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Full text of "Oeuvres complettes de J.J. Rousseau, citoyen de Genève"

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N^  m  I  te 


[^<f^lÇo 


Library 

of  the 

University  of  Toronto 


COMPLETTES 


DE  J.  J.  ROUSSEAU. 


V  R  E  s 


COIVIPLETTES 


DE    J.  J.    ROUSSEAU 


Citoyen  de  Genève. 


NOUVELLE       É  D  I  1'  I  O  W. 


TOME    VINGT-SIXIÈME. 


A    PARIS, 

TiRMN  .  T  ibiHÙe,  riit?  St.  Jarqiics,  n**.  26^ 
(j\u  I  E,  !  uf  (ic  la  Harpe,  n".  i:,o. 
«iioi^  C'nàcoinn,  nie  ilii  Coq  St.  Honoré. 

>  on,AHD  ,  quai  des  Aiigusiins  ,  a".  25» 

1793. 


Digitized  by  the  Internet  Archive 

in  2010  witii  funding  from 

University  of  Ottawa 


littp://www.archive.org/details/oeuvrescomplette26rous 


ELANGES. 

TOME    CINQUIÈME. 


Mélanges.  Tome  V. 


TRADUCTION 

DU  LIVRE  PREMIER 

DE    L'HISTOIRE 

DE  TACITE. 


À    2 


AVERTISSEMENT. 


u  A  ND  j'eus  le  malheur  de  vouloir 
parler  au  public  ,  je  sentis  le  besoin 
d'apprendre  à  écrire,  et  j'osai  m'es- 
sayer  sur   Tacite.  Dans   cette  vue , 
entendant  médiocrement  le  latin, 
et  souvent  n'entendant  point  mon 
auteur,  j'ai  du  fliire  bien  ùes  contre- 
sens particuliers  sur  ses  pensées  ; 
mais  si  je  n'en  ai  point  fait  un  géné- 
ral sur  son  esprit,  j'ai  rempli  mon 
but  ;  car  je  ne  cherchais  pas  A  ren- 
dre les  phrases  de  Tacite ,  mais  son 
style  ,  ni   à  dire  ce  qu'il  a  dit   en 
latin  ,  mais  ce  qu'il  eût  dit  en  fran- 
çais. 

Ce  n'est  donc  ici  qu'un  travail 
d'écolier  ,  j'en  conviens  ,  et  je  ne 
le  donne  que  pour  tel  :  ce  n'est  de 
plus  qu'un  simple   fragment  ,    un 


^AVERTISSEMENT.  5 
essai,  j'en  conviens  encore;  un  si 
rude  jouteur  m'a  bientôt  lassé.  Mais 
ici  les  essais  peuvent  être  admis  en 
attendant  mieux ,  et  avant  que  d'avoir 
une  bonne  traduction  complète  , 
il  faut  supporter  encore  bien  des 
thèmes.  C'est  une  grande  entreprise 
qu'une  pareille  traduction  :  quicon- 
que en  sent  assez  la  difficulté  pour 
pouvoir  la  vaincre ,  persévérera  diffi- 
cilement. Tout  homme  en  état  de 
suivre  Taclto.  est  bientôt  tenté  d'aller 
seul. 


A  3 


C.  CORNELII 

T  A  C  I  T  I 

HISTORIARUM 
LIBER    I. 

J.TÏITIUM  mibi  opcris  S cr.  Galba  itcrùm  ^ 
T.  p'iniiis  consulcs  ciinit.  Naui  post  condi- 
tam  url)cm  dcc  et  x  x  prions  œvi  aniios 
niulti  auctores  rctiilerunt  ;  duui  rcs  populi 
Romaui  meuiorabautur  pari  eloquentiâ  ac 
libcrtatc.  Postquam  bellatuin  apud  Actiuin, 
atque  onuicm  potestatcm  ad  mniiu  couferri 
pacis  inlcrfuit  ;  magna  illa  ingénia  ccsscrc. 
Siinu!  veritaspluriljii^niodiïiufracta,  priniùm 
iiiscitia  rcipublicaî  ut  abcn;c ,  luox  bbidina 
asscntandi  ,  aul  rurïijs  odio  advcrsùs  doniî- 
iiaiitcs.  Jla  nciilris  cura  posterilatis  ,  inlcr 
inrcusos  vcl  obnoxios.  Sed  ambilioneni  scrip- 
toris   ûicilè    advvrscris  :  obtrcc(alio    et   livor 


TRADUCTION 

DULIVREPREMIER 

DE    L'  HISTOIRE 

DE    TACITE. 


J  E  commencerai  cet  oiivraî^e  parle  second 
consulat  de  Galba  et  l'urtiquc  de  p'iniiis. 
Les  720  premières  années  de  Rome  ont  cté 
décrites  par  divers  auteurs  avec  réioquence 
et  la  liberté  dont  elles  étaient  dignes.  Mais 
après  la  bataille  d'Actium ,  qu'il  fallut  se 
donner  un  maître  pour  avoir  la  paix  ,  ces 
grands  génies  disparurent.  L'ignorance  des 
aflaircs  d'une  republique  devenue  étrangère 
à  ses  citoyens,  le  goût  effréné  de  la  flatterie  , 
la  haine  contre  les  chefs  ,  altérèrent  la  vérité 
de  mille  nranièrcs  -,  tout  fut  loué  ou  blâmé 
par  passion  ,  sans  égard  pour  la  postérité  : 
mais  en  démêlant  les  vues  de  ces  écrivains  , 
elle  se  prêtera  plus  volontiers  aux  traits  do 
l'envie  et  de  la  satire,  qui  flatte  la  m:iligaité 

A  4 


8  TRADUCTION 

prouis  auribus  accipiuntur  ;  quippe  adula- 
tioni  fœdnin  crimen  scivitiUis  ,  jualignitati 
falsa  specics  libertatis  iiiest.  Milil  Galba  , 
Ctiio  ,  f^it''Uius  \  11  ec  beiieficio  nec  injuria 
coguiti.  Digiiitateni  nostram  à  P'espasiano 
inchoaiain  ,  à  Tito  auctaiu  ,  à  Dotnitiano 
longiùs  provectaui  non  abuueriin  ;  sed  incor- 
rnptam  fidcui  profcssis  ,nec  amorc  quisquam  , 
et  sine  odio  dicendus  est.  Quod  si  vita  sup- 
peditct  principatum  divi  JVer^-œ  ,  et  iiiipe- 
riuin  Trajani  ,  iiberiorem  sccurioremnne 
inalcriam  senecluti  scposui  ;  laià  teuiporum 
felicitate  ,  xibi  scnlire  quœ  vclis  ,  et  qiiaa 
sentias,  dicere  llcct. 

Opus  aggrcdior  opimura  casibus  ,  atrox 
prœliis,  diseorsseditionibus  ,ipsâctiain  pace 
saevum.  Quatuor  principes  ferro  iutcrempti  , 
tria  bclla  civilia  ,  plura  extcrna  ,  ac  plerum- 
quc  pcruiixta.  Prospéra;  in  Oriente  ,  advcrsaj 
in  Occidenteres  ;  lurbatuiiilllyricum  ;  Galliœ 
nutaute»  ;  pcrdouiita  Britaunia  ,  et  statiin 
ainissa;  coortae  in  nos  Sarmatarum  ac  Sue- 
Torum  gentes  ;  nobilitatus  cladibus  mutuis 
Dacus  ;  mota  ctiam  propè  Paithorum  arma 


DU  LIVRE  T.  DE  TACITE.         9 

parun  faux  air  d'iiidcpeiidance  ,  qu'à  lo  basse 
adulation  qui  marque  la  servitude  et  rebute 
par  sa  làclicte.  Quant  à  moi,  Galha ,  T'itel- 
lius  j  Othon  ,  ne  m'ont  fait  ni  bien  ni  mal. 
T^espasien  connnença  ma  fortune ,  Tite  l'aug*" 
menta,  Vomitlen  l'acheva  ,  j'en  conviens  ; 
mais  un  historien  qui  se  consacre  à  la  vérité 
doit  parler  sans  amour  et  sans  haine.  Que  s'il 
inc  reste  ?ssez  de  vie  ,  je  reserve  pour  ma 
vieillesse  la  riche  et  paisible  matiè're  des  xh- 
gnesdcxVtWiTictde  Trajan  ;  rares  et  heureux 
temps  où  l'on  peut  penser  librement  ,  et  dire 
ce  qne  l'on  pense. 


J'entreprends  une  histoire  pleine  de  catas- 
trophes ,  dcccmi)ats,  de  séditions,  terrible 
même  durant  la  paix.  Quatre  empereurs  égor- 
g'-s  ,  trois  guerres  civiles  ,  plusieurs  étran- 
gères ,  et  la  plupart  mixtes.  Des  succès  en 
Orient ,  des  revers  en  Occident  ;  des  troubles 
eu  lilyric  ;  la  Gaule  ébranlée  ,  l'Anj^lcterre 
conquiscet d'abord  abandonnée;  les  Sarmatcs 
et  les  Suèves  commençant  à  se  montrer  ;  les 
Daces  illustrés  par  de  mutuelles  défaites  ;  les 
l?artbcs  ;oués  par  uu  faux  jScron  ,  tout  prêts 

A  & 


ïo  TRADUCTION 

falsi  iV^eron/^  ludibrio.  Jaui  vcro  Italia  novis 
cladibus,  vcl  post  longaiu  saecrxloruiu  sériera 
repetitis  ,  aiïîicta  ;  liaiistae  aut  obiuta;  iirbes 
fccuiidissimâ  CaMipanifX  orà  ;  urlis  iiicen- 
diîs  vastata  ,  coiisiimptis  aiitiquisssiiiiis  dclu- 
briis,  ipso  Capitolio  civiuui  maulbiis  inccuso; 
pollutœ  cœriinoniœ  ,  magna  adiiltcria  ,  plé- 
num essiliis  uiarc  ,  infccti  CEcdibus  scopuli  ; 
Atrociùs  in  mbe  saevitum  ;  nobilitas  ,  opes  , 
oniissi  gestique  honores  pro  ciiiniuc  ,  et  ob 
virtutes  certissiiiiuni  exitimu.  Nec  iniiiùs 
praeuiia  delalorinn  iuvisa  qiùun  scclera  ;  cùm 
alii  sacerdotia  etconsulatus  ut  spo'.ia  adcpti, 
procuratlones  alii  et  iiiterioiein  potriiliana 
agerciit  ,  fcneiit  cuncta  :  odio  et  tcrrore  cor- 
rnpti  iu  doniinosscrvi,  in  patronos  îiberti  :  et 
quibus  decrat  iuimicus  ,  pci"  amicos  op- 
piessi. 


Non  tamen  adeb  V^rtutum  stérile  saeculum, 
lit  non  et  bonû  exempla  prodiderit.  CoiuilataB 
profugos  liberos  matrcs  ,  sicutsc  uîaritos  in 
cxilia  coiijugcs  ,  propinqui  audcutes,  cous- 


DU  LIVRE  I.  DE  TACITE.      ir 

%  prendre  les  armes.  L'Italie  ,  après  les  nial- 
Iieurs  de  taut  de  siècles  en  proie  à  de  nou- 
veaux desastres  dans  celni-cf  ;  des  villes  écra- 
sées ou  consvimées  dans  les  fertiles  régions  de 
la  Canipanie  ;   Rom,e  dévastée  par  le  feu,  les 
plus  anciens  temples  brûlés,  le  Capitolcméir.e 
livré  aux  flammes  par  les  mains  des  citoyens  ; 
le  culte  profané  ,  des  adultères  publies  ,  les 
iners  couvertes  d'exilés  ,  les  îles  pleines  de 
meurtres;  des  cruautés  plus  atroces  dans  la 
capitale  où  les  biens,  le  rang,  la  vie  privée 
ou  publique  ,   tout  était  également  imputé  à 
crime  ,  et  où    le    plus   irrémissible    était  la 
vertu.  Les  délateurs  ,  non  moins  odieux  pat 
leurs  fortunes  que  par  leurs  forfits  ;   les  uns 
fesaient  trophée  du  sacerdoce  et  du  consulat, 
dépouilles  de  lours  victimes  ;   d'autres  tout- 
puissans  tant  au-dedans  qu'au-dehors  ,  por- 
tant par-tout  le  trouble  ,  la  haine  ,  et  l'cflroi  j 
les   maîtres    trabis    par    leurs    esclaves  ,     les 
patrons  par  leurs afirancbis  :  et  pour  comble, 
enfin  ,     ceux    qui    manquaient    d'ennemis  , 
opprimés  par  leurs  amis  mêmes. 

Ce  siècle  si  fertile  en  crimes  ne  futpourtaitt 
p.issansvcrtus.  On  vit  desmèresaccompagner 
leurs  ciifaiis  dans  leur  fuite,  des  fcnnncs 
suivre  leurs  maris  eu  c>£il  ,  des  jv;reus  iulié- 

A  r> 


Î2  TRADUCTION 

lantes  gcneri  ,  contiimax  etiam  adversù» 
tonneiita  scrvoriim  fitles.  Siipremae  clarorum 
TÏroruJn  nécessitâtes  ,  ipsa  nécessitas  fortiter 
tolcrata  ,  et  laudatis  aiitiqncïruin  tnorlibus 
pares  exitus.  Praetcr  multipllces  rcniin  Imma- 
liaruui  ccisus,  cœlo  teriâque  prodigia  ,  et  fui- 
rninùm  moiiilus,  et  Fiiturorum  pvsesagia,  laeta, 
tristia  ,  ainbigna  ,  maniffsta.  Nec  eniiti  un- 
quam  aliociorihus  popiili  Rouiani  cladibiis, 
ïnagisve  justis  iud.ciis  npprobatnni  est,  non 
esfe  curcc  Dois  secuiitatem  iiostram  ,  esse 
ultionem. 

Csctcrùm  antcquam  dcstinata  tomponam, 
repctcnduui  videtnr  ,qnalis  status  urJ)!S  ,  quae 
ïncns  cxcrcituuni  ,  qnis  habitus  provincia- 
rum ,  quid  iu  toto  terrariini  orbe  validum  , 
quid  ïegrnui  furrit  ;  ut  non  r.:odb  casas 
evciitusquc  rcruin  ,  qui  plcruniqnc  fortuiti 
sunt ,  scd  ratio  etiam  canss;rqiic  noscantur. 

Finis  J\  eronis  y  ut  hrtus  piluio  >;  ludcn- 
tium  iinpctu  fucrat  ,  ita  varies  uiotus  ani- 
ïnorum  ,  non  modo  in  urbe  apiid  patres  ,  aut 
populum  ,  aut  urbanum  niiliteni  ,  sed  onuies 
Icgioucs  ducesque,  coucivcrat.  EviilyaKj  im- 


DU  LIVRE  I.  DE  TACITE.       i3 

picles  ,  fies  s7;rndies  inébranlables,  des  esclave» 
nicme  à  re'preuve  des  tounnena.  Ou  vit  de 
graiids-lioiiiincs,  fermes  dans  toutes  les  ad ver- 
site's  ,  porter  et  quitter  la  vie  avec  uuc  cons- 
tance digne  de  uos  percs.  A  ces  multitudes  d'é^ 
vèuemens  humains  se  joignirent  les  prodiges 
du  ciel  et  de  la  terre  ,  les  signes  tirés  de  la 
foudre,  les  prcsngcs  de  toute  espèce,  obscurs 
ou  manifestes,  sinistres  ou  favorables.  Jamais 
les  plus  tristes  calamités  du  peuple  Romain, 
jamais  les  plus  justes  jugeuiens  du  ciel  ne 
jnontrèreut  avec  tant  dV-vidence  que  si  les 
Dieux  sojngent  à  nous,  c'est  moins  pour  nous 
conserver  que  pour  nous  punir. 

Mais  avant  que  d'entrer  en  inaticrc  ,  pour 
développer  les  causes  des  événemens  qui 
semljjent  souvent  l'crict  du  hasard  ,  il  con- 
vient d'exposer  l'état  de  llonie  ,  le  génie  des 
armées  ,  les  mœurs  des  provinces  ,  et  ce  qu'il 
y  avait  de  sain  et  de  corrompu  dans  toutes 
les  régions  du  monde. 

Apres  les  premiers  transports  exeilés  p;;r 
la  mort  de  Néron  ,  il  s'était  élevé  des  niou- 
vcmeus  divers  non-seulement  au  sénat  , 
parmi  le  peuple  et  les  bandes  prétoriennes, 
UJais  ciilrc  tous  les  chefs   et   dans   toutes  1«» 

A  7 


ï4  TRADUCTION 

perli  arcaiio  ,  posse  priucipcm  alibi  qiiàm 
Koinaî  ticii.  vScd  patres  hcti  ,  usurpatà  statiin 
libertatc  ,  licentiùs  ut  crga  principem  iicvuui 
et  abseutcin  ;  priinorcs  eqnitiun  proximi 
gaudio  patium.  Pars  popun  intégra  ,  et  mag-t 
iiis  domib\is  annexa,  clientes  liber  tique  dam- 
l^atorum  et  exsulum  ,  in  speui  crccti.  Plebs 
sordida  et  circo  ac  tlieatvis  sueta  ,  siuiul 
dcterriuii  servoruni  ,  aut  qui  adcsis  bonis  , 
per  dedrcus  Keiouis  ,  alcbantiu" ,  ma??ti  et 
?uuiorum  avidi. 


Miles  urbanus  lougo  Cscsarum  sacramento 
imbutus  ,  et  ad  destitucndum  Xcrouein  art© 
niagis  et  inipulsu,  quàui  suo  ingenio  Iraduc^ 
tus  ,  postquain  ncquc  dari  donativuni  sub 
HQitiiue  Gaiàœ  prouiissum  ,  ncquo  nvaguis 
ineritis  ac  praemiis  cumdcui  in  pace  ,  quem  in 
beUo,  locuni,  praeventamquegratiamiutellir-i 
Çit  ,  apud  principem  à  Icgionibus  ftictum  , 
prouus  ad  novas  res  ,  sct-lere  in.snpcr  Nym^ 
ffiidii  sabini  pv.Tfccti  iuiperium  sibi  ma-^ 
Uçutiç  agitatuv.  Kt  ^yjiiphidius  quidem  ïh 


DU  LIVTxE  r.  DE  TACITE.       i5 

]<5gions.   Le  secret  de  l'empire  était  euBu  de- 
voilé,  et  l'on  voyait  que  le   prince   povivait 
s'élire  ailleurs  que  dans  la  capitale.  Mais  le 
sénat  ivre  de  )oic  se  pressait  sons  uu  nouveau 
prince  encore  éloigne  ,  d'abuser  de  la  liberté 
qu'il    venait    d'usurper  ;    les   principaux    de 
rordreéqucstreu'étaieut  guèrenioiuscontens. 
La  plus  saine  partie  du  peuple  qui  tenait  aux 
grandes  maisons  ,   les   cliens  ,   les   affranchis 
des  proscrits  et  des  exilés,  se  livraient  à  l'es- 
pérance. La  vile   populace  qui    ne   bour^eait 
du  cirqvie  et  des  tliéàtres  ,  les  esclaves  per- 
fides ,    ou   ceux    qui   à  la   honte  de    ]S cron 
vivaient    des    dépouilles   des  gens   de  bien, 
s'alHigeaicutctnecherchaicntquedcs  troubles. 
La  milice  de  Rome  de  tout  temps  attachée 
aux  Césars,  et  qui  s'était  laissée  porter  à  dé- 
poser Néron  plus  à  force  d'art  et  de  sollicita- 
tions que  de  son  boa  gré  ,  ne  recevant  point 
ledonatif  promis  au  nom  de (7^//^^  ,  jvi5;ciint, 
de  plus ,   que  les  services  et  les  récompenses 
militaires  auraient  moins  lieu  durant  la  paix  , 
et  se  vo3'ant  prévenue  dans  la  faveur  du  prince 
par  les  légions  qui  l'avaient  élu  ;  se  livrait  à 
son  pencliaiit  pour  les  nouveautés,  excitée 
par  la  trahison  de  sou  préfet  Nymphidiits 
<jui  aspirait  à   rcmpire.  JSfyinpfiydius  périt 


i6  TRADUCTION 

ipso  conatii  oppic>;sus  ;  secl  quamvis  capU'e 
defcctionis  ablato,  mancbat  plerisqnc  inili- 
tuui  couscteiitla  ;  ncc  decrant  scrinonos 
seninin  atque  avaiitiam  Galbœ  iucropantiuîn. 
Lau:lata  olim  et  militari  famâ  celebrata  scvc- 
ritas  c')iis  angehat  adsperuaiitcs  vctcrciii 
disciplinam  ,  atqiic  ita  xiiii  aunis  à  Nerone 
assuelv.ctos  ,  ut  liaud  miuiis  vitia  pvincipmn 
ouiarent  ,  quàm  olim  virtutes  vcrchancur. 
Accessit  Gnlhœ  vos  pvo  ropiihllcà  hoursta, 
ipsi  anccps  ,  Ic^i  à  se  militcm  ,  non  cmi  ; 
nec  euim  ad  liane   Foniia:n  cxtcra  oiaiit. 

Invalidwm  senem  T.  T'iniiis  et  Cornélius 
Laco  ,altei-  dcten-i!mismortaliuin,altcv  igna- 
vissimus,  odio  flagitionmi  oneratmu ,  con- 
teiiiptu  inertiœ  destrucl)aiit.  Taidnin  Galhar 
itcr  et  cruciilum  ,  iiîtcifcctis  Cingovio  T  cir- 
rone  consulc  desigunto  ,  et  Petionio  Tvr- 
piliano  consulari  ;  illc  ut  .Vv/«/V//Jz7socius  , 
hicutdux  Neroiiis,  \\\  urliti  atquc  iniUTcnsi , 
tanquam  innocentes  pciici;int.  lulioitus  in 
uihcm  ,  trucidatis  tôt  millibus  inerminm 
militum,  infanstus  ominc  ,  atque  ipsis  etiam 
qui  occidoraut  formidolosus.  Induclâ  kslou-» 


DU  LIVRE  I.  DE  TACITE.       17 

dans  cette  entreprise;  msis  après  avoir  perdu 
le  clicfdc  la  sédition,  SCS  complices  ne  l'avaient 
pr,s  oubliée  ,  et  fçlosaient  snr  la  vieillesse  et 
l'avarice  de  Galha.  Le  bruit  de  sa  se'vérilé 
jnilitaire  ,  nntrcfois  si  louée,  alarmait  ceux 
qui  ne  pouvaient  souffrir  l'ancienne  disei- 
ipline  ;  et  qtiatorze  ans  de  relàclieinent  sous 
Néron  leur  fesaient  autant  aimer  les  vices  de 
leurs  princes  que  jadis  ils  respectaient  leurs 
vertus.  On  rc'pandait  aussi  ce  mot  de  Galha  , 
qui  eût  fait  liouneur  à  un  prince  plus  libéral , 
mais  qu'on  interprétait  par  son  Immcur  :  Je 
sais  clioisir  mes  soldats  et  non  les  aclictcr. 

T'iiiius  et  Lacoii ,  l'un  le  plus  vil  et  l'autre 
le  pins  méchant  des  liommes,  le  décriaicnl 
parleur  conduite  ;  et  la  haine  (!e  Icius  forfaits 
rctoail)aitsursonindoîcncc.Cepenc!ant6'^/7^i» 
venait  Icntenient  et  ensanf:;îautait  sa  route; 
il  fit  n)ourir  f^arron  consul  désigné  ,  comme 
complice  de  Nymphidiu.";  ^  et  Trn-piîien 
consulaire,  comme  {général  de  N t ton  :  \.ow% 
deux  exécutés  sans  avoir  été  entendus  et  sans 
for::ie  de  procès  ,  passèrent  pour  innoccus?. 
A  son  arrivée  ,  il  (il  ér.or^er  par  milliers  les 
soldats  désrjrniés  ;  présage  funeste  pour  sou 
rè;^nc,etde mauvais  augure  mêiuc  aiLX  meut- 


i8  TRADUCTION 

Hispanâ  ,  remaueute  ea  qaain  è  classe  Nero 
coiiscripserat ,  plena  urbs  exercitu  iusolito  ; 
multi  adhoc  numeri  c  Gcrmauiâ  ac  Biitauuiâ 
et  Illyrico  ,  qiios  idem  Nero  electos  praemis- 
sosque  ad  claustra  Caspiaruin  ,  et  bellura 
quod  in  Albanos  parabat,  opprimendis  Vin- 
dicis  cœptis  revocaverat  :  Ingens  novis  rébus 
materia ,  ut  non  in  unum  aliquem  prono 
favore  ,  ita  audenti  parata. 

Forte    congruerat    ut    Clodii   M  ci  cri    et 
Fonteii  Capitonis  cscdcs  nunclarentur.  J/a- 
crum    in    Afrlcà    liaud    duble    turbantem  , 
Trebonîus   Garucianus    procurator  ,    jussu 
Galbœ  :  Capitonem  in  Gernianiâ,  cvim  simi- 
lia  cœptaret ,  Cornélius  Aquinns  et  Fabius 
yahns  legati  Jcgionum  intcrfcceraut  ,  ante- 
quani  juberentur.  Fuére  qui  credcrcnt  Capi- 
tonem ,   ut   avaritià    et    libldinc  fœdum    ao 
maculosum  ,  ita  cogitatione  rerum  uovarunx 
abstinuissc  ;  sedàlegatis  bellum  suadentibus  , 
postqnara  impellerc  ncquivcrint,  crimen   ac 
doluni  compositum  ultrô  ;  et  Galbam  vuobi- 


DU  LIVRE  I.  DE  TACITE.       19 

triers.  La  légion  qu'il  amenait  d'Espagne 
jointe  à  celle  que  Néron  avait  levée  ,  rempli- 
rent la  ville  de  nouvelles  troupe»  qu'augmen- 
taient encore  les  nombreux  dctachemens 
d'Allemagne  ,  d'Angleterre  ,  et  d'IHyrie  , 
choisis  et  envoye's  par  Néron  aux  portes 
Caspiennes  oti  il  préparai  t  la  guerre  d'Albanie, 
et  qu'ils  avaient  rappelés  pour  réprimcrles 
xnouvemcnsde/^/«cffa-.-  tous  gens  à  beaucoup 
entreprendre,  sans  chef  encore ,  mais  prêts  à 
servir  le  premier  audacieux. 

Par  hasard  on  apprit  dans  ce  même  temps 
les  meurtres  de  Macer  et  de  Capiton.  Galba 
Ct  mettre  a  mort  le  premier  par  l'intendant 
Garucianus  ,  sur  l'avis  certain  de  ses  mouve- 
mens  en  Afrique;  et  l'autre  commençant  aussi 
à  remuer  en  Allemagne  ,  fut  traite  de  même 
avantl'ordrcciu  prince  par^</7//«7/.yct/>''û/£// .y, 
lieutenaus -généraux.  Plusieurs  crurent  que 
Capiton  ,  quoique  décrié  pour  son  avarice 
Gt  pour  sa  débauche  ,  était  innocent  des 
trames  qu'on  lui  imputait  ;  mais  que  ses  lieu- 
tenaus s'étant  vainement  cITorcés  de  l'exciter  à 
la  guerre  ,  avaient  ainsi  couvert  leur  crime  ; 
et  que  Galba  ,  soit  par  légèreté,  soit  de  peur 
d'eu  trop  apprendre,  prit  le  ^iarti d'approuver 


to  TRADUCTION 

litate  ingeuii  ,  au  ne  ôltiùs  scrutarctur  ^ 
çuoquo  inodo  acta  ^  quia  mutari  uou  pote- 
rant,  comproljassc.  Cœtcrùm  utiaque  csedcs 
sinistré  ;  cccpta  :  t-t  inviso  semcl  principe, 
seu  bcne  scu  niale  facta  preniuiit.  Jam  affcrc- 
hant  venalia  cuncta  prappotcnlcs  liberti  ; 
servoruni  maniis  subills  avid.T  ,  et  tanquam 
apud  sencm  fcstinant('S  ;  ca  icmqne  nov.-e 
aulae  mala ,  a?què  gravia  ,  non  ôrquc  cxcnsata. 
Ipsa  actas  Gclhœ  ot  irrisui  ac  fastirlio  crat  , 
assuetisjuvenla:7\>/-o/;/.?,ctimp(ratortsfonuâ 
ac  décore  cor])oris(  ut  est  mos  vulrj  )  couipa- 
lautibns.  Et  hic  qnidcni  Roiua?  ,  tanquaia 
in  bautâ  nuiîtitudjne  ,  liôbilus  animorum  fuit. 

E  provinciiSjHispani.-rprnccrat  ClnriitsRu- 
y«.ç,virfcicun  lus  ,  et ,  p-cisartibus  ,  brlli  inex- 
pcrtns.  Galliœ,  8\iper  nieuioriam  ï'indicisy. 
obbgat.T  rrcenti  donc  romanss  civilatls,  et 
in  poslcrnni  trllmli  Icviuicnto.  rvoxinsar 
tauien  Gcritianis  cvorcitibus  Galiiaruni  civi- 
tatcs  ,  non  codcai  honore  habilir  ,  quacdam 
etiam  finibus  adcniptis  ,  pari  dolore  corn- 
moda    aljeua   ac  suas   in;urias   uieuebantuis. 


DU  LIVRE  I.  DE  TACITE.       2i 

une  conrluite  qu'il  ne  pouvait  pîus  réparer: 
Quai  qu'il  eu  soit,  ces  assassinats  tirent  uii 
mauvais  effet  ;  car,  sous  un  prince  une  fois 
odieux  ,  tout  ce  qu'il  fait ,  bien  ou  laal ,  lui 
attire  le  même  blâme.  Les  affranchis,  tout- 
puissans  à  la  cour  ,  y  vendaient  tout  ;  les 
csclives  ,  ardens  à  profiter  d'une  occasion 
passagère,  se  hâtaient  sous  un  vieillard  d'as- 
souvir leur  avidité;  on  e'prouvait  toutes  les 
calamités  du  règne  précédent  sans  les  excuser 
de  même.  Il  n'y  avait  pas  jusqu'à  l'àgc  de 
Galba  qui  n'excitât  la  risée  et  le  mépris  dvi 
peuple  accoutume  à  la  jeunesse  de  A  cron  , 
et  à  ne  juf^er  des  princes  que  sur  la  figure. 
Telle  était  à  Rome  la  disposition  d'esprit 
la  plus  générale  chez  une  si  grande  multitude. 

Dans  les  provinces,  /?  7/,^// i',  beau  parleur, 
et  bon  chef  eu  temps  de  paix  ,  ii«is  sans  expé- 
rience militaire  ,  commandait  en  Espagne. 
LcsGauIes  conservaient  Icsouvenirdc  y  index 
et  des  faveurs  de  Galha  ,  qui  venait  de  leur 
accorder  le  droit  de  bourgeoisie  ilsmaine,  et 
de  plus  ,  la  suppression  des  impôts.  Ou 
excepta  j)()urtant  de  cet  honueur  les  villes 
voisines  des  armées  d'Allemagne,  et  l'on  en 
priva  même  plusieurs  de  leur   territoire  ;  c© 


35  TRADUCTION 

Germanici  excrcitus  ,  quod  periculosissimum 
iu  taiitis  vhibus  ,  solliciti  et  irati  supcrbiâ 
rcceiitis  victoriae  ,  et  metu  ,  tanquam  alias 
partes  fovissent  ,  tartlè  à  Nerone  desciv^craut  : 
uec  statlui  pro  Galba  J-'erginius  :  au  impe- 
rare  voluisset  dubium  ;  dclatum  ei  à  milito 
imperiuux  convenicbat.  Fontchim  Capito- 
nem  occisuin  ,  etiaui  qui  queri  non  potciant, 
tameu  iudignabautnr.  Dux  deerat ,  abducto 
J^erginio  per  simulatiouem  amicitise  :  quem 
non  remitti,  atqueetianircuin  esse  ,  tauquam. 
suuin  crimea  accipiebant.  ' 


Superior  exevcitus  legatvim  Hordconium 
Flaccmn  sperucbat  ,  senectà  ac  debilitate 
pediaii  iiivalidum  ,  siue  constantià  ,  siuc 
auctoritatc  :  uc  qiiicto  quidcm  milite  ,  rogi- 
u\eu  ;  adcb  fuiciitcs  iiifinnitate  letineiitis 
ultrô  accciidebautiir.  Iiiferioris  GennaniaB 
le^ioucs  diutiùs  sine  consulari  fiu'rç  :  doiiec , 


DU  LIVRE  I.  DE  TACITE.       sS 

qui  leur  fit  supporter  avec  un  double  de'pit 
leurs  propres  pertes  etles grâces  faites  à  autrui. 
Mais  où  le  danger  c'tait  grand  à  proportion 
des  forces,  c'e'tait  dans  lesarme'es  d'Allemagne 
fières  de  leur  re'ceute  victoire  ,  et  craignant 
le  blâme  d'avoir  favorisé  d'autres  partis  :  car 
elles  n'avaient  abandonne'  Néron  qu'avec 
peine  5  p-'erginius  ne  s'était  pas  d'abord  dé- 
claré pour  Galba,  cl  ,  s'il  était  douteux  qu'il 
eut  aspiré  à  l'empire  ,  il  était  siir  que  l'armée 
le  lui  avait  offert.  Ceux  mêmes  qui  ne  pre- 
naient aucun  intérêt  à  Capiton, x\t  laissaient 
pas  de  murmurer  de  sa  mort.  EuGn  P'ergi- 
^//7/kj  ayant  été  rappelé  sous  un  faux-sem- 
hlant  d'amitié  ,  les  troupes  privées  de  leur 
chef,  le  voyant  retenu  et  accusé,  s'en  offen- 
saieut  comme  d'une  accusation  tacite  contr» 
elles-mcmes. 

Dans  la  liautc-Allcmagne  ,  F/^rcu^,  vieil- 
lard infirme,  qui  pouvait  à  peine  se  soutenir^ 
et  qui  n'avait  ni  autorité  ni  fermeté,  était  mé- 
prisé de  l'armée  qu'il  commandait;  et  ses 
soldats,  qu'il  ne  pouvait  contenir  même  cix 
plein  repos,  animés  par  sa  faiblesse  ,  ne  con- 
naissaient plus  de  frein.  Les  légions  de  la 
Lasse  Allemagne  restèrent  long-temps  sans 


24  TRADUCTION 

missu  Galbœ  ,  ^.  ViteUius  aderat,  ccnsom 
jy'iteUii  ac  1er  consuhs  filius  ;   id  sstis  vlde- 
batur.  lu  Britaunico  eseicitu  uUiil  irarum. 
Non  sanèaliaelcgioiics,  pcr  omues  clvUlum 
bellorum  motus  ,  innoccnliùs  cgeruut  :  sea 
quia  procul  ,  et  oceano  divis.ne:   scu  crebris 
expeditio.ùbus  doctie   i.ostcm  potiùs  odisse. 
Quics  et  l  llyrico  -,  qnamquam  excitac  \Nerono 
le^iones,  dum  lu  Italie  cuiictautur ,  Vergi- 
nium  lc:'atio.iibus  adisscut.  Scd  longis  spatlis 
discreti  exeicitus,  quod  salubcrrlmuin  est  ad 
contincnda.u  militarcm  ùdciu  ,  nec  vilUs  ueo 
viribus  misccbautur. 


Oiicns  adlmc  îmmotus.  Syriam  et  quatuor 
legioncs  obtineijat  Lnciuius  Muciaims  ,  vir 
secundisadversisque  ju\ta  famosus.  Insigne» 
amicitias  juvcnis  ambitiosè  colucrat  ;  mox 
alUitis  opibns  ,  hibrico  statu  ,  suspecta  etiam 
Claudii  iracundià  in  secrrtnm  AsiîE  repo- 
situs,  lam  propè  nb  cxsulc  fuit  quaui  postca 
à  principe.  Luxuiiâ,  iudustrià  ,  tomitatc, 


DU  LIVRE  I.  DE  TACITE.       25 

clief  consulaire  :  enfin  Galba  leur  donna 
J'itellius  dont  le  père  avait  e'té  cen;curct 
trois  fois  consul  ;  ce  qui  parut  sulîisant.  Le 
calme  régnait  dans  l'année  d'Angleterre,  et 
p:irini  tous  ces  mouveniens  de  guerres  civiles  , 
les  légions  qui  la  composaient  furent  celles 
qui  se  comportèrent  le  mieux,  soit  à  cause 
de  leur  éloignement  et  de  la  mer  qui  les  en- 
fermait ,  soit  que  leurs  fréquentes  expéditions 
leur  apprissent  à  ne  haïr  que  l'ennemi.  L'il- 
lyrie  n'était  pas  moins  paisible  ;  quoique  ses 
légions  appelées  par  Néron  eussent  ,  durant 
leur  séjour  en  Italie,  envoyé  des  députés  à 
Verginins.  Mais  ces  armées  ,  trop  séparées 
pour  unir  leurs  forces  et  mêler  leurs  vices  , 
furent  par  ce  salutaire  moyeu  ,  maintenues 
dans  leur  devoir. 

Rien  ne  remuait  encore  en  Orient.  Mu- 
ciaiivs ^  homme  également  cél  bre  dans  les 
succès  et  dans  les  revers  ,  tenait  la  Syrie  avec 
quatre  légions.  Ambitieux  dès  sa  jeunesse,  il 
s'était  lié  aux  grands  ;  mais  bientôt  voyant  sa 
fortune  dissijiée  ,  sa  personne  en  danger,  et 
suspectant  la  colère  du  prince,  il  alla  se  cacher 
en  Asie  ,  aussi  prèsde  l'exilqu'illc  fntcnsuito 
du  rang  suprême.  Unissant  la  mollesse  ù  l'ac- 


26  TRADUCTION 

arrogantiâ  ,  malis  bonis  que  artibus  icixtus  ; 
ïiimiae  voluptates  ,  cùm  vacaiet  ;  quoties 
expedierat ,  magnae  virtutcs.  Pa'.àmlaudares  , 
sécréta  malè  audiebant  :  sed  apud  subjectos', 
apud  proximos  ,  apud  collegas  ,  vaiiis  ille- 
cebris  potens  ;  et  cui  expcditius  fuerit  tradcre 
imperium  ,  quàin  obtiuere.Bellum  Judaicura 
Flavius  Vespasianus  (  ducein  eum  Nero 
delegerat  )  tribus  legiouibus  admiuistrabat. 
Nec  Vespasiano  advcrsus  Galbam  votum  , 
aut  animus  ;  quippe  Titum  filiuin  ad  veiiera- 
tioiicm  cultuuique  ejus  miscrat  ,  ut  suoloco 
ïiiemorabimus.  Occulta  lege  fati  et  ostentis  ac 
respoiisis  dcstluatum  yespasiatio  liberisque 
c)us  imperium,  post  fortuuamcredidimus. 

^gyptum  copiasque  quibus  cocrccretur  , 
jam  iudè  a  divo  Augusto  ,  équités  romani 
obtinent  loco  regum  ;  ita  visum  expcdire  , 
pvovinciam  aditu  difficilem  ,  ainioiicX  fecuu- 
dam  ,  superstitione  ac  lasciviâ  discordcm  et 
mobilem  ,  insciam  legum  ,  ignaram  magistra- 
tuuui  ,  domi  rctiucre.  Rcgebat  tum  Tiberius 
^Uxander  ejusdcm  uatiouis.    Africa  ,   ac 


DU  LIVRE  I.  DE  TACITE.       27 

tivitc,  la  douceur  et  l'arrogance  ,  les  taleus 
bous  et  mauvais  ;  outrant  la  débauche  dans 
l'oisiyeté,  mais  ferme  et  courageux  dans  l'oc- 
casion ;  estimable  en  public  ,  blâme'  dans  sa 
vie  prive'e  ;  enGn  si  se'duisant  que  ses  infé- 
rieurs ,  ses  proches  ni  ses  égaux  ne  pouvaient 
lui  résister;  il  lui  était  plus  aisé  de  donner 
l'empire  que  de  l'usurper.  Vespasien  ,  choisi 
par  A»o/z,  fesait  la  guerre  en  Judée  avec 
trois  légions  ,  et  se  montra  si  peu  contraire  à 
Galba,  qu'il  lui  envoya  Tite  son  fils  pour  lui 
rendre  hommage  etcultiver  ses  bonnes  grâces, 
comme  nous  dirons  ci-après.  Mais  leur  destin 
se  cachait  encore,  et  ce  n'est  qu'après  l'évé- 
nement qu'on  a  remarqué  les  signes  et  les 
oracles  qui  promettaient  l'empire  à  Vespa- 
sien  et  à  ses  cufans. 

En  Egyp(e,  c'était  aux  chevaliers  romains, 
au-lieudes  rois,  <^\jl  Auguste  avait  confié  le 
commandement  de  la  province  et  des  troupes; 
précaution  qui  parut  nécessaire  dans  un  pays 
abondant  en  blé,  d'un  abord  difficile,  et  dont 
le  peuple  changeant  et  superstitieux  ne  res- 
pecte ni  magistrats  ni  \n\?,.  Alexandre ,  Egyp- 
tien, gouvernait  alors  ce  royaume.  L'Afrique 
«t  ses  Icgious ,  après  la  mort  de  Macer ,  a^aut 


28  TRADUCTION 

îc^ioues  iu  cà  ,  iuterfecto  Clodio  MacrO  j 
coiiteutae  qualicumqne  principe  ,  post  cxpe- 
rimentuindumiuiuilnoris.Duœ^iauritaMicc, 
RUaetia  ,  Noricum  ,  Tliracia  ,  et  quic  uliœ 
procuiatoribus  coliibentur ,  ut  cuique  exerci- 
ini  vicinoîjita  in  favoreinautodium coiitattu 
valcutioiuin  agebantur.  lucnucs  proviuciae  , 
atquc  ipsa  ,  Imprimis  Italia  ,  cuicumque  ser- 
vitio  exposita  ,  in  prctiuiu  bclli  ccssnrœ  crant. 
Hic  fait  reiiim  rotnanarnm  status  ,  ciun  Ser. 
Galba  iteiùm,  Titiis  T'itiins  co-.isulcs  in- 
choavêrc  anniim  sibi  ultiiuum  ,  reipublicse 
propc  suprcmuiu. 

Paucispostkaleudas)anuavias(]icbns,Po/K- 
peiiPropinqui  ^^xocviXA\.ox\'&  ,cBclgicâ  Iittcraî 
aficiuntnr  ,  superioris  Germaiiice  lcg;ioncs  , 
ruptà  sacvamcnti  rcvcrcutià  ,  imperatorcm 
alium  flagitarc  ,ct  scnatui  ac  populo  Romano 
arbitiiuin  ciigcndi  pcnuittcic  ,  quo  seditio 
inolliùsaccipcictnr.  Maturavit  ca  rcs  consi- 
lium  Galbce  ,  jampridcm  de  adoptioue  seruni 
etcum  proximis  ao;itantis  -,  non  sanè  crebiior 
tolâ  ciyitale  sermo  pcr  lUos  meuscs  fur-rat  ; 

«oudcit 


DU  LIVRE  T.  D^  TACirE.       j^ 

«onflert  la  domination  particulière  ,  étaient 
prêtes  à  se  donner  au  premier  venu.  Les  deu* 
Mauri(,anics,laRUétie,  la Noriqué,IaThrace» 
et  toutes  les  nations  qui  n'ohe'issaient  qu'à 
des  iiUendans,  se  tournaient  pour  ou  contre 
«clou  le  voisina<5e  des  arme'cs  et  l'impulsion 
des  plus  puissant.  Les  provinces  sans  défense, 
et  sur-tout  l'Italie,  n'avaient  pas  même  le 
choix  de  leurs  fers  et  n'étaient  que  le  prix  des 
Tainqueurs.  Tel  était  l'état  de  l'empire  romain, 
quand  Ga/l>a,  consul  pour  la  deuxième  fois  , 
et  f^iuii/s  son  collègue,  commencèrent  leuï* 
dernière  année  et  presque  celle  de  la  répu- 
blique. 


Au  coiTnnencemen  t  de  Janvier,  on  reçut- 
hvisdc  rropinc/U7/s,  intiindantdehi  Belgique, 
que  les  légions  de  la  Germanie  supérieure 
eans  respect  pour  leur  serment ,  demandaient 
un  auti-c  en/pereur,  et  que  pour  rendre  leuf 
révolte  moins  odieuse,  elles  consentaient  qu'rL 
fut  élu  par  le  sénat  et  le  peuple  romain.  (>» 
Douveiks accélérèrent  l'adoption  doutGa/l>a 
délibérait  auparavant  en  lui-même  et  avec  ses 
amis  ,  et  dont  le  bruit  était  grand  dei)uiji  quel- 
que temps  cïaus   toute  la  vijile,  tant  par  i« 

Mélanges.  Toaie  V,  JB 


5o  TRADUCTION 

primùm  licentia  ac  llbidlue  talia  loq[uendi  ; 
deiu  fessa  jaui  œtate  Galbœ.  Paticis  judicimn  . 
aut  reipublicœ  amor  ;  multi  occulta  spe  , 
prout  quis  amicus  vol  cliens  ,  huuc  vel  iUum 
ambitiosis  rumoribus  dcstinabant  ;  ctiam  iu 
T.  P'iJiii oAinm ,  qui iudiesquantopotentior, 
eodem  auctu  iuvisior  erat  :  quippe  liiautcs 
iu  maguà  forluuâ  amicorum  tupidilatcs ,  ipsa 
Galbœ  facilitas  iutcudebat  :  cùm  apud  iuûr- 
ïnum  et  eredulum  minore  uietu  ,  et  majore 
praeuiio  peccaretur. 


Potentia  principatùs  divisa  in  T.  rinium 
consulem  ,  et  CorneUum  Laconem  prsctorii 
praefectum.  Nec  miner  gratia  Icch  Galhce 
liberté  ,  quem  aunulis  donatum  equeslri  no- 
mine  ilf«rcw7î«w  vocitabant.  Hl  discordes, 
et  rébus  minoribus  sibi  quisque  tendcntcs, 
circa  consilium  eligeudi  successoris  in  duas 
factionesscindebantur.  yinius  pro  Othone, 
Laco  atque  Icelus  consensu  non  tam  unum 
aliquQJ»  fovebaut  ,  quàm  alium.  Neque  erat 


DU  LIVRE  I.  DE  TACITE.       Si 

licence  des  nouvellistes,  qu'à  cause  de  l'âge 
avancé  de  Galba.  La  raison  ,  l'amouv  de  la 
patrie,  dictaient  les  vœux  du  petit  nombre  ; 
mais  la  multitude  passionnée  nommant  tantôt 
l'un,  tantôt  l'autre,  chacun  son  protecteur 
ou  son  ami,  cousultait  uniquement  ses  désirs 
secrets  ou  sa  haine  pour  yinlus  ,  qui ,  deve- 
nant de  jour  en  jour  plus  puissant ,  devenait 
plus  odieux  en  même  mesure  ;  car ,  comme 
sous  un  maître  iufnine  et  crédule  ,  les  fraudes 
sont  plus  profilaljles  et  moins  dangereuses,  la 
facilité  de  Galba  augmentait  l'avidité  des  par- 
Tenus  ,  qui  mesuraient  leur  ambition  sur  leur 
fortune. 

Le  pouvoir  du  prince  était  partagé  entre  le 
consul  Vinius  ,  et  Lacon  préfet  dujirétoii-e. 
filais  Icelus  ,  affranchi  de  Galba  ,  et  qui 
ayant  reçu  l'anneau  ,  portait,  dans  l'ordre 
équestre  ,  le  nom  de  Marcian  ,  ne  leur  cédait 
poiut  cQ  crédit.  Ces  favoris,  torijours  en  dis- 
corde ,  et  jusque  dansles  moindres  choses  ,  ne 
ne  consultant  chacun  que  son  intérêt ,  for- 
xnaient  deux  factions  pour  le  choix  du  succes- 
seur à  l'empire,  fy'lnius  était  pour  Othon. 
Jcelus  et  Lacon  s'unissaient  pour  le  rcicter  , 
s;ius  en  prélVrer  un  autre.  Le  public,  qui  ne 

B   2 


32  TRADUCTION 

Galhie  ignota  Gtlionis  ^c  T.  /'//z/Vamicitla, 
ex  rumoiibus  nihil  silentio  traiismittentium  ; 
quia  Pinio  vidua  filia  ,  cselehs  Otho  ,  gcncr 
ac  socer  dcstiiiabautur.  Credo  et  reipublicse 
cuiaia  subisse  ,  frustra  à  Ncrone  translata  , 
si  apud  Othonem  reliiiqueretur  ;  nntnqtîe 
Otho  pucritiaiu  inciiriosc,  adolcsccutiam  pe- 
tulanter  egerat  ,  gratus  Neroni  aemulatioue 
laxûs  ;  coque  jaiu  Poppœmti  sabinain  prin- 
cipale scortum  ,  ut  apud  consciuui  libidiuum 
deposucrat  ,  douce  Octai'iam  u\orcm  auio- 
lirctur  :  mox  suspcctuiu  iu  eàdcui  Pop/.\r:ii 
in  provinciain  Lusitauiatu  specic  Ici^ationîs 
se  posait.  Otho  ,  comitcr  a  Imiiiistralà  pro- 
viiicià  ,  primus  in  partes  tranygrcssiis  ,  ncc 
scguis  ,  et  doncc  bclluui  luit ,  iiiter  pnrscnlcs 
SDlcudidissiuius  ,spein  adoplioiiis  slatiuicon- 
ccplam  ,  acriùs  in  dies  rapich;:t  ;  favciitibus 
plerisque  uiilitum  ,  pronâ  iu  euui  >i\x\à.Xevo— 
ïiis  ut  similem. 


SeJ  Caîba,  postnuncios  Gcrmauic»  sedi- 


DU  LIVRE  I.  DE  TACITE.       33 

sait  rieu  taire,  ne  laissait  pas  ignorer  u  Galba 
l'amitié  d'0^/iO«  et  de  ^7Hiz/i' ,  ni  ralliance 
qu'ils  projetaient  entr'eux  par  le  mariage  de  !a 
filie  de  J^'iiiius  ci  û" Othoit ,  l'une  veuve  et 
l'autre  garçon.  Mais  je  crois  qu'occupé  d" 
bien  de  l'Etat,  Galba  jugeait  qu'autant  eût 
valu  laisser  à  Néron  l'empire  ,  que  de  le 
donnera  Oilioti.  Eu  effet ,  Othon  négligé  daus 
*r'\  enfance,  emporté  dans  sa  jeunesse,  se 
Jfendit  si  agréable  à  Néroji  par  l'anitation  de 
son  luxe,  que  ce  fut  à  lui ,  comme  associé  à 
ses  débauclics  ,  qu'il  confia  Poppée  ,  la  prin- 
cipale de  ses  courtisanes,  jusqu'à  ce  qu'il  se 
fûtdéfaitdc  sa  femme  Octavie  ;  maislcsoixp- 
connant  d'abuser  de  sou  dépôt ,  il  le  relégua 
en  Lusitanie,  sous  le  nom  de  gouvcnu'ur. 
Othon  ayant  administré  sa  province  avec 
douceur,  passa  des  premiers  dans  le  parti 
■contraire  ,  y  montra  de  l'activité  ;  et  tant  que 
la  guerre  dura  ,  s'étant  distingué  par  sa  nu;gni- 
f.cence  ,  il  conçut  tout  d'un  coup  l'espoir  de 
se  faire  adoptrt-;  espoir  qui  devenait  cliaque 
jour  pins  ardent ,  tiint  par  la  faveur  des  gens 
de  guerre  ,  que  par  celle  de  la  cour  de  3//  o«, 
qui  comptait  le  retrouver  en  lui. 

Mais  sur  les  premières  nouvelles  delasédi- 

B  3 


34  TRADUCTION 

tionis  ,  quamquam  nihil  adliuc  âa  T-'itellia 
certum  ,  auxius  quonàm  cxercituum  vis  eruui- 
peret  ,  ne  viibano  quidcm  militi  coufisus  , 
qiiod  rcmedium  iinicum  rebatur  ,  comitia 
impcrii  transigit.  Adbibitoque  sn-per p^inium, 
ac  La conein ^  Mario  Ceiso  consule  designato, 
ac  Ducenvio  Gemiiio  praefecto  urbis,  pîiuri 
praBfatus  de  suâ  seucctnte  ,  Pisonem  Zil?"- 
iiianum  acccrsiri  jubet  ;seu  propilà  clcctionc, 
sive  j  ut  quidam  credidcrunt ,  Laconù  ins- 
tante ;  cui  apud  Rubellium  Plautum  exercita 
cmn  Pisone  amicitia  :  sed  callidè  ut  ignotuin 
fovebat  ;  et  prospéra  de  Pisone  faaia  consilio 
ejus  lidem  addiderat.  Piso  M.  Crasso  ac 
Scrihoniâ  genitus  ,  uobilis  ut^iraque,  vultu 
babituque  movis  antiqui  ,  et  aestiraatione 
recta  severus  ,  deteriùs  iuterpretantibiis  tris- 
tior  babebatur.  Ea  pars  moruiu  ejus  ,  quo 
suspectior  solicitis  ,  adoptautbplacebat. 


IgtturGtf//5a  ,  apprchensâ  i'/Vc///^  maiiu^ 
ia  hune  moduralocntus  fertur:  Si  te  priva- 
tus  j  Icgc  curiatâ  apud pontijices  j  ut  inoris 


DU  LIVRE  I.  DE  TACITE.      35 

tiou  d'Allemagne  ,  et  avant  que  d'avoir  rlea 
d'assuié  du  côté  de  Vitellius  ,  l'incertitude 
de  Galba  sur  les  lieux  où  tomberait  l'effort 
des  armées  ,  et  la  déûance  des  troupes  mêmes 
qui  étaient  à  Rome ,  le  déterminèrent  à  se 
donner  un  collègue  \  l'empire  ,  comme  à 
l'unique  parti  qu'il  crût  lui  rester  à  prendre. 
Ayant  donc  assemblé  avec  Vinius  et  Lacou, 
Celsus  consul  désigné,  eXGcmimis  préfet  de 
Rome  ,  après  quelques  discours  sur  sa  vieil- 
lesse, il  fit  appeler  Pi50«  ;  soit  de  son  propre 
mouvement,  soit,  selon  quelques-uns,  k 
l'instigation  de  Lacon  ,  qui,  par  le  moyen  de 
Plautus  ,  avait  lié  amitié  avec  Pi.?o«;  et  le 
portant  adroitement  sans  paraître  y  prendre 
intérêt ,  était  secondé  par  la  bonne  opinion 
publique.  Pison  ,  fils  de  Crassus  et  de  Scri- 
bonia,  tous  deux  d'illustres  maisons,  suivait 
les  moeurs  antiques  ;  lioiumc  austère  à  le  j  uger 
équitablement,  triste  et  dur  selon  ceux  qui 
tournent  tout  en  mal  ,  et  dont  l'adoption 
plaisait  à  Galba  ,  par  le  côté  même  qui  cho- 
quait les  autres. 

Prenant  donc  Pison  par  la  main  ,  Galba 
lui    parla,  dit-on  ,  de   cette  mai\icre   :    «Si, 
«  comme  particulier,  je  vous  adoptais  ,  selon 
.  B  4 


S6       Traduction 

est ,  adoptaj-em;  et  m  Un  egrcgjvm  eratiitncj 
Pompeii  et  M.  Crassi  sobohm  in  pénates 
Vieos  adsciscere  y  et  tihi  insipie  ,  Siilpicice 
ac  Lntatiœ  décora  ,  nobllltati  tucf  adje- 
fisse.  Nuiic  jue  deorum  hominuunjue  cou- 
sensu  ad  iniperium  locatum  j  prœc/ara 
indoles  tua  j  et  ajnor  patricv  impuJii  ,  ut 
principatuni  j  de  qno  majores  nostri  arinis 
çertabant ,  bello  adeptus  ,  qniesceiiti  oje- 
ram  y  exemplo  di^-i  yiiigusti  ,  qui  sororis 
filiiniiMarcelhim  ,  dein  genernm  ^/grippanij 
mox  nepotes  snos  ,  postremb  Tiberiinn  Ne^ 
rofiem  prii-igniun  ,  in  pro.viiiw  sibifastigia 
çollocauif.  Sed  angvstus  in  dojno  snrcesso- 
rem  ipiœsi^ùt  ;  ego  3  in  repnblicâ  :  non  <jvia 
propinqnos_  aut  socios  helli  non  Jiabeani  • 
sed  neqne  ipse  iinperium  ambitione  accepi  y 
et  judicii  mei  documentnni  sint ,  jion  meco 
tantiiin  necessitudines ,  <pias  iibi postpoaui , 
sed  et  tuœ.  Est  tihi  /rater  pari  nobilitate  _, 
natu  major  j  dignus  hac  fortunâ  ,  nisi  tu 
potior  esses.  Ea  œtas  tua  ,  quœ  mpiditatcs 
odolescentiœ  jamejfiigerit  ;  ea  vita  ,  in  qvâ 
nihil prateritum  excusai: du/u  habeas.  For- 


DU  LITRE  I.  DE  T-\CÏTE.       37 

«   l'usage  ,   pnr-clcvaqt   les  pontifs  ,  il  nous 
«  serait  lionorablf  ,   à  iiîoi  ,  (radniettic  dans 

*.  ma  fatmIJe  un  dcseciKlniitclc  Pompée  et  de 

«  Crassjts  ^  à  vous,  d'ajouter  à   roire   uo- 

<»  blesse  celle  des  uiaisoiis  LxJtatieiiîie  et  vSid- 

«  picicnne.  B'Iainteuaut  appcîc  à  l'cuipiic  , 

«  du  couseutement  des  dieux  et  des  hounues, 

«  l'amour  de  la  patrie  et  votre  heureux  iiatu- 

«  rcl  me  portent  à  vous  ofiVir  au  sein  do  la 

«  paix  ce  pouvoir  suprêiue  que  la  guerre  ui'a 

«  donne,  et  que  nos  ancêtres  se  sont  disputé 

«  par  les  armes.  C'e.^t  ainsi  que  le  grand  Aii- 

«  ^'Mj-Zemlt  auprcmierrangaprèslui ,  d'abord 

«  son   neveu  Marcel  lus  ,  ensuite  j'ii^rippa 

«  son  gendre,    puis  ses   pctits-ûls,   et  ciiiiti 

«  Tibère  fds    de   sa   femme  :  mais  Avgiiste 

«  choisit  son  successeur  dans  s;i  maison  ;  ja 

«  clioisis  le  mien  dans  la  re'publique  ;    non 

«  quf.  je    manque  de  proches  ou  de  coiupa- 

««  gnons   d'armes;    mais  je  n'ai    point   ir.oi- 

«  même  brigué  l'empire  ;  et  vous  préicrcr  à 

«  mes  parcns    et  aux  vôtres,  c'est  montrer 

«  assc^  mes  vrais  senlinuns.    Vous   avez  un 

«  frère  illustre  ,  ainsi    que  vous  ,  votre  ;iîiié, 

«  et  digticdu  rang  où  vous  montez,  si  vous 

«  ne  l'étic/,  encore  jilus.  V  oi;s  avez  paî^sé  sans 

«  rt-prov-hc  rà^c  de  1  •.  jcuncSiC  ei  de*  p  ;biio;is. 


58  TRADUCTION 

tunam  adhuc  tantnni  adversam  tulisti  f 
seciindœ  res  acrioribus  xtiinuUs  animas  ex- 
plorant :  quia  misericr  ioîerantur  ^felicitctt 
corrnmpimur.  Fidem  ,  libertatem  3  ainici- 
tiam  ,  prcecipua  huma  ni  animi  bon  a  ,  tu 
quidem,  eâdem  constantiâ  retinebis  :  sedalii 
per  obsequium  im,minuent.  Irrujnpet  adu- 
latio  ,  blanditiœ  pessimum  veri  affcctûs 
venenum  j  sua  cuique  utilitas.  Etiam  ego 
ac  tu  simplicissimè  inter  nos  hodie  loqui- 
inur  ;  cœtei-i,  libejitihs  cumfortunâ  nosirâ  , 
quam  nobiscum.  A'am  suaderc prijicipi qu od 
oporatet  j  multi  Jaboris  :  assentatio  erga 
principem  quenicumque  sine  affectu  pera- 
gitur. 

Si  immensuni  imperii  cojpus  start  ac 
librari  sine  j-ectore  possct  ,  dignus  eram  à 
quo  respuhlica  inciperet  ;  nunc  ce)  necessi- 
fatis  jamprideni  ventum  est ,  ut  nec  mea 
senectus  confcrre  plus  populo  Romanopossit 
quam  bonum  successorcm  ,  uec  tua  plus 
juventa  quam  bonum  principem.  Sub  Tibt- 


DU  LIVRE  I.  DE  TACITE.       39 

«t  Mais  vous  u'avez  souteuu  jusqu'ici  que  la 
«  mauvaise  fortune  ;  il  vous  reste  viiie  épreuve 
•<  plus  dangereuse  à  faire  en  re'sistaut  à  la 
«i  bonne  :  car  l'adversité  déchire  l'ame  ,  mais 
«  le  bonheur  la  corrompt.  Vous  aurez  beau 
«  cultiver  toujours  avec  la  nxé.'ue  constance 
«  l'amitié,  la  foi,  la  liberté,  qui  sont  les 
«  premiers  biens  de  l'homme  ,  vm  vain  res- 
«  pect  les  écartera  malgré  vous.  Les  flatteurs 
«  vous  accableront  de  leurs  fausses  caresses^ 
K  poison  de  la  Fraie  amitié;  et  chacun  ne 
«  songera  qu'à  son  intérêt.  Vous  et  moi, 
«  nous  parlons  aujourd'hui  l'un  à  l'autre 
«  avec  simplicité  ;  mais  tous  s'adresseront  à 
«  notre  fortune  plutôt  qu'à  nous  :  car  on 
«  risque  beaucoup  à  montrer  leur  devoir  aux 
«♦  princes,  et  rien  à  leur  persuader  qu'ils  le 
«  font. 

«c  Si  la  masse  immense  de  cet  empire  eut 
•«  pu  gardwrd'elle-méine  son  équilibre,  j'étais 
«  digne  de  rétablir  la  république  ;  maisdepuis 
«<  lon^-temps  les  choses  en  sont  à  tel  point  , 
«<  que  tout  ce  qui  reste  à  faire  en  faveur  du 
•«  peuple  Romain  ,  c'est  pour  moi  d'employer 
«  mes  derniers  jours  à  lui  choisir  un  bon 
u  maître,  clpour  vous,  d'être  tel  durant  tout 

6 


40  TRADUCTION 

rio  ,  et  Coio y  et  Cloiidio  j  iiriius  fuwiiit» 
qnasi  hereditas  fiiinms :loco  lihertatis  eri/j 
qiiod  eligi  arpimits  /  et  fniiiâ  Julloriiin 
Claiidiornmijtie  dcino  ,  optimum  quenique 
adoptio  inveniet.  Nam  ^enerari  et  nasci  à 
•priucipibus  j  forti:iinui  ,  itcc  iiltrà  œsiiiua- 
pir  :  adoptaiidi  judicann  iiilegruiii  ■  et  ai 
velis  eligcre  ,  conseiisii  mou  s  ira  tu  r. 

Sit  an  te  ocvlos  licro ,  quem  lovgâ  Cce- 
saruin  série  ttimenlein  ,  non  f^'index  cnm 
inernii  proi'incia  ,  aut  ego  cian  una  légion e ; 
sed  sua  imnianitas  ,  sua  luxuria  cert>ici/jus 
publicis  de  pu  1ère.  A'eqne  erat  adJiuc  dam- 
nati  principis  cxempluni.  Nos  bcl.'o  ,  et  a!f 
œstiinantibus  asciti j  cuni  int^idiâ  ,  quauiris 
egregii  j  erimus.  jVe  tamen  territirs  Jiieris  3 
si  duœ  legioncs  in  hoc  concussi  orbis  niotn 
nonduni  guiescunt.  jVe  ipse  quideni  ad  secU' 
ras  res  accessi  :  et  auditd  adopHone  ,  desi^ 
nan  rideri  senex  ,  quod  nunc  niihi  ununt 
ohjicitur.  A^çro  à  pessimo  quoque  seuiper 
dçsiderabitur  :  nii/ti  ac   iiui  proiidenduiti 


DU   LIVRE  I.  DE  TACITE.       4g 

«  le  cours  des  vôtres.  Sous  les  empereurs  pré-» 

«  cédciis  l'Etat   n'était  l'héritage  que  d'uiie 

«  seulefaniille  ;  pi;r  nous  le  clioix  de  sesclicFs 

«  lui  ticudra  lieu  de  libcité;  après  l'cxtinc-- 

«  tioii  des  Jules  et  des  CJçtndes  l'adoption 

«  reste  ouverte  au  plus  digue.  Le  droit  du 

«  sang   et  de  la  naissance  ue  mérite  aucune 

«  estime  et  fait  un  prince  an  hasard  ;  mais 

«  l'a  lopliou  periucL  le  choix   et   la  voix  pur 

«  blique  l'indique. 

«  Ayez    toujours  sous    les  yeux    le  sort 

«  de  JSiéran  ,    her    d'nnc   longue   suite    de 

«  césars    ;    ce    u'c::t    ni    le    pa3-s    désarmé 

«  de  l'index  ^  \\\  l'unique  légion  Ac  Galba  , 

«  mais  sou  luxe  et  ses  cicautés  qui  nous  ont 

«  délivrés  de  son  joug,  quoiqu'un  empereur 

«  proscrit  fut  alors  w\\  événcincnt  sans  cxcai- 

«  p!c.  Pour  nous   que  la  guerre   et  l'estime 

«  publique  ont  élevés  ,  sans  mériter  d'enner- 

«  liiis  ,  u't.-pérons  pas  ti'eu  point  avoir  :  mais 

«  après  ci'i;  giaiiJs  mouvciucus  de  tout  l'uni- 

«  vers  ,  deux  légions  émues  doivent  peu  vous 

«  cllrayer.    i\Ju    propre  élévation  ne    fui  pas 

«  tranquille;  et  nui  vieillesse  ,  la  seule  e.'iose 

«  ((u'onmereproeiie  ,  disparaîtra  devant  celui 

«  qu'on  a  choisi  pour  la  soutenir.  Je  sais  que 


4*  TRADUCTION 

est,  ne  etiam  à  bonis  desideretur.  Monert 
diutins  ,  neqne  temporis  hujus  ,  et  impletum 
est  omne  consUium  ,  si  te  bene  elegi.  Utiîis~ 
simus  quidem  ac  brevissimus  benarum  ma-' 
Jarmnque  rerinn  delectus  est  j  cogitare  quid 
aut  volueris  sub  alio  principe ,  aut  nolueris. 
J^eqne  enirn  hîc  ^  nt  in  cœteris  gentibus  quœ 
regnantur  ,  certa  dominormn  domus  ,  et 
cœteri  servi  :  sed  imperatttrus  es  hominibus  y 
qui  vec  totam  servitutem  patipossnnt ,  nec 
totam  libertatem.  Et  Qialba  quidem  ,  li?ec 
ac  talia  ,  tanquam  priucipein  faccrct,  «Betcri 
tanquara  cum  facto  loquebantur. 


Pisonem  fcnint  statim  intueutihus  ,  et 
moxeonjectis  in eum omnium  coulis, nuikuu 
tuibati  aut  exsultantis  animi  motum  prodi- 
disse.  Scrmo  erga  patrem  imperatorcmque 
vevcreas  ,  de  se  moderatus  ;  niliil  in  vultu 
liabituque  mutatum  ;  quasi  impciare  posset 
magis  quàm  Tcllct.  Cousultatum  iude,  pro 
ïostris,  an  iu  scnatu ,  an  in  castris  adoplio 


DU  LIVRE  I.  DE  TAClTË.       4^ 

«,  Néron  sera  toujours  regretté  des  uiéchans  ; 
«  c'est  à  vous  et  à  moi  d'empêcher  qu'il  11e  le 
«  soit  aussi  des  gens  de  bien.  Il  n'est  pastemps 
«  d'en  dire  ici  davantage  ,  et  cela  est  superflu 
«  si  j'ai  fait  eu  vous  un  bon  choix.  La  plus 
«c  simple  et  la  meilleure  règle  à  suivre  dan» 
«  votre  conduite ,  c'est  de  chercher  ce  que 
«  vous  auriez  approuvé  ou  blâmé  sous  un 
«  autre  prince.  Songez  qu'il  n'en  est  pas  ici 
«  comme  des  monarchies  ovi  une  seule  famille 
«  commande  et  tout  le  reste  obéit,  et  que 
•c  vous  allez  gouverner  un  peuple  qui  ne  peut 
«  supporter  ni  une  servitude  extrême  ,  ni  une 
«  entière  liberté.  »  Ainsi  parlait  Galba  exx 
homme  qui  fait  un  souverain  ,  tandis  que 
tous  les  autres  prcnaientd'avancc  leton  qu'on 
prend  avec  un  souverain  déjà  fait. 

On  dit  que  de  toute  l'assemblée  qui  tonrna 
les  yeux  sur  Pison  ,  même  de  ceux  qui  l'ob- 
servaient à  dessein  ,  nul  ne  put  remarquer  en 
lui  la  moindre  émotion  de  plaisir  ou  de  trou- 
ble. Sa  réponse  fut  respectueuse  envers  son 
empereur  et  son  père,  modeste  à  l'égard  de 
lui-même  ;  rien  ne  parut  change  dans  son  air 
et  dans  ses  manières  ;  on  y  voyait  plutôt  lo 
pouvoir  que  la  volonté  de  commander.  Ou 


44  T  R  .\   n  U  C  T  I  O  N 

iiuucnpaietur.  Iri  in  castra  plaruit  ;  honorî- 
ficiim  ici  uiililihus  fore  ,  quorntn  farorcm  nt 
îargitione  et  ambitu  aialè  acquiri  ,  ita  pcr 
boiiasartes  liaacl  spenicnduui.(^ircuuisteterat 
iiitcrim  pahitium  publica  exspcctatio  niagui 
secreti  iiiipa tiens,  et  lualè  coëicitam  famam 
Supprimcutcs  augcbaut. 


Qnartnm  iclns  jannarias  fœcluni  imbribiis 
di.'ia  ,  toiiitrna  et  fLil.^nra  et  cœlcstcs  mina) 
ultra  solituiu  lurbavenuit.  Observatum  id 
antiquitùs  coniitiis  dirimendis  ,  non  tcrruit 
GalLaiii  qnouiiiius  m  castra  perycret;  con- 
leinpovcin  taliimi  ut  fortuitornni ,  scu  quoe 
falo  niaiicnt,quamvis  signifie;;  ta  ^  non  vitan- 
tur.  Apiid  IVcqucnteui  luilitam  coiicioneni  ,' 
inipciatorià  brcvitatc ,  adoptari  à  ï^iFisojuin  , 
more  divi  ^J'i^nisti  ,  cl  cxt-niplo  militari  q;io 
vir  viruni  le:^crct  ,  pronuutiat  :  ac  ne  dissi- 
irulata  sçditio  in  uiaius  crcdcrclur  ,  ultro 
assevcrat,  quartam  et  duodcviccsiiuam  Ici^io- 


DU  LIVRE  I.  DE  TACITE.       45 

dellbcia  ensuite  si  la  cére'uionic  de  l'adoptiou 
S£  ferait  devant  le  peuple,  ou  au  scuat  ,  ou 
dans  le  eaïup.  On  prêtera  le  ca  .  p  pour  taire 
lionncuraux  troupes,  eoiiune  né  voulant  point 
aclietcr  leur  faveur  par  la  flatterie  ou  à  prix 
d'argent,  ni  dédaii^ner  (!c  l'acquérir  parles 
moyens  honnêtes.  Cepend.tnt  le  peuple  envi-, 
ronnait  le  palais ,  impatient  d'apprendre  ran- 
portante  aifaire  qui  s'y  traitait  eu  seeret  ,  efe 
dontic  bruit  s'auf;tnentait  eiMorc  parles  yaias 
effpi'ts  qu'on  lésait  pour  l'étouffer. 

Le  dix  de  janvier  le  Jour  fut  obscurci  par  do 
grandes  pluies  accompagnées  d'éclairs  ,  do 
tonnerres  ,  et  de  sisz;nes  extraordinaires  du 
courroux  céleste.  Ces  présa  ;es  qui  jadiseusscnt 
ioni|)u  les  comices  ne  détournèrent  point; 
Galba  d'aller  au  camp  ;  soit  qu'il  les  mépri- 
sât eonmic  des  choses  fortuites  ,  soit  que  les 
prenant  poiu-  des  signes  réels,  i,l  eu  jugeât 
l'événement  inévitable.  Les  gens  de  guerre 
étant  donc  assemblés  en  grand  uonibre  ,  il 
leur  (lit,  dans  un  discours  grave  et  concis  , 
qu'il  adoptait  Piaona  l'exemple  à^ Auguste  , 
et  suivan-t  l'usage  militaire  qui  laisse  aux  gé- 
néraux le  choix  de  leurs  lieutcnaiis  :  puis  , 
de  peur  que  son  silcucc  au  sujet  de  la  scditioi* 


46  TRADUCTION 

nés  ,  paucis  seditiouis  auctoribus  ,  non  ultra 
vei-ba  ac  voces  errasse  ,  et  brevi  in  officio 
fore.  Nec  iiU.um  orationi  aut  lenocinium 
addit ,  autpretiura.  Tribuni  tamen  ceuturlo- 
nescjue  et  proximi  militum  gratâ  auditu  res- 
poudeut  ;  per  cseteros  macstitia  ac  sileutium  , 
tamquam  usurpatam  etiam  iu  pace  donativi 
necessitatem  ,  bello  perdidissent.  Constat 
potuisse  couciliari  animos  quantulàcuinque 
parci  seuls  libcralitate.  Nocuit  antiquus  rigor 
«t  nimia  severitas  ,  cui  jam  pares  non  sumui. 


Inde  apud  scnatum  non  compllor  Galba  a 
non  lougior  quàm  apud  milites  senne.  Pisonis 
coniis  oratio  ;  et  patrnm  Tavor  aderat  :  multi 
voluntatc  -,  effusiiis  ,  qui  nolucrant  ;  medii,  ac 
plurimi  obvio  obsequio  privatas  spes  agitan- 
tes ,  sine  publicâ  cura.  Nec  aliud  scqucuti 
quatriduo  ,  quod  médium  inter  adoptionem 
et  cacdcmfuit  ,  dictum  à  Pisone  in  publiée  , 
factumve. 


DU  LIVRE  I.  DE  TACITE.       47 

ne  la  fit  croire  plus  dangereuse  ,  il  assura  fort 
que  n'ayant  été  formée  clans  la  quatrième  et 
la  dix-huitième  légion  que  par  un  petit  nom- 
bre de  gens ,  elle  s'était  bornée  à  des  murmu- 
res et  des  paroles  ,  et  que  dans  peu  tout  serait 
pacifié.  Il  ne  mêla  dans  son  discours  ni  flat- 
teries ni  promesses.  Les  tribuns,  les  centu- 
rions, et  quelques  soldats  voisins  applau- 
dirent ;  mais  tout  le  reste  gardait  un  morne 
silence  ,  se  voyant  prives  dans  la  guerre  du 
donatif  qu'ils  avaient  même  exigé  durant  la 
paix.  Il  paraît  que  la  moindre  libéralité  arra- 
chée à  laustcrc  parcimonie  de  ce  vieillard  , 
eût  pu  lui  concilier  les  esprits.  Sa  perte  vint 
de  cette  antique  roidcur,  et  de  cet  excès  de 
sévérité  qui  ne  convient  plus  à  notre  faiblesse. 

De-là  s'étant  rendu  au  sénat,  il  n'y^  parla 
ni  nioins  simplement,  ni  plus  longuement 
qu'aux  soldats.  La  harangue  de  Pison  fut 
gracieuse  et  bien  reçue  ;  plusieurs  le  félici- 
taient de  bon  cœur  ;  ceux  qui  l'aimaient  le 
moins ,  avec  plus  d'affectation  ;  et  le  plus 
grand  nombre ,  par  intérêt  poiir  eux-mêmes  , 
sans  aucun  souci  de  celui  de  l'Etat.  Durant 
les  quatre  jours  suivaus  qui  furent  l'intervalle 


48  TRADUCTION 


Crebriorihns  in  diesGermanicae  dcfcctîouis 
nuuciis  ,  et  facili  civitatc  ad  accipiciida  crc- 
dendaque  ouiiiia  nova  cîun  tristia  suut  ; 
censueraut  patres  mittendos  ad  Germanicum 
exercituin  Icgatos  ;  agitatum  sccreto  ,  num 
et  jP/^o  proficiscerctur ,  ina)ore  piœtextu  :  illi 
auctoritatcm  scnatus  ,  hic  digiiationein  Cœsa- 
ris  laturus.  Placobat  et  Lacouem  prsctorii 
pracfcctnm  sinuil  niitti;  is  consilio  interccssit. 
Lcgati  quoqne  (  nain  sciialus  electioncta 
Galhœ  penniserat  )  fœdà  inconstantià  noini-« 
liati ,  excnsati  ,subst]tuti  ,  amhitii  rcijiancndî 
aut  euudi ,  ut  qucuiquc  mctus  vel  spes  impu- 
tera t. 

Proxima  pccnniae  Cnra  ;  et  cnncta  scru- 
tantibus  justissinuiin  visinn  est  inde  repeti , 
ulji  inopiœ  causa  erat.  Bis  et  vicies  mille 
scstertium  doiuitionibiis  Nero  efïuderat. 
Appcllari  siiigulos  jussit ,  decumà  parte  libe- 
l'alitalis  apud  queuique  eorum  ixiittà.  At  illi» 


DU  LIVRE  I.  DE  TACITE.       49 

entre  l'adoption  et  la  mort  do  Pisoii ,  il  11e 
Et  ni  ne  dit  plus  rien  eu  public. 

Cependant  les  fre'qucns  avis  du  progrès  de 
la  dcTcction  eu  Allema<,Mie,  et  la  facilite  avec 
laquelle  lesmauvaises  nouvelles  s'accréditaient 
à  Rome,  enga;  èrent  le  sénat  à  envoyer  une 
dcputation  aux  légions  révoltées  ;  et  il  fut  mis 
sccrctenicnt  en  délibération  ,  si  Pison  ne  s'y 
joindrait  point  lui-même  pour  lui  donner 
plusdc  poids,  en  ajoutant  la  majesté  impériale 
à  l'autorité  du  sénat.  On  voulait  queZ/7C0;/, 
préfet  du  piétoirc,  fût  aussi  du  voyage  ;  mais 
il  s'en  excusa.  Quant  aux  députés  ,  le  sénat  en 
ayant  laissé  le  choix  à  Galba ,  on  vit,  par  là 
plus  honteuse  inconstance,  des  nominations, 
des  refus,  des  substitutions  ,  des  brigues  pour 
aller  ou  pour  demeurer,  selon  l'espoir  ou  la 
crainte  dont  chacuîi  était  agité. 

Ensuite  il  fallut  cliercher  de  l'argent  ;  et, 
tout  bien  pesé,  il  parut  très-juste  que  l'Etat 
eut  recours  à  ceux  qui  l'avaient  appauvri.  Les 
fions  versés  par  Néron  montaient  à  plus  de 
soixante  millions.  Il  Ht  donc  citer  tous  les 
donataires,  leur  redemandant  les  nculdixièaies 
tlt  te  qu'ils  avaient  reju ,  et  dçut  à  peine  leur 


5o  TRADUCTION 

vis  decumae  super  portioîies  eraut  :  iisdem. 
erga  aliéna  sumptibus  ,  quibus  sua  prodege- 
rant,  cùin  rapacissimo  cuique  ac  pcrditissiino 
non  agri  ,  aut  fœnus  ,  sed  sola  instrumenta 
Vitiorum  mauerent.  Exaction!  xxx  équités, 
Tomaui  prœpositi  ;  uovum  olficii  genus  ,  et 
ambitu  ac  numéro  oncrosurti.  TJbique  hasta,' 
et  sector  ,  et  i-nquieta  urbs  auctionibus  ; 
attamen  grande  gaudiura  ^  qubd  tam  pauperc» 
forent  quibus  douassct  Kero  ,  quàm  quibus 
abstulisset.  Exauctorati  per  eos  dics  tribuni, 
è  praetorio  y4ntonius  Taurus  et  Antonius 
jVaso  ;  ex  urbanis  cohortibus  ,  yEwylîus 
Pacerisis  /  è  vigiliis  ,  Julius  Fronto  :  nec 
remcdiumin  cscterosfuit,  sed  mctûs  initium  ; 
tauqnam  pcr  artera  et  formidincm  singulî 
pelleieutur ,  omnibus  suspectis. 

Interea  Othonem  ,  cui  compositis  rébus 
nuUa  spes,  omne  in  turbido  consilium,muita 
simul  cxstimulabant  :  hixuria  etiani  priucipi 
oncrosa  ,  iuopia  Vix  lîrivato  toleranda  ,  ia 
Calbam  ira  ,  in  Pisonem  iuvidia.  Fingebat 


DU  LIVRE  I.  DE  TACITE.      Sr 

resLait-il  l'autre  dixicinepartie  :  car, également 
avides  et  dissipateurs ,  et  nou  moins  prodigues 
du  bieu  d'autrui  que  du  leur  ,  ils  n'avaient 
conservé  ,  au-lieu  de  terres  et  de  revenus , 
que  les  iustrumens  ou  les  vices  qui  avaient 
acquis  et  consumé  tout  cela.  Trente  chevaliers 
romains  furent  préposés  au  recouvrement  ; 
nouvelle  magistrature,  onéreuse  par  lesbrigues 
et  par  le  nombre.  On  ne  voyait  que  ventes, 
huissiers  ;  et  le  peuple,  tourmenté  par  ces 
vexations ,  ne  laissait  pas  de  se  réjouir  de  voir 
ceux  que  Néron  avait  enrichis  aussi  pauvres 
que  ceux  qu'il  avait  dépouillés.  En  ce  mêinc- 
temps  Taurus  et  Nason  tribuns  prétoriens, 
Pacensis  tribun  des  milices  bourgeoises,  et 
Fronto  tribun  du  guet,  ayant  été  cassés  ;  cet 
exemple  servit  moins  à  contenir  les  officiers 
qu'à  les  effrayer  ;  et  leur  fit  craindre  qu'étant 
tous  suspects,  on  ne  voulût  les  chasser  l'ua 
après  l'autre. 

Cependant  Gtlion ,  qui  n'attendaitriend'ua 
gouvernement  tranquille,  ne  cherchait  que 
de  nouveaux  troubles.  Sou  indigence  qui  eut 
été  à  charge  même  à  des  particuliers,  son  luxe 
qui  l'eut  été  même  à  des  princes,  son  ressen- 
timent contre  (Ja/^a,  sa  haine  pour  Pison  , 


62  TRADUCTION 

et  metum  ,  quo  magis  concnpisceret.  PriT" 
gravent  se  Neroni  fuisse  j  nec  Lusitaniam 
riirsus  aut  alieruis  exsilii  honorem  expcc- 
tandum  ;  suspccliim  seinper  invisumqui 
dominnntibus  ,  qui  proxinius  destinaretur. 
JVociiisse  id  sibi  apiid  senem  principem  ; 
Viogis  nocitnnim  opnd  jurenem  iugenio  iru~ 
ceni  j  et  longo  e.rsilio  effcratum.  Occidi 
Othoneni  posse  ;  proinde  agendmn  audeii^ 
dmnque  ,  diim  Galhœ  anctoiztas  fluxa  , 
Plsonis  iiondum  coahiisset.  OppOrtunos 
magnis  conatibus  transitas  reriim  y  nec 
cuTiciatione  opus  nbi  perniciosior  sitquicsj 
qvhm  temeritas.  Morteiii  omnibus  ex  natura 
ipqua!e/n  j  oblivione  j  apnd  posteras  ,  rel 
gloriâ  distingui.  Ac  si  nocentem  innocent 
tefnquc  idem  exitus  maneat  ,  acrioris  riri 
esse  ,  mérita  perire. 


NoTi  erat  Othonis  mollis  et  corpori  similiâ 

aiiiuius.  Et  iutlmi  lil)crtoium  servominque 

touc 


DU  LIVRE  I.  DE  TACITE.       53 

tout  l'excitait  à  remuer.  Il  se  forgeait  même 
des  craintes  pour  irriter  ses  dc'sirs.  «  K'avait-il 
«  pas  c'tc  suspect  à  Néron  lui-même  ?  falluit-il 
««  atten'.irc  eucorerheiineur  d'un  secoud  exil 
«  eu  Lusit  nie  où  ailleurs  ?  les  souverains  ne 
«  voient-ils  pas  toujours  avec  déliaucc  et  de 
«<  mauvais  œilceuv  qui  peuvent  leur  succéder. 
«  Si  celte  ide'e  lui  avait  nui  près  d'un  vieux 
«  prince,  com]>ien  plus  lui  nuirait-eiJe auprès 
•  d'un  jeune  homme  Tiaturellcuieiit  cruel  , 
«  aii;ri  par  un  longexil  !  (^ues'iisétaiciit  tt-nte's 
«  de  se  cicuiirc  de  lui,  pourquoi  ne  les  pré- 
«  viendrai t-ii  pas  ti:udis  o^az  G alba  L\\dMcv\à\\. 
«<  encore,  et  avant  qucPziCK  f'Jt  affermi  ?  Les 
««  temps  de  crise  sont  ceux  où  convienncut 
>  les  j^ranils  efforts  ,  et  c'est  itne  erreur  de 
s»  temporiser  quand  les  délais  sont  plus  dan- 
»  s^ercux  que  l'audace.  Tous  les  lionunes 
»  meurentcgalemcnt,  c'estl.i  loi  de  la  nature; 
»  mais  la  jjostérité  les  dir^tinguc  par  la  gloire 
s>  ou  l'ouMi.  (^uc  si  le  même  sort  atloid 
ï»  rinnoeentet  le  coupable  ,  il  est  plus  digue 
s»  d'un  hoiiuiie  de  coiu'agc  de  uc  p^s  périr 
»»  sans  sujet  ». 

Othoii  avait  le  cœur  moins  effémir.é  que  lo 
corps.  Ses  plus  familiers  esclaves  et  affraucliis^ 


54  TRADUCTION 

coiTuptiùs  quam  in.   privatâ   domo   liabiti^ 
aulani  NerOnis  ^  et  luxus  ,  adulteria  ,  matri- 
laouia,  caeterasque  regnarum  libidines  ,  avido 
taliuuijSiauderct ,  ut  sua  osteiitautcs;  quics- 
centi  ,  ut  aliéna  exprobrabaut  :  urgcutibus 
etiatii  mathematicis  ,  duin.   uovos   inotus  et 
claruiu  Othoni  a.\\xvain  observatioue  sidcruiu 
affirmant  ;  geuus  hominum  potcntibus  iufi- 
dum  ,  sperantibus  falLix  ,  quod  in  civitate 
nostrâ  et  vctabitur  semper  ,  et  retinebitur. 
Multos  sccrcta. Poppœœ  matbematicos ,  pcssi- 
muui  piincipalis  uiatrimouii  instrumentutn  , 
habueraut  :  è  quibus  Plolomœus  Othoui  in 
Hispauiâ  comcs  ,    cùm  supcifuturum  eum 
J\feroni  promisisset  ,   postquam  ex   cventu 
fides,    conjectura  jam   et  rumore  ,    senium 
Galbœ y  et  JuventamO///(7H/^  computantium, 
pcrsuaserat  fore ,  ut  in  imperium  asciscerctur. 
Sed  Otho  tamqua!n  peritià  ,  et  mouitu  fato- 
rum  pi'aedicta  accipicbat  ,   cupidine  ingenii 
Jiumani    libcntiùs    obscura    crcdcndi  ;    ucc 
deerat  Ptolomœus  ,  jam  et   scelcris  instinc- 
tor  ,  ad  quod  lacilliuiè  ab  cjus  modi  vota 
tiansitur. 


DU  LIVRE  I.  DE  TACITE.       55 

accoutumera  une  vie  trop  licencieuse  pour  une 
maison  privée  ,  eu  rappellant  la  magnificence 
du  palais  de  Néron  ,  les  adultères ,  les  fêtes 
nuptiales,  ettouteslesdébaucliesdes  princes, 
à  un  homme  ardent  après  tout  cela  ,  le  lui 
montraient  en  proie  à  d'autres  par  son  indo- 
lence ,  et  à  lui  s'il  osait  s'en  emparer.  Les 
astrologues  l'animaient  encore  en  publiant 
que  d'extraordinaires  mouvemens  dans  les 
cieux  lui  annonçaient  une  année  glorieuse  ; 
genre  d'hommes  fait  pour  leurrer  les  grands  , 
abuser  les  simples  ,  qu'on  chassera  sans  cesse 
de  notre  ville ,  et  qui  s'y  maintiendra  toujours. 
Poppée  en  avait  secrètement  employé  plu- 
sicvirs ,  qui  furent  l'instrument  funeste  de  sou 
mariage  avec  l'empereur.  Ptolomée ,  un  d'en- 
tr'cux,qui  avait  accompagne C'Mow  ,  lui  avait 
promis  qu'il  survivrait  à  iVcTz-ow  ;  et  l'événe- 
ment Joint  à  la  vieillesse  de  <7û'7i^<2,  à  la  jeunesse 
ù'Othon  ,  aux  conjectures  ,  et  avix  bruits  pu- 
blics ,  lui  fit  ajouter  qu'il  parviendrait  à 
l'empire.  Othon  ,  suivant  le  penchant  qu'a 
l'esprit  humain  de  s'aiîcctiouner  aux  opinions 
par  leur  obscurité  même ,  prenait  tout  cela 
j)our  de  la  science  et  pour  dos  avis  du  destin  ; 
ctjP/c/c/«(re  ne  manqua  pas,selon  la  coutume, 

C    2 


%6  TRADUCTION 


Scd  scclcris  cogilatio  Inccrtum  au  rcpcns  J 
studia  militum  jam  pridcmspc  succfssiouis  , 
ant  paintu  facinoris  adcctaverat.  Tu  iliiu-rc  , 
iu  aguiine  ,  in  stationibus  ,  vetitstissiiiniui 
qucuiqnc  milituiu  uouiiuevocans  ,  au  uic:uo- 
rlâ  iierouiaui  couiilatùà  ,  coi  tu'tfuriiales 
ajjpcllauilo  ,  alios  aj^aoscere  ,  quo.-dain  rc- 
quufic  ,  et  pccuuià  aut  ^ratià  juvare:  iuse- 
xendo  saepiùs  qnnelas ,  et  ambiguos  de  Galba 
scruioucs  ,  qua^quc  alla  tuibauicnta  vulgi. 
Labores  itiueruui  ,  inopia  couiitieatuuiu  , 
duiitia  iuipcrii  ,  atrociùs  accipici^;iutur  ; 
cùm  Campaniae  lacus  et  Achaiœ  urbt  s  clas- 
sibus  adiri  soliti  ,  Pyircnœuiu  et  Alpes  ,  et 
imiucusa  viaruui  spatia  ,  œgrè  sub  anuis 
cuilciculur. 


rla-;rautibns  iaui  luilitum  aniiuis  ,  vclut 
faces  addideiat  Ulcrius  Pudciis  ,  è  pioxuuis 
'J'j'î^ellini}  is  moljilissimumqueuupic  iugcuioj 


DU  LIVRE  I.  DE  TACITE.       S; 

d'être  l'instigateur  du  crime  doat  il  avait  tt« 
le  prophète. 

Soit  c[\\Othoji  eut  ou  non  forme  ce  projet , 
il  est  certain  qu'il  cultivait  depuis  long-temps 
les  gens  de  guerre  ,  comme  espe'rant  succéder 
àl'empire  ou  l'usurper.  Eu  route,  eu  hatiille, 
au  camp  ,  nommant  les  vieux  soldats  parleur 
nom  ,  et  comme  ayaut  servi  avec  eux  sous 
Néron  ,  les €i\iipe]ant  camarades ,  il  reconiu'.i- 
sait  les  uns,  s'informait  des  au  1res  ,  et  les  aidait 
tous  de  sa  bourse  ou  de  son  crc'dit.  Il  t-ntrc- 
mêlait  tout  cela  de  fréquentes  plaintes  ,  de 
discours  équivoques  sur  Galba  ,  et  de  ce  qu'il 
y  a  de  plus  propre  à  émouvoir  le  peuple.  Les 
fatigues  des  marches,  la  rareté  des  vivres, 
la  dureté  du  eonimandement ,  ri  enveni;ii;:it 
tout  ;  comparant  les  anciennes  et  agréables 
navigations  de  la  Campanie  et  des  villes 
grecques  ,  avec  les  longs  et  rudes  trajets  des 
Fyrcnces  et  des  Alpes , où  l'on  pouvait  à  peine 
«outenir  le  poids  de  ses  armes. 

Pudeiis  ,  un  des  confidens  (Iq  TigcHi/ms! , 
séduisant  diver^^^ement  les  plus  renuiaiis  ,  Ic-i 
plus  obérés,  les  plus  crédules  ,  achevait  d'allit- 
lucr  les  cspiiu  déjà  écUaull'és  des  soldais.  £1 

C  3 


S8  TRADUCTION 

aut  pecuiiiae  indigum  ,  et  in  no\Kis  cupîditate» 
praecipitemaIliciendo,ebpaulatim  progressas 
est  ut  per  spccicm  coiivivii ,  quoties  Galba 
apud  Othonan  epularetur  ,  coliorti  excubias 
agcnti  ,  viritim  cciitenos  nummos  dividcrct  ; 
quam  velut  puhlicamlargitioncm,O^Ao  secrc- 
tioribus  apud  singulos  prœiuiis  intendebat. 
Adeo  animosus  ç.oxxw'^'iox ^wWocceioProculo 
speculatori  de  parte  finium  cum  viciuo  am- 
bigenti  ,  uuiversum  vicini  agruui  suâ  pecuniâ 
emptum  dono  dederit  ;  pcr  socordiam  prac- 
fecti ,  (juem  nota  pariter  et  occulta  fallebaut. 

Sed  tum  è  libertis  Onomastum  future  sce- 
Icri  praefccit  ,  à  que  Barhium  Procuhim 
tesserarium  speculatorum ,  et  Vetiirium  op- 
tioneui  corumdcm  pcrductos  ,  postquam 
varie  sermoiie  callidos  audacesquc  cognovit  , 
prrtio  et  proinissis  onerat,  data  pecuniâ  ad 
pcrtentaudos  pluriuni  auitnos.  Snscepore  diîo 
inanipuiarcs  impcnum  populi  romani  Irans- 
fciendum  ,  et  transtnienuit.  In  conscicntiani 
facinoris  pauci  asciti  ,  suspenses  caetcrornni 
auimos  diversis  artibus  stimulant  ;  priiuores 


DU  LIVRE  I.  DE  TACITE.      59 

en  vint  au  point  que  ,  chaque  fois  que  Galba 
mangeait  chez  Othon^  l'on  distribuait  cent 
sesterces  par  tcte  à  la  cohorte  qui  était  de 
garde  ,  comme  pour  sa  part  du  festin  ;  distri- 
bution que ,  sous  l'air  d'une  largesse  publique  , 
Othoii  soutenait  encore  par  d'autres  dons 
particuliers.  Il  e'tait  même  si  artlent  à  les 
corrompre,  et  la  stupidité'  du  préfet  qu'on 
trompait  jusques  sous  ses  yeux  fut  si  grande  , 
que  sur  une  dispute  de  Proculas  lancier  delà 
garde  avec  un  voisin  pour  quelque  borne  com- 
mune ,  Othon  acheta  tout  le  champ  du  voisin 
et  le  donna  à  Proculus. 


Ensuite  il  choisit  pour  chef  de  l'entrepris* 
qu'il  méditait  Ouomastns  un  de  ses  affran- 
chis, qui  lui  ayant  amené  Barhius  et  f'ctn- 
rius  ,  tous  deux  bas  officiers  des  gardes; 
après  les  avoir  trouvés  à  l'examen  rusés  et 
courageux,  il  les  chargea  de  dons,  de  pro- 
messes ,  d'argent  pour  en  gagner  d'autres;  et 
l'on  vit  ainsi  deux  manipulaires  entreprendre 
et  venir  à  bout  de  dispoier  de  l'empire  romain. 
Ils  mirent  peu  de  gens  dans  le  secret ,  et  tenant 
les  autres  en  suspens  ,  ils  les  excitaient  par 
divers  moyens  ;  les  chefs  comme  suspects  par 


go  TRADUCTIOIT 

milUviin,  pi-ibcnelicia  Xyinvliidli ui  susprc- 
tos  ;  vuigus  et  c.xtcros  ,  ira  et  dcspcr  tiou© 
dilati  toties  danntivi  ;  eraiit  qnos  incuioria 
jVeronis,  ac  dcsiderium  prloris  licciitiœ  accni- 
dcret  •,  Tu  coniinunc  ciuues  uictu  uiutaiulca 
xuilUiœ  estcnchaulur. 

Infccit  ea  tabcslei^iouvim  quoquc  et  nuxil:0- 
ruiu  moins  jaai  mentes  ,  postqiiam  vuli^atuui 
erat  labarc  Ccnnaniei  cxereitùs  fidem.  Adco- 
quc  parata  apud  malos  scditio  ,  etiaiii  aiuid 
iatcgros  dissitnul  itio  luit  ,  \tt  postcro  idiiuiu 
die  ,  rcdeiintciu  à  cocnà  Othoncvi  vaptmi 
fneriiitjuisi  iiiccita  noetls,ct  totà  nrhc  sparsa 
militum  castra,  uec  facilein  inter  tcîuulentos 
coiiscnsum  tliUiiissoiiL  ;  non  roipiih!ic;c  cnrà  , 
quam  i'œdare  priucipis  sui  s:;nyniiic  solnii 
panibant,  sed  ne  pcr  tenebras  ,  iit  qnisquc 
rannonici  vel  Gcrinanici  cxercitns  mililibns 
oblatus  essct  ,  iguorantilms  plerisquc  pra 
Otiione  destiuarctar.  Multa  cruuipcniis  sedi- 
tioiiisir.dicia  pcr  conscios  oppressa  ;  quoedaiu 
apud  Galh.v  aiircs  pr-Tleclns  l.aco  elus:t> 
ii^uanis   luililaiiuiu  auiuioiuiu  ,   couslîiiqir© 


DU  LIVRE  I.  DE  TACITE.       6x 

les  bienfaits  de  Nympliidins  ,  les  soldats  par 
le  dcpit  (ie  se  voirfrusti-cs  du  donatif  si  long- 
temps attendu;  rappelant  :i  quelques-uns  le 
souvenir  de  iVWcw  ,  ils  rallumoicnt  eu  eux 
le  de'sir  de  l'ancieune  licence  ;  cnfia  ils  les 
eîîrnyaient  tous  par  la  peur  d'un  changement 
dans  la  uiilico. 

Si-tôt  qu'on  sut  la  deTi'ctIon  de  l'armée 
d'AHcmaçnc  ,  le  venin  j^agna  les  esprits  déjà 
émus  des  légions  et  des  auxiliaires.  Ricutôt  les 
mal-intentionnés  se  Irouvèrent  si  disposés  à  la 
sédition,  et  les  bons  si  tièdes  à  la  réprimer  , 
que  le  quatorze  de  janvier,  Othon  revenant 
de  soupor  eut  été  enlevé  ,  si  l'on  n'eût  craint 
les  erreurs  de  la  nuit  ,  les  troupes  cantonnée» 
p.-.r  toute  11  ville,  et  le  peu  d'accord  qui 
rc^ne  dans  la  chaleur  du  vin.  Ce  ne  fut  pas 
l'intérêt  de  l'Etat  qui  retint  ceux  qui  médi- 
taient à  ;run  de  souiller  Icni-s  mains  dans  le 
sang  de  leur  priiicc  ,  mais  le  dan^^er  qiVua 
autre  ne  IVit  pris  dans  l'obscurité  pour  Olhon  , 
parles  soldats  des  armées  de  Hongrie  et  d'AU 
Icnia^nc  qui  ne  le  connaissaient  pas.  I^es  cou-» 
jurés  étouiïèrcnt  plusieurs  indices  de  la 
sédition  naissante;  et  ce  qu'il  en  parvint  aux 
oreilles    de    Galba   l'ut    éludé   par    Lacjn  ^ 


52  TRADUCTION 

quamvis   egregii  ,    quod  non   ipse  afferrct- 
iuimicus  ,  et  adversus  peritos  pervicax. 


yviii  kalend.  febr.  sacrlficanti  pro  aede 
'Apolloais  GaIùce,harasY)CKl/m/jricius  tristia 
exta  ,  et  instantes  iusidias,  ac  domesticum 
hostem  praedicit  :  audiente  Othone  ,  (  naui 
proximus  astiterat)  idque  ut  laetuni  è  contra- 
rio ,  et  suis  cogitationibus  prospcrum  inter- 
prétante. Necmulto  postlibertus  Onomastus 
nunciat  expectari  eutn  ab  arcbitecto  et  re- 
dctnptoribus  ;  quse  signiticatio  coëuntium 
jani  militum,  et  para^:ae  coujuratiouis  conve- 
•nc.xaX.Otho.,  causant  digressùs  requirentibus; 
cùm  enù  sibi  praedia  vetustatc  suspecta, eoque 
priùs  explorauda  finxisset  ,  innixus  liborto  , 
per  Tiberianam  domuni  in  Velabruni ,  iude 
ad  niiliarium  aureuni  ,  sub  œdcni  Saturai 
pergit.  Ibi  très  et  vigeuti  specnlatorcs  cousa- 
lutatum  imperatoreni  ,  ac  paucitate  salutan- 
tiumtrepidum,etsellaefcstinantcrirapositum, 
îlrictis  mucrouibus  rapiuut.  Totidem  ferme 


DU  LIVRE  I.  DE  TACITE.       63 

homme  incapable  de  lire  dans  l'esprit  des 
soldats  ,  enuemi  de  tout  bon  conseil  qu'il 
n'avait  pas  donné,  et  touj  ours  résistant  à  l'avis 
des  sages. 

Le  quinze  de  janvier,  comme  Galba  sacri- 
fiait au  temple  d'Apollon ,  l'aruspice  U?nbri~ 
dus ,  sur  le  triste  aspect  des  entrailles  lui 
dénonça  d'actuelles  embûches  et  un  ennemi 
domestique  ;  tandis  qu'Othon  ,  qui  était 
présent^  se  réjouissait  de  ces  mauvais  augures 
et  les  interprétait  favorablement  pour  ses 
desseins.  Un  moment  après  Onomastus  vint 
lui  dire  que  l'architecte  et  les  experts  l'atten- 
daient ;  mot  convenu  pour  lui  annoncer 
l'assemblée  des  soldats  et  les  apprêts  de  la 
conjuration.  Othon  fit  croire  h  ceux  qui  lui 
demandaient  où  il  allait,  que  ,  j^rcs  d'acheter 
une  vieille  maison  de  campagne,  il  voulait 
auparavant  la  faire  examiner  ;  puis  suivant 
rnftranchi  à  travers  le  palais  de  Tibère  au 
Vélabrc,  et  de  là  vers  la  colonne  dorée  sous 
le  temple  de  Saturne,  il  fut  salué  empereur 
par  vingt-trois  soldats,  qui  le  placèrent  aussi- 
tôt sur  une  chaire  curule  tout  consterné  de 
leur  petit  nombre,  et  l'environnèrent  l'épce 
à  la  main.  Chemin  fcsayt^  y,  furent  joizit* 


^4  TRADUCTION 

milites  in  itlucrc  aggrci^autnr  ,  alii  consciciî- 
tiâ  ,  plciique  miiacnîo  ;  pars  clamore  et 
gladiis  ,  pars  sileutio  ,  auiuiuui  ci  cvcutu 
suuipturi. 


Stationcm  in  castris  agcbat  Julius  Mar- 
iialis  tribuuus.  Is  rnaguitudiue  subiti  sccleris, 
au  torrupta  latiùs  castra  ,  ac  si  contra  teiide- 
rct  ,  cxitiiiin  nietucMis  ,  prœhnit  plerisquc 
fiispicionem  cousciciitipc.  Adtcposaérc  cDctcri 
tfiîoqne  trilniui  ccnturicncsqnc  prcxsciitia 
(lubiis  et  îiouestis.  Tsqne  habilus  auinioruin 
fuit,  lU  pcssiumm  facinus  auclcrcrit  pai:i;i , 
jplures  vclieut ,  ouincs  p  ilciCiitur. 

Jn-narus  intérim  Galba  et  sacris  întenîu?, 
fatigabat  alicni  iam  impcrii  dcos  ,cùm  affei  lur 
rumorrapi  iii  cn?tra  ,  inccrtum  quciu  seiu.to- 
rcm,  uioxOi?/70WfW  t'ssc  qui  raperctur.  Siinul 
ex  totà  urbe  ,  ut  quisque  obvius  fucrat,  aîii 
forinidiucm  au-eutes  ,  quidam  minora  vcro  , 
us    lum   quldeui    obiiti    aduialiouis.    Jgitur 

pai: 


DU  LTVRE  I.  DE  TACT  TE.       6â 

par  un  nombre  à-pcn-prcs  égal  de  leur» 
caiinrr.dcs.  Les  uns  instruits  du  cou  olot 
riicconipagnaient  à  fi^rands  cris  avec  îtiirs 
armes;  d'antres  frappes  du  spectacle  se  dispo- 
saient eu  silence  a  prendre  conseil  de  l'e'vc'ue- 
xiicnt. 


Le  tribun  Martialis  qui  était  de  garde  au 
camp,  cflVayc  d'une  si  prompte  et  si  grand© 
entreprise  ,  ou  craignant  que  la  sédition  n'eût 
grgné  ses  soldats,  et  qu'il  ne  fVit  tué  en  s'y 
opposant,  Fut  soupçonné  par  plusieurs  d'ca 
être  complice.  Tons  les  autres  tribun^  et 
centurions  préférèrent  aussi  le  parti  le  plus  sûr 
au  plus  Ironnéte.  iùifin  ,  tel  fut  l'état  des 
esprits,  qu'un  jxtit  nombre  ayant  entrepris 
un  forfait  déte-^tible,  plusieurs  Tapprouvè- 
reut ,  et  tous  le  souffrirent. 

Cependant  Galba  tranquillement  occupé 
de  son  sacrifiée  ,  importunait  les  Dieux  pour 
un  empire  qui  n'était  plus  à  lui  ;  quanil  tont- 
a-eonp  un  bruit  s'éleva  que  les  troupes  enle- 
vaient un  sénateur  qu'on  ne  nomm 'it  jias  , 
mais  qu'on  sut  ensuite  être  Cthon.  Aus>i-tôt 
on  vitaeeonrir  de'<  gens  de  ton-,  les  quartiers  ; 
et  à  mesure  qu'on  les  rencontrai t,  plusieurs 

Mélanges.  Toine  V.  D 


66  TRADUCTION 

consultantilms  placuit  pcitentaii  nnimura 
cohoitisqua;  iu  pnlatio  statioiieinagcbat  ,ucc 
pcr  ipsnin  Galhnin  ,  cujus  intégra  auctoritas 
inaioiibus  rcmcdiis  scrvabatur. 


Piso  pvo  gradibus  domùs  vocatos  iu  hune 
nioduui  allocutus  est  ;  Sextiis  dies  agitur  , 
coininilitones  ,  ex  qiio  igiiarus  fntiiri  ,  et 
sive  optandum  hoc  nomen  sivc  timcudutn 
erat  j  Cœsar  ascitus  sum  :quo  domùs  nostrce 
aiit  reipuhlicœ  fato  ,  in  vesttâ  manu  positum 
est  y  non  quia  ,  meo  iiomine  ,  tristiorem 
casum  paveam  ,  ut  qui  ad  versas  res  exper- 
tus  _,  cum  maxime  discarn,  ne  secundas  qul- 
dem  minus  discriminis  habere  :  patris  et 
tenatus  it  ipsius  imperii  vicem  doleo  ,  si 
no'bis  aut  perire  hodie  necesse  est  j  aut,quod 
œque  apud  honos  jniserum  est  3  occidcrc. 
Solatinm  proximi  motùs  habebarnus ,  in- 
crneiilam  urbem  et  res  sine  discordiez  trans- 
latas j  pro visu /n adoption e  vidcbatur^  ut  ne 
vûsl  Galbam  quidem  bello  locus  esset. 


DU  LIVRE  I.  DE  TACITE.       67 

^lî^mcn talent  le  mal  et  d'autres  rextéuuiilent , 
jic  pouvant  en  cet  instant  même  renoncer  à 
la  flatterie.  On  tint  conseil  ,  et  il  fut  résolu 
que  Pison  sonderait  la  disposition  de  la 
cohorte  qui  était  de  garde  au  palais  ,  réser- 
vant l'autorité  eucorc  entière  de  Galba  pour 
de  plus  prcssans  besoins. 

Ayant  donc  assemblé  les  soldats  devant  les 
dc^-i'cs  du  palais  ,  Pison  leur  parla  ainsi  : 
«  Compagnons  ,  il  y  a  six  jours  que  je  fus 
«  nommé  césar  ,  sans  prévoir  l'avenir  et 
«  sans  savoir  si  ce  choix  me  serait  utile  ou 
«  funeste.  C'est  à  vous  d'en  fixer  le  sort  pour 
«  la  république  et  pour  nous  ;  ce  n'est  pas 
«  que  je  craigne  pour  moi-même,  trop  ins- 
«c  truit  par  mes  malheurs  à  ne  point  compter 
«  sur  la  prospérité  :  mais  je  plains  mon  père , 
«  le  sénat,eireinpire,  en  nous  voyant  réduits 
«  à  recevoir  la  mort  ou  à  la  donner,  cxtré- 
«  mité  non  moins  cruelle  pour  des  gens  de 
«  bien  ',  tandis  qu'après  les  derniers  mouv(  - 
«  mens  on  se  félicitait  que  Rome  eût  été? 
«  cxemptcdcviolcnceetde  meurtres,  et  qu'on 
«  espérait  avoir  pourvu  par  l'adoption  à 
«  prévenir  toute  cause  de  guerre  après  la 
«  uiort  de  Galha. 

D  2 


68  T  R  A  D  U  C  T  I  O  N 

Nihil  arrcgaho  viihi  nohilitatis  mit  mo- 
dextiœ ;  necjne  enim  relatii  virtutmn,  in  com~ 
paratione  Othonis  ,  opiis  eut.  fit  la  ,  ijniims 
solis  gloriatur  ,  evej'têre  imperiiim  efiam 
chm  nmiciun  imperatnris  agcret.  Hahilnne 
et  i-iu-cssu  ,  an  illo  inuliebri  omatii ,  merc- 
r€t!ir  Impcrium?  Falluntiir,  çnihiis  I/t.ntritz 
spccie  liheralitatia  imponit.  Perdere  islc 
scie/  ,  dofinre  nescief.  Stnpra  nuitc ,  et  lOmes- 
se.  lianes  _,  ctfeniiiianun  cœfrix ,  lyolvitaniiuo; 
hœc  priucipatîis  prjeniia  putat  ,  tjiiontin 
Jiliido  ac  rolîip.'as ,  pniex  ipsnmsit  ,•  rubor 
ac  dedecim, pênes  onities: nemoeiiiin  vn^naia 
iviperiuni  Jlagiiio  qucesitiwi  bonis  ariibus 
ex  er cuit, 

Galbam  consensus  generis  hmnani  ,  me. 
Galba  ,  consentientibns  vohis  ,  Coesarcm 
dixijt.  Si  respnblica ,  et  senalus  ,  et  popuJus, 
vana  nomiua  snnt  :  vesirâ  ,  commilitones  , 
inierest ,  ne  imperatorem  pessimi  faciant. 
Legionum  seditio  adversum  duces  suos  an- 
dita  est  aliquando  :  vestra  /ides  faniaqne 
illœsa  ad  hune  diern  mansit ;ctNero  ijuo(jue 


DU  LIVRE  I.  DE  TACITE.       67 

«<  Je  uc  vous  parlerai  ni  de  mon  nom,  n^ 
«  de  mes  mœurs  ;  ou  a  peu  bcoin  de  vertu» 
«  pour  se  com;:arcr  à  Othon.  Ses  vices,  dont 
«  il  fait  toute  sa  gloire  ,  ont  ruine  l'Etat 
«  quand  il  était  ami  du  prince.  Est-ce  par 
«  son  air  ,  par  sa  démartlic  ,  ])ar  sa  panne 
«  eiréniinee  qu'il  se  crQÏt  digne  de  l'cuipire? 
«  On  se  trompe  beaucoup,  si  l'on  prend  son 
*  luxe  pour  de  la  libéraLté.  Plus  il  .^aura 
«  perdre,  et  moins  il  saura  donner.  Débaii- 
«  elles,  festins,  attroupemens  de  femmes, 
«  voilà  les  proiets  qu'il  nie'dite  ,et,  selon  lui , 
«  les  droits  de  l'empire  ,  dont  la  volupté  sera 
«  pour  lui  seul  ,  la  lionle  et  le  désliouneur 
«  pour  tous  ;  car  jamais  souverain  pouvoir 
«  acquis  par  le  crime  ue  fut  vertucubcuieul 
«  exercé. 

«  Galba  fut  nommé  ce'sar  par  le  genre- 
m  Lumain  ,  et  je  l'ai  e'té  par  Galba  de  votre 
«  consentement.  Compa!::,nons  ,  j'is^nore  s'il 
«  vous  est  indiffèrent  que  la  république  ,  le 
«  sénat  et  le  peuple,  ne  soient  que  de  vains 
«  noms  ;  mais  je  sais  au-moins  qu'il  vous 
«  importe  que  des  scélérats  ne  vous  don- 
«  nent  pas  un  chef.  On  a  vu  quelquefois 
«  des  léyious  se  révolter  contre  leurs  tribuns  ; 

D  3 


70  TRADUCTION 

vos  destituit,  non  vos  Neronem.  Minus  xxx 
tranfugœ  et  desertores  ,  quos  centurionem 
aut  tribnnum  sibi  eligentes  nemo  ferret  y 
imper liim  assignabiint?  y4 dmittitis  excm- 
phun ,  eti]u  iescen  do  commune criinenfacitis  ? 
transcciidet  JiJec  Ucentia  in  proi^'incias  y  et 
ad  nos  scelerum  exitns  _,  belloruni  ad  vos 
pertimbunt.  Nec  est  plus  quod  pro  cœde 
principis  ,  quàm  quod  innoccntibus  datur  ; 
sed  proinde  à  nobis  donativum  ob  fidem  , 
quàm  ab  aliis  pro  faciuore  accipietis. 


Dilapsisspcculatoribiis ,  cœteracohors  non 
aspcniata  conciouaiitcin  ,  ut  tiirl)idis  rcbus 
evcuit,  forte  iiiagib  et  non  ,  niillo  adliuc  con- 
silio  ,  parât  signa  ,  quodpostca  creditumest, 
iusidiis  et  simulatiouc. 


DU  LIVRE  I.  DE  TACITE.       71 

«  jusqu'ici  votre  gloire  et  votre  fidélité  n'ont 
«  reçu  nulle  atteinte  ;  et  Néron  lui-ni6aic 
«  vous  abandonna  plutôt  qu'il  ne  fut  abau- 
«  donné  de  vous.  Quoi!  verrons-nous  une 
«   trentaine  au  plus  de  déserteurs  et  de  traus- 
«  fu-cs  ,  a  qui  l'on  ne  permettrait  pas  de  se 
«  choisir  seulement  un  otncier  ,  faire  un  eux- 
«   pereur  ?  Si  vous  souffrez  uu  tel  exemple  , 
«   si    vous    partagez  le  crime  en   le   laissant 
«   commettre  ,  cette  licence  passera  dans  les 
«c  provinces,  nous  périrons  par  les  meurtres 
«t  et  vous  par  les  combats  ,  sans  que  la  solde 
«  en  soit  plus  grande  pour  avoir  égorgé  soa 
«   prince,  que  pour   avoir  fait  son  devoir  : 
«   nais   le  donatif  n'en   vaudra    pas   moins, 
K  reçu  de  nous  pour  le  prix  de  la  fidélité, 
«  que    d'uu   autre  pour  le  prix  de   la  tra- 
«   bison  ». 

Les  lanciers  de  la  garde  ayant  disparu  ,  le 
reste  delà  cohorte,  sans  paraître  mépriser  le 
discours  de  Pison ,  se  mit  en  devoir  de  pré- 
parer ses  enseignes,  plutôt  par  hasard  ,  et  , 
comme  il  arrive  en  ces  momens  de  trouble  , 
sans  trop  savoir  ce  qu'on  fcsait,  que  p.^r  une 
feinte  insicJicrUsccommeoiii'a  cru ilans  laouitc. 

D  4 


72  TRADUCTIOTSr 

Missus  et   Celsiis  Marins  ad  clcctos  Illy- 
rici  exercrtùs  ,  Vipsauiâ  in  porticu  tciulentes. 
Prœceptiiin  ^tnulio  Scrcno'QS.  Domitio  Sa- 
bino  piiuiipilai;!)i,s,  ut  Gcniiaiiicos  milites 
c  Libertatis  atrioacccrscrent.Legioui  classicœ 
diffidebalur  ,   iufcslJE  ob  cacdcm  comu.ilito- 
inuii  quo3  |)rimo  statim  ialroitii  trncidaverat 
Galba.  Pei-uut  ctiain  in  tastra  prrtori  uo- 
ïum  tiihimi  Cetrins  Severns ,  SuhriusT-fx- 
^er^  Pompe  lu  s  Loiigiinis  ,  si  iiK-ipicns  a  'luic 
et  nec'Ium    acHlta  seditio   mdioiibiis   cou- 
siliis    flectcretur.    Tribunorum  Subrivm  et 
Cetrium   milites   adorli    minis   ,    Longinvm 
mauibui,  coerceut  ,  exaiuiaiitquc  ;  quia  non 
ordiiic  militiae,    sed  c  Galbœ  amicis  ,  G.lus 
priucipi  suc  ,  et    dcsciscentibus    suspcctior 
erat.  Legio  classica  uihil  cunctata  prcctoriaiiis 
adjungitur.    Jllyrici   cxcicitùs  elccti  Celsiim 
ingestis  piJis  proturbant.  Gennanica   vexiJla 
iu  nutaverc,  iiivalidis  adhuc  corpoiikus  ,  et 
placdtis  animis  ,  qu6d  cos  à  Ncrone  AJcxaa- 
driam  prœmissos  ,  atque   indè  lursus  loiigà 
iiavigatioiie  œf^ros  ,  inipcusiore  cuiû  Galba 
rcfovcLat, 


DU  LIVRE  I.  DE  TACITE.       yS 

Ce/sus   fut   envoyé   au    dctaclicment    de 
l'arniec    d'Illyi'ie  vois  le  portique  de    J'ip- 
saniJis.  Ou  ordonua  aux  priinipilaircs  Sere- 
Tiiis  QiSabinus  d'aincuer  les  soldats  Germains 
du  temple  de  la   liberté.  On  se  déliait  de  la 
légion  marine  aigrie  par  le  meurtre  de  ses  sol- 
dats que  CaJha  avaii  fuit  tuera  sou  arrivée. 
Les  trijjiius  Cetriiis  ,  Subriiia  et  Lotiginus 
allèrent  au   camp  prétorien  pour  tâcher  d'é- 
toufFer  la  sédition  naissante,  avanlqu'clîe  eût 
tclaté.  Les  soldats  menacèrent  les  deux  ])re- 
ïniers  ;  tuais  Lohgin  fut  maltr  ité  et  dés  rmé, 
parce   qu'il    n'avait   pas  passé  p  r  les  f^rade» 
militaires,  et  qu'étant  dans  la  confiance  de 
Galho  ,  il  eu  était  plus  suspect  aux  rebelles. 
La  lé.'^ion  de  mer  ne  balança  pas  à  se  joindre 
aux  prétoriens.   Ceux  du  delacliement  d'Il- 
ïyrie,  présentant  à  C\'hiis\-A  pointe  des  armes, 
ne  voulurcfit  point  l'écouter.  Mais  les  troupes 
d'Alleuiïignc  liésitèrcnt  long-temps,  n'ayant 
pas    encore  recouvré  leurs  forces,   et    ayant 
perdu  toute    mauvaise  volonté,   denuis  que 
revenues  malades  de    la   longue  navigation 
d'Alexandrie,  où  Néron  les  avait  envoyées  , 
Cnll/a  n'épargnait  ui  soin  ni  dépenses  pour 
ks  rétablir. 

D  & 


74  TRADUCTION 

Uiiircrsa  jam  plcbs  palatium  implcbat  ^ 
mixtis  servi tiis  ,  et  dissouo  climorc  ,  cacdcm 
Othonis  et  conjuraloruin  cxsiliuin  posceu- 
tiiiin,utsi  iiicircoacthcatroludicrunialiquod 
postulaient.  Ncque  illis  judiciuuiaut  verilas; 
quippe  codem  die  diversa  pari certamiue  pos- 
tnlaturis  :  sed  tradito  more  ,  quemcumque 
priucipeiu  adulaudi ,  liceutiâ  acclamatiouum, 
et  studiis  iiianibus. 

Intérim  Galham  duae  sentcntiœ  distine- 
bant.  Titus p'inius  manunduni  intra  domum, 
opponenda  servitia  ,  tirraandos  aditus  ,  non 
euudnm  ad  iratos  censebat  :  darct  malorum 
pcenitcnticX  ,  daret  bonoriim  conscnsni  spa- 
tiuin  ;  scclera  iinpctu  ,  bona  consib'a  raorâ 
valcscere.  Dcniqiie  cnudi  iiltro  si  ratio  sit, 
eamdem  aïox  facullatciu  :  rcgrcssus  ,  si  pœui- 
teat  in  aliéna  potcstale. 


Festinandum  cocteris  vidcbatnr  ,  antrquam 
crcsceret  invalida  adliuc  eonjn ratio  pauco- 
rum.  Trépida turum  ctiam  Othonem  ,  qui 
furtitn  digrcssus  ,  ad  isuaros  illatus,  cuncta- 


DU  LIVRE  I.  DE  TACITE.       7S 

La  foule  du  peuple  et  des  esclaves  ,  qui  , 
duraut  ce  temps,  remplissaient  le  palais  ,  de- 
mandait à  cris  perçans  la  mort  d'Ot/wji  ,  et 
l'exil  des  conjurés,  comme  ils  auraient  de- 
mandé quelque  scène  dans  les  jeux  publics  ; 
non  que  le  jugement  ou  le  zèle  excitât  des 
clameurs,  qui  ciiangèrcut  d'objet  dès  le  même 
jour,  mais  par  l'usage  établi  d'enivrer  cliaquo 
prince  d'acclamatiosis  cflréuées  et  de  vaincs 
flatteries. 

Optiidant  Galba  flottait  entre  deux  avis. 
Celui  de  i  'inius  était  qu'il  Cillait  armer  les 
esclaves,  rester  dans  le  palais,  et  en  barrica- 
lier  les  avenues  ;  qu'au-lieu  de  s'ollVir  à  Azt, 
gens  écUauffés,  ou  devait  laisser  le  temps  aux 
révoltés  de  se  repentir  et  aux  Qdèlcs  de  se  ras- 
surer; que  si  la  promptitude  convient  aux 
iorfails,  le  temps  favorise  les  bons  desseins  ; 
qu'enfin  l'on  aurait  toujours  la  uicmc  liberté 
d'aller  s'il  était  nécessaire ,  mais  qu'on  n'é- 
tait pas  sûr  d'avoir  celle  du  retour  au  besoin. 

Les  autres  jugeaient  qu'en  se  liàt;i!itdc  pré- 
venir le  progrès  d'une  sédition  faible  encora 
et  peu  nombreuse,  on  épouvanterait  Othoti 
mémCj  qui,  b'étaut  livre   iuitivemrnt  à  de* 

U  6 


76  TRADUCTION 

tioiie  nuuc  et  sci^iîitiâ  tcientium  tempus  , 
imitari  iJiiucipeui  cliscat.  Nou  exspectandum 
«t  couipositis  castris  ,  forum  invadat  ,  et 
prospectante  Galba  Cap;toIium  adcat  ;  dnm 
egiegiiis  imperator  ,  cum  fortil)i!s  auiicis  , 
jainià  ac  liuiiiie  tenus  (lonunn  clu  it  ,  obsi- 
dioîicui  uiiMiruiu  tolcn'.turus.  Et  pia'clarum 
ïu  servis  auNiliu:n  ,  si  couseusus  tantae  inul- 
tltu'liuis  ,  et  qnae  p!uriii:ùiu  v  let  ,  priuta 
indiguatio  laiigucscat.  Pioinde  iututa  ,  quae 
indecora  ;  vcl  si  cnderc  uecesse  sit ,  occurrcu- 
dum  distriiuiiu  :  id  Othoni  invidiosius,  et 
ipsishonestum.  Rcpuguaulem  linic  senteiitiai 
P'iniuîîi ,  Laco  uiiuaciter  iuvasit  ,slitiiulaiite 
Jcelo,  privati  odii  pertiuacià  ,  iu  publicnui 
exitiuui.  ]\ec  diutiù.s  Galba  cuactatis  spccio- 
siora  suadcutibus  accetcit. 


Propmissus  tamcn  in  castra  Plso  ,ut  invenis 
taagiio  uouiiac  ,  rccenti  l'avore  ,  et  iufcnsus 
T.  J>'iiiio  ,  scu  quia  crat ,  seu  quia  irati  ita 
Volebautj    et  l'aeiiiùs  de  ociio  creditui-.  Yix 


DU  LIVRE  I.  DE  TACITE.       77 

inconnus  ,  proûtcrait,  pour  apprendre  a  re- 
présenter ,  de  tout  le  temps  qu'on  perdrait 
dans  une  lâche  indolence.  Fallait-il  attcudre 
qu'ayant  paciiié  le  cainp  il  vînt  s'emparer  de 
laplace,  ctuiontcr  au  capi  tôle  aux  yeux  même 
de  Galha  y   tandis  qu'un  si  grand  capitaine  et 
SCS  Ijiaves  amis  ,  renfermés  dans  les  portes  et 
le  seuil  du  palais,  l'inviteraient,  pour  ainsi 
dire  ,  à  les  assiéger  ?  (^uel  secours  pouvait-oa 
se  promettre  des  esclaves  ,  si  on  L  issoit  refroi- 
dir hi  faveur  delà  multitude,  et  sa  première 
indij^natioii  plus  puissante  que  tout  le  reste  ? 
Dailleurs  ,  disaient-ils  ,1e  parti  le  moins  hon- 
nête est  aussi  le  moins  sûr;  et  dut-on  succom- 
ber au  péril  ,  il  vaut  encore  mieux  l'aller  ciier- 
clier  :  Uthott  en  sera  plus  odieux  et  nous  eu 
aurons  plus  d'honneur,  f^inius  résistant  à  cet 
avis  fut  menacé  par  Lacon  y\x  l'instigation 
*y Icchiv ,  toujours  prêt  à  servir  sa  haine  par- 
ticuhère  aux  dépens  de  l'Etat.    Galba  ,  sans 
hésiter   plus  long-temps,  choisit  le  parti    le 
plus  spécieux. 

On  envoya  Pison  le  premier  au  camp ,  ap- 
puyé du  crtdi.t  que  devaient  lui  donner  sa 
iiaissaucç,  le  rangauquel  il  vcMiait  deinontcr, 
et  sa  colère  contre  Vinivs  ,  véritable  ou  sup- 


78  TRADUCTION 

duui  egresso  PL o/ie,  occisum  in  castris  Oi/iO" 
nem,  yagus  priuiùm  et  incertus  rumor ,  mox 
ut  in  magnis  meiid  iciis ,  inteifuisse  se  quidaui 
et  vidisse  aflirmabaut  ;  crcdulâ  famà  ,  iuter 
gaudcutes  et  incuriosos.  Multi  arhitrabautur 
coinpositumauctuiiiqiiciuuiorcm,mixtisjaBi 
Otlioniaiiis  ,  qui  ad  c\ociiu.(ii\mGa//>am  la:ta 
falso  vul^averiut. 


Tum  vcio  non  popnlus  taiitinn  et  inipeiila 
pîcbs  in  plausus  et  iaimodica  studia,  scd 
equitum  plerique  ac  scnatorum  ,  posito  mrtu 
incauti  ,  icfractis  palatii  ioribus  ruere  intùs  , 
ac  se  Galbœ  ostcutarc  ,  prœreptam  sibi  ultio- 
ncm  qiicrcnles.  Ignavissimus  quisqne,  et ,  ut 
res  docnit,  in  periculo  non  ausurus  ,  niniii 
verbis  ,  Hnguae  féroces  ;  nemo  scirc,  el  omncs 
aCBimaie  ;  doncc  inopià  veri  ,  et  conseusu 
cnautium  victus,  sumpto  tliorace  Galba  , 
iirucuti  tuibae  iicque  ittnte  nequc  corpore 
sistens  ,  selU  Icyaatur.  Obyius  iu  palatio 


DU  LIVRE  I.  DE  TACITE.       yp 

posée  telle  par  ceux  dont  p'inius  était  liaï  et 
queleurliaiiiercudaitciédules.  ApeiucPz,yow 
fnt  parti,  qu'il  s'éleva  un  bruit,  d'abord 
vague  et  incertain  ,  q^nOi/ion  avait  été  tué 
dans  le  camp.  Puis  ,  comme  il  arrive  aux 
mensonges  importans  ,  il  se  trouva  bientôt  des 
témoins  oculaires  du  faii,  qui  persuadèrent 
aisément  tous  ceux  qui  s'en  réjouissaient  ou 
qui  s'en  souciaient  peu.Miiis  plusieurs  cru- 
rent que  ce  bruit  était  répandu  et  fomenté  par 
les  amis  d'Othon  ,  pour  attirer  Galba  par  le 
leurre  d'une  bonne  nouvelle. 

Ce  fntalors  quclcs  applaudissemens  etrcm- 
pressemeut  outré  gagnant  plus  haut  qu'une 
populace  imprudente,  la  plupart  des  cheva- 
liers et  des  séi\alrurs  ,  rassurés  et  sans  précau- 
tion ,  forcèrent  les  portes  du  palais  ,  et  cou- 
rant au-devant  de  Galba ,  se  plaignaient  que 
l'honneur  de  le  venger  leur. eût  été  ravi.  Les 
plus  lâches  et,  connue  l'effet  le  prouva,  les 
moins  capables  d'affronter  le  danger,  témé- 
raires en  paroles  et  braves  de  la  langue  ,  affir- 
maient tellement  ce  qu'ils  savaient  le  moins  , 
que,  faute  d'avis  certains,  ctvaincu  par  ces 
clameurs.  Galba  pritiuie  cuirasse,  et  n'étant 
ni  d'àgc  ui  de  force  à  soutenir  le  choc  de  la 


8o  TRADUCTION 

Jiilius  y^tticus  spcculator  ,  crucntnin  g7a- 
dium  osteiitaiis  j  occisum  à  se  Othoncm  excla- 
mavit;  et  Galba  :  CommlHto  ,  inqiiit  ,  cuis 
jussit?  insigiil  auiino  ad  co'ercciidatu  mili- 
tarem  liceutiam  ,  mhiantihus  iiitrepidus , 
adversus  blaadieutes  iacorruptus. 


Haud  dubÎT Jam  in  castris  omnium  mentes, 
taiitusqiicardor,  ut  non  contcnti  agMiiue  et 
corporibus  ,  in  sng^cstu  ,  in  quo  paulo  antè 
aurea  Galhœ  statua  fuciat  ,  médium  intcr 
sign.i  Othonem  vcxillis  circuiudaicnt.  Nec 
tribunis  aut  centurionibus  adcuudi  locus , 
gregarins  miles  cavcri  insuper  pracpositos 
jubciiàt.  Sliepcic  cuncta  clamoribus  ,  et  til- 
multu  ,ct  cshorlatiouemutuàjUOn  tamquani 
iu  populo  ac  plebe  ,  variis  segni  adulationc 
votibus ,  sed  ut  queriiquc  aOlucntium  mili  tuui 
aspexerant ,  preliensaie  manibus  ,  complccti 
armis,  co'iîocare  juxta  ,  pri'eirc  saiiauicutiun  , 
HiOcJà  iiupcraloicui  mililibus  ,  modo  inipc- 
jatori  milites  coaimcudare.  I^iec  dceiat  Ot/iO 


DU  LIVRE  I.  DE  TACITE.       8i 

foule,  se  6t  porter  dans  sa  chaise.  Il  rcucon- 
tia  sortant  du  palais  iiii  gpiidôriiic  notiiiué 
Jnliusj^ttkvs ,  qui  aïoiitraiit  ^OIl  glaive  tout 
sanginnt,  s'écria  qu'il  av^ait tué  (v^/,©;/.  Cama- 
rade ,\y\\  ii  Vjd\hi\ ,  qui  vous  r a  commandé  ? 
"Vigueur  suigulièrc  d'un  liouuue  attentil'  à 
réprimer  la  licence  militaire  ,  et  qui  ne  se 
laissait  pas  plus  amorcer  par  les  flatteries  , 
qu'effrayer  par  les  menaces  ! 

Dans  le  camp  les  seutimcns  n'étoicnt  plus 
douteux  ni  partagés  ,  et  le  zèle  des  soldats 
était  tel  que,  uon  eontens  d'environner  ^^//'O/i 
de  leurs  corps  et  de  leurs  bataillons,  ils  le 
placèrent  au  milieu  des  enseignes  et  des  dra- 
peaux dans  l'enceinte  où  était  peu  auparavant 
la  statue  d'or  de  Galba.  Ni  tribuns  ni  centu- 
rions ne  pouvaient  approcher,  et  les  simples 
soldats  criaient  qu'on  prît  garde  aux  officiers. 
On  n'entendait  que  clameurs,  tumulte, exhor- 
tations u\utuelles.  Ce  n'étaient  pas  les  tièdes 
et  les  discordantes  acclamations  d'une  popu- 
lace qui  llatleson  maître;  mais  tons  les  sol- 
dats ,  qu'on  voyait  accourir  en  foule,  étaient 
prisp.ir  la  main,  embrasses  tout  armés,  ame- 
nés devant  lui;  et  après  leur  avoir  dicté  1© 
serment,  ils  recommaudaieut  l'empereur  aux 


82  TRADUCTION 

protcndciis  inanus  ;  adorare  vulguin  ,  jacere 
oscilla  ,  et  ouiuia  servilitcr  pro  domiuatioue. 


Postquamuniyersa  classicomm  legio  sacra^ 
mentum  cjusacccpit^  fideiis  viribus  ,  et  quos 
adliuc  singulos  exstimulaverat  ,  accendeiidos 
iu  coiuinuue  ratus  ,  pro  vallo  castrorum  ita 
cœplt. 

Quis  ad  vos  processer/m  ,  coimnililones  , 
dicere  non  possuui  :  quia  nec  privaUtm  me 
vocare  sustineo  ,  princeps  à  vohis  nonii^ 
natus  ^  nec  principem  ,  alio  iniperantc  ^ 
vestrum  quoque  nomen  in  incerto  erit,  donec 
duhitabitur  inipeiatoreni  populi  romani  in 
castris  ,  an  hostem  habcatis.  ^lidilis  ut 
pœna  mea  et  supplicium  restrum  simul pos- 
tnlentnr?  adeb  manifestuin  estneque  perire 
nos  ,  neque  salcos  esse  ,  nisi  unà  j  passe  ;  et 
cnjus  hnilatis  est  Galba  ,jam  fartasse  pro- 
inisit  :  ut  qui  nuUo  exposcente  ,  tôt  millia, 
innocentissiinoruvi    viilitnm     trucidaverit^ 


DU  LIVRE  I.  DE  TACITE.       83 

troupes  et  Jcs  troupes  à  reinpercur.  Othoit  ^ 
de  son  côté ,  ieadant  les  bras ,  saluant  ia  mul- 
titude ,  onvoyaiit  des  haisers,  n'omettait  riea 
de  servils  pour  couiiuaudci". 

Enfin  après  que  toute  la  Ic'gion  de  mer  lui 
eût  prêté  le  serment ,  se  confiant  en  ses  forces, 
et  voulant  animer  en  commun  tous  ceux  qu'il 
avait  excites  eu  particulier,  il  monta  sur  le 
rempart  du  camp  ,  et  leur  tiut  ce  discours. 

■»  Compagnons,  J'ai  peine  à  dire  sous  quel 
«  titre  je  me  prcscute  en  ce  lieu  :  car  élevé 
•«  par  vous  à  l'empire,  je  ne  puis  me  regarder 
«  comme  particulier ,  ni  comme  empereur 
«  taudis  qu'un  autre  commande;  et  l'on  no 
«  peut  savoir  quel  nom  vous  convient  à  vous- 
«  incmcs,  qu'en  décidant  si  celui  que  vous 
«  protégez  est  le  chef  ou  renucmi  du  peuple 
«  romain.  V^ous  entendez  que  nul  ne  de - 
«  mande  ma  punition  qui  ne  demande  aussi 
«  la  vôtre;  tant  il  est  certain  que  nous  ne 
«  pouvonsnous  sauver  ou  périr  qu'ensemble; 
«  et  vous  devez  juger  de  la  facilité  avec  la- 
«  quelle  le  clément  Galba  a  peut-être  déjà 
«  promis  votre  mort ,  par  le  meurtre  de  tant 


«4  TRADUCTION 

Horror  animuni  subit  quoties  recordor  fc" 
raient  introitum  ,  et  hanc  solam  Galùie 
victoriam  ,  chm  in  oculis  urhis  deciimari 
deditos  jiiberet ,  qiios  deprecatitcs  in  fidem 
acceperat.  His  auspicHs  nrhein  ingressus  y 
tjuamgloriam  ad  principatuni  attulit  ,nisi 
occisi  Obnltronli  Sahini,et  Coruelii  iVar- 
celli  in  Hispaniâj  tJetui  C  Tiilonis  in  G  allia, 
Fonteii  Capilonis  in  Gernianiâ  ,  Clodii 
3Jarri  in  y4frlcâ  ,  Cingonii  in  via  ,  Turpi- 
liani  in  urhe  j  Nymphidii  in  cas  tris?  (>vce 
usijuani  pro^nncia  ,  ijuœ  castra  snnt ,  nisi 
crnenta  et  inacnlata?  ant ,  vt  ipse  pnfdicaf, 
cmen  data  et  correct  a  ?  A' a  ni  qnœ  a  lii  sceltra, 
hic  remédia  vocat  ^  dunifalsis  noniinUnts  ^ 
sei'eritateni  pro  sawitiâ  ,  parcijnoniam  pro 
auaritiâ  ,  supplicia  et  contninelias  restras  , 
disciplinam  appellat.  Sep  te  ni  à  Neronisfina 
mcnses  sunt ,  et ;am  plus  rapuit  J ceins  c/nàm 
guod  Polycleti ,  et  f'atinii  ,  et  Elii.para- 
vernnt.  Minore  avariiiâ  ac  licentid  grassa- 
tus  esset  T.  l'inins  ,  si  ipse  iniperasset ; 
niinc  et  subjectos  nos  habuit  taincjiiam  suos , 
et  files  ut  aliénas.  Ijna  illa  doiiius  sujfficit 


DU  LIVRE  r.  DE  TACITE.       ??5 

•t  de  milliers  de  soldats  iiiiiocciis  que  pcr- 
«  sonne  ne  lui  demandait.  Je  frémis  eu  uie 
«  rappelant  riioireur  de  son  entrée  et  de  son. 
«  uniq'.ic  vletoire,  lorsqu'aux  j'eux  de  toute 
«  la  viile  il  {'il  déi'imer  les  prisonniers  sup- 
«  plians  qu'il  avr.it  reçus  en  grâce.  Entré  dans 
«c  Rome  soMs  de  tels  auspices,  quelle  gloire 
«  a-t'il  acquise  dans  le  ^gouvernement ,  si  ce 
«  n'est  d'avoir  fait  mourir  Sabiniis  et  Mar- 
m  celtiis  eu  Espagne,  Chilon  dans  les  Gaules, 
m.  Capiton  eu  Allemagne,  Macer  en  Afri- 
«  que,  Cingoiiiiis  en  route,  Turpilien  dans 
«  Rome,  et  Nympliidlus  au  camp?  (Quelle 
«  année  ou  qnclle  province  si  reculée  sa 
«  cru  u té  n'a-t-ellc  point  souillée  ctdésho- 
«  norée  ,  ou  selon  lui  lavée  et  purifiée  avec 
«  du  sang  ?  ('ar  traitant  les  crimes  de  remc- 
«  des  et  donnant  de  faux  noms  aux  choses  , 
«  il  appelle  la  barbarie  sévérité,  l'avarice  éco- 
«  nonue,  et  discipline  tous  les  maux  qn'il 
«  vons  fiiit  souffrir.  Il  ny  a  pns  sept  mois  que 
«  Néron  est  mort ,  et  Icelns  a  dé)à  plus  volé 
«  que  n'ont  fait  Jiliii.s  ^  Polyclète  tt  J'atl- 
«  niiis.  Si  p'inias  lui-même  eut  été  empc- 
«  rcnr  ,  il  eût  ;.,ouvenié  avec  moins  d'avarice 
«  et  de  licence  ;  iiiriis  il  nons  coniinanda 
«  comme  uses  sujets  et  nous  dédaigne  couuue 


»6  T  R  A  D  U  C  T  I  O  I^- 

donativo  quod  vobis  nnncjuam  datur  ,  et 
quotiàie  exprohratur. 


Ac  ne  qna  sciltcm  in  successoreGalbœ  sp£g 
esset ,  accersit  ab  exilio  queiu  trisiitiâ  et 
acaritiâ  suî  simiUimum  jiidicabat.  T'idis- 
tis  y  commilitones  ^  notabili  tempestaU , 
etiam  deos  infanstain  adoptionem  afersan^ 
tes  :  idem  seJiatùs  ,  idem  popiili  romani 
animiis  est  ;  vestra  rirtiis  expectatnr  ,  apud 
qnos  omne  Jiouestis  cortsiliis  robiir ,  et  sine 
quibus  ,  quamiis  egregia  invalida  sunt. 
Non  ad  helhim  vos  ,  nec adpericnlum  roco: 
omnium  milituin  arma  nobiscnm  sunt.  Nèc 
iina  coJiors  togata  défendit  nu  ne  Galbam  , 
sed  dctinet ;  chm  vos  aspexerit\  cum  signum 
meum  acceperit ,  hoc  solum  erit  certamen, 
quis  mihi  pliirimhm  imputet.  Nullus  cunc-^ 
tationi  locus  est  in  eo  consiUo  quod  non 
poiest  laudari  nisi  peractum. 


Jiperire    dcindè    armanientaiium  jussît 


DU  LIVRE  I.  DE  TACITE       S7 

«  ceux  cl\iii  antre.  Ses  riclicsses  seules  siifFi- 
«  sent  pour  ce  douatit'qu'ouvous  vante  sans 
«  cesse  et  qu'on  ne  vous  donne  jamais. 

«  Afin  de  ne  pas  même  laisser  d'espoir  à 
«  son  successeur,  G'a//^«  a  rappelé' d'exil  un 
«  lionimc  qu'il  jugeait  avare  etdurcommeîui. 
«  Les  dieux  vous  ont  avertis  par  les  signes  les 
«  plus  e'vidcns,  qu'ils  de'sapprouvaient  cette 
«  e'iectiou  :  le  se'nat  et  le  peuple  romain  no 
«  lui  sont  pas  plus  favorables  ;  mais  leur  cou- 
«  fiance  est  toute  en  votre  courage;  car  vous 
«  avez  la  force  en  main  pour  exe'cuter  les 
«  choses  honnêtes  ,  et  sans  vous  les  meilleurs 
«<  desseins  ne  pcuventavoir  d'effet.  Ne  cro3^cz 
«  pas  qu'il  soit  ici  question  de  guerres  ni  de 
«  périls,  puisque  toutes  les  troupes  sont  pour 
«  nous,  que  Galba  n'a  qu'une  coiiorte  ca 
«  toge  ,  dont  il  n'est  pas  le  chef  mais  le  pri- 
«  sonnicr,  et  dont  le  seul  combat,  à  votre 
«  aspect  et  il  mon  premier  signe,  va  être  à 
«  qui  m'aura  le  plutôt  reconnu.  Enfin  ce 
«  n'est  pas  le  cas  de  tenij)oriKer  dans  une  en- 
♦<  treprise  qu'on  ne  peut  louer  qu'après  l'cxe'- 
•  cntion  ». 

Aussi-tôt  ayant  fait  ouvrir  l'arscisal ,  tous 


ÎS  T  R  A  D  U  C  T  I  O  M 

rapta  statîm  arma  ,  sine  more  et  or  linc  niili- 
tl2e,utprxtoriaaus,autlrgionarlusinsigMibus 
suis  (iistiugiicretur  ;  misceiitur  auxiliaribns  ^ 
caleis  scutisquc.  Nullo  tribuiiorum  cciiturio- 
uuinve  ndljov.tautc  ,  sibi  quisquc  dux  et  insti- 
cator  :  et  prcEcipuuiu  pessiinorum  iucilamea- 
tuin  ,  quod  boni  inEcrcbaiit. 

Jain  exterritns  Piso  frcinitu  crebrescentis 
scditioiiis  ,  et  vocibus  in  nrbem  usquè  reso- 
iiantibns  ,  egressum  intérim  Gnlb'am  et  foro 
appropiuquantcm  as.-ecntiis  erat  :  iain  Marins 
Cehus  haud  î:rta  rctulcrat:  cùni  alii  in  pala- 
tluin  redire  ,a!ii  Capitolium  pctcrc  ,  plcrique 
rostra  occu panda  ccnserciit  ,    plnrcs  tantum 
scutentiis    alioruni    contradicerent  ;    utquc 
cvenitiu  consiliis  infçlicibus  ,  optima  vlde- 
rcutur  ,  quorum  tcmpns  effugerat.  Agitasse 
Laco  ,ignaro  Gcrlbâ ,  de  occidendo  T.  T'inio 
dicitur,   sive  ut   pœna  ejus  auimos  militnin 
mulcerct,  seu  consclum  Gthonis  credcbat  , 
ad  postretnuiu  vcl  odio.  K.T:.iLalioneniattuIit 
tcinpus   ac  locns  ,    quia  initio   c;cdis  orto  , 
dilïicilis  modus  ;  et  turbavcrc  consilinm  tt-e- 

toururcut 


DU  LIVRE  T.  DE  TACITE.       8^ 

coururent  aux  aruics,  snns  ordre  ,  sans  icTie 
saiis  dlbtfuctioii  des  eiisei  ues  pre'toricuiies  et 
des  légionnaires,  rie  l'ecu  des  auxiliaires  et 
du  bouclier  romain.  Et  sans  que  ni  tribun 
ni  centurion  s'en  mêlât,  eliaque  soldat  de- 
venu son  propre  officier  s'animait  et  s'excitait 
lui-même  à  mal  faire,  p;;r  le  plaisir  d'dfll.ger 
les  gens  de  bleu. 

Déjà  Pison  ,  eiïraye'  du  fre'missemcnt  de  la 
sédition  froissante  et  du  bruit  des  clameurs 
qui  retentissait  jusque  dans  la  v;lle  ,  s'étiit 
mis  à  la  suite  de  Galha  qui  s'aclicminait  vers 
la  place  :  déjà,  sur  les  mauvaises  nouvelles 
apportées  par  Ctisus ,  les  uns  p- rb:icnt  de 
retourner  au  palais,  d'autres  d'aller  ou  eapi- 
tolc  ,  le  plus  grand  nombre  d'occuper  les  ros- 
tres. Plusieurs  se  contentaient  de  contredire 
l'avis  des  autres  ;  et ,  roimne  il  arrive  dans  les 
mauvais  succès,  le  p  rti  qu'il  n'était  plus 
temps  de  prendre  sembi  lit  alors  le  meilieur. 
On  (lit  que  Lacon  méditait  à  l'iuseu  de  Ca/i-a 
<>e  Caire  tnct  f  inius  ;  soit  qu'il  esj)crâl  ;t(lou- 
cir  les  soldats  p-r  ce  châtiment ,  soit  qu'il  le 
crût  coniplicc  (.VOthoii  ,  soit  enl'm  par  nn 
mouvement  de  haine.  IMais  le  teuips  cl  le  lieu 
I  <  yaiil  la.t  balancer,  par  la  crainte  de  ne  pou- 

Mélciii^cs.  Tumc  V.  E 


âo  TRADUCTION 

pidi  nuncii ,  ac  proximorura  diffugia  ,  lan- 

c-uentibus  omnium  studiis  ,  qui  primo  ulacies 

o 

fidem  atquc  auimvim  osteataveiaut. 


Agcbatnr  hue  illuc  Galha  ,  vario  turba; 
fluctuautis  impulsa  ,  compktis  undique  basi- 
licis  ac  templis,  lu-ubri  prospcctU;,  ncque 
populiaut  plcbls  uUa  vox  ,scd  attoulti  vultus, 
etcouversGC  ad  omnia  aiues,  uou  tumultus  , 
non  quics  ,  quale  magiii  mctùs  ,  et  uiagnae 
irae  silcntium  est.  Othoni  tamcu  aiman  plc- 
bem  nuiiciabatur;  ire  précipites,  et  occupare 
pencula  jubet.  Igitur  milites  romani  ,  quasi 
Vologesen  ,  aut  Pacorum ,  avito  Arsacida- 
rum  sobo  depulsuri  ,  ac  non  impcratorem 
suum  inermcm  et  sciiem  trucidare  pcrgercnt, 
dis)ectû  plebc  ,  proculcato  scnatu  ,  traces 
armis  ,  rapidis  cquis  forum  irruiupunt.  Nec 
illos  Capitobi  aspectus  ,  et  imuuueiitiara 
tcmplorum  reM^io  ,  et  priorcs  et  futuri  pria- 


DU  LIVRE  I.  DE  TACITE.       91 

voir  î)lus  nrrctcr  le  sans  après  avoir  com- 
mencé d'en  répandre,  l'eUroi  des  survcnans, 
la  dispersion  du  cortés^c  ,  et  le  truuble  de 
ceux  qui  s'étaient  d'abord  montrés  si  pleins 
de  zèle  et  d'ardeur,  achevèrent  de  l'eu  dé- 
tourner. 

Cependant  entraîné  çà  et  là  ,  Galba  cédait 
à  l'impulsion  des  flots  de  la  multitude  qui , 
remplissant  de  toutes  parts  les  temples  et  les 
basiliques,  n'offrait  qu'un  aspect  lugubre.  Le 
peuple  et  les  citoyens  ,  l'air  morue  et  l'oreille 
attentive  ,  ne  poussaient  point  de  cris  :  il  ne 
régnait  ni  tranquillité  ni  tumulte,  mais  un 
silence  qui  marqnait   a-la-fois  la  hayeur  et 
l'indignation.  On  dit  pourtant  à  Othcn  que 
le  peuple  prenait  les  armes;  sur  quoi  il   or- 
donna de  forcer  les  passages  et  d'occuper  les 
postes  importans.  Alors,  comme  s'il  eût  été 
question  ,  non  de  massacrer  dans  leur  prince 
un  vieillard  désarmé  ,  mais  de  renverser  Pa- 
core  ou    f^ologexe  du  trône  des  Arsucules, 
on  vit  les  soldats  romains,   écrasant  le   peu- 
]}le,  foulant  aux  pieds  les  sénateurs,  pénétrer 
dans  la   place  à  la  course  de  leurs  chevaux  et 
à  la  pointe  {le  leurs  armes,  sans  respecter  le 
Capitole  ui  les  temples  des  Uicux ,  sans  craiu- 


93  T  R  A  D  U  C  T  I  O  I^. 

cipcs  teniiere  ,  qiio    minus  fuc^icnt  scelus  , 
cujus  ultor  est  quis^juis  saccessit. 

Viso  cominxis  aiuiatoiuin  agmine  ,  vcxilla- 
rius  comitantis  Galbam  cohortis  (  ^tilimn 
F^ergilioiiein  Puisse  tiadnnt)  rlereptam  GaJbae 
imai^iiiciii  solo  afïl.sit.  Ro  s  gno  manifesta  in 
Ot/ioiiem  oiimium  milituiii  stiidia,  (Ifsertum 
fugà  popiiL  forum  ,  dcstrict  >  advcisus  dubi- 
tautcs  tcld.  Juxta  Curtii  lacutu  ,  trepid  tioiiQ 
fcrctitium  Galba  projcctus  è  selJà  ,  ac  pruvo- 
lnt;!s  est.  Exticmam  cjus  vocc.u  ,  ut  cuique 
odiuui  aut  admir  tic  fuit,  varie  prodidcre. 
Alii  snpplicitcr  ititcrrogassc  ,  quid  m  li  ine- 
ruissct  ,  pancos  dies  cxsolveiido  doiiativo 
deprecatiim  :  pliucsobtulisse  iiltro  pcrtusso- 
ribus  jiignlum  ,  agcrciit  ac  fcriictit  ,  si  ita  è 
repiiblioà  videretur  ;  non  interfmt  occidcu- 
tiiim  qui  i  ditcrct.  Uo  pcrciissoïc  non  satis 
constat  ;  quidam  Terentium  Evocatum ^aXù. 
ZecaniiJ//i,cichi'ior fuma  tradidit ^.'^wz//////«^ 
XV  Icgionis  militeui ,  impicsso  gladio  ,  jugu- 
lum  cjus  liausisse.  Caeteri  ciuri  biaciiinqu» 
(uaui   pcctus    tc-cbatLir   )  toede  lauiavcre , 


DU  LIVRE  I.  DE  TACITE.       93 

drc  les  princes  prcscus  et  a  veuir,   vengeurs 
Ue  ceux  qui  les  ont  précèdes. 

A  peine  appercut-on  les  troupes  d'Oihon  , 
que  rcn.sei;.yie  de  l'escorte  de  Galha  appelé, 
dit-on  yergilio  ,  arrachi  l'image  de  l'eiupe- 
rcur  et  la  jeta  par-terre.  A  l'instant  tous  les 
soldats  se  déclarent,  le  peuple  fuit,  quiconque 
îiésite  voit  le  fer  prêta  le  percer.  Près  du  lac 
de  Curtius  Galba  tomba  de  sa  chaise  par 
rcffroideceux  qui  le  portaient,  et  fut  d'abord 
enveloppe.  On  a  rapporté tliverscincnt  jes  dev> 
nières  p;Moles,  selon  la  haine  ou  l'adruiratiou 
qu'on  avait  pour  lui.  (Quelques-uns  disent: 
qu'il  demanda  d'au  ton  sujjpliant  quel  maï 
il  avait  fait,  priant  qu'on  lui  laissât  quelques 
70ur.s  pour  payer  le  <:onatif:  mais  plusiciirs 
assurent  que,  présentant  hardiment  la  gorge 
anx  soldats,  il  Icurditdefrappers'ils croyaient 
sa  mort  utile  à  l'Etat  ;  les  meurtrier.^ 
écontèreiit  peu  ce  qu'il  pouvait  dire.  On  n'a 
pas  bien  su  qui  l'avait  tué  :  les  U!is  nomment 
l'ereritlus ,  d'autres  Zf<V7/////.v  ;  mais  le  bruit 
tonnnun  est  que  Caïuurius  ,  .«iolclnt  (ie  I;» 
f|uinzicmc  léf^ion  ,  lui  coupa  la  i!,or^e.  Les- 
autres  lui  dcciiiquetèrent  crnciîcir.ent  les  bra* 
et  les  jambes  j  car  la  tuivassc  coiivjci'.l  la  poi-» 

E  à 


94  TRADUCTION 

pîcraqiie  vulncra  ,  feritate  et  saevitiâ  trnnco 
je  a  corpori  acijecta. 

Titmn  indè  J'invim  .'nvn«crc  ,  de  qno  et 
ipso  atnbigitur  ,  consiimpseiit  ne  vocem  t^jns 
iistans  metns  ,  an  proelauiavcrit  non  esse  ab 
Othone  luandatnm  ut  occideretur  :  qnod  seii 
finxit  forniidine  ,  seu  conscientiâ  conjuia- 
tiouis  confcssus  est  ,  hue  poliùs  ejus  vita 
famaque  inclinât  ,  ut  couscius  sccieris  fuci  it , 
cujus  causa  erat.  K  ntcaedeni  divi.//////  jacuit, 
pviaio  ictu  in  popliteui  ,  mox  ab  Julio  Caro 
le,:;ionaiio  milite  iu  utruuique  lalus  traas- 
.vcrbciatus. 

lusigiiem  illâ  die  vinun  Sempronium 
JDensum  getas  nostra  vidit.  Ontario  is  pra-- 
toiiae  cohoitis  à  Galha  cnslodirr  Pisonis 
additiis,  stricto  pngioiie  occurrcns  armatis  , 
et  scclus  cxprobraiis  ,  ac  niod6  manu,  modo 
voce  ,  vertendo  in  se  percussores  ,  quamquain 
vulnerato  ,  P/.vo///  eCFngium  dédit.  Piso  iu 
EPdein  Vest;E  pervasit  ,  cxceptnsqnc  miscri- 
cordià  publici  servi  ,   et    coutubcinio  ejus 


DU  LIVRE  I.  DE  TACITE.       gh 

triiic  ,  et  leur  barbare  férocité  chargeait  eu- 
core  de  blessures  uu  corps  déjà  mutilé. 

On  vint  ensuite  à  l'inius,  dont  il  est  pa- 
reillement douteux  si  le  subit  effroi  lui  coupa 
la  voix  ,  ou  s'il  s'écria  qu'Ot/ion  n'avait  point 
ordonnésa  mort  :  paroles  qui  pouvaient  être 
l'effet  de  sa  crainte^  ou  plutôf  l'aveude  sa  tra- 
hison, sa  vie  et  sa  réputation  portant  à  le 
croire  complice  d'un  crime  dont  il  était  cause. 


On  vit  ee  jour-là  dans  Sempronijif;  Devsvs 
un  exemple  méinorablepour  notre  temps.  C'é- 
tait un  centurion  de  la  cohorte  prétorienne  y 
cliar-,é  par  Galha  de  la  garde  de  Pison.  Il  se 
jela  le  poignard  à  la  main  au-devant  des  sol- 
dats ,  en  leur  reprochant  leur  crime,  et  du 
geste  et  de  la  voix  attirant  les  coups  sur  lui 
soûl  ,  il  donna  le  temps  àPz^ow  des'échapper, 
quoique  blessé.  Pison  se  sauva  dans  le  temple 
de  \  esta,  où  il  reçut  asile  par  la  piété  d'uu 


96  TRADUCTION 

al)ditus  ,  non  religioiie  ,  nec  creriinoiilis  ,  sed 
latebrâ  immiiieus  cxitumi  differebat  ;  cùm 
adveiierc  ,  missu  Othonis  ,  nomiiiaLUii  iu 
caideiii  c)us  ardentes  ,  Sulpicius  Florus  è 
brit^mnicis  coliortibns  ,  nnpcr  à  Galha  civi- 
tatedonatus  ,  ci  Statuts  Jlurcus  spcculutor  ; 
Il  quibus  protractui  Fiso  ,  ia  foribus  teaiplî 
trucida  liir. 

Nullaui  crRcîem  Ofho  nnjore  léetilià  excc- 
pissc,  nnlluiu  capiit  tam  insatiabilibus  ociiii» 
peibistrasse  dicitur  :  scu  tiiui  priniùui  lev;ita 
oiniii  soUIcitudine  mens  ,  vacarc  gaudio  cœ- 
pcrat  ,  scu  rccordatio  uiajcstatls  iu  Galhâ  , 
aniicitiye  in  T.  T'inio  ^  quauivis  immitciu 
animum  imagine  tristi  confuderat  ;  Pisonis  , 
ut  inimjci  et  acmuli  ,  cacde  la^tari,  jus  i'us(^uo 
crcdcbat. 

Préfixa  contis  capita  gcstabantnr  ,  intcr 
signa  coliortiuin  juxta  aquila;u  legionis,  cor— 
tatim  ostentantibuscruentas  maïuis  qui  occi- 
dcrant  ,  qui  intcr! iirraut,  qui  vcrè,  qui  (aîsc»^ 
«t  pulcUruiu  etuicmorabilc i'ac.iuus  jactabauS- 


DU  LIVRE  I.  DE  TACITE.       97 

esclave  qui  !e  caclia  dans  sa  chambie  ;  prJcau- 
tiou  plus  propre  à  dillcrcr  ta  mort  que  ia  rcli- 
gioQ  ni  le  respect  des  autels.  Mais  Florus  , 
soldat  des  cohortes  briianuiqucs,  qui  dcijuis 
long- temps  avait  éu'  fait  citoyen  ^^oj  Galba  , 
et  Statlns  iMiircus ,  lancier  de  la  garde,  toiis 
deux  particulièrement  altérés  du  sang  çlc  Pi' 
son  ^  vinrent  de  la  part  d'6V//o?;  le  tirer  de sou 
asile  ,  et  le  tuèrent  à  ia  porte  du  temple. 

Cette  mort  fut  celle  qui  Gt  le  plus  de  plaisir 
à  Othon  ,  et  l'on  dit  que  ses  regards  avides  ue 
pouvaient  se  lasser  de  considérer  cette  tête: 
soit  (jue  ,  délivré  de  toute  inquiétude,  il  com- 
mençât alors  à  se  livrer  a  la  joie  ,  soit  que 
son  ancien  respect  pour  Galba  et  son  amitio 
pour  p'iniusy  mêlant  à  sa  cruauté  quelque 
image  de  tristesse  ,  il  se  criit  plu?  permis  de 
prendre  plaisir  à  la  mort  d'ua  coucuriciit  et 
d'un  ennemi. 

Les  têtes  furent  mises  chacune  au  bout 
d'une  pique  et  porlé<s  [larmi  les  enseignes  des 
cohortes  et  autour  de  l'aigle  de  la  légion. 
C'était  à  qui  ferait  parade  de  ses  mains  san- 
glantes ,  à  qui  ,  faussement  ou  non  ,  se  van- 
terait d'avoir  commis  ou  vu  ces  absaisiuatSj, 


98  TRADUCTION 

Plures  quàui  cxx  lihcllos  prsemia  cxposcen- 
tiuîii  ,  o'b  aliqu  in  notabilem  iJ!à  die  operarn  , 
flte//i7Jspostea  invcnit;  orancsque  conquiri 
et  interfici  jussit  ,  non  liouoie  Galhœ  ,  serl 
tradito  principibus  more,  mnnimeutum  ad 
prœseus  ,  ia  posterum  ,  ultiouem. 


Alinm  crcderes  senatnru  ,  alinm  popnlum.' 
Rnerc  cuncti  in  castra  ,  anteire  proxi'.iios ,  ccr- 
tare  cum  pivecnncntibus  ,  inciepare(7<r7//'^w  , 
laii  iarcuiilitiiin  judicluui  .exostniari  Othonis 
maniun  :  qiiantoquc  uiaqis  falsa  cianl  quae 
fichant,  taiito  plura  facere.  Noc  a!;pernr.b;:tiir 
siiigulos  Olho  ,  avidum  et  niinacpiu  nnlituia 
aiiimnin  voce  vultaque  tcinpcr;ns.  IMorinut 
Celsum  consuleui  designaturn  ,  ct<5<j//^(£  us- 
que  in  cxtrcmas  rcs  anjicuni  tiduinque  ,  ad 
supplicium  expostuiabant   ,    iiulnstri.-e   ejus 
iunocentiaeque   quasi    malis   artibns  inlensi. 
Caedisct  pnedainni  iiiitiuni  et  optitno  cuiqiie 
perniciem  qnrpii  a|)paieb'.t  ;  sed  Otlioni  non- 
duinaiictoritas  inerat  ad  proliibrnduui  scelns, 
jiibcrcjam  polerat.  Ita  simulatioue  ira? ,  vin- 


t>U  LTVRK  I.  DE  TACTTE.       99 

Comme  d'exploits  glorieux  et  mémorables. 
yiteUius  trouva  dans  la  suite  plus  de  cent 
viagt  ptacetsde  geiis  qui  demandaient  récom- 
pense pour  quelque  fait  notable  de  ce  Jour  là. 
Il  les  fit  tous  chercher  et  mettre  à  mort ,  non 
pour  \\Qtnçi\QxGalha  ,  mais  selon  la  maxime 
des  princes  de  |)ourvoir  à  leur  sûreté  présente 
par  la  crainte  des  chàtimens  futurs. 

Tous  eussiez  cru  voir  un  autre  sénat  et  ua 
autre  peuple.  Toutatcourait  au  camp, chacun. 
sVmpressait  à  devancer  les  autres,  à  maudire 
Galba  ,  a  vanter  le  bon  choix  des  troupes  ,  à 
baiser  les  mains  d'Ot/ron  :  moins  le  zèle  était 
sincère,  pi  us  on  affectait  d'en  moi  i(rer.C///(7/Zj 
de  son  côté,  ne  rebutait  personne,  mais  des 
yeux  et  de  la  voix  tâchait  d'adoucir  l'avide 
férocité  des  soldats. Ils  necessaicnt de  deman- 
der le  supplice  de  Ce/sus  , consul  désigné,  et 
jusqu'à  l'extrémité  fidèle  ami  de  Ga//>a  ;  son 
innocence  etses  services  étaient  des  crimes  qui 
les  irritaient.  On  voyait  qu'ils  ne  cherchaient 
qu'à  faire  périr  tout  homme  de  bien  ,  et  com- 
mencer les  meurtres  et  le  pillage.  Mais  O/Z/o/ij 
qui  pouvait  commander  des  assassinats,  n'a- 
vait pas  encore  assez  d'autorité  pour  les  dé- 
fendre. Il  fit  douç  lier  Ce/sus  ,  allcctant  une 


^00        TRADUCTION 

clri   jussum  ,    et    majores    preuas    daturum 
aflimiaus,  prxseuti  exitio  subliaxit. 

Omnlatlciudcaibitrlomiritumacta.Practom 

prcxfectos  sil)i  ipsi  Icgcrc.  PloHum  Firmvm 

èmaiiipularihus  quondam.tum  vigilibus  prje- 

positum  ,  et  iiicolumi  adlmc  Galba  partes 

Othonis  sccutuiii.  Adjungitur  ZiCz/z/w^Pro- 

ch/«^  ,  Intima  familinritatc  Othonis  suspcctus 

cousilia  cjus  fovisse.  Urbl  Flacium  Sahimim 

praefecerc,  jadiciuiui\'ero//f\î  sccuti ,  sub  quo 

eamdem  curam  oblluuerat  plerisquc  T'cspa- 

sianum  fratrcm  in  co  respicientibus.  Flagi- 

tatiim  ut  vacatioucs  prœstari   ceuturionibus 

solita?  remittcrcntur;  uamque  grcgarius miles 

ut  tribu tum  aanuum  pendcbat.  Quarta  pars 

inauipuli  sparsa  per  commeatus  ,  aut  in  ips;s 

castris  vaga, dum  mcrccdem  ceiilurloiii  cxsol- 

verct ,  neque  inodum  oueris  quisquam  ,  neque 

genus  qnœstus  pcnsi  babsbat.  Per  latrociiiia 

et  raptns  ,  aut  scrvilibus  niinisteriis  militare 

otium  rediincbant  :  tum  locupletissimus  quis- 

quc  miles,  labore  ac  sxvitià  fatigari ,  doue© 

graudc 


DU  LIVRE  I.  DE  TACITE,     toi 

grande  coU  re ,  et  1p  sauva  d'une  mort  pif'scn  fe 
en  feignant  de  le  re'servcr  h  des  tournicus  plus 
cruels. 

Alors  tout  se  fit  au  gre'  des  soldat?.  Les 
pre'toricns  se  choisirent  eux-mêmes  leurs  pre'- 
fcts.  A  l'irmus  ,  jadis  uiauipuhiirt' ,  puis  com- 
mandant du  guet,  et  qui  du  vivant  même  de 
Galha  sc\a\{.  allaclié  à  Othon  ,  ils  ;oi< nirent 
Licinius  Proculus  ,  que  son  e'troite  familia- 
rité'avec. 'y/Z/O/v  fit  son  p'/on  icr  d'avoir  favorisé 
SCS  dessei[is.  En  donnant  à  Sabinus  la  pré- 
fecture de  Rome,  ils  suivirent  le  sentiment  de 
AV/-o,v,sous  lequel  il  avait  eu  lemémeejiiploi  • 
mais  le  plus  grand  nombre  ne  voj'ait  en  lui 
que  l'espasien  son  frère.  Ils  sollicitèrent 
l'affrantlilsscment  des  tributs  annuels  que 
sous  le  nom  de  congés  à  temps  ,  les  simples 
soldats  payaient  aux  centurions.  Le  quart  des 
manipulaires  était  aux  yi vres  ou  dispersé  dans 
le  camj)  ,  et  pourvu  que  le  droit  du  centurioa 
ne  fut  pas  oublié  ,  il  n'y  avait  sorte  de  vexa- 
tion dont  ils  s'abstinssent  ,  ni  sorte  de  uiéticr 
dont  ils  rougissent.  Du  profit  de  leurs  vole- 
ries  et  des  plus  serviles  emplois  ,  ils  pavaient 
l'exemption  du  service  militaire  ;  et  quand  ils 
s'étaient  enrichis,  les  oOiciers  ks  accalilaiU  d» 

M  Clause  s.  l'ouic   V.  iî' 


,02        TRADUCTION 
Tacationetn  cmcret.Ubi  sumptlbus  exbauslus; 
socordià  insuper  elanguerat ,  inops  pro  locu- 
plete,  et  iners  pio  strenuo  ,  ia  manipulum 
redibat  ;  ac  rursùs  abus  atque  abus  ,  câdem 
cgcstatc  ac  liccutià  cormpti  ,    ad  scditioues 
et  discoidias  ,  et  ad  extic:r.um  bclla  civ.ba 
ruebaut.  Sed  Otho  ,  ne  vulgi  largitlonc  ,  cen- 
turionum    auimos    avcrtcrct  ,  fiscuui  suum 
vacationcs    annuas    exsoluiuvum   proniis.t  : 
rem   baud  dublc  utilcm,et    a  bonis  postea 
principibus  pcrpetuitatc  discipliuae  ,   fuma- 
tam.  Laco  pr«-lectus  ,  tanuiuam  in  insulain 
sepoueretur  ,  ab  cvocato  ,  qucm  ad  ca^dem 
ejus  Otho  prœmiserat,  confossus.  In  IMar^ 
tianum  Icclnm  ,  ut  in  libcrtum  ,  palam  aui- 
luadversum. 

Exactopevscelcradlc,novissiniuininalorum 
fuitlïtitia.  Vocat  senatuui  piaetor  urbanus  ; 
certaut  adulationibus  csteri  magistiatus.  Ac 
currunt  patres  ,deccrnitur  O///0"/tribunicia 
potestas,otnomen  Augusti  ,et  o.nncM»ri"ci- 
pum  bonorcs  ,  annitentibus  cunctis  aboiera 
jîonTicia  ac  probra  ,  quae  promiscuè  jacta 


DU  LIVRE  I.  DE  TACITE.     io3 

travaux  et  de  peine,  les  forçaient  d'acheter  de 
nouveaux  congés.  Enfin  ,  épuisés  de  dépense  et 
perdus  (le  mollesse  ils  revenaient  au  manspulo 
pauvres  et  fainéans  ,  de  laborieux  quMs  eix 
étaient  partis  et  de  riches  qu'ils  y  devaient 
retourner:  voilà  comment,  également  cor- 
rompus tour-à-tour  par  la  iiceni;e  et  par  la 
misère,  ils  ue  cherchaient  que  mutijieries  , 
révoltes  et  guerres  civiles.  De  peur  d'irriter 
les  centurions  en  gratifiant  les  soldats  à  leurs 
dépens  ,  Oihon  promit  de  payer  du  fisc  les 
congés  annuels:  établissement  utile  ,  et  depuis 
confirmé  par  tous  les  bons  princes  pour  le 
maintien  de  la  discipline.  Le  préfet  Lacon  y 
qu'on  feignit  de  rclégutr  dans  une  île  ,  fut 
tué  par  un  garde  envoyé  pour  cela  par  Uthon. 
Jcehis  fut  puni  publiquement  en  qualité 
d'affranchi. 

Le  comble  des  maux  dans  un  jour  ^i  rempli 
de  crimes  ,  fut  l'alégresse  qui  le  termina.  Le 
préteur  de  Rome  convoqua  le  séual ,  et  taridis 
que  les  autres  magistrats  outraient  à  l'cnvi  l'a- 
dulation, les  sénateurs  accourent,  décernent 
à  Othon  la  puissance  tribuniciennc  ,  le  nom 
d'Auguste,  et  tous  les  honneurs  des  empereurs 
prctc'dcus,  tàcltaut  d'effacer  ainsi  les  injures 

F  % 


104         TRADUCTION 
lia-sissc   animo   cjus   ucmo   sensit.    Omîsissct 
offensas  ,  an  distulisset ,  brevitatc  iuiperil  m 
iiicerto  fuit. 


Otho  ,  cruento  adlmc  foro  ,  per  stragem 
jacentiniu,  iii  Capitoliuuialque  iudè  iii  pala- 
tiuui  vcctus  ,  concedi  corpoia  scpultura;  , 
cremariquc  ^<txmvs,'\\..  P isoneni  T'eranm  uxor 
ac  ïiattY Scribonianiis ,  T.  VinivmCrispina. 
Clia  composucre  ,  quaesitis  rcdcmplisquc 
capitibus  ,  quae  veualia  iuteifectorcs  serya- 
vcraut. 

Piso  Kiinuin  et  tilccsimum  octatis  anniim 
cxpichat ,  famà  meliore  quàm  fortunà.  Fratrrs 
ejus  Magnum  Claudius  ,  Crassum  Nero 
intcifcccraut.  Ipse  diù  cxiil ,  quatridiio  cœsar 
properatà  adoptionc  ,  ad  lioc  taiilùm  majoii 
fratri  pralatus  est  ,  ut  prior  occidorctur. 
T.  T'iiiius  LVii  aunos  variis  inorihns  egit. 
Pater  illi  è  pr.ttorià  ramilià  ,  uiatcruus  avus 
è  proscriptis.  Prima  niilitià  infamis  ,  Icgatum 
Cahisiuin  Sabinum  habuerat  ;  cujus  uïor  , 


DU  LIVRE  I.  DE  TACITE.     loS 

dont  ils  venaient  de  le  charger,  et  auxquelles  il 
ne  parut  point  sensible,  (^ue  ce  fut  clc'meuce 
oude'Iaidcsapartjc'est  cequelepeiide  temps 
qu'il  a  régné  n'a  pas  pertais  de  savoir. 

vS'ctant  fait  conduire  au  capitole,  pviis  an 
palais  ,  il  trouva  la  place  ensangiante'e  des 
eioils  qui  y  étaient  encore  étcndns  ,  et  permit 
qu'ils  lussent  brûlés  et  enterres,  f^erania, 
fi'iïunc  de  Pison  ,  Scriboniaiius  son  frère  ,  et 
Crispliw  K\\\&  de  Vin  lus  ^  recueillirent  leurs 
corps  ;ct  ayant  cliercUé  les  têtes,  lesraciictc- 
rent  des  meurtriers  ,  qui  les  avaient  j^ardccs 
pour  les  vendre. 

Pison  finit  ainsi  la  trentc-vinièmc  année 
d'une  vie  passée  avec  moins  de  bonheur  que 
d'honneur.  Deux  de  ses  frères  aVaicutété  mis 
à  mort,  ,\Jagnns  par  Claude  ,  et  Crassus  par 
^éron.  Lni-méme,  après  \\n  long  exil,  fut 
six  jours  (lésnr  ,  et  par  une  adoption  précipi- 
tée ,  send)la  n'avoir  été  ()référé  à  son  aîné  , 
que  pour  être  mis  à  mort  avant  lui.  l'inius 
vécut  cinquante-sept  ans,  avec  des  mœurs 
inconstantes.  .Son  père  était  de  famille  pré- 
torienne ;  son  aïeul  maternel  fut  au  nombre 
des  proscrits.  Il  lit  avec  infamie  ses  premières 

F  3 


so6        TRADUCTION 

malâ  cupidinc  viseudi  situm  castrovuiu  ,  pcr 
uoctcm  militari  liabitu  ingressa  ,  cùin  vigillas 
et  caetera  luilitiae  iiiuiiia  eâdem  lascivià  temc- 
vasset  ,  iu  ipsis  principiis  stuprum  ausa  ,  et 
criminis  hujus  rcus    T.  P'inius   argucbatur; 
Igitur  jussu   C.   Cœsaris  oueratus  catenis  ; 
niox  inutalionc  tuiporuin  dimissus  ,  cursu 
lionorum  iiioffcnso  ,  Icgioui  post  prœturaut 
prxpositus  ,  probatiisque  ;    scrvili  dciiiccps 
probro   re?persus   est  ,    taiiiquaiu   scypbuni 
aureuiu  iu    cunvivio    Claudii  furatus   ;    et 
Claudius  postera   die    soli  omuiiïm   f'iuio 
fictilibus  miniïtrari  jussit.  Sed  yiniiis,  pro- 
consulatu  .GaViiam  Narbouensem  severè  iute- 
grèqucroxit.  MosC^Mœamicitiâ  iuabruptum 
tractus,  aiidax  ,callidus  ,  promptus,et prout 
auimuni  inteiidissct  ,  pravus  aut  iudustrins  , 
câdcm  vi.  Testaineulmn  T.  f-'inii  uiagnitu- 
dine    opmn    nritnm    ;     Pisotiis   suprcuiam 
Yoloutatcin  paupertas  linuavit.^ 


DU  LIVRE  I.  DE  TACITE.     10/ 

armes  sons  Cahisiiis  Sahinus  ,  lieiiteiiant- 
géuéial  ,  dont  la  femme  ,  indécemment  cu- 
rieuse de  voir  l'ordre  du  camp  ,  y  entra  do 
nuit  en  habit  d'iiomrae  ,  et  avec  la  même 
impudence  parcourut  les  gardes  et  tous  les 
postes  ,  après  avoir  commencé  par  souiller  le 
litconjn-al  périme  dont  on  taxa  Vinius  d'être 
complice.  Il  fut  donc  chargé  de  chaînes  par 
ordre  de  Calignla  :  mais  bientôt  les  rcvolu- 
lutions  des  temps  l'ayant  fait  délivrer  ,  il 
monta  sans  reproche  de  grade  en  grade.  Apres 
sa  prétuve  il  obtint  avec  applaudissement  le 
commandement  d'une  légion  ^mais  se  désho- 
norant derechef  par  la  plus  servile  bassesse  , 
il  vola  une  coupe  d'or  dans  un  festin  de 
Claude  ,  qui  ordonna  le  lendemain  que  de 
tous  les  convives  ,  on  servît  le  seul  Tlnius  ea 
vaisselle  de  terre.  Il  ne  laissa  pas  de  ^•ouvcruer 
ensuite  la  Gaule  Narbonaise  ,  en  qualité  de 
proconsul  avecla  plus  sévère  intégrité.  Enfin, 
devenu  tout-à-coup  ami  de,  Galba  ,  il  se 
montra  prompt  ,  hardi  ,  rusé,  méchant, 
liabile  selon  ses  desseins,  et  toujours  avecla 
même  vigueur.  On  n'eut  point  d'égard  à  son. 
teslamentà  eausedeses grandes  richesscs;mais 
la  pauvreté  de  Pison  lit  respecter  ses  dernière* 
Toloatcs. 

F4 


ïoS         TRADUCTION 

Galbns  corpus  d'ù  negkctnui  ,  et  liccutiâ 
tenphrai  uni  j:i|iir'-i]iis  liidil)iiis  vc^otiiin  ,  dis- 
pensaior  .^'/f^iu.v  ,  è  prioribus  servis,  buiuili 
se;)!!  lima  in  privatise  jus  hortiscontcxi  t. Caput 
per  lixas  cnloiiesqnc  sulFixuui ,  laceratuinque 
awic  Patroini  tiunulum,  (liljcrtus  \?, i\i'e rouis 
piimtiis  à  Galba  fiierat  )  postcî\rdeuiu;ii  die 
lepcrtum  ,  etcreinato  Jaiii  corpori  admixtiiui 
est.  H  une  cxituui  habuit  Scr.  Galba  tiil)us 
et  septuagiiita  annis  ;  qninque  principes 
prospéra  fortuné  emensus  ,  et  alieno  iinpcrio 
fclicior  ,  quàm  suc.  Vêtus  in  fauillià  nobili- 
tas  ,  magna;  opes  ;  ipsi  médium  iugeniuni  , 
jnagis  extra  vitia  quàm  cum  virtutibus.Famaa 
jiec  incuriosus  ,  ucc  veiulilator  ;  pecuiuas 
alienE  non  appctens  ,  su.x  parcus  ,  publicoe 
avarus.  Amicoruni  libertorumque  ,  ubi  in 
l)onos  incidisset ,  sine  reprchensione  patieus  ; 
si  mali  forent,  usqne  ad  culpani  ignarus  : 
sed  claritas  natalium  ,  et  metus  temiiorum 
obtentui  ,  ut  quod  segnitia  crat  ,  sapientia 
Vocarelur.  Duni  vigebat  œtas  ,  militari  laude 
flpud  Germanias  floruit  ;  proconsul  Africain 


DU  LIVRE  I.  DE  TACITE.      109 

Le  corps  de  Galba  ,  ncgliç^c  long-temps 
et  charge  de  mille  outrages  dans  la  licence 
des   ténèbres  ,   reçut  une  humble  sépulture 
dans  ses  jardins  particuliers  ,    par  les  soins 
à'ydrgius  sou  intendant  et  l'un  de  ses  plus 
anciens  domestiques.  Sa  tête  plantée  au  bout 
d'une  lance  ,   et   défigurée  par  les   valets  et 
goujats  ,  fut  trouvée  le  jour  suivant  ,  devant 
le  tombeau  de  Fairobe  ^  affranchi  de  Néroit 
qu'il    avait   fait    punir  ,    et    mise    avec  soa 
corps  déjà  brvdé.  Telle  fut  la  lin  de  Sergias 
Galba  ,   après  soixante  et  treize  ans  de  vie 
et  d«  prospérité  sous  cinq   princes  ,  et  plus 
heureux   sujet    que    souverain.    Sa    noblesse 
était    ancienne    et    sa    fortune   immense  ;  il 
avait    un    génie    médiocre  ,    point   de   vices 
et  peu  de  vertus.  Il  ne  fuyait  ni  us  cherchait 
la  réputation  ;  sans   convoiter  les  richesses 
d'autrui ,  il  était  ménager  des  siennes,  avare 
de   celles  de  l'Etat.   Subjugué   par   ses   amis 
«t  SCS   affrancliis  ,  et  juste  ou  uiéchniit   par 
leur  caractère  ,  il  laissait  faire  également  lo 
bien  et  le  mal  ,  approuvant  l'un  et  ignorant 
l'autre  :  mais  un  grand  nom  et  le  uiallieur 
des  temps   lui    lésaient  imputer   à   vertu    et? 
qui  n'était  qu'iudoicucc.  Il  avait  servi  dan» 


,10        TRADUCTION 

xiiodeiatè  :  jam  senior  ,  citeriorcm  Hispaniam 
pari  justitià  continuit;  major  privato  visus  , 
dum  priva  tus  fui  t ,  et  omnium  conscusu  capax 
JBjperii ,  uisi  impcrassct» 


Trepidam  urljcm  ,  ac  simul  atrocitatem 
recentisscclcrisjsluiul  vclcres  Otfionisxnoics 
paventem,novus  iiisupcr  cîc/^7/tV//o  uuncius 
exterruit,  aute  cœdem  Galbœ  supprcssus,  ut 
tautùm  superioris  Gcrmauiae  exercitum  desci- 
visse  crederetur.  Tum  duos  omnium  morta- 
liumimpudicitiâ,ignavià,luxuriàdctcrrimos^ 
Vclut  ad  perdeiidum  imperium  fataliter  elcc- 
tos  ,  uoii  scnatus  modo  etcqucs  ,  quîs  aliqua 
pars  et  cura  reipublica-,  scd  vulgus  quoqnc 
palaiu  maercre.  Nec  jam  rcccntia  s^evœ  pacis 
cxempla  ,  scd  rcpctitâ  bcllorum  civilium 
mcmorià  ,  captam  loties  suis  cxcrcitibus 
urbcm  ,  vastitatem  Italiae  ,  direptioues  pro- 
vinciarum  ,  Pliarsaliam  ,  Pbilippos  ,  etPcru- 
siara  ,  ac  Mutiuam ,  nota  publicarum  clatîium 


DU  LIVRE  I.  DE  TACITE,     iif 

sa  jeunesse  en  Gcrinanie  avec  boiincnr  ,  et 
sY'tait  l)iea  coinpoitc  dans  le  ])rocoDsulat 
d'Afrique  :  devenu  vieux  ,  il  gouverna  l'Es- 
pagne cite'rieure  avec  la  même  e'quité.  En 
un  mot  ,  tant  qu'il  fut  liouuue  privé  ,  il 
parut  au-dessus  de  son  e'tat  ;  et  toutje  uioudo 
l'eût  jugé  digne  de  l'empire  ,  s'il  n'y  fût 
jamais  parvenu. 

A  la  consternation  que  jeta  dans  Rome 
î'atrocité    de    ces   re'ceutes  exécutions    et  la 
crainte  qu'y  causaient  les  anciennes  mœurs 
tyOthon  y  se  joignit  un  nouvel  effroi  par  la 
défection   de  p^itelHus  ^  qu'on,  avait  cachéo 
du  vivant  de  Galha  ,  en  laissant  croire  qu'il 
n'y  avait  de  révolte  que  dans  l'amiée  de  la 
haute  Allemagne.  C'est  alors  qu'avec  le  se'nat 
et  Tordre  équestre  ,  qui  prenaient   quelque 
part  aux  affaires  publiques  ,  le  peuple  même 
déplorait    ouvertement  la  fat:(lité  du  sort  ^ 
qui  semblait  avoir  suscité  pour  la  perte  de 
l'empire  deux  hommes   les   plus  corronjpus 
des  mortels  par   la   mollesse,  la  débauche, 
l'impudicité.    On   ne  voyait    pas  seulement 
renaître  les  cruautés  commises  durant  la  pais^ 
mais  l'horreur  des  guerres  civiles  où   Romfr 
avait   été  si   souycut  prise  par  ses  proprci. 

Y  6 


ïia         TRADUCTION 

noLniua,loqucbantur.Propt'  eversnm  oibem, 
et  a  m  cùm  de  piincipatu  inter  bouos  ceila- 
retur  ;  scd  uiausisse  C.  Julio  ,  maiisisse 
Cœsare  ^ugiisto  victore ,  imperiam  ;  uiausn- 
raui  fuisse  sub  Pompeio  £r//toqnc  reinpu- 
hlicam.  rîauc  pro  û'hofie  ,  an  pro  J'iteUio  y 
va,  teiiipla  ituios  ?  utrasque  iuipias  preccs  , 
utiaquc  dctcstauda  vota  ,  iiitcr  duos  qsioniui 
bello  solum  id  scires  dctciioiciu  fore  qui 
vicisset.  F.raiit  qui  T'espasianum  et  aima 
Oriculis  augnrarentur  ;  et,  ut  potior  utroque 
T^espasianus  ^  ita  belluui  aliud  atque  alias 
clades  horrebant ,  et  ainbigua  de  pespasiano 
fama ,  soinsque  ouîuium  aute  se  priucipuui  iu 
tiiclius  mutatus  est. 


Nunc   initia  cansasque  ïnotûs    T'iteîJinni 
«xpediâia.  Cseso  tuin  ouitiibus  copiis  Juîitjt 


DU  LIVRE  I.  DE  TACTTlS.     ii3 

troupes  ,  l'Italie  dévastée  ,  les  |)rovinces 
ruiiic'cs.  Pharsale  ,  Pliilippcs  ,  Peroiise  ,  et 
jModcne  ,  ces  norrjs  céîcbrcs  par  la  dcsolatiou 
publique,  revenaient  sans  cesse  à  la  bouche. 
XjC  uioiide  avait  e'té  presque  bouleverse  quand. 
des  liotnuies  dignes  du  souverain  pouvoir 
se  Icdisputèrcnt.  Jn/exci  ^7/;^'?/  . Vf  vainqueurs 
avaient  soutenu  l'cuipire  ;  /'o/npce  et  iii iitns 
eussent  relevé  la  république  :  mais  était-ca 
pour  yitL'lliiis  ou  pour  Othon  qu'il  Fallait 
invoquer  les  dieux  ?  et  quelque  parti  qu'on 
prît  outre  de  tels  compétiteurs  ,  comment 
éviter  de  faire  des  vœux  impies  et  des  prières 
sacrilèges  ,  quand  l'évcnenient  de  la  guerre 
ne  pouvait  dans  le  vainqueur  montrer  que 
le  plus  mécbant  ?  Il  y  en  avait  qui  songeaient 
à  p'espasien  et  à  Varuiéc  d'Orient  ;  mais 
quoiqu'ils  j)rcféra»sent  f^'espnsien  aux  deux 
autres,  ils  ne  laissaient  pas  de  craindre  cette 
nouvelle  guerre  couune  une  source  de  nou- 
veaux mallieurs  :  outre  que  la  réputation 
de  f'espasi^n  était  encore  équivoque  ,  car 
il  est  le  seul  parmi  tant  de  princes  que  le 
rang  suiirëmc  ait  c!ianu,c   en  mieux. 

Il  f.Tut  mriiritenant  exposer  l'origine  et  le» 
causes  des  liiouvcuicus  de  l'itcllius.  Apre» 


.JI4         T  R  A.  D  U  C  T  I  O  î^ 
Vindice  ,  ferox  praedâ  gloriâque  escrcitns ,  ut 
cul  sine  laborc  ac   pciiculo  ,  ditissimi  bclli 
Victoria  cvenisset ,  cxpcditiouem   et  aciem  ," 
prEcmia   quàiu   stipendia   malebat  :     diiàquo 
influe tuosaui    et    aspcram  militiam   tolcra- 
verat ,    iugcuio    loci    cœlique  ,  et  severitata 
disciplinai  ,  quam  in  pace  iuesorabilcui  dis- 
cordiae  civium  résolvant;    oaralis  utiimque 
contiptoribus  ,  et  pcifidià   impuuitâ  :  viri,' 
arma  ,  equi ,  ad  usum  et  ad  decus  siipeieraut. 
Sedaute  bellum,  centnrias  tantuui  suas  tur- 
masque  noveraut:  exercltusfuiibusprovincia- 
ium  disccruebantnr.Tum  advcrsus/-  Vw  J/Vtv/î 
contracta;  leglones  ,  seque  ctGallias  espertae, 
quxrere  rnrsus  arma  ,  novasque  discordias  : 
nec  socios  ut  olim,  sed  bostcs  et  victos  voca- 
baut.Ncc  decratpars  Galliarumqiue  Rhemim 
accolit ,easdim partes  sccuta, ac  tum acerrima 
insti<^atrix   adversus  Galbianos  ;    hoc   enim 
iiomen  fastidito  l'indice  indideraut.  Igitur 
Sequanis  ^duisqnc  ,  acdeindc  proutopuleu- 
tia  civitalibns  erat  ,  infensi  ,  expugnationes 
urbinm    ,    popnlationes    agrorum   ,    raptu» 
peaatium  hauseruat  aaimo  ,  super  aYaritian» 


DU  LIVRE  I.  DE  TiCITE.     ii5 

la  déraite  et  la  mort  de  Vindex  ,  l'armée,' 
qu'une  victoire  sans  danger  et  sans  peine 
venait  d'enrichir  ,  ficre  de  sa  gloire  et  de 
son  butin,  et  prélérant  le  pillage  h  la  paye, 
ne  cherchait  que  guerres  et  que  combats. 
Long-temps  le  service  avait  été  infructueux 
et  dur  ,  soit  par  la  rigueur  du  climat  et  des 
saisons,  soit  par  la  sévérité  de  la  discipline, 
toujours  inflexible  dut  an  t  la  pais  ,  mais 
que  les  flatteries  des  séducteurs  et  l'impunité 
des  traîtres  énervent  dans  les  guerres  civiles. 
Hommes,  armes,  chevaux,  tout  s'offrait  à 
qui  saurait  s'en  servir  et  s'en  illustrer  ;  et, 
au-lieu  qu'avant  la  guerre  les  armées  étant 
éparses  sur  les  rrontièrcs  ,  chacun  ne  con- 
naissait que  sa  compagnie  et  son  bataillon, 
alors  les 'légions  rasssemblées  contre  l  index 
ayant  comparé  leurs  forces  à  celles  des  Gaules, 
n'attendaient  qu'un  nouveau  prétexte  pour 
chercher  querelle  à  des  peuples  qu'elles  ne 
traitaient  plus  d'amis  et  do  compagnons 
mais  derebelles  et  de  vaincus.  El  les  comptaient 
sur  la  partie  des  Gaules  qui  conlinc  au  Rhin, 
et  dont  les  habilans  ,  ayant  pris  le  même 
parti ,  les  excitaient  alors  puissauinu-nt  contre 
les  Galbietis  ;  nom  que  par  mépris  pour  />7«- 
dcx  ils  avaient  douné  Ii  ses  partisaus.  Le  sol» 


,i6         TRADUCTION 

et  arrof^antiain  prscipua  validiorum  vitia 
coutninaciâ  Galloium  irritati  ,  qui  remissain 
sibi  a  Galhâ  quartam  tributorum  paitem  ,  et 
publicè     douatos    iu    iguominiam   cxcicitus 
jactabatit. 


^ 


Accessit  callidè  vulgatum  ^  tcmerè  credi- 
tiiuij  decumnri  Icgioues  ,  et  promptissimum 
qiieuiquecoutiJiionuiiidimitti  ;  undiqucatro- 
ces  nuncii  ;  siuistra  ex  urbe  fama  ,  infcnsa 
lugduuensis  coloiiia  ,  et  peitiuaci  pio  Neronc 
fidefecundarumoribus.Sed  plurima  adrnigen- 
dum  ciedendumque  matcrics  in  ipsis  castiis  , 
odio  ,  meta  \  et  ubi  vires  suas  respexerant  , 
sccuritatc. 


Sub  ipsas  snpeiioris  anni  kal.  décembres^ 
\glulus  f'iteiliiis  iuferiorem  Gcriuauiacu  in- 


DU  LIVRE  T.  DE  TACTTF.     117 

dat  anime  comIit  ]<'s  Ednciis  et  les  Sc-qnanois, 
et  mesurant  sa  co  èri-  sur  leur  opulence  ,  (ic- 
vorait  (ic'Jà  rlans  son  crenr  le  i)iilagc  fies  villes 
et  ries  champs  et  les  -"le'jjou.ll's  fies  citoyens  ; 
son  afro<;a!ice  et  son  avitlite',  vices  communs 
"k  qui  se  sent  lo  plus  fort,  s'irr:t:ient  encore 
par  les  bravades  des  Gauiois  ,  qui  pour  faire 
dépit  aux  troupes,  se  vantaient  lie  ia  remise 
du  quart  des  tributs  ,  et  du  droit  qu'ils 
avaient  reçu  de  Galba. 

A.  tout  cela  se  ioii^iiait  un  bruit  adroitement 
répandu  et  iuconsidereuicnt  ydoplc,  que  les 
le'gions  seraiejit  décimées  et  les  plus  braves 
centurions  casse's- de  tontes  parts  venaient  des 
nouvelles  fâcheuses  :  rien  tic  Rome  que  do 
sinistre  ;  la  mauvaise  volonté  de  la  colonio 
Lyonnaise  et  son  opiniâtre  aitacliemeut  pour 
I^éron  était  la  source  de  mille  faux  bruits. 
Mais  la  liaine  et  la  crauile  particulière,  joui  ta 
ïi  la  sécurité  générale  qu'inspiraient  tant  de 
forces  réunies  ,  fournissaient  dans  le  camp 
une  assez  ample  matière  au  mensonge  et  à  la 
cre'dulité. 

j\u  commencement  de  décembre,  f'Uellins 
ajiivé   daus   la  Germauic  iuféncurc  ,  visita 


ïi8  TRADUCTION 
gressus  ,  hiberna  legionum  cum  cura  adicrat  : 
ledditi  plerisque  ordines  ,  rcuiissa  ignomiuia, 
allevatae  notae  :  pliua  ambitioiie  ,  quccdata 
judicio;  in  qiiibus  sonlcm  et  avaritiam /-'ow- 
ieii  Capitonis  ^3iÙL\\\\c\\à\%  assignaiidisve  lui- 
litice  ordiiiibus  ,  iiitej^iè  mutavcrat.  Ncc 
consularis  Icgati  uicnsiira  ,  scd  in  luajus 
omaia  accipicbautnr  \^iiyiteUiiis  apudseve- 
ros  huoiilis.  Ita  comitatem  bonitateuique 
faveutes  vocabant  ,  quod  sine  modo  ,  sine 
judicio  ,douaretsua  ,  largiretur  aliéna  ;  siutul 
aviditate  impcrandi ,  ipsa  yitia  pro  vlrtuûbus 
in  terpre  taba  ii  tur. 

Multi  in  11  troque  exercitn  sicut  modestî 
quictique  ,  ita  uiali  et  strcnui  ;  sed  profiisa 
cupidine  ,  et  uisigni  tcmeritalc,  Icgati  legio- 
num ,  Alieiiits  Concilia  ç.\.  Fahius  f  ah'us  ; 
è  quilius  J'ahiis  insensus  Golhœ  ,  tauquani 
detcctam  à  se  l'ergiuii  cuuclationcm  ^  op- 
pressa Capitonis  coiisilia  ingrate  tuUssct  , 
iustigare  p^itelliuvi ,  ardorcm  inilitum  osteu- 
tans.  Ipsum  cclebri  ubiqiie  famà  :  nuUam  in 
flacco  ^ordeonio  moraui ,   alfore  Britaur 


DU  LIVRE  I.  DE  TACITE.     119 

soignensetnciit  Tes  quartiers,  où  quelquefois 
avec  prudence  et  plus  souvent  par  ambition  il 
cQacait  l'ignominie,  adoucissait  les  cbâtimens, 
et  rétablissait  chacun  dans  son  rauj;  ou  dans 
soubonncur.il  repara  sur-loutavcc  beaucoup 
d'équité  les  injustices  que  l'avarice  et  la  cor- 
ruption avaient  fait  commeilie'k Capif on  ,  eu 
avançant  ou  déplaçant  les  gens  de  guerre.  Ou 
lui  obéissait  plutôt  comme  à  un  souverain  , 
que  comme  à  un  proconsul  ,  mais  il  était 
souple  avec  les  hommes  Fermes. Libéral  de  son 
bien, prodigue  de  celui  d'autrni ,  il  était  d'une 
profusion  sans  mesure  ,  que  ses  amis ,  cbau- 
gcant  par  l'ardeur  de  commander  ,  ses  vertu» 
en  vices  ,  appelaient  douceur  et  bonté. 

Plusieurs  dans  le  camp  cachaient  sous  ur» 
air  modeste  et  tranquille  beaucoup  de  vigueur 
à  mai  f.iire  :  mais  f'aletis  et  Ctcina  ,  lieute- 
iians-généraux  ,  se  distinguaient  par  une  avi- 
dité sans  bornes  ,qui  n'en  laissait  point  à  leur 
audace.  /^'^/r/7.y  sur-tout ,  après  avoir  éloulfé 
les  projets  do  Capiton  ^  et  prévenu  l'incerti- 
tude de  P^erginius  ,  outréde  l'ingratitude  de 
Galha  ,  ne  cessait  d'exciter  Vitellius  ,  eu  lui 
vantant  le  zèle  des  troupes.  Il  lui  disait  que 
sur  sa  réputatioa  Hordconius  ue  bulauccraifc 


î=o  TRADUCTION 
niam  ,  sccutura  Germanorinn  ansilia  ,  malè 
fidas  piovincias  ,  prccarinm  seni  imperuiiu  , 
brevi  transi  lu  rum  :  panderct  luodb  siiiuin  , 
et  venieuti  fortmiîc  occurreret.  Merito  dubi- 
tasse  T'ergininm  cquestri  familiâ  ,  ignoto 
pâtre  :  iinparein  si  recepisset  imi)eriuni  , 
tutum  si  rccusasset.  T'itellio  très  patris  cou- 
snlatus  ,  censiiram  ,  coUegiiuu  Cmsaris  ,  et 
imponcre  janiprideiu  ituperatoris  dignatio- 
nem  ,  et  auferre  privati  securitatiiu.  (^uatie- 
batur  his  segne  iiigciiiuui ,  ut  coiitupisceret 
jziagi3  quàm  ut  speraret. 


At  in  superîore  Germauiâ  ,  Cceclna  dé- 
cora jiiventà,  corpore  ingens  ,  aniiui  imtno- 
dicns  ,  scito  sermone,  erecto  incessu  ,  stiidia 
niilitmu  ilk'xcrat.  Hune  juvencni  Galba  , 
quapslorcm  in  B;rlicâ  ,  impigiè  in  partes  suai 
trangressum  ,  Icgioni  prœposuit.  ]Mox  com- 
pprtum  publicaui  pccuniaui  avertisse  ,  ut 
peculatorcm  flagitari  jnssil.  Cœcina  œgrè 
passus  ,  inisccre  cuuctu  ,  et  privata  vulucra  , 


DU  LIVRE  I.  DE  TACITE.     i2r 

pas  un  moment  ,  que  l'Angleterre  serait  pour 
lui  ;  qu'il  aurait  des  secours  de  rAlleuiagiie  ; 
que  toutes  les  provinces  flottaient  sons 
le  gouverjicment  précaire  et  passager  d'un 
vieillard;  qu'il  n'avait  qu'à  tendre  les  bras  à  la 
fortune  et  courir  au-devant  d'elle  ;  que  les 
doutes  convenaient  à  jy'ergiiiins  ^  simple  che- 
valier romain  ,  Bis  d'un  père  inconnu  ,('t  qui^ 
■trop  au-dessous  du  rang  suprême,  pouvait  I& 
refuser  sans  risque.  JMais  quant  à  lui  ,  dontlo 
père  avait  eu  trois  consulats  ,  la  censure  ,  et 
César  pour  collègue  ,  que  plus  il  avait  de 
titres  pour  aspirer  à  l'empire  ,  pins  il  lui 
était  dangereux  de  vivre  en  homme  prive'. 
Ces  discours  agitant  T'itellius ,  portaient  dans 
son  esprit  indolent  plus  de  désirs  que  d'espoir. 

Cependant  Cecina  ^  grand,  jeune,  d'une 
helle  figure,  d'une  démarche  imposante, 
ambitieux  ,  parlant  bien  ,  flattait  et  gagnait 
les  solditts  de  l'Allemagne  supérieure.  (Ques- 
teur en  Ik'tique  ,  il  avait  pris  des  premiers  le 
parti  de  Galho  qui  lui  donna  le  conunande- 
luent  d'une  légion  :  mais  ayant  reconnu  qu'il 
détournait  les  deniers  publics  ,  il  le  fil  accuser 
de  péculat  ;  ce  que  Cccina  suiiportant  ini- 
paticuimeut ,  il  s'efforça  de  tout  bryuilkr  et 


122  T  R  A  D  U  C  T  I  O  N. 
reipublicae  malis  opei'ire  statuit.  Nec  deerant 
iti  exercitu  scmina  discordiaî,  quod  et  bello 
adveisus  p'indicem  uaivcrsus  affucrat  ,  nec 
lîisi  occiso  Nerone  translatas  iii  Galham  , 
atqnc  in  eo  ipso  sacramento  vexillis  inferioris 
Germaniae  prtEventus  erat.  EtTicveri  ac  Lin- 
gones  ,  quasqiie  alias  civitates  atrocibus  edic- 
tis  ,  aut  damuo  Bniuiu  Galba  pcrculcrat  , 
hibernis  legiomim  proplùs  niiscentur.  Unde 
seditiosa  colloquia  ,  etinter  paganos  corrup- 
tior  miles  ,  et  iii  p'eri^iniiiui  favor  cuicumque 
alii  profutuius. 


Miserai  civltas  Lingonum  ,  vetere  instî- 
tuto  ,  doua  legiouibus  ,  dcxtias  bospitidt 
insigne.  Lcgati  coruiu  in  sqnalorcm  ,  niœsli- 
tiamque  couipositi ,  per  principia  ,  per  contu- 
bernia  ,  mode  suas  injurias  ,  modo  civitatuiu 
vicinarum  prECiuia  ;  et  ubi  pronis  militnm 
aurii)us  accipicbantur  ,  exercitiis  ipsius  peri- 
cula  et  coutiimelias  conquirentes  ,  acceude- 
baut  auimos.  Nec  procul  seditioue  aberaut , 


DU  LIVRE  I.  DE  TACITE.     laS 

d'ensevelir  ses  fautes  sous  les  ruinas  de  la 
république.  Il  y  avait  déjà  dans  l'amice  assez 
de  penchant  à  la  révolte;  car  elle  avait  de 
concert  pris  parti  contre  Vindex  ^  et  ce  ne 
fut  qu'après  la  mort  de  Néron  qu'elle  se 
de'clara  pour  Galba  ,  en  quoi  même  elle  se 
laissa  prévenir  par  les  coUortes  de  la  Ger- 
jManie  inférieure.  De  pins  ,  les  peuples  de 
Trêves,  de  Langres  ,  et  de  toutes  les  villes 
dont  Galba  avait  diminué  le  territoire  et 
qu'il  avait  maltraitées  par  de  rigoureux  édits  , 
mêlés  dans  les  quartiers  des  légions  ,  les 
excitaient  par  des  discours  séditieux;  et  les 
soldats  corrompus  par  lis  habitans  ,  n'at- 
tendaient qu'un  homme  qui  voulut  profiter 
de  l'offre   qu'ils  avaient  faite  à  T-^erginius. 

La  eité  de  Langres  avait  ,  selon  l'ancien 
«sage  ,  envoyé  anx  légions  le  présent  des 
tnains  enlacées,  en  signe  d'hospitalité.  Los 
députés,  affectant  une  contenance  affligée  , 
commencèrent  à  raconter  de  chambrée  en 
chambrée  les  injures  qu'ils  recevaient  et  les 
grâces  qu'on  fesait  aux  cit's  voisines;  puis 
se  voyant  écoutés,  ils  échauffaient  les  esprits 
parr(;nuinération  desmécontcntemcnsdonnés 
^  1  armée  et  de  ceux  qu'elle  avait  encore  à 


J24  TRADUCTION 
cùin  HordeoiiinsFlncciis  abirelegatos,uîque 
occuUior  dijijiossas  esset  ,  nocte  castris  exce- 
derc  inbrt.  Inde  atrox  ruinor  ,  affirmantibus 
plcrisquc  iiitci  fVctos  ,  ac  nisi  ipsi  consulerent, 
foie  m  acensmi  iiiilitiim  et  prccsentia  cou- 
quesli  per  tciicbras  et  inscitiam  crctcronim 
oeeid  re  itur.  Obstriiiguntur  iiiter  se  tacito 
fœdere  le-onci.  Asciscitur auxibonim  miles, 
prano  su.spectiis  ,  tainqnaiu  clrcuindatis 
cobortibus  alisque  ,  iuipetiis  in  Icgioncs  para- 
retui-  ;  mox  eadcm  acriùs  volvcns,  faciliore 
iiiur  luidos  consensu  ad  bcllum  ,  qnaui  iii 
pace  ad  concordiam. 


lureriovis  taineu  Gennaniîc  legioncs  so- 
Icmiii  liai,  januariarmn  saciamento  pio  Golbâ 
adact;r,iuuU:iciitictatione,etraiisprimorum 
oïdiniiiu  vocibus;  c;rteii  silcntio  ,  proximi 
cu'insqiie  aiidacidui  expectantes  ,  insilà  luor- 
tahbus  natuiâ  propcrè  sequi  qii'-E  piget 
iuchoaic.  Sed  ipsis  Icsiouibus  iucrat  divcrsitas 

craindre 


DU  LIVRE  I.  DE  TACITE.     12S 

craiiulre.  Enfin,  tout  se  préparant  à  la  sédi- 
tion ,  Hordconms  renvoya  les  députés  et 
les  fit  sortir  de  nuit  pour  cacher  leur  départ. 
Mais  cette  précauticii  réussit  mal,  plusieurs 
assurant  qu'ils  avaient  été  massacrés  •  et 
que,  si  l'on  ne  prenait  garde  à  soi,  les 
plus  braves  soldats  qui  avaient  osé  murmu- 
rer de  ce  qui  se  passait,  seraient  ainsi  tue's 
de  nuit  à  l'inseu  des  autres.  Là-dessus  les 
légions  s'étant  lif^uc'es  par  un  engagement 
secret,  on  lit  venir  les  auxiliaires,  qui  d'abord 
donnèrent  de  l'inquiétude  aux  cohortes  et  à 
la  cavalerie  qu'ils  environnaient  ,  et  qui 
craignirent  d'en  être  attaquées.  Alais  bientôt 
tous  avec  la  rnéme  ardeur  prirent  le  même 
parti;  mutins  plus  d'accord  dans  la  révolte 
qu'ils  ne  lurent  dans  leur  devoir. 

Cependant  le  premier  jair/ier,  les  légions 
de  la  (;ern):uiie  inlorleure  prêtèrent  solem- 
nellement  le  serment  de  fidélité  à  Galha  ^ 
ïnais  à  contre-cœur  et  serdeuient  par  la  voix 
de  quelquts-uns  dans  les  premiers  rangs; 
tous  les  autres  gardaieivt  le  silence,  chacun 
n'attendant  que  l'exemple  de  son  voisin  ,  selon 
l;i  dis|)osition  naturelle  aux  liommes  de 
seconder  avec  courage   les  entreprises  qu'iis 

Milaiiges.  Toiue  Vt  G 


i26        TRADUCTION 
animorum  :    piimani  quintanique  tuvbidî  ; 
adeo  ut  quidam  sasa  xnGnlbœ  imagines  icce- 
riut:  quinta  décima  acscxla  décima  Iei;iones, 
nihil  uUià  frcmilura  et  minas  ausap,  initium 
ermiipendi  circumspcctabaut.  At  in  sLipcriovL 
esercitu  ,   quaita  ac  duodeviccsima  legioncs 
iisdcm  hibcrnis   tendcntcs  ,  ipso   kalcnd.  ja- 
nuariai-um  die  dinimpunt  ima-incs  Galbx  : 
quartalegio  promptiùs,  duodeviccsima cntic- 
taiitcr  ,  mox  conscnsu.    Ac  ne  reveientiam 
impcrii  cxucre  viderentur  ,  s.  v.Q-  R-  oblitte- 
xata  jam  nomina  ,  sacramento  advocabant  ; 
uullo   losaloium    tnbunorumve    pro  Galbiî 
nitente  ,   qjibusdam  ,  ut  iu  tumultu  ,  nota- 
biliùs  turbantibus  :  uou  tamen  qui-quam  in 
modum    coucionis  ,    aut  su-gestu  locutus  ; 
jHequeenimeratadLiuccaiimputarctur. 


Spcctator    flnglti'i    TTordjovius    Flaccus 
eousulans  Icgalus    adcrat ,  uou  compesccic 


DU  LIVRE  I.  DE  TACITE     127 

n'osent  commencer.  Mais  réinotlon  n'était 
pas  la  même  dans  toutes  les  légions  :  il  régnait 
un  si  grand  trouble  dans  la  première  et  dans 
la  cinquième,  que  quelques-uns  ietèreut  des 
pierres  aux  imagrs  de  Galba  :  la  quinzième 
et  la  soizicme,  sans  aller  au-delà  du  mur- 
3tnure  c(  des  menaces  ,  clierchaient  le  moment 
de  commencer  la  réj^olte.  Dans  l'armée  supé- 
ïieure  ,  la  quatrième  et  la  dix-huitième 
légion  allant  occuper  les  mêmes  quartiers, 
insèrent  les  images  de  Galba  :  ce  même  pre- 
ïnier  de  Janvier  ,  la  quatrième  sans  ba- 
lancer ;  la  dix-huitième  ayant  d'abord  hésité, 
se  détermina  de  même  :  mais  pour  ne  pas 
paraître  avilir  la  majesté  de  l'empire  ,  elles 
jurèrent  au  nom  du  sénat  et  du  peuple 
romain  ,  mots  surannés  depuis  long-temps. 
On  ne  vit  ni  généraux,  ni  officiers  faire  le 
moindre  mouvement  en  faveur  de  Galba  ; 
plusieurs  mèînc  ,  dans  le  tumulte  ,  cher- 
chaient à  l'augmenter  ,  quoique  jamais  de 
dessus  le  tribunal ,  ni  par  de  publiques  haran- 
gues ;  dcsorte  que  jusques-là  on  u'auiait  sa 
«i  qui  s'en  prendre. 

Le  proconsul  TTordéoiiîii/i  y  siiïiple  specta- 
teur de  la  révolte,  n'osa  faire  le  moindre  cfFor* 

Ci   2 


128         TRADUCTION 

rueutes  ,  non  rctincrc  ditbios  ,  non  cohortarl 
bon  os  aiisiis;scd  segnis,  pavidiis,  et  socordi'* 
innoccns.  Qiîatuor  ceti tiirioius  .hiodcvice- 
siinoc  Icgionis  ,  Aonii/s  Récent  ix  ,  Donatius 
T^oJeiis  y  Iloinilliis  Marcelliis  ^  C'ait  ■n-nius 
Hep  eu  filins  ,  cùiii  piotcj:,crent  Gulh  t  "nn- 
gincs  ,  impolu  lailitum  abrepti  ,  viui-; 
Ncc  citiquaui  nitrà  fides  ,  aut  im-uiorla  \y:  <  ■  •: 
saciMiiienti  ; xed  ,quod  m  seJilioivibusaccidit , 
uudc  pliucs  craut  ,  omues  tucre. 

Noctc  qiix  ka'endas  jannnrias  secuta  est, 
in  coioniaiu  agiippinensem  aqu''ifer  qiiartne 
Icgionis  l'pulanti  /-7/e//7o  nnuc!  t  ,  (Ii':^rl■:u 
et  duodcviccsimam  iegionrs  ,  \^\■^\Çiz^.'•sGa^b^e 
imagiiiibus  ,  i:i  senatùs  et  populi  )oinani 
verba  jurasse  :  id  saciainentntu  ininc  xisum. 
Occupai!  niitaiiVem  loi tunari ,  et  oir-ni  prin- 
cipera  plaçait.  Missi  à  ViteUio  ad  lei^ioncs 
Icgatosquc  ,  qui  desoivisse  à  Gaîhâ  snperiorem 
cxficitnm  niuitiarent  :  proindc  aiil  Ixdiau- 
dmn  adversus  deseisccnios  ,aijt,  siconcoidia 
eîpax  placcat  ,   facieudum  iuipciutorem  ;  et 


DU  LIVRE  I.  DE  TACITE.     125^ 

poiir  réprimer  les  séditievix,  Gon  tenir  ceux  qui 
floUaieiit  ,  ou  ranimer  les  fidèles  :  ne'gligeaiifc 
et  craintif,  il  fut  clcment  par  lâcheté'.  Nonius 
Jlecepius  ,  Donatius  T^alens  ,  Romilius 
Marcelbis  ,  Calpiirnius  Repentimis  ,  tous 
quatre  cetitiirioiis  de  la  dix-iiuitième  légion  , 
ayant  voulu  défendre  les  images  de  Galba  ^ 
les  soldats  se  jetèrent  sur  eux  et  les  lièrent. 
Après  cela  il  ne  fut  plus  questiou  de  la  foi 
promise  ,  ni  du  serment  prêté;  et  comme  il 
arrive  daus  les  séditions,  tout  fut  bientôt  du 
côté  du  plus  grand  nombre. 

La  itïcme  nuit ,  VifeUivs  étant  à  table  à. 
Cologne  ,  l'enseigne  de  la  quatrième  légion  1© 
vint  avertir  que  les  deux  légions  ,  après  avoir 
renverse  les  images  de  Galba  ,  avaient  juré 
lidélité  au  sénat  et  au  peuple  romain  ;  serment 
qui  fut  trouvé  ridicule.  T'iteUliis  voyant 
l'occasion  favorable ,  et  résolu  de  s'offrir  pour 
chef,  envoya  des  députés  annoncer  aux  lé- 
gions que  l'armée  supérieure  s'était  révoltée 
coiitre  Galba  ,  qu'il  fallait  se  préparer  à  faire 
la  guerre  aux  rebelles  ;  ou  si  l'on  aimait  mieux 
la  paix  ,  à  reconnaître  un  antre  empereur^  et 
qii'iis  couraient  moiiisde  risque  à  l'élire  qu'a 
laUenarc» 

G  3 


i3o         TRADUCTION 
minore    dUcriuùuc    sumi    priucipem    quam 
quseii. 

Proxima  Icgiouis  prlmaï  hiberna  erant,  et 
promptissimus  c  legatis  Fabius  Valcns.  Is 
die  postero  colouiam  agrippinensem  cum 
equitibuslegionisauxiHariorumqueingrcssus, 
imperatorcra  VitcUium  consalutavit.  SccutaQ 
ingcnti  certamiue  ejusdcin  provinciac  legio- 
nés;  et  supcrior  cxercitus  ,  speciosis  senatûs 
populiquc  romani  uominibus  relictis  ,  m  non. 
januavias  T'iteUio  accrssit ,  scires  illiira  prioro 
biduo  non  pênes  rempublicani  fuisse.  Ardo- 
rem  exercituum  Agrippincnses  ,  Trcvcri  , 
Lingoues  œquabant  ,  auxilia  ,  equos  ,  arma  , 
pecunias  oCferentes  ,  ut  quisque  corpore , 
opibus  ,  ingénie  validus.  Nec  principes  modo 
coloniarum  aut  castrornm  ;  qnibus  pracscutia 
ex  affluenti  ,  et  partà  victonâ  magiux  spcs  : 
sed  manipuliquoquc  et  grcgarius  miles,  via- 
tica  sua»  et  baltcos  ,  phalerasque  ,  insignia 
armorum  ,  argento  décora,  loco  pccuniœ 
tiadcbaut  \  Lusliuctu ,  et  impetu  ,  et  ayantiâ. 


DU  LIVRE  I.  DE  TACITE.     iSi 


Les  quartiers  de  la  première  légion  e'iaient 
les  plus  voisins.  Fabius  f^alens  ,  licuteiiaut- 
géucral,  fut  le  plus  tliligent ,  et  vint  le  lende- 
main à  la  tête  delà  cavalerie  de  la  légion  et  des 
auxiliaires  sa]uQr  f^iu//ius,  empereur.  Aussi- 
tôt ce  Fut  pcumi  les  le'gions  de  la  province  à 
qui  préviendrait  les  autres  ;  et  l'armée  supé- 
rieure, laissant  ces  mots  spécieux  de  sénat  et 
de  peuple  romain,  reconnut  aussi /^/V<?//z«* 
le  trois  de  jauvier  ,  après  s'être  jouée  ,  durant 
deux  iours,  du  nom  de  la  république.  Ceux 
de  Trèvi;s  ,  de  Langrcs  et  de  Cologne  ,  noix 
moins  ardens  que  les  gens  de  guerre,  oCfraicat 
à  l'envi ,  selon  leurs  moyens,  troupes  ,  clie- 
Taiix  ,  ar.'nes  ,  argent.  Ce  zèle  ne  se  bornait 
pas  aux  chefs  des  colonies  et  des  quartiers, 
animés  par  le  concours  présent  ,  et  par  lc9 
avantages  que  kur  promettait  la  victoire  ; 
mais  les  manipules  et  même  les  simples  sol- 
dats, transportés  par  instinct  ,  et  prodignes 
par  avarice  ,  venaient ,  fautes  d'autres  biens  , 
ollVir  leur  paie  ,  leur  équliai^e  ,  et  jusqu'aux 
ornenieus  d'argent  dont  leurs  armes  étaieut 
garnies. 


i32         TRADUCTION 

Igitur  laudatâ  mi  lit  nui  aI;iciitate,/''7/tV////,y^ 
ministeria  principatùs  ,  pcr  libt-rtosagi  solita, 
in  eqiiilcs  rouiaiios  dispoiiit.  Vacistioiics  cen- 
turion ibus  ex  fiscoiiuiuenit. -Sxvitiaiuiniiitniu 
plcrosqiie    ad    pœiiam  cxposcentiiuu  sxpiùs 
approbat  ,    partiui  siiniilatiûMc  vinciiloiiiin 
fiustratur.  Pompeius Propiii-.jiius piocmalor 
BelgiciK  statiiu   iuterfcctu.-;.  JuJiu.ii  JJurdo- 
neju  geruiaiiicx  classis  pixlectLUu  astu  sub- 
traxit.  Esarserat  iii  ciiiu  uacundia  exercitûs  , 
taîuquam  crimcti  ,  ac  inox  iiisidias  ,  Fonteio 
Capiloni  struxisset.  data  erat  mcmoria  Ca- 
pilonis  ,  et  apud  sirvicntcs  occiii  rc  palani  , 
ignosccrc  uou   nisi    tallcndo   Ilcehat.    Ita  iu 
custodià  habitas  ;  et  post  victoiiaui  dciuuui , 
slratis  jam  iuilituui  odiis  ,  dimissus  est.  Intc- 
ïim    ut  piaculuui  objicitur  ccaturio  Crispi- 
Tuis  j  qui  se  sanguine  Citpilonia  crueulaverat; 
eoqiie  et  postalantibus  uiauifestior ,  et  pu-, 
uicnti  vilior  luit. 


Jirliiis  deindc  OV/V/^- pcricuTo  c.tcmptiJS  ^ 
prucpotcas  iutcr  Isatavos,   uc  supplicio  iju* 


DU  LIVRE  I.  DE  TACITE.     i33 

P^iielliuù-  ayant  remercié  les  troupes  de  leur 
zèle^  coinmitaux  chevaliers  romains  le  service 
auprès  du  prince,  que  les  affranchis  faisaient 
auparavant.  Il  acquitta  du  fisc  les  droits  dus 
aux  centurions  par  les  manipulaires.  Il  aban- 
donna hcciucoupde  gens  à  la  fureur  des  sol- 
dats ,  et  en  sauva  quelques-uns  en  feignant  de 
les  envoyer  en  prison. /'ro/7///r/7///j',  intendant 
da  la  Belgique,  fut  tue  sur-le-champ  :  mais 
fitelliiis  sut  adroitement  soustraire  aux  trou- 
pes irritées  Julius  EurJo  ,  commandant  do 
rarmée  navale  ,  taxé  d'avoir  intenté  des  accu- 
sations et  ensuite  tendu  des  pièges  à  p'on- 
teius  Capiton.  Capiton  e'tait  regretté  ,  et 
parmi  ces  furieux  ou  pouvait  tuer  impuné- 
uient  ,  mais  non  pas  épargner  sans  ruse. 
Jjurdo  fut  donc  mis  en  prison  ,  et  relâché 
bientôt  après  la  victoire  ,  quand  les  soldats 
furent  appaisés.  (^nand  au  centurion  Cris'- 
pinus  qui  s'était  souillé  du  sang  de  Capiton  ^ 
et  dont  le  crime  n'était  pas  équivoque  à  eurs 
yeux  ,  ni  la  personne  regrettable  à  ceux  de 
P'itdllius  ^  il  fut  livré  pour  victime  à  leur 
vengeance. 

Jitlins  0'('/.'/5  ,  puissani  chez  les  Eatave», 
échappa   au  péril  par  la  craïutc  qu'où  eut 


i54  TRADUCTION 
ferox  gens  alienarctur  ;  et  eraiit  in  civitate 
Liugouum  VIII  Batavorum  cohortes,,  quartiB 
deoimœ  lej;lonis  au^ilia,  tutu  discoiJià  iciu- 
porumàlegiouc  digressa;:  prout  inclinassent, 
grande  inomentum  ,  socia;  aut  advcrsx.  i\  o- 
nium,  Doiiatium  ,  Romilium  ,  Calpiirnium, 
ccnturiones  de  quibnssuprà  retuliuius,occidi 
jussit  ,  damnâtes  fi  lei  triu)ine  ,  gravissirao 
inter  desciscenlcs.  Accesscre  partibus  f'ûle- 
rius  Asiaticus  ^  Belgicae  provincia>  lcj3,atus  , 
quctn  mox  p'^itcllius  geueruiu  ascivit  :  et 
JuHus  Blœsiis  lui^dunensis  Gallix  rcctor  , 
cum  italicâ  Icgione  et  alà  Tauriiià  Lugduni 
tendentibus.  Nec  in  Rbœticis  copiis  niera, 
que  minus  statiiii  adjuugereutur. 


NeinBritanniâquidcmdubitatnm.Praeerat 
Trebellius  JMaxhnns ,  per  avariliamac  soldes 
coatemptus  exercitui  invisusquc.  Accendcbat 
odium  ejus  hoscius  Ca'/ius  legatus  viccsimae 
legiouis  oliui  diseurs  ,  scd  occasione  civilium 
arxuorum    atmciTis    proruperat.    TreheUius 


Ï3U  LIVRE!.  DE  TACITE*     i3& 

que  son  supplice  n'aliénât  un  peuple  si  fe'- 
loce  ;  d'autant  plus  qu'il  y  avait  dans  Lau- 
gres  huit  cohartes  bataves  auxiliaires  de  la 
quatorzième  légion  ,  lesquelles  s'en  étaient 
sépai'écs  par  l'esprit  de  discorde  qui  régnait 
en  ce  teuips-!a  et  qui  pouvait  produire  ua 
grand  effet  en  se  déclarant  pour  ou  contre. 
Les  centurions  iVo/iifi.<^ ,  Douatùis  ,  Ronii-' 
Jius  ^  Calpiirnins ,  dont  nous  avons  parlé, 
furent  tués  par  l'ordre  de  f-^itellius  comme 
coupables  de  fidélité  ,  crime  irrémissible  chez 
des  rebelles,  falerius  ylsiaticns  comman- 
dant de  la  Belgique,  et  dont  peu  après  p'i" 
tçlUiis  épousa  la  fille  ,  se  joignit  à  lui.  JuHns 
JBlœsîts  j  gouverneur  du  Lyonnais,  en  lit 
de  même  avec  les  troupes  qui  venaient  à 
Lyon  •,  savoir  ,  la  légion  d'ilalie  et  i'cscadrou 
de  Turin.  Culles  de  la  llliétique  ue  tardèrent 
point  à  suivre  cet  exemple. 

Il  n'y  eut  pas  plus  d'incertitude  en  An- 
gleterre. TrehelHiis  M  ci. vi  nui  s  ,  qui  y  com- 
niandait, s'était  fait  haïretmcpriserderarmée 
par  SCS  vices  et  son  avarice  ;  haine  que  fo- 
xtifutait  /{oscfj/x  Ca'//iii- ,  conunandant  de  la 
vingtième  légion  ,  biouiiié  depuis  long-temps 
aycc  lui ,  mais  à  l'occasioa  des  guerres  civiles 


î36        TRADUCTION 

scditioncm  et  confiisum  ordinem  disciplina 
Cifli'y  j  spoliatas  et  inopes  Itgiones  C'^Hus 
"J'rehellio  objtctabat  :  ci^iui  intérim  fœdis 
lc""alorum  cei  tauiinibiis  iiiodestia  cxercitiis 
conupta  ,  eoque  discordiœ  ventuni ,  nt  auxi- 
liaruinquoquemililumconvitiis  protnibatu?, 
et  agr^rcgantibus  se  Cœlio  cohorlibus  alisquc , 
descrtus  Trehellius  ad  T'itellium  perfiigerit. 
Ouies  piovincice  ,  quamquam  rcmoto  coiisn- 
sulaii ,  mausit  :  rcxerc  legati  Icgionuui,  pares 
jure,  Cuelius  audeudo  poteutior. 


Adjuncto  brîtannlco  exercltu  ,  in;;cns 
Tirlbns  opibusque  p'itellius  ^  duos  diiccs, 
duo  itinera  bcl'.o  dcsfinavit.  Fabius T'aleiis 
aJlicere  ,  vcl  si  abnuercnt  ,  vastareGallias  ,  et 
Cotlanis  Alpibiis  Italiam  irrmnpcrc;  C^'cina 
propiorc  transi  tu  ,  Pcuniuis  jugis  dcgredi 
jussus. /^'^/f/i/i  iufcriorlscscrcitùs  clecti  cuin 
aquilâ  quintcc  kgionis,  et  coboilibus  alisquc 
ad  XL  ^lillia  aiuiatorum  data.  xxx.  millia 

devenu 


t)U  LIVRE  î.  DÉ  fACil'T:.     t^f 

dcvpiin  son  ennemi  deciaié.  Trchellius  trai^ 
tait  Cœlius  de  séditieux  j  de  pcrtnrbateui^ 
de  la  discipline  ;  Ca-lins  l'accusait  à  sott 
tour  de  piller  et  ruiner  les  léiçions.  Tandis 
que  les  i^éiierauT  se  deslionoraiciït  par  ccâ 
Opprobrrs  mutuels,  les  troupes  perdant  toug 
respect  eu  vinrent  à  (el  excès  de  licence  qu0 
les  cohortes  et  là  cavalerie  se  joignirent  % 
Cœlitls-^  et  que  TrehelHii^  ,  abandonne  dâ 
tous  et  chargé  d'injures  ,  f„t  contraint  de 
se  réfu-ier  auprès  de  nw/Jius.  C;j,r/uînnt, 
sans  chef  consulaire  ,  la  province  iie  b  ssi 
pas  de  rester  tranquille,  gouvernée  par  les 
Comuuui>!ans  des  lé-ions  ,  que  le  droit  ren- 
dait tous  é;-aus,  mais  que  l'auddcc  de  Cœliui 
tenait  eu  respect. 

Après  l'accession  d«  l'arirce  britanulqud, 
P^iti'Ii'lus  ,  hicu  |)ourvii  d*armes  et  d'argent , 
résolut  de  faire  marciier  ses  troupes  par  dcuS 
chemins  et  sous  deux  généraux.  Il  chargea 
Fiil^iiis  /"tzAv/.vd'attirt  ràson  parti  ItsGauies, 
Ou  sur  leur  refus,  deleS  ravager  ,  et  de  débouii 
cher  en  Ita'ie  par  les  Alpes  Cotieunes  •  ù  or- 
donna à  Cecina  de  gagner  la  crête  des  Pen- 
nines  par  le  plus  court  chemin.  /-  alens  eut 
l'élite  de  l'aruiée  inférieure  ayec  l'aigle  do  1«) 

Mélm'ses.  Touio   T*  fi 


i38  TRADUCTION 
Cœci/Jûb^upcy'iore  Gcrmanià  ducebat,  quo- 
rum robur  Icg.o  una  et  viccsima  fuiL  Addila 
utriquc Gcimanoi um auxilia  ,  c quibus  T  itcl- 
Uns  suas  quoquc  copias  supplevit ,  totà  mole 
bcUi  seciuutus. 


MirainlcrcsoicitumimperatorcuiqnediTcr- 
sltas.   Inslarc   miles  ,    arma    poscere  ,    dum 
GalliiE  trépident ,  dum  Hispaniae  cunctcntnr; 
iiou   obstarc  biemcm  ,   ucque   ignavtc    pacis 
moras  :  iuvadendam   Italiam  ,  occupandatii 
urbem;  nihil  in  discordiis  clvilibus  fcstiiu;- 
tione  tuliùs,  ubi  facto  magis  quam  cousulto 
opus  essct.Torpebat/^7/.'//«/6',  et  fortunam 
pri.uipati-.s    inerti   luxu    ac    prodigis    cpulis 
jMXSumcbat ,  mcdio  dici  temulentus ,  et  saguià 
gravis;  cùm  tamcn  ardor  et vismilitumulliù 
ducis  muuia   implebat ,  ut  si  adesset  impe- 
rator  ,ctstreiiuis  vol  ignavisspem  mctumque 
addorct.   Instructi   inteutiquc    siguum  pro- 
fectiouis   cNposcuut  ;    iiouiiuc   Gennonhi.  , 


DU    LIVRE  I.   DE  TACITE.      1^9 

Oinquiimc  ](.-i:,ioii  ,  et  assez  de  coliorfea  et 
de  cavalerie  pour  lui  i'airc  une  annc'e  de  qua- 
rante mille  hommes.  Cecina  en  coiiduisit 
trente  mille  clc  l'armée  siipe'rieure  ,  dont  la 
vin-^l-uiiicme  lcj3;ion  fesait  la  principale  force. 
Ou  jo:  Miit  à  'une  et  à  l'autre  armée  des  Ger- 
mains .T.ixiliaircs  dont  /7/c//z?ii' rccrnta  aussi 
la  sienne  ,iivcc  laquelle  il  se  pre'parait  à  sviivre 
le  sort  de  la  guerre. 


Ti  y  avait  entre  l'armée  et  Temperenr  uîie 
oppo.silion  bien  étrange.  Les  soldats  picins 
d'ardeur  ,  sans  se  soucier  de  riiiver  ,  ni  d'uiie 
paix  i)rolonp;ce  par  indolence,  ne  dcman- 
d.iicnt  qu'à  combattre;  et  persuadés  que  la 
diligence  est  sur-tout  essentielle  dans  les 
jTiicrrts  civiles  ,  où  il  est  pins  question  d'a^jr 
(jne  de  consulter,  ils  voulaient  profiler  fie 
l'edVoi  des  (ianUs  et  des  lenteurs  de  l'Espa- 
cne  pour  cnvaliir  l'Italie  et  marcher  à  Rome. 
i'itelJliis  i  engourdi  et  des  le  milieu  du  Jour 
sTuchargc  d'indigestion  et  de  vin,  consumait 
ci'avancc  les  revenus  de  l'empire  dans  ua 
vain  luxe  et  des  fcslins  immenses;  tandis  que 
le  ?.èltî  et  l'activité  des  troupes  suppléaient 
au  devoir  du  «hcf,  connu»  si,  pvc'scut  lui- 

II   > 


T40  TRADUCTION 

f'itellio  statiin  addito  ,  caesarem  se  appcllari 
«tiam  Victor  prohibuit. 


Lrctuin  angurium  Fahio  fahnti  cxerci- 
tuique  qiiein  in  hi'llmn  ajz,c!)at  :  ipso  profec- 
tionis  die:  aquila  leni  meatii,  pront  agmea 
iiiccdeiet  ,  vehit  dux  vi.x  pr.rvolavit  ;  lon- 
giimqueper  «patiuin,  is  gaudentium  uiilitum 
claïuor,  ca  quics  iutoiritac  alitis  fuit,  lit  liaud 
diibiiiui  magnai  et  prospéra;  rei  omeu  acci- 
pcretur. 

Et  Treveros  quidem  ut  soeiossecurl  adicre. 
Divodurl  (  Mfdiomatricorum  id  oppiduia 
est  )  qiiauiqiiaiu  otnili  coniitatc  cxccplos , 
subitns  pavor  exterruit ,  raptis  rcpciiic  armls, 
ad  caedein  iimoxiœ;  civitatis ,  non  ad  pra-dam , 
ant  spoliaiidi  cupidine,  5cd  fiirore  et  rabic, 
et  causis  inccrtis,  coque  difficilioribus  renie- 
diis;  doncc  prccibus  diicis  uiitigati,  ab  exci- 
dio   civitatis    tempci avère.    Caesa    tamca    ad 


ÏÎU  LIVRE  I.  DE  TACITE.       j^t 

même  ,  il  ei'it  encourage  les  braves,  et  iHenacé 
les  làclies.  Tout  étant  prêt  pour  le  départ 
elles  en  dern  indèrent  l'ordre,  et  sur-le- 
ciiam[)  donuèreiit  ù  '/'ife//ir/s  le  surnom 
^^Germanujite:  Jiiais  luénic  après  la  victoire 
»1  de'feudit  qu'on  le  nommât  ce'sar. 

V^aîens  et  son  arme'e  eurent  im  favorable 
augurr  pour  la  guerre  qu'ils  allaient  faire  : 
car  Icuiémc  jour  du  départ ,  \\x\  aigle  planant 
doucement  à  la  tête  des  bataillons,  sembla 
leur  servir  de  guide  ;  etdurant  un  long  espace 
les  soldats  poussèrent  tant  de  cris  de  joie, 
et  l'aigle  s'en  effraya  si  peu  ,  qu'on  ne  douta 
pas,  sur  ces  présagea  ,  d'un  grand  et  heureux 
»uccès. 

L'anne'e  vint  à  Trêves  en  toute  se'curito 
comme  chez  dis  alliés.  Mais  quoiqu'elle  reçût 
toutes  sortes  de  bons  traiteineus  à  Divodure, 
"îille  de  la  province  de  Metz  ,  une  terreur 
panique  (it  prendre  sans  sujet  les  arme*  aux 
soldats  pour  la  détruire.  Ce  n'était  point  1  ar- 
deur du  j)illage  qui  !'?s  animait  ,  mais  une 
fureur,  une  rage  d'autant  plus  difficile  à 
calmer  qu'on  en  ignorait  la  cause.  Enfin  , 
aprèo  bien  des  prières,  et  leuicurtic  de  qualr* 

H  3 


,42  TRADUCTION 

quatuor  millialioBiinum.  Isque  tcrrorGalIias 
iiivasit  ,  ut  vcuicuti  mos  aguiini  universas 
civitatcs  ,  cuiu  inagistralihus  et  ptecibus  , 
occnncrcnt  ,  stratis  per  vias  fcminis  puciis- 
qiie,  quœquc  alia  placn:nc!ita  hostilis  ii^L- , 
non  qiiidcui  ia  bello  ,  sed  pro  pac©  tcucic- 
J)aiitur, 


Nnnciuui  de  cœdc  CnJInr  et  inipcrio 
Oihonis  Fabius  T^alens  iu  ci  vitale  Leuco- 
ruin  accepit.  Nec  niililum  aiiituna  iu  gau- 
dium  ,  aut  forraidiuein  poimotus,  bcllniu 
volvebat.  Gallis  cunctatio  exempta  ,  et  iu 
Otlionem  ac  VileUiin::  odimu  par,  ex /  'ite'.Iio 
et  inclus. 

Proxiiua  Lingonuni  civitas  eiat ,  ûda  par- 
tibus  ;  bénigne  cscepli  ,  modcstià  ccrlQvero. 
Sed  brevishrtitia  fuit,  cohcrliuMi  iiUcniperie, 
quMS  ti  Icgione  quai  latleciinà  ,  lîtsuprîi  uiemo- 
nivimus  ,  digressas  excrcilui  suo  l'ah'i::s 
T-'alcns  adjunsciat.  .Turgia  priiDÙui,  luov 
lisa  inter  lîatavos  cl   Icgicnarios.    Dum  bi» 


DU  LIVRE  I.  DE  TACITE.       148 

mille  hommes  ,  le  gene'ral  sauva  le  reste  de 
la  ville.  Cela  répandit  une  telle  terreur  dans 
les  Gaules  ,  que  de  toutes  les  provinces  oii 
passait  l'armée  ,  ou  voj^ait  accourir  le  peu- 
ple et  les  magistrats  supp'iaus  ,  les  chemins 
se  couvrir  de  femmes  ,  d'enfans  ,  de  tous  les 
objets  les-  plus  propres  à  Héeliir  nu  ennemi 
même  ,  et  qui  saus  avoir  de  guerre  iuiploraieut 
la  paix. 

A  Toul  ,  T^'ahns  apprit  la  mort  de  Galba 
et  l'clection  à'Othon.  Cette  nouvelle,  .sans 
effroyer  ni  réjouir  les  troupes,  ne  changea 
rien  à  leurs  desseins  ;  ma;s  elle  détermina  les 
Gaulois  qui ,  liaïssan'  également  Othon  ttVL- 
tellius  ,   craignaient  de  plus  celui-ci. 


On  vint  ensuite  à  Langres,  province  voi- 
sine ,  et  du  parti  de  l'armée  ;  elle  y  fut  bien 
xccuc  e  t  s'y  comporta  honnête  meut. -klais  cette 
tranquillité  fut  troid)!ée  par  les  excès  des  co- 
hortes détachées  de  la  quatorzième  légion, 
dont  j'ai  parlé  ci-dcvatit,  et  que  T'alcns  avait 
jointes  à  son  armée.  Une  querelle  qui  devint 
émeute  s'éleva   cut.ic   les    lîataves  et  les  lé- 

H  4 


T44  TRADUCTION 

eut  illis  sludia  mJitum  agf^iegantnr ,  propè 
in  pia3l!i4ii)  ejtarsere;  ni  f'ah-vs  aiiiuiadveiv 
«lonp  paucoruuj  ,  oijlilos  jaui  BjUavos  iinperii 
pdàuoiuiisset.Frii^itnia  Ive'sus  /El  nos  qi  ers  i  ta 
X>elli  cansa.  Jus>i  pccuiiiqm  alque  aiii:a 
déferre,  gratuitos  iiisnjjer  cotiMiif-atus  pras- 
Jjuore;  quo:!  .E'Jni  fonnid'ne  ,  Ln-(!u.u-nses 
gniidio  fccere:  Scd  Icj-io  italica  et  ala  taunua 
»bd.,ctx>-    Toborrem    d;;odcviccsimaui   Luc- 

o 

fimii  j  soiiiis  sibi  luDcnns  ,  rcl^nnni  placult. 
McMiHus  yahns  ^  Ugahis  itoiicœ  l-j:;!oni8  , 
qna.iiqnain  biMic  d-  parrlxis  nuiit'  s,  i^ullo 
api'd  /  Ueluiiia  lîonore  fuit.  Secrefis  en  m 
cnuiiiiaiio'iihMs  iiiia.iunvt  rat  Fahiu.s  igna- 
l'tiin  ;  et  qt.o  iucaulior  dccipcrctiir  ,  paiàm 
laiidatuin. 


,' Vt-triciii  inf-^rLngdnMensrs  Vicnnonseçquo 
4'sçord  aui  ,  pioxiinnm  bcMuMi  .iciciidcTût  • 
ïm.IlBeiiivicein  (.Ldc,  cnbr.ns  ii.fcsi  ù,qne, 
qtlr'  ut  lanlùm  propf,  r  Nçn.ticm  Calhoin 
qui-  pu-uarctiir.  là  Galba  rcditus  Liigdii- 
ïifn>!uin  ,  oicasionc  ir;v,  in  liscum  vcrli  rat, 
M^it^s  coutrà  iu    \  icuueuscà  liouor.    Uaçle 


DU  LIVRE  T.  DE  TACITE.       14S 

gionn aires;  et  les  unsetlcsautresavantaîncnté 
leurs  caiiiaracles  ,  on  rtait  sur  le  point  d'en 
venir  aux  mains,  si  par  le  châtiment  de  quel- 
ques Bataves  ,  T'alens  n'eût  rappelé  les  autres 
à  leur  dr-voir.  On  h'cu  prit  mal-à-propos  aux 
Ednensdu  sujet  de  !a  querelle,  \\  leur  fut  or- 
donne de  fournir  de  l'argent,  des  armes,  et 
des  vivres  gratuitemeîit.  Ce  q;ic  les  Edneus 
firent  par  force  ,  1rs   Lyonnais  le  firent  vo- 
lontiers :  aussi  furent-ils  délivres  de  la  légion 
italique  et  de  l'escadron  de  Turin  qu'on  em- 
menait :  et  on  ne  laissa  que  la  dix-huitièn»e 
cohorte  à  Lyou,  son  quartier  ordinaire.  (Quoi- 
que  Alanliiis  f  aleiis  ,    commandant   de   la 
légion  italique  ,  eut  bien  mérité  de  f-^iteJliris  , 
il  n'en  reçut  aucun  honneur.  Fahites  l'avait 
desservi  secrètement  ;  et  pour  mieux  le  trom- 
per ,  il  alfcctait  de  le  luuer  eu   public. 

Il  rc;;nait  en^rc  Vienne  et  Lyon  d'anciennes 
discordes  que  la  dernière  guerre  avait  raui- 
niées  ;  il  y  avait  eu  beaucoup  de  sang  versé 
de  part  et  d'autre  ,  et  des  combats  plus  fré- 
qiiens  et  plus  opiniâtres  que  s'il  n'iùt  clé 
question  que  des  intérêts  de  Gai!>a  ou  de 
jVcro/i.  Les  revenus  publics  de  la  province 
de   Lyou  avaieat  été  couûsqués  par  Galùa 

H  5 


146  TRADUCTION 

œmnlatio  ,  et  iiividia  ,  et  uno  ami^c  discrctis 
conncxuui  odiiiiu.  Tgitiir  îiiigcluncnscs  c\ti- 
nuilare  singulos  milituni,  et  iii  cvcrsioncui 
Viennciisium  iinpellere  ,  obscssaui  ah  ilîis 
coloiiiam  suatn,  acijutcs  T-'^iudicis  conatus, 
con^criptas  nuper  legioncs  iu  prsesidium 
Galbœ  lefercndo.  Et  uhi  causas  odiornm 
practendcrant ,  magnitudiiicm  pra-drc  ostci- 
dcbant.  Nec  jam  sccrcta  csliorlatlo  ,  sed 
publicEC  preces  :  Ircnt  jillorcs  _,  e.vscindcrci:t 
sedem  gallici  bclll y  cnr.cia  illlc  cxtenia  et 
hoslilia  ,  se  coloniaiti  roinanaui  et  partem 
exercitûs  j  et  prosperannn  adversaniniijjte 
rcnnn  sotios^  si  J'ortuiia  contra  darcf  j 
iratis  ne  relinquerentur.  lîis  et  pliiiibus  la 
eumdem  modum  ,  pcrpulcraiît  ,  ut  uec  Icgati 
quidcm  ac  duces  partiiim  rcstingni  po.<se 
iiaciiîidiam  e^ercitns  arbiUarcntur  :  cùia 
hand  igiiaii  dlsci  iuiiiiis  sui  \  icmunscs  , 
▼clanicnta  et  iiifuias  piirfcieiUos  ,  ubi  agmcu 
incrssciat ,  ar;na  ,  gcnua  ,  vcsligia  prehcn- 
jntido  ,  flcxere  miîilinn  animos.  Addidit 
l'cicns  trco'Mios  siiigiiHs  inilitibus  scstcrtios. 
Tum  Yctustas    dîguilasijue  colouiœ   valuit  ; 


DU  LIVRE  I.  DE  TACITE.       147 

sous  le  nom  tramendc.  Il  fit,  au  coutrrlre, 
toute  sorte  d'honneur  aux  Viennois  ,  ajou- 
tant ainsi   l'envie  à   la    haine  de    ces    deux 
peuples  ,   se'pare's  seulement  par  uu  fleure 
qui  n'arrêtai  t  pas  leur  animosi  té.  Les  LyonnaJs 
animant   donc   le   soldat,  l'excitaient  à   de'- 
truire  Vienne  qu'ils  accusaient  de  tenir  leur 
colonie   assiégée  ,    de   s'être    déclarée   pour 
p^index  ,    et    d'avoir    ci- devant  fourni   Ans 
ti:oupes  pour  le  service  de  Gnlha.  Eu   leur 
montrant  ensuite  la  j^raudeur  du  hutin  ,  iL^ 
animaient  la  colère  p^ir  la  convoitise  et  non- 
conteus   de  les  exciter  eu  secret  :  «  Soyez  , 
«   leur  disaient-ils  hautement  ,  nos  vengeurs 
«   et  les  vôtres  ,  eu  détruisant  la  source   de 
«  toutes  les  guerres  des  Gaules.  Là  ,  tout  vous 
«  est  étranj^er  ou  ennemi  ;  ici  vous  voyez  une 
«c   colonie  romaine  et  une  portion  de  l'armée 
«   toujours   ûdelle   à  partager  avec  vous  les 
«  bons  et  les  mauvais  succès  :  la  fortune  peut 
«   nous  être  contraire  ;  ne  nous  abandonnez 
«  pas  b  des  ennemis  irrités  ».    Par  de  &e;u- 
blahlcs  discours  ,    ils  échauITèrent  tellement 
l'esprit  des  soldats  ,  que  les   officiers   et  les 
généraux  désespéraient  de  les  contenir,  Ler. 
Viennois  ,    qui    n'ij^aoraicnt    pas    le    péril  , 
viurcut  au-devaut  de  l'armée  avec  des  voilci 

H  d 


148  TRADUCTION 

et  verba  Fahii  salutem  incolwini tatcmquts 
Yicnrunsiiim  coiiJU)eudaiiti.s ,  ccqi.is  aunbns 
ecceptci.  PuUl.cé  (aaicn  annis  luuictati,  prU 
yatis  et  promiscuis  copii.s  juvere  juilitcm. 
Sfd  fama  constans  fuit  ipsuui  PUentem 
îiia-nâ  pt-cuuià  eniptum.  Is  diù  soididiis, 
repente  dives  ,  aiiilalioiiewi  lortmiœ  ina!è 
te-chat  ,  acceii.Ms  e^cMa.c  lonj^à  cupi.liuU 
bus ,  immoderatus,  et  iuopi  juvtutâ  ,  seuc^?; 
prodiyus. 


Lento  deiiHe  ar^mine,  pcr  finps  Allobro- 
gniu  et  VocoiUioruui  diictiis  exereitus:  ipsa 
itiiicrimi  spatia  ,  cl  >tati voiuui  mutatlones 
VCMd.lante  duce,  fœdis  pactioiiibiis  adversiis 
possessfjres  agromui  ,  et  UJagistratus  tivlta- 
tupi ,  adto  miuacikr,  ul  Luco  (muuiçipium 


DU  LIVRE  I.  DE  TACITE.       149 

et  des  biiiidilettes,  et  se  prosti-rnant  devant 
les  soldats  ,  baisant  leurs  pns  ,  cuil)ra:saiit 
leurs  genoux  et  leurs  armes  ,  ils  calmèrent 
lei.r  fureur.  Alors  h'alens  leur  ayant  fait 
dlstrl))Lier  trois  cens  sesterces  par  léte  ,  on 
eut  égard  u  l'a  .cicnneté  et  à  Ja  dignité'  de 
la  colonie  ;  et  ce  qu'il  dit  pour  le  aalut  et 
la  conservaMon  des  liabitans  ,  lut  écoute'  fa- 
Torabltuient.  On  désarma  pourtant  la  pro- 
vince ,  et  les  particul  ers  furent  obligés  de 
foinnir  à  discret. on  desvivres  au  soldat  :  mais 
on  ne  doula  point  qu'ils  n'en.'^scrnt  à  grand 
prix  acheté  le  général.  Enr.chi  lout-à-toup 
aj)res  avoir  loui^-letnps  sordidement  vécu, 
il  cachait  mal  le  changement  de  sa  fortune; 
et  se  livrant  sans  mesure  à  tous  ses  désirs 
irrités  par  une  longue  abstinence,  iî  devint 
■vieillard  prodigue  de  jeune  houimc  indigent 
qu'il  avait  e'té. 

En  poursu'vant  lentement  sa  route  ,  il  con- 
duisit l'armée  sur  les  coiilins  des  Allobroges 
et  des  Voconces;  et  par  le  plus  infâme  com- 
iiurce  ,  il  réglait  les  séjours  er  les  marches 
sur  l'argent  (ju'on  lui  pay  nt  pour  s'en  déli- 
vrer. Jl  imposait  h  s  propriétaires  des  Itrrca 
et  les  magistrats  des  villes  ,  avec  une   tell* 


i5o         TRADUCTION 

id  Vocontioium  est)  faces  admovetit,  douée 
pecuuiâmitigaretur.Quotics  pecuniae  materia 
dccsset,  stupris  et  adultcriis  exorabatur.  Sic 
ad  Alpes  perventum. 


Plus  prscdae  ac  sanguinis  Ccvcitia  hausft. 
Irritaveraat  turbidum  ingeniuia  Helvetii  , 
gallica  gens  ,  oliiii  armis  viiisque  mox  lue- 
niorià  nominis  clara  ,  de  caede  Galbœ  ignari, 
et  f'iicllil  impcrium  abnuetitcs.  Initiiun 
bello  fuit  avaiitia  ac  festinatio  unac  et  vicc- 
sima"  legiouis.  Rapueiant  pecuniam  niis?am 
in  stipcudium  castelli  quod  olim  llelvctii 
suis  militibus  ac  stipcadiis  tuebautur  ;  ccgiè 
id  passi  Helvetii  ,  iutciceptis  epistolis  quae 
nomine  germanici  exercitûs  ad  Panuoiiicas 
legiones  fercbautur,  centurionemet  quosdam 
niilitum  in  custodiâ  retincbant.  Ca-cina  bcUi 
avidus ,  proximam  quamquc  culpaui  antc- 
quàm  pœnitcrct,  ukum  ibat.  Mota  propcic 
castra  ;  vastati  agri.  Direptiis  ,  longâ  pacc 
in  moduui  mutiicipii  esstructus  ,  locus  , 
Atnœno   salubrium  aquarum  usu   fiequcus» 


DU  LIVRE  I.  DE  TACITE.     i5i 

dureté,  qu'il  fut  prêta  mettre  le  feu  au  Luc, 
ville  des  Voconces  ,  q.ui  l'adoucirent  avec 
de  l'argent.  Ceux  qui  n'en  avaient  point  , 
l'appaisaient  en  lui  livrant  leurs  femmes  et 
leurs  filles.  C'est  ainsi  qu'il  marcha  jusau'aus 
Alpes. 

Cecina  fut  plus  sanguinaire  et  plus  âpre 
au  l>utin.  Les  Suisses ,  nation  gauloise,  illustre 
autrefois  par  ses  armes  et  ses  soldats  ,  et  main- 
tenant par  ses  ancêtres  ,  ne  sachant  rien  de 
la  mort  ùdGalba  ,  et  refusant  d'obéir  à  f^i- 
ielUiis  ,  irritèrent  l'esprit  brouillon  de  soa 
général.  La  vingt-unième  légion  ayant  en- 
levé la  paye  destinée  à  la  garnison  d'un  fort 
où  les  Suisses  entrctcuaicntdcpuis long-temps 
des  milices  du  pays,  fut  cause  par  sa  pétu- 
lance et  son  avarice  du  commencement  de 
la  guerre  :  les  Suisses  irrités  interceptèrent 
des  lettres  que  l'armée  d'Allemagne  écri- 
vait à  celle  de  Hongrie,  et  retinrent  pri- 
sonniers uu  centurion  et  quelques  soldats. 
Cecina^  qui  ne  cherchait  que  la  guerre  et 
prévenait  toujours  la  réparation  par  la  ven- 
geance, lève  aussitôt  son  camp  et  dévaste  le 
pays.  11  détruisit  un  lieu  que  ses  eaux  mi- 
nérales fcsaient  fréquenter,  et  qui  durant  uii« 


352         TRADUCTION 
Missi  ad  Rliaetica  aiixilia  uuricii,   ut  versos 
in    If'gioiieiu     Hclvetios    à    teigo    aggrcde- 
rcutur. 

Illi  an  te  disciiinen  Fcroces  ,  in  periculo 
pavicii  ,  quaiiiqiiain  primo  tumultu  Clan- 
diiim  Scveruiii  ducein  le^eiant  ,  non  ariiia 
noscere  ,  non  oïdines  scqiii  ,  non  in  uiium 
consnlcre  ;  exit'osiitn  adver.-us  veteranos 
prœliuni,  inti*ta  obsidio  ,  dilapsis  vetustate 
nifBuibiis  ;  liiiic  Ccecina  cuiu  valido  cxcrcitn, 
inde  Rbaîticae  aliB  coliortcsqne  et  ipsorum 
Rlioctorum  juventus  siicta  aimis  ,  et  inovo 
tiiilitiœ  excrcita;  midiqiie  populatio  et  cardes. 
IpsI  in  medio  vagi  abjcctis  aiuiis ,  magna 
pars  saucii  aiit  palantes,  in  monteui  Voie- 
tiinn  perliigere;  ac  statim  immissà  cohorte 
Thracnm  depuis!  ,  et  conscctantibus  Ger- 
nianis  Rlurtisque  ,  per  silvas  atque  iu  ipsis 
latebris  trucidali.  Milita  hominum  millia 
cacsa  ,  milita  sub  coronâ  ▼euunuiala.  ('mu- 
qiic  dirntis  omnibus  ,  Aventicum  gciitiscapiit 
justo  agtuiue  pcterctur;   missi   qui  dcdercut 


DU  LIVRE  I.  DE  TACITE.      i53 

Jonr^iie  paix  ,  sVtait  embelli  tomme  une  ville. 
11  euvoyii  ordie  aux  ausiliaiic!-  <Je  la  Uliétique 
de  cbarj;ei-  en  queue  les  Suisses,  qui  fcsaieut 
face  à  la  légion. 

Ceux-ci  ,  fe'rpccs  loin  du  péril  ,  et  lâchfs 
dcv.iiit   l'omieuii  ,   élurent    bien   au   j  remier 
tumulte  i'Unide  Séi'ere  |)0!ir    leur  ^eur-ral  ; 
mais  ne  sachant  m  s'aeeorder  dans  leurs  dé- 
libéra lions  ,  ni  garder  leur  rangs  ,  ni  se  servir 
de  Icuis  armes,  ils  S',-  1  lissaient  défaire  ,  tuer, 
par  nos  vieux  soldats  ,  et  forcer   dans  leurs 
p'aces  ,  dont    tous    les    murs  tombaient  eu 
ruines.    C'cciiia   d'un  côté    avec  une  bonne 
armée  ,   de  l'aiilrc  les   escadrons    et  ics  co- 
hortes rhét'ques  ,  composées  d'un'    ieniiesse 
exercée  aux  alUK^   et  bien  disciplinée,  met- 
taient (oui  à  feu  et  à  sang.    L.es  Suisses  dis- 
persés c.itn-  dcu\  ,  jetait  leurs  armes  ,  et  la 
plupart   épars  ou  blessés,  se  réfugièrent  sur 
les  montagnes,  d'où  cliai;sés  i>ar  une  coliorte 
tbrace  ,  qu'on  détacha  après  eus  ;  cl  pour- 
suivis par  rarmce  des  Rhétiens  ,  on  ics  mas- 
sacra,l  dans   les    foréls  et   jusque  dans  leurs 
cavi  rnes.  On  en  tua  par  milliers  ,  et  l'on  en 
vendit  \\\\  grand  nombre.  (^;iaiitl  on  eut  tait 
Je  déj^ài,  on  uiaicbacu  bataille  à  Aveuche, 


354         T  R  ,4l  D  U  C  T  I  O  N 

civitatem  ,  et  deditio  accepta.  In  Jjilium 
>^//7/«7i;«èprincipibus,  ut  coucitorcm  belli  , 
Cœcina  aiiimadvertit  :  cœte  rosycnisE  vcl 
sa;vitiœ  p'iteUli  reliquit. 


Haud  facile  dicta  est,  legati  Hel?etiomm 
miiiùs  placabilcm  impcratorem  ,  an  niilitcm 
invcMcrint.  Civitatis  cxcidiiun  poscnnt ,  tela 
ac  ir.auus  iu  ora  legatorum  intentant.  Ne 
P'iteIUusvra\ù.ç:i\\  itiinis  ac  verbis  teinperabat: 
cùm  Clnitdius  Cossm^  ^  unus  ex  Icgalis  ^ 
iiotae  facnndirc,  scd  dicendi  aitem  aptà  trc- 
IJidatione  occultans  ,  atquc  co  validior  , 
niilitisanitiium  initigavit  :  ut  est  mos  vulgo  , 
mutabilc  subitis,  et  tani  pioniun  in  miscricor- 
diam  ,  quàm  iniaiodicuiu  saîvitià  fuerat: 
effnsis  laciiaiis ,  ctinci  oraconsiantiùspoytu- 
lando,  iuipuuitatcni  salutcuiquc  civilati  im- 
petravere. 

Cœcina  paucos  in  Helrctiis  mdratus  dies, 
duni  scutcnticT  f'itellii  ccitior  fierct,  simul 
trausitum  Alpiuin  pavans  ,  laetum  ex  Ilatià 


DU  LfV  RE  I.  DE  TACITE-     i5â 

capitale  du  pays.  Ils  envoyèreat  des  députes 
pour  se  rendre,  et  fureut  reçus  à  discrétion. 
Cccijia  fit  punir  Jnlins  udlpinus  un  de  leurs 
chefs  ,  comme  auteur  de  la  guerre  ,  laissant 
au  jugement  de  ViteUius  la  grâce  ou  le 
cliâtiiiient  des  autres. 

On  aurait  peine  à  dire  qui  du  soldat  ou 
de  l'empereur  se  montra  le  plus  implacable 
aux  députés  belvéticns.  Tous  les  menaçant 
des  armes  et  de  la  main  ,  criaient  qu'il  fallait 
détruire  leur  ville  ,  et  ViteUius  même  ne 
pouvait  modérer  sa  fureur.  Cependant  Clau- 
dius  Gossjis  un  des  députés  ,  connu  par 
«on  éloquence,  sut  l'employer  avec  tant  de 
force  et  la  cacher  avec  tant  d'adresse  sous 
un  air  d'effroi  ,  qu'il  adoucit  l'esprit  des 
soldats  ,  et  selon  l'inconstance  ordinaire  au 
peuple  ,  les  rendit  aussi  portés  à  la  clémence 
qu'ils  l'étaient  d'abord  à  la  cruauté.  De  sorte 
qu'après  beaucoup  de  pleurs  ayant  imploré 
grâce  d'un  ton  plus  rassis  ,  ils  obtinrent  lo 
salut  et  l'impunité  de   leur  ville. 

Cecina  s'étant  arrêté  quelques  jours  en 
Suisse,  pour  attendre  les  ordres  de  P'itel/ius 
tX  se  préparer  au  passago  des  Alpes ,  y  reçut 


i56         TRADUCTION 

nunciuin  acci|)it  ,  alam  Sjllaiiam  circa 
PaJnin  agcntciii  ,  sacramento  /7/f//// acccs- 
sisse.Procon.suk'ui  /  i/eZ/ÎJ/ mSyWan'i  in  Africâ 
babueiaat  ;  niox  à  Aero.'/e  ,  ut  iu  ^gyptiim 
praeiiiituif  ntur  exciti  et  ob  bellmii  l^indicis 
rt-vocati  ,  ac  tiiui  in  Italiâ  ri;atici)tes ,  iiis- 
tirutii  deciirioiium  qui  Otlioiiis  igiiari  , 
p^iteUio  obstricti  ,  lobiir  adveiitaiitiiim  le- 
giomiin  et  Famaoi  girinaiiici  cxcrcitûs  atloî- 
Icbaiit  ,  tia:ii>iore  in  part<'s  :  et  ut  (loiiuui 
aliqnod  novo  principi,  bnuissiuia  transpa- 
daiiœ  iigiouis  uumicipia  ,  iMcdiolaiinm  ,  ac 
Novariam  ,  et  Epoiedia.n  ,  ac  Vcrccllas  , 
adjiiiixore.  Id  Cctcime  per  ipsos  couipeituui; 
et  quia  pra:sidio  aloe  uniiis  iatissiuia  pais 
ltalia>  defendi  ncquibat ,  jjiîEiuisslj.  Galloruin, 
Lusilaiioruui ,  Britaiiriorumque  cobortibus, 
et  GeiiuaiioiiUH  vexillis,  cum  alà  Pctrinâ, 
ipse  paulidum  cunctatus  ,  niun  ibœticis  jugis 
in  Noncuni  Di-cterct ,  advcrsus  Pctronîum 
urbis  piocmaloieui ,  qui  co:icitis  auxibis,  et 
intcrrupt.î  fluniinurn  poutibiis  ,  ûdus  Otlioni 
putaiidtur.  Scd  nictu  ne  amiiterct  piacmissas 
jaju  coliortes  alasquc ,  simul   icputaus  plus 


DU  LIVRE  I.  DE  TACITE.     157 

l'agréable  nouvelle  que  la  cavalerie  Sylla- 
iiicntie  ,  qui  bordait  le  Pô  ,  s'e'tait  soumise 
à  l'itellilis.  E!le  avait  servi  sous  lui  dans 
son  procoiisulat  d'Afr.qne  ;  puis  JS'éron 
l'ayant  rappelée  pour  l'envoyer  en  Egypte, 
la  retint  pour  la  guerre  de  f'indev.  Ellcyétait 
ainsi  detucurcc  en  Italie,  où  ses  décurions  , 
à  qui  Ot'ion  étail  inconnu  ,  et  qui  se  trou- 
vaient liés  à  T'iteHiiis  ,  vantant  la  force  des 
légions  qui  s'approchaient  et  ne  parlant  que 
des  années  d'Allemagne  ,  l'attirèrent  dans  son 
parti.  Pour  ne  point  s'oSVir  les  mains  vides, 
ces  troupes  déclarèrent  à  Ceciiia  qu'elles 
joignaient  aux  possessions  de  leur  nouveau 
prince  les  forteresses  d'au-delà  du  Pô  ;  savoir^ 
Milan  ,  Novarre  ,  Ivrcc  ,  et  Verceil  ,  et  corauia 
une  seule  brigade  de  cavalerie  ne  suiris.iit  pas 
pour  garJer  une  si  grande  partie  de  l'italie  , 
il  y  envoya  les  coliortes  des  Gaules  ,  de  Lu- 
gitanie  ,  et  de  Rrelagne  ,  auxquelles  il  joignit 
les  enseignes  allemandes  et  l'escadron  de  Si- 
cile. Quant  à  lui  ,  il  hésita  quelque  tei/ips 
s'il  ne  traverserait  point  les  tnouts  Rhétiens, 
pour  marcher  dans  la  Noriquc  contre  l'in- 
te!i;!ant  Pctronins  ,  qui  ,  ayant  ras  emblé 
les  auxiliaires  et  fait  couper  les  ponts,  sem- 
blait   vouloir    être    fidcb    à     Qthon.     Mai» 


i58  TRADUCTION. 
gloriae  rclentà  Italià  ,  et  ubiciinique  certatiuui 
foret ,  Noiicos  'n\  caeteroe  vicloriœ  pra^uiia 
cessuros  ,  Peuuino  subsiguaniuii  militcui  iti- 
nere  et  grave  legioiium  agmcu  lùbeiuis  adhiic 
Alpibus  traduxit. 


Otho  intérim  ,  contra  spem  oïîinium  ,  non 
deliciis,  neque  desidià  torpesccre  ;  dilatœ 
voluplatcs,  dissimulata  luxiiria,  et  cuncta 
ad  decorcm  itnpcrii  composita.  Eoqtic  plus 
formidinis  afFcrebant  falsse  virtutcs  ,  et  vilia 
reditura.  Marium  Celsum  consulcnidcsigna- 
tum,  per  S2)eciem  viuculoruin,  saîvitiic  uiili- 
tutn  subtractum  ,  acciri  in  Capiloliuni  jnbct. 
Clemcntiaî  titulus,  è  \:'iro  claro  et  partibus 
inviso  ,  petcbatur.  Cdsns  coustanter  servatœ 
erga  Galham  (idei  crimcn  coufessus  ,  cxem- 
plum-ultro  iruputavit.  I\ec  OtJio  quasi  ignos- 
cerct ,  sed  ne  hostis  metum  recouciliationis 
adbiberet  ,statim  inter  intimes  auiicos  habuit , 
et  luox  bcllo  iuter  duces  delegit.  Mansitque 


nu  LIVRE  I.  DE  TACITE.     169 

eraigiiant  de  ptidre  les  troupes  qu'il  avait 
envoyées  devant  lui  ,  trouvant  ausyi  plus 
de  j^loireà  conserver  l'Italie  ,  et  jugeant  au'cii 
quelque  lieu  que  l'on  combattît  ,  la  Noriquij 
ne  pouvait  e'chapper  au  vainqueur,  il  lit 
passer  les  troupes  des  allie's  ,  et  même  les 
pesans  bataillons  Ic'gionuaircs  par  les  Alpes 
Penninos  ,  quoiqu'elles  fussent  encore  cou- 
vertes de  neige. 

Cependant,  au-lieu  de  s'abandonner  avx 
plaisirs  et  à  la  mol'esso  ,  Othon  rcnvoyan!  à 
d'autres  temps  le  luxe  et  la  volujHc',  siMpiit 
tout  le  monde  en  ^'appliquant  à  rétablir  la 
gloire  de  l'empire.  Mais  ces  fausses  vertus  ne 
fesaient  prévoir  qu'avec  plus  d'edVoi  le  mo- 
ment où  ses  vices  reprendraient  le  dessus.  Jl 
lit  conduire  au  Capitule  Marins  Ce/sus  con- 
sul désigné  ,  qu'il  avait  feint  de  mettre  aux 
fers  pour  le  sauver  de  la  fureur  des  soldats, 
et  voulut  se  donner  une  réputation  de  clé- 
mence en  dérobant  à  la  haine  des  siens  une 
tète  illustre.  Ce/sus ,  par  l'exemple  de  sa  lidé- 
lité  pour  Galha  ,  dont  il  fesait  gloire,  mon- 
trait à  son  successeur  ce  qu'il  en  pouvait  at- 
tendre à  son  tour.  Othon  ,  ne  jugeant  pas 
qu'il   eût  besoin  de  pardon  et  voulant  ôtcr 


j6o         T  R  a  D  U  C  t  T  O  îf 

Celso  vcluf  fita'.itcr  ctiam  pio  Othone  îi^es^ 
intcra  et  infcUx.  Lxta  iMimoiibus  civilatis  , 
cek-hiala  iii  viilgiis  Ceisi  sains,  ne  militibus 
quidem  in^rn'a  fuit  ,  caitidcin  virtutcm  adaii- 
jrautibus  cui  irabcebauturé 


î'ar  încle  etsnUatio  ,  clispafibns  caîissis 
consecnta,  itupctrato  Tigcl!une\\vo.Sophû- 
fiius  TigeUinins  obscuris  parcîîtibtis  ,  ficdà 
pueritià  ,  impudità  sencctâ  ,  proef'ctnraitt 
vigilum  et  prœtorii,  et  a!ia  piirmia  viitii- 
tum  ,  quia  velociùs  crat  vitiis  alcptiis  ,  cru* 
delitatcm  mc^  ,  deinde  avaritiain  ,  et  virilia 
scelcra  excrcnit:  cornipto  ad  oin:ic  faciiius 
JVcrone,  quêcdain  if;iiaio  ausiis  ,  ac  pros-» 
trciuo  ejusdfin  descrtor  ac  proditor.  Uiide 
non  aliiJin  pcrtinacins  ad  i>ne!\aiu  Qagitarere, 
divcrso  affectu  ,  quibns  odium  iVerOfiii  ine- 
rat  ,  et  quibus  dt-sidcriinn.  Apud  Galham 
Œ'.  P'inii  potentià  defeusus,  proîtexetitis  scr- 

touts 


DU  LIVRE  I.  DE  TACITE.     i6t 

toute  defianceàuucnncmi  reconcilie  ,  l'admit 
au  uoiubrc  de  ses  plus  intimes  aaiis  ,  et  dans 
la  guerre  qui  suivit  bientôt  en  fit  J'un  de 
ses  {^c'ne'raux.  Ceisus  de  son  côté  s'attacha 
sincèrement  à  Oilion  ,  comme  si  c'eût  e'té 
son  sort  d'être  toujours  fidèle  au  jjarti  malheu- 
reux. Sa  conservation  fut  agre'able  aux  grands, 
loue'e  du  peuple  ,  et  ne  déplut  pas  même  au.x 
soldats  ,  forcés  d'admirer  uue  vertu  qu'ils 
haïssaient. 

Le  châtiment  de  TigeUinns  ne  fut  pas  moins 
applaudi  ,  par  une  cause  toute  diiTcrente. 
Sophouius  Tigelliiius  ,  né  de  parens  obscurs  , 
souillé  dès  son  enfance  ,  et  débauché  dans  sa 
Tieillesse  ,  avait  a  force  de  vices  obtenu  les 
préfectures  de  la  police  ,  du  prétoire  ,  et 
d'autres  emplois  dus  à  la  vertu  ,  dans  lesquels 
il  montra  d'abordsa  cruauté,  puisson  avarice 
et  tous  les  crimes  d'un  méchant  homme.  Non 
content  de  corrompre  Néron  et  de  l'exciter 
à  mille  forfaits,  il  osait  même  en  commettre 
à  son  insçu,  et  finit  par  l'abandonner  et  le 
trahir.  Aussi  nulle  punition  ne  fut-elle  plus 
ardemment  poursuivie  ,  mais  par  divers  mo- 
tifs ,  de  ceux  qui  détestaient  Atron  et  de 
ceux  qui  le  regrettaient.  11  avait  été  protcg* 

Mélanges.  Tome  V.  J, 


i6t  TRADUCTION 
vatara  ab  co  liliain;  et  Iiand  diibiè  serrarr- 
rat,  non  ck-iiientià  ,  (qnippc  lot  iiitcrfcctis  ) 
sed  elliigio  iii  futvinim  \  quià  pessimus  quis- 
qiie  ,  dillulentiâ  pvrcspiilium  miitationcm 
pavcMS  ,  advcisiis  iKiblicum  odinm,  pnva- 
tamgratiatiî  prccparal,  :  uiidè  niilla  innocent'Ke 
cura  ,  sed  vices  iinpuiiitatis.  Ko  iufcnsior 
popubis  ,  additâ  ad  vctus  TigeUini  odiuin 
reccnti  T.  T'inii  iiividiâ  ,  concurrere  c  totâ 
urbc  in  palatiu)u  ac  l'oia,  et  \\h\  pluriiiia 
Vulgiliccntia,iucircniu  ac  theatra  clTusi  ,sedi- 
tiosis  Voclbus  obstrepore:  donec  TigeUiiius^ 
accepte  apud  Siiiucssanas  aqnas  snpremac 
iicccssltatis  nuixio,  iiitcr  stupia  couc:ibina- 
rum  ,  et  oscilla,  et  defonues  i-ioras,  sectis 
novaculà  fauclbus,  infamciu  vltam  lœdavit 
ctiam  cxilu  seio  et  iuhonesLo, 


Pei-  idem  tcmpns  cxpostnlata  ad  snpph-^ 
cinm  GaU'ia  Crhpinilla  ,  variis  frustiatio- 
nibiis  ,  et  adveisà  disslmulantis  principiS 
ïaioù  ,    periculo  exempta  est.  Ma^istfa  libi- 


DU  LIVRE  I.  DE  TACITE-     i63 

près  de  Galba  par  f^'inins  dont  il  avait  sauvé 
]a  iille  ,  moins  par  pitié,  lui  qui  commit  tant 
d'autres  meurtres  ,  que  pour  s'étaycr  du  père 
au  bcsoiu  ;carlesscck'mts  ,tQuJQurseu  crainte 
des  révolutions  ,  se  raonagent  de  loin  des 
amis  particuliers  qui  puissent  Içs  garantir  de 
la  haine  pulillquc  ;  et  sans  s'ahstenir  du  crime 
s'assurent  ainsi  de  rinipnaitc.  Mais  cette  res- 
source ne  rendit  Tigellimts  que  plus  odieux  , 
en  ajoutant  à  ranciemie. aversion  qu'on  avait 
pour  lui  celle  que  p^iniusvç,ndi^it  de  s'attirer. 
Ou  accourait  de  tous  les  quartiers  ,  dans  la 
place  et  dans  le  palais  :  le  cirque  ,  sur-tout , 
et  les  théâtres,  lieux  où  la  licence  du  [)cunle 
esr  plus  grande,  rctcntis-aicn t  de  clameurs 
Séditieuses.  Enfin  TigcUinus  ayant  reçu  aux 
eaux  de  Sinucssc  l'ordre  de  mourir  ,  après 
de  honteux  délais  cherchés  dans  les  bras  des 
femmes,  se  coupa  la  s^^'g®  avec  \^\\  rasoir, 
terminant  ainsi  une  vie  infâme  par  une  mort 
tardive  et  dés  ho  nue  le. 

Dans  ce  même  temps  ,  on  sollicitait  la  pu- 
nition de  Gahici  Cri.spini/In  ;  mais  elle  so 
tiia  d'ailaire  h  force  de  défailcs  et  par  une 
connivence  qui  ne  fit  pas  honneur  au  prince, 
J^llc  avait  eu  Néron  pour  élève  de  débauche  j 

1    3 


364         T  R  A  D  U  C  T  I  O  T^ 

diaurn  JVerorii's,  transgressa  in  Africain  ad 
instigatidum  in  arma  Claudiitm  lUacniin  , 
fauiem  populo  roniaiio  h.jud  obscure  iiiolita  , 
totitis  postca  civitalis  gratiam.  obtinnit  con- 
sulari  matrimonio  subuixa,  et  apudCa/Z^am, 
Ot/ioue/n  ,  t'iieUinm  ^  illœsa  :  mox  potens 
pecuuià  et  orbitale ,  quae  bouis  malisquo 
teuiporibus  Juxtà  valent. 

Crebrae  iiitcrim  ,  et  lunlicbribns  blandi- 
lueiills  iiifictse  ,  ab  Othoue  ad  J'itclUutn 
epistolœ  ,  offcrcbant  picnniain  ii  graham  , 
et  qiieincmnque  ([U:ctis  locimi  prodigœ  vitx 
legisset.  Paria  f'itclUus  o.sleiulcba'  ,  primo 
molliùs,  slullà  utrimque  et  indecorà  ^imu- 
latione  :  mox  qnasi  rixantes  stiipra  et  fla- 
gitla  iuviceuiobjectavcre  ;  ucutcr  {"ul?o. 


Otho  ,  revocatis  qnos  Galha  misera t 
legatis  ,  rursiîs  alios  ad  iitrumqiie  grrmani- 
cum  exercitum  ,  et  ad  legioiiem  ilalicam  , 
ea5(jue  «juac  Lugduai  agcbaut  copias ,  spccie 


DU  LIVRE  I.  DE  TACITE.     i6$ 

ensuite  ayant  passé  en  Afrique  pour  exciter 
Macer  à  prendre  les  armes,  elle  tâcha  tout 
ouvcrleuient  d'affamer  Rome.  Rentrée  erj 
grâce  à  la  faveur  d'un  mariage  consulaire  ^ 
et  échappée  aux  règnes  de  Galba  ,  ài'UthoT*. 
et  de  jy'iteUius  ,  elle  resta  fort  riche  et  sans 
enfans  ;  deux  grands  moyens  de  crédit  dau« 
tous  les  temps  ,  bous  et  mauvais. 


Cependant  <9/^«n  écrivait  à  VitellîusXti  tre» 
sur  lettres  ,  qu'il  souillait  de  cajoleries  de 
femmes,  lui  offrant  argent  ,  grâces,  et  tel 
asile  qu'il  vovulrait  choisir  pour  y  vivre  dans 
les  plaisirs,  f'iullins  lui  répondait  sur  1© 
même  ton  ;  mais  ces  offres  mutuelles  ,  d'abord 
sobrement  ménagées  et  couvertes  des  deux 
côtés  d'une  sotte  et  honteuse  dissimulation  y. 
dégénérèrent  bientôt  en  querelles  ,  chacura 
reprochant  à  l'autre  avec  la  même  venté  sca^ 
vices  et  sa  débauche. 

Ofhon  rappela  les  députes  de  Gaîha  et  ei> 
envoya  d'autres  au  nom  du  sénat  aux  deux 
années  d'Allemagne  ,  aux  troupes  qui  étaient 
îi  Lyon  ,  et  à  la  légion  d'Italie.  Les  députés, 
ïcslcreut  auprès  de  p'itellius  ,  mais  trop-  ai- 

i  a 


^66         TRADUCTION 

senatûs  misit.  Lcj:;ati  apud  P'itelliiiîn  icman- 
sere  ,  prompliùs  quàm  ut  retenti  vidcrentur. 
Prœtoriani ,  quos  pcr  simulatloiicm  oflicii 
Içgatis  Ctlio  adjunxerat ,  remisai,  aiitcqiiaiu 
legionibus  miscercnlur.  Addit  cpistolas 
fabius  jy'alens  ,  nomiiie  germanici  exerci- 
tiis  ,  ad  piactorias  et  urbauas  cohortes  ,  do 
viribiis  partiiim  magiiilicas,  et  coiicordiani 
ollcreiUcs.  lucrcpabaut  ultro  ,  qnod  taiilô 
a t ; t è  ( la et \\.\n\\l- 'itellio  i m p e r i li m  a d  O /// (•  // evb 
■^{cvlisseut.  Ita  prouiissis  siiuul  ,  ac  uiiuis 
teutabantur  ;  ut  belle  itupares  ,  iu  paco 
iiihil  aîuissuri.  Nequc  ideo  pra;loriauo.rum 
tides  inutala.. 


Sed  iiisidiatorcs  ab  Othoiic  \n  Germanîani  l 
"k  f 'itellio  iu  Urbem  missi.  Utrisque  frustra 
fuit:  Vitcllianis  impuuc ,  per  tantun  lionii- 
nuir;  u\ultitudiueni ,  uuituâ  ignoiaiiliàfallcn- 
tibus  ;  Otlioniaiii  uovitate  vultûs  ,  omnibus 
iliviocm  ignaris,  prodcbautur.  l'itcUius  lit-» 
tcras  ad  Titiamnii  fratrem  Othonis  compo- 
«uft,  cïitium  ipsi  iilioque  «jiu  uiiuitans,  ui 


DU  LIVRE  I.  DE  TACITE.     167 

Sèment  pour  qu'on  crût  que  c'était  par  force. 
Quant  aux  prétoriens  qu'Ot/iOn  avait  joints 
comme  par  lionneur  à  ces  cie'putés  ,  ou  se 
biîta  de  les  renvoyer  avant  qu'ils  se  mêlassent 
parmi  les  légions.  Fahhis  y'alens  leur  remit 
des  lettres  au  nom  des  armées  d'Allemagne 
pour  les  cohortes  de  la  ville  et  du  prétoire, 
par  lesquelles  ,  pariant  pompeusement  du 
parti  de  f^itel/ius,  ou  les  pressai  t  de  s'y  réunir. 
On  Icurreprociiait  vivement  d'avoir  transféré 
a  Otiion  l'empire  déoerae'  long- temps  aupa- 
ravant à  /■  itclliiis.  Enfin  usant  pou  ries  gagner 
de  promesses  et  de  menaces,  on  leur  parlait 
comme  ù  des  gens  à  qui  la  })aix  n'ôtait  rieu 
et  qui  ne  pouvaient  soutenir  la  guerre  :  mais 
tout  cela  u'ébranla  point  la  tidelité  des  pré- 
toriens. 

Alors  Otlion  et  f'itellius  prirent  le  parti 
d'envoyer  des  assassins,  l'un  en  Allemagne 
et  l'autre  à  Home  ,  tous  deux  inutilement. 
Ceux  ùcf^  iteliius  ,  mçlèsdaiis  une  si  grande 
nudtitudcd'liouuncs  inconnus  l'un  à  l'autre  , 
ne  furent  pas  découverts  ;  mais  ceux  CCOthon 
furent  bientôt  trahis  par  la  nouveauté  de 
leurs  visages  parmi  des  gens  cjui  se  connais- 
saient tous.  /'7/t7//uj  écrivit  à  L'itien^  frèro 


î68         TRADUCTION 

incolutacs  sibi  mater  ac  liberi  servarentnK 
Et  stctit  doinus  utraque:  suh  Othoiie  lacei- 
tiiin  an  uietii  :  P^itelîius  victor  clcmculia 
gloriam  lulit. 

Piimus  Gtlioul  Gdiiciam  addidit  ex  Illy- 
rico  lUHicius  ,  jurasse  in  cnni  Daluiatiae,  ac 
Pannonia;  ,    et    Mœsiae ,   legioncs.    Idem   ex 
Hîspanià  allatnm,  laudatnsqne  per  cdictum 
Chnius    Jiafns;    et    statim   cognitnm    est, 
convcrsam    ad    f^ittllium   Hispaniam.    Keo 
Aqnitaniar|uidcm,quauiquama.7i///i9  Cordo 
in   verba    Othonis    obstricta  ,    diu    mansit. 
Kusquam  lides  aut  amor  ,  melu  ac  necessitata 
hue  illuc  mutabantur.  Eadom  formido  pro- 
vinciam  NarJjonensem  ad  yiieUium  vertit, 
facili    transita  ad     proximos    et    validiorcs. 
Louginqiiœ  provincix  ,   et    quidquid  arnio- 
ruui  mari  dirimitur,  pênes  OthOîicm  vutxnt^ 
bant,  non  partium  studio,  scd  crat  grand© 
iiiouieutuiu   in   nomine   urliis    ac    practextu 
senntûs;etoccHipaverataniniosprior  auditus. 
JudaicLim    excrcituui  t  espasiauus  j   Siri» 


DU  LIVRE  T.  DÉ  TACITE.     169 

à'Ot/ion  ,'  qne  sa  vie  et  celle  de  ses  fils  lui 
répondraient  de  sa  mère  et  de  scseufans.  L'une 
et  l'autre  fauiille  fut  conservée  :  on  douta  da 
motif  dy  la  clémence  d'CJt/iori  ;  mais  p'iteUius 
vainqueur  eut  tout  l'honneur  de  la  sienne. 

La  première  nouvelle  qui  donna  de  la  con- 
fiance à  Otliun  lui  vint  d'Illyrie  ,  d'où  il 
aj)prit  que  les  légions  deDalmatie  ,  de  Pan- 
lîonic,  et  de  la  Mœsie  avaient  prêté  serment 
en  son  nom.  Il  reçu  t  d'Espagne  un  semblable 
avis  et  donna  par  édit  des  louanges  à  67m- 
piiis  Rv/us  ;  mais  on  sut  Bientôt  après  que 
l'Espagne  s'était  retournée  du  côté  de  Vi- 
tellins.  L'Aquitaine,  que. 77//V?/.s  Cordnsd^sa\.t 
aussi  fait  déclarer  pour  Otiion  ,  ne  lui  resta 
pas  plus  Qdelle.  Comme  il  n'était  pas  ques- 
tion de  foi  ni  d'attac!rement,cliacunselaissait 
entraîner  çà  et  là  selon  sa  crainte  ou  ses  es- 
pérances. L'eflVoi  fit  déclarer  de  même  la 
province  ?\icirbonaise  en  fivcurd;  Vilellius  ^ 
qui  ,  le  plus  priiclic  et  le  plus  puissant  » 
parut  aisément  le  plus  légitime.  Les  provius-es 
les  plus  éloignées  et  celles  q^c  l'a  mer  sépa- 
rait di's  troupes  restèrent  à  Othon  ;  moins 
pour  l'amour  de  lui,  qu'à  cause  du  L^r.nid 
poids  que  donnait  à  sou  parti  le  nom  do 


370  TRADUCTION 
legiones  Mucianus  sacramento  Cthonis  adc- 
gere,  Simul  yïl;.j,yptns  ,  ouinesqne  veisîE  iu 
Oiientcm  provinciae  ,  iiouilne  cjus  teiiebaii- 
tur.  Idem  Africac  obscqiiium,  iuilio  5  Car- 
ibagiue  oito.  Ncque  exspcctatà  f-lpsanii 
yiproniavl  pioconsi  lis  auctoritatc  ,  Crcs^ 
cens  Keronis  libcrtus  (  naui  et  bi  malis 
tempoiibus  partciu  se  reipui^'.icae  facinnt  )■ 
cpulum  plcbi  ,  ob  laetitiam  rccentis  impcrii , 
obîulcrat  :  et  populus  pleraqne  ?lnc  inoda 
festinavit.  CarlUagmcm  c^uterœ  civitaitcs 
»eçuts6. 


Sîo  distractîs  cKcrcîtibns  ao  provinciîs  - 
p'itcllio  quidcju  ad  capesseiiiaiu  piincipatùs 
fortuuam  bcUo  opus  erat.  Otho ,  iit  in  luiiltà 
pace  ;  mmiia  impcrii  obiliat  ,  quaedam  ex 
tlignitate  rcipiiblica; ,  plcraque  contra  dccus  , 
ex  piccseuti  usu  pioperaïulo.  Consul  cinu 
'J'itiano  fratre  in  kalcndas  maitias  ipse  y 
proxiu'.os  mcuics  f'\rt;inio  destinât  ,  ut 
pliquod  cxcicit-.ii  gcrr.ianico  dcliiiituetUmn^ 


DU  LIVRE  r.   DE  TACÎTE.     17* 

Rome  et  l'aiitoiite  du  sénat  ,  outre  qu'an 
penchait  naturellement  pour  le  premier  re- 
connu (  *  ).  L'armce  de  Judée  par  les  soiiis 
de  Vespasie7i  ,  et  les  légions  de  Syrie  par 
fceux  de  Mucîanils ,  prctèren  t  serment  à  Othon . 
L'E-j^pte  et  toutes  les  provinces  d*Ol-icnt  re- 
connaissaient soil  autofitc.  L'Afrique  lui 
rendait  la  mériie  obe'issance  à  l'exemple  dô 
Cartilage,  où  ,  sans  attendre  les  ordres  dtt 
p  ro  co  n  ^uXripsan  iiis  Apron  ian  us ,  Crescens^ 
arFrancIu  de  Néron  ^  se  mêlant  ,  comme  ses 
pareils,  des  affaires  de  la  république  dans  les 
temps  de  calamités  ,  avait  ,  en  léjouissanco 
de  la  nouvelle  élection  donne  des  fêtes  au 
peuple  qui  se  livrait  étourdiment  à  tout.  Les 
autres  villes  iuiilèrent  Cartilage. 

Ainsi  les  armées  et  les  provinces  sr  (vou* 
raient  tellement  partaj;ces  ,  que  l^itelUns 
nvait  besoin  des  succès  de  la  gu-fre  '.>owr  se 
ïneltreen  possession  de  l'empire.  PonxQthon 
il  fesait  comme  en  pleine  paix  les  (onctions 
d'empereur  ,  quelquefois  soutenant  k  dignité 

(*)  L'élection  flo  VltdVius  avait  pn'rédé  celle 
iV Othon;  mais  aii-clelà  des  mers  le  bruit  de  celle-ci 
flv.ut  piévcm.  le  bruit  de  l'autre  :  ainsi  Ot/jcn«uit 
dans  tes  régions  U  premier  reconnu. 


,7j  TRADUCTION 

Jungitur    f'erginio    Poppœus    Vopisnts  ; 
praettxtu  vcteiis  aniiciliec  ,  pleiiqne  Viennen- 
sium  lionori  datum  interpictabantiir.  Caeteri 
consulatus     es    dcstinatioue    Aeronis  ,    aut 
Caîhœ  ,  luanserc.  Oelio  ac  Flat'io  Sahinis^ 
iu  julias,  Ario  ^ntoriino  ^\.  Mario  CelsOy 
in  septembres  :  quorum  honori  ne  T'itellins 
quidem  Victor  iutercessit.  Sed  Ctho  poutifi- 
catus    auguratusque    honoratis   jam    senibui 
cumulum    digiiitatis  addidit  ;    et   recens    ab 
exsilio  reverses  nobilcs  adolesccntulos  avilis 
ac  pateruis    saecrdotiis  iu   solatium  recoluit. 
Bcdditus  Cadio  Rvfo,  Pedio  Ji/œso  jSerina 
Promptiiio  seuatorius   locus  ,    qui  repituu- 
darum   criminijjus  sub    Claudio  ac  iXeroric 
cecidcrant.     Placuit     i-uosccntibus  ,     verso 
nomioe  ,  quod  avaritia  fu(  rat ,  videri  majes- 
talcm;  cuju»  tum  odio ,  etiam  boiiae   leges 
peribaut. 


a« 


DU  LIVRE  I.  DF.  TACITE.     17? 

de  la  république  ,  mais  plus  souvent  l'avilis» 
sant  ea  se  hâtant  de  régner.  II  désigna  sou 
frère  Titianus  consul  avec  lui  jusqu'au  pre- 
mier de  mars  ;  et  cherchant  à  se  concilier 
l'armée  d'Allemagne  ,  il  destina  les  den^ 
mois  suivans  à  Vetginiu<; ,  auquel  il  donna 
Poppœns  Vopiscns  pour  colièî^ue,  sons  pré- 
texte d'une  ancienne  amitié  ,  mais  plutôt 
selon  plusieurs  ,  pour  faire  honneur  aux 
Viennois.  II  n'y   eut    rien  de   channe   po^j^ 

les  au  tresconsulats  aux  nominations  deiVV/o/i 
cl  àitGalha.  Deux  Sabinus,  GœUus et Flaue 
restèrent  désignés  pour  mai  et  juin  y^rivi 
Antonimis  et  Marins  Celsiis  pour  Juillet 
et  août  ;  honneur  dont  T-  iiellins  ménic  ne 
les  priva  pas  après  .-a  victoire.  Gihon  mit  le 

comblcauxdignitésdesplusillustrcs  vieillard'- 
en  y  ajoutant  celles  d'augures  et  de  non- 
tifcs  ,  et  consola  la  jeune  noblesse  récem- 
ment rappelée  d'exil,  en  lui  rendant  le  sacer- 
doce dont  avaient  joui  ses  ancêtres.  Il  rétablit 
dans  le  %é\vx\.Cadius Rvfus ,  PediusBlœsus 
et  Seiinus  Promplinus  ,  qui  en  avaient  été 

chassé.ssous<:V^7/Jt'ponrcrimedeeoncnssion. 
L'on  s'avisa  ,  pour  leur  pardonner  ,  de  chan- 
ger le  mot  de  rapine  en  celui  de  Use-vuijesté , 
Alélaiii^cs.  Touic  \ ,  K 


174 


TRADUCTIOIT 


Eâdem   largitjoue  ,  civitatum  quoque  ac 
provinciaiuiu  animos  aggressiis ,  lïispaliea- 
S4busetEineritensibusfaiuiUarumadjectiones. 
Liugpnibus   universis   civitatem   romanam  , 
proviiiclrc  Bœticae  Mauroriim  civitates  dono 
dédit.  Nova  jura  Cappadociœ,  uova  Africae, 
oslcnlui   magis    quàm    mansura.    lutcr   quae 
jiecessitatc  picTsciitium  rcrnin  et  iustautlbus 
curis  excusata  ,    ue   tuiu  qiiideui   iimuemor 
amorum  ,   statuas  Poppceœ  pcr  scnatuscoa- 
sultum  reposuit.  Créditas  est  etiam  de  celé-, 
biandâ    Neronis    memorià    agitavlsse  ,   spe 
Tulgiim    alliciendi.    Et  fuere    qui    imagines 
'2V^eronis  proponereut  :  atque  etiam  Othoni^ 
quibusdam   dicl)ns  populus  et   miles  ,    tam-r 
quam    nobilitatcm     ac     decus    astrucrent  , 
'Neroni-Othoni    acclamavit.     Ipse    in    sus- 
pense tcnuit ,  vctandi  uiotu,  vel  agnosccudi 
pudore. 

Conversis  ad  civile  bcllum  animis,  externa 
siae  cura  haîwbautur .  Eu  audeutiiis  Roxolaai , 


->U  LIVRE  I.  DE  TACITE.     173 

Inot  odieux  ru  ces  temps-là  ,  et  dont  l'abiïs 
fcsdit  tort  oux  meilleures  lois. 

Il  étendit  aussi  ses  grâces  sur  les  villes  et 
les  provinces.  H  ajouta  d.;  nouvelles  fau)illes 
aux  colonies  d'His()alis  et  d'Emerita:  il  donna 
le  droit  de  bourgeoisie  romaine  à  toute  la 
province  de  Langres  ;  à  celle  de  la  Be't^quo 
les  villes  de  la  Mauritanie  ;  .1  celles  d'Afrique 
et  de  Ciippadoce  de  nouveaux  droits  trop 
bnllans  pour  être  durables.  Tous  ces  soins, 
et  les  besoins  pressans  qui  l'^s  exigeaient,  ne 
lui  firent  point  oublier  ses  amours  ,  et  il  fit 
re'iablir  par  décret  du  sénat  les  statues  de 
Poppce.  (Quelques-uns  relevèrent  aussi  celles 
de  i\éron  ;  l'on  dit  même  qu'il  délibéra  s'il 
ne  lui  ferait  point  une  oraison  funèbre  pour 
plaire  à  la  populac-  .  KnCn  le  peuple  et  les 
sollats  ,  croyant  bien  lui  faire  bonneur  , 
crièrent  durant  q'K-lques  jours  :  vit^e  Néron- 
Othon  !  acclamainins  qu'il  feignit  d'ignorer, 
îi'o-aut  les  dét.udre  ,  et  rougissant  de  les 
permettre. 


Cependant  iiriiquement  occupés  de  leurs 
sueucs  civiles  ,  Us  Romains  abandouQaieirt 

IL  a 


176  T  R  A  D  U  C  T  I  O  X 

sarmatica  gens  ,  piiore  hicme  crcsis  duabus 
coliorlibMs  ,  aiagiià  spe  ad  Mœsiam  irrnpe- 
rant ,  novciu  miUia  equituin  ,  ex  fcrocià  et 
snccessii  ,  pi\xd;c  magis  quàui  piignx  iiitcr.îa. 
Igitur  vagos  et  incuiiosos  ,  teitia  Ic^io 
adjmictis  auxiliis  ,  repente  iiivaslt.  Apud 
.Romauos  oninia  prœlio  apta.  yarmaltc  dis- 
persi  cnpidine  prœdae  ,  aiit  graves  oiicre 
sarcinarnm  ,  et  Inbrico  ilineraui  adcmplà 
eqiiotum  pernicitatc  ,  vcliu  vincfi  cœdcbaii- 
tiir.  Nnniqiic  iiiiniiii  diclu  ut  sit  oimiis  .Sar- 
malariiui  virlns  ,  vcltit  extra  ipsos  ;  iiiLiil  ad 
pedcstiem  pugiiaiu  tain  iguavuin  ;  iibi  prr 
tunnas  aJveiicre  ,  vix  ulla  acies  obstiteiit. 
Sed  tum  huuiido  die  ,  et  soluto  gehi  ,  iicqiio 
conti,  ucque  gladii ,  quos  prailongos  utriique 
inanu  rcgunt  ,  usui  ,  lapsantibus  equis,  et 
catapbactaruin  pondère  (  id  priiieipibus  et 
nobiMssimo  cuique  tegmcn  ,  ferreis  laïuiuis, 
a^Jt  pracduio  corio  conscrtuni  ;  ut  advcrsus 
ictus  lmpciicl!al)ilc  ,  ita  inipctu  bostiimi 
provolutis  inhabile  ad  resurgendum  )  simul 
altitudinc  et  luollitiù  nivis  bauricbaiitur, 
Romanus  miles  facili  loricâ  ,  et  uiissili  pilo. 


DU  LIVRE  I.  DE  TACITE.     177 

les  affaires  de  dehors.  Cette  uégllgenee  ins- 
pira (antd'andncc  aux  Roxolans  ,  peuple  sar- 
iKite,  que  dès  l'hiver  piéce'dent  ,  après  avoir 
défait  deux  cohortes  ,  ils  firent  avec  beaucoup 
deconîiance  une  irruption  daus  la  Mœsie  au 
nombre  de  neuf  raille  chevaux.  Le  succès 
joint  à  leur  avidité'  leur  fcsaut  plutôt  songer 
à  piller  qu'à  combattre  ,  la  troisième  Icgiou 
jointe  aux  auxiliaires  les  surprit  cpars  et  sans 
discipline.  Attaques  par  les  Romains  en  ba- 
taille ,  les  Sarmatcs  dispose's  au  pillage  ou 
déjà  chargés  de  buliu  ,  et  ne  pouvant  dans 
des  chemins  glissans  s'aider  de  la  vitesse  do 
Ifurs  chevaux  ,  se  laissaient  tuer  sans  résis- 
lancc.  Tel  est  le  caractère  de  ces  étranges  peu- 
ples ,  que  leur  valeur  semble  n'être  pas  eu 
eux.  S'ils  donnetit  en  escadrons  ,  à  peine  une 
armée  peut-elle  soutenir  leur  choc  ;  s'ils  com- 
L^itent  à  pied  ,  c'est  la  lâcheté  même.  Le 
degcl  et  l'humidité,  qui  fesaient  alors  glisser 
et  tomber  leurs  chevaux  ,  leur  ôtaient  l'usage 
de  leurs  piques  et  de  leurs  longues  épécs  à 
deux  mains.  Le  poids  des  cataphractes  ,  sorte 
d'arnuire  laite  de  lames  de  ter  ou  d'un  cuir 
très-dur  qui  rend  les  chefs  et  les  officiers  im- 
pénélrablcs  aux  coups  ,  les  empcchnicnt  de 
ic  relever  quand  le  choc  des  ennemis  les  avait 

K   3 


1-8  TRADUCTION 

sut  lauccis  assiiltaus  ,  vibi  res  po  ccret,  Icvi 
gladio  inermem  Sarmatam  ,  (  ticqiie  eiiim 
defeudi  scuto  uios  est  )  commiis  fodicbat  ; 
douée  pauci ,  qui  prxlio  supeifuerant ,  palu- 
dibus  adhereutur.  Ib;  ^acvitiâ  bieiuis  et  vi 
vulneriim  absumpti.  Postquam  id  Komaï 
compertuin,  M.  yiponiu^  Mœsiam  obtincus, 
triuinphali  statua  ruhius  YJiireliiis  ,  et 
Julianus  Titius  ,  ac  j\  umisius  Lupus  , 
kgati  legiouum ,  consuldribns  ornanicntis 
donaatur  :  laeto  Othoue  ^  et  gloriam  in  so 
traheatc,  tamquaiu  tt  ipsc  tVlix  bclio,  et 
suisducibus  suisquc  exercitibus  remptiblicam 
auxisset. 


Parvo  intérim  initio  ,  unde  uiliil  tinieha- 
tur  ,  orta  seditio,  propè  urbi  excidio  fuit. 
Septiuiain  decimaui  coliorlein  ,  c  coioiiiil 
Ostiensi  ,  in  nibcui  acciri  Oth(\  jusseiat. 
AimandiE  cjus  cura  T  ario  Crispino  ,  tri- 
Juiuo  c  praetoiianis ,  data.  Is  ,  quo  uiagis 
TacLius ,  quictis  castris,  jussa  cxïequeretur. 


DU  LIVRE  I.  DE  TACITE.     Ï79 

renversés  ,  et  ils  e'taient  e'toufTcs  dans  la  neige 
qui  e'tait  molle  et  hante.  Les  soldats  romains  , 
couverts  d'unecuirasse  le'gère,  les  renversaient 
à  coups  de  traits  ou  de  lance  selon  l'occasion  , 
et  ks    perçaient  d'autant   plus   aisément   de 
leurs  courtes   épécs  ,   qu'ils  n'ont  point  la 
défense  du  bouclier.  Un  petit  nombre  échap- 
pèrent et  se  sauvèrent  dans  les  marais  ,  où 
la   rigueur   de    l'hiver  et  leurs   blessures  les 
firent  périr.  Sur  ces  nouvelles  ,  on  donna  à 
Rome  une  statue  triomphale  à  MarcTis  Apro- 
Tiiatnis  qui  cotnmandait   eu    Mœsie  ,   et    les 
ornemens  consulaires  à  Fnlvius  Aurehus  , 
Jnlianus  Titius  ,  et  T\'n7nisius  Lupus ,  colo- 
nels  des    légions  ;    OtJ:on   fut   charmé   d'un 
succès  dont  il  s'attribuait  l'honneur  ,  comme 
«L'une   guerre  conduite  sous    ses   auspices  et 
par  ses  odiciers  au   profit  de  l'Etat. 

Tout-à-coup  il  s'éleva  sur  le  plus  léger 
sujet  et  du  côté  dont  on  se  défiait  le  moms, 
une  sédition  qui  mit  Rome  à  deux  doigts  de 
sa  ruine.  OtJion  ayant  ordonné  qu'on  fît  venir 
dans  la  ville  la  dix-septième  cohorte  qui  était 
à  Oitic  , avait  chargé  /  nrius  Cri'^pi''^^''  tribun 
prétorien  du  soin  de  la  fa  ire  armer.  Crtspi/ius  ^ 
pour  prévenir  l'embarras  ,  choisit  le  icmpi 

K.  4 


i^o  TRADUCTION 

véhicula  cohoiîis,  incipicnte  nocte ,  onerari 
apcrto  arman.ientario  jiibet.  Tempus  ,  iu 
suspicioncm  ;  causa  ,  in  crimen  ;.  affcctatio 
quietis,  iu  tunuiltum  evaJuit.  Et  visa  iuter 
teinulcîitos  aima  cupidiucm  suî  ujovêre. 
Frémit  luiles  ,  et  tribuuos  ccutuiioncyque 
pioditioiiis  arguit,  taïuquaui  famllicc  sena- 
toruin  ad  pcruicicm  Othouis  armarcutur. 
Pars  ij^tiari  et  vino  graves;  pessiiuus  quisque 
ia  occasionem  pr.Tdarum;  vuigus  ,  ut  mos 
est  ,  cujusque  uiotûs  novi  cupiduui  ,  et 
obsequia  uiclioruui  nox  abstulerat.  R-cssten- 
tem  sédition!  tribunum  ,  et  sevcrissiuios  ccn- 
turionuui  obtruncaut  \  rapta  anua  ,  uiidati 
gladii  ,  iusidentcs  equis,  urbem  ac  palalium 
petuut. 


Ernt  Othoni  célèbre  conviviuni ,  primori- 
bus  femiuis  virisquc  ,  qui  trcpidi  ,  fortni- 
tiisiic  uiilitum  furor,  an  doUis  impcratoris  , 
luauereuc  dcprclicudi,  au  l'u^^crc  et  dispcrgi, 


DU  LIVRE  I.   DE  TACITE.     iP>i 

où  le  camp  était  tranquille  et  le  soldat  retiré, 
ft  ayant  l'ait  ouvrir  l'arsenal,  commença  dès 
l'entrée  de  la  nuit  à  faire  charger  les  four- 
gons de  la  cohorte.  L'heure  rendit  le  motif 
suspect ,  et  ce  qu'on  avait  fait  pour  empêcher 
le  désordre  eu  produisit  un  très-grand.  La 
vue  des  armes  donna  à  des  gens  pris  de  vin 
la.  tentation  de  s'en  servir.  Les  soldats  s'em- 
portent ,  et  traitant  de  traîtres  leurs  officiers 
et  tribuns ,  les  accnsèrent  de  vouloir  armer  le 
sénat  contre  Othon.  Les  uns  déjà  ivres  ne 
savaient  ce  qu'ils  fesaient  ;  les  plus  médians  ne 
cherchaient  que  l'occasion  de  piller  :  la  foule 
se  laissait  entraîner  par  son  goût  ordinaire 
pour  les  nouveautés  ,  et  la  nnit  empêchait 
qu'on  ne  pût  tirer  parti  de  l'obéissance  des 
sages.  Le  tribun  voulant  réprimer  la  sédition  , 
fut  tué,  de  inémc  que  les  plus  sévères  cen- 
turions ;  après  quoi ,  s'ctant  sai.=is  des  armes  , 
ces  emportes  montèrent  à  cheval  ,  et  l'épée 
à  la  main  ,  prirent  le  chemin  delà  ville  et  du 
palais. 

OtJion  donnait  un  festin  ce  jour-là  ,  à  ce 
qti'il  y  avait  de  plus  grand  à  Rome  dans  les 
deux  sexes.  Les  convives  redoutant  également 
la  fureur  des  soldats  et  la  trahison  de  l'ein- 

K    5 


î83  TRADUCTION 

periculosiusforet;modocoiistantiauislmularej 
modbformidiuedet;  gi  ,shnulOl/iOfiisvu\tuta 
iiituen.  Utquc  cvcuit  inclinatis  ad  suspicio- 
ncm  meatibus ,  cùin  tiruerct  Oi/w  ,  tiuiebatur- 
Scd  haud  secus  discriniiiie  senatûs  quàni  suo 
terri  tus,etpraefectosprsetoriiadmitigandasmi- 
litum  iras  statim  miscrat  ,  et  abire  properè 
ouiues  è  convivio  jusslt.  Tum  vcrb  passim  lua- 
gi stratus  ,  projcctisinsignibus  ,  vitatâcouiitum 
et  servoruin  frcqucntià  ,  scues  fcminaeque 
per  tenebras  ,  diversa  urbis  itiuera  ,  rari 
domos  ,  plurimi  auiicoriun  tccta  ,  et  ut  cui- 
que  huuiillimus  cUens  ,  incertas  latebras 
pctivere. 


Militum  impetus  ne  forlbus  quidem  palatiî 
coercitus  ,  quo  minus  conviviinn  irrumpe- 
rent ,  ostendi  sibi  Othonem  cxpostulantes  ; 
ynlncrato  Julio  Martiale  tribuno  ,  et  Vitel- 
Jio  S atiirnino  proefecto  legiouis ,  dum  rucn- 
tibus   obsistuut.   Uiidique   arma   et   raius?  , 


DU  LIVRE  I-  DE  TACITE.     i8S 

percur ,  ne  savaientce  qu'ils  devaient  craindre 
le  plus  ,  d'être  pris  s'ils  demeuraient ,  ou  d'être 
poursuivis  dans  leur  fuite  ;  tantôt  alFectaut 
de  la  fermeté  ,  tantôt  de'celant  leur  effroi  , 
tous  observaient  le  visage  iVOt/wn  ;  et  comme 
on  était  porté  à  la  défiance  ^  la  crainte  qu'il 
témoignait  augmentait  ceilc  qu'on  avait  de 
ïui.  Nou  moins  effrayé  du  péril  du  sénat  , 
que  du  sien  propre,  Othon  chargea  d'abord 
les  préfets  du  prétoire  d'aller  appaiser  les 
soldats  et  se  liàta  de  renvoyer  tout  le  inonde. 
IiCs  magistrats  fuyaient  cà  et  là  ,  jetant  les 
marques  de  leurs  dignités  ;  les  vieillards  et 
les  femmes  ,  dispersés  par  les  rues  dans  les 
ténèbres,  se  dérobaient  aux  gens  de  leur  suite. 
Peu  rentrèrent  dans  leurs  maisons  ;  presque 
tous  cherchèrent  chez  leurs  am  s  et  les  plus 
pauvres  de  leurs  clicus  des  retraites  mal 
assurées. 

Les  soldats  arrivèrent  avec  une  telle  impé- 
tuosité ,  qu'ayant  forcé  l'entrée  du  palais  , 
ils  blessèrent  le  tribun  JiiUus  Martialis  et 
T'ilcUiiis  Satnrninns  qui  tâchaient  de  les 
retenir  ,  et  pénétrèrent  jusque  dans  la  salle 
du  festin,  demandant  à  voir  <7///o/7.  P,^.r-tout 
Us  menaçaient  des  armes  et  de  la  voix  ,  tantôt 

K  6 


Tf^4  TRADUCTION 

ïnodo  in  ccnturiones  tribuuosque,  modo  in 
senatum  univcrsuin  :  lytnpliatis  cœco  pavore 
anitnis  ,  et  qnia  nctiiincm  unuin  destinare 
irae  poteraiit,  licentiani  in  omncs  posccnti- 
bus  ;  donec  Otho  ,  contra  dccus  iuipcrii 
tlioro  insisteiis  ,  preciliiis  et  lacrlmis  scgrè 
coliibuit.  Rcdicnintque  in  castra ,  invitiueque 
innocentes. 

Postera  die  ,  velut  capta  urbe  ,  clausa; 
douais  ,  rarus  per  vias  populus,  mrcslaplcbs  , 
dejccti  in  tcrraur  mililuni  vultus,  ac  plus 
tristitine  quàm  pœnitentiic.  Manipulatiiu  allo- 
cuti  sunt  Liciiiius  Procnlus ,  et  Ploiins 
Finniis  ^  pr;cfecti  :  ex  suo  quisque  ingenio, 
mitins  aut  horridiùs.  Finis  scrinonis  in  eo  , 
ut  qnina  rnillia  numuiiim  singulis  militibus 
iiinncrarentur.  Tnm  Otho  ingrcdi  castra 
ausiis  ,  atqnc  ilium  trilinni  centurionesque 
circuinsisUint  ^  ab)cctis  jnilitia"  insignibus  , 
otiunr  et  saUitcni  flagitantc».  Sensit  invi- 
diain  miles  ,  et  coniposiliis  in  obseqnium  , 
auctores  scdilionis  ad  snpplicium  ultro  pos- 
tulabat. 


DU  LIVRE  I.  DE  TACITE.     i8S 

leurs  tribuns  et  centurions,  tantôt  le  corps 
entier  du  sénat  :  furieux  et  troublés  d'une 
aveugle  terreur  ,  faute  de  savoir  a  qui  s'en 
prendre,  ils  en  voulaient  à  tout  le  monde. 
Il  fallut  qnOt/iort  ,  sans  égard  pour  la  ma- 
jesté de  son  rang  ,  montât  snr  un  sopha  , 
d'où  ,  h  force  de  larmes  et  de  prières  les  ayant 
coiUunus  avec  peine  ,  il  les  renvoya  au  camp 
coupables  et  mal  appaisés. 

Le  lendemain  les  maisons  étaient  fennecs  , 
les  rues  désertes  ,  le  peuple  consterné  comme 
dans  une  ville  prise  ;  et  les  soldats  baissaient 
les  yeux  moins  de  repentir  que  de  bonté. 
Les  deux  préfets  Procuhts  et  Firmns  ,  par- 
lant avec  douceur  ou  dureté  ,  cliacun  scloa 
son  génie  ,  firent  à  ch.que  manipule  des 
exhortations  ,  qu'ils  conclurent  par  annoncer 
une  distribution  de  cinq  uiillc  sesterces  par 
tête.  Alors  Olhon  ayant  hasardé  d'entrer  dans 
Je  camp  ,  fut  environné  des  tribuns  et  des 
ceuturioTis  qui  ,  jetant  leurs  ornemens  mi- 
litaires ,  lui  demandaient  congé  et  sûreté.  Les 
soldats  sentirent  le  rc  prociie  ,  et  rentrant  dans 
leur  (ievuir  ,  criaient  qu'on  menât  au  sup- 
plice les  auteurs  de  la  révolte. 


j?!(î         T  R  A  D  U  C  T  I  O  N 

Otho  qiiajïiquam  tnvbidisiebus  ,  et  diversis 
ITiUitumanimis,  cùm  optiinns  quisque  reine- 
dimn  praCM-ntis  licenÙEe  posccret  ;  viilgus  et 
pluies  ,  seditionibns  et  ambitioso  iuiperio 
lœti  ,  per  tmbas  et  râptus  faclliùs  ad  civile 
bclluiu  impellercntur  :  simul  reputaus  non 
posse  principatiun  scelcie  quaesitum  ,  subitâ 
niodestiâ  ,  et  piiscà  gravi tate  retineri  ,  sed 
discriiniiie  urbis  et  periculo  scnatùs  anxius, 
postrcmo  ita  disseruit. 

Keqve  nt  affcctvs  restros  in  aviorem  mei 
accendereitiy  commUitoncs  ;  iieqiie  ut  animian 
ad  virtntem  cohortarer  ,  (  utraque  enini 
egregie  svpersiint  )  sed  vcni  postnlaturus  a 
tobis  tempera mentum  restrœ  forlitudinis  , 
eterga  me  moditm  caritatis.  Tumultàs  pro- 
y:imi  initinm  ,  non  ciipiditate  velodio  ,  quca 
jnultos  exercittis  in  discordiam  egere  ,  ac  ne 
detrectatione  quidem  avt  fonnidme  pericu- 
lorurn  ;  nimia  pietas  restra  acrïiis  quant 
co.'isideratiiis  excitavit.  Nam  s<rpe  honestas 
rerum    causas  ,     ni  judicium   adhibcas  , 


15U  IJTUE  I.  DE  TACTTF.     1S7 

Jiv  milieu  de  tous  ces  troubles  e^  rlo  ces 
mouveuicns  divers  ,  Othon  voya'f  h  eu  que 
tout  Iiomme  saf!;e  désirait  un  (Ve  n  à  tant  le 
licence  ;  il  u'it^nor  it  pas  non  plus  que  les 
attroupemens  et  les  r-puics  mènent  aisé- 
inent  à  la  guerre  civile  une  multitude  avide 
des  séditions,  qui  forcent  lejîouveruement  àla 
fl;!tter.  Alarmé  du  danger  où  il  voyait  Rome 
et  le  sénat  ,  mais  jugeant  impossible  d'exercer 
tout  d'un  coup  avec  la  dignué  convenable 
un  pouvoir  acquis  par  le  crime,  il  tiut  eutia 
le  discours  suivant  : 

«  Compagnons  ,ie  ne  viens  ici  m'  ranimer 
«  votre  zèle  en  ma  faveur  ,  ni  réchauffer  votre 
«  courage  \  je  sais  que  l'un  et  l'autre  ont 
«  toujours  la  même  vigueur  :  je  viens  vous 
«  exhorter,  au  contraire,  li  les  contenir  dans 
•<  de  justes  bornes.  Ce  n'est  ni  l'avarice  ovx 
«  la  haine,  cause  de  tant  de  troubles  dans 
«  les  armées  ,  ni  la  calomnie  ou  quelque 
«  vainc  terreur  ,  c'est  l'excès  seul  de  votre 
«  affection  pour  moi  qui  a  produit  avec  plus 
«  de  chaleur  que  de  raison  le  tumulte  de 
•V.  la  nuit  dernière  :  mais  avec  les  ?notils  les 
«t  plus  honnêtes  ,  une  conduite  inconsidérée 
«i  ^cut  avoir  les  pliis  funestes  effets.   Dauï 


i83  TRADUCTION 
verniciosi  exitiis  consequimUir.  Iinus  ad 
belliim  j  v-iiin  omties  inincios  palàni  andiri 
omnia  consilia  cunctis  prœseiitibiis  trac- 
tari  ,  ratio  reriim ,  aut  occasiomnn  veJocitas 
patltur  ?  Tarn  nescire  ijuœdani  milites  , 
(juàrn  scire  oportet.  Ita  se  duciiin  aiicto- 
ritas  ,  sic  rigor  disciplinœ  habet ,  ut  mnlta. 
etiamcevturiones  tribnnosqite  tarithni  juberi 
expédiât.  Sic  iihi  julyeaiitiir  ^  cjuœrere  sin- 
gjilis  liceat  /  pereimte  ohscqiiio  ,  etiani 
imper iiiiii  intercidit.  An  et  illic  iiocte  iti- 
ieinpestâ  rapientiir  arma  ?  Unus  altcrçe 
perditus  ac  temnientns  ,  (  iieque  enini 
phires  consternatione  proximâ  iusauisse 
crediderim')  ceiitnrionis  ac  tribuni saTtguine 
'Jnarnjs  iinbiiet?  Imperatoris  siti  tentorium 
irrunipet  ? 


p'os  qiiidem  istiid pro  me  ^  sed  in  discvrsu 
ac  tencbris  ,  et  reriim  omniiini  confnsiom ^ 
paiejieri  occasio  ctiavi  ad^crsvs  me potesU 


DU  LIVRE  T.  DE  TACITE.     18^ 

«  la  guerre  que  nous  allons  commencer  est- 
«  ce  le  temps  de  communiquer  ,  à  tous 
«  chaque  avis  qu'on  reçoit?  et  faut-il  déli- 
«  bercr  de  chaque  chose  devant  tout  le  monde? 
«  L'ordre  des  affaires  ,  ni  la  rapidité  de  l'oc- 
«  casion  ,  ne  le  permettraient  pas  :  et  comme 
«  il  y  a  des  choses  que  le  soldat  doit  savoir, 
«  il  y  eu  a  d'autres  qn'il  doit  ignorer.  L'au- 
«  torité  des  chefs  ,  et  la  rigueur  de  la  disci- 
«  pline,demaudeut  qu'en  plusieurs  occasions 
«  les  centurions  et  les  tribuns  eux-mcuies  ne 
«  sachent  qu'obe'ir.  Si  chacun  veut  qu'on  lui 
«  Jciicle  raison  des  ordres  qu'il  reçoit  ,  c'en 
«  est  tait  de  l'obéissance  et  par  conséquent 
«  de  l'empire.  Que  sera-ce  lorsqu'on  osera 
«  courir  aux  armes  ,  dans  le  temps  de  la  re- 
«  traite  et  de  la  nuit  ?  Lorsqu'un  ou  deux 
«  honnnes  perdus,  et  pris  de  vin,  (  car  je 
«  no  puis  croire  qu'une  telle  frénésie  en  ait 
«  sai.si  davantage  )  tremperont  leurs  mains 
«  dans  le  sang  de  leurs  officiers  ?  Lorsqu'ils 
«  oseront  forcer  l'apparlemcnt  de  leur  cm- 
«  pcrcur  ? 

««  \ous  agissiez  pour  moi  ,  j'en  conviens  ; 
«  mais  combien  l'aniucnce  dans  les  tcMèbres  , 
«  et  la  confusion  de  toutes  choses  ,   four- 


Ï90         TRADUCTION 

Si    yitellio     et    satellitihus    ejus    eligendi 
facilitas  detnr ,  quem  nobis  iinimnm  ,  qvas 
mentes  imprecentur  ?  quid  aliudquàm  sedi- 
tiOTicm  et  discordiam   optahunt  ?  ne   miles 
centitrioni,  ne  centnrio  tribuno  ohsequatur : 
Jiinc  confiisi  pedites  equitesque  in  eritium 
ruamns.    Par  en  do   potins  ,  commilitones  j 
qnam  imperia  ducum  sciscitando  res  viih- 
tares  continentur  ;   et  fortissimus  in  ipso 
discrimine  exercitus  est j,  qui  ante  discri- 
vien  quietissimus.    Vohis  arma  et  animus 
sit  ;  mihi  consilium  et  virtxitis  vestrœ  regi- 
vien    relinquite.    Paucornm    culpa  fuit  , 
duorumpœna  erit.  Cccteri  abolete  memoriam 
fœdissimœ  noctis  ;  nec  iUas  adi-ersus  sera- 
tuni  voces  nllus  nnquam  exercitus  au  dm  t. 
Caput  imperii ,  et  décora  omnium  profin- 
ciaruni ,  ad  pœnam  vocare  ,  non  herclè  ilh  , 
qvos  ciim  maxime   l'itellius    in  nos  cict , 
Germani  andeant.  l'Ili  ne  Italiœ  alunini  ^ 
et  romana  lerc  juventiis  ,  ad  sangninem  et 
cœdem  deposcercnt  ordinem  ,  cujussplendore 
et  gloriâ  sur  des  et  ohscuritatem  viteUiana- 
Xiim    partium    perstringimus  ?    Kationes 


DU  LIVRE  ï.  DE  TACITE.     192 

'«:  Hissaient  -  elles  une  occasion  facile  de  s'ea 
«  prévaloir  contre  moi-même  !  S'il  éta^t  au 
«  pouvoir  de  pitellius  et  de  ses  satellites 
«  de  diriger  nos  inclinations  et  nos  esprits, 
«<  que  voudra  eut-ils  de  plus  ,  que  de  nous 
«  inspirer  la  discorde  et  la  sédition  ,  qu'ox- 
«t  citer  à  la  révolte  le  soldat  contre  ie  cen- 
«  turion  ,  le  centurion  contre  le  tribun  ,  et 
«  gens  de  cheval  et  de  pied  ,  nous  entraîner 
«  ainsi  tous  péle-méle  à  notre  perte  ?  Com- 
««  pagnons  ,  c'est  en  exécutant  les  ordres  des 
«  cliefs  et  non  en  les  contrôlant  qu'on  fait 
«  heureusement  la  guerre  \  et  les  troupes  les 
«  plus  terribles  dans  la  mcléc  ,  sont  les  plus 
«  tranquilles  hors  du  combat.  Les  armes  et 
«  la  valeur  sont  votre  partage  ;  laissez-moi 
«  le  soin  de  les  diriger.  Que  deux  coupables 
«  seulement  exp'c.t  le  crime  d'un  petit 
«  nombre.  Que  les  autres  s'elForcent  d'cnse- 
«  vclr  dans  un  éternel  oubli  la  honte  de 
«  cette  nuit  ;  et  que  do  pareils  discours 
«  contre  le  sénat  ne  s'entendent  jamais  dans 
«c  aucune  armée.  Non  ,  les  Germains  mcincs  , 
«  que  J'itellius  s'efforce  d'exciter  contre 
«  nous  ,  n'oseraient  menacer  ce  corps  res- 
«t  prctahlc  ,  1- chef  et  l'ornement  de  l'empire, 
«i  Quels  seraient  doue  les    vrais  eufaus   de 


192         TRADUCTION 

aliqvas  occvpavit  l 'itcîlins  ,  imagiiiem 
qvamdam  exercitûs  habet  :  senali/s  nol>is~ 
cujii  est  j  sic  fit  lit  hinc  respuhlica  ,  in  de 
Jwsfes  reipnhlicœ  constilerint.  Qnid  ?  los 
pulclierriniam  hanc  urhem  ,  doinibns  et 
Icctis  ,  et  congestu  lapidnm  ,  stare  creditis  ? 
Muta  ista  et  inanima  intercidcrc  oc  repa- 
rari  proniiscuc  possunt  :  a'iernilas  reiuni  y 
et  pax  gentinni  3  et  mea  cnm  vestrâ  salus', 
incohimitate  senatùs  Jirviatnr.  Hnnc  ans- 
picatb  à  parente  et  conditore  nrbis  nostros 
institntum ,  et  h  rcgilnis:  us<j7ie  ad  principes 
continnum  et  imniortaleni  ,  sicut  à  niajo- 
ribus  accepiinns  ,  sic  posteris  iradanins  : 
nam  ni  ex  vobis  senatores  ,  ita  ex  senatori- 
liiis  principes  nascuntur. 


Etovatioad  pcr?tring''nilos  uuilccnclosquc 


DU  LIVRE  r.  DE  TACITE      igZ 

«   Piome  ou  de  l'Italie  qui  voudraient  le  sang 
«  et  la  mort  des  membres  de  cet  ordre,  dont 
«  la  splendeur  et  la  gloire  montrent  et  re- 
«  doublent  l'opprobre  et  l'obscurité'  dn  parti 
«  de  l^itcUius  ?  S'il  occupe  quelques  pro- 
V.  vinces  ,  s'il   traîne  après   lui  quelque  si- 
«  mulacre  d'année  ,  le  sénat  est  avec  nous  ; 
«  c'est  par  lui  que  nous  sommes  la  rcpu- 
«  blique  et  que  nos  ennemis  le  sont  aussi 
M   de  l'État.  Pensez-vous   que  la  majesté  de 
«  cette  ville  consiste  dans  des  amas  de  pierres 
<»  et  de  maisons  j  monumens  sans  amc  et  sans 
*c  voix ,  qu'on  peut  détruire  ou  rétablir  à  sou 
«  gré  ?  L'éternité  de  l'empire  ,   la    paix  des 
«   nations,  mon  salut  et  le  vôtre,  tout  dé- 
«   pend  de  la  conservation  du  sénat.  Institué 
«   solemncllcment  par  le  premier  père  et  fon- 
«  dateur  de  cette  ville  ,  pour  être  immortel 
«   comme  elle,  et  continué  ,  sans  interruption 
«c  depuis  les  rois  jusqu'aux  empereurs  ,  l'in- 
«  térêt   commun   veut   que    nous  le   trans- 
M.  mettions  à  nos  descendans  ,  tel  que  nous 
«  l'avons  reçu  de  nos  aïeux  :   car  c'est  du 
«c   sénat  que  naissent  les  successeurs  à   l'cm- 
«  pire,  comme  de  vous  les  sénateurs  ». 

Ayant   ajusi  tàclié  d'adoucir  et  contenir 


Î94         TRADUCTION 

mihtutu  auunos  ,  et  scveritatis  uiodus  (  neque 
enlm  iu  pluies  quàm  iu  duos  auiuiadverti 
)usserat  )  giatè  accepta  ,  couiposi tique  ad 
prœseus,  qui  coerceri  uon  poteraut. 

Non  tameii  quics  urbi  redicrat;  strcpifu» 
telorum,  et  faciès  btlli  crat.  Mililibus,  ut 
niliil  iu  coraœunc  tuibautibus  ,  ita  sparsis 
per  doinos,  occulto  liabitu,  et  nialignâ  cuiâ 
in  omnes  quos  nobilitas ,  aut  opes  ,  aut  aliqua 
iusignis  claritudo  inmoribus  objccerat.  Vitcl- 
lia'nos  quoque  milites  venisse  in  uibcm  ,  ad 
studia  partium  uoscenda  ,  plcriqne  crcdcbant. 
Utide  plcna  ouinia  snspiciouum  ,  et  vis 
sécréta  douiuuui  siue  formidiue. 


Sed  pluiîmùm  trepidationis  in  pnblico  ; 
ut  quemque  imnciuni  fama  attulisset,  ani- 
mum  vultuiuqueconvcrsi  ,  nediflidere  dubiis  , 
ac  parum  gandcrc  prosprris  vidcrentur. 
Coacto  vero  in  curiam  senatn  ,  arduus  rerum 
omnium  modus,  ne  coutumax  silentium, 


BU  LIVRE  I.  DE  TACITE.     195 

la  fouf^uc  des  soldats  ,  Othon  se  contenta 
d'eu  faire  punir  deux  :  seVe'rité  tempére'e  ,  qui 
ii'ota  rien  an  bon  effet  du  discours.  C'est 
ainsi  qu'il  appaisa  pour  le  rnomeut  ceux 
qu'il  ne  pouvait  réprimer. 

Mais  le  calme  n'était  pas  pour  cela  re'fabli 
dans  la  ville.  Le  bruit  des  armes  y  retentissait 
encore  ,  et  l'on  y  voyait  l'image  de  \n  guerre.' 
Les  soldats  n'e'taient  pas  attroupe's  en  tu- 
multe ,  mais  deguise's  et  disperse's  par  les 
maisons  ,  ils  e'piaicnt  avec  une  attentioa 
inaligne  tous  ceux  que  leur  rang  ,  leur  ri- 
chesse ou  leur  gloire  exposaient  aux  discours 
î>ub]ics.  Oncrut  même  qu'il  s'était  glissé  dans 
Rome  des  soldats  de  f'iteUius  pour  sonder 
les  dispositions  des  esprits.  Ainsi  la  défiance 
ctait  universelle  ,  et  l'on  se  croyait  à  peine 
en  sûreté  renfermé  chez  soi. 

Mais  c'était  encore  pis  en  public,  où  cha- 
cun craignant  de  paraître  incertain  dans  le» 
nouvelles  douteuses,  ou  peu  joyeux  dans  les 
•favorables  ,  courait  avec  une  avidité  mar- 
quée an-devant  de  tous  les  bruits.  Le  sénat 
assrmbié  ne  savait  que  Taire,  et  trouvait  par- 
tout des  difficultés  ;  se  taùe  était  d'un  rebelle  , 


,96  TRADUCTION 
ne  suspecta  libellas  ;  et  pi'Ivato  Oihoni 
iiiiper,  atque  cadem  dicenti,  uota  adulatio. 
Igitur  vcisare  seiiteutias  ,  et  hue  atque  illuc 
torqucre  ,  hostcm  et  parricidam  VileUinm 
vocautcs  :  providentissimus  quisque  ,  vnlgari- 
bus  conviens,  quidam,  vcra  probra  jaceie  , 
iii  clauioïc  tamcn,  et  ubi  plurima;  voces 
aut  tiuuultu  veiborum  sibi  ipsi  obstre- 
pentes. 


Prodigia  uisupcv  tcvrobant  ,  divcrsis  auc- 
tovibus  vnigata.  In  vestibule  Capitoliioiuissas 
babeuas  bigcT  oui  Victoria  iustiterat,  urupisse 
ccllâ  Junonis  ,  uiajoiem  bumanâ  speciem  ; 
statuain  divi  Jnlii,  iu  iiisulù  Tibcrini  amnis  , 
sercno  et  iuunoto  die  ,  ab  occidetite  iu 
orieutem  conversam  ;  prolocntnui  iu  Etiuiià 
bovcm,  insolito?  auimaliuui  partus:  et  plura 
alia,  vudibus  sîrculis  ,  eliam  iu  pace  obser- 
vàta  ,  quac  nunc  tantùm  in  uictu  audiunUir. 
Sedpva;cipuus,  et  cum  piœscuti  exitio  ,  ctiara 
futur!  paver,    subitù   iuuudatiouc  Tibcris  ; 

parler 


,    DU  LIYREJ.  DE  TACrTF,.     197 

p.Trler  était  d'un  fl-iîtcur  ;  et  le  iiia",c^r  de 
l'aclulaliou  u'élait  pas  ignoré  ù'Othon  ,  qui 
s'en  était  servi  si  long-temps.  Ainsi  fioti.uU 
d'avis  en  avis  ,  sans  s'arrêter  à  aucnn  ,  l'on 
lie  s'accordait  qu'à  traiter  ViteViins  de  par- 
ricide et  d'ennemi  de  l'État.  Los  plus  p:c- 
voyans  se  contentaient  de  l'accabler  d'injures 
sans  con;:éf;ncnce,  tandis  qnc  d'autres  n'épar- 
gnaient pas  ses  vérités  ,  mais  à  grands  tris 
et  dans  une  telle  confusion  de  voix,  que 
chacun  profitait  du  bruit  pour  l'augmenter 
sans  être  entendu. 

Des  prodiges  attestés  par  divers  témoins 
augmentaient  encore  l'épouvante.  Dans  le 
vestibule  du  Capitule  les  rênes  du  cliac  (îc 
la  Victoire  disparurent.  Un  spectre  de  gran- 
deur gigantesque  fut  vu  dans  la  chnpellc  de 
Julien.  La  statue  de  JnJcs-Ccsar  dans  l'île 
du  Tibre  se  tourna  par  un  temps  calme  et 
serein  d'occident  en  orient.  Un  bœuf  parla 
dans  l'Etrurie  ;  plusieurs  bêtes  firent  des 
monstres  :  eulin  l'on  remarqua  nulle  autres 
parcds  pliénomènesqu'orx  observait  en  pleine 
paix  dans  les  siècles  grossiers  ,  et  qu'on  ne 
voit  plus  aujourd'liui  que  quand  on  a  peur. 
Mais    ce  qui  joignit   la  désolation  présente 

Mélanges.  Tome  V.  L 


îçS         TRADUCTION 
qui  immenso  auctu,  prorupto  ponte  sublicid; 
ac  stragc  obstantis  molis  refusus,  uoii  modo 
jaceiitia    et   plana    urbis    Iota  ,    sed    sccura 
liujusmodi  casuum  iraplcvit.  Rapti  è  piiblico 
plerique  ,    plurcs    in    tabernis   et    cubilibus 
iuteicepti.  Famés  in  vulgus ,  iuopiâ  quœstùs  j 
et  pciiurià  alimentorum  ,  corrupta  stagnau* 
tibus   aquis    insularnm    fundamenta  ,    deiii 
lemcante    fluminc    dilapsa.    Utqne   primùm 
Vacuus  à  pciiculo  animas    fuit,  id  ipsum  , 
quodparanti  expeditloncm  OtJiOTii,  campus 
martius  et  via  flaminia  itcr  bcUi  esset  obs- 
tiuctum,  à  fortuitis  vcl  naturalibus   causis  , 
in  prodigium  et  omen  imminentiura  cladium 
yeitebatur* 


OtJiO  ,  lustvatâ  urbe  ,  et  espeusis  bcÏÏI 
consiliis,  quaudo  pcmiina-  cotiaequc  Alpes, 
et  caîteri  Galliarum  aditus  vitellianis  cxcrci- 
tibus  claudebautur ,  uarboucusera  Galliaia 


DU  LIVRE  I.  DE  T7VCITE.     199 

à  l'effroi  pour  l'avenir  ,  fut  une  snbitc  inon» 
jiatioii  du  Tibre,  qui  crut  à  tel  point  qu'ayant 
rompu  le  pont  Sublicius  ,  les  débris  dont 
son  lit  fut  rempli  le  firent  refluer  par  toutt. 
la  ville  ,  mèuie  dans  les  lieux  que  leur  hau- 
teur semblait  garantir  d'un  pareil  danger. 
Plusieurs  furent  surpris  dans  les  rues  ,  d'au- 
tres dans  les  boutiques  et  dans  les  chambres, 
A  ce  désastre  se  joignit  la  famuie  chez  le 
peuple  par  la  disette  des  vivres  et  le  de'faut 
d'argent.  Enfin  le  Tibre  ,  en  reprenant  son 
cours,  emporta  drs  îles  dont  le  séjour  des 
eaux  avait  ruiné  les  fondemens.  Mais  à  peine 
le  péril  passé  laissa-t-il  songer  à  d'autres 
choses  ,  qu'on  remarqua  que  la  voie  flami- 
niennc  et  le  '-hamp  de  Mars  ,  par  où  devait 
passer  Othon  étaient  comblés.  Aussi-tôt  , 
sans  songer  si  la  cause  eu  était  fortuite  ou 
naturelle,  ce  fut  un  nouveau  prodige  qui 
présaj;eait  tous  les  malheurs  dont  ou  était 
menacé. 

Ayant  puriGé  la  ville  ,  Othon  se  livra  aux 
soins  de  la  guerre  ;  et  voyant  que  les  Alpes 
Pcnnines,  les  Cotiennes  ,  et  toutes  les  autres 
avenues  des  Gaules  étaient  bouchées  parles 
groupes  de  Vitellius  ,  il  résolut  d'atlaqucr  la 

L   2 


ioo         TRADUCTION 
ao-o-rcdi   statnit  ,   classe    valida   et    partibiis 
fidà  ;    quod   rcliqnos    cEesorum    ad   poutem 
Milviimi  ,   et   sacvitiâ   Galbœ    in    custodiam 
babltos,  in  nmucros  legioiiis  coraposuerat  ; 
facta  et  cœtcris  «pcs  hoiioratioris  in  postcrum 
militiir.  Addidit  classl  urbanas  cobortcs  ,  et 
pleiosque  è  pvEetoiiauis  ,  vires  et  robnr  cxcr- 
citûs,  atqiie  ipsis  ducibus  coiisilium  et  cus- 
todes. Snmma  expcditionis  Antonio  Novello , 
Siicdio   Clementi  primipilaribus  ,    ^HviUio 
Pacensi ,  cui  adcniptum  à  Galba  tribuua- 
tum  leddidciat  ,    penuissa.    Curaiu  navium 
Oscns   libcrtus  rtf.nebat,   ad    observandam 
boncstioniui  lidem  invitatus.  Pcditum  equi- 
tuuiquecopiis^'7/t'/ow///.f  Fanlimis,  Marins 
Ceisus,  AnninsGallus  ,  rt-ctoies  destinai!. 
Sed  plnrima  Gdes  Licinio  procnlo  piœtoiii 
pv.Tftcto.  Is  urbana:  niilitiœ  impigcr  ,   liello- 
runi   insoicns,   anctoritatem  P<77////./ ,  vlgo- 
reni  CV/.vz  ,   nialuiitatem   Galli  ,  ut   cuiqno 
erat  ,   crlminando  ,    qnod    fa;;illimnm  factii 
est  ,  pravus  et  callidus  l)ouos   et  laodcstos 
auteibat. 


DU  LIVRE  T.  DE  TACT  TE.       2ci 

Gaule  naibouaise  avec  une  !>oniic  flotte  dont 
il  était  sur  ;  car  il  avait  rétabli  en  lëgioa 
ceux  qui  avaient  échappé  au  massacre  du  pont 
Milvius  et  que  Galba  avait  fait  cuiprisonucr  , 
et  il  i)rouiit  aux  autres  légionnaires  de  les 
avancer  dans  la  suite.  Il  joignit  à  la  même 
flotte  avec  les  cohortes  urbaines  ,  plusieurs 
prétoriens  ,  l'élite  des  troupes  ,  lesquels  ser- 
vaient en  même- temps  de  conseil  et  de  garde 
aux  chefs.  Il  donna  le  commandement  de 
cette  expédition  aux  primipiiaires  ^/z^<?«/«j 
Novellns  et  Snedius  Cleinens  ,  auxquels  i 
joignit  Eiuilliis  Pacensis  ^  en  lui  rendant 
le  tribunat  que  Galba  lui  avait  ôté.  La  flotte 
fut  laissée  aux  soins  i\.^Osciis  affranchi  , 
f\}.y  Othoii  charpu'a  d  avoir  l'œil  sur  la  6dé!ité 
des  généraux.  A  l'éïrard  des  troupes  de  terre, 
il  mita  leur  tctc  Suctonijis Faulintis ^Idarius 
Cclsns  f  et  y^nnius  Gallui.  Mais  il  donu;i 
sa  plusgrandeconlianceà  Llciniiîs  Procitlus 
préfet  du  prétoire.  Cet  liommc  ,  officier  vi- 
gilant dans  Rome  ,  mais  sans  expérience  à  la 
guerre  ^  blâmant  l'autorité  de  pait'in  ,  la 
vigueur  de  Celsius  ,  la  maturité'  de  Câlins  , 
tournait  en  mal  tous  les  caractères,  et,  ce  qui 
n'est  pas  fort  surprenant,  l'emportait  ainsi 

L  3 


£02         T  K  A  D  U  C  T  I  O  Tî 


Sepositus  per  eos  dies    Coriielius   Data" 
'jf),ella  in  colouiaui  Aquinatem  ,  iiequc  arctâ 
pustodiâ ,  noque  obscinâ  ;  nullum  ob  crimcn  , 
çed  vetnsto  uomine  ,  et  propinqnitate  Galbai 
monstiatus.  Multos  èmagistiatibiiS;,niagnain 
ponsularium  partcm  ,  OZ-^l'O  ,  non  participes 
put   miiiistros    bello    scd    comitum    spccie  , 
secum  expcdiri  jubct.   In  qucis  et  L.  T'iLel- 
îium  ,    eodcm    que    çœteros    cultu  ,    ncc    ut 
imperatoris  fratiem  ,    nec  ut    liostis.    Igilur 
:^^notœ  urbis   curae  ,   nullus   oido    metu  aut 
pciiculo  vacuus,  Primores  senatùs  aetate  inva- 
lidi  ,  et  longâ  pace  desidcs  ,  sci;nis  et  oblita 
]t)cllorum  nobilitas,  ignarus  îuililia;   eques  , 
quauto  niiigis  occnltarc  ac  abdcre  pavorem 
^itebaiitur  ,  Uianiltstiùs  pavidi.  Ncc  deciaut 
ç  contrario  qui  ambitiouc  stolidâ  ,  conspicua 
flrma ,  insignes   equos ,    quidam    luxiniosos 
{loparatus  convlvioruui  et  irritamenta  libi-» 
fVnHim ,  nt    instrumenta   belli   mcrcarentur. 
gppiçflÙbV'S  (juicùs  et  leipublicsc  cura  5  îcYJs-» 


DU  LIVRE  I.  DE  TACITE     no3 

par   sou    adroite  méchanceté    sur    des  cens 
xueilleurs  et  plus  modestes  que  lui. 

Environ  ce  temps-là ,  CorneUiis Dolahclla. 
fut  relégué  dans  la  ville  d'Aquin  ,  et  gardé 
moins  rigoureusement  que  sûrement  ,  sans 
qu'on  eût  autre  chose  h  lui  reprocher  qu'une 
illustre  naissance  ,  et  l'amitié  de  Galba.  Plu- 
sieurs magistrats  et  la  plupart  des  consulaires 
suivirent  Cthon  par  son  ordre  ,  plutôt  sous 
le  prétexte  de  l'accompagner  que  pour  par- 
tager les  soins  de  la  guerre.  De  ce  nombre 
était  Lucius  p'itelUus  qui  ne  fut  distingué 
ni  comme  ennemi  ,  ni  comme  frère  d'un  em- 
pereur. C'est  alors  que  les  soucis  changeant 
d'objet  ,  nul  ordre  ne  fut  exempt  de  péril 
ou  de  crainte.  Les  premiers  du  sénat  , 
chargés  d'années  et  amollis  par  une  longue 
paix  ,  une  noblesse  énervée  et  qui  avait  ou- 
blié l'usage  des  armes  ,  des  chevaliers  mal 
exercés  ,  ne  fesaient  tous  que  mieux  déceler 
leur  frayeur  par  leurs  efforts  pour  la  caclîer. 
Plusieurs  cependant  ,  guerriers  à  prix  d'ar- 
gent,  et  braves  de  leurs  richesses ,  étalaient, 
paruneimbéciile  vanité,  des  armes  brillantes, 
de  superbes  chevaux,  de  pompeux  équipages  , 
çt  tous  les  apprêts  du  Iwxe  et  de  la  volupté, 


204         TRADUCTION 
siiuus  quisqiic,  et   futuri   improvidus ,    spe 
vanâ    tuniciis.  Multi    amictâ   fidc  in   pacc  , 
ac   turbatis   rébus   alacrcs  ,   et    per  iucerta 
tutlssiuii. 


Scd    vulgiis  et   magnitiidine    tiînaiâ    com- 
mun ium  curarum  expeis    populus  ,    scntive 
paulatiin    hclli  inala ,    conversa  in    uiilitum 
usuui  omni  pccunià  ,  intentis    alimentorinu 
prctiis:  quœ  motu   fiiidicis  haud   perindè 
plebcm    attriverant  ,    securà    tuiu    urbc,    et 
provinciali  belle  ,  quod   intcr  Icgiones  Gal- 
liasque  velut  extcrnum   fuit.  Nam  ,   ex  quo 
divus    y^itgiistns   rcs   Cacsarum    composnit  ; 
procul  et  in  unins  sollicitudinem  autdccus 
populus  romatius  bellaverat.  Snb  Tiherio  et 
Caio  ,    tantîim    pacis    advcrsa    pcrtlmuerc. 
Scriîjon/afii  conli-d  ClanJiinn  incepta  simul 
audita  et    coercila.    Xcro    nnnciis  mngis  et 
rumoribus  quàm  arniis    depulsus.    Tnin  le- 
gioncs    classesquc  ,   et  ,    quod    raro    alias  , 
piuctoriauus   urbanusquc    miles  ,   iu    acicm 


DU  LIVRE  I.  DE  TACITE.     2o5 

pour  ceux  de  la  guerre.  Taii'iis  que  les  sn^çs 
veillaient  au  repos  cle  la  republique  ,  mille 
ctourdis  sans  prévoyance  s'cnor^uei'iiissaitnt 
d'un  vain  espoir.  Plusieurs  qui  s'étaient  mal 
con.luits  durant  la  paix,  se  réjouissaient  de 
tout  ce  désordre,  et  tiraient  du  danger  présent 
leur  suictc  pL'rsonnclle. 

Cependant  le  peuple  dont  tant  de  soins 
passaient  la  portée,  vojant  aujj,iiienter  le 
prix  dos  denrées  ,  et  tout  l'argent  servir  à 
l'entretien  des  troupes,  connnenca  de  sentir 
les  maux  qu'il  n'avait  fait  que  craindre  après 
la  rc voile  de  T'index  ,  temps  où  la  i^ucrre 
ailiiiue'e  entre  les  Gaules  et  les  lésions,  lais- 
sant Rotne  et  l'Italie  en  paix  ,  pouvait  passer 
pour  externe.  C;ir  depuis  c^vC Auguste  eut 
assuré  l'empire  aux  Césars  ,  le  peuple  romain 
avait  toujours  porté  ses  armes  au  loin,  et 
seulement  pour  la  gloire  et  l'intéict  d'un 
seul.  Les  rè.i^nes  de  Tihcre  et  de  Colignla 
n'avaient  été  que  menacés  de  guerres  ci- 
viles. Sous  Claude  ,  les  premiers  monve- 
inens  de  Scril>oniauus  lurent  aussi-tôi  répri- 
més que  connus  ;  et  Néron  même  tut  expulse 
])ar  des  rumeurs  et  dis  bruits  ,  |)h!lùt  quo 
par   la  force   des  armes.  r»lais  ici  l'on  avait 


2o6  T  R  .\  D  U  C  T  I  O  ?C 
deducti  ,  Oiicus  Occidensque  ,  et  quidqnit] 
iitrimque  virium  est  à  tergo  :  si  ducibus  alil* 
beliatuni  foret  ,  longo  bello  materia.  Fuerc 
qui  proficisccnti  Othoni  iiioias  leligionem- 
que  uondum  conditorum  ancilium  aBcrrcnt  : 
asperiiatus  est  omneni  cunctatipneta  ,  ut 
Xveroni  quoque  exitiosam  ;  et  Ccecina.^  jSiUî 
Alpes  trausgiessus ,  extituulabat. 


Piidic  idus  martii  comnicndatâ  patribui 
ïcpublicà,  rcliquias  nevouranaium  scctionuvu 
ïiondutu  iii  liLiciiiu  conversas  rcvocalis  ah 
cxsilio  coucessit  :  justissimiiui  doiuuu  et  ia 
specicin  maguificuui ,  sed  fcstinatâ  exactionc, 
usu  stérile.  Mox  Tocalà  concione  ,  luajcsta- 
tem  urbis  ,  et  conscusum  populi  aç  seuatùs 
pro  se  attollcns  ,  adversum  viteUiauas  partes 
modeste  disseruit;  iuscitiam  potiùs  legio-. 
îiuin  quàm  audaciam  iiicrcpaiis ,  iiullâ  T  iid-. 
m  incutiouc  ',  siyc  ipsius  ea  moderalio ,  sev\ 


DU  LIVRE  I.  DE  TACITE,  ttoy 
sous  les  yeux  des  légions  ,  des  flottes  ;  et  ce 
qui  était  plus  rare  encore  ,  les  milices  de 
Rome  et  les  prétoriens  en  armes.  L'Orient  et 
roccident  ,  avec  toutes  les  forces  qu'on 
laissait  derrière  soi,  eussent  fourni  l'aliment 
d'une  longue  guerre  à  de  meilleurs  géné- 
raux. Plusieurs  s'amusaut  aux  présat^ès 
voulaient  qvCOthon  différât  son  départ  jus- 
qu'à ce  que  les  boucliers  sacrés  fussent 
prêts:  mais  excité  par  la  diligence  de  Cecina 
qui  avait  déjà  passé  les  Alpes,  il  méprisa 
de  vains  délais  dont  Néron  s'était  mal 
trouvé. 

Le  quatorze  de  Mars,  il  chargea  le  sénat 
du  soin  de  la  république  ,  et  rendit  aux 
proscrits  rappelés  tout  ce  qui  n'avait  point 
encore  été  dénaturé  de  leurs  biens  confisqués 
par  Néron  :  don  très-juste  et  très-magnifi- 
que en  apparence,  mais  qui  se  réduisait 
presque  ti  rien  par  la  promptitude  qu'on 
avait  mise  à  tout  vendre.  Ensuite  ,  dans  une 
harangue  publique  ,  il  fit  valoir  en  sa  faveur 
la  majesté  de  Rome,  le  consentement  du 
peuple  et  du  sonat ,  et  parla  modestement 
du  parti  contraire  ,  accusant  plutôt  les 
légions  d'erreur   que    d'audace  ,   sans    faire 


2o8         TRADUCTION 
sci-iptor  oratlonis  sibi  uietuens  ,  coiUnmcllis 
in  yitcUiniii  al)stiuuit  ;  quaudo  ,  ut  iu  con- 
siliis  milltiœ   Snetonio   PauHno  et   3Jario 
CeJso  ,  ita  inrcbus  urhauis  Galcrii  Trachaii 
ingenio  OtJionem  uti    credcbalur  ;    et  crant 
qui   getius  ipsum  orandi  uoscercat,   crcbvo 
foil  usu  cclchrc  ,  et  ad  impicndas  popuU  auios 
latuui  et  sona.i?.    Clamor   voccsque    vulgi  , 
ex  nioic   adîilaudi,   nluiiae  et  falsœ  ;   quasi 
dictatorcm    C^sarcm  aut  iuiperatorcm  ^ii- 
gustnm  pioscqucrcnlur,  ita  Mi.diis  votisque 
certabant  ;   nec   uiclii    aut   atuore  ,    sed   es 
libidiuc   servitii  ,    ut   iu    familiis  ,    privaia 
cuique  stimulatio  ,  et  vile  )am  dccus  publl- 
cuin.  Pioltctus  Otho  quictcui  urbis   curas- 
que  impeiii  iîahio  Titiaiio  fratri  pcrmisit. 


DU  LIVRE  r.  DE  TACITE.     209 

aucune  mention  de  P^iteîlus  ,  soit  me'iinçre- 
ment  de  sa  part,  soit  précaution  de  la  part 
de  l'untcur  du  discours  :  car  co/nmc  6*^/7075 
consultait  Siiét07ie ,  Paulin  ,  et  Marias 
Ceisussuv  la  guerre,  on  crut  qu'il  se  servait 
de  Galerius  Trachalus  dans  les  afiaires 
civiles.  (Quelques-uns  démélcTent  n.émc  le 
genre  de  cet  orateur,  connu  par  ses  f.équens 
plaidoyers,  et  par  son  style  ampoulé  pro- 
pre à  remplir  les  oreilles  du  peuple.  La 
liaraiigue  fut  reçue  avec  ces  cris,  ces  applau- 
disscmens  faux  et  outrés  qui  sont  l'adulatioa 
de  la  multitude.  Tous  s'efforçaient  à  l'envi 
d'étaler  un  zèle  et  des  vœux  dignes  de  la 
dictature  de  César,  ou  de  l'empire  d'^«- 
guste  ;  ils  ne  suivaient  même  en  cela  ni 
l'amour,  ni  la  crainte,  mais  un  pencl.anC 
i^as  et  servile  ;  et  comme  il  n'était  plus  ques- 
tion d'honnêteté  publique  ,  les  citoyens 
n'étaient  que  de  vils  esclaves  flattant  leur 
maître  par  intérêt.  Otlwn  en  partant  rc.nit 
à  Sahius  Titianus  son  frère  le  gouvcrae- 
mcut  de  Rome,  et  lo  soin  de  l'empire. 


Mélanges.  Tome  V.  ]y; 


TRADUCTION 

D  E 

SL'APOCOLOKINTOSIS 

DE  SENEQUE. 

Sur  la  mort  de  t empereur  Claude. 


U  i 


L.  A.  s  E  N  E  C  ^E, 
CLAUDII  CiESARIS. 

APOKOLOKINTOSIS. 


f/uin  actum  sit  in  cœlo  antc  dicm  tcr- 
tiiim  eidus  octobiis  ,  As'niio  Marcello  , 
Acilîo  Ai'iola  Coss.  auno  uovo  ,  initio  socculi 
felicÎKsiuii  ,  volo  iii(inoii;r  tiadcrc.  Nihil 
oîfcnsœ  vcl  gratiit  dabitur.  Ha?c  ita  vcia  si 
quis  quicsierit  uudè  sciaiu  :  priuuuii  ,  si  uo- 
luero ,  non  rcspondebo.  Quis  cnaeturus  est? 
Ego  scio  me  libeium  faclum,  ex  quo  sumn 
diem  obiit  ille  qui  veruni  jirovtibimii  i'ccc- 
rat,  aut  regciu  aut  fatuuui  luisçi  opoilcre. 


TRADUCTION 

DE    L'APOCOLOKINTOSIS 
DE    SENEQUE, 

Sur  la  mort  de.  V empereur  Claude, 


J  K  veux  raconter  aux  hommes  ce  qui  s'est 
passé  dans  les  cicux  le  treize  octobre  ,  sous 
le  consulat  à'Asinius  Marcellus  et  d'^c/- 
husAriola.àan'i  la  nouvelle  année  qui  com- 
mence cet  heureux  siècle  (  i  ).  Je  ne  tcrai  m 
tort,  ni  j^vàcc.  Mais  si  Ton  demande  com- 

(i)Qiioiqi'e  les  jeux  séculaires  cus,«eat  éxé 
célclu  es  par  Arbuste ,  Claude  prétendant  qu'il 
avait  mal  calculé,  les  Ht  célébrer  aussi  :  ce  qui 
donnait  à  rire  au  peuple  quand  le  crieur  public 
annonça  dans  la  forme  ordinaire,  des  jeux  qua 
nul  homme  vivant  n'avait  vus  ni  ne  reverrait  ;  car 
iion-sculcrnent  plusieurs  personnes  encore  \iv  unies 
avairiu  vu  ceux  iV Auguste  ,  mais  même  il  y  eut  des 
liistrions  qui  jouèrent  aux  uns  et  aux  autres  ,  et 
V'uelllus  n'avait  pas  honte  de  dire  à  Claude  malj^r» 
}a  proclamation  ;  stxpe  fucias. 


»i4        TRADUCTION 


Si  lilnierlt  respondere  ,  dicam  quod  mihï 
in  biicaiu  venerit.  (^iiis  uiiqnam  ab  historico 
jurato  res  exegit  ?  Taineii  si  nccessc  fucrit 
auctorem  proclucere  ,  quacrite  ab  eo  qui 
Drusillam  euntem  in  caelutn  vidit.  Iden» 
Claudium  vidisse  se  dicet  iter  facicntem , 
non  passibus  aequis.  Vellt,  iiolit  ,  ncccsse 
est  illi  omuia  vidcie  quae  in  cœlo  agantur- 
lAppiae  viai  ciirator  est  ,  quà  scis  et  divum 
^^ugustum  f  et  Tiberhmi  Cxsareni  ^^AAçof 
isse.  Hune  si  iiitcriogaveris  ,  soli  narrabit  ; 
corani  pluribus  umiquam  vcrbuui  facict  : 
Jiam  ex  quo  in  seuatu  juravit  se  Drusillam 
vidisse  cœluni  asceudeutcm ,  et  illi  pro  tam 
bouo  nuncio  ncmo  cicdidit  quid  viderit , 
^01  bis  couceptis  affirmavit  se  non  indicatu-; 


DE  L'APOCOLOKINTOSIS.     2i5 

Tnent  je  suis  si  bien  instruit  ?  prcmièvement 
je  ne  répoudrai  rien,  s'il  me  plait  ;  car  qui 
m'y  pourra  coutraindre  ?  Ne  sais-je  pas  que 
trie  voilà  devenu  libre  par  la  mort  de  ce 
galant-homme  qui  avait  très-bien  vérifié  le 
proverbe  ,  qu'il  faut  naître  ou  monarque  ou 
sot  ? 

Que  si  je  veux  répondre ,  je  dirai  comme 
«n  autre  tout  ce  qui  me  viendra  dans  la  tète. 
Demanda-t-on  jamais  caution  à  un  bistoncu 
juré  ?  Cependant,  si  j'en  voulais  une  ,  je  n'ai 
qu'à  citer  celui  qui  a  vu  Drusille  monter  au 
ciel  ;  il  vous  dira  qu'il  a  vu  Claude  y  monter 
aussi  tout  clochant.  Ne  faut-il  pas  qne  cet 
homme  voie  ,  bon  gré  malgré  ,  tout  ce  qui  se 
fait  là-haut  ?  N'est-il  pas  inspecteur  de  la  voie 
appienne  par  laquelle  on  sait  qu' y^u^uste  et 
Tibère  sont  allés  se  faire  dieux?  Mais  ne  l'in- 
*cnogez  que  téte-à-tcte  ,  il  ne  dira  rien  en 
public  ;  car  après  avoir  juré  dans  le  sénat  qu'il 
avai  t  vu  l'ascension  de  Z?/7/5'/7/<',  indigne  qu'au 
mépris  d'une  si  bonne  nouvelle  personne  no 
voulût  croire  à  ce  qu'il  avait  vu  ,  il  protesta 
en  bonne  forme  qu'il  verrait  tuer  un  liomm» 
eu  pleine  rue  qu'il  n'en  dirait  lii'u.  Pour  moi 


2i6         TRADUCTION 

ruiii  etiainsi  in  inedio  foro  lioniinçm  yidisset 
occisiun.  Ah  lioc  ego  qua-ciimquc  audivi  , 
oeitc  Clara  affero  ,  ita  iHum  salvum  et  felicem 
habeam. 

Jam  Piiœbus  breviore  via  contraxerat  ortum 
Lucis  ,  et  obscuri  crescebant  tempora  somni. 
Jamque  suum  victrix  augebat  Cynthia  rognum; 
Et  deforrais  hiems  giatos   carpebat  bojiores 
Divitis  autumui,  visoque  scnesrere  Baccbo. 
Carpebat  raras  sprus  viudemitor   uvas. 


Puto  magis  intelligi  si  dixero  ,  raensis  crat 
octobtr,  dies  tertius  eidus  octobiis.  Horam 
non  possum  tibi  certain  dicere;  faciliùs  iiiter 
pliilosophos  qnàm  iatcr  horologia  convcnict. 
Tauieii  inter  sestam  et  scptimam  erat.  Nimiùs 
lusticc  acqiiicsciuit  oneri  poetœ,  non  cou- 
tenti  ortus  et  occasiis  describcrc  ,  ut  eliam 
médium  dtem  inquieteut.  Tu  sic  tiausibis 
lioram  tam  bonam  ? 


DE    L'APOCOLOKINTOSIS.     217 

je  peux  jurer  par  le  bien  que  je  lui  souhaite, 
qu'il  m'a  dit  ce  que  je  vais  publier.  Déjà  , 


Par  un  plus  court  chemin  l'astre  qui  nous  éclaire 
JJiiigeait  à  nos  yeux  sa  course  ioumalière  ; 
Le  Dieu  fantasque  et  brun  qui  préside  au  repos , 
A    de  plus  longues  nuits  prodiguait  ses  jiavots. 
La  blafarde  Cyuthie   aux  dépens  de  son  frère. 
De  sa  triste  lueur  éclairait  rbémispbèic  ; 
l'A  le   diforme  hiver  obtenait  les  honneurs, 
De  la  saison  des  fruits  ,  et  du  Dieu  des  buveurs. 
Le  vendangeur  tardif,  d'une   main    engourdie, 
Oioit  encor  du   cep  quelque  grappe   flétrie. 

Mais  peut-être  parlerai-je  aussi  clairement 
en  disant  que  c'était  le  treizième  d'octobre. 
X  l'égard  de  l'heure  ,  je  ne  puis  vous  la  dire 
exactement ,  mais  il  est  a  croire  que  là-dessus 
les  philosophes  s'accorderont  mieux  que  les 
horloges  (2).  Quoi  qu'il  ta  soit,  suppo- 
sons qu'il  était  entre  six:  et  sept  ;  et  puisque 

(2)  La  mort  de  C/aurfe  fut  long-temps  cachée  au 
peuple ,  jusqu'à  ce  (\uAgrippine  eût  pris  ses  mesures 
pour  ôter  l'empire  àBritaniiicus  et  l'assurer  à  Néron. 
Ce  qui  fil  que  le  public  n'eu  savait  exuctemcnt  ni 


Ei8         TRADUCTION 


Jam  médium  eursu  Phœtus  divîserat  orbem; . 
Et  propior  nocti  fessas  quatiebat  habenas, 
Obliquo  flexam  deducens  tramite    lucem. 

Claudius  auimam  agere  cœpit,  nec  inve- 
nire  exltum  poterat.  Tum  Mercurius ,  qui 
scmper  ingenio  ejus  delcctatus  esset ,  unaiu 
de  tribus  Farcis  cducit ,  et  ait  :  Quid  fociuina 
crudelissima  hotniuem  iniserum.  torqueri 
pateris  ,  ncc  unquam  meritum  ,  ut  tamdiijp 
cruciaretur  ?  Annus  sexagesimus  et  quartus 
est  ,  ex  quo  cum  anima  luctatur.  Quid  huis 
invides  ?  Patere  uiathcmaticos  aliquaudo 
verum  diccre ,  qui  illum ,  ex  quo  princcp* 
laetus  est ,  omuibus  mcusibus  efferunt.  Et 
tamen  non  est  mirum  si  errant  :  horam  ejus 
nemo  uovit.  Nemo  eniiu  illuui  unquam 
natum  putarit.  Fac  quod  facieudum  est. 

Dede  Tioci;^  mel^or  vacuâ  sine  reguet  in  aulâ.    ' 


"DE   L'APOCOLOKINTOSIS.     sr^ 

iîoii  contens  d'écrire  le  commencement  et  Ict 
fia  du  jour,  les  poètes,  plus  actifs  que  des 
ïnanœuvrcs  ,  n'en  peuvent  laisser  en  paix  le 
milieu  ;  voici  comment  dans  leur  langue 
j'exprimerais  cette  heure  fortunée  : 

T)c\i\  du  haut  des  cieux  le  Dieu  de  la  lumière , 
Avait  en  deux  moitiés  partagé  l'hémisphère; 
Et  pressant  de  la  main   ses   coursiers  déjà  las  , 
Vers  rhespériijue  bord  accéléraij:  leurs  pas. 

Quand  Mercure  que  la  folie  de  Claude 
avait  touj  ours  amuséjV^oyant  sou  ame  obstruée 
de  toutes  parts  chercher  vainement  une  issue  » 
prit  à  part  uiio  des  trois  Parques  ,  et  ini  dit: 
Comment  une  femme  a-t-elle  assez  de  cruauté 
pour  voir  un  misérable  dans  des  tourmens 
si  longs  et  si  peu  mérités  ?  Voilà  bientôt 
«oixante-quatre  ans  qu'il  est  en  querelle  avec 
son  ame.  Qu'atteuds-tu  donc  encore  ?  souffre 
que  les  astrolo;.;ues ,  qui  depuis  sou  avènement 
annoncent  tous  les  ans  et  tous  les  mois  sou 
trépas,  disent  vrai  du- moins  une  fois.  Ce 
n'est  pas  merveille,  j'en  cou  viens,  s'ils  se  trom^ 
pent  en  cette  occasion  :  car  qui  trouva  jamais 
son  heure  ,  et  qui  sait  comment  il  peut  rendra 
l'esprit  ?  Mais   u'importe  ;  fais  toujours  ta 

M  6 


a»o        TRADUCTIO??f 


Sed  ClotJio  :  Ego  meliercule  ,  inquît  ; 
pusiiiùni  tcmporis  adjicere  illi  volebam ,  dum 
lios  pauculos  qui  supcrsunt ,  civitate  donare*. 
Constitucrat  cniru  omncs  Gi£ecos  ,  GalLos  , 
Hispaiios  ,  Britannos  ,  togatos  videie.  Scd 
quoniaiu  plàct't  allquos  pcrcgrinos  iu  semea 
iclinqui  ,  et  tu  ita  Jubc3  ficii  ,  fiât.  Aperit 
tum  t;;ipsulam  ,  et  très  fusos  proFert  :  unus 
crat  ^-///^v/;//?/,  al  ter  ^^i^o?^  tertius  ClandiL 
ïlos,  iiiquit,  très  uno  anuo,  cxiguis  tempo- 
ïum  inlcrvallis  divises  ,  luori  juliebo  :  iicc 
illura  incomitatutn  diiiiittam.  Non  oportet 
«nim  cum  qui  modo  se  tôt  millia  bominura 
sequentia  vidcbat ,  tôt  prc-ecedcntia  ,  tôt  tir- 
cuiuFusa  ,  subito  solum  destitui.  Couteutus 
erit  bis  intérim   convictoribus. 

Hœc  ait ,  et  turpi   coiivolvens   stainina  fuso 
Abrnpit  flohilne    legaba  tempora  vit.-* 
At  Lachesis  rethmita  comas,    ornara  capillo», 
Pierià  crinem  ]aiuo  fioiuomrfue  roronans  , 
C«ndidft  de  niveo  subtemina  vcllere  »umit, 


DE    L'APOCOLOKINTOSIS.     as» 

charge  ,  qu'il  meure  ,   et   cède  remplie   au 
plus  dijjiic. 

Tiaiment ,  re'poildit  Clotho  ,  je  voulais  lui 
laisser  quelques  jours  pour  l'aire  citoyens  ro- 
maius  ce  peu  de  geus  qui  sont  encore  à  l'être, 
puisque  c'était  90u  plaisir  de  voir  Grecs  , 
Gaulois  ,  Espaj;nols  ,  Hretons  ,  et  tout  le 
inonde  eu  toge.  Cependant ,  comme  il  est  bou 
de  laisser  quelques  étrangers  pour  graine  , 
soit  fait  selon  votre  volonté'.  Alors  elle  ouvre 
une  boîte  et  en  tire  trois  fuseaux  :  l'un  pour 
Augnrïniis  ^  l'autre  pour  7> «7 Z-e,  etle  troisième 
pour  Claude.  Ce  sont ,  dit-elle  ,  trois  per- 
sonnages que  j'expe'dierai  dans  l'espace  d'un 
an  ,  à  peu  d'intervalle  entr'eux  ,  afin  que 
celui-ci  n'aille  pas  tout  seul.  Sortant  de  sa 
voir  environnède  tant  de  milliers  d'iiommes, 
que  deviendrait-il  abandonne  tout  d'un  coup 
à  lui-même  ?  mais  ces  deux  camarades  lui 
suffiront. 

Elle  dit,  et  d'un  tour  fait  sur  un  vil  fuseau. 

Du   stui>i(.le  mortel  abrégeant  l'agcnie  , 

Elle  tranche  le  cours  de  sa  royale  vie. 

A  l'instant  Lachesis  ,  une    de  ses  deux   sœurs  , 

iJaus  un  habit  par«  de  fcstoas  dC  de  ileurs  , 


322         TRADUCTION 

Felici   moderanda    manu  ;    quse  ducta  colorera  j 
Assumpsere  novum  :  mirantur  pensa  soror&s. 
Mutatur  vilis  pretioso  lana  métallo  : 
Aurea   formoso    descendunt  saecula  fllo. 
Wec  niodus  est  illis ,  felicia  vellei-a  ducunt , 
Et  gaudent  implere  manus  ,  sunt   dulcia  pensa. 
Sponte   suâ    festiiiat  opus,  nulloque    labore 
Mollia  contorto    descendunt  staraina  fuso. 
Vincunt  Titlioni  ,  vincunt  et  Nestoris  annos. 
Phœbus  adcst   caniuque  juvat ,  gaudefqueFuturis 
Etlaetusnunc  plectramovet,'nuncpensamioistrat  : 
Detinet  intentas  cantu  ,  fallitque  laboceni. 
Dumque  iiimis  citliaraiu  ,   IVatcrnaquc   carmin! 

laudant , 
Plus    solito    nevere    manus  ;    humanaque     f'ata 
SLaudatuni  transcendit  opus,  Ne  demite  ,  Parère, 
Phœbus  ait:  vincat  niortalis   tempora  vitos 
Ille  mihi  similis  vultu  ,  similisque  décore  , 
Nec  cantu  ,  nec  yoce   minor  :  felicia  lassis 
Sœcula  prœstabit  ,  legumque  silentia  rumpct» 
Qualis  discutiens   fiigionria  lucifer  astra  ; 
Aut  qualis  surgit  redcuntibus  besperus  astris  ; 
Qualis  cùm  primùm   teuvbris  aurona  solulis 
Induxit  rubicunda  diem  ,  sol  aspicit  orbem 
Lucidus  ,  et  primos  è  carcere  concitat  axes  : 
Talis  Caesar  adest  ,   talcm  jani  Roma  Neronenx 
Aspicit  ,  et  flagrat  nitidus  fulgore  remiseo 
Quitus,  et  ailuio  çcrvix  l'ormoM  capilla. 


DE    L'APOCOLOKINTOSI^.     22^ 

Et  le  front  couronné  des  lauriers  duPermesse, 
D'une  toison  d'argent  prend  une  b-lanche  tresse. 
Dont  son  adroite  main  forme  un  fil    délicat. 
Le  fil  sur  le  fuseau  pread  un  nouvel  éclat  ; 
De  sa  rare  beauté  les  sœurs  sont  étonnées  ; 
Et  toutes  à  l'envi  de  guirlandes  ornées, 
Voyant  briller  leur  laine  ,  et  s'enrichir  encor  , 
Avec  un  fil   doré  filent  le  siècle  d'or  : 
De  la  blanche  toison  la  laine  détachée, 
Et  de  leurs  doigts  légers  rapidement  touchée  , 
Coule  à  l'instant  sans  peine  ,  et  file  et  s'embellit  5 
De  mille  et  mille  tours  le  fuseau  se  remplit. 
Qu'il  passe  les  longs  jours  et  la  trame  fertile 
Du  rival  de  Céphale  et  du  vieux  roi  de  Pyle. 
Phœbus ,  d'un  chant  de  joie  annonçant  l'avenir. 
De  fuseaux  toujours  neuf  s'empresse  à  les  servir  ; 
Et  cherchant  sur  sa  lyre  un  ton  qui  les  séduise. 
Les  trompe  heureusement  sur  le  temps  qui  s'é- 
puise. 
Puisse   un  si  doux  travail ,  dit-il ,  être  éternel  ! 
Les  jours  que  vous  filez  ne  sont  pas  d'un  mortel  : 
Il  me  sera  semblable  et  d'air  et  de   visage  , 
De  la  voix  et  du  chant  il  aura  l'avantage. 
Des  siècles  plus  heureux  renaîtront  à  sa  voix  j 
'Sa  loi  fera  cesser  le  silence  des  lois. 
Comme  on  voit  du  matin  l'étoile  radieuse 
Annoncer  le  départ  de  la  nuit   ténébreuse  ; 
Ou   tel  que  le  soleil  ,  dissipant  les  vapeurs  , 
Ivend  la  lumière   au  monde,  et  rallégiesse  au? 

cœurs  : 
M'el  Ct'sar  va  paraître,  et  la  tpric  cblouio 
A  ses  premiers  rayons  est  déjà  rcijoure. 


^24         T  R  A  D  U  C  T  I  O  îf 

Hacc  JtpoUo  ;  at  Lachesis  ,  qncc  et  ipsa 
liomini  fortissimo  favcrct  ,  fccit  ,  et  pleiiâ 
orditur  mauu  ,  et  Neroni  niultos  annos  de 
suo  donat.  Claudium  autcm  jubcnt  omnes 
XeiipovTuç  ,  êu^>,fi2uvrcc  j  tKTriuvin  è'if^.ai.  Et 
ille  quidem  animam  cbulliit  ,  et  eo  dcsiit 
viveie  videri.  Exspiravit  autem  dum  comœ- 
dos  audit  ,  ut  scias  me  non  sine  causa  illos 
timcrc.  Ultima  vox  ejus  intcr  hoinincs  audila 
est ,  cùmmajorcm  sonitum  emisissct  ilià  parte 
quâ  faciliùs  loquebatur  :  Va»  me  ,  pnto,  cou- 
cacavi  me.  Quid  autem  fc^erit,  «cscio:  omnia 
certè  concacavit. 

Quœ  in  terris  postea  sint  acta  ,  superra- 
cuum  est  rcfcrre.  Scitis  enim  optimè ,  uec 
periculum  est  ne  excidaut  quae  mcmoria- 
publicum  gaudium  impresseruut.  Ncmo  fcli- 
citatis  suac  obliviscitur.  In  cœlo  quec  acta 
sint ,  audite  :  fidcs  pcnes  auctorem  crit.  Nun- 
ciatur  Jovi  veuisse  qucmdam  bonae  statura-, 
iene  canum  ,  nescio  quid  illum  minari  i 
assidue  cnim  capnt  movere,  pedcm  dextruni 
trabfçre.  Qu.tsisse  se,   cuju»  uatiouis  e«set  l 


DE    L'APOCOLOKINTOSIS.     225 

Ainsi  dit  yipollon  ;  et  la  Parque  lionoiant 
]a  sia'ifle  aine  de  Néron  ,  ajoute  encore  de 
son  chef  plusieurs  années  à  celles  qu'elle  lui 
file  à  pleines  mains.  Pour  Claude  ^^ow^  ayant 
opiné  que  sa  trauie  pourrie  fut  coupe'e  ,  aussi- 
tôt il  cracha  son  ame,  et  cessa  de  paraître  en  vie. 
Au  moment  qu'il  expira  il  e'coutait  des  co- 
me'diens;  par  où  l'on  voit  que  si  je  les  crains 
ce  n'est  pas  sans  cause.  Après  un  sou  fort 
bruyant  de  l'organe  dont  il  parlait  le  plus 
aisément ,  son  dernier  mot  fut  :  Foin  !  je  me 
suis  ejnhrené.  Je  ne  sais  au  vrai  ce  qu'il  lit 
de  lui  ,  mais  ainsi  fesait-il  de  toutes  choses. 


Il  serait  superflu  de  dire  ce  qui  s'est  passe 
depuis  sur  la  terre.  Vous  le  savez  tous  ,  et  il 
n'est  pas  à  craindre  que  le  public  eti  perde 
la  mcnioirc.  Oublia-t-on  jamais  son  bonheur? 
(^)uant  à  ce  qui  s'est  passe  au  ciel  ,  je  vais 
vous  le  rapporter  ;  ot  vous  devez  ,  s'il  vous 
plait  m'en  croire.  D'abord  on  annonça  à  Ju- 
piter un  quidam  d'assez  bonne  taille,  blanc 
couune  une  chèvre  ,  branlaiU  la  tête,  et  traî- 
nant le  pied  droit  d'un  air  fort  extravagant. 
lulcriojè   d'où  il  était  ,    il  avait  murmuré 


326         TRADUCTION 

respoudisse  nescio  quid  ,  pcrturbato  sono 
et  voce  confusâ  ,  non  intelligerc  se  linguam 
cjus  :  nec  giacciim  esse,  nec  romaaum  ,  uce 
ullius  geutis  iiotoe. 

Tum  Jupiter  Herculem  ,  quia  totum 
orbem  teirarum  perenaverat ,  et  nossc  vidc- 
hatur  omnes  natioucs  ,  jubet  ire  et  explorais 
quorum  hominiim  esset.  Tum  Hercules  pri- 
mo aspcctu  saaè  perturbatus  est ,  ut  qui  etiam 
iiou  omuia  monstra  timue'rit  :  ut  vidit  novi 
generis  faciem  ,  insolitum  incessuui;  vocem 
iiullius  terrestris  anlmalis,  sed  (  qualis  css© 
marinis  belluis  solet  )  raucaui  et  implicatam 
putavitsibi  tertiumdecimumlaborcmTcuissc. 
Diligentiùs  intueuti,  visus  est  quasi  homo. 
Accessit  itaque ,  et  quod  facillimum  fuit  Grœ- 
culo  ,   ait  ; 

T«î  jro^fy  £.'î  ùii'faii  J  ^3-/  rat  -TrrôXi?, 

Ubi  liaec  Clandiiis  ,  gnudct  esse  illic  phi- 
lologos  liomiiics  ,  sperat  futurum  aliquem 
lustonis  suis  locum.  Itaque  et  ipse  honurico 
ycrsu  céîsarcm  se  esse  significans  ,  ait  ? 


DE  L'APOCOLOKINTOSIS.     227 

entre  ses  dents  je  ne  sais  quoi  ,  qu'on  ne  put 
entendre  ,  et  qui  n'était  ni  grec  ,  ni  latin  , 
ïii  dans  aucune  langue  connue. 


Alors  Jupiter  s'adressant  à  Hercule  ,  qui 
ayant  couru  toute  la  terre  en  devait  con- 
naître tous  les  peuples  ,    le   chargea  d'aller 
examiner  de  quel  pays  e'tait  cet  homme.  Her- 
cule ,  aguerri  contre  tant  de  monstres  ,  ne 
laissa  pas  de  se   troubler  en  abordant  celui- 
ci  :  frappe'  de  cette  étrange  face  ,  de  oe  mar- 
cher inusité  ,   de  ce  beuglement  lauque  et 
sourd  ,  moins  semblable  à  la  voix  d'un  animal 
terrestre  qu'au  uuigissemcnt   d'un    monstre 
marin  :    Ah  !   dit-il  3  voici  mon  treizième 
travail.  Cependant  en  regardant  mieux  il  crut 
démêler    quelques    traits    d'un    homme.    Il 
l'arrête  ,    et  lui  dit  aise'ment   eu    grec   bieu 
tourné  : 

D'où  vions-tu  ,  quel  es-tu  ,  de  quel  p^iys  cs-tu  ? 

A  ce  mot  Claude  ,  voyant  qu'il  y  avait  là 
des  beaux  esprits  ,  espéra  que  l'un  d'eux  écri- 
rait son  histoire  ;  et  s'annonçant  pour  césa» 
par  un  des  vers  à." Homère ,  il  dit  : 


2?8         TRADUCTION 

Erat  autciu  sequeus  versus  verior,  ccquî 
homericus  ; 

<»C«  ^'  iyùv  TirôXi)/  (73-pxSov  ^  aMa-tc  c^'  aùroùt. 

Et  iinposuci-at  IlerniU  honiini  uiiuimS 
vafro  ,  nisi  fuisset  illic  Fcbris  ,  quae  fano  suo 
rehcto  sola  cum  illo  venerat  :  caeteios  oinne» 
deos  Romîe  rcliqucrat.  Iste,  inquit  ,  mcra 
uicndacia  narrât.  Ego  tibi  dico  ,  qiicc  cimi 
ipso  tôt  annos  vixi  ,  Lugduni  natus  est  : 
Marci  municipem  vides:  quod  td)i  narro  , 
ad  scxtum  deciinum  lapidem  à  Vicimà  natus 
wt,  Gallus  Germanus.  Itaque  quod  Gallum 
facere  oportebat,  Romani  cœpit.  Hune  ego 
tibi  recipio  Lugduni  uatum  ,  ubi  Luinius 
inultos  annos  regnavit.  Tu  autcni  qui  j)Iih.i 
loca  calcasti  quàm  ullus  mulio  pcrpotuarius, 
Lugdiineuses  scirc  clcbos  ,  et  mul  ta  millia  iutcr 
Xaatum  et  Rbodanum  iutcrrcssc. 

Excandcssit  hoc  loco  Claudius,  et  qnnnto 
potest  murmure  irascitur.QuiddiocrctjUcuio 


DE  L'APOCOLOKINTOSIS.     229 

Les  vents  m'ont  amené  des  rivages  troyens. 

Mais  le  vers  suivaut  eût  été  plus  vrai  : 


r)ont  j'ai  détruit  les  murs,  tué  les  citoyens. 


'» 


Cependant  il  en  aurait  imposé  à  Herait 
qui  est  un  assez  bon-lionime  de  dieu  ,  sans 
la  Fièvre  qui  ,  laissant  tontes  les  autres  di- 
vinités à  Rome  ,  seule  avait  quitté  son  tem- 
ple pour  le  suivre.  Apprenez  ,  lui  dit-elle, 
qu'il  ne  fait  que  mentir  ;  je  puis  le  savoir, 
moi  qui  ai  demeuré  tant  d'années  avec  lui  : 
c'est  un  bourgeois  de  Lyon  ;  il  est  né  dans 
les  Gaules  à  dix-sept  railles  de  Vienne;  il  n'est 
pas  romain,  vous  dis-je  ,  c'est  un  frane  gau- 
lois ,  et  il  a  traité  Rome  à  la  gauloise.  C'est 
un  l'ait  qu'il  est  de  Lyon  où  Licinius  a 
commande  si  long-temps.  Vous  qui  avez  couru 
plus  de  pays  qu'un  vieux  muletier,  devez 
savoir  ce  que  c'est  que  Lyou  ,  et  qu'il  y  a 
loin  du  Rhône  au  Xante. 


Ici  Claude  enflammé  de  colère ,  se  mit  à 
-gro^ucr  le  plus  haut  qu'il  put.  Voyant  qu  oi> 


a3o         TRADUCTION 

intcUigcbat.  llle  autcm  FeJjrim  duci  jubebat  " 
illo  gestu  soiutas  manûs ,  et  ad  boc  uuum 
satis  firniac,  qno  decollare  bomines  solebat. 
Jusserat  illi  collum  praecidi.  Putarcs  omnes 
illius  esse  llbcrtos ,  adeo  illum  nemo  curabat, 

Tum  Hercules  :  Audi  me,  inquit,  tu,  et 
desinc  fatuaii  ;  venisti  bue  ubi  mures  ferrum 
rodunt  :  citiùs  mibi  verum  ,  ne  tibi  alo'Tias 
e-xcutiam.  Et  quo  tcrribilioresset,  tragicus  fit, 
et  ait  : 

Exprome  properè  ,  sede  quâ  genitiis  cluas , 
Hoc  ne  peremprus   stipite  ,  ad  terrain  acci  Jàs. 
Haec  clava  reges  saepe  mactavit  feros. 
Quid  nunc  profatu  vocis  incerto  sonas  ? 
Quœ   patria ,  q-iae  gens  mobile  eduxft  caput  , 
Edissere  :  equidem  re^na  tergeniini  petens. 
Longinqua  régis  ,  u:if!e  ab  besperio  mari 
Inachiam  aJ  urbein  iiobile  advexi  pecus. 
Vidi  duobus  imminens  fluviis  ju£;um 
Quod    Pbœbus  ortu  semper   obverso  videt  : 
CJbi  Rhodanus  ingens  amne  prœrapido  fiuic , 
Ararque  dubitans  quo   suos  cursus  agat , 
Tacitus  quietis  alluit  ripas  vadis. 
Estne  illa  tellus  spiritûs  altrix  rui  ? 


Î)E  L'APOCOLOKINTOSIS.     2S» 

ire  l'entendait  point ,  il  fit  signe  qu'on  arrêtât 
la  Ficivrc  ;  et  du  geste  dont  il  fesait  décoller 
les  gens  ,  (  seul  mouvement  que  ses  deux 
ïnains  sussent  faire)  ordonna  qu'on  lui  cou- 
pât la  tête.  Mais  il  n'était  non  plus  e'couLé 
Quc  s'il  eût  parlé  encore  à  ses  affranchis  (3). 

Oli ,  oL  !  l'ami ,  lui  à\t  Hercule ,  ne  va  pas 
lairc  ici  le  sot  :  te  voici  dans  un  séjour  où 
les  rats  rongent  le  fer  ;  déclare  promptement 
la  vérité  avant  que  je  te  l'arrache.  Puis  pre- 
aiant  un  ton  tragique  pour  lui  en  mieux 
imposer  ,  il  continua  ainsi  : 

Nomme  à  l'instant  les  lieux  où  tu  reçus  le  jour  ^    \ 
•Ou  ta  race  avec  toi  va  périr  sans  retour. 
De  grands  rois  ont  senti  cette  lourde  massue, 
Et  ma  main  dans  ses  coups  ne  s'est  jamais  déçue  5 
Tremble  de  l'éprouver  encore  à  tes  dépens. 
Quel  murmure  confus  entends-je  entre  tes  dents? 
Parle ,  et  ne  me  tiens  pas  plus  long-temps  en  attente  ; 
Quels  climats  ont  produit  cette  t(5te  branlante  ? 

(  5  )  On  sait  combien  cet  imbécille  avait  peu  de 
considération  dans  sa  maison  :  à  peine  le  maftro 
du  monde  avait-il  un  valet  qui  daignât  lui  obéir. 
Il  est  étonnant  que  Sénèque  ait  osé  dire  tout  cela, 
lui  qui  était  si  courtisan  ;  mais  Agripplne  avair 
besoin  àa  lui  ,  et  ^1  le  «avait  bien. 


a32        TRADUCTION 


Hajc  satis  animosè  et  fortiter.  "Niliiloiiiinui 
mentis  sLiac  non  est  ,  et  tiuiet  ftapod  :rAi?y>j»- 
Clandins  ,  ut  vidit  virum  valenteni,  oblilus 
iiugarum  ,  iatellexit  neminem  parem  sibi 
Romaî  fnisse  ,  illlc  non  liahcrc  se  idem  gialia;; 
Galhim  in  suo  Jteiqniliulo  plurnnùni  possc. 
Itaque  quautùm  iuteliigi  poluit ,  bscc  visus 
est  dicere. 


Ego  ,  te  ,  fortissime  deornm  ,  Hercules  , 
speravi  inilii  affutuium  apud  alios  :  et  si  qiiis 
à  me  notorein  petiisset  ,  le  fni  nominalurus, 
qui  me  optimè  nosti.  Nani  si  mcinoiià  repe- 
tis  ,  ego  eram  qui  tibi  aute  tciupUim  iniun 
ju>  dicebaiu  totis  dicbus  meuse  julio  et  au- 
guste. 


DE  L'APOCOLOKINTOSIS.     233 

Jadis  dans  l'Hespérie  au  triple  Gérion 

J'allai  porter  la  guerre ,  et  par  occasion  , 

De  ses  noble's  troupeaux  ravis  dans  son  otable 

riainenai  dans  Ar^^os  le  trophée  honoraVj'e. 

En  route  ,  aux  pieds  d'un  mont  doré  par  l'orient  ^ 

Je  vis  se  réunir  daus  un  séjour  riant, 

Le  rapide  courant  de  l'impétueux  Rhône  , 

Et  le  cours  incertain  de  la  paisible  Saône. 

Est-ce  là  le  pays  oiî  tu  reçus  le  jour  ? 

Heicnle  en  parlant  de  la  sorte  alTcctait  plus 
fl'intrcpiditc  qu'il  n'en  avait  dans  l'auie  ,  et 
ijc  laissait  pas  de  craindre  la  uiain  d'un  ton. 
Mais  Claude  lui  voyant  l'air  d'un  lioniuie 
résolu  qui  n'entendait  pas  raillerie  ,  jugea 
qu'il  n'était  pas  là  comme  à  Rome  .  ou  nul 
n'osait  s'égaler  à  lui  ,  et  que  par-tout  le  coq 
est  maître  sur  son  fumier.  Il  se  remit  donc 
à  grogner  ,  et  autant  qu'on  put  rentcudrc 
il  sembla  parler  ainsi   : 

J'cs|)crais  ,  6  le  plus  fort  de  tous  les  dieux  ! 
que  vous  me  protégeriez  auprès  des  autres  ,  et 
que  si  j'avaiscu  à  me  renouimcr  dequclqu'im, 
c'eut  été  de  vous  qui  nie  connaissez  si  bien. 
Car  souvencz-vous-cn  ,  s'il  vous  plaît  ,  quel 
autre  que  moi  tenait  audience  devant  votre 
temple  durant  les  mois  de  juillet  et  d'août  ? 

Mélanges,  l'omc  V";  H 


û3^         TRADUCTION 

-usto.  Ta  sels  quautùm  illic  iniserîarurfi 
pertulerim,cùmcausidicos  audirem  ,  et  dlem 
et  nocteiu:  iu  quos  si  iucidisses  ,  valdè  fortis 
licet ,  malaisses cloacas ^«^îoj'purgare  :  multb 
plus  ego  stercoris  exliausi.  Sed  quoniam  volo  ; 
non  mirum ,  quod  impetuiu  iu  curiam  fecisti-. 
niliil  tibi  clusi  est. 

Modo  die  nobis  qualein  dcum  istum  Dcri 

relis   :    £V<«ay>io?  ^ios  non  potcst  esse  ,  .urf 

uCto?    srpZyy,»      'îx.'-^    ,      àun      uXXoii     Trufi^u. 

Stoieus?  quomodo  potest  rotundus  esse  (ut 

ait  f'arro)  sluc  eapite  ,  siuc  pracputio  ?  Est 

aliquid  in  co  î'oici  dei:  )ara  video  ,  née  cor 

ïiec  caput  babet.  Si    uiehercule   a    Saturno 

pctiibset  boc  beneûeium  ,  cujus  mensem  toto 

anno  celcbravit  satuinalia  ,  ejus  princeps  non 

tulisset.  Illuui  dcum  ab  Joi>e  ,  quem  ,  quau- 

tùm  quidem  in  illo  fuit  ,  damuavit  incesti. 

X.   Synaiiuvi  enim   gencrum  suum  occidit. 

Oro  pcr  quod  soiorcin  suam ,  festivissimam 

omnium  pucllaïuni  ,  quam  oraues  f'enereva. 

vocareut  ,  maluit  Junonem  vocaic.  Quarc , 

iiiquit,  quacio  eu.iiii  j  soro.rem  suam  stnltç 


DE  L'APOCOLOKINTOSIS.     235 

"Vous  savez  ce  que  i'ai  soiiffert  là  de  misères 
70ur  et  nuit,  à  la  merci  des  avocats.  SoyeîS 
sûr  ,  tout  robuste  que  vous  êtes  ,  qu'il  vous 
a  mieux  valu  purger  les  étables  ù' yiiigias  ^ 
que  d'essuyer  leurs  criajlleries  ;  vous  atex 
avalé  moins  d'ordures  (  4  ). 


Or,  dites-nous  quel  dieu  nous  forons  ds 
cethomuie-ci  ?  En  ferons-nous  un  dieud'^;yi- 
ciire  ,  parce  qu'il  ne  se  soucie  de  personne, 
ni  personne  de  lui  ?  Un  dieu  stoïcien  qui  , 
dit  P'arron  ,  ne  pense  ni  u'cngendie?  n'ayant 
ni  cœur  ni  tête  ,  il  semble  assez  propre  à  le 
devenir.  Eh  !  Messieurs,  s'il  eût  demande  cet 
honneur  à  Saturne  même  ,  dont ,  présidant 
à  SCS  jeux ,  il  fit  durer  le  mois  toute  l'année  , 
il  ne  l'eût  pas  obtenu.  L'obticndra-t-il  de 
Jupiter  qu'il  a  condamné  pour  cause  d'in- 
ceste autant  qu'il  était  en  lui  ,  en  fcsant 
mourir  Syllanus  son  gendre  ,  et  cela  pour- 
quoi ?  parce  qu'ayant  une  sœur  d'une  liu-i 
tueur  cUarmantc  et  que  tout  le  monde  appelait 

(/()  Il  y  a  ici  très-évidemment  une  lacune  quft 
je  ne  vois  pourtant  mar<juéu  dans  aucune  édition. 

N  :i 


236  TRADUCTION 
studere?  Athcuisdiinidiuuilicet,  Alexandiinp 
totum.  Qviia  Romac  ,  inquit,  mures  molas 
lingunt  ;  hic  nobis  curva  corrigit.  (^iiid  iii 
cubiculo  suo  faciat,  iicscio  :  etiam  cœli  sciu- 
tatur  plaças  ,  deus  licri  vult.  Param  est  quod 
teinplum  in  Britanuià  habet  ,  quod  luiiic 
barbari  colunt  ,  et  ut  ckuui  oraut.  A>.ù(o\t 
^i>iCiTou    y  If  IV.  I 


Tandem  Jovi  venit  in  mentcm  ,  privnti» 
intra  curiam  morantibus  scntontiaMi  diccie 
née  disputarc.  E^o  ,  inquit,  P.  V..  iiiteiio- 
gaie  vobis  permiseram  ,  vos  meia  inapalia 
fecistis.  Yolo  scrvetis  disciplinaui  cnnœ. 
Hic  ,  qualiscuinquc  e^t  ,  quid  de  uobij 
CKistimabit  ? 


DE  i;APOCOLOKINTOSIS.     287 

yéiiiis,  il  aima  mieux  l'appder  J^/iwo/z.  Quel 
si  grand  crime  est-ce  donc,  direz-vous  de  fêter 
discre'tcment  sa  sœur  ?  La  loi  ne  le  permet- 
elle  pas  à  demi  dans  Athènes  ,  et  dans  l'Egypto 

en  plein  ?  (  5  )  .  .  .  .  A  Rome oli  , 

à  Rome  igiioree-vous  que  les  rats  mangent 
le  fer  ?  notre  sage  bouleverse  tout.  Quant  ^ 
lui  ,  j'ignore  ce  qu'il  fesait  dans  sa  chambre, 
mais  le  voilà  maintenant  furetant  le  ciel  pour 
se  faire  dieu  ,  non  content  d'avoir  en  Angle- 
terre un  temple  oii  les  barbare»  le  servent 
coftime   tel. 

A  la  fin  Jupiter  s^ avisa  qu'il  fallait  arrêter- 
les  longues  disputes  ,  et  faire  opiner  chacua 
à  sou  rang.  Pères  coiiscripts  ,  dit-il  à  ses  col-. 
lègues  au-lieu  de»  interrogations  que  je  vout 
avais  permises,  vous  ne  faites  que  battre  la. 
campagne  ;  j'entends  que  la  cour  reprenne, 
ses  formes  ordinaires  :  que  penserait  de 
nous  ce  postulant  quel  qu'il  soit   ? 


(5  )  On  sait  qu'il  était  permis  en  Egypte  d'épouser 
•a  sœur  Je  pc-re  et  de  mère  ,  et  cela  était  aussi  ])er- 
inis  à  Athènes  ,  mais  pour  la  sœur  de  mère  seu- 
lement. Le  mariage  d'jf/pi/J«c«    et  de  Cimonen  fourni 

Vf  3 


23B         TRADUCTION 

Illd  dimis>o  ,  primus  iutenogatm-  senten- 
t'iam  Janris  Patcv.  Is  dciignatuscrat  in  kalend. 
julias  postmcridianus  Cos.  homo  quantumvis" 
Tafer  ,  qui   scmper    videt    «^e»  -arç»   g-itùi    y.») 
«'vla-Tù).  ïs  nuilta  diserte,  quod  In  foro  vivat  , 
dixit  qiue  notarius  pcrscqvii  non  potuit  :  et 
idf  o  non  refcro  ,  ne  aliis  verbis  ponam  .,  quse 
ab  illo  dicta  suut.  Multa  dixit  de  magnitu- 
dine  Deoinm  :  non  dcberc  hune  vnlgo  dari 
honorcm.  Olim  ,  iiiquit,  magna  rcs  eiat  deum 
ficri  :    jam   famà  nimiùui  fecisti.  Itaque  ne 
\ide4r  in  personam,  non  in  icm  sentcntiam 
diceie,  cen?eo  ne  qnis  post  hune  dicui  dcn* 
fiât  ex  bis  qui  ufoo^r,?  KupTron  icourtv  ',  aut  ex  nis 
quos   alit    ^u^<^fof   u^ovfu.     Qui    contra    boc 
S.  C,  deus  lactus  ,  ûctus  pictusve  erit ,  cum 
dedi  larvis  ,  et  proxinio  munerc  in  ter  novos 
auctoratos  ,  feiulis  yapulare  placct. 


DE  L'APOCOLOKINTOSIs.     sS^ 

L'ayant  donc  fait  sortir,  i!  alla  aux  voix, 
en  commençant  par  le  père  Jamis.  Celui-ci 
consul  d'uuc  aprcs-dinée  ,  désigné  le  premier 
juillet,  ne  laissait  pas  d'être  houimç  à  deux 
envers  ,  regardant  à-la-fois  devant  et  derrière. 
En  vrai  pilier  de  barreau  il  se  mit  à  de'biter 
fort  d.sertemcnt  beaucoup  de  belles  cboses 
que  le  scribe  ne  put  suivre,  et  que  je  ne  ré- 
péterai pas  de  peur  de  prendre  un  mot  pour 
l'autre.  11  s'étendit  sur  la  grandeur  des  Dieux, 
soutint  qu'ils  ne  devaient  pas  s'associer  des 
faquins.  Autrefois,  dit-il  ,  c'était  une  grande 
affaire  que  d  être  fait  dieu  ,  aujourd'hui  ce 
n'est  plus  rien.  (6)  Vous  n'avez  déjà  rendu 
cet  hommc-ci  que  trop  célèbre.  Mais  do 
peur  qu'on  ne  m'accuse  d'opiner  sur  la  per- 
sonne ,  et  non  pas  sur  la  chose,  mon  avis 
est  que  désormais  on  ne  déiiie  plus  aucua 
de  ceux  qui  broutent  l'herbe  des  champs  j 
ou  qui  vivent  des  fruits  de  la  terre.  Que  si 
malgré  ce  sénatus- consulte  quelqu'un  d'eux 

(6)  Je  ne  saurais  mo  persuader  qu'il  n'y  aîc 
pas  encore  uno  lacune  entre  ces  mots  :  OVim^ 
injit'u  ,  magna  ics  trat  daxim  fieri  :  et  ceux-ci  ,  jam 
fainâ  nimiùinfecisti.  Je  n'y  vois  ni  liaison  ni  transi» 
tien ,  ni  aucune  espèce  de  sens  k  les  lire  aiusj 
de  suite. 


^40         TRADUCTIOÎ* 


Proxiraus  interrogatur  sentenliam  dicspitcF 
f'icœ-Putœ  filius  ,  et  ipse  designatus  Cos- 
numinulariolus.  Hic  quaestu  se  sustiuebat  , 
vendere  civltatulas  solebat.  Ad  huncce  belle 
accessit  Hercules  ,  et  auriculam  ei  tctigit. 
Itaque  in  hacc  vcrba  censet  :  Cùm  divu» 
Clandius  divuin  Augustum  sanguine  con- 
tingat  ,  nec  minus  divaui  /4ugustam  aviatn 
suam  quàm  ipsc  dcam  esse  jussit,  longèque 
omnes  uiortales  sapicntià  antecellat ,  Mtque 
è  republicà  cssc  aliqucni  qui  cum  Roniulq 
possit 


Ferveniia  râpa  vorare ; 


ccnseo,  ut  D.  Claudius  ex  hac  dir  deu* 
fiât ,  ita  uli  aiite  eum  quis  optimo  jure  tactut 
sit  :  eauique  rciu  ad  fciTUfio^ÇÛ(nt  Ofiaii 
adjiciendam. 


DE  L'APOCOLOKINTOSIS.     241 

s'ingcrc  à  l'avenir  de  trancher  du  dieu  ,  sott 
de  fait  ,  soit  en  peinture  ,  je  le  de'voue  auï 
larves  ,  et  j'opine  qu'à  la  première  foire  sa 
dcite'  reçoive  les  étrivières  ,  et  soit  mise  eu 
vente  avec  les  nouveaux  esclaves. 

Après  cela  vint  le  tour  du  divin  fils  d« 
f^ica  Poia  désigné  consul  ^,rippe-sou  ,  et 
qui  gagnait  sa  vie  à  grimeliuer,  et  vendr» 
les  petites  villes.  Hercule  passant  donc  à  celui- 
ci  ,  lui  toucha  galamment  l'oreille  ,  et  il  opina 
dans  ces  termes  :  K  ttendu  que  le  diviu  Claude 
est  du  sang  du  diviu  Avguste  et  du  sang  do 
la  divine  Livie  son  aïeule  ,  à  laquelle  il  a 
uiême  confrrmé  son  brevet  de  déesse  ,  qu'il 
est  d'ailleurs  un  prodige  de  science,  et  quo 
le  bien  public  exige  un  adjoint  à  l'écot  de 
iiomulus  ;  j'opine  qu'il  soit  dès  ce  jour  créé 
et  proclamé  dieu  en  aussi  bonne  forme  qu'il 
s'en  soit  jamais  fait  ,  et  que  cet  évcticmeat 
soit  ajouté  aux  métamorphoses  à^Ovidc. 


342         TRADUCTION 

Variaeeiaut  sententiae,  et  videbatur  Cîau- 
'dius  seutemiâ  viiiccrc.  Hercnles  enim ,  qui 
yideret  ferium  suum  iu  igné  esse  ,  modo  hue 
MiQd o  illuc  cursabat  ;  et  aiebat  :  ÎN  oli  mihi  mvi- 
deie,  inea  res  agitnr  ;  deiude  si  quid  volueris, 
invicem  faclaiii  ;  manus  manum  lavât. 


Tune  divus  yiiigustus  surresît  sentetttJae 
«use  diccndcc  ,  et  suivmâ  facuudià  dissciuit. 
p.  C.  vos  testes  ba))co  ,  ex  quo  dcus  factvvs 
sum  ,  nullnm  verbum  me  fccisse  ;  semper 
lueum  negotium  ago  :  sed  non  possuiu  aiii- 
çliùs  dissiaiulare  ,  et  dolorem  quem  gravio- 
xem  pudor  facit  ,  contiuere.  la  hoc  terra 
ïiiarique  pacem  peperi  ?  idco  civilia  bella 
«ompescui  ?  ideo  Icgibus  lubem  fundavi  , 
"operibus  ornavi  ?  Et  quid  dicani  ,  V.  C.  non 
iuvenio  :  omuia  infra  indignationem  verba 
suut.  Confugieiidum  est  itaqne  a  me  ad 
J\Jessalœ  Cori--iiii  disertissimi  viri  illam  scn- 
tentiam  :  Prsecidit  jus  imperii.  TIic  ,  P.  C. 
qui  nobis  non  possc  v idctnr  lunscam  cxci tare , 
tom  facile  koruiucs  occidcbat  ,  quàm  canis 


Î)E  L'APOGOLOKINTOSIS.     «4$ 

■  Quoiqu'il  y  eût  divers  avis  ,  il  paraissait 
que  Claude  l'emporterait  \  et  Hercule ,  qui 
sait  battre  le  fer  taadis^qu'il  est  chaud  cou- 
lait de  côté  et  d'autre  ,  criaat  :  Messieurs  ,  ua 
p«u  de  faveur  ;  cette  affaire-ci  m'intéresse; 
dans  une  autre  occasioa  vous  disposerez  aussi 
de  ma  voix  :  il  faut  bien  qu'une  main  lave 
i'autre. 

Alors  le  divin  AugTiste  s*étant  levé,pé-« 
iora  fort  pompeusement,  et  dit  :  Pères  cons- 
cripts,  je  vous  prends  à  témoin  que  depuis 
que  je  suis  dieu  je  n'ai  pas  dit  un  seul 
xnot;  car  je  ne  me  mêle  que  de  mes  aEFaires: 
mais  comment  me  taire  en  cette  occasion  ? 
comment  dissimuler  ma  douleur  qne  le  dé- 
pit aigrit  encore  ?  (^est  donc  pour  la  gloira 
de  ce  misérable  que  j'ai  rétabli  !a  paix  sur 
mer  et  sur  terrç,  que  j'ai  étouffe  les  guerres 
civiles  ,  que  Rome  est  affermie  par  mes  lois 
et  ornée  par  mes  ouvraoes  ?  O  pères  cons- 
cripts  !  je  ne  puis  m'exprimer;  ma  vive  in- 
diguatiou  ne  trouve  point  de  termes  ;  je  no 
puis  que  redire  avec  l'éloquent  jUJessalai 
I/Etat  est  perdu.  Cet  imbécile,  qui  paraît  no 
pas  savoirtroublcrdci'oau  ,  tuait  les  homme 
comme  des  mouches.  iVIais  que  dire  d«  tailt 


544        TRADUCTIOTC 

exta  edit.  Scd  quid  ego  de  tôt  acribus  Tiris 

dicam  ?  Non  vacat  dcflcre  publicas  elades 
ântuenti  doincsllcamala.  1  taquc  illa  omittam , 
JiEec  refcram.  Etiamsi  Plwnnea  giœcè  uescit , 
ego  scio.  ElNTlKOlSTONTfKHJNAlHSsenes- 
cit.  Iste  qncm  videtis  ,  per  tôt  aanos  sub 
»aeo  nominc  latens  ,  bauc  mihi  giatiam 
«etuUt  ,  ut  diias  Julias  proueptes  nicas 
«ccideiet ,  alteram  ferro  ;  alteram  famé  ; 
unum  abuepotem  ,  L.  Syllanmn.  Vidcris  , 
'Jupiter^  an  in  caussâ  malà  ceitc  in  tuà  ,  si 
tic  intcr  nos  futurus  est.  Die  inibi  ,  dive 
C'iandiy  quare  queniquam  ex  bis  quos  quas- 
que  occidisti ,  antequam  de  causa  cognos- 
ceres  ,  antequam  audlres ,  dauinasti  ?  Hoo 
fieri  solet?  in  cœlo  non  fit.  Ecce  Jupiter, 
gui  tôt   annos    régnât  ,    uni    P'ulcano  crut 

régit,  quem 

et  îratus  fuit  uxoii ,  et  suspendit  illam  :  num 
quid  occidit?  Tu  M<r.viV7////^/TO  cujus  aqut; 
«vuaculu*   wajor  cram   «juàw  tuus  ,  occi- 

d'illustros 


Î)E  L'APOCOLOKINTOsrs.     24a 

'd'illustres    victiuKs?    Ces    désastres    de    ma 
famille  me  laissent-ils  des  larmes    pour   leS 
toialheurs  publics?  je  o*ai  que    tJ-op   à  parler' 
des  miens.  (7)  Ce  galant  homme   que  vous 
Voyez  protégé    par   mon  nom  durant    taafi 
d'années,  me  marqua  sa  reconnaissance  en 
fesant  mourir  Lucius  Sillanus   un  de  mes 
arrières  -  petits  neveufc  ,  et  deux-  Julies  nies 
arrièresMKtilts  nièces ,  l'une  par  [s  fer,  l'autre 
par    ia  iaim.  Grand  ^7^;7//cT,    m    vous  l'ad- 
mettez parmi  aious  ,   à  tort  ou  non  ,  ce  sera 
sûrement  à  votre  bhlme.    Car  ,   dis-moi  ,  je 
te  prie,  ô   divin  Claude,  pourquoi    tu'lis 
tant   tuer   âe   gens   sans  les   entendre  ,  sans 
même  t'iiiformer  de  leurs cl-inics  ?  c'éioit  ma 
coutume. Ta  coutume  ?  ou  ne  la  cotinait  pas 
ici.    Jupiter  ,  qui    rè-ne  depuis  tant  d'an- 
nées ,    a-t-il  jamais  rien  fait   de   semblable? 
^uand  il  estropia  son  bis  ,  le  tua-t-il  ?  quand 
il  pendit   sa  femme,    l'ctrangla-t-il  ?    Mais 

(  7  )  Je  n'ai  point  traduit  ces  mots  :  Ètmmsi 
Vhormca  pracc  nescit  ,  ego  scio.  ENTIKONTO-^ 
Kl  KHNAIHS  senesclt  ,  ou  se  nescit ,  parre  qufl 
en'y  enrcnrls  rien  du  tout.  Peut-être  aurais-jd 
trouve  quelque  éclaircissement  dans  le<=  a.iagea 
d  Erc.me  ,  mais  j..  ne  suis  pas  à  portée  dé  Ué 
coniujier. 

flSélanges.  Tome  V;  Q 


246        TRADUCTION 
disti.  Nescio  ,   inquis?  Dii  tibi  malefacîant  : 
adeo  istud  turpius  est,  qubd  nescis  ,  quàru 
quod  occidlsU. 


Iste  C  Cœsarem  noa  desiit  mortuum  pro 
sequi  Occiderat  illc  soceium  :  hic  etgeuerum. 
Calu.Cœsar  Crassi  filium  vetuit  magauiu 
vocari  :  hic  nomeri  ilU  reddidit ,  caput  tuht. 
Occidit  ia  uuâ  domo    Crassum  magnum, 
Scrihoniam  ,    Tristioniam  ,  Assariencin  , 
iiobilcs  tamcu  Crassum  vcib  tam  fatuum  , 
„t  etiamresuareposset.Cositate,PX.  qualo 
portentum  iu  numerumdcorum  serec.p.  cu- 
Piat   Huncuuucdcumfacerevultis?  videto 
corpus  c-,us  ,  d.ls  iratis  uatum.  Ad  summam 
tria  vcrba  cito  dicat  ,  et  servum  me  ducat. 
Hune  deuxu  quis  colet  ?  quis  credet  ?  Dcnique 
dnm  talcs  deos  facitis  ,  ncmo  vos  deos  esse 
cvedet.  Summerei,P.  C.  si  honestè  inter  vos 
c^essi  ,   si  nuUi  duriùs    respondi  ,   vind.cate 

^  •      '0=  «leas    E'-o  pro  sententiâ  meâ   Uoa 
injurias   ineas.   e-o"   1 

ccnsco.  Atquc  ita  es.  tabellâ  recitayit. 


DE  L'APOCOLOKINTOSis.     247 

toi ,  n'as-tu  pas  mis  à  mort  Messaline  dont 
j'étais  le  grand-oncle  ainsi  qne  le  tien  ?  (8) 
Je  l'ignore,  dis-tu?  Misérable!  ne  sais-tu 
pas  qu'il  t'est  plus  honteux  de  l'ignorer quo 
de  l'avoir  fait  ? 

Enfin  Ca'ius  Calîgula  s'est  ressuscité  dans 
son  successeur.  L'un  fait  tuer  sou  beau- 
père  ,  (*)  et  l'autre  son  gendre.  (**)  L'un 
défend  qu'on  donne  au  fils  de  Crassus  lo 
surnom  de  grand  ,  l'autre  le  lui  rend  ,  et  lui 
fait  couper  la  tête.  Sans  respect  pour  un  sang 
illustre  ,  il  faitpérir  dans  une  même  maison 
Scribonie  ,  Tristionit  ,  u4ssarion  ,  et  même 
Crassus  le  grand ,  ce  pauvre  C rassus  si 
complètement  sot  qu'il  eut  mérité  de  régner; 
songez  ,  pères  conscripts  ,  quel  monstre  ose 
aspirer  à  siéger  parmi  nous  !   Voyez,  cozn- 

(8)  Par  l'adoption  de  Drusus  ,  Auguste  était 
l'aïeul  de  Claude  ,•  mais  il  était  aussi  son  grand- 
oncle  ,  par  la  jeune  Antonia  ,  mère  de  Claude  et 
nièce  à' Auguste. 

(*)  M.  Syllanu!. 

(**  )  Fompchts  Mafias. 

O  2 


34S 


TRADUCTION 


Quandoquidem  divus   Claudius    occldlt 
soccrum  suum  Appium  SyUaninn  ,  geueros 
duos      pompeium    Jiiagnum  et  Syllatium  , 
socerum  filiai  suse  Crassuni ,  frugi  liominem  , 
tam  slmilera  sibi  ,   quam  ovo  ovum,^rrï- 
boniam  socrum  filisDsua;  ,  Messaliiiain  uxo- 
rem      suain  ,    et  caeteros  ,     quorum   nume- 
rus   iniri    non    potuit  ;  placet   niilii  in  eiim 
sevcrè  animadverti,  nec  illi  leiuru  judican- 
daruni  vocationcm  dari  ',  eumque  quàm  pri- 
jnùm  exportari  ,  et  cœlo  intra  dics  xxx  excé- 
der© ,  Olympo  iutia  dleui  tcrtium. 


DE  L'APOCOLOKINTOSIS.     24^ 

ineut  déifier  une  telle  figure  ,  vil  ouvrage  des 
Dieux  irrites  !  A  quel  culte  ,à  quelle  foi  pour- 
ra-t- il  prétendre  ?  qu'il  réponde  ,  et  je 
me  rends.  Messieurs,  si  vous  donnez  la 
divinité  à  de  telles  gens,  qui  diable recon- 
naîtrala  vôtre  ?  Enun  mot,  pères  conscripts  , 
je  vous  demande  ,  pour  prix  de  ma  complai- 
sance et  de  ma  discrétion  ,  de  venger  mes 
injures.  Voilà  mes  raisons  ,  et  voici  mon 
avis  : 

Comme  ainsi  soit  que  le  divin  Claude  a 
tué  son  beau-père  Applns  SWaniis  ,  ses 
deux  gendres  pompeius  Magnns  et  Lnciiis 
Syllamis,  Crassus  beau-père  de  sa  tille  ,  cet 
homme  si  sobre  ,  (  9)  eten  tout  si  semblable 
à  lui,  Scribonie  bclie-mcre  de  sa  fille, iJ/c*- 
saliue  sa  propre  femme,  et  mille  autres 
dont  les   noms  ne  finiraient  point;  j'opme 


(  f)  )  Je  n'ai  guère  besoin ,  je  crois ,  d'avertir  que 
r-e  mot  est  pris  ironiquement.  Suétone,  après  avoir 
dit  qu'en  tout  temps  ,  en  tout  lieu  Claude  était  tou- 
jours prêt  à  manger  et  boire  ,  ajoute  qu'un  jour 
ayant  senti  de  son  tribunal  l'odeur  du  dîne  de» 
Saliens  ,  il  planta  là  toute  l'audience  ,  et  couru» 
se  mettre  à  table  avec  eui^ 

O  3 


25a         TRADUCTION 


Pedibus  in  hanc  sentcntiam  itum  est.Nco 
mora,  Cyllcuius  illum  colo  obtorlo  tralxLt 
ad  iuferos  , 

Illuc  unde  negant  redire  queraquara. 

Dnm  descenduntper  viaiu  sacram ,  intcrvo- 
gat  3Ie rcuriu s  quid  sibi  velit  iUe  concmsus 
liominum  ,  num  Clnudii  funus  essct  ?  Et 
erat  omnium  formos^issimum  ,  et  iuipensâ 
cura  plénum  ,  ut  scires  deum  efFcni  ,  tibici- 
num ,  cornici.ium  ,  omnisque  gencns  aeneato- 
rnm  taiita  turba  ,  tantus  couventus  ,  ut 
ctiam  Claudins  audire  posset.  Onuics  laeti  , 
hilares.  P.  Rotu.  ambulabat  ta.i.quam  liber. 
Agatho  ,  et  pauci  causidici  plorabant  ,  sed 
plané  ex  a.iimo.  Jurlsconsulti  è  tenebris  pro- 
cedebant ,  pall.di  ,  graciles  ,  vix  habeutesani- 
raam  ,  tamquam  qui  cum  maxime  revivisce- 
reiit,  Exhis  uuus  cùm  vidissct  capita  coufc- 


DE  L'APOCOLOKINTOSÎS.     sSr 

qu'il  soit  sévèrement  puni,  qu'on  ne  lui  per- 
mette plus  de  siéger  eu  justice,  qu'enfin 
banni  sans  retard  ,  il  ait  à  vider  l'Olympe 
ea  trois  jours  ,  et  le  ciel  en  lui  mois. 

Cet  avis  fut  suivi  tout  d'une  voix.  A  l'ins- 
tant le  Cyllcnien  (*)  lui  tordant  le  cou , 
le  tire  au  séjour. 

D'où  nul,  dit-on,  ne  retourna  jamais. 

En  descendant  par  la  voie  sacrée  ,  ils 
trouvent  un  grand  concours,  dont  Blercure 
demande  la  cause.  Parions  dit-il,  que  c'est 
sa  pompe  funèbre;  et  en  effet  la  beauté  du 
convoi  ,  où  l'argent  n'avait  pas  été  épargné, 
annonçait  bien  l'enterrement  d'un  dieu.  Le 
bruit  des  trompettes  ,  des  cors  ,  des  instru- 
mcns  de  toute  espèce  ,  et  sur-tout  de  la 
foule  ,  était  si  grand  ,  que  Claude  lui-mèmo 
pouvait  l'entendre.  Tout  le  monde  était  dans 
l'alégrcsse  :  le  peuple  romain  marchait  lé- 
gèrement comme  ayant  secoué  ses  fers. 
^galhon  et  quelques  chicaneurs  pleuraient 
tout    baï  dans  le  fond  du  cœur.  Les    juris- 

(  *  )  M'^rcuie. 


%53        TRADUCTION 


Tentes,  et  fortuuas  suas  déplorantes  causicti-i 
cos  ,  accedit  ,  et  ait:  Diçebam  vobisj  NoQ 
semper  saturnalia  erimt  ; 

Clmidius  ,  ut  vidit  funus  sninii  ,  intcUexife 
se  movtiunn  esse.  Ingetiti  enita  «£y«A>;yoçi'<« 
nEBYia  cantabatur  auapacstis. 


Fundite  fletus.. 
Edite  planctiis  , 
Fingite  luctus  , 
Resonet  tristi 
Clamore  forum; 
Cecidit  pulchre 
Coidatiis  liomo  ^ 
Quo  non  alius 
Fuit  in  toto 
Fortior  orbe» 
Ille  citato 
Vincere  rursu 
Poterat  celeres; 
Ille  rebelles 

Fundere  Parthos, 


DE  L'APOCOLOKINTOSIS.     253 

consultes  maigres  ,  e.ténucs ,  (lo)  commen. 
caient  a  respirer,  et  semblaient  sortu-  du 
tombeau.  Ua  d'cntr'cux  voyant  les  avocats 
la  tête  basse  déplorer  leur  perte,  leur  dit  en 
8'approchant  :  Ne  vous  le  disais-,e  pas,  que 
les  saturnales   ne  dureraient  pas    toujours  . 

Claude  en  voyant  ses  funérailles  comprit 
cnlin  qu'il  étaitmort.  On  luibeuglaitàpleine 

tète  ce  chant  funèbre  en  jolis  vers  hcptasyl- 

labes. 

O  cris ,  ô  perte ,  û  douleurs  ! 

De  nos  funèbres  clameurs 

Fesoiis  retentir  la  place  ; 

Que  chacun  se  contrefasse  ; 

Crions  d'un  commun  accord  ; 

Ciel  !  ce  grand  homme  est  donc  morti 

Il  est  donc  mort  ce  grand  homme  ! 

Hélas  !  vous  savez  tous  comme,  • 

Sous  la  force  de  son  bras  , 

Il  mit  tout  le  monde  à  bas. 

Fallait  il  vaincre  à  la  course  ? 

Fallait-il  jusque  sous  l'our.'^e  ^ 

Des  Bretons  presque  ignort's. 

Du  Caucc  aux  cheveux  doiés 

(  lo  )  Un  juge  qui  n'avait  d'autre  loi  qup  sa  vo- 
lonté donnait  peu  d'onvragc  à  ces  messieurs-là. 


s54        TRADUCTION 

Levibusfjue  seijui 
Persida  telis  , 
Certaque  rrunu 
Teiidere  net  vum  : 
Qui  prœcipiies 
Vulneie  parvo 
Figeret  Lostes , 
Pictaquo  Medi 
Terga  fugacis. 
Ille  Britannos 
Ultra  noiî 
Littora  ponii^ 
Et  caerulfios 
Scuta  Brigantas 
Dare  romuleis 
Colla  caihenis 
Jussir,  et  ipsum 
Nova  romanae 
Jura  securis 
Tiemcre  Oceanum. 
Deflete  virura , 
Que  non  alius 
Potuit  ciiiùs 
DisrcMe  raussas , 
Uiiâ  tantùin 
Parle  andiiâ  , 
Sœpe  et  neutrâ. 


DE  L'APOCOLOKINTOSIS.     sSS 

Mettre  l'orgueil  à  la  chaîne  , 
Et  sous  la  hache  romaine 
Faire  trembler  l'Océan  ? 
Fallait-il  en  moins  d'un  an 
Dompter  le  Parthe  rebelle  ? 
Fallait-il  d'un  bras  fidelle 
Bander  l'arc  ,  lancer  des  traits 
Sur  des  ennemis  défaits  , 
Et  d'une  audace  guerrière 
Blesser  le  Mède  au  derrière? 
Notre  homme  était  prêt  à  tout, 
De  tout  il  venait  à  bout. 
Pleurons  ce  nouvel  oracle, 
Ce  grand  prononceur  d'arrêts  , 
Ce  Minos  ijus  par  miracle 
Le  ciel  forma  tout  exprès. 
Ce  phéuix   des   beaux  génie» 
K 'épuisait  point  les  parties 
En  plaidoyers  superllus  ; 
Pour  juger  sans  se  méprendre 
Il  lui  «uf'lisait  d'entendre 
Une  des  deux  tout  au  plus. 
Ouel  autre  toute  l'année 
Voudra  siéger  désormais , 
Et  n'avoir,  dans  la  journée, 
De  plaisir  que  les  procès  ? 
Minos,  cc'?dez-lui  ia  place  ; 
Déjà  son  ombre  vous  chasse. 
Et  va  juger  auK  cniers. 
Pleurez  ,  avocats  à  vendre  , 
Vos  cabinets  sont  déserts. 

O  6 


256        TRADUCTION 

Quis  nunc  judeJÇ 
Toto  Hies 
Audiet  auno  ? 
Tibi  jam  cedet 
Sede  leliciâ, 
Qui  diit  populo 
Jura  silenti , 
Cretœa  tenens 
Oppida  renlum-. 
Caedite  mœstis 
Pectora   palmis  » 
O  causidici , 
Vénale  genus  : 
Vosquc  poetns 
Lugete  novi  ; 
Vosque  iinprimis 
Qui  conçusse 
Magna  parastîa 
Lucra  fi  ilillo, 

ÎDcîectabatur  laudibus  sms  C^audii/s  ,  et 
cupicbat  diutiùs  spectarc.Iujicit  illi  mauum 
Talthybius  dcoium  uuncius ,  et  trahit  capite 
obvoluto  ,  ne  quis  cum  possit  agnoscere  ,per 
çampum  Martium  ;  et  in  ter  Tybcrim  etviaœ 
t^tam  desQQndit  ad  iufçros. 


DE  L'APOCOLOKINTOSIS.     z^j 

Rimeurs  ,  qu'il  daignait  entendre, 
A  qui   lirez-vous  vos  vers  ? 
Et  vous,  qui  comptiez  d'avance 
Des  cornets  et  de  la  chance 
Tirer  un  ample  trésor, 
Pleurez  ,  brelandier  célèbre  , 
Bientôt  un  bùclier  funèbre 
Va  consumer  tout  votre  ox- 


Claude^c  deleclait  ci  entendre  ses  louanges, 
et  aurait  bien  voulu  s'arréfcr  plus  long-temps. 
Mais  le  héraut  des  Dieux  lui  mettant  la  main 
au  collet,  etlui  enveloppant  la  tête  de  peur 
qu'il  ne  fût  reconnu  ,  l'entraîna  par  le  champ 
do  Mars  ,  et  le  lit  descendre  aux  cufcrs  catr© 
îç  Tibre  et  la  voie  çouyerte. 


th^         TRADUCTION 

Antecesserat  jam  coiiipeudiariâ  via  A^ar- 
cissus  libertus  ,  ad  patrouiim  excipieiidum, 
etvenienti  nitidus,  ut  crat  à  balneo  ,  occur- 
lit  ,  et  ait  :  Quid  dii  ad  homines  ?  Celeriùs , 
iuquit  Blejcurius  ,  et  venire  nos  auncia.  111e 
autem  patroiio  plura  blandiri  volcbat,  queni 
Mercurius  iterum  festiuare  jussit  ;  et  virgâ 
inorantera  irupulit.  Dicto  citiùs  Narcissus 
evolat.  Omnia  piocliva  sunt ,  facile   descen- 
ditur.    Itaque    quamvis     podagricus    esset  , 
momento  tcmporis  pcrvenit  ad  januam  Ditis  : 
ubi  jacebat  ,  ut  ait  Horatius  ,  belliia  cciiti- 
ceps  ,  sese  movcus  ,  villosquc  horiendos  ex- 
cutieus.    Piisillùm    superturbalur ,  (   albam 
catieui  in  dcllciis  habere  consuerat)  ut  iihuu 
vidit    cancin  uigruiu  villosuiu    saiic  ,   quciu 
non  vclis  tibi  iii  tenebrisoccurrcie.  Et  inagnà 
inquit   toc«  :   Claudius  Coesar    veuit.   Ecce 
extemplo  cum  plausu  prtfccduut  cantaatcs  : 

Hic  erat  C.  SUiusCo^.  desig.  Jmiins  Pre- 
lorius  ,  Sex.  TraUiis  j  M.  Hehius  Tro^us 
Cotta  f    Tectiis      f'alens  ^    jt^alnus  ,  E<{»* 


,        DE  L'APOCOLOKITÎTOSIS.     269 

Narcisse  ayant  coupé  par  im  plus  court 
chemin  ,  vint  frais  sortant  du  bain  au-devant 
de  son  maître,  et  lui  dit:  Comment!  les 
adieux  chez  les  hommes  ?  Allons  ,  allons  ,  dit 
Mercure ,  qu'on  se  dépêche  de  nous  annoncer. 
L'autre  voulant  s'amusera  cajoler  son  maître, 
il  le  hâta  d'aller  à  coups  de  caducée  ,  et 
Narcisse  partit  sur-le-champ.  La  pente  est 
si  glissante,  et  l'on  descend  si  facilement, 
que  ,  tout  goûteux  qu'il  était ,  il  airiveenua 
moment  à  la  porte  des  enfers,  A  sa  vue  ,  le 
monstre  aux  cent  tétcs  dont  parle  Horace^ 
s'agite,  hérisse  ses  horribles  crins  ;  et  Nar~ 
cisse  accoutumé  aux  caresses  de  sa  jolie  le- 
vrette blanche  ,  éprouva  quelque  surprise  à 
l'aspect  d'un  grand  vilain  chien  noir  à  long 
poil  ,  peu  agréable  à  rencontrer  dans  l'obs- 
curité. Il  ne  laissa  pas  pourtant  de  s'écrier 
à  haute  voix  :  Voici  Claude  César.  Aussi- 
tôt une  foule  s'avance  en  poussant  des  cris 
de  joie  et  chantant , 

Il  viont ,  rcjouissons-nous. 

Parmi  eux  étaient  Caïus  Silius  consul  dé- 
signe ,  Juiiius  Prœtorius  ,  Sextius  Trallus  , 
Hdvius   Trogus  ,  Coita  3  Tectus  ,  Talens  , 


26o         TRADUCTION 

Rom.  qnos  A'arcissus  duci  jusserat.  Médius 
erat  iti  hac  catitaulium  turbâ  Mnestcr  pan- 
tomimiis,  qucui  Claudins  decoris  causs$ 
miuorem  fcciMat.  Nec  uoti  ad  Messalinam 
cito  juuior  pcicrepuit  ,  Claiidiinn  venisse  ; 
convolarmit  piiuium  omnium libeiti  ,  Poly- 
l)ius  ,  BJyron  ,  Harpocras  ,  j^mphœus  y  et 
Pheronactes  ,  quos  omncs  uecubi  imparatiis 
esset,  praemiserat.  Dcinde  praEfecti  duo, 
Justns  Catonius  ,  et  Ru  fus  Pompeii  filius. 
Deiiide  amicl  ,  Satuniius  Lucius  ,  et  Pcdo 
Fompcius  ,  et  Jjupus  j  et  Celer  ^  yîsinius  , 
consularcs.  Novissiraè  fratris  filia  ,  soiovis 
Ëlia  ,  gcner  ,  socer  ,  socius  ,  oumes  plané 
consanguinei.  Etagmine  factoC/û!7/Jiooccur- 
runt.  Quos  cum  vidisset  Claudins  ^  excla- 
mât :  Ii(i.iTii  (pîXùv  7r>i>;fi  ;  quomodo  vos  hue  vc- 
nistis  ? 

TatnPedo  Pompcîus  :  Quid  dicis  ,honio 
cvudeîissime  ?  Qr-ncris  quomodo  ?  Quis  enim 
iios  alius  bue  misit  quam  tu,  omnium  ami- 
corum  iaterfcctor  ?  In  jus  eamns  ;  ego  tibi 
hîc  sellas  osteudam.  Ducitillnm  ad  tribunal 


DE  L'APOCOLOKINTOSIS.    261. 

Fabius  ,  chevaliers  romains  que  Narcisse 
uvait  tous  expédies.  Au  milieu  de  la  troupe 
chantante  était  le  pantomime  yîf7/é'.?/f/- à  qui 
sa  beauté  avait  coûté  la  vie.  Bientôt  le  bruit 
que  Claude  arrivait  parvint  jusqu'à  illessa- 
Une  ;  et  l'on  vit  accourir  des  prcîniers  au- 
devant  de  lui  SCS  affranchis  Palybç- ,  Myron  j 
Harpocrate  ,  jdmphœus  ^  et  Pheronacte  , 
qu'il  avait  envoyés  devant  pour  préparer  sa 
jnaison.  Suivaient  les  deux  préfets  Justus 
Catonius  et  Riifus  fils  de  Pompée  ;  puis  ses 
amis  Satnrnius  Lucius  ^  tl  Pedo  Pompeïus 
^\.  Lnpns  3  et  Celer  Asinius ,  consulaires. 
£nfia  la  tille  de  son  frère  ,  la  fille  de  sa 
sœur  j  sou  gendre  ,  son  beau-père,  sa  belle- 
mère  ,et  presque  tous  ses  parcns. Toute  cette 
troupe  accourt  an-dcvant  de  Claude  qui,  les 
voyant,  s'écria  :  Bon  !  je  trouve  par-tout  d.cs 
3mis  ;  par  «J^ucl  hasafd  étes-vous  ici  ? 


Comment  ,  scélérat  ^^'APedo  Pompeïus  y 
par  quel  hasard  ?  Et  qui  nous  y  envoya  quo 
toi-mcuie  ,  bourreau  de  tous  tes  amis  ?  Viens, 
viens  devant  le  juge  \  ici  je  t'en  montrerai  le 
çhcnjiu.  Il  le  mène  au  tribunal  d'2i'a'/w<^,  le- 


362         TRADUCTION 

^aci  ;is  lege  Corucliâ  ,  quae  de  sicariis  lata 
est  ,quaerebat,  Postulabat  nomen  ejup  rccipi; 
editsubscriptioueui  :  occisos  seuatoresXXX, 
équités  roiti.  CCCXV  ,  atque  plures  ,  caeteros 

CCXXI.    \<ru,  i^tiftciêôs  TTi  xôfii  Tt. 

Extciritus  Claudins  oculos  undecumque 
circunifcrt ,  vestigat  aliquem  patronnm  qui  se 
defenderct.  Advocatum  non  iuvenit.  Tandem 
procedit/-*.  Petronius  ^  vctus  couvictoicjns  , 
homo  Claudiaiiâ  linguà  di>;ertus  ,  et  postu- 
lat advocationem,  Noa  datur.  Accusât  Pedo 
Pompeius  magnis  clamoribus.  Incipit  Petro- 
7ZZ7/J  vclle  rcspoudcrc.  yEaciis  homo  justissi- 
mus  ,  vetat.  Illum  tantùm  altéra  parte  auditâ 
coudemnat ,  et  ait  : 

iiKi  Ts-ûioi  rcc  K   tpe^ty   è^Ut]  t    lèita   yivoiTa. 

Itigenssilcutiumfactnm  est.  .Stupeba  ut  om. 
nés  novitate  rci  attouiti  :  ncgabaiit  hoc  un- 
quain  factum  ;  Claudio  iniquiim  itiar;is  vi- 
debatur  quàiu  uovuui.  De  gcucre  pœiiac  diu 
disputatuui  est,  quid  illum  pati  oporicret. 
Eraut  qui  dicereut  ,  si  uai  dii  laturam  fecis- 


DE   L'APOCOLOKINTOSIS.     268 

quel  précisément  se  fesait  rendre  compte  do 
la  loi  Coraélia  sur  les  meurtriers.  Pedo  fait 
inscrire  son  homme  ,  et  présente  une  liste  de 
trente  sénateurs ,  trois  cents  quinze  chevaliers 
romains,  deux  cents  vingt  et  un  citoyens, 
et  d'autres  en  nombre  infini,  tous  tués  par 
ses  ordres. 

Claudt  effrayé  tournait  les  yeux  de  fous 
côtés  pour  chercher  un  défenseur  ;  mais  aucun 
ne  se  présentait.  EiiQn  P.  Petronius  soa 
ancien  convive  ,  et  beau  parleur  comme  lui, 
lequit  vainement  d'être  admis  à  le  défendre. 
Pedo  l'accuse  à  grands  cxx's, ,  Pétrone  tache 
de  répondre;  mais  le  juste  Eagne  le  fait 
taire  ,  et  après  avoir  entendu  seulementrune 
des  parties ,  condamne  l'accusé  eu  disant  : 


Il  est  traité  comme  il  traita  les  autres. 


A  ces  mots  il  se  fit  un  grand  silence.  Tout 
le  monde  étonné  de  cette  étrange  forme  la 
soutenait  sans  exemple  ;  innis  Claude  la 
trouva  i)liis  inique  que  nouvelle.  On  disputa 
îoDg-tcmpssur  lapeiuc  qui  lui  serait  imposée. 


264         T  R  A  D  U  C  T  I  O  j?f 

Sent,  Tantalum  siti  pcritnrum ,  nisi  illi  suc- 
curieretur  ;  non  unquam  Sisiphiim  onere 
elevari  ;  aliquando/x/ow/^  miseri  rotam  suf- 
jSauiiiiandam.  Nou  piacuit  illi  ex  veteranis 
Uîissioucm  dari  ,  ne  vel  Claudius  imquam 
simile  speiaret.  Piacuit  novam  pœnam  exco- 
gitaii  deberc  ,  institucndum  illi  laboiem 
irrituni  ,  et  alicujus  cupidatis  spccies  sine 
Eue  et  aOicctu.  Tum  yEacus  jubet  illuiu  alcâ 
liidcrc  pertuso  fritillo  ;  et  jam  cœpcrat  fu- 
gieutes  semper  tesscras  (juœrcre ,  et  nihil  pio- 
ficerc. 

Nam  quoties  missurus  erat  résonante  fritillo  , 
Utraque  subducto  fiij^iebat  tessera  fundo  : 
Cùmque  rerollectos  auderet  mittere  talos  , 
Lusuro  similis  semper  semperque  petenti , 
Decepere  fidem  :  refngit ,  digitosque  per  ipsos 
Fallax  assidiio  dilabitur  aléa  furto 
fiic  rùm  jam  snmml  tanguntiir  fulmina  montis, 
Irrita  Sysipho  volvuntur  pondéra  coUo. 


CE  L'APOCOLOKINTOSIS.     265 

Quelques-uns  disaient  qu'il  fallait  faire  un 
échange,  c^ut  Tantale  mourrait  de  soif  s'il 
n'était  secouru;  qu  Ixion  avait  besoin  d'en- 
rayer, et  Sysiplie  de  reprendre  haleine  :  mais 
comuie  relâcher  un  véte'ran  c'eût  été  laissera 
Claude  l'espoir  d'obtenir  un  jour  la  nîémo 
grâce  ,  on  aima  mieux  imaginer  quelque  nou- 
veau supplice  qui  l'assujettissant  à  un  vain 
travail  ,  irritât  incessamment  sa  cupidité  par 
une  espérance  illusoire. ^«'yz/eordonna  donc 
qu'il  jouât  aux  dès  avec  un  cornet  percé;  et 
d'abord  on  le  vit  se  tourmenter  inutilement 
à  courir  après  ses  dés. 


Car  à  peine  agitant  le  mobile  cornet , 
Aux  dés  prêts  à  partir  il  demande  sonnet, 
Que  malgré  tous  ses  soins  entre  ses  doigts  avides, 
Du  cornet  défoncé  ,  panier  des  Danaïdes  , 
11  sent  couler  les  dés  ;  ils  tombent,  et  souvent 
Sur  la  table  ,  entraîné  par  ses  gestes  rapides , 
Son  bras  avec  effort  jette  un  cornet  de  vent. 
(11)  Ainsi  pour  terrasser  son  adroit  adversaire 
Sur  l'arûn*  ,  un  athlète  enllummé  de  colère  , 

(  11  )  J'ai  pris  la  liberté  de  substituer  cetta 
comparaison  à  celle  de  Sysiphc ,  employée  pas 
fl^nhiue  et  trop  rebattue  depuis  cet  auteur. 


266        TRADUCTION 

Apparuk  subito  C  Cxsar  ,  et  petcre  illum 
in  servitutera  cœpit  :  producit  testes  ,  qui 
illum  videiaut  ab  illo  flagris  ,  ferulis  ,  cola- 
phis  vapulantera.  Adjudicatur  C.  d^sari  : 
illum  ^acus  donavit.  Ts  Menandro  libcrto 
«uo  tradidit  ,  ut  à  coguitioaibas  ei  csset 


DE    L'APOCOLOKINTOSIS.     267 

Du  ceste  qu'il  élève  espère  le  frapper  ; 
L'autre  gauchit,  esquive  ,  a  le  temps  d'échapper  ; 
Et  le  coup  frappant  l'air  avec  toute  sa  force  , 
Au  bras  qui  l'a  porté  donne  une  rude  entorse. 

La-dcssus  C^7//^7//<a;  paraissant  tout-à-coup, 
se  mit  à  le  réclamer  comme  son  esclave.  Il 
produisait  des  témoins  qui  l'avaient  vu  le 
charger  de  soufflets  etd'ctrivières.  Aussi-tôt  il 
lui  fut  adjuge'  par  Eaque.  Et  Caligula  lo 
donna  à  Ménandre  son.  aB'ranchi  pour  en 
faire  un  de  ses  gens. 


O  L  I  N  D  ^ 


O  L I N  DE 


E  T 


S  O  P  H  R  O  N  I  E  , 

TIRÉ    DU   TASSE. 


HJcIan^s,  Tome  Yt 


L  A 

GERUS ALEMME 

L  I  B  E  RA  T  A, 
CANTO    SECOND  O. 

XVxESTRE  il  tiranno  s'apparechia  all'armi , 
Soletto  Jsmeiio  un  di  gli  s'appresenta  ; 
Jsmen  che  trar  di  sotto  ai  chiusi  maruii 
Puo  coipo  estinto    c  far  clie  spiri  e  senta  ; 
Jsmen  clie  al  suoude'  mormoranti  carmi 
Sin  nella  reggia  sua  Pluto  spaventa  , 
Ei  suoi  Démon  negli  euipi  unBcj  iinpicga 
Pur  corne  servi ,  c  gli  discioglie  ,  c  lega. 

Questi  or  Macone  adora  ,  c  fu  cristiano," 
Ma  i  priml  riti  anco  lasciar  non  puotc; 
Anzi  soveutc  in  uso  impio  e  proFano 
Confoude  le  due  leggi  a  se  xual  uotc. 


TRADUCTION 

PU    C  O  ]M  M  E  N  C  E  M  E  N  T 

DU     SECOND     CHANT 

DELA 

JÉRUSALEM  DÉLIVRÉE, 

Contenant    VHistoire    d'Oliuda 
et  de  6'ophronie. 

J.  ANDis  que  le  tyran  sepre'pareà  la  guerre, 
Isuiène  un  jour  s^e  préi^ente  â  lui  ;  Ismène  qui 
de  dessous  la  tombe  peut  faire  sortir  un  corps 
mortel  lui  rendre  1<;  sentiment  et  la  parole j 
Jsmene  qui  peut,  au  son  des  paroles  magi- 
ques ,  cïïvaycY P/nton  jusqu'en  son  palais,  qui 
commande  aux  dëtuonsen  maître,  les  emploie 
à  ses  œuvres  impies  ,  et  les  enchaîne  ou  dclie 
à  son  gre', 

Cbre'tien  jadis , aujourd'hui  mahométan  ,  il 
n'a  pu  quitter  tout-à  fait  ses  anciens  rites  ;  et 
les  profanant  à  de  criminels  usages  ,  mêle  et 
confond  ainsi  les  deux  lois  qu'il  connaît  mal. 
Mainteuaut  du  fond  des  antres  oii  il  exerce 

P  a 


372  O  L  I  N  D  K 

Ed  or  dalle  spelouclie  ,  ove  loiitano 
Dal  vulgo  cscrcitar  suo  1'  art!  iguole 
Vien  nel  publico  lisclilo  al  suo  siguoie.^ 
'A  rc  malvagio  cousigUer  peggiore. 

Signor  ,  dicea,  scnza  tardar  sea  vieu% 
Il  viucitor  eseicito  tetnuto; 
Ma  facciam  nol  cio  chc  a  uoi  far  convienne  ; 
Darà  il  ciel ,  darà  il  mondo  ai  forti  ajuto. 
Ben  tu  cli  le  ,  di  duce  hai  lutte  piene 
Le  parti ,  e  Uuige  hai  visto  e  provveduto  , 
S'empie  in  tal  guisa  og'altro  i  proprj  uticj  ; 
.Tomba  fia  questa  terra  a'  tuori  nemici. 

lo  quanto  a  me  ne  vengo  ,  e  del  pcrlglio 
E  deir  opre  compagno  ad  aitartc. 
Ciô  cbe  pub  dar  di  veccbia  età  consiglio  , 
Tutto  promctto,  e  cio  cbe  nxagica  arte. 
Gli  angeli,  cbe  dal  cielo  ebbero  csiglio  , 
Constringero  dclle  faticbe  a  parte. 
Ma  dond'  io  voglia  incominciar  gl'  incantî^ 
E  cou  quai  modi ,  or  narrcrotti  ayauti. 

Ncl  timpio  de'  cbiistiaoj  occulto  giac» 


E  T     s  O  P  H  R  O  N  I  E.      273 

ses  arts    ténébreux  ^  il  vient  à  sou  seigneur 
dans  le  danger  public,  à  mauvais  roi,  pire 


conseiller. 


Sire,  dit-il,  la  formidable  et  victorîeuso 
armée  arrive.  Mais  nous  ,  remplissons  nos  de- 
voirs ;  le  ciel  et  la  terre  seconderont  notre  cou- 
rage. Doué  de  toutes  les  qualités  d'un  capi- 
taineetd'unroi,  vous  avez  de  loin  tout  prcvu^ 
vous  avez  pourvu  atout  :  et  si  chacun  s'ac- 
quitte ainsi  de  sa  charge,  cette  terre  sera  lo 
tombeau  de  vos  enuemis. 


Quant  àmoi ,  Je  viens  de  mou  côté  partager 
vos  périls  et  vos  travaux.  J'y  mettrai  pour  ma 
parties  conseils  de  la  vieillesse  et  les  forces  de 
l'art  mtgique.  Jccontraindrai  les  angesbaunis 
dji  ciel  à  concourir  à  mes  soins.  Je  veux  com- 
mencer mes  enchautemens  par  une  opération 
dont  il  faut  vous  rendre  Gompte. 


Uaua  le  temple  des  chrctiens  snr  un  autel 

P  3 


574  O  L  I  N  D  E 

Un  sottcrrauco  altare  ;  e  qiiivi  è  il  volto 
pi  colei ,  che  sua  diva  ,  e  madie  face 
Quel  vulgo  del  suo  Dio  tiato  ,  c  sepolto," 
Piuauzi  al  simulacro  accesa  face 
Continua  splende  :  egli  è  in  un  vélo  awolto  ; 
Pendono  intorno  in  lungo  ordine  i  voti, 
CUe  vi  portaiQ  i  creduli  dcvoti. 

Or  questa  effigie  lor  di  là  rapita 
Yoglio  che  tu  di  propria  man  transporte  î 
3E  la  riponga  eutro  la  tua  mcschita  : 

10  posela  incanto  adoprcrb  si  forte, 

Ch'  ogni  or  ,  nientrc  ella  qui  lia  custodita, 
8arà  fatal  custodia  a  qucste  porte; 
Tra  mura  incspugnabili  il  tuo  impeio 
gçcuro  fia  per  uovo  alto  uiistero. 

Si  disse  ,  e  '1  persuase  :  e  impazient* 

11  rc  sen  corse  alla  magion  di  Dio  , 
K  »Forzb  i  saccrdoli ,  e  irrcvcrcnto 
Il  oasto  simuhicro  indi  japio  ; 

E  portollo  a  quel  timpio  ,  ove  fovcnt* 
S'  irrita  il  c:cl  col  folle  culte  e  rio. 
Nel  proFan  loco  ,  c  su  la  sacra  imago. 
Shsuhù  i^oi  le  suc  bestcmiuw  il  inago; 


ET     SOPHRONIE.      27^ 

«outerrain  est  une  image  de  celle  qu'ils  ado- 
rent ,  et  que  leur  peuple  ignorant  fait  la  mère 
de  leur  Dieu,  né  ,  mort  et  enseveli.  Le  simula- 
cre devant  lequel  une  lampe  brûle  sans  ces- 
se, est  enveloppe' d'un  voile  j  et  entouré  d'un 
grand  nombre  de  vœux  suspendus  en  ordre,et 
quclescrédulesdévots  y  portent  de  toutesparts. 

Il  s'agit  d'enlever  de  là  cette  effigie  ,  et  de  la 
transporter  de  vos  propres  mains  dans  votre 
mosquée;  là  j'y  attacherai  un  charme  si  fort, 
qu'elle  sera  ,  tant  qu'on  l'y  gardera  ,  la  sauve- 
garde de  vos  portes  :  et  par  l'eflet  d'un  nou- 
veau mystère, TOUS  conserverez  dans  vos  miirs 
un.  empire  inexpugnable. 


A  ces  mots  le  roi  persuadé  court  impatient 
à  la  maison  de  Dieu  ,  force  les  prêtres  ,  enlève 
sans  respect  le  chaste  simulacre  ,  et  le  porte  à  co 
temple  impie  oîi  un  culte  insensé  ne  fait  qu  ir- 
riter leciel.  C'est  là,  c'est  dans  ce  lieu  profane 
et  sur  cette  sainte  image  ,  que  le  magicien  mur- 
mure tes  blasphèmes. 


*576  O  L  I  N  D  E 

Ma  corne  apparse  In  ciel  1'  alba  iiovella^ 
Quel,  cuirimmondo  tempio  inguadia  èdato^' 
Nou  rivide  I'  iminaginc  doy'  ella 
Fu  posta,  e  iuvau  cercouue  in  altro  lato. 
Tosto  n'  avyisa  il  le ,  cli'  alla  novella 
Di  lui  si  nionstra  fieramcnte  iralo  : 
Ed  immagiua  ben  ,  ch'  alcun  fedele 
Abbia  fatto  quel  furto  ,  c  che  se  '1  ccle, 

O  Cil  di  man  fedele  opéra  furtiva  , 
O  pur  il  ciel  qui  sua  potenza  adopra  j» 
Clie  di  colei  ,  ch'  è  sua  regina  e  diva  , 
Sdegna  ©lie  loco  vil  1'  iinmagin  copra  r 
Ch'  inccrta  fama  è  ancor,  se  cib  s'  ascriTA 
Ad  arte  uniana  ,  ed  a  mirahir  opra. 
Ben  è  pictà,  che  la  pictade  e  *1  zelo 
Umancedendo  ,  aiitor  son  ,  creda  il  cielo-i 

Il  re  ne  fa  cou  importuna  inchicstJÉ 
Riccrcar  ogni  cliicsa  ,  ogni  niagionc  * 
Ed  a  chi  gli  iiasgondc  ,  o  manifesta 
Il  furto  o  il  reo  ,  gran  pêne  ,  e  premj  impouc. 
E  1  mago  di  spiarne  anco  non  resta 
Cou  tuttc  r  arti  il  ver3  mauoa  s'appose 


ET     5  O  P  H  R  O  N  I  E.      277 

Mais  le  matin  du  joiu-  suivant  ,  le  gardien 
au  temple  immonde  ne  vit  plus  l'image  où  elle 
était  la  veille;  et  l'ayant  cherchée  en  vain  de 
tous  côtés,  courut  avertir  le  roi  qui,  ne  dou- 
tant pas  que  les  chrétiens  ne  l'eussent  ealevée  , 
eu  tut  transporté  de  colèie. 


Soit  qu'en  effet  ce  fût  un  coup  d'adresse 
^'une  main  pieuse,  ou  un  prodige  du  ciel 
indigné  querimagcde  sa  souveraine  soit  pros- 
tituée en  un  lieu  souillé  ,  il  estédiBant,  il  est 
juste  de  faire  céder  le  zèle  et  la  piété  des  hom- 
mes, et  de  croire  que  le  coup  est  venu  d'ca- 
tiaut. 


L,e  roi  fît  faire  dans  chaque  église  et  dans 
chaque  maison  la  plus  importune  recherche  , 
et  décerna  de  grands  prix  et  de  grandes  peines 
à  qui  révélerait  ou  recèlerait  le  vol.  Le  magi- 
cien ,  de  son  côté  ,  déploya  sans  succès  toutes 
lesforcesdesonartpour  endécouvrirl  auteur. 


27S  O  L  I  N  D  E 

Che  '1  cielo  (opra  sua  fosse,  o  fosse  altrui) 
Celolfa  ad  oata  dcgl'  iucauti  a  lui. 


Ma  poichè  '1  re  crudcl  vide  occultarse 
Quel  che  pcccato  de'  fedeli  ei  pensa  , 
Tutto  iu  lor  d'  odio  infellonissi  ,  ed  arso 
D' lia  ,  e  di  labbia  iuimoderata  immeiisa. 
Oguirispetto  obblia;  vuol  vendicarse, 
(Scgua  che  puote)  e  sfogar  l'aima  accensa  ; 
Monà  ,  dicea  ,  non  ondià  l'iia  a  vote  , 
Nel/a  strage  commune  il  ladio  iguoto, 

Puichè  '1  reo  non  si  solvi ,  il  giusto  pera  J 
E  r  innocente.  Ma  quai  giusto  io  dico  ? 
E'  colpevol  «iascun  ,  ne  in  loro  schicra 
TJomfu  giammai  del  noslro  nouie  amioo, 
S  anima  v'  c  ncl  novo  cnor  sincera  , 
Basti  a  novclla  pciia  un  failo  aiitico. 
Su  ,  su  ,  fedeli  miei  ,  su  via  prendetc 
l,e  fiamme  ,  e  '1  feno  ,  ardctc  ,  ed  uccidele. 


Cosl  parla  aile  tuybe ,  e  se  u'  intese 


ET     S  O  P  H  R  O  N  I  E.      279 

Le  ciel  ,  au  mépris  de  ses  euchantcmens  et  de 
lui  ,  tiut  l'œuvre  secrète,  de  quelque  part 
qu'elle  pût  venir. 

Mais  le  tyran  ,  fnl-ieux  de  se  voir  cacher  lo 
délit  qu'il  attribue  toujours  aux  fidelles ,  se 
livre  contre  eux  à  la  plus  ardente  rage.  Ou- 
bliant toute  prudence,  tout  respect  humain. 
il  veut  à  quelque  prix  que  ce  soit  assouvir  sa 
vengeance.  «  Non  ,  non  ,  s'ëcriait-il  ,  la  me- 
»  nace  ne  sera  pas  vaine:  le  coupable  a  beau 
»  se  cacher ,  il  faut  qu'il  meure  ;  ils  mourront 
»  tous,  et  lui  avec  eux  ». 

«  Pourvu  qu'il  n'e'chappe  pas,  que  le  juste  ^ 
»  que  l'innocent  périsse,  qu'importe?  Mais 
»  qu'ai-je  dit,  l'innocent?  Nul  ne  l'est;  et 
»  dans  cette  odieuse  race,  en  est-il  un  seul 
3.  qui  ne  soit  notre  ennemi  ?  Oui ,  s'il  en  est 
..  d'exempts  de  ce  délit  ,  qu'ils  portent  la 
»  peine  due  à  tous  pour  leur  haine;  que  tous 
3>  périssent,  l'un  comme  voleur,  et  les  autres 
j.  comme  chrétiens.  Venez  ,  mes  loyaux  ,  ap- 
>.  portez  la  flamme  et  le  fer.  Tuez  et  bruicz 
»   sans  miséricorde  ». 

C'est  ainsi  qu'il  parlei  son  peuple.  Le  bruit 


28o  O  L  I  N  D  E. 

La  famatra'  fedeli  Immantiiieute  i 

Ch  'attoniti  restai',  si  gli  sorprese 

Il  timor  délia  morte  ornai  preseute: 

E  non  è  clii  la  fuga  o  le  difese, 

Xo  scurare  o  '1  pregare  ardisca  ,  o  tente  j 

Ma  le  timide  genti  e  irresolute, 

Doude  meuo  speraro  ebber  salute. 

Vergiiie  era  fra  lor  di  gla  matura 
Verginita,  d'  alti  pensieri  e  rcgi  : 
D'  alta  beltà  ,  ma  sua  bel  là  non  cura  ; 
D  tante  sol  ,  quant'  onestà  sen  fregî. 
E*  il  suo  pregio  maggior  ,  che  tra  le  mura 
D'  angusta  casa  asconde  i  suoi  gran  pregi  ; 
E  da'  vagheggiatori  ella  s'iuvola 
Aile  lodi ,  agli  sguardi  iuculta  c  sola. 

Purguardia^sser  non  pub  ,  che  'n  tutto  celi 
Beltà  dcgna  ,  ch'  appaja  ,  c  che  s'  ammiri  : 
Ne  tu  il  consenti ,  Atnor  ;  ma  la  riveli 
D'  un  giovinctto  ai  cnpidi  dcsiri. 
jfmor  ,  ch'  or  cieco  ,  or  Argo  ,  or  a  ne  rcli 
Ci  bcnda  gli  occhi ,  ora  ce  gli  apri  e  giri  ; 
Tu  per  mille  custodie  eiitro  ai  più  casti 


ETSOPHRONIE.  28 
de  ce  danger  parvient  bientôt  aux  chrétiens. 
Saisis ,  glacés  d'effroi  par  l'aspect  de  la  mort 
prochaine,  nul  ne  songe  à  fuir  ni  à  se  défendre  • 
nul  n'ose  tenter  les  excuses  ni  les  prières.  Ti- 
tnides,  irrésolus,  ils  attendaient  leur  desti- 
née, quand  ils  virent  arriver  leur  salut  d'où 
ils  l'espéraient  le  moins. 

Parmi  eux  était  une  vierge,  déjà  nubile^ 
d'une  ame  sublime  ,  d'une  beauté  d'ange, 
qu'elle  néglige  ou  dont  elle  ne  prend  que  les 
soins  dont  l'honnêteté  sépare  :  et  ce  qui  ajoute 
au  prix  de  ses  charmes  ,  dans  les  murs  d'un© 
étroite  enceinte  elle  les  soustrait  auT  yeux  et 
aux  vœux  des  amans. 


Mais  est-il  des  murs  que  ne  perce  qneîau» 
ïayon  d'une  beauté  digne  de  briller  ai-x  veux 
et  d'enflammer  les  cœurs  ?  Amour!  le  souffH- 
rais-tn?  i\on,  tu  l'as  révélée  aux  ;<>unes  désirs 
d'un  adolcfcent.  Amour  !  qui,  tantôt  A  rgnseC 
tantôt  aveugle  ,  éclaires  les  yeux  de  ton  flam- 
beau ou  les  Yoilesdc  tonbandeau;nialgie  tous 
les  gardiens,  toutes  les  clôtures,  jusque  dau« 

Mélarîges.  Tome  V.  Q 


38.  O  L  I  N  D  E. 

rVeiginei  alberghi  il  guardo  altrui  protasti. 

Co\^\  Sofronia^OUndo  egV.  s'appclla 
D'  una  cittatc  entrambi ,  e  d'  uua  Lde. 
Ei  che  modesto  è  sî  corn'  essa  è  bella  , 
Brama  assai ,  poco  ^^eia  ,  e  nulla  chiede  ; 
Nèsascoprirsi,  o  non  ardisce  :  ed  ella 
O  lo  sprezza,  o  nol  vedc  ,  o  non  s'  avvede. 
CoM  fitiora  il  misère  ha  servito 
O  non  visto  ,  o  mal  noto  ,  o  mal  gradito. 

S'  ode  r  aanunzio  intanto  ,  e  che  s'appresta. 
Miserabile  slage  al  popol  loro. 
A  lei  che  generosa  è  quauto  onesta, 
Vicne  in  p.usier  corne  salvar  costoro. 
Movc  lortezza  il  grau  pensier ,  1'  arresta 
roi  la  veri^ogna,  e  '1  virginal  decoro. 
Vmce  fovtczza,  anzi  s'  accorda,  e  fac* 
Se  veigognosa  ,  e  la  vcrgogna  audace. 

La  verginc  tra  'l  vulgo  usci  soletta , 
'Non  coprl  suc  bellezze  ,  e  nou  V  espose; 
Kaocolse  gli  occhi ,  nndo  ncl  vol  rislretta  , 


ET     SOPHRONIE.      aSS 

les  plus  chastes  asiles ,  tu  sus  porter  un  regard 
étraiigier. 

KWcs'anpcUe  Sophronie,  Olinde est  le  nom 
du  jeune  homme  ;  tous  deux  outla  même  pa- 
trie et  la  même  foi.  Comme  il  est  modeste  au- 
tant qu'elle  est  belle,  il  désire  beaucoup,  espère 
peu  ,  ne  demande  rieu  ,  et  ue  sait  ou  n'ose  se 
découvrir.  Elle,  de  son  côté  ,  ne  le  voit  pas  , 
ou  n'y  pense  pas  ,  ou  le  dédaigne  ;  et  le  mal- 
heureux perd  ainsi  ses  soins  ignorés  ,  mal  con- 
nus ou  mal  reçus. 

Cependant  ou  entend  l'horrible  proclama- 
tion ,  et  le  moment  du  massacre  approche. 
^<3yp//ro«zV,aussi  généreuse  qu'honuétc,  forme 
le  projet  de  sauver  son  peuple.  Si  sa  modestie 
l'arrête  ,  son  courage  l'anime  et  triomphe  ;  ou 
plutôt  ces  deux  vertus  s'accordent  et  s'illus- 
trent mutuellement. 


La  jeune  vierge  sort  seule  au  milieu  du 
peuple  ,  sans  exposer  ni  cacher  ses  charmes  ; 
en  marchant  elle  recueille  ses  jeux  ,  resserre 
son  voile  ,  et  en  impose  par  la  réserve  de  son 

i)     2 


s84  O  L  I  X  D  E 

Coa  ischive  manière  ,  e  generose. 

Non  sai  ben  dir  ,  s'  adorna  ,  o  se  negletta  ; 

Se  caso  ,  od  arte  il  bel  volto  compose  ; 

Di  Natura  ,  d'Amor  ,  de'  Cieli  aœici 

De  negligenze  sue  sono  artiûcj. 

Mirata  da  ciascun  passa ,  e  non  mira 
L'  altéra  donna  ,  e  iunauzi  al  re  sen  viene  ; 
jVè  ,  perché  irato  il  vcggia  ,  il  pic  ritira  , 
Ma  il  fero  aspctto  iutrcpida  sostiene. 
Veugo  ,  Siguor ,  gli  disse  ,  e'  n  tanto  l' ira 
Pergo  sospeuda,  e  'l  tiio  popolo  aEficiie  : 
Veu;o  a  scoprirti,  e  vengo  ,  a  darti  preso 
Quel  reo  clic  ccrchi ,  onde  sei  tanto  offeso. 

Air  onesta  baldanza  ,  ail'  improvviso 
Folgorar  di  bellezze  altère  e  santé  , 
Quasi  confuso  il  re ,  quasi  conquise  , 
Frcno  lo  sdcgno  ,eplacoil  fier  sembiante. 
S'  egli  era  d'  alraa  ,  o  se  costei  di  viso 
Scvera  manco,  ei  divcniane  amante  : 
Ma  ritrosa  beltà  ritroso  core- 
]Soupreude;  e  sono  i  vez;ii  csca  d'aœor». 


ET     S  O  P  H  R  O  N  I  E.      285 

tnaintiea.  Soit  art  ou  hasard  ,  soit  négligence 
ou  parure  ,  tout  concourt  à  reudre  sa  beauté 
touciiau  te;  le  Ciel,  la  Nature,  et  l'Amour,  qui 
la  favoriseut,  donnent  à  ses  négligences  l'effet 
de  l'art. 


Sans  daigner  voir  les  regards  qu'elle  attire  à 
son  passage,  et  sans  détourner  les  siens  ,  elle 
»e  présente  devant  le  roi  ,  ne  tremble  point  en 
voyant  sa  colère,  et  soutient  avec  fermeté  son 
féroce  aspect.  Seigneur,  luidit-cllc,  claignex 
suspendre  votre  vengeance  et  contenir  votre 
peuple.  Je  viens  vous  découvrir  et  vous,  livrer 
le  coupable  que  vous  cheichcz  ,  et  qui  vous  a 
si  fort  oïcnsé. 

Al'bonncteassurance  de  cet  abord, à  l'éclat 
subit  .le  CCS  chu  ics  et  licres  grâces,  le  roi  confus 
et  subjugué  calme  sa  colère  et  adoucit  son 
■Visage  irrité.  Avec  moins  de  sévérilé  ,  lui  dans 
1  ame,  elle  sur  le  visage  ,  il  en  dévouait  amou- 
reux :  mais  une  beauté  revêcbc  ne  prend  point 
iincœur  farouche ,  et  les  douces  manières  sont 
les  amorces  de  l'amour. 


Q  3 


386  O  L  I  N  D  E 

Fu  stupov  ,  fil  vaghczza  ,  e  fa  diletfO;, 
S'  amor  non  fu  ,  che  mosse  il  cor  villano. 
Narra  ,  ei  le  dice  ,  il  tutto  :  ecco  io  cnnimetto 
Che  non  s'  ofTcnda  il  popol  tuo  cristiauo. 
Ed  ella  :  il  reo  sitrova  al  tuo  cospetto  : 
Opra  è  il  furto  ,  Signer  ,  di  qucsta  mano  j 
Io  r  immagine  tolsi  :  io  son  colei , 
Che  tu  richerchi ,  e  me  punir  tu  dci. 

Cosi  alpubblico  fato  il  capo  altero 
Offersc  ,  e  '1  volse  in  se  scia  raccorrc. 
Blagnanima  menzogna  ,  or  quandb  è  il  Tero 
Si  bello,  che  si  possa  a  te  preporrc? 
Riman  sospeso  ,  e  non  si  tosto  il  fero 
Tirenno  ail'  ira,  corne  suol ,  trascorre. 
Poi  la  richiede  :  Io  vuo  '  che  tu  mi  scopra 
Chi  diè  consigUo  ,  e  chi  fu  insieme  ail'  opra. 

Non  volsi  far  délia  mia  gloria  altrui 
Ne  pur  miniuia  parte  ,  ella  gli  dice  , 
Sol  di  me  stessa  io  consapevol  fui , 
Sol  consigliera  ,  e  sola  esecutrice. 
Duuqne  in  te  sola,  ripigl  b  colui, 
Caderà  l' ira  mia  ■vendicatrice. 


ET     SOFHRONIE.      287 

Soit  surprise,  attrait,  ou  volupté,  plutôt 
qu'attendrissement,  le  barbare  se  sentit  éinu.< 
Déclare-moi  tout ,  lui  dit-il ,  voilà  que  l'or- 
donne qu'où  épargne  ton  peuple.  Le  coupa- 
ble, reprit-elle  ,  est  devant  vos  yeux  :  voilà  la 
maiu  dontce  vol  estl'œuvre.  Ne  cherchez  pcr- 
sonne  autre  ;  c'est  moi  qui  ai  ravi  l'image  ;  et 
je  suis  celle  que  vous  devez  pumr. 

C'est  ainsi  que  se  dévouant  pour  le  salut  de 
son  peuple  ,  elle  détourne  courageusement  le 
malheur  public  sur  elle  seule.  Mensonge  géné- 
reux !  quelle  vérité  est  assez  belle  pourt'êtro 
préférée?  Le  tyran,  quelques  temps  irrésolu,' 
ne  se  livre  pas  si-tôt  à  sa  furie  accoutumée  ;  il 
l'interroge  :  Il  faut ,  dit-il ,  que  tu  me  déclares 
qui  t'a  donné  ce  conseil ,  et  qui  t'a  aidée  à 
l'exécuter. 

Jalouse  de  ma  gloire  ,  je  n'ai  voulu, répond- 
elle  ,  en  faire  part  à  personne.  Le  proiet, 
l'exécution  ,  tout  vient  de  moi  seule  ,  et  seule 
j'ai  su  mon  secret.  C'est  donc  sur  toi  seule, 
lui  dit  le  roi  ,  que  doit  tomber  ma  vensfa'ice. 
Cela  est  juste,  reprend-  elle;  je  dois  subir 

Q  4 


288  O  L  I  N  D  E 

Disse  ella  :  E'  giusto  ;  esser  à  ine  conyiene, 
6e  fui  sola  ail'  onor ,  sola  aile  penc: 

Qui  couiiucia  il  tiianno  a  risdegnarsi; 
Puv  le  diiuanda  :  Ov'  bai  1'  iminago  ascosa  ? 
Kou  la  nascosi,  a  lui  risponde,  io  1'  arsi; 
E  r  arderla  stimai  laudabil  cosa. 
Cosî  alruennon  potiàpiù  violarsi 
Per  man  di  miscredenti  ingiuriosa. 
Signore,  o  cliirdi  il  furto  ,  ol  ladro  cbiedi  : 
Quel  uon  vcdrai  in  cterno  ,  e  qr.eslo  il  vcdi. 

Benchè  ne  furto  c  il  m^o  ,  nèladra  lO  sono  ; 
Giusloc  ritor  cio  cb'  a  gran  torlo  è  tollo. 
Or  qucsto  udtiido,  in  luinaccevol  suoiio 
Freme  il  tirauno  j  e  '1  fien  delT  ira  è  sciolto. 
KoM  ^peri  più  di  ritrovar  peidono, 
Corpralico,  alta  mente,  o  nobil  volto  : 
E  iudarao  _Amor  contra  lo  sdegno  crudo 
Di  sua  vaga  bellczza  a  Ici  fa  scudo. 

Presa  è  la  bclla  donna  ,  c  incrudelito 
Il  rcla  donna  cnlro  un  inccndio  a  morte. 
Gik  '1  vélo ,  e  '1  casIo  mnnlo  è  a  Ici  rapito  ; 
ytringoa  le  molli  braccia  aspic  ritoite. 


ET  S  O  P  H  R  O  N  I  E.  289 
toutelapeme,  comme  j'ai  remporté  touti'hon- 
Dcur. 

Ici  le  courroux  du  tyran  commence  à  se 
ïallumer.  Il  lui  demande  où  ell»^>  a  caché 
l'image?  Elle  répond  :  je  ne  l'ai  point  cachée, 
)e  l'ai  brûlée  ,  et  j'ai  cru  faire  une  œuvre 
louable  de  la  garantir  ainsi  des  outrages  des 
jnécréans.  Seigneur  ,  est-ce  le  voleur  que  vous 
cherchez  ?  il  est  eu  votre  présence.  Est-ce  le 
vol  ?  vous  ne  le  re verrez  jamais. 


Quoiqu'au  reste  ces  noms  de  voleur  et  de 
Toi  ne  conviennent  ni  à  moi  ,  ni  à  ce  que  )  ai 
fait  ;  rien  n'est  plus  juste  que  de  reprendre  ce 
qui  fut  pris  injustement.  A  ces  mots,  le  tyraa 
pousse  un  cri  menaçant  :  sa  colère  n'a  plus 
de  frein.  Vertu  ,  beauté,  courage,  n'espérez 
plus  trouver  grâce  devant  lui.  C'est  en  vaiii 
que  pour  la  défendre  d'un  barbare  dépit  , 
l'amour  lui  fait  un  bouclier  de  ses  charmes. 

On  la  saisit;  rendu  a  toute  sa  cruauté  ,  le 
roi  la  condamne  à  périr  sur  un  bûcher.  Son 
Toile  ,  sa  chaste  mante  lui  sont  arraches  ;  ses 
l>»as  délicats  soat  meurtris  de  rudes  cbaiue*. 


290  O  L  I  N  D  E 

Ella  si  tace  ;  e  iu  lei  non  shigottito," 
Ma  pur  commosso  alquanto  è  il  petto  forte" 
E  smarrisce  il  bel  volto  in  un  colore, 
Che  non  è  pallidezza,  ma  candore. 

Dlvulgossi  il  gran  caso  ,  e  quivi  tratto 
Già  '1  popol  s'  era;  Olindo  anco  v'  accorse; 
Dubbia  era  la  persona ,  e  certo  il  fatto, 
Vcnia ,  clic  fosse  la  sua  donna  in  forse. 
Corne  la  bella  prigiouiera  in  atto 
Non  purdi  rea  ,  ma  dl  danuata  ei  scovse; 
Corne  i  miuistri  al  duro  uficio  intenti 
Vide  ,  precipitoso  urtb  le  geuti. 

Al  re  gridb  :  Non  è  ,  non  c  già  rea 
Costei  del  furto  ,  e  per  folliasen  vanta. 
Non  penso  ,  non  ardi,  ne  far  potca 
Donna  sola  c  incipcrta  opra  cotanta. 
Corne  inganub  i  custodi  ?  c  délia  Dea 
Con  quali  arti  in volo  l' immagin  santa  ? 
Se  '1  fece,  il  narri.  lo  1'  ho,  Signor  ,  furata.. 
Ahi  tauto  amb  la  non  amauteamata  ! 


ET     SOPHRONIE.      29s 

Elle  se  tait;  son  ame  forte  ,  sans  être  abattue, 
n'est  pas  sans  émotiou ,  et  les  roses  éteintes  sur 
son  visaf;e  y  laissent  la  candeur  de  l'innocence 
plutôt  que  la  pâleur  de  la  mort. 

Cetacte  héroïque  aussi-tôt  se  divulgue.  De'jà 
le  peuple  accourt  en  foule  ,  Olinde  accourt 
aussi  tout  alarmé.  Le  fait  e'tait  sûr  ,  la  per- 
sonne encore  douteuse  ,  ce  pouvait  cire  la 
maîtresse  de  son  cœur.  Mais  si-tôt  qu'il  aper- 
çoit la  belle  prisonnière  eu  cet  e'tat  ,  si-tôt 
qu'il  voit  les  ministres  de  sa  mort  occupes 
a.  leur  dur  office  ,  il  s'clance  ,  il  lieurte  la 
foule. 

Il   crie  au  roi  :  Non  ,  non  ,   ce  vol  n'est 
point  de  son  fait;  c'est  par  folie  qu'elle  s'en 
ose  vanter.   Comment   une   jeune  fille  sans 
expérience  pourrait-elle  esccuter,  tenter,  con- 
cevoir même  une  pareille  entreprise  ?  Com- 
ment a-t-flle  trompé  les  gardes  ?  Comment 
s'y  est-elle  prise  pour  eulcver  la  sainte  image  ? 
Si    elle  l'a  fait,  qu'elle  s'explique.  C'est  moi, 
Sire  ,  qui   ai  fuit  le   coup.  Tel  fut  ,    tel   fut 
l'amour  dont  mémo  sans  retour  il  brûla  pour 
elle. 

Q  ^ 


2^2  O  L  I  N  D  E 

Soggiiinseposcia  :  lo  là,  donde  riceve 
L*  alta  Yostra  meschita  el'  aura  c'idie, 
T>i  notte  ascesi ,  e  trapassai  per  brève 
Foro  ,  tcutaudo  iunaccessibil  vie. 
A  rue  r  onor  ,  la  morte  a  me  si  deve  ; 
Nonusurpi  costci  le  peue  mie. 
Mie  son  quelle  calene,  e  per  me  qucsta 
Fiamma  s'acceude  ,  e '  1  rogo  a  me  s'apprcsta. 

Alza  Sophrojiia  il  viso  ,  c  uraanamente 
Conoccliidi  pictatc  il  lui  rimira. 
A  clic  ne  vicni ,  o  misero  iuuoccntc  ? 
Quai  consij^lio  o  furor,  ti  guida  o  tira  ? 
Ison  son  io  dunquesenza  te  posscute 
A  sostener  cio  che  d'un  nom  puo  1"  ira  ? 
Ho  petto  ancli'  io  ,  ch'ad  uiia  morte  crcde 
Di  basiar  .solo  ,  e  compaguia  non  cliiede. 

Cosî  parla  ail'  amante ,  e  nol  dispoue 
Sî  ,  che'  egli  si  disdica  ,  o  pensicr  mute. 
O  spettacolo  grande,  ove  a  tenzone 
Sono  amore  emagnauima  virtute; 
Ove  la  morte  al  vincitor  si  pone 
il  prcaiio  ,  c  '1  mal  dcl  rmlo  è  la  salute! 


ET     S  O  P  H  R  O  N  I  E.      298 

Il  reprend  eusuite  :  Je  suis  monté  de  nuit 
jusqu'à  l'ouverture  par  où  l'air  et  le  jour 
entrent  dans  votre  mosque'e  ,  et  tentant  des 
routes  presque  inaccessibles  ,  j'y  suis  entre' par 
nn  passage  étroit.  Que  celle-ci  eesse  d'usurper 
la  peine  qui  m'est  due.  J'ai  seul  mérité  l'hou- 
neur  de  la  mort  :  c'est  à  moi  qu'appartiennent 
ces  chaînes,  ce  bûcher  ,  ces  flamme»  ;  tout 
cela  n'est  destiné  que  pour  moi. 

SophronieViiSt  sur  lui  les  yeux  :1a  douceur, 
)a  pitiésont  peintes  dans  ses  regards.  Innocent 
infortuné  ,  lui  dit-elle ,  que  viens-tu  faire  ici  ? 
Quel  conseil  t'y  conduit?  Qu'elle  fureur  t'y 
traîne  ?  Crains-tu  que  sans  toi  mon  auic  ne 
puisse  supporter  la  colère  d'un  homme  irrité? 
Non  ,  pour  une  seule  mort ,  je  me  suffis  à  moi 
seule,  et  je  n'ai  pas  besoin  d'exemple  pour 
apprendre  à  la  souffrir. 

Ce  discours  qu'elle  tient  à  son  amant  ne  le 
fait  point  rétracter  ni  renoncera  son  dessein. 
Digne  et  grand  spectacle!  où  l'amour  entre  en 
lice  avec  la  vertu  magnanime  ,  où  la  mort  est 
le  prix  du  vainqueur,  et  la  vie  la  peine  du 
Taincu  !  Mais  loin  d'être  touche  de  ce  combat 


294  O  L  I  N  D  E 

Ma  più  s'irrita  il  re ,  quant' ella,  ed  css© 
E'più  constante  in  incolpar  se  stesso. 

Pargli  che  vilipeso  egline  resti  , 
E  che'  D  disprezzo  sno  sprezzin  le  pêne, 
Credasi,  dice  ad  auibo,  e  quella  e  questi 
Vinca  e  la  palma  sia  quai  si  conviene. 
Indi  acceuna  ai  sergenti ,  i  quai  son  presti 
A  legar  il  ij;ar20tx  di  lor  catene. 
Sono  arabe  stretti  al  palo  stesso  :  e  volto 
E'  il  tergo  al  tergo  ,  e  '1  volto  ascoso  al  volto. 

Composto  c  lor  d'  intoino  il  rogo  ornai. 
Fi  già  le  fiamme  ilniaiitice  v'  incita; 
Quaado  il  fanciullo  il  doioiosi  lai 
Proruppe  ,  e  disse  a  le!  ,  cli'  è  seco  unita  : 
Questo  dunque  c  quel  Jaccio  ond  '  io  spciai 
Teco  accopiarmi  in  compagnia  di  vita  ! 
Questo  è  quel  foco  ,  ch  '  io  ciedca  che  i  cori 
Ne  dovesse  inûammar  d'  eguali  ardoii  î 

Altre  fiamme  ,  altri  nodi  amor  promise  ; 
Alfri  ce  n'  apparecchia  iniqua  sorte. 
Troppo  j  ahi  beu  troppo_,  ella  già  noi  divise  j 


ET  SOPHRONIE.  29S 
de  constance  et  de  générosité  ,  le  roi  s'en 
irrite. 

Il  s'en  croit  insulté  ,  comme  si  ce  mépris 
du  supplice  rclombait  sur  lui.  Croyons-en, 
dit-il  ,  à  tous  deux  -,  qu'ils  triomphent  l'un 
et  l'autre,  et  partagent  la  palme  qui  leur  est 
due.  Puis  il  fait  signe  aux  sergeus  ,  et  dans 
l'instatit  Olinde  est  dans  les  fr-rs.  Tous  deux 
li«s  et  adossés  au  même  pieu  ne  peuvent  se 
voir  en  face. 


On  arrange  autour  d'eux  le  bûcher ,  et  déjà 
l'on  excite  la  flamme  ,  quand  le  jeune  homme 
éclatant  en  gémissemsus  dit  à  celle  avec  la- 
quelle il  est  attaché  :  C'est  donc-là  le  lien 
duquel  j'espérais  m'unir  à  toi  pour  la  vie  ! 
C'est  donc-là  ce  feu  dont  nos  cœurs  devaient; 
irûlcr  ensemble  ! 


O  flammes  ,  A  nœuds  qu'un  sort  cruel  nous 
destine  !  hélas  ,  vous  n'êtes  pas  ceux  que 
l'amour  m'avait  promis!  Sort  cruel  qui  nous 
«épara  dnraut  la  yie  et  nous  joiut  plus  durcjf 


296  O  L  I  N  D  E 

Ma  durameiiteor  ne  congiunge  în  morte. 
Piacemi  aluicii  ,  poichc  '  u  si  stiane  guise 
Morir  pur  dei ,  dcl  rogo  esser  cousortc  , 
Se  del  letto  non  fui  :  duolmi  il  tuo  fato  , 
II  mio  non  già,  poich'  io  ti  moro  alato. 


Ed  o  niia  morte  avventurosa  appieno, 
O  fortunati  inici  dolci  niartiri , 
S'  impctreroche  giuuto  scno  a  seno  , 
L*  anima  mia  nella  tua  bocca  io  spiri  ; 
E  veneudo  tu  meco  a. un  tempo  meno, 
II  me  fuormandi  gli  ultimi  sospiri  ! 
Cosi  dice  piaugendo  ;  ella  il  ripiglia 
Soavemente  ,  c  in  tai  detti  il  consiglia  : 

Amico  ,  altri  pensieri  ,^altri  lamentî 
Par  più  alta  cagione  il  tempo  chicde. 
Clie  non  peusi  a  lue  colpe  ?  e  non  raœmeuti 
Quai  Dio  prometta  ai  buoui  ampia  merccdo  ? 
SoEFri  in  suo  nome ,  e  flan  dolci  i  tormcuti  , 
E  lietto  aspira  alla  superna  scde. 
Mira  il  ciel  corn  '  c  bcllo  ,  c  mira  il  sole  , 
Ck'  a  se  par  che  n'  iu?iti ,  c  ne  cousole. 


E  T     s  O  P  H  R  O  ISr  I  E.      297 

ment  encore  a  la  mort  !  Ali  !  puisque  tu  dois 
la  subu-  aussi  finie?te  ,  je  me  console  eu  la 
partageaut  avec  toi  ,  de  t'être  uni  sur  ce 
bûcher,  n'ayant  pu  IVtre  a  la  conclic  nup- 
tiale. Je  picuie,  mais  sur  ta  triste  destinée, 
et  non  sur  la  mienne  ,  puisque  je  meurs  à  tes 


côtés. 


O  que  la  mort  me  sera  douce  ,  que  les 
tourmens  uie  seront  délicieux  ,  ^i  j'obtiens 
qu'au  dernier  moment  ,  tombant  i'nn  sur 
l'autre  ,  nos  boucncs  se  joignent  pour  exhaler 
et  recevoir  au  même  instant  nos  derniers  sou- 
piis  !  Il  parle  ,  et  ses  pleurs  étouflVnt  ses 
paroles.  Elle  le  tance  avec  douceur  ,  et  le  re- 
montre eu  ces  termes  : 


Ami ,  le  moment  où  nous  sommes  esiga 
d'autres  soins  et  d'autres  regrets.  Ah  !  pense, 
pense  à  tc=  fnntrs  et  au  digne  prix  que  Dieu 
promet  aux  lidelles.  Souffre  en  son  nom  ,  les 
tourmens  te  serov.t  doux  :  aspire  avec  joie  au 
séjour  céleste.  Vois  le  ciel  comme  il  est  beau  ; 
vois  le  soleil  dont  il  sem!)le  que  l'aspect  riant 
nous  appelle  et  nous  console. 


§98  O  L  I  N  D  E 

Qui  il  Tolgo  de'  pagani  il  piauto  estolle  : 
Piauge  il  fedel,  ma  il  voci  assai  più  basse. 
Un  noQ  so  che  d' iuusitato  e  inoUe 
Par  cbeiiel  duro  petto  al  re  trapasse. 
Ei  prcsentillo  ,  e  si  sdegnb  ;  ne  voile 
Piegarsi,  e  gli  occhi  torse  ,  e  si  ritrasse. 
Tu  sola  il  duol  comim  non  accompagni, 
Sofrenia  jÇ.  pianta  da  ciascuu  non  piagni. 

Mentrcsono  in  tal  rischio,  ecco  un  guerrière 
(Che  talparca)  d'  alta  scmbianza  ,  e  degiia: 
E  mostra  d'  arme  ,  e  d' ablto  straniero  , 
Chediloutan  percgrinaudo  vegna. 
La  tigre  che  suU'  elmo  ha  per  cimiero  , 
Tutti  gU  occhi  a  se  Irae,  famosa  insegna  : 
ÏQsegnausatada67o/7«d/^  in  guerra, 
Onde  la  credon  lei  ,  ne  '1  creder  erra. 

Costeigl'ingegni  femminili ,  e  gli  usi 
Tutti  sprezzo  fiu  d'ail'  ctà  più  .-jccrba  : 
Ai  Iavorid'^r^c«f  ^all"  ago  ,  ai  fusi 
Incbinarnoudegno  la  mansuperba  : 
Euggi  gli  abiti  molli  ,  e  i  lochi  chiusi  : 


ET     S  O  P  H  R  O  N  I  E.      299 

A  ces  mots  tont  le  peuple  païen  éclate  ea 
sanglots  ,  tandis  que  le  fidèle  ose  à  peine  .émir 
à  phis  basse  voix.  Le  roi  même  ,  le  roi  sent  au 
fond  de  son  ame  dure  je  rioais  quelle  émotion 
prête  à  l'attendrir.  Mais  en  la  pre.^sentaut ,  il 
s'indigiie  ,  s'y  refuse  ,  détourne  les  yeux,  et 
part  .^aiis  vouloir  se  laisser  fléchir.  Toi  seule, 
ô  Sofihronie,  n'accouipa^ne  point  le  dmil 
général  ;  et  quand  tout  pleure  sur  toi  ,  toi 
sçule  ue  pleures  pas  ! 

En  ce  péril  pressant  survient  un  guerrier  ; 
ou  paraissant  tel ,  dune  haute  et  belle  appa- 
rence ,  dont  l'armure  et  rhabiUemcnt  étranger 
annonçaient  qu'.l  venait  de  loin.  Le  tigre  ,  fa- 
meuse euseignc  qui  couvre  son  casque  ,  attira 
tous  les  yeux  ,  et  lit  juger  avec  raison  que 
c'étoit  Cloriiide. 


Des  l'âge  le  plus  t-ndre  ,  elle  méprisa  les 
nrguardiscs  do  son  icxc.  Jamais  ses  coura-- 
geuses  mains  ne  dciigr.èrent toucher  le  fuseau, 
l'aiguille  ,  et  ie<  travaux  à'Arachné.  Elle  no 
voulut  ni  s'amollir  par  des  vètcmons  délicats  , 
ni  s'envirouucr  timidcmtuLdc  clôture.  Dans 


3oo  O  L  I  N  D  E 

Che  ne'campi  onestate  anco  si  serba  : 
Armo  d'  orgoglio  il  volto  ,  e  si  compiacque 
Rigido  farlo  ,  e  pur  ligido  piacque. 


Tenera  ancorcon  pargoletta  destra 
Srinse  ,  e  lento  d'  un  corridore  il  inorso  : 
Tiattbrastae  laspada,  ed  iii  palcstra 
Induro  i  membri  ,  t-I  alleaogli  al  corso  : 
Poscia  o  per  via  niontana  ,  o  per  silvestra  ,' 
L'  orme  segui  di  fier  k-one  e  d'  orso  : 
Segui  le  guerre  ,  e'ii  quelle  ,  e  fra  le  selve. 
Feraagli  uomini  parve,  uomo  aile  belvc. 

Yiene  or  costei  dalle  contrade  Perse, 
Percliè  ai  cristiani  a  suc  peter  résista  ; 
Bencli'  altre  volte  La  di  loruiembra  esperso 
Le  piagge  ,  e  1'  ouda  di  lor  sangue  ba  inista. 
Or  quiuci  in  arrivaudo  à  Ici  s'offerse 
L' apparato  di  morte  a  prima  visla. 
Di  mirar  vaga  ,  e  di  saper  quai  fallo 
Condanni  i  rei ,  sospinge  ollre  il  earallo. 

Cedou  le  turbc  ,  e  i  duo  legati  insieme 


ETSOPHRONIE.      3oi 

les  camps  même  ,  la  vraie  honnêteté  se  fait 
Tespccter  ,  et  par-tout  sa  force  et  sa  vertu  fut 
sasauvegarde.  Elle  arma  de  fierté  son  visage  , 
et  se  plut  à  le  rendre  sévère  j  mais  il  charme 
tout  sévère  qu'il  est. 

D'une  main  encore  enfantine  elle  apprit  à 
gouverner  le  mors  d'un  coursier  ,  à  manier  la 
pique  et  l'épëe  ;  elle  endurcit  son  cor;  s  sur 
l'arène  ,'  se  rendit  légère  à  la  course  ,  sur  les 
rochers  ,  à  travers  les  bois  ,  suivit  à  la  piste  les 
bêtes  féroces  ,  se  fit  guerrière  enfin  ;  et  après 
avoir  fait  la  guerre  en  homme  aux  lions  dans 
les  forêts  ,  combattit  en  lion  dans  les  camps 
parmi  les  hommes. 

Elle  venait  des  contrées  persane*  pour  ré- 
sister de  toute  sa  force  aux  chrétiens.  Ce  n'était 
pas  la  première  fois  qu'ils  éprouvaient  soa 
courage.  Souvent  elle  avait  dispersé  leurs 
membres  sur  la  poussière  et  rougi  les  eaux  de 
leur  sang.  L'appareil  de  mort  qu'elle  aperçoit 
en  arrivant  la  frappe;  elle  pousse  son  cheval  , 
et  veut  savoir  quel  crime  attire  un  tel  châti- 
ment. 

La  foule  «'écarte  ,  f  t  Chrinde  en  considé- 


62  O  L  I  N  D  E 

Ella  si  ferma  a  riguardar  dappressor 
Miraclie  1'  una  tace  ,  e  V  altro  geme  , 
E  più  vigor  mostra  il  men  forte  sesso. 
Piaugcr  lui  vedc  in  guisa  d'  uom  cui  preme 
Pieta,non  doglia,  o  duolnou  di  se  stesso: 
E  tacer  lei  con  gli  occlij  al  ciel  si  fisa  , 
Ch'  anzi'  I  morir  par  di  quagglù  div^isa. 

Clorinda  inteuerissi  ,  e  si  conduise 
D'ainbcduo  loro  ,  clacriinoniic  alquanto. 
Pur  maggior  seule  il  duoi  per  obi  uoiiduolse, 
Più  laruove  il  silenzio  ,  e  ineuo  il  piauto. 
Senza  troppo  indugiare  ellasi  volse 
Ad  un  uom  ,  che  canuto  avea  drccanto. 
Deh  dimmi  ,  chi  son  qucsti  ,  cd  al  luartoro 
Qoal  gli  conduce,  o  sorte  ,  ocolpa  loro  ? 

Cosî  pregollo  :  dacolui  risposto 
Brève  ,  ma  pieno  aile  dimande  bUc. 
Stupissi  udeiido  ,  e  immagino  bcii   tosto 
Ch'egualmetite  innoceiiti  era;i  que'  due. 
Già  di  vietar  lor  morte  ha  in  se  proposto  , 
Quanto  potrauuo  i  pregbi,o  l'armi  sue. 
Froutaaccorrc  alla&amua,  efaritrarla, 


ET     SOPHRONIE.      3oS 

vaut  de  près  les  deux  victimes  attachées  en- 
semble ,  remarque  le  silence  de  l'une  et  les 
gémisscmens  de  l'autre.  Le  sexe  le  plus  faible 
montre  en  cette  occasion  plus  de  fermeté  ■  et 
tandis  quOIinde  plenre  de  pitié  plutôt  que 
de  crainte  ,  Sophronie^z  tait ,  et  les  yeux  fixés 
vers  le  ciel ,  semble  avoir  déjà  quitté  le  séjour 
terrestre. 

Clorinde  encore  plus  touchée  du  tranquille 
silencede l'une,  que  des  douloureuses  plaintes 
de  l'autre  ,  s'attendrit  sur  leur  sort  jusqu'aux 
larmes  ;  puis  se  tournant  vers  un  vieillard 
qu'elle  aperçut  auprès  d'elle  :  Dites-moi  ,  je 
vous  prie  ,  lui  demanda-t-elle  ,  qui  sont  ces 
jeunes  gens  ,  et  pour  quel  crime  ou  par  quel 
malheur  ils  souffrent  un  pareil  supplice  ? 


Le  vieillard  en  peu  de  mots  ayant  pleine- 
znent  satisfait  à  sa  demande,  elle  fut  frappée 
d'étonnement  ;et  jugeant  bien  que  tous  deux 
étaient  innocens,  elle  résolut  ,  autant  que  le 
pourrait  sa  prière  ou  ses  armes  ,  de  les  gani:itir 
de  la  mort.  Elle  s'approche  ,  en  faisant  retirer 
la  flamme  prctrà  les  atteindre;  elle  parle  ainsi 
«  ceux  qui  l'attisaient  ; 


3o4  O  L  I  N  D  E 

Che  già  s'  appressa  ;  ed  aiministri  parla  : 

Alcun  non  sia  dî  voi ,  clie'n  questo  dnro 
tJQcio  oltrascguireabbiabaldauza, 
Fiucli'  io  non  parli  al  re  :  beii  v'assecuvo  , 
Ch'ei  non  y'  accusera  délia  tardanza. 
Ubbidiro  i  sergeati ,  c  mossi  furo 
Dà  quella  grande  sua  régal  sembianza. 
Poi  verso  il  re  si  uiosse ,  e  lui  tra  via 
Ella  trovb  ,  che'  n  contra  lei  venia. 

losonlClorinda  ,  disse,  liai  forse  intesa 
Talornomarmi  ,  e  qui ,  Signor  ,  ne  vogue  , 
Per  ritrovarmi  teco  alla  dit'esa 
Délia  fede  coinune ,  e  dcl  tuo  regno. 
Son  prouta  (impoiii  pure)  ad  ogni  iaipresa  : 
L'  alte  non  temo  ,  e  l' umili  non  sdegno. 
Voglimi  in  campo  aperto  ,  o  pur  tra'  1  chiuso 
Délie  mura  iinpiegar  ,  nulta  ricuso. 

Tacqixe,  e  rispose  il  re  :  Quai  si  disgiunto 

Terra  è  dall'Asia  ,  o  dal  cauiniin  del  sole, 
Vergine  gloriosa  ,  ovc  non  giunta 
Sia  la  tua  fama  ,  e  l'onortuonon  vole? 
Or  che  s'  è  la  tua  spada  a  me  congiuuta , 

Qu'aucun 


ETSOPHRONIE.      3oS 


Qu'aucun  de  vous  n'ait  l'audace  de  pour- 
suivre cette  cruelle  œuvre  jusqu'à  ce  que  j'aie 
parlé  au  roi  :  je  vous  promets  qu'il  ne  vous 
saura  pas  mauvais  gré  de  ce  retard.  Frappés  de 
son  air  grand  et  noble  ,  les  sergens  obéirent  ; 
alors  elle  s'achemina  vers  le  roi ,  et  le  ren- 
contra qui  venait  au-devant  d'elle. 


Seigneur,  lui  dit-elle,  je  suis  Cloriiide  ; 
vous  m'avez  peut-être  ouï  nommer  quelque- 
fois. Je  riens  m'ollrir  pour  défendre  avec 
vous  la  foi  commune  et  votre  trône.  Or- 
donnez ,  soit  en  pleine  campagne  ou  dans 
l'enceinte  des  murs,  quelque  emploi  qu'il  vous 
plaise  m'assigner,  je  l'accepte  ,  sans  craindre 
les  plus  périlleux  ni  dédaigner  les  plus  hum- 
2)les. 

Quel  pays,  lui  répond  le  roi  ,  est  si  loia 
do  l'Asie  et  de  la  route  du  soleil ,  où  l'illustre 
nom  de  Clorindc  ne  vole  pas  sur  les  ailes  de 
la  gloire!  Non  ,  vaillante  guerrière  ,  avec  vous 
je  n'ai  plus  ni  doute  ni  crainte,  et  j  aurais 

Mélaiivcs.  Tome  V.  !<. 


Zb6  O  L  I  N  b  È 

D'ogni  tiraorin'aflidi ,  e  mi  console. 
Non  ,  s'  esercito  grande  unito  insieme 
Fosse  inmio  scampo  ,  avrei  più  certa  spemé.' 

Già  già  ini  par  ch'  a  giungfer  qui  Goffredo 
Oltra  ildover  indugi.Ortu  dirhandi, 
Ch  impieghi  io  te  :  sol  di  te  degtie  credo 
L' imprese  malagevoli ,  e  le  grandi. 
Sevrai  uostri  guerrieria  teconcedo 
Lo  scettro ,  e  legge  sia  quel  clie  comandi. 
Cosiparlava:  ella  rendea  cortese 
Grazie  per  lodi  :  indi  il  parlar  riprese  : 

Nova  cosa  parer  dovrà  per  certo  , 
Clie  précéda  ai  servigi  il  guiderdone  ; 
Ma  tua  bontà  m'affida  :  io  vuo'  che'  n  merto 
Del  futnro  servir  que  rei  nii  doue. 
Il  doMglichieggio  ,  e  pur  se  '1  fallo  èincerto; 
Cli  danna  inclementissiiua  ragloue. 
Ma  taccio  questo  ,  e  taccio  i  segni  espressi  , 
Ond'  argomouto  1'  innoccnzi  in  cssi. 

E  dirô  sol,  ch'èquicoinun  sentcnza  , 
Clie  i  cristiani  togliesscro  1'  iinmago; 
Ma  discor'  io  da  voi;  ne  pcro  seiiza 


E  T     s  O  P  H  R  O  N  I  E.      S07 

moins    de   confiance    en  vme   armée  entière 
venue  à  mou  secours,  qu'en  votre  seule  assis- 


tance. 


Oh  que  Godefroy  n'arrivc-t-il  à  l'instant 
même  !  Il  vient  trop  lentement  à  uion  gré. 
Vous  me  demandez  un  emploi  ?  Les  entre- 
prises difficiles  et  grandes  sont  les  seules  di- 
gnes de  vous.  Commandez  à  nos  guerriers  % 
je  vous  nomme  leur  général.  La  modeste 
ClQrinde  lui  rend  grâces  ,  et  reprend  ensuite  ; 


C'est  une  chosetien  nouvelle,  sans  doute  J 
que  le  salaire  précède  les  services  ;  mais  ma 
confiance  en  vos  bontés  me  fait  demander, 
pour  prix  de  ceux  que  j'aspire  à  vous  rendre, 
la  grâce  de  ces  deux  condamnés.  Je  les  de- 
mande en  pur  don  ,  sans  examiner  si  le  crime 
est  bicnavcré,  si  le  châtiment  n'est  point  trop 
sévère  ,  et  sans  m'arréter  aux  signes  sur  les- 
quels je  préjuge  leur  innocence. 

Je  dirai  seulement  que  quoiqu'on  accuse 
ici  les  chrétiens  d'avoir  enlevé  l'image  ,  j'ai 
quelque  raison   do  penser  autrement.  Cette 

R  2 


So8  O  L  I  N  D  E 

Alta  ragion  del  mio  parer  m'appago. 
Fu  dclle  nostre  Icggi  incvcrenza 
Qncll'opra  far  ,  cke  pcrsuase  il  mago  ; 
Che  non  convicn  ne'  nostri  tenipj  a  nui 
Gl'  idoli  avère  ,  e  rueii  gl*  idoli  altrui. 

Dunquc  suso  a  Maçon  recar  uni  giova 
Il  miracol  dcir  opra,  ed  ei  la  fcce, 
Per  diuiostrar  che  i  tcinpj  suoi  ton  noTa 
Religion  contaminar  non  Icce. 
Vacc\a  I  s  me  no  incantaiido  ogni  sua  prova  ," 
Egli  ,a  oui  le  iiiâlie  sou  d'  arme  in  vecc  : 
Tiattiamo  il  ferroprr  noi  cavalieri  ; 
Qucit'  artc  c  nostra  ,  e'  u  qucsta  sol  si  speri. 

Tacqne  ,  cib  nctîo  :  c'I  rc  ,  bench'  a  pictade 
L'  irato  cor  d.ffi;ilniente  pieghi , 
Ptii  tompiacer  la  voile  :  e'I  persuade 
B.agione  ,  e'1 11107C  autorità  di  pregbi. 
Abbian  vita  ,  rispose,  c  libcrtade  , 
K  null.i  a  tanto  intorccssor  si  neglii. 
Siasi  qutsta  o  giiistizia,  ovver  perdono, 
Inuocenti  gli  assolvo,  e  rei  gli  douo. 

Cosi  finon  disciolti.  ÀTYcnturoso 


ET    S  O  P  H  R  O  N  r  E.      3o9 

œuvre  du  magicien  fut  une  profanation  de 
notre  loi  qui  n'admet  point  d'idoles  dans 
nos  temples  ,  etinoius  encore  celles  des  dieus 
étrangers. 


C'est  donc  à  Mahomet  t\a.e,  j'aime  à  rap- 
porter le  miracle  ,  et  sans  doute  il  l'a  fait  pour 
nous  apprendre  a  ne  pas  souiller  ses  temples 
par  d'autres  cultes.  (;^u'/i-TOtf/7^fasseà  son  gré 
ses  enchantemens,  lui  dont  les  exploits  sont 
des  maléfices.  Pour  nous  guerriers  ,  manions 
!e  i^laive  ;  c'cst-là  notre  défense ,  et  nous  na 
devons  espérer  qu'eu  lui. 


Elle  se  tait  ;  et ,  quoique  l'ame  colère  du  roi 
nes'appaise  pas  sans  peine,  \.\  voulut  néan- 
moius  lui  complaire  ,  plutôt  fléchi  par  sa 
prière  et  par  la  raison  d'État  que  par  la  pitié. 
Qu'ils  aient ,  dit-il  ,  la  vie  et  la  liberté  :  un 
tel  intercesseur  peut-il  éprouver  des  refus  ? 
Soit  pardon  ,  soit  justice,  innocens  je  les  ab- 
sous ,  coupables  je  leur  fais  grâce. 

Ils  furent  ainsi  déliyrcs ,  et  là  fut  couroua» 

R  â 


Si9  O  L  I  N  D  E 

Ben  veramente  fu  à'  O^ùido  il  fato  ; 
Ch'  attp  potè  mostrar,  ch'  n  gciieroso 
Petto  alfiue  ha  d'  amore  destato  , 
"Va  dal  rogo  aile  nozze  ,  cd  è  già  sposo 
yatto  di  vco ,  non  pur  d'  amante  ainato; 
Voile  conlei  morire:  ella  non  chita, 
ippiphè  seco  non  muer ,  cheseco  vïTa- 


ET     SOPHRONIE.      3ii 

le  sort  vraiment  aventureux  de  l'amant  de 
Sophronie.  Eh  !  comment  refuserait-elle  d© 
vivre  avec  celui  qui  voulut  mourir  pour  elle  2 
Du  bûcher  ils  vont  à  la  noce;  d'amant  de'- 
daigné  ,  de  patient  même ,  il  devient  heureux 
époux  ,  et  montre  ainsi  dans  un  mémorable 
exemple  j  que  les  preuves  d'un  amour  ve'ri- 
table  ne  laissent  point  insensible  uu  cœur 
généreux. 


LE    LÉVITE 


D  '  É  P  H  R  A  ï  M. 


LE    LEVITE 

D  '  É  P  H  R  A  ï  M. 
CHANT    PREMIER* 

Oaiwte  colèl-e  de  la  vertu,  viens  animer 
ma  voix  ;  je  dirai  les  crimes  de  Benjamin  , 
et  les  vengeances  d'Israël;  je  dirai  des  for- 
faits inouïs  ,  et  des  châtimens  encore  plus 
terribles.  Mortels  ,  respectez  la  beauté' ,  les 
mœurs  ,  l'hospitalité  ;  soyez  justes  sans 
cruauté,  miséricordieux  sans  faiblesse-  et 
sachez  pardonner  au  coupable,  plutôt  qu© 
de  punir  l'innocent. 

O  vous,  hommes  débonnaires ,  ennemis 
de  toute  inhumanité;  vous  qui  ,  de  peur 
d'envisager  les  crimes  de  vos  frères,  aimez 
tnieux  les  laisser  impunis,  quel  tableau  viens- 
je  offrir  à  vos  yeux  ?  Le  corps  d'une  femme 
coupé  par  pièces;  ses  membres  déchirés  et 
palpitans  envoyés  aux  dou2e  tribus  ;  tout 
le  peuple  saisi  d'horreur,  élevant  jusqu^au 
ciel  une  clameur  unanime,  et  s'écriant  de 
concert  :  Non,  jamais rieu  de  pareil  ne  s'c^t 


3i6  L  E     L  É  V  I  T  E 

fait  en  T«raël,  depuis  le  jour  où  nos  pere« 
sortirent  d'Egypte   jusqu'à  ce  Jour.    Peuple 
saint,  rassemble-toi;  prononce  sur  cet  acte 
horrible,  et  décerne  le  prix  qu'il  a  mérité. 
A   de  tels    forlaits    celui    qui    détourne    ses 
JPegards   est   un    lâche  ,  un   déserteur   de  la 
justice;  la  véritable   humanité  Is  envisage, 
pour  les    connaître,   pour  les   juger,   pour^ 
ies  détester.   Osons  entrer  dans  ces   détails  , 
et  remontons  à  la  source  des  guerres  civiles 
qui  tirent  périr  une  des  tribus  ,  et  coûtèrent 
tant  de  sang  aux  autres.    Benjamin  ,    trisls 
enfant  de  douleur  ,  qui  donnas  la  mort  à  fa 
mère,  c'est  de  ton  sein  qu'est  sorti  le  crime 
qui  t'a   perdu,  c'est  ta   race  impie  qui  put 
le  commettre,   et  qui  devait  trop  l'expier. 
Dans  les  jours  de  liberté  où  nul  ne  régnait 
sur  le  peuple  du  Seigneur,  il  fut  un  temps 
de  licence  où  chacun  ,  sans  reconnaître  ni 
îna:;ibtrat    ni   juge,    était    seul    son    propre 
luaitrc  etfrrait  tout  ce  qui  lui  semblait  bon, 
Israël  ,  alors  épars  dans  les  champs  ,   avait 
peu   de  grandes  villes  ,  et  la  simplicité  de 
se^  mœurs  rendait  superflu  l'empire  des  lois: 
mais  tous  les  cœurs  u'etaient  pas  également 
purs  ,  tt  les  méchans  trouvaient  l'impunitô 
du  vice  daus  la  securit»  de  la  vertu. 

Darau* 


D'  É  P  H  R  A  I  M.  3i7 

Durant  un  de  ces  courts  intervalles  de 
calme  et  d'cgalité,  qui  restent  dans  l'onbli 
parce  que  nul  n'y  commande  aux  autres  et 
qu'on  n'y  fait  point  de  mal  ,  un  Ic'vite  des 
monts  d'Ephraïm  vit  dans  Betlilceui  uua 
jeune  fille  qui  lui  plut.  Il  lui  dit:  Fille  da 
Juda,  tu  n'es  pas  de  ma  tribu  ,  tu  n'as  point 
de  frère;  tu  es  comme  Icsfiilcs  de  Saphaad  ,j 
et  Je  ne  puis  t'épouser  selon  la  loi  du  Soi-» 
gncur.  (i)  Mais  naon  cœur  est  à  toi;  viens 
avec  moi  ,  rivons  ensemble  ;  nous  serons 
unis  et  libres;  tu  feras  mon  bonheur,  et  j» 
ferai  le  tien.  Le  lévite  était  jeune  et  beau; 
la  jeune  Bile  sourit;  ils  s'unirent,  puis  il 
l'emmena  dans  ses   montagnes. 

Là,  coulant  une  douce  vie,  si  chère  aur 
cœurs  tendres  et  simples  ,  il  goûtait  dans  sa 
Tetraite  les  charmes  d'un  amour  partagé  : 
là  sur  un  sistre  d'or  fait  pour  chanter  les 
louanges  du  Très-haut  ,  il  cliantait  souvent 
les  charmes  de  sa  jeune  épouse.  Corabiea 
de  fois  les  coteaux  du  mont  Hcbal  rclenti- 


(  i  )  Nombres,  ch.  XXXVI,  v.  8.  Je  sais  que 
les  enfans  de  Ldvi  pouvaient  se  marier  dans  »oute» 
les  tribus,  mais  non  dans  lo  cas  supposé. 

Méliinses.  Tome  V.  I» 


3i8  LE     LÉVITE 

rent  de  ses  aimables  chansons  ?  combien  de 
fois  il    la  mena    sous    l'ombrage  ,   dans   le» 
\allons  de  Sichein,  cueillir  des  ro^es  cbam- 
pétres  et  goûter  le  frais  au  bord  des  ruisseaux? 
Tantôt  il  cherobait  dans  les  creux  des  rochers 
des  rayons    de   miel    dore'  dont    elle    fcsait 
ses  délices;  tantôt  dans  le  feuillage  des  oli- 
viers il  tendait  aux  oiseaux  des  pièges  trom- 
peurs ,  et  lui  apportait  une  tourterelle  crain- 
tive qu'elle   baisait  en  la  flattant.  Puis  l'en- 
fermant dans  son  sein  ,  elle  tressaillait  d'aise 
en  la  sentant  se  débattre  et  palpiter.   Fille 
de  Bethléem,  lui  disait-il ,  pourquoi  pleures- 
tu  toujours  ta  famille  et  ton  pays?  Les  enfans 
d'Ephraïm  u'ont-ils  point   aussi  des    fcies, 
les  ûlles  de  la  riante  Sichem  sont-elles  sans 
srâccetsans  gaité  ?  les  habitans  de  l'antique 
Atharot  manquent-ils  de  force  et  d'adresse  ? 
Viens  voir  leurs  jeux  et  les  embellir.  Donne- 
xnoi  des  plaisirs,  ô  ma  bien-aimee;  en  est-il 
pour  moi  d'autres  que  les  tiens? 

Toutefois  la  jeune  fille  s'ennuya  du  lévite, 
peut-être  parce  qu'il  ne  lui  laissait  rien  à 
désirer.  Elle  se  dérobe  et  s'enfuit  vers  son 
père,  vers  sa  tendre  mère^  vers  ses  folâtres 
sœurs.  Elle  y  croit  retrouver  les  plaisir»  in- 


D'  É  P  H  R  A  I  M.  3i9 

Kocens  (le  son  enfance  ,  comme  si  elle  y 
port  lit  le  même  âge  et  le  même  crenr. 

X»ia:s  le  lévite  abandonne'  ne  pouvait  ou- 
blier sa  volage  épouse.  Tout  lui  rappelait 
dans  sa  solitude  les  jours  heureuTi  qu'il 
avait  passés  auprès  d'elle^  leurs  jeux,  leurs 
plaisirs  ,  leurs  querelle-  ,  et  leurs  tendres  rac- 
comino^leim-ns.  Soit  que  k  soleil  levant  dorât 
la  cime  des  uiuutagnes  de  Gelboé  ,  soit  qu'au 
soir  n\  vent  de  mer  vînt  rafraîcliir  leurs 
roclies  brûlantes,  il  errait  en  soupirant  dans 
les  lieux  qu'avait  aime's  l'intidelle,  et  la  nuit  , 
seul  dans  sa  coucbe  nuptiale,  il  abreuvait 
son  chevet  de  ses   pleurs. 

Apriîs  avoir  flotté  quatre  mois  entre  le 
Tcgret  et  le  dépit  ,  comme  un  enfant  chassé 
du  jeu  par  les  autres,  feint  de  n'en  vouloir 
plus  en  brûlant  de  s'y  remettre  ,  puis  enfin 
demande  en  pleurant  d'y  rentrer,  le  lévite  en- 
traîne par  sou  amour  ,  prend  sa  monture,  et 
suivi  de  sou  serviteur  avec  deux  ânes  d'Epha 
cliar^^és  de  ses  provisions  et  de  dons  pour 
les  piirens  delà  jeune  fille  ,  il  retourne  à  Bcth- 
Iccnt  pour  se  réconcilier  avec  elle  et  lâcher 
de   la  ramener. 

La   jeune  femme   l'appcrccvant    de    loin 

J>   2 


320  L  E     L  E  V  I  T  E 

tressaillit,  court  au-devant  de  lui  ,  et  Tac- 
cueillant  avec  caresses  l'introduit  dans  la 
maison  de  son  père  ;  lequel  apprenant  son 
arrivée  accourt  aussi,  plein  de  joie,  l'em- 
brasse, le  reçoit,  lui,  son  serviteur,  son 
équipage,  et  s'empresse  à  le  bien  traiter.  Mais 
le  Je'vite  ayant  le  cœur  serré  ne  pouvait 
parler;  néanmoins  ému  par  le  bon  accueil 
de  la  famille,  il  leva  les  yeux  sur  sa  jeune 
épouse,  et  lui  dit  :  Fille  d'Israël,  pourquoi 
me  fuis-tu  ?  quel  mal  t'ai-je  fait  ?  La  jeune 
fille  se  mit  à  pleurer  en  se  couvrant  le  visage. 
Puis  il  dit  au  père  :  Rendez-moi  ma  com- 
pagne ;  rendez-la  moi  pour  l'amour  d'elle  , 
pourquoi  vivrait-elle  seule  et  délaissée?  quel 
autre  que  moi  peut  honorer  comme  sa  fcuime 
celle  que  j'ai  reçue  vierge  ? 

Le  père  regarda  sa  filJe  ,  et  la  fille  avait 
le  cœur  attendri  du  retour  de  son  mari.  Lo 
père  ditdonc  à  sou  gendre  :  Mon  fils  ,  donucz 
moi  trois  jours;  passons  ces  jours  dans  la 
Joie,  et  le  quatrième  jour  vous  et  ma  fille 
partirez  eu  paix.  Le  lévite  resta  donc  trois 
jours  avec  sou  beau-père  et  toute  sa  famille, 
mangeant  et  buvant  familièrement  avec  eux: 
et  la  nuit  du  quatrième  jour,  se  levant  avant 
le  soleil,  U  voulut  pajtirj  mais   sou  beau- 


D'  E  P  lï  R  A  I  M.  321 

père,  l'arrêtant  par  la  main  ,  lui  dit  :  Quoi  ! 
■voulez-vous  partir  à  jeùu  2  venez  fortifier 
votre  estomac  ,  ci  puis  vous  partirez.  Ils  se 
mireut  donc  à  table  ,  et  après  avoir  mangé 
et  bu  ,  le  père  lui  dit  :  Mon  fils,  je  vous 
supplie  de  vous  réjouir  avec  nous  encore 
aujourd'liui.  Toulclois  le  lévite  se  levant, 
voulait  partir;  il  croyait  ravir  à  l'amour  le 
temps  qu'il  passait  loin  de  sa  retraite,  livré 
à  d'autres  qu'à  sa  bieu-aimée.  Mais  le  père 
ne  pouvant  se  résoudre  à  s'en  séparer,  en- 
gagea sa  fille  d'obtenir  encore  cette  journée; 
et  la  fille,  caressant  son  mari  ,  le  fit  rester 
jusqu'au  lendemain. 

Dès  le  maiiu  ,  comme  il  était  prêt  à  partir, 
il  fut  encore  arrêté  par  son  beau-père,  qui 
le  força  de  se  mettre  à  table  eu  attendant 
le  grand  ;our  ;  et  le  temps  s'écoulait  sans 
qu'ils  s'en  appercussent.  Alors  le  jeune 
liomuie  s'étant  levé  pour  partir  avec  sa 
temme  et  son  serviteur,  et  ayant  prépaie 
toute  chose  :  O  mon  fils  ,  lui  dit  le  père  , 
vous  voyez  que  le  jour  s'avance  et  que  1» 
soleil  est  sur  sou  déclin.  Ne  vous  mettez  pas 
si  tard  en  route  ;  de  grâce  ,  réjouisse/,  mon 
cooin  cr4prc  le  reste  de  cette  journée  :  dr-maiu 

^  3 


321  LELÊTITE 

dès  le  point  du  jour  vous  partirez  sans  retard  : 
et  en  disant  ainsi,  le  bon  vieillard  était  tout 
saisi;  ses  yeux  paternels  se  remplissaient  de 
larmes.  Mais  le  lévite  ne  se  rendit  point, 
et  voulut  partira   l'in?tanl. 

Que  de  regrets  conta  cette  se>nrat;on  fu- 
neste! Que  de  touchaïus  ndicuK  turint  d.ts 
et  recommeticés  !  Que  de  pkms  1<  s  sœurs 
de  la  jeune  fille  versèrent  sur  son  v  sage  î 
Combien  de  fois  elles  la  reprirent  tour  a  tour 
dans  leurs  bras  !  Combien  de  fois  sa  mère 
éplorée  ,  en  la  serrant  derechef  dnus  les  siens, 
sentit  les  douleurs  d'une  nouvelle  séparnfo'.i . 
Mais  son  père,  en  l'embrassant  ne  pleurait 
pas:  ses  muettes  e'treintes  étaient  mornes  et 
convulsives  ;  des  soupirs  tranchans  soule- 
vaient sa  poitrine.  Hélas  !  il  semblait  pré- 
voir l'iiornble  sort  de  rinfortuuéc.  Oh  s'il 
eiit  su  qu'elle  ne  reverrait  jama  s  l'aurore! 
S'il  eût  su  que  ce  jour  était  le  dernier  de 
*es  jours....  Ils  partent  enbn  ,  suivis  des 
tendres  bénédictions  de  toute  Ifur  famille, 
et  de  vœux  qui  méritaient  d'être  exauces- 
Heureuse  famille  ,  qui  dans  l'union  la  plus 
pure  ,  coule  au  sein  de  l'amitié  ses  paisibles 
jours,  et  semble  n'avoir  qu'un  ctïur  a  tous 
ses  membres!  Oh!  innocence   des  mœurs. 


D"  É  P  H  R  A  I  M.  323 

douceur  d'ame  ,  antique  simplicité^  que  vous 
«tes  aimables  !  Comment  la  brutalité  du  vice 
a-t-ellc  pu  trouver  place  au  milieu  de  vous? 
comment  les  fureurs  de  la  barbarie  u'ont- 
«lles  pas  respecté  vos  plaisirs  î 


534  LELEVITE 


CHANT    SECOND. 


J_jE  jeune  leVite  suivait  sa  route  avec  sa 
femme,  son  serviteur,  son  bagage,  trans- 
porté de  joie  de  ramener  l'aniie  de  son 
cœur  ,  et  inquiet  du  soleil  et  de  la  pous- 
sière, comme  une  mère  qui  ramène  son  mi  faut 
chez  la  nourrice  ,  et  craint  pour  lui  les  injures 
de  l'air.  Déjà  l'on  dc'couvrait  la  ville  de 
Jébus  a  main  droite,  et  ses  murs,  aussi  vieux 
que  les  siècles,  leur  offraient  un  asile  aux 
approches  de  la  nuit.  Le  serviteur  dit  donc 
à  son  maître  :  Vous  voyez  le  jour  prêt  à 
îinir  :  avant  que  les  tc'nebres  nous  siir|iren- 
i:cnt  ,  entrons  dans  la  ville  des  Jebusecns  , 
nous  y  clurclicrons  un  asile  ,  et  demain  , 
poursuivant  noire  voyaye  ,  nous  pourrons 
arriver  à  Gcha. 

A  Dieu  ne  plaise,  dit  le  lévite  ,  que  je 
3cç;eeliezun  peuple  infidelle,  et  qu'un  cana- 
néen donne  le  couvert  au  ministre  du 
Seij^neur.  Non,  mais  allons  jusqu'à  Gabaa 
chercher  l'hospitalité  chez  nos  frères.  Ils 
lais!,èrcat  donc  Jérusalem  derrière   eux,   ils 


D'  É  P  H  R  A  I  M.  325 

arrivèrent  après  le  coucher  du  soleil  à  la 
hauteur  de  Gabaa  ,  qui  est  de  la  tribu  de 
Bcnjaiuin.  lis  se  dctournèreut  pour  y  passer 
la  nuit,  et  y  étant  en  très,  ils  allcrcut  s'asseoir 
dans  la  place  publique  ;  mais  nul  ne  leur 
offrit  un  asile,  et  ils  demeuraient  à  décou- 
vert. 

Ilomnics  de  nos  jours,  ne  calomniez  pas 
les  inrenrs  de  vos  pères.  Ces  premiers  temps  , 
il  est  vrai  ,  n'abondaient  pas  comme  les 
vôtres  en  coannodités  de  la  vie;  de  vils 
métaux  n'y  sulfisaicnt  pas  a  tout  :  mais 
l'homme  avait  des  entrailles  qui  fesaient  le 
reste;  l'hospitalité  n'était  pas  à  vendre,  et 
l'on  n'y  trafiquait  pas  des  vertus.  Los  hls 
de  Jémini  n'étaient  pas  les  seuls,  sans  doute, 
dont  les  cœurs  de  fer  fussent  endurcis;  mais 
cette  dureté  n'était  pas  commune.  Par-tout 
avec  la  patience  on  trovivait  des  frères;  le 
voyageur  dépourvu  de  tout  ne  manquait 
de  rien. 

Après  avoir  attendu  lont^-temps  inutile- 
ment ,  le  lévite  allait  détacher  son  bagage, 
pour  en  faire  à  la  jeune  tille  un  lit  moins 
dur  que  la  terre  uuc,  quand  il  apperçut  un 
homme  vieux  ,  revenant  sur  le  tard  de  ses 
chainpsct  de  ses  travaux  rustiques.  Ccthomm» 


336  LELEVITE 

était  comme  lui  des  monts  d'Epbraïm  ,  il 
ctait  venu  s'établir  autrefois  dans  cette  ville 
parmi  les  enfans  de  Benjamin. 

TiC  viellard  élevant  les  yeux  vit  un  liomme 
et  une  femme  assis  ,  au  milieu  de  la  place, 
avec  un  serviteur,  des  bétes  de  somme,  et 
du  bagage.  Alors  s'appvochant ,  il  dit  au 
lévite  :  Etranger,  d'oîi  étes-vous  ,  et  où 
allez-vous  ?  lequel  lui  répondit  :  Nous  venons 
deficthléem,  ville  de  Juda:  nous  retournons 
dans  notre  demeure  sur  le  pcucbant  du 
mont  d'Epbraïm,  d'où  nous  étions  venus, 
et  maintenant  nous  chercbions  l'bospice  du 
Seigneur;  mais  nul  n"a  voulu  nous  loger. 
Nous  avons  du  grain  pour  nos  animaux, 
du  pain  ,  du  vin  pour  moi  ,  pour  votre  ser- 
vante,  et  pour  le  garçon  qui  nous  suit;  nous 
avons  tout  ce  qui  nous  est  nécessaire,  il 
nous  manque  seulement  le  couvert.  Le  vieil- 
lard lui  répondit  :  Paix  vous  soit  mon  frère: 
vous  ne  resterez  point  dans  la  place ,  si  quel-» 
que  cbose  vous  manque  ,  que  le  crime  eu. 
soit  sur  moi.  Ensuite  il  les  mena  dans  sa 
maison  ,  fit  décbargcr  leur  équipage,  garnir 
le  râtelier  pour  leurs  bêtes  ,  et  ayant  fait 
laveries  pieds  à  ses  hôtes,  il  leur  fit  ua  festiii 


D'  É  P  H  R  A  I  ]àï.  ^27 

«de  patriarches  ,  siaiple  et   sans   faste,  mais 
aJîoadant. 

Tandis  qu'ils  étaient  à  table  avec  leur 
liôte  et  sa  611e,  (2)  promise  à  uti  jeune 
îiomme  du  pays  ,  et  que  dans  la  gaité  d'uii. 
repas  offert  avec  joie ,  ils  se  délassaient  agréa- 
blement, les  hommes  de  cette  ville  ,  eufaiis 
deBélial,  sansjou^,  sans  frein  ,  sans  retenue, 
«t  bravant  le  ciel  comme  les  cyclopes  du 
jmont  Etna  ,  vinrent  environner  la  maison  , 
frappant  rudement  à  la  porte  ,  et  criant  au 
vieillard  d'un  ton  menaçant:  Livre-nous  ce 
jeune  étranger  que  sans  congé  tu  reçois  dans 
nos  murs  ,  que  sa  beauté  uous  paye  le  prix: 
de  cet  asile,  et  qu'il  expie  ta  témérité.  Car 
ils  avaient  vu  le  lévite  sur  la  place,  et,  par 
un  reste  de  respect  pour  le  plus  sacre'  de  tous 
les  droits  ,  n'avaient  pas  voulu  le  loger  dans 
leurs  maisons  pour  lui  faire  violence  ;  mais 
ils  avaient  comploté  de  revenir  le  surprendre 
au  milieu  de  la  nuit ,  et  ayant  su  que  le  vieil- 

(  2  )  Dans  l'usage  antique   les  femmes    de    la 
maison   ne  se   mettHient  pas  à   table  avec  leuis 
hôies,  quand  c'ôtaienc  des  hommes  :  mais  lors 
qu'il  y   avait  des  femmes  ,    elles  s'y   me;tai«at 
avec  elle». 

S  6 


328  LELÉVITE 

lard  lui  avait  donne  retraite,  ils  accouraient 
sans  justice  et  sans  iioute,  pour  larracber  de 
sa  maison. 

Le  vieillard  entendant  CCS  forccne's  se  trou- 
tic,  s'cflraye,  et  dit  au  lévite  :  Nous  soniuies 
perdus  :  cci  uiéchans  ue  sont  pas  des  gens  que 
la  raison  ramène,  et  qui  reviennent  jamais 
de  ce  qu'ils  ont  résolu.  Toutefois  il  sort  au 
devant  d'eux  pour  tâciicr  de  les  fléchir.  Il 
se  prosterne,  et  levant  au  ciel  ses  mains  pures 
de  toute  rapine  ,  il  leur  dit  :  OIi  mes  frères  ! 
quels  discours  avcz-vous  prononcés  ?  Ah  ! 
ne  faites  pas  ce  mal  devant  le  Seigneur  ;  n'ou- 
tragez pas  ainsi  la  nature,  ne  violez  pas  la 
sainte  hospitalité.  Mais  voyant  qu'ds  ne 
l'écoutaient  point,  et  que  prêts  à  le  maltraiter 
lui-même,  ils  allaient  forcer  la  maison  ,  le 
\ieillnrd  au  dé:icspoir  prit  à  l'instant  sou 
parti,  et  fesan  t  signe  de  la  main  pour  se  faire 
en  tendre  au  milieu  du  tumulte,  il  reprit  d'uno 
voix  plus  forte:  Kon,  moi  vivautun tel  forlait 
lie  déshonorera  point  mou  hôte  et  ne  souil- 
lera point  ma  maison  :mais  écoutez,  hommes 
cruels  ,  les  supplications  d'uu  malheureux 
père.  J'ai  une  hilc  encore  vierge,  promise  a. 
l'un  d'entre  vous;  je  vais  l'amener  pour  vous 
ctïc  iuiiaoléc,  mais  seulcaient  que  vos  luaius 


D'  É  P  H  R  A  I  M.  320 

sacrilèges  s'abstiennent  de  toucher  au  Ic'vite 
du  Seij^ncnr.  Alors  ,  sans  altcndre  leur  ré- 
ponse, il  court  chercher  sa  filIc  pour  racheter 
son  hôle  aux  dépens  de  son  propre  sang. 

Mais  le  lévite,  que  jusqu'à  cet  instant  la 
terreur  rendait  immobile,  se  réveillant  à   ce 
de[)lo;able  aspect  ,  pre'vient  le  généreux  vieil- 
lard, s'clance   au-devant  de    lui,    le  force  à 
rentrer  avec  sa  Glle,  et  prenant  iui-inéuie  sa 
compagne  bien-aime'c  ,  sans  lui  dire  un   seul 
mot,  sans  lever  les  yeux  sur  elle  ,  l'entraîne 
jusqu'à   la  porte,  et  la  livre  à  ct-s   maudits. 
Aussi-tôt  ils  entourent  la  jeune  lille  à  demi- 
morte  ,  la  saisissent ,  se  l'arrachent  sans  pitic-; 
tel   dans    leur    brutale  furie   qu'au   pied  des 
Alpes  glacées  un  troupeau  de  loups  aQame's 
surprend  une  faible  génisse  ,  se  jette  sur  elle 
et  la  déchire  au  retour  de  l'abreuvoir.  Oh  mi- 
sérables, qui   détruisez   votre  espèce  par  les 
plaisirs   destinés  à  la  reproduire,    comment 
cette  beauté  mourante  ne   glace-t-elle  pouit 
vos  féroces  dcsirs  ?  Voyez  ses  yeux  déjà  fermés 
à  la   lumière  ,  ses   traits    cllacés  ,  son  visage 
éteint;  la   pâleur  de   la  mort  a   couvert  ses 
joues,  les  violettes  livides  en  ont  chassé  les^ 
roses,  elle  n'a  plus  de  voix  pour  gémir  ,  ses 
ujaius  n'ont  plus  de  force  pour  repousser  vos 


S3o  LELÉVITE 

outrages  :  Iielas  !  elle  est  déjà  morte  !  Barbares 
indigues  du  nom  d'hommes  !  vos  hurlcmeus 
ressemblent  aux  cris  de  l'horrible  hicne,  et 
comme  elle  ,  vous  dévorez  les  cadavres. 

Les  approches  du  jour  qui  rethassc  les  bêtes 
farouches  dans  leurs  tanières  ayant  dispersé 
CCS  brigands  ,  l'infortune'c  use  le  reste  de  sa 
force  à  se  traîner  jusqu'au  logis  du  vieillard/ 
elle  tombe  à  la  porte  la  face  contre  terre  et 
les  bras  étendus  sur  le  seuil.  Cependant  , 
après  avoir  passe'  la  nuit  à  remplir  la  maison 
de  son  hôte  d'imprécations  et  de  pleurs, le 
Jcvite  prêt  à  sortir  ouvre  la  jMjrle  et  trouve 
dans  cet  e'tat  celle  qu'il  a  tant  aimée.  Quel 
spectacle  pour  son  cœur  déchiré  !  Il  élève 
un  cri  plaintif  vers  le  ciel  vengeur  du  crime  ; 
jïuis ,  adressant  la  parole  à  la  jeune  fille  j 
Lève-toi  ,  lui  dit-il  ,  fuyons  la  malédictioiv 
qui  couvre  cette  terre  ;  viens,  ô  ma  compagne  ! 
je  suis  la  cause  de  ta  perte  ,  je  serai  ta  con- 
solation :  périsse  l'homme  injuste  et  vil  qui 
jamais  te  reprochera  ta  misère  •,  tu  m'es  plus 
respectable  qu'avant  nos  malheurs.  La  jcuuo 
fille  ne  répond  point  :  il  se  trouble,  son  cœur 
saisi  d'eflVoi  commence  à  craindre  de  plus 
grands  maux,  il  l'appelle  de  rechef,  il  regarde, 
il  la  touche  ;  elle  u'ctait  plus.    O  fille  trop 


D'  É  P  H  R  A  I  31.  33i 

ahnnble  ,  et  trop  aimée!  c'est  donc  pour  cela 
^ue  je  t'ai  tirée  de  la  maison  de  tou  père  ? 
-voilà  donc  le  sort  que  te  préparait  mou 
amour?  Il  acheva  ces  mots  prêt  à  la  suivre, 
et  ne  lui  survcquit  que  pour  la  venger. 

Dès  cet  instant,  occupé  du  seul  projet  dont 
son  ame  était  remplie,  il  fut  sourd  à  tout 
autre  sentiment  ;  l'amour ,  les  regrets ,  la  pitié, 
touten  luisechangeenfLueur.  L'aspcctmème 
de  ce  corps  ,  qui  devrait  le  faire  fondre  eu 
larmes  ,  ne  lui  arrache  plus  ni  plaintes  m 
pleurs:  il  le  contemple  d'nnccil  sec  et  sombre  ; 
il  n'y  voit  plus  qu'un  objet  de  rage  et  de 
désespoir.  Aidé  de  son  serviteur  ,  il  le  charge 
sur  sa  monture  et  l'emporte  dans  sa  maison. 
Là,  sans  hésiter,  sans  trembler,  le  barbare 
ose  couper  ce  corps  en  douze  pièces  ;  d'une 
main  ferme  et  sûre  il  frappe  sans  crainte  ,  il 
coupe  la  chair  et  les  os,  il  sépare  la  tête  et 
les  mcnjbns  ,  et  après  avoir  fait  aux  tribus 
ces  en  vois  effroyables,  il  lespréccdcà  Maspha, 
déchire  8esvétemens,couvre  sa  têtede  cendre, 
se  prosterne  à  mesure  qu'ils  arrivent ,  et 
ïéclame  à  grands  cris  la  justice  du  Dici» 
d'Israël. 


333  L  E     L  É  V  I  T  E 


CHANT  TROISIÈME. 


\^^EPENDA>T  VOUS  cussie?'  VU  toutlc  peuplc 
de  Dieu  ^  s'cmouvoir  ,  s'assembler,  sortir 
de  SCS  demeures,  accourir  de  toutes  les  tribus 
à  JMaspha  de/ant  le  Seigneur,  comme  un 
nombreux  essaim  d'abeilles  se  rassemble  en 
bourdonnant  autour  de  leur  roi.  Ils  vinrent 
tous  ,  ils  vinrent  de  toutes  parts  ,  de  tous 
les  cantons  ,  tons  d'accord  comme  un  seul 
homme  depuis  Dan  jusqu'à  Bcersabce  ,  et 
depuis  Galaad  jusqu'à  Masplia. 

Alors  le  lévite  s'étant  présente  dans  un 
appareil  luj^ubre,  fut  interroge  par  les  anciens 
devant  l'a-semblce  sur  le  uieurlrc  de  la  jeune 
fiiic  ,  et  il  leur  parla  ainsi  ;  »  Je  suis  entre 
>»  dans  Gabaa,  vdle  de  Beniamin,  avec  tua 
»  femuîe  pour  y  passer  la  nuit;  et  les  geus 
»»  du  pays  ont  entoure  la  maison  oCi  j'étais 
>♦  loge,  voulant  ui'oulrager  et  me  faire  périr. 
5»  J'ai  été  forcé  de  livrer  ma  femme  à  leur 
■»  débauche  ,  et  elle  est  morte  en  sortant 
»»  de  leurs  mains.  Alors  j'ai  pris  son  corps, 
>»   je  l'ai  luis    eu   pièces  ,   et  je  vous   les  ai 


D  '  É  P  H  R  A  I  M.  S31 

»  envoyccsà  diacun  dans  vos  limites.  Peuple 
»  du  Seigneur  ,  j'ai  dit  la  vcriie  ;  faites  ce 
»  qui  vous  scinbkia  juste  devant  le  Tiès- 
j»   haut.  » 

A.  l'instant  il  s'cleva  dans  tout  Israël  un 
seul  cri,  mais  éclatant,  mais  unanime  :  Que 
le  sang  de  la  jeune  femme  retombe  sur  ses 
meurtriers.  Vive  rEtcrnel  ?  nous  ne  rentre- 
rons point  dans  nos  demeures  ,  et  nul  de 
nous  ne  retournera  sous  son  toit  que  Gabaa 
ne  soit  extermine.  Alors  le  lévite  s'ccria 
d'une  voix  furtc  :  lieni  soit  Israël  qui 
punit  l'infamie  et  venge  le  sang  innocent. 
Fille  de  Eetlilécm  ,  je  te  porte  une  bonne 
nouvelle;  ta  mémoire  ne  restera  point  sans 
honneur.  En  disant  ces  mots,  il  tomba  sur 
sa  face,  et  mourut.  Son  «orps  fut  lionoré 
des  funérailles  publiques.  Les  membres  de  la 
jeune  (Vminc  furent  rassemblés  et  mis  dans 
le  même  sépulcre  ,  et  tout  Israël  pleura  sur 
eux. 

Les  apprêts  de  la  guerre  qu'on  allait  en- 
treprendre commencèrent  par  un  seiinent 
solemncl  de  mettre  à  mort  quiconque  négli- 
gerait de  s'y  trouver.  Ensuite  on  lit  le  dé- 
nombrement tle  tous  les  Hébreux  portant 
aiuics,  et  l'on   choisit  dii:  de  cent,  cent  do 


334  L  E    I.  É  V  I  T  E 

mille,  et  mille  de  dix  mille,  la  dixième 
partie  du  peuple  entier  ,  dout  ou  fit  une 
armée  de  quarante  mille  hommes  qui  devait 
a"^ir  contre  Gabaa  ,  tandis  qu'un  pareil  nom- 
bre était  chargé  des  convois  de  munitions 
et  de  vivres  pour  l'approvisionnement  do 
l'armée.  Ensuite  le  peuple  vint  à  Silo  devant 
l'arche  du  Seif^neur,  en  disant  :  quelle  tribu 
coramaudera  les  autres  contre  les  enfans  de 
Benjamin  ?  Et  le  Seigneur  répondit  :  c'est  lo 
sang  de  Juda  qui  crie  vengeance;  que  Juda 
soit  votre  chef. 

Mais  avant  de  tirer  le  glaive  contre  leurs 
frères  ,  ils  envoyèrent  à  la  tribu  de  Beniamiii 
des  hérauts  ,  lesquels  dirent  aux  Ben  j  ami  tes: 
Pourquoi  cette  horreur  se  trouve-t-elle  au 
milieu  de  vous  ?  livrez-nous  ceux  qui  l'ont 
commise  ,  ahn  qu'ils  meureut  ,  et  que  le  mal 
soit  ôté  du  sein  d'israel. 

Les  farouches  enfans  de  Jémlni  ,  qui 
n'avaent  pas  ignore  l'assemblée  de  Maspha, 
ni  la  résolution  qu'on  y  avait  prise,  s'étant 
préparés  de  leur  cùlé  ,  crurent  que  leur  valeur 
les  dispensait  d'ctre  Justes.  Ils  n'écoutèrent 
point  l'cNhortation  de  leurs  frères,  et  loiu 
de  leur  accorder  la  satisfaction  qu'ils  leur 
devaient  ,  ils   sortircut   eu  armes  de   toutes 


D  '  É  P  H  R  A  I  M.  335 

les  villes  de  leurs  partages,  et  acconrurent 
à  la  défense  de  Gabaa  ,  sans  se  laisser  cftiayer*' 
par  le  nombre,  et  résolus  de  combattre  seuls 
tout  le  peuple  réuni.  L'armée  de  Beujamia 
se  trouva  de  vingt-cinq  mille  liommes  tirant 
l'épée  ,  outre  les  liabitans  de  Gabaa  ,  au 
nombre  de  sept-cents  hommes  bien  aguerris, 
maniant  les  armes  des  deux  mains  avec  la 
même  adresse  ,  et  tous  si  excelleus  tireurs 
de  fron  le  qu'ils  pouvaient  atleindre  un  che- 
Teu  ,  sans  que  la  pierre  déclinât  de  côtç  ni 
d'autre. 

L'armée  dTsraël  s'étant  assemblée  et  ayant 
élu  SCS  chefs  vint  camper  devant  Gabaa, 
ccmplant  emporter  aisément  cette  place  ; 
mais  les  licnjamites  étant  sortis  en  bon  ordre , 
l'attaquent ,  la  rompent',  la  poursuivent  avec 
furie  ;  la  terreur  les  précède  et  la  mort  les 
suit.  On  voyait  les  forts  d'Israël  en  déroute 
tomber  par  milliers  sous  leur  épée  ,  et  les 
champs  de  Rama  se  couvrir  de  cadavres  , 
comme  les  sables  d'Elath  se  couvrent  des 
ntiées  de  sauterelles  qu'un  vent  brûlant 
apporte  et  tue  en  un  jour.  Vingt-deux  mille 
liommes  de  l'armée  d'Israël  périront  dans  ce 
combat  :  mais  leurs  frères  ne  se  découragèrent 
point ,  et  se  Uant  à  leur  force  et  à  leur  grauxl 


336  LELÉVITE 

nouabre  encore  plus  qu'à  la  jusflce  de  leur 
cause,  ils  vinrent  le  Icndcruaiu  se  ranger  ea 
bataiilc  dans   le  même  lieu. 

Tontî'iois  avant  que  de  risquer  un  nou- 
veau combat  ,  ils  ctaicnt  montes  la  veille 
devant  le  Seigneur  ,  et  pleurant  jusqu'au  soir 
en  sa  présence  ils  l'avaient  consulté  snr  le 
sort  de  cette  tçuerrc.  Mais  il  leur  dit  :  allez 
et  couibattez  ;  votre  devoir  ddpcnd-il  de 
l'c'véneiuent  ? 

Coiuuie  i4s  marchaient  donc  vers  Gabaa,- 
les  Beujamiles  tirent  une  sortie  par  toutes 
les  portes  ,  et  tombant  sur  eux  avec  plus  de 
fureur  que  la  veille^  ils  hs  dc'tircnt  ,  et  les 
poursuivirent  avec  un  tel  acharnement,  que 
dix-huit  nulle  hommes  de  guerre  périrent 
encore  ce  iour-là  dans  rarme'e  d'isracl.  Alors 
tout  le  p:  uple  vint  de  rech.f  se  prosterner  et 
pleurer  devant  le  Seigiu'ur,  et  jeûnant  jus- 
qu'au soir,  ils  ofïVirent  des  oblalions  et  des 
sacriliccs.  Dieu  d'Abralian»,  disaient-ils  en 
gcuiis!.ant,  ton  peuple,  épargne  tant  de  fois 
dans  ta  jus'e  colère,  pcrlra-t-il  pour  vouloir 
ôtcr  le  mal  de  soi  sein  ?  Puis,  s'étant  prc- 
seiit<'s  devant  l'arche  redoutable,  et  consul- 
tant do  reciief  le  Seigneur  par  la  bouche  de 
Phlnées  lils  à'Eleazai'  ^  ils  lui  dirent  :  raar- 


I)  '  Ê  P  H  R  A  I  M.  337 

chevons-nous  encore  contre  nos  frères  ou 
laisserons-nous  en  paix  Benjamin  ?  La  voix 
du  Tout-Puissant  daigna  leur  repondre  : 
Marclicz ,  et  ne  vous  fiez  plus  en  votre 
nombre  ,  mais  au  Seigneur  qui  donne  et 
qui  ôte  le  couraj^e  comme  il  lui  plaît  : 
demain  je  livrerai  Benjamin  entre  vos  uiains. 
A  l'instant  ils  sentent  déjà  dans  leurs  cœurs 
l'elFet  de  cette  promesse.  Une  valeur  froide 
et  sûre  suecédant  à  Isur  brutale  impétuosité'  , 
les  e'claire  et  les  conduit.  Ils  s'apprêtent 
posément  au  combat,  et  ne  s'y  présentent 
plus  eu  forcenés,  mais  en  bomrnes  saj^es  et 
braves  qui  savent  vaincre  sans  fureur  et  mou- 
rir sans  désespoir.  Ils  caclient  des  troupes 
derrièi-e  le  coteau  de  Gabaa  ,  et  se  rangent 
en  bataille  avec  le  reste  de  leur  armée  ,  ils 
attirent  loin  de  la  ville  les  Benjamites  ,  qui , 
»ur  leurs  premiers  succès  ,  pleins  d'une  con- 
fiance trompeuse  sortent  plutôt  pour  les  tuer 
que  pour  les  combattre  :  ils  poursuivent 
avec  impétuosité  l'armée  qui  cède  et  reculo 
à  dessein  devant  eux:  ils  arrivent  après  elle 
jusqu'où  se  joignent  les  cberains  de  Béthel 
et  de  Gabaa  ,  et  crient  en  s'animant  au  car- 
nage :  ils  tombent  devant  nous  comme  les 
pietnicrss  fois.  Aveugle»  ,  qui  daus  Tcblouis* 


33S  L  JE    L  É  V  I  T  E 

scuVent  d'un  vain  succès  ne  voient  pas  Tange 
de  la  vengeance  qui  vole  dc'jà  sui-  leurs  rangs, 
armé  du  glaive  exteruiinatcur. 

Cependant  le  corps  de  troupes  caché  der-. 
ricre  le  coteau  ,  sort  de  sou  embuscade  eu. 
bon  ordre,  au  nombre  de  dis  mille  liomœes  , 
et  s'ctendaut  autour  de  la  ville  ,  l'attaque  , 
la  force,  on  ^jasse  tous  les  liabitaus  au  lil 
de  l'épe'e  ,  puis  élevant  une  grande  fumée  , 
il  donne  à  l'armée  le  s'gnal  convenu  ,  tandis 
que  le  Benjamitc  acharne  s'excite  à  pour- 
suivre sa  victoire. 

Mais  les  forts  d'Israël  ayant  appercu  le 
signal,  firent  face  à  l'ennemi  en  Balial-Toinar. 
Les  Bcujamites^  surpris  de  voir  les  batail- 
ions  d'Israël  se  former  ,  se  développer,  s'cten- 
drs  ,  fondre  sur  eux  ,  commencèrent  à  perdre 
courage,  et  tournant  le  dos,  ils  virent  avec 
eQVoi  les  tourbillons  de  fumée  qui  leur  annon* 
caient  le  désastre  de  Gabaa.  Alors  frappés 
de  terreur  à  leur  tour  ,  ils  connurent  que 
le  bras  du  Stigneur  les  avait  atteints  ,  et 
fuyant  en  déroule  vers  le  désert,  ilà  furent 
environnés  ,  poursuivis  ,  tués  ,  funlén  aux 
pieds;  tandis  que  divers  dctacht'mrns  entrant 
dans  les  villes,  y  mettaientà  mort  chacun  dau» 
son  habitation. 


t)  '  É  P  H  R  A  I  M.  3?9 

En  ce  jour  de  colère  et  de  meurtre,  pres- 
que toute  la  tribu  de  Benjamin,  au  nombre 
de  vingt-six  mille  hommes  ,  périt  sous  l'épée 
d'Israijl;  savoir,  dix-liuit  mille  hommes  dans 
leur  première  retraite  depuis  Menuha  jusqu'à 
l'est  du  coteau,  cinq  mille  dans  la  de'route 
vers  lé  dc'sert  ,  deux  raille  qu'on  atteignit 
près  de  Guidhon  et  le  reste  dans  les  places 
qui  furent  brûlées ,  et  dont  tous  les  habitaus , 
hommes  et  femmes,  jeunes  et  vieux,  grands 
et  petits,  jusqu'aux  bêtes,  furent  mis  à  mort, 
sans  qu'on  fît  grâce  à  aucun  :  en  Sorte  que 
ce  beau  pays  ,  auparavant  si  vivant ,  si  peuplé, 
si  fertile  ,  et  maintenant  moissonné  par  la 
flamme  et  par  le  fer  ,  u'ofi'rait  plus  qu'un» 
affreuse  solitude  couverte  de  cendres  et  d'os- 
semens. 

Six  cents  hommes  seulement,  dernier  reste 
de  cette  malheureuse  tribu,  échappèrent  au 
glaive  d'Israël  ,  et  se  réfugièrent  au  rocber 
de  Rhimmou,  où  ils  restèrent  cachés  quatre 
mois  ,  pleurant  trop  tard  le  forfait  de  leurs 
frères  ,   et  la  misère  où  il  les  avait  réduits. 

Mais  les  tribus  victorieuses  voyant  le  sang 
qu'elles  avaient  versé  sentirent  la  plaie  qu'elles 
s'étaient  faite.  Le  peuple  vint,  et  se  rassem- 
blant devant  la  maibou  du  Dieu  fort,  éleva 


340  L  E     L  É  V  I  T  E 

un  autel  sur  lequel  il  lui  rendit  ses  liom- 
nia-^es  ,  lui  oHVant  des  holocaustes  et  des 
actions  de  grâces  ;  puis  e'ievant  sa  voix,  il 
pleura  ;  il  pleura  sa  victoire  après  avoir  pleuré 
sa  deTaite.  Dieu  d'Abraham,  sVcriaieut-ils 
dans  leur  affliction  ,  ah  !  où  sont  tes  pro- 
messes ,  et  comment  ce  mal  est-il  arrive'  à 
ton  peuple  qu'une  tribu  soit  e'teinte  en 
Israël  ?  Malheureux  humains  qui  ne  savez 
pas  ce  qui  vous  est  bon  ,  vous  avez  beau 
vouloir  sanctifier  vos  passions  ;  elles  vous 
punissent  toujours  des  excès  qu'elles  vous 
font  commettre,  et  c'est  en  exauçant  vos 
vœux  injustes  que  k  ciel  vous  les  fait  expier. 


C  II  A  N  T 


D'  É  P  H  R  A  I  M.  S4» 


CHANT   QUATRIÈME. 

Xi- puis  avoir  gémi  du  mal  qu'ils  avaient 
fait  dans  leur  colère,  les  enfans  d'isra't-1  y 
cherchèrent  quelque  remède  qui  pût  rétablir 
eu  sou  entier  la  race  de  Jacob  niutile'c.  Emus 
de  compassion  pour  les  six  cents  hommes 
réfugies  au  rocher  de  Rhinuiion  ,  ils  dirent: 
que  ferons-nous  pour  conserver  ce  dernier 
et  précieux  reste  d'une  de  nos  tribus  pres- 
qu'éteinte  ?  Car  ils  avaient  Juré  par  le  Sei- 
gneur, disant  :  si  jamais  aucun  d'entre  nous 
donne  sa  fille  au  fils  d'un  enfant  de  Jémini , 
et  mêle  son  sang  au  sang  de  Benjamin.  Alors 
pour  éluder  un  serment  si  cruel ,  méditant  de 
nouveaux  carnages  ,  ils  firent  le  dénombre- 
ment de  l'armée  ,  pour  voir  si  ,  malgré  l'en- 
gagement solcmnel ,  quelqu'un  d'eux  avait 
manque  de  s'y  rendre,  et  il  ne  s'y  trouva 
nul  des  hahitans  de  Jabès  de  Galaad.  Cette 
branche  des  enfans  de  Mauassé ,  regardant 
moins  à  la  punition  du  crime  qu'à  l'efliision 
du  sang  fraternel  ,  s'était  refusée  à  des  ven- 
geances plus  atroces  que  le  forfait  ,  sans 
Mélanges,  ToHie  V,  T 


342  LELEVITE 

considérer  que  le  pariure  et  la  de'sertioil  de 
la  cause  commune  sont  pires  que  la  cruauté. 
He'las  !  la  mort,  la  mort  barbare  fut  le  prix 
de  leur  injuste  pific.  Dix  mille  hommes  déta- 
chés de  l'armée  d'Israël  recurent  et  exécutè- 
rent cet  ordre  effroyable:  Allez,  exterminez 
JabèsdcGalaadcttousseshabitans,  hommes , 
femmes,  enfans  ,  excepté  les  Seules  filles 
vierges  que  vous  amènerez  au  camp ,  afiu 
qu  elles  soient  données  en  mariage  auT  enfans 
de  Benjamin.  Ainsi  pour  réparer  la  désola- 
tion de  tant  de  meurtres  ,  ce  peuple  farouche 
eu  commit  do  plus  grands  :  semblable  eu 
sa  furie  à  ces  globes  de  fer  lancés  par  nos 
machines  embrasées  ,  lesquels,  tombés  à  terre 
après  leur  premier  effet ,  se  relèvent  avec 
une  impétuosité  nouvelle,  et  dans  leurs  bonds 
inattendus,  renversent  et  détruisent  des  rangs 
entiers. 

Pendant  cette  exécution  funeste  ,  Israël 
envoya  des  paroles  de  paix  aux  six  cents  de 
Benjamin  réfugiés  au  rocher  de  Rhimmon  ; 
et  ils  revinrent  parmi  leurs  frères.  Leur  retour 
ne  fut  point  un  retour  de  joie  ,  ils  avaient 
la  contenance  abattue  et  les  yeux  baissés  ; 
la  honte  et  le  remords  couvraient  leurs 
Yîsages,  et  tout  Israël  coustcrné  poussa  de» 


D  '  Ê  P  H  R  A  I  M.  343 

lamentations  eu  voyant  ces  tristes  restes  d'une 
de  ses  tribus  be'nites  ,  de  laquelle  Jacob  avait 
dit  :  »  Ben/amia  est  un  loup  dc'vorant  ;  au 
«  matin  il  déchirera  sa  proie,  et  le  soir  iî 
«  partagera  le  butin  ». 

Après  que  les  dix  mille  hommes  envoyé» 
à  Jabès  furent  de  retour  ,  et  qu'on  q^t 
dénombré  les  filles  qu'ils  amenaient ,  il  ne 
s'en  trouva  que  quatre  cents ,  et  on  les  donna 
à  autant  de  Benjamitcs  ,  comme  une  proie 
qu'on  venait  de  ravir  pour  eux.  Quelles  noces 
pour  de  jeunes  vierges  timides  ,  dont  ou 
vient  d'égorger  les  frères  ,  les  pères  ,  les  mères 
devant  leurs  yeux,  e'.  qui  reçoivent  des  liens 
d'attachement  et  d'amciur  par  des  mains 
dégoûtantes  du  sang  de  leurs  proclies!  Sexe 
toujours  esclave  ou  tyran  ,  qrc  l'homme 
opprime  ou  qu'il  adore,  et  qu'il  ne  peut  pour- 
tant rendre  heureux  ni  l'être  ,  qu'en  le  laissant 
égal  à  lui  ? 

Malgré  ce  terrible  expédient^  il  restait  deux 
cents  hommes  à  pourvoir  ,  et  ce  peuple  , 
cruel  dans  sa  pitié  même  ,  et  à  qui  le  sang  de 
ses  frères  coûtait  si  peu  ,  songeait  peut-être 
à  faire  pour  eux  de  nouvelles  veuves  ,  lors- 
qu'un vieillard  deLébona  parlantaux  anciens, 
Jeur  dit  ;  Hommes  Israélites  ,  écoutez  l'avis 

T  a 


344  L  E     L  E  V  I  T  E 

d'un  de  vos  frères.  Quand  vos  mains  se  lasse- 
ront-elles du  meurtre  des  iunocens  ?  voici  les 
jours  de  la  solemnite  de  l'Etcruel  eu  Silo. 
Dites  ainsi  aux  eufaus  de  Benjauiin  ;  allez  , 
et  met  Lez  des  embûches  aux  vignes;  puis  quand 
vous  verrez  que  les  ûUes  de  Silo  sortiront  pour 
danser  avec  des  flûtes ,  alors  vous  les  envelop- 
perez ,  et  ravissant  cliacun  sa  fciume,  vous 
retournerez  vous  établir  avec  elles  au  pavs 
de  Jîenjaunn.  Et  quand  les  pères  oi!i  les  frères 
des  jeunes  biles  viendront  se  plaindre  à  nous, 
nous  leur  dirons  :  ayez  pitié  d'eux  pour 
l'amour  de  nous  et  de  vous-mêmes  qui  êtes 
leurs  frères  ;  puisque  n'ayant  pu  les  pour- 
voir après  cette  guerre  ,  et  ne  pouvant  leur 
douner  nos  filles  contre  le  serment  ,  nous 
serons  coupables  de  leur  perte  si  nous  les 
laissons  périr  sans  descendans. 

Les  eufans  donc  de  Benjamin  Grcnt  ainsi 
qu'il  leur  fut  dit ,  et  lorsque  les  jeunes  biles 
sortirent  de  Silo  pour  danser,  ils  s'élancèrent 
et  les  environnèi"ent.  La  craintive  troupe  fuit» 
se  disperse;  la  terrcnv  succède  à  leur  inno- 
cente i;,aielé  ;  chacune  appelle  à  grands  cris 
ses  compagnes  ,  et  court  de  toutes  ses  forces. 
Les  cops  déchirent  leurs  voiles  ,  la  terre  est 
jonchée  de  leurs  parures  ,  la  course  auim» 


D  '  É  P  H  R  j\   I  M.  S45 

leur  teiut  et  l'ardeur  des  ravisseurs.  Jeu,ncs 
beautés  ,  où  courez-vous  ?  en  fuyaut  l'op- 
presseur qui  vous  poursvjit  vous  tombez  dans- 
des  bras  qui  vous  euchalueut.  Chacun  ravit 
la  sieuac  ,  et  s'cBoiçant  de  l'apaiser,  l'effraye 
encore  plus  par  ses  caresses  que  par  sa  vio- 
lence. Au  tuauiltc  qui  s'élève,  aux  cris  qui 
se  fout  entendre  au  loiu  ,  tout  le  peuple 
accourt  ;  les  pères  et  les  mères  écartent  la 
foule  et  veulent  dégager  leurs  filles  ;  les  ravis- 
seurs autorisés  détcudeut  leur  proie  :  entiu 
les  anciens  fout  entendre  leur  voix,  et  le  peu- 
ple ému  de  compassiou  pour  les  Ecujauiites 
s'intéresse  en  leur  faveur. 

Mais  les  pères  indignés  de  l'outrage  fait  à 
leurs  filles  ne  cessaient  point  leurs  olanieurs. 
Quoi  !  s'écriaient-ils   avec  véhéuieuce  ,  des 
tilles  d'Israël  seraient-elles  asservies  et  traitées 
eu  esclaves  sous  les  yeux  du  Seigneur?  Beu- 
jamiu   nous   fcra-t-il    couunc   le  Moabitc  et 
riduuiéeu  ?  Où  est  la  liberté  du  peuple  do 
Dieu  ?  Partagée  entre  la  justice  et  la  pitié,' 
l'assemblée  prononce  enfin   que  les  captive» 
seront  remises  en  liberté  et  décideront  elles- 
mêmes  de  leur  sort.  Les  ravisseurs  forcés  do 
céder  à  ce  jugement  les  relâchent  à  regret, 
et  tâchent  de  substituer  à  la  force  des  uioycus 

T   3 


S4^  LELÉVITE 

plus  puissans  sur  levais  jeunes  cœurs.  Aussi- 
tôt elles  s'échappent  et  fuient  tontes  ensem- 
ble :  ils  les  suivent ,  leur  tendent  les  bras, 
et  leur  cricut  :  Filles  de  Si!o,  screz-voûs  plus 
Jjeureuses  avec  d'autres  ?  les  restes  de  Ben- 
jatuiu  sont-ils  ^ndijJincs  de  vous  fléchir  ? 
Mais  pltisieurs  d'entr'cUes  ,  déjà  liées  par  des 
^ttaclitmcns  secrets  ,  palpi (aient  d'aise  d'é- 
çliappcr  à  leurs  ravisseurs,  y:^ xa  ,  la  tendre 
^xa  parmi  les  autres,  eu  s'éiauçant  dans 
les  bras  de  sa  mcrc  qu'elle  voit  accourir  , 
jette  furtivement  le^yeux  sur  le  jeune  Ehna- 
cin  auquel  elle  était  promise,  et  qui  venait 
plein  de  douleur  et  de  rage  la  dégager  au 
prix  de  son  sang.  Kliiiacin  la  revoit  ,  tend 
les  bras,  s'écrie  et  ne  peut  parler;  la  course 
et  iV-Uiotioii  l'ont  mis  liors  d'l;aleine.  Le  Ben- 
jamitc  appercoit  ce  transport,  ce  conp-d'œil; 
il  devine  tout,  il  gémit,  et  prêt  à  se  retirer 
)1  voit  arriver  le  père  ù' yJxa. 

C'était  le  même  vieillard  auteur  du  conseil 
donné  aux  Bcnjamites.  Il  avait  choisi  lui- 
Wéme  Elmacin  pour  son  gendre  ;  mais  sa 
probité  l'avait  euipéclic  d'avertir  sa  fille  du 
ïisquc  auquel  il  exposait  celles  d'autiui. 

\\  arrive,  et  la  prenant  par  la  main  :  .^xa^ 
lui  dU'il  4  tu  counais  mon  coeur  j  j'aime 


D»  É  P  H  R  A  I  M.  S47 

JElmacin  ,  il  eût  été  la  consolation  de  mes 
vieux  jours  :  mais  le  salut  de  ton  pciiple  et 
l'honneur  de  ton  père  doivent  l'emporter 
sur  lui.  Fais  ton  devoir  ma  fille  ,  et  sauve- 
moi  de  l'opprobre  parmi  mes  frères  ;  car  j'ai 
conseillé  tout  ce  qui  s'est  fait.  y4xa  baisse 
la  tête  et  soupire  sans  répondre*,  niais  enfia 
levant  les  yeux,  elle  rencontre  ceux  de  sou 
vénérable  père.  Ils  ont  plus  dit  que  sa  bou- 
che :  elle  prend  son  parti.  Sa  voix  faible-  et 
tremblante  prononce  à  peine  dans  un  faible 
et  dernier  adieu  le  nom  (ï Ehnacin  qu'elle 
n'ose  regarder,  et  se  retournant  ù  l'instant 
demi-morte  ,  elle  tombe  dans  les  bras  du 
Benjamite. 

Un  bruit  s'excite  dans  l'assemblée.  Mais 
Mlmacin  s'avance  et  fait  signe  de  la  main, 
puis  élevant  la  voix  :  Ecoute  ,  ô  yixa  ,  lui- 
dit-il  ,  mon  vœu  solemnel.  Puisque  je  110 
puis  être  à  toi  ,  je  uc  serai  jamais  à  nul  autre  : 
le  seul  souvçnir  de  nos  jeunes  ans,  que  l'in- 
noeence  et  l'anionr  ont  embellis  ,  me  suftit. 
Jamais  le  fer  n'a  pa3sc  siar  ma  télé  ,  janiais 
le  vin  n'a  mouillé  mes  lèvres,  mon  corps  est 
aussi  pur  que  mou  cœur  :  Prêtre  du  Dieu 
vivant  ,  je  me  voue  a  sou  service  j  recevez  le 
!Na?avéeu  du  Seigneur. 


348       L  E     L  É  V  I  T  E  ,     etc. 

Aussi-lô tjCoiuuie  par  une  inspira tionsiîbi  te, 
toutes  les  filles  entraînées  par  l'exemple  d'^.r^ï 
imitent  son  sacrifice  ,  et  renonçant  à  leurs 
prcuiicrcs  amours  ,  se  livrent  aux  Benjaniites 
qui  les  suivaient.  A  ce  toucliant  aspect  il 
s'élève  un  cri  de  joie  au  milieu  du  peuple. 
Vierges  d'Ephraïm  ,  par  vous  Benjamin  va 
renaître.  Béni  soit  le  DiEa  de  nos  pères  ;  il 
çsl  encore  des  vertus  en  Israël. 


LETTRES 


A     SARA, 


'Jam  ncc  spes  an'imî  crclula  mntiiï. 

H    O   H. 


AVERTISSEMENT. 

V>^N  comprendra  sans  peine  com- 
ment une  espèce  de  défi,  a  pu  faire 
écrire  ces  quatre  lettres.  On  deman- 
dait si  un  amant  d'un  demi-siècle 
pouvait  ne  pas  faire  rire.  Il  m'a  semblé 
^u'on  pouvait  se  laisser  surprendre  à 
toutàge,  qu'un  barbon  pouvait  même 
écrire  j  usqu'à  quatre  lettres  d'amour, 
et  intéresser  encore  les  honnêtes  gens , 
mais  qu'il  ne  pouyait  aller  jusqu'à  six 
sans  se  déshonorer.  Je  n'ai  pas  besoin 
de  dire  ici  mes  raisons  ,  on  peut  les 
gentir  en  lisant  ces  lettres  ;  après  leur 
lecture  on  en  jugera, 


LETTRES 

A      SARA. 
PREMIÈRE    LETTRE. 

J.  U  lis  dans  mon  cœur,  )ennei5'rt/Y7;  tu  m'as 
pénétré  ,  je  le  sais,  je  le  sens.  Cent  fois  le  joui' 
ton  œil  curieux  vient  épier  l'clïet  de  tes  char'" 
mes.  A  ton  air  satisCait,  à  tes  cruelles  bontés  f 
a  tesméprisantesagaceries,  je  voisquetu  jouis 
en  secret  de  ma  misère  ;  tu  t'applaudis  avec  un 
souris  moqvieur  du  désespoir  où  tu  plonges 
un  malheureux  ,  pour  qui  l'amour  n'est  plus 
qu'un  opprobre.  Tu  te  trompes  ,  Sara  ,  je 
suisà  plaindre, mais  je  ne  suis  pointa  raillier  i 
je  ne  suis  point  digne  de  mépris  ,  mais  de  pi- 
tié, parce  que  je  ne  m'en  impose  ni  sur  ma 
figure,  ni  sur  mon  âge,  qu'en  aimant  je  me 
sens  indigne  de  plaire  ,ct  quela  fafale  illusion 
qui  m'égare  ,  n;'enipéche  de  te  voir  telle  (jnc 
tueSjSansm'cTOpccherdemcvoirtel  quejesuîij* 
Tu  peux  m'abuscr  sur  tout  ,  hormis  sur  moi- 
même  :  tu  peux  me  persuader  tout  au  monde  , 
«xcepté  que  tu  puisses  partager  mes  feux  in- 


35a  LETTRES 

sensés.  C'est  le  pim  de  mes  supplices  de  me 
voir  comme  ta  me  vois  •  tes  trompeuses  cares- 
ses ne  sont  pour  moi  qu'une  humiliation  de 
plus ,  et  i'aime  avec  la  certitude  affreuse  de  ne 
pouvoir  être  aime. 

Soisdonc  contente.  Hé  bien  ,  oui ,  je  t'ado- 
re ;  oui ,  je  brûle  pour  toi  de  la  plus  cruelle 
des  passions.  Mais  tente ,  si  tu  l'oses  ,  de  m'en- 
chaincr  a  ton  char  comme  un  soupirant  à  che- 
TeuK  gris,  ccmme  un  amant  barbon  qui  veut 
fairel'asvéablc,etdanssonextravagantdélire, 
s'imagine  avoir  des  droits  sur  uu  jeune  obiet. 
Tu  n'auras  pas  cette  gloire,  ô  Sara  ,  ne  t'en 
flatte  pas:  tu  ue  me  verras  point  à  tes  pieds 
vouloir  t'amuseraveclc  jargon  de  la  galanterie, 

ou  t'attendrir  avec  des  propos  langoureux.  Tu 
peux  m'arracher  des  plcurs^maisilssontmoms 
d'amour  que  de  rage.  Ris  ,  si  tu  veux  ,  de  ma 
faiblesse ,  tu  ne  riras  pas  au  moms  de  ma  cré- 
dulité. 

Je  te  parle  avec  emportement  de  ma  passion , 
parce  que  l'humiliation  est  toujours  cruelle  , 
et  que  le  dédain  est  dur  a  supporter  :  mais  ma 
passion,  toute  folle  qu'elle  est,  n'est  point 
cmporlée-,eUeestà-la-foisviveetdoucecomu»o 
toi  Privé  de  tout  espoir  ,  je  suis  mortau  bon- 
heur  et  ne  yis  que  de  ta  v^e.  Tes  plaisirs  sont 

vues 


A    s  À  R  À':  Ssa 

fees  s'eUÎs  plaisirs  ;  je  ne  puis  avoir  d'autres 
jouissances  que  les  tiennes,  ni  former  d'autrèi 
Vœux  que  tes  vœux. jf 'aimerais  mon  rival  mênïè 
41  turaimais;  situ  ne  l'aimais  pas  ,  je  voudrais 
"qu'il  pût  mériter  ton  amour,  qu'il  eût  mo'a 
cœurpour  t'aimerplus  dignement  et  te  rendre 
plus  heureuse.  C'est  le  seul  de'sir  permis  à  qui- 
conque ose  aimer  sans  être  aimable.  Aime  et 
soisaime'e  ,  ô  Sara.  Vis  contente  ,  et  je  mour| 
ïai  content. 


Mélanges.  Tome  V. 


354  LETTRES 

SECONDE    LETTRE. 


P, 


tr  I  s  Q  u  E  je  vous  ai  écrit  ,  )e  veux  rons 
écrire  encore.  Ma  première  faute  en  atlire  une 
autre  ;  mais  )e  saurai  m'arrêter,  soyez-en  sure; 
et  c'est  la  manière  dont  vous  m'avez  traite  du- 
rant mon  délire  ,  qui  décidera  de  mes  senti- 
mcns  à  votre  égard  quand  j'en  serai  revenu. 
Vous  avez  beau  feindre  de  n'avoir  pas  lu  ma 
lettre  :  vous  mentez,  je  le  sais  ,  vous  l'avez  lue. 
Oui ,  vousmentcz  ,  sansme  ricndire  ,  par  l'air 
<?t;al  aveclcquel  vous  croyez  lu'en  inipo-^er:  si 
vous  êtes  la  même  qu'auparavant ,  c'est  parce 
que  vous  avez  été  toujours  fau-se  ;  et  la  sim- 
plicité que  vous  affectez  avec  uioi  tue  prouve 
que  vous  n^cn  avez  jamais  eu.  Vous  ne  dissi- 
mulez ma  folie  que  pour  l'auguTenter  ;  vous 
n'êtes  pas  contente  que  je  vous  écrive  ,  iti  vous 
no  me  vovez encore  à  vos  pieds;  vous  vouiez 
ane  rendre  aussi  r:dicule  que  je  peux  l'être  ; 
vous  voulez  me  douuer  en  spectacle  à  vous- 
jncme  ,  peut-être  à  d'antres  ,  et  vous  ne  vous 
croyez  pas  asscsc  triomphautc ,  si  je  ne  suis 
déshonoré. 


A    vS  A  R  A.  355 

Jeroistontccla  , fille  artificieuse  ,  dans  cette 
feinte  modestie  par  laquelle  vous  espérez  m'ea 
imposer,  dans  cette  feinte  e'galite'  par  laquelle 
vous  seinblez  vouloir  me  tenter  d'oublier  ma 
faute,  en  paraissant  vous-trtéme  n'en  rien  sa- 
voir. Encore  une  fois  ,  vous  avez  lu  ma  lettre  ; 
îe  le  sais,  je  l'ai  vu.  Je  vous  ai  vu  ,  quand 
j'entrais  dans  votre  chambre,  poser  précipi- 
tcimment  le  livre  oij  je  l'avais  mise  ;  je  vous  ai 
vu  rougir  et  marquer  un  moment  de  trouble. 
•  Trouble  séducteur  et  cruel  <jui  peut-être  est 
encore  un  de  vos  pièges ,  et  qui  m'a  fait  plus 
de  mal  que  tous  vos  regards,  (^ue  devins-je  à 
cet  aspect  qui  m'agite  encore?  Cent  fois  en  ua 
instant  prêt  à  me  précipiter  aux  pieds  de  l'or- 
gueilleuse, que  de  combats,  qiïe  d'cflorts  pour 
me  retenir  !  Je  sortis  pourtant  ,  je  sortis  pal- 
pitant de  joie  d'e'chapper  à  l'indigne  bassesse 
que  j'allais  faire.  Ce  seul  moment  me  vengo 
de  tesoutrages.  Sois  moins  fîcre,  ô  Sara,  d'ua 
penchantqueje  peux  vaincre,  puisqu'une  fois 
en  ma  vie  j 'ai  déjà  triomphé  de  toi. 

Infortuné!  J'impute  à  ta  vanité  des  fictions 
démon  amour-propre.  Quen*ai-je  le  bonheur 
de  pouvoir  croire  que  tu  t'occupes  de  moi,  ne 
fût-ce  que  pour  me  tyranniser!  mal->  daigner 
lyraaniber  un  aman tgrison,  serait  lui  l'aire  trop 

V  i 


366  LETTRES 

d'hoiineurencore.  Non  ,  tu  n'as  pointd'aUtr» 
art  que  ton  iudifiëreiice  ;  ton  dédain  fait  toute 
ta  coonetterie  :  tu  me  désoles  sans  songer  à 
moi.  Je  suis  malheureux  jusqu'à  ne  pouvoir 
l'occuper  au  moins  de  mes  ridicules  ,  et  tu  mé- 
prises tua  folie  jusqu'à  ne  daigner  pas  intme 
t'en  moquer.  Tu  as  lu  ma  lettre,  et  tu  l'a* 
oubliée  ;  tu  ne  m'as  point  parlé  de  mes  maux  , 
parce  que  tu  n'y  songeais  plus.  Quoi  !  je  suis 
donc  nul  pour  toi  ?  Mes  fureurs  ,  mes  taur- 
mens  ,  loin  d'exciter  ta  pitié  ,  n'excitent  pas 
même  ton  attention  ?  Ah!  où  est  cette  dou- 
ceur que  tes  yeux  promettent?  où  est  ce  seuti- 
ment  si  temlre  qui  paraît  les  animer  ?  ...... 

Barbare  ! insensible  à  mon  état  tu  dois 

l'être  à  tout  sentiment  honnête.  Ta  figure  pro- 
met une  aine  ;  elle  ment,  tu  n'asque  de  la  féro- 
cité     Ah  Sara  !  j'aurais  attendu  do 

ton  boa  cœur  quelque  cousolatioa  daiis  ma 
xaisère. 


A    s  A  R  À;  357 

TROISIÈME    LETTRÉ. 

JjjKFiN  ,  rien  ne  manque  plus  a  ma  honte  , 
etjesuis  aussi  humilié  que  tu  l'as  voulu.  Voilà 
doocà  quoi  eut  abouti  mou  dépit ,  mes  com- 
bats, mes  résolutions,  ma  cous  tance  ?  Jeserais 
moins  avili,  si  j'avais  moins  résisté.  Qui^moi  ! 
j'ai  fait  l'amour  en  jcuue-homme  ?  )'ai  passé 
deux  heuresauxgenoux d'un etifant?  j'ai  versé 
sur  SCS  mains  des  toriens  de  larmes  ?  j'ai  souf- 
fert qu'elle  me  consolât,  qu'elle  me  plaignît, 
qu'ellcessuyât  mes  yeux  ternis  parlesans?  j'ai 
reçu  d'elle  des  leçons  de  raison  ,  de  courage? 
j'ai  bien  profité  de  ma  longue  expérience  et  de 
ïnes  lii.stes  rcflcxions!   Combien  de  fois  j'ai 
rougi  d'avoircté  à  vingtanscc  que  je  redeviens 
à  cinquante  !  Ah  ,  je  n'ai  donc  vécu  que  pour 
me  déshonorer  !  Si  du  moins  un  vrai  repentir 
me  ramenait  à  des  sentimens  plus  honnêtes! 
mais  non,  je  me  complais  malgré  moi  dans 
ceux  que  tu  m'inspires  ,  dans  le  délire  où  tu  m« 
plonges,  dansTabaissement  oii  tu  m'as  réduit. 
Quand  je  m'imagine  à  mon  âge  à  genoux  de- 
vant toi ,  tout  mou  cœur  se  soulève  et  s'iriit^; 

Y  3 


358  LETTRES 

mais  il  s'oublie  et  se  perd  danslcs  ravisscmens 
que  j'y  ai  sentis.  Ah  !  je  ne  me  voyais  pas  alors; 
je  ne  voyais  que  toi ,  ûlle  adorée  :  tes  char- 
mes ,  tes  sentimeus ,  tesdiscours  remplissaient, 
formaient  tout  mou  être  :  J'étais  jeune  de  ta 
jeunesse,  sage  de  ta  raisou,  vertueux  de  ta 
•vertu.  Pouvais-je  mépriser  celui  que  tu  hono- 
rais de  ton  estime?  pouvais-je  haïr  celui  que 
tu  daigtiais  appeler  ton  ami  ?  Hélas!  cette  ten- 
dresse de  père  que  tu  me  demandais  d'uu  ton 
si  touchant,  ce  nom  de  fille  que  tu  voulais 
recevoir  de  moi,mefesaient  bientôt  rentrer  eu 
moi-même  :  tes  propos  si  tendres,  tes  caresses 
61  puresm't  nchantaieutetmedcchiraient  ;  des 
pleurs  d'amour  et  de  rage  coulaient  de  mes 
yeux.  Je  sentais  que  je  n'étais  heureux  que 
par  ma  misère  ,  et  que  si  j.'eusse  été  plus 
digne  de  plaire  ,  je  n'aurais  pas  été  si  bieu 
traité. 

N'importe.  J'ai  pu  porter  l'attendrissement 
dans  ton  cœur.  La  pitié  le  ferme  à  l'amour, 
je  le  sais  ,  mais  elle  eu  a  pour  moi  tous  les 
charmes.  Quoi ,  j'ai  vu  s'humecter  pour  moi 
tesbeauxyeux  ?  j'ai  senti  tomber  sur  ma  joue 
une  de  tes  larmes  ?  O  cettelarme,  quel  embra- 
sement dévorant  elle  a  causé  !  et  je  ne  serais 
pas  le  plus  heureux  des  hommes  ?  Ah,  com- 


A    S  A  R  A;  359 

bleu  )c  1c  suis  au-dessus  de  ma  plus  orgueil- 
leuse attente  ! 

Oui  ,  que  ces  deux  heures  reviennent  sans 
cesse,  qu'elles  remplissent  de  leur  retour  ou  do 
leur  souvenir  le  reste  de  ma  vie.  F.h  l  qu'a-t-elle 
eu  de  comparable  à  ce  que  j'ai  sen  ri  dans  cette 
attitude  ?  J  'étais  humilié,  j'e'tais  insensé,  j'étais 
ridicule,  mais  j'étais  heureux;  et  j'ai  goûté 
dans  ce  court  espace  plus  de  plaisirs  que  je  u'ea 
eu  dans  tout  le  cours  de  mes  ans.  Oui ,  Sara  , 
oui,  charmautc  Sara,  j'ai  perdu  toutre?>entir, 
toute  houte  :  je  ne  me  souviens  pluâ  de  moi  ; 
je  né  sens  que  le  feu  qui  me  dévore  ;  jepuis 
dans  tes  fers  braver  leshuées  du  mondeentier; 
gue  m'importe  ce  que  je  peux  paraître  aux 
autres  !  j'ai  pour  toi  le  cœur  d'un  jeune  hom* 
me  ,  et  cela  me  suflit.  L'hiver  a  beau  couvrir 
l'Etna  de  ses  glaces  ,  sou  seiu  u'est  pas  moiu» 
embrasé. 


T4 


*^ô  1  E  T  T  H  E  ? 


<2UATRIÈME   LETTRE. 


0. 


^  uoi  !  c'était  vous  que  jeredoutais  •  c'était 
TOMs  que  je  rougissais  d'aimer  ?  G  Sara  ,  fille 
adorable  ,  aœe  plus  belle  que  ta  figure  !  si  je 
sn 'estime  désormais  quelque  chose,  c'est  d'a-^ 
voir  un  cœur  fait  pour  sentir  tout  ton  prix. 
Oui  ,  sans  doute  ,  je  rougis  de  l'amour  que 
'  j'avais  pour  toi  ,  mais  c'est  parce  qu'il  était 
Irop  rampant,  trop  languissant ,  trop  faible, 
trop  peu  digne  de  sou  objet.  Il  y  a  six  mois  que 
ânes  yeux  et  mon  coeur  dévorent  tes  charmes  ; 
il  y  a  six  mois  que  tum'occupes  seule  et  que  je 
Me  vis  que  pour  toi  :  mais  ce  n'est  que  d'hier 
^ue  j'ai  appris  à  t'aimer.  Tandis  que  tu  me 
parlais  et  que  des  discours  dignes  du  ciel  sor- 
taient de  ta  bouche,  je  croyais  voir  changer 
tes  traits,  ton  air,  ton  port,  ta  figure;. je  ne 
«ais  qnel  feu  surnaturel  luisait  dans  tes  yeux, 
<ies  rayons  de  lumière  semblaient  t'entourer. 
Ah  Sara  !  si  réellement  tu  n'es  pas  une  mer- 
telic,  s.  tus  ''ange  envoyé  du  ciel  pour  rame- 
ner un  cœur  qui  s'égare  ,  dis-le  moi;  peut-être 
î\  çst  temps  ençorç.Nc  laisse  plus  prdfanertoi^ 


X    s  A  R  A.  36i 

îmagepardesdcsirs  Formés  malgré  moi.  Hélas! 
si  je'm'abusc  dans  mes  vœux  ,  dans  mes  trans- 
ports, dans  mes  téméraires  hommages,  gue'- 
ris-moi  d'une  erreur  qui  t'offense  ,  apprends^ 
xnoi  comment  il  faut  t'adorer. 

Vous  m'avez  subjugué,  Sara  ,  de  toutes  les 
manières  ,  et  si  vous  me  faites  aimer  ma  folie  , 
TOUS  me  la  faites  cruellement  sentir.  Quand  j« 
compare  votre  coiiduite  îila  mienne,  je  trouve- 
■an  sage  dans  une  jeune  fille  ,  et  je  ne  sçns  en 
moi  qu'un  vieux  enfant.    Votre  doùceur/si 
pleine  de  dignité  ,  de  raison  ,  de  bienscauccy 
m'a  dit  tout  ce  que  ne  m'eût  pas  dit  un  accueil 
plus  sévère;  elle  m'a  fait  plus  rougir  rie  moi  que 
ii'cusseut  fait  vos  reproches  :  et  l'accent  un  peu- 
plus  grave  que   vous  ayez  mis  hier  dans  vos 
discours  ,  m'a  fait  aisément  connaître  que  je' 
îi'aurais  pas  dû  vous  exposer  à  me  les  tenir 
deux  fols.  Je  vous  entends  j  Sora  ,  et  j'espère 
vous  prouver  a\issi  que  si  je  ne'suis  pas  digne 
de  vous  plaire  par  mon  amour  ,  je  le  suis  par 
lessentimens  qui  l'accompagnent.  IVlon  ega- 
xemênt  sera  aussi  court  qu'il  a  été  grand,  vous 
me  l'avez  montré  ,  cela  sufii  t  ;  j'en  saurai  sor- 
tir ,   soyez-en   sure   :'  quelque   aliéné   que  je 
puisse  être,  si  j'en  avais  vu  toute  l'étendue, 
lamais  je  n'aurais  faille  premier  pas.  Quaud  j^ 

Xi 


362  LETTRES 

méritais  des  censures  vous  ne  m'avez  donné 
que  des  avis  ,  et  vous  avez  bien  voulu  ne  me 
voir  que  faible  lorsque  j'e'tais  criminel.  Ce  que 
\QVS  ne  m'avez  pas  dit ,  je  sais  me  le  dire  ;  je 
sais  donner  à  ma  conduite  auprès  de  vous  le 
nom  que  vous  ne  lui  avez  pas  donne'  ;  et  si 
j'ai  pu  faire  une  bassesse  sans  la  connaître  ,  je 
vous  ferai  voir  que  je  ne  porte  point  un  cœur 
bas.  Sans  doute  c'est  moins  mon  âge  que  le 
vôtrequi  me  rendcoupable.  Mon  mépris  pc-' 
moi  m'empécliait  de  voir  toute  l'iudiguir.  uj 
ma  démarche.  Trente  ans  de  différence  ne  - 
montraient  que  ma  boute  et  me  cachaient  \ 
dangers.  Hélas  !  quels  dangers  ?  Je  n'étais  pro 
assez  vain  pour  en  supposer  :  je  n'imaginais 
pas  pouvoir  tendre  un  piégea  votre  innocence; 
et  si  vous  eussiez  écé  moins  vertueuse  ,  j'étais 
un  suborneur  sans  en  rien  savoir. 

O  Sara  !  ta  vertu  est  à  des  épreuves  plus 
dangereuses,  et  tes  charmes  ont  mieux  à  choi- 
sir. Mais  mon  devoir  ne  dépend  ni  de  ta  vertu 
ni  de  tes  charmes,  sa  voix  me  parle  et  je  le 
suivrai.  Qu'un  éternel  oubli  ne  peut-il  te 
cacher  mes  erreurs  !  Que  ne  les  puis-je  oublier 
moi-même  !  Mais  non  ,  je  le  sens  ,  j'en  ai  pour 
la  vie,«it  le  trait  s'enfonce  par  mes  efforts  pour 
l'arracher.  C'est  mou  sort  de  brûler  jusqu'à 


A    s  A  R  A;  263 

mon  dernier  soupir  d'un  feu  que  rien  ne  peut 
éteindre  ,  et  auquel  chaque  jour  ôte  un  degré 
d'cspcrauceetenajoute  un  de  déraison.  Voilà 
ce  qui  ne  déj)eud  pas  de  moi  ;  mais  voici, 
Sara  ,  ce  qui  en  dépend.  Je  vous  donne  ma 
foi  d'homme  qui  ne  la  faussa  jamais,  qu&je  ne 
Vous  reparlerai  de  mes  jours  de  cette  passion 
ïidiculc  et  malheureuse  que  j'ai  pu  peut-être 
empêcher  de  naître  ,  mais  que  je  ne  puis  plus 
étouffer.  Quand  je  dis  que  je  ne  vous  en  parle- 
rai pas  ,  j'eutcnds  que  rien  en  moi  uevousdira 
ce  que  je  dois  taire.   J'impose  à  mes  yeux  le 
même  silence  qu'à  ma  bouche  :  mais  de  grâce 
imposez  aux  vu  très  de  n«  plus  venir  m'arrachet 
ce  triste  secret.  Je  suis  à  l'e'preuve  de  tout, 
liQrs  de  vos  regards  :  vous  savez  trop  combica 
il  vous  cstaisé  de  me  rendre  parj  ure.  Un  triom-^ 
pbe  si  sûr  pour  vous  et  si  Oétrissant  pour  moi 
pourrait-il  flatter  votre  belle  ame  ?  Non  ,  di- 
vine Sara  ,  ne  profane  pas  le  temple  où  tu  es 
adorée ,  et  laisse  au  moins  quelque  Ycrtu  dans 
ce  cœur  à  qui  tu  as  tout  ôlé. 

Je  ne  puis  ni  ne  veux  reprendre  le  malheu- 
reux secretqui  m'est  échappé;  il  est  trop  tard, 
il  faut  qu'il  vous  reste;  et  U  est  si  peu  intéres- 
sant pour  vous,  qu'il  serait  bientôt  oublie  si 
l'aveu  uc  s'eu  reaouvellait  sans  cesse.  Ah!  jo 

V  6 


t64  t  Ë  T  T  R  E  S 

serais  trop  à  plaindre  dans  ma  misère  si  Jamaîs 
je  ne  pouvais  me  dire  que  vous  la  plaignez^  et 
TOUS  devez  d'aïitaut  plus  la  plaindre  que  vous 
«'aurez  jamais  à  m'en  consoler.  Vous  me  ver- 
rez toujours  tel  que  je  dois  être,  mais  connais- 
sez-moi toujours  tel  que  je  suis  :  vous  n'aurez 
j>lus  à  censurer  mes  discours ,  mais  souffrez 
Kies  lettres;  c'est  tout  ce  que  je  vous  demande. 
Jfe  n'approcherai  d,e  vous  que  comme  d'une 
divinité  devant  laquelle  on  impose  silence  à 
ses  passions.  Vos  vertus  suspendront  l'effet  de 
■Ços  charmes  ;  votre  présence  purifiera  mon 
coeur  jjeue  craindrai  point  d'être  un  séducteuc 
«n  ne  vous  disant  rien  qu'il  ne  vous  convienne 
cl'^ntendre  ;  je  cesserai  de  me  croire  ridicule 
quand  vous  ne  me  verrez  jamais  tel  ;  et  je  vou- 
draiu'être  plus  coupable ,  qu^ud  je  ne  pourrai 
l'être  que  loin  de  vous. 

Mes  lettres?  Non.  Je  ne  dois  pas  même 
'désirer  de  TOUS  écrire,  et  vousnedevezle  souf. 
,  jfrir  jamais.  Je  vous  estimerais  moi'nssi  vous  eu 
étiez  capable.  S^/a,  Je  te  donne  cette  arme,' 
pour  t'en  servir  contre  moi.  Tu  peux  être  dé- 
yositaire  de  mon  fatal  secret,  tu  n'eu  peux 
Itve  la  confidente.  C'est  assez  pour  moi  que  tu 
U  caches,  ce  serait  trop  pour  toi  de  l'entendre 
S^pç'tçi»  Je  me  tairai^  ^vraiirais-je  de  plus  à  t«i 


A    s  A  R  A:  S65 

dire?  Bann'is-mol,  tnépiise- moî  désormais, 
çl  tu  revois  jamais  ton  amant  dans  l'ami  qne 
tu  t'es  choisi.  Sans  pouvoir  te  fuir,  je  te  dis 
adieu  pour  la  vie.  Ce  sacrilice  était  le  dernier 
qui  me  restait  à  te  faire.  C'était  le  seul  (jui  fût 
fUgue  de  tes  vertus  et  de  mou  cœur. 


LA    REINE 

FANTASQUE, 


CONTE. 


L  A    R  E  I  N  E 

FANTASQUE, 

CONTE, 

XL  y  avait  autrefois  un  roi  qui  aimoit  sou 

peuple Cela  commence  comme  un  conte 

de  fee,  interrompit  le  druide.  C'en  es  tua  aussi, 
ic'pondit  Jalamir.  Il  y  avait  donc  un  roi  qui 
aimait  son  peuple,  et  qui,  par  conséquent, 
«ne:tait  adoré.  Il  avait  fait  tows  ses  efforts  pour 
trouver  des  ministres  aussi  bien  intentionnées 
que  hii;  mais  ayant  en  fin  reconnu  la  folie  d'uue 
pareille  recherche,  H  avaitprisle  parti  défaire 
par  lui-même  toutes  les  choses  qu'il  pouvait 
dérober  à  leur  nialfcsante  activité.  Comme  il 
était  fort  entêté  du  bizarre  projet  de  rendre  ses 
sujets  heureux ,  il  agissait  en  conséquence  ,  et 
une  conduite  si  singulière  lui  donnait  parmi 
Icï  grands  un  ridicule  iucflacablc.  Le  peuple 
le  bénissait,  mais  à  la  cour  il  passait  pour  ua 
fou.  A  cela  près,  il  ne  manquait  pas  de  mérite  j 
^ussi  s'appelait-il  Phénix, 


Syo  t  A    R  E  r  N  E 

Si  ce  prluce  e'iait  extraordinaire  ,   i\  avait 
une  femme  qui  l'était  moins.  Vive  ,  étourdie  , 
capricieuse  ,  folle  par  la  Icte  ,  sage  par  le  cœur  ] 
bonne  par  tempérament,  médian  te  par  capri- 
ce ;  voilàen  quatre  mots  le  portrait  de  la  reine. 
J^antas(/i/e  était  son  nom  :  nomcéiébrequVlle 
avait  reçu  de  ses  ancêtres  eu  ligno  féminine, 
et  dont  elle  soutenait  dignement  l'honneur. 
Cette  personne  si   illustre  et    si  raisonnable 
étaitle  charme etlesupplicedeson  cher  épouy, 
car  elle  l'aimait  aussi  fort  sincèrement,  peut- 
être  à  cause  de  la  facilité  qu'elle  avait  à  le 
tourmenter.  Malgré  l'amour  réciproque  qui 
régnait  entr'eux,  ilspasscreutplusieurs  années 
sans  pouvoir  obtenir  aucunfruitdeleur  union. 
Le  roi  en  était  pénétré  de  chagrin ,  et  la  reine 
s'en  mettait  dans  des  impatiences  c'en  t  ce  bon 
prince  ne  se  ressentait  pas  tout  seài  :  elle  s'en 
prenait  à  tout  le  monde  de  ce  qu'elle  n'avait 
point  d'enfans  ;  il  n'y  avait  pas  un  courtisan  à 
qui  elle  ne  demandât  étourdiment  quelque 
secret  pour  en  avoir,  et  qu'elle  ne  rendît  rcs^ 
ponsabie  du  mauvais  succès. 

Les  médecins  ne  furent  point  oubliés;  car 
la  reine  avait  pour  eux  unedocilité  peu  com- 
mune, et  ils  n'ordonnaient  pas  une  drogue 
gu'elic  ne  fit  préparer  très-soigucuscment. 


F  A  N  T  A  s  Q  U  E.  Syi 

polir  avoir  le  plaisir  de  la  leur  jeter  au  nez, 
il  l'instant  qu'il  la  fallait  prendre.  Les  dervi- 
ches eurent  leur  tour;  il  fallut  recourir  aus 
Beuvaines,  ailx  vœux,  sur-tout  aux  oîlian- 
dcs;  et  malheur  auxdesseryans  des  temples  où 
sa  msije.stc  allai  t  en  pèlerinage  :  elle  fourrageait 
tout.etsous  pi  etextc  d'aller  respirer  un  air  pro- 
liGque,  elle  ne  manquait  jamais  démettre  sens 
dessus-dessous  toutes  les  cellules  des  moines. 
Elle  portait  aussi  leurs  reliques  ,  et  s^afTnblait 
alternativemeatdetousleursdifTerens  équipa- 
ges :  tantôt  c'était  un  cordon  blanc  ,  tantôt 
«ne  ceinture  de  cuir,  tantôt  un  capuchon, 
tantôt  un  scapulaire;  il  n'y  avait  sorte  de  mas* 
caradc  monastique  dont  sa  dévotion  ne  s'avi- 
sât; et  comme  elle  avait  un  petit  air  éveillé 
qui  la  rendait  charmante  sous  tous  ces  dégui- 
semens,el!e  n'en  quittait  aucun  sans  avoir  eu 
soin  de  s'y  faire  peindre. 

Enlin  à  force  de  dévotions  si  bien  faites  ,  à 
force  de  médecines  si  sagement  employées  ,  1» 
ciel  et  la  terre  ciaucèrent  les  vœux  de  la  rcme  ; 
elle  devint  grosse  au  momen  t  qu'pn  commen- 
çait à  en  désespérer.  Je  laisse  à  deviner  la 
Joie  du  roi  et  celle  du  peuple.  Pour  la  sienne  , 
elle  alla  ,  comme  toutes  ses  passions  ,  insqu  à 
l'estrayasaucc:  dans  SCS  transports,  clic  cassait 


S72  t  A     R  E  I  N  E 

etbrisait  tout  :  elle  embrassai  tindiffërelninenf 
tontce  qu'elle  rencontrait  ^hommes,  femmes^ 
courtisans  ,  valets  ;  c'e'tait  risquer  de  se  faire 
étoufFerque  se  trouver  sursou  passage.  Elle  no 
connaissait  point ,  disait-elle  ,  de  ravissement 
pareil  à  celui  d'avoir  un  enfanta  qui  elle  pùC 
donner  le  fouet  tout  à  son  aise ,  dans  ses  mo-* 
mens  de  mauvaise  humeur. 

Comme  la  grossesse  de  la  reine  avait  elé 
long-temps  inutilement  attendue,  elle  passais 
pour  un  de  ces  évèuemeus  extraordinaires  ^ 
dont  tout  le  monde  veut  avoir  l'honneur.  Les 
me'dccins  l'attribuaient  à  leurs  drogues  ,  \e» 
moines  à  leurs  reliques, lepeuple  à  sesprières^ 
et  le  roi  à  son  amour.  Chacun  s'intéressait  ai 
l'enfant  qui  devait  naître,  comme  si  c'eût  e'td 
le  sien  ,  et  tous  fesaient  des  vœux  sincères  pou» 
l'heureuse  uaissancedu  prince,  car  on  en  vou- 
lait un:  et  le  peuple,  les  grands  et  le  roi  réu- 
iiissaicnt  leurs  désir»  sur  ce  point.  La  reiue 
trouva  fortmatïvais  qu'on  s'avisât  de  lui  pres- 
crire de  qui  elle  devait  accoucher  ,  et  déclara 
qu'elle  prétendait  avoir  une  fille  ;  ajoutanb 
qu'il  lui  paraissait  assez  singulier  que  quel- 
qu'un osât  lui  disputer  le  droit  de  disposer, 
d'un  bien  qui  n'appartenait  incoutestablç-; 
aient  qu'à  elle  seule. 


r  A  N  T  A  s  Q  tJ  Ë.  Sf3 

phénix  voulut  eu  vain  lui  faire  entendra 
tfaisou  ;  elle  lui  dit  nettement  que  ce  n'étaient 
|)oint  là  ses  aSalres  ,  et  s'enferma  dans  so» 
-cabinet  pour  bouder  ,  occupation  chérie  à  la- 
quelle elle  employait  régulièrement  six  mois 
de  l'année.  Je  dis  six  mois,  non  de  suite; 
c'eût  été  autant  de  repos  pour  son  mari  , 
mais  pris  dans  des  intervalles  propres  aie  cha- 
griner. 

Leroi  comprenait  fort  bien  qixe  les  capricds 

€e  la  mère  ne  détermineraient  pas  le  sexe  de 
l'enfant  ;  mais  il  était  au  désespoir  qu'elle 
donnât  ainsi  ses  travers  en  spectacle  à  toute  là 
Gour.  Il  eût  sacrifié  tout  au  monde  pour  que 
l'estime  universelle  eût  iustihé  l'amour  qu'il 
avait  pour  elle ,  et  le  bruit  qu'il  fit  mal-à-pro- 
pos en  cette  occasion  ne  fut  pas  la  seule  folie 
que  lui  eût  fait  faire  le  ridicuU  espoir  de  ren* 
dte  sa  femme  raisonnable. 

Ne  sachant  plus  à  quel  saint  se  vouer  ,  il  eut 
recours  à  la  fée  Discrète  son  amie  ,  et  la  pro- 
tectrice de  sou  royaume.  La  fée  lui  conseilla 
deprendreles  voies  de  la  douceur  ,c'est-à-diro 
de  demander  excuse  à  la  reine.  «  Le  seul  but  > 
,►  lui  dit  -  elle  ,  de  toutes  les  fantaisies  de» 
^  femmes  est  de  désorienter  un  peu  la  morgue 
»  iuaicuUuc,  ctd'accoulwmwlolioniuicïi 


374  LA     REINE 

»  l'obéissance  qui  leur  convient.  Le  melllcuï 
5»  moyen  que  VOUS  ayez  de  guc'iir  les  cxtrava- 
»  gances  de  votre  femme,  est  dextravar^uer 
»»  avec  elle.  Dès  le  moment  que  vous  cesserez 
»  de  contrarier  ses  caprices,  assurez-vous 
»  qu'elle  cessera  d'en  avoir;  et  qu'elle  n'attend 
>>  pour  devenir  sage  ,  que  de  vous  avoir  r»ndu 
»  biencomplctemeatfou. Faites  donc  lescbo- 
j»  ses  de  bonne  grâce,  et  tâcbez  de  céder  eu 
»  cette  occasion  ,  pour  obtenir  tout  ce  que 
>♦  rous  voudrez  dans  une  autre  ».  Le  roi  crut 
lafc'e  ,et  poursc  conformer  à  son  avis  ,  s'e'tant 
rendu  au  cercle  de  la  reine,  il  la  prit  h  part, 
lui  dit  tout  bas  qu'il  était  fàcbé  d'avoir  con- 
testa contre  clic  mal-à-propos  ,  et  qu'il  tâche- 
rait de  la  dédommager  à  l'avenir  par  sa  com- 
plaisance, do  riiunieur  qu'il  pouvait  avoir 
mise  dans  ses  discours  ,  en  disputant  impoli- 
ment contre  elle. 

Fantasque  ,  qui  craignitque  la  douceur  de 
Phénix  ne  la  couvrît  seule  de  tout  le  ridicule 
de  cette  alfaire,  se  bâta  de  lui  repondre  ,  que 
sous  cette  excuse  ironique  ellcvoyoit  encore 
plus  d'orgueil  que  dans  les  disputes  pre'cédeu- 
tcs,mais  qnepuisque  les  torts  d'un  mari  n'au- 
torisaient point  ceux  d'une  femme,  elle  se 
hâtait  décoder  eu  cette  occasioa  comme  ello 


F  A  N  T  A  s  Q  U  E.  S7S 

avait  toujours  fait.  «  3Ion  prince  et  rnou 
V  époux,  ajovita-t-ellc  tout  haut, m'ordonne 
»  d'accouchcrd'uti  n;arçon,et  jesais  trop  biea 
v  mon  devoir  pour  manquer  d'obfir.  Je  n'i- 
»  gnore  pas  que  quand  sa  majesté  m'iionore 
»»  des  marques  de  sa  tendresse,  c'est  moins 
»  pour  l'amour  de  moi  que  pour  celui  de  son 
»  peuple,  dont  l'intérêt  ne  l'occupe  guère 
»  moins  la  nuit  que  le  jour;  je  dois  imiter  un 
»  si  noble  désintéressement, et  jevaisdeman- 
»»  der  an  divan  un  mémoire  instructif  du 
>  nombre  et  du  sexe  des  enfans  qui  convien- 
»  lient  à  la  famille  royale;  mémoire  important 
»  au  bonheur  de  l'Etat  ,  et  sur  lequel  touto 
»  reine  doit  apprendre  à  régler  sa  conduite 
»   pendant  la  nnit  ». 

Ce  beau  soliloqne  fut  écouté  de  tout  le  cer- 
cle avec  beaucoup  d'attention  ,  et  je  vous  laisse 
à  penser  combien  d'éclats  de  rire  furent  mal- 
adroitement étouffés.  «  Ahl  dit  tristement  lo 
»  roi  en  haussant  les  épaules,  je  vois  bien  que 
»  quand  on  a  une  femme  folle,  on  ne  peut 
»   éviter  d'être  un  sot». 

La  ïce  Uiscrc/e ,  dont  le  sexe  et  le  nom  con- 
trastaient quelquefois  plaisamment  dans  soa 
caractère  ,  trouva  cette  querelle  si  réjouissanto 
l^u'elle  résolut  do  s'en  amuser  jusqu'au  bout; 


âyl  L  A    R  E  I  N  Ë 

Elledltpubliquemcntauroiqn'clIcavaitcoT!'* 
suite  les  comètes  qui  piésidentà  la  naissance 
des  princes!,  et  €[u'eUe  pouvait  lui  répoudrè 
que  l'enfant  qui  naîtrait  de  lui  serait  un  gar- 
çon; mais  en  secret  elle  assura  la  reine  qu'elle 
aurait  une  fille. 

Cet  avis  rendit  tout-à-coup  Fantasque 
aussi  raisonnable  qu'elle  avait  été  capricieuse 
Jusqu'alors.  Ce  fut  avec  une  douceur  et  uu© 
complaisance  infinies  qu'elle  prit  toutes  les 
iuesures  possibles  pour  désoler  le  roi  et  tout» 
la  cour.  Elle  se  hâta  de  faire  faire  une  layett© 
des  plus  superbes,  afîectant  de  la  rendre  si 
propre  à  un  garçon  qu'elle  devînt  ridicule  à 
fine  fille;  il  fallut  dans  ce  dessein  changer  plu- 
sieurs modes  ;  mais  tout  cela  ne  lui  coulait 
rien.  Elle  fif  préparer  un  beau  collier  d» 
l'ordre  tout  brillant  de  pierreries  ,  et  voulut 
absolument  que  le  roi  nommât  d'avance  le 
gouverneur  et  le  précepteur  du  jeune  prince. 

Sitôt  qu'elle  fut  sure  d'avoir  une  fille  ,  ell» 
ne  parla  que  de  son  fils  ,  et  n'omi  t  aucune  des 
précautions  inutiles  qui  pouvaient  faire  ou- 
blier celles  qu'on  aurait  dii  prendre.  Elle  riait 
aux  éclats  en  se  peignant  la  contenance  éton- 
née et  bcte  qu'auraient  les  grands  et  les  ma- 
gistrats qui  deyaieat  oruer  ses  couches  de  leut 

préscue»» 


FANTASQUE.  2-ji 

Çl^sence.  Il  me  semble  ,  disait-elle  à  la  fée, 
▼  oir  d'un  côté  uotre  véticrable  tliaiicelier  ar- 
borer de  grandes  lunettes  pour  vérifier  le  sexe 
de  l'enfant  ,  et  de  l'autre  sa  sacrée  majesté 
laaisscr  les  yeux,  et  dire  en  balbutiant  :  Je 

croyais la  fée  m'avait  pourtant  dit . 

Messieurs,  ce  n'est  pas  ma  faute  ;  et  d'autres 
apophtlicgmcs  aussi  spirituels  recueillis  parles 
«avans  de  la  cour,  etbicntôt  portés  jujcju'aux 
extrémités  des  Indes. 

Elle  se  réprésentait  avec  un  plaisir  malin  le 
désordre  et  la  confusion  que  ce  merveilleux 
tvénenient  allait  jetterdai\s  toute  l'assemblée. 
Elle  se  figurait  d'avance  les  disputes,  l'agita- 
tion de  toutes  les  dames  du  palais  pour  récla- 
|uer,  ajuster,  concilier  en  ce  moment  im- 
prévu lesdroits  de  leurs  importantes  charges  , 
et  toute  la  cour  en  mouvcuicut  pour  un  bé- 
guin. 

Ce  fut  aussi  dans  cette  occasion  qu'elle  in- 
venta le  décent  et  spirituel  usage  de  faire  ha- 
ranguer par  les  magistrats  eu  robe,  le  princa 
nouveau-né.  Phénix  voulut  lui  représente» 
que  c'était  avilir  la  magistrature  à  pure  perte  , 
et  jeter  un  comique  extravagant  sur  tout  le 
eérénionial  de  la  cour  ,  que  d'aller  en  grand 
appareil  étaler  du  phébusà  un  petit  mariuot 


S78  L  A    R  E  I  N  E 

avant  qu'il  le  pût  entendre  ,  ou  du  moins  y 
répondre. 

Eli  tant  mieux!  reprit  vivement  la  reine, 
tant  mieux  pour  votre  lîls!  Ne  serait-il  pas 
trop  heureux  que  tout- s  les  bêtises  qu'ils  ont 
à  lui  dire,  fussent  e'puise'es  avant  qu'il  les  en- 
tendît, ttvondricz-vousqn'on  lui  garda  tponr 
l'âce  déraison  des  discours  propres  à  le  rcndte 
fou?  PourDieulaissez-lesharangncrtoutleur 
bien  aise,  tandis  qu'on  est  sûr  qu'il  n'y  com- 
prend rien  ,et  qu'il  a  l'ennui  de  moins  :  vous 
devez  savoir  de  reste  qu'on  n'en  est  pas  tou- 
jours quitte  à  si  bon  marclié.  H  en  fallut  pas- 
ser par-là,  et  de  l'ordre  exprès  de  sa  majesté 
les  pre'sldens  du  sénat  et  des  académies  com- 
mencèrent à  composer,  étudier,  raturer, 
et  ftMulIctcr  leur  Vanmorière  et  leur  Vé- 
vwsthene  pour  apprendre  à  parler  à  un  em- 
bryon. 

Enfin  le  moment  critique  arriva.  La  reine 
sentit  les  premières  douleurs  avec  des  trans- 
ports de  joie  dont  on  ne  s'avise  guère  en  pa- 
reille occasion.  Elle  se  plaignait  de  si  bonne 
grâce  et  pleurait  d'un  air  si  riant,  qu'on  eût 
cru  que  le  plus  grand  de  ses  plaisirs  était  celui 
d'accoucher. 

Aussi-tôt  ce  fut  dans  tout  le  palais  uue  ru-j 


FANTASQUE.  3?^ 

ïne«r  épouTautablc.  Les  uns  couraient  cher- 
cher le  roi  ,  d'autres  les  princes  ,  d'autivs  les 
ministres,  d'autres  le  sénat;  le  plus  grand 
nombre  et  les  plus  pressés  allaient  pour  aller, 
et  roulant  leur  tonneau  couirae  Dicgene^ 
avaient  pour  toute  aH'aire  de  se  donner  un  air 
affairé.  Dans  l'empressement  de  rassembler 
tant  de  gens  nécessaires,  la  dernière- personne 
à  qui  l'on  songea  fut  l'accoucheur;  et  le  roi 
que  son  trouble  mettait  hors  de  lui  ayant  de- 
mandé par  mégarde  une  sage -femme  ,  cette 
inadvertance  excita  paruii  les  dames  du  palais 
des  ris  ijnmodcrc's  qui  ,  joints  à  la  bonne  hu- 
meur de  la  reine,  firent  l'accouchement  .le 
plus  gai  dont  on  eiît  jamais  en  tetidu  parler. 

Quoique  /'"â!7//<'/*yz/teùtgardédcsori  mieux 
le  secret  de  la  fée,  il  n'avait  pas  laissé  de 
transpirer  parmi  les  femmes  de  sa  maison  ,  et 
celles-ci  le  gardèrent  si  soigneusement  elles- 
mêmes  ,  que  le  biuit  lut  plus  de  trois  jours  à 
s'en  répandre  par  toute  la  ville,  de  sorte  qu'il 
n'y  avait  depuis  long-temps  que  le  roi  seul 
qui  n'en  sût  rien.  Chacun  était  donc  attentif  . 
è  la  scène  qui  se  préparait;  l'intérêt  public 
fournissant  un  préleste  à  tous  les  curieux  de 
s'anujser  aux  dépens  de  la  famille  royale,  ils 
•e  fesaieut  une  icte  d'c'pier  la  contenance  d» 

X  a 


S8o  L  A     R  E  I  N  E 

leurs  majestés , etde  voir  comment ,  arec  deu* 
promesses  contradictoires  ,  la  fe'c  pourrait  s» 
tirer  d'affaires  et  conserver  son  crédit. 

Oh  çà,  monseigneur  ,dit  Jalamir  an  druide 
en  s'interrompant ,  convenez  qu'il  ne  tient 
qu'à  moi  de  vous  impatienterdans  les  règles  r 
car  vous  sentez  bien  que  voici  le  moment  des 
digressions,  des  portraits,  et  de  cette  multi- 
tude de  belles  choses  que  tout  auteur  homiu» 
d'esprit  ne  manque  jamais  d'employer  à  pro- 
pos dans  l'endroit  le  plus  intéressant  pour 
amuser  ses  lecteurs  !  Comment ,  par  Dieu  ,  dit 
le  druide,  t'imagines-tu  qu'il  y  en  ait  d'assea 
sots  pour  lire  tout  cet  esprit-là  ?  Apprends 
qu'on  a  toujours  celui  de  le  passer,  et  qu'eu 
dépit  de  monsieur  l'auteur,  ou  a  bientôt  cou- 
vert son  étalage  des  feuillets  de  son  livre.  Et 
toi  qui  fais  ici  le  raisonneur  ,  penses-tu  qua 
tes  propos  vaillent  mieux  que  l'esprit  des  au- 
tres ,  et  que  pour  éviter  l'imputation  d'un» 
sottise,  il  suffise  de  dire  qu'il  ne  tiendraitqu'à 
toi  de  la  faire  ?  Vraiment ,  il  ne  fallait  que  le 
dire  pour  le  prouver  :  et  malheureusement  jo 
n'ai  pas  ,  moi  ,  la  ressource  de  tourner  les 
feuillets.  Consolez-vous,  lui  dit  doucement 
Jalamir-  d'autres  les  tourneront  pourvou^ 
sijajiuais  on  écrit  ceci.  Ccpçud&ntj  cgjasidcrgi 


FANTASQUE.  38» 

^ue  voilà  toule  la  eour  raisemblée  dans  la 
eliambre  de  la  reine;  (jue  c'est  la  plus  belle 
occasion  que  j'aurai  jamais  de  tous  peindre 
-tant  d'illustres  originaux  ,  et  la  seule,  peut- 
être  ,  que  vous  aurez  de  les  connaître.  Qu« 
DiEO  t'entende  ,  rc'partit  plaisamment  l» 
-druide  :  je  ne  les  connaîtrai  que  trop  par 
ieurs  actions  :  fais-les  donc  agir  si  ton  histoir» 
a  besoin  d'eux, et  n'en  dis  mot  «'ilssont  inu- 
tiles; je  ne  veuv  point  d'autres  portraits  qua 
les  faits.  Puisqu'il  n'y  a  pas  moyen  ,  dit  Jala* 
viir  ,  d'égayer  mon  re'oit  paf  un  peu  de  me'- 
taphysique,  j'en  vais  tout  bêtement  reprendre 
le  fil  ,  mais  conter  pour  conter  est  d'un  en- 
nui! vous  ne  savez  pas  combien  de  belles  cho- 
ses vous  allez  perdre!  Aidez-moi ,  je  vous  prie, 
^  me  retrouver;  car  l'essentiel  m'a  tellement 
emporte' ,  que  je  ne  suis  plus  à  quoi  j'en  ctai  t 
du  cont«. 

A  cette  reine,  dit  le  druide  impatienté, 
que  tu  as  tant  de  peine  à  faire  accoucher, 
et  avec  laquelle  tu  me  liens  depuis  une  heur* 
en  travail.  Oh,  oh!  reprit  ,7a/<7//i://;  croyez- 
vous  que  les  enfans  des  rois  se  pondent  comme 
des  œufs  de  grives  ?  Vous  allez  voir  si  ce 
«'était  pas  bien  la  peine  de  pérorer.  La  rein» 
donc,  aprvs  biea  4e»  en»  et  des  ris,   tir» 


282  L  A     R  E  I  ]>;  E 

enfia  les  curieux  de  peine  et  la  fe'e  d'intrigue, 
eu  uiettaut  au  jour  uue  fiile  et  iiu  garcoa 
plus  beaux  que  la  lune  et  le  soleil,  et  qui 
se  ressemblaient  silort,  qu'on  avoit  peine  à 
les  distinguer,  ce  qui  fit  que  dans  leur  en- 
fance on  se  plaisait  à  les  habiller  de  même. 
Dans  ce  moment  si  désiré,  le  roi  sortant  de 
la  majesté  pour  se  rendre  à  la  uaturc,-Gt  des 
extravagances  qu'en  d'autres  temps  il  n'eut 
pas  laisfé  faire  à  la  reine  ;  et  le  plaisir  d'a- 
voir des  cnfans  le  rendait  si  enfant  lui-mcuie, 
qu'il  courut  sur  sou  balcon  crier  à  pleine 
tête:  Mes  amis  j  réjouissez-  '''Ous  toits  j  it 
vient  de  me  naître  vn  Jils  et  à  vous  un 
Jfîrc  ^  et  vue  Ji lie  à  ma  femme.  La  reine, 
qui  se  trouvait  pour  la  première  fois  do 
sa  vie  b  pareille  fête,  ne  s'apperçut  pas  de 
tout  l'ouvrage  qu'elle  avait  fait,  et  la  fée 
qui  connO'Ssait  son  esprit  fantasque  se  con- 
tenta ,  conformément  à  ce  qu'elle  avait 
désiré  ,  de  lui  annoncer  d'abord  unelillc.  La 
reine  se  la  fit  apporte  ,  et  ce  qui  surprit 
fort  les  spectateurs,  elle  l'embrassa  tendre- 
ment, à  la  vérité,  mais  les  larmes  aux  yeux 
et  avec  un  air  de  tristesse  qui  cadrait  mal 
avec  celui  qu'elle  avoit  eu  jusqu'alors.  J'ai 
déjli  dit  c[u'elle  aiiuait  siucéremeut  sou  epouï; 


FANTASQUE.  383 

elle  avait  été  touches  de  rinquiétude  et  de 
ratteudrissement  qu'elle  avait  lu  daus  ses 
regards  durant  ses  souffrarices.  Elle  avait  fait, 
dans  un  temps,  à  la  vérité,  siugulièicment 
cboisi  ,  des  rcflcsions  sur  la  cruauté  qu'il 
y  avait  à  désoler  un  mari  si  bon;  et  quand 
ou  lui  pré^enta  sa  fille,  elle  ne  songea  qu'au 
jegret  qu'aurait  le  roi  de  n'avoir  pas  un  ûb." 
Discrète  ,  à  qui  l'esprit  de  son  sexe  et  le  don 
de  féerie  apprenaient  à  lire  tacilenicnt  daus 
les  cœurs,  pénétra  sur  le  chacip  ce  qui  se 
passait  dans  celui  de  la  reine,  et  n  ayant 
plus  de  raison  pour  lui  digmser  la  vérité^ 
elle  fit  apporter  le  jeune  prince.  La  reine, 
revenue  de  sa  surprise,  trouva  l'expédient 
si  plaisant,  qu'elle  eu  fit  des  éclats  de  rire  ' 
dangereux  dans  l'état  où  elle  était.  Ellese 
trouva  mal.  On  eut  beaucoup  de  peine  à 
la  faire  revenir  ,  et  si  la  fée  n'eût  lépoudu 
de  sa  vie  ,  la  douleur  la  plus  vive  allait  suc- 
céder aux  transport?  de  joie  dans  le  cœur  du 
roi    et  sur  les  visages  des   courtisans. 

Mais  voici  ce  qu'il  y  evil  de  plus  singu- 
lier dans  toute  cette  avantnre  :  le  regret  sin- 
cère qu'avoit  la  reine  d'avoir  touiin'.nté  son 
ïBari,  lui  fit  prendre  une  affection  plus  vive 
pour  le  jeuue  priucc  ^ue  pour  sa  sœurj  et 


2S4  I  A     R  E  I  N  E 

le  rôt  de  sou  côte' ,  qui  adorait  la  reine  ^ 
marqua  la  même  prc'tcrence  à  la  fille  qu'elle 
avoit  souhaitée.  Les  caresses  indirectes  que 
CCS  deux  uniques  c'poux  se  fesaient  ainsi  l'un 
à  l'autre  devinrent  bientôt  un  goût  trcs-dc- 
cidé ,  et  la  reine  ne  pouvait  uon  plus  s« 
passer  de  son  lils  que  le  roi  de  sa  fille. 

Ce  double  événement  fit  un  grand  plaisir 
a  tout  le  peuple  ,  et  le  rassura  du  moins  pour 
un  temps  sur  la  frayeur  de  manquer  d» 
maîtres.  Les  esprits  forts  qui  s'étaient  mo- 
qués des  prouiesse«  de  la  fée  furent  moquer 
à  leur  tour  r  mais  ils  ne  se  tinrent  pas  pour 
battus,  disant  qu'ils  n'accordaient  pas  mêra» 
à  la  fée  l'infaillibilité  du  mensonge  ,  ni  & 
ses  prédictions  la  vertu  de  rendre  imposo 
sibles  les  choses  qu'elle  annonçait.  D'autres, 
fondés  sur  la  prédilection  qui  commen- 
çait à  se  déclarer,  poussèrent  l'imprudenc* 
jusqu'à  soutenir  qu'eu  donnant  un  fils  à  la 
reine  et  une  fille  au  roi,  l'événement  avait 
de  tout  point  démenti  la  prophétie. 

Tandis  que  tout  se  disposait  pour  la  pompe 
du  baptè-me  des  deux  nouveaux  nés,  et  qu# 
l'orgueil  humain  se  préparait  à  briller  hum- 
blement aux  autels  des  Dieux.  .  .  .  Un  mo- 
meut,iuienoujpitlc  druide  j  tu  me  brouilles 


F  A  N  T  A  s  Q  tr  E.  S85 

3'une  terrible  façon.  Appreuds-moi  ,  je  te 
prie ,  en  quel  lieu  nous  sommes.  D'abord  ^ 
pour  rendre  la  reine  enceinte,  tu  la  prome- 
nai» parmi  des  reliques  et  des  capnchons, 
Apics  cela  tu  nous  as  tout  "à  coup  fait  passer 
aux  ludes.  A  pre'sent  tu  viens  me  parler  du 
haptcme,  et  puis  des  autels  des  Dieux  par 
îe  ^landj'^amiris ,  je  nesais  plus  sidaiisla  ce'- 
ïe'monie  que  tu  prépares  nous  allons  adorer 
Jupiter^  la  bonne  Vierge^  ou  JMahomet.  Cô^ 
n'est  pas  qu'à  moi  druide,  il  m'importe  beau- 
coup que  tes  deux  bambins  soient  baptisé» 
ou  circoncis  ,  mais  encore  faut-il  observer 
îe  costume,  et  ue  pas  m'exposer  à  preudr» 
"iin  évêque  pour  le  mufti  ,  et  le  missel 
pour  l'alcoran.  Le  grand  malheur  !  lui  dit 
Jalamir ,  d'aussi  fins  que  vous  s'y  trompe- 
raient bien.  Dieu  garde  de  mal  tous  les  pré- 
lats qui  ont  des  sérails  et  prennent  pour 
fle  l'arabe  le  latin  du  bréviaire;  Dieu  fasse 
jiaix  h  tous  les  honnêtes  cafards  qui  suivent 
l'intolérance  du  prophète  de  la  Mecque,  tou- 
jours prêts  à  massacrer  saintenioiit  le  genre- 
Imuiain  pour  la  plus  grande  gloire  du  Créa- 
teur: mais  voDs  devez  vous  ressouvenir  que 
BOUS  sommes  dans  un  pays  de  fées,  où  l'oa 
«'envoie  personne  en  cui'er  pour  le  bien  de 


586  L  A    B.  E  I  N  E 

son  ame  ,  où  l'on  ne  s'avise  point  de  regar- 
der au  prépuce  des  gens  pour  les  dauiuer 
ou  les  absoudre,  et  où  la  mitre  et  le  tur- 
ban verd  couvrent  e'galenient  les  têtes  sacre'es 
pour  servir  de  signalement  aux  yeux  des  ima- 
ges,   et  de  parure  à  ceux   des  sots. 

Je  sais  bien  que  les  lois  de  la  ge'ographie, 
qui  règlent  toutes  les  religions  du  monde, 
Teuleut  que  les  deux  noiyiveaux  nés  soient 
ïiiusuluiaiis  ,  ujais  on  ne  circoncit  que  les 
mâles  ,  et  j'ai  besoin  que  mes  jumeaux  soient 
administrés  tons  deux  ;  ainsi  trouvez  boa 
que  Je  les  baptise.  Fais  ,  fais  ,  dit  le  druide; 
voilà,  foi  de  prêtre,  un  choix  le  uiieux 
motivé  dont  j'aie  entendu  parler  de  ma  vie. 

La  reine  ,  qui  sep-laisait  à  bouleverser  toute 
étiquette  ,  voulut  se  lever  au  bout  de  six 
jours,  et  sortir  le  septième,  sou»  prétexta 
qu'elle  se  portoit  bien  ;  en  effet,  elle  nour- 
rissait scsenfans.  Exemple  odieux  dont  toutes 
les  femmes  lui  représentèrent  très- fortement 
les  conséquences.  Mais  Fantasque  ,  qui 
craignait  les  ravages  du  lait  répandu  ,  sou- 
tint qu'il  n'y  a  point  de  temps  plus  perdu 
pour  le  plaisir  de  le  vie  ,  que  celui  qui  vient 
après  la  mort;  que  le  sein  d'une  femme  morte 
lie  $c  ûc'trit  pas  moins  que  celui  d'une  noui;> 


FANTASQUE.  287 

rîce  ,  ajoutant  d'un  ton  de  ducgne  ,  qu'i 
n'y  a  point  de  si  belle  gorge  aux  yeux  d'urt 
mari,  que  celle  d'une  mère  qui  nourrit  ses 
cnfans.  Cette  intervention  des  maris,  dans 
des  soins  qui  les  regardent  si  peu,  fit  beau* 
coup  rire  les  dames;  et  la  reine,  trop  jolia 
pour  l'être  irapunc'ment,  leur  parut  dès-lors^ 
maigre'  ses  caprices  ,  presque  aussi  ridicula 
que  ^on  époux,  qu'elles  appelaient  par  de'- 
rision  ,  le  bourgeois  de  Vaugirard. 

Je  te  vois  venir,  dit  aussitôt  le  druide  y 
tu  voudrais  me  donner  insensiblement  le 
lôle  de  Schah-bahan,  et  me  faire  demander 
s'il  y  a  aussi  un  Vaugirard  aux  indes  ,  comm© 
Un  Madrid  au  bois  de  Boulogne,  un  opér* 
dans  Paris  ,  et  un  philosophe  à  la  cour»i 
Mais  poursuis  ta  rapsodie,  et  ne  me  tend* 
plus  de  ces  pièges;  car  n'étant  ni  marié,  u£ 
sultan,  ce  n'est  pas   la  peine  d'être  un  sot» 

Enfin,  dit  Jalamir  sans  répondre  au  driiidcj,' 
tout  étant  prêt,,  le  jour  fut  pris  pour  ou- 
vrir les  portes  du  ciel  aux  deux  nouveaux 
nés.  La  fée  se  rendit  de  bon  matin  au  pa- 
lais, et  déclara  aux  augustes  époux  qu'cllt» 
allait  faireà  chacun  de  leurs  eufans  un  présent 
digne  de  leur  naissance  et  de  son  pouvoir. 
Je  veux,  dit-elle,  ayaût  ^ue  l'eau  ûiagi^ue 


S88  LA    REINE 

les  dérobe  à  ma  protection  ,  les  enrichir  âfk 
mes  dons ,  et  leur  donner  des  noms  plus 
efficaces  que  ceux  de  tous  les  pieds-plats  du 
calendrier,  pjwisqu'ils  exprimeront  les  perfec- 
tions dont  j'aurai  soin  de  les  douer  en  même 
temps  :  mais  comme  vous  devez  connaîtra 
mieux  que  moi  les  qualite's  qui  conviennent 
au  bonheur  de  votre  famille  et  de  vos  peu- 
ples ,  choisissez  vous-mêmes,  et  faites  ainsi 
d'un  seul  acte  de  volonté  sur  chacun  de  vos 
deux  enfans,  ce  que  vingt  ans  d'éducation 
font  rarement  dans  la  jeunesse,  et  que  la 
Raison  ne  fait  plus   dans  un  âge  avancé. 

Aussitôt  grande  altercation  entre  les  deux 
époux.  La  reine  prétendait  seule  régler  à  sa 
fantaisie  le  caractère  de  toute  sa  famille;  et 
le  bon  prince,  qui  sentait  toute  l'importanc» 
d'un  pareil  choix,  n'avait  garde  de  l'aban- 
donner au  caprice  d'une/emme  dont  il  adop- 
tait les  folies  sans  les  partager.  Phénix  vou- 
lait des  enfans  qui  devinssent  un  jour  des 
gens  raisonnables;  Fantasque  s\vi\d\t  mieux 
«voir  de  jolis  enfans  ,  et  pourvu  qu'ils  bril- 
lassent à  six  ans  ,  elle  s'embarassait  fort  peu 
qu'ils  fussent  des  sots  à  trente.  La  fée  eut 
beau  s'efforcer  de  mettre  leurs  majestés  d'ac- 
cord \  bientôt  le  caractère  des  nouveaux  nés 


FANTASQUE.  S89 

ne  fut  plus  que  le   pre'texte  de  la  dispute  , 
et  il  n'était  pas  quostion  d'avoii  raisou,  mais 
de  se  mettre  l'un  l'autre  à  la   raison. 
Enfin  Discrète  imagina  un  moyen  de  tout 
ajuster,    sans    donner  le    tort  à   personne  ' 
ce  fut  que  chacun  disposât  à  son  gré  de  l'en- 
fant de  son  sexe.  Le  roi  approuva  un  expé- 
dient qui   pourvoyait  à  l'essentiel,  en  met- 
tantà  couvert  des  bizarressouhaits  de  la  reine, 
l'héritier  présomptif  de  la  couronne  ;  et  voyant 
les  deux  enfans  sur  les  genoux  de  leur  gou- 
vernante, il  se  hâta  de  s'emparer  du  prince 
non  sans  regarder  sa  sœur  d'un  œil  de   com- 
misération. Mais  Fantasque ,   d'autant  plus 
mutinée  qu'elle  avait  moins  raison  de  l'être 
courut  comme  une  emportée  à  la  jeune  prin- 
cesse,   et  la  prenant   aussi  dans    ses    bras: 
vous  vous  unissez  tous,  dit-elle  ,  pour  m'ex- 
céder,   mais  afin    que  les    caprices    du    roi 
tournent   malgré  lui-même   au   profit    d'ua 
de  ses   enfaus ,   je  déclare    que  je  demande 
pour  celui  que  je  tiens,  tout  le  contraire  de 
ce  qu'il  demandera  pour  l'autre.  Choisissez 
maintenant,  dit-elle  au  roi  d'un  air  de  triom- 
phe, et  puisque  vous  trouvez  tant  de  char- 
mes à  tout  diriger,  décidez  d'un  seul  mot 
le  sort  de  votre  famille  entière.  La  fée  et  !• 
Mélanges,  Tome  V,  Y 


S90  L  A     R  E  I  N  E 

roi  tâchèrent  en  vain  delà  dissuader  d'une  ré- 
solution qui  mettaitcc  prince  dans  un  étrange 
embarras;  elle  n'en  voulut  jamais  démordre, 
et  dit  qu'elle  se  félicilait  beaucoup  de  l'ex- 
pédient qui  ferait   rejaillir  sur  sa  lille    tout 
le  mérite  que  le  roi  ne  saurait  pas   donner 
à   son  fils.  Ah  !  dit  ce  prince  outré  de  dé- 
pit, vous  n'avez  jamais  eu  pour  votre  fille 
que   de  l'aversion,   et  vous  le  prouvez   dans 
l'occasion  la  plus  importante  de  sa  vie;  mais, 
ajouta-t-il  dans  un  transport  de  colère  dont 
il  ne  fut  pas  le  maître,  pour  la  rendre  par- 
faite eu  dépit  de  vous  ,  je  demande  que  cet 
4Enfant-ci   vous   ressemble.  Tant  mieux  pour 
TOUS  et  pour  lui,  reprit  vivement  la  reine, 
luais  je  serai  vengée  ,  et  votre  fille  vous  res- 
semblera. A  peine  ces  mots  furent-ils  lâchés 
de  part  et  d'autre  avec  une  impétuosité  san«. 
égale  ,  que  le  roi ,  désespéré  de  son  étour- 
derie,  les  eût  bien  voulu  retenir;  mais  c'en 
était  fait,  et  les  deux  enfans   étaient  doués 
sjans  retour  des  caractères  demandés.  Le  gar- 
çon reçut  le   nom  de  prince  Coprice  ,  et  la. 
ftlle  s'appela  la  princesse  Haison,  nom  bizarre 
qu'elle  illustra  si  bien  qu'aucune  femme  n'osa 
le    porter   depuis. 
iVoilà  donc  le  futur  sviccesscur  au  trôuc  orut 


FANTASQUE.  Zgt 

de  tontes  les  perfections  d'une  jolie  femme  ^ 
et  la  princesse  sa  sœur  destinée  à  posséder 
un  jour  tontes  le^  vertus  d'un  lionne  e  hom- 
me et  les  qualitc's  d'un  bon  roi  ;  partage 
qui  ne  paraissait  pas  des  mieux  entendus, 
mais  sur  lequel  ou  ne  pouvait  plus  revenir. 
Le  plaisant  fut  que  l'amour  mutuel  des  deux 
^poux  at^issant  en  cet  instant  avec  toute  la 
force  que  lui  rendaient  toujours,  mais  soti- 
vent  trop  tard,  les  occasions  essentielles,  et 
la  pre'dilectiou  ne  cessant  d'agir  ,  cliacua 
trouva  celui  de  ses  cnfans  qui  devait  lui  res- 
sembler le  plus  mal  j^artagc  des  deux  ,  et 
songea  moins  à  le  fe'licitcr  qu'h  le  plaindre. 
L.e  roi  prit  sa  fille  dans  ses  bras,  et  la  ser- 
rant tendrement  :  Hélas  ,lui-dit-il,  que  te  ser- 
virait la  beauté  même  de  ta  mère,  ïans  son 
talent  pour  la  faire  valoir  ?  tu  seras  trop 
raisonnable  pour  faire  tourner  la  tête  à  per- 
sonne !  Fantasque  plus  circonspecte  sur  ses 
propres  vérités,  ne  dit  pas  tout  ce  qu'elle 
pensait  de  la  sagesse  du  roi  futur,  mais  il 
était  aisé  de  douter,  à  l'air  triste  dont  elle 
le  caressait,  qu'elle  eût  au  fond  du  creur 
tmc  {;»*a"<^*^'  opinion  de  son  parla-c.  Cepen- 
dant le  roi  la  rcîz,ardant  avec  une  sorte  de 
coiii'usiou,  lui  lit  quelques  reproches  sur  ce 

y  2 


Sçî  L  A     R  E  I  N  E 

qui  s'était  passé.  Je  seus  mes  tors  ,  lui  dit- 
il  ,  mais  ils  sont  votre  ouv^rage  :  nos  cnfaus 
auraient  valu  beaucoup  mieux  que  nous , 
vous  êtes  cause  qu'ils  ne  feront  que  nous  res- 
sembler. Au-moins  ,  dit-elle  aussitôt  ,  ea 
sautant  au  cou  de  sou  mari,  je  suis  sûre 
qu'il  s'aimeront  autant  qu'il  est  possible. 
Phénix  touché  de  ce  qu'il  y  avait  de  tendre 
dans  cette  saillie,  se  consola  par  cette  rcflexioa 
qu'il  avait  si  souvent  occasion  de  faire,  qu'eu 
effet  la  bouté  naturelle  ,  et  un  cœur  sensi- 
ble,  suffisent  pour  tout  réparer. 

Je  devine  si  bien  tout  le  reste  ,  dit  le  druido 
a  Ja//2/«/r  en  l'interrompant ,  que  j'achève- 
rais le  conte  pour  toi.  Ton  prince  Caprice 
fera  tourner  la  tête  à  tout  le  monde,  et  sera 
trop  bien  l'imitateur  de  sa  mère  pour  n'ea 
pas  être  le  tourment.  Il  bouleversera  le  royaume 
eu  voulant  le  réformer.  Pour  rendre  ses  su- 
jets heureux,  il  les  mettra  au  désespoir,  s'ea 
prenant  toujours  aux  autres  de   ses  propres 
torts:  injuste  pour  avoir  été  imprudent,  le 
regret  de  ses  fautes  lui  en  fera  commettre  de 
nouvelles.  Comme  la  sagesse  ne  le  conduira 
jamais,  le  bien  qu'il  voudra  faire  augmentera 
le  mal  qu'il  anra  fait.  En  un  mot ,quoiqu*au 
fond  il  soit  boa,  sensible ,  et  généreux,  ses 


FANTASQUE.  393 

vertus  mcmes  lui  tourueroat  à  préjudice;  et 
sa  seule  étourderie  ,  unie  à  tout  son  pou- 
voir ,  le  fera  plus  haïr  que  n'aurait  fait 
«ne  méchanceté'  raisonnée.  D'un  autre  côté 
ta  princesse  Raison  ,  nouvelle  héroïne  du 
pays  des  fées,  deviendra  un  prodige  de  sa^ 
gesse  et  de  prudence  ,  et  sans  avoir  d'adora- 
teurs, se  fera  tellement  adorer  du  peuple, 
f]at  chacun  fera  des  vœux  pour  être  gouverné 
par  elle  :  sa  bonne  conduite,  avantageuse  à 
tout  le  monde  et  à  elle-même,  ne  fera  du 
tort  qu'à  son  frère,  dont  on  opposera  sans 
cesse  les  travers  à  ses  vertus,  et  à  qui  la 
prévention  publique  donnera  tous  les  dé- 
fauts qu'elle  n'aura  pas  ,  quand  même  il  uo 
les  aurait  pas  lui-même.  11  sera  question  d'ia- 
tervertir  l'ordre  de  la  succession  au  trône  , 
d'asservir  la  marotte  à  la  quenouille  ,  et  la 
fortune  à  la  raison.  Les  docteurs  exposeront 
avec  emphase  les  conséquences  d'uu  tel  exem- 
ple, et  prouveront  qu'il  vaut  mieux  que 
le  peuple  obéisse,aveuglement  aux  enragés  que 
le  hazard  peut  lui  donner  pour  maîtres,  qu» 
de  se  choisir  lui-même  des  chefs  raisonnables  ; 
que  quoiqu'on  interdisse  à  un  fou  le  gou- 
vcrtiemcnt  de  son  propre  bien,  il  est  boa 
de  lui  laisser  la  supréine  disposition  de  nos 

y  3 


394  L  A     R  E  I  N  E 

biens  et  de  uos  vies;  que  le  plus  iusense'  des 
hommes  est  encore  préfe'rable  à  la  plus  sage 
des  femmes  ;  et  que  le  mâle  ou  le  premier  ne'  , 
fût-il  uu  singe  ou  un  loup  ,  il  faudrait  eu 
bonne  politique  qu'une  héroïne  ou  un  ange 
naissant  après  lui  obéît  à  ses  volontés.  Ob- 
jections et  répliques  de  la.part  des  séditieux, 
dans  lesquelles  Dieu  sait  comme  on  verra  bril- 
ler ta  sophistique  éloquence  :  car  je  le  coli- 
nais  ;  c'estsur-tout  à  médire  de  ce  qui  se  fait, 
que  ta  bile  s'exhale  avec  volupté  ,  et  tou 
amcre  franchise  semble  se  réjouir  de  la  mé- 
chaucctc  des  hommes,  parle  plaisir  qu'elle 
prend   à   la  leur  reprocher. 

Tubleu  ,  père  drui;ie,  comme  vous  y  allez  , 
dit  Jalainir  tout  surpris  ;  quel  lluK  de  pa- 
roles !  Où  diable  avez-vous  pris  de  si  belles 
tirades  ?  Vous  ne  prêchâtes  de  votre  vie  aussi 
bleu  dans  le  bois  sarce' ,  quoique  vous  n'y 
parliez  pas  plus  vrai.  Si  je  vous  laissais  faire, 
vous  changeriez  bientôt  unconte  de  lees  en  un 
traité  de  politique,  et  l'on  trouverait  quel- 
que jour  dans  les  cabinets  des  princes  ,  Barbe- 
bleue  ou  Peau-d'ànc  au  lieu  de  Machiavel. 
Mais  ne  vous  mettez  point  tant  en  frais  pour 
deviner  la  fin  de  mon  conte. 

Pour  vous  montrer  que  les  déuouemcus  ne 


FANTASQUE.  SpS 

me  manquent  pas  au  besoin,  j'en  Vais  dans 
quatre  mots  expédier  un  non  pas  aussi  sayanfe 
que  le  vôtre,  mais  peut-être  aussi  naturel, 
et  à  coup  sûr  plus  imprévu. 

Vous  saurez  donc  que  les  deux  cnlans 
jumeaux  étant,  comme  je  l'ai  remarqué, 
fort-semblables  de  figure  et  de  plus  habillés 
de-  même ,  le  voi  croyant  avoir  pris  son  fils 
tenait  sa  fille  entre  ses  bras  au  moment  de 
l'influence  ,  et  que  la  reine  trompée  par  le 
choix  de  son  mari  ,aynnt  aussi  pris  son  fils  pour 
sa  fille,  la  fée  profita  de  cette  erreur  pour 
douer  les  deux  enfans  de  la  manière  qui  leur 
convenait  le  mieux.  Caprice  fut  donc  le  nom 
de  la  princesse ,  /ï^/^o«  celui  du  prince  soa 
frère;  et  en  dépit  des  bizarreries  de  la  reine, 
tout  se  trouva  dans  l'ordre  naturel.  Parvenu 
au  trône  après  la  mort  du  roi  ,  Bnison  fit 
beaucoup  de  bien  et  fort  peu  de  bruit  :  cher- 
chant plutôt  à  remplir  ses  devoirs  qu'à  s'ac- 
quérir de  la  réputation,  Il  ne  fit  ni  guerre 
aux  étrangers,  ni  violence  à  ses  su)ets ,  et 
reçut  plus  de  bénédictions  que  d'éloges.  Tous 
les  projets  formés  sous  le  précédent  règne 
furent  exécutés  sous  celui-ci,  et  en  passant 
de  la  domniation  du  père  sous  celle  du  fils, 
les  peuples  deux  fois  heureux  crurent  n'avoir 

Y  4 


895  L  A    R  E  I  N  E  ,  etc. 

pas  changé  de  maître.  La  princesse  Caprice j 
après  avoir  fait  perdre  la  vie  ou  la  raisou 
h  des  multitudes  d'amans  tendres  et  aimables, 
fut  enfin  marie'c  à  un  roi  voisin  qu'elle  pré- 
féra parce  qu'il  portait  la  plus  longue  mous- 
tache et  sautait  le  mieux  à  cloche-pied.  Pour 
Fantasque  tWt^  mourut  d'une  indigestion  de 
pieds  de  perdrix  en  ragoût,  qu'elle  voulut 
manger  avant  de  se  mettre  au  lit  où  le  roi 
se  morfondait  à  l'attendre,  un  soir  qu'à  force 
d'agaceries  elle  l'avait  engagé  à  venir  couchey 
avec  elle. 


L  E 

PERSIFLEUR. 


L  E 

PERSIFLEUR.  (*> 

JL^È  s  qu'on  m'a  appris  que  les  écrivains  qui 
s'étaient  charj;és  d'examiner  les  ouvrages  nou- 
veaux, avaient,  par  divers  accideus ,  succes- 
sivement résigne  leurs  emplois ,  je  me  suis  mis 
eu  tcte  que  je  pourrais  fort  bien  les  rempla. 
ccr;  et,  comme  je  n'ai  pas  la  mauvaise  vanité 
de  vouloir  cire  modeste  avec  le  public,  j'a- 
voue franchement  que  je  m'en  suis  trouvé  très- 
capable;  je  soutiens  même  qu'on  ne  doit  ja- 
mais parler  autrement  de  soi  que  quand  on  est 
bien  sv'ir  de  n'en  pas  être  la  dupe.  Si  j'étais  un 
auteur  connu,  j'affecterais  peut-être  de  débi- 
ter des  contre-vérités  à  mon  désavantage  , 
pourtàcheràleur  faveur  d'amener  adroitement! 
dans  la  même  classe  les  défauts  que  je  serais 
contraiutd'avouer;  mais  actuellement  Icstra- 


(*)  Ce  morceau  devait  être  la  première  feiiilla 
d'un  écrie  périodirpie  projeté,  dit  l'auteur ,  pour 
être  fdit  alternativement  entro  M.  Diderot  et  lui  : 
l'auteur  en  esquissa  la  première  feuille  et  par  des 
ivénemens  imprévus  le  piojec  en  dcmeura-là. 

Y  é 


400      L  E    P  E  R  S  I  F  L  E  U  R; 

tagème  serait  trop  dangereux  ;  le  lecteur  ,  par 
provision,  me  joueroit  infaiUiblementle  tour 
de  tout  prendre  avi  pied  de  la  lettre  :  or,  je  1© 
demande  à  mes  chers  confrères,  est-ce-là  la 
compte  d'un  auteur  qui  parle  mal  de  soi. 

Je  seus  bien  qu'il  ne  suffit  pas  tout-à-fait 
que  je  sois  convaincu  de  ma  grande  capacité' , 
et  qu'il  serait  assez  nécessaire  que  le  public  fût 
de  moitié'  dans  cette  conviction  :  mais  il  m'est 
aise'  de  montrer  que  cette  réflexion ,  même 
prise  comme  il  faut,  tourne  presque  toute  a 
mon  profit.  Car  remarquez ,  je  vous  prie ,  que 
si  le  public. n'a  point  de  preuves  que  je  sois 
pourvu  des  talcus  convenables  pour  réussir 
dans  l'ouvrage  que  j'entreprends,  ou  ne  peut 
pas  dire  ,  non  plus ,  qu'il  eu  ait  du  contraire. 
Voilà  donc  déjà  pour  moi  un  avantage  con- 
sidérable sur  la  plupart  de  mes  concurrens  • 
Val  réellement  vis-à-vis  d'eux  une  avance  rela- 
tive de  tout  le  chemin  qu'ils  ont  fait  ch  ar- 
rière. 

Je  pars  ainsi  d'un  préjugé  favorable  et  je  le 
confirme  parles  raisons  suivantes,  très-capa- 
bles, à  mon  avis,  de  dissiper  pour  jamais 
toute  espèce  de  doute  désavantageux  sur  moa 
compte. 

i^.  On  a  publié  depuis  un  grand  nombre 


LE    PERSIFLEUR.      401 

d'années  une  infinité  de  journaux,  feuilles, 
et  autres  ouvrages  périodiques  en  tout  pays  et 
en  toute  langue,  et  j'ai  apporté  la  plus  scru- 
puleuse attention  à  ne  jamais  rien  lire  de  tout 
cela.  D'où  je  conclus  que  n'ayant  point  la  tête 
farcie  de  ce  jargon  ,  je  suis  en  état  d'en  tirer  des 
productions  beaucoup  meilleures  en  elles- 
mêmes  ,  quoique  peut-être  en  moindre  quan- 
tité. Cette  raison  est  bonne  pour  le  public, 
mais  j'ai  été  contraint  de  la  retourner  pour 
mon libraire,en  lui  disant  que  le  jugementen. 
gendreplusdechosesà  mesure  que  la  mémoire 
en  est  moins  chargée,  et  qu'ainsi  les  matériaux 
ne  nousmanqucraient  pas. 

2**.  Je  n'ai  pas  non  plus  trouvé  à  propos  j, 
et  à  peu  prés  par  la  même  raison,  de  perdre 
beaucoup  de  temps  a  l'étude  des  sciences  nia 
celle  des  autours  anciens,  La  physique  sistéma^ 
tique  est  depuis  long-temps  relégée  dans  le 
pays  des  romans  ,  la  physique  expérimentale 
tie  me  paraît  plus  que  l'art  d'arranger  agréa- 
blement de  jolis  brimborions  ,  et  la  géométrie 
celui  de  se  passer  du  raisonnement  à  l'aide  de 
quelques  formules. 

Quant  aux  anciens  ,  il  m'a  semblé  que  dans 
les  jugcmens  que  j'aurais  à  porter,  la  probité 
ne  Touioit  pas  que  je  doauasse  le  change  à 


^2       LE     PERSIFLEUR; 

mes  lecteurs  ,  ainsi  que  ftsaicnt  jadis  nossa- 
vans  ,  en  substituant  frauduleusement  à  ruoa 
avis  ,  qu'ils  attendraient,  celui  à'^ristote  ou 
de  Cicéron  dont  ils  n'ont  que  faire;  grâce  à 
l'esprit  de  nos  modernes,  il  y  a  long-temps 
que  ce  scandale  a  cessé  ,  et  je  me  garderai  bien 
d'en  ramener  la  pénible  mode.  Je  me  suis  seu- 
lement appliqué  à  la  lecture  des  dictionnaires  , 
el  j'y  ai  fait  un  tel  profit,  qu'eu  moins  de  trois 
mois  ,  je  me  suis  vu  en  état  de  décider  de  tout 
avec  autant  d'assuranceet  d'autorité  que  si  j'a- 
vais eu  deux  ans  d'étude.  J'ai  de  plus  acquis 
lui  petitrecueil  de  passages  latins  tirés  dedivers 
poètes  ,  où  je  trouverai  de  quoi  broder  et  ea-^ 
joliver  mes  feuilles,  en  les  ménageant  avec  éco- 
nomie, afin  qu'ils  durent  long-temps:  je  sais 
combien  les  vers  latins  cités  à  propos  donnent 
de  relief  à  un  pbilosophe;  et  par  la  même  rai- 
son je  me  suis  fourni  de  quantité  d'axiomes  et 
de  sentences  philosophiques,  pour  orner  mes 
dissertations  quand  il  sera  question  de  poésie. 
Car  je  n'ignore  pas  que  c'est  un  devoir  indis- 
pensable pour  quiconque  aspire  à  la  réputa- 
tion d'auteur  célèbre  ,  de  parler  pertinemment 
de  toutes  les  sciences  ,  hors  celle  dont  il  so 
niclc.  D'ailleurs  je  ne  sens  point  du  tout  la  né- 
cessite d'être  £ort  savant  pour  juger  les  ouvicij?' 


L  E    P  E  R  s  I  F  L  E  U  R.       4o3 

ges  qu'où  nous  donne  au)ourd'iiui.  Ne  di- 
rait-on pas  qu'il  faut  avoir  lu  le  P.  P^tau  ^ 
Montfancon  ,  etc.  et  être  profond  dans  les 
inathcinatiqucs  ,  etc.  pour  juger  Taiizaï  , 
Grigri ,  Anj^ola ,  Misapouf ,  et  autres  sublimes 
productions  de  ce  siècle. 

Ma  dernière  raison  ,  et  dans  le  Fond  la  seulo 
dont  j'avois  besoin  ,  est  tirée  de  mon  objet 
même.  Le  but  que  je  me  propose  dans  le  tra- 
vail médité,  est  de  faire  l'analyse  des  ouvrages 
nouveaux  qui  paraîtront, d'y  joindre  mon  sen- 
timent, et  de  communiquer  l'un  et  l'autre  au 
public  :  or  clans  tout  cela,  je  ne  vois  pas  la 
moindre  nécessité  d'être  savant:  juger  saine- 
ment et  impartialement ,  bien  écrire,  savoir  sa 
langue  ,  ce  sont-la,  ce  me  semble,  toutes  les 
conuaissances  nécessaires  en  pareil  cas  :  mais 
eesconuaisssances,  qui  est-ce  qui  se  vante  de 
les  posséder  mieux  que  moi  et  à  un  pins  haut 
degré?  à  la  vérité;  je  ne  saurais  pas  bien  dé- 
montrer qne  cela  soit  réellement  tout-à-fait 
comme  je  le  dis  ;  mais  c'est  justement  à  cause 
de  cela  que  je  le  crois  encore  plus  fort  :  on  ne 
peut  trop  sentir  soi-même  ce  qu'on  veut  per- 
suader aux  autres  :  serais-jc  donc  le  premier 
qui  à  force  de  se  croire  un  fort  habile  homme 
l'aurait  aussi  fait  woirc  au  public  ;  et  si  je  par- 


4Q4       L  E    P  E  R  S  I  F  L  È  U  R.       | 

viens  à  lui  donner  de  moi  une  semblable  opi- 
îiion  ,  qu'elle  soit  bien  ou  mal  fondée  ,  n'est-ce 
pas  pour  ce  qui  me  regarde  à  peu  près  la 
même  chose  dans  le  cas  dont  il  s'agit  ? 

On  ne  peut  donc  nier  que  je  ne  sois  très-fondé 
im'e'rigeren  Arisiarque  ^  en  juge  soin  eraia 
des  ouvrages  nouveaux,  louant,  blâmant  j  cri- 
tiquant à  ma  fantaisie  sans  que  personne  soit 
en  droit  de  me  taxer  de  témérité  ,  sauf  à  tous 
et  un  chacun  de  se  prévaloir  contre  moi  du 
droit  de  représailles  que  je  leur  vnccoide  de  très- 
grand  cœur,  désirant  seulement  qu'il  leur  pren- 
ne en  gré  dédire  du  mal  de  moi  delà  même  ma- 
nière et  dans  le  même  sens  que  ;f  m'avise  dVu 
dire  du  bien. 

C'est  par  une  suite  de  ce  principe  d'équité 
que,  n'étant  point  connu  de  ceux  qui  pour- 
raient devenir  mes  adversaires,  jedéclareque 
toute  critique  en  observation  personnelle  sera 
pour  toujours  bannie  de  mou  journal  :  ce  ue 
sont  que  des  livres  que  j«  vais  examiner,  le 
ïiiot  d'auteur  ne  sera  pour  moi  que  l'esprit  du 
livre  même,  il  ne  s'étendra  point  au-delà,  et 
j'avertis  positivement  que  je  ue  m'en  servirai 
jamais  dans  un  autre  seus;  de  sorte  que  si, 
dans  mes  jours  de  ma  uv  aise  humeur,ilm'arri?e 
quelquefois  de  dire  ;  voilà  uu  sot,  uu  imper- 


LE     PERSIFLEUR.      40& 

tincnt  écrivain,  c'est  l'ouvrage  seul  qui  sera 
taxe  d'impertinence  et  4.e  sottise  ,  et  je  n'en-, 
tends  nullement  que  l'auteur  en  soit  moins  un 
ge'nie  du  premier  ordre ,  et  peut-être  même  un 
digne  acade'micien.  (^uesais-je,  par  exemple  , 
si  l'on  ne  s'avisera  pas  de  régaler  mes  feuillets 
des  épithètes  dont  )e  viens  de  parler  :  or  ou 
voit  bien  d'abord  que  je  ne  cesserai  pas  pour 
cela  d'être  un  homme  de  beaucoup  de  mé-i 
rite. 

Comme  tout  ce  que  j'ai  dit  jusqu'à  présent 
paraîtrait  un  peu  vague  si  je  n'ajoutais  rieii 
pour  exposer  plus  nettement  mon  projet  et  la 
manière  dont  je  me  propose  de  l'exécuter,  je 
vais  prévenir  mon  lecteur  sur  certaines  parti-» 
cularitcs  de  mon  caractère,  qui  le  mettront  au 
fait  de  ce  qu'il  peut  s'attendre  à  trouver  dans 
lues  écrits. 

Quand  Soile^i/  aiWldc  l'homme  en  géné- 
ral qn'ilchangeait  du  blanc  au  noir ,  il  a  croqué 
mon  portrait  en  deux  mots  ,  en  qualité  d'in- 
dividu. Il  l'eût  rendu  plus  précis  s'il  y  eiik 
ajoute  toutes  les  autres  couleurs  avec  Ica» 
nuances  intermédiaires.  Rien  n'est  si  dissem- 
blable a  moi  que  moi-même  :  c'est  pourquoi 
il  serait  inutile  de  tenter  de  me  définir  autre-t 
pjeut  que  par  cette  variété  singulière  j  ellees| 


4o6      L  E     P  E  R  S  I  F  L  E  U  R. 

telle  dans  mon  esprit  qvi'elle  influe  de  temps 
à  autre  jusque  sur  mes  seutimens.  Quelquefois 
je  suis  un  dur  et  féroce  misautrope  ;  en  d'au- 
tres momens ,  J'entre  en  extase  nu  militu  des 
charmes  de  la  socie'té  et  des  délices  dé  l'a- 
mour. Tantôt  je  suisaustère  et  dévot,  et  pour 
le  bien  de  mon  ame  je  fais  tous  mes  efforts 
pour  rendre  durables  ces  saintes  dispositions  ; 
mais  je  deviens  bientôt  un  franc  libertin  ;  et 
comme  je  m'occupe  alors  beaucoup  plus  de 
mes  sens  que  de  ma  raison  ,  je  m'abtiens  cous- 
tanunent  d'écrire  dans  ces  moinens-là  :  c'est 
sur  quoi  il  est  bon  que  mes  lectenrs'soient  svif- 
Ësammcut  prévenus ,  de  peur  qu'ils  ne  s'atten- 
dent à  trouver  dans  mes  feuilles  des  choses 
quecertainemcntils  n'y  verront  jamais.  En  un 
mot  j  un  Protée  ,  un  Caméléon  ,  une  fenuue 
sont  des  êtres  moins  changeans  que  moi  ;  ce 
qui  doit  dès  l'abord  ôter  aux  curieux  toute 
espérance  de  me  reconnaître  quelque  jour  à 
mon  caractère  :  car  ils  me  trouveront  toujours 
sous  quelque  forme  particulière  qui  ne  sera  la 
mienne  que  pendant  ce  moment-là  ,  et  ils  no 
peuvent  pas  même  espérer  de  me  reconnaître 
à  ces  chaiigemens  \  car  comme  ils  n'ont  point 
de  période  fixe  ,  ils  se  feront  quelquefois  d'un 
instant  à  l'autre ,  et  d'autrefois  je  demeurerai 


LE     r  E  R  S  I  F  L  E  U  R.       407 

des  mois  entiers  dans  le  même  état.  C'est  cette 
irrégularité  même  qui  fait  le  fond  de  ma  cons- 
titution. Bien  plus  ;  le  retour  des  mêmes  ob- 
jets renouvelle  ordinairement  en  moi  des  dis- 
positions semblables  à  celles   oii  je  me  suis 
trouvé  la  pre:uicre  fois  que  je  les  ai  vus  ,  c'est 
pourquoi  je  suis  assez  constamment  de  la  mémo 
bumcur  avec  les  mêmes  personnes.  De  sorte 
qu'à  entendre  séparément  tous  ceux  qui  mo 
connaissent,  rien  ne  paraîtrait  moins  varié 
que  mou  caractère  :  mais  ,  allez  aux  derniers 
cclaircissemens  ,  l'un  vous  dira  que  je  suis  ba- 
din ,  l'autre  yrave  ;  celui-ci  me  prendra  pour 
«m  ignorant ,   l'autre  pour  vin   homme  fort 
docte  :  en  xin  mot ,   autant  de  têtes  ,  autant 
d'avis.  Je  me  trouve  si  bizarrement  disposé  à 
cet  égard  qu'étant  un  jour  abordé  par  deux 
personnes  à  la  fois,  avec  l'une  desquelles  j'a- 
vais accoutumé  d'être  gai  jusqu'à  la  folie  ,  et 
plus  ténébreux  k\<a  Heraclite  avec  l'autre  ,  j» 
me  sentis  si  puissamment  agité  que  je  fus  con- 
traint de  les  quitter  brusquement  de  peur  que 
le  contraste  des  passions  opposées  ne  me  fit 
tomber  cil  syncope. 

Avec  tout  cela  ,  à  force  de  m'examiner  ,  je 
n'ai  pas  laissé  que  dedémêler  en  moi  certaines 
dispositions  dominantes  ,  et  certains  retours 


4&8      LE     PERSIFLEUR. 

presque  périodiques  qui  seraient  difficiles  à 
remarquer  à  tout  autre  qu'à  l'observateur  le 
plus  attentif,  eu  un  mot,  qu'à  moi-même; 
c'est  à  peu  près  ainsi  que  toutes  les  vicissitudes 
et  les  irre'gularités  de  l'air  ,  u'empcchent  pas 
que  les  marins  et  les  hahitans  de  la  campagne 
n'y  aient  remarqué  quelques  circonstances  an- 
nuelles, et  quelques  phénomènes  qu'ils  ont  ré- 
duits en  refile  pour  prédire  à  peu  près  le  temps 
qu'il  fera  dans  certaines  saisons.  Je  suis  sujet, 
par  exemple  ,  à  deux  dispositions  principales 
qui  changent  assez  constamment  de  huit  eu 
huit  jours,  et  que  j'appelle  mes  âmes  hebdo- 
madaires ;  par  l'une  je  me  trouve  sa^^ement 
fou ,  par  l'autre  follement  sage  ,  mais  de  telle 
in.mière  pourtant  que  la  folie  l'emportant  suf 
la  sagesse  dans  l'un  et  dans  l'autre  cas  ,  elle  a 
surtout  manifestement  le  dessus  dans  la  se- 
maine ovi  je  m'appelle  sage  ;  car  alors  ,  le  fond 
de  toutes  les  matières  que  je  traite,  quelque 
raisonnable  qu'il  puisse  être  en  soi  ,  se  trouve 
presqu'entièrement  absorbe  par  les  futilités  et 
les  extravagances  dont  j'ai  toujours  soin  de 
l'habiller.  Pour  mon  ame  folle  elle  est  bien 
plus  sagequecela, car  bien  qu'elle  tiretonjou'-s 
de  son  propre  fond  le  texte  sm-  lequel  elle  ar- 
gumente ,  elle  met  tant  d'art ,  tant  d'ordre  , 


LE     PERSIFLEUR.       409 

et  tant  de  force  dans  ses  raisonncmcns  et  dans 
ses  preuves  ,  qu'une  folie  ainsi  déguisée  ne 
diffère  presque  en  rien  de  la  sagesse.  Sur  ces 
idées  que  je  garantis  justes  ou  à  peu  près  ,  je 
trouve  un  petit  problème  à  proposer  li  mes 
lecteurs  ,  et  je  les  prie  de  vouloir  bien  décider 
laquelle  c'est  de  mes  deux  âmes  qui  a  dTcté 
cette  feuille  ? 

Qu'on  ne  s'attende  donc  point  à  ne  voir 
ici  que  de  sages  et  graves  dissertations  ,  on  y 
en  verra  sans  doute  ,  et  où  serait  la  variété  ? 
mais  je  ne  garantis  point  du  tout  qu'au  milieu 
de  la  plus  profonde  métaphysique  ,  il  ne  me 
prenne  tout  d'un  coup  une  saillie  extrava- 
gante ,  et  qu'emboîtant  nion  lecteur  dans  l'I- 
cosaèdre  de  Bergerac  ,  je  ne  le  transporte  tout 
d'un  coup  dans  la  lune  ;  tout  comme  à  pro- 
pos de  l'Arioste  et  de  l'HippogrifiFe  ,  je  pour- 
rais fort  bien  lui  ç,\\.gx  Platon  j  Locke  on  Mal" 
lebranche. 

Aurestc,  toutesraatièresserontdcma  com- 
pétence ,  et  j'étends  ma  jurisdiction  indistinc- 
tement sur  tout  ce  qui  sortira  de  la  presse  ;  je 
m'arrogerai  niênio  ,  quand  le  cas  y  écherra  ,  le 
droit  de  révision  sur  les  jugemcns  de  mes  con- 
frères ;  et  non  content  de  me  soumettre  toutes 
JUîS  iuipriuierics  de  France,  je  me  propose  aussi 


410       LE     PERSIFLEUR. 

de  faire  de  temps  en  temps  de  bonnes  excur- 
sions hors  du  royaume  ,et  de  me  rendre  tribu- 
taires î'Italie  ,  ia  Hollande  et  même  l'Angle- 
terre ,  chacune  à  sou  tour  ,  promettaut  foi  de 
voyageur  la  ve'racite  la  plus  exacte  daus  les 
actes  que  j'en  rapporterai. 

Quoique  le  lecteur  se  soucie  ,  sans  doute  ~ 
assez  peu  des  détails  que  je  lui  fais  ici  de  moi 
et  de  mon  caractère  ,  j'ai  résolu  de  ue  pas  lui 
en  faire  grâce  d'une  seule  ligne  ;  c'est  autant 
pour  son  profit  que  pour  ma  commodité  que 
j'en  agis  ainsi.  Apres  avoir  commencé  panne 
persifler  moi-même  ,  j'aurai  tout  le  temps  de 
persifler  les  autres  ;  j'ouvrirai  les  yeux  ,  j'écri- 
rai ce  que  je  vois  ,  et  l'on  trouvera  que  je  me 
serai  assez  bien  acquitté  de  ma  tâche. 

Il  me  reste  à  faire  excuse  d'avance  aux  au- 
teurs que  je  pourrais  maltraiter  à  tort,  et  au 
public  de  tous  les  éloges  injustes  que  je  pour- 
rais donner  aux  ouvrages  qu'on  lui  prébe?itc. 
Ce  ne  sera  jamais  volontairement  que  je  com- 
mettrai de  pareilles  erreurs;  je  sais  querim- 
partialité  dans  un  journaliste  ne  sert  qu'à  lui 
faire  des  ennemis  de  tous  les  auteurs  ,  pour 
n'avoir  pas  dit  au  gré  de  chacun  d'eux  assca 
de  bien  de  lui  ni  assez  de  mal  de  ses  confrères  ' 
c'est  pour  cela  que  je  yeux  toujours  rester  iu. 


LE     PERSIFLEUR.        411 

connu  :  ma  grande  folie  est  de  vouloir  ne  cou- 
suUer  que  la  raison  et  ne  dire  que  la  vérité  ; 
de  sorte  que  suivant  l'e'tendue  de  mes  lumières 
et  la  disposition  de  mon  esprit,  on  pourra 
trouver  en  moi  tantôt  un  critique  plaisant  et 
badin,  tantôt  un  censeur  sévère  et  bourru, 
non  pasunsatyrique  amer  ni  un  puérile  adu- 
lateur. Les  jugemcns  peuvent  être  faux,  mais 
le  juge  ne  sera  jamais  inique. 


Fin  du  einquième  volume  des  Mélavges, 


TABLE 

DES  DIFFÉRENTES  PIÈCES 

CONTENUES  DANS  LE  CINQUIÈME 
VOLUME  DES  MÉLANGES. 

JL  RADudTiON  du  Livre  premier  de  Thistoire 

de  Tacite.  Page  7 

Traduction  de  l'Apocolokiiitosis  de  Senè^ 

que.  21 3 

Olinde  et  Sophrovie  ,  tiré  du  Tasse.        2-ji 

Le  Lévite  à'Ephraïm,  3i5 

Lettres  \  Sdit&.  35 1 

La  Reine  Faiitascjue ,  conte.  869 

Le  Persifleur.  -  399 

Lettre  de  J.  J.  Rousseau  a  M.  le  docteur 

Burney  ,  auteur  de  l'iiistoire  générale  de  la 

Mujique.  359 

Fin  de  la  Table. 


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