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Full text of "Oeuvres complètes"

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^ 


JOHN  M.  KELLY  LIBDADY 


Donated  by 
The  Redemptorists  of 
the  Toronto  Province 

from  the  Library  Collection  of 
Holy  Redeemer  Collège,  Windsor 


University  of 
St.  Michael's  Collège,  Toronto 


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OEUVRES  COMPLÈTES 

DE 

L'ABBÉ    DUBOIS 


II 


PARIS.   —   IMPRIMERIE  A.   DUT&WPLE 

7,  rue  des  Cacettes,  7 


ŒUVRES   COMPLÈTES 


DE 


L'ABBÉ    DUBOIS 

Ancien  supérieur  du  grand  séminaire  de  Coutances 

NOUVELLE  ÉDITION 

REVUE  ET  CORRIGÉE  PAR  UN  DIRECTEUR  DU  MÊME  SÉMINAIRE 


II 

LE  GUIDE  DU  SÉMINARISTE 


LIBRAIRIE     JACQUES     LECOFFRE 

LEGOFFRE  FILS  ET  G'%  SUCCESSEURS 

PARIS  I  LYON 

90,  RUK  BONAPARTE     I      RUE  BELLECOD»,  2 

1874 


LE  GUIDE 


DU 


SÉMINARISTE 


PREMIÈRE  PARTIE 


LES  SÉMINARISTES  CLASSÉS  E.\  QUATRE  CATÉGORIES  : 

—    LES   MAUVAIS,    —    LES    TIÈDES,    —    LES     BONS    — 

ET   LES    FERVENTS. 

Nous  ne  combattrons,  dans  la  première  partie 
de  cet  ouvrage,  aucun  défaut  en  particulier  ;  nous 
ferons  seulement  le  portrait  des  divers  élèves  qui 
peuplent  nos  séminaires,  et,  après  avoir  montré  le 
fort  et  le  faible  de  chacun,  nous  leur  ferons  voir 
]a  nécessité  de  se  corriger  de  leurs  imperfections 
et  nous  leur  en  indiquerons  les  moyens.  La  classi- 
fication des  séminaristes  est,  selon  nous,  d'une 
haute  importance.  Elle  correspond  exactement  à 
celle  des  prêtres  dans  l'Église  ;  ce  qui  prouve, 
comme  nous  aurons  souvent  occasion  de  le  dire, 
que  la  vie  sacerdotale  est  le  reflet  de  celle  du  sé- 
minaire. 

Les  mauvais  séunnarisies  sont  peu  nombreux;  il 
en  est  relativement  de  même  des  mauvais  prêtres. 
II.  1 


Les  séminaristes  tièdes  sont  bien  moins  rares 
que  les  mauvais  ;  c'est  la  même  chose  dans  le  sa- 
cerdoce. 

Les  bons  séminaristes  sont  en  très-grand  nom- 
bre dans  les  séminaires  ;  les  bons  prêtres  forment 
aussi  dans  FÉglise  la  classe  la  plus  nombreuse. 

Les  saints,  les  fervents  séminaristes  sont  en  petit 
nombre  dans  les  séminaires  ;  les  saints  prêtres, 
hélas  !  sont  moins  nombreux  encore  dans  l'Église. 

Malheureusement,  il  faut  le  reconnaître,  les  sé- 
minaristes, devenus  prêtres,  ne  restent  pas  tous 
dans  la  catégorie  où  ils  étaient  rangés  au  sémi- 
naire. Est-il  rare,  eti  effet,  de  voir  s'opérer  alors 
de  tristes  déclassements  ?  Est-il  rare  de  voir  de 
mauvais  séminaristes  devenir  des  prêtres  plus 
mauvais  encore  ;  des  tièdes  devenir  mauvais  ;  des 
tK/ns  devenirs  tièdes,  et  même  des  fervents  descen- 
dre au  degré  des  bons  prêtres  ordinaires  et  quel- 
quefois plus  bas  encore  ? 

Nous  ne  saurions  trop  recommander  à  nos 
jeunes  amis  la  méditation  sérieuse  de  ces  considé- 
rations. La  conséquence  qu'ils  en  tireront  sera 
certainement  qu'ils  doivent  prendre  place  parmi 
les  plus  fervents,  puisque,  là  seulement,  ils  peuvent 
trouver  une  garantie  solide  pour  l'avenir.  Puissions- 
nous,  par  ce  qui  va  suivre,  les  déterminer  tous  à 
se  lancer  généreusement  dans  la  voie  des  parfaits  ! 


m 


CHAPITRE    PREMIER 


Le  mauYais  séminariste. 

Avant  d'énumérer  les  vices  et  les  défauts  aux- 
quels le  mauvais  séminariste  est  sujet,  nous  prions 
nos  jeunes  lecteurs  de  ne  pas  croire  que  la  réunion 
de  tous  ces  vices  et  défauts  soit  nécessaire  pour 
constituer  un  mauvais  séminariste  proprement  dit. 
Il  est  évident  qu'un  seul  vice,  s'il  est  grave,  suffit 
pour  le  rendre  mauvais,  et  indigne  du  sacerdoce. 

Entrons  maintenant  f^ans  le  détail  et  considé- 
rons les  signes  caractéristiques  de  l'infortuné  jeune 
homme  qui  pose  devant  nous. 

Le  mauvais  séminariste  est  ordinairement  au  sé- 
minaire contre  son  gré  :  des  circonstances  tout 
humaines  l'y  ont  amené.  Ses  parents,  peu  favorisés 
des  dons  de  la  fortune,  ont  fait  des  sacrifices  con- 
sidérables pour  son  éducation,  et  cent  fois  ils  lui 
ont  laissé  voir  que  c'était  vers  le  séminaire  qu'ils 
désiraient  qu'il  se  dirigeât. 

Sans  doute  il  irait  bien  contre  leur  volonté  s'il 
pouvait  choisir  une  autre  carrière  ;  mais  il  n'en 
voit  presque  aucune  qu'il  puisse  aborder.  Les  unes 
exigent  des  grades,  et  il  n'a  pas  assez  de  talent 
pour  les  obtenir  ;  les  autres  demandent  beaucoup 
de  travail  et  d'argent  :  or  le  travail  lui  pèse  et 
l'argent  lui  manque.  Reprendre  l'agriculture  au 
sein  de  sa  famille  ou  quelque  métier,  c'est  ce  qui 
ne  se  voit  guère  après  sept  ou  huit  années  passées 


—   4   — 

dans  les  collèges  ou  les  petits  séminaires.  L'état 
ecclésiastique  lui  offre  seul  un  débouché  convena- 
ble :  en  l'embrassant,  il  fait  plaisir  à  ses  parents, 
il  s'assure  un  avenir  honorable,  et  il  espère  quel- 
que assistance  de  la  part  de  certaines  personnes 
pieuses  qui  croiront  faire  une  bonne  œuvre  en  se- 
condant sa  vocation.  C'est  donc  vers  le  sacerdoce 
qu'il  fait  voile,  mais  uniquement  par  des  \Ties  hu- 
maines, comme  nous  l'avons  dit,  et  disposé  au  fond 
à  renoncer  au  séminaire  s'il  pouvait  prendre  avec 
plus  d'avantage  un  autre  parti. 

11  se  dit,  il  est  vrai,  vaguement  à  lui-même  qu'il 
s'utilisera  dans  le  saint  minisière,  qu'il  confessera, 
qu'il  prêchera  comme  tant  d'autres  ;  mais  c'est  une 
vaine  pâture  qu'il  donne  à  sa  conscience  pour  l'a- 
paiser :  son  goût,  son  attrait,  ses  inclinations  n'ont 
point  ce  caractère  tranché  qui  est  le  trait  saillant 
du  séminariste  solidement  pieux.  Il  entre  au  sé- 
minaire froidement  et  par  calcul  ;  il  n'y  entre  point 
par  un  motif  de  zèle  et  avec  un  élan  de  ferveur. 

Sa  vie  du  monde  a  été  pitoyable  ;  n'ayant  jamais 
eu  un  vrai  fonds  de  vertu,  plusieurs  vices  ont  pris 
possession  de  sonàme  ;  l'impureté  surtout  y  a  fait 
des  ravages.  Sujet  à  des  habitudes  invétérées,  il 
n'a  presque  rien  fait  pour  les  combattre,  et  l'on 
chercherait  en  vain  dans  son  passé  cette  transition 
subite  et  complète  qui  caractérise  une  conversion 
proprement  dite. 

Des  chutes  graves  et  fréquentes  ont  précédé  im- 
médiatement son  entrée  au  séminaire,  et  jamais  il 
n'a  eu  pour  ses  péchés  ce  vif  sentiment  d'horreur 
qu'éprouve  toujours  celui  qui  revient  sincèrement 
à  Dieu. 


—  5  — 

Quelquefois  il  a  donné  des  scandales,  et  ceux  qui 
en  ont  été  les  témoins  n'ont  pas  vu  qu'il  les  ait  ré- 
parés d'une  manière  éclatante  par  une  vie  sainte. 

Dans  le  séminaire,  si  l'hypocrisie  ne  voile  pas 
ses  vices,  ce  qui  a  souvent  lieu,  il  se  distingue  par 
une  conduite  qui  afflige  ses  supérieurs  et  scandalise 
ses  condiFciples. 

L'insubordination  est  son  élément  ;  le  règlement 
lui  est  à  charge  et  il  ne  se  fait  aucun  scrupule  de 
l'enfreindre  habituellement,  et  même  quelquefois 
assez  grièvement. 

S'il  ne  se  porte  pas  à  cet  égard  aux  derniers  excès, 
c'est  bien  moins  parce  qu'il  respecte  la  règle  comme 
l'expression  de  la  volonté  de  Dieu,  que  parce  qu'il 
redoute  une  expulsion  qui  lui  interdirait  la  seule 
carrière  à  laquelle  il  puisse  prétendre. 

L'étude  est  pour  lui  sans  attrait  ;  la  paresse  est 
un  de  ses  vices  dominants  ;  il  travaille  tout  juste 
autant  qu'il  le  faut  pour  arracher  à  ses  examina- 
teurs une  sentence  d'admission.  En  sondant  ses 
dispositions  intimes,  il  pourrait  prévoir  à  coup  sur 
qu'une  fois  sorti  du  séminaire,  il  rompra  définiti- 
vement avec  l'étude  et  les  livres. 

Les  séminaristes  les  moins  édifiants  sont  ses 
amis  de  prédilection  ;  c'est  dans  leur  compagnie 
qu'il  aime  à  passer,  malgré  les  défenses  de  ses  su- 
périeurs, les  heures  de  récréation  et  le  temps  des 
promenades.  Avec  eux  il  est  à  l'aise  ;  il  s'ouvre,  il 
s'épanche  dans  des  conversations  toujours  frivoles, 
quelquefois  peu  édifiantes  et  souvent  même  dan- 
gereuses. 

La  piété  lui  est  étrangère  :  présent  de  corps  aux 
exercices  communs  parce  que  la  nécessité  l'y  obhge, 


—   6   — 

son  cœur  s'égare  clans  une  multitude  de  futilités 
dont  il  aime  à  se  repaitre. 

Ses  communions  sont  froides  comme  tous  ses 
exercices,  et  c'est  lui  qu'on  voit  le  moins  souvent 
à  la  table  sainte,  dont  il  s'approche  avec  des  dispo- 
sitions plus  qu'équivoques. 

De  temps  en  temps,  des  passions  mal  éteintes 
annoncent  leur  présence  par  de  violents  assauts, 
et  des  chutes  humiliantes  en  sont  le  résultat.  Les 
vacances  surtout  sont  l'occasion  de  ces  assauts  et 
de  ces  chutes. 

Il  se  relève  lâchement,  il  combat  mollement,  il 
se  coiifesse  froidement,  cl  (oui  annonce  qu'une 
nouvelle  attaque  sera  le  signal  d'une  nouvelle 
défaite. 

Mais  c'est  surtout  en  ce  qui  touche  la  vocation 
que  le  mauvais  séminariste  se  distingue  des  bons. 
Ceux-ci  ne  se  croient  jamais  appelés  ;  ils  tremblent 
sans  avoir  aucun  sujet  de  trembler,  et  leurs  con- 
fesseurs se  donnent  des  peines  incroyables  pour 
leur  inspirer  confiance  et  courage  ;  quelquefois 
même  toutes  les  ressources  de  leur  zèle  sont  vai- 
nes, et  ceux  de  leurs  pénitents  sur  la  vocation  des- 
quels ils  n'ont  pas  la  moindre  inquiétude,  renoncent 
au  sacerdoce  par  un  excès  de  frayeur.  Mais  notre 
jeune  téméraire  est  dans  des  dispositions  toutes  dif- 
férentes. Rien  ne  le  trouble,  rien  ne  l'alarme  ;  il 
s'engage  dans  les  ordres  sacrés  avec  un  calme 
parfait,  et  il  est  si  aveugle  qu'il  ne  lui  vient  pas 
même  en  pensée  de  douter  s'il  y  est  appelé. 

Il  s'abstient,  en  fait  de  vocation,  de  chercher 
dans  des  auteurs  graves  la  lumière  qu'il  redoute  ; 
il  supporte  avec  peine  les  instructions  qui  se  font  sur 


—   7   — 

cette  matière,  et  autant  il  est  mécontent  de  les  en- 
tendre, autant  il  est  prompt  à  les  oublier. 

Il  ne  consulte  pas  même  son  confesseur  à  cet 
égard,  et  croit  que  tout  est  bien  quand  il  a  déclaré 
ses  péchés  de  la  semaine.  Il  ne  peut  se  résoudre  à 
faire  connaître  sa  vie  passée,  et  emploie  divers  sub- 
terfuges pour  se  soustraire  à  une  confession 
générale,  toujours  recommandée  et  souvent  abso- 
lument nécessaire. 

Si  son  confesseur  prend  l'initiative  et  lui  mani- 
feste des  craintes  sur  sa  vocation  ;  au  lieu  de  faire 
comme  le  bon  séminariste  qui,  dans  ce  cas,  re- 
nonce à  l'état  ecclésiastique  ou  ajourne  du  moins 
la  réception  des  saints  ordres,  il  désoie  et  embarrasse 
son  confesseur  par  son  entêtement  à  soutenir  que 
sa  vocation  est  bonne  et  légitime  ;  il  laisse  même 
voir  que  son  parti  est  pris  et  que  rien  ne  le  fera 
reculer. 

S'il  ne  peut  ol)tenir  de  son  confesseur  une  décision 
favorable,  il  le  traite  de  petit  esprit  ou  de  casuiste 
trop  sévère,  et  va  frapper  à  une  autre  porte  avec 
l'espoir  de  trouver  un  directeur  plus  accommodant. 

Pauvre  jeune  liomme  !  S'il  était  sincère  et  s'il  cher- 
chait la  lumière  de  bonne  foi ,  il  verrait  immé- 
diatement qu'il  n'a  pas  peut-être  une  seule  des 
marques  généralement  assignées  pour  une  bonne 
vocation. 

Ainsi,  par  exemple,  l'innocence  conservée  depuis 
le  baptême,  il  est  certain  qu'il  ne  la  possède  point  et 
qu'il  l'a  perdue  mJlle  fois  par  des  péchés  peut-être 
énormes. 

L'innoceni'c  rt'paréc  par  une  longue  et  sérieuse 
pénitence,  peut-il   dire  quelle   est  en  lui  ?    Cette 


—  8  — 

convei'sioii  douteuse  après  de  grands  crimes  ;  ces 
rechutes  fréquentes  très-peu  de  temps  avant  son 
entrée  au  séminaire  et  peut-être  même  depuis  qu'il 
y  séjourne  ;  ce  peu  d'horreur  pour  des  désordres 
qui  feraient  plutôt  choisir  aux  saints  des  maisons 
de  repentir  qu'un  séminaire  ;  cette  absence  com- 
plète de  pénitence  et  d'expiation  proportionnée  au 
nombre  et  à  la  gravité  des  péchés  commis  :  en  vé- 
rité, est-ce  là  une  innocence  réparée  comme  l'Église 
l'ordonne  ? 

^K  pu7'eté d'hitention  peut-elle  du  moins  le  rassu- 
rer ?  Il  aime  à  se  le  persuader  ;  mais  au  fond  de 
son  àme,  sil  veut  y  pénétrer,  il  doit  voir  que  les 
grands  ressorts  qui  le  font  agir  ne  sont  point  un 
tendre  amour  pour  Notre  Seigneur  Jésus-Christ, 
\\i\  zèle  ardent  pour  procurer  sa  gloire,  la  sainte 
passion  du  salut  des  âmes  et  un  dévouement  com- 
plet au  service  de  l'Église,  mais  des  motifs  terres- 
tres et  tout  humains  qu'il  n'oserait  révéler  même  à 
ses  amis,  et  qui  sont  bien  plus  de  nature  à  lui  at- 
tirer les  châtiments  de  Lieu  que  ses  grâces  et  ses 
faveurs. 

La  grande  aptitude  pour  les  fonctiom  ecclésiasti- 
ques est  encore  un  point  qui  devrait  l'inquiéter  ; 
car  cette  aptitude  est  extérieure  ou  intérieure  :  en 
supposant  qu'il  ait  la  première,  c'est-à-dire  la  bonne 
grâce,  la  bienséance,  la  modestie  et  les  autres  dis- 
positions naturelles,  qui  souvent  lui  font  défaut, 
a-t-il  l'aptitude  intérieure  si  essentiellement  re- 
quise, savoir  :  la  sainteté,  le  courage,  l'abnégation, 
la  prudence  et  les  autres  qualités  que  les  saints 
exigent  ? 

Quant  kr esprit  ecclésiastique,  comment  pourrait-il 


croire  qu'il  le  possède,  si  sa  conduite  est  telle  que 
nous  venons  de  la  dépeindre?  x\'est-il  pas  évident 
que  c'est  lesprit  du  monde  et  non  l'esprit  de  Jé- 
sus-Christ qui  l'anime  ? 

•  Enfin  le  choix  de  révêque  ou  des  supérieurs  qui 
le  remplacent  peut-il  au  moins  lui  procurer  quel- 
que ombre  de  confiance  ?  Oui,  s'il  n'a  rien  négligé 
pour  mettre  son  évêque  ou  ses  suppléants  en  état 
de  faire  un  choix  éclairé  et  judicieux.  Mais  s'il  a 
usé  de  déguisement,  d'artifices,  de  flatteries,  de 
sollicitations  importunes  ;  s'il  s'est  obstinément  re- 
fusé à  consulter  ses  supérieurs  sur  des  points  dé- 
licats et  essentiels  ;  s'il  leur  a  positivement  caché 
certains  détails  dont  la  connaissance  leur  était  né- 
cessaire pour  bien  juger  de  sa  vocation  ;  sur  quoi 
s'appuie-t-il  pour  croire  que  parce  qu'il  figure  sur 
la  liste  de  ceux  que  l' évêque  fait  appeler  aux 
saints  ordres,  il  peut  légitimement  et  conscien- 
cieusement répondre  à  cet  appel  ? 

Tels  sont  les  traits  principaux  qui  signalent 
le  mauvais  séminariste.  Nous  pourrions  en  pro- 
duire bien  d'autres  ;  mais  ceux-ci  suffiront  pour 
mettre  sur  la  voie  les  infortunés  jeunes  gens  aux- 
quels ils  conviennent.  Voyons  maintenant  l'ef- 
froyable avenir  qu'ils  se  préparent. 

Le  plus  horrible  spectacle  que  la  terre  puisse 
offrir,  est  incontestablement  un  mauvais  prêtre. 
Dieu  jette  sur  lui  des  regards  de  colère,  l'Église  le 
vomit  de  son  sein,  les  hommes  le  méprisent,  et 
lui-même,  quand  un  éclair  de  réflexion  brille  à  ses 
yeux,  reconnaît  lindignité  de  sa  conduite  et  s'aban- 
donne quelquefois  au  désespoir.  Mais  le  comble  du 
II.  1. 


—    10   — 

mal,  c'est  que  jamais  il  ne  se  damne  seul  :  qui 
pourrait  dire,  pendant  les  quarante  ou  cinquante 
années  de  son  ministère  de  mort,  les  âmes  qu'il 
plonge  en  enfer  en  s'y  plongeant  lui-même  ? 

Cet  état  vous  fait  frémir,  jeune  et  pauvre  ami  ; 
tant  mieux,  ah  !  mille  fois  tant  mieux  :  puisse-t-il 
vous  faire  trembler  jusqu'à  la  moelle  des  os  !  Ce 
frissonnement  sera  pour  vous  une  précieuse  garan- 
tie contre  le  plus  grand  des  malheurs. 

Mais,  pensez-y  bien,  cet  état  sera  le  vôtre  si  vous 
êtes  un  mauvais  séminariste,  et  si  vous  entrez  dans 
le  sacerdoce  par  une  autre  porte  que  celle  d'une 
bonne  et  légitime  vocation.  Jésus-Christ  vous  le 
déclare  :  avant  même  d'être  prêtre  et  par  le  fait 
seul  de  votre  intrusion  dans  les  saints  ordres,  vous 
serez  à  ses  yeux  un  usurpateur  téméraire,  disons 
le  mot,  un  voleur  :  Qui  non  intrat  per  ostium, 
sed  ascendit  aliundè,  ille  fur  est  et  latro. 

Voyons  comment  les  choses  se  passeront. 

La  chute  d'un  prêtre  dans  le  péché  mortel  est  la 
victoire  que  le  démon  ambitionne  plus  que  tout  au- 
tre. Pour  la  remporter,  cette  victoire,  il  n'est  pas 
de  moyens  qu'il  n'emploie,  d'efforts  qu'il  ne  fasse, 
de  ruses  qu'il  ne  mette  en  jeu.  Pendant  des  mois 
ri  des  années  entières  il  revient  incessamment  à  la 
charge  et  n'abandonne  janiais  l'espoir  du  succès. 
Avouons-le,  les  plus  pieux  séminaristes,  devenus 
des  prêtres  fervents  et  réguliers,  sont  quelquefois 
victi^nes  de  ces  terribles  assauts.  Le  plus  grand 
nombre  triomphe,  il  est  vrai  ;  mais  quelques-uns 
succombent  :  leur  défaite  coûte  cher  à  l'enfer,  mais 
elle  n'est  pas  sans  exemple. 

Que  sera-ce  donc  de  vous,  jeune  homme  que  rien 


—  11  — 

n'affermit,  que  rien  ne  protège,  et  qui  vous  lancez 
dans  le  sacerdoce  comme  un  soldat  sans  armes  sur 
un  champ  de  bataille  hérissé  d'ennemis  î 

Ce  qui  soutient  le  bon  prêtre,  ce  sont  les  grâces 
de  l'ordination  qu'une  vocation  sainte  lui  a  pro- 
curées :  aurez-vous  ces  grâces  pour  appui,  vous 
qui,  contre  Tordre  de  Dieu,  aurez  escaladé  le  sanc- 
tuaire comme  un  voleur  :  Ille  fur  est  et  latro  ? 

.  Ce  qui  soutient  le  bon  prêtre,  c'est  l'horreur  du 
péché  et  la  détermination  où  il  a  toujours  été  de- 
puis son  entrée  au  séminaire  de  mourir  plutôt  que 
de  le  commettre  :  aurez-vous  cette  horreur  étant 
prêtre  si  vous  ne  l'aviez  nullement  étant  sémina- 
riste ?  Vous  le  croyez  peut-être,  mais  en  vérité, 
nous  vous  le  déclarons,  l'espoir  qui  vous  séduit 
est  une  illusion  qui  vous  aveugle. 

Ce  qui  soutient  le  bon  prêtre,  c'est  une  vigilance 
craintive  et  assidue  :  veillerez-vous  de  la  sorte, 
vous  que  la  dissipation  étourdit,  que  l'amour  du 
plaisir  entraine  et  qui  ne  croyez  jamais  au  danger? 
Ce  qui  soutient  le  bon  prêtre,  c'est  la  fuite  des 
occasions  même  les  moins  dangereuses  en  appa- 
rence :  fuirez-vous  comme  lui  ces  occasions,  vous 
qui  les  recherchez  pendant  les  vacances,  quoique 
vous  en  ayez  été  cent  fois  la  victime,  et  que  votre 
confesseur,  d'accord  avec  votre  conscience,  vous 
prescrive  rigoureusement  de  les  éviter  ? 

Ce  qui  soutient  le  bon  prêtre,  c'est  l'éloignement 
du  monde,  des  jeux,  des  courses  et  des  festins 
bruyants  :  l'imiterez-vous  sur  ce  point,  vous  que  le 
séminaire  fatigue,  qui  soupirez  après  une  vie 
commode,  et  qui  n'avez  d'attrait  que  pour  ce  qui 
flatte  votre  chair  sensuelle  et   immortifiée  ? 


—    12   — 

Ce  qui  soutient  le  bon  prêtre,  c'est  la  fréquen- 
tation des  fervents  confrères  qui  réchauffent  de 
leur  feu  et  qu'il  prend  pour  modèles  :  fréquente- 
rez-vous  de  tels  prêtres,  vous  qui  fuyez  la  compa- 
gnie des  pieux  séminaristes  et  qui  ne  vous  plaisez 
qu'avec  les  moins  édifiants  et  les  plus  relâchés  ? 

Ce  qui  soutient  le  bon  prêtre,  c'est  l'esprit  d'or- 
dre et  l'amour  de  la  règle  :  aurez-vous  ces  heu- 
reuses dispositions,  vous  pour  qui  le  règlement 
du  séminaire  est  un  joug  accablant  et  qui  le  violez 
en  toute  rencontre  sans  le  moindre  scrupule  ? 

Ce  qui  soutient  le  bon  prêtre,  c'est  l'amour  des 
âmes  et  le  zèle  dont  il  pratique  les  œuvres  pour  pro- 
curer leur  salut  :  aurez-vous  ce  zèle  ardent  pour  le 
salut  de  l'àme  de  vos  frères,  ^  ous  qui  n'en  avez  pas 
pour  sauver  la  votre,  et  qui  cherchez  en  vain  dans 
votre  cœur  froid  les  saintes  ardeurs  de  la  charité  ? 

Ce  qui  soutient  le  bon  prêtre,  c'est  l'amour  de 
l'étude  et  de  la  retraite  :  aurez-vous  cet  amour, 
vous  qui  détestez  la  solitude,  qui  ne  savez  que 
faire  dans  votre  cellule  et  qui  bâillez  en  ouvrant 
un  livre  ? 

Ce  qui  soutient  le  bon  prêtre,  c'est  la  haute  idée 
qu  il  a  eue  dès  le  principe  et  qu'il  fortifie  tous  les 
jours  encore,  de  l'éminence  de  sa  dignité  et  de  la 
sublimité  de  ses  fonctions  :  aurez-vous  sans  cesse 
présente  à  l'esprit  cette  idée  salutaire,  vous  qui 
n'avez  jamais  eu  l'intelligence  du  sacerdoce,  que 
les  instructions  des  retraites  du  séminaire  laissent 
froid  et  insensible,  qui  considérez  l'état  ecclésias- 
tique comme  une  carrière  ordinaire,  et  qui  vous 
faites  prêtre  comme  les  jeunes  gens  du  monde  se 
font  médecins  ou  avocats  ? 


-rr    13   — 

Ce  qui  soutient  le  bon  prêtre,  c'est  la  réception 
des  sacrements  et  le  soin  qu'il  prend  de  s'en  ap- 
procher toujours  avec  les  dispositions  qui  en  as- 
surent les  fruits  :  les  recevrez-vous  de  cette 
manière,  vous  qui  les  traitez  avec  tant  d'indiffé- 
rence au  séminaire  et  qui  n'en  tirez  aucun  fruit 
pour  votre  avancement  spirituel  ? 

Ce  qui  soutient  le  bon  prêtre,  c'est  le  zèle  pour 
la  prière  et  les  exercices  de  piété,  qu'il  considère 
comme  sa  principale  sauvegarde  et  dont  il  s'ac- 
quitte avec  une  inviolable  fidélité  :  imiterez-vous 
ce  fervent  confrère,  vous  que  l'idée  de  piété  re- 
bute, qui  trouvez  toujours  l'oraison  trop  longue, 
qui  ne  priez  que  des  lèvres  et  qui  affligez  vos  su- 
périeurs par  votre  froide  insensibilité  pour  les  cho- 
ses de  Dieu  ? 

Ce  qui  soutient  le  bon  prêtre  enfin,  c'est  la  re- 
traite annuelle,  ce  puissant  levier  qui  le  relève  de 
ses  langueurs  :  aimerez- vous  comme  lui  cette 
précieuse  retraite  et  en  tirerez-vous  des  fruits  abon- 
.dants,  vous  qui  faites  celles  du  séminaire  sans 
aucun  profit  pour  votre  âme,  et  qui  les  trouvez  fa- 
tigantes parce  qu'elles  vous  obligent  de  rentrer 
dans  votre  intérieur  où  vous  ne  trouvez  que  dé- 
sordre et  que  confusion  ? 

Or  si,  comme  nous  l'avons  déjà  dit,  le  saint 
prêtre,  malgré  tous  les  moyens  de  sanctification 
qu'il  emploie,  finit  par  se  relâcher  et  fait  oncore 
quelquefois  de  tristes  naufrages,  comment  pour- 
rez-vous  les  éviter,  vous  qui  n'aurez  rien  de  ce  qui 
fait  sa  force,  et  que  le  démon  poursuivra  avec 
d'autant  plus  de  fureur  qu'il  verra  chez  vous  plus 
de  faiblesse  et  de  lâcheté  ? 


—  14   ~ 

Croyez-nous,  jeune  ami,  c'est  l'expérience  qui 
s'énonce  par  notre  organe  :  oui,  si  vous  êtes  un 
mauvais  séminariste,  vous  serez  un  mauvais  prê- 
tre. Combien,  grand  Dieu,  qui,  mille  fois  mieux 
affermis  que  vous  ne  Tètes,  ont  déshonoré  le  sa- 
cerdoce, désolé  rÉglise,  scandalisé  les  peuples  et 
perdu  leur  àme  par  des  chutes  honteuses  I  «  J'ai 
»  vu  tomber  des  cèdres,  dit  saint  Augustin,  j'ai  vu 
»  tomber  des  hommes  sur  la  vertu  desquels  je 
»  comptais  autant  que  sur  celle  des  Jérôme  et  des 
>'  Ambroise  !  » 

Oui.  jeune  homme,  oui  encore  une  fois,  vous  tom- 
berez ;  vous  vous  relèverez  pour  tomber  encore, 
puis  vous  ne  vous  relèverez  plus  et  vous  serez 
un  mauvais  prêtre.  La  première  attaque  vous 
ébranlera,  la  seconde  vous  inclinera,  la  troisième 
vous  abattra  ,  vous  précipitera  dans  l'abîme  , 
et  l'œuvre  infernale  sera  consommée,  et  votre  ruine 
sera  complète  :  plus  de  prière,  plus  d'oraison,  plus 
de  lecture  spirituelle  ni  d'exercices  de  piété  quel- 
conques :  absence  totale  de  travail,  de  règle,  de  vi- 
gilance et  de  tous  les  moyens  de  salut  employés 
par  les  saints  :  vie  lâche  et  désœuvrée,  impruden- 
tes démarches,  fréquentations  suspectes,  liaisons 
criminelles,  conduite  extérieure  pour  le  moins 
équivoque,  ministère  en  friche,  précautions  peut- 
être  encore  pour  sauver  les  apparences,  mais  tôt 
ou  tard,  scandale,  suspense  et  tout  le  hideux  cor- 
tège de  l'infamie  du  mauvais  prêtre  :  voilà  ce 
qui  vous  attend,  jeune  et  tendre  ami,  si  vous  ne 
recourez  pas  aux  moyens  qui  vont  vous  être  pro- 
posés pour  vous  préserver  de  ce  déluge  de  maux. 


—    lo    — 

—  Le  mauvais  séminariste  étant  comme  le 
germe  d'où  sort  le  mauvais  prêtre.,  il  faut  donc  de 
toute  nécessité  cpe  vous  changiez  la  nature  de  ce 
germe  si  vous  voulez  avoir  quelque  assurance 
fondée  pour  l'avenir.  En  d'autres  termes,  il  faut 
que  votre  conduite  subisse  une  réforme  totale  et 
que  vous  vous  disiez  à  vous-même  avec  énergie  : 
C'en  est  fait,  je  m'arrache  à  ma  langueur  et,  avec 
la  grâce  de  Dieu,  je  veux  désormais  marcher  de 
front  dans  les  voies  de  la  piété  avec  les  sémina- 
ristes les  plus  édifiants. 

—  Pour  faire  naître  en  vous  ce  généreux  senti- 
ment et  surtout  pour  le  réduire  à  l'acte,  insistez 
fortement  sur  la  méditation  sérieuse  des  réflexions 
suivantes  :  Rien  de  plus  épouvantable  que  l'état 
d'un  mauvais  prêtre  :  sa  vie  est  l'abomination  de 
la  désolation  dans  le  lieu  saint  ;  sa  mort  est  af- 
freuse et  très-souvent  subite  ;  son  enfer  se  dis- 
tingue de  l'enfer  des  séculiers  par  un  surcroit 
d'ignominie  et  par  des  supplices  beaucoup  plus 
effroyables.  Quoi  donc  I  veux-je  être  un  mauvais 
prêtre  ?  Non,  certes  :  plutôt  mille  fois  mourir,  o 
mon  Dieu,  que  de  le  devenir  jamais  ! 

—  Cependant  des  hommes  graves,  désintéressés, 
éclairés  par  une  longue  expérience,  m'assurent 
positivement  que  la  vie  du  séminariste  est  l'image 
anticipée  de  la  vie  sacerdotale  ;  que  le  séminariste 
fervent  lui-même  se  relâche  souvent  quand  il  est 
prêtre,  mais  que  jamais  le  mauvais  séminariste 
ne  devient  un  bon  prêtre,  qu'il  se  familiarise  an 
contraire  avec  ses  fonctions  les  plus  saintes,  qu'il 
ne  va  pas  loin  sans  faire  des  chutes  honteuses  qui 
se  tournent  bientôt  en  habitudes,  et  que  ces  habi- 


~    16  — 

tudes  une  fois  formées  sont  indestructibles.  Que  je 
serais  aveugle  si  ces  effrayantes  vérités  ne  faisaient 
pas  luire  à  mes  yeux  un  seul  rayon  de  lumière  ! 
Seigneur,  faites  que  je  les  voie  comme  vous  les 
voyez  :  Domine,  ut  mdeam. 

—  Puisque  je  devrais  encore  trembler  si  j'étais 
rélève  le  plus  pieux  du  séminaire,  que  dois-je 
penser  de  mon  état  en  voyant  —  car  j'en  ai  la 
conviction  —  que  je  suis  le  plus  lâche,  le  plus 
froid,  le  plus  pauvre  en  vertu  de  tous  mes  condis- 
ciples ?  Si  je  ne  tremble  pas  à  cette  vue,  n'est-il 
pas  évident  que  je  suis  déjà  frappé  d'aveuglement 
spirituel  et  endurci  dans  le  mal,  ce  qui  est,  m'a- 
t-on  dit,  le  caractère  distinctif  du  mauvais  prêtre  ? 

Quo  faire  donc  ?  Persévérer  dans  ma  voie  d'in- 
dolence et  de  péché  ?  c'est  m'acheminer  vers  l'en- 
fer. Me  persuader  que  le  sacerdoce  me  fera  rentrer 
en  moi-même  et  me  rendra  meilleur?  c'est  donner 
un  démenti  formel  à  l'expérience.  Croire  que  je 
m'arrêterai  sur  le  bord  de  l'abîme  et  que  je  me 
préserverai  de  ces  catastrophes  qui  font  du  prêtre 
un  Judas  et  un  démon?  c'est  une  confiance  pré- 
somptueuse qui  a  fait  des  milliers  de  victimes. 
Espérer,  du  moins,  que  je  me  relèverai  courageuse- 
ment après  une  première  chute  et  que  l'horreur 
qu'elle  m'inspirera  m'en  fera  éviter  une  seconde? 
c'est  une  illusion  que  l'enfer  seul  entretient  en 
moi  pour  me  conduire  plus  sûrement  au  gouffre 
qu'il  me  creuse.  Me  rassurer  en  pensant  que  la 
vie  que  je  mène  au  séminaire  n'est  pas,  après  tout_, 
une  vie  positivement  criminelle  ?  c'est  oublier 
qu'elle  doit  être  sainte  et  que,  toute  sainte  qu'elle 
puisse  être,  elle  n'est  pas  encore  une  quantité  ccr- 


—   17   -^ 

laine.  Non,  Je  le  vois,  toutes  ces  combinaisons 
qu'invente  ma  lâcheté  sont  des  ruses  de  mon  enne- 
mi et  des  pièges  qu'il  tend  à  mon  inexpérience  et 
à  ma  faiblesse.  Je  n'ai  qu'une  ressource  et  je  veux 
en  profiter  :  vivre  saintement ,  m'adonner  à  la 
piété,  passer  du  noir  au  blanc  sur  tous  les  points 
où  je  suis  Topposé  de  ce  que  je  dois  être  :  voilà  la 
seule  planche  qui  me  reste  pour  éviter  le  naufrage: 
planche  de  salut,  c'est  à  toi  que  je  me  confie  : 
Dcus,  in  adjiitorium  meum  intende. 

—  Je  vais  donc  d'abord  examiner  à  fond  la 
grande  affaire  de  ma  vocation  ;  je  ne  l'ai  jamais 
fait,  cet  examen  sérieux,  et  il  est  grand  temps 
que  je  m'en  occupe.  J'ai  eu  jusqu'ici  un  parti 
pris,  celui  d'être  prêtre  ;  je  me  suis  dit  :  Yoilà  ce 
que  je  veux  être,  voilà  ce  que  je  serai.  Or,  je  le 
vois  maintenant,  en  cette  grave  matière,  ce  n'est 
pas  à  moi  de  prendre  un  parti,  c'est  à  mon  con- 
fesseur à  m'indiquer  celui  que  je  dois  choisir.  Ces 
réflexions  :  Que  vais-je  devenir  ?  que  va  dire  le 
monde?  que  vont  dire  mes  parents  ?  tout  cela  n'est 
rien  quand  je  le  mets  en  regard  du  malheur  d'en- 
trer dans  le  sacerdoce  sans  vocation.  S'il  faut 
quitter  le  séminaire,  je  le  quitterai  sans  balancer: 
je  le  quitterai  non-seulement  si  mon  confesseur 
me  l'ordonne,  mais  encore  si,  après  l'avoir  par- 
faitement éclairé,  je  le  vois  incertain  sur  ma  voca- 
tion; car  je  veux  à  cet  égard  une  sentence  formelle 
et  non  une  décision  craintive  et  embarrassée,  ai- 
mant mille  fois  mieux  être  un  bon  chrétien  ordi- 
naire dans  le  monde,  que  de  m'exposer  à  être  un 
mauvais  prêtre  dans  l'Église. 

—  Je  veux  donc  me  faire  bien  connaître.  Au 


—    18  — 

lieu  de  laisser  mon  passé  dans  rombre^,  je  vais 
dire  à  mon  confesseur  :  «  Mon  père  ,  j'ai  mené 
»  dans  le  monde  une  vie  déplorable  qu'il  est  peut- 
»  être  nécessaire  de  vous  manifester.  Le  voulez- 
»  vous  ?  je  suis  prêt  :  dites  un  mot  et  mon  cœur 
»  va  s'ouvrir  pour  vous  révéler  ses  misères  :  Para- 
»  tum  cor  meum.  »  Je  vais  même  insister  pour 
lui  faire  cette  révélation,  surtout  si  je  vois  en  lui 
la  moindre  hésitation  sur  ce  point. 

—  Cela  ne  suffit  pas  encore  :  sans  ménagement 
aucun,  sans  le  plus  petit  déguisement,  je  vais  lui 
avouer  les  motifs  qui  m'ont  amené  au  séminaire 
et  qui  m'y  font  rester,  le  peu  de  goût  que  je  sens, 
au  fond,  pour  létat  ecclésiastique,  rempressement 
avec  lequel  j'en  choisirais  un  autre  si  j'en  avais 
les  moyens,  le  fonds  de  péché  et  de  passion  que  je 
sens  en  moi  sans  en  être  troublé  ,  le  goût  du 
monde  et  des  plaisirs  qu'il  procure,  le  peu  d'attrait 
que  j'éprouve  pour  la  retraite,  la  piété  et  l'étude  : 
je  vais  tout  lui  dire  et  répondre  ingénument  à 
toutes  ses  questions.  Si  je  sens  quelque  répugnance 
à  faire  connaître  ceci  oh  cela,  je  vais  me  dire  aus- 
sitôt :  «  Raison  de  plus  pour  que  je  le  déclare  ;  » 
et  afm  de  m'encourager  à  faire  cette  déclaration, 
je  vais  me  réprimander  moi-même  en  disant  :  «  Yil 
«  imposteur  !  veux-tu  donc  être  un  mauvais  prêtre? 
»  veux-tu  faire  violence  à  Dieu  même  ?  veux-tu 
»  provoquer  sa  colère  ?  veux-tu  tomber  en  enfer 
»  avec  une  multitude  d'âmes  qui  seront  éternelle- 
»  ment  réprouvées,  et  qui  eussent  été  sauvées  si 
»  tu  n'avais  jamais  été  prêtre?  Oui  donc,  encore 
»  une  fois,  o  mon  Dieu,  je  vais  tout  dire  et  c'esl 
»   vous-même  qui  allez  ouvrir  mes  lèvres.  » 


—   19   — 

—  Tout  cela  est  fort  bien,  jeune  ami,  et  vous 
devez  bénir  Dieu  qu'il  vous  inspire  de  tels  senti- 
ments; mais  prenez  garde,  votre  réforme  doit  être 
plus  radicale  encore.  Tous  n'avez  pas  assez  d'hor- 
reur pour  le  péché  ;  vous  vous  croyez  presque  u!i 
saint  en  voyant  que  vous  offensez  Dieu  beaucoup 
moins  qu'au  passé,  et  vous  vivez  tranquille  quand 
vous  devriez  pleurer  et  gémir  sur  vos  anciennes 
misères.  Allez  à  la  source  des  lumières,  étudiez 
au  pied  de  votre  crucifix  la  théorie  du  péché  ; 
méditez  sur  sa  nature,  sur  l'injure  qu'il  fait  à  Dieu, 
sur  les  ravages  qu'il  opère  dans  l'âme  où  il  réside, 
sur  les  châtiments  éternels  qui  en  sont  les  suites. 
Nourrissez-vous  de  ces  vérités  dans  vos  oraisons, 
dans  vos  visites  au  saint  sacrement  et  dans  tous 
vos  exercices  de  piété  ;  demandez  à  Dieu  qu'il  vous 
fasse  voir  le  péché  du  même  œil  que  le  voient  les 
saints,  et  renouvelez  cette  demande  jusqu'à  ce  que 
vous  sentiez  que  la  pensée  de  le  commettre  vous 
fait  frémir  et  vous  révolte.  Vous  n'avez  peut-être 
jamais  considéré  le  péché  de  la  sorte,  et  voilà 
pourquoi  vous  avez  été  et  vous  êtes  encore  si 
misérable. 

,  —  Joignez  à  cette  méditation  celle  de  la  subli- 
mité du  sacerdoce.  Nous  vous  l'avons  dit,  vous 
n'en  avez  pas  l'intelligence  ;  vous  n'êtes  point 
frappé,  saisi,  terrifié  à  la  vue  de  cet  emploi  tout 
divin  ;  vous  le  confondez  presque  avec  les  profes- 
sions séculières  au-dessus  desquelles  il  s'élève 
autant  que  le  ciel  s'élève  au-dessus  de  la  terre  ; 
vous  n'avez  aucune  idée  vraie  de  la  sainteté  qu'il 
exige  de  ceux  qui  y  aspirent  et  de  la  frayeur  dont 
les  anges  eux-mêmes  sont  pénétrés  quand  ils  voient 


—  20  — 

un  prêtre  à  l'autel  tenant  entre  ses  mains  le  Dieu 
qu'ils  adorent.  C'est  tout  cela  qu'il  faut  comprendre 
et  graver  en  traits  de  feu  dans  le  fond  de  votre 
âme,  si  vous  voulez  sincèrem.ent  devenir  un  saint 
prêtre.  Quel  changement  s'opérera  subitement  en 
vous  si  vous  remplacez  par  ces  saintes  réflexions 
les  futilités  qui  vous  absorbent  ! 

—  Embrassez  la  piété  comme  votre  ancre  de 
salut.  Pas  de  bonne  vocation  sans  elle  :  tous  ceux 
qui  la  possèdent  ne  sont  pas  choisis  de  Dieu  pour 
le  sacerdoce  ;  mais  ceux  à  qui  elle  fait  défaut,  à 
coup  sur  n'y  sont  pas  appelés,  ou  bien  ils  manquent 
à  leur  vocation.  Ne  vous  croyez  pas  pieux  parce 
que  vous  assistez  de  corps  aux  exercices  com- 
muns du  séminaire  ;  mais  voyez  si  vous  aimez  les 
œuvres  de  la  piété,  si  vous  vous  y  livrez  avec  joie, 
si  vous  êtes  heureux  à  l'oraison,  au  piôd  de  l'au- 
tel, après  la  communion  ou  quelque  pieuse  lecture; 
voyez  si  vous  préférez  les  entretiens  fervents  avec 
un  bon  séminariste  aux  conversations  frivoles  d'un 
condisciple  qui  vous  ressemble  ;  voyez  si  vous  rap- 
portez toutes  vos  actions  à  Dieu,  si  vous  les  faites 
pour  lui  plaire  et  si  vous  aimez  à  vous  entretenir 
en  sa  sainte  présence.  Que  de  cliQses  à  acquérir  si 
vous  voulez  arriver  à  la  sainteté  qui  vous  est  pres- 
crite !  Mais,  du  courage  ;  ne  tremblez  pas.  Dieu 
en  fera  plus  que  vous,  si  vous  réclamez  son  assis- 
tance. 

—  Rompez  avec  les  compagnies  qui  augmentent 
chaque  jour  votre  froideur  pour  Dieu  et  pour  son 
service.  Fuyez  ceux  que  vous  fréquentez,  et  fré- 
quentez ceux  que  vous  fuyez  :  Qui  se  ressemble 
s  assemble,  dit  le  proverbe,   et  vous  en  avez  la 


—  21   — 

preuve  en  vous-même  ;  si  vous  vous  adonnez  à  la 
piété,  vous  ferez  tout  naturellement  votre  société 
des  séminaristes  les  plus  fervents. 

—  Édifiez  tout  le  séminaire  par  un  changement 
complet.  Vous  Tavez  scandalisé  par  votre  légèreté, 
votre  orgueil  et  votre  insubordination  ;  faites-lui 
voir  un  revirement  si  parfait  dans  toute  votre  con- 
duite, qu'il  dise  de  vous  avec  admiration  :  Ce  n'est 
plus  le  même  ;  quelle  métamorphose  !  quelle  fer- 
vente piété  après  une  vie  si  lâche  !  Sic  liiceat  lux 
vcstra  coram  Jtominibus,  ut  videant  opéra  vestra 
bona,  et  glorificcnt  Patrem  vestnmij  qui  in  cœlis  est. 

—  Attaquez  vigoureusement  vos  défauts  et  n'en 
épargnez  aucun.  Chacun  d'eux  est  un  reste  de  vos 
anciennes  passions,  et,  ces  passions,  la  plus  petite 
racine  peut  les  faire  revivre.  Rien  ne  doit  être 
négligé  quand  on  a  la  crainte  de  Dieu  et  qu'on 
veut  gagner  son  amour  :  Qui  tirnet  Deum,  nihil 
negligit. 

—  Combattez  surtout  l'oisiveté.  En  général,  le 
mauvais  séminariste  n'est  pas  studieux.  Les  études 
saintes  du  séminaire  ne  cadrent  pas  avec  ses  habi- 
tudes d'inutilités  et  de  désordre.  La  paresse  l'en- 
gourdit en  attendant  qu'elle  le  corrompe.  La  piété 
et  l'étude,  voilà  les  deux  ailes  du  séminariste  :  si 
Tune  ou  l'autre,  ou  toutes  les  deux  lui  manquent, 
il  ne  vole  plus  dans  les  hautes  régions  comme  Toi- 
seau,  il  se  traîne  dans  la  fange  comme  le  reptile  : 
Aina  scientiam  Scripturarum,  dit  saint  Jérôme,  et 
vitia  Garnis  non  amabis. 

—  Veillez  pendant  vos  vacances  ;  c'est  le  temps 
de  l'épreuve  et  du  noviciat  plus  peut-être  que  le 
séminaire.  La  manière  dont  elles  se  passent  an- 


—  22  — 

nonce  la  conduite  qu'on  tiendra  quand  on  sera 
prêtre.  Le  séminariste  qui,  durant  les  vacances, 
s'amuse  sans  cesse,  n'étudie  point,  prie  peu  et  mal, 
court  de  tous  côtés,  recherche  les  compagnies, 
se  plait  dans  les  festins  et  n'évite  pas  les  occa- 
sions dangereuses,  fera  tout  cela,  et  plus  que  cela 
encore,  quand  il  sera  prêtre.  En  quittant  le  sémi- 
naire, il  commencera  de  longues  vacances  qui  ne 
finiront  qu'avec  sa  vie,  et  pendant  lesquelles  on 
peut  prévoir  qu'il  se  perdra,  si  celles  du  temps 
de  ses  études  cléricales  n'ont  pas  été  saintement 
employées.  C'est  précisément  Tinverse  de  la  con- 
duite du  pieux  séminariste  ;  comme  il  édifie  tout 
le  monde  pendant  ses  vacances,  on  peut  prédire 
qu'il  continuera  de  l'édifier  quand  il  sera  prêtre. 
—  En  suivant  ces  règles,  jeune  et  tendre  ami, 
vous  serez  inondé  des  grâces  et  des  bénédictions 
célestes.  Aujourd'hui  Dieu  ne  vous  dit  rien  ;  vous 
lui  fermez  la  bouche,  si  j'ose  ainsi  parler,  par  une 
conduite  qui  l'offense;  il  vous  laisse  agir  humaine- 
ment dans  l'affaire  toute  divine  que  vous  traitez  ; 
aussi  vous  conduisez-vous  en  aveugle.  Mais  si  vous 
faites  de  ce  qui  vient  de  vous  être  dit,  aussitôt  la 
scène  changera  ;  Dieu  rompra  le  silence  ;  il  vous 
parlera,  parce  que  vous  mériterez  de  l'entendre, 
et  alors  de  deux  choses  l'une  :  ou  il  vous  appelle 
au  sacerdoce,  et  en  vous  le  faisant  savoir,  il  vous 
accordera  la  grâce  de  devenir  un  saint  prêtre  ;  ou 
il  ne  vous  y  appelle  pas,  et  en  vous  manifestant  sa 
volonté  par  l'organe  de  vos  supérieurs,  il  vous 
donnera  le  courage  de  quitter  le  séminaire  malgré 
tous  les  obstacles,  et  de  rentrer  dans  le  monde  où 
sa  providence  vous  réserve  un  emploi.  Puissiez- 


—   23   — 

vous  écouter  sa  voix  et  ]a  suivre  avec  docilité  ! 
Amen. 


CHAPITRE  II 


Le  séminariste  tiède  et  relâché. 

A  ne  considérer  que  la  conduite  extérieure  du 
séminariste  tiède  et  relâché,  on  la  trouve  peu  diffé- 
rente de  celle  du  mauvais  séminariste.  Celui-ci 
sans  doute  est  plus  coupable  aux  yeux  de  Dieu 
que  celui-là  ;  mais  comme  il  a  soin  de  cacher  ce 
qu'il  y  a  de  plus  répréhensible  en  lui,  sachant  bien 
qu'il  serait  exclu  des  saints  ordres,  s'il  se  faisait 
connaître  au  dehors  tel  qu'il  est  au  dedans,  on 
peut  dire  que,  si  Ton  ne  tient  compte  que  de  ce 
qui  paraît,  la  différence  entre  Fun  et  l'autre  est 
assez  peu  sensible.  Qu'on  en  juge,  au  reste,  par 
le  tableau  que  nous  allons  faire  du  séminariste 
que  nous  appelons  tiède  et  relâché. 

Le  trait  saillant  qui  le  signale  et  qui  fait  comme 
le  fond  de  son  état  de  tiédeur,  c'est  la  facilité  avec 
laquelle  il  commet  tout  ce  qui  iiest  pas  évidem- 
ment péché  mortel.  Il  est  si  lâche  et  redoute  tant  la 
contrainte  que,  pour  se  1  imposer,  il  faut  qu'il  ait 
l'enfer  en  face.  Quand  il  voit  quil  va  s'exposer 
aux  flammes  éternelles  par  le  péché  mortel,  il  s'en 
abstient  ;  mais  tant  qu'il  peut  se  dire  que  la  faute 
qu'il  est  tenté  de  commettre  ne  le  met  pas  en  état 
de  réprobation,  il  la  commet  froidement  et  sans 
scrupule  :  voilà,  sur  tous  les  points,  la  règle  ordi- 
naire de  sa  conduite. 


—   24  — 

D'après  ce  principe,  il  compte  pour  rien,  ou  du 
moins  pour  fort  peu  de  chose,  la  violation  même 
habituelle  du  règlement.  Tous  les  articles  de  ce 
règlement  qui  ne  prononcent  pas  contrôles  infrac- 
teurs  la  sentence  d'exclusion,  il  les  viole  sans  diffi- 
culté. Ses  pieux  condisciples  ont  beau  lui  donner  à 
cet  égard  l'exemple  d'une  régularité  parfaite,  il  n'a 
pas  même  la  pensée  de  les  imiter  :  bien  plus,  peut- 
être  leur  exactitude  ponctuelle  le  fait-elle  sourire. 

Si  ses  défauts  ne  vont  pas  jusqu'au  vice,  il  ne 
s'applique  pas  le  moins  du  monde  à  les  détruire  : 
il  les  fomente  au  contraire,  et  par  l'indulgence 
avec  laquelle  il  les  traite,  et  par  les  actes  mauvais 
qu'ils  lui  font  commettre  à  chaque  instant. 

Ainsi,  par  exemple,  en  fait  de  charité  envers  le 
prochain,  il  ne  reconnaît  comme  vice  que  la  médi- 
sance grave,  la  calomnie,  la  vengeance  et  la  haine: 
ces  grands  excès,  il  s'en  abstient;  mais  les  manières 
hautaines  et  dédaigneuses,  les  froideurs  et  les  ran- 
cunes, les  railleries  piquantes,  les  critiques  mali- 
gnes, les  médisances  légères  ou  qu'il  croit  telles, 
lui  échappent  à  flots  sans  que  son  calme  et  sa  gaieté 
en  souffrent  la  moindre  atteinte. 

En  fait  de  douceur,  il  ne  considère  comme  vice 
que  les  colères  violentes  et  emportées  qui  troublent 
notablement  la  raison  :  ces  violences  désordonnées, 
il  tache  de  s'en  préserver  ;  mais  ces  vivacités  à  la 
moindre  contrariété,  ces  discussions  animées  et 
opiniâtres,  ces  sécheresses  et  ces  brusqueries  sou- 
vent blessantes,  ce  fonds  d'aigreur  et  d'amertume 
qu'il  laisse  percer  en  toute  occasion,  il  ne  fait  rien 
pour  s'en  corriger  ;  à  peine  même  pense-t-il  à  s'en 
confesser. 


—  25  — 

En  fait  d'humilité,  il  ne  regarde  comme  vice 
cjiie  Torgueil  poussé  jusqu^au  mépris  formel  de  la 
personne,  et,  ce  mépris,  il  évite  de^s'en  rendre  cou- 
pable; mais  ces  pensées  de  vaine  complaisance  en 
lui-même,  ces  désirs  de  louange  et  d'estime,  ces 
paroles  artificieuses  pour  s'attirer  des  éloges,  ces 
actions,  même  saintes  de  leur  nature,  viciées  et 
gâtées  par  le  poison  de  la  vanité,  il  se  les  permet 
à  tout  moment  sans  s'en  faire  jamais  aucun  re- 
proche. 

En  fait  de  mortification,  rien  n'est  vice  à  ses  yeux 
(jue  les  sensualités  grossières  et  les  intempérances^ 
notables  qui  scandalisent  tous  ceux  qui  en  sont  les 
témoins  :  ces  graves  désordres,  il  consent  à  les 
éviter  ;  mais  ces  sensualités  adoucies,  ce  dégoût 
(le  la  pénitence  et  de  tout  ce  qui  incommode,  ces 
satisfactions  des  sens,  cet  attrait  vif  et  prononcé 
pour  le  jeu,  le  plaisir  et  la  bonne  chère,  cette  vie, 
en  un  mot,  que,  selon  Bourdaloue,  les  saints  au- 
raient abhorrée,  il  la  regarde,  lui,  comme  une  vie 
qui  ne  mérite  aucune  censure  tant  soit  peu  fondée. 

En  fait  de  chasteté  même,  il  n'attache  la  note 
infamante  de  vice  qu'à  des  pensées,  des  paroles  ou 
des  actions  que  tous  les  théologiens  déclarent  mor- 
telles, et  qu'il  a  soin  de  s'interdire  ;  mais  ces  ré- 
flexions dangereuses  mollement  combattues,  ces 
paroles  légères  et  équivoques,  ces  regards  plus 
ou  moins  sensuels,  ces  assiduités  auprès  des  per- 
sonnes du  sexe,  ces  premiers  germes  d'affections 
désordonnées,  ces  lectures  plus  que  frivoles,  et 
mille  autres  choses  de  cette  nature  qui  atteignent 
les  dernières  limites  du  véniel,  si  tant  est  qu'elles 
ne  les  dépassent  pas  quelquefois,  voilà  ce  qu'il  se 
n.  2 


-=-26  — 

permet  fréquemment  sans  que  sa  conscience  en 
murmure. 

Tout  le  monde,  sans  balancer,  le  place  au  rang 
des  ordinands  les  moins  édifiants  du  séminaire. 
Plusieurs,  si  la  charité  ne  leur  fermait  la  bouche, 
diraient,  comme  ils  le  pensent  réellement,  que 
jamais  ils  ne  voudraient  recevoir  les  saints  ordres 
s'ils  menaient  une  conduite  semblable  à  la  sienne  : 
lui  seul  affiche  une  assurance  que  rien  n'ébranle, 
et  si  quelques  élèves  reculent  à  l'aspect  du  sous- 
diaconat,  assurément  ce  n'est  pas  lui  qui  fait  un 
pas  rétrograde. 

L'étude  n'est  pas  ordinairement  son  occupation 
favorite,  et  il  serait  heureux  de  pouvoir  s'en  dis- 
penser. Du  reste,  il  s'y  livre  lâchement,  par  manière 
d'acquit  et  sans  aucune  vue  de  foi  et  de  piété. 

Mais  que  dirons-nous  de  ses  exercices  spirituels? 
C'est  là  encore,  et  là  surtout,  que  sa  tiédeur  se 
déclare.  Vivant  dans  un  état  habituel  de  résistance 
à  la  volonté  de  Dieu,  Dieu  aussi  lui  résiste  et  ré- 
serve ses  faveurs  à  ceux  qu'il  en  trouve  plus  dignes 
que  lui.  Privé  de  ces  faveurs,  tout  ce  qui  s'appelle 
pratiques  pieuses  lui  est  insipide,  et  au  lieu  de 
s'en  imposer  de  surérogatoires,  comme  le  font  les 
bons  séminaristes,  il  s'acquitte  avec  nonchalance, 
fatigue  et  ennui,  de  celles  qui  sont  commandées 
par  la  règle. 

L'oraison  la  plus  courte  lui  paraît  toujours  lon- 
gue ;  sa  posture  indolente,  ses  regards  curieux  et 
égarés,  ses  bâillements  luême  quelquefois  annon- 
cent qu'il  est  là  dans  un  état  de  gène  et  de  con- 
trainte, et  cela  malheureusement  n'est  que  trop 
>Tai  :  pas  une  aspiration  fervente,  pas  un  soupir 


—  27  — 

du  cœur,  pas  une  résolution  ferme,  sincère  et  sur- 
tout efficace  :  oraisons  nulles,  toutes  de  routine  et 
dont  les  fruits  ne  se  révèlent  jamais  par  les  actes. 

Les  autres  exercices  se  passent  de  la  même  ma- 
nière :  la  tiédeur  qu'il  y  apporte  les  frappe  de  sté- 
rilité, et  sïl  était  franc,  il  avouerait  cju'ils  lui  sont 
à  charge  et  qu'il  serait  à  peu  près  tel  qu'il  est  s'il 
se  dispensait  de  les  faire. 

Les  confessions  sont  comme  tout  le  reste  ;  elles 
le  tranquillisent  parce  qu'il  n'y  porte  pas  les  grands 
désordres  dont  il  s'accusait  autrefois  ;  mais  n'ayant 
aucun  .repentir  des  péchés  dont  il  se  confesse,  il  y 
retombe  à'  la  première  occasion,  et  après  une  mul- 
titude de  confessions,  il  ne  voit  pas  dans  sa  con- 
duite le  plus  petit  signe  d'amendement.  Le  sacre- 
ment de  pénitence,  qui  développe  si  merveilleuse- 
ment la  piété  fervente  de  ses  condisciples,  le  laisse 
dans  sa  tiédeur  habituelle  qui  afflige  son  confes- 
seur sans  l'affliger  lui-même. 

La  communion,  dont  les  fruits  sont  toujours  eu 
rapport  avec  ceux  de  la  confession  qui  en  est  la 
préparation,  ne  dissipe  point  sa  langueur  ;  il  com- 
munie moins  pour  profiter  des  grâces  que  procure 
la  sainte  Eucharistie,  que  pour  suivre  l'usage  et 
faire  comme  les  autres  ;  et  si  Jésus-Christ  l'honore 
de  quelques  paroles  intérieures,  que  peuvent-elles 
être  sinon  cette  foudroyante  sentence  qu'il  ne  dai- 
gne pas  même  s'appliquer  :  Utinàm  frigidus  esses 
mit  calidus  !  Sed  quia  tepidus  es,  et  nec  frigidus 
nec  calidus,  incipiam  te  evomere  ex  ore  meo. 

Les  bons  exemples  qu'il  a  sous  les  yeux,  les 
paternels  avis  qu'on  lui  donne,  les  lectures  qui  lui 
sont  faites,  les  instructions  qu'il  entend,  tout  vient 


—  28  — 

échouer  contre  le  fonds  de  lâcheté  qu'il  oppose  à 
ces  moyens  de  salut,  et  ce  chapitre  même  de  notre 
ouvrage,  qu'il  lira  peut-être  et  dans  lequel  il  se 
verra  dépeint.  trou?jlera  quelque  fervent  séminariste 
qui  s'appliquera  ce  qui  ne  lui  convient  point,  et  le 
laissera,  lui,  tranquille  et  rassuré  dans  son  insou- 
ciance et  sa  torpeur. 

Voilà  comme  s'écoulent  les  jours  si  précieux 
du  séminaire  pour  le  séminariste  tiède  et  relâché  : 
jours  de  grâces  et  de  bénédictions  qui  ne  revien- 
nent point,  et  qui,  quelque  saintement  passés 
qu'ils  soient,  ne  le  sont  presque  jamais  autant 
qu'ils  devraient  l'être  pour  disposer  au  redoutable 
sacerdoce  I 

Ce  qu'il  y  a  d'affligeant  encore  et  d'inquiétant 
dans  la  situation  du  séminariste  tiède,  c'est  que 
sa  tiédeur  fait  des  progrès  à  mesure  qu'il  s'avance 
dans  sa  sainte  carrière.  Chaque  nouvel  ordre  qu'il 
reçoit  devrait  lélever  en  vertu  comme  il  l'élève 
en  dignité,  et  c'est,  hélas  !  tout  le  contraire  qui  a 
lieu.  Que  les  vénérables  directeurs  de  nos  sémi- 
naires nous  disent,  le  flambeau  de  l'expérience  à 
la  main,  si  les  séminaristes  tièdes  pendant  la  pre- 
mière année  de  leurs  études  cléricales,  ne  sont 
pas  plus  tièdes  encore,  plus  lâches,  plus  indisci- 
plinés pendant  la  dernière.  Oui.  en  vérité,  cela  est 
désolant  pour  le  présent  comme  pour  l'avenir,  et 
malheureusement,  nous  le  répétons,  ceux  qui  de- 
vraient trembler  sont  les  seuls  qui  ne  tremblent 
pas  ! 

Les  élèves  ecclésiastiques  de  cette  trempe  ne  se 
doutent  pas  de  l'embarras  qu'ils  causent,  en  fait 
de  vocation,  aux  confesseurs  qui  les  dirigent.  Les 


mauvais  séminaristes  les  mettent  souvent  plus  à 
Taise  que  les  tièdes  et  les  lâches.  En  effet,  quand 
le  confesseur  d'un  mauvais  séminariste  le  voit 
incorrigible  et  indigne  du  sacerdoce,  il  le  lui  dé- 
clare nettement  et  lui  interdit,  sous  peine  de  refus 
d'absolution,  la  réception  des  saints  ordres.  La 
plus  grande  difficulté  qu'il  rencontre  à  son  égard 
n'est  pas  de  porter  un  jugement  sur  sa  vocation, 
c'est  de  l'amener  à  quitter  le  séminaire  et  à  choisir 
dans  le  monde  une  autre  profession.  Mais  que 
voulez-vous  qu'il  pense  ,  que  voulez-vous  qu'il 
dise  et  qu'il  fasse  de  ce  séminariste  qu'il  voit 
sans  cesse,  malgré  tous  ses  avis,  mou,  apathique, 
indifférent ,  ennemi  du  travail ,  violateur  de  la 
règle,  sans  grands  vices,  il  est  vrai,  mais  sans 
vertus  positives  bien  déclarées  et  sujet  à  mille 
misères  qui  font  gémir  tout  le  monde  excepté  lui- 
même?  Que  faire,  encore  une  fois,  de  cette  masse 
indolente  qu'on  ne  sait  comment  qualifier,  parce 
qu'elle  n'a  point  en  quelque  sorte  d'être  propre,  et 
qu'elle  est  comme  un  amalgame  informe  de  quel- 
ques qualités  fort  douteuses  et  de  défauts  réels  et 
indestructibles  ?  Que  faire  d'un  homme  qui  flotte 
perpétuellement  entre  la  vie  et  la  mort,  le  froid  et  le 
chaud,  les  ténèbres  et  la  lumière,  le  vice  complet 
et  la  vertu  solide  ?  Quels  conseils  lui  donner  dans 
le  présent,  quand  il  s'obstine  à  n'en  suivre  aucun? 
Quelle  garantie  lui  offrir  pour  l'avenir,  quand  on 
sait  par  expérience  que  les  plus  fervents  se  relâ- 
chent ?  Comment  lui  dire  formellement  que  sa  vo- 
cation est  bonne  quand  on  a  tant  de  raisons  d'en 
douter  et  qu'on  se  seniirail  comme  déchargé  d'un 
poids  énorme  s'il  voulait  se  faire  justice  à  lui- 
II.  2. 


—   30  — 

mémo  et  renoncer  au  saint  état  dont  il  est  si  peu 
digne?  Xon,  infortuné  jeune  homme,  vous  ne 
savez  pas  la  peine  dont  vous  abreuvez  votre  zélé 
directeur. 

^"avious-nous  pas  raison  de  dire  que  la  conduite 
extérieure  des  séminaristes  tièdes  était  semblable 
à  celle  des  mauvais  séminaristes?  Deux  traits  prin- 
npaux ,  mais  intérieurs,  les  distinguent  l'un  de 
(autre  :  le  mauvais  séminariste  n'a  pas  une  vive 
horreur  du  péché  mortel,  qu'il  commet  quelque- 
fois encore  pendant  les  vacances  et  même  au 
séminaire,  ce  que  le  séminariste  tiède  ne  fait 
point  :  voilà  le  premier  trait.  Le  mauvais  sémina- 
riste n'est  pas  communément  appelé  au  sacerdoce 
et  veut  être  prêtre  malgré  Dieu  :  le  séminariste 
tiède,  au  contraire,  est  souvent  appelé  à  l'état 
cclésiastique,  mais  il  ne  répond  pas  à  sa  vocation 
a  cause  de  sa  tiédeur  qu'il  refuse  de  combattre  : 
voilà  le  second  trait.  Quoique  la  différence  soit 
notable,  n'a-t-on  pas  lieu  de  craindre  que  tous  les 
deux  n'aboutissent  au  même  terme  ? 

Continuons  d'interroger  l'expérience  et  voyons 
à  sa  lumière  l'avenir  qui  attend  le  séminariste 
tiède  et  relâché. 

Nous  l'avons  déjà  dit.  et  nuus  ne  cesserons  de 
le  redire,  dans  les  voies  de  la  vertu,  on  se  relâche 
avec  le  temps  plut(M  qu'on  ne  s'améliore.  L'homme 
moral,  bon  et  même  excellent  dans  le  principe, 
recule  beaucoup  plus  vers  le  mal  qu'il  ne  pro- 
gresse vers  le  bien.  Pour  un  saint  qui  monte  gé- 
néreusement tous  les  jours  de  vertus  en  vertus, 
il  y  a  des  multitudes  de  lâches  qui  rétrogradent  et 


—  31   — 

auxquels  convient  mot  pour  mot  ce  passage  de 
l'Imitation  :  Si  îioiis  déracijiions  chaque  année  un 
seul  vice,  bientôt  nous  serions  parfaits.  Mais  nous 
sentons  souvent  au  contraire  que  yious  étions  meil- 
leurs et  que  notre  vie  était  plus  pure,  lorsque  nous 
quittâmes  le  siècle,  quaprèi  plusieurs  années  de 
profession.  Nous  devrions  croître  chaque  jour  en 
ferveur  et  en  vertu,  et  maintenant  on  compte  pour 
beaucoup  d'avoir  conservé  ^ine  partie  de  sa  ferveur. 

Si  cela  est  vrai  de  ceux  qui  étaient  fervents  au 
début,  que  doit-on  penser  de  vous,  jeune  et  tendre 
ami,  qui  n'avez  peut-être  jamais  connu  la  fers'eur? 
Si  le  séminaire,  ce  vaste  foyer  de  la  piété,  est  té- 
moin de  votre  tiédeur  et  n'a  pas  le  pouvoir  de  la 
détruire,  comment  le  monde,  abime  de  toutes  les 
misères  au  sein  duquel  vous  allez  bientôt  vous 
lancer,  consolidera-t-il  votre  vertu  chancelante  ? 
Si  les  fervents  reculent,  comment  les  tièdes  avan- 
ceront-ils? Tous  reculerez  donc,  oui,  la  chose  est 
certaine  ;  mais  si  déjà  vous  êtes  sur  les  bords  du 
goufTre,  un  seul  pas  en  arrière  ne  vous  jettera-t-il 
pas  dans  ses  profondeurs? 

Ce  pas,  croyez-le  bien,  ne  se  fera  guère  attendre. 
Votre  pieux  condisciple,  s'il  devient  infidèle,  lutiera 
longtemps  contre  le  relâchement  avant  d'y  tom- 
ber :  le  goût  de  la  retraite,  le  zèle  pour  l'étude, 
l'amour  de  la  règle,  l'habitude  de  la  vertu,  l'attrait 
pour  les  exercices  spirituels,  l'horreur  du  plus 
petit  péché  volontaire,  le  souvenir  fréquent  des 
vérités  éternelles,  les  grâces  du  séminaire  et  de 
l'ordination  ;  tout  cela  le  soi  ti(îrdra,  le  protégera, 
le  fortifiera,  et  bien  des  annétf^.  |.ftat-être  s'écoule- 
ront avant  qu'il  n'épuise  le   grenier  d'abondance 


—  32  — 

qu'il  aura  eu  la  sagesse  de  construire  et  d'appro- 
visionner. Mais  vous,  pauvre  ami,  qui  n'aurez 
aucun  fonds  de  réserve,  vous  qui  vous  présente- 
rez aux  mille  ennemis  qui  déjà  vous  attendent, 
sans  autre  défense  que  les  armes  émoussées  de  la 
tiédeur,  comment  résisterez-vous  ?  comment  vaiu- 
crez-vous  ? 

Si  vous  n'aimez  pes  l'étude  au  séminaire  où  l'on 
vous  en  démontre  si  bien  la  nécessité,  l'aimerez- 
vous  dans  le  monde  où  nul  supérieur  ne  vous  en 
imposera  lobligatiou?  Si  vous  n'étudiez  qu'avec 
répugnance  et  contrainte  au  séminaire,  étudierez- 
vous  dans  le  monde  où  une  foule  de  distractions 
que  vous  rechercherez  avec  ardeur  vous  en  dé- 
tourneront ?  Non  ,  croyez-le  ,  vous  n'étudierez 
point  ;  vous  aurez  des  Uvres  qui  seront  pour  vous 
des  trésors  enfouis  ;  vous  vous  ferez  une  habitude 
de  l'oisiveté,  et  pour  calmer  votre  conscience,  vous 
lui  direz  que  les  fonctions  du  saint  ministère  sont 
un  travail  qui  dispense  de  tout  autre. 

L'oisiveté  vous  ayant  ouvert  la  voie  du  relâche- 
ment, vous  y  ferez  chaque  jour  de  nouveaux  pro- 
gi'ès,  et  des  péchés  de  toute  nature  s'entasseront 
dans  votre  àme  ;-car  l'Esprit  saint  Fa  dit  :  Mul- 
tam  malitiam  docuit  otiositas. 

L'impression  produite  par  les  premiers  actes 
de  votre  sacerdoce  et  surtout  par  le  sacrifice  de 
l'autel,  ne  sera  pas  de  longue  durée.  Bientôt  la 
familiarité  avec  les  choses  saintes,  qui  est  la  fille 
aînée  de  la  tiédeur,  touraera  en  habitude,  et  vous 
ne  remplirez  plus  vos  fonctions  sublimes  qu'avec 
indifférence  et  froideur. 

.N'éprouvant  que  de  l'ennui   dans  les" pratiques 


—   33   — 

de  la  piété ,  vous  les  abandonnerez  l'une  après 
l'autre,  et  pour  toute  œuvre  spirituelle  vous  ne 
conserverez  que  la  messe,  le  bréviaire  et  quelques 
fragments  d'oraison  que  vous  omettrez  même  sous 
le  moindre  prétexte. 

Encore  si  vous  faisiez  bien  le  peu  que  vous  ferez; 
mais  non,  les  exercices  de  piété  se  soutiennent 
mutuellement  ;  les  moins  importants  servent  de 
préparation  à  ceux  qui  le  sont  davantage,  et  les 
prêtres  qui  en  sont  venus  à  ne  dire  que  le  bréviaire 
et  la  messe,  ne  disent  jamais  bien  ces  deux  choses. 

Le  zèle  des  âmes,  qui  a  évidemment  la  piété 
pour  aliment,  vous  embrasera-t-il  de  son  feu?  Si 
vous  le  pensiez,  quelle  illusion  serait  la  vôtre  ! 
Les  fervents  apôtres  sont-ils  des  prêtres  tièdes  ? 
Ah  !  si  la  tiédeur  les  gagnait,  quelle  apathie  rem- 
placerait soudain  les  élans  de  leur  charité  !  Non, 
vous  ne  serez  point  un  prêtre  zélé;  le  ministère  sera 
pour  vous  un  joug  accablant;  vous  le  porierez,  ce 
joug,  bien  moins  pour  plaire  à  Dieu  que  pour  éviter 
la  censure  des  hommes,  et  cette  censure  même 
vous  ne  réviserez  pas  toujours,  tant  vous  serez 
inexact  dans  l'accomplissement  de  vos  devoirs. 

Sans  doute,  nous  aimons  à  le  croire,  vous  ne 
voudrez  pas  encore  donner  la  mort  à  votre  âme  par 
un  péché  mortel  ;  mais  déjà  ce  péché  perdra  à  vos 
yeux  une  partie  de  sa  laideur.  Yous  vous  en  rap- 
procherez par  des  fautes  vénielles  de  plus  en  plus 
graves,  et  vous  en  viendrez  à  un  état  de  prévarica- 
tion tel,  que  l'œil  exercé  des  plus  savants  théolo- 
giens ne  pourra  pas  voir  si  votre  âme  est  morte 
ou  si  elle  vit  encore.  Yous  vous  croirez  toujours 
debout,  mais  Dieu  vous  dira  dans  le  secret  de  sa 


—  34  — 

colère  :  Nomen  habes  quod  vivas,  et  mortims  es. 
(Apoc.) 

Au  reste,  vous  saurez  bientôt  positivement  à 
quoi  vous  en  tenir.  Le  démon,  qui  ne  vous  perdra 
pas  de  vue  un  seul  instant,  saura  bien  vous  affai- 
blir, puisque  par  vos  imprudences  et  votre  lâcheté 
vous  vous  ferez  vous-même  son  auxiliaire. 

Il  agira  donc  sans  relâche  sur  votre  imagination, 
siu'  votre  cœur,  sur  vos  sens  et  enfm  sur  votre 
volonté  quil  ne  lui  sera  pas  difficile  de  pervertir  ; 
et  quand  il  vous  aura  disposé  de  la  sorte  à  la  ca- 
tastrophe fmaJe,  quelle  peine  aura-t-il  à  ménager 
une  de  ces  occasions  périlleuses  où  les  plus  saints 
eux-mêmes  ne  se  sauvent  que  par  miracle  ?  Votre 
tiédeur  vous  méritera-t-elle  la  grâce  d'un  tel  mi- 
racle ?  Non ,  assurément  non  ;  nous  le  disons  à 
regret,  mais  T expérience  nous  contraint  à  parler  : 
vous  tomberez,  oui,  jeune  ami^  vous  tomberez,  et 
le  cœur  de  .Jésus  votre  bon  Maître  sera  déchiré.... 

Il  est  vrai,  comme  vous  ne  serez  pas  encore  gâté, 
votre  lourde  chute  vous  réveillera.  Heureux  si  elle 
vous  fait  rentrer  en  vous-même,  ef  si,  pom'  vous 
préserver  d'une  seconde,  elle  vou'à  fait  prendre  la 
résolution  de  vous  arracher  à  votre  vie  tiède  pour 
embrasser  une  vie  plus  fervente  et  plus  sainte  ! 
Mais  en  sera-t-il  ainsi?  Yotre  présomption  dit  oui; 
mais  l'expérience  la  dément.  Yous  vous  relèverez 
sans  doute,  vous  pousserez  quelques  gémissements, 
vous  vous  plongerez  dans  le  bain  de  la  pénitence 
avant  de  monter  à  l'autel  ;  mais  vous  vous  en 
tiendrez  là  ;  vous  guérirez  le  mal  actuel,  mais 
vous  ne  vous  appliquerez  pas  à  en  tarir  la  source; 
la  confession  cicatrisera  la  plaie  du  moment;  mais 


—  35  — 

la  tiédeur  qui  l'aura  occasionnée  continuera  de 
paralyser  votre  âme,  et  la  même  cause  produisant 
le  même  effet,  vous  tomberez  de  nouveau,  et  votre 
affaiblissement,  augmenté  par  le  découragement 
et  peut-être  par  un  commencement  de  désespoir, 
vous  mettra  dans  un  état  auquel  il  est  impossible 
de  penser  sans  frémir.  Alors  s'accomplira  ce  que 
dit  un  pieux  et  savant  auteur  qui  a  traité  théolo- 
giqiiement  la  matière  qui  nous  occupe  :  «  Si  un 
»  prêtre,  dit-il,  après  avow  vécu  saintement,  (cir- 
»  constance  qui  ne  se  trouve  pas  chez  le  sémina- 
»  riste  tiède),  est  tombé  dans  un  péché  mortel 
»  avec  pleine  connaissance  de  Ténormité  de  sa 
»  faute  et  vient  à  retomber,  de  propos  délibéré, 
»  après  s'être  relevé  une  ou  deux  fois,  il  y  a  tout 
»  lieic  de  craindre  qu'il  ne  passe  le  reste  de  sa  vie 
»  dans  une  vicissitude  de  péchés  mortels  et  de 
»  confessions  infructueuses ,  et  qu'il  ne  tombe 
»  dans  l'endurcissement  (1).  » 

En  lisant  ce  qui  précède,  vous  tremblez  peut- 
être  ;  mais  peut-être  aussi  vous  rassurez-vous  en 
pensant  que  tous  les  prêtres  tièdes  ne  tombent  pas 
dans  le  péché  mortel  bien  déclaré,  et  de  là  dans 
l'endurcissement  des  mauvais  prêtres.  Yous  êtes 
heureux  de  vous  dire  que  si  plusieurs  aboutissent 
à  ce  terme,  plusieurs  aussi  ne  l'atteignent  jamais 
et  se  bornent  à  rester  tièdes  toute  leur  vie.  Dans 
votre  lâcheté,  vous  aimez  avons  tenir  secrètement 
ce  langage  :  Avec  les  petits  efforts  que  je  vais  faire 
pour  profiter  des  grâces  du  séminaire,  j'ai  encore 


(1)  Daou,  Conduite  des  âmes  dans  la  voie  du  salut,  ouvrage 
servant  de  supplément  à  la  Conduite  des  confesseurs. 


—   36  — 

quelques  chances  de  devenir  fervent  ou  à  peu  près; 
mais,  au  pis-aller,  si  je  dois  prendre  place  plus 
tard  parmi  les  prêtres  tièdes,  je  ne  dépasserai  pas 
du  moins  les  bornes  de  la  tiédeur. 

En  réponse  à  cette  objection,  que  tout  sémina- 
riste serait  honteux  de  formuler  expressément, 
nous  citerons  le  passage  suivant  de  l'ouvrage  in- 
titulé :  la  Science  du  confesseur,  passage  sur  lequel 
nous  appelons  toute  rattention  de  nos  jeunes  lec- 
teurs :  «  11  faudrait  s'aveugler  pour  ne  pas  voir 
»  qu'en  général  la  tiédeur,  telle  que  M.  Daon  Ta 
n  dépeinte,  est  inconciliable  avec  l'esprit  ecclé- 
»  siastique,  et  que  des  prêtres  qui  vivent  dans 
»  une  pareille  tiédeur  ne  sont  point  en  état  de 
»  grâce.  Que  trouve-t-on  en  effet  dans  cette  pein- 
»  ture?  xVucune  pratique  de  ce  qui  peut  soutenir 
»  la  vertu  et  nourrir  la  piété  ;  des  confessions  do 
»  routine  après  un  examen  superficiel  ;  point  de 
»  délicatesse  sur  tout  ce  qu'on  ne  croit  pas  mor- 
»  tel  ;  aucun  soin  de  se  corriger  de  ses  défauts, 
»  aucune  idée  de  s'avancer  dans  la  vertu  ;  le  bré- 
»  viaire  et  la  messe  dits  d'une  manière  toute  na- 
»  turelle ,  sans  aucune  vue  et  machinalement , 
»  une  charge  quelconque  remplie  de  même  ;  et  du 
»  reste  une  vie  de  dissipation  ;  ne  rien  faire,  par- 
»  1er  de  nouvelles,  se  promener,  faire  et  recevoir 
»  des  visites  ;  un  cœur  qui  n'a  de  goût  que  pour 
»  le  monde  :  qu'est-ce  qu'une  pareille  vie,  que 
»  sont  de  pareilles  dispositions  pour  un  prêtre? 
»  Je  suppose  même  qu'il  n'y  ait  aucun  acte  isolé 
»  dont  je  puisse  dire  dune  manière  précise  :  Voilà 
»  lin  péché  mortel  ;  mais  quel  rapport'cette  vie  a- 
»  t-elle  avec  la  vocation  d'un  prêtre,  avec  l'état 


—   37   — 

»  d'un  homme  particulièrement  consacré  au  ser- 
»  vice  de  Dieu,  obligé  de  mener  une  vie  plus  ré- 
»  gulière,  plus  sainte  que  le  simple  fidèle,  devenu, 
»  par  le  caractère  même  du  sacerdoce,  médiateur 
»  entre  Dieu  et  les  hommes?  » 

Malheur  à  vous,  jeune  ami,  si  ces  réflexions  ou 
plutôt  ces  vérités  vous  laissent  insensible  I  Mal- 
heur à  vous  si,  après  les  avoir  méditées,  vous  ne 
vous  sentez  pas  capable  de  vous  arracher  à  la  tié- 
deur par  un  effort  violent  1  Le  mal  serait  déjà  bien 
grand,  pour  ne  pas  dire  incurable.  Entrez  donc 
généreusement  dans  la  voie  des  réformes. 

—  La  première  chose    à  faire  pour  sortir  de 
votre  état  de  tiédeur,  c'est  d'en  bien  connaître  le 
danger.  Vous  devez  donc,  outre  la  méditation  fré- 
quente de  tout  ce  qui  précède,  vous  dire  à  vous- 
même  :  Ma  tiédeur  inspire    à   Dieu  du    dégoût  , 
selon  ce  que  dit  saint  Bernard  :  Deo  vomitam  pro- 
vocat ;  je  me  remplis  de  mille  misères  et  je  me 
mets  à  deux  doigts  de  l'enfer,  selon  le  même  doc- 
teur :  Res  plena  miser ise,  et  iiiferno  proxima  ;  ]q 
m'expose  à  perdre  ma  vocation  que  mon  confes- 
seur trouve  peut-être  déjà  fort  douteuse  ;  j'abuse 
des  grâces  du  séminaire,  qui  sont  si  précieuses  et 
si  abondantes  et  que  je  ne  retrouverai  jamais  ;  je 
contracte  l'habitude  de  la  lâcheté  qui  déjà  paralyse 
les  forces  de  mon  âme  ;  je    scandalise   quelques- 
uns  de  mes  condisciples  qui  s'engagent  à  ma  suite 
dans  les  mauvaises  voies  où  je  suis  moi-même  ; 
j'endurcis  mon  âme  qui  déjà  n'a  plus  de  goût  pour 
la  prière    et    le    service    de    Dieu  ;    j'augmente 
chaque  jour  la  difficulté  de  changer  de  conduite 
II.  3 


—   38   — 

et  je  me  mets  dans  une  sorte  d'impossibilité  mo- 
rale de  devenir  meilleur,  puisque  les  saints  m'as- 
surent qu'on  voit  Ijien  plus  souvent  les  grands 
pécheurs  se  convenir,  que  les  tièdes  reprendre 
leur  ancienne  ferveur  ;  je  m'expose  enfin  très- 
prochainement  à  l'affreux  malheur  d'être  un 
jour  un  mauvais  prêtre,  puisqu'il  est  certain  que 
tous  ceux  qui  le  sont  ont  été  tièdes  comme  moi 
avant  de  tomber  dans  leur  abime. 

Il  est  impossible  que  ces  considérations  bien 
méditées  ne  vous  fassent  pas  prendre  la  détermi- 
nation de  vous  réformer. 

—  Si  vous  en  sentez  la  nécessité,  vous  devez, 
sans  balancer,  mettre  immédiatement  la  mahi  à 
l'œuvre,  en  dépit  des  difficultés  de  votre  entre- 
prise, puisque  toute  difficulté  doit  être  surmontée 
quand  la  nécessité  le  commande,  vous  devez  même 
penser  que,  plus  vous  sentez  de  -difficulté  à  vous 
réformer,  plus  cette  réforme  est  urgente  et  néces- 
saire, puisque  c'est  l'habitude  déjà  formée  de  la 
tiédeur  qui  donne  à  l'obstacle  toute  sa  puissance  : 
Vaincre  ou  mourir ,  telle  est  votre  alternative. 

—  Vous  devez  être  particulièremeni  en  garde 
contre  la  dangereuse  illusion  des  âmes  tièdes  qui 
leur  persuade  que  leur  état  n'est  pas  un  état  de 
damnation,  qu'elles  sont,  rigoureusement  parlant, 
dans  la  grâce  de  Dieu,  et  que  si  elles  ne  sont  pas 
saintes,  elles  ne  sont  pas  non  plus  criminelles. 
Pour  détruire  cette  illusion  qui  a  fait  tant  de  vic- 
times, vous  devez  vous  rappeler  sans  cesse  que  la 
sainteté  est  impérieusement  prescrite  à  celui  qui 
aspire  au  sacerdoce,  et  que  jamais  un  prêtre  n'est 
trop   saint  ni  même  assez   saint  pour  remplir  di- 


—  39  — 

gnement  ses  sublimes  fonctions.  Vous  devez  pen- 
ser, en  outre,  que  lors  même  que  la  tiédeur  ne 
serait  pas  positivement  un  état  de  damnation,  elle 
y  aboutit  presque  toujours  :  la  pente  qui  mène  à 
un  abîme  n'est  pas  l'abîme,  mais  elle  y  conduit 
irrésistiblement  quand  elle  est  rapide  et  qu'on  s'y 
laisse  entraîner. 

—  Tout  cela  étant  mûrement  considéré  devant 
Dieu,  il  faut  passer  des  réflexions  aux  actes.  La 
principale  cause  de  la  tiédeur  étant  le  peu  de  piété 
et  le  relâchement  sur  ce  point,  vous  devez  vous 
appliquer  sans  cesse  à  en  bien  pratiquer  les  exer- 
cices, nonobstant  la  répugnance  qu'ils  vous  in- 
spirent. Jamais  vous  ne  cesserez  d'être  tiède  si 
vous  n'en  venez  pas  là,  et  au  contraire  vous  ces- 
serez de  rètre  à  l'instant  même,  si  vous  vous 
acquittez  aussi  bien  que  possible  de  vos  pieuses 
pratiques. 

—  L'oraison  vous  fatigue  ;  vous  la  trouvez  lon- 
gue et  pénible  ;  vous  n'y  éprouvez  pas  un  seul 
mouvement  de  ferveur  ;  vous  n'en  lirez  aucun 
fruit  et  vous  en  sortez  toujours  tel  que  vous  y 
êtes  entré  :  c'est  la  tiédeur  qui  vous  met  dans  ce 
triste  état.  Pour  en  sortir,  ranimez  votre  cœur  en- 
gourdi; allez  au  pied  de  Tautel  et  dites  à  Jésus 
avec  énergie  :  Sana  animam  meam,  Domine  ;  dites- 
lui  du  fond  de  l'âme  :  Je  veux  être  à  vous,  Sei- 
gneur :  Tuus  sum  ego  ;  je  veux  sincèrement  m'ar- 
racher  de  ma  tiédeur,  aidez-moi.  Dieu  d'amour,  à 
remporter  cette  victoire  ;  donnez-moi  la  grâce  de 
bien  prier  désormais  :  Do7nine,  doce  me  or  are. 
Renouvelez  cette  prière  au  commencement  de 
toutes  vos  oraisons  ;  repoussez  les  distractions  à 


—  40  — 

mesure  qu'elles  se  présenteront  à  votre  esprit,  et 
si  vous  continuez  de  vous  sentir  misérable,  gémis- 
sez du  moins  sur  votre  misère,  et  déjà,  soyez- en 
sur,  vous  aurez  porté  un  coup  mortel  à  votre  tié- 
deur. 

—  Agissez  de  même  dans  tous  vos  exercices 
spirituels.  Ayez  toujours  le  vif  désir  de  les  bien 
faire  ;  ranimez  ce  désir  au  commencement  de  cha- 
cun ;  insistez  sur  la  préparation  à  ces  exercices, 
et  soyez  persuadé  que  vous  n'en  ferez  pas  un  seul 
qui  n'apporte  à  votre  àme  un  profit  considérable. 

—  Ne  vous  bornez  pas  aux  exercices  communs; 
imitez  vos  pieux  condisciples  qui  s'en  imposent 
par  surérogation  pour  entretenir  leur  ferveur. 
Adoptez  quelques  pratiques  que  vous  pourrez  faire 
sans  préjudice  de  votre  règle  ;  fréquentez  surtout 
le  pied  de  l'autel  ;  c'est  là  que  la  piété  s'alimente 
et  que  la  tiédeur  s" évanouit. 

—  Transformez  vos  œuvres  les  plus  communes 
en  œuvres  pieuses  par  la  pureté  de  voire  inten- 
tion. Au  lieu  de  les  faire  machinalement  et  hu- 
mainement comme  au  passé ,  offrez-les  à  Dieu 
avant  de  les  commencer  ;  élevez-vous  vers  lui 
pendant  que  vous  y  êtes  appliqué,  et  faites-lui  en 
hommage  en  les  terminant.  De  cette  manière  elles 
vaudront  des  prières,  et  la  tiédeur  ne  viendra  plus 
vous  en  ravir  le  fruit.  Le  travail,  les  repas,  les 
récréations,  le  sommeil  lui-même,  tout,  si  vous  le 
voulez,  peut  être  abondamment  sanctifié. 

—  Renoncez  à  ces  confessions  de  routine  qui  ne 
vous  procurent  ni  grâces  ni  consolation.  Traitez 
les  sacrements  avec  le  respect  qu'ils  méritent  ; 
mettez  la  joie  au  cœur  de  votre  confesseur  en  lui 


—  41   — 

disant  :  Mon  père,  Dieu  m'a  éclairé,  j'ai  fait  des 
réflexions  sérieuses  ;  vous  avez  gémi  plus  que 
moi-même  sur  ma  tiédeur,  aidez-moi  à  la  vaincre  ; 
je  connais  maintenant  ses  dangers  et  je  veux  m'y 
soustraire.  Signalez-lui  les  points  sur  lesquels  vous 
vous  sentez  plus  faible,  et  priez-le  de  vous  cultiver 
avec  soin,  ce  qu'il  ne  manquera  pas  de  faire  s'il 
peut  voir  en  vous  quelque  germe  de  bonne  volonté. 

—  Embrassez  avec  ardeur  l'exercice  si  salutaire 
de  la  direction  ;  ouvrez-vous  largement  dans  ces 
saintes  communications  ;  sondez  les  plis  et  les  re- 
plis de  votre  âme  ;  provoquez  l'examen  de  vos  in- 
fidélités, et  suppliez  votre  directeur  de  vous  tracer 
des  règles  de  conduite  appropriées  à  vos  besoins. 

—  Fréquentez  des  séminaristes  remarquables 
par  leur  piété  et  leur  bon  esprit.  Ce  point  est  plus 
important  qu'on  ne  s'imagine.  On  voit  souvent 
dans  les  séminaires  les  élèves  classés  par  catégo- 
ries pendant  les  récréations  et  les  promenades  : 
les  fervents  sont  avec  les  fervents,  les  tièdes  avec 
les  tièdes,  et  les  mauvais,  s'il  s'en  trouve,  avec  les 
mauvais.  Or  ces  alliances  homogènes  entretiennent 
tout  naturellement  les  habitudes  qui  caractérisent 
chaque  bande.  Les  fervents  s'entr'édifient,  mais  les 
autres  s'affermissent  mutuellement  dans  leurs  dis- 
positions imparfaites  ou  plus  qu'imparfaites.  Vous 
ne  serez  pas  changé  tant  que  vous  ne  goûterez 
que  la  société  des  séminaristes  relâchés  ;  vous  en- 
trerez au  contraire  dans  la  bonne  voie  quand  vous 
vous  sentirez  attiré  vers  les  plus  édifiants  avec  le 
désir  de  profiter  de  leurs  pieux  entretiens  pour 
développer  votre  ferveur. 

—  Allez  voir  aussi  de  temps  en  temps  quelques- 


—  42  — 

uns  de  vos  dignes  supérieurs.  Il  se  trouve  dans 
tous  les  séminaires  des  directeurs  d'une  sainteté 
suréminente  avec  lesquels  ou  n'est  jamais  en  con- 
tact sans  ressentir  comme  le  contre-coup  de  leur 
ferveur.  Quelques  mots  de  ces  hommes  de  Dieu, 
dits  comme  les  saints  les  disent,  ont  souvent  pour 
effet  de  fondre  bien  des  glaces. 

—  Attachez-vous  à  l'étude  ;  elle  sera  toute  votre 
vie  lune  de  vos  plus  sûres  sauvegardes.  Si  vous 
vous  y  livrez  avec  zèle,  vous  contracterez  par  là 
même  l'habitude  d'un  genre  de  vie  grave,  sérieux, 
modeste  et  recueilli,  qui  est  le  cachet  de  l'esprit 
ecclésiastique  et  qui  sera  le  Lonibeau  de  votre  tié- 
deur. 

—  Adoptez  pour  devise  :  Jamais  de  péché  véniel 
DÉLIBÉRÉ.  Yoilà'la  marque  infaillible  à  laquelle  vous 
reconnaîtrez  si  vous  êtes  réellement  en  voie  de 
réforme.  Pesez  bien  ces  paroles  si  graves  et  si 
judicieuses  du  P.  Lallemant,  dans  sa  Doctrine  spi-* 
rituelle  :  «  La  ruine  des  âmes  vient  de  la  multi- 
»  plicité  des  péchés  véniels,  qui  cause  la  diminu- 
»  tion  des  lumières  et  des  inspirations  divines, 
»  des  grâces  et  des  consolations  intérieures,  de  la 
»  ferveur  et  du  courage  pour  résister  aux  attaques 
»  de  l'ennemi.  De  là  s'ensuit  l'aveuglement,  la 
»  faiblesse,  les  chutes  fréquentes,  l'habitude,  l'in- 
»  sensibilité,  parce  que  raîTection  étant  gagnée, 
»  on  pèche  sans  sentiment  de  son  péché. 

»  Quiconque  (notez  bien  ceci)  n'a  pas  soin  d'é- 
»  viter  les  péchés  véniels,  quand  il  aurait  les  suc- 
»  ces  du  monde  les  plus  éclatants,  dans  les  emplois 
»  de  zèle  à  l'égard  du  prochain,  est  en  grand  dan- 
»  ger  de  se  perdre  lui-même.   Car  il  est  impos- 


—   43   — 

»  siblc  que,  vivant  de  la  sorte,  il  ne  tombe  quel- 
»  quefois  dans  le  péché  mortel,  même  sans  le  bien 
»  connaitre.  Il  ne  laisse  pas  d'être  coupable  dans 
»  cette  ignorance,  parce  qu'elle  est  comme  affec- 
»  tée.  » 

Si  vous  vous  abstenez  d'une  multitude  de  péchés 
véniels  que  vous  commettiez  auparavant  sans  scru- 
pule, bénissez  Dieu  :  la  tiédeur  est  vaincue,  ou  du 
moins  elle  est  bien  près  de  F  être. 

—  Cependant  si  vous  faites  quelques  chutes,  ne 
vous  découragez  point.  Les  infidélités  ne  nuisent 
pas  à  la  perfection  quand  on  se  repent  de  les  avoir 
commises  et  qu'on  veille  assidûment  pour  ne  les 
plus  commettre. 

—  Respectez  le  règlenienr  du  séminaire  dans 
les  plus  petits  détails.  Voilà  encore  un  des  carac- 
tères distinctifs  du  bon  séminariste.  C'est  une  chose 
déplorable  que  la  facilité  avec  laquelle  certains 
élèves  violent  le  règlement.  Jamais  ils  ne  pren- 
dront place  parmi  les  fervents  pendant  qu'ils  se 
rendront  iiaJntuellement  coupables  de  cette  vio- 
lation. 

—  Usez  enfin  d'une  vigilance  extrême  pendant 
les  vacances  :  récréations  modérées  et  toujours 
dignes  ;  fuite  des  compagnies  dissipantes;  longues 
visites  au  saint  sacrement  ;  règlement  fidèlement 
observé  ;  fréquentation  de  quelques  saints  prêtres  ; 
modestie  en  tout,  partout  et  ioujours  :  Et  qui  has 
rerjulas  secuti  fuerint , pax  super  illos  et  miser ico relia. 


44 


CHAPITRE  Ili 


Le  bon  séminariste. 

Que  Dieu  soit  béni!  nous  allons  respirer  une 
atmosphère  plus  pure.  Le  mauvais  séminariste, 
c'est  la  nuit  ténébreuse  ;  le  séminariste  tiède ^  c'est 
la  brume  épaisse  ;  le  bon  séminariste  ,  c'est  un 
beau  ciel  avec  quelques  nuages  ;  le  fervent  sémi- 
nariste, c'est  la  voûte  azurée  dans  toute  sa  splen- 
deur. 

Parlons  donc  du  bon  séminariste,  et  commen- 
çons par  lui  dire  avec  l'épanchem^ent  du  zèle  et  de 
l'amitié  qu'il  fait  la  joie  de  ses  supérieurs  et  la 
consolation  de  l'Église.  Croissez  à  l'ombre  du 
sanctuaire,  jeune  et  pieux  lévite  ;  les  grâces  du* 
sacerdoce  vous  environnent  ;  bien  plus,  elles  vous 
pénètrent  et  disposent  votre  âme  aux  ineffables 
merveilles  qui  vont  bientôt  s'accomplir  en  elle.  Si 
quelques  taches  légères  l'obscurcissent  encore, 
vous  désirez  qu'on  vous  les  montre,  résolu  que 
vous  êtes  à  les  faire  disparaître. 

Le  bon  séminariste  ne  vient  au  séminah'e  que 
parce  qu'il  est  convaincu  que  Dieu  l'y  appelle. 
Pour  acquérir  cette  conviction,  il  a  depuis  long- 
temps purifié  son  cœur  et  contracté  l'habitude  de 
la  vertu. 

Il  a  prié  beaucoup,  il  a  communié  fréquem- 
ment, il  s'est  imposé  journellement  un  certain 
nombre  de  pieuses  pratiques,  et  son  humilité  hii 


—  45  — 

inspirant  peu  de  confiance  en  ses  propres  prières, 
il  a  quêté  celles  des  âmes  ferventes  qui  lui  ont  fait 
à  cet  égard  d'abondantes  aumônes. 

Il  s'est  placé  dans  un  état  parfait  d'indifférence 
au  sujet  de  sa  vocation,  ne  prenant  par  lui-même 
aucun  parti  sur  un  point  si  capital,  et  attendant  la 
lumière  de  Dieu  seul  et  du  confesseur  qui  le  rem- 
place. 

Il  l'a  consulté,  ce  confesseur,  et  il  a  tout  fait 
pour  le  mettre  en  état  de  se  prononcer  avec  con- 
naissance de  cause  :  confession  générale,  ouver- 
ture complète,  détails  presque  minutieux,  révéla- 
tion de  ses  goûts,  de  son  attrait,  de  ses  disposi- 
tions les  plus  intimes,  il  n'a  rien  négligé  pour  se 
faire  connaître. 

Le  monde  a  observé  sa  conduite  et  il  en  a  été 
édifié.  Sans  lui  demander  son  secret,  on  devinait 
sa  vocation  ;  l'annonce  de  son  entrée  au  séminaire 
n'a  surpris  personne,  et  elle  a  été  généralement 
applaudie. 

C'est  après  de  tels  préliminaires  qu'il  s'est  intro- 
duit dans  la  sainte  demeure  où  se  recrute  le  sacer- 
doce. Plein  de  respect  pour  ce  pieux  asile,  il  s'en 
est  approché  tremblant  comme  Moïse  auprès  du 
buisson  de  la  montagne  d'IIoreb. 

Déjà  bien  connu  de  quelques-uns  de  ses  condis- 
ciples, peut-être  même  de  ses  supérieurs,  sa  pré- 
sence au  séminaire  a  été  un  sujet  d'édification 
pour  des  bons,  et  l'occasion  de  remords  secrets 
pour  ceux  qui  ne  l'étaient  pas.  C'est  en  ce  saint 
lieu  que  nous  allons  observer  sa  conduite. 

Le  bon  séminariste  aime  le  séminaire  ;  il  est  là 
dans  son  centre  :  éloigné  du  monde  avec  lequel  il 
II.  3. 


—  46  — 

est  heureux  de  rompre,  son  àme  se  dilate  et  Dieu 
la  remplit. 

L'odeur  de  vertu  quil  respire,  les  exemples  de 
ferveur  qu'il  a  sous  les  yeux,  les  salutaires  con- 
seils qu'il  reçoit,  le  calme  de  la  solitude  qui  lui 
permet  de  méditer  à  l'aise  sur  sa  grande  affaire  ; 
tels  sont^les  éléments  dont  sa  piété  se  nourrit. 

La  règle  du  séminaire  n'est  pas  un  fardeau  qui 
l'accable  ;  elle  est  plutôt  une  douce  chaîne  qui  l'en- 
lace à  Dieu  :  expression  visible  de  la  volonté  divine, 
il  se  l'imposerait  si  elle  n'existait  pas.  Le  travail 
lui  plaît,  car  il  aime  le  devoir,  et  il  sait  qu'un  sé- 
minariste ne  mérite  pas  de  l'être  s'il  ne  fait  mar- 
cher de  front  la  science  et  la  vertu. 

'^- 1  vocation  l'occupe  plus  que  jamais  :  ne  vou- 
lant pas  avoir  l'ombre  d'un  doute  à  cet  égard,  il 
interroge  son  confesseur  du  séminaire  comme  il  a 
interrogé  celui  du  monde  ;  même  ouverture,  même 
sincérité,  mêmes  détails,  et  même  réponse  de  la 
part  de  son  guide. 

L'approche  des  ordinations  le  saisit  ;  quelque 
peu  élevés  que  soient  les  ordres  qu'il  doit  recevoir, 
il  en  apprécie  l'importance  et  s'y  prépare  par  un 
surcroit  de  ferveur  et  de  régularité. 

Bref,  il  remplit  avec  exactitude  les  grands  de- 
voirs de  sa  profession,  et  quand  ses  supérieurs 
parlent  de  lui  dans  le  secret  de  leur  conseil,  tous 
disent  avec  joie  :  «  C'est  un  bon  élève.  » 

Et  nous  aussi,  jeune  et  tendre  ami,  nous  ^mions 
à  dire  que  vous  êtes  un  bon  élève  ;  mais  ce  n'est 
pas  assez  d'être  bon,  il  faut  monter  plus  haut  et 
répondre  à  l'appel  du  divin  Sauveur  qui  dit  à  tout 
le  monde,  mais  bien  plus  aux  séminaristes  qu'aux 


4/    — 


simples  fidèles  :  Estote  crcjù  vos  perfecti,  àcut  et 
Pater  vester  cœlestis  perfectus  est. 

Vous  avez  des  qualités  sans  doute,  et  des  qua- 
lités précieuses  ;  mais  vous  avez  aussi  quelques 
légers  défauts  qui  les  déparent  et  qu'il  est  impor- 
tant de  vous  faire  connaître. 

Le  bo7i  séminariste  se  rassure  aisément  sur  la 
pureté  de  ses  intentions,  sur  l'horreur  qu'il  sent  en 
lui-même  pour  le  péché  morîel  et  même  pour  le 
péché  véniel  un  peu  notable,  sur  la  régularité  de 
sa  conduite  en  tout  ce  qui  est  essentiel,  et  sur  l'en- 
semble de  bonnes  dispositions  dans  lesquelles  il  se 
trouve.  Il  ne  croit  guère  à  la  possibilité  d'un  relâ- 
chement considérable,  et,  sans  se  croireprécisément 
un  saint,  il  fait  des  vœux  pour  rester  ce  qu'il  est. 

Cependant  s'il  voulait  se  considérer  de  près  et 
surtout  en  face  d'un  avenir  plein  de  dangers  pour 
tout  prêtre,  il  sentirait  le  besoin  d'arracher  de  son 
âme. quelques  mauvais  germes  qui  y  sont  encore 
déposés. 

L'orgueil,  qui  ne  meurt  jamais  tout  à  fait  chez 
personne,  tient  encore  chez  lui  la  place  de  l'humilité 
sur  certains  points,  et  il  prend  peu  de  précautions 
pour  s'en  préserver.  Que  de  pensées,  que  de  pa- 
roles et  même  d'actions  ne  fait-il  pas  par  ce  mau- 
vais principe  ! 

Il  estime  le  règlement  en  général  et  il  l'observe 
habituellement  avec  régularité  ;  mais  la  faiblesse, 
l'entraînement,  l'immortification  et  le  respect  hu- 
main le  rendent  encore  coupable  de  quelques  in- 
fractions qu'il  se  reproche,  il  est  vrai,  mais  qu'il 
commet  de  nouveau  quand  les  mêmes  occasions  se 
reproduisent. 


—  48  — 

11  aime  le  travail,  comme  nous  Favons  dit  ;  il 
est  rigoureusement  en  règle  sur  les  divers  points 
de  renseignement,  et  ses  professeurs  ne  lui  font 
à  ce  sujet  aucun  reproche  ;  mais  Dieu  qui  le  voit 
dans  le  secret  de  sa  cellule  lui  dit  au  fond  de  l'àme 
qu'il  pourrait  s'appliquer  davantage,  qu'il  cède 
quelquefois  à  un  vieux  fonds  de  nonchalance,  et 
qu'il  se  permet  encore  de  temps  en  temps  certai- 
nes compositions  ou  lectures  frivoles. 

Il  est-pieux  assurément  et  il  se  promet  bien  de 
l'être  toujours  ;  mais  il  est  stationnaire  dans  les 
voies  de  la  piété  ;  il  recule  même  quelquefois,  il 
combat  mollement  les  distractions  qui  se  présen- 
tent, il  repousse  l'inspiration  que  Dieu  lui  envoie 
d'accroître  sa  ferveur  par  quelques  saintes  prati- 
ques et  refuse  d'entendre  la  voix  si  bonne  de  Jésus 
qui  lui  dit  :  Aiince,  ascende  siiperiùs. 

Il  est  doux,  j'en  conviens,  et  sa  douceur  lui  ga- 
gne l'affection  de  ses  condisciples  ;  mais  la  vivacité 
dltère  parfois  son  fonds  de  mansuétude,  et  quand 
la  tempête  d'une  discussion  est  passée,  il  s'échappe 
de  sa  conscience  im  sourd  gémissement  qui  veut 
dire  :  Peccavi. 

II  est  charitable  envers  le  prochain,  et  ce  n'est 
pas  lui  qui  voudrait  se  permettre  de  graves  médi- 
sances ;  mais  le  défaut  de  complaisance,  les  petites 
railleries,  les  rancunes  d'un  jour,  les  susceptibi- 
lités ombrageuses  couvrent  encore  assez  souvent 
sa  charité  de  quelques  légers  nuages. 

Il  est,  en  général,  soumis  et  résigné  à  la  volonté 
de  Dieu  dans  les  affliclions  qui  lui  arrivent  ;  mais 
quand  sa  résignation  est  mise  à  une  trop  dure 
épreuve,  il  se  laisse  a])baltro  :  s'appuyant  sur  lui- 


—  49  — 

même  et  non  sur  Dieu,  le  mérite  lui  échappe,  le 
courage  l'abandonne,  la  tristesse  le  gagne,  et  il  est 
quelque  temps  à  se  remettre  de  la  rudesse  du  choc. 

La  mortification  ne  lui  fait  pas  peur  ;  il  sait 
qu'elle  est  la  gardienne  des  vertus  et  le  nerf  de 
la  piété  ;  mais  il  faut  pourtant  qu'elle  soit  à  peu 
près  de  son  goût  ;  en  sorie  que,  s'il  veut  y  faire 
attention,  il  verra  qu'il  n'est  guère  mortifié  que 
quand  il  peut  l'être  sans  qu'il  lui  en  coûte  beau- 
coup. 

Les  désordres  de  l'intempérance  le  révoltent,  cela 
est  bien  vrai  ;  mais  les  sensualités  mitigées,  la 
critique  modérée  du  régime  du  séminaire,  le  sou- 
rire avec  lequel  il  accueille  des  critiques  plus  mor- 
dantes que  les  siennes  sur  la  même  matière,  le 
défaut  d'intention  pure  en  prenant  ses  repas,  la 
satisfaction  qu'ils  lui  procurent  et  dans  laquelle  il 
se  complaît,  et  même  quelquefois  les  légers  excès 
qu'il  se  permet  contre  l'avertissement  de  sa  con- 
science :  tout  cela  révèle  encore  la  présence  d'un 
mauvais  germe. 

La  dissipation  poussée  à  ses  dernières  limites 
effaroucherait  sa  piété  et  sa  modestie  ;  mais  il  n'ob- 
serve pas  toujours  le  recueillement  que  Dieu  lui 
demande,  et  quand  il  s'est  trop  épanclié,  il  s'en 
aperçoit  à  la  froideur  qu'il  sent  dans  la  prière  et  à 
ses  distractions  plus  nombreuses  et  plus  persistan- 
tes. 

Il  tient  ses  sens  en  bride  et  abhorre  tout  ce  qui 
pourrait  ternir  la  sainte  chasteté  ;  m;iis  la  légèreté 
et  le  défaut  de  vigilance  lui  font  jeter  çà  et  là  cer- 
tains regards  que  ne  se  permettraient  pas  un  Louis 
de  Gonzague  et  un  Kostka  sïls  étaient  à  sa  place. 


—   50   — 

Son  caractère  irest  pas  précisément  mauvais» 
mais  il  appelle  encore  bien  des  réformes  :  quand 
il  n'est  pas  opiniâtre,  il  est  mou  ;  quand  il  n'est 
pas  facétieux  et  léger,  il  est  sombre  et  morose  ; 
quand  il  n'est  pas  trop  empressé,  il  est  lent  :  ce 
beau  milieu  où  la  vertu  se  trouve  n'est  pas  tou- 
jours, du  moins  sur  quelques  points,  le  trait  qui 
.le  distingue. 

Généralement  parlant,  c'est  pour  Dieu  qu'il  agit, 
c'est  à  Dieu  qu'il  veut  plaire  dans  l'ensemble  de 
ses  œuvres  ;  mais  bien  souvent,  dans  le  détail  de 
ses  actions,  la  routine  l'entraîne  ;  il  les  commence, 
les  poursuit  et  les  achève  machinalement  et  sans 
but  précis,  perdant  ainsi  le  fruit  qu'il  en  pourrait 
tirer  s'il  était  plus  attentif  et  plus  uni  à  son  divin 
Maître. 

Ses  confessions  sont  bonnes,  cela  n'est  pas  dou- 
teux ;  cependant,  si  elles  le  maintiennent  dans  sa 
voie,  elles  ne  l'y  font  pas  progresser,  ce  qui  prouve 
qu'il  leur  manque  quelque  chose  pour  qu'elles 
soient  ce  qu'elles  devraient  être. 

Ses  communions  sont  agréables  à  Jésus  et  il 
aime  à  les  faire  ;  mais  la  froideur  de  ses  actions 
de  grâces  lui  dit  que  son  divin  hôte  n'est  pas  en- 
core pleinement  satisfait. 

Ses  vacances  enfm  se  passent  sans  de  grands 
désordres  ;  mais  le  règlement  qu'il  se  proposait 
de  suivre  n'est  pas  toujours  fidèlement  observé  ; 
l'oraison  est  abrégée,  la  visite  au  saint  sacrement, 
la  lecture  spirituelle,  les  examens  de  conscience 
sont  parfois  supprimés  ;  le  travail  se  réduit  à  peu 
de  chose  ;  les  visites  frivoles  absorbent  des  heu- 
res dont   l'étude  et  la   piélé   sonî   jalouses,  et  au 


—   51    — 

retour  des  vacances,  il  y  a  bien  des  ijrèches  à  ré- 
parer, bien  des  vides  à  remplir. 

Vous  le  voyez,  jeune  ami,  vous  avez  encore  du 
chemin  à  faire  pour  arriver  où  Dieu  vous  appelle  : 
Grandis  tibi  restât  via.  Si  vous  êtes  bo7i,  vous  n'ê- 
tes pas  parfait,  et  cependant,  puisque  vous  voulez 
être  le  digne  ministre  de  Jésus-Christ,  c'est  à  la 
perfection  que  vous  devez  tendre. 

Pour  vous  exciter  à  l'acquérir,  voyez  où  peuvent 
vous  conduire  les  infidélités  qui  viennent  de  vous 
être  signalées. 

Comme  le  bon  séminariste  a  beaucoup  de  qua- 
lités, l'orgueil  les  lui  rappelle  sans  cesse  ;  il  lui 
en  exagère  même  le  mérite,  et  tout  ébloui  par  ce 
beau  spectacle,  il  n'a  pas  seulement  la  pensée  de 
la  crainte. 

Parmi  les  séminaristes,  les  mauvais  et  les  tièdes 
ne  sont  pas  toujours  à  Fabri  de  quelques  appré- 
hensions et  de  quelques  remords  :  les  fervents 
frémissent  à  l'idée  du  sacerdoce  et  des  obligations 
qu'il  impose  :  c'est  dans  la  classe  des  bons  sémi- 
naristes que  se  trouve,  en  général,  le  plus  de  calme 
et  d'assurance.  Us  ne  sont  pas  assez  mal  pour 
craindre  beaucoup  ;  ils  ne  sont  pas  assez  bien  pour 
se  réfugier  comme  les  saints  dans  une  crainte 
salutaire. 

Avec  de  telles  dispositions,  voici,  suivant  toute 
apparence,  l'avenir  qui  vous  attend. 

Votre  début  dans  l'emploi  que  vous  confieront 
vos  supérieurs  sera  fort  convenable  ;  vos  intentions 
seront  bonnes,  vous  serez  encore  sous  le  coup  de 
l'impression  que  le  sacerdoce    aura  produite  en 


—  62  — 

vous,  et  vous  entrerez  en  fonctions  avec  le  vif  dé- 
sir d'honorer  et  de  féconder  votre  ministère.  Tout 
cela  est  incontestable. 

Pour  réaliser  vos  pieux  projets,  vous  mettrez  de 
l'ordre  dans  vos  travaux  ;  vous  vous  imposerez  un 
règlement  qui  embrassera  toutes  vos  actions  de 
chaque  jour,  et  vous  l'observerez  d'abord  avec  une 
édifiante  exactitude. 

Vous  n'encourrez  aucun  reproche,  du  moins  tant 
soit  peu  grave,  ni  de  la  part  de  votre  curé,  ni  de 
la  part  des  paroissiens  qui  se  réjouiront  de  vous 
posséder,  et  tous  diront  de  vous  :  Bénissons  Dieu, 
nous  avons  un  bon  prêtre  pour  vicaire. 

Le  début,  nous  le  répétons,  sera  donc  très-satis- 
faisnn'  :  mais  se  soutiendra-t-il,  et  ne  ferez- vous 
point  comme  tant  d'autres  qui,  après  avoir  com- 
mencé de  la  même  manière,  sont  tombés  peu  à 
peu  dans  le  relâchement  et  peut-être,  hélas  !  dans 
un  état  plus  triste  encore  ?  Nous  nous  gardons 
bien  d'affirmer  qu'il  en  sera  ainsi,  mais  nous  di- 
sons que  cela  pourrait  arriver,  et  si  en  effet  cela 
arrive,  voici,  ce  semble,  par  quels  degrés  insensi- 
bles on  vous  verra  déchoir. 

Le  mal  commencera,  soyez- en  persuadé,  par  la 
négligence  dans  les  exercices  spirituels.  On  ne  voit 
jamais  un  prêtre  se  relâcher  tant  qu'il  tient  ferme 
à  toutes  ses  pratiques  de  piété.  Mais  du  moment 
qu'il  y  fait  quelque  brèche  par  indifférence  on  par 
lâcheté,  le  germe  du  relâchement  commence  à  se 
produire. 

Cette  brèche,  vous  ne  la  ferez  pas  dans  les  pre- 
miers jours  ;  l'autel  et  le  saint  tribunal  vous  im- 
pressionneront tellement  que  vous  augmenterez  le 


—   o3   — 

nombre  de  vos  pieuses  pratiques  plutôt  que  d'en 
retrancher.  Mais  l'autel  où  vous  monterez  chaque 
matin  ne  vous  frappera  pas  longtemps  d'une  sainte 
terreur  ;  le  tribunal  de  la  pénitence,  où  vous  ferez 
peut-être  deux  séances  par  jour,  deviendra  bientôt 
pour  vous  un  lieu  presque  ordinaire,  et  les  autres 
actes  de  votre  ministère  étant  moins  imposants 
encore  que  ceux-ci,  vous  ne  serez  déjà  plus  sti- 
mulé dans  l'exercice  de  vos  sublimes  fonctions 
comme  vous  l'étiez  dans  le  principe. 

Vous  continuerez  sans  doute  de  faire  régulière- 
ment votre  oraison  ;  mais  de  temps  en  temps  vous 
ne  vous  ferez  pas  grand  scrupule  d'en  abréger  un 
peu  la  durée  ;  le  moindre  prétexte  aura  pour  vous 
la  puissance  d'une  raison  solide,  et  déjà  vous  serez 
infidèle. 

La  sainte  Messe  n'ayant  plus  à  vos  yeux  le  même 
prestige  que  dans  les  premiers  jours  de  votre  sa- 
cerdoce, vous  soignerez  moins  bien  votre  prépa- 
ration et  votre  action  de  grâce  :  nouvelle  infidélité. 

L'examen  particulier  que  vous  faisiez  si  exacte- 
ment au  milieu  ou  à  la  fin  de  la  journée,  vous 
offrira  bientôt  de  la  sécheresse  en  retour  de  ses 
immenses  avantages,  et  vous  ne  le  ferez  plus  que 
quand  un  accès  de  ferveur  vous  en  fera  sentir  la 
haute  importance  :  nouvelle  infidélité. 

La  lecture  spirituelle  sera  plus  longtemps  prati- 
quée ;  mais  elle  sera  moins  longue,  moins  pieuse, 
moins  féconde  en  fruits  de  sanctification,  et  peut- 
être  même  l'omettrez-vous  quelquefois  sans  raison 
suffisante  :  nouvelle  infidélité. 

La  visite  au  saint  sacrement,  après  avoir  fait 
vos  délices,    ne  procurera  plus  à  votre  cœur  cette 


—   54  — 

ardeur  pénétrante  dont  il  se  sentait  embrasé  quand 
il  s'approchait  de  son  divin  Maître,  et  si  vous  la 
faites  encore  chaque  jour,  vous  la  ferez  sans  beau- 
coup d'attrait  et  souvent  sans  fruit  :  nouvelle  infi- 
délité. 

Le  chapelet,  qui  vous  attachait  si  tendrement  à 
Marie  dans  vos  bons  jours,  et  que  vous  ne  récitiez 
jamais  sans  éprouver  les  heureux  effets  de  la  pro- 
tection de  cette  divine  Mère,  sera  bientôt  pour  vous 
une  pratique  sèche,  monotone  et  peu  attrayante, 
que  vous  omettrez  de  fois  à  autres  sans  beaucoup 
de  scrupule  :  nouvelle  infidélité. 

Le  saint  office  lui-même  se  ressentira  sans  au- 
cun doute  de  votre  négligence  sur  les  divers 
points  que  nous  venons  de  signaler.  La  récitation 
sera  plus  rapide,  l'attenfion  moins  soutenue,  la 
ferveur  moins  vive,  et,  peut-être,  sans  motif  plau- 
sible, renverrez-vous  jusqu'à  latin  du  jour  les  par- 
ties du  bréviaire  qui  auraient  dû  être  dites  dans  la 
matinée  :  nouvelle  infidélité. 

Vos  confessions,  faites  d'abord  chaque  semaine 
avec  tant  de  soin  et  d'exactitude,  seront  renvoyées 
à  la  quinzaine,  et  à  coup  sur  cet  ajournement  n'en 
multipliera  pas  les  fruits  :  nouvelle  infidélité. 

Yos  actions,  vos  travaux,  les  actes  de  votre  mi- 
nistère que  votre  état  habituel  de  ferveur  rendait 
si  méritoires  et  que  vous  offriez  à  Dieu  par  un  prin- 
cipe d'amour,  commenceront  à  se  faire  par  routine 
et  sans  intentions  bien  arrêtées  :  nouvelle  infidélité. 

De  tout  cela,  comme  il  est  aisé  de  le  voir,  résul- 
tera non  pas  assurément  une  vie  criminelle,  mais 
une  vie  que  vous  ne  pourrez  déjà  plus  appeler 
fervente.  La  fine  fleur  de  la  dévotion  aura  disparu, 


JDt)     


et  vous  pouvez  être  assuré  que,  sans  aller  plus  loin, 
vous  ne  produirez  point  ces  œuvres  admirables  et 
ces  fruits  abondants  par  lesquels  se  distinguent 
les  travaux  du  saint  prêtre.  Ajoutons  que,  si  vous 
ne  vous  hâtez  de  revenir  à  vote  fidélité  primitive, 
vous  contracterez  l'habitude  de  l'irrégularité  dont 
vous  ne  sortirez  peut-être  jamais.  Achevons  au 
reste  le  tableau  de  votre  avenir. 

Quand  la  piété  s'afTaiblit,  les  défauts  s'enracinent, 
et  c'est  très-certainement  ce  qui  vous  arrivera.  La 
ferveur  vous  tenait  éveillé  :  dès  qu'un  défaut  vou- 
lait se  faire  jour,  vous  aviez  l'œil  ouvert  sur  ses 
premiers  développements  et  vous  l'étouftiez  dans 
son  germe.  Mais  la  ferveur  s'étant  refroidie,  la  dissi- 
pation prendra  sa  place,  les  ténèbres  se  feront  dans 
votre  âme,  et,  à  leur  ombre,  l'homme  ennemi  sèmera 
r  ivraie  parmi  le  bon  grain  :  C ion  dormirent  Itomhics, 
venu  inmiicus . . . .  et  siiperscniinavit  zizania.  A'ous 
ferez  le  mal  avec  une  demi-volonté,  et  la  ferveur 
n'étant  pas  là  pour  le  détruire  ,  il  continuera  de 
progresser,  parce  que  vous  continuerez  de  le  com- 
mettre. Tl  ne  sera  pas  considérable  d'abord,  nous  en 
convenons  ;  mais  il  le  sera  assez  pour  vous  priver 
de  bien  des  grâces  et  pour  fortifier  vos  défauts. 

Yous  n'aurez  plus  pour  vous  soutenir  les  secours 
puissants  que  vous  trouviez  au  séminaire.  La  règle, 
la  solitude,  les  bons  exemples,  les  paternelles 
exhortations,  tout  vous  fera  défaut.  Votre  curé 
craindra  de  vous  blesser  par  un  avertissement,  vos 
amis  vous  flatteront,  les  paroissiens  se  contente- 
ront de  vous  critiquer  en  secret,  et  vous  agirez  de 
concert  avec  tout  le  monde  pour  vous  tromper 
vous-même. 


—  56   — 

Alors  reparaîtront  ces  petites  misères  que  vous 
traitiez  de  bagatelles  quand  vous  étiez  séminariste, 
et  sur  lesquelles  nous  avons  appelé  plus  haut  votre 
attention. 

L'orgueil,  par  exemple,  s'insinuera  dans  votre 
âme  ;  vous  penserez  à  vous-même  avec  complai- 
sance ;  vous  vous  laisserez  éblouir  par  de  vains 
succès  ;  vous  vous  croii^ez  un  prédicateur  remar- 
quable, un  confesseur  excellent,  un  homme  de 
ministère  accompli  ;  vous  vous  jugerez  digne  d'un 
poste  supérieur  et  vous  convoiterez  ceux  qui  devien- 
dront vacants  ;  vous  ouvrirez  la  bouche  pour  donner 
passage  à  la  vanité,  et  vos  acLlouô,  même  les  plus 
saintes,  seront  gâtées  par  le  poison  de  l'amour- 
propre.  Que  de  bons  séminaristes,  en  suivant  la 
route  que  nous  venons  de  tracer,  sont  devenus, 
hélas  !  des  prêtres  orgueilleux  ! 

L'oisiveté  qui,  au  séminaire,  se  contentait  de 
vous  dérober  quelques  courts  instants,  vous  déro- 
bera, quand  vous  serez  prêtre,  des  demi-journées, 
peut-être  même  des  journées  entières.  Vous  ne 
négligerez  pas  sans  doute  le  travail  du  ministère  ; 
mais  l'étude  proprement  dite  sera  mise  de  côté,  et 
les  heures  qu'elle  réclamera,  vous  les  passerez  en 
visites  et  en  courses  que  vous  vous  permettrez  sans 
difficulté  comme  des  délassements  légitimes.  Que 
de  ôo;^5  séminaristes  sont  devenus,  des  prêtres  oisifs! 

La  charité  envers  le  prochain  ne  sera  pas  plus 
respectée  que  l'étude.  Au  séminaire,  les  occasions 
de  la  violer  étaient  rares  ;  quelques  légères  raille- 
ries à  l'égard  de  vos  condisciples  étaient  à  peu  près 
vos  seuls  manquements  en  ce  point.  Mais  dans  le 
monde,  vous  entendrez  chaque  jour  le   récit  de 


—   57   — 

quelques  fautes  nouvelles ,  et  vous  céderez  à  la 
tentation  de  vous  en  faire  l'écho.  Yous  apprendrez 
surtout  qu'on  ose  vous  attaquer  ,  et  vous  n'épar- 
gnerez pas  ceux  dont  vous  aurez  à  vous  plaindre. 
Des  rancunes  prolongées  s'enracineront  dans  votre 
âme,  et  vous  passerez  des  années  entières  sans  y 
mettre  un  terme.  Que  de  bo7is  séminaristes  sont 
devenus  des  prêtres  sans  charité  !  que  de  prêtres 
qui  se  croient  bons  prêtres  et  qu'on  proclame  tels, 
blessent  sans  se  le  reprocher  la  reine  des  vertus  ! 

L'âpreté  des  formes,  les  impatiences,  les  viva- 
cités, les  colères  même  quelquefois  vous  échappe- 
ront encore.  Rien  de  tout  cela  ne  vous  inquiétait 
beaucoup  au  séminaire,  quoique  pourtant  on  put  en 
entrevoir  la  racine.  Mais  dans  le  cours  du  saint  minis- 
tère, dans  les  rapports  avec  les  pénitents  au  saint 
tribunal,  avec  les  enfants  au  catéchisme,  avec  les 
fidèles  dans  la  paroisse,  avec  le  curé  au  presbytère, 
avec  les  domestiques,  ouvriers  ou  autres  gens  de 
cette  classe,  combien  de  discussions  animées  au 
sein  desquelles  la  vertu  de  douceur  sera  sacrifiée  î 
Que  de  bons  séminaristes  sont  devenus  ainsi  des 
prêtres  vifs,  irascibles  etméme  violents  etemportés  ! 

La  mortification  sera-t-elle  votre  vertu  favorite, 
si  déjà  au  séminaire  vous  ne  la  pratiquez  que  quand 
elle  est  à  peu  près  de  votre  goût?  Disons-le  hardi- 
ment ,  les  saints  prêtres  seuls  sont  des  prêtres 
mortifiés  ;  vous  ne  le  serez  donc  point,  du  moins 
autant  qu'il  faudrait  l'être,  si  vous  n'êtes  qu'un 
bon  prêtre  ordinaire.  Rien  ne  facilite  l'exercice  de 
la  mortification  comme  la  pratique  assidue  et  bien 
réglée  des  exercices  spirituels.  En  les  faisant  avec 
exactitude  et  ferveur,  on  est  constamment  uni  à 


—   58  — 

Dieu,  et  quand  on  est  uni  à  Dieu,  il  porte  directe- 
ment et  fortement  à  la  mortification  ;  il  en  inspire 
le  goût  et  y  fait  trouver  mille  fois  plus  de  douceurs 
que  les  mondains  n'en  trouvent  au  milieu  de  leurs 
plaisirs  ;  mais  quand  on  se  relâche  dans  la  pratique 
des  exercices  de  piété,  le  goût  de  la  mortification 
s'affaiblit  et  la  vie  des  sens  commence  à  prévaloir. 
Quand  donc  vous  aurez  cessé  d'être  fidèle  à  vos 
exercices  spirituels,  vous  ne  connaîtrez  plus  la 
mortification  que  de  nom.  Bien  de  bons  séminaristes 
sont  devenus  de  la  sorte  des  prêtres  sensuels  et 
immortifiés  î 

La  dissipation  ne  manquera  pas  non  plus  de  vous 
porter  au  relâchement.  Elle  était  à  peine  sensible 
au  séminaire  :  tout  vous  }'  prêchait  le  saint  recueille- 
ment :  réloignement  du  monde,  la  solitude,  la  vie 
réglée,  fetude  et  les  devoirs  de  piété  vous  empé- 
fhaient  île  chercher  au  dehors  des  occupations  fri- 
voles. Cet  heureux  état  eut  certainement  continué 
dans  le  monde  .si  votre  fidélité  aux  pratiques  pieu- 
ses ne  se  fût  pas  démentie  ;  mais  quand  vous  les 
ferez  lâchement ,  froidement ,  ou  que  vous  les 
omettrez  sans  scrupule,  vous  n'aurez  plus  d'attrait 
pour  le  recueillement  et  la  retraite;  vous  cherche- 
rez au  dehors  ce  que  vous  ne  trouverez  plus  au 
dedans  ;  le  faux  bonheur  -des  âmes  dissipées  rem- 
placera dans  votre  âme  le  bonheur  pur  et  vrai  des 
âmes  recueillies  ;  vous  n'aimerez  plus  la  solitude 
de  votre  chambre  et  de  1" église  ;  le  goût  du  jeu, 
des  compagnies,  des  voyages,  vous  ravira  le  goût 
de  la  retraite,  de  la  piété  et  de  l'étude,  et  vous 
serez  un  prêtre  évaporé,  c'est-à-dire  prédisposé  à 
une  multitude  d'égarements. 


—   50  — 

De  la  dissipation  naîtra  tout  naturellement  la 
liberté  des  sens.  Quand  Dieu  vous  suffisait,  vous 
trouviez  en  vous-même  un  fonds  inépuisable  de  con- 
solations ;  vous  aviez  rintelligence  de  ces  mots  de 
Notre-Seigneur  :  Regnum  Dei  intrà  vos  est,  et  vos 
sens,  qui  ne  pouvaient  que  troubler  la  paix  de  ce 
divin  royaume  ,  étaient  habituellement  réglés  et 
soumis.  Mais  quand  vous  serez  affranchi  des  prati- 
ques pieuses,  les  sens  que  vous  teniez  captifs  rede- 
viendront maîtres  ;  vous  voudrez  tout  voir,  vous 
voudrez  tout  entendre,  et  vous  courrez  à  chaque 
instant  des  dangers  de  plus  d'un  genre. 

Disposé  de  la  sorte,  les  compagnies  que  vous 
rechercherez  seront  celles  des  prêtres  qui  vous 
ressembleront.  Vous  n'aimerez  pas  la  société  des 
prêtres  fervents  quand  vous  aurez  cessé  d'être 
fervent  vous-même  :  cela  ne  se  voit  jamais.  Un 
prêtre  dissispé  ne  se  trouve  avec  un  saint  prêtre  que 
par  hasard  et  par  circonstance,  il  n'en  fait  point  sa 
société  habituelle;  les  goûts,  les  usages,  les  entre- 
tiens ordinaires  de  ces  deux  prêtres  sont  si  diffé- 
rents les  uns  des  autres,  qu'ils  se  repoussent  mutuel- 
lement au  lieu  de  s'unir  par  une  étroile  alliance. 
Vos  amis  de  prédilection  seront  donc  des  prêtres 
taillés  à  votre  image,  que  vous  maintiendrez  dans 
leur  voie  comme  ils  vous  maintiendront  dans  la 
vôtre.  Croyez-en  notre  expérience,  bien  tendre  ami, 
c'est  de  la  sorte  que,  de  bon  séminariste,  l'on 
devient  prêtre  tiède,  prêtre  dissipé  et  mondain. 

Dans  cet  état  de  délabrement  spirituel  vos  défauts 
de  caractère  se  trouveront  à  l'aise.  N'étant  plus 
coml^attus  ni  par  la  vigilance,  ni  par  des  examens 
journaliers,  ni  par  les  reproches  d'une  conscience 


—  60  —       , 

délicate,  ni  par  les  inspirations  d'une  tendre  piété, 
à  chaque  instant  ils  se  feront  jour,  et  leurs  saillies 
plus  ou  moins  fréquentes,  plus  ou  moins  impé- 
tueuses, vous  feront  commettre  une  multitude  de 
péchés  qui  m.ettront  de  grands  obstacles  aux  fruits 
de  votre  ministère. 

Les  choses  étant  ainsi,  serez-vous  non  pas  un 
saint  prêtre,  il  est  bien  clair  que  vous  ne  mériterez 
pas  ce  beau  titre  ;  mais  serez-vous  seulement  ce 
que  l'on  appelle  un  bo7i  prêtre  de  l'ordre  commun? 
Yous  le  croirez  sans  doute  et  plusieurs  le  pense- 
ront comme  vous  ;  mais,  devant  Dieu  et  au  juge- 
ment des  saints ,  ne  serez-vous  pas  plutôt  im 
prêtre  tiède  ?  Nous  ne  voulons  pas  décider  la  chose  ; 
mais  ce  que  nous  osons  aftirmer,  c'est  que,  si  alors 
vous  n'êtes  pas  encore  dans  la  tiédein%  assurément 
vous  y  serez  bientôt ,  puisque  vous  serez  sur  la 
pente  qui  y  conduira,  et  que  chaque  jour,  par 
voira  conduite,  vous  rendrez  cette  pente  de  plus  en 
plus  rapide.  Ce  que  nous  affirmons  encore  c'est 
que,  dans  cet  état  mitoyen,  vous  ne  ferez  pas  la 
centième  partie  du  bien  que  vous  feriez  si  vous 
étiez  fervent.  Ce  que  nous  affirmons  enfin,  c'est 
que  vous  aurez  une  peine  incroyable  à  redevenir 
ce  que  vous  étiez  au  début  de  votre  sacerdoce. 
Qui  sait  même,  grand  Dieu  !  si,  faible  et  désarmé 
comme  vous  le  serez  alors,  vous  ne  rencontrerez 
pas  quelques-unes  de  ces  occasions  périlleuses  où 
de  plus  forts  que  vous  ont  fait  des  chutes  lamenta- 
bles 1 

Voilà,  jeune  et  tendre  ami,  ce  que  le  démon  vous 
cache  quand  il  vous  rassure  au  sein  de  vos  infidé- 
lités journalières.  Il  vous  fait  croire  qu'elles  sont 


—  61   — 

l'\?èrese!iasi8:ninantes,  que  la  masse  du  bien  rem- 
portant chez  vous  sur  la  masse  du  mal,  vous  devez 
etie  tranquille,  que  Dieu  ne  demande  pas  à  tous 
une  perfection  pareille,  que  vous  avez  d'excellentes 
mtenl,ons,  que  létat  d'un  mauvais  prêtre  ou  nS  e 
d  un  prêtre  tiède  vous  fait  horrei'r,  et  qxze  ivZ 
oertamement  ^ous  gloriflerez  par  votre  ministère 

nv  H  Ff  ''''"■'''"'^'  ''°»t  vous  serez  bientôt 
nnesfi.  Et  nous,  nous  vous  disons  que  toutes  ce 
suggestions  sont  des  pièges  perfides,  et  que  vou^ 
ne  les  éviterez  que  par  une  piété  fervente  et  soute- 
nue. Hatez-vous  donc  de  vous  placer  sur  uu  terrain 
plus  ferme  en  suivant  fidèlement  les  conseils  que 
nous  allons  vous  donner.  ^ 

-  JeiMi^êtreplmmintqnejenesuis  :  première 
reflexion  dont  il  importe  de  vous  bien  pènS  ei 
\  ous  considérez  trop  le  peu  de  bien  qui  est  en  vou  ' 
et  vous  ne  voulez  pas  voir  les  mauvais  germes  ™i 

pa    des  infidélités  fréquentes.  Si  vous  étiez  tout  à 
fait  mauvais,  votre  état  vous  ferait  trembler  et  "ous 
prendriez  les  moyens  d'en  sortir;  mais  comme    ou 
ne  remarquez  pas  en  vous  de  grands  désordres 
vous  tachez  de  vous  maintenir  dans  les  dispos  «onl 
ou  vous  «es,  sans  penser  sérieusement  à  les  Z 
fectionner.  Aussi,    après  une  ou  deux  années  de 
séminaire,   ne  pourriez-vous   montrer  dans  votîe 
conduite  une  amélioration  sensible.  A  voir  le  pu 
de  soin  que  vous  prenez  de  progresser  dans  la 
V  rtu,   on  dirait  que  vous  vous  cf oyez  arS  au 
degré  de  sainteté  que  Dieu  demande  le  vous C  s" 
cette  Illusion  que  vous  devez  détruire;  et  comment? 

4 


—   62   - 

En  vous  disaiil  fortement  à  vous-même  :  Je  puis 
être  plus  saint  que  je  ne  suis  ;  je  puis  être  plus 
humble,  plus  mortifié,  plus  charitable,  plus  stu- 
dieux, plus  recueilli,  plus  obéissant,  plus  pieux 
enfm  et  plus  fervent  :  sur  tous  ces  points  il  m'ar- 
rive  souvent  de  faillir,  et  je  puis,  si  je  veux,  dimi- 
nuer chaque  jour  le  nombre  de  mes  fautes. 

—  Je  dois  être  plus  saint  que  je  ne  suis  :  deuxième 
réflexion  qui  fortifie  puissamment  la  première. 
Oui,  convainquez-vous  bien  que  non  -  seulement 
\oiis pouvez^m^ïs  que  vous  devez  être  plus  saint  que 
vous  ne  Fêtes,  et  pour  affermir  cette  conviction, 
méditez  attentivement  les  considérations  suivantes  : 
Je  suis  appelé  à  fétat  le  plus  saint  qui  soit  sur  la 
terre  ;  je  dois  donc  être  saint,  puisque  la  sainteté 
du  sujet  doit  être  en  rapport  avec  la  sainteté  de  la 
profession  qu'il  embrasse.  —  Dieu  veut  que  tous 
les  hommes  soient  saints,  car  c'est  à  tous  qu'il  a 
dit:  Sancti  estote...  Estote  perfecti.  Or  s'il  appelle 
tout  le  monde  à  la  sainteté,  à  combien  plus  forte 
raison  y  appelle-t-il  ceux  à  qui  il  veut  confier  les 
éminentes  fonctions  du  sacerdoce  !  —  Les  fruits  du 
saint  ministère  sont  plus  ou  moins  abondants  selon 
le  degré  de  perfection  du  prêtre  qui  l'exerce.  Un 
saint  prêtre  fait,  à  lui  seul,  plus  de  bien  que  vingt 
prêtres  ordinaires  :  les  Xavier,  les  Régis,  les  Domi- 
nique, les  Yincent  Ferrier  ont  entraîné  dans  les 
voies  du  salut  et  conduit  au  ciel  des  multitudes  de 
pécheurs  que  des  prêtres  moins  saints  qu'eux  n'eus- 
sent jamais  convertis.  —  La  nature  humaine,  par 
son  propre  poids,  tend  nécessairement  au  relâche- 
ment; il  faut  viser  au-dessus  du  but  pour  l'atteindre  ; 


—  63   — 

une  infidélité  légère,  quand  on  ne  fait  rien  pour  en 
prévenir  le  retour,  conduit  infailliblement  à  une 
infidélité  plus  grave,  et  les  plus  grands  crimes  ont 
toujours  été  précédés  de  fautes  qui  en  méritaient  à 
peine  le  nom;  je  dois  donc  éviter  ces  fautes  pour 
me  préserver  de  ces  crimes.  —  Si  j'étais  sur  qu'il 
n'y  a  de  mauvais  prêtres  cjue  ceux  qui  ont  été  de 
mauvais  séminaristes  ,  je  fpourrais  me  rassurer 
puisque,  grâce  à  Dieu,  je  ne  suis  pas  du  nombre 
de  ces  derniers.  Mais  comme  on  m'assure  et  que 
Texpérience  atteste  que  plusieurs  mauvais  prêtres 
ont  été  d'aussi  bons  et  peut-être  mAme  de  meilleurs 
séminaristes  que  moi,  je  dois  donc  me  corriger  des 
moindres  fautes  et  tendre  chaque  jour  à  une  perfec- 
tion plus  élevée,  puisque  par  là  je  m'éloigne  de 
plus  en  plus  de  l'affreux  abîme  dont  la  seule  pensée 
me  fait  frémir.  —  Si  je  mène  désormais  une  vie 
plus  fervente  et  que  j'en  vienne  à  ne  pas  commettre 
une  seule  imperfection  volontaire?,  mon  exemple 
produira  d'heureux  fruits;  plusieurs  de  mes  condis- 
ciples, qui  règlent  leur  conduite  sur  la  mienne, 
pratiqueront  la  perfection  quand  iis  verront  que  je 
la  pratiquerai  moi-même,  et  je  contribuerai  peut- 
être  beaucoup  à  Implanter  la  ferveur  dans  le  sémi- 
naire, ce  qui  est  le  pins  grand  bien  que  je  puisse 
opérer  comme  séminariste.  —  Enfin  il  est  certain 
que  je  suis  dans  les  meilleures  conditions  aujour- 
d'hui pour  me  corriger  de  mes  petits  défauts  ;  ils  ne 
sont  pas  encore  profondément  enracinés  dans  mon 
âme  ;  j'ai  sous  les  yeux  des  modèles  parfaits  de 
toutes  les  vertus  ;  des  supérieurs  z/îlés  me  cultivent 
avec  des  soins  tout  particuliers  comme  une  plante 
précieuse,  et  des  grâces  ahondantes  qui  ne  se  trou- 


—  64  — 

vent  qu'au  séminaire ,  facilitent  singulièrement 
l'œuvre  de  ma  sanctification.  Comment  méditer 
pieusement  ces  réflexions  sans  y  puiser  un  supplé- 
ment de  ferveur  et  de  sainteté  ? 

—  Je  veux  être  plus  saint  que  je  ne  suis  :  {qWq 
doit  être  votre  troisième  réflexion.  Vouloir  sincère- 
ment la  perfection,  c'est,  selon  saint  Thomas,  le 
ATai  moyen  de  l'acquérir.  «  Que  dois-je  faire,  lui 
)>  lui  demandait  un  jour  une  de  ses  sœurs,  pour 
»  devenir  sainte?  —  Le  vouloir,  répondit-il,  tout 
»  est  là.  »  Selon  sainte  Thérèse,  a  Dieu  ne  veut  de 
»  nous  qu'une  bonne  résolution,  il  se  charge  de 
»  faire  le  reste.  »  D'après  ces  autorités,  sïl  y  en  a 
fort  peu,  même  dans  les  séminaires,  qui  arrivent 
à  la  perfection,  il  faut  donc  en  conclure  qu'il  y  en 
a  fort  peu  qui  aient  le  désir  sincère  de  la  pratiquer. 
Nul  ne  voudrait  l'avouer  expressément  ;  mais  ce 
que  la  langue  n'ose  dire,  les  œuvres  le  proclament. 
Quelquefois  pourtant  on  a  un  certain  désir  vague 
de  la  perfection,  mais  on  s'en  tient  là.  Ùr,  dit  ;^aint 
Liguori,  «  il  ne  suffit  pas  d'avoir  le  désir  de  la  per- 
»  fection,  il  faut  avoir  une  ferme  résolution  de 
»  l'obtenir...  Des  désirs  faibles  sont  plus  nuisibles 
»  qu'utiles  ;  car  on  s'en  repaît,  et  on  s'endort  dans 
»  ses  imperfections.  » 

—  Quand  vous  aurez  excité  votre  volonté  par 
ces  considérations,  hàtez-vous  d'en  venir  aux  actes 
et,  pour  assurer  le  succès  de  voire  entreprise,  com- 
mencez par  réformer  ce  qu'il  y  a  de  défectueux  dans 
la  manière  dont  vous  vous  acquittez  de  vos  exerci- 
ces spirituels. 

Vos  oraisons,  par  exemple,  produisent  peu  de 


—  65  — 

fruit  :  voyez  comment  vous  les  faites.  Vous  y  pré- 
parez-vous avec  soin?  Vous  tenoz-vous  en  les 
faisant  dans  une  posture  respectueuse  ?  Renvoyez- 
vous  les  distraci.ions  dès  qu'elles  se  présentent  ? 
Avez-vous  le  désir  vif  et  sincère  d'en  bien  profiter? 
Vous  y  proposez-vous  toujours  la  destruction  de 
votre  défaut  capital  et  Tacquisition  de  la  vertu  qui 
lui  est  opposée  ?  Ne  vous  bornez-vous  pas  ,  au 
contraire,  à  des  réflexions  vagues  et  générales  qui 
n'opèrent  aucun  changement  dans  votre  conduite, 
croyant  que  tout  est  bien  parce  que  vous  pouvez 
dire:  J'ai  fait  mon  oraison?  Insistez-vous  enfm 
sur  vos  résolntions,  les  déterminant  spécialement 
à  quelque  point  pratique  dont  vous  savez  que  vous 
allez  avoir  l'occasion  de  faire  l'application  pendant 
la  journée,  et,  ces  résolutions,  les  rappelez-vous 
souvent  à  votre  esprit  jusqu'à  l'oraison  suivante 
pour  les  exécuter  avec  fidélité  (juand  vous  êtes 
tenté  de  vous  relâcher  ? 

Considérez  de  la  même  manière  tous  vos  exer- 
cices de  piété  l'un  après  l'autre  ;  voyez  la  manière 
dont  vous  les  faites,^  le  peu  de  fruit  que  vous  en 
tirez  et  les  moyens  à  prendre  pour  qu'ils  produi- 
sent tout  leur  effet. 

Les  séminaristes  qui  ne  sont  que  bons  ne  sont 
pas,  en  général,  vivement  frappés  de  l'inutilité  de 
leurs  exercices  spirituels  pour  le  perfectionnement 
de  leur  conduite.  Ils  les  font  régulièrement  pendant 
des  temps  considérables  sans  qu'on  découvre  en 
eux  un  amendement  bien  prononcé  ;  souvent 
même,  et  presque  toujours,  ils  vont  en  déclinant 
dans  les  voies  de  la  perfection;  la  seconde  année  de 
leur  séminaire  ne  vaut  pas  la  première,  et  la  troi- 
II.  4. 


—  66   — 

sième  est  moins  bonne  encore  que  les  deux  autres, 
ce  qui  est  précisément  tout  le  contraire  de  ce  qui 
devrait  avoir  lieu.  Ce  point  est  un  de  ceux  où  se 
fait  le  mieux  sentir  la  ditférence  qu'il  y  a  entre  les 
bons  et  les  fervents  séminaristes  :  les  premiers 
s'arrêtent  ou  reculent  ;  les  seconds  ne  s'arrêtent 
jamais  et  s'élèvent  chaque  jour  davantage  dans 
r échelle  de  la  sainteté. 

—  Quoique  tous  les  exercices  de  piété,  quand 
ils  sont  bien  faits,  conduisent  merveilleusement  k 
la  perfection,  il  en  est  un  cependant  qui  y  fait  faire 
des  progrès  plus  rapides  encore  que  tous  les  autres  ; 
c'est  l'examen  particulier.  Saint  Ignace,  ce  grand 
maître  en  fait  de  perfection,  y  attachait  une  impor- 
tance extrême.  Il  regardait  comme  certain  qu'une 
âme  bien  fidèle  à  cette  sainte  pratique,  arriverait 
infailliblement  à  une  haute  sainteté.  Appuyé  sur  son 
autorité  et  sur  celle  dune  expérience  constante, 
nous  n'avons  pas  craint  de  formuler  dans  le  Saint 
Prêtre  cette  double  sentence  :  Nous  ne  nous  corri- 
gerons jamais  de  nos  défauts  saiis  rexamen  parti- 
culier. —  Nous  nous  corrigerons  certainement  de 
nos  défauts,  ou  du  moins  nous  les  affaiblirons  nota- 
blement par  l'examen  particulier. 

Il  ne  faut  pas  confondre  cet  exercice  avec  celui 
qui  se  pratique  communément  dans  les  séminaires, 
et  qui  consiste  dans  la  lecture  qu'on  fait  chaque 
jour  avant  le  dîner  de  l'excellent  livre  de  Tronson, 
intitulé  :  Examens  particuliers  sur  divers  sujets.  Cet 
ouvrage  est  un  ensemble  parfait  des  règles  de 
conduite  qu'on  ne  saurait  trop  rappeler  aux  sémi- 
naristes ;  mais  cette  lecture  quotidienne  ne  tient 
pas  lieu  de  l'examen  particulier  proprement  dit  que 


—    b7    — 

nous  recommandons  ici.  Choisir  le  délaiil  domi- 
nant auquel  on  est  sujet  ou  la  vertu  qu'on  pratique 
le  moins  fidèlement  ;  considérer  attentivement  le 
besoin  qu'on  a  de  se  corriger  de  ce  défaut  ou  d'ac- 
quérir cette  vertu  ;  rechercher  les  fautes  qu'on  a 
commises  sur  l'un  ou  sur  l'autre  depuis  le  dernier 
examen  ;  s'en  humilier  devant  Dieu,  s'en  punir, 
et  prendre  la  ferme  résolution  de  les  éviter  ;  voilà 
l'exercice  qui,  répété  tous  les  jours,  .est,  après  les 
sacrements,  l'instrument  de  perfection  le  plus  effi- 
cace que  nous  connaissions.  Faites-en  l'expérience, 
hien-aimé  lecteur;  tenez  ferme  à  l'usage  de  cette 
sainte  pratique  en  dépit  de  la  tentation  que  vous 
aurez  de  l'abandonner,  et  vous  verrez  si  des  fruits 
de  sainteté  abondants  ne  sont  pas  la  récompense 
de  votre  fidélité  fl). 

—  Si  vous  voulez  sincèrement  devenir  plus  saint 
que  vous  ne  l'êtes,  proposez-vous  continuellement 
pour  modèle  l'élève  le  plus  accompli  du  séminaire. 
Il  s'en  trouve  toujours  qui  se  distinguent  des  autres 
par  une  piété  plus  fervente.  En  parlant  d'un  de 
ces  élèves,  a'Ous  vous  écriez  souvent  :  Pour  celui- 
là,  ccst  un  saint.  Puisque  vous  l'admirez,  passez 
donc  de  l'admiration  à  l'imitation,  et  donnez  à 
votre  conduiie  la  perfection  de  la  sienne.  Voyez 
le  bien  qu'il  fait  et  que  vous  ne  faites  point,  le  mal 
qu'il  évite  et  que  vous  n'évitez  point.  Etudiez-le 
trait  pour  trait;  observez-le  dans  ses  conversations, 
dans  SCS  exercices  de  piété,  dans  ses  études,  dans 
ses  actions  communes,  dans  sa  tenue  et  ses  maniè- 

(!)  Voir,  pour  plus  de  détails,  k  S'dnt  l'/c^r^,  •troisième 
partie,  chap.  V. 


—  68  — 

res  ;  ne  le  perciez  jamais  de  vue  ni  à  l'église,  ni 
en  récréation,  ni  au  réfectoire,  ni  en  classe,  ni  dans 
ses  promenades.  Il  porte  partout  son  cachet  de 
piété  et  de  régularité,  et  c'est  ce  cachet  qu'il  faut 
imprimer  profondément  dans  votre  àme.  Quel  beau 
spectacle  que  celui  d'un  séminaire  où  tous  les 
élèves  rivaliseraient  de  ferveur  et  de  sainteté  ! 

—  Ne  regardez  rien  comme  peu  important  ni  en 
bien,  ni  en  mal  :  le  plus  petit  bien,  si  on  l'opère 
en  tout  et  toujours,  conduit  rapidement  à  la  plus 
haute  perfection  ;  le  plus  petit  mal,  si  on  le  com- 
met habituellement  et  sans  scrupule,  conduit  à  la 
longue  et  souvent  très-promptement  à  des  désor- 
dres épouvantables.  Yoilà  l'écueil  des  bons  sémina- 
ristes ;  ils  comptent  pour  rien  ce  qui,  en  soi,  n'est 
pas  considérable,  et  ils  ne  voient  pas  que  ce  qu'ils 
traitent  de  bagatelle  est  excessivement  important 
par  ses  conséquences. 

—  Faites  votre  société  habituelle  des  sémina- 
ristes les  plus  fervents.  Sachant  qu'ils  ne  goûtent 
et  n'estiment  que  la  piété,  vous  serez  comme  forcé 
de  vous  entretenir  avec  eux  de  choses  édifiantes, 
et  leur  simple  contact  contribuera  très-efficacement 
à  votre  réforme. 

—  Au  début  de  chaque  jour,  dites-vous  à  vous- 
même  :  Je  veux  être  un  saint  aujourd'hui  ;  puis, 
en  commençant  chaque  action,  rappelez-vous  votre 
détermination  du  matin  et  adressez-vous  cette 
question  :  Si  un  saint  était  à  ma  place,  comment 
agirait-il?  Lieu  répondra  lui-même  à  cette  ques- 
tion dans  le  fond  de  votre  àme  ;  écoutez  sa  ré- 
ponse, conformez-y  votre  conduite  et  vous  forez 
des  progrès  ^'-hjunants. 


—  69  — 

—  Habituez-vous  à  faire  très-fréquemment  de 
petits  sacrifices  ;  cela  vous  donnera  une  force  in- 
croyable. C'est  la  làcbeté  seule  qui  vous  retient 
dans  le  bas  étage  de  la  perfection,  et  rien  ne  dé- 
truit cette  lâcheté  comme  Thabitude  des  sacrifices  : 
Tcmtiim  proficÀes,  dit  l'Imitation,  quantum  tibiipsi 
vim  intuleris.  Un  mot  inutile  supprimé,  une  bonne 
inspiration  accueillie,  une  direction  d'intention  bien 
faite,  une  élévation  de  cœur  pendant  son  travail, 
un  acte  de  mortification  dans  ses  repas  et  mille 
autres  choses  de  cette  nature,  qui  sont  fort  peu 
pénibles,  développent  singulièrement  la  piété  et 
font  passer  en  peu  de  temps  d'une  vie  commame 
à  une  vie  fervente, 

—  Ayez  toujours  devant  les  yeux  les  fruits 
abondants  que  vous  produirez  dans  le  saint  minis- 
tère si  vous  êtes  un  saint  prêtre.  Cela  vous  por- 
tera tout  naturellement  à  devenir  un  fervent  sémi- 
nariste, puisque  celui  qui  n'a  au  séminaire  qu'une 
vertu  médiocre  ne  sera  jamais  un  saint  prêtre. 
Quelle  pensée  plus  électrisante  que  celle-ci  :  Je 
sauverai,  si  je  suis  un  saint  prêtre,  des  âmes  qui 
se  damneront  si  je  ne  suis  qu'un  prêtre  ordinaire  ! 

—  Pour  exécuter  plus  sûrement  vos  pieux  des- 
seins, révélez-les  en  confession  et  en  direction. 
N'imitez  pas  ceux  qui,  en  ces  circonstances,  croient 
que  tout  est  bien  quand  ils  ont  déclaré  leurs  fautes. 
Allez  plus  loin,  vous  ;  dites  positivement  à  votre 
directeur  que  vous  voulez  être  un  saint  et  que 
vous  désirez  vivement  qu'il  vous  aide  à  le  devenir. 
Que  les  directeurs  des  séminaires  seraient  heu- 
reux si  tous  leurs  pénitents  leur  tenaient  ce  lan- 
gage, et  quel  zèle  ils  auraient  pour  leur  sanctifi- 


—   70  — 

cation  !  Mais  parmi  ceux  qiie  nous  appelons  bo7is 
séminaristes  il  y  en  a  peu  qui  agissent  ainsi-;  c'est 
que  malheureusement  il  y  en  a  peu  qui  veuillent 
sincèrement  prendre  place  dans  la  classe  des  fer- 
vents ;  presque  tous  se  trouvent  bien  au  degré  où 
ils  sont  et  ne  visent  qu'à  s'y  maintenir.  Ne  gros- 
sissez pas  le  nombre  de  ces  lâches,  jeune  et  ten- 
dre ami  :  Dieu  vous  convie  certainement  à  ime 
sainteté  suréminente  ;  répondez  à  son  appel  et 
soyez  un  séminariste  parfait  pour  être  plus  tard 
un  saint  prêtre. 


CHAPITRE lY 


Le  fervent  séminariste. 

Ordinairement,  avant  d'entrer  au  séminaire,  le 
séminariste  fervent  était  déjà  fervent.  Dans  le 
monde,,  dans  sa  famille,  dans  Jc  petit  séminaire, 
il  édifiait  par  sa  haute  piété  qui  ne  frC  démentait 
jamais,  et  qui  chaque  jour,  au  contraire,  se  forti- 
fiait au  lieu  de  s'affaiblir  :  le  titre  de  saint  lui  était 
généralement  décerné. 

L'origine  de  sa  piété  remonte  souvent  jusqu'à 
sa  première  enfance.  Une  mère  solidement  chré- 
tienne cultiva  soigneusement  son  âme,  et  d'heu- 
reuses dispositions  à  la  piété  favorisèrent  cette 
culture . 

Imitateur  des  saints,  les  frivolités  du  jeune  âge 
eurent  pour  lui  peu  d'attrait  ;  il  se  prétait  au  jeu 
plutôt   par  complaisance   que  par  inclination,  et 


—    71    — 

quand  il  pouvait  suivre  son  goût,  il  se  plongeait 
dans  les  livres  ou  allait  au  pied  de  l'autel  épancher 
son  cœur  dans  le  cœur  de  Jésus,  et  édifier  les  âmes 
saintes  qui  ne  se  lassaient  point  d'admirer  sa  fer- 
veur. C'était  un  autre  Jean,  l'apôtre  vierge  et  le 
disciple  bien-aimé  du  Sauveur. 

Quelquefois  cependant  la  haute  piété  du  fervent 
séminariste  ne  date  pas  de  si  loin.  Des  orages  ont 
précédé  la  sérénité  de  sa  vertu.  Yictime  des  mau- 
vaises compagnies,  triste  jouet  d'une  imagination 
bouillante,  il  a  fait  des  écarts,  et  de  fougueuses 
passions  l'ont  entraîné  dans  plus  d'un  précipice. 
Ces  précipices,  il  s'en  est  arraché.  Depuis  long- 
temps il  a  reconnu  sa  misère  ;  il  l'a  déplorée  dans 
l'amertume  de  son  cœur,  et  une  éclatante  conver- 
sion qui  a  frappé  tout  le  monde,  l'a  rattaché  à  Dieu 
par  des  liens  indissolubles.  C'est  Pierre  après  sa 
chute  regagnant  par  la  ferveur  de  son  repentir  les 
bonnes  grâces  de  son  divin  Maître. 

Mais  n'y  a-t-il  de  séminaristes  fervents  que  ceux 
dont  nous  venons  de  parler?  Une  vertu,  incom- 
plète dans  le  monde,  ne  devient-elle  pas  quelque- 
fois une  vertu  fervente  au  séminaire?  Communé- 
ment, ce  n'est  pas  peut-être  ce  qui  a  lieu  ;  mais 
pourtant  cela  n'est  pas  assurément  sans  exemple. 
Oui,  l'on  en  voit  qui  n'étaient  que  bons  dans  le 
monde,  et  qui,  dans  le  séminaire,  deviennent  ex- 
cellents. Quand  cela  arrive,  hàtons-nous  de  le  dire, 
c'est  presque  toujours  dès  le  début  qu'on  s'en 
aperçoit.  jXous  doutons  fort  que  les  plus  anciens 
directeurs  aient  vu  souvent  cette  heureuse  trans- 
formation s'opérer  dans  la  seconde  ou  la  troisième 
année  du  séminaire.  Nous   le   répétons,   c'est  au 


dpl)iit  que  oela  se  remarque.  Déjà  i3ien  disposé, 
quoique  n'ayant  qu'une  vertu  ordinaire,  un  nou- 
veau séminariste  se  sent  parfois  subitement  frappé 
de  la  grâce  et  se  livre  à  des  réflexions  sérieuses 
qu'il  n'avait  jamais  faites.  Le  monde  qui  l'étour- 
dissait, des  amis  folâtres  qui  le  dissipaient,  de 
vains  plaisirs  qui  attiédissaient  son  àme  ;  tout  cela 
le  retenait  dans  l'étage  inférieur  d'une  vertu  mé- 
diocre. Mais  quand  la  majesté  imposante  du  sémi- 
naire Ta  saisi;  quand  la  solitude,  faisant  le  vide 
dans  son  àme,  la  placé  sous  le  regard  de  Dieu  ; 
quand  il  a  entendu  la  parole  grave  et  pénétrante 
de  ses  vénérables  supérieurs  ;  quand  il  a  fait  con- 
naissance avec  de  pieux  condisciples  ,  modèles 
achevés  de  vertus  sans  tache  ;  quand  il  a  subi 
l'heureux  joug  d'un  règlement  salutaire,  et  que  la 
chaîne  des  exercices  spirituels  l'a  enlacé  ;  alors  une 
vive  lumière  s'est  faite  autour  de  lui.  il  a  vu  les 
vérités  éternelles  sous  un  jour  tout  nouveau,  et  le 
sacerdoce  lui  apparaissant  dans  un  avenir  prochain 
avec  son  effrayante  sublimité,  il  s'est  dit  à  lui- 
même  :  Lucas  m  quo  stas,  terra  sancta  est  :  puis-je 
être  trop  parfait  pour  devenir  le  ministre  de  Dieu 
et  le  dispensateur  des  mystères  de  Jésus-Christ  ? 
Xon  certes  ;  jamais  au  contraire  je  ne  serai  aussi 
saint  que  je  le. dois  être  ;  voguons  donc  à  pleines 

voiles  vers  la  perfection Et  il  a  quitté  la  nacelle 

des  bons  pour  prendre  place  dans  celle  des  parfaits. 

Telles  sont  les  dispositions  préliminaires  de  ceux 
que  nous  appelons  fervents  sémmaristes.  Voyons 
maintenant  le  détail  de  leur  conduite. 

Nous  ne  parlerons  point  de  la  vocation  de  ces 
pieux  élèves  ni  des  mille  moyens  qu'ils  emploient 


—  73  — 

pour  s'assurer  qu'elle  est  ce  qu'elle  doit  être.  Si, 
comme  nous  l'avons  vu,  le  bon  séminariste  se  met 
en  règle  sur  ce  point  si  important,  que  ne  doit  pas 
faire  celui  qui  puise  ses  lumières  et  ses  inspira- 
tions dans  une  pieté  beaucoup  plus  avancée  ?  SU 
aborde  le  séminaire,  c'est  parce  qu'il  a  la  certi- 
tude morale  que  Dieu  l'y  appelle. 

Le  fervent  séminariste  aime  le  séminaire  avec 
une  sainte  passion.  Rien  ne  lui  manque  dans  ce  lieu 
de  délices  :  de  bons  supérieurs,  de  pieux  condis- 
ciples, l'éloignement  du  monde,  la  vie  de  retraite, 
la  règle,  le  genre  d'occupation,  le  mélange  si  bien 
combiné  de  l'étude  et  des  exercices  spirituels  :  tout 
est  selon  ses  goûts,  et  jamais  il  n'a  joui  sur  la 
terre  d'une  paix  semblable  à  celle  que  Dieu  lui 
procure. 

Souvent  son  cœur  déborde,  et  de  douces  larmes, 
furtivement  répandues,  trahissent  l'inefTable  bon- 
heur dont  son  àme  est  inondée.  C'est  à  lui  que  s'ap- 
pliquent ces  belles  paroles  de  l'Imitation  :  Ibi  (in 
silentio  et  quiète)  hwenit  ftuenta  lacrymarum  qui- 
bus  singulis  iioctibus  se  lavet  et  mundet,  ut  Condi- 
tori  suo  tanto  familiarior  fuit,  quanto  longiùs  ab 
omni  seculari  tumultu  degit. 

Nous  avons  connu  un  jeune  homme  qui  entra  au 
séminaire  sans  se  laisser  arrêter  par  la  considéra- 
tion du  brillant  avenir  que  le  monde  lui  promettait. 
Le  jour  de  son  entrée  il  était  très-soufTrant,  et 
cependant  dès  qu'il  eut  mis  le  pied  dans  son  hum- 
ble cellule,  si  dilTérente  de  sa  chambre  du  monde, 
il  ouvre  sa  fenêtre,  tombe  à  genoux,  regarde  le 
ciel  avec  transport  et  s'écrie  dans  la  ferveur  de  son 
enthousiasme  :  «  0  mon  Dieu  !  me  voici  donc  enfin 
II.  5 


—   74   — 

»  dans  le  séminaire!...  Que  je  suis  heureux,  Sei- 
»  gneur,  que  je  suis  heureux  !  Soyez  béni,  mon 
»  Dieu,  soyez  éternellement  béni  !...  »  Et  des  ruis- 
seaux de  larmes  s'échappaient  de  ses  yeux. 

A  la  différence  des  mauvais,  des  tièdes  et  même 
des  bons  séminaristes,  celui  qui  est  fervent  re- 
grette chaque  jour  qu'il  voit  s'écouler,  parce  qu'il 
voudrait  que  l'heureux  temps  de  son  séminaire  ne 
s'abrégeât  jamais.  Ce  n'est  pas  lui  qui,  comme 
quelques-uns  de  ses  condisciples,  semblables  en 
cela  aux  écoliers  paresseux  des  collèges,  compte 
avec  impatience  les  jours  de  saint  esclavage  qui 
le  séparent  des  joui^s  de  liberté. 

A  la  différence  encore  de  ceux  qui  ne  sont  pas 
fervents  comme  lui,  chaque  nouvelle  année  de  sé- 
minaire, au  lieu  de  l'incliner  vers  le  relâchement, 
r enrichit  au  contraire  d'un  accroissement  de  fer- 
veur et  de  sainteté. 

L'esprit  de  Dieu  le  dirige  dans  toutes  ses  voies  : 
Spiritu  Dei  agitur.  On  a  beau  l'observer  de  près, 
toujours  on  le  voit  en  règle^  toujours  il  se  conduit 
de  manière  à  faire  dire  à  chacun  de  ses  condis- 
ciples :  Voilà  mon  type,  voilà  mon  modèle  I 

Les  plus  petits  points  de  la  règle  ont  à  ses  yeux 
une  autorité  souveraine  à  laquelle  il  se  soumet 
avec  la  plus  inviolable  fidélité.  Jamais  un  mot  ne 
lui  échappe  quand  le  silence  est  prescrit,  et  nous 
ne  craignons  pas  d'exagérer  en  disant  qu'il  mour- 
rait martyr  de  F  obéissance,  s'il  était  forcé  de  choi- 
sir entre  la  mort  et  la  violation  pleinement  volon- 
taire de  son  règlement. 

C'est  lui  qui,  pour  obéir  à  ce  règlement,  laisse 
une  lettre  à  moitié  formée  et  se  met  en  marche  au 


—   75   — 

premier  coup  de  cloche.  Les  anges  ne  sont  pas 
plus  prompts  qu'il  ne  l'est  lui-même  pour  exécuter 
la  volonté  de  Dieu  dès  qu'elle  lui  est  connue. 

Il  prie  quand  il  doit  prier,  il  travaille  quand  il 
doit  travailler,  il  se  récrée  quand  il  doit  se  récréer, 
et  comme  Samuel  à  Héli,  à  chaque  instant  il  peut 
dire  à  Dieu  :  Ecce  ego^  quia  vocasti  me. 

Si  dans  les  plus  petites  choses  il  est  si  fidèle, 
faut-il  s'étonner  qu'il  le  soit  en  des  points  d'une 
plus  haute  importance?  Sa  conscience  est  d'une 
délicatesse  quelquefois  excessive  ;  l'ombre  d'une 
faute  lui  semble  une  faute  réelle  dont  il  ne  manque 
jamais  de  se  punir.  L'apparence  d'un  défaut  prend 
à  ses  yeux  les  proportions  d'un  vice,  et  pour  s'en 
corriger  il  met  incessamment  en  œuvre  la  morti- 
fication, la  vigilance  et  la  prière. 

La  parole  de  ses  supérieurs  a  pour  lui  quelque 
chose  de  sacré.  Il  n'est  aucune  de  leurs  prescrip- 
tions qu'il  n'observe,  aucun  de  leurs  conseils  qu'il 
ne  suive.  Dieu  lui-même,  se  rendant  visible  et  dic- 
tant ses  volontés  à  ce  pieux  élève,  ne  serait  pas 
plus  ponctuellement  obéi  que  ne  l'est  le  supérieur 
qui  le  remplace. 

A  l'église,  chacun  se  sent  frappé  de  sa  bonne 
tenue  :  pas  un  mot  inutile,  pas  un  léger  sourire, 
pas  un  regard  indiscret,  pas  un  geste  qui  blesse 
la  plus  exacte  réserve  ;  droit  sans  roideur,  recueilli 
sans  affectation,  sérieux  et  grave  sans  austérité 
ni  contrainte,  pieux  enfin  de  cette  piété  de  bon 
aloi  qui  ne  rebute  personne  et  édifie  tout  le  monde, 
il  prêche  éloquemment  par  sa  simple  attitude  sans 
avoir  seulement  la  pensée  du  bon  exemple  qu'il 
donne.  Nous  nous  sommes  souvent  demandé  com- 


—  76  — 

ment  plusieurs  séminaristes  moins  parfaits  que 
celui-ci,  et  auxquels  on  ne  pouvait  faire  aucun 
reproche  sur  les  points  que  nous  venons  de  tou- 
cher, ne  produisaient  pas  cependant  cette  impres- 
sion de  sainteté  qu'on  éprouve  à  Faspect  du  sémi- 
nariste fervent,  (l'est  un  des  secrets  de  la  haute 
piété  ;  elle  a  son  mystérieux  cachet,  son  influence 
sympathique  qui  saisit  sans  qu'on  puisse  expliquer 
comment  elle  saisit.  Et  puis  tout  se  soutient,  tout 
se  coordonne  dans  la  conduite  du  séminariste  qui 
vit  saintement  ;  quand  on  le  voit  en  tout,  partout 
et  toujours  dans  la  ligne  du  devoir,  dans  l'habitude 
du  recueillement,  de  la  modestie  et  de  la  piété,  il 
n'a  qu'à  se  montrer  pour  qu'on  dise  aussitôt  :  Yoilà 
notre  ange  visible,  voilà  le  saint  du  séminaire  ! 

Bans  sa  cellule,  s'il  nous  était  donné  d'y  pénétrer 
ou  seulement  de  l'observer  sans  qu'il  s'en  aperçût, 
nous  le  verrions  pénétré  du  sentiment  de  la  pré- 
sence de  Dieu,  recueilli  comme  à  l'église,  sancti- 
fiant son  travail  par  une  fervente  prière,  baisant 
amoureusement  son  crucifix,  s'unissant  à  Jésus  et 
à  Marie  par  de  fréquentes  aspirations,  et  de  temps 
en  temps  la  discipline  à  la  main,  châtiant  sévère- 
ment une  chair  innocente.  Qui  saura  jamais  les 
actes  de  vertu  qui  se  pratiquent  journellement  dans 
la  cellule  du  fervent  séminariste  ! 

Au  réfectoire,  on  le  voit  encore  tel  qu'il  est  tou- 
jours, modeste,  recueilli,  pieux  et  mortifié.  L'at- 
tention soutenue  qu'il  prête  à  la  lecture  émousse 
ses  appétits  sensuels,  et  s'il  pense  à  la  nourriture 
qu'il  prend,  c'est  pour  observer  le  saint  usage 
qu'il  a  adopté  de  s'imposer  à  chaque  repas,  sans 
que  personne  le  sache,  quelque  légère  privation. 


—  77   — 

Pendant  les  récréations  et  les  promenades,  on 
admire  peut-être  plus  encore  que  partout  ailleurs 
l'ensemble  de  vertus  dont  la  pratique  lui  est  fami- 
lière :  douceur,  complaisance,  charité,  simplicité, 
humilité,  aménité  dans  le  ton  et  les  manières, 
piété  dans  les  entretiens,  enjouement  candide  et 
toujours  contenu  par  une  gravité  sans  sécheresse  : 
tels  sont  les  beaux  traits  qui  le  distinguent. 

Que  dirons-nous  de  ses  vacances?  Ce  serait  au 
monde  à  nous  raconter  les  sujets  d'édification 
qu'il  lui  donne.  Quand  il  a  fait  dans  sa  famille  et 
chez  les  personnes  de  sa  connaissance  les  visites 
que  la  nécessité  ou  les  convenances  lui  prescrivent, 
il  se  crée  une  espèce  de  solitude  au  fond  de  laquelle 
il  se  plonge  avec  délices,  pour  se  livrer  modéré- 
ment aux  exercices  do  l'étude  et  de  la  piété.  Quel- 
ques saints  prêtres  qu'il  prend  pour  mentors  for- 
ment sa  compagnie,  et,  sans  le  savoir,  il  excite 
leur  envie  par  son  angélique  ferveur.  Qui  nous 
dira  les  heureuses  impressions  que  produit  sur  les 
séculiers  mêmes  le  spectacle  de  ses  vertus  î  Un 
jour,  une  grande  pécheresse,  plongée  depuis  plu- 
sieurs années  dans  un  abhne  d'iniquités,  se  con- 
vertit en  voyant  tous  les  jours  à  la  même  heure 
un  séminariste  au  pied  du  tabernacle,  dans  l'atti- 
tude d'un  saint  :  c'est  lui,  dit-elle,  c'est  lui,  ô  mon 
Dieu,  qui  sera  le  confident  de  mes  misères.  Et,  en 
effet,  dès  qu'il  fut  prêtre,  elle  l'alla  trouver  et  il 
eut  le  bonheur  de  la  purifier  de  ses  souillures. 
C'est  elle-même  qui  raconta  ce  fait  si  édifiant  aune 
personne  qui  avait  sa  confiance. 

Yous  nous  faites-là,  dira-t-on  peut-être,  un  ta- 
bleau imaginaire  et  chimérique  :  c'est  de  l'idéal  et 


—  78  — 

non  du  réel  que  vous  nous  proposez.  Regardez 
autour  de  vous,  élèves  bien-aimés  qui  nous  faites 
ce  reproche  ,  et  très-certainement  vous  verrez 
quelques  fervents  condisciples  semblables  à  celui 
dont  nous  venons  d'esquisser  le  portrait.  Ils  sont 
rares  sans  doute,  mais  à  coup  sûr  ils  existent.  Oui, 
nous  sommes  certain  qu'il  n'y  a  pas  un  seul  sé- 
minaire en  France  et  hors  de  France  où  il  ne  se 
trouve  des  séminaristes  de  cette  trempe.  Dieu  veut 
qu'il  en  soit  ainsi  ;  ce  sont  de  parfaits  modèles 
qu'il  propose  aux  lâches  pour  rn'ils  les  imitent. 
Ah  !  jeune  et  tendre  ami,  si  vous  l'écoutiez,  ce 
Dieu  d'amour,  il  vous  dirait  assurément  ce  qu'il 
disait  autrefois    à  Satan   de  son   serviteur  Job  : 

Niunquid  consiclerasti  ssrmim   mswn  Job vir 

simplex,  et  rectus,  ac  timens  Deum  et  recedens  à 
malo,  et  adhuc  retinens  iimocentiam? 

Mais  enfm,  répliquez-vous,  chez  ce  pieux  sémi- 
nariste l'humanité  a-t-elie  donc  disparu?  Dieu,  qui 
voit  des  taches  jusque  dans  ses  anges,  n'en  voit-il 
aucune  chez  le  saint  élève  dont  vous  venez  de 
tracer  le  tableau?  Loin  de  nous  de  le  dire  ni  même 
de  le  penser.  La  perfection  ne  se  trouve  qu'en  Dieu 
seul,  partout  ailleurs  il  y  a  des  ombres  ;  et  celles 
qui  recouvrent  la  vertu  du  fervent  séminariste 
nous  ne  craindrons  pas  de  les  produire.  Elles  sont 
légères,  il  est  vrai,  mais  elles  sont  réelles,  et  les 
signaler  est  pour  nous  un  devoir  ;  ce  sera  d'ail- 
leurs pour  lui-même  une  leçon  salutaire  dont  il 
s'empressera  de  profiter. 

Le  fervent  séminariste  accorde  quelquefois  un 
peu  trop  à  l'imagination.  11  a  des  qualités  excel- 
lentes, cela  est  incontestable  ;  mais  quelquefois  le 


—   79   — 

bien  qu'il  fait,  il  le  fait  par  enthousiasme  et  par 
élan  plutôt  qu'avec  le  calme  de  la  raison  et  la  sa- 
gesse du  discernement.  Quand  son  ardeur  se  ralen- 
tit, il  croit  tout  perdu,  et  tombe  de->  hiutours  de  la 
perfection  dans  les  langueurs  du  découragement. 

Tant  que  durent  ses  fervents  accès,  rien  ne  lui 
coûte  :  encombrement  de  pratiques  pieuses,  ap- 
plication forcée  à  se  maintenir  en  la  présence  de 
Dieu,  privation  immodérée  de  la  nourriture  et  du 
sommeil,  taciturnité  exagérée,  vœux  imprudents, 
pénitences  corporelles  sans  l'agrément  du  direc- 
teur :  voilà  des  taches  que  son  fonds  de  bonne 
intention  lui  dérobe.  C'est  l'excès  du  bien,  nous  en 
convenons  ;  mais  l'excès  du  bien  est  un  défaut  que 
la  vraie  vertu  ne  saurait  approuver  :  Oportet  saper c, 
dit  saint  Paul,  sed  saper e  ad  sobrictatem. 

La  singularité  est  encore  assez  souvent  la  ma- 
tière d'un  reproche  qu'on  peut  lui  faire.  Chez  lui, 
cette  singularité  n'est  pas  orgueil,  mais  elle  est 
bizarrerie,  originalité,  petitesse  d'esprit  et  quel- 
quefois défaut  d'éducation.  Or  si  tout  cela  n'est 
pas  vice,  ce  n'est  pas  vertu  ;  ce  n'est  pas  surtout 
cette  vertu  franche,  polie,  gracieuse  et  attrayante 
qui  plaît  toujours  et  ne  choque  jamais. 

Trop  souvent  aussi  il  affiche  uiie  austérité  de 
mœurs  et  de  manières  qui  rebute  au  lieu  d'attirer. 
Uni  à  Dieu  par  une  piété  sincère,  il  croit  rompre 
cette  union  s'il  se  déride.  Au  lieu  de  se  faire  tout 
à  tous  comme  saint  Paul  ou  comme  saint  François- 
Xavier  qui,  pour  convertir  de  vieux  matelots  en- 
durcis, prenait  leur  jeu  quand  ils  étaient  appelés 
pour  la  manœuvre,  il  se  tient,  lui,  toujours  retran- 
ché dans  la  sphère  d'une  perfection  mal  comprise, 


—   80  — 

et  ne  sait  point  abaisser  son  vol  pour  gagner  les 
cœurs  par  une  aimable  condescendance. 

Sons  l'influence  du  même  principe,  il  commet 
encore  des  imprudences  dans  la  société  des  laï- 
ques. La  moindre  tolérance  lui  semble  un  crime. 
Dès  qu'un  mal  quelconque  se  produit,  il  croit  avoir 
mission  pour  le  détruire  ;  il  l'attaque  donc  avec 
vigueur,  et,  au  lieu  de  laisser  passer  ce  qu  il  va 
censurer  en  vain,  il  excite  par  son  ardeur  pour  le 
bien  l'ardeur  que  les  autres  ont  pour  le  mal,  et 
s'attire  en  outre  des  railleries  piquantes  qui  rejail- 
lissent sur  la  vertu  dont  il  se  fait  l'apôtre. 

L'entêtement  est  encore  quelquefois  une  de  ses 
petites  misères.  11  soutient  une  bonne  cause  ou  du 
moins  qu'il  croit  telle,  cela  est  vrai  ;  mais  précisé- 
ment parce  qu'elle  lui  semble  bonne,  il  la  défend  à 
outrance,  et  la  chaleur  de  son  soutien  endurcit  les 
esprits  au  lieu  de  les  convaincre. 

C'est  encore  lui  qui  se  montre  trop  exclusif  dans 
le  choix  de  ses  compagnies.  Des  condisciples  qui 
auraient  besoin  de  se  réchauffer  au  foyer  de  sa 
piété  dans  les  récréations  et  les  promenades,  crai- 
gnent de  l'aborder  parce  qu'il  laisse  trop  voir  que 
la  société  des  fervents  est  la  seule  qui  lui  plaise. 

Son  caractère  n'est  pas  toujours  non  plus  abso- 
lument irréprochable.  La  prévention,  ce  vice  de 
r homme  de  bien,  comme  l'appelle  Montesquieu, 
l'aveugle  quelquefois  à  son  insu  ;  la  vivacité,  quand 
il  subit  un  choc,  agite  un  peu  son  àme  et  se  produit 
même  par  de  légères  saillies  ;  une  certaine  lenteur 
dans  r  exécution  des  choses  qui  ne  lui  sourient 
pas,  contraste  avec  l'activité  qu'il  déploie  quand 
il  fait  ce  qui  est  de  son  goût  ;  une  ombre  de  sus- 


—  81   — 

ccpiibilité  lui  rappelle  en  quelques  circonstances 
que  le  germe  de  l'orgueil  n'est  pas  encore  détruit  ; 
un  air  de  tristesse  et  de  mélancolie  altère  de  temps 
en  temps  son  aimable  sérénité,  et  ainsi  du  reste. 
C'est  peu  de  chose,  mais  c'est  pourtant  quelque 
chose  ;  le  vieil  homme  n'a  pas  tout  à  fait  cessé  de 
vivre,  et  de  nouvelles  victoires  sont  réservées  à 
de  nouveaux  combats. 

Son  zèle  se  ressent  parfois  aussi  des  imperfec- 
tions de  son  caractère.  L'indignation  contre  le 
péché  absorbe  chez  lui  l'indulgence  et  la  compas- 
sion pour  les  pécheurs;  des  entreprises  aventu- 
reuses et  au  delà  de  ses  forces  révèlent  son  peu  de 
prudence  et  de  maturité  ;  certaines  démarches  sca- 
breuses et  peu  mesurées,  qui  lui  attirent  des  cri- 
tiques et  des  blâmes,  lui  font  sentir  qu'il  dépasse 
les  bornes  de  la  discrétion  ;  le  défaut  de  persévé- 
rance enfin,  à  la  rencontre  des  obstacles,  atteste 
son  peu  de  fermeté  et  de  confiance  en  Dieu. 

C'est  encore  dans  les  peines,  dans  les  tentations, 
dans  les  maladies  que  le  fervent  séminariste  s'a- 
perçoit qu'il  est  homme.  La  faiblesse  le  gagne 
dans  ces  rudes  épreuves  ;  l'abattement  prend  la 
place  de  la  sainte  espérance,  et  si  la  résignation 
finit  par  prévaloir,  elle  ne  vient  qu'après  l'expres- 
sion de  la  plainte  et  de  l'anxiété. 

Une  chute  aussi,  souvent  fort  peu  grave,  ébranle 
son  courage  et  trouble  la  paix  de  son  intérieur. 
Profondément  affligé  de  ne  pas  se  voir  encore  im- 
peccable, au  lieu  de  dire  comme  David  :  Bonum 
mihi,  Domine,  quia  humiliasti  me,  il  s'empare  des 
paroles  de  Caïn  qui  ne  lui  conviennent  en  aucune 
façon  et  s'écrie  comme  lui  :  Major  est  iiiiquitas 
n.  5. 


—   82   — 

mea,  quam  ut  veniam  merear  ;  il  devrait  profiter 
de  sa  faute  pour  s"humilier,  veiller  et  prier,  et  le 
découragement  est  le  mauvais  fruit  qu'il  en  tire. 

Le  scrupule  enfin,  cette  infirmité  des  bonnes 
âmes,  qui  bouleverse  la  conscience,  refroidit  la 
ferveur,  rend  impropre  au  travail,  altère  la  santé, 
attaque  la  raison  même  en  faussant  le  jugement, 
et  met  au  supplice  les  pénitents  et  les  confesseurs, 
le  scrupule  est  souvent  la  grande  faiblesse  du  fer- 
vent séminariste.  Attaché  servilement  à  sa  volonté 
propre  par  un  orgueil  secret  qu'il  ne  veut  pas  re- 
connaître, il  érige  en  vertu  son  opiniâtreté,  per- 
suadé qu'elle  part  d'un  fonds  de  crainte  de  Dieu, 
et  ref  r.-j  d'obéir,  quoique  F  obéissance  soit  le  seul 
remède  à  la  maladie  spirituelle  dont  il  est  atteint. 

On  doit  voir  maintenant  si  nous  avons  flatté  le 
séminariste  fervent  dans  le  tableau  que  nous  en 
avons  fait  ;  mais  on  doit  voir  aussi  combien  sont 
légères  les  ombres  qui  le  rembrunissent.  Donnons 
cependant  quelques  avis  à  cet  élève  si  intéressant 
et  initions-le  aux  secrets  de  son  avenir. 

Quand  yous  serez  prêtre  et  que  vous  quitterez 
le  séminaire,  il  arrivera  de  deux  choses  l'une  :  ou 
vous  continuerez  de  marcher  dans  les  voies  de  la 
ferveur  et  de  la  perfection,  ou  vous  sortirez  de  ces 
voies  pour  entrer  dans  celle  du  relâchement.  Dé- 
roulons votre  avenir  dans  ces  deux  hypothèses. 

Si  votre  ferveur  se  soutient,  si  même  elle  prend 
encore  de  nouveaux  accroissements  ,  bénissez 
Dieu  d'avance  des  fruits  étonnants  dont  il  couron- 
nera votre  divin  ministère.  Yoiis  serez  un  saint 
prêtre,  et  qui  dit  saint  prêtre,  dit  Thomme  de  Dieu, 


—   83   — 

l'homme  de  sa  droite,  l'homme  selon  son  cœur, 
le  sel  de  la  terre,  la  lumière  du  monde,  le  miroir 
de  toutes  les  vertus,  la  gloire  de  lEglise,  le  père 
des  pauvres,  le  consolateur  des  affligés,  le  fervent 
apôtre  en  un  mot,  donné  en  spectacle  au  ciel  et 
à  la  terre.  Tout  s'incline  devant  un  saint  prêtre; 
il  réduit  au  silence  Fimpiété  elle-même,  et  fait 
jaillir  jusque  de  la  fange  du  libertin  l'admiration 
et  réloge. 

Oui,  vous  serez  tout  cela  si  votre  ferveur  se  sou- 
tient et  se  développe,  et  voici  quels  seront  les 
heureux  effets  de  cette  ferveur. 

Vous  entrerez  dans  le  monde  av(*c  un  saint  trem- 
blement à  la  vue  de  votre  faiblesse,  mais  avec  une 
pleine  confiance  en  Dieu,  qui  est  tout  spécialement 
le  protecteur  du  saint  prêtre. 

Yous  serez  muni  d'un  règlement  de  vie  comme 
d'une  cuirasse  impénétrable.  Ce  règlement,  vous 
l'aurez  élaboré  devant  Dieu  dans  votre  solitude  de 
concert  avec  votre  directeur,  qui  vous  aura  fait 
promettre  de  l'exécuter  avec  fidélité  en  dépit  de 
tous  les  obstacles. 

Habitué  à  respecter,  à  pratiquer  et  à  chérir  la 
règle  du  séminaire,  vous  vous  attacherez  plus  for- 
tement encore  à  votre  règlement  de  prêtre,  con- 
vaincu qu'il  vous  sera  incomparablement  plus 
nécessaire  dans  le  monde  que  celui  du  séminaire 
ne  l'était  dans  la  retraite. 

La  tentation  d'y  faire  la  moindre  brèche  sans 
une  raison  vraiment  légitime,  sera  repoussée  avec 
vigueur  comme  une  suggestion  infernale  qui,  si 
elle  était  accueillie,  serait  le  premier  principi*,  de 
votre  décadence  :  jamais ,  sans  motif  grave,  je  nen- 


—  84  — 

freindrai  mon  règlement  ;  telle  sera  votre  invaria- 
ble devise. 

Vous  attendrez  paisiblement  le  signal  de  la  vo- 
lonté de  Dieu  par  l'organe  de  vos  supérieurs,  et 
quel  que  soit  le  poste  qu'ils  vous  confient,  vous 
l'accepterez  sans  mot  dire  avec  une  humble  sou- 
mission. Cette  disposition  d'obéissance  aveugle  ne 
se  démentira  jamais:  ce  ne  sera  pas  vous  qu'on 
verra  déranger  les  desseins  de  la  Providence  par 
les  subterfuges  et  les  pitoyables  combinaisons  de 
votre  volonté  propre. 

Installé  dans  votre  emploi,  vous  exécuterez  dès 
le  premier  jour  le  plan  de  perfection  que  vous 
vous  serez  tracé.  Vicaire  d'abord,  selon  la  voie  com- 
mune, vous  vous  direz  énergiquement  à  vous- 
même  :  Je  ne  ferai  un  bien  complet  dans  mon  mi- 
nistère que  si  je  suis  en  parfaite  harmonie  avec 
mon  curé.  De  ce  principe  fondamental  résultera 
l'accomplissement  de  vos  principaux  devoirs. 

Loin  de  considérer  votre  curé  comme  un  maître 
incommode,  vou3  îie  verrez  en  lui  qu'un  bon  père 
et  un  conseiller  fidèle.  Soyez  sur  qu'il  sera  l'un  et 
l'autre  si  vous  êtes  vous-même  un  excellent  vi- 
caire. Vous  étudierez  avec  soin  son  caractère,  ses 
goûts,  ses  usages,  ses  doctrines,  avant  de  vous 
produire  sous  tous  ces  rapports,  dissimulant  vos 
inclinations  propres  si  elles  étaient  opposées  aux 
siennes  afin  d'éviter  les  moindres  froissements. 

Le  vicariat  ne  sera  pas  à  vos  yeux  un  pénible 
esclavage,  vous  l'envisagerez  plutôt  comme  un 
noviciat  très-utile  pendant  lequel  vous  puiserez 
dans  l'expérience  de  votre  bon  curé  les  moyens 
d'être  plus  tard  un  bon  curé  vous-même. 


—  8o  — 

Jamais  vous  ne  direz  un  mot  ni  ne  ferez  une 

démarche  qui  puisse  déplaire  au  premier  pasteur 

de  la  paroisse,  prenant  toujours  sa  défense  avec 

un  saint  zèle,  et  désarmant  ses  ennemis,  s'il  en  a, 

par  toutes  les  industries  de  votre  charité. 

Respect,  confiance,  attachement,  douceur  et  com- 
plaisance :  telles  seront  les  vertus  par  lesquelles 
vous  vous  appliquerez  à  gagner  son  estime  et 
son  affection. 

Le  monde,  ses  compagnies  et  ses  jeux  vous  in- 
spireront de  la  répugnance.  Vous  les  fuirez  au 
lieu  de  courir  après  eux  ;  vous  vous  ferez  désirer 
au  lieu  de  vous  imposer,  et  vous  ne  sortirez  de 
votre  retraite  habituelle  que  quand  vous  pourrez 
vous  dire  devant  Dieu  que  sa  plus  grande  gloire 
et  le  salut  des  âmes  vous  en  font  un  devoir. 

Les  festins,  du  moins  habituellement  parlant, 
vous  seront  à  charge  ;  votre  ferveur  y  sera  mal  à 
Taise,  et  comme,  après  ces  festins,  vous  la  sen- 
tirez toujours  plus  ou  moins  refroidie,  vous  les 
éviterez  autant  que  vous  le  pourrez,  et  quand  vous 
serez  forcé  d'y  paraître,  vous  ferez  voir  que  si  vous 
vous  y  prêtez  par  convenance,  vous  ne  les  recher- 
chez pas  avec  empressement  et  bonheur. 

Tous  les  paroissiens,  sans  distinction,  seront 
pour  vous  des  brebis  chéries  que  vous  essayerez 
de  gagner  à  Dieu  par  votre  inaltérable  douceur  et 
votre  angéliquepiéîé.  Tous  les  aimerez  pour  qu'ils 
vous  aiment,  vous  les  édifierez  pour  qu'ils  vous 
imitent. 

Les  affligés  von  s  verront  accourir  au  fort  de 
leurs  disgrâces  ;  vous  leur  porterez  de  saintes 
paroles  pour  les  fortifier,  des  témoignages  de  com- 


—  86   — 

passion  pour  les  soulager,  de  manière  à  les  forcer 
de  voir  en  vous  un  ange  consolateur,  charitable 
et  dévoué. 

Les  pauvres  seront  vos  enfants  d'adoption  ;  ils 
souriront  de  bonheur  en  vous  voyant  entrer  dans 
leur  sombre  asile  ;  vous  vous  imposerez  des  pri- 
vations pour  les  assister  dans  leur  détresse  ;  leur 
pauvreté  corporelle  ne  vous  fera  pas  oublier  le 
trisie  état  de  leur  <*onscieuce_,  et  ils  devront  à  votre 
charité  le  soulagement  de  leur  misère  et  le  salut 
éternel  de  leurs  âmes. 

Les  malades,  vos  malades  surtout,  seront  l'objet 
des  soins  les  plus  actifs  de  votre  zèle.  Jamvais  une 
plainte,  jamais  un  murmure  à  l'occasion  des  vi- 
sites que  vous  devrez  leur  faire  ;  toujours  au  con- 
traire, toujours  des  témoignages  d'empressement 
à  vous  rendre  auprès  d'eux  au  premier  signal, 
pour  les  consoler  dans  leurs  souffrances  et  les  dis- 
poser au  terrible  passage  du  temps  à  l'éternité. 

Quant  à  vos  pénitents,  que  seront-ils  pour  vous 
autre  chose  qu'une  famille  de  pauvres  prodigues  qui 
ne  vous  décerneront  pas  sans  raison  le  doux  titre  de 
père?  Sans  briguer  jamais  leur  confiance  par  d'indi- 
gnes manœuvres,  vous  recevrez  ceux  que  la  Provi- 
dence vous  enverra,  et,  sans  préférence  pour  un 
seul,  vous  les  accueillerez  tous  avec  un  zèle  égal, 
vous  appliquant  sans  relâche  à  les  porter  à  Dieu  par 
vos  paternels  avis  et  votre  charité  compatissante. 

Pour  accomplir  ces  œuvres  excellentes,  vous 
vous  convaincrez  chaque  jour  davantage  de  la  né- 
cessité d'être  un  saint,  et  pour  être  un  saint,  vous 
vous  maintiendrez,  comme  au  séminaire,  homme 
de  retraite,  de  prière  et  d'étude. 


L'oraison  sera  plutôt  prolongée  qu'abrégée  ;  la 
sainte  messe,  célébrée  comme  les  saints  la  célè- 
brent, sera  toujours  précédée  d'une  préparation 
spéciale  et  d'une  longue  action  de  grâce  ;  Foffice 
divin  sera  dit  en  son  temps  et  avec  les  dispositions 
qu'il  exige  ;  l'examen  particulier  sera  inviolable- 
ment  pratiqué  tous  les  jours,  le  chapelet  récité, 
la  lecture  spirituelle  régulièrement  faite,  et  la  vi- 
site au  saint  sacrement,  initiation  délicieuse  aux 
voluptés  célestes,  sera  la  fournaise  d'amour  où 
viendra  chaque  soir  se  retremper  votre  ferveur. 

Enfin  le  jour  de  retraite  mensuelle  et  la  grande 
retraite  annuelle  renouvelleront  et  consolideront 
votre  piété.  C'est  là  que  vous  vous  rappellerez  les 
jours  heureux  de  votre  séminaire,  et  que  vous 
bénirez  Dieu  dans  la  douce  effusion  de  votre  àme 
de  vous  être  maintenu  dans  la  fidélité  que  vous 
lui  aviez  jurée. 

Devenu  curé,  rien  n'interrompra  vos  pieux  usa- 
ges et  vos  saints  exercices  ;  vous  les  pratiquerez 
même  avec  un  redoublement  d'ardeur,  par  cette 
pensée  que,  croissant  en  dignité,  vous  devez  croître 
aussi  en  ferveur  et  en  perfection. 

Oui,  jeune  ami,  telle  sera  votre  vie  sacerdotale 
si  vous  continuez  de  marcher  dans  les  saintes 
voies  que  vous  parcouriez  avec  tant  de  bonheur 
au  séminaire.  Ah  !  qu'elle  sera  sainte  cette  vie, 
qu'elle  sera  sanctifiante  pour  les  peuples,  qu'elle 
sera  digne  d'être  couronnée,  comme  elle  le  sera 
en  effet,  par  une  mort  précieuse  aux  yeux  du  Sei- 
gneur î  Pretiosa  in  conspectu  Domini,  mors  sanc- 
toriun  cjus. 

Mais  si  malheureusement  vous  venez  à  déchoir, 


—  88  — 

que  verrons-nous  ,    et  comment  arrivera  ce  que 
nous  verrons  ? 

Si  votre  piété  était  solide  au  séminaire,  si  votre 
ferveur  était  vive  et  bien  réglée,  on  peut  dire,  en 
général,  que  si  vous  finissez  par  vous  relâcher 
quand  vous  serez  prêtre,  votre  relâchement  ne  se 
déclarera  point  avant  un  temps  notable.  Nous  di- 
sons en  général;  car,  il  faut  bien  l'avouer,  quelque- 
fois un  excellent  séminariste  ne  tarde  pas  à  tomber 
au  degré  des  bons  prêtres  ordinaires  et  même  plus 
bas  encore.  Quoi  qu'il  en  soit,  voici,  selon  l'ex- 
périence, comment  votre  ferveur  âe  ralentira. 

La  vigilance  exacte  que  vous  exerciez  dans  la 
dihide  sur  vous-même,  sur  vos  sens  et  sur  toutes 
vos  actions  était  assurément  la  gardienne  de  votre 
piété.  Sa  pratique  n'était  pas  difficile,  car  tout  vous 
rappelait  k  Dieu  au  séminaire,  et  le  monde  ne 
venait  point  vous  troubler  dans  votre  aimable 
retraite.  Mais  quand  vous  la  quitterez,  cette  re- 
traite, vous  vous  trouverez  jeté  dans  un  certain 
extérieur  qui  vous  dérobera  plus  ou  moins  la  pré- 
sence de  Dieu  et  vous  empêchera  de  veiller  aussi 
exactement  sur  vous-même  que  vous  le  faisiez  au 
passé. 

Le  saint  ministère,  si  excellent  qu'il  soit,  vous 
absorbera  tellement  que,  tout  occupé  des  autres, 
vous  vous  oublierez  un  peu  vous-même. 

Sans  doute  les  exercices  de  piété,  que  vous  pra- 
tiquerez avec  fidélité,  vous  replaceront  sous  l'œil 
de  Dieu  et  vous  préserveront  de  chutes  tant  soit 
peu  graves;  mais  ces  exercices  spirituels  eux-mêmes 
laisseront  bientôt  quelque  chose  à  désirer. 

La  méditatioii,   par  exemple,  sera   quelquefois 


—  89  — 

abrégée  par  im  motif  que  vous  croirez  légitime, 
mais  qui  ne  semblerait  pas  tel  à  celui  qui  aurait 
conservé  toute  sa  première  ferveur. 

L'examen  particulier,  qui  est  toujours  la  pre- 
mière pratique  que  le  démon  s'efforce  de  faire 
abandonner,  se  réduira,  quelquefois  du  moins,  à 
un  simple  coup  d'œil  vague  et  superficiel  dont  on 
ne  verra  pas  de  fruits  bien  marqués. 

Il  en  sera  ainsi  de  tous  les  autres  exercices  ; 
vous  les  ferez  encore,  généralement  parlant,  mais 
vous  les  ferez,  moins  bien,  et  même,  de  temps  en 
temps,  vous  en  omettrez  quelques-uns  sans  raison 
suffisante. 

Prenez  bien  garde,  jeune  ami  ;  sans  vous  en 
douter  peut-être,  nous  voici  arrivés  au  commen- 
cement de  la  mauvaise  pente.  Oui,  quand  vous 
verrez  que  vos  exercices  de  piété  se  feront  un  peu 
froidement,  négligemment  et  sans  beaucoup  d'at- 
trait ;  quand  leur  omission,  faiblement  motivée, 
ne  vous  affectera  plus  comme  elle  Feùt  fait  dans 
vos  bons  jours,  vous  pourrez  dire  à  coup  sur  qu'il 
y  aura  chez  vous  diminution  de  ferveur  et  prin- 
cipe de  relâchement. 

Laissez-nous  vous  signaler  surtout  un  exercice 
que  vous  pourrez  regarder  comme  le  thermomètre 
de  votre  ferveur  :  c'est  la  visite  du  très-saint  sa- 
crement. Un  bon  prêtre  ordinaire  peut,  sans  sortir 
de  sa  classe  de  bon  prêtre,  n'être  pas  parfaitement 
exact  dans  raccomplissement  de  cette  sainte  pra- 
tique ;  mais  un  saint  prêtre,  un  prêtre  fervent  ne 
s'en  dispense  jamais  sans  une  raison  grave,  et  ce 
lui  serait  une  grande  peine  de  l'omettre,  comme 
ce  lui  est  une  grande  consolation  de  s'en  acquitter. 


—   90  — 

Quand  donc  vous  remarquerez  que  vous  n'êtes 
plus  attiré  comme  autrefois  au  pied  du  tabernacle, 
que  vous  sentez  même  une  sorte  de  répugnance 
à  vous  y  rendre,  et  que  vous  vous  en  dispensez 
sans  motif  légitime,  tenez  pour  certain  que  le  re- 
lâchement commence  à  gagner  votre  âme  et  que 
cette  infidélité  sera  suivie  de  bien  d'autres. 

Oui,  si,  relativement  aux  pratiques  de  piété, 
vous  en  venez  aux  points  que  nous  avons  signalés, 
vous  verrez  certainement  dans  le  reste  de  votre 
conduite  un  germe  de  tiédeur,  qui  sera  comme  le 
pendant  de  celui  qu'offriront  vos  exercices  spiri- 
tuels. Jamais,  jamais  les  choses  ne  se  passent  au- 
trement. —  Fidélité  constante  à  faire  et  à  bien  faire 
les  exercices  de  piété  :  fidélité  pareille  dans  le  reste 
de  la  conduite.  —  Négligence  plus  ou  moins  pro- 
noncée dans  la  pratique  des  exercices  spirituels  : 
négligence  pareille  dans  le  reste  de  la  conduite.  — 
Désordre  complet  àFégard  des  exercices  spirituels  : 
désordre  pareil  dans  le  reste  do  la  conduite.  Si  l'on 
conteste  ces  observations  de  mœurs,  il  ne  faut 
tenir  aucun  compte  des  attestations  do  l'expé- 
rience. Le  mauvais  prêtre  renonce  absolument  à 
tout  ce  qui  s  ci\)]}ç\\Q  pratiques  pieuses.  —  Le  prêtre 
tiède  et  relâché  en  fait  encore  de  temps  en  temps 
quelques-unes,  mais  il  les  fait  très-mal.  —  Le  bon 
prêtre  en  fait  un  plus  grand  nombre  et  s'en  ac- 
quitte assez  bien.  —  Le  sahit  prêtre  seul  fait  con- 
stamment toutes  celles  qu'il  s'est  imposées  au 
début  de  son  sacerdoce,  et  les  fait  avec  une  fer- 
veur toujours  croissante.  Yoilà-  ce  que  sont  ces 
divers  prêtres  relativement  aux  exercices  spiri- 
tuels :  qu'on  examine  le  reste  de  leur  conduite,  et 


__    1  ^ 

l'on  verra  s'ils  ne  sont  pas  plus  ou  moins  réguliers 
selon  qu'ils  sont  plus  ou  moins  fidèles  à  s'acquitter 
de  leurs  pratiques  pieuses. 

Oui  donc,  jeune  ami,  vous  vous  relâcherez  in- 
failliblement sur  bien  des  points  si  vous  vous  relâ- 
chez sur  celui  des  exercices  de  piété  ;  vous  ne  sau- 
riez trop  "insister  sur  la  méditation  de  cette  vérité 
capitale. 

Ainsi,  par  exemple,  vous  commettrez  des  fautes, 
légères  d'abord,  un  peu  plus  graves  ensuite,  que 
jamais  vous  n'eussiez  voulu  vous  permettre  aux 
jours  où  votre  ferveur  était  en  plein  règne. 

Vous  n'aurez  plus  pour  votre  curé  le  même  atta- 
chement, la  même  complaisance,  le  même  fonds 
d'estime,  de  respect  et  de  dévouement.  La  ferveur 
vous  donnait  tout  cela  quand  elle  était  vive  ;  en 
se  refroidissant,  elle  vous  retirera  une  partie  de 
ses  faveurs. 

La  solitude,  qui  faisait  vos  délices,  commencera 
à  vous  assombrir,  et  au  lieu  de  vous  y  plonger 
avec  bonheur  comme  au  passé,  vous  sentirez 
presque  le  besoin  d'en  sortir  pour  vous  répandre. 
C'est  une  chose  bien  remarquable  que  le  goût  qu'on 
a  pour  la  retraite  quand  on  est  parfaitement  fidèle 
à  ses  exercices  de  piété,  et  l'altération  de  ce  goût 
quand  cette  fidélité  vient  à  se  ralentir. 

Vous  plaisant  moins  dans  votre  chambre  et  un  peu 
plus  dans  le  monde,  il  va  sans  dire  que  votre  attrait 
pour  l'étude  perdra  quelque  chose  de  son  intensité. 
Quand  les  pratiques  pieuses  se  font  avec  une  régu- 
larité parfaite,  on  aime  l'étude  autant  que  la  prière, 
et  ces  deux  choses  entretiennent  la  piété  et  lui  don- 
nent même  chaque  jour  une  nouvelle  ardeur. 


—  92  — 

Vous  aimerez  encore  la  société  des  saints  prê- 
tres; mais  comme  il  est  dans  la  nature  de  fré- 
quenter ses  semblables,  vous  chercherez  peut-être 
la  compagnie  de  quelque  confrère  qui  inclinera 
comme  vous  vers  la  vie  commune. 

Vous  remplirez  sans  doute  les  grands  devoirs  de 
votre  emploi  ;  mais  la  ferveur  cessant  de  vous  sou- 
tenir, ils  commenceront  à  vous  peser.  Vous  ne  vole- 
rez plus  avec  un  saint  empressement  au  tribunal 
de  la  pénitence,  au  lit  des  malades,  dans  la  maison 
des  pauvres,  comme  quand  une  tendre  piété  vous 
y  portait  sur  ses  ailes  ;  tout  cela  se  fera,  il  est  vrai, 
mais  tout  cela  se  fera  avec  un  peu  de  contrainte 
et  même  avec  un  certain  fonds  de  répugnance. 

Yos  confessions  personnelles  deviendront  plus 
rares  ;  signe  certain  de  refroidissement  :  elles  ne 
vous  ramèneront  point  à  votre  primitive  ferveur  ; 
signe   infaillible  d'un  commencement  de  routine. 

Arrivé  à  ce  point,  y  fixerez-vous  du  moins  votre 
tente  ?  Non  :  si  vous  ne  retournez  pas  à  votre 
première  régularité,  vous  ferez  des  progrès  dans 
la  voie  du  relâchement.  N'ayez  pas  à  cet  égard  le 
plus  léger  doute.  Or,  faite  s -y  attention,  pour  re- 
tourner à  votre  ancien  état,  vous  aurez  déjà  des 
efforts  à  faire  ;  pour  progresser,  au  contraire, 
dans  la  voie  du  relâchement,  vous  n'aurez  qu'à 
glisser  sur  la  pente  rapide  où  vous  aurez  mis  le 
pied  ;  il  est  donc  bien  probable  que  vous  prendrez 
ce  dernier  parti,  et  si  vous  le  prenez,  bientôt, 
croyez-nous,  bientôt  vous  vous  trouverez  dans  la 
voie  des  bons  prêtres  de  l'ordre  commun,  dans 
laquelle  vous  vous  étiez  mille  fois  promis  de  ne 
iamais  descendre. 


—  93  — 

Sans  doute,  nous  aimons  à  le  penser,  vous  vous 
arrêterez  là  ;  mais  pourtant  la  chose  n'est  pas 
absolument  certaine.  Quand  on  a  abusé  des  grâces 
attachées  à  une  haute  sainteté,  et  qu'au  lieu  de 
s'élever  ou  de  se  soutenir,  on  s'est  abaissé.  Dieu 
seul  peut  savoir  jusqu'où  va  ce  triste  abaissement. 

Au  reste,  fussiez-vous  préservé  du  malheur  de 
devenir  jamais  un  prêtre  tiède  ou  un  mauvais 
prêtre,  vous  serez,  tout  au  plus,  simplement  un 
bon  prêtre  :  or,  aux  yeux  de  Dieu,  entre  le  bon  et 
le  saint  prêtre  la  distance  est  immense.  S'il  était 
possible  de  peser  la  somme  de  bien  produite  par 
ces  deux  prêtres  dans  des  circonstances  identiques, 
on  serait  étonné  de  la  différence. 

N'étant  donc  plus  qu'un  bon  prêtre,  vous  aurez 
des  vertus  sans  doute,  mais  elles  seront  ternies 
par  une  multitude  de  défauts  qui  vous  étaient  in- 
connus autrefois  ;  vous  exercerez  un  ministère  qui 
ne  sera  pas  sans  fruit  ;  mais  jamais  il  ne  sera  béni 
de  Dieu  comme  celui  du  saint  prêtre  ;  vous  serez 
un  de  ces  hommes  dont  Mgr  de  la  Motte,  évêque 
d'Amiens,  disait  :  Beaucoup  de  prêtres  honnêtes 
gens,  peu  â! esprit  vraiment  apostolique  et  sacer- 
dotal. 

Alors  reparaîtront,  en  s'aggravant  notablement, 
ces  infidélités  à  peine  perceptibles  qui  vous  échap- 
paient au  séminaire.  Elles  n'étaient  que  des  om- 
bres ;  mais  ces  ombres  prendront  un  corps,  et  vos 
condisciples,  qui  vous  avaient  connu  si  fervent, 
vous  retrouvant  un  prêtre  ordinaire  et  vous  voyant 
faire  mille  choses  que  vous  n'eussiez  jamais  voulu 
vous  permettre  autrefois,  s'entre-diront  avec  éton- 
nement  :  «  Comment  donc  l'or  pur  de  ses  vertus 


—  94   — 

s'est-il  obscurci  :  »    Quomodo  obscuratiim  est  au- 
rum,  mutatus  est  color  optimus...? 

Pour  éviter  ce  malheur,  profitez,  pendant  que 
vous  êtes  l'enfant  chéri  de  JJieu,  des  avis  cfui  vont 
vous  être  donnés  pour  vous  maintenir  dans  son 
saint  amour. 

—  Commencez  par  vous  convaincre  profondé- 
ment que  vous  devez  être  un  saint  prêtre,  que 
Dieu,  en  vous  appelant  au  sacerdoce,  vous  appelle 
indubitablement  à  une  éminente  sainteté,  et  que 
tout  prêtre  qui  n'est  pas  un  saint,  manque  de  fidé- 
lité aux  grâces  de  sa  vocation.  Gravez  cette  vérité 
en  caractères  ineffaçables  dans  votre  âme  et  faites- 
en  la  matière  de  votre  méditation  quotidienne. 
Revenez  sans  cesse  à  ce  point  important  et  tendez 
à  la  sainteté  de  toutes  vos  forces,  disant  et  répé- 
tant sans  cesse  :  Aidé  de  votre  grâce,  ô  mon  Dieu, 
je  veux  être  un  saint  prêtre  et  l'être  toute  ma  vie. 

—  Pour  fortifier  et  réaliser  ce  pieux  désir,  con- 
sidérez souvent  les  fruits  abondants  que  vous  pro- 
duirez dans  lEgiise  si  vous  êtes  un  saint,  et,  au 
contraire,  le  peu  de  bien  que  vous  ferez  si  vous 
n'avez  qu'une  vertu  commune.  Rappelez-vous  ce 
mot  de  saint  Philippe  de  Néri  :  «  Donnez-moi  dix 
»  prêtres  zélés  et  le  monde  est  converti.  »  Il  vou- 
lait parler  du  zèle  d'un  Paul,  d'un  Xavier  et  de  tant 
d"autres.  Rappelez-vous  aussi  et  méditez  fréquem- 
ment ces  paroles  si  frappantes  d'un  digne  évêque, 
prêchant  une  retraite  ecclésiastique  :  «  La  foi, 
»  dites-vous,  va  s'éteignant  de  jour  en  jour;  ce- 
»  pendant  :  Vos  estis  lux  mundi.  La  corruption, 
»  dites-vous  encore,  gagne  tous  les  âges,  toutes 


—  95  — 

»  les  conditions;  cependant  :  Vos  cstis  sol  terrœ. 
»  La  lumière  se  serait-elle  éteinte?  Le  sel  se  serait- 
))  il  affadi?  La  parole  de  Dieu  n'est-elle  plus  sur 
»  vos  lèvres  ?  Le  sang  de  Jésus-Christ  n'est-il  plus 
»  dans  vos  mains  ?  Quarante  mille  prêtres  en 
»  France,  et  le  christianisme  s'affaiblit  en  France  ! 
»  Il  y  a  là  un  mystère  !  !  !  (1)  » 

—  Ne  vous  reposez  pas  doucement  au  sein  de 
votre  ferveur  dans  le  séminaire,  comme  si  jamais 
elle  ne  devait  s'amortir  ;  entretenez-en  le  feu  sans 
doute,  mais  travaillez  chaque  jour  à  continuer  son 
règne  dans  votre  âme.  Voyez  si  elle  n'est  pas 
plutôt  un  accès  ou  un  élan  qu'un  état  de  vertu 
fixe  et  bien  cimenté.  Voyez  si  l'imagination  n'est 
pas  plutôt  sa  base  que  le  jugement  et  la  fermeté 
d'esprit.  Quand  on  n'a  qu'une  ferveur  de  sentiment, 
on  fait  des  merveilles  dans  le  séminaire  ;  mais  dès 
que  l'air  empesté  du  monde  vient  à  souffler,  l'é- 
difice s'ébranle  et  menace  de  s'abattre. 

—  Considérez  vos  vacances  et  voyez  non  pas 
vos  chutes,  vous  n'en  faites  point  ou  vous  en  faites 
bien  peu,  mais  votre  côté  faible  ;  c'est  par  là  certai- 
nement que  vous  attaquera  votre  ennemi  quand 
vous  serez  prêtre  :  fortifiez-vous  donc  sur  ce  point 
et  prenez  vos  mesures  d'avance,  pour  être  en  état 
de  résister  quand  vous  serez  sur  le  champ  de 
bataille.  On  croit  que  tout  est  bien  parce  qu'on 
goiii-G  au  séminaire  des  douceurs  exquises  dans 
ses  exercices  spirituels,  et,  tout  occupé  de  jouir, 
on  ne  pense  pas  ou  l'on  pense  peu  à  perfectionner 
ses  vertus. 

(I)  Paroles  citées  par  le  P.  Yaliiy,  dans  le  Directoire  du 
Prêtre. 


—  96   — 

—  Contractez  tellement  riiabitude  de  la  prière 
et  de  rétude,  que  votre  àme  sente  le  besoin  de  s'y 
livrer ,  comme  votre  corps  sent  le  besoin  de  se 
nourrir.  Nous  ne  dirons  jamais  assez  combien  ces 
deux  exercices  sont  nécessaires  pour  alimenter  la 
ferveur  et  accroître  incessamment  l'ardeur  de  sa 
flamme. 

—  Transportez -vous  souvent  par  la  pensée  sur 
le  théâtre  où  vous  exercerez  le  saint  ministère. 
Prévoyez  les  obstacles  que  vous  rencontrerez  :  le 
contact  des  prêtres  peu  fervents,  les  séductions  du 
monde,  le  danger  des  festins  et  du  jeu,  la  fam.iîia- 
rité  avec  les  choses  saintes,  l'oubli  de  soi-même  en 
travaillant  pour  les  autres,  la  négligence  dans  les 
exercices  de  piété,  et  mille  choses  de  cette  nature 
qui  sont  toujours  les  premiers  principes  du  relâ- 
chement. Interrogez-vous  vous-même  sur  ces  divers 
points ,  et  voyez  si  vous  avez  sur  tout  cela  des 
règles  de  conduite  bien  arrêtées. 

—  Parlez  souvent  avec  vos  condisciples  de  la 
nécessité  d'être  de  saints  prêtres.  Échangez  yos 
sentiments  à  cet  égard  pour  enflammer  mutuelle- 
ment votre  ferveur.  Racontez  les  succès  qu'obtien- 
nent dans  leurs  paroisses  les  prêtres  fervents  de 
votre  connaissance.  Entretenez-vous  des  œuvres  de 
zèle  dont  vous  avez  appris  les  heureux  fruits.  Rien 
n'est  plus  propre  à  affermir  dans  le  bien  que  des 
conversations  de  cette  nature. 

—  Lisez  la  vie  des  saints  et  surtout  celle  des 
saints  prêtres.  Yous  trouverez  dans  celle  de  saint 
François  Xavier,  de  saint  François  Régis,  de  saint 
Vincent  de  Paul  et  de  saint  François  de  Sales  des 
traits  enflammés  qui  pénétreront  votre  âme  et  vous 


—  97  — 

feront  dire  avec  un  g'énéreux  transport:  Oui,  je 
veux  être  un  saint  moi-même  :  Quarè  non  potero 
quod  isti  ? 

—  Allez  voir  très-souvent  vos  pieux  directeurs  ; 
priez-les  de  vous  échauffer  de  leur  feu  et  de  vous 
éclairer  de  leur  expérience.  Dites-leur  ce  que  vous 
êtes  et  ce  que  vous  voulez  être.  Demandez-leur 
comme  une  grâce  de  vous  signaler  les  dangers 
qui  vous  attendent  et  de  vous  indiquer  les  plus 
sûrs  moyens  de  les  éviter.  Jamais  ces  pieuses  com- 
munications ne  sont  sans  fruit. 

—  Quand  approchera  la  fm  de  votre  temps  de 
séminaire,  priez  Dieu  de  vous  aider  à  faire  un  bon 
règlement  ;  précisez  bien  chacun  de  ses  points  ; 
évitez  un  encombrement  de  pratiques  que  vous  ne 
pourriez  peut-être  pas  accomplir,  mais  proposez- 
vous  de  tenir  ferme  à  celles  que  vous  aurez  adop- 
tées, et  remettez  ce  règlement  à  votre  directeur 
pour  qu'il  y  fasse  les  modifications  qu'il  jugera 
convenables. 

—  Enfm,  avant  de  quitter  le  séminaire,  faites 
une  neuvaine  en  l'honneur  des  saints  Cœurs  de 
Jésus  et  de  Marie  pour  attirer  sur  vous  et  sur  votre 
ministère  les  bénédictions  célestes  et  pour  obtenir 
la  grâce  de  vivre  et  de  mourir  en  saint  prêtre. 

Telles  sont,  jeune  et  tendre  ami,  les  règles  de 
conduite  qui  vous  maintiendront  dans  votre  état  de 
ferveur.  Puissiez-vous  les  suivre  avec  docilité  et, 
en  les  suivant,  glorifier  Dieu,  sauver  les  âmes  et 
vous  sauver  vous-même  ! 

(Voy.  Pratique  du  zèle  ecclésiastique,  première  partie,  cli.  X, 
De  la  sainteté  nécessaire  à  un  prêtre,  au  point  de  vue  du 
zèle.  ) 

II.  6 


—  98  — 


CHAPITRE  Y. 


Fragments  remarquables  du  règlement  d'un  fervent  élève 
du  séminaire  de  Coutanees. 


Comme  un  appendice  du  chapitre  précédent  , 
nous  sommes  heureux  de  citer  ici  quelques  passa- 
ges d'un  morceau  que  nous  voudrions  reproduire 
intégralement.  C'est  le  règlement  particulier  que 
s'était  imposé  un  pieux  élève  du  séminaire  de  Cou- 
tanees que  nous  avons  connu,  et  dont  nous  avons 
maintes  fois  admiré  les  qualités  hrillantes  et  les 
vertus  solides. 

M.  Fabbé  R***,  auteur  de  cette  pièce  si  édifiante, 
après  avoir  fait  avec  une  rare  distinction  un  cours 
presque  complet  d'études  médicales,  crut,  en  s'in- 
spirant  de  la  tendre  piété  qu'il  avait  toujours  pro- 
fessée, que  Dieu  l'appelait  phitôt  à  guérir  les  âmes 
comme  prêtre,  qu'à  guérir  les  corps  comme  méde- 
cin. Après  avoir  employé  tous  les  moyens  humai- 
nement possibles  pour  connaître  à  cet  égard  la 
volonté  de  Dieu,  ne  doutant  plus  de  sa  vocation  à 
l'état  ecclésiastique,  il  entra  au  grand  séminaire 
de  Coutanees,  où  il  se  concilia  au  plus  haut  degré 
l'estime  et  l'affection  de  ses  supérieurs  et  de  ses 
condisciples,  par  l'aménité  de  son  caractère,  la 
bonté  de  son  cœur,  la  délicatesse  de  ses  sentiments, 
l'éclat  de  son  talent  et  la  solidité  de  sa  vertu. 
Chacun  le  considérait  comme  un  élève  modèle,  et 
Ion   pressentait  le  bien  considérable  qu*il  ferait 


—   99   — 

dans  l'Eglise  quand  il  en  serait  le  ministre.  Ce  pres- 
sentiment ne  fut  pas  déçu  :  dès  qu'il  fut  élevé  au 
sacerdoce,  ses  supérieurs  le  nommèrent  vicaire 
d'une  paroisse  de  ville,  où  il  réalisa  pleinement 
les  espérances  qu'il  avait  fait  concevoir.  Sous  la 
direction  de  son  respectable  curé,  il  s'adonna  avec 
un  zèle  infaiigable  à  l'exercice  du  saint  ministère 
et,  chaque  jour,  des  fruits  de  plus  en  plus  abon- 
dants couronnaient  ses  travaux  et  encourageaient 
ses  efforts.  Son  extérieur  plein  de  grâce,  sa  piété 
aimable,  son  talent  hors  ligne,  son  édifiante  régu- 
larité et  son  zèle  à  toute  épreuve,  ravissaient  les 
habitants  de  la  ville  au  sein  de  laquelle  il  se  multi- 
pliait pour  procurer  la  gloire  de  Dieu  et  le  salut  des 
âmes. 

Malheureusement  l'ardeur  de  son  zèle  et  l'excès 
de  son  travail  altérèrent  bientôt  sa  santé  naturelle- 
ment délicate,  et  Dieu,  dont  les  desseins  sont  impé- 
nétrables, le  trouvant  déjà  mùr  pour  le  ciel,  lui 
en  ouvrit  la  porte  par  une  mort  qui  plongea  dans 
le  deuil  tous  ceux  qui  le  connaissaient  et  qui 
s'étaient  tant  réjouis  de  son  avènement  au  sacer- 
doce. 

Le  règlement  de  ce  digîie  prêtre,  dont  nous 
extrayons  quelques  passages,  se  compose  de  deux 
parties.  La  première  est  intitulée  :  Règles  générales; 
la  seconde  :  Règles  particulières. 

RÈGLES   GÉNÉRALES 

u  Permettez-moi,  ô  mon  Dieu,  de  recourir  à  vous 
au  commencement  de  mon  travail;  daignez,  je  vous 
en  conjure,  parler  à  mon  cœur.  Je  suis  un  pauvre 


—  100  — 

enfant  qui  sait  à  peine  balbutier  votre  nom  ;  c'est 
donc  à  vous  de  me  guider  et  de  faire  connaître  ce 
que  vous  voulez  de  moi.  Parlez,  Seigneur,  votre 
serviteur  vous  écoute  :  envoyez-lui  votre  Esprit  saint 
qui  lui  fasse  connaître  la  voie  par  laquelle  il  doit 
marcher,  afm  que  désormais  sa  vie  soit  un  cantique 
de  louanges  en  votre  bonheur. 

»  Je  dois,  avant  tout,  m'efforcer  d'entretenir  au 
dedans  de  moi  une  foi  vive  et  pénétrante.  Seule 
elle  sera  capable  de  me  faire  triompher  des  obsta- 
cles à  mon  salut  et  à  ma  sanctification.  C/est  Jésus- 
Christ  lui-même  qui  me  l'enseigne  :  sans  elle  il 
est  impossible  de  faire  une  action  qui  soit  agréable 
à  son  Père  ;  et  c'est  elle  seule  qui  nous  fait  vaincre 
le  monde....  Yoilà  donc  la  source  où  j'irai  puiser 
la  force  dont  j"ai  besoin  pour  accomplir  la  mission 
que  Dieu  va  me  confier.  Quand  la  tentation  m'é- 
branlera,  je  me  conserverai  dans  un  calme  par- 
fait, profondément  convaincu  qu'avec  la  protection 
de  celui  auquel  obéissent  les  vents  et  les  flots,  je 
n'ai  rien  à  craindre. 

»  Si  pour  correspondre  aux  desseins  que  la  Pro- 
vidence a  sur  moi,  il  me  fallait  faire  de  pénibles  et 
douloureux  sacrifices  (on  dirait  qu'il  pressentait 
déjà  le  sacrifice  de  sa  vie  qui  devait  lui  être  de- 
mandé de  si  bonne  heure);  si  Dieu,  comme  à  Abra- 
ham, me  demandait  l'immolation  de  tout  ce  que 
je  puis  avoir  de  plus  cher  au  monde,  alors  je  me 
rappellerai  les  actes  de  sublime  dévouement  qu'à 
toutes  les  époques  cette  foi  produisit  dans  les 
saints,  et  comme  eux,  dussent  les  persécutions  de 
toute  espèce  m'accabler  à  la  fois,  sachant  que  c'est 
par  les  souffrances  que  Jésus-Christ  est  entré  dans 


—   101   — 

sa  gloire,  j'accepterai  volontiers  de  sa  main  1 
calice  qu'il  me  présentera,  quelle  qu'en  soit  l'a 
mertume.  Sachant  encore  par  la  foi  que  ceux-1 
seuls  seront  récompensés  de  leurs  travaux  qui  au 
ront  accompli  dans  son  entier  la  tâche  qui  leur  étai 
imposée,  je  veillerai  sans  cesse  à  l'accomplisse 
ment  de  tous  mes  devoirs.  Quand  je  serai  seu 
sans  qu'aucun  regard  humain  veille  sur  moi,  la  f( 
me  dira  que  Dieu  me  voit  et  qu'il  me  demander 
compte  de  toutes  mes  actions.  C'est  elle  encore  qi 
me  fera  comprendre  sa  grandeur  et  sa  bonté  ;  cet 
elle  qui,  pénétrant  mon  esprit  de  sa  présence,  m 
fera  conserver,  surtout  dans  les  temples  sacre 
où  il  réside,  un  recueillement  mêlé  d'un  trembh 
ment  respectueux;  c'est  elle  qui,  dans  tous  le 
hommes,  me  montrera  des  frères  au  salut  desquel 
ma  vie  devra  être  consacrée,  que  je  devrai  plaindr 
du  fond  de  l'âme  quand  ils  seront  dans  l'égaré 
ment,  ne  répondant  au  mal  qu'ils  pourront  m 
faire  que  par  des  prières  plus  ardentes  et  un  amou 
plus  dévoué.  C'est  elle  enfin  qui  me  rendra  capab] 
d'imiter  Jésus,  en  offrant  sans  cesse  à  mes  regard 
ce  divin  modèle  et  m'assurant  de  la  participatio 
de  son  triomphe  si  je  suis  fidèle  continuateur  d 
sa  mission  sur  la  terre. 

»  Un  des  premiers  effets  de  cette  foi  sera  d'entn 
tenir  dans  mon  cœur  une  vive  et  continuelle  recor 
naissance  pour  tous  les  bienfaits  dont  Dieu  a  et 
prodigue  à  mon  égard....  Que  sa  main  me  frapp 
ou  qu'elle  me  console  ,  toujours  je  dirai  avec  Job 
«  Dieu  l'a  voulu  ;  que  son  saint  nom  soit  béni 
Sit  nomen  Domini  bcncdictum,  »  et  je  méditerai  ] 
conseil  de  saint  Paul  aux  Colossiens  :  Graèi  estoU 
H.  6. 


—   102  — 

»  La  foi  me  conduira  tout  naturellement  à  dé- 
sirer avec  ardeur  l'accomplissement  de  la  volonté 
de  Dieu  soit  par  rapport  à  moi,  soit  par  rapport  au 
reste  des  hommes.  Je  me  rappellerai  que  je  ne  puis 
contribuer  à  cet  accomplissement  qu'en  me  dis- 
posant à  remplir  dans  tous  ses  points  la  tâche  qui 
me  sera  imposée,  et  pour  cela  je  travaillerai  chaque 
jour  avec  courage  à  consommer  ma  séparation 
défmitive  avec  le  monde,  en  oubliant  à  jamais  et 
les  souvenirs  qui  m'y  rattachent  et  les  vaines  ap- 
parences de  félicité  dont  il  cherchera  encore  quel- 
quefois peut-être  à  me  bercer.  Je  me  dirai  que  je 
ne  m'appartiens  plus,  que  je  ne  dois  plus  avoir  de 
mouvements,  de  pensées  qu'en  Dieu  et  par  Dieu  ; 
je  me  regarderai  comme  un  frère  de  Jésus-Christ 
dont  Tunique  nourriture  doit  être  de  faire  la  volonté 
de  son  Père....  Continuateur  de  son  sacerdoce,  je 
penserai  que  sa  vie  tout  entière  fut  consacrée  à  la 
recherche  des  brebis  égarées  de  la  maison  d'Israël, 
qu'il  était  embrasé  d'un  zèle  ardent  pour  la  gloire 
du  Seigneur  et  que  c'était  dans  ces  sentiments 
qu'il  puisait  ce  courage  qui  ne  lui  permettait  pas 
de  prendre  un  instant  de  repos,  pour  mieux  remplir 
les  desseins  de  son  Père.  » 

Ces  considérations  conduisent  notre  fervent 
séminariste  à  ce  qui  faisait  particulièrement  ses 
délices,  je  veux  dire  à  la  vie  intérieure.  C'est  là 
que  nous  allons  voir  sa  belle  âme  s'épancher  et  se 
produire. 

((  Je  dois,  avant  tout,  mener  la  vie  intérieure 
et  cachée  de  Jésus.  Pendant  trente  ans  il  reste  ignoré 
des  hommes,  et  dans  sa  vie  publique  même,  dès 
que  les  intérêts  de  son  Père  ne  l'exigeaient  plus. 


—   103  — 

il  S8  retirait  avec  ses  disciples  dans  quelque  lieu 
désert  pour  s'y  recueillir  et  se  soustraire  aux  agi- 
tations du  monde  auxquelles  il  est  si  difficile  de 
ne  prendre  aucune  part,  lors  même  qu'on  se  trouve 
au  milieu  d'elles  pour  accomplir  la  volonté  du  ciel. 
A  combien  plus  forte  raison,  moi  si  faible,  si  ex- 
posé par  mes  propres  penchants  à  perdre  cette  paix 
de  l'âme  hors  de  laquelle  Dieu  cesse  de  se  faire 
entendre,  devrai-je  avoir  soin  de  me  réfugier  au 
dedans  de  moi-même  le  plus  qu'il  me  sera  possible. 
Je  me  rappellerai  souvent  que  c'est  surtout  au  désert 
qu'on  rencontre  Jésus,  que  sa  voix  ne  retentit 
point  dans  les  lieux  publics  et  que,  quand  il  veut 
enrichir  une  âme  de  ses  dons,  c'est  dans  la  soli- 
tude qu'il  la  conduit  pour  lui  parler  au  cœur.  Il  me 
faudra  donc  apprendre  à  mépriser  les  choses  exté- 
rieures si  je  veux  que  le  règne  de  Jésus-Christ  s'éta- 
blisse en  moi  ;  car,  comme  le  dit  le  Roi-Prophète  : 
((  Toute  sa  gloire,  toute  sa  beauté  est  intérieure.  » 
Il  visite  souvent  l'homme  intérieur,  et  ses  entre- 
tiens sont  doux,  ses  consolations  sont  ravissantes, 
sa  paix  inépuisable  et  sa  familiarité  incompréhen- 
sible. 

»  J'aurai  donc  soin  de  ne  jamais  trop  me  ré- 
pandre au  dehors.  Au  milieu  de  mes  occupations, 
je  me  ferai  une  vie  à  part,  ne  perdant  jamais  Dieu 
de  vue,  savourant  quelque  pieuse  pensée,  en- 
voyant vers  le  ciel  un  souvenir  d'amour.  J'éviterai 
dans  les  conversations  de  me  laisser  aller  à  des 
discussions  trop  vives  qui  m'empêcheraient  de  me 
recueillir  et  me  feraient  perdre  ce  calme  intérieur 
absolument  nécessaire  pour  que  l'esprit,  quoique 
occupé  de  choses  extérieures,   s'élève  néanmoins 


—    104   — 

uaturellement  vers  Dieu.  Je  devrai  surtout  m'intt 
dire  avec  le  plus  grand  soin  les  conversations  in 
tiles,  parce  que  ce  sont  elles  qui  jettent  l'âme  da 
la  dissipation  au  sein  de  laquelle  on  ne  peut  fai 
aucun  bien.  Ainsi  j'écarterai  les  nouvelles  < 
monde,  les  entretiens  de  littérature,  etc.,  auta 
toutefois  que  la  prudence  me  le  permettra.  »  (Noto 
qu'il  avait  pour  la  littérature  une  aptitude  exti 
ordinaire  et  un  attrait  tout  particulier  ;  ce  cj 
montre  jusqu  où  il  poussait  l'esprit  de  sacrifici 
«  Ce  sera  ma  fidélité  à  observer  ce  point  de  r 
règle  qui  seule  pourra  me  donner  des  moyens  su 
d'avancer  dans  la  perfection  en  m 3  soustraya 
peu  à  peu  à  l'action  des  objets  extérieurs  pour  i 
laisser  seul  avec  Dieu  et  n'avoir  plus  de  jconven 
tion  que  dans  le  ciel. 

»  L'Évangile  garde  un  silence  absolu  sur  ton 
la  vie  cachée  de  Jésus-Christ,  et  il  n'interrompt 
silence  que  pour  nous  apprendre  quïl  était  en  to 
soumis  à  ses  parents  :  Et  crat  subditus  illis  ;  comi 
pour  nous  dire  que  le  fondement  de  toute  vei 
est  la  soumission  aux  ordres  de  Dieu,  qui  no 
sont  ordinairement  transmis  par  la  voix  de  n 
supérieurs.  Je  dois  donc  faire  une  abstraction  co 
plète  de  ma  propre  volonté,  bien  convaincu  que 
sera  pour  moi  la  source  des  plus  grandes  gràceii 

»  Sans  l'obéissance,  c'en  est  fait  de  l'harmo] 
universelle,  et  par  là  même  que  je  ne  consentir 
pas  à  être  dans  l'Église  un  membre  disposé  à  ob 
en  tout  à  la  voix  de  mes  supérieurs,  je  troubler 
essentiellement  l'ordre  et  m'attirerais  Findignati 
de  Dieu...  C'est  l'esprit  de  rébellion  qui  cîL  le  ii 
le  plus  distinctif  du  pécheur  ;  c'est  lui  qui,  port; 


—  105  — 

les  anges  prévaricateurs  à  secouer  le  joug  de  Dieu, 
leur  mérita  d'être  chassés  du  ciel  et  livrés  à  des 
supplices  éternels.  Aussi,  se  soustraire  à  Tobéis- 
sance,  c'est  se  soustraire  à  la  grâce  de  Dieu,  et  pour 
être  libre  il  faut  obéir... 

»  Je  me  soumettrai  donc  à  la  volonté  de  mes 
supérieurs,  quelle  qu'elle  soit.  J'aurai  peut-être 
besoin  pour  cela  de  faire  des  efforts  nombreux  et 
violents,  mais  avec  la  grâce  de  Dieu  je  m'y  résigne 
et  je  les  ferai.  Pendant  le  reste  de  mon  séminaire, 
j'observerai  la  règle  avec  une  inviolable  fidélité 
et  je  suivrai  les  plus  petits  conseils  qui  me  seront 
donnés.  Je  me  soumettrai  sans  murmure  et  sans 
hésitation  aucune  à  tous  les  petits  inconvénients 
qui  résultent  de  la  vie  de  communauté,  unissant 
le  sacrifice  de  ma  volonté  à  celui  de  Jésus  sur  la 
croix. 

»  Mon  séminaire  achevé ,  j'accepterai  comme 
venant  de  Dieu  l'emploi  qui  me  sera  confié,  quand 
bien  môme  mes  goûts  et  mes  inclinations  seraient 
vivement  contrariés.  Et  comme  dans  tout  gouver- 
nement dirigé  par  des  hommes  il  y  a  nécessaire- 
ment des  membres  sacrifiés,  par  suite  de  la  fai- 
blesse du  jugement  humain,  le  fussé-je,  je  me 
soumettrai  sans  me  plaindre,  voyant  encore  en  cela 
une  voie  cachée  de  la  Providence  dont  les  desseins 
sont  servis  quelquefois  par  les  erreurs  des  hom- 
mes. En  un  mot,  dès  aujourd'hui  et  à  toujours, 
je  n'aurai  de  volonté  que  celle  de  mes  supérieurs.» 

Quelle  hauteur  de  vues  et  quelle  maturité  chez 
un  jeune  homme  ! 

«  Un  autre  point  essentiel  que  je  dois  prendre 


—   106  — 

en  grande  considération,  c'est  Tesprit  d'humilité 
et  de  douceur  que  Jésus  recommandait  avec  tant 
de  soin  à  ses  disciples,  en  leur  disant  :  Apprenez 
de  moi  que  je  suis  doux  et  humble  de  cœur.  Toute 
sa  \Aq  il  consentit  à  être  regardé  comme  le  dernier 
des  hommes,  lui  qui  était  l'égal  de  son  Père. 

»  Pour  imiter  ce  divin  Sauveur ,  je  rejetterai 
toute  pensée  d'orgueil  ou  de  vanité  ;  j'estimerai 
peu  ce  qu'on  pourra  regarder  en  moi  comme  quel- 
que chose  de  bien  et,  selon  la  règle  de  l'Evangile, 
après  avoir  accompli  tous  mes  devoirs,  je  me  re- 
garderai encore  comme  un  serviteur  inutile.  Jésus, 
le  plus  saint  des  hommes,  en  fut  aussi  le  plus 
humble  :  quels  sentiments  doivent  donc  m' animer, 
moi  couvert  de  péchés  depuis  la  plante  des  pieds 
jusqu'à  la  tète  !....  Dans  quelle  humiliation  ne 
dois-je  pas  me  plonger,  moi  qui  ne  rachète  par 
aucune  bonne  œuvre  les  fautes  de  ma  vie  passée  ! 
Ne  sais-je  pas  que  de  moi-même  je  ne  puis  rien, 
pas  même  prononcer  méritoirement  le  saint  nom 
de  Jésus,  et  que  si  j'ai  le  bonheur  de  faire  une 
bonne  action,  c'est  à  Dieu  seul  que  je  le  dois. 
Enfin,  j'aurai  toujours  devant  les  yeux  les  exem- 
ples des  saints  dont  rhuiiiilité  croissait  à  mesure 
qu'ils  croissaient  en  vertu,  suriout  celui  de  Marie 
en  qui  furent  opérées  de  grandes  choses  parce 
qu'elle  s'était  humiliée  profondément,  et  je  médi- 
terai souvent  ce  précepte  de  saint  Paul  :  Nihil per 
inanem  gloriam  sed  in  humilitate  super iores  siln 
in  vicem  arbritrantes . 

»  Je  m'efforcerai  aussi  d'acquérir  une  grande 
douceur,  une  parfaite  mansuétude  de  cœur,  une 
patience  inaltérable  ;  et  pour  cela  je  n'aurai  qu'à 


—  107  — 

fixer  les  yeux  sur  celui  qui  fut  doux   comme  l'a- 
gneau, qui  se  tait  même  devant  celui  qui  r*^gorge. 
Lâchement  insulté  par  ses  ennemis,  accablé  d'in- 
jures et  de  mépris  dans  tout  le  cours  de  sa  passion, 
il  n'eut  pas  une  parole  amère  pour  ses  bourreaux, 
mais  plutôt,  plaignant   leur  erreur,    il  demandait 
pardon  pour  eux  à  son  Père  jusque  dans  les  bras 
de  la  mort.  Pom-  imiter  un  si  beau  modèle,  j'aurai 
soin  de  comprimer  sur-le-champ  tout  mouvement 
d'impatience  et  d'emportement  qui  pourrait  s'élever 
en  moi  dans  mes  rapports  avec  le  prochain.  J'évi- 
terai toute  répartie  piquante,  j'exposerai  dans  mes 
discussions  mon  sentiment  avec  calme  et  ne  m'é- 
lèverai jamais  avec  aigreur  contre  celui  des  autres. 
»  Non-seulement  je  pardonnerai  volontiers    à 
celui  qui  aura  pu  me  faire  de  la  peine,  le  sachant 
ou  sans  le  vouloir,  mais  encore  ce  sera  pour  moi 
un  motif  de  lui   témoigner  plus  d'égards  quand 
l'occasion  s'en  présentera.  Je  supporterai  patiem- 
ment les  défauts  de  caractère  de  ceux  avec  qui  je 
me  trouverai,  me  rappelant  que,  pour  accomplir  la 
loi  de  Jésus-Christ,  il  faut  porter  les  fardeaux  les 
uns  des  autres,  et  sachant  que  l'héritage   céleste 
et  les  jouissances  d'une  paix  inénarrable  ont  été 
promises  à  ceux  dont  le  cœur  est  rempli  de  man- 
suétude. 

')  Mais  ce  sera  surtout  lorsque  je  serai  chargé 
de  ramener  les  pécheurs  à  Dieu,  que  je  m'efforcerai 
de  dilater  en  moi  les  entrailles  de  la  miséricorde. 
Ce  sera  alors  que  j'aurai  sans  cesse  devant  les 
yeux  l'exemple  de  Jésus  plein  de  tendresse  et  de 
compassion  pour  les  brebis  égarées  de  la  maison 
d'Israël,  pardonnant  à  la  femme  adultère,  man- 


—  108  — 

géant  avec  les  publicains  et  les  pécheurs  pour  les 
gagner  à  son  Père,  et  d'autant  plus  attentif  à  les 
guérir  de  leurs  plaies  spirituelles  qu'elles  étaient 
plus  profondes.  C'était  la  miséricorde  qu'il  voulait 
et  non  le  châtiment,  et  ce  qu'il  recommandait  sur- 
tout à  ses  apôtres,  c'était  d'être  miséricordieux  à 
l'exemple  de  leur  Père  céleste. 

»  Je  devrai  donc,  dans  tous  mes  rapports  avec 
le  prochain,  montrer  une  douceur  qui  ne  se  dé- 
mente jamais,  que  n'altèrent  ni  les  contradictions, 
ni  les  mépris,  ni  les  outrages  même  ;  et  par  là  j'au- 
rai le  double  avantage  de  pratiquer  une  mortifica- 
tion agréable  à  Dieu,  en  réprimant  tout  mouve- 
ment d'impatience,  et  de  gagner  k  Jésus-Christ  le 
cœur  des  autres  par  Tetfet  de  cette  bonté  qui  ne 
manque  jamais  de  triompher.  Je  mériterai  enfin 
par  là  d'imiter  celui  qui  se  glorifie  d'être  doux  et 
miséricordieux,  patient  et  plein  de  compassion. 

»  A  cette  mansuétude  de  cœur  est  nécessairement 
lié  l'amour  du  prochain,  sans  lequel  on  est  viola- 
teur de  la  loi  qui  nous  ordonne  de  l'aimer  comme 
nous-même.  Membres  d'un  même  corps,  qui  est 
Jésus-Christ,  nous  devons  nous  chérir  réciproque- 
ment, travailler  sans  cesse  à  noire  sanctification 
mutuelle  et  à  la  réalisation  de  cet  accord  admirable 
qui  excitait  autrefois  les  transports  du  prophète, 
accord  auquel  sont  attachées  les  plus  abondantes 
bénédictions  du  Seigneur  et  les  promesses  de  la 
vie  éternelle.  Avant  de  quitter  ses  disciples  bien- 
aimés  pour  remonter  à  son  Père,  Jésus  voulant 
leur  montrer  toute  l'importance  du  précepte  de  la 
charité,  leur  lava  les  pieds  après  le  dernier  repas 
qu'il  prenait  avec  eux,  afin,  leur  disait-il,  que  vous 


—  109  ~ 

appreniez  à  rendre  à  vos  frères  tous  les  services 
d'une  charité  sans  bornes  ;  car  si  je  vous  ai  lavé 
les  pieds,  moi  qui  suis  votre  maître  et  votre  Sei- 
gneur, c'était  pour  vous  donner  Fexemplc  et  vous 
disposer  à  faire  de  même.  Mes  petits  enfants,  leur 
disait-il  ensuite  avec  toute  la  bonté  d'une  mère 
pour  des  enfants  tendrement  aimés,  aimez-vous 
les  uns  les  autres  comme  je  vous  ai  aimés  :  ce  sera 
à  cette  marque  que  le  monde  reconnaîtra  que  vous 
êtes  mes  disciples.  Et,  sur  le  point  de  souffrir,  ce 
qu'il  demandait  pour  eux  à  son  Père,  c'était  cette 
parfaite  union  qui  devait  les  consommer  dans  l'u- 
nité. 

))  Si  donc  je  veux  être  un  fidèle  imitateur  de  Jé- 
sus-Christ, je  dois  aimer  mes  frères  de  toute  la 
puissance  de  mes  affections.  Pour  cela,  je  devrai 
sans  cesse  être  disposé  à  leur  rendre  service  ;  j'au- 
rai pour  eux  toute  espèce  de  prévenance  ;  j'éviterai 
avec  une  attention  minutieuse  tout  ce  qui  pourrait 
les  froisser,  et  je  les  consolerai  dans  les  chagrins 
qu'ils  auront.  Au  séminaire,  j'aurai  pour  tous  mes 
frères  une  grande  bienveillance  ;  je  donnerai  des 
marques  d'amitié  plus  grandes  à  ceux  vers  lesquels 
je  me  S3:itirai  naturellement  moins  porté  ;  je  m'ef- 
forcerai de  leur  être  agréable  en  ce  qui  pourra 
leur  être  utile,  et,  comme  saint  Paul,  j'effacerai 
mon  caractère  pour  me  faire  tout  entier  au  leur. 
Quand,  pour  m'acquitter  envers  eux  des  devoirs  de 
la  charité,  il  m'en  coûtera  quelque  peu,  j'en  re- 
mercierai Dieu  qui  me  procurera  ainsi  le  moyen  de 
rendre  mon  action  plus  méritoire  à  ses  yeux. 

»  Mais  j'irai,  je  l'espère,  plus  loin  encore  :  je 
contribuerai  par  tous  les  moyens  possibles  à  en- 

II.  7 


—  no  — 

tretenir  entre  eux  la  paix  et  Funion.  Je  ne  néglige- 
rai rien  pour  maintenir  la  bonne  harmonie  qui  ne 
doit  jamais  cesser  de  régner  parmi  les  élèves  d'un 
séminaire.  Par  conséquent,  je  me  garderai  spéciale- 
ment de  toute  parole  légère  ou  imprudente;  j'excu- 
serai auiant  que  possible  ceux  contre  qui  on  portera 
devant  moi  des  accusations.  En  un  mot,  je  me  met- 
trai dans  la  disposition  de  sacrifier  ma  vie  pour  le 
prochain,  s'il  le  fallait,  afm  de  témoigner  ainsi  ma 
charité  pour  lui,  comme  Jésus-Christ  nous  témoigna 
son  amour  en  se  livrant  à  la  mort  avec  joie  pour  le 
salut  de  nos  âmes,  et  je  méditerai  souvent  les  carac- 
tères de  la  charité  tracés  parle  grand  apôtre  :  Cha- 
ritaspatiensestj  beniynaest..,  omniasustinet,..,  etc. 
»  Ce  n'est  pas   encore   assez  pour  le  chi'étien, 
pour  le  prêtre  surtout,  que  cet  amour  du  prochain 
en  général  :   pour  accomplir  ce  précepte  en   son 
entier,  il  faut   que  nous   sachions   non-seulement 
pardonner  à  nos  ennemis,  mais  encore  les  aimer 
assez  pour  être  prêts  à  leur  rendre  toute  espèce 
de  services.  Lorsque  je  serai  chargé   de  défendre 
les  intérêts  de    Dieu  devant  les   peuples ,  je  dois 
m' attendre  à  rencontrer  des  contradictions.  Je  trou- 
verai sans  nul  doute  dans  les  ennemis  de  Dieu  des 
ennemis  de  son  ministre  qui  calomnieront  mes  in- 
tentions, qui  chercheront  à  attirer  sur  moi  la  haine 
et  le  mépris.  Un  pardon  généreux  et  complet  sera 
ma  réponse  à  leur  malice  ;  j'aimerai  à  me    dire 
comme  Jésus  en  croix,  quïls   ne  savent  ce  qu'ils 
font  en  persécutant  celui  qui  n'a  rien  tant  à  cœur 
que  de  les  rendre  heureux,  et  j'offrirai,  pour  leur 
retour  à  la  charité,  l'amertume  et  les  chagrins  que 
leur  conduite  déversera  dans  mon  âme... 


—  m  — 

))  Ce  serait  peu  ,  ou  plutôt  ce  ne  serait  rien 
d'être  l'imitateur  de  Jésus  sur  quelques  points 
seulement  ;  il  me  faut  l'être  en  tout,  mais  particu- 
lièrement dans  l'amour  de  la  plus  belle  comme  de 
la  plus  fragile  de  toutes  les  vertus.  Bientôt  Jésus- 
Christ  s'immolera  entre  mes  mains  ;  chaque  jour 
il  descendra  dans  mon  cœur  ;  quelle  pureté  sans 
tache  ne  devra-t-il  donc  pas  y  trouver  !  Avec  quel 
soin  minutieux  ne  devrai-je  pas  me  garantir  de  la 
plus  légère  souillure,  si  je  veux  qu'il  trouve  ses  dé- 
lices à  habiter  en  moi,  pauvre  et  inûrme  que  je  suis, 
lui  qui  ne  souffre  autour  de  son  trône  que  des 
âmes  toutes  blanches  de  pureté.  Je  me  rappellerai 
souvent  que  c'est  aux  cœurs  chastes  que  la  vision 
de  Dieu  a  été  promise,  que  les  affections  de  Jésus 
les  plus  vives  et  les  plus  tendres  s'épanchèrent  sur 
le  disciple  dont  l'âme  angélique  plus  pure  que  la 
goutte  de  rosée  qui  repose  au  matin  sur  le  calice 
des  fleurs,  n'avait  jamais  été  même  ridée  par  un 
souffle  impur.  C'est  en  raison  de  cette  pureté  qu'il 
lui  fut  donné,  entre  tous  les  apôtres,  de  reposer  sa 
tête  sur  le  cœur  de  Jésus ,  comme  pour  y  puiser 
au  foyer  divin  non-seulement  l'amour  de  la  chas- 
teté, mais  encore  les  saintes  ardeurs  qui  depuis  ne 
cessèrent  de  l'embraser  pendant  son  long  apo- 
stolat. 

»  Plus  un  trésor  est  précieux,  plus  nous  devons 
employer  de  soins  pour  le  conserver,  surtout  si  à 
chaque  moment  des  ennemis  perfides  et  infatiga- 
bles s'efforcent  de  nous  le  dérober.  Afm  donc  d'o- 
béir à  l'Apôtre,  qui  nous  dit  en  la  personne  de 
Timothée  :  Teipsum  castiim  custodi,  je  dois  penser 
sans  cesse  à  ce  mot   de  Jésus-Christ    :    Vigilate. 


—  412  — 

Ainsi  je  tiendrai  continuellement  mes  sens  enchaî- 
nés ;  comme  Job,  je  ferai  un  pacte  avec  mes  yeux 
pour  qu'ils  ne  s'arrêtent  jamais  sur  un  objet  dan- 
gereux/ Sachant  quelles  suites  funestes  la  plus 
légère  imprudence  peut  avoir  en  cette  matière, 
j'éviterai  les  occasions  même  les  plus  éloignées, 
et  puisque  c'est  dans  un  vase  fragile  que  je  porte 
le  trésor  de  la  pureté,  j'éviterai  constamment  ce 
qui  pourrait  m' exposer  aie  perdre,  et  j'éloignerai 
sur-le-champ  de  mon  imagination  toute  pensée  qui 
ne  serait  pas  entièrement  chaste. 

»  Me  rappelant  que,  d'après  les  saints  Pères, 
l'humilité  est  la  gardienne  de  la  chasteté,  et  que, 
selon  l'Apôtre,  l'impureté  est  le  châtiment  de  l'or- 
gueil, je  m'étudierai  à  avoir  de  bas  sentiments  de 
moi-même  et  à  conserver  dans  toute  sa  force  le 
sentiment  de  ma  faiblesse. 

»  Mais,  convaincu  que  je  m'efforcerais  vaine- 
ment d'être  chaste  si  Dieu  ne  me  donnait  de  l'être, 
puisque  la  continence  est  un  de  ses  plus  précieux 
dons,  j'aurai  recours  à  une  prière  incessante  qui, 
selon  saint  Grégoire  de  Nysse,  est  le  soutien  et  l'ap- 
pui de  la  chasteté.  Je  la  demanderai  à  Jésus  qui 
l'aima  entre  toutes  les  vertus.  Je  la  demanderai 
par  la  Vierge  chaste  et  bénie,  qui  dut  à  son  exemp- 
tion de  toute  souillure  la  grâce  inefîable  de  porter 
dans  son  sein  celui  qui  est  la  source  même  de  la 
pureté.  Pour  me  fortifier  dans  les  combats  que 
tout  homme  a  à  soutenir  sur  ce  point,  je  me  plai- 
rai à  méditer  souvent  sur  la  beauté  ,  la  grandeur 
de  ces  âmes  pures  qui  ont  traversé  les  souillures 
de  la  terre  comme  le  rayon  de  soleil  qui  pénètre 
dans  les  lieux  infects  sans  y  rien  contracter  d'im- 


—  113  — 

pur,  et  qui,  dans  le  ciel,  ont  reçu  de  l'Agneau 
la  robe  blanche  qu'elles  porteront  dans  les  siècles 
des  siècles.  » 


C'est  avec  le  plus  vif  regret  que  nous  nous 
voyons  forcé  de  supprimer  de  longs  détails  que  nous 
Rimerions  tant  à  reproduire.  Citons  cependant  en- 
core ,  pour  en  finir  avec  les  Règles  générales^  les 
expressions  enflammées  que  le  divin  amour  inspi- 
rait à  notre  fervent  séminariste. 

«  ...  Ce  sera  ainsi,  ô  mon  Dieu,  que  je  pourrai  es- 
pérer de  vous  aimer,  et  c'est  là,  en  dernier  résultat, 
le  but  suprême  auquel  je  dois  tendre,  le  point  vers 
lequel  doivent  converger  tous  mes  efforts,  tous  mes 
actes  et  tout  mon  être.  Aimer  Dieu,  me  perdre,  me 
confondre  en  lui ,  que  pourrais-je  vouloir  autre 
chose?  et  que  ne  m'est  il  donné  de  chanter  déjà  avec 
les  anges  du  ciel  le  cantique  de  l'amour  I  Mais  en  at- 
tendant que  je  fasse  mon  entrée  dans  ce  lieu  de 
délices,  il  faut  que  j'entretienne  dans  mon  cœur  les 
flammes  de  la  charité.  Dieu  est  amour,  et  celui  qui 
demeure  dans  l'amour  demeure  en  Dieu,  et  Dieu  est 
en  lui.  Qui  me  séparera  donc  de  l'amour  de  mon 
Dieu  ?  Les  peines,  les  tribulations  ?  Mais  n'est-ce 
pas  par  la  souffrance  que  se  prouve  l'amour?  Aussi 
ce  sera  dans  mes  délaissements,  dans  mes  tristes- 
ses et  mes  aridités  que  j'enverrai  vers  mon  Dieu 
des  soupirs  d'amour... 

»  Ce  sera  surtout  par  mes  actions  qu'il  me  fau- 
dra témoigner  à  Dieu  mon  amour ,  en  les  faisant 
toutes  selon  sa  sainte  volonté  et  toujours  en  sa 
sainte  présence;  A  tous  les  instants,  s'il  est  possible, 


—   114  — 

j'élèverai  mon  cœur  vers  lui,  et  quelquefois  je  lui 
dirai  :  0  mon  Dieu  !  je  veux  désormais  n'avoir  de 
pensée  que  la  vôtre.  Vous  êtes  la  portion  de  mon 
héritage,  c'est  donc  à  v^ous  seul  que  je  veux  m'at* 
tacher  pour  jamai  3.  Oh!  non,  je  n'irai  plus  m'épuiser 
dans  des  courses  insensées  ;  je  ne  m'éloignerai  plus 
de  l'ombre  de  vos  ailes,  afm  de  n'avoir  rien  à 
craindre  de  la  fureur  de  mes  ennemis.  Je  me  repoH 
serai  en  vous  seul  comme  l'enfant  qui  s'endort 
dans  le  sein  de  sa  mère.  Que  pourrais-je  chercher 
dans  le  ciel  m  hue,  si  ce  n'est  vous,  ô  mon  Dieu  ? 
Et  sur  la  terre,  que  puis-je  désirer,  sinon  votre 
possession?  Aussi  mon  coeur  baltra-t-il  toujours 
d'amour  à  votre  nom,  et  languira-t-il  de  désir  tant 
qu'il  sera  condamné  cà  soupirer  après  vous  sur  la 
terre  de  l'exil.  Je  vous  aime,  ô  mon  Dieu  !  oui, 
mon  àme  défaillit  dans  l'attente  des  embrassements 
de  son  bien-aimé  !.... 

»  Ouelle  que  soit  la  manière  dont  il  vous  plaira 
de  me  visiter,  je  resterai  attaché  à  la  vigne  féconde 
qui  verse  la  vie  dans  les  rameaux  qui  ne  se  sépa- 
rent point  d'elle.  Vous  êtes  cette  vigne,  ô  mon  Dieu  ! 
vous  me  l'apprenez  vous-même,  et  moi  je  suis  le 
sarment  qui,  séparé  de  vous,  ne  peut  ni  vivre  ni 
porter  aucun  fruit  pour  le  ciel.  Que  je  reste  donc 
inébranlablement  uni  à  vous,  afm  de  n'être  pas  jeté 
aux  pieds  des  passants,  puis  dans  les  feux  de  l'enfer. 
Mais  que  plutôt  je  reste  en  vous  et  vous  en  moi  ; 
que  je  puisse  porter  des  fruits  de  vie  et  trouver 
grâce  aux  yeux  du  père  de  famille,  quand  il  vien- 
dra condamner  les  arbres  stériles  aux  flammes 
éternelles.  » 


—  115  — 

L'espace  nous  manque  pour  insérer  ici  les  Règles 
particulières,  et  cette  omission  est  encore  pour  nous 
la  matière  d'un  amer  regret.  Rien  de  plus  édifiant 
que  la  manière  dont  notre  fervent  séminariste  se 
servait  pour  sanctifier  tous  les  exercices  de  la 
journée.  On  voit  qu'il  était  perpétuellement  dans 
la  présence  de  Dieu,  et  que  sa  belle  âme  ne  cessait 
jamais  d'être  embrasée  des  flammes  du  céleste 
amour. 

Sans  doute  c'est  l'exécution  d'un  règlement  et 
non  la  rédaction  du  règlement  lui-même  qui  fait 
l'éloge  de  celui  qui  en  est  l'auteur.  On  peut  faire 
à  Dieu  sur  le  papier  les  plus  belles  promesses  et 
n'être  pas  fidèle  à  les  accomplir.  Mais  nous  ne 
serons  pas  démenti  par  les  nombreux  condisciples 
de  notre  pieux  élève,  en  affirmant  que  la  sainteté 
de  sa  vie  était  plus  remarquable  encore  que  les 
règles  qu'il  s'était  tracées  pour  y  parvenir.  Quant 
à  nous  qui  l'avons  vu  à  l'œuvre  dans  l'exercice  du 
saint  ministère,  nous  sommes  heureux  de  procla- 
mer qu'il  a  réalisé,  et  au  delà,  tout  ce  qu'il  avait 
promis.  Prêtre  modèle,  il  charmait  et  entraînait 
ceux-là  même  qui  n'avaient  pas  le  courage  de  le 
suivre  jusqu'au  sommet  de  la  perfection  où  il  s'était 
élevé,  et  nous  éprouvons  une  vive  jouissance  en 
le  faisant  revivre  dans  ces  pages  qui  surexcitent 
notre  admiration,  réchauffent  notre  piété  et  ravi- 
vent nos  regrets. 

Puissent  nos  séminaires  se  remplir  d'élèves  qui, 
comme  celui-ci,  soient  l'espoir  de  l'Église,  en  atten- 
dant qu'ils  deviennent  ses  fervents  ministres  et  les 
zélés  promoteurs  de  sa  gloire  ! 


116 


DEUXIEME    PARTIE 


DEFAUTS  PRINCIPAUX  AUXQUELS  LES  SEMINARISTES  PEUVENT 
ÊTRE  SUJETS. — CARACTÈRES  DE  CES  DÉFAUTS, — EFFETS 
qu'ils  PRODUISENT, — MOYENS  DE   s'en  CORRIGER. 

Dans  cette  seconde  partie,  nous  allons  traiter  en 
détail  les  divers  défauts  auxquels  un  séminariste 
peut  être  sujet,  nous  appliquant  toujours  dans 
chaque  chapitre  à  faire  ressortir  ces  trois  points  : 
caractères  du  défaut,  —  effets  qu'il  produit  et  moyens 
de  s'en  corriger. 

Mais  pour  que  la  lecture  de  ces  chapitres  soit 
utile  à  nos  jeunes  lecteurs,  nous  devons  leur  dire 
que  s'ils  les  lisent  avec  rapidité  et  comme  par  délas- 
sement, ils  n'en  tireront  presque  aucun  fruit. 

Nous  sommes  sobres  de  paroles  :  chaque  petite 
phrase  veut  être  méditée. 

Si  l'on  a  réellement  le  désir  de  se  corriger  de  ses 
défauts,  il  n'y  a  pas  un  seul  chapitre  qui  ne  puisse 
fournir  matière  à  plusieurs  méditations  utiles. 

Un  autre  avis  essentiel  pour  bien  profiter  de  cette 
lecture,  c'est  de  penser  à  soi-même  beaucoup  plus 
qu'aux  autres  en  considérant  les  portraits  de  notre 
galerie. 

L'amour  propre  nous  aveugle  à  tel  point  que 
nous  sommes  souvent  les  seuls  à  ne  pas  voir  en 
nous  ce  qui  choque  tout  le  monde.  Il  en  est  en 
ceci  comme  de  la  physionomie  :  nous  savons  fort 
bien  si  celle  des  autres  est  ou  n'est  pas  agréable; 


.—  117  — 

mais  quant  à  nous-mêmes,  nous  ne  savons  pas  trop 
quelle  sorte  de  figure  nous  avons. 

Si  cela  est  vrai  d'une  chose  saillante  comme  le 
visage,  que  doit-ce  donc  être  de  nos  défauts,  surtout 
de  quelques-uns  dont  la  racine  est  cachée  et  qui 
sont  loin  de  nous  frapper  aussi  vivement  que  des 
objets  physiques.  Picdoutons  cet  aveuglement  pour 
nos  jeunes  amis.  Nous  nous  sommes  efforcé  de 
mettre  en  relief  les  traits  les  plus  prononcés  de 
chaque  défaut  et  de  passer,  comme  on  dit,  le  doigt 
sur  la  plaie. 


CHAPITRE  PREMIER 


Le  séminariste  orgueilleux,  vaniteux  et  plein  de  lui-même. 

Un  vénérable  pontife,  éminemment  remarquable 
au  double  point  de  vue  de  la  piété  et  de  la  science, 
ayant  appris  que  nous  composions  un  ouvrage  à 
Fusage  des  séminaristes,  nous  a  adressé  les  lignes 
suivantes,  que  nous  sommes  heureux  de  repro- 
duire pour  attirer  plus  vivement  l'attention  de  nos 
jeunes  lecteurs  sur  la  matière  que  nous  allons 
proposer  à  leurs  méditations. 

«  Monsieur  l'abbé, 

»  Je  lirai  avec  bonheur  votre  ouvrage  pour  les 
»  séminaristes.  Permettez-moi  de  vous  recomman- 
»  der  d'insister  fortement  sur  la  nécessité  de  la 
»  modestie  et  de  l'humilité.  Il  y  a,  malheureuse- 
»  ment,  chez  un  certain  nombre  de  jeunes  prêtres. 
II.  7. 


—  H8  — 

»  un  orgueil  et  une  présomption  qui  font  beaucoup 
»  de  mal  et  qui  m'effrayent...  » 

Nous  nous  sommes  efforcé  d'entrer  dans  les  vues 
du  digne  prélat  non-seulement  dans  le  présent 
chapitre,  mais  encore  dans  les  deux  suivants  et 
dans  quelques  autres  encore  où  les  points  qu'il  re- 
commande se  trouvent  occasionnellement  traités. 

1 

Le  séminariste  orgueilleux  se  produit  de  tant  de 
manières  que,  dès  les  premiers  jours  qu'il  passe 
au   s-'uiinaire ,    son   orgueil  y   est    généralement 

CGIHaXL. 

Ce  saint  lieu  a  quelque  chose  de  grave  et  d'im- 
posant qui  saisit  les  élèves  quand  ils  y  font  leur 
première  entrée.  On  les  voit  alors  modestes,  re- 
cueillis ,  dociles,  respectueux  et  même  un  peu 
timides  et  embarrassés.  Celui  qui  s'affranchit  le 
plus  vite  de  cet  embarras,  c'est  l'orgueilleux.  Après 
le  saisissement  du  premier  jour,  il  reprend  son 
aplomb  dès  le  second,  et  relevant  la  tête,  il  semble 
regarder  en  pitié  ceux  qui  la  tiennent  encore  in- 
clinée. 

Son  attitude  a  quelque  chose  de  ferme  et  d'as- 
suré qui  annonce  la  confiance  sans  bornes  qu'il  a 
en  lui-même  :  on  dirait  qu'il  regarde  la  modestie 
comme  la  vertu  des  âmes  faibles  et  pusillanimes. 

L'esprit  d'indépendance  dont  il  est  animé  se  re- 
flète dans  la  liberté  de  ses  allures  et  l'immortifica- 
tion  de  tout  son  extérieur.  Rien  dans  sa  contenance 
n'indique  la  piété  ;  divers  symptômes,  au  contraire, 


—  119  — 

révèlent  l'orgueil  auquel  il  est  asservi.  Personne 
ne  dit  qu'il  a  l'air  pieux  ;  plusieurs  disent  plutôt 
qu'il  a  l'air  vaniteux  et  enflé  de  son  mérite. 

Il  tient  la  tète  haute,  en  signe  de  domination,  et 
laisse  tomber  souvent  des  regards  dédaigneux  sur 
quelques-uns  de  ces  condisciples,  avec  accompa- 
gnement de  sourires  sardoniques  plus  sanglants 
quelquefois  que  des  épigrammes. 

Son  visage  est  tantôt  sombre,  tantôt  épanoui, 
selon  qu'il  a  rencontré  sur  son  chemin  l'humilia- 
tion ou  la  louange  ;  car  si  riiumiliation  l'aplatit, 
la  louange  le  ballonne. 

Toujours  influencé  par  le  désir  de  moissonner 
une  vaine  gloire,  il  fait  passer  l'affectation  de  ses 
manières  dans  l'élégance  apprêtée  de  son  costume. 
Si,  sous  ce  rapport,  quelque  mode  nouvelle  et  qui 
lui  semble  de  bon  goût  tend  à  s'introduire  dans 
le  séminaire,  il  l'adopte  avec  empressement  :  sou- 
vent même  c'est  lui  qui  a  le  triste  honneur  de  la 
mettre  en  vogue. 

Rien  n'égale  l'arrangement  symétrique  de  sa 
chevelure,  la  recherche  excessive  de  ses  vêtements, 
et  les  mouvements  maniérés  qu'il  se  donne  sous 
cet  accoutrement  de  la  vanité. 

On  voit  qu'il  est  exclusivement  occupé  de  sa  per- 
sonne extérieure ,  et  qu'il  veut  qu'on  l'apprécie 
comme  il  l'apprécie  lui-même. 

Bien  plus,  il  neprétendpas  seulement  qu'on  lad- 
mire,  il  souffre  si  l'on  admire  les  autres  ;  oui,  s'il 
était  sincère,  il  avouerait  qu'il  vise  au  monopole  de 
l'admiration.  Il  regarde  comme  un  abaissement  per- 
sonnel l'élévation  d' autrui;  aussi  croit-il  facilement 
et  avec  complaisance  le  mal  qu'il  en  entend  dire. 


—  120  — 

Il  sonde  jusqu'aux  intentions  de  ceux  qu'on 
élève,  et  quand  on  les  loue,  il  les  condamne,  se 
faisant  de  cette  condamnation  maligne  comme  un 
marchepied  pour  s'élever  lui-même. 

La  raillerie  lui  est  familière  :  elle  humilie  ceux 
qu'elle  attaque  —  et  il  pense  qu'elle  lui  donne  la 
réputation  d'homme  d'esprit  :  deux  brillantes  vic- 
toires au  profit  de  son  orgueil  ! 

Il  est  d'une  verbosité  intarissable  :  bien  différent 
du  séminariste  humble  et  modeste  qui  ne  songe 
qu'à  s'éteindre,  il  croit  par  sa  loquacité  perpétuelle 
mettre  son  mérite  en  relief.  Quoique  fort  peu  sa- 
vant, pour  l'ordinaire,  il  décide,  il  tranche,  il  cen- 
sure, il  chicane  sur  tout  ;  c'est  lui  que  saint  Paul 
appelle  «  esprit  superbe  et  ignorant  :  »  Superius 
est,  nihil  sciens. 

Il  parle  constamment  à  son  avantage.  Quelque- 
fois, comme  les  insensés,  il  se  vante  directement 
et  sans  voile  :  il  raconte  ses  belles  actions,  ses 
bonnes  œuvres,  ses  succès  et  ses  traits  d'esprit. 
Il  se  vante  de  son  crédit,  de  sa  parenté,  de  ses 
amis,  et  même  de  quelques  fautes  de  sa  jeunesse 
quil  trouve  intéressantes  à  certains  égards.  D'au- 
tres fois,  il  se  vante  indirectement  et  avec  une 
teinte  d'hypocrisie.  Il  use  d'artifice  pour  mendier 
des  applaudissements  ;  il  donne  des  louanges  afin 
d'en  recevoir;  il  blâme  les  manières,  les  talents, 
les  ouvrages  d'autrui  quand  il  se  croit  remarquable 
sur  ces  divers  points,  pensant  qu'il  se  distingue  en 
effaçant  les  autres.  Par  un  raffinement  d'orgueil,  il 
se  blâme  quelquefois  lui-même,  mais  c'est  toujours 
quand  il  sait  bien  qu'on  ne  le  croira  pas  ;  et  ainsi 
son  blâme  est  un  leurre  pour  s'attirer  un  éloge, 


—    121   — 

Bref,  il  est  en  tout  sa  propre  idole,  et  chacune  de 
ses  paroies  est  comme  une  bouffée  d'encens  qu'il 
dirige  vers  l'objet  de  son  culte. 

La  belle  pensée  de  saint  Grégoire  :  J'aime  beau- 
coup mieux  entendre  celui  qui  me  reprend  que  celui 
c/ui  me  flatte,  ne  peut  pas  entrer  dans  son  esprit  ; 
elle  est  exactement  Topposé  de  ses  sentiments  in- 
times. Tout  flatteur  est  son  ami  ;  tout  donneur 
d'avis  est  un  censeur  insupportable  dont  il  s'isole. 

La  singularité,  est  fort  de  son  goût,  non  pas 
tant  à  cause  de  ce  qu'elle  est  en  elle-même,  que 
parce  qu'elle  l'introduit  dans  une  voie  où  il  mar- 
che seul  et  qu'il  se  trouve,  par  conséquent,  plus 
en  vue.  De  là  vient  qu'il  ne  suit  presque  jamais  les 
sentiments  communs,  qu'il  est  rarement  de  l'avis 
de  ses  condisciples  et  qu'il  se  fait  un  sujet  de  com- 
plaisance et  de  mérite  de  se  comporter  dans  ses 
manières  et  dans  sa  conduite  différemment  des  au- 
tres. 

Comme  il  parle  souvent  avec  légèreté,  il  avance 
bien  des  choses  qui,  n'étant  pas  fondées,  lui  atti- 
rent des  contradictions  ;  mais  son  opinion  une 
fois  émise,  il  regarde  comme  une  faiblesse  humi- 
liante de  la  rétracter  ;  il  la  soutient  avec  une 
obstination  passionnée,  sans  daigner  seulement 
écouter  les  raisons  qu'on  lui  oppose  :  de  là  des 
discussions  âpres  et  irritantes  ,  des  paroles  enve- 
nimées et  quelquefois  des  froideurs  et  des  divisions 
dont  le  séminaire  ne  devrait  jamais  être  le  théâtre. 

La  présomption  l'aveugle  et  l'égaré  à  chaque 
instant  :  plein  de  confiance  en  lui-même  et  en  lui 
S(3ul,  il  se  croit  capable  de  tout  entreprendre  ;  sans 
consulte;'  Dieu,   il  aspire  au  sacerdoce   dont  son 


—  122  — 

orgueil  le  rend  indigne  ;  il  se  figure  que  le  talent 
dont  il  se  croit  pourvu  lui  tient  lieu  de  vertu  et  de 
piété  ;  il  est  sans  inquiétude  à  l'égard  de  sa  voca- 
tion, peut-être  fort  douteuse,  et  tandis  que  ses 
condisciples,  beaucoup  plus  dignes  que  lui,  frémis- 
sent et  reculent  d'épouvante,  il  s'avance,  lui,  d'un 
pas  ferme  et  assuré  comme  s'il  n'avait  absolument 
rien  à  craindre.  Il  s'engage,  toujours  sous  l'in- 
fluence de  sa  présomption,  dans  des  voies  péril- 
leuses où  les  plus  humbles  font  quelquefois  des 
chutes,  et  ne  tient  aucun  compte  de  la  menace  que 
Dieu  lui  fait  :  Qui  aiaat  periculum,  in  illo  perihit. 

L'orgueil  le  suit  parfois  jusqu'au  saint  tribunal 
où  l'on  ne  doit  aller  que  pour  s'humilier  et  se  con- 
fondre. Là  encore  il  redoute  l'abaissement.  Le  choix 
du  confesseur,  l'omission  de  certaines  circonstances 
qui  manifesteraient  trop  clairement  sa  vanité,  les 
expressions  adoucies  qu'il  emploie  pour  formuler 
son  accusation,  les  excuses  qui  accompagnent  la 
déclaration  de  ses  fautes,  et  même  la  résistance, 
du  moins  secrète,  aux  conseils  qui  lui  sont  donnés, 
tout  est  entaché  d'orgueil,  et  d'un  orgueil  qu'il 
rend  incurable,  puisqu'il  transforme  en  poison  le 
plus  puissant  des  remèdes. 

Quant  à  l'ensemble  de  ses  actions,  s'il  veut  exa- 
miner la  racine  de  chacune,  il  verra  qu'elles  sont 
toutes  gâtées  par  l'orgueil  dont  il  est  animé.  Comme 
il  ne  pense  qu'à  lui-même,  ne  considère  que  lui- 
même,  ne  consulte  que  lui-même  et  rapporte  tout 
à  lui-même.  Dieu  n'est  pour  rien  dans  ses  actes. 
Jusque  dans  ses  œuvres  les  plus  saintes,  il  obéit 
encore  à  quelques  inspirations  orgueilleuses.  Aussi 
est-il  san-5  piété,  sans  ferveur,  sans  attrait  pour 


—   123   — 

les  exercices  spirituels,  et  sans  la  moindre  conso- 
lation clans  le  service  de  Dieu. 

Au  lieu  d'édifier  le  monde  pendant  les  vacances 
par  une  humble  modestie ,  il  le  scandalise  par 
les  moyens  dont  il  use  pour  lui  plaire.  Sa  vanité 
se  fait  jour  dans  ses  conversations,  dans  son  habille- 
ment, dans  ses  manières  et  dans  toute  sa  personne, 
et  chacun  dit  :  C'est  un  suffisant  et  un  orgueilleux. 

Ses  condisciples,  qui  le  connaissent  mieux  encore, 
tiennent  à  son  égard  le  même  langage  ;  ils  blâment 
sa  conduite,  ils  évitent  sa  compagnie,  et,  par  un 
juste  châtiment  de  son  orgueil,  précisément  parce 
qu'il  court  après  l'estime  universelle,  il  déplaît  à 
tout  le  monde. 

Voyez,  jeune  ami,  combien  un  tel  état  est  pi- 
toyable; mais  voyez  surtout  si  l'avenir  qu'il  pré- 
pare n'est  pas  plus  triste  encore. 


II 


Si  vous  sortez  du  séminaire  aver  une  forte  dose 
d'orgueil  et  de  suffisance,  personne  au  monde  ne 
peut  vous  dire  tous  les  péchés  que  cette  mauvaise 
disposition  vous  fera  commettre.  On  doit  tout  espé- 
rer du  séminariste  profondément  humble  qui  déteste 
r orgueil  et  le  combat  à  outrance  ;  mais  on  doit 
tout  craindre,  même  les  chutes  les  plus  honteuses, 
pour  le  séminariste  orgueilleux  qui  n'a  de  confiance 
qu'en  lui-même  et  ne  recherche  que  sa  propre 
gloire. 

Pour  exercer  un  ministère  fructueux,  vous  aurez 
besoin  du  secours  de  Dieu  ;  car,  hélas  !  qu'est-ce 
qu'un  prêtre  peut  faire  dans  le  plus  saint  des  états 


—   124  — 

sans  l'appui  de  Dieu?  Or  que  pourrez-vous  attendre 
de  Dieu  si  vous  êtes  orgueilleux,  lui  qui  déteste 
l'orgueil  par-dessus  tous  les  vices,  et  qui  n'a  pas 
pu  soufmr  un  seul  moment  dans  son  paradis  l'ange 
audacieux  qui  s'en  rendit  coupable  ? 

Mais  entrons  dans  le  détail  de  vos  misères  fu- 
tures et  signalons-en  du  moins  quelques-unes. 

Yous  serez  à  peine  installé  au  poste  que  vos  su- 
périeurs vous  auront  confié,  que  déjà  votre  orgueil 
se  fera  connaître.  Votre  curé  en  sera  le  premier 
témoin;  vos  airs  prétentieux,  vos  manières  hau- 
taines, vos  exigences  ridicules,  vos  mécontente- 
ments sans  motifs,  vos  réponses  sèches  et  incon- 
venan-es  ;  tout  lui  dira  qu'il  a  un  orgueilleux  pour 
vicaire. 

Dès  qu'il  aura  acquis  cette  conviction,  n'attendez 
plus  de  lui  ces  paroles  gracieuses,  ces  prévenances 
aimables,  ces  démonstrations  d'estime  et  d'affec- 
tion qui  encouragent  un  jeune  prêtre  et  répandent 
des  charmes  sur  son  saint  ministère.  Votre  orgueil 
tarira  ces  sources  précieuses  et  vous  laissera  dans 
un  isolement  qui  fera  votre  supplice. 

A  tort  ou  à  raison,  les  curés  sont  unanimes  à 
dire  que  le  jeune  clergé  est  plein  de  suffisance  et 
de  vanité  ;  ils  lui  reprochent  l'esprit  d'indépen- 
dance et  d'autorité  qui  est  malheureusement  un 
peu  l'esprit  du  siècle.  Quand  donc  votre  curé  verra 
que  vous  justifierez  par  votre  conduite  les  préven- 
tions qu'il  aura  conçues,  à  l'instant  même  la  désaf- 
fection gagnera  son  cœur,  et  vous  lui  serez  plutôt 
un  fardeau  qu'un  appui. 

Le  sentiment  de  répulsion  que  vous  lui  inspire- 
rez le  portera  tout  naturellement  à  refuser  d'accor- 


—  125  — 

der  à  votre  orgueil  une  foule  de  petites  satisfactions 
dont  il  eut  été  heureux  de  gratifier  votre  humi- 
lité. Yous  aurez  de  sa  part  F  indispensable  et  le 
nécessaire  ;  mais  tout  ce  qui  s'appellera  complai- 
sance, faveurs  et  bons  offices,  vous  n'y  pourrez 
prétendre. 

Votre  orgueil  froissé  par  une  telle  conduite  vous 
suggérera  des  représentations  de  mauvais  goût 
qui,  étant  mal  accueillies,  vous  attireront  de  pé- 
nibles réponses  ;  et  de  là  des  discussions  vives, 
des  luttes  animées,  des  froideurs  mutuelles  et, 
bientôt  après,  des  divisions  et  peut-être  des  scan- 
dales. 

Pour  faire  contre-poids  à  vos  peines,  vous  de- 
manderez à  votre  ministère  les  consolations  que 
vous  ne  trouverez  point  ailleurs  ;  mais  Dieu  qui  les 
accorde  à  profusion  aux  prêtres  vraiment  humbles, 
vous  les  refusera  sans  pitié,  à  vous  qui  l'irriterez 
par  votre  orgueil. 

Yous  prêcherez  ;  mais,  dans  ce  ministère  éclatant, 
vous  rechercherez  beaucoup  plus  les  palmes  flé- 
tries de  la  vanité  que  le  salut  des  âmes  ;  vous  ne 
serez  en  chaire  qu'un  airain  sonnant  et  une  cym- 
bale retentissante  ;  vous  sacrifierez  l'utile  au 
brillant  ;  vous  choisirez  des  sujets  élevés  et  propres 
à  faire  ressortir  les  lumières  de  votre  esprit  ;  vous 
polirez  vos  phrases,  vous  arrondirez  vos  périodes, 
vous  vous  jetterez  ou  dans  les  futilités  d'une  dic- 
tion fleurie,  ou  dans  les  profondeurs  d'une  méta- 
physique nébuleuse,  et,  selon  les  expressions 
simples,  mais  énergiques  et  vraies  du  P.  Lejeune, 
pour  plaire  à  quelques  personnes  doctes,  vous  ren- 
verrez à  jeun  tout  un  (jr and  peuple . 


—   126  — 

Vous  confesserez  ;  mais  là  encore  vous  vous 
préoccuperez  plus  de  votre  propre  gloire  que  de 
celle  de  Dieu  et  de  la  conversion  des  pécheurs. 
Vous  convoiterez  une  nombreuse  et  brillante 
clientèle  ;  vous  emploierez  de  pitoyables  manœu- 
vres pour  la  grossir  ;  vous  aurez  deux  poids  et 
deux  mesures,  usant  tantôt  des  uns ,  tantôt  des 
autres,  selon  les  intérêts  et  les  calculs  de  votre 
vanité. 

Jusque  dans  les  cérémonies  les  plus  augustes  et 
même  au  saint  autel,  vous  penserez  à  vous-même 
beaucoup  plus  qu'à   Dieu. 

Vous  afficherez  plus  ou  moins  de  pompe  et  d'é- 
clat selon  la  dignité  des  assistants  dont  vous  serez 
environné.  Insouciant,  rapide  et  négligé  quand 
l'assistance  sera  Milgairo,  vous  serez  guindé,  ma- 
niéré ,  compassé  quand  elle  sera  distinguée  :  la 
pose  de  votre  corps,  votre  chant,  votre  démarche, 
tout  annoncera  remphase  et  l'effectation  qui  seront 
les  fruits   de  votre   orgueil. 

Au  premier  signal  vous  serez  aussi  empressé  à 
visiter  les  riches  dans  leurs  maladies,  que  vous  le 
serez  peu  à  ^^siter  les  pauvres,  qui  peut-être  ren- 
dront le  dernier  soupir  avant  votre  arrivée. 

Le  monde  brillant  vous  verra  dans  ses  cercles 
quand  nul  motif  ne  vous  y  appellera  ;  tandis  qu'on 
ne  vous  trouvera  presque  jamais  dans  le  triste 
asile  de  l'indigence  et  des  larmes,  où  votre  pré- 
sence serait  plus  utile  et  plus  édifiante  que  partout 
ailleurs. 

Votre  vanité  se  produira  sous  toutes  les  formes  : 
vos  gestes,  votre  tournure,  votre  costume,  les  cho- 
ses que  vous  direz  et  la  manière  dont  vous  les  direz, 


—   127  — 

feront  un  choquant  contraste  avec  la  simplicité 
modeste  de  quelque  bon  prêtre,  que  le  monde  met- 
tra en  parallèle  avec  vous,  pour  le  combler  d'éloges 
et  vous  accabler  sous  les  traits  de  la  critique. 

L'orgueil,  qui  est  le  père  de  tous  les  vices,  vous 
ferajouer  tous  les  rôles.  Vous  sereztouràtour  jaloux, 
ambitieux,  hypocrite,  flatteur,  médisant,  opiniâtre  et 
emporté,  selon  les  circonstances  de  lieux  et  de  per- 
sonnes et  les  inspirations  de  votre  amour-propre. 

Cet  amour-propre  sera  votre  étoile  fixe  ;  vous  en 
subirez  les  malignes  influences  ;  la  gloire  de  Dieu 
viendra  toujours  après  la  vôtre,  et,  dans  toute  une 
année,  peut-être  ne  trouverez-vous  pas  une  seule 
action  faite  purement  dans  la  vue  de  lui  plaire. 

Aussi  votre  piété  sera-t-elle  languissante  ;  car 
la  piété  d'un  orgueilleux  n'en  mérite  pas  le  nom. 
N'ayant  rien  à  moissonner  au  bénéfice  de  votre 
orgueil  dans  vos  exercices  spirituels,  vous  aban- 
donnerez ceux  qui  ne  seront  pas  d'une  absolue 
nécessité,  et  vous  vous  acquitterez  fort  mal  de  ceux 
que  vous  ferez  encore. 

Les  charitables  avis  qui  vous  seront  donnés  par 
votre  curé  ou  par  quelques  confrères  seront  d'une 
stérilité  complète  :  vous  les  recevrez  avec  dédain 
et  vous  n'en  tiendrez  aucun  compte,  ce  qui  vous 
privera  de  cette  salutaire  ressource. 

Devenu  curé,  car  peut-être,  hélas  !  le  deviendrez- 
vous,  vous  serez  plus  orgueilleux  que  jamais;  vous 
voudrez  dominer,  régenter,  abaisser  tout  ce  qui 
vous  fera  résistance.  Quand  vous  aurez  pris  un 
parti,  vous  le  soutiendrez  jusqu'à  l'absurde,  et  vos 
prétendus  triomphes  seront  pour  votre  ministère 
de  véritables  échecs. 


—  128  — 

Vous  braverez  T opinion  publique  ;  et  la  censure 
qu'on  fera  de  votre  conduite  vous  aigrira  au  lieu 
de  vous  faire  rentrer  en  vous-même. 

L'humiliation,  qui  n'épargne  pas  les  plus  saints 
prêtres,  vous  atteindra  comme  les  autres;  mais  bien 
loin  d'en  faire  votre  profit  et  de  dire  comme  David  : 
Bonum  est,  Domine,  quia  humiliasti  me,  vous  re- 
gimberez contre  elle  avec  arrogance  ou  vous  tom- 
berez dans  un  découragement  profond  qui  éteindra 
votre  reste  de  zèle. 

Yous  serez  présomptueux  jusqu'à  l'imprudence 
et  au  delà.  Avec  votre  faible  ver  lu  vous  vous  ex- 
poserez à  dos  dangers  qui  effaroucheraient  la 
sainteté  la  mieux  affermie,  et  vous  ferez  une  de 
ces  chutes  affreuses  que  Dieu  permettra  pour  vous 
éclairer,  mais  qui  ne  servira  peut-être  qu'à  vous  en- 
durcir ;  vérifiant  ainsi  en  votre  personne  la  sentence 
de  saint  Augustin,  qaihi'est  rien  de  plus  ordinaira 
que  de  voir  celui  qui  s'élève  par  V esprit,  humilié 
par  la  chair. 

Malheur  à  vous,  jeune  et  tendre  ami,  si  la  vue 
de  tant  de  maux  ne  vous  fait  pas  recourir  aux  re- 
mèdes qui  vont  vous  être  offerts  pour  dompter 
votre  orgueil  ! 

m 

—  Le  premier  moyen  de  se  corriger  d'un  défaut 
quelconque,  c'est  de  se  bien  convaincre  qu'on  y 
est  sujet.  Si  l'orgueil  est  chez  vous  un  vice  domi- 
nant, vous  devez  le  savoir.  Plusieurs  actes  isolés 
ont,  il  est  vrai,  l'orgueil  pour  principe,  sans  que 
celui  qui  les  commet  s'en  aperçoive  ;  mais  l'en- 


—  129  — 

semble  de  la  conduite  d'un  orgueilleux  déclaré  lui 
révèle  à  chaque  instant  sa  misère  :  il  la  cache  soi  - 
gneusement  aux  autres  ,  mais  les  précautions 
mêmes  qu'il  prend  pour  la  leur  cacher,  Tempéchent 
de  se  la  dissimuler  à  lui-même. 

—  Si  vous   reconnaissez  que  l'orgueil  domine 
en  vous,   voyez  si  vous  voulez  sérieusement  le 
combattre.  Si  vous  ne   le    voulez    pas,  tous   les 
moyens  les  plus  propres  aie  détruire  vous  seraient 
inutilement  proposés.  Mais  en  vérité,  cher  ami, 
pouvez-vous  vous  voir  orgueilleux  et  ne  pas  dési- 
rer de  ne  plus  l'être?  Pouvez-vous  aimer  un  vice 
qui   vous  rend  odieux  aux   yeux  de  Dieu,   ridi- 
cule aux  yeux  des  hommes   et  méprisable  à  vos 
propres  yeux  :  Odibilis  coram  Deo  est  et  hominibus 
superbia  ?  Pouvez-vous  aimer  un  vice  qui  corrompt 
le  peu  de  bien  que  vous  faites,  qui  est  la  source 
de  tous  vos  péchés  ,  qui  vous  rend  l'esclave  du 
démon,  qui  vous  dispose  à  des  chutes  honteuses, 
qui  ravit  à  Dieu   sa  gloire ,  qui  vous   prive   d'un 
bonheur  éternel  pour  une  vaine  fumée,  et  qui  ne 
vous  procure  aucune  jouissance  réelle  en  retour 
des  châtiments  qu'il  vous  prépare  ? 

—  Méditez  sérieusement  et  très-fréquemment 
ces  considérations  pour  vous  exciter  violemment 
au  combat.  Mais  dites-vous  surtout  à  vous-même 
que  plus  les  fonctions  auxquelles  vous  aspirez  sont 
saintes  et  sublimes,  plus  vous  devez  vous  abaisser 
si  vous  voulez  vous  en  rendre  digne,  puisqu'elles 
ne  sont  saintes  que  par  les  rapports  étonnants 
qu'elles  ont  avec  Dieu,  et  que  rien  n'est  plus  opposé 
à  leur  sainteté  que  l'orgueil  de  celui  qui  les  exerce, 
orgueil  que  Dieu  déteste  par-dessus  tout. 


—   430  — 

—  Pensez  encore  à  la  confusion  dont  vous  seriez 
couvert,  si  les  hommes  dont  vous  recherchez  pas- 
sionnément l'estime  voyaient  au  grand  jour  ce  que 
vous  êtes  au  fond.  Représentez-vous  ce  qu'ils 
diraient  s'ils  connaissaient  vos  intentions, vos  désirs, 
vos  détours,  vos  artifices  et  les  mille  moyens  que 
vous  employez  à  chaque  instant  pour  rechercher 
leurs  éloges  et  gagner  leur  estime.  Vous  ne  sauriez 
où  cacher  votre  honte,  et  la  pensée  qu'ils  connaî- 
traient les  misérables  straiagèmes  de  votre  vanité, 
vous  ferait  redouter  leur  rencontre.  Ils  ignorent, 
il  est  vrai,  plusieurs  de  vos  manœuvres,  mais  Dieu 
les  connaît  toutes,  pas  une  n'échappe  à  sa  vue  : 
Omnia  nuda  et  aperta  oculis  ejus  ;  et  vous  ne  frémi- 
riez pas  !  et  l'œil  des  hommes  ferait  plus  d'impres- 
sion sur  vous  que  l'œil  de  Dieu  même  !  Quel 
aveuglement  !  quelle  folie  ! 

—  Mais  pensez  encore  au  terrible  avenir  qui 
s'ouvre  devant  vous.  Quelle  vie,  grand  Dieu,  que 
la  vie  d'un  prêtre  orgueilleux  !  Quelle  mort  à  la  fm 
d'une  telle  vie  I  Quelle  désolation  de  se  dire  à  ses 
derniers  moments  :  J'ai  beaucoup  travaillé,  et  la 
vanité  m'a  dérobé  le  fruit  de  tous  mes  travaux  : 
In  vanum  laboraverunt  ;  j'ai  semé  du  vent  et  je  vais 
moissonner  des  tempêtes  :  Ventum  scminabunt  et 
turbinem  7netent ;  ']' oS.  eu  tous  les  trésors  du  ciel  en 
maniement  ;  mais  assoupi  dans  mon  orgueil,  je  me 
réveille  les  mains  vides  :  Dormierimt  somniim  suum, 
et  nihil  invenerunt in  manihus  suis. 

—  Nourri  de  ces  solides  réflexions,  armez-vous 
de  courage  et  dites  résolument  :  C'en  est  fait,  je 
veux  à  tout  prix  remplacer  mon  sot  orgueil  par 
l'humilité  ;  puis,  après  cette  exclamation,  implorez 


—  131   — 

le  secours  de  Dieu  et  demandez-lui  du  fond  du 
cœur  la  grâce  de  remporter  une  victoire  complète. 
Ce  n'est  pas  seulement  aux  humbles  qu'il  donne 
sa  grâce  :  Ilumilibus  dat  cjratiam  ;  mais  c'est  aussi 
à  ceux  qui  veulent  sincèrement  le  devenir  :  Desi- 
derium  jjaupenim  cxaudimt  Bominus. 

—  Commencez  le  combat  par  vous  considérer 
vous-même  tel  que  vous  êtes  ;  car  puisque  c'est 
dans  le  cœur  que  règne  Torgueil,  c'est  là  aussi 
qu'il  faut  descendre  pour  l'attaquer.  Pénétrez-vous 
donc  bien  de  cette  pensée  que  de  vous-même  vous 
n'êtes  rien,  —  que  tout  ce  que  vous  avez  est  un 
don  de  Dieu,  —  que  vous  pouviez  naître  imbécile 
ou  idiot  si  votre  Créateur  Teùt  voulu,  —  que  votre 
talent  n'est  nullement  votre  ouvrage  et  qu'il  n'est 
d'ailleurs  qu'une  bluette  comparé  à  celui  de  tant 
d'hommes  instruits  qui  seraient  honteux  de  ne  sa- 
voir que  ce  que  vous  savez,  —  que  vous  ne  pou- 
vez rien  faire  pour  gagner  le  ciel ,  pas  même 
prononcer  avec  mérite  le  nom  de  Jésus  sans  sa 
grâce,  —  que  vous  n'avez  en  propre  que  le  péché, 
c'est-à-dire  ce  qu'il  y  a  en  vous  de  plus  détestable, 
—  que  vous  en  êtes  souillé  au  delà  de  ce  qui  peut 
se  dire  et  bien  plus  que  vous  ne  l'imaginez,  —  que 
Dieu  connaît  cette  souillure  et  qu'il  a  horreur  de 
voir  que  vous  cherchez  l'élévation  et  la  louange 
quand  vous  ne  méritez  que  le  mépris,  —  que  vous 
lui  ravissez  sa  gloire  en  abusant  de  ses  dons  pour 
procurer  la  vôtre,  —  que  vous  êtes  enfin  un  as- 
semblage de  misères  :  aveuglement ,  surdité  spi- 
rituelle ,  nconstance  ,  incertitude  ,  ignorance  , 
témérité,  stupidité,  joie  folle  au  milieu  de  la  plus 
complète  indigence.  Il  est  impossible  qu'en  voyant 


-  132  — 

en  vous  tant  de  sujets  d'humiliation,  vous  ne  vous 
mettiez  pas  à  votre  vraie  place,  c'est-à-dire  au-des- 
sous de  tout  le  monde  et  des  démons  eux-mêmes, 
qui  n'ont  commis  qu  un  seul  péché  d'orgueil,  tan- 
dis que  vous  en  commettez  des  multitudes  innom- 
brables. 

—  Cela  fait,  soyez  attentif  :  pas  une  pensée,  pas 
une  parole ,  pas  une  action  volontaire  dont  l'or- 
gueil soit  le  principe.  Vous  vous  surprenez  dans  la 
contemplation  de  vous-même  et  de  votre  mérite  ; 
chassez  cette  pensée  et  remplacez-la  sur-le-champ 
par  un  acte  d'humilité.  Vous  êtes  tenté  de  dire  un 
mot  qui  va  vous  attirer  quelque  louange  ;  résistez 
à  la  tentation  et  reportez  le  discours  sur  un  autre 
terrain.  Tous  allez  commencer  une  action  avec  des 
vues  orgueilleuses  ;  renoncez  à  cette  action  si  elle 
n'est  pas  dans  l'ordre  de  vos  devoirs,  ou  si  elle  est 
bonne,  purifiez  votre  intention  pour  n'en  pas  per- 
dre le  mérite,  et  ainsi  du  reste. 

—  Adoptez  pour  règle  de  ne  jamais  parler  de 
vous-même  ni  en  bien  ni  en  mal,  quand  vous  pour- 
rez absolument  vous  en  dispenser  :  l'orgueil quivous 
domine  y  trouverait  infailliblement  son  compte. 
Détournez  même  adroitement  la  matière  de  l'en- 
tretien quand  il  roulera  sur  des  choses  qui  vous 
concernent. 

—  Craignez  beaucoup  vos  conversations  ;  avant 
de  les  commencer,  offrez-les  intérieurement  à  Dieu 
et  priez-le  qu'il  les  bénisse.  Il  est  rare  que  dans 
les  entretiens,  même  les  plus  saints,  l'orgueil  ne 
trouve  pas  quelque  chose  à  glaner. 

—  Ne  soutenez  jamais  de  discussions  opiniâtres 
pour  le  vain  plaisir  de  faire  prévaloir  votre  opinion, 


—  133  — 

et  soyez  assez  humble  pour  reconnaître  que  les 
autres  peuvent  quelquefois  avoir  raison  et  que 
vous  n'êtes  pas  toujours  infaillible. 

—  N'étalez  pas  les  enseignes  de  la  vanité  dans 
votre  costume,  et  ne  transformez  pas  le  vêtement 
de  la  mortification  en  vêtement  de  luxe  et  de  pa- 
rade. L'orgueil  seul  vous  inspirerait  une  ostenta- 
tion de  cettî3  nature.  «  N'appelez  pas  sur  vous  le 
»  ridicule,  dit  le  P.  Valuy,  par  la  culture  affecté e 
»  de  vos  cheveux  ;  bientôt  on  se  demanderait  ma- 
»  lignement  à  qui  vous  voulez  plaire.  »  (Direc- 
toire dit  prêtre.) 

—  N'imitez  pas  les  petits  esprits  qui  croient  se 
faire  admirer  par  une  démarche,  une  tenue  et  des 
manières  apprêtées,  et  n'oubliez  pas  que  le  monde 
lui-même  n'estime  dans  un  ecclésiastique  qu'une 
bonne  rondeur  et  une  simplicité  modeste. 

—  Exprimez-vous  sans  affectation  et  sans  em- 
phase, commeunhommequinepensenullement  àlui 
lors  même  qu'il  en  parle.  Rien  n'est  plus  rebutant 
que  la  vanité  puérile  de  celui  qui  s'écoute  parler. 

—  Sachez  supporter  une  contradiction  et  même 
une  humiliation  sans  froncer  le  sourcil.  Le  vrai 
poison  de  l'orgueil  c'est  l'humiliation  :  avoir  hor- 
reur de  l'humiliation  et  se  croire  humble,  c'est  le 
comble  de  l'illusion  :  Ama  nesciri  et  pro  yiihilo 
reputari.  «  Une  grande  humilité,  dit  le  P.  Huby, 
»  souffre  volontiers  un  grand  mépris  ;  une  petite 
»  humilité  souffre  volontiers  un  petit  mépris.  Si 
»  donc  je  ne  puis  souffrir  le  moindre  mépris,  je 
»  n'ai  pas  seulement  le  premier  degré  d'humilité  ; 
»  et  autant  je  suis  vide  d'humilité,  autant  je  suis 
»  plein  d'orgueil.  » 

II.  8 


—  134  — 

—  Si  Ton  parle  à  la  louange  des  autres  en  votre 
présence,  louez-les  vous-même  :  si  Ton  semble  ne 
faire  aucun  état  de  vous,  réjouissez-vous  inté- 
rieurement qu'on  vous  oublie  ou  même  qu'on 
vous  méprise  :  Hxc  altissima  et  iit'dissima  lectio, 
ditrimitation,  sui  ipsius  vera  cognitio  et  despectio. 
Regardez  Ibumiliation  bien  supportée  comme  une 
victoire,  et  la  louange  joyeusement  accueillie  comme 
une  défaite.  Vous  ne  serez  vraiment  humble  que 
quand  vous  porterez  cette  conviction  profondément 
gravée  dans  votre  âme. 

—  Choisissez  pendant  longtemps  l'humilité  et 
l'orgueil  pour  matière  de  votre  examen  particulier. 
Ne  faites  jamais  une  méditation,  une  visite  au  saint 
sacrement,  une  communion  ou  un  exercice  spiri- 
tuel quelconque,  sans  demander  instamment  à  Dieu, 
par  l'intercession  de  Marie,  la  destruction  de  votre 
orgueil  et  l'acquisition  de  l'humilité.  Ne  l'oubliez 
pas,  jeune  et  tendre  ami,  vous  serez  sans  aucun 
suc  de  piété,  sec,  froid,  lâche,  prompt  à  vous  dé- 
courager, présomptueux,  téméraire,  ridiculement 
vaniteux,   irascible,   entêté,  arrogant,   ambitieux, 
jaloux,  tenace  dans  vos  ressentiments  et  prédis- 
posé  à  tous  les  vices,  si  vous  continuez  d'être 
orgueilleux  ;  tandis  que  vous  serez  inondé  de  con- 
solations et  comblé  de  tous  les  dons  célestes  si 
vous  êtes  vraiment  humble.  Que  Dieu  vous  fasse 
la  grâce  de  le  devenir  ! 

(Voyez  le  Saint  Prêtre,  chapitre  de  l'Humilité,  page  258.) 


135  — 


CHAPITRE  II 


Le  séminariste  désobéissant. 
I 

Le  nouvel  ennemi  que  nous  allons  coinbattre  ne 
dissimule  guère  son  attrait  pour  la  liberté  ;  il  se 
produit  et  s'avance,  enseignes  déployées,  comme 
un  sujet  qui  proclame  son  indépendance. 

On  connaît  bientôt  dans  un  séminaire  celui  qui 
se  soustrait  à  l'obéissance.  Il  n'est  point  néces- 
saire pour  découvrir  son  faible  de  sonder  son 
cœur;  d'interpréter  ses  sentiments,  de  lui  arra- 
cher des  aveux  :  ses  actes  de  rébellion  étant  très- 
fréquents,  quelque  soin  qu'il  prenne  de  les  cacher, 
ils  ne  tardent  pas  à  le  trahir. 

Ce  n'est  pas  au  séminaire  que  ce  défaut  se  fait 
jour  pour  la  première  fois.  Il  avaitpris  naissance  au 
sein  de  la  famille,  et,  en  se  repliant  sur  sonpassé,  le 
séminariste  désobéissant  est  forcé  de  convenir  qu'il 
irrita  bien  des  fois  ses  parents,  ses  premiers  maî- 
tres et  tous  ses  supérieurs  en  général  par  des  actes 
habituels  de  désobéissance. 

Plus  tard,  quand  il  entra  dans  un  petit  sémi- 
naire avec  le  désir  de  tendre  au  sacerdoce,  il  se 
corrigea,  ou  à  peu  près,  de  certains  vices  gros- 
siers qui  lui  semblaient  incompatibles  avec  sa 
sainte  vocation  ;  mais,  en  comparaison  de  ces 
vices^  la  désobéissance  étant  fort  peu  grave  à  ses 


—  136  — 

yeux,  il  ne  s'appliqua  guère  à  la  combattre.  Fier 
des  victoires  qu'il  avait  remportées  sur  des  colosses, 
il  regarda  ce  dernier  ennemi  comme  un  pygmée 
avec  lequel  il  pouvait  vivre  en  paix  sans  le  moin- 
dre danger.  De  là  une  habitude  d'insubordination 
plus  ou  moins  grave,  et  peut-être,  par  son  exemple, 
r entraînement  de  quelques  condisciples  dans  la 
mauvaise  voie  qu'il  parcourait. 

C'est  dans  ces  dispositions  qu'il  s'installa  dans 
le  grand  séminaire  ;  et  c'est  là  aussi  que  nous 
allons  spécialement  observer  sa  conduite,  pour  en 
faire  ressortir  les  points  les  plus  saillants. 

Le  séminariste  désobéissant  est  assez  régulier 
pendant  les  quelques  jours  qui  suivent  son  entrée. 
La  timidité,  la  contrainte,  le  saisissement  que  pro- 
duit l'aspect  imposant  du  séminaire  ;  tout  cela 
comprime  son  indépendance.  Mais,  hélas  !  cette 
compression  n'est  pas  de  longue  durée  ;  elle  lui  pèse 
beaucoup,  et  il  lui  tarde  de  s'en  affranchir.  Peu  à  peu 
donc  il  s'émancipe,  et  bientôt  il  remplace  la  timidité 
par  la  hardiesse,  la  contrainte  par  l'aisance,  et  le 
saisissement  par  un  air  plus  décidé  et  des  manières 
plus  libres. 

Le  règlement  a  été  proclamé  ;  il  eu  a  entendu 
la  lecture,  et  ce  qui  lui  plait  le  mieux  dans  celte 
loi  gênante,   c'est   la  déclaration  formelle  qu'elle 

n'oblige  pas  sous  peine  de  péché. 

Protégée    par   cette  clause,    son   indépendance 

éclate.  11  parle  quand  il  devrait  observer  le  silence; 

il  est  en  un  lieu  quand  il  devrait  être  en  un  autre  ; 

il  va  au  parloir  ou  à  la  porte  de  la  cellule  de  ses 

condisciples  sans  en  avoir   obtenu  la  permission  ; 

il  obtient  des  faveurs  sur  des  faux   exposés  ;   il 


—   437  — 

arrive  le  dernier  à  tous  les  exercices  ;  il  trouve 
même  quelquefois  que  l'heure  de  la  méditation 
vient  trop  vite,  et  il  la  fait  dans  son  lit. 

Sa  conscience,  il  est  vrai,  fait  entendre  quelques 
murmures  ;  elle  lui  dit  tout  bas  que  sa  volonté  et 
celle  de  Dieu  sont  perpétuellement  en  guerre  ;  elle 
met  en  regard  de  sa  conduite  désordonnée  celle 
des  pieux  séminaristes  si  édifiante  et  si  régulière  ; 
elle  ajoute  que  si  tous  les  élèves  se  permettaient 
ce  qu'il  se  permet,  le  désordre  et  la  confusion  rem- 
placeraient la  régularité  qui  fait  le  charme  d'un 
séminaire  :  mais  il  glisse  à  côté  de  ces  représenta- 
tions importunes,  et,  pour  s'y  soustraire,  il  rap- 
pelle la  clause  qui  lui  est  si  chère  :  Le  règlement 
n  oblige  pas  sous  peine  de  péché. 

Est-ce  tout  ?  Non  vraiment.  Quand  on  n'aime 
pas  le  commandement,  on  n'aime  guère  ceux  qpii 
l'imposent  :  aussi  n'a-t-il  point  pour  ses  supérieurs 
cette  déférence  empressée,  ce  tendre  attachement 
et  ce  respect  filial  que  professe  le  séminariste  ré- 
gulier. Il  les  regarde  moins  comme  des  pères  dé- 
voués que  comme  des  maîtres  exigeants  ;  il  trouve 
leur  autorité  lourde  et  accablante  :  comme  il  est 
souvent  en  faute  et  qu'ils  lui  reprochent  ses  in- 
fractions continuelles,  au  lieu  de  profiter  de  leurs 
avertissements,  il  les  taxe  de  sévérité  excessive, 
il  qualifie  leur  vigilance  d'espionnage,  et  il  sou- 
pire après  le  jour  où  il  sera  débarrassé  de  leur 
joug  incommode. 

Il  va  même  plus  loin  :  dans  le  secret  intime  de 
l'amitié,  il  fait  part  à  ses  familiers  des  peines  que 
lui  cause  l'obéissance  ;  il  parle  contre  ses  supé- 
rieurs et  les  appelle  sévères  quand  ils  ne  sont  que 
n.  8 


—   138  — 

justes  et  même  charitables.  Il  étend  sa  critique  sur 
d'autres  points  encore,  et  au  lieu  de  fortifier  l'au- 
torité, qui  est  le  principe  de  l'ordre  et  de  la  règle, 
il  l'affaiblit  dans  l'esprit  de  ses  condisciples  par  la 
censure  qu'il  en  fait. 

Les  élèves  indisciplinés  sont  ceux  dont  il  fait  sa 
compagnie  favorite.  Trouvant  chez  eux  un  écho 
fidèle,  il  leur  parle  librement  comme  à  d'autres 
lui-même,  et  s'affermit  ainsi  dans  sa  mauvaise  voie 
comme  il  les  affermit  dans  la  leur. 

Quant  aux  séminaristes  exacts  et  réguliers,  au 
lieu  de  les  admirer  et  de  les  imiter,  il  regarde  leur 
conduite  comme  la  condamnation  de  la  sienne,  ce 
qui  n'est  que  trop  vrai;  puis,  ouvrant  son  cœur 
à  la  jalousie,  il  fait  de  leurs  petits  travers,  sur 
certains  points  insignifiants,  la  matière  de  ses 
railleries,  et  peut-être  va-t-il  jusqu'à  les  accuser 
sans  motif  de  cajoler  l'autorité. 

Est-il  en  vacances?  Il  parle  contre  le  séminaire 
et  contre  ceux  qui  le  gouvernent  ;  il  se  plaint  de 
leur  rigueur,  et  bien  loin  de  reconnaître  qu'il  la 
mérite,  il  en  rejette  tout  l'odieux  sur  eux  seuls. 

C'est  pendant  ce  temps  encore  qu'il  se  dédom- 
mage de  la  contrainte  que  la  règle  du  séminaire 
lui  imposait.  Affranchi  de  cette  règle,  il  vit  à  Taban- 
don,  dédaignant  d'imiter  ses  pieux  collègues  qui 
s'imposent  la  douce  loi  d'un  règlement  particulier, 
pour  se  maintenir  dans  la  ferveur  et  mériter  en- 
core les  grâces  de  l'obéissance. 

Ainsi  s'écoule  le  temps  le  plus  précieux  de  sa 
vie  sans  aucune  comparaison  ;  et,  chose  triste- 
ment remarquable  1  la  dernière  année  qu'il  passe 
au  séminaire  est  ordinairement  la  pire,  quoiqu'elle 


—   139  — 

touche  au  sacerdoce.  Quand  il  a  pris  son  aplomb 
dans  ce  saint  asile,  il  affecte  des  allures  dégagées  ; 
il  se  pose  comme  un  vieil  habitué  qui  a  droit  à 
des  licences,  et  il  viole  à  chaque  instant  la  règle 
sans  le  moindre  scrupule.  Or,  comme  les  nouveaux 
séminaristes  se  moulent  sur  les  anciens,  bientôt 
ils  deviennent  eux-mêmes  désobéissants  à  leur 
exemple,  et  ainsi  se  perpétue  l'habitude  de  Tinsu- 
bordination  dans  le  lieu  où  l'obéissance  la  plus 
ponctuelle  devrait  seule  être  en  règne. 

Toute  autorité  étant  insupportable  à  cet  élève 
désobéissant,  respectera-t-il  au  mxoins  celle  de  Dieu 
même  ?  Cela  nous  répugne  à  dire,  mais  l'expérience 
nous  démentirait  si  nous  disions  qu'il  est  fidèle  en 
ce  point.  Qui  ne  sait,  en  effet,  que  le  séminariste 
qui  s'est  fait  une  hal^dtude  de  l'insubordination,  a 
presque  toujours  une  conscience  dure  et  émoussée 
qui  transige  sans  façon  avec  tout  péché  dès  là 
qu'il  n'a  pas  un  caractère  marqué  de  difformité  ; 
tandis  que  le  séminariste,  observateur  fidèle  de  la 
règle  du  séminaire,  a  une  conscience  tendre  et 
délicate  qui  s'alarme  à  l'idée  non-seulement  du 
péché,  mais  même  de  l'imperfection  la  plus  légère? 

Tels  sont  les  traits  auxquels  le  séminariste  dés- 
obéissant pourra  se  reconnaître.  Montrons-lui  main- 
tenant où  le  conduira  son  esprit  d'indépendance 
quand  il  sera  prêtre. 

II 

Quelque  répréhensible  que  soit  la  désobéissance 
dans  le  séminaire,  il  semble,  pour  ainsi  dire, 
qu'elle  n'y  est  qu'en  germe,  si  Ton  considère  les 


—   140  — 

vastes  proportions  qu'elle  prend  quand  on  l'em- 
porte avec  soi  dans  l'exercice  du  saint  ministère. 
Peut-être ,  jeune  ami ,  avez-vous  peine  à  nous 
croire.  Habitué  à  regarder  comme  des  peccadilles 
vos  désobéissances  du  séminaire,  vous  ne  pouvez 
sans  doute  vous  persuader  que  leurs  funestes  efTets 
se  feront  sentir  dans  le  cours  de  votre  vie  sacer- 
dotale. Voyez  au  flambeau  de  Fexpérience  quelle 
est  votre  erreur  ! 

En  quittant  le  séminaire,  vous  chanterez  l'hymne 
de  votre  délivrance  et  vous  direz  dans  l'épanouis- 
sement de  la  joie  :  Je  suis  libre  ;  le  temps  de  l'es- 
clavage est  passé  :  Laquetis  contritus  est!  Illusion. 

Vicaire  d'abord,  suivant  l'usage,  vous  appor- 
terez au  presbytère  votre  fondg  d'indépendance. 
N'ayant  pas  cherché  le  bonheur  dans  la  pratique 
de  l'obéissance  ;  n'ayant  pas  appris  à  plier  et  à 
briser  même  votre  volonté,  vous  souffrirez  beau- 
coup et  vous  ferez  souffrir  plus  encore  le  véné- 
rable curé  dont  vous  partagerez  les  travaux. 

Comptant  sur  une  complète  liberté,  vous  serez 
désappointé  dès  les  premiers  jours  quand  l'auto- 
rité pastorale  se  fera  sentir.  Les  attributions  qui 
vous  seront  dévolues  n'étant  pas  tout  à  fait  au  gré 
de  vos  désirs,  vous  murmurerez  déjà  contre  le  curé 
qui  vous  les  imposera. 

S'il  vous  donne  trop  de  travail,  vous  serez  mé- 
content, et  vous  le  serez  plus  encore  s'il  vous  en 
donne  peu.  Dans  le  premier  cas,  vous  direz  qu'il 
vous  écrase  ;  dans  le  second,  vous  direz  qu'il  vous 
jalouse. 

Vous  verrez  des  réformes  à  opérer,  des  abus  à 
détruire,  el  si,  choqué  de  ces  abus,  vous  essayez, 


—   141   — 

woprio  motiij  d'y  apporter  remède,  une  autorité 
îupérieure  à  la  vôtre  comprimera  les  élans  de 
^otre  zèle,  et  votre  volonté  propre  sera  pénible- 
nent  mortifiée. 

Les  habitudes  de  votre  curé  n'étant  pas  les 
nôtres,  et  vous  voyant  forcé,  en  mainte  circon- 
stance, de  subir  les  siennes,  vous  gémirez  amère- 
ment et  vous  ne  murmurez  pas  ouvertement. 

Son  caractère,  difficile  peut-être ,  exigeant  de 
v^otre  part  des  précautions  et  des  ménagements, 
vous  ferez  vos  sacrifices  de  mauvaise  grâce  ;  et 
ce  qui  ne  serait  rien  pour  un  vicaire  maniable  et 
flexible,  sera  comme  une  montagne  à  soulever 
pour  votre  esprit  indépendant  et  rebelle. 

Yous  croirez  pouvoir  entreprendre  une  bonne 
oeuvre^  une  œuvre  de  zèle  dans  la  paroisse,  et, 
Qe  pensant  pas  même  que  votre  curé  puisse  dés- 
approuver cette  pieuse  entreprise,  vous  vous  met- 
trez en  voie  d'exécution  sans  l'avoir  consulté.  Mé- 
content de  votre  liberté  d'action,  et  ayant  peut-être 
d'ailleurs  quelques  raisons  pour  ajourner  l'œuvre 
que  vous  aurez  en  vue,  il  vous  ordonnera  d'y  renon- 
cer, ce  qui  vous  blessera  certainement  au  vif. 

Yous  aimerez  le  jeu  peut-être,  et  votre  curé  qui 
ne  l'aimera  point,  vous  verra  de  mauvais  œil  et 
vous  fera  même  de  vertes  réprimandes  qui  ne  se- 
ront probablement  que  trop  méritées,  mais  contre 
lesquelles  votre  esprit  indépendant  ne  manquera 
point  de  regimber. 

Yous  aurez  un  goût  prononcé  pour  les  courses, 
les  voyages,  les  repas  de  confrères  ;  et  votre  curé 
qui  ven'a  les  graves  inconvénients  de  ces  fré- 
quentes absences,  après  les  avoir  tolérées  quelque 


—  142  — 

temps,  apposera  son  veto,  au  risque  de  provoquer 
de  nouveau  vos  murmures,  peut-être  même  votre 
ressentiment. 

Yous  aurez  peu  de  goût  pour  le  travail,  et  votre 
négligence  à  cet  égard  se  tmhissant  dans  vos 
catéchismes,  vos  prônes,  votre  éloignement  du 
confessionnal,  votre  curé  vous  en  fera  de  vifs 
reproches,  et  vous  menacera  même  d'en  référer, 
si  cela  continue,  à  l'autorité  épiscopale  :  de  là  de 
nouveaux  tiraillements,  des  scènes  peut-être,  où 
votre  indépendance  entravée  se  fera  jour  avec 
éclat  et  même  parfois  avec  quelque  scandale. 

Les  détails  dans  lesquels  nous  pourrions  entrer 
seraient  infinis  :  car  que  n'aurions-nous  pas  à  dire 
de  vos  rapports  avec  le  curé  que  Dieu  vous  ré- 
serve peut-être  en  punition  do  vos  désobéissances 
passées  !  curé  vif  et  irascible,  curé  défiant  et  soup- 
çonneux ,  curé  pointilleux  et  susceptible ,  curé 
jaloux  de  vos  succès,  curé  sombre,  mélancolique 
ou  d'une  humeur  acariâtre  et  contredisante.  Que 
d'occasions  dans  lesquelles  le  respect  de  l'autorité 
et  l'humble  obéissance  vous  viendraient  en  aide, 
et  dans  lesquelles,  au  contraire,  votre  habitude 
d'insoumission  et  votre  manque  de  respect  habi- 
tuel envers  vos  supérieurs,  vous  feront  commettre 
des  faates  graves  et  vous  rendront  la  vie  amère 
et  presque  insupportable  ! 

Encore  si  vous  concentriez  en  vous-même  vos 
plaintes  et  vos  murmures  :  mais  en  sera-t-il  ainsi  ? 
Oui  peut-être  dans  les  premiers  temps  ;  mais  en- 
nemi, comme  vous  le  serez  de  vieille  date,  de  tout 
assujettissement  et  de  toute  contrainte,  bientôt 
vous  chercherez  dans  la  paroisse  le  contrepoids 


1 


—  143  — 

les  peines  du  presbytère,  et  n'ayant  jamais  eu 
)our  l'autorité  le  respect  et  les  égards  qui  lui  sont 
lus,  vous  colporterez  de  tous  côtés  vos  chagrins 
lomestiques  ;  puis  vos  plaintes  amères  trouvant 
le  l'écho  chez  vos  partisans,  vous  organiserez  ces 
coteries  et  ces  divisions  qui  ruinent  le  ministère 
)i  scandalisent  les  peuples. 

Tôt  ou  tard  sans  doute  le  bruit  de  ces  désordres 
)arviendra  jusqu'à  votre  vénérable  pontife,  et  il 
^ous  arrivera  une  de  ces  lettres  fermes,  et  même 
)lus  que  fermes,  où  votre  conduite  sera  vivement 
lensurée  comme  elle  méritera  de  l'être. 

Au  lieu  de  vous  incliner  devant  l'autorité  de  votre 
)remier  supérieur,  votre  esprit  d'insubordination 
'ousferaleverlatête,  et  englobant  dans  votre  ressen- 
iment  évêque,  grands  vicaires  et  curé,  vous  récri- 
ninerez  amèrement  contre  les  uns  et  les  autres,  ma- 
édifiant  par  des  critiques  acerbes  ceux  que  vous 
ievriez  édifier  par  une  humble  et  respectueuse 
ibéissance. 

Du  reste,  ce  ne  sera  pas  seulement  en  ces  cir- 
onstanccs  que  vous  manquerez  de  respect  à  l'é- 
gard de  vos  hauts  supérieurs.  Toujours  influencé 
ar  vos  mauvaises  dispositions  envers  l'autorité,  si 
uelquefois  l'administration  épiscopale  est  blâmée 
ar  quelques  confrères,  s'ils  désapprouvent  ses 
ctes,  s'ils  prennent  parti  pour  un  prêtre  qu'ils 
roient  injustement  frappé,  s'ils  -critiquent  cer- 
lines  nominations  qui  n'ont  pas  leur  agrément, 
ous  serez  le  chef  de  fde  de  ces  censeurs  témé- 
lires,  et  au  lieu  de  contenir  leur  coupable  oppo- 
Ltion,  vous  la  rendrez,  par  vos  malignes  impru- 
ences,  plus  ardente  et  plus  vive. 


—  144  — 

N'ayant  jamais  voulu  voir  la  volonté  de  Dieu 
dans  celle  de  vos  supérieurs,  vous  n'accepterez 
les  emplois  qu'ils  vous  proposeront  que  quand  ils 
seront  selon  vos  goûts,  et  pour  vous  y  soustraire 
quand  ils  ne  vous  plairont  pas,  vous  alléguerez  de 
vains  et  faux  prétextes,  vous  intriguerez,  vous 
agirez  dans  l'ombre,  vous  mettrez  sur  pied  des 
intercesseurs  complaisants,  sans  vous  inquiéter 
le  moins  du  monde  de  déranger  par  vos  calculs 
les  plans  de  la  divine  Providence,  et  de  vous  pri- 
ver des  grâces  qu'elle  vous  destinait  dans  tel  poste 
et  qu'elle  vous  refusera  dans  tel  autre  que  vous 
aurez  obtenu  par  vos  secrètes  manœuvres. 

Et  que  sera-ce,  grand  Dieu  !  quand  l'adminis- 
tration d'une  cure  vous  sera  confiée  !  Plus  vous 
aurez  fait  souffrir  votre  curé  par  votre  insubordi- 
nation, plus  vous  serez  intraitable  à  l'égard  de  vos 
vicaires  :  c'est  un  fait  constaté  tous  les  jours  par 
l'expérience.  Moins  pliant  que  jamais  et  pouvant 
d'ailleurs,  avec  quelque  apparence  de  raison,  user 
pleinement  de  votre  autorité,  vous  serez  exigeant, 
sévère,  inflexible  envers  vos  jeunes  collaborateurs. 

Yous  régirez  votre  troupeau  in  virgâ  ferreà,  et 
l'ombre  seule  d'une  opposition  vous  fera  prendre 
feu.  A  la  moindre  occasion,  vous  vous  élèverez 
contre  l'autorité  civile  ;  vous  romprez  même  avec 
elle  et,  par  cette  rupture,  vous  attirerez  sur  vous 
et  sur  votre  paroisse  des  tempêtes  furieuses.  Tou- 
jours, toujours  votre  volonté  propre  voudra  domi- 
ner, et  vous  compromettez  votre  ministère  par  les 
excès  de  la  sévérité,  au  lieu  de  le  faire  bénir  par 
les  condescendances  légitimes  du  vrai  zèle. 

Eh  bien  !  jeune    et  tendre  ami ,  eussiez- vous 


—  145  — 

jamais  cru  que  votre  habitude  de  désobéissance  et 
d'insubordination  au  séminaire,  vous  eût  conduit 
au  déplorable  terme  que  vous  avez  en  ce  moment 
sous  les  yeux  ?  Ce  que  vous  traitiez  de  minutie 
quand  vous  étiez  séminariste  ne  vous  semblera- 
t-il  encore  que  minutie  quand  vous  serez  un  prêtre 
tel  qu'il  vient  de  vous  être  dépeint?  Mais,  hélas  ! 
il  sera  bien  tard  alors  de  vous  faire  petit  sous  la 
main  de  l'autorité,  si,  dès  le  principe,  vous  n'avez 
pas  appris  à  captiver  votre  volonté  sous  le  joug 
salutaire  de  l'obéissance.  Employez  donc,  sans  plus 
tarder,  les  moyens  qui  vont  vous  être  proposés 
pour  vous  corriger  de  votre  défaut. 


III 


—  Nous  ne  vous  dirons  pas  de  vous  étudier  pour 
voir  si  vous  reconnaissez  en  vous  le  défaut  de  la 
désobéissance.  Ce  n'est  point  là  un  vice  subtil  et 
caché.  Si  vous  êtes  désobéissant,  vous  ne  devez 
pas  l'ignorer  :  mais  nous  vous  dirons  d'examiner 
si  vous  regardez  l'obéissance  comme  une  vertu 
très-importante,  et  si  vous  vous  reprochez  vive- 
ment les  plus  légers  manquements  à  son  égard. 

—  Pour  estimer  cette  vertu  selon  sa  valeur, 
considérez  souvent,  en  détail  et  devant  Dieu,  les 
grands  biens  qu'elle  procure  et  les  abîmes  profonds 
dans  lesquels  on  tombe  quand  on  s'en  affranchit. 

—  Méditez  fréquemment  sur  la  vie  de  Notre- 
Seigneur  Jésus-Christ,  qui  a  été  le  plus  parfait 
modèle  des  vrais  obéissants  et  duquel  saint  Ber- 
nard a  dit  ces  belles  paroles  :  Pour  obéir  à  son 
Père,  il  a  mieux  aimé  perdre  la  vie  que  de  perdre 

n.  9 


—  146  — 

l'obéissance  :  Perdidit  vitam,  ne perderet  obedien- 
tiam. 

—  Pensez  que  la  volonté  propre  de  l'homme  est 
Tennemie  jurée  de  l'obéissance  et  qu'elle  est  la 
source  de  tous  les  maux  en  ce  monde  et  en  l'autre, 
selon  ces  paroles  que  dit  encore  saint  Bernard  : 
Toile  propriam  voluntatem  et  infernus  non  erit. 

—  Ne  regardez  jamais  la  plus  légère  violation 
de  l'obéissance  comme  peu  de  chose.  Si  vous  ne 
respectez  cette  vertu  que  dans  les  grandes  occa- 
sions, ces  occasions  étant  rares,  vous  ne  serez 
jamais  un  vrai  obéissant  ;  tandis  que  si  vous  pra- 
tiquez habituellement  l'obéissance  dans  les  plus 
petits  détails,  vous  briserez  par  là  même  à  chaque 
instant  votre  volonté  propre  et  vous  atteindrez 
votre  but. 

—  Faites-vous  une  loi  d'obéir  en  tout  temps,  en 
tous  lieux  et  en  toutes  choses.  Si  vous  n'obéissez 
qu'en  quelques  circonstances,  ce  sera  toujours  en 
celles  où  vous  n'aurez  presque  aucun  sacrifice  à 
faire,  et  ainsi  votre  obéissance  même  sera,  pour 
ainsi  dire,  encore  un  acte  de  propre  volonté. 

—  Obéissez  de  bonne  grâce  et  non  à  contre- 
cœur ;  étouffez  vos  murmures  et  vos  répugnances. 
Pour  mettre  vos  supérieurs  à  l'aise  dans  le  com- 
mandement, laissez-leur  ignorer  que  ce  qu'ils  vous 
prescrivent  vous  contrarie  ;  usez  comme  les  saints 
d'une  pieuse  hypocrisie,  en  montrant  un  certain 
contentement  lors  même  que  naturellement  vous 
ne  l'éprouvez  pas  :  Hilarem  datorem  diligit  Deus. 
Â.gir  ainsi,  c'est  exterminer  la  désobéissance. 

—  Purifiez  vos  vues  en  obéissant  :  pas  de  res- 
pect humain,  pas  de  crainte  servile,  pas  de  consi- 


dératioû  d'intérêt  propre  :  voyez  Dieu  dans    vos 
supérieurs  et  n'obéissez  que  pour  lui  plaire. 

—  Obéissez  promptement  :  jamais  de  délais 
ni  d'ajournements.  L'obéissance  a  ses  traînards 
comme  les  armées.  Les  séminaristes  qui  disent 
toujours  :  j'ai  le  temps,  rien  ne  presse,  je  puis 
bien  finir  ceci  ou  cela,  et  qui  n'arrivent  jamais 
qu'après  les  autres ,  sont  des  traînards  et  des 
làcbes.  Imitez  les  anges  :  dès  que  Dieu  leur  intime 
sa  volonté,  ils  l'exécutent  à  l'instant  même  :  qu'il 
dise  à  l'un  d'être  pendant  quatre-vingts  années  le 
gardien  du  flls  d'un  pauvre  charbonnier  qui  vient 
de  naître  au  fond  d'une  forêt,  ou  qu'il  dise  à 
l'autre  de  garder  le  flls  d'un  roi  dans  un  riche 
palais,  le  premier  ne  balance  pas  plus  que  le  se- 
cond à  remplir  sa  mission  :  Fidelis  obediens,  dit 
saint  Bernard,  nescit  moras,  fugit  crastinurriy  igno- 
rât tarditatem.     ' 

—  Jamais  un  mot  contre  vos  supérieurs  :  le  bon 
séminariste  aimerait  mieux  mourir  que  de  blâmer 
ou  même  de  désapprouver  l'autorité  ;  il  a  toujours 
devant  les  yeux  cette  sentence  du  divin  Sauveur  : 
Qui  vos  audit  me  audit,  qui  vos  spernit  me  spemii. 

—  Ayez  pour  le  règlement  du  séminaire  un 
respect  inviolable  ;  considérez-le  comme  la  parole 
de  Dieu  même  :  si  vous  le  gardez,  il  vous  gardera. 
Le  séminariste,  violateur  habituel  du  règlement, 
est  en  voie  de  perdition;  il  sera  certainement  plus 
tard  un  prêtre  indépendant,  c'est-à-dire  un  pauvre 
prêtre.  Le  démon  le  sait  bien  quand  il  lui  dit  à 
chaque  instant  qu'il  peut  enfreindre  sa  règle  sans 
péché. 

—  Confessez-vous  des  moindres  violations  du 


—  148  — 

règlement.  Appelez  l'attention  de  votre  confesseur 
sur  ce  point  capital  ;  priez-le  de  vous  prêter  main- 
forte  pour  vous  aider  à  acquérir  T obéissance  par- 
faite, et  punissez-vous  toujours  des  plus  petites 
fautes  que  vous  commettrez  contre  cette  vertu. 

—  Pour  acquérir  plus  sûrement  encore  j 'amour 
de  la  règle,  faites-vous  à  vous-même  un  règlement 
particulier  en  sus  du  règlement  commun.  Déter- 
minez dans  ce  règlement  l'ordre  précis  de  vos 
travaux  de  chaque  jour,  afm  d'être  sans  cesse 
dans  l'exercice  de  l'obéissance.  N'oubliez  pas  sur- 
tout votre  règlement  des  vacances,  et  soyez  fidèle  à 
l'observer  depuis  le  premier  jour  jusqu'au  dernier. 

Que  vous  serez  heureux,  jeune  et  tendre  ami,  si 
vous  suivez  ces  règles  !  Ah  !  soyez-en  sur,  vous  ne 
serez  jamais  un  de  ces  prêtres  immortifiés  qui  ne 
veulent  que  ce  qu'ils  veulent,  qui  reculent  devant 
un  sacrifice  et  qui  désolent  leurs-  supérieurs  par 
des  actes  de  rébellion  dont  quelquefois  les  jour- 
naux retentissent,  actes  après  lesquels  vient  une 
rétractation  qui  ne  répare  jamais  qu'à  demi  le 
scandale  de  leur  révolte. 

Soyez  obéissant,  jeune  et  digne  ami,  soyez-le  en 
tout  et  toujours,  et  Jésus  qui  aura  été  votre  modèle, 
sera  lui-même  votre  récompense. 

'(Voyez  le  Saint  Prêtre,  chapitre  de  l'Obéissance,  page  203.) 


—  149  — 


CHAPITRE  III 


Le  séminariste  entêté,  inflexible,  opiniâtrement  attaché  à 
son  sentiment. 

ï 

Le  séminariste  entêté  peut  tenir  pour  certain 
que  l'orgueil  est  un  de  ses  vices  dominants  ;  car 
Tentètement  est  de  l'orgueil  tout  pur.  L'orgueil- 
leux, en  effet,  veut  triompher  en  tout  et  toujours  ; 
or  que  prétend  l'homme  entêté,  si  ce  n'est  aussi 
de  triompher  et  de  vouloir  absolument  ce  qu'il 
veut,  au  mépris  de  la  volonté  des  autres  ? 

Malheur  à  lui  s'il  avance  une  proposition  fausse  ! 
il  la  soutiendra  vraie  contre  toutes  les  clartés  de 
l'évidence.  Cette  évidence,  d'un  côté,  et  son  amour- 
propre,  de  l'autre,  seront  comme  deux  soleils  qui 
brilleront  devant  lui  ;  mais  le  second  soleil  éclip- 
sera le  premier;  c'est  tout  simple  :  l'un  sera  hors 
de  lui,  l'autre  sera  en  lui-même  ;  et  placé  pour 
ainsi  dire  au  centre  même  des  rayons  de  ce  der- 
nier, il  sera  aveuglé  par  la  fausse  lumière  qui 
jaillira  de  son  propre  fonds. 

Si  l'on  insiste  pour  le  convaincre,  il  insistera  de 
son  côté  pour  imposer  sa  conviction,  et,  dans 
toute  discussion,  il  faudra  qu'il  ait  le  dernier  mot. 

S'il  se  connaissait  bien;  s'il  savait  que  quand  il 
avance  quelque  chose  il  n'en  veut  pas  démordre,  il 
est  probable  qu'il  s'interrogerait  secrètement  aTant 


—   150  — 

de  se  prononcer  sur  tel  ou  tel  point  ;  mais  sa  con- 
fiance aveugle  en  lui-même,  qui  est  un  de  ses  traits 
caractéristiques,  ne  lui  laisse  point  suivre  cette 
règle  de  prudence.  Aussitôt  qu'une  question  se 
présente,  il  prend  son  parti,  et  dès  qu'il  l'a  pris, 
il  s'y  cramponne  avec  une  invincible  ténacité. 

La  vérité  n'est  pas  ce  qui  le  touche;  le  triomphe 
de  son  opinion,  voilà  la  seule  chose  qui  le  préoccupe. 
Si  de  temps  en  temps,  dans  la  chaleur  de  la  dispute, 
certains  éclairs  de  vérité  le  saisissent,  il  les  consi- 
dère comme  des  lueurs  trompeuses  et  persiste  opi- 
niâtrement à  ne  croire  vrai  que  ce  qu'il  soutient. 

Quelque  fortes  que  puissent  être  les  raisons  que 
son  adversaire  fait  valoir,  il  les  trouve  d'une  fai- 
blesse pitoyable  et  glisse  à  côté  d'elles  en  les  flé- 
trissant d'un  sourire  dédaigneux. 

Bien  plus ,  il  leur  refuse  souvent  l'attention 
qu'elles  méritent.  S'il  cède  la  parole  à  son  interlo- 
cuteui%  c'est  bien  moins  pour  écouter  ce  qu'il  va 
dire,  que  pour  chercher  de  nouveaux  arguments 
à  l'appui  de  sa  thèse.  Qu'il  y  fasse  attention,  et  il 
verra  qu'à  la  fin  d'une  dispute,  il  lui  serait  impos- 
sible de  reproduire  les  raisons  dont  on  s'est  servi 
pour  le  convaincre  :  comment  le  pourrait-il?  il  n'a 
pas  daigné  les  entendre. 

Au  milieu  de  ses  triomphes,  il  essuie  parfois 
des  défaites  bien  pénibles  pour  son  amour-propre; 
c'est,  par  exemple,  lorsqu'on  lui  démontre  nette- 
ment que  tel  fait,  dont  il  soutenait  la  réalité  avec  son 
opiniâtreté  ordinaire,  est  complétem^ent  inexact. 
Quand  la  discussion  roule  sur  des  choses  purement 
intellectuelles,  il  est  à  l'aise  et  chicane  tant  qu'il 
veut  ;  mais  un  fait  extérieur,   patent,  physique- 


~    151   — 

ment  saisissable,  a  une  puissance  irrésistible  qui 
le  déconcerte. 

Encore  s'il  défendait  ses  opinions  avec  le  calme 
et  la  modération  dont  une  bonne  éducation  fait  un 
devoir;  mais  qu'il  est  loin  d'en  être  ainsi!  Aveu- 
glé par  son  orgueilleuse  obstination,  il  décide,  il 
tranche,  il  sabre  sans  pitié,  et  semble  trouver 
étrange  qu'on  s'avise  de  le  contredire,  ne  voulant 
pas  voir  qu'il  irrite  au  lieu  de  persuader,  et  que 
l'adversaire  le  plus  modéré  s'échaufTe  lui-même 
d'un  feu  qui  ne  lui  est  pas  naturel  et  que  la  vio- 
lence du  choc  fait  jaillir. 

Faut-il  s'étonner  si,  dans  l'ardeur  du  débat,  des 
expressions  plus  que  déplacées  se  font  jour? 
L'homme  entêté  est  presque  toujours  un  hom_me 
incivil  et  grossier  ;  à  défaut  de  bonnes  raisons  il 
dit  des  injures,  ou  du  moins  des  mots  irritants 
qui  impriment  caractère  dans  l'esprit  de  ceux  qu'ils 
atteignent  et  dont  ils  gardent  un  long  et  amer  sou- 
venir. 

Les  froideurs  et  les  rancunes,  qui  quelquefois 
altèrent  la  douce  sérénité  d'un  séminaire  bien 
réglé,  ont  presque  toujours  pour  cause  l'opiniâtreté 
d'un  séminariste  mal  élevé.  Un  peu  de  flexibilité 
et  de  condescendance  tarirait  infaHliblement  la 
source  de  ces  petites  divisions  au  sein  desquelles 
la  charité  succombe. 

Un  séminariste  entêté  est  à  charge  à  ses  condis- 
ciples ;  ils  le  fuient  comme  un  être  insociable,  et 
quand  ils  sont  obligés  de  le  subir,  ils  s'arment  de 
patience  s'ils  sont  vertueux,  et  le  laissent  trôner 
en  maître  dans  les  conversations. 

Ce  n'est  pas  pourtant  qu'il  soit  toujours  dans  le 


—  152  — 

faux  quand  il  soutient  quelque  chose  ;  mais  lors 
même  qu'il  est  dans  le  vrai,  il  gâte  la  bonne  cause 
dont  il  se  fait  le  patron  par  la  manière  impérieuse 
et  magistrale  dont  il  la  plaide.  La  vérité  dans  sa 
bouche  perd  une  partie  de  son  lustre,  et  on  la 
plaint  d'avoir  un  avocat  qui  la  défend  si  mal.  Sou- 
vent même  on  se  sent  naturellement  porté  à  le 
contredire  quoiqu'on  sache  bien  qu'il  a  raison,  tant 
on  est  choqué  des  airs  prétentieux  qu'il  s'arroge. 

Il  arrive  quelquefois  que  le  séminariste  entêté 
a  des  qualités  qui  voilent  à  ses  yeux  le  'défaut  au- 
quel il  est  sujet.  Il  n'est  pas  rare,  en  effet,  de  voir 
une  piété,  même  assez  avancée  à  quelques  égards, 
unie  à  l'opiniâtreté  ;  et  cette  piété,  qui  n'est  pas 
inconnue  à  celui  qui  en  est  doué,  l'aveugle  et  le 
rassure  au  lieu  de  l'éclairer  et  de  lui  inspirer  des 
craintes.  Son  opiniâtreté,  à  lui,  porte  pour  l'ordi- 
naire sur  des  points  philosophiques,  théologiques, 
moraux  ou  ascétiques  qu'il  croit  en  conscience 
pouvoir  soutenir  et  qu'il  soutient  en  effet,  mais 
avec  un  zèle  qui  n'est  pas  toujours  selon  la  science. 
Combien  de  pieux  séminaristes  et  de  saints  prê- 
tres, au  temps  où  Lamennais  proclamait  ses  doc- 
trines philosophiques,  défendaient  ces  doctrines 
avec  une  chaleur  immodérée  avant  qu'elles  eus- 
sent été  condamnées  par  le  Saint-Siège  ! 

D'autres  fois,  c'est  à  la  science  que  la  pertinacité 
se  trouve  jointe.  Le  savant,  quand  il  est  entêté  et 
qu'il  n'est  pas  humble,  est  un  fléau  pour  l'Église. 
C'est  dans  la  tête  des  hommes  de  sa  trempe  que 
se  forment  les  hérésies.  Tout  bouffi  de  son  savoir, 
il  agit  comme  s'il  avait  reçu  le  don  d'infaillibilité. 
Secondé  par  le  talent,  il  met  ses  lumières  au  ser- 


—  153  — 

vice  de  Terreur,  et  s'enfonce  rapidement  dans 
Fabime  sans  vouloir  entendre  les  voix  amies  qui 
lui  donnent  de  salutaires  conseils.  La  haute  opi- 
nion qu'il  a  de  lui-même  ne  lui  permet  pas  de  croire 
qu'un  homme  qui  lui  est  inférieur  en  talent  puisse 
être  dans  le  vrai,  et  lui  dans  le  faux,  sur  le  point 
qu'ils  discutent.  Que  de  fois,  depuis  la  déplorable 
fm  de  Lamennais,  nous  nous  sommes  rappelé  ces 
mots  d'un  médecin  distingué  qui  avait  eu  l'occa- 
sion de  le  voir  un  jour  :  «  Quel  homme  bilieux  I 
nous  disait-il,  —  et  cela  avant  ses  premières  er- 
reurs. —  S'il  s'égare,  je  le  crois  d'humeur  à  ne 
revenir  jamais  !  »  L'événement,  hélas  !  n'a  que 
trop  vérifié  la  prophétie  du  savant  docteur. 

Du  reste,  ce  n'est  pas  seulement  dans  ses  discus- 
sions que  notre  séminariste  est  obstiné,  c'est  aussi 
dans  ses  actes.  S'il  a  résolu  de  ne  pas  faire  une 
chose,  et  si  surtout  il  a  dit  formellement  qu'il  ne 
la  ferait  point,  rien  au  monde  ne  la  lui  fera  faire. 

La  sentence  érigée  en  axiome  quil  vaut  mieux 
plier  que  7'ompre,  n'est  point  à  son  usage  :  plier, 
revenir  sur  ce  que  l'on  a  avancé,  est  à  ses  yeux 
faiblesse  et  pusillanimité.  Voulant  donc  faire  pa- 
rade de  ce  qu'il  appelle  fermeté  d'esprit,  il  prend 
l'inverse  de  la  devise  des  sages  et  dit  avec  aplomb  : 
//  vaut  mieux  rompre  que  plier. 

Il  va  quelquefois  plus  loin  encore  :  joignant  l'au- 
dace à  l'obstination,  il  s'évertue  à  prouver,  lors 
même  qu'il  sait  le  contraire,  qu'il  s'est  conduit 
comme  il  devait  se  conduire.  Qui  n'a  pas  entendu 
cent  fois  des  hommes  entêtés  dire  avec  énergie  en 
hochant  la  tête  :  Ce  que  j'ai  fait  est  bien  fait  ;  si 
fêtais  à  le  faille,  je  le  ferais  encore  ? 

II.  9. 


—   154  — 

Od  l'entreprend,  on  le  combat,  on  le  dépiste,  on 

Faccable  sous  le  poids  de  raisons  péremptoires 
pour  le  forcer  à  reconnaître  son  tort,  et  tout  ce 
qu'on  obtient,  c'est  de  lui  faire  répéter  isa  phrase 
favorite  :  Si  j'étais  à  le  faire,  je  le  ferais  encore. 

Un  jour,  un  homme  du  monde  nous  dit  avec 
naïveté  ces  mots  qui  nous  frappèrent  :  «  Je  suis 
bien  heureux  d'être  catholique  croyant  ;  car  si 
j'étais  né  protestant,  je  sens  que  rien  n'aurait  pu 
me  déterminer  à  embrasser  le  catholicisme.  »  Cet 
homme  devait  être  entêté,  et  nous  savons  qu'il 
l'était  en  effet. 

Un  séminariste  opiniâtre  résiste  à  ses  supérieurs 
comme  à  ses  égaux.  Ils  auront  beau  défendre  une 
chose  ou  en  prescrire  une  autre  :  tous  obéiront, 
lui  seul  résistera.  Tout  au  plus  dissimulera-t-il 
prudemment  ses  rébellions  comme  un  enfant  in- 
soumis qui  se  cache  pour  faire  ses  fredaines. 

L'obéissance  silencieuse  et  passive,  qui  faisait  la 
gloire  des  saints,  lui  semble  une  lâcheté.  Si  on  ne 
lui  démontre  pas  la  raison  du  commandement,  ou 
si  cette  raison  lui  semble  frivole,  il  se  cabre,  il 
murmure,  et  s'il  craint  les  suites  d'une  désobéis- 
sance ouverte,  il  se  venge  de  l'autorité  qui  le  com- 
prime, parla  critique  amère  qu'il  eu  fait  dans  des 
entretiens  secrets  avec  ses  condisciples. 

Ses  confesseurs  eux-mêmes  ne  le  convainquent 
pas  toujours.  S'ils  exigent  de  lui  des  sacrifices 
qu'il  ne  veut  pas  faire,  il  les  taxe  d'exagération  et 
les  considère  comme  de  petits  esprits  dont  on  n'est 
pas  toujours  obligé  de  suivre  les  lumières. 

Rentré  dans  la  maison  paternelle  pendant  les 
vacances,  ses  parents  qu'il  a  tant  de  fois  fait  gémir 


—   155  — 

par  les  entêtements  de  son  jeune  âge,  gémissent 
encore,  et  plus  amèrement  que  jamais,  de  voir 
que  le  séminaire  même  ne  l'a  pas  corrigé  de  son 
défaut.  Ils  concluent,  non  sans  raison,  qu'il  por- 
tera dans  l'exercice  du  saint  ministère  l'opiniâtreté 
dont  il  fait  preuve  à  chaque  instant,  et  son  avenir, 
l'avenir  d'un  fils  chéri',  leur  apparaît  gros  de  tem- 
pêtes et  de  disgrâces.  Dans  la  famille,  comme  par- 
tout, il  faut  qu'on  lui  cède  ;  il  excite  lui-même  des 
discussions  qu'il  devrait  calmer,  et  provoque  des 
vivacités  qui  sont  loin  de  faire  son  éloge. 

Les  compagnies  du  monde  où  il  paraît,  sont 
aussi  le  théâtre  de  ses  dissertations  obstinées.  La 
plus  légère  contradiction  lui  fait  ombrage,  et  là 
encore  il  se  montre  tenace  et  opiniâtre,  au  lieu 
d'édifier  ceux  qu'il  fréquente  par  une  douce  et 
aimable  condescendance. 

Quelquefois  sa  conduite  pendant  les  vacances 
laisse  à  désirer  sur  certains  points  assez  délicats. 
Peu  de  piété,  amour  du  jeu,  absences  continuelles, 
fréquentations  inconvenantes  ;  tout  cela  lui  attire 
des  traits  malins  qui  font  souffrir  ses  amis  :  mais 
c'est  assez  qu'ils  lui  en  disent  un  mot  pour  qu'il 
perpétue  obstinément  ses  légèretés  et  ses  impru- 
dences. Rien  ne  le  touche,  rien  ne  l'ébranlé,  et  sur 
ce  point  comme  sur  tous  les  autres,  il  s'attache 
éperdument  à  son  sentiment  propre,  en  dépit  de 
celui  des  hommes  prudents  qui  l'éclairent. 

Pauvre  jeune  homme  !  où  vas -tu  ?  et  quelles 
seront  les  suites  de  cet  entêtement  qui  t'aveugle? 
En  réponse  à  ces  questions,  écoute  et  retiens  bien 
ce  que  l'expérience  va  Rapprendre. 


—  136  — 
II 

Rien  ne  nous  inspire  plus  d'inquiétude  que  l'état 
d'un  jeune  prêtre  qui  sort  du  séminaire  sans  y 
avoir  déposé  sa  suffisance,  sa  vanité,  son  caractère 
entier,  sa  confiance  en  lui-même  et  son  entêtement. 
Ses  premiers  pas  dans  le  saint  ministère  seront 
des  chutes,  et  ces  chutes  l'endurciront  de  plus  en 
plus  au  lieu  de  l'avertir  et  de  le  corriger. 

Les  prêtres  de  ce  caractère  mettent  le  trouble 
dans  les  paroisses,  et  toujours  ils  cherchent  ail- 
leurs qu'en  eux-mêmes  la  cause  des  désordres  dont 
ils  sont  les  auteurs. 

Prenez  au  hasard,  dans  le  champ  de  l'Église,  un 
troupeau  où  les  brebis  sont  insurgées  contre  le 
pasteur  :  nous  ne  croyons  pas  nous  tromper  en 
disant  que,  très-probablement,  ropiniâtre  ténacité 
de  celui-ci  est  le  principe  du  mal.  Il  nous  prouvera 
sans  doute  que  ses  prétentions  sont  fondées  ;  mais 
nous  lui  prouverons,  nous,  qu'il  a  tort  de  les 
pousser  aussi  loin  qu'il  le  fait,  et  qu'il  devrait  en 
rabattre  quelque  chose  pour  le  bien  de  la  paix  ; 
nous  lui  prouverons,  en  outre,  qu'au  lieu  d'im- 
poser sa  volonté  comme  un  ordre,  il  devrait  la 
faire  accueillir  comme  une  supplique  et  méditer 
ce  mot  de  saint  Paul  :  Omnia  mihi  licent,  sed  non 
omnia  expedinnt. 

On  ne  résiste  guère  à  un  prêtre  toujours  doux, 
conciliant,  humble,  et  sachant  sacrifier  ses  vues 
personnelles  quand  le  plus  grand  bien  l'exige.  Au 
contraire,  tout  est  obstacle  à  l'orgueilleux,  tout 
s'arme  contre  lui  quand  il  parle  et  agit  en  despote, 
et  que,  toujours  ferme,  il  refuse  de  plier  à  propos 


—  157  — 

pendant  la  tempête  pour  se  relever  intact  quand 
elle  est  passée. 

Mais  venons  à  vous,  jeune  et  tendre  ami,  et 
voyons  les  fautes  que  votre  opiniâtreté  vous  fera 
commettre . 

Quel  que  soit  le  ministère  que  vous  exerciez,  ne 
croyez  pas  qu'il  sera  sans  épines  et  sans  contra- 
diction. Ayez  des  intentions  pures,  un  zèle  ardent, 
une  application  constante  à  vos  devoirs,  des  mœurs 
irréprochables  et  autres  qualités  fondamentales  ; 
l'ien  de  tout  cela  ne  vous  préservera  de  certaines 
oppositions  qui  viendront  fréquemment  entraver 
votre  marche.  Si  donc  vous  voulez  impérieusement 
que  toujours  votre  volonté  s'exécute  ;  si  vous  ne 
savez  pas  la  faire  fléchir  pour  éviter  des  conflits, 
vous  serez  à  chaque  instant  dans  un  état  de  lutte, 
et  vous  ruinerez  votre  autorité  précisément  par 
les  moyens  que  vous  emploierez  pour  la  faire  pré- 
valoir. 

Dès  le  premier  jour  peut-être,  votre  curé  élèvera 
des  prétentions  qui  seront  en  désaccord  avec  les 
vôtres,  et  votre  volonté  revêche  s'insurgera  contre 
celle  de  votre  bupérieur  hiérarchique.  Yous  insiste- 
rez pour  l'emporter,  il  insistera  plus  que  vous 
encore  pour  maintenir  son  dire,  et  vous  subirez 
l'humiliation  d'une  défaite. 

Le  lendemain,  nouvelle  scène  et  nouvelle  preuve 
d'entêtement  de  votre  part  :  discussions  animées, 
paroles  inconvenantes,  échange  de  raisons  à  l'ap- 
pui de  vos  sentiments  respectifs  :  tels  sont  les 
préliminaires  de  la  rupture.  Céderez- vous  ?  Non. 
Résisterez-vous  ?  Oui  ;  mais  alors  plus  de  paix, 
plus  d'harmonie,  plus  de  confiance  mutuelle  ;  état 


—  158  — 

de  malaise  par  conséquent,  état  de  guerre  et  de 
souffrance  que  votre  obstination  perpétuera,  et 
qu'un  petit  grain  de  condescendance  ferait  aussitôt 
disparaître. 

Vous  ne  serez  plus  au  séminaire  où  tout  pliait 
devant  vous,  et  où,  n'ayant  affaire  qu'à  des  sémi- 
naristes qui  vous  épargnaient  pour  ne  pas  vous 
irriter ,  vous  teniez  le  sceptre  des  discussions. 
L'humble  déférence  de  vos  condisciples  vous  aura 
gâté,  et  vous  voudrez  traiter  avec  votre  curé  comme 
vous  traitiez  autrefois  avec  vos  égaux.  C'est  de  sa 
part  que  vous  viendra  la  leçon  de  l'obéissance  ; 
mais,  hélas  !  ne  sera-t-il  point  trop  tard  pour  en 
profiter,  et  ne  reviendrez-vous  point  à  votre  maxime 
qu'il  vaut  mieux  rompre  que  plier? 

Nous  l'avons  dit  au  chapitre  de  la  Désobéissance, 
rien  de  plus  fréquent  dans  la  vie  d'un  vicaire  que 
les  occasions  de  discuter  avec  un  curé.  Les  goûts 
et  les  habitudes  ne  sont  pas  les  mêmes;  les  opinions 
théologiques,  politiques,  etc.,  offrent  des  diver- 
gences ;  les  plans  d'administration  plaisent  à  l'un 
et  déplaisent  à  l'autre  ;  le  partage  des  fonctions  du 
ministère  n'accommode  guère  que  celui  qui  le 
fait;  les  moyens  de  réforme,  en  matière  d'abus, 
semblent  excellents  à  celui-ci  et  pitoyables  à  celui- 
là;  les  œuvres  de  zèle  et  la  manière  de  les  conduire 
sont  diversement  appréciées.  Or,  tout  cela  revenant 
à  chaque  instant,  suscite  inévitablement  des  débats 
perpétuels;  débats  dont  on  verrait  à  peine  l'ombre, 
si  le  vicaire  savait  fléchir  et  se  borner  à  de  simples 
observations  sans  vivacité  ni  amertume  ;  mais  dé- 
bats chaleureux,  passionnés  peut-être,  si  le  vicaire 
est  opiniâtre  par  nature  et  veut  usurper  le  com- 


—  159  — 

mandement  ou  du  moins  l'exercer  à  l'égal  de  son 
curé,  ce  qui  est  impraticable. 

Si  encore  les  suites  de  votre  entêtement  ne  se 
faisaient  sentir  qu'au  presbytère,  le  bon  esprit  de 
votre  curé  et  celui  de  la  servante,  en  la  supposant 
charitable  et  discrète,  concentreraient  le  feu  dans 
son  foyer  :  mais,  violemment  comprimé  comme 
vous  le  serez  par  une  autorité  que  vous  trouverez 
insupportable,  vous  voudrez  vous  accorder  comme 
dédommagement  la  satisfaction  de  trouver  des 
approbateurs  de  vos  idées,  et  vous  communiquerez 
à  des  confrères  et  même  à  des  laïques  qui  l'igno- 
reront, ce  qu'il  serait  important  qu'ils  ignorassent 
toujours. 

Du  reste,  votre  entêtement  ne  sera  bientôt  plus 
im  secret  pour  personne.  Chaque  jour  vous  en 
donnerez  de  nouvelles  preuves.  Le  monde  lui- 
même  sera  témoin  de  vos  discussions  impétueuses. 
Sur  des  matières  quelquefois  insignifiantes,  vous 
émettrez  des  opinions  qui,  n'étant  pas  toujours 
partagées,  provoqueront  votre  vivacité  et  mettront 
en  relief  votre  obstination.  Les  hommes  grossiers 
se  fâcheront  tout  net,  et  les  hommes  polis  diront 
entre  eux  que  vous  ne  l'êtes  guère  et  que  vous 
blessez  autant  la  civilité  que  l'Évangile. 

Et  que  sera-ce  donc,  grand  Dieu,  quand  vous 
serez  curé  !  C'est  alors  que  votre  caractère  entier 
paraîtra  dans  tout  son  jour  ;  mais  c'est  alors  aussi 
que  vous  en  recueillerez  les  mauvais  fruits. 

Pour  qu'un  curé  opiniâtre  et  inflexible  fit  quelque 
bien  dans  la  paroisse  qu'il  gouverne,  il  faudrait 
que  tous  les  habitants  de  cette  paroisse  fussent 
doux,  charitables,  pieux,  obéissants  et  pleins  de 


—  160  — 

respect  pour  leur  pasteur,  quelque  sévère  qu'il 
fût  dans  l'exercice  de  son  autorité.  Mais  où  trouver 
un  troupeau  si  harmonieusement  composé?  Croyez- 
nous,  jeune  ami,  une  telle  paroisse  n'existe  dans 
aucun  diocèse.  11  en  est  assurément  un  grand 
nombre  dans  lesquelles  la  paix  règne  et  le  mini- 
stère est  fructueux  ;  mais,  même  dans  celles-là^ 
il  y  a  des  éléments  cachés  de  troubles  et  de  divi- 
sions ;  éléments  qui  se  produiraient  bientôt  s'ils 
n'étaient  pas  comprimés  par  l'esprit  de  douceur, 
de  charité  et  d'humble  condescendance  du  pasteur 
qui  les  administre.  Encore,  malgré  les  heureuses 
qualités  de  son  caractère,  n'est-il  pas  toujours  à 
1 : 1,^1  de  certaines  oppositions  auxquelles  il  semble 
qu'il  ne  devait  pas  s'attendre.  Que  sera-ce  donc  de 
vous,  qui  ne  saurez  pas  souffrir  une  contradiction 
sans  prendre  feu,  et  qui  vous  en  attirerez  une 
multitude  par  votre  esprit  dominateur  et  votre 
volonté  absolue  et  inflexible  ! 

En  quel  état  sera  votre  paroisse  quand  vous  di- 
rez :  Je  veux,  et  qu'elle  dira  :  Je  ne  veux  pas? 
Reviendrez-vous  sur  une  mesure  que  vous  aurez 
adoptée  et  peut-être  solennellement  proclamée  du 
haut  de  la  chaire,  si  elle  rencontre  une  opposition 
vive  qui  "vous  fasse  voir  qu'il  est  plus  avantageux 
d'y  renoncer  que  d'en  poursuivre  l'exécution?  C'est 
ce  que  ferait  un  curé  sage  qui  chercherait  bien 
plus  la  gloire  de  Dieu  que  le  triomphe  de  son  opi- 
nion personnelle.  Mais  vous  n'agirez  pas  ainsi, 
vous  qui  aimerez  mieux  rompre  que  plier.  Tout 
épris  de  l'utilité  de  votre  mesure,  et  plus  épris 
encore  du  désir  de  maintenir  votre  autorité,  que 
vous  croirez  toujours  compromettre  par  une  con- 


—  161  — 

cession,  vous  lutterez,  vous  tiendrez  ferme  et  vous 
gâterez  tout. 

Quand,  à  la  suite  d'une  discussion  très-animée 
avec  un  de  vos  paroissiens, Vous  vous  retirerez  tous 
les  deux  froids  et  plus  que  froids,  repassant  l'un 
et  l'autre  au  fond  d'un  cœur  aigri  les  paroles  mor- 
dantes que  vous  aurez  échangées  dans  l'ardeur  du 
débat,  vous  rappellerez-vous,  pour  la  mettre  en 
pratique,  la  leçon  de  l'Apôtre  :  Sol  non  occidat 
super  iracundiam  vestram.  Nolite  locum  dare  dia- 
bolo ?  C'est  ce  que  ferait  un  curé  qui  mettrait  la 
charité  au-dessus  de  son  amour-propre  ;  mais  c'est 
ce  que  vous  ne  ferez  point,  vous  qui  ne  voulez 
jamais  reconnaître  vos  torts  et  qui  regardez  comme 
une  bassesse  de  faire  des  excuses. 

Quand  vous  aurez  centriste,  humilié,  découragé 
peut-être  un  pénitent  par  une  réprimande  bles- 
sante ou  par  l'application  d'une  règle  imposée  avec 
rigueur  au  lieu  d'être  proposée  avec  bonté,  l'ac- 
cueillerez-vous,  s'il  revient,  avec  une  charité  in- 
dulgente qui  lui  fasse  oublier  la  peine  que  vous 
lui  aurez  causée  dans  la  confession  précédente? 
C'est  ce  que  ferait  un  bon  père  à  l'égard  de  ce 
pauvre  prodigue,  s'il  mettait  le  salut  d'une  âme 
que  la  rigueur  peut  compromettre,  au-dessus  des 
malignes  inspirations  d'une  dureté  opiniâtre.  Mais 
c'est  ce  que  vous  ne  ferez  point,  vous  qui  ne  sortez 
jamais  de  la  voie  dans  laquelle  vous  avez  mis  le 
pied. 

Quand  vous  aurez  encouru  l'animadversion  d'un 
maire,  d'un  instituteur  ou  de  quelque  personnage 
influent  de  la  paroisse,  par  certains  actes  ou  cer- 
tains  discours  imprudents,  arrêterez-vous  dès  le 


—  162  — 

début  les  dissensions,  toujours  si  nuisibles,  dont 
vous  serez  menacé  ?  Aurez-vous  assez  de  courage 
pour  changer  d'allure,  et  assez  d'humilité  pour 
faire  quelque  démarche  conciliante?  C'est  certai- 
nement ce  que  ferait  un  digne  curé  qui  saurait  le 
mal  incalculable  que  produisent  dans  les  paroisses 
les  divisions  qui  y  éclatent  en  de  telles  rencontres  ; 
mais  c'est  ce  que  vous  ne  ferez  point,  vous  qui 
tenez  à  honneur  de  faire  tète  à  l'orage  et  qui  pré- 
tendez que  toute  autorité  s'affaisse  devant  la  vôtre. 

Quand  un  ami,  un  confrère,  un  pieux  laïque, 
apprenant  que  vous  fréquentez  certaines  compa- 
gnies, ou  que  vous  c  ^mmettez  quelques  légèretés 
et  imprudences  don  ils  redoutent  pour  vous  les 
conséquences  fâcheuses,  hasarderont  timidement 
et  avec  précaution  un  charitable  conseil,  le  rece- 
vrez-vous  de  bonne  grâce  et  même  avec  recon- 
saissance,  ce  conseil  salutaire?  C'est  ce  que  ferait 
un  pieux  curé  qui  tiendrait  avant  tout  à  conserver 
sa  réputation  intacte  sur  un  point  où  elle  n'est 
jamais  impunément  attaquée  ;  mais  c'est  ce  que 
vous  ne  ferez  point,  vous  qui  ne  voulez  jamais 
vous  régler  par  l'avis  des  autres,  mais  uniquement 
par  vos  propres  lumières. 

Bref,  en  toutes  circonstances,  vous  n'écouterez, 
vous  ne  consulterez  que  vous  seul.  Parents,  amis, 
confrères,  supérieurs  même,  tous  parleront  en 
vain  quand  ils  ne  ratifieront  pas  ce  que  vous  aurez 
décidé.  Votre  veto  une  fois  prononcé,  vous  ne  le 
retirerez  jamais.  Les  entreprises  les  plus  inoppor- 
tunes, les  inconséquences  les  plus  choquantes,  les 
procédés  les  plus  indélicats,  les  discours  les  plus 
irritants,  rien  ne  vous  coûtera  pour  soutenir  ce 


—  163  — 

que  vous  vous  serez  mis  en  tête  d'accomplir.  Le 
mécontentement  sera  dans  tous  les  esprits,  la  dés- 
affection gagnera  tous  les  cœurs,  quelques  flat- 
teurs seulement  allumeront  le  feu  au  lieu  de  l'é- 
teindre, et  la  place  ne  sera  plus  tenable,  et  Ibs 
supérieurs  vous  la  feront  quitter,  et  la  paroisse 
sera  longtemps  à  se  remettre  de  ses  agitations,  et 
en  vous  retirant  vous  blâmerez  l'autorité  de  ne  pas 
vous  avoir  soutenu,  et  vous  persisterez  à  croire 
que  vous  aviez  raison  de  tenir  ferme,  et  vous  accu- 
serez tout  le  monde  excepté  vous-même,  qui  serez 
pourtant  la  principale  cause  de  tous  ces  désordres. 
Ne  croyez  pas,  jeune  ami,  que  tout  ceci  soit  le 
rêve  d'une  imagination  exaltée  ;  non  :  c'est,  n'en 
doutez  point,  le  récit  fidèle  des  sottises  d'un  esprit 
opiniâtre  qui  n'a  pas  appris  au  séminaire  à  maî- 
triser sa  volonté  rebelle.  Pendant  qu'il  en  est  temps 
encore,  tarissez  donc  la  source  d'un  si  grand  mal, 
et  mettez  en  pratique  les  règles  qui  vont  vous  être 
assignées  pour  vaincre  votre  obstination. 

III 

—  Si  vous  êtes  entêté,  commencez  par  vous 
bien  convaincre  que  vous  l'êtes  en  effet.  Ce  n'est 
pas  toujours  chose  aisée,  car  la  fermeté  d'esprit, 
qui  est  une  qualité  précieuse,  se  confond  souvent 
avec  l'opiniâtreté,  qui  est  un  vice.  Que  de  gens  se 
glorifient  d'être  fermes,  et  qui  devraient  s'humi- 
lier d'être  opiniâtres  ! 

L'homme  ferme,  mais  qui  unit  la  prudence  à  la 
fermeté,  s'entoure,  avant  de  prendre  un  parti,  de 
toutes  les  lumières  de  la  sagesse  pour  voir  s'il  a 


—   164  — 

raison  de  l'adopter  :  l'homme  entêté,  croyant  toutes 
ses  idées  bonnes,  s'attache  sans  discernement  aux 

premières  qui  se  présentent. 

L'homme  ferme  prévoit  les  obstacles  et  renonce 
à  son  projet  quand  il  les  croit  insurmontables  : 
l'homme  entêté  méprise  les  obstacles  et  se  croit 
toujours  assez  fort  pour  les  renverser. 

L'homme  ferme  accueille  les  sages  conseils  et 
ne  dédaigne  pas  même  de  les  provoquer  ;  l'homme 
entêté  n'admet  que  ceux  qui  favorisent  ses  vues 
et  rejette  impitoyablement  tous  les  autres. 

L'homme  ferme  poursuit  l'exécution  de  ses  plans 
avec  dignité  et  convenance  :  l'homme  entêté  pousse 
sa  pointe  avec  une  vigueur  passionnée  et  remplace 
la  raison  par  la  colère. 

L'homme  ferme,  enfin,  ne  l'est  pas  au  point  de 
continuer  d'agir  quand  il  reconnaît  qu'il  est  bon 
de  s'arrêter  :  l'homme  entêté,  au  contraire,  ne 
recule  jamais  et  s'expose  sans  balancer  à  une  dé- 
route complète  plutôt  que  de  subir  l'humiliation 
d'un  désistement. 

Jugez-vous  d'après  ces  règles. 

—  Pour  réformer  votre  caractère  opiniâtre,  in- 
terrogez vos  souvenirs.  Vous  avez  vu  peut-être  des 
paroisses  divisées,  des  luttes  déplorables  entre  le 
sacré  et  le  profane  :  voyez  si  la  douceur  et  la  con- 
descendance des  pasteurs  n'eût  pas  éteint  le  feu 
dont  leur  obstination  entretenait  l'ardeur,  et  si,  au 
moyen  de  quelques  concessions,  le  calme  n'eût 
pas  sur-le-champ  succédé  à  la  tempête. 

—  Mais  rentrez  en  vous-même  et  considérez, 
sous  l'œil  de  Dieu,  si  les  emportements  de  vos  pa- 
rents, les  châtiments  de  vos  maîtres,  les  disputes 


--  165  — 

et  les  ressentiments  de  vos  condisciples  n'ont  pas 
eu  votre  opiniâtreté  pour  cause,  et  si,  par  une 
humble  soumission,  vous  n'eussiez  pas  conjuré  les 
chagrins  et  les  peines  que  vous  attirait  votre  entê- 
tement. 

—  Yous  détestez  l'orgueil  ;  voyez  si  l'opiniâ- 
treté n'est  pas  un  de  ses  plus  mauvais  fruits. 
«  L'homme  obstiné,  dit  saint  Laurent  Justinien, 
»  est  inconsidéré,  désordonné  dans  ses  paroles, 
»  déréglé  dans  ses  affections  ;  il  s'ignore  lui-même 
»  et  hait  toute  autre  inspiration  que  les  siennes 
»  propres.  »  Quel  orgueil  insoutenable  ! 

—  Yous  avez  Jésus-Christ  pour  chef  et  pour 
modèle  ;  comment  reconnaître  en  vous  son  disciple 
si  vous  êtes  aussi  opiniâtre  qu'il  était  humble  et 
soumis?  «  Quelle  impudence,  s'écrie  saint  Ber- 
»  nard,  que  l'homme,  un  petit  ver  de  terre,  ose 
))  s'enfler  d'orgueil  et  refuser  de  se  soumettre, 
»  tandis  que  Jésus-Christ,  le  Dieu  de  majesté,  s'est 
»  soumis  à  un  pauvre  artisan  I  » 

—  Yous  frémissez  quand  on  vous  contredit,  la 
moindre  opposition  vous  irrite  ;  comment  ne  voyez- 
vous  pas  les  peines  que  vous  occasionnez  à  ceux 
qui  vous  fréquentent,  vous  qui,  à  tout  moment, 
vous  faites  un  jeu  de  les  contredire?  Yous  voulez 
qu'on  accepte  humblement  toutes  vos  idées,  et 
vous  n'acceptez  celles  d'aiitrui  que  quand  elles 
cadrent  avec  les  vôtres  :  quelle  injustice  ! 

—  Instruit  par  le  passé,  devancez  et  prévoyez 
l'avenir.  Nous  vous  le  déclarons,  jeune  et  tendre 
ami,  avec  l'autorité  d'une  expérience  que  nous 
vous  conjurons  de  ne  pas  mépriser,  vous  ferez  le 
malheur  des  autres  et  votre  malheur  propre  si 


—  166  -- 

vous  ne  domptez  pas  votre  esprit  opiniâtre.  Vous 
n'aurez  pas  un  jour  de  calme  dans  votre  vie  de 
prêtre;  vous  soulèverez  des  discussions  au  lieu  de 
les  prévenir  et  de  les  éteindre  ;  vous  aigrirez  les 
cœurs  au  lieu  de  les  consoler  ;  vous  vous  ferez 
haïr  au  lieu  de  vous  faire  aimer  ;  vous  stériliserez 
votre  ministère  au  lieu  de  le  faire  respecter  et 
bénir  ;  vous  croirez  quelquefois  triompher,  et  vos 
prétendus  triomphes  seront  mille  fois  pires  que 
des  défaites  ;  vous  sèmerez  enfin  la  division  dans 
les  paroisses  qui  vous  auront  pour  pasteur,  et  vous 
vous  attirerez  la  haine  de  Dieu  même,  selon  ces  pa 
rôles  de  nos  saints  Livres  \  Il  y  a  six  choses  que  Dieu 
hait,  et  il  y  en  a  une  septième  qu'il  déteste  :  cest 
celui  qui  sème  la  discorde  entre  ses  frères.  (Prov.) 

—  Comment  lire  avec  esprit  de  foi  ce  qui  précède 
et  ne  pas  se  dire  à  soi-même  :  C'en  est  fait  ;  je  veux, 
à  partir  de  ce  jour,  combattre  à  outrance  le  mauvais 
fonds  d'opiniâtreté  que  je  reconnais  en  moi  ? 
Combattez-le  donc,  jeune  ami,  et  soyez  inflexible 
envers  vous-même  comme  vous  l'avez  été  jusqu'ici 
envers  les  autres.  De  grâce,  ne  vous  épargnez 
point,  et  soyez  sur  que  la  destruction  du  défaut 
qui  vous  est  signalé  est  une  des  plus  belles  vic- 
toires que  vous  puissiez  remporter. 

—  Pour  que  le  succès  soit  complet,  ne  vous 
contentez  pas  de  quelques  attaques  isolées.  La 
ténacité  de  la  propre  volonté  n'est  pas  ordinaire- 
ment vaincue  par  quelques  grandes  résistances  en 
des  occasions  d'éclat  ;  ce  sont  les  combats  de  détail 
qui  la  détruisent.  Appliquez-vous  donc  à  vous 
vaincre  sur  les  points  les  plus  insignifiants  en 
apparence.    Broyez   sur-le-champ   votre    volonté 


—  i6T  — 

quand  vous  voyez  qu'un  commencement  d'obsti- 
nation semble  l'endurcir,  et  habituez- vous  à  res- 
pecter celle  des  autres. 

—  Dès  le  début  d'une  discussion,  rappelez-vous 
votre  plan  d'attaque.  Allez  droit  à  la  vérité  et 
n'ambitionnez  que  son  triomphe.  Soyez  digne, 
charitable,  prudent  et  toujours  modéré.  Si  votre 
adversaire  s'échauffe,  restez  calme  ;  s'il  s'échauffe 
plus  encore  et  si  la  discussion  prend  un  caractère 
violent,  rompez-la  et  faites  le  sacrifice  de  votre 
opinion  en  disant  :  Je  puis  me  tromper  en  ceci, 
n'en  parlons  plus. 

—  Quand  ce  que  vous  serez  sur  le  point  de  dire 
ne  sera  pas  incontestablement  vrai,  ne  l'affirmez 
jamais  d'un  ton  tranchant  et  magistral  ;  proposez- 
le  plutôt  sous  la  forme  du  doute  et  de  l'incertitude. 
De  cette  manière,  vous  vous  ménagerez  une  re- 
traite honorable  et  facile  si  la  lumière  du  débat 
vous  fait  voir  que  vous  vous  étiez  trompé  ;  tandis 
que  si  vous  faites  tout  d'abord  une  affirmation 
formelle  et  vigoureusement  accentuée,  l'amour- 
propre,  mis  en  jeu  par  cette  affirmation,  vous  in- 
spirera tout  naturellement  de  résister  à  la  vérité 
même  que  vous  aurez  en  face. 

—  Écoutez  toujours  avec  attention  et  bonne 
foi  tout  ce  que  dit  votre  adversaire,  et  ne  faites  pas 
comme  ceux  qui  ne  pensent  qu'à  chercher  des 
arguments  à  l'appui  de  leur  opinion,  au  lieu  d'é- 
couter les  raisons  qu'on  leur  oppose. 

—  Quelle  que  soit  la  nature  de  la  discussion  et 
à  quelque  degré  de  chaleur  qu'elle  soit  arrivée, 
soyez  toujours  disposé  à  sacrifier  sans  ménagement 
toutes  vos  prétentions  et  à  embrasser  la  vérité  dès 


—  168  ~ 

que  votre  interlocuteur  la  fera  briller  à  vos  yeux. 
Votre  opiniâtreté  sera  vaincue  et  radicalement  dé- 
truite si  vous  agissez  constamment  ainsi  :  Nolle 
aliis  acquiescer e,  dit  Flmitation,  cùm  id  ratio  pos- 
tulat aut  causa,  signum  est  superbise  et pertinaciae , 

—  Ne  craignez  jamais  de  reculer  non-seulement 
dans  vos  petits  débats,  mais  encore  dans  vos  ac- 
tions, quand  vous  vous  verrez  engagé  dans  une 
mauvaise  voie.  Eussiez-vous  dit  formellement  :  Je 
ne  ferai  jamais  ceci  ou  cela,  faites-le  sans  hésiter 
dès  que  vous  verrez  que  vous  le  devrez  faire.  Le 
vrai  honneur  consiste  non  pas  à  faire  toujours  ce 
qu'on  a  dit  qu'on  ferait,  mais  à  revenir  humblement 
sur  ce  qu'on  avait  d'abord  avancé,  quand  on  re- 
connaît qu'on  doit  agir  autrement. 

—  Vous  manquerez  sans  doute  quelquefois  et 
même  souvent,  dans  les  commencements,  aux 
règles  que  nous  venons  d'assigner  ;  mais  soyez 
ferme  et  ne  vous  découragez  jamais.  Après  chaque 
victoire ,  quelque  petite  qu'elle  soit ,  remerciez 
Dieu  de  vous  l'avoir  fait  remporter  et  priez-le  de 
vous  accorder  la  grâce  d'en  remporter  de  nouvelles. 
Après  chaque  défaite,  quoique  sur  des  points  de 
peu  d'importance,  humiliez-vous,  condamnez-vous, 
punissez-vous  même  pour  témoigner  à  Dieu  votre 
repentir  et  obtenir  de  son  infmie  bonté  la  grâce 
de  ne  plus  tomber. 

—  Ayez  un  moniteur  particulier  à  qui  vous  con- 
fierez le  projet  que  vous  aurez  formé  de  combattre 
votre  entêtement,  et  priez-le  de  vous  avertir  soit 
formellement,  soit  par  un  signe  de  convention 
quand  il  vous  verra  commettre  quelque  infidélité. 

.  —  Appelez  tout  spécialement  l'attention  de  votre 


—  169  -^ 

confesseur  et  de  votre  directeur  sur  le  défaut  que 
vous  voulez  détruire  ;  demandez-leur  des  règles 
de  conduite  appropriées  à  vos  besoins  particuliers, 
et  recourez,  pour  vaincre  votre  ennemi,  aux  armes 
si  puissantes  de  la  méditation,  des  examens,  de  la 
communion  et  des  visites  au  saint  sacrement. 

—  Enfm,  quand  vous  quitterez  le  séminaire, 
redoublez  de  vigilance  et  d'ardeur  ;  rendez-vous 
humblement  au  poste  que  vos  supérieurs  vous 
auront  assigné  et  entrez  en  fonctions  avec  un 
esprit  de  parfaite  soumission  à  votre  curé ,  de 
douceur,  d'humilité  et  de  charité  envers  tout  le 
monde.  Amen. 


CHAPITRE    IV. 

Le  séminariste  envieux  et  jaloux, 
I 

«  Nous  devons  nous  tenir  en  garde,  dit  saint 
»  Ymcent  de  Paul,  contre  la  jalousie  et  contre  le 
»  plus  léger  sentiment  que  l'envie  nous  inspirerait  : 
»  ce  vice  est  absolument  opposé  au  zèle  pur  et 
»  sincère  de  la  gloire  de  Dieu;  il  est  une  preuve 
»  certame  d'un  orgueil  secret  et  très-subtil.  >> 

Celui  qui  parlait  ainsi  savait  bien  tout  ce  qu'il  y 
avait  de  mauvais  dans  le  vice  odieux  de  la  jalousie. 
Puissions-nous  partager  ses  convictions  à  cet  égard. 
et  profiter  de  ses  enseignements  I 

La  jalousie  produit  dans  le  clergé  des  maux 
considérables.  Ce  n'^st  pas  au  séminaire  qu'elle 
"•  10 


—  170  — 

exerce  ses  grands  ravages  ;  elle  n'est  là  qu'à  son 
début  ;  mais  puisque  qu'elle  s'y  révèle  déjà,  il 
importe  donc  beaucoup  aux  séminaristes  de  bien 
voir  s'ils  ne  sont  pas  prédisposés  à  ce  vice.  Voyons 
à  quels  signes  nous  pourrons  le  reconnaître. 

Le  séminariste  enclin  à  la  jalousie  doit  se  sou- 
venir, en  interrogeant  son  passé,  qu'il  était  déjà 
sujet  à  ce  défciut  quand  il  était  dans  le  monde. 
Tout  jeune  encore,  ses  frères  et  ses  sœurs  avaient 
à  en  souffrir.  La  moindre  marque  d'affection  qui 
leur  était  témoignée  par  les  chefs  de  la  famille, 
excitait  en  lui  de  mauvais  sentiments  qui  n'avaient 
assurément  que  la  jalousie  pour  principe.  De  là 
ses  froideurs,  ses  dédains,  son  air  sombre  et  bou- 
deur; de  là  ses  récriminations  injustes  et  quelque- 
fois de  tristes  scènes  où  se  manifestait  dans  toute 
sa  laideur  son  caractère  jaloux  ;  de  là  aussi  ses  accu- 
sations de  préférence  et  de  partialité  dirigées  contre 
ses    parents   avec  l'acrimonie  d'un  orgueil  blessé. 

Il  tenait  la  même  conduite  à  l'égard  de  ses  jeu- 
nes camarades.  Toujours  les  maîtres  étaient  injus- 
tes quand  leurs  faveurs  pleuvaient  sur  les  autres 
et  non  pas  sur  lui  seul. 

Aveuglé  par  l'orgueil,  dont  la  jalousie  est  la 
fille  ainée,  jamais  il  ne  voulait  convenir  qu'il  mé- 
ritait moins  que  ses  condisciples  les  éloges  qui 
leur  étaient  donnés. 

La  première  période  de  sa  vie  fut  donc  déjà  gâtée 
par  ce  vice.  Mais  entrons  au  séminaire,  et  voyons 
ce  qu'il  produit  chez  le  séminariste  qui  y  est  sujet. 

Le  trait  caractéristique  du  séminariste  jaloux, 
c'est  l'orgueil.  Il  veut  dominer,  il  veut  éclipser 
tout  ce  qui  l'entoure,  il  veut  se  distinguer,  il  veut 


—   171    -- 

conquérir  l'estime  et  les  applaudissements,  il  veut 
briller  d'un  vif  éclat  comme  le  soleil  et  effacer 
toutes  les  étoiles  dès  qu'il  se  montre. 

Mais  comme  il  ne  brillera  point  de  cette  manière 
s'il  a  de  puissants  rivaux,  il  s'applique  à  les  sur- 
passer, non  par  une  émulation  légitime,  mais  par 
un  orgueil  secret  dont  il  se  fait  l'esclave. 

Chaque  louange  qu'on  leur  donne  est  une  humi- 
liation directe  et  personnelle  qu'on  lui  inflige;  et 
plus  ces  louanges  partent  de  haut,  plus  il  en  est 
blessé.  Dès  qu'elles  frappent  ses  oreilles,  il  se  sent 
picfué  au  vif,  et  il  se  dit  en  lui-même  avec  confu- 
sion :  Est-ce  que,  par  hasard,  on  mettrait  tel  et  tel 
au-dessus  de  moi  ?... 

Sides  concurrents  réussissent  dans  quelque  action 
d'éclat  ;  si  leurs  réponses  au  professeur  annoncent 
un  vrai  mérite;  s'ils  soutiennent  une  thèse  difficile 
avec  un  talent  supérieur;  s'ils  débitent  avec  grâce 
un  sermon  parfaitement  composé  ;  s'ils  sont  choi- 
sis de  préférence  à  leurs  condisciples  pour  exercer 
dans  le  séminaire  un  emploi  qui  ne  s'accorde  qu'aux 
sujets  les  plus  distingués;  tout  cela,  quand  ils  se 
font  aimer  d'ailleurs  par  une  humble  modestie  , 
leur  attirant  des  témoignages  de  considération  de 
la  part  des  supérieurs  et  des  élèves,  plonge  le  sémi- 
nariste jaloux  dans  des  réflexions  chagrines.  Au 
lieu  de  chercher  dans  les  trésors  d'une  vraie  piété 
le  contre-poids  de  sa  peine,  il  digère  tristement  son 
humiliation  et  s'afflige  comme  un  général  en  dé- 
route qui  a  trouvé  son  maître. 

Pour  comble  de  malheur,  on  lui  parle  quelque- 
fois du  triomphe  de  ses  rivaux,  et  comme  il  ne  veut 
pas  que  sa  jalousie  soit  connue,  tant  elle  est  hideuse 


—  172  -- 

à  ses  propres  yeux,  il  place,  lui  aussi,  mais  assez 
froidement,  son  petit  mot  d'éloge  assaisonné  de 
quelque  critique,  puis  il  détourne  bien  vite  une  con- 
versation qui  lui  est  insupportable. 

Ce  qui  devrait  le  convaincre  mieux  encore  que 
tout  le  reste  qu'un  orgueil  de  bas  étage  est  la  vraie 
racine  de  sa  jalousie,  c'est  la  consolation  qu'il 
goûte  quand  les  éloges  donnés  à  ses  condisciples 
ne  portent  que  sur  la  vertu.  Chose  étonnante  !  la 
piété,  qui  l'emporte  si  évidemment  sur  les  talents 
naturels,  quelque  relevés  qu'ils  soient;  la  piété, 
chez  ses  concurrents,  et  les  louanges  qu'on  leur 
donne  à  cet  égard,  ne  sont  pas  ce  qui  l'abaisse  da- 
vantage. 11  consentira  volontiers  qu'on  les  exalte 
de  ce  côté,  qu'on  en  fasse  même  des  saints  :  loin 
de  s'en  offenser,  il  fera  chorus  avec  tout  le  monde 
pour  les  louer  sur  ce  point.  Comme  il  est  basse- 
ment orgueilleux,  ce  n'est  pas  la  vertu  des  autres 
qu'il  envie  :  qu'est-ce  donc?  C'est  tout  ce  qui  brille, 
c'est  tout  ce  que  le  monde,  maudit  de  Dieu,  recher- 
che et  préconise;  c'est  la  bonne  opiniou  des  hommes, 
c'est  l'estime  de  ses  supérieurs  au  regard  de  la 
science  et  du  talent.  Yoilà  ce  qui  le  touche,  voilà 
la  vaine  idole  à  laquelle  il  prostitue  son  encens. 

Quel  immense  intervalle  (pour  le  dire  en  passant) 
se  trouve  entre  lui  et  les  saints,  ces  vrais  amis  de 
Dieu,  qui  n'étaient  jamais  plus  heureux  qu'au  sein 
des  opprobres:  Ibant gaiidentes quoniamdigni habiti 
siint  pro  7iomin€  Jesu  contumeliam  pati,  et  qui  se 
réjouissaient  plus  du  bien  opéré  par  les  autres,  que 
de  celui  qu'ils  opéraient  eux-mêmes  :  Dùm  omni 
modo.,,^  disait  saint  Paul,  Christtis  annuntietur ;  et 
in  hoc  gaudeOy  ^ed  et  gaudebo  ! 


—   173  — 

Les  caractères  delà  jalousie  que  nous  venons  de 
considérer  sont  déjà  bien  difformes  sans  doute  ; 
mais  ce  qui  l'est  beaucoup  plus  encore,  c'est  le 
plaisir  qu'éprouve  le  séminariste  jaloux,  quand  ses 
concurrents  essuient  quelques  humiliations  ou 
quelques  disgrâces.  La  joie  quil  en  ressent  fait  voir 
que  plus  ils  sont  abattus,  plus  il  se  croit  élevé,  ce 
qui  est  une  illusion  de  son  orgueil,  puisque  la  chute 
des  autres  n'ajoute  rien  à  son  mérite  réel. 

Quand  ces  disgrâces  atteignent  ceux  qui  lui  font 
ombrage,  il  en  parle  fréquemment  à  ses  condisci- 
ples, et,  dans  ces  entretiens,  il  savoure  une  joie 
maligne  qu'il  manifeste  quelquefois,  mais  que  le  plus 
souvent  il  dissimule  avec  hypocrisie,  ayant  l'air  de 
plaindre  ceux   qu'il  est  heureux  de  voir  humiliés. 

En  d'autres  circonstances,  il  écoute  avec  avidité 
les  rapports  désavantageux  qu'on  lui  fait  sur  ceux 
auxquels  il  porte  envie  ;  il  aime  singulièrement  à 
les  entendre  critiquer,  et  jamais  il  ne  manque  en 
ces  occasions  de  rapporter  lui-même  ce  qu'il  sait 
contre  eux  et  de  les  critiquer  à  son  tour. 

Pour  satisfaire  mieux  encore  sa  passion  jalouse, 
il  soupçonne  ses  rivaux,  il  les  juge,  il  les  con- 
damne, il  interprète  leurs  sentiments  avec  mali- 
gnité, il  tâche  de  se  persuader  qu'ils  ont  bien 
moins  de  mérite  qu'on  ne  leur  en  attribue,  qu'ils  sont 
flatteurs,  hypocrites,  orgueilleux  ;  un  un  mot,  il 
leur  prête,  souvent  sans  motif,  les  intentions  mau- 
vaises dont  il  est  lui-même  animé. 

S'il  se  trouve  par  hasard  en    rapport  avec  eux, 
tout  ce  qu'ils  font,  tout  ce  qu'ils  disent  lui  est  in- 
sipide ;   il    les    contredit  à  chaque  instant,  il  leur 
parle  avec  hauteur  et  dédain,  et  si  une  discussion 
n.  10. 


—  174  — 

s'engage,  il  s'applique  bien  moins  à  découvrir  la 
vérité  qu'à  les  humilier  par  une  défaite  aux  yeux 
des  assistants. 

Et  celui  qui  agit  ainsi  n'a  souvent  rien  à  repro- 
cher à  ceux  qu'il  jalouse  ;  ils  ont  pour  lui  des  at- 
tentions et  des  prévenances  ;  ils  le  croient  leur 
ami,  et  ne  pensent  pas  même  à  soupçonner  en  lui 
le  vice  odieux  qu'ils  alimentent  sans  le  savoir  par 
les  qualités  qu'ils  possèdent.  Mais  ils  ont  beau  faire, 
la  jalousie  a  pris  dans  son  cœur  la  place  de  la  cha- 
rité ;  il  n'aime  plus  ses  frères,  il  est  de  glace  à 
leur  égard  et,  le  dirons-nous  ?  si  la  mort  les  en- 
levait, il  serait  le  premier  consolé  de  leur  perte. 

Tel  est  le  mauvais  fonds  du  séminariste  jaloux  : 
que  sera-ce  donc,  ô  mon  Dieu,  quand,  placé  sur  un 
plus  grand  théâtre,  il  portera  dans  le  saint  minis- 
tère le  vice  qui  n'est  encore  qu'en  germe  au  sé- 
minaire ?  Yoyons-en,  par  anticipation,  les  funestes 
effets. 

II 

Il  est  très-probable  que  plusieurs  de  nos  jeunes 
lecteurs,  après  avoir  lu  ce  qui  précède,  se  diront 
avec  satisfaction  :  Cela  ne  nous  regarde  pas  ;  nous 
n'en  sommes  pas  là.  Qu'ils  prennent  garde  :  vou- 
lant mettre  la  jalousie  en  relief,  nous  l'avons 
peinte  telle  qu'elle  est  chez  un  séminariste  puis- 
samment dominé  par  ce  vice  ;  nous  avons  même 
choisi  ce  séminariste  parmi  ceux  qui,  ayant  un 
talent  plus  remarquable  qu'im  grand  nombre  d'é- 
lèves, ont  aussi  pour  l'ordinaire  plus  d'orgueil  et 
de  présomption  :  mais  combien  d'autres,   éclipsés 


—   17o   — 

par  le  talent  de  plusieurs  de  leurs  condisciples,  se 
croient  exempts  du  vice  de  la  jalousie  et  sont  tout 
surpris  de  la  voir  se  produire,  quand,  par  l'exer- 
cice du  saint  ministère,  ils  se  trouvent  dans  des 
conditions  plus  favorables  à  son  développement  ! 
Voici  donc,  pour  les  uns  comme  pour  les  autres, 
l'avenir  qui  les  attend  quand  ils  seront  prêtres. 

Si  vous  êtes  jaloux,  vous  qui  lisez  ces  lignes, 
et  si,  appelé  d'abord  aux  fonctions  de  vicaire,  vous 
avez  un  autre  vicaire  pour  collaborateur,  bientôt 
sans  doute  votre  jalousie  se  fera  jour.  Un  mot 
gracieux,  une  prévenance,  un  compliment  flatteur 
de  la  part  de  votre  curé  à  l'égard  de  votre  collè- 
gue, c'en  sera  assez  pour  exciter  en  vous  les  pre- 
miers sentiments  de  la  jalousie. 

Mais  si  ces  préférences,  exagérées  probablement 
beaucoup  par  votre  orgueil,  se  reproduisent  assez 
fréquemment  ;  si  votre  confrère  semble  s'en  pré- 
valoir ;  si  surtout  quelques  personnes  imprudentes 
corroborent  vos  soupçons  par  l'exposé  de  leurs 
observations  personnelles  ;  alors  votre  jalousie  fai- 
sant éruption  se  produira  par  un  air  sombre  et 
rêveur  d'abord,  puis  par  des  reproches  à  votre  curé 
et  par  des  manques  de  complaisance  et  d'égards 
envers  votre  collègue. 

Déjà  l'harmonie,  si  nécessaire  entre  les  prêtres 
d'une  même  paroisse  pour  y  opérer  le  bien,  sera 
fortement  altérée,  et  ce  sera  la  première  victoire 
remportée  par  la  jalousie  sur  le  zèle  et  la  charité. 

Sera-ce  la  seule  ?  Dieu  le  veuille  î  Mais  si,  déjà 
blessé  par  les  relations  intimes  du  presbytère, 
vous  apprenez  que  ce  vicaire,  objet  de  votre  envie, 
est  plus  goûté  que  vous  dans  la  paroisse  ;  si  son 


—   176  — 

confessionnal  est  assiégé  et  que  le  vôtre  soit  désert 
ou  à  peu  près  ;  si,  comme  prédicateur,  comme  ca- 
téchiste, comme  homme  de  ministère,  c'est  lui  qui 
a  la  vogue  ;  si  vos  oreilles  sont  fatiguées  du  bruit 
de  ses  louanges,  vous  lui  témoignerez  une  froideur 
chaque  jour  croissante,  vous  tacherez  d'atténuer 
par  des  paroles  fort  peu  mesurées  l'estime  qu'on 
lui  accordera,  et  peut-être  en  viendrez-vous  jus- 
qu'à vous  dégoûter  de  votre  ministère  :  deuxième 
victoire  remportée  par  la  jalousie  au  profit  de  l'or- 
gueil. 

Si  vous  n'avez  point  un  autre  vicaire  pour  col- 
lègue, cesserez-vous  pour  cela  d'être  jaloux  ?  Nous 
le  désirons  sincèrement,  mais  nous  craignons  fort 
qu'il  n'en  soit  pas  ainsi.  Dans  les  paroisses  voi- 
sines la  jalousie  saura  bien  trouver  un  aliment. 
Quand  vous  apprendrez  les  grands  succès  de  quel- 
que jeune  prêtre  auquel  peut-être  vous  vous  croi- 
rez supérieur  à  bien  des  égards  ;  quand  tout 
retentira  du  bruit  de  ses  éloges  ;  quand  vous  ver- 
rez vos  pénitents  vous  abandonner  pour  se  placer 
sous  sa  houlette  ;  quand  vous  verrez  autour  de 
vous  un  auditoire  clair-semé  et  que  vous  entendrez 
dire  que  votre  confrère  voisin  réunit  une  multitude 
d'auditeurs  dès  qu'on  sait  qu'il  doit  prêcher  ;  alors 
encore  vous  vous  sentirez  abattu,  dégoûté,  décou- 
ragé peut-être  ;  alors  vous  éprouverez  des  senti- 
ments plus  ou  moins  malveillants  à  l'égard  de  ce 
confrère  ;  alors  vous  vous  permettrez,  à  l'occasion, 
des  critiques  contre  lui  ;  alors  encore  vous  senti- 
rez défaillir  l'ardeur  de  votre  zèle  :  nouvelle  vic- 
toire remportée  par  la  jalousie. 

Mais  quand  ce  même  confrère  ou  quelque  autre, 


—  177  — 

dont  vous  vous  croirez  au  moins  l'égal,  sera  choisi 
par  les  hauts  supérieurs  pour  occuper,  de  préfé- 
rence à  vous,  un  poste  de  faveur  sur  lequel  peut- 
être  vous  jetiez,  sans  en  rien  dire,  un  regard  de 
convQitise  ;  oh  !  c'est  alors  que  vous  vous  senti- 
rez hnmilié  par  le  fait  de  son  élévation,  et  que  le 
dégoût  et  l'ennui  vous  saisiront  plus  vivement  que 
jamais  :  nouvelle  victoire  remportée  par  la  jalousie. 
Peut-être  serez-vous  appelé  comme  professeur 
dans  quelque  collège,  dans  quelque  séminaire 
petit  ou  grand,  où  avec  un  bon  esprit  vous  pour- 
riez rendre  d'éminents  services.  Mais,  hélas  !  si  la 
jalousie  vous  domine,  que  d'occasions  n'aurez-vous 
pas  d'en  subir  les  malignes  influences  !  Moins  oc- 
cupé de  procurer  la  gloire  de  Dieu  que  de  procurer 
la  vôtre,  vous  aurez  l'œil  incessamment  ouvert 
sur  le  supérieur  de  l'établissement  et  sur  vos  col- 
lègues ;  vous  pèserez  leurs  paroles,  vous  épierez 
leurs  démarches,  vous  contrôlerez  leurs  actes  ;  et 
si  vous  remarquez  le  moindre  signe  de  préférence 
ou  de  partialité,  vous  laisserez  voir  par  votre  air 
boudeur,  par  le  refus  de  quelques  services  et 
même  par  des  paroles  sèches  et  piquantes,  que  vous 
vous  apercevez  fort  bien  des  injustes  procédés  dont 
on  use  à  votre  égard.  Vous  voudrez  occuper  des 
postes  supérieurs  dont  vous  serez  le  seul  à  vous 
croire  digne  ;  vous  remplirez  vos  modestes  fonc- 
tions avec  insouciance  et  par  conséquent  avec  peu 
de  fruit  ;  vous  épancherez  votre  chagrin  dans  le 
sein  de  quelque  collègue  mécontent  comme  vous 
et  par  des  motifs  analogues  aux  vôtres  ;  vous  po- 
serez le  premier  germe  de  ces  funestes  coteries  qui 
ruinent  les  établissements  les  plus  florissants,  et 


—  178  — 

vous  unirez  par  être  retiré  soit  sur  votre  demande, 
soit  contre  votre  gré,  d'un  poste  où  vous  pouviez 
être  très-utile,  pour  être  placé  dans  le  ministère 
ordinaire  qui  sera  moins  en  rapport  avec  votre 
aptitude  et  vos  goûts  :  nouvelle  et  bien  triste  vic- 
toire de  la  jalousie. 

Devenu  curé,  votre  vice  prendra  des  développe- 
ments plus  considérables  encore.  Vous  serez  jaloux 
de  vos  vicaires  ;  vous  les  importunerez,  vous  les 
harcèlerez  par  vos  vexations  quotidiennes  ;  au  lieu 
de  leur  laisser,  tout  en  les  surveillant,  une  liberté 
convenable  dans  l'exercice  de  leur  ministère,  vous 
leur  ferez  comprendre  que  vous  êtes  à  leur  égard 
un  argus  impitoyable.  La  moindre  visite  qu'ils  fe- 
ront sans  votre  aveu  sera  considérée  par  vous 
comme  le  signal  d'une  rébellion.  Les  éloges  qu'on 
vous  fera  de  leur  talent,  de  leur  zèle  et  de  leurs 
succès,  au  lieu  de  vous  réjouir,  irriteront  votre  ja- 
lousie. Vous  ne  leur  permettrez  presque  jamais  de 
catéchiser  et  de  prêcher,  craignant  toujours  d'éten- 
dre par  là  leur  autorité  au  préjudice  de  la  vôtre. 
Yous  les  suivrez  jusque  dans  le  secret  du  saint  tri- 
bunal ;  vous  voudrez  savoir  soit  par  vous-même, 
soit  par  des  personnes  affidées,  si  quelques-uns  de 
vos  pénitents  passent  de  vous  à  lui,  et  quand  vous 
l'apprendrez,  vous  manifesterez  votre  mécontente- 
ment et  à  vos  transfuges  et  à  votre  vicaire  qui  se 
permettra  de  les  admettre. 

Yous  agirez  de  même  à  l'égard  de  vos  confrères 
voisins  ;  eux  aussi  sauront  que  vous  êtes  un  con- 
fesseur jaloux  ;  au  reste,  vous  n'en  terez  point 
mystère  ;  au  saint  tribunal,  dans  les  conversations 
particulières  et  jusque  dans  la  chaire,  vous  ferez 


—  179  — 

entendre  par  des  paroles  plus  ou  moins  voilées  que 
rien  ne  vous  est  plus  pénible  que  de  vous  voir 
abandonné  de  vos  pénitents  ;  vous  les  tiendrez 
captifs,  ces  pauvres  pénitents  :  la  crainte  de  vous 
déplaire  en  choisissant  un  autre  directeur  les  ri- 
vera, pour  ainsi  dire,  à  votre  confessionnal,  et 
cette  crainte,  n'en  doutez  pas,  ajoutera  chaque  jour 
de  nouveaux  anneaux  à  la  chaîne  du  sacrilège  qui 
en  enlacera  plusieurs  :  nouvelle  et  infernale  vic- 
toire de  la  jalousie  ! 

Vous  mécontenterez  vos  confrères  par  cette  con- 
duite intolérante  et  intolérable,  et  vous  leur  témoi- 
gnerez vous-même  une  froideur  dont  la  cause  ne 
leur  sera  que  trop  connue.  Entre  vous  et  eux  il 
n'y  aura  que  des  relations  de  froide  étiquette.  Vous 
craindrez,  en  les  appelant  dans  votre  église  pour 
y  exercer  quelques  fonctions,  de  fortifier  leur  in- 
fluence, et  comme  sous  ce  rapport  ils  vous  rendront 
la  pareille,  vous  serez  étrangers  les  uns  aux  au- 
tres et  vous  vous  priverez  mutuellement  des  ser- 
vices que  vous  pourrez  vous  rendre  pour  le  plus 
grand  bien  de  vos  paroisses. 

Si  vous  habitez  une  ville  qu'habiteront  comme 
vous,  de  l'agrément  de  votre  évêque,  de  vénérables 
religieux,  au  lieu  de  vous  réjouir  des  fruits  abon- 
dants qu'ils  produisent  toujours  comme  prédica- 
teurs et  comme  confesseurs,  vous  serez  jaloux  de 
leurs  succès,  vous  ne  verrez  en  eux  que  des  intrus, 
des  usurpateurs  de  votre  autorité,  et  les  laïques 
eux-mêmes,  comme  nous  l'avons  souvent  vu,  s'a- 
percevront de  votre  jalousie  et  en  feront  la  matière 
de  leurs  censures. 

Vous  redouterez  les  missions  et  les  missionnaires, 


—  i80  — 

et  vous  aimerez  mieux  laisser  une  partie  notable 
de  votre  troupeau  éloignée  des  sacrements,  que 
de  les  voir  se  convertir  aux  prédications  d'apôtres 
étrangers . 

Vous  irez  plus  loin  encore  :  si,  dans  votre  voi- 
sinage, une  mission  s'annonce,  au  lieu  d'imiter  les 
curés  vénérables  qui  y  conduiront  eux-mêmes  pro- 
cessionnellement  leurs  paroissiens ,  vous  vous 
tiendrez  à  l'écart.  Dieu  veuille  même  que  vous  ne 
poussiez  pas  l'imprudence  jusqu'à  faire  entendre 
qu'on  vous  contristerait  en  suivant  les  exercices 
de  cette  mission,  et  qu'on  vous  serait  agréable  en 
ne  les  suivant  pas  !  Autant  de  nouvelles  victoires 
remportées  par  la  jalousie  au  détriment  de  la  gloire 
de  Dieu  et  du  salut  des  âmes. 

N'avions-nous  pas  raison,  jeune  et  tendre  ami, 
de  vous  dire  que  ce  vice  odieux  produisait  dans 
l'Église  des  maux  considérables  ?  Hâtez-vous  donc 
d'en  extirper  les  plus  petites  racines  par  l'emploi 
des  moyens  qui  vont  vous  être  indiqués. 

III 

—  Si  vous  remarquez  en  vous  le  plus  léger  sen- 
timent de  jalousie,  vous  devez  d'abord  vous  péné- 
trer d'horreur  pour  cette  vile  passion,  en  méditant 
au  pied  de  votre  crucifix  les  réflexions  suivantes  : 
la  jalousie  dessèche  toutes  les  vertus,  et  surtout 
l'amour  de  Dieu,  la  charité  envers  le  prochain  et 
l'humilité.  —  C'est  la  passion  des  petits  esprits, 
des  âmes  basses  et  des  mauvais  cœurs.  —  C'est  la 
passion  la  plus  maligne,  puisqu'elle  veut  le  mal 
pour  le  mal  et  qu'elle  ne  procure  aucun  avantage 


—    181   — 

à  celui  qui  s'y  asservit.  —  C'est  la  passion  la  plus 
déraisonnable,  puisqu'elle  nous  porte  à  envier  aux 
autres  ce  que  Dieu  leur  accorde,  et  à  vouloir  pour 
nous-mêmes  ce  qu'il  nous  refuse.  —  C'est  la  pas- 
sion la  plus  injuste,  puisqu'elle  nous  fait  détester 
le  bonheur  d'antrui  quoique  ce  bonheur   ne  nous 
fasse  réellement  aucun  mal.  —  C'est  la  passion  la 
plus  bizarre  :  ce  qui  fait  le  plaisir  des  autres  fait 
le  chagrin  de  l'envieux  ;  ce  qui  les  afflige  le  ré- 
jouit. —  C'est  la  passion  la  plus  artificieuse  :  l'a- 
mour-propre  la  déguise  et  fournit  cent  raisons  poui 
excuser  ses  excès.  —  C'est  la  passion  la  plus  insa- 
tiable   :   jamais  l'envieux    n'est    satisfait  des  p. 
toyables  succès  qu'il  obtient  ;  la  jalousie  l'inquiète 
sans  cesse  ;  elle  le  ronge,   elle   le  consume,  elle 
dessèche,  ditl'Esprit-Saint,  jusqu'à  la  moelle  de  ses 
os  :  Putredo  ossiiim  invidia  (Prov.    14).    —    C'est 
quelquefois   une   passion  furieuse,  comme  on  le 
voit  chez  Caïn  à  l'égard  d'iVbel,  chez  Satll  à  l'égard 
de  David,  et  chez  les  Juifs  à  l'égard  du  divin  Sau- 
veur :  Sciebat  (Pilatus)  quod  pcr  inmdiam  tradidh- 
sent  eum.  «  Les  traits  de  l'envie  et  de  la  détraction, 
»  dit  saint  Vincent  de  Paul,  ne  percent  le  cœur  de 
»  ceux  à  qui  l'on  en  veut  qu'après  avoir  percé  ce- 
))  lui  de  Jésus-Christ.  »  C'est  une  passion  si  odieuse 
que  Tenvieux   sécherait  de   honte  et  de  dépit  s'il 
mettait  au  jour  ses  sentiments  et  ses  basses  ma- 
nœuvres. —  Enfin  c'est,  chez  le   prêtre,  une  pas- 
sion  qui  compromet  son  salut,    qui   paralyse  son 
ministère,  qui  éteint  le   feu   de    son  zèle  et   qui, 
comme  nous  l'avons  vu,  fait  commettre  aux  âmes 
dont  il  a  la  charge  le  plus  grand  des  crimes   :   le 
sacrilège. 

II.  11 


—  182  — 

—  Ces  réflexions  pieusement  méditées,  vous 
devez  vous  mettre  à  l'œuvre.  Commencez  par  at- 
taquer r  orgue  il  :  car  c'est  lui  qui  est  la  source 
impure  d"où  émane  la  jalousie.  Lhumblede  cœur 
n'est  jamais  envieux  ;  l'orgueilleux  l'est  toujours. 
«  Tout  envieux  est  superbe,  dit  saint  Augustin, 
»  comme  tout  superbe  est  envieux  ».  Combattez 
donc  l'orgueil  à  outrance  et  ne  vous  permettez 
jamais  avec  volonté  une  pensée,  une  parole  ou 
une  action  dont  il  soit  le  principe. 

—  Continuez  de  combattre  jusqu'à  ce  que  vous 
vous  rendiez  le  témoignage  que  vous  voulez  pu- 
rement la  gloire  de  Dieu  et  non  la  vôtre,  le  salut 
des  âmes  et  non  le  triomphe   de  votre  orgueil. 

—  Ne  vous  attribuez  pas  le  monopole  de  la  gloire 
de  Dieu,  et  réjouissez-vous  cordialement  quand 
vous  la  verrez  abondamment  procurée  par  les 
autres. 

—  Examinez  à  fond  la  racine  de  vos  railleries 
et  de  vos  critiques,  surtout  à  l'égard  de  ceux  dont 
les  succès  vous  offusquent  ;  et  quand  vous  aurez 
découvert  que  cette  racine  est  la  jalousie  ,  veillez 
attentivement  sur  vous-même  pour  ne  plus  mettre 
votre  langue  au  service  de  c^tte  vile  passion. 

Habituez-vous  à  dire  de  vos  concurrents  tout 

le  bien  que  vous  en  saurez  ;  racontez  leurs  succès, 
louez  leurs  talents,  témoignez  la  joie  que  vous 
éprouvez  en  pensant  au  bien  considérable  qu'ils 
feront  dans  l'Église. 

—  Priez  Dieu  pour  eux  ;  demandez-lui  cju'il  tire 
de  plus  en  plus  sa  gloire  de  leur  ministère  et  qu'il 
augmente  encore  leur  vertu,  leur  zèle  et  leur 
science.  Quand  ils  serontchargés  dans  le  se  mi- 


-   183   — 

11  aire  de  quelque  emploi  honorable,  de  préférence 
à  vous,  dites  tout  bas  comme  David  :  Bonuni  est, 
Domine,  quia  humiliasti  me.  Quand  ils  devront 
paraître  en  quelque  action  d'éclat^  au  lieu  d'ai- 
guiser dans  l'ombre  les  traits  de  la  critique,  de- 
mandez à  Dieu  qu'ils  remplissent  le  mieux  possible 
les  fonctions  qui  leur  sont  imposées. 

—  Ne  fuyez  pas  vos  rivaux,  recherchez-les  au 
contraire  :  rendez-leur  service  à  l'occasion,  et  ne 
laissez  jamais  croire  que  vous  êtes  jaloux  de  leurs 
succès.  Rien  n'est  édifiant  comme  de  jvoir  deux 
concurrents  unis  parles  liens  d'une  amitié  sincère. 

—  vSi  vous  entendez  critiquer  ceux  qui  vous 
font  ombrage,  soyez  sur  vos  gardes  ;  pensez  que 
l'ennemi  est  à  votre  porte,  et  bien  loin  d'approuver 
la  critique  des  autres,  prenez  la  défense  de  ceux 
qu'on  attaque  ;  faites  ressortir  leurs  qualités  ;  ré- 
duisez au  silence  ceux  qui  les  censurent,  et  ré- 
jouissez-vous en  Dieu,  après  cet  assaut,  de  la  vic- 
toire qu'il  vous  aura  fait  remporter  sur  la  jalousie. 

—  Manifestez  ouvertement  votre  passion  à  votre 
directeur  ;  dites-lui,  à  cet  égard,  ce  qui  vous  hu- 
milie davantage  ;  ne  craignez  pas  d'entrer  dans  les 
détails  que  l'orgueil  voudrait  supprimer.  Rien  ne 
tue  la  jalousie  comme  l'humble  révélation  que  l'on 
fait  de  ses  misérables  raffmemients . 

—  Méprisez  les  louanges  et  l'estime  des  hom- 
mes ;  goûtez  ces  paroles  de  l'imitation  :  Ama  nes- 
ciri  et pro  nihilo  reputari.  Dites  avec  saint  Ignace 
le  martyr  :  Qui  me  laudant,  me  flagellant. 

—  Enfin,  ne  cherchez  jamais  à  briller  et  à  pa- 
raître ;  plongez-vous  dans  la  délicieuse  retraite  de 
l'humilité,   et  abaissez-vous  d'autant  plus  que  la 


—   184   — 

vaine  gloire  et  la  jalousie  voudront  vous  élever 
davantage.  «  0  maudit  désir  de  briller!  s'écrie 
»  saint  Vincent  de  Paul,  que  de  biens  n'infectes-tu 
»  pas  ,  et  de  combien  de  maux  n'es-tu  pas  la 
»  source  !  Tu  fais  que  celui  qui  devrait  prêcher 
»  Jésus-Christ  se  proche  lui-même,  et  qu'au  lieu 
»  d'édifier,  il  détruit.   » 

Que  vous  serez  heureux,  jeune  et  tendre  ami, 
si  vous  suivez  fidèlement  ces  règles  !  Vos  jours 
s'écouleront  purs  et  paisibles  sous  le  doux  regard 
de  Dieu,  et  après  avoir  édifié  le  séminaire  par 
votre  humilité,  vous  édifierez  et  vous  sauverez  les 
âmes  par  les  fruits  abondants  de  votre  futur  mi- 
nistère. 


CHAPITRE   y 


Le  séminariste  dissimulé. 
I 

Autant  la  franchise  est  aimable,  autant  la  dissi- 
mulation est  odieuse.  L'une  dilate  et  gagne  les 
cœurs,  l'autre  les  resserre  et  les  rebute. 

La  dissimulation,  blâmable  chez  tout  le  monde, 
l'est  plus  particulièrement  encore  chez  le  sémina- 
riste. En  effet,  si  quelqu'un  a  besoin  d'être  connu 
à  fond,  surtout  de  ses  supérieurs,  c'est  assurément 
l'élève  du  sanctuaire  qui  se  met  en  marche  vers  le 
sacerdoce,  sans  savoir,  bien  souvent,  l'immense 
étendue  des  engagements  redoutables  qu'il  se  dis- 
pose à  contracter.  Aussi  croyons-nous  devoir  prier, 


—   185  — 

supplier,  conjurer  instamment  nos  jeunes  amis 
des  séminaires  de  ne  se  point  réfugier  dans  une 
mystérieuse  dissimulation  ,  mais  '  de  s'épancher 
librement  et  sans  réticence  sur  l'importante  affaire 
de  leur  vocation. 

Au  reste,  ce  n'est  pas  seulement  pour  cette 
grande  affaire  que  nous  voulons  les  prémunir 
contre  les  mauvais  effets  de  la  dissimulation; 
c'est  aussi  pour  qu'étant  mieux  connus,  on  puisse 
leiu^  donner  des  conseils  plus  appropriés  à  leurs 
besoins  spirituels,  et  travailler  ,plus  efficacement 
à  l'extirpation  des  défauts  auxquels  ils  sont  sujets. 
Cela  dit,  venons  au  fait. 

Le  séminariste  dissimulé  craint  par-dessus  tout 
d'être  découvert  et  bien  connu.  Il  ne  manifeste 
que  ce  qu'il  lui  est  impossible  de  cacher,  et  ce  qu'il 
cache  est  précisément  ce  qu'il  importerait  le  plus 
de  faire  connaître.  Il  passe  un  temps  considérable 
au  séminaire  sans  que  ses  supérieurs  sachent  un 
peu  nettement  ce  qu'il  est.  Ils  ne  savent  bien  posi- 
tivement qu'une  chose,  c'est  qu'il  est  renfermé, 
cacheté,  scellé  à  triple  sceau,  en  un  mot  dissi- 
mule. 

Les  autres  élèves  montrent  dès  les  premiers 
jours  leur  fort  et  leur  faible  ;  celui-ci  ne  laisse 
transpirer  ni  son  fort  ni  son  faible  ;  il  ne  montre 
qu'un  certain  je  ne  sais  quoi  mixte,  indécis,  em- 
barrassé, mystérieux,  qui  laisse  toujours  supposer 
un  abîme  recouvert. 

Ses  lèvres  sont  habituellement  serrées,  son  re- 
gard craintif  et  sa  démarche  étudiée  :  on  voit  qu'il 
est  perpétuellement  en  observation  et  sur  la  défen- 
sive comme  en  pays  ennemi. 


—   186  — 

Il  dépasse  en  prudence  le  serpent  le  plus  rusé. 
S'il  dit  un  mot,  c'est  après  en  avoir  pesé  minutieu- 
sement toutes  les  conséquences  possibles  ;  encore 
semble-t-il  courir  après  quand  il  l'a  proféré,  comme 
s'il  craignait  de  voir,  par  ce  mot,  son  secret  trahi. 

Quand  on  rinîerroge,  il  est  sur  les  épines  ;  la 
réponse  se  fait  attendre,  et  en  attendant  qu'il  l'ait 
suffisamment  élaborée,  il  en  fait  une  provisoire 
qui  ne  dit  rien,  sinon  qu'il  ne  veut  rien  dire  de 
net  et  de  précis.  On  a  beau  revenir  à  la  charge  et 
le  presser  vivement  de  répondre  ad  7'em  ;  plus  on 
insiste,  plus  il  est  sur  ses  gardes,  croyant  que  l'en- 
nemi le  poursuif.  et  le  serre  de  près. 

Ses  actes  sont  calculés  comme  ses  paroles  :  crai- 
gnant toujours  de  se  compromettre,  il  ne  s'en  per- 
met aucun  qui  puisse  révéler  ses  dispositions  in- 
times. S'il  est,  en  apparence  du  moins,  exact, 
pieux  et  régulier,  on  ne  veut  pas  supposer  l'hy- 
pocrisie et  l'on  tâche  de  se  persuader  qu'il  est 
mystérieux  par  timidité  :  cependant,  même  alors, 
sa  dissimulation  ne  laisse  pas  ses  supérieurs  sans 
quelque  inquiétude.  Mais  si  son  exactitude,  sa 
régularité  et  sa  piété  se  démentent  assez  souvent; 
s'il  ne  donne  que  des  signes  équivoques  de  voca- 
tion, et  si  tous  les  moyens  qu'on  emploie  pour 
obtenir  du  positif  laissent  toujours  subsister  le 
mystère;  alors  les  supérieurs  se  trouvent  à  bout 
de  voie  ;  leur  zèle,  leur  charité,  leur  expérience 
et  leurs  pieuses  industries  restent  sans  effet.  Ils 
délibèrent  entre  eux  sur  cette  vocation  cachée,  et 
chaque  membre  du  conseil  ne  dit  de  lui  que  ces 
mots  :  Je  ne  le  connais  pas.  Coneoit-on  l'embarras 
qu'occasionne  cette  dissimulation? 


—   187   — 

La  timidité  peut  être  sans  douîo  la  cause  origi- 
nelle de  ce  défaut  ;  mais  l'hypocrisie  peut  tout 
aussi  bien  en  être  le  principe  ;  car  enfm  tout  le 
monde  sait  que  l'hypocrite  est  foncièrement  dissi- 
mulé. De  là  des  inquiétudes  dans  l'esprit  des  su- 
périeurs de  séminaires  sur  le  point  si  grave  de  la 
vocation,  où  les  lumières  les  plus  vives  sont  par- 
fois à  peines  suffisantes  pour  dissiper  toute  crainte. 

Nous  ne  voulons  pas  croire  que  le  séminariste 
à  qui  nous  parlons  ici  porte  cette  habitude  du 
déguisement  jusqu'aux  pieds  de  son  confesseur. 
Toutefois  il  est  à  craindre  que,  glissant  sur  sa 
mauvaise  pente,  il  ne  retienne  au  fond  de  sa  cou- 
science  certains  doutes,  certains  embarras  et  môme 
certains  péchés  graves  et  nombreux  de  sa  vie 
passée  qu'il  importerait  de  faire  connaître,  se  ras- 
surant sur  ce  qu'il  en  a  reçu  l'absolution  d'un 
confesseur  du  monde  dont  il  connaissait  l'excessive 
indulgence. 

Le  séminariste  dissimulé  ne  l'est  pas  seulement 
à  l'égard  de  ses  supérieurs;  il  l'est  encore  à  l'égard 
de  ses  condisciples.  Eux-mêmes  no  peuvent  pas  se 
flatter  de  le  bien  connaître  :  toujours  engagé  dans 
la  voie  des  réticences,  il  les  met  à  bout  par  son 
faux  épaiichement  et  ses  demi-confidences.  Aussi 
sa  société  est-elle  pour  eux  sans  attrait.  Ce  n'est 
pas  pourtant  qu'il  suspecte  l'amiiié  que  quelques- 
uns  lui  témoignent,  mais  il  craint  de  leur  part  des 
révélations  imprudentes,  et  tout  ce  qui  s'appelle 
révélation  le  fait  frémir. 

Le  monde  lui-même  et  quelquefois  ses  propres 
parents  lui  reprochent,  comme  on  le  fait  au  sémi- 
naire, ce  mauvais  fonds  de  dissimulation  qui  les 


—   188  — 

rebute^ «rff  qu'ils  voudraient  voir  remplacé  par  un 
heureux  ensemble  d'aimable  franchise  et  de  naïve 
candeur,  qui  gagnerait  sur-le-champ  leur  confiance 
et  leur  affection. 

Nous  n'osons  pas  affirmer  que  tout  homme  dis- 
simulé soit  un  menteur  ;  mais  il  en  a  souvent  la 
réputation,  et  cette  réputation,  ce  sont  ses  réponses 
évasives  et  entortillées  qui  la  lui  méritent.  Du 
reste,  rien  ne  touche  de  plus  prés  au  mensonge 
que  la  dissimulation;  on  pourrait  même  dire  qu'elle 
est  une  espèce  de  duplicité  habituelle  et  perma- 
nente. Or  il  est  bien  rare  qu'on  ne  blesse  pas  sou- 
vent la  vérité  quand  on  veut  absolument  et  toujours 
la  tenir  cachée. 

Mais  c'en  est  assez  sur  les  caractères  de  ce  dé- 
faut ;  voyons-en  maintenant  les  effets. 


II 


Vous  croyez  peut-être,  jeune  lecteur,  que  la 
dissimulation  ne  peut  guère  avoir  de  conséquences 
très-graves  chez  un  prêtre  engagé  dans  le  saint 
ministère.  Détrompez- vous  en  voyant  l'avenir 
qu'elle  vous  réserve. 

Si,  d'abord,  vous  êtes  appelé  comme  vicaire  au 
sein  d'une  paroisse,  au  lieu  de  vous  présenter  à 
votre  curé,  avec  prudence  et  quelque  réserve  sans 
doute,  mais  en  même  temps  avec  un  air  de  fran- 
chise et  de  bonne  simplicité,  vous  vous  tiendrez 
renfermé  dans  votre  mystère  habituel,  parlant  peu, 
méditant  beaucoup,  regardant  de  côté,  rarement 
en  face,  et  craignant,  en  articulant  chaque  mot,  de 
prononcer  votre  condamnation. 


—   189  — 

Le  premier  jour  peut-être,  votre  curé  attribuera 
vos  réticences  à  la  timidité  ;  mais  quand  il  verra 
que  le  second  jour  est  semblable  au  premier,  et  le 
troisième  aux  deux  autres,  alors  il  dira  sans  ba- 
lancer :  Je  le  vois,  c'est  un  vicaire  dissimulé  qui 
m'arrive.  Puis  ks  idées  de  duplicité,  d'hypocrisie, 
de  déguisement,  de  ruse  et  même  de  fourberie  se 
croiseront  péniblement  dans  son  esprit  et  le  met- 
tront, lui  aussi,  sur  la  défensive  envers  vous. 

S'il  était  par  hasard  dissimulé  lui-même,  vous 
seriez  l'un  devant  l'autre  comme  deux  statues  voi- 
lées, ou,  si  nous  osions  employer  cette  autre  com- 
paraison, comme  deux  fioles  enveloppées  dont  il 
est  impossible  de  lire  l'étiquette.  Dès  lors,  point 
d'ouverture,  point  de  confiance  réciproque,  point 
d'avertissements  charitables,  point  d'épanchement 
amical,  et,  par  une  suite  nécessaire,  ministère 
sans  consolation  et  souvent  peu  fertile. 

Si,  au  contraire,  votre  curé  est  franc  et  ouvert, 
ne  trouvant  point  chez  vous  ce  retour  de  confiance 
qu'exige  celle  qu'il  voudrait  vous  accorder,  il  res- 
tera sur  son  terrain  et  vous  laissera  sur  le  vôtre. 
Perpétuellement  en  état  de  défiance  à  votre  égard, 
il  vous  fera  payer  cher  la  malheureuse  dissimula- 
tion qu'il  vous  reprochera,  et  qui  lui  déplaira 
d'autant  plus  que  la  franchise  sera  sa  vertu  favorite. 
De  là  encore,  absence  d'harmonie,  de  communica- 
tions mutuelles,  de  conseils  utiles,  de  cordiale 
entente,  c'est-à-dire  de  tout  ce  qui  assure  le  plein 
succès  du  ministère  paroissial. 

Si  vous  avez  un  autre  vicaire  pour  collègue,  ce 
sera  la  même  chose.  S'il  est  dissimulé  comme  vous, 
vous  vous  rendrez  peu  de  services  et  vous  encourrez 
n.  11, 


—   190  — 

tous  les  deux  la  désaffection  de  votre  curé.  Mais 
si  votre  collègue  est  aussi  franc  que  vous  le  serez 
peu,  c'est  sur  lui  que  s'épancheront  les  faveurs  et 
les  prédilections  de  votre  curé,  ce  qui  vous. inspi- 
rera des  sentiments  d'aigreur  contre  l'un  et  de 
jalousie  contre  l'autre.  Ne  concevez-vous  pas  l'in- 
convénient qu'il  y  a  à  exercer  le  saint  ministère, 
quand  on  est  en  désaccord  avec  ceux  qui  en  par- 
tagent le  poids? 

Plus  tard,  devenu  curé  vous-même,  vous  mettrez 
vos  vicaires  à  la  torture  ;  vous  leur  cacherez,  quel- 
quefois sans  motif,  une  foule  de  détails  qu'il  serait 
important  de  leur  faire  connaître  pour  la  honne 
adminisU-ation  de  la  paroisse  ;  vous  leur  refuserez 
vos  ''I.^ritables  conseils;  vous  les  laisserez  en  mille 
circonstances  dans  l'embarras  de  savoir  s'ils  ont 
bien  ou  mal  agi  ;  vos  avertissements  eux-mêmes, 
si  vous  en  hasardez  quelques-uns,  seront  équi- 
voques, embarrassés  et  incapables  d'opérer  le  bien 
qu'ils  produiraient  s'ils  étaient  donnés  avec  ron- 
deur et  clarté.  Pas  d'harmonie,  pas  de  concert, 
pas  de  sympathie  réciproque,  et,  par  conséquent, 
ministère  restreint  et  peu  fécond  en  fruits  de  salut. 

Si  vous  êtes  m.embre  d'une  administration  dont 
le  personnel  soit  plus  nombreux  que  celui  d'une 
cure,  d'un  collège,  par  exemple,  d'un  petit  ou  d'un 
grand  séminaire,  les  mêmes  inconvénients  se  re- 
produiront encore.  Si  vous  eles  membre  suballerne, 
vous  serez  dissimulé  à  l'égard  de  votre  chef,  et 
peut-être  fomenterez-vous  des  coteries  contre  lui 
avec  vos  collègues  :  au  lieu  de  l'éclairer  sur  des 
mesures  qu'il  aura  tort  d'adopter,  vous  le  criti- 
querez dans  l'ombre  et  vous  vous  réjouirez  de  ses 


—   191   — 

échecs.  Si  vous  êtes  chef  vous-mômo,  vous  isolerez 
vos  collègues  par  le  peu  de  confmuce  que  vous 
leur  témoignerez  :  vous  les  dégoûterez  par  votre 
excessive  réserve;  vous  assuruerez  sur  vous-même 
et  sur  vous  seul  la  responsabilité  d'une  adminis- 
tration, à  la  gestion  de  laquelle  il  serait  souvent 
très-avantageux  d'employer  le  concours  de  tous  les 
membres  qui  la  composent. 

Mais  revenons  au  ministère  ordinaire. 

Jouirez-vous,  du  moins,  d'une  pleine  confiance 
parmi  les  paroissiens  ?  Nullement.  S'il  est  une 
vertu  que  le  monde  estime,  surtout  chez  ses  pas- 
teurs, c'est  la  franchise,  c'est  l'affabilité,  le  tendre 
épanchemont  d'un  père  dans  le  sein  de  ses  enfants 
chéris.  Otez  ces  qualités  au  bon  François  de  Sales, 
et  vous  lui  ôterez  par  là  même  la  source  la  plus 
abondante  de  ses  succès.  Quand  donc,  au  lieu  d'être 
franc,  affable,  ouvert  et  paternel,  vous  vous  mon- 
trerez habituellement  défiant,  mystérieux  et  dissi- 
mulé, vous  n'attirerez  personne  et  vous  rebuterez 
tout  le  monde.  La  dissimulation  a  toujours  pour 
compagnes  la  froideur  et  la  sécheresse. 

Si,  quoique  habituellement  on  vous  évite,  on 
vient  pourtant  vous  trouver  pour  vous  entre- 
tenir de  quelque  affaire,  vous  outre-passerez  les 
bornes  de  la  prudence  ;  vous  craindrez  à  l'excès  de 
vous  compromettre,  vous  hésiterez,  vous  biaiserez, 
vous  flotterez  avec  indécision  entre  deux  avis  op- 
posés, et  au  lieu  d'éclaircir  les  choses,  vous  les 
embrouillerez  davantage,  faisant  dire  de  vous  cette 
phrase  banale  :  Vraimcntj  avec  cet  hommc-là  on  ne 
sait  ce  qu'on  pèche. 

Vos  pénitents  eux-mêmes  se  plaindront  de  vos 


—   192  — 


éijcences.    Au    lieu   de   répondre   franchement  à 


le 


nrs  consultations  :  Est,  est;  ?io?i,  jwn,  selon  le 
conseil  de  Jésus  qui  aimait  tant  la  simplicité,  vous 
ne  direz  ni  est,  ni  7ion,  et  vous  laisserez  les  con- 
sciences dans  un  état  pénible,  dangereux  même  au 
point  de  vue  du  salut. 

Dans  les  rapports  sociaux  ordinaires,  votre  dis- 
simulation se  fera  sentir  encore.  Pour  être,  autant 
que  possible,  de  l'avis  de  tout  le  monde,  vous  cache- 
rez la  vérité  comme  vous  pourrez  pour  ne  la  point 
violer  rigoureusement  parlant  :  et  avec  ces  précau- 
tions, vous  laisserez  croire,  sur  la  même  affaire, 
aux  uns  que  vous  êtes  pour,  aux  autres  que  vous 
êtes  contre,  selon  le  goût  de  chacun;  ce  qui  venant 
à  être  connu,  vous  fera  la  triste  réputation  de 
fmesse  et  de  duplicité. 

Vous  vous  obstinerez  à  ne  pas  reconnaître  que 
la  fmesse  et  la  franchise  se  combattent,  et  vous 
von  s  applaudirez  secrètement  d'être  fm,  quand  on 
vous  blâmera  de  l'être  beaucoup  trop. 

En  somme,  vous  n'aurez  point  ces  allures  fran- 
ches, nettes,  précises  et  bien  dessinées  que  tout  le 
monde  estime,  et,  sans  être  heureux  vous-même, 
vous  mécontenterez  tout  votre  entourage. 

Comment  méditer  ces  considérations  et  ne  pas 
se  déterminer  à  suivre  les  régies  qui  vont  être 
tracées  pour  détruire  la  dissimulation  et  acquérir 
la  franchise  ? 


III 


—  La  première  de  ces  règles  consiste  à  se  bien 
connaître  et  à  se  dire  franchement,  si  réellement 


—   193  — 

il  en  est  ainsi  :  Oui,  la  dissimulation  règne  en  moi. 
Malheureusement  on  a  peine  à  se  faire  cet  aveu. 
L'homme  dissimulé,  qui  se  cache  à  tout  le  monde, 
se  cache  souvent  à  ses  propres  yeux.  Etudiez-vous 
donc,  jeune  ami,  étudiez-vous  à  fond  et  priez  Dieu 
qu'il  vous  éclaire. 

—  Pour  que  cette  étude  vous  soit  profitable,  rap- 
pelez vos  souvenirs  et  demandez-vous  si  quelque- 
fois et  souvent  même  on  ne  vous  a  pas  reproché 
de  manquer  de  franchise.  Jamais  on  ne  fait  ce 
reproche  à  celui  qui  est  ouvert  par  caractère.  Voyez 
donc  si  Ton  ne  vous  a  pas  dit  en  diverses  circon- 
stances :  Vous  biaisez,  vous  louvoyez,  on  ne  peut 
rien  vous  arracher,  ou  autres  choses  équivalentes. 
Si  cela  est,  soyez  sur  que  la  franchise  n'est  pas  chez 
vous  une  vertu  dominante  et  que  vous  avez,  sur 
ce  point,  plus  d'une  réforme  à  opérer. 

—  Voyez  aussi  comment  vous  traitez  une  afîaire, 
surtout  quand  elle  est  un  peu  délicate.  Examinez 
si  vous  n'allez  pas  au  delà  de  ce  que  demande  une 
prudence  raisonnable,  et  si,  dans  ces  circonstances, 
votre  esprit  n'est  pas  continuellement  occupé  à 
trouver  des  expédients,  à  exagérer  ce  qui  est  vrai, 
à  dissimuler  ce  qui  ne  l'est  pas,  à  échapper  aux 
embarras  par  des  subtilités  et  des  faux-fuyants,  et 
même  à  tendre  des  pièges  aux  personnes  qui  trai- 
tent avec  vous.  Rien  de  tout  cela  ne  se  trouve  chez 
l'homme  franc  et  loyal  ;  il  n'en  a  pas  même  la  pen- 
sée :  d'où  vous  devez  conclure  que  la  franchise  et  la 
loj^auté  ne  sont  pas  probablement  vos  qualités  dis- 
tinctives,  si  vous  agissez  habituellement  comme 
il  vient  d'être  dit. 

—  Considérez  encore  comment,  en  général,  vous 


—    194  — 

traitez  la  vérité.  Avez-voiis  hon\iur  de  tout  ce  qui 
la  blesse  ?  Le  mensonge,  même  léger,  vous  sem- 
ble-t-il  odieux?  Vous  rendez-vous  le  témoignage 
que,  en  dehors  des  considérations  de  la  foi,  la 
simple  pensée  de  commettre  un  mensonge  fait 
violence  au  principe  de  droiture  naturelle  que  vous 
sentez  en  vous?  Puissiez-vous  répondre  affirmati- 
vement à  ces  questions  !  Mais,  au  lieu  de  cette 
exquise  délicatesse  en  ce  qui  touche  la  vérité,  ne 
la  violez-vous  pas  sans  scrupule?  Un  léger  men- 
songe n'est-il  pas  à  vos  yeux  une  bagatelle  ?N'étes- 
vous  pas  du  moins  dans  rhabitude  de  cacher,  de 
déguiser,  d'entorîiller,  d'exagérer  ou  d'affaiblir  la 
vérité  selon  vos  petits  intérêts,  vous  applaudissant 
comme  d'une  victoire  d'avoir  parfaitement  suivi 
votre  fil  dans  le  labyrinthe  de  vos  hiextricables 
stratagèmes?  Tous  ces  tours  et  détours,  n'en  dou- 
tez point,  sont  les  eiiseignes  de  la  dissimulation. 

—  Ce  df'faut  reconnu,  vous  devez  vous  appli- 
quer k  le  combattre.  Pour  cela,  convainquez-vous 
profondément  de  cette  vérité,  que  vous  gagnerez 
le  respect,  l'estime  et  l'aifection  des  peuples  parla 
franchise  et  la  loyauté,  ce  qui  n'aura  jamais  lieu, 
quelles  que  soient  d'ailleurs  vos  autres  qualités,  si 
vous  m.éritez  qu'on  vous  reproche  la  ruse,  la  finesse 
et  la  dissimulation. 

—  Renoncez  à  tous  vos  petits  mystères  sur  des 
bagatelles  ;  et  quand  la  prudence  et  la  discrétion 
ny  mettront  pas  obstacle,  révélez-vous  hardiment 
et  sans  contrainte. 

—  Quand  vous  avez  la  tentation  d'employer  un 
mot  obscur  ou  de  donner  un  certain  tour  équivo- 
que à  ce  que  vous  allez  dire-,  évlLoz  cedegiiisenijnt 


—   195   — 

étaliez  drok  au  fait  sans  artifice  et  sans  ambages. 

—  Si  l'on  vous  interroge,  faites  une  réponse 
précise  et  catégorique.  Habituez-vous  même  à  ne 
la  faire  pas  trop  longtemps  attendre,  comme  un 
homme  qui  cherche  des  expressions  propres  à  dé- 
guiser sa  pensée. 

— Soyez  rond  en  affaires  ;  dites  nettement  :  Cela 
est  ou  cela  n'est  pas  ;  sacrifiez  plutôt  vos  intérêts 
que  la  vérité  ;  ne  l'immolez  pas  surtout  au  vain 
plaisir  de  triompher  plutôt  par  la  finesse  que  par  le 
bon  droit. 

—Cultivez  l'humilité,  et  ne  craignez  pas  d'avouer 
naiveip.ent  quelques-unes  de  vos  petites  misères. 
C'est  Ires-souvent  la  vanité  qui  fait  le  fond  de  la 
dissimulation. 

— Si  quelquefois,  malgré  remploi  de  ces  moyens, 
vous  vous  surprenez  encore  dans  la  feinte  et  le 
déguisement  et  que  l'on  vous  en  fasse  un  reproche, 
ayez  le  courage  d'en  faire  l'aveu.  Cet  acte  d'humi- 
lité sera  béni  de  Dieu  et  contribuera  puissamment 
à  la  destruction  de  votre  défaut. 

—  Corrigez-m.ème,  s'il  se  peut,  votre  extérieur. 
Donnez  à  votre  regard  quelque  chose  de  fixe  et 
d'assuré  ;  qu'il  ne  soit  jamais  faux  ,  oblique  ou 
embarrassé,  mais  direct  et  décidé.  Que  l'ensemble 
de  vos  traits  soit  calme,  ouvert  et  remarquable  par 
un  air  bien  prononcé  de  candeur  et  d'épanchement. 

—  Consultez  quelques  condisciples,  vrais  modèles 
de  franchise;  ouvrez-vous  à  eux  sans  réticence; 
dites-leur  ce  que  vous  êtes  et  ce  que  vous  voulez 
ne  plus  être  ,  et  priez-les  de  vous  aider  de  leurs 
bons  conseils  et  de  ne  vous  rien  passer. 

—  Adressez-vous  surtout  à  vos  supérieurs,  non 


—    19Ô   — 

pas  seulement  en  confession  ou  en  direction,  mais 
dans  des  entreliens  particuliers.  Révélez-vous  à 
eux  avec  confiance  et  abandon.  Armez-vous  de  cou- 
rage et  dites-leur  sans  crainte  ce  que  naturellement 
vous  auriez  le  désir  de  leur  laisser  ignorer  :  cet 
acte  de  franchise  sera ,  n'en  doutez  pas ,  une  vic- 
toire éclatante  remportée  sur  la  dissimulation. 

—  Pas  de  mystère  surtout  en  ce  qui  touche, 
directement  ou  indirectement,  à  la  vocation.  Dites- 
vous  à  vous-même  :  Je  veux  que  mes  supérieurs 
me  connaissent,  et  je  ne  veux  pas  qu'ils  m'admet- 
tent aux  saints  ordres  si  je  ne  mérite  pas  d'y  être 
admis,  vous  rappelant  ces  mots  terribles  du  divin 
Sauv(3ur  :  Qui  non  intrat  per  ostium,  sed  ascendit 
aliundè,  ille  fur  est  et  latro. 

—  Faites  pendant  longtemps  votre  examen  par- 
ticulier sur  la  dissimulation,  et  punissez-vous  sé- 
vèrement des  fautes  dont  vous  vous  reconnaîtrez 
coupable  à  cet  égard. 

—  Prenez  pour  modèles  Jésus,  Marie,  Joseph, 
saint  Yincent  de  Paul  et  saint  François  de  Sales 
qui  étaient  si  simples,  si  candides,  si  ouverts  et  si 
communicatifs  dans  leurs  paroles,  leurs  actes  et 
toute  leur  conduite. 

—  Enfin  gardez-vous  de  confondre  la  dissi- 
mulation avec  la  prudence.  La  prudence  est  une 
vertu  trop  souvent  violée  sans  doute  par  les 
ecclésiastiques;  mais  la  dissimulation,  de  l'aveu 
de  tout  le  monde,  est  un  défaut  et  même  un 
vice.  Elles  diffèrent  donc  essentiellement  Tune  de 
Pautre. 

L'homme  prudent  et  franc  tout  à  la  fois  retient 
ce  qu'il  ne  peut  pas  dire  ;  Phomme  dissimulé  dé- 


—    197  — 

guise  ce  qu'il  pourrait  révéler  sans  le  moindre 
danger  ou  même  avec  avantage. 

L'homme  prudent  dit  nettement  :  Je  ne  puis  pas 
m'expliquer  à  cet  égard,  et  l'on  respecte  son  secret  ; 
l'homme  dissimulé  a  l'air  de  vouloir  s'expliquer, 
quoique,  par  le  fait,  il  ne  s'explique  point,  et  cha- 
cun dit  :  Il  manque  de  franchise. 

L'homme  prudent  souffre  d'être  obligé  de  taire 
quelquefois  ce  que  naturellemxent  il  voudrait  pou- 
voir dire  ;  l'homme  dissimulé  se  réjouit  d'avoir 
parfaitement  enveloppé  sa  pensée. 

L'homme  prudent  est  franc  par  habitude,  et  ré- 
servé par  exception;  l'homme  dissimulé  l'est  tou- 
jours ;  et  lors  même  que,  par  exception,  il  doit 
être  réservé,  on  ne  lui  sait  aucun  gré  de  sa  ré- 
serve, habitué  que  l'on  est  à  le  voir  constamment 
dans  les  voies  tortueuses  de  la  dissimulation. 

A  l'œuvre  maintenant,   jeune  et  tendre  ami  : 
gagnez  désormais  les  cœurs  par  la  franchise  et  la 
sincérité,  comme  vous  les  avez  resserrés  jusqu'ici 
par  la  feinte  et  l'artifice. 


CHAPITRE  VI 


Le  séminariste  paresseux. 

I 

Chez  un  séminariste  régulier,  la  piété  et  l'amour 
de  l'étude  sont  deux  traits  saillants.  Si  vous  n'avez 
que  la  piété  sans  l'amour  de  l'étude,  votre  piété 


—   198  — 

est  fausse  et  illusoire  :  si  vous  n'avez  que  Tamour 
de  rétude  sans  piété,  vous  pourrez  devenir  sa- 
vant; mais,  tout  bouffi  de  science,  vous  courrez  à 
votre  perte  comme  ces  insensés  dont  parle  saint 
Paul,  qui  s'évanouissent  dans  leurs  hautes  con- 
ceptions :  Evanuenmt  in  cogitationibus  suis. 

Celui  donc  qui  cultive  avec  soin  la  piété  et 
l'étude,  est  généralement  un  excellent  séminariste 
et  sera  presque  infailliblement  un  saint  prêtre  : 
celui  qui  ne  cultive  ni  la  piété  ni  l'étude  est  un 
mauvais  séminariste  et  sera  très -probablement 
plus  tard  un  mauvais  prêtre. 

A  la  lumière  de  ces  principes,  étudions  l'oisi- 
veté et  voyons  si  elle  n'est  pas  un  de  nos  vices. 

Il  est  rare  que  le  jeune  homme  qui  a  eu  pendant 
ses  classes  un  goût  prononcé  pour  l'étude,  de- 
vienne plus  tard  un  paresseux.  S'il  s'applique  au 
travail  à  l'époque  de  la  vie  où  l'amour  de  la  frivolité 
est  comme  naturel,  est-il  possil)le  qu'il  le  néglige 
quand  il  devient  avec  les  années  plus  sérieux  et 
plus  grave? 

On  en  voit,  au  contraire,  qui,  dans  lourJL*une  âge, 
ont  été  paresseux  et  qui  deviennent  sîudicux  quand 
arrive  le  temps  delà  réflexion.  C'était  le  plaisir,  le 
jeu,  la  légèreté,  rentraînement  qui  nourrissait  leur 
paresse;  mais  quand,  la  raison  se  faisant  jour,  ils 
voient  le  vide  de  toutes  ces  bagatelles,  et  quand 
surtout  la  voix  de  la  religion  se  fait  entendre,  ils 
s'arrachent  à  l'oisiveté  par  un  généreux  effort,  et 
s'attachent  à  l'étude  par  devoir  d'abord,  puis  par 
goût,  et  quelquefois  par  une  sorte  de  passion. 

Yoilà  malheureusement  ce  que  ne  comprend  pas 
le  séminariste  paresseux. 


—  199  — 

Pour  lui,  les  années  s'écoulent  sans  laisser  trace 
de  leur  passage.  Homme  par  l'-^ge,  il  est  toujours 
enfant  par  ses  goûts.  Ce  qui  lui  plaisait  au  début 
de  la  vie,  continue  de  lui  plaire  à  mesure  qu'il  s'y 
avance,  et  jamais,  chez  lui,  le  sérieux  ne  remplace 
le  frivole. 

Il  n'apprécie  point  l'importance  de  l'étude,  et 
l'on  pourrait  même  dire  qu'il  craint  de  se  con- 
vaincre de  cette  importance  :  ce  serait  le  germe 
d'un  trouble  qui  viendrait  altérer  la  placidité  non- 
chalante dans  laquelle  il  se  complaît. 

Ne  rien  faire  ou  faire  des  riens,  voilà  son  bon- 
heur. Quand  il  est  seul,  il  s'égare  dans  de  vaines 
pensées  ;  quand  il  est  en  compagnie,  il  s'amuse 
ou  se  retire  si  l'on  ne  partage  pas  sa  gaieté. 

Les  récréations  sont  ce  qui  lui  plaît  le  mieux 
dans  le  séminaire.  Nul  ne  l'égale  ou  du  moins  ne 
le  surpasse  en  quolibets,  en  railleries,  en  préten- 
dus bons  mots.  Il  joue  plus  que  personne,  il  parle 
sans  cesse,  et  son  rire  bruyant  s'entend  à  de 
grandes  distances. 

Toujours  enclin  à  l'esprit  de  bagatelle,  il  ne  dit 
rien,  môme  par  hasard,  de  grave  et  de  sérieux.  Si 
ses  compagnons  de  récréation  traitent  un  sujet  utile, 
il  se  tait,  ou  s'il  parle,  c'est  pour  détourner  la  con- 
versation et  l'amener  sur  un  terrain  moins  âpre. 

Il  fait  ordinairement  bon  marché  de  la  règle. 
Comme  elle  gêna  sa  paresse,  qui  redoute  toute 
contrainte,  il  la  sacrifie  dans  tous  ses  points.  Le 
signal  du  départ  pour  un  exercice  commun  ne 
semble  pas  s'adresser  à  lui  :  sa  lâcheté  parle  plus 
haut  que  la  cloche  du  réglementaire,  et  c'est  tou- 
jours lui  qui  arrive  le  dernier. 


—   200  — 

Le  lit  fait  ses  délices  ;  il  le  quitte  quelques  in- 
stants avant  de  se  rendre  à  l'oraison,  et  soupire 
après  le  temps  où  il  n'aura,  surtout  pour  soulever, 
d'autre  règle  que  sa  volonté  propre. 

L'étude  lui  pèse  énormément;  il  la  trouve  fasti- 
dieuse et  insipide.  S'il  ne  craignait  pas  les  répri- 
mandes et  les  humiliations  que  lui  attireraient  ses 
réponses  aux  interrogations  des  professeurs  ,  il 
n'étudierait  point. 

Ainsi  disposé,  il  travaille  sans  goût,  à  contre- 
cœur, et  par  conséquent  sans  fruit.  Il  n'approfondit 
rien  ;  il  effleure  les  choses  e!  ne  les  sonde  jamais  : 
son  but  n'est  pas  de  s'instruire,  il  ne  tient  qu'à 
répondre  d'une  manière  telle  quelle. 

On  ne  voit  pas  la  moindre  suite  dans  son  tra- 
vail ;  en  cela  comme  en  toute  autre  chose,  c'est 
l'inclination,  le  caprice  du  moment  qui  le  dirige. 
Dans  une  seule  séance  d'étude,  il  va  parcourir  trois 
ou  quatre  livres  diffc^rents  sur  des  matières  tout  à 
fait  disparates  :  c'est  ce  qu'il  appelle  tuer  le  temps. 

L'ennui  qu'il  éprouve  en  étudiant  amène  le  som- 
meil ;  il  l'accueille  comme  un  ami,  s'endort  et  ne 
se  réveille  qu'au  bruit  de  la  cloche  qui  l'appelle 
en  classe,  où  il  va  comme  un  soldat  sans  armes 
ou  comme  un  ouvrier  sans  instruments. 

Est-il  interrogé  par  le  professeur?  tout  le  monde 
s'aperçoit  qu'il  est  pris  au  dépourvu;  il  ânonne,  il 
balbutie  et  souvent  il  dit  des  sottises  qui  font  rire 
à  ses  dépens.  Si  l'on  sait  qu'il  a  un  fonds  de  talent 
naturel,  il  donne  publiquement  la  preuve  que  le 
talent  qui  n'est  pas  fécondé  par  l'étude  équivaut 
à  l'ignorance.  S'il  est  connu  par  son  peu  de  capacité, 
il  provoque  des  gémissements  de  pitié  chez  ses 


—  201  — 

condisciples  et   se    fait   noter  par   le   professeur 
comme  indigne  du  sacerdoce. 

S'il  croit  avoir  une  certaine  dose  d'esprit,  il  se 
persuade  que  sa  facilité  naturelle  le  tirera  toujours 
d'embarras.  S'il  se  croit  atteint  d'un  fonds  d'in- 
capacité, il  se  dit  que  l'application  à  l'étude  ne  l'en 
fera  pas  sortir,  et,  dans  l'un  et  l'autre  cas,  il  s'en- 
veloppe et  s'assoupit  dans  sa  paresse. 

Quelquefois  il  avoue  naïvement  qu'il  est  pares- 
seux, ce  qui  est,  de  sa  part,  une  humilité  orgueil- 
leuse dont  il  use  pour  faire  croire  que.  s'il  voulait 
travailler,  il  en  saurait  autant  que  les  autres. 

Mais  le  plus  souvent  il  dissimule  sa  paresse,  sur- 
tout auprès  de  ses  supérieurs,,  ce  qui  les  met  dans 
l'embarras  de  savoir  s'il  est  foncièrement  ignorant 
ou  s'il  ne  l'est  que  par  défaut  d'application. 

Ce  qu'il  y  a  de  plus  déplorable,  c'est  de  voir  l'oisi- 
veté implantée  chez  un  ordinandqui  a  un  vrai  talent. 
Il  pourrait,  s'il  le  voulait,  acquérir  des  connaissances 
précieuses,  dépasser  notablement  le  cercle  élémen- 
taire où  le  commun  des  séminaristes  est  renfermé, 
aborderetpénétrer  les  plus  hautes  questions  théolo- 
giques, s'enrichir  des  trésors  entassés  chez  saint  Tho- 
mas, Suarcz,  Bellarmin  et  tant  d'autres  et  se  mettre 
en  état  de  rendre  plustard  à  l'Église  d'importants  ser- 
vices ;  mais  la  paresse  tarissant  pour  lui  toutes  ces 
sources,  annihile  le  talent  que  Dieu  lui  a  donné  et 
dont  il  lui  demandera  le  compte  le  plus  sévère. 

Achevons  le  portrait  du  séminariste  paresseux 
et,  pour  le  mieux  connaître  encore,  entrons  dans 
sa  cellule.  Elle  est  en  désordre  ;  cela  doit  être  : 
l'oisiveté  étant  elle-même  un  désordre,  l'esprit  de 
règle  ne  peut  pas  être  un  de  ses  fruits. 


—   202  — 

Sa  bibliothèque  dit  ce  qu'il  est  ;  il  a  peu  de  livres 
et  il  en  a  encore  beaucoup  plus  qu'il  n'en  lit. 
Quelques-uns  de  ces  livres  sont  futiles,  et  Ton  voit 
tout  d'abord  qu'ils  sont  plus  lus  que  les  autres. 
EiTectivement,  des  heures  entières  que  l'étude  ré- 
clame sont  absorbées  par  la  lecture  de  ces  livres. 

Ses  cahiers  de  théologie  et  d'Écriture  sainte  font 
pitié.  Quelques  notes  indéchiffrables,  éparses  çà  et 
là,  attestent  l'insouciance  de  celui  qui  les  a  rédigées, 
et  l'on  devine  aisément  qu'il  se  propose  de  ne  les 
revoir  jamais  quand  il  aura  fait  ses  adieux  au  sémi- 
naire. 

En  revanche,  il  exploite  abondamment  la  car- 
rière épistolaire.  Jl  a  des  correspondances  actives 
et  suivies,  qui  lui  tiennent  lieu  de  conversations 
quand  il  est  contraint  d'être  seul.  Ce  n'est  pas 
pourtant  qu'il  ait  de  l'attrait  pour  toute  sorte  de 
lettres.  S'il  était  dans  l'obligation  d'en  écrire  de 
graves  et  d'utiles,  elles  lui  seraient  à  charge  comme 
le  travail  ordinaire,  et  il  en  ajournerait  indéfiniment 
la  rédaction.  Ce  sont  donc  les  lettres  oiseuses,  et 
celles-là  seulement,  qui  lui  plaisent.  Il  écrit  à  quel- 
ques amis  du  monde,  du  petit  séminaire  qu'il  vient 
de  quitter,  ou  à  quelques  autres  fainéants  qui  par- 
tagent ses  goùis.  Ses  lettres  le  peignent  au  naturel: 
c'est'un  amas  de  plaisanteries,  d'anecdotes,  de 
critiques  contre  quelques  professeurs  du  séminaire 
ou  quelques  condisciples  aux  dépens  desquels  il 
s'amuse.  Quel  temps  précieux  perdu  en  ces  vaines 
correspondances  ! 

Avec  de  telles  habitudes,  que  doit-il  être  au  ser- 
vice de  Dieu?  Cette  seule  question  fait  trembler, 
tant  elle  appelle  de  tristes  réponses  !  Quelle  ab- 


—   203   — 

sence  de  piété  chez  le  séminariste  paresseux  ! 
Quelle  âme  vide  de  Dieu  et  remplie  de  bagatelles  ! 
Quelles  oraisons  !  quels  examens  !  quelles  lec- 
tures! quelles  confessions  et  quelles  communions! 
El  c'est  un  aspirant  au  sacerdoce  qui  se  conduit 
de  la  sorte  !  et  bientôt  il  va  monter  à  l'autel  !  et 
bientôt  il  va  s'engager  dans  un  ministère  où  l'igno- 
rance compromet  le  salut  de  tant  d'àmes  !  et  rien 
ne  le  trouble,  rien  ne  l'émeut,  rien  ne  l'arrache  à 
l'oisiveté  qui  l'endort  en  attendant  qu'elle  le  per- 
vertisse? 0  Dieu  !  ô  Dieu  !  inspirez-lui  de  se  corriger 
ou  de  rentrer  dans  le  monde  qu'il  n'aurait  jamais 
du  quitter. 

Quant  à  ses  vacances,  c'est,  hélas  î  bien  autre 
chose  encore.  Retrouvant  la  liberté  dont  il  a  été  si 
longtemps  privé,  il  se  dédommage  de  la  contrainte 
qui  lui  était  imposée  au  séminaire,  par  un  repos 
complet  ou  par  des  œuvres  !plus  dangereuses  en- 
core que  l'inaction.  Pas  une  heure  d'étude  dans 
chacune  de  ses  journées  ;  visites  interminables  et 
d'une  frivolité  complète  ;  parties  de  jeu  fréquentes 
et  prolongées  ;  voyages  sans  aucun  but  d'utilité  ; 
lectures  profanes  et  amusantes;  exercices  spirituels 
omis  sans  scrupule  ou  faits  sans  le  moindre  senti- 
ment de  dévotion;  vie  lâche,  sensuelle,  inutile  et 
plus  qu'inutile,  qui  permet  de  poser  à  cet  infortuné 
la  question  adressée  aux  oisifs  de  la  parabole 
évangélique  :  Ut  quid  stads  totâ  die  otiosi? 

Tels  sont  les  traits  qui  caractérisent  le  sémina- 
riste paresseux.  Où  en  êtes-vous,  cher  ami,  sur  ce 
point  si  important?  Yous  reconnaissez-vous  dans 
le  miroir  qui  vous  est  présenté  ?  Ce  tableau  sans 
doute  est  déjà  bien  sombre;  mais  ce  qui  l'est  plus 


—  204  — 

encore,  c'est  l'avenir  qu'il  laisse  entrevoir  et  qu'il 
s'agit  maintenant  d'exposer  à  vos  regards. 


II 


Ecoutez  bien,  jeune  élève  :  ce  n'est  pas  un  homme 
isolé,  c'est  l'expérience  de  tous  les  lieux  et  de  tous 
les  siècles  qui  va  vous  instruire. 

Si  vous  êtes  paresseux  au  séminaire,  vous  serez 
bien  plus  paresseux  encore  quand  vous  en  serez 
sorti.  Vous  réclamez  peut-être  contre  cette  pro- 
position :  nous  vous  affirmons  qu'elle  est  exacte. 
Au  surplus,  raisonnons  : 

Dans  le  séminaire,  rien  ne  vous  distrait  du  tra- 
vail ;  disons  mieux,  tout  vous  y  invite  :  l'éloigne- 
ment  du  monde,  la  solitude,  le  bon  exemple,  les 
encouragements  des  supérieurs,  et  même  la  néces- 
sité de  travailler  pour  échapper  à  l'ennui.  Dans  le 
monde,  au  contraire,  tout  sera  pour  vous  tentation 
d'oisiveté  :  jeux,  festins,  voyages,  visites  faites  ou 
reçues  à  chaque  instant  :  quelles  funestes  occasions 
pour  celui  qui  déjà,  et  depuis  bien  longtemps,  a 
pris  en  dégoût  le  travail  et  l'étude  ! 

Au  séminaire,  le  travail  est  obligatoire;  un  règle- 
ment exact  en  détermine  la  mesure,  et  des  direc- 
teurs consciencieux  et  attentifs  veillent  sans  cesse 
à  son  entière  exécution.  Pas  d'indépendance  ab- 
solue pour  le  séminariste,  surtout  en  ce  qui  touche 
le  travail.  Dans  le  monde,  au  contraire,  affran- 
chissement complet  des  pénibles  entraves  du  sémi- 
naire :  indépendance  presque  totale  de  règlement 
et  de  supérieurs  immédiats  qui  le  fassent  observer. 
Comment  croire  que  l'oisiveté,  dont  on  était  déjà 


—  205  — 

Vesclave  dans  le  séminaire,  ne  fera  pas  chaque 
jour  de  nouveaux  progrès,  quand  on  jouira  dans 
le  monde  d'une  liberté  sans  contrôle  ? 

Dans  le  séminaire,  on  veut  atteindre  un  but  ;  et 
quel  but?  le  sacerdoce.  On  veut  être  prêtre,  et, 
pour  le  devenir,  on  sait  que  le  travail  est  de  ri- 
gueur. Des  professeurs  zélés  le  font  sentir  chaque 
jour  par  les  interrogations  qu'ils  adressent  à  leurs 
élèves  ;  et,  d'un  autre  côté,  des  examens  sérieux 
doivent  être  subis,  examens  à  la  suite  desquels  les 
paresseux  savent  bien  qu'ils  peuvent  être  exclus 
des  saints  ordres  comme  incapables.  Dans  le 
monde,  au  contraire,  le  séminariste,  devenu  prê- 
tre, ne  craint  plus  rien  ;  il  a  atteint  son  but  : 
directeurs,  professeurs,  examinateurs  ne  sont  plus 
rien  pour  lui.  Or  si,  même  quand  il  était  vivement 
stimulé  au  travail  par  le  désir  de  parvenir  au  sa 
cerdoce,  il  était  encore  asservi  à  l'oisiveté,  quels 
ravages  effroyables  ne  fera-t-elle  pas  dansson  àme 
quand  il  pourra  s'y  livrer  sans  craindre  qu'on  lui 
ravisse  la  dignité  suprême  dont  il  sera  investi  ! 

Dans  le  séminaire  enfm,  on  a  généralement  la 
conscience  plus  délicate,  et,  par  suite,  plus  de 
piélé  que  quand  on  l'a  quitté  depuis  quelques  an- 
nées :  c'est  un  fait  malheureusement  incontestable. 
Or  cette  conscience  plus  tendre  et  cette  piété  plus 
prononcée  inspirent  tout  naturellement  le  goût  du 
travail  et  rappellent  sans  cesse  au  séminariste  que 
r étude  est  un  de  ses  premiers  devoirs.  Si  donc  cet 
énergique  stimulant  ne  le  rend  pas  sludieux  au- 
jourd'hui, comment  produira-t-il  plus  tard  cet  ef- 
fet quand  il  aura  perdu  presque  toute  sa  puissance  ? 

Concluons  de  ce  qui  précède,  jeune  et    tendre 
II.  12 


—   206   — 

ami,  et  concluons  à  coup  sur,  que  si  vous  avez  au 
séminaire  peu  de  goût  pour  l'étude,  vous  serez  in- 
failliblement dans  le  monde  un  prêtre  paresseux  et 
oisif. 

Or,  si  vous  êtes  un  prêtre  de  ce  caractère,  que 
serez-vous  ?  Nous  allons  vous  l'apprendre. 

Vous  aurez  en  horreur  la  solitude  de  votre  cham- 
bre. Délicieuse  pour  le  prêtre  ami  du  travail,  elle 
est  insupportable  pour  le  prêtre  oisif. 

Le  goût  que  vous  n'aurez  pas  pour  la  retraite, 
vous  l'aurez,  en  revanche,  pour  la  frivolité,  pour 
la  dissipation. 

Vous  passerez  de  longues  heures  en  des  entre- 
tiens futiles  et  souvent  dangereux.  Vous  recevrez 
avec  joie  des  visites  inutiles,  et  quand  vous  n'en 
recevrez  pas  vous  en  ferez  vous-même. 

Vous  passerez  desjours  presque  entiers  enjeux, 
en  courses,  en  festins  où  s'évaporera  bien  vite 
votre  reste  de  piété,  et  où  achèvera  de  s'éteindre 
le  goût  déjà  si  faible  que  vous  aurez  pour  le  tra- 
vail. 

Vous  aurez  une  espèce  de  bibliothèque  qui  ne 
sera  que  pour  la  montre.  L'oisiveté  y  apposera  son 
sceau.  Une  épaisse  poussière  couvrira  la  tranche 
de  vos  livres,  et  sera  contre  vous  une  muette  ac- 
cusation de  paresse.  Chacun  d'eux  dormira  sur  son 
rayon  comme  autant  de  petites  momies  égyptien- 
nes ;  et  si  cette  ignoble  poussière  en  épargne 
quelques-uns,  on  verra  tout  à  l'heure  que  leur  fu- 
tilité seule  leur  vaut  l'honneur  de  la  lecture. 

Toute  étude  sérieuse  vous  inspirera  du  dégoût, 
et  ce  dégoût,  vous  le  ferez  deviner  à  tout  le  monde 
par  l'inexactitude   de   votre    enseignement  cathé- 


—  207   — 

chistique,  par  le  vide  et  le  décousu  de  vos  sermons 
et  de  vos  prônes.  Vous  catéchiserez  sans  instruire, 
vous  prêcherez  sans  nul  profit  pour  vos  auditeurs, 
et  vous  laisserez  les  peuples  dans  une  ignorance 
qui  sera  le  reflet  de  la  vôtre  et  que  le  divin  Maître 
imputera  cerlainement  à  votre  paresse. 

Si  vous  êtes  vicaire,  vous  serez  un  fléau  pour 
votre  curé  qui,  au  lieu  d'avoir  en  vous  un  coopé- 
rateur  actif  et  zélé,  n'aura  qu'un  vicaire  indolent, 
désœuvré,  tout  de  feu  pour  le  plaisir,  tout  de  glace 
pour  le  travail. 

Si  vous  êtes  curé,  vous  serez  une  pierre  de 
scandale  pour  vos  vicaires  qui  croiront  pouvoir 
vous  imiter  sans  comprometlre  notablement  les 
devoirs  essentiels  du  sacerdoce  et  les  obligations 
du  saint  ministère. 

Yous  propagerez  même  hors  de  la  paroisse  la 
contagion  de  votre  oisiveté  ;  vous  la  communi- 
querez aux  jeunes  confrères  de  votre  voisinage 
dont  vous  ferez  votre  compagnie.  Yos  conversa- 
tions frivoles,  votre  amour  du  jeu,  vos  courses 
perpétuelles  les  entraîneront  dans  votre  mauvaise 
voie,  surtout  s'ils  sont  prédisposés  à  la  paresse 
par  nature  et  par  inclination. 

Yous  malédiflerez  la  paroisse  par  votre  fainéan- 
tise, dont  vous  donnerez  chaque  jour  de  nouvelles 
preuves.  Les  pénitents,  les  malades,  les  enfants, 
tout  le  monde  en  un  mot  souffrira  de  votre  oisiveté 
et  dira  que  vous  êtes  un  arbre  stérile  dans  le 
champ  du  père  de  famille,  ce  qui  ne  sera  que  trop 
véritable. 

Quand  les  occasions  de  vous  divertir  viendront  à 
vous  manquer,  ou    que    vos  futiles   passe-temps 


—  208  — 

amèneront  après  eux  la  satiété  et  le  dégoût,  vous 
retomberez  lourdement  sur  vous-même,  et  vous 
subirez  sans  nul  adoucissement  les  langueurs  de 
l'ennui.  Charmes  de  la  piété,  joies  de  la  bonne 
conscience,  estime  des  peuples,  délices  du  saint 
prêtre,  tout  vous  fera  défaut  ;  tout  vous  fera  sen- 
tir, sans  cependant  vous  corriger,  que  vous  êtes 
un  fardeau  aceablant  pour  les  autres  comme  pour 
vous-même. 

Sera-ce  tout  ?  Non  vraiment  ;  et  ce  qui  reste  à 
dire  est  plus  déplorable  encore  que  ce  qui  vient 
d'être  dit.  L'oisiveté  traînant  tous  les  vices  à  sa 
suite,  vous  courrez  grand  risque  de  scandaliser 
rÉglise  par  ces  affreux  désordres  qui  la  plongent 
dans  le  deuil  et  Ihumiliation.  Quels  sont  les  prê- 
tres oisifs  qui  ne  soient  qu'oisifs  ?  Demandez  à 
ceux  qui  déshonorent  le  sacerdoce  par  l'intempé- 
rance, par  l'impureté,  par  la  passion  du  jeu,  par 
l'absence  du  zèle  et  par  une  vie  mondaine  et  dis- 
sipée :  demandez-leur  si  l'oisiveté  à  laquelle  ils  se 
sont  voués  n'est  pas  la  grande  source  de  ces  dérè- 
glements, et  si  ces  paroles  de  nos  saints  Livres 
ne  leur  sont  pas  applicables  :  Mtdtam  malitiani 
dociiit  otiositas  ? 

Nous  l'avouons,  jeune  et  tendre  ami,  cet  avenir, 
qui  sera  le  votre  si  vous  êtes  un  séminariste  pa- 
resseux, nous  fait  trembler  pour  vous,  et  nous 
formons,  dans  vos  plus  chers  intérêts,  le  vœu  le 
plus  ardent  pour  que  vous  acquériez  le  goût  de 
l'étude,  ou  pour  que  vos  supérieurs  vous  interdi- 
sent rentrée  du  divin  sanctuaire. 


—  209  — 


III 


—  En  présence  des  considérations  qui  précè- 
dent, commencez  par  vous  convaincre  profondé- 
ment qu'il  y  a  incompatibilité  radicale  entre 
l'habitude  de  l'oisiveté  et  la  sainteté  qu'exige  le 
sacerdoce.  Rentrez  donc  en  vous-même  et  dites  : 
—  Veux-je  être  prêtre?  Oui.  Yeux-je  être  un  saint 
prêtre  ?  Oui  encore.  Puis-je  être  un  saint  prêtre  si 
je  contracte  Thabitude  de  l'oisiveté  ou  si,  l'ayant 
déjà  contractée  dès  le  séminaire,  je  ne  fais  rien  ou 
du  moins  presque  rien  pour  la  combattre  ?  Tout 
m'atteste  que  c'est  absolument  impossible  :  si  donc 
je  m'obstine  à  croire  le  contraire,  je  m'abuse,  et 
malheur  à  moi  si  ce  qui  m'a  été  démontré  dans  ce 
chapitre  ne  dissipe  pas  mes  illusions  ! 

—  A  la  lumière  de  ces  réflexions,  entretenez 
en  vous  la  volonté  ferme  de  déraciner  à  tout  prix 
la  funeste  habitude  de  la  paresse  à  laquelle  vous 
êtes  sujet.  Ètes-vous  dans  cette  disposition  ?  Votre 
volonté  est-elle  bien  arrêtée  sur  ce  point  ?  La  ré- 
solution que  vous  prenez  de  combattre  à  outrance 
votre  mauvais  penchant  est-elle  vraie,  sincère  et 
solidement  affermie  ?  Vous  êtes  sur  de  vaincre  s'il 
en  est  ainsi,  comme  vous  êtes  sur  d'être  vaincu 
s'il  en  est  autrement. 

—  Toutefois,  vos  efforts  seuls  ne  suffisent  pas 
pour  vous  faire  remporter  la  victoire.  Vous  ne 
pouvez  vous  corriger  d'un  défaut  quelconque  sans 
le  secours  de  la  grâce  ;  et  la  grâce  s'obtient  par  la 
prière  et  les  sacrements.  Vous  devez  donc  em- 
ployer ces  deux  puissants  moyens  pour  acquérir  ce 

II.  12. 


-T-  210  — 

qui  vous  manque  :  riiorreur  de  l'oisiveté,  et  le 
goût  du  travail.  L'avez-vous  fait  jusqu'à  ce  jour  ? 
Non.  Le  voulez-vous  faire  désormais  ?  Oui.  En  ce 
cas,  dans  vos  oraisons,  dans  vos  examens,  dans 
vos  visites  au  saint  sacrement,  dans  vos  commu- 
nions, dans  tous  vos  exercices  spirituels,  dites  et 
redites  incessamment  à  Lieu  :  Donnez-moi,  Sei- 
gneur, r horreur  de  la  paresse  et  V amour  du  travail. 
Ce  doit  être  là  votre  oraison  jaculatoire  habituelle, 
si  vous  voulez  sincèrement  opérer  en  vous  la  ré- 
forme dont  la  nécessité  vous  est  si  clairement 
démontrée. 

—  Que  devez  vous  faire  encore  pour  assurer  le 
succès  de  votre  entreprise  ?  Vous  devez  vous  enchaî- 
ner par  un  règlement  parliculier  qui  fixe  nette- 
ment et  les  heures  de  travail,  et  la  matière  de  ce 
travail,  à  chaque  séance  d'étude.  Vous  devez  vous 
armer  de  courage  pour  rexécution  de  ce  règlement, 
et  implorer  l'assistance  de  Dieu  par  une  aspiration 
fervente  quand  vous  serez  tenté  de  le  violer  sans 
motif.  Vous  devez  encore  noter  comme  une  faute 
capitale  la  moindre  infraction  à  ce  règlement;  vous 
devez  même  vous  en  punir  et  vous  en  confesser. 

—  A  propos  de  confession,  vous  devez  appeler 
out  spécialement  l'attention  de  votre  confesseur 

sur  ce  point  si  important.  Vous  devez  le  prier  de 
ne  vous  rien  passer  à  cet  égard.  Vous  devez  lui 
faire  connaître  la  guerre  que  vous  avez  déclarée  à 
l'oisiveté.  Vous  devez  lui  soumettre  votre  règlement 
particulier  et  le  supplier  d'en  presser  vivement 
l'exécution.  Vous  devez  même  lui  demander  comme 
une  grâce  quelque  pénitence  spécirde  pour  chaque 
faute  que  l'oisiveté  vous  fera  commettre. 


—  2H   — 

—  Peut-être  feriez-vons  bien  d'aller  aussi  trou- 
ver votre  supérieur  pour  lui  exposer  votre  coté 
faible,  pour  lui  faire  part  de  vos  dispositions,  et 
solliciter  de  sa  charité  Fappui  de  ses  exhortations 
et  de  ses  conseils.  Dieu  vous  récompensera  de  vos 
humiliants  avenx,  et  bénira  cet  épanchement  de 
votre  misère  dans  le  sein  de  celui  qui  a  grâce  pour 
la  soulager. 

—  Il  sera  bon  encore  de  fuir  la  société  des  pa- 
resseux qui  vous  ressemblent,  et  de  ne  fréquenter 
habituellement  que  ceux  de  vos  condisciples  qui 
ont  la  sainte  passion  de  l'étude.  Si  vous  êtes  assez 
libre  avec  eux  pour  leur  parler  à  cœur  ouvert, 
vous  leur  confierez  votre  mauvais  penchant  ;  vous 
leur  demanderez  des  encouragements  et  des  avis 
fraternels  ;  vous  les  prierez  même  de  vouloir  bien 
vous  servir  de  moniteurs  assidus  et  dévoués. 

—  Vous  devez  surtout  cultiver  la  piété  dans 
votre  âme  ;  car  la  piété  est  utile  à  tout,  dit  l'Apô- 
tre, Pietas  ad  omîiia  utilis  est,  et  elle  est  particu- 
lièrement indispensable  pour  la  destruction  du  vice 
et  l'acquisition  de  la  vertu.  Votre  piété  est  fausse 
si  vous  prétendez  l'allier  à  l'oisiveté  qui  est,  dans 
l'état  ecclésiastique  plus  que  dans  tout  autre,  un 
a[Treux  désordre  dont  les  désastreux  effets  sont 
incalculables.  Vous  n'avez  été  paresseux  jusqu'ici 
que  parce  que  vous  avez  manqué  de  piété  ;  vous 
cesserez  de  l'être  si  vous  la  cultivez  désormais 
avec  un  saint  zèle. 

—  Quand  viendra  l'époque  si  périlleuse  des  va- 
cances, veillez  dès  le  premier  jour  sur  votre  côté 
faible.  Évitez  avec  le  plus  grand  soin  les  visites 
inutiles  et  trop  prolongées,  la  compagnie  des  per- 


—  212  — 

sonnes  désœuvrées,  les  jeux  et  les  festins  qui  ab- 
sorberaient vos  heures  d'étude.  Enfin  observez 
avec  une  exactitude  scrupuleuse  le  règlement  des 
vacances  que  vous  aurez  adopté  de  concert  avec 
votre  directeur  ;  rappelez -vous  souvent,  ce  qui  est 
si  vrai,  que  votre  conduite  pendant  les  vacances 
sera  la  représentation  fidèle  de  votre  conduite  fu- 
ture quand  vous  serez  prêtre. 

Puissiez -vous,  jeune  et  tendre  ami,  entrer  géné- 
reusement dans  ces  dispositions  et  vous  mettre 
ainsi  à  l'abri  des  dangers  de  toute  espèce  auxquels 
vous  exposerait  l'oisiveté  si  vous  refusiez  de  la 
combattre  !  Croyez-nous,  jeune  élève,  ne  faites  pas 
la  démarche  décisive  du  sous-diaconat  si  vous  ne 
sentez  pas  en  vous-même  l'iiorreur  de  F  oisiveté 
et  le  goût  du  travail.  Plusieurs  étaient  studieux  au 
séminaire  et  sont  devenus  paresseux  dans  le  sacer- 
doce :  que  penser  de  ceux  qui,  même  au  séminaire, 
n'ont  pas  l'amour  de  l'étude?  Cette  pensée  fait 
frémir  ;  méditez-la  souvent  devant  Dieu  dans  votre 
pieuse  solitude. 

(Voyez  et,  lisez  avec  grande  atteutiuu  dans  la  Pratique  da 
zèle  ecclésiastique,  les  chap.  VIII  et  IX  de  la  première  partie, 
et  dans  le  Saint  Prêtre,  le  chap.  V^  de  la  troisième  partie.) 


213 


CHAPITRE  YIl 


Le.  séminariste  saus  charité  pour  le  prochain. 

I 

Le  cœur  est  le  foyer  de  la  charité.  Quand  la 
charité  n'y  réside  pas,  il  est  froid  ;  quand  elle  y 
règne,  il  est  ardent  et  embrasé.  Si  donc  nous  des- 
cendons dans  le  cœur  du  séminariste  peu  chari- 
table, nous  le  trouverons  à  coup  sur  froid  et  insen- 
sible à  l'égard  du  prochain  :  l'égoïsme  y  tiendra 
la  place  delà  charité.  Non-seulement  il  n'aura  point 
d'amour  pour  ses  frères,  mais  il  aura  contre  eux 
des  sentiments  d'aversion,  de  jalousie,  de  rancune 
ou  autres  de  ceUe  nature. 

Le  séminariste  peu  cliari table  ne  pense  point 
habituellement  au  prochain  avec  affection  et  dé- 
vouement ;  il  y  pense  plutôt  avec  un  certain  fonds 
de  malveillance,  ou  du  moins  d'indifférence  et  de 
froideur. 

S'il  a  connaissance  de  quelque  faute  commise 
par  un  de  ses  condisciples,  au  lieu  de  chercher  les 
moyens  de  l'excuser,  il  prend  plaisir  à  le  condamner 
au  tribunal  de  son  mauvais  cœur,  il  noircit  ses 
intenlions  et  attribue  à  une  malice  réfléchie  ce  qui 
peut-être  n'a  été  que  l'efiet  de  la  fragilité  ou  de  la 
distraction. 

Si  le  coupable  n'est  pas  connu,  il  veut  le  con- 
naître,  lui  ;   il  examine,    il  recherche,   il  fait  des 


—  214  — 

rapprochements,  des  suppositions,  et  s'il  ne  juge 
pas  absolument,  il  soupçonne  du  moins  et  semble 
prendre  plaisir  à  penser  que  ses  soupçons  sont 
fondés. 

Si  surtout  il  se  croit  lui-même  atteint  par  ce 
qu'il  appelle  un  mauvais  procédé,  il  n'admet  au- 
cune excuse,  aucune  faiblesse,  aucune  légèreté. 
Son  amour-propre  froissé  s'irrite  vivement,  et  c'est 
alors  qu'il  incrimine  plus  malignement  que  jamais 
les  intentions  de  celui  qu'il  devrait  traiter  avec  une 
indulgente  charité. 

Il  est  jaloux,  et  sa  jalousie  nourrit  en  lui  des 
sentiments  d'aigreur  qui  ne  sont  compensés  par 
aucune  jouissance. 

La  raillerie  lui  est  familière  :  pas  un  travers 
qu'il  ne  censure,  pas  une  gaucherie  qu'il  ne  fasse 
ressortir  par  des  ironies  piquantes  ;  supérieurs, 
égaux,  inférieurs,  nul  n'est  épargné.  Toujours 
moqueur,  toujours  caustique  et  mordant,  il  triom- 
phe q^uand  il  peut  égayer  une  conversation  aux 
dépens  du  prochain. 

Son  extérieur  même  annonce  son  mauvais  pen- 
chant à  l'ironie.  Son  regard  est  scrutateur,  quel- 
quefois faux,  dédaigneux  et  malin  ;  son  sourire 
est  sardonique  et  railleur  comme  sa  langue. 

Connaissant  sa  disposition  habituelle  à  la  rail- 
lerie, on  tâche  de  se  préserver  de  ses  coups  de 
langue,  on  vise  à  lui  être  agréable,  on  le  flatte, 
on  l'applaudit,  mais  au  fond  on  le  redoute  et  per- 
sonne ne  l'aime. 

Ses  amis,  quand  ils  prêtent  le  flanc  à  ses  criti- 
ques incisives,  ne  sont  pas  plus  ménagés  que  les 
autres.  Tout  au  plus  s'abstiendra-t-il  de  les  blesser 


—  215   — 

s'ils  sont  présents  ;  mais  en  leur  absence,  il  les 
fustigera  sans  pitié  par  ses  paroles  sarcastiques. 

La  gloire  qu'il  attache  à  un  prétendu  bon  mot 
exerce  sur  lui  un  empire  absolu  :  faire  le  sacri- 
fice de  ce  bon  mot  lui  est  impossible  ;  le  vain  plai- 
sir de  passer  pour  homme  d'esprit  étouffe  les  inspi- 
rations que  la  charité  lui  suggi^re. 

Autant  il  aime  à  blesser  les  autres  par  ses  rail- 
leries, autant  il  s'indigne  si  l'on  se  permet  de  le 
blesser  lui-même  :  on  dirait  qu'il  se  regarde  comme 
une  petite  divinité  qui,  ayant  droit  de  vie  et  de 
mort  sur  tout  le  monde,  veut  être  respecté  de  ceux 
même  qu'elle  immole. 

Les  médisances,  quoique  parfois  assez  notables, 
sont  à  ses  yeux  des  bagatelles  insignifiantes  ;  il 
dit  tout  ce  qu'il  sait,  sans  ménagement  et  sans 
contrainte  ;  sa  mauvaise  langue  produit  au  grand 
jour  de  la  publicité  les  fautes  les  plus  cachées,  et 
son  habitude  à  cet  égard  est  si  bien  formée  qu'il 
n'a  pas  même  la  pensée  de  retenir  les  indiscrétions 
qui  lui  échappent. 

S'il  ne  trouve  pas  matière  suffisante  à  ses  mé- 
disances dans  l'enceinte  du  séminaire,  il  fait  des 
excursions  hors  de  cette  enceinte  ;  il  révèle  les 
fautes  que  ses  anciens  condisciples  ont  commises 
dans  les  petits  séminaires  ou  dans  les  collèges,  et 
blesse  la  réputation  de  quelques  personnes  du 
monde  qui  ne  se  doutent  guère  qu'un  séminariste 
les  déchire. 

Non  content  de  débiter  ce  qu'il  sait,  il  veut  qu'on 
lui  dise  ce  qu'il  ignore,  pour  avoir  le  plaisir  de 
l'apprendre  à  d'autres.  11  fréquente  à  dessein  ceux 
qui  lui  ressemblent,    espérant  toujours  en  tirer 


—  216  — 

quelque  chose,  et  il  s'isole  des  séminaristes  pieux 
et  charitables  qui  n'ont  jamais  rien  à  lui  dire  de 
ce  qu'il  veut  savoir. 

Apprendre  du  nouveau  contre  le  prochain,  voilà 
son  plaisir.  Si  on  ne  lui  dit  rien,  il  interroge  ;  si 
on  lui  dit  quelque  chose,  il  écoute  avec  avidité,  et 
fait  voir  par  des  signes  certains  qu'on  l'intéresse 
et  qu'on  l'amuse. 

Sa  conscience  a  beau  protester  contre  ses  licen- 
ces, il  la  traite  de  scrupuleuse  et  ne  tient  aucun 
compte  de  ses  réclamations  et  de  ses  murmures. 

Encore  s'il  était  véridique  dans  ses  récits  contre 
le  prochain,  mais  malheureusement  il  n'en  est  pas 
ainsi  ;  aveuglé  par  la  manie  du  dénigrement^  il 
ne  calcule  pas  la  portée  de  ses  paroles  et,  s'il  ne 
se  permet  pas  des  calomnies  formelles,  il  donne 
dans  des  exagérations  qui  blessent  la  vérité  et  la 
charité  du  même  coup. 

S'aperçoit-il  de  ces  exagérations  après  que  le 
mot  est  lâché?  il  ne  revient  point  sur  ce  qu'il  a 
dit,  se  persuadant  que  le  fond  est  vrai  et  qu'on  a 
d'ailleurs  oublié  déjà  la  parole  imprudente  qu'il 
vient  de  proférer. 

Faut-il  s'étonner  si,  ne  mettant  aucun  frein  à  sa 
langue,  il  fait  à  chaque  instant  des  indiscrétions, 
quelquefois  assez  graves  en  elles-mêmes  et  dans 
leurs  résultats  ? 

Aussi  n'est-ce  pas  à  lui  que  l'on  confiera  des 
secrets  importants  ;  on  sait  trop  bien  que  celui  qui 
révèle  sans  scrupule  les  fautes  du  prochain  ne  se 
reprochera  guère  la  révélation  d'une  confidence. 
Et  puis,  on  peut  lui  déplaire  quelque  jour  ;  ôr 
comment  croire  que,  le  cas  échéant,  il  respectera 


—  217   — 

les  secrets  de  celui  qui  aura  encouru  sa  disgiVu.'o  ? 

Par  ses  discours  plus  que  légers,  il  intro^u-t  la 
division  dans  le  séminaire.  Il  brouille  des  amis  j  ar 
ses  coups  de  langue,  et  ceux  qui  sont  déjà  froids 
les  uns  envers  les  autres,  il  les  refroidit  encore 
davantage  par  d'imprudents  rapports. 

N'attendez  point  de  lui  ce  qui  s'appelle  préve- 
nance, égards,  complaisance,  service  d'ami  :  ce 
sont  des  fruits  de  la  charité,  et  la  charité  est  une 
verlu  dont  il  ne  connaît  que  le  nom. 

Qu'on  ne  se  permette  pas  de  lui  manquer  ;  il 
ne  l'oublierait  jamais:  l'amitié  la  plus  étroite  ne 
serait  rien  pour  lui  ;  il  la  briserait  à  l'instant  même 
comme  le  verre  et  la  remplacerait  par  un  mauvais 
levain  de  rancune  amère  et  vivace. 

Non-seulement  il  ne  revient  point  le  premier 
quand  il  a  quelque  ressentiment  contre  un  de  ses 
frères,  mais  il  l'accueille  froidement  s'il  lui  fait  de 
charitables  avances. 

On  pourrait  presque  demander  s'il  y  a  place  pour 
une  affection  véritable  dans  son  cœur  froid  et  sec. 
La  charité  ne  l'animant  point  de  sa  flamme,  il 
ignore  la  douceur  d'un  tendre  attachement,  et  s'il 
aime  quelqu'un,  c'est  lui-même  et  lui  seul. 

Quelle  différence,  quel  contraste  entre  un  cœur 
ainsi  disposé,  et  le  cœur  de  Jésus  qui  aimait  tout  le 
monde  et  ses  propres  bourreaux  comme  les  autres  : 
Pater,  ignosce  illis,  nesciunt  enim  quid  faciuntl 

Voyez,  jeune  ami,  voyez  où  vous  en  êtes,  sur 
ce  point  si  important  ;  mais  voyez  en  outre  où 
vous  conduira  dans  le  sacerdoce  votre  manque  de 
charité. 

n.  13 


218  — 


II 


Si,  dans  le  séminaire  même,  qui  est  l'asile  de 
toutes  les  vertus,  vous  avez  l'habitude  de  violer 
la  charité,  ce  sera  bien  autre  chose  dans  le  monde, 
où  les  occasions  seront  incomparablement  plus 
fréquentes. 

Dans  le  séminaire,  vous  n'avez  rien,  du  moins 
de  notable,  à  censurer.  Les  habitants  de  ce  saint 
lieu  menant  pour  la  plupart  une  vie  pieuse  et 
régulière,  la  malignité  de  votre  langue  ne  peut 
guère  les  atteindre.  Mais  dans  le  monde ,  vous 
apprendrez  à  chaque  instant  de  nouveaux  désor- 
dres et,  à  chaque  instant  aussi,  vous  aurez  la  démen- 
geaison  d'en  connaître  les  auteurs. 

Étant  naturellement  railleur,  vous  donnerez  un 
libre  cours  à  vos  plaisanteries  mordantes.  Vous 
voudrez  égayer  les  compagnies  où  vous  serez 
admis,  par  des  critiques  plus  blessantes  quelque- 
fois que  des  médisances  mêmes. 

Si  les  personnes  que  vous  raillerez  sont  présen- 
tes, vous  les  humilierez  et  les  indisposerez  contre 
vous;  si  elles  sont  absentes,  ceux  qui  vous  enten- 
dront leur  reporteront  vos  railleries  et  vous  feront 
payer  cher  les  paroles  piquantes  que  vous  aurez 
proférées. 

Voyant  que  vous  n'épargnez  personne,  que  vous 
mordez  tout  le  monde  et  que  vous  ne  faites  grâce 
à  aucun  travers,  on  vous  flétrira  du  titre  de  rail- 
leur; nul  ne  vous  regardera  comme  un  saint  prê- 
tre ;  ceux-là  même  qui  vous  fréquenteront  et  que 
vous  semblerez  ménager,  croiront  que  vous  les 


—  219  — 

traitez  comme  les  autres  quand  ils  sont  absents, 
et,  de  cette  manière,  vous  serez  craint  peut-être, 
mais  à  coup  sûr  vous  ne  serez  point  aimé. 

Vous  applaudirez  aux  railleries  qui  se  feront  en 
votre  présence,  vous  en  rirez  beaucoup,  et  vous 
encouragerez  ainsi  les  railleurs  à  persévérer  dans 
leur  mauvaise  habitude. 

Yous  communiquerez  votre  défaut  à  des  confrères 
qui  y  seront  prédisposés.  S'ils  voient  en  vous 
quelques  vertus  et  une  conduite  à  peu  près  régu- 
lière sur  les  points  qui  ne  touchent  pas  à  la  charité, 
ils  aimeront  à  se  persuader  qu'on  peut  railler  son 
prochain  tout  à  son  aise  sans  cesser  pour  cela  d'ê- 
tre bon  prêtre,  et  ils  deviendront  railleurs  par 
la  puissance  de  votre  exemple. 

Les  laïques  feront  le  même  raisonnement  :  ils 
croiront  pouvoir  se  permettre  sans  façon  les  raille- 
ries dont  un  prêtre  ne  semblera  se  faire  aucun 
reproche.  Sachant  que  sa  sainteté  doit  être  plus 
éminente  que  la  leur,  ils  diront  avec  quelque  ombre 
de  vraisemblance  :  Nous  pouvons  bien  faire  sans 
trouble  ce  qu'il  fait  lui-même  sans  scrupule. 

Ceux  qui,  mieux  éclairés  et  plus  charitables, 
blâmeront  la  raillerie  et  éviteront  de  s'en  rendre 
coupables,  seront  scandalisés  de  voir  qu'un  prêtre 
commet  ce  que  la  religion  condamne  et  ce  qu'ils 
croient  eux-mêmes  devoir  s'interdire. 

Abhorrez  donc  l'esprit  caustique  et  railleur  qui, 
blâmable  chez  tout  le  monde,  l'est  particulièrement 
chez  le  prêtre,  puisque  la  raillerie  blesse  la  charité 
dont  il  est  plus  que  personne  l'apôtre  et  le  docteur. 

Mais  vous  contenterez-vous  d'être  railleur? Non, 
assurément.  Où  trouver  un  railleur  qui  ne  soit  pas 


—  220  — 

médisant  ?  Vous  serez  donc  médisant  vous-même, 
et  la  force  de  l'habitude  aura  sur  vous  tant  d'em- 
pire qu'elle  étouffera  les  murmures  de  votre  con- 
science. 

Vous  saurez  bien,  en  principe,  que  la  médisance 
est  un  vice  ;  vous  le  rappellerez  à  vos  pénitents  au 
saint  tribunal;  vous  connaîtrez  tout  ce  que  la 
théologie  enseigne  sur  cette  grave  matière  ;  vous 
la  traiterez  in  extenso  et  avec  vigueur  dans  des 
discours  spéciaux  ;  mais,  sévère  pour  les  autres, 
vous  userez  envers  vous  même  d'une  indulgence 
déplorable ,  ou  plutôt  vous  oublierez  que  vous 
serez  coupable  de  médisance,  tout  en  la  commet- 
tant à  chaque  instant.  Il  faut  bien  le  dire,  et  on  ne 
peut  le  dire  qu'en  gémissant,  plusieurs  prêtres 
contractent  l'habitude  de  la  médisance  et  se  la  per- 
mettent avec  plus  de  facilité  qu'une  multitude  de 
pieux  laïques.  Or  comment  de  jeunes  prêtres  sor- 
tant du  séminaire  ne  seront-ils  pas  entraînés  dans 
cette  mauvaise  voie,  s'ils  y  sont  précédés  par  leurs 
aînés  dans  le  sacerdoce  et  si  déjà  ils  ont  eux-mêmes 
quelque  propension  à  violer  la  charité  par  la  médi- 
sance ? 

Si  vous  êtes  vicaire,  vous  dirigerez  la  malignité 
de  votre  langue  contre  votre  curé  ;  vous  révélerez 
ses  défauts,  vous  critiquerez  son  administration, 
vous  censurerez  surtout  avec  amertume  ses  pro- 
cédés à  votre  égard  quand  vous  aurez  à  vous  en 
plaindre.  Vous  direz  toutes  ces  choses  d'abord  à 
des  confrères,  puis  à  des  paroissiens  que  vous 
choisirez  parmi  ceux  qui  seront  déjà  peu  satisfaits 
de  votre  curé  ;  et  celui-ci  venant  à  apprendre  votre 
conduite  envers  lui,  vous  retirera  tout  naturelle- 


—  221   — 

ment  sa  confiance  et  son  affection  ;  peut-être  même 
en  viendra-t-il  jusqu'à  des  récriminations  viru- 
lentes qui  banniront  du  presbytère  la  paix  et  l'har- 
monie si  nécessaires  pour  opérer  dans  la  paroisse 
un  ministère  fructueux. 

Si  vous  êtes  curé,  vous  colporterez  de  tous  côtés 
vos  griefs  contre  vos  vicaires  ;  vous  ne  laisserez 
pas  un  seul  de  leurs  défauts  dans  l'ombre  ;  vous 
les  mettrez  tous  en  lumière  et  en  relief  ;  vous  leur 
susciterez  par  là  des  ennemis  qui,  de  leur  côté, 
propageront  le  mal  à  votre  exemple  et  paralyseront 
les  efforts  de  leur  zèle. 

Vous  ne  considérerez  point  la  paroisse  comme 
une  famille  confiée  à  vos  soins  paternels  :  au  lieu  de 
dissimuler,  comme  le  fait  un  bon  père,  les  fautes 
de  vos  enfants  spirituels,  vous  vous  ferez  un  jeu 
de  les  divulguer;  vous  attaquerez  tantôt  l'un,  tantôt 
l'autre  par  vos  médisances,  et  vous  transformerez 
votre  paroisse  en  une  arène  où  vous  succomberez 
vous-même  tout  en  croyant  immoler  les  autres. 

Vous  serez  redouté  et  non  recherché,  haï  peut- 
être  au  lieu  d'être  aimé,  et  vos  prédications,  frap- 
pées de  stérilité  parce  qu'elles  seront  démenties 
par  vos  œuvres,  seront  des  coups  de  cymbales  qui 
rebuteront  au  lieu  de  gagner  et  de  convaincre. 

Bien  plus,  vos  prédications  elles-mêmes  seront 
quelquefois  défigurées  par  des  médisances  publi- 
ques et  solenneiles  :  votre  langue  parlera  de  l'abon- 
dance d'un  cœur  plein  d'amertume  ;  et  des  person- 
nalités fort  peu  voilées,  sinon  tout  à  fait  saisis- 
santes, choqueront  ceux-là  même  qui  n'en  seront 
pas  l'objet  et  indigneront  contre  vous  ceux  qu'elles 
atteindront. 


—   222   — 

Les  choses  étant  ainsi,  vous  serez  comme  un 
arbre  flétri  et  desséché  au  milieu  du  champ  du 
père  de  famille  ;  vous  n'aimerez  point  et  vous  ne 
serez  point  aimé  ;  vous  vous  dégoûterez  d'une 
paroisse  qui  se  dégoûtera  de  vous  encore  davan- 
tage ;  vous  solliciterez  de  vos  supérieurs  une  mu- 
tation que  vos  paroissiens  solliciteront  eux-mêmes 
avec  les  plus  viv(\s  instances  :  et  quand  vous  aurez 
obtenu  une  autre  cure,  votre  langue,  dont  cette 
mutation  ne  corrigera  point  les  écarts,  ira  déposer 
ailleurs  le  germe  de  nouveaux  troubles  et  de  nou- 
veaux désordres. 

Au  lieu  de  porter  dans  les  compagnies  où  vous 
serez  appelé  cet  esprit  de  paix  et  de  charité  qui 
doit  toujours  distinguer  le  ministre  de  Jésus-Christ, 
vous  serez  peut-être  le  premier  à  raconter  les 
misères  du  prochain  que  vous  aurez  apprises  ; 
vous  ferez  connaître  des  fautes  ignorées  et  vous 
nommerez  leurs  auteurs  sans  le  moindre  scrupule. 
Qui  sait  même  si,  loin  de  profiler  de  la  leçon  que 
quelques  bons  chrétiens  vous  feront  en  justifiant 
ceux  que  vous  condamnerez,  vous  n'insisterez  pas 
pour  infirmer  l'apologie  et  fortifier  l'accusation? 

Tous  arrêterez-vous  du  moins  devant  la  calom- 
nie? Oui,  sans  doute,  quand  elle  sera  notable  et 
parfaitement  caractérisée.;  mais  n'ayant  jamais 
appris  à  dompter  votre  langue,  vous  serez,  en 
bien  des  circonstances,  calomniateur  sans  le  sa- 
voir; vous  ajouterez  à  des  faits,  vrais  au  fond, 
des  circonstances  qui  ne  le  seront  point  ;  vous 
aggraverez  la  culpabilité  de  vos  victimes  par  des 
exagérations  qui  blesseront  la  vérité  et  la  charité 
du  même  trait,  et  vous  acquerrez  la  triste  réputa- 


—  223  — 

tion  d'homme  léger,  imprudent,  malveillant  et 
passionné. 

Toujours  influencé  par  votre  intempérance  de 
langage,  vous  révélerez  les  secrets  qui  vous  seront 
confiés  ;  vous  sèmerez  la  zizanie  par  des  rapports 
inconsidérés,  et  vous  compromettrez  par  des  in- 
discrétions, quelquefois  fort  graves,  les  intérêts  de 
ceux  qui  vous  auront  choisi  pour  confident. 

Tout  cela  sans  doute  vous  attirera  d'amers  re- 
proches qui  seront  de  nature  à  vous  faire  rentrer 
en  vous-même  pour  corriger  ce  qu'il  y  aura^  de 
répréhensible  dans  votre  conduite  ;  mais  au  lieu 
de  profiter  de  ces  pénibles  avertissements,  vous 
vous  en  irriterez,  vous  essayerez  de  justifier  ce  qui 
sera  injustifiable,  ou  bien  vous  soutiendrez  opi- 
niâtrement n'avoir  pas  dit  ce  que  plusieurs  per- 
sonnes recommandables  affirmeront  avoir  entendu 
de  votre  propre  bouche. 

Le  jugement  téméraire  sera  pour  vous  une  ba- 
gatelle, surtout  quand  vous  le  dirigerez  contre  une 
personne  de  laquelle  vous  croirez  avoir  lieu  de 
vous  plaindre.  Vos  imprudences  et  vos  légèretés 
vous  suscitant  chaque  jour  des  désagréments  plus 
ou  moins  graves,  vous  voudrez  savoir  d'où  vous 
viendront  les  coups  qui  vous  seront  portés  :  sur 
les  plus  faibles  indices,  vous  accuserez  des  inno- 
cents et  vous  les  fustigerez  comme  s'ils  étaient 
réellement  coupables,  ce  qui  les  révoltera  d'autant 
plus  qu^ils  sauront  bien  ne  pas  l'être. 

De  toutes  ces  choses  et  de  l'ensemble  de  votre 
conduite,  résulteront  des  explications  acerbes  et 
même  des  vexations  et  des  inimitiés,  qui  vous 
rendront  malheureux  et  ruineront  votre  autorité. 


—   224   — 

Encore  si  ces  disgrâces  opéraient  votre  réforme  ; 
mais  non  :  votre  cœur  dénué  de  charité  accueil- 
lera la  rancune  ;  vous  romprez  sans  ménagement 
avec  une  partie  de  vos  paroissiens  et  quelquefois 
avec  les  plus  influents  ;  vous  n'aurez  plus  avec 
eux  aucun  rapport,  pas  même  de  simple  étiquette  ; 
vous  passerez  des  années  entières  dans  un  état  de 
froideur  et  d'hostilité  que  rien  ne  pourra  détruire  ; 
vous  scandaliserez  au  lieu  d'édifier,  et  vous  retar- 
derez bien  des  conversions  que  votre  charité  de- 
vrait opérer,  et  auxquelles  votre  fonds  haineux 
opposera  peut-être  un  infranchissable  obstacle. 

Dieu  veuille  que  vos  confrères  eux-mêmes  n'aient 
pas  à  souffrir  comme  les  autres  de  votre  peu  de  cha- 
rité 1  Mille  choses,  qui  ne  seraient  rien  pour  un  saint 
prêtre,  vous  sembleront  énormes  :  un  manque  de 
prévenances  et  d'égards,  un  mot  peu  mesuré,  une 
démarche  inconsidérée,  une  plaisanterie  légère  ou 
autres  choses  semblables  ;  c'en  sera  assez  pour  exci- 
ter des  tempêtes  au  fond  de  votre  cœur.  La  suscep- 
tibilité, la  jalousie,  la  défiance,  l'àpreté  de  caractère 
vous  suggéreront  des  inspirations  malignes  qui 
auront  pour  résultat  la  froideur,  l'isolement  et 
peut-être  des  ruptures  fort  peu  édifiantes  et  même 
préjudiciables  aux  fruits  du  ministère,  si  surtout 
ces  ruptures  ont  lieu  entre  confrères  voisins. 

Nous  sommes  loin  et  bien  loin  d'avoir  tout  dit 
sur  cette  grave  et  immense  matière  ;  mais  nous 
n'avons  pas  besoin,  ce  semble,  d'en  dire  davantage 
pour  déterminer  nos  jeunes  amis  à  se  corriger  à 
tout  prix  du  défaut,  si  funeste  dans  ses  consé- 
quences, que  nous  venons  de  leur  signaler.  Nous 
avons  vu  le  mal,  voyons-en  les  remèdes. 


—   225  — 
III 

—  Puisque  vous  aspirez  au  sacerdoce,  com- 
mencez par  vous  bien  convaincre  que  le  prêtre 
est,  par-dessus  tout,  l'homme  de  la  charité  :  c'est 
bien  plus  pour  ses  frères  que  pour  lui-même  qu'il 
est  prêtre,  et  s'il  ne  les  embrasse  pas  tous  dans  les 
liens  d'une  ardente  charité,  il  manque  certaine- 
ment à  l'une  de  ses  plus  essentielles  obligations. 
Tous  les  saints  prêtres  sont  embrasés  d'amour 
pour  le  prochain,  et  ils  cesseraient  à  l'instant 
même  d'être  de  saints  prêtres  si  cet  amour  s'étei- 
gnait dans  leur  âme. 

—  Ne  distinguez  jamais  entre  prochain  et  pro- 
chain, et  puisque  le  divin  Maître  a  dit  :  Diligite 
inimicos  vestros,  benefacite  his  qui  odenoit  vos, 
n'excluez  absolument  personne  de  votre  charité  ; 
cette  exclusion  en  serait  la  destruction. 

—  Yous  serez  un  prêtre  excellent  si  vous  êtes 
un  prêh-e  éminemment  charitable.  Eussiez-vous 
d'ailleurs  des  infidélités  même  assez  notables  à 
vous  reprocher,  la  charité,  si  vous  la  possédez  à 
un  haut  degré,  vous  obtiendra  les  grâces  néces- 
saires pour  vous  en  corriger,  et  vous  vérifierez  en 
vous-même  la  sentence  de  l'Apôtre  :  Qui  diligit 
proximum,  legem  implevit.  Attachez-vous  donc  in- 
violablement  à  cette  vertu  fondamentale  et  méditez 
souvent  ces  paroles  du  prince  des  apôtres  :  Antè 
o.AiNiA  (notez  bien  ces  deux  mots)  cmtè  omnia,  mu- 
tuam  in  vobismetipsis  charitatem  continuam  hahen- 
tes,  quia  char itas  operit  multitudinem  peccatorum. 

—  Si  vous   sentez  en  vous-même   un  certain 
II.  13. 


—  226  — 

fonds  d'aigreur  et  d'amertume  contre  le  prochain, 
dès  qu'il  vous  froisse  et  qu'il  vous  contrarie,  soyez 
sur  que  vous  êtes  par  cela  même  prédisposé  à 
mille  écarts  que  la  charité  condamne.  Détruisez  ce 
mauvais  fonds  ou  du  moins  arrachez-en  les  plantes 
vénéneuses  qui  l'infestent,  et  remplacez  votre  froi- 
deur et  votre  amertume  par  la  douceur,  la  bien- 
veillance, la  cordialité,  la  tendresse  même  à  l'égard 
de  tout  le  monde,  vous  appliquant  ces  paroles  du 
grand  Apôtre  aux  Éphé siens  :  Omnis  amaritudoy 
et  ira,  et  indignatio  tollatur  à  vobis. 

—  Maîtrisez  votre  langue,  et  gouvernez-la  si 
bien  que  jamais  il  ne  vous  arrive  de  lui  permettre, 
avec  vue,  de  s'exercer  aux  dépens  du  prochain. 
Ne  regardez  rien  comme  léger  sur  Tarticle  de  la 
charité.  Faites-vous  scrupule  de  la  moindre  raille- 
rie et  sacrifiez  impitoyablement  un  mot  quelconque 
qui  vous  déplairait  s'il  était  dit  contre  vous  : 
Diliges  proximum  sicut  te  ipsum . 

—  Si  vous  avez  dans  le  séminaire  la  réputation 
de  railleur,  vous  aurez  la  même  réputation  dans 
le  sacerdoce,  et  cette  habitude  de  la  raillerie  vous 
fera  des  ennemis  qui  se  vengeront  de  vos  critiques 
malignes  par  des  persécutions  qui  vous  seront 
très-nuisibles.  Corrigez-vous  donc  de  ce  défaut  et 
adoptez  comme  règle  invariable  de  ne  vous  per- 
mettre avec  délibération  aucune  raillerie  piquante. 

—  Jamais  de  médisances,  quelque  légères  qu'el- 
les soient.  Des  légères  on  passe  aisément  aux 
graves,  et  l'habitude  de  médire  se  formant  peu  à 
peu,  on  ne  voit  plus  de  mal  où  l'oeil  de  Dieu  en 
voit  beaucoup.  Quand  on  commencera  à  parler  du 
prochain,  comme  c'est  bien  plus  souvent  pour  1© 


—  227  — 

blâmer  que  pour  le  louer  qu'on  en  parle,  soyez  sur 
vos  gardes.  Convenez  avec  vous-même  que  vous 
direz  du  bien  de  tout  le  monde,  et  dès  qu'on  atta- 
quera quelqu'un,  cherchez  à  l'instant  même  ce  que 
vous  pouvez  dire  à  son  avantage.  De  cette  manière, 
vous  faisant  toujours  l'apologiste  de  ceux  qu'on 
dénigrera  en  votre  présence,  vous  édifierez  par 
votre  charité  et  vous  ferez  rentrer  dans  le  devoir 
ceux  qui  auront  le  malheur  de  s'en  écarter.  Nous 
avons  connu  de  saints  prêtres  qui  semblaient  avoir 
fait  le  vœu  de  défendre  tous  ceux  que  la  médisance 
attaquait  :  dès  qu'ils  entendaient  une  critique,  ils 
y  répondaient  par  un  éloge,  et  tout  le  monde  les 
admirait  et  les  aimait. 

—  Usez  très-sobrement  des  hyperboles.  Outrer 
la  vérité,  c'est  la  ternir.  Si  vous  êtes  habituelle- 
ment logé  dans  les  superlatifs,  vous  exagérerez  les 
défauts  du  prochain  comme  tout  le  reste.  On  voit 
des  hommes  —  et  ces  hommes  sont  quelquefois 
des  ecclésiastiques  —  qui  ne  savent  s'exprimer 
avec  modération  :  tout  ce  qu'ils  disent,  et  la  ma- 
nière passionnée  dont  ils  le  disent,  se  colore  de 
je  ne  sais  quelle  teinte  emphatique  qui  détruit  la 
gravité  sacerdotale.  Ils  veulent  donner  une  haute 
importance  à  tout  ce  qu'ils  débitent,  et,  cette  im- 
portance ,  que  leur  sujet  ne  comporte  pas,  ils 
croient  la  lui  procurer  en  y  ajoutant  avec  chaleur 
des  circonstances  de  leur  invention.  A  force  de 
vouloir  convaincre,  ils  empêchent  la  conviction  de 
naître.  Tel  homme  qui  se  laisserait  gagner  par  un 
récit  simple  et  modéré,  se  tient  en  garde  contre 
une  narration  ampoulée,  et  oublie  pour  ainsi  dire 
la  chose  qu'on  lui  raconte  pour  ne  penser  qu'à 


—  228  — 

l'emphase  passionnée  du  narrateur.  Quand  des 
hommes  ainsi  disposés  sont,  par  nature,  railleurs, 
médisants,  jaloux  et  haineux,  ils  exagèrent  les 
griefs  du  prochain  comme  tout  ce  qu'ils  traitent, 
et  dans  le  feu  de  leur  débit,  ils  lancent  des  traits 
dont  la  vérité  et  la  charité  sont  également  bles- 
sées. Ne  leur  ressemblez  pas,  bien-aimé  lecteur  ; 
vous  perdriez,  comme  ils  la  perdent  eux-mêmes, 
la  confiance  des  hommes  sages. 

—  Que  le  soleil  ne  se  couche  point  sur  votre  co- 
lère ^  nous  dit  le  grand  Apôtre.  Vous  êtes  bien  à 
plaindre,  jeune  et  tendre  ami,  si,  dans  le  séminaire, 
vous  vous  distinguez  par  des  froideurs  et  des  ran- 
cunes prolongées.  Les  causes  qui  les  produisent 
étant  presque  toujours  des  futilités  et  des  baga- 
telles, que  sera-ce  quand  vous  serez  embarrassé 
dans  les  épines  du  ministère,  et  que  vous  vous 
trouverez  à  chaque  instant  aux  prises  avec  des 
malveillances  perfides  et  des  oppositions  calculées  ! 
Apprenez  donc  de  bonne  heure  à  pardonner  les  of- 
fenses dont  vous  serez  l'objet.  Excercez-vous  au 
pardon,  et  adoptez  surtout  cet  exercice  si  vous 
sentez  qu'il  von  s  inspire  de  la  répugnance,  puisque 
cette  répugnance  ne  procède  que  d^  la  difficulté 
que  vous  avez  à  pardonner.  Où  sera  votre  vertu, 
et  particulièrement  votre  charité,  si  vous  ne  savez 
rien  souffrir?  Habituez-vous  donc  à  dissimuler 
pieusement  tous  vos  ressentiments.  Ne  froncez  point 
le  sourcil  devant  ceux  qui  vous  manquent  ;  ne 
comprimez  point  vos  lèvres  comme  un  homme  qui 
médite  la  vengeance  ;  ne  tournez  point  le  dos  brus- 
quement à  celui  dont  vous  avez  à  vous  plaindre  ; 
ne  donnez  point  issue  au  feu  qui  vous   consume, 


—  229  — 

par  des  paroles  sèches  et  amères  :  tout  cela,  voyez- 
vous,  est  exactement  le  contraire  de  ce  qu'a  fait 
Jésus  en  des  circonstances  bien  autrement  graves 
que  celles  qui  vous  irritent.  Imitez  sa  douceur  en- 
vers Judas  qui  le  trahit,  son  calme  envers  Pilate 
qui  le  condamne,  sa  résignation  aux  pieds  d'Hé- 
rode  qui  le  traite  d'insensé,  et  son  immense  cha- 
rité à  l'égard  des  bourreaux  pour  lesquels  il  dit 
sur  la  croix  où  ils  l'ont  cloué  :  Pater,  ignosce  illis, 
nesciunt  enim  quid  f admit. 

—  Ne  vous  contentez  pas  de  renoncer  à  ce  qui 
blesse  la  charité  ;  praliquez-en  à  chaque  instant 
des  actes  formels.  Soyez  doux,  affable,  prévenant, 
officieux,  indulgent  et  toujours  empressé  à  conci- 
lier les  esprits  aigris.  En  agissant  de  la  sorte,  vous 
serez  pour  tous  les  séminaristes  un  sujet  perpétuel 
d'édification,  et  plus  tard  vous  ferez  bénir  votre 
ministère  dans  la  paroisse  que  la  divine  Providence 
vous  destine. 

—  Insistez  fortement  sur  le  point  de  la  charité 
dans  vos  confessions,  vos  directions,  vos  médita- 
tions et  vos  examens.  Soyez  sévère  jusqu'au  scru- 
pule sur  cette  importante  matière  ;  ne  vous  passez 
rien,  punissez-vous  de  la  moindre  infraction  et  ne 
déposez  les  armes  que  quand  vous  aurez  donné  à 
votre  charité  les  ravissants  caractères  que  saint 
Paul  assigne  à  cette  vertu  par  les  belles  paroles 
qui  méritent  si  bien  de  clore  ce  chapitre  :  Charitas 
patieiis  est,  benirjna  est  ;  charitas  non  semulatur, 
non  agit  perperani,  non  inflatur,  non  est  ambitiosa, 
non  quœrit  qiœ  sua  sunt,  non  iiTitatur,  7ion  cogi- 
tât malimiy  non  gaadet  super  iniquitate,  congau- 
det  autem  veritati  :  omnia    suffert,    omnia    crédit. 


—  230  — 

omnia  sperat,  omnia  sustinet  :  chantas   nunquam 
excidit. 

Grâce  et  bénédiction  sur  ceux  de  nos  jeunes  lec- 
teurs qui  retraceront  fidèlement  en  eux-mêmes  la 
charité  de  l'Apôtre  ! 

{YojezPratique  du  zèle  ecclésiastique,  première  partie,  ch.  V, 
et  le  Saint  Prêtre,  deuxième  partie,  ch.  V  et  VI,  pag.  136  et 

suiv.) 


CHAPITRE  YIII 


Le  séminariste  vif  et  irascible. 
I 

Parmi  les  vertus  qui  doivent  orner  l'âme  du 
prêtre,  la  douceur  occupe  incontestablement  un 
des  premiers  rangs  ;  il  est  donc  absolument  néces- 
saire, pour  le  séminariste,  de  combattre  sans  re- 
lâche le  vice  qui  la  blesse. 

Le  séminariste  n'a  pas  ordinairement  de  grandes 
inquiétudes  à  l'égard  de  la  colère  pendant  les 
jours  de  son  séminaire.  Il  se  croit  même  quelque- 
fois exempt  de  ce  défaut,  et  dès  lors  il  ne  pense 
pas  même  à  le  combattre.  Cela  se  conçoit  :  dans 
son  saint  asile,  il  a  peu  d'occasions  de  se  mettre  en 
colère.  Ce  vice  n'éclate,  pour  l'ordinaire,  que 
quand  on  est  excité  par  des  contradictions  aga- 
çantes et  vexatoires.  Or  il  ne  se  rencontre  guère 
de  contradictions  de  cette  nature  dans  l'enceinte 
du  séminaire.  Les  directeurs  de  ces  établissements 


—  231  — 

conduisent  généralement  les  élèves  par  la  voie  de 
la  douceur  et  de  la  bonté,  et  si  quelquefois  ils 
croient,  par  exception,  devoir  user  de  sévérité  à 
l'égard  d'un  élève,  le  respect  qu'il  porte  à  ses  su- 
périeurs comprime  le  sentiment  de  vivacité  qui 
voudrait  se  faire  jour.  Quant  à  ses  condisciples,  il 
n'est  en  rapport  avec  eux  que  pendant  le  temps 
des  récréations,  et  presque  toujours  ces  récréations 
sont  paisibles,  amicales  et  enjouées.  Cette  absence 
d'occasions  contribue  donc  à  lui  persuader  que  la 
colère  n'est  pas  un  de  ses  vices.  Aussi  est-il  étran- 
gement surpris  quand,  devenu  prêtre,  il  lui  écliappe, 
dès  le  début  de  son  ministère,  des  brusqueries  et 
des  vivacités  quelquefois  impétueuses. 

Pour  prévenir  ces  excès,  dont  les  conséquences 
sont  souvent  très-graves,  nous  croyons  donc  de- 
voir appeler  son  attention  sur  certains  points  à 
peine  sensibles  au  séminaire,  mais  qui  présagent 
dans  un  avenir  peu  éloigné  de  bruyantes  tempêtes. 

Pour  se  bien  connaître,  relativement  au  vice  de 
la  colère,  le  séminariste  fera  bien  d'interroger  son 
passé.  Si  réellement  il  a  la  racine  de  ce  défaut,  il 
verra  qu'il  était  vif  et  emporté  dès  son  enfance, 
que  les  réprimandas,  même  légères,  de  ses  parents 
provoquaient  sa  colère  et  lui  attiraient  de  justes 
châtiments.  Il  verra  aussi  que  cette  même  colère 
éclatait  fréquement  à  l'égard  de  ses  frères  et  de 
ses  sœurs,  des  domestiques,  de  ses  petits  cama- 
rades, et  généralement  de  toute  personne  qui  se 
permettait  de  l'humilier  ou  seulement  de  l'agacer 
et  de  le  contredii^e.  S'il  reconnaît  qu'il  était  habi- 
tuellement ainsi  disposé ,  il  peut  conclure  avec 
certitude  que  la  colère  est  un  de  ses  vices,  et  que. 


—  232  — 

si  ce  vice  sommeille  au  séminaire,  il  se  réveillera 
peut-être  avec  éclat  et  scandale,  dès  qu'il  en  sera 
sorti. 

Aprti  cet  examen  du  passé,  il  doit  s'appliquer  à 
considérer  le  présent.  Quoique  moins  saillant  au 
séminaire,  comme  nous  l'avons  dit,  ce  vice  s'y 
manifeste  encore  par  certains  traits  que  nous  allons 
signaler. 

Le  séminariste  irascible  reçoit  mal  les  repré- 
sentations de  ses  supérieurs  ;  il  se  permet  quelque- 
fois des  réponses  déplacées  qui  frappent  pénible- 
ment ceux  qui  les  entendent.  S'il  n'en  vient  pas 
jusqu'à  de  telles  réponses,  son  visage  s'anime,  ses 
traits  se  contractent,  une  rougeur  subite  se  déclare, 
i::i  fju  intérieur,  dont  l'extérieur  est  le  reflet,  se 
fait  aussitôt  sentir,  et  pour  donner  issue  aux  senti- 
ments d'aigreur  dont  son  cœur  est  plein,  il  saisit 
la  première  occasion  qui  se  présente  pour  faire 
part  de  sa  peine  et  de  son  ressentiment  à  quelques- 
uns  de  ses  amis  intimes. 

En  d'autres  circonstances,  c'est  à  l'égard  de  ses 
condisciples  cpi'il  laisse  éclater  sa  vivacité.  S'ils 
approuvent  ce  qu'il  dit  et  ce  qu'il  fait,  tout  va  bien  ; 
mais  si,  sur  quelque  point,  souvent  peu  impor- 
tanf.  ils  osent  le  contredire,  aussitôt  il  prend  feu  et 
manifeste  sa  colère  par  des  paroles  énergiques  et 
même  par  certaines  expressions  blessantes. 

Les  domestiques,  les  ouvriers,  les  commission- 
naires et  autres  gens  de  cette  classe  connaissent 
aussi  l'impétuosité  de  son  caractère.  Il  leur  parle 
avec  hauteur  et  même  quelquefois  avec  une  sévérité 
qui  les  aigrit  et  leur  donne  une  faible  idée  de  sa 
vertu. 


—  233  — 

Quand  il  croit  avoir  été  offensé,  il  éprouve  aussi- 
tôt un  vif  ressentiment  contre  ceux  qu'il  juge 
coupables  de  cette  offense,  et  il  aime  à  s'entretenir 
contre  eux  dans  un  fonds  d'aigreur  et  d'amertume; 
il  va  même  jusqu'à  désirer  de  s'en  venger,  et  il 
en  recherche  les  occasions  et  les  moyens. 

S'il  croit  devoir  faire  une  réprimande,  il  l'assai- 
sonne de  paroles  aigres  et  de  reproches  piquants, 
irritant  par  là  celui  qu'il  veut  corriger,  au  lieu  de 
l'amener  par  des  voies  de  douceur  à  reconnaître 
humblement  la  faute  qu'il  a  commise. 

Il  regarde  toujours  les  torts  de  ses  frères  plutôt 
avec  indignation  qu'avec  compassion,  se  montrant 
en  ces  circonstances  peu  disposé  à  recevoir  leurs 
excuses  ou  à  oublier  et  pardonner  leurs  faiblesses. 

Il  est  si  plein  de  mécontentement  contre  ceux  qui 
le  froissent,  qu'il  se  sent  comme  soulagé  quand  il 
exhale  son  aigreur  en  racontant  avec  exagération 
à  ses  amis  les  griefs  dont  il  se  plaint. 

Le  châtiment  qu'il  croit  devoir  infliger  à  celui 
qui  lui  manque  est  ordinairement  plus  fort  que  la 
faute  n'est  grave,  au  lieu  que  la  douceur  porte 
toujours  à  punir  les  fautes  moins  qu'elles  ne  mé- 
ritent. 

Use  distingue  dans  le  séminaire  par  une  rudesse 
et  une  âpreté  habituelles  ;  il  affiche  des  manières 
inciviles,  brusques,  hautaines,  et  la  réputation  de 
bourru  lui  est  généralement  acquise  parmi  ses 
condisciples. 

Non-seulement  il  refuse  les  services  qu'il  pour- 
rait aisément  accorder;  mais  il  notifie  son  refus 
avec  sécheresse  et  dureté,  faisant  ainsi  une  double 
plaie  sans  penser  même  à  s'en  faire  un  reproche. 


—  234  — 

Quand  il  ne  peut  pas  raisonnablement  accorder 
les  grâces  qu'on  lui  demande,  il  ne  témoigne  point 
la  peine  qu'il  a  de  ne  le  pouvoir  faire,  et  n'adoucit 
jamais  par  des  manières  honnêtes  et  obligeantes 
la  rigueur  de  son  refus. 

Pendant  les  vacances,  c'est  bien  plus  fort  encore. 
Les  occasions  étant  plus  fréquentes,  et  la  surveil- 
lance des  supérieurs  ne  s'exerçant  plus  sur  sa 
conduite,  il  ne  comprime  point  les  saillies  de  sa 
mauvaise  nature.  Au  lieu  d'édifier  les  personnes 
avec  lesquelles  il  en  est  contact,  par  sa  douceur 
et  son  humble  condescendance,  il  les  rebute  et  les 
offense  même  par  sa  rigueur  et  ses  brusqueries. 
Père,  mère,  frères,  sœurs,  domestiques,  tous  re- 
marquent ses  vivacités,  et  ne  comprennent  pas 
qu'elles  n'aient  rien  perdu  de  leur  amertume  après 
une  ou  deux  années  de  séjour  au  séminaire. 

Bref,  le  séminariste  irascible  ne  sait  rien  souffrir; 
tout  doit  plier  devant  sa  volonté  ;  la  plus  légère 
contradiction,  de  quelque  part  qu'elle  vienne,  le 
provoque  et  l'irrite,  et  pour  vivre  en  paix  avec  lui, 
il  faut  faire  à  chaque  instant  ce  qu'il  ne  fait  jamais 
lui-même,  c'est-à-dire  s'effacer,  se  contraindre, 
dissimuler  son  mécontentement  et  user  à  son  égard 
d'une  douceur  à  laquelle  il  croit  toujours  avoir 
droit  et  dont,  par  conséquent,  il  ne  sait  aucun  gré. 

Si  vous  vous  reconnaissez  à  ces  traits,  jeune  et 
tendre  ami,  vous  devez  gémir  profondément  en 
voyant  ce  que  vous  êtes  ;  mais  vous  devez  gémir 
bien  plus  profondément  encore  en  voyant  ce  que 
vous  deviendrez,  si  vous  ne  travaillez  pas  sérieuse- 
ment à  acquérir  la  vertu  de  douceur  qui  vous 
manque. 


—  235  — 

II 

Supposons  que  ce  qui  vient  d'être  dit  vous  soit 
applicable,  et  que  ne  voyant  point  en  vous,  au 
séminaire^  de  très-graves  désordres  relativement 
à  la  colère,  vous  ayez  négligé  de  vous  surveiller 
et  de  vous  combattre  sur  ce  point  ;  voici  très- 
certainement  l'avenir  qui  vous  attend  dès  que  vous 
serez  employé  dans  le  saint  ministère. 

Si  vous  êtes  d'abord  pourvu  d'un  vicariat,  vous 
aurez  bientôt,  et  quelquefois  pour  des  bagatelles, 
des  discussions  vives  avec  votre  curé.  Yous  rece- 
vrez de  mauvaise  grâce  les  observations  qu'il 
croira  davoir  vous  faire.  Yous  essayerez  de  le  con- 
vaincre par  des  paroles  animées  de  l'inconvenance 
et  du  peu  de  justesse  de  ses  avis.  Yous  vous  atti- 
rerez par  là  des  réprimandes  sévères  qui  vous 
aigriront  plus  encore  ;  ou  si,  par  condescendance 
et  pour  maintenir  la  paix,  votre  curé  ferme  les 
yeux  sur  les  défauts  dont  il  voulait  vous  corriger, 
et  s'abstient  de  toutes  représentations  pour  ne  plus 
vous  irriter,  vous  ferez  chaque  jour  de  nouvelles 
bévues,  vous  compromettrez  votre  ministère  par 
de  graves  imprudences,  et  vous  ne  reconnaîtrez  la 
sagesse  des  conseils  qui  vous  auront  été  donnés 
que  quand  il  ne  sera  plus  temps  de  les  mettre  à 
profit. 

Yous  irez  plus  loin  encore  :  indisposé  contre  votre 
curé  à  la  suite  des  discussions  chaleureuses  que 
vous  aurez  eues  avec  lui,  vous  ferez  éclater  dans 
la  paroisse  vos  murmures  et  vos  plaintes,  et,  tou- 
jours dominé  par  votre  fonds  d'aigreur,  vous  com- 


— •  236  — ' 

muniquerez   au   troupeau  votre  mécontentement 

contre  le  pasteur. 

Si  vous  avez  un  autre  vicaire  pour  collaborateur, 
lui  aussi  se  ressentira  de  vos  vivacités  et  de  vos 
brusqueries.  Plein  de  vous-même  et  croyant  que 
tout  vous  est  dû,  vous  vous  offenserez  de  je  ne 
sais  quelles  vétilles  échappées  à  votre  compagnon 
de  ministère,  et  autant  vous  serez  prompt  à  vous 
animer  contre  lui  pour  des  causes  futiles,  autant 
vous  mettrez  d'empressement  à  exiger  qu'il  vous 
donne  des  témoignages  de  complaisance  et  de  cor- 
dialité. 

La  servante  du  presbytère  gémira  comme  les 
autres  de  voire  peu  de  mansuétude,  et  la  rudesse 
de  votre  caractère  lui  fora  dire  souvent  que  si  vous 
prêchez  la  douceur  en  chaire,  vous  ne  la  prêchez 
guère  à  la  maison. 

De  tout  cela  qu'cirrivera-t-il?  c'est  que  lepresbytère, 
qui  devrait  être  le  séjour  de  la  paix  et  de  Tharmo- 
nie,  sera,  par  votre  faute,  le  théâtre  de  discussions 
et  de  scènes  pénibles  chaque  jour  renaissantes. 

Plus  tard,  si  les  supérieurs  vous  appellent  vous- 
même  à  desservir  une  paroisse,  par  un  revirement 
difficile  à  exphquer,  mais  qui  n'est  que  trop  con- 
staté par  l'expérience ,  vous  oublierez  totalement 
la  rigueur  du  commandement  qui  était  l'objet  de 
vos  murmures  quand  vous  étiez  subalterne.  Devenu 
supérieur  à  votre  tour,  vous  ferez  sentir  le  poids 
de  votre  autorité  sévère  à  ceux  qui  vous  seront 
soumis,  vérifiant  ainsi  cette  sentence  qu'o?i  ne  sait 
pas  commander  quand  on  n'a  pas  su  obéir. 

Encore  si  le  défaut  que  nous  combattous  était 
renfermé  dans  l'enceinte   du  presbytère  ;  mais  il 


—   237   — 

n'en  sera  point  ainsi.  Partout  où  vous  serez  appelé, 
vous  vous  porterez  vous-même,  et  partout  où  vous 
vous  porterez,  vous  manifesterez  la  brusquerie  de 
votre  caractère. 

Dans  vos  catéchismes,  vous  déploirez  à  l'égard 
des  enfants  une  sévérité  excessive.  Bien  loin  de 
les  gagner  par  une  bonté  paternelle,  vous  les  aigri- 
rez par  des  répréhensions  de  mauvais  goût  ;  vous 
les  humilierez  par  des  paroles  blessantes  ;  vous  les 
endurcirez  par  de  mauvais  traitements  qui  vous 
attireront  des  désagréments  très-pénibles,  et  dans 
toutes  ces  circonstances,  vous  les  scandaliserez 
par  vos  saillies  impétueuses,  au  lieu  de  les  édifier 
par  le  charme  de  votre  douceur. 

Au  tribunal  de  la  pénitence ,  vous  fermerez  la 
bouche  aux  pécheurs  parla  sécheresse  et  la  rigueur 
de  vos  réprimandes.  Au  lieu  de  vous  montrer  père 
dans  cet  asile  de  la  miséricorde,  vous  y  serez  pres- 
que toujours  un  juge  austère  et  inflexible  ;  et  qui 
sait,  grand  Dieu,  si  des  sacrilèges  ne  seront  pas  la 
conséquence  de  cette  rebutante  austérité  ? 

Dans  la  chaire  même,  vous  ferez  entendre  des 
paroles  déplacées,  peut-être  des  personnalités  offen- 
santes, donnant  ainsi  à  tout  un  peuple  la  preuve 
que  la  douceur  de  Jésus-Christ  n'est  pas  la  vertu 
qui  caractérise  son  ministre. 

Vous  décorerez  vos  boutades  et  vos  emporte- 
ments du  beau  titre  de  fermeté,  et  vous  traiterez  de 
lâches  et  de  pusillanimes  ceux  de  vos  confrères 
qui  gagneront  par  leur  douceur  ce  que  vous  ruine- 
rez par  votre  rudesse. 

Vous  éloignerez  des  personnes  qui  auraient 
besoin  de  vos  conseils  et  qui  s'abstiendront  de  vous 


—  238  — 

les  demander  dans  la  crainte  d'être  mal  accueillies 
et  de  provoquer  vos  vivacités. 

Vous  vous  ferez  remarquer  par  des  partialités 
choquantes.  Sans  aucune  cause  connue,  mais  le 
plus  souvent  par  caprice  ou  par  intérêt,  vous  rece- 
vrez les  uns  avec  douceur ,  les  autres  avec  une 
rigueiu^qui  les  blessera  d'autant  plus  qu'ils  ne  sau- 
ront à  quoi  attribuer  l'inégalité  de  votre  caractère. 
Vous  prêcherez  énergiquement  en  chaire  le  par- 
don des  injures,  et  quand  vous  en  serez  descendu, 
vous  ne  penserez  pas  même  à  mettre  im  terme  à 
vos  ressentiments  personnels  contre  quelques  con- 
frères ou  quelquesbrebis  égarées  de  votre  troupeau. 
Vous  serez  aussi  prompt  à  blesser,  à  humilier 
les  autres,  que  vous  serez  lent  à  digérer  les  humi- 
liations qui  vous  seront  infligées. 

Vous  vous  exprimerez  toujours  avec  une  auto- 
rité despotique  comme  un  homme  qui  se  croit 
infaillible.  La  moindre  résistance  sera  le  coup  de 
briquet  qui  fera  jaillir  Tétincelle,  et  si  le  choc  con- 
tinue, r étincelle  produira  Tincendie. 

Toutes  vos  discussions  seront  des  tempêtes,  et 
dans  ces  tempêtes  la  douceur,  l'humilité  et  la  cha- 
rité seront  simultanément  immolées. 

Enfm,  dans  vos  divers  rapports  avec  les  autori- 
tés civiles  de  la  paroisse,  les  instituteurs,  les  pau- 
vres et  généralement  avec  toutes  les  personnes 
qui  auront  à  traiter  avec  vous  de  quelque  atfaire, 
ràpreté  de  votre  caractère  se  manifestera,  et  com- 
promettra sans  aucun  doute  le  succès  de  vos  tra- 
vaux. 

Tels  seront,  jeune  et  tendre  ami,  tels  seront  très- 
certainement  les  tristes  effets  du  défaut  qui  vous 


—  239  — 

est  signalé,  si  dès  le  séminaire ,  vous  ne  mettez 
pas  tout  en  œuvre  pour  l'extirper  de  votre  âme  et 
pour  le  remplacer  par  cette  aimable  douceur  que  le 
divin  Sauveur  nous  recommande  si  expressément 
d'apprendre  à  son  école  :  Discite  à  me  quia  mitis 
sum  et  humilis  corde. 


III 


Pour  acquérir  cette  divine  vertu,  commencez  par 
observer  très-exactement  votre  manière  d'être  habi- 
tuelle relativement  au  défaut  qui  lui  est  opposé  , 
afin  de  voir  si  vous  y  êtes  sujet.  Considérez  sur- 
tout comment  vous  vous  comportez  quand  on  vous 
contredit,  quand  on  vous  humilie,  ou  même  quand 
on  vous  donne  un  simple  avertissement.  Interrogez- 
vous  spécialement  à  l'égard  de  la  conduite  que  vous 
tenez  envers  les  personnes  pour  lesquelles  vous 
n'avez  aucune  sympathie.  Enfin  examinez  tout 
particulièrement  comment  vous  parlez  et  agissez 
pendant  les  récréations  dans  le  séminaire,  et  pen- 
dant les  vacances  au  sein  de  votre  famille  et  de  vos 
amis  du  monde,  vous  arrêtant  principalement  à 
voir  comment  se  passent  les  discussions  auxquelles 
vous  prenez  part. 

—  Si  cette  enquête  vous  fait  découvrir  quelque 
mauvais  germe  d'aigreur,  de  vivacité  ou  de  colère, 
ne  vous  rassurez  pas  en  disant  que  les  choses  ne 
vont  pas  loin,  qu'elles  ne  dépassent  pas  les  bornes 
de  simples  impatiences,  et  que  vous  n'avez  pas 
d'inquiétudes  sérieuses  à  cet  égard.  Souvenez-vous, 
au  contraire,  que  si  vous  voulez  acquérir  la  vertu 
de  douceur  au  degré  où  elle  se  doit  trouver  chez 


—  240   — 

un  prêtre ,  vous  devez  détruire  impitoyablement 
non-seulement  ce  qui  la  blesse,  mais  même  ce  qui 
la  froisse.  Soyez  convaincu,  d'ailleurs,  que  ce  qui 
n'est  rien  au  séminaire,  s'aggravera  notablement 
dans  le  monde,  et  qu'il  sera  trop  tard  alors  de 
remédier  à  un  mal  que  vous  pouvez  détruire 
aujourd'hui  avec  facilité. 

—  Pour  vous  animer  au  combat,  pensez  aux 
funestes  conséquences  d'une  défaite,  et  aux  heu- 
reux fruits  d'une  victoire.  Convainquez-vous  bien 
que  la  douceur  est  la  clef  des  cœurs,  qu'un  prêtre 
qui  possède  éminemment  cette  vertu,  est  béni  de 
Dieu  et  des  hommes,  et  qu'il  convertit  plus  d'âmes 
par  sa  douceur  que  par  ses  prédications  les  plus 
éloquentes  ;  tandis  que,  par  le  vice  contraire,  il 
aliène  les  cœurs,  il  se  fait  des  ennemis  et  frappe 
de  stérilité  son  divin  ministère. 

—  En  présence  de  ces  considérations,  armez- 
vous  de  courage  et  ne  dites  pas  comme  les  lâches 
qu'il  vous  est  impossible  de  dompter  votre  carac- 
tère impétueux.  Croyez  fermement,  au  contraire, 
que  vous  pouvez  tout  avec  une  volonté  généreuse, 
soutenue  du  secours  de  Dieu,  et  rappelez-vous 
qu'avec  ces  deux  armes,  saint  François  de  Sales, 
naturellement  irascible,  devint,  après  dix-huit  an- 
nées de  combats,  le  plus  doux  des  hommies  de  son 
siècle. 

—  Quand  vous  aurez  profondément  gravé  ces 
considérations  dans  votre  âme,  commencez  l'at- 
taque. Et,  d'abord,  demandez  tous  les  matins  dans 
votre  méditation  la  grâce  de  ne  pas  commettre  avec 
délibération  la  plus  légère  faute  contre  la  douceur; 
prenez-en  la  ferme  résolution  et  promettez  à  Dieu 


—  241   — 

de  vous  observer  très-exactement  pendant  le  jour, 
surtout  pendant  les  récréations,  afm  de  retenir  le 
premier  mot  que  vous  seriez  tenté  de  prononcer 
par  colère. 

—  Quand  vous  serez  en  face  de  l'ennemi,  c'est- 
à-dire  quand  vous  sentirez  en  vous  quelque  cha- 
leur, quelque  émotion  vive  à  l'occasion  de  cer- 
taines contradictions  de  la  part  d^  vos  supérieurs 
ou  de  vos  condisciples,  rappelez-vbus  sur-le-champ 
votre  résolution  du  matin,  implorez  au  fond  de 
rame  l'assistance  de  Dieu,  et  gardez  le  silence  mal- 
gré la  tentation  que  vous  avez  de  le  rompre  avec 
vivacité. 

—  Convaincu  que  les  contraires  se  guérissent 
par  les  contraires  :  Contraria  contrariis  curantur, 
ne  vous  contentez  pas  de  comprimer  la  colère, 
mais  pratiquez  des  actes  positifs  de  douceur.  Ainsi, 
quand  vous  serez  indisposé  contre  quelqu'un,  au 
lieu  de  lui  tourner  le  dos,  montrez-lui  un  visage 
gracieux  et  aimable  ;  au  lieu  de  lui  répondre  sur 
le  ton  de  la  vivacité,  dites  quelques-unes  de  ces 
paroles  qui  désarment  un  adversaire  et  en  font  un 
ami,  vous  souvenant  de  cette  sentence  de  l'Esprit- 
Saint  :  Responsio  mollis  frangit  iram. 

—  Si,  malgré  tous  vos  efforts,  il  vous  arrive 
encore  quelquefois  de  succomber,  ne  vous  décou- 
ragez jamais  ;  relevez-vous  au  contraire  sur-le- 
champ,  et,  plein  de  confiance  en  Dieu,  dites-vous 
à  vous-même  avec  un  surcroît  d'énergie  :  Malgré 
mes  chutes  et  ma  faiblesse,  je  veux  être  doux  ; 
je  le  veux  fortement,  obstinément,  et  avec  la  grâctt 
de  Dieu  j'espère  le  devenir.     , 

—  Faites  part  de  votre  généreux  dessein  à  votre 
II.  14 


—  242  — 

directeur  ;  priez-le  de  vous  prêter  main-forte  et  de 
ne  vous  épargner  ni  ses  conseils,  ni  ses  répri- 
mandes, ni  les  pénitences  médicinales  qu'il  croira 
devoir  vous  imposer. 

—  Prévenez-le  même,  en  fait  de  pénitence,  et 
imposez-vous-en  quelques-unes,  une  légère  au- 
mône, par  exemple,  une  mortification  corporelle 
ou  une  œuvre  expiatoire  quelconque  que  vous  vous 
empresserez  d'accomplir  dès  que  vous  aurez  failli. 

—  N'oubliez  pas  Fexcellent  moyen  de  l'examen 
particulier  sur  le  défaut  de  la  colère.  Avec  lui,  vous 
deviendrez  doux  ;  sans  lui,  vous  ne  le  deviendrez 
jamais. 

—  Enfm  tournez  toutes  vos  armes  spirituelles 
contre  l'ennemi  que  vous  voulez  vaincre  :  confes- 
sions, communions,  visites  au  saint  sacrement, 
méditations,  lectures  spirituelles  ;  autant  de  moyens 
que  vous  devez  employer  pour  vous  assurer  de  la 
victoire. 

Que  vous  serez  heureux,  jeune  et  tendre  ami, 
quand  votre  cœur  aura  exhalé  tout  son  venin  et 
que  la  douceur  y  aura  remplacé  l'amertume  !  Alors 
vous  posséderez  votre  âme  dans  la  paix;  alors 
vous  édifierez  les  peuples  par  votre  mansuétude  ; 
alors  vous  pourrez  espérer  de  ne  voir  jamais,  par 
votre  faute,  des  paroisses  bouleversées,  comme 
elles  le  sont  quelquefois  par  un  simple  manque  de 
douceur  en  une  circonstance  importante  ;  alors  on 
dira  de  vous  ce  que  l'on  nous  disait  un  jour  d'un 
vénérable  religieux  :  C'était  un  lion  jjar  nature,  et 
il  est  devenu  un  agneau  par  vertu! 

(Voyez  Pratique  du  zèle  ecclésiastique,  première  partie, 
ch.  m,  et  le  Saint  Prêtre,  deuxième  partie,  ch.  VII,  page  178.) 


—  243 


CHAPITRE  IX 


Le  séminariste  peu  affermi  dans  la  pratique  de  la  sainte  vertu. 

I 

L'impureté  !  voilà  le  vice  que  le  séminariste  doit 
abhorrer  ;  voilà  le  vice  qui  fait  plus  que  tout  autre 
les  mauvais  prêtres  et  qui  les  rend  l'opprobre  de 
l'Église  et  la  ruine  des  peuples. 

La  chasteté  !  voilà  au  contraire  la  vertu  dont  le 
séminariste  doit  décorer  et  embaumer  son  âme  ; 
voilà  la  vertu  qui  fait  les  saints  prêtres  et  qui  les 
rend  la  gloire  de  l'Église  et  l'édification  des  fidèles  : 
0  qnàm  pulchra  est  casta  generatio  cum  claritate  ! 

Il  est  inouï  que  le  vice  impur  se  déclare  pour 
la  première  fois  au  séminaire.  C'est  toujours  dans 
le  monde  qu'il  a  pris  naissance  et  qu'il  a  exercé 
ses  ravages. 

Le  séminariste  à  qui  nous  parlons  en  ce  moment, 
a  donc  subi  la  funeste  influence  de  ce  vice  avant 
d'entrer  au  séminaire.  Souvent  sa  jeunesse,  son 
enfance  même  en  fut  souillée.  Des  amis  corrompus 
le  corrompirent  lui-même,  et  Dieu  veuille  qu'il 
n'ait  pas  été  corrupteur  à  son  tour! 

Quand  il  se  fut  adonné  au  vice  impur,  ou  il  bien 
cessa  de  fréquenter  les  sacrements,  ou  bien  il  les 
reçut  de  temps  en  temps  dans  des  dispositions  très- 
équivoques,  ne  sortant  d'un  abîme  que  pour  tom- 
ber dans  un  autre,  et  désolant  ses  confesseurs  par 


—  244  —       , ^ 

la  ténacité  de  ses  habitudes  et  la  fréquence  de  ses 
rechutes. 

Tant  qullne  se  préoccupa  point  des  gravespensées 
d'une  vocation,  il  satisfit  étourdiment  ses  passions 
fougueuses  et  s'ensevelit  dans  leur  boue  infecte. 

Mais  la  fin  de  ses  études  approchant,  et  se 
voyant  pressé  par  ses  parents  de  prendre  un  parti, 
il  s'interrogea  pour  savoir  ce  qu'il  devait  conclure. 

Son  attrait  pour  l'état  ecclésiastique  n'était  pas 
très-vif  ;  mais  comme,  pour  diverses  raisons,  toutes 
les  autres  carrières  lui  étaient  fermées,  il  se  dit  à 
lui-même  :  J'irai  au  séminaire. 

Cette  détermination  prise,  il  pensa  qu'il  fallait 
changer  de  conduite.  Dans  ce  but,  il  fit  des  efforts  ; 
mais  sa  conversion  ne  fut  point  une  conversion 
d'éclat  ;  il  tombait  moins  souvent,  mais  il  tombait 
encore,  et  ne  s'arrachait  au  péché  que  lâchement 
et  comme  par  contrainte. 

Le  petit  séminaire  lui  ouvrit  ses  portes  :  en 
voyant  dans  ce  saint  asile  un  grand  nombre  d'é- 
lèves édifiants  qui  se  disposaient  pieusement  à 
entrer  dans  la  carrière  ecclésiastique ,  il  sentit 
quelque  désir  de  les  imiter  ;  mais  sa  lâcheté  per- 
sévérant toujours,  il  fit  de  nouvelles  chutes,  et  se 
voyant  encore  assez  loin  du  moment  où  il  aborde- 
rait le  grand  séminaire,  il  ajourna  chaque  jour  sa 
conversion  définitive.  Qui  sait  même,  grand  Dieu, 
si  jusque  dans  le  petit  séminaire  il  ne  trouva  pas 
des  complices  de  ses  désordres  ! 

Ses  vacances  furent  pitoyables,  et  pendant  celles 
qui  précédèrent  immédiatement  son  entrée  au 
grand  séminaire,  il  prouva  par  de  nouveaux  actes 
qu'il  n'était  pas  encore  sincèrement  converti. 


—   245  — 

C'est  en  cet  état,  bien  peu  rassurant,  qu'il  s'im- 
planta dans  la  pépinière  du  sacerdoce,  et  c'est  dans 
ce  saint  lieu  que  nous  allons  étudier  sa  conduite 
actuelle. 

Nous  ne  supposerons  jamais  que  le  séminariste 
commette  des  fautes  contre  la  sainte  vertu  dans  le 
séminaire  même.  Malheur  à  lui  s'il  en  était  ainsi  ! 
Mais  non,  nous  voulons  croire  qu'il  n'y  en  commet 
point  ;  il  s'observe,  il  s'enchaîne,  et  cette  suspen- 
sion d'actes  mauvais  lui  fait  croire  que  c'en  est 
fait  de  ses  passions  et  qu'il  en  est  délivré  pour 
toujours.  Cependant  il  porte  dans  son  cœur  affaibli 
un  vieux  ferment  recouvert  plutôt  que  détruit,  qui 
pourra  bien  produire  plus  tard  ses  déplorables 
efTets.  Voici  les  dispositions  actuelles  d'un  tel  sé- 
minariste. 

L'aiguillon  de  la  chair  se  fait  sentir  par  des  ten- 
tations fréquentes  et  quelquefois  très-vives,  et,  ces 
tentations,  il  les  combat  avec  mollesse  et  avec 
lâcheté. 

Au  lieu  de  puiser  dans  le  souvenir  du  passé  des 
sentiments  d'humilité  et  de  confusion,  son  imagi- 
nation s'y  reporte  avec  une  demi-complaisance,  et 
il  se  surprend  assez  souvent  dans  la  contemplation 
de  tableaux  plus  ou  moins  dangereux  qui  lui 
rappellent  ses  anciennes  misères. 

Sa  chair  n'est  pas  entièrement  soumise  ;  elle  aime 
beaucoup  tout  ce  qui  la  flatte,  et  elle  est  excitée 
par  une  multitude  d'objets  qui  passent  inaperçus 
devant  les  yeux  du  jeune  homme  vraiment  chaste. 

Ses  sens  sont  avides  d'émotions  mauvaises  ;  il 
leur  refuse  sans  doute  plusieurs  satisfactions  qu'ils 
réclament  ;  mais  il  doit  voir  que  ce  sont  des  eune- 
II.  14. 


—  246  — 

mis  enchaînés  qui  espèrent  se  débarrasser  plus 
tard  de  leurs  pénibles  entraves. 

Ses  yeux  surtout  sont  loin  d'être  inactifs  :  ils 
veulent  voir  et  ils  voient  en  effet  certaines  per- 
sonnes dont  la  rencontre  réveille  les  passions. 
Quelquefois  son  regard  est  direct  et  arrêté  ;  d'autres 
fois  il  est  furtif  et  en  quelque  sorte  hypocrite  ;  il 
semble  qu'il  ne  veut  pas  voir,  il  baisse  les  yeux, 
on  le  croit  parfaitement  modeste,  et  cependant  rien 
ne  lui  échappe.  Le  mauvais  fond  est  toujours  là. 

La  sympathie  de  sexe  est  loin  d'être  éteinte  dans 
son  cœur  ;  à  chaque  instant  elle  annonce  sa  pré- 
sence, et,  pour  éclater,  on  dirait  qu'elle  n'attend 
que  des  occasions. 

En  les  attendant,  ces  occasions,  la  nature  se 
satisfait  quelquefois  par  des  amitiés  particulières 
dans  le  séminaire.  Il  lui  faut  des  attaches  à  cette 
nature  sensuelle,  et,  faute  de  mieux,  elle  se  con- 
tente des  seules  qu'elle  puisse  actuellement  former. 
Rassuré  par  la  similitude  du  sexe,  notre  jeune 
homme  est  tranquille.  11  aime  cependant,  et  quel- 
quefois même  il  aime  beaucoup  trop  certain  con- 
disciple qui  lui  rend  la  pareille  :  sentiments  tendres, 
regards  affectueux,  cadeaux  mutuels,  serrements 
de  main  expressifs,  désirs  de  se  rencontrer  quand 
on  est  séparé,  entretiens  expansifs  quand  on  est 
seul  à  seul,  échange  de  lettres  qu'on  ne  voudrait 
montrer  à  personne  :  autant  de  traits  qui  caracté- 
risent l'affection  équivoque  au  courant  de  laquelle 
on  se  laisse  entraîner.  Sans  doute  tout  cela  vient 
s'abriter  sous  le  voile  d'une  amitié  légitime;  mais, 
hélas  !  sans  qu'on  s'en  rende  bien  compte,  dans 
cette  amitié  la  passion  joue  quelquefois  son  rôle 


—   247   — 

et  laisse  entrevoir  de  grandes  faiblesses  dans  Ta- 
venir. 

Le  séminariste  peu  affermi  dans  la  sainte  vertu 
n'a  point  pour  son  corps  cette  retenue,  ce  respect 
même  qu'ont  pour  le  leur  les  jeunes  gens  éminem- 
ment chastes.  Il  se  permet  en  ce  point  certaines 
libertés,  soit  par  regards,  soit  par  actions  qui  ne 
sont  point  à  proprement  parler  des  péchés,  mais 
qui  ne  sont  pas  non  plus  l'indice  d'une  chasteté 
craintive  et  délicate. 

Et  que  dirons-nous  des  vacances  d'un  séminariste 
de  cette  trempe?  N'est-ce  pas  alors  que  les  tenta- 
tions redoublent,  que  les  occasions  sont  recher- 
chées, qu'on  se  permet  la  lecture  de  certains  livres 
qui  ne  sont  pas  tout  à  fait  des  romans,  de  certains 
feuilletons  qui  ne  sont  pas  tout  à  fait  obscènes, 
lectures  pendant  lesquelles  le  cœur  s'amollit,  et 
après  lesquelles  la  conscience  murmure  ?  N'est-ce 
pas  alors  aussi  qu'on  fait  des  visites  imprudentes, 
qu'on  renoue  des  amitiés  dangereuses,  et  que  dans 
toutes  les  sociétés  où  l'on  se  trouve,  on  se  sent 
irrésistiblement  entraîné  vers  les  jeunes  personnes 
plutôt  que  vers  les  personnes  âgées  ?  N'est-ce  pas 
alors  enfm  que  de  nouvelles  chutes  annoncent  l'an- 
cienne faiblesse,  et  jettent  dans  le  plus  pénible 
embarras  le  confesseur  du  séminaire  chargé  de  se 
prononcer  sur  une  vocation  si  douteuse  ? 

Pour  comble  de  malheur,  ce  jeune  séminariste 
manque  de  piété.  Voilà  peut-être  le  trait  qui  le 
distingue  de  la  manière  la  plus  invariable.  11  ne  le 
pense  pas  sans  doute,  et  plusieurs,  au  premier 
abord,  auront  peine  à  se  le  persuader  :  nous  croyons 
cependant  qu'il  en    est   ainsi.    Quelques-uns   des 


--  248  — - 

traits  ci-dessus  énoncés  peuvent  ne  pas  se  ren- 
contrer chez  le  séminariste  peu  ctiaste  ;  mais  le 
manque  depiété  s^observe  toujours.  Le  démon  peut, 
pour  l'aveugler,  lui  épargner  les  tentations,  les 
révoltes  charnelles,  les  chutes  ou  les  demi-chutes 
et  autres  choses  semblables.  D'un  autre  côté,  voyant 
une  différence  notable  entre  sa  conduite  anté- 
rieure et  sa  conduite  actuelle,  il  se  forme  une  assez 
bonne  opinion  de  sa  vertu  et  se  croit  même  positi- 
vement pieux.  Cependant,  nous  le  répétons,  la  piété 
lui  manque.  Sans  doute  il  en  pratique  les  actes  ; 
il  prie  plusieurs  fois  le  jour,  il  se  confesse,  il 
communie,  il  s'acquitte  des  exercices  spirituels  que 
le  règlement  du  séminaire  lui  impose  ;  mais  tout 
cela  peut  se  faire  sans  avoir  au  fond  de  l'àme  une 
piété  solide  et  véritable  ;  et  malheureusement  c'est 
ce  qui  a  lieu  chez  le  séminariste  qui  n'est  pas  bien 
affermi  dans  la  pratique  de  la  sainte  vertu. 

L'élève  pieux  et  parfaitement  chaste  est  rempli 
d'estime  pour  la  chasteté  ;  il  frémit  à  la  pensée  de 
tout  ce  qui  peut  la  ternir  ;  il  fuit  avec  empresse- 
ment les  occasions  qu'elle  redoute,  et  il  aimerait 
mieux  mourir  que  de  se  permettre  un  acte  impur 
quelconque.  Outre  cela,  les  grandes  vérités  de  la 
religion  sont  profondément  implantées  dans  son 
âme  ;  la  pensée  de  la  mort,  du  jugement  et  de  l'en- 
fer est  sa  pensée  fixe  et  habituelle  ;  la  sublimité 
du  sacerdoce  lui  apparaît  avec  une  majesté  qui  lui 
cause  un  trouble  et  une  frayeur  que  son  directeur 
est  obligé  de  modérer  ;  et  comme  il  ne  voit  que  ki 
piété  qui  le  puisse  rassurer,  il  l'embrasse  avec  une 
sainte  ardeur  et  trouve  dans  sa  pratique  des  con- 
solations ineffables  et  une  force  invincible. 


—   249  — 

Or,  c'est  tout  cela  qui  fait  défaut  au  séminariste 
peu  chaste  :  les  grandes  vérités  dont  nous  venons 
de  parler  le  laissent  à  peu  près  insensible  ;  ce  sont 
pour  lui  des  traits  émoussés  qui,  ne  stimulant 
point  sa  piété,  le  laissent,  sous  ce  rapport,  dans 
un  état  de  froideur  et  de  somnolence  qui  devrait 
le  faire  trembler  et  qui  ne  lui  donne  pas  même  la 
pensée  de  la  crainte.  C'est  pour  les  directeurs  de 
séminaires  un  sujet  de  désolation  de  voir  frémir 
ceux,  de  leurs  élèves  qui  devraient  être  calmes,  et 
de  voir  parfaitement  calmes  ceux  qui  devraient 
frémir. 

Redisons-le  donc,  non,  la  piété  du  séminariste 
peu  chaste  n'est  point  vive,  n'est  point  rassurante  : 
ajoutons  même  qu'elle  ne  peut  pas  l'être  :  pour- 
quoi? parce  que  la  racine  principale  qui  l'alim^ente 
ne  se  trouve  point  chez  lui  ou  y  est  excessivement 
faible.  Quelle  est  cette  racine?  C'est  la  mortifi- 
cation, cette  vertu  qui  renferme  toutes  les  autres, 
et  qui  réforme  l'homme  tout  entier.  Quelle  morti- 
fication y  a-t-il  et  peut-il  y  avoir  chez  le  sémina- 
riste mou,  sensuel,  qui  flatte  sa  chair  au  lieu  de  la 
dompter,  et  lui  accorde  les  satisfactions  qu'il  de- 
vrait lui  interdire? 

Où  en  êtes-vous,  jeune  et  tendre  ami,  sur  ce 
point  capital?  Ah!  si,  en  lisant  ce  qui  précède, 
vous  dites  avec  un  sourd  gémissement  :  Mon  Dieu, 
mon  Dieu,  que  voilà  bien  ce  que  je  suis  1  trem- 
blez, tremblez  :  tremblez  à  la  vue  du  présent  déjà 
si  déplorable  ;  mais  tremblez  plus  encore  à  la  vue 
des  tempêtes  et  des  naufrages  que  l'avenir  vous 
réserve. 
^Si  le  séminariste  dont  nous  venons  de  crayonner 


—  250  — 

le  portrait,  a  obtenu  de  son  confesseur  la  permis- 
sion telle  quelle  d'être  prêtre,  voici,  selon  nous, 
et,  nous  pouvons  le  dire,  selon  l'expérience,  son 
avenir  probable. 

Écoutez,  jeune  ami,  et  méditez  attentivement  ce 
que  vous  allez  lire  ;  c'est,  hélas  !  l'histoire  de  plu- 
sieurs de  vos  devanciers  que  nous  allons  raconter. 


II 


Quelque  froid  que  vous  soyez  dans  le  service 
de  Dieu,  Tétonnante  transformation  qu'opérera  en 
vous  le  sacerdoce,  vous  saisira  d'abord  avec  une 
certaine  vivacité.  Votre  première  messe,  votre  pre- 
mière absolution  et  les  premiers  actes  de  votre 
ministère  feront  inévitablement  sur  vous  une  im- 
pression plus  ou  moins  profonde. 

Mais  bientôt^  retenez  ce  mot,  bientôt  ces  senti- 
ments que  vous  n'entretiendrez  point  par  les  actes 
d'une  piété  ardente  et  soutenue,  s'affaibliront  au 
point  de  devenir  à  peine  perceptibles. 

Bientôt  vous  vous  familiariserez  avec  l'autel, 
avec  le  saint  tribunal,  avec  les  fonctions  augustes 
de  votre  sacerdoce,  et  vous  serez  dans  le  plus 
saint  des  états  moins  fervent  que  ne  l'est  un 
pieux  laïque  dans  la  vie  commune. 

Les  exercices  spirituels  que  vous  faisiez  forcé- 
ment au  séminaire  vous  seront  à  charge  ;  vous 
supprimerez  les  uns,  vous  abrégerez  les  autres, 
et  le  peu  que  vous  conserverez  encore,  vous  le 
ferez  avec  une  piété  chaque  jour  décroissante. 

Or,  ce  que  vous  perdrez  d'un  côté,  la  mauvaise 
nature  le  gagnera   de  l'autre  :  longtemps  com- 


-       —  251  — 

primée,  elle  voudra  se  soustraire  à  cette  compres- 
sion. 

Pour  la  satisfaire,  vous  prendrez  part  à  ces  fes- 
tins qui  ne  fortifient  guère  la  chasteté,  et  vous 
deviendrez  un  hornme  de  bonne  chère,  un  prêtre 
sensuel. 

Yos  sens,  que  vous  n'aurez  jamais  sévèrement 
châtiés,  vous  demanderont  chaque  jour  des  satis- 
factions nouvelles  que  vous  n'aurez  pas  le  courage 
de  leur  refuser. 

Votre  imagination,  qui  vous  livrait  déjà  dans  le 
séminaire  de  si  rudes  combats,  se  dédommagera 
de  la  demi-contrainte  que  vous  lui  imposiez  et 
réveillera  les  passions,  si  tant  est  qu'elles  som- 
meillent. 

Les  tentations  excitées  chaque  jour  et  par  les 
désordres  dont  nous  venons  de  parler,  et  par  des 
occasions  de  tous  les  instants,  même  dans  les 
fonctions  les  plus  saintes,  attaqueront  votre  chas- 
teté déjà  si  peu  solide,  et  vous  conduiront  sur  le 
bord  de  l'abîme  en  attendant  qu'elles  vous  y  préci- 
pitent. 

Votre  société  habituelle  ne  sera  point  celle  d'un 
saint  prêtre  qui  pourrait  vous  donner  de  sages 
conseils  :  vous  les  fuirez,  ces  conseils,  et  vous 
vous  lierez  avec  quelques  prêtres  qui  vous  lais- 
seront fort  tranquille  à  cet  égard  ;  prêtres  légers, 
dissipés,  sans  piété  et  peut-être  prédisposés  comme 
vous  aux  misères  charnelles. 

Vos  lectures  ne  seront  guère  ascétiques.  N'osant 
pas  peut-être  vous  procurer  des  livres  positivement 
mauvais  ni  même  simplement  équivoques  au  point 
de  vue  des  mœurs,  vous  vous  dédommagerez  de 


—  252  — 

cette  privation  par  certains  feuilletons  que  vous 
lirez  furtivement,  mais  avidement,  et  dont  le  ré- 
sultat infaillible  sera  le  dégoût  de  la  piété,  le  re- 
froidissement du  zèle,  et  un  grand  relâchement 
dans  toutes  les  branches  du  saint  ministère. 

Vous  trouvant  sans  attrait  pour  les  choses  de 
Dieu,  vous  vous  tournerez  vers  le  monde  ;  vous 
aimerez  ses  sociétés,  et  l'ennemi  de  votre  salut 
vous  fera  choisir  celles  où  votre  chasteté  sera  le 
plus  rudement  assaillie. 

Votre  cœur  si  faible,  si  attachant,  si  peu  soutenu 
du  côté  de  la  piété,  environné  d'objets  qui  le  sé- 
duiront, rencontrera  quelque  cœur  aussi  faible  que 
lui  ;  et  la  moindre  étincelle  jaillissant  d'un  de  ces 
cœurs,  les  embrasera  tous  les  deux  du  feu  de 
l'abîme. 

Alors  viendront  ces  yisites  mutuelles  si  dange- 
reuses, ces  assiduités  continuelles,  ces  longs  en- 
tretiens sans  témoins  et  toutes  les  misères  qu'en- 
traîne après  elle  une  si  déplorable  conduite. 

Bientôt  de  telles  relations  seront  connues  du 
public;  il  en  fera  la  matière  de  ses  censures  et 
vous  retirera  le  peu  d'estime  qu'il  vous  accordait 
encore. 

Prévoyant  de  graves  et  prochains  scandales,  de 
pieux  laïques  ou  quelques  confrères  dévoués  vien- 
dront vous  trouver  et  vous  prieront  au  nom  de  la 
religion  et  de  votre  intérêt  propre  de  renoncer  à 
vos  fréquentations  suspectes.  Mais  il  sera  trop 
tard  ;  déjà  votre  cœur  sera  gagné  et  peut-être 
gâté  ;  vous  recevrez  mal  les  conseils  du  zèle  et  de 
l'amitié  ;  vous  braverez  les  accusations  de  toute 
une  paroisse  ;  vous  résisterez  aux  sollicitations  les 


—  253   — 

plus  empressées,  et  vous  aimerez  mieux  sacrifier 
votre  honneur  et  perdre  votre  âme,  que  de  rompre 
les  liens  dans  lesquels  vous  serez  enlacé. 

Est-il  besoin  de  dire  que  l'oisiveté  fera  de  plus 
en  plus  vos  délices,  et  que  l'idée  seule  du  travail 
vous  inspirera  de  la  répugnance  et  du  dégoût? 
Écriture  sainte,  théologie,  études  sérieuses  et 
méthodiques,  tout  sera  mis  de  côté.  Prédications 
négligées,  catéchismes  sans  préparation,  malades 
non  visités,  confessions  entendues  à  la  hâte  et  à 
contre-cœur ,  cas  de  conscience  décidés  contre 
toutes  les  règles  et  tous  les  principes,  absence 
complète  de  zèle,  ne  vous  souciant  pas  plus  du 
salut  de  vos  frères  que  du  vôtre,  confessions  per- 
sonnelles rares,  sans  contrition,  et  faites  à  un 
prêtre  choisi  exprès  parmi  les  plus  indulgents  et 
les  moins  pieux  :  quel  désordre  !  quel  chaos  I 

Du  reste,  vous  devez  bien  le  penser,  plus  de  paix 
pour  vous  alors,  plus  de  joie  intérieure,  plus  de 
consolation  d'aucun  côté.  Votre  conscience  perpé- 
tuellement agitée,  si  elle  n'est  pas  encore  assoupie, 
votre  froideur  dans  le  service  de  Dieu,  votre  hor- 
reur pour  les  pratiques  pieuses,  votre  réputation 
compromise,  votre  ministère  en  friche  et  frappé  de 
stérilité,  vos  craintes  continuelles  à  la  pensée  d'une 
dénonciation  :  quel  état  !  !  !  Repoussé  par  les  bons 
prêtres,  méprisé  par  les  impies,  déconsidéré  auprès 
des  âmes  pieuses,  amèrement  critiqué  par  tout  le 
monde  :  quelle  vie!  quelle  flétrissure  pour  le  sacer 
doce  I  quel  sujet  de  deuil  pour  l'Église  ! 

Et,  malheureusement,  ce  ne  sera  pas  tout  en 
(^ore  ;  ce  ne  sera  même  que  le  commencement  des 
grandes  désolations  :  Hœc  aiitem  initia  sunt  dolo- 
II.  15 


—^254  — 

rum.  Instruits  de  votre  conduite  (car  presque  tou- 
jours ils  fmissent  par  l'être)  ,  vos  supérieurs 
ecclésiastiques  vous  imposeront  l'obligation  de  la 
réformer,  et  vous  menaceront  de  peines  sévères 
si  vous  continuez  vos  imprudentes  visites.  Tout 
sera  inutile  :  vous  prendrez  un  peu  plus  de  pré- 
cautions pour  cacher  vos  relations  avec  l'objet  de 
votre  attachement,  mais  vous  le  visiterez  encore. 

Enfin,  viendra  le  jour  du  grand  scandale  et  bien- 
tôt après  le  jour  de  votre  disgrâce.  Si  vous  n'êtes 
pas  d'abord  frappé  de  suspense,  vous  serez  trans- 
planté dans  une  autre  paroisse  ;  mais  cette 
transplantation  ne  réformera  point  votre  cœur. 
Toujours  faible,  toujours  enclin  aux  affections 
mauvaises,  vous  formerez  bientôt  de  nouvelles 
liaisons  qui  vous  attireront  de  nouveaux  châti- 
ments, et  alors  vous  serez  universellement  mé- 
prisé, bafoué,  dégradé,  et,  en  vous  voyant,  chacun 
dira  avec  un  sentiment  d'horreur  et  de  dégoût  : 
Maudit  soit  le  prêtre  libertin  ! 

Tout  cela,  sans  doute,  vous  fait  trembler,  jeune 
et  tendre  ami.  Pour  vaincre  l'ennemi  furieux  qui 
vous  poursuit,  saisissez  donc  les  armes  que  la  di- 
vine miséricorde  vous  présente. 


m 


—  Commencez  par  bien  voir  si  les  traits  qui  ca- 
ractérisent le  séminariste  peu  chaste,  se  retrou- 
vent en  vous.  Considérez  ce  que  vous  avez  été  et 
ce  que  vous  êtes  actuellement  à  l'égard  de  la  sainte 
vertu.  L'estimez-vous  beaucoup  ?  Détestez-vous 
les  péchés  impurs  de  votre  vie  passée  ?  Éprouvez- 


—  255  — 

vous  pour  ces  péchés  une  vive  horreur  ?  vous 
rendez-vous  le  témoignage  que  vous  aimeriez 
mieux  mourir  que  d'en  commettre  un  seul?  Pensez- 
vous,  en  un  mot,  que  votre  conversion  est  sincère, 
radicale  et  complète  ? 

—  Si,  sur  ces  divers  points,  vous  n'avez  pas 
lieu  d'être  pleinement  rassuré,  faites  part  de  vos 
craintes  à  votre  confesseur  du  séminaire.  Initiez-le 
parfaiternent  à  toutes  vos  misères  passées  et  pré- 
sentes. Faites-lui  une  confession  générale  très- 
exacte  et  donnez-lui  connaissance  non-seulement 
de  \ os  péchés  contre  la  chasteté,  mais  encore  de 
vos  dispositions  actuelles  à  l'égard  de  cette  vertu. 

—  Si  vous  reconnaissez  en  vous  quelque  faiblesse 
sur  l'article  que  nous  traitons,  combattez  avec  vi- 
gueur. Malheur  à  vous  si  vous  êtes  lâche,  mou, 
sans  nerf  et  sans  énergie  !  Yoilà  ceux  que  l'esprit 
impur  attaque  presque  toujours  avec  succès. 

—  Évitez  tout  excès  dans  le  boire  et  dans  le 
manger,  fuyez  la  bonne  chère  et  les  festins,  et 
embrassez  la  mortification  du  goût  comme  votre 
ancre  de  salut  :  Abundantia  ciborum,  fomenta  vi- 
tiorum,  dit  saint  Isidore.  Ubi  saturitas,  ibi  libido 
dominatw,  dit  saint  Jérôme. 

—  Détestez  l'oisiveté  ;  c'est  la  sentine  de  tous 
les  vices  et  l'ennemie  jurée  de  la  chasteté.  Si  vous 
n'aimez  pas  le  travail  et  si  vous  êtes  prédisposé 
tant  soit  peu  au  vice  impur,  vous  ne  serez  chaste 
que  par  miracle  :  Luxuria^  dit  saint  Bernard, 
cito  decipit  hominem  otiosum. 

—  Soyez  parfaitement  modeste,  surtont  dans 
v&s  regards.  Les  yeux  sont  les  portes  du  cœur  ; 
c'est  par  eux  que   l'esprit  impur  fait  son  entrée 


—  256  — 

dans  l'âme.  Plus  ils  sont  avides  de  voir  ce  qu'ils  ne 
doivent  pas  voir,  plus  vous  devez  les  châtier  avec 
sévérité  :  Nequiiis  oculo  quid  creatum  est?  nous 
dit  FEsprit-Saint...  Virginem  ne  conspicias,  ne  forte 
scandalizeris  in  décore  illius. 

—Pratiquez,  avec  l'agrément  de  votre  directeur, 
quelques  actes  de  pénitence  corporelle,  non  pas 
de  loin  en  loin  dans  quelques  accès  de  ferveur, 
mais  habituellement  et  d'une  manière  réglée  :  Per- 
timescit  Satanas  piorwn  vigilias,  jejunia,  etc. 

Fuyez  les  occasions  que  redoute  la  sainte  chas- 
teté. N'allez  jamais,  sans  une  bonne  raison,  dans 
les  maisons  où  se  trouvent  de  jeimes  personnes. 
Si  vous  devez  y  aller  quelquefois,  n'y  soyez  que  le 
temps  nécessaire,  et,  pendant  ce  temps,  édifiez  tous 
ceux  que  vous  visiterez  parla  plus  exacte  modestie 
dans  vos  regards,  dans  vos  paroles  et  dans  toutes 
vos  manières. 

—  Ne  fréquentez  que  des  séminaristes  ou  des 
prêtres  parfaitement  chastes  ,  studieux ,  sobres  , 
amateurs  de  la  solitude,  et  d'une  piété  exemplaire: 
ils  vous  communiqueront  leurs  vertus  si  vous  les 
choisissez  pour  vos  amis  intimes. 

— Jamais  de  fréquentation  tant  soit  peu  suspecte. 
Si  une  seule  langue  dit  contre  vous  un  mot  de 
critique  à  cet  égard,  et  que  ce  mot  vous  soit  rap- 
porté, suspendez  impitoyablement  vos  visites,  et 
dites  vous  à  vous-même  :  Il  n'est  pas  nécessaire 
que  j'aille  en  cette  maison,  et  il  est  absolument 
nécessaire  que  je  conserve  ma  réputation  intacte. 

—  Soyez  sévères  sur  le  point  des  lectures  :  n'en 
faites  jamais  qui  soient  tant  soit  peu  légères  en  ce 
qui  touche  les  mœurs.  Ne  vous  réglez  pas,  à  cet 


—  257  — 

égard,  sur  la  conduite  de  quelques-uns  qui  agis- 
sent en  ceci  avec  trop  de  liberté.  Ne  dites  pas,  par 
exemple  :  Tel  bon  séminariste  et  tel  bon  prêtre 
lisent  ce  livre  ;  donc  je  puis  le  lire  moi-même. 
Puisque  vous  connaissez  votre  faible,  vous  devez 
penser  que  ce  qui  fait  peu  d'impression  sur  les 
autres,  en  ferait  peut-être  beaucoup  sur  votre  ima- 
gination naturellement  vive  et  déréglée. 

—  Cultivez  rhumilité.  L'orgueil  est  l'impureté 
de  l'esprit,  et  cette  impureté  est  la  sœur  de  l'autre. 
L'élévation  de  l'esprit  conduit  directement  à  l'hu- 
miliation de  la  chair.  L'homme  parfaitement  hum- 
ble n'est  jamais  un  impudique. 

—  Abhorrez  dans  le  séminaire  les  amitiés  parti- 
culières. N'en  recherchez  aucune,  et  ne  correspon- 
dez point  à  celles  dont  on  vous  donnerait  quelques 
témoignages.  Évitez  la  compagnie  de  ceux  de  vos 
condisciples  vers  lesquels  vous  vous  sentez  attiré 
par  les  bonnes  manières  et  les  agréments  naturels 
qu-lils  possèdent,  et  choisissez  de  préférence  ceux 
qui  n'ont  rien  de  remarquable  sous  ce  rapport. 

—  Ayez  une  dévotion  tendre  et  toute  spéciale  à 
la  très-sainte  Yierge.  Confiez-lui  la  garde  de  votre 
cœur,  et  récitez  chaque  jour  quelque  prière  en  son 
honneur,  pour  obtenir  par  son  entremise  la  grâce 
de  ne  blesser  jamais  en  quoi  que. ce  soit  la  sainte 
chasteté  qui  lui  est  si  chère. 

—  Adonnez-vous  à  la  piété  de  toutes  les  forces  de 
votre  âme.  Tant  que  vous  serez  solidement  pieux, 
vous  serez  invulnérable.  N'ôtez  jamais  un  anneau 
à  la  chaîne  de  vos  exercices  spirituels.  Ditez-vous  à 
vous-même  avec  une  sainte  énergie  :  Ce  n'est  pas 
une  piété  ordinaire  et  commune  que  je  veux  acqué- 


—  258  — 

rir  ;  c'est,  avec  l'aide  de  Dieu,  une  piété  transcen- 
dante et  soutenue  que  je  veux  pratiquer.  L'esprit 
impur  respecte  une  àme  pieuse  ;  il  frémit  à  sa  vue 
et  n'ose  en  approcher.  Mais  dès  qu'elle  se  relâche, 
il  reprend  courage,  et  si  elle  continue  de  se  relâcher, 
il  en  fait  infailliblement  sa  victime. 

—  Enfin  si,  après  avoir  très-nettement  exposé 
l'état  de  votre  âme  à  votre  confesseur  du  séminaire, 
vous  voyez  qu'il  balance  sur  le  point  de  votre  voca 
tion,  gardez-vous  d'avancer.  S'il  vous  dit  positive- 
ment de  faire  le  pas  décisif,  faites-le,  mais  avec 
un  sentiment  profond  d'Jiumiiité,  de  crainte  et  de 
tremblement  :  Cum  me  tu  et  treniore,  selon  l'ex- 
pression de  l'Apôtre. 

Relisez  souvent  ce  chapitre ,  ô  jeune  et  tendre 
ami,  non-seulement  pendant  que  vous  êtes  au  sémi- 
naire, mais  encore  quand  vous  n'y  serez  plus;  et 
puisse-t-il  être  votre  sauvegarde  tous  les  jours  de 
votre  vie!  Ne  l'oubliez  jamais,  un pi'être parfaite- 
ment chaste  est  par  là  même  un  saint  prêtre  :  celui, 
au  contraire,  qui  viole  la  chasteté  est  un  démon, 
et  plus  qu'un  démon,  pouvons-nous  ajouter  :  Qui 
castitatemservavitj  angélus  est,  fpdperdidit,  diabolus. 

(Voyez  le  Saint  Prêtre,  deuxième  partie,  ch.  XII,  page  295.) 


—  259 


CHAPITRE  X. 


Le  séminariste  mou,  inconstant,  sans  énergie  et  sans  zèle. 

I 

Si  vous  êtes  mou  et  lâche  par  nature,  vous  devez 
vous  réformer  à  tout  prix,  sous  peine  d'être  plus 
tard  un  de  ces  prêtres  froids  et  languissants  qui  ne 
font  pas  la  centième  partie  du  bien  qu'ils  devraient 
opérer.  Mais  à  quels  signes  reconnaîtrez-vous  cette 
mollesse  et  cette  lâcheté  ?  C'est  ce  qu'il  s'agit  d'exa- 
miner. 

Le  séminariste  à  qui  nous  allons  parler  ne  doit 
pas  être  confondu  avec  le  paresseux  dont  nous 
avons  parlé  ailleurs.  Il  est  sans  doute  prédisposé  à 
l'oisiveté ,  mais  nous  ne  le  supposons  pas  oisif. 
Qu'est-il  donc?  Écoutez  : 

Il  est  sans  action  prononcée,  sans  vigueur,  pres- 
que sans  vie,  et  c'est  au  moral  comme  au  physique 
qu'il  est  ainsi. 

Il  fait  quelque  chose,  mais  il  le  fait  lâchement, 
par  manière  d'acquit  et  sans  avoir  l'air  d'y  attacher 
la  moindre  importance. 

Il  agit  avec  une  lenteur  agaçante,  et  jamais  on 
ne  voit  en  lui  l'activité  vivace  des  hommes  éner- 
giques. Quand  il  se  met  à  l'œuvre,  on  croit  voir 
ou  un  voyageur  fatigué  d'ime  longue  route,  ou  un 
convalescent  dont  la  maladie  a  détendu  le  ressort 
vital. 

Il  y  a  dans  toute  sa  personne  extérieure  je  ne 


—  260  — 

sais  quelle  nonchalance  qui  fait  deviner  aussitôt  le 
trait  saillant  de  son  caractère.  Il  se  traîne  plutôt 
qu'il  ne  marche  ;  son  regard  est  langoureux,  sa 
parole  n'est  pas  accentuée,  l'ensemble  de  ses  traits 
n'a  rien  d'expressif  :  on  dirait  que  son  corps  est 
sans  nerfs,  sans  tendons  et  sans  muscles,  tant  il 
est  mou  et  indolent.  Son  état  représente,  non  la 
démarche  active  et  empressée  de  la  fourmi,  mais 
la  traînée  lente  de  la  limace. 

Yoyons-le  maintenant dansle  détail  de  ses  œuvres. 
Il  étudie,  mais  il  recule  devant  une  application 
intense  et  soutenue  ,  il  recule  surtout  devant  les 
premières  difficultés  qu'il  rencontre.  De  Là  vient 
qu'il  n'approfondit  jamais  les  choses,  et  que,  dans 
toutes  ses  études,  il  se  contente  d'une  connaissance 
vague  et  superficielle.  Ce  n'est  pas  précisément  le 
talent,  c'est  la  force  de  volonté  qui  Ini  manque. 

Si  quelquefois  il  semble  vouloir  sortir  de  sa  lan- 
gueur, après  un  ou  deux  efforts  il  s'arrête  comme 
un  homme  épuisé  et  retombe  dans  son  apathie 
habituelle. 

Il  n'achève  presque  jamais  ce  qu'il  entreprend, 
parce  que  toujours  il  survient  quelque  obstacle 
qu'il  n'a  pas  la  force  de  surmonter.  Il  quitte  la  théo- 
logie pour  étudier  l'Écriture  sainte,  puis  un  peu 
d'histoire  ecclésiastique,  puis  quelques  pages  de 
littérature  ou  d'histoire  profane,  mais  tout  cela 
sans  suite,  sans  méthode,  sans  fruit  réel,  et  uni- 
quement pour  pouvoir  se  dire  qu'il  fait  quelque 
chose. 

La  règle  du  séminaire  lui  est  fort  à  charge  : 
comme  toute  règle,  pour  être  fidèlement  observée, 
demande  des  sacrifices  et  de  la  contrainte,  et  qu'il 


—  261   — 

a  une  répugnance  invincible  pour  ce  qui  l'incom- 
mode, il  prend  conseil  de  sa  lâcheté  et  n'obéit  que 
par  hasard. 

11  n'est  pas  méchant  ;  on  pourrait  presque  dire 
qu'il  n'a  pas  la  force  de  Fétre.  Ses  vices,  s'il  en  a, 
ne  sont  pas  fougueux  et  emportés  ;  il  est  mou 
jusque  dans  le  mal,  et  ses  péchés  sont  plutôt  d'o- 
mission  que  de  commission. 

Malheur  à  lui  s'il  a  quelques  défauts  î  car,  comme 
on  ne  peut  les  vaincre  sans  une  volonté  énergique 
et  soutenue,  et  qu'il  n'a  rien  moins  qu'une  volonté 
de  cette  nature,  il  est  cent  fois  probable  qu'il  n'en 
triomphera  jamais. 

11  prendra  bien  quelques  résolutions  ;  mais  à 
peine  en  mériteront-elles  le  nom,  tant  elles  seront 
faibles  et  indécises.  Du  reste,  il  sait  parfaitement 
lui-même  que  ces  résolutions  ne  sont  que  pour  la 
forme  et  qu'elles  ne  seront  jamais  suivies  d'exécu- 
tion. 

Ce  n'est  pas  lui  qui  soutiendra  vigoureusement 
et  opiniâtrement  une  discussion  ;  il  aime  bien 
mieux  renoncer  à  une  victoire  que  de  l'acheter  par 
un  effort. 

Ne  lui  parlez  pas  d'œuvres  qui  demandent  une 
certaine  chaleur  de  dévouement  ou  une  continuité 
de  travail  et  d'application.  Quelque  bonnes  que 
soient  ces  œuvres,  il  ne  trouvera  jamais  qu'elles 
valent  ce  qu'elles  coûtent. 

Si  ses  condisciples  lui  parlent  avec  enthousiasme 
des  généreux  missionnaires  qui  vont  ,  comme 
Xavier,  éA^angéliser  des  nations  d'idolâtres  à  quatre 
mille  lieues  de  leur  patrie,  il  laisse  tomber  de  ses 
lèvres  glacées  quelques  mots  d'admiration  pour 
II.  15. 


—  262  — 

parler  un  peu  comme  les  autres  ;  mais  il  est  aisé 
de  voir  que  son  cœur  est  fort  peu  touché  de  ces 
beaux  dévouements  et  qu'il  n'en  a  pas  même  l'in- 
telligenco.  Heureux  encore  s'il  ne  dit  pas,  par 
forme  d'objection  adoucie,  qu'on  peut  faire  beau- 
coup de  bien  sans  aller  si  loin  ! 

Ne  cherchez  donc  pas  en  lui  des  sentiments  éle- 
vés, des  idées  grandioses  ;  cela  n'est  point  à  sa 
portée  :  une  vie  douce,  commode,  sans  agitation  ni 
soubresauts,  voilà  ce  qui  lui  plait.  Tout  ce  qui 
tend  à  le  tirer  de  cette  sphère  paisible  est  mis  à 
l'écart  comme  principe  de  trouble  et  d'inquiétude. 

En  le  voyant  dans  de  telles  dispositions,  on  est 
ten"  '  Ij  se  demander  comment  il  envisage  la  vie 
sacerdotale  et  quelle  conduite  il  se  propose  de  tenir 
quand  il  sera  prêtre.  Peut-être  n'y  a-t-il  jamais 
sérieusement  pensé  :  cependant  il  est  probable  qu'il 
considère  le  sacerdoce  comme  une  profession  hono- 
rable, tranquille,  peu  fatigante,  compatible  avec  un 
certain  bien-être  et  même  avec  certains  plaisirs  hon- 
nêtes qui,  faisant  diversion  à  quelques  travaux  mo- 
dérés, sont  tout  à  fait  en  rapport  avec  son  indolente 
nature.  11  a  vu  quelques  curés  et  quelques  vicaires 
qui  lui  semblaient  heureux,  qui  n'avaient  que  des 
occupations  très-ordinaires,  qu'on  accueillait  par- 
tout avec  bienveillance,  et  que  les  soucis  du  minis- 
tère n'avaient  pas  l'air  d'incommoder  beaucoup. 
Voilà  précisément  ce  qu'il  convoite  :  exercer  une 
profession  généralement  estimée,  se  faire  respecter 
par  une  conduite  extérieurement  régulière,  et  sau- 
ver des  âmes  à  peu  de  frais  :  oui,  voilà  ce  que  doit 
être  le  beau  idéal  du  sacerdoce  aux  yeux  du  sémi- 
nariste mou,  apathique,  sans  énergie  et  sans  zèle. 


—  %3  — 

Pour  ce  qui  est  des  vertus,  il  admet  les  unes  et 
rejette  les  autres.  Celles  qui,  lui  étant  en  quelque 
sorte  naturelles,  ne  l'astreignent  à  aucun  sacrifice, 
il  les  admet  :  celles  dont  la  pratique  lui  demande 
des  efforts,  il  les  rejette.  Proposez-lui  la  douceur, 
la  charité,  la  patience,  la  chasteté  et  même  quel- 
ques branches  de  l'humilité,  vous  ne  l'effaroucherez 
point  :  mais  ne  lui  parlez  pas  de  la  mortification, 
du  zèle,  de  l'amour  de  l'étude  et  de  l'assujettisse- 
ment à  une  règle  :  ce  sont  pour  lui  d'effrayants 
fantômes. 

Quant  à  ses  œuvres  de  piété,  elles  sont  ce  qu'elles 
doivent  être  chez  un  séminariste  de  cette  trempe, 
c!est-à-dire  qu'elles  sont  pitoyablement  faites  comme 
tout  le  reste.  Pourrait-il  nous  dire,  par  exemple, 
comment  se  passent  ses  oraisons?  Oui  sans  doute 
il  le  pourrait,  mais  à  coup  sûr  il  ne  le  fera  pas,  car  il 
aurait  trop  de  misères  à  nous  révéler  :  nature  froide 
et  immortifiée,  quels  élans  d'amour,  quelles  résolu- 
tions généreuses  pouvez-vous  en  attendre  ?  Ses  lec- 
tures, ses  examens,  ses  visites  au  saint  sacrement, 
tous  ses  exercices  spirituels  en  un  mot,  valent-ils 
mieux  que  ses  oraisons  ?  Non  ;  tout  cela  partant 
d'une  même  source,  c'est-à-dire  d'un  cœur  languis- 
sant, doit  être  et  est  en  effet  à  peu  près  sans  mérite. 
N'y  trouvant  aucune  consolation,  il  s'en  affranchi- 
rait bientôt  si  les  règlements  du  séminaire  le  lui 
permettaient  ;  et  ce  qui  le  prouve,  c'est  le  relâche- 
ment auquel  il  s'abandonne  à  cet  égard  dès  qu'il 
est  en  vacances.  Alors,  en  effet,  ou  il  renonce  à  ce 
qui  n'est  pas  de  stricte  rigueur,  ou  il  se  contente  de 
r  quelques  courts  exercices  pour  lesquels  il  a  un  peu 
tmoins  de  répugnance  que  pour  les  autres. 


—  264  — 

Encore  si  les  sacrements'qu'il  reçoit  détruisaient, 
ou  du  moins  diminuaient  la  lâcheté  qui  le  paralyse  : 
mais  comme  ils  n'opèrent  que  selon  les  disposi- 
tions qu'on  apporte  à  leur  réception,  et  comme  les 
dispositions  de  notre  jeime  élève  sont  toujours 
très-imparfaites,  il  va  sans  dire  que  les  sacrements 
ne  produisent  en  lui  que  des  effets  imperceptibles. 
Nous  ne  voulons  pas  dire  qu'il  les  profane,  mais 
nous  affirmons  positivement  qu'ils  n'ajoutent  rien 
à  sa  sanctification,  et  qu'il  est,  sous  ce  rapport, 
tout  aussi  imparfait  le  jour  de  son  sacerdoce,  qu'il 
rétait  pendant  la  première  année  de  son  séminaire. 
Dieu  veuille  même  que  ces  paroles  de  l'Imitation 
ne  lui  soient  pas  applicables  :  Nous  devrions  croî- 
tre chaque  jour  en  ferveur  et  en  vertu,  et  cependant 
nous  comptons  po\ir  beaucoup  d'avoir  conservé  une 
partie  de  notre  ferveur  primitive  ! 

Voyons  maintenant  ce  que  deviendra  plus  tard  le 
séminariste  ainsi  disposé. 


Il 


Nous  croiriez-vous,  jeune  ami,  si  nous  vous  di- 
sons que  l'avenir  que  vous  saluez  d'un  regard 
paisible,  nous  apparaît,  à  nous,  sous  des  couleurs 
sombres  et  lugubres  ?  Tous  allez  voir,  au  flam- 
beau de  l'expérience,  si  c'est  vous  qui  êtes  en  droit 
d'être  rassuré,  ou  si  ce  n'est  pas  nous  qui  avons 
raison  de  craindre. 

Quelque  faible  dose  de  travail  qui  vous  soit  im- 
posée, vous  la  trouverez  toujours  trop  forte,  et 
vous  ferez  dès  le  début  quelques  réclamations  à 
cet  égard. 


—  265  - 

Votre  curé,  convaincu  qu'ils  vous  épargne  au 
lieu  de  vous  accabler^  vous  fera  quelques  sages 
observations  ;  il  vous  démontrera  que  ce  qu'il 
vous  demande  n'est  pas  au-dessus  de  vos  forces,  et 
il  maintiendra  sa  première  décision. 

Mécontent  de  ne  pas  voir  vos  réclamations  ac- 
cueillies, vous  travaillerez  avec  dégoût.  Votre  len- 
teur, que  vous  n'aurez  point  corrigée  au  séminaire, 
se  reproduira  dans  vos  saintes  fonctions,  et,  n'é- 
tant jamais  prêt  en  temps  convenable,  vous  les 
remplirez  mal. 

D'un  autre  côté,  le  travail  vous  étai>t  pénible 
parce  qu'il  exigera  des  efforts  et  de  l'application 
dont  votre  nature  indolente  ne  s'accommodera 
guère,  vous  négligerez  vos  catéchismes  et  vos 
prônes,  au  grand  détriment  des  enfants  et  des  fi- 
dèles en  général. 

Bientôt  les  pénitents  se  multiplieront,  et  votre 
clientèle,  qui  serait  fort  peu  embarrassante  pour 
un  prêtre  actif  et  zélé,  le  sera  beaucoup  pour  vous 
qui  ne  serez  ni  zélé  ni  actif.  Vous  trouverez  tou- 
jours les  séances  du  saint  tribunal  trop  longues 
et,  pour  les  abréger,  vous  précipiterez  les  confes- 
sions, vous  supprimerez  les  interrogations,  vous 
trouverez  un  peu  d'énergie  pour  brusquer  les  péni- 
tents trop  verbeux,  vous  ne  direz  qu'un  mot  d'ex- 
hortation, et  vous  ferez  voir  clairement  que  le 
confessionnal  vous  fatigue,  ce  qui  sera  déjà  un 
grand  mal. 

A  peine  sorti  du  saint  tribunal,  au  lieu  du  repos 
que  vous  vous  promettiez,  vous  serez  obligé  d'al- 
ler à  l'extrémité  de  la  paroisse  porter  les  secours 
spirituels  à  un  pauvre  mourant.   Le  temps  et  les 


—  266   — 

chemins  seront  peut-être  fort  mauvais,  et  cepen- 
dant il  faudra  partir,  sans  égard  pour  votre  lâcheté 
qui  vous  arrachera  quelques  sourds  murmures. 

Pour  vous  délasser  un  peu  de  vos  fatigues,  qui 
ne  seraient  rien  pour  un  bon  travailleur,  vous 
ferez  quelques  visites  assez  prolongées,  vous  quit- 
terez même  la  paroisse  et,  au  lieu  de  préparer 
votre  catéchisme  ou  votre  prône  pour  le  dimanche 
suivant,  vous  irez  perdre  votre  temps  avec  un  con- 
frère du  voisinage  ;  les  courses,  le  jeu,  les  festins 
vous  plairont  mieux  que  les  œuvres  du  ministère, 
parce  qu'ils  seront  plus  en  rapport  avec  votre 
fonds  de  mollesse  et  d'apathie. 

Votre  curé,  indulgent  d'abord,  voyant  bientôt 
que  votre  vie  errante  et  oiseuse  n'est  pas  fort  ecclé- 
siastique ;  apprenant  d'ailleurs  que  votre  ministère 
en  souffre,  et  recueillant  çà  et  là  les  plaintes  trop 
fondées  des  paroissiens,  vous  donnera  quelques 
conseils,  et,  si  les  conseils  sont  insuffisants,  il  en 
viendra  jusqu'aux  réprimandes  :  d'où  résulteront 
des  explications  pénibles,  qui  malheureusement 
ne  vous  corrigeront  guère  et  altéreront  la  bonne 
harmonie  qui  devrait  toujours  régner  entre  le 
curé  et  son  vicaire. 

Quand  on  saura  dans  la  paroisse  (et  on  le  saura 
promptement)  que  vous  n'-avez  ni  l'amour  du  tra- 
vail, ni  le  goût  du  ministère,  ni  le  zèle  des  âmes, 
vous  serez  en  butte  à  une  foule  de  critiques,  vous 
perdrez  la  confiance  des  paroissiens,  vous  ferez 
murmurer  vos  pénitents  et  vos  malades,  et  l'on 
dira  que  vous  n'avez  pas  l'esprit  de  votre  état,  ce 
quLÏ  lie  sera  -me  trop  véritable. 

L" ordre  que  vous  n'aurez  jamais  aimé  ne  fera 


—   267  — 

pas  plus  vos  délices  quand  vous  serez  prêtre,  qu'il 
ne  les  faisait  quand  vous  étiez  séminariste.  La 
fermeté  de  volonté  qu'exige  l'observation  d'un 
règlement  étant  aniipaihique  à  votre  caractère, 
vous  n'aurez  rien  de  précis  et  de  méthodique  dans 
l'exercice  de  vos  fonctions.  Vous  direz  votre  messe 
tantôt  d'assez  bonne  heure  et  tantôt  fort  tard  ;  vous 
confesserez  quand  le  confessionnal  ne  vous  inspi- 
rera pas  trop  de  répugnance  ;  et  quand  il  en  sera 
autrement,  vous  ferez  dire  à  vos  pénitents  de  ne 
pas  vous  attendre  et  de  revenir  un  autre  jour,  ce 
qui  pourra  rebuter  quelques  vieux  pécheurs,  et 
faire  avorter  plus  d'une  conversion. 

Enfm  vous  serez  à  charge  à  totre  curé,  à  la 
paroisse  et  à  vous-même  ,  car  les  caractères  mous 
et  apathiques  ne  goûtent  pas  plus  de  consolations 
dans  le  service  de  Dieu  qu'ils  n'en  procurent  aux 
autres. 

Mais  vous  ne  serez  pas  toujours  vicaire,  et  quand 
une  cure  vous  sera  contiée,  vous  croirez  voir  le 
paradis  terrestre  vous  ouvrir  ses  portes.  La  joie 
que  vous  éprouverez  ne  sera  pas  partagée  par  les 
saints  prêtres  qui  connaîtront  votre  fonds  de  mol- 
lesse ;  ils  plaindront  la  paroisse  qui  vous  aura  pour 
pasteur,  et  malheureusement  ils  auront  raison  de 
la  plaindre. 

Ah  1  cher  et  tendre  ami,  si  vous  saviez  combien 
est  désolant  le  ministère  d'un  curé  sans  énergie 
et  sans  zèle  !  Parce  qu'il  ne  voit  point  dans  sa 
conduite  ces  affreux  désordres  qui  scandalisent  et 
révoltent  les  peuples,  il  se  tranquillise  et,  se  for- 
mant une  assez  bonne  opinion  de  lui-même,  il 
laisse  tomber  dans  les  éternels  abîmes  une  multi- 


—   268  — 

tude  d'âmes  qu'il  devrait  sauver.  Il  n'égorge  pas 
ses  brebis,  et  c'est  ce  qui  le  rassure  ;  mais  il  les 
laisse  périr  d'inanition  et  de  misère,  et  c'est  ce 
qui  ne  le  touche  point.  Que  de  pasteurs  mous, 
lâches,  amateurs  du  repos  et  de  la  vie  commode, 
auront  à  répondre  de  tant  de  pécheurs  qu'ils  au- 
raient pu  et  dû  ramener  à  Dieu  avec  un  peu  de 
zèle  et  d'énergie  ! 

Mais  revenons  à  vous  et  voyons  quel  curé  vous 
serez  avec  votre  nature  froide  et  inactive. 

Les  premiers  jours  peut-être,  vous  puiserez  dans 
la  joie  que  vous  éprouverez  une  espèce  d'ardeur 
que  vous  prendrez  pour  du  zèle.  Il  vous  semblera 
qii:  votre  changement  d'état  aura  changé  aussi 
vos  dispositions  habituelles.  Le  plaisir  que  vous 
aurez  à  vous  dire  :  «  Je  suis  maître  de  mes  actes  ;  » 
la  joie  de  vous  voir  à  la  tête  d'un  troupeau,  et  de 
pouvoir  dire  en  contemplant  vos  paroissiens  grou- 
pés autour  de  la  chaire  :  «  Yoilà  mes  brebis  ;  »  le 
doux  résonnement  du  titre  de  curé  qui  chatouil- 
lera délicieusement  vos  oreilles  :  tout  cela,  nous 
le  répétons,  vous  électrisera  pendant  quelques 
jours  et  vous  fera  croire  que  le  temps  de  l'indo- 
lence sera  passé  :  illusion  !  illusion  !  La  joie  du 
début  sera  de  courte  durée  ;  elle  passera  bientôt, 
et  ce  que  vous  preniez  pour  un  élan  de  zèle  sera 
remplacé  par  votre  ancienne  apathie. 

Le  travail  vous  sera  toujours  à  charge  ;  et  comme 
il  sera  plus  abondant  encore  qu'au  temps  de  votre 
vicariat,  vous  en  omettrez  une  partie,  et  le  peu 
que  vous  vous  imposerez,  vous  le  ferez  sans  fer- 
veur,  sans  consolation,  sans  mérite  et  sans  fruit. 

Vous  verrez  votre  paroisse  remplie  de  pécheurs, 


—  269  — 

et  vous  ne  ferez  pas  une  démarche  sérieuse  pour 
essayer  de  les  convertir.  Yous  vous  habituerez  à 
les  voir  pendant  presque  toute  leur  vie  éloignés 
des  sacrements,  et  s'ils  vous  laissent  tranquille 
dans  votre  église  et  votre  presbytère,  vous  les 
laisserez  tranquilles  eux-mêmes  dans  leur  mau- 
vaise voie. 

Yous  gémirez  ])ien  quelquefois  avec  vos  con- 
frères sur  le  relâchement  des  chrétiens  en  général, 
mais  vous  vous  bornerez  à  en  gémir.  Yous  direz 
que  vos  paroissiens  ne  sont  pas  foncièrement  mau- 
vais, mais  qu'ils  sont  seulement  indifférents  et 
apathiques,  et  vous  ne  voudrez  pas  voir  dans  leur 
apathie  le  reflet  et  la  conséquence  de  la  vôtre. 

Avec  un  peu  de  réflexion,  vous  comprendriez 
tout  à  l'heure  que  la  torpeur  de  l'indifférence  ne 
peut  être  efficacement  combattue  que  par  le  stimu- 
lant du  zèle  ;  mais,  ne  pouvant  obéir  aux  inspira- 
tions du  zèle  sans  de  vigoureux  efforts,  et  ne  vou- 
lant, d'un  autre  côté,  vous  imposer  aucune  vio- 
lence, ni  même  aucun  embarras  ou  contrainte, 
vous  laisserez  périr  les  âmes  dont  vous  aurez  la 
charge  sans  voler  à  leur  secours  comme  le  font 
les  saints  prêtres. 

Yous  trouverez  que  tout  va  bien  pourvu  que  l'on 
ne  meure  pas  sans  vous  appeler  au  moment  de  la 
mort  ;  et  toute  une  vie  de  péchés  et  de  désordres 
sera  rachetée  à  vos  yeux  par  la  confession  si  peu 
rassurante  de  la  dernière  heure. 

Yous  n'aurez  point  recours  aux  moyens  extraor- 
dinaires qu'un  zèle  ardent  emploie  pour  la  ré- 
génération des  paroisses  :  stations  d'avent  et  de 
carême ,    mois  de  Marie ,   adoration  perpétuelle, 


—   270  — 

établissement  de  confréries,  neuvaines  ou  retraites, 
missions  surtout,  plus  salutaires  encore  que  tout 
le  reste  ;  autant  d'armes  puissantes,  entre  les  mains 
d'an  pasteur  zélé,  pour  attaquer  et  vaincre  les 
pécheurs.  Les  emploierez-vous  ces  armes?  Non  : 
la  crainte  du  mouvement  et  du  travail  paralysera 
votre  àme  languissante,  et  vous  serez  sourd  à 
la  voix  de  Dieu  qui  vous  criera  par  son  prophète  : 
Confortate  manus  dissolu tas^  et  gcnua  dehilia  robo- 

rate Confortamini  et  nolitc  timere,   ecce  Deus 

vester  idtioncm  adducet  retributionis. 

A  quoi  donc  se  réduira  votre  ministère?  C'est 
pénible  à  dire,  mais  malheureusement  ce  n'est  que 
trop  vrai  :  recevoir  les  pécheurs  qui  viendront 
d'eux-mêmes  ;  ne  courir  jamais  après  ceux  qui  ne 
viendront  point  ;  fatiguer  les  paroissiens  par  des 
sermons  vagues,  décousus,  froidement  écrits  et 
débités  plus  froidement  encore  ;  peu  de  zèle  pour 
les  malades,  peu  de  goût  pour  le  saint  tribunal, 
peu  d'attrait  pour  l'étude,  peu  d'empressement 
pour  les  bonnes  œuvres,  amour  du  repos,  horreur 
de  tout  ce  qui  demande  du  nerf  et  de  l'action,  vie 
lâche,  en  un  mot,  et  absolument  opposée  à  celle 
que  le  grand  Apôtre  demandait  à  Timothée  quand 
il  lui  disait  :  Labora  sicut  bonus  miles  Christi..,. 
Prœdica  verbum,  insta  opportune,  importuné,  argue, 
obsecra,  increpa  in  omni patientiâ  et  doctrinâ. 

Laisser  faire,  et  ne  faire  presque  rien  vous-même, 
telle  sera  votre  devise  ;  et  cette  devise,  publique- 
ment affichée  et  bien  connue,  vous  fera  la  réputa- 
tion d'un  prêtre  sans  zèle,  insensible  à  tout  ce  qui 
s'appelle  bonnes  œuvres,  conversion  et  salut  des 
âmes. 


—  271   — 

Votre  église,  votre  maison,  vos  affaires  tempo- 
relles, tout  se  ressentira  de  votre  fonds  de  mollesse; 
pas  d'ordre,  pas  d'exactitude,  pas  de  soin,  pas  de 
vigilance  :  tout  cela  demanderait  des  efforts,  et 
vous  en  serez  incapable. 

Quel  malheur  si  vous  avez  un  vicaire  !  Instruit 
à  votre  école,  avec  l'inclination  naturelle  qu'il  aura 
comme  tout  le  monde  au  repos  et  au  plaisir, 
comment  se  formera-t-il  au  zèle  et  à  la  pratique 
du  saint  ministère,  si  celui  qui  devrait  être  son 
modèle  lui  donne  à  chaque  instant  l'exemple  de 
la  négligence  et  de  la  lâcheté  ? 

Est-il  nécessaire  d'ajouter  qu'on  retrouvera  votre 
langueur  dans  vos  exercices  spirituels  comme  dans 
tout  ce  qui  vient  d'être  dit?  Quelle  piété  peut  jaillir 
du  cœur  froid  et  engourdi  d'un  prêtre  indolent  et 
sans  zèle?  Aussi  vous  bornerez  -  vous  ,  en  fait 
d'œuvres  pieuses,  au  strict  nécessaire  :  la  messe, 
le  bréviaire  et  je  ne  sais  quelle  ombre  d'oraison, 
souvent  omise  et  toujours  mal  faite  ;  voilà  les 
seules  prières  dont  vous  conserverez  l'usage.  Plus 
de  lectures,  plus  d'examens,  plus  de  visites  au 
saint  sacrement,  absence  totale  de  ces  saintes  pra- 
tiques qui  font  les  délices  du  prêtre  fervent  et  qui, 
seules,  pourraient  vous  faire  sortir  du  triste  état 
dans  lequel  vous  gémirez  toute  votre  vie  :  oui, 
toute  votre  vie,  jeune  ami,  car,  pensez-y  bien, 
c'est  chose  inouïe  de  voir  revenir  à  la  ferveur  le 
prêtre  qui  s'est  fait  une  habitude  de  la  tiédeur  et 
de  la  non-chalance. 

Recourez  donc  aux  moyens  qui  vont  vous  être 
indiqués  pour  remédier  à  un  mal  si  grave  en  lui- 
même  et  si  funeste  dans  ses  conséquences. 


—   272  — 
III 

—  Pénétrez-vous  bien  d'abord  de  cette  vérité 
que,  parmi  toutes  les  professions,  il  n'en  est  au- 
cune qui,  pour  être  parfaitement  exercée,  demande 
autant  d'activité,  d'ardeur,  d'abnégation,  de  géné- 
reux dévouement  et  d'énergie  de  volonté  que  la 
profession  sacerdotale  en  exige  de  celui  qui  l'em- 
brasse. Un  prêtre,  vraiment  prêtre,  doit  se  dire  à 
lui-même  avec  une  foi  vive  :  Je  suis  chargé  du 
ministère  le  plus  éminent  par  sa  dignité,  mais  le 
plus  effrayant  par  la  responsabilité  qu'il  impose  ; 
je  ne  m'appartiens  plus,  je  me  dois  tout  entier  aux 
âmes  dont  j'ai  la  charge;  mes  prières,  mes  travaux, 
mes  veilles,  mon  temps,  ma  santé,  ma  vie  même, 
tout  cela,  sans  en  excepter  la  moindre  parcelle, 
doit  être  consacré  au  salut  des  âmes.  Pour  le  pro- 
curer, ce  salut,  je  ne  dois  jamais  me  laisser  abattre 
ni  par  les  tentations,  ni  par  les  persécutions,  ni 
par  le  peu  de  succès  de  mes  entreprises  :  toujours 
en  haleine,  je  dois,  comme  saint  Paul,  oublier  ce 
que  j'ai  fait  pour  ne  penser  qu'à  ce  qui  me  reste 
à  faire,  de  manière  à  pouvoir  dire  avec  ce  grand 
Apôtre  sur  mon  lit  de  mort  :  Bonum  certamen  cer- 

tavi,  cursum   consummavi in  reliquo  reposita 

est  mihi  corona  justidœ. 

Or,  n'est-il  pas  évident  qu'une  telle  vie  demande 
une  dose  énorme  dactivité,  de  zèle  et  d'ardeur? 
et  le  prêtre  mou,  indolent,  sans  courage  et  sans 
énergie  pourra-t-il  jamais  exercer  avec  fruit  les 
fonctions  si  variées,  si  importantes  et  si  difficiles 
de  son  divin  sacerdoce  ? 


—   273   — 

—  Quand  vous  aurez  acquis  la  conviction  que 
vous  êtes  mou  et  lâche  par  nature,  résistez  vigou- 
reusement à  la  mauvaise  inspiration  que  vous 
aurez  de  céder  au  torrent,  vous  persuadant  que 
vous  lutteriez  en  vain  contre  le  courant  qui  vous 
entraîne.  Sans  doute  la  victoire  n'est  pas  aisée  : 
on  peut  tout  attendre  d'un  homme  énergique  qui 
a  la  force  de  vouloir  et  d'exécuter  ce  qu'il  veut  ; 
mais  on  doit  tout  craindre  de  la  part  d'un  lâche  qui 
tremble  devant  un  obstacle.  Cependant  il  peut 
toujours,  en  s'appuyant  sur  Dieu,  s'appliquer  les 
paroles  de  saint  Paul  et  dire  comme  lui  :  Omnia 
possum  in  eo  qui  me  confortât. 

—  Puisque  vous  avez  vu  le  terme  fatal  où  la 
lâcheté  conduit,  et  puisque,  nous  le  supposons, 
vous  en  avez  été  effrayé,  revoyez  ce  qui  vous  a 
touché  ;  faites-en  la  matière  de  vos  méditations  les 
plus  ordinaires  ;  lisez  souvent  ce  chapitre  qui  vous 
convient  mot  pour  mot  ;  priez  Lieu  pendant  cette 
lecture  qu'il  vous  donne  le  courage  d'en  bien 
profiler,  et,  pour  vous  stimuler,  adressez-vous  de 
temps  en  temps  cette  question  que  l'Esprit-Saint 
vous  adresse  lui-même  :  Usquepo,  piger,  dormies  ? 

—  Entrez  résolument  dans  la  voie  des  sacrifices. 
Jamais  vous  ne  triompherez  de  votre  lâcheté,  si 
vous  n'acquérez  pas  l'esprit  de  mortification  et  de 
renoncement  à  vos  aises.  Si  cela  vous  répugne, 
concluez  que  vous  en  avez  par  cela  même  un 
pressant  besoin.  Dites-vous  quand  cette  répugnance 
se  fera  sentir  :  Cela  me  coûte,  il  est  vrai,  mais 
vaut-il  mieux  périr  en  m' épargnant,  que  de  me 
sauver  en  combattant  ?  Puisqu'il  faut  résister  ou 
mourir,  résistons  ;  puis,  appelez  Dieu  à  votre  aide 


—  274  — 

et  dites-lui  du  fond  du  cœur  :  Deus  in  adjutoriiim 
meiim  intencle. 

—  Si  vous  ne  pouvez  pas  d'abord  faire  tous  les 
sacrifices  qui  vous  seront  demandés,  faites-en  du 
moins  quelques-uns,  et  notez  chacun  d'eux  comme 
une  victoire.  Imposez-vous  dans  votre  méditation 
du  matin  un  ou  deux  sacrifices  pendant  la  journée  ; 
déterminez  d'avance  ces  sacrifices ,  et  quand  le 
moment  de  les  faire  sera  venu,  armez-vous  de  cou- 
rage, implorez  l'assistance  de  Jésus  et  de  Marie, 
et  soyez  sur  que  cette  assistance,  qui  n'est  jamais 
refusée  à  celui  qui  la  réclame,  produira  son  effet. 

—  Si  vous  succombez,  relevez-vous  avec  éner- 
gie ;  punissez-vous  de  votre  infidélité  ;  faites  à 
l'instant  même  quelque  œuvre  qui  vous  coûte, 
pour  remplacer  par  ce  nouveau  sacrifice  celui 
devant  lequel  vous  avez  reculé. 

—  Observez  avec  une  inviolable  fidélité  le  rè- 
glement du  séminaire.  Astreignez-vous  même  à  un 
règlement  particulier  qui  fixe  l'ordre  de  vos  étu- 
des, vos  pratiques  de  piété,  la  manière  de  faire  vos 
actions,  etc.  Ne  faites  pas  ce  second  règlement 
trop  sévère  d'abord,  mais  tenez  ferme  à  l'exécution 
des  points  que  vous  aurez  arrêtés.  Rien  ne  fortifie 
la  volonté  comme  l'assujettissement  à  une  règle. 
L'homme  qui  vit  sans  règle  est  un  lâche  ;  sa  règle 
est  sa  mauvaise  nature  qui  ne  vit  que  de  liberté 
et  d'indépendance.  Il  fait  ce  qu'il  lui  plaît,  c'est-à- 
dire  qu'il  ne  fait  que  rarement  et  par  boutade  ce 
que  Dieu  lui  commande. 

Embrassez  la  piété,  non  pas  une  piété  ordinaire 
et  commune,  mais  une  piété  hors  ligne.  Vous  ne 
vous  figurez  pas  Ténergie  qu'elle  vous  procurera  \ 


—  275  — 

vous  ne  comprendrez  pas  l'étonnant  changement 
qu'elle  opérera  en  vous  si  vous  la  laissez  agir  selon 
sa  nature.  La  piété  fait  des  prodiges  quand  on  en 
suit  les  inspirations.  Elle  éclaire,  elle  console,  elle 
fortifie,  elle  élève  les  sentiments,  elle  plie  la  vo- 
lonté et  elle  donne  du  courage  aux  hommes  les 
plus  lâches  et  les  plus  apathiques. 

—  approchez  souvent  des  sacrements  ;  faites 
hien  connaître  à  votre  directeur  le  fonds  de  mol- 
lesse qui  est  en  vous;  signalez-lui  particulièrement 
les  points  sur  lesquels  vous  avez  ordinairement 
le  plus  de  reproches  à  vous  faire,  et  demandez-lui 
comme  une  grâce  de  vous  imposer  pour  pénitence 
certains  exercices  pour  lesquels  vous  avez  natu- 
rellement peu  d'attrait. 

—  Adoptez  l'usage,  si  votre  directeur  vous  le 
permet,  de  quelques  pénitences  corporelles.  Chez 
les  hommes  mous,  c'est  la  chair  qui  domine  ;  c'est 
donc  aller  à  la  source  du  mal  que  d'attaquer  cette 
chair  rebelle.  Si  vous  y  faites  attention,  vous  verrez 
que  toujours  la  volonté  se  fortifie  à  mesure  que 
les  appétits  charnels  s'afTaiblissent.  Les  plus  grands 
sacrifices  ne  sont  rien  pour  un  vrai  pénitent  ;  les 
plus  petits,  au  contraire,  rebutent  et  déconcertent 
les  hommes  sensuels  et  immortifiés. 

—  Étendez  l'horizon  de  votre  zèle.  Regardez  un 
prêtre  sans  zèle  comme  un  corps  sans  âme.  Yoyez 
la  terre  peuplée  de  pécheurs  qui  tombent  en  enfer 
partorrents.  Souvenez-vous  que  leprètre  est,  par  sa 
profession,  leur  père  et  leur  sauveur.  Rougissez  à 
la  simple  pensée  d'être  un  prêtre  froid,  insouciant  et 
sans  entrailles  à  l'égard  des  hommes  pour  lesquels 
Jésus-Christ  a  versé  tout  le  sang  de  ses  veines. 


—  276   — 

—  Parlez  souvent  à  vos  condisciples  du  zèle  et 
des  merveilles  qu'il  produit  quand  un  prêtre  en 
est  embrasé.  Imaginez  d'avance  les  œuvres  que 
vous  entreprendrez  pour  la  convereion  des  pé- 
cheurs. Entrez  dans  les  sentiments  de  saint  Fran- 
çois-Xavier qui,  pendant  qu'il  traversait  les  mers, 
soupirait  après  le  moment  où  il  allait  se  dévouer 
au  salut  de  ses  chers  Indiens.  Vous  aussi,  soupi- 
rez après  le  jour  où  vous  pourrez  dépenser  vos 
forces  et  votre  vie  au  profit  des  pécheurs  qui  vous 
attendent. 

Tels  sont,  jeune  et  tendre  ami,  les  généreux 
sentiments  que  vous  devez  donner  comme  contre- 
poids à  cette  misérable  apathie,  qui  ferait  de  vous 
un  fantôme  de  prêtre.  Soyez  un  bon  laïque  plutôt 
qu'un  prêtre  tiède,  et  ne  vous  chargez  que  de 
votre  àme,  si  vous  n'avez  pas  le  courage  de  vous 
consacrer  au  salut  de  celles  de  vos  frères. 

(Voyez  Pratique  du  zélé  ecclésiastique,  deuxième  partie, 
ch.IX,  page  258.) 


CHAPITRE  XI 


Le  séminariste  grossier,  incivil  et  mal  élevé. 

I 

Généralement,  on  peut  dire  que  le  prêtre  est 
appelé  à  vivre  au  milieu  du  monde  :  c'est  là  qu'il 
doit  déployer  son  zèle  et  exercer  son  apostolat.  Il 
faut  donc,  non  pas  qu'il  soit  mondain,  Dieu  nous 


—  277 


garde  de  proférer  une  telle  parole  !  mais  qu'il  ^me 
le  monde  par  un  certain  tempérament  de  bien- 
séance et  de  simplicité  qu'il  est  assez  difficile  de 
bien  concilier.  S'il  est  agreste  et  grossier,  on  le 
méprise;  s'il  est  élégant  et  maniéré,  on  le  raille- 
et  dans  ces  deux  cas  il  paralyse  les  fruits  de  son 
divin  ministère. 

Le  temps  du  séminaire  est  le  temps  des  réfor- 
mes :  cest  là  qu'il  faut  s'étudier,  se  plier,  se  fa- 
çonner, pour  être  plus  tard  ce  que  l'on  ne  serait 
.lamais  si  1  on  n  avait  pas  pris,  dès  le  principe,  une 
direction  convenable. 

Essayons  de  faire  bien  connaître  l'incivilité  et  le 

J'^'^T  Y"  ^T'-^°'  1"'  ™^"q"«  à  plusieurs 
autres  ._  il  est  manifeste  et  saillant;  il  est  même 
SI  exteneur  qu'on  serait  presque  tenté  de  croire 

n'iiitsr^'^'""^^"^^"'"^^- ''---- 

Voyons  ses  caractères. 

Le  séminariste  incivil  et  grossier  est  quelque- 
fois te  par  nature  ;  mais,  le  plus  souvent.'sa  lour- 
deur et  sa  grossièreté  sont  la  conséquence  d'une 
première  éducation  qui  n'a  pas  été  cultivée 

Des  qu'on  le  voit,  on  le  juge.  Se  trouvant  au 
semmaire  avec  plusieurs  élèves  qui  n'ont  point  ses 

dTcirste"^'^"'^^^^'  °"  -'  -^-^-'^-P  ^-PP'^ 
Il  a  presque  toujours  le  verbe  très-haut.  II  de- 
vrait parler  moins  que  les  autres,  et,  au  contraire, 
ce  tlu.  qui  donne  le  ton  dans  les  conversations 
Il  est  très-fort  sur  les  grosses  plaisanteries  qui 

16 


—  278  — 

provoquent  un  gros  rire  :  il  a  une  ample  provision 
de  dictons  populaires  qu'il  prend  pour  des  bons 
mots,  et  qu'il  débite  avec  un  laisser-aller  qui  tou- 
che de  bien  près  à  la  trivialité. 

Il  manie  sans  façon  l'épigramme  ;  mais  malheur 
à  celui  contre  qui  il  la  dirige  !  Ses  épigrammes  ne 
sont  pas  des  traits  aigus,  ce  sont  des  massues  : 
elles  ne  percent  pas,  elles  assomment. 

Il  est  fort  redouté  dans  les  discussions  ;  sa  voix 
domine  toutes  les  autres,  et  cet  ascendant,  qui 
n'est  pas  son  moindre  argument,  exerce  une  telle 
compression  sur  ses  adversaires,  qu'ils  aiment 
mieux  s'avouer  vaincus  que  d'en  venir^aux  mains 
avec  ce  rude  jouteur. 

Gardez-vous  de  le  contredire  ou  de  le  froisser, 
car  le  premier  mot  qu'il  vous  adresserait  serait 
presque  une  injure. 

Il  se  permet  souvent  des  bouffonneries  très-mes- 
séantes  ;  il  raconte  des  anecdotes  plus  que  légères, 
et  laisse  échapper  des  expressions  qui  étonnent  et 
scandalisent  même  ses  condisciples. 

Il  contrefait  les  paysans,  les  hommes  du  peuple, 
et  connait  si  bien  leur  langage,  qu'en  l'entendant 
on  croit  les  entendre  eux-mêmes. 

Quelquefois,  dans  l'intimité,  il  hasarde  une  chan- 
sonnette un  peu  grivoise  qu'un  élève  ecclésiastique 
ne  devrait  jamais  se  permettre. 

Quant  à  ses  actes  extérieurs,  ils  marchent  de 
pair  avec  ses  paroles.  La  modestie,  qui  doit  être, 
par  excellence,  la  vertu  d'un  élève  du  sanctuaire, 
lui  est  à  peu  près  inconnue.  Il  y  a  je  ne  sais  quoi 
de  lourd  et  de  rustique  dans  son  allure  qui  déjà 
lui  ravit  le  respect  que  commande  la  bonne  tenue. 


—  279  — 

Il  aime  le  jeu  ;  mais  les  jeux  qu'il  préfère  sont 
ceux  qu'il  devrait  s'interdire.  11  frappe  ses  condis- 
ciples sur  l'épaule,  il  les  pousse,  il  leur  prend  la 
main  d'un  air  de  camaraderie,  et  quelquefois  même 
se  faisant  lutteur,  il  se  livre  cavalièrement  aux 
exercices  du  pugilat. 

Pendant  les  promenades  et  même  dans  les  rues 
de  la  ville,  il  ne  s'impose  aucune  retenue  ;  il  re- 
garde tout  ce  qui  l'entoure  ;  il  rit  bruyamment  de 
ce  qu'il  voit  ou  de  ce  qu'il  raconte,  et  si  tous  les 
séminaristes  étaient  aussi  peu  modestes  que  lui, 
la  rencontre  de  cette  assemblée  d'élèves  ecclésias- 
tiques ne  serait  rien  moins  qu'édifiante  pour  les 
gens  du  monde. 

Pendant  les  vacances,  il  est  à  peu  près  ce  qu'il 
était  avant  d'entrer  au  séminaire.  On  s'attendait  à 
le  trouver  modeste,  réservé,  mesuré  dans  ses  pa- 
roles, dans  sa  tenue  et  dans  l'ensemble  de  sa  con- 
duite ;  mais  il  n'en  est  rien.  Toujours  même 
épanchement,  même  jovialité,  mêmes  bouffonne- 
ries. Il  passe  des  heures  et  presque  des  jours  avec 
des  personnes  de  bas  étage,  dans  des  maisons 
où  sa  présence  n'édifie  guère.  C'est  là  qu'il  seplait, 
et  cela  se  conçoit  ;  il  a  dans  ces  maisons  ses  cou- 
dées franches,  selon  l'expression  vulgaire  ;  il  y 
prend  des  récréations  selon  ses  goûts  ;  il  y  parle 
tout  à  son  aise  et  il  y  rit  à  gorge  déployée  sans  la 
moindre  contrainte. 

Il  est  dans  son  habillement  d'une  négligence 
qui  dépasse  notablement  les  bornes  de  la  simplicité. 
Ses  vêtements  sont  sales,  déchirés  et  couverts  de 
taches.  Sa  chevelure  est  dans  un  désordre  qui  ne 
fait  pas  plus  que  tout  le  reste  l'éloge  de  sa  propreté. 


—  280  — 

Bref,  l'ensemble  de  son  costume  et  de  sa  personne 
extérieure  fait  sourire  ceux  qui  ne  gémissent  pas, 
et  annonce  tout  d'abord  un  jeune  homme  mal  élevé. 
Si  vous  entrez  dans  sa  cellule,  vous  la  trouvez 
en  rapport  parfait  avec  les  habitudes  de  celui  qui 
l'habite.  Tout  y  est  en  désordre  ;  rien  pour  ainsi 
dire  n'y  est  à  sa  place,  et  dès  le  premier  coup  d'œil, 
vous  avez  l'idée  de  la  négligence  et  de  la  saleté. 
On  voit  assez,  par  tout  ce  qui  précède,  qu'un 
tel  séminariste  doit  être  complètement  étranger  à 
ce  qui  s'appelle  égard,  politesse,  tact,  complaisance 
et  délicatesse  de  sentiments.  Ces  aimables  conve- 
nances, dont  la  bonne  éducation  fait  un  devoir  et 
que  la  loi  chrétienne  recommande  comme  autant 
de  liens  sociaux,  ne  sont  nullement  de  son  goût  ; 
ce  sont,  selon  lui,  des  espèces  de  minauderies  au- 
dessus  desquelles  il  s'élève  de  toute  la  hauteur  de 
ses  dédains  :  aussi  le  regarde-t-on  généralement 
comme  im  rustre  qui,  devenu  prêtre,  ne  sera  pas 
même  à  sa  place  au  fond  d'un  village. 

Faut-il  s'étonner  si,  faisant  quelques  visites  à 
des  personnes  du  monde  pendant  les  vacances, 
il  les  affecte  péniblement  par  sa  mauvaise  tenue  ? 
Quand  surtout  il  s'affranchit  des  règles  de  la  civi- 
lité dans  la  manière  dont  il  se  présente,  dans  les 
conversations  qu'il  tient,  dans  les  licences  qu'il  s'ac- 
corde, dans  une  multitude  d'inconvenances  et  de 
gaucheries  qui  lui  échappent,  comment  peut-il  se 
soustraire  au  reproche  de  grossièreté  qu'on  lui  fait 
à  si  juste  titre  ?  Comment  peut-il  compter  sur  le 
respect,  l'estime  et  la  confiance  des  peuples  ? 

Tel  est,  sans  exagération,  le  portrait  d'un  sémi- 
nariste incivil  et  mal  élevé.  Il  dira  peut-être  qu'on 


—  281  — 

a  vu  chez  plusieurs  saints  cet  extérieur  négligé 
dont  nous  voulons  lui  faire  opérer  la  réforme. 
Nous  répondrons  que,  communément,  les  saints 
observaient  la  loi  des  convenances  ;  qu'ils  l'obser- 
vaient surtout  quand,  comme  le  prêtre,  ils  étaient 
appelés  à  vivre  au  milieu  du  monde  et  à  fréquen- 
ter les  classes  élevées  de  la  société.  Nous  répon- 
drons, en  se  condlieu,  que  plusieurs  saints,  tels  que 
saint  Jérôme,  saint  Ambroise,  saint  Grégoire  de 
Nazianze,  saint  Bernard,  saint  Bonaventure  et 
d'autres  encore,  sont  entrés  dans  les  plus  petits 
détails  sur  les  points  que  nous  avons  signalés,  et 
ont,  à  cet  égard,  tracé  des  règles  bien  plus  éten- 
dues que  celles  que  nous  venons  de  tracer  nous- 
mème.  Nous  répondrons  enfin  que  les  saints  qui 
étaient  un  peu  négligés  dans  leur  extérieur,  rache- 
taient cette  négligence  par  une  sainteté  si  éminente 
qu'elle  ravissait  tout  le  monde,  sainteté  qui,  mal- 
heureusement, n'est  pas  pour  l'ordinaire  l'apanage 
du  séminariste  dont  il  est  ici  question. 

Il  dira  peut-être  encore  que  cette  négligence, 
après  tout,  n'est  pas  un  péché,  qu'elle  peut  s'allier 
avec  une  vertu  solide  et  qu'elle  est  à  peu  près 
sans  conséquence.  Nous  ne  saurions  mieux  répon- 
dre à  cette  objection  qu'en  montrant  les  effets  du 
défaut  dont  nous  venons  d'assigner  les  caractères. 


II 


Si  vous  vous  êtes  reconnu  dans  le  tableau  qui 
vient  de  vous  être  présenté,  voici,  jeune  ami,  l'a- 
venir qui  vous  attend. 

Yous  serez  raillé  et  méprisé  par  les  gens  du 
n.  16. 


—  282  — 

monde.  Ils  s'amuseront  à  vos  dépens  dans  leurs 
sociétés,  et  au  lieu  de  les  gagner  par  votre  modes- 
tie et  votre  bonne  tenue,  vous  les  rebuterez  par 
votre  ton,  vos  manières  et  votre  ignorance  absolue 
de  ce  qu'ils  appellent  le  savoir-vim^e . 

Si  vous  avez  des  qualités  et  même  quelques 
vertus  réelles,  ou  elles  seront  suréminentes  ou  elles 
seront  ordinaires.  Si  elles  sont  suréminentes,  on 
en  fera  l'éloge  ;  mais,  après  cet  éloge,  on  expri- 
mera le  regret  que  vous  altériez  ce  qu'il  y  aura  de 
bien  en  vous  par  des  défectuosités  choquantes  ;  si 
vos  vertus  sont  ordinaires,  on  n'en  dira  rien  et 
l'on  ne  parlera  de  vous  que  pour  s'égayer  par  de 
mordantes  critiques. 

Vous  enfreindrez  les  premiers  devoirs  de  la  ci- 
vilité, soit  par  des  paroles  inconvenantes,  soit  par 
la  suppression  de  visites  indispensables,  soit  par 
quelques  manques  de  complaisance  et  d'égards  que 
le  monde  considère  comme  des  fautes  notables. 

Vous  n'aurez  pas  même  l'estime  du  menu  peu- 
ple dont  vous  vous  croirez  l'idole.  Les  gens  de  cette 
classe  aimeront  sans  doute  à  causer  et  à  rire  avec 
vous  ;  mais,  au  fond,  ils  trouveront  que  vous  des- 
cendez trop  bas  dans  l'échelle  de  la  simplicité  ;  car 
s'ils  veulent  qu'un  prèlre  soit  bon  et  affable  envers 
chacun,  ils  veulent  qu'il  soit  digne,  modeste  et  ré- 
servé envers  tout  le  monde. 

Vous  aurez  bien  plus  de  laisser-aller  encore  dans 
le  monde,  que  vous  n'en  aviez  pendant  le  temps 
de  votre  séminaire.  Familiarisé  avec  un  certain 
jargon  populaire  que  vous  aurez  adopté  de  vieille 
date,  vous  vous  permettrez  des  expressions  fort 
peu  mesurées  ;    et  ces  expressions,  relevées  par 


—   283  — 

la  malignité,  seront  colportées  de  cercle  en  cercle 
et  vous  feront  une  réputation  d'incivilité  fort  nui- 
sible à  votre  ministère. 

Vous  blesserez  votre  curé  et  vous  encourrez  sa 
disgrâce  par  l'absence  complète  d'attentions  et 
d'honnêteté,  souvent  même  par  quelques-unes  de 
ces  expressions  souverainement  déplacées  dont  le 
souvenir  ne  s'efface  jamais  entièrement. 

Vous  blesserez  plus  encore  vos  vicaires,  quand 
vous  serez  curé,  par  la  rudesse  de  vos  formes,  l'a- 
mertume de  vos  reproches  et  la  verdeur  de  vos 
réprimandes. 

Votre  maison  sera  tenue,  non  pas  comme  le 
doit  être  la  maison  d'un  ecclésiastique,  mais  comme 
l'est  la  maison  d'un  homme  du  peuple  sans  éduca- 
tion. Elle  ne  respirera  que  la  saleté,  et  l'on  y 
trouvera  tout,  excepté  l'ordre  et  la  propreté  qui 
devraient  en  être  l'ornement. 

Vos  vêtements  seront  négligés  plus  encore  qu'au 
séminaire,  et,  sous  ce  nouveau  rapport,  vous  cho- 
querez ceux  qui  vous  verront,  par  une  mise  incon- 
venante dont  chacun  fera  la  matière  de  diverses 
railleries.  Vous  direz  adieu  au  rabat  et  à  la  cein- 
ture, et  la  couleur  native  de  votre  soutane  dispa- 
raîtra sous  les  taches  dont  elle  sera  couverte. 

Votre  église  sera  le  pendant  de  votre  maison. 
Dès  qu'ils  y  entreront,  ceux-là  même  qui  ne  vous 
connaîtront  pas,  devineront  que  l'ordre  et  la  pro- 
preté ne  sont  pas  les  traits  qui  vous  caractérisent. 
Ils  gémiront  sur  le  délabrement  et  la  saleté  dont 
la  maison  de  Dieu  leur  offrira  le  triste  spectacle, 
et  vous  seul  ne  verrez  pas  ce  qui  frappera  tout  le 
monde. 


—  284  — 

Votre  sacristie  surtout  vous  peindra  au  naturel. 
Elle  sera  la  reproduction  exacte  de  votre  chambre 
ou  de  votre  ancienne  cellule  du  séminaire.  Si  quel- 
que visiteur  s'y  présente  et  témoigne  le  désir  de 
voir  vos  ornements,  vous  tâcherez  d'éluder  sa  cu- 
riosité, sachant  bien  que  vous  n'aurez  à  lui  montrer 
que  des  lambeaux,  signe  trop  manifeste  de  votre 
incurie. 

La  chaire  elle-même  sera  le  théâtre  de  votre 
mauvais  goût.  Vous  y  ferez  entendre  des  trivialités 
indignes  d'elle,  des  comparaisons  trop  familières, 
des  tirades  trop  peu  voilées  sur  certains  vices,  et 
même  des  personnalités  si  directes,  qu'elles  vous 
attireront  des  reproches  violents  et  presque  tou- 
jours des  inimitiés  dont  vous  n'aurez  pas  le  droit 
de  vous  plaindre. 

Vous  parlerez  aux  enfants  dans  vos  catéchismes 
comme  un  maître  qui  se  respecterait  ne  voudrait 
pas  parler  à  ses  domestiques  ;  vous  les  humilierez 
par  des  grossièretés  indignes  d'une  bouche  sacer- 
dotale ;  vous  vous  permettrez  même  peut-être  des 
voies  de  fait,  ce  qui  n'est  pas  sans  exemple,  et  ces 
mauvais  traitements  venant  à  la  connaissance  de 
leurs  parents,  les  révolteront  et  les  indigneront, 
contre  vous. 

Votre  manque  d'éducation  vous  inspirera,  en 
mille  circonstances,  de  Tamertume  et  de  la  hauteur. 
Vous  soulèverez  des  discussions  intempestives, 
entraîné  que  vous  serez  par  l'amour  de  la  dispute. 
Vous  serez  impétueux  dans  l'attaque,  blessant 
dans  le  débat,  tenace  et  opiniâtre  dans  le  soutien 
de  vos  opinions,  et  irréconciliable  dans  vos  res- 
sentiments. 


—  285  — 

Enfin  vous  perdrez  par  votre  âpreté  de  mauvais 
ton,  par  vos  récriminations  sans  mesure,  par  vos 
discours  acerbes  et  emportés,  ce  que  vous  pouviez 
aisément  gagner  par  un  heureux  mélange  de  pru- 
dence, de  douceur,  de  charité,  de  bienséance  et  de 
modestie. 

Direz-vous  encore,  jeune  et  tendre  ami,  que  le 
défaut  qui  vous  est  signalé  peut  sympathiser  avec 
une  vertu  solide  et  qu'il  est  à  peu  près  sans  consé- 
quence? Non  sans  doute  ;  vous  serez  au  contraire 
frappé  des  effets  qu'il  produit,  et  vous  recourrez 
avec  empressement  aux  moyens  de  le  détruire. 


III 


—  Si  vous  êtes  sujot  au  défaut  que  nous  com- 
battons, commencez  par  vous  bien  convaincre  qu'il 
règne  en  vous.  Malheureusement  ce  n'est  pas 
chose  aisée  ;  car  il  est  d'expérience  que  ce  défaut, 
si  saillant  aux  yeux  des  autres  ,  échappe  presque 
toujours  à  celui  qui  en  a  contracté  l'habitude. 
Examinez-vous  donc  avec  attention  ;  rendez-vous 
un  compte  exact  de  votre  manière  d'être  en  ce  qui 
touche  vos  conversations  ,  vos  jeux  et  vos  ré- 
créations, votre  habillement,  votre  démarche,  l'en- 
semble de  votre  personne  extérieure,  la  tenue  de 
votre  cellule,  vos  relations  avec  le  prochain,  avec 
les  classes  supérieure,  moyenne  et  inférieure.  Ces 
diverses  considérations,  si  elles  sont  sérieuses,  ap- 
profondies et  fréquemment  renouvelées,  vous  ré- 
véleront ce  qu'il  y  a  chez  vous  de  répréhensible 
relativement  au  défaut  qui  nous  occupe. 

— ■  Pour  vous  éclairer  mieux  encore,  comparez- 


vous,  sur  les  divers  points  dont  nous  venons  de 
parler,  à  quelques-uns  de  vos  condisciples  qui  sont 
irréprochables  à  cet  égard.  Voyez  si  vous  retracez 
en  votre  personne  leur  modestie,  leurs  conversa- 
tions mesurées,  leur  bon  ton,  leurs  manières 
simples,  mais  toujours  dignes  et  convenables  ,  et 
notez  avec  soin  les  traits  qui  brillent  chez  eux  et 
que  vous  ne  remarquez  point  en  vous-même. 

—  Allez  plus  loin  encore,  et,  toujours  pour  vous 
éclairer,  adressez-vous  à  lun  de  vos  supérieurs  et  à 
quelques-uns  de  vos  condisciples,  les  priant  ins- 
tamment de  vous  dire  rondement  et  sans  détour 
ce  qu'ils  remarquent  en  vous  de  choquant,  sous  le 
rapport  de  la  modestie  et  de  la  bonne  tenue. 

—  Quand  vous  saurez  positivement  à  quoi  von  s 
en  tenir,  et  que  vous  verrez  clairement  ce  qui 
appellera  une  réforme,  convainquez-vous,  par  les 
réflexions  qui  précèdent,  de  la  nécessité  de  l'opé- 
rer. Pesez  devant  Dieu  ces  paroles  de  son  Apôtre  : 
Modestia  vestra  nota  sit  omnibus  hominihiis.  Rappe- 
lez-vous que  la  modestie  seule  est  une  éloquente 
prédication,  qui  concilie  T estime  des  peuples  aux 
ecclésiastiques  qui  la  possèdent,  et  que  l'immodestie 
et  la  grossièreté  produisent  infailliblement  des  effets 
tout  opposés. 

—  Cela  fait,  veillez  et  combattez.  Yeillez  d'abord 
sur  vos  paroles.  Considérez  la  matière  et  la  forme 
de  vos  conversations  ,  le  ton  de  votre  voix  ,  vos 
discussions  ,  vos  railleries  de  mauvais  goût,  vos 
expressions  inconvenantes  et  triviales;  puis  com- 
battez sans  ménagement  la  tentation  que  vous 
aurez  de  vous  permettre  ces  blâmables  écarts. 

—  Veillez  sur  tout  ce  qui  regarde  la  composi- 


—  287  — 

tiondii  visage.  Évitez  les  mouvements  de  tète  brus- 
ques et  fréquents;  n'ayez  poiutles  yeux  égarés  ou 
arrêtés  trop  fixement  sur  les  personnes  que  vous 
regardez,  et  tenez-les  pour  l'ordinaire  un  peu  bais- 
sés. Évitez  les  éclats  de  rire,  qui  prouvent  qu'on  s'ou- 
blie ;  mais  évitez  aussi  l'air  sombre  et  mélancolique, 
qui  annonce  qu'on  souffre  ou  qu'on  s'ennuie.  Enfin 
réalisez  en  vous  ce  conseil  si  sage  de  l'auteur  des 
Exameris  particuliers.  «  Ayez,  dit-il,  un  visage  gai, 
»  serein,  ouvert,  tranquille,  sans  gène,  sans  con- 
))  trainte,  qui  ait  un  certain  air  de  bonté,  de  dou- 
))  ceur  et  de  piété,  capable  de  gagner  les  cœurs  et 
»  de  les  porter  à  Dieu.  » 

—  Veillez  sur  votre  contenance  et  votre  posture. 
Tâchez  de  voir  commentvous  êtes  sur  ce  point;  com- 
ment vous  vous  tenez  quand  vous  êtes  assis,  quand 
vous  êtes  debout,  quand  vous  marchez,  quand  vous 
conservez,  quand  vous  jouez,  etc.  Soyez  sur,  si  vous 
avez  le  défaut  que  nous  combattons,  qu'il  y  a  bien  des 
réformes  àopéreren  vous  sous  ces  divers  rapports. 
Que  de  fois  nous  avons  entendu  des  personnes  du 
monde  bien  élevées  s'écrier,  en  parlant  d'un  ecclé- 
siastique qu'elles  n'avaient  pas  eu  l'occasion  de  voir 
jusque-là  :  Quel  mauvais  ton  !  quelles  mauvaises  ma- 
nières! quel  mauvais  genre!  ou,  au  contraire,  quand 
elles  entrouvaient  un  tout  différent  :  Quelle  bonne 
tenue  !  quel  air  aimable  !  quelle  édifiante  modestie! 

—  Voyez  si  votre  costume  est  convenable  ;  s'il 
n'est  pas  négligé  jusqu'à  la  saleté  ;  s'il  ne  forme 
pas  un  contraste  trop  frappant  avec  celui  de  vos 
condisciples  qui  se  distinguent  par  une  simplicité 
décente  dont  tout  le  monde  fait  l'éloge,  et  rectifiez 
sur  ce  point  tout  ce  que  vous  verrez  de  messéant. 


—  288  — 

—  Observez-vous  encore  quand  vous  faites  quel- 
ques sorties  en  ville,  quand  vous  êtes  en  cours  de 
visites,  et  tâchez  de  voir  s'il  n'y  a  point,  en  ces 
circonstances,  quelque  chose  de  lourd  et  d'agreste 
dans  votre  démarche,  dans  votre  ton,  dans  votre 
contenance  et  vos  manières.  Tout  cela  demande  de 
l'attention  du  tact  ;  mais  tout  cela  est  important, 
et  nous  pourrions  vous  citer  une  foule  de  saints  et 
de  conciles  qui  sont  entrés  bien  plus  minutieuse- 
ment que  nous  encore  sur  les  divers  points  que 
nous  vous  signalons. 

—  Voyez  aussi  quelle  est  votre  tenue  à  l'église. 
Que  de  négligence  quelquefois  à  cet  égard,  même 
dans  l'enceinte  du  séminaire  !  Quelle  légèreté  dans 
les  regards  !  quelle  immortification  dans  la  pos- 
ture 1  quel  disgracieux  abandon  dans  le  marcher, 
dans  l'attitude,  et  même  à  l'autel  dans  les  céré- 
monies qui  exigent  tant  de  décence  et  de  pieuse 
modestie  ! 

—  Ne  vous  persuadez  pas  aisément  que  vous 
êtes  irréprochable  sur  le  point  que  nous  traitons  : 
c'est  une  illusion  très-commune  et  qui  rend  inu- 
tiles les  conseils  du  zèle  et  de  l'expérience.  Pensez, 
au  contraire,  que  quelque  modeste  que  vous  soyez, 
vous  saisirez  encore  par  ci  par  là  certaines  négli- 
gences, si  vous  avez  incessamment  l'œil  ouvert 
sur  votre  personne  extérieure. 

—  N'alléguez  pas  non  plus,  pour  vous  soustraire 
aux  réformes  qu'exige  la  modestie,  que  devant, 
selon  toute  apparence,  exercer  le  saint  ministère 
dans  les  campagnes,  vous  pouvez  vous  dispenser 
de  considérer  la  bonne  tenue  comme  un  point  ca- 
pital. Ce  serait  encore  une  grande  illusion.  Les 


—  289  -- 

paysans  méprisent  bien  vite  ceux  qu'ils  n'estiment 
pas  :  ils  sont  souvent  sales  et  grossiers  ;  mais  ils 
ne  veulent  pas  qu'un  prêtre  leur  ressemble.  Croyez- 
nous,  jeune  ami,  nous  avons  entendu  bien  des  fois 
des  hommes.de  la  campagna,  qui  n'avaient  aucune 
éducation,  tourner  en  ridicule  et  flétrir  par  des 
critiques  mordantes  les  prêtres  qui,  par  leur  im- 
modestie, ne  faisaient  pas  respecter  le  sacerdoce 
en  leurs  personnes, 

—  Lisez,  de  temps  en  temps,  quelques  traités 
de  civilité.  Ces  livres  ne  sont  pas  assez  souvent 
entre  les  mains  des  séminaristes.  Si,  de  fois  à 
autres,  ils  les  voulaient  parcourir,  jamais  ils  ne  les 
liraient  sans  y  apprendre  quelque  chose  pour  la 
réforme  de  leur  extérieur. 

—  Méditez  enfin  cet  avis  si  sage  de  l'auteur  du 
Directoire  du  Preuve  :  «  Le  prêtre  est,  par  excel- 
»  lence,  l'homme  de  bonne  compagnie  ;  mais  pour 
»  être  irréprochable  en  public,  au  point  de  vue  de 
»  la  politesse,  il  faut  s'efforcer  de  l'être  en  son 
»  particulier  :  sans  s'en  apercevoir,  on  porte  en 
»  société  toutes  les  habitudes  défectueuses  de  la 
»  vi€  privée.  » 

(Voyez  Pratique  du  zèle  ecclésiastique^  première  partie, 
ch.  rv,  page  51.) 

(Voyez  aussi  Politesse  et  convenances  ecclésiastiques,  par  im 
Supérieur  des  éminaire.) 


n.  17 


—  290  — 


CHAPITRE   XII 


Le  séminariste  élégant  et  maniéré. 
I 

Le  chapitre  le  plus  goûté  de  notre  ouvrage  par 
le  séminariste  élégant,  sera,  sans  aucun  doute, 
celui  du  séminariste  incivil  et  mal  élevé.  A  ses 
yeux,  la  grossièreté  fustigée  sera  l'équivalent  de 
l'élégance  applaudie  ;  et  si  nous  ne  fustigions  pas 
cette  dernière  à  son  tour,  il  serait  plus  élégant  que 
jamais,  et  il  le  serait  sans  l'ombre  d'un  scrupule. 

Hâtons-nous  de  le  désabuser  en  lui  disant  que 
les  deux  excès  —  de  grossièreté  et  d'élégance  — 
sont  dignes  de  blâme,  selon  ces  paroles  de  saint 
Jérôme  à  son  disciple  Népotien  :  Ornatus  et  sordes 
pari  modo  fugiendi  sunt,  et  ajoutons  que,  selon 
saint  Ambroise,  la  négligence  serait  plus  excu- 
sable encore  que  la  recherche  :  Non  sit  affectatus 
décor  corporis  sed  simplex,    neglectus  magis  qumi 

EXQUISITUS. 

Au  reste,  la  peinture  fidèle  du  séminariste  élé- 
gant et  maniéré  suffira  probablement  pour  le  con- 
vaincre que  le  défaut  qu'il  traite  avec  tant  d'indul- 
gence, et  dont  il  se  fait  presque  un  mérite,  est 
réellement  pitoyable  dans  un  élève  du  sanctuaire. 

Le  séminariste  élégant  s'annonce  tout  d'abord 
par  un  ensemble  si  correct,  si  délié,  si  symétrique 
et  si  compassé,  que  tous  ceux  qui  le  voient  sont 


—  291   — 

frappés,  dès  le  premier  coup  d'œil,  de  cette  exquise 
recherche. 

Son  regard  est  tant(M  mou  et  efféminé,  tantôt 
prétentieux,  tantôt  doucereux  et  mignard,  quel- 
quefois langoureux,  mais  toujours  affecté,  tou- 
jours dénué  de  cette  ronde  et  aimable  simplicité, 
qui  plaît  d'autant  plus  qu'on  ne  la  prend  jamais 
pour  un  moyen  de  plaire. 

La  pose  de  sa  tête  n'est  presque  jamais  natu- 
relle :  ou  bien  elle  est  légèrement  inclinée  sur 
répaule,  ou  bien  elle  est  droite,  mais  avec  une  cer- 
taine roideur  qu'il  croit  de  bon  ton  et  qui  n'est  rien 
moins  que  ce  qu'il  s'imagine.  Le  jeu  de  ses  traits 
semble  toujours  factice  et  étudié  ;  on  voit  qu'il 
pense  presque  sans  cesse  à  leur  donner  de  l'agré- 
ment. 

Sa  démarche  est  un  des  traits  saillants  qui  le 
distinguent  :  elle  est  légère,  apprêtée,  guindée  et 
presque  cadencée. 

Quelquefois  il  marche  comme  par  ressort  ;  d'au- 
tres fois  il  donne,  à  chaque  pas  qu'il  fait,  je  ne 
sais  quel  mouvement  calculé,  qui,  selon  tout  le 
monde,  veut  dire  :  Affectation. 

Sa  chevelure  est  soignée  peut-être  plus  que  tout 
le  reste.  Elle  est  lisse,  luisante,  artistement  dis- 
posée suivant  le  goût  du  jour  ;  elle  serait  même 
probablement  odorante  si  les  supérieurs  ne  s'y 
opposaient  pas. 

Obligé  de  se  renfermer  dans  la  simplicité  d'une 
soutane,  il  s'en  dédommage  en  la  choisissant  aussi 
distinguée  que  possible.  Jamais  le  drap  n'est  trop 
fm  ni  la  queue  trop  longue  ;  et  quant  à  la  forme 
en  général,   elle  est  aussi  élégante  que  les  usages 


et  règlements  du  séminaire  le  lui  permettent.  Au 
lieu  d'avoir  une  certaine  ampleur  que  la  modestie 
ne  dédaigne  pas,  elle  embrasse  le  corps  comme 
dans  une  presse  cylindrique,  ce  que  les  mondains 
eux-mêmes  trouvent  de  mauvais  goût  pour  un 
ecclésiastique.  Si  notre  jeune  élégant  pensait  que 
la  soutane  est  un  habit  de  deuil,  un  habit  de  mort, 
ne  rougirait-il  pas  de  loger  la  vanité  sous  un  drap 
mortuaire  ? 

Inutile  de  dire  que  la  ceinture,  le  rabat,   la  ca- 
lotte, la  chaussure  sont  à  l'avenant  de  la  soutane. 
De  tout  cela  résulte  un  vêtement  qui  ne  manque 
jamais  de  faire  à  cebii  qui  le  porte  une  réputation 
trop  méritée   de  vanité  et  même   de  fatuité.    Les 
directeurs  du  séminaire  voient  bien  comme  tout 
le  monde  cette  afTectation  ridicule  ;  ils  en  gémis- 
sent devant  Dieu  ;  ils  rangent  sans  balancer  un  tel 
séminariste  sur  la  liste  de  ceux  qui  les  rassurent 
le  moins  pour  l'avenir  ;  ils  vont  même  jusqu'à  lui 
donner  quelques  averiissements  charitables  ;  mais 
au  lieu  de  l'amener  à  la  simplicité  qu'ils  désirent, 
ils  n'obtiennent  de  lui  que  de  se  tenir  tout  juste 
au  degré  que  l'indulgence  tolère  (1). 

Que  dirons-nous  de  la  manière  de  parler  de  ce 
séminariste  vaniteux?  Il  parle  avec  prétention  et 
comme  un  homme  qui  s'écoute  ;  il  veut  être  gra- 
cieux et  croit  l'être  :  quelquefois  il  est  empesé  et 
magistral,  et  ce  mauvais  ton,  qui  choque  tout  le 
monde,  fait  que  l'on  fuit  sa  société  ou  qu'on  ne  le 
fréquente  que  par  esprit  de  mortification  et  de 
charité . 

(1)  Voyez  chap.  II  de  la  Politesse,  par  un  Supérieur  de 
séminaii^e. 


—   293   — 

Son  chant  est  plus  affecté  encore  que  son  langage 
ordinaire  ;  on  voit  clairement  qu'il  pense  bien  plus 
à  se  faire  admirer,  qu'à  savourer  le  suc  de  piété 
dont  sont  empreintes  les  saintes  paroles  qu'il  pro- 
nonce. 

Sa  cellule  est  charmante  ;  elle  est  sans  contredit 
la  mieux  ornée  du  séminaire  ;  une  foule  de  petits 
objets  brillants  la  décorent,  et,  au  premier  coup 
d'oeil,  on  oublie  qu'on  est  dans  le  lieu  le  plus  saint, 
le  plus  imposant  du  diocèse  par  l'enseignement 
qui  s'y  donne,  les  vertus  qui  s'y  pratiquent,  et  les 
étonnantes  merveilles  qui  s'y  opèrent. 

Pendant  les  vacances,  il  donne  au  monde,  dès 
les  premiers  jours,  un  échantillon  de  son  élégance 
recherchée.  Au  lieu  de  se  montrer,  par  son  recueil- 
lement et  sa  modestie,  préoccupé  de  la  grande 
afïaire  de  sa  vocation,  il  laisse  croire  à  tous  ceux 
qui  le  voient  que  son  plus  grand  souci  est  de  bien 
cultiver  sa  petite  personne.  Quelquefois  il  affiche 
une  recherche  dans  sa  mise  et  une  affectation  dans 
ses  manières,  qui  faisant  contraste  avec  la  bonne 
simplicité  des  prêtres  de  sa  paroisse,  ne  font  que 
mieux  ressortir  aux  yeux  du  peuple  ce  qu'il  y  a 
d'inconvenant  chez  le  jeune  séminariste.  Dieu 
veuille  même  que  la  position  peu  aisée  de  sa  fa- 
mille, position  bien  connue  dans  la  localité,  ne  lui 
attire  pas  des  critiques  plus  mordantes  encore  ! 

Pour  peu  que  l'on  ait  d'expérience,  ne  doit-on 
pas  tout  naturellement  supposer  qu'un  séminariste 
de  cette  trempe  est  fort  peu  remarquable  au  point 
de  vue  de  la  piété?  Aussi  est-il  dans  le  service  de 
Dieu  d'une  stérilité  déplorable.  Quelle  place  peut-il 
y  avoir  pour  la  dévotion  et  particulièrement  pour 


—  294   — 

l'humilité  qui  en  est  la  base,  dans  une  tête  si  lé- 
gère, si  frivole  et  si  occupée  d'une  mondanité 
puérile,  antipode  visible  de  l'esprit  ecclésiastique 
et  de  la  modestie  du  saint  prêtre  ? 

Encore  si  un  rayon  de  jugement  et  de  bon  sens 
venait  plus  tard  illuminer  ce  pauvre  aveugle; 
mais,  hélas  !  l'avenir  qui  l'attend  est  plus  triste 
encore  que  le  présent,-  comme  nous  Talions  voir. 

II 

Tenez  pour  certain,  jeune  et  tendre  ami,  que  si, 
au  séminaire,  vous  n'avez  pas  remplacé  par  une 
simplicité  modeste,  votre  élégance  maniérée,  elle 
fera  de  jour  en  jour  de  rapides  progrès.  Si  elle  se 
manifestait  déjà  dans  le  séminaire  malgré  la  con- 
trainte qui  lui  était  imposée,  que  sera-ce  quand 
elle  pourra  se  produire  sans  avoir  à  redouter  les 
supérieurs  incommodes  qui  la  comprimaient?  Le 
torrent  contenu  dans  ses  digues  retournera-t-il 
vers  sa  source  quand  elle  seront  renversées  ? 

Vous  cultiverez  d'autant  plus  soigneusement 
cette  élégance ,  que  le  théâtre  où  vous  en  ferez 
parade  sera  plus  vaste  et  les  spectateurs  plus  nom- 
breux. 

N'ayant  point  combattu  cette  misérable  vanité, 
qui  est  la  racine  secrète  du  défaut  que  nous  vous 
signalons,  elle  se  fortifiera  chaque  jour,  stimulée 
qu'elle  sera  par  de  fréquentes  occasions  qu'elle  aura 
de  s'étaler  avec  avantage. 

Yous  vous  direz  d'ailleurs,  toujours  sous  l'in- 
fluence (le  la  vanité,  que  le  monde  a  ses  exigences 
qu'il  n'est  pas  toujours  prudent  de  mépriser,  qu'une 


simplicité  comme  celle  qu'on  vous  prêche  serait  en 
désaccord  trop  frappant  avec  le  bon  ton  qui  le  dis- 
tingue, et  que  votre  élégance  n'est,  après  tout  , 
qu'une  tenue  convenable  dont  la  propreté  fait  une 
loi. 

Vous  serez  donc  un  prêtre  vaniteux,  recherché, 
toujours  poursuivi  du  désirde  plaire  à  un  monde  fri- 
vole, sans  aucun  égard  à  cette  parole  foudroyante 
de  l'Apôtre  :  Si  hominibiis  placerem,  Christi  servus 
71071  cssem. 

Votre  costume,  déjà  peu  simple  au  séminaire  , 
se  déploiera  dans  le  monde  avec  un  éclat  plus  bril- 
lant encore. 

Votre  tournure  et  vos  manières  seront  de  plus 
en  plus  affectées,  et  vous  en  contracterez  tellement 
l'habitude,  qu'il  vous  sera  presque  impossible  de 
les  réformer. 

Votre  langage  et  votre  manière  de  le  produire 
auront  je  ne  sais  quoi  de  doucereux,  de  fade  et 
d'insipide  qui  annonceront  plutôt  le  damoiseau  que 
le  prêtre  modeste  et  le  fervent  apôtre. 

Votre  ameublement  subira  certai  ne  ment  lui-même 
les  influences  de  votre  vanité.  Votre  maison  res- 
pirera le  luxe  ;  votre  chambre  surtout  sera  un  vrai 
salon:  vous  voudrez  absolument  ne  la  trouver  que 
propre,  et  elle  sera  presque  somptueuse:  en  y 
entrant,  les  gens  du  peuple  et  les  pauvres  seront 
tentés  d'ôter  leur  chaussure,  et  vous  feront  peut- 
être  mieux  comprendre  que  personne  combien  vous 
serez  loin  de  l'édifiante  simplicité  de  l'homme  de 
Dieu. 

L'église,  c'est  triste  à  dire,  sera  pour  votre  vanité 
prétentieuse  un  nouveau  théâtre.  Au-dessus  de  la 


—  296  — 

simple  et  modeste  chasuble,  s'élèvera  une  tète  que 
le  monde  prendra  pour  une  des  siennes  :  chevelure 
symétriquement  apprêtée,  absence  de  tonsure,  favo- 
ris très-prononcés,  tout,  en  un  mot,  excepté  la 
modestie  sacerdotale  qui  seule  devrait  paraître. 

Dans  vos  cérémonies  les  plus  augustes,  vous  dé- 
ploierez une  pompe  et  une  emphase  qui  feront  voir 
clairement  que  vous  serez  tout  occupé  de  vous- 
même  ,  au  lieu  d'être  absorbé  en  Dieu ,  dans  le 
temple  duquel  vous  remplirez  des  fonctions  qui 
tiendront  la  cour  céleste  en  extase. 

Dans  la  chaire,  l'air  pénétré,  le  pieux  recueil- 
lement et  la  simplicité  apostolique,  qui  sont  déjà 
une  prédication  fructueuse  ,  seront  remplacés  par 
une  pose  peu  modeste,  par  des  regards  curieux,  par 
des  gestes  inconvenants,  par  des  expressions  roman- 
tiques et  par  un  débit  où  ne  se  peindra  que  trop  la 
pitoyable  vanité  dort  vous  serez  l'esclave,  et  l'on 
dira  de  vous  ce  mot  humiliant  que  nous  avons 
entendu  dire  de  plusieurs  :  C'est  un  comédien  ! 

Le  croirez-vous?  jusqu'au  saint  tribunal,  les  péni- 
tents vous  retrouveront  encore  tel  que  vous  serez 
partout  :  dégoût  du  confessionnal  parce  que  vous 
y  brillerez  moins  qu'ailleurs,  soins  empressés  pour 
les  riches,  rudesse  envers  les  pauvres,  tempêtes 
contre  quiconque  humiliera  votre  vanité,  absence 
du  vrai  zèle  qui  veut  qu'on  s'oublie,  désir  de  ter- 
miner au  plus  vite  une  séance  qui  fatigue  et  après 
laquelle  on  se  propose  de  faire  quelques  visites 
dont  on  pourrait  se  dispenser  sans  violer  aucun 
devoir  :  attendez-vous  à  toutes  ces  misères,  si  vous 
ne  les  prévenez  pas  par  une  prompte  et  radicale 
réforme. 


—   297   — 

Dans  les  visites  dont  nous  venons  de  dire  un  mot, 
nouvel  aliment  pour  la  vanité  :  rien  pour  l'édifica- 
tion, tout  pour  le  misérable  plaisir  de  se  produire; 
pas  un  mot  de  Dieu,  longs  discours  sur  des  frivo- 
lités indignes  du  sacerdoce;  manières  libres  et  dé- 
gagées, ton  pédantesque,  expressions  recherchées, 
épanchements  peu  mesurés,  iout  ce  qu'il  faut  enfin 
pour  détruire  la  confiance  ,  si  depuis  longtemps 
déjà  on  ne  l'avait  pas  perdue. 

Raisonnons,  je  vous  prie.  A  qui  voudrez-vous 
plaire,  jeune  et  tendre  ami,  par  une  telle  conduite? 
—  Aux  gens  du  monde?  Ils  seront,  n'en  doiiic:: 
pas,  vos  plus  impitoyables  censeurs.  —  Aux  pé- 
cheurs? aux  impies?  Us  seront  ravis  de  décocher 
contre  vous  et,  en  votre  personne,  contre  le  sacer- 
doce en  général,  les  traits  les  plus  envenimés  du 
sarcasme  et  de  l'ironie.  —  Aux  âmes  pieuses  ?  Elles 
ne  verront  qu'en  gémissant  la  vanité  de  celui  dont 
elles  voudraient  apprendre  le  mépris  du  monde  et 
les  saintes  règles  de  l'humilité  chrétienne.  —  Aux 
gens  du  peuple  et  aux  pauvres?  Ils  n'oseront  vous 
aborder,  vous  croyant  indifférent  à  leurs  intérêts 
les  plus  chers,  et  ayant  peine  à  se  persuader  que 
vous  êtes  leur  pasteur.  Nous  ne  leur  parlons  pas 
de  Dieu  :  ah!  sans  doute,  c'est  à  lui  plus  qu'à  per- 
sonne que  vous  devriez  vous  efforcer  de  plaire  ; 
mais  que  sera  Dieu  pour  un  prêtre  qui  ne  verra 
que  lui-même,  n'admirera  que  lui-même,  et  rap- 
portera tout  à  lui-même  et  à  lui  seul?  Q^ielle  piété 
y  a-t-il  et  peut-il  y  avoir  dans  une  tête  que  la 
vanité  possède  ?  Quel  zèle  peut  consumer  le  prêtre 
dont  la  conduite,  sur  des  points  si  essentiels,  est 
tout  ce  qu'il  y  a  de  plus  opposé  au  véritable  esprit 
II.  17. 


—  298  — 

apostolique?  Non,  jeune  ami,  non,  croyez-nous, 
aucune  idée  sérieuse  ne  simpiantera  dans  votre 
esprit  :  ni  le  service  de  Dieu,  ni  le  zèle  des  âmes, 
ni  Famour  du  ministère,  ni  la  pratique  des  bonnes 
œuvres,  ni  le  goût  du  travail  ne  feront  votre  éloge. 
Yoyez-donc  si  les  saints  prêtres,  les  fervents  apô- 
tres, les  pasteurs  vénérés  et  vénérables,  les  servi- 
teurs des  pauvres  et  les  prêtres  studieux  sont  ven- 
dus à  la  vanité  et  perpétuellement  occupés  des  futi- 
lités qui  ralimentent. 

Mais  c'en  est  assez  pour  que  vous  soyez  désabusé 
si  vous  aviez  besoin  de  Fétre.  Voyons  maintenant 
ce  que  vous  avez  à  faire  pour  acquérir  cette  belle 
simplicité  ecclésiastique  dont  tout  le  monde  fait 
l'éloge. 


III 


—  Essayez  d'abord  de  bien  connaître  vos  vraies 
dispositions  relativement  au  défaut  que  nous  com- 
battons, et  ,  pour  cela  ,  adressez- vous  quelques 
questions,  celle-ci  par  exemple:  En  quelle  catégo- 
rie suis-je  rangé  dans  le  séminaire?  J'y  vois  les 
élèves  partagés  en  trois  classes  bien  distinctes: 
ceux  qui  s'engagent  trop  avant  dans  les  bas-fonds 
de  la  simplicité  ;  ceux  qui  montent  trop  haut  dans 
les  régions  de  l'élégance;  et  ceux  qui,  flottant  entre 
ces  deux  classes,  suivent  avec  sagesse  et  bon  sens 
le  train  commun  des  bons  séminaristes.  De  ces 
trois  classes,  quelle  est  la  mienne  ? 

—  Pour  le  savoir,  examinez-vous  pièce  à  pièce 
avec  le  vif  désir  de  vous  bien  connaître  et  de  vous 
réformer  si  vous  en  sentez  la  nécessité.  Considé- 


—  299  — 

rez  votre  contenance,  l'ensemble  de  votre  air  et 
des  traits  de  votre  visage,  votre  costume,  la  matière 
et  la  forme  de  chacun  de  vos  vêtements,  votre 
chevelure,  la  tenue  de  votre  cellule,  votre  manière 
de  parler,  de  marcher,  de  vous  tenir  à  l'église  et 
chez  les  personnes  du  monde  à  qui  vous  faites 
visite.  Si  vous  procédez  à  cette  enquête  avec  un 
vrai  fonds  de  bonne  intention,  il  est  impossible 
qu'il  n'en  jaillisse  pas  des  traits  de  lumière  qui 
vous  seront  fort  utiles. 

—  N'oubliez  pas  non  plus  de  consulter  vos  supé- 
rieurs et  quelques  pieux  condisciples,  que  vous 
aurez  soin  de  choisir  parmi  ceux  en  qui  Ton  ne 
voit  rien  à  reprendre  sous  le  rapport  de  la  modestie 
et  de  la  bonne  tenue. 

—  Quand  vous  aurez  acquis  la  certitude  que 
l'élégance,  la  recherche  et  l'affectation  sont  chez 
vous  des  traits  saillants,  attaquez,  combattez  et  ter- 
rassez ces  ennemis  déclarés  de  l'esprit  ecclésiasti- 
que, sans  vous  laisser  jamais  influencer  par  les 
pitoyables  prétextes  que  la  vanité  ne  manquera 
pas  d'alléguer. 

—  Dites-vous  à  vous-même  avec  énergie  :  Je 
suis  un  orgueilleux;  toutes  mes  petites  recherches 
affectées  et  prétentieuses  sont  des  actes  d'orgueil; 
c'est  aux  hommes  que  je  veux  plaire  et  non  à 
Dieu  ;  je  suis  aussi  opposé  à  Jésus,  à  Marie,  à  tous 
les  saints  qui  peuplent  le  ciel  et  aux  saints  prêtres 
qui  honorent  l'Église,  que  le  blanc  est  opposé  au 
noir.  Veux-je  rester  ce  que  je  suis?  Yeux-je  m'at- 
tirer  au  séminaire  les  railleries  de  mes  condisciples, 
et  plus  tard  les  ironies  plus  piquantes  encore  du 
monde  malin  au  sein  duquel  je  vais  bientôt  exercer 


—   300  — 

mon  saint  ministère?  Non,  je  ne  veux  pas  qu'il  en 
soit  ainsi  :  je  veux  être  un  saint  prêtre  et  sacrifier 
sans  ménagement  ce  qui  mettrait  obstacle  à  l'ac- 
quisition de  ce  beau  titre 

—  Quand  vous  en  serez  là,  mettez  la  main  à 
l'œuvre;  placez-vous  en  face  d'un  séminariste  mo- 
dèle comme  devant  une  glace  polie,  et,  en  présence 
de  ce  nouveau  Louis  de  Gonzague,  copiez  trait  pour 
trait  la  sainte  modestie  qui  le  distingue  :  parlez 
comme  il  parle,  marchez  comme  il  marche,  habillez- 
vous  comme  il  s'habille,  et  ainsi  du  reste.  Ne  crai- 
gnez pas  d'aller  trop  loin,  descendez  jusqu'à  la 
minutie;  la  vanité  qui  est  en  vous  saura  bien  vous 
empêcher  de  tomber  trop  bas  dans  la  simplicité. 

—  Avant  de  quitter  le  séminaire  pour  aller  en 
vacances,  renouvelez  vos  résolutions  :  dites  à  Dieu 
et  dites-vous  à  vous-même  :  Je  veux  être  simple  et 
parfaitement  modeste  ;  je  veux  que  ma  réforme 
soit  manifeste  et  éclatante  ;  je  veux  que  le  monde 
pense  et  dise  de  moi  tout  le  contraire  de  ce  qu'il  en 
pensait  et  disait  aux  vacances  dernières  ;  je  veux 
qu'il  fasse  l'éloge  de  ma  simplicité,  comme  il  fai- 
sait la  critique  de  mon  élégance. 

—  Soyez  en  garde  contre  la  tentation  qui  porte 
ceux  qui  vous  ressemblent  à  confondre  l'élégance 
recherchée  avec  la  propreté  décente.  Convainquez- 
vous  fortement  qu'on  peut  être  propre  sans  être 
élégant  et  maniéré,  et  que  le  saint  prêlre,  en  fai- 
sant cette  distinction,  se  concilie  toujours  l'estime 
universelle. 

—  Adonnez-vous  à  la  piété,  qui  est  utile  à  tout, 
comme  le  dit  l'Apôtre  :  Pictas  ad  oimiia  utilis  est, 
et  soyez   sur  que  quand    vous  aurez  goûté   Dieu, 


—  301   — 

vous  n'aimerez  que  ce  qu'il  aime,  et  vous  aurez 
horreur  de  la  vanité  qu'il  déteste.  L'esprit  du  monde 
vous  a  rempli  jusqu'à  ce  jour  ;  que  l'esprit  de  No- 
tre Seigneur  Jésus-Christ  le  remplace  désormais, 
et  alors  vous  serez  infailliblement  un  fervent  sé- 
minariste et  bientôt  un  saint  prêtre. 


CHAPITRE  XIH 


Le  séminariste  léger,  rieur,  facétieux,  imprudent,  etc. 
l 

11  y  a  peu  de  séminaires  où  l'on  ne  voie  quel- 
ques élèves  auxquels  conviennent  les  qualifications 
mentionnées  dans  le  litre  de  ce  chapitre.  Autant  ils 
sont  prompts  à  se  manifester,  autant  ils  sont  lents 
à  se  corriger,  si  tant  est  qu'ils  se  corrigent  jamais 
entièrement  de  leur  excessive  légèreté. 

Or  ceci  est  très-fàcheux  ;  car  qui  doit  être  grave, 
digne,  modeste,  prudent  el  réservé,  si  ce  n'est  le 
prêtre  ?  Mais  comment  deviendra-t-on  subitement 
un  prêtre  grave  et  bien  posé,  si,  pendant  tout  le 
temps  du  séminaire,  on  a  été  la  légèreté  même  '^ 
Appliquons-nous  donc  sérieusement  à  combattre 
ce  défaut  qui,  plus  tard,  nous  priverait  à  coup  sur 
de  la  confiance  et  de  l'estime   des  peuples. 

Il  est  rare  qu'un  séminariste  léger,  rieur,  facé- 
tieux, etc.,  en  mettant  le  pied  dans  le  séminaire, 
ne  se  fasse  pas  connaître  pour  ce  qu'il  est,  dès 
les  premiers  jours.  Il  voudrait  dissimuler  sa  légè- 


—   302   — 

reté  qu'il  ne  le  pouiTait  guère  :  son  attitude  seule 
le  trahirait. 

En  effet,  il  y  a  quelque  chose  de  sautillant  dans 
sa  démarche,  d'animé  dans  son  regard,  de  mobile 
dans  sa  tète,  d'épanoui  dans  l'ensemble  de  ses 
traits,  qui  décèle  le  séminariste  léger  avant  même 
qu'il  se  soit  produit  par  des  actes  formels. 

Le  séminariste  de  cette  trempe  a  besoin  de  plai- 
santer et  de  rire  comme  de  respirer.  Tout  ce  qui 
est  sérieux  le  tue,  ou  du  moins  lui  fait  exhaler  en 
de  longs  bâillements  l'ennui  qu'il  éprouve  :  il  res- 
semble alors  à  ce  pauvre  poisson  qu'on  vient  de 
tirer  de  l'eau  et  qui,  lui  aussi,  bâille  sur  l'herbe, 
comme  s'il  aspirait  l'élément  qui  lui  manque. 

Il  est  doué  d'une  souplesse  d'esprit  incroyable  pour 
égayer  sur-le-champ  une  conversation  grave.  S'il 
aborde  des  séminaristes  qui  s'entretiennent  utile- 
ment, illes  comprime  aussitôt,  tant  ils  savent  qu'il  est 
impossible,  lui  présent,  de  discuter  rien  de  sérieux. 

Du  reste,  il  ne  les  importune  pas  longtemps  par 
ses  facéties,  car  il  lui  faut  du  mouvement  et  de  la 
variété.  Quand  donc  il  a  lâché  quelques  bordées  de 
plaisanteries,  il  se  retire  et  va  porter  ailleurs  son 
feu  roulant  de  pointes  et  de  quolibets. 

Dès  qu'on  le  voit  paraître  on  s'apprête  à  rire, 
sachant  bien  qu'il  va  tout  à  l'heure  égayer  son 
monde. 

Encore  si  ses  plaisanteries  n'atteignaient  per- 
sonne ;  mais  malheureusement  il  n'en  est  pas  ainsi. 
Tous  les  petits  travers  qu'il  aperçoit  dans  ses  con- 
disciples, sont  pour  lui  la  matière  d'une  foule  de 
bons  mots,  qui  pleuvent  comme  grêle  sur  ceux 
qu'il  attaque  par  ses  critiques  railleuses. 


—  303   — 

On  lui  passe  bien  des  choses,  moins  parce  qu'on 
l'aime  que  parce  qu'on  le  redoute.  Bailleurs  cha- 
cun sait  qu'en  prenant  mal  ses  plaisanteries,  on 
s'en  attirerait  infailliblement  par  cela  même  de  plus 
piquantes  encore. 

Semblable  à  ces  feux  follets  qui  brillent  et  s'é- 
teignent en  un  instant  sur  vingt  lieux  ditférents,  il 
est  partout  et  il  n'est  en  quelque  sorte  nulle  part. 
Il  est  la  mouche  du  séminaire  :  comme  elle,  il 
bourdonne,  il  pique,  il  voltige  ;  comme  elle  aussi, 
il  salit  ce  qu'il  touche,  c'est-à-dire  que,  par  sa 
conduite  légère  et  dissipée,  il  ternit  la  beauté,  la 
sainteté  du  lieu  qu'il  habite. 

Si  vous  entendez  quelques  rires  étouffés  dans  un 
corridor  à  la  porte  d'un  séminariste,  soyez  sur  que 
notre  rieur  est  là. 

Si,  pendant  une  récréation,  un  groupe  joyeux 
et  animé  fait  à  lui  seul  plus  de  bruit  que  tous  les 
autres  séminaristes  disséminés  dans  la  cour  ou 
dans  le  jardin,  dites  à  coup  sur  que  notre  jeune 
rieur  est  le  boute-en-train  de  cette  petite  réunion. 

Si  quelque  espièglerie  se  raconte  dans  le  sémi- 
naire, ne  demandez  pas  le  nom  de  son  auteur  :  l'es- 
piègle c'est  notre  jeune  homme  ;  chacun  le  devine 
dès  que  sa  petite  malice  est  connue. 

La  jovialité  est  peinte  sur  sa  figure.  Ses  traits 
sont  si  habilement  mis  en  jeu  par  son  fonds  de 
gaieté,  qu'ils  semblaient  être  à  l'état  de  rire  per- 
manent. 

Son  enjouement  est  contagieux  ;  nul  n'en  est 
témoin  sans  en  subir  l'influence  :  à  sa  simple  vue, 
le  séminariste  le  plus  grave  se  déride  comme  les 
autres. 


—   304  — 

Pour  un  observateur,  il  est  curieux  de  le  voir  en 
face  d'un  de  ses  amis  qui  est  dans  la  peine  :  si  la 
scène  n'était  pas  aussi  triste  qu'elle  l'est,  on  serait 
tenté  de  rire  en  le  voyant  aîfecter  une  douloureuse 
compassion  qui  fait  violence  à  sa  nature.  Quel- 
quefois le  pauvre  affligé  lui-même  sourit  encore  à 
son  approche. 

Comme  il  veut  toujours  rire,  ses  yeux  sont 
constamment  ouverts  pour  découvrir  quelque  chose 
qui  l'amuse.  Il  épie  tout  le  monde,  il  voit  tout  ce 
qu'on  fait,  il  écoute  tout  ce  que  l'on  dit,  puis  il 
fait  de  ses  diverses  observations  la  matière  de  ses 
plaisanteries. 

Quelquefois  il  se  fait  singe  :  nul  ne  contrefait 
comne  lui  le  langage,  la  tournure,  les  gaucheries 
(!■:  :ous  ceux  avec  lesquels  il  vit. 

Qu'un  élève,  interrogé  en  classe  par  le  profes- 
seur, fasse  une  mauvaise  réponse,  sa  gaieté  l'em- 
portant sur  sa  charité,  il  donne  le  premier  le 
signal  du  rire,  et  quand  personne  ne  rit  plus,  il 
sourit  encore. 

L'église  elle-même  est  le  théâtre  de  son  enjoue- 
ment. Là  comme  parlout,  il  se  pose  en  observa- 
teur :  rien  ne  lui  échappe,  et  après  l'office,  il  fait 
connaître  à  plusieurs,  qui  ne  s'en  sont  pas  aperçus, 
toutes  les  fautes  et  les  maladresses  commises  par 
les  officiants  dans  les  cérémonies. 

Les  supérieurs  eux-mêmes  n'échappent  ni  à  son 
œil  ni  à  sa  langue  :  son  œil  saisit  leurs  singula- 
rités, et  sa  langue  se  met  aussitôt  en  mouvement 
pour  les  divulguer. 

Si  encore  il  ne  se  permettait  que  des  légèretés 
innocentes  ou  à  peu  près  ;  mais  ses  plaisanteries 


—  305  — 

ne  sont  pas  toujours  ratifiées  par  le  bon  ton.  En- 
traîné par  le  besoin  de  rire  et  de  faire  rire,  il  des- 
cend parfois  dans  le  grotesque  et  le  trivial,  ou- 
bliant ainsi  la  sainteté  du  séminaire,  du  vêtement 
qu  il  porte  et  du  sacerdoce  auquel  il  aspire. 

Avec  de  telles  habitudes,  que  doit-il  faire  quand 
il  est  seul?  que  se  passe-t-il  dans  sa  cellule  pen- 
dant les  heures  que  l'étude  réclame  ?  Expie-t-il  du 
moins  par  un  travail  assidu  les  légèretés  conti- 
nuelles qu'il  se  permet?  Personne  ne  nous  croirait 
si  nous  disions  que  l'Ecriture  sainte  et  la  théo- 
logie font  ses  délices.  Tout  le  monde  sait  bien  que 
les  hommes  légers  ne  sont  jamais  des  hommes 
d'étude.  Disons-le,  les  livres  sérieux  lui  sont  à 
charge  ;  il  étudie  aussi  peu  que  possible  ;  et  ces 
heures  de  travail  qui,  en  conscience,  devraient 
être  si  bien  remplies,  c'est  à  des  futilités  qu'il  les 
consacre.  Lettres  joyeuses  à  des  amis  du  monde, 
lectures  quasi-profanes,  compositions  puériles^ 
poésies  légères  et  autres  occupations  de  même 
nature  :  tels  sont  les  passe-lemps  de  ce  pauvre 
jeune  homme. 

Quant  à  la  prière,  nous  voudrions  n'en  rien  dire. 
Vingt  fois  nous  nous  sommes  demandé  ce  que 
devait  être  à  l'oraison  et  dans  les  autres  exercices 
spirituels,  un  séminariste  facétieux  et  léger  qui 
n'est  heureux  que  quand  il  s'amuse,  et,  à  cette 
question,  nous  n'avons  jamais  pu  faire  que  de 
tristes  réponses.  Point  de  piété,  non,  point  de 
piété  dans  une  tête  frivole  ;  et,  sans  piété,  quel 
séminariste,  grand  Dieu  !  et  plus  tard,  quel  prêtre  ! ... 

Si  les  choses  se  passent  ainsi  dans  le  séminaire 
même,  qu'est-ce  donc,  hélas  !  pendant  les  vacan- 


—  306  — 

ces?  C'est  alors  que  l'épanouissement  est  complet; 
c'est  alors  que  les  sociétés  les  plus  enjouées  et  les 
plus  bruyantes  sont  avidement  recherchées  ;  c'est 
alors  que  les  courses  et  les  voyages  se  succèdent 
chaque  jour  ;  c'est  alors  que  la  solitude,  la  prière 
et  le  travail  sont  presque  totalement  abandonnés  ; 
c*est  alors  qu'on  porte  de  cercle  en  cercle  sa  gaieté 
perpétuelle  et  sa  légèreté  poussée  jusqu'à  l'impru- 
dence, peut-être  même  au  delà  ;  c'est  alors  enfin 
qu'au  lieu  d'édifier  le  monde  par  la  piété  qu'il 
exige  d'un  séminariste,  on  le  scandalise  par  une 
vie  oiseuse  et  par  une  conduite  toute  séculière. 
Le  défaut  que  nous  combattons  est  encore  un  de 
ceux  qui  n'efîrayent  guère  celui  qui  y  est  sujet.  Il 
considère  toutes  ces  plaisanteries  comme  d'inno- 
centes gentillesses,  et  ne  comprend  pas  qu'il  en 
puisse  résulter  des  conséquences  fort  graves.  Pour 
dissiper  cette  illusion  fatale,  qui  pourrait  bien  être 
la  vôtre,  jeune  lecteur,  voyez  ce  que  vous  serez 
si  vous  sortez  du  séminaire  avec  cette  légèreté 
folâtre  dont  vous  avez  la  triste  réputation. 


II 


Au  lieu  de  redouter  le  monde  où  vous  entrerez 
chargé  du  poids  de  votre  sacerdoce,  vous  le  sa- 
luerez d'un  joyeux  regard,  et  vous  saisirez  avec 
empressement  les  occasions  nombreuses  que  vous 
aurez  de  vous  livrer  sans  réserve  aux  épanche- 
ments  de  votre  gaieté. 

N'ayant  point  acquis  au  séminaire  un  vrai  fonds 
de  piété,  vous  deviendrez  de  moins  en  moins 
pieux  tous  les  jours.  L'oraison  et  tous  les  exer- 


—  307  — 

cices  spirituels  que  vous  faisiez  avec  tant  de  froi- 
deur et  de  lâcheté  dans  votre  solitude,  seront 
abandonnés  l'un  après  Vautre,  et  vous  ne  ferez 
plus,  à  cet  égard,  que  ce  qui  sera  d'une  absolue 
nécessité  ;  encore  vous  en  acquitterez-vous  d'une 
manière  pitoyable.  La  légèreté,  soyez-en  sur,  ta- 
rira la  piété.  Et  quel  prêtre,  ô  mon  Lieu,  que  celui 
qui  n'est  pas  pieux  dans  le  plus  saint  des  états  ! . . . 

Vous  manquerez  totalement  de  cette  gravité 
digne  et  modeste,  qui,  tempérée  par  un  enjoue- 
ment aimable  et  modéré,  concilie  au  prêtre  le  res- 
pect et  l'estime  des  peuples. 

Ne  voyant  jamais  en  vous  qu'un  homme  léger, 
badin,  plaisant,  jovial,  diseur  de  bons  mots,  et 
quelquefois  trivial,  si  l'on  ne  dit  pas  que  vous  êtes 
un  mauvais  prêtre,  personne  ne  dira  que  vous  êtes 
un  saint  :  or,  pensez-y,  jamais  vous  ne  ferez  tout 
le  bien  que  Dieu  et  l'Eglise  attendent  de  vous,  si 
vous  n'êtes  pas  un  saint  prêtre  et  si  vous  n'êtes 
pas  généralement  connu  pour  tel. 

La  confiance,  si  nécessaire  au  prêtre  pour  exercer 
un  ministère  fructueux,  ne  vous  sera  point  accor- 
dée. Quelle  confiance  peut  inspirer  un  prêtre  indis- 
cret, qui  semble  faire  parade  d'une  légèreté  sans 
bornes  dans  ses  discours  et  dans  toute  sa  conduite? 
Les  impies  eux-mêmes  déclareront  que  s'ils  re- 
viennent à  Dieu  plus  tard,  vous  ne  serez  pas  le 
confident  de  leurs  misères  ;  puis,  citant  quelque 
saint  prêtre  de  la  contrée,  c'est  à  celui-là,  diront-ils, 
que  nous  révélerons  les  secrets  de  notre  conscience, 
si  jamais  nous  les  révélons. 

Vous  malédifierez  les  âmes  pieuses  par  votre 
habitude  d'immodestie  et  d'enjouement  excessif  ; 


—  308  — 

et  si,  par  hasard,  vous  en  confessez  quelques-unes, 
comment  pourrez-vous  les  exhorter  au  recueille- 
ment, à  la  mortification,  à  l'esprit  de  prière  et  de 
piété,  ne  pratiquant  rien  moins  vous-même  que  ce 
que  vous  conseillerez  à  ces  âmes  ferventes  ? 

Vous  éprouverez  un  besoin  continuel  de  mou- 
vement et  de  dissipation.  Vous  serez  partout  ex- 
cepté dans  votre  chambre  et  à  l'église,  où  Ton  ne 
vous  verra  que  quand  il  vous  sera  impossible  d'être 
ailleurs.  On  vous  trouvera  dans  toutes  les  rues  si 
vous  habitez  la  ville,  ou  dans  tous  les  chemins  si 
vous  vivez  à  la  campagne,  absolument  comme  on 
vous  rencontrait  à  chaque  instant  dans  tous  les 
coins  du  séminaire. 

Vous  fuirez  les  maisons  où  vous  ne  pourrez  pas 
rire  tout  à  voire  aise,  et  vous  flânerez  pendant  des 
heures  entières  dans  celles  où  le  gros  rire  et  la 
grosse  gaieté  seront  en  permanence. 

Ainsi  disposé,  la  maison  du  pauvre,  de  l'infirme 
et  de  l'affligé  seront  pour  vous  sans  attrait.  Vous 
serez  embarrassé  quelle  contenance  faire  en  face 
delà  douleur.  Habitué  à  plaisanter  et  à  rire,  vous 
ne  saurez  pas  joindre,  comme  le  saint  prêtre,  une 
larme  à  une  larme,  un  soupir  à  un  soupir. 

Vous  aimerez  le  jeu,  car  les  prêtres  légers  l'ai- 
ment autant  que  les  prêtres  graves  l'aiment  peu  ; 
et  si  vous  l'aimez  avec  passion,  ce  qui  pourra  bien 
arriver,  vous  serez  un  prêtre  joueur  et  par  consé- 
quent un  prêtre  scandaleux,  comme  ceux  qui, 
dans  certains  diocèses,  passent  les  jours  et  les 
nuits  les  cartes  à  la  main. 

Vous  ne  manquerez  pas  un  diner,  une  réunion 
joyeuse,  une  partie  de  plaisir  quelconque,  car  par- 


—  309  — 

tout  là  vous  aurez  occasion  de  vous  divertir.  Mais 
l'étude  !  mais  la  prière  !  mais  les  œuvres  de  zèle  ! 
mais  les  travaux  du  ministère  !  0  Dieu  !  comment 
se  feront  toutes  ces  choses? 

•  Vous  n'ouvrirez  presque  jamais  un  livre  sérieux, 
et  vous  en  lirez  une  multitude  de  frivoles.  Pour 
vous,  un  livre  utile  sera  toujours  trop  long,  et 
votre  journal  ou  votre  quasi-roman  sera  toujours 
trop  court. 

Yous  ferez  inévitablement  des  imprudences  de 
plus  d'un  genre,  car  c'est  des  tètes  légères  qu'elles 
s'échappent.  Emporté  par  le  plaisir,  vous  ne  cal- 
culerez ni  vos  paroles  ni  vos  démarches  ;  vous 
blesserez  celui-ci,  vous  scandaliserez  celui-là  et 
vous  malédifierez  tout  le  monde. 

Yous  vous  ferez  des  ennemis  irréconciables  par 
des  épi  grammes  railleuses  qui  leur  seront  rappor- 
tées, ou  par  la  manière  dont  vous  traiterez  cer- 
taines affaires  délicates  que  la  moindre  imprudence 
compromettra  sans  retour. 

Yous  ferez  fort  peu  de  chose  pour  la  gloire  de 
Dieu  et  le  salut  des  âmes  ;  vous  n'aurez  point  l'es- 
prit de  suite  dans  vos  entreprises,  et  vous  aban- 
donnerez par  dégoût  ce  que  vous  aurez  commencé 
par  boutade. 

Yous  porterez  votre  légèreté  jusque  dans  l'église  : 
pendant  les  fonctions  que  vous  y  remplirez,  la  ra- 
pidité de  votre  marche,  la  précipitation  de  vos  cé- 
rémonies, l'évagation  de  vos  regards,  la  noncha- 
lance de  votre  attitude,  les  plaisanteries  quelquefois 
très-déplacées  dans  vos  catéchismes  et  même  dans 
la  chaire,  feront  dire  à  tout  le  monde  :  Quelle  im- 
modestie I  quelle  mauvaise  tenue  ! 


—   310  — 

Vos  manières  légères  et  inconvenantes  autori- 
seront des  familiarités  qu'on  ne  se  permettrait 
jamais  à  l'égard  d'un  prêtre  pieux  et  réservé  :  on 
sera  libre  avec  vous  parce  que  vous  serez  libre 
avec  tout  le  monde,  et  de  là  que  d©  dangers  et 
peut-être  que  de  chutes  ! 

On  vous  comparera  à  quelque  saint  prêtre  de  la 
contrée  ;  et  votre  conduite,  mise  en  regard  de  la 
sienne,  fera  ressortir,  à  votre  grand  dommage, 
l'édification  de  l'une  et  la  légèreté  de  l'autre. 

Si  vous  êtes  le  vicaire  d'un  curé  prudent  et  grave 
vous  ferez  son  supplice  ;  si  votre  curé  vous  res- 
semble, vous  serez  l'un  pour  l'autre  une  pierre 
d'achoppement  et  de  scandale. 

Devenu  curé  vous-même,  vous  entraînerez  vos 
vicaires  dans  votre  mauvaise  voie.  Studieux,  fer- 
vents et  réguliers  quand  ils  feront  leur  entrée  dans 
votre  presbytère,  ils  seront  légers,  tièdes,  relâchés 
comme  vous  quand  ils  en  sortiront,  et,  par  votre 
faute,  jamais  peut-être  ils  ne  retrouveront  leur 
ancienne  ferveur. 

Amateur  du  changement,  vous  importunerez  vos 
supérieurs,  vous  les  fatiguerez  par  vos  perpétuelles 
demandes  de  mutation,  et,  ne  vous  attachant  à 
aucune  paroisse,  aucune  paroisse  non  plus  ne  vou- 
dra s'attacher  à  un  prêtre  en  qui  elle  ne  verra 
qu'un  pasteur  transitoire  et  inconstant. 

Jugez  maintenant,  jeune  et  tendre  ami,  si  la 
légèreté  que  vous  vous  reprochez  à  peine  au  sémi- 
naire, ne  mérite  pas  d'être  sévèrement  châtiée, 
puisqu'elle  produit  de  si  tristes  résultats.  Suivez 
donc,  nous  vous  en  conjurons,  suivez  les  règles 
qui  vont  vous  être  tracées,  puisque,  seules,  elles 


—  311  — 

peuvent  vous   préserver   des  dangers   qui   vous 
attendent. 


III 


Ce  défaut  est  encore  un  de  ceux  qu'on  reconnaît 
aisément  en  soi  quand  on  y  est  sujet.  Si,  aidé  de 
vos  propres  réflexions  et  de  celles  qui  viennent  de 
^vous  être  soumises,  vous  êtes  forcé  de  convenir 
que  la  légèreté  est  un  de  vos  défauts  dominants, 
voici  les  moyens  de  vous  en  corriger. 

—  Commencez  par  vous  bien  convaincre  de  la 
nécessité  de  vous  réformer  sur  ce  point  capital. 
Dites-vous  à  vous  même  dans  des  méditations  sé- 
rieuses que,  puisqu'il  n'y  a  point  de  profession 
plus  sainte,  ni  même  aussi  sainte  que  le  sacerdoce, 
il  n'y  en  a  point  non  plus  qui  exige  plus  de  gravité 
et  de  modestie  que  celui  qui  l'embrasse.  Qu'est-ce 
qu'un  prêtre  léger,  sinon  un  mondain  travesti  ? 

—  Convainquez-vous  bien  aussi  que  les  hommes 
du  monde  les  plus  frivoles  ne  veulent  pas  qu'un 
prêtre  leur  ressemble.  Autant  ils  estiment  un  prêtre 
grave  et  plein  de  dignité,  autant  ils  méprisent  un 
prêtre  léger,  facétieux,  ou  à  plus  forte  raison  go- 
guenard et  trivial  :  c'est  un  farceur ,  disent-ils. 
Croyez-nous,  jeune  ami,  ces  paroles  méprisantes, 
nos  oreilles  les  ont  plus  d'une  fois  entendues. 

—  Combattez  les  mauvaises  raisons  que  vous 
pourriez  être  tenté  d'alléguer  pour  justifier  ou  du 
moins  pour  pallier  votre  légèreté.  Ne  dites  pas, 
par  exemple,  qu'une  gravité  trop  compassée  est 
sèche  et  rebutante,  tandis  qu'un  certain  enjoue- 
ment réconcilie  les  mondains  avec  la  dévotion  et 


—  312  — 

rectifie  les  fausses  idées  qu'ils  s'en  forment.    On 
peut  être  grave  sans  être   sec  ;  il  y  a  une  gaieté 
modérée   que   la   gravité   sacerdotale   n'a  jamais 
condamnée  et  que  Ton  aime  généralement  à  trou- 
ver chez  un  prêtre.   Saint  François  de  Sales  était 
un  type  accompli  en  ce  genre.  Une  aimable  gaieté 
lui  était  familière  ;  mais  jamais  cette  gaieté  n'efTa- 
çait  la  gravité  modeste  qui  brillait  en  sa  personne. 
Ne  soyez  gai  que  comme  il  Tétait,  et  tout  le  monde 
dira  que  vous  l'êtes  comme  un  prêtre  doit  l'être. 
—  Ne  dites  pas  non  plus  que  la  gaieté  chasse 
la  mélancolie,  et  qu'il  est  bon  de  combattre  par 
l'enjouement  la  tristesse  et  l'ennui.  Où  donc  avez- 
vous  vu  que  le  fervent  séminariste  et  le  saint  prê- 
tre fussent,   par  caractère,   sombres,   chagrins   et 
rêveurs?  N'est-ce  pas  chez  eux,  au  contraire,  qu'on 
voit  unies  à  une  gravité  "décente  le  calme,  la  séré-  ' 
nité,  l'air  satisfait,  et  ce  gracieux  abandon  que  tout  ' 
le  monde  admire  ?  Croyez-nous,  cher  ami,  ils  sont 
plus  heureux  que  vous,  ceshommes  que  vous  croyez 
tristes  parce  qu'ils  remplacent  votre  gaieté  folâtre 
par  une  modestie  séduisante  et  une  joie  modérée. 
—  Enfin  ne  dites  pas  qu'on  voit  des  prêtres  tout 
aussi  gais  que  vous  et  qui  n'en  sont  pas  moins  des 
prêtres  estimables  et  estimés.  La  gaieté,  sachez-le 
bien,  n'est  qu'un   trait  de  la  légèreté.   L'homme 
gai  par  naiure  n'est  pas  toujours  léger,   et  c'est 
la  légèreté  que  vous  avez  à  combattre.  On  peut 
être  gai  sans  être  railleur,  facétieux,  trivial,   im- 
prudent dans  ses  paroles  et  dans  ses  actes.  Yoilà 
les  vrais  caractères  de  la  légèreté  ;  voilà  les  ca- 
ractères que  vous  devez  faire  disparaître  si  vous 
les  reconnaissez  en  vous-même. 


—  313  — 

—  Quand  vous  serez  nourri  de  ces  réflexions, 
mettez  la  main  à  l'œuvre  et  commencez  votre  ré- 
forme. Pour  cela,  regardez  autour  de  vous  :  con- 
naissez-vous un  séminariste  fervent  et  parfaitement 
modeste  dans  le  séminaire?  Connaissez-vous  un 
saint  et  digne  prêtre  dans  le  monde?  Yoilà  vos 
modèles.  Mettez  en  regard  de  vos  légèretés  et  de 
vos  imprudences,  la  sagesse  de  leurs  discours,  la 
dignité  de  leur  attitude,  la  retenue  de  leur  enjoue- 
ment, la  prudence  de  leurs  démarches,  l'égalité  de 
leur  caractère,  l'aménité  de  leurs  formes,  et  copiez 
trait  pour  trait  ce  qui  brille  chez  eux  et  ce  qui, 
malheureusement,  est  loin  de  briller  chez  vous. 

—  Portez  vos  vues  encore  plus  haut.  Vous  voulez 
être  ministre  de  Jésus-Christ  ;  voyez  votre  maître 
et  votre  modèle.  On  dit  dans  l'Évangile  qu'il  a 
pleuré;  où  avez-vous  vu  qu'il  ait  ri?  On  admirait 
la  sagesse  de  ses  paroles  ;  où  avez-vous  vu  qu'il 
en  ait  dit  d'imprudentes?  On  épiait  toutes  ses  dé- 
marches pour  le  trouver  en  défaut  ;  où  avez-vous 
vu  qu'il  en  ait  fait  d'inconvenantes?  On  était  ravi 
de  ses  manières  douces,  insinuantes  et  persuasives  ; 
où  avez-vous  vu  qu'il  ait  rebuté  personne  par  des 
légèretés  comme  les  vôtres  ?  Quis  ex  vobis,  disait-il 
sans  crainte,  arguet  me  de  peccato  ?  Encore  une 
fois,  voilà,  voilà  votre  maître  et  votre  modèle  : 
étudiez-le,  copiez-le,  puisque  vous  êtes  son  disci- 
ple et  que  bientôt  vous  serez  son  ministre  :  Inspice 
et  fac  secimdùm  exemplar. 

—  Renoncez  à  vos  plaisanteries  perpétuelles  : 
quand  elles  sont  rares  et  de  bon  goût,  elles  ont 
leur  agrément  et  vous  pouvez  vous  les  permettre  ; 
mais  quand  elles  blessent  quelque  vertu  ou  qu'elles 

n.  18 


—   344  -- 

affluent  par  torrents,  elles  deviennent  insipides, 
et  vous  devez  les  supprimer  si  elles  sont  mau- 
vaises, ou  les  contenir  dans  de  justes  bornes  si 
elles  sont  seulement  par  trop  abondantes. 

—  Au  lieu  de  considérer  en  toutes  choses  le  côté 
plaisant  de  ce  que  vous  entendez  dire  ou  de  ce  que 
vous  voyez  faire,  considérez  plutôt  le  côté  sérieux 
et  utile,  et  montrez  alors,  par  Li  maturité  de  vos 
réflexions,  que  vous  êtes  un  homme  grave  et  non 
pas  un  enfant  ou  un  écolier. 

—  Jamais  surtout  de  railleries  piquantes  :  soyez 
ferme  à  cet  égard.  Si,  par  malheur,  vous  en  avez 
contracté  l'habitude,  hâtez-vous  de  la  vaincre.  La 
raillerie  mordante,  chez  le  séminariste  ou  chez  le 
prêtre,  est  détestable;  c'est  d'ailleurs  un  mauvais 
genre  que  le  monde  poli,  d'accord  en  ce  point  avec 
la  religion,  réprouve  et  condamne. 

—  x\yez  horreur  des  trivialités  et  des  bouff'onne- 
ries  ;  elles  sont  indignes  d'un  élève  du  sanctuaire. 
Si  le  séminariste  se  les  permet,  il  continuera  de  se 
les  permettre  quand  il  sera  prêtre,  et  alors  il  scan- 
dalisera les  peuples  et  déshonorera  le  sacerdoce. 
Le  prêtre  doit  être  le  plus  saint  des  hommes  ;  n'en 
faites  pas  un  bouffon. 

—  Ne  fréquentez  point  les  élèves  connus  par 
leur  légèreté  ;  guérissez  les  contraires  par  les  con- 
traires ;  associez-vous  à  quelques  condisciples  fer- 
vents et  modestes ,  parlez  avec  eux  de  choses 
sérieuses  et  utiles,  et  faites  votre  profit  de  leurs 
enseignements  et  de  leurs  exemples. 

—  Enchaînez-vous,  quand  vous  avez  le  désir  de 
Vous  émanciper  et  de  vous  mettre  au  large.  Priez 
ou  faites  une  bonne  lecture,  quand  vous  êtes  sur 


—  315  — 

le  point  d'en  faire  une  frivole  ;  travaillez,  quand 
vous  êtes  tenté  d'aller  causer  et  rire  au  mépris  de 
la  règle  ;  dites  un  mot  pieux  ou  du  moins  raison- 
nable, quand  vous  avez  la  démangeaison  de  vous 
lancer  dans  les  facéties  et  les  bons  mots. 

—  Observez-vous  avec  soin  quand  vous  sortez 
en  ville,  quand  vous  êtes  par  hasard  avec  des  per- 
sonnes peu  réservées,  ou  à  plus  forte  raison  quand 
vous  êtes  à  l'église.  Soyez  partout  pénétré  de  la 
présence  de  Lieu  qui  vous  voit,  et  dites-vous  à 
vous-même  :  Comment  serait  un  saint  s'il  était  à 
ma  place?  comment  serais-je  moi-même  si  j'étais 
sous  les  yeux  de  Jésus  et  de  Marie  ? 

—  Priez  votre  directeur,  vos  supérieurs,  et  même 
quelque  pieux  condisciple  de  vous  aider  par  leurs 
conseils  à  opérer  votre  réforme.  Confiez-leur  fran- 
chement le  désir  que  vous  avez  d'abandonner  votre 
mauvais  genre,  et  punissez-vous  quand  il  vous 
échappera  quelque  légèreté  déplacée. 

—  Veillez  particulièrement  sur  vous  pendant  le 
temps  si  périlleux  des  vacances.  Faites  voira  vos 
parents,  à  vos  amis,  à  tout  le  monde  enfm,  que 
vous  n'êtes  plus,  sous  le  rapport  de  la  légèreté,  ce 
que  vous  étiez  aux  vacances  dernières.  Que  votre 
changement  à  cet  égard  soit  frappant  et  complet. 
Faites  dire  à  tous  ceux  qui  vous  verront  :  Ce  n'est 
plus  lui,  le  séminaire  Ta  transformé  ! 

—  Enfm  demandez  instamment  et  fréquemment 
à  Dieu  le  goût  des  choses  sérieuses  :  de  la  prière, 
par  exemple,  de  l'étude,  des  œuvres  de  zèle,  de  la 
vie  de  retraite,  etc.,  et  appliquez-vous  fortement  à 
acquérir  ce  goût.  Embrassez  la  piété,  jeune  et 
tendre  ami  ;   vous  n'êtes  léger  que  parce  qu'elle 


—   316   — 

vous  manque  ;  devenez  pieux,  et  vous  deviendrez 
par  là  même  un  séminariste  accompli,  et  plus  tard 
un  prêtre  béni  de  Dieu  et  des  peuples  dont  vous 
serez  le  pasteur. 

(Voyez  le  Saint  Prêtre,  deuxième  partie,  ch.  XTII,  page  322.) 


CHAPITRE    XI  Y. 


Le  séminariste  intempérant,  ou  prédisposé  à  Tintempérance. 

1 

Le  titre  seul  de  ce  chapitre  révoltera  sans  doute 
nos  jeunes  lecteurs  ;  mais  quand  ils  en  auront  par- 
couru les  détails,  ils  verront  si  l'omission  du  vice 
de  rintempérance  n'eût  pas  fait  dans  cet  ouvrage 
une  regrettable  lacune. 

Généralement  parlant,  on  peut  dire  que  l'intem- 
pérance est  plutôt  le  vice  des  hommes  faits  que 
des  jeunes  gens.  Il  faut  à  ceux-ci  des  plaisirs  pas- 
sionnés, comme  l'impureté,  bruyants,  comme  le 
jeu,  actifs,  comme  les  courses  et  les  voyages,  et  ce 
n'est  guère  que  quand  le  besoin  du  repos  se  fait 
sentir,  qu'ils  se  satisfont  en  s'installant  grave- 
ment pendant  des  heures  entières  autour  d'une 
table,  ùîter pocula  et scyphos.  Les  sém.mB,risiGs  sont 
donc,  pour  l'ordinaire,  préservés  de  ce  vice  ;  ce- 
pendant comme  nous  portons  tous,  dès  le  jeune 
âge,  le  principe  des  défauts  qui  plus  tard  se  dé- 
veloppent en  nous,  et  comme  plusieurs  prêtres, 
intempérants  aujourd'hui,  ne  Tétaient  pas  au  début 


—  317   — 

de  leur  carrière,  il  est  bon  de  voir  si,  en  exami- 
nant les  choses  à  fond,  nous  ne  trouvons  pas,  chez 
quelques  élèves  de  nos  séminaires,  le  mauvais 
germe  du  vice  que  nous  allons  combattre. 

Le  séminariste  intempérant  a  quelquefois  fait 
des  excès  dans  le  boire  ou  dans  le  manger  avant 
d'entrer  au  séminaire.  Il  aimait  déjà  les  festins,  et 
s'y  distinguait  par  un  goût  assez  prononcé  pour 
ce  qui  flattait  sa  sensualité,  notamment  par  un 
attrait  particulier  pour  les  liqueurs  enivrantes. 

Il  a  quelquefois  scandalisé  par  des  ivresses  qui 
affectaient  d'autant  plus  péniblement  ceux  qui  en 
étaient  témoins,  qu'elles  n'étaient  pas  de  son  âge 
et  qu'elles  dénotaient  déjà  une  disposition  pro- 
chaine à  l'habitude  de  l'intempérance. 

Les  âmes  pieuses  qui  connaissaient  les  premiers 
excès  de  ce  jeune  homme,  l'ont  vu  avec  peine  em- 
brasser l'état  ecclésiastique,  et  ont  tremblé  dans 
le  secret  de  leur  âme  qu'il  ne  donnât  plus  tard  des 
scandales  en  ce  point. 

Au  séminaire,  ce  vice,  comme  plusieurs  autres, 
s'assoupit  ordinairement  faute  d'occasions  ;  cepen- 
dant, en  ce  lieu-là  même,  le  séminariste  qui  a  le 
germe  de  l'intempérance,  le  laisse  encore  percer 
par  quelques  traits,  assez  faibles  peut-être,  mais 
très-significatifs  pourtant  quand  on  les  considère 
au  flambeau  de  l'expérience. 

Ainsi,  par  exemple,  l'article  de  la  nourriture  est 
pour  lui  un  article  capital.  Le  séminariste  pieux 
et  mortifié  ne  s'en  inquiète  guère  ;  il  a  des  pensées 
et  des  préoccupations  d'une  bien  autre  importance 
que  celles  de  la  table  et  des  aliments.  Mais  le  sé- 
minariste sensuel  s'occupe  presque  autant  de  son 
n.  18. 


—   348  — 

palais  que  sa  conscience.  Il  savoure  joyeusement 
les  mets  quand  ils  sont  de  son  goût,  et  il  en  fait 
une  critique  sévère  quand  ils  lui  déplaisent. 

Il  est  toujours,  à  cet  égard,  le  premier  à  se  plain- 
dre du  régime  du  séminaire,  quoique  souvent  ce 
régime  soit  préférable  à  celui  de  la  maison  de  son 
père.  En  ces  circonstances,  les  supérieurs  tombent 
sous  les  traits  de  sa  censure,  et  l'économe  surtout 
est  son  point  de  mire. 

Quand  l'heure  d'un  repas  approche,  il  y  pense 
volontiers,  moins  par  le  sentiment  du  besoin,  que 
par  celui  de  la  satisfaction  grossière  qu'il  se  pro- 
met ;  et  quoique  cette  pensée  ne  lui  procure  qu'un 
plaisir  en  perspective,  il  la  fixe  dans  son  esprit,  il 
la  rappelle  si  elle  s'éloigne,  il  l'excite  si  elle  s'é- 
mousse  ;  bref,  il  s'en  fait  une  espèce  d'occupation 
intérieure  au  sein  de  laquelle  il  se  complaît. 

Prendre  quelque  chose  entre  ses  repas  est  pour 
lui  une  bagatelle.  Les  saints  ne  s'accordaient  ja- 
mais cette  licence  ;  mais  les  saints  ne  sont  guère 
ses  modèles.  A  quelque  moment  que  l'occasion 
s'en  présente,  tout  ce  qui  délecte  son  palais,  sa 
sensualité  raccueille  avec  empressement  et  bon- 
heur. 

II  fait,  comme  les  gens  du  monde,  une  longue 
énumération  des  aliments  qui  sont  de  son  goût, 
et  à  la  manière  dont  il  en  parle,  on  voit  qu'il  doit 
éprouver  une  vive  jouissance ,  quand  les  mets 
qu'il  aime  lui  sont  présentés. 

On  en  voit  qui  se  prononcent  comme  des  gour- 
mets déjà  exercés  sur  le  mérite  des  vins,  et  qui 
les  savourent  en  connaisseurs,  ce  qui  fait  sourire 
les  uns  et  gémir  les  autres. 


—  319  — 

Quelquefois  notre  jeune  séminariste  ne  se  fait 
pas  scrupule  de  violer  la  règle,  en  se  procurant 
des  aliments  solides  et  liquides  qu'il  cache  soi- 
gneusement dans  sa  cellule  comme  des  articles  de 
contrebande. 

Parfois  aussi  il  se  fait  un  jeu  de  dépouiller  les 
jardins  des  fruits  qui  les  décorent,  ajoutant  la  faute 
du  larcin  à  celle  de  l'intempérance. 

Est-il  sans  exemple  (cela  nous  répugne  à  dire) 
que  le  séminariste  qui  se  permet  ce  qui  précède, 
se  fasse  un  jeu,  quand  il  est  employé  comme  ser- 
vant au  réfectoire,  de  prendre  en  cachette  une 
partie  des  mets  quil  remporte  de  la  table  des 
directeurs  ? 

Nous  savons  qu'on  n'attache  à  tout  cela  presque 
aucune  importance,  qu'on  se  vante  même  de  ces 
tours  d'adresse  et  qu'on  en  fait  la  matière  de  joyeux 
récits  à  des  condisciples  qui  en  rient  peut-être, 
par  respect  humain,  mais  qui  en  gémissent  en 
secret  et  qui,  pour  rien  au  monde,  ne  voudraient 
se  les  permettre.  Sans  examiner  ces  fautes  sous 
tous  les  mauvais  aspects  qu'elles  présentent,  nous 
prierons  seulement  ceux  qui  les  commettent  de 
nous  dire  si,  en  sondant  leurs  dispositions  inti- 
mes, ils  ne  sont  pas  forcés  de  reconnaître  que  tout 
cela  procède  d'un  fonds  d'immortification  et  de 
sensualité.  Pour  nous,  nous  n'avons  pas,  à  cet 
égard,  le  plus  léger  doute,  et  nous  craignons  bien 
qu'un  séminariste  de  cette  trempe  ne  soit  plus 
tard  un  prêtre  fort  peu  sobre. 

«  J'ai  toujours  vu,  nous  disait  un  jour  un  digne 
et  saint  confrère,  que  ceux  de  mes  anciens  con- 
disciples  qui  sont  devenus  plus  tard  des  prêtres 


—  320  — 

intempérants,  se  distinguaient  au  séminaire  par 
de  légers  actes  de  sensualité.   » 

Mais  que  dirons-nous  de  notre  jeune  élève  pen- 
dant les  vacances?  Au  lieu  de  restreindre  le  nom- 
bre de  ses  visites,  il  les  multiplie  outre  mesure,  et 
s'attire  par  là  des  invitations  fréquentes  à  des  fes- 
tins prolongés,  invitations  qui  lui  sont  trop  agréa- 
bles pour  qu'il  y  réponde  jamais  par  un  refus. 
Dans  ces  festins  son  immortification  triomphe  ;  il 
n'a  pas  même  la  pensée  de  s'imposer  une  seule  de 
ces  privations  si  familières  aux  saints,  et  déjà,  en 
fait  de  liqueurs  fortes,  il  tient  tête  aux  plus  intré- 
pides. Son  attitude,  son  air  de  satisfaction  et  quel- 
quefois les  paroles  vivement  accentuées  qu'il  em- 
ploie pour  faire  l'éloge  des  mets  qui  lui  plaisent  ; 
tout  annonce  qu'il  est  dans  son  élément  et  que  la 
sensualité  est  un  de  ses  défauts.  Dieu  veuille  même 
que  ses  anciens  excès  ne  se  reproduisent  pas,  et 
qu'en  quittant  la  table  sa  raison  soit  toujours  aussi 
saine  qu'elle  l'était  en  y  prenant  place  ! 

Les  parents  de  ce  jeune  ordinand  s'aperçoivent 
eux-mêmes  de  sa  délicatesse  excessive  en  fait  d'ali- 
ments. Se  trouvant  plus  libre  au  milieu  de  sa  fa- 
mille, il  manifeste  aussi  plus  librement  ses  goûts 
et  ses  répugnances  à  l'égard  des  mets  qu'on  lui 
sert.  Au  lieu  de  donner  l'exemple  de  la  mortifica- 
tion, il  malédifie  par  les  minutieuses  recherches 
de  sa  sensualité. 

Que  de  prêtres,  hélas  1  aujourd'hui  peu  tempé- 
rants, l'étaient  plus  que  le  séminariste  que  nous 
venons  de  dépeindre,  quand  ils  étaient  sémina- 
ristes eux-mêmes  !  Combien  donc,  jeune  et  tendre 
ami,  ne  devez-vous  pas  craindre  d'être  plus  tard 


—  32!    — 

ce  que  déjà  peut-être  vous  commencez  à  être  au- 
jourd'hui !  Si  ce  malheur  arrive,  voyons  ce  que 
vous  serez  dans  un  avenir  prochain. 

II 

Devenu  prêtre,  vous  aimerez  la  bonne  chère,  et 
soit  chez  vous,  soit  chez  les  autres,  vous  accueil- 
lerez un  grand  repas  comme  une  bonne  fortune. 

Vous  y  assisterez  avec  un  air  d'enjouement  et 
de  satisfaction  qui  manifestera  votre  goût  domi- 
nant pour  le  grossier  plaisir  de  la  sensualité  sa- 
tisfaite. 

Vous  étalerez  un  luxe  de  table  fort  peu  séant 
chez  un  ecclésiastique,  et  vous  forcerez  vos  con- 
frères à  user  de  représailles  à  votre  égard,  quand 
ils  vous  traiteront  à  leur  tour. 

Vous  ferez  un  usage  immodéré  des  aliments  et 
surtout  des  liqueurs  fortes,  dont  vous  contracterez 
bientôt  la  dangereuse  habitude. 

Vous  négligerez  les  pauvres  pour  satisfaire  votre 
intempérance,  et  vous  engloutirez  dans  votre  ca- 
veau des  sommes  considérables  qui  soulageraient 
leurs  misères. 

Vous  scandaliserez  les  peuples  par  votre  assi- 
duité bien  connue  à  des  festins  perpétuels,  dont 
ils   font  si  souvent  la  matière  de  leurs  censures. 

Vous  sensualiserez  votre  âme  en  donnant  à  votre 
corps  une  abondance  dont  il  souffrira  lui-même, 
et  vous  prendrez  place  parmi  ceux  qui  faisaient 
gémir  le  grand  Apôtre  quand  il  disait  en  pleurant  : 
Midti  amhulanty  quos  sœpè  dicebam  vobis  (mine  au- 
tem  et  flens  dieo)  inimieos  erueis  Christi  :  quorum 


—  322  — 

finis  mteritus  :  quorum  Deus  venter  est;  et  gloria 
in  confusione  ipsorum,  qui  terrena  sapiunt. 

Vous  perdrez  peu  à  peu  et  peut-être  bien  vite 
le  goût  de  l'étude,  de  la  piété  et  des  choses  de 
Dieu,  n'ayant  d'attrait  que  pour  la  vie  des  sens  et 
vérifiant  en  votre  personne  cette  sentence  de  saint 
Paul  :  Animalis  homo  non percipit  ea  qudd  sunt  Dei. 

Les  œuvres  de  zèle  ne  seront  plus  rien  pour 
vous;  l'esprit  de  dévouement  et  de  sacrifice  vous 
sera  inconnu,  et  l'ensemble  de  votre  ministère  sera 
déplorable. 

Yous  serez  peut-être  par  vos  ivresses  la  risée 
des  peuples  :  en  apprenant  vos  désordres,  les  mé- 
chants triompheront,  les  bons  gémiront,  et  vous 
tomberez  dans  le  mépris  universel,  triste  et  iné- 
vitable parlage  du  prêtre  intempérant. 

Yous  allumerez  le  feu  de  la  volupté  dans  la  ré- 
gion des  passions,  et  vous  couvrirez  l'Église  de 
deuil  et  de  confusion  par  des  chutes  honteuses. 

L'âge,  qui  amortit  quelquefois  certains  vices, 
fortifiera  chez  vous  celui  de  l'intempérance,  et, 
vous  aveuglant  de  plus  en  plus  sur  les  péchés 
qu'elle  vous  fera  commettre,  vous  arriverez  jus- 
qu'au moment  de  la  mort  avec  une  conscience  as- 
soupie qui  ne  se  réveillera  qu'aux  pieds  de  votre 
juge  dans  l'éternité. 

Et  ne  dites  point  que  vous  n'irez  pas  jusque-là, 
qu'un  sentiment  de  pudeur  saura  bien  vous  re- 
tenir, et  que  vous  éviterez  certainement  des  abîmes 
dont  la  seule  pensée  vous  pénètre  aujourd'hui 
d'horreur  et  de  dégoût.  Que  de  prêtres  intempé- 
rants ont  tenu  ce  langage,  et  sont  aujourd'hui  ce 
qu'ils  se  promettaient  de  n'être  jamais  ! 


—  323  — 

Cependant,  direz-vous,  plusieurs  ne  vont  pas 
jusqu'au  terme  que  vous  venez  d'assigner  :  s'ils 
ne  sont  pas  aussi  sobres  qu'ils  le  devraient  être, 
ils  ne  sont  pas  pour  cela  intempérants  jusqu'au 
scandale.  —  Plusieurs  ne  vont  pas  jusqu'au  der- 
nier terme,  cela  est  vrai;  mais  quelques-uns  y 
vont,  comme  l'expérience  l'atteste  ;  et  qui  vous 
a  dit  que  vous  n'imiterez  pas  ceux-ci  et  que  vous 
vous  contenterez  d'imiter  ceux-là?  D'ailleurs  est-il 
donc  besoin  d'aller,  sur  ce  point,  jusqu'aux  der- 
niers excès  pour  offenser  Dieu?  L'amour  de  la 
bonne  chère,  les  festins  fréquents,  les  copieuses 
libations,  la  perte  du  temps,  le  dégoût  de  la  piété, 
*le  renoncement  au  travail,  les  négligences  dans 
le  saint  ministère,  effets  ordinaires  d'une  vie  sen- 
suelle, ne  suffisent-ils  pas  pour  éteindre  l'esprit 
ecclésiastique,  scandaliser  les  fidèles  et  perdre  les 
âmes  dont  le  prêtre  est,  par  état,  le  second  ré- 
dempteur ? 

Ne  vous  aveuglez  pas,  jeune  et  tendre  ami,  et 
au  lieu  de  pallier  le  vice  de  l'intempérance,  hâtez- 
vous  plutôt  de  prévenir  ses  excès  par  l'emploi  des 
remèdes  qui  vont  vous 'être  proposés. 


III 


—  Un  point  essentiel  et  auquel  on  ne  pense 
guère,  c'est  que  la  mortification  du  goût  est  abso- 
lument nécessaire  pour  quiconque  entreprend  de 
mener  une  vie  sainte.  Le  séminariste,  qui  n'aspire 
à  rien  moins  qu'à  la  sainteté  sacerdotale,  doit  donc 
d'abord  se  bien  pénétrer  de  la  nécessité  de  mor- 
tifier son  goût,  se  disant  à  lui-même  :  Je  ne  serai 


—  324  — 

jamais  ce  qiie  Dieu  veut  que  je  sois,  si  je  ne  suis 
pas  mortifié  sur  le  point  de  la  sensualité. 

—  Pour  vous  excHer  à  combattre  votre  exces- 
sive délicatesse  à  cet  égard,  vous  ferez  bien  de 
vous  appesantir  sur  cette  considération,  que  tous 
les  saints  se  sont  appliqués  sans  relâche  à  mortifier 
leur  goût,  et  qu'ils  en  venaient,  avec  le  secours  de 
Dieu,  jusqu'à  trouver  un  vrai  sentiment  de  bonheur 
dans  cette  mortification.  —  Mon  enfant  y  disait  un 
jour  saint  Philippe  de  Néri  à  un  de  ses  pénitents 
qui  s'épargnait  un  peu  trop  sous  ce  rapport,  si  vous 
ne  mortifiez  pas  votre  cjoùt,  vous  ne  serez  jamais 
saint. 

—  Quand  vous  serez  convaincu  de  ces  vérités, 
vous  devrez  rentrer  en  vous-niéme  et  voir,  par  ce 
que  nous  avons  dit  des  caractères  de  l'intempé- 
rance, s'il  n'y  en  a  pas  quelques-uns  qui  vous 
conviennent.  Si,  malheureusement,  vous  avez  fait 
autrefois  certains  excès  à  cet  égard  ;  si  surtout  ils 
ont  été  un  peu  fréquents,  ou  si,  à  plus  forte  raison 
vous  en  aviez  contracté  Thabitude,  vous  devez  en 
donner  connaissance  à  votre  confesseur  du  sémi- 
naire, suivre  exactement  les  avis  qu'il  vous  don- 
nera, et  renoncer  sans  balancer  à  l'état  ecclésias- 
tique s'il  vous  lordonne,  ou  si  seulement  il  vous 
le  conseille. 

—  Si,  sans  avoir  jamais  fait  d'excès  notables  en 
cette  matière,  vous  remarquez  cependant  un  goût 
prononcé  pour  la  bonne  chère  ;  si  vous  aimez  les 
festins,  si  vous  êtes  sensible  à  la  délicatesse  des 
mets,  si  vous  les  savourez  avec  un  vif  plaisir,  soyez 
persuadé  que  vous  avez  un  germe  d'intempérance, 
et  que  si  vous  ne  travaillez  pas  sérieusement  à 


—  335  — 

rétoufïer  pendant  que  vous  êtes  séminariste,  il  se 
développera  de  plus  en  plus  lorsque  vous  serez 
prêtre. 

—  En  vous  rendant  au  réfectoire,  rappelez-vous 
la  présence  de  Dieu,  dirigez  et  purifiez  votre  inten- 
tion, récitez  très-attentivement  le  Beiiedicite,  et 
immédiatement  avant  de  commencer  votre  repas, 
rectifiez  de  nouveau  votre  intention  et  renoncez 
au  plaisir  sensuel  que  vous  allez  éprouver.  Il  est 
rare,  disent  les  saints,  qu'on  prenne  un  repas  sans 
y  commettre  plusieurs  péchés  véniels. 

—  Adoptez  l'habitude  de  vous  imposer  quelques 
privations  dans  chacun  de  vos  repas,  faites-y  tou- 
jours la  part  de  la  mortification,  et  tâchez  de  vous 
distraire  de  la  satisfaction  que  les  aliments  vous 
procurent,  par  quelques  pensées  pieuses,  par  quel- 
ques élévations  de  votre  cœur  vers  Dieu,  et  par 
une  attention  toute  particulière  à  la  lecture  du  réfec* 
toire. 

—  Ne  manifestez  jamais  de  mécontentement  à 
l'égard  des  mets  qui  vous  seront  présentés,  et  n'en 
faites  pas  de  pompeux  éloges  quand  ils  seront  de 
votre  goût.  Tout  cela  n'est  rien  moins  qu'édifiant, 
et  annonce  clairement  que,  chez  vous,  la  sensua- 
lité est  en  règne. 

—  Ne  contractez  pas  l'habitude  du  café,  des 
liqueurs  fortes,  etc.  Cela  ne  vous  sera  pas  très- 
pénible  à  l'âge  où  vous  êtes,  et  surtout  après  trois 
années  de  séminaire  où  ces  choses  sont  interdites  ; 
tandis  que,  plus  tard,  si  vous  en  faisiez  usage  de 
bonne  heure,  vous  n'auriez  plus  le  courage  de 
vous  en  passer.  Lès  pieux  séminaristes  craignant 
excessivement  cette  habitude,  se  privent  absolu» 

II.  19 


■  ——'  _  326"^— 

ment  de  ce  qui  vient  d'être  dit,  et  leur  santé,  aussi 
bien  que  leur  àme,  se  trouve  parfaitement  de  cette 
privation. 

—  Ne  quittez  point  le  séminaire  sans  avoir  con- 
sulté tout  spécialement  votre  directeur  sur  l'article 
si  grave  des  festins.  Priez-le  de  vous  tracer  lui- 
même  votre  conduite  à  cet  égard,  et  tenez  ferme 
aux  saintes  règles  que  son  expérience  et  son  zèle 
lui  auront  inspiré  de  vous  prescrire. 

—  Habituez-vous  à  traiter  un  peu  sévèrement 
votre  corps.  Tous  ne  ferez  jamais  aucun  progrès 
marqué  dans  la  piété,  si  la  mortification  corporelle 
est  pour  vous  une  vertu  purement  idéale  et  théo- 
rique. L'habitude  de  la  mortification  en  général 
vous  rendra  la  pratique  de  la  sobriété  beaucoup 
plus  facile,  et,  pensez-y,  jamais  vous  n'arriverez 
à  la  perfection  si  vous  êtes  sensuel.  «  Tous  les 
saints,  dit  saint  Léon,  ont  débuté  dans  la  carrière 
de  la  sainteté  pai'  la  mortification  du  goût.  » 

—  Soyez  sur  vos  gardes  pendant  les  vacances. 
Elles  sont,  pour  le  séminariste,  le  reflet  anticipé 
de  sa  vie  sacerdotale.  Si,  par  malheur,  vous  faisiez, 
pendant  ce  temps,  quelque  nouvel  excès  en  fait  d'in- 
tempérance, ne  manquez  pas  d'en  instruire  votre 
confesseur  du  séminaire,  qui  doit  prononcer  bien- 
tôt sur  le  point  si  important  de  votre  vocation.  Ceci 
n'est  pas  un  simple  conseil,  c'est  une  obligation 
rigoureuse  à  laquelle  on  croit  quelquefois  pouvoir 
se  soustraire  quand  on  s'est  confessé  de  sa  faute 
à  son  confesseur  du  monde.  11  peut  se  faire,  sans 
doute,  que  cette  faute  ait  été  remise  par  l'absolu- 
tion que  vous  en  avez  reçue  pendant  les  vacances  ; 
mais  votre  confesseur  du  séminaire,  avant  devons 


I 


—  327  — 

admettre  aux  saints  ordres,  a  besoin  de  savoir  s'il 
n'y  a  pas  eu  de  votre  part  quelque  rechute,  à  l'oc- 
casion d'un  péché  qui  peut-être  lui  a  déjà  donné 
de  sérieuses  inquiétudes  sur  votre  vocation. 

—  Pendant  les  vacances  encore,  fuyez  les  grands 
repas  au  lieu  de  les  rechercher.  Ne  faites  pas  brèche 
au  règlement  que  vous  avez  adopté  ;  et  quand 
vous  croirez  pouvoir,  sans  l'enfreindre,  assister  à 
quelque  dîner  de  cérémonie,  édifiez  par  votre  tem- 
pérance, imposez-vous  quelque  privation,  et  ne 
vous  laissez  pas  entraîner  par  l'exemple  de  ceux 
qui  se  permettent  ce  que  vous  avez  promis  à  Dieu 
de  vous  interdire. 

—  Enfm,  si  votre  directeur  n'y  voit  pas  d'in- 
convénient, observez  un  jour  de  jeune  par  semaine, 
le  vendredi,  par  exemple,  en  mémoire  de  la  passion 
du  divin  Sauveur. 

Avec  ces  précautions,  jeune  et  tendre  ami,  vous 
conserverez  intacte  la  vertu  de  tempérance,  vous 
tiendrez  vos  passions  en  bride,  et  vous  édifierez 
les  peuples  par  la  sobriété  dont  vous  leur  donnerez 
le  salutaire  exemple. 
(Voyez  le  Saint  Prêtre,  deuxième  partie,  eh.  IX,  page  231.) 


CHAPITRE  XV 


Le  séminariste  cupide,  intéressé,  prédisposé  à  l'avarice. 
I 

Voici  encore  un  défaut  dont  le  germe  est  à  peine 
sensible  chez  les  élèves  des  séminaires.  Aussi  plu- 


—  328  — 

sieurs  penseront-ils,  au  premier  abord,  que  nous 
aurions  pu  sans  inconvénient  nous  dispenser  de 
traiter  cette  matière.  Nous  ne  sommes  pas  de  cet 
avis.  Il  faut  bien  en  convenir,  le  prêtre  avare  n'est 
point  un  être  chimérique.  Or,  s'il  y  a  des  prêtres 
avares,  et  si,  quand  ils  le  sont,  leur  avarice  se 
fortifie  avec  l'âge,  comme  l'expérience  le  démontre, 
n'est-il  pas  très-important  pour  le  séminariste  de 
savoir,  au  début  de  sa  carrière,  quels  sont  les 
premiers  symptômes  de  ce  vice,  afin  que,  s'il  les 
reconnaît  en  lui,  il  se  hâte  de  remédier  à  un  [mal 
qu'il  serait  trop  tard  de  combattre  quand  il  aurait 
envahi  son  âme  ? 

La  mauvaise  inclination  du  séminariste  cupide 
a  quelquefois  pris  naissance  au  sein  de  sa  famille. 
Voyant  chez  ses  parents  une  ardeur  désordonnée 
pour  les  biens  de  la  terre  et  peut-être  même  un 
intérêt  sordide,  il  eut  le  malheur  de  partager  leurs 
goûts  terrestres. 

Entendant  à  tout  moment  exalter  les  richesses 
et  proclamer  heureux  ceux  qui  étaient  dans  l'opu- 
lence, il  connut  de  bonne  heure  la  valeur  de  l'ar- 
gent et  il  le  considéra  d'un  œil  d'envie. 

Au  lieu  de  dissiper  ses  modiques  épargnes  ou 
de  les  employer  à  soulager  les  pauvres,  comme  le 
faisaient  ses  jeunes  camarades,  il  les  gardait  soi- 
gneusement et  prenait  un  vif  plaisir  à  grossir 
chaque  jour  son  petit  trésor. 

Sans  avoir  aucun  besoin  d'acquérir,  il  demandait 
souvent  quelques  légères  sommes  à  ses  parents, 
non  pas  pour  s'en  servir,  mais  pour  jouir  du  bon- 
heur de  les  posséder. 

Peut-être  n'était-il  pas  dans  l'aisance,  et  alors  il 


—  320  — 

ne  craignait  pas  de  faire  connaître  et  d'exagérer 
même  ses  besoins,  pour  obtenir  des  riches  quel- 
ques faveurs  pécuniaires  dont  il  pouvait  rigou- 
reusement se  passer. 

Plus  tard,  il  se  demanda  ce  qu'il  deviendrait  : 
les  préoccupations  de  la  vocation  se  déclarèrent, 
et  il  lui  sembla  que  l'état  ecclésiastique  lui  pro- 
curerait à  peu  de  frais  une  position  avantageuse 
et  assez  lucrative. 

Il  espéra  d'ailleurs  que  les  âmes  pieuses  lui 
viendraient  plus  volontiers  en  aide,  s'il  se  tournait 
vers  le  séminaire,  que  s'il  embrassait  une  profes- 
sion séculière,  et  peut-être  sa  vocation  eut-elle  la 
cupidité  pour  premier  principe. 

Voila  déjà  de  mauvais  germes  qu'on  couvrira 
peut-être,  mais  qu'on  étouffera  difficilement  dans 
le  séminaire.  Voyons,  au  reste,  le  séminariste  sur 
ce  nouveau  théâtre. 

Un  vêtement  décent  lui  serait  nécessaire  et  il 
pourrait  se  le  procurer;  mais  comme  il  n'a  point 
confiance  en  Dieu  pour  ce  qui  regarde  le  temporel, 
et  qu'il  est  à  lui-même  sa  providence,  il  ne  se  pro- 
cure point  le  vêtement  dont  il  a  besoin,  et  son 
costume  est  plus  que  simple,  c'est-à-dire  sale  et 
négligé. 

Sa  bibliothèque  n'en  est  pas  une  :  quelques  livres 
absolument  indispensables  qu'il  sollicita  peut-être 
de  ses  bienfaiteurs  quoiqu'il  eût  pu  les  acheter  sans 
recourir  aux  largesses  d'autrui  ;  voilà  tout  ce  qu'il 
possède  à  cet  égard.  Certains  ouvrages  dont  il  con- 
naît le  mérite  et  qui  pourraient  lui  être  fort  utiles, 
excitent  son  envie  ;  mais  ,  quelque  faible  qu'elle 
soit,  il  recule  devant  la  légère  somme  qu'il  fau- 


—   330  — 

drait  débourser  pour  se  les  procurer,  et  il  aime 
mieux  se  priver  des  précieux  avantages  qu'il  en 
pourrait  tirer,  que  d'entamer  son  petit  pécule. 

A  la  rigueur,  il  payerait  bien  la  totalité  de  sa 
pension  s'il  le  voulait  ;  mais,  se  persuadant  tou- 
jours que  le  séminaire  est  riche,  et  se  regardant 
lui-même  comme  pauvre,  il  implore  des  réductions 
aussi  fortes  que  possible,  il  exagère  sa  pénurie,  et  il 
obtient  des  remises  auxquelles,  en  conscience,  il 
n'a  peut-être  pas  droit. 

Sa  vocation  est  quelquefois  assez  équivoque  à 
certains  égards  ;  son  attrait  pour  l'état  ecclésiasti- 
que n'est  pas  très-vif;  du  moins  ce  n'est  guère  pour 
glorifier  Dieu  et  sauver  des  âmes  qu'il  veut  être 
prêtre:  mais  que  faire?  que  devenir?  où  trouver 
une  profession  qui  offre  à  si  bon  marché  d'aussi 
grands  avantages  que  celle  à  laquelle  il  aspire? 
Âh  !  s'il  en  trouvait  une  aussi  aisée  à  obtenir  et 
aussi  lucrative  ou  plus  lucrative  encore,  son  choix 
serait  bientôt  fait;  mais  comme  il  n'en  voit  aucune 
qui  favorise  comme  celle-ci  ses  inclinations  cupi- 
des, c'est  elle  qu'il  embrasse. 

A-t-ilà  faire  quelques  achats  indispensables?  Il 
donne  aux  marchands  des  preuves  évidentes  de  sa 
lésinerie  en  discutant  le  prix  avec  une  ténacité  qui 
les  agace  et  qui  lui  attire  des  paroles  humiliantes. 

Demande- t-il  quelques  services  à  des  ouvriers , 
à  des  domestiques,  à  des  commissionnaii'es  ?  Au 
lieu  de  se  montrer  généreux,  ou  il  ne  leiir  donne 
rien,  ou  il  leur  donne  fort  peu  de  chose  bour  les 
récompenser  de  leur  peine,  provoquant  aii^si  leurs 
murmures  et  encourant  le  honteux  reproche  d'in- 
térêt et  de  ladrerie. 


—  331   — 

Dans  ses  conversations,  il  révèle,  sans  s'en  aper- 
cevoir ,  ses  sentiments  intimes.  Ne  considérant 
jamais  les  choses  selon  les  lumières  de  la  foi,  mais 
toujours  au  point  de  vue  de  rintérêt,  il  s'extasie 
comme  les  enfants  de  la  terre  à  la  nouvelle  qu'on 
lui  aimonce  qu'une  personne  du  monde  qu'il  con- 
naît vient  de  recueillir  un  riche  héritage  ;  il  envie  se- 
crètement son  honheur,  et,  par  la  manière  dont  il  en 
parle,  il  semble  dire  que  s'il  lui  arrivait  une  pareille 
aubaine,  il  ferait  bientôt  ses  adieux  au  séminaire. 

Il  s'exprime  de  même  en  apprenant  l'élévation 
de  quelque  prêtre  à  un  emploi  mieux  rétribué  que 
celui  qu'il  occupait,  et  il  laisse  échapper  ces  mots 
inconvenants  qui  ravalent  le  sacerdoce  :  Quel  bon 
vicariat  I  quelle  bonne  cure  !  comme  si  les  bonnes 
cures  et  les  bons  vicariats  n'étaient  pas  ceux  où 
l'on  sauve  plus  sûrement  son  âme  et  celles  de  ses 
frères. 

Si  on  lui  propose  deux  œuvres  à  faire  :  l'une  qui 
ne  lui  rapportera  rien,  l'autre  qui  lui  rapportera 
quelque  avantage  temporel,  il  choisit  sur-le-champ 
cette  dernière,  avant  d'avoir  même  examiné  laquelle 
procurera  plus  abondamment  la  gloire  de  Dieu  et 
le  bien  du  prochain. 

En  quittant  le  séminaire  pour  aller  en  vacances, 
il  trouve  l'occasion  de  manifester  son  défaut  ;  il  a 
des  discussions  avec  les  conducteurs,  les  buralis- 
tes, les  commissionnaires  et  autres  gens  de  cette 
classe,  ne  comprenant  pas  qu'ilvautbeaucoup  mieux 
sacrifier  quelques  pièces  de  monnaie,  que  de  com- 
promettre l'honneur  du  corps  ecclésiastique  dont  il 
est  un  membre. 

Les  pauvres  l'importunent  en  vain  ;  il  voit  les 


—  332  — 

laïques  visiter  leurs  tristes  demeures,  sans  faire 
autre  chose  que  les  admirer. 

Nul  ne  dit  plus  haut  que  lui  que,  dans  la  classe 
indigente,  les  bons  pauvres  sont  très-rares,  et  les 
mauvais  excessivement  nombreux.  De  ce  principe 
il  tire  la  conséquence  que  les  bons  pauvres  sont 
généralement  assistés  et  que  les  mauvais  ne  mé- 
ritent pas  de  l'être  :  excellent  moyen  de  ne  s'in- 
quiéter ni  des  uns  ni  des  autres  ! 

En  fait  de  pauvreté,  il  ne  croit  guère  qu'à  la 
sienne  :  du  moins  n'y  a-t-il  qu'elle  qui  le  touche 
au  vif. 

Les  œuvres  de  charité  ne  s'alimentent  point  aux 
,  dépens  de  sa  bourse  ;  il  est,  sur  ce  point,  parci- 
monieux comme  en  toute  autre  chose,  et  si  sa  cu- 
pidité n'est  pas  publiquement  connue,  sa  générosité 
l'est  bien  moins  encore. 

Bref,  toujours  joyeux  quand  il  reçoit,  toujours 
récalcitrant  quand  il  faut  qu'il  donne,  il  pense  à 
l'argent,  il  désire  l'argent,  il  aime  l'argent  pour 
l'argent,  et  tout  autre  attachement  n'occupe  dans 
son  estime  qu'un  rang  secondaire. 

Yoilà  bien  les  préliminaires  de  l'avarice,  si  ce 
n'est  pas  déjà  l'avarice  elle-même.  Voyons  main- 
tenant où  tout  cela  conduit. 

II 

Il  serait  difficile  d'imaginer  un  spectacle  plus 
hideux  que  celui  qu'offre  un  prêtre  adonné  à  l'a- 
varice, L'Esprit-Saint  a  prononcé  une  sentence 
qu'on  trouverait  sans  doute  exagérée  dans  notre 
bouche  ;  il  a  dit  qu'il  n'y  a  rien  de  plus  criminel 


—  333  — 

que  l'avare  :  Avaro  nihil  est  scelestius...  Nihil  est 
iniquius  qiiàm  amorc pecuniam  :  hic  Cfiim  et  animam 
suam  venalem  habet.  (EccL,  10.)  Yoilà  comme  s'ex- 
prime l'Esprit-Saint  :  qu'eùl-il  dit  s'il  eût  parlé  du 
prêtre  asservi  à  ce  vice  ? 

Mais  voyons  jeune  et  bien-aimé  lecteur,  ce  que 
vous  serez  dans  le  sacerdoce  si,  n'étant  encore  que 
séminariste,  vous  êtes  déjà  attaché  à  l'argent. 

Vous  aurez  tout  d'abord  une  tentation  séduisante 
à  subir,  et  ce  sera  l'argent  lui-même  qui  la  susci- 
tera. Voyant  entre  vos  mains  une  somme  plus 
considérable  que  toutes  celles  que  vous  aurez  pal- 
pées jusque-là,  votre  cœur  s'y  attachera  fortement  ; 
vous  vous  trouverez  heureux  ;  vous  vous  croirez 
presque  riche,  et  sans  l'exprimer  positivement,  ce 
que  vous  éprouverez  voudra  dire  :  Enfin,  voilà  de 
l'argent  !  enfin  je  possède  ce  que  je  désirais  !  Re- 
pose-toi, mon  âme  ;  tu  as  bien  acheté  ton  repos  : 
Anima,  habes  multa  bona  posita  hi  annos  plurimos, 
requiesce.  Car,  soyez-en  bien  sur,  rien  n'attache  à 
l'argent  comme  la  possession  d'une  somme  un  peu 
forte  ;  et  l'expérience  nous  apprend  que  tel  qui 
n'avait  jamais  donné  aucun  signe  d'avarice,  se 
sent  épris  de  cette  passion  quand  l'argent  lui  ar- 
rive avec  une  certaine  abondance.  Combien  de  gens 
s'écrient  :  Que  de  bonnes  œuvres  je  ferais  si  j'é- 
tais riche,  et  n'en  font  aucune  quand  par  hasard 
ils  le  deviennent  ! 

Vous  croyez,  sans  doute,  qu'il  en  sera  tout  au- 
trement pour  vous  et  que,  vous  trouvant  au-dessus 
du  besoin,  vous  ferez  un  bon  emploi  de  votre  su- 
perflu. C'est  une  illusion.  Si,  comme  nous  le  sup- 
posons, vous  portez  depuis  longtemps  on  vous- 
^.  19. 


—   334  — 

même  le  mauvais  germe  de  la  cupidité,  ce  germe 
se  développera  tous  les  jours  ;  car,  de  sa  nature, 
la  cupidité  est  envahissante  et  insatiable,  et  elle 
vous  dira  sans  cesse  :  Affer,  affer.  (Prov.  30.) 

Vous  commencerez  par  vous  révéler  à  votre  curé 
en  discutant  ]e  prix  de  votre  pension,  que  vous 
trouverez  toujours  trop  élevé.  Si  vous  obtenez  une 
réduction,  vous  vous  en  réjouirez  comme  d'une  vic- 
toire :  Sicut  qui  invenit  spolia  midta.  (Ps.  118.)  Si 
votre  curé  tient  ferme,  vous  murmurerez  contre 
son  obstination,  et  peut-être  direz -vous,  sinon  à 
lui,  du  moins  à  quelque  jeune  confrère,  qu'il 
spécule  sur  votre  nourriture. 

Vous  vous  montrerez  très -exigeant  aussi  à 
lYo-id  du  casuel.  Vous  élèverez  des  prétentions 
absurdes  qui  produiront  tout  le  contraire  de  ce  que 
vous  désirerez,  et  vous  vous  dédommagerez  de 
votre  échec  par  une  froideur  calculée,  qui  produira 
dans  le  presbytère  une  désunion  très-nuisible  aux 
fruits  du  ministère  paroissial. 

Comme  au  séminaire,  vous  continuerez  de  vous 
priver  de  ce  qui  ne  vous  sera  pas  absolument  né- 
cessaire, sacrifiant  l'utile  sans  pitié  ni  merci. 

Vous  vous  refuserez  des  livres  que  tout  bon 
prêtre  se  fait  un  devoir  de  posséder,  et  vous  conten- 
tant, par  esprit  dïntérêt,  de  vos  propres  lumières, 
peut-être  fort  courtes,  vous  ferez  des  bévues  dans 
la  direction  des  âmes  ou  dans  vos  prédications  et 
vos  catéchismes,  pour  n'avoir  pas  voulu  vous  pro- 
curer certains  ouvrages  où  vous  auriez  puisé  de 
précieux  enseignements. 

Vous  vous  réduirez  aussi  à  un  excès  de  simpli- 
cité en  fait  d'habillement.  On  gémira,  si  l'on  ne 


—  335  — 

rit  pas,  de  votre  costume  :  par  mesure  d'économie, 
vous  supprimerez  sans  façon  le  rabat  et  la  cein- 
ture, qui  ne  paraîtront  tout  au  plus  qu'au  jour  des 
grandes  solennités  ou  des  dîners  d'apparat. 

Vous  exigerez  avec  rigueur  ce  qui  vous  sera  dû, 
et,  par  compensation,  peut-être  ferez-vous  atten- 
dre quelque  temps  à  vos  créanciers  ce  que  vous 
leur  devrez  vous-même. 

Yous  confesserez  des  pauvres,  vous  les  visiterez 
quand  ils  seront  malades  ;  mais  vous  ne  les  assis- 
terez point,  ou  si  vous  le  faites,  ce  sera  avec  l'ar- 
gent que  des  riches  ou  des  âmes  pieuses  vous 
auront  confié  et  non  avec  le  vôtre.  Yous  les  plain- 
drez dans  leur  détresse  et  vous  leur  direz  quelques 
bonnes  paroles  dont  ils  ne  vous  sauront  aucun  gré, 
parce  que  vous  ne  leur  donnerez  que  des  paroles. 

Vous  verrez  couler  les  larmes  de  l'indigent  et 
vous  n'en  essuierez  pas  une  seule,  quoique  vous 
ayez  en  réserve  avec  quoi  en  tarir  des  torrents. 

Yous  recevrez  avec  bonheur  les  cadeaux  que 
vous  feront  vos  pénitents,  ce  que  les  saints  n'ap- 
prouvent guère  ;  et  la  joie  que  vous  leur  témoi- 
gnerez en  ces  circonstances  leur  dira  suffisamment 
qu'ils  seront  bienvenus  quand  ils  renouvelleront 
leurs  offrandes. 

Yous  ne  provoquerez  point  les  entreprises  de 
zèle  ou  de  charité  qui  exigeront  votre  coopération 
pécuniaire  ;  et  si  d'autres  les  provoquent,  vous 
vous  bornerez  à  les  appuyer  par  vos  exhortations 
et  vos  conseils. 

Yous  ne  participerez  point  ou  vous  participerez 
mesquinement  aux  bonnes  œuvres  dont  votre 
évèque   sera  le  promoteur,   et  peut-être  même 


—  336  — 

refroidirez -vous  la  charité  de  vos  confrères,  en  fai- 
sant devant  eux  la  censure  de  ses  œuvres. 

Pendant  tout  ce  temps-là,  les  mandats  arriveront, 
le  coffre  se  remplira,  le  cœur  se  collera  de  plus  en 
plus  à  son  idole,  et  la  cupidité  toujours  avide 
continuera  de  vous  dire  :  Affer,  affer. 

Devenu  curé,  le  mal  progressera  au  lieu  de  s'ar- 
rêter. Votre  prédécesseur  avait  conquis  peut-être 
le  glorieux  titre  de  père  des  pauvres  ;  il  avait  fondé 
des  œuvres  excellentes  ;  on  le  trouvait  toujours 
quand  il  y  avait  quelque  misère  à  soulager,  quel- 
que service  onéreux  à  rendre.  Or,  quand  on  vous 
verra  marcher  dans  une  voie  tout  opposée,  on  sera 
sans  aucun  doute  frappé  du  contraste,  et  plusieurs, 
les  pauvres  surtout,  diront  en  gémissant  :  Bon 
Dieu  1  qui  nous  rendra  notre  ancien  pasteur  ? 

Exigeant,  quand  vous  étiez  vicaire,  vous  rirez 
des  exigences  de  vos  vicaires  quand  vous  serez 
curé.  Votre  cupidité  fixera  le  taux  de  leur  pension, 
et  réduira  tant  qu'elle  pourra  leur  part  au  casuel. 

Vous  tiendrez  votre  maison  avec  une  lésinerie 
qui  sera  bientôt  connue  et  qui  vous  rendra  la  risée 
de  vos  paroissiens  et  de  vos  confrères. 

Ne  connaissant  ni  vos  aumônes  ni  vos  bonnes 
œuvres,  personne  n'attribuera  votre  économie  à 
des  vues  charitables,  et  vous  vous  attirerez  l'épi- 
thète  injurieuse  d'avare. 

Votre  église  sera  dans  un  dénûment  pitoyable  ; 
vos  ornements,  vos  pales,  vos  linges  d'autel  seront 
vos  accusateurs,  et  quand  vous  ouvrirez  votre 
coffre,  vous  aurez  la  preuve  que  leurs  accusations 
seront  fondées. 

Vous  exigerez  vos  droits  avec  une  ardeur  tou- 


—  337  — 

jours  croissante  :  pas  de  remises,  pas  de  délais, 
pas  d'égards  pour  les  supplications  dont  vous  serez 
importuné  :  Justice,  justice,  voilà  la  grande  auto- 
rité que  vous  invoquerez. 

Vos  parents  eux-mêmes,  dans  le  besoin  peut- 
être,  se  plaindront  de  votre  dureté,  et  comme  ils 
sauront  qu'il  vous  serait  très-aisé  de  les  assister, 
leur  mécontentement  éclatera  et  vous  sera  plus 
nuisible  encore  que  tout  le  reste. 

Votre  zèle  sera  froid  comme  votre  cœur,  et  votre 
coeur  sera  froid  comme  votre  argent;  car  quand 
a-t-on  vu  l'avare  embrasé  des  ardeurs  du  zèle  ? 
les  Apôtres,  les  Bernard,  les  Xavier,  les  Vincent 
Ferrier  n'étaient  pas  des  avares. 

Votre  piété  rivalisera  de  sécheresse  avec  votre 
zèle  ;  ^'encens  de  vos  froides  prières  s'abaissera 
vers  votre  idole  au  lieu  de  s'élever  vers  Dieu,  et 
vous  ne  goûterez  ni  les  joies  du  cœur  que  la  cupi- 
dité ne  donne  jamais,  ni  les  joies  de  l'àme  dont 
vous  serez  indigne. 

Vous  serez  tellement  aveuglé  sur  votre  triste 
état  et  vous  trouverez  votre  amour  de  l'argent  si 
peu  blâmable,  que  vous  ne  direz  pas  même  à  votre 
directeur  ce  que  vous  devriez  lui  déclarer  avant 
toute  chose. 

La  vieillesse,  si  vous  arrivez  jusqu'à  elle,  forti- 
fiera votre  passion  au  lieu  de  l'affaiblir,  comme 
cela  se  voit  tous  les  jours,  et  la  plaie  de  votre 
âme  deviendra  totalement  incurable. 

Enfui  la  mort,  qui  ne  manque  jamais  de  frapper 
son  coup  à  l'heure  fixée  par  le  maître,  vous  re- 
tranchera du  nombre  des  vivants  et  vous  jettera 
les  mains  vides  aux  pieds  du  Dieu  de  la  charité, 


—   338  — 

dont  vous  aurez  toute  votre  vie  méconnu  les  leçons 
et  les  exemples.  Et  alors  on  verra  se  produire  les 
fruits  honteux  de  votre  cupidité  sans  entrailles  : 
et  alors  le  scandale  sera  consommé;  et  alors  TÉglise 
sera  désolée,  les  méchants  triompheront,  et  les 
bons  diront  en  soupirant  :  Ecce  homo  qui  non  po- 
siiit  Dewn  adjutoreni  suiun,  sed  speravit  in  multi- 
tudine  divitiarum  suarum  ! 

Or,  pensez-y,  jeune  ami,  tout  cela  viendra  non 
comme  le  lion  qui  s'annonce  par  des  rugissements, 
mais  comme  le  serpent  qui  rampe  sans  bruit  dans 
les  herbes  ;  tout  cela  viendra  par  degrés  insensi- 
bles, et-non  par  un  de  ces  éclats  de  passion  qui  ne 
permettent  pas  à  celui  qu'ils  atteignent  de  s'en- 
dormir sous  la  foudre.  Arrêtez-vous  donc  au  début 
pendant  que  la  lumière  luit  encore  à  vos  yeux,  et 
après  avoir  mesuré  la  profondeur  du  goutfre,  recou- 
rez à  tout  prix  aux  moyens  de  l'éviter. 


III 


—  Sondez-vous  bien  d'abord  pour  voir  si  vous 
avez  quelque  penchant  à  la  cupidité.  Revoyez  pour 
cela  et  méditez  en  face  de  votre  conscience  la  pre- 
mière partie  de  ce  chapitre,  article  par  article. 

—  Si  vous  découvrez  au  fond  de  votre  cœur 
quelque  petite  racine  du  vice  que  nous  coml)attons, 
ne  la  regardez  pas  comme  insignifiante,  car  c'est 
toujours  par  ces  faibles  racines  que  la  cupidité 
s'étend  et  se  fortifie. 

—  Ne  vous  rassurez  pas  non  plus  sur  ce  que 
vous  menez  une  conduite  pieuse  et  irréprochable, 
quoique  vous  sentiez  en  vous  une  attache  un  peu 


—  339  — 

forte  aux  biens  de  la  terre;  car  Tavarice,  à  la  dif- 
férence de  plusieurs  autres  passions,  tolère  une 
certaine  piété  et  s'allie  même  avec  elle,  comme  si, 
par  là,  elle  voulait  aveugler  d'autant  mieux  son 
esclave. 

—  Pour  vous  exciter  au  combat,  pénétrez-vous 
bien  de  cette  vérité,  qu'un  prêtre  avare  est  en 
abomination  aux  yeux  de  Dieu  et  des  hommes,  que 
ses  travaux  sont  frappés  de  stérilité,  que  les  pau- 
vres sont  ses  accusateurs  publics,  et  qu'après  avoir 
mené  sur  la  terre  une  vie  misérable  et  dénuée  de 
toute  consolation,  sa  mémoire  est  maudite  et  sa 
réprobation  consommée.  Passio  omnium  pessima, 
dit  saint  Jean  Chrysostôme  en  parlant  de  l'avarice, 
incurabilis  morbus. 

—  Pesez  cette  sentence  de  saint  Paul  :  Radix 
omnium  malorum  est  cupiditas,  et  ces  paroles  de 
Jésus-Christ  même  :  Videte,  cavete  ah  omni  avari- 
tiâ;  paroles  imposantes  dont  saint  Augustin  fait 
ressortir  la  force  en  disant  :  Non  est  lemter  habcn- 
dum,  quando  Dominus  noster  dicit  :  Cavete. 

—  Méditez  encore  sur  l'exemple  de  Judas;  cet 
exemple  doit  nous  faire  frémir.  Rien  n'annonce 
qu'il  fût  avare  quand  Jésus-Christ  en  fit  son  apô- 
tre ;  mais  il  est  probable  qu'il  avait  déjà  au  fond 
du  cœur  quelques  dispositions  au  vice  affreux  qui, 
selon  l'expression  du  pieux  Tronson,  «  le  fit  tomber 
»  dans  l'oubli  de  son  Créateur  ;  de  cet  oubli  dans  la 
»  trahison  de  son  Maitre  ;  de  cette  trahison  dans 
»  une  mort  épouvantable,  et  de  cette  mort  dans 
»  le  plus  profond  des  enfers.   » 

—  Prenez  garde  de  vous  tranquilliser  en  vous 
disant  que    voik    n'en    viendrez  jamais  jusqu'au 


-  S40  — 


m 


dernier  degré  de  l'avarice  ;  vous  ne  pouvez  pas 
savoir  jusqu'où  vous  irez,  et  vous  devez  croire 
que  vous  irez  loin,  si  vous  n'étouffez  pas  dès  le 
principe  les  premiers  germes  de  cette  passion. 
Sachez  au  reste  que,  sans  aller  jusqu'au  dernier 
terme,  vous  commettrez  bien  des  fautes  ;  vous 
paralyserez  votre  ministère,  vous  renoncerez  à 
plusieurs  bonnes  œuvres,  vous  laisserez  les  pau- 
vres dans  la  désolation,  et  vous  passerez  pour  un 
prêtre  peu  charitable  et  peu  zélé. 

—  Pour  vous  soustraire  à  ces  graves  dangers, 
dites-vous  fermement  à  vous-même  :  mon  parti  est 
pris  ;  je  veux  être  un  prêtre  généreux,  charitable 
et  désintéressé;  je  veux  détacher  complètement 
mon  coeur  des  faux  biens  de  la  terre  pour  lesquels 
il  n'est  point  fait. 

—  Commencez  sans  délai  à  réaliser  ces  bonnes 
pensées  :  vous  avez  jusqu'ici  reculé  devant  une 
dépense  sinon  absolument  nécessaire,  du  moins 
très-utile  ;  faites  cette  dépense,  et  opposez  la  con- 
fiance en  Dieu  aux  vives  réclamations  de  la  cupi- 
dité. Achetez  ce  vêtement,  procurez-vous  tel  ou 
tel  objet  dont  vous  vous  êtes  privé  jusqu'à  ce 
moment  par  une  parcimonie  excessive. 

—  Quand  vous  pourrez  être  généreux  sans  im- 
prudence notable,  soyez  généreux  :  que  votre 
bourse  soit  autant  celle  des  pauvres  que  la  vôtre. 
Jamais  l'aumône  n'appauvrit  celui  qui  la  fait  ;  don- 
nez, donnez  largement  aux  membres  souffrants  de 
Jésus-Christ.  Chaque  pièce  de  monnaie  que  vous 
leur  offrirez  affaiblira  dans  votre  cœur  le  froid 
égoïsme  et  y  étendra  celui  de  la  charité. 

Imaginez  des  bonnes  œuvres  ;  conférez-en  avec 


—  341   — 

vos  condisciples;  avisez  déjà  tous  ensemble  aux 
moyens  de  les  exécuter  plus  tard  ;  faites  quelques 
avances  généreuses  pour  exciter  les  autres  à  faire 
de  même. 

—  N'imitez  pas  ceux  qui  n'ont  jamais  de  mon- 
naie sur  eux,  comme  pour  pouvoir  dire  aux  pau- 
vres qu'ils  n'ont  rien  à  leur  donner  ;  bien  différents, 
en  ce  point,  de  plusieurs  saints  qui  s'étaient  en- 
gagés à  faire  toujours  quelque  aumône  aux  men- 
diants qu'ils  pourraient  rencontrer. 

—  Soyez  libéral  envers  les  domestiques  ou 
autres  gens  de  cette  classe  qui  vous  rendront  quel- 
que service.  Ne  provoquez  pas  leurs  murmures 
par  la  modicité  de  vos  dons,  et  n'accréditez  pas  le 
reproche  qu'ils  font  aux  ecclésiastiques  d'être  moins 
généreux  que  les  séculiers. 

—  Humiliez-vous  devant  Dieu  quand  vous  sen- 
tirez un  vif  mouvement  de  joie  en  recevant  quel- 
que somme,  et,  pour  vous  en  punir,  donnez  à  la 
première  occasion  une  partie  de  cette  somme  en 
aumône. 

—  Humiliez-vous  encore  si,  quand  vous  vous 
résoudrez  à  débourser,  vous  éprouverez  un  senti- 
ment de  répugnance  :  pour  le  vaincre,  ce  sentiment, 
ajoutez  quelque  chose  à  ce  que  vous  vouliez  don- 
ner déjà. 

—  Si  vous  demandez  ce  qui  vous  est  dû,  faites- 
le  avec  douceur  et  jamais  sur  le  ton  de  l'exigence 
et  de  l'autorité.  Laissez  voir  en  ces  circonstances 
qu'il  vous  coûte  autant  de  demander,  qu'à  vos  dé- 
biteurs de  payer. 

—  Jamais  de  discussions  vives  sur  les  questions 
d'intérêt,  surtout  avec  les  marchands,  les  ouvriers 


—  342  — 

elles  conducteurs  de  voitures.  Il  y  a  des  ecclé- 
siastiques qui  font  preuve  de  cupidité  en  ces  oc- 
casions ;  ils  compromettent  la  dignité  de  leur 
profession  et  ne  se  montrent  guère  dociles  à  la  re- 
commandation de  leur  divin  Maître,  qui  disait  à 
ses  disciples  :  Si  Ton  discute  avec  vous  pour  ob- 
tenir votre  tunique,  donnez  et  votre  tunique,  et 
même  votre  manteau  :  Qui  vult  tecum  judicio  con- 
tendere,  et  tunicam  tuam  tôlière^  dimitte  ei  et  pal- 
lium  (Matth.  5.) 

—  Soyez  coulant  en  affaires  fmancières  ;  sachez 
faire  des  sacrifices  pour  le  bien  de  la  paix  et  pour 
rédification.  Dans  les  discussions  de  famille,  mon- 
trez-vous généreux  et  faites  voir  que  c'est  réelle- 
ment Dieu  et  non  point  les  faux  biens  de  la  terre 
que  vous  avez  choisi  pour  votre  héritage  quand 
vous  avez  dit  aux  pieds  de  votre  évêque  :  Dominus 
pars  hœreditatis  mese  et  calicis  met. 

—  N'amassez  jamais  :  les  bons  ecclésiastiques 
tremblent  quand  ils  ont  devant  eux  une  somme  un 
peu  forte,  xiu  lieu  de  s'en  réjouir,  ils  en  sont  en 
quelque  sorte  confus  :  ils  ne  doivent  rien,  mais  ils 
possèdent  fort  peu  de  chose.  Moins  vous  posséde- 
rez, moins  vous  tiendrez  au  peu  que  vous  aurez  ; 
et,  au  contraire,  plus  vous  verrez  votre  cofiFre 
garni,  plus  vous  prendrez  plaisir  à  le  garnir  mieux 
encore. 

—  Enfin,  faites  provision  non  pas  d'argent, 
mais  des  divines  sentences  qui  vous  apprennent  à 
le  mépriser  :  Beati  pauperes.  —  Vdd  vobis  diviti- 
bus.  —  Filius  hominis  non  habet  ubi  caput  reclinet. 
—  Vade,  vende  quœ  habes,  et  da  pauperibuh . . .  et 
veni,  sequere  me.  —  Dives  difficile  intrabit  in  re- 


—  343  — 

giium  cœlorum.  —  Mordais  est  et  dives,  et  scpidtns 
est  in  in  fer  no...  etc. 

Voilà  les  paroles  du  Maître  ;  tout  ce  qui  les 
contredit  doit  vous  inspirer  une  vive  horreur.  Puis- 
que vous  voulez  être  prêtre,  n'oubliez  jamais  que 
vous  ne  sauverez  d'âmes  qu'autant  que  vous  serez 
charitable  et  désintéressé,  selon  cette  belle  maxime 
du  P.  Yaluy  :  «  Le  prêtre  qui  donne  le  plus  est 
»  presque  toujours  aussi  celui  qui  convertit  le 
»  plus.  » 

(Voyez  Pratique  du  zélé  ecclésiastique,  première  partie, 
ch.  VII,  page  80.) 


CHAPITRE    XVI 


Le  séminariste  d'un  mauvais  caractère. 
I 

Nous  réunissons  dans  un  même  chapitre  divers 
défauts  dont  l'ensemble  fait  dire  de  celui  qui  y  est 
habituellement  sujet,  qu'il  a  im  mauvais  caractère, 
un  caractère  insupportable. 

Comme  nous  avons  tous  plus  ou  moins  souffert, 
par  suite  de  notre  contact  avec  des  personnes  d'un 
commerce  difficile  ,  nous  devons  aisément  com- 
prendre de  quelle  importance  il  est  de  corriger  en 
nous  ce  qui  nous  a  si  souvent  choqué  chez  les 
autres. 

Mais  ce  qui  doit  nous  déterminer  plus  particuliè- 
rement encore  à  réformer  notre  caractère,  c'est  la 


—   344  — 

pensée  de  notre  sainte  vocation.  Puisque  nous 
devons  être,  comme  prêtres,  les  modèles  et  la  forme 
des  peuples,  forma  et  exemplum,  selon  la  parole 
du  grand  Apôtre  ;  et  puisque,  d'un  autre  côté,  les 
mauvais  caractères  ne  sont  tels  que  parce  qu'ils 
blessent  à  chaque  instant  quelque  vertu,  nous 
devons  donc  travailler  de  bonne  heure  à  vaincre 
les  défauts  qui  indisposent  le  prochain  contre  nous. 
Enfin,  ce  qui  doit  nous  exciter  encore  à  entrepren- 
dre cette  réforme,  c'est  la  considération  des  maux 
que  produit  dans  une  paroisse  le  mauvais  caractère 
des  pasteurs  qui  la  gouvernent.  Presque  toujours 
c'est  de  là  que  proviennent  les  conflits,  les  luttes 
et  les  divisions  qui  ruinent  le  ministère.  Rempla- 
cez les  prêtres  arrogants ,  susceptibles ,  jaloux, 
dominateurs  et  brouillons,  par  des  prêtres  d'un 
caractère  doux,  conciliant,  prévenant  et  aimable,  à 
l'instant  même  vous  verrez  le  calme  succéder  aux 
tempêtes. 

Voyons  donc  où  nous  en  sommes  sur  ce  point 
si  important. 

De  même  que,  dès  la  première  entrevue,  on 
devine  un  bon  caractère  et  l'on  s'attache  à  celui  qui 
en  est  doué  ;  de  même  aussi  le  mauvais  caractère 
s'annonce  tout  d'abord  pour  ce  qu'il  est,  et  produit 
dans  les  esprits  une  impression  pénible. 

Le  séminariste  qui  a  ce  mauvais  caractère  est 
quelquefois  fier,  hautain,  dédaigneux  ;  il  affecte  un 
air  de  suffisance  et  de  supériorité  avec  ses  égaux; 
il  les  écoute  à  peine  et  semble  dire  par  ses  maniè- 
res et  par  son  langage  que  la  science,  la  raison  et 
le  bons  sens  ont  élu  domicile  dans  sa  tête  et  ne 
logent  que  là. 


—  345  — 

Dès  qu'il  avance  une  chose,  il  veut  être  cru ,  il 
veut  même  être  applaudi.  Si  quelque  condisciple 
ose  le  contredire,  il  lui  répond  d'abord  par  un  sou- 
rire sardonique,  puis  par  une  parole  railleuse,  puis 
enfm  par  un  exposé  magistral  de  raisons  qui  ne 
sont  pas  toujours  raisonnables,  Si  son  interlocu- 
teur, se  croyant  dans  le  vrai  et  excité  d'ailleurs 
par  l'air  de  domination  de  son  adversaire,  soutient 
son  premier  dire,  la  discussion  s'échauffe,  le  débat 
s'envenime  et,  sans  aucun  profit  pour  la  vérité, 
les  deux  champions  se  retirent  avec  un  fonds  d'ai- 
greur et  de  mécontentement  dont  la  charité  se  tient 
justement  offensée. 

Le  séminariste  qui  a  un  mauvais  caractère  est  sou- 
vent pointilleux,  ergoteur  et  porté  par  nature  à  la 
contradiction.  Comme  il  se  croit  assez  de  talent  (car 
il  s'en  croit  beaucoup)  pour  soutenir  avec  honneur 
une  cause  quelconque,  il  conteste  tout  ce  qui  se  dit,  il 
combat  toutes  lespropositions  qu'on  avance,  par  cela 
seul  qu'on  les  avance  ;  il  dit  qu'il  fait  nuit  parce  qu'on 
a  dit  qu'il  faisait  jour,  comme  il  eut  dit  qu'il  faisait 
jour  si  l'on  eut  commencé  par  dire  qu'il  faisait 
nuit.  Quand  on  se  voit  toujours  systématiquement 
contredit  de  la  sorte,  on  cesse  d'insister,  par  amour 
de  la  paix,  mais  on  se  promet  tout  bas  de  ne  plus 
fréquenter  un  condisciple  si  agaçant. 

Quelquefois  il  est  taquin,  mordant,  railleur  ;  et 
autant  il  se  plaît  à  lancer  les  traits  du  ridicule 
contre  les  autres,  sans  permettre  qu'ils  le  trouvent 
mauvais,  autant  il  se  montre  piqué  si  l'on  a  la  har- 
diesse de  l'attaquer  lui-même  :  il  se  croit  invio- 
lable et  il  prétend  que  son  inviolabilité  soit  con- 
stamment respectée. 


—   346   — 

Il  n'use  de  condescendance  avec  personne,  et, 
plaçant  son  honneur  bien  au-dessus  de  la  charité, 
il  élève  le  premier  sur  les  débris  de  la  seconde. 
Du  reste,  comme  tout  lui  est  dû,  il  ne  trouve  jamais 
que  Ton  condescende  à  ses  opinions  et  à  ses  goûts 
autant  qu'il  le  désire,  et  si  parfois  on  le  fait,  il  n'en 
sait  aucun  gré  et  semble  vouloir  que  tous  disent  : 
Quod  dehuimus  facere,  fecimus; se?wi  mutiles  sumus. 

Il  est  excessivement  susceptible,  et  si  l'on  n'est 
pas  continuellement  sur  ses  gardes  pour  éviter 
de  froisser  sa  sensibilité,  il  s'irrite  pour  un  mot, 
pour  un  sourire,  pour  un  geste  inoffensif,  du  moins 
dans  Tintention  de  celui  qui  se  le  permet.  Souvent 
même,  malgré  toutes  les  précautions  de  la  dou- 
ceur et  de  la  charité,  on  le  blesse  sans  savoir  en 
aucune  façon  ce  qui  a  pu  le  blesser.  On  cherche, 
on  cherche  encore  la  cause  du  mécontentement 
qu'il  fait  paraître  ;  lui  seul  la  connaît,  et  il  s'abs- 
tient de  la  révéler  quoiqu'on  lui  fasse  à  cet  égard 
les  plus  vives  instances. 

De  là  aux  airs  boudeurs  et  aux  chagrins  con- 
centrés il  n'y  a  qu'un  pas,  et  ce  pas,  il  l'a  bientôt 
franchi.  Pas  la  moindre  cordialité,  pas  le  moindre 
épanchement  :  retiré  dans  sa  solitude  comme  l'oi- 
seau de  la  nuit  dans  sa  sombre  demeure,  tanquàm 
nycticorax  in  domicilia,  il  ne  fait  rien,  il  ne  dit 
rien  :  il  boude;  il  jouit,  dans  sa  tristesse,  du  plaisir 
de  faire  voir  quil  est  mécontent.  Dans  le  monde 
on  rirait  de  sa  momerie  et,  selon  l'expression  vul- 
gaire, on  renverrait  promener;  mais  dans  un  sémi- 
naire, la  charité  se  contente  de  gémir  et  de  plaindre 
celui  qui  souffre  et  fait  souffrir  les  autres  par  son 
mauvais  caractère. 


—  347   — 

La  dissimulation  est  quelquefois  encore  un  des 
traits  qui  le  distinguent.  Enveloppé  dans  un  per- 
pétuel mystère,  il  ne  laisse  paraître  que  ce  qu'il  ne 
peut  cacher,  et  le  peu  qu'il  révèle  n'inspire  jamais 
qu'une  demi-confiance.  Les  jeunes  gens,  pour  l'or- 
dinaire naturellement  ouverts,  s'isolent  d'un  con- 
disciple qui,  en  retour  de  leurs  épanchements,  ne 
les  honore  jamais  d'une  aimable  réciprocité. 

Les  brusqueries,  les  vivacités  et  même  les  colères 
lui  sont  assez  familières.  Incivil,  grossier  et  mal 
élevé,  il  se  fâche  pour  des  niaiseries  et  passe  des 
semaines  et  des  mois  entiers  dans  ses  ressentiments 
et  ses  rancunes. 

L'inégalité  dans  le  caractère  est  souvent  encore 
un  des  traits  qui  le  distinguent.  Plus  gai  que  per- 
sonne aujourd'hui ,  il  sera  demain ,  sans  cause 
connue,  dans  un  état  de  mutisme  et  de  sombre 
rêverie  d'où  ne  pourront  l'arracher  ses  amis  les 
plus  intimes. 

La  complaisance,  qui  fait  le  charme  des  réunions, 
lui  est  étrangère.  Un  mot  aimable,  une  prévenance 
délicate,  l'offre  d'un  service  en  certaines  occasions, 
gagnent  les  cœurs  et  provoquent  tout  naturelle- 
ment de  douces  représailles.  Ceci  est  vrai  pour  les 
autres;  mais  pour  lui  tout  cela  n'a  aucun  attrait  : 
nature  disgraciée,  la  rudesse  des  formes  et  l'aigreur 
du  fond  semblent  seules  lui  convenir. 

Acceptera-t-il  de  temps  en  temps  quelques  con- 
seils sinon  avec  reconnaissance,  du  moins  sans  se 
fâcher?  Non  vraiment;  essayez  plutôt  et  vous  ver- 
rez s'il  ne  reçoit  pas  vos  charitables  avis  de  manière 
à  vous  empêcher  de  lui  rendre  une  autre  fois  cet 
important  service. 


—  348  — 

Enfin  pour  couronner  ce  tableau  déjà  bien  rem- 
bruni, ajoutons  que  ce  séminariste  annonce  par  son 
extérieur  même  ce  qu'il  est  au  fond.  Quoique  les 
apparences  soient  quelquefois  trompeuses,  cepen- 
dant tout  le  monde  sait  que  très-souvent  les  ama- 
bilités de  l'intérieur  se  révèlent  par  l'enveloppe. 
Qui  n'a  pas  été  subitement  gagné  par  un  doux  re- 
gard, par  une  parole  plus  douce  encore,  par  un 
aimable  sourire,  par  un  visage  gracieux  et  ouvert? 
Avant  même  de  connaître  celui  qui  possédait  ces 
qualités  extérieures,  n'avons-nous  pas  dit  cent  fois 
qu'il  nous  séduisait  par  ses  manières  attrayantes, 
et  que  nous  serions  heureux  de  l'avoir  pour  ami  ? 
Malheureusement  il  n'en  est  pas  ainsi  du  sémina- 
riste qui  a  un  mauvais  caractère.  Dès  le  premier 
jour,  comme  nous  l'avons  dit  plus  haut,  on  se 
sent  indisposé  contre  lui.  Son  regard  peu  préve- 
nant, sa  parole  sèche  et  impérieuse,  ses  airs  fiers 
et  tranchants,  sa  personne  toute  entière  sans  grâce, 
sans  modestie,  sans  aménité,  dépourvue  en  un  mot 
de  tout  ce  qui  attire  et  empreinte  de  tout  ce  qui 
rebute  ;  n'est-ce  pas  ce  qui  se  remarque  ordinaire- 
ment chez  le  séminariste  dont  nous  venons  de 
crayonner  le  portrait  ? 

Ne  croyons  pas  qu'il  n'y  ait  de  mauvais  carac- 
tères que  ceux  qui  réunissent  les  divers  traits  que 
nous  venons  de  signaler.  Un  seul  de  ces  traits, 
bien  prononcé,  suffit  pour  nous  empêcher  d'être 
aimables  et  pour  faire  dire  de  nous  que  nous  avons 
un  caractère  difficile  et  même  quelquefois  insup- 
portable. 

Déjà  sans  doute  le  séminariste  qui  a  un  mau- 
vais   caractère  doit,    par  ce    qui  vient  d'être  dit, 


—  349  — 

comprendre  la  nécessité  où  il  est  de  se  réformer  ; 
mais  il  la  comprendra  bien  mieux  encore  lorsque 
nous  lui  aurons  fait  voir  les  mauvais  effets  que 
produiront  ces  défauts  de  caractère,  s'il  les  porte 
avec  lui  dans    les  saintes  fonctions  du  sacerdoce. 


II 


Ces  effets  sont  si  multipliés  et  de  nature  si  di- 
verse, qu'il  n'est  pas  possible  de  les  énumérer  avec 
exactitude.  Essayons  du  moins  de  faire  ressortir 
les  principaux,  et  ceux  surtout  qui  mettent  le  plus 
d'obstacles  à  la  sainteté  sacerdotale  et  aux  fruits 
du  divin  ministère. 

Si  vous  avez  un  mauvais  caractère,  et  si  vous 
sortez  du  séminaire  sans  l'avoir  dompté  et  réformé, 
vous  pouvez  vous  attendre  à  une  longue  série  de 
mécomptes,  de  peines,  d'ennuis,  de  dégoûts,  d'hu- 
miliations et  de  misères  de  toute  espèce,  qui  se 
reproduiront  à  chaque  instant  et  ne  vous  laisseront 
pas  un  seul  jour  de  doux  repos  et  de  plein  conten- 
tement. Mais  venons   au  détail. 

Si  vous  êtes  appelé  à  exercer  les  fonctions  de 
vicaire  dans  une  paroisse,  votre  caractère  difficile 
se  manifestera  dès  les  premiers  jours.  Peut-être 
même  y  sera-t-il  connu  avant  votre  installation  au 
presbytère  ;  car  il  se  trouve  toujours  des  gens  of- 
ficieux, charitables  à  leur  manière,  qui  s'empres  • 
sent  de  révéler  à  un  curé  les  défauts  du  vicaire 
qu'on  lui  destine.  Du  reste,  vous  vous  ferez  ass«" 
connaître  par  vous-même,  car  le  mauvais  caracto^e 
ne  tarde  jamais  à  se  produire. 

La  première  entrevue  que  vous  aurez  avec  votre 
H.  20 


—  350  — 

curé  sera,  nous  le  supposons,  irréprochable.  Des 
deux  côtés  vous  serez  en  état  d'observation  et  nul 
froissement  n'aura  lieu  :  c'est  fort  bien.  Mais  un 
jour  de  contrainte  n'est  pas  une  réforme  radicale 
et  durable.  Quand  viendront  les  explications,  les 
conditions,  les  oppositions,  les  contestations,  les 
récriminations  et  peut-être  les  petites  vexations, 
c'est  alors  que  votre  mauvais  caractère,  comprimé 
le  premier  jour,  éclatera  le  second  et  sonnera  la 
charge  comme  signal  du  combat. 

A  partir  de  ce  jour,  notez  bien  que  vous  n'aurez 
plus  en  la  personne  de  votre  curé  un  ami  cordial, 
prévenant  et  dévoué.  Du  moment  que  vous  aurez 
arboré  votre  étendard,  il  vous  regardera  bien  moins 
comme  un  coadjuteur  que  comme  un  fardeau,  dont 
il  lui  tardera  d'être  débarrassé.  De  votre  côté,  les 
malignes  influences  de  votre  caractère  vous  feront 
considérer  votre  curé  comme  un  homme  intraitable  ; 
et  les  choses  étant  si  bien  disposées  pour  amener 
des  conflits,  comment  voulez-vous  que  chaque  jour 
il  ne  s'en  présente  pas  quelque  nouvelle  occasion? 

Votre  curé,  par  exemple,  vous  tracera  dès  le 
principe  le  cercle  de  vos  attributions,  et  vous  trou- 
verez ce  cercle  ou  trop  étendu  ou  trop  resserré.  Un 
vicaire,  doué  d'un  bon  caractère  et  aidé  d'une  piété 
solide,  accepterait  sans  manifester  de  répugnance 
et  même  avec  un  air  de  satisfaction  ce  qui  lui  serait 
offert  ;  mais  vous  qui  n'aurez  ni  son  caractère  ni  sa 
piété,  vous  réclamerez,  vous  discuterez,  vous  mur- 
murerez, et  vous  mécontenterez  votre  curé  sans 
obtenir  de  lui  la  moindre  concession. 

Vous  ferez  peut-être  de  temps  en  temps  quelques 
fautes,  quelques  imprudences  ;  vous  négligerez  quel- 


—  351   — 

ques-unes  de  vos  obligations  ;  vous  vous  permettrez 
des  visites  ou  des  courses  fréquentes  aux  dépens 
de  votre  ministère  ;  et  votre  curé  croira  devoir  en 
conscience  vous  donner  quelques  sages  conseils, 
pour  arrêter  au  début  un  mal  qui  pourrait  faire  de 
tristes  progrès.  Un  vicaire  doué  dun  bon  caractère 
témoignerait  aussitôt  sa  reconnaissance  au  pieux 
curé  qui  lui  donnerait  ces  paternels  avis  ;  mais 
vous  qui  n'aurez  point  ce  bon  caractère,  vous  fron- 
cerez le  sourcil  quand  on  s'avisera  de  vous  donner 
des  leçons  de  sagesse,  et  vous  ferez  entendre,  si 
vous  ne  le  dites  pas  formellement,  que  vous  savez 
ce  que  vous  avez  à  faire  et  que  vous  êtes  en  état 
de  vous  conduire  seul. 

L'occasion  se  présentera  sans  doute  de  rendre 
quelques  services  à  votre  curé  :  sans  qu'il  vous  en 
coûtât  beaucoup,  vous  pourriez  l'aider,  vous  pour- 
riez le  décharger  de  certaines  corvées  ou  lui  en 
faire  au  moins  la  proposition.  Un  vicaire  doué  d'un 
bon  caractère  serait  heureux  de  se  montrer  com- 
plaisant et  aimable  en  ces  circonstances  ;  mais  vous 
qui  n'entendrez  rien  à  ce  qui  s'appelle  prévenance, 
attentions,  complaisance,  vous  n'aurez  nul  égard  à 
l'embarras  de  votre  curé,  et  vous  ne  ferez  rienpour 
alléger  sa  charge. 

Vous  saurez  qu'il  n'aime  pas  qu'on  le  contredise 
quand  il  a  cru  devoir  adopter  une  mesure  ou 
embrasser  une  opinion  :  vous  aurez  appris  ,  par 
expérience,  que,  dans  ces  occasions,  l'opposition 
l'irrite  au  lieu  sans  le  convaincre.  Un  vicaire  doué 
d'un  bon  caractère  dissimulerait  alors  ses  vues 
personnelles  et  se  garderait  bien  d'échafauder  une 
discussion  en  pure  perte  ;  mais  vous  qui  ne  parta- 


—  3o2  — 

gérez  point  la  manière  de  voir  de  votre  curé,  et 
qui  ne  pourrez  souffrir  non  plus  la  contradiction, 
vous  argumenterez  contre  lui  avec  une  chaleur 
agaçante  et  vous  l'indisposerez  contre  vous  sans 
lui  faire  rien  rabattre  de  ses  prétentions. 

Vous  le  verrez  quelquefois  sombre,  rêveur  ou 
même  très-froid  à  votre  égard ,  sans  que  vous 
puissiez  savoir  la  cause  de  cette  froideur.  Un  vicaire 
doué  d'un  bon  caractère  n'aurait  pas  l'air  de  s'a- 
percevoir des  manières  sèches  et  froides  de  son 
curé,  et  saisirait  la  première  occasion  de  lui  être 
agréable  pour  regagner  ses  bonnes  grâces  ;  mais 
vous  qui  ne  tiendrez  nullement  à  son  affection, 
vous  lui  rendrez  froideur  pour  froideur  et  vous 
aigrirez  la  plaie  au  lieu  de  la  guérir. 

Il  aura  certaines  habitudes  qui  ne  cadreront  pas 
avec  les  vôtres  et  auxqelles  il  tiendra  beaucoup. 
Un  vicaire  doué  d'un  bon  caractère,  sans  adopter 
ces  habitudes  si  elles  n'étaient  pas  convenables, 
modifierait  du  moins  les  siennes  propres  pour 
éviter  des  froissements  :  mais  vous  qui  tiendrez  à 
vos  habitudes  plus  fortement  encore  que  votre 
curé  ne  tiendra  aux  siennes,  vous  ne  lui  ferez  à 
cet  égard  aucun  sacrifice,  vous  vous  attirerez  de 
vifs  reproches  et  vous  encourrez  sa  disgrâce. 

Enfin,  tantôt  pour  une  cause,  tantôt  pour  une 
autre,  vous  serez  dans  un  état  perpétuel  de  malaise 
et  d'irritation.  Votre  mauvais  caractère  ne  permet- 
tra pas  que  vous  transigiez  avec  un  mot,  avec  un 
geste,  avec  un  procédé  tant  soit  peu  équivoque,  au 
fond  duquel  vous  voudrez  toujours  voir  quelque 
chose  de  blessant.  Pas  dépanchement,  pas  de  cor- 
dialité, pas  de  prévenance,  pas  de  services  mutuels  : 


—  3S3  — 

état  habituel  et  permanent  de  tiraillement,  de  més- 
intelligence, d'aigreur  concentrée,  et,  par  suite 
nécessaire ,  absence  complète  d'harmonie  entre 
deux  hommes  qui,  sans  cette  harmonie,  ne  pour- 
ront jamais  exercer  un  ministère  fructueux  dans  la 
paroisse. 

Mais  combien  tout  ce  qui  vient  d'être  dit  ne  s'ag- 
gravera-t-il  pas,  si  le  curé  lui-même  est  aussi  mal 
partagé  que  son  vicaire  sous  le  rapport  du  carac- 
tère? Xe  s'accordant  presque  sur  aucun  point,  et 
ni  l'un  ni  l'autre  ne  voulant  faire  de  concession, 
conçoit-on  la  vie  pénible  qu'ils  mèneront  tous  les 
deux?  L'un  sera  gai  par  caractère,  l'autre  sera 
sombre  par  nature  ;  l'un  sera  prompt  et  actif,  l'au- 
tre sera  lâche,  mou  et  d'une  lenteur  excessive;  l'un 
approuvera  une  œuvre  de  ministère,  l'autre  lui 
refusera  son  concours;  l'un  se  plaindra,  l'autre 
rira  de  ses  plaintes,  et  la  paix  sera  bannie  du  pres- 
bytère, et  l'on  colportera  ses  mécontentements 
dans  la  paroisse,  et  les  coteries  se  formeront,  et 
l'édification  sera  détruite,  et  le  ministère  sera  en 
souffrance,  et  le  divorce  entre  deux  prêtres  qui 
devaient  donner  plus  que  personne  l'exemple  de  la 
concorde,  sera  généralement  reconnu  nécessaire. 
D'où  viendront  tous  ces  maux  et  même  ces  scan- 
dales ?  Reconnaissez-le,  jeune  et  tendre  ami,  ils 
viendront  certainement  de  votre  mauvais  caractère, 
dont  vous  aurez  considéré  la  réforme  comme  peu 
importante  pendant  les  jours  de  votre  séminaire. 

Et  ne  croyez  pas  que,  devenu  curé  vous-même, 

votre  caractère  indompté  cessera  d'être  un  obstacle 

au  bien  :  c'est  tout  le  contraire  qui  aura   lieu. 

Placé  plus  haut,  vous  n'en  serez  que  mieux  observé  : 

II.  20g 


—  354  — 

chargé  de  la  responsabilité  du  ministère,  toutes  les 
fautes  que  votre  caractère  vous  fera  commettre  vous 
seront  imputables  :  redevable  à  tous  et  continuelle- 
ment en  rapport  avec  les  membres  de  votre  trou- 
peau, vous  trouverez  à  chaque  instant  l'occasion 
de  faire  éclater  les  défauts  qui  seront  en  vous. 

Vous  effrayerez  vos  vicaires  avant  même  qu'ils 
aient  pris  possession  de  leur  vicariat,  et  dès  le  pre- 
mier jour  ils  verront  qu'on  vous  aura  dépeint  à 
leurs  yeux  tel  que  vous  serez  en  effet. 

Vos  confrères  voisins  critiqueront  votre  carac- 
tère vif,  impétueux,  susceptible,  jaloux,  caustique, 
etc.  Peu  disposé  à  les  obliger,  vous  les  forcerez  de 
se  t^nir  dans  l'isolement  à  votre  égard,  et  vous 
vous  priverez  par  là  des  services  qu'ils  pourraient 
vous  rendre  en  bien  des  circonstances. 

Vos  paroissiens  souffriront  comme  vos  confrères 
de  votre  caractère  difficile.  A  la  moindre  opposition 
vous  les  scandaliserez  par  votre  âpreté,  au  lieu  de 
les  gagner  par  votre  douceur. 

Le  maire,  Tinstituteur,  les  personnages  influents 
dans  la  paroisse,  tous,  en  un  mot,  tantôt  un  jour, 
tantôt  un  autre,  souffriront  de  votre  manière  d'agir. 
Nul  ne  vous  aimera  parce  que  l'amabilité  vous  fera 
défaut. 

Dans  la  chaire  même,  vous  ferez  des  sorties  qui 
vous  peindront  au  naturel,  et  jusqu'au  saint  tribu- 
nal vous  fermerez  la  bouche,  par  vos  paroles  sèches 
et  grondeuses,  à  de  pauvres  pénitents  qui  auraient 
besoin  d'exhortations  paternelles  pour  se  résoudre 
à  déclarer  leurs  misères. 

Croyez-nous,  jeune  ami,  c'est  l'expérience  qui 
s'exprime   par  notre  organe  ;  tout  ce  que  nous 


—  355  — 

venons  de  vous  dire  et  mille  autres  choses  que 
nous  pourrions  vous  dire  encore,  tout  cela  sera  la 
conséquence  infaillible  de  votre  mauvais  caractère, 
si  vous  ne  travaillez  pas  sérieusement  à  le  corriger 
par  l'emploi  des  moyens  suivants. 

m 

—  Le  point  fondamental  pour  opérer  cette  ré- 
forme, c'est  de  se  bien  connaître.  Comment  com- 
battre un  défaut,  comment  s'en  corriger,  si  l'on  est 
convaincu  qu'on  n'y  est  pas  sujet?  11  faut  donc  que 
vous  fassiez  d'abord  une  recherche  exacte,  et  même 
une  étude  sérieuse  et  approfondie  de  tous  les  dé- 
fauts de  votre  caractère.  Quelques-uns  sans  doute 
sont  faciles  à  saisir  :  la  vivacité,  l'esprit  de  critique, 
l'inégalité  d'humeur  et  plusieurs  autres  encore  sont 
si  patents  et  si  fréquemment  produits,  qu'il  est 
impossible  qu'on  ne  les  reconnaisse  pas  en  soi,  si 
l'on  en  a  contracté  l'habitude.  Mais  il  en  est  de  plus 
cachés  dont  on  veut  absolument  se  croire  exempt 
quoique  réellement  on  les  possède.  L'homme  sus- 
ceptible, par  exemple,  soutient  presque  toujours 
qu'il  ne  l'est  pas,  et  cependant  sa  susceptibilité  fait 
souffrir  à  chaque  instant  ceux  qui  sont  en  contact 
avec  lui.  Très-souvent  aussi  on  a  des  défauts  ; 
tout  le  monde  les  connaît  et  on  les  connaît  soi- 
même  ;  mais  on  les  excuse  si  bien  qu'on  leur  ôte 
en  quelque  sorte,  du  moins  à  ses  propres  yeux, 
leur  caractère  de  défaut.  Ainsi,  par  exemple,  on 
est  sujet  à  des  vivacités  ;  mais  on  dit  que  ces  viva- 
cités sont  légitimées  par  les  fautes  du  prochain  que 
l'on  doit  réprimer;  on  est  sombre  et  boudeur  ;  mais 


—  356  — 

on  dit  que  c'est  pour  faire  sentir  aux  autres  qu'ils 
ont  mal  fait  et  pour  les  faire  rentrer  dans  le  devoir 
quand  ils  s'en  sont  écartés.  Au  milieu  de  tout  cela 
on  doit  voir  combien  il  est  aisé  de  s'aveugler,  et 
combien  on  a  besoin  de  s'étudier  à  fond  pour  se 
déterminer  à  une  réforme  qui  répugne  toujours  à 
la  nature. 

—  Cet  aveuglement  étant  très-ordinaire,  vous 
ne  devez  pas,  si  vous  avez  un  vrai  désir  de  vous 
corriger,  vous  contenter  de  vos  propres  lumières. 
Allez  donc  trouver  vos  supérieurs  et  quelques-uns 
de  vos  condisciples,  et  priez-les  instamment  de 
vous  dire  sans  le  moindre  déguisement  tout  ce 
qu'ils  remarquent  de  répréhensible  dans  votre 
caractère.  Quand  ils  vous  l'auront  dit,  ne  vous 
excusez  pas,  remercier-les  de  leur  franchise  et 
suppliez-les  de  continuer  de  vous  rendre  le  même 
service.  Nul  ne  connaît  mieux  nos  défauts  que  ceux 
avec  qui  nous  sommes  habituellement  en  rapport  ; 
rien  ne  leur  échappe  à  cet  égard  :  ce  que  nous  ne 
voyons  pas,  ils  le  voient  très-clairement,  et  cela  se 
conçoit  :  quand  notre  mauvais  caractère  nous  fait 
commettre  quelque  faute,  nous  n'en  souffrons  pas, 
nous,  car  alors  nous  suivons  une  inclination  natu- 
relle ;  mais  il  n'en  est  pas  ainsi  du  prochain  ;  nos 
défauts  lui  sont  à  charge,  ils  le  blessent  souvent, 
et  voilà  pourquoi  il  les  connaît  si  bien.  C'est  donc 
lui  qui  vous  révélera  ce  qu'il  vous  importe  si  fort 
de  découvrir. 

—  La  prière,  les  inspirations  d'une  piété  solide 
et  éclairée,  les  examens  fréquents  et  bien  faits  de 
votre  conscience,  la  vigilance  attentive  sur  vous- 
même  et  sur  tous  vos  actes  extérieurs,  vous  aide- 


—  357  — 

ront  puissamment  encore  à  connaître  les  défauts 
de  votre  caractère.  Les  saints,  à  la  lumière  de  leur 
sainteté,  voyaient  en  eux  les  imperfections  les  plus 
légères  ;  ils  apercevaient  même  des  taches  qui 
échappaient  à  tout  le  monde  :  tendez  comme  eux  à 
la  sainteté,  et  comme  eux  aussi  vous  découvrirez 
vos  secrètes  misères. 

—  Quand  vous  connaîtrez  vos  défauts,  deman- 
dez-vous sérieusement  si  vous  voulez  vous  en  cor- 
riger. Sans  cette  volonté  fortement  arrêtée,  jamais 
vous  ne  remporterez  une  victoire  décisive.  Rien 
n'est  énergique  comme  la  volonté  de  l'homme 
quand  elle  est  sincère  et  constamment  exercée. 
Mais,  pensez-y,  il  lui  faut  ces  deux  qualités  ;  autre- 
ment elle  ne  produit  aucun  effet  :  si  elle  n'est  pas 
sincère,  elle  vous  trompe  ;  vous  croyez  vouloir,  et 
par  le  fait  vous  ne  voulez  point.  Ce  n'est  plus  une 
volonté,  c'est  une  velléité.  Si  elle  n'est  pas  constante, 
elle  arrête  de  temps  en  temps  un  acte  mauvais, 
mais  elle  ne  détruit  jamais  radicalement  un  défaut. 
Yous  voudrez  aujourd'hui,  vous  ne  voudrez  plus 
demain  ;  vous  voudrez  pendant  un  accès  de  ferveur, 
vous  ne  voudrez  plus  quand  l'accès  sera  passé. 
Que  d'illusions  sur  ce  point  !  que  de  gens  disent  : 
Nous  voulons,  et  agissent  absolument  comme  ceux 
qui  disent  :  Nous  ne  voulons  pas. 

—  Mais  supposons  que  votre  volonté  est  telle 
qu'elle  doit  être,  que  devez  vous  faire  pour  en  assu- 
rer l'exécution,  relativement  à  la  destruction  de 
vos  défauts  ?  Yous  devez  la  stimuler,  la  fortifier  à 
chaque  instant  par  des  réflexions  solides  et  par  des 
actes  en  rapport  avec  ces  réflexions.  Si  vous  ne 
faites  pas  cela,  vous  retomberez  tout  naturellement 


—  358  — 

dans  votre  état  de  mollesse  et  de  lâcheté  ;  vous 
ferez  de  nouvelles  chutes  et  vous  direz  comme  ceux 
qui  perdent  courage  :  C'est  plus  fort  que  moi,  c'est 
impossible... 

—  Commencez  donc  le  combat  par  la  réflexion  : 
considérez  le  défaut  que  vous  voulez  détruire  sous 
le  triple  rapport  —  de  Dieu  qu'il  ofTense  à  tout 
moment,  —  du  prochain  qu'il  fait  souffrir  et  qu'il 
malédifie, — de  vous-même  enfm,  quine  serez  jamais 
ce  que  vous  devez  être,  c'est-à-dire  un  fervent 
séminariste  et  plus  tard  un  saint  prêtre,  tant  que 
vous  n'aurez  pas  exterminé  ce  défaut.  Revoyez 
mot  à  mot  les  deux  premières  parties  de  ce  cha- 
pitre ;  nourrissez-vous  des  réflexions  qu'elles  con- 
tiennent ;  observez  sous  tous  ses  aspects  le  défaut 
que  vous  voulez  combattre  ;  considérez  sa  nature 
qui  est  certainement  mauvaise  ;  considérez  ses 
efTets  qui  ne  le  sont  pas  moins  ;  voyez  par  avance 
où  il  vous  conduira,  les  fautes  qu'il  vous  fera 
commettre,  les  peines  qu'il  vous  causera,  les  vexa- 
tions qu'il  vous  attirera,  les  scandales  qu'il  produira 
et  les  obstacles  qu'il  mettra  aux  fruits  de  votre 
ministère.  Yoyez,  au  contraire,  les  biens  qui  ré- 
sulteront de  sa  destruction  :  Paix  avec  Dieu  qui 
récompensera  chaque  jour  votre  générosité  par  de 
nouvelles  grâces  ;  paix  avec  le  prochain  que  vous 
édifierez,  que  vous  gagnerez,  que  vous  sanctifierez 
avec  une  incroyable  facilité  ;  paix  avec  vous-même 
qui  jouirez  délicieusement  des  fruits  de  votre  vic- 
toire, et  qui  exercerez  avec  bonheur  un  ministère 
béni  de  Dieu  et  des  hommes.  Est-il  possible  que 
ces  réflexions  fréquemment  renouvelées  et  fécon- 
dées par  une  prière  fervente  et  soutenue,  n'en- 


—  3^9  — 

flamment  pas  votre  courage  et  ne  vous  fassent  pas 
triompher  de  votre  adversaire  ? 

— •  Joignez  ensuite  l'action  à  la  réflexion.  Évitez 
les  occasions  ;  fréquentez  ceux  de  vos  condisciples 
qui  pratiquent  le  mieux  les  vertus  opposées  à  votre 
défaut  ;  faites  des  lectures  appropriées  à  votre 
besoin  spirituel  ;  signalez  le  point  essentiel  à  votre 
confesseur,  à  votre  directeur,  et  au  moniteur  par- 
ticulier que  vous  aurez  choisi  parmi  vos  pieux 
condisciples;  pratiquez  cliaque  jour  quelque  acte 
de  vertu  contraire  au  défaut  que  vous  combattez  ; 
punissez-vous,  sans  vous  décourager  jamais,  quand 
vous  aurez  commis  quelque  manquement  ;  aidez- 
vous  de  Texercice  si  éminemment  salutaire  de 
l'examen  particulier  ;  veillez  avec  soin  sur  vous- 
même  quand  vous  serez  exposé  au  danger  de  suc- 
comber; adonnez-vous  à  la  piété,  dirigez  contre 
votre  ennemi  toutes  vos  armes  spirituelles,  no- 
tamment vos  examens,  vos  lectures,  vos  visites 
au  saint  sacrement,  vos  confessions  et  vos  com- 
munions, et  tenez  pour  certain  qu'avec  l'emploi 
soutenu  de  ces  divers  moyens,  vous  détruirez  in- 
failliblement vos  défauts,  quels  qu'ils  puissent  être. 

—  Prenez  bien  garde  surtout  de  considérer 
comme  peu  de  chose  ce  qui  s'appelle  communé- 
ment défauts  de  caractère.  Quand  on  a  dompté  les 
grandes  passions  et  que  l'on  ne  voit  plus  en  soi  des 
vices  proprement  dits,  mais  seulement  des  défauts, 
on  est  assez  porté  à  se  reposer  comme  si  l'on 
n'avait  plus  rien  d'essentiel  à  faire  pour  sa  régéné- 
ration spirituelle.  Or  ceci  est  une  illusion  des  plus 
dangereuses  :  outre  que  les  défauts  de  caractère 
peuvent   seuls   produire  de  très -grands   maux  , 


—  360  — 

comme  nous  l'avons  vu,  il  est  certain  que  chacun 
d'eux  est  le  mauvais  fruit  de  quelque  passion  mal 
éteinte,  et  peut  conduire  rapidement  à  quelque 
vice  réel. 

—  Cultivez  enfin  avec  un  soin  extrême  trois 
vertus  capitales  qui,  bien  pratiquées,  remédieront 
inévitablement  à  tous  vos  défauts  de  caractère, 
quelle  que  soit  leur  nature.  Ces  vertus  sont  :  l'hu- 
milité, —  la  charité  envers  le  prochain,  —  et  la 
mortification. 

L'humilité,  qui  est  la  reine  des  vertus  morales, 
ne  peut  souffrir  aucun  défaut  dans  l'âme  où  elle 
règne;  elle  ne  va  jamais  sans  ses  compagnes  ché- 
ries :  la  douceur,  la  condescendance,  la  modestie 
et  la  déférence  aux  sentiments  d'autrui.  Elle  sup- 
prime donc  les  vivacités,  les  susceptibilités,  les 
manières  dédaigneuses  et  hautaines,  et  Fentête- 
ment  à  soutenir  son  opinion.  Que  de  mauvais  ca- 
ractères seraient  déjà  réformés  par  de  telles  sup- 
pressions ! 

La  charité  attache  cordialement  au  prochain  celui 
qui  la  pratique  ;  elle  a  pour  compagnes  la  bienveil- 
tance,  l'union  des  cœurs,  l'obligeance,  la  com- 
passion, la  patience,  etc.  Elle  supprime  donc  l'ai- 
greur, la  dureté,  la  jalousie,  les  rapports  indiscrets, 
lesraillerias,  le  manque  de  complaisance  etd'égards. 
Que  de  mauvais  caractères  seraient  encore  réfor- 
més par  des  suppressions  de  cette  nature  !  Quelle 
paix  universelle  si  chacun  mettait  en  pratique  la 
charité  que  saint  Paul  nous  peint  sous  de  si  belles 
couleurs  quand  il  dit  :  Charitas  jjatiens  est,  beiii' 
gnaest;...  non  œniulatu?^  non  agit i')erperam,  non 
infiatur  j  non  est  ambitiosa...  non  irritatur ,  non 


—    361   — 

cogitât  malum...  omnia  siiffcrt,  omnia  o'cdit,  omnia 
spcraty  omnia  sustinct  !...  etc. 

Eiifiii,  la  mortificaiion,  qui  est  la  grande  réfor- 
matrice de  rdommc,  l'embrase  tout  entier  pour  en 
faire  une  refoule  complète  ;  elle  attaque  Finlérieur 
comme  l'extérieur,  elle  ne  transige  avec  aucun 
défaut,  quelque  léger  qu'il  soit,  et  elle  ne  dépose 
le  marleau,  le  ciseau  et  la  lime  que  quand  elle 
peut  dire  :  Vctcra  transierunt,  ccce  facta  sunt  omnia 
nova. 

Que  vous  serez  heureux,  jeune  et  tendre  ami, 
et  que  votre  futur  ministère  sera  fécond  en  fruits 
de  salut,  si,  par  l'emploi  de  ces  divers  moyens, 
vous  remplacez  ce  qu'il  y  a  de  défectueux  dans 
votre  caractère  par  les  heureuses  qualités  qui  lui 
manquent  ! 


II.  21 


—   ■Hi-2 


TROISIEME  PARTIE 


AVIS  ET  REGLES  DE  CONDUITE  POUR  UN  JEUXE  PRETRE 
SORTANT  DU  SÉMINAIRE. 

Ouiconque  a  été  employé  à  la  direction  des  élèves 
ecclésiastiques  dans  les  grands  séminaires,  doit 
savoir  que  rien  ne  préoccupe  ces  chers  élèves 
comme  les  difficultés  et  les  embarras  qu'ils  se  re- 
présentent dansTexercice  du  saint  ministère.  C'est 
la  matière  ordinaire  de  leurs  conversations,  surtout 
pendant  la  dernière  année  de  leurs  études  cléricales. 
Alors  ils  multiplient  leurs  lectures  pratiques  sur 
les  points  qui  les  intéressent  davantage  ;  alors  ils 
environnent  leurs  bons  supérieurs  dans  les  ré- 
créations, ils  les  assiègent  dans  les  promonades, 
ils  les  visitent  fréquemment  à  leurs  chambres,  et 
tout  cela,  pourquoi  ?  pour  acquérir  ce  qui  leur 
manque  :  rexpériencc. 

Voulant  aller  au-devant  de  leurs  désirs  si  légi- 
times, nous  nous  sommes  proposé,  dans  tous  les 
chapitres  qui  précèdent,. de  leur  dévoiler  les  secrets 
de  l'avenir,  sachant  que  la  révélation  de  ces  secrets 
n'est  autre  chose  qu'une  leçon  d'expérience.  Mais 
pour  compléter  noire  tache,  nous  croyons  devoir 
terminer  cet  ouvrage  par  quelquL^s  Avis  et  Règles 
de  conduite  appropriés  tout  spécialement  aux  be- 
soins d'un  jeune  prêtre  qui  sort  du  séminaire. 
Nous  n'entrerons  pas  à  beaucoup  près  dans  tous 


—   363   — 

les  détails  que  la  matière  comporte,  car  il  faudrait 
pour  cela  reproduire  des  chapitres  entiers  de  la 
Pratique  du  zèle  ecclésiastique  et  du  Saint  Prêtre. 
Nous  voulons  seulement  prendre  en  quelque  sorte 
parla  main  nos  jeunes  amis,  dcvenusnos  confrères, 
et  les  mettre  au  courant  d'une  multitude  de  petits 
détails  dont  ils  reconnaîtront  à  coup  sur  la  liaute 
importance. 

I.  —  Dernier  jour  du  séminaire. 

Vous  allez  donc  enfm  quitter  ce  saint  lieu  et  le 
quitter  pour  toujours  ;  vous  le  reverrez  quelquefois 
en  passant,  m.ais  vous  ne  Fliabiterez  plus  pendant 
un  temps  prolongé.  Demandez-vous,  avant  d'en 
sortir,  si  c'est  avec  regret  ou  avec  plaisir  que  vous 
le  quittez.  Si  c'est  avec  regret,  si  vos  affections 
vous  y  attachent,  affections  non  à  telle  ou  telle 
personne,  mais  aux  occupations,  aux  exercices,  à 
la  vie  du  séminaire,  réjouissez-vous,  c'est  un  signe 
de  ferveur  et  un  motif  d'espoir  pour  votre  avenir 
sacerdotal.  Mais  si  vous  le  quittez  avec  joie,  si 
voTis  lui  faites  vos  adieux  sans  les  accompagner 
d'une  larme,  d'un  soupir,  ou  d'un  simple  gémisse- 
ment, tremblez  ;  c'est  ainsi  que  le  quittent  ceux 
qui  deviennent  plus  tard  de  mauvais  prêtres  ou  des 
prêtres  tièdes  et  relâchés  :  0  hoata  solitudo  !  6  sola 
beatitudo  ! 

Votre  règlement  est-il  fait  ?  l'avez-vous  proposé 
à  votre  directeur  ?  Sentez-vous  au  fond  de  l'àme 
le  vif  désir  de  l'exécuter  toute  votre  vie  ?  Etes- 
vous  en  garde  contre  la  tentation  de  l'enfreindre, 
tentation  qui  très-certain(».ment  ne  manquera  pas 


—   3G4   — 

de  vous  attaquer  bientôt  ?  Si  vous  pouvez  répondre 
affirmativement  à  ces  questions,  rassurez-vous  et 
bénissez  Dieu.  Les  mieux  aiîermis  sur  ces  divers 
points  ne  sont  pas,  bêlas  !  toujours  fidèles  ;  mais 
à  coup  sur  tous  les  autres  se  relàclient  :  Qui  rc- 
Cjidai  vivit,  Dco  vivit. 

Faites  une  dernière  visite  à  Jésus  dans  la  cha- 
pelle du  séminaire.  Rappelez-vous  dans  cette  cha- 
pelle les  heures  délicieuses  que  vous  y  avez  passées, 
les  résolutions  que  vous  y  avez  prises,   les  géné- 
reuses promesses  que  vous  y  avez  faites.  Nous  avons 
connu  un  saint  prêtre  qui,  longtemps  après  avoir 
quitté  le   séminaire,    n'y  rentrait  jamais   sans  y 
éprouver   une    émotion   saisissante  ;  il   avait  re- 
marqué le  lieu  où  il  s'était  étendu  sur  le  pavé  du 
sanctuaire  au  jour  de  son  sacerdoce,  et  il  s'y  trans- 
portait avec  un  indicible  bonheur  pour  y  renouveler 
ses  sacrés  engagements  auxquels  il  avait  été  con- 
stamment fidèle.  Imitez  ce  saint  homme.  Avant  do 
vous  retirer,  offrez  à  Jésus  votre  règlement  pour 
qu'il  vous  aide  à  l'exécuter,  votre  personne  tout 
entière  pour  qu'il  la  sanctifie  de  plus  en  plus,  votre 
futur  ministère  pour  qu'il  le  bénisse  :   Vcnite  in 
sanctuariimiBomini,  quod  sanctificavit  in  letornum. 
Allez  voir  tous  les  vénérables  directeurs  du  sé- 
minaire et  n'imitez  pas  ces  séminaristes  insouciants, 
mal  élevés  et  ingrats  qui  s'aiTranchissent  de  ce  de- 
voir et  qui  n'ont  pas  même  la  pensée  de  le  remplir. 
Yous  ne  savez  pas  tout  ce  que  vous  devez  à  ces 
respectables  supérieurs;  ils  ont  été  vos   interces- 
seurs auprès  de  Dieu,  ils  vous  ont  dirigé  par  leurs 
sages  conseils,  ils  vous  ont  édifié  par  leurs  exem- 
ples, ils  vous  ont  iiislruil  par  renseignement  delà 


i 


■ —    oiJO    — 

science  sacrée,  qui  leur  a  demandé  de  pénibles 
travaux,  et  ils  ont  encore  quelques  bonnes  paroles 
avons  adresser  et  un  paternel  baiser  avons  donner 
comme  gage  de  leur  afTectueuse  tendresse  :  Memen- 
tote  prœpositorum  vestroriim,  qui  vobis  locuti  sunt 
vcrbum  Dei^  quorum  iiitucntcs  cxitum  couver  sationis, 
imitamini  fulem. 

IT.  —  Départ,  —  arrivée  dans  la  famille,  —  première  messe. 

Quelle  inconvenance,  si,  ton!  récemment  ordonné 
prêtre,  vous  sembliez  Foublier  pendant  le  voyage 
par  la  légèreté  de  vos  paroles  et  Timmodestie  de 
votre  maintien  !  Qu'il  n'en  soit  pas  ainsi  :  parlez 
peu  et  toujours  à  propos  ;  pas  de  gaieté  bruyante, 
extérieur  digne  et  édifiant,  lectures  pieuses,  réci- 
tation du  chapelet  et  du  saint  office  avec  dévotion 
et  recueillement  :  telle  sera  votre  conduite  si  vous 
êtes  vivement  frappé  du  prodige  qui  vient  de  s'o- 
pérer en  vous.  Un  nouveau  prêtre  devrait  se  dire 
à  chaque  instant  avec  une  sorte  de  stupeur  :  Que 
suis-je?que  s'est-il  passé  en  moi  aux  pieds  de  mon 
évêque?  Suis-je  un  homme  ou  un  ange  sous  la 
forme  humaine?  et  Dieu  lui  répondrait  au  fond  de 
l'âme  :  Tu  es  plus  que  tout  cela  par  ta  dignité  ; 
tu  es  prêtre  :  2\i  es  sacenlos  in  œtenium! 

Arrivé  dans  la  famille,  vous  y  répandrez  la  joie  ; 
votre  pieuse  mère  surtout  vous  arrosera  de  ses 
larmes  en  vous  embrassant  :  larmes  précieuses 
dont  sa  foi  vive  sera  la  source  î  C'est  alors  que 
vous' devrez  plus  que  jamais  vous  montrer  édifiant 
sur  tous  les  points  et  embaumer  la  maison  pater- 
nelle du  parfum  de  vos  vertus,  vous  associant  aux 


—  366  •- 

sentiments  de  saint.  Paul  quand  il  disait  :  Chrisîi 

bonus  odor  sumus Odor  vitae  in  vitam. 

Mais  quel  jour,  grand  Dieu,  que  celui  qui  s'ap- 
proche! Pour  la  première  fois,  Jésus-Christ,  soumis 
à  Pautorité  de  votre  parole,  va  s'abaisser  des  hau- 
teurs des  cieux  pour  s'incarner  dans  vos  mains  ; 
vous  allez  faire  un  miracle,  et  quel  miracle  !  vous 
allez  remplacer  une  substance  naturelle  par  une 
substance  divine,  les  anges  vont  faire  escorte  à 
votre  majesté  sacerdotale,  PÉglise  va  déployer 
toute  sa  pompe,  elle  va  vous  envoyer  chercher 
sous  un  dais  comme  si,  ce  jour-là,  vous  étiez  un 
de  ses  princes,  et  dans  Li  chaire  évangélique  on 
va  proclamer  vos  titres  de  gloire  !  Nous  ne  vous 
dirons  pas  de  monter  à  l'autel  avec  gravité,  mo- 
destie et  ferveur  :  cette  fois-ci,  rien  de  tout  cela  ne 
vous  manquera.  Si  vous  tronquez  quelque  céré- 
monie, un  trouble  excessif  en  sera  la  seule  cause, 
et  ce  trouble  fera  l'éloge  de  votre  foi.  Mais  nous 
vous  dirons  :  Souvenez-vous  toujours  du  saisisse- 
ment de  votre  première  messe  ;  ne  vous  familiarisez 
jamais  avec  Pautel  :  après  cinquante  années  de 
sacerdoce,  vous  serez  comme  aujourd'hui  le  sacri- 
ficateur de  Jésus-Christ;  vos  sublimes  fonctions 
étant  toujours  les  mêmes,  maintenez-vous  toujours 
dans  les  saintes  dispositions  qu'elles  exigent.  Nous 
ajouterons  :  Notez  ce  jour  comme  le  plus  célèbre 
de  vos  jours,  et  prenez  pour  vous  ces  paroles  de 
Moïse  aux  enfants  d'Israël  :  Vocabitis  hune  diem 
celebemmwn  atque  sanctissimum. 


—   3(37   — 

III.  —  Séjour  dans  la  famille  en  attendant  un  emploi. 

Quelquefois  un  poste  n'est  pas  a.ssigné  à  un  jeune 
prêtre  immédiatement  après  sa  sortie  du  séminaire. 
Si  cela  vous  arrive,  ne  regardez  pas  comme  un 
temps  de  vacances  celui  qu'on  vous  permettra  de 
passer  dans  votre  famille.  S'il  se  prolongeait,  ce 
serait  fâcheux,  car  l'oisiveté  pourrait  déjà  vous 
faire  sentir  sa  mauvaise  influence.  Pour  éviter  ce 
danger,  déroulez  votre  règlement  et  observez-le 
avec  la  plus  inviolable  fidélité.  Préparez-vous  pro- 
chainement au  saint  ministère;  revoyez  vos  traités 
de  théologie  morale,  les  plus  pratiques  surtout  ; 
étudiez  votre  rituel,  instruisez-vous  à  fond  de  ce 
qui  regarde  l'administration  des  sacrements,  lisez 
avec  attention  quelques  formules  d'examen  de  con- 
science très-détaillé,  pour  pouvoir  interroger  con- 
venablement les  pénitents  qui  ne  savent  pas  se 
confesser,  commencez  à  composer  un  traité  complet 
de  lar  doctrine  chrétienne,  travail  indispensable  si 
A^ous  voulez  prêcher  avec  fruit. 

Pour  bien  faire  toutes  ces  choses,  soyez  sobre 
de  visites  ;  bornez-vous  à  celles  que  la  nécessité  ou 
les  convenances  vous  prescrivent,  et  ne  vous  en 
attirez  aucune,  comme  le  font  les  fainéants  qui 
comptent  pour  rien  le  temps  absorbé  par  des  visites 
frivoles. 

Edifiez  toute  la  paroisse  par  votre  vie  retirée, 
votre  zèl'j  pour  l'étude  et  vos  pratiques  pieuses. 
Ne  formez  pas  de  liaisons  étroites.  Devant  être 
bientôt  pourvu  d'un  emploi,  ce  n'est  pas  la  peine 
de  contracter  une  alliance  amicale  qu'il  vous  fau- 


—  368  — 

dra  rompre  dans  un  avenir  prochain  :  Excmphim 
esto  fidelium...  (Tim.)  Prœpara  ctinstrue  te,  et  om- 
nem  multitudinem  tuam,..  et  esto  eis  in praBceptum. 

(Ezcch.) 

IV.  —  Appel  de  révèrpio  à  un  poste  cpieleonque. 

Voici  déjà  une  circonstance  délicate.  Si  vous 
n'étiez  pas  précédemment  bien  fixé  dans  l'heureux 
état  d'une  indifférence  absolue,  relativement  à  tel 
ou  tel  emploi  ;  si  vous  n'aviez  pas  gravé  dans  votre 
âme  et  adopté  comme  règle  fondamentale  le  prin- 
cipe d'obéissance  aveugle,  vous  avez  du  plus  d'une 
fois  vous  demander  :  Que  va-t-on  faire  de  moi  ?  quel 
poste  va-t-on  m'assigner?  vais-je  être  envoyé  loin 
de  ma  famille  ou  tout  près  d'elle?  fera-t-on  de  moi 
un  curé,  un  vicaire  ou  un  professeur  dans  une  mai- 
son d'enseignement?  Autant  de  questions  inutiles 
et  plus  qu'inutiles  ;  remplacez-les  par  celle-ci,  qui 
vous  a  été  tout  récemment  adressée  et  à  laquelle 
vous  avez  fait  une  réponse  si  précise  :  Promittis- 
ne  mihi  et  successorihusmeis  reverentiam  et  obedien- 
tiam?  —  Promitto. 

Rien  n'est  plus  pitoyable  que  cette  obéissance 
manchotte  d'un  prêtre,  qui  ne  respecte  la  volonté 
de  son  évéque  qu'autant  qu'elle  est  conforme  à  sa 
volonté  propre.  Gardez-vous  de  ressembler  à  ce 
ministre  infidèle,  et  méditez  ces  paroles  que  Dieu 
vous  adressait,  dès  l'origine  de  l'Eglise,  par  la 
bouche  de  saint  Ignace  le  martyr  :  Episcopum 
sequamini,  sicut  Jésus  Christus  Patrem  :  teiTibile  est 
enim  tali  contradicere.  Pas  de  réplique,  pas  de  mur- 
mure, pas   de  moyens  détournés  pour  éluder  la 


—    369   — 

volonté  (le  vos  chefs  et  la  plier  à  la  vôtre.  «  Les 
»  supérieurs,  dit  excellemment  le  P.  Yaluy,  ont, 
»  pour  gouverner  sagement,  trois  choses  qui  vous 
»  manquent  :  les  vues  d'ensemble  et  de  bien  géné- 
»  rai,  la  connaissance  des  sujets,  et  les  grâces 
»  spéciales  que  Dieu  accorde  aux  ministres  de  son 
))  autorité.  )> 

Jamais  vous  n'aurez  plus  de  consolations  et  de 
succès  que  dans  les  emplois  que  vous  aurez  ac- 
ceptés sans  les  avoir  recherchés,  et  même  à  ren- 
contre de  vos  inclinations  naturelles.  L'expérience 
de  tous  les  jours  atteste  la  vérité  de  cette  sentence. 

Du  reste,  ce  n'est  pas  au  début  de  votre  car- 
rière que  vous  serez  le  plus  exposé  à  contredire 
l'obéissance;  mais  la  règle  que  nous  posons  est 
fixe  et  invariable  ;  elle  embrasse  toutes  les  cir- 
constances de  temps,  de  lieux  et  de  personnes, 
nous  vous  supplions  instamment  de  l'adopter  pour 
toute  votre  vie,  comme  si,  au  lieu  d'une  simple 
promesse,  vous  aviez  fait  entre  les  mains  de  votre 
évêqae  le  vœu  formel  d'une  obéissance  parfaite. 
Écoutez  ce  trait  si  édifiant  que  nous  avons  rappor- 
té dans  le  Saint  Prêtre  au  chapitre  de  VOôéissroice, 
que  nous  vous  engageons  à  lire  en  entier  :  «  Nous 
»  avons  connu  un  saint  prêtre,  vraiment  digne 
»  de  ce  beau  titre,  qui  avait  maintes  fois  réalisé 
»  dans  sa  conduite  les  règles  d'obéissance  que 
»  nous  venons  de  tracer.  Ses  supérieurs,  sachant 
»  qu'il  était  toujours  prêt  à  exécuter  leurs  volon- 
»  tés,  quelles  qu'elles  fussent,  et  nïgnorant  pas 
»  d'ailleurs  que  son  zèle  égalait  son  obéissance, 
»  s'adressaient  à  lui  quand  ils  voulaient  régénérer 
»  une  mauvaise  paroisse.  Déjà  plusieurs  fois  ils 
II.  21. 


370  — 


))  rayaient  transplanté  çà  et  là,  et  toujours,  soldat 
»  fidèle,  il  avait  plié  sa  tente  sans  se  laisser  jamais 
influencer  par  les  joies  du  ministère  toujours 
béni  auquel  il  s'arrachait,  ou  par  les  regrets 
amers  des  nombreux  prodigues  qu'il  avait  con- 
vertis et  qui  le  pleuraient  comme  un  tendre 
père.  Un  jour  cependant,  son  obéissance  fut 
mise  à  une  épreuve  plus  pénible  encore  que  les 
précédentes.  11  reçut  de  son  évèque  une  lettre 
qui  lui  annonçait  qu'il  était  nommé  curé  d'une 
paroisse  inscrite  en  tète  des  plus  mauvaises  du 
diocèse.  Cette  nomination  fut  connue  sur-le- 
champ,  et  de  tous  côtés  affluaient  chez  le  saint 
prêtre  des  confrères  du  voisinage,  ses  amis  dé- 
voués, qui  tous  l'engageaient  à  faire  agréer  son 
refus  au  prélat.  Mais  l'homme  de  Dieu,  qui  voyait 
les  choses  de  plus  haut,  répondait  à  chacun  avec 
une  grâce  charmante  et  le  sourire  sur  les  lèvres  : 
Je  vous  remercie  de  lintérét  que  vous  m^e  té- 
»  moignez;  mais  je  ne  puis  plus  suivre  votre 
»  conseil  ;  car  aussitôt  après  avoir  reçu  la  lettre 
»  de  Monseigneur,  je  lui  ai  notifié  mon  accepta- 
»  tion  sans  réserve  :  //  est  trop  tard.  —  Jamais, 
»  nous  disait-il  un  jour,  je  n'ai  goûté  autant  de 
»  consolation  ni  exercé  un  ministère  aussi  fruc- 
»  tueux  que  dans  cette  paroisse.    » 

Comprenez  et  goûtez  ces  paroles  de  l'Imitation  : 
Fili,  qui  se  subtrahere  nititur  ah  obedientià,  ipse  se 
subtrahit  à  fjratià...  Disce  vohintates  tuas  fraiigere, 
et  ad  omnern  subjectionem  te  dare. 


—   371    — 

V.  —  Installation  au  poste  assigné  par  l'évèque.  — Première 
entrevue  avec  le  curé. 

Ici  commencent  les  embarras  et  les  dangers. 
Nous  le  disons  dans  la  Pratlqup  du  zèle  ecclésias- 
tique, l'arrivée  dans  une  paroisse  est,  pour  tout 
prêtre,  d'une  haute  importance  ;  mais  elle  est 
peut-être,  du  moins  à  certains  égards,  plus  im- 
portante encore  pour  un  jeune  prêtre  qui  fait  sou 
début  dans  le  saint  ministère.  Yoici  les  règles  à 
suivre  pour  procéder  avec  prudence  et  piété. 

En  vous  rendant  pour  la  première  fois  auprès 
de  votre  curé,  dépouillez-vous  entièrement  des 
préventions  défavorables  qu'on  a  pu  vous  inspirer 
contre  lui.  Si  vous  ne  le  faites  pas,  vous  serez 
tenté  d'appuyer  vos  préventions  par  vos  obser- 
vations personnelles,  et  vous  épierez  toutes  les  occa- 
sions pour  le  trouver  en  faute.  Ces  préventions 
pourront  être  exagérées  ou  même  positivement 
injustes  ;  mais  fussent-elles  fondées,  que  gagnerez- 
vous  à  les  fomenter,  sinon  de  vous  prédisposer  à 
des  froissements  dont  les  conséquences  seront 
peut-être  très-fàcheuses  ?  Dites-vous  plutôt  à  vous- 
même  :  Quels  que  soient  les  défauts  de  mon  curé, 
je  n'ai  pas  mission  pour  le  corriger  ;  je  dois  le 
prendre  ou  le  subir  tel  qu'il  est  :  si  je  remplis 
parfaitement  mes  devoirs  envers  lui,  je  suis  sur 
de  gagner  son  estime  et  d'obtenir  son  concours 
pour  le  succès  de  mon  ministère.  Pas  donc  de 
préventions  volontairement  entretenues  contre  lui  : 
De  aliis,  dit  l'Imitation,  benè  et  altè  sentire,  magna 
sapicntia  est  et  alta  pevfectio...  In  judicando  alios, 
homo  frustra  laboraty  seejnùs  errât. 


—   372  — 

Abordez  votre  curé  avec  cet  air  de  douceur,  de 
simplicité  et  d'aménité  qui  plait  à  tout  le  monde. 
Si  la  première  impression  que  vous  produirez  sur 
lui  vous  est  avantageuse,  vous  gagnerez  son  cœur 
dès  le  principe  ;  la  première  impression  est  souvent 
le  type  de  toutes  les  autres.  Ne  faites  donc  point 
comme  ces  vicaires  qui  s'annoncent  par  une  con- 
tenance embarrassée,  froide,  soucieuse  et  indé- 
cise ;  ou  comme  ceux  qui  se  présentent  avec  des 
manières  élégantes  et  apprêtées,  en  opposition 
avec  la  bonne  rondeur  de  leur  curé  ;  ou  comme 
ces  autres  qui,  dès  le  premier  jour,  ont  un  air  de 
suffisance  qui  les  rend  ridicules  ;  ou  comme  ces 
autres  encore  qui  font  étalage  de  leurs  talents^ 
de  leur  mérite,  de  leurs  doctrines,  de  leurs  règles 
de  conduite,  s'exposant  à  contredire  tout  d'abord 
leur  curé  sur  des  points  où  il  a  des  principes  tout 
différents  de  ceux  qu'ils  exposent. 

Ne  heurtez  pas  de  front  ses  goûts  et  ses  habi- 
tudes ;  vous  le  feriez  en  vain,  et  vous  passeriez 
dans  son  esprit  pour  un  réformateur  incommode 
et  mal  élevé. 

Gardez-vous  surtout  de  ces  tons  d'indépendance 
dans  lesquels  se  peint  un  homme  qui  fait  bon 
marché  de  l'autorité,  et  qui  semble  n'avoir  rien  à 
apprendre  de  ses  supérieurs. 

Si,  pour  l'exercice  de  votre  ministère,  il  vous 
assigne  un  cercle  d'opérations  qui  ne  soit  pas  de 
votre  goût,  n'en  faites  rien  paraître.  Yous  obtien- 
drez bien  plus  sûrement  ce  que  vous  désirerez  par 
une  humble  soumission,  que  par  une  résistance 
ouverte  ou  une  acceptation  de  mauvais  goût. 

Rendez-lui,  dès  le  principe  et  toujours,  tous  les 


—    373   — 

services  qui  dépendront  do  vous  ;  consultez-le 
comme  un  père  ;  dites-lui  tout  ce  que  vous  ap- 
prendrez dans  la  paroisse  qui  sera  de  nature  à  l'in- 
téresser et  à  lui  faire  plaisir  ;  agissez  en  toutes 
choses  de  manière  qu'il  ne  puisse  parler  de  vous 
que  pour  faire  votre  éloge  :  en  un  mot,  et  ce  mot 
dit  tout  :  soyez  aimable,  et  très-certainement  il  vous 
aimera. 

S'il  a  des  ennemis,  ne  sympathisez  pas  avec  eux 
comme  s'ils  étaient  vos  amis.  Quand  vous  serez 
contraint  de  les  voir,  employez  tous  les  moyens 
possibles  pour  les  désarmer  ;  dites-leur  de  votre 
curé  tout  le  bien  que  vous  en  saurez,  et  ne  pro- 
férez 'pas  un  seul  mot  qui  semble  indiquer  que 
vous  blâmez  comme  eux  sa  manière  d'agir  :  Si 
niordeat  serpeiis  in  silentio,  dit  le  Sage,  nihil  eo 
minus  habet  qui  occulté  dctrahit. 

Si  vous  avez  à  gémir  de  quelques-uns  de  ses 
défauts,  par  exemple,  d'une  sévérité  excessive, 
d'une  susceptibilité  jalouse,  d'une  certaine  lési- 
nerie  en  fait  de  nourriture,  etc.,  promettez-vous  à 
vous-même  de  ne  vous  en  plaindre  jamais  dans  la 
paroisse  ;  n'en  parlez  à  personne,  pas  même  à  vos 
amis  intimes,  qui  peut-être  ne  se  feraient  pas 
grand  scrupule  de  divulguer  vos  confidences. 
Supportez  patiemment  ses  froideurs,  ses  travers 
d'esprit,  ainsi  que  les  inégalités  et  les  bizarreries 
de  son  caractère  :  ne  lui  laissez  pas  même  voir  que 
vous  en  souffrez,  et  opposez  à  tout  cela  un  fonds 
inaltérable  de  douceur,  de  complaisance  et  d'ama- 
bilité qui  le  force  t(M  ou  tard  à  reconnaître  ses 
torts,  comme  ce  vieux  solitaire  qui,  habituellement 
malade  et  d'un  caractère  fort  difficile,  avait  pen- 


—   374  — 

dant  douze  ans  exercé  la  patience  d'un  autre  soli- 
taire, nommé  Jean,  qui  faisait  auprès  de  lui  l'of- 
fice d'infirmier.  Sur  le  point  de  mourir,  ce  vieillard 
incommode  fit  ranger  autour  de  lui  les  nombreux 
assistants  qni  se  trouvaient  là,  et  leur  montrant 
Jean,  son  garde-malade,  il  dit  :  Yoici  un  ange  et 
non  pas  un  homme  !  Pendant  douze  ans  je  ne  lui 
ai  pas  dit  une  parole  gracieuse  et  aimable,  et  ce- 
pendant il  n"a  pas  cessé  un  seul  jour  de  me  rendre 
toute  sorte  de  services  avec  affection  et  dévoue- 
ment (1). 

VI.  —  Visites  d'arrivée  dans  la  paroisse. 

Si  vous  vous  êtes  conduit  avec  votre  curé  de  la 
manière  qui  vient  de  vous  être  apprise,  il  sera 
heureux  de  vous  accompagner  lui-même  chez  ses 
paroissiens.  Mais  vous  accorderait-il  cette  faveur 
si  vous  aviez  commencé  par  le  rebuter  et  lui  dé- 
plaire ?  C'est  une  question  à  laquelle  on  nous  dis- 
pensera de  répondre.  Revenons  plutôt  à  nos  petits 
avis. 

Voulez-vous,  oui  ou  non,  vous  faire  dans  la 
paroisse  une  réputation  de  sainteté?  Youlez-vous 
qu'on  dise  généralement  en  parlant  de  vous  :  Nous 
avons  non  pas  seulement  un  bon  prêtre,  mais  un 
saint  prêtre  pour  vicaire?  Oui  sans  doute  vous  le 
voulez.  Eh  bien  !  donc,  soyez  sur  vos  gardes  pen- 
dant vos  premières  visites;  car,  en  chaque  mai- 
son, vous  serez  infailliblement  observé,  contrôlé, 
admiré  ou  censuré,  selon  que  vous  donnerez  lieu 

(1)  Voyez  Pratique  du  zèle  ecclésiastique,  deuxième  partie, 
ch.  Il,  Rapports  d'un  vicaire  avec  so)i  curé. 


—  375  — 

à  rédification  ou  à  la  critique.  Ceci  demande  beau- 
coup de  tact,  et  malheureusement  plusieurs  jeunes 
prêtres  en  sont  totalement  dépourvus.  Tâchez  de 
vous  figurer  un  saint  dans  les  circonstances  où 
vous  vous  trouvez  vous-même  ;  demandez-vous 
quel  serait  son  costume,  sa  tournure,  son  regard, 
son  attitude,  sa  conversation,  en  un  mot  toute  sa 
personne  extérieure  ?  Avec  un  peu  de  réflexion, 
vous  devez  aisément  vous  représenter  ce  que  se- 
rait, sous  ces  divers  rapports,  un  saint  François  de 
Sales,  par  exemple,  ou  un  saint  Vincent  de  Paul  : 
Soyez  ainsi,  et  dès  l'abord,  vous  gagnerez  l'estime 
et  l'affection  de  tout  le  monde.  Ceci,  outre  l'édifi- 
cation qui  en  résultera,  sera  pour  vous  comme 
une  obligation  morale  de  travailler  à  vous  main- 
tenir au  degré  de  sainteté  où  l'on  croira  que  vous 
serez  parvenu  :  Clerici,  dit  un  concile  de  Mayence, 
non  varjis  oculis,  non  cffrseni  Imguâ,  aut  petulanti 
fhikloqiœ  gestu,  timidoque  rjressu  incedant,  sed pii- 
dorem  et  verecundiam  mentis  simplici  hahitu  inces- 
suque  ostendant. 

YII.  —  Bonne  tenue  à  l'église. 

Si  vous  devez  être  pieux  et  modeste  dans  la  mai- 
son des  hommes,  combien  plus  devez-vous  l'être 
dans  la  maison  de  Dieu  !  Vous  avez  édifié  le  jour 
de  votre  première  messe,  pourquoi  faire  croire  que 
vous  n'avez  été  saint  que  ce  jour-là?  C'est  une 
chose  tristement  remarquable  que  la  promptitude 
avec  laquelle  un  jeune  prêtre  se  relâche  sur  ce 
point.  On  en  voit  qui,  dèsla  seconde  semaine,  célè- 
brent les  saints  mystères  avec  moins  de  dignité  et 


—   376   —  I 

plus  de  vitesse  que  les  anciens  du  saccruorce.  Leur 
attitude  au  chœur  est  déjà  nonchalante,  négligée 
et  marquée  au  coin  de  la  légèreté.  On  les  voit  éten-i 
dus  plutôt  qu'assis  dans  leur  stalle,  regardant  de  " 
tous  côtés,  croisant  les  jambes,  disart  un  mot  inu- 
tile et  annonçant  par  un  sourire  que  ce  mot  est  une 
plaisanterie  déplacée.  Tout  cela  se  remarque, 
soyez-en  sur,  surtout  chez  un  jeune  prêtre  que  tout 
le  monde  veut  voir  pieux,  modeste  et  recueilli.  Un, 
jour,  une  dame  nous  pria  de  lui  indiquer  un  confes- 
seur pour  un  vieux  pécheur  qu'elle  avait  converti. 
Nous  lui  proposâmes  un  jeune  prêtre  en  qui  nous 
connaissions  des  qualités  essentielles.  Elle  éluda 
notre  proposition.  Nous  revînmes  à  la  charge,  et* 
elle  nous  dit  ces  paroles  qui  nous  frappèrent  :  «  Ce 
»  jeune  prêtre  a  des  qualités,  sans  doute  ;  mais  sa 
))  contenance  au  chœur  est  un  peu  légère,  il  s'y 
»  tient  négligemment  et  se  permet  de  rire  quel- 
»  quefois  des  choses  plaisantes  qu'il  observe.  Or, 
»  je  connais  mon  vieux  pécheur,  s'il  voyait  la  légè- 
»  reté  de  ce  prêtre,  il  lui  retirerait  aussitôt  sa  con- 
»  fiance.  »  Voyez  si  le  conseil  que  nous  vous 
donnons  n'est  pas  appuyé  sur  des  raisons  solides  : 
Pavete  ad  sanctuarium  ineiun  (Lévit.).  Bùm  eo  in 
loco  estis,  dit  un  concile  de  Milan,  non  pigri,  non 
somnolenti,  non  oscitantes  adeslote,  non  vagis  oculis, 
non  indecenti  corporis  statu. 

VIII.  —  Exécution  ponctuelle  du  règlement  que  vous  vous 
êtes  imposé. 

Tous  voilà  installé,  vos  visites  sont  faites,  on 
vous  a  vu  en  particulier  et  en  public  :  à  l'œuvre 


—   377  — 

maintenant.  N'en  doutez  paSj  c'est  votre  règlement 
qui  vous  sauvera  ;  c'est  lui  qui  vous  fera  contracter 
des  habitudes  pieuses  et  régulières,  sans  lesquelles 
vous  vous  jetterez  à  bride  abattue  dans  les  voies 
du  relâchement. 

Lorsqu'on  tient  fermement  à  son  règlement,  cha- 
que exercice  appelle  l'exercice  suivant,  et  Ton 
éprouve  un  sentiment  de  bonheur  quand,  à  la  fm 
de  la  journée,  ils  sont  tous  remplis.  Mais  si,  au 
contraire,  on  fait,  par  négligence,  quelque  brèche 
à  son  règlement,  c'est  comme  une  chaîne  d'or  qui, 
une  fois  rompue,  perd  une  partie  de  son  lustre. 
Ouel  beau  spectacl'e  que  celui  d'un  prêtre  fervent 
qui,  après  vingt  ou  trente  années  de  sacerdoce, 
exécute  sa  règle  avec  la  même  fidélité  que  le  pre- 
mier jour  !  Qui  pourrait,  sans  connaître  le  détail 
de  ses  œuvres,  ne  pas  proclamer  saint  prêtre  un 
prêtre  de  ce  caractère  ? 

Nous  vous  en  conjurons,  jeune  et  tendre  ami, 
observez  ponctuellement  votre  règlement  et  ne 
faites  pas  comme  tant  d'autres  qui,  après  l'avoir 
observé  quelques  semaines,  le  mettent  de  côté  et 
vivent  à  l'abandon  au  gré  de  leurs  caprices.  Quelle 
que  soit  votre  répugnance  à  le  pratiquer,  ou  plutôt 
en  raison  même  de  cette  répugnance,  tenez  ferme 
à  cette  ancre  de  salut,  et  soyez  persuadé  que  tant 
que  vous  serez  fidèle  en  ce  point,  vous  serez  un 
saint  prêtre.  Si  vous  avez  l'esprit  d'ordre  et  un  vrai 
fonds  de  bonne  volonté,  les  travaux  du  ministère, 
quelque  multipliés  qu'ils  soient,  ne  seront  point  un 
obstacle  à  l'exécution  de  votre  règlement.  Les 
prêtres  fervents  ne  s'en  affranchissent  jamais,  et 
ils  travaillent  autant  et  phis  que  vous  :  Illum  tan- 


—  378  — 

tinn  diem  vixissc  te  computa,à\x  saint  Euclier,  qucra 
sine  iillà  regulx  transgressione  duxisti.  0  jugum 
sanctiamoris,  s'écrie  saint  Bernard  à  cette  occasion, 
quàm  didciter  capts,  gloriosè  laqueas,  sua  vite r  pre- 
misy  delectanter  onerasl  Que  je  serais  différent  de 
ce  que  je  suis,  pourrait  dire  tout  mauvais  prêtre 
ou  tout  prêtre  tiède  ,  si  j'avais  toujours  été  fidèle 
à  mon  règlement  ! 

IX.  —  Réveil,  lever,  huLillement. 

Dès  que  vous  serez  éveillé  et  que  l'heure  de 
votre  lever  sera  venue,  prenez  de  l'eau  bénite, 
(toujours  un  bénitier  chez  les  prêtres,  presque 
jamais  d'eau  bénite  dans  le  bénitier),  faites  le  signe 
de  la  croix  lentement  et  dévotement  ;  donnez  votre 
coeur  à  Dieu  de  la  même  manière,  pesant  et  goû- 
tant chaque  mot  et  vous  figurant  voir  Jésus  qui 
ouvre  la  main  pour  recevoir  le  cœur  que  vous  lui 
offrez.  Cette  courte  prière  est  excellente  quand  elle 
est  bien  faite  :  proposez-vous,  en  la  récitant,  de 
consacrer  à  Dieu  tout  votre  être  et  toutes  vos 
œuvres  de  la  journée. 

Cela  fait,  levez-vous  sans  le  moindre  retard.  Si 
vous  délibérez  tant  soit  peu,  le  résultat  de  la  déli- 
bération sera  toujours  au  profit  de  la  nonchalance, 
et  vous  commencerez  la  journée  par  un  acte  de 
paresse  qui  vous  privera  déjà  de  bien  des  grâces. 
Écoutez  votre  bon  ange  qui  vous  dit  ce  qu'un  autre 
ange  dit  autrefois  à  Pierre  dans  sa  prison  :  Surge 
velociter.  On  voit  des  prêtres  qui  passent  chaque 
matin  un  temps  considérable  dans  leur  lit,  occu- 
pés de  vaines  pensées,  ou  faisant  quelques  lectures 


—  379  — 

qui  ne  sont  pas  en  leur  temps,  in  temporc  non  suo, 
et  qui  ne  se  lèvent  que  quand  il  leur  est  plus 
pénible  de  rester  au  lit  que  d'en  sortir.  Demandez- 
leur  comment  se  font  leurs  oraisons  et  comment 
ils  célèbrent  le  saint  sacrifice  après  une  préparation 
de  cette  nature.  Pour  vous,  notez  cette  lâcheté 
comme  faute  notable  et  un  signe  de  relâchement. 

En  vous  habillant,  modestie  parfaite.  Souvenez- 
vous  que  vous  êtes  prêtre,  et  qu'en  le  devenant, 
vous  avez  épousé  la  sainte  chasteté  qui  s'alarm.e 
d'un  regard  quand  il  est  indiscret. 

Réoitez  quelque  psaume,  par  exemple,  celui  des 
Laudes  du  dimanche  :  Beus,  Dcus  meus  y  ad  te  de 
luce  vigilo,  ou  bien  la  prose  Veni,  sancte  Spiritiis. 
Nous  avons  connu  un  prêtre  qui  disait  mentalement 
cette  prose  tous  les  jours  en  s'habillant,  et  qui  en 
méditait  chaque  strophe  avec  un  grand  profit  spi- 
rituel. 

?^''oubliez  pas  les  soins  de  propreté  ;  il  y  a  des 
prêtres  qui  les  négligent  tellement,  qu'on  se  de- 
mande en  voyant  leurs  mains  s'ils  n'ont  pas  oublié 
de  les  laver.  D'autres  négligent  entièrement  une 
partie  de  leur  corps  beaucoup  plus  précieuse  qu'ils 
ne  pensent  :  nous  voulons  parler  des  dents  ;  jamais 
ils  ne  les  nettoient.  Qu'arrive-t-il  do  là?  Elles  s'al- 
tèrent, elles  tombent,  et  l'exercice  de  la  parole  ne 
se  fait  plus  avec  régularité  :  avis  aux  prédicateurs. 
D'un  autre  côté,  en  se  gâtant  elles  répandent  une 
odeur  infecte  dont  ils  ne  s'aperçoivent  pas,  mais 
dont  les  pénitents  sont  fort  incommodés  :  avis  aux 
confesseurs.  Ne  contractons  pas  l'habitude  de  la 
malpropreté,  elle  viendra  toujours  assez  vite  avec 
les  années.  On  dira  peut-être  que  nous  tombons 


—  380  — 

dans  la  minutie;  nous  ne  croyons  jamais  être  mi- 
nutieux quand  nous  sommes  utile.  Or  ici  nous 
croyons  lèire  ;  et  nous  irions  même,  en  fait  de 
propreté,  jusqu'à  citer  ces  paroles  que  TEsprit 
saint  a  employées  dans  un  autre  sens  :  Qui  spcniit 
modica,  paulatim  decidct. 

X.  —  L'Oraison. 

Yoilà  le  bouclier  du  prêtre  ;  sans  elle  nous  ne 
voyons  en  lui  qu'un  soldat  faible  et  désarmé  au 
milieu  d'ennemis  acharnés  à  sa  perte.  Le  mauvais 
prêtre  ne  la  fait  jamais  ;  voilà  pourquoi  il  est  mau- 
vais prêtre  :  le  prêtre  tiède  la  fait  quelquefois  , 
mais  il  y  manque  souvent  et  la  fait  mal  ;  voilà 
pourquoi  il  est  tiède  :  le  bon  prêtre  la  fait  régu- 
lièrement, mais  avec  des  défauts  qui  en  altèrent 
les  fruits  ;  voilà  pourquoi  il  n'est  que  bon  prêtre  : 
le  saint  prêtre  seul  la  fait  commue  il  doit  la  faire  ; 
voilà  pourquoi  il  se  tient  au  sommet  de  la  perfec- 
tion. 

Si  vous  vous  relâchez  dans  l'oraison  soit  en  l'o- 
mettant de  fois  à  autres,  soit  en  rabrégeant  nota- 
blement, soit  en  la  faisant  mal,  toute  votre  con- 
duite, toutes  vos  œuvres  s'en  ressentiront  :  ce  n'est 
pas  nous  seulement  qui  l'affirmons,  c'est  l'expé- 
rience aussi  qui  vous  l'atteste. 

Dès  que  vous  serez  habillé,  faites  votre  oraison  : 
oraison  différée,  oraison  manqiiée.  Obéissez  à  l'u- 
sage en  vous  préparant  à  l'oraison  par  la  prière 
vocale  (1). 

(1)  Voyez,  dans  le  Saint  Prêtre,  une  formule  de  prière  vo- 
cale, page  461. 


—   3S1    — 

Ne  faites  pas  Forai  son  seiilemont  pour  pouvoir 
vous  dire  que  vous  Tavez  faite  :  vous  ressemble- 
riez à  un  homme  qui  croirait  avoir  pris  un  repas 
parce  qu'il  aurait  fait  tous  les  exercices  de  la  m.as- 
lication  sans  avoir  avalé  aucun  aliment.  Dites-vous 
fermement  au  commencement  de  votre  oraison  : 
Je  veux,  avec  la  g*ràce  de  Dieu,  en  tirer  quelque 
fruit  ;  rappelez-vous  cette  pensée  pendant  que  vous 
méditez  ,  et  ne  concluez  pas  sans  vous  demander 
quel  effet  cet  exercice  va  produire  pour  l'affaiblis- 
sement de  vos  défauts  et  1" acquisition  des  vertus 
qui  leur  sont  opposées. 

Quel  que  soit  le  sujet  que  vous  méditiez,  vous 
pouvez  et  vous  devez  toujours  vous  servir  de  l'o- 
raison comme  d'une  arme  puissante  pour  combattre 
votre  défaut  capital.  C'est  pour  le  détruire  que  vous 
faites  oraison  ;  si  vous  ne  l'employez  pas  à  cet 
usage,  c'est  une  arme  inutile,  une  épée  dans  le 
fourreau.  Que  d'oraisons  vaines  faute  de  compren- 
dre et  d'appliquer  cette  simple  notion  du  bon  sens  ! 

Donnez  à  votre  oraison  au  moins  la  longueur 
qu'elle  avait  au  séminaire  (1). 

XI,  —  La  sainte  Messe. 

C'est  à  l'autel  que  le  prêtre  atteint  le  souverain 
degré  do  sa  grandeur.  Pour  lui  les  cieux  s'abais- 
sent, ou  plutôt  il  s'y  élève  et  plane  au-dessus  des 
neuf  chœurs  des  anges  qui  adorent  dans  sa  main 
le  Dieu  qu'il  immole  ! 

(1)  Voyez  l8  Saint  Prêtre,  chapitre  De  VOraison,  page  372 
et  siiiv.  Nous  recommandons  spécialement  la  lecture  de  ce 

cliapiirc  au  Saint  Prêtre, 


—   382   — 

«  Jamais,  dit  saint  Ligouri,  le  prêtre  qui  n'est 
))  pas  pénétré  de  Téminence  du  sacrifice  de  la 
»  messe  ne  l'ofTrira  convenablement.  Jésus-Christ 
»  n'a  rien  fait  de  plus  grand  ni  de  plus  sublime 
»   sur  la  terre.   » 

Malheur  à  a^ous  si  vous  vous  familiarisez  avec 
le  sacrifice  de  l'autel  !  Vous  tarirez  par  cette  fami- 
liarité une  mer  de  grâces  dont  Dieu  veut  tous  les 
matins  inonder  votre  âme. 

Si  vous  ne  faites  pas  toujours  une  bonne  pré- 
paration en  dehors  de  T oraison,  vous  ne  tirerez 
jamais  de  la  sainte  messe  des  fruits  abondants. 

Pas  de  conscience  douteuse  à  Tautel  ;  c'est 
racheminement  au  sacrilège.  Quant  au  sacrilège 
lui-même,  c'est  l'abomination  de  la  désolation, 
c'est  l'enfer  qui  envahit  le  ciel  ! 

Soyez  en  garde  contre  la  rapidité  de  la  célé- 
bration de  la  messe.  On  en  vient  là  bien  vite,  et 
quand  ou  y  est  venu,  jamais  on  ne  reprend  une 
pieuse  lenteur  :  pas  plus  d'une  demi-heure,  pas 
moins  de  vingt-cinq  minutes  ;  voilà  la  règle  des 
saints  prêtres. 

Respectez  et  observez  scrupuleusement  toutes 
les  cérémonies,  et  célébrez  avec  une  dignité  an- 
gélique.  Une  messe  bien  dite  est  pour  les  assis- 
tants une  imposante  prédication  :  soyez  donc 
éloquent  à  l'autel  bien  plus  encore  que  dans  la 
chaire.  Une  dame  du  grand  monde  nous  disait  un 
jour  :  Je  ne  connais  que  les  Jésuites  qui  disent  bien 
la  7nesse.  C'était  une  exagération,  très-honorable 
sans  doute  pour  ces  vénérables  religieux,  mais 
injuste  à  l'égard  d'une  foule  d'autres  prêtres.  Tou- 
tefois cela  nous  prouve    que  les  gens   du  monde 


—   3(Sc{    — 

voient  ce  qui  se  passe  à  raiitel,  et  qu'ils  n'ont 
pas  toujours  les  yeux  dans  leurs  livres.  Nous 
avouons  qu'il  y  a  de  bons  prêtres  qui,  quoique 
pieux  et  attentifs,  n'ont  pas  de  dignité  quand  ils 
officient.  C'est  un  inconvénient  grave  auquel  ils 
devraient  s'efrorcer  de  remédier.  Les  hommes  ne 
voient  pas  leur  piété  intérieure,  l'extérieur  seul  les 
frappe. 

Ne  pas  scandaliser  en  célébrant,  c'est  une  édi- 
fication ?ze«7^///u^  ;  cela  ne  suffit  pas  :  l'édification 
positive  doit  être  le  but  de  nos  efforts. 

Yoicice  qui  donne  au  prêtre  une  dignité  édifiante 
à  l'autel  :  —  Pas  de  précipitation  soit  dans  les 
mouvements  du  corps,  soit  dans  la  récitation  des 
prières  ;  —  faire  le  mieux  possible  chaque  céré- 
monie et  ne  pas  laisser  l'une  empiéter  sur  l'autre  ; 
—  ne  jamais  lever  les  yeux  quand  on  se  tourne 
vers  le  peuple  ;  tenir  les  bras  étendus  quand  ils 
doivent  l'être,  et  élevés,  selon  la  rubrique,  à  la 
hauteur  des  épaules  ;  —  avoir  toujours  une  con- 
tenance grave,  recueillie  et  modeste  ;  —  réciter 
les  prières  qui  se  disent  à  haute  voix  d'un  ton  pé- 
nétré qui  annonce,  quoique  sans  déclamation, 
qu'on  goûte  ce  que  l'on  dit  ;  —  faire  posément 
les  génuflexions  et  les  signes  de  croix  ;  —  enfin 
être  animé  d'une  tendre  piété  ;  car  toujours  elle 
se  reflète  comme  d'elle-même  à  l'extérieur. 

Nous  ne  pouvons  rien  dire  de  plus  précis  à  ce 
sujet.  Appliquez-vous  à  suivre  ces  règles  ;  quand 
S'Ous  en  aurez  pris  l'haljiiude,  cela  ne  vous  coûtera 
Quilement  ;  vous  ne  pourrez  même  plus  célébrer 
dune  autre  manière. 

Soignez  vos  actions  de  grâces  ;  jamais  elles  ne 


—   384   — 

seront  trop  longues  ;  on  s'en  édifiera  plus  qu'on 
ne  s'en  plaindra.  Le  prêtre  qui  ne  fait  point  ou 
qui  fait  fort  peu  d'action  de  grâce,  ressemble  à  un 
laboureur  qui  ,  après  avoir  abattu  une  riche 
moisson,  la  laisserait  dans  le  champ  et  refuserait 
de  l'engranger  pour  en  faire  son  profit.  «  Quelle 
»  pitié,  dit  saint  Liguori,  quel  désordre,  quel 
»  scandale  ne  causent  pas  les  prêtres  qui,  après 
»  avoir  achevé  de  dire  la  messe  et  récité  quelque 
»  courte  prière  à  la  sacristie,  sans  attention  ni 
»  dévotion,  se  mettent  de  suite  à  discourir  de 
»  choses  inutiles  ou  d'affaires  du  monde,  ou 
»  sortent  aussitôt  de  l'église  et  vont  porter  Dieu 
»  au  milieu  de  la  rue  !  »  Une  personne  du  monde 
nous  disait  un  jour  de  son  confesseur  :  «  Je  suis 
»  tentée  de  le  quitter.  —  Pourquoi  ?  —  Je  ne  le 
»  trouve  pas  pieux  ;  il  ne  fait  que  quelques 
»  minutes  d'action  de  grâce.  » 

Pesez  ces  paroles  que  nous  empruntons  au 
Directoire  du  Prêtre  :  Sacerdotes  debent  esse  imi- 
tatores,  sanctorum  Apostolorum ,  qui  non  antè 
exicrunt  ceenaculo,  quàm  hymne  dicta.  Solus  pro- 
ditor  Judas  antè  exicit.  (Epis.  Past.  III,  iïumb. 
Archiep.  Machl.) 

ISe  vous  dispensez  jamais,  sans  une  raison  très- 
grave,  de  la  célébration  de  la  messe.  Celui  qui  ne 
se  sent  pas  touché  de  la  privation  du  saint  sacrifice, 
est  dans  la  voie  du  relâchement.  Qu'il  se  ranime 
en  méditant  ces  belles  paroles  de  l'Imitation  : 
Quando  sacerdos  célébrât,  Deum  honorât,  anrjelos 
lœtificat,  Ecclesiam  œdificat,  vivos  adjuvat,  defunctis 
requiem  praestat,  et  scse  omnium  bonorum  partici- 
pem  cfficit. 


—  385  — 

Enfin,  sans  une  raison  légitime,  ne  dites  point 
la  sainte  messe  tantôt  à  une  heure,  tantôt  à  une 
autre  ;  c'est  un  désordre  ;  ayez  une  heure  fixe  et 
choisissez  la  plus  commode  pour  les  fidèles. 

Terminons  cette  divine  matière  en  disant  avec 
le  pieux  auteur  de  l'Imitation  :  Si  habcres  anrjcli- 
cam  puritatcm,  et  sancti  Joannis  Baptistœ  sanctita- 
tciiij  non  esses  dir/nus  hoc  sacrcwientiun  acciperc, 
nec  tractare...  Grande  mysterium^  et  magna  dujni- 
tas  sacerdotwn  :  quihus  dation  est  quod  angelis 
non  est  eoncesswn  (1)  / 

A  IL  -  Lo  saint  Ofllce. 

Un  jeune  prêtre,  sortant  du  séminaire,  est  sou- 
vent déjà  familiarisé  avec  l'Office  divin.  Comme  il 
le  dit  depuis  qu'il  est  sous-diacre,  la  routine  s'est 
formée  et  elle  a  refroidi  la  ferveur  des  premiers 
jours.  Renouvelez  cette  ferveur  qui  finirait  hientôt 
par  s'éteindre  entièrement. 

Dites  les  petites  Heures  aux  premiers  moments 
liljres  dans  la  matinée;  Yépres  etCompties  aux  pre- 
miers moments  liljrcs  après  le  dîner  ou  la  récréa- 
tion; Matines  et  Laudes  la  veille,  aux  premiers 
moments  libres  après  l'heure  où  il  est  permis  de 
les  commencer.  Telle  est  la  règle  des  saints  prê- 
tres ;  les  autres  n'observent  aucun  ordre  pour  le 
temps  de  la  récitation  de  l'Office;  ils  le  disent  cha- 
que jour  à  des  heures  différentes  et  ordinairement 
le  plus  tard  possible.  Le  bréviaire  est  ponr  eux 
comme  un  ami  fatigant  et  incommode  dont  on  est 
forcé  de  recevoir  chaqne  jour  l'importune   visite, 

(i)  Voyez  le  Saint  Prêtre,  cliapilrc  Dj  la  Mc3>^c,  page  380. 


—   386   — 

et  après  le  départ  duquel  on  se  sent  à  l'aise.  Le 
saint  prêtre  au  contraire  trouve  dans  la  société  de 
ce  tendre  ami  des  douceurs  infinies. 

Insistez  fortement  sur  la  préparation  prochaine. 
Ouand  le  moment  do  la  récitation  est  venu,  avant 
de  proférer  un  seul  mot ,  élevez  votre  cœur  vers 
Dieu  ;  unissez-vous  aux  sentiments  qu'a  l'Eglise  en 
vous  prescrivant  cette  sainte  prière  ;  proposez-vous 
une  intention  spéciale;  implorez  les  lumières  de 
l'Esprit  saint  et  renoncez  d'avance  aux  distractions 
qui  vont  survenir.  Tous  ne  ferez  probablement 
rien  de  tout  cela,  si  vous  vous  contentez  de  réciter 
à  la  hâte  et  par  pure  routine  la  prière  Aperi. 

Ne  contractez  jamais  l'habitude  de  réciter  le  bré- 
viaire avec  une  précipitation  excessive.  On  en  voit 
quile  disent  avec  toute  la  célérité  dont  ils  sont  capa- 
bles ;  ils  voudraient  le  dire  plus  rapidement  qu'ils 
ne  le  pourraient  pas,  et  pour  que  rien  ne  manque 
à  cette  inconvenante  vélocité,  ils  récitent  en  aspi- 
rant comme  en  respirant.  Nous  le  demandons, 
qu'y  a-t-il  pour  Dieu  dans  une  telle  prière  ?  Et 
cette  prière  se  fait  au  nom  de  l'Eglise  !  et  cette 
prière  est  celle  par  laquelle  l'Église  militante  s'u- 
nit aux  concerts  de  l'Église  triomphante  !  et  cette 
prière  est  rigoureusement  obligatoire  !  et  l'obliga- 
tion sub  7nortaIiàQ  réciter  celte  prière  et  delà  réci- 
ter avec  attention  peut  être  aisément  enfreinte! 
Aidez-vous  de  ces  réflexions  pour  vous  réformer 
sur  ce  point,  si  déjà  vous  aviez  besoin  de  réforme. 
Quid  heatius,  dit  saint  Basile,  quàm  hominem  in 
terra  concentum  Angslorum  imitari ;  in  hymnis  et 
canticis  Creatrrem  prœdicare  {V)  ! 

(1)  Voyrz  IcSa'rd-Vrétrr,  cliapitrc  Dr  l'Office  divin,  V-  '^O"^* 


—  387   — 

XIÏI.  —  L'examen  particulier. 

Nous  en  avons  déjà  dit  un  mot  dans  le  chapitre 
du  Fervent  séminariste.  Contentons-nous  d'ajouter 
ici  que  t02it  prêtre  qui  fait  chaque  jour  son  examen 
particulier,  est  incontestablement  un  saint  prêtre. 
Nous  n'en  dirions  pas  autant  de  plusieurs  autres 
exercices  ;  mais  nous  l'affirmons  positivement  de 
celui-ci.  Disons  avec  le  même  aplomb  que  le  prê- 
tre qui  ne  fait  pas  l examen  particulier  n  est  pas  un 
saint  prêtre.  Il  peut  être  un  bon  prêtre  ;  mais  il 
n'est  pas  plus  que  cela,  et  tout  bon  prêtre  qu'il  est, 
il  a  et  il  aura  toute  sa  vie  des  défauts  dont  il  ne 
pensera  pas  même  à  se  corriger. 

Adoptez  donc,  nous  vous  en  supplions,  adoptez 
ce  saint  exercice  comme  si  vous  aviez  fait  le  vœu 
de  le  pratiquer  tous  tous  les  jours  (1). 

XIY.  —  Visite  au  saint  Sacrement. 

Le  prêtre  qui  ne  fait  pas  habituellement  la  visite 
au  saint  sacrement,  est  plus  ou  moins  profondé- 
ment engagé  dans  la  voie  du  relâchement  et  de  la 
tiédeur.  L'une  des  premières  pensées  que  Jésus 
inspire  au  saint  prêtre,  est  de  le  visiter  régulière- 
ment tous  les  jours  dans  le  sacrement  de  son 
amour.  Si  vous  sentez  quelque  répugnance  à  vous 
acquitter  de  ce  devoir,  vous  n'êtes  plus  dans  la 
ferveur  de  la  dévotion.  «  Ma  consolation  et  mon 
»  appui  le  plus  solide,  disait  un  jour  un  prêtre 
»  vénérable,  c'est  l'oraison,  l'examen  particulier, 

(1)  ie  ^(.lint  Prêtre,  chapitre  De  l'Examen  particulier,  p.  4-24, 
dont  nous  recommandons  spécialement  la  lecture. 


—   388  — 

»  la  visite  au  saint  sacrement  et  la  lecture  spiri- 
»  tuelle  :  ce  sont  là,  ajoutait-il,  les  quatre  roues  du 
»  char  qni  mène  le  prêtre  au  ciel.  Pour  moi,  ajou- 
)j  tait-il,  quand  l'une  d'elles  se  détraque,  je  ne  vais 
»  plus  à  Dieu  qu"en  boitant,  et  je  ne  reprends  une 
)>  bonne  allure  qu'en  revenant  à  celui  de  ces  exer- 
»  cices  que  j'avais  eu  la  lâcheté  de  négliger.  » 

Nous  connaissons  une  paroisse  populeuse  dans 
laquelle  les  prêtres,  sous  l'inspiration  de  leur  digne 
curé,  se  sont  concertés  pour  faire  tous  les  soirs 
ensemble,  et  à  une  heure  fixe,  la  visite  au  saint 
sacrement.  Quand  l'un  d'eux  ne  s'y  trouve  pas,  on 
peut  être  sur  qu'il  est  appelé  ailleurs  pour  quelque 
œuvre  indispensable  du  ministère.  Exemple  admi- 
rable, qui  édifie  singulièrement  tous  les  parois- 
siens, et  qui  pourrait  être  aisément  suivi  dans  une 
multitude  d'autres  localités  ! 

Quoi  qu'il  en  soit,  ne  vous  dispensez  jamais  de 
cette  visite  ;  en  la  faisant  avec  exactitude,  vous  en 
retirerez  des  fruits  abondants,  vous  aurez  infail- 
liblement la  réputation  de  saint  prêtre,  et  vous 
serez  cause  que  plusieurs  âmes  pieuses  adopteront 
cette  fervente  pratique  (2). 

XV.  —  Lecture  spirituelle. 

Yoici  encore  un  exercice  qui  vous  révélera  votre 
degré  de  sainteté.  Tant  que  vous  serez  fervent, 
la  lecture  spirituelle  fera  vos  délices;  vous  y  cour- 
rez comme  à  l'oraison.  Le  livre  le  plus  pieux,  le 

(2)  Voyez  le  Saint  Prêtre ,  chapitre  De  la  visite  au  saint 
Sacrement,  page  431. 


—   389  — 

plus  propre  à  vous  unir  à  Dieu,  sera  celui  que 
vous  choisirez.  Yous  vous  enfermerez  avec  lui  dans 
la  solitude  de  votre  chambre  comme  avec  un  ami 
intime  ;  vous  vous  préparerez  avec  soin  à  profiter 
de  son  entretien;  vous  le  pénétrerez  avec  bonheur, 
vous  savourerez  tout  ce  qu'il  vous  dira,  vous  le 
baiserez  tendrement  quand  il  vous  touchera,  vous 
vous  en  séparerez  avec  regret,  vous  lui  direz  :  au 
revoir,  et  non  pas  adieu;  puis,  pour  vous  consoler 
de  son  absence,  vous  repasserez  ce  qui!  vous 
aura  dit  et  vous  en  ferez  un  saint  usage. 

Mais  si  vous  cessez  d'être  fervent,  tout  sera 
changé.  Votre  ami  sera  toujours  là,  mais  son  en- 
tretien sera  pour  vous  sans  attrait;  vous  le  laisse- 
rez dans  un  coin  comme  un  hôte  fastidieux  et  in- 
sipide ;  vous  lui  ferez  la  honte  de  le  remplacer  par 
un  ami  frivole,  et  si,  en  souvenir  du  bien  qu'il 
vous  a  fait  autrefois,  vous  essayez  de  temps  en 
temps  de  renouer  connaissance,  vous  romprez 
l'entretien  dès  les  premiers  mots  qu'il  vous  dira, 
et  vous  irez  chercher  de  vaines  jouissances. 

Que  cela  est  vrai  !  et  que  cela  devrait  bien  nous 
éclairer  quand  le  goût  de  la  lecture  spirituelle  dis- 
paraît de  notre  âme  ! 

Où  trouver,  nous  ne  dirons  pas  un  mauvais 
prêtre,  mais  un  prêtre  tiède  et  même  un  bon 
prêtre  s'il  n'a  plus  de  règlement,  qui  aime  la  lec- 
ture spirituelle,  qui  la  fasse  tous  les  jours,  qui  en 
profite  pour  devenir  meilleur?  Disons-le,  c'est  ce 
qui  ne  se  voit  point. 

Quand  donc  cette  sainte  lecture  sera  pour  vous 
sans  charmes,  rentrez  en  vous-même,  sondez  votre 
intérieur,  voyez  où  se  portent  vos  goûts,  inter- 
II.  22. 


—   390  — 

rogez  vos  œuvres  ;  il  est  impossible  que  vous  ne 
trouviez  pas  en  tout  cela  quoique  désordre. 

Ah  !  jeune  et  tendre  ami,  de  grâce  vivez  de  ma- 
nière à  aimer  toujours  la  lecture  spirituelle  ;  et 
quand  vous  cesserez  de  l'aimer,  cessez  d'être  in- 
fidèle pour  laimcr  de  nouveau. 

Ne  vous  livrez  pas  aux  lectures  futiles;  le  sacer- 
doce les  repousse  et  les  abhorre  :  Vanas  gcneraiit 
cogitationes ,  dit  saint  Bonaventure ,  cxtinguunt 
mentis  devotionem,  et  non  œdificant  menteni,  sed 
potiùs  inficiunt. 

Aimez  au  contraire  les  lectures  pieuses  ;  elles 
sont,  selon  saint  François  de  Sales,  Thuile  de  la 
lampe  de  l'oraison.  «  Hélas  !  dit  le  P.  Yaluy  sur 
»  ces  paroles,  combien  de  lampes  s'éteignent 
»  chaque  matin  faute  d'huile  (1)  !  >-> 

XVI.  —  Le  chapelet.  —  Dévotion  à  la  très-sainte  Vierge. 

Avez-vous  de  la  dévotion  à  Marie  ?  Vous  répon- 
drez sans  doute  affirmativement  à  cette  question  ; 
quel  est  le  chrétien,  pour  peu  qu'il  approche  des 
sacrements,  qui  ne  soit  pas  plus  ou  moins  dévot 
à  Marie?  Mais  prenez  garde,  ce  n'est  pas  par  une 
dévotion  ordinaire  et  commune  que  vous  devez 
honorer  la  très-sainte  Vierge  :  cette  dévotion,  chez 
vous  prêtre,  doit  être  transcendante;  il  faut  que 
les  peuples,  en  voyant  tout  ce  que  vous  direz,  tout 
ce  que  vous  ferez  pour  étendre  le  culte  de  la  Mère 
de  Dieu,  pour  la  faire  connaître,  vénérer  et  chérir, 
disent  entre  eux  :  Quel  tendre  amour  il  a  pour 
Marie  !  Votre  dévotion  à  la  très-sainte  Vierge  doit 
donc  êUc  en  vous  un  trait  saillant,  un  trait  distinctif 
(1)  Voyez  là  Saint  Prêtre,  clinp.  De  la  Lecture  spirituelle,  p.  413. 


—   391   — 

et  caractéristique  ;  non  pas,  bien  entendu,  pour 
en  tirer  gloire  aux  yeux  des  hommes,  mais  pour 
les  édifier  et  les  attacher  eux-mêmes  tendrement 
à  Marie. 

Alimentez  cette  dévotion  dans  votre  àmepar  la  ré- 
citation quotidienne  du  chapelet  :  prière  vénérable, 
enrichie  d'indulgences  dans  chacune  de  ses  parties, 
et  qui,  pour  celui  qui  la  récite  pieusement  tous  les 
jours,  est  comme  un  gage  de  prédestination. 

Ah  !  jeune  et  bien-aimé  confrère,  vous  ne  savez 
pas  les  dangers  que  vous  aurez  à  courir  dans  le  saint 
ministère  où  vous  allez  vous  engager.  A  la  vue  de  ces 
dangers,  à  la  vue  de  votre  inexpérience  et  de  votre 
faiblesse,  jetez-vous  dans  les  bras  de  votre  divine 
Mère  ;  choisissez-la  pour  guide  dans  la  vaste  forêt  que 
vous  allez  traverser,  et  pour  mériter  cette  faveur, 
imposez-vous  la  loi,  sans  aller  toutefois  jusqu'au 
vœu,  de  réciter  le  chapelet  tous  les  jours.  (1) 

XYII.  —  Pratique  de  la  confession  pour  soi-même. 

Voici  un  point  éminemment  capital.  Nous  avons 
lu  ou  entendu  dire  un  jour  ces  mots  qui  nous  ont 
impressionné  :  «  Il  n'y  a  point  de  prêtre,  en  quel- 
»  que  état  qu'il  soit,  qui  ne  trouve  un  prêtre  pour 
»  l'absoudre.  »  Si  cela  est  vrai,  c'est  dire  assez 
qu'il  y  a  des  confesseurs  qui  ne  font  pas  leur  de- 
voir, car  il  y  a  malheureusement  des  prêtres  qui 
ne  méritent  pas  d'être  absous. 

Vous  devez  donc  faire,  en  ce  point  si  important, 
un  choix  judicieux.  Ne  prenez  pas    un   confesseur 

(1)  Voyez  le  Saint  Prêtre,  chapitre  De  la  Dévotion  à  la  très- 
sainte  Vierge,  paere4ol. 


—  392  — 

au  hasard  ;  l'affaire  est  trop  grave  pour  que  le 
hasard  y  intervienne. 

Choisissez  un  confesseur  éclairé,  ferme,  homme 
de  règle,  zélé  pour  le  progrès  spirituel  de  ses  pé- 
nitents ;  et  parmi  ceux  qui  réuniront  ces  qualités, 
choisissez  le  plus  saint. 

Tâchez  qu'il  ne  soit  pas  trop  éloigné  du  lieu  de 
votre  habitation,  pour  nètre  pas  tenté  d'ajourner 
vos  confessions. 

Ne  quittez  pas  votre  confesseur  sans  une  cause 
notable  ;  mais  changez-le  sans  balancer  s'il  tran- 
sige avec  vos  défauts,  s'il  vous  abandonne  à 
vous-même,  s'il  ne  prend  aucun  souci  de  votre 
perfection,  s'il  ne  prête  pas  main-forte  à  l'exécution 
de  votre  règlement,  si,  en  un  mot,  il  est  tout  autre 
que  vous  ne  pensiez. 

Disons-le,  nos  confesseurs  sont  souvent  ce  que 
nous  les  faisons.  Quand  ils  nous  voient  indifférents 
pour  tout  ce  qui  est  de  la  perfection,  ils  nous  trai- 
tent comme  des  prêtres  ordinaires  et  ne  visent  qu'à 
nous  tenir  en  garde  contre  le  péché  mortel.  Pour  ne 
pas  fausser  à  ce  point  la  grande  affaire  de  la  direc- 
tion de  votre  âme,  formez  votre  confesseur  si  vous 
voulez  qu'il  vous  forme  à  son  tour  ;  et,  pour  cela, 
dites-lui  dès  la  première  confession  que  vous  lui 
ferez  :  «  Mon  Père,  je  suis  un  pauvre  jeune  prêtre 
»  en  qui  il  y  a  de  la  bonne  volonté,  mais  beau- 
»  coup  de  faiblesse  ;  j'ai  promis  à  Dieu,  en  quittant 
»  le  séminaire,  de  mener  une  vie  fervente  dans 
»  mon  saint  état  ;  aidez-moi,  je  vous  en  conjure, 
»  k  réaliser  ma  promesse.  J'ai  fait  un  règlement 
»  que  mon  confesseur  a  approuvé  et  qu'il  m'a  fait 
»   promettre  d'observer  jusqu'à  la  mort.  Le  voici  : 


—   203   — 

»  lisez-le,  je  vous  prie,  à  quelque  moment  de  loisir 
»  et  pressez-en  vivement  Texécution.  En  grâce, 
»  ne  me  passez  rien  ;  interrogez-moi  sur  ce  rè- 
»  glement  comme  s'il  était  la  loi  même  de  Dieu. 
»  Si  vous  voyez  que  je  me  relâche  sur  quelqu'un 
»  de  ses  points,  donnez-moi  la  pratique  journalière 
»  de  ce  point  pour  pénitence.  Mes  principaux  dé- 
»  fauts  sont  l'orgueil,  la  vivacité,  le  peu  d'ardeur 
»  pour  l'étude,  etc.  Descendez  à  chaque  confession 
i>  dans  le  détail  des  péchés  que  ces  défauts  me  fe- 
»  ront  commettre  ;  appelez  vivement  mon  at- 
))  tention  sur  ces  péchés,  jamais  je  ne  m'offenserai 
»  de  vos  réprimandes  ;  elles  me  prouveront  au 
»  contraire  l'intérêt  que  vous  prendrez  à  mon  àmc. 
»  Si  mes  confessions  deviennent  un  peu  plus  rares 
»  qu'au  passé,  avertissez-moi  dès  que  vous  le 
»  rembarquerez.  Je  veux  être  un  saint  prêtre,  ne 
»  négligez  rien  pour  me  forcer  à  le  devenir.  » 

Que  de  jeunes  prêtres  éviteraient  le  relâchement 
et  se  maintiendraient  dans  l'habitude  de  la  fer- 
veur, s'ils  suivaient  ces  règles  !  Suivez-les,  vous, 
avec  fidélité,  et  vous  verrez  quels  prodiges  de  grâce 
elles  opéreront  en  vous. 

Appliquez  ces  principes  aux  prêtres  dont  vous 
serez  plus  tard  le  directeur. 

Un  mot  seulement  encore  :  Confessez-vous  fré- 
quemment. Les  saints  prêtres  se  confessent  toutes 
les  semaines  ;  les  bons  prêtres  ordinaires  ne  dé- 
passent pas  la  quinzaine  :  se  confesser  plus  rare- 
ment, est  un  signe  évident  de  relâchement  et  de 
tiédeur  (1). 

(1)  Voyez  et  lisez  attentivement  le  chapitre  du  Saint  Prêtre, 
intitulé  :  Le  prêtre  à  confesse,  etc.,  page  46 i. 


—   394  — 
XVIÏI.  —  Considérations  générales  sur  le  saint  ministère. 

Nous  avons  vu  votre  arrivée  dans  la  paroisse, 
vos  premiers  rapports  avec  votre  curé,  vos  pre- 
mières visites  aux  paroissiens  et  votre  première 
apparition  à  Téglise.  Nous  avons  vu  ensuite  les 
divers  points  de  conduite  personnelle  qui  font  l'ob- 
jet du  règlement  que  vous  avez  adopté  ;  il  nous 
reste  maintenant  à  vous  donner  quelques  avis 
très-pratiques  sur  Texercice  du  saint  ministère. 

?>ous  l'avons  dit,  la  perspective  de  ce  ministère 
auquel  vous  deviez  être  prochainement  employé, 
était  au  séminaire  la  matière  de  vos  préoccupations 
et  de  vos  craintes;  et  aujourd'hui  que  vous  allez 
vous  mettre  à  l'œuvre,  ces  craintes  augmentent 
au  lieu  de  s'affaiblir.  Mais  écoutez-nous,  jeune 
confrère  :  si  vous  êtes  un  saint  prêtre,  et  si  vous 
avez,  pour  ainsi  dire,  juré  de  continuer  de  l'être, 
loin  de  vous  effrayer  du  divin  ministère,  vous  de- 
vez l'embrasser  avec  une  sainte  allégresse.  Que  le 
mauvais  prêtre  et  le  prêtre  tiède  frémissent  en  s'y 
ingérant,  cela  doit  être,  ou  plutôt  cela  devrait  être  : 
Dieu  n'est  pas  avec  eux,  et  quand  on  négocie  l'œu- 
vre de  Dieu  sans  le  concours  et  l'appui  de  Dieu, 
on  ne  va  pas  loin  sans  faire  des  chutes  affreuses. 
Mais  quand  on  a  des  intentions  pures;  quand  on 
se  défie  de  soi-même  et  qu'on  ne  fait  fond  que  sur 
l'assistance  divine  ;  quand  on  veut  résolument  et 
à  tout  prix  sauver  des  âmes  et  se  sauver  soi-même; 
pourquoi  trembler?  N'est-ce  pas  le  cas  de  dire  avec 
l'Apôtre  :  Si  De^JS  pro  nohis,  quis  contra  7ios  ? 

La  vie  du  prêtre,  quand  elle  est  ce  qu'elle  doit 


—  :vjo  — 

èire,  est  une  vie  éminemment  sanclifiante  :  sanc- 
tifiante pour  lui-môme,  sanctifiante  pour  ses  frères 
dont  il  est  réellement  le  second  rédempteur.  Quelle 
vie  que  celle  d'un  homme  qui  est  constamment 
ou  en  prière,  ou  à  l'élude,  ou  en  communication 
avec  les  âmes  pour  les  gagner  à  Dieu  !  Prenez  la 
journée  d'un  saint  prêtre  depuis  son  lever  jusqu'à 
son  coucher,  et  dites-nous  ce  que  vous  y  voyez 
d'efTrayant,  ou  plutôt  dites-nous  si  tout  n'y  est  pas 
matière  de  consolation  et  motif  légitime  de  con- 
fiance. 

Vous  objecterez  sans  doute  que  la  responsabi- 
lité des  âmes  que  l'on  dirige  est  terrible  ;  c'est 
vrai,  et  c'est  ce  qui  doit  faire  prendre  toutes  les 
précautions  pour  n'être  pas  écrasé  sous  le  poids 
d'un  tel  fardeau.  Mais  si  on  les  prend,  ces  précau- 
tions, si  l'on  étudie  selon  ses  moyens  pour  pouvoir 
se  dire  qu'on  n'est  pas  dans  une  ignorance  cou- 
pable ;  si  l'on  consulte  dans  les  cas  embarrassants 
et  douteux;  si  l'on  cherche  en  Dieu  par  une  prière 
fervente  et  assidue  les  lumières  et  l'appui  qu'on 
ne  trouve  pas  en  soi-même;  encore  une  fois,  pour- 
quoi trembler  ? 

Yoyez  le  saint  prêtre  :  quel  calme  !  quelle  séré- 
nité !  quelle  délicieuse  ferveur  !  nous  ne  craignons 
pas  do  le  dire,  il  est  incontestablement  le  plus 
heureux  des  hommes.  Les  tribulaiions  mêmes  dont 
il  est  quelquefois  abreuvé,  redoublent  sa  joie  au 
lieu  de  l'altérer,  et  il  dit  comme  saint  Paul  :  6'?^- 
perabundo  gaudio  in  oiiini  trihulatiGne  nostrâ.  Quel 
beau  mot  que  celui  de  ce  fervent  jésuite  qui , 
après  avoir  travaillé  toute  sa  vie  à  sauver  des  âmes, 
répondit  à  quelques-uns  de  ses  Itères  qui  lui  disaient 


306 


de  tempérer  sa  confiance  en  Dieu  par  la  pensée  de 
sa  justice  :  <(  Eh  quoi!  ai-je  donc  servi  Mahomet? 
>>  J"ai  servi  un  Dieu  fidèle  et  reconnaissant,  quelle 
»  crainte  puis-je  avoir?  » 

Rassurez- vous  donc,  bien-aimé  confrère.  Soyez 
un  saint  prêtre,  vivez  en  saint  prêtre,  et  après  cela 
saluez  d'un  regard  d'humilité  et  de  confiance  le 
glorieux  ministère  que  vous  allez  remplir. 

XIX.  —  Admiuistration  du  sacrement  de  Péuitcncc. 

Vous  le  voyez,  nous  allons  tout  d'abord  à  ce  qui 
vous  inquiète  davantage.  L'idée  d'entrer  au  saint 
tribunal  vous  saisit;  les  plus  petites  circonstances 
de  la  confession  vous  semblent  embarrassantes  : 
que  dire  au  premier  pénitent  qui  se  présentera  ? 
comment  le  recevoir  ?  quelles  questions  lui  faire  ? 
Soyez  tranquille,  tout  cela  va  s'aplanir;  car  nous 
allons  entrer  dans  les  plus  menus  détails. 

Inous  supposons  que  vous  avez  la  science  au 
moins  suffisante,  que  vous  possédez  bien  la  théo- 
logie morale,  que  vous  avez  repassé  tout  récem- 
ment le  traité  du  Décalogue  et  ce  qui  regarde  les 
péchés  capitaux.  Nous  supposons  de  plus  que  vous 
avez  lu  et  même  étudié  un  long  examen  de  con- 
science, qui  vous  a  appris  les  questions  principales 
qu'il  faut  faire  sur  chaque  commandement.  Nous 
supposons  enfin  que  vous  savez  imperturbablement 
la  formule  de  fabsolution  et  que,  dans  la  prévision 
d'un  trouble  qui  n'est  pas  rare,  vous  avez  écrit 
cette  formule  pour  la  lire  au  besoin. 

Tout  étant  ainsi  disposé,  on  vous  annonce  que 
vous  êtes  attendu  au  confessionnal.  En  apprenant 


i 


—    3'J7    — 

cette  nouvelle,  dites  en  vous-même  :  Dieu  soit 
loué!  Je  vais  travailler  au  salut  des  pécheurs .  Adop- 
tez Fusage  de  cette  aspiration,  et  produisez-la 
toutes  les  fois  que  vous  serez  demandé  au  saint 
tribunal;  cela  vous  empêchera  de  donner  en  ces 
circonstances  des  marques  de  mécontentement  qui 
sont  loin  d'édifier  ceux  qui  en  sont  témoins  :  ce 
sera  d'ailleurs  déjà,  une  direction  d'intention  trè.s- 
convenable  et  que  Dieu  bénira. 

Ilevétu  du  rocîiet,  allez  au  pied  de  Taulel  réciter 
la  prière  préparatoire  du  rituel,  et,  outre  cette 
prière,  faites-en  une  mentale,  courte,  mais  très- 
fervente,  pour  demander  à  Dieu  qu'il  vous  bénisse 
ainsi  que  les  pénitents  que  vous  allez  entendre.  — 
Vous  pourriez  ajouter  :  «Accordez-moi,  Scig-neur, 
»  par  rintercession  de  Marie,  de  mon  bon  ange  et 
»  des  bons  anges  de  mes  pénitents,  lumières, 
»  prudence,  douceur,  patience,  charité  et  chasteté. 
»  Amen.  » 

Au  reste,  quelle  que  soit  la  forme  de  votre  pré- 
paration, Tessentiel  est  que  vous  en  fassiez  une, 
et  que  vous  la  fassiez  avec  beaucoup  do  dévotion 
intérieure  et  extérieure.  11  est  Irès-fàcheux  que 
des  prêtres,  et  de  bons  prêtres,  s'alfranchissent 
sans  façon  de  cette  préparation.  On  les  voit,  après 
une  conversation  souvent  frivole  à  la  sacristie,  se 
rendre  au  confessionnal  sans  se  recueillir  un  seul 
instant  au  pied  de  l'autel,  pour  penser  à  ce  qu'ils 
vont  faire.  N'agissez  pas  ainsi;  édifiez  vos  pénitents, 
qui  tous  vous  oi)scrvent,  par  une  pieuse  prépara- 
tion. Vous  ne  vous  dispenserez  jamais  de  ce  de- 
voir, si  vous  êtes  toujours  vivement  pénétré  de 
l'importante  fonction  que  vous  allez  remplir. 
II.  23 


—   398  — 

Cette  préparation  faite,  dirlg-ez-vous  versle  coii- 
fcssionual  sans  précipitation  et  les  yeux  modeste- 
ment baissés. 

La  confession  va  commencer  :  quand  la  bénédic- 
tion vous  a  été  demandée  par  ces  mots  :  MoaPèrc, 
bénissez-moi  parce  fjuc  f  ai  péché,  prononcez  la  for- 
mule do  bénédiction  :  Dsussit  in  corde  tuo,  etc.,  et 
restez  en  silence  jusqu'àce  que  le  pénitent  ait  achevé 
la  première  partie  du  Confiteor.  C'est  ici  que  les  con- 
fesseurs qui  débutent  éprouvent  quelque  embarras. 
Nous  recommandons  à  nos  jeunes  lecteurs  d'adop- 
ter, pour  tout  le  temps  qu'ils  exerceront  le  saint  mi- 
nistère, la  méthode  que  nous  allons  leur  proposer. 
Nous  croyons   d'abord  que   le   confesseur  doit 
prendre  le   premier  la  parole;   cela  met   déjà  le 
pénitent  à  Taise  et  diminue  l'appréhension  dont  il 
est  quelquefois  saisi  quand  il  est  timide.  Il  y  a  des 
confesseurs  qui  ne  disent  pas  \\\\  mot  aux  pénitents 
au  début  de  la  confession;  ils  les  laissent  s'expli- 
quer comme  ils  peuvent  et  ne  semblent  pas  s'a- 
percevoir de  leur  timidité  et  de  leur  trouble.  Ne 
vous  conduisez  pas  de  cette  manière;  diles,  par 
exemple  :  «  Comme  c'est  la  première  fois  que  vous 
»  vous  confessez  à  moi ,  il  est  possible  que  vous 
»  éprouviez  un  peu  de  crainte  et  d'embarras  :  cela 
»  n'est  pas  étonnant;-  mais  soyez  tranquille,  mon 
»  enfant  ;  je  me  charge  de  vous  interroger,  ne  vous 
»  troublez  point.  Quels  que  soient  les  péchés  que 
»  vous  ayez  commis,  je  vais  les  entendre  avec  la 
»  plus  grande  douceur  et  vous  rendre  la  paix  si 
»  vous  l'avez  perdue.  »  Cette  précaution  est  excel- 
lente à  l'égard  des  nouveaux  pénitents.  Commen- 
cez ensuite  le  dialogue  suivant  : 


—  :]DU  — 

—  Y  a-t-il  longîomps  que  vous  no  vous  oies 
confessé  ? 

—  Environ  six  mois,  mon  Père. 

—  Ileçiites-vous  alors  rabsolulion  ? 

—  Oui,  mon  Père. 

—  N'avcz-vous  rien,  mon  enfant,  qui  vous  irou- 
bliî  la  conscience  dans  votre  vie  passée  ? 

—  Non,  mon  Père,  je  suis  tranquille  sur  mes 
anciennes  confessions. 

Si,  au  lieu  de  celte  réponse,  on  vous  disait  ou 
si  seulement  on  vous  laissait  entrevoir  par  un  air 
de  réticence  et  do  contrainte,  qu'on  n'est  pas  par- 
faitement rassuré  sur  les  confessions  précédentes, 
éclaircissezlc  mystère  qu'on  ne  vous  révèle  qu'im- 
parfaitement et  dites  avec  une  grande  douceur  : 

— Mettez-vous  parfaitem.ent  à  l'aise,  mon  enfant; 
déclarez-moi  bien  franchement  tout  ce  qui  vous 
fait  ombrage;  aulant  la  mauvaise  conscience  est 
insupportable,  autant  la  bonne  est  accompagnée  de 
douceur  et  de  consola' ion.  Oh  1  que  vous  serez  con- 
tent quand  vous  m'aurez  dit  tout  ce  que  vous  avez 
dans  l'àme  ! 

Quelquefois  ce  n'est  pas  à  beaucoup  près  la  dis- 
position ordinaire)  on  trouve  des  pénitents  si  timi- 
des, que  ces  moyens  et  d'anlres  plus  engageants 
encore  ne  suffisent  pas  pour  obîeriir  les  aveux 
qu'on  désire.  C'est  dans  ce  cas  qu'il  faut  user 
d'une  excessive  douceur  et  des  industries  du  vrai 
zèle  pour  atteindre  son  but.  Il  y  a  des  pénitents  si 
enveloppés  et  si  peu  disposés  à  manifester  leurs 
misères,  que,  dans  une  confession  d'une  demi- 
heure,  on  ne  peut  leur  arracher  que  trois  ou  qua- 
tre péchés.  C'est  un  supplice  pour  les  confesseurs; 


—   400  — 

mais  ils  cloivent  s'abstenir,  avec  un  soin  extrême, 
de  toute  démonstration  d'impatience  et  d'ennui. 
Ceci  doit  faire  voir  à  quoi  s'exposent  des  confes- 
seurs froids  et  indifférents  qni  laissent  aux  péni- 
tents toute  la  cliarge  de  la  confession,  sansValléger 
par  quelques  bonnes  paroles. 

Quand  on  a  obtenu  des  aveux  précis  et  suffi- 
samment détaillés,  il  faut  voir  si  la  conscience  du 
pénitent  est  en  assez  bon  état  pour  qu'on  n'ait  pas 
iDesoin  de  lui  faire  faire  une  confession  générale. 
S'il  en  est  ainsi,  on  lui  dit  d'être  tranquille  sur  les 
confessioîis  précédentes,  et  l'on  se  borne  seule- 
ment à  reciiercber  les  fautes  qu'il  a  commises  de- 
puis la  dernière  absolution.  11  va  sans  dire  que 
c'est  à  cette  dernière  absolution  qu'il  faut  remon- 
ter, lors  même  qu'il  y  aurait  eu  depuis  quelques 
confessions  sans  absolution. 

Les  jeunes  confesseurs  doivent  être  en  garde 
contre  la  tentation  d'exiger  trop  légèrement  des 
confessions  générales  ou  des  revues  partielles  de 
tous  les  pénitents  qu'ils  confessent;  cela  ne  serait 
pas  sans  inconvénient,  même  très-grave,  surtout 
pour  les  pénitents  qui  seraient  fort  timides  et  qui 
témoigneraient  une  grande  répugnance  à  recom- 
mencer leurs  confessions.  Rappelons-nous  que , 
selon  les  meilleurs  théologiens,  il  ne  faut  obliger 
les  pénitents  à  faire  des  confessions  générales,  que 
quand  on  a  de  fortes  raisons  de  croire  que  les 
confessions  antérieures  n'ont  pas  été  bonnes. 

Première  règle  :  Quand  un  pénitent  n'est  pas 
scrupuleux,  ce  dont  il  faut  s'assurer  avant  tout, 
faites-lui  faire  une  confession  générale  s'il  en  ex- 
primo   lui-même   formellement   le    désir.   Encore 


—   401    — 

l)ioii  que  vous  no  voyiez  pas  posilivcmcnt  qu'il 
soit  néccssairo  do  fairo  colle  confession  générale, 
vous  devez  croire  que  le  péniteni  a,  pour  s'y  dé- 
terminer, des  raisons  sccrèles  qu'ils  vous  fera  con- 
naîlre  dans  le  cours  de  la  confession. 

Deuxième  règle  :  Si  le  pénitent  veut  absolument 
revenir  sur  le  passé,  failes-lui  plutôt  faire  une 
confession  générale  qu'une  revue  partielle,  à  moins 
qu'il  ne  vous  soit  bien  démontré  qu'au  delà  dételle 
époque  sa  conscience  était  en  un  parfait  état.  Une 
confession  générale  n'est  pas  beaucoup  plus  lon- 
gue qu'une  revue  de  quinze  ou  vingt  ans,  et  sou- 
vent quand,  pour  gagner  du  temps,  on  ne  fait 
faire  qu'une  revue,  on  s'aperçoit  dans  le  cours  de 
coite  revue  qu'une  confession  de  toute  la  vie  est 
nécessaire  et  qu'il  eût  été  plus  court  de  commencer 
par  là. 

Troisième  règle  :  Si  le  péniteni,  après  sa  der- 
nière absolution,  est  retombé  presque  aussitôt  dans 
le  péché  mortel,  et  si,  par  une  ou  deux  interroga- 
tions, V(jus  voyez  que  la  fréquence  de  ce  péché 
constitue  une  habitude,  et  qu'avant  la  dernière 
absolution  les  choses  se  passaient  comme  elles  se 
sont  passées  depuis,  insistez  fortement  pour  une 
confession  générale  ;  car  elle  est  très-souvent  né- 
cessaire en  ces  circonstances,  par  défaut  de  con- 
trition, et  quand  bien  mémo  cette  nécessité  ne 
serait  pas  évidente,  vous  profiLer;^:^  de  l'occasion 
pour  dissiper  l'illusion  du  péniten-  e.  lui  faire  voir 
que  son  péché  est  plus  grave  qu'il  :.e  pense,  puis- 
que son  habitude  nécessite  une  co:i:ession  géné- 
rale. On  voit  bien  des  pénitents  ouvrir  les  yeux 
quand  on  appelle  ainsi  leur  attention  toute  spé- 


—   402    — 

oiale  sur  une  habitude  dont  ils  avaient  jusque-là 
ignoré  la  grièveté.  u  Ah!  disent-ils  avec  surprise, 
»  si  mon  confesseur  m'avait  éclairé  coninK)  vous 
»  venez  de  le  fidre,  je  n'en  serais  pas  où  j'en 
>y  suis.  »  Et  cela,  malheureusement,  n'est  sou- 
vent que  trop  vrai. 

Les  choses  étant  éclaircics  de  la  sorte,  vous 
verrez  nettement  quelle  sorte  de  confession  votre 
pénitent  devra  faire.  Ce  sera  ou  une  confession 
ordinaire,  ou  une  revue  partielle,  ou  une  confes- 
sion générale. 

Si  vous  ne  faites  faire  qu'une  confession  ordi- 
naire, vous  pourrez,  si  le  pénitent  semble  suffisam- 
ment instruit  et  n'a  pas  l'air  trop  timide,  lui  dire 
de  s'accuser  des  fautes  dont  il  se  souvient  depuis 
sn  dernière  aljsolution.  Quand  il  aura  dit  tout  ce 
qu'il  se  rappellera,  vous  supriléerez  à  son  accusa- 
tion par  quelques  interrogations  appropriées  à  ses 
besoins  spirituels  et  à  sa  condition.  Pour  être  ren- 
seigné sur  ce  dernier  point,  vous  lui  demanderez, 
s'il  ne  vous  l'a  pas  déjà  dit,  quelle  est  sa  profes- 
sion, s'il  est  marié,  s'il  a  des  enfants,  etc.  :  puis, 
quand  l'accusation  et  les  interrogations  seront 
terminées,  vous  lui  direz  d'achever  le  Confiteor  et 
vous  lui  ferez  une  exhortation,  qui  ne  devra  pas 
être  très-longue,  mais  précise,  substantielle,  pres- 
sante, onctueuse  et  toujours  relative  aux  princi- 
paux défauts  qu'il  vous  aura  fait  connaître.  Nous 
reviendrons  un  peu  plus  loin  sur  cette  exhorta- 
tion. Cela  fait,  vous  imposerez  une  pénitence  en 
rapport  avec  l'état  de  conscience  du  pénitent,  et 
vous  donnerez  l'absolution  ou  la  bénédiction  selon 
les  circonstances.  Enfin,  vous  fixerez  Tépoque  de 


—   AO'A   — 

la  procliaiiie  confossion,  ce  à  quoi  il  ne  faul  jamais 
manquer,  quel  que  soit  l'état  du  pénitent. 

Si  vous  l'aile.»  faire  une  revue  partielle,  vous 
n'avez  pas  besoin  de  déployer  tout  Tappareil  d'une 
confession  générale.  Sans  indiquer  clairement  que 
vous  allez  parcourir  l'un  après  l'autre  tous  les  com- 
mandements de  Dieu  et  de  l'Eglise,  ce  qui  pourrait 
re])uter  le  pénitent  en  lui  faisant  croire  que  cette 
revue  sera  très-longue,  vous  lui  direz  tout  simple- 
ment que  vous  allez  Tinterrogcr  sur  les  fautes  com- 
mises envers  Bien,  envers  le  prochain  et  envers  lui- 
mènie,  ainsi  que  sur  les  devoirs  de  son  état.  Cela  ne 
vous  empêchera  pas  de  suivre  dans  vos  interroga- 
tions l'ordre  des  commandements,  sans  qu'il  s'en 
aperçoive.  Ainsi,  par  exemple,  en  Finterrogeant 
sur  ses  devoirs  envers  Dieu,  vous  lui  ferez  des  ques- 
tions, sur  les  trois  premiers  commandements  de 
Dieu  et  sur  tous  les  commandements  de  l'Eglise. 
En  l'interrogeant  sur  ses  devoirs  envers  le  pro- 
chain, vous  le  questionnerez  sur  le  quatrième,  le 
cinquième  et  le  septième  commandements  de  Dieu. 
En  l'interrogeant  sur  ses  devoirs  envers  lui-même, 
vous  ferez  rouler  vos  questions  sur  le  sixième  com- 
mandement de  Dieu  et  sur  les  péchés  capitaux  ; 
puis  vous  n'aurez  plus  à  examiner  que  les  fautes 
commises  contre  les  devoirs  de  sa  profession.  De 
cette  manière,  on  peut  faire  en  fort  peu  de  temps 
une  longue  revue  très-exacte.  Au  reste,  si  le  péni- 
tent avait  donné  à  son  examen  une  autre  direc 
tion  et  qu'il  désirât  se  confesser  selon  sa  méthode, 
il  faudrait,  en  général,  accéder  à  son  désir.  Le 
reste  de  la  confession  se  fera  comme  nous  l'avons 
dit  plus  haut  pour  une  confession  ordinaire. 


—  404  — 

Si  enfia  vous  faites  l'aire  une  confession  géné- 
rale complète,  il  faui:,  avant  de  la  commencer, 
exhorter  brièvement,  mais  avec  onction,  le  pénitent 
à  être  parfaitement  sincère  !  Dites- lui  de  ne  pas 
s'eiTrayor  des  péchés,  peut-être  très-graves,  qu'il 
a  commis  au  passé  ;  donnez-lui  l'assurance  que 
plus  ils  seront  considérables,  plus  vous  userez  de 
douceur  et  de  charité  en  les  entendant,  etc.  Cetle 
précaution  est  toujours  très-utile  et  dispose  le  pé- 
nitent à  faire  sincèrement  l'aveu  de  toutes  ses  fau- 
tes. Parcourez  ensuite  les  commandements  de  Dieu 
et  de  l'Eglise,  les  péchés  capitaux  et  les  devoirs 
d'état.  Quelques  pénitents  veulent  partager  leur 
vie  en  époques  et  se  confesser  successivement  des 
péchés  commis  dans  chaque  période.  C'est  beau 
coup  plus  long,  car  on  fait  alors  presque  autant 
de  confessions  générales  qu'il  y  a  de  périodes, 
puisqu'on  suit  pour  chacune  l'ordre  des  comman- 
dements, des  péchés  capitaux  et  des  devoirs  d'état. 
Nous  ne  pensons  pas  qu'on  y  gagne  beaucoup, 
sous  le  rapport  de  l'intégrité.  En  suivant  la  mé- 
thode ordinaire,  on  peut  aisément  et  l'on  doit  tenir 
compte,  sur  chaque  commandement,  des  péchés 
commis  aux  diverses  époques  de  la  vie,  ce  qui 
suffit  pour  que  la  confession  soit,  moralement 
parlant,  aussi  entière  que  possible. 

Quelquefois  on  peut,  par  exception,  examiner 
tout  d'abord  le  pénitent  sur  le  sixième  comman- 
dement. C'est,  par  exemple,  lorsqu'il  est  tout 
troublé  et  presque  exclusivement  préoccupé  des 
péchés  graves  qu'il  a  commis  contre  la  sainte 
vertu.  Proposez-lui,  dans  ce  cas,  de  se  décharger 
immédiatement  du  fardeau  qui  l'oppresse  ;  vous 


—    405   •— 

lui  procurerez  par  là  un  grand  soulagement  qui 
Taidera  à  faire  sa  confession  générale  avec  pins  de 
calme  et  d'exactitude. 

Ne  recherchez  pas  minutieusement  les  péchés  qui 
évidemment  ne  sont  que  véniels  :  leur  accusation 
n'est  pas  nécessaire;  elle  rend  la  confession  générale 
beaucoup  plus  longue,  et  la  déclaration  des  péchés 
mortels  vous  fera  suffisamment  connaître  les  pé- 
chés véniels  ,  sans  qu'on  vous  les  confesse 
expressément. 

Si  le  pénitent  vous  prie  de  l'interroger,  même 
avant  qu'il  se  soit  confessé  d'aucun  péché,  in- 
terj'ogez-le,  et,  après  l'avoir  examiné  sur  un  com- 
mandement, demandez-lui  s'il  se  souvient  encore 
de  quelques  péchés  contre  ce  commandement  avant 
de  passer  au  suivant. 

S'il  fait  lui-même  et  lui  seul  son  accusation,  ne 
le  troublez  pas  par  une  multitude  d'interrogations 
sur  chaque  péché  qu'il  déclare  ;  mais  souvenez- 
vous  des  circonstances  sur  lesquelles  il  est  im- 
portant de  revenir,  et  revenez-y  en  effet  quand  il 
aura  confessé  tous  les  péchés  qu'il  se  rappellera 
contre  un  commandement.  Si  cependant  vous  re- 
marquiez qu'il  ne  se  trouble  pas  quand  vous  lui 
demandez  quelques  explications,  demandez-les-lui 
immédiatement  si  vous  croyez  qu'elles  soient  né- 
cessaires ;  vous  serez  plus  sur  de  ne  les  pas  oublier. 

Ne  fatiguez  pas  le  pénitent  par  des  séances  trop 
longues  ;  quelquefois  il  en  est  si  incommodé  qu'il 
se  trouve  mal  dans  le  confessionnal  ;  et  puis,  cela 
ennuie  singulièrement  ceux  qui  attendent. 

Bornez-vous  au  strict  nécessaire,  surtout  en  ce 
qui  touche  le  sixième  commandement.  Les  jeunes 
n.  23. 


—    4UG   — 

pivtres  doiîiient  souvent  à  cet  égarJ  Jans  un  excès 
plus  nuisilîie  qu'ulile.  Quelque  étendue  que  soit 
cerie  rnalière,  elle  est  bientôt  épuisée  quand  on 
ne  demande  que  ce  qu'on  doit  rigoureusement  de- 
mander. Revoyez  ce  que  disent  à  ce  sujet  les 
théologiens  les  plus  estimés  :  en  vous  conformant 
à  leur  enseignement,  vous  pourrez  quelquefois  ré- 
duire de  plus  de  moitié  vos  interrogaiions. 

Usez  d'une  prudence  extrême  en  interrogeant, 
sur  le  sixième  commandement,  les  enfants  et  les 
personnes  plus  càgées  en  qui  vous  ne  voyez  pas 
de  désordres  contre  la  pureté.  Prenez  bien  garde, 
par  des  questions  indiscrètes,  d'apprendre  le  mal  à 
ceux  qui  l'ignorent.  Commencez  par  demander  si 
Ton  a  commis  quelques  fautes  impures  et  quelles 
sont  ces  fautes.  Si  vous  allez  plus  loin,  interrogez 
d'abord  sur  les  pensées  ;  et  si  des  enfants  vous 
disent  qu'ils  en  ont  eu  de  mauvaises,  faites-leur 
dire  précisément  à  quoi  ils  pensaient  quand  ils 
avaient  ces  mauvaises  pensées  ;  vous  verrez  sou- 
vent qu'elles  n'étaient  nullement  contre  la  sainte 
vertu.  Quelquefois  cependant  on  voit  des  enfants 
qui  disent  n'avoir  pas  eu  de  mauvaises  pensées, 
et  qui  s'accusent  ensuite  d'actions  impures  très- 
graves  :  cela  vient  de  ce  qu'ils  ne  savent  pas  ce 
que  c'est  qu'une  mauvaise  pensée.  Tout  ceci  de- 
mande beaucoup  de  prudence  et  de  réserve. 

Si  l'on  vous  confesse  des  péchés  énormes,  pas  un 
mot,  pas  un  geste,  pas  un  simple  soupir  étouffé,  rien 
enfm  qui  annonce  Tétonnement  et  l'espèce  d'hor- 
reur que  ces  péchés  vous  inspirent.  Si  même  vous 
remarquez  beaucoup  de  confusion  et  un  peu  d'em- 
barras chez  1e  pénitent,   soulagez-le  par  quelques 


—   407   — 

pai'oles  dencoMr.igeineiit.  Dites-lui,  par  exemple  : 
«  Ne  vous  troublez  pas,  mon  enfant  ;  rien  ne 
»  m'étonne  de  la  part  d'un  pauvre  pécheur  qui  a 
»  rompu  avec  Dieu  pour  se  mettre  au  service  de 
»  la  passion  ;  ce  qui  m'étonne,  au  contraire,  c'est 
»  qu'il  ne  se  soit  pas  encore  rendu  plus  coupable. 
»  llappelez-vous  ce  mot  de  saint  Augustin  :  //  n'y 
»  a  pas  un  seul  péché  commis  par  un  homme ,  qui  no 
))  puisse  être  commis  par  im  autre  homme.  Je  vous 
»  assure,  mon  enfant,  que  plus  vous  me  déclarez 
»  de  péchés  graves,  plus  je  me  sens  heureux;  non 
))  pas  sans  doute  que  je  me  réjouisse  que  vous  les 
»  ayez  commis,  mais  puisque  le  mal  est  fait,  je  me 
))  réjouis  du  fond  de  l'àme  que  vous  preniez  coura- 
))  geusementlemoyende  le  détruire.  Oh!  que  vous 
»  allez  être  content  dans  quelques  instants  !  Ne 
»  rètes-vous  pas  déjà  beaucoup  plus  qu'au  com- 
»  mencement  de  votre  confession  !  Courage  donc, 
))  mon  enfant,  courage  ;  encore  quelques  aveux,  et 
»  vous  allez  respirer  à  l'aise.   » 

Après  une  confession  générale,  ne  manquez  pas, 
quand  vous  donnerez  l'absolution,  de  presser  vive- 
ment le  pénitent  de  revenir  très-prochainement  à 
confesse.  Faites-lui  comprendre  que,  quoique  ré- 
concilié avec  Dieu,  il  est  encore  bien  faible,  et  que 
le  vrai  moyen  de  s'affermir,  c'est  de  recevoir  sou- 
vent les  sacrements,  surtout  jusqu'à  ce  qu'il  ait 
contracté  rhabilude  de  la  vertu.  Nous  attachons  à 
ce  point  une  haute  importante.  Il  y  a  des  confes- 
seurs froids  et  indifférents  qui  abandonnent  les 
pécheurs  à  eux-mêmes  quand  ils  les  ont  retirés  de 
l'abîme  et  qui  n'ont  pas  seulement  la  pensée  de 
les  engager  à   se  confesser  de  nouveau  sous  un 


—  408  — 

bref  délai.    Celte   négligence    est   quelquefois  la 
cause  de  rechutes  graves  et  pernicieuses. 

Terminons  cette  importante  matière  en  signa- 
lant certains  confesseurs  qui  remplissent  fort  mal 
le  divin  ministère  qui  leur  est  confié. 

Il  y  a  d'abord  des  confesseurs  trop  indulgents. 
Ils   confondent  la  faiblesse    avec   Findulgence   et 
ressemblent  à    ces   parents    aveugles   qui  gâtent 
leurs  enfants  au  lieu  de  les  corriger.  Enclins  par 
nature  à  la  douceur  et  à  la  bonté,   ils  exagèrent 
ces  deux  excellentes  choses,  et  pour  s'épargner  la 
peine  d'une  réprimande,  ils  ont  toujours  des  ex- 
cuses toutes  prêtes  pour  pallier  les   péchés  qu'on 
leur  déclare.  Presque  jamais  ils   ne  disent  nette- 
ment :  Ceci  est  mal,  il  faut  travailler  sérieusement 
à  s'en  corriger.  Les  décisions  les  plus  larges,  que 
les  théologiens  les  moins  sévères  regardent  comme 
relâchées,  sont  celles  qu'ils  adoptent.  Quelquefois, 
par  une  bizarrerie  inexplicable,  ils  sont  sévères  en 
spéculation,  sévères  surtout  dans  la  chaire,  tandis 
que,   dans  la  pratique,   leur  indulgence    est  sans 
bornes.  Ils  croient  parla  gagner  les  pécheurs,    et 
très-souvent  les  pécheurs  eux-mêmes  sont  les  pre- 
miers à  dire  qu'ils  sont   trop  doux,    et   que  leur 
excès  de  douceur  leur  inspire    des   craintes  et  di- 
minue leur  confiance.  Au  lieu  de  faire   la  guerre 
au  péché,  ils  transigent  avec  lui  et  se   croient  de 
bons  confesseurs   et  do  tendres  pères  parce  que, 
suivant  l'expression  vulgaire,  ils  passent  tout.  C'est 
un  abus  des  plus  graves  et  des  plus  compromet- 
tants pour  Je  oalut  des  pénitents  et  des  confesseurs 
eux-mèinas.  Suivons  les   théologiens  d'une    doc- 
trine approuvée  quoique  peu  sévère,  si  nous  vou- 


—   409   — 

Ions  ;  mais  n'allons  pas  plus  loin  qu'eux,  et  sou- 
venons-nous bien  que  ce  ne  sont  pas,  générale- 
ment, les  règles  qui  rebutent  les  pénitents,  mais 
la  manière  sèclie  et  austère  dont  on  les  applique. 
Nous  aurons  rarement  trop  d'indulgence  et  de  bonté 
pour  recevoir  les  pécheurs  et  traiter  avec  eux  ; 
mais  nous  en  aurons  certainement  trop  si  nous 
voulons  toujours  excuser  leurs  péchés  ou  laisser 
passer  sans  rien  dire  ce  que  nous  devons  reprendre 
avec  la  douce  énergie  du  vrai  zèle  :  c'est  le  cas 
d'appliquer  celte  maxime  :  Suaviter  m  modo,  for- 
titev  in  re. 

Il  y  a,  au  contraire,  des  confesseurs  tropsécères: 
autre  excès   dont  les  funestes  conséquejices  sont 
incalculables.  Rigides  par  caractère,  ils  sont  tou- 
jours  campés  dans  la  région  des  tempêtes.  Tout 
les  agace  et  les  irrite;  l'annonce  d'une  réduite  leur 
fait  aussitôt  proférer  des  paroles  de  mécontente- 
ment et  de  reproche  ;  la  manière  peu  exacte  et  peu 
correcte  dont  on  se  confesse,  leur  suggère  sur-le- 
champ  une  verte  réprimande  ;  la  grossièreté   de 
certains  pénitents,  qu'ils  devraient  supporter  avec 
une  indulgente  bonté,  provoque  au  contraire  leur 
humeur  violente  ;  les  discussions  surtout  que  sou- 
tiennent des  pécheurs  récalcitrants  qu'ils  ont  peine 
à  convaincre  ,    les  mettent  hors  d'eux-mêmes  et, 
prenant  la  vivacité  pour  un  argument  sans  répli- 
que, ils  congédient  brusquement  de  pauvres  prodi- 
gues, qu'ils  gagneraient  peut-être   par  une   con- 
duite plus  miséricordieuse.  C'est  sous  la  direction 
de  ces  hommes  que  les  pécheurs  se  découragent  et 
abandonnent  les  sacrements  ;  c'est  sous  leur  direc- 
tion que  les  âmes  les  plus   saintes  ,  n'osant  leur 


—   -410   — 

déclarer  uu  pck-lié  grave  commis  dans  un  moment 
de  faiblesse,  se  jettent  dans  Fabime  du  sacrilège  où 
elles  passent  quelquefois  toute  leur  vie  :  malheur 
eiTroyable  qu'ils  ne  soupçonnent  pas  même  !  Les 
confesseurs  de  cette  trempe  croiraient  forfaire  aux 
devoirs  impérieux  de  leur  charge,  sils  n'adoptaient 
pas  sur  tous  les  points  les  principes  les  plus  sévè- 
res. Confondant  même  le  mortel  nvec  le  véniel,  ils 
faussent  les  consciences  par  des  décisions  impru- 
dentes et  renvoient  sans  pitié  comme  indignes 
d'absolution  des  âmes,  qui,  se  croyant  en  état  de 
damnation,  se  livrent  au  désespoir  et  tombent  quel- 
quefois dans  des  péchés  énormes.  Gardons-nous 
dimiter  jamais  ce  zèle  impétueux  qui  a  perdu 
tant  d'àmes.  Que  le  seigneur  Jésus  soit  notre  mo- 
dèle. Est-ce  avec  cette  rigueur  qu'il  a  traité  Zachée, 
Madelaine,  la  femme  adultère,  la  Samaritaine  et 
tant  d'autres?  Est-ce  sous  ces  traits  qu'il  s'est 
peint  dans  la  ravissante  parabole  de  l'Enfant  pro- 
digue? Ah!  que  nous  serions  coupables  si  nous 
étions  des  juges  inflexibles  sur  le  tribunal  de  la 
miséricorde  ! 

Il  y  a  des  confesseurs  ignorants ,  routiniers ,  etc. 
Pour  ceux-ci,  plus  de  règles,  plus  de  principes. 
Guidés  par  la  fausse  lueur  de  je  ne  sais  quelle 
théologie  du  bon  sens,  comme  ils  rappellent,  ils 
manœuvrent,  ils  décident,  ils  taillent,  ils  tranchent 
sans  aucune  connaissance  tant  soit  peu  approfon- 
die des  matières  qu'ils  traitent. Leur  conduite  pas- 
sée, voilà  la  grande  règle  de  leur  conduite  pré- 
sente. Ce  qu'ils  ont  fait  jusque-là;  ils  le  font,  ils 
le  feront  toujours.  Parce  qu'ils  ont  un  peu  étudié 
autrefois,  ils  croient  n'avoir  plus  rien  à  apprendre 


—  ill  — 

cl  n'avoii'  lieii  oiibiié.  lies  livres  frivoles,  ils  en 
lisent  à  satiété  ;  des  livres  ihéologiques,  ils  n'en 
lisent  iuicun,  et  laissent  en  repos  ceux  qu'ils  pos- 
sèdent dans  le  coin  le  moins  fréquenté  de  leurs 
bi!)liotbèqucs.  Comme  jamais  ils  ne  doutent,  ja- 
mais non  plus  ils  ne  consultent.  Les  questions  les 
plus  graves  et  les  plus  épineuses  sont  pour  eux 
des  c[uestions  puériles,  et  s'ils  voient  de  temps  eu 
temps  qu'elles  embarrassent  quelques-uns  de  leurs 
confrères,  ils  rient  en  secret  de  leurs  indécisions 
et  ne  pensent  pas  seulement  à  s'assurer  s'ils  sui- 
vent eux-mêmes  les  saines  doctrines  en  ces  ma- 
tières délicates.  Et,  qu'on  ne  s'y  trompe  pas,  cette 
ignorance  se  trouve  quelquefois  chez  ceux  qui 
sont  instruits  d'ailleurs,  tout  aussi  bien  que  chez 
qui .  manquent  totalement  d'instruclion.  On  peut 
tout  savoir,  excepté  un  point  ;  et  si  ce  point  est 
grave,  si  c'est,  par  exemple,  la  théologie  qu'un 
confesseur  ignore,  quelles  que  soient  ses  autres 
connaissances,  il  n'en  fera  pas  moins  des  fautes 
considérables  dans  l'exercice. de  son  ministère. 
Tremblons,  tremblons  d'en  venir  là;  étudions,  étu- 
dions sans  cesse  ;  jamais  nous  ne  reverrons  notre 
théologie  morale  sans  y  apprendre  quelque  chose 
qui  nous  avait  d'abord  échappé.  Quelque  dose  de 
talent  que  nous  puissions  avoir,  nous  pouvons 
faire  fausse  route  dans  l'art  si  difficile  et  si  impor- 
tant delà  conduite  des  âmes.  La  pensée  môme  de 
notre  talent  est  une  illusion  des  plus  dangereuses, 
qui  nous  persuade  que  nous  savons  ce  que,  par  le 
fait,  nous  ne  savons  point  ou  nous  ne  savons  plus, 
il  y  a  des  confesseurs  sans  zèle,  sans  attrait  pour 
le  ministère  de  la  confession.  Cela  est  déplorable, 


—   ^i[2  — 

mais  mallicurcusement  cela  est  vrai.  Oui,  l'on  voit 
des  prèires,  pasteurs  de  paroisses,  tellement  dé- 
goûtés du  saint  tribunal,  qu'ils  s'y  traînent  avec 
indolence,  au  lieu  d'y  voler  avec  une  sainte  ardeur. 
C'est  le  zèle  qui  leur  fait  défaut.  L'amour  du  jeu, 
de  la  bonne  chère,  des  voyages  et  des  visites  mon- 
daines les  absorbe  tout  entiers.  Comme  il  n'y  a 
rien  de  plus  opposé  à  ces  futilités  qu'une  séance 
au  confessionnal,  ils  font  tout  ce  qu'ils  peuvent 
pour  s'y  soustraire.  Encore  s'ils  dissimulaient,  par 
un  reste  de  vertu,  l'eDmii  que  ce  ministère  leur 
cause  ;  mais  non,  tout  le  monde  sait,  et  peut-être 
ne  sont-ils  pas  fâchés  qu'on  le  sache,  que  la  con- 
fession les  fatigue  et  les  rebute.  Leur  dégoût,  sur 
ce  point,  se  trahit  par  le  défaut  d'heures  réglées 
pour  entendre  les  confessions,  par  la  mauvaise 
réception  qu'ils  font  à  ceux  qui  se  présentent  pour 
se  confesser,  par  le  peu  de  zèle  qu'ils  mettent  à 
courir  après  les  pécheurs,  par  la  froideur  avec  la- 
quelle ils  accueillent  les  pénitents,  par  la  rapidité 
avec  laquelle  ils  les  expédient,  par  l'ardeur  cju'ils 
montrent  au  contraire  pour  de  vains  amusements, 
et,  le  croirait-on  ?  par  la  déclaration  positive  qu'ils 
font  que  les  confessions  les  plus  fréquentes  ne  sont 
pas  les  meilleures.  Ces  indices,  qui  ne  trompent 
personne,  font  voir  manifestement  à  tout  le  monde 
que  la  confession  leur  est  antipathique.  Or,  sachons- 
le  bien,  quand  un  prêtre  est  connu  pour  ne  pas 
himer  la  confession,  c'en  est  fait  de  son  ministère. 
Sous  sa  conduite,  les  pécheurs  restent  pécheurs, 
les  tièdes  restent  tièdes,  les  àmcs  pieuses  elles- 
mêmes  se  refroidissent  et  s'éloignent  du  saint 
tribunal,  dans  la  crainte  de  mécontenter,  en  s'y 


rciulaut,  celui  qui  les  ropoust^o  par  son  iiisoiiciancc. 
Oiiel  malheur  si  nous  ressemblions  jamais  à  cet 
homme  froid  et  sans  zèleî  Vivons  en  sahits  prêtres, 
aimons  la  retraite,  fuyons  le  monde,  soyons  des 
hommes  de  règle,  d'étude  et  de  prière,  faisons  sa- 
voir que  le  saint  tribunal  est  pour  nous  un  lieu  de 
douce  consolation,  méditons  souvent  sur  le  prix 
des  âmes,  sur  l'importance  du  ministère  de  la  con- 
fession, importance  que  rien  n'égale  dans  toutes 
les  fonctions  du  sacerdoce,  et  alors  nous  serons 
des  confesseurs  bénis  de  Dieu  et  des  hommes. 

11  y  a  des  confesseurs  qui  négligent  une  portion 
très -intéressante  du  troupeau  de  Jésus-Christ  :  les 
enfants  (1).  Qui  nous  donnera  d'allumer  le  feu  du 
zèle  dans  l'àme  des  prêtres  pour  le  salut  des  petits 
agneaux  du  divin  Sauveur  ?  Nous  disons  tous  les 
jours  que  la  culture  du  jeune  âge  exerce  une  in- 
fluence immense  sur  lo  reste  de  la  vie,  et  nous 
négligeons  les  enfants  !  Explique  qui  pourra  cet 
excès  d'inconséquence.  A  voir  la  conduite  d'un  très- 
grand  nombre  de  confesseurs  à  l'égard  des  enfants, 
on  dirait  qu'ils  ne  peuvent  leur  être  utiles  au  saint 
tribunal  qu'à  l'époque  de  leur  première  communion. 
Jusqu'à  cette  époque,  s'ils  les  confessent,  c'est  par 
manière  d'acquit,  sans  goût,  saus  attrait,  sans  le 
moindre  intérêt,  et  uniquement  pour  oijéir  à  uiie 
vieille  coutume,  qui  veut  que  les  enfants  se  pré- 
sentent de  temps  en  temps  à  confesse  comme  des 
automates,  (juils  soient  en  état  de  grâce  ou  qu'ils 
n'y  soient  plus;  qu'ils  soient  purs  comme  des  anges 

(1)  Voyoz  le  Directeur  de  Veiifince,  par  M.  TaLbé  Ody; 
ouvrage  très-utile  et  cpii  mérite  dï-tre  reconunundé  et  pro- 
pagé. 


—   414   — 

ou  ooiTOiiipiis  déjà  jusqii'à  la  moelle  des  os  ;  qu'ils 
soient  iustruiis  de  leur  religion  ou  ignorants 
comme  des  sauvages  ;  qu'ils  soient  accessibles  à  la 
contrition,  pour  peu  qu'on  veuille  se  donner  ia 
peine  de  la  développer  dans  leur  âme,  ou  qu'ils 
soient  endurcis  déjà  comme  de  vieux  pécheurs, 
c'est  de  quoi  s'embarrassent  fort  peu  les  confes- 
seurs dont  nous  parlons.  L'époque  de  la  première 
communion,  et  cette  époque  seule,  excitera  subite- 
ment l'ardeur  de  leur  zèle.  Jusque-là  ils  dormiront 
tranquilles,  et  après  quelques  paroles  glacées,  ils 
renverront  ces  pauvres  enfants  dans  l'abîme  de 
péchés  où  si  souvent  ils  croupissent. 

Nous  l'affirmons  avec  l'énergie  d'une  inébran- 
lable conviction  :  il  y  a  dans  cette  conduite  ou  de 
Finsouciance,  ou  de  l'aveuglement,  ou  de  l'igno- 
rance, ou  de  l'insensibilité  poussée  jusqu'à  une 
espèce  de  cruauté  spirituelle. 

Nous  l'affirmons  encore  et  avec  un  redoublement 
de  conviction  :  plusieurs  enfants  soîit  capables 
d'absolution  avant  l'époque  de  leur  première  com- 
jnunion  ;  ils  peuvent,  avec  un  peu  de  soin  et  de  cul- 
ture, y  être  disposés  très-convenablement  ;  ils  sont 
exposés,  et  cela  se  voit  tous  les  jours,  à  des  acci- 
dents subits  qui  leur  enlèvent  en  quelques  instants 
la  possibilité  de  se  confesser  ;  ils  s'endurciront  dans 
le  mal,  peut-éire  pour  toute  leur  vie,  si  on  ne  les 
en  retire  pas  par  des  confessions  fréquentes  et  des 
absolutions  données  à  propos  ;  et  la  première  com- 
munion, sur  laquelle  on  compte  pour  les  régénérer, 
sera  peut-être  un  premier  sacrilège,  suivi  d'une  in- 
finité d'autres  qu'il  eût  été  facile  de  prévenir. 

N'agissez  pas  ainsi,  jeunes  et  tendres  amis  ;  cul- 


—     iio    — 

li\c/,  cullivcz  roiifanco  ;  iusiruisoz  Jos  [jt^lils 
oiU'anis  au  saint  Iriljunal  ;  faites-leur  comprendre 
ce  que  c'est  que  le  péché  mortel,  à  quoi  ils  s'expo- 
sent quand  ils  le  commettent,  l'ouîrage  qu'ils  font 
à  Dieu,  la  nécessité  d'en  sortir,  etc.  ;  et  quand  vous 
les  aurez  disposés  suffisamment  à  l'absolution,  ne 
manquez  pas  de  la  leur  donner,  car  vous  répondrez 
de  leurs  âmes  comme  do  celle  dos  adultes.  C'est, 
au  reste,  renseignement  commun  aujourd'hui,  et 
la  routine  seule  persiste  à  plaider  pour  un  ancien 
usage,  qui  n'a,  hélas  !  que  trop  longtemps  prévalu. 

il  y  a  eniui  des  confesseurs  qui  ne  dirigent  pas 
leurs  pénitents  et  qui  les  laissent  se  diriger  eux- 
mêmes.  Nous  prions  Instamment  nos  jeunes  lec- 
teurs de  prêter  une  attention  toute  particulière  à 
ce  que  nous  allons  leur  dire  sur  ce  point  si  im- 
portant. 

En  général,  tout  confesseur  se  croit  un  bon  con- 
fesseur ;  il  a  sa  petite  méthode  qu'il  trouve  excel- 
lente, et  comme  il  en  est  l'auteur  et  que  personne 
n'ose  lui  dire  qu  elle  est  défectueuse,  il  la  suit  in- 
varialilement  et  la  préfère  à  toute  autre.  Or,  il  est 
certain  qu'il  y  a  beaucoup  de  confesseurs  qui  lais- 
sent singulièrement  à  désirer,  relativement  à  la 
direction  proprement  dite  de  leurs  pénitents.  Des 
donneurs  d'absolution,  nous  en  avons  à  foison  ; 
mais  des  directeurs  qui  cultivent  avec  soin  et  avec 
un  zèle  intelligent  les  âmes  que  Dieu  leur  confie, 
nous  croyons  fermement  qu'ils  sont  en  très-petit 
nom])re. 

Nous  entendons  tous  les  jours  et  de  tous  cotés 
des  personnes  du  monde  qui  nous  disent:  indiquez- 
nous  donc  un  bon  coiifesseur.  Nous  leur  en  pro- 


—    416    — 

posons  successivement  plusieurs  ;  mais,  connais- 
sant par  elles-mêmes  leur  mode  de  direction,  ou 
en  ayant  entendu  parler  à  quelques-uns  de  leurs 
pénitents,  elles  nous  répondent  que  ces  confesseurs 
sont  loin  de  les  sallsfaire.  Si  ces  personnes  étaient 
peu  éclairées,  scrupuleuses  ou  exigeantes  à  l'excès, 
nous  ne  ferions  pas  grand  cas  de  leurs  réckuna- 
tions  et  de  leurs  plaintes  ;  mais  ce  sont  souvent 
des  personnes  graves,  d'un  excellent  esprit,  rem- 
plies de  bonne  volonté,  et  désirant  sincèrement 
trouver  dans  leur  confesseur  un  homme  qui  les 
aide  à  se  corriger  de  leurs  défauts  et  à  progresser 
dans  la  vertu.  Il  faut  convenir  que  ces  diverses 
qualités  donnent  du  poids  à  leurs  censures.  Que 
reprochent-elles  donc,  en  général,  aux  confesseurs? 
Elles  disent  :  «  Tel  confesseur  écoute  ce  qu'on  lui 
»  déclare,  mais  il  se  borne  à  l'écouter  sans  faire 
»  la  moindre  observation  sur  ce  qu'on  lui  con- 
»  fesse  :  il  ne  fait  aucune  question,  il  ne  demaufle 
»  aucun  éclaircissement,  il  ne  va  jamais  au  fond 
»  des  choses,  il  ne  fait  point  ressortir  la  malice 
»  des  péchés  dont  on  s'accuse,  il  n'en  montre 
0  point  les  conséquences,  il  n'indique  point  les 
»  moyens  de  se  corriger  de  ses  défauts,  il  ne  dit 
»  pas  un  mot,  même  dans  son  exhortation,  des 
»  péchés  dont  on  s'est  confessé  ;  il  laisse  dans  le 
»  doute  si  telle  ou  telle  faute  est  mortelle  ou  vé- 
»  nielle  ;  en  un  mot,  il  prend  ce  quon  lui  donne  et 
»  passe  outre,  comme  si  on  ne  lui  avait  dit  que 
»  des  choses  insignifiantes,  et,  la  confession  finie, 
»  il  ne  nous  dit  pas  même  quand  il  faudra  revenir 
»  à  confesse  :  or,  cette  espèce  d'indifférence  nous 
w  met  mal  à  l'aise  ;  nous   en  sommes  réduits  à 


—   417   — 

noiin  diriger  nous-m'iraos,  et  comme  nous  ne 
)»  voyons  aucune  amélioration  dans  notre  conduite, 
»  nous  en  concluons  que,  pour  op-érer  une  réforme, 
))  que  nous  disirons  siucèremout  au  fond,  il  fau- 
»  drait  que  notre  propre  direction  fut  soutenue, 
»  réglée  et  fortifiée  par  celle  de  notre  confesseur, 
»  ce  qui  n'a  pas  lieu.  » 

Comment  ne  pas  voir  que  ces  observations  sont 
judicieuses,  et  que  le  confesseur  qui  se  les  attire 
mérite  réellement  les  reproches  qu'on  lui  fait? 
Mctlez-les  à  profit,  vous,  jeune  et  bien-aimé  con- 
frère. Vous  n'avez  point  encore  de  méthode  ou 
plutôt  de  routine  adoptée;  prenez  donc  la  résolu- 
lion  de  cultiver  sans  relâche  les  âmes  que  la  divine 
Providence  placera  sous  votre  direction.  Imitez  le 
bon  jardinier  qui  soigne  parfaitement  tous  les 
arbres  de  son  jardin,  et  ne  ressemblez  pas  à  cet 
horticulteur  indolent,  qui  les  a])andonne  à  eux- 
mêmes  sans  s'occuper  de  les  tailler,  de  les  diriger, 
do  les  cultiver  suivant  les  besoins  particuliers  de 
chacun.  En  d'autres  termes,  ne  bornez  pas  le  mi- 
nistère du  saint  tribunal  à  entendre  les  pénitents 
et  à  lever  la  main  pour  les  absoudre  ;  ne  vous  con- 
tentez pas  de  leur  adresser  une  exhortation  vague 
qui  n'emijrasse  rien  de  précis  parce  qu'elle  em- 
brasse tout  en  bloc  :  c'est  quelque  chose,  sans 
doute,  mais  ce  n'est  pas  à  beaucoup  près  tout  ce 
que  Dieu  demande  de  vous.  Si  vous  ne  faites  que 
cela,  vous  laisserez  une  multitude  d'àmes  dans 
l'ignorance,  dans  l'aveuglement,  ou  dans  des  in- 
certitudes plus  pénibles  et  plus  dangereuses  en- 
core, à  certains  égards,  que  l'ignorance  elle-même; 
vous  les  entretiendrez  dans  des  habitudes  qui  de- 


—    418   — 

viendront  morlellos,  si  elles  ne  le  fiont  pas  déjà  ; 
et  tons  ces  égarements  étant  le  iruit  de  votre  mau- 
vaise direction  ou  plutôt  do  voire  défaut  complet 
do  direction,  vous  seront  justement  imputables. 

Pour  ne  pas  perdre   les  âmes  que  vous  devez 
sauver,  traitez  chaque  péniicnt  comme  un  médecin 
éclairé  traite  ses  malades,  el  non  comme  ces  char- 
latans et  ces  empiriques  qui  ont  le  môme  remède 
pour  toutes  les  maladies.  Spirituellement  parlant, 
tous  vos  pénitents  sont  des  malades  dont  vous  de- 
vez  entreprendre   la   guérison.   Examinez  donc  à 
fond  les  maladies  dont  ils  sont  atteints  ;  interrogez- 
les  ,    éclairez-les,   reprenez-les,    intruisez-les  des 
moyens  qu'ils  doivent  employer  pour  no  pas  faire 
de   nouvelles   chutes   :    ressuscitez    les   morts  et 
apprenez-leur  le  secret  de  ne  plus  mourir;  aficr- 
missez  les  faibles  et  faites-leur  voir  les  funestes 
conséquences  de  leur  faiblesse  ;  fortifiez  même  les 
robustes  et  rendez-les  en  quelque  sorte  invulné- 
rables.  Ne  fissioz-vous  que  leur  prouver,  par  les 
empressements  de  votre  zèle,  que  vous  leur  portez 
un  vif  intérôr,   ce  serait  déjà  pour  eux  un  encou- 
ragement et  une  consolation,  en  même  temps  que 
ce  serait  pour  vous  un  moyen  assuré  de  gagner 
leur  confiance  ;  mais  là  ne  se  bornera  pas  le  fruit 
de  voire  sage  direction;  -elle  en  porîcra  bien  d'au- 
tres que  jamais  vous  n'obtiendrez,  si  vous  n'êtes 
que  co?ifesseup  au  lieu  d'être  directeur  dans  la  ri- 
goureuse acceplion  de  ce  mot.  Au  rcsle,  ce  n'est 
pas  nous  qui  inventons  ces  règles  ;  nous  les  avons 
reçues,  comme  tous  nos  confrères,  do  rEvSprit  saint 
lui-m^ême,  qui  nous  dit  par  la  bouche  du  grand 
Apotrc  :  Liàta  opportu-iè,  importiuièy  anjuc,  obse- 


—  ill)  — 

cra,  incrcpo.,   in  omni  patieiitiâ  et  chtctrind vi- 

gila,  in  omnibus  lahora ,  ministenitm  tmim  ini- 

j)le..^o\\h.  ce  que  fait  îe  bon  confesseur,  et  voilà 
ce  que  vous  devez  faire  à  son  exemple  si  vous 
voulez  glorifier  Dieu,  ferlilifior  votre  ministère, 
sauver  des  àmcs  et  vous  sauver  vous-même.  Au 
nom  de  Jésus-Christ  qui  vous  appelle  à  riioiineur 
d'être  son  ministre,  nous  vous  conjurons  de  ne 
sordr  jamais  de  la  ligne  de  conduite  que  nous  ve- 
nons de  vous  tracer  (1). 

XX.  ~  La  prudicaiioii. 

Yoilii  ce  qu  on  appelle  le  côlé  brillant  de  notre 
ministère  ;  mais  malheur  à  nous  si  nous  ne  l'envi- 
sageons que  sous  cet  aspect!  Les  jeunes  prêtres 
se  plaisent  beaucoup  dans  la  chaire,  et  s'ils  se  plai- 
gnent de  quelque  chose  à  cet  égard,  c'est  qu'on 
ne  les  invite  pas  plus  souvent  à  y  monter.  Dieu 
veuille  que  ce  soit  toujours  l'inspiration  du  vrai 
zèle  qui  leur  donne  cette  ardeur  î 

Estimez  beaucoup  le  ministère  de  la  parole. 
Entre  les  mains  d'un  saint  prêtre,  il  opère  des 
prodiges. 

Si  votre  curé  vous  fait  beaucoup  prêcher,  rc- 
merciez-le  du  service  qu'il  vous  rend,  et,  pour 
répondre  h  la  marque  de  confiance  qu'il  vous  té- 
moigne, mettez-vous  aussitôt  à  l'œuvre,  préparez 
parfaitemeiit  vos  instructions,  apprenez-les  cou- 
ramment de  mot  à  mot,  prêchez  enfhi  aussi  l)icn 
que  vous  le  pouvez  faire  avec  la  dose  de  talent 
que  Dieu  vous  a  départie. 

(i)  Voyez  Pratique  du  zcle  ecclésiastique,  troi.sièiiio  parliv^, 
Svis  aux  confesseurs. 


—    420    — 

Si,  an  contraire,  il  vous  fait  prêcher  rarement, 
ne  vous  en  plaignez  pas  avec  amermme,  demandez- 
lui  la  faveur  de  prêcher  un  peu  plus  souvent,  mais 
faifes-iui  cette  demande  de  bonne  gTiice,  avec  dou- 
ceur et  simplicité,  et  abandonnez  le  reste  à  la 
Providence. 

Consultez  voire  curé  sur  les  sujets  que  vous 
devez  traiter,  sur  la  manière  de  les  traiter  et  sur 
le  choix  des  auteurs  dont  vous  pouvez  vous  servir 
avec  avantage.  Montrez-lui  vos  sermons  avant  de 
les  prêcher  ;  priez-le  de  vous  signaler  sans  dégui- 
sement les  endroits  défectueux,  et  modifiez  votre 
travail  selon  les  observations  qu'il  vous  fera. 

Si  Ton  vous  invite  fréquemment  à  prêcher  dans 
les  paroisses  voisines,  n'acceptez  point  toutes  les 
invitations  qui  vous  seront  faites;  n'en  acceptez 
surtout  aucune  sans  Tassentiment  de  votre  curé. 

Que  la  piété  soit  un  trait  saillant  dans  vos  com- 
positions oratoires.  Pour  cela,  imitez  les  saints 
et  tendez  toujours  à  une  sainteté  plus  éminente  ; 
faites  comme  eux  vos  sermons  au  pied  de  votre 
crucifix,  le  baisant  souvent  avec  amour  pendant 
votre  travail  el  j)riant  Jésus  de  vous  enflammer  do 
son  divin  feu. 

Mais  voyons  maintenant  les  écueils  que  vous 
devez  éviter  dans  l'exercice  de  ce  divin  ministère. 

\"  L'iijnoranco  :  En  sortant  du  séminaire,  on 
croit  tout  savoir,  et  plusieurs  de  nos  jeunes 
confrères  auront  peine  à  croire,  quoique  ce  soit 
très-véritable,  qu'ils  connaissent  bien  moins  do 
choses  qu'il  ne  leur  en  reste  à  apprendre.  Qu'est-ce 
qu'un  prédicateur  ?  C'est,  à  la  lettre,  un  professeur 
de  dogme  et  de  morale  ;  ses    auditeurs    sont  ses 


—     'r2[    — 

élèves.  Or,  lious  le  demandons,  n'est-il  pas  vrai 
que  pour  professer  convenablement  ces  deux  cho- 
ses, il  manque  à  un  jeune  prêtre  des  connaissances 
plus  approfondies  que  celles  qui  possède  ?  Il  se  li- 
gure qu'un  sermon  n'est  qu'un  discours  ou  une 
sorte  d'amplification  chrétienne,  comme  on  en  fait 
dans  les  collèges  sur  des  sujets  profanes.  Quand  il 
a  cousu  quelques  phrases  les  unes  au  bout  des  au- 
tres en  assez  grand  nombre  pour  pouvoiL*  débiler 
je  ne  sais  quoi  pendant  la  durée  ordinaire  d'un 
sermon,  il  croil  avoir  fait  une  couvre  de  mérite.  11 
ne  sait  pas,  l'aveugle,  qu'un  sermon,  ou  même  un 
simple  prone,  est  ou  doit  être  une  dissertation, 
consciencieusement  travaillée  sur  un  point  théo- 
logique. Quand  il  n'est  pas  pénétré  de  cette  vérité, 
il  ne  consulte  que  son  imagination,  sans  s'inquiéter 
le  moins  du  monde  de  ce  qu'enseignent,  sur  la 
matière  qu'il  traite,  FEcriture  sainte  cl  la  théologie. 
Quel  est,  de  bonne  loi,  le  jeune  prêtre  qui  s'enferme 
dans  ces  deux  arsenaux,  pour  composer  un  ser- 
mon la  Î3ible  à  la  main  et  la  théologie,  par  exemple, 
la  Soiiunc  de  saint  Thomas  sous  les  yeux?  {!o- 
pendant,  nous  affirmons  positivement  que  jamais 
il  ne  dira  rien  de  solide,  de  précis  et  d'instrucîif 
sil  ne  s'inspire  à  ces  deux  sources.  Nor.s  ne  con- 
naissons rien  de  plus  creux  ci  de  plus  vide  que  les 
premières  pièces  d'un  prédicateur  novice.  Aussi 
les  peuples  eux-mêmes  s'en  aperçoivent-ils  tout 
d'abord.  A  quoi  se  réduisent  presque  toujours  les 
éloges  qu'ils  font  d'un  jeune  prédicatenr  ?  Disent- 
ils  qu'il  prêche  bien  ?  Non,  ils  disent  qxxïl  prêchera 
bien,  qu'il  annonce  des  dispositions,  et  que  quand 
il  sera  formé  et  quil  aura  de  lcx[t(:ricnce,  il  pourra 
n.  -24 


—  /l^")  — 


exercer  avec  fruit  le  ministère  de  la  parole.  Encore 
plusieurs  ne  le  jugent-ils  guère  que  sur  son  débit, 
sur  sa  facilité  d'élocuiion,  sur  son  geste,  sur  son 
assurance  et  son  aplomb,  cachet  ordinaire  de  Fi- 
gnorance  qui  ne  doute  de  rien. 

Etudiez,  jeune  confrère,  étudiez  beaucoup  si  vous 
voulez  réaliser  le  pronostic  de  vos  auditeurs.  Quel 
que  soit  le  sujet  que  vous  traitiez,  commencez  par 
vous  convaincre  que  vous  manquez  de  matériaux 
pour  le  bien  traiter,  et  ces  matériaux,  allez  les 
chercher  où  il  se  trouvent,  c'est-à-dire  dans  YÉ- 
criture  sainte  et  la  théologie.  Quant  aux  détails  de 
mcBurs  que  vous  ne  connaissez  pas,  que  vous  ne 
pouvez  pas  bien  connaître,  étudiez-les  dans  de 
bons  moralistes  et  do  bons  ascétiques,  en  attendant 
que  rexpérience,  qui  vous  manque  totalement,  ait 
complété  votre  instruction  sous  ce  rapport; 

Permettez  -  moi  ,  pour  votre  instruction  ,  un 
épanchement  fraternel  ;  c'est  un  vieux  pilote  qui 
va  révéler  une  de  ses  fausses  manœuvres  à  de 
jeunes  matelots.  Eh  bien  !  donc,  moi  aussi,  j'ai 
fait  autrefois  ce  que  je  vous  exhorte  à  ne  pas  faire; 
moi  aussi,  je  me  suis  persuadé,  au  début  do  mon 
ministère,  que  je  pouvais  prêcher  avec  fruit  en  ne 
consultant  que  ma  pauvre  tète  et  ma  folle 
imagination  ;  mais  bientôt,  grâce  à  Dieu,  j'ai  re- 
connu mon  illusion,  et  je  vous  déclare  qu'une  des 
plus  grandes  confusions  de  ma  vie  a  été  de  revoir 
plus  tard  mes  premiers  sermons.  Puisse  ma  triste 
expérience  vous  faire  éviter  l'écueil  que  je  n'ai  pas 
su  éviter  moi-même  ! 

2^  La  présomption.  Les  jeunes  prédicateurs  , 
quand  ils  ont  quelque  ombre  de  succès,  sont  gé- 


—    423    — 

néralemont  tenlés  de  se  regarder  comme  des 
orateurs  déjà  fort  remarquables.  Ils  feraient  rire  de 
pitié  s'ils  produisaient  dans  tout  son  jour  la  bonne 
opinion  qu'ils  ont  d'eux-mêmes. 

Cette  présomption  qui  les  aveugle  entretient  chez 
eux  l'ignorance  dont  nous  parlions  tout  à  l'heure, 
et  leur  donne  une  telle  confiance  en  leur  propre 
mérite,  qu'ils  dédaignent  de  consalter  soit  leur 
curé,  soit  quelque  autre  prêtre  instruit  et  expéri- 
menté, sur  le  choix  des  sujets  et  sur  la  manière 
de  les  traiter.  Ils  repoussent  avec  le  même  dédain 
les  ouvrages  que  des  hommes  habiles  ont  compo- 
sés, dans  le  but  de  former  les  jennes  gens  à  l'élo- 
quence sacrée.  La  présomption  leur  fait  croire 
qu'ils  ont  dans  leur  tète  beaucoup  mieux  que  tout 
ce  qu'on  peut  leur  dire,  et  qu'ils  auraient  grand 
tort  d'aller  chercher  chez  autrui  ce  qu'ils  trouvent 
si  abondamment  en  eux-mêmes. 

C'est  encore  la  présomption  qui  leur  met  dans 
l'esprit  qu'ils  peuvent  se  multiplier  pour  prêcher 
partout  où  on  les  appelle;  nous  en  avons  déjà  dit 
un  mot  plus  haut.  Comme  il  se  trouve  de  tous 
côtés  bon  noml)re  de  curés  qni  n'ont  plus  depuis 
longtemps  pour  la  prédication  la  bouillante  ardeur 
des  débutants,  —  car  ce  beau  feu  s'amortit  sou- 
vent assez  vite,  —  ils  ne  demandent  pas  mieux 
que  d'inviter  notre  jeune  présomptueux  à  prêcher 
dans  leur  église;  et  quand  il  se  voit  recherché  de 
la  sorte,  il  s'affermit  de  plus  en  plus  dans  la  haute 
opinion  qu'il  a  de  son  talent,  et  peut-être  va-t-il 
jusqu'à  se  dire  secrètement  à  lui-même  :  Décidé- 
ment, je  suis  le  prédicateur  de  la  contrée.  Dès  lors 
comment  prendrait-il  la  peine  de  travailler,  d'étu- 


dier,  de  faire  de  fastidieuses  recîierchcs  et  de  con- 
sulter ses  confrères,  puisque  sa  présomption  lui 
persuade  qu'il  a  reçu,  comme  par  infusion,  le  talent 
de  la  prédication  tout  développé? 

Sa  confumce  en  lui-même  se  révèle  encore  par 
l'absence  de  toute  modestie  et  par  cette  assurance 
imperturbable  et  presque  audacieuse,  déplacée  chez 
tous  les  prédicateurs,  mais  bien  plus  chez  les  jeu- 
nes q;io  chez  les  anciens.  On  en  voit  qui  n'ont  pas 
encore  u:ie  année  de  prêtrise,  et  qui  déji,  la  tète 
renversée  et  les  poings  fermés,  gourmandcnt  et 
dominent  un  auditoire  avec  une  hauteur  et  un 
aplomb  qui  affectent  péniblement  tous  ceux  qui 
les  entendent. 

Une  autre  inspiration  bien  mauvaise  que  sug- 
gère aussi  la  présomption,  c'est  celle  qui  persuade 
à  un  déljutant  qu'il  peut  prêcher  d'abondance  et 
s'affranchir  par  là  de  la  peine  d'écrire  ses  sermons 
et  de  l'ennui  de  les  apprendre.  N'est-il  pas  absurde 
qu'un  jeune  prêtre,  à  peine  sorti  du  séminaire, 
s'érige  en  improvisateur  comme  un  vieux  mission- 
naire de  trente  ans  d'exercice  ?  C'est  toujours  ou 
un  présomptueux,  ou  un  paresseux,  ou  un  esprit 
faux  qui  agit  ainsi.  L'essentiel,  pour  lui,  n'est  pas 
d'instruire,  mais  de  pouvoir  se  dire  avec  une  secrète 
complaisance  en  son  prétendu  mérite  :  J'ai  parlé 
pendant  une  demi-heure  à  un  auditoire  sans  bron- 
cher; j'ai  donc  réellement  le  talent  de  l'improvisa- 
tion, et  dès  lors  qu'on  ne  me  parle  plus  de  com- 
poser ni  d'apprendre  de  mémoire;  mon  parti  est 
pris,  je  parlerai  d'abondance.  En  effet,  quand  ce 
jeune  étourdi  s'est  mis  cette  belle  idée  en  tète , 
aucune  autorité  ne  peut  le  faire  fléchir.  Son  curé, 


SCS  collègues  ,  SCS  hauts  siipcricurs  enx-mcmcs  , 
et  jusqu'à  quelques  laïques  de  ses  amis  intimes 
ont  beau  lui  faire  à  cet  égard  les  observations  les 
plus  judicieuses;  ils  ont  beau  lui  dire  ou  du  moins 
lui  faire  entendre  que  lui  seul  admire  ses  sermons 
et  que  tout  le  monde,  sauf  les  flatteurs,  les  trouve 
vagues,  incorrects,  négligés,  pleins  de  redites, 
sans  aucun  fonds  de  doctrine,  et  plutôt  propres  à 
dégoûter  de  la  parole  de  Dieu  qu'à  la  faire  aimer  ; 
rien  de  tout  cela  ne  l'ébranlé,  et  à  toutes  ces  objec- 
tions il  répond  par  un  sourire  railleur  qui  veut 
dire  :  Ainsi  doivent  parler  ceux  qui  n'ont  pas  comme 
moi  le  don  de  l'improvisation. 

Il  va  plus  loin  encore  :  toujours  influencé  et 
aveuglé  par  sa  présomption,  il  s'imagine  que  la 
prédication  est  un  mérite  qui  suppose  tous  les 
autres  ou  qui  du  moins  en  tient  lieu,  et  parce 
qu'il  se  croit  un  prédicateur  distingué,  il  n'estime 
que  le  don  de  la  parole  et  néglige  les  autres  bj*an- 
ches  du  saint  ministère.  Tout  rempli  de  l'idée, 
souvent  exagérée,  de  son  talent  pour  la  chaire,  il 
accueille  certaines  vues  ambitieuses  et  s'attend  à 
chaque  instant  à  se  voir  appelé  par  ses  supérieurs 
aux  postes  élevés  qu'il  convoite.  Son  imagination, 
follement  séduite  par  ces  pitoyables  illusions,  porte 
un  coup  mortel  à  sa  piété  ;  il  continue  de  prêcher, 
mais  il  ne  prêche  point  connue  les  saints,  qui  n'ol)- 
tenaient  leurs  étonnants  succès  que  par  l'humilité, 
la  défiance  d'eux-mêmes  et  la  confiance  en  Dieu. 

N'imitez  pas  ce  pauvre  aveugle,  vous,  jeune  et 

bien-aimé  lecteur  ;  ne  vous  laissez  pas  infatuer  par 

la  vaine  pensée  de  votre  valeur  oratoire;  rabattez, 

rabattez  beaucoup  des  louanges  llatteuses  qu'on  a 

II.  24. 


—  42G  — 

rimprudence  de  vous  donner  pour  encourager  vos 
premiers  essais  ;  cultivez  votre  talent  sans  en  faire 
parade;  montez  plutôt  dans  la  chaire  de  la  paroisse 
à  îac[uelle  vous  êtes  attaché,  que  dans  celles  des 
paroisses  voisines  où  vous  appellent  des  curés  qui 
peut-être  vous  invitent  à  prêcher  bien  plus  pour 
que  vous  fassiez  leur  besogne,  que  pour  admirer 
votre  éloquence  ;  remplacez  enfin  votre  présomp- 
tion par  riiumilité,  et  visez  à  devenir  un  prédicateur 
solide,  instruit,  modeste,  vraiment  apostolique  et 
homme  de  Dieu. 

.3°  La  vaine  gloire.  De  la  présomption  à  la  vaine 
gloire  il  n'y  a  qu'un  pas,  et  ce  pas,  les  jeunes 
prédicateurs  l'ont  bientôt  franchi.  Se  prêcher  soi- 
même  au  lieu  de  prêcher  Dieu  et  sa  sainte  loi  : 
quelle  prévarication  !  Monter  en  chaire  comme 
ambassadeur  de  Jésus-Christ,  parler  à  des  âmes 
rachetées  du  sang  de  Jésus-Christ,  proclamer  FE- 
vangile  de  Jésus-Christ,  avoir  pour  premier  auditeur 
et  pour  président  de  l'assemblée  le  Dieu  du  taber- 
nacle, Jésus-Christ  ;  et  ne  rechercher  dans  ce  divin 
ministère  que  sa  propre  gloire  sans  vouloir  écouter 
cette  parole  foudroyante  :  Gloriam  meam  alteri  non 
dabo  ;  quel  aveuglement  !  quelle  profanation  !  Ah  ! 
si  nous  avions  les  sentiments  des  saints,  de  quel 
frémissement  nous  serions  saisis  en  méditant  la 
réflexion  de  l'un  d'eux  à  ce  sujet  !  «  Celui,  dit  saint 
»  Yincent  de  Paul,  qui  prêche  pour  se  faire  ap- 
»  plaudir,  louer,  estimer,  faire  parler  de  soi,  que 
»  fait-il  autre  chose  qu'un  sacrilège  ?  Eh  quoi  ! 
»  n'est-ce  pas  un  sacrilège  que  de  se  servir  de  la 
»  parole  de  Dieu  pour  acquérir  de  l'honneur  et  de 
»  la  réputation?  » 


—  /rJ7   — 


Prenez  gaiNle,  jeune  téméraire,  prenez  garJc  ; 
sans  doute  la  vaine  gloire,  chez  un  prédicateur, 
est  horrible  aux  yeux  de  la  foi  ;  mais,  à  un  autre 
point  de  vue,  elle  est  séduisante,  attrayante,  eni- 
vrante, elle  chatouille  délicieusement  la  ûhra  la 
plus  sensible  de  la  pauvre  humanité. 

Que  de  chutes  humiliantes  ont  eu  la  vaine  gloire 
pour  premier  principe  !  Rien  ne  nous  fait  plus  trem- 
bler que  les  succès  réels  ou  prétendus  d'un  jeune 
prédicateur.  Quand  nous  le  voyons  se  lancer  dans 
sa  sainte  carrière  sous  la  bannière  de  l'orgueil, 
nous  ne  sommes  plus  surpris  lorsque,  plus  tard,  on 
nous  fait  le  triste  récit  de  ses  désordres. 

Si,  par  hasard.  Dieu  daigne  opérer  quelques  con- 
versions à  la  suite  de  ses  prédications,  comme  un 
excellent  ouvrier  produit  quelquefois  unbel  ouvrage 
avec  un  mauvais  instrument,  il  s'enfle,  il  s'admire, 
il  s'extasie  devant  son  éloquence  à  laquelle  il  attribue 
le  mérite  de  ces  conversions.  Ah!  qu'il  ferait  bien 
mieux  de  méditer  ces  belles  paroles  du  P.  de  la  Co- 
lombière  dans  sa  Retraite  spirituelle  !  «  Quand  on 
»  connaît,  dit-il,  ce  que  c'est  que  sauver  une  âme 
))  et  ce  que  nous  sommes,  on  est  bientôt  persuadé 
»  qu'on  n'y  peut  rien.  Quelle  fohe  de  penser  qu'avec 
»  quelques  paroles  qu'on  dit  en  passant,  on  puisse 
»  faire  ce  qui  a  tant  coûté  à  Jésus-Christ  !  Vous  par- 
»  lez,  et  une  âme  se  convertit  ;  c'est  comme  au  jeu 
»  des  marionnettes  :  le  valet  commande  à  la  poupée 
»  de  danser,  et  le  maître  la  remue  par  le  moyen  d'un 
»  ressort  :  le  commandement  n'y  fait  rien  du  tout. 
»  Exi  à  me,  quia  homo  peccator  sum,  Domine  :  le 
»  beau  sentiment  en  une  âme  en  qui  ou  par  qui 
»   Dieu  opère  quelque  chose   d'extraordinaire  !    » 


—   428  — 

Plus  le  niiiiistère  de  la  parole  a  cVéclat,  plus 
vous  devez  vous  abaisser  dans  les  profondeurs  de 
riiuniilité  :  plus  vous  avez  de  succès  dans  ce  mi- 
nistère, plus  vous  devez  appréhender  de  vous  en 
attribuer  le  mérite.  Purifiez  vos  intentions  ;  hu- 
miliez-vous de  voir  que  Dieu  vous  confie  un  emploi 
dont  vous  êtes  si  indigne  ;  fermez  la  bouche  aux 
flatteurs  ;  prêtez  l'oreille  aux  critiques  ;  faites  un 
acte  d'humilité  avant  de  monter  en  chaire  ;  faites-en 
un  second  quand  vous  en  serez  descendu,  et  lorsque 
la  vaine  gloire  vous  étourdira  de  son  bourdon- 
nement, répétez  pieusement  ces  paroles  de  David  : 
Non  nohis,  Domine^  non  nobis,  sed  nomini  tuo  da 
fjloriam . 

40  jT/,  mauvais  choix  des  sujets  et  la  7nauvaise 
maniera  de  les  traiter.  Youlez-vous  prêcher  pour 
conquérir  des  éloges,  ou  voulez-vous  prêcher  pour 
être  utile  aux  peuples  ?  Youlez-A  ous  faire  dire  à 
quelques  gens  superficiels  que  vous  êtes  orateur, 
que  vous  êtes  savant,  que  vous  êtes  profond  ;  ou 
voulez-vous  faire  dire  à  la  masse  des  hommes  sages 
que  vous  connaissez  la  loi  de  Dieu,  que  vous 
l'expliquez  clairement  et  que  vous  en  inspirez  l'a- 
mour à  ceux  qui  vous  écoutent  ?  Il  faut  choisir. 

Si  vous  voulez  conquérir  les  éloges  de  quelques 
esprits  gâtés  ;  si  vous  voulez  passer  à  leurs  yeux 
pour  un  grand  homme,  académiquement  parlant  ; 
montez  sur  vos  échasses,  cherchez  des  mots  so- 
nores, jetez  des  bluettes  à  vos  auditeurs  ;  arron- 
dissez vos  périodes  ,  boursouflez  votre  style  , 
déclamez  avec  emphase,  affichez  une  pose  élégante, 
transformez  la  chaire  en  tribune  ou  en  théâtre, 
perdez-vous  dans  des  sentiers  fleuris  ou  dans  les 


nuages  d'une  m;Mîipliysique  que  ceux-là  seuls  tir- 
clarent  profonde  qui  ne  la  comprennent  point  : 
voilà  le  moyen  de  parler  pour  ne  rien  dire,  d'éblouir 
au  lieu  d'éclairer,  de  pérorer  au  lieu  d'instruire, 
et  do  vous  attirer,  en  retour  de  quelques  sottes 
louanges,  les  foudres  de  Dieu  dont  vous  profanez 
la  parole.  Nous  disons  sottes  louanrjes  ;  car,  pen- 
sez-y bien,  tout  homme  réellement  instruit  qui 
vous  entendra,  sera  le  premier  à  condamner  votre 
mauvais  genre. 

Mais  si  vous  voulez  prêcher  pour  être  utile, 
pour  apprendre  la  loi  de  Dieu  aux  hommes,  pour 
la  leur  faire  aimer  et  pratiquer,  pour  les  arracher 
à  l'enfer  et  les  conduire  au  ciel  ;  prêchez  comme 
les  saints,  prêchez  comme  ces  bons  missionnaires, 
qui  instruisent  mieux  une  paroisse  pendant  une 
mission  de  trois  semaines,  que  plusieurs  curés 
n'instruisent  les  leurs  en  quinze  et  vingt  années 
de  ministère  ;  prêchez  enfin  comme  Jésus-Christ, 
ce  parfait  modèle  dos  prédicateurs.  Où  avez-vous 
vu  que  ce  divin  Sauveur  ait  jamais  remplacé  le 
style  simple  par  le  style  pompeux  '^  Où  avez-vous 
vu  qu'il  ait  brigué  les  suffrages  des  peuples  par  le 
déploiement  d'une  éloquence  apprêtée  ?  11  pouvait 
sans  doute  être  souverainement  profond  et  élo- 
quent ;  il  pouvait  l'être  mille  fois  plus  que  vous  et 
que  tous  les  prédicateurs  du  monde  ;  mais  l'a-t-il 
été?  mais  a-t-il  voulu  l'être?  Jamais.  Parcourez  ses 
discours,  voyez  ses  comparaisons,  lisez  ses  para- 
boles :  quelle  clarté  !  quelle  familiarité  !  quel 
abaissement  divin  !  Et  pourtant,  quels  mystères  il 
révèle  !  quelle  théologie  il  proclame  î  11  est  sublime, 
oui,  et  l'impiété  elle-même  admire  sa  sublimité  ; 


—  430   — 

mais  il  est  sublime  à  la  mani«'ire  de  Dieu,  qui  doit 
être  la  nôtre  :  hauteur  dans  les  choses,  simplicité 
dans  leur  exposé.  Aussi  chacun  le  comprend,  cha- 
cun est  touché,  ravi,  transporté,  et  la  conquête  du 
monde  entier  est  le  fruit  de  sa  parole  éminemment 
populaire  !  Voilà  le  vrai  type  du  prédicateur;  mal- 
heur au  prêtre  qui  ne  le  reconnaît  pas  pour  tel  I 
malheur  au  prêtre  qui  dédaigne  de  l'imiter  ! 

Imitez-le.  vous,  jeune  et  tendre  ami  ;  laissez  les 
profanateurs  de  la  chaire  s'agiter  dans  le  vide  et 
battre  l'air  de  leurs  coups  de  cymbales.  Pour  vous, 
soyez  utile  et  craignez  de  n'être  que  brillant, 

Nous  dénonçons  à  l'Kglise  et  aux  vénérables 
pontifes  qui  en  sont  les  premiers  ministres,  ces 
prédicateurs  indignes  du  ministère  qu'ils  exercent, 
qui  viennent  se  pavaner  en  chaire,  et  y  débiter 
avec  suffisance  et  emphase  des  discours  qu'on  ne 
sait  comment  qualifier,  tant  ils  sont  creux,  inco- 
lores, nuageux  et  inutiles  aux  peuples,  qui  ne  les 
comprennent  pas.  Oui,  nous  dénonçons  ces  hom- 
mes qui  ont  faussé  l'esprit  des  fidèles  par  leur  élo- 
quence tout  humaine,  et  qui  se  glorifient  de  ce 
qui  devrait  les  confondre  :  nous  dénonçons  ces 
vains  contempteurs  de  la  simplicité  évangvélique, 
que  les  apùtres  de  Jésus-Christ  eussent  refusé  de 
s'adjoindre  pour  convertir  Turivers,  et  que  Jésus- 
Christ  lui-m^me  chargerait  du  poids  de  ses  ana- 
thèmes,  s'il  rompait  le  silence  qu'il  s'impose  dans 
son  divin  tabernacle. 

Le  premier  travail  qui  doit  vous  occuper  dans 
lintervalle  des  fonctions  de  votre  ministère,  doit 
être  la  composition  claire,  simple,  méthodique, 
familière  et  vraiment  pastorale  d'un  cours  complet 


I 


-  431   - 

d'insfrnctions  sur  toute  la  docîriiic  chrétienne. 
L'explication  détaillée  du  symbole,  des  comman- 
demeuts  de  Dieu,  des  commandements  deri^glise, 
des  sacrements  et  de  la  prière  :  voilà  ce  qu'il  faut 
traiter  avant  d'aborder  un  seul  de  ces  discours 
qu'on  appelle  (jrands  sermons.  Vous  manquerez  à 
l'un  de  vos  devoirs  essentiels,  si,  au  lieu  de  vous 
imposer  cette  tâche,  vous  employez  votre  temps  à 
composer  je  ne  sais  quelles  pièces  soi-disant  litté- 
raires, disparates,  décousues,  sans  ordre,  sans 
suite  et  sans  liai?:on,- fruit  capricieux  et  frivole 
d'une  imagination  dévoyée. 

Quant  à  la  manière  de  traiter  vos  sujets,  elle 
sera  toujours  bonne,  si  toujours  vous  travaillez  en 
face  de  cette  devise  :  Je  veux  être  utile.  Alors  vous 
serez  clair,  alors  vous  serez  simple,  alors  vous 
serez  précis,  instructif,  intelligible  pour  tout  le 
monde. 

5^  Le  défaut  (le piété.  Nous  ne  connaissons  point 
d'égarement  plus  complet  que  celui  d'un  prêtre 
qui  ne  soutient  pas  ses  prédications  par  la  sain- 
teté de  sa  vie.  11  veut  donner  aux  autres  ce  qu'il 
n'a  pas  lui-même;  c'est  un  b]o<î  de  glace  qui  pré- 
tend enflammer  ceux  qui  l'approchent  :  pitié  !  pitié  ! 
Xavier  a  converti  cinquante-deux  royaumes,  non 
parce  qu'il  était  éloquent,  mais  parce  qu'il  était 
saint.  Plusieurs  prêtres  de  son  temps  l'égalaient, 
le  surpassaient  peut-être  en  éloquence  ;  mais  parce 
qu'ils  n'avaient  pas  sa  sainteté,  personne  ne  parle 
de  leurs  conquêtes,  tandis  que  le  monde  entier 
préconise  les  siennes.  Soyez  donc  un  saint,  si  vous 
voulez  sanctifier  vos  frères  par  vos  prédications. 
Prêchez  à  petit  bruit  par  une  vie  de  règle,  d'étude 


"    432    — 

et  de  prière,  avant  de  prêcher  avec  fracas  dans 
l'église;  prêchez  par  votre  humilité,  voire  dou- 
ceur, votre  cJiarité  pour  les  pauvres  eî  par  toutes 
les  vertus  chrétiennes  eî  sacerdotales,  avant  dlm- 
poser  solennellement  ces  vertus  à  des  auditeurs 
qui,  vous  en  voyant  dépourvu,  vous  diront  tout 
bas  :  Mcdicc,  cura  te  ipsiim.  Si  vous  agissez  ainsi, 
vous  ne  serez  pas  eiicore  dans  la  chaire  que  déjà 
les  peuples  seront  disposés  avons  croire,  et  quand 
vous  y  paraîtrez,  cliacune  de  vos  paroles,  tombant 
d'un  cœur  brûlant,  communiquera  son  feu  aux 
âmes  les  jjIus  froides.  Croyez-nous,  on  ne  résiste 
guère,  ou  du  moins  on  ne  résiste  pas  longtemps 
à  l'éloquence  d'un  prédicateur  qu'on  n'entend  ja- 
mais sans  dire  :  Quel  homme  de  Dieu  !  quel  saint 
prêtre  ! 

Pesez  bien  ces  excellents  avis  que  donne  aux 
prédicateurs  le  P.  Lallemant,  dans  sa  Doctrine 
spirituelle  :  «  Si  un  prédicateur,  dit-il,  n'est  pas 
»  homme  d'oraison,  il  ne  fera  jamais  grand  fruit, 
»  parce  que  ses  prédications,  pour  le  regard  du 
»  dessin,  des  pensées,  du  style,  du  geste,  et  pour 
»  les  vues  imparfaites  et  les  intentions  impures 
»  qu  il  aura  eues  en  tout  cela,  seront  pleines  de 
»  péchés,   du  moins  véniels. 

»  Le  profit  des  auditeurs  dépend  extrêmement 
»  de  la  vertu  du  prédicateur  et  de  son  union 
»  avec  Dieu,  cjui  lui  peut  donner  en  un  quart 
w  d'heure  d'oraison  plus  de  pensées,  et  des  pensées 
))  plus  propres  à  toucher  les  corars,  qu'il  n'en 
»  trouverait  en  un  an  de  lecture  et  d'étude. 

»  On  s'applique  à  composer  de  beaux  sermons, 
»  et  cependant  on  ne  fait  presque  point  de  fruit. 


—   433   — 

I)"où  vient  cela  ?  C'est  que  la  prédication  est 
une  fonction  surnaturelle,  aussi  bien  que  le 
salut  des  âmes,  qui  est  la  fin  qu'on  prétend,  et 
il  faut  que  l'instrument  soit  proportionné  à 
cette  fm.  Or,  ce  n'est  point  la  science,  ni 
l'éloquence,  ni  les  autres  talents  humains  qui 
nous  rendent  les  instruments  propres  à  procu- 
rer le  salut  des  âmes.  La  plupart  des  prédi- 
cateurs ont  assez  de  science,  mais  ils  n'ont  pas 
assez  de  dévotion  et  de  sainteté. 
»  Le  vrai  moyen  d'acquérir  la  science  des 
saints  et  d'avoir  de  quoi  remplir  un  sermon, 
une  exhortation,  un  entretien  spirituel,  ce  n'est 
pas  tant  d'avoir  recours  aux  livres  qu'à  l'humi- 
lité intérieure,  à  la  pureté  de  cœur,  au  recueil- 
lement et  à  l'oraison.  C'est  ainsi  qu'en  ont  usé 
tous  les  saints... 

»  Un  prédicateur  doit  bien  parler,  et  ne  pas 
négliger  l'élocution.  Le  respect  qui  est  dû  à  la 
parole  de  Dieu  demande  cela...  Mais  il  ne  doit 
aimer,  ni  priser,  ni  louer  que  Jésus-Christ  et  ce 
qui  le  touche  ;  ne  vouloir  être  lui-même  aimé, 
loué,  ni  estimé  de  personne,  et  n'avoir  en  vue 
que  de  faire  connaître  et  aimer  Notre  Seigneur 
et  d'attirer  tout  le  monde  à  son  service. 
»  C'est  une  chose  prodigieuse  (notons  bien  ces 
derniers  mots)  de  voir  des  hommes  appelés  à  la 
vie  apostolique,  porter  l'ambition  et  la  vanité 
dans  le  sacré  ministère  de  la  prédication.  Quel 
fruit  peuvent-ils  faire?  Ils  obtiennent  quelque- 
fois ce  qu'ils  poursuivent,  c'est-à-dire  leur 
gloire  personnelle  ;  mais  ils  en  viennent  là  aux 
dépens  d'une  infinité  de  péchés  et  d'imperfec- 
II.  2i' 


—   434   — 

»  tions.  Quelle  vie  1  quelle  union   avec  Dieu  !    et 
»  comment  se  servira-t-il  de  tels  instruments  ?  » 

Qu'il  y  a  de  vérité,  de  bon  sens  et  de  piété  dans 
ces  précieux  enseignements  !  (1) 

XXI.  —  Le  catéchisme. 

Si  vous  n'appréciez  pas  à  sa  juste  valeur  l'émi- 
nent  emploi  de  catéchiste,  vous  n'êtes  pas  digne 
de  l'exercer.  Si  Nosseigneurs  les  évêques  savaient 
comment  certains  prêtres  de  leurs  diocèses  font 
le  catéchisme,  le  peu  de  préparation  qu'ils  y  ap- 
portent, la  mauvaise  manière  dont  ils  l'expliquent, 
le  dégoût  qu'ils  ont  pour  cet  exercice,  et  la  ru- 
desse excessive  avec  laquelle  ils  traitent  les  en- 
fants, nous  sommes  convaincu  qu'ils  leur  interdi- 
raient formellement  cette  branche  si  importante 
du  saint  ministère,  et  nous  applaudirions  de  tout 
cœur  à  cette  juste  sentence. 

Si  votre  curé  déclare  qu'il  se  charge  du  caté- 
chisme, il  use  de  son  droit  ;  ne  dites  mot,  n'ayez  pas 
l'air  d'être  mécontent  lors  même  que  vous  le  seriez 
unpeu  i7ipetto.  Mais,  direz-vous peut-être,  les  autres 
vicaires  le  faisaient  avant  moi.  C'est  probablement 
parce  que  votre  curé  a  vu  que  vos  prédécesseurs 
s'acquittaient  mal  de  cet  emploi  qu'il  s'en  est  imposé 
la  charge  à  lui-même.  Peut-être  veut-il  vous  éprou- 
ver et  vous  connaître  un  peu  mieux  avant  de  vous 
confier  ses  petits  agneaux,  portion  si  intéressante 
de  son  troupeau.  Oh  !  que  votre  curé  est  digne 
d'éloges  si  c'est  ce  motif  qui  le  fait  agir  ! 

(1)  Voyez  Pratique  dic  zéh  ecolésiastiquc,  troisième  partie, 
Ans  aux  pré'ivxUctirs, 


—    435   — 

Mais  vous  aban<lonne-t-il  l'œuvro  des  catéchis- 
mes ;  commencez  par  concevoir  une  haute  estime 
(le  cette  œuvre  capitale.  ?»lalheur  à  vous,  encore 
une  fois,  si  vous  n'y  attachez  qu'une  importance 
secondaire  î 

Demandez  à  Dieu  qu'il  bénisse  abondamment  le 
travail  que  vous  allez  entreprendre.  Offrez-le-lui 
parles  mains  de  Marie.  Recommandez-lui  les  petits 
enfants  qu'il  vous  charge  d'instruire,  et  priez-le 
de  vous  donner  les  qualités  nécessaires  pour  vous 
acquitter  dignement  de  cette  sainte  mission. 

Dites-vous  à  vous-même  avec  l'élan  d'un  vrai 
zèle  :  Puisque  me  voilà  chargé  de  cultiver  une 
jeune  génération  qui  sera  bientôt  la  partie  vivace 
de  la  paroisse,  je  veux  me  livrer  à  cette  culture 
avec  tout  le  dévouement  et  toute  l'application  dont 
je  suis  capable. 

-  Sous  l'influence  de  cette  pieuse  pensée,  faites- 
vous  scrupule  de  la  moindre  négligence  dans  l'ac- 
complissement  de  votre  devoir,  et  ne  manquez  pas 
de  vous  confesser  de  cette  négligence  pour  que 
voire  confesseur  vous  aide  de  ses  charitables  con- 
seils en  ce  point  si  essentiel. 

Préparez  vos  catéchismes  au  moins  autant  que 
vos  sermons.  Quand  vous  prêchez,  vous  parlez  k 
des  hommes  faits  qui  comprennent  aisément  ce 
que  vous  leur  dites  ;  mais  quand  vous  catéchisez 
les  enfants,  vous  parlez  à  des  intelligences  à  peines 
écloses  auxquelles  il  faut  expliquer  chaque  mot 
avec  une  clarté  parfaite,  sous  peine  de  n'être 
pas  compris  :  or  cela  ne  peut  se  faire  et  se  bien 
faire  sans  une  étude  spéciale.  L'expérience  vous 
apprendra  qu'il  est  beaucoup  plus   difficile   qu'on 


—   436   — 

ne  pense  cVintéresser  des  enfants  et  de  leur  parler 
utilement. 

Étudiez  avec  un  soin  extrême  chaque  leçon  du 
catéchisme  dont  vous  devrez  faire  l'explication. 
Â.idez-vous  pour  cela  des  lumières  de  la  théologie^ 
et  voyez  comment  vous  pourrez  vous  y  prendre 
pour  la  rendre  accessible  à  Tesprit  peu  éclairé  de 
vos  petits  auditeurs. 

Procurez-vous  les  meilleures  ouvrages  composés 
ad  hoc.  Voyez  et  notez  ce  qulls  disent  sur  chaque 
question  du  catéchisme,  et  demandez-vous  à  vous- 
même  ce  que  vous  pourriez  ajouter  encore  à  leur 
explication,  pour  la  rendre  aussi  claire  et  aussi 
complète  que  possible. 

Faites  une  ample  provision  des  comparaisons, 
des  paraboles,  des  traits  historiques  dont  vous  pou- 
vez faire  usage  pour  mettre  en  relief  votre  ensei- 
gnement catéchistique,  qui  sans  cela  serait  sec, 
abstrait,  inintelligible  et  rebutant. 

Parlez  peu  et  faites  parler  beaucoup  y  comme  nous 
le  recommandons  si  expressément  dans  la  Prcttique 
du  zèle  ecclésiastique.  Si  vous  êtes  un  catéchiste 
grand  parleur,  vous  serez  un  catéchiste  incompris 
et  inutile.  Après  avoir  exposé  très-nettement  un 
point  de  doctrine,  vous  ne  devez  plus  vous  occuper 
que  de  voir  si  les  enfants  le  comprennent,  et,  pour 
cela,  vous  n'avez  pas  d'autre  moyen  que  de  les 
faire  parler,  vous  contentant  de  les  reprendre 
quand  ils  se  trompent  :  encore  devez-vous  tourner 
votre  explication  de  manière  à  les  forcer  de  re- 
connaître eux-mêmes  qu'ils  ont  fait  une  mauvaise 
réponse  ;  c'est  par  eux  autant  que  par  vous  que 
la  rcclification  doit   s'opérer,  bi,  après  un  caté- 


—    437    — 

ohisme,  vous  voyez  le  prêtre  qui  Ta  fait,  fatig-ué, 
essoufflé,  ruisselant  de  sueur  comme  après  un 
grand  sermon,  vous  pouvez  lui  dire  hardiment  : 
Mon  ami,  sans  vous  avoir  entendu,  j'afflrme  que 
vous  venez  de  faire  un  mauvais  catéchisme. 

Aimez  beaucoup  cette  fonction  :  les  fruits  que 
vous  produirez  en  la  remplissant  seront  toujours 
en  rapport  avec  le  goût  et  l'attrait  qu'elle  vous 
inspirera. 

Aimez  aussi  beaucoup  les  enfants.  Jamais  vous 
ne  serez  un  bon  catéchiste  si  vous  n'aimez  pas  ten- 
drement ces  chères  petites  créatures.  Oh  !  que  de 
soins  on  prodigue  à  ceux  qu'on  aîi'cctionne  !  Voyez 
une  mère  comma  elle  cultive  ses  enfants  quand 
elle  les  aime  !  Sur  ce  point  comme  sur  tous  les 
autres,  Jésus  est  votre  modèle  ;  les  enfants  oc- 
cupaient la  première  place  dans  son  divin  cœur  : 
Inspice,  et  fac  secundùm  exemplar. 

Soyez  bon,  soyezdoux,  soyez  pal ient etmiséricor- 
dieuxàl'égardde  votre  jeune  troupeau  :  vous  serez 
tout  cela  si  vous  l'aimez;  vous  ne  serez  sévère  que 
par  exception,  et  vous  ne  le  serez  que  quand  il  sera 
évident  que  vous  aurez  sujctde  l'être  ;  encore  revien- 
drez-vous  sur-le-champ  à  votre  aimable  douceur, 
comme  le  soleil  qui  reparaît  radieux  après  avoir  été 
caché  quelques  instants  par  un  léger  nuage  (1). 

XXII.  —  Soins   dos  malades. 

Nous  avons  remarqué  souvent  qu'un  des  plus 
grands  éloges  que  les  peuples  aiment  à  faire  d'un 

(1)  Voyez  Pratique  (la  zèle  ccdcslastique,  h^oisii^mc  partie, 
Avis  aux  catéchistes. 


—  438  — 

prêtre,  c'est  do  dire  qu'il  est  très-exact  à  visiter 
ses  malades.  Il  n'y  a  que  le  saint  prêtre  qui  mé- 
rite pleinement  cet  éloge  ;  tous  les  autres  laissent 
plus  ou  moins  à  désirer  sur  cet  article. 

Quelques-uns  murmurent  quand  on  les  appelle 
pour  cette  fonction  de  leur  ministère  ;  ils  parlent 
de  leurs  affaires  ;  ils  disent  qu'on  les  dérange  pres- 
que toujours  pour  des  malades  qui  ne  le  sont  guère, 
ils  s'informent  du  genre  de  la  maladie  et  s'évertuent 
à  prouver  qu'elle  n'a  rien  de  sérieux  ;  enfin  ils 
partent  le  plus  tard  possible  et  quelquefois  —  car 
cela  se  voit  —  ils  rencontrent  à  moitié  chemin 
une  personne  éplorée  qui  leur  dit  :  N'allez  pas  plus 
loin,  il  est  mort  !...  Qu'on  y  fasse  attention  et  l'on 
verra  que  les  prêtres  qui  murmurent  à  l'annonce 
d'un  malade,  sont  ceux  qui  sourient  à  l'annonce 
d'un  festin  ou  d'une  partie  de  plaisir. 

D'autres  ne  murmurent  point  précisément,  mais 
on  voit  à  la  rareté  de  leurs  visites  que  ces  visites 
les  fatiguent.  Quand  ils  peuvent  se  dire  :  Il  est  ad- 
ministré, les  voilà  tranquilles.  Que  leur  pauvre 
malade  ait  besoin  de  consolation,  qu'il  soit  aux 
prises  avec  la  douleur  qui  le  torture,  avec  sa  con- 
science qui  l'inquiète,  avec  des  tentations  qui  le 
harcèlent,  avec  le  démon  qui  fait  un  dernier  effort 
pour  perdre  son  àme,  rien  de  tout  cela  ne  les 
émeut  :  //  est  administré  ;  voilà  les  trois  mots  qui 
les  rassurent,  et  quand  ils  les  ont  proférés,  ils 
remplacent  par  des  futilités  une  visite  charitable 
de  laquelle  dépend  peut-être  le  salut  éternel  d'une 
âme  confiée  à  leurs  soins. 

D'autres  voient  leurs  malades,  mais  ils  sont  avec 
eux  d'une  timidité  excessive.   La  maladie  fait  des 


—   439   — 

progrès,  ils  parlent  de  choses  inutiles,  et  leurs  vi- 
sites n'aboutissent  à  rien  d'important.  Un  accès 
de  fièvre  survient,  on  se  hâte  de  les  en  informer, 
ils  accourent  précipitamment  ;  mais,  plus  de  con- 
naissance, plus  de  confession  possible,  la  mort 
frappe  son  coup  avant  le  retour  de  la  raison,  et  ils 
font  une  onction  sur  des  membres  glacés,  quel- 
quefois même  sur  un  cadavre  !  C'est  smgulier,  di- 
sent-ils, rien  n'annonçait  un  si  brusque  dénoûment» 

D'autres  encore,  par  scrupule,  ou  pour  en  fmir 
d'un  seul  coup,  épuisent  un  malade  par  une  con- 
fession qui  fatiguerait  un  homme  en  pleine  santé. 
Au  lieu  de  ménager  ses  forces  et  de  lui  faire  faire 
une  confession,  incomplète,  il  est  vrai,  mais  suffi- 
sante dans  l'état  où  il  est,  ils  ne  veulent  donner 
l'absolution  que  quand  tout  sera  dit,  et  déterminent 
des  accidents  graves  qui  provoquent  les  vifs  mur- 
mures de  la  famille.  Nous  avons  connu  un  jeune 
prêtre  qui  soutint  un  siège  de  la  part  du  mari  d'une 
moribonde  qu'il  confessait  depuis  près  de  deux  heu- 
res. Qu'y  gagna-t-il?  On  va  le  voir.  Le  mari  im- 
patienté force  la  porte,  chasse  le  jeune  prêtre,  s'in- 
stale  près  du  lit  de  la  mourante,  et  nous  ne  savons 
pas  si  l'absolution  était  donnée. 

D'autres  enfin  n'entendent  rien  à  consoler  et  à 
exhorter  les  malades  :  quelques  phrases  banales, 
quelques  mots  froids  comme  le  cœur  qui  les  sug- 
gère, ou  de  longues  exhortations  qu'on  prendrait 
pour  les  fragments  d'un  sermon  sur  les  souffrances  ; 
ne  leur  en  demandez  pas  davantage. 

Ah  !  que  le  saint  prêtre  est  bien  autrement  in- 
spiré I  Prenez-le  pour  modèle,  jeune  et  tendre  ami. 
Dfait  savoir  en  public  et  en  particulier  qu'on  ait  à 


—  440  — 

l'avertir  dès  le  début  d'une  maladie  qui  annonce 
quelque  gravité  ;  il  part  de  bonne  grâce  dès  qu'il 
est  appelé;  il  prend  les  précautions  convenables, 
mais  il  arrive  à  son  but  aussi  promptement  que 
possible;  dans  les  cas  pressants,  il  insiste  bien  plus 
sur  la  contrition  que  sur  l'intégrité  matérielle  de 
de  la  confession,  il  donne  l'absolution  dès  qu'il  la 
peut  donner  ;  il  agit  de  même  à  l'égard  de  l'extrême- 
onction  et  du  saint  viatique  ;  si  la  maladie  se  pro- 
longe, il  multiplie  ses  visites  ;  il  voit  son  malade 
tous  les  jours  s'il  n'en  est  pas  trop  éloigné,  et  tous 
les  deux  jours  si  la  distance  qu'il  l'en  sépare  est 
considérable;  il  lui  fait  des  exhortations  courtes  et 
entrecoupées,  d'un  ton  de  voix  bas,  doux  et  pieux  ; 
il  recommande  à  quelques  bonnes  âmes  de  lui  par- 
ler de  Dieu  et  de  lui  faire  produire  de  temps  en 
temps  des  actes  de  foi,  d'espérance,  de  charité  et 
de  contrition;  il  prie  pour  lui  avec  toute  la  ferveur 
d'un  cœur  dévoué  ;  il  l'assiste  dans  sa  dernière  ago- 
nie avec  un  zèle  dont  tout  le  monde  est  ravi;  et 
quand  il  lui  a  fermé  les  yeux,  il  se  retourne  vers 
Dieu  et  lui  dit  avec  confiance  :  «  Ma  tâche  est  rem- 
plie, Seigneur  I  »  Opus  coiisummam,  quod  dedisti 
mihi  ut  faciam.  Ainsi  agit  le  saint  prêtre;  ainsi 
agirez-vous  si  vous  êtes  saint  vous-même.  (1) 

XXIII    —  Assistance  des  pauvres. 

Le  soin  des  malades  édifie  surtout  les  âmes  qui 
ont  la  foi  ;  mais  l'assistance  des  pauvres  édifie 
tout  le  monde.  La  grande  et  la  seule  prédication 

(1)  Voyez  Pratique  du  zèle  ecclésiastique,  deuxième  partie, 
ch.  XII,  Rapports  du  prêtre  avec  les  malades. 


—   441    — 

que  nous  puissions  faire  aux  impies  qui  ne  mettent 
pas  le  pied  dans  nos  églises,  c'est  la  sainteté  de 
notre  vie  et  l'amour  des  pauvres.  S'ils  nous  croient 
intéressés  ou  avares,  ils  nous  méprisent  et  s'en- 
foncent dans  leur  abîme  ;  s'ils  connaissent  nos 
larges  aumônes,  ils  nous  admirent  et  nous  ap- 
pellent quelquefois  à  l'heure  suprême.  Soyons 
donc  dans  toute  la  force  de  l'expression  les  pères 
des  pauvres. 

Oui,  jeune  et  tendre  ami,  mettez  votre  minis- 
tère sous  le  patronage  de  la  charité.  Aimez  ten- 
drement les  pauvres,  visitez-les  souvent  quoiqu'ils 
n'aient  aucun  besoin  pressant  de  votre  visite,  allez 
causer  affectueusement  avec  eux  comme  avec  des 
amis  intimes,  écoutez  le  récit  de  leur  misère,  don- 
nez-leur des  marques  de  compassion,  déposez 
quelques  pièces  de  monnaie  dans  leur  main  quand 
vous  la  serrerez  en  signe  d'adieu;  puis,  leur  con- 
fiance vous  étant  acquise,  ce  qui  ne  tardera  pas,  par- 
lez-leur de  Dieu,  de  leur  àme,  de  leur  salut,  de  la 
confession  qu'ils  négligent  si  souvent.  Rien  ne  vous 
sera  refusé.  La  clef  de  leur  cœur  était  dans  votre 
l)0urse,  il  suffisait  de  l'ouvrir  pour  la  trouver;  vous 
lavez  ouverte,  tout  est  fait.  Quel  est  le  pauvre  qui 
résiste  à  un  saint  prêtre  qui  se  dépouille  pour  le 
vêtir,  qui  s'impose  des  privations  pour  le  nourrir, 
le  chauffer  et  soulager  ses  nombreuses  misères  ? 

Ah!  que  vous  serez  heureux,  que  vous  serez 
béni,  que  vous  serez  abondamment  consolé  si  vous 
suivez  ces  conseils  î  Que  votre  ministère  sera  fruc- 
tueux et  quelle  pluie  de  grâces  vous  inondera,  si 
les  membres  souffrants  de  Jésus-Christ  sont  vos 
enfants  adoptifs  ! 

n.  25. 


—   442   — 

Poiir'qu  il  en  soit  ainsi,  attendrissez  votre  cœur 
par  l'aumône,  car  elle  l'attendrit  autant  que  rava- 
rice  le  resserre.  Ayez  horreur  de  cet  affreux  mot  : 
amasser  ;  imposez-vous  comme  un  devoir  sacré  de 
ne  faire  jamais  aucune  dépense  inutile  ;  quand 
vous  aurez  réellement  besoin  d'acheter  quelque 
chose,  voyez  si  vous  ne  pouvez  pas  diminuer  un 
peu  la  dépense  que  nécessite  cet  achat,  et,  si  vous 
le  pouvez,  faites  tourner  cette  réduction  au  profit 
des  pauvres.  Qu'ils  soient  enfin  toujours  présents 
à  votre  pensée,  toujours  l'objet  des  affections  de 
votre  cœur,  et  soyez  sur  que  Jésus-Christ  dont  ils 
sont  l'enveloppe  von  s  dira  au  dernier  des  jours 
devant  l'univers  assemblé  :  Quamdiu  fccistl  uni 
ex  his  fratribiis  meis  tninimis,  mihi  fecisti  (1). 

XXIV.  —  Rappoits  arec  le  monde. 

Vivez  de  manière  à  vous  faire  beaucoup  désirer 
par  le  monde  ;  mais  gardez-vous  d'accéder  à  tous 
ses  désirs.  Ne  vous  imposez  pas  ;  faites  plutôt  qu'on 
se  plaigne  un  peu  de  la  rareté  de  vos  visites.  Un 
prêtre  ne  va  jamais  chez  les  grands  sans  en  reve- 
nir moins  prêtre  ;  c'est  tout  le  contraire  chez  les 
pauvres.  Il  y  a  dans  la  maison  des  riches  une  cer- 
taine vapeur  de  mondanité  qui  incommode  le  saint 
prêtre.  Sa  chambre,  l'église,  l'asile  de  l'indigence 
et  des  larmes,  c'est  là  qu'il  trouve  l'atmosphère 
qui  lui  convient  :  si  ces  trois  lieux  ne  font  pas  ses 
délices,  il  n'est  plus,  à  coup  sur,  YHomo  Dei  de 
saint  Paul. 

(1)  \ oyez  Pratiqiie  du  zèle  ecclésiastique,  deuxième  partie, 
cil.  XI,  Rapports  du  prêtre  avec  les  pauvres. 


--  443   — 

Cependant  si  vous  êtes  chargé  du  ministère  pa- 
roissial, vous  ne  pouvez  pas  rompre  totalement 
avec  le  monde.  Voici  les  règles  que  vous  devez 
adopter  pour  agir  en  ce  ceci  avec  mesure  : 

En  général,  n'allez  jamais  chez  les  grands  que 
par  le  motif  d'une  vraie  nécessité  ou  d'une  juste 
bienséance  ;  jamais  par  pur  plaisir. 

N'y  allez  point,  pour  l'ordinaire,  sans  être  accom- 
pagné de  votre  curé.  S'il  y  était  lui-même  trop  ré- 
pandu et  qu'il  voulût  vous  faire  adopter  son  usage, 
trouvez  le  moyen,  sans  le  fâcher,  de  vous  sous- 
traire à  ces  fréquentes  et  inutiles  visites. 

Avant  d'entrer  chez  les  riches,  dites-vous  à  vous- 
même  :  Je  veux  les  édifier;  que  puis-je  faire  pour 
cela  ?  Une  voix  intérieure  vous  dira  sur-le-champ  : 
Observe  ta  tenue,  règle  ton  regard,  contiens  ta 
langue,  supprime  les  futilités  et  dis  des  choses 
utiles.  Obéissez  à  cette  voix  et  vous  provoquerez 
cette  exclamation  quand  vous  serez  sorti  :  Quel 
aimable  jeune  homme  !  quel  saint  prêtre  ! 

On  fait  souvent  des  visites  dans  la  classe  moy- 
enne ou  inférieure  qui  sont  plus  dangereuses 
encore  pour  un  prêtre  que  celles  des  grands. 
Quand  il  fait  des  gens  de  cette  classe  sa  compagnie 
habituelle;  quand  il  s'installe  dans  leurs  maisons 
pour  y  rire  tout  à  son  aise  ;  quand  il  y  débite  de 
grosses  inutilités  qui  touchent  à  la  trivialité  ;  quand 
il  écoute  avidement  les  commérages  de  la  paroisse 
et  qu'il  raconte  lui-même  ce  qu'il  a  appris  de  son 
côté  ;  quand  enfm  il  est  si  souvent  dans  ces  mai- 
sons, que  c'est  là  que  la  servante  du  presbytère  le 
va  chercher  tout  d'abord  s'il  n'est  pas  à  sa  chambre 
et  qu'on  le  demande  pour  quelque  afTaire  ;  on  peut 


—    444    — 

(lire,  sans  balancer,  quïl  est  déchu  du  titre  de  saint 
prêtre  et  qu'il  est  profondément  engagé  dans  la 
voie  du  relâchement. 

^'entrez  pas  dans  cette  voie^  vous,  jeune  et 
tendre  ami,  elle  aboutit  à  des  abîmes.  A  l'égard  de 
la  classe  dont  nous  venons  de  parler,  comme  à 
l'égard  de  la  classe  supérieure,  suivez  les  règles 
ci-dessus  posées  ;  elles  seules  vous  prémuniront 
contre  des  dangers  de  mille  sortes  qui  ont  fait  et 
qui  font,  hélas  !  tous  les  jours  encore  de  nom- 
breuses victimes  dans  le  sacerdoce  (1). 

XXV.  —  Liaisons  avec  les  confrères. 

Parmi  les  prêtres  qui  se  refroidissent  à  l'égard 
de  Dieu,  plusieurs  doivent  en  grande  partie  ce  re- 
froidissement à  la  fréquentation  de  certains  con- 
frères relâchés.  D'autres  ne  fréquentent  de  tels 
confrères  que  quand  il  leur  ressemblent  déjà,  et 
alors  ils  s'entretiennent  mutuellement  dans  l'état 
de  la  tiédeur.  On  peut  donc  dire  avec  vérité  que  la 
fréquentation  des  prêtres  relâchés  produit  le  re- 
lâchement ou  le  perpétue.  Cela  se  fait  tout  natu- 
rellement et  par  la  seule  force  des  choses  ;  car 
jamais  on  ne  se  donne  formellement  le  conseil 
d'embrasser  une  vie  tiède  :  qui  pourrait  se  résoudre 
à  faire  à  un  confrère  une  proposition  de  cette  na- 
ture ?  Mais,  chose  étonnante,  on  fait  sans  difficulté 
ce  qu'on  aurait  horreur  de  proposer.  Ainsi,  par 
exemple,  un  prêtre  qui  se  dégoûte  de  la  prière  et 
de  rétude,  et  qui  se  lie  avec  un  confrère  qui  s'en 

(1)  Voyez  trafique  du  zèle,  deuxième  partie,  cli.  IX,  Rap- 
prjrts  exUrieurs  avec  les  pécheurs  pow  les  engager  à  se  convertir. 


est  dégoûté  depuis  lou.crtemps  et  qui  s'est  adonué 
au  jeu  ou  au  vaiu  plaisir  des  courses  et  des  festins, 
ne  lui  dit  pas  expressément  :  Uemplaeons  la  prière 
et  l'étude  par  le  jeu,  les  voyages  et  la  bonne  chère  ; 
ce  serait  une  impudence  révoltante  ;  mais,  sans 
rien  dire,  et  par  le  fait  seul  de  la  fréquentation 
d'un  tel  confrère,  il  devient  en  peu  de  temps  comme 
lui,  joueur,  coureur,  et  amateur  des  bonnes  tables. 
Que  cela  fait  bien  voir  le  danger  auquel  on  s'ex- 
pose en  prenant  pour  ami  intime  un  prêtre  relâché  ! 

Evitez  ce  piège,  jeune  et  bien-aimé  confrère,  en 
observant  fidèlement  les  règles  que  nous  allons 
tracer. 

Attachez -vous  tellement  à  votre  curé  que  sa 
compagnie  vous  soit  plus  agréable  que  celle  de  tout 
autre  prêtre.  Quand  il  verra  que  vous  ne  formez 
aucune  liaison  étroite  avec  les  confrères  du  voi- 
sinage et  que  vous  n'êtes  heureux  qu'avec  lui,  il 
vous  saura  un  gré  infini  de  cette  préférence  et  vous 
en  récompensera  par  une  multitude  d'égards,  de 
prévenances  et  de  bontés. 

Si  vous  avez  un  autre  vicaire  pour  collaborateur, 
voilà  encore  une  société  toute  faite.  Deux  vicaires 
d'une  même  paroisse  qu'on  ne  voit  presque  jamais 
ensemble  et  qui  cherchent  au  loin  leur  compagnie 
favorite  et  habituelle,  fournissent  matière  à  bien 
des  conjectures.  On  soupçonne  de  l'antipathie,  delà 
jalousie,  du  goût  pour  les  longues  courses,  pour 
les  visites  inutiles  et  mille  autres  choses  qui  ne 
font  pas  réloge  de  ces  deux  jeunes  prêtres.  Affec- 
tionnez donc  cordialement  votre  collègue  ;  mais 
n'oubliez  pas  que  votre  curé  doit  être  le  centre  de 
cette  amitié,  le  nœud  de  cette  alliance.  Si  la  douce 


—   446   — 

chaîni3  de  la  charité  vous  enlace  tous  les  trois, 
vous  ne  sauriez  croire  les  heureux  effets  qui  ré- 
sulteront de  ce  mutuel  attachement,  pour  le  bien 
général  de  la  paroisse. 

Cependant  si,  pour  quelque  bonne  raison,  vous 
croyez  devoir,  sans  froisser  votre  curé,  vous  lier 
d'amitié  avec  quelque  confrère  du  voisinage,  faites- 
le,  mais  aux  trois  conditions  suivantes  :  1*"  qu'il 
sera,  ce  confrère,  en  fort  bons  termes  avec  votre 
curé  ;  car,  celui-ci,  s'il  y  avait  entre  eux  quelque 
froideur,  croirait  aisément  que  dans  vos  causeries 
amicales  vous  ne  l'épargnez  guère.  2""  Qu'il  ne 
sera  pas  trop  éloigné  de  votre  domicile  ;  car  si 
les  visites  étaient  fréquentes,  comme  elles  le  sont 
d'ordinaire  entre  amis  intimes,  ce  serait  une  perte 
de  temps  considérable.  3°  Qu'il  sera  un  saint 
prêtre  ou,  à  défaut  de  saint  prêtre,  le  meilleur 
entre  les  bons  parmi  ceux  de  la  contrée.  Autant  que 
possible,  attachez-vous  à  un  prêtre  plus  saint  que 
vous,  afm  qu'il  vous  attire  à  sa  sainteté. 

Quant  à  la  manière  de  traiter  avec  cet  ami, 
n'oubliez  pas  qu  elle  doit  être  telle  qu'il  en  résulte 
pour  vous  deux  un  profit  spirituel.  L'amitié,  qui 
n'est  qu'amitié,  c'est-à-dire  qui  se  borne  à  des  té- 
moignages d'attachement,  est  une  amitié  pure- 
ment humaine  que  Dieu  ne  Ijénit  point.  Soyez 
assez  libres  l'un  avec  l'autre  pour  parler  piété, 
pour  vous  donner  des  conseils,  pour  vous  avertir 
de  vos  défauts,  pour  vous  révéler  ce  qui  se  dit 
dans  le  monde  de  votre  conduite,  de  vos  habitudes, 
de  A'otre  ministère,  et  enfm  pour  concerter  en- 
semble les  moyens  de  travailler  avec  un  plein 
succès  à  sauver    des  âmes  et   à  vous    sanctifier 


—  AAl   — 

vous-mêmes.  Voilà  hi  seule  amitié  qui  doive  unir 
des  prêtres  :  toute  autre  est  iuutile  si  elle  n'est 
pas  dangereuse. 

XXVI.  —  Dangers  de  l'exemple  de  quelques  bous  prêtres 
sur  certains  points  particuliers. 

Tout  ne  doit  pas  être  imité  chez  les  bons  prê- 
tres :  faites  comme  Tabeille  qui  ne  prend  sur 
chaque  fleur  que  ce  qui  lui  convient.  Il  y  a  là  un 
piège  caché  dans  lequel  plusieurs  sont  tombés. 

Les  désordres  des  mauvais  prêires  ou  des  prêtres 
ouvertement  relâchés  révoltent  un  jeune  prêtre 
qui  veut  vivre  saintement;  mais  les  libertés  que 
s'accordent  certains  bons  prêtres  lui  semblent  lé- 
gitimes, par  cela  seul  que  ceux  qui  se  les  per- 
mettent méritent  son  estime  par  rcnsemble  de 
leur  conduite. 

On  voit,  par  exemple,  quelques  bons  prêtres, 
généralement  réputés  tels,  qui  font  à  peu  près 
tous  jours  ce  qu'on  appelle  leur  petite  partie  de 
jeu,  qui  ne  refusent  aucun  dîner,  qui  parlent  assez 
librement  du  prochain,  qui  ne  font  rien  d'extra- 
ordinaire en  fait  d'œuvres  de  zèle,  qui  visitent 
rarement  le  saint  Sacrement,  qui  font  une  action 
de  grâce  très-courte  après  la  sainte  messe,  etc., 
etc.  Ils  agissent  en  tout  cela  avec  une  certaine  bon- 
homie, une  certaine  rondeur  qui,  soutenue  d'une 
vie  d'ailleurs  édifiante,  fait  croire  tout  naturelle- 
ment à  déjeunes  prêtres  qu'ils  peuvent  s'accorder 
sans  danger  de  pareilles  licences.  Mais  malheu- 
reusement ils  reconnaissent  plus  tard,  et  trop  tard 
quelquefois,  qu'en  se  permettant  ces  choses,  ils 
vont  plus  loin  que  leurs  modèles  dans  la  voie  du 


—   448   — 

relâchement.  Que  do  bons  prêtres,  amateurs  modé- 
rés du  jeu,  en  ont,  sans  le  savoir,  développé  la 
passion  chez  de  jeunes  confrères  !  Nous  ne  disons 
rien  en  ceci  dont  nous  n'ayons  une  parfaite  connais- 
sance. Prenez  chez  ces  bons  prêtres  ce  qui  s'y  trouve 
de  réellement  bon,  et  rejetez  tout  le  reste.  Si  vous 
ne  faites  pas  ce  juste  discernement,  vous  serez  vic- 
time de  votre  imprudence. 

XXVII.  —  Fréquentations  suspectes  et  dangereuses. 

Quels  dangers  pour  les  ecclésiastiques  en  géné- 
ral dans  des  fréquentations  de  cette  nature  !  Quel 
scandale  quand,  dès  le  début  de  leur  sacerdoce,  de 
jeunes  prêtres  se  les  permettent  !  Compulsez  les 
annales  secrètes  d'un  conseil  épiscopal  quelconque, 
et  vous  verrez  quelle  large  place  y  occupent  les 
prêtres  imprudents  dont  nous  parlons  ! 

Citons  quelques  exemples.  Une  instituîrice  est 
jeune,  et  le  curé,  qui  est  sage,  la  voit  rarement  et 
avec  des  précautions  qui  éloignent  tout  danger. 
Mais  un  vicaire  novice,  que  son  étourderie  empê- 
che de  rien  voir,  fréquente  l'institutrice,  lui  donne 
des  conseils,  complète  son  éducation,  encourage 
ses  élèves,  leur  distribue  des  petites  récompenses 
et  s'attache  ainsi  la  maîtresse  et  les  enfants.  Il  a  de 
bonnes  intentions,  soit;  mais  le  monde,  qui  en  a 
de  mauvaises,  censure  ces  assiduités  imprudentes, 
AU  fond  desquelles  il  croit  découvrir  autre  chose 
que  des  services  rendus  et  les  empressements  du 
vrai  zèle.  Il  parle,  il  parle  encore,  et  la  réputation 
du  vicaire  est  compromise.  On  le  lui  fait  savoir  avec 
prudence  et  charité  ;  mais  il  regimbe  contre  Taiguil- 


—   440   — 

Ion,  et,  fort  de  sa  conscience,  il  tient  tête  à  l'orage 
et  en  devient  bientôt  la  triste  victime. 

Ainsi  en  est-il  d'autres  maisons  de  la  paroisse 
où  se  trouvent  de  jeunes  personnes  quelquefois 
connues  par  une  certaine  légèreté.  Le  démon  tou- 
jours aux  aguets,  se  fait  apôtre;  il  suggère  des 
motifs  de  zèle,  de  charité,  de  convenance,  et  notre 
jeune  prêtre,  mordant  à  cet  hameçon  perfide,  mul- 
tiplie ses  visites,  s'installe  comme  un  familier  dans 
cette  maison  où  le  public  est  choqué  de  le  rencon- 
trer à  toute  heure.  L'horizon  se  rembrunit,  le  ton- 
nerre gronde,  la  foudre  éclate  et  brise  l'imprudent 
qui  n'ouvre  les  yeux  que  quand  il  est  frappé. 

D'autres  s'abstiennent  de  rendre  des  visites,  mais 
ils  s'en  attirent.  Ce  sont  des  conseils  à  demander, 
des  embarras  de  conscience  à  éclaircir,  des  livres 
de  piété  à  emprunter  ;  toutes  choses  excellentes 
en  elles-mêmes,  mais  qui  bientôt  ne  sont  plus 
que  des  prétextes.  Dans  le  presbytère  et  hors  du 
presbytère,  on  n'avait  rien  dit  de  la  première  entre- 
vue, rien  peut-être  encore  de  la  seconde,  peu  de 
chose  de  la  troisième;  mais  voyant  que  l'habitude 
se  forme,  on  glose,  on  critique,  on  raille  et  Ton 
finit  par  prononcer  le  mot  scandale.  Dès  lors,  plus 
d'estime,  plus  de  confiance  ;  la  plus  belle  fleur  de 
la  couronne  sacerdotale  est  tombée,  et  jamais  on 
ne  l'y  rattachera,  du  moins  avec  son  premier  lustre. 

Attention  à  ceci,  jeune  et  tendre  ami  !  Nous  n'ai- 
mons pas  les  scrupuleux  ;  mais,  sur  ce  point , 
nous  vous  permettons  ,  nous  vous  supplions  de 
l'être.  Priez  votre  curé,  priez  vos  collègues,  priez 
tous  ceux  qui  s'intéressent  à  vous  de  vous  avertir 
aussitôt  qu'ils  entendront  dire  un  mot  qui  effleurera 


—  450   — 

tant  soit  peu  votre  réputation  ;  et  dès  gue  ce  mot 
frappera  vos  oreilles,  rompez  toute  liaison,  suppri- 
mez toute  visite,  imposez  silence  à  vos  censeurs,  et 
raffermissez-vous  dans  l'estime  publique  qu'une 
imprudence  de  plus  allait  vous  r^vir. 

XXVIÎI.  —  Signes  certains  de  relâchement  chez  un  prêtre. 

Peut-être  ne  sera-t-il  pas  inutile,  en  terminant 
notre  travail,  dindiquer  avec  précision  les  traits 
sympîomatiques  et  caractéristiques  du  relâche- 
ment des  prêtres.  Ce  sera  comme  le  résumé  suc- 
sinct  de  bien  des  choses  que  nous  avons  dites  avec 
détail  dans  le  corps  de  cet  ouvrage,  et  nous  espé- 
rons que  plusieurs  de  nos  jeunes  collègues,  voyant 
nettement  à  l'entrée  de  leur  périlleuse  carrière  ce 
qui  annonce  la  tiédeur,  veilleront  avec  soin  pour 
ne  pas  se  briser  contre  cet  écueil. 

Voici,  selon  nous,  les  vrais  signes  du  relâche- 
ment chez  un  prêtre. 

1.  —  Se  dégoûter  du  règlement  de  vie  qu'on 
sétait  imposé  avant  de  quitter  le  séminaire  ;  — 
cesser  de  pratiquer  plusieurs  points  de  ce  règle- 
ment; —  et  quant  à  ceux  que  Ton  pratique  en- 
core, les  omettre  souvent  sans  motif  légitime,  et 
n'observer  presque  aucun  ordre  dans  la  distribu- 
tion journalière  des  exercices  spirituels,  de  l'étude 
et  des  œuvres  du  ministère,  faisant  tout  cela  sans 
autre  règle  que  le  caprice,  rinclination  naturelle 
et  l'inspiration  du  moment. 

2.  —  Abréger  notablement  son  oraison;  —  ne 
s'occuper  ni  de  la  préparation  éloignée,  ni  de  la 
préparation  prochaine;  —  ne  se  proposer  aucun 


—   4ol    — 

but  précis  dans  sa  méditation,  la  faisant  unique- 
ment pour  pouvoir  se  dire  qu'on  l'a  faite  ;  —  l'o- 
mettrc  de  temps  on  temps  sans  cause  suffisante 
ou,   cà  plus  forte  raison,  y  renoncer  entièrement. 

3.  —  S'abstenir  de  dire  la  sainte  messe  par 
làclieté  ou  sans  motif  assez  grave  ;  —  n'éprouver 
ni  peine  ni  regret  de  cette  abstention  ;  —  passer 
d'une  pieuse  lenteur  avec  laquelle  on  célébrait 
dans  le  principe,  à  une  précipitation  notable  ;  — 
être  forcé  de  s'avouer  à  soi-même  que  cette  pré- 
cipitation n'a  pour  cause  que  la  routine  et  le  désir 
de  terminer  cette  sainte  action  le  plus  vite  possible; 

—  tronquer  plusieurs  cérémonies,  supprimer  les 
inclinations,  faire  des  signes  de  croix  qui  n'en  sont 
point,  etc.;  —  ne  donner  presque  aucun  temps  à 
la  préparation  et  à  l'action  de  grâce;  —  omettre 
cette  dernière  pour  la  moindre  cause  et  la  rem- 
placer par  des  conversations  frivoles  et  prolongées 
à  la  sacristie,  qui  annoncent  qu'on  ne  pense  seule- 
ment pas  au  divin  mystère  qu'on  vient  de  célébrer; 

—  savoir  qu'on  n'est  pas  scrupuleux,  et  monter  à 
lautel  avec  une  conscience  embarrassée  ou  même 
positivement  douteuse,  reprenant  sou  calme  ha- 
bituel après  la  célébration;  —  différer  d'acquitter 
dos  messes  promises,  au-delà  du  délai  fixé  ;  —  ne 
pas  tenir  un  registre  en  règle  indiquant  les  messes 
dont  on  s'est  chargé  et  celles  qu'on  a  dites,  ce  qui 
annonce  une  habitude  de  désordre  sur  une  foule 
d'autres  points,  moins  importants  peut-être,  mais 
qui  pourtant  le  sont  encore  beaucoup. 

4.  —  Dire  le  saint  Office  tout  machinalement  et 
sans  aucune  intention  bien  arrêtée  ;  —  le  com- 
mencer sans  s'y  être  convenablement  préparé  ;  — 


—  ^52  — 

le  réciter  avec  toute  la  célérité  dont  on  est  capable, 
en  aspirant  comme  en  respirant,  ne  prononçant 
point  distinctement  et  estropiant  plusieurs  mots  ; 
—  ne  faire  aucun  efTort  pour  se  rappeler  la  pré- 
sence de  Dieu  pendant  cette  récitation,  agissant 
en  quelque  sorte  comme  une  mécanique  que  la 
vapeur  met  en  jeu,  et  qui  fonctionne  sans  savoir 
ce  qu'elle  fait  jusqu'à  ce  que  la  force  motrice  soit 
épuisée  ;  —  s'acquitter  de  cette  sainte  action  dans 
des  lieux  de  dissipation  quand  on  pourrait  faire 
autrement  ;  —  dire,  sans  nécessité,  son  bréviaire 
dans  une  posture  nonchalante  et  même  dans  son 
lit,  disposé  à  dissimuler  promptement  cette  non- 
chalance s'il  se  présentait  tout  à  coup  une  personne 
quelconque  ;  ce  qui  prouve  qu'on  craint  plus  les 
hommes  que  Dieu;  —  remettre,  sans  motifs,  ses 
petites  Heures  après  midi  et  renvoyer  presque  tout 
son  Office  à  la  fm  du  iour,  s'exDosant  à  le  réciter 
alors  avec  plus  de  promptitude  encore,  de  fatigue, 
d'ennui  et  de  distractions  que  de  coutume  ;  —  en- 
fin, faire  tout  ce  que  nous  venons  de  dire  habi- 
tuellement, sans  scrupule,  ne  s'en  confessant  même 
point  ou  ne  s'en  confessant  que  par  manière  d'ac- 
quit et  sans  prendre  aucun  moyen  de  se  corriger. 

5.  —  Ne  rentrer  presque  jamais  en  soi-même 
par  des  examens  de  conscience  qu'on  faisait  ré- 
gulièrement tous  les  jours,  quand  on  était  fervent, 
et  auxquels  on  n'attache  plus  aucune  importance. 

6.  —  Renoncer  à  la  lecture  spirituelle  ou  la  faire 
très-rarement,  sans  goût,  sans  onction  et  même 
avec  ennui  et  seulement  pendant  quelques  instants. 

7.  —  Ne  plus  faire  de  visites  au  saint  Sacrement  ; 
—  renvoyer   l'inspiration  qu'on  a  de    temps  en 


—  453  — 

temps  de  rcpreiitlre  ccUe  excellente  pratique  ;  — 
sentir  même  pour  elle  une  sorte  de  répulsion,  et 
si,  par  liasiird,  on  vient  deux  ou  trois  fois  par  mois 
au  pied  de  l'autel,  s'y  ennuyer,  balbutier  quelques 
froides  prières  et  se  reîirerpromptement  sans  avoir 
dit  un  seul  mot  tendre  et  affectueux  à  Jésus. 

8 .  —  Remplacer  la  confession  hebdomadaire  par 
des  confessions  de  trois  semaines  ou  même  plus  ; 
—  confesser  toujours  les  trois  ou  quatre  mémea 
fautes  dont,  en  conscience,  on  sait  bien  qu  on  ne 
se  repent  pas  ;  —  ne  rien  dire  de  ce  qu'il  serait  le 
plus  imporlant  de  déclarer,  n'en  ayant  pas  même 
la  pensée,  faute  d'examen  suffisant  et  de  vig^ilance 
habituelle;  — n'aller  jamais  à  la  racine  du  mal,  se 
contentant  de  confesser  quelques  banalités  à  la  suite 
desquelles  on  reçoit  des  absolutions  qui  n'apportent 
absolument  aucun  changement  dans  le  train  de  vie 
ordinaire;  —  quitter  son  confesseur  parce  qu'on  le 
trouve  trop  ferme  sur  certains  points  qu'il  a  raison 
d'exiger,  et  le  remplacer  par  un  confesseur  routi- 
nier et  sans  zèle  pour  le  progrès  spirituel  de  ses 
pénitents,  lequel  se  borne  à  des  généralités  vagues 
dans  ses  exhortations,  comme  on  s'y  borne  soi- 
même  dans  les  accusations  qu'on  lui  fait. 

1).  —  Administrer  les  sacrements  sans  se  rap- 
peler jamais  qu'ils  sont  ce  qu'il  y  a  de  plus  saint 
dans  l'Kglise;  —  ne  faire  presque  aucune  prépa- 
ration avant  de  les  conférer;  —  réciter  les  prières 
assignées  par  le  rituel  pour  chaque  sacrement, 
sans  piété,  sans  dignité,  sans  attention  et  avec 
toute  la  promptitude  possible. 

10.  —  Se  dégoûter  du  ministère  de  la  confes- 
sion qu'on  aimait  tant  à  remplir  quand    on  était 


fervent  ;  —  murmurer  quand  on  est  appelé  au 
saint  tribunal  ;  —  recevoir  froidement  les  péni- 
tents, comme  si  on  voulait  leur  faire  sentir  que 
leurs  confessions  sont  trop  fréquentes  ;  —  crier 
contre  les  dévotes,  les  tourner  en  ridicule,  criti- 
quer leur  dévotion  au  lieu  de  T  éclairer  et  de  la 
dirig-er,  et  les  éloigner  des  sacrements  au  lieu  de 
s'appliquer  avec  zèle  et  piété  à  les  rendre  dignes 
de  les  recevoir  fréquemment  ;  —  trouver  toujours 
quelque  excuse  pour  se  dispenser  de  confesser, 
malgré  les  sourdes  réclamations  de  la  conscience 
qui  fait  sentir  que  ces  excuses  sont  pitoyables  ;  — 
précipiter  les  confessions,  supprimant  les  inter- 
rogations, coupant  sèchement  la  parole  aux  pé- 
nitents dès  qu'ils  disent  un  mot  de  trop,  faisant 
voir  qu'on  exerce  ce  ministère  avec  répugnance  ; 
ce  qui  étant  bientôt  connu  dans  la  paroisse,  retarde 
la  conversion  de  plusieurs  pécheurs  qui  iraient  vo- 
lontiers trouver  leur  bon  pasteur  pour  se  confesser, 
s'ils  savaient  qu'ils  le  combleront  de  joie  par  une 
telle  démarche  ;  —  eafm,  être  forcé  de  se  dire  à 
soi-même  que  le  temps  qu'on  dérobe  à  ce  minis- 
tère si  important,  est  absorbé  par  des  oceupaiions 
beaucoup  moins  utiles  et  souvent  même  par  des 
frivolités  indignes  du  sacerdoce. 

11.  —  Se  tenir  à  l'église  avec  nonchalance  et 
légèreté,  ne  donnant  presque  aucune  marque  ex- 
térieure de  vraie  piété,  faisant  les  offices  avec 
promptitude ,  sans  gravité  ni  modestie ,  plutôt 
comme  un  ouvrier  insouciant  qui  se  hâte  de  faire 
sa  besogne,  que  comme  le  ministre  de  Jésus- 
Christ  qui  remplit  sous  ses  yeux  des  fonctions 
éminem-aent  saintes. 


—  4oo   — 

[2.  —  Nèire  nullement  choqué  de  la  saleté  de 
l'église  qui  fait  peine  à  tout  le  monde,  ni  de  la 
malpropreté  des  ornements  dont  on  se  sert,  des 
pales,  des  corporaux,  etc.,  ni  du  désordre  de  la 
sacristie  où  rien  n'est  à  sa  place  et  où  tout  annonce 
un  homme  négligent  et  sans  esprit  de  foi. 

13.  —  Ne  rien  faire  positivement  pour  Dieu, 
mais  faire  tout  lâchement,  froidement  et  par  pure 
routine,  n'ayant  pas  pendant  le  jour  une  seule 
intention  pieuse,  précise  et  bien  déterminée. 

14.  —  Parler  plus  que  légèrement  du  prochain; 
—  révéler  ses  défauts,  les  exagérer  même,  et  cela 
devant  des  laïques  qui  quelquefois  ne  voudraient 
pas  se  permettre  de  telles  licences. 

15.  —  Rompre  avec  certaines  personnes  dont 
on  croit  avoir  à  se  plaindre  ;  —  éviter  leur  ren- 
contre et  perpétuer  des  divisions  auxquelles  la 
charité  prescrit  de  mettre  un  terme,  sans  se  faire 
le  moindre  scrupule  d'une  telle  conduite. 

16.  —  Blesser  à  chaque  instant  ceux-ci  ou  ceux- 
là  par  des  vivacités,  des  réprimandes  amères,  des 
discussions  passionnées  et  des  paroles  humiliantes 
qui  aigrissent  les  cœurs  et  donnent  du  scandale. 

17.  — Censurer  les  supérieurs;  —  critiquer  les 
actes  de  leur  administration;  —  contrôler  toutes 
les  nominations  qu'ils  font;  —  violer  les  statuts 
diocésains,  et  s'affranchir  à  chaque  instant  du 
respect  du  à  l'Autoriié,  ne  voulant  jamais  voir  de 
fautes  graves  dans  une  telle  conduite. 

18.  —  Abandonner  les  pécheurs  à  eux-mêmes, 
ne  faisant  rien  de  spécial  pour  les  convertir  et 
n'ayant  pas  l'air  de  s'inquiéter  de  leur  salut,  les 
prenant  quand  ils  viennent  et,   m*' me  alors,  les 


«=-   456   — 

recevant  avec  indifférence  et  froideur  sans  témoi- 
gner qu'on  est  content  de  les  voir  revenir  à  Dieu. 

19.  —  Vivre  en  paix  dans  des  paroisses  divisées 
sans  rien  faire  pour  détruire  ces  divisions,  dont 
on  est  peut-être  la  première  cause  ;  —  s'aliéner  de 
plus  en  plus  ceux  qu'on  a  froissés,  par  des  paroles 
imprudentes  qui  leur  sont  rapportées  et  par  les 
reproches  virulents  dont  on  les  accable. 

20.  —  Renoncer  à  la  prédication  pendant  un 
temps  notable  ;  —  laisser  les  paroissiens  dans  l'i- 
gnorance de  la  religion,  ne  leur  faisant  jamais 
d'instructions  suivies   sur  la  doctrine  chrétienne. 

21.  —  Enchaîner  les  pénitents  à  son  confes- 
sionnal par  esprit  de  jalousie  ;  —  leur  faire  savoir 
directement  ou  indirectement  qu'on  sera  choqué 
si  on  les  voit  s'adresser  à  d'autres  confesseurs  ; 
—  traiter  froidement  ces  confesseurs,  et  s'exposer 
à  ce  qu'ils  refusent  des  pénitents  qui  ne  les  vien- 
nent trouver  que  pour  confesser  des  péchés  qu'ils 
n'osent  pas  dire  à  leur  confesseur  ordinaire,  et 
pour  sortir  de  l'état  du  sacrilège  dans  lequel  ils 
vivent  depuis  plusieurs  années. 

22.  —  Négliger  ses  malades;  —  murmurer 
quand  on  est  appelé  auprès  d'eux  ;  —  les  admi- 
nistrer le  plus  Aâte  possible,  non  pas  par  la  crainte 
d'une  surprise,  mais  pour  s'en  débarrasser  comme 
d'un  fardeau  pénible  ;  —  ne  les  plus  voir  quand 
on  leur  a  donné  les  derniers  sacrements  et  s'at- 
tirer par  là  de  justes  reproches  de  la  part  des 
parents. 

23.  —  Se  familiariser  avec  la  chaire,  ou  plutôt 
la  profaner  par  des  trivialités,  des  paroles  pi- 
quantes, des  reproches  acerbes,  et  même  par  des 


personnalités  qui  provoquent  des  inimitiés  indcs* 
tructibles,  personnalités  dont  on  s'applaudit  au 
lieu  d'en  gémir. 

2\.  —  No  prendre  presque  auoun  soin  de  ses 
affaires  temporelles  ;  —  se  ruiner  sans  mérite  par 
des  dépenses  excessives  et  des  prodigalités  sans 
mesure  ;  —  compromettre  les  intérêts  d'autrui 
par  son  défaut  d'ordre,  et  s'exposer  à  laisser  après 
soi  une  espèce  de  chaos,  si  l'on  est  frappé  su- 
bitement d'un  coup  mortel. 

25.  —  Donner  un  mauvais  exemple  aux  peuples 
par  des  défauts  saillants  sur  lesquels  on  s'aveugle, 
par  des  absences  multipliées,  par  des  habitudes 
de  jeu,  de  festins,  de  visites  inutiles,  de  fréquen- 
tations imprudentes,  et,  en  un  mot,  par  l'ensemble 
d'une  vie  plutôt  mondaine  qu'ecclésiastique. 

26.  —  Ne  s'inquiéter  nullement  des  fautes  vé- 
nielles; —  les  commettre  de  sang-froid  et  sans 
aucun  trouble  de  conscience;  —  en  contracter  tel- 
lement l'habitude,  qu'on  en  vienne  aies  commettre 
tout  naturellement  et  souvent  même  sans  y  bien 
penser;  tout  cela  par  dissipation,  par  défaut  de 
vigilance  et  par  aveuglement  volontaire. 

27.  —  Ne  tenir  aucun  compte  des  grâces  inté- 
rieures :  lumières,  inspirations,  bons  mouvements, 
attrait  vers  le  bien,  salutaires  remords  ;  —  se  pri- 
ver de  ces  grâces  par  l'abus  qu'on  en  fait,  et  se 
trouver  réduit  à  un  état  de  sécheresse,  de  froideur 
et  d'insensibilité  envers  Dieu  que  rien  ne  peut 
changer. 

28.  —  Ne  pas  même  désirer  ce  changement,  se 
trouvant  fort  bien  comme  on  est,  menant  une  vie 
douce  et  commode,  exempte  de  soucis  et  d'inquié- 

n.  -^ 


—  458  — 

tudes,  et  croyant  que  tout  est  bien  parce  qu'on  ne 
se  voit  pas  coupable  d'un  péché  mortel  nettement 
caractérisé,  quoique  souvent  on  ne  soit  réellement 
plus  en  état  de  grâce  devant  Dieu. 

2U.  —  Incliner  toujours  à  croire,  dans  les  cas 
douteux,  que  ce  qu'on  va  dire  ou  faire  n'est  que 
véniel,  afin  d'agir  librement  ;  et  quand  on  a  agi, 
n'y  plus  penser  et  reprendre  aussitôt  son  assurance 
ordinaire. 

30.  —  S'abstenir  de  la  retraite  annuelle  ;  —  la 
regarder  comme  fatigante  et  inutile  ;  —  n'y  aller 
que  par  la  crainte  de  se  faire  mal  voir  des  su- 
périeurs ;  —  se  réjouir  quand  on  a  quelque  raison 
pour  s'en  dispenser,  et  n'en  tirer  aucun  fruit  quand 
on  y  assiste. 

31.  —  Regarder  la  perte  du  temps  comme  une 
chose  insignifiante  ;  —  ne  croire  jamais  que  cela 
puisse  constituer  une  faute  grave,  et  sur  ce  prin- 
cipe, employer  au  moins  la  moitié  des  jours  et 
souvent  des  jours  presque  entiers  en  choses 
inutiles. 

32.  —  Renoncer  à  l'étude  de  la  théologie  et  de 
l'Écriture  sainte,  laissant  passer  des  mois  entiers 
sans  ouvrir  un  seul  livre  qui  traite  de  ces  matières, 
et  remplaçant  ces  précieuses  lectures  par  des  lec- 
tures profanes  et  d'interminables  visites. 

33.  —  Être  rempli  de  défauts  et  ne  rien  faire 
pour  s'en  corriger  ;  —  recevoir  mal  les  avis  des 
personnes  charitables  qui  les  font  remarquer  ;  — 
discuter  avec  ces  personnes  pour  leur  prouver 
qu'elles  se  trompent,  et  s'entretenir  ainsi  dans  un 
endurcissement  spirituel  moralement  irrémédiable. 

34.  —  Pécher   à   chaque    instant  par  orgueil, 


—  459   — 

rapportant  tout  à  soi-même  et  ne  cherchant  que 
sa  propre  gloire,  même  dans  les  fonctions  les  plus 
saintes. 

35.  —  Aimer  la  bonne  chère  et  tout  ce  qui 
flatte  la  sensualité  ;  —  passer  à  table  un  temps 
considérable  ;  —  violer  la  tempérance  et  la  so- 
briété, se  permettant  sans  scrupule,  en  cette  ma- 
tière ,  tout  ce  qui  ne  va  pas  jusqu'à  des  excès 
notables  et  scandaleux. 

36.  —  Rechercher  le  monde  ;  —  se  plaire  dans 
ses  compagnies  ;  —  trouver  trop  court  le  temps 
qu'on  y  passe  ;  —  s'y  permettre  des  légèretés  peu 
séantes,  une  gaieté  excessive  et  des  expressions 
triviales  ;  —  faire  parade  de  son  esprit,  de  ses  con- 
naissances, et  viser  à  se  rendre  agréable  aux 
mondains ,  en  se  rapprochant  d'eux  par  une 
conduite  semblable  à  la  leur. 

37.  —  Se  livrer  à  des  occupations  qui  ravalent 
le  sacerdoce  ;  —  se  faire  cultivateur,  vendeur  et 
acheteur  des  bestiaux,  médecin,  chirurgien,  etc., 
se  persuadant  que  tout  cela  est  innocent  et  ne  te- 
nant pas  compte  des  injonctions  de  l'évèque  qui 
défend  ces  choses. 

38.  —  Aimer  l'argent  pour  l'argent  et  non  pour 
l'employer  en  bonnes  œuvres  ou  au  soulagement 
des  pauvres  ;  —  mettre  de  côti'^  son  superflu  et  en 
augmenter  la  masse  tous  les  jours  ;  —  s'imposer 
des  privations,  non  par  mortification,  mais  par 
lésinerie  et  esprit  d'intérêt;  —  ne  faire  aucune  dé- 
pense pour  tenir  son  église  dans  un  état  décent  ou 
pour  se  procurer  des  linges  d'autel  et  des  orne- 
ments convenables. 

39.  —  Braver  l'opinion  publique  qui  censure 


—  460  — 

certaines  fréquentations  qu'on  devrait  s'interdire  ; 

—  perdre  reetime  de  la  paroisse  en  s'obstinant  à 
visitej  ou  à  recevoir  des  personnes  connues  par  la 
légèreté  de  leur  conduite. 

Tels  sont,  ce  nous  semble,  les  signes  ordinaires 
de  la  tiédeur  et  du  relâchement  chez  les  prêtres. 
Ajoutons  seulement  les  caractères  suivants,  qui 
conviennent  plus  particulièrement  aux  prêtres 
récemment  ordonnés, 

40.  —  Être  mal  avec  son  curé,  dès  les  premiers 
jours  ;  —  lui  montrer  de  la  froideur  ;  —  recevoir 
ses  observations  et  ses  avis  avec  hauteur  et  dédain; 

—  lui  dire  positivement  qu'on  ne  fera  point  telle 
ou  telle  chose  qu'il  demande  ;  —  le  mécontenter 
enfin  et  même  le  scandaliser  par  une  conduite  à 
laquelle  il  était  loin  de  s'attendre  de  la  part  d'un 
jeune  homme  sortant  du  séminaire. 

41.  —  Se  dégoûter  de  très-bonne  heure  de  la 
vie  paisible  du  presbytère  ;  —  prendre  son  vol  vers 
les  paroisses  voisines  ;  —  se  lier  avec  quelque 
jeune  prêtre  fort  peu  fervent  ;  —  s'absenter  sou- 
vent sans  en  prévenir  son  curé  et  sachant  bien 
que  ces  absences  lui  déplaisent. 

42.  —  Mettre  son  règlement  et  même  tout  règle- 
ment de  côté  au  bout  de  quelques  semaines,  vivant 
sans  ordre,  n'aimant  plus  sa  chambre,  n'allant 
guère  à  l'église  que  par  nécessité,  et  omettant 
déjà,  sans  se  le  reprocher,  plusieurs  exercices  de 
piété  qu'on  s'était  promis  d'observer  fidèlement 
tous  les  jours. 

43.  —  Se  répandre  beaucoup  trop  dans  la  pa- 
roisse ;  —  rechercher  par  vanité  l'estime  et  les 
louantes  dea  paroissiens  ;  —  s'enorgueillir  du  bon 


—  A(n  — 

accueil  qu'on  eu  reçoit  ;  —  froisser  son  curé  par 
(les  visites  qu'on  ne  devrait  pas  faire  sans  le  con- 
sulter ;  —  se  montrer  très-gracieux  et  très-aimable 
dans  certaines  maisons  où  l'on  sait  bien  que  le 
curé  n'est  pas  goûté. 

-4  4.  —  Désirer  un  grand  nombre  de  pénitents 
plutôt  par  vaine  gloire  que  par  zèle  ;  —  faire  éta- 
lage devant  ses  confrères  de  sa  nombreuse  clien- 
tèle; —  recevoir  sans  difficulté  tous  les  pénitents 
qui  se  présentent,  sans  s'assurer  s'ils  ont  réelle- 
ment des  raisons  suffisamment  graves  pour  changer 
de  confesseur. 

45.  —  Se  glorifier  du  talent  qu'on  croit  avoir 
pour  la  prédication  ;  —  n'estimer  que  cette  branche 
du  ministère  et  négliger  les  autres  ;  —  prêcher  de 
tous  côtés  dans  les  paroisses  voisines,  sachant  bien 
qu'on  fait  peine  à  son  curé  par  les  fréquentes  ab- 
sences que  nécessitent  ces  prédications,  —  se 
croire  capable  de  prêcher  d'abondance  parce  qu'on 
parle  avec  une  certaine  facilité;  —  monter  en  chaire 
et  catéchiser  sans  préparation  et  par  conséquent 
sans  fruit,  oubliant  que  la  parole  de  Dieu  est  sacrée 
et  doit  être  traitée  avec  un  souverain  respect. 

46.  —  Enfin,  renoncer  à  l'étude  et  se  dégoûter 
des  livres  sérieux  ;  —  se  faire  une  routine  pour 
l'administration  du  sacrement  de  pénitence,  dé- 
daignant de  revoir  au  moins  la  théologie  morale, 
pour  s'assurer  si  les  décisions  qu'on  donne  sont 
conformes  aux  vrais  principes. 

Nous  ne  croyons  pas  pouvoir  entrer  dans  des 
détails  plus  précis  pour  éclairer  nos  jeunes   lec- 
teurs. Si  malheureusement  ils  viennent  à  se  re- 
connaître plus  tard  dans  le  miroir  placé  en  ce 
11.  27. 


—  46:2   — 

raoïfteat  sous  Leurs  yeux,  nous  les  conjurons,  dans 
les  plus  ciiers  intérêts  de  leurs  âmes  et  de  leur 
ministère,  de  remédier  au  mal  dès  qu'ils  le  ver- 
ront se  produire  ;  car  s'il  est  un  fait  démontré  par 
l'expérience  de  tous  les  temps  et  de  tous  les  lieux, 
c'est  qu'un  prêtre  qui  a  contracté  l'habitude  du 
relâchement,  ne  revient  presque  jamais  à  l'heureux 
état  de  la  ferveur. 

Du  reste,  n'oublions  pas  que  la  réunion  de  tous 
les  signes  de  la  tiédeur  que  nous  venons  d'indi- 
quer, n'est  nullement  nécessaire  pour  qu'on  puisse 
être  taxé  de  relâchement.  Un  prêtre  peut  être  réel- 
lement tiède,  quoique  quelques-uns  de  nos  carac- 
tères ne  lui  conviennent  point. 

Il  nous  semble  que  la  lecture  de  ce  qui  vient 
d'être  dit  pourrait  être  très-utile  quand  on  se  dis- 
pose à  aller  à  confesse.  C'est  un  examen  de  con- 
science tout  préparé,  qui  vaudrait  probablement 
mieux  que  celui  qu'on  fait  quand  on  commence  à 
subir  les  funestes  influences  de  la  routine. 


CONCLUSION 


Arrêtons-nous,  jeunes  élèves,  et  interrogeons- 
nous  sérieusement  devant  Dieu  pour  savoir  quels 
fruits  nous  nous  proposons  de  tirer  de  la  lecture 
de  ce  volume.  Quelque  imparfait  qu'il  soit,  il  est 
impossible,  si  nous  l'avons  médité  pieusement  dans 
toutes  ses  parties,  que  cette  méditation  ne  nous  ait 
pas  révélé  nos  infirmités  spirituelles  et  inspiré  le 
désir  d'en  obtenir  la  guérison.  Allez-vous  accueillir 


—  463  — 

cette  inspiration  comme  la  voix  même  de  Dieu, 
qui  ne  la  fait  entendre  à  vos  âmes  que  pour  vous 
éclairer,  vous  encourager,  vous  sanctifier  et  vous 
rendre  dignes  de  l'auguste  profession  que  vous  vou- 
lez embrasser?  Profession  sublime  et  plus  qu'an- 
gélique,  puisque  qu'elle  est  réellement  divine  dans 
toute  la  rigueur  de  l'expression  :  Dcifica  profcssiOj 
comme  l'appellent  les  saints. 

Vous  avez  vu  ou  du  moins  vous  avez  du  voir  si 
vous  êtes  —  ou  de  mauvais  séminaristes,  —  ou 
des  séminaristes  tièdes,  —  ou  de  bons  séminaristes 
ordinaires,  —  ou  des  séminaristes  fervents  et  ani- 
més d'un  vrai  zèle  pour  la  perfection. 

Vous  avez  du  voir  les  défauts  auxquels  vous  êtes 
sujets;  nous  vous  en  avons  tracé  les  caractères , 
signalé  les  effets  et  indiqué  les  remèdes. 

Enfin  ,  nous  vous  avons  proposé  les  règles  de 
conduite  que  vous  avez  à  suivre,  dès  l'entrée  de  votre 
carrière,  si  vous  voulez  être  de  saints  prêtres  et 
sauver  des  milliers  d'âmes  avec  la  certitude  de  sau- 
ver la  vôtre. 

Comme  fruit  de  ces  divers  enseignements,  recueil- 
lez, chers  élèves,  les  sentences  suivantes;  gravez- 
les  en  gros  caractères  et  placez -les  dans  un  endroit 
apparent  de  votre  cellule,  et  même  dans  ceux  de 
vos  livres  que  vous  avez  le  plus  souvent  entre  vos 
mains. 

Première  sentence.  —  Je  ne  serai  jamais  aussi 
saint  qu'il  le  faudrait  être  pour  remplir  dignement 
les  imposantes  fonctions  du  sacerdoce. 

Deuxième  sentence.  —  La  gloire  de  Dieu,  l'hon- 
neur de  l'Eglise,  l'édification  du  prochain,  la  con- 


—  464  — 

version  des  pécheurs,  la  sanctification  des  justes  : 
tout  sera  infailliblement  en  rapport  direct  avec  mon 
degré  de  ferveur  et  de  sainteté. 

Troisième  sentence. — Le  salut  de  bien  des  âmes 
est  attaché  à  ma  perfection.  Dans  les  desseins  de 
Dieu,  plusieurs  seront  sauvées  si  je  les  conduis  au 
ciel  par  ma  sainteté;  et  elles  seront  damnées  si, 
ne  les  poursuivant  pas  avec  le  zèle  du  saint  prêtre, 
je  les  abandonne  à  leur  propre  faiblesse. 

Quatrième  sentence.  —  Si  je  n'acquiers  pas  dans 
le  séminaire  une  perfection  éminente  et  solide, 
jamais  je  ne  l'acquerrai  quand  je  serai  prêtre  ;  au 
lieu  de  monter  vers  la  sainteté,  je  descendrai  cha- 
que jour  vers  la  tiédeur,  et  de  là  dans  des  préci- 
pices dont  la  simple  pensée  fait  frémir. 

Cinquième  sentence.  —  Les  seuls  prêtres  qui  se 
perfectionnent  en  avançant  en  âge,  sont  ceux  qui 
étaient  déjà  en  voie  de  perfoction  quand  ils  étaient 
séminaristes.  Ceux  qui  n'étaient  pas  dans  cette 
voie  se  partagent  en  deux  classes  :  les  uns  restent 
stationnaires  dans  leurs  imperfections  ;  c'est  le  très- 
petit  nombre  :  tous  les  autres  se  relâchent  et  de- 
viennent ou  des  "prêtres  tiècles  ou  de  mauvais 
prêtres. 

Sixième  sentence.  —  Si  je  pactise  sciemment 
avec  un  défaut,  quelque  léger  qu'il  soit,  je  renonce 
par  là  même  à  la  perfection  ;  si,  par  une  lâcheté 
habituelle  et  volontaire ,  je  restreins  l'exercice 
d'une  vertu  quelconque,  je  suis  hors  des  voies  de 
la  perfection  ;    si,  pour  m'épargner,   je  repousse 


—  405   — 

fréquemment,  et  avec  réflexion  les  inspirations 
que  Dieu  m'envoie  d'éviter  ceci  ou  de  pratiquer 
cela,  j'abdique  la  perfection. 

Septième  sentence.  —  Une  fois  devenu  prêtre,  si 
je  tombe  et  si  je  me  fixe  dans  la  tiédeur  et  le  relâ- 
chement, je  n'en  sortirai  point;  ou  si  j'en  sors, 
ce  sera  pour  aller  plus  loin  dans  le  mal  et  non 
pour  revenir  à  la  perfection. 

Ces  sentences,  dont  la  vérité  est  confirmée  par 
une  expérience  constante  et  invariable,  ne  doivent- 
elles  pas,  jeunes  amis,  vous  faire  voguer  à  pleines 
voiles  vers  la  sainteté  sacerdotale  que  Dieu  vous 
commande  ? 

Pour  vous  y  déterminer  mieux  encore,  méditez 
ces  excellentes  paroles  du  P.  de  la  Colombière 
dans  sa  Retraite  spirituelle  ;  ouvrage  excellent  qui, 
dans  sa  brièveté,  renferme,  selon  nous,  des  tré- 
sors du  plus  haut  prix  :  «  Nous  avons,  dit-il,  une 
»  grande  obligation  à  être  parfaits,  parce  que 
»  dans  un  homme  qui  prêche  la  vertu  et  qui  en 
»  fait  profession,  les  imperfections  nuisent  plus 
))  au  prochain  que  sa  vertu  ne  lui  est  utile  ;  elles 
»  donnent  occasion  de  croire  qu'il  n'y  a  point  de 
»  véritable  sainteté  ;  que  c'est  quelque  chose  d'im- 
»  possible  que  la  perfection,  que  ce  n'est  qu'illu- 
»  sion  et  grimace.  Si  les  imperfections  ne  donnent 
»  pas  ces  pensées,  elles  persuadent  aux  lâches 
»  qu'on  peut  les  avoir  et  être  saint  tout  ensemble. 
»  C'est  assez  pour  endormir  un  imparfait  et  pour 
i)  nourrir  en  son  cœur  une  passion  qui  le  flatte  et 
»  qu'il  aime,  d'en  avoir  remarqué  quelque  ombre 


—   466  — 

»  en  celui  qui  a  la  réputation  d'homme  de  bien  ; 
))  il  se  croit  autorisé  par  là  à  continuer  de  con- 
»  tenter  son  amour-propre,  et  croit  qu'il  n'en  sera 
w  pas  moins  saint  pour  cela.   » 

Élargissons  nos  vues,  jeunes  élèves  ;  nous  som- 
mes moins  que  personne  les  hommes  du  temps  ; 
réternité  seule  et  tout  ce  qu'elle  embrasse  doit 
occuper  nos  esprits  et  influencer  nos  actes.  A 
propos  de  cette  éternité,  dans  les  gouffres  de  la- 
quelle nous  serons  bientôt  engloutis,  laissez-nous 
reproduire  ici  les  réflexions  saintement  éloquentes 
du  pieux  auteur  que  nous  venons  de  citer. 

«  Pensant  à  Téternité  de  Dieu,  dit-il,  je  me  la 
»  suis  représentée  comme  un  rocher  immobile  sur 
»  le  bord  d'un  fleuve  d'où  le  Seigneur  voit  passer 
»  toutes  les  créatures  sans  se  remuer,  et  sans 
»  quil  passe  jamais  lui-même.  Tous  les  hommes 
»  qui  s'attachent  aux  choses  créées  m'ont  paru 
»  comme  des  gens  qui,  étant  entraînés  par  le  cou- 
»  rant  de  Teau,  s'attacheraient  les  uns  à  une 
j)  planche,  les  autres  à  un  tronc  d'arbre,  les  autres 
»  à  des  amas  d'écume  qu'ils  prendraient  pour 
»  quelque  chose  de  solide.  Tout  cela  est  emporté 
»  par  le  torrent  ;  les  amis  meurent,  la  santé  se 
))  consume,  la  vie  passe,  on  arrive  jusqu'à  l'éter- 
»  nité,  porté  sur  ces  appuis  passagers  comme  à 
»  une  grande  mer  où  l'on  ne  peut  s'empêcher  d'en- 
»  trer  et  de  se  perdre.  On  aperçoit  alors  combien 
»  on  a  été  imprudent  de  ne  s'attacher  pas  au  ro- 
»  cher,  à  l'Éternel  ;  on  voudrait  revenir,  mais  les 
»  flots  ont  emporté  trop  loin,  on  ne  peut  plus  re- 
»  venir  et  l'on  périt  nécessairement  avec  les  choses 
»  périssables.  Au  lieu  qu'un  homme  qui  s'attache 


—    4t)7    — 

à  Dieu  voit  sans  crainte  le  péril  et  la  perte  de 
tous  les  autres  ;  quoi  qu'il  arrive,  quelque  révo- 
lution qu'il  se  fasse,  il  se  trouve  toujours  sur 
son  rocher.  Dieu  ne  lui  saurait  échapper  ;  il  n'a 
embrassé  que  lui,  il  s'en  trouve  toujours  saisi  ; 
l'adversité  ne  fait  que  lui  donner  lieu  de  se  ré- 
jouir du  bon  choix  qu'il  a  fait.  11  possède  tou- 
jours son  Dieu  ;  la  mort  de  ses  parents,  de  ses 
amis,  de  ceux  qui  l'estiment  et  le  favorisent, 
l'éloignement,  le  changement  d'emplois  ou  de 
lieu,  l'âge,  la  maladie,  la  mort  elle-même  ne 
lui  ôtent  rien  de  son  Dieu.  Il  est  toujours  éga- 
lement content,  disant  en  la  paix  et  en  la  joie  de 
son  âme  :  Mihi  adhœrcre  Dco  bonum  est,  ponere 
iti  Domino  meo  spein  meam. 
»  Cette  considération  m'a  beaucoup  touché  ;  il 
me  semble  que  j'ai  compris  cette  vérité,  et  que 
Dieu  m'a  fait  la  grâce  d'en  être  persuadé  d'une 
certaine  manière  qui  me  donne  un  grand  cou- 
rage et  une  grande  facilité  à  me  détacher  de  tout 
et  à  ne  chercher  que  Dieu  en  toute  ma  vie,  par 
toutes  les  voies  auxquelles  il  lui  plaira  de  m'en- 
gager,  ne  témoignant  jamais  aucune  inclination 
ni  aucune  répugnance,  recevant  aveuglément 
tous  les  emplois  que  mes  supérieurs  me  pres- 
criront ;  et  s'il  arrive  quelquefois  qu'ils  m'en 
donnent  le  choix,  je  le  promets,  mon  Dieu,  et 
j'espère  par  votre  sainte  grâce  de  garder  ma 
promesse,  je  promets,  dis-je,  de  vous  renouveler 
le  vœu  que  vous  m'avez  inspiré  de  faire,  de 
choisir  toujours  l'emploi  et  le  lieu  auxquels  je 
sentirai  le  plus  de  répugnance  et  où  je  croirai, 
selon  Dieu  et  eu  vérité,  avoir  le  plus  à  soulfrir. 


—   ÎG8   — 

»  Vous  m'en  avez  donné  Texemple,  mon  aimable 
»  Jésus,  et  autant  que  je  le  pourrai,  je  veux  me 
»  régler  par  vos  exemples,  par  vos  maximes,  qui 
»  seules  peuvent  me  conduire  à  vous,  et  me  tirer 
»  des  embarras  de  Tignorance  et  des  erreurs  où 
»  mes  passions  pourraient  me  précipiter.  » 

Ainsi  parlent,  ainsi  agissent  les  hommes  de  Dieu, 
et  sui'tout  les  saints  prêtres.  Ah  !  malheur  à  vous, 
jeunes  élèves,  doux  espoir  de  l'Église,  maliieur  à 
vous  si  vous  restez  tièdes  et  imparfaits  après  tout 
ce  qui  vous  a  été  dit  pour  vous  exciter  à  devenir 
fervents  et  fidèles  ! 

Mais  non,  vous  ne  voudrez  point  attirer  sur  vous 
les  châtiments  réservés  à  l'abus  des  grâces.  Quels 
que  soient  vos  défauts,  vous  les  combattrez,  et, 
Dieu  aidant,  vous  les  détruirez.  Vous  serez  de  fer- 
vents séminaristes  pour  être  plus  tard  de  saints 
prêtres  ;  et  Dieu  sera  glorifié,  et  Jésus,  toutes  les 
fois  que  vous  le  recevrez  à  l'autel,  vous  pressera 
délicieusement  sur  son  cœur,  et  TÉglise  surabondera 
de  joie,  et  des  multitudes  de  pécheurs  seront  vos 
conquêtes,  et  l'enfer  mugira  de  dépit  et  de  rage, 
et  le  ciel  que  vous  aurez  procuré  à  tant  d'àmes  sera 
votre  éternelle  récompense. 

Mais,  pour  qu'il  en  soit  ainsi,  jeunes  amis  ;  pour 
que  rien  ne  manque  à  votre  bonheur,  tit  gaudium 
vcstrum  sit plcnum,  encore  une  fois  soyez  des  saints  : 
Sancti  estote  ;  sacrifiez  tout  pour  le  devenir  :  Qui 
non  bajulat  cntcem  suam,  et  venit  post  7ne,  non 
potcst  meus  esse  discipulus  ;  ne  répudiez  pas  une 
seule  verlu  ;  la  philosophie  elle-même  vous  prêche 
cette  morale  par  un  de  ses  axiomes  :  Bonura  ex 
iiitegrà  causa  ;  ne  transigez  pas  avec  un  seul  dé- 


—   409  — 

faut  :  Malum  ex  quocumque  defectu  ;  ne  faites  pas 
comme  tant  de  lâches  qui  disent  à  chaque  instant  : 
Nous  accorderons  ceci,  mais  nous  retiendrons  cehi  ; 
nous  irons  jusqu'à  tel  degré,  mais  pas  plus  loin  : 
Aveugles,  qui  ne  voient  pas  qu'ils  seront  toujours 
trop  peu  parfaits  pour  atteindre  la  hauteur  de  leur 
vocation,  et  que,  puisque  Jésus  les  appelle  au 
sommet  de  la  perfection,  ils  doivent  lui  répondre 
par  ces  généreuses  paroles  :  Magister,  sequar  te 
quocumque  icris. 

Courage  donc,  jeunes  élèves,  courage  !  Eugc  ! 
eucjel  Yous  êtes  dans  Tàge  de  la  ferveur  et  de 
l'enthousiasme  :  quand  serez-vous  fervents  ,  et 
fervents  jusqu'à  la  divine  exaltation  qui  fait  les 
saints,  si  vous  ne  l'êtes  pas  dans  un  séminaire  ? 
Ah!  loin,  bien  loin  de  ce  pieux  asile  non-seulement 
les  cœurs  froids,  non-seulement  les  cœurs  tièdes, 
mais  même  les  cœurs  fidèles  qui  tremblent  de  pro- 
mettre un  dévouement  sans  réserve  !  Jésus-Christ, 
chers  amis,  n'a  rien  réservé  ;  la  dernière  goutte  de 
son  sang,  il  l'a  versée  pour  le  salut  des  àm  .-.  :  et 
la  lance  du  soldat  n'a  percé  son  cœur  que  pour 
mettre  à  sec  la  source  de  ce  sang  divin  et  montrer 
au  monde  qu'elle  était  tarie. 

Le  séminaire!  élèves  bien-aimés,  le  séminaire! 
comment  prononcer  ce  mot,  comment  vivre  dans 
cette  ineffable  retraite  sans  y  être  pénétré  d'une 
céleste  flamme?  Nous  ne  connaissons  point  sur  la 
terre,  et  en  effet  il  n'y  a  nulle  part  un  lieu  aussi 
saint  que  le  séminaire.  Le  Cénacle  seul  où  Jésus- 
Christ  réunit  ses  apôtres  la  veille  de  sa  mort,  le 
Cénacle  seul  nous  en  offre  l'image.  Mais  aussi 
qu'était-ce  que  le  Cénacle,  sinon  im  séminaire  dont 
H.  27 


—   470  — 

les  apôtres  étaient  les  élèves,  et  Jésus-Christ  le 
divin  supérieur?  Séminaire  à  jamais  mémorable, 
où  s'élaborait  la  précieuse  semence  qui  devait 
féconder  l'univers  !  Dans  cet  auguste  séminaire, 
jeunes  amis,  il  ne  se  trouva  qu'un  mauvais  élève, 
ce  fut  Judas.  Bientôt  le  misérable  sentit  qu'il  n'y 
était  pas  à  sa  place,  et  il  s'en  retira  pour  aller  con- 
sommer son  infamie.  Mais  tous  les  autres,  qu'é- 
taient-ils ?  Quel  zèle  1  quel  feu  î  quel  dévouement  ! 
quels  transports  d'amour  !  Ils  eurent,  il  est  vrai, 
Pierre  surtout  et  Thomas,  un  moment  de  faiblesse; 
ce  qui  doit  vous  encourager  et  non  vous  abattre, 
si  vous  n'êtes  pas  encore  des  héros  en  vertu.  Mais 
comme  elle  fut  rachetée,  cette  faiblesse  !  Que  de 
larmes  coulèrent  pour  l'expier  !  Quelle  insatiable 
ardeur  pour  la  pénitence^  pour  la  prédication  de 
l'Évangile,  pour  les  bonnes  oeuvres,  pour  le  salut 
des  âmes,  et  finalement  pour  le  martyre!  Voilà 
vos  modèles,  jeunes  et  tendres  amis  :  et  vous  aussi 
vous  êtes  appelés  à  l'apostolat  !  et  vous  aussi  peut- 
être  vous  êtes  appelés  à  confesser  votre  foi  dans 
les  tortures  :  armez-vous  donc,  enflammez-vous 
du  zèle  qui  fait  les  apôtres  et  du  courage  qui  fait 
les  martyrs.  Amen!  Amen!  Amen! 

LAUDETl  R    JESUS    CHRISTU5    IX    .ETERNl  xM  ! 
AMEX. 


FIN 


—  471   — 


TABLE  DES  MATIERES 


Pages 
Dédicace v 

PREMIÈRE    PARTIE 

LKS   SÉMINARISTES    CLASSÉS    EN    QUATRE  CATÉGORIES  :  —  TES 

MAUVAIS,  —  LES  TIÈDES,  —  LES  BONS   -  ET  LES  FERVENTS.  i 

Chapitre  ]^^.  Le  mauvais  s'-minariste 3 

—  II.  Le  séminariste  tiède  et  relâché  ....       2:{ 

—  m.  Le    bon   séminariste 4i- 

—  IV.  Le  ferlent  séminariste 70 

—  V.  Fragments   remarquables   du   règlement 

d'un  fervent  séminariste  du  séminaire  de 
Coutances <)8 

DEUXIÈME   PARTIE 

DÉFAUTS  PRINCIPAUX    AUXQUELS     LES    SÉMINARISTES    PEUVENT 
ÊTRE    SUJETS.   —  CARACTÈRES    DE    CES  DÉFAUTS,  hlFETS 

qu'ils  PRODUISENT,  —  MOYENS  DE  s'en  CORRIGER.       .       .       .       M  (5 

Chapitre  I*^^  Le    séminariste  orgueilleux,  vaniteux   et 

plein  de  lui-même il7 

—  IL  Le    séminariste  désobéissant I3."î 

—  III.  Le  séminariste  entêté,  intlexible,  opiniâ- 

trement attaché  à  son  sentiment.     .     .     1 4i) 

—  IV.  Le  séminariste  envieux  et  jaloux.     .     .     .     169 

—  V.  Le  séminariste    dissimulé 184 

—  VI.  Le  séminariste  paresseux 197 

—  VII.  Le  séminariste  sans  charité  pour  le  pro- 

chain  213 

—  VIII.  Le   séminariste  vif   et  irascible.     .     .     .     230 

—  IX.  Le  séminariste  peu  affermi  dans  ia  pratique 

de  la  sainte  vertu 243 

—  X.  Le   séminariste   mou  ,    inconstant ,    sans 

énergie  et  sans  zèle 2j>y 


—   472  — 

Pages 

Chapitre  XI.  Le  séminariste  grossier,  incivil  et  mal  élevé.  270 

—  XII.  Le  séminariste  élégant  et  maniéré.     .     .  290 

—  XIII.  Le   séminariste   léger,    rienr,    facétieux, 

imprudent,    etc 301 

•—      XIV.  Le  séminariste  intempérant  ou  prédisposé 

à  l'intempérance 316 

—  XY.  Le  séminariste  cupide,  intéressé,  prédis- 

posé à  l'avarice 327 

—  XVI.  Le  séminariste  d'un  mauvais  caractère.     .  343 

TROISIÈME   PARTIE 

AVIS  ET  RÈGLES  DE  CONDUITE    POUR    UN    JEUNE    PRÊTRE    SOR- 
TANT DU  SÉMINAIRE 362 

I.  Dernier  jour  du  séminaire 363 

IL  Départ,  —  arrivée  dans  la  famille,  —  première 

messe 365 

m.  Séjour  dans  la  famille  en  attendant  un  emploi.  367 

IV.  Appel  de  l'évêque  à  un  poste  quelconque.     .  368 

V.  Installation  au  poste  assigné  par  l'évêque.     .  371 

VI.  Visites  d'arrivée  dans  la  paroisse 374 

VIL  Bonne  tenue  à  l'église 375 

VIII.  Exécution  ponctuelle  du  règlement    ....  376 

IX.  Réveil,  lever,  habillement 378 

X.  L'Oraison 380 

XL  La  sainte  Messe :     .  381 

XII.  Le    saint   Office 385 

XIII.  L'Examen   particulier 387 

XIV.  Visite  au  saint  Sacrement 387 

XV.  Lecture    spirituelle 388 

XVI.  Le  Chapelet. — Dévotion  à  la  très-sainte  Vierge.  390 

XVII.  Pratique  de  la  confession  pour  soi-même.     .  391 

XVIII.  Considérations  générales  sm^  le  saint  ministère.  394 

XIX.  Administration  du  sacrement  de  Pénitence.     .  396 

XX.  La  prédication 419 

XXL  Le   Cathéchisme 434 

XXII.  Soin  des  malades 437 

XXIII.  Assistance  des  pauvres 440 

XXIV.  Rapports  avec  le  monde .  442 

XXV.  Liaisons   avec  les  confrères 44 i 

XXVI.  Dangers  de  l'exemple  de  quelques  bons  prêtres, 

sur  certains  points  particuliers 447 

XXVII.  Fréquentations  suspectes  et  dangereuses.     .     .  448 

XXVIII.  Signes  certains  de  relâchement  chez  un  jjrètre.  450 

Conclusion 462 

FIN    DE  LA    TABLE. 


Typ.  J.  Lan'ce,  à  Saint -Om«r, 


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Dubois,  Henri-Marie, 
Oeuvres  complètes   4723133b 


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