels
ce même Etat est modibé. Car souvent le
gouvernement le meilleur en soi deviendra
le jdus vicieux , si ses rapports ne sont altérés
kIou les défauts du corps politique auquel il
appartient.
Poliliijuc, Tome U. i'
^8 D U C O N T R A T
CHAPITRE IL
Du principe qui constitue les diverses formes
de gouçerriement.
Jr^ouR exposer la cause générale de- ces dif-
férences , il faut distinguer ici le prince et le
gouverneinent,comme j'ai distingue' ci-devant
l'Etat et le souverain.
Le corps du magistrat peut être composé
d'un plus grand ou moindre nombre de mem-
bres. Nous avons dit que le rapport du sou-
Terain aux sujets était d'autant plus grand
que le peuple était plus nombreux, et par
U71C évidente analogie nous e;i pouvons dire
autant du gouvernement à l'égard des m;v-
. gistrats.
Or la force totale du gouvernement, étant
toujours celle de l'Etat , ue varie point : d'où
il suit que plus il use de cette force sur ses
propres membres , moins il lui en reste pour
agir sur tout le peuple.
Donc plus les magistrats sont nombreux ,
plus le gouvernement est faible. Comme cette
. maxime est fondamentale, appliquons-Ptons
a la mieux éclaircir.
s O C r A L. 99
Non» pouvons distinguer clans la personne
du magistrat trois volontés essentiellement
diRércntcs. Premièrement la volonté propre
de l'individu qui ne tend qu'à son avantage
particulier ; sccondciucutla volonté commun»
des magistrats qui se rapporte uniqp.cmcnt à
l'avantage du prince, et qu'on peut appeler
volonté de corps , laquelle est générale par
rapport an gouvernement , et particulière par
rapport à l'Etat dont le gouvernement fait
partie ; en troisième lieu la volonté du peuple
ou la volonté souveraine , laquelle est géné-
rale, tant par rapport à l'Etat considéré coin-
mc le tout, que par rapport au gouvernement
considéré comme partie du tout.
Dans une législation parfaite , la volonté
particulière ou individuelle doit être nulle,
la volonté de corps propre au gouvernement
très-subordonnée , et par conséquent la vo-
lonté générale ou souveraine toujours domi-^
liante et la règle unique de toutes les autres.
Selon l'ordre naturel , au contraire , ces
diiTérentcs volontés deviennent plus actives
a mesure qu'elles se concentrent. Ainsi la
volonté générale est toujours la plus faible,
lu volonté de corps a le second rang, et la
volonté particulière le premier de tons : do
b 2
TCO DU CONTRAT
sorte que daiis le gouvcrncir.cnt , cijaqinr
membre est prciuicrcuiciît soi-uituic , et puis
magistrat, et puis citoyen; gradation direc-
tement opposée à celle qu'exir^e l'ordre social.
('cla pose, que tout le gouvernement soit
entre les inahis d'un seul liomme. Voila la
volonté' particulière et la volonté de corps
parfaitement réunies , et par conséquent celle-
ci au plus haut degré d'intensité qu'elle puisse
avoir. Or connue c'est du degré delà volonté
que dépend l'usage de la force , et que la fore»
absolue du gouvernement ne varie point , il
s'ensuit que le plus actif des gouverncniens
est celui d'un seul.
Au contraire, unissons le gouvernement à
l'autorité législative ; fesons le prince du sou-
verain , et de tous les citoyens autant de ma-
gistrats : alors la volonté de corps confondue
avec la volonté générale , n'aura pas plus
d'activité qu'elle , et laissera la volonté par-
ticulière dans tonte sa force. Ainsi le gou-
vernement, toujours avec la même force ab-
solue, sera dans sou minimuni de force relativ»
ou d'activité.
Ces r;;pj)orLS sont incontestables, et d'au-
tres considérations servent encore a les con-
Crincr. Ou voit, par exemple, que chaque
SOCIAL. TOT
magistrat est plus actif dans son corps que
chaque citoyen dans le sien , et que par con-
séquent la volonté' particulière a beaucoup
plus d'iiiflncncc dans les actes du gouvcrTic-
ment que dans ceux du souverain ; car chaque
niagistrat est presque toujours charge' de quel-
que fonction du gouvernemcîit , au lieu que
cliaquc citoyen pris à part n'a aucune fonction
de la souveraineté'. D'ailleurs , plus l'Etat
s'étend, plus sa force réelle augmente , quoi-
qu'elle n'augmente pas en raison de son éten-
due : mais l'Etat restant le niéine , les magis-
trats ont beau multiplier , le gouvernenicnt
n'en acquiert pas une plus grande force re'elle ,
parce que cette force est celle de l'Etat dont
la mesure est toujours égale. Ainsi la fono
relative ou l'activité du {gouvernement dimi-
nue , sans que sa force absolue ou rcclle puisse
augmenter,
I! est encore siir que l'expédition des affaires
devient plus lente à mesure que plus de gens
*u sont charge's , qu'eu donnant trop à la
prudence on ne donne pas assez à la fortune,
qu'on laisse échapper l'occasion , et qu'à force
de délibérer on perd souvent le fruit de la
délibe'ration.
Je viens de prouver que le ^o^'^ernemcnt
F3
IC2 DU C O y T R A T
se rciâche a mesure que les magistrats se mul«
tiplienfc, et j'ai prouve ci-devant que plus le
peuple est uombreux , phis la Force réprimauts
doit augmenter. D'où il suit que le rapport
des magistrats au gouvernement doit être ju-
Tcrse du rapport des sujets au souverain : c'est-
à-dire , que plus l'Etat s'agrandit, plus le
gouvernemeut doit se resserrer, tellement que
le nombre des chefs diminue en raison de
l'augmentation du peuple.
Au reste je ne parle ici que de la force rela-
tive du gouvernement , et non de sa rectitude:
car , îiu contraire , plus le uiagistrat est nom-
breux, plus la volonté de corps se rapproche
de la volonté générale ; au lieu que sous un
magistrat uiiique cette même volonté de corps
n'est, comme je l'ai dit , qu'une volonté par-
ticulière. Ainsi l'on perd d'un côté ce qu'on
peut gagner de l'autre , et l'art du législateur
est de fixer le point où la force et la volonté
du gouvernement , toujours en proportiou
réciproque , se combinent dans le rapport le
plus avantageux à l'Etat,
s o c r A L.
C H A P I T n E III.
Division des gouvernemcns.
On
N a vu dans le chapitre prccedcnt pour-
quoi l'on distingue lc3 diverses espèces ou
formes de gouveruenjcns par le nombre des
membres qui les composent ; il reste à voir
dans celui-ci comment se fait cette division.
Le souverain peut en premier lieu com-
mettre le dépôt du gouvernement à tout le
peuple ou à la plus grande partie du peuple,
en sorte qu'il y^ ait plus de citoyens magis-
trats que de citoyens simples particuliers. Ou
dou'iea cette forme de gouvernement le nom
de démocratie.
(3u bien il peut resserrer le gouvernement
entre les mains d'uu petit nombre , en sorte
qu'il y ait plus de simples citoyens que de
magistrats, et cette forme porte le nom d'<3-
ritUocratie.
Enfin il jjeut concentrer tout le Gjouvernc-
mcîU dans 1er, juains d'un magistrat unique,
dont tout les autres tiennent leur pouvoir.
Cette troisième forme est la plus commune ,
cts'appcUez/iOWrt'rc/^/i? ou goiivcrucmciit royal.
104 ^ U CONTRAT
Ou doit remarquer que toutes ces fonncs
on du moius les deux premières sou t susccp-
tu)lcs de pins ou de moins, et ont uiéiae
une assez grande latitude ; car la démocratie
peut embrasser tout le peuple ou se resserrer
jusqu'à la moitié. L'aristocratie , à son tour
peut de la moitié du peu})le se resserrer jus-
qu'au plus petit uombre iudétermiuémcu".
La royauté uiéme est susceptible de quelque
partage. Sparte eut constauuncnt deux rois
par sa constitution , et Ton a vu dans l'em-
pire romain jusqu'à huit empereurs à-la-fois,
sans qu'on pût dire que l'empire iïit divisé.
Ainsi il y a un point oi!i chaque forme de
gouvcrnemc'.ît se co'.ifond avec la suivante ,
et Ton voit que sous trois seules 'dénomina-
tions, le gouvernement est réellement suscep-
tible d'autant déformes diverses que l'Etat a
de citoyens.
li y a jilus : ce même gouvernement pou-
vant, à certains égards , se subdiviser en d'au-
tres parties , l'une administrée d'une manière,
et l'autre d'une autre, il peut résulter de ces
trois formes combinées une multitude de
fonucs mixtes, dont chacune est muîtlràiable
par toutes les formes simples.
On a de tou.!. tcmpb beaucoup di>piUé sur
s O C I A L. io5
la Tiicillcnrc forme de f^ouvcrneîTient , sr.us
consicîcTcrqîic chacune d'elles est la inçilleuie
en certains cas, et la pire en d'autres.
Si dans les dilîérens Etats le nombre des
magistrats suprèniesdoit être en raison inverse
tie celui des citoyens, il s'ensuit qu'en général
le gouvernement démocratique convient aux
petits Etats, l'aristocratique aux médiocres,
et le monarchique aux grands. Cette règle se
tire immédiatement du princi|yj ; mais com-
iucnt compter la nuiltitude de circonstances
qui peuvent fournir des exceptions ?
CHAPITRE IV.
De la démocratie.
V^KLUi qui fait la loi sait mieux que per-
sonne comment elle doit être exécutée et
interprétée. 11 semble donc qu'on ne saurait
avoir une meilleui-e constitution que celle où
le jjouvoir exécutif est joint au b'gtslatif: mais
c'est cela même qui rend çc gouverncuient
insuffisant à certains égards, parce que les
choses qui doivent être distinguées ne le sont
pas, et que le prince et le souverain n'étant
io6 DU CONTRAT
que la même personne , ne forment, pour ainsi
dire, qu'un go iiverneineiit sans gouvernement.
Il n'est pas bon que celui qui fait les lois
les exécute, ni que le corps du peuple dé-
tourne son attention des vues générales , pour
les donner aux objets pirticnliers. Rien n'est
plus dangevcax que l'inrlucnce des intérêts
privés dans les affaires publiques, et l'abus
des lois par le gouvernement est un lual moin-
dre que la corruption du législateur, suite
infaillible des vues particulières. Alors l'Etat
étant altéré dans sa substance, toute réforme
devient impossible. Un peuple qui n'abuserait
jauiais du gouvernement n'abuserait pas non
plus de l'indépendance ; un peuple qui gou-
vernerait toujours bien n'aurait pas besoin
d'être gouverné.
A prendre le terme dans la rigueur de l'ac-
ception , il n'a jamais existé de véritable dé-
uiocratie , et il ncn existera jamais. Il est
contre l'ordre iiaturel que le grand nombre
gouverne et que le petit soit gouverné. On
ne peut imaginer que le peuple reste inces-
sannuent assemblé pour vaquer aux afïaire»
publiques , et Ton voit aisément qu'il ne sau-
rait établir pour cela des couimissions sans
que la forme de raduiin!stratiou cbange.
SOCIAL. 107
En effet, je crois pouvoir poser en prin-
cipes que quand les foiictions du gonvcrnc-
nieiit sont partagées entre plusieurs trlbunau^f,
les moins nombreux acquièrent tôt ou tard
la plus grande autorité, ne fût-ce qu'à causo
de la facilité d'espédier les affaires qui les y
anicnc'.it naturellement.
D'ailleurs , qne de choses difficiles k réunir
ne suppose pas ce gouvernement ? Premicre-
mcnt un Etat très-petit où le peuple soit
facile à rassembler, et où chaque citoyen puisse
aisément connaître tous les autres : seconde-
ment une grande simplicité de mœurs qui
13révJennc la multitude d'affaires et les discus-
sions épineuses : ensuite beaucoup d'égalité
dans les rangs et dans les fortunes , sans quoi
l'égalité ne saurait subsister long-temps dans
les droits et l'autorité : enfin peu ou point de
luxe; car, ou le luxe est l'effet des richesses,
ou il les rend nécessaires ; il corrompt à-la-
fois le riche et le pauvre, l'un par la posses-
sion , l'autre par la convoitise; il vend la
patrie à la mollesse , à la vanité ; il ôte a
l'Etat tous ses citoyens pour les asservir les
uns aux autres , et tous à l'opinion.
Voilà pourquoi un auteur célèbre a donné
la vertu pour principe à la républic[ue ; car
io8 D U C O N T R A T
tontes ccscouditious ne saiiraieutsubsistcrsans
la vertu : mais , faute d'avoir fait les distinc-
tions nécessaires , ce beau ge'nie a manque
souvent de justesse, quelquefois de clarté, et
n'a pas vu que l'autorité' souveraine étant
par-toiit la méjue , le même principe doit avoir
lieu daîis tout Etat bien constitue', plus ou
moins, il est vrai, selon la forme du gou-
=veruemcnt.
Ajoutons qu'il n'y a pas de gouvernement
si siijei: aux guerres civiles et aux agitations
intestines que le démocratique ou populaire,
parce qu'il n'y en a aucun qui tende si for-
tement et si continuellement à cuanger de
lormc, ni qui demande plus de vigilance et
de courage pour ctre maintenu dans la sienne.
C'est sur-tout dans cette constitution que le
citoyen doit s'armer de force et de conslance,
et dire chaque jour de sa vie au fond de son
cœur ce que disait un vei-tucux palatin (5-)
dans la dicte de Pologne : Malo periculosaiii
Jiberiaîeni qnàni quletîini serritiuni.
S'il y avolt ^x\\ peuple de dieux , il se gou-
.Tcruerait dc'mocratiqucmeut. Un gouvcr-
(j) Le palatin de Posiiauic ^ père du roi (]#
Pologiiç duc dç L&iTftiiie.
ne me lit
SOCIAL. 309
neiiient si parfait ne convient pas a des
Louimes.
CHAPITRE V.
De Varistocratie.
N<
ou s avons ici dcnx personnes morales
très-distinctes, savoir le gonvernemcnt et le
souverain, et par coiise'qnent deux volontés
géîie'ralcs , l'une par rapport à tous les ci-
toyens, l'autre seulement pour les membres
de l'administration. Ainsi, bien que le gou-
vernement puisse régler sa police intérieure
comme il lui plaît, il ne peut jamais parler
au peuple qu'au nom du souverain , c'est-à-
dire au nom du peuple même ; ce qu'il ni
faut jamais oublier.
Les premières sociétés se gouvernèrent arls-
tocratiquement. Les clicfs d>.'8 familles délibé-
raient entr'cux des alFaires publiques ; les
jeunes gens cédaient sans peine à l'autorité
de l'expérience, De-là les noms de Prêtres ,
iS' Anciens y de Sénat _, de Gcronies. Les
sauvages de l'Amérique septentrionale sa
gouvernent encore ainsi de nos jours , et
sont très-bien gouvernés.
Poliù.jue. Tome II. G
520 DU C O N T R A T
Mais a mesure que l'inegalitc d'iustitutioîi
rcîiiport.i sur l'inégalité iiatiuTÎle , la ricbcssc
ou la puissance (/) fut préiérée à l'âge, et
l'aristocratie devint élective. Eufiti la puis-
sauce transmise avec les biens du père aux
cuiaiis rendant les familles patriciennes, reudifr
le gouvernement })ércditaire , et l'on vit des
sénateurs de vingt ans.
Il y a donc trois sortes d'aristocratie , na-
turelle , élective , héréditaire. La première n«
convient qu'à des peuples simples ; la troi-
sième est le pire de tous les gouvcrnemens.
L.a deuxième est le meilleur : c'est l'aristocratie
proprement dite.
Outre l'avantage delà distinction des deux
pouvoirs, elle a celui du choix de ses mem^
hrcs ; car dans le gouvernement populaire
tous les citoyens naissent magistrats ; mais
ecluL-ci les borujc à un petit nombre, et ils
iie le devicuncntquc par élection: (//)moyci>
(t) Il est clair que le inot Optimates, chez les
anuicns , ne veut pas Jiie les meilleurs, mais loi
j.ius puibsanîi.
(u) Xi importe beaucoup de régler par des
lois iii f.'înie fie iélectiou des mai^istrats : car
CJi l'abîuidouyuiii k lu volwiité du prince , on
SOCIAL. lit
par îeqnd la probité , les liimicres , Tcxpe-
ricîicc^ et toutes les autres raisons de preTé-
leiicc et dVslimc publique, sont autant do
nouveaux garants qu'on sera sagement gou-
Tcrné.
De plus , les assemblées se font plus com-
iuodcMicnt ; les affaires se discutent mieux,
«'expédient avec plus d'ordre et de diligence;
le crédit de l'Etat est mieux soutenu chez
l'étranger par de vénérables sénateurs , que
jjar une multltiide inconnue ou méprisée.
En un mot , c'est l'ordre le meilleur et le
plus naturel que les plus sages gouvernent
la multitude, quand ouest sûr qu'ils la gou-
verneront pour sou profit et non pour le
leur; il ne faut point multiplier en vain les
ressorts, ni faire avec vingt mille hommes
ce que cent hommes choisis peuvent faire
encore mieux. Mais il faut remarquer que
J'in(.érét de corps conunence à moins diriger
ne peut éviter <le tomber dans l'aristocratie
Léréditaire , comme il est arrivé aux républiques
de Venise ot de Berne. Aussi la première est-
elle depuis iong-remps un Eiat dissous , mais
la seconde se maintient par l'extrême sagesse
de son sénat; c'est une exception bien honorable
et bien Janjjeieus*.
G 2
112 D U C O N T R A T
ici la force publique sur la règle de la volonté
géne'ralc , et qu'une autre peute iiicvitabl»
enlève aux lois une partie de la puissance
executive.
A l'égard des convenances particulières ,
il ne faut ni un Etat si petit ni un peuple si
simple et si droit, que rcxcciUioii des lois
suive immédiatement de la volonté publique ,
comme dans une bonne démocratie. Il ne
faut pas non plus une si grande nation que
les chefs cpars pour la gouverner puissent
trancher du souverain chacun dans son dé-
partement, et comuieucer par se rendre indé-
jjendans pour devenir enfin les maîtres.
Mais si Taristocratie exige quelques vertiTS
de moins que le gouverneiuent populaire ,
elle en exige aussi d'autres qui lui sont pro^
près, comme la modération dans les riches
et le contentement dans les pauvres ; car il
semble qu'une égalité rigoureuse y serait
déplacée : elle ne fut pas même observée à
Sparte,
Au reste, si cette forme comporte une cer-
taine inégalité de fortune , c'est bien pour
qu'en général l'administration des affaires
publiques soit confiée a ceux qui peuvent le
^ieux y donner tout leur temps, mais non
?^ O r I A L. nS
J)ns , comme prétend ^jr/s/o/i' , pour que les
riches soient toujours prélcies. Au contraire,
il importe qu'un clioix oppose apprciuio
quelquefois au peuple qu'il y a clans le me'-
rite des hommes, des raisons de préférenc»
jdIus importantes que la ricliesse.
CHAPITRE Vî.
Z)e la monarchie.
%i n SQ u' I c I nous avons considère' le prince
comme une personne morale et collective ,
•unie parla force des lois , et dépositaire dans
rElat de la puissance executive. Nous avons
liiaintcnant à considérer cette puissance re'uniô
entre les mains d'une personne naturelle, d'uu
houuTiG réel , qui seul ait droit d'eu disposer
selon les lois. C'est ce qu'on appelle un uio-
iiarque ou un roi.
Tout au contraire des autres administra-
tions, où un être collectif repre'sente un in-
dividu , dans celle-ci un individu représente
un être collectif ; en sorte que l'unité morale
qui constitue le prince est en même temps
uue unité physique , daus laqueilo toutes
G3
114- DU* CONTRAT
les facnkcs que la loi reanit dans l'autre ave»
tant d 'effort se trovivent iiatmeiiement léuiiics.
Ainsi la volonté' du peuple, et la volonté
du prince , et la force publique de l'Etat ,
et la force paiticuiicre du gonvcrnemcnt ,
tout répond au ir.cnie mobile , tous les res-
sorts de la machine sont dans la même main,
tout marche au mcme but ; il n'y a point
de mouvcmens opposés qui s'cntre-dctruisent ,
et l'on ne peut imaginer aucune sorte decous-
titution dans laquelle un moindre effort pro-
duise une action plusconsidérable.^/r/zzwêjfd'
assis tranquillement sur le rivage, et tirant
sans peine à flot un grand vaisseau , me repré-
sente un monarque habile gouvernant de
son cabinet ses vastes Etats , et fesant tout
mouvoir en paraissant immobile.
Mais s'il n'y a point de gouvernement qui
ait plus de vigueur, il n'y en a point où la
volonté particulière ait plus d'empire , et
domine plus aisément les autres : tout marche
au inéme but, il est vrai ; mais ce but n'est
point celui de la fclicilé publique , et la force
même de l'administration tourne sans cesse au
préjudice de l'Etat.
Les rois veulent être absolus, et de loin on
leur cric que le meilleur moyeu de l'être ert
vS O r I À L. TrS
de se faire aiîiicr de leurs peuples. Cette Tiiaxi-
inc est trcs-bcUc et même très-vraie à certaiiis-
éiiards. Malhciireusciueut ou s'en luocciucra
toujours dans les cours. La puissauce , qui
Tient de l'amour des peuples, est sans doute
la plus grande ; mais elle est pre'caiiT et con-
ditionnelle , Jamais les princes ne s'en con-
tenteront. Les meilleurs rois veidcut pouvoir
être UTcchaus , s'il leur pîart , sans cesser d'ctro
les maîtres : un scrmoncur politique aura beau
îcur dire que la force du jjeuplc etaiit la leur,
ItHir plus grand intérêt est que le peuple soit
i]oris.îant , nombreux, redoutable; ils savent
très-bien que cela n'est pas vrai. Leur intérêt
personnel est premièrement que le peuple soit
faible , misérable , et qu'il ne puisse >aînai&.
leur résister. J'avoue que, supposant les sujets
toujours parfaitement soumis , l'intérêt du
prince serait alors que le peuple fut puissant,
aTm que cette puissanceétant la sienne le rendît
redoutable à .ses voisins; mais comme cetiîi-
térét n'est que secondaire et subordonné , et
que les deux suppositions sont incompatibles ,
ïl est naturel que les princes donnent toujours
la prérérence à la maxime qui leur est le plu$-
inunédiatcment utile. C'est ce que Samuel re-
prcjcntait foitcmeiil aux Hél>reu.v ; c'c^l. c^
G 4
îi6 D U C O N T R A T
que Tilachiarel a fait voir avec évidence. En
feignant de donner des leçons aux rois , il eu
a donné de grandes aux peuples. Le princ»
Je 31acInau'elQ%i le livre des républicains, (a*)
Nous avons trouvé par les rapports généraux
que la monarcliie n'est convenable qu'aux
grands Etats, et nous le trouvons encore eu
l'examinant euelie-méme. Plus l'administration
publique est nombreuse, plus le rapport du
prince aux sujets diminue et s'approcbe de
l'égalité , en sorte que ce rapport est un ou
l'égalité même dans la démocratie. Ce même
rapport augmente à mesure que legouverne-
ïucnt se resserre , et il est dans sowjnaxîmum
(x) Machiavel était un bonne te homme et un
bon citoyen : mais attaché à la maison Je
Médicls , il était forcé dans l'oppression de sa
patrie de déguiser son amour pour la liberté.
Le choix seul de son exécrable héros manifeste
assez sou intention secrète, et l'opposition des
maximes de son" livre du prince à celle de ses
discours sur Tue-Zive , et de son histoire de
Florence , démontre que ce profond politique
n'a eu jusqu'ici que des lecteurs superficiels ou
corrompus. La cour de Rome a sévèrement
défendu son livre , je le crois bien j c'est elle qu'il
dépeint le plus clairement.
s O C I A L. 177
quand le goiivcrncnicatcst dans les mains d'im
sciil. Alors il se trouve une trop grande dis-
tanee entre le prince et le peuple, «t l'Etat
manque de liaison. Pour la former il faut
donc des ordres intermédiaires ; il faut des
princes , des grands , de la uoblessc pour les
remplir. Or, rien de tout cela uc convient
à un petit Etat , que ruinent tous ces degrés.
Mais s'il est diiBcile qu'un grand Etat soit
bicu gouverne, il l'est beaucoup plus qu'il
soit bien gouverné par un seul liomîue , et
chacun sait ce qu'il arrive quand le roi se
donne des substituts.
Un dc'faut esscutiel et iticvilnbîe , qui met-
tra toujours le gouvernement luonarciiique
au-dessus du républicain , est que dans ce-
lui-ci la voix publique n'élève presque Jamais
aux premières places que des iiouimcs écJairés
et capable-? , qui les remplissent avec honneur;
au lieu que ceux qui parviennent dans les
monarchies ne sont le plus souvent que de
petits brouillons , de petits fripons, de pe-
tits intrigans ,à qui les petits talens, qui foivt
dons les cours parvenir aux grandes places ,
ne servent qu'à montrer au public leur ineptie
aussi-lôî: qu'ils y sont parvenus. Le peuple
*c trompe bien moins sur ce choix que le
G 0
it!5 du C O a T R a T
prince, et nii hominr d'un vrai mérite est
presque aussi rare dans le ministère qu'un
sot à la tête d'un gouvcrncuiejJt républicain.
Aussi, quand par quelque hcnreux hasard
nu de ces hommes nvs pour gouverner prend
le timon des aîFaircs dans une monarchie
presque ajjymée par ces tas de jolis re'gis-
seurs , on est tout surpris des ressources qu'il
trouve, et cela fait époque dans un pays.
Pour qu'un Etat mon.archique pi'it être bien
gouverné, il faudrait que sa grandeur ou son
étendue fut mesurée aux facultés de celui
qui gouverne. Il est plus aisé de conquérir
que de régir.. Avec lui levier suffisant , d'un
doigt on peut ébranler le monde, mais pour
le soutenir il faut les épaules à^ Hercule. Pour
peu qu'un Etat soit grand , le prince est
presque toujours trop petit. Quand au con-
traire il arrive que l'Etat est trop petit pour
son chef, ce qui est très -rare, il est jiial
gouverné, parce que le chef, suivant encore
toujours la grandeur de ses vues , oublie les
intérêts des peuples, et ne les rend pas moins
malheureux par l'abus des talens qu'il a de
trop , qu'un chef borné parle défaut de ceux
qui lui manquent. 11 faudrait , pour ainsi
dire , qu'uii royamno s'étendit ou se resserrât
s O C T A L. TTC?
a clmqne vr£;ne sdou la porter du jnincc ,
au lieu que les talens d'uu sénat ayant de»
mesures pins fixes , l'Etat peut avoir des
bornes couisLantes et racliiiinistratioii n'aller
pas moins bien.
Le plus sensible ineonvenicnt du .«Touver—
neuieJit d'uu seul , est le dci'aut de cette
«ucecssiou continuelle qui forme dans les
deux autres une liaisou non interrompue.
Un roi mort , il eu faut un autre; les élec-
tions iaisseut des intervalles dangereux, elles
sont orageuses, et à moins que les citoyens
ne soient d'un désiutcresscmeut , d'une inté-
grité que ce gouvernement ne comporte
guère, la brigue et la corruption s*eumcieut.
Il est difficile que celui a qui TEtat s'est
vendu ne le vende pa« a son tour , et ne-
se dcdomi'^înge pas ?ur les faibles de l'argent
que les puissans lui ont extorqué. Tôt ou
tard , toMt devient vénal sous une pareille
administration , et la paix dont on jouit
aJors sous les rois est pire que le désordrer
des interrègnes.
(^)u'a-t-on fait pour prévenir ces mnux ?
On a reimu les couroiuies liérédilalns dans
rcrtaincs familles , et Ion a établi un ordrer
de succession qui prévient toute dispute à la
G 6
120 D U C O N T R A T
mort des rois : c'est-à-dire que , substituant
riiicoiive'uient des le'geiices a celui des élec-
tions , on a préfet ë uue apparente tranquil-
lité à uue administration sage , et qu'on a
mieux aimé risquer d'avoir pour chefs des
eufaus, des monstres, des iiiibécillcs , que
d'avoir à disputer sur le choix des bons rois.
On n'a pas considéré qu'en s'esposant ainsi
aux risques de l'alternative , on met presque
toutes les chances contre soi. C'étoit un mol;
très-sensé que celui du jeune Denis ^ à qui
son père , en lui reprochant une action hon-
teuse , disait : T'en ai-je donné l'exemple ?
Ail , répondit le nls , votre père n'était pas
loi !
Tout concourt a priver de justice et de
raison un hoiume élevé pour commander
aux autres. On prend beaucoup de peine , à
ce qu'on dit , pour cnseit^ner aux jeunes
princes l'art de régner ; il ne paraît pas que
cette éducatiou leur profite. On ferait mieux
de commencer par leur enseigner l'art d'o-
béir. Les plus grands rois qu'ait célébré
riiistoiie n'ont point été clcvés pour régner;
c'est une science qu'on ne possède jamais
moins qu'après l'avoir trop apprise, et qu'on
acquiert iiiicu.x en obéissant qu'eu coinmau-
SOCIAL. 321
dant. jVaiji ittîlissimits idem ac hjevîssimus
hontiriim inalnruin>]ue reruni àtUctu^ , co-
^itare ijuld mit nolucris sub alio principe
aiit l'olneris. (*)
Une suite de ce défaut de cohérence est
l'Inconstance du gouvernement royal qui, se
re'glant tantôt sur un plan tantôt sur un
autre , selon le caractère du prince qui règne
ou des gens qui régnent pour lui , ue peut
avoir long-temps un objet fixe ni une con-
duite conse'quente : variation qui rend tou-
jours l'Etat flottant de maxime en maxime ,
de projet eu projet , et qui n'a pas lieu dans
les autres gouvernemeus où le prince est tou-
jours le même. Aussi voit-on qu'en ge'néral ,
s'il y a plus de ruse dans une cour, il y
a plus de sagesse dans un se'nat , et que les
républiques vont à leurs fins par d-'s viics
plus constantes et mieux suivies, au lieu que
chaque révolution dans le ininislcre en pro-
duit une dans l'Etat; la maxime comnuine à
tous les ministres , et presque à tons les rois,
e'taut de prendre en toute chose le contre-
pied de> leur prédécesseur.
De cette lucme'încohércncc se tire encore
(*) Tacit. hist. 1. I.
T22 DU CONTRAT
la solution d'un sophisme très-fauiilicr arix
poiiti(|ues roj^a'ux ; c'est iion-seiilemeiit de
comparer le gouvernement civil au gouver-
3iement domestique , et le prince au père de
famille, erreur déjà réf Litce , luais encore de
donner libe'ralcrncnt à ce magistrat toutes les
vertus dont il aurait besoin , et de supposer
toujours que le prince est ce qu'il devrait
être ; supposition à l'aide de laquelle Is
gouvernement royal est évidemment préfé-
rable il tout autre , parce qu'il est incontes-
tablement le plus fort, et que pour être aussi
le meilleur il ne lui manque qu'une volonté
de corps plus conforme à la volonté gé-
nérale.
Mais si , selon Platon , C^ le roi , par
nature, est un jierso nuage si rare, combien
de fois la nature et la fortune coMcourront-
tllcs à le couronner; et si l'éducation royale
corrompt nécessairement ceux qui la reçoi-
vent, que doit-on espérer d'une suite d'hom-
mes élevés pour régner ? C'est donc bien-
vouloir s'abuser que de confondre le gouver-
nement royal avec celui d'un bon roi. Poue
voir ce qu'est ce gouycrnemcut cu-lui-uiénie^
(*) In. ciy'dU
5? () C I A L: 12^
il faut le considérer sous tics princes borne»
ou nicciians; car ils arriveront tels au trùuc,
ou le trône les rendra tels.
Ces ditlicLillc's n'ont pas échappe' à nos
auteurs, mais ils n'en sont point embarrassc's.
I,c remède est, disent-ils, d'obéir sans mur-
mure. J3ii:u doiuie les mraivais rois dans sa
colère , et il les faut supporter connue des
cliàtimens du ciel. Ce discours est édi liant,
sans doute ; mais je ne sais s'il ne convien-
drait pas mieux en cbaire que dans un livre
de politique. Que dire d'un juédccin qui
))romct des miracles , et dont tout l'art est
d'exhorter son malade a la patience ? On sait
bien qu'il faut soufiVir un mauvais gouvcr-
iiejueiit quand ou l'a : la question serait d'eu
trouver un bon.
CHAPITRE VII.
J?cs Gourenicmeus jnixtes.
l\ proprement parler, "il n'y a point de
j^ouviMiiement simple. 11 Faut qu'un ciiel uni-
que ait des magii^lral» suhaltf^rnes ; il iaut
qu'un i^ouvcruemenl populaire ait un cheL
124 D U C O N T P. A T
Ainsi daus le partage de la puissance execu-
tive , il y a touiours gradation du grand
nombre au moindre , avec cette diftëreuce
que tantôt le grand nom.bre dépend du petit,
et tantôt le petit du grand.
Quelquefois il y a partage égal ; soit quand
les parties constitutives sont dans Uiie dé-
pendance mutuelle , comme dans le gouver-
nement d'Angleterre ; soit quand Tautorité
de chaque partie est indépendante, mais im-
parfaite , comme en Pologne. Cette dernière
forme est mauvaise, parce qu'il n'y a point
d'unité dans le gouverncmeut , et que l'Etat
manque de liaison.
Lequel vaut le mieux, d'un gouvernement
simple ou d'un gouvernement mixte ? Ques-
tion fort agitée chez les politiques , et à laquelle
il faut faire la même réponse que j'ai faito
ci-devant sur toute forme de gouvernement.
Le gouvernement simple est le meilleur
en soi , par cela seul qu'il est simple. Mais
quand la puissance executive ne dépend pas
assez de la législative , c'est-à-dire , quand
il y a plus de rapport du prince au souverain
que du peuple au prince, il faut remédiera
ce défaut de proportion en divisant le gou-
Tcrncmcnt j car alors toutes ses parties n'ont
s O C I A L. T2S
pas moins d'autorité sur les sujets, et leur
(livisiou les rend toutes cuseiiiblc iiioius forlcs
contre le souverain.
On prévient encore le même inconvénient
en établissant des magistrats intermédiaires ,
qui , laissant le gouvernement en son entier ,
servent seulement à balancer les deux puis-
sances et à maintenir leurs droits respectifs.
Alors le gouvernement n'est pas mixte ; il
est tempère.
On peut remédier par des moyens seiu-
blables a l'inconvénient opposé, et quand le
gouvernement est trop lâche , ériger des tri-
bunaux pour le concentrer. Cela se pratique
dans toutes les démocraties. Dans le premier
cas on divise le gouvernement pour l'affai-
blir, et dans le second pour le renforcer;
car les maximum de force et de faiblesse se
trouvent également dans les gouverne mens
simples, au lieu que les formes mixtes don-
nent une force moyenne.
72$ » U C O N T R A ?;
C H A P I T Pl E VIII.
Ou& toute fo mit de ifouperncineiit n''est pas
propre à tout pays.
jLJl\ lil)rrtc nVtaiit paa un fruit de tcns les
climats, uYst pas à la portée de tous les-
peuples. Plus ou niéditfe ce prineipc établi
])ar Ajoutes jiiieu , pins ou eu sent la v*'iité.
Plus ou le conteste, plus ou donne occasion
de l'établir par de nouvelles preuves.
Dans tous les gouverneuiens du monde la
personne publique consomme et ne produit
rien. D'où lui vient donc la sid^stance con-
sommée ? du travail de ses niembics. C'est
le superflu des particuliers qui produit le
nécessaire du public. D'où il suit que IVtafc
civil ne peut subsister qu'autant que le tra-
vail des liojumes iciid au-delà de leurs
besoins.
Or, cet excédent n'est pas le monic dans
tous les pays du monde. Dans plusieurs il
est considérable, dans d'antres médiocre ^ .
dans d'autres iml, dans d'aulrcs né.-"atir. C«
rapport dépend do^ la i'citiiit^ du cliuiat , d»
.<; o c r A L. 127
la «ortc fJc travail que la terre «*xigr, de la
Tiaturtî de se» productions, de la foret de *c%
habftans , de la plus ou moins grande con-
sommation qui leur est nt^ccsi-aire , et de plu-
steurs autres rapports sf-uiiilabies desquels îl
e>t compose.
D'autre part , tous les gouvernemcns n©
totU pas de même nature; il y en a de pins
ou moins dovoians, et les diffcrences son!
fondées sur cet autre principe, que, plus le»
contributions publiques s'éloignent de leur
source , plus elles «ont onéreuse». Ce n'est
pas sur la quantité des impositions qu'il faut
Djesurer cette charge , mais sur le cbemia
qu'elles ont à faire pour retourner dans les
mains dont elles sont sorties ; quand cetl»
circulation est prompte et bien établie, qu'on
paye peu ou l)eaucoup , il n'importe ; le peu-
ple est toujours riche et les finances vont
toujours bien. Au contraire , quelque peu
que le peuple donne , quand ce peu ne lui
revient point, en donnant toujours, bien-
tôt il s'épuise; l'Etat n'est jamais ricbe, et
le peuple est toujours gueux.
Il suit dc-là que plus la distance du peu-
ple au gouvernement augmente , plus les
tributs dcvienueut onéreux ; aiiui dans lu
128 D U C O N T R A T
démocratie le peuple est le moins charge ,
dans l'aristocratie il lest davantage, dans la
monarchie il porte le plus grand poids. La
monarchie ne convient donc qu'aux nations
opulentes, l'aristocratie aux^ Etats médiocres
en richesse ainsi qu'eu grandeur , la démo-
cratie aux Etats petits et pauvres.
Eu effet, plus on y réfléchit, plus ou
trouve eu ceci de diScreuce entre les Etats
libres et les monarchiques : dans les premiers
tout s'emploie à Futilité' commune ; dans les
autres les forces publique et particulière sont
réciproques , et l'une s'augmente par l'affai-
blissement de l'autre. Enfiu, au lieu de gou-
verner les sujets j)our les rendre heureux , le
despotisme les rend luise'rables pour les gou-
verner.
Voilà donc dans chaque climat des causes
naturelles sur lesquelles on peut assigner la
forme de gouvernement à laquelle la force du
climat l'entraîne, et dire nièine quelle espèce
d'habitaus il doit avoir. Les lieux ingrats et
stériles , où le produit ne vaut pas le travail ,
doivent rester incultes et de'serts , ou seule-
ment peuples de sauvages: les lieux où lo
travail des hommes ne rend exactement que
le nécessaire , doivent être habités par des
SOCIAL.
29
prnplcs barbares , toute police y serait im-
possible : les lieux où rcxccs du produit
sur le travail est médiocre, convicnneut aux
peuples libres: ceux où le terroir aboudaut
et fertile douue beaucoup de produit pour
peu de travail, veulent être gouvernes luo-
uarehiqucment , pour consumer par le luxo
du prince l'excès du superflu des sujets; car
il vaut mieux que cet excès soit a])sorbé par
le gouvernement que dissipe par les particu-
liers. Il y a des exceptions, je le sais; mais
cos exceptions mêmes confirment la règle ,
en ce qu'elles produisent tôt ou tard des
révolutions qui ramènent les cboscs dans
l'ordre de la nature.
Distinguons toujours les lois générales des
causes paitlculièrcs qui j)cuvent en modifier
l'eflet. Quand tout le JNlidi serait couvert d«
re'publlques et tout le Nord d'Etats despoti-
ques , il n'en serait pas moins vrai que par
IVrCct du climat le despotisme convient aux
pays cliauds , la barbarie aux pays froids y
et la bonne politique aux régions intermé-
diaires. Je vois encore qu'en accordant le
principe, on pourra disputer sur l'applica-
tion : on pourra dire qu'il y a des pays
froids Ucs-Kitilcs , et des méridiouaux trc«-
^3o DU CONTRAT
ingrats. Mais cette difficulté n'en est viiie qu«
pour ceux qui n'cxamiueut pas la chose dans
tous ses rapports. Il faut , comme je l'ai dcjà
dit, compter ceux des travaux, des forces,
de la consommation , etc.
Supposons que de deux terrains e'gaux,
l'un rapporte cinq et l'autre dix. Si les habi-
tans du premier consomment qusftre et ceux
du dernier neuf, rexGcs du premier produit
sera un cinquième , et celui du second un
dixièîne. Le rapport de ces deux excès étant
donc inverse de celui des produits, le terraia
qui ne produira que ciuq donnera un su-
perflu double de celui du terrain qui pro-
duira dix.
Mais il n'est pas question d'un produit
Rouble, et je ne crois j)as que personne os©,
ïncttre en général la fertilité des pays froids
çn égalité même avec celle des pays chauds.
Toutefois supposons cette égalité; laissons,
«i l'on veut, en balance l'Angleterre avec la
Sicile , et la Pologne avec l'Egypte. Plus au
Midi nous aurons l'Afrique et les Indes ;
plus au Nord , nous n'aurons plus rien. Pour
cette égalité de produit quelle différence dans
la culture ? En Sicile il ne faut que gratter
léi terre: on Angleterre que de soins pour
s O C I A Z. i3r
îa labonrcr! Or là où il faut pins de bras
pour donner le uiénic produit, le superila
doit être neccssairciueut inoindre.
Considérez , outre cela , que la rnéme
quantité d'iiouiines consoninie beaucoup
moins dans les pays chauds. Le climat dc-
ïnandc qu'on y soit sobre pour se porter
bien : les ELiropecns qui veulent y \ivre
connue chez eux périssent tous de dysscn-
tcrie et d'indigestions. Aoiis sonunes ^ dit
Chardin ^ des ht tes caruassitres ^ des
loups y en coniparaison des Asiatiques.
Queh]ues~uns attrihiient la sohrictê des
Persans à ce que leur pays est moins
cultivé j et moi je crois au contraire que
leur pays ahonJc moins en denrées parce
quHl en faut moins aux h a bi tans. Si leur
frugalité i continue-t-il ^ était un effet de
kl disette du pays , il n 'y aurait que les
pauvres qui mangeraient peu _, an lieu
que c\st généralement tout le monde , et
en mangerait plus ou moins en chaque
province selon la fertilité du pays , au
lieu que la même sobriété se trouve par
tout le royaume. Ils se louent fort de leur
manière de vivre , disant qu'il ne faut que
regarder lesr teint pour reconnaitre coui^
i52 DU CONTRAT
bien elle est plus excellente que celle des
chrétiens. En effet le teint des Persans est
uni j ils ont la peau belle , JI ne et polie ,
au lieu que le teint des Arméniens leurs
sujets j qui vivent à V européenne . e.=;t rude ,
couperosée , et que leurs corps sont gros
et pesans.
Plus ou appvoclic de îa ligue , plus les
peuples vivent de peu. Us ue mangent pres-
que pas de viande; le riz, le maïs, le cuz-
cuz , le luil , la cassave sont leurs alimens
ordinaires. 11 y a aux Indes des millions
d'hommes dont la îiourriture ne coûte pas
un sou par jour. Nous, voyons en Europe
même des diffe'rences sensibles pour l'appétit
entre les peuples du nord et ceux du midi.
Un Espagnol vivra huit jours du dîne d'un
Allemand. Dans les pays où les hommes
sont plus voraces le luxe se tourne aussi vers
les choses de cousoiumation. En Angleterre,
il se montre sur une table chargée de viandes ;
en Italie , on vous régale de sucre et de
fleurs.
Le luxe des vétemens offre encore de
temblables différences. Dans les climats où
les changemens des saisons sont prompts et
Tiolens, ou a des habits meilleurs et plus
SOCIAL. îSS
simples; dans ceux où l'on ne s'iialjillc cpie
pour la parure on y cherche j)lus dVchit
que d'utilité, les habits eux-i*u'uics y sont
uu lu\e. A Naplcs vous verre?: tous les
jours se proijjcncr au Pausylippe des hommes
en veste dorcc et point de bas. C'a^t la
même chose pour les bâtimens; on donne
tout à la maiçnihcence quand on n'a rien
à craindre des iujures de l'air. A Paris , à
Londres on veut être lof;é chaudement et
commodément. A Madrid on a :les salions
«uperbcs , mais point de fenêtres qui ier-
iiient , et l'on couche dans des nids à rats.
Les alimens sont beaucoup plus sujjslau-
tiels cL succulens dans les pays cliauds; c'est
une troisième diflérci:cc qui ne peut man-
quer d'influer sur la seconde. Pourquoi
mauge-t-on tant de Ic'gumes en Italie ? parce
qu'ils y sont bons, nourrissans , d'excellent
goût: eu France où ils ne sont nourris qu«
•d'eau ils ne nourrissent point, et sont pres-
qiie compte's pour rien sur les tables. Ils
ji'occupent pourtant pas moins de terrain,
et coûtent du moins autant de peine à ci:l-
tivcr. C'est une expérience faite que les
bit's de Barbarie , d'ailleurs itiferieurs à ceux
df France , rendent beaucoup plui» eu farine,
PelUUjue, Touic il. il
i34 D U C O N T R A T
et que ceux de Fraucc à leur tour renclcnt
pîiis que les bles du Nord. D'où l'ou jjcut
inférer qu'une gradation semblable s'observe
ge'ne'ralenieat dans la inéjne direction de la
ligne au pôle. Or n'est-ce pas un désavan-
tage visible d'avoir dans un produit égal
une moindre quant'té d'alimens.
A toutes ces diflerentes considérations
j'en puis ajouter une qui en découle et qui
les fortiQe; c'est que les pays chauds ont
moins besoin dïiabitaus que les pays froids,
et pourraient eu nourrir davantage ; ce qui
produit un double superflu toujoursà l'avan-
tage du despotisme. Plus ^e même nombre
d'habilHiis occupe une grande surface, plus
les révoltes deviennent difficiles; parce qu'on
ne peut se concerter ni proraptemcnt ni
secrctemeut , et qu'il est toujours facile au
gouvernement d'e venter les projets et de
couper les commumcations : mais plus un
peuple nombreux se rapproche , moins le
gouvernement peut usurper su.r le souverain ;
les chefs de'iibèrcnt aussi sûrement dans leurs
chambres que le prince dans sou conseil ,
et la foule s'assemble aussitôt dans les places
que les ti'oupcs dans leurs quartiers. L'avan-
tage d'un gouverucment tyrauuique est
s O C I A !.. i35
donc m ceci d'agir à glandes distaiiccs. A
l'aide des jioiiits d'appui qu'il se doimc ,
sa force aiigiocnte au loin couiiiic celle
dos leviers, (j) Celle du peuple an cou-
tiaire n'agit que concentrée ; elle s'évapore
et fc perd en sctcndant , comme l'efict de
la i)Oiidrc éparse à terre et qui ne prend
feu que grain à grain. Les pays les moins
pcuplc's sont ainsi les plus propres à la
tyrannie: les bêtes féroces uc régnent qu^
dans les déserts.
(y) Ceci ne contredit pas ce que j'ai dit ei-
clevant 1. II, chap. IX, sur les inconvéniens
des grands Etats; car il s'a£;issoit là de l'autorité
du gouvernement sur les membres , et il s'agit
ici de sa force contre les sujets. Ses membre*
épars lui servent de points d'appui pour agir
au loin sur le peuple , mais il n'a nul point
d'appui pour agir directement sur ces membres
mêmes. Ainsi dans l'un des cas la longueur
du levier en fait la faiblesse, et la force dans
l'autre cas.
H 2
t^6 DU CONTRAT
CHAPITRE IX,
I?es signes d'un bon gojaxrncmcnt',
V^ u A >" D donc on demande abs^olnjoient
quel est le meilleur gouvernement , on fait
•one question insoluble coimnc indéterminée ;
ou , si l'on veut , elle a autant de bonnes so-
lutions qu'il y a de combinaisoîis possibles
dans les positions absolues et relatives des
peuples.
Mais si l'on demandait à quel signe on peut
connaître qu'un peuple donne est bien ou mal
gouverne' , ce serait autre chose , et la questÎQU
de fait pourrait se résoudre.
Cependant on ne la re'sout point, parc©
que chacun veut la re'soudre à sa manière. Les
sujets vantent la tranquillité' publique , les
citoyens la liberté' des particuliers ; l'un pré-
fère la sûreté des possessions , et l'autre cello
des personnes ; l'un veut que le meilleur gou-
Ternemcnt soit le plus sévère , l'autre soutient
que c'est le plus doux ; celui-ci veut qu'on
punisse les crimes , et celui-là qu'on les pré-
vienne ; l'un trouve beau qu'on soit craint
des voisins , l'autre aime mieux qu'on en sois
s O C I A L. T3r
îj;nore ! î'ini est content quand l'ai*gcnt cir-
cule, l'arJ-iC exige c;uc lo peuple ail du pair»,
(^uaiid même ou coiiviciKlrait sur ces points
et d'autiej scuiblablcs , eu serait- ou plas
avance ? Le» quantité!» morales Jiiauquaut de
ïuesurc pre'cise, fût-on d'accord sur le signe ,
comment l'être sur l'estimation ?
Pour moi , j'e m'êtonuc toujonrs qn'oix
ïjiêcon naisse tin signe aussi simple , ou qu'on
ait la mauvaise foi de n'en pas convenir. (^ucUe
est la iin de l'association politique ? c'est la
conservation et la prospérité de ses m2ml)rcs.
Et quel est le signe le plus sur qu'ils se coh-
serveut et prospèrent ? c'est leur nombre et
leur population. N'allez donc pas chercher
ailleurs ce signe si dispuLc. Toute chose d'ail-
leurs égale, le gouvcruemeut sous lequel,,
sans moyens êtrauî^ers , sans iiaturallsdtiongy.
saîis colonies , les citoyens [peuplent et niul-
tiplientdavantage , est infailliblement le meil-
leur-, celui sous lequel uu peuple diuji nue e£
dépérit est le pire. Calculateurs , c'est miiiiw
tenant votre affaire; comptez, mesurez, com-
parez (-).
(ç) On doit juger sur le mérae principe, des
«icdes qui méiitent la pr-féreiice pour la pras-
jiérité du génie kuœain. On a trop admiré oeus.
i38 D U C O N T R A T
CHAPITRE X.
De Vahus du goiiverneinent et de sa peii^c à
dégénérer.
V_-/ o M M E la volonté particulière agit sans
cesse contre la volonté' générale , ainsi \q
gouvernement fait un effort continuel contre
©ù l'on a vvi fleurir les lettres et les arts ,
sans pénétrer l'objet secret tle leur culture, sans
en considérer le funeste effet; idque apud impe-
rhos humanitas vocahatur, eiim pars servkntïs esset.
ÎSe verrons-nous jamais dans les maximes des
livres l'intérêt grossier qui fait parler les auteurs ?
3N^on , quoi qu'ils en puissent dire , quand inalgré
son éclat un pavs se dépeiîple , il n'est pas vrai
que tout aille Lien, et il ne suffit pas qu^un
poëte ait cent mille livres de rente pou'r que
son siècle soit le meilleur de tous. Il faut moins
regarder au repos apparent et à la tranquillité
îles chefs , qu'au bien-être des nations entières
et surtout des Etats les plus nombreux. La grêle
désole quelques cantons , mais elle fait rarement
disette. Les émeutes , les guerres civiles effarou-
chent beaucoup les chefs , mais elles ne font
pas les vrais malheurs des peuples, qui peuvent
même avoir du relàcfe» , tandis qu'on disputa
s O C I A L. i39
la souveraineté. Plus ^t cfiort augmente,
plus la constitution s'altère; et comuic il n'y
a point ici d'autre volonté de corps qui , rd-
sistantà celle du prince , fasse équiliijre avce
elle, il doit arriver tôt ou tard que le prince
opprime enfin le souverain et rouipc le traite
social. C'est là le vice inhérent et inévitable
à qui les tyrannisera. C'est de leur état j)erma-
nent que naissent leurs prospérités ou leurs
calamités réelles ; quand tout reste écrasé sous
le joug , c'est alors que tout dépérit , c'est alors
que les chefs les détruisant à leur aise , ubi soli-
tudlnem faciunt , paccm appdlant. Quand les tra-
casseries des grands agitaient le royaume de
France , et que le coadjuteur de Paris portait
au parlement un poignard dans sa poche, cela
n'empèchnit pas que le penple français ne vécût
heureux et nombreux dans une honnête et libre
aisance. Autrefois la Grèce fleurissait au sein
des plus cruelles guerres : le sajig y couloit à
flots , et tout le pays était couvert d'hommes.
Il semblait , dit Machiavel , qu'au milieu des
meurtres, des proscriptions, des guerres civiles,
notre république en devînt plus puissante ; la
vertu de ses citoyens , leurs mœurs, leur in<lé-
peudance', avoient plus d'effet pour la renforcer,
que toutes ses dissentions n'en avaient pour
l'affaiblir. Un peu d'agitation donne du ressort
aux âmes , et ce qui fait vraiment prospérer
l'espètc est jnoins la paix que la liberté.
140 D U C O ^' T Pv A T
qui , dès la naissance du corps poiltique>
tend sans relàctieà le dctruive , de nicmc qiie
la vieillesse et la mort détruiseut eulin 1^
corps de riiomnie.
Il y a deux voies gene'ralrs par lesquelles
tin gouvernement dégénère ; savoir, quand il
se resserre , ou quand l'Etat se dissont.
Le goavorncuient se resserre quand il passe
du grand nombre au petit, c'est-Zi-diic , de
la démocratiz à l'aristocratie , et de l'aristo-
cratie à la royauté. C'est la son inclinaison
naturelle («y). S'il rétrogradait du petit nombi^
(û) La formarrôn lente et le progrès de îa
république de Venise dans ses lagunes offre un
exemple notable de cette succession : et il esc
bien étonnant que repuiî plus de douze ans
les Vénitiens semblent n'en être encore qu'au
second terme , lequel commença au Serrar di
Ccnsigl'w en 119S. Quant aux anciens ducs qu'on,
leur reproche, quoi qu'en puisse dire le squitinio
délia lïberta veneta^ il est prouvé qu'ils n'ont point
été leurs souverains.
On ne nîanquera pas de m'oblecter la répu-
blique romaine qui suivit , dira-t-on , un progrès
tout contraire-, passant de la monarchie à l'aris-
tocratie , et de l'aristocratie à la démocratie.
Je suis bien éloigné d'en penser ainsi.
Le premier établissement de Rcviulus fut urk
gouveruwmant inii^e qui dégénéra prcmptement
5 O C î A L. y^t
au graïuî , on pounnil dire qu'il se? rolâclie j.
mais ce progrès inverse est impossible.
en despotisme. Par des causes particulière» ^
TErat périt avant le temps , comme on voie
mourir un nouveau-në avant d'avoir atteint l'â^;©
«l'homme : l'expulsion des Tarquins fut la véri-
table épofpie de la nai^.sanc^ de la républiques
Mais elle ne prit pas d'abord une forme cons-
tante y jjarco qu'on ne fit que la moitié de l'ou-
vrage en n'abolissant pas le patiiciat. Car de-
cette manière l'aristocratie héréditaire , qui est:
la pire des administrations légitimes , restant
en conflit avec la démocratie , la forme da gou^
vernement toujours incertaine et flottante ne fnt
fixée , comme l'a prouvé Machiavel , qu'à l'éta-
blisscTuent des tribuns ; alors seulement il y eut
un vrai gouvernement et itne véritable démo-
cratie. En effet , le peuple alors n'était pas-
«eulement souverain , mais aussi magistrat et
)uge , le sénat n'était qu'un tribunal en sous-
ordre pour tempérer et concentrer le gouverne-
mejit; et les consuls eux-mêmes, bien que pa->
triciens , bien que pre^ïiiers magistrats , bien que-
généraux absolus^ à la guerre , n'étaient à Roma-
que les présidons du peuple.
Dès-lors, on vit aussi le gouvernement prenidrs
sa pente naturelle et tendre fortement à l'aris'-
tocratie-. Le patiiciat s'abolissant comme de lui-
même , l'aristocratie n'était plus dans les corps
des patriciens comme elle est à Venise et iu
Gènes , mais dans lo corps du séruit compos^:
T42 D U C O N T R A T
Ea efTet , jamais le gouTernementiic change
de fonne que quand son ressort usé le laisse
ttop affaibli pour pouvoir conserver la sienne.
Or, s'il se relâchait encore eu s'éteudant , sa
force deviendrait tout-à-fait nulle, et il sui>-
sisterait encore moins. Il faut donc remonter
et serrer le ressort à mesure qu"il cède , autre-
Tnent l'Etat qu'il 5-outient tomberait en ruine.
Le cas de la dissolution de l'Etat peut ar-
river de deux manière?.
Premièrement, quand le prince n'admi-
nistre plus l'Etat selon les lois et qu'il usurpe
le pouvoir souverain. Alors il se fait un
changement rcmarqual^le ; c'est que , non pas
le gouverueiucnt , mais l'Etat se resserre : je
oe patriciens et de plébéiens , même dans le
corps des tribuns quand ils commencèrent d'u-
surper une puissance active : car les mots no
font rien aux choses, et quand le peuple a d-^
chefs qui gouvernent porr lui , quelque nom
que portent ces cjiefs , c'est toujours une aris-
tocratie.
De l'abus de l'aristocratie naquirent les gcrerres
civiles et le triumxirat. Scy lia , Jules-Oîsar, Au-
guste devinrent dans le fait de véritables mo-
narques , et enfin sous le despotisme de Tibère
l'Etat fut digsous. L'histoire romaine ne dément
donc pas mon principe ; elle le confirme.
s O C I \ L. T43
vrnx dire f|ue le grand Etat se dissout et
cju'il s'en forine iiu autre dans celui-là , com-
posé s'julcîuent des membres du gouvcriie"
ment, et qui n"cit plus licn au reste du jjcu-
pîc que sou maître et son Cyrau. De sorte
qu'à i'i*i>itant que le gouvernement usurpe la
souveraineté, le paete social est rompu, et
tous les simples citoyens, rentres de droit
dans leur liberté naturelle , sont forcés mais
non pas obliges d'obéir.
Le même cas arrive aussi quand les mem-
bres du gouvernement usurpent séparément
le pouvoir qu'ils ne doivent exercer qu'eu
corps; ce qui n'est pas une moindre infrac-
tion des lois , et produit encore un plus grand
désordre. Alors on a , pour ainsi dire, autant
de princes que de magistrats, et l'Etat, nou
moins divisé que le gouvernement, périt ou.
change de forme.
Quand l'Etat se dissout, l'abus du gou-
vernement, quel qu'il soit , prend le nom
coranmn d'^ 77^ rcAi"^. En distinguant, la dé-
mocratie dégénère en ocidocrafl^ ^ l'aristo-
cratie en oîygarchie ; j'ajouterais que la
royauté dégénère en tyrannie , mais ce der-
nier luut est équivoque, et demande cspU-
«atiou.
r44 ^ "^ CONTRAT
Dans le stns vulgaire , un tyran est un roi
•squi gouverne avec violence et sans égard à la
justice et aux lois. Dans le sens pre'cis , uu
tyran est un particulier qui s'arroge l'auto-
iité ix)yale sans y avoir droit. C'est ainsi qua
les Grecs entendaient ce mot de tyran : ils le
^donnaient indifféremment aux bons et aux
Tnauvais princes dont l'autorité n'était pas
légitime. (/>) Ainsi tyran et usurpateur sont
<leux mots parfaitement synonymes.
Pour donner dii^Fércns noms à différcntci
choses , j'appelle tyran l'usurpateur de l'au-
torité royale . et despote l'usurpateur du pou-
voir souverain. Le tyran est celui qui s'ingère
contre les lois à gouverner selon \^s> lois; 1«
(&) Omnes enhn <it huhentur et àiciinîur tyranni
^ui pctestate utuntur perpétua , in eu. chitate qua
iibertate usa est. Corn. În ep. in Miltiad. Il est vrai
^uAristote, Mor. Nicom. l. VIII , c. lo, distingue
ie tyran du roi, en ce que le premier gouverna
pour sa propre utiliié, et k second seiilemene
pour Tutilité de ses sujets ; mais outre rpje
^énéralemo;-t tous les aut-eurs grecs ont pris le
anot tyran dans un autre sens, comme il paraîl
«ur-tout par le VJ.éron de Xénophon , il s'ensui-
vrait de la distincrion d'y^mfo^e, que depuis ie
commence ment du mondw il ii'auTtiiî pas encore
p-k\i\-è :>JB fce-iil roi.
despote
SOCIAL. 145
€fcE«pole est ccliu qui se met an-tlossns des
lois niôines. Ainsi le tyran peut n'être pas
despote, mais le despote est toujours tyran.
CHAPITRE XI.
De la mort du corps politique.
JL ELLE est la pente naturelle et ine'vitablc
des gouverncincns les mieux constitues. vSi
Sparte et Rojiie ont péri , quel Etat peut es-
pérer de durer toujours ? Si nous voulons
former un établissement durable , ne son-
geons donc point à le rendre éternel. Pour
réussir, il ne faut pas tenter l'impossible,
ni se flatter de donner à l'ouvrage des hom-
mes une solidité que les choses humaines ne
comportent pas.
Le corps politique, aussi-bien que le corps
de l'homme , commence à mourir dès sa
naissance , et porte en lui-même les causci
de sa destruction. Mais l'un et l'autre peut
avoir une constitution plus ou moins robusle
et propre à le conserver plus ou moins long-
temps. La constitution de l'homme est l'on-,
vrage de la nature , celle de l'Etat est l'ou-
vrage de l'art. Il ne dépend pas des homme*
de prolonger leur vie , il dépend d'eux de.
Politicjuc, Tome II. I
1^6 D U C O N T R A T
prolonger celle de l'Etat aussi loin qu'il est
possible , eu lui donuaat la meilleure coustitu-
tiouquii puisse avoir. Le mieux constitue' (i-
iiira, mais plus tard qu'uiiautre, si nui accident
impreVu n'amène sa perte avant le temps.
Le priiîcips de la vie politique es#" dans
l'autorité souveraine. La puissance législative
est le cœur de l'Etat , la puissance cxe'cutive
en est le cerveau, qui doime le mouvement
à toutes les parties. Le cerveau peut tomber
eu paralysie et riiidiviuu vivre encore. Un
homme reste imbe'cille et vit : mais sitôt que
le cœur a cessé ses fonctions, l'animal est ïnort.
Ce n'est point par les lois que l'Etat sub-
siste, c'est par le pouvoir législatif. La loi
d'iiier n'oblige pas aujourd'hui , mais le
conseutemeut tacite est présumé du silence,
et le souverain est censé confirmer inces-
eamment les lois qu'il n'abroge pas , pou-
vant le faire. Tout ce qu'il a déclaré vouloir
Une fois , il le veut toujours , à moins qu'il
ne le révoque.
Pourquoi donc porte-t-on tant de respect
auK aucienneslois ? c'est pour cela même. On
doit croire qu'il n'y a que l'excellence de*
Volontés antiques qui les ait pu conserver si
loDg-îeiîJps • ià Iç souyeraïu uc les eûtrecoii-
SOCIAL. 147
^moR coiisLmunciit.saliUaijes , il les eût mille
lois rcvocpiecs. Yolià pourquoi, loin de s'iif-
iaiblir , les lois acquièrent sans cesse une force
nouvelle dans tout Etat bien constitue ; le
]}rejuj;e' de l'antiquité les rend chaque jour
jjkis véne'rabîes ; au lieu que par-tout où
les lois s'alTaiblisscnt eu vieillissant , cela
prouve qu'il n'y a plus de pouvoir législatif,
et que l'Etat uc vit plus.
CHAPITRE XII.
Coninwiitsc maintient V autorité soiwtraine.
_M_j E souverain n'ayant d'autre force que
la puissance lc,:^islativc , n'agit que par des
lois , et les lois n'étant que des actes au-
thentiques de la volonté générale, le souve-
rain ne saurait agir que quand le peuple est
assemblé. Le peuple assemblé , dira-t-on ,
quelle chimère ! C'est une chimère aujour-
dliui , mais ce x\.^ç\\ était pas une il y a
doux mille ans : les hommes ont-ils changé
de nature ?
Les bornes du possible dans les choses
morales sont moins étroites que nous ne
pensons : ce sont nos faiblesses, nos vice» >
X 2
14^ 13 U CONTRA T
iio'î préiiigcs qui les letrcclsseut. Le*? anir<
Lasses ne croient point aux grancls-homincs :
de vils cselavcs sourient d'un air moqueur
à ce mot de libertés
Par ce qui s'est fait , conside'roiis ce qui
ic peut faire. Je ne parlerai pas des anciennes
républiques de la Grèce , mais la république
|-ouiaine était, ce me semble, un grand
Etat, et la ville de Rome une grande yille.
Le dernier cens donna dans Rome quatre
cents mille citoyens portant armes, et le
dernier dénombrement de l'empire plus de
quatre millions de citoyens, sans compter
les sujets, les étrangers, les femmes, les en-
fans , les esclaves.
Quelle difficulté n'imaglnerait-ou pas d'as-
sembler fréquemiueut le peuple immense de
cette capitale et de ses environs ? cependant il
se passait peu de semainesque le peuple romain
De fut assemblé , et même plusieurs fois. Nou-
jeulement il exerçait les droits delà souverai-
ne té, mais une par tiède ceux du gouvernement.
Il traitait certaines affaires , iljugeaitcertaines
causes , et tout ce peuple était sur la place
publique presque aussi souvent magistrat que
citoyen.
En remontant aux premiers temps des
s O C I A L. 149
nations , on trouverait que la plupart de$
anciens gouvcrnemeus , même monarchiques ,
tels que ceux des ^Macédoniens et des Francs ,
avaient de semblables conseils. Quoi qu'il
eu soit , ce seul fait incontestable répond
à toutes les difficultés : de l'existant au pos-
sible , la conséquence me paraît bonne.
I
CHAPITRE X I I L
L ne suiTit pas que le peuple a«fcmhk' ait
une fois fixe la constitution de l'Etat eu
donnant la sanction à un corps de lois : il
ne suffît pas qu'il ait étal)li un gouvernement
perpétuel, ou qu'il ait pourvu une fois pour
toutes a l'élection des magistrats. Outre les
assemblées extraordinaires que des cas im.-
prévus peuvent exiger , il faut qu'il y en ait
de fixes et de périodiques que rien ne puisse
abolir ni proroger , tellement qu'au jour
marqué le peuple soit légitimement convo-
qué par la loi , sans qu'il soit besoin pour
cela d'aucune autre convocation formelle.
Mais hors de ces assemblées juridiques par
leur seule date , toute assemblée du peuple
qui n'aura pas été convoquée par les magis-
I S
i5o D 'J C O y T R A T
trats préposes à cet efTet, et selon les formes
jjrcscrites , doit être teiiue pour illégitime ,
et tout ce qni sV fait pour nul ; parce que l'or-
dre même de s'assembler doitémanerde laloî.
Quant aux retours plus ou moins fréqucns
des assemblées Icgitiures , Ils dépendent de
tant de considérations qu'on ne saurait don-
ner la-dcssus des règles précises. Seulement
on peut dire en général que plus le gouvei-
uemcnt a de force, plus le souverain doit
se montrer fréquemment.
Ceci , me dira-t-on , peut être bon pour
une seule ville ; mais que faire quand l'Etat
eu comprend plusiem-s ? Partagera-t-on l'auto-
rité souveraine , oubiendoit-onla concentrer
dans une seule ville et assujettir tout le reste ?
Je réponds qu'on ne doit faire ni l'un ni
l'autre. Premièrement l'autorité souveraine
est simple et une, et l'on ne peut la diviser
sans la détruire. En second lieu , une ville
non pins qii'une nation ne peut être légiti-
mement sujcL?.? d'une autre, parce que l'es-
sence du corps politique est dans l'accord
de robéissancc et de la liberté , et que les
mots de .çz/yVretde soniei-ain sont des corréla-
tions identique'J dont l'idée se réunit sous le
seul mot de citoyen.
s O C I A T,. T^i
Je rcponrls encore que c'est toujouis un
mal d'unir plusieurs villes eu une seule
cité, et que, voulant faire cette union, on
ne doit pas se flatter d'eu éviter les inconvé-
iiicus naturels. Il ne fautponit objecter l'a-
bus des j^rands Etats à celui qui n''ca veut
que de petits : niais comuieut donner aux:
petits Etats assez de force pour résister aux
grands ? Comme jadis les villes grecques rc-
sistcrcut au grand roi , et comme plus ré-
cenuuent la Hollande et la Suisse eut résist»
a la maison d'Autriche.
Toutelois , si l'on ne peut réduire l'Etat
à de justes bornes, il reste encore une res-
source ; c'est de n'y point souffrir de capitale ,
de iairc siéger le p,ouveruemciit alternative-
ment dans chaque ville , et d'y rassembler
aussi tour-à-tour les états du pays.
Peuplez également le territoire , éte^idez-y
par-tout les mêmes droits , portez-y par-tout
l'abondance et la vie, c'est ainsi que l'Etat
deviendra tout-à-la-fois le plus fort et le
jnieux gouverné qu'il soit possible. Souvenez-
vous que les murs des villes ne se forment que
du débris des maisons des champs. A chaque
palais que je vois élever dans la capitale, j«
crois voir eu masures tout uu pays.
14
léf D U C O N T R A 7
CHAPITKE XIV;
Suite.
A
rinstaat que le peuple est lec;itimeméfit
assemblé eu corps souverain, toute jurisdic-
tion du gouveruemcnt cesse , la puissaucc
executive est suspendue , et la personne du
dernier citoyen est aussi sacre'e et inviolable
que celle du premier magistrat , parce qu'où
se trouve le rcpre'scntc , il n'y a plus de rc-
pre'sentaut. La plupart des tumultes qui s'c'-
levcrent a Rome dans les comices vinrent
d'avoir ignore' ou néglige celte règle. Le*
consuls alors n'étaient que les présideiis du
peuple , les tribuns de simples orateurs , fcj
le sénat n'était rien du tout.
Ces intervalles de suspension, oùleprincr
reconnaît ou doit reconnaître un supérieur
actuel, lui ont toujours été redoutables, et
(c) A peu près selon le sens qu'on donne it
ca nom dans le parlement d'Angleterre. Lar
ressemblance de ces emplois eût mis en conflits
les consuls et les tribuns , quand même toute
jurisdiction eût éié suspendu?;-
s O C: T V L. îfS
CCS aFscn\l)K'cs du pciii)lc , qui sont lVg;i(l«
clucoipspolitiquccl tcfrciudugouvcrncmcut ,
ont été de tous temps riioireur des chefs :
aussi uVparj;ncnt-ils jamais ni soins , ni ob-
jections, ni difRcultcs , ni promesses , pour
eu rebuter les citoyens. Quand ceux-ci sont
avares, lâches, pusillanimes, plus amoureux
du repos que de la liberté, ils uc tiennent
pas long-temps contre les efforts redoubles
du gouvcrnemcut : c'est ainsi que la force
résistante augmentant sans cesse, l'autorité
souveraine s'évanouit à la fin, et que la plu-
part des cités tombent et périssent avant le
temps.
Mais entre rautoritc souveraine et le gou-
Terneraeut arbitraire, il s*introduitquclqne-
fois un pouvoir moyen dont il faut parler.
CHAPITRE X Y.
IDes dcputés ou représentaiis.
i^ I T 6 T que le service public cesse d'ctr»
la principale allanc des citoyens , et qu'ils
aiment mieux servir de leur bourse que de
leur pcrsonuc , l'Etat est déjà près dr sa
I 5
i54 T> \j TON T R A T
mine. FaïU-il niarclicran coiiibal ? ils pavent
des troupes , et restent chez eux ; faut-il aller
au conseil ? ils lîouiiiicnt des députes , et
restent chez ea\'. A force de parcs?e et d'ar-
gent, ils ont enSii des soldats pour servir
la patrie , et des representans pour la vendre.
C'est le tracas du couiinerec et des arts ,
cVst l'avide inlerct du gain, c'est la uioII<îssg
et l'aujour drs coiiimodîtcs qrd cliangent les
services personnels eu argent. On cède une
partie de sou proht ])our l'auguienter à sou
aise. Doîincz de l'argent , et bicjUôt vous
aurez des fers. Ce mot &Ç:Jîr.ar.ce est un mot
d'esclave ; il est incounu dans la cite'. Dans
vin Etat vraiment libre , les citoyens fout tout
avec leurs bras et rien avec de l'argent : loia
de payer pour s'exempter de leurs devoirs , ils
payeraient pour les remplir eux-mêmes. Je
suis bien loin des idées communes, je crois
les corvées luoiiis contraires u la liberté que
les taxes.
Mieux l'Etat est constitué , plus les affaires
publiques l'emportent sur les privées dans
l'esprit des citoyens. Il y a même beaucoup
moins d'affaires privées; jjarce que la somme
du bonheur commun, fournissant une portioa
plus cousidérablc a celui de chacune indlylda ,
s o r T A I,. ir^-,
il lui m reste moins à clierchrr flans le»
soins particuliers. Dans une ci le- bien con-
dnllc chacun vole aux nsseTiiblccs ; sous nii
mauvais gouvcrucuicut , luîl n'aime à laire
nu pas pour s'y rendre , parce que nul
ne prend inte'rêt à ce qui s'y fait, qu'on
prévoit que la volonté générale n'y dominera
]jns , et qu'enfin les soins domestiques ab-
sorbent tout. Les lionnes lois en font faire
de meilleures, les mauvaises en amcJient de
pires. Sitôt que quelqu'un dit des adaires de
l'Rtat, Ç7xe m'importe? on doit compter que
IT.lat est perdu.
L'attiédissement de l'amour de la patrie,
l'activité de l'intérêt privé, l'immensité des
Etats , les cotiquétcs , l'abus du gouverne-
ment ont fait imaginer la voie des députés
ou représentant du peuple dans les assem-
blées de la nation. C/cst ce qu'c ■ certain»
pays on ose appeler le tiers -état. Ainsi
l'intérêt particulier de deuv ordres est au
premier et second rang», l'intérêt public n'est
qu'au troisième.
La souveraineté ne petit être représentée,
par la même raison ([u'elle ne peut être aîié-
nc'e , elle consiste essetitiellemcnt dans la
▼ oloiilé générale , cl la volonté ne se reprc-
1 6
î56 DU CONTRAT
?ente point : elle est la luémc , ou elle est
autre , il n'y a point de milieu. Les députés
du peuple uc soat donc , ni ne peuvent
être ses repre'seutans , ils ne sont que ses
counnissaires : ils ne penveut rien conclure
définitivement. Tonte loi qne le peuple eil
personne n'a pas ratifiée, est nulle ; ce n'est
point une loi. Le peuple anglais pense être
libre ; il se trompe fort ; il ne Test que
durant l'élection des membres du parle-
inent ; sitôt qu'ils sont élus , il est esclave ,
il n'est rien. Dans les courts inomens do,
sa liberté, l'usage qu'il en fait mente bien
qu'il la perde.
L'idçe des représentans est moderne : cil©
nous vient; du gouvernement féodal , de cet
inique et absurde gouvernement dans lequel
l'espèce humaine est dégradée , et où le
nom d'homme est en déshonneur. Dans les
anciennes républiques , et même dans les
monarchies, jamais le peuple n'eut des re-
présentans ; ou ne connaissait pas ce mot-là.
Il est très-singulier qu'à Rome , ori les trir
huns étaient si sacrés , on n'ait pas même
i.maginé qu'ils pussent usurper les fonctions
du peuple , et qu'au milieu d'une si grande
multitude, ils n'aient jamais tenté de passer
s O C I A L. r$y
r\r \c\n çlicT un seul plébiscite. Qu'on jug©
crpnidaiit de reinl)anas que causait quel-
quefois la foule, par ce qui arriva du temps
flf s Grac(jues , où une partie des citoyens
(1(1 nu ait son suffrage de dessus les toits.
Où !e droit et la liberté sou t toutes choses ,
1 -s iuconvcuicns ne soutrien. Chez ce sa,go
}v.'uple , tout était mis à sa juste mesure :
ii laissait faire à ses licteurs ce que ses tri-
buns n'eussent ose' faire; il ne craignait
pas que ses licteurs voulussent le représenter.
Pour expliquer cependant comment les
tribuns le représentaient quelquefois, il suf-
fit de concevoir comment le gouvernement
Tepre'sente le souverain, La loi n'étant que
la déclaration de la volonté générale, il qsX
clair que dans la puissance législative le
peuple ne peut être représenté: mais il peut
et doit l'être dans la puissance exécutiv«,
qui n'est que la force appliquée à la loi.
Ceci fait voir qu'en examinant bien le»
choses, on trouverait que très-peu de nations
ont des lois. Quoi qu'il en soit , il estsûr que
les tribuns n'ayant aucune partie du pouvoir
çxécutif , ne purent jamais représenter 1&
peuple romain par les droits de leurs charges ,
pliais seulement CJi usurpant sur ceux du sénat.
i58 D U C O N T R A T
Cliez les Grecs , tout ec que le peuple
avait à faire , il le fcsait par lui-inéine. Il
était sa:is cesse asseiuljlé siu' la place , il
habitait un climat doux , iî n'était point
avide, des esclaves fesaient ses travaux, sa
grande aSaire était sa iiijerte. N'ayant plus
les mêmes avantages , coiuinent conserver
les mêmes droits ? Vos climats jdIus durs
vous donnent plus de besoins, Çd), six
mois de l'année la place publique n'fst pas
tcnahie, vos langues sourdes ne peuvent se
faire entendre en plein air , vous donnez
plus à votre gain qu'à votre liberté, et vous
craignez bien moins l'esclavage que ia misère.
Quoi ! la liberté ne se maintient qu'à
l'appui de la servitude ? peut-être. Les deux
excès se touchent. Tout ce qui n'est point
dans la nature a ses inconvéniens , et la
société civile plus que tout le reste. Il y a
telles positions m.alheureuses où l'on ne peut
conserver sa liberté qu'aux dépens de celle
d'ar.trui , et où le citoyen ne peut être par-
faitement libre que l'esclave ne soit extrémc-
(d) Arloprcr dans les pays froids le luxe et
la mollesse des Orientaux, c'est vouloi.'- se donner
leurs chaînes , c'est s'y soumetlie encore plus
né.essaiiemeut qu'eux.
s O C I A L. i59
niput esclave. Telle était la posllion de
v'^parle. Pour vous , peuples modernes, vous
n'avez point d'esclaves, mais vous l'êtes,
vous [)ayez leur liberté' de la vôtre. Vous
a\e/ beau vanter cette ])rê(crence , j'y trouve
jjUis de iàehetê que d'humanité.
Je n'entends point par tout cela qu'il
faille avoir des esclaves , ni que le droit
d'esclave soit le'gitimc , puisque j'ai j)rouvc
le coulrairc. Je dis .«;eulenicnt les raisons
pourquoi les peuples modernes qui se croient
libres ont des representans , et pourquoi
les j)eupk"S anciens n'en avaient pas. Quoi
qu'il en soit, a l'instant qu'un peuple se
donne des repre'sentans , il n'eigt plus libre ,
il n'est plus.
Tout bien examiné, je ne vois pas qu'il
soit désormais possible au souverain de con-
server parmi nous l'exercice de ses droits si
la cité n'est très-pctile. Mais si elle est très-
petite , elle sera subjuguée ? Non. Je ferai
voir ci-après (f) comment on peut réunir la
(c) C'est ce que je m'étais proposé de faire
dans la suite de cet ouvrage , lorsqu'en traitant
les relations externes j'en serais venu aux con-
fédéi dtions ; matière toute neuve et où les priii-
cipes sont encore à établir.
î6o DU CONTRAT
puissance, extérieure d'un grand peuple arec
la police aise'e et le bon ordre d'un petit
Etat.
CHAPITRE XVI.
Çve J- Institution du gouçernement n''est
point un contrat.
JLjE pouvoir législatif une fois bien établi ,
il s'agit d'établir de même le pouvoir exe-
cutif; car ce dernier, qui n'opère que par
des actes particuliers , n'e'tant pas de l'es-
sence de l'autre , en est naturellement sépare.
S'il e'tait possible que le souverain , conside'rc
connne tel , eût la puissance executive , le
droit et le fait seraient tellement confondus
qu'on ne saurait plus ce qui est loi et ce
qui ne l'est pas , et le corps politique ainsi
dénaturé serait bientôt en proie à la violence
contre laquelle il fut institue'.
Les citoyens e'tant tous égaux par le con-
trat social, ce que tous doivent faire, tous
peuvent le prescrire , au lieu que nul n'a droit
d'exiger qu'un autre fasse ce qu'il ne fait pas
lui-même. Or c'est proprement ce droit ,
igdis4>cHsabl« pom- faire TÎTie et mouvoir le
SOCIAL. 161:
corps politique, que le souverain donuc au
})iincc eu instituaut le gouvern émeut.
Plusieurs eut pre'tendu que l'aete de cet
rtablisseiueut c'tait un- coutrat entre lo
peuple et les clicis qu'il se donne ; con-
trat par lequel on stipuloit entre les
deux ])artlcs les conditions sous lesquelles
l'une s'obligeait à commander , et l'autre
à obe'ir. On conviendra, je m'assure, que
voilà une étrange manière de cou tracter! mal»
voyons si cette opinion est soutcnable.
rremièremcnt , l'autorité suprême ne pcul
pas plus se luodifier que s'aliéner; la limitée
c'est la détruire. Il est absurde et contradic-
toire que le souverain se donne un supérieur ;
«'obliger d'obéir à un maître , c'est se remettre
en pleine liberté.
Pc plus , il est évident que ce contrat du
peuple avec telles ou telles personnes serait
un acte particulier. 13'où ilsuitque cecontrafe
uc saurait être une loi ni un acte de
souveraineté , €t que par conse'quent il se-
rait illégitime.
On voit encore que les parties contrac-
tantes seraient entr'elîcs sous la seule loi de
nature et sans aucun garant de leurs enga-
îjemcns réciproques , ce qui répugne de tantes
i62 D U C O N T R A T
^uianièics à l'état civil ; celui qui a la force
en main étant toujours le maître de l'exé-
cution , autant vaudrait donner le nom de
contrat à l'acte d'un homme qui dirait à
un autre : « Je vous douïîe tout mon bien ,
» à condition que vous m'en rendrez ce qu'il
» vous plaira. »
Il n'y a qu'un contrat dans l'Etat, c'est
celui de l'association ; celui-là seul en exclut
tout autre. On ne saurait imaginer aucun
contrat public, qui ne fût une violation
du premier.
CHAPITRE X V I L
De r institution du gouifernement.
S
G TJ s quelle idée faut-il doue concevoir
l'acte par lequel le gouvernement est insti-
tué ? Je remarquerai d'abord que cet acte
est complexe ou composé de deux autres,
savoir réiablissement de la loi, et l'exécution
de la loi.
Par le premier , le souverain statue qu'il
y aura un corps de gouvcrnemeat établi
80US telle ou telle forme; et il est clair que
«et acte est une loi.
SOCIAL. i65
Par le sccogd , le peuple Tiomme les cliel's
qui seront chargés du «gouvernement établi :
or cette nomination étant un acte purtieu-
lier, n'est pas une seconde loi, mais seu-
lement une suite de la perij«lèrc et une fonc-
tion du gouverucmcïit.
La didicuUé est d'entendre comment ou
peut avoir un acte de gouvernement avant
que le gouvernement existe , et comment le
peuple, qui n'est que souverain ou sujet,
peiU devenir prince ou magistrat dans cer-
taines circonstances.
C'est encore ici que se découvre une de
ces étonnantes propriétés du corps politique ,
par lesquelles il concilie des opérations con-
tradictoires en apparence. Car celle-ci se fait
par une conversion subite de la souveraineté
en démocratie ; en sorte que , sans aucun
changement sensible, et seulement par une
nouvelle relation de tous à tous , les citoyens
devenus magistrats passent des actes géné-
raux aux actes particuliers , et de la loi à
l'exéoution.
Ce changement de relation n\'?t point uv.q
subtilité de spéculation sans exemple dans
la pratique : il a lieu tous les jours dans
le parlement d'Angleterre, où la chambie-
164. D r C O N T R A T
hasse, en certaines occasions , se tourne eii
^rand-comité , pour mieux discuter les af-
faires , et devient ainsi simple commission ,
de cour souveraine qu'elle c'tait l'instant pre'-
cédent ; en telle sorte qu'elle se fait ensuite
rapport à elle-même , comme chambre des
communes , de ce qu'elle vient de re'gler
en grand-comité' , et de'libère de nouveau
sous un titre de ce qu'elle a de'jà résolu sous
un autre.
Tel est l'avantage propre au gouvernement"
de'raocratique de pouvoir être établi dans le
fait par un simple acte de la volonté' ge'-
néralc. Apres quoi ce gouvernement provi-
sionnel reste en possession si telle est la
forme adopte'e , ou établit au nom du sou-
verain le gouvernement prescrit par la loi ,
et tout se trouve ainsi dans la règle. Il n'est
pas possible d'instituer le gouvernement d'au-
cune autre manière légitime , etsans renoncer
aux principes ci-deyant établi».
s O C 1 A T,. i6S
CHAPITRE X y I I I.
Moyen de préi>enir les usurpa lions du ^
gouvernement.
D
E CCS eclaiicisscmeiis , il résulte, en con-
Ijrmatioii du chapitre XVI, que l'acte qui
institue le gouvcrneiucnt n'est point uu
contrat, mais Une loi ; que les de'positaircs
de la puissance executive ne sont point les
niaîtrcs du peuple mais ses oHiciers; qu'il
peut les c'tablir et les destituer quand il lui
plaît, qu'il n'est point question pour eux
de contracter, mais d'obéir, et qu'en se
chargeant des fonctions que l'Etat leur im-
pose, ils ne font que remplir leur devoir de
citoyens , sans avoir en aucune sorte le droit
de disputer sur les conditions.
Quand donc il arrive que le peuple institue
mi gouvernement he'réditairc, soit monar-
chique dans une famille , soit aristocratique
dans un ordre de citoyens, ce n'est point
lui engagement qu'il prend; c'est une forme
provisionnelle qu'il donne à l'administra-
tion , jusqu'à ce qu'il lui plaise d'en ordon-
ner autrement.
i€6 D U C O N T R A T
Il est vrai que ces cliangemeriS sont tou-
jours dangereux, et qu'il ne faut jamais tou-
cher au gouveruciueut établi que lor.<qu'il
devient incompatible avec le bien public ;
mais cette circonspection est une maxime de
politique et non pas une règle de droit , et
l'Etat n'est pas plus tenu de laisser l'autorité
civile à ses chefs que l'autorité militaire à
«es gcne'raux.
ïl est vrai encore qu'on ne saurait en pa-
reil cas observer avec trop de soin toutes les
formalite's requises pour distinguer un act€J
régulier et le'gitime d'un tumulte séditieux ,
et la volonté de tout un peuple des clameurs
d'une faction. C'est ici siu-tout qu'il ne faut
donner au cas odieux que ce qu'on ne peut
lui refuser dans toute la rigueur du droit ,
et c'est aussi de cette obligation que 1«
prince tire un grand avantage pour conserver
«a puissance malgré le peuple , sans qu'on
puisse dire qu'il l'ait usurpée ; car en pa-
aaissant n'user que de ses droits , il lui est
fort aisé de les étendre , et d'empêcher sous
le prétexte du repos public les assemblées
destinées a rétablir le bon ordre ; de sort»
qu'il se prévaut d'un silence qu'il empêche
de rompre , ou des irrégularités qu'il fait
s O C I A L. 167
commettre , pour supposer eu sa faveur
l'aveu de ceux que la crainte fait taire, et
])Our puulr ceux qui osent parler. C'est ainsi
que les deceuivirs ayante' te d'abord e'ius pour
un au, puis continues pour une autre année ,
tentèrent de retenir à perpc'tulté leur pou-
voir, en ue peruiettant plus aux comices
de s'assembler ; et c'est par ce facile moyen
que tous les gouvernemens du monde ,
une fois revêtus de la force publique , usur-
pent tôt ou tard l'autorité souveraine.
Les assemblées périodiques dont j'ai parlé
ci-devant , sont propres à prévenir ou dif-
férer ce malheur , sur-tout quand elles n'ont
pas jjcsoin de convocation formelle : car alors
le prince ne saurait les empêcher sans se d('cla-
rcr ouverteuicnt infrac leur des lois et eunemi
de l'Etat.
L'ouverture de ces assemblées , qui n'ont
pour objet que le maintien du traité social,
doit toujours se faire par deux propositions
qu'on ne puisse jamais supprimer , et qui
passent séparément par les suffrages.
La première , s'il plaît au souverain de
conserver la présente forme de gouverne^'
ment.
La second© , s'il plaît au pevple d'en
i68 OU CONTRAT
laisser r administration à ceux qui en sont,
actueUement chargés.
Je suppose ici ce que je crois avoir de'-
anoîitré, savoir qu'il n'y a dans l'Etat aucune
loi fondamentale qui ne se puisse re'voquer ,
lion pas même le pacte social ; car si tous
les citoyens s'assemblaient pour rompre c»
pacte d'un commun accord , on ne peut
douter qu'il ne fût très-legltimement rompu,
Orotius pense même que chacun peut re-
noncer à l'Etat dont il €st membre , et
reprendre sa liberté' naturelle et ses biens en
sortant du pays (/). Or il serait absurde
que tous les citoyens réunis ne pussent pas
G£. que peut se'pare'mcnt chacun d'eux.
(/) Bien entendu qu'on ne quitte pas pour
éluder son devoir , et se dispenser de servir sa
patrie au moment qu'elle a besoin de nous. La
fuite alors serait criminelle et punissable ; ce
ne serait plus retraite, Kiais désertion.
LITRE
s O C I A L. 169
LIVRE IV.
CHAPITRE PREMIER.
Que la l'ûloiité centrale est indcstructibh.
X A N T que pîusievirs liommcs leilnîs se
considèrent comme lia seul corps, ils n'tDiit
qu'une seule volonté, qui se rapporte à la
commune conservation et au bien-être gc'nr'-
i"al. Alors tous les ressorts de l'Etat sont vi-
goureux: et simples , ses maximes sont claires
et lumineuses , il n'a point d'intérêts em-
brouillés , contradictoires, le ]:>ien commun
se montre par-tout avec évidence, et ne de-
ïnaude que du bon sens pour être appcrcu.
La paix , l'union , l'égalité sont ennemies
des subtilités politiques. Les hommes droits et
simples sont diiTi-ciles à tromper , à caus«
de leur simplicité ; les leurres , les prétextes
rafinés ne leur eu imposent point ; ils
Jic sont jîas même assez fuis pour être
dupes, (^uand on voit chez le plus heureux
peuple du monde , des troupes de paysans
régler les aiTaires de l'Etat sous u\\ chcuc
roliiiijue. Touic 11. 3v.
iro DU CONTRAT
et se conduire toujours sagcmeiit , peut-on
s'empêcher de nie'priser les rafiuemeiis des
autres nations , qui se rendent illustres et
lui.'iérablcs avec tant d'art et de mystère ?
Un Etat ainsi gouverne a besoin de très-
peu de lois , et à mesure qu'il devient né-
cessaire d'cii promulguer de nouvelles , cette
Decessité se voit universellement. Le premier
qui les ])ropose ne fait que dire ce quêtons
ont déjà senti , et il n'est question ni de
brigues , ni d'éloquence pour faire passer
en loi ce que chacun a déjà résolu de faire ,
sitôt qu'il sera sûr que les autres le feront
comme lui.
Ce qui trompe les raisonneurs , c'est que
ne voyant que des Etats mal constitués dès
leur origine , ils sont frappés de l'inq^ossibilité
d'y maintenir une sembîa])le police. Ils rient
d'imaginer toutes les sottises qu'un fourbe
adroit, un parleur insinuant pourrait per-
suader au peuple de Paris , ou de Londres.
Ils ne savent pas que Cromivel eût été mis
aux sonnettes par le peuple de Berne , et le
duc de Beaiifort a. la discipline par les Ge-
nevois.
Mais quand le nœud social commence
à se relâe^her et l'Etat à s'affaiblir ; quand les
s O C I A L. 171
ÎMtcJcts particuliers couimcnccnt à se faire
sentir et les petites sociétés à influer sur la
grande, l'intérêt commun s'altère et trouve
des opposans , l'unanimité nerè{.^ne plus dans
les voix, la volonté ii,ériéralc n'est plus la
volonté de tous,ils'éicvc des contradictions ,
des déliais , et le meilleur avis ne passe point
sans disputes.
Enfin quand l'Etat près de sa ruine ne
sui)sibte plus que par une forme illusoire
et vaine , que le lien social est romj)u
dans tous les cœurs, que le plus vil intérêt
se pare effrontément du nom sacré du bien
public , alors la volonté générale devient
muette ; tous guidés par des motifs secrets
n'opinent pas plus comme citoyens , que si
l'Etat n'eût jamais existé , et l'on fait passer
faussement sous le nom de lois des d('crets
iniques qui n'ont pour but qne l'intérêt
particulier.
S'ensuit-il de-là que la volonté j^énérale soit
aiu'antie ou corrompue ? non , clic est tou-
jours constante , inaltérable et pure ; mais
elle est subordonnée à d'autres qui l'em-
portent sur elle. Chacun détachaeit son inté-
rêt de l'intérêt conunun , voit bien qu'il
ne peut l'eu séparer tout-à-lait, m;:is sa part
K 2
172 T) U C O N T R A T
du mal public ne lui paraît rien auprès du
Lien exclusif qu'il prétend s'approprier. Ce
l)icn particulier excepte' , il veut le bien gc'-
ne'ral pour son propre intérêt tout aussi
fortCKient qu'aucun autre. Même en vcndanfe
son suffrage à prix d'argent, il n'éteint pas
en lui la volonté générale , il l'élude. La
faute qu'il commet est de changer l'e'tat de
la question ,' et de répondre autre chose
que ce qu'on lui demande ; en sorte qu'au
lieu de dire par son suffrage , il est apan-
iageux h l'Etat , il dit, il est apanicrgeu:»
à tel liomme ou a tel parti (jue tel ou tel
af^is passe. Ainsi la loi de l'ordre public daîis
les assemblées n'est pas tant d'y maintenir la
volonté générale , que de faire qu'elle soi If
toujours interrogée et qu'elle réponde tou-
jours.
J'aurais ici bien des réflexions à faire sur
le simple droit de voter dans tout acte àc
souveraineté , droit que rien ne peut ôtcr
aux citoyens ; et sur celui d'opiner , de
proposer , de diviser , de discuter , que le
gouvernement a toujours grand soin de no
laisser qu'à ses membres ; mais cette im-
portante matière demanderoit un traité à
part, et je ne puis tout dire daus celui-©!.
s O C l A T,. 173
CHAPITRE IL
Des. sucrages.
O
X voit par le chapitre précèdent qij«
la manière dont se traitent les affaires géné-
rales peut donner un indice assez sûr de
l'état actuel des moeurs, et de la santé du
corps politique. Flus le concert règne dani
les assemblées , e'est-à-dii^ , plus les avis ap-
prochent de l'unanimité , plus aussi la vo-
lonté générale est dominante ; mais les long»
débats , les dissentions , le tumulte annon-
cent l'ascendant des inttkêts- particuliers et
le déclin de l'Etat.
Ceci paraît moins évident quand deux o«
plusieurs ordres entrent dans sa constitution,
comme à Rome les patriciens et les plébéiens,
dont les querelles troublèrent souvent le*
comices même dans les plus beaux temps de
la république; mais cette exception est plui
^j)pareute que réelle , car alors par le vice
inhérent aucorps politique on a, pour ainsi
dire , deux EtaU en un. Ce qui n'est pa§
vrai des deux ensemble est vrai de chacutt
sépajce'uient. Et en effet , dans les teuisœ^ai»^
T-4 DU CONTRAT
les plus orageiTX , les plébiscites dn peuple ,
quand le sénat ne s'enméjait pas , passaient
toujours tranquillement et à la grande plu-
ïalitédes suffrages : les citoyens n'ayant qu'un
intérêt, le peuple n'avait qu'une volonté.
A l'autre extrémité du cercle, l'unani-
mité revient. C'est quand les citoyens toinl)és
dans la servitude n'ont plus ni liberté ni vo-
lonté. Alors la crainte et la flatterie chan-
gent en acclamations les snfl'rages ; on no
délibère plus , on adore ou Ton maudit.
Telle était la vile maiîière d'opiner du sénat
sous les empereurs. Quelquefois cela se fai-
sait avec des précautions ridicrdcs. Tacite
observe que sous Othon les sénateurs , ac-
cablant /^'/V£'///z/^ d'exécrations, alleelaient
de faire en même temps un bruit épouvan-
table , a&ii que, si par hazard il devenait
le maître , il ne pût sayoir ce que cliaeuii
d'eux avait dit.
De ces diverses considérations naissent les
maximes sur lesquelles on doit régler la ma-
îiière de compter les ^oix et de comparer les
avis, selon que la voioucé générale est plus
ou moins facile a connaître , et l'Etat plus
©u moins déclinant.
Il n'y a qu'une seulç loi qui j par sa ua-
s O C T A L.
I/O
turc , oxiL^nm coiisri)ti'Ui'-nt nnanlmc. C'est
]c j)actc .social : car ra.t.sccialion civile est
l'aelc du monde le plus volonlaire ; tout
lioinmc étant ne libre et inaître de lui-
inénir , nul ne peut, sons quelque prelcxto
quec<' puisse cire, l'assujettir sans son aveu.
J3rciderque le fils d'un esclave naît esclave,
c'est décider qu'il ne nait j3as homme.
Si donc lors du pacte social il s'y trouve des
opposans, leur oppasition n'if)valide pas le
contrat , elle emjjcclie seulement qu'ils ne
soient compris; ce sont des e'Lranc;,ers parmi
des citoyens. Quand l'Etat est institué, le
consentement est dans la re'sidence ; habiter
le territoire, c'est se soumettre à la souve-
raineté, (s)
Hors ce contrat primitif, la voix du })lus
grand nombre ol)lii^e toujours tous les autres ;
c'est une suite du contrat même. Mais on
demande comment un honunc peut étro
(g) Ceci doit toMJours s'entendre d'un Etat
libre ; car rrailleurs la iinnille , les biens , le
défaut d'asile , la néressiré , la violence , peuvent
reienir un habitant dans le pays malgré lui , et
alors son séjour seul ne suppose plus son con-
«eaternent au contrat ou à la violation du
coatrat.
776 DU CONTRAT
libre , et forcé de se conformer a des volon-
tés qui ne sont pas les siennes. Comment les
opposans sont-ils libres et soumis à des loix
auxquelles ils n'ont pas consenti ?
Je réponds que la question est mal posée.
Le citoyen consent à toutes les lois , même
à celles qu'on passe malgré lui, et même à
celles qui le punissent quand il ose eu violer
quelqu'une. La volonté constante de tous
les.membresde l'Etat est la volonté générale ;
c'est par elle qu'ils sont citoyens et libres. (//)
Quand on propose une loi dans rassem})lcè
dn peuple , ce qu'on leur demande n'est
})as précisément s'ils approuvent la propo-
sition ou s'ils la rejettent , mais si elle est-
conforme ou non à la volonté générale qui
est la leur ; chacun en donnant son suf-
frage dit son avis là-dessus , et du calcul des
vo-ÏK se tire la déclaration de la volonté gé-
uéiale. Quand doue l'avis contraire au mien
(h) A Gènes on lit au devant des prisons et
S>ur les fers des galériens ce mot libertas. Cetta
application de la devise est belle et juste. En
effet, il n'y a que les malfaiteurs de tous états
qui empêchent le citoyen d'être libre. Dans ini
pays où tous C3& gens-là seraient aux galères ^
on jouirait de la plus parfaiî* lioert^,.
s* O C I A C. Ï77
l'emporte, cela no prouve autre cîiosc sinon
que je m'étais trompe , et que ec que j'cstU
iiuiis être la volonlé j^ene'rale ne l'était pas.
Si mou avis particulier l'eût emporté , ]'au*
rais fait autre chose qnece que j'avais voulu,
c'est alors que je n'aurais pas c'té libre.
Ceci suppose , il est vrai , que tous leH
caractères de la volonté générale sont encore
dans la pluralité : quand ils cessent d'y ctrc,
t{uclque parti qu'on prenne il n'y a plus dé
liberté.
Eu montrant ci-devant comment on subs-;
4ituait des volontés particulières à la volonté
générale dans les délibérations publiques ,
i'ai suffisamment indiqué les moyens prati-
cables de prévenir cet rcbus ; j'en parlerai
encore ci-après. A l"'égard du nombre pro-
portionnel des sufl'rages pour déclarer cette
■folonté , j'ai aussi donné les principes svjr
lesquels on peut le déterminer. LadlËFérence
d'une seule voix rompt l'e'galité ; un seul
opi)osant rompt l'unanimité : mais entre
l'unanimité et l'égalité il y a- plusieurs par-
tages inégaux , à chacun desquels ou peut
Jiver ce nombre selon l'état et les l)esoin5
du corps politique.
t)eux maximes générales peuvent servira
37S D U C O N T R A T
Tegler ces rapports : l'une , que plus les dé-
libe'ratioiis sont impovtaiites et graves, plus
l'avis qui l'emporte doit approcher de l'una-
nimité : l'autre, que plus l'afraire agite'e
exige de célérité , plus ou doit resserrer la
difîéreuce prescrite dans le partage des avis;
dans les délibérations qu'il faut terminer sur-
îe-cliamp , l'excédent d'une seule voix doit
suffire. La première de ces maximes paraît
plus convenable aux lois, et la seconde. aux
affaires. Quoi qu'il eu soit , c'est sur leur
combinaison que s'établissent les meilleurs
rapports qu"ou peut donner à la pluralité
pour prononcer.
CHAPITRE II I.
Des élections.
A
l'égard des élections du prince et des
magistrats, qui sont, comme je l'ai dit,
des actes couiplexes , il y a deux voies pour
y procéder ; savoir , le chois et le sort.
L'une et l'autre ont été employées eu di-
Tcrses républiques, et l'on voit encore ac-
t:;c;leincnt un mélange très-compliqué dos
deux dans l'élccllou du doge de Yenisc.
SOCIAL. 179
Lf suffrage par le sort , t\\t MoTjtesijjiien,
est de lu nature delà démocratie. 3\n con-
viens , mais comment cela? Le sort j cou-
tlimc-t-il , est une façon d'élire qui n'af-
flige personne ; il laisse à chaque citoyen
une espérance raisonnable de servir la patrie.
Ce ne sont pas là des raisons.
Si l'on fait attention que l'élection des
chefs est une fonction du gouvernement et
non de la souveraineté , on verra pourquoi
la voie du sort est plus dans la nature de la
démocratie , où l'administration est d'autant
meilleure que les actes en sont moin s multiplie's.
Dans tonte ve'ritablc de'mocratie la ma-
gistrature n'est pas un avantage , mais uue
charge one'reuse qu'on ne peut justement
imposer à un particniicr plutôt quà uii
autre. La loi seule peut imposer cette charge
à celui sur qui le sort tombera. Car alors la
condition e'tant égale pour tous, et le choix
ne dependantd'aucnnc volonté' hiunaine , il
n'y a point d'application particulière qui
altère l'universalité de la loi.
Dans l'aristocratie le priîice choi.sit le
prince, le gouvernement se conserve par
lui-même , et c'est là que les suQVages sout
bien places.
îSo D U C O :^ T R A T
L'exemple de l'élection du dogede Teiilse
connrine cette distinction loin de la dé-
truire ; cette forme méle'e convient dans
un go-iiv'ciiicment mixte. Car c'est une er*-
reur de prendre le gouvernement de Venise
pour une vc'ri table aristocratie. Si le peuple
n'y a nulle part an gouvernement, la no-
blesse y est peuple elle-même. Une multi-
tude de pauvres barnabotes n'approcha ja-
ïnais d'aucune magistrature, et n'a de sa
noblesse que le vain titre d'excellence et le
droit d'assister au grand-conseil. Ce grand-
conseil e'tant aussi nombreux que notre
conseil - gc'néral à Genève, ses illustres
ruemlnes n'ont pas plus de privilèges que
nos simples citoyens. Il est certain qu'ôtant
l'extrême disparité des deux républiques, la
bourgeoisie de Genève représente exactement
le patriciat vénitien, nos natifs et habitant
représentent les citadins et le peuple de V"e-
tîise , nos paysans représentent les sujets dg
terre-ferme ; eu un de quelque manière que
l'on considère cette république , abstraction
faite de sa grandeur, son gouvernement n'ei^t
pas plus aristocratique que le nôtre. Toute
la différence est que, n'ayant aucun chef 'a
vio, non? iravon? naslc même Ijcsoin du sort.
Lci
SOCIAL. 28r
Les élections par sort auraient peu d'in-
convénient dans une véritable dcmocratie où
tout étant égal , aussi bien par les mœurs et
par les talens que par les maximes et par la
fortune , le choix deviendrait presqu'indif-
férent. Mais )'ai déjà dit qu'il n'y avait
point de véritable démocratie.
(^LLand le choix et le sort se trouvent mê-
lés , le premier doit remplir les places qui
deruaudeut des talens propres, telles que
les emplois militaires : l'autre convient à
celles où suffisent le bon sens, la justice,
l'intégrité, telles que les charges de judica-
ture ; parce que dans un Etat bien consti-
tué ces qualités sont communes a tous lc«
citoyens.
Le sort ni les suffrages n'ont aucun lieu
dans le gouvernement monarchique. Le mo-
narque étant de droit seul prince et magis-
trat unique , le choix de ses lieutenans n'ap-
partient qu'à lui. Ouand l'abbé de St. Pierre
proposait de multiplier les conseiJs du roi
de France et d'en élire les membres par
scrutin , il ne voyait pas qu'il proposait de
changer la forme du gouvernement.
Il me resterait à parler de la manière de
donner et de recueillir les yoiJ. dans l'as-
Politi>]ue, î'oroe IX. L
ï82 'Ù V C O N T R A T
semblée du peupie ; mais peut-être riiis(o-
riqne de la police romaine à cet égard cs-
p!iq'jera-t-il plus sensiblement toutes les
snaximes que je pourrais c'tablir. Il n'est pas
«ndigne d'uu lecteur judicieux de vcirun peu
tn détail comment se traitaient les affaires
publiques et particulières dans uu conseil
de deux cents mille hommes.
CHAPITRE IV.
Des comices romains.
N<
o u s n'avons iniîs monumens l>ieu assnrcs
des premiers temps de Rome ; il y a même
grande apparence que la plupart des choses
qu'on en débite sont des fables; (/) et en
l^cne'ral la partie la plus instructive des
annales des peuples, qui est Thisloire de
leur e'tabîissement , est celle qui nous man-
•^ue le plus. L'expérience nous apprend tous
(z) Le nom de Rome , qu'on prétend venir
de Romuliis ^ est grec et signifie force; le nom
de l^uma est gjfec aussi , et signifie loi. Quelle
apparence que les deux premiers rois de cette
ville aient porté d'avance des noms &x bie*
tektiis à ce qu'ils ont fait?
s G C r A L. i82
|/»9 jonrs do quelles causes naissent Jes
révolutions des ciiipiies; mais connue il
lie se forme plus de peuple, nous n'avons
guère que des conjectures pour expliquer
coQiiucnt ils se sont formes.
Les usai;es qu'on trouve établis attestant
au moins qu'il y eut mie origine à ces usages.
Des traditions qui remontent à ces origines,
Cf^lles qu'appuyent les plus grandes autorités ,
rt que de plus fortes raisons, conlirincnt ,
doivent passer pour les plus certaines. Voilà
les maximes que j'ai tâché de suivre eu.
rechercha»! t comment le plus libre et le plus
])uissant peuple de la terre exerçait son pou-
voir suprême.
-Après la fondation de Rome la rc'pu-
iîlique naissante , c'est-à-dire l'armée du
fondateur, composée d'Albains , dcvSabins,
et d'c'trangers , fut divisc'e en trois classes,
qui de cette division prirent le nom de
Tribus. Chacune de ces tribus fut subdivisée
en dix curies , et chaque curie en decuries ,
a la tête desquelles on mit des chefs appelés
Curions et Dtcurious.
Outre cela on tira de chaque tribu un
corps de cent cavaliers ou chevaliers , appelé
Centurie: par où Tou voit que ces divisions,
L2
ï84 D U C O N T R A T
peu nécessaires dans un bourg , n'étaient
d'abord que militaires. Mais il semble qu'un
instinct de grandeur portait la petite vilU
de Rome à se donner d'avance une police
convenable à la capitale du monde.
De ce premier partage résulta bientôt un
inconvénient. C'est que la tribu des Albaius
(X-) et celle des Sabins (/) restant toujours
au même état , tandis que celle des étran-
gers (///) croissait sans cesse par le cou-
cours perpétuel de ceux-ci , cette dernière
ne tarda pas à surpasser les deux autres.
Le remède que Sereins trouva à ce dange-
reux abus fut de changer la division à celle
des races qu'il abolit, d'en substituer une
autre tirée des lieux de la ville occupés par
chaque tribu. Au lieu de trois tribus il en
fit quatre, chacune desquelles occupait une
des collines de Rome et eu portait le nom.
Ainsi remédiant à l'inégalité présente il la
prévint encore pour l'avenir ; et a&n que
cette division ne fût pas seulement de lieux
ïnais d'hommes , il déieudit aux. habitans
{k) Ram?ieiises,
(l) Tatïcnses^
(jn) Luc ère s.
SOCIAL. t85
d'un quartier de passer da»is un aiUrc, ce qui
cuipccha les races de se couioiidrc.
Il doubla aussi les trois anciennes cen-
turies de cavalerie et y eu ajouta douze
autres, mais toujours sous les anciens uonis;
moyeu simple et judicieux par lequel il
acheva de di?tinfî;uer le corps des clievalicrs
de celui du peu2)le , sans faire murmurer ce
dernier.
A ces quatre tribus urbaines, Senius ea
ajouta quinze autres appelées tribus rusti-
ques , parce qu'elles étaient formées des
habitans de la campagne , partagés en au-
tant de cantons. Dans la suite on en fit
autant de nouvelles , et le peuple romain
se trouva enfin divisé en trente-cinq tribus;
nombre auquel elles restèrent fixées jusqu'à
la fin de la république.
De cette distinction des tribus de la ville
et des tribus de la campagne résulta lui effet
digne d'être observé , parce qu'il n'y en a
point d'autre exem.ple , et que Rome lui dut
à-la-fois la conservation de ses mœurs et
l'accroissement de son empire. On croirait
que les tribus urbaines s'arrogèrent bientôt
la puissance et les honneurs , et ne tardèrent
pas d'avilir les tribus rustiques; ce fut tout
L3
ir;6 DU C O X T K A T
îe coiilraire. Ou connaît le f!;cût drs pre-
miers Romains pour la vie champêtre, ('»
goût leur venait du sage instituteur cjui
iniit a la liberté' les travaux rustiques et
militaires , et relégua, pour ainsi dire, à !a
ville, les arts , les me' tiers , l'intrigue, la for-
tune et l'esclavage.
Ainsi tout ce que Rome avait d'illnstre
rivant aux champs et cultivant les terres ,
on s'accoutuina à ne chercher que là les sou-
tiens de la republique. Cet e'tnt étant cchû
des plus dignes praticiens fiU honore' de
tout îe monde ; la vie siinple et laborieuse
des villageois fut prëferc'c à la vie oisive et
lâclic des bourgeois de Rome : tel n'eût
été qu'un malheureux prolétaire à la ville ,
qui , laboureur aux champs , devint un
citoyen respecté. Ce n'est pas sans raison ,
disait f'a7-ro7i, que nos magnanimes ancêtres
établirent au village la pépinière de ces
robustes et vaiîlans hommes qui les défen-
daient eu temps de guerre , et les nour-
rissaient en temps de paix. Pline dit posi-
tivement que les tribus des champs étaient
honorées à cause des homm.cs qui les com-
posaient ; au lieu qu'en transférait par
ignominie dans celles de la ville les lâches
5 O C î A L. i^
l|u'on voulait avilir. Le sahlii Appins Clau-
dine ('tant venu s'ctablir à Rome y fut
comblé d'IioTUicnrs , et inscrit dans une
tribu ru>-tique qui prit dans la suite le nom
de sa famille. Enfin les aflraucUis entraient
tous dans les tribus urbaines , jamais dans
les rurales; et il n'y a pas durant la répu-
blique un seul exemple d'aucun de ces alfran-
chis parvenu à aucune magistrature , quoi-
que devenu citoyen.
Cette maxime c'tait excellente ; mais elle fut
pousse'e si loin, qu'il en rctîUita enrir. un
clia'igement et certainement uu abus dans la
polica
Premièrement les censeurs, après s'étre^
arroge long-ten:ps le droit de transférer arbi-
trairement les citoyens d'une tribu à l'autre,
permirent à la plupart do se faire inscrire^
dans celle qu'il leur plaisait: permission qui
sûrement n'était bonne à rien et ôtait un
des grands ressorts de la censure. De plus ,
les grands et les puissans se fcsant tous
inscrire dans les tribus de la campagne ,
vt les affranchis devenus citoyens restant
avec la populace dans celles de la ville ,
les tribus, en gént^'ral n'eurent plus de lieu
c trc
38S DU CONTRAT
tellement méle'es qu'on ne pouvait plus dis^
cerner les nieuibres de chacune que par les
registres, en sorte que l'idée du mot tribu
passa ainsi du re'el au persouuel, ou plutôt,
devint presque une chimère.
Il arriva encore que les tribus de la ville ,
étant plus à portée , se trouvèrent souvent
les plus fortes dans les comices, et vendirent
l'Etat à ceux qui daignaient acheter les
suffrages de la canaille qui les composait.
A l'égard des curies , l'instituteur eu
ayant fait dix en chaque tribu, tout le peu-
ple romain , alors renfermé dans les murs
de la ville, se trouva composé de trente
curies dout chacune avait ses temples , ses
dieux , ses officiers , ses prêtres et ses fêtes
appelées compitaîia , semblables aux paga-
nalia qu'eiïreut dans la suite les tribus
rustiques.
j^u nouveau partage de Servius ^ ce
nombre de trente ne pouvant se répartir
également dans ses quatre tribus, il n'y
voulut point toucher , et les curies indé-
pendantes des tribus devinrent une autre
division des habitans de Rome: mais il ne
fut point question de curies ni dans les
tribus rustiques , ni dans le peuple qui les
s O C T .\ L. 1^9
compoi.ait , parce que les Lrihus claiit deve-
nues un fftablisscuicut pureuiciit civil , et
une autre police ayant été' introduile jjoiir
la levée des troupes , les divisions mili-
taires de Romuhis se trouvèrent supcrnucs.
iMnsi quoique tout citoyen fût inscrit dans
une tribu , il s'en fallait de beaucoup que
chacun ne le fût dans une curie,
Sen^îus fit encore une troisième division
qui n'avait aucun rapport aux deux prccc'-
dentes , et devint par ses cfTcts la plus
importante de toutes. Il distribua tout le
peuple romain en six classes , qu'il ne
distinj^ua ui par le lieu ni par les hommes,
mais par les biens: en sorte que les pre-
mières classes étaient remplies par les riches,
les dernières par les pauvres , et les
moyennes par ceux qui jouissaient d'une
fortune me'diocre. Ces six classes c'taicnt
subdivisc'cs en cent quatre-vingt-treize autres
corps appelés centaines; et ces corps étaient
tellement distribue's que la première classe
t\\ comprenait seule plus de la moitié, et
la dernière n'en formait qu'un seul. Il se
trouva ainsi que la classe la moins nom-
breuse en hommes l'e'tait le plus en ccn-
"Kirics j et que la dernière classe entière n'était
L 3
19^ D U C O N T R A T
comptée que pour une subdivision , hirn
qu'elle contînt seule plus de la moitié des
habitaiis de Rome.
_ACn que le peuple péîic'tràt moins les
conséquences de cette dernière forme, Ser~
Plus affecta de lui donner un air militaire :
il inséra dans la seconde classe deux ceu"
turies d'armuriers , et deux d'instrumcns
de guerre dans la quatrième. Dans chaque
classe , excepté la dernière , il distingua les
jevnies et les vieux, c'est-à-dire, ceux qui
étaient obligés de porter les armes, et ceux
que leur âge en exemptait par les lois; dis-
tinction qui, pins que celle des biens,
produisit la nécessite de rccommiencer sou-
vent le cens ou dénombrement. Enfin il
voulut que l'assemblée se tînt au champ de
Mars , et que tous ceux qui étaient eu âge
de servir y vinssent avec leurs armes.
La raison pour laquelle il ne suivit pa:f
dans la dernière classe cette même division
d«s jeu7)cs et des vieux, c'cct qu'on n'ac-
cordait point à la populace, dont elle était
composée , l'honneur de porter les armes
pour la patrie ; il fallait avoir des foyers
pour obtenir le droit de les défendre, et
de ces iaiiombrabies troupes de gueux dent
SOCIAL. igr
brillent ar.jonrd'liui 1rs années des rois, il
n'y en a pas ua peut-être qui n'ciît été
c)iassfc avec dédain d'une coiiorte romaine ,,
quand les soldats étaient les défenseurs de lai
liberté.
On distingua pourtant eucore , dans: la
dernière classe, \a prolétaires de cçux qu'on
appelait capite censi. Les premiers, non tout-
a-fait réduits à rien , donnaient an moins des
citoyens à l'Etat, quelquefois même des soldat»
dans les besoins prcssans. Pour ceux qui u'a-
vaicîit rien dutoutetqu'onnepouvaitdénoin-
brcrque par leurs têtes, ils étaient tout-à-fait
regardés comme nuls , et Marins fut le pr^îmicr
qui daigna les enrôler.
Sans décider ici si ec troisième dérîombre—
ment était bon ou mauvais eu lui-même, jo
crois pouvoir affirmer qu'il n'y avait que les
mœurs simples des premiers Romaius , leur
désintéressement, leur goût pour l'agriculture,
leur mépris pour le cojnmerce et pour l'ardx'ur
du gain, qui pussent le rendre praticfi})le. Où
e.Ht le peuple moderne chez lequel la dévorante
avidité , l'e^'jyrit inquiet, l'intrigue, les dépla-
cemens continuel s, les perpétuel les révolutions
des fortunes pussent laisser durer vingt ans uiv
pareil élnblissemcut sans bouleverser tout
L 6
193 DU CONTRAT
l'Etat ? Il faut méiiie bien remarquer que les
tnœursetla censure, plus fortes que cette insti-
tutioujencorrigèrentle vice à Rome, et que tel
riche se vit reie'gué dans la classe des pauvres,
pour avoir trop étalé sa richesse.
De tout ceci l'on peut comprendre aisément
pourquoi il n'est presque jamais fait mention
que decinqclasses, quoiqu'il y eneiit réellement
six. La sixième ne fournissant ni soldats à
l'armée, ni votans au champ de Mars, («)
et n'étant presque d'aucun usage dans la répu-
blique, était rarement comptée pour quelque
chose.
Telles furent les différentes divisions dupeu-
ple romain. Voyonsàpréseutl'efiétqu'elles pro-
duisaient dans les assemblées. Ces assemblées
légitiinementconvoquéess'appelaient<:<?//z/r^^y
elles se tenaient ordinairement dans la place de
Rome ou au champ de MarSj et se distinguaient
€n comices par curies, comices par centuries,
«et comices par tribus , selon celle de ces trois
formes sur lacruelle elles étaient ordonnées : les
(n) Je dis au champ de Mars j parce que c'était là que
s'assemblaient les comices par centuries ; dans les
deux autres formes le peuple s'assemblait auforum
ou ailleurs, et alors les caplte censi avaient autant
d'iûiluence et d'autorité que les premiers citoyens.
s O C I A L. 193
comit— par curies étaient de l'itistitutiou de
MoTiiuIusj ceux par ceuturies de Se?ç>iusj ceux
par tribus des tribuns du peuple. Aucune loi
ne recevait la sanction, aucun magistrat n'était
élu que dans les comices ; et comme il n'y avait
aucuncitoycn qui ne fût inscrit dans une curie,
dans une centurie, ou dans une tribu , il s'en-
suit qu'aucun citoyen n'était exclus du droit
de suflrage , et que le peuple romain c'talt
véritablement souverain de droit et de fait.
Pour que les comices fussent légitiiucmcut
asscmble's, et que ce qui s'y fesaitciït force de
loi, il fallait trois conditions: la première, que
le corps ou le magistrat qui les convoquait fût
rrvctu pour cela de l'autorité nécessaire ; la
seconde , que l'assemblée se fît un des jours
permis par la loi;îa troisième, quelesaugurcs
fassent favorables.
La raison du premier règlement n'a pas
besoin d'être expliquée. Le second est luie
artaire de police; ainsi il n'était pas permis de
tenir les comices les jours de férié et de marché ,
où les gens de la campagne venant à Rome
pour leurs affaires, n'avaient pas le temps de
passer la journée dans la place publique. Par
le troisième le sénat tenait en bride un peuple
Êeret remuant; et tempérait à propos l'ardeur
194 ^ U CONTRAT
des tribuns scditieux; mais ceux-ci tiL''..vèrcnf
plus d'un moyeu de se délivrer de cette gêne.
Les lois et réicctiou des chefs n'étaient pas
les seuls points soumis au jugement des co-
mices: le peuple romain ayant usurpe' les plus
importantes fonctions du gouvernemeîit , on
peut dire que le sortderCùiopce'tait régie dans
ses assemblées. Cette variété d'objets donnait
lieu aux diverses fonnes que prenaient ces as-»
semblées , selon les matières sur lesquelles ii
avait à prononcer.
Pour juger de ces diverses forines il suffit de-
les comparer. Ro?nuhis en instituant les curies
avait en vue de contenir le sénat par le peuple
et le peuple par le sénat, en dominant égale-
ment sur tous. Il donna donc au peuple par
cette forme toute l'autorité du nombre pour
balancer celle de la puissance et des richesses
qu'il laissait aux patriciens; mais selon l'esprit
de la monarchie , il laissa cependant plus d'a-
vantage aux patriciens par l'influence de leur*^
cîiens surla pluralité des suUrages. Cette admi-
rable institution des patrons et descliens fut uiï
chef-d'œuvre de politique et d'humanité, saus
lequel le patriciat , si contraireà l'esprit delà
république, n'ciït pu subsister. Roj-ie seule a
eu i'boiiueur de donner au monde ce bel
s O C I A L. 195
exemple , duquel il ne lesiilta jamais d'abus et
cjui pourtant n'a jamais cte' suivi.
Ottciuéinc forme des curies ayant subsisté
sous les rois jusqu'à Scrçins y et le rcjjnc du
dernier Tarquin n'étant point compté pour
lcf;itimc, cela lit distinguer généralement les
lois royales par le nom de leges ciirlctce.
Sous la république les curies, toujours bor-
iiécsaux quatre tribus urbaines et ne contenant
plus que la populace de Rome , ne pouvaient
convenir ni au sénat qui était à la tête des
patriciens, ni aux tribuns qui, quoique plé-
béiens, étoicnt a la te te des citoyens aisés. Elles
tombèrent donc dans le discrédit, et leur avilis-
sement fut tel, que leurs trente licteurs assem-
i)lé.s feraient ce que les comices par curies au-
raient du faire.
La division par centuries était si favora-
ble à l'aristocratie , qu'on ne voit pas d'abord
conuncnt le sénat ne l'emportait pas toujours
dans lescomices qui portaientce nom, et par
lesquels étaient élus les consuls, les censeurs
€t les autres magistrats curulcs. En cfïct, des
centquatre-vmgt-treize centuries qui formaient
les six classes de tout le peuple romain, la pie-
miv'Me classe «n comprenant quatre- vingl-di\-
Luit, et les voix ne se comptant que par ccutvi-
196 DU CONTRAT
ries, cette seule première classe remportait en
nombre de voix sur toutes les autres. Quand
toutes ces centuries e'taient d'accord, on ne con-
tinuait pas même à recueillir les suffrages ; ce
qu'avait décidé le plus petit nombre passait
pour une décision de la multitude , et l'on peut
dire que dans les com-ces par centuries les
aQaircsse réglaient à la pluralité des écus bien
plus qu'à celle des voix.
Mais cette extrême autorité se tempérait par
deux moyens. Preniièremcnt les tribuns pour
l'ordinaire, et toujours un grand nombro
de plébéiens , étant dans la classe des riches,
balançaient le crédit des patriciens dans cette
première classe.
Le second moyen consistait en ceci, qu'au
lieu de faire d'abord voter les centuries selon
leur ordre, ce qui aurait toujours fait com-
mencer par la première, on en tirait une au
sort . et celle-là (o) procédait seule à l'élection;
/après quoi toutes les centuries appelées un
autre jour selon leur rang répétaient la même
élection et la confirmaient ordinairement. On
( 0 ) Cette centurie ainsi tirée a.n sort s'appelait
prcerogativa, à cause qu'elle était la première à
qui l'on demandait son suffrage, et c'est de-là
qu'est venu le mot de prcrogatiye.
SOCIAL. 197
était ainsi rnutoiitc de l'exemple au rang
pour la donner au sort selon le principe de la
de'inocratie.
Il résultait de cet usage un autre avantage
encore; c'est que les citoyens de la campagne
avaient le temps entre les deux élections de
5'informer du mérite du candidat provisionnel-
Icnirnt nommé, afin de ne donner leur voix
qu'avec connaissance de cause. Mais sous pré-
texte de célérité l'o?! vint a. bout dabolir cet
usage, et les deux élections se tirent le même
jour.
Les comices par tribus étaient proprement
le conseil du peuple romain. Ils ne se convo-
quaient que par les tribuns; les tribuns y étaient
élus et y passaient leurs plébiscites. Non-seule-
ment le sénat n'y avait point de rang , il
n'avait pas même le droit d'y assister, et forcés
d'obéir à des lois sur lesquelles ils n'avaient
pu voter, les sénateurs à cet égard étaient moins
libres que les derniers citoyens. Cette injustice
était tout-à-faitmal entendue, et suffisait seule
pour invalider les décrets d'un corps où tous
ses membres n'étaient pas admis, (^uand tous
les patricienscussent assisté à ces comices selon
le droit qu'ils en avaient comme citoyens,
devenus alors simples particuliers, ils n'eussent
19? BU C O X T R A T
guère influe sur une forme de sudrages qui se-
recuciUaicîitpar tctc, et où le moiadrc prolé-
taire pouvait autautque leseuat.
Ou voit doue qu'outre l'ordre qni résultait
de ces diverses distributions pour le recueille-
ment des suffrages d'un si grand peuple, ces
dîstrl})utions ne se réduisaient pas à des tonnes
indifférentes en ellcs-nisnies, mais que cliacune
avait deseffets rclatlis aux vues qni la feraient
préférer.
Sans entrer là-dessus en de plus longs dé-
tails , il résulte des éclaircissemens précédens
que les comices par tribus étaient les plus favo-
rables au go uvernemaut populaire, et les co-
niicesparcenturiesàraristocratie. A l'égard des
comices par curies où la seule populace de
E.ome formait la pluralité, comme ils n'étaient
boîis qu'à favoriser la tyrannie et les mauvais
desseins, ils durent tomber dans le décri, les
séditieux eux-mêmes s'abstenant d'un moyen
qui mettait trop à découvert leurs projets. II
est certain que torde la majesté du peuple ro-
main ne se trouvait que dans les comices par
centuries, qui seuls étaient complets; attendu
que dans les comices par curies, manquaient les
tribus rustiques , et daus les coLuices par tribus
le sénat et les patricicus.
s o c r A h
'99
Quant àln inauièirdc recueil 11 rlos su îTraj^cs,
elle etaitchez les [)rcmicrs Romai ils aussi simple
que leurs ui:rms,quOiqucmoins simple ejjcoro
qu a Sparte. Chacun donnait sou suiTrage à
liante voix , un ^icllicr les écrivait à mesure ;
pluralllé de voix daiis chaque tribu de'tcnni»
liait le sufiVage de la tribu; pluralité de voix
entre les tribus déterminait le suflVagc du
pcuple,et ainsi des curies et des centuries. Cet
«sage était boti tant que i'iionnctctc léî^nràt
cntrcics citoyens, et que chacun avait honte de
donner pu])l!qucnient son suHrage à un avis in-
juste ou à un sujet indigne: mais quatid le peu-
ple se corrompit, et qu'on acheta les voix , il
convint qu'elles se donnassent en secret pour
contenir lesachelcurspar la défiance, et fournir
aux fripons le nio^'cn de nYlre pas des traîtres.
Je sais que (lVct'/'/9/2 blâme ce changement et
lu"^<ittribue en partie la ruine de la république.
!Mo'.s quoique Je sente le poids que doitavoir
ici l'autorité de Cicéron , je ne puis être de sou
avis. Je pense au contraire, que pour n'avoir
pas fait assez de changemens semblables onac-
célérala perte de l'Etat. Comme le régime des^
gens sains n'est pas propre aux malades , il ne
fautpa? vouloir gouverner un peu pie corrompu
par les mêmes lois qui conviennent a iUà
200 DU CONTRAT
bon peuple. Rien ne prouve mieux cette
maxime que la duiée de la lépubliquc de
Venise , dont le simulacre existe encore , uni-
quement parce que ses lois ne conviennent
qu'à de me'chans hommes.
On distribua donc aux citoyens des ta-
blettes par lesquelles cliacun pouvait voter
sans qu'on sût quel e'toitson avis. On e'tablit
aussi de nouvelles formalite's pour le recueil-
lement des tablettes , le compte des voix ,
la comparaison des nombres , etc. Ce qui
n'empêcha pas que la fidélité des officiers
chargés de ces fonctions Ç p ") ne fût sou-
vent suspectée. On fit enfin , pour em-
pêcher la brigue et le trafic des suffrages,
des édlts dont la multitude montre l'inu-
tihté.
Vers les derniers temps , on était sou-
vent contraint de recourir à des exjTedieus
extraordinaires pour suppléer à l'insuffisance
des lois. Tantôt on supposait des prodiges ;
mais ce moyen qui pouvait en imposer au
peuple n'en imposait pas à ceux qui le
gouvernaient ; tantôt on convoquait brus-
(p) Custodes, Vinlitores , Rogatores siifra-
giorum.
s O C r A L. 201
qnemeiit une assemblée avant que les can-
didats eussent cil le temps de faire leurs
brigues ; tantôt on consumait toute une
séance à parler quand ou voyait le peuple
gagné prêt à prendre un mauvais parti :
mais enfin l'ambition éluda tout ; et ce qu'il
3 a d'incroyable , c'est qu'au milieu de tant
d'abus , ce peuple immense, à la faveur de
ses anciens règlemcns , ne laissait pas d'élire
les magistrats , de passer les lois , de juger
les causes , d'expédier les aft'aires particu-
lières et publiques , presque avec autant de
facilité qu'eut pu faire le sénat lul-mcme.
CHAPITRE V.
Du tribunat.
\^ a A N D ou ne peut établir uue exacte pro-
portion entre les parties constitutives de l'Etat,
ouquedescausesindestructibîeseualtcreutsau*
cesse les rapports , alors ou institue une magis-
trature particulière qui ne fait point corps avec
les aatres , qui replace chaque tciine dans son
vrai rapport, et qui fait une liaison au un
moyeu terme soit ontrcle prince et lepeuple^
>C2 DU CONTRAT
soit entre le prince et le souveralu , soit a-la-
lois des deux côtes , s'il est iie'cessaire.
Ce corps, que J'appelerai trihunat^ est le
conservateur des lois et du pouvoir législatif.
11 sert quelquefois à protéger le souverain con-
tre le gouvernement, comme fesaieut à Rome
les tribuns du peuple .quelquefois à soutenir le
gouvernement contre le peuple, comme fait
main tenant à Venise le conseil des dix , et
quelquefois à maintenir l'équilibre de part et
d'autre , comme fesoient les éphores à Sparte
Le tribunat u'est point une partie constitu-
tive de la cité, et ne doit avoir aucune portion
delapuissance léglsiativenidcrexécutivejmais
c'est eu cela même queia sienne estphisgratide:
car ne pouvant rien faire ilpeuttoutempéclier.
Il est plus sacré et plusrévéré, comme défenseur
des lois, que le prince qui les exécute et que
le souverain qui les donne. C'est ce qu'on vit
Lienclairement à Rome quand ces lierspavri-
CJens, qui méprisèrent toujours le peuple entier,
furcntforcésdc fléchir devant un fimpîeoîËcier
d'i peuple, qui n'avait ni auspices ni juris-
diction.
Le tribunat sagement tempéré est le plus
ferme appui d'u!ie bonne constitution ; mais
pour peu de force qu'il ait de trop , il renveriiS
s () C I A T.. 2o5
tout: h IVj^aid de sa faiblc^s'/. clic iiVsl pas
dans sa nature, et pourvu qu'il soit quelque
clios'j , il nVst jamais uioius qu'il ne faut.
lldcEçeiière eu tyrannie quand il usurpe la
puissance executive dout il n'est que le uiodé-
jatenr, et qu'il vent dispenser les lois qu'il ne
doit que protéj^cr. L'énorme pouvoir des epho-
res, qui fut sans danger tatit que ^Sparte con-
serva ses mœurs, enacceleia lacorruptioucoin-
ineucee. Le sang iVy^^is, e'gorgé par ces tyraus,
lut vengé parsou successeur: lecrimc et le châtia
ment des épliores littèreut e'galement la perte de
la répu]>lique ,et après C/t'omcue ^p'dite ne fut
pins rien. Rome périt eucore par la inéuio
ToiejCtlc pouvoir excessif des tribuns usurpé
par degrés servit cuau , à l'aide des lois faites
pour la liberté, de sauve-garde aux empereurs
qui la détruisirent. Quant au conseil des dix
à Venise, c'est un tribuual de sang, horriblo
également aux patriciens et aujDcuple , et qui ^
loin de protéger hautement les lois, ne sert
plus , après leur avilissement , qu'à porter dans
les téucbresdes coups qu'on n'ose appcrcevoir.
Le tribnnat s'alfaiblit connue le gouverne-
rncnt par la multiplication de ses membres.
Quand les tribuns du peuple romain, d'abord
•u uonibrc de deux, puis de cinq, Youlurcur
204 DU CONTRAT
doubler ce nombre, le ?cnat les laissa faire, bleu
sûr de contenir les uns par les autres ; ce qui ne
manqua pas d'arriver.
Le meilleur moyen de prévenir les usurpa-
tions d'un si redoutable corps, moyen dont
nul gouvernement ne s'est a vise jusqu'ici, serait
de ne pas rendre ce corps permanent, mais de
réglerdes intervalles ,durantlesqueis il resterait
supprimé. Ces intervalles , qui ne doivent pas
être assez grands pour laisser aux abus le temps
de s'affermir, peuvent être iixés par la loi, de
manière qu'il soit aisé de les abréger au be-
soin par des commissions extraordinaires.
Ce moyen me paraît sans inconvénient ,
parce que , comme je l'ai dit, le tribunat ne
fesant point partie de la constitution peut être
oté sans qu'elle en souffre , et il me paraît
efficace , parce qu'un magistrat nouvellement
rétabli ne part point du pouvoir qu'avait
son prédécesseur j mais de celui que la loi lui
ëoùue.
CH-\riTPvE
SOCIAL 2o5
CHAPITRE VI.
De la dictature.
I i'i^FLExiBiLiTÉ deslois j quiles cmpcclie
de se plier aux évciicmens, peut en certains
cas les rendre pernicieuses , et causer par elles
la perte de l'Etat dans sa crise. L'ordre et la
lenteur des formes demandent un espace de
temps que les circonstances refusent quelque-
fois. Il peut se présenter uililc cas auxquels
le législateur n'a point pourvu, et c'est une
prévoyance très-nécessaire de sentir qu'on ne
peut tout prévoir.
11 ne faut donc pas vouloir affermir les
institutions politiques jusqu'à s'6 ter le pouvoir
d'en suspendre l'efl'ct. Sparte elle-même a
laissé doiTnir ses lois.
Mais il n'y a que les plus grands dangers
qui puissent balancer celui d'altérer l'ordre
public, et l'on ne doit jamais arrcterlepouvoir
sacré des lois que quand il s'agit du salut de la
patrie. Dans ces cas rareset manifestes on pour-
voit a la sûreté publique parunacteparticulicr
qui en remet la charge au plus digne. Cette
commission peut se donner de deux manières
selon l'espèce du danger.
Folit^^ue, Tome IL M
2c6 DU CONTRAT
Si pour y reuicdier il suffit d'augracnter
l'activité du gouverueiucnt, ou le couccutre
dausuu ou deux de ses membres ; aiusiceu'est
pas l'autoritc des lois qu'où altère , mais scu-
leineutia forme de leur admiuistratiou. Qua
al le périlesttel que l'appareil des lois soit uu
obstacle à s'eu garantir, alors ou uouime uu
chef suprême qui fasse taire toutes les lois et
suspeade uumomeutrautorite' souveraiue; eu
pareil cas la voiouté ge'ue'ralc u'est pas dou-
teuse, et il estévideut que la première iuteutiou
du peuple est que l'Etat ue périsse pas. De celte
luaiiièrola suspeusiou de Fautorité législative
ne l'abolit point : le magistrat qui la fait taire
lie peut la faire parler, il la domiue saus pou-
voir la représeiittr ; il peut tout faire , exccpt<>
des lois.
Le premier moyen s*cmj)lovaitpar le sénat
romain quand il chargeait les consuls par une
formule consacrée de pourvoir au salut de la
république; le second avait lieu quand uu des
deux consuls uouuuait uu dictateur :(!7) usage
dont Albe avait douué l'exemple à Pvome.
(q) Cette nomination ?e fesait de nuit et en «erret;
comme si Ton a. -ait eu iionte de mettre un homme
au-d-ssus des lois.
SOCIAL. 207
Dans les coiiniicuccmciis de la rcpiiljliqne
on eut tivs-souvciit recours à la dictature,
parce que l'Etat u'avaitpasencorc uucat>;irttc
assez lix'C [jour pouvoir se soutciiii par la m ulc
i'orcc de sa constitution. Les mœurs rendant
alorssuperflncsl)iendesprccaution.squicui>scnt
été nécessaires dansiui autre temps, on ne crai-
gnait ni qu'un dictateur abusât de son autorité
ni qii'il tentât de la garder au-delà du terme. Il
scmbia't, au contraire, qu'un si grand pouvoir
fut à chargea celui qui en ecait revêtu , tant
il se hâtait de s'en défaire ; coiuiue si c'eût été
un poste trop pénible et trop périlleux de te-
nir la pi ace des lois !
Aussi n'est-ce pas le danger de l'abus , mais
ccluideravilisscmcnt,quimcfaitblârnerrnsa-
ge indiscretde cette suprême magistraturedans
les premiers temps, ('artandis cfu'on la prodi-
guai ta des élections, à des dédicacej-.Ii des choses
dépure formalité , il était à craincirc qu'elle ne
devînt uioifisrodoutabl'jau besoin, etqn'on ne
s'accoutumât a rej^arder conuue un vain tltvc;
celui qu'on n'employait qu'à de vaincs céré-
monies.
Vers la fin de Ir. 3épu])liquc , les Romaiîis ,
devenus pluscirconsprcts jUiénaçrèrent la dic-
tature avec aussi peu de raison qu'Hs l'avaient
M 2
2o8 D U C O N T R A T
prodiguée autrefois. Il e'tait aisé de voir que
leur crainte était mal fondée, que la faiblesse
de la capitale fcsait alors sa sûreté contre les
magistrats qu'elle avait dans son sein, qu'un dic-
tateur pouvaitencertaiuscasdéfendrc la liberté
publique sans jamais y pouvoir attenter, et que
les fers de Rome ne seraient point forgés dan»
Rome même ,mais dans ses amiées : le peu de
résistance quelirent Marins à SynaQt Pompée
à César , montra bien ce qu'on pouvait atten-
dre de l'autorité du dedans contre la force du
dehors.
Cette erreur leur fit faire de grandes fautes.
Telle , par exemple , fut celle de n'avoir pas
nommé un dictateur dans l'affaire de CatiUna;
car comme il n'était question que du dedans
de la ville , et , tout au plus , de quelque pro-
vince d'Italie, avec l'autorité sans bornes que
les lois donnaient au dictateur il eût facilement
dissipélaconjuratiou,qui ne fut étouflée que
par un concours d'heureux hasards que ja-
mais la prudence humaine ne devait attendre.
Au lieu de cela, le sénat se coritenta de
remettre tout son pouvoir aux consuls; d'où
il arriva que Cicéron , pour agir efiicaccment ,
fut contraint de passer ce pou voir dans un poiitt
capital, et que si les premiers trani^ports de jûl&
SOCIAL. 2Q9
firent approuver sa conduite, ce fn t avec justice
que dans la suite on lui dcniaudacomptc dri
sang des citoyens verse' contre les lois; reprocke
qu'on eut pu faire à un dictateur. Mais l'élo-
quence du consul entraîna tout ; et lui-même,
quoique romain, aimantmieuxsa gloire que sa
patrie , ne cherchait pas tant le moyen le plu»
legîtimeetlepîus sûrdesauverrEtat,que celui
d'avoir tout riionneurde cette affaire. (/•) Aussi
fut-il honoré justement comme libérateur de
Rome, et justement puni comme mfracteur
des lois. Quelque brillant qu'ait été son rappel,
il est certain que ce fut une grâce.
Au reste , de quelque manière que cctt©
împortantecommissîonsoitconféréc , il impor-
te d'en fixer la durée à un terme très-court qui
jamais ne puisse être prolongé; dans les crises
qui la font établir , l'Etat est bientôt détruit ou
sauvé, et , passé le besoin pressant, la dicta-
ture devient tyrannique ou vainc. A Rome les
dictateurs ne Tétant que pour six mois, In plu-
part abdiquèrent avant ce terme. Si le terme eût
été plus long, peut-être eussent-ils été tentés
(r) C'est ce dont il ne pouvait se répondre en pro-
posant un dictateui- , n'osant se nommer lui-iném»
et ne pouvant «'assuier qi;e «on collègue le nomine-
rai t.
M 3
210 DU CONTRAT
de le prolonger encore , comme firent les de'-
ceirivirscrlui d'une année. Le dictateur n'avait
que le tenipj; de pourvoir au ]:)esoin qui ravaifc
fait élire, il n'avait pas celai de songer à dau-
tres projets.
CHAPITRE VIL
De la censure.
D
E même que la déclaration de la volonté
gcue'rale se fait par la loi, la déclaration du
jugement public se fait par la censiue; l'opinion
publique est l'espèce de loi dont le censeur
est le ministre, et qu'il ne fait qu'appliquer aux
cas particuliers, à l'exemple du prince.
Loin donc que le tribunal censorial soit
l'arbitre deropiuiou du peuple, il n'en est que
le de'clarateur , et sitôt qu'il s'en écarte, ses
décisions sont vaines et sans effet.
Il est iuvitilede distini^uer les mœurs d'une
nation des objets de sou estime ; car tout cela
tient au incme principe et secoalond nécessai-
rement. Chez tous les peuples ClW nioude ,
ce n'est point la nature, mais l'opinion qui
décide du choix de leurs plaisir?. Rcdre.ser
Ict opluiOJis de» koiiimes ^ et leurs majeurs
SOCIAL. 211
sYpiireront (rdlcs-incnics. On aime tonjoms
ce qui est l)t'aii on ce qu'on trouve tel, mais
c'est siir ce juj^enicnt qu'on se trompe ; c'est
donc ce jugement qu'il s'an,;t de ir:der.
(^)ni )n^e des nio urs jnge de l'honneur, et
qui juge de l'honneur prend sa loi de
ropinion.
Les opinions d'un peuple naissent de sa
constitution; quoique la loi ne règle pas les
mœurs , c'est la le'pislation qui les l'ait naî Ire ;
quand la législation s'aflalblit les mœurs
dégéîùrent, ma's alors le jugement dos cen-
seurs ne fera pas ce que la force des lois
n'aura pas fait.
11 suit de-là que la censure peut ctrc
utile pour conserver les uiœnrs , jamais
pour les rétablir. Etablissez des censeurs
durant la vigueur des lois ; sitôt qu'elles
l'ont perdue, tout est désespéré: rien de
légitime n'a plus de force lorsque les lois
n'en ont plus.
La censure maintient les mœurs en
empêchant les opinions de se corrompre ,
en conservant leur droiture par de sages
applications, quelquefois même en les fixant
lorsqu'elles sont encore incertaines. L'usage
des seconds daas les duels, porté jusqua
212 D U C O ^' T R. _A T
la fureur dans le royaume de France , y
fut aboli par ces seuls mots d'un e'dlt du
roi : Quant à ceux qui ont la lâcheté
d^ appeler les seconds. Ce jugement préve-
nant celui du ))ublic le détermina tout d'uji
coup. Mais quand les mêmes édits voulurent
prononcer que c'était aussi une lâcheté de
se battre eu duel , ce qui est vrai , mais
contraire à l'opinion commune , le public
se moqua de cette décision sur laquelle son.
jugement était déjà porté.
J'ai dit ailleurs (>s>) que l'opinion publi-
que n'étant point soumise à la contrainte,
il n'en fallait aucun vestige dans le tribunal
établi pour la représenter. On ne peut trop
adînirer avec quel art ce ressort , entièrement
perdu chez les modernes , était mis en œuvre
chez les Romains et mieux chez les Lacé-
démo niens.
Un homme de mauvaises mœurs ayajît
ouvert un bon avis dans le conseil de Sparte ,
les éphores sans en tenir compte iiient pro-
poser le même avis par un citoyen vertueux.
(5) Je ne fais qu'indiquer dans ce chapitre
ce que j'ai traité plus au long dans la lettre à
M. iVAlemhçrt.
s O C T A L. 2i3
Quel honneur pour Tmi , quelle note pour
l'autre , sans avoir donné ni louange ni
blâme à aucun des deux! Certains ivrognes
tic Samos (/) souillèrent le tribunal des
rphorcs ; le lendemain par e'dit public il
fut permis aux Samieiis d'être des vilains.
Un vrai cbâtinient eût ctê moins sevèro
qu'une pareille impunité'. (^)uand Sparte a
prononce sur ce qui est ou n'est pas bon nctc,
la Grèce n'appelle pas de ses jugemcus.
CHAPITRE Y I I I.
JDe la religion civile,
\ i E S hommes îi'eurent point d'abord
d'autres rois que les dieux, ni d'autre gou-
vernement que le théocratique. Ils firent le
raisonnement de CaUgula , et alors ils rai-
sonnaient juste. Il faut une longue altéra-
tion de sentlraens et d'idées j)our qu'on puisse
se résoudre à prendre son semblable pour
maître , et se flatter qu'on s'en trouvera
bien.
(f) Ils étaient d'une antre îl.-' , qtie la fîéli-
cate<;se de notre Kingue dci'eui de liommer daiu
cette cccasion.
2T4 D u c o r; T R A T
De cela scui qu'on m'jttait Dieu à la tête
de chaque sociclc politique, iî s'ensuivit
qu'il y eut autant de dieux que de peuples,
Deux peuples étrangers l'un à l'autre , et
presque toujours ennemis , ne purent long- ,
tems reconnaître un raôuîe maître : deus
annécà ù?^ livrant bataille ne sauraient obéir
au méinc Aie?. Ainsi des divis!0"s riationalcs
résulta le poîytuéisnic , et dc-ls riiiioîcrance
tliéologique et civile qui naturcTlenient est lit
ïiiérae , consnie il sera dit ci-après.
La fantaisie qu'eurent les Grecs de retrou-
ver leurs dieux chez les peuples barijare? ,
vint de celle qu'ils avaient aussi de se regar-
der comme les souverains naturels de ces
peuples. Mais c'est de nos jours une éru-
dition bien ridicule que celle qui roule sur
î'identité des dieux de diverses nations ;
comme si Moloch , Saturne et Chrovos
pouvaient être le même dieu ; comme si le
JBaaî des Phéniciens , le Zens des Grecs et
le Jupiter des Latins pouvaient être le mé-
îne ; comme s'il ponvoit rester quelque chose
commune à des êtres chimcriqnes portant
des noms differens.
Que si l'on demande com.ment dans le
paganisme, où chaque Etat avait son culte
SOCIAL. 21 â
et ses dic'iK , il n'y avait point de guerres
de religion , )c réponds que c'était par cela
iiiêmc que chaque Etat ayant son culte pro*
pre anssi-bicu que sou gouvernement , no
distinguait point ses dieux de ses lois. La
guerre politique était aussi iheologique : les
departouiens des dieux étaient, peur ainsi
dire , iixe's par les bornes des nations. Lo
dieu d\in peuple n'avait aucun droit sur les
autres peuples. Les dieux des païens notaient
point des dieux jaloux; ils partageaient entre
eux l'empire du monde; Moise même et lo
peuple hébreu se prctaieiit quelquefois à
cette idée en parlant du Dieu d'Ibracl. Ils
regardaient , il est vrai , comme nuls ies
dieux des Cananéens , peuples proscrits ,
voués à la destruction , et dont ils devaient
occuper la place; mais voyez comment ils
pariaicîit desdivinités des peuples voisinsqu'il
leur était défendu d'attaquer! Lapossesslon
de ce qui appartient à Chaînas votre dieu ,
disait Jephtc aux Ar.imoniteSj ne vous est-
elle pas légitimement due? Ncus possédons
au même titre les terres que notre dieu vain-
queur s'est acquises {u^j. C'était là, ce me
( n ) lionne ea qiict possidet Chamos deus ttius tibi
jure dtber.turf Tel est le tçxie delaVulgate. i,e|.'<:»a
2i6 DU CONTRAT
semble, une j^aritc bien reconnue cnti-e les
droits de Chamos et ceux du Dien dTsra'cl.
Mais quaud les Juifs , soumis anx rois de
Babjione et dans la suite aux rois de Syrie,
Voulurent s'obstiner à ne reconnaître aucun
autre dieu que le leur , ce refus , regardé
comme une rébellion contre le vainquenr ,
leur attira les persécutions qu'on lit dans
leur histoire , et dont on ne voit aucua
^utre exemple avant le christianisme (:r).
Chaque religion étant donc uniquement
attachée aux lois de l'Etat qui la prescrivait ,
iln'yavaitpoint d'autre luanicre de convertir
un peuple que de l'asservir , ni d'autres
missionnaires que les couqucrans ; etl'obli-
de Carrières a traduit: Ne crcye?-yous pas avoir droit
de posséder ce qui appartient h Chamos votre diew^
J'ignore la force du texte hébreu; mais je vois que
dans la Vnlgaie, /e/»At« reconnaît positivement le
droit du dieu CAflmo^, et que le traducteur français
affaiblit cette connaissance par un selon v9us qui
a'cit pas dans le latin.
( X ) Il est de la dernière évidence que la guêtre
des Phocéens , appelée guerre sacrée , n'était
point une guerre de religion. Elle avait pour
objet de punir des sacrilèges et non de sou-
mettre des micréans.
gatloii
s O C I A L. 217
gallon de changer de culte étant la loi des
vaincus, il fallait commencer par vaincre
avant d'en parler. Loin que les hommes
combattissent pour les dieux , c'étaient ,
comme dans Homère , les dieux qui com-
battaient pour les hommes: chacun deman-
dait au sien la victoire, et la pciyait par de
nouveaux autels. Les Romains, avant de
prendre une place, sommaient ses dieux de
l'abandonner , et quand ils laissaient aux
Tarcntins leurs dieux irrités, c'est qu'ils
regardaient alors ces dieux comme soumis
aux leurs et forcés de leur faire hommage r
ils laissaient aux vaincus leurs dieux comme
ils leur laissaient leurs lois. Une couronne
au Jupiter du capitolc était souvent le seul
tribut qu'ils imposaient.
EuQnles Romains ayant étendu av«c leur
empire leur culte et leurs dieux , et avant
souvent eux-mêmes adopté ceux des vaincus
en accordant aux uns et aux autres le droit
de cité , les peuples de ce vaste empire se
trouvèrent insensiblement avoir des mnlti-
titudes de dieux et de cultes , à-pcu-prcs les
mêmes par-tout; et voilà comment le pa;;a-
nisme ne fut enfin dans le monde couuii
qu'une seule et même religloix.
Polltii^ue. Tome II, IS.
2i8 DU CONTRAT
Ce fut dans ces circonstances que Jescs
vint établir sur la terre un royaume spiri-
tuel ; ce qui , se'parant le système the'olo-
gique du système politique , fit que l'Etat
cessa d'être un, et causa les divisions intes-
tines^ qui n'ont jamais cessé d'agiter les peu-
ples chrétiens. Or , cette idée nouvelle d'un
royaume de l'autre monde n'ayant pu jamais
entrer dans la tête des païens , ils regardè-
rent toujours les chrétiens comme de vrais
rebelles qui , sous une hypocrite soumission,
ne cherchaient que le moment de se rendre
indépendans et maîtres , et d'usurper adroi-
tement l'autorité qu'ils feignaient de respec-
ter dans leur faiblesse. Telle fut la cause des
persécutions.
Ce que les païens avaient craint est arrivé :
alors tout a changé de face , les humbles
chrétiens ont changé de langage, et bientôt
on a vu ce prétendu royaume de l'autre
inonde devenir sous un chef visible le plus
violent despotisme dans celui-ci.
Cependant comme il y a toujours eu un
prince et des lois civiles , il a résulté de cette
double puissance un perpétuel conflit de
jurisdîction qui a rendu toute bonne police
impossible dans les Etats chiétieris , et l'on
s O C 1 A L. 219
n'a jamais pu venir à bout desavoir iuiqiiel
du maître ou du prêtre ou cLait oblige
d'obéir.
Plusieurs peuples cependairt , même dans
l'Europe ou à sou voisiuagc , ont voulu
conserver ou rétablir Taucieu système , mai»
sans succès; l'esprit du christianisme a tout
ga<;nc'. Le culte sacré est toujours resté ou
redevenu indépendant du souverain, et sans
liaison nécessaire avec le corps de l'Etat.
Ma/iomci eut des vues très-saines , il lia bicu
son systèiue politique , et tajit que la forme
de son gouvernement subsista sous les califes
ses successeurs , ce gouvernement fut exac-
tement un , et bon en cela. Mais les Arabes
deveims florissans , lettrés, polis, mous et
lâches , furent subjugués par des barbares :
alors la division entre les dcus: puissances
recommença ; quoiqu'elle soit moins appa-
rente chez les mahométans que chez les chié-
tieus , elle y est pourtant , sur-tout dans
la secte d'^/l , et il y a des Etats , tels que
la Perse , où elle ne ce^se de se faire sentir.
Parmi nous, les rois d'Angleterre se sont
e'tajjîis chefs de TEj^lise , autant en ont fait
les czars ; mais par ce titre ils s'en sont moins
rendus; les maîtres q-.ic Jies ministres, ils ou^
N ?
J220 D U C O N T U A T
moins acquis le droit de la changer que le
pouvoir de la maintenir; ils n'y sont pas
législateurs, ils n'y sont que princes. Par-
tout où le clergé fait un corps ( y ) il est
maître et législateur dans sa partie. Il y a
donc deux puissances , deux souverains eu
Angleterre et en Russie , tout comme ail-
leurs.
De tous les auteurs clirétiens , le philo-
sophe Hobhes est le seul qui ait bien vu le
mal et le remède , qui ait ose proposer de
réunir les deux têtes de l'aigle , et de tout
ramener à l'unité politique , sans laquelle
jamais Etat ni gouvernement ne sera bien
constitué. Mais il a dû voir que Tesprit
dominateur du christianisme était incompa«
(}') Il faut Lien remarquer que ce ne sont
pas tant des assemblées formelles , comme celles
de France , qui lient le clergé en un corps ,
que la communion des églises. La communion
et l'excommunication sont le pacte social du
clergé , pacte avec lequel il sera toujours le
maître des peuples et des rois. Tous les prêtres
qui communiquent ensemble sont concitoyens ,
fussent-ils des deux bouts du monde. Cette in-
vention est un chef-d'œuvre en politique. Il n'y
avait rien Je semblable parmi les prêtres païens;
aussi n'ont-ils jamais fait un corps de cleri^é.
SOCIAL. 231
tiblc avec sou système, et que l'Iiite'iét du
prêtre serait toujours plus fort que celui de
l'Etat, Ce litst pas tant ce qu'il y a d'iior-
ribîn et de faux dans sa politique que ce
qu'il y a de juste et de viai qui i'a rendue
odieuse (-).
Je crois qu'en développant sous ce point
de vue les faits historiques, ou réfuterait
aisemeutles scntimens oppose's de JJayle et
de ff^arburton ^ dont l'uji prétend que
nulle religion n'est utile au corps politique,
et dont l'autre soutient au contraire que le
christianisme en est le plus forme appui. Ou
prouverait au premier que jamais Etat ne
fut fonde que la religion ne lui servît de
base, et au second que la loi chrétienne est
au fond plus nuisible qu'utile à la forte
constitutioii de l'Etat. Pour achever de me
faire entendre , il ne faut que donner un peu
plus de précision aux idées trop vagues de
religion relatives à mon sujet.
(?) "^'oyez enn'autres dans une lettre de Groîius
h son fière, du ii avril 1*^43, ce que ce savant
homme approuve et ce qu'il blàrae dans le livre
de Cive. Il est vrai que , porté à riruluigence , il
paraîr pardonner à l'auteur le bien en faveur du
nidl ; mais tout le monde n'est pas si clément.
N 3
522 DU CONTRAT
La religion considérée par rapport à la
société, qui est ou générale ou particulière,
peut aussi se diviser en deux espèces, savoir,
la religion de l'homme et celle du citoyen.
La première , sans temples , sans autels ,
sans rites , bornée au culte purement inté-
rieur du Dieu suprême et aux devoirs éter-
nels de la morale , est la pure et simple
religion de l'Evangile , le vrai théisme , et
ce qu'on peut appeler le droit divin natu-
rel. L'autre , inscrite dans un seul pays ,
lui donne ses dieux , ses patrons propres et
tutélaircs ; elle a ses dogmes , ses rites , son
culte extérieur prescrit par des lois ; hors
la seule nation qui la suit , tout est pour
elle iuiidelle, étranger, barbare : elle n'é-
tend les devoirs et les droits de l'homme
qu'aussi loin que ses autels. Telles furent
toutes les religions des prem!ei*s peuples ,
auxquelles on peut donner le nom de droit
divin civil ou positif.
Il y a une troisième sorte de religion
plus bizarre, qui donnant aux hommes
deux législations , deux chefs , deux patries ,
les soumet à des devoirs contradictoires et
les empêrhe de pouvoir être à-îa-fois dévots
et citoyens. Telle est la religion des Lamas,
s v^ ;...*. ^. 223
telle est celle des Japonais , tel est le cliris-
tianismc romain. Ou peut appeler celui-ci
la religion du prêtre. Il en resuite une sorte
*4e droit mixte et iusociable qui n'a point
de nom.
A considérer politiquement ces troissortes
de religions, elles ont toutes leurs défauts,
La troisième est si e'videmment mauvaise
que c'est perdre le tems de s'amuser à le
de'montrer. Tout ce qui rompt l'unité' so-
ciale ne vaut rien ; toutes les institutions
qui mettent l'homme en contradiction avec
lui-même ne valent rien.
La seconde est bonne en ce qu'elle re'unit
le culte divin et l'amour des lois , et que
fesant de la patrie l'objet de l'adoration
des citoyens , elle leur apprend que servir
l'Etat c'est en servir le dieu tutëlaire. Cest
une espèce de théocratie, dans laquelle on
ne doit point avoir d'autre pontife que le
prince , ni d'autres prêtres que les magis-
trats. Alors mourir pour son pays c'est
aller au martyre , violer les lois c'est être
impie , et soumettre un coupable à l'exe'-
cration publique c'est le dévouer au cour-
roux des dieux ; saccr esto.
Mais elle est mauvaise en ce qu'e'taut
N 4
^24 BU C O N T R. A T
foiidt'e sur l'errenr et sur le meusouge , elîe
trempe les hommes , les rend cre'dules , su-
perstitieux , et noie le vrai culte de la Di-
vinité dans un vain ce'rc'monial. Elle est
mauvaise encore quand , devenant exclusive
et tyrannique, elle rend un peuple san-
guinaire et intole'rant ; en sorte qu'il ne
respire que meurtre et massacre, et croit
faire une action sainte en tuant quiconque
n'admet pas ses dieux. Cela met un tel
peuple dans un e'tat naturel de guerre avec
tous les autres , très-nuisible à sa propre
sûreté'.
Reste donc la religion de l'homme ou le
christianisme , non pas celui d'aujourd'hui,
mais celui de l'Evangile , qui en est tout-à-
fait différent. Par cette religion sainte, su~
tlime , véritable , les hommes , enfans du
même Dieu , se reconnaissent tous peur
frères, et la société qui les unit ne se dis-
eont pas même à la mort.
Mais cette religion n'ayant nulle relation
particulière avec le corps politique , lai.sse
aux lois la seule force qu'elles tirent d'elles-
mêmes sans leur en ajouter aucune autre ,
et par-là un des grands liens de la société
particulière reste sans effet. Bleu plus ; loiii
s O C I A L. 225
d'attacher les c(Ciirs des citoyens à l'Etat ,
elle les en détache comme de toutes les choses
de la terre : )e iic connais rien de plus con-
traire à Tesprit social.
On nous dit qu'un peuple de vrais chré-
tiens formerait la plus parfaite société que
l'on puisse imaginer. Je ne Vois à cette sup-
position qu'une grande difTiculte' : c'est
qu'une société de vrais chrétiens ne serait
plus une société d'hommes.
Je dis même que cette société supposée
ne serait , avec toute sa perfection , ni la
plus forte ni la plus durable : à force d'être
parfaite , elle manquerait de liaison ; sou
vice destructeur serait dans sa pcrfectioa
même.
Chacun remplirait son devoir ; le peuple
serait soumis aux lois , les chefs seraient
justes et modérés , les ma;^istrats intègres ,
incorruptibles , les soldats mépriseraient la
mort, il n'y aurait ni vanité ni luxe : tout
cela est fort bien , mais voyons plus loin.
Le christianisme est une religion toute
spirituelle , occupée uniquement dts choses
du ciel : la patrie du chrétien n'est pas de
ce monde. Il fait son devoir, il est vrai ,
mais il le fait avcx; une profonde iudiffé-
N 5
226 DU CONTRAT
rencc snr le bon ou mauvais succès de ses
soins. Pourvu qu'il n'ait rien à se repro-
cher , peu lui importe que tout aille bien
ou mal ici-bas. Si l'Etat eȔt florissant , a.
peine ose-t-il Jouir de la fe'licité publique ,
il craint de s'enorgueillir de la e^loire de
son pays ; si l'Etat de'perit , il be'iiit la main
de DîEQ qui s'appesantit sur sou peuple.
Pour que la socie'te' fût paisible et que
riiarmonie se niainttnt , il faudrait que
tous les cltt>ycns , fans excepton , fussent
également bons cnre'ticns : mais si malheu-
reusement il s'y trouve un seul ambitieux ,
nn seul hypocrite , un Cniilina , par
exemple , un Crom-ive! , colui-Ià trcs-ccrtai-
nem.ent aura l)on uTarche de ses pieux com-
patriotes. La charité' chrétienne ne permet
pas aisément de penser mal de son pro-
chain. Dès qu'il aura trouve' , par quelque
ruse , l'art de leur en imposer et de s'em-
parer d'une partie de l'autorité' publique ,
voilà un homme constitué en dignité ; DieB'
veut qu'on le respecte; bientôt voila une
puissance -, Dieu veut qu'on lui obéisse.
Le dépositaire de cette puissance en abuse-
t-il ? c'est la verge dont Dieu punit ses
eiifans. On se ferait couscience de chasser
s O C I A L. 227
rusnrpatctn- ; il faudrait troubler le repos
piibllc, user de violence, verser du sang ;
tout cela s'accorde mal avec la douceur du
chrétien ; et après tout , qu'importe qu'où
soit libre ou serf dans cette vallée de mi-
sères ? rcssenticl est d'aller en paradis , et
la résignation n'est qu'un moyen de plus
pour cela.
vSurvient-il quelque guerre étrangère? les
citoyens marchent sans peine au combat ,
nul d'entr'cux ne songe a fuir ; ils font
leur devoir , mais sans passion pour la
victoire ; ils savent plutôt mourir quo
Vaincre. Qu'ils soient vainqueurs ou vain-
cus , qu'importe ? la Providence ne sait-
elle pas mieux qu'eux ce qu'il leur faut ?
(^u'on imagine quel parti un ennemi fier ,
impétueux , passionné , peut tirer de leur
stoïcisme? Mettez vis-à-vis d'eux ces peuples
généreux que dévorait l'ardent amour de la
gloire et de la patrie , supposez votre ré-
publique chrétienne vis-à-vis de Sparte ou
de Rome, les pieux chrétiens seront battus,
écrasés , détruits avant d'avoir eu le temps
de se reconnaître , ou ne devront leur saint
qu'au mépris ^^que leur ennemi concevra
pomeux. C'était un beau scrmeiità mon gré
N 6
228 DU CONTRAT
que celui des soldats de Fabius ; ils ne ju-
rèrent pas de mourir ou de vaincre, ils ju-
rèrent de revenir vainqueurs , et tinrent
leur serment : jamais des chrétiens n'en
eussent fait un pareil ; ils auraient cru tenter
Dieu.
Mais je tac trompe en disant une re'pu-
l^lique cbrétienne ; chacun de ces deux mots
exclut l'autre. Le christianisme ne prêche
que servitude et dépendance. Sou esprit est
trop favorable à la tyrannie pour qu'elle
n'eu profite pas toujours. Le? vrais chré-
tiens sont faits pour être esclaves ; ils le
savent et ne s'en émeuvent guère, cette
courte vie a trop peu de prix à leurs yeux.
Les troupes chrétiennes sont excellentes ,
nous dit-oîi. Je le nie. Qu'on m'en montre
de telles. Quant à moi, je ne connais point
de troupes chrétiennes. On me citera les
croisades. Sans disputer sur la valeur des
croisés, je remarque que bien loin d'être
des chrétiens, c'étaient des soldats du prétit;,
c'étaient des citoyens de VEglise ; ils se bat-
taient pour son pays spirituel , qu'elle avait
rendu temporel on ne sait comment. A le
})ien prendre , ceci rentre sous le paganisme ;
comme rEYaDgile n'établit point une reli-
SOCIAL. 229
gion nationale , toute t^uerrc sacrée est im-
possible parmi les chrétiens.
Sous les empereurs païens les soldats
chrétiens étaient braves ; tous les auteurs
chrcliens l'assurent , et je le crois : c'était
une émulation d'honneur contre les troupes
pa'/enncs. Dès que les empereurs furent
clircliens, cette émulation ne subsista plus,
et quand la croix eut chassé l'aigle, toute
la valeur romaine disparut.
Mais laissant à part les consiv^éralious po-
litiques, revenons au droit, et fixons les
j)rineipes sur ce point important. Le droit
que le pacte social donne au souverain sur
les sujets , ne passe point , comme je l'ai
dit, les bornes de l'utilité publique. ( ^ )
Les sujets ne doivent donc compte au sou-
(û) Dans la république^ dit le marquis CCAr-
gciisjn , ckiicun est parfaitement libre en ce qui ne
nuit pas aux autres. Voilà la borne invariable ;
on ne peut la poser plus exactement. Je n'ai
pu me refuser au plaisir de citer quelquefois ce
manuscrit quoique non connu du public , pour
rendre honneur à la mémoire d'un homme
illustre et respectable qui avoit conservé ius(|ue
dans le ministère le cœur d'un citoyen , et des
vues droites et saines sur le gouvercement Je
sou pays.
2^0 DU CONTRAT
verain de leurs opinions qu'autant que ce»
opinions importent à la communauté'. Or
il importe bien à l'Etat que chaque ci-
toj'en ait une religion qui lui fasse aimer
s^s devoirs ; mais les dogmes de cette reli-
gion n'inte'ressent ni l'Etat ni ses membres
qu'autant que ces dogmes se rapportent à la
morale et aux devoirs que celui qHi la pro-
fesse est tenu de remplir envers autrui.
Chacun peut avoir au surplus telles opi-
nions qu'il lui plaît, sans qu'il appartienne
au souverain d'en connaître. Car comme il
na point de compe'teuce dans l'autre
monde , quel que soit le sort des sujets dans
la vie à venir , ce n'est pas son affaire ,
pourvu qu'ils soient bons citoyens dans
celle-ci.
Il y a donc une profession de foi pu-
rement civile dont il appartient au sou-
verain de fixer les articles , non pas précise'-
incnt comme dogmes de religion , mais
comme sentimens de sociabilité' , sans les-
quels il est impossible d'être bon citoyen
ni sujet fidelie. ( /^ ) Sans pouvoir obliger
( b ) César plaidant pour Catdina tâchait d'établir
le dogme de la mortalité de l'ame ; CatoK et
s o r I A L. 2-:r
personne a les croire , il pcnt bannir de
IT-tat quiconque ne les croit pas; il peut
le bannir, non comme impie , mais comme
in?ociablc , comme incapable d'aimer sin-
cèrement les lois , la justice , et d'immoler
au besoin sa vie à son devoir, (^nc si quel-
qu'un , après avoir reconnu publiquement
ces mêmes dogmes , se conduit comme ne
les croyant pas, qu'il soit puni de mort ^
il a commis le plus grand des crimes , il
a menti devant les lois.
Les dogmes de la religion civile doi-
Tcnt être simples , en petit nombre , e'non-
ces avec pre'cision, sans explications ni com-
mentaires. L'existence de la Divinité' puis-
sante , intelligente, bienfesante, pre'voyante
et pourvoyante, la vie à venir , le bonheur
des justes , le châtiment des mechans , la
sainteté du contrat social et des lois ; voilà
les dogmes positifs. Quant aux dogmes ne'-
gatifs , je les borne à un seul ; c'est l'into-
Cicéron pour le réfuter ne s'amusèrent point à
philosopher: ils se contentèrent de montrer que
César parlait en mauvais citoven et avançait
une doctrine pernicieuse à l'htat. En effet ,
voilà de quoi devait juger le sénat de Pvome eB
non d'une question de théologie.
232 DU CONTRAT
leiaiice : elle rentre dans les cultes que
nous avons exclus.
Ceux qui distlnj^ueut rintolc'rance civile
et l'intolérance tlie'ologique se trompent ,
a inoQ avis. Ces deux intolérances sont in-
se'parables. li est impossible de vivre en paix
avec des geuf^ qu'on croit damnc's ; les aimer
seroit haïr Dieu qui les punit ; il faut ab-
solument qu'on les ramène ou qu'on les
tourmente. Par-tcut où TintoleVauce tbéolo-
gique est admise , il est impossible qu'elle
n'ait pas quelque effet civil , ( c ) et sitôt
( c ) Le mariage , par exemple , éiant un con-
trat civil, a des efl'ets civils sans lesquels il est
même impossible que la société subsiste. Sup-
posons donc qu'un clergé vienne à bout de
s'attribuer , à lui seul , le droit de passer cet
acte ; droit qu'il doit nécessairement usurper
dans toute religion. intolérante ; alors n'est-il pas
clair qu'en fesant valoir à-propos l'autorité de
l'Eglise il rendra vaine celle du prince , qui
n'aura plus de sujets que ceux que le clergé
voudra bien lui donner ? Maître de marier ou
de ne pas marier les gens selon qu'ils auront
ou n'auront pas telle ou telle doctrine , selon
qu'ils admettront ou rejetteront tel ou tel for-
mulaire , selon qu'ils lui seront plus ou moins
dévoués , en se conduisant prudemment et tenant
ferme , n'est-il pas cldir qu'il disposera seul des
s O C I A L, 2.33
qu'elle en a , le souverain n'est ])lns sou-
verain , même au temporel , dcs-lors les
prêtres sont les vrais maîtres , les rois ne
sont que leurs officiers.
Maintenant qu'il n'y a plus , et qu'il ne
peut plus y avoir de religion nationale ex-
clusive , on doit tole'rer toutes telles qui
tolèrent les autres , autant que leurs dogmes
n'ont rien de contraire aux devoirs du ci-
toyen. Mais quiconque ose dire : Hors de
2' lL,glise point de salut , doit être chasse' de
l'Etat , à moins qne l'Etat ne soït l'Eglise,
et que le prince ne soit le pontife. Un tel
dogme n'est bon que dans un gouverne-
ment the'ocratlqne ; dans tout autre il est
pernicieux. La raison sur laquelle on dit
héritages , des charges , des citoyens , de l'Etat
même , qui ne snurait subsister n'étant plus
composé que de bâtards. Mais , dira-t-on , Ton
appellera comme d'abus, on ajournera, décré-
tera , saisira le temporel. Quelle pitié ! Le clergé ,
pour peu qu'il ait , je ne dis pas de courage ,
mais (le bon sens , laissera faire et ira son traiu;
il laissera tranquillement appeler , ajourner ,
décréter, saisir, et finira par rester le maître.
Ce n'est pas, ce me semble , un grand sacriHca
d'abandonner une partie , quand on est sitr d«
s'emparer du tout.
234 D U C O N T R A T
qn' /lenri I/^ embrassa la religion romaine,
la devrait faire quitter à tout honnête homme
et sur-tout à tout prince qui saurait rai-
sonner.
CHAPITRE IX.
Conclusion,
/jLprks avoir posé les vrais principes du
droit politique et tâché de fonder l'Etat
sur sa base , il resterait à l'appuyer par ses
relations externes ; ce qui comprendrait le
droit des gens , le commerce , le droit de la
guerre et les conquêtes , le droit public , les
ligues , les négociations , les traités , etc. Mai<r
tout cela forme un nouvel objet trop vaste
pour ma courte vue ; j'aurais dû la nxer
toujours plus près de moi.
CONSIDERATIONS
SUR
LE GOUVERNEMENT
DE POLOGNE,
E T s U R
SA DÉFORMATION PROJETEE,
En avril IJJZ^
consid];:rations
SUR
LE GOUVERNEMENT
DE POLOGNE,
ET SUR
SA rtÉFOniMATIOxN PROJETÉE.
CHAPITRE PREMIER.
Etat delà question.
JLjE tableau du goiivcrneineiit de Pologrre
fait par M. le coutte Jf'ielhorski , et les
réQexious qu'il y a jointes, sont des pièces
instructives ponr quiconque voudra former
\\\\ plan régulier pour la refonte de ce gou-
vernement. Je ne connais personne plus en
état de tracer ce plan que Ini-mcme , qui
-joint aux connaissauces générales que ce tra-
yail exige toutes celles du local et des dé-
233 GOUVERNEMENT
tails particuliers , impossibles a donner par
écrit, et ue'anmoins ne'cessaires à savoir pour
approprier une institution au peuple auquel
on la destine. Si l'on ne connoît à fond la
nation pour laquelle on travaille , l'ouvrage
qu'on fera pour elle, quelque excellent qu'il
^juisse être en lui-même, pe'cliera toujours
par l'application , et bien plus encore lors-
qu'il s'agira d'une nation de';à toute instituée,
dont les goûts , les mœurs , les prcjugc's et
les vices sont trop enracinés pour pouvoir
être aisément étouflés par des semences nou-
velles. Une bonne institution pour la Pologne
lie peut être l'ouvrage que des Polonais, ou
de quelqu'un qui ait bien étudié sur les
lieux la nation polonaise et celles qui l'avoi-
sinent. Un étranger ne peut guère donner
que des vues générales , pour éclairer, non
pour guider l'instituteur. Dans toute la vi-
gueur de ma tête je n'aurais pu saisir l'en-
semble de ces grands rapports. Aujourd'hui
qu'il me reste à peine la faculté de lier des
idées , je dois me borner , pour obéir à M. le
comte Tf^iellwrski ^ et faire acte de inou
2ele pour sa patrie , à lui rendre compte
des impressions que m'a faites la lecture da
s on travail, et des réflexions qu'il m 'a suggérées.
DE P 0 L O G N E. 239
Eu lisant riiistoirc du £^oii\ crncment de
Pologne, on a peine à comprendre coiiuncnt
un Etat si bizarrement constitue a pu sub-
sistcrsi long-temps. Uîigraudcorpstbrmed'uu
grand nombre de membres morts , et d'un
petit nombre de membres désunis , dont
tous les mouvemens, presqu'indépendans les
luis des autres , loin d'avoir une bu com-
mune , s'entre-det misent mutuellement, qui
s'agite beaucoup pour ne rieu faire , qui ne
peut faire aucune re'sistance à quiconque
veut l'entamer, qui tombe eu dissolution
cinq ou six fois chaque siècle , qui tom])e
en paralysie à chaque effort qu'il veut faire,
il chaque besoin auquel il veut pourvoir,
et qui , malgré tout cela, vit et se conserve
en vigueur ; voilà , ce me semble, un de»
plus singuliers spectacles qui puissent frap-
per un être pensant. Je vois tous les Etats
de l'Europe courir à leur ruine. Monarchies ,
1 (.'publiques, toutes ces nations magnifique-
ment instituées , tous ces beaux gouverne-
inens si sagement pondérés , tombés en dé-
crépitude, menacent d'une mort prochaine;
et la Pologne , cette région dépeuplée ,
dévastée, opprimée , ouverte à ses agresseurs ,
au fort de ses malheurs et de sou anarchie.
240 GOUVERNEMENT
montre encore tout le feu de la jeunesse •
eiie ose demander uu gouverueuicut et des
lois , comme si elle ue taisait que de naître.
Elle est dans les fers , et discute les moyens
de se conserver libre ! elle sent en elle cette
force que celle de la tyrannie ue peut sub-
juguer. Je crois voir Rome assiége'e , régir
tranquillement les terres sur lesquelles son
ennemi venait d'asseoir son camp. Braves
Polonais , prenez garde ; prenez garde que
pour vouloir trop bien être, vous n'empi-
riez votre situation. En songeant à ce que
vous voulez acquérir, n'oubliez pas ce que
vous pouvez perdre. Corrigez, s'il se peut,
les abus de votre constitution ; mais ne
méprisez pas celle qui vous a faits ce que
vous êtes.
Vous aimez la liberté; vous en êtes di-
gues ; vous l'avez défendue contre un agres-
seur puissant et rusé, qui, feignant de vous
présenter les liens de l'amitié, vous chargeait
des fers de la servitude. Maintenant , las
des troubles de votre patrie, vous soupirez
après la tranquillité. Je crois fort ai.sé de
l'obtenir; mais la conserver avec la liberté,
voilà ce qui me parait difïicile. C'est au sein
de cette auarcliie , qui vous est odieuse ,
que
D E P O L O G N E. 241
que se sont formées ces amcs patriotiques
qui vous ont garantis diijou^. Elles s'endor-
maient dans uu rci)Os lctharj:;iquc ; l'orage
les a réveillées. Aprf;s avoir brise les l'ers qu'on
Jcur destinait, elles sentent le poids de la
fatigue. Elles voudraient allier la paix du
despotisme aux douceurs de la liberté. J'ai
peur qu'elles ne veuillent des choses contra-
dictoires. Le repos et la liberté me paraissent
incompatibles ; il faut opter.
Je ne dis pas qu'il faille laisser les choses
dans l'état où elles sont; mais je dis qu'il
u'y faut touciicr qu'avec une circonspection
extrême. En ce moment on est plus frappé
<les abus que des avantages. Le temps vien-
dra , je le crains , qu'on sentira mieux ces
avantages , et malheureusement ce sera quand
on les aura perdus.
Qu'il soit aisé, si l'on veut, de faire de
meilleures lois. Il est im;:ossible d'en faire
dont les passions des homincs n'abusent pas
comme ils ont abusé des premières. Prévoir
et peser tous ces abus à venir est peut-être
inie cliose impossible à l'homme d'Etat le
plus cousominé. ^lettre la loi au-dessus de
l'hounue est un problème eu politique ,
^ue je compare à celui de la quadrature du
J^olitiijuc, Tome 11. O
242 GOUVERNEMENT
cercle en géome'trie. Re'solvez bien ce pro-
blème , et le gouvernement fondé sur cette
solution sera bon et sans abus : mais jus-
que-là , soyez sûrs qu'où vous croirez faire
régner les lois , ce seront les hommes qui
régneront.
Il n'y aura Jamais de bonne et solide cons-
titution que celle où la loi régnera sur les
cœurs des citoyens : tant que la force le'-
gislative n'ira pas jusque-là, les lois seront
toujours e'iude'es. Mais comment arriver aux
cœurs ? c'est à quoi nos instituteurs , qui
ne voient jamais que la force et les cliâti-
mens , ne songent guère , et c'est à quoi
les récompenses matérielles ne mèneraient
peut-être par mieux; la justice même la plus
intègre n'y mène pas , parce que la justice
est , ainsi que la santé, un bien dont ou
jouit sans le sentir, qui n'inspire point d'en-
thousiasme , et dont on ne sent le prix qu'a-
près l'avoir perdu.
Par où donc émouvoir les cœurs , et faire
aimer la patrie et ses lois ? L'oserai-je dire ?
par des jeux d'enfans , par des institutions
oiseuses aux yeux des hommes superficiels ,
mais qui forment des habitudes chéries et
des attachemens invincibles, Si j'eitravague
DE P O L O G N E. 24.^
ici , c'est du moins bien coniplcttcment ; car
j'avoiîc que je vois ma folie sous tous les trait»
de la raison.
CHAPITRE II.
Esprit des anciennes institutions.
V_yuA>D on lit l'histoire ancienne, on se
croit transporté dans un autre univers et
parmi dantrrs êtres. Qu'ont de commun les
Français, les Anglais, les Russes, avec les
Romains et les Grecs ? rien presque que la
fip;urc. Les fortes amcs de cclix-ci paraissent
aux autres des exagc'rations de l'histoire. Coin-
mcîiteux qui se sentent si petits penseraient-
ils qu'il y ait eu de si grands hommes ? Ils
existèrent pourtant, et c'étaient des humains
comme nous : qu'est-ce qui nous empêche
d 'être des hommes comme eux ? nos préjugés ,
notre basse philosophie, et les passions du
petit intérêt, concentrées avecrégoVsme dans
tous les cœurs , par des institutions ineptes
que le génie ne dicta jamais.
.le regarde les nations modernes ; j'y vois
force faiseurs de lois , et pas un législateur.
(]hcz les anciens , j'en vois trois principaux,
O2
^44 G O U V E R. N E M E N T
qui méritent une attention particulière ,
Moïse , Lycurgue et Ninnn. Tous trois ont
mis leurs principaux soins a des objets crui
paraîtraient à nos docteurs dignes de
risée. Tous trois ont eu des succès qu'on
jugerait impossibles , s'ils étaient moins
attestés.
Le premier forma et exécuta Téionnante
entreprise d'instituer en corps de nation uji
essaim de malheureux fugitifs , sans arts, sans
armes , sans talens , sans vertus , sans cou-
rage , et qui, n'ayant pas en propre nn seul
pouce de terrain , fesaient nne troupe étran-
gère sur la surfate de la X.ç^xxQ..]MoLse osa faire
de cette troupe errante et serviie un corps
politique, un peuple libre; et tandis qu'elle
errait dans les déserts sans avoir une pierre
pour y reposer sa tête , il lui donnait cette
institution durable, à l'épreuve du temps,
de la fortJuie et des conquérans , que cinq
mille ans n'ont pu détruire ni même altérer,
et qui subsiste encore aujourd'hui dans toute
sa force , lors même que le corps deia nation
ne subsiste plus.
Pour empêcher que son peuple ne se fon-
dît parmi les peuples étrangers , il lui donna
des mœurs et des usages uialiiablcs avec ceux
DE POLOGNE 24 &
drs autres nations; il le snrchiiigca de rites,
de ceremoiiics particulières ; il le gêna de
mille facous pour le tenir sans ccs5c en ha-
leine cl; le rendre toujours étranger parmi
les antres hommes, et tous les liens de fra-
ternité qu'il mit entre les membres de ?a
icpublique , ctaieut autant de barrières qui
le tenaient sc'paré de ses voisins et Tempê-
chaient de se mêler avec eux. C'est par-là
que cette singulière nation , si souvent sub-
ju£;uêe, si souvent dispcrse'e et détruite eu
apparence, uiais toujours idolâtre de sa règle,
s'est pourtant conservée jusqu'à nos jours
cparsc parmi les autres sans s'y confondre,
et que ses mœurs , ses lois , ses rites sub-
sistent et dureront autant que le monde ,
maigre' la haine et la pcrse'cution du reste
du genre-humain.
Lycnrgne entreprit d'instituer uu peuple
déjà dc'gradê par la servitude et par les vices
qui en sont l'eflet. Il lui imposa un joug
de fer , tel qu'aucun autre peuple n'eu
porta jamais un semblable ; mais il l'attacha ,
l'identifia , pour ainsi dire , à ce joug, eu
l'occupant toujours. Il lui montra sans cetse
la patrie dans ses lois, dans ses icux:, àz\\%
sa uialson dius ses amours , dans ses fcs-
O 3
246 GOUVERNE :.l E K T
tins. Il ne lui laissa pas un instant de relâciie
pour être a lui seul , et de cette continuelle
contrainte, ennoblie par son objet , naquit
en lui cet ardent amour de la patrie , qui
fut toujours la plus forte ou plutôt l'unique
passion des Spartiates , et qui en fit des
êtres au-dessus de Thumanite'. Sparte n'e'tait
qu'une ville, il est vrai ; mais par la seule
force de son institution , cette ville donna
des lois à toute la Grèce , en devint la
capitale , et fit trembler l'empire persan.
Sparte était le foyer d'où sa le'gislation éten-
dait ses effets autour d'elle.
Ceux qui n'ont vu dans Numa qu'un
instituteur de rites et de ce'rémonies reli-
gieuses, ont bien mal juge ce grand-liomme.
Numa fut le vrai fondateur de R.omc. Si
lioTtninis n'eût fait qu'assembler des brigands
qu'un revers pouvait disperser, son ouvrage
imparfait n'eût pu résister au tems. Ce fut
Kuma qui le rendit solide et durable en
unissant ces brigands en un corps indisso-
luble , en les transformant en citoyens ,
moins par les lois dont leur rustique pau-
vreté n'avait giîère encore besoin , que par
des institutions douces qui les attachaient
les uns aux autres, et tous à leur sol , en
DE P O Iv O (, N E. 247
rcndaat enfin leur ville sacrce par ces rites
frivoles et superstitieux en apparence dont
si peu de gens sentent la force et Teflct , et
dont cependant Romnlus ^ le farouche Jio-
j/iulus lui-même , avait ')cte' les premiers fon-
deniens.
Le même esprit guida tous les anciens
législateurs dans leurs institutions. Tous cher-
clièrcnt des liens qui attachassent les citoyens
a la patrie et les uns aux autres, et ils les
trouvèrent dans des usages particuliers , dans
des cére'monies religieuses qui , par leur na-
ture, étaient toujours exclusives et natioaa-
Ics (*), dans des jeux qui tenaient beaucoup
les citoyens rassemblés , dans des exercices
qui augmentaient avec leur vigueur et leurs
forces leur fierté et l'estime d'eux-nicmes ,
dans des spectacles qui les rappelant à l'his-
toire de leurs ancêtres , leurs malheurs , leui-s
vertus , leurs victoires , intéressaient leurs
coeurs, les enflaunnaient d'une vive émula-
tion , et les attachaient fortement à cette
patrie dont on ne cessait de les occuper.
Ce sont les poésies à' Ilomere récitées aux
Grecs solcmncllcment assemblés , non dan*
(*) Vojez la fin du Contrat social.
:248 GOUVERNE M E A T
des coffres , sur des jîlancbes et l'argeut à la
inaîn , mais en plein air et eu corps de
nation; ce sont les trage'dies ù.^ Eschyle , de
Sophocle et ù^ Euripide repre'sentées souvent
devant eux; ce sont les prix doilt , aux
acclamations de toute la Grèce , on couron-
nait les vainqueurs dans leurs jeux , qui les
embrasant continuellement d'émulation et
de gloire , portèrent leur courage et leurs
vertus à ce degré d'énergie dont rien au-
jourd'hui lie nous donne l'idée , et qu'il
n'appartient pas uiême aux modernes de
croire. S'ils ont dej> lois , c'est uniquement
pour leur apprendre à bien obéir à leurs
maîtres , à ne pas voler dans les poches , et
à donner beaucoup d'argent aux fripons
publics. S'ils ont des usages , c'est pour
savoir amuser l'oisiveté des femmes galantes
et promener la leur avec grâce. S'ils s'assem-
blent, c'est dans des temples pour un culte
qui n'a rien de national , qui ne rappelle en
rien la patrie ; c'est dans des salles bien fer-
mées et à prix d'argent, pour voir sur des
théâtres efféminés , dissolus , où l'on ne sait
parler que d'amour, déclamer des histrions ,
minauder des j)rostitnées , et pour y prendre
des leçons de corruption , les seules qui
DE P O L O G \ E. 249
profitent de toutes celles qu'on fait semblant
(l'y donner; c'est dans des fctcs où le peup!»
toujours nie'prise' est toujours sans influence,
où le blàrae et l'approbation publique ne
produisent rien ; c'est dans des cobues licen-
cieuses pour s'y faire des liaisons secrètes ,
})our y ciiercher les plaisirs qui séparent ,
isolent le plus les horarnes , et qui relâchent
le plus les creurs. vSont-ce là des stimulans
pour le patriotisme? Faut-il s'étonner que
des manières de vivre si dissemblables pro-
duisent des etfcts si diQéreus , et que les mo-
dernes ne retrouvent plus rien en eux de
cette vigueur d'auic que tout inspirait aux
anciens? Pardonnez ces digressions à ua
reste de chaleur que vous avez ranimée : je
reviens avec plaisir à celui de tous les peu-
ples d'aujourd'hui qui m'éloigne le iiioiu»
de ceux dont je viens de parler.
CHAPITRE III.
AppUcctiion.
1 i A Pologne est uu grand Etat environné
d'Etats encore plus considérables , qui par
leur despotisme et par leur discipline iuiU>»
25o G O U Y E R M r: M E N T
taire ont une grande force offensive. Faible
au contraire par son anarchie , elle est ,
malgré la valeur polonaise , eu butte à tous
leurs outrages. Elle n'a point de places fortes
ppur arrêter leurs incursions. Sa dépopula-
tion la met presque absolument hors d'état
de défense. Aucun ordre économique , peu
ou point de tronpes, nulle discipline mili-
taire, nul ordre, nulle subordination; tou-
jours divisée au-dcdans , toujours menacée
au-dehors , elle n'a par elle-même aucune
consistance et dépend du caprice de ses
voisins. Je ne vois dans l'état présent des
choses qu'un seul moyen de lui donner cette
consistance qui lui manque. C'est d'infuser,
p^ur ainsi dire , dans toute la nation Tame
des confédérés ; c'est d'établir tellement la
république dans les cœurs des Polonais qu'elle
y subsiste m.algré tous les efforts de ses op-
presseurs. C'est là, ce m.e semble, l'unique
a?yle où la force ne peut ni l'atteindre ni la
détruire. On vient d'en voir une preuve à
jamais mémorable. La Pologne était dans
les fers du Russe , mais les Polonais sont
restés libres. Grand exemple, qui vous montre
comment vous pouvez braver la puissance
et l'ambition de vos voisins. Vous ue sauriez
DE P O L O G X E. ::5i
einprclier qu'ils iic vous engloutissent , faites
au moins qu'ils ne puissent vous dijrc'rcr.
De quelque façon qu'o'.i s'y pieruie, avant
qu'on ait donjîc à la Pologne tout ce qui
lui manque pour être en c'tat de résister
a ses eunemis, elle en sera cent fois acca-
blée. La vertu de ses citoyens, leur zèle
patriotique, la forme particulière que des
institutions nationales peuvent donner à
leurs aines , voilà le seul rempart toujours
prêt à la défendre , et qu'aucune arme'e ne
saurait forcer. Si vous faites en sorte qu'un
polonais ne puisse jamais devenir un russe ,
je vous reponds que la Russie ue subjuguera
pas la Pologne.
Ce sont les institutions nationales qui
forment le génie , le caractère , les goûts et
les mœurs d'un peuple , qui le font être lui
et non pas uu autre , qui lui inspirent cet
ardent amour de la patrie , fondé sur des
habitudes impossibles à déraciner , qui le
tout mourir d'ennui chez les autres peuples
au sein des délices dont il est privé dans son
pays. Souvenez-vous de ce Spartiate 'J^ovi^é
des voluptés de la cour du grand roi, à qui
l*on reprochoit de regretter la sauce noire.
Ah ! dit-il au satrape eu soupirant , je cou-
i52 G O U V E E, X E 31 E N T
nais tes plaisirs , luais tu ue connais pas les
nôtres.
Il n'y a pins anjourd'liui de Français ,
d'Allemands , d'Espagnols y d'Anglais même,
quoi qu'on en dise; il n'}^ a que des Euro-
pe'ens. Tous ont les mêmes goûts, les mêmes
passions , les mêmes mœurs , parce qu'aucun
ii'a reçu de forme nationale par uue insti-
tution particulière. Tous dans les mêmes
circonstances feront les mêmes choses; tous
se diront désintéressés et seront fripons ;
tous parleront du bien public , et ue pense-
ront qu'à eux-mêmes; tous vanteront la
médiocrité, et voudront être des Crcsus ^
ils n'ont d'ambition que pour le luxe , ils
n'ontde passion que celle de l'or. Sûrs d'avoir^
«vec lui tout ce qui les tente , tous se ven-
dront au premier qui voudra les payer. Que
leur importe à quel maître ils obéissent , da
<juel état ils suivent les lois ? pourvu qu'ils
trouvent de l'argent a. voler et des femmes
a corrompre , ils sont par-tout dans leur
pays.
Donnez une autre pente anx passions des
Polonais , vous donnerez à leurs âmes une
physionomie nationale qui les distinguera
des autres peuples ;, cj^ui les empêchera de se
. ibiidrÊ ,
D E P O L O G N E. 253
fondre, de se plaire , de s'dllicr avec eux ,
une vi«5ueLir qui remplacera le jeu abusif des
vains préceptes ; qui leur fera faire par goût
et par passion ce qu'on ne fait jamais assez
bien quand on ne le faiit que par devoir
ou j)ar intérêt. C'est sur ces amcs-là qu'une
législation bien appropriée aura prise. Ils
obéiront aux lois et ne les éluderont pas ,
parce qu'elles leur conviendront et qu'elles
auront l'asseutim-ent interne de leiu volonté.
Aimant la patrie, ils la serviront par zèle et
de tout leur cœur. Avec ce seul sentiment,
la législation , fùt-clle mauvaise , ferait d»
Lons citoyens ; et il n'y a jamais que les
bons citoyens qui fassent la force et la pros-
jîérité de l'Etat.
J'expliquerai ci-après le régime d'admi-
nistration qui , sans presque toucher au
fond de vos lois, me paraît propre à porter
le patriotisme et les vertus qui en sont
inséparables au plus haut degré d'intensité
qu'ils puissent avoir. Mais soit que vous
adoptiez ou non ce régime , commencez
toujours par donner aux Polonais une grande
opinion d'eux-mêmes et de leur patrie :
après la façon dont ils viennent de se
ïJiontror , cette opinion ne sera pas fausse.
PoUticiuc. Tome II. P
2^4 G 0 U V E R N E M E X T
Il faut saisir îa circoustauce de révéïiement
présent pour monter les amas au ton des
âmes antiques. Il est certain que la coîifé-
■de'ration de Ear a sauve' la patrie expirante.
Il faut graver cette grande époque en carac-
tères sacrés dans tous les cœurs polonais.
Je voudrais qu'on érigeât un monument eu.
sa mémoire , qu'on y mît les noms de tous
les confédérés, même de ceux qui dans la
«uite auraient pu trahir la cause commune;
vjue si grande action doit effacer les faute»
de toute la vie ; qu'on instituât une solem-
2îité périodique pour la célébrer tous les
dix ans avec une pompe non lîriliaute et
frivole , mais simple , lière et républicaine ;
qu'on y fît diguement , mais sans emphase,
l'éloge de ces vertueux citoyens qui ont eu
l'honneur de souffrir pour la patrie dans les
fers de l'ennemi; qu'on accordât même à
leurs familles quelque privilège honoriliqu»
qui rappelât toujours ce beau souvenir aux
yeux du public. Je ne voudrais pourtant pas
qu'on se permît dans ces solemnités aucun©
invective contre les Russes , ni même qu'où
en parlât. Ce serait trop les honorer. Ce
silence , le souvenir de leur barbarie , et
l'^'ioge 4© ceux qui leur ont résisLC; diront
D E P O L O G N E. 255
fVenï tout ce qu'il eu faut dire ; vous devez
trop les mépriser pour les haïr.
Je voudrais que par des honneurs , par
des rccouipeuses , publiques ou donnât de
l'éclat à toutes les vertus patriotiques, qu'où
occupât sans ccsnc les citoyens de la pa-
trie , qu'on en fît leur plus grande affaire,
qu'on la tînt incessamment sous leurs yeux.
De cette manière ils auraient moins je l'avoue
les moyens et le tcnis de s'enrichir , mais ils
en auraient moins aussi le de'bir et le besoin :
leurs cœurs apprendraient à connaître un
autre bonlîeur que celui de la fortune , et
voilà l'art d'ennoblir les âmes et d'en faire
un instrument plus puissant que l'or.
L'expose succint des mœurs des Polonais
qu'a bien voulu me communiquer M. TP'iel-
Jiorski , ne suiFi t pas pourme ruettre au fait de
leurs usages civils et domestiques. Mais une
grande nation qui ne s'est jamais trop méice
avec ses voisins , doit en avoir beaucoup qui
lui soient propres , et qui peut-être s'abâ-
tardissent journellement par la pente géné-
jale en Europe de prendre les goûts et les
mœurs des Français. Il faut maintenir , re'-
tablir ces anciens usages , et en introduire
de convenables qui soient propres aux Po-
P 2
i56 GOUVERNE :>I E N T
louais. Ces usages , fusseut-ils iadiSerens ,'
fussent-ils mauvais même à certains égards ,
pourvu qu'ils ne le soient pas essentielle-
ment , auront toujours l'avantage d'affec-
tionner les Polonais à leur pays et de leur
donner une répugnance naturelle à se mêler
avec l'étranger. Je regarde comme un bonheur
qu'ils aient un liabillement particulier. Con-
servez avec soin ce t avantage : fai tes exactemen t
le contraire de ce que fit ceczar si vanté. Que
le roi ni les sénateurs , ni aucun homme public ,
ne portent jamais d'autre vêtement que celui
de la nation , et que nul polonais n'ose pa-
raître à la cour vêtu h la française.
Beaucoup de Jeux publics où la bonne
mère patrie se plaise à voir jouer ses cnfans.
(Qu'elle s'occupe d'eus souvent ahn qu'ils
s'occupent toujours d'elle. Il faut abolir ,
mêinG à la cour , à cause de l'exemple , les
amusemeus ordinaires des cours , le jeu , les
théâtres , comédie , opéra , tout ce qui
efiémiue les hommes , tout ce qui les dis-
trait , les isole , leur fait oublier leur patrie
et leur devoir , tout ce qui les fait trouver
bien par-tout , pourvu qu'ils s'amusent; il
faut inventer des jeux , des fêtes , des so-
lemuités qui ëûieiit si propres à cette coui'4.à
D E P O L O G N E. 25;
qu'on ne les retrouve dans aucune autre. Il
faut qu'on s'amuse en Pologne plus que dans
les autres , mais non pas de la même ma-
iiièrr. 11 faut en un mot renverser un exé-
crable proverbe , et faire dire h tout Polonais
au fond de son cœur: ZJbl patria , ihl hene.
Rien , s'ilsc peut , d'exclusif pour les grands
et les riclies. Beaucoup de spectacles en plein
air, où les rangs soient distingue'savec soin,
mais où tout le peuple prenne part égale-
ment, comme cbez les anciens , et où dans
certaines occasions la jeune Jioblesse fasse
preuve de force et d'adresse. Les combats
des taureaux n'ont pas peu contribué à main-
tenir une certaine vigueur chez la nation
espagnole. Ces cirques où s'exerçait jadis
la jeunesse en Pologne devraient être soi-
gneusement rétablis: on en devrait faire pour
elle des the'àtres d'honneur et d'émulation.
Rien ne serait plus aise que d'y substituer
aux anciens combats , des exercices moins
cruels , où cependant la force et l'adresse
auraient part, et où les victorieux auraient
de même des honneurs et des récompenses.
Le maniement des chevaux est , par exemple ,
un exercice très-ronvenable aux Polonais et
trcs-susccptlble de l'éclat du spcctale*
P 3
258 GOUVERNEMENT
Les beros à' Homère se distinguaient tons
par leur force et leur adresse , et par-là mon-
traient aux yeux du peuple qu'ils étoient faits
pour lui comuiandcr. Les tournois des pa-
ladins formaient des hommes uon-seulc-
ineut vaillans et courageux , mais avides
d'honneur et de gloire , et propres à toutes
les vertus. L'usage des armes à feu rendant
ces facultés du corps moins utiles à la guerre
les a fait tomber en discrédit. Il arrive de-
là que , hors les qualite's de l'esprit qui sont
souvent équivoques , de'placëes , sur lesquelles
on a mille moyens de tromper , et dont le
peuple est mauvais juge , un hoiume avec
l'avantage de la naissance n'a rien en lui
qui le distingue d'un autre, qui justifie la
fortune, qui montre dans sa personne un droit
naturel à la supériorité ; et plus on néglige
ces signes extérieurs , plus ceux qui nous
gouvernent s'eSémiuent et se corrompent im-
punément. Il importe pourtant , et plus qu'on
3ie pense , que ceux qui doivent un jour
commander aux autres se montrent dès leur
jeunesse supérieurs à eux de tout point , ou
du moins qu'ils y tâchent. Il est bon , de
plus , que le peuple se trouve solivent avec
SCS chefs dcins des occasions agréables , qu'il
T) K POLOGNE. 26^
les connaisse , qu'il s'accoutume à les voir ^
qu'il partage avec eux ses plaisirs. Pourvu
que la subordination soit toujours gardc'e
et qu'il ne se confonde point avec eux ,
c'est le moyen qu'il s'y aQectionnc et qu'il
joigne pour eux l'attachement au respect.
Enfin le goût des exercices corporels de'-
tourne d'une oisiveté' dangereuse , des plai-
sirs effe'mincs et du luxe de l'esprit. C'est,
sur-tout à cause de l'amc qu'il faut exercer
le corps , et voilk ce que nos petits sages
jont loin de voir.
Ne négligez point une certaine décoration
publique ; qu'elle soit noble , imposante , et
que la magnificence soit dans les hommes
plus que dans les choses. On ne saurait
croire à quel point le cœur du peuple suit
ses yeux , et combien la majesté du céré-
monial lui en impose. Cela donne à Tau-
torite' un air d'ordre et de règle qui ins-
pire la confiance , et qui écarte les idées de
caprice et de fantaisie attache'es à celles du
])Oiivoir arbitraire. Il faut seulement éviter
dans l'appareil des solcmnités, le clinquant^,
le pnpiiiotage et les décorations de luxe
qui sont d'usage dans les cours. Les fêtes-
d'an peuple li{)rc doivent toujours respiier-
26o G O U T E R N E M E N T
la décence et la gravite' , et l'on n'y doit
présenter à son admiration que des objets
dignes de son estime. Les P».omains dans leurs
triomphes étalaient nn hixe énorme ; mais
c'était le luxe des vaincus , plus il brillait,
moins il séduisait. Son éclat même était une
grande leçon pour les Romains. Les rois
captifs étaient enchaînés avec des chaînes
d'or et de pierreries. Voila (Ju luxe bien
entendu. Souvent on vient au même but
par deux routes opposées. Les deux balles
de laine mises dans la chambre des pairs
d'Angleterre devant la place du chancelier,
forment à mes yeux une décoration tou-
chante et sublime. Deux gerbes de blé pla-
cées de même dans le sénat de Pologne ,
n'y feraient pas un moins bel effet à mon
gré.
L'immense distance des forrtmes , qui sé-
pare les seigneurs de la petite noblesse , est
un grand obstacle aux réformes nécessaires
pour faire de l'amour de la patrie la passion
dominante. Tant que le luxe régnera chez les
grands , la cupiditf> régnera dans tous les
cœurs. Toujours l'objet de l'admiration pu*-
plique sera celui des vœux particuliers , et s*il
faut être riche pour briller, la passion domi-
D E P O L O G N E. 261
Tiantesera toujours crétic riclie. Grand moyeu
de corruption qu'il faut aOaiblir autant qu'il
est possible. Si d'autres objets attrayans , si
des marques de rang distinguaient les bora-
mes en place , ceux qui ne seraient que riclies
en seraient prives , les vœux secrets pren-
draient naturellement la route de ces distinc-
tions honorables, c'est-à-dire , celles du me'-
rite et de la vertu , quand on ne parviendrait
que par-là. Souvent les consuls de Rome
ctaieut très-pauvres, mais ils avaient des
licteurs ; l'appareil de ces licteurs fut con-
voité par le peuple , et les plcbe'icns par-
vinrent au consulat,
Oter tout-à-fait le luxe où règne l'ine'-
galite', me paraît, je l'avoue, une entreprise
bien difficile. Mais n'y aurait-il pas moyeu
de changer les objets de ce luxe et d'en
rendre l'exemple moins pernicieux ? Par
exemple, autrefois la pauvre noblesse eu
Pologne s'attachait aux grands qui lui don-
naient l'e'ducatiou et la subsistance à leur
suite. Voiià un luxe vraiment grand et noble ,
dont je sens parfaitement i'inconve'nient ,
mais qui du moins loin d'avilir les âmes ,
k'S c'icve , leur donne des scatimcns, du
ressort, et fut saus abus chez les Romains
F 5
262 G O U Y E R X E 31 E X T
tant que dura la république. J'ai lu que le
duc à.' Epernon , rencontrant un jour le
duc de Sully , voulait lui chercher querelle ,
luais que n'ayant que six cents gentils-
hommes à sa suite il n'osa attaquer Sully
qui en avait huit cents. Je doute qu'un
luxé de cette espèce laisse une grande place
à celui des colihchets , et l'exemple du
moins n'en se'duira pas les pauvres. Ramenez
les grands en Pologne à n'eu avoir que de
ce genre , il en résultera peut-être des divi-
sions, des partis, des querelles, mais il ne
corrompra pas la nation. Après celui-là
tole'rons le luxe militaire, celui des armes,
des chevaux , nxais que toute parure elle-
minée soit en mépris ; et si l'on n'y peut faire
renoncer les femmes , qu'on leur apprenne au
moins à l'improuver et dédaigner dans les
hommes.
Au reste, ce n'est pas par des lois somp-
tuaires qu'on vient à bout d'extirper le luxe :
c'eàt du fond des cœurs qu*il faut l'arracher,
en y imprimant des goûts plus sains et plus
nobles. Défendre les choses qu'on ne doit
pas faire est un expédient inepte et vain,
si l'on ne commence ]:)ar les faire haïr et
mépriser, et jamais j'improbation de la loi
DE POLOGXE. 263
nVst cfTicace que quand elle vient à Tappui
de celle du jugement. Quiconque se mcîe
d'instituer un peuple doit savoir dominer
les opinions et par elles gouverner les pas-
sions des hommes. Cela est vrai sur-tout
dans l'objet dont je parle. Les lois somp-
tuaires irritent le désir par la contrainte ,
plutôt qu'elles ne l'cteit^nent par le châti-
ment. La simplicité dans les mœurs et dans
la parure est moins le fruit de la loi que çeluit
de l'ëducatiou.
CHAPITRE IV.
Education.
V^'est ici l'article important. C'est l'cda—
cation qui doit donner aux âmes la forme
nationale , et diriger tellement leurs opinions
et Icui-s goûts qu'elles soient patriotes par
inclination , par passion , par nécessité.
Un enfant en ouvrant les yeux doit voir
la patrie, et jusqu'à la mort ne doit plus
voir qu'elle. Tout vrai républicain suça avec
le lait de sa mère l'amour de sa patrie ,
c'est-à-dire des lois et de la liberté. Cet
amour fait toute sou esjsîxjucc ; il ne voit
P 6
264 GOUTE R N E M E N T
que la patrie, il ne vit que pour elle ; sitôt
qu'il est seul , il est nul: sitôt qu'il n'a plus
de patrie , il n'est plus ; et s'il n'est pas mort ,
il est pis,
Li'e'ducation nationale n'appartient qu'aux
hommes libres; il n'3^ a qu'eux qui aient
"Une exisicnce commune et qui soient vrai-
ment lies par la loi. Un Français , un
Anglais , un Espagnol , un Italien , un
Russe sont tous à-peu-près le même homme ;
ii sort du colle'ge déjà tout façonne' pour
la licence , c'est-à-dire pour la servitude. A
vingt ans un Polonais ne doit pas être un
autre homme ; il doit être un Polonais. Je
veux qu'en apprenant à lire il lise des
choses de son pays , qu'à dix ans il en
connaisse toutes les productions , à douze
toutes les provinces , tous les chemins , toutes
les villes , qu'à quinze il en sache toute
l'histoire , à seize toutes les lois , qu'il n'y
ait pas eu dans toute la Pologne une belle
action ni un homme illustre dont il n'ait
la mémoire et le cœur pleins , et dont il
jQC puisse rendre compte à l'instant. On
peut juger par-là que ce ne sont pas les
Ccudes ordinaires dirigées par des étrangers
et des prêtres , que je voudrais faire suivre
DE P O T. O G N E. r65
aux eiiFiUïs. T^a loi doit régler la matière ,
l'ordre et In forme de leurs e'tudcs. Ils no
doivent avoir pour instituteurs que des
Polonais , tous maries , s'il est possible ,
tons di.st:n£;nt's par leurs mocnis , par leur
probité' , par leur bon sens , par leurs
lumières, tous destinés à des emplois, non
plus importans ni plus honorables, car cela
n'est pas possible , mais moins pénibles et
plus éclatani , lorsqu'au bout d'un certain
nombre d'années ils auront bien rempli
celui-là. Gardez-vous sur-tout de faire nn,
nitlicr de l'état de pédagogue. Tout homme
public en Pologne ne doit avoir d'autre
état permanent que celui de citoyen. Tous
les postes qu'il remj)lit , et sur-tout ceux qui
sont importans comme celui-ci, ne doivent
être considérés que comme des places d'é-
preuve et des degrés pour monter plus haut
après l'avoir mérité. J'exhorte les Polonais
à faire attention à cette maxime , sur laquelU
j'insisterai souvent: je la crois la clef d'uu
grand ressort dans l'Etat. On verra ci-aprè*
comment on peut, à mon avis, la rendre
praticable sans excej)tlon.
Je n'aime point ces distinctions de col-
lèges et d'acudémicb qui fout que la noblesse
7.^^ GOUVERNE M E ^T T
riche et la noblesse pauvre sont e'ieve'c*
difleremmeiit et sépare'ment. Tous étant
égaux par la constitution de l'Etat doivent
être élcve's ensemble et de la uiéme nianicre ;
et si l'on ne peut établir une e'ducation.
publique tout-à-fait gratuite, il faut du
moins la mettre ?i un prix que les pauvre*
puissent payer. Ne pourrait-ou pas foncier
dans chaque colle'ge un certain nombre
de lîlaces purement gratuites, c'est-à-dire
aux frais de l'Etat , et qu'on appelle en
France des bourses ? Ces places données
aux enfaus des pauvres gentilshommes qui
auraient bien mérité de la patrie , non
comme une aumône , mais comme \\\\ç,
récompense des bons services des pères ,
deviendraient à ce titre honorables et pour-
raient produire un double avantage qui
ne serait pas à négliger. Il faudrait pour
cela que la nomination n'en fut pas arbi-
traire , mais se fît par une espèce de juge-
ment dont je parlerai ci-après. Ceux qui
rempliraient ces places seraient appelés
enfans de l'Etat et distingués par quelque
inarque honorable qui donnerait la préséance
sur les autres enfans de leur âge sans excepter
ceux des grands.
D E P O L O G X E. 267
Dans tous les collèges il faut établir un
gymnase ou lieu d'exercices corporels pour
les enfaiis. Ot article si uc'j^lige' e.st selon moi
]a partie la plus importante de l'éducation,
non-seulement pour former des tempc'ra-
mens robustes et sains , mais encore plus
pour l'objet moral qu'on néglige ou qu'oa
ne remplit que par un tas de pre'crptcs.
pc'dantesques et vains , qui sont autant de
paroles perdues. Je ne redirai jamais assez
que la bonne e'dwcation doit être négative.
Empécliez les vices de naître , vous aurez
assez fait pour la vertu. Le moyen eu est
de la dernière facilite dans la bonne éduca-
tion publique ; c'est de tenir toujours le*>
enfans en haleine , non par d'ennuyeuses
études où ils n'entendent rien , et qu'ils
prennent en haine par cela seul qu'ils sont
force's de rester en place; mais par des exer-
cices qui leur plaisent en satisfcsaut au besoin
qu'en croissant a leur corps de s'agiter , et
dont l'agrément pourcuxnese bornera pas là.
On ne doit point permettre qu'ils joiicnt
séparément à leur fantaisie , mais tous en-
semble et en public , de manière qu'il y ait
toujours un but commuii auquel tous aspi-
rent et qui excite la conciirreucc et Téuiula-
268 GOUVERNEMENT
tioii. Les pareus qui pscféreront Téducatioa
domestique , et feront élever leurs enfans
sous leurs yeux, doivent cependant les
envoyer à ces exercices. Leur icstructiou
peut être domestique et particulière , mais
leurs jeux doivent toujours être publics et
communs à tous ; car il ne s'agit pas seule-
ment ici de les occuper , de leur former
une constitution robuste , de les rendre
agiles et découplés; mais de les accoutumer
de bonne heure à la règle , à l'égalité, à la
fraternité, aux concurrences, à vivre sous
les yeux de leurs concitoyens et à désirer
l'approbation publique. Pour cela il ne
faut pas que les prix et récompenses des
vainqueurs soient distribués arbitrairement
par les maîtres des exercices , ni par les
chefs des collèges , mais par acclamation
et au jugement des spectateurs : et Toti
peut compter que ces jugemens seront tou-
jours justes , sur-tout si l'on a soin de rendre
ces jeux attirans pour le public , en les
oidoniiant avec un peu d'appareil et de
facou qu'ils fassent spectacle. Alors il est à
présumer que tous les honnêtes gens et tous
les bons patriotes se feront un devoir et un
plaisir d'y assister.
DE POLOGNE. '269
A Bcnic , il y a un exercice bien singnlier
ponr les jeunes patriciens qui sortent du
collège. C'est ce qu'on appelle VEtat exté-
rieur. C'est une copie en petit de tout ce
qui compose le gouvernement de la re'pu-
blique. Un se'nat , des avoyers , des oiïicicrs,
des huissiers, des orateurs, des causes, des
jngeinens , des solemnitës. L'Etat extc'rieur
a même un petit gouvernement et quelques
rentes , et cette institution, autorisée et
protége'e par le souverain , est la pépinière
des lioniuies d'Etat qui dirigeront un jour
les alTaires publiques dans les mêmes em-
plois qu'ils n'exercent d'abord que par jeu.
Quelque forme qu'on donne à l'éducation
publique, dont je n'entreprends pas ici le
détail , il convient d'établir un collège de
magistrats du premier rang qui en ait la
suprême administration , et qui nomme ,
révoque et change à sa volonté tant les
j)rincipaux et chefs des collèges , lesquels
seront enx-mcmes , comme je l'ai déjà dit,
des candidats pour les hautes magistratures,
que les maîtres des exercices, dont on aura
soin d'exciter aussi le zèle et la vigilance
par des places plus élevées qui leur seront
ouvertes ou fermées selon la manière dont
2"0 G O U V E R X E ^X E X r
ils auront rempli celles-là. Comme c'est cî»
ces étabtissemens que de'peud l'espoir d©
la re'publique , la gloire et 1-e sort de la
ration, je les trouve, je l'avoue, d'uu©
importance que je suis bien surpris qu'où
n'ait songe' à leur douTier nulle part. Je suis
afflige' pour l'iinmanité que tant d'idées
qui me paraissent bonnes et utiles se trou-
vent toujours, quoique très-praticables, si
loin de tout ce qui se fait.
.Au reste, je ne fais ici qu'indiquer, mai*
c'est assez pour ceux à qui je m'adresse.
Ces idées mal développées montrent de-loin
les routes inconnues aux modernes par les-
quelles les anciens menaient les hommes h
cette vigueur d'amc, à ce zèle patriotique,
à cette estiiue pour les qualités vraiment
personnelles , sans égard à ce qui n'est qu'é-
tranger à l'homme , qui sont parmi nous
sans exemple , mais dont les levains dans
les cœurs de tous les hommes n'attendent
pour fermenter que d'être mis eu action
par des institutions convenables. Dirigent
dans cet esprit, l'éducatioa ^ les usages, les
coutumes , les mœurs des Polonais , vous
développerez en eux ce levain qui n'est pas.
encore éventé par des luaxiiiies corrompues^
DE P O L O G X Tî:. 27Ï
par des institutions usées, par une plnloso-»
phic égoïste qui prêche et qui tue. La
nation datera sa seconde naissance de la;
crise terril)lc dont elle sort, et voyant c*
qu'ont fait ses membres encore indisciplines ,
elle attendra beaucoup et obtiendra davan«
tage d'une institution bien ponde'rée ; eîlo
clierira , elle respectera des lois qui flatte-
ront son noble orgueil , qui la rendront ,
qui la maintiendront heureuse et libre ;
arrachant de son sein les passions qui les
éludent, elle y nourrira celles qui les font
aimer. Enfin se renouvelant , pour ainsi
dire , elle-même , elle reprendra dans oe
nouvel âge toute la vigueur d'une nation
naissante. Mais sans ces précautions n'at-
tendez rien de vos lois; quelque sages ,
quelque prévoyantes qu'elles puissent être,
elles seront élude'es et vaines , et vous aurea
corrige quelques abus qui vous blessent ,
pour en introduire d'autres que vous n'au-
rez pas prévus. Voilà des préliminaires que
j'ai crus indispensables: jetonsmaiutenant Içs
yeux sur la constitution.
272 GOUVERNE M E N T
CHAPITRE V.
P'iee radical.
E
VI TON s s'il se peut de nous jeter dès
les premiers pas dans des projets chimériques»
Quelle entreprise, Messieurs, vous occupe
en ce moment ? celle de réformer le gou-
vernement de Pologne , c'est-à-dire , de
donner à la constitution d'un grand royaume
la consistance et la vigueur de celle d'un»
petite république. Avant de travailler à
l'exécution de ce projet, il faudrait voir
d'abord s'il est possible d'y réussir. Gran-
deur des nations ! étendue des Etats ! pre-
Uiière et principale source des malheurs du
genre-humain , et sur-tout des calamités sans
nombre qui minent et détruisent les peuples
policés. Presque tous les petits Etats, répu-
bliques et monarchies indifféremment, pros-
pèrent par cela seul qu'ils sont petits , que
tous les citoyens s'y connaissent mutuelle-
ment et s'entregardent , que les chefs peu-
vent voir par eux-mêmes le mal qui se
fait, le bien qu'ils ont à faire, et que leurs
ordres s'exécutent sous ievrs yeux. Tous
DE POLOGNE. 273
1rs j2;rands peuples e'ciascs par leurs propres
masses geuiisseut , ou comme vous dans
l'anarclile , ou sous les oppresseurs subal-
ternes qu'une gradation nécessaire force les
rois de leur donner. Il n\ a que Uieu qui
puisse gouverner le inonde , et il faudrait
des facultés plus qu'humaines pour gou-
veiTicr de grandes nations. Il est étonuant,
il est prodigieux que la vaste étendue de
la Pologne n'ait pas déjà cent fois opéré la
convcision du gouvernement en deïpotisme,
abâtardi les amcs des Polonais et corrom{)u
la masse de la nation. C'est nii cxemjjla
unique dans l'histoire qu'après des siècles
un pareil Etat n'en soit encore qu'a l'anar-
cliie. La lenteur de ce progrès est due à des
avantages inséparables des inconvénieus dont
vous voulez vous délivrer. Ah ! je ne saurais
trop le redire; pensez-y bien avant de tou-
c:H'r a vos lois, et sur-tout à celles qui vous
firent ce que vous êtes. La première réforme
dont vous auriez besoin serait celle de votre
étendue. Vos vastes provinces ne comporte-
ront jamais la sévère administration des
petites républiques. Commencez par resserrer
vos limites si vous voulez réformer votre
gouvcnifjiieut. Peut-être vos volsias sou-
274 GOUVERNEMENT
geiit-ils a vous rendre ce service. Ce serait
sans doute un grand mal pour les partie»
déniembre'es :niais ce serait un grand bien
pour le corps de la nation.
(ç)ue si CCS retrancheraens n'ontpas lieu , je
ne vois qu'un moyen qui pnt y supple'er
peut-être, et ce qui est heureux , ce moyeu
est déjà dans l'esprit de votre institution.
(^U€ la séparation des deux Polognes soit
aussi marquée que celle de la Litliuanie : ayez
trois Etats réiuiis en un. Je voudrais , s'il,
t-tait possible , que vous en eussiez autant
que de palatiuats. Formez dans chacun au-
tant d'administrations particulières , perfec-
tionnez la forme des dlétiues , étendez leur
autorité dans leurs palatiuats respectifs ; mais
marquez-en soigneusement les bornes , et
faites que rien ne puisse rompre entr'eiles
le lien de la commune législation et de la
subordination au corps de la république.
iEn un mot , appliquez-vous à éteudre et
perfectionner le système des gouvernemeus
fédératifs , le seul qui réunisse les avantages
des grands et des petits Etats , et par-là le
seul qui puisse vous convenir. Si vous né-
gligez ce conseil , je doute que jamais vous
puissiez faire un bon ouvrage.
DE PO L O G N K. 275
CHAPITRE VI.
Question des trois ordres.
J E ii'ciitciids guère parler de gcnvcrncnicnt
pans trouver qu'on remonte à des prlneipL-*
qui me paroisscut faux ou louches. I^a re-
puJjiiquc de Poiogîic , a-t-ou souvent dit et
répète , est composée de trois ordres ; Tordr»
équestre, le sénat et le roi. J'aimerais mieux
dire que la nation polonaise est composée
de trois ordres ; les nobles qui sont tout,
les bourgeois qui ne sont rien , et les paysans
qui sont moins que rien. Si l'on compte le
sénat pour un ordre dans l'Etat , pourquoi
lie cornpte-t-onpas aussi pour tel la chambra
des nonces qui n'est pas moins distinct»
et qui n'a pas moins d'autorité? bien plus;
cette division , dans le sens même qu'on la
donne , est évidemment incomplète : car il
y fallait ajouter les ministres , qui ncsontni
rois , ni sénateurs , ni nonces , et qui dans
la plus grande indépendance n'en sont pas
moins dépositaires de tout le pouvoir exé-
cutif. Comment me fcra-t-on jamais com-
prendre que la paiLie qui n'existe que pur
5-6 GOUVERNE M E N T
le tout , forme pouitaut par rapport au
tout un ordre inde'penclant de lui ? La pairie
eu Angleterre , attendu qu'elle est lie're'-
ditaire , forme, je l'avoue , un ordre exis-
tant par lui-même. Mais en Pologne ôtez
Tordre équestre , il n'y a plus de sénat , puis-
que nul ne peut être se'nateur s'il n'est pre-
mièrement noble polonais. De même il n'y
a plus de roi, puisque c'est l'ordre équestre
jgui le nomme , et que le roi ne peut rien
sans lui : mais otez le sénat et le roi , l'ordre
équestre et par lui TEtat et le souverain de-
meurent en leur entier ; et dès demain , s'il
lui plaît , il aura un sénat et un roi comme
auparavant.
Mais pour n'être pas un ordre dans l'Etat,
il ne s'ensuit pas que le sénat n'y soit rien , et
quand il n'aurait pas en corps le dépôt des
lois , ses memi>jes , indépendamment de l'au-
torité du corps , ne le seraient pas moins de la
puissance législative , et ce serait leur ôter le
droit qu'ils tiennent de leur naissance que de
les empêcher d'y voter en pleine diète toutes
les fois qu'il s'agit de faire onde révoquer des
lois : mais ce n'est plus alors comme sénateurs
qu'ils votent , c'est simplement comme ci-
toyens. S,itô t que la puissance législa tive parle ,
tout
D E P O L O G 5f E. 277
tout leii lie dans l'cgalitc: toute autre autorité
se tait devcnt elle ;sa voix cstia voix de Dieu
sur la terre. Le roi luêine , qui prcàide à la
dicte, n'a pas alors, je le soutiens , le droit
«l'y voter s'il n'est noble polonais.
Ou médira sans doute ici que je prouve
trop , et que si les sénateurs n'ont pas voix
conime tels à la diète , ils ne doivent pus non
plus l'avoir comme citoyens , puisque les
membres de l'ordre' équestre n'y votent pas
par eux-mênies , mais seulement par leurs
représcntans , an nombre desquels les séna-
teurs ne sont pas. Et pourquoi voteraient-
ils comme particuliers dans la diète , puis-
qu'aucun autre noble , s'il n'est nonce , n'y
peut voter ? Cette objection me paraît so-
Jidcdans l'état présent des choses ; mais quand
les changemeus projetés seront faits , elle n«
le sera plus , parce qu'alors les sénateurs
eux-mêmes seront les représcntans perpétuels
de la nation, mais qui ne pourront agir en
matière de législation qu'avec le concours
<ic leurs collègues.
Qu'on ne dise donc pas que le concours
du roi , du sénat et de l'ordre équestre est
nécessaire pour former une loi. Ce droit n'ap-
partient qu'au seul ordre équestre dont le»
Foliticjuc. Tome IX. (^
2-8 GOUVERNE M E N T
sénateurs sont membres comme les nonces ,
mais où le se'iiat en corps n'entre pour rien.
Telle est ou doit être en Pologne la loi de
l'Etat : mais la loi de la nature , cette loi
sainte , imprescriptible , qui parie au cœur
de l'homme et à sa raison ne permet pas
qu'on resserre ainsi l'autorité' le'gislative , et
que les lois obligent quiconque n'y aura
pas voté personnellement comme les nonces ,
ou du moins par ses représentans comme le
corps de la noblesse. On ne viole point im-
pune'ment cette loi sacrée , et l'état de fai-
blesse où une si grande nation se trouve
réduite , est l'ouvrage de cette barbarie féo-
dale qui fait retrancber du corps de l'Etat
sa partie la plus nombreuse et quelquefois
la plus saine.
A Dieu ne plaise que je croie avoir be-
soin de prouver ici ce qu'un peu de bon
sens et d'entrailles suirisent pour faire sentir
à tout le monde. Et d'où la Pologne pré-
tend-elle tirer la puissance et les forces qu'elle
étouffe à plaisir dans son sein? Nobles Po-
lonais , soyez plus , soyez hommes : alors
seulement vous serez heureux et libres; mais
ne vous flattez: jamais de l'être tant que vous
Tiendrez vos frères daus les fçis.
D E P O L O G N E. 2-9
Je sens la difficulté du projet d'aflianchir
vos peuples. Ce que je crains n'est pas seulc-
jnent l'inlcrét mal-entendu , l'ainour-propre
et les préjuges des maîtres. Cet obstacle vainen ,
je craindrais les vices et la lâcheté des serfs.
].a liberté est un aliment de bon suc , mais
de forte digestion ; il faut des estomacs bien
sains pour le supporter. Je ris de ces peu-
])]es avilis qui , se laissant ameuter par des
ligueurs, osent parler de liberté sa>is même
en avoir l'idée , et le cœur plein de tous les
vices des esclaves , s'imaginent que pour être
libres il suffit d'être des mutins. Ficre et
sainte liberté! si ces pauvres gens pouvaient te
connaître, s'ils savaient à quel pris on t'ac-
quiert et te conserve , s'ils sentaient com-
bien tes lois sont plus austères que n'est dur
le joug des tyrans ; leurs faibles âmes, es-
claves de passions qu'il faudrait étoutfer , te
craindraicntplus cent fois que la servitude ;ils
te fuiraient avec effroi , comme un fardeau
prêt à les écraser.
_:\ffranchir les peuples de Pologne est une
grande et belle opération , mais hardie , péril-
leuse , et qu'il ne faut pas tenter incon-
sidérément. Parmi les précautions à prendre ,
il eu est une indispensable et qui demande
\2
2So GOUVERNEMENT
du tems. C'est avant toute chose de rendre
dignes de la liberté et capables de la supporter
les serfs qu'on veut affranchir. J'exposerai
ci-après un des moyens qu'on peut employer
pour cela. Il serait téméraire à moi d'en ga-
rantir le succès , quoique je n'^cn doute pas.
S'il est quelque meilleur moyen, qu'on le
prenne. Mais quel qu'il soit , songez que vos
«erfs sont des hommes comme vous , qu'ils ont
en eux l'étofic pour devenir tout ce que vous
êtes ; travaillez d'abord à laincttreeu œuvre,
et n'affranchissez leurs corps qu'après avoir
alTranclii leurs amcs. Sans ce préliminaire
comptez que votre opération réussira mal.
CHAPITRE VII.
Moyens de maintenir la constitution,
i k A législation de Pologne a été faite suc-
ccssiycmeiitdc pièces et de morceaux , conune
toutes celles de l'Europe. A mesure qu'on
voyait un abus , ou fesait une loi pour y
remédier. De cette loi naissaieut d'autres
abus qu'il fallait corriger encore. Celte ma-
»ièrc d'opérer n'a point de hn , et mène cU
£> E POLOGNE. 28r
plus terrible de tous les abus , qui est de'-
ïitTver toutes les lois à force de les multi-
plier.
L'affaiblissement de la législation sVst fait
•n Pologne d'une manière bien particulirre ,
et peut-être unique. C'esb qu'elle a perdu
sa force sans avoir e'tc subjugue'e par la puis-
sance executive. En ce m.omcnt encore la
puissance légisiaiive conserve toute son au-
torité' ; elle est dans Finaction , mais sans
rien voir au-dessus d'elle. La diète est aussi
souveraine qu'elle l'était lors de son éta-
blissement. Ccpendaîit elle est sans force ;
rien ne la domine , inviis rien ne lui obéit.
Cet état est remarquable' et mérite réHexiou.
(Qu'est-ce qui a conservé jusqu'ici l'au-
torité législative ? c'est la présence conti-
nuelle du législateur ; c'est la fréquence des
diètes , c'est le fréquent renouvellement des
nonces qui ont maintenu la république.
L'Angleterre , qui Jouit du preuiier de co*
avaîitages , a perdu sa liberté pour avoir
négligé l'autre. Le même parlement dure ei
k)ng-tems que la cour , qui s'épuiserait a
1 .icheter tous les ans, trouve son compte
ù l'ciclictcr pour sept , et n'y maiiqiîo pas.
ri::mietc leçon poiir vous.
282 G O U V E Pv N E M E N T
Un second moyen par lequel la puissance
législative s'est conservée eu Pologne, est
premièrement le partage de la puissance exe-
cutive qui a empêché ses dépositaires d'agir
de concert pcuri'opprimer , eten second lieu
le passage fréque^^t de cette même puissance
executive par diflérentes mains , ce qui a
empêché tout sytéme suivi d'usurpation.
Chaque roi fesait dans le cours de son règne
qi:elques pas vers la puissance arbitraire ;
mais l'élection de son successeur forçait ce-
lui-ci de rétrograder au-lieu de poursuivre,
et les rois au commencement de chaque règne
étaient contraints par les pacta conpenia ,
de partir tous du même point. De sorte
que malgré la pente habituelle vers le des-
potisme , il n'y avait aucun progrès réel.
Il en était de même des ministres et grands
officiers. Tous indépendans du sénat , et les
Ijus des autres , avaient daiis leurs dcparte-
îiicns respectifs une autorité sans bornes ;
mais outre que ces places se balançaient
mutuellement , en ne se perpétuant pas dans
les mêmes familles , elles n'y portaient au-
cune force absolue , et tout le pouvoir ,
même usurpé, retournait toujours àsa source.
Il n'en eût pas été de même si toute la puis-
D E P O L O G N E. 2R3
sance executive eût été, soit dans un seul
corps couimc le se'nat, soit dans une famille
par l'herédile' de la couronne. Cette famille
ou ce corjîs auraient prol)abl{incntojiprinié
tôt ou tard la puissance législative , et par-l?i
mis les Polonais sous le >oug que portent
toutes les nations , et dont eux seuls sont
encore exempts ; car je ne compte déjà plus
la Suède. Deuxième leçon.
Voilà l'avantage. Il est grand sans doute;
mais voici l'inconvénient qui n'est guère
moindre. La puissance executive partagée
entre plusieurs individus manque d'har-
monie entre ses parties , et cause un tirail-
lement continuel incompatible avec le bon
ordre. Chaque dépositaire d'une partie de
cette puissance se met en vertu de cette
partie à tous égards au-dcf^sus des magistrats
et des lois. Il reconnaît a la vérité l'autorité
de la diète ; mais ne reconnoissaut que celle-
là j quand la diète est dissoute il n'en re-
connaît plus du tout ; il méprise les tribu-
naux et brave leurs jugeraens.Ce sont autant
do petits despotes qui, sans usurper pn'ci-
sémcnt l'autorité souveraine , ne laissent pas
d'opprimer en détail les citoyens , et donnent
l'exemple funeste et trou suivi de violer sans
2fî4 G O U Y E R N E 31 E N T
scrupule et sans crainte les droits et la li-
berté des particuliers.
Je crois que voilà la première et princi-
pale cause de l'anarchie qui règne dans l'Etat.
Pour ôter ce tte cause , je ne vois qu'un moyen :
ce n'est pas d^anucr les tribunaux particu-
bcrs de la force publique contre ces petits
tyrans ; car cette force , tantôt mal admi-
nistrée et tantôt surmonte'e par ime fores
supc'rieure , pourrait exciter des troubles et
des de'sordres capables d'aller par degre's jus-
qu'aux g!ierres civiles , mais c'est d'armer de
toute la force exe'cutive un coi-ps respectable
et permanent , tel que le se'nat, capable par
sa consistance et par son autorite' de contenir
dans leur devoir les magnats tentes de s'en
e'carter. Ce moyen me paraît efficace , et le
serait certainement ; mais le danger en serait
terrible et très-difficile à éviter. Car , comme
on peut voir dans le Contrat social, tout
corps dépositaire de la puissance executive
tend fortement et continuellement à subju-
guer la puissance législative , et y parvient
tôt ou tard.
Pour parer cet inconvénient , on vous
propose de partager le sénat en plusieurs
eouseils ou départemens présidés ciiaeuu par
D E P O L O G X E. 285
le ministre charge de ce de'partemcnt , Irqiiel
ministre, ainsi que les membres de chaque
conseil , changerait au bout d'un ti;ins fixé
et roulerait avec ceux des autres departe-
niens. Cette idée peut être bonne ; c'était
celle de l'abbé de Saint-Pierre ^ et il Ta
bien développée dans sa Polysynodie. La
puissance executive ainsi divisée et passagère
sera plus subordonnée à la législative , et
les diverses parties de l'administration seront
plus approfondies et mieux traitées séparé-
itient. Ne comptez pourtant pas trop sur
ce moyeu : si elles sont toujours séparées,
elles manqueront de concert, et bientôt,
se contre-carrant mutuellement , elles use-
ront presque tontes leurs forces les unes
contre les autres , jusqu'à ce qu'une d'eu-
tr'cUes ait pris l'ascendant et les domine
toutes : ou bien si elles s'accordent et se
concertent , elles ne seront réellement qu'un
même corps et n'auront qu'un même esprit,
comme les chambres d'un parlement \ et de
toutes manières je tiens pour im})Oi=siblc que
l'indépendance et l'équilibre se maintien-
nent si bien entr'clles , qu'il n'en résulte
pas toujours un centre ou foyer d'admi-
nistration, où toutes les forces paiLiculièret
286 G O U Y E È. N E M E X T
se réuniront toujours pour opprimer le sou-
verain. Dans presque toutes nos républiques,
les conseils sont ainsi distribue's en dépar-
temens qui, dans leur origine , étaient indé-
pendans les uns des autres, et qui bientôt
ont cessé de l'être.
L'invention de cette division par chambres
ou départemens est moderne. Les anciens ,
qui savaient mieux que nous comment se
maintient la liberté , ne connurent point
cet expédient. Le sénat de Rome gouvernait
la moitié du monde connu, et n'avait pas
inéme l'idée de ces partages. Ce sénat cepen-
dant ne parvint jamais à opprimer la puis-
sance législative , quoique les sénateurs
fussent à vie : mais les lois avaient des cen-
seurs , le peuple avait des tribuns , et le
sénat n'élisait pas les consuls.
Pour que l'administration soit forte, bon-
ne , et marche bien à son but , toute la
puissance executive doit être dans les mérnes
mains : mais il ne suffit p^s que ces mains
changent ; il faut qu'elles n'agissent , s'il
est possible , que sous les yeux du législa-
teur, et que ce soit lui qui les guide. Voilà
le vrai secret pour qu'elles n'usurpent pas son
autorité.
D E P O L O G N E. 287
Tant que les Etats s'asseinblcrout , et que
les nonces changeront fréquemment , il sera
dilîicilc que le sénat ou le roi oppriment
ou usinpent l'autorité' le'gislativc. Il est
remarquable que jusqu'ici les rois n'aient
pas tenté de rendre les diètes plus rares ,
quoiqu'ils ne fussent pas forcés comme ceux
d'Angleterre à les assemJ)Ier fréquemment,
sous peinede manquer d'argent. Il faut , ou
que les choses se soient toujours trouvées
dans un état de crise qui ait rendu l'eu-
torité royale insuffisante poui* y pourvoir ,
ou que les rois se soient assures par leurs
hrigucs dans les diétines d'avoir toujours la
pluralité des nonces à leur disposition , ou
qu'à la faveur du liberuni veto , ils aient
été sûrs d'arrêter toujours les délibérations
qui pouvaient leur déplaire et dissoudre les
diètes à leur volonté. Quand tous ces motifs
ne subsisteront plus , on doit s'attendre que
le roi, ou le sénat, ou tous les deux en-
semble feront de grands efforts pour se
délivrer des diètes, et les rendre aussi rares
qu'il se pourra. Voilà ce qu'il faut sur-tout
prévenir et empêcher. Le moyen proposé
e.«t le seul , il est simple et ne peut manquer
d'être efficace ; il Cct bieu siugidicr qu'avatgt
i88 GOUVERNEMENT
le contrat social , où je le donne, personne
ne s'en fut avise !
Un des plus grands incoiivéniens des
grands Etats , celui de tous qui y rend la
liberté' le plus difficile à conserver , est qua
la puissance le'gislative ne peut s'y montrer
Glle-niémc , et ne j^eut agir que par de'pn-
tation. Cela a son mal et son bien , mai*
le mal l'emporte. Le le'gislatcur en corps
€st impossible à corrompre , mais facile à
tjomper. Ses représenta!is sont difficilement
trompes , mais aisément corrompus , et il
arrive rarement qu'ils ne le soient pas. Vous
avez sous les yeux l'exemple du parlement
d'Angleterre , et par le liberum veto celui
de votre propre nation. Or , on peut éclairer
celui qui s'abuse , mais comment retenir
celui qui se vend ? Sans être instruit des
affaires de Pologne , je parierais tout au
monde qu'il y a plus de lumières dans la
diète et plus de vertu dans les diétincs.
Je vois deux moyens de prévenir ce
inal terrible de la corruption , qui de l'or-
gane de la liberté fait l'instrument de la
servitude.
Le premier est, comme j'ai déjà dit, U
fréqueuc* de» diètes , qui changeant sow-
Vôiat
D E P O L O G N E. ê8^
vent les représeutans rend leur sëductiofti
plus coûteuse et plus difficile. Snr ce poinÊ
votre constitution vaut mieux que celle drt
la Grande-Bretagne , et quand on aura ùlô
ou modifié le liberum veto , je n'y voii
aucun autre cliangcmeutà faire, si ce n'est
d'ajouter quelques dlfficuîte's ù l'envoi des
mêmes nonces à deux diètes consécutives ,
etd'cmpêcbcr qu'ils ne soient élns un grand
nombre de fois; Je reviendrai ci-après suj^
cet article.
Le second moyen est d'assujettir les rcptc^
«entansàsuivrc exactement lenrs instructioiîs ,
et à rendre un compte sévère à leurs cons-
tituans de leur conduite à la diète. Là-dessu»
je ne puis qu'admirer la néifiigence , l'incurie ^
et j'ose dire la stupidité de? la nation anglaise ^
qui après avoir armé ses députes de la su-
prême puissance , n'y ajoute aucun frein pc ur
régler l'usage qu'ils en pourront faire pendaiit
sept ans entiers que dure leur commission.
Je vois que les Polonais ne sentent pas
assez l'importance de leurs diétines, ni tout
ce qu'ils leur doivent, ni tout ce qu'ils peu-
vent en obtenir eu étendant leur autorité et
leur donnant une forme plus régulière. Pour
ynoi , je suis convaincu que si les coiifédéra-
Politique. Toine II, U
290 GOUTE R N E M E N T
tions ont sauvé la patrie , ce sont les die' tin es
qui l'ont conservée, et que c'est là qu'est îe
Trai Palladium de la liberté.
Les instructions des nonces doivent être
dressées avec grand soin , tant sur les articles
annoncésdansies uuiversaux quesurlesautres
besoins préseus de l'Etat ou delà province,
et cela par une commission , présidée , si
Ton veut , par le maréchal de la diétine , mais
composée au reste de membres choisis à la
pluralité des voix , et la noblesse ne doit point
se séparer que ces instructions n'aient élé
lues , discutées et consenties en pleine assem-
blée. Outre l'original de ces instructions ,
remis aux nonces avec leurs pouvoirs, il en
doit rester un double signé d'eux dans les
registres de la diétine. C'est sur ces instruc-
tions qu'ils doivent a leur retour rendre
compte de leur conduite aux diétines de re-
lation qu'il faut absolument rétablir , et c'est
sur ce compte rendu qu'ils doivent être ou
exclus de toute autre nonciature subséquente ,
ou déclarés de reclief admissibles , quand ils
auront siiivi leurs instructions à la satisfac-
tion de leurs constituant. Cet examen est de
la dernière importance. On n'y saïuait donner
trop d'attention j ni en marquer l'cfTet avec
10 E P O L O G N E. 291
trop de soin. Il faut qu a cliaqiic mot que
le nonce dit à la dicte , à chaque dcinarclic
qu'il fait, il se voie d'avance sous les veux
de ses constitunns , et qu'il sente rinthience
qu'aura leur jugement, tant sur ses projets
d'avancement que sur l'estime de ses compa-
triotes , indispensable pour leur exe'cution :
car eniin , ce n'est pas pour y dire leur sen-
timent particulier, mais pour y de'clarer les
volontés de la nation , qu'elle envoie des
nonces à la diète. Ce freiu est absolument
jic'ccssairc pour les contenir dans leur devoir
et pre'venir toute corruption , de quelque part
qu'elle vieinie. Quoi qu'on en puisse dire ,
Je ne vois aucun inconvénient à cette géiie,
puisque la chambre des nonces n'ayant ou
ne devant avoir aucune part au détail de
l'administration , ne peut Jamaisavoirà traiter
aucune matière imprévue; d'ailleurs pourvu
qu'un nonce ne fasse rien de contraire à
l'expresse volonté de ses constitîians , ils ne
lui feraient pas un crime d'avoir opiné en
ton citoyen sur une matière qu'ils n'auraient
pas prévue , et sur laquelle ils n'auraient rien
déterminé. J'ajoute enfin que quand il y au-
rait en efiet quelque inconvénient à tenir
ainsi les nonces asservis à leurs instructions^
R 2
292 GOUVERNEMENT}
il n'y aurait point encore à balancer vis-à-
vis l'avantage immense que la loi ne soit
jamais que l'expression réelle des volonLesd»
la nation.
Mais aussi , ces précautions prises , il ne
doit jamais y avoir conflit de jurisdiction
entre la diète et les diétincs , et quand une
loi a été portée en pleine diète , je n'accorde
pas même à celles-ci droit de protestation.
Qu'elles punissent leurs nonces , que , s'il le
faut , elles leur fassent même couper la tête
quand ils ont prevariqué ; mais qu'elles
obéissent pleinement, toujonrs sans excep-
tion , sans protestation ; qu'elles portent ,
comme il est juste, la peine de leur mauvais
choix , sauf a faire à la prochaine diète , si
elles le jugent à propos , des représentations
aussi vives qu'il leur plaira.
Les diètes étant fréquentes ont moins be-
soin d'être longues , et six semaines de durée
me paraissent bien suffisantes pour les besoins
ordinaires de l'Etat. Mais il est contradic-
toire que l'autorité souveraine se donne des
entraves à elle-même, sur-tout quand elle est
immédiatement entre les mains delà nation.
Que cette durée des diètes ordinaires conti*
une d'être fixée à six semaines, à la bonn»
B E P O L O G N E. 2g3
lieuvc : mais ildepciulra toujours de rassem-
blée de prolonger ce terme par une délibé-
ration expresse, lorsque les affaires le demande-
ront. Car culàn, si la diète, qui par sa nature est
au-dessus de la loi, dit : Je veux rester y
qui est-ce qui lui dira: Je ne veux pas que
tu restes. Il n'}'^ a que le seul cas qu'une dicte
voulût durer plus de deux ans , qu'elle ne
le pourrait pas ; ses pouvoirs alors finiraient ,
et ceux d'une autre dicte commenceraient avec
la troisième année. La diète , qui peut tout,
peut sans contredit prescrire \\n plus long
intervalle entre les diètes : mais cette nou-
velle loi ne pourrait regarder que les diètes
subséquentes, et celle qui la porte n'en peut
profiter. Les principes dont ces règles se
déduisent sont établis dans le Contrat So-
cial.
A l'égard des diètes extraordinaires, la
bon ordre exige en effet qu'elles soient rares,
et convoquées uniquement pour d'urgente»
nécessités. Quand le roiles juge telles , il doit,
je l'avoue, en être cru; mais ces nécessités
pourraient exister , et qu'il \\ç,\\ convînt
pas ; faut- il alors que le sénat en juge ?
Dans un Etat libre on doit prévoir tout ce
qui peut attaqusr la liberté. Si les confédé-
R 3
294 GOUVERNE M E N T
rations restent , elles peuvent en certains
cas snppléer les diètes extraordinaires ; mais
si vous abolissez les confédérations , il faut
uii règlement pour ces diètes , ne'cessairc-
uient.
Il me parait impossible que la loi puisse
fixer raisonnablement la durée des diètes
extraordinaires, puisqu'elle de'pend absolu-
ment de la nature des affaires qui la font
convoquer. Pour l'ordinaire la cc'lërité y est
nécessaire ; mais cette célérité étant relative
aws. matières à traiter qui ne sont pas dans
l'ordre des affaires courantes , on jic peut
rien statuer là-dessus d'avance , et l'on pour-
rait se trouver en tel état qu'il importerait
que la diète restât assemblée jusqu'à ce que
cet état eût changé, ou que le temps des
diètes ordinaires fît tomber les pouvoirs do
celle-là.
Pour ménager le temps si précieux dans
les diètes , il faudrait tâcher d'ôter de ces
assemblées les vaines discussions qui ne ser-
vent qu'à le faire perdre. Sans doute il j
faut non-seulement de la règle et de l'ordre ,
mais du cérémonial et de la majesté. Je
voudrais même qu'on donnât un soin par-
iiculicr à cet article , et qu'on sentît , par
DE P O L O G N E. 29S
oKcniplc , la barbarie et riiorriblc iiidccence
d<' voir l'appareil des armes profaner le sanc-
tuaire des lois. Polonais , êtes-vous plus
guerriers que n'étaient les Romains ? et
jamais dans les plus grands troubles de leur
republique l'aspect d'un glaive ne souilla les
comices ni le se'nat. Mais je voudrais aussi
qu'en s'attachant aux choses importantes et
nécessaires , on e'vitât tout ce qui peut se
faire ailleurs e'galement bien. Le rugi, par
exemple , c'est-à-dire l'examen de la légiti-
mité' des nonces , est un temps perdu dans,
la diète : non que cet examen ne soit eu
lui-même une chose importante , mais parce
qu'il peut se faire aussi bien et mieux dans
le lieu même où ils ont e'tê élus , où ils
sont le plus connus , et où ils ont tous leurs
concurrens. C'est dans leur palatiiïat même ,
c'est dans la diétine qui les députe que la
validité de leur élection peut être mieux
constatée et eu moins de temps , comme
cela se pratique pour les commissaires ds
Radom et les députés au tribunal. Cela fait,
la dicte doit les admettre sans discussion sur
le huidiim dont ils sont porteurs , et cela
non-seulement pour prévenir les obstacles
qui peuvent retarder rélcctiondu maréchal ,
R4
P:g6 G O U T E R N E M E N T
iiKiis sur-tout les intrigues par lesquelles le
géiiat ou le roi pourraient géuer les élections
et chicaner les sujets qui leur seraient de'-
#agre'ables. Ce qui vient de se passer à Lon-
dres est une leçon pour les Polonais. Je sais
bien que ce W^ilkes n'est qu'un brouillon ,
mais par l'exemple de sa re'jection la planche
est faite, et de'sormais ou n'admettra plus
dans la chambre des communes que des
«ujets qui conviennent à la cour.
Il faudrait commencer par donner plus
d'attention au choix des membres qui ont
Voix dans les die'tincs. On discernerait par-là
plus aisc'ment ceux qui sont eliglbles pour
]a nonciature. Le livre d'or de Venise est
îHi modèle à suivre à cause des facilite's
qu'il donne. Il serait commode et très-aisé
de tenir dans chaque grod un registre exact
de tous les nobles qui auraient , aux con-
ditions requises , entrée et voix aux dic'-
lincs. On les inscrirait dans le registre
de leur district à m.esure qu'ils atteindraient
l'âge requis par les lois ; l'on raj'crait ceux
qui devraient en être exclus dès qu'ils tom-
beraient dans ce cas , en marquant la raison
de leur exclusion. Par ces registres, auxquels
il faudrait donner une forme bien autuen-.
D E P O L O G N E. 297
tique, on distinguerait aisément, tant les
membres légitimes des dictines que les sujets
eligibles pour la nonciature ; et la longueur
des discussions serait l'ort abrégée sur cet
article.
Une meilleure police dans les diètes et
dictines serait assurément une chose fort
lïtile; mais , je ne le redirai jamais trop ,
11 ne faut pas vouloir a-la-fois deux choses
contradictoires, La police est bonne , mais
la liberté' vaut mieux , et plus vous gênerez
la liberté' par des formes , plus ce& formes
fourniront de moyens a Tusurpatiou. Tous
reux dont vous userez pour empêcher la
licence dans l'ordre le'gislatif , quoique bons
en eux-mêmes, seront t6t ou lard employés
pour l'opprimer C'est un grand mal que les
longues et vaincs harangues qui font perdre
nn temps si prêeieuv, mais c'en est un bien
plus grand qu'un bon citojrn n'ose parler
quand i! a des choses utiles' à dire. Des qu'il
n'y aura dans les diètes que certaines bou-
rbes qui s'ouvrent, et qu'il leur sera deToulu
de tout dire, elles ne diront bientôt plus
que ce qui peut plaire aux puirsans.
A]>rès les changrmens indispensables dans
la Ecmination des emplois et dans la dis-.
29?, GOUVERNEMENT
tribu tion des grâces , il y aura vraisembla-
bicmcDt et moins de vaines harangues et
moins ,de flagorneries adressées au roi sous
cette forme. On pourrait cependant, pour
élaguer un peu les tortillages et les amphi-
gouris , obliger tout harangueur a enouccr
au commencement de son discours la propo-
sitioTi qu'il veut faire, et après avoir déduit
ses raisons , de donner ses conclusions som-
maires , comuie font les gens du roi dans
les tribunaux. Si cela n'abrégeait pas les dis-
cours , cela contiendrait du moins ceux qui
lie veulent parler que pour ne rien dire ,
et faire consumer le temps a ne rien faire.
Je ne sais pas bien quelle est la forme
e'tablie dans les dictes pour donner la sanc-
tion aux lois ; mais je sais que pour des
raisons dites ci-devant, cette forme ne doit
pas être la mémo que dans le parlement de
la Grande-Bretagne , que le se'nat de Pologne
doit avoir l'autorité d'administration , no a
de législation , que dans toute cause légis-
lative les sénateurs doivent voter seulement
comme membres de la diète , non comme
membres du sénat , et que les voix doivent
être comptées par têtes également dans les
deux chambres. Peut-être l'usage du Jiheruiru
DE P O L O (; >; E. 29(>
veto a-t-il empêché de faire celte distinction ,
mais elle sera très-ue'cessaire quand le libenim
*r/oseraôté,etcelad'anlant j)ltisqnct*cserann
avantage immense de moins dans la chambre
des nonces ; car je ne suppose pas que les
sénateurs , bien moins les ministres , aieirt
jamais eu part k ce droit. Le veto des nonces
polonais représente celui des tribuns du
peuple à Rome ; or ils n'exerçaient pas ce
droit comme citoyens, mais comme repré-
sentans du peuple romain. La perte du //-
herum veto n'est donc que pour la chambre
des nonces , et le corps du sénat n'y perdant
rien , y gagne par conséquent.
Ceci posé , je vois un défaut à corriger
dans la diète. C'est que le nombre des sé-
nateurs égalant presque celui des nonces ,
le sénat a une trop grande influence dans
les délibérations , et peut aisément, par son
crédit dans l'ordre équestre , gagner le petit
nombre de voix dont il a besoin pour éti^
loii jours prépondératit.
Je dis que c'est un défaut; parce que le
sénat étant un corps particulier dans l'Etat,
a nécessairement des intérêts de corps dif-
férens de ceux de la nation , et qui même
i certaine égards y peuvent être coutrair.'s.
R 6
Soo GOUVERNEMENT
Or la loi , qui n'est que l'expression de la
volonté ge'ne'rale , est bien le résultat de tous
les intérêts particuliers combine's et balance's
par leur multitude ; mais les inte'réts de corps
faisa i] t un poids trop conside'rable, rompraient
i'e'quilibre , et ïic doivent pas y entrer col-
Itctiycment. Chaque individu doit avoir sa
voix, nul corps , quel qu'il soit, n'en doit
avoir une. Or si le se'nat avait trop de poids
daus la diète , non-seulement il y porterait
son iute'rét , mais il le rendrait préponde'-
rant.
Un renrlde naturel à ce de'faut se présente
clc lui-même , c'est d'augmenter le nombre
des nonces ; mais je craindrais que cela ne
fît trop de mouvement dans l'Etat, et n'ap-
prochât trop du tumulte démocratique. S'il
fallait ab.solument changer la proportion ,
au-lieu d'augmenter le nombre des nonces,
j'aimerais mieux diminuer le nombre des
«énateuri-. Et dans le fond , je ne vois pas
trop pourquoi y ayant déjà un palatin a la
léte de chaque province , il y faut encore
de grands castcllans. Mais ne perdons jamais
de vue l'importante maxime de ne rien chan-
ger sans nécessité , ni pour retrancher v-^
yQMX aJGUtar,
D E P O L O G N E. Soi
Il vaut mieux, a mon avis, avoir uu con-
seil uioius nombreux , et laisser plus de li-
berté' à ceux qui le composent , que d'eu
auj^uientcr le nombre et de géncr la liberté
dans les deliberatioiis , comme on est tou-
jours force de faire quand ce nombre devient
trop grand : à quoi j'ajouterai , s'il est per-
mis de prévoir le bien ainsi que le mal ,
qu'il faut éviter de rendre la dicte aussi nom-
breuse qu'elle peut l'être , pour ne pas s'oter
le moyen d'y admettre un jour sans confu-
sion de nouveaux dc'putcs , si jamais ou eu
Tient à rennoblisscmcnt des villes et à l'af-
fraiîcliissement des serfs, comme il est a dé-
sirer pour la force et le bcnbcur de la na-
tion.
C'hcrchons donc un moyen de remédier à
ce défaut d'une autre manière , et avec le
■Uioins de cliangcmens qu'il se pourra.
Tous les sénateurs sont nonunés par le roi ,
et conséqucmment sont ses créatures. De
plus , ils sont à vie , et a ce titre ils forment
un corps indépendant et du roi et de l'ordre
équestre, qui, comme je l'ai dit, a ?on in-
ti'rctàpart et doit tendre à i'usurpaticn. Kt
l'on ne doit pas ici m'accuser de contradic-
fioiJ . parce que j'admets le sénat comme un
3o2 G O U T E R N E M E N r
Gorps distinct dans la republique , quoique
je ne Tadmette pas comme un ordre compo-
sant de la république : car cela est fort dif-
férent.
Premièrement , il faut ôter au roi la no-
mination du sénat , non pas tant à cause du
pouvoir qu'il conserve par-là sur les séna-
teurs , et qui peut n'être pas grand , que par
celui qu'il a sur tous ceux qui aspirent à
l'être , et par eux sur le corps entier de la
nation. Outre l'effet de ce changement daus
la constitution , il en résultera l'avantage
iîî estimable d'amortir parmi la noblesse l'es-
prit courtisan , et d'y substituer l'esprit pa-
triotique. Je ne vois aucun inconvénient que
les sénateurs soient nommés par la diète, et
j*y vois de grands biens trop clairs pour avoir
besoin d'être détaillés. Cette nomination peut
se faire toutd'un coup dansladicte, ou pre-
mièrement dans les diétines , par la présen-
tation d'un certain nombre de sujets pour
chaque place vacante dans leurs paîatinats
respectifs. Entre ces élus, la diète ferait son
choix , ou bien elle en élirait un moindre
nombre parmi lesquels on pourrait laisser
encore au roi le droit de choisir: mais pour
aller tout d'un coup au plus simple , poyr-
DE P O L O G N E. 3o3
qnoi cbaqnc palatin ne serait-il pas élu de'-
finitiveincnt dans la die'tiue de sa province ?
Quel inconvénient a-t-on vu naître de cette
e'iection pour les palatins de Polock , de Wi-
tebsk , et pour le staroste de Samogitie; et
quel mal y aurait-il que le privilège de cçs
trois provinces devînt un droit coniuuiii pour
toutes ? Ne perdons point de vue l'impor-
tance dont il est pour la Poloj^ne de tourner
sa constitution vers la forme fédérative , pour
écarter, autant qu'il est possible, les maux
attacbés à la grandeur, ou plutôt à l'éLcnduo
de l'Etat.
En second lieu , si vous faites que les sé-
nateurs ne soient plus à vie, vous affaibli-
rez considérablement Tintérct de corps qui'
tend à l'usurpation ; mais cette opération a
SCS difficultés : premièrement , parce qu'il
est dur a des bommes accoutumés a manier
les affaires publiques , de se voir réduits
tout d'un coup à l'état privé sans avoir dé-
mérité ; secondement, parce que les places
de sénateurs sont unies à des titres de pi-
latins et de castellans et à l'autorité locale
qui y est attachée, et qu'il résulterait du dé-
sordre et des mécontentemens du passage
perpétuel de ces titres eï de celte autoriid
3o4 GOUVERNEMENT
d'un individu à un autre. Enfin cette amo-
vibilité ne peut pas s'e'tendre aux e'véques ,
et ne doit peut-être pas s'étendre aux mi-
nistres, dont les places exigeant des talens
particuliers ne sont pas toujours faciles à
bien remplir. Si les évéques seuls étaient à
vie, l'autorité du clergé, déjà trop grande,
augmenterait considérablement , et il est
important que cette autorité soit balancée
par des sénateurs qui soient a. vie ainsi que
les évéques , et qui ne craignent pas plus
qu'eux d'être déplaces.
Voici ce que j'imaginerais pour remédier
à ces divers iiiconvéniens. Je voudrais que
les places des sénateurs du premier rang
continuassent d'être à vie. Cela ferait , eu
y comprenant outre les évéques et les pala-
tins tous les castcllans du premier ra»g ,
quatre-vingt-neuf sénateurs inamovibles.
Quant aux castellans du second rang ,
je les voudrais tous a tems , soit pour deux
ans , en fesant à chaque dicts une nouvelle
élection, soit pour plus long-tems s'il était
jugé à propos ; mais toujours sortant dç
place à chaque te nne , sauf à élire de nou-
veau ceux que la diète voudrait continuer,
ce que je permettrais un certain ii ombre de
DE POLOGNE. 3o5
fois seulement , selon ic projet qu'on trou-
vera ci-après.
L'obstacle des titres serait faible, parce
que ces titres ne donnant presque d'autre
fonction que de si('ç;cr au sénat, pour-
raient être supprimes sans inconvénient ,
et qu'au lieu du titre de castellans à bancs,
ils pourraient porter simplement celui de éé-
Xïateurs députés. Comme par la réforme, le
sénat revctu de la puissance executive serait
pcrpotuelleiucnt asseriijjlé dans un certain
nombre de ses membres , un nombre pro-
portionné de sénateurs députés seraient de
même tenus d'y assister toujours à tour de
rôle , mais il ne s'agit pas ici de ces sortes
de détails.
Par ce changement ,à peine sensible, ces
rastrllans ou sénateurs députés deviendraient
iccllement autant de représentans de la diète
qci feraient contre-poids au corps du sénat,
et renforceraient l'ordre équestre dans les
assemblées de la nation ; en sorte que les
sénateurs à vie , quoique devenus plus puis-
sans , tant par l'abolition du veto que par
la diminution de la puissance royale et de
celle des ministres, fondne en partie dans
lf?ur corps , n'y pourraient pourtant faire
3o6 G O U T E R N E M E N T
dominer l'esprit de ce corps; et le se'iiat ,
ainsi nii-parti de membres à tems et de
membres à vie, serait aussi bien constitué
qu'il est possible pour faire un pouvoir in-
termédiaire entre la chambre des nonces et
le roi, ayant à -la-fois assez de consistance
pour régler l'administratiou et assez de dépen-»
dance pour être soumis aux lois. Cette opé-
ration me paraît bonne, parce qu'elle est
simple , et cependant d'un grand eftct.
On propose pour modérer les abus du
veto , de ne plus compter les voix par tête
de nonce , mais de les compter par pala-
tinats. On ne saurait trop réfléchir sur ce
changement avant que de l'adopter, quoi-
qu'il ait ses avantages et qu'il soit favorable
à la forme fédérative. Les vois prises par
masses et collectivement vont toujours moins
directement à l'intérêt commun que prises
ségrégativement par individu. Il arrivera très-
souvent que panni les nonces dim paîati-
nat, un d'entr'eux dans leurs délibérations
particulières preiidra l'ascendant sur lep
autres, et déterminera pour son avis la plu-
ralité qu'il n'aurait pas si chaque voix de-
meurait indépendante. Ainsi les corrupteurs
auront moins à faire et sauront mieux à qui
D E P O L O G N E. 3o7
s'adresser. De plus , il vaut mieux que chaque
nouée ait a répondre pour lui seul h sa tlic-
tinc , afin que nul ne s'excuse sur les autres,
que riunocent et le coupable ne soient pas
confondus et que la justice distributive soit
mieux obscrve'c. Il se présente bien des rai-
sons contre cette forme qui relâcherait beau-
coup le lien commun, et pourrait à chaque
diète exposer l'Etat h se diviser. Eu rendant
les nonces plus de'peudaus de leurs instruc-
tions et de leurs coustituans , ou gagne à-
pcu-prcs le m.ême avantage sans aueiui iu-
coiivciiicMt. Ceci suppose , il est vrai , que
les suiliages ne se donnent point par scrutin,
mais à haute voix , afin que la conduite et
l'opinion de chaque nonce à la diète soient
connues, et qu'il en rtiponde en son propre
et prive' nom. Mais cette matière des suffrages
e'tant une de celles que j'ai discute'es avec le
plus de soin dans le Contrat social, il est
superflu de me re'peter ici.
C^uant aux élections , on trouvera peut-
être d'abord quelque embarras à nommer a-
la-fois dans chaque dicte tant de sénateurs
députés, etengénéralauxélections d'un grand
nombre sur un plus grand nombre qui re-
viendront quelquefois dans le projet que }'ià.i
3o8 GOUVERNEMENT
^ proposer ; mais en recourant pour cet
article au scrutin, l'on ôterait aisément cet
embarras au moyen de cartons imprime's et
«lume'rote's qu'on distribuerait aux électeurs
la veille de rdection , et qui contiendraient
les noms de tous les candidats entre lesquels
cette élection doit être faite. Le lendemain
les électeurs viendraient à la file rapporter
dans une corbeille tous leurs cartons , après
avoir marqué, chacun dans le sien, ceux
qu'il élit ou ceux qu'il exclut selon l'avis
qui serait en tête des cartons. Le décliiffre-
luent de ces mêmes cartons se ferait tout d»
suite en présence de l'assemblée par le secré-
taire de la diète, assisté de deux autres se*
crétaires ad actinii , nommés sur-le-cliamp
par le maréchal dans le nombre des nonces
présens. Par cette méthode l'opération de-
viendrait si courte et si simple , que sans
dispute et sans bruit tout le sénat se rem-
plirait aisément dans une séance. Il est vrai
qu'il faudrait encore une règle pour déter-
miner la liste des candidats ; mais cet ar-
ticle aura sa place et ne sera pas oublié.
Reste à parler du roi qui préside à la diète,
et qui doit être par sa place le suprême ad-
ministrateur des lois.
DE P O L O G xV E. 3of
CHAPITRE y 1 I L
JJu roi,
V^'est un grand mal que le chef d'im«
nation soit l'enuemi-uc de la liberté dont il
devrait être le défenseur. Ce mal , à mon
avis, n'est pas tellement inhérent à cette
place qu'oîi ne piit l'en détacher, ou du
moins l'amoindrir considérablement. Il n'y
a point de tentation sans espoir. Rendez
l'usurpation impossible à vos rois , voua
leur en ôterez la fantaisie, et ils mettront à
vous bien gouverner , et à vous défendre ,
tous les efibrts qu'ils fout maintenant pour
TOUS asservir. Les instituteurs de la Pologne ,
comme l'a remarqué M. le comte Tl'iclliorski^
ont bien songé à ôter aux rois les moyens
tle nuire , mais non pas celui de corrompre,
et les grâces dont ils sont les distributeurs
leur donnent abondamment ce moven. La
difficulté cbt qu'en leur ôtaijt cette distribu-
tion l'on paraît leur tout ôter : c'est pour-
tant ce qu'il ne faut pas faire ; car autant
raudrait n'avoir point de roi , et je c:ois
impossible à un aussi grand Etat que la
3io G O U V E R ^~ E M E N T
Pologne de s'en passer ; c'est-à-dire , d'un
clief suprême qui soit a vie. Or à moins que
le chef d'une nation ne soit tout-à-fait nu),
et par conse'quent inutile, il faut bien qu'il
puisse faire quelque chose , et si peu qu'il
fasse , il faut ne'cessairement que ce soit du
bien et du mal.
Maintenant tout le se'uat est à la nomina-
tion du roi : c'est trop. S'il n"a aucune part
à cette nomination, ce n'est pas assez. Quoi-
que la pairie en Angleterre soit aussi à la
nomination du roi , elle en est bien moins
dépendante , parce que cette pairie une fois
donnée est héréditaire , au-lieu que les évé-
chés, paîatinats et castellanies n'étant qu'à
vie, retournent à la mort de chaque titu-
laire à la nomination du roi.
J'ai dit comment il me parait que cette
nomination devrait se faire , savoir les pala-
tins et grands castcUans à vie et par leurs
diétines respectives. Les caSccUans du second
rang à temps et par la diète. A l'égard des
ëvéques , il me paraît difficile , à moins qu'on.
ne les fasse élire par leurs chapitres , d'enôter
la nomination au roi , et je crois qu'on peut
la lui laisser, excepté toutefois celle de l'ar-
chevêque dd Guesne qui appartient naturel-
D n P O L O G N E. Su
Icment à la diète ; à moins qu'on n'en sé-
pare la priniatie , dont elle seule doit dis-
poser. Quant aux ministres , sur-tout les
grands généraux et grands trésoriers , quoique
leurpuissanec qui fait contre-poids a celle du
roi doive être diminuée en proportion de la
sienne, il ne me parait pas prudent délaisser
au roi le droit de rcmjîlir ces places par ses
créatures, et je voudrais au moins qu'il n'eût
que le choix sur un petit nombre de sujets
présentés par la diète. Je conviens que ne
pouvant plus ôter ces places apriJs les avoir
données, il ne peut plus compter absolument
sur ceux qui les rcmj)lisscnt : mais c'est assez
du pouvoir qu'elles lui donnent sur les aspi-
lans , sinon pour le mettre en état de changer
' la face du gouvernement , du moins pour
lui en laisser l'espérance , et c'est sur-tout
cette espérance qu'il importe de lui ôter à
tout prix.
Pour le grand chancelier , il doit, cerne
semble , être de nomination royale. Les rois
sont les juges-nés de leurs peuples ; c'est pour
cette fonction, quoiqu'ils l'aient tous aban-
donnée, qu'ils ont été établis; elle ne peut
leur être ètéc ; et quand ils ne veulent pas
la remplir eux-mêmes , la nomination de
3t2 G O U T E R N E M E N T
leurs substituts en cette partie est de leuf
droit, parce que c'est toujours a eux de re'-
pondrc des jugemeus qui se reudent eu leur
nom. La nation peut, il est vrai , leur don-
ner des assesseurs, et le doit lorsqu'ils ne
jugent pas eux-mêmes : ainsi le tribunal de
la couronne, où préside, non le roi, mais le
grand-chancelier, est sous l'inspection de la
nation , et c'est avec raison que les die'tines
en nonnncnt les autres membres. Si le roi ju-
geait en personne, j'estime qu'il aurait le
droit de juger seul. Eu tout e'tat de cause sou
intérêt serait toujours d'être juste, et jamais
des jugemens iniques ne furent une bonne
voie pour parvenir à l'usurpation.
A l'égard des autres dignités, tant de la
couronne que des palatinats , qui nesontque
des titres ho no ritiques et domient plus d'éclat
que de crédit, ou ne peut mieux faire que de
lui en laisserla pleine disposition ; qu'il puisse
honorer le mérite et flatter la vanité , mais
qu'il ne puisse conférer la puissance.
La majesté du trône doit être entretenue
avec spleudeur : mais il importe que de toute
la dépense nécessaire à cet effet on en laisse
faire au roi le moins qu'il est possible. 11
«erait à désirer que tous les officiers du roi
fussent
ni: POLOGNE. 3i3
fussent aux images de la république et non pas
aux siens, et qu'on réduisît en même rapport
tous les revenus royaux, afin, de diminuer
autant qu'il se peut le nianieuicnt des deniers
par les mains du roi.
On a propose de rendre la couronne hc'-
redilairc. Assurez-vous qu'au moment que
cette loi sera portée , la Pologne peut dir©
adieu pour jamais à sa liberté. On pense y
pourvoirsuffisamraeutenbornantlapuissance
ro^^ale. Ou ne voit pas que ces bornes pose'cs
par les lois seront franchies à traits de temps
par des usurpations graduelles , et qu'un
système adopte' et suivi sans interruption
])ar une famille royale doit l'emporter à la
longue sur une le'gislatiou qui par sa nature
tend sans cesse au relâchement. Si le roi n%
peut corrompre les grands par des grâces,
il peut toujours les corrompre par des pro-
jr'sses dont ses successeurs sont garans ; et
comme les plans forme's par la famille royale
se perpe'tucnt avec elle , ou prendra bien
plus de confiance en ses engagemens , et
l'on comptera bien plus sur leur accomplis-
sement que quand la couronne èkctiv»
montre la lin des projets du monarque avec
celle de sa vie, La Pologne est libre , parut
£'olUU]iic. Tome JJ, î^^
3i4 G O U V E Pv N E M E N T
que chaque règne est précède dïm intervalle
où la nation rentre'e dans tous ses droits,
et reprenant une vigueur nouvelle , coupe
le progrès des abus et des usurpations , où
la législation se remonte et reprend son pre-
mier ressort, (^ue deviendront les ^L'^ïr/^^ con-
renta l'égide de la Pologne , q-uand une
famille établie sur le trône à perpétuité le
remplira sans intervalle , et ne laissera à
la nation, entre la mort du père et le cou-
ronnement du tils , qu'une vaine ombre de
liberté sans effet, qu'anéantira bientôt la
simagrée du serment l'ait par tons les rois à
leur sacre , et par tous oublié pour jamais
l'instant d'après ? Vous avez vu le Dane-
luarck , vous voyez l'Angleterre, et vous
allez voir la Suède : profitez de ces exem-
ples pour apprendre une fois pour toiUes
que, quelques précaiîtioiis qu'on puisse en-
tasser, hérédité dans le trône, et liberté
dans la nation seront à jamais des choses
incompatibles.
Les Polonais ont toujours eu du penchant
à transmettre la couronne du père au iils ,
ou aux plus proches par voie d'héritage ,
qiioique toujours par drOit d'élection. Cette
inckuatlou , s'Js coutiuLieut à la suivre, les
DE P O L O O N E. 3i5
mènera tôt ou tard au malheur de rendre
la couronne hére'ditairc , et il ne faut pas
qu'ils espèrent lutter aussi lonj;-tcnips de
cette mail. ère contre la ]niissance ro^^alc,
que les membres de l'empire germauique
ont lutlc contre celle de l'empereur, parc»
(pie la Pologne n'a point en elle-même
de contre-poids suliîsant pour maintenir un
roi lic'reditaire dans la subordination légale.
Malgré la puissance de plusieurs membres
de l'euipire , sans l'élection accidentelle de
Charles / 11 ^ les capitulations impériales
ne seraient déjà plus qu'un vain formulaire
connue elles l'étaient au conuncncement de
ce siècle ; les pacta concenfa deviendront
bien plus vains encore , quand la famille
roj^ale aura eu le temps de s'allérmir et de
mettre tontes les autres au -dessous d'elle.
Pour dire en un mot mon sentiment sur cet
article, je pense qu'une couronne élective,
avec le plus absolu pouvoir, vaudrait encore
uueux pour la Pologne qu'une couronne
héréditaire avec un pouvoir presque nul,
Au-lieu de cette fatale loi qui rendrait la
couronne héréditaire, j'en proposerais une
bien contraire qui , si elle était admise ,
maintiendrait la liberté de la Pologne. Co
8 3
Si6 GOUVERNEMENT
serait d'ordonner par une loi fondamentale
que jamais la couronne ne passerait du père
au fils, et que tout fils d'un roi de Pologne
serait pour toujours exclus du trône. Je dis
que je proposerais cette loi si elle c'tait né-
cessaire : mais occupé d'un projet qui ferait
le même effet sans elle , je renvoie à sa place
l'explication de ce projet , et suppo;;ant que
par son effet les fils seront exclus du trône
de leur père , au-moins immédiatement, je
crois voir que la liberté bien assurée ne
sera pas le seul avantage qui résultera de
cette exclusion. Il en naîtra uu autre encore
Irès-considérable ; c'est en ôlant tout espoir
aux rois d'usurper et transmettre a leurs en-
fans un pouvoir arbitraire, de porter tout©
leur activité vers la gloire et la prospérité
de l'Etat, la seule voie qui reste ouverte à
leur ambition. C'est ainsi que le chef de la
nation en deviendra , non plus l'enncmi-né,
mais le premier citoyen. C'est ainsi qu'il fera
sa grande affaire d'illustrer son règne par des
établisscmcns utiles qui le rendeutclier à son
peuple, respectable à ses voisins, qui fassent
bénir après lui sa mémoire, et c'est ainsi que ,
hors les moyens de nuire et de séduire qu'il
ijc faut jamais lui laisser , il conviendra d'aug'^
DE POLOGNE. 3i7
luentcr sa iniissancc en tout ce qui pent con-
courir au bien public. Il at:ra peu de força
immédiate et directe pouraj^ir par lui-même,
mais il aura beaucoup d'autorité , de surveil-
lance et d'inspoctiou pour contenir chacun
dans sou devoir, et pour diriger le gouver-
nement à son ve'rital)]e but. La présidence de
la diète , du sénat et de tous les corps , un
sévère examen de la conduite de tous les gen*
en place , un grand soin de maintenir la jus-
tice et rintêgritê dans tous les tribunaux ,
de coîiscrvcr l'ordre et la tranquillité dans
l'Etat , de lui donner une bonne assiette au-
dcliors , le commandement des armées en
temps de guerre,, les ètablissemens utiles en
temps de paix, sont des devoirs qui tiemicnt
particulièrement à son office de roi, et qui
l'occuperont assez s'il veut les remplir par
lui-même ; car les détails de l'administratiou
étant coniiés à des uiinistres établis pour cela,
ce doit être un crime à. un roi de Pologne
de confier aucune partie de la sienne à des
favoris. (^)u'il fasse son métier en personne , ou
qu'il y renonce. Article important sur lequel
la nation ne doit jamais se relâcher.
C'est sur de semblables principes qu'il faut
établir l'équilibre et la pondération des pow-
S3
3i8 G O U V E R N E M E N T
voirs qui composent la législation et l'aclmi-
iiistratioii. Ces pouvoirs, dans les mains de
leurs de'positaires et dans la meilleure pro-
portion possible , devraient élre en raison
directe de leur nombre et inverse du temps
qu'ils restent en place. Les parties compo-
santes de la diète suivront d'assez près ce
meilleur rapport. La chambre des nonces, la
plus nombreuse , sera aussi la plus puissante,
mais tous ses meuibres changeront fréquem-
ment. Le sénat moins nombreux aura une
moindre part a la législation , mais une plus
grande à la puissance executive , et ses mem-
bres participant à la constitution d,es deux
extrêmes , seront partie à temps et partie à vie
comme il convient à un corps intermédiaire.
Le roi qui préside à tout continuera d'être
à vie , et son pouvoir , ton/ours très-grand
pour l'iuspection , sera boriië par la chambre
des nonces quant à la législation , et par
le sénat quant à radministration. Mass ,
pour maintenir r<^galité, principe de la cons-
titution , rien n'y doit être héréditaire qu»
la noblesse. Si la couronne était héréditaire , il
faudrait, pour conserver l'équilibre , que la
pairie ou l'ordre sénator al le fut aussi coinme
en Aii^kiçire. Alors l'ordre équestre abaissé
DE POLOGNE. 319
perdrait sou pouvoir, la chambre des nonces
n'ayant pas, comme celle des communes,
celui d'ouvrir et fermer tous les ans le
trésor public , et la constitution polonaise
serait rcuversc'c de fond en comble,
CHAPITRE IX.
Causes particulicrcs de Fanarchic.
L.
lA diète bien proportionne'e et bien pon-
dérée ainsi dans toutes ses part; es , sera la
source d'une bonne législation et d'un bon
gouvernement : mais il faut pour cela que
ses ordres soient respectés et suivis. Le mépris
des lois , et l'anarchie où la Pologne a vécu
jusqu'ici, ont des causes faciles à voir. J'en
ai déjà ci-devant marque la j)rincij)ale et j'en
ai indiqué le remède. Les autres causes con-
courantes sont , 1'^ Ad Hberum veto ^ 2*'. les
confédérations , 3^. l'abus qu'ont fait les par-
ticuliers du droit qu'on leur a laissé d'avoir
des gens de guexre à leur service.
Ce dernier abus est tel que si l'on ne com-
mence pas parl'ôter , toutes les au très réformes
sont inutiles. Tant crue les particuliers auront
223 G O U V E R X E M E N T
le pouvoir de résister a la force executive, ils
croiront eu avoir le droit , et tant qu'ils au-
ront entr'eux de petites guerres , comment
veut-on que l'Etat soit en paix ? J'avoue que
les places fortes ont besoin de gardes ; mais
pourquoi faut-il des places qui sont fortes
seuîemcutcontre les citoyens et faibles contre
l'ennemi ? J'ai peur que celte reforme ne
souffre des difficultés: cependant je ne crois
pas impossible de les vaincre , et pour peu
qu'un citoyen puissant soit raisoniiable , il
consentira sans peine à n'avoir plus a lui
de gens de guerre, quand aucun autre n'eu
aura.
J'ai dessein de parler ci-après des ctablis-
semens militaires : ainsi je renvoie à cet article
ee que j'aurais à dire dans celui-ci.
Le lihe?-iini veto n'est pas un droit vicieux
en lui-même , mais sitôt qu'il passe sa borne ,
il devient le plus dangereux des al)us : il était
le garant de la liberté publique , il n'est plu«
que l'instrument de l'oppression. Il ne reste ,
pour ôtcr cet abus inneste , que d'en détruire
la cause tout-a-fait. Jiais il est dans le cceur
de l'homme de tenir aux privilèges indivi-
duels plus qu'à des avantages plus grands et
plus g';-ticrauk'. U n'y a qu'un palriotisniQ
D K i» O T. O G N E. 321
cclairé pnr l'expérience qui puisse api>iTiidm
h sncriîicr à de plus grands biens un droit
J)riliant devenu pernicieux par son abus, et
dont cet abus est desonuais inséparable. Tous
les Polonaisdoivent sentir vivement les maux
que leur a fait souflrir ce malheureux droit.
S'ilsaiment l'ordreet la paix, ils n'oiitaucuii
moyen d'établir chez eux l'un et l'autre , tani
qu'ils y laisseront subsister ce droit , bon dans
la fonnation du corps politique , ou quand il
a toute sa perfection, mais absurde et funcst»
tint qu'il reste des changcmens à faire , et il
est impossible qu'il n'en reste pas toujours ,
sur-tout dans un j;rand Elat entouré de voi-
sijis puissans et ambitieux.
Le Tiberum veto serait moins dcraisonna-
l>le, s'il tombait uniquement sur les points
fondamentaux delà constitution : mais qu'il
ait lieu généralement dans toutes les délibéra-»
tlons des dictes , c'est ce qui ne pciit s'ad-
mettre en avenue façon. C'est un vice dans
la constitution polonaise que la législation
et l'administration n'y soient pas assez dis-
tinguées , et que la diète exerçant le pouvoir
législatif y mêle des parties d'administration ^
fasse indiiTércmment des actes de souvcrai-i
uct« et de ^ouvcrucmeut , souvent même de*
C22 COUVER N E M EXT
actes mixtes par lesquels ses membres sont
magistrats et ie'gislateurs tout à-la-fois.
Les chaiigemeiis proposes tendent à mieus
di tanguer ces deux pouvoirs , et par-là même
à mieui marquer les bornes du liberum veto.
Car je ne crois pas qu'il soit jamais tombé
dans l'esprit de personne de l'e't^iidre aux
matières de pure administration , ce qui se-
rait aue'antir l'autorité civile et tout le gou-
vernement.
Par le droit naturel des sociétés , rimani-
mité a été rcqnisc pour la formation du corns
politique et pour les lois fondamentales qui
tiennent à son existence , telles par exemple
que la jjremière corrigée, la cinquième, la
neuvième et l'onzième marquées dans la
pseudod ète de 1768. Or , l'unanimité requise
pour l'établisspment de ces lois doit l'ctrc de
méiiie pour leur abrogation. Ainsi , voilà des
points sur lesquels le Hberuin veto j)cut con-
tinuer de subsister, puisqu'd ne s'agit pas de
le détruire totalement ; les Polonais qui, sans
beaucoup de murmure , ont vu ressçrrer ce
droit par la diète de 1768, devront sans
peine le voir réduire et limiter dans une
diète plus libre et plus légitime.
Il faut bien peser et bien méditer les points
DE POLO G N E. 3^3
capitaux qu'on établira comme lois fonda-
incutales , et l'on fera porter sur ces points
seulement la force du llberuin veto. De cette
manière , on rendra la constitution solide
et ces lois irrévocables autant qu'elles peu-
vent l'être : car il est contre la nature du corps
]:)ol!tique de s'imposer des lois qu'il ne puisse
révoquer; mais il n'est ni contre la nature,
ni contre la raison, qu'il ue puisse révoquer
ces lois qu'avec la même solemnité qu'il mit
a les établir. Voilà toute la chaîne qu'il peut
se donner pour l'avenir. C'en est assez, et
pour allermir la constitution et pour con-
tenter l'amour des Polonais pour le libcrujii,
veto , sans s'exposer dans la suite aux abus
qu'il a fait naître.
Quant à ces mu'titudes d'articles qu'on a
mis ridiculement au nombre des lois fonda-
mentales et qui font seulement le corps delà
législation , de même que tous ceux qu'on
range sous le titre de matières d'Etat , ili>
sont sujets par la vicissitude des choses à des
■variations indispensables qui ne permettent
pas d'y requérir l'unanimité. Il est encore
absurde que, dans quelque cas que ce puisse
être , un membre de la diète en puisse arrêter
l'activité, et que la retraite ou laprotcïtalicu
224 G O U T E R _\ E ^L L y T
d'au nonce ou de plusieurs pul.^.c dissoudie
l'assemblée et ca.^scr oiusi lautorité souve-
raine. Il faut abolir ce droit barbare et dé-
cerner peine capitale contre quiconque serait
accusé de s'eii prévaloir. S'il y avait des cas
de protestatiou contre la diète , ce qui ne
peut être tant qu'elle sera libre et complète,
ce serait aux palatinats et diétine-qne ce droil
pourrait être conféré, mai? jamais à des non-
ces qui , comme membres de la diète , ne
doivent avoir sur clic aucun degré dautorité
2ii récuser ses décisions.
Entre le yeto , qui esc la idus grande force
individuelle que puissent avoir les membres
de la souveraine puissance , et qui ne doit
avoir lien que pour les lois véritablement
fondamentales, et la pluralité , qui est la
moindre , et qui se rapporte aux matières
de snnplc administration , il y a dliférentc^
proportions sur lesquelles on peut détermi-
ner la prépondérance des avis eu raison de
riuiportance des matières. Par exemple ,
quand il s'agira de législation , l'on peut
exiger les trois quarts au moins des suffrages,
les deux tiers dans les matières d'Etat , la
pluralité seulement pour les élections et au-
Ifcà aliuii-cs cûuramce et momtutauées. Ceci
n'e»t
D E P O L O G N E. 82S
li*cst qu'un exemple jjoiir c\'j3liqncr mou
idée et non une proportion que )e détermine.
Dans un Etat tel que la Poloj^ne, où les
âmes ont encore un grand ressort , peut-^
être eût-on pu conserver dans son entier cô
beau droit du liberuni /r/osans beaucoup de
risque , et peut-être même avec avantage ,
pourvu qu'on eût rendu ce droit dangereux
à exercer , et qu'on y eût attaché de grande»
conséquences pour celui qui s'en serait pré-
valu. Car il est , j'ose le dire, extravagant
que celui qui rompt ainsi l'activité de la
diète , et laisse l'Etat sans ressource , s'en
aille jouir chez lui tranquillement et impuné-
ïiient de la désolation publique qu'il a causée,
8i donc , dans utie résolution presque
txnanime , un seul opposant conservait le droit
deraunullcr, je voudrais qu'il répondît d»
son opposition sur sa tête, non-seulement à
ses constltuans dans sa diétine po:t-comi-
tialc , mais ensuite à toute la nation dont il
a fait le malheur. Je voudrais qn'.l fut or-
donné par la loi, que six mois après soa
opposition , il serait jugé solemnellcment
par un tribunal extraordinaire établi pour
cela seul , composé de tout ce que la nation
a de plus sage , de plus illustre et de plu*
PoIitiLjue. To^Aïc IX. T
326 GOUVERNEMENT
respecté , et qui ne pourrait le renvoyer
simplement absous, mais serait oblige' de le
condamner à mort sans aucune grâce , ou de
lui décerner une re'compcnse et des honneurs
publics pour toute sa vie , sans pouvoir ja-
mais prendre aucun milieu entre ces deux
-alternatives.
Des établisseraens de cette espèce , si fa-
vorables à l'énergie du courage et à l'amour
de la liberté , sont trop éloignés de l'esprit
moderne pour qu'on puisse espérer qu'ils
soient adoptés ni goûtés ; mais ils n'étaient
pas inconnus aux anciens, et c'est par-là que
leurs instituteurs savaient élever les âmes et
iss enlîammer au besoin d'un zèle vraiment
ïiéroï<jue. On a vu dans des républiques où
rcgîiaient des lois plus dures encore, de gé-
iiéreux citoyens se dévouer à la mort dans le
péril de la patrie pour ouvrir un avis qui pût
]r. sauver. Un veto , suivi du même danger ,
peut sauver PEtat dans l'occasion , et n'y
sera jamais fort à craindre.
Oserais-je parler ici des confédérations et
d'être pas de l'avis des savans ? Ils ne voient
que le mal qu'elles fout ; il faudrait voir aussi
celui qu'elles empêchent. Sans contredit , la
ccrJédération est uu état violent daus la ré-
D E P O L O G N E. 327
pi>l)liqiic ; mais il est des maux extrêmes qui
ic'iiclcMit les remèdes violens iiece.' maires , et
dont il faut tàchei de guérir à tout {irix. La
coiilederation est en Pologne ce qu'était la
dictature chez les Romains. L'une et l'autre
font taire les lois dans un péril pressant , mais
avec cette grande diflérence , que la dicta-
tare , directement contraire à la législation
romaine et à l'espritdu £;ouvcrncineiît , a fini
par le détruire , et que les confédérations ,
au contraire, n'étant qu'un moyen de raf-
fermir et rétablir la constitution , ébranlée
par de grands efforts, peuvent tendre et ren-
forcer le ressort relâché de l'Etat sans pou-
voir jamais le briser, dette forme fédérative ,
qui peut-être, dans son origine , eut une
cause fortuite, me paraît être un chef-d'œuvre
de politique. Par-tout où la lil)erté règne ,
elle est incessamment attaquée et très-souvent
en péril. Tout Etat libre, où les grandes crises
n'ont pas été prévues , est à chaque orage
en danger de périr. Il n'y a que les Polonais
qui de ces crises mêmes aient su tirer un nou-
veau moyen do maintenir la constitution.
Sans les confédérations , il y a long-temps
que la réjjublique de Pologne ne serait plus ,
et j'ai grand 'peur qu'elle ne dure pas long-
T 2
32S GOUVERNEMENT
temps après elles , si l'on prend le parti de
les abolir. Jetez les yeux sur ce qui vient d«
se passer. Sans les confe'de'rations , l'Etat e'tait
subjugué, la liberté était pour jamais anéan-
tie. Voulez-vous ôter a la république la res-
source qui vient de la sauver ?
Et qu'on ne pense pas que quand le lihe--
rum veto sera aboli et la pluralité rétablie
les confédérations deviendront inutiles ,
comme si tout leur avantage consistait dans
cette pluralité. Ce n'est pas la même chose.
La puissance executive , attachée aux confé-
dérations , leur donnera toujours dans les
besoins extrêmes une vigueur, une activité,
une célérité que ne peut avoir la diète , for-
cée à marcher à pas plus lents , avec plus do
formalités, et qui ne peut faire un seul mou-
vement irrégulier sans renverser la cousti-»
tution.
Non , les confédérations sont le bouclier,'
l'asile , le sanctuaire de cette constitution.
Tant qu'elles subsisteront , il me paraît im-
possible qu'elle se détruise. Il faut les laisser,
mais il faut les régler. Si tous les abus étaient
ôtés , les confédérations deviendraient pres-
qu'inutiles. La réforme du gouvernement doit
opérer cet cliet. Il u'j aura plus que les fàv^.
D E P O L O G N E. 329
trepriscs violentes qui ructteiit dans la né-
cessite' d"y recourir; mais ces entreprises sont
dans l'ordre des choses qu'il faut prévoir.
Au-Iiou donc d'abolir les confédérations,
déterminez les cas oii elles peuvent légiti-
mement avoir lieu , et puis réglez - eu
bien la forme et rellet , pour leur donner
une sanction légale autant qu'il est possible,
sans gêner leur formation ni leur activité. Il
y a même de ces cas où parle seul fait toute
la Pologne doit être a l'instant confédérée ;
comme , par exemple, au moment où , sous
quelque prétexte que ce soit et hors le cas
d'une guerre ouverte , des troupes étrangères
mettent le pied dans l'Etat ; parce qu'enfin
quel que soit le sujet de cette entrée , et le
gouvernement mémie y eùt-il consenti , con-
fédération chez soi n'est pas hostilité chez les
autres. Lorsque , par quelque obstacle que
ce puisse être, la diète est empêchée de s'as-
sembler au temps marqué par la loi ; lors-
qu'à l'instigation de qui que ce soit, ou
fait trouver des gens de guerre au temps et
au lieu de son assemblée , ou que sa forme
est altérée , ou que sou activité est suspen-
due , ou que sa liberté est gênée en quelque
facou que ce soit ; dans tous ces cas, Ij
T 3
33o GOUVERNEMENT
confédération générale doit exister par le seul
fait ; les assemblées et signatures particu-
lières n'en sont que des branches, et tous
les maréchaux eu doivent être subordonnés
à celui qui aura été nommé le premier.
CHAPITRE X.
yi dm in is ira tio u .
S
A N S entrer dans des détails d'administra-
tion pour lesquels les connaissances et les
vues me iuaiiquput également, je risquerai
seulement sur les deux parties des finances
et de la guerre quelques idées que je dois
dire , puisque je les crois bonnes , quoique
presque assuré qu'elles ne seront pas goû-
tées : mais avant tout , je ferai sur l'ad-
ministration de la justice une remarque qui
s'éloigne \u\ peu moins de l'esprit du gou-
verncuicnt polonais.
Les deux états d'homme d'épée etd'homme
de robe étaient inconnus des anciens. Les
citoyens n'étaient par métier ni soldats , ni
juges, ni prêtres; ils étaient tout par de-
voir. Voilà le vrai secret de faire que tout
marche au but commun , d'empêcher quo
DE POLOGNE. S3r
l'esprit d'ctat ne s'enracine dans les corps
aux dépens du patriotisme, et que l'hydre
de la chicane ne dévore une nation. La fonc-
tion de juge , tant dans les tribunaux su-
prêmes que dans les justices terrestres, doit
être un état passager d'épreuve , sur lequel
la nation puisse appre'cicr le mérite et la pro-
bité d'ui; citoyen , pour l'élever ensuite
aux postes plus éniijicns dont il est trouvé
capable. Cette manière de s*cnvisager eux-
mêmes ne peut que rendre les juges très-
atlontifs à se mettre à l'abri de tout repro-
che , et leur donner gciicralemcnt toute l'at-
tention et toute l'intégrité que leur place
exige. C'est ainsi que dans les beaux temps
de Rome on passait par la préture pour
arriver au consulat. Voilà le moyen qu'avec
peu de lois claires et simples , même avec
peu de juges , la justice soit bien adminis-
trée , en laissant aux juges le pouvoir de
les interpréter et d'y suppléer au besoin parles
lumières naturelles de la droiture et du boa
sens. Rien de plus puérile que les précautions
prises sur cepoiutpar les Anglais. Pourôtcr les
jugemens arbitraires, ils se sont soumiF à
mille jugemens iniques et même cxtravagans,
des nuées de gens de loi les dévorent ,
T 4
S32 GOUVERNE :^I E N T
d'éternels procès les cousunieut ; et aveo
la folle idée de vouloir tout prévoir , ils
ont fait de leurs lois uu dédale immense
oii la mémoire et la raison se perdent éga-
lement.
Il faut faire trois codes. L'un politique,"
l'autre civil , et l'autre criminel. Tous trois
clairs , courts et précis autant qu'il sera pos-
sible. Ces codes seront enseignés , non-
seulement dans les universités , mais dans
tous les collèges , et l'on n'a pas besoin
d'autre corps de droit. Toutes les règles du
droit naturel sont mieux gravées dans les
cœurs des hommes qne dans tout le fatras
de ,'nstinlen. Rendez -les seulement hon-
nêtes et vertueux , et je vous réponds qu'ils
sauront a?.scz de dro't; mais il faut que tous
les citoyens , et sur-tout les hommes publics,
soient instruits des lois pot'itives de leur
pays , et des règles particulières sur lesrquelle»
ils soiu gouvernés. Tls les trouveront dans
ces codes qu'ils doivent étudier, et tous les
nobles , avant d'être inscrits dans le livr&
d'or qui doit leur ouvrir l'entrée d'une dié-
tine , doivent soutenir sur ces codes , et en
particulier sur le prcmic'r , un examen qui
ac soit pas une simple iovi^ialité , et sur le-
D E P O L O G N E. 33S
^iipl , s'ils ne sont pas surTisanimcn t ins-
trnits , ils seront renvoyés )nsqn'à ce qu'ils
le soient mieux. A Têtard du droit romain
et des coutumes , tout cela, s'il existe, doit
l'tre été des écoles et des tribunaux. Ou n'y
doit connaître d'autre autorité que les lois
de l'Etat ; elles doivent être uniformes dans
toutes les provinces pour tarir une source
de procès , et les questions qui n'y seront
pas décidées doivent l'être par le bon sens
et l'intégrité des juges. Comptez que quand
la ma^^istrature ne sera pour ceux qui l'cxer-
ecnt qu'un état d'épreuve pour monter plus
haut, cette autorité n'aura pas en eux l'abus
qu'oa en pourrait craindre , ou que si cet
abus a lieu , il sera toujours moindre que
celui de ces foules de lois qui souvent se
contredisent , dont le nombre rend les pro-
cès éternels , et dont le condit rend égale-
ment les jugemens arliitraires.
Ce que je dis ici des juges doit s'entendre
à plus forte raison des avocats. Cet état, si
respectable en lui-même , se dégrade et s'avilit
sitôt qu'il devient un métier. L'avocat doit
être le premier juge de son client et le plus
sévère : son emploi doit être , comme 11 était
à Rome , et comme il est encore ?i Genève,
T 6
334 GOUVERNEMENT
le premier pas pour arriver aux magistra-
tures ; et en efîct les avocats sont fort con-
sidcre's a Genève, et méritent de l'être. Ce
sont des postulans pour le conseil , très-
attentifs à ne rien faire qui leur attire l'im-
probation publique. Je voudrais que toutes
les fonctions publiques mcîiassent ainsi de
l'une à l'autre , afin que nul ne s'arrangeaiit
pour rester dans la sienne, né s'en fît un
métier lucratif et ne se mît au-dessus du
jugement des hommes. Ce moyen remplirait
parfaitement le vœu de faire pxisser les enfans
des citoyens opulens par l'état d'avocat ,
ainsi rendu honorable et passager. Je déve-
lopperai mieux cette idée dans un moment.
Je dois dire ici en passant, puisque cela
m.e vient à l'esprit, qu'il est contre le sys-
tème d'égalité dans l'ordre équestre d'y
établir des substitutions et des majorats. Il
faut que la législation tende toujours à
diminuer la grande inégalité de fortune et
de poTivoir , qui met trop de distance entre
les seigneurs et les sinjpies nobles, et qu'un
progrès naturel tend toujours à augmenter.
A l'égard du cens par lequel on fixerait la
quantité de terre qu'un noble doit posséder
pour être admis aux diétines , yoyaat à cela
DE P O I, O G ^■ E. 3SS
du bien et du mal , et ne connaissant pas
assez le pays pour comparer les effets , je
n'ose absolument décider cette question.
Sans contredit , il serait à désirer qu'ua
citoven , ayant voix dans un palatinat , y
possédât quelques terres, mais je n'aimerais
pas trop qu'on en tixât la quantité: eu
comptant les possessions ponr beaueoii}) de
chose, faut-il donc tout-k-fait compter les
liommes pour rien ? Eh quoi î parce qu'un
gentilhomme aura peu ou point de terre ,
cesse-t-il pour cela d'être libre et noble, et
sa pauvreté' seule est-elle un crime assez
grave pour lui faire pcrdie sou droit de
citoyeji ? >;,
An reste, il ne faut jamais souffrir <iJl?an-
cune loi tombe m de'sue'tude. Fût-elle in-
différente , fùt-elle mauvaise , il faut l'abro-
ger formellement ou la mai?itenir en
vigueur. Cette maxime, qui est fondamen-
tale , obligera de passer en revue toutes
les anciennes lois, d'en abroger beaucoup,
et de donner la sanction la plus sévère à
celles qu'on voudra conserver. On regarde
en France comme une maxime d'Etat do
fcnner les yeux sur beaucoup de choses :
c'est à quoi le dc-pollsme oblige toujours;
T6
S36 G O TJ Y E R K E M E N 7
mais dans uu gouvernement libre, c'est le
moyen d'énerver la le'gislatiou et d'ébranler
la eoastitutlon. Peu de lois , mais bica
dirigées , et sur-tout bieu obrervées. Tous
les abus qui ue sont pas défendus sont
encore sans conséquence; mais qui dit un©
loi dans un Etat libre , dit une chose-
devant laquelle tout citoyen tremble , et
le roi tout le premier. Eu un mot , souf-
frez tout plutôt que d'user le ressort des
lois; car quand une fois ce ressort est usé,
TEcat est perdu sans ressource.
CHAPITRE XL
Système économique.
JL_i E ciioix du système e'conomique que
doit adopter la Pologne dépend de l'objet
qu'elle se propose en corrigeant sa cons-
titution. vSi vous ne voulez que devenir
bruyans, briilans , redoutables, et influer
sur les autres peuples de l'Europe , vous
avez leur exemple , appliquez-vous à l'imiter.
Cultivez les sciences, les arts , le commerce ,
l'industrier; eyez des troupes réglées, des
t) E P O L O G N E. 33;
places fortes , des académies , sur-tout iiu
bon systciiic de finance qui fasse blea
circuler Targent , qui par-là le multiplie ,
qui vous en procure beaucoup; travaillez
à le rendre très-nécessaire , afin de tenir la
peuple dans une plus grande dépendance ,
et pour cela fomentez et le luxe matc'ricl „
et le luxe de l'esprit qui en est inséparable.
De cette manière vous formerez un peuple
intrigant , ardent , avide , ambitieux , servile
et fripon comme les autres, toujours sans
aucun milieu a l'un des deux extrêmes de
la misère ou de l'opulence , de la licence
ou de l'esclavage : mais ou vous comptera
parmi les grandes puissances de l'Europe ,
vous entrerez dans tous les systèmes politi-
ques , dans toutes les négociations ou recher-
chera votre alliance, on vous liera par des
traités : il n'y aura pas une guerre en Europe
où vous n'ayez l'honneur dVtre fourrés ;
si le bonheur vous en veut , vous pourrez
rentrer dans vos anciennes possessions ,
peut-être en conquérir de nouvelles , et puis
dire comme Pyrrhus ou comme les Russes,
c'est-à-dire , comme les enfans : Quand
tout le monde sera à moi je jnangçrai bien
du sucre.
338 G O U y E R N E M E X T
Mais si par basaid vous aimiez mieu!î
former une iiatiou libre, paisible et sage,
qui u'a ni peur ni besoin de personne ,
qui se suffit à elle-même et qui est heu-
reuse ; alors il faut prendre une me'thode
toute différente , maintenir , rétablir chez
vous des mœurs simples, des goûts sains,
un esprit martial sans ambition ; former
des âmes courageuses et de'sintcressécs ;
appliquer vos peuples a l'agriculture et aux
arts nécessaires à la vie ; rendre l'argent
méprisable et s'il se peut inutile; clierclicr,
trouver , pour opérer de grandes choses ,
des ressorts plus puissans et plus sûrs. Je
conviens qu'en suivant cette route, vous
ne remplirez pas les gazettes du bruit de
vos fêtes , de vos négociations , de vos ex-
ploits , que les philosophes ne vous encense-
ront pas , que les poètes ne vous chanteront
pas , qu'en Europe ou parlera peu de
vous : peut-être même affectera-t-on de
vous dédaigner ; mais vous vivrez dans la
véritable abondance , dans la justice et dans
la liberté , mais on ne vous cherchera pas
querelle , on vous craindra sans eu faire
semblant, et Je vous réponds que les Russes
ni d'autres ue viendront plus faire les
DE POLOGNE. 339
iTiaîtrcs chez vous , ou que si pour leur
niaihcnr ils y viennent , ils seront beaucoup
plus presses d'en sortir. ]\e tentez pas sur-
lout d allier ces deux projets; ils sont trop
contradictoires , et vouloir aller aux deux
])ar uuc marche composée , c'est vouloir
les manquer tous deux. Choisissez donc ,
et si vous préférez le premier parti , cessez
ici de me lire : car de tout ce qui me reste
a proposer , rien ne se rapporte plus qu'au
second.
Il y a sans contredit d'excellentes vues
économiques dans les papiers qui m'ont été
communiqués. Le défaut que j'y vois est
d'être ])lus favorables à la richesse qu'à la
prospérité. En fait de nouveaux établisse-
mens , il ne faut pas se contenter d'en
voir l'effet immédiat ; il faut encore eu
bien prévoir les conséquences éioij;nécs mais
lu'eessaircs. Le projet, par exemple, pour
la vente des starosties et pour la manière
d'en employer le produit, me paraît bien
entendu, et dune exécution facile dans le
système établi dans toute l'Europe de tout
faire avec de l'argent. Mais ce système est-
il bon en lui-même et va-t-il bien à sort
but? Est-il sûr que l'argent soit le utrt' de
340 G O U V E R N E M E N T
la guerre? Les peuples riches ont tcnjouri
été battus et conquis par les peuples pauvres.
Est-il sûr que l'argent soit le ressort cVnii
bon gouvernement ? Les systèmes de finances
sont modernes. Je n'en vois rien sortir de
bon ni de grand. Les gouvernemeus anciens
ne connaissaient pas même ce mot de
Jinance ^ et ce qu'ils fcsaieut avec des hommes
est prodigieux. L'argent est tout au plus le
supplément des hommes , et le supplém.eut
He vaudra jamais la chose. Polonais, laissez-
moi tout cet argent aux autres , ou conten-
tez-vous de celui qu'il faudra bien qu'ils
vous donnent , puisqu'ils ont plus besoin
de vos blés que vous de leur or. Il vaut
luieux , croyez-moi, vivre dans l'abondance
que dans l'opulence ; soyez mieux que pécu-
Mieux, soyez riches: cultivez bien vos champs
sans vous soucier du reste , bientôt vous
moissonnerez de l'or, et plus qu'il n'eu faut
pour vous procurer l'huile et le vin qui vous
manquent, puisqa'à cela près, la Pologne
abonde ou peut abonder de tout. Pour vous
maintenir heureux et libres , ce sont des
têtes, des cœurs et des bras qu'il vous faut;
c'est là ce qui fait la force d'un Etat et la
prospérité d'un peuple. X.?'^ systèmes de
D E P O L O G N E. 34t
finances font des aines vénales , et dès qu'on
lie veut que gagner, on gagne toujours plus
à être fripon qu'honnête honiiiie. L'emploi
de l'argent se de'vole et se caelie; il est des-
tine à une chose et employé' à une autre.
Ceux qui le manient apprennent bientôt à
Je détourner ; et que sont tous les survciU
Jans qu'on leur donne , sinon d'autres fri-
pons qu'on envoie partager avec eux ? S'il
n'y avait que des richesses publiques et
Xuanifestcs; si la marche de l'or laissait un©
marque oslcnslblc et ne pouvait se cacher,
il n'y aurait point d'expédient plus com-
mode pour acheter des services , du courage,
de la fidc'lite , des vertus; mais , vu sa cir-
culation secrète, il est plus commode encore
pour faire des pillards et des traîtres , pour
mettre à l'enchère le bien public et la
liberté. En un mot , l'argent est à-la-fois le
ressort le plus faible et le plus vain que jo
connaisse pour fare marcher à son but la
machine politique , le plus fort et le plus
sur pour l'en de'tourner.
On ne peut faire agir les hommes qné
par leur intérêt, je le sais; mais l'intérêt
pécuniaire est le plus mauvais de tous , le
plus vil, le plus propre à la corruption, et
342 GOUVERNEMENT
même , je le répète avec confiance et le
soutiendrai toujours , Ip moindre et le plus
faible aux j'eux de qui connaît bien le
cœur humain. Il est naturellement dans
tous les cœurs de grandes passions en réserve ;
quand il n'y reste plus que celle de Targcnt ,
c'est qu'on a énerve', étouRé toutes les autres
qu'il fallait exciter et développer. L'avare
n'a point proprement de passion qui le
domine, il n'aspire à l'argent que par pré-
voyance , pour contenter celles qui pour-
ront lui venir. Sachez les fomenter et les
contenter directement 5 sans cette ressource,
bientôt elle perdra tout son prix.
Les dépenses publiques sont inévitables ;
j'en conviens encore. Faites-les avec tout
antre chose qu'avec de l'argent. De nos jours
encore, on voit en Suisse les officiers, magis-
trats et autres stipendiaires publics , payés
avec des denrées. Ils ont des dîmes, du
vin , du bols , des droits utiles, lionorifiques.
Tout le service public se fait par corvées ,
l'Etat ne paye presque rien en argent. Il
en faut, dira-t-on , pour le paiement des
troupes. Cet article aura sa place dans un
moment. Cette manière de payement n'est
pas sans inconvcniens ^ il y a de la perte ,
DE POLOGNE. 343
diî gaspillage : radmliiistration de ces sortes
de l)icns est plus embarrassante; elle déplaît
sur-tout à ceux qui en sont charries , parce
qu'ils y trouvent moins h faire leur compte.
Tout cela est vrai -, ruais que le mal est
petit eu comparaison de la foule de maux
qu'il sauve ! Un liouime voudrait maiverser
qu'il ne le pourrait pas, du moins sans
qu'il y parût. Ou m'objecter- les baillis de
quelques cantons suisses ; mais d'oîi vien-
nen»: leurs vexations ? des amendes pécu-
niaires qu'ils im.posent. Ces amendes arbi-
traires sont un grand mal déjà par elles-
mêmes ; cependant s'ils ne les pouvaient
exiger qu'en denre'es , ce ue serait presque
Yifii. L'argent extorqué se cache aisément ,
des magasins ne st cacheraient pas de même.
Cherchez eu tout pays , en tout gouverne-
ment et par toute terre, vous n'y trouverez pas
un grand mal en morale et en politique où
l'argent ne soit mêle.
On me dira que l'égalité des fortunt s qui
règne en Suisse rend la parcimonie aisée dans
l'administration: au-lieu que tant de puis-
santes maisons et de grands seigneurs qui
sont en Pologne demandent pour leur entre-
tien de grandes dépenses et des tinunccs
$44 G O U T E R ^" E M E X T
pour y pourvoir. Point du tout. Ces crands
seigneurs sont riches par leurs patrimoines,
et leurs de'penses serout moindres , quaud
le luxe cessera d'être eu honneur dans
l'Etat , sans qu'elles les distinguent moins
des fortunes infe'rieuies qui suivront la
même proportion. Payez leurs services par
de l'autorité' , des honneurs, de grandes
places. L'inc'---lité des rangs est compense'si
en Pologne par l'avantage de la uobless»
qui rend ceux qui les remplissent plus jaloux
des honneurs que du profit. La re'publique,
eu graduant et distribuant à propos ces
re'compenses purement honorifiques , se me'-
nage un tre'sor qui ne la ruinera pas . et
qui lui donnera des he'rospour citoyens. Ce
tre'sor des honneurs eît une ressource ine'-
puisable c'nez un peuple qui a de rhonneur;
et pliit-à-Dieu que la Pologne eût l'espoir
d'e'puiser cette ressource I O heureuse la
nation qui ne trouvera plus dans son seiu
des distinctions possibles pour laverLu!
Au défaut de n'ctre pas dignes d'elle, les
récompenses pc'cuniaires joignent celui de
n'être pas assez publiques , de ne parler
pas sans cesse aux yeux et aux cceuis . d»
disparaître aussitôt qu'elles sont accordées,
t) E P O L O G N E. 345
tt de ne laisser aucune trace visible qui
excite l'éinulalion eu perpétuant l'honneur
qui doit les accompagner. Je voudrais que
tous les g'-.Tdcs , tous les emplois , toutes
les récompenses honoritiques se marquassent
par des signes extérieurs; qu'il ne fut jamais
permis à un homme en place de marcher
incognito ; que les marques de son rang ou
de sa dignité le suivissent par-tout, afin
que le peuple le respectât toujours et qu'il
»e respectât toujours lui-même ; qu'il pût
ainsi toujours dominer l'opulence ; qu'un
riche qui n'est que riche , sans cesse offusqué par
des citoyens titres et pauvres, ne trouvât ni
considératio uni agrément dans sa patrie ; qu'il
fût forcé de la servir pour y briller , d'être
intègre par ambition , et d'aspirer malgré sa
richesse à des raiîgs où la seule approbation,
publique mène, et d'où le blâ)nc peut tou-
jours faire déchoir. Voilà comme on énerv©
la force des richesses, et comment on fait des
hommes qui ne sont point à vendre. J'insist©
beaucoup sur ce point , bien persuadé que
vos voisins , et sur-tout les Russes , n'épar-
gneront rien pour corrompre vos gens en place,
et que la grande affaire de votre gouvernement
est Uc traYai^kr k les reudre incoiruptibks.
2^6 GOUVERNEMENT
SI l'on me dit que je veux faire de la Po-
iogne un peuple de capucias , je réponds
d'abord que ce n'est là qu'un argument "k la
française , et que plaisanter n'est pas raisonner.
Je réponds encore qu'il ne faut pas outrer
nies maximes au-delà de mes intentions et de
la raison, que mon dessein n'est pas de sup-
primer la circulation des espèces , mais seule-
ment de la ralentir , et de prouver sur-tout
combien il importe qu'un bon système éco-
nomique ne soit pas un système de finance
et d'argent. Lycurgue ^ pour déraciner la cu-
pidité dans Sparte , n'anéantit pas la monnaie ,
mais il en fit une de fer. Pour moi, je n'en-
tends proscrire ni l'argent , ni l'or , mais les
rendre moins nécessaires , et faire que celui
qui n'en a pas soit pauvre sans être gueux.
Au fond l'argent nVst pas la richesse, il n'eu
est que le signe ; ce n'est pas le signe qu'il faut
multiplier , mais la chose représentée. J'ai
vu , malgré les fables des voyageurs , que les
Anglais au milieu de tout leur or n'étaient
pas en détail moins nécessiteux que les au-
tres peuples. Et que m'importe, après tout,
d'avoir cent guinées au-lieu de dix , si ces
cent guinées ne me rapportent pas une sub-
sistance plus aisée ? La richesse pécuniaire
D E P O L O G N E 847
n'est que relative , et si'ioii des rapports qui
peuvent changer par mille causes, on peut
se trouver successivement riche et pauvre
avec la même somme , mais non pas avec
des biens en nature ; car comme immédiate-
ment utiles a l'homme , ils ont toujours
leur valeur absolue qui ne dépend point
d'une opération de commerce. J'accorderai
que le peuple anglais est plus riche que
k's autres peuples , mais il ne s'ensuit pas
qu'un bourgeois de Londres vive plus à son
aise qu'un bourgeois de Paris. De peuple à
peuple, celui qui a plus d'argent a de l'avan-
tage ; mais cela ne fait rien au sort des par-
ticuliers , et ce n'est pas là que gît la pros-
périté d'une nation.
Favorisez l'agriculture et les arts utiles ,
non pas en eiuichissant les cultivateurs, ce
qui ne serait que les exciter à quitter leur
état , mais eu le leur rendant honorable et
agréable. Etablissez les manufactures de pre-
mière nécessité ; multipliez sans cesse vos
blés et vos hommes sans vous mettre en souci
du r?stc. Le superflu du produit de vos
terres , qui par les monopoles multipliés va
manquer au reste de l'Europe , vous appor-
tera uéccssairejneut plus d'argent que vous
34^ GOUVERNEMENT
n'en aurez besoin. Au-delà de ce produit né-
cessaire et sûr, vous serez pauvres tant que
vous voudrez en avoir ; sitôt que vous sau-
rez vous en passer , vous serez riches. Voilà
l'esprit que je voudrais faire régner dans
-votre système économique. Peu songer à Té-
tranger , peu vous soucier du commerce ;
Xnais multiplier chez vous autant qu'il est
possible et la denrée et les consommateurs.
L'effet infaillijjle et naturel d'un gouvernc-
ïncnt libre et juste est la population. Plus
donc vous perfectionnerez votre gouverne-
ment, plus vous multiplierez votre peuple
sans même y songer. Vous n'aurez ainsi ni
ïiiendians , ni millioimaires. Le luxe et l'in-
digence disparaîtront ensemijle insensible-
ment , et les citoyens guéris des goûts frivoles
que donne l'opulence , et des vices attachés à
la misère , mettront leurs soins et leur gloire
à bien servir la patrie , et trouveront leur
bonheur dans leurs devoirs.
Je voudrais qu'on imposât toujours les
bras des hommes plus que leurs Ijourses; que
les chemins , les pouls , les édihccs publies,
le service du prince et de l'Etat se fissent par
des corvées et non pointa pris d'argent. Cette
forte d'impôt est au fond la moins onéreuse ,
6t
D E P O L O G N E. 349
rt sui-tou!; celle dont ou peut le moins ahu-
5cr : car l'aif^ent disparaît en sortant des
mains qui le distribuent , mais chacun voit
à quoi les honmies sont employés , et l'on
lie peut les surcharger à pure perte. Je sais
que cette luéthode est impraticable où rèj^nent
le luxe , le commerce et les arts ; mais rien
n'est si Dicilc chez un peuple simple et de
tonnes mœurs , et rienn'c^t plus vitile pour
les conserver telles ; c'est une raison de plus
pour la préférer.
Je reviens donc aux starostics , et je con-
Tieus de rechef que le projet de les vendre,
jDour en faire valoir le produit au profit du
trésor public, est bon et bien entendu quant
à son objet économique ; mais quant à
l'objet politique et moral , ce projet est si
peu de uion goût , que si les starosties étaient
vendues , je voudrais qu'on les rachetât pour
en faire le fonds des salaires et récompenses
de ceux qui serviraient la patrie ou qui au-
raient bien mérité d'elle. Eu uu mot , je vou-
drais , s'd était possible , qu'il n'y eût point
de trésor public , et que le fisc ne connût
pas même les payemens en argent. Je sens
que la chose à la rigueur n'est pas possible ;
luais l'esprit du gouvcrnemeut doit toujours
l^ûîiiUjue. l'omc IL Y.
Vdo g O U V e r n^ e m e n t
tendre à la rendre telle , et rien n'est plus
contraire à cet esprit que la vente dont il
s'agit. La république en serait plus riclic ,
il est vrai , mais le ressort du gouvernement
en serait plus faible en proportion.
J'avoue que la re'gie des biens publics en
deviendrait plus difficile et sur-tout moins
agréable aux régisseurs , quand tous ces biens
seront en nature et point eu argent ; mais il
faut faire alors de cette régie et de son inspec-
tion autant d'épreuves de bon sens, de vigi-
lance et sur-tout d'intégrité pour parvenir à
des places pluséminentes. On ne fera qu'imiter
à cet égard l'administration municipale éta-
blie à Lyon, où. il faut commencer par être
administrateur de l'hôtel-dieu pour parvenir
aux charges de la ville , et c'est sur la ma-
nière dont on s'acquitte de celle-là qu'on fait
juger si l'on est digne des autres. Il n'y avait
rien de plus intègre que les questeurs des
armées romaines , parce que la questure était
le premier pas pour arriver aux charges cu-
rules. Dans les places qiii peuvent tenter la
cupidité , il faut faire en sorte que l'ambitioii
la réprime. Le pins grand bien qui résulte
de-îà n'est pas i'cpargae des friponneries ;
inaxS c'est de mettre en honneur le désin-
DE POLOGNE. 35r
tci'C3ssciuc;it , et (le rgiulrc la pauvreté res-
pectable quand elle ei;t le fruit de Fiiite-
grité.
Les revenus de la rt'pnblique nV^-alcut
pas sa dépense , je le crois bien ; les citoyens
ne veulent rien payer du tout. Mais des
liorauies qui veulent être libres ne doivent
pas être esclaves de leur bourse, et où est
l'Etat où la liberté ne s'achète pas, et même
très-cher ? On me citera la Suisse ; mais ,
comme je l'ai déjà dit , dans la Suisse les
citoyens remplissent eux-mêmes les fonc-
tions que par -tout ailleurs ils aimeut mieux
payer pour les faire remplir par d'autres. Ils
sont soldats , officiers , magistrats , ouvriers :
ils sont tout pour le service de l'Etat , et
toujours prêts à payer de leur personne , ils
n'ont pas besoin de payer encore de leur
bourse, (^uand les Polonais voudront en faire
autant, iis n'auront pas plus besoin d'argent
que les Suisses : mais si un grand Etat refuse
de se conduire sur les maximes des {>ctites
républiques, il ne faut pas qu'il en recherche
les avantages, ni qu'il veuille relTeten rejetant
les moyens de l'obtenir. Si la Pologne était,
selon mon désir, une confédération de trente-
trois petits Etats , clic réunirait la force de»
\ 2
352 GOUVERNEMENT
grandes monarchies et la liberté des petites
républiques ; mais il faudrait pour cela re-
noncer à l'ostentation , et j'ai peur que cet ar-
ticle ne soit le plus difficile.
De toutes les manières d'asseoir un impôt ,
îa plus commode et celle qui coûte le moins de
frais est sans contredit la capitation; mais c'est
aussi la plus forcée , la plus arbitraire, et c'est
sans doute pour cela que 3Iontesquieu la
trouve servile , quoiqu'elle ait été la seule
pratiquée par les Romains , et qu'elle existe
encore en ce moment en plusieurs républiques ,
sous d'autres noms , à la vérité, comme àGe-
nève où l'on appelle cela payer les gardes ^
et où les seuls citoyens et bourgeois payent
cette taxe , tandis que les babitans et natifs en
payent d'antres ; ce qui est exactement le
contraire de l'idée de Montesquieu.
Mais comme il est injuste et déraisonnable
d'imposer les gens qui n'ont rien, les impo-
sitions réelles valent toujours mieux que les
personnelles : seulement il faut éviter celles
dont la perception est difficile et coûteuse ,
et celles sur-tout qu'on élude par la con-
trebande qui fait des non-valeurs , remplit
l'Etat de fraudeurs et de brigands , et cor-
rompt la fidélité des citoyens. Il faut qu©
DE POLOGNE. doZ
riniposltioii soit si hlen proportionnée que
l'embarras de la fraude en surpasse le pro-
fit. Ainsi jamais d'impôt sur ce qui se cache
aisément , comme la dentelle et les bijoux ,
il vaut mieux dëfeiulre de les porter que de
les entrer. En France on excite à plaisir la
tentation de la contrebande , et cela me
fait croire que la ferme trouve soîi compte
à ce qu'il y ait des contrebandiers. Ce sys-
tème est abominable et contraire à tout bon
sens L'expérience apprend que le papier tim-
bre est un impôt singulièrement onéreux
aux pauvres, gênant pour le commerce , qm
multiplie extrêmement les cli canes , et fait
beaucoup crier le peuple par- tout oà il e.ît
établi ; je ne conseillerais pas d'y penscy.
Celui sur les bestiaux me parait bcancoii|>
meilleur , pourvu qu'on évite la fraude , c.ii
toute fraude possible est toujours une source
de maux. Mais il peut é-tre onéreux aux co:>-
tribuables en ce qu'il faut le payer eu argent,,
et le produit des contributions de cette cspèt^'
est trop sujet à être dévoyé de sa dcsLiui;/-
tio:i.
L'impôt le meilleur , à mon avis , le plii*
naturel et qui n'est point sujet à la fraude,
•st une ta\c proportionnelle sur les tcnc^. .
Y â
354 GOUVERNEMENT
et snr toutes les terres sans exception , comme
l'ont propose' le maréchal de /^'^^7/Z'^7^ etl'abbe
de Salnt-Pierre ; car enfin c'est ce qni pro-
duit qni doit payer. Tons les biens royaux,
terrestres, ecclésiastiques et eu roture doivent
payer e'galement , c'est-à-dire proportlonncllc-
mciit à leur étendue et à leur produit, quel
qu'en soit le propriétaire. Cette imposition
paraîtrait demander une opération prélimi-
naire qui serait longue et coûteuse, savoir
un cadastre général. Mais cette dépense peut
très-bien s'éviter , et même avec avantage ,
en asseyant l'impôt non sur la terre directe-
ment , mais sur son produit , ce qui serait
encore plus juste ; c'est-à-dire , en établissant
dans la proportion qui serait jugée conve-
nable , une dîme qui se lèverait en nature
sur la récolte , comme la dîme ecclésiastiqu.e ;
et jDour éviter l'embarras des détails et des
magasins , on alTermcrait ces dîmes à l'en-
clière comme font les curés. En sorte que les
particuliers ne seraient tenus de payer la dîme
que sur kur récolte , et ne la payeraient de
leur bourse que lorsqu'ils l'aimeraient 2nieux
ainsi , sur un tarif réglé par le gouverne-
ment. Ces fermes réunies pourraient être un
objet de commerce par le débit des denrées
D E P O L O G N E. 355
qu'elles produiraient, et qui pourraient passer
à l'étranger par la voie de Dautzick ou de
Rii^a, Ou éviterait encore par-I?i tous les frais
de perception et de régie , toutes ces nuëes
de commis et d'employés si odieux au peuple ,
si incommodes au public ; et ce qui est le
plus grand point , la république aurait de
l'argent sans que les citoyens fussent obligés
d'eu donner : car je ne répéterai jamais
assez , que ce qui rend la taille et tous
les impôts onéreux au cultivateur est qu'ils
sont pécuniaires , et qu'ils est première-
ment obligé de vendre pour parvenir à
payer.
CHAPITRE XII.
Systè?rie militaire.
D
E toutes les déj)en:es de la république,
l'entretien de l'armée de la couronne est la
plus considérable , et certainement les ser-
vices que rend cette armée ne «ont pas pro-
portionnés à ce qu'elle coûte. Il faut pour-
tant, va-t-ou dire aussitôt , des troupes pour
garder l'Etat. J'en conviendrais , si ces trou-
pes le gardaient en cQct ; mais je ne vois pas
356 GOUVERNEMENT
que cette armée l'ait jamais garanti d'aucune
invasion , et j'ai grand'peur qu'elle ne l'eu
garantisse pas plus dans la suite.
La Pologne est environnée de puissances
belliqueuses , qui ont continuellement snr
pied '-de nombreuses troupes parfaitement
disciplinées . auxquelles , avec les plus grands
efforts , elle n'en pourra jamais opposer de
pareilles sans s'épuiser en très-peu de tems ,
sur-tout dans l'état déplorable oii celles qui
la désolent vont la laisser. D'ailleurs on ne
laisserait pas faire , et si avec les ressources
de la plus vigoureuse administration , elle
voulait mettre son armée sur nn pied res-
pectable , ses voisins attentifs a la prévenir
l'écraseraient bien vite avant qu'elle pût exé-
cuter son projet. Non , si elle ne veut que
les imiter , elle ne leur résistera jamais.
La nation polonaise est différente de na-
turel, de gouvernement, de mœurs , de lan-
gage, non-seulement de celles qui l'avoisinent,
mais de tout le reste de l'Europe. Je vou-
drais qu'elle en différât encore dans sa cons-
titution miîitaii-e , dans sa tactique , dans sa
discipline, qu'elle fût toujours elle et non
pas une autre. C'est alors seulement qu'elle
sera tout ce qu'elle peut être , et qu'elle tL-
DE P O T, O G \ E. 357
rcra de sou sein toutes les lessoiircrs qu'elle
])euL avoir. La plus inviolable loi de la na-
ture est la loi du plus fort. 11 ny a point de
législation, point de constitution qui puisse
exempter de cette loi. Chercher les moyens
do vous j^arantir des invasions d'un voisiit
plus fort que vous, c'est chercher une chi-
mère. C'en serait une encore bien plus grande
de vouloir faire des conquêtes et vous don-
ner une force ofiènsive ; elle est incompa-
tible avec la forme de votre gouvernemeni.
Quiconque veut être libre ne doit pas vouloir
être conque'rant. Les Romains le furent par
ne'cessitë, et , pour ainsi dire maigre eux-
mêmes. La guerre e'tait un remède ne'ces-
sairc au vice de leur constitution. Toujours
attaque's et toujours vainqueurs, ils étaient
le seul peuple discipline parmi des bar-
bares , et deviment les maîtres du mi>nde eu
se défendant toujours. Votre position est si
différente que vous uc sauriez même vous de»
fendre contre qui vous attaquera. Vous n'au-
rez jamais la force offensive ; de long-temps
TOUS n'aurez la de'fensive ; mais vous aurc;^
bientôt , OU pour uiieux dire , vous avez
déjà la force conservatrice qui , même subju-
gués , vous garantira de la destruction , et
S5S GOUVERNE M E N T
conservera votre gouvernement et votre ]i-
î)erté dans son seul et vrai sanctuaire , rni
est ie cœur des Polonais.
Les t.oupes réglées , peste et de'po.pulatioii
de rEarope, ne sont bonnes qu'à deux fins :
ou pour attaquer et conquérir les voisius ,
ou pour enchaîner et asservir les citoyens.
Ces deux fins vous sont également étrangère? ;
renoncez donc au moyen par lequel on y
parvient. L'Etat ne doit pas rester sans dé-
fenseurs, je le sais, mais ses vrais défenseurs
sont ses membres. Tout citoyen doit être
soldat par devoir, nul ne doit l'être par
métier. Tel fut le système militaire des Ro-
mains : tel est aujourd'iiui celui des Suisses ;
tel doit être celuide tout Etatlibre et sur-tout
de la Pologne. Hors d'état de solder une ar-
mée suffisante pour la défendre , il faut
qu'elle trouve au besoin cette armée dans ses
habitans. XJue bonne milice, une véritable
milice bien exercée , est seule capal)le de
remplir cet objet. Cette milice coûtera peu
de chose à la république , sera toujours prête
à la servir et la servira bien, parce qu'cnfiu
Ton défend toujours mieux son propre bieu
que celui d'autrui.
Monsieur le comte Tf^'ielhorski propose
D E P O L O G N E. 359
de lever un régiment par palatinat, et de
i'cntrctcnir toujours sur pied. Ceci 8U])pos©
qu'on licencierait l'armée de la couronne ou
du moins l'infanterie ; car je crois que l'en-
tretien de ces tre;ile-trois rc'gimens surchar-
gerait trop la république, si- clic avait outre
cela raruiéc de la couronne à payer. Ceciiaii-
gcment aurait son utilité et ine paraît i'acile
à faire ; mais il peut devenir onéreux encore,
et Ton préviendra diflBcilcment les abus. Je
ne serais pas d'avis d'éparpiller les soldats
pour maintenir l'ordre dans les bourgs et
villages ; cela serait pour eux une mau-
vaise discipline. Les soldats , sur-tout ceux
qui sont tels par métier, ne doivent jamais
être livrés seuls à leur propre conduite , et
bien moins chargés de quelque iiispection
sur les citoyens. Ils doivent toujours mar-
cher et séjourner en corps : toujours subor-
donnés et sur^'eillés , ils ne doivent être que
des instrumens aveugles dans les mains de
leurs officiers. De quelque petite inspection
qu'on les chargeât il en résulterait des vio-
lences, des vexations, des abus sans nombre ;
les soldats et les habitans deviendraient en-
nemis les uns des autres : c'est un malheur
attaché par-tout aux troupes réglées ; ce»
3oo GOUVERNEMENT
rej^imeiis toujours subsistans eu preudraient
l'esprit , et jamais cet esprit u'cst favorable
a la liberté'. La republique romaine fut de-
truite par ses le'gious , quand l'eloigneiuent
de ses conquêtes la força d'eu avoir toujours
sur pied. Encore une fois les Polonais ne
doivent point jeter les yeui: autour d'eux
pour imiter ce qui s'y fait nicuie de bien.
Ce bien relatif à des constitutio)is toutes dif-
férentes serait un mai dans la leur. Ils doi-
vent rechercher uniquement ce qui leur est
convenable, et non pas cg que d'autres font.
Pourquoi donc , au-lieu de troupes ré-
glées cent fois plus one'reuses qu'utiles à
tout peuple qui n'a pas l'esprit de conquêtes ,
n'e'tablirait-on pas en Pologne une véritable
înilice exactement comme elle est établie en
Suisse, oi^i tout habitant est soldat, mais
seulement quand il faut l'être, La servitud»
«tabliceu Pologne ne pei-metpas, je l'avoue,
«ju'on arme si-tôt les paysans : les armes
dans des mains serviles seront toujours plus
<]angereuses -qu'utiles a l'Etat; mais en at-
tendant que l'heureux moment de les afFran-
vhk soit venu , la Pologne fourmille de villes ,
^'t leurs habitans enrégimentés pourraient
foLiniir aii besoiu des trounes nombreuses
do ut.
D E P O t O G N E. 36r
Hont, hors le tems de ce même besoin, Tcii-
trcticii ne coûterait rien li lEtat. La plupart
de ces babitaiis u'ayaut point de terres paye-
raient ainsi leur contingent en service , et c»
service pourrait aisc'ment étic distribue' (]•
manière à ne leur être point one'rcux , quoi-
q^u'ils fussent sulfisamment exerces.
Eu Suisse tout particulier qui se marie est?
oblige' d'être fourni d'un uniforme qui dc-
Ticnt sou habit de fête, d'un fusil de calibre
et de tout l'e'quipage d'uu fantassin, et il
est inscrit daus la compagnie de son quar-
tier. Durant V-élé , les dimanches et les jour»
<Ie fêtes on exerce ces milices selon l'ordre d»
leurs rôles, d'abord par petites escouades ,
ensuite par compagnies, puis par régimeus;
jusqu'à ce que leur tour étant venu , ils ss
rassemblent en cauipagur , et forment suc-
cessivement de petits camps dans lesquels ou
les exerce à toutes les manœuvre» qui con-
ricunent ù l'infanterie. Tant qu'ils ne sortent
pas du lieu de leur denioure , peu ou poiiî:
détournes de leurs travaux, ils n'ont aucuaa
paye , mais si-lôt qu'ils marchent en cam-
jiagne , ils ont le pain de munition et sont
à la solde de l'Etat, et il n'est permis à
personne d'envoyer uu autr« homme a ia
PoHfii/i/e. Touno II. X
1
362 GOUVERNEMENT
place , afin que chacuu soit exercé hii-mém©
et que tous fassent le service. Dans uu Etat
tel que la Pologne , ou peut tirer de ses vastes
provinces de quoi remplacer aise'meut l'ar-
ine'e de la couroiuie par un nombre suffisant
de milice toujours sur pied, mais qui chan-
geant au moins tous les ans , et prise par
petits de'tachemcns sur tous les corps , serait
peu onéreuse aux particuliers dont le tour
viendrait à peine de douze à quinze ans une
fois. De cette manière toute la nation serait
exercée, ou aurait une belle et nombreuse
armée toujours prête au besoin, et qui coû-
terait beaucoup moins , sur-tout en temps
de paix, nue ne coûte aujourd'hui l'armée
de la couronne.
Mais pour bien réussir dans cette opéra-
tion, il faudrait couuiiencer par changer sur
ce point l'opinion publique sur un Etat qui
change en effet du tout au tout, et faire
qu'on ne regardât plus en Pologne un soldat
comme un bandit qui pour vivre se vend à
cinq sous par jour, mais comme un citoyen
qui sert la patrie et qui est à son devoir. Il
faut remettre cet Etat dans le même honneur
où il était jadis, et oii il est encore eu Suiss©
et à Geuèye , oii les meilleurs bourgeois
DE POLOGNE. 363
sont aussi liers à leur corps et sous les armes
qu'à riujtel-dc-vilic et au conseil souverain.
Pour cela il importe que dans le choix des
oflicicrs on n'ait aucun égard au rang , au
crédit et à la fortutic, mais uniquement à
rexpcrience et aux talcns. Rien n'est plus
aise que de jeter sur le bon maniement des
armes un point d'honneur qui fait que cha-
cun s'exerce avec zèle pour le service de la
patrie aux yeux de sa famille et des siens ;
zèle qui ne peut s'allumer de même chez de
la canaille enrôlée au hasard , et qui ne sent
que la peine de s'exercer. J'ai vu le temps
qu'à Genève les bourgeois manœuvraient
beaucoup mieux que des troupes réglées ;
mais les magistrats trouvant que cela jetait
dans la bourgeoisie un esprit militaire qui
n'allait pas à leurs vues , ont pris peine à
ctoufîer cette émulation , et n'ont que trop
Lien réussi.
Dans l'exécution de ce projet on pourrait
sans aucun danger rendre au roi l'autorité
u:ilitaire naturellement attachée à sa place ;
car il n'est pas concevable que la nation
puisse être cm})loyée à s'opprimer elle-même ,
du moins quand tous cf ux qui la composent
auront part à la liberté. Ce n'est jamais
X 2
S64 G 0 U T E R N E M E N T
qu'avec des troupes réglées et toujours sub-
sistantes que la puissance executive peut as-
servir l'Etat, Les grandes armées romaines
furent sans abus tant qu'elles changèrent ^
chaque consul , et jusqu'à J/ût/m^- il ne vint
pas même à l'esprit d'aucun d'eux qu'ils eu
pussent tirer aucun moyeu d'asservir la ré-
publique. Ce ne fnt que quand le grand
éloigiiement des conquêtes força les Romains
de tenir long-temps sur pied les mêmes ar-
m.ces , de les recruter de gens sans aveu , et
d'en perpétuer le commandemeut à des pro-
consuls , que ceux-ci commencèrent à sentir
leur indépendance et à vouloir s'en servir
pour établir leur pouvoir. Les armées de
Sylla , de Pompée et de César devinrent de
véritables troupes réglées, qui substituèrent
l'esprit du gouvernement militaire à celui du
républicain ; et cela est si vrai , que les sol-
dats de César 'èQ tinrent très-oîTensés , quand
dans un mécontentement réciproque il les
traita de citoyens , quirites. Dans le piaa
que j'imagine et que j'achèverai bientôt de
tracer, toute la Pologne deviendra guerrière
autant pour la défense de sa liberté contre
les entreprises du prince que contre celles âe
ses voisins ; et j'oserai dire que ce projet uue
n E P O L O G N E. 36a
fois bien exécuté, l'on pourrait supprimer
la charge de graiid-gcriéral , et la réunira la
eouroiinc sans qu'il en résultat le inoindre
danger pour la liberté, a moins que la na-
tion ne se laissât leurrer par des projets de
conquêtes, auquel cas je ne répondrais piu$
de rien. (Quiconque veut ôter aux autres leur
liberté, linit presque toujours par pcrdrcla
sienne : cela est vrai même pour les rois et
bien plus vrai sur-tout pour les peuples.
Pourquoi l'ordre équestre , en qui réside
Tcritableiuent la république , ne suivrait-il
pas lui-mcme un plan pareil à celui que jo
propose pour Tinfantcric ? Etablissez dans
tous les palatinals des corps de cavalerie où
toute la noblesse soit inscrite , et qui ait sei
oîEciers , son état-major , ses étendards , ses
quartiers assignés en cas d'alarme , ses temps
marqués pour s'y rassembler tous les ans : quo
cette brave noblesse s'exerce à escadronner,
a faire toutes sortes de raouvemens, d'évo-
lutions , à mettra de l'ordre et de la précision
dans ses manoeuvres , à connaître la subor-
dination militaire. Je ne voudrais point qu'elle
imitât servilement la tactique des autres na-
tions. Je voudrais qu'elle s'en fît une qui
lui fut uropic , qui développât et pcrfcc-
X3
ZGG GOUVERNEMENT
tionnât ses dispositions naturelles et natio-
nales , qu'elle s'exerçât sur-tout à la vitesse
et à la le'gèreté , à se rompre , s'éparpiller
et se rassembler sans peine et sans confusion,
qu'elle excellât dans ce qu'on appelle la
petite guerre , dans toutes les manœuvres qui
conviennent à des troupes légères , dans l'art
d'inonder un pays comme un torrent, d'at-
teindre par-tout et de n'être jamais atteinte,
d'agir toujours de concert quoique séparée,
de couper les communications , d'intercepter
des convois , de charger des arrière-gardes ,
d'enlever des gardes avancées, de surprendre
des détacliemens , de harceler de grands
corps qui marchent et campent réunis ; qu'elle
prit la manière des anciens Parthes comme
elle en a la valeur , et qu'elle apprît comme
eux à vaincre et détruire les armées les mieux
disciplinées , sans jamais livrer de bataille et
sans leur laisser le moment de respirer ; en
\\\\ mot, ayez de l'infanterie, puisqu'il en
faut , mais ne comptez que sur votre cavalerie ,
et n'oubliez rien pour inventer un système
qui mette tout le sort de la guerre entre ses
mains.
C'est un mauvais conseil pour un peuple
libre que celui d'avoir des places fortes ; elles
DE POLOGNE. 367
«e conviennent point an génie polonais, et
par-tout elles deviennent tôt ou tard des nids
a tyrans. Les places que vous croirez fortiiler
contre les Russes , vous les fortifierez infailli-
blement pour eux , et elles deviendront
pour vous des entraves dont vous ne vous
dc'livrercz plus. Négligez même les avantages
«IcjDostcs, et ne vous ruinez pas en artillerie:
ce n'est pas tout cela qu'il faut. Une invasion
brusque est un grand malheur sans doute ,
mais des chaînes ■ permanentes en sont un
beaucoup plus grand. Vous ne ferez jamais
eu sorte qu'il soit difficile à vos voisins d'en-
trer chez vous ; mais vous pouvez faire en
sorte qu'il leur soit difficile d'en sortir im-
punément, et c'est à quoi vous devez mettre
tous vos soins. Antoine et O-^^^?^^ entrèrent
aisément, mais pour leur maliicur, chez les
Parthes. Un pays aussi vaste que le votre
offre toujours à ses habitaus des refuges et
de grandes ressources pour échapper a ses
agresseurs. Tout l'art lîumain ne saurait cm-
j)êchcr l'action brusque du fort contre le
faible ; mais il peut se mé.'iager des ressorts
pour la réaction , et quand l'expérience ap-
prendra que la sortie de chez vous cït si
difficile , ou deviendra moins pressé d'y entrer.
563 G O tJ T E R X E M E N T
X-aisscz donc \otrc pajs tout ouvert commô^
ÎSparte ; mais bâtissez-vous comme elle de
bouries eitadeilc.s daus tes coeurs des citoyens ,
et comme Thémistocie emmenait Atiièucs
svir sa flotte , emportez au besohi yos villes
sur vos chevaux. L'esprit d'imitation produit
peu de bonnes choses et ne produit jamais
rien de grand. Chaque pays a des avantages
qui lui sont propres , et que l'institution doit
Étendre et favoriser. Me' nagez , cultivez ceux
de la Pologne , elle aura peu d'autres nation*
à envier.
Un seule chose suffit pour la rendre im-
possible à subju^^uer; Famourde la patrie et
de ia liberté anime' par les vertus qui en sont
iriSéparabhg. Ycus venez d'eu donner un
vi'xemple mémo -a Me à jamais. Tant que cet
tmiour brûlera dans les cœurs , il ne vous
5;arantira pas peut-être d'un joug parsagcr ;
mais tôt ou tard il fera son exploi;ion, se-
couera îe joug et vous rendra libres. Travaillez
donc tians relâche , sarîs cesse , à porter le
patriotisme au phis haxU degré dans tous les
cneurs polonais. J'ai ci-devaut indique quel-
ques-uns des moyens propres a cet effet : il
ïue reste à dcvelwpper ici celui que )e crois
être le plus foré ^^ lo plus pai3î:.ant et mèm«
D E P O L O G X E. 36^
infaillible dans sou succès, s'il est bien exé-
cuté: c'est de faire eu sorte que tous les ci-
toyens se sentent incessamment sous les yeux
du public ; que nul n'avance et ne parvienne
que parla faveur publique; qu'aucun poste,
aucun emploi ne soit rempli que par le vœu
delà nation; ctqu'cnfindepuisledernier noble,
depuis même le dernier manant jusqu'au roi ,
s'il est possible , tous dépendent tellement de
l'estime publique qu'on ne puisse rien faire,
rien acquérir , parvenir à rien sans elle. De
l'effervescence , excitée par cette commune
émulation , naîtra cette ivresse patriotique
qui seule sait élever les hormnes au-dessus
d'eux-mêmes , et sans laquelle la liberté n'est
qu'un vain nom et la législation qu'une chi-
mère.
Dans l'ordre équestre , ce système est facile
à établir ^ si l'on a soin d'y suivre par-tout
une marche graduelle , et de n'admettre per-
sonne aux honneurs et dignités de l'Etat , qui
n'ait préalablement passé par les grades infé-
rieurs , lesquels serviront d'entrée et d'épreuve
pour arriver a une plus grande élévation.
Puisque l'égalité parmi la noblesse est une
loi fondamentale de la Pologne, la carrière
des affaixe« publique» y doit toujours coai-
X 5
Syo G O U V E R N E M E N T
meiicer par les emplois subalternes ; c'est
l'esprit de la constitiitiou. Ils doivent être
ouverts à tout cltoyeu que son zèle porte a.
s'y présenter , et qui croit se sentir en état
de les remplir avec succès : mais ils doivent
être le premier pas indispensable a quiconque,
grand ou petit, veut avancer dans cette car-
rière. Chacun est libre de ne s'y pas pre'sentcr ;
mais sitôt que quelqu'un y entre , il faut , à
moins d'une retraite volontaire , qu'il avance
ou qu'il soit rebute' avec improbation. Il faut
que dans toute sa conduite , vu et juge' par
ses concitoyens , il sache que tous ses pas
sont suivis , que toutes ses actions sont pesées,
et qu'on tient du bien et du mal un compte
fidelle dont l'influence s'e'tendra sur tout le
reste de sa vie.
CHAPITRE XII T.
Projet pour assujettir a une uiarche gra"
duelle tous les viembres du j:ioui>erner,ient.
v<
G I G I , pour graduer cette marche , un.
projet que j'ai tâché d'adapter aussi bien qu'il
était possible à la forme du gouvernement
établi, réformé seulement quant à la uomi-
D E P O I. O G N E. 37X
ïiation des sénateurs , de la manière et par
les raisons ci-devant déduites.
Tons les membres actifs de la republique,
j'entends ceux qui auront part à l'admlnis-
tiou , seront partages en trois classes mar-
quées par autant de signes distiuctifs que ceux
qui composeront ces classes porteront sur
leurs personnes. Les ordres de chevalerie , qui
jadis e'taient des preuves de vertu, ne sont
maintenant que des signes de la faveur des
rois. Les rubans et bijoux qui en sont la
marque ont un air de colilichct et de parure
fe'minifie qu'il faut éviter dans notre institu-
tion. Je voudrais que les marques des trois
ordres que je propose, fussent des plaques de
divers me'taux , dont le prix matériel serait
en raison inverse du grade de ceux qui les
porteraient.
Le premier pas dans les affaires publiques
sera précédé d'une épreuve pour la jeunesse
dans les places d'avocats , d'assesseurs , de
juges même dans les tribunaux subalternes ,
de régisseurs de quelques portions des deniers
publics , et en général dans tous les postes
inférieurs qui donnent a ceux qui les rem-
plissent occasion de montrer leur mérite ,
leur capacité , leur exactitude , et sur-tout
X 6
^j2 GOUVERNEMENT
leur intégrité. Cet état d'épreuve doit durer
au moins trois aus , an bout desquels , munis
des e^rtiiicats de. leurs supérieurs et du té-
moiguage d.3 1^1 voiX publique, ils se présen-
teront à la diétliiede leur province , où , après
un exaracn. sévère de leur conduite , ou ho-
îiorera ceux qui en seront jugés dignes d'un©
plaque d'or portant leur nom , celui de leur
proviuce^ la date de leur réception > et an-
dçssouscette inscription eu plus gros caractère:
."îf es patriiT. Cxiix qui aiu-ontreçucctte plaque
la porteront toujours attachée a leur bras
droit ou sur leur cœur : ils prendront le
titre de serrans d^Etat ^ et jamais dans l'or-
dre équestre il n'y aura que des servans d'Etat
gui puissent é^'c élus nonces à la diète ^
déput«s ail tribunal , commissaires à la cham-
bre des comptes., ni chargés d'aucune fonc-
tion publique qui appartienne à la souve-
raineté.
Pour arriver au second grade , il sera
nécessaire d'avoir été trois fois nonce à la
diète , et d'avoir obtenu chaquç fois aux
diétines de relation l'approbation de ses cons-
tituans , et nul ne pourra être élu non,ce une
seconde ou troisième fois s'il n'est muni de
©et acte pour &a précédente nonciatare. IjC
•D E P O L O G N- E. S75
i^rvicc au tribunal on à Radoui, en qualité
de coniiriissalrc ou de ck'|)utc, équivaudra
à une nonciature , et il suffira d'avoir sicgd
trois fois dans ces asscmble'es , indiflércminent ,
«nais toujours avec approbation , pour arriver
de droit au second grade. Eu sorte que sur
}es trois certilicats j)résentéa à la dicte , le
servant d'Etat qui les aura oblenussera honoré
de la seconde plaque et du titre dout ell»
est la marque.
Cette plaque sera d'argent , de incmc forme
et grandeur que la précédente ; elle portera les
mêmes inscriptions , excepté qu'au-lieu des
deux mots spes patriœ , on y gravera ces
deux-ci , ch'is cîectus. Ceux qui porteront ces
plaques seront appelés citoyens de choix ou
simplement élus , et ne pourront plus étresim-'
pics nonces, députés au tribunal, ni com-
missaires à la chambre : mais ils seront autant
de caiididats pour les places de sénateurs. Nul
ne pourra entrer au sénat qu'il n'ait passé par
ce second grade , qu'il n'en ait porté la mar-
que , et tous les sénateurs députés , qui selon
le projet en seront imu\édiatement tirés , con-
tinueront de la porter jusqu'à ce qu'ik par-
viennent au troisième grade.
C'est parmi ceux ^ui auront atteint î«
374 GOUVERNEMENT
second, que je voudrais choisir les principaux
des collèges et inspecteurs de l'éducation des
' enfans. Ils pourraient être oblige's de remplir
un certain temps cet emploi avant que d'être
admis au sénat, et seraient tenus de pre'senter
à la diète l'approbation du collège des admi-
nistrateurs de l'e'ducation : sans oublier que
cette approbation, comme toutes les autres,
doit toujours être visée par la voix publique
gu'on a mille moyens de consulter.
L'élection des sénateurs députés se fera dans
la chambre des nonces à chaque diète ordi-
naire , en sorte qu'ils ne resteront que deux
ans en place ; mais ils pourront être continués
on élus de rechef deux autres fois , pourvu que
chaque fois en sortant de place , ils aient
préalablement obtenu de la même chambre
un acte d'approbation semblable à celui qu'il
est nécessaire d'obtenir des diétines pour être
élu nonce une seconde et troisième fois : car
sans un acte pareil obtenu a. chaque gestiou
l'on ne parviendra plus à rien , et l'on n'aura
pour n'être pas exclus du gouvernement que
îa ressource de recommencer par les grades
inférieurs, ce qui doit être permis pour ne
pas ôter à un citoyen zélé, quelque faute
^u'il puisse ayoix commise , tout espoir de
t) E P O L O G N E. 375
Teffaccr et de parvenir. Au reste , ou ne doit
jamais cliarj;;er aucun comité' ])articulier d'ex-
pe'dier ou refuser ces certitieats ou approba-
tions , il faut toujours que ces jugemens soient
porte's par toute la chambre , ce qui se fera
sans embarras ni perte de temps, si l'on suit
pour le jugement des sénateurs députes sortant
de place , la même méthode des cartons quo
j'ai proposée pour leur e'iection.
On dira peut-être ici que tous ces actes
d'approbation donnes d'abord par des corps
particuliers , ensuite par les diêtines et eniia
par la diète , seront moins accordes au mérite ,
a la justice et à la vérité, qu'extorqués par
}a brigue et le crédit. A cela je n'ai qu'une
chose à répondre. J'ai cru parler à un peuple
qui , sans être exempt de vices, avait encore
du ressort et des vertus , et cela supposé , mon
projet est bon. Mais si déjà la Pologne en est
a ce point que tout y soit vénal et corrompu
jusqu'à la racine , c'est en vain qu'elle cherche
a. réformer ses lois et à conserver sa liberté:
il faut qu'elle y renonce et qu'elle plie sa
tcte au joug. Mais revenons.
Tout sénateur député, qui l'aura été trois
fois avec approbation , passera de droit au
troisième grade le plus éieyé dans l'Etat , ç*
27^ GOUTER N E M E N T
la marque lui en sera confe'ree par le roi sur
la noniiuation de la diète. Cette marque sera
•une plaque d'acier bleu sem^blable aux prece'-
dentes et portera cette inscription : custos
hgmn. Ceux qui l'auront reçue la porteront
toutlc reste de leur vie , à quelque poste e'mi-
uent qu'ils parvienneiît ,etinémesur letrône
quand il leur arrivera d'y monter.
Les palatins et grauds-castellans ne pour-
ront être tirc's que du corps des gardiens des
lois de la incme manière que ceux-ci l'onfe
été' des citoyens élus, c'est-à-dire, par le choix
de la diète; et comme ces palatins occupent
les postes les plus éminens de la république,
et qu'ils les occupent à vie , afin que leur
émulation ne s'endorme pas dans les places
où ils ne voient plus que le tronc au-dessus
d'eux l'accès leur en sera ouvert, mais d»
manière à n'y pouvoir arriver encore qu€ par
ia voix publique et à force de vertu.
Remarquons, avant que d'aller plus loin,
que la carrière que je donne à parcourir aux
citoyens, pour arriver graduellement à la tête
delarépublique, paraît assez bien proportion-
née aux mesures de la vie humaine, pour qu«
ceux qui tiennent les rênes du gouvernement ,
«Q^aut passé la fou^iîo de la jeunesse, puissent
D E P O L O G X E. 3-7
îi('anmolns être encore dans la vigueur de
l'âge , et cpi'apiès quinze ou vingt ans d'c-
preuvc eoiJtinucllcment sous les yeux du
public, il leur reste encore un assez grand
nombre d'années à faire jouir la patrie de
leurs talens , de leur expérience et de leurs
vertus, et à jouir cux-mêiii«s dans les pre-
mières places de l'Etat du respect et des
Jionueurs qu'ils auront si bien inéritéï;. En
supposant qu'un honnne commence à vinpt
ans d'entrer dans les affaires, il est possible
qu'à trcntc-clnq il soit déjà palatin ; mais
comme il est bien difficile et qu'il n'est pn$
ïuëme a. propos que cette marche graduelle
se fasse si rapidement, on n'arrivera guère à
ce poste émincnt avant la quarajitaine , et
c'est l'âge à mon avis le plus convenabl»
pour réunir toutes les qualite's qu'on doit
rechercher dans un bouruie d'Etat. Ajoutons
ici que cette marche paraît appropriée, autan!
qu'il est possible , aux besoins du gouvernc-
incnt.Dansle calcul des probabilités , j'cslimo
qu'on aura tous les deuxansaumoinsclnquant»
îiouveau'Ç citoyens élus et vingt gardiens des
liils : nombres plus que sufBsans pour recruter
}cs deux parties du sénat auxquelles mènent
»s?speoiivcmcat ces deux grades. Car ou voit
tjZ GOUVERNEMENT
aisémeut que quoique le premier rang cUi seiiafe
soit le plus nombreux, étant à vie il aura
moins souvent des places à remplir que le se-
cond qui, dans luon projet, se renouvelle à
chaque diète ordinaire.
On a de'jà vu , et l'on verra bientôt en-
core , que je ne laisse pas oisifs les é/us
surnuméraires en attendant qu'ils entrent au
sénat comme députés ; pour ne pas laisser
oisifs non plus les gardiens des lois , en at^
tendant qu'ils y rentrent comme palatins ou
castellaus , c'est de leur corps que je forme-
rais le collège des administrateurs de l'édu-
cation dont j'ai parlé ci-devant. On pourrait
donner pour président à ce collège le primat
ou un autre évéque , eu statuant au surplus
qu'aucun autre ecclésiastique , fût-il évéque
ou sénateur , ne pourrait y être admis.
Voilà , ce me semble , une marche assez
bien graduée pour la partie essentielle et
intermédiaire du tout , savoir la noblesse et
les magistrats; m.ais il nous manque encore
les deux extrêmes , savoir le peuple et le roi.
Commençons par le premier, jusqu'ici compté
pour rien , mais qu'il importe enfin de comp-
ter pour quelque chose , si l'on veut donner
une certaine force , une certaine consistance
D E P O L O G N E. 3;^
à la Pologne. Rien de plus délicat que l'ope'-
ration dont il s'a;;it ; car enfin, bien que
chacun sente quel grand mal c'est pour la
république que la nation soit en quelque fa-
çon renfermée dans l'ordre équestre , et que
tout le reste , paysans et bourgeois , soit
nul , tant dans le gouvernement que dans ia
législation , telle est l'antique constiLutlou.
Il ne serait en ce moment ni prudent ni
possible de la changer tout d'un coup; mais
il peut l'être d'amener par degrés ce change-
ment , de faire sans révolution sensible qu©
ïa partie la plus nombreuse de la nation
s'attache d'aSéction à la patrie et même au
gouvernement. Cela s'obtiendra par deux
moyens ; le premier , une exacte observation
de la justice , en sorte que le serf et le ro-
turier, n'ayant jamais à craindre d'être injus-
tement vexés par le nolîle , se guérissent de
l'aversion qu'ils doivent naturellement avoir
pour lui. Ceci demande une grande réforme
dans les tribunaux et un soin particulier pour
la formation du corps des avocats.
Le second moyen , sans lequel le premier
n'est rien, est d'ouvrir une porte aux serfs
pour acquérir la liberté et aux bourgeois pour
acquérir la noblesse. Quand la chose dans lo
,1g3 GOUTER X E M E N T
fait ne serait pas praticable , il faudrait au
iiîoiiis qu'on la vît t<?île en possibilité; mais
on peut faire plus , ce me semble , et cela sans
«ourir aucun risque. Voici , par exemple , un
moyen qui me parait mener de cette maniera
au but proposé.
Tous les deux ans, dans l'intervalle d'une
diète à l'autre , on choisirait dans chaque
province un temps et un lieu convenables
où les élus de la même province qui ue se-
raient pas encore sénateurs députés s'^assem-
blcraient , sous la présidence d'un custos
Jegujn qui ne serait pas encore sénateur a vie ,
dans un comité ceiisorial ou de bienfesance
auquel on inviterait , non tous les curés , mais
seulement ceux qu'on jugerait les plus dignes
de cet honneur. Je crois même que cette pré-
férence formant un jugement tacite aux yeux
du peuple , pourrait ;eter aussi quelque ému-
lation parmi les curés de village , et en ga-
rantir un grand nombre des mœurs crapu-
leuses auxquelles ils ne sont que trop sujets.
Dans cette assemblée , oii l'on pourrait
tn core appel(*i- des vieillards et notables do
tous les états, on s'occuperait à l'examen des
projets d'établissemeus utiles pour la pro-
Tiacc , ou eutcudrait \^s iapports des cur^
D E P O L O G N E. SSr
air l'état de leurs paroisses et des paroisses
Toisiiies , celui des notables sur l'état de la
culture , sur celui des familles de leur ccn-
tO!i, ouvériLJeraitsoigiieuseinciitces rapports;
chaque membre du comité y ajouterait ses
propres observations, et l'on tiendrait de
tout cela un fidelle registre dont on tirerait
des mémoires succincts pour les diétines.
On examinerait en détail les besoins des
familles surchargées, des inûnnes, des veures ,
des orphelins , et Ton y pourvoirait propor-
tiounelleuuent sur un fonds formé par les
«ontributions gratuites des aisés de la pro*
Tince. Ces contributions seraient d'autant
moins onéreuses , qu'elles deviendraient le
seul tribut de charité, attendu qu'on ne
doit souLlrir dans toute la Pologne ni mcn-
dians ni hôpitaux. Les prêtres , sans doute ,
crieront beaucoup pour la conservation des
hôpitaux , et ces cris ne sont qu'une raison
de plus pour les détruire.
Dans ce même comité , qui ne s'occupe-
rait jamais de punitions ni de réprimandes,
mais seulement de bienfaits , de louanges et
d'encouragcmens , on ferait sur de bonnes
informations des listes exactes drs. particu-
liers de tous états, dont la conduite .serait
S82 G O U Y E R N E M E N T
digne d'honneur et de lécompense. (*) Ces
listes seraient envoyées au sénat et au roi
pour y avoir égard dans roccasion , et placer
toujours bien leurs choix et leurs préféren-
ces, et c'est sur les indications des mêmes
assemblées que seraient données dans les
collèges par les administrateurs de l'éduca-
tion les places gratuites dont j'ai parlé ci-
devant.
Mais la principale et plus importante oe-
C*) Il faut dans ces estimations avoir beaucoup
plus d'égards aux personnes qu'à quelques ac-
tious isolées. Le vrai bien se fait avec peu d'éclat.
C'est par une conduite uniforme et soutenue ^
par des vertus privées et domestiques , par tous
les devoirs de son état bien remplis , par des
actions enfin qui découlent de son caractère et
de ses principes , qu'un homme peut méritée
des honneurs , plutôt que par quelques grands
coups de théâtre qui trouvent déjà leur récom-
pense dans l'admiration publique. L'ostentatioa
philosophique aime beaucoup les actions d'éclat;
mais tel , avec cinq ou six actions de cette es-
pèce bien brillantes , bien bruyantes et biea
prônées , n'a pour but que de donner le change
sur son compte et d'être toute sa vie injuste et
dur impunément. Donnei - nous la monnaie des
grandes actions. Ce mot de feiijn& est un moS
tiès-judicieux.
DE POLOGNE. ZP.^
enpation de ce comité serait de dresser sur
de ijdclies ineinoircs , et sur le rapport de la
voix publique bien ve'rifié , un rôle des pay-
sans qui se distingueraient par une bonne
conduite, une bonne culture, de bonnes
în(Tcurs , par le soin de leur famille , par tou»
les devoirs de Icvir e'tat bien remplis. Ce rôI©
serait ensuite pre'senlc a la die'tine , qui y
choisirait un nombre fixé par la loi pour
être alïVancbi , et qui pourvoirait , par des
moyens convenus , au dédommagement des
patrons , en les fesant jouir d'exemptions ,
de prérogatives , d'avantages enfin propor-
tionnes au nombre de leurs paysans qui au-
raient été trouves dignes de la liberté. Car
il faudrait absolument faire en sorte qu'au
lieu d'être onéreux au maître, Taifrauchisse-
luent du serf lui devînt honorable et avan-
tageux ; bien entendu que, pour éviter l'abus,
ces aETranchissemcns ne se feraient point par
les maîtres , mais dans les diétines , par ju-
gement, et seulement jusqu'au ùombre fixé
par la loi.
Quand on aurait affraïichi successivement
un certain nombre de familles dans un can-
ton , l'on pourrait affranchir des villages en-
tiers j y former peu à jûcu des commuucs ,
^84 G O t: V E R N E M E N t
leur assigner quelques biens fonds , quelque*
terres communales comme en Suisse , y éta-
blir des officiers communaux , et lorsqu'on
aurait amené par degrés les choses jusqu'à
pouvoir , sans révolution sensible , achever
l'opération en grand , leur rendre enhn lo
droit que leur donna la nature de participer
a l'administration de leur pays eu envoyant
des députés aux diétines.
Tout cela fait , ou armerait tous ces pay-
sans , devenus hommes libres et citoyens, oa
îes enrégimenterait , on les exercerait , et
l'on finirait par avoir une milice vraiment
excellente , plus que sufQsanie pour la dé-
fense de l'Etat.
On pourrait suivre une méthode semblable
pour l'ennoblissement d'un certain nojnbre
de bourgeois , et même sans les ennoblir ,
leur destuier certains postes brillans qu'ils
rempliraient seuls à l'exclusion des nobles,
et cela à l'imitation des Vénitiens , si jaloux
de leur noblesse , qui néanmoiiîs , outr*
d'autres emplois subalternes , donnent tou-
jours à U71 c" tadln la seconde place de l'Etat,
savoir celle de grand-chancelier , sans qu'au-
cun patricien puisse jamais y prétendre. De
cette manière , ouvraat à la bourgeoisie la
port©
D E P O L O G N E. 58^
porte de la noblesse et des honneurs , on
l'attacherait d'affection à la patrie et au uiain-
tlcu de la constitution. On pourrait encore,
î^ans ennoblir les individus , ennoblir col-
lectivement certaines villes, en préférant celles
où fleuriraient davantage le commerce , l'in-
dustrie et les arts, et où par conséquent l'ad-
ministration municipale serait la meilleure-.
Ces villes ennoblies pourraient , à l'instar des
villes impe'riales , envoyer des nonces 'à la
dicte : leur exemple ne manquerait pas d'ex-
citer dans toutes les autres un vif désir d'ob-
tenir le inémc honneur.
Les comités censorianx cîiarp;és de ce dé-
partement de bienfesance, qui jamais , à la
honte des rois et des peuples , n'a encore
existé nulle part , seraient , quoique sans
élection, composés de la manière la plus
propre a remplir leurs fonctions avec zèle et
intégrité, attendu que leurs membres aspi-
rant aux places sénatoriales où mènent leurs
grades respectifs, porteraient une grande at-
tention à mériter par l'approbation publique
les sulFrages de la diète , et ce serait une occu-
pation snlBsante pour tenir ces aspirans en
baleine et sous les yeux du public dans les
intervalles qui pourraient séparer leurs élec-
Politicjuc. Tome II. Y
386 G O U y E R N E M E N T
lions successives. Remarquez que cela se fe-
rait cependant sans les tirer pour ces inter-
valles de l'état de simples cit03^ens gradués ,
puisque cette espèce de tribunal, si utile et si
respectable , n'ayant jamais que du bien à
faire , ne serait revêtu d'aucune puissance
coactive : ainsi je ne multiplie point ici les
magistratures , mais je me sers , chemin fe-
sant , du passage de l'une à l'autre pour tirer
parti de ceux qui les doivent remplir.
Sur ce plan , gradué dans son exécutiou
par une marche successive qu'on pourrait
précipiter, ralentir, ou même arrêter selon
son bon ou mauvais succès, ou n'avancerait
qu'à volonté , guidé par l'expérience ; on
allumerait dans tous les états inférieurs un
zèle ardent pour contribuer au bien public ,
on parviendrait enfin à vivifier toutes les
parties de la Pologne, et à les lier de manière
à ue faire plus qu'un même corps dont la vi-
gueur et les forces seraient au moins décu-
plées de ce qu'elles peuvent être aujourd'hui ,
et cela avec l'avantage inestimable d'avoir
évité tout changement vif et brusque , et le
danger des révolutions.
Vous avez une belle occasion de com-
meucer cette opération d'une «iamère écla-
D E P O L O G N E. SS7
lantc et noble , qui doit faire le plus grand
cflct. Il n'est pas possible que dans les mal-
heurs que vient d'essuyer la Pologne , les
confédérés n'aient reçu des assistances et des
marques d'attachement de quelques bour-
geois et même de quelques paysans. Imitez
la magnanimité des Romains , si soigneux,
après les grandes calamités de leur répu-
blique , de combler des témoignages de leur
gratitude les étrangers, les sujets , les escla-
ves, et même jusqu'aux animaux , qui durant
leurs disgrâces leur avaient rendu quelques
services signalés. O le beau début a mon gré
que de donner solerauellement la noblesse à
ces bourgeois et la franchise a ces paysans ,
et cela avec toute la pompe et tout l'appareil
qui peuvent rendre cette cérémonie auguste ,
touchaiitc et mémorable ! Et ne vous eu
tenez pas à ce dcliut. Ces hommes ainsi dis-
tingués doivent demeurer toujours les en-
fans de choix de la patrie. Il faut veiller sur
eux, les protéger, les aider, les soutenir,
fussent-ils même de mauvais sujets. Il faut
à tout prix les faire prospérer toute leur vie,
afin que par cet exemple , mis sous les yeux
du public, la Pologne montre à l'Europe
cuticrc ce que doit attendre d'elle dans ses
Y2
2S8 G O rr V E R N E M E N T
succès quiconque osa l'assister dans sa dé-
tresse.
Voilà quelque idée grossière et seulement
par forme d'exempie de la manière dont on
peut procéder, poiii ^ •e chacun voie devant
lui la route libre pc.ar arriver à tout, qu©
tout tende graduellement en bien servant la
patrie aux rangs les plus honorables, et que
la vertu puisse ouvrir toutes les portes que
la fortune se pîait à fermer.
Mais tout n'est pas fait encore , et la parti©
de ce projet oui me reste à exposer, est sans
contredit la plus rmbarrassante et la plus
difficile ; elle oftie à surmonter des obstacles
contre lesquels la prudence et l'expérienc»
des politiques les plus consommés ont tou-
jours échoue. Cependant il me semble qu'en
supposant mon projet adopté , avec le moyeu
très-s'-rapie que j ai à proposer , toutes les
difficultés sont levées , tous les abus sont
prévenus, et ce qui me semblait faire un nou-
vel obstacle se tourne en avantage dansVexé^
«ution.
D E P O L O G N E. 389
CHAPITRE XIV*
^Election des rois,.
JL ou TE s CCS difficultés se rcduiscnt \
celle de doiiuer à l'Etat uu chef dont le choix
lie cause pas de troubles , et qui n'attente pas
à la liberté. Ce qui augmente la même dif-
ficulté est que ce chef doit être doué de»
grandes qualités nécessaires à quiconque os«
gouverner des hommes libres. L'hérédité d©
Ja couronne prévient les troubles , mais elle
amène la servitude ; l'élection maintient la
liberté, mais à chaque règne elle ébraulo
l'Etat. Cette alternatÏTe est fâcheuse ; mait
avant de parler des moyens de l'ctiter, qu'on,
me permette un moment de réflexion sur la
manière dont les Polonais disposent ordi-
mairement de leur couronne.
D'abord je le demande ; pourquoi fdut-
il qu'ils se donnent des rois étrangers ? Par
quel singulier aveuglement ont-ils pris ainsi
le moyen le plus sur d'asservir leur nation,
d'abolir leurs usages , de se rendre le jouet
des autres cours , et d'augmenter à plaisir
l'oraigc des intcrrcgacs ? Quelle injustice cu-^
Y 3
Spo GOUVERNEMENT
Ters eux-mêmes ^ quel affront fait à leur pa-
trie ! comme si , désespérant de trouver dans
son sein un homme digne de les comman-
der, ils e'taient forces de l'aller cliercher au
loin ! Comment n'ont-ils pas senti , comment
n'ont-ils pas vu que c'était tout le contraire?
Ouvrez les annales de votre nation , vous
ne la verrez jamais illustre et triomphante
que sous des rois polonais ; vous la verrez
presque toujours opprimée et avilie sous les
e'trangers. Que l'expérience vienne enfin à
l'appui de la raison ; voyez quels maux vous
TOUS faites et quels biens vous vous ôtez.
Car , je le demande encore , comment la
nation polonaise ayant tant fait que de
Tendre sa couronne élective , u'a-t-elle point
songé à tirer parti de cette loi pour jeter
parmi les membres de l'administration une
émulation de zèle et de gloire, qui seule eut
plus fait pour le bien de la patrie que toutes
les autres lois ensemble ? Quel ressort puis-
saut sur des âmes grandes et ambitieuses que
cette couronne destinée au plus digne , et
mise en perspective devant les yeux de tout
citoyen qui saura mériter l'estime publique !
Que de vertus, que de nobles efforts l'espoir
d'en acquérir le plus haut prix ne doit-il pas
D E P O L O G N E. 391
exciter dans la uatiou ! quel ferment de pa-
triotisme dans tous les cœurs , quand on sau-
rait bien que ce n'est que par-la qu'on peut
obtenir cette place devenue l'objet secret des
vœux de tous les particuliers , si-tôt qu'à
force de me'iite et de services il dépendra
d'eux de s'en approcher toujours davantage,
et si la fortune les seconde , d'y parvenir
enfin tout-à-fait ! Cherchons le meilleur
moyen de mettre en jeu ce grand ressort si
puissant dans la republique , et si ne'gligé
jusqu'ici. L'on me dira qu'il ne suffit pas de
ne donner la couronne qu'à des Polonais
pour lever les difficulte's dont il s'agit : c'est
ce que nous verrons tout à l'heure après que
j'aurai proposé mon expédient ; cet expé-
dient est simple , mais il paraîtra d'abord
manquer le but que je viens de marquer moi-
même , quand j'aurai dit qu'il consiste à faire
entrer le sort dans l'élection des rois. Je de-
mande en grâce qu'on me laisse le temps de
m'eypliqucr , ou seulement qu'on me relise
avec attention.
Car si l'on dit, comment s'assurer qu'un
roi tiré au sort ait les qualités requises pour
remplir dignement sa place , on fait une ob-
iectiou que j'ai déjà résolue, puisqu'il suffit
?92 O O U T E R N E M E rf T
pour cet efFct que le roi ue puisse être tir»
que des sénateurs à vie ; car puisqu'ils seront
tirés eux-mêmes de l'ordre des ^ardiejis des
/ois y et qu'ils auront passe' avec honneur pai*
tous les grades de la république , l'épreuve
de toute leur vie , et l'approbation publique
dans tous \es postes qu'ils auront remplis,
seront des garaus suffisans du mérite et dei
Tertus de chacun d'eux.
Je n'entends pas néanmoins que mêm»
entre les sénateurs à vie le sort décide seul
de la préférence. Ce serait toujours manquer
en partie le grand but qu'on doit se propo-
ser. Il faut que le sort fasse quelque chose,
et que le cboix fasse beaucoup, afin d'un
côté d'amortir les brigues et les menées des
puissances étrangères et d'engager de l'autre
tous les palatins par un si grand intérêt \
ne point se relâcher dans leur conduite, mais
a. continuer de servir la patrie avec zèle pour
mériter la préférence sur leurs concuriens.
J'avoue que la classe de ces concurrens me
paraît bien nombreuse, si l'on y fait entrer
les grands-castellans presque égaux en rang
aux palatins par la constitution présente ;
m.ais je ue vois pas quel inconvénient il y
aurait 4 douaer aux seuls palatiiis l'accès im»»
D E P O L O G N "E. SoS
médiat au trône. Cela ferait dans le mcmé
ordre un nouveau grade que les grands-cas-
tellans auraient encore a passer pour devenir
palatins, et par conse'qucnt un moyen do
plus pour tenir le sénat dépendant du le'gis-
lateur. On a déjà vu que ces grands-castel-
lans me paraissent superflus dans la consti-
tution, (^ue néanmoins pour éviter tout
grand changement on leur laisse leur place
< t leur rang au sénat , )e l'approuve. Mait
dans la graduation que je propose , rieil
n'oblige de les mettre au niveau des palatins,
et comme rien' n'en einpcche non plus , ou
pourra sans inconvénient se décider pour 1«
parti qu'on jugera le meilleur. Je suppose
ici que ce parti préféré sera d'ouvrir aux
seuls palatins l'accès immédiat au trône.
Aussi-tôt do?ic après la mort du roi,
c'est-à-dire dans le moindre intervalle qu'il
icra possible et qui sera fixé par la loi , la
diète d'élection sera solemnellcmeut convo-
quée ; les noms de tous les palatins seront
mis en concurrence , et il en sera tire troii
au sort avec toutes les précautions possible»
pour qu'aucune fraude n'altère celte opéra-
tion. Ces trois noms seront à haute voix
déclarés à l'assemblée qui , dans la xuciJi#
^94 GOUVERNEMENT
séance et à la pluralité des voix, choisira
celui qu'elle préfère , et il sera proclamé roi
dès le luéme jour.
Ou trouvera dans cette forme d'élection
un grand inconvénieut, je l'avoue ; c'est
que la nation ne puisse choisir librement
dans le nombre des palatins celui qu'elle ho-
nore et chérit davantage , et qu'elle juge le
plus digne de la roj-auté. Mais cet inconvé-
nient n'est pas nouveau en Pologne, où l'on
a vu dans plusieurs élections , que sans égard
pour ceux que la nation favorisait, on l'a
forcée de choisir celui qu'elle aurait rebuté :
inais pour cet avantage qu'elle n'a plus et
qu'elle sacrifie , combien d'autres plus im-
portans elle gagne par cette forme d'élection !
Premièrement l'action du sort amortit
tout d'un coup les factions et brigues des
nations étrangères qui ne peuvent influer sur
cette élection , trop incertaines du succès pour
y mettre beaucoup d'efforts, vu que la fraude
ïnéme serait insuffisante en faveur d'un sujet
que la nation peut toujours rejeter. La gran-
deur seule de cet avantage est telle qu'il as-
sure le repos de la Pologne , étouffe la véna-
lité dans la république , et laisse à l'élection
prcsqr -j. toute la tranquillité de l'hérédité.
DE P O L O G X F. S^i
Le mcnic avantage a lieu contre les brigues
xiiéînes des candidats ; car qui d'entr'cux
voudra se mettre en frais pour s'assurer iino
préférence qui ne dépend point de» honimes,
et sacrilier sa fortune à un événement qui
lient à tant de chances contraires pour une
f Jvoral)lc ? Ajoutons que ceux que le sort a
favorisés ne sont plus à tems d'aclietf.r dcf
électeurs, puisque l'élection doit se faire dans
la même séance.
Le choix libre de la nation entre troi»
candidats la préserve des inconvéniensdu sort
qui , par supposition , tomberait surun sujet
indigne ; car dans cette supposition ,1a nation
se gardera de le choisir, et il n'est pas pos-
sible qu'entre trwnte-trois hommes illustres,
l'élite de la nation , où l'on necojnprend pa«
même comment il peut se trouver un «k-uI
sujet indigne , ceux que favorisera le sort 1«
•oient tous les trois.
Ainsi , (et cette observation est d'un grand
poids) nous réunissons par cette forme tous
les avantages de l'élection à ceux de Ihérédité,
Car premièrement la couronne ne passant
point du père au (ils, il n'y aura jamais con-
tinuité de système pour l'asscrvissenicnt d«
la république. Lu «ccoud l,icu U «oft uiéw
tg6 G O U V E P^ N E M Ê N T
dans cette forme est l'instrument d'une e'iec-
tion éclairée et volontaire. Dans le corps
respectable des gardiens des lois et des pala-
tins qui en sont tirés , il ne peut faire un
choix , quel qu'il puisse être , qui n'ait été
déjà fait par la nation.
Mais voyez quelle émulation cette perspec-
tive doit porter dans le corps despalatins et
grands-castellans , qui dans des places à vie
pourraient se relâcher par la certitude qu'on ne
peut plus les leur ôter. Ils ne peuvent plus être
contenus par la crainte; mais l'espoir de rem-
plir un trône que chacun d'eux voit si près de
lui, est un nouvel aiguillon qui les tient sans
cesse attentifs sur eux-mêmes. Ils savent que
le sort les favoriserait en vain s'ils sont rejetés à
l'élection , et que le seul moyen d'être choisis
est de le mériter. Cet avantage est trop grand,
trop évident pour qu'il soit nécessaire d'yin-
«istcr.
Supposons un moment, pour aller au pis,
qu'on ne puisse éviter la fraude dans l'opé-
ration du sort, et qu'un des coucurrcns vînt
à tromper la vigilance de tous les autres ,
si intéressés à cette opération. Cette fraude
serait un malheur pour les candidats exclus;
mais l'elTct poiu' la républiçjue serait le même
DE POLOGNE. S9:?
que si la décision du sort eût ëtc' fidellé 5
car ou n'eu aurait pas moins l'avantage dé
l'élection, on n'en préviendrait pas moins
les troubles des interrègnes , et les dangers d«ï
l'hérédité ; le candidat que son ambition sé-i
duirait jusqu'à recourir à cette fraude n'cil
serait pas moins au surplus un homme ôa
mérite , capable au jugement de la nation de
porter la couronne avec honneur ; et enfin ^
incme après cette fraude , il n'en dépendrait
pas moins pour en profiter du choix subsé-*
quentet formel de la république.
Par ce projet adopté dans toute son étendue^
tout est lié dans l'Etat, et depuis le dernier'
particulier jusqu'au premier palatin , nul uH
Toit aucun moyen d'avaucerquepar la route
du devoir et de l'approbation publique. La
roi seul , une fois élu , ne Toyant plus que
les lois au-dci^sns de lui , n'a nul autre freiri
qui le contienne , et n'ayant plus besoin dé!
l'approbation publique , il peut s'en passejp
sans risque si ses projets le demandent. Je nd
vois guère à cela qu'un remède, auquel m6n(3
il ne faut pas songer. Ce serait que lacouromicJ
fût en quelque manière amovible 9. et qu^ati
bout de certaines périodes les rois eussent
besoin d'être confirmés. Mais , encore UU«
Politi^/jie^ Tome IL 2
3^5 GOUVERNEMENT
fois, cet expëdieut n'est pas proposable;
tenant le trône et l'Etat dans nue agitation
continuelle , il ne laisserait jamais l'adminis-
tiation dans une assiette assez solide pour
pouvoir s'appliquer uniquement et utilement
au bien public.
Il fut un usage antique qui n'a Jamais e'té
pratiqué que cIjcz un seul peuple, maisdou
il es te'tounant que le succès n'en ait tenté aucun
autre de l'imiter. Il est vrai qu'il n'est guère
propre qu'à un royaume e'ieetif , quoiqu'in-
vente' et pratiquédansnnrojaunic héréditaire.
Je parle du jugement des rois d'Egypte après
leur mort, et de l'arrêt par lequel lasépulturo
et les honneurs royaux leur étaient accordes
ou refusés , selon qu'ils avoient bien ou
mal gouverné l'Etat durant leur vie. L'indif-
férence des modernes sur tous les objets mo-
raux et sur-tout ce qui peut donner du ressort
aux âmes , leur fera sans doute regarder l'idée
de rétablir cet usage pour les rois de Pologne
comme unefoîie,et ce n'e. t pas à des Français ,
sur-tout à des philosophes que je voudrais
tenter de la faire adopter , mais je crois qu'on
peut la proposera des Polonais. J'ose même
avancer que cet établissement aurait chez eux
de grands ayanta^jes auxquels il est impossible
DE POLOGNE, 599
de suppléer d'aucune autre manicre, et pas un
seul inconvénient. Dansl'objctpre'sent on voit
qu'à moins d'une ame vile et insensible à
riionncur de sa uiomoire , il n'est pas possi-
ble que l'iiitcgrite' d'un jugement inévitable
n'en impose au roi , et ne mette a ses passions
un frein plus ou moins fort, je l'avoue, mais
toujours capable de les contenir jusqu'à cer-
tain point ; sur-tout quand ou y joindra
l'intcrct de ses enfans , dont le sort sera
décide' par l'arrêt porte sur la mémoire du
père.
Je voudrais donc qu'après la mort de chaque
roi, son corps fùtdéposcdansunlieusortable,
jusqu'à ce qu'il eût été prononcé sur sa mé«
moire ; que le tribunal oui doit en décider
et décerner sa sépulture fût asscmbléle plutôt
qu'il serait possible , que là sa vie et sorv
règnc fussent examiïiés sévèrement , et qu'a-
près des informations dans lesquelles tout
citoyen serait admis à l'accuser et à le dé-
fendre, le procès bien instruit fût suivi d'un.
arrêt porté avec toute la solemnito possibles
En conséquence de cet arrêt, s'il était fa
Torable , le feu roi serait déclaré bon et just»-
prince, son nom inscrit avec honneur dans
la liste des rois de Pologue , son corps uiiâ^
Z 2
4G0 GOUVERNEMENT
^Tec pompe daus leur sépulture, l'épitliète
l^e glorieuse mémoire ajoute'c à son nom clans
tous les actes et sliscours publics , un douaire
assigné à sa veuve , et ses enfaus déclares
princes royaux , seraient honore's , leur vie
(jurant, de tous les avantages attache's à ce
ti tre,
Que si , au contraire , il était trouvé cou-
pable d'injustice , de violence , de malversa-
tion , et sur-tout d'avoir attenté à la liberté
publique ;. sa mémoire serait condamnée et
flétrie , son corps privé de la sépulture royal©
gérait entériné sans honneur coiaime Celui d'un
|iarticulier , son nom cEEacé du registre pnblio
fies rois, et ses enfans , privés du titre de
princes royaux et des prérogatives qui y sont
attachées , rentreraient dans la classe des sim-
ples citoyens , sans aucune distinction hono-
rable ni ilétrissantc.
Je voudrais que ce jugement se fit avec le
plus grand appareil, mais qu'il précédât , s'il
était possible , l'élection de son successeur ,
g^fin que le crédit de celui-ci ne pût influer
sur la sentence dont il aurait pour lui-mêms
Intérêt d'adoucir la sévérité. Je sais qu'il se-
rait à désiv'^r qu'on eût plus de temps pour
4éY0i^cr bien des vérités cachées et ipiep]Ç
DE POLOGNE. 401
instruire le procès. Mais si l'on tardait après
l\'lccllon , j'aurais peur que cet acte impor-
tant ne devînt bientôt qu'une vaine cére'iiio-
nie , et comme il arriverait infailliblement
dans un royaume héréditaire , plutôt une
oraison funèbre du roi défunt qu'un jugement
juste et sévère sur sa conduite. 11 vaut mieux
en cette occasion donner davantage à la voix
publique et }>crdrc quelques lumières de de'-
tail , j>our conserver l'intc'grite' et l'austéritc
d'un jugement qui sans cela deviendrait
inutile.
A IVgard du tribunal qui prononcerait
cette sentence, je voudrais que ce ne fût m
le sénat, ni la diète, ui aucun corps revêtu
ds quelque autorité dans le gouvernement,
niais un ordre entier de citoyens qui ne peut
être aiséuient ni trompé ni coriompu.
Il me paraît que les rzW.ye/^r//^ pi us instruits,
plus expérimentés que les servons d'Etat^
et moins intéressés que les gardiens des lois y
déjà trop voisins du trône, seraient précisé-
ment le corps intermédiaire où Ton trouve*?
rail; à-la-fois le plusde lumières et d'mtégritc ,
le plus propre à ne porter que des jugemens
surs, et par-là préférables aux doux autres eu
celte occasion, bi luéme il arrivait que es
Z3
402 GOUVERNEMENT
corps ne fût pas assez nombreuï pour un
jugement de cette importance , j'aiaicrais
inicux qu'où lui donnât dv^s adjoints tires des
servans d'Etat , que des gardiens des lois.
Enfin , je voudrais que ce tribunal ne fut
présidé par aucun homme en place , mais par
un mare'cbal tiré deson corps , et qu'ilélirait
lui-même comme ceux des diètes et des cou-
fédérations ; tant il faudrait éviter qu'aucun
intérêt particulier n'influât dans cet acte,
qui peut devenir très-auguste ou très-ridicule
çelon la manière dont il y sera procédé.
En finissant cet article de l'élection et du
jugement des rois, je dois dire ici qu'une
chose dans vos usages m'a paru bien cho^
quaute et bien contraire à l'esprit de votre
constitution; c'est de la voir presque renver-
sée et anéantie à la mort du roi , jusqu'à
suspendre et fermer tous les tribunaux ; corume
si cette constitution tenait tellement k go
prince, que la mortdeFun fût ladestruction
tîe Tautre. Eh, mon Dieu ! ce devrait être
exactement le contraire. Le roi mort, tout
devrait aller comme s'il vivait encore ; on
{devrait s'appcrccvoir à peine qu'il manque
vue pièce à la machine, tant cette pièce était
peu easentiellc à sa solidité. Heureusement
D E P O L () G N E. 4o3
«ftte incouscquence ne tient à rien. Il n'y a
qu'à dire qu'elle n'existera plus , et rien au
surplus ne doit cire change' : mais il ne faut
pas laisser subsister cette étrange contradic-
tion; car si c'en est une de'jàdans la présente
constitution , c'en serait une bien plus grande
«ncorc après la réforme.
CHAPITRE XY.
Conclusion.
V.
OIT, A mon plan suffisamment esqui5«e'.
Je m'arrête. Quel que soit celui qu'on adop-
tera , l'on ne doit pas oublier ce que j'ai dit
dans le contrat social de l'état de faiblesse et
d'anarchie où se trouve une nation , tandis
qu'elle établit ou reforme sa constitution.
Dans ce moment de désordre et d'ciTervcs-
eence , elle est hors d'état de faire aucune
résistance , e.t le moindre choc est capable
de tout rcnver^;er. Il importe donc de se
ménagera tout prix un intervalle de tranquil-
lité , dnrant leqn^l on puisse sans risque agir
$;ir soi-même et rajeunir sa constitution. Quoi-
que les changfmrns à faire dans la vôtre no
fcient pas fondamentaux et ne paraissent pa«
Z4
404 G O U V E R N E M E N T
fort grands , ils sont suffisans pour exiger
cette pre'caiition , et il faut nécessairement
un certain temps pour sentir l'effet de lameil-
leure réforme , et prendre la consistance qui
doit en être le fruit. Ce n'est qu'en supposant
que le succès réponde au courage des con-
fédérés et à la justice de leur cause , qu'on
peut songer à l'entreprise dont il s'agit. Vous
ne serez jamaislibres tant qu'il restera un seul
soldat russe en Pologne , et vous serez tou-
jours menacés de cesser de l'être , tant qu©
la Russie se mêlera de vos affaires. Mais si
vous parvenez a la forcer de traiter avec vous
conime de puissance à puissance, et non plus
comme de protecteur a protégé , profitez alors
de l'épuisement où l'aura jeté la guerre de
Turquie pour faire votre œuvre avant qu'elle
puisse la troubler. Quoique je ne fasse aucun,
cas de la sûreté qu'on se procure au-dehors
par des traités , cette circonstance unique vous
forcera peut-être de vous étayer , autant qu'il
se peut, de cet appui , ne fût-ce que pour
connaître la disposition présente de ceux
qui traiteront avec vous. ]Mais ce cas excepté
et peut-être en d'autres temps quelques traités
de commerce , ne vous fatiguez j^as à de
vaines négociations, ne vous ruinez pas en
DE P O L O G N E. 40?
ambassadeurs et ministres dausd'autrcs cours,
et ne comptez pas 1î»s alliances et traites pour
quelque chose. Tout cela ne sert de rien avec
1rs puissances chrétiennes : elles ne connais-
sent d'autres liens que ceux de leur intérêt;
quand elles le trouveront a remplir leurs
cnp;agemens , elles les rempliront ; quand elles
le trouveront à les rompre , elles les rom-
pront ; autant vaudrait n'en point prendre.
Encore si cet inte'rét e'tait toujours vrai , la
connaissance de ce qu'il leur convient de
faire pourrait faire prévoir ce qu'elles feront.
Mais ce n'est presque jamais la raison d'Etat
qui les guide , c'est l'intérêt momentané d'un
ministre, d'une fille, d'un favori ; c'est lemotif
qu'aucune sagesse humaine n'a pu prévoir
qui les détermine , tantôt pour, tantôt contre
leurs vrais intérêts. De quoi peut-on s'assurer
avec des gens qui n'ont aucun système ii\e,
et qui ne se conduisent que par des impul-
sions fortuites ? Rien n'est plus frivole que
la science politique des cours : comme clic
n'a nul principe assuré, l'on n'en peut tirer
aucune conséquence certaine , et toute cette
belle doctrine des intérêts des princes est uil
jeu d'enfant qui fait rire les hommes sensés.
Ne vous appuyez donc avec confiance ni
4o5 GOUTE R. IS^ 3 31 E N T
sur vos aUics ni sur vos voisins ; vous n'en,
avez qu'un sur lequel vous puissiez un peu
compter. C'est le gvand-seigneur, et vous ns
devez rien épargner pour vous en "aire uu
appui : non que ses maximes d'Etat soient
beaucoup plus certaines que celles des autres
puissances. Tout y dépend e'galement d'un.
viair jd'uncfavorite , d'une intrigue dese'rail,
mais l'inte'rct de la Porte est clair, simple,
il s'agit de tout pour elle , et généralement
il y règne , avec bien moins de lumière et de
finesse , plus de droiture et de bon sens. On
a du moins avec elle cet avantage de plus
qu'avec les puissances chrétiennes , qu'elle
aime à remplir ses eng=îgemens , et respect©
ordinaircmieut les traités. Il faut tâcher d'eu
faire avec elle un pour vingt ans, aussi clair
qu'il sera possible. Ce traité , tant qu'une
autre puissance cachera ses projets sera
le meilleur peut-être , le seul garant que
vous puissiez avoir , et dans l'état où la
présente guerre laissera vraisemblablement la
Russie, j'estime qu'il peut vous suffire pour
entreprendre avec sûreté votre ouvrage; d'au-
tant plus que l'intérêt coituoiun des puissances
de l'Europe, et sui-tout de vos autres voi-
siias, est de vous laisser toujours pour har-
D E P G L O G IV E. 407
lièrc entr'eux et les Russes , et qu'à force de
cliangcr de folies il faut bien qu'ils soient
çajres an moins quelquefois.
Une chose uie fait croire que 2;e'iierale-
mcnt on vous verra sans jalousie travailler
Il la reforme de votre constitution. C'est que
cet ouvajvc ne tend qu'à l'affermissement de
la législation , par consc'quent de la liberté' ,
et que cette liberté' passe dans toutes les
cours pour une manie de visionnaires , qui
tend plus à affaiblir qu'à renforcer un Etat.
C'est pour cela que la France a toujours fa-
vorise la liberté du corps germanique et de
la Hollande , et c'est pour cela qu'au jour-
d'Iiui la Russie favorise le gouvernement
présent de vSuède , et contre-carre de toutes
SCS forces les projets du roi. Tous ces grands
ministres , qui jugeant les hommes en général
sur eux-mêmes et ceux qui les entourent ,
croient les connaître , sont bien loin d'ima-
giner quel ressort l'amour de la patrie , et
l'élan de la vertu peuvent donner h des aines
libres. Ils ont beau être les dupes de la basse
opinion qu'ils ont des républiques et y
trouver dans toutes leurs entreprises une ré-
sistance qu'ils n'attcMulaient pas, ils ne re-
viendront jajuais d'un préjugé fonde sur le
4o8 GOUVERNEMENT
mépris dont ils se sentent dignes, et sur le-
quel ils appiécicut le genre humain. Malgré
rexpérience assez frappante que les Russes
Tiennent de faire en Pologne , rien ne les
fera changer d'opinion. Ils regarderont tou-
jours les hommes libres comme il faut les
regarder eux-mêmes , c'est-à-dire , comme des
hommes nuls , sur lesquels deux seuls instru-
mens ont prise , savoir l'argent et le knout.
S'ils voient donc que la république de Polo-
gne , au-licu de s'appliquer à remplir ses
coffres, à grossir ses finances, à lever bien
des troupes réglées , songe au contraire à
licencier son armée et à se passer d'argent,
ils croiront qu'elle travaille à s'aflaiblir, et
persuadés qu'ils n'auront , pour en faire la
conquête , qu'à s'y présenter quand ils vou-
dront , ils la laisseront se régler tout à son
aise , en se moquant eu eux-mêmes de sou
travail. Et il faut convenir que l'état de
liberté ote à un peuple la force offensive ,
et qu'en suivant le plan que je propose ou
doit renoncer à tout espoir de conquête. Mais
que , votre œuvre faite , dans vingt ans les
Fwusses tentent de vous envahir , et ils con-
naîtront quels soldats sont , pour la défense
de leurs foyers , ec» hommes de paix qui n«
D E P O L O G N E. 409
«avcnt pas attaquer ceux des autres, et qui
ont oublie' le prix de l'argent.
t Quant à la manière d'entamer l'œuvre dont
il s'agit, je ne puis goûter toutes les subti-
lités qu'on vous propose pour surprendre
et tromper en quelque sorte la nation sur les
changemens à faire à ses lois. Je serais d'avis
seulement, en montrant votre plan dans toute
son étendue , de n'en point commencer brus-
quement l'exc'cution par remplir la république
de mécontcns , de laisser en place la plupart
de ceux qui y sont, de ne conférer les em-
plois , selon la nouvelle réforme , qu'à me-
sure qu'ils viendraient à vaquer. N'ébranlez
jamais trop brusquement la machine. Je ne
doute point qu'un bon plan une fois adopté
ne change même l'esprit de ceux qui auront
eu part au gouvernement sous un autre. Ne
pouvant créer tout d'un coup de nouveaux
citoyens , il faut commencer par tirer parti
de ceux qui existent, et oflrir une route nou-
velle à leur ambition , c'est le moyen de les
disposer à la suivre.
(^ue si, malgré le courage et la constance
des confédérés, et malgré la justice de leur
pause, la fortune et toutes les puissances les
^b^qdonuent et livrent la patrie à ses op-
410 GOUVERNEMENT
jvicsscnrs mais je n'ai pas riionuciir
d'être polonais ; et dans une situation pa-
reiilc a celle où vous êtes, il n'est permis d«i
donnerson avis que jjar son exemple.
Je viens de remplir, selon la mesure de
mes forces ( et plut à Dieu que ce fût avec
autant de succès que d'ardeur ) la tâche quo
M. le comte JP'ielhorski m'a imposée. Peut-
être tout ceci n'cst-il qu'un tas de chimères ,
jnais voilà mes ide'es : ce n'est pas ma faute
si elle? ressemblent si peu à celles des autres
hounnes , et il n'a pas dépendu de moi d'or-
ganiser ma tête d'une autre façon. J'avoue
même que quelque singularité qu'on leur
trouve , je n'y vois rien quant à moi que de
bien adapté au cœur humain , de bon , de
praticable , sur-tout en Pologne , m'étant
appliqué dans mes vues à suivre l'esprit de
cette république , et à n'y proposer que le
moins de changcmeus que j'ai pu pour
en corriger les défauts. 11 me semble qu'un
gouvernement monté sur de pareils ressorts
doit marcher à son vrai but aussi directe-
ment , aussi sûrement , aussi long-temps qu'il
estpossible ; n'ignorant pas , au surjîlus , que
tous les ouvrages des hommes sont imparfaits_,
passagers et périssables comme eux.
DE POLOGNE. 41 1
J'ai omis à dessein beaucoup d'aiLcles
tiès-ini[)ortans sur lesquels je ne me scnlais
])as les luniièies suffisantes pour en bien
jnj^er. Je laisse ce soin à des Iioinnîv's plus
éclaires et plus sages que ïuoi, et je uiets fin
à ce long fatras , en fesant a M. le comte
ff'ielJior^kl mes excuses de l'en avoir occu-
pe si long-temps. (Quoique je pense autrement
que les autres hommes, je ne me flatte ])as
dVtre plus sage qu'eux, ni qu'il trouve dans
mcii rêveries rien qui puisse être réellement
utile à sa patrie ; mais mes vœux pour sa
prospc'ritc' sont trop vrais, trop ]nHs, trop
desintc'rcsses pour que l'orgueil d'y eonlri-
hucr puisse ajouter à mou zèle. Puisse-t-elle
triojnpiier de ses ennemis , devenir , demeu-
rer paisible , heureuse et libre , donner un
grand exemple à l'univers, et, profitant des
travaux patriotiques de M. le comte ï^iel-
horski , trouver et former dans son sein
beaucoup de citoyens qui lui ressemblent î
Fin du deuxième et dernier volume-.
TABLE
DES PIÈCES,
LIVRES ET CHAPITRES
CO^sTETsUS EX CE VOLUME.
CONTRAT SOCIAL.
LIVRE I.
Oh Von recliej-che comment Vhomme passe de
Vétat de nature à Pctat civil , et quelles
senties conditions essentielles du pacte.
c
aAPiTRE PREMIER. Sujet de ce premier
livre. page 4
C H A p. II. Des premières socictcs. 5
C H A p. III. Du droit du plus fort. 9
C H A p. IV. De V esclavage. 1 1
C K A p. V. Qu'il faut toujours remonter à
une premièT-e convention^ 18
C H A p. VI. Du pacte social. 20
C H A p. VII. Dfi souverain, 26
Chap. VIII. De Vétat civil. 29
C H A p. IX- Du domaine réeL 3i
i.IVRE
TABLE. 4i3
LIVRE II.
oh il est traité de la h'gislation.
Chapitre premier. Que la souveraineté
est inaliénable. P^g^ 36
C H A p. II. Que la souveraineté est indi^
visible. .38
C H A p. III. Si la volonté générale peut
errer. 4 r
C n A p. IV. Des bornes du pouvoir souve-
rain. 44
C n A p. V. Du droit de vie et de mort. 5r
C H A p. V I. De la loi. 64
C n A p. VII. Du législateur. 60
C H A p. VIII. Du peuple. 67
C H A p. IX. Suite. 71
C H A p. X. Suite. 75
C H A p. XI. Des divers systèmes de légis-
lation. 80
Chap. XII. Division des lois. 85
LIVRE III.
Oh il est traité des lois politiques , c'est-à-
dire de la forme du gouvernement.
Chapitre premier. Du gouvernement en
général. P^ge 88
Fçliti^uc, Xosie 11^ A a
144 T A B L E.
Chap. II. Du principe qui constitue les
diverses formes de gouvernejuent. 98
Chap. III. Dipisio7i des gouvernemens.
io3
Chap. IV. De la démocratie. loS
Chap. Y. De V aristocratie. 109
Chap. VI. Delà monarchie. ii3
Chap. VII. Des gouçernemens mixtes,
123
Chap. VIII. Que toute for-me de gouf^'er-
nement n'est pas propre à tout pays. 126
Chap. IX. Des signes d'un bon gout^er-
nement. i36
Chap. X. De Vahus du gouvernement et
de sa pente à dégénérer. i33
Chap. XI. De la mort du corps poli-
tii/ue. 146
Chap. XII. Comment se maintient V au-
torité souveraine. 147
Chap. XI il. Suite. 149
Chap. XIV. Suite. i52
C zi A p. XV. Des députés ou représen^
tans. t53
Ch a p. XVI. Que r institution du goure j--
nejncTit n'est point un contrat» j6o
T A B T E. 4iîi
CnAP. XVII. De V institution du gou-
çerncmcnt. 162
Chap. XVIir. Moyen de prévenir les
usurpations du gouvernement. i65
LIVRE IV.
On continuant de traiter des lois politiques j
on expose les moyens d^ affermir la cons*
ti tut Ion de V JE ta t.
Chapitre premier. Que la volonté gené^
raie est indestructible. i6(^
CnAP. II. Des suffrages. lyS
Chap. III. Des élections. lytJ
Chap. I V. Des comices romains, 182
C H A P. V. Du tribunal. 20i
Chap. VI. Delà dictature. 2o5
Chap. VII. De la censure. 210
Chap. VIII. De la religion civile. 2 1 3
Chap. IX. Conclusion. 284
4i6 T A B L E.
GOUVERNEMENT
DE POLOGNE.
VjhAPITRE premier. Etat dtla questionl
C H A p. II. Esprit des anciennes institua
tions. 243
C H A p. III. Application, 24^
C H A p. IV. Education. 263
C H A p. V. P^ice radical. 272
C H A p. VI. Question des trois ordres. 27 S
C H A p. VII. Moyens de maintenir la cons-
titution. 280
Chap. VIII. Du roi. 809
C ff A p. IX. Causes particulières de Va-
narchie. 819
Chap. X. Administration. 333
Chap. XI. Système éconojniijue. 33o
Chap. XII. Système inilitaire. 35.>
Chap. XIII. Projet pour assujétir à
une marche graduelle tous les membres
du gouvernement. 870
Chap. XIV. Election des rois. S09
Chap. XV. Conclusion. 40-J
Fiu de la Taille du Tome secoud.»
'■:t-