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Full text of "Oeuvres complètes"

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/    ^ 


ŒUVRES  COMPLÈTES 


DE 


PAUL  VERLAINE 


y;vd.l 


GiUVRES  COMPLETES 


DB 


PAUL  VERLAINE 

AMOUR  —  BONHEUR  —  PARALLÈLEMENT) 

CHANSONS  POUR  ELLE 

LITURGIES  INTIMES  —  ODES  EN  SON  HONNEUR 


TOME    DEUXIÈME 


Deuxiime  Edition 


PARIS 

LIBRAIRIE  LEON  VANIER,  EDITEUR 
A.    MESSEIN,    Sucer 

19,     Q.UAI     SAINT-MICHEL,      I9 
1905 


AMOUR 


PRIERE   DU  MATIN 


0  Seigneur,  exaucez  et  dictez  ma  prière, 
Vous  la  pleine  Sagesse  et  la  toute  Bonté, 
Vous  sans  cesse  anxieux  de  mon  heure  dernière, 
Et  qui  m'avez  aimé  de  toute  éternité. 

Car  —  ce  bonheur  terrible  est  tel,  tel  ce  mystère 
Miséricordieux,  que,  cent  fois  médité, 
Toujours  il  confondit  ma  raison  qu'il  atterre,  — 
Oui,  vous  m'avez  aimé  de  toute  éternité, 

Oui,  votre  grand  souci,  c'est  mon  heure  dernière. 
Vous  la  voulez  heureuse  et,  pour  la  faire  ainsi, 
Dès  avant  l'univers,  dès  avant  la  lumière, 
Vous  préparâtes  tout,  ayant  ce  grand  souci. 

Exaucez  ma  prière  après  l'avoir  formée 
De  gratitude  immense  et  des  plus  humbles  vœux, 
Comme  un  poète  scande  une  ode  bien-aimée, 
Comme  une  mère  baise  un  fils  sur  les  cheveux. 


4  AMOUR 

—  Donnez-moi  de  vous  plaire,  et  puisque  pour  vous  plaire 
I  II  me  faut  être  heureux,  d'abord  dans  la  douleur 
'  Parmi  les  hommes  durs  sous  une  loi  sévère, 
Puis  dans  le  ciel  tout  près  de  vous  sans  plus  de  pleur, 

Tout  près  de  vous,  le  Père  éternel,  dans  la  joie 
Éternelle,  ravi  dans  les  splendeurs  des  saints, 
0  donnez-moi  la  foi  très  forte,  que  je  croie. 
Devoir  souffrir  cent  morts  s'ils  plaît  à  vos  desseins  ; 

Et  donnez-moi  la  foi  très  douce  que  j'estime 
N'avoir  de  haine  juste  et  sainte  que  pour  moi. 
Que  j'aime  le  pécheur  en  détestant  son  crime, 
Que  surtout  j'aime  ceux  de  nous  encor  sans  foi  ; 

Et  donnez-moi  la  foi  très  humble,  que  je  pleure 
Sur  l'impropriété  de  tant  de  maux  soufferts, 
Sur  l'inutilité  des  grâces  et  sur  l'heure 
Lâchement  gaspillée  aux  efforts  que  je  perds; 

Et  que  votre  Esprit-Saint  qui  sait  toute  nuance 
Rende  prudent  mon  zèle  et  sage  mon  ardeur; 
Donnez,  juste  Seigneur,  avec  la  confiance, 
Donnez  la  méfiante  à  votre  serviteur. 

Que  je  ne  sois  jamais  un  objet  de  censure 
Dans  l'action  pieuse  et  le  juste  discours; 
Enseignez-moi  l'accent,  montrez-moi  la  mesure  ; 
D'un  scandale,  d'un  seul,  préservez  mes  entours; 


AMOUR 

Faites  que  mon  exemple  amène  à  vous  connaître 
Tous  ceux  que  vous  voudrez  de  tant  de  pauvres  fous, 
Vos  enfants  sans  leur  Pftro,  un  élut  sans  lo  Maître, 
Et  que,  si  jfl  suis  bon,  toute  gloire  aille  à  vous; 

Et  puis,  et  puis,  quand  tout  des  choses  nécessaires, 
L'homme,  la  palionce  et  ce  devoir  dicté, 
Aura  fructiflé  de  mon  mieux  dans  nos  serres. 
Laissez-moi  vous  aimer  en  toute  charité, 

Laissez-moi,  faites-moi  de  toutes  mes  faiblesses 
Aimer  Jusqu'à  la  mort  votre  perfection. 
Jusqu'à  la  mort  des  sens  et  de  leurs  milles  ivresses. 
Jusqu'à  la  mort  du  cœur,  orgueil  et  passion, 

Jusqu'à  la  mort  du  pauvre  esprit  lâche  et  rebelle 
Que  votre  volonté  dès  longtemps  appelait 
"Vers  l'humilité  sainte  éternellement  belle, 
Mais  lui  gardait  son  rêve  infernalement  laid, 

Son  gros  rêve  éveillé  de  lourdes  rhétoriques, 
Spéculation  creuse  et  calculs  impuissants, 
Ronflant  et  s'étirant  en  phrases  pléthoriques. 
Ah  !  tuez  mon  esprit,  et  mon  cœur  et  mes  sens! 

Place  à  l'àme  qui  croie,  et  qui  sente  et  qui  voie 
Que  tout  est  vanité  fors  elle-même  en  Dieu; 
Place  à  rame,  Seigneur,  marchant  dans  votre  voie 
£t  ne  tendant  qu'au  ciel,  seul  espoir  et  seul  lieu  l-~ 


O  AMOUR 

Et  que  cette  âme  soit  la  servante  très  douce 
Avant  d'être  l'épouse  au  trône  non  pareil. 
Donnez-lui  l'Oraison  comme  le  lit  de  mousse 
Où  ce  petit  oiseau  se  baigne  de  soleil, 

La  paisible  oraison  comme  la  fraîche  étable 
Où  cet  agneau  s'ébatte  et  broute  dans  les  coins 
D'ombre  et  d'or  quand  sévit  le  midi  redoutable. 
Et  que  juin  faitci'ier  l'insecte  dans  les  foins, 

L'oraison  bien  en  vous,  fût-ce  parmi  la  foule. 
Fût-ce  dans  le  tumulte  et  l'erreur  des  cités. 
Donnez-lui  l'oraison  qui  soude  et  d'où  découle 
Un  ruisseau  toujours  clair  d'austères  vérités  : 

La  mort,  le  noir  péché,  la  pénitence  blanche, 
L'occasion  à  fuir  et  la  grâce  à  guetter  ; 
Donnez-lui  l'oraison  d'en  haut  et  d'où  s'épanche 
Le  fleuve  amer  et  fort  qu'il  lui  faut  remonter  : 

Mortification  spirituelle,  épreuve 
Du  feu  par  le  désir  et  de  l'eau  par  le  pleur 
Sans  fin  d'être  imparfaite  et  de  se  sentir  veuve 
D'un  amour  que  doit  seul  aviver  la  douleur, 

Sécheresses  ainsi  que  des  trombes  de  sable 
En  travers  du  torrent  où  luttent  ses  bras  lourds. 
Un  ciel  de  plomb  fondu,  la  soif  inapaisable 
Au  milieu  de  cette  eau  qui  l'assoiffé  toujours, 


AMOUR 

Mais  cette  eau-l&  jaillit  &  la  vie  éternelle. 

Et  la  vague  bientôt  porterait  doucement 

L'ûme  persévérante  et  son  amour  fidèle 

Aux  pieds  de  votre  Amour  fidèle,  6  Dieu  clément! 

La  bonne  mort  pour  quoi  Vous-Mômevous  mourûtes 
Me  ressusciterait  cl  votre  éternité. 
Pitié  pour  ma  faiblesse,  assistez  à  mes  luttes      ~ 
Elt  bénissez  refTortdema  débilité! 

Pitié,  Dieu  pitoyable!  et  m'aidez  ù  parfaire 
L'œuvre  de  votre  Créateur  adorable,  en  sauvant 
L'ûme  que  rachetaient  les  affres  du  Calvaire  ; 
Père,  considérez  le  prix  de  votre  enfant. 


ÉCRIT  EN  1875 


A.  EDMOND   LEPELLETIEa 


J'ai  naguère  habité  le  meilleur  des  chûteaux 

Dans  le  plus  fin  pays  d'eau  vive  et  de  coteaux  : 

Quatre  tours  s'élevaient  sur  le  front  d'autant  d'ailes, 

Et  j'ai  longtemps,  longtemps  habité  Tuno  d'elles. 

Le  mur,  étant  de  briques  extérieurement, 

Luisait  rouge  au  soleil  de  ce  site  dormant, 

Mais  un  lait  de  chaux,  clair  comme  une  aube  qui  pleure. 

Tendait  légèrement  la  voûte  intérieure. 

0  dianedes  yeux  qui  vont  parler  au  cœur, 

0  réveil  pour  les  sens  éperdus  de  langueur, 

Gloire  des  fronts  d'aïeuls,  orgueil  jeune  des  branches, 

Innocence  et  fierté  des  choses,  couleurs  blanches! 

Parmi  des  escaliers  en  vrille,  tout  aciers, 

Et  cuivres,  luxes  brefs  encore  émaciés. 

Cette  blancheur  bleuâtre  et  si  douce  à  m'en  croire, 

Que  relevait  un  peu  la  longue  plinthe  noire, 

S'emplissait  tout  le  jour  de  silence  et  d'air  pur 

Pour  que  la  nuit  y  vînt  rêver  de  pâle  azur. 


AMOUR  V 

Une  chambre  h'wn  closo,  uno  InMo,  une;  chaise, 

l'n  lit  strict  où  l'on  pût  dormir  juste  à  son  aise, 

Du  jour  suffisamment  et  de  rospaco  assez, 

Tel  fut  mon  lot  durant  les  longs  mois  là  passés, 

El  je  n'ai  jamais  plaint  ni  les  mois  ni  l'espace, 

Ni  le  reste,  et  du  point  de  vue  où  je  me  place. 

Maintenant  que  voici  le  monde  de  retour, 

Ah  !  vraiment,  j'ai  roprot  aux  deux  ans  dans  la  tour!  — 

Car  c'était  bien  la  paix  réelle  et  respectable,  - 

Ce  lit  dur,  cette  chaise  unique  et  cette  table, 

La  paix  où  l'on  aspire  alors  qu'on  est  bien  soi. 

Cette  chambre  aux  murs  blancs,  ce  rayon  sobre  et  coi, 

Qui  glissait  lentement  en  teintes  apaisées. 

Au  lieu  de  ce  grand  jour  diffus  de  vos  croisées.— 

Car,  à  quoi  bon  le  vain  appareil  et  l'ennui 

Du  plaisir,  à  lailn,  quand  le  malheur  à  lui, 

(Et  le  malheur  est  bien  un  trésor  qu'on  déterre) 

Et  pourquoi  cet  effroi  de  rester  solitaire 

Qui  pique  le  troupeau  des  hommes  d'à  présent. 

Comme  si  leur  commerce  était  bien  suffisant? 

Questions!  Donc  j'étais  heureux  avec  ma  vie, 

Reconnaissant  de  biens  que  nul,  certes,  n'envie. 

(0  fraîcheur  de  sentir  qu'on  n'a  pas  de  jaloux  1 

0  bonté  d'être  cru  plus  malheureux  que  tous  î) 

Je  partageais  les  jours  de  cette  solitude 

Entre  ces  deux  bienfaits,  la  prière  et  l'étude, 

Que  délassait  un  peu  de  travail  manuel. 

Ainsi  les  Saints!  J'avais  aussi  ma  part  de  ciel, 


10  AMOUR 

Surtout  quand,  revenant  au  jour,  si  proche  encore, 
Où  j'étais  ce  mauvais  sans  plus  qui  s'édulcore 
En  la  luxure  lâche  aux  farces  sans  pardon, 
Je  pouvais  supputer  tout  le  prix  de  ce  don  : 
N'être  plus  là,  parmi  les  choses  de  la  foule, 
S'y  dépensant,  plutôt  dupe,  pierre  qui  roule, 
Mais  de  fait  un  complice  à  tous  ces  noirs  péchés, 
N'être  plus  là,  compter  au  rang  des  cœurs  cachés, 
Des  cœurs  discrets  que  Dieu  fait  siens  dans  le  silence, 
Sentir  qu'on  grandit  bon  et  sage,  et  qu'on  s'élance 
Du  plus  bas  au  plus  haut  en  essors  bien  réglés, 
Humble,  prudent,  béni,  la  croissance  des  blés! 
D'ailleurs,  nuls  soins  gênants,  nulle  démarche  à  faire. 
Deux  fois  le  jour  ou  trois,  un  serviteur  sévère 
Apportait  mes  repas  et  repartait  muet. 
Nul  bruit.  Rien  dans  la  tour  jamais  ne  remuait 
Qu'une  horloge  au  cœur  clair  qui  battait  à  coups  larges, 
C'était  la  liberté  (la  seule  !)  sans  ses  charges, 
-C'était  la  dignité  dans  la  sécurité  1 
0  lieu  presque  aussitôt  regretté  que  quitté, 
Château,  château  magique  où  mon  âme  s'est  faite, 
Frais  séjour  où  se  vint  apaiser  la  tempête 
De  ma  raison  allant  à  vau-l'eau  dans  mon  sang, 
Château,  château  qui  luis  tout  rouge  et  dors  tout  blanc, 
Comme  un  bon  fruit  de  qui  le  goût  est  sur  mes  lèvres 
Et  désaltère  encore  l'arrière-soif  des  fièvres, 
0  sois  béni,  château  d'où  me  voilà  sorti 
Prêt  à  la  vie,  armé  de  douceur  et  nanti 


AMOUA  H 

Do  la  Foi,  pain  et  sol  et  manteau  pour  la  route 
Si  déserte,  si  rude  et  si  longue,  sans  doute, 
Par  laquelle  il  faut  tendre  aux  innocents  sommets. 
Et  soit  aimé  I'Auteur  do  la  Grâce,  ù  jamais! 

(Stickney,  Angleterre.) 


UN  CONTE 


A   J.-K.    HUYSMANS 


Simplement,  comme  on  verse  un  parfum  sur  une  flamme 
Et  comme  un  soldat  répand  son  sang  pour  la  pairie, 
Je  voudrais  pouvoir  mettre  mon  cœur  avec  mon  âme 
Dans  un  beau  cantique  à  la  sainte  Vierge  Marie. 

Mais  je  suis,  hélas!  un  pauvre  pécheur  trop  indigne. 
Ma  voix  hurlerait  parmi  le  chœur  des  voix  des  justes  : 
Ivre  encore  du  vin  amer  de  la  terrestre  vigne, 
Elle  pourrait  offenser  des  oreilles  augustes. 

Il  faut  un  cœur  pur  comme  l'eau  qui  jaillit  des  roches, 
Il  faut  qu'un  enfant  vêtu  de  lin  soit  notre  emblème, 
Qu'un  agneau  bêlant  n'éveille  en  nous  aucuns  reproches, 
Que  l'innocence  nous  ceigne  un  brûlant  diadème, 

Il  faut  tout  cela  pour  oser  dire  vos  louanges, 
0  vous,  Vierge  Mère,  ô  vous  Marie  Immaculée, 
Vous,  blanche  à  travers  les  battemeuis  d'ailes  desanges, 
Qui  posez  vos  pieds  sur  notre  terre  consolée. 


A  M  0  u  n  13 

Du  moins  jn  ferai  savoir  à  qui  voudra  l'entendre 
Comment  il  advint  qu'une  ûmc  des  plus  égarées, 
Gr&ce  à  ces  regards  cléments  de  votre  gloire  tendre, 
Revint  au  bercail  des  Innocences  ignorées. 

Innocence,  ô  belle  après  l'Ignorance  inouïe, 
Eau  claire  du  cœur  après  le  feu  vierge  de  l'àmc. 
Paupière  de  grûcc  sur  la  prunelle  éblouie, 
Désaltèrement  du  cerf  rompu  d'amour  qui  brame  1 

Ce  fut  un  amant  dans  toute  la  force  du  terme  : 
Il  avait  connu  toute  la  chair,  infâme  ou  vierge, 
Et  la  profondeur  monstrueuse  d'un  épiderme, 
Et  le  sang  d'un  cœur,  cire  vermeille  pour  son  cierge! 

Ce  fut  un  athée,  et  qui  poussait  loin  sa  logique  - 
Tout  en  méprisant  les  fadaises  qu'elle  autorise, 
Et  comme  un  forçat  qui  remâche  une  vieille  chique 
Il  aimait  le  jus  flasque  de  la  mécréantise. 

Ce  fut  un  brutal,  ce  fut  un  ivrogne  des  rues, 
Ce  fut  un  mari  comme  on  en  rencontre  aux  barrières; 
Bon  que  les  amours  premières  fussent  disparues. 
Mais  cela  n'excuse  en  rien  l'excès  de  ses  manières. 

Ce  fut,  et  quel  préjudice  !  un  Parisien  fade. 
Vous  savez,  de  ces  provinciaux  cent  fois  plus  pires 
Qui  prennent  au  sérieux  la  plus  sotte  cascade. 
Sans  s'apercevoir,  ô  leur  âme,  que  tu  respires; 


14  AMOUR 

Race  de  théâtre  et  de  boutique  dont  les  vices 
Eux-mêmes,  avec  leur  odeur  rance  et  renfermée, 
L^.veraient  le  cœur  à  des  sauvages,  leurs  complices, 
Race  de  trottoir,  race  d'égout  et  de  fumée  1 

Enfin  un  sot,  un  infatué  de  ce  temps  bête 
-(Dont  l'esprit  au  fond  consiste  à  boire  de  la  bière) 
Et  par-dessus  tout  une  folle  tête  inquiète, 
Un  cœur  à  tous  vents,  vraiment  mais  vilement  sincère. 

Mais  sans  doute,  et  moi  j'inclinerai  fort  à  le  croire, 
Dans  quelque  coin  bien  discret  et  sûr  de  ce  cœur  même, 
Il  avait  gardé  comme  qui  dirait  la  mémoire 
D'avoir  été  ces  petits  enfants  que  Jésus  aime. 

Avait-il,  —  et  c'est  vraiment  plus  vrai  que  vraisemblable, 

Conservé  dans  le  sanctuaire  de  sa  cervelle 

Votre  nom,  Marie,  et  votre  titre  vénérable, 

Comme  un  mauvais  prêtre  ornerait  encor  sa  chapelle? 

Ou  tout  bonnement  peut-être  qu'il  était  encore. 
Malgré  tout  son  vice  et  tout  son  crime  et  tout  le  reste, 
Cet  homme  très  simple  qu'au  moins  sa  candeur  décore 
En  comparaison  d'un  monde  autour  que  Dieu  déteste. 

Toujours  est-il  que  ce  grand  pécheur  eut  des  conduites 
Folles  à  ce  point  d'en  devenir  trop  maladroites 
Si  bien  que  les  tribunaux  s'en  mirent,  —  et  les  suites! 
Et  le  voyez-vous  dans  la  plus  étroite  des  boîtes? 


AMOUR  15 

Cellules!  Prisons  liumanitalres!  il  faut  lairc 
Voire  horreur  fadasse  ot  co  progrès  d'hypocrisie... 
Puis  il  s'attendrit,  il  réfléchit.  Par  quel  mystère, 
0  Marie,  6  vous,  de  toute  éternité  choisie? 

Puis  il  se  tourna  vers  votre  Fils  et  vers  Sa  mère, 
0  qu'il  fut  heureux,  mais  là  promptement,  tout  de  suite  ! 
Que  de  larmes,  quelle  Joie,  ô  Mère  !  et  pour  vous  plaire, 
Tout  de  suite  aussi  le  voilà  qui  bien  vile  quille 

Tout  cet  appareil  d'orgueil  et  de  pauvres  malices, 
Ce  qu'on  nomme  esprit  et  ce  qu'on  nomme  la  Science, 
Et  les  rires  et  les  sourires  où  tu  te  plisses, 
Lèvre  des  petits  exégètes  de  l'incroyance  ! 

Et  le  voilà  qui  s'agenouille  et,  bien  humble,  égrène 
Entre  ses  doigts  fiers  les  grains  enflammés  du  Rosaire, 
Implorant  de  Vous,  la  Mère,  et  la  Sainte,  et  la  Reine, 
L'affranchissement  d'être  ce  charnel,  ô  misère  ! 

0  qu'il  voudrait  bien  ne  plus  savoir  rien  du  monde 
Qu'adorer  obscurément  la  mystique  sagesse, 
Qu'aimer  le  cœur  de  Jésus  dans  l'extase  profonde 
De  penser  à  vous  en  même  temps  pendant  la  Messe. 

0  faites  cela,  faites  celle  grâce  à  celte  âme, 
0  vous,  vierge  Mère,  ô  vous  Marie  Immaculée, 
Toute  en  argent  parmi  l'argent  de  l'épilhalame, 
Qui  posez  vos  pieds  sur  notre  terre  consolée. 


BOURNEMOUTH 


A  FRANCIS  POICTEVIK 


Le  long  bois  de  sapins  se  tord  jusqu'au  rivage, 
L'étroit  bois  de  sapins,  de  lauriers  et  de  pins, 
Avec  la  ville  autour  déguisée  en  village  : 
Chalets  éparpillés  rouges  dans  le  feuillage 
Et  les  blanches  villas  des  stations  de  bains. 

Le  bois  sombre  descend  d'un  plateau  de  bruyère,, 
Va,  vient,  creuse  un  vallon,  puis  monte  vert  et  noir 
Et  redescend  en  fins  bosquets  où  la  lumière 
Filtre  et  dore  l'obscur  sommeil  du  cimetière 
Qui  s'étage  bercé  d'un  vague  nonchaloir. 

A  gauche  la  tour  lourde  (elle  attend  une  flèche) 
Se  dresse  d'une  église  invisible  d'ici, 
L'estacade  très  loin  ;  haute,  la  tour,  et  sèche  : 
C'est  bien  l'anglicanisme  impérieux  et  roche 
A  qui  l'essor  du  cœur  vers  le  ciel  manque  aussi. 


AMOUR  17 

^  fait  un  de  ces  temps  ainsi  que  je  les  aime, 
Ni  brume  ni  soleil!  le  soleil  deviné, 
Pressenti,  du  brouillard  mourant  dansant  &même 
Le  ciel  très  haut  qui  tourne  et  fuit,  rose  de  crème; 
L'atmosphère  est  de  perle  et  la  mer  d'or  fané. 

De  la  tour  protestante  il  part  un  chant  de  cloche, 
Puis  deux  et  trois  et  quatre,  et  puis  huit  à  la  fois, 
Instinctive  harmonie  allant  de  proche  en  proche, 
Enthousiasme,  joie,  appel,  douleur,  reproche, 
Avec  de  l'or,  du  bronze  et  du  feu  dans  la  voix  ; 

Bruit  immense  et  bien  doux  que  le  long  bois  écoute! 
La  musique  n'est  pas  plus  belle.  Cela  vient 
Lentement  sur  la  mer  qui  chante  et  fiémit  toute. 
Comme  sous  une  armée  au  pas  sonne  une  route 
Dans  l'écho  qu'un  combat  d'avant-garde  retient. 

La  sonnerie  est  morte.  Une  rouge  traînée 

De  grands  sanglots  palpite  et  s'éteint  sur  la  mer, 

L'éclair  froid  d'un  couchant  de  la  nouvelle  année 

Ensanglante  là-bas  la  ville  couronnée 

De  nuit  tombante  et  vibr    à  l'ouest  encore  clair. 

Le  soir  se  fonce.  Il  fait  glacial.  L'estacade 
Frissonne  elle  ressac  a  gémi  dans  son  bois 
Chanteur,  puis  est  tombé  lourdement  en  cascade 
II.  S 


18 


Sur  un  rythme  brutal  comme  l'ennui  maussade 
Qui  martelait  mes  jours  coupables  d'autrefois  : 

Solitude  du  cœur  dans  le  vide  de  l'âme, 
Le  combat  de  la  mer  et  des  vents  de  l'hiver, 
L'orgueil  vaincu,  navré,  qui  râle  et  qui  déclame, 
Et  cette  nuit  où  rampe  un  guet-apens  infâme, 
Catastrophe  flairée,  avant-goût  de  l'Enfer...! 

Voici  trois  tintements  comme  trois  coups  de  flûtes, 
Trois  encor,  trois  encorl  VAngelus  oublié 
Se  souvient,  le  voici  qui  dit  :  Paix  à  ces  luttes  ! 
Le  Verbe  s'est  fait  chair  pour  relever  tes  chutes, 
Une  vierge  a  conçu,  le  monde  est  délié  ! 

Ainsi  Dieu  parle  par  la  voix  de  sa  chapelle 
Sise  à  mi-côté  à  droite  et  sur  le  bord  du  bois... 
0  Rome,  ô  Mère!  Cri,  geste  qui  nous  rappelle 
Sans  cessse  au  bonheur  seul  et  donne  au  cœur  rebelle 
Et  triste  le  conseil  pratique  de  la  Croix. 

" —  La  nuit  est  de  velours.  L'estacade  laissée 
Tait  par  degré  son  bruit  sous  l'eau  qui  refluait, 
Une  route  assez  droite  heureusement  tracée 
Guide  jusque  chez  moi  ma  retraite  pressée 
Dans  ce  noir  absolu  sous  le  long  bois  muet. 

Janvier  1877. 


TIIERE 

A   <VILB    LB    BRUN 


«  Angels  I  »  seul  coin  luisant  dans  ce  Londres  du  soir, 
Où  (Ïambe  un  peu  de  gaz  et  jase  quelque  foule, 
C'est  drôle  que,  semblable  à  tel  très  dur  espoir, 
Ton  souvenir  m'obsède  et  puissamment  enroule 
Autour  de  mon  esprit  un  regret  rouge  et  noir  : 

Devantures,  chansons,  omnibus  et  les  danses 
Dans  le  demi-brouillard  où  flue  un  goût  de  rhum, 
Décence,  toutefois,  le  souci  des  cadences. 
Et  même  dans  l'ivresse  un  certain  décorum. 
Jusqu'à  Iheure  où  la  brume  et  la  nuit  se  font  denses. 

«  Angels!  »  jours  déjà  loin,  soleils  morts,  flots  taris; 
Mes  vieux  péchés  longtemps  ont  rôdé  par  tes  voies. 
Tout  soudain  rougissant,  misère!  et  tout  surpris 
De  se  plaire  vraiment  à  tes  honnêtes  joies, 
Eux  pour  tout  le  contraire  arrivés  de  Paris! 


20  AMOUR 

Souvent  l'incompressible  Enfance  ainsi  se  joue, 
Fût-ce  dans  ce  rapport  infinitésimal, 
Du  monstre  intérieur  qui  nous  crispe  la  joue 
Au  froid  ricanement  de  la  haine  et  du  mal, 
On  gonfle  notre  lèvre  amère  en  lourde  moue. 

L'Enfance  baptismale  émerge  du  pécheur, 
Inattendue,  alerte,  et  nargue  ce  farouche 
D'un  sourire  non  sans  franchise  ou  sans  fraîcheur, 
Qui  vient,  quoiqu'il  en  ait,  se  poser  sur  sa  bouche 
A  lui,  par  un  prodige  exquisement  vengeur. 

C'est  la  Grâce  qui  passe  aimable  et  nous  fait  signe. 

0  la  simplicité  primitive,  elle  encor! 

Cher recommeneement  bien  humble!  Fuite  insigne 

De  l'heure  vers  l'azur  mûrisseur  de  fruits  d'or! 

«  Angels  !  »  ô  nom  revu,  calme  et  frais  comme  un  cygne  I 


UN  CRUCIFIX 


A     GKRMAIN      NOUVEAU 


Église  Saint-Géry,  Arras. 

Au  bout  d'un  bas-côté  de  l'église  gothique, 
Contre  le  mur  qui  vient  baiser  le  jour  mystique 
D'un  long  vitrail  d'azur  et  d'or  finement  roux, 
Le  Crucifix  se  dresse,  ineffablement  doux, 
Sur  sa  croix  peinte  en  vert  aux  arêtes  dorées, 
Et  la  gloire  d'or  sombre  en  langues  échancrées 
Flue  autour  de  la  tête  et  les  bras  étendus, 
Tels  quatre  vols  de  fiammes  en  un  seul  confondus. 
La  statue  est  en  bois,  de  grandeur  naturelle, 
Légèrement  teintée,  et  l'on  croirait  sur  elle 
Voir  s'arrêter  la  vie  à  l'instant  qu'on  la  voit. 
Merveille  d'art  pieux,  celui  qui  la  fit  doit 
N'avoir  fait  qu'elle  et  s'être  éteint  dans  la  victoire 
D'être  un  bon  ouvrier  trois  fois  sûr  de  sa  gloire. 
«  Voilà  l'homme  I  »  Robuste  et  délicat  pourtant. 
C'est  bien  le  corps  qu'il  faut  pour  avoir  souffert  tant. 


Z2  AMOUR 

Et  c'est  bien  la  poitrine  où  bat  le  Cœur  immense  : 

Par  les  lèvres  le  souffle  expirant  dit,  «  Clémence  » 

Tant  l'artiste  les  a  disjointes  saintement, 

Elles  bras  grands  ouverts  prouvent  le  Dieu  clément; 

La  couronne  d'épine  est  énorme  et  cruelle 

Sur  le  front  inclinant  sa  pdleur  fraternelle 

Vers  l'ignorance  humaine  et  l'orreur  du  pécheur, 

Tandis  que,  pour  noyer  le  scrupule  empêcheur 

D'aimer  et  d'espérer  comme  la  Foi  l'enseigne, 

Les  pieds  saignent,  les  mains  saignent,  le  côté  saigne; 

On  sent  qu'il  s'offre  au  Père  en  toute  charité. 

Ce  vrai  Christ  catholique  éperdu  de  bonté, 

Pour  spécialement  sauver  vos  âmes  tristes, 

Pharisiens  naïfs,  sincères  jansénistes! 

—  Un  ami  qui  passait,  bon  peintre  et  bon  chrétien 

Et  bon  poète  aussi,  —  les  trois  s'accordent  bien,  — 

Vit  cette  œuvre  sublime  et  fit  une  copie 

Exquise,  et  surprenant  mon  regard  qui  l'épie, 

Très  gracieusement  chez  moi  vint  l'oublier. 

Et  j'ai  rimé  ces  vers  pour  le  remercier.  — 

Août  1880. 


BALLADE 


A  PROPOS  DE  DEUX  ORMEAUX  QU  IL  AVAIT 


A  Léon  Vanier. 

Mon  jardin  fut  doux  et  léger. 
Tant  qu'il  fut  mon  humble  richesse  : 
Mi-potager  et  mi-verger, 
Avec  quelque  fleur  qui  se  dresse 
Couleur  d'amour  et  d'allégresse, 
Et  des  oiseaux  sur  des  rameaux, 
Et  du  gazon  pour  la  paresse. 
Mais  rien  ne  valut  mes  ormeaux. 

De  ma  claire  salle  à  manger 
Où  du  vin  fit  quelque  prouesse, 
Je  les  voyais  tous  deux  bouger 
Doucement  au  vent  qui  les  presse 
L'un  vers  l'autre  en  une  caresse, 
Et  leurs  feuilles  flûtaient  des  mots. 
Le  clos  était  plein  de  tendresse. 
Mais  rien  ne  valut  mes  ormeaux. 


2*  AMOUR 

Hélas  1  quand  il  fallut  changer 
De  deux  et  quitter  ma  liesse, 
Le  verger  et  le  potager 
Se  partagèrent  ma  tristesse, 
Et  la  fleur  couleur  charmeresse, 
Et  l'herbe,  oreiller  de  mes  maux, 
Et  l'oiseau  surent  ma  détresse. 
Mais  rien  ne  valut  mes  ormeaux. 

ENVOI 

Prince,  j'ai  goûté  la  simplesse 
De  vivre  heureux  dans  vos  hameaux 
Gaîté,  santé  que  rien  ne  blesse. 
Mais  rien  ne  valut  mes  ormeaux. 


SUR   UN   RELIQUAIRE 

qu'on    lui   avait    dérobé 


Seul  bijou  de  ma  pauvreté. 
Ton  mince  argent,  ta  perle  fausse 
(En  tout  quatre  francs)  ont  tenté 
Quelqu'un  dont  l'esprit  ne  se  hausse, 

Parmi  ces  paysans  cafards, 
A  vous  dégoûter  d'être  au  monde. 
—  Tas  d'Onans  et  de  Putiphars!  — 
Que  juste  au  niveau  de  l'immonde, 

Elle  Témoin,  et  le  Gardien, 
Le  Grain  d'une  poussière  illustre. 
Un  ami  du  mien  et  du  tien 
Crispe  sur  lui  sa  main  de  rustre  I 

Est-ce  simplement  un  voleur, 
Ou  s'Use  guindé  au  sacrilège? 
Bah!  ces  rustiques-là!  Mais  leur 
Gros  laid  vice  que  rien  n'allège, 


26  AMOUR 

Ne  connaît  rien  que  de  brutal 
Et  ne  s'est  jamais  douté  d'une 
Ame  immortelle.  Du  métal, 
C'est  tout  ce  qu'il  voit  dans  la  lune; 

Tout  ce  qu'il  voit  dans  le  soleil, 
C'est  foin  épais  et  fumier  dense, 
Et  quand  éclot  le  jour  vermeil, 
Il  suppute  timbre  et  quittance, 

Hypothèque,  gens  mis  dedans, 
Placements,  la  dot  de  la  fille, 
Crédits  ouverts  à  deux  battants 
Et  l'usure  au  bout  qui  mordille  I 

Donc,  vol,  oui,  sacrilège,  non. 
Mais  le  fait  monstrueux  existe, 
Et  pour  cet  ouvrage  sans  nom 
Mon  âme  est  immensément  triste. 

01  pour  lui  ramener  la  paix. 
Daignez,  vous,  grand  saint  Benoît  Labre, 
Écouter  les  vœux  que  je  fais 
Peur  que  ma  foi  ne  se  délabre 

En  voyant  ce  crime  impuni 
Rester  inutile  !  0  la  Grâce, 
Implorez-la  sur  l'homme,  et  ni 
L'homme  ni  moi  n'oublierons.  Grâce  1 


AMOUR  t7 


Grûce  pourIcpauvr<^  larron 
Inconscient  (lu  péché  pirel 
Inlercétlcz,  6  bon  patron, 
Et  qu'enfin  le  bon  Dieu  l'inspire, 

Que  (le  ce  débris  de  ce  corps 
Exalté  par  la  pénitence 
Sorte  une  vertu  de  remords, 
Et  que  l'exquis  conseil  le  tance 

Et  lui  montre  toute  l'horreur 
Du  vol  et  de  ce  vol  impie 
Avec  la  torpeur  et  l'erreur 
D'un  passé  qu'il  faut  qu'il  expie. 

Qu'il  s'émeuve  à  ce  double  objet 
Et  tremblant  au  son  du  tonnerre 
Respecte  ce  qu'il  outrageait 
En  attendant  qu'il  le  vénère. 

Et  que  cette  conversion 
L'amène  à  la  foi  de  ses  pères 
D'avant  la  Révolution. 
Ma  Foi,  dis-le-moi,  tu  l'espères? 

Ma  foi,  celle  du  charbonnier, 
Ainsi  la  veux-je,  et  la  souhaite 
Au  possesseur,  croyons  dernier, 
De  la  sainte  petite  boîte. 


A  MADAME  X... 

BN    LUI     ENVOYANT    UNE    PENSÉE 


Au  temps  où  vous  m'aimiez  (bien  sûr?), 
Vous  m'envoyâtes,  fraîche  éclose, 
Une  chère  petite  rose, 
Frais  emblème,  message  pur. 

Elle  disait  en  son  langage 
Les  «  serments  du  premier  amour»  : 
Votre  cœur  à  moi  pour  toujours 
Et  toutes  les  choses  d'usage. 

Trois  ans  sont  passés.  Nous  voilai 
Mais  moi  j'ai  gardé  la  mémoire 
De  votre  rose,  et  c'est  ma  gloire 
De  penser  encore  à  cela. 

Hélas  !  si  j'ai  la  souvenance, 
Je  n'ai  plus  la  fleur,  ni  le  cœur. 
Elle  est  aux  quatre  vents,  la  fleur. 
Le  cœur?  mais,  voici  que  j'y  pense, 


AMOUK  29 

Fut-il  mion  jamais?  cnlro  nous? 
Moi,  le  mien  bat  toujours  le  mCmp, 
Il  est  toujours  simple.  Un  emblème 
A  mon  tour.  Dites,  voulez-vous 

Que,  tout  pesé,  je  vous  envoie, 
Triste  sélam,  mais  c'est  ainsi, 
Cette  pauvre  négrcsse-ci? 
Elle  n'est  pas  couleur  de  joie, 

Mais  elle  est  couleur  de  mon  cœur; 
Je  l'ai  cueillie  ù  quelque  fonte 
Du  pavé  captif  que  j'arpente 
En  ce  lieu  de  juste  douleur. 

A-t-elle  besoin  d'autres  preuves? 
Acceptez-la  pour  le  plaisir. 
J'ai  tant  fait  que  de  la  cueillir, 
Et  c'est  presque  une  fleur-des-veuves. 

1873. 


UN   VEUF    PARLE 


Je  vois  un  groupe  sur  la  mer. 
Quelle  mer?  Ceile  de  mes  larmes. 
Mes  yeux  mouillés  du  vent  amer 
Dans  cette  nuit  d'ombre  et  d'alarmes 
Sont  deux  étoiles  sur  la  mer. 

C'est  une  toute  jeune  femme 
Et  son  enfant  déjà  tout  grand 
Dans  une  barque  ou  nul  ne  rame, 
Sans  mât  ni  voile,  en  plein  courant... 
Un  jeune  garçon,  une  femme  ! 

En  plein  courant  dans  l'ouragan! 
L'enfant  se  cramponne  à  sa  mère 
Qui  ne  sait  plus  où,  non  plus  qu'en..., 
Ni  plus  rien,  et  qui,  folle,  espère 
En  h  courant,  en  l'ouragan. 


AMoun  31 

Espéroz  en  Diou,  pauvro  folle, 
Crois  en  notre  Père,  petit. 
La  tempête  qui  vous  désole, 
Mon  cœur  de  li-liaut  vous  prédit 
Qu'elle  va  cesser,  petit,  folle  1 

Et  paix  au  groupe  sur  la  mer, 
Sur  celte  mer  de  bouncs  larmes! 
Mes  yeux  joyeux  dans  le  ciel  clair, 
Par  cette  nuit  sans  plus  d'alarmes, 
Sont  deux  bons  anges  sur  la  mer- 

1878. 


IL    PARLE    ENCORE 


Ni  pardon  ni  répit,  dit  le  monde, 
Plus  de  place  au  sénat  du  loisir  I 
On  rend  grâce  et  justice  au  désir 
Qui  te  prend  d'une  paix  si  profonde. 
Et  l'on  eût  fait  trêve  avec  plaisir, 
Mais  la  guerre  est  jalouse  :  il  faut  vivre 
Ou  mourir  du  combat  qui  t'enivre. 

Aussi  bien  tes  vœux  sont  absolus 
Quand  notre  art  est  un  mol  équilibre. 
Nous  donnons  un  sens  large  au  mot  :  libre, 
Et  ton  sens  va  :  Vite  ou  jamais  plus. 
Ta  prière  est  un  ordre  qui  vibre  ; 
Alors  nous,  indolents  conseilleurs, 
Que  te  dire,  excepté  :  Cherche  ailleurs? 


AMOUR  33 

Et  Je  vois  rOrgiioil  et  In  Luxure 
Parmi  la  n'-ponscî  ;  tel  un  cor 
Dans  l'éclat  fan(5  d'un  vil  décor, 
Prêtant  sa  rago  à  la  flûte  impure. 
Quel  décor  connu  mais  triste  encorl 
C'est  la  ville  où  se  oaillc  et  se  lie 
Ce  passé  qu'on  boit  jusqu'à  la  lie, 

C'est  Paris  banal,  maussade  et  blanc, 
Qui  chantonne  une  ariette  vieille 
En  cuvant  sa  «  noce  »  de  la  veille 
Comme  un  invalide  sur  un  banc. 
La  Luxure  me  dit  à  l'oreille  : 
Bonhomme,  on  vous  a  déjà  donné. 
Et  l'Orgueil  se  tait  comme  un  damné. 

0  Jésus,  vous  voyez  que  la  porte 
Est  fermée  au  Devoir  qui  frappait, 
Et  que  l'on  s'écarte  à  mon  aspect. 
Je  n'ai  plus  qu'à  prier  pour  la  morte. 
Mais  l'agneau,  bénissez  qui  le  paît! 
Que  le  thym  soit  doux  à  sa  bouchettel 
Que  le  loup  respecte  la  houlette  ! 

Et  puis,  bon  pasteur,  paissez  mon  cœur  :  — 
II  est  seul  désormais  sur  la  terre, 
Et  l'horreur  de  rester  solitaire 
Le  distrait  en  l'étrange  langueur 
n.  S 


34 


AMOUR 


D'un  espoir  qui  ne  veut  pas  se  taire, 
Et  l'appelle  aux  prés  qu'il  ne  faut  pas. 
Donnez-lui  de  n'aller  qu'en  vos  pas. 


1879. 


BALLADE 

BN    B&VB 


Au  D'  Louis  JuUien, 

J'ai  rêvé  d'elle,  et  nous  nous  pardonnions 
Non  pas  nos  torts,  il  n'en  est  en  amour, 
Mais  l'absolu  de  nos  opinions 
Et  que  la  vie  ait  pour  nous  pris  ce  tour. 
Simple  elle  était  comme  au  temps  de  ma  cour, 
Simple  elle  était  comme  au  temps  de  ma  cour. 
En  robe  grise  et  verte  et  voilà  tout.  — 

J'aimai  toujours  les  femmes  dans  ce  goût. 
Et  son  langage  était  sincère  et  coi 
Mais  quel  émoi  de  me  dire  au  débout  : 
J'ai  rêvé  d'elle  et  pas  elle  de  moi. 

Elle  ni  moi  nous  ne  nous  résignions 
A  plus  souffrir  pas  plus  tard  que  ce  jour, 
0!  nous  revoir  encore  compagnons, 
Chacun  étant  descendu  de  sa  tour 
Pour  un  baiser  bien  payé  de  retour  I 


36  AMOUR 

Le  beau  projet!  Et  nous  étions  debout, 
Mais  dans  la  main,  avec  du  sang  qui  bout 
Et  cbante  un  fier  doncc  gratus.  Mais  quoi? 
C'était  un  songe,  ô  tristesse  et  dégoût! 
J'ai  rêvé  d'elle  et  pas  elle  de  moi. 

Et  nous  suivions  tes  luisants  fanions, 
Soie  et  satin,  ô  Bonheur  vainqueur,  pour 
Jusqu'à  la  mort,  que  d'ailleurs  nous  niions. 
J'allais  par  les  chemins  en  troubadour, 
Chantant,  ballant,  sans  craindre  ce  pandour, 
Qui  vous  saute  à  la  gorge  et  vous  découd. 
Elle  évoquait  la  chère  nuit  d'Août 
Où  son  aveu  bas  et  lent  me  fit  roi. 
Moi,  j'adorais  ce  retour  qui  m'absout. 
J'ai  rêvé  d'elle  et  pas  elle  de  moi. 

ENVOI 

Princesse  elle  est  sans  doute  à  l'autre  bout 
Du  monde  où  règne  et  persiste  ma  foi. 
Amen,  alors,  puisqu'à  mes  dam  et  coût 
J'ai  rêvé  d'elle  et  pas  elle  de  moi. 


ADIEU 


Hélas!  je  n'étais  pas  fait  pour  cette  haine 
Et  pour  ce  mépris  plus  forts  que  moi  que  j'ai.  ■ 
Mais  pourquoi  m'avoir  fait  cet  agneau  sans  laine 
Et  pourquoi  m'avoir  fait  ce  cœur  outragé? 

J'étais  né  pour  plaire  à  toute  âme  un  peu  fière. 
Sorte  il'homme  en  rêve  et  capable  du  mieux, 
Parfois  tout  sourire  et  parfois  tout  prière, 
Et  toujours  des  cieux  attendris  dans  les  yeux  ; 

Toujoui^  la  bonté  des  caresses  sincères, 
En  dépit  de  tout  et  quoi  qu'il  y  parût. 
Toujours  la  pudeur  des  hontes  nécessaires 
Dans  l'argent  brutal  et  les  stupeurs  du  rut; 

Toujours  le  pardon,  toujours  le  sacrifice  1 

J'eus  plus  d'un  des  torts,  mais  j'avais  tous  les  soins. 

Votre  mère  était  tendrement  ma  complice. 

Qui  voyait  mes  torts  et  mes  soins,  elle,  au  moins. 


38  AMOUR 

Elle  n'aimait  pas  que  par  vous  je  souffrisse. 
Elle  est  morte  et  j'ai  porté  sur  son  tombeau  ; 
Mais  je  doute  fort  qu'elle  approuve  et  bénisse 
La  chose  actuelle  et  trouve  cela  beau. 

Et  j'ai  peur  aussi,  nous  en  terre,  de  croire 
Que  le  pauvre  enfant,  votre  fils  et  le  mien, 
Ne  vénérera  pas  trop  votre  mémoire, 
0  vous  sans  égard  pour  le  mien  et  le  tien, 

Je  n'étais  pas  fait  pour  dire  de  ces  choses, 
Moi  dont  la  parole  exhalait  autrefois 
Un  épithalame  en  des  apothéoses. 
Ce  chant  du  matin  où  mentait  votre  voix. 

J'étais,  je  suis  né  pour  plaire  aux  nobles  âmes, 
Pour  les  consoler  un  peu  d'un  monde  impur. 
Cimier  d'or  chanteur  et  tunique  de  flammes, 
Moi  le  Chevalier  qui  saigne  sur  azur, 

Moi  qui  dois  mourir  d'une  mort  douce  et  chaste 
Dont  le  cygne  et  l'aigle  encor  seront  jaloux. 
Dans  l'honneur  vainqueur  malgré  ce  vous  néfaste. 
Dans  la  gloire  aussi  des  Illustres  Époux  ! 

Novembre  1886. 


BALLADE 


KN     L  UONNEUIl     DE    LOUISE   MICHIL 


Madame  et  Pauline  Roland, 
Chailolte,  Théroigne,  Lucile, 
Pi'esque  Jeanne  d'Arc,  éloilant 
Le  front  de  la  foule  imbécile, 
Nom  des  cieux,  cœur  divin  qu'exile 
Celte  espèce  de  moins  que  rien 
France  bourgeoise  au  dos  facile. 
Louise  Michel  est  très  bien. 

Elle  aime  le  Pauvre  ùpre  et  franc 
Ou  timide,  elle  est  la  faucille 
Dans  le  blé  mûr  pour  le  pain  blanc 
Du  Pauvre,  et  la  sainte  Cécile, 
Et  la  Muse  rauque  et  gracile 
Du  Pauvre  et  son  ange  gardien 
A  ce  simple,  à  cet  indocile. 
Louise  Michel  est  très  bien. 


40  AMOUR 

Gouvernements  de  maltalent, 
Mégathérium  ou  baccille, 
Soldat  brut,  robin  insolent, 
Ou  quelque  compromis  fragile. 
Géant  de  boue  aux  pieds  d'argile. 
Tout  cela  son  courroux  chrétien 
L'écrase  d'un  mépris  agile. 
Louise  Michel  est  très  bien. 

ENVOI 

Citoyenne  !  votre  évangile 

On  meurt  pour!  c'est  l'Honneur  1  et  bien 

Loin  des  Taxil  et  des  Bazile, 

Louise  Michel  est  très  bien. 


A  LOUIS  II  DE   BAVIERE 


Roi,  le  seul  vrai  roi  de  ce  siècle,  salut,  Sire, 
Qui  voulûtes  mourir  vengeant  votre  raison 
Des  choses  de  la  politique,  et  du  délire 
De  cette  Science  intruse  dans  la  maison. 

De  cette  Science  assassin  de  TOraison 
Et  du  Chant  et  de  l'Art  et  de  toute  la  Lyre, 
Et  simplement  et  plein  d'orgueil  en  floraison 
Tuâtes  en  mourant,  salut,  Roi,  bravo,  Sire  ! 

Vous  fûtes  un  poète,  un  soldat,  le  seul  Roi 
De  ce  siècle  où  les  rois  se  font  si  peu  de  chose. 
Et  le  martyr  de  la  Raison  selon  la  Foi. 

Salut  à  votre  très  unique  apothéose, 

Et  que  votre  âme  ait  son  fier  cortège,  or  et  fer. 

Sur  un  air  magnifique  et  joyeux  de  Wagner. 


PARSIFAL 


A  JULES   TELLIEB 


Parsifai  a  vaincu  les  Filles,  leur  gentil 
Babil  et  la  luxure  amusante  —  et  sa  pente 
Vers  la  Chair  de  garçon  vierge  que  cela  tente 
D'aimer  les  seins  légers  et  ce  gentil  babil  ; 

Il  a  vaincu  la  Femme  belle,  au  cœur  subtil, 
Étalant  ses  bras  frais  et  sa  gorge  excitante  ; 
Il  a  vaincu  l'Enfer  et  rentre  sous  la  tente 
Avec  un  lourd  trophée  à  son  bras  puéril, 

Avec  la  lance  qui  perça  ie  Flanc  suprême  l 
Il  a  guéri  le  roi,  le  voici  roi  lui-même, 
Et  prêtre  du  très  saint  Trésor  essentiel. 

En  robe  d'or  il  adore,  gloire  et  symbole, 
Le  vase  pur  où  resplendit  le  sang  réel. 
— ■  Et,  ô  ces  voix  d'enfants  chantant  dans  la  coupole  I 


SAINT  GRAAL 


▲  LEON   BLOT 


Parfois  je  sens,  mourant  des  temps  où  nous  vivons. 
Mon  immense  douleur  s'enivrer  d'espérance. 
En  vain  l'heure  honteuse  ouvre  des  trous  profonds, 
En  vain  bdillent  sous  nous  les  désatres  sans  fonds 
Pour  engloutir  l'abus  de  notre  dpre  souffrance, 
Le  sang  de  Jésus-Christ  ruisselle  sur  la  France. 

Le  précieux  Sang  coule  à  flots  de  ses  autels 
Non  encor  renversés,  et  coulerait  encore 
Le  fussent-ils,  et  quand  nos  malheurs  seraient  tels 
Que  les  plus  forts,  cédant  à  ces  effrois  mortels, 
Eux-mêmes  subiraient  la  loi  qui  déshonore. 
De  l'ombre  des  cachots  il  jaillirait  encore, 


Il  coulerait  encor  des  pierres  des  cachots. 
Descellerait  l'horreur  des  ciments,  doux  et  rouge 
Suintement,  torrent  patient  d'oraisons, 
D'expiation  forte  et  de  bonnes  raisons 


44 


AMOUR 


Contre  les  lâchetés  et  les  «  feux  sur  qui  bouge  »  I 
Et  toute  guillotine  et  cette  Gueuse  rouge...  ! 


Torrent  d'amour  du  Dieu  d'amour  et  de  douceur, 
Fût-ce  parmi  l'horreur  de  ce  monde  moqueur, 
Fleuve  rafraîchissant  du  feu  qui  désaltère, 
Source  vive  où  s'en  vient  ressusciter  le  cœur 
Même  de  l'assassin,  même  de  l'adultère. 
Salut  de  la  patrie,  ô  sang  qui  désaltère  1 


«  GAIS  ET  CONTENTS  » 


A   CHARLES   VESSERON 


Une  chanson  folle  et  légère 
Comme  le  drapeau  tricolore 
Court  furieusement  dans  l'air, 
Fifrant  une  France  ûpre  encore. 

Sa  gaîté  qui  rit  d'elle-même 
Et  du  reste  en  passant  se  moque 
Pourtant  veut  bien  dire  :  Tandem  1 
Et  vaticine  le  grand  choc. 

Écoutez  !  le  flonflon  se  pare 
Des  purs  accents  de  la  Patrie, 
Espèce  de  chant  du  départ 
Du  gosse  effrayant  de  Paris. 

Il  est  le  rythme,  il  est  la  joie, 
Il  est  la  Revanche  essayée, 
U  est  l'entrain,  il  est  tout,  quoi! 
Jusqu'au  juron  luron  qui  sied, 


46 


Jusqu'au  cri  de  reconnaissance 
Qu'on  pousse  quand  il  faut  qu'on  meure 
De  sang-froid,  dans  tout  son  bon  sens, 
Avec  de  l'honneur  plein  son  cœur  ! 


A  FERNAND  LANGLOIS 


Vous  vous  êtes  penché  sur  ma  mélancolie. 

Non  comme  un  indiscret,  non  comme  un  curieux, 

Et  vous  avez  surpris  la  clef  de  ma  folie, 

Tel  un  consolateur  attentif  et  pieux  ; 

Et  vous  avez  ouvert  doucement  ma  serrure, 
Y  mettant  tout  le  temps,  non  ainsi  qu'un  voleur, 
Mais  ainsi  que  quelqu'un  qui  préserve  et  rassure 
Un  triste  possesseur  peut-être  receleur 

Soyez  aimé  d'un  cœur  plus  veuf  que  toutes  veuves, 
Qui  n'avait  plus  personne  en  qui  pleurer  vraiment, 
Soyez  béni  d'une  âme  errant  au  bord  des  fleuves 
Consolateurs  si  mal  avec  leur  air  dormant  ; 

Que  soient  suivis  des  pas  d'un  but  d.  la  dérive 
Hier  encor,  vos  pas  eux-mêmes  tristes,  ô 
Si  tristes,  mais  que  si  bien  tristes  !  et  que  vive 
Encore,  alors  !  mais  par  vous  pour  Dieu,  ce  roseau, 


48  AMOUR 

Cet  oiseau,  ce  roseau  sous  cet  oiseau,  ce  blême 
Oiseau  sur  ce  pâle  roseau  fleuri  jadis, 
Et  pâle  et  sombre,  spectre  et  spectre  noir:  Moi-même! 
Surrexit  hodie,  non  plus  :  de  profanais. 

Fiat!  La  défaillance  a  fini.  Le  courage 
Revient.  Sur  votre  bras  permettez  qu'appuyé 
Je  marche  en  la  fraîcheur  de  l'expirant  orage, 
Moi-même  comme  qui  dirait  défoudroyé. 

Là,  je  vais  mieux.  Tantôt  le  calme  s'en  va  naître. 
Il  naît.  Si  vous  voulez,  allons  à  petits  pas, 
Devisant  de  la  vie  et  d'un  bonheur  peut-être 
Non,  sans  doute,  impossible,  en  somme,  n'est-ce  pas? 

Oui,  causons  de  bonheur,  mais  vous?  pourquoi  si  triste, 
Vous  aussi?  Vous  si  jeune  et  si  triste,  ô  pourquoi, 
Dites?  Mais  cela  vous  regarde;  et  si  j'insiste. 
C'est  uniquement  pour  vous  plaire  et  non  pour  moi. 

Discrétion  sans  borne,  immense  sympathie  ! 
C'est  l'heure  précieuse,  elle  est  unique,  elle  est 
Angélique.  Tantôt  l'avcz-vous  pressentie  ? 
Avez-vous  comme  su  —  moi  je  l'ai  —  qu'il  fallait 

Peut-être  bien,  sans  doute,  et  quoique,  et  puisque,  en  somme 
Éprouvant  tant  d'estime  et  combien  de  pitié. 
Laissez  monter  en  nous,  fleur  suprême  de  l'homme, 
Franchement,  largement,  simplement,  l'Amitié. 


DELICATESSE 


A    MADEMOISELLE    RACUILDS 


Tu  nous  rends  l'égal  des  héros  et  des  dieux, 
Et.  nous  procurant  d'être  les  seuls  dandies, 
Fais  de  nos  orgueils  des  sommets  radieux, 
Non  plus  ces  foyers  de  troubles  incendies. 

Tu  brilles  et  luis,  vif  astre  aux  rayons  doux, 
Sur  l'horizon  noir  d'une  lourde  tristesse. 
Par  toi  surtout  nous  plaisons  au  Dieu  jaloux, 
Choisie,  une,  fleur  du  Bien,  Délicatesse  I 

Plus  fière  fierté,  plus  pudique  pudeur 

Qui  ne  sais  rougir  à  force  d'être  fière. 

Qui  ne  peux  que  vaincre  en  ta  sereine  ardeur, 

Vierge  ayant  tout  su,  très  paisible  guerrière. 

Musique  pour  l'âme  et  parfum  pour  l'esprit. 
Vertu  qui  n'es  qu'un  nom,  mais  le  nom  d'un  ange, 
Noble  dame  guidant  au  ciel  qui  sourit 
Notre  immense  eiTort  de  parmi  cette  fange. 


ANGÉLUS  DE  MIDI 


Je  suis  dur  comme  un  juif  et  têtu  comme  lui, 
Littéral,  ne  faisant  le  bien  qu'avec  ennui, 
Quand  je  le  fais,  et  prêt  à  tout  le  mal  possible  ; 

Mon  esprit  s'ouvre  et  s'offre,  on  dirait  une  cible  ; 
Je  ne  puis  plus  compter  les  chutes  de  mon  cœur  ; 
La  charité  se  fane  aux  doigts  de  la  langueur  ; 

L'ennemi  m'investit  d'un  fossé  d'eau  dormante  ; 
Un  parti  de  mon  être  a  peur  et  parlemente  : 
Il  me  faut  à  tout  prix  un  secours  prompt  et  fort. 

Ce  fort  secours,  c'est  vous,  maîtresse  de  la  mort 

Et  reine  de  la  vie,  ô  Vierge  immaculée. 

Qui  tendez  vers  Jésus  la  Face  constellée 

Pour  lui  montrer  le  Sein  de  toutes  les  douleurs 

Et  tendez  vers  nos  pas,  vers  nos  ris,  vers  nos  pleurs 


AMOUR  SI 

Kt  vers  nos  vanités  douloureuses  les  paumes 

Lumineusos,  les  Mains  n'îpandcuses  do  baumes. 

Mario,  ayoz  pitié  de  moi  qui  ne  vaux  rien 

Dans  le  chaste  combat  du  Sage  et  du  Chrétien  ; 

Priez  pour  mon  courage  et  pour  qu'il  persévère,   ^ 

Pour  de  la  patience,  en  cette  longue  guerre, 

A  supporter  le  froid  et  le  chaud  des  saisons; 

Écartez  le  fléau  des  mauvaises  raisons  ; 

llendez-moi  simple  et  fort,  inaccessible  aux  larmes. 

Indomptable  à  la  peur;  mettez-moi  sous  les  armes, 

Que  j'écrase,  puisqu'il  le  faut,  et  broie  enfin 

Tous  les  vains  appétits,  et  la  soif  et  la  faim,  — 

Et  l'amour  sensuel,  cette  chose  cruelle, 

Et  la  haine  encore  plus  cruelle  et  sensuelle, 

Faites-moi  le  soldat  rapide  de  vos  vœux. 

Que  pour  obéir  soit  le  rien  que  je  peux. 

Que  ce  que  vous  voulez  soit  tout  ce  que  je  puisse  1 

J'immolerai  comme  en  un  calme  sacrifice 

Sur  votre  autel  honni  jadis,  baisé  depuis, 

Le  mauvais  que  je  fus,  le  lâche  que  je  suis. 

La  sale  vanité  de  l'or  qu'on  a,  l'envie 

D'en  avoir  mais  pas  pour  le  Pauvre,  cette  vie 

Pour  soi,  quel  soi!  l'affreux  besoin  de  plaire  aux  gens, 

I/affreux  besoin  de  plaire  aux  gens  trop  indulgents, 

Hommes  prompts  aux  complots,  femmes  tôt  adultères, 

Tous  préjugés,  mourez  sous  mes  mains  militaires! 

Mais  pour  qu'un  bien  beau  fruit  récompense  ma  paix, 

Fleurissîut  dans  tout  moi  la  fleur  des  divins  Mais, 


52  AMOUR 

Votre  amour,  Mère  tendre,  et  votre  culte  tendre. 
Ah!  vous  aimer,  n'aimer  Dieu  que  pour  vous,  ne  tendre 
A  lui  qu'en  vous  sans  plus  aucun  détour  subtil, 
Et  mourir  avec  vous  tout  près. 

Ainsi  solt-ill 


A  LÉON  VALADE 


Douze  longs  ans  ont  lui  depuis  les  jours  si  courts 
Où  le  même  devoir  nous  tenait  côte  à  côte  ! 
Ilélas!  les  passions  dont  mon  cœur  s'est  fait  l'hôte 
Furieux  ont  troublé  ma  paix  de  ces  bons  jours; 

Et  j'ai  couru  bien  loin  de  nos  calmes  séjours 
Au  pourchas  du  Bonheur,  ne  trouvant  que  la  Faute  ; 
Le  vaste  monde  autour  de  ma  fuite  trop  haute 
Fondait  en  vains  aspects,  ronflait  en  vains  discours... 

—  L'Orgueil,  fol  hippogriffe,  a  replié  ses  ailes; 
Un  cœur  nouveau  fleurit  au  feu  des  humbles  zèles 
Dans  mon  sein  visité  par  la  foudre  de  Dieu. 

Mais  l'antique  amitié,  simple,  joyeuse,  exacte, 
Pendant  tout  mon  désastre,  à  toute  heure,  en  tout  lieu, 

—  J'en  suis  fier,  mon  Valade,  —  entre  nous  tint  ce  pacte. 


1881. 


A  ERNEST   DELAHAYE 


Dieu,  nous  voulant  amis  parfaits,  nous  fit  tous  deux 

Gais  de  cette  gaîté  qui  rit  pour  elle-même, 

De  ce  rire  absolu,  colossal  et  suprême, 

Qui  s'esclaffe  de  tous  et  ne  blesse  aucun  d'eux. 

Tous  deux  nous  ignorons  l'égoïsme  hideux 
Qui  nargue  ce  prochain  même  qu'il  faut  qu'on  aime 
Comme  soi-même  :  tels  que  les  termes  du  problème, 
Telle  la  loi  totale  au  texte  non  douteux. 

Et  notre  rire  étant  celui  de  l'innocence, 
Il  éclate  et  rugit  dans  la  toute-puissance 
D'un  bon  orage  plein  de  lumière  et  d'air  frais. 

Pour  le  soin  du  Salut,  qui  me  pique  et  m'inspire, 

J'estime  que,  parmi  nos  façons  d'êti^e  prêts, 

Il  nous  faut  mettre  au  rang  des  meilleures  ce  rire. 


A  EMILE   BLEMONT 


f,a  vindicte  bourgeoise  assassinait  mon  nom 
Chinoisemcnt,  à  coups  d'épingle,  quelle  affaire  ! 
Et  la  tempête  allait  plus  âpre  dans  mon  verre. 
D'ailleurs  du  seul  grief,  Dieu  bravé,  pas  un  non, 

Pas  un  oui,  pas  un  mot!  L'Opinion  sévère 
Mais  juste  s'en  moquait,  autant  qu'une  guenon 
De  noix  vides.  Ce  bœuf  bavant  sur  son  fanon, 
Le  Public  mâchonnait  ma  gloire...  encore  à  faire. 

L'heure  était  tentatrice,  et  plusieurs  d'entre  ceux 
Qui  m'aimaient,  en  dépit  de  Prudhomme  complice, 
Tournèrent  carrément,  furent  de  mon  supplice, 

Ou  se  turent,  la  Peur  les  trouvant  paresseux. 

Mais  vous,  du  premier  jour  vous  fûtes  simple,  brave. 

Fidèle  :  et  dans  un  cœur  bien  fait  cela  se  grave. 


A  CHARLES  DE  SIVRY 


Mon  Charles,  autrefois  mon  frère,  et  pardieu  bienl 
Encore  tel  malgré  toutes  les  lois  ensemble, 
Te  souvient-il  d'un  amoureux  qui  n'ose  et  tremble 
Et  verse  le  secret  de  son  cœur  dans  le  tien  ? 

Ah!  de  vivre?  Et  te  souvient-il  du  fameux  Sage, 
Austère  avec  douceur,  en  route,  croyait-il. 
Pour  un  beau  Bethléem  littéral  et  subtil, 
Entre  un  berger  naïf  et  quelque  très  haut  mage? 

—  L'amoureux  est  un  veuf  orgueilleux.  Ah  !  de  vivre  ! 
Le  sage  a  suspendu  son  haleine  et  son  livre. 
N'aspirant  plus  en  Dieu  que  par  la  bonne  mort. 

Et  pourtant,  pourtant  comme  ils  sont  toujours  le  même 
Homme  du  chaste  espoir  de  justes  noces  qu'aime 
Ou  non  celle  qui  sous  sa  tombe  d'oubli  dortl 


A  EMMANUEL  GlIABRIER 


Chabrier,  nous  faisions,  un  ami  cher  et  moi, 
Des  paroles  pour  vous  qui  leur  donniez  des  ailes, 
Et  tous  trois  frémissions  quand,  pour  bénir  nos  zèles, 
Passait  l'Ecce  Deus  et  le  Je  ne  sais  quoi. 

Chez  ma  mère  charmante  et  divinement  bonne. 
Votre  génie  improvisait  au  piano, 
Et  c'était  tout  autour  comme  un  brûlant  anneau 
De  sympathie  et  d'aise  aimable  qui  rayonne. 

Hélas!  ma  mère  est  morte  et  l'ami  cher  est  mort. 
Et  me  voici  semblable  au  chrétien  près  du  port, 
Qui  surveille  les  tout  derniers  écueils  du  monde, 

Non  toutefois  sans  saluer  à  l'horizon, 

Comme  une  voile  sur  le  large  au  blanc  frisson, 

Le  souvenir  des  frais  instants  de  paix  profonde. 


A  EDMOND  THOMAS 


Mon  ami,  vous  m'avez,  quoiqu'encore  si  jeune, 
Vu  déjà  bien  divers,  mais  ondoyant  jamais  ! 
Direct  et  bref,  oui  :  tels  les  Juin  suivent  les  Mais, 
Ou  comme  un  affamé  de  la  veille  déjeune. 

Homme  de  primesaut  et  d'excès,  je  le  suis. 
D'aventure  et  d'erreur,  allons,  je  le  concède, 
Soit,  bien,  mais  illogique  ou  mol  ou  lâche  ou  tiède 
En  quoi  que  ce  soit,  le  dire,  je  ne  le  puis, 

Je  ne  le  dois  !  Et  ce  serait  le  plus  impie 
Péché  contre  le  Saint-Esprit  que  rien  n'expie, 
Pour  ma  foi  que  l'amour  éclaire  de  son  feu, 

Et  pour  mon  cœur  d'or  pur  le  mensonge  suprême, 
Puisqu'il  n'est  de  justice,  après  l'église  et  Dieu, 
Que  celle  qu'on  se  fait,  à  confesse,  soi-même. 


A   CHARLES   MORIGE 


Impérial,  royal,  sacerdotal,  comme  une 
République  Française  en  ce  Quatre-vingt-treize, 
Brûlant  empereur,  roi,  prêtre  dans  sa  fournaise, 
Avec  la  danse,  autour,  de  la  grande  Commune  ; 

L'étudiant  et  sa  guitare  et  sa  fortune 

A  travers  les  décors  d'une  Espagne  mauvaise 

Mais  blanche  de  pieds  nains  et  noire  d'yeux  de  braise. 

Héroïque  au  soleil  et  folle  sous  la  lune  ; 

Néoptolème,  âme  charmante  et  chaste  tête. 
Dont  je  serais  en  même  temps  le  Philoctète 
Au  cœur  ulcéré  plus  encor  que  sa  blessure. 

Et,  pour  un  conseil  froid  et  bon  parfois,  l'Ulysse; 

Artiste  pur,  poète  où  la  gloire  s'assure  ; 

Cher  aux  femmes,  cher  aux  lettres,  Charles  Morice  ! 


A  MAURICE   DU   PLEYSSYS 


Je  vous  prends  à  témoin  entre  tous  mes  amis, 
Vous  qui  m'avez  connu  dès  l'extrême  infortune, 
Que  je  fus  digne  d'elle,  à  Dieu  seul  tout  soumis, 
Sans  criard  désespoir  ni  jactance  importune, 

Simple  dans  mon  mépris  pour  des  revanches  viles 
Et  dans  l'immense  effort  en  détournant  leurs  coups, 
Calme  à  travers  ces  sortes  de  guerres  civiles 
Oiila  Faim  et  l'Honneur  eurent  leurs  tours  jaloux, 

Et,  n'est-ce  pas,  bon  juge,  et  fier!  mon  du  Plessys, 
Qu'en  l'amer  combat  que  la  gloire  revendique 
L'Honneur  a  triomphé  de  sorte  magnifique  ? 

Aimez-moi  donc,  aimez  quels  que  soient  les  soucis 
Plissant  parfois  mon  front  et  crispant  mon  sourire, 
Ma  haute  pauvreté  plus  chère  qu'un  empire. 


A  PROPOS 
D'UN  «  CENTENAIRE  »  DE  CALDERON 

(1600-1681) 

▲    JOSE    MARIA    DE     UEREDIA 


Ce  poète  terrible  et  divinement  doux, 
Plus  largo  que  Corneille  et  plus  haut  que  Shakspeare, 
Grand  comme  Eschyle  avec  ce  souffle  qui  l'inspire, 
CeCalderon  mystique  et  mythique  esta  nous. 

Oui  cette  gloire  est  nôtre,  et  nous  voici  jaloux 
De  le  dire  bien  haut  à  ce  siècle  en  délire  : 
Calderon,  catholique  avant  tout,  noble  lyre 
Et  saints  accents,  et  bon  catholique  avant  tous, 

Salut!  Et  qu'est  ce  bruit  fâcheux  d'académies. 

De  concours,  de  discours,  autour  de  ce  grand  mort 

En  éveil  parmi  tant  de  choses  endormies  ? 


02  AMOUR 

Laissez  rêver,  laissez  penser  son  Œuvre  fort 
Qui  plane,  loin  d'un  siècle  impie  et  ridicule, 
Au-dessus,  au-delà  des  colonnes  d'Hercule  ! 


Mai  1881. 


A   VICTOR  HUGO 


EN    LUI     ENVOYANT    «     SAGESSE    » 


Nul  parmi  vos  flatteurs  d'aujourd'hui  n'a  connu 
Mieux  que  moi  la  fierté  d'admirer  votre  gloire  : 
Votre  nom  m'enivrait  comme  un  nom  de  victoire, 
Votre  œuvre,  je  l'aimais  d'un  amour  ingénu. 

Depuis,  la  Vérité  m'a  mis  le  monde  à  nu. 
J'aime  Dieu,  son  Église,  et  ma  vie  est  de  croire 
Tout  ce  que  vous  tenez,  hélas  !  pour  dérisoire. 
Et  j'abhorre  en  vos  vers  le  Serpent  reconnu. 

J'ai  changé.  Comme  vous.  Mais  d'une  autre  manière. 
Tout  petit  que  je  suis  j'avais  aussi  le  droit 
D'une  évolution,  la  bonne,  la  dernière. 

Or,  je  sais  la  louange,  ô  maître,  que  vous  doit 
L'enthousiasme  ancien  ;  la  voici  franche,  pleine. 
Car  vous  me  fûtes  doux  en  des  heures  do  peine. 

iSSl. 


SAINT  BENOIT-JOSEPH   LABRE 


JOUR     DE     LA     CANONISATION 


Comme  l'Église  est  bonne  en  ce  siècle  de  haine. 
D'orgueil  et  d'avarice  et  de  tous  les  péchés, 
D'exalter  aujourd'hui  le  caché  des  cachés, 
Le  doux  entre  les  doux  à  l'ignorance  humaine 

Et  le  mortifié  sans  pair  que  la  Foi  mène. 
Saignant  de  pénitence  et  blanc  d'extase,  chez 
Les  peuples  et  les  saints,  qui,  tous  sens  détachés, 
Fit  de  la  Pauvreté  son  épouse  et  sa  reine. 

Comme  un  autre  Alexis,  comme  un  autre  François, 
Et  fut  le  Pauvre  affreux,  angélique,  à  la  fois 
Pratiquant  la  douceur,  l'horreur  de  l'Évangile  I 

Et  pour  ainsi  montrer  au  monde  qu'il  a  tort 

Et  que  les  pieds  crus  d'or  et  d'argent  sont  d'argile, 

Comme  l'Église  est  tendre  et  que  Jésus  et  foril 


PARABOLES 


Soyez  béni,  Seigneur,  qui  m'avez  fait  chrétien 
Dans  ces  temps  de  féroce  ignorance  et  de  haine; 
Mais  donnez-moi  la  force  et  Taudace  sereine 
De  vous  être  à  toujours  fidèle  comme  un  chien, 

De  vous  être  l'agneau  destiné  qui  suit  bien 
Sa  mère  et  ne  sait  faire  au  pdtre  aucune  peine, 
Sentant  qu'il  doit  sa  vie  encore,  après  sa  laine. 
Au  maître,  quand  il  veut  utiliser  ce  bien, 

Le  poisson,  pour  servir  au  Fils  de  monogramme, 
L'ânon  obscur  qu'un  jour  en  triomphe  il  monta, 
Et,  dans  ma  chair,  les  porcs  qu'à  l'abîme  il  jeta. 

Car  l'animal,  meilleur  que  l'homme  et  que  la  femme, 
En  ces  temps  de  révolte  et  de  duplicité 
Fait  son  humble  devoir  avec  simplicité. 


SONNET  HÉROÏQUE 


La  Gueule  parle  :  «  L'or,  et  puis  encore  l'or, 
Toujours  l'or,  et  la  viande,  et  les  vins,  et  la  viande. 
Et  l'or  pour  les  vins  fins  et  la  viande,  on  demande 
Un  trou  sans  fond  pour  l'or  toujours  et  l'or  encor!  » 

La  Panse  dit  :  «  A  moi  la  chute  du  trésor  ! 
La  viande,  et  les  vins  fins,  et  l'or,  toute  provende, 
A  moi!  Dégringolez  dans  l'outre  toute  grande 
Ouverte  du  seigneur  Nabuchodonosor  !  » 

L'œil  est  de  pur  cristal  dans  les  suifs  de  la  face  : 
Il  brille,  net  et  franc,  près  du  vrai,  rouge  et  faux. 
Seule  perfection  parmi  tous  les  défauts. 

L'Ame  attend  vainement  un  remords  efficace, 

Et  dans  l'impénitence  agonise  de  faim 

Et  de  soif,  et  sanglote  en  pensant  à  La  fin. 


1881. 


DRAPEAU  VRAI 


A    RAYMOND     DE     LA     TA1LI1ED8 


Le  soldat  qui  sait  bien  et  veut  bien  son  métier 
Sera  l'homme  qu'il  faut  au  Devoir  inilexible  : 
Le  Devoir,  qu'il  combatte  ou  qu'il  tire  à  la  cible, 
Qu'il  s'essore  à  la  mort  ou  balte  un  plat  sentier  ; 

Le  Devoir,  qu'il  subisse  (et  l'aime!)  un  ordre altier 
Ou  repousse  le  bas  conseil  de  tel  liorrible 
Dégoût;  le  Devoir  bon,  le  Devoir  dur,  le  crible 
Où  restent  les  défauts  de  l'homme  tout  entier  ; 

Le  Devoir  saint,  la  fîère  et  douce  Obéissance, 
Rappel  de  la  Famille  en  dépit  de  la  France 
Actuelle,  au  mépris  de  cette  France-là! 

Famille,  foyer,  France  antique  et  l'immortelle, 
Le  Devoir  seul  devoir,  le  Soldat  qu'appela 
D'avance  cette  France  :  or  l'Espérance  est  telle. 


PENSEE    DU    SOIR 


k    ERNEST    RAYNAUD 


Couché  dans  l'herbe  pâle  et  froide  de  l'exil, 

Sous  les  ifs  et  les  pins  qu'argenté  le  grésil, 

Ou  bien  errant,  semblable  aux  formes  que  suscite 

Le  rêve,  par  l'horreur  du  paysage  scythe. 

Tandis  qu'autour,  pasteurs  de  troupeaux  fabuleux. 

S'effarouchent  les  blancs  Barbares  aux  yeux  bleus, 

Le  poète  de  l'art  d'Aimer,  le  tendre  Ovide 

Embrasse  l'horizon  d'un  long  regard  avide 

Et  contemple  la  mer  immense  tristement. 

Le  cheveu  poussé  rare  et  gris  que  le  tourment 
Des  bises  va  mêlant  sur  le  front  qui  se  plisse, 
L'habit  troué  livrant  la  chair  au  froid,  complice, 
Sous  l'aigreur  du  sourcil  tordu  l'œil  terne  et  las, 
La  barbe  épaisse,  inculte  et  presque  blanche,  hélas 
Tous  ces  témoins  qu'il  faut  d'un  deuil  expiatoire 
Disent  une  sinistre  et  lamentable  histoire 


AMOUR  69 

D'amour  excessif,  d'&prc  envie  et  de  fureur 

Ktquol(iuc  rcsponsabilil*'  d'Kinpereur. 
Ovide  morne  pense  à  Rome  et  puis  encore 
A  Rome  que  sa  gloire  illusoire  décore. 

Or,  Jésus!  vous  m'avez  justement  obscurci  : 
Mais,  n'étant  pas  Ovide,  au  moins  Je  suis  ceci. 


PAYSAGES 


A    ANATOLE     BAJO 


Au  pays  de  mon  père  on  voit  des  bois  sans  nombre, 

Là  des  loups  font  parfois  luire  leurs  yeux  dans  l'ombre 

Et  la  myrtile  est  noire  au  pied  du  chêne  vert. 

Noire  de  profondeur,  sur  l'étang  découvert, 

Sous  la  bise  soufflant  balsamiquement  dure 

L'eau  saute  à  petits  flots,  minéralement  pure. 

Les  villages  de  pierre  ardoisière  aux  toits  bleus 

Ont  leur  pacage  et  leur  labourage  autour  d'eux. 

Du  bétail  non  pareil  s'y  fait  des  chairs  friandes. 

Sauvagement  un  peu  parmi  les  hautes  viandes; 

Et  l'habitant,  grâce  à  la  Foi  sauv^^  est  heureux. 

Au  pays  de  ma  mère  est  un  sol  plantureux 

Où  l'homme,  doux  et  fort,  vit  prince  de  la  plaine 

De  patients  travaux  pour  quelles  moissons  pleine, 

Avec,  rares,  des  bouquets  d'arbres  et  de  l'eau. 

L'industrie  a  sali  par  place  ce  tableau 

De  paix  patriarcale  et  de  campagne  dense 

Et  compromis  jusqu'à  des  points  cette  abondance, 


A  M  0  u  n  71 

Mais  l'ensemble  est  resté,  gomme  toute,  trl's  bien. 

\.c  peuple  est  Troid  et  chaud,  non  sans  un  fond  chrétien. 

Helle,  très  au-dessus  de  toute  la  contrée. 

Se  dresse  épcrdumont  la  tour  démesurée 

D'un  gothique  befTroi  sur  le  ciel  balancé 

Allcslant  les  devoirs  et  les  droits  du  passé, 

Et  tout  en  haut  de  lui  le  grand  lion  de  Flandre 

Hurle  en  cris  d'or  dans  l'air  moderne  :  «  Osez  les  prendre  !  » 

Le  pays  de  mon  rêve  est  un  site  charmant 

Qui  tient  des  deux  aspects  décrits  précédemment  : 

Quelque  Apreté  se  môle  aux  saveurs  géorgiques. 

L'amour  et  le  loisir  môme  sont  énergiques. 

Calmes,  équilibrés  sur  l'ordre  et  le  devoir. 

La  vierge  en  général  s'abstient  du  nonchaloir 

Dangereux  aux  vertus,  et  Tamant  qui  la  presse 

A  coutume  avant  tout  d'éviter  la  paresse 

Où  le  vice  puisa  ses  armes  en  tout  temps. 

Si  bien  qu'en  mon  pays  tous  les  cœurs  sont  contents, 

Sont,  ou  plutôt  étaient. 

Au  cœur  ou  dans  la  tête. 
La  tempête  est  venue.  Est-ce  bien  la  tempête? 
En  tout  cas,  il  y  eut  de  la  grêle  et  du  feu, 
Et  la  misère,  et  comme  un  abandon  de  Dieu. 
La  mortalité  fut  sur  les  mères  taries 
Des  troupeaux  rebutés  par  l'herbe  des  prairies. 
Et  les  jeunes  sont  morts  après  avoir  langui 
D'un  sort  qu'on  croyait  parti  d'où,  jeté  par  qui? 


72  AMOtin 

Dans  les  champs  ravagés  la  terre  diluée 
Comme  une  pire  mer  flotte  en  une  buée. 
Des  arbres  détrempés  les  oiseaux  sont  partis, 
Laissant  leurs  nids  et  des  squelettes  de  petits. 
D'amours  de  fiancés,  d'union  des  ménages 
Il  n'est  plus  question  dans  mes  tristes  parages. 
Mais  la  croix  des  clochers  doucement  toujours  luit, 
Dans  les  cages  plus  d'une  cloche  encore  bruit, 
Et,  béni  signal  d'espérance  et  de  refuge, 
L'arc-en-ciel  apparaît  comme  après  le  déluge. 


LUCIEN    LÉTINOIS 


Mon  fils  est  mort.  J'adore,  ô  mon  Dieu,  votre  loi.   — 
Je  vous  offre  les  pleurs  d'un  cœur  presque  parjure , 
Vous  châtiez  bien  fort  et  parferez  la  foi 
Qu'alanguissait  l'amour  pour  une  créature. 

Vous  chutiez  bien  fort.  Mon  fils  est  mort,  hélas  I 
Vous  me  l'aviez  donné,  voici  que  votre  droite 
Me  le  reprend  à  l'heure  où  mes  pauvres  pieds  las 
Réclamaient  ce  cher  guide  en  cette  route  étroite. 

Vous  me  l'aviez  donné,  vous  me  le  reprenez  : 
Gloire  à  vous  !  J'oubliais  beaucoup  trop  votre  gloire 
Dans  la  langueur  d'aimer  mieux  les  trésors  donnés 
Que  le  Munificent  de  toute  cette  histoire. 

Vous  me  l'aviez  donné,  je  vous  le  rends  très  pur, 
Tout  pétri  de  vertu,  d'amour  et  de  simplesse. 
C'est  pourquoi,  pardonnez,  Terrible,  à  celui  sur 
Le  cœur  de  qui,  Dieu  Tort,  sévit  cette  faiblesse. 


74  AMOUn 

Et  laissez-moi  pleurer  et  faites-moi  bénir 
L'élu  dont  vous  voudrez  certes  que  la  prière 
Rappi'oche  un  peu  l'instant  si  bon  de  revenir 
A  lui  dans  Vous,  Jésus,  après  ma  mort,  dernière. 


I 


Il 


Car  vraiment  j'ai  soufTerl  beaucoup  l 
Débusqué,  traqué  comme  un  loup 
Qui  n'en  peut  plus  d'errer  en  chasse 
Du  bon  repos,  du  sûr  abri, 
Et  qui  fait  des  bonds  de  cabri 
Sous  les  coups  de  toute  une  race. 

La  Haine  et  l'Envie  et  l'Argent, 
Bons  limiers  au  flair  diligent. 
M'entourent,  me  serrent.  Ça  dure 
Depuis  des  jours,  depuis  des  mois» 
Depuis  des  ans  !  Dîner  d'émois, 
Souper  d'efîrois,  pitance  dure  ! 

Mais,  dans  l'horreur  du  bois  natal, 

Voici  le  Lévrier  fatal, 

La  Mort.  —  Ah  !  la  bête  et  la  brute  I  - 

Plus  qu'à  moitié  mort,  moi,  la  Mort 

Pose  sur  moi  sa  patte  et  mord 

Ce  cœur,  sans  achever  la  lutte  ' 


76  AMOUR 

Et  je  reste  sanglant,  tirant 
Mes  pas  saignants  vers  le  torrent 
Qui  hurle  à  travers  mon  bois  chaste. 
Laissez-moi  mourir  au  moins,  vous, 
Mes  frères  pour  de  bon,  les  Loups  1  - 
Que  ma  sœur,  la  Femme,  dévaste. 


III 


0  la  Femme  !  Prudent,  sage,  calme  ennemi, 
N'exagérant  jamais  ta  victoire  à  demi. 
Tuant  tous  les  blessés,  itillant  tout  le  butin, 
Et  répandant  le  fer  et  la  flamme  au  lointain. 
Ou  bon  ami,  peu  sûr  mais  tout  de  même  bon, 
Et  doux,  trop  doux  souvent,  tel  un  feu  de  charbon 
Qui  berce  le  loisir,  vous  l'amuse  et  l'endort, 
Et  parfois  induit  le  dormeur  en  telle  mort 
Délicieuse  par  quoi  l'âme  meurt  aussi  ! 
Femme  à  jamais  quittée,  ô  oui  !  reçois  ici, 
Non  sans  l'expression  d'un  injuste  regret, 
L'insulte  d'un  qu'un  seul  remords  ramènerait. 
Mais  comme  lu  n'as  pas  de  remords  plus  qu'un  if 
N'a  d'ombre  vive,  c'est  l'adieu  définitif. 
Arbre  fatal  sous  qui  gît  mal  l'Humanité, 
Depuis  Eden  jusques  à  Ce  Jour  Irrité. 


IV 


Ma  cousine  Élisa,  presque  une  sœur  aînée   — . 
Mieux  qu'une  sœur,  ô  toi,  voici  donc  ramenée 
La  saison  de  malheur  où  tu  me  quittas  pour 
Ce  toujours,  —  ce  jamais  !  Le  voici  de  retour 
Le  jour  affreux  qui  m'a  sevré  de  l'aile  douce 
Oîi  m'abriter  contre  tel  chagrin  de  Tom  Pouce, 
Tel  bobo.  Certes  oui,  pauvre  maman  était 
Bien,  trop  !  bonne,  et  mon  cœur  à  la  voir  palpitait, 
Tressautait,  et  riait,  et  pleurait  de  l'entendre. 
Mais  toi,  je  t'aimais  autrement,  non  pas  plus  tendre 
Plus  familier,  voilà.  Car  la  Mère  est  toujours 
Au  fond  redoutée  un  petit  et  respectée 
Absolument,  tandis  qu'à  jamais  regrettée, 
Tu  m'apparais,  chère  ombre,  ainsi  qu'en  ton  vivant, 
Blonde  et  rose  au  profil  pourtant  grave  et  rêvant 
Avec  de  beaux  yeux  bleus  où  s'instruisait  mon  âme 
De  tout  petit  garçon,  et  plus  tard,  où  la  flamme 
De  ma  forte  amitié  chaste  d'adolescent 


AMOUR 


TO 


Puis  (l'hommo  mettait  un  reflet  incanJescent. 
Kt  tu  iiio  fus  d'abord  guide  puis  camarade, 
Puis  ami,  non  amie  (une  nuance  fadej. 


Et  tu  dors  maintenant  après  m'avoir  béni. 

Mais  je  sens  Lien  qu'en  moi  quelque  chose  est  fini. 


J'ai  la  fureur  d'aimer.  Mon  cœur  si  faible  est  fou^ 

N'importe  quand,  n'importe  quel  et  n'importe  où, 

Qu'un  éclair  de  beauté,  de  vertu,  de  vaillance 

Luise,  il  s'y  précipite,  il  y  vole,  il  s'y  lance. 

Et,  le  temps  d'une  étreinte,  il  embrasse  cent  fois 

L'être  ou  l'objet  qu'il  a  poursuivi  de  son  choix; 

Puis,  quand  l'illusion  a  replié  son  aile. 

Il  revient  triste  et  seul  bien  souvent,  mais  fidèle. 

Et  laissant  aux  ingrats  quelque  chose  de  lui, 

Sang  ou  chair.  Mais,  sans  plus  mourir  dans  son  ennui. 

Il  embarque  aussitôt  pour  l'île  des  Chimères 

Et  n'en  rapporte  rien  que  des  larmes  amères 

Qu'il  savoure,  et  d'affreux  désespoirs  d'un  instant, 

Puis  rembarque. 

—  Il  est  brusque  et  volontaire  tant 
Qu'en  ses  courses  dans  les  infinis  il  arrive, 
Navigateur  têtu,  qu'il  va  droit  à  la  rive, 
Sans  plus  s'inquiéter  que  s'il  n'existait  pas 
De  recueil  proche  qui  met  son  esquif  à  bas. 


AMOUR  81 

Mais  lui  Tait  do  recueil  un  tremplin  et  dirigo 

Sa  naj^c  vers  le  bord.  I/y  voilà.  Le  prodige 

Serait  qu'il  n'eût  pas  fait  avidement  le  tour, 

Du  matin  jusqu'au  soir  et  du  soir  jusqu'au  jour, 

Et  le  tour  et  le  tour  encore  du  promontoire, 

Et  rien  !  Pas  d'arbres  ni  d'heibcs,  pas  d'eau  pour  boire, 

La  faim,  la  soif,  et  les  yeux  brûlés  du  soleil, 

Et  nul  vestige  humain,  et  pas  un  cœur  pareil! 

Non  pas  à  lui,  —  jamais  il  n'aura  son  semblable,  — 

Mais  un  cœur  d'homme,  un  cœur  vivant,  un  cœur  palpable 

Fût-il  faux,  fût-il  lâche,  un  cœur!  quoi,  pas  un  cœur  I 

Il  attendra,  sans  rien  perdre  de  sa  vigueur 

Que  la  fièvre  soutient  et  l'amour  encourage, 

Qu'un  bateau  montre  un  bout  de  mdt  dans  ce  parage, 

Et  fera  des  signaux  qui  seront  aperçus, 

Tel  il  raisonne.  Et  puis  fiez-vous  là-dessus  !  — 

Un  jour  il  restera  non  vu,  l'étrange  apôtre. 

Mais  que  lui  fait  la  mort,  sinon  celle  d'un  autre? 

Ah  !  ses  morts  !  Ah  !  ses  morts,  mais  il  est  plus  mort  qu'eux  ! 

Quelque  fibre  toujours  de  son  esprit  fougueux 

Vit  dans  leur  fosse  et  puise  une  tristesse  douce  ; 

Il  les  aime  comme  un  oiseau  son  nid  de  mousse  ; 

Leur  mémoire  est  son  cher  oreiller,  il  y  dort. 

Il  rêve  d'eux,  les  voit,  cause  avec  et  s'endort 

Plein  d'eux  que  pour  encor  quelque  effrayante  affaire 

J'ai  la  fureur  d'aimer.  Qu'y  faire?  Ah!  laisser  faire!  ^ 


VI 


0  ses  lettres  d'alors!  les  miennes  elles-mênesl 
Je  ne  crois  pas  qu'il  soit  des  choses  plus  suprêmes. 
J'étais,  je  ne  puis  dire  mieux,  vraiment  très  bien. 
Ou  plutôt,  je  puis  dire  tout,  vraiment  chrétien. 
J'éclatais  de  sagesse  et  de  sollicitude, 
Mettant  tout  mon  soin  pieux,  toute  l'étude 
Dont  tout  mon  être  était  capable,  à  confirmer 
Cette  âme  dans  l'effort  de  prier  et  d'aimer. 
Oui,  j'étais  devant  Dieu  qui  m'écoute,  si  j'ose 
Le  dire,  quel  que  soit  l'orgueil  fou  que  suppose 
Un  tel  serment  juré  sur  sa  tête  qui  dort, 
Pur  comme  un  saint  et  mûr  pour  cette  bonne  mort. 
Qu'aujourd'hui  j'entrevois  à  travers  bien  des  doutes. 
Mais  lui  !  ses  lettres  !  l'ange  ignorant  de  nos  routes, 
Le  pur  esprit  vêtu  d'une  innocente  chair  ! 
0  souvenir,  de  tous  peut-être  mon  plus  cher  ! 
Mots  frais,  la  phrase  enfant,  style  naïf  et  chaste 
Où  marche  la  vertu  dans  la  sorte  de  faste. 


AMOUR 

Déroulement  d'encens,  cymbales  de  cristal, 
Qui  sied  ù  la  candeur  de  cet  flge  natal. 
Vingt  ans  ! 

Trois  ans  après  il  naissait  dans  la  gloire 
Éternelle,  emplissant  à  jamais  ma  mémoire. 


VII 


Mon  fils  est  brave  ;  il  va  sui'  son  cheval  de  guerre, 
Sans  reproche  et  sans  peur  par  la  route  du  bien, 
Un  dur  chemin  d'embûche  et  de  piège  où  naguère 
Encore  il  fut  blessé  et  vainquit  en  chrétien. 

Mon  fils  est  fier  :  en  vain  sa  jeunesse  et  sa  force 
L'invitent  au  plaisir  par  les  langueurs  du  soir, 
Mon  enfant  se  remet,  rit  de  la  vile  amorce, 
Et,  les  yeux  en  avant,  aspire  au  seul  devoir. 

Mon  fils  est  bon  :  un  jour  que  du  bout  de  son  aile 
Le  soupçon  d'une  faute  effleurait  mes  cheveux, 
Mon  enfant,  pressentant  l'angoisse  paternelle, 
S'en  vint  me  consoler  en  de  nobles  aveux. 

Mon  fils  est  fort  :  son  cœur  était  méchant,  maussade. 
Irrité,  dépité  ;  mon  enfant  dit  :  «  Tout  beau. 
Ceci  ne  sera  pas.  Au  médecin,  malade  !  » 
"Vint  au  prêtre,  et  partit  avec  un  cœur  nouveau 


AMOUR  85 

Mais  surtout  quo  mon  fils  est  beau  !  Dieu  Tcnvironno 
Do  lumiùro  et  d'amour,  parce  qu'il  fut  pieux 
Et  doux  et  digne  cncor  de  la  Sainte  Couronne 
Réservée  aux  soldats  du  combat  pour  les  cieux. 

Chère  tête  un  instant  courbée,  humiliée 
Sous  le  Verbe  éternel  du  Règne  triomphant, 
Sois  bénie  à  présent  que  réconciliée. 
—  Et  je  baise  le  front  royal  de  mon  enfant  I 


VIII 


0  l'odieuse  obscurité 
Du  jour  le  plus  gai  de  l'année 
Dans  la  monstrueuse  cité 
Où  se  fit  notre  destinée  ! 

Au  lieu  du  bonheur  attendu, 
Quel  deuil  profond,  quelles  ténèbres  l 
J'en  étais  comme  un  mort,  et  tu 
Flottais  en  des  pensers  funèbres. 

La  nuit  croissait  avec  le  jour 
Sur  notre  vitre  et  sur  notre  âme, 
Tel  un  pur,  un  sublime  amour 
Qu'eût  étreint  la  luxure  infâme  ; 

Et  l'affreux  brouillard  refluait 
Jusqu'en  la  chambre  où  la  bougie 
Semblait  un  reproche  muet 
Pour  quelque  lendemain  d'orgie, 


AMOUR  87 


Un  remords  de  péché  mortel 

Serrait  notre  cœur  solitaire... 
Puis  notre  désespoir  fut  tel 
Que  nous  oubliâmes  la  terre, 

Et  que  pensant  au  seul  Jésus 
Né  rien  que  pour  ce  jour  môme, 
Notre  foi  prenant  le  dessus 
Nous  éclaira  du  jour  suprême, 

—  Bonne  tristesse  qu'aima  Dieut 
Brume  dont  se  voilait  la  Grûce, 
Crainte  que  l'éclat  de  son  feu 
Ne  iatigudt  notre  âme  lasse. 

Délicates  attentions 
D'une  Providence  attendrie  !.•• 
0  parfois  encore  soyons 
Ainsi  tristes,  âmè  chérie  I 


IX 


Tout  en  suivant  ton  blanc  convoi,  je  me  disais 

Pourtant  :  C'est  vrai,  Dieu  t'a  repris  quand  tu  faisais 

Sa  joie  et  dans  l'éclair  de  ta  blanche  innocence. 

Plus  tard  la  Femme  eût  mis  sans  doute  en  sa  puissance 

Ton  cœur  ardent  vers  elle  affrontée  un  momen  i 

Seulement  et  t'ayant  laissé  le  tremblement 

D'elle,  et  du  trouble  en  l'âme  à  cause  d'une  étreinte  ; 

Mais  tu  t'en  détournas  bientôt  par  noble  crainte 

Et  revins  à  la  simple,  à  la  noble  Vertu, 

Tout  entier  à  fleurir,  lys  un  instant  battu 

Des  passions,  et  plus  viril  après  l'orage, 

Plus  magnifique  pour  le  céleste  suffrage 

Et  la  gloire  éternelle...  Ainsi  parlait  ma  foi. 

Mais  quelle  horreur  de  suivre,  ô  toi  !  ton  blanc  convoi  I 


Il  patinait  merveilleusement, 
S'élançant,  qu'impétueusement  I 
n'arrivant  si  joliment  vraiment. 

Fin  comme  une  grande  jeune  fille. 
Brillant,  vif  et  fort,  telle  une  aiguille, 
La  souplesse,  l'élan  d'une  anguille. 

Des  jeux  d'optique  prestigieux, 
Un  tourment  délicieux  des  yeux, 
Un  éclair  qui  serait  gracieux. 

Parfois  il  restait  comme  invisible. 
Vitesse  en  route  vers  une  cible 
Si  lointaine,  elle-même  invisible... 

Invisible  de  même  aujourd'hui. 
Que  sera-t-il  advenu  de  lui  ? 
Que  sera-t-il  advenu  de  lui? 


XI 


La  Belle  au  Bois  dormait,  Gendrillon  sommeillait, 
Madame  Barbe-bleue?  elle  attendait  ses  frères; 
Et  le  petit  Poucet,  loin  de  l'ogre  si  laid, 
Se  reposait  sur  l'herbe  en  chantant  des  prières. 

L'oiseau  couleur-de-temps  planait  dans  Tair  léger 
Qui  caresse  la  feuille  au  sommet  des  bocages 
Très  nombreux,  tout  petits,  et  rêvant  d'ombrager 
Semaine,  fenaison,  et  les  autres  ouvrages. 

Les  fleurs  des  champs,  les  fleurs  innombrables  des  champs,- 
Plus  belles  qu'un  jardin  où  l'Homme  a  mis  ses  tailles. 
Ses  coupes  et  son  goût  à  lui,  —  les  fleurs  des  gens  !  — 
Flottaient  comme  un  tissu  très  fin  dans  l'or  des  pailles, 

Et,  fleurant  simple,  ôtaient  au  vent  sa  crudité, 
Au  vent  fort  mais  alors  atténué,  de  l'heure 
Où  l'après-midi  va  mourir.  Et  la  bonté 
Du  paysage  au  cœur  disait  :  Meurs  ou  demeure  I 


AMOUR  01 

Les  blés  encore  verls,  les  seigles  déjà  blonds 
Accupillaiont  riiirondelle  en  leur  flot  pacifique. 
Un  tas  de  voix  d'oiseaux  criait  vers  les  sillons 
Si  doucement  qu'il  ne  faut  pas  d'autre  musique... 

Pcau-d'Ane  rentre.  On  bat  la  retraite  —  écoutez!  — 
Dans  les  États  voisins  de  Riquet-à-la-Houppe, 
Et  nous  joignons  l'auberge,  enchantés,  esquintés, 
Le  bon  coin  où  se  coupe  et  se  trempe  la  soupe! 


XII 


Je  te  vois  encore  à  cheval 

Tandis  que  chantaient  les  trompettes, 

Et  ton  petit  air  martial 

Chantait  aussi  quand  les  trompettes; 

Je  te  vois  toujours  en  treillis 
Comme  un  long  Pierrot  de  corvée 
Très  élégant  sous  le  treillis» 
D'une  allure  toute  trouvée  ; 

Je  te  vois  autour  des  canons, 
Frêles  doigts  dompteurs  de  colosses. 
Grêles  voix  pleines  de  crés  noms, 
Bras  chétifs  vainqueurs  de  colosses; 

Et  je  te  rêvais  une  mort 
Militaire,  sûre  et  splendide. 
Mais  Dieu  vint  qui  te  fit  la  mort 
Confuse  de  la  typhoïde... 


AMOUR  V3 


Seigneur,  j'adoro  vos  desseins, 
Mais  commo  ils  sont  impénétrables! 
Je  les  adoro,  vos  desseins, 
Mais  comme  ils  sont  impénr-tiablesl 


XIII 


Le  petit  coin,  le  petit  nid 

Que  j'ai  trouvés, 
Les  grands  espoirs  que  j'ai  couvés. 

Dieu  les  bénit. 
Les  heures  des  fautes  passées 

Sont  effacoes 
Au  pur  cadran  de  mes  pensées. 

L'innocence  m'entoure  et  toi, 

Simplicité. 
Mon  cœur  par  Jésus  visité 

Manque  de  quoi? 
Ma  pauvreté,  ma  solitude, 

Pain  dur,  lit  rude, 
Quel  soin  jaloux!  l'exquise  étude  t 

L'àme  aimante  au  cœur  fait  exprès, 

Ce  dévouement, 
Viennent  donner  un  dénouement 

Calme  et  si  frais 


AMOUR  9S 


A  la  délresso  de  ma  vie 

Inassouvie 
D*avoir  satisfait  toute  cDvio  ! 

Seigneur,  ô  merci.  N'est-ce  pas 

La  bonne  mort? 
Aimez  mon  patient  cfTort 

Et  nos  combats. 
Les  miens  et  moi,  le  ciel  nous  voie 

Par  l'humble  voie 
Entrer,  Seigneur,  dans  Votre  joie. 


I 


XIV 


Notre  essai  de  culture  eut  une  triste  fln, 

Mais  il  fit  mon  (>ilire  un  long  temps  et  ma  joie  : 

J'y  voyais  se  développer  ton  être  fin 

Dans  ce  beau  travail  qui  bénit  ceux  qu'il  emploie  ; 

J'y  voyais  ton  profil  fluet  sur  l'horizon 
Marcher  comme  à  pas  vifs  derrière  la  charrue, 
Gourmandant  les  chevaux  ainsi  que  de  raison, 
Sans  colère,  et  criant  diah  et  criant  hue  ; 

Je  te  voyais  herser,  rouler,  faucher  parfois, 
Consultant  les  anciens,  inquiet  d'un  nuage, 
L'hiver  à  la  batteuse  ou  liant  dans  nos  bois, 
Je  t'aidais,  vite  hors  d'haleine  et  tout  en  nage. 

Le  dimanche,  en  l'éveil  des  cloches,  tu  suivais 

Le  chemin  de  jardins  pour  aller  à  la  Messe  ; 

Après  midi,  l'auberge  une  heure  où  tu  buvais 

Pour  dire,  et  puis  la  danse  aux  soirs  de  grand'liesse. 


AMOUB  97 

Hélas  !  tout  ce  bonheur  que  je  croyais  permis, 

Vertu,  courage  &  deux,  non  mépris  de  la  tonlb 

Mais  pitié  d'elle  avec  très  peu  de  bons  amis, 

Croula  dans  des  choses  d'argent  comme  un  mur  croule 

Après,  tu  meurs  !  —  Un  dol  sans  pair  livre  à  la  Faim 
Ma  fierté,  ma  vigueur,  et  la  gloire  apparue... 
Ahl  frérot!  est-ce  enfin  là-haut  ton  spectre  fin 
Qui  m'appelle  à  grands  bras  derrière  la  charrue? 


XV 


Puisque  encore  déjà  la  sottise  tempête, 
Explique  alors  la  chose,  ô  malheureux  poète. 

Je  connus  cet  enfant,  mon  amère  douceur, 
Dans  un  pieux  collège  où  j'étais  professeur. 
Ses  dix-sept  ans  mutins  et  maigres,  sa  réelle 
Intelligence,  et  la  pureté  vraiment  belle 
Que  disaient  et  ses  yeux  et  son  geste  et  sa  voix, 
Captivèrent  mon  cœur  et  dictèrent  mon  choix 
De  lui  pour  fils,  puisque,  mon  vrai  fils,  mes  entrailles. 
On  me  le  cache  en  manière  de  représailles 
Pour  je  ne  sais  quels  torts  charnels  et  surtout  pour 
Un  lier  départ  à  la  recherche  de  l'amour 
Loin  d'une  vie  aux  platitudes  résignée  ! 
Oui,  surtout  et  plutôt  pour  ma  fuite  indignée 
En  compagnie  illustre  et  fraternelle  vers 
Tous  les  points  du  physique  et  moral  univers, 
—  Il  paraît  que  les  gens  dirent  jusqu'à  Sodome,  — 
Où  mourussent  les  cris  de  Madame  Prudhomme  I 


I 


Aiioun  M 

Je  lui  fis  part  de  mon  dessein.  II  accepta. 

Il  avait  des  parents  qu'il  aimait,  qu'il  quitta 
DVsprit  pourôtre  mien,  tout  en  restant  son  maître 
Kt  maître  de  son  cœur,  de  son  ûme  peut-ôtre, 
Mais  de  son  esprit,  plus. 

Ce  fut  bien,  ce  fut  b«au. 
Et  c'eût  été  trop  bon,  n'eût  été  le  tombeau. 
Jugez. 

En  même  temps  que  toutes  mes  idées, 
(Les  bonnes  !)  entraient  dans  son  esprit,  précédées 
De  l'Amitié  jonchant  leur  passage  de  fleurs. 
De  lui,  simple  et  blanc  comme  un  lys  calme  aux  couleu0 
D'innocence  candide  et  d'espérance  verte. 
L'Exemple  descendait  sur  mon  Ame  entr'ouverte 
Et  sur  mou  cœur  qu'il  pénétrait  plein  de  pitié; 
Par  un  cliemin  semé  des  fleurs  de  l'Amilié; 
Exer.iple  des  vertus  joyeuses,  la  franchise, 
La  chasteté,  la  foi  naïve  dans  l'Église, 
Exemple  des  vertus  austères,  vivre  en  Dieu, 
Le  chérir  en  tout  temps  et  le  craindre  en  tout  lieu, 
Sourire,  que  l'instant  soit  léger  ou  sévère, 
Pardonner,  qui  n'est  pas  une  petite  affaix-el 

—Cela  dura  six  ans,  puis  l'ange  s'envola, 
Dès  lors  je  vais  hagard  et  comme  ivre.  Voilà. 


XVI 


Cette  adoption  de  toi  pour  mon  enfant 
Puisque  l'on  m'avait  volé  mon  fils  réel, 
Elle  n'était  pas  dans  les  conseils  du  ciel, 
Je  me  le  suis  dit,  en  pleurant,  bien  souvent  ; 

Je  me  le  suis  dit  toujours  devant  la  tombe 
Noire  de  fusains,  blanche  de  marguerites, 
Elle  fut  sans  doute  un  de  ces  démérites 
Cause  de  ces  mots  où  voici  que  je  tombe, 

Ce  fut,  je  le  crains,  un  faux  raisonnement. 
A  bien  réfléchir  je  n'avais  pas  le  droit, 
Pour  me  consoler  dans  mon  chemin  étroit, 
De  te  choisir,  même  ô  si  naïvement, 

Même  ô  pour  ce  plan  d'humble  vertu  cachée  : 
Quelques  champs  autour  d'une  maison  sans  faste 
Que  connaît  le  pauvre,  et  sur  un  bonheur  chaste 
La  grâce  de  Dieu  complaisamment  penchée; 


AMOun  iOt 

Fallait  le  laisser  pauvre  et  gai  dans  ton  nid, 
Ne  pas  te  môlor  à  mes  jeux  orageux, 
Et  soulTrir  l'exil  en  proscrit  courageux, 
L'exil  loin  du  (Ils  né  d'un  amour  bénit. 

11  me  reviendrait,  le  fils  des  justes  noces, 
A  l'époque  d'ôtre  au  moment  d'tMre  un  homme, 
Quand  il  comprendrait,  quand  il  sentirait  comme 
Son  père  endura  de  sottises  féroces  1 

Cette  adoption  fut  le  fruit  défendu; 
J'aurais  dû  passer  dans  l'odeur  et  le  frais 
De  l'arbre  et  du  fruit  sans  m'arrcler  auprès. 
Le  ciel  m'a  puni...  J'aurais  dû,  j'aurais  dùl 


» 


XVI 


Ce  portrait  qui  n'est  pas  ressemblant, 
Qui  fait  roux  tes  cheveux  noirs  plutôt, 
Qui  fait  rose  ton  teint  brun  plutôt, 
Ce  pastel,  comme  il  est  ressemblant  f 

Car  il  peint  la  beauté  de  ton  ûme, 
La  beauté  de  ton  âme  un  peu  sombre 
Mais  si  chère  au  fond  que,  sur  mon  ûme, 
Il  a  raison  de  n'avoir  pas  d'ombre. 

Tu  n'étais  pas  beau  dans  le  sens  vil 

Qu'il  paraît  qu'il  faut  pour  plaire  aux  dames. 

Et,  pourtant,  de  face  et  de  profil. 

Tu  plaisais  aux  hommes  comme  aux  femmes. 

Ton  nez  certes  n'était  pas  si  droit. 
Mais  plus  court  qu'il  n'est  dans  le  pastel, 
Mais  plus  vivant  que  dans  le  pastel, 
Mais  aussi  long  et  droit  que  de  droit. 


AMOUR  103 

Ta  lèvre  et  son  ombre  de  moustache 
Fut  rouge  moins  qu'en  celte  peinture 
Où  lu  n'as  pas  du  tout  de  moustache, 
Mais  c'est  ta  souriancc  si  pure. 

Ton  port  de  cou  n'était  pas  si  dur, 
Mais  llexiblc,  et  d'un  aigle  et  d'un  cygne; 
Car  ta  fierté  parfois  primait  sur 
Ta  douceur  dive  et  ta  grâce  insigne. 

Mais  tes  yeux,  ahl  tes  yeux,  c'est  bien  eux. 
Leur  regard  triste  et  gai,  c'est  bien  lui. 
Leur  éclat  apaisé  c'est  bien  lui. 
Ces  sourcils  orageux,  que  c'est  eux  ! 

Ah  !  portrait  qu'en  tous  les  lieux  j'emporte 
Où  m'emporte  une  fausse  espérance, 
Ah!  pastel  spectre,  te  voir  m'emporte 
Où?  parmi  tout,  jouissance  et  transe  1 

0  l'élu  de  Dieu,  priez  pour  moi. 
Toi  qui  sur  terre  étais  mon  bon  ange; 
Car  votre  image,  plein  d'alme  émoi. 
Je  la  vénère  d'un  culle  étrange. 


XVIII 


Ame,  te  souvient-il,  au  fond  du  paradis, 

De  la  gare  d'Auteuil  et  des  trains  de  jadis 

T'amenant  chaque  jour,  venus  de  La  Chapelle? 

Jadis  déjà!  Combien  pourtant  je  me  rappelle 

Mes  stations  au  bas  du  rapide  escalier 

Dans  l'attente  de  toi,  sans  pouvoir  oublier 

Ta  grâce  en  descendant  les  marches,  mince  et  leste 

Comme  un  ange  le  long  de  l'échelle  céleste. 

Ton  sourire  amical  ensemble  et  filial, 

Ton  serrement  de  main  cordial  et  loyal. 

Ni  tes  yeux  d'innocent,  doux  mais  vifs,  clairs  et  sombres 

Qui  m'allaient  droit  au  cœur  et  pénétraient  mes  ombres. 

Après  les  premiers  mots  de  bonjour  et  d'accueil. 

Mon  vieux  bras  dans  le  tien,  nous  quittions  cet  Auteuil, 

Et  sous  les  arbres  pleins  d'une  gente  musique, 

Notre  entretien  était  souvent  métaphysique. 

0  tes  forts  arguments,  ta  foi  du  charbonnier  ! 

Non  sans  quelque  tendance,  ô  si  franche  !  à  nier, 

Mais  si  vite  quittée  au  premier  pas  du  doute  1 

Et  puis  nous  rentrions,  plus  que  lents,  par  la  route 


Un  peu  des  écoliers,  chez  moi,  chcs  nous  plutôt, 
Y  déjeuner  de  rien,  rumailler  vite  et  tût, 
Et  dépêcher  longtemps  une  vague  besogne. 

Mon  pauvre  enfant,  ta  voix  dans  le  bois  de  Boulogne! 


XIX 


11  m'arrivait  souvent,  seul  avec  ma  pensée, 

—  Pour  le  fils  de  son  nom  tel  un  père  de  chair,  — 

D'aimer  à  te  rêver  dans  un  avenir  cher 

La  parfaite,  la  belle  et  sage  fiancée. 

Je  cherchais,  je  trouvais,  jamais  content  assez, 
Amoureux  tout  d'un  coup  et  prompt  à  me  reprendre. 
Tour  à  tour  confiant  et  jaloux,  froid  et  tendre, 
Me  crispant  en  soupçons,  plein  de  soins  empressés, 

Prenant  ta  cause  enfin  jusqu'à  tenir  ta  place. 
Tant  j'étais  lien,  que  dis-je  là?  tant  j'étais  toi, 
Un  toi  qui  t'aimait  mieux,  savait  mieux  qui  et  quoi. 
Discernait  ton  bonheur  de  quel  cœur  perspicace  ! 

Puis,  comme  ta  petite  femme  s'incarnait, 
Toute  prête,  vertu,  bon  nom,  grâce  et  le  reste, 
0  nos  projets!  voici  que  le  Père  céleste, 
Mieux  informé,  rompit  le  mariage  net. 


A  11  0  un  107 


Kl  ravit,  pour  la  Seule  épouse,  pour  la  Gloire 
Klcrnelle,  ton  Amn  aux  plus  ultimes  cieux, 
Kn  attendant  que  ressuscite  glorieux 
Ton  corps,  aimable  et  fin  compagnon  de  victoire. 


XX 


Tu  mourus  dans  la  salle  Serre, 
A  l'hospice  de  la  Pitié  ; 
On  avait  jugé  nécessaire 
De  t'y  mener  mort  à  moitié. 

J'ignorais  cet  acte  funeste. 
Quand  j'y  courus  et  que  j'y  fus, 
Ce  fut  pour  recueillir  le  reste 
De  ta  vie  en  propos  confus. 

Et  puis,  et  puis,  je  me  rappelle 
Comme  d'hier,  en  vérité  : 
Nous  obtenons  qu'à  la  chapelle 
Un  service  en  noir  soit  chanté: 

Les  cierges  autour  de  la  bière 
Flambent  comme  des  yeux  levés 
Dans  l'extase  d'une  prière 
Vers  des  paradis  retrouvés  ; 


AMOUR  109 

La  croix  du  tabernacle  et  celle 
De  l'absoute  luisent  ainsi 
Qu'un  espoir  infini  que  scelle 
La  Parole  et  le  Sang  oussi  ; 

La  bière  est  blanche  qu'illumine 
La  cire  et  berce  le  plain-chant 
De  promesse  et  de  paix  divine, 
Berceau  plus  frêle  et  plus  touchant. 


XXI 


Si  lu  ne  mourus  pas  entre  mes  bras, 
Ce  fut  tout  comme,  et  de  ton  agonie, 
J'en  vis  assez,  ô  détresse  infinie! 
Tu  délirais,  plus  pâle  que  tes  draps  ; 

Tu  me  tenais,  d'une  voix  trop  lucide, 
Des  propos  doux  et  fous,  «  que  j'étais  mort. 
Que  c'était  triste  »,  et  tu  serrais  très  fort 
Ma  mam  tremblante,  et  regardais  à  vide; 

Je  me  tournais,  n'en  pouvant  plus  de  pleurs. 
Mais  ta  fièvre  voulait  suivre  son  thème. 
Tu  m'appelais  par  mon  nom  de  baptême, 
Puis  ce  fut  tout,  ô  douleurs  des  douleurs  ! 

J'eusse  en  effet  dû  mourir  à  ta  place, 
Toi  debout,  là,  présidant  nos  adieux...  ! 
Je  dis  cela  faute  de  dire  mieux. 
Et  pardonnez,  Dieu  juste,  à  mon  audace. 


XXII 


L'affreux  Ivry  dévorateur 
A  tes  reliques  dans  sa  terre 
Sous  de  pâles  Heurs  sans  odeur 
Et  des  arbres  nains  sans  mystère. 

Je  laisse  les  charniers  ûétris 
Où  gtt  la  moitié  de  Paris. 

Car,  mon  fils  béni,  tu  reposes 

Sur  le  territoire  d'Ivry- 

Commune,  où,  du  moins,  mieux  encloses. 

Les  tombes  dorment  à  l'abri 

Du  flot  des  multitudes  bêtes. 
Les  dimanches,  jeudis  et  fêtes. 

Le  cimetière  est  trivial 

Dans  la  campagne  révoltante, 

Mais  je  sais  le  coin  filial 

Où  ton  corps  a  planté  sa  tente. 


H  2  AMOUR 

—  Ami,  je  viens  parler  à  toi. 

—  Commence  par  prier  pour  moi. 

Bien  pieusement  je  me  signe 
Devant  la  croix  de  pierre  et  dis 
En  sanglotant  à  chaque  ligne 
Un  très  humble  De  profundis. 

—  Alors  ta  belle  âme  est  sauvée  î 

—  Mais  par  quel  désir  éprouvée  1 

Les  fleurettes  du  jardinet 
Sont  bleuâtres  et  rose  tendre 
Et  blanches,  et  l'on  reconnaît' 
Des  soins  qu'il  est  juste  d'attendre. 

—  Le  désir,  sans  doute,  de  Dieu  ? 

—  Oui,  rien  n'est  plus  dur  que  ce  feu. 

Les  couronnes  renouvelées 
Semblent  d'agate  et  de  cristal  ; 
Des  feuilles  d'arbres  des  allées 
Tournent  dans  un  grand  vent  brutal. 

—  Comme  tu  dois  souffrir,  pauvre  âme  ! 

—  Rien  n'est  plus  doux  que  dans  cette  flamme. 


AMoun  M3 


Voici  le  soir  gris  qui  descend  ; 
Il  faut  quitter  le  cimetière, 
Et  je  m'éloigne  en  t'adressant 
Une  invocation  dernière  : 

—  Ame  vers  Dieu,  pensez  à  moi. 

—  Commence  par  prier  pour  toi. 


XXIII 


0  Nouvelle-Forêt  !  nom  de  féerie  et  d'armes  I 
Le  mousquet  a  souvent  rompu  philtres  et  charmes 
Sous  tes  rameaux  où  le  rossignol  s'effarait. 
0  Shakspeare  !  ô  Cromwell  !  ô  Nouvelle-Forêt  I 
Non  désormais  joli  seulement,  plus  tragique 
Ni  magique,  mais,  par  une  aimable  logique, 
Encadrant  Lymington,  vieux  boui'g,  le  plus  joli 
Et  le  plus  vieux  des  bourgs  jadis  guerriers,  d'un  pli 
D'arbres  sans  nombre  vains  de  leur  grâce  hautaine, 
Avec  la  mer  qui  rêve  haut,  pas  très  lointaine, 
Comme  un  puissant  écho  des  choses  d'autrefois. 
J'y  vécus  solitaire,  ou  presque,  quelques  mois, 
Solitaire  et  caché,  —  comme,  tapi  sous  l'herbe. 
Tout  ce  passé  dormant  aux  pieds  du  bois  superbe,  - 
Non  sans,  non  plus,  dans  l'ombre  et  le  silence  fiers, 
Moi,  le  cri  sourd  de  mes  avant-derniers  hiers, 
Passion,  ironie,  atroce  grosse  joie  ! 
Non  sans,  non  plus,  sur  la  dive  corde  de  soie 
Et  d'or  du  cœur  désormais  pur,  cette  chanson, 
La  meilleure  !  d'amour  filial  au  frisson 


AMOUR  ir 


Héni  c«;rlc8.  —  0  ses  Ictlros  dans  la  semaine 
Pur  la  l»oîle  vitrée,  et  que  fou  je  promèno, 
Fou  do  plaisir,  i  travers  bois,  les  relisant 
Cent  fois.  —  Et  cet  Ivry-commune  d'ù-présenl. 


XXIV 


Ta  voix  grave  et  basse 
Pourtant  était  douce 
Comme  du  velours, 
Telle,  en  ton  discours, 
Sur  de  sombre  mousse 
De  belle  eau  qui  passe. 

Ton  rire  éclatait 
Sans  gêne  et  sans  art, 
Franc,  sonore  et  libre. 
Tel,  au  bois  qui  vibre, 
Un  oiseau  qui  part 
Trillant  son  motet. 

Cette  voix,  ce  rire 
Font  dans  ma  mémoire. 
Qui  te  voit  souvent 
Et  mort  et  vivant. 
Comme  un  bruit  de  gloire 
Dans  quelque  martyre. 


Alloua  117 


Ma  tristesse  en  toi 
S'égaio  h.  ces  sons 
Qui  disent  :  «  Courage 
Au  cœur  que  l'orage 
Emplit  des  frissons 
De  quel  triste  émoi  ! 

Orage,  la  rage. 
Tais-la,  que  jo  cause 
Avec  mon  ami 
Qui  semble  endormi, 
Mais  qui  se  repose 
En  un  conseil  sage... 


XXV 


0  mes  morts  tristement  nombreux 
Qui  me  faites  un  dôme  ombreux 
De  paix,  de  prière  et  d'exemple, 
Comme  autrefois  le  Dieu  vivant 
Daigna  vouloir  qu'un  humble  enfant 
Se  sanctifiât  dans  le  temple. 

0  mes  morts  penchés  sur  mon  cœur. 

Pitoyables  à  sa  langueur, 

Père,  mère,  âmes  angéliques, 

Et  toi  qui  fus  mieux  qu'une  sœur, 

Et  toi,  jeune  homme  de  douceur 

Pour  qui  ces  vers  mélancoliques, 

Et  vous  tous,  îa  meilleure  part 
De  mon  âme,  dont  le  départ 
Flétrit  mon  heure  la  meilleure. 
Ami  que  votre  heure  faucha, 
0  mes  morts,  voyez  que  déjà 
Il  se  fait  temps  qu'aussi  je  meure. 


AMOUR  119 

Car  plus  rien  sur  terre  qu'exil  ! 
El  pourquoi  Dieu  rclire-l-il 
Lo  pain  lui-même  de  ma  bouche, 
Sinon  pour  me  rejoindre  à  vous 
Dans  son  sein  redoutable  et  doux, 
Loin  de  ce  monde  ûpre  et  farouche. 

Aplanissez-moi  le  chemin, 

Venez  me  prendre  par  la  main, 

Soyez  mes  guides  dans  la  gloire. 

Ou  bien  plutôt,  —  Seigneur  vengeur!  — 

Priez  pour  un  pauvre  pêcheur 

Indigne  encor  du  Purgatoire. 


BATIGNOLLES 


Un  grand  bloc  de  grès  ;  quatre  noms  :  mon  père 
Et  ma  mère  et  moi,  puis  mon  fils  bien  tard. 
Dans  l'étroite  paix  du  plat  cimetière 
Blanc  et  noir  et  vert,  au  long  du  rempart. 

Cinq  tables  de  grès  ;  le  tombeau  nu,  fruste, 
En  un  carré  long,  haut  d'un  mètre  et  plus. 
Qu'une  chaîne  entoure  et  décore  juste. 
Au  bas  du  faubourg  qui  ne  bruit  plus. 

C'est  de  là  que  la  trompette  de  l'ange 
Fera  se  dresser  nos  corps  ranimés 
Pour  la  vie  enfin  qui  jamais  ne  change, 
0  vous,  père  et  mère  et  fils  bien-aiméa. 


A  GEORGES  VERLAINE 


Ce  liv-e  ira  vers  toi  comme  celui  d'Ovide 

S'en  alla  vers  la  Ville. 
Il  fut  chassé  de  Rome;  un  coup  bien  plus  perfide 

Loin  de  mon  fils  m'exile. 

Te  reverrai-je?  Et  quel?  Mais  quoi?  moi  mort  ou  non, 

Voici  mon  testament  : 
Crains  Dieu,  ne  hais  personne,  et  porte  bien  ton  nom 

Qui  fut  porté  dûment. 


BONHEUR 


L'incroyable,  Tunique  horreur  de  pardonner, 
Quand  l'offense  et  le  tort  ont  eu  cette  envergure, 
Est  un  royal  effort  qui  peut  faire  figure 
Pour  le  souci  de  plaire  et  le  soin  d'étonner  : 

L'orgueij,  qu'il  faut,  se  doit  prévaloir  sans  scrupule 
Et  s'endormir  pur,  fort  des  péchés  expiés, 
Jjoux,  le  front  dans  les  cieux  reconquis,  et  les  pieds 
Sur  celte  humanité  toute  honte  et  crapule 

Ou  plutôt  et  surtout,  gloire  à  Dieu  qui  voulut 

Au  cœur  qu'un  nen  émeut,  tel  sous  des  doigts  un  luth, 

Faire  un  pou  de  repos  dans  l'entier  sacrifice. 


Paix  à  ce  cœur  enfin  de  bonne  volonté 
Qui  ne  veut  battre  plus  que  vers  la  Charité, 
Et  que  votre  plaisir,  ô  Jésus,  s'assouvisse. 


II 


La  vie  est  bien  sévère 
A  cet  homme  trop  gai  : 
Plus  le  vin  dans  le  verre 
Pour  le  sang  fatigué, 

Plus  l'huile  dans  la  lampe 
Pour  les  yeux  et  la  main, 
Plus  l'envieux  qui  rampe 
Pour  l'orgueil  surhumain, 

Plus  l'épouse  choisie 
Pour  vivre  et  pour  mourir. 
En  qui  l'on  s'extasie 
Pour  s'aider  à  souffrir, 

Hélas  !  et  plus  les  femmes 
Pour  le  cœur  et  la  chair. 
Plus  la  Foi,  sel  des  âmes, 
Pour  la  peur  de  l'Enfer, 


DONIIRUR  127 


El  ni  plus  TEspérance 
Pour  le  ciel  mérité 
Par  combien  de  souffrance  1 
Rien.  Si.  La  Charité. 

Le  pardon  des  offenses 
Comme  un  déchirement, 
L'abandon  des  vengeances. 
Comme  un  délaissement, 

Changer  au  mieux  le  pire, 
A  la  méchanceté 
Déployant  son  empire, 
Opposer  la  bonté, 

Peser,  se  rendre  compte. 
Faire  la  part  de  tous, 
Boire  la  bonne  honte, 
Être  toujours  plus  doux... 

Quelque  chaleur  va  luire 
Pour  le  cœur  fatigué, 
La  vie  enfin  sourire 
A  cet  homme  trop  gai. 

Et  puisque  je  pardonne, 
Mon  Dieu,  pardonnez-moi, 
Ornant  Tdme  enfîn  bonne 
D'espérance  et  de  foi. 


III 


Après  la  chose  faite,  après  le  coup  porté 

Après  le  joug  très  dur  librement  accepté, 

Et  le  fardeau  plus  lourd  que  le  ciel  et  la  terre, 

Levé  d'un  dos  vraiment  et  gaîment  volontaire, 

Après  la  bonne  haine  et  la  chère  rancœur. 

Le  rêve  de  tenir,  implacable  vainqueur. 

Les  ennemis  du  cœur  et  de  l'âme  et  les  autres; 

De  voir  couler  des  pleurs  plus  alTreux  que  les  nôtres 

De  leurs  yeux  dont  on  est  le  Moïse  au  rocher, 

Tout  ce  train  mis  en  fuite,  et  courez  le  chercher  1 

Alors  on  est  content  comme  au  sortir  d'un  rôve, 

On  se  retrouve  net,  clair,  simple,  on  sent  que  crève 

Un  abcès  de  sottise  et  d'erreur,  et  voici 

Que  de  l'éternité,  symbole  en  raccourci 

Toute  une  plénitude  afflue,  aime  et  s'installe, 

L'être  palpite  entier  dans  la  forme  totale. 

Et  la  chair  est  moins  faible  et  l'esprit  moins  prompt; 

Désormais,  on  le  sait,  on  s'y  tient,  fleuriront 


BONUEun  129 


1,0  lys  (lu  faire  pur,  celui  du  clinslo  dire, 
Et,  si  daigne  Jésus,  la  rose  du  martyre. 
Alors  on  trouve,  ô  Jésus  si  lent  à  vous  venger, 
Combien  doux  est  le  joug  et  le  fardeau  légerl 

Charité  la  plus  forte  entre  toutes  les  Forces, 

Tu  veux  dire,  saint  piège  aux  célestes  amorces, 

Les  mains  tendres  du  fort,  de  l'heureux  et  du  grand 

Autour  du  sort  plaintif  du  faible  et  du  souffrant. 

Le  regard  franc  du  riche  au  pauvre  exempt  d'envie 

Ou  jaloux,  et  ton  nom  encore  signifie 

Quelle  douceur  choisie,  et  quel  droit  dévouement, 

Et  ce  tact  virginal,  et  l'ange  exactement! 

Mais  l'ange  est  innocent,  essence  bienheureuse. 

Il  n'a  point  à  passer  par  notre  vie  affreuse 

Et  toi.  Vertu  sans  pair,  presqu'Une,  n'es-tu  pas 

Humaine  en  même  temps  que  divine,  ici-bas? 

Aussi  la  conscience  a  dû,  pour  des  fins  sûres. 

Surtout  sentir  en  toi  le  pardon  des  injures. 

Par  toi  nous  devenons  semblables  à  Jésus 

Portant  sa  croix  infâme  et  qui,  cloué  dessus. 

Priait  pour  ses  bourreaux  d'Israël  et  de  Rome, 

A  Jésus  qui,  du  moins,  homme  avec  tout  d'un  homme, 

N'avait  lui  jamais  eu  de  torts  de  son  côté, 

Et,  par  Lui,  tu  nous  fais  croire  en  l'éternité. 


n. 


De  plus,  cette  ignorance  de  Vous  I 
Avoir  des  yeux  et  ne  pas  vous  voir, 
Une  âme  et  ne  pas  vous  concevoir. 
Un  esprit  sans  nouvelles  de  Vous  ! 

0  temps,  ô  mœurs  qu'il  en  soit  ainsi, 
Et  que  ce  vase  de  belles  fleurs, 
Qu'un  tel  vase,  précieux  d'ailleurs, 
De  la  plus  belle  se  passe  ainsi  ! 

Religion,  unique  raison, 
Et  seule  règle  et  loi,  piété, 
Rien,  là,  de  vous  n'a  jamais  été, 
Pas  un  penser  juste,  une  oraison  ! 

Aussi  cette  ignorance  de  tout! 
Et  de  soi-même,  droits  et  devoirs 
Et  des  autres,  leurs  justes  pouvoirs, 
Leur  action  légitime  et  tout  ! 


BONilBUII 


131 


Jus(]u'i\  int'connaîlrtî  on  moi  quel  nom, 
(Juel  lilre  augurai  cl  de  par  Dicul 
El  six  ans  pusses  h  plaire  à  Dieu, 
Vertu  réelle,  effort  bel  et  bon! 

Jusqu'à  ne  pas  se  douter  vraiment 
Ou  tour  affreux  et  plus  que  cruel 
Qu'un  sot  grief,  î\  peine  réel, 
in  (lige  à  ses  revanches  vraiment. 


Éclairez  ces  t(5ni;bres  de  mort, 
C'est  votre  créature  après  tout. 
L'ignorance  invincible  l'absout. 
Bah!  claire  et  bonne  lui  soit  la  morL 


L'adultère,  celui  du  moins  codifié 

Au  mépris  de  l'Église  et  de  Dieu  ddfié, 

Tout  d'abord  doit  sembler  la  faute  irrémissible. 

Tel  un  trait  lancé  juste,  ayant  l'enfer  pour  cible! 

Beaucoup  de  vrais  croyants,  questionnés  ici, 

Répondraient  à  coup  sûr  qu'il  en  retourne  ainsi. 

D'autre  part  le  mondain,  qui  n'y  voit  pas  un  crime, 

Pour  qui  tous  mauvais  tours  sont  des  bons  coups  d'escrime, 

Rit  du  procédé  lourd,  préférant,  affrontés, 

Tous  risques  et  périls  à  ces  légalités 

Abominablement  prudentes  et  transies 

Entre  ces  droits  divers  et  plusieurs  fantaisies, 

Enfin  juge  le  cas  boiteux,  piteux,  honteux. 

Le  Sage,  de  qui  l'ùme  et  l'esprit  vont  tous  deux, 

Bien  équilibrés,  di'oit,  au  vrai  milieu  des  causes, 

Pleure  sur  telle  femme  en  route  pour  ces  choses. 

Il  plaide  l'ignorance,  elle  donc  ne  sachant  -f . 

Que  le  côté  naïf,  c'est-à-dire  méchant. 


BONnKUR 


133 


IkMas  !  do  celte  douce  et  misérable  vie. 

Kllc  platl  et  liî  sait,  et  ce  qu'elle  est  ravie 

Mais  sou  caprice  lue,  elle  l'ignoro  tant! 

Elle  croit  que  d'aimer  c'est  de  l'argent  comptant, 

Non  un  fonds  travaillant,  qu'on  paie  et  qu'on  est  quitte, 

Que  d'aitncr  c'est  toujours  «  qu'arriva-t-clle  ensuite  », 

Non  un  seul  vœu  qui  lient  jusqu'à  la  mort  de  nous. 

Et  certes  suscité,  néanmoins  son  courroux 
(•ronde  le  seul  péché,  plaignant  les  pécheresses, 
Coupables  tout  au  plus  de  certaines  paresses, 
Et  les  trois  quarts  du  temps  luxurieuses  point. 
Bêle  orgueil,  intérêt  mesquin,  voilà  le  joint, 
Avec  d'avoir  été  trop  ou  trop  peu  jalouses. 


Seigneur,  ayez  pitié  des  âmes,  nos  épouses. 


VI 


Puis,  déjà  très  anciens, 

Des  songes  de  souvenirs, 
Si  doux  nécromancieiis 
D'encor  pires  avenirs  : 

Une  fille,  presque  enfant, 
Quasi  z(!'zayante  un  peu, 
Dont  on  s'éprit  en  rêvant, 
Et  qu'on  aima  dans  le  bleu. 

Mains  qu'on  baisa  que  souvent 
Bouche  aussi,  cheveux  aussi  I 
C'était  l'âge  triomphant 
Sans  feintise  et  sans  souci. 

Puis  on  eut  tous  les  deux  tort, 
Mais  l'autre  n'en  convient  pas. 
Et  si  c'est  pour  l'un  la  mort, 
Pour  l'autre  c'est  le  trépas. 


B  0  N  U  E  U  il 


135 


Monlrcz-vous,  Dieu  de  douceur, 
Fùl-co  nu  suprômc  moment, 
Pour  qu'aussi  Vàmo,  ma  sœur. 
Revive  éternellement. 


VII 


Maintenant,  au  gouffre  du  Bonheur  I 
Mais  avant  le  glorieux  naufrage 
Il  faut  faire  à  cette  mer  en  rage 
Quelque  sacrifice  et  quelque  honneur. 

Jettes-y,  dans  cette  mer  terrible, 
Ouragan  de  calme,  flot  de  paix, 
Tes  songes  creux,  tes  rêves  épais, 
Et  tous  les  défauts  comme  d'un  crible. 

(Car  de  gros  vices  tu  n'en  as  plus. 
Quant  aux  défauts,  foule  vénielle 
Contaminante,  ivraie  et  nielle. 
Tu  les  as  tous  on  ne  peut  pas  plus.) 

Jettes-y  tes  petites  colères, 

—  Garde-les  grandes  pour  les  cas  vrais, 
Les  scrupules  excessifs  après, 

—  Les  extrêmes,  que  tu  les  tolères  1 


BONIIRUn 


137 


Jclto  la  moindre  velléité 

De  concupiscence,  quelle  qu'elle 

Soit,  femmes  ou  vin  ou  gloire,  ah!  quelle 

Qu'elle  soit,  qu'importe  en  vérité I 

Jette-moi  tout  ce  luxe  inutile 
Sans  soupir,  au  contraire,  en  chantant, 
Jette  sans  peur,  au  contraire  étant 
Lors  détesté  d'un  luxe  inutile 


Jette  à  l'eau  !  Que  légers  nous  dansions 
En  route  pour  l'entonnoir  tragique 
Que  nul  atlas  ne  cite  ou  n'indique, 
Sur  la  mer  des  Résignations. 


VIII 


L'homme  pauvre  du  cœur  est-il  si  rare,  en  somme  "t 
Non.  Et  je  suis  cet  homme  et  vous  êtes  cet  homme, 
Et  tous  les  hommes  sont  cet  homme  ou  furent  lui, 
Ou  le  seront  quand  l'heure  opportune  aura  lui. 
Conçus  dans  l'agonie  épuisée  et  plaintive 
De  deux  désirs  que,  seul,  un  feu  brutal  avive, 
Sans  vestige  autre  nôtre,  à  travers  cet  émoi, 
Qu'une  larme  de  quoi!  Que  pleure  quoi!  dans  quoi! 
Nés  parmi  la  douleur,  le  sang  et  la  sanie 
Nus,  de  corps  sans  instinct  et  d'âme  sans  génie 
Pour  grandir  et  souffrir  par  l'àme  et  par  le  corps, 
Vivant  au  jour  le  jour,  bernés  de  vœux  discors, 
Pour  mourir  dans  l'horreur  fatale  et  la  détresse, 
Quoi  de  nous,  dès  qu'en  nous  la  question  se  dresse  ? 
Quoi?  qu'un  être  capable  au  plus  de  moins  que  peu 
En  dehors  du  besoin  d'aimer  et  de  voir  Dier 
Et  quelque  chose,  au  fi^ont,  du  fond  du  cœur  te  monte 
Qui  ressemble  à  la  crainte  et  qui  tient  de  la  honte, 


1 


BONHRUn  139 


Quehjue  choso,  on  dirait,  d'encore  incomplète, 

Mais  dont  la  Charité  ferait  l'Huniililé. 

Lors,  ù  «luclqu'un  vraimtMil  do  nature  ingénue 

Sa  conscience  n'a  qu'à  dire  :  continue, 

Si  la  chair  n'arrivait  à  son  tour,  en  disant  : 

Arrête,  et  c'est  la  guerre  en  ce  juste  à  présent. 

Mais  tout  n'est  pas  perdu  malgré  le  coup  si  rude  : 

Car  la  chair  avant  tout  est  chose  d'habitude, 

Elle  peut  se  plier  et  doit  s'acclimater 

C'est  son  droit,  son  devoir,  la  loi  de  la  mater 

Selon  les  strictes  lois  de  la  bonne  nature. 

Or  la  nature  est  simple,  elle  admet  la  culture  ; 

Elle  procède  avec  douceur,  calme  et  lenteur. 

Ton  corps  est  un  lutteur,  fais-le  vivre  en  lutteur 

Sobre  et  chaste,  abhorrant  l'excès  de  toute  sorte. 

Femme  qui  le  détourne  et  vin  qui  le  transporte 

Et  la  paresse  pire  encore  que  l'excès. 

Enfin  pacifié,  puis  apaisé,  —  tu  sais 

Quels  sacrements  il  faut  pour  cette  tâche  intense. 

Et  c'est  l'Eucharistie  après  la  Pénitence,  — 

Ce  corps  allégé,  libre  et  presque  glorieux, 

Dûment  redevenu,  dûment  laborieux 

Va  se  rompre  au  plutôt,  s'assouplir  au  service 

De  ton  esprit  d'amour,  d'offre  et  de  sacrifice 

Subira  les  saisons  et  les  privations. 

Enfin  sera  le  temple  embaumé  d'actions 

De  grâce,  d'encens  pur  et  de  vertus  chrétiennes, 

Et  tout  retentissant  de  psaumes  et  d'antiennes 


140  BONHEUR 


Qu'habite  TEsprit-Saint  et  que  daigne  Jésus 

Visiter  comparable  aux  bons  rois  bien  reçus. 

De  ce  moment,  toi,  pauvre  avec  pleine  assurance, 

Après  avoir  prié  pour  la  persévérance, 

Car,  docte  charité  tout  d'abord  pense  à  soi, 

Puise  au  gouffre  infini  de  la  Foi  —  plus  de  foi.^ 

Que  jamais  et  présente  à  Dieu  ton  vœu  bien  tendre, 

Bien  ardent,  bien  formel  et  de  voir  et  d'entendre 

Les  hommes  t'imiter,  même  te  dépasser 

Dans  la  course  au  salut,  et  pour  mieux  les  pousser 

A  ces  fins  que  le  ciel  en  extase  contemple, 

Dien  humble  (souviens-toi  !),  prêcheur,  prêche  d'exemple  l 


IX 


Bon  pauvre,  ton  vêtement  est  léger 

Comme  une  brume, 
Oui,  mais  aussi  ton  cœur,  il  est  léger 

Comme  une  plume, 
Ton  libre  cœur  qui  n'a  qu'à  plaire  à  Dieu, 

Ton  cœur  bien  quitte 
De  toute  dette  humaine,  en  quelque  lieu 

Que  l'homme  habite, 
Ta  part  de  plaisir  et  d'aise  paraît 

Peu  suffisante. 
Ta  conscience,  en  revanche,  apparaît 

Satisfaisante. 
Ta  conscience  que,  précisément, 

Tes  malheurs  mêmes 
Ont  dégagée,  en  ce  juste  moment. 

Des  soins  suprêmes. 
Ton  boire  et  ton  manger  sont,  je  le  crains. 

Tristes  et  mornes  ; 
Seulement  ton  corps  faible  a,  dans  ses  reins 

Sans  fin  ni  bornes, 


142  BONHEUR 


Des  forces  d'abstinence  et  de  i-efus 

Très  glorieuses, 
Et  des  ailes  vers  les  cieux  entrevus 

Impérieuses. 
Ta  tête,  franche  de  mets  et  de  vin, 

Toute  pensée, 
Tout  intellect,  conforme  au  plan  divin, 

Haut  redressée, 
Ta  tête  est  prête  à  tout  enseignement 

De  la  parole 
Et,  de  l'exemple  de  Jésus  clément 

Et  bénévole. 
Et  de  Jésus  terrible,  prêt  au  pleur 

Qu'il  faut  qu'on  verse, 
A  l'affront  vil  qui  poigne,  à  la  douleur 

Lente  qui  perce. 
Le  monde  pour  toi  seul,  le  monde  affreux 

Devient  possible, 
T'environnant,  toi  qu'il  croit  malheureux, 

D'oubli  paisible. 
Même  t'ayant  d'étonnantes  douceurs 

Et  ces  caresses  ! 
Les  femmes  qui  sont  parfois  d'âpres  sœurs, 

D'aigres  maîtresses, 
Et  de  douloureux  compagnons  toujours 

Ou  toujours  presque, 
Te  jaugeant  malfringant,  aux  gestes  lourds, 

Un  peu  grotesque, 


DONlIKUn 


149 


Tout  à  fait  incapable  Uc  n'aimer 

Qu'ù  les  voir  belles. 
Qu'à  les  trouver  bonnes  et  île  n'nimcr 

Qu'elles  en  elles, 
Et  le  pesant  si  léger  (|ue  ce  n*es 

Hicn  de  le  dire, 
Te  dispenseront,  tous  comptes  au  net, 

De  leur  sourire. 
Et  te  voilà  libre,  ù  dîner,  en  roi. 

Seul  ù  ta  table, 
Sans  nul  flatteur,  quel  fléau  pour  un  roi, 

Plus  détestable? 
L'assassin,  l'escroc  et  l'humble  voleur 

Qui  n'y  voient  guère 
De  nuance,  t'épargnent  comme  leur 

Plus  jeune  frère. 
Des  vertus  surérogatoires,  la 

Prudence  humaine, 
(L'autre,  la  cardinale,  ah  !  celle-là 

Que  Dieu  t'y  mène!) 
L'amabilité,  l'aiTabilité 

Quasi  célestes, 
Sans  rien  d'alîecté,  sans  rien  d'apprêté, 

Franches  modestes, 
Nimbent  le  destin,  que  Dieu  te  voulut 

Tendre  et  sévère. 
Dans  l'intérêt  surtout  de  ton  salut, 

A  bien  parfaire 


14t  BONHEUR 


Et  pour  ange  contre  le  lourd  méchant 

Toujours  stupide 
La  clairvoyance  te  Ruide  en  marchant, 

Fine  et  rapide, 
La  clairvoyance,  qui  n'est  pas  du  tout, 

La  Méfiance 
Et  qui  plutôt  serait  pour  sommer  tout, 

La  Prévoyance, 
Élicitant  les  gens  de  prime-saut 

Sous  les  grimaces 
Faisant  sortir  la  sottise  du  sot, 

Trouvant  des  traces. 
Et  médusant  la  curiosité 

De  l'hypocrite 
Par  un  regard  entre  les  yeux  planté 

Qui  brûle  vite... 
Et  s'il  ose  rester  des  ennemis 

A  ta  misère, 
Pardonne-leur,  ainsi  que  l'a  promis 

Ton  Notre-Père... 
Afin  que  Dieu  te  pardonne  aussi,  Lui, 

Prends  celte  avance. 
Car,  dans  le  mal  fait  au  prochain,  c'est  Lui  r^ 

Seul  qu'on  offense.  Il 


X 

Écrit  en  1888. 


Le  «  sort  »  fantasque  qui  me  gdte  à  sa  manière  — 

M'a  logé  cetle  fois,  peut-être  la  dernière 

Et  la  dernière  c'est  la  bonne  —  à  l'hôpital I 

De  mon  rêve  à  ceci  le  réveil  est  brutal 

Mais  explicable  par  le  fait  d'une  voleuse 

(Dont  l'histoire  posthume  est,  dit-on,  graveleuse; 

Du  fait  d'un  rhumatisme  aussi,  moindre  détail; 

Puis  d'un  gîte  où  l'on  est  qu'importe  le  portail? 

J'y  suis,  j'y  vis.  «  Non,  j'y  végète  »,  on  rectifie; 

On  se  trompe.  J'y  vis  dans  le  strict  de  la  vie, 

Le  pain  qu'il  faut,  pas  trop  de  vin,  et  mieux  couché I 

Évidemment  j'expie  un  très  ancien  péché 

(Très  ancien?)  dont  mon  sang  a  des  fois  la  secousse, 

Et  la  pénitence  est  relativement  douce 

Dans  le  martyrologe  et  sur  l'armoriai 

Des  poètes,  peut-être  un  peu  proverbial. 

C'est  un  lieu  comme  un  autre,  on  en  prend  l'habitude: 

A  prison  bonne  enfant  longanime  Latude. 

i.  fO 


146  BONUEUR 


Sans  compter  qu'au  rimeur,  pour  en  parler,  alors  1 

Pauvre  et  fier,  il  ne  reste  qu'à  mourir  dehors 

Ou  tout  comme,  en  ces  temps  vraiment  trop  peu  propices. 

Et  mourir  pour  mourir.  Muse  qui  me  respices, 

Autant  le  faire  ici  qu'ailleurs,  et  même  mieux, 

Sinon  qu'ici  l'on  est  tout  «  laïque  »,  les  vieux 

Abus  sont  réformés  et  le  «  citoyen  »  libre  ! 

Et  fort!  doit,  ou  l'État  perdrait  son  équilibre, 

Avec  ça  qu'il  n'est  pas  à  cheval  sur  un  pall 

Mourir  dans  les  bras  du  Conseil  Municipal, 

Mal  rassurante  et  pas  assez  édifiante 

Conclusion  pour  tel,  qu'un  vœu  mystique  hante 

Moi  par  exemple,  j'en  forme  l'aveu  sans  fard, 

Me  dût-on  traiter  d'âne  ou  d'impudent  cafard, 

La  conversation,  dans  ce  modeste  asile. 

Ne  m'est  pas  autrement  pénible  et  difficile  ! 

Ces  braves  gens,  que  le  Journal  rend  un  peu  sots, 

Du  moins  ont  conservé,  malgré  tous  les  assauts 

Que  «  l'Instruction  »  livre  à  leur  tête  obsédée  ; 

Quelque  saveur  encor  de  parole  et  d'idée  ; 

La  Révolution,  qu'il  faut  toujours  citer 

Et  condamner,  n'a  pu  complètement  gâter 

Leur  trivialité  non  sans  grâce  et  sincère. 

Même  je  les  préfère  aux  mufles  de  ma  sphère 

Certes!  et  je  subis  leur  choc  sans  trop  d'émoi. 

Leur  vice  et  leur  vertu  sont  juste  à  point  pour  moi 

Les  goûter  et  me  plaire  en  ces  lieux  salutaires 

(A  comme  moi)  des  espèces  de  solitaires, 


BOMIEUM 


U7 


lispijce  de  couvent  moins  cet  espoir  cljr<''lienl 

Lo  monde  est  tel  qu'ici  je  n'ai  besoin  de  rien 

Et  que  j'y  resterais,  ma  foi,  toute  ma  vie, 

Sans  grands  jaloux,  j'espère,  et  pour  sûr,  sans  enviel 

Si,  dès  guéri,  si  je  gut-ris,  car  tout  se  peut, 

Je  n'avais  quelque  chose  à  faire,  que  Dieu  veut. 


XI 


Prêtres  de  Jésus-Christ,  la  vérité  vous  garde. 

Ah!  soyez  ce  que  pense  une  foule  bavarde 

Ou  ce  que  le  penseur  lui-même  dit  de  vous. 

Bassement  orgueilleux,  haineusement  jaloux, 

Avares,  impurs,  durs,  la  vérité  vous  garde. 

Et,  de  fait,  nul  de  vous  ne  risque,  ne  hasarde 

Un  seul  pan  du  prestige,  un  seul  pli  du  drapeau, 

Tant  la  doctrine  exacte  du  Bien  et  du  Beau 

Est  là,  qui  vous  maintient  entre  ses  hauts  dilemmes. 

Plats  comme  les  bourgeois,  vautrés  dans  des  Thélèmes 

Ou  guindés  vers  l'honneur  pharisaïque  alors, 

Qu'importe,  si,  Jésus,  plus  fort  que  des  cœurs  morts, 

Règne  par  vos  dehors  du  reste  incontestables? 

Cultes  respectueux,  formules  respectables, 

Un  emploi  libéral  et  franc  des  Sacrements 

(Car  les  temps  ont  du  moins,  dans  leurs  relâchements, 

Parmi  plus  d'une  bonne  et  délicate  chose. 

Laissé  tomber  l'affreux  jansénisme  morose), 


BONIlEUn 


li9 


El  co  seul  mot  sur  votre  enseigne  :  Charité  I 
Mal  gracieux,  sans  goùl  aucun,  môme  afTcclé, 
Pour  si  peu  que  ce  soit  d'art  et  do  poésie, 
Incapables  d'un  bout  de  lecture  choisie, 
D'un  regard  attentif,  d'une  oreille  en  arrêt 
Pis  qu'inconsciemment  hostiles,  on  dirait, 
A  tout  ce  qui,  dans  l'homme  etdcurit  et  s'allume. 
Plus  lourds  que  les  marteaux  et  plus  lourds  qu'une  enclume. 
Sans  môme  l'étincelle  et  le  bruit  triomphant, 
(Jue  fait?  si  Jésus  a,  pour  séduire  l'enfant 
Et  le  sage  qu'est  l'homme  en  sa  double  énergie, 
Votre  théologie  et  votre  liturgie  ? 
D'ailleurs  maints  d'entre  vous,  troupeau  trié  déjà. 
Valent  mieux  que  le  monde  autour  qui  vous  jugea, 
Lisent  clair,  visent  droit,  entendent  net  en  somme, 
Vivent  et  pensent,  plus  que  non  pas  un  autre  homme. 
Que  tels,  mes  chers  lecteure,  que  moi  cet  écrivain, 
Tant  leur  science  est  courte  et  tant  mon  art  est  vainl 
C'est  vrai  qu'il  sort  de  vous,  comme  de  votre  Maître, 
Quand  même  une  vertu  qui  vous  fait  reconnaître. 
Elle  offusque  les  sots,  ameute  les  méchants. 
Remplis  les  bons  d'émois  révérents  et  touchants. 
Force  indéfinissable  ayant  de  tout  en  elle, 
Comme  surnaturelle  et  comme  naturelle. 
Mystérieuse  et  dont  vous  allez  investis, 
Grands  par  comparaison  chez  les  peuples  petits. 
Vous  avez  tous  les  airs  de  toutes,  sinon  toutes 
I  Les  choses  qu'il  faut  être  en  Taffre  de  vos  rouies, 


450  BONHEUR 


Si  vous  ne  l'êtes  pas,  du  moins  vous  paraissez 
Tels  qu'il  faut  et  semblez  dans  ce  zèle  empressés, 
Poussant  votre  industrie  et  votre  économie, 
Depuis  la  sainteté  jusqu'à  la  bonhomie. 


Hypocrisie,  émet  un  tiers,  ou  nullité  ! 
Bonhomie,  on  doit  dire  en  chœur,  et  sainteté  ! 
Puisque,  ô  croyons  toujours  le  bien  de  préférence, 
Mais  c'est  surtout  ce  siècle  et  surtout  cette  France, 
Que  charme  et  que  bénit,  à  quelques  fins  de  Dieu? 
Votre  ombre  lumineuse  et  réchauffante  un  peu. 
Seul  bienfait  apparent  de  la  grâce  invisible 
Sur  la  France  insensée  et  le  siècle  insensible 
Siècle  de  fer  et  France,  hélas  !  toute  de  nerfs, 
France  d'où  détalant  partout  comme  des  cerfs, 
Les  principes,  respect,  l'honneur  de  sa  parole. 
Famille,  probité,  filent  en  bande  folle, 
Siècle  d'âpreté  juive  et  d'ennuis  protestants, 
Noyant  tout,  le  superbe  et  l'exquis  des  instants, 
Au  remous  gris  de  mers  de  chiffres  et  de  phrases. 
Vous,  phares  doux  parmi  ces  brumes  et  ces  gazes, 
Ah!  luisez-nous  encore  et  toujours  jusqu'au  jour, 
Jusqu'à  l'heure  du  cœur  expirant  vers  l'amour 
Divin,  pour  refleurir  éternel  dans  la  même 
Charité  loin  de  cette  épreuve  froide  et  blême. 
Et  puis,  en  la  minute  obscure  des  adieux. 
Flambez,  torches  d'encens,  et  rallumez  nos  yeux 


BONHEUR 


iSl 


A  Tunique  Beautt'?,  toute  bonne  et  puissante, 
Drùlez  ce  qui  n'est  plus  la  pri^^^  innocente, 
L'aspiration  sainte  et  le  repentir  vrail 


Puisse  un  prêtre  être  là,  Jésus,  quand  je  mourrail 


XII 


Guerrière,  militaire  et  virile  en  tout  poînt, 
La  sainte  Chasteté  que  Dieu  voit  la  première, 
De  toutes  les  vertus  marchant  dans  sa  lumière 
Après  la  Charité  distante  presque  point, 

Va  d'un  pas  assuré  mieux  qu'aucune  amazone 

A  travers  l'aventure  et  l'erreur  du  Devoir, 

Ses  yeux  grands  ouverts  pleins  du  dessein  de  bien  voir, 

Son  corps  robuste  et  beau  digne  d'emplir  un  trône, 

Son  corps  robuste  et  nu  balancé  noblement. 
Entre  une  tête  haute  et  des  jambes  sereines, 
Du  port  majestueux  qui  sied  aux  seules  reines, 
Et  sa  candeur  la  vêt  du  plus  beau  vêtement. 


Elle  sait  ce  qu'il  faut  qu'elle  sache  des  choses. 
Entre  autres  que  Jésus  a  fait  l'homme  de  chair 
Et  mis  dans  notre  sang  un  charme  doux-amer 
D'où  doivent  découler  nos  naissances  moroses. 


DONUEUa  153 


Et  que  l'amour  charnel  est  bénit  en  des  cas. 
Elle  préside  alors  et  sourit  à  ces  fêtes, 
Dévêt  la  jeune  épouse  avec  ses  mains  honnêtes 
Et  la  m&ne  à  Tépoux  par  des  tours  délicats. 

Elle  entre  dans  leur  lit,  lève  le  linge  ultime, 
Guide  pour  le  baiser  et  l'acte  et  le  repos 
Leurs  corps  voluptueux  aux  fins  de  bons  propos 
Et  désormais  va  vivre  entre  eux  leur  auge  intime. 

Puis  au-dessus  du  couple  ou  plutôt  à  côté, 
—  Bien  agir  fait  s'unir  les  vœux  et  les  nivelle,  — 
Vers  le  Vierge  et  la  Vierge  isolés  dans  leur  belle 
ThébaïJe  à  chacun  la  sainte  Chasteté. 

Sans  quitter  les  Amants,  par  un  charmant  miracle, 
Vole  et  vient  rafraîchir  l'Intacte  et  l'impollu 
De  gais  parfums  de  fleurs  comme  s'il  avait  plu 
D'un  bon  orage  sur  l'un  et  sur  l'autre  habitacle, 

Et  vêt  de  chaleur  douce  au  point  et  de  jour  clair 

La  cellule  du  Moine  et  celle  de  la  Nonne, 

Car  s'il  nous  faut  souffrir  pour  que  Dieu  nous  pardonne. 

Du  moins  Dieu  veut  punir,  non  torturer  la  chair. 

Elle  dit  à  ces  chers  enfants  de  l'Innocence  : 
Dormez,  veillez,  priez.  Priez  surtout,  afin 
Que  vous  n'ayez  pas  fait  tous  ces  travaux  en  vain. 
Humilité,  douceur  et  céleste  ignorance  1 


154  BONHEUR 

Enfin  elle  va  chez  la  Veuve  et  chez  le  Veuf, 
Chez  le  vieux  Débauché,  chez  l'Amoureuse  vieille, 
Et  leur  tient  des  discours  qui  sont  une  merveille 
Et  leur  refait,  à  force  d'art,  un  corps  tout  neut 

Et  quand  alors  elle  a  fini  son  tour  du  monde, 
Tour  du  monde  ubiquiste,  invisible  et  présent, 
Elle  court  à  son  point  de  départ  en  faisant 
Tel  grand  détour,  espoir  d'espérance  profonde  ; 

Et  ce  point  de  départ  est  un  lieu  bien  connu, 
Eden  môme  :  là  sous  le  chêne  et  vers  la  rose. 
Puisqu'il  paraît  qu'il  n'a  pas  faire  autre  chose, 
Rit  et  gazouille  un  beau  petit  enfant  tout  nu. 


XIII 


Un  projet  de  mon  âge  mûr 
Me  tint  six  ans  Tûme  ravie, 
C'était,  d'après  un  plan  bien  sûr. 
De  réédiûerma  vie. 

Vie  encor  vivante  après  tout. 
Insuffisamment  ruinée. 
Avec  ses  murs  toujours  debout 
Que  respecte  la  graminée, 

Murs  de  vraie  et  franche  vertu. 
Fondations  intactes  certes. 
Fronton  battu,  non  abattu. 
Sans  noirs  lichens  ni  mousses  vertes, 


L'orgueil  qu'il  faut  et  qu'il  fallait, 
Le  repentir  quand  c'était  brave, 
Douceur  parfois  comme  le  lait, 
Fierté  souvent  comme  la  lave. 


156  BONHEUR 

Or,  durant  ces  deux  fois  trois  ans, 
L'essai  fut  bon,  grand  le  courage. 
L'œuvre  en  aspects  forts  et  plaisants 
Montait,  tenant  tête  à  l'orage. 

Un  air  de  grâce  et  de  respect 

Magnifiait  les  calmes  lignes 

De  l'édifice  que  drapait 

L'éclat  de  la  neige  et  des  cygnes... 

Furieux  mais  insidieux, 
Voici  l'essaim  des  mauvais  anges. 
Rayant  le  pur,  le  radieux 
Paysage  de  vols  étranges, 

Salissant  d'outrages  sans  nom, 
Obscénités  basses  et  fades. 
De  mon  renaissant  Parthénon 
Les  portiques  et  les  façades. 

Tandis  que  quelques-uns  d'entre  eux, 
Minant  le  sol,  sapant  la  base, 
S'apprêtent,  par  un  art  affreux, 
A  faire  de  tout  table  rase. 

Ce  sont,  véniels  et  mortels. 

Tous  les  péchés  des  catéchismes 

Et  bien  d'autres  encore,  tels 

Qu'ils  font  les  sophismes  des  schismes. 


BONHEUR  1S7 

La  Luxure  aux  tours  sans  merci, 
L'afTreuse  Avarice  morale, 
I,a  Paresse  morale  aussi, 
L*Envio  à  la  dent  sépulcrale, 

La  Colère  hors  des  combats, 
La  Gourmandise,  rage,  ivresse, 
L'Orgueil,  alors  qu'il  ne  faut  pas, 
Sans  compter  la  sourde  détresse 

Des  vices  à  peine  entrevus. 
Dans  la  conscience  scrutée, 
Hideur  brouillée  et  tas  confus. 
Tourbe  brouillante  et  ballottée. 

Mais  quoi!  n'est-ce  pas  toujours  voiis, 
Démon  femelle,  triple  peste, 
Pire  flot  de  tout  ce  remous, 
Pire  ordure  que  tout  le  reste. 

Vous  toujours,  vil  cri  de  haro. 
Qui  me  proclame  et  me  diffame. 
Gueuse  inepte,  lâche  bourreau, 
Horrible,  horrible,  horrible  femme? 

Vous  l'insultant  mensonge  noir, 
La  haine  longue,  l'affront  rance, 
Vous  qui  seriez  le  désespoir. 
Si  la  foi  n'était  l'Espérance. 


153  BONHEUR 


EtTEspérance  le  pardon, 
Et  ce  pardon  une  vengeance. 
Mais  quel  voluptueux  pardon, 
Quelle  savoureuse  vengeance  1 

Et  tous  trois,  espérance  et  foi 
Et  pardon,  chassant  la  séquelle 
Infernale  de  devant  moi, 
Protégeront  de  leur  tutelle 

Les  nobles  travaux  qu'a  repris 
Ma  bonne  volonté  calmée, 
Pour  grâce  à  des  grâces  sans  prix. 
Achever  l'œuvre  bien-aimée 

Toute  de  marbre  précieux 
En  ordonnance  solennelle 
Bien  par-delà  les  derniers  cieux, 
Jusque  dans  la  vie  éternelle. 


XIV 


Sois  de  bronze  et  de  marbre  et  surtout  sois  de  chair 
Certes,  prise  l'orgueil  nécessaire  plus  cher, 
Pour  ton  combat  avec  les  contingences  vaines; 
Que  les  poils  de  ta  barbe  ou  le  sang  de  tes  veines  ; 
Mais  vis,  vis  pour  souffrir,  souffre  pour  expier, 
Expie  et  va-t'en  vivre  et  puis  reviens  prier, 
Prier  pour  le  courage  et  la  persévérance 
De  vivre  dans  ce  siècle,  hélas  !  et  cette  France, 
Siècle  et  France  ignorants  et  tristement  railleurs. 
(Mais  le  règne  est  plus  haut  et  la  patrie  ailleurs 
Et  la  solution  est  autre  du  problème.) 
Sois  de  chair  et  même  aime  cette  chair,  la  même 
Que  celle  de  Jésus  sur  terre  et  dans  les  cieux, 
Et  dans  le  Très  Saint-Sacrement  si  précieux 
Qu'il  n'est  de  comparable  à  sa  valeur  que  celle 
De  ta  chair  vénérable  en  sa  moindre  parcelle 
Et  dans  le  moindre  grain  de  l'Hostie  à  l'autel  ; 
Car  ce  mystère,  l'Incarnation,  est  tel, 


160  BONHEUR 


Par  l'exégèse  autour  comme  par  sa  nature  ; 
Qu'il  fait  égale  au  Créateur  la  créature, 
Cependant  que,  par  un  miracle  encor  plus  grand, 
L'Eucharistie,  elle,  les  confond  et  les  rend 
Identiques.  Or  cette  chair  expiatoire. 
Fais-t'en  une  arme  douloureuse  de  victoire 
Sur  l'orgueil  que  Satan  peut  d'elle  t'inspirer 
Pour  l'orgueil  qu'à  jamais  tu  peux  considérer 
Gomme  le  prix  suprême  et  le  but  enviable. 
Tout  le  reste  n'est  rien  que  malice  du  diable  ! 
Alors,  oui,  sois  de  bronze  impassible,  revêts 
L'armure  inaccessible  à  braver  le  Mauvais, 
-T»udeur,  Calme,  Respect,  Silence  et  Vigilance. 
Puis  soie  de  marbre,  et  pur,  sous  le  heaume  qui  lance 
Par  ses  trous  le  regard  de  tes  yeux  assurés, 
Marche  à  pas  révérents  sur  les  parvis  sacrés. 


XV 


Mon  ami,  ma  plus  belle  amitié,  ma  meilleure, 

—  Les  morts  sont  morts,  douce  leur  soit  l'éterniié  ! 

Laisse-moi  te  le  dire  en  toute  vérité, 

Tu  vins  au  temps  marqué,  tu  parus  à  ton  heure  ; 


I 


Tu  parus  sur  ma  vie  et  tu  vins  dans  mon  cœur 
Au  jour  climatt'rique  où,  noir  vaisseau  qui  sombre, 
J'allais  noyer  ma  chair  sous  la  débauche  sombre. 
Ma  chair  dolente,  et  mon  esprit  jadis  vainqueur, 

Et  mon  ûrae  naguère  et  jadis  toute  blanche  ! 

Mais  tu  vins,  tu  parus,  tu  vins  comme  un  voleur, 

—  Tel  Christviendra — Voleur  qui  m'a  pris  mon  malheur! 

Tu  parus  sur  ma  mer  non  pas  comme  une  planche 


De  salut,  mais  le  Salut  même  !  Ta  vertu 
Première,  la  gaieté,  c'est  elle-même,  franche 
Comme  l'or,  comme  un  bel  oiseau  sur  une  brandie 
Qui  s'envole  dans  un  brillant  turlututu. 

n.  H 


162  BONHEUR 


Emportant  sur  son  aile  électrique  les  ires 

Et  les  affres  et  les  tentations  encor; 

Ton  bon  sens,  —  tel  après  du  fifre  c'est  du  cor,  — 

Vient  paisiblement  mettre  fin  aux  délires, 

N'étant  point,  ô  que  non  !  le  prud'homisme  affreux, 

Mais  l'équilibre,  mais  la  vision  artiste, 

Sûre  et  sincère  et  qui  persiste  et  qui  résiste 

A  l'argumentateur  plat  comme  un  songe  creux  ; 

Et  ta  bonté,  conforme  à  ta  jeunesse,  est  verte, 
Mais  elle  va  mûrir  délicieusement! 
Elle  met  dans  tout  moi  le  renouveau  charmant 
D'une  sève  éveillée  et  d'une  âme  entr'ouverte. 

Elle  étend,  sous  mes  pieds,  un  gazon  souple  et  frais 
Où  ces  marcheurs  saignants  reprennent  du  courage, 
Caressés  par  des  fleurs  au  gai  parfum  sauvage, 
Lavés  de  la  rosée  et  s'attardant  exprès. 

Elle  met  sur  ma  tête,  aux  tempêtes  calmées. 
Un  ciel  profond  et  clair  où  passe  le  vent  pur 
Et  vif,  éparpillant  les  notes  dans  l'azur 
D'oiseaux  volant  et  s'éveillant  sous  les  ramées. 

Elle  verse  à  mes  yeux,  qui  ne  pleureront  plus, 
Un  paisible  sommeil  dans  la  nuit  transparente 
Que  de  rêves  légers  bénissent,  troupe  errante 
De  souvenirs  et  d'espoirs  révolus. 


BONHEUR  1G3 

Avec  des  tours  naïfs  et  des  besoins  d'enfance, 
Elle  veut  être  flère  et  rôve  de  pouvoir 
lîtro  rudo  un  petit  sans  pouvoir  que  vouloir 
Tant  le  bon  mouvement  sur  l'autre  prend  d'avance. 

J'use  d'elle  et  parfois  d'elle  j'abuserais 

Par  égoïsme  un  peu  bien  surérogatoire, 

Tort  d'ailleurs  pardonnable  en  toute  humaine  histoire 

Mais  non  dans  celle-ci,  de  crainte  des  regrets. 

De  mon  côté,  c'est  vrai  qu'à  travers  mes  caprices, 
Mes  nerfs  et  tout  le  train  de  mon  tempérament. 
Je  t'estime  et  je  t'estime,  ô  si  fidèlement, 
Trouvant  dans  ces  devoirs  mes  plus  chères  délices. 

Déployant  tout  le  peu  que  j'ai  de  paternel 
Plus  encorque  de  fraternel,  malgré  l'extrôme 
Fraternité,  tu  sais,  qu'est  notre  amitié  môme. 
Exultant  sur  ce  presque  amour  presque  charnel! 

Presque  charnel  à  force  de  sollicitude 
Paternelle  vraiment  et  maternelle  aussi. 
Presque  un  amour  à  cause,  ô  toi  de  l'insouci 
De  vivre  sinon  pour  cette  sollicitude. 

Vaste,  impétueux  donc,  et  de  prime-saut,  mais 
Non  sans  prudence  en  raison  de  l'expérience 
Très  douloureuse  qui  m'apprit  toute  nuance. 
Du  jour  lointain,  quand  la  première  fois  j'aimais: 


164  BONHEUR 


Ce  presque  amour  est  saint;  il  bénit  d'innocence 
Mon  reste  d'une  vie  en  somme  toute  au  mal, 
Et  c'est  comme  les  eaux  d'un  torrent  baptismal 
Sur  des  péchés  qu'en  vain  l'Enfer  déçu  recense. 

Aussi,  précieux  toi  plus  cher  que  tous  les  moi 
Que  je  fus  et  serai  si  doit  durer  ma  vie, 
Soyons  tout  l'un  pour  l'autre  en  dépit  de  l'envie. 
Soyons  tout  l'un  à  l'autre  en  toute  bonne  foi. 

Allons,  d'un  bel  élan  qui  demeure  exemplaire 
Et  fasse  autour  le  monde  étonné  chastement. 
Réjouissons  les  cieux  d'un  spectacle  charmant 
Et  du  siècle  et  du  sort  défions  la  colère. 

Nous  avons  le  bonheur  ainsi  qu'il  est  permis. 
Toi  de  qui  la  pensée  est  toute  dans  la  mienne, 
Il  n'est,  dans  la  légende  actuelle  et  l'ancienne 
Rien  de  plus  noble  et  de  plus  beau  que  deux  amis, 

Déployant  à  l'envi  les  splendeurs  de  leurs  âmes. 
Le  Sacrifice  et  l'Indulgence  jusqu'au  sang, 
La  Charité  qui  porte  un  monde  dans  son  flanc 
Et  toutes  les  pudeurs  comme  de  douces  flammes  1 

Soyons  tout  l'un  à   l'autre   enfin  !  et   l'un  pour  l'autre 
En  dépit  des  jaloux,  et  de  nos  vains  soupçons, 
A  nous,  et  cette  foi  pour  de  bon,  renonçons 
Au  vil  respect  humain  où  la  foule  se  vautre, 


BONHEUR  105 

Afln  qu'enfin  co  J<^8us-Christ  qui  nous  créa 
Nous  fasso  grûce  cl  fasse  grûcc  au  inonde  immonde 
D'autour  de  nous  alors  unis,  —  paix  sans  seconde  I  — 
Duflnilivcment,  et  dicte:  Alléluia. 

«  Qu'ils  entrent  dans  ma  joie  et  goûtent  mes  louanges; 
«  Car  ils  ont  accompli  leur  tâche  comme  dû, 
«  Et  leur  cri  d'espérance,  il  me  fut  entendu, 
«  Et  voilà  pourquoi  les  anges  et  les  archanges 

«  S'écarteront  de  devant  Moi  pour  avoir  admis, 
«  Purifiés  de  tous  péchés  inévitables 
«  Et  des  traverses  quelquefois  épouvantable?"^ 
«  Ce  couple  infiniment  bénissable  d'Amis.  » 


XVI 


Seigneur,  vous  m'avez  laissé  vivre 
Pour  m'éprouver  jusqu'à  la  fin. 
Vous  châtiez  celte  chair  ivre, 
Par  la  douleur  et  par  la  faim  ! 
Et  Vous  permîtes  que  le  diable 
Tentât  mon  âme  misérable 
Comme  l'âme  forte  de  Job, 
Puis  Vous  m'avez  envoyé  l'ange 
Qui  gagea  le  combat  étrange 
Avec  le  grand  aïeuJ  Jacob 

Mon  enfance,  elle  fut  joyeuse  : 
Or  je  naquis  choyé,  béni 
Et  je  crûs,  chair  insoucieuse, 
Jusqu'au  temps  du  trouble  infini 
Qui  nous  prend  comme  une  tempête, 


BONHEUR  iC7 

Nous  poussant  comme  par  la  tête 
Vers  ral>îine  et  prêts  à  tomber  ; 
Quant  à  moi,  puisqu'il  faut  le  dire. 
Mes  sens  affreux  et  leur  délire 
Allaient  me  faire  succomber, 

Quand  Vous  parûtes.  Dieu  de  grâce 
Qui  savez  tout  bien  arranger. 
Qui  Vous  mettez  bien  à  la  place, 
L'auteur  et  l'ôteur  du  danger, 
Vous  me  punîtes  par  moi-même 
D'un  supplice  cru  le  suprême 
(Oui,  ma  pauvre  âme  le  croyait) 
Mais  qui  n'était  au  fond  rien  qu'une 
Perche  tendue,  ô  qu'opportune  l 
A  mon  salut  qui  se  noyait. 

Comprises  les  dures  délices, 

J'ai  marché  dans  le  droit  sentier, 

Y  cueillant  sous  des  cieux  propices 

Pleine  paix  et  bonheur  entier, 

Paix  de  remplir  enfin  ma  tiche, 

Bonheur  de  n'être  plus  un  Idche 

Épris  des  seules  voluptés 

De  l'orgueil  et  de  la  luxure,  ^ 

Et  cette  fleur,  l'extase  pure 

Des  bons  projets  exécutés, 


168  BONHEUR 


C'est  alors  que  la  mort  commence 
Son  œuvre  inexpiable  ?  Non, 
Mais  qui  me  saisit  de  démence 
Bien  qu'encor  criant  Votre  nom. 
L'Ami  me  meurt,  aussi  la  Mère, 
Une  rancune  plus  qu'amère 
Me  piétine  en  ce  dur  moment 
Et  me  cantonne  en  la  misère. 
Dans  la  littérale  misère, 
Du  froid,  et  du  délaissement! 

Tout  s'en  mêle  :  la  maladie 
Vient  en  aide  à  l'autre  fléau. 
Le  guignon,  comme  un  incendie 
Dans  un  pays  où  manque  l'eau, 
Ravage  et  dévaste  ma  vie. 
Traînant  à  sa  suite  l'envie. 
L'ordre,  l'obsèque  trahison, 
La  sale  pitié  dérisoire, 
Jusqu'à  cette  rumeur  de  gloire 
Comme  une  insulte  à  la  raison  I 

Ces  mystères,  je  les  pénètre  ; 
Tous  les  mystères,  je  les  connais, 
Oui,  certes,  Vous  êtes  le  maître 
Dont  les  rigueurs  sont  les  bienfaits. 
Mais,  ô  Vous,  donnez-moi  la  force, 


BONIIBUt  109 

Donnez,  comme  à  l'arbre  l'écorce. 
Comme  l'inslinct  à  l'animal, 
Donnez  à  ce  cœur  voire  ouvrage, 
Seigneur,  la  force  cl  le  courage 
Pour  le  bien  cl  conlre  le  mal. 

Mais,  hélas  !  je  ratiocine 

Sur  mes  fautes  et  mes  douleurs, 

Espèce  de  mauvais  Racine 

Analysant  jusqu'à  mes  pleurs. 

Dans  ma  raison  mal  assagie, 

Je  fais  de  la  psychologie 

Au  lieu  d'ùtre  un  cœur  pénitent 

Tout  simple  et  tout  aimable  en  somme. 

Sans  plus  l'astuce  du  vieil  homme 

Et  sans  plus  l'orgueil  protestant... 

Je  crois  en  l'Église  romaine, 

Catholique,  apostolique  et 

La  seule  humaine  qui  nous  mène 

Au  but  que  Jésus  indiquait, 

La  seule  divine  qui  porte 

Notre  croix  jusques  à  la  porte 

Des  libres  cieux  enfin  ouverts. 

Qui  la  porte  par  vos  bras  même, 

0  grand  Crucifié  suprême 

Donnant  pour  nous  vos  maux  soufiferts. 


BONHEUR  170 


Je  crois  en  la  toute-présense, 

A  la  messe  de  Jésus-Christ, 

Je  crois  à  la  toute-puissance 

Du  Sang  que  pour  nous  il  offrit 

Et  qu'il  offre  au  seul  Juge  encore 

Par  ce  mystère  que  j'adore 

Qui  fait  qu'un  homme  vain,  menteur, 

Pourvu  qu'il  porte  le  vrai  signe 

Qui  le  consacre  entre  tous  digne, 

Puisse  créer  le  Créateur. 

Je  confesse  la  Vierge  unique, 
Reine  de  la  neuve  Sion, 
Portant  aux  plis  de  sa  tunique 
La  grâce  et  l'intercession. 
Elle  protège  l'innocence, 
Accueille  la  résipiscence, 
Et  debout  quand  tous  à  genoux, 
Impêtre  le  pardon  du  Père 
Pour  le  pécheur  qui  désespère... 
Mère  du  fils,  priez  pour  nous  1 


XVII 


Romponsl  Ce  que  j'ai  dit,  je  ne  le  reprends  pas. 
Puisque  je  le  pensai,  c'est  donc  que  c'était  vrai. 
Je  le  garderai  jusqu'au  jour  où  je  mourrai, 
Total,  intégral,  pur,  en  dépit  des  combats 

De  la  rancœur  très  haute  et  de  l'orgueil  très  bas. 
Mais  comme  un  fier  métal  qui  sort  du  minerai 
De  vos  nuages  à  la  fin  je  surgirai, 
Je  surgis,  amitiés  d'ennuis  et  de  débats... 

0  pour  l'afTection  toute  simple  et  si  douce 

Oii  l'âme  se  blottit  comme  en  un  nid  de  mousse! 

Et  fi  donc  de  la  sale  «  âme  parisienne  »  ! 


Vive  l'esprit  français,  d'Artois  jusqu'en  Gascogne 
De  la  Champagne  et  de  TArgonne  à  la  Bourgogne 
Et  vive  un  cœur,  morbleu  !  dont  un  cœur  se  souvienne! 


XVIII 


J'ai  dit  à  Tesprit  vain,  à  Tostentation, 
L'Ilion  de  l'orgueil  futile,  le  Sion 
De  la  frivolité  sans  cœur  et  sans  entrailles, 
La  citadelle  enfin  du  Faux  : 

«  Croulez,  murailles 
Ridicules  et  pis,  remparts  bêtes  et  pis. 
Contrescarpes,  sautez  comme  autant  de  tapis 
Qu'un  valet  matinal  aux  fenêtres  secoue, 
Fossés  que  l'eau  remplit,  concrétez-vous  en  boue 
Qu'il  ne  reste  plus  rien  qu'un  souvenir  banal 
De  tout  votre  appareil,  et  que  cet  arsenal, 
Chics  fougueux  et  froids,  mots  secs,  phrase  redondante, 
Et  coetera,  se  rende  à  l'émeute  grondante 
Des  sentiments  enfin  naturels  et  réels.  » 

Ahl  j'en  suis  revenu,  des  « dandysmes  »  «  cruels» 
Vrais  ou  faux,  dans  la  vie  (accident  ou  coutume) 
Ou  dans  l'art  ou  tout  bêtement  dans  le  costume. 


BONHEUR 


173 


Le  vêtement  de  son  état  avec  le  moins 
De  taches  et  de  trous  possible,  apte  aux  besoins, 
Aux  lies,  aux  chics  qu'il  faut,  le  linge,  mal  terrible 
D'empois  et  d'amidon,  le  plus  fréquent  possible, 
Et  souple  et  frais  autour  du  corps  dispos  aussi, 
Voilà  pour  le  costume,  et  quant  à  l'art,  voici  : 


L'art  tout  d'abord  doit  être  et  paraître  sincère  j 

Et  clair,  absolument  :  c'est  la  loi  nécessaire      ' 

Et  dure,  n'est-ce  pas,  les  jeunes,  mais  la  loi  ; 

Carie  public,  non  le  premier  venu,  mais  moi. 

Mais  mes  pairs  et  moi,  par  exemple,  vieux  complices, 

Nous,  promoteurs  de  vos,  de  nos  pauvres  malices. 

Nous  autres  qu'au  besoin  vous  sauriez  bien  chercher, 

Le  vrai,  le  seul  Public  qu'il  faille  raccrocher. 

Le  Public,  pour  user  de  ce  mot  ridicule, 

Dorénavant  il  bat  en  retraite  et  recule 

Devant  vos  trucs  un  peu  trop  niais  d'aujourd'hui, 

Tordu  par  le  fou  rire  ou  navré  par  l'ennui. 

L'art,  mes  enfants,  c'est  d'être  absolument  soi-même,  — 

Et  qui  m'aime  me  suive  et  qui  me  suit  qu'il  m'aime, 

Et  si  personne  n'aime  ou  me  suit,  allons  seul. 

Mais  traditionnel  et  soyons  notre  aïeul! 

Obéissons  au  sang  qui  coule  dans  nos  veines 

Et  qui  ne  peut  broncher  en  conjectures  vaines. 

Flux  de  verve  gauloise  et  flot  d'aplomb  romain 

Avec,  puisqu'un  peu  Franc,  de  bon  limon  germain, 


^"  In.\-  p^^I" 


174  BONHEUR 


Moyennant  cette  allure  et  par  cette  assurance 

Il  pourra  bien  germer  des  artistes  en  France. 

Mais,  plus  de  fioritures,  bons  petits, 

Ni  de  ce  pessimisme  et  ni  du  cliquetis 

De  ce  ricanement  comme  d'armes  faussées, 

Et  ni  de  ce  scepticisme  en  sottes  fusées  ; 

Autrement  c'est  la  mort  et  je  vous  le  prédis 

De  ma  voix  de  bonhomme,  encore  un  peu.  Jadis. 

Foin!  d'un  art  qui  blasphème  et  fi!  d'un  art  qui  pose,; 

Et  vive  un  vers  bien  simple,  autrement  c'est  la  prose. 

La  Simplicité,  —  c'est  d'ailleurs  Vavis  rara,  — 

0  la  Simplicité,  tout-puissant,  qui  l'aura 

Véritable,  au  service,  en  outre,  de  la  Vie 

Elle  vous  rend  bon,  franc,  vous  demi-déifie. 

Que  dis-je  ?  elle  vous  déifie  en  Jésus-Christ 

Par  l'opération  du  même  Saint-Esprit 

Et  l'humblesse  sans  nom  de  son  Eucharistie, 

Sur  les  siècles  épand  l'ordre  et  la  sympathie, 

Règne  avec  la  candeur  et  lutte  par  la  foi, 

Mais  la  foi  tout  de  go,  sans  peur  et  sans  émoi 

Ni  de  ces  grands  raffinements  des  exégètes, 

Elle  trempe  les  cœurs,  rassérène  les  têtes, 

Enfante  la  vertu,  met  en  fuite  le  mal 

Et  fixerait  le  monde  en  son  état  normal 

N'était  la  Liberté  que  Dieu  dispense  aux  àmea 

Et  dont  le  premier  homme  et  nous,  nous  abusâmes 

Jusqu'aux  tristes  excès  où  nous  nous  épuisons 

Dans  des  complexités  comme  autant  de  prisons. 


BONHEUR 


175 


Et  puis,  c'est  l'unité  désirable  et  supr/^me  : 

On  vit  simple,  comme  on  naît  simple,  comme  on  aime 

Quand  on  aime  vraiment  et  fort,  et  comme  on  hait 

Kt  comme  l'on  pardonne,  au  bout,  lorsque  l'on  est 

Purement,  nettement  simple  et  Ton  meurt  de  même, 

Comme  on  naît,  comme  on  vit,  comme  on  hait,  comme  on  aime, 


Car  aimer  c'est  l'Alpha,  fils,  et  c'est  l'Oméga 
Des  simples  que  le  Dieu  simple  et  bon  délégua 
Pour  témoigner  de  lui  sur  cette  sombre  terre 
En  attendant  leur  vol  calme  dans  sa  lumière. 


Oui,  d'être  absolument  soi-même,  absolument!       *^ 

D'être  un  brave  homme  épris  de  vivre,  et  réclamant 

Sa  place  à  toi,  juste  Soleil  de  tout  le  monde. 

Sans  plus  se  soucier,  naïveté  profonde  ! 

De  ce  tiers,  l'apparat,  que  du  fracas,  ce  quart, 

Pour  le  costume,  dans  la  vie  et  quant  à  l'art; 

Dédaigneux  au  superlatif  de  la  réclame, 

L*n  digne  homme  amoureux  et  frère  de  la  Femme, 

Élevant  ses  enfants  pour  ici-bas  et  pour 

Leur  lot  gagné  dûment  en  le  meilleur  Séjour, 

Fervent  de  la  patrie  et  doux  aux  misérables. 

Fier  pourtant,  partant,  aux  refus  inexorables 

Devant  les  préjugés  et  la  banalité 

Assumant  à  l'euvi  ce  masque  dégoûté 


176  BONHEUR 

Qui  rompt  la  patience  et  provoque  la  claque 
Et,  pour  un  peu,  ferait  défoncer  la  baraque  ! 
Rude  à  l'orgueil  tout  en  pitoyant  l'orgueilleux, 
Mais  dur  au  fat  et  l'écrasant  d'un  mot  joyeux 
S'il  juge  toutefois  qu'il  en  vaille  la  peine 
Et  que  sa  nullité  soit  digne  de  l'aubaine. 

Oui,  d'être  et  de  mourir  loin  d'un  siècle  gourmé 
Dans  la  franchise,  ô  vivre  et  mourir  enfermé, 
Et  s'il  nous  faut,  par  surcroît,  de  posthumes  socles, 
Gloire  au  poète  pur  en  ces  jours  de  monocles! 


XIX 


La  neige  à  travers  la  brume    — 
Tombe  et  tapisse  sans  bruit 
Le  chemin  creux  qui  conduit 
A  l'église  où  l'on  allume 
Pour  la  messe  de  minuit. 


Londres  sombre  flambe  et  fume; 
0  la  chère  qui  s'y  cuit 
Et  la  boisson  qui  s'ensuit! 
C'est  Christmas  et  sa  coutume 
De  minuit  jusqu'à  minuit. 


Sur  la  plume  et  le  bitume, 
Paris  bruit  et  jouit. 
Ripaille  et  Plaisant  déduit 
Sur  le  bitume  et  la  plume 
S'exaspèrent  dès  minuit. 


178  BONHEUR 


Le  malade  en  l'amertume 
De  l'hospice  où  le  poursuit 
Un  espoir  toujours  détruit 
S'épouvante  et  se  consume 
Dans  le  noir  d'un  long  minuit. 


La  cloche  au  son  clair  d'enclume 
Dans  la  cour  fine  qui  luit, 
Loin  du  péché  qui  nous  nuit, 
Nous  appelle  en  grand  costume 
A  la  messe  de  minuit. 


XX 


Je  voudrais,  sî  ma  vie  était  encore  à  faire. 
Qu'une  femme  très  calme  habitât  avec  moi 
Plus  jeune  de  dix  ans,  qui  portât  sans  émoi 
La  moitié  d'une  vie  au  fond  plutôt  sévère. 

Notre  cœur  à  tous  deux  dans  ce  château  de  verre, 
Notre  regard  commun  !  franchise  et  bonne  foi. 
Un  et  double  dirait  comme  en  soi-même  :  Voil 
Et  répondrait  comme  à  soi-même:  persévère! 


Elle  se  tiendrait  à  sa  place,  mienne  aussi, 

Nous  serions  en  ceci  le  couple  réussi  - . 

Que  l'inégalité,  parbleu!  des  caractères  * 

Ne  saurait  empêcher  l'équilibre  qu'il  faut, 

Ce  point  était  compris  d'esprits  en  somme  austères 

Qu'au  fond  et  qu'en  tout  cas  l'indulgence  prévaut. 


#..1 


II 


L'indulgence  qui  n'est  pas  de  l'indifférence 
Et  qui  n'est  pas  non  plus  de  la  faiblesse,  ni 
De  la  paresse,  pour  un  devoir  défini, 
Monitoire  au  plaisir,  bénin  à  la  souffrance. 

Non  plus  le  scepticisme  et  ni  préjugé  rance 
Mais  grand'délicatesse  et  bel  accord  béni 
Et  ni  la  chair  honnie  et  ni  l'ennui  banni 
Toute  mansuétude  et  comme  vieille  France. 

Nous  serions  une  mer  en  deux  fleuves  puissants 

Où  le  Bonheur  et  le  Malheur  têtes  de  flottes 

Nous  passeraient  sans  heurts,  montés  par  le  Bon  sens, 

Ubiquiste  équipage,  ubiquiste  pilote, 

Ubiquiste  amiral  sous  ton  sûr  pavillon. 

Amitié,  non  plus  sous  le  vôtre,  Amour  brouillon. 


m 


III 


L'amitié,  mais  entre  homme  et  femme  elle  est  divine  1 
Elle  n'empôche  rien,  aussi  bien  des  rapports 
Nécessaires,  et  sous  les  mieux  séants  dehors 
Abrite  les  secrets  aimables  qu'on  devine. 

Nous  mettrions  chacun  du  nôtre,  elle  est  très  fine, 
Moi  plus  naïf,  et  bien  réglés  en  chers  efforts 
Lesdits  rapports  dès  lors  si  joyeux  sans  remords 
Dans  la  simplesse  ovine  et  la  raison  bovine. 

Si  le  bonheur  était  d'ici,  ce  léserait! 

Puis  nous  nous  en  irions  sans  l'ombre  d'un  regret. 

La  conscience  en  paix  et  de  l'espoir  plein  l'âme. 


Comme  les  bons  époux  d'il  n'y  a  pas  longtemps 
Quand  l'un  et  l'autre  d'être  heureux  étaient  contents, 
Qui  vivaient,  sans  le  trop  chanter,  l'épithalame. 


XXI 


0!  j'ai  froid  d'un  froid  de  glace 
0!  je  brûle  à  toute  place  ! 

Mes  os  vont  se  cariant, 
Des  blessures  vont  criant; 

Mes  ennemis  pleins  de  joie 
Ont  fait  de  moi  quelle  proie  I 

Mon  cœur,  ma  tête  et  mes  reins 
Souffrent  de  maux  souverains. 

Tout  me  fuit,  adieu  ma  gloire  1 
Est-ce  donc  le  Purgatoire? 

Ou  si  c'est  l'enfer  ce  lieu 
Ne  me  parlant  plus  de  Dieu  ? 

—  L'indignité  de  ton  sort 
Est  le  plaisir  d'un  plus  Fort, 


BONIIKUR  183 


Dieu  plus  juste,  et  plus  Habile 
Que  ce  toi-même  débile. 

Tu  souffres  de  tel  mal  profond 
Que  des  volontés  te  font, 

Plus  bénignes  que  la  tienne 
Si  mal  et  si  peu  chrétienne» 

Tes  humiliations 
Sont  des  bénédictions 

Et  ces  mornes  sécheresses 
Où  tu  le  désintéresses 

De  purs  avertissements 
Descendus  de  cieux  aimants. 

Tes  ennemis  sont  les  anges, 
Moins  cruels  et  moins  étrange* 

Que  bons  inconsciemment, 
D'un  Seigneur  rude  et  clément 

Aime  tes  croix  et  tes  plaies, 
Il  est  sain  que  tu  les  aies. 

Face  aux  terribles  courroux. 
Bénis  et  tombe  à  genoux. 


184  BONHEUH 


Fer  qui  coupe  et  voix  qui  tance, 
C'est  la  bonne  Pénitence. 

Sous  la  glace  et  dans  le  feu 
Tu  retrouveras  ton  Dieu. 


I 


XXII 


Un  scrupule  qui  m'a  l'air  sot  comme  un  péché 
Argumente. 

Dieu  vit  au  sein  d'un  cœur  caché, 
Non  d'un  esprit  épars,  en  milliers  de  pages, 
En  millions  de  mots  hardis  comme  des  pages, 
A  tous  les  vents  du  ciel  ou  plutôt  de  l'enfer. 
Et  d'un  scandale  tel,  précisément  tout  fler. 
Il  faut,  pour  plaire  à  Dieu,  pour  apaiser  sa  droite, 
Suivre  le  long  sentier,  gravir  la  pente  étroite, 
Sans  un  soupir  de  trop,  fût-il  mélodieux, 
Sans  un  geste  au  surplus,  même  agréable  aux  yeux, 
Laisser  à  d'autres  l'art  et  la  littérature 
Et  ne  vivre  que  juste  à  même  la  nature 
Tu  pratiquais  jadis  et  naguère  ces  us 
Content  de  reposer  à  l'ombre  de  Jésus 
Y  pansant  de  vin,  d'huile  de  lin  tes  blessures 
Et  maintenant,  ingrat  à  la  Croix,  tu  t'assures 


i86  BONHEUR 


En  la  gloire  profane  et  le  renom  païen, 

Comme  si  iout  cela  n'était  pas  trois  fois  rien, 

Comme  si  tel  beau  vers,  telle  phrase  sonore, 

Chantait  mieux  qu'un  grillon,  brillait  plus  qu'un  fulgore 

Va,  risque  ton  salut,  ton  salut  racheté 

Un  temps,  par  une  vie  autre,  c'est  vérité, 

Que  celle  de  tes  ans  primes,  enfance  molle, 

Age  pubère  fou,  jeunesse  molle  et  folle 

Risque  ton  âme,  objet  de  tes  soins  d'autrefois 

Pour  quels  triomphes  vains  sur  quels  banals  pavois  ? 

Malheureux  I 

Je  réponds  avec  raison,  je  pense  : 
Je  n'attends,  je  ne  veux  pas  d'autre  récompense 
A  ce  mien  grand  effort  d'écrire  de  mon  mieux 
Que  l'amitié  du  jeune  et  l'estime  du  vieux 
Lettrés  qui  sont  au  fond  les  seules  belles  âmes, 
Car  où  prendre  un  public  en  ces  foules  infâmes 
D'idioterie  en  haut  et  folles  par  en  bas? 
Où,  —  le  trouver  ou  pas,  le  mériter  ou  pas, 
Le  conserver  ou  pas  !  —  l'assentiment  d'un  être 
Simple,  naïf  et  bon,  sans  même  le  connaître 
Que  par  ce  seul  lien  comme  immatériel, 
C'est  tout  mon  attentat  au  seul  devoir  réel, 
Essentiel  gagner  le  ciel  par  les  mérites, 
Et  je  doute,  Jésus  pieux,  que  tu  t'irrites 
Pour  quelque  doux  rimeur  chantant  ta  gloire  ou  bien 
Étalant  ses  péchés  au  pilori  chrétien  ; 


BONIIKUR  1M7 

Tu  ne  suscites  pas  l'aspic  et  la  couleuvre 

Contre  un  poème  ou  contre  un  poète.  Ton  œuvre, 

Consolant  les  ennuis  de  co  morne  8(''jour 

Par  un  concert  de  foi,  d'esp(^'rance  et  d'amour; 

Puis  ne  me  fis-tu  pas,  avec  le  don  de  vivre, 

Le  don  aussi,  sans  quoi  je  meurs!  de  faire  un  livre, 

Une  œuvre  où  s'altestAt  toute  ma  quantité, 

Toute,  bien  mal,  la  force  et  l'orgueil  révolta 

Des  sens  etleurcolère  encore  qui  sont  la  même 

Luxure  au  fond  et  bien  la  faiblesse  suprême. 

Et  la  mysticité,  l'amour  d'aller  au  ciel 

Par  le  seul  graduel  du  juste  graduel, 

Douceur  et  charité,  seule  toute-puissance. 

Tu  m'as  donné  ce  don,  et  par  reconnaissance 

J'en  use  librement,  qu'on  me  blâme,  tant  pis. 

Quant  à  quêter  les  voix,  quant  à  tàter  les  pis 

De  dame  Renommée,  à  ses  heures  marûtre, 

Fil 

Mais,  pour  en  finir,  leur  foyer  ou  son  âlre 
Souffrent-ils  de  mon  cas?  Quelle  poutre  en  votre  œil. 
Quelle  paille  en  votre  œil  de  ce  fait?  De  quel  deuil, 
De  quel  scandale,  vers  ou  proses,  sont-ils  cause 
Dont  cela  vaille  un  peu  la  peine  qu'on  en  cause? 


XXIII 


Après  le  départ  des  cloches 
Au  milieu  du  Gloria, 

Dès  l'heure  ordinaire  des  vêpres 
On  consacre  les  Saintes  Huiles 
Qu'escorte  ensuite  un  long  cortège 
De  pontifes  et  de  lévites. 

Il  pluvine,  il  neigeotte, 

L'hiver  vide  sa  hotte. 

Le  tabernacle  bâille,  vide. 

L'autel,  tout  nu,  n'a  plus  de  cierges, 

De  grands  draps  noirs  pendent  aux  grilles, 

Les  orgues  saintes  sont  muettes. 

Du  brouillard  danse  à  mêmr 

Le  ciel  encore  blême. 


BONHEUR  189 


On  dispense  à  flots  d'eau  bénite, 
Toutes  cires  sont  allumées, 
Et  de  solennelle  musique 
S'enfle  au  chœur  et  monte  au  juLû, 

Un  clair  soleil  qui  grise 

Réchaufl'e  l'âpre  bise. 

Gloria!  Voici  les  clochci 
Revenir!  Alléluia! 


XXIV 


L'ennui  de  vivre  avec  les  gens  et  dans  les  choses 
Font  souvent  ma  parole  et  mon  regard  moroses. 

Mais  d'avoir  conscience  et  souci  dans  tel  cas 
Exhausse  ma  tristesse,  ennoblit  mon  tracas. 

Alors  mon  discours  chante  et  mes  yeux  de  sourire 
Où  la  divine  certitude  s'en  vient  luire. 

Et  la  divine  patience  met  son  sel 

Dans  mon  long  bon  conseil  d'usage  universel. 

Car  non  pas  tout  à  fait  par  effet  de  l'âge 
A  mes  heures  je  suis  une  façon  de  sage, 

Presque  un  sage  sans  trop  d'emphase  ou  d'embarras. 
Répandant  quelque  bien  et  faisant  des  ingrats. 

Or  néanmoins  la  vie  et  son  morne  problème 

Rendent  parfois  ma  voix  maussade  et  mon  front  blême. 


BONUBUR  101 

Dn  ces  tentations  je  me  sauve  à  nouveau 
Kn  dos  moralités  juste  à  mon  seul  niveau  ; 

Et  c'est  d'un  examen  méthodique  et  sévère, 
Dieu  qui  sondez  les  reins  I  que  je  me  considère. 

Scrutant  mes  moindres  torts  et  jusques  aux  derniers, 
Tel  un  juge  interroge  à  fond  des  prisonniers. 

Je  poursuis  à  ce  point  Thumeur  de  mon  scrupule, 
Que  de  gens  ont  parlé  qui  m'ont  dit  ridicule. 

N'importe  !  en  ces  moments  est-ce  d'humilité  î 
Je  me  semble  béni  de  quelque  charité, 

De  quelque  loyauté,  pour  parler  en  pauvre  homme. 
De  quelque  encore  charité.  —  Folie  en  somme  ! 

Nous  ne  sommes  rien.  Dieu  c'est  tout.  Dieu  nous  créa, 
Dieu  nous  sauve.  Voilà  !  Voici  mon  aléa  : 

Prier  obstinément.  Plonger  dans  la  prière, 
C'est  se  tremper  aux  flots  d'une  bonne  rivière 

C'est  faire  de  son  être  un  parfait  instrument 
Pour  combattre  le  mal  et  courber  l'élément. 

Prier  intensément.  Rester  dans  la  prière. 
C'est  s'armer  pour  l'élan  et  s'assurer  derrière. 


192  BONHEUR 


C'est  de  paraître  doux  et  ferme  pour  autrui 
Conformément  à  ce  qu'on  se  rend  envers  lui. 

La  prière  nous  sauve  après  nous  faire  vivre, 
Elle  est  le  gage  sûr  et  le  mot  qui  délivre 

Elle  est  l'ange  et  la  dame,  elle  est  la  grande  sœur 
Pleine  d'amour  sévère  et  de  forte  douceur. 

La  prière  a  des  pieds  légers  comme  des  ailes  ; 

Et  des  ailes  pour  que  ses  pieds  volent  comme  elles; 

La  prière  est  sagace;  elle  pense,  elle  voit, 
Scrute,  interroge,  doute,  examine,  enfin  croit 

Elle  ne  peut  nier,  étant  par  excellence 
La  crainte  salutaire  et  l'effort  en  silence. 

Elle  est  universelle  et  sanglante  ou  sourit, 
Vole  avec  le  génie  et  court  avec  l'esprit. 

Elle  est  ésotérique  ou  bégaie,  enfantine 

Sa  langue  est  indifféremment  grecque  ou  latine, 

Ou  vulgaire,  ou  patoise,  argotique  s'il  faut! 
Car  souvent  plus  elle  est  bas,  mieux  elle  vaut. 

Je  me  dis  tout  cela,  je  voudrais  bien  le  faire, 
0  Seigneur,  donnez-moi  de  m'élever  de  terre 


BONHKUn  193 

En  riiuml)lo  vœu  que  seul  peut  former  un  enfant 
Vers  votre  volonté  d'après  comme  d'avant. 

Telle  action  quelconque  en  tel  temps  de  ma  vie 
Et  que  cette  action  quelconque  soit  suivie 

D'un  abandon  complet  en  vous  que  formulAt 
Le  plus  simple  et  le  plus  ponctuel  postulat, 

Juste  pour  la  nécessité  quotidienne 

En  attendant,  toujours  sans  fin,  ma  mort  chrétienne. 


XXV 

A  Monsieur  Borély. 


Vous  m'avez  demandé  quelques  vers  sur  «  Amour  ». 
Ce  mien  livre,  d'émoi  cruel  et  de  détresse, 
Déjà  loin  dans  mon  Œuvre  étrange  qui  se  presse 
Et  dévale,  flot  plus  amer  de  jour  en  jour. 

Qu'en  dire,  sinon  :  «  Poor  Yorick!  »  ou  mieux  «  poor 
Lelian  I  »  et  pauvre  âme  à  tout  faire,  faiblesse, 
Mollesse  par  des  fois  et  caresse  et  paresse. 
Ou  tout  à  coup  partie  en  guerre  comme  pour 

Tout  casser  d'un  passé  si  pur,  si  chastement 

Ordonné  par  la  beauté  des  calmes  pensées. 

Et  pour  damner  tant  d'heures  en  Dieu  dépensées. 

Puis  il  revient,  mon  Œuvre,  las  d'un  tel  ahan, 
Pénitent,  et  tombant  à  genoux  mains  dressées... 
Priez  avec  et  pour  le  pauvre  Lelian  l 


ick^ 


XXVI 

A  propos  de  «  Parallèlement  ». 


Ces  vers  durent  être  faits, 
Cet  aveu  fut  nécessaire, 
Témoignant  d'un  cœur  sincère 
Et  tout  bon  ou  tout  mauvais. 


Mauvais,  oui,  méchant,  nenni. 
La  sensualité  seule, 
Cliair  folle,  lombes  et  gueule, 
Trouble  son  désir  béni. 


Beauté  des  corps  et  des  yeux, 
Parfums,  régals,  les  ivresses. 
Les  caresses,  les  paresses. 
Barraient  seuls  la  route  aux  cieux. 


i96  BONHEUR 


Est-ce  fini  ?  Tu  l'assures 
Sorte  de  pressentiment 
D'un  final  apaisement, 
Divin  panseur  de  blessures, 


Humain  rémunérateur 
Des  mérites  si  minimes, 
Arbitre  des  légitimes 
Elans  devers  la  hauteur 


Du  devoir  enfin  visible, 
Après  tout  ce  dur  chemin. 
Divine  âme,  cœur  humain. 
Céleste  et  terrestre  cible  ! 


0  mon  Dieu,  voyez  mes  vœux, 
Oyez  mes  cris  de  faiblesse. 
Donnez-moi  toute  simplesse 
Pour  vouloir  ce  que  je  veux. 


Alors  seront  effacées 
A  vos  yeux  inofTensifs, 
Avec  mes  torts  confessés 
Ces  lignes  si  peu  pensées. 


xxvn 


Or  tu  n'es  pas  vaincu,  sinon  par  le  Seigneur, 

Oppose  au  siècle  un  front  de  courage  et  d'honneur. 
Bande  ton  cœur  moins  faible  au  fond  que  tu  ne  crois. 
Ne  cherche,  en  fait  d'abri,  que  l'ombre  de  la  croix. 
Ceins,  sinon  l'innocence,  hélas!  et  la  candeur, 
Du  moins  la  tempérance  et  du  moins  la  pudeur, 
Et  dans  le  bon  combat  contre  péchés  et  maux 
S'il  faut,  eh  bien,  emprunte  à  certains  animaux, 
Béhémos  et  Léviathan,  prudents  qu'ils  sont. 
Les  armures  pour  la  défensive  qu'ils  ont. 
Puisque  ton  cas,  pour  l'offensive,  est  superflu, 
Abdique  les  airs  martiaux  où  tu  t'es  plu. 
Laisse  l'épée  et  te  confie  au  bouclier. 
Carapace-toi  bien,  comme  d'un  bon  acier, 
De  discrétion  fine  et  de  fort  quant-à-moi. 

Puis,  quand  tu  voudras  r' attaquer,  reprends  la  Foi  1 


XXVIII 


Les  plus  belles  voix 
De  la  Confrérie 
Célèbrent  le  mois 
Heureux  de  Marie. 
0  les  douces  voix  ! 


Monsieur  le  curé 
L'a  dil  à  la  Messe  : 
C'est  le  mois  sacré. 
Écoulons  sans  cesse 
Monsieur  le  Curé. 


Faut  nous  distinguer, 
Faut,  mesdemoiselles, 
Bien  dire  et  fuguer 
Les  hymnes  nouvelles. 
Faut  nous  distinguer, 


BONHEUR  t09 


Uien  dire  et  flier 
Les  motets  antiques, 
Bien  dire  et  couler 
Les  anciens  cantiques, 
Filer  et  couler. 


Dieu  nous  bénira, 
Nous  et  nos  familles. 
Marie  ouira 
Les  vœux  de  ses  filles. 
Dieu  nous  bénira. 


Elle  est  la  bonté, 
C'est  comme  la  Mère 
Dans  la  Trinité, 
La  Fille  et  la  Mère. 
Elle  est  la  bonté, 


La  compassion, 
Sans  fin  et  sans  trêve, 
L'intercession 
Qu'appuie  et  soulève 
La  compassion. 


200  BONHEUR 

Avant  le  salut, 
Chantons  ses  louanges; 
Pendant  le  salut, 
Chantons  ses  louanges 
Après  le  salut 


Chantons  ses  louanges. 


XXIX 


L'autel  bas  s'orne  de  hautes  mauves, 
La  chasuble  blanche  est  toute  en  fleurs, 
A  travers  les  pâles  vitraux  jaunes 
Le  soleil  se  répand  comme  un  ileuve  ; 

On  chante  au  graduel  :  Fi-li-a  1 
D'une  voix  si  lentement  joyeuse 
Qu'il  faudrait  croire  que  c'est  l'extase 
D'à-jamais  voir  la  Reine  des  cieux; 

Le  sermon  du  tremblotant  vicaire 
Est  gentil  plus  que  par  un  dimanche, 
Qui  dit  que  pour  s'élever  dans  l'air 
Faut  être  humble  et  de  foi  cordiale  ; 

11  ajoute,  le  cher  vieux  bonhomme, 
Que  la  gloire  ultime  est  réservée 
Sur  tous  ceux  qui  vivent  dans  la  pompe, 
Aux  pauvres  d'esprit  et  de  monnaie  ; 


202  BONIIEUH 


On  sort  de  l'église,  après  les  vêpres, 
Pour  la  procession  si  louchante 
Qui  a  nom  :  du  Vœu  de  Louis  Treize 
C'est  le  cas  de  prier  pour  la  France. 


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XXX 


L'amour  de  la  Patrie  est  le  premier  amour 
Et  le  dernier  amour  après  l'amour  de  Dieu, 
C'est  un  feu  qui  s'allume  alors  que  luit  le  jour 
Où  notre  regard  luit  comme  un  céleste  feu, 

C'est  le  jour  baptismal  aux  paupières  divines 
De  l'enfant,  la  rumeur  de  l'aurore  aux  oreilles 
Frais-écloses,  c'est  l'air  emplissant  les  poitrines 
En  fleur,  l'air  printanier  rempli  d'odeurs  vermeilles  I 

L'enfant  grandit,  il  sent  la  terre  sous  ses  pas 
Qui  le  porte,  le  berce,  et,  bonne,  le  nourrit. 
Et  douce,  désaltère  encore  ses  repas 
D'une  liqueur,  délice  et  gloire  de  l'esprit. 

Puis  l'enfant  se  fait  homme  ou  devient  jeune  fille, 
Et  cependant  que  croît  sa  chair  pleine  de  grâce, 
Son  âme  se  répand  par-delà  la  famille 
Et  cherche  une  âme  sœur,  une  chair  au'il  enlace  • 


204  BONHEUR 


Et  quand  il  a  trouvé  cette  âme  et  cette  chair, 
Il  naît  d'autres  enfants  encore,  fleurs  de  fleurs 
Qui  germeront  aussi  le  jardin  jeune  et  cher 
Des  générations  d'ici,  non  pas  d'ailleurs. 

L'homme  et  la  femme  ayant  l'un  et  l'autre  leur  tâche, 
S'en  vont  chacun  un  peu  de  son  côté.  La  femme 
Gardienne  du  foyer  tout  le  jour  sans  relâche, 
La  nuit  garde  l'honneur  comme  une  chaste  flamme  ; 

L'homme  vaque  aux  durs  soins  du  dehors  :  les  travaux, 
La  parole  à  porter,  —  sûr  de  ce  qu'elle  vaut,  — 
Sévère  et  probe  et  douce,  et  rude  aux  discours  faux. 
Et  la  nuit  le  ramène  entre  les  bras  qu'il  faut. 

Tous  deux,  si  pacifique  est  leur  course  terrestre. 
Mourront  bénis  de  fils  et  vieux  dans  la  patrie  ; 
Mais  que  le  noir  démon,  la  Guerre,  essore  l'œstre, 
Que  l'air  natal  s'empourpre  aux  reflets  de  tuerie, 

Que  l'étranger  mette  son  pied  sur  le  vieux  sol 
Nourricier,  —  imitant  les  peuples  de  tous  bords, 
Saragosse,  Moscou,  le  Russe,  l'Espagnol, 
La  France  de  Quatre-vingt-treize,  l'homme  alors. 

Magnifié  soudain,  à  son  œuvre  se  hausse 

Et  tragique  et  classique  et  très  fort  et  très  calme. 

Lutte  pour  sa  maison  ou  combat  pour  sa  fosse. 

Meurt  en  pensant  aux  siens  ou  leur  conquiert  la  palme. 


BONHKUR  605 

S'il  survit,  il  reprend  le  train  de  tous  les  jours, 
Élève  ses  enfants  dans  la  crainte  du  dieu 
Des  ancêtres  et  va  refleurir  ses  amours 
Aux  flancs  de  Tépousée  éprise  du  fler  Jeu. 

L'Age  mûr  est  celui  des  sévères  pensées. 
Des  espoirs  soucieux,  des  amitiés  jalouses. 
C'est  l'heure  aussi  des  justes  haines  amassées, 
Et  quand  sur  la  place  publique,  habits  et  blouses, 

Les  citoyens  discords  dans  d'honnôtes  combats 
(Et  combien  douloureux  à  leur  fraternité  !) 
S'arrachent  les  devoirs  et  les  droits,  ô  non  pas 
Pour  le  lucre,  mais  pour  une  stricte  équité, 

II  prend  parti,  pleurant  de  tuer,  mais  terrible 
Et  tuant  sans  merci,  comme  en  d'autres  batailles, 
Le  sang  autour  de  lui  giclant  comme  d'un  crible, 
Une  atroce  fureur,  pourtant  sainte,  aux  entrailles. 

Tué,  son  nom,  célèbre  ou  non,  reste  honoré. 
Proscrit  ou  non,  il  meurt  heureux,  dans  tous  les  cas, 
D'avoir  voué  sa  vie  et  tout  au  Lieu  Sacré 
Qui  le  fit  homme  et  tout,  de  joyeux  petit  gas. 

Sa  veuve  et  ses  petits  garderont  sa  mémoire, 
La  terre  sera  douce  à  cet  enfant  fidèle 
Où  le  vent  pur  de  la  Patrie,  en  plis  de  gloire. 
Frissonnera  comme  un  drapeau  tout  fleurant  d'elle. 


206  BONHEUR 


Mais  quoi  donc,  le  poète,  à  moins  d'être  chrétien 
(Le  chrétien  se  fait  tel  que  Jésus  dit  qu'il  soit), 
Comment  en  ces  temps-ci  et  très  fier  peut-il  bien 
Aimer  la  France  ainsi  qu'il  doit  comme  il  la  voit, 

Dépravée,  insensée,  une  fille,  une  folle 
Déchirant  de  ses  mains  la  pudeur  des  aïeules 
Et  l'honneur  ataval  et,  l'antique  parole, 
La  parlant  en  argot  pour  des  sottises  seules, 

L'amour,  l'évaporant  en  homicides  vils 
D'oii  quelque  pâle  enfant,  rare  fantôme,  sort, 
Son  Dieu,  le  reniant  pour  quels  crimes  civils  1 
Prête  à  mourir  d'ailleurs  de  quelle  lâclie  mortl 

Lui-même  que  Dieu  voit  être  un  pur  patriote 
L'atTamant  aujourd'hui,  le  prescrivant  naguère. 
Pour  n'avoir  pas  voulu  boire  comme  un  îlote 
Le  gros  vin  du  scandale  au  verre  du  vulgaire, 

Le  dénonçant  aux  sots  pires  que  les  méchants. 

Bourreaux  mesquins,  non  moins  d'ailleurs  que  tels  méchants 

Pire  que  tous,  à  cause,  ô  honte!  que  ses  chants 

Faisaient  honte  à  plusieurs  à  cause  de  leurs  chants. 

Enfin,  méconnaissant  et  l'heure  et  le  génie 
Jusqu'à  ce  péché  noir  entre  tous  ceux  de  l'homme 
Jusqu'à  ce  plongeon  dans  toute  l'ignominie 
D'insulter  l'ange  comme  en  l'unique  Sodome  i 


BONIIRUR  207 

Mais  le  poète  est  un  chrétien  qui  dit  :  «  Non  pns!  *> 

A  ces  comme  vcllûilés  d'ôlic  tcnlo 

Vers  les  déclamations  par  la  Pauvreté, 

Et  d'elles  dans  Tltorreur  du  premier  mauvais  pas. 

«  Non  pas  !  »  puis  s'adressant  à  la  Vierge  Marie  : 
m  0  vous,  reine  de  France  et  de  toute  la  terre, 
Vous  qui  fidèlement  gardez  notre  patrie 
Depuis  les  premiers  temps  jusqu'à  cette  heure  austère 

Où  chacun  a  besoin  du  courage  de  dix 

S*il  veut  garder  sa  foi  par  ses  pertes  de  fois 

La  pratiquer  tout  simplement,  ainsi  jadis, 

Puis  y  mourir  tout  simplement,  comme  autrefois! 

Depuis  les  Notre-Dame  au-dessus  des  ancêtres 
Profilant  leur  prière  immense  et  solennelle 
Jusqu'aux  mois  de  Marie,  échos  des  soirs  champêtres, 
Sourire  de  l'Église  aux  cœurs  vierges  en  elle. 

Depuis  que  notre  culte  intronisait  nos  rois, 
Depuis  que  notre  sang  teignait  votre  pennon 
Jusqu'au  jour  où  quel  Dogme  à  travers  tant  d'effrois 
Ajoutait  quel  honneur  encore  à  votre  nom, 

Vons  qui,  multipliant  miracles  et  promesses, 

De  la  Sainte-Chandelle  à  la  Salette  et  Lourdes, 

Daignez  faire  chez  nous  éclore  des  prouesses 

Même  en  ces  temps  d'horreur  d'État  louches  et  sourdes. 


208  BONHEUR 


Mère,  sauvez  la  France,  intercédez  pour  nous, 
Donnez-nous  la  foi  vive  et  surtout  l'humble  foi, 
Que  rdrae  de  tous  nos  aïeux  brûle  en  nous  tous 
Pour  la  vie  et  la  mort,  au  foyer,  dans  la  loi, 

Dans  le  lit  conjugal,  sur  la  couche  dernière, 
Simple  et  forte  et  sincère  et  bellement  naïve. 
Pour  qu'en  les  chocs  prévus,  virils  à  sa  manière, 
Qui  fut  la  bonne  quand  elle  dut  être  active, 

Si  Dieu  nous  veut  vaincus,  du  moins  nous  le  soyons 

En  exemple,  lavant  hier  par  aujourd'hui 

Et  faits,  après  l'horreur,  l'honneur  des  nations. 

Et  s'il  nous  veut  vainqueurs  nous  le  soyons  pour  lui.  » 


XXXI 


Immédiatement  après  le  salut  somptueux, 
Le  luminaire  éteint  moins  les  seuls  cierges  liturgiques. 
Les  psaumes  pour  les  morts  sont  dits  sur  un  mode  mineur 
Par  les  clercs  et  le  peuple  saisi  de  mélancolie. 

Un  glas  lent  se  répand  des  clochers  de  la  cathédrale 
Répandu  par  tous  les  campaniles  du  diocèse, 
Et  plane  et  pleure  sur  les  villes  et  sur  la  campagne 
Dans  la  nuit  tôt  venue  en  la  saison  aiTiérée. 

Chacun  s  en  fut  coucher  reconduit  par  la  voix  dolente 
Et  douce  à  l'infini  de  Tairain  commémoratoire 
Qui  va  bercer  le  sommeil  un  peu  triste  des  vivants 
Du  souvenir  des  décédés  de  toutes  les  paroisses. 


n. 


XXXII 


La  cathédrale  est  majestueuse 
Que  j'imagine  en  pleine  campagne 
Sur  quelque  affluent  de  quelque  Meuse 
Non  loin  de  l'Océan  qu'il  regagne, 

L'Océan  pas  vu  que  je  devine 
Par  l'air  chargé  de  sels  et  d'arômes. 
La  croix  est  d'or  dans  la  nuit  divine 
D'entre  l'envol  des  tours  et  des  dômes* 

Des  Angélus  font  aux  campaniles 
Une  couronne  d'argent  qui  chante  ; 
De  blancs  hibous,  aux  longs  cris  graciles, 
Tournent  sans  fin  de  sorte  charmante  ; 

Des  processions  jeunes  et  claires 
Vont  et  viennent  de  porches  sans  nombre^ 
Soie  et  perles  de  vivants  rosaires, 
Rogations  pour  de  chers  fruits  d'ombre. 


BONHEUR 


211 


Ce  n'est  pas  un  rêve  ni  la  vie, 
C'est  ma  belle  et  ma  chaste  pensée, 
Si  vous  voulez  ma  philosophie, 
Ma  mort  choisie  ainsi  déguisée. 


XXXIII 


Voix  de  Gabriel 
Chez  rhumble  Marie, 
Cloches  de  Noël, 
Dans  la  nuit  fleurie, 
Siècles,  célébrez 
Mes  sens  délivrés  l 

Martyrs,  troupe  blanche. 
Et  les  confesseurs, 
Fruits  d'or  de  la  branche. 
Vous,  frères  et  sœurs, 
Vierges  dans  la  gloire, 
Chantez  ma  victoire  1 

Les  Saints  ignorés, 
Vertus  qu'on  méprise^, 
Qui  nous  sauverez 
Par  votre  entremise, 


BONUBUR  213 


Prier,  que  la  foi 
Demeure  iiumble  en  moi. 

Pécheurs,  par  le  monde, 
Qui  vous  repentez, 
Dans  l'ardeur  profonde 
D'ôlre  rachetés, 
Or,  je  vous  contemple, 
Donnez-moi  l'exemple. 

Nature,  animaux, 
Eaux,  plantes  et  pierres. 
Vos  simples  travaux 
Sont  d'humbles  prières, 
Vous  obéissez  : 

Pour  Dieu  c'est  assex. 


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PARALLÈLEMENT 


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DEDICACE 


Vous  souvient-il,  cocodette  un  peu  mûre 
Qui  gobergez  vos  flemmes  de  bourgeoise, 
Du  temps  joli  quand,  gamine  un  peu  sûre, 
Tu  m'écoutais,  blanc-bec  fou  qui  dégoise? 

Garddtes-vous  fidèle  la  mémoire, 
0  grasse  en  des  jerseys  de  poult-de-soie, 
De  t'être  plu  jadis  à  mon  grimoire, 
Cour  par  écrit,  postale  petite  oye? 

Avei-vous  oublié.  Madame  Mère, 
Non,  n'est-ce  pas,  même  en  vos  bêtes  fêtes. 
Mais  fautes  de  goût,  mais  non  de  grammaire. 
Au  rebours  de  tes  chères  lettres  bêtes? 

Et  quand  sonna  l'heure  des  justes  noces, 
Sorte  d'Ariane  qu'on  me  dit  lourde. 
Mes  yeux  gourmands  et  mes  baisers  féroces, 
A  tes  nennis  faisant  l'oreille  sourde? 


21R  PARALLÈLEMENT 


Rappelez-vous  aussi  s'il  est  loisible 
A  votre  cœur  de  veuve  mal  morose, 
Ce  moi  toujours  prêt,  terrible,  horrible, 
Ce  toi  mignon  prenant  goût  à  la  chose, 

Et  tout  le  train,  tout  l'entrain  d'un  manège 
Qui  par  malheur  devient  notre  ménage. 
Que  n'avez-vous  en  ces  jours-là,  que  n'ai-je 
Compris  les  torts  de  votre  et  de  mon  âgel 

C'est  bien  fâcheux  :  me  voici,  lamentable 
Épave  éparse  à  tous  les  flots  du  vice, 
Vous  voici,  toi,  coquine  détestable. 
Et  ceci  fallait  que  je  l'écrivisse  1 


ALLÉGORIE 


Un  très  vieux  temple  antique  s'écroulant 
Sur  le  sommet  indécis  d'un  mont  jaune, 
Ainsi  qu'un  roi  déchu  pleurant  son  trône  ; 
Se  mire,  pâle,  au  tain  d'un  fleuve  lent; 

Grâce  endormie  et  regard  somnolent, 
Une  naïde  âgée,  auprès  d'une  aulne, 
Avec  un  brin  de  saule  agace  un  faune 
Qui  lui  sourit,  bucolique  et  galant. 

Sujet  naïf  et  fade  qui  m'attristes, 
Dis,  quel  poète  entre  tous  les  artistes, 
Quel  ouvrier  morose  t'opéra, 

Tapisserie  usée  et  surannée. 
Banale  comme  un  décor  d'opéra. 
Factice,  hélas  !  comme  ma  destinée? 


LES  AMIES 

I 

SUR  LE  BALCON 


Toutes  deux  regardaient  s'enfuir  les  hirondelles  : 
L'une  pâle  aux  cheveux  de  jais,  et  l'autre  blonde 
Et  rose,  et  leurs  peignoirs  légers  de  vieille  blonde 
Vaguement  serpentaient,  nuages,  autour  d'elles. 

Et  toutes  deux,  avec  des  langueurs  d'asphodèles, 
Tandis  qu'au  ciel  montait  la  lune  molle  et  ronde, 
Savouraient  à  longs  traits  l'émotion  profonde 
Du  soir  et  le  bonheur  triste  des  cœurs  fidèles. 

Telles,  leurâ  bras  pressant,  moites,  leurs  tailles  souples, 
Couple  étrange  qui  prend  pitié  des  autres  couples, 
Telles,  sur  le  balcon,  rêvaient  les  jeunes  femmes. 

Derrière  elles,  au  fond  du  retrait  riche  et  sombre, 

Emphatique  comme  un  trône  de  mélodrame 

Et  plein  d'odeurs,  le  Lit,  défait,  s'ouvrait  dans  l'ombre. 


%^» 


II 

ENSIONNAIRES 


L'une  avait  quinze  ans,  Tautre  en  avait  seize  ; 
Toutes  deux  dormaient  dans  la  mCme  chambre 
C'était  par  un  soir  très  lourd  de  septembre  : 
Frêles,  des  yeux  bleus,  des  rougeurs  de  fraises. 

Chacune  a  quitté,  pour  se  mettre  à  l'aise, 
La  fine  chemise  au  frais  parfum  d'ambre. 
La  plus  jeune  étend  les  bras  et  se  cambre, 
Et  sa  sœur,  les  mains  sur  ses  seins,  la  baise. 

Puis  tombe  à  genoux,  puis  devient  farouche 

Et  tumultueuse  et  folle  et  sa  bouche 

Plonge  sous  l'or  blond,  dans  les  ombres  grises; 

Et  l'enfant,  pendant  ce  temps-là,  recense 
Sur  ses  doigts  mignons  des  valses  promises, 
Et,  rose,  sourit  avec  innocence. 


III 

PER  AMICA  SILENTIA 


Les  longs  rideaux  de  blanche  mousseline 
Que  la  lueur  pdle  de  la  veilleuse 
Fait  fluer  comme  une  vague  opaline 
Dans  l'ombre  mollement  mystérieuse, 

Les  grands  rideaux  du  grand  lit  d'Adeline 
Ont  entendu,  Claire,  ta  voix  rieuse, 
Ta  douce  voix  argentine  et  câline 
Qu'une  autre  voix  enlace,  furieuse. 

«  Aimons,  aimons  !  «  disaient  vos  voix  mêlées, 
Claire,  Adeline,  adorables  victimes 
Du  noble  vœu  de  vos  âmes  sublimes. 

Aimez,  aimez  !  ô  chères  Esseulées, 
Puisqu'en  ces  jours  de  malheur,  vous  encore, 
Le  glorieux  Stigmate  vous  décore. 


0.1-^ 


IV 

PRINTEMPS 


Tendre,  la  jeune  femme  rousse, 
Que  tant  d'innocence  émoustille, 
Dit  à  la  blonde  jeune  fille 
Ces  mots,  tout  bas,  d'une  voix  douce: 

«  Sève  qui  monte  et  fleur  qui  pousse, 
Ton  enfance  est  une  charmille  : 
Laisse  errer  mes  doigts  dans  la  mousse 
Où  le  bouton  de  rose  brille, 

Laisse-moi,  parmi  l'herbe  claire, 

Boire  les  gouttes  de  rosée 

Dont  la  fleur  tendre  est  arrosée,  — 

V  Afin  que  le  plaisir,  ma  chère, 
Illumine  ton  front  candide 
Comme  l'aube  l'azur  timide.  » 


V 

ÉTÉ 


Et  l'enfant  répondit,  pâmée 
Sous  la  fourmillante  caresse 
De  sa  pantelante  maîtresse  : 
«  Je  me  meurs,  ô  ma  bien-aimée! 

«  Je  me  meurs  :  ta  gorge  enflammée 
Et  lourde  me  soûle,  m'oppresse  ; 
Ta  forte  chair  d'où  sort  l'ivresse 
Est  étrangement  parfumée  : 

«  Elle  a,  ta  chair,  le  charme  sombre 

Des  maturités  estivales,  — 

Elle  en  a  l'ambre,  elle  en  a  l'ombre  ; 

«  Ta  voix  tonne  dans  les  rafales, 

Et  ta  chevelure  sanglante 

Fuit  brusquement  dans  la  nuit  lente.  » 


VI 

SAPno 


Furieuse,  les  yeux  caves  et  les  seins  roides, 
Sapho,  que  la  langueur  de  son  désir  irrite, 
Comme  une  louve  court  le  long  des  grèves  froides. 

Elle  songe  à  Phaon,  oublieuse  du  Rite, 

Et,  voyant  à  ce  point  ses  larmes  dédaignées, 

Arrache  ses  cheveux  immenses  par  poignées; 

Puis  elle  évoque,  en  des  remords  sans  accalmies. 
Ces  temps  où  rayonnait,  pure,  la  jeune  gloire] 
De  ses  amours  chantés  en  vers  que  la  mémoire 
De  rdme  va  redire  aux  vierges  endormies  : 

Et  voilà  qu'elle  abat  ses  paupières  blêmies 
Et  saute  dans  la  mer  où  l'appelle  la  Moire,  — 
Tandis  qu'au  ciel  éclate,  incendiant  l'eau  noire, 
La  pùle  Séléné  qui  venge  les  Amies. 

lu  15 


FILLES 

i 

A  LA   PRINCESSE  ROUKINL 


■  Capellos  de  Angelos.  » 
{Friandise  espagnole.) 


C'est  une  laide  de  Boucher 
Sans  poudre  dans  sa  chevelure, 
FoUeJment  blonde  et  d'une  allure 
Vénuste  à  tous  nous  débaucher. 

Mais  je  la  crois  mienne  entre  tous 
Cette  crinière  tant  baisée, 
Cette  cascatelle  embrasée 
Qui  m'allume  par  tous  les  bouts. 

Elle  est  à  moi  bien  plus  encor 
Comme  une  flamboyante  enceinte 
Aux  entours  de  la  porte  sainte, 
L'aime,  la  dive  toison  d'or! 


ÀRALLELEMENT  227 


Et  qui  pourrait  dire  ce  corps 
Sinon  moi,  son  cliantro  et  son  prôtre, 
Et  son  esclave  huinl)le  et  son  mullre 
Qui  s'en  damnerait  sans  remords. 

Son  cher  corps  rare,  harmonieux, 
Suave,  blanc  comme  une  rose 
Blanche,  blanc  de  lait  pur,  et  rose 
Gomme  un  lis  sous  de  pourpres  cicux? 

Cuisses  belles,  seins  redressants. 
Le  dos,  les  reins,  le  ventre,  fête 
Pour  les  yeux  et  les  mains  en  quête 
Et  pour  la  bouche  et  tous  les  sens? 


Mignonne,  allons  voir  si  ton  lit 
A  toujours  sous  le  rideau  rouge 
L'oreiller  sorcier  qui  tant  bouge 
Et  les  draps  fous.  0  vers  ton  liti 


II 

SÉGUIDILLE 


Brune  encore  non  eue, 
Je  te  veux  presque  nue 
Sur  un  canapé  noir 
Dans  un  jaune  boudoir, 
Comme  en  mil  huit  cent  trente. 

Presque  nue  et  non  nue 
A  travers  une  nue 
De  dentelles  montrant 
Ta  chair  où  va  courant 
Ma  bouche  délirante. 

Je  te  veux  trop  rieuse 
Et  très  impérieuse, 
Méchante  et  mauvaise  et 
Pire  s'il  te  plaisait, 
Mais  si  luxurieuse  I 


:d 


PAnALLÈLRMKNT  229 


Ah!  ton  corps  noir  et  rose 
Et  clair  de  lune  !  Ah!  pose 
Ton  coude  sur  mon  cœur, 
Et  tout  ton  corps  vainciueur, 
Tout  ton  corps  que  j'adore  1 

Ah  I  ton  corps,  qu'il  repose 
Sur  mon  ûme  morose 
Et  TétoufTe  s'il  peut, 
Si  ton  caprice  veut  ! 
Encore,  encore,  encore  I 

Splendides,  glorieuses, 
Bellement  furieuses 
Dans  leurs  jeunes  ébats. 
Fous  mon  orgueil  en  bas 
Sous  tes  fesses  joyeuses! 


III 

CASTA   PIANA 


Tes  cheveux  bleus  aux  dessous  roux, 
Tes  yeux  très  durs  qui  sont  trop  doux, 
Ta  beauté,  qui  n'en  est  pas  une, 
Tes  seins  que  busqua,  que  musqua 
Un  diable  cruel  et  jusqu'à 
Ta  pâleur  volée  à  la  lune, 

Nous  ont  mis  dans  tous  nos  états, 

Notre-dame  du  galetas 

Que  l'on  vénère  avec  des  cierges 

Non  bénits,  les  Avé  non  plus 

Récités  lors  des  Angélus 

Que  sonnent  tant  d'heures  peu  vierges. 

Et  vraiment  tu  sens  le  fagot  : 
Tu  tournes  un  homme  en  nigaud. 


( 


PARALLÈLEMENT  231 

En  chilTe,  en  symbole,  en  un  souffle. 
Le  temps  de  dire  ou  de  faire  oui, 
Le  temps  d'un  bonjour  ébloui, 
Le  temps  de  baiser  ta  pantoufle. 

Terrible  lieu,  ton  galetas  1 

On  t'y  prend  toujours  sur  le  tas 

A  démolir  quelque  maroufle, 

Et,  décanillés,  ces  amants, 

Munis  de  tous  les  sacrements, 

T'y  penses  moins  qu'à  ta  pantoufle  I 

T'as  raison  !  Aime-moi  donc  mieux 
Que  tous  ces  jeunes  et  ces  vieux 
Qui  ne  savent  pas  la  manière, 
Moi  qui  suis  dans  ton  mouvement, 
Moi  qui  connais  le  boniment 
Et  te  voue  une  cour  plénière! 

Ne  fronce  plus  ces  sourcils-ci, 
Casta,  ni  cette  bouche-ci. 
Laisse-moi  puiser  tous  tes  baumes, 
Piana,  sucrés,  salés,  poivrés, 
Et  laisse-moi  boire,  poivrés, 
Salés,  sucrés,  tes  sacrés  baumes. 


IV 

AUBURN 


«  Et  des  ch&tain's  aussi.  » 
{Chanson  de  Malbrouk.) 


Tes  yeux,  tes  cheveux  indécis, 
L'arc  mal  précis  de  tes  sourcils, 
La  fleur  pâlotte  de  ta  bouche, 
Ton  corps  vague  et  pourtant  dodu. 
Te  donnent  un  air  peu  farouche 
A  qui  tout  mon  hommage  est  dû. 

Mon  hommage,  eh,  parbleu  !  tu  l'as. 
Tous  les  soirs,  quels  joie  et  soûlas, 
0  ma  très  sortable  châtaine, 
Quand  vers  mon  lit  tu  viens,  les  seins 
Roides,  et  quelque  peu  hautaine, 
Sûre  de  mes  humbles  desseins, 

Les  seins  roides  sous  la  chemise, 
Fière  de  la  fête  promise 


PAnALLKLEUENT  233 


A  tes  sens  partout  et  longtemps, 
Heureuse  de  savoir  ma  lèvre, 
Ma  main,  mon  tout,  impénitents 
De  ces  péchés  qu'un  fol  s'en  sèvre! 

Sûre  de  baisers  savoureux 

Dans  le  coin  des  yeux,  dans  le  creux 

Des  bras  et  sur  le  bout  des  mammes, 

Sûre  de  l'agenouillement 

Vers  ce  buisson  ardent  des  femmes 

Follement,  fanatiquement! 

Et  hautaine  puisque  tu  sais 
Que  ma  chaire  adore  à  l'excès 
Ta  chair  et  que  tel  est  ce  culte 
Qu'après  chaque  mort, —  quelle  mortl 
Elle  renaît,  dans  quel  tumulte! 
Pour  mourir  encore  et  plus  fort. 

Oui,  ma  vague,  sois  orgueilleuse 
Car  radieuse  ou  sourcilleuse. 
Je  suis  ton  vaincu,  tu  m'as  tien  : 
Tu  me  roules  comme  la  vague 
Dans  un  délice  bien  païen, 
Et  tu  n'es  pas  déjà  si  vague  1 


A  MADEMOISELLE*" 


Rustique  beauté 
Qu'on  a  dans  les  coins. 
Tu  sens  bon  les  foins, 
La  chair  et  l'été. 


Tes  trente-deux  dents 
De  jeune  animal 
Ne  vont  point  trop  mal 
A  tes  yeux  ardents. 


Ton  corps  dépravant 
Sous  tes  habits  courts, 
Retroussés  et  lourds, 
Tes  seins  en  avant. 


PAHALLÈLEMKNT  235 


Tes  mollets  farauds, 
Ton  buste  tentant, 
—  Gai,  comme  impudent, 
Ton  cul  ferme  et  gros, 


Nous  boulent  au  sang 
Un  feu  bote  et  doux 
Qui  nous  rend  tout  fous, 
Croupe,  rein  et  flanc. 


Le  petit  vacher 
Tout  fier  de  son  cas, 
Le  maître  et  ses  gas» 
Les  gas  du  berger 


Je  meurs  si  je  mens, 
Je  les  trouve  heureux. 
Tous  ces  cul-terreux, 
D'être  tes  amants. 


VI 

A  MADAME*' 


Vos  narines  qui  vont  en  l'air, 
Non  loin  de  deux  beaux  yeux  quelconque». 
Sont  mignonnes  comme  ces  conques 
Du  bord  de  mer  de  bains  de  mer  ; 

Un  sourire  moins  franc  qu'aimable 
Découvre  de  petites  dents, 
Diminutifs  outrecuidents 
De  celles  d'un  loup  de  la  fable  ; 

Bien  en  chair,  lente  avec  du  chien, 
On  remarque  votre  personne, 
Et  votre  voix  fine  raisonne 
Non  sans  des  agréments  très  bien , 


rARALLÈLEMBNT 


De  la  grflce  externe  et  légère 
Et  qui  me  laissait  plutôt  coi 
Font  de  vous  un  morceau  de  roi, 
0  constitutionnel,  chère  I 


Toujours  est-il,  regret  ou  non, 
Que  je  ne  sais  pourquoi  mon  Ame 
Par  ces  froids  pense  à  vous,  Madame 
De  qui  je  ne  sais  plus  le  nom. 


RÉVÉRENCE  PARLER 


1 


PROLOGUE  D'UN  LIVRE  DONT  IL  NE  PARAITRA 
QUE  LES  EXTRAITS  CI-APRÈS 


Ce  n'est  pas  de  ces  dieux  foudroyés. 
Ce  n'est  pas  encore  une  infortune 
Poétique  autant  qu'inopportune, 
0  lecteur  de  bon  sens,  ne  fuyez! 

On  sait  trop  tout  le  prix  du  malheur 
Pour  le  perdre  en  disert  gaspillage. 
Vous  n'aurez  ni  mes  traits  ni  mon  âge, 
Ni  le  vi'ai  mal  secret  de  mon  cœur. 

Et  de  ce  que  ces  vers  maladifs 
Furent  faits  en  prison,  pour  tout  dire, 
On  ne  va  pas  crier  au  martyre. 
Que  Dieu  vous  garde  des  expansifs! 


PAHALLiLEMENT  239 


On  VOUS  donno  un  livre  fait  ainsi. 
Prenez-lo  pour  ce  qu^il  vaut  en  somme. 
C'est  Vœgri  somnium  d'un  brave  homme 
Étonné  de  se  trouver  ici. 

On  y  met,  avec  la  ««  bonne  foy  », 
L'orthographe  à  peu  près  qu'on  possède 
Regrettant  de  n'avoir  à  son  aide 
Que  ce  prestige  d'être  bien  soi. 

Vous  lirez  ce  libelle  tel  quel. 
Tout  ainsi  que  vous  feriez  d'un  autre. 
Ce  vœu  bien  modeste  est  le  seul  nôtre. 
N'étant  guère  après  tout  criminel. 

Un  mot  encor,  car  je  vous  dois 
Quelque  lueur  en  déHnilive 
Concernant  la  chose  qui  m'arrive  : 
Je  compte  parmi  les  maladroits. 

J'ai  perdu  ma  vie,  et  je  sais  bien 
Que  tout  blâme  sur  moi  s'en  va  fondre  ; 
A  cela  je  ne  puis  que  répondre 
Que  je  suis  vraiment  né  Saturnien. 


II 

IMPRESSION    FAUSSE 


Dame  souris  trotte 
Noire  dans  le  gris  du  soir, 
Dame  souris  trotte 
Grise  dans  le  noir. 


On  sonne  la  cloche  : 
Dormez,  les  bons  prisonniers 
On  sonne  la  cloche  : 
Faut  que  vous  dormiez. 


Pas  de  mauvais  rêves, 
Ne  pensez  qu'à  vos  amours. 
Pas  de  mauvais  rêves  : 
Les  belles  toujours  I 


FAlALLiLBIlINT  241 

Le  grand  clair  de  lunel 
On  ronfle  ferme  à  cdté. 
Le  grand  clair  de  lune 
Enréalitél 


Un  nuage  passe, 
Il  fait  noir  comme  en  un  four. 
Un  nuage  passe. 
Tiens,  le  petit  jour  I 


Dame  souris  trotte, 

Rose  dans  les  rayons  bleus. 

Dame  souris  trotte  : 

Debout,  paresseux  1 


III 

AUTRE 


La  cour  se  fleurit  de  souci 

Comme  le  front 

De  tous  ceux-ci 

Qui  vont  en  rond 
En  flageolant  sur  leur  fémur 

Débilité 

Le  long  du  mur 

Fou  de  clarté. 

Tournez,  Samsons  sans  Dalila, 
Sans  Philistin, 
Tournez  bien  la 
Meule  au  destin. 

Vaincu  risible  de  la  loi, 
Mouds  tour  à  tour 
Ton  cœur,  ta  foi 
Et  ton  amour  1 


PAHALLÈLEUENT  243 


Ils  vonti  et  leurs  pauvres  souliers 

Font  un  bruit  sec, 

Humiliés, 

La  pipe  au  bec. 
Pas  un  mot  ou  bien  le  cachot, 

Pas  un  soupir. 

Il  fait  si  chaud 

Qu'on  croit  mourir. 

J'en  suis  de  ce  cirque  eiïaré, 

Soumis  d'ailleurs 

Et  préparé 

A  tous  malheurs 
^t  pourquoi  si  j'ai  contristô 

Ton  vœu  têtu, 

Société, 

Me  choierais-tu? 

Allons,  frères,  bons  vieux  voleurs, 
Doux  vagabonds. 
Filous  en  fleurs, 
Mes  chers,  mes  bons, 

Fumons  philosophiquement, 
Promenons-nous 
Paisiblement  : 
Rien  faire  est  doux. 


IV 

RÉVERSIBILITÉS 

Totus  in  maligno  posilus. 


Entends  les  pompes  qui  font 
Le  cri  des  chats. 

Des  sifflets  viennent  et  vont 
Comme  en  pourchas. 

Ah!  dans  ces  tristes  décors 

Les  Déjà  sont  les  Encorsl 

0  les  vagues  Angélus  ! 

(Qui  viennent  d'où?) 
"Vois  s'allumer  les  Saluts 

Du  fond  d'un  trou. 
Ah!  dans  ces  mornes  séjours 
Les  Jamais  sont  les  Toujours  I 


PARALLiLKMENT  t48 


Quels  rôves  épouvantés, 

Vous,  grands  murs  blancs  1 
Que  de  sanglots  répétés. 

Fous  ou  dolents  ! 
Ah!  dans  ces  piteux  retraits 
Les  Toujours  sont  les  Jamais  1 


Tu  meurs  doucereusement, 

Obscurément, 
Sans  qu'on  veille,  ô  cœur  aimant. 

Sans  testament! 
Ah  !  dans  ces  deuils  sans  rachats 
Les  Encors  sont  les  Déjàsl 


TANTALIZED 


L'aile  où  je  suis  donnant  juste  sur  une  gare, 
J'entends  de  nuit  (mes  nuits  sont  blanches)  la  bagarre 
Des  machines  qu'on  chauffe  et  des  trains  ajustés, 
Et  vraiment  c'est  des  bruits  de  nids  répercutés 
A  des  cieux  de  fonte  et  de  verre  et  gras  de  houille. 
Vous  n'imaginez  pas  comme  cela  gazouille 
Et  comme  l'on  dirait  des  efforts  d'oiselets 
Vers  des  vols  tout  prochains  à  des  cieux  violets 
Encore  et  que  le  point  du  jour  éclaire  à  peine, 
0  ces  wagons  qui  vont  dévaler  dans  la  plaine  I 


••*1 


V! 

INVRAISEMBLABLE   MAIS    VRAI 


Las!  je  suis  à  l'Index  et  dans  les  dédicaces    "* 

Me  voici  Paul  V...  pur  et  simple.  Les  audaces 

De  mes  amis,  tant  les  éditeurs  sont  des  saints, 

Doivent  éliminer  mon  nom  de  leurs  desseins. 

Extraordinaire  et  saponaire  tonnerre 

D'une  excommunication  que  je  vénère 

Au  point  d'en  faire  des  fautes  de  quantité  I  • 

Vrai,  si  je  n'étais  pas  (forcément)  désisté 

Des  choses,  j'aimerais,  surtout  m'étant  contraire. 

Cette'  pudeur  du  moins  si  rare  de  libraire. 


VII 
LE    DERNIER   DIZAIN 


0  Belgique  qui  m'as  valu  ce  dur  loisir, 
Merci  !  J'ai  pu  du  moins  réfléchir  et  saisir 
Dans  le  silence  doux  et  blanc  de  tes  cellules 
Les  raisons  qui  fuyaient  comme  des  libellules 
A  travers  les  roseaux  bavards  d'un  monde  vain 
Les  raisons  de  mon  être  éternel  et  divin, 
Et  les  étiqueter  comme  en  un  beau  musée 
Dans  les  cases  en  fin  cristal  de  ma  pensée. 
Mais,  ô  Belgique,  assez  de  ce  huis  clos  têtu  I 
Ouvre  enfln,  car  c'est  bon  pour  une  fois,  sais-tu! 

Bruxelles,  août  1873.  —  Mons,  janvier  1875. 


^^<^ 


LUNES 


Je  veux,  pour  te  tuer,  ô  temps  qui  me  dévastes, 
Remonter  jusqu'aux  jours  bleuis  des  amours  chastes 
Et  bercer  ma  luxure  et  ma  honte  au  bruit  doux 
D'un  baiser  sur  Sa  main  et  non  plus  dans  Leurs  cous 
Le  Tibère  effrayant  que  je  suis  à  celte  heure, 
Quoi  que  j'en  aie,  et  que  je  rie  ou  que  je  pleure, 
Qu'il  dorme  !  pour  rêver,  loin  d'un  cruel  bonheur, 
Aux  tendrons  pâlots  dont  on  ménageait  l'honneur 
Es  fêtes,  dans,  après  le  bal  sur  la  pelouse. 
Le  clair  de  lune  quand  le  clocher  sonnait  douze. 


II 

A  LA  MANIÈRE  DE  PAUL  VERLAINE 


C'est  à  cause  du  clair  de  lune  " 
Que  j'assume  ce  masque  nocturne 
Et  de  Saturne  penchant  son  urne 
Et  de  ces  lunes  l'une  après  l'une. 

Des  romances  sans  paiwles  ont, 
D'un  accord  discord  ensemble  et  frais, 
Agacé  ce  cœur  fadasse  exprès. 
0  le  son,  le  frisson  qu'elles  ontl 

Il  n'est  pas  que  vous  n'ayez  fait  grâce 
A  quelqu'un  qui  vous  jetait  l'ofTense  : 
Or,  moi,  je  pardonne  à  mon  enfance 
Revenant  fardée  et  non  sans  grâce. 


k- 


rARALLiSLKUENT  iTA 


Je  pardonne  h  ce  mensonge-là 
En  faveur  en  somme  du  plaisir 
Très  banal  drôlement  qu'un  loisir 
Douloureux  un  peu  m*inocula. 


III 

«XPLICATION 


Je  TOUS  dis  que  ce  n'est  pas  ee  que  l'on  pensa. 
P.  V. 


Le  bonheur  de  saigner  sur  le  cœur  d'un  ami, 
Le  besoin  de  pleurer  bien  longtemps  sur  son  sein, 
Le  désir  de  parler  à  lui,  bas  à  demi, 
Le  rêve  de  rester  ensemble  sans  dessein  1 

Le  malheur  d'avoir  tant  de  belles  ennemies, 
La  satiété  d'être  une  machine  obscène, 
L'horreur  des  cris  impurs  de  toutes  ces  lamies. 
Le  cauchemar  d'une  incessante  mise  en  scène  1 

Mourir  pour  sa  Patrie  ou  pour  son  Dieu,  gaîment, 
Ou  pour  l'autre,  en  ses  fcras,  et  baisant  chastement 
La  main  qui  ne  trahit,  la  bouche  qui  ne  menti 


PARALLÈLEMENT  253 


Vivre  loin  des  devoirs  et  des  saintes  tourmentes 

Pour  les  seins  clairs  et  pour  les  yeux  luisant  d'amantes, 

Et  pour  le...  reste  I  vers  telles  morts  infamantes! 


IV 

AUTRE  EXPLICATION 


Amour  qui  ruisselais  de  flammes  et  de  lait, 
Qu'est  devenu  ce  temps,  et  comme  est-ce  qu'elle  est, 
La  constance  sacrée  au  chrême  des  promesses? 
Elle  ressemble  une  putain  dont  les  prouesses 
Empliraient  cent  bidets  de  futurs  fœtus  froids; 
Et  le  temps  a  crû  mais  pire,  tels  les  elTrois 
D'un  polype  grossi  d'heure  en  heure  et  qui  pète. 
Lâches,  nous  !  de  nous  être  ainsi  lâchés  ! 

«  Arrête  ! 
Dit  quelqu'un  de  dedans  le  sein.  C'est  bien  la  loi. 
On  peut  mourir  pour  telle  ou  tel,  on  vit  pour  soi, 
Même  quand  on  voudrait  vivre  pour  tel  ou  telle  I 
Et  puis  l'heure  sévère,  ombre  de  la  mortelle, 
S'en  vient  déjà  couvrir  les  trois  quarts  du  cadran. 
Il  faut,  dès  ce  jourd'hui,  renier  le  tyran 


rAnAT.L{!LB)iBNT  2!Sf 

Plaisir,  et  se  complaire  aux  prudents  hyménées, 
Quittant  le  souvenir  des  heures  entraînées 
Et  des  gens.  Et  voilà  la  norme  et  le  flambeau. 
Ce  sera  bien.  » 

L'Amour  : 

«  Ce  ne  serait  pas  beau.  » 


i 


LIMBES 


L  imagination,  reine, 
Tient  ses  ailes  étendues, 
Mais  la  robe  qu'elle  traîne 
A  des  lourdeurs  éperdues. 


Cependant  que  la  Pensée, 
Papillon,  s'envole  et  vole, 
Rose  et  noir  clair,  élancée 
Hors  de  la  tête  frivole. 


L'imagination,  sise 
En  son  trône,  ce  fier  siège! 
Assiste,  comme  indécise, 
A  tout  ce  presie  manège, 


PAnALLfcLEMBNT  251 


Et  le  papillon  fait  rage, 
Monte  et  descend,  plane  et  vire 
On  dirait  dnns  un  naufrage 
Des  culbutes  du  navire. 


La  reine  pleure  de  joie 

Et  de  peine  encore,  à  cause 

De  son  cœur  qu'un  chaud  pleur  noie, 

Et  n'entend  goutte  à  la  chose. 


Psyché  Deux  pourtant  se  lasse 
Son  vol  est  la  main  plus  lente 
Que  cent  tours  de  passe-passe 
Ont  fait  toute  tremblante. 


Hélas,  voici  l'agonie  ! 
Qui  s'en  fût  formé  l'idée? 
Et  tandis  que,  bon  génie 
Plein  d'une  douceur  lactée, 


La  bestiole  céleste 
S'envient  palpiter  à  terre, 
La  Folle-du-Logis  reste 
Dans  sa  gloire  solitaire  1 

u.  n 


VI 

LOMBES 


Deux  femmes  des  mieux  m'ont  apparu  cette  nuit. 
Mon  rêve  était  au  bal,  je  vous  demande  un  peu! 
L'une  d'entre  elles  maigre  assez,  blonde,  un  œil  bleu, 
Un  noir  et  ce  regard  mécréant  qui  poursuit. 


L'autre,  brune  au  regard  sournois  qui  flatte  et  nuit, 
Seins  joyeux  d'être  vus,  digne  d'un  demi-dieu! 
Et  toutes  deux  avaient,  pour  rappeler  le  jeu 


De  la  main  chaude,  sous  la  traîne  qui  bruit, 
Des  bas  de  dos  très  beaux  et  d'une  gaîté  folle 
Auxquels  il  ne  manquait  vraiment  que  la  parole, 
Royale  arrière-garde  aux  combats  du  plaisir. 


PAnALLKLEMENT  259 


Kl  CCS  dames,  —-  scrutez  l'armoriai  de  France,  — 
S'ofTorçiiiont  d'entamer  l'orgueil  de  mon  désir 
El  n'en  revenaient  pas  de  mon  indifTérence. 

Vouzicrs  (Ardcnnes),  18  avril  —  13  mai  188& 


LA  DERNIERE  FÊTE  GALANTE 


Pour  une  bonne  foîs,  séparons-nous, 

Très  chers  messieurs  et  si  belles  mesdames. 

Assez  comme  cela  d'épithalames, 

Et  puis  là,  nos  plaisirs  furent  trop  doux. 

Nul  remords,  nul  regret  vrai,  nul  désastre; 
C'est  effrayant  ce  que  nous  sentons 
D'affinités  avecque  les  moutons 
Enrubannés  du  pire  poétastre. 

Nous  fûmes  trop  ridicules  un  peu 
Avec  nos  airs  de  n'y  toucher  qu'à  peine. 
Le  Dieu  d'amour  veut  qu'on  ait  de  l'haleine. 
Il  a  raison  !  Et  c'est  un  jeune  Dieu. 

Séparons-nous,  je  vc-^^s  le  dis  encore. 
0  que  nos  cœurs  qui  furent  trop  bêlants. 
Dès  ce  jourd'hui  réclament  trop  hurlants 
L'embarquement  pour  >Sodome  et  Gomorrhe  I 


>^^ 


POÈiME  SATURNIN 


Ce  fut  bizarre  et  Salnn  dut  rire. 
Ce  jour  d'été  m'avait  tout  soùlé. 
Quelle  chanteuse  impossible  à  dire 
Et  tout  ce  qu'elle  a  débagoulé  1 

Ce  piano  dans  trop  de  fumée 
Sous  des  suspensions  à  pétrole  I 
Je  crois,  j'avais  la  bile  enflammée, 
J'entendais  de  travers  ma  parole. 

Je  crois,  mes  sens  étaient  à  l'envers, 
Ma  bile  avait  fait  des  bouillons  fantasques. 
0  les  refrains  de  cafés-concerts. 
Faussés  par  le  plus  plâtré  des  masques! 

Dans  des  troquets  comme  en  ces  bourgades, 
J'avais  rôdé,  suçant  peu  de  glace. 
Trois  galopins  aux  yeux  de  tribades 
Dévisageaient  sans  fin  ma  grimace. 


262  PAHALLÈLEMENT 


Je  fus  hué  manifestement 
Par  ces  voyous,  non  loin  de  la  gare, 
Et  les  engueulai  si  goulûment 
Que  j'en  faillis  gober  mon  cigare. 
Je  rentre  :  une  voix  à  mon  oreille, 

Un  pas  fantôme.  Aucun  ou  personne? 
On  m'a  frôlé.  —  La  nuit  sans  pareille  ! 
Ah  1  l'heure  d'im  réveil  drôle  sonne. 

Attigny  (Ardennes),  31  mai  —  l"  juillet  1885. 


L'IMPUDENT 


La  misère  et  le  mauvais  œil, 
Soit  dit  sans  le  calomnirr, 
Ont  fait  à  ce  monstre  d'orgueil 
Une  dme  de  vieux  prisonnier. 

Oui,  jettatore,  oui,  le  dernier 
Et  le  premier  des  gueux  en  deuil 
De  l'ombre  même  d'un  denier 
Qu'ils  poursuivront  jusqu'au  cercueiL 

Son  regard  mûrit  les  enfants. 
Il  a  des  refus  triomphants. 
Même  il  est  bêle  à  sa  façon. 

Beautés  passant,  au  lieu  de  sous, 
Faites  à  ce  mauvais  garçon 
L'aumône  seulement...  de  vous. 


L'IMPENITENT 


Rôdeur  vanné,  ton  œil  fané 
Tout  plein  d'un  désir  satané 
Mais  qui  n'est  pas  l'œil  d'un  bélître. 
Quand  passe  quelqu'un  de  gentil 
Lance  un  éclair  comme  une  vitre. 

Ton  blaire  flaire,  ûpre  et  subtil, 
Et  l'étamine  et  le  pistil. 
Toute  fleur,  tout  fruit,  toute  viande, 
Et  la  langue  d'homme  entendu 
Pourléche  ta  lèvre  friande. 

Vieux  faune  en  l'air  guettant  ton  dû, 
As-tu  vraiment  bandé,  tendu 
L'arme  assez  de  tes  paillardises? 
L'as-tu,  drôle,  braquée  assez? 
Ce  n'est  rien  que  tu  nous  le  dises. 


iPARALLkLEXBNT  265 

Quoi,  malgré  ces  reins  fricassés, 
Ce  cœur  érclnté,  tu  no  sais 
Que  dévouer  à  la  luxure 
Ton  cœur,  tes  reins,  ta  poche  &  flel, 
Ta  raie  et  toute  ta  fressure  1 

Sucrés  et  doux  comme  le  miel, 
Damnants  comme  le  feu  du  ciel, 
Bleus  comme  Heur,  noirs  comme  poudre, 
Tu  rafToles  beaucoup  des  yeux 
Do  tout  genre  en  dépit  du  Foudre. 

Les  nez  te  plaisent,  gracieux 
Ou  simplement  malicieux 
Étant  la  force  des  visages, 
Étant  aussi,  suivant  des  gens. 
Des  indices  et  des  présages. 

Longs  baisers  plus  clairs  que  des  chanta, 
Tout  petits  baisers  astringents 
Qu'on  dirait  qui  vous  sucent  l'âme, 
Bons  gros  baisers  d'enfants,  légers 
Baisers  danseurs,  telle  une  flamme. 

Baisers  mangeurs,  baisers  mangés, 
Baisers  buveurs,  bus,  enragés, 


t66  PARALLÈLEMENT 


Baisers  languides  et  farouches, 
Ce  que  t'aimes  bien,  c'est  surtout, 
N'est-ce  pas?  les  belles  boubouches. 

Les  corps  enfin  sont  de  ton  goût. 
Mieux  pourtant  couchés  que  debout, 
Se  mouvant  sur  place  qu'en  marche, 
Mais  de  n'importe  quel  climat, 
Pont-Saint-Esprit  ou  Pont-de-l'Arche. 

Pour  que  ce  goût  les  acclamât 
Minces,  grands  d'aspect  plutôt  mat, 
Faudrait  pourtant  du  jeune  en  somme. 
Pieds  fins  et  forts,  tout  légers  bras 
Musculeux  et  des  cheveux  comme 

Ça  tombe,  longs,  bouclés  ou  ras,  — 
Sinon  pervers  et  scélérats 
Tout  à  fait,  un  peu  d'innocence 
En  moins,  pour  toi  sauver,  du  moins. 
Quelque  ombre  encore  de  décence  ? 

Nenni  dà!  Vous,  soyez  témoins, 
Dieux  la  connaissant  dans  les  coins, 
Que  ces  manières  de  parts  telles, 
Sont  pour  s'amuser  mieux  au  fond 
Sans  trop  rausser  aux  bagatelles. 


PARALLiCLEllENT  267 


C'est  ainsi  quo  les  choses  vont 
Et  que  les  raillards  flciïC's  font. 
Mais  tu  te  ris  de  ces  morales,  — 
Tel  un  quelqu'un  plus  que  pressé 
Passe  outre  aux  défenses  murales  ! 

Et  tu  réponds,  un  peu  lassé 

De  te  voir  ainsi  relancé, 

De  ta  voix  que  la  soif  di'grade 

Mais  qui  n'est  pas  d'un  marniiteux  : 

«  Qu'y  peux-tu  faire,  camarade, 

Si  nous  sommes  cet  amiteux  ?  n 


SUR  UNE  STATUE  DE   GANYMEDE 


Eh  quoi  !  Dans  cette  ville  d'eaux. 
Trêve,  repos,  paix,  intermède, 
Encor  toi  de  face  et  de  dos, 
Beau  petit  ami  Ganymède, 

L'aigle  t'emporte,  on  dirait  comme 
Amoureux  de  parmi  les  fleurs. 
Son  aile,  d'élans  économe, 
Semble  le  vouloir  par  ailleurs 

Que  chez  ce  Jupin  tyrannique, 
Comme  qui  dirait  au  Revard  ', 
Et  son  œil  qui  nous  fait  la  nique 
Te  coule  un  drôle  de  regard. 

Bah  !  reste  avec  nous,  bon  garçon, 
Notre  ennui,  viens  donc  le  distraire 
Un  peu  de  la  bonne  façon, 
N'es-tu  pas  notre  petit  frè?*: 

*  Montagnes  aux  environs  d'Aix-les-Baina. 


L 


PROLOGUE  SUPPRIMÉ 
A  UN  LIVDE  <c  D'INVECTIVES  n 


Mes  femmes,  toutes I  et  ce  n'es»  pas  effrayant! 

A  peu  près,  en  trente  ans  !  neuf,  ainsi  que  les  Muses, 

Je  vous  évoque  et  vous  invoque,  chœur  riant, 

Au  seuil  de  ce  recueil  où,  mon  fiel,  tu  t'amuses. 

Neuf  environ  !  Sans  m'occuper  du  casuel, 
Des  amours  de  raccroc,  des  baisers  de  rencontre, 
Neuf  que  j'aimais  et  qui  m'aimaient,  ceci  c'est  réel. 
Ou  que  non  pas,  qu'importe  à  ce  Fiel  qui  se  montre? 

Je  vous  évoque,  corps  si  choyés,  chères  chairs, 
Seins  adorés,  regards  où  les  miens  vinrent  vivre 
Et  mourir,  et  tous  les  trésors  encor  plus  cliers, 
Je  vous  invoque  au  seuil,  mesdames,  de  mon  livre  • 


PARALLELEMENT 


Toi  qui  fus  blondinette  et  mignarde  aux  yeux  bleus; 
Vous  mes  deux  brunes,  l'une  grasse  et  grande,  et  l'autre 
Imperceptible  avec,  toutes  deux,  de  doux  yeux 
De  velours  sombi'e,  d'où  coulait  cette  âme  vôtre  ; 


Et  ô  rouquine  en  fleur  qui  mis  ton  rose  et  blanc 
Incendie  es  mon  cœur,  plutôt  noir,  qui  s'embrase 
A  ton  étreinte,  bras  très  frais,  souple  et  dur  flanc, 
Et  l'or  mystérieux  du  vase  pour  l'extase. 


Et  vous  autres,  Parisiennes  à  l'excès, 
Toutes  de  musc  abandonné  sur  ma  prière 
(Car  je  déteste  les  parfums  et  je  ne  sais 
Rien  de  meilleur  à  respirer  que  l'odeur  fière 


Et  saine  de  la  femme  seule  que  l'on  eut 
Pour  le  moment  sur  le  moment),  et  vous,  le  reste 
Qu'on,  sinon  très  gentil,  très  moralement,  eut 
D'un  geste  franc,  bon,  et  leste,  sinon  céleste. 


Je  vous  atteste,  sœurs  aimables  de  mon  corps, 
Qu'on  fut  injuste  à  mon  endroit,  et  que  je  souffre 
A  cause  de  cette  faiblesse,  fleur  du  corps, 
Perte  de  l'âme,  qui,  paraît-il,  mène  au  gouffre; 


PABALLftLEMKNT  271 


Au  goufTro  où  les  malins,  les  matois,  les  «<  peinards  » 
Gomme  autant  do  démons  d'enfer,  un  enfer  bête 
Et  d'autant  plus  méchant  dans  sos  ennuis  traînards, 
Accueillent  d'escroquerie  âpre  le  poète... 


0  mes  chères,  soyez  mes  muses,  en  ce  nid 
Encore  bienséant  d'un  pamphlet  qui  s'essore. 
Soyez  à  ce  pauvret  que  la  haine  bénit 
Le  rire  du  soleil  et  les  pleurs  de  l'aurore. 


Donnez  force  et  virilité,  parle  bonheur 
Que  vous  donniez  jadis  à  ma  longue  jeunesse, 
Pour  que  je  parle  bien,  et  comme  à  votre  honneur 
Et  comme  en  votre  honneur,  et  pour  que  je  renaisse 


En  quelque  sorte  à  la  Vigueur,  non  celle-là 
Que  nous  déployions  en  des  ères  plus  propices, 
Mais  à  celle  qu'il  faut,  au  temps  où  nous  voilà, 
Contre  les  scélérats,  les  sots  et  les  complices. 


0  mes  femmes,  soyez  mes  muses,  voulez-vous  ? 
Soyez  même  un  petit  comme  un  lot  d'Erynnies 
Pour  rendre  plus  méchants  mes  vers  encor  trop  doux 
A  l'adresse  de  ce  vil  tas  d'i"uominies  : 


272  PARALLÈLEMENT 


Telle  contemporaine  et  tel  contemporain 
Dont  j'ai  trop  éprouvé  la  haine  et  la  rancune, 
Martial  et  non  Juvénal,  et  non  d'airain, 
Mais  de  poivre  et  de  sel,  la  mienne  de  rancune. 


Mes  vers  seront  méchants,  du  moins  je  m'en  prévaux, 
Gomme  la  gale  et  comme  un  hallier  de  vermine. 
Et  comme  tout...  Et  sus  aux  griefs  vrais  ou  faux 
Qui  m'agacent...  Muses,  or,  sus  à  la  vermine  ! 

24  septembre  91. 


i 


LE  SONNET   DE   L'HOMME   AU   SABLE 


Aussi  la  créature  était  par  trop  toujours  la  même 

Qui  donnait  ses  baisers  comme  un  enfant  donne  des  noix. 

Indifférente  à  tout,  hormis  au  prestige  suprême 

De  lacire  à  moustache  et  de  l'empoisdes  faux-cols  droits. 

Et  j'ai  ri,  car  je  tiens  la  solution  du  problème  : 
Ce  pouf  était  dans  l'air  dès  le  principe,  je  le  vois; 
Quand  la  chair  et  le  sang,  exaspérés  d'un  long  carême, 
Réclamèrent  leur  dû,  —  la  créature  était  en  bois. 

C'est  le  comte  d'Hoffmann  avec  la  bêtise  en  marge, 
Amis  qui  m'écoutez,  faites  votre  entendement  large, 
Car  c'est  la  vérité  que  ma  morale,  et  la  voici  : 

Si,  par  malheur,  puisse  d'ailleurs  l'augure  aller  au  diable! 
Quelqu'un  de  vous  devait  s'emberlificoter  aussi. 
Qu'il  réclame  un  conseil  de  revision  préalable. 


n.  i" 


GUITARE 


Le  pauvre  du  chemin  creux  chante  et  parle. 

Il  dit  :  «  Mon  nom  est  Pierre  et  non  Charle, 

Et  je  m'appelle  aussi  Duchatelet*. 

Une  fois  je  vis,  moi  qu'on  croit  très  laid, 

Passer  vraiment  une  femme  très  belle. 

(Si  je  la  voyais  telle,  elle  était  telle.) 

Nous  nous  maridmes  au  vieux  curé. 

On  eut  tout  ce  qu'on  avait  espéré. 

Jusqu'à  l'enfant  qu'on  m'a  dit  vivre  encore 

Mais  elle  devint  la  pire  pécore 

Même  digne  de  cette  chanson. 

Et  certain  beau  soir  quitta  la  maison 

En  emportant  tout  l'argent  du  ménage 

Dont  les  trois  quarts  étaient  mon  apanage, 

C'était  une  voleuse,  une  sans-cœur. 

Et  puis,  par  des  fois,  je  lui  faisais  peur. 

>  Voir  Louise  Leclercq,  nouvelles  par  l'auteur. 


PARALLELEMENT  275 


Ello  n'avait  pas  l'ombro  d'une  excuse, 
Pas  un  amant  ou  par  rage  ou  par  ru.se 
Il  paraît  qu'elle  coucho  depuis  peu 
Avec  un  individu  qui  lient  lieu 
D'époux  à  cette  femme  de  querelle. 
Faut-il  la  tuer  ou  prier  pour  elle?» 

Et  le  pauvre  sait  très  bien  qu'il  priera. 
Mais  le  diable  parierait  qu'il  tuera. 


BALLADE  DE  LA  VIE  EN   ROUGE 


L'un  toujours  vit  la  vie  en  rose, 
Jeunesse  qui  n'en  finit  plus, 
Seconde  enfance  moins  morose, 
Ni  vœux,  ni  regrets  superflus. 
Ignorant  tout  flux  et  reflux, 
Ce  sage  pour  qui  rien  ne  bouge 
Règne  instinctif  :  tel  un  phallus. 
Mais  moi  je  vois  la  vie  en  rouge. 

L'autre  ratiocine  et  glose 
Sur  des  modes  irrésolus, 
Soupesant,  pesant  chaque  chose 
De  mains  gourdes  aux  lourds  calus. 
Lui  faudrait  du  temps  tant  et  plus 
Pour  se  risquer  hors  de  son  bouge. 
Le  monde  est  gris  à  ce  reclus. 
Mais  moi  je  vois  la  vie  en  rouge. 


PARALLiLEUENT  277 


Lui,  cet  autre  alentour  il  ose 
Jeter  des  regards  bien  voulus, 
Mais,  sur  quoi  que  son  œil  se  pose, 
II  s'exaspère  où  tu  le  plus, 
Œil  des  philanthropes  joufflus; 
Tout  lui  semble  noir,  vierge  ou  gouge, 
Les  hommes,  vins  bus,  livres  lus, 
Mais  moi  je  vois  la  vie  en  rouge. 

ENVOI 

Prince  et  princesse,  allez,  élus, 
En  triomphe  par  la  route  où  je 
Trime  d'ornières  en  talus. 
Mais  moi  je  vois  la  vie  en  rouge. 


MAINS 


Ce  ne  sont  pas  des  mains  d'altesse, 
De  beau  prélat  quelque  peu  saint. 
Pourtant  une  délicatesse 
Y  laisse  son  galbe  succinct. 

Ce  ne  sont  pas  des  mains  d'artiste. 
De  poète  proprement  dit, 
Mais  quelque  chose  comme  triste 
En  fait  comme  un  groupe  en  petit; 

Car  les  mains  ont  leur  caractère, 
C'est  tout  un  monde  en  mouvement 
Où  le  pouce  et  l'auriculaire 
Donnent  les  pôles  de  l'aimant. 

Les  météores  de  la  tête 
Comme  les  tempêtes  du  cœur, 
Tout  s'y  répète  et  s'y  reflète 
Par  un  don  logique  et  vainqueur. 


PAHALLkLEMRNT  2*9 


Ce  ne  sont  pas  non  plus  les  palmes 
D'un  rural  ou  d*un  faubourien  ; 
Encor  leurs  grandes  lignes  calmes 
Disent  :  «  Travail  qui  ne  doit  rien.  » 

Elles  sont  maigres,  longues,  grises, 
Phalange  large,  ongle  carré. 
Tels  on  ont  aux  vitraux  d'églises 
Les  saints  sous  le  rinceau  doré, 

Ou  telu  quelques  vieux  militaires 
Déshabitués  des  combats 
Se  rappellent  leurs  longues  guerres 
Qu'ils  narrent  entre  haut  et  bas. 

Ce  soir  elles  ont,  ces  mains  sèches, 
Sous  leurs  rares  poils  hérissés, 
Des  airs  spécialement  réches, 
Comme  en  proie  à  d'âpres  pensers. 

Le  noir  souci  qui  les  agace, 
Leur  quasi-songe  aigre  les  font 
Faire  une  sinistre  grimace 
A  leur  façon,  mains  qu'elles  son 

J'ai  peur  à  les  voir  sur  la  table 
Préméditer  là,  sous  mes  yeux, 
Quelque  chose  de  redoutable, 
D'inflexible  et  de  furieux. 


280  PARALLÈLEMENT 

La  main  droite  est  bien  à  ma  droite, 
L'autre  à  ma  gauche,  je  suis  seuL 
Les  linges  dans  la  chambre  étroite 
Prennent  des  aspects  de  linceul. 


Dehors  le  vent  hurle  sans  trêve, 

Le  soir  descend  insidieux... 

Ah!  si  ce  sont  des  mains  de  rêve, 

Tant  mieux,  —  ou  tant  pis,  —  ou  tant  mieux  I 


LES   MORTS    QUE... 


Les  morts  que  Ton  fait  saigner  dans  leur  tombe 

Se  vengent  toujours. 
Ils  ont  leur  manière,  et  plaignez  qui  tombe 

Sous  leurs  grands  coups  sourds. 
Mieux  vaut  n'avoir  jamais  connu  la  vie, 
Mieux  vaut  la  mort  lente  d'autres  suivie, 
Tant  le  temps  est  long,  tant  les  coups  sont  lourds. 


Les  vivants  qu'on  fait  pleurer  comme  on  saigne 

Se  vengent  parfois. 
Ceux-là  qu'ils  ont  pris,  qu'un  chacun  les  plaigne, 

Pris  entre  leurs  doigts. 
Mieux  vaut  un  ours  et  les  jeux  de  sa  patte, 
Mieux  vaut  cent  fois  le  chanvre  et  sa  cravate, 
Mieux  vaut  l'édredon  d'Othello  cent  fois. 


282  PARALLÈLEMENT 


Otoi,  persécuteur,  crains  le  vampire 

Et  crains  Tétrangleur  : 
Leur  jour  de  colère  apparaîtra  pire 

Que  toute  douleur. 
Tiens  ton  âme  prête  à  ce  jour  ultime 
Qui  surprendra  l'assassin  comme  un  crime 
Et  fondra  sur  le  sol  comme  un  voleur. 


NOUVELLES   VARIATIONS 
SUR   LE   POINT   DU  JOUR 


Le  Point  du  Jour,  le  Point  blanc  de  Paris, 
Le  seul  point  blanc,  grâce  à  tant  de  bùlisse 
Et  neuve  et  laide  et  que  je  t'en  ralisâe, 
Le  Point  du  Jour,  aurore  des  paris  ! 


Le  bonneteau  fleurit  «  dessur  »  la  berge, 
La  bonne  tôt  s'y  déprave,  tant  pis 
Pour  elle  et  tant  mieux  pour  le  birbe  cris 
Qui  lui  du  moins  la  croit  encore  vierge. 


II  a  raison,  le  vieux,  car  voyez  donc 
Comme  il  est  joli  toujours  le  paysage  : 
Paris  au  loin,  triste  et  gai,  fol  et  sage, 
£t  le  Trocadtro,  ce  cas,  au  fond. 


284  rÀRALLÈLEHENT 


Puis  la  verdure  et  le  ciel  et  les  types 

Et  la  rivière  obscène  et  molle,  avec 

Des  gens  trop  beaux,  leur  cigare  à  leur  bec 

Épatants  ces  raetteurs-au-vent  de  tripes  l 


PIERROT    GAMIN 


Ce  n'est  pas  Pierrot  en  herbe 
Non  plus  que  Pierrot  en  gerbe. 
C'est  Pierrot,  Pierrot,  Pierrot. 
Pierrot  gamin,  Pierrot  gosse, 
Le  cerneau  hors  de  la  cosse, 
C'est  Pierrot,  Pierrot,  Pierrot. 

Bien  qu'un  rien  plus  haut  qu'un  môtre. 

Le  mignon  drôle  sait  mettre 

Dans  ses  yeux  l'éclair  d'acier 

Qui  sied  au  subtil  génie 

De  sa  malice  finie 

De  poète-grimacier. 

Lèvres  rouge-de-blessure 
Où  sommeille  la  luxure, 


PARALLELEMENT 


Face  pâle  aux  rictus  fins, 
Longue,  très  accentuée 
Qu'on  dirait  habituée 
A  contempler  toutes  fins, 

Corps  fluet  et  non  pas  maigre, 
Voix  de  fille  et  non  pas  aigre. 
Corps  d'éphèbe  en  tout  petit, 
Voix  de  tête,  corps  en  fête, 
Créature  toujours  prête 
A  soûler  chaque  appétit. 

Va,  frère,  va,  camarade, 
Fais  le  diable,  bats  l'estrade 
Dans  ton  rêve  et  sur  Paris 
Et  par  le  monde,  et  sois  l'âme 
Vile,  haute,  noble,  infâme 
De  nos  innocents  esprits  1 

Grandis,  car  c'est  la  coutume. 
Cube  ta  riche  amertume, 
Exagère  ta  gaieté 
Caricature,  auréole, 
La  grimace  et  le  symbole 
De  notre  simplicité  l 


Xbl 


CES  PASSIONS... 


Ces  passions  qu*eux  seuls  nomment  encore  amours 
Sont  des  amours  aussi,  tendres  et  furieuses, 
Avec  des  particularités  curieuses 
Que  n'ont  pas  les  amours  certes  de  tous  les  jours. 

Même  plus  qu'elles  et  mieux  qu'elles  héroïques. 
Elles  se  parent  de  splendeurs  d'àme  et  de  sang 
Telles  qu'au  prix  d'elles  les  amours  dans  le  rang 
Ne  sont  que  Ris  et  Jeux  ou  besoins  erotiques, 

Que  vains  proverbes,  que  riens  d'enfants  trop  gâtés, 

—  «  Ah  !  les  pauvres  amours  banales,  animales, 
Normales  !  Gros  goûts  lourds  ou  frugales  fringales. 
Sans  compter  la  sottise  et  des  fécondités!  » 

—  Peuvent  dire  ceux-là  que  sacre  le  haut  Rite, 
Ayant  conquis  la  plénitude  du  plaisir, 

Et  l'insaliabilité  de  leur  désir 
Bénissant  la  fidélité  de  leur  mérite. 


288  PARALLÈLEMENT 


La  plénitude  !  lis  l'ont  superlativement  : 
Baisers  repus,  gorgés,  mains  privilégiées 
Dans  la  richesse  des  caresses  repayées. 
Et  ce  divin  final  anéantissement  1 

Comme  ce  sont  les  forts  et  les  forts,  l'habitude 
De  la  force  les  rend  invaincus  au  déduit. 
Plantureux,  savoureux,  débordant,  le  déduit  1 
Je  le  crois  bien  qu'ils  l'ont  la  pleine  plénitude  I 

Et  pour  combler  leur  vœux,  chacun  d'eux  lour  à  tour 
Fait  l'action  suprôme,  a  la  parfaite  extase, 
—  Tantôt  la  coupe  ou  la  bouche  et  tantôt  le  vase,  — 
Pâmé  comme  la  nuit,  fervent  comme  le  jour. 

Leurs  beaux  ébats  sont  grands  et  gais.  Pas  de  ces  crises: 
Vapeurs,  nerfs.  Non,  des  jeux  courageux,  puis  d'heureux 
Bras  las  autour  du  cou,  pour  de  moins  langoureux 
Qu'étroits  sommeils  à  deux,  tout  coupés  de  reprises. 

Dormez,  les  amoureux  1  Tandis  qu'autour  de  vous 
Le  monde  inattentif  aux  choses  délicates, 
Bruit  ou  gît  en  somnolences  scélérates, 
Sans  même,  il  est  si  bête!  être  de  vous  jaloux. 

Et  ces  réveils  francs,  clairs,  riants,  vers  l'aventure 
De  flers  damnés  d'un  plus  magnifique  sabbat? 
Et  salut,  témoins  purs  de  l'âme  en  ce  combat 
Pour  l'affi'anchissement  de  la  lourde  nature  1 


LOETI    ET    ERRABUNDI 


Les  courses  furent  intrépides 
(Comme  aujourd'hui  le  repos  pèsel) 
Par  les  steamers  et  les  rapides. 
(Que  me  veut  cet  at  home  obèse?; 

Nous  allions,  —  vous  en  souvient-il, 
Voyageur  où  ça  disparu?  — 
Filant  légers  dans  l'air  subtil, 
Deux  spectres  joyeux,  on  eût  crul 

Car  les  passions  satisfaites 
Insolemment  outre  mesure 
Mettaient  dans  nos  tètes  des  fêtes 
Et  dans  nos  sens,  que  tout  rassure, 

Tout,  la  jeunesse,  l'amitié, 
Et  nos  cœurs,  ah  !  que  dégagés 
Des  femmes  prises  en  pitié 
Et  du  dernier  des  préjugée, 
H.  19 


290  PARALLÈLEMENT 


Laissant  la  crainte  de  l'origine 
Et  le  scrupule  au  bon  ermite, 
Puisque  quand  la  borne  est  franchie 
Ponsard  ne  veut  plus  de  limite. 

-Entre  autres  blâmables  excès, 
Je  crois  que  nous  bûmes  de  tout, 
Depuis  les  plus  grands  vins  français 
Jusqu'à  ce  faro,  jusqu'au  stout. 

En  passant  par  les  eaux-de-vie 
Qu'on  cite  comme  redoutables, 
L'âme  au  septième  ciel  ravie, 
Le  corps,  plus  humble,  sous  les  tables. 

Des  paysages,  des  cités 
Posaient  pour  nos  yeux  jamais  las; 
Nos  belles  curiosités 
Eussent  mangé  tous  les  atlas. 

Fleuves  et  monts,  bronzes  et  marbres, 
Les  couchants  d'or,  l'aube  magique, 
L'Angleterre,  mère  des  arbres, 
Fille  des  Beffrois,  la  Belgique, 

La  mer,  terrible  et  douce  au  point,  — 
Brochaient  sur  le  roman  très  cher 
Que  ne  discontinuait  point 
Notre  âme,  —  et  qui d  de  notre  chair  ?..é 


I 


PAHALLkLRMKNT  29< 


I,e  roman  de  vivre  à  deux  hommes 
Mieux  que  non  pas  d'époux  modèles, 
Chacun  au  tas  versant  des  sommes 
De  scnlimcnls  forts  et  fidèles. 

I/envie  aux  yeux  de  basilic 
Censurait  ce  mode  d'écot  ; 
Nous  dinions  du  bldmc  public 
Et  soupions  du  môme  fricot. 

La  misère  aussi  faisait  rage 
Par  des  fois  dans  le  phalanstère  : 
On  ripostait  par  le  courage, 
La  joie  et  les  pommes  de  terre. 

Scandaleux  sans  savoir  pourquoi 
(Peut-être  que  c'était  trop  beau), 
Mais  notre  couple  restait  coi 
Comme  deux  bon  porte-drapeau, 

Cois  dans  l'orgueil  d'être  plus  libres 
Que  les  plus  libres  de  ce  monde, 
Sourd  aux  gros  mots  de  tous  calibres. 
Inaccessible  au  rire  immonde. 

Nous  avions  laissé  sans  émoi 
Tous  impédiments  dans  Paris, 
Lui  quelques  sots  bernés,  et  moi 
Certaine  princesse  Souris, 


292  PARALLÈLEMENT 


Une  sotte  qui  tourna  pire... 
Puis  soudain  tomba  notre  gloire, 
Tels,  nous,  des  maréchaux  d'empire 
Déchus  en  brigands  de  la  Loire. 

Mais  déchus  volontairement! 
C'était  une  permission, 
Pour  parler  militairement, 
Que  notre  séparation, 

Permission  sous  nos  semelles 
Et  depuis  combien  de  campagnes  I 
Pardonnùtes-vous  aux  femelles  ? 
Moi  j'ai  peu  revu  ces  campagnes, 

Assez  toutefois  pour  souffrir. 
Ah!  quel  cœur  faible  que  mon  cœurl 
Mais  mieux  vaut  souffrir  que  mourir, 
Et  surtout  mourir  de  langueur. 

On  vous  dit  mort,  vous.  Que  le  diable 

Emporte  avec  qui  la  colporte 

La  nouvelle  irrémédiable 

Qui  vient  ainsi  battre  ma  porte! 

Je  n'y  veux  rien  croire.  Mort,  vous. 
Toi, dieu  parmi  les  demi-dieux! 
Ceux  qui  le  disent  sont  des  fous. 
Mort,  mon  grand  péché  radieux, 


FAnALLkLEMKNT  S9S 


Tout  ce  passé  brûlant  encore 
Dans  mes  veines  et  ma  cervelle 
Et  qui  rayonne  et  qui  fulgore 
Sur  ma  ferveur  toujours  nouvelle  1 

Mort  tout  ce  triomphe  ioouï 
Retentissant  suns  frcia  ni  fin 
Sur  l'air  jamais  évanoui 
Que  bat  mon  cœur  qui  fut  divin  I 

Quoi,  le  miraculeux  poème 
Et  la  toute-philosûphie, 
Et  ma  patrie  et  ma  bohème 
Morts  ?  Allons  donc  !  tu  vis  ma  vie  1 


BALLADE 


DE   LA 


MAUVAISE    RÉPUTATION 


Il  eut  des  temps  quelques  argents 

Et  régala  ses  camarades 

D'un  sexe  ou  deux,  intelligents 

Ou  charmants,  ou  bien  les  deux  grades. 

Si  que  dans  les  esprits  malades 

Sa  bonne  réputation 

Subit  que  de  dégringolades  1 

Lucullus?  Non,  Trimalcion. 

Sous  ses  lambris,  c'étaient  des  chants 
Et  des  paroles  point  trop  fades. 
Eros  et  Bacchos  indulgents 
Présidaient  à  ces  sérénades 
Qu'accompagnaient  des  embrassades. 
Puis  chœurs  et  conversation 
Cessaient  pour  des  fins  peu  maussades. 
Lucullus?  Non.  Trimalcion 


PAnALLitLEMBNT  20S 

l/aubo  pointait  et  ces  méchants 
La  saluait  par  cent  aubades 
Qui  réveillaient  au  loin  les  gens 
De  bien,  et  par  mille  rasades. 
Cependant  de  vagues  brigades, 
—  Zèle  ou  dénonciation,  — 
Verbalisaient  chez  des  alcades 
LucuUus?  Non.  Trimalcion. 

ENVOI 

Prince,  ô  très  haut  marquis  de  Sade, 
Un  souris  pour  votre  scion 
Fier  derrière  sa  palissade. 
Lucullus?  Non.  Trimalcion. 


CAPRICE 


0  poète,  faux  pauvre  et  faux  riche,  homme  vrai, 

Jusqu'en  l'extérieur  riche  et  pauvre  pas  vrai 

(Dès  l'or,  comment  veux-tu  qu'on  soit  sûr  de  ton  cœur?) 

Tour  à  tour  souple,  drôle  et  monsieur  somptueux, 

Du  vert  clair  plein  d'  «  espère  «  au  noir  componctueux, 

Ton  habit  a  toujours  quelque  détail  blagueur. 

Un  bouton  manque.  Un  fil  dépasse.  D'où  venue 
Cette  tache  —  ah  çà,  malvenue  ou  bienvenue?  — 
Qui  rit  et  pleure  sur  le  cheviot  et  la  toile? 
Nœud  noué  bien  et  mal,  soulier  luisant  et  terne. 
Bref,  un  type  à  se  pendre  à  la  Vieille-Lanterne 
Comme  à  marcher,  gai  proverbe,  à  la  belle  étoile. 

Gueux,  mais  pas  comme  ça,  l'homme  vrai,  le  seul  vrai. 

Poète,  va,  si  ton  langage  n'est  pas  vrai. 

Toi  l'es,  et  ton  langage,  alors  1  Tant  pis  pour  ceux 

Qui  n'auront  pas  aimé,  fous  comme  autant  de  tois, 

La  lune  pour  chaufTer  les  sans  femmes  ni  toits, 

La  mort,  ah  1  pour  bercer  les  coeurs  malchanceux, 


rARALLkLBMRtrr  297 

Pauvres  cœurs  mal  tombés,  trop  bons  et  très  Hcrs  certes! 

Car  l'ironie  éclate  aux  lèvres  belles,  certes, 

De  vos  blessures,  cœurs  plus  blessés  qu'une  cible, 

Petits  sacrés-cœurs  de  Jésus  plus  lamentables! 

Va,  poète,  le  seul  des  hommes  véritables. 

Meurs  sauvé,  meurs  de  faim  pourtant  le  moins  possible. 


I 


BALLADE  SAPPHO 


Ma  douoî  main  de  maîtresse  et  d'amant 
Passe  et  rit  sur  ta  chère  chair  en  fête, 
Rit  et  jouit  de  ton  jouissement. 
Pour  la  servir  tu  sais  bien  qu'elle  est  faite, 
Etton  beau  corps  faut  que  je  le  dévête 
Pour  l'enivrer  sans  fin  d'un  art  nouveau 
Toujours  dans  la  caresse  toujours  poète. 
Je  suis  pareil  à  la  grande  Sappho. 

Laisse  ma  tête  errant  et  s'abîmant 

A  l'aventure,  un  peu  farouche,  en  quête 

D'ombre  et  d'odeur  et  d'un  travail  charmant 

Vers  les  saveurs  de  ta  gloire  secrète. 

Laisse  rôder  l'ûme  de  ton  poète 

Partout  par  là,  champ  ou  bois,  mont  ou  vau, 

Comme  lu  veux  et  si  je  le  souhaite. 

Je  suis  pareil  à  la  grande  Sappho. 


rAnALLlLBMBNT  209 


Jo  presse  alors  tout  ton  corps  goulûment, 
Toulo  ta  chair  contre  mon  corps  d'alhlète 
Qui  se  bande  et  s'amollit  par  moment, 
Heureux  du  triomphe  ot  de  la  dtîfaite 
En  ce  conflit  du  cœur  et  de  la  tûte. 
Pour  la  stérile  étreinte  où  le  cerveau 
Vient  faire  enfin  la  nature  complète. 
Je  suis  pareil  à  la  grande  Sappho. 

ENVOI 

Prince  ou  princesse,  honnête  ou  malhonnête, 
Qui  qu'en  grogne,  quel  que  soit  son  niveau. 
Trop  su  poète  ou  divin  proxénète, 
Je  suis  pareil  à  la  grande  Sappho. 


CHANSONS  POUR  ELLE 


Tu  n'es  pas  du  teut  vertueuse, 
Je  ne  suis  pas  du  tout  jaloux  1 
C'est  de  se  la  couler  heureuse 
Encor  le  moyen  le  plus  doux. 

Vive  l'arnour  et  vivent  nous  ! 

Tu  possèdes  et  tu  pratiques 
Les  tours  les  plus  intelligents 
Et  les  trucs  les  plus  authentiques 
A  l'usage  des  braves  gens, 

Et  tu  m'as  quels  soins  indulgents! 

D'aucuns  clabaudent,  sur  ton  âge 
Qui  n'est  plus  seize  ans  ni  vingt  ans. 
Mais  ô  ton  opulent  corsage, 
Tes  yeux  riants,  comme  chantants, 

Et  t  tes  baisers  épatants  1 


304  CUANSONS     POUR     ELLB 

Sois-moi  fidèle  si  possible 
Et  surtout  si  cela  te  plaît, 
Mais  reste  souvent  accessible 
A  mon  désir,  humble  valet 

Content  d'un  «  viens  !  »  ou  d'un  soufflet. 

«  Hein?  passé  le  temps  des  prouesses  1  » 
Me  disent  les  sots  d'alentour. 
Ça,  non,  car  grâce  à  tes  caresses 
C'est  encor,  c'est  toujours  mon  tour. 

Vivent  nous  et  vive  l'amour  ! 


II 


Compagne  savoureuse  et  bonne 

A  qui  j'ai  confié  le  soin 

Définitif  de  ma  personne, 

Toi  mon  dernier,  mon  seul  témoin» 

Viens  çà,  chère,  que  je  te  baise, 

Que  je  t'embrasse  long  et  fort, 

Mon  cœur  près  de  ton  cœur  bat  d'aise 

Et  d'amour  pour  jusqu'à  la  mort: 

Aime-moi, 

Car,  sans  toi. 

Rien  ne  puis. 

Rien  ne  suis. 


Je  vais  gueux  comme  un  rat  d'église, 
Et  toi  tu  n'as  que  tes  dix  doigts  ; 
La  table  n'est  pas  souvent  mise 
Dans  nos  sous-sols  et  sous  nos  toits; 


20 


306  CHANSONS     POUR    ELLE 

Mais  jamais  notre  lit  ne  chôme, 

Toujours  joyeux,  toujours  fêté, 

Et  j'y  suis  le  roi  du  royaume  ' 

De  ta  gaîté,  de  ta  santé  1 

Aime-moi, 

Car,  sans  toi, 

Rien  ne  puis. 

Rien  ne  suis. 


Après  nos  nuits  d'amour  robuste, 
Je  sors  de  tes  bras  mieux  trempé, 
Ta  riche  caresse  est  la  juste 
Sans  rien  de  ma  chair  de  trompé, 
Ton  amour  répand  la  vaillance 
Dans  tout  mon  être,  comme  un  vin, 
Et,  seule,  tu  sais  la  science 
De  me  gonfler  un  cœur  divin. 

Aime-moi, 

Car,  sans  toi, 

Rien  ne  puis, 

Rien  ne  suis. 


Qu'importe  ton  passé,  ma  belle, 
Et  qu'importe,  parbleu  !  le  miea  : 
Je  t'aime  d'un  amour  Adèle 
Et  tu  ne  m'as  fait  que  du  bien. 


CHANSONS    POUR    KLLB  307 

Unissons  dans  nos  deux  misères 
Lo  pardon  qu'on  nous  refusait, 
Et  jo  t'étreins  et  tu  me  serres 
Et  zut  au  monde  qui  jasait! 

Aime-moi 

Car,  sans  toi, 

Rien  ne  puis, 

Rien  ne  suis. 


III 


Voulant  te  fuir  (fuir  ses  amours  I 

Mais  un  poète  est  bête), 
J'ai  pris,  l'un  de  ces  derniers  jours, 

La  poudre  d'escampette. 
Qui  fut  penaud,  qui  fut  nigaud 

Dès  après  un  quart  d'heure? 
Et  je  revins  en  mendigot 

Qui  supplie  et  qui  pleure. 


Tu  pardonnas  :  mais  pas  longtemps 

Depuis  la  fois  première 
Je  filais,  pareil  aux  autans, 

Comme  la  fois  dernière. 
Tu  me  cherchas,  me  dénichas; 

Courte  et  bonne,  l'enquête! 
Qui  fut  content  du  doux  pourchas? 

Moi  donc,  ta  grosse  bête  I 


CHANSONS     POUR    ELLE  309 

Puisque  nous  voici  réunis, 

Dis,  sans  ruse  et  sans  feinte, 
Ne  nous  cherchons  plus  d'autres  nids 

Que  ma,  que  ton  étreinte. 
Malgré  mon  caractère  afTreux, 

Malgré  ton  caractère 
A/Treux,  restons  toujours  heureux  : 

Fois  première  et  dernière. 


IV 


Or,  malgré  ta  cruauté 
Affectée,  et  l'air  très  faux 
De  sale  méchanceté 
Dont,  bête,  tu  te  prévaux 

J'aime  ta  lasciveté  ! 

Et  quoiqu'en  dépit  de  tout 
Le  trop  factice  dégoût 
Que  me  dicte  ton  souris 
Qui  m'est,  à  mes  dams  et  coût. 

Rouge  aux  crocs  blancs  de  souris  I 

Je  t'aime  comme  l'on  croit, 
Et  mon  désir  fou  qui  croît, 
Tel  un  champignon  des  prés, 
S'érige  ainsi  que  le  Doigt 

D'un  Terme  là  tout  exprès. 


CHANSONS     POUK     RLLf  ^\i 

Donc,  malgré  ma  cruauté 
Affectée,  et  l'air  très  faux 
De  pire  méchanceté, 
Dont,  bôle,  je  me  prévaux. 

Aime  ma  simplicité. 


Zon,  flûte  et  bcust. 
Zon,  violon, 

(BiRAHOER.) 

Jusques  aux  pervers  nonchaloirs 

De  ces  yeux  noirs, 
Jusques,  depuis  ces  flemmes  blanches 

De  larges  hanches 
Et  d'un  ventre  et  de  beaux  seins 

Aux  fiers  dessins, 

Tout  pervertit,  tout  convertit  tous  mes  desseins 

Jusques  à  votre  menterie, 

Bouche  fleurie, 
Jusques  aux  pièges  mal  tendus 

Tant  attendus, 
De  tant  d'appas,  de  tant  de  charmes. 

De  tant  d'alarmes, 

Tout  pervertit,  tout  avertit  mes  tristes  larmes, 


ODANSONS    POUR     RLLR  313 

Et,  chère,  ah!  dis  :  FliUcs  et  zons 

A  mes  chansons 
Qui  vont  hrilmant,  toi  s  des  cerfs  prestes 

Aux  gcsics  lestes, 
Ahl  dis  donc,  Ch&re  :  Flûte  et  zonl 

A  ma  chanson, 

£t  si  je  fais  Vù.ae,  eh  bien,  donne-moi  du  sont 


VI 


La  saison  qui  s'avance 
Nous  baille  la  défense 
D'user  des  us  d'été, 
Le  frisson  de  l'automne 
Déjà  nous  pelotonne 
Dans  le  lit  mieux  fêté. 

Fi  de  l'été  morose, 

Toujours  la  même  chose  î 

M  J'ai  chaud,  t'as  chaud,  dormons!  » 

Dormir  au  lieu  de  vivre 

S'ennuyer  comme  un  livre... 

Voici  l'automne,  aimons! 

L'un  dans  l'autre,  à  notre  aise, 
Soyons  pires  que  braise 
Puisque  s'en  vient  l'hiver, 
Tous  les  deux,  corps  et  dme, 
Soyons  pires  que  llamme, 
Soyons  pires  que  chair  I 


3/s' 


Vil 


Je  suis  plus  pauvre  que  jamais 

Et  que  personne  ; 
Mais  j'ai  ton  cou  gras,  tes  bras  frais. 

Ta  façon  bonne 
De  faire  l'amour,  et  le  tour 

Leste  et  frivole, 
Et  la  caresse,  nuit  et  jour, 

De  ta  parole. 


Je  suis  riche  de  tes  beaux  yeux. 

De  ta  poitrine, 
Nid  follement  voluptueux, 

Couche  ivoirine 
Où  mon  désir,  las  d'autre  part. 

Se  ravigore 
Et  pour  d'autres  ébats  repart 

Plus  brave  encore... 


316  CHANSONS     POUR     ELLE 

Sans  doute  tu  ne  m'aimes  pas 

Comme  je  t'aime, 
Je  sais  combien  tu  me  trompes 

Jusqu'à  l'extrême. 
Que  me  fait,  puisque  je  ne  vis 

Qu'en  ton  essence, 
Et  que  tu  tiens  mes  sens  ravis 

Sous  ta  puissance? 


VIII 


Que  ton  âme  soit  blanche  ou  noire, 
Que  fait?  Ta  peau  de  jeune  ivoire 
Est  rose  et  blanche  et  jaune  un  peu. 
Elle  sent  bon,  ta  chair,  perverse 
Ou  non,  que  fait?  puisqu'elle  berce 
La  mienne  de  chair,  nom  de  Dieul 

Elle  la  berce,  ma  chair  folle. 

Ta  folle  de  chair,  ma  parole 

La  plus  sacrée  !  —  et  que  donc  bien  l 

Et  la  mienne,  grdce  à  la  tienne, 

Quelque  réserve  qui  la  tienne. 

Elle  s'en  donne,  nom  d'un  chien  1 

Quant  à  nos  âmes,  dis,  Madame, 
Tu  sais,  mon  âme  et  puis  ton  âme. 
Nous  en  moquons-nous?  Que  non  pasl 
Seulement  nous  sommes  au  monde. 
Ici-bas,  sur  la  terre  ronde, 
£t  Dor  au  ciel,  mais  ici-bas. 


318  CHANSONS     POUR     ELLE 

Or,  ici-bas,  faut  qu'on  profite 
Du  plaisir  qui  passe  si  vite 
Et  du  bonheur  de  se  pâmer, 
Aimons,  ma  petite  méchante, 
Telle  l'eau  va,  tel  l'oiseau  chante, 
Et  tels,  nous  ne  devons  qu'aimer. 


IX 


Tu  m'as  frappé,  c'est  ridicule, 
Je  l'ai  battue  et  c'est  affreux  : 
Je  m'en  repens  et  tu  m'en  veux. 
C'est  bien,  c'est  selon  la  formule. 

Je  n'avais  qu'à  me  tenir  coi 
Sous  l'aimable  averse  des  gifles 
De  ta  main  experte  en  mornifles, 
Sans  même  demander  pourquoi. 

Et  toi,  ton  droit,  ton  devoir  même» 

Au  risque  de  t'exténuer. 

Il  serait  de  continuer 

De  façon  extrême  et  suprême... 

Seulement,  ô  ne  m'en  veux  plus. 
Encore  que  ce  fût  un  crime 
De  t'avoir  faite  ma  victime... 
Dis,  plus  de  refus  absolus, 


320  CHANSONS     POUR     ELLE 

Bats-moi,  petite,  comme  plâtre, 
Mais  ensuite  viens  me  baiser, 
Pas?  quel  besoin  d'éterniser 
Une  querelle  trop  folâtre. 

Pour  se  brouiller  plus  d'un  instant, 
Le  temps  de  nous  faire  une  moue 
Qu'éteint  un  bécot  sur  la  joue, 
Puis  sur  la  bouche  en  attendant 

Mieux  encor,  n'est-ce  pas,  gamine? 
Promets-le-moi  sans  biaiser. 
C'est  convenu?  Oui?  Puis-je  oser? 
Allons,  plus  de  ta  grise  mine  ! 


L'horrible  nuit  d'insomnie  I 
—  Sans  la  présence  bénie 
De  ton  cher  corps  près  de  moi. 
Sans  ta  bouche  tant  baisée 
Encore  que  trop  rusée 
En  toute  mauvaise  foi, 

Sans  ta  bouche  tout  mensonge, 
Mais  si  franche  quand  j'y  songe, 
Et  qui  sait  me  consoler 
Sous  l'aspect  et  sous  l'espèce 
D'une  fraise  —  et,  bonne  pièce  !  — 
D'un  très  plausible  parler, 

Et  surtout  sans  le  pentdcle 
De  tes  sens  et  le  miracle 
Multiple  est  un,  lleur  et  fruit, 
De  tes  durs  yeux  de  sorcière, 
Durs  et  doux  ù  ta  manière... 
Vrai  Dieu  !  la  terrible  nuitl 


II 


21 


XI 


Vrai,  nous  avons  trop  d'esprit. 

Chérie  ! 
Je  crois  que  mal  nous  en  prit, 

Chérie  ! 
D'ainsi  lutter  corps  à  corps 

Encore  ! 
Sans  repos  et  sans  remords 

Encore l 


Plus,  n'est-ce  pas?  de  ces  lutte» 

Sans  but, 
Plus  de  ces  mauvaises  flûtes. 

Ce  luth, 
0  ce  luth  de  bien  se  faire 

Tel  air, 
Toujours  vibrant,  chanson  hère 
Dans  l'air  l 


CHANSONS    POUR    BLLI  C23 

Et  n'ayons  plus  d'esprit, 

T'en  prie! 
Tu  vois  que  mal  nous  en  prit... 

T'en  prie. 
Soyons  bons  tout  bôlcmcnt, 

Charmante, 
Aimons-nous  aimablement 

M'amante  ! 


XII 


Tu  bois,  c'est  hideux!  presque  autant  que  moi. 
Je  bois,  c'est  honteux,  presque  plus  que  toi, 
Ce  n'est  plus  ce  qu'on  appelle  une  vie... 
Ah!  la  femme,  fol,  fol  est  qui  s'y  fie  ! 

Les  hommes,  bravo  !  c'est  fler  et  soumis, 

On  peut  s'y  fier,  voilà  des  amis  ! 

Nous  buvons,  mais,  vous  mesdames,  l'ivresse 

Vous  va  moins  qu'à  nous,  —  te  change  en  tigresse. 

Moi  tout  au  plus  en  un  simple  cochon  ; 
Quelque  idéal  sot  dans  mon  cabochon, 
Quelque  bêtise  en  sus,  quelque  sottise 
En  outre,  —  mais  toi,  la  fainéantise, 

La  méchanceté,  l'obstination, 
Un  peu  le  vice  et  beaucoup  l'option. 
Pour  être  plus  folle,  sur  ma  parole  I 
Que  ma  folie  à  moi  déjà  si  folle. 


0HAN80N8    POUA    BLLI  32S 

Ces  réilcxions  mo  coûtent  beaucoup, 
Mais  ce  soir  jo  suis  d'une  liumcur  do  loup. 
Kxcusc,  si  mon  discours  va  si  rogue, 
Mais  ce  soir  je  suis  d'une  humeur  de  dogue. 


Hah  !  buvons  pas  trop  (s'il  nous  est  possible), 
Ma  bouche  est  un  trou,  la  tienne  est  un  crible. 
Dieu  sp'ira  bien  reconnaître  les  siens. 
Morale  :  surtout  baisons-nous  —  et  viens I 


XIII 


Es-tu  brune  ou  blonde  ? 

Sont-ils  noirs  ou  bleus, 
Tes  yeux? 
Je  n'en  sais  rien,  mais  j'aime  leur  clarté  profonde, 
Mais  j'adore  le  désordre  de  tes  cheveux. 

Es-tu  douce  ou  dure? 

Est-il  sensible  ou  moqueur, 
Ton  cœur? 
Je  n'en  sais  rien,  mais  je  rends  grâce  à  la  nature 
D'avoir  fait  de  ton  cœur  mon  maître  et  mon  vainqueur. 

Fidèle,  infidèle? 

Qu'est-ce  que  ça  fait. 
Au  fait  ? 
Puisque,  toujours  disposé  à  couronner  mon  zèle 
Ta  beauté  sert  d^.  gage  à  mon  plus  cher  souhait. 


3x 


XIV 


Je  ne  t'aime  pas  en  toilette 

Et  je  déteste  la  voilette 

Qui  t'obscurcit  tes  yeux,  mes  cieux. 

Et  j'abomine  la  «  tournure  » 

Parodie  et  caricature, 

De  tels  tiens  appas  somptueux. 

Je  suis  hostile  à  toute  robe 

Qui  plus  ou  moins  cache  et  dérobe 

Ces  charmes,  au  fond  les  meilleurs  : 

Ta  gorge,  mon  plus  cher  délice, 

Tes  épaules  et  la  malice 

De  tes  mollets  ensorceleurs. 

Fi  d'une  femme  trop  bien  mise! 
Je  te  veux,  ma  belle,  en  chemise, 
—  Voile  aimable,  obstacle  badin, 
Nappe  d'autel  pour  l'aime  messe. 
Drapeau  mignard  vaincu  sans  cesse 
Matin  et  soir,  soir  et  matin. 


XV 


Chemise  de  femme,  armure  ad  hoc 
Pour  les  chers  combats  et  le  gai  choc, 
Avec,  si  frais  et  que  blancs  et  gras, 
Sortant  tout  nus,  joyeux,  les  deux  bras, 

Vêtement  suprême, 
De  mode  toujours, 
C'est  toi  seul  que  j'aime 
De  tous  ses  atours. 

Quand  Elle  s'en  vient  devers  le  lit, 
L'orgueil  des  beaux  seins  cambrés  emplit 
Et  bombe  le  linge  tout  parfumé 
Du  seul  vrai  parfum,  son  corps  pâmé. 

Vêtement  suprême, 
De  mode  toujours, 
C'est  toi  seul  que  j'aime 
De  tous  ses  atours. 


0UAN80NI  POUR  RLLI  3S9 

Quand  oUo  entre  dans  lo  Ht,  c'est  mieux 
Encor  :  sous  ma  main  lo  précieux 
Trésor  do  sa  rroupo  HH'mit  dans 
Los  plis  do  balisto  redondants. 

Vùtoment  supnhnn, 
De  modo  toujours, 
C'est  toi  seul  que  j'aime 
De  tous  ses  atours. 

Mais  lorsqu'elle  a  pris  place  à  côté 
De  moi,  l'humble  serf  de  sa  beauté, 
Il  est  divin  et  mieux  mon  bonheur 
A  bousculer  le  linge  et  l'honneurl 

Vêtement  suprôme. 
De  mode  toujours. 
C'est  loi  seul  que  j'aime 
De  tous  ses  atours. 


XVI 


L'été  ne  fut  pas  adorable 

Après  cet  hiver  infernal, 

Et  quel  printemps  défavorable  l 

Et  l'automne  commence  mal, 

Bah  !  nous  nous  réchaufTùmes 
En  mêlant  nos  deux  âmes. 

La  pauvreté,  notre  compagne 
Dont  nous  nous  serions  bien  passés, 
Vainement  menait  la  campagne 
Durant  tous  ces  longs  mois  glact's... 

Nous  incaguions  l'intruse, 

Son  astuce  et  sa  ruse. 

Et  riches,  de  baisers  sans  nombre, 
—  La  seule  opulence,  crois-moi,  — 
Que  nous  fait  que  le  temps  soit  sombre 
S'il  fait  soleil  en  moi,  chez  toi. 

Et  que  le  plaisir  rie 

A  notre  gueuserie? 


^^ 


XVII 


Je  ne  suis  plus  de  ces  esprits  philosophiques, 
Et  ce  n'est  pas  de  morale  que  tu  te  piques 
Deux  admirables  conditions  pour  Tamour 
Tel  que  nous  l'entendrons,  c'est-à-dire  sans  tour 
Aucun  de  bête  convenance  ou  de  limites, 
Mais  chaud,  rieur  —  et  zut  à  tous  us  hypocrites I 

Aimons  gaîment 
Et  franchement. 

J'ai  reconnu  que  la  vertu,  quand  s'agit  d'Elles, 

Est  duperie  et  que  la  plupart  d'elles  ont 

Raison  de  s'en  passer,  nous  prenant  pour  modèles  : 

Si  bien  qu'il  est  très  bien  de  faire  comme  font 

Les  bonnes  bêtes  de  la  terre  et  les  célestes. 

N'est-ce  pas  ?  prompts  moineaux,  n'est-ce  pas,  les  cerfs  prestes. 

Aimons  bien  fort 
Jusqu'à  la  mort. 


333  CHANSONS  pour  elle 

Pratique  mon  bon  conseil  et  reste  amusante. 

S'il  se  peut,  sois-le  plus  encore  et  représente 

Toi  bien  que  c'est  ta  loi  d'être  pour  nous  charmer 

Et  la  fleur  n'est  pas  plus  faite  pour  se  fermer 

Que  vos  cœurs  et  vos  sens,  ô  nos  belles  amies... 

Tête  en  l'air,  sens  au  clair,  vos  «  pudeurs  »  endormies, 

Aimons  dûment 
Et  verdement 


XVI  II 


Si  tu  le  veux  bien,  divine  Ignorante, 
Je  ferai  celui  qui  ne  sait  plus  rien 
Que  te  caresser  d'une  main  errante. 
En  le  geste  expert  du  pire  vaurien, 

Si  tu  le  veux  bien,  divine  Ignorante. 

Soyons  scandaleux  sans  plus  nous  gêner 
Qu'un  cerf  et  sa  biche  es  bois  authentiques. 
La  honte,  envoyons-la  se  promener. 
Même  exagérons  et,  sinon  cyniques, 

Soyons  scandaleux  sans  plus  nous  gêner. 

Surtout  ne  parlons  pas  littérature. 
Au  diable  lecteurs,  auteurs,  éditeurs 
Surtout!  Livrons-nous  à  notre  nature 
Dans  l'oubli  charmant  de  toutes  pudeurs, 

Et,  ô  !  ne  parlons  pas  littérature  ! 


334  CHANSONS   POUR   ELLE 

Jouir  et  dormir,  ce  sera,  veux-tu? 
Notre  fonction  première  et  dernière, 
Notre  seule  et  notre  double  vertu, 
Conscience  unique,  unique  lumière. 

Jouir  et  dormir,  m  amante,  veux-tu  î 


XIX 


Ton  rire  éclaire  mon  vieux  cœur 
Comme  une  lanterne  une  cave 
Où  mûrirait  tel  cru  vainqueur  : 
Aï,  Beaune,  Sauterne,  Grave. 

Ton  rire  éclaire  mon  vieux  cœur. 

Ta  voix  claironne  dans  mon  âme  : 
Tel  un  signal  d'aller  au  feu... 
...  De  tes  yeux  en  effet  tout  flamme 
On  y  va,  sacré  nom  de  Dieu  ! 

Ta  voix  claironne  dans  mon  âme. 

Ta  manière,  ton  menco, 
Ton  cbic,  ton  galbe,  ton  que  sais-je, 
Me  disent  :  «  Viens  ça»  Prodeo. 
(0  ces  souvenirs  de  collège  !) 

Ta  manière  !  ton  meneo  ! 


336  CHANSONS   POUR   ELLE 

~Ta  gorge,  tes  hanches,  ton  geste, 
Et  le  reste,  odeur  et  fraîcheur 
Et  chaleur  m'insinuent:  reste  ! 
Si  j'y  reste,  en  ton  lit  mangeur  ! 

Ta  gorge,  tes  hanches  !  ton  geste  ! 


XX 


Ta  crois  au  marc  de  café, 

Aux  pr<5sages,  aux  grands  jeux  : 

Moi  je  ne  ciois  qu'en  les  grands  yeux. 

Tu  crois  aux  contes  de  fées, 
Aux  jours  néfastes,  aux  songes. 
Moi  je  ne  crois  qu'en  tes  mensonges. 

Tu  crois  en  un  vague  Dieu 
En  quelque  saint  spécial, 
En  tel  Ave  contre  tel  mal. 

Je  ne  crois  qu'aux  heures  bleues 

Et  rose  que  tu  m'épanches 

Dans  la  volupté  des  nuits  blanches  I 

Et  si  profonde  est  ma  foi 
Envers  tout  ce  que  je  croi 
Que  je  ne  vis  plus  que  pour  toi. 
n.  22 


XXI 


Lorsque  tu  cherches  tes  puces, 

C*est  très  rigolo. 
Que  de  ruses,  que  d'astuces  1 

J'aime  ce  tableau. 
C'est,  alliciant  en  diable 

Et  mon  cœur  en  bat 
D'un  battement  préalable 

A  quelque  autre  ébat 


Sous  la  chemise  tendue 

Au  large,  à  deux  mains 
Tes  yeux  scrutent  l'étendue 

Entre  tes  durs  seins. 
Toujours  tu  reviens  bredouille, 

D'ailleurs,  de  ce  jeu. 
N'importe,  il  me  trouble  et  brouille, 

Ton  sport,  et  pas  peu  ! 


CHANSONS   POUn  ILLI  339 

Lasse-toi  d'ôtre  déraite 

Aussi  sottement, 
Viens  payer  une  autre  fôle 

A  ton  corps  charmant 
Qu'une  chasse  infructueuse 

Par  monts  et  par  vaux. 
Tu  seras  victorieuse... 

Si  je  uc  prévaux  l 


XXII 


J'ai  rêvé  de  toi  cette  nuit  : 

Tu  te  pâmais  en  mille  poses 

Et  roucoulais  des  tas  de  choses... 

Et  moi,  comme  on  savoure  un  fruit, 

Je  te  baisais  à  bouche  pleine 

Un  peu  partout,  mont,  val  ou  plaine. 

J'étais  d'une  élasticité, 

D'un  ressort  vraiment  admirable  : 

Tudieu,  quelle  haleine  et  quel  rabhi  I 

Et  toi,  chère,  de  ton  côté, 

Quel  rable,  quelle  haleine,  quelle 

Elasticité  de  gazelle... 

Au  réveil  ce  fut,  dans  tes  bras, 
Mais  plus  aiguë  et  plus  parfaite, 
Exactement  la  même  fèleJ 


M' 


XXIII 


Je  n  ai  pas  de  chance  en  femme, 
El,  depuis  mon  âge  d'homme, 

Je  ne  suis  tombé  guère,  en  somme. 
Que  sur  des  criardes  infâmes. 

C'est  vrai  que  je  suis  criard 
Moi-même  et  d'un  révoltant 
Caractère  tout  autant, 
Peut-être  plus  par  hasard. 

Mes  femmes  furent  légères, 
Toi-même  tu  l'es  un  peu, 
Cet  épouvantable  aveu 
Soit  dit  entre  nous,  ma  chère. 

C'est  vrai  que  je  fus  coureur. 
Peut-être  le  suis-je  encore  : 
Cet  aveu  me  déshonore. 
Parfois  je  me  fais  horreur. 


342  CHANso^'s  pour  elle 

Baste  :  restons  tout  de  même 
Amants  fervents,  puisqu'en  somme 

Toi,  bonne  fille  et  moi,  brave  homme, 
Tu  m'aimes,  dis,  et  que  je  t'aime. 


XXIV 


Bien  qu'elle  soit  ta  meilleure  amie, 
C'est  farce  ce  que  nous  la  trompons 
Jusques  à  l'excès,  sans  penser  mie 
A  elle,  tant  nos  instants  sont  bons, 

Nos  instants  sont  bons! 

Je  fais  des  comparaisons,  de  môme 
Toi  cocufiant  Ion  autre  amant, 
Et  je  dois  dire  que  ton  système 
Pour  le  cocufier  est  charmant. 

Ton  us  est  charmant  I 

Mon  plaisir  est  d'autant  plus  coupable 
(Et  plus  exquis,  grûce  à  ton  concours) 
Qu'elle  se  montre  aussi  très  capable 
Et  fort  experte  aux  choses  d'amours. 

Mais  sans  ton  concours  ? 


344  CHANSONS   POUR    ELLK 


Trompons-Ia  bien,  car  elle  nous  trompe 
Peut-être  aussi,  tant  on  est  coquins 
Et  qu'il  n'est  de  pacte  qu'on  ne  rompe. 
Trompons-/cs  bien.  Nuls  remords  mesquins! 


Soyons  bien  coquins  1 


XXV 


Je  fus  mystique  et  je  ne  le  suis  plus 
(I.a  femme  m'aura  repris  tout  entier), 
Non  sans  garder  des  respects  absolus 
Pour  l'idéal  qu'il  fallut  renier. 

Mais  la  femme  m'a  repris  tout  entier! 

J'allais  priant  le  Dieu  de  mon  enfance 
(Aujourd'hui  c'est  toi  qui  m'as  à  genoux), 
J'étais  plein  de  foi,  de  blanche  espérance. 
De  charité  sainte  aux  purs  feux  si  doux. 

Mais  aujourd'hui  tu  m'as  à  tes  genoux  ! 

La  femme,  par  toi,  redevient  le  maître, 
Un  maître  tout-puissant  et  tyrannique, 
Mais  qu'insidieux!  feignant  de  tout  permettre 
Pour  en  arriver  à  tel  but  satanique... 

0  le  temps  béni  quand  J'étais  ce  mystique  I 


LITURGIES  INTIMES 


A   CHARLES   BAUDELAIRE 


Je  ne  t'ai  pas  connu,  je  ne  t'ai  pas  aimé, 

Je  ne  te  connais  point  et  je  t'aime  encor  moins  : 

Je  me  chargerais  mal  de  ton  nom  diffamé, 

Et,  si  j'ai  quelque  droit  d'être  entre  tes  témoins, 

Ccst  que,  d'abord,  et  c^est  qu'ailleurs,  vers  les  Pieds  joints 
D'abord  par  les  clous  froids,  puis  par  l'élan  pâmé 
Des  femmes  de  péché  desquelles  ô  tant  oints, 
Tant  baisés,  chrâne  fol  et  baiser  affamé!  — 

Tu  tombas,  tu  prias,  comme  moi,  comme  toutes 
Les  âmes  que  la  faim  et  la  soif  sur  tes  routes 
Poussaient  belles  d'espoir  au  Calvaire  touché  l 

—  Calvaire  juste  et  vrai,  Calvaire  où,  donc,  ces  doutes^ 
Ci,  çà,  grimaces,  art,  pleurent  de  leurs  déroutes. 
Ucin  ?  mourir  simplement,  nous,  hommes  de  péché. 


ASPERGES  ME 


I 


Moi  qui  ne  suis  qu'un  brin  d'hysope  dans  la  main 
Du  Seigneur  tout-puissant  qui  m'octroya  la  grâce, 
Je  puis,  si  mon  dessein  est  pur  devant  sa  face, 
Purifier  autrui  passant  sur  mon  chemin. 

Je  puis,  si  ma  prière  est  de  celles  qu'allège 
L'Humilité  du  poids  d'un  désir  languissant 
Comme  un  païen  peut  baptiser  en  cas  pressant, 
Laver  mon  prochain,  le  blanchir  plus  que  la  neige. 

Prenez  pitié  de  moi.  Seigneur,  suivant  l'efFet 
Miséricordieux  de  vos  mansuétudes. 
Veuillez  bander  mon  cœur,  cœur  aux  épreuves  rudes. 
Que  le  zèle  pour  votre  maison  soulevait 

Faites-moi  prospérer  dans  mes  vœux  charitables, 

Et  pour  cela,  suivant  le  rite  respecté, 

Gloire  à  la  Trinité  durant  l'éternité. 

Gloire  à  Dieu  dans  les  cieux  les  plus  inabordables, 


tlTURGIES   INTIMES  3?Si 

Gloire  au  Père,  fauteur  et  gouverneur  de  tout, 

Au  Fils,  crc^'ateur  et  sauveur,  juge  et  partie. 

Au  Saint-Esprit,  de  qui  la  lumière  est  sortie 

Par  quel  rayon?  —  ainsi  qu'une  eau  lustrale,  mon  sang  bout,  -— 

Moi  qui  ne  suis  qu'un  brin  d'bysope  dans  la  main... 


AVENT 


II 


M  Dans  les  Avents  »,  comme  l'on  dit 
Chez  mes  pays  qui  sont  rustiques 
Et  qui  patoisent  un  petit 
Entre  autres  usages  antiques, 


«  Dans  les  Avents  les  côs  chantont  », 
Toute  la  nuit,  grâce  à  la  lune 
«  ClarLive  »  alors,  et  dont  le  front 
S'argente  et  cuivre  dès  la  brune 


Jusqu'à  l'aube  en  peu  d'ombre,  et  ces 
Chante-clair,  clair  comme  un  beau  rêve, 
Proclament  jusques  à  l'excès 
Le  soleil...  qui  plus  tard  se  lève, 


LITURGIEH   INTIMRS  3^).1 

Trop  tard  pour  ceux  qui  sont  reclus 
Au  poulailler,  —  tout  comme  une  Ame 
Ne  tendant  que  vers  les  élus, 
Dans  le  pOchc,  prison  infûme,  — 

Et  comme  une  ûme  les  bons  coqs, 
Vigilants,  tels  au  temps  de  Pierre, 
SouiTrent,  mais,  en  dépit  des  chocs 
D'ombre,  chantent,  et  l'âme  espère. 


NOËL 


III 


Petit  Jésus  qu'il  nous  faut  être, 
Si  nous  voulons  voir  Dieu  le  Père, 
Accordez-nous  d'alors  renaître 


En  purs  bébés,  nus,  sans  repaire 
Qu'une  étable,  et  sans  compagnie 
Qu'une  âne  et  qu'un  bœuf,  humble  paire  ; 


D'avoir  l'ignorance  infinie 

Et  l'immense  toute-faiblesse 

Par  quoi  l'humble  enfance  est  bénie  ; 

De  n'agir  sans  qu'un  rien  ne  blesse 
Notre  chair  pourtant  innocente 
Encor  même  d'une  caresse, 


LITURGIES  IMTlUEi  3D3 

San»  que  notre  œil  chétif  ne  sente 
Doulounniscinent  l'éclat  môme 
De  l'aube  à  peine  pdlissante, 

Du  soir  venant,  lueur  suprême, 

Sans  éprouver  aucune  envie 

Que  d'un  long  sommeil  tiède  et  blêrae.M 

En  purs  bébés  que  l'âpre  vie 
Destine,  —  pour  (juel  but  sévère 
Ou  bienheureux?  —  foule  asservie 

Ou  troupe  libre,  à  quel  calvairef 


SAINTS  INNOCENTS 


IV 


Cruel  Hérode,  noir  Péché, 

De  tes  sept  glaives  tu  poursuis 

Les  innocents,  lesquels  je  suis 

Dans  mes  cinq  sens,  —  et,  qu'empêché 

Me  voici  pour,  las!  me  défendre  1 

L'argile  dont  Dieu  les  forma, 
Leur  faiblesse  à  ces  tristes  sens 
Par  quoi  je  suis  les  innocents 
Que  l'on  immole  dans  Rama, 
Trahissent  leur  âge  trop  tendre. 

Nulle  fuite.  Mais  mon  Sauveur, 
Assumant  mon  sort  et  ma  mort. 
Vit  en  Egypte  dont  il  sort 
A  temps  pour  l'insigne  faveur 
Qu'il  me  fait  de  donner  sa  vie 


LiTunniKii  INTIUKS  357 

Et  sa  pensée  à  mon  bonheur 

Élerncl,  et,  par  Taclioa 

Sûre  de  l'absolution 

De  son  prôtro  à  lui,  le  Seigneur, 

Ressuscite  ma  chair  ravie. 


CIRCONCISION 


Petit  Jésus  qui  souffrez  déjà  dans  votre  chair 
Pour  obéir  au  premier  précepte  de  la  Loi, 
Or,  nous  venons  en  ce  jour  saintement  doux-amer, 
Vous  offrir  les  prémices  aussi  de  notre  foi. 


Pour  obéir,  nous  autres,  à  votre  obéissance, 
Nous  apportons  sur  l'autel  le  parfait  hommage 
De  nos  péchés  pénitents  à  votre  innocence, 
Sur  Tautel  blanc  où  votre  sang  si  pur,  notre  otage. 


Coule  mystiquement  comme  il  coula  littéral 
Au  Golgotha,  comme  il  stilla,  pas  plus  réel 
Mais  littéral  aussi,  ce  jour,  dont  le  rituel 
IJetient  l'anniversaire  cruel  et  lilial. 


LITURGIES  INTIMBI  359 

El  nous  circoncisons  nos  cœurs  suivant  votre  exemple, 
Et  nous  voudrons  ressembler  à  Vous-même,  qui  flics 
Le  vieux  Siméon,  dans  la  solennité  du  temple, 
Exhaler  vers  vous  une  allégresse  sans  limites. 

L'ancien  Adam  qui  se  désolait  dans  son  espoir 
Toujours  remis  d'enfin  voir,  de  ses  yeux,  nous  meilleurs, 
Nous  très  doux  sans  plus  d'ire  rouge  ou  d'orgueil  noir, 
Va  chanter  un  fier  cantique  de  joie  et  de  pleurs, 

Et  dans  les  cieux  les  bienheureux  et  bienheureuses 
S'éjouiront  plus  que  de  coutume,  et  les  anges. 
Pour  ce  que  cette  année,  elle  à  peine  dans  les  langes, 
Dès  son  premier  souffle,  a  ces  haleines  amoureuses. 


ROIS 


VI 


La  myrrhe,  l'or  et  l'encens 
Sont  des  présents  moins  aimable» 
Que  de  plus  humbles  présents 
Offerts  aux  Yeux  adorables 
Qui  souriront  plutôt  mieux 
A  de  simples  vœux  pieux. 

Le  voyage  des  Rois  Mages 

Certes  agrée  au  Seigneur. 

Il  accepte  ces  hommages 

Et  les  tient  en  haut  honneur; 

Mais  d'un  pécheur  qui  s'amende 

Pour  lui  la  gloire  est  plus  grande. 

Dans  ce  sublime  concours 
D'adorations  premières, 
Jésus  goûtera  toujours 


LITURGIES   INTIMRfl  361' 

Davantage  les  prières 
Des  misérables  et  leur 
Garde  un  royaume  meilleur. 

Les  anges  et  les  archanges 
Qui  réveillent  les  bergers, 
Voix  d*espoir  et  de  louanges 
Aux  hommes  encouragés, 
Priment  dans  l'azur  sans  voile 
La  miraculeuse  étoile... 

Riches,  pauvres,  faisons-nous 
Néant  devant  toi,  le  Maître, 
De  Ton  saint  nom  seuls  jaloux  : 
Tu  sauras  bien  reconnaître 
Et  magnifier  les  tiens, 
Riches,  pauvres,  tous  chrétiens. 


KYRIE  ELEISON 


VII 

Ayez  pitié  ae  nous,  Seigneurl 
Christ,  ayez  pitié  de  nous! 

Donnez-nous  la  victoire  et  l'honneur 
Sur  l'ennemi  de  nous  tous. 
Ayez  pitié  de  nous,  Seigneur. 

Rendez-nous  plus  croyants  et  plus  doux 
Loin  du  Péché  suborneur, 
Christ,  ayez  pitié  de  nous. 

Criblez-nous  comme  fait  le  vanneur 
Du  grain  dont  il  est  jaloux. 
Ayez  pitié  de  nous.  Seigneur. 

Nous  vous  en  supplions  à  genoux, 
Ouvrez-nous  par  la  Foi  et  le  Bonheur. 
Christ,  ayez  pitié  de  nous. 


LITUnciES  INTDIBt  .ICI 

Ouvroz-nous  par  l'Amour  le  Bonheur, 
Nous  vous  en  prions  à  genoux. 
Ayez  pilié  de  nous,  Seigneur. 

Seigneur,  par  l'Espérance,  ouvrci-nous, 
Clirisl,  ouvrez-nous  le  Bonheur. 
Christ,  ayez  pitié  de  nous. 

Ayez  pitié  de  nous,  Seigneur  1 


GLORIA  IN  EXGELSIS 


VIII 

Gloire  à  Dieu  dans  les  hauteurs, 
Paix  aux  hommes  sur  la  terre  1 

Aux  hommes  qui  l'attendaient 
Dans  leur  bonne  volonté. 

Le  salut  vient  sur  la  terre... 
Gloire  à  Dieu  dans  les  hauteurs 

Nous  te  louons,  bénissons, 
Adorons,  glorifions. 

Te  rendons  grdce  et  merci 
De  cette  gloire  infinie  ! 

0  Seigneur,  Dieu,  roi  du  ciel, 
Père,  Puissance  éternelle, 


LITUnOIRS   INTIMES  Ml 

0  Fils  unique  de  Dieu, 
Agneau  de  Dieu,  Fils  du  père, 

Vous  efTacez  les  péchés  : 
Vous  aurez  pilié  de  nous. 

Vous  efTacez  les  péchés  : 
Vous  écouterez  nos  vœux. 

Vous,  à  la  droite  du  Père, 
Vous  aurez  pitié  de  nous. 

Car  vous  êtes  le  seul  Saint, 
Seul  Seigneur  et  seul  Très  Haut, 

0  Jésus,  qui  fûtes  oint 

De  très  loin  et  de  très  haut, 

Dieu  des  cieux,  avec  l'Esprit, 
Dans  le  Père, 

Ainsi  soit-iU 


CREDO 


IX 


Je  crois  ce  que  l'Église  catholique 
M'enseigna  dès  l'âge  d'entendement  : 
Que  Dieu  le  Père  est  le  fauteur  unique 
Et  le  régulateur  absolument 
De  toute  chose  invisible  et  visible, 
Et  que,  par  un  mystère  indéfectible, 


Il  engendra,  ne  fit  pas  Jésus-Christ 
Son  Fils  unique  avant  que  la  lumière 
Ne  fût  créée,  et  qu'il  était  écrit 
Que  celui-ci  mourrait  de  mort  amère, 
Pour  nous  saii^er  du  malheur  immorte/ 
Sur  le  Calvaire  et,  depuis,  sur  l'Autel; 


LITUIir,  IKS   I.NTlUEa  367 

Enfln  quo  PEsprit  saint,  lequel  procède 
El  du  Père  et  du  Fils  et  qui  parlait 
Par  les  prophètes,  et  ma  foi  qui  s'aide 
De  charitô  croit  le  dogme  complet 
De  rÉglise  de  Rome,  au  saint  baptôme, 
En  la  vie  éternelle. 

Vœu  suprême. 


ASCENSION 


Jésus  au  ciel  est  monté 
Pour  vous  envoyer  sa  grâce 
Espérance  et  charité, 
Foi  qui  jamais  ne  se  lasse, 


Patience  et  tous  les  dons 

Que  l'esprit  porte  en  ses  flamme». 

Et  les  trésors  de  pardons, 

De  zèle  au  salut  des  âmes, 


De  courage  durant  les 
Tentations  de  ce  monde. 
Ah!  surtout,  oui,  devant  les 
Tentations  de  ce  monde, 


LITUnUIBi)   INTIMIt  369 

Ces  scandales  étalés 
Tour  à  tour  beaux  puis  immondes, 
Pauvres  cœurs  écarlelés, 
Tristes  Ames  vagabondes  1 


Jésus  au  ciel  est  monté, 

Mais  en  nous  laissant  son  ombre  : 

L'Évangile  répété 

Sans  cesse  aux  peuples  sans  nombre. 


Jésus  au  ciel  est  monté 

Pour  mieux  veiller,  Lui,  fait  homme, 

Sur  notre  fragilité 

Qu'il  éprouva...  Mais  nous,  comme 


Jésus  au  ciel  est  monté 
Notre  nuit  n'y  pourrait  suivre 
Avant  la  mort  sa  clarté  : 
Ahl  d'esprit  allons  y  vivre  ! 


xu  u 


VENI,  SANCTE.. 


XI 


«  Esprit-Saint,  descendez  en  »  ceux 
Qui  raillent  l'antique  cantique 
Où  les  simples  mettent  leurs  vœux 
Sur  la  plus  naïve  musique. 


Versez  les  sept  dons  de  la  foi, 
Versez,  «  esprit  d'intelligence  », 
Dans  les  âmes  toutes  au  moi 
Surtout  l'amour  et  l'indulgence 


Et  le  goût  de  la  pauvreté 
Tant  des  autres  que  de  soi-même 
Qu'ils  comprennent  la  charité 
Puisqu'ils  sont  l'élite  et  la  crème. 


tITUnCIKS    l.NTIMCB  371 


Qu'ils  eslimcnt  leur  rire  80t, 
Visant,  non  le  dogme  immuable. 
Mais  l'humble  et  lo  faible  (un  assaut 
Dont  le  capitaine  est  le  Diable). 


Au  lieu  d'ainsi  le  profaner, 

Ce  cantique  de  nos  ancCIres, 

Qu'ils  le  méditent,  pour  donner 

Le  bon  exemple,  eux,  les  grands  maître». 


Et,  tandis  qu'ils  seront  en  train 
D'édifier  le  paupérisme 
D'esprit  et  d'argent,  qu'ils  réin- 
Tègrent  un  peu  le  Catéchisme. 


JUIN 


XII 


Mois  de  Jésus,  mois  rouge  et  or,  mois  de  l'Amour, 
Juin,  pendant  quel  le  cœur  en  fleur  et  Tàme  en  flamme 
Se  sont  épanouis  dans  la  splendeur  du  jour 
Parmi  des  chants  et  des  parfums  d'épithalame. 


Mois  du  Saint-Sacrement  et  mois  du  Sacré-Cœur, 
Mois  splendide  du  Sang  réel,  et  de  la  Chair  vraie, 
Pendant  que  l'herbe  mûre  offre  à  l'été  vainqueur 
Un  champ  clos  où  le  blé  triomphe  de  l'ivraie. 


Et  pendant  quel,  nous  misérables,  nous  pécheurs, 
Remémorés  de  la  Présence  non  pareille. 
Nous  sentons  ravigorés  en  retours  vengeurs 
<iontre  Satan,  pour  des  triomphes  que  surveille 


LITURGIES  INTIMKI  373 

Du  ciel  h\-Iiaut,  cl  sur  torrc,  do  l'ostensoir, 
l/uilor«5,  l'alorablo  Amour  sanglant  et  chaste, 
Kt  du  sein  douloureux  où  gtlc  notre  espoir 
Le  Cœur,  le  Cœur  brûlant  que  le  désir  dévaste, 

Le  désir  de  sauver  les  nôtres,  ô  Ronté 
Essentielle,  de  leur  gagner  la  victoire 
Éternelle.  EtTencens  do  l'immuable  été 
Monte  mystiquement  en  des  douceurs  de  gloire. 


SANGTUS 


XIII 


Saint  est  l'homme  au  sortir  du  baptême, 
Petit  enfant  humble  et  ne  tétant  pas  même, 
Et  si  pur  alors  qu'il  est  la  pureté  suprême. 

Saint  est  l'homme  après  l'Eucharistie. 
La  chair  de  Jésus  a  sa  chair  investie 
De  force  sage  et  de  divine  modestie. 

Saint  l'homme  quand  clos  ses  jours  débiles, 
Dans  l'heur  et  dans  le  pardon  des  Saintes  Huiles, 
Et  l'essor  soudain  vers  des  séjours  enfin  tranquilles. 

Les  cieux  sont  pleins,  Juste,  de  ta  gloire. 

La  terre  en  bas  vénérera  ta  mémoire. 

Béni  soit  celui  qui  vient  au  Nom  qu'il  nous  faut  croire  l 

Hosanna  sur  terre  et  dans  les  cieux. 
Deux  fois  hosanna  pour  l'homme  glorieux  1 
Trois  fois  hosanna  pour  Dieu  miséricordieux. 


IMMACULÉE   CONCEPTIOiN 


XIV 

Vous  fûtes  conçue  immaculée, 
Ainsi  l'Église  l'a  constaté 
Pour  faire  notre  ûme  consolée 
Et  notre  fois  plus  fort  conseillée, 
Et  notre  esprit  plus  ferme  et  bandé. 

La  raison  veut  ce  dogme  et  l'assume. 
La  charité  l'embrasse  et  s'y  tient, 
Et  Satan  grince  et  l'enfer  écume 
Et  hurle:  «  L'Eve  prédite  vient 
Dont  le  Serpent  saura  l'amertune  »  : 

Sous  Id  tutelle  et  dans  l'onction 

De  votre  chaste  et  sainte  mère  Anne, 

Vous  grandissez  en  perfection 

Jusqu'à  votre  présentation 

Au  temple  saint,  loin  du  bruit  profane. 


376  LITURGIES    INTIMES 

Du  monde  vain  que  fuira  Jésus 
Et,  comme  lui,  toute  au  pauvre  monde. 
Vous  atteignez  dans  de  pieux  us 
L'époque  où,  dans  sa  pitié  profonde. 
Dieu  veut  que  de  vous  sorte  Jésus  1 

L'ange  qui  vous  salua  la  mère 

Du  Rédempteur  que  Dieu  nous  donnait 

Ne  troubla  pas  votre  candeur  fière 

Qui  dit  comme  Dieu  de  la  lumière  : 

«  Ce  que  vous  m'annoncez  me  soit  fait.  » 

Et  tout  le  temps  que  vivra  le  Maître, 
Vous  le  passerez  obscurément, 
Sans  rien  vouloir  savoir  ou  connaître 
Que  de  l'aimer  comme  il  daigne  l'être. 
Jusqu'à  sa  mort,  prise  saintement. 

Aussi,  quand  vous-même  rendez  l'âme, 
Pendant  à  votre  conception 
Immaculée,  un  décret  proclame 
Pour  vous  la  tombe  un  séjour  infâme, 
Vous  soustrait  à  la  corruption, 

Et  vous  enlève  au  séjour  de  la  gloire 

D'où  vous  régnez  sur  l'Ange  et  sur  nous. 

Participant  à  toute  l'histoire 

De  notre  vie  intime  et  de  tous 

Les  hauts  débats  de  la  grande  histoire- 


DÉVOTIONS 


XV 


Sécheresse  maligne  et  coupable  langueur, 
Il  n'est  remède  encore  à  vos  tristesses  noires 
Que  telles  dévotions  surcrogatoires, 
Comme  des  mois  de  Marie  et  du  Sacré-Cœur, 


Éclat  et  parfum  purs  de  fleurs  rouges  et  bleues, 
Par  quoi  l'àme  qu'endeuille  un  ennui  morfondu, 
Tout  soudain  s'éveille  à  l'enthousiasme  dû 
Et  sent  ressusciter  ses  allégresses  feues 


Cantiques  frais  et  blancs  de  vierges  comme  aux  temps 
Premiers,  quand  les  chrétiens  étaient  toute  innocence, 
Hymnes  brûlants  d'une  théologie  intense 
Dans  la  sanglante  ardeur  des  cierges  palpitants  ; 


3*8  LITURGIES   INTIMES 

Comme  le  chemin  delà  Croix,  baisers  et  larmes, 
Argent  et  neige  et  noir  d'or  des  Vendredis  Saints, 
Lent  cortège  à  genoux  dans  la  paix  des  tocsins, 
Stabats  sévères  indiciblement  aux  si  doux  charmes, 


Et  la  dévotion,  aussi,  du  chapelet, 
Grains  enflammés  de  chaste  délire  oii  s'embrase 
L'ennui  souvent,  où  parfois  l'excès  de  l'extase 
Se  consumait  au  feu  des  Ave  qui  roulait; 


Et  celle  enfin  des  saints  locaux,  Martin  de  France, 
Et  Geneviève  de  Paris,  saints  du  pays 
Et  des  villes  et  des  villages,  obéis 
Et  vénérés  avec  chacun  son  espérance 


Et  son  exemple  et  son  précepte  bien  donné, 
Ses  miracles!  —  0 mœurs  plus  intimes  du  culte, 
Eh  oui,  c'est  encor  vous,  en  dépit  de  l'insulte, 
Qui  nous  sauvez,  peut-être,  à  tel  moment  donné. 


AGNUS  DEI 


XVI 


L'agneau  cherche  ramèrc  bniyère, 
C'est  le  sel  et  non  le  sucre  qu'il  préfère, 
Son  pas  fait  le  bruit  d'une  averse  sur  la  poussière. 

Quand  il  veut  un  but,  rien  ne  l'arrête, 
Brusque,  il  fonce  avec  des  grands  coups  de  sa  tête, 
Puis  il  bcle  vers  sa  mère  accourue  inquiète... 

Agneau  de  Dieu,  qui  sauves  les  hommes. 
Agneau  de  Dieu,  qui  nous  comptes  et  nous  nommes, 
Agneaude  Dieu,  vois,  prends  pitié  de  ce  que  noussommes, 

Donne-nous  la  paix  et  non  la  guerre, 
0  l'agneau  terrible  en  ta  juste  colère, 
0  toi,  seul  Agneau,  Dieu  le  seul  fils  de  Dieu  le  Père. 


TOUSSAINT 


XVII 


Ces  vrais  vivants  qui  sont  les  saints. 
Et  les  vrais  morts  qui  seront  nous, 
C'est  notre  double  fête  à  tous, 
Comme  la  fleur  de  nos  desseins, 


Comme  le  drapeau  symbolique 

Que  l'ouvrier  plante  gaîment 

Au  faite  neuf  du  bâtiment, 

Mais,  au  lieu  de  pierre  et  de  brique, 


C'est  de  notre  chair  qu'il  s'agit, 
Et  de  notre  âme  en  ce  nôtre  œuvre 
Qui,  narguant  la  vieille  couleuvre, 
A  force  de  travaux  surgit. 


LITUIIGIES   INTIMES  .181 

Notre  flme  et  notre  chair  domptées 

Par  la  truelle  et  le  ciment 

Du  patient  renoncement 

Et  des  heures  dûment  comptées. 


Mais  il  est  des  âmes  encor, 
Il  est  des  chairs  encore  comme 
En  chantier,  qu'à  tort  on  dénomme 
Les  morts,  puisqu'ils  vivent,  trésor 


Au  repos,  mais  que  nos  prières 
Seulement  peuvent  monnayer 
Pour,  l'architecte,  l'employer 
Aux  grandes  dépenses  dernières. 


Prions,  entre  les  morts,  pour  maints 
De  la  terre  et  du  Purgatoire, 
Prions  de  façon  méritoire 
Oeux  de  là-haut  qui  sont  les  saints. 


IN   INITIO 


XVIII 


Chez  mes  pays,  qui  sont  rustiquef 
Dans  tel  cas  simplement  pieux, 
Voire  un  peu  superstitieux, 
Entre  autres  pratiques  antiques, 


Sur  la  tête  du  paysan, 
Rite  profond,  vaste  symbole, 
Le  prêtre,  étendant  son  étole, 
Dit  l'évangile  de  saint  Jean  : 


«  Au  commencement  était  le  Ver)*" 
«  Et  le  Verbe  était  en  Dieu. 
«  Et  le  verbe  était  Dieu.  » 
Ainsi  va  ie  texte  superbe, 


LITURGIES  INTIMES  3S3 

S'épanchant  en  ondes  de  claire 
Vérité  sur  l'hutnaino  erreur, 
Lavant  l'immondice  et  l'horreur. 
Et  la  luxure  et  la  colère, 


Et  les  sept  péchés,  et  d'un  flux 
Tout  parfumé  d'odeurs  divines, 
Rafraîchissant  jusqu'aux  racines 
L'arbre  du  bien,  sec  et  perclus, 


Et  déracinant  sous  sa  force 
L'arbre  du  mal  et  du  malheur 
Naguère  tout  en  sève,  en  fleur. 
En  fruit,  du  feuillage  à  l'écorce. 


0  Jean,  le  plus  grand,  après  l'autre 
Jean,  le  Baptiste,  des  grands  saints, 
Priez  pour  moi  le  Sein  des  seins 
Où  vous  dormiez,  étant  apôtre  ! 


0,  comme  pour  le  paysan, 
Sur  ma  tête  frivole  et  folle, 
Bon  prêtre  étendant  ton  étole, 
Dis  Tévangile  de  saint  Jean. 


VÊPRES  RUSTIQUES 


XIX 

Le  dernier  coup  de  vêpres  a  sonné  :  l'on  tinte. 
Entrons  donc  dans  l'Église  et  couvrons-nous  d'eau  sainte. 

Il  y  a  peu  de  monde  encore.  Qu'il  fait  frais  ! 

C'est  bon  par  ces  temps  lourds,  ça  semble  fait  exprès. 

On  allume  les  six  grands  cierges,  l'on  apporte 
Le  ciboire  pour  le  salut.  Voici  la  porte 

De  la  sacristie  entr'ouverte,  et  l'on  voit  bien 
S'habiller  les  enfants  de  chœur  et  le  doyen. 

"Voici  venir  le  court  cortège,  et  les  deux  chantres 
Tiennent  de  gros  antiphonaires  sur  leurs  ventres. 

Une  clochette  retentit  et  le  clergé 
S'agenouille  devant  l'autel,  dûment  rangé. 


LirunOIBS  INTIMES  38S 

Une  prière  est  murmurée  à  voix  si  basse 

Qu'on  entend  comme  un  vol  de  bons  anges  qui  passe. 

Le  prfilre,  se  signant,  adjure  le  Seigneur, 
Et  les  clers,  se  signant,  appellent  le  Seigneur. 

l'Jt  chacun  exaltant  la  Trinité,  commence, 
Prophète-roi,  David,  ta  psalmodie  immense  : 

u  Le  Seigneur  dit...  »  «  Je  vous  louerai...  »  «  Qu'heureux  les  saints. 
«  Fils,  louez  le  Seigneur...  »  et,  vibrant  par  essaims, 

Les  versets  de  ce  chant  militaire  et  mystique  : 
«  Quand  Israël  sortit  d'Egypte...  »  Et  la  musique 

Du  grêle  harmonium  et  du  vaste  plain-chant  ! 
L'Église  s'est  remplie.  Il  fait  tiède.  L'argent 

Pour  le  culte  et  celui  du  denier  de  Saint-Pierre 

Et  des  pauvres  tombe  à  bruit  doux  dans  l'aumônière. 

L'hymme  propre  et  Magnificat  aux  flots  d'encens  l 
Une  langueur  céleste  envahit  tous  les  sens. 

Au  court  sermon  qui  suit  sur  un  thème  un  peu  rance. 
On  somnole  sans  trop  pourtant  d'irrévérence. 

n.  25 


386  LITURGIES  INTIMES 

Le  soleil  lui  faisant  un  nimbe  mordoré, 

Le  vieux  saint  du  village  est  tout  transfiguré. 

Ça  sent  bon.  On  dirait  des  fleurs  très  anciennes. 
S'exhalant,  lentes,  dans  le  latin  des  antiennes. 

Et  le  Salut  ayant  béni  l'humble  troupeau 
Des  fidèles,  on  rejoint  meilleurs  le  hameau. 

Le  soir  on  soupe  mieux,  et  quand  la  nuit  invite 
Au  sommeil,  on  s'endort  bien  à  l'aise  et  plus  vite. 


COMPLIES  EN  VILLE 


XX 


Au  sortir  de  Paris  on  entre  à  Notre-Dame. 

Le  fracas  blanc  vous  jette  aux  accords  long-voilés. 

L'affreux  soleil  criard  ù  l'ombre  qui  se  pâme 


Qui  se  p;\me,  aux  regards  des  vitraux  constellés, 

Et  l'adoration  à  Tinfini  s'étire 

En  des  récitatifs  lentement  en-allés. 


Vêpres  sont  dites,  et  l'autel  noir  ne  fait  luire 
Que  six  cierges,  après  les  flammes  du  Salut 
Dont  l'encens  rôde  eucor  mêlé  des  goûts  de  cire. 


Un  clerc  a  lu  :  Jubé,  domne,  comme  fallut. 
Et  1  orage  du  fond  des  stalles  se  déchaîne 
De  rude  psalmodie  au  même  instant  qu'il  lut, 


388  LITURGIES   INTIMES 

Le  bon  orage  frais  sous  la  voûte  hautaine 
Où  le  jour  tamisé  parles  Saints  et  les  Rois 
Des  rosaces  oscille  en  volute  sereine. 


Cela  parle  de  paix  de  l'âme,  des  effrois 
De  la  nuit  dissipés  par  l'acte  et  la  prière. 
L'espérance  s'enroule  autour  des  piliers  froids. 

C'est  la  suprême  joie,  et  l'extrême  lumière 
Concentrée  aux  rais  de  la  seule  Vérité, 
Et  le  vieux  Siméon  dit  l'extase  dernière  ! 


Recommandons  notre  âme  au  Dieu  de  vérité. 


PRUDENCE 


XXI 


Contrition  parfaite, 
Les  anges  sont  en  fêtes 
Mieux  d'un  pêcheur  contrit  que  d'un  juste  qui  meurt. 

Bon  propos,  la  victoire 
Préparée  et  la  gloire 
Presque  déjà  dans  l'au-delà  sans  choc  ni  heurt. 

Absolution  sainte 
Savourée  avec  crainte 
D'en  être  indigne  encor,  d'en  peut-être  abuser. 

Rentrée  emmi  le  monde 
Et  son  horreur  profonde 
Avec  un  cœur  d'amour  qui  ne  sait  biaiser, 


390  LITURGIES   INTIMES 

Car  c'est  l'amour  divine 
Qui  prévoit  et  devine 
Les  pièges,  le  manège  et  les  tours  du  Péché. 

Garde  à  toi  tout  de  même, 
Gare  au  trompeur  suprême, 
Chrétien  certes  fidèle  encore  qu'empêché 

Par  l'extase  première 
D'avoir  vu  la  Lumière, 
Et  les  yeux  éblouis  et  tous  les  sens  tremblants. 

0  chrétien  nouveau,  prie 
A  la  Vierge  Marie, 
Et  marche  vers  la  bonne  mort  à  pas  bien  lents. 


PÉNITENCE 


XXII 

La  kixure,  ce  moins  terrible  des  péchés; 
Ces  deux  pires  de  tous,  l'Avarice  et  l'Envie; 
La  Gourmandise,  abus  risible  de  la  vie  ; 
Toi,  Paresse,  leur  mère  à  tous,  à  ces  péchés, 


Et  la  Colère,  presque  belle  en  sa  hideur, 
Avec  de  faux  reflets  d'héroïsme,  on  veut  croire. 
Et  l'Orgueil  son  grand  frère  à  la  gloire  illusoire 
Et  tous  dans  leur  révolte  horrible  et  leur  hideur. 


Pénitence,  presque  innocence  tu  les  vaincs, 
Tu  les  poursuis,  tu  les  arrêtes  et  les  captes 
Sauvant  les  ûmes,  par  l'excellence  des  actes, 
De  l'Enfer  et  de  ses  milices  que  tu  vaincs. 


392  LITURGIES   INTIMES 


Oui,  tu  nous  dictes  et  fait  faire  d'excellents 
Actes  à  cause  de  l'excellence  des  causes, 
Épanouissant,  sur  les  épines  de  roses 
Que  la  Prière  après  vient  cueillir  à  pas  lents, 

Pénitence,  du  fond  de  mes  crimes  affreux. 
Luxure,  orgueil,  colère  et  toute  la  filière, 
J'invoque  ton  secours,  Vertu  particulière. 
Seule  agréable  à  Dieu  qui  voit  mon  cœur  affreux. 


OPPORTET    HyERESES    ESSE 


XXIII 

Opportet  hxreses  esse. 
Car  il  faut,  en  effet,  encore, 
Que  notre  foi,  donc,  s'édulcore 
Opportet  hœrescs  esse. 

II  fallait  quelque  humilité, 
Ma  Foi  qui  poses  et  grimaces, 
Afin  que  tu  t'édulcorasses; 
Et  l'hérésiarque  entêté 

T'a  tenté,  ne  nous  dis  pas  non. 
Jusque  vers  les  pires  péchés, 
T'entraînant  du  doute  impur  chex 
Le  Diable  l'ouvrant  son  fanon. 

Or  maintenant,  courage!  assez 
De  larmes  sur  l'erreur  d'un  jour, 
Songe  au  pardon  du  Dieu  d'amour. 
Opportet  hxredcs  esse. 


FINAL 


Tai  fait  ces  vers  qu'un  bien  indigne  pécheur^ 
0  bien  indigne,  après  tant  de  grâces  données, 
Lâchement,  salement,  froidement  piétinées 
Par  mes  pieds  de  pécheur,  de  vil  et  laid  pécheur. 

J'ai  fait  ces  vers.  Seigneur,  à  votre  gloire  encory 
A  votre  gloire  douce  encor  qui  me  tente 
Toujours,  en  attendant  la  formidable  attente 
Ou  de  votre  courroux  ou  de  ta  gloire  encore, 

Jésus,  qui  pus  absoudre  et  bénir  mon  péché. 
Mon  péché  monstrueux,  mon  crime  bien  plutôt  1 
Je  me  rementerais  de  votre  amour,  plutôt. 
Que  de  mon  effrayant  et  vil  et  laid  péché. 

Jésus  qui  sus  bénir  ma  folle  indignité. 
Bénir,  souffrir,  mourir  pour  moi,  ta  créature^ 
Et  dès  avant  le  temps,  choisis  dans  la  nature. 
Créateur,  moi,  ceci,  pourri  d'indignité  I 


LITUR0IB8  INTIMES  395 

Aunsit  Jésus!  avec  un  immense  remords 
Et  plein  de  tels  sanglots!  à  cause  de  mes  fautes 
Je  viens  et  je  reviens  à  toi,  crampes  aux  côtes, 
Les  pieds  pleins  de  cloques  et  les  usages  morts, 

Les  usages?  Du  cœur,  de  la  téta,  de  tout 
Mon  être  on  dirait  cloué  de  paralysie 
Navrant  en  même  temps  ma  pauvre  poésie 
Qui  ne  s'exhale  plus,  mais  qui  reste  debout 

Comme  frappée,  ainsi  le  troupeau  par  l'orage. 
Berger  en  tête,  et  si  fidèle  nonobstant 
Mon  cœur  est  là.  Seigneur,  qui  t'adore  d'autant 
Que  tu  m'aimes  encore  ainsi  parmi  l'orage. 

Mon  cœur  est  un  troupeau  dissipé  par  l'autan 
Mais  qui  se  réunit  quand  le  vrai  Berger  siffle 
Et  que  le  bon  vieux  chien,  Sergent  ou  Remords,  gifle 
D'une  dent  suffisante  et  dure  assez  l'engeance. 

Affreuse  que  je  suis,  troupeau  qui  m'en  allai 
Vers  une  monstrueuse  et  solitaire  voie. 
0,  me  voici,  Seigneur,  ô  votre  sainte  joie! 
Votre  pacage  simple  en  les  prés  où,  j'allai 

Naguère,  et  le  lin  pur  qu'il  faut  et  qu'il  fallut. 
Et  la  contrition,  hélas!  si  nécessaire. 
Et  si  vous  voulez  bien  accepter  ma  misère, 
La  voici!  faites-la,  telle,  hélas!  qu'il  fallut. 


ODES  EN  SON  HONNEUR 


Tu  fus  une  grande  amoureuse 
A  ta  façon,  la  seule  bonne 
Puisqu'elle  est  tienne  et  que  personne 
Plus  que  toi  ne  fut  malheureuse 
Après  la  crise  de  bonheur 
Que  lu  portas  avec  honneur, 

Oui,  tu  fus  comme  une  héroïna, 
Et  maintenant  tu  vis,  statue 
Toujours  belle  sur  la  ruine 
D'un  espoir  qui  se  perpétue 
En  dépit  du  Sort  évident, 
Mais  tu  persistes  cependant. 

Pour  cela,  je  t'aime  et  t'admire 
Encore  mieux  que  je  ne  l'aime 
Peut-être,  et  ce  m'est  un  suprôrao 
Orgueil  d'être  meilleur  ou  pire 
Que  celui  qui  fil  tout  le  mal. 
D'être  à  tes  pieds  tremblant,  féal. 


400  ODES   EN    SON   HONNEUIl 


\]se  de  moi,  je  suis  ta  chose; 

Mon  amour  va,  ton  humble  esclave, 

Prêt  à  tout  ce  que  lui  propose 

Ta  volonté,  dure  ou  suave, 

Prompt  à  jouir,  prompt  à  souffrir, 

Prompt  vers  tout  hormis  pour  mourir! 

Mourir  dans  mon  corps  et  mon  âme, 
Je  le  veux  si  c'est  ton  caprice. 
Quand  il  faudra  que  je  périsse 
Tout  entier,  fais  un  signe,  femme, 
Mais  que  mon  amour  dût  cesser? 
Il  ne  peut  s'éterniser. 

Jette  un  regard  de  complaisance, 
0  femme  forte,  ô  sainte,  ô  reine, 
Sur  ma  fatale  insuffisance 
Sans  doute  à  te  faire  sereine  : 
Toujours  triste  du  temps  fané. 
Du  moins,  souris  au  vieux  damné. 


II 


Laisse  dire  la  calomnie 

Qui  ment,  dément,  nie  et  renie 

Et  la  médisance  bien  pire 

Qui  ne  donne  que  pour  reprendre 

Et  n'emprunte  que  pour  revendre... 

Ah  1  laisse  faire,  laisse  dire  ! 

Faire  et  dire  lâches  et  sottes, 

Faux  gens  de  bien,  feintes  mascottes. 

Langue  d'aspic  et  de  vipère; 

Ils  font  des  gestes  hypocrites. 

Ils  clament,  forts  de  leurs  mérites, 

Un  mal  de  toi  qui  m'exaspère, 

Moi  qui  t'estime  et  te  vénère 
Au-dessus  de  tout  sur  la  terre. 
T'estime  et  vénère,  ma  belle, 
De  l'amour  fou  que  je  le  voue, 
Toi,  bonne  et  sans  par  trop  de  inoùe, 
M'admeltant  au  lit,  ma  fidèle  I 


402  ODES   KN   SON   HONNEUR 


Mais  toi,  méprise  ces  menées, 
Plus  haute  que  tes  destinées, 
Grand  cœur,  glorieuse  martyre. 
Plane  au-dessus  de  tes  rancunes 
Contre  ces  d'aucuns  et  d'aucunes; 
Bah!  laisse  faire  et  laisse  dire! 

Bah!  fais  ce  que  tu  veux,  ma  belle 
Et  bonne,  —  fidèle,  infidèle,  — 
Comme  tu  fis  toute  ta  vie. 
Mais  toujours,  partout,  belle  et  bonne. 
Et  ne  craignant  rien  de  personne, 
Quoi  qu'en  aient  la  haine  et  l'envie. 

Et  puis  tu  m'as,  si  tu  m'accordes 
Un  peu  de  ces  miséricordes 
Qui  siéient  envers  un  birbe  honnête. 
Tu  m'as,  chère,  pour  te  défendre. 
Te  plaire,  si  tu  veux  m'entendre 
Et  voir,  encore  que  laid  et  bête. 


III 


L'écartement  des  bras  m'est  cher,  presque  plus  cher 

Que  l'écartement  autre  : 
Mer  puissante  et  que  belle  et  que  bonne  de  chair, 

Quel  appât  est  la  vôtre! 

O  seins,  mon  grand  orgueil,  mon  immense  bonheur, 

Purs,  blancs,  joie  et  caresse, 
Volupté  pour  mes  yeux  et  mes  mains  et  mon  cœur 

Qui  bat  de  votre  ivresse, 

Aisselles,  fins  cheveux  courts  qu'ondoie  un  parfum 

Capiteux  où  je  plonge, 
Cou  gras  comme  le  miel,  ambré  comme  lui,  qu'un 

Dieu  fit  bien  mieux  qu'en  songe. 

Fraîcheur  enfin  des  bras  endormis  et  rêveurs 

Autour  de  mes  épaules, 
Palpitantes  et  si  doux  d'étreinte  à  mes  ferveurs 

Toutes  à  leurs  grands  rôles, 


404  ODES   EN    SON    HONNEUR 

Que  je  ne  sais  quoi  pleure  en  moi,  peine  et  plaisir. 

Plaisir  fou,  chaste  peine, 
Et  que  je  ne  puis  mieux  assouvir  le  désir 

De  quoi  mon  âme  est  pleine 

Qu'en  des  baisers  plus  langoureux  et  plus  ardents 

Sur  le  glorieux  buste 
Non  sans  un  sentiment  comme  un  peu  triste  dans 

L'extase  comme  auguste  1 

Et  maintenant  vers  l'ombre  blanche  —  et  noire  un  peu, 

L'amour  il  peut  détendre 
Plus  par  en  bas  et  plus  intime  son  fier  jeu 

Dès  lors  naïf  et  tendre  l 


I\ 


La  sainte,  ta  patronne,  est  surtout  vénérée 
Dans  nos  pays  du  Nord  et  toute  la  contrée 
Dont  je  suis  à  demi,  la  Lorraine  et  l'Ardenne. 
Elle  fut  courageuse  et  douce  et  mourut  vierge 
Et  martyre.  Or  il  faut  lui  brûler  un  beau  cierge 
En  ce  jour  de  ta  fête  et  de  quelque  fredaine 
De  plus,  peut-être,  en  son  honneur,  ô  ma  païenne  I 

Tu  n'es  pas  vierge,  hélas!  mais  encore  martyre 
Non  pour  Dieu,  mais  qui  te  plut.  (Qu'ont-ils  à  rire?) 
A  cause  de  ton  cœur  saignant  resté  sublime. 
Courageuse,  tu  l'es,  pauvre  chère  adorée, 
Pour  supporter  tant  de  douleur  démesurée 
Avec  cette  fierté  qui  pare  une  victime. 
Avec  tout  ce  pardon  joyeux  et  longanime. 

Et  douce?  Ah  oui!  malgré  ton  allure  si  vive 
Et  si  forte  et  rude  parfois.  Douce  et  naïve 
Comme  ta  voix  d'enfant  aux  notes  paysannes. 


406  ODES   EN   SON   HONNEUR 

Douce  au  pauvre  et  naïve  envers  tous  et  que  bonne 
Sous  un  dehors  souvent  brutal  qui  vous  étonne, 
Vous,  les  gens,  mais  dont  j'ai  vite  su  les  arcanes  1 
Douce  et  bonne  et  naïve,  âme  exquise  qui  planes 

Au-dessus  de  tout  préjugé  bête  ou  féroce, 
Au-dessus  de  l'hypocrisie  ejt  du  cant  rosse 
Et  du  jargon  menteur  et  de  l'argot  fétide 
Dans  la  région  pure  où  la  haine  s'ignore, 
Où  la  rancune  expire,  où  l'amour  pur  arbore 
Sur  la  blancheur  des  cieux  sa  bannière  candide. 
0  résignation  infiniment  splendide. 

En  ce  jour  de  ta  fête  et  malgré  nos  frivoles 
Préoccupations  moins  coupables  que  folles 
De  baisers  redoublés  pour  le  cas,  et  l'antienne 
Plus  gentille  encor  qu'excessive  des  mots  lestes, 
Recueillons-nous  pourtant,  pensons  aux  fins  célestes 
Afin  qu'après  ma  mort  ou,  las  !  après  la  tienne, 
Le  survivant  pour  l'absent  prie,  ô  ma  chrétienne  1 


«  Quand  je  cause  avec  toi  paisiblement, 
Ce  m*est  vraiment  charmant,  tu  causes  si  paisiblement  ! 

Quand  je  dispute  et  te  fais  des  reproches, 
Tu  disputes,  c'est  drôle,  et  me  fais  aussi  des  reproches. 

S'il  m'arrive,  hélas  !  d'un  peu  te  tromper, 
0  misère  !  tu  cours  la  ville  afin  de  me  tromper. 

Et  si  je  suis  depuis  des  temps  fidèle, 
Tu  me  restes,  durant  juste  tous  ces  temps-là,  fidèle. 

Suis-je  heureux,  tu  te  montres  plus  heureuse 
Encore,  et  je  suis  plus  heureux,  d'enfin!  te  voir  heureuse. 

Pleuré-je,  tu  pleures  à  mon  côté. 
Suis-je  pressant,  tu  viens  bien  gentiment  de  mon  côté. 


40S  ODES   EN   SON   HONNEUR 

v}uand  je  me  ptlme,  lors  tu  te  pâmes. 
Et  je  me  pâme  plus  de  sentir  qu'aussi  tu  te  pâmes. 

Ah  !  dis  quand  je  mourrai,  mourras-tu,  toi  ?  » 
Elle  :  «  Comme  je  t'aimais  mieux,  je  mourrai  plus  que  toi.  » 

...  Et  je  me  réveillai  de  ce  colloque 
Hélas  !  C'était  un  rêve  (un  rêve  ou  bien  quoi?)  ce  colloque. 


VI 


Hais  après  les  merveilles 
Qui  n'ont  pas  de  pareilles 
De  l'épaule  et  du  sein, 
Faut  sur  un  autre  mode 
Dresser  une  belle  ode 
Au  glorieux  bassin. 

Faut  célébrer  la  blanche 
Souplesse  de  la  hanche 
Et  sa  mate  largeur, 
Dire  le  ventre  opime 
Et  sa  courbe  sublime 
Vers  le  sexe  mangeur 

Que  chastement,  encore 
Que  joliment,  décore 
Et  défend  juste  assez 
L'ombre  qui  sied  aux  choses 
Divines,  peu  moroses 
Rideaux  drûment  tressés. 


410  ODES   EN    SON   HONNEUR 


Teutatès  adorable, 
Saturne  plus  aimable, 
Anthropophage  cher 
Qui  veut  aux  sacrifices 
Non  le  sang  des  génisses 
Mais  le  lait  de  ma  chair. 

Nous  chanterons  ensuite 
L'aine  blonde  et  sa  fuite 
Ambrée  au  sein  du  Saint... 
Mais  déposons  la  lyre. 
Livrons-nous  au  délire 
Raisonnable  et  succinct? 

Non  !  fou,  braque,  orgiaque. 
En  apache, en  canaque 
Ivre  de  tafia  : 

Nous  ne  sommes  pas  l'homme 
Pour  la  docte  Sodome 
Quand  la  Femme  il  y  a. 


VII 


Fifl  s'est  réveillé.  Dès  l'aube  tu  m'as  dit 

Bonjour  en  deux  baisers,  et  le  pauvre  petit 

Pépia,  puis  remit  sa  tête  sous  son  aile 

Et  lut  pour  le  moment  sa  génie  ritournelle. 

Ici  je  te  rendis  pour  les  tiens  un  baiser 

Multiforme,  ubiquiste  et  qui  fut  se  poser 

De  la  plante  des  pieds  au  bout  des  cheveux  sombres 

Avec  des  stations  aux  lieux  d'éclairs  et  d'ombres, 

Un  jeu  (car  tu  riais)  ridiculement  doux, 

Çt,  brusque,  entre  les  tiens  je  poussai  mes  genoux, 


Tôt  redressé  sur  eux  et,  penché  vers  ta  bouche, 
Fus  brutal  sans  que  tu  te  montrasses  farouche, 
Car  tu  remerciais  dans  un  regard  mouillé 
C'est  alors  que  Fifi,  tout  à  fait  réveillé, 


412  ODES   EN   SON   HONNEUR 

Le  mignon  compagnon!  comparable  aux  bons  drilles 
ûue  le  bonheur  d'autrui  ne  fait  pas  envieux, 
Salua  mon  triomphe  en  des  salves  de  trille^s 
Que  tout  soi^^etit  cœur  semblait  lancer  aux  cieux. 

Il  sautillait,  fîérot,  comme  un  gars  qui  se  cambre, 
Acclamant  un  vainqueur  justement  renommé, 
Et  l'aurore  éclatant  aux  carreaux  de  la  chambre 
Attestait  sans  mentir  que  nous  avions  aimé. 


VIII 


Cuisses  grosses  mais  fuselées. 
Tendres  et  fermes  par  dessous, 
Dessus  d'un  dur  qui  serait  doux, 
Musculeuses  et  potelées, 

Cuisses  si  bonnes  tant  baisées 
Devers  leur  naissance  et  par  là. 
Blanches  plus  que  rose-thé,  la 
Meilleure  part  de  mes  pensées, 

Genoux,  petites  têtes  d'anges 
Bouffis  dans  leur  juste  maigreur, 
Mollets  bondis  qui  font  fureur 
En  des  bas  clairs  craignant  les  fanges. 

Pieds  dressés  pour  te  hausser  jusque 

A  ma  taille  pour  t'embrasser, 

Moi,  t'enlever  et  te  placer 

Sur  le  lit,  pieds  très  beaux  que  busqué 


414  ODES    EN   SO.N    HONNEUH 

La  cheville  de  mol  ivoire 
Et  que  parfume  leur  fraîcheur  ; 
Doigts  délicats,  frêle  rougeur 
Doucement  fauve  au  talon,  voire 

Assez  forte  peau  pour  la  marche. 
Mais  quoi!  faut-il  pas  au  cher  corps 
Base  solide  et  soutiens  forts, 
Au  cher  corps  qui  garde  mon  Arche, 

L'arche  de  crainte  et  de  blandices 
Où  j'entre,  tous  torts  révolus, 
Comme  on  monterait  au  ciel.  Pieds 
Divins,  genoux  fins,  bonnes  cuisses! 


IX 


Tu  fus  souvent  cruelle, 
Même  injuste  parfois, 
Mais  que  fait,  ô  ma  belle, 
Puisqu'en  toi  seule  crois 

Et  puisque  suis  ta  chose. 

Que  tu  me  trompes  avec  Pierre, 
Louis,  et  cœtera  punctum, 
Je  sais,  mais,  là  !  n'en  ai  que  faire  : 
Ne  suis  que  l'humble  factotum 

De  ton  humeur  gaie  ou  morose. 

S'il  arrive  que  tu  me  battes, 
Soufflettes,  égratignes,  tu 
Es  le  maître  dans  nos  pénates, 
Et  moi  le  cocu,  le  battu, 

Suis  content  et  vois  tout  en  rose. 


416 


ODES   EN   SON   DONNEUR 


Et  puis  dame  j'opine 
Qu'à  me  voir  ainsi  si 
Tien,  finiras,  divine 
Par  m'aimoter  ainsi 

Qu'on  s'attache  à  sa  chose. 


Et  maintenant,  aux  Fesses  I 
Je  veux  que  tu  confesses, 
Muse,  ces  miens  trésors 
Pour  quels  —  et  tu  t'y  fies  — 
Je  donnerais  cent  vies 
Et,  riche,  tous  mes  ors 
Avec  un  tas  d'encors. 

Mais  avant  la  cantate 
Que  mes  âme  et  prostate 
Et  mon  sang  en  arrêt 
Vont  dire  à  la  louange 
De  son  cher  Cul  que  l'ange., 
0  déchu!  saluerait, 
Puis  il  l'adorerait, 

Posons  de  lentes  lèvres 
Sur  les  délices  mièvres 
lU  27 


418  ODES   EN   SON  HONNEUR 

Du  dessous  des  genoux, 
Souple  papier  de  Chine, 
Fins  tendons,  ligne  fine 
Des  veines  sans  nul  pouls 
Sensible,  il  est  si  doux  1 

Et  maintenant,  aux  Fesses  I 
Déesses  de  déesses, 
Chair  de  chair,  beau  de  beau. 
Seul  beau  qui  nous  pénètre 
Avec  les  seins,  peut-être. 
D'émoi  toujours  nouveau, 
Pulpe  dive,  aime  peau  ! 

Elles  sont  presques  ovales, 
Presque  rondes.  Opales, 
Ambres,  roses  (très  peu) 
S'y  fondent,  s'y  confondent 
En  blanc  mat  que  répondent 
Les  noirs,  roses  par  jeu, 
De  la  raie  au  milieu. 

Déesses  de  déesses! 
Du  repos  en  liesses, 
De  la  calme  gaîté, 
De  malines  fossettes 
Ainsi  que  des  risettes, 


00B9  BN  SON  UONNBUR  419 

Quelque  perversité 
Dans  que  de  majesté...  1 

Et  quand  Theure  est  sonnée 

D'unir  ma  destinée 

A  Son  Destin  fôté, 

Je  puis  aller  sans  crainte 

Et  bien  tenter  l'étreinte 

Devers  l'autre  côté  : 

Leur  concours  m'est  prêté. 

Je  me  dresse  et  je  presse 
Et  l'une  et  l'autre  fesse 
Dans  mes  heureuses  mains. 
Toute  leur  ardeur  donne, 
Leur  vigueur  est  la  bonne 
Pour  aider  aux  hymens 
Des  soirs  aux  lendemains... 

Ce  sont  les  reins  ensuite, 
Amples,  nerveux  qu'invito 
L'amour  aux  seuls  élans 
Ou'il  faille  dans  ce  mondei^ 
C'est  le  dos  gras  et  monde, 
Satin  tiède,  éclairs  blancs. 
Ondulements  troublants. 


420  ODES   EN   SON   HONNEUR 

Et  c'est  enfin  la  nuque 
Qu'il  faudrait  être  eunuque 
Pour  n'avoir  de  frissons, 
La  nuque  damnatrice, 
Folle  dominatrice 
Aux  frisons  polissons 
Que  nous  reconnaissons. 

0  nuque  proxénète, 
Vaguement  déshonnête 
Et  chaste  vaguement, 
Frisons,  joli  symbole 
Des  voiles  de  l'Idole 
De  ce  temple  charmant, 
Frisons  chers  doublement  I 


XI 


Riche  ventre  qui  n'a  jamais  porté, 

Seins  opulents  qui  n'ont  pas  allaité, 

Bras  frais  et  gras,  purs  de  tout  soin  servile. 

Beau  cou  qui  n'a  plié  que  sous  le  poids 
De  lents  baisers  à  tous  les  chers  endroits, 
Menton  où  la  paresse  se  profile, 

Bouche  éclatante  et  rouge  d'où  jamais 
Rien  n'est  sorti  que  propos  que  j'aimais, 
Oiseux  et  gais  —  et  quel  nid  de  délices  ! 

Nez  retroussé  quêtant  les  seuls  parfums 

De  la  santé  robuste,  yeux  plus  que  bruns 

Et  moins  que  noirs,  indulgemment  complices. 

Front  peu  penseur  mais  pour  cela  bien  mieux, 
Longs  cheveux  noirs  dont  le  grand  flot  soyeux, 
Jusques  aux  reins  lourdement  se  hasarde, 


422  ODES   EN    SON   HONNEUR 

^"îroupe  superbe  éprise  de  loisir 

Sauf  aux  travaux  du  suprême  plaisir, 

Aux  gais  combats  dont  c'est  l'arrière-garde, 

Jambes  enfin,  vaillantes  seulement 
Dans  le  plaisant  déduit  au  bon  moment 
Serrant  mon  buste  et  ballant  vers  la  nue, 

Puis,  au  repos,  —  cuisses,  genoux,  mollet,  — 
Fleurant  comme  ambre  et  blanches  comme  lait 
—  Tel  le  pastel  d'après  ma  femme  nue. 


Xll 


Mais  Sa  tôle,  Sa  tête  ! 
Folle,  unique  tempôte 
D'injustice  indignée, 
De  mensonge  en  furie, 
Visions  de  tuerie 
Et  de  vengeance  ignée. 

Puis  exquise  bonace, 
Du  soleil  plein  l'espace. 
Colombe  sur  l'abîme, 
Toute  bonne  pensée 
Caressée  et  bercée 
Pour  un  réveil  sublime. 

Force  de  la  nature 
Magnifiquement  dure 
Et  si  douce,  Sa  tête. 
Adoré  phénomène 
0  de  ma  Philomène 
La  tête,  seule  fêtel 


424  ODES   EN   SON   HONNEUR 

Et  voyez  quelle  est  bell 

Cette  tête  rebelle 

A  la  littérature 

Comme  à  l'art  de  la  brosse 

Et  du  ciseau  féroce, 

Voyez,  race  futui'e  1 

Car  je  veux  dire  aux  Anges 
Ce  plus  cher  des  visages, 
Cheveux  noirs  comme  Tombi 
Où  passerait  une  onde 
Pure,  froide,  profonde, 
Sous  un  ciel  bas  et  sombre, 

Petit  front  d'Immortelle 
Plissé  dans  la  querelle, 
Nez  mignard  qu'ironise 
Un  bout  clair  qui  s'envole, 
Bouche  d'où  Sa  parole 
Part,  précise  et  consise 

Mais  sorcière  sans  cesse, 
Qui  blesse  et  qui  caressa 
Mon  ûme  obéissante, 
Soumise,  adulatrice, 
0  voix  dominatrice, 
0  voix  toute-puissante...! 


0DK8  BN  SON   HONNEUR  iZj 

Et  6  sur  cetlo  bouche 
Plus  Apro  que  farouche, 
Plus  faroucljo  que  tendre, 
Plus  tendre  qu'ordinaire. 
Prince  au  fond  débonnaire, 
Le  Baiser  semble  attendre, 

Et  tout  cela  qu'éclaire 
Le  regard  circulaire 
De  deux  yeux  de  braise, 
Bruns  avec  de  la  flamme, 
Sournois  avec  de  l'àme 
Et  du  cœur,  n'en  déplaise 

A  nos  jaloux,  ma  reine, 

Ma  noble  souveraine 

Qui  me  lient  danstes  geôles, 

0  tête  belle  et  bonne 

Et  mauvaise  —  et  couronne 

Du  trône,  tes  Épaules, 


XIII 


Nos  repas  sont  charmants  encore  que  modestes, 
Grâce  à  ton  art  profond  d'accommoder  les  restes 
Du  rôti  d'hier  ou  de  ce  récent  pot-au-feu 
En  hachis  et  ragoûts  comme  on  n'en  trouve  pas  chez  Dieu. 

Le  vin  n'a  pas  ce  nom,  car  à  quoi  sert  la  gloire? 

Et  puisqu'il  est  tiré,  ne  faut-il  pas  le  boire  ? 

Pour  le  pain,  comme  on  n'en  a  pas  toujours  mangé, 

Qu'il  nous  semble  excellent  me  semble  un  fait  archijugé. 

Le  légume  est  pour  presque  rien,  et  le  fromage  : 
Nous  en  usons  en  rois  dont  ce  serait  l'usage. 
Quant  aux  fruits,  leur  primeur  ça  nous  est  bien  égal, 
Pourvu  qu'il  y  en  ait  dans  ce  festin  vraiment  frugal. 

Mais  le  triomphe,  au  moins  pour  moi,  c'est  la  salade  : 
Comme  elle  en  prend  !  sans  jamais  se  sentir  malade, 
Plus  forte  en  cela  que  défunt  Tragaldabas, 
Et  j'en  bâfre  de  cœur  tant  elle  est  belle  en  ces  ébats, 


ODBS  IN  SON  BONNEUH  497 


Et  le  caré,  qui  pour  ma  port  fort  m'indiffère, 
Ce  qu'elle  Taime,  mes  bons  amis,  quelle  affaire  ! 
Je  m'en  amuse  et  j'en  jouis  pour  elle,  vrai  I 
Et  puis  je  sais  si  bien  que  la  nuit  j'en  profiterai. 

Je  sais  si  bien  que  le  sommeil  fuira  sa  lèvre 

Et  ses  yeux  allumés  encor  d'un  brin  de  fièvre 

Par  la  goutte  de  rhum  bue  en  trinquant  gaîment 

Avec  moi,  présage  gentil  d'un  choc  bien  plus  charmant. 


XIV 


Nous  sommes  bien  faits  l'un  pour  l'autre; 

Pourtant  quand  tu  me  rencontreras 

Menant  mes  derniers  embarras 

D'homme  grave  et  de  bon  apôtre, 
\Ruine  encore  de  chrétien, 
\Philosophe  déjà  païen, 

Lourd  de  doctrine  et  de  scrupule, 
(Le  tout  un  peu  décomposé) 
Mais  au  fond  très  bien  disposé 
Pour  la  popine  et  la  crapule. 
En  un  mot,  sot  entre  les  sots 
De  cette  sorte  de  puceaux, 

T'eus  quelque  mal  à  la  conquête, 
—  Et  par  ce  mot  que  j'ai  voulu 
J'entends  ton  triomphe  absolu,  — 
Sinon  de  mon  cœur,  de  ma  tête; 
Je  ne  parle  pas  de  mon  corps 
Vaincu  dès  les  primes  abords. 


00B8  EN  SON  HONNEUR  420 


Mais  comme  nous  sympathisûmes 
Dès  nos  esprits  mis  en  rapport 
Et  dès  lors  quel  parfait  accord 
Entre  ces  luronnes,  nos  dmea, 
Ces  luronnes  et  nos  lurons 
D'esprits  tout  carrés  et  tout  ronds! 

Toi  simple  encor,  que  compliquée, 
Et  moi  naïf  aux  cents  replis, 
Notre  expérience  des  lits 
Et  noire  ignorance  marquée 
En  fait  de  sentiment  subtil, 
Tout  ce  nous  rendait  que  gentil 

L'un  à  l'autre  !  en  dépit,  par  crises, 
De  colères  bien  vite  au  trot. 
D'humeurs  noires,  roses  bientôt, 
Et,  mon  Dieu,  d'un  tas  de  sottises 
Qu'on  réparait,  pour  r'apaiser 
Madame  et  Monsieur,  d'un  baiser  1 

C'est  de  persévérer,  petite  I 
C'est,  chère,  de  continuer, 
Quittes  à  parfois  nous  tuer 
Pour  nous  ressusciter  ensuite. 
C'est  de  rester  à  deux,  vraiment. 
Bon  cœur  et  mauvais  garnement. 


XV 


Quand  tu  me  racontes  les  frasques 
De  ta  chienne  de  vie  aussi, 
Mes  pleurs  tombent  gros,  lourds,  ainsi 
Que  des  fontaines  dans  des  vasques, 
Et  mes  longs  soupirs  condolents 
Se  mêlent  à  tes  récits  lents. 

Tu  me  dis  tes  amours  premières  : 
Fille  des  champs  avec  des  gars, 
Puis  fille  en  ville  aux  fols  écarts 
Et  les  trahisons  coutumières 
Et  mutuelles  sans  remord 
Des  deux  parts  et  comme  d'accord. 

Tout  d'un  coup  un  caprice  vite 
Mûri,  par  l'us,  en  passion 
Sauvage,  tel  l'humble  scion 
Grandissant  en  palme  subite 


ODKS  BN  SON  iiONNBDR  431 

Qu'agiterait  dans  quchpie  vert 
Paysage  un  vent  du  désert. 

Fidèle,  toi,  l'autre,  infidèle. 
Toi  douloureuse,  Idche,  enfin 
Furieuse,  soûle  du  vin 
Du  vice,  essorant  d'un  coup  d'aile 
Ton  cœur  comme  un  aigle  blessé, 
Mais  sans  pouvoir  fuir  le  passé... 

Je  t'écoute,  et  ma  pitié  toute. 
Toute  mon  admiration, 
Une  indicible  afTection, 
Sinon  celle  d'un  pur  amour 
Te  vont  de  moi  par  quelle  route 
Qui  souffrirait,  chère,  à  son  tour, 

Qui  souffrira,  j'en  ai  la  crainte. 
Qui  souffre  déjà,  tu  le  sais, 
Toi  parfois  mauvaise  à  l'excès. 
Charmante  aussi  comme  une  sainte 
Envers  ce  moi,  bon  vieil  amant, 
Le  dernier,  hein,  probablement? 


XVI 


Je  ne  suis  pas  jaloux  de  ton  passé,  chérie, 
Et  même  je  t'en  aime  et  t'en  admire  mieux. 
11  montre  ton  grand  cœur  et  la  gloire  inflétrie 
D'un  amour  tendre  et  fort  autant  qu'impétueux. 

Car  tu  n'eus  peur  ni  de  la  mort  ni  de  la  vie, 
Et,  jusqu'à  cet  automne  fler  répercuté 
Vers  les  jours  orageux  de  ta  prime  beauté, 
Ton  beau  sanglot,  honneur  sublime,  t'a  suivie. 

Ton  beau  sanglot  que  ton  beau  rire  condolait 
Comme  un  frère  plus  mâle,  et  ces  deux  bons  génies 
T'ont  sacrée  à  mes  yeux  de  vertus  infinies 
Dont  mon  amour  à  moi,  tout  fier,  se  prévalait 

Et  se  targue  pour  t'adorer  au  sens  mystique  : 
Consolations,  vœux,  respects,  en  même  temps 
Qu'humbles  caresses  et  qu'hommages  ex-votants 
De  ma  chair  à  ce  corps  vaillant,  temple  héroïque 


ODES  EN  SON   IIONNEUA  t.T7 

OÙ  tant  de  passions  comme  en  un  Panthéon, 
Rancœurs,  pardons,  fureurs  et  la  sainte  luxure 
Tinrent  leur  culte,  respectant  la  forme  pure 
Et  le  galbe  puissant  profanés  par  Phaon. 

Pense  à  Phaon  pour  Toublier  dans  mon  étreinte 
Plus  douce  et  plus  fidèle,  amant  d*après-midi, 
D'extrême  après-midi,  mais  non  pas  attiédi 
Que  me  voici,  tout  plein  d'extases  et  de  crainte. 

Va,  je  t'aime...  mieux  que  l'autre  :  il  faut  l'oublier, 
Toi,  souris-moi  du  moins  entre  deux  confidences, 
Amazone  blessée  es  belles  imprudences 
Qui  se  réveille  au  sein  d'un  vieux  brave  écuyer. 


XVII 


«  Tu  m'ostinesl  »  —  «  Et  je  t'emmène 
A  la  campagne.  »  Ainsi  parlaient 
Deux  amoureux  dont  s'éperlaient 
Plus  d'un  encor  propos  amène. 

Je  crains  fort  que  ces  amoureux 
N'aient  été  nous  l'autre  semaine 
Nous  répondant,  Tyrcis,  Climène, 
Hélas  1  en  mots  trop  savoureux. 

Mais  puisqu'il  en  est  temps  encore, 
Puisqu'il  en  est  encore  temps, 
Ne  soyons  donc  plus  mécontents, 
Au  contraire,  et  que  s'édulcore 

Notre  courroux,  pourtant  grondant 
Un  petit  peu,  mais  pour  la  forme, 
En  un  orage  horrible,  énorme, 
De  gros  baisers  se  répondant. 


ODBl  IN  SON  UONNEUR  435 


0  ma  duro  et  bonne  compagne, 
Asset,  dis,  de  malentendus, 
Et  si  tu  veux  —  car  je  le  dus  — 
Or,  je  t'emmène  à  la  campagne. 


XVIII 


0  toi  triomphante  sur  deux 
«  Rivales  »  (pour  dire  en  haut  style). 
Tu  fus  ironique,  —  elles...  feues  — 
Et  n'employas  d'effort  subtil 
Que  .juste  assez  pour  que  tu  fus  — 
Ses  encor  mieux,  grâce  à  cet  us 

Qu'as  de  me  plaire  sans  complaire 
Plus  qu'il  ne  faut  à  mes  caprices. 
Or  je  te  viens  jouer  un  air 
Tout  parfumé  d'ambre  et  d'iris, 
Bien  qu'ayant  en  horreur  tripli^e 
Tout  parfum  hostile  ou  complice, 

Sauf  la  seule  odeur  de  toi,  frais 
Et  chaud  effluve,  vent  de  mer 
Et  vent,  sous  le  soleil,  de  prées 
Non  sans  quelque  saveur  amère 
Pour  saler  et  poivrer  ainsi 
Qu'il  est  urgent,  mon  cœur  transi. 


0DK8  IN  SON  BONNBU>  437 

Mon  cœur,  mnis  non  pas  ma  bravoure 
En  fait  d'amour  1  Tu  ressuscite- 
Rais  un  défunt,  le  bandant  pour 
Le  déduit  dont  Vénus  dit  :  SitI 
Oui,  mon  cœur  encore  ilpantèle 
Du  combat  court,  mais  de  peur  telle  1 

Peur  de  te  perdre  si  le  sort 
Des  armes  eût  trahi  tes  coups. 
Peur  encor  de  toi,  peur  encore 
De  tant  de  boudes  et  de  moues. 
Quant  aux  deux  autres,  6  là  làl 
Guère  n'y  pensais,  t'étais  là. 

Iris,  ambre,  ainsi  j'annonçai 

—  Ma  mémoire  est  bonne  —  ces  vers 

A  ta  victoire  fière  et  gaie 

Sur  tes  rivales  somnifères. 

Mais  que  n'ont-ils  le  don  si  cher, 

Si  pur?  Fleurer  comme  ta  chair! 


XIX 


Ils  me  disent  que  tu  me  trompes. 
D'abord,  qu'est-ce  que  ça  leur  fait? 
Chère  frivole,  que  tu  rompes 
Un  serment  que  tu  n'as  pas  fait? 

Ils  me  disent  que  t'es  méchante 
Envers  moi,  —  moi,  qui  suis  si  boni 
Toi  méchante  !  Qu'un  autre  chante 
Ce  refrain  très  loin  d'être  bon 

Méchante,  toi  qui  toujours  m'offres 
Un  sourire  amusant  toujours, 
Toi,  ma  reine,  qui  de  tes  coffres 
Me  puise  des  trésors  toujours. 

Ils  me  disent  et  croient  bien  dire, 
0  toi  que  tu  ne  m'aimes  pas? 
Que  m'importe,  j'ai  ton  sourire, 
Et  puis  tu  ne  m'aimerais  pas? 


ODES  t:i  SON  UONNKUB  439 

Tu  no  m*aimcs?  Et  la  grdce 

Et  la  Torce  de  ta  beauté. 

Tu  me  les  donnes,  gronde  et  grasse 

Et  voluptueuse  beauté. 

Tu  ne  m'aimes  pas?  Et  quand  même 
Ce  serait  vrai,  qu'est-ce  que  fait? 
M  Si  tu  ne  m'aimes  pas,  je  t'aime.  » 
—  Mais  tu  m'aimes,  dis,  par  le  fait. 


TABLE 


AMOUR 

Pri^rb   do  MATm 3 

Ecrit  en  1875 8 

Uncontb 12 

bournbmouth 16 

Thbrb • 19 

Un  CRUCIFIX 21 

Balladb 23 

Sur  rm  rbliquairb  qu'on  lui  avait  dérobé 23 

A  MaDAUB   X...  EN   LUI   ENVOTART   UNE   PENSiB 28 

Un  veuf  PARLE  30 

Il  PARLE  ENCORE 32 

Ballade 35 

Adieu 37 

Ballade  en  l'honneur  db  Louise  Michel 39 

A  Louis  II  DE  Bavière 41 

Pausifal 42 


*42  TABLE 

Saint  Graal. 43 

Gais  et  contents 45 

A  Fernand  Langlois 47 

Délicatesse 49 

Angélus  de  midi 50 

A  Léon  Valade 53 

A  Ernest  Delahaye 54 

A  Emile  Blémont 55 

A  Charles  de  Sivry 56 

A  Emmanuel  Charrier 57 

A  Edmond  Thomas 58 

A  Charles  Morice 59 

A  Maurice  du  Plessys CO 

A  PROPOS  d'un  «  centenaire  »  DE  Cai.iiihon 61 

A  ViTCOR  Hugo 03 

Saint  Benoît-Joseph  Labre G4 

Paraboles 03 

Sonnet  héroïque 06 

Drapeau  vrai 67 

Pensée  du  soir 68 

Paysages 70 

Lucien  Létinois 73 

Bationolles 120 

A  Georges  Verlaine 121 

BONHEUR 

I.            L'incroyable,  l'unique  horreur  de  pardonner  .   .  125 

IL          La  vie  est  bien  sévère 126 


TADLK 


443 


III.  Apr^B  la  chose  faite,  après  lo  coup  porté.  ...  128 

IV.  Do  plus,  colto  ignorance  (le  Vous  ! 130 

V.  L'adultère,  celui  (lu  moins  codifia 132 

VI.  i'uis,  déjà  très  anciens l.'Ji 

Vil.         iMiiintcnant,  au  gouffre  du  IJonheur! 13G 

VI II.  L'homme    pauvre  du  cœur    est-il  si   rare,   en 

somme 138 

IX.  Don  pnuvrc,  ton  vAtcmcnt  est  léger 141 

X.  Le  c    sort  »   Tantasquc  qui  me  g&te  &  sa  raa- 

nif-re 145 

XI.  Prêtres  de  Jésus-Christ,  la  vérité  vous  garde  .   .  148 

XII.  Guerrière,  militaire  et  virile  en  tout  point  .  .  .  1.j2 

XIII.  Un  projet  de  mon  âge  mûr 155 

XIV.  Sois  de  bronze  et  de  marbre  et  surtout  sois  de 

choir l.';9 

XV.  Mon  ami,  ma  plus  belle  amitié,  ma  meilleure.   .  161 

XVI.  Seigneur,  vous  m'avez  laissé  vivre 166 

XVII.  Rompons  !  Ce  que  j'ai  dit,  je   ne  le   reprends 

pas 171 

XVIII.  J'ai  dit  à  l'esprit  vain,  &  TostentatioD 172 

XIX.  La  neige  à  travers  la  brume 177 

XX.  Je  voudrais,  si  ma  vie  était  encore  à  faire.   .   .   .  179 

XXI.  0 1  j'ai  froid  d'un  froid  de  glace 182 

XXII.  Un  scrupule  qui  m'a  l'air  sot  comme  un  péché.  185 

XXIII.  Après  le  départ  des  cloches 188 

XXIV.  L'ennui    de    vivre  avec   le  monde  et  dans  les 

choses 190 

XXV.  Vous    m'avez     demandé     quelques     vers     sur 

«  Amour  » 194 

XXVI.  Ces  vers  durent  être  faits 195 

XXVII.  Or    tu   n'es    pas    vaincu,   sinon    par    le    Sei- 

gneur   197 

XXVMl.  Les  plus  belles  voix 198 

XXIX.  L'autel  bas  s'orne  de  hautes  mauves 201 

XXX.  L'amour  de  la  Patrie  est  le  premier  amour.   .  .  203 

XXXI.  Immédiatement  après  le  salut  somptueux.  .  .  209 


444 


XXXII.  La  cathttdrale  est  majestueuse 210 

XXXIII.  Voix  de  Gabriel 212 


PARALLÈLEMENT 

Dédicace 217 

Allégorie 219 

Les  amies 220 

I.  Sur  le  balcon 220 

II.  Pensionnaires 221 

III.  Per  arnica  silentia 222 

IV.  Printemps 223 

V.  Été 224 

VI.  Saplio 225 

Filles 226 

I.  A  la  princesse  Roukine 226 

II.  Séguidiile 228 

III.  Casta  Piana 230 

IV.  Auburn 232 

V.  A  Mademoiselle  *** 234 

VI.  A  Madame  *** 236 

Référence  parler 238 

I.       Prologue  d'un  livre  dont  il  ne  paraîtra  que   les 

extraits  ci-après 238 

H.      Impression  fausse 240 

m.    Autre 242 

IV.  Réversibilités 244 

V.  Tantalized 246 

VI.  Invraisemblable  mais  vrai 247 

VII.  Le  dernier  dizain 248 

Lunes 240 

I.       Je  veux,  pour  te  tuer,  ô  temps  qui  me  dévastes.  249 

H.     4  la  manière  de  Paul  Verlaine 250 

III.    Explication 252 


TABLE  445 

IV.  Aulro  explication 2S4 

V.  Llmbei 256 

VI.  Lombes 258 

La  dkr.mèrb  pétr  oalantb 260 

Poème  saturki.'v 261 

L'imprudent 263 

L'impénitent 264 

SCR    UNE  STATUE  DE  GanTMÈDE 268 

Prologue  supprimé  a  un  livre  «  d'invectives  » 269 

Le  sonnet  de  l'homme  au  sable 273 

Gcitaue 274 

Ballade  delà  vie  en  rouoe 276 

Mains 278 

Les  morts  que  l'on  fait  saioner 281 

Nouvelles  varutions  sur  le  point  du  jour  .   • 283 

Pierrot  oamin 285 

Ces  passions   qu'eux  seuls  NOMMENT  encore  AMOURS.    .    .    .  287 

Ljîti  et  errabukdi 289 

Ballade  de  la  maivaisb  réputation 294 

Caprice 296 

Ballade  Sappiio 298 

CHANSONS  POUR  ELLE 

I.            Tu  n'es  pas  du  tout  vertueuse 303 

H.           Compagne  savoureuse  et  bonne 305 

III.  Voulant  te  fuir 308 

IV.  Or,  malgré  ta  cruauté 310 

V.  Jusques  aux  pervers  noncbaloirs 312 

VI.  La  saison  qui  s'avance 314 

VII.  Je  suis  plus  pauvre  que  jamais 315 


446 


VIII.  Que  ton  âme  soit  blanche  ou  noire 317 

IX.  Tu  m'as  frappé,  c'est  ridicule 319 

X.  L'horrible  nuit  d'insomnie  ! 321 

XI.  Vrai,  nous  avons  trop  d'esprit 322 

XII.  Tu    bois,    c'est  hideux  !    presque    autant    que 

moi 324 

Xïll.       Es-tu  brime  ou  blonde? 326 

XIV.  Je  ne  t'aime  pas  en  toilette 327 

XV.  Chemise  de  femme,  armure  ad  hoc 328 

XVI.  L'été  ne  fut  pas  adorable 330 

XVII.  Je  ne  suis  plus  de  ces  esprits  philosophiques.   .  331 

XVIII.  Si  tu  le  veux  bien,  divine  Ignorante 333 

XIX.  Ton  rire  éclaire  mon  vieux  cœur 335 

XX.  Tu  crois  au  marc  de  café 337 

XXI.  Lorsque  tu  cherches  tes  puces 338 

XXII.  J'ai  rêvé  de  toi  cette  nuit 340 

XXIII.  Je  n'ai  pas  de  chance  en  femme 341 

XXIV.  Bien  qu'elle  soit  ta  meilleure  amie 343 

XXV.  Je  fus  mystique  et  je  ne  le  suis  plus 343 


LITURGIES  INTIMES 

A  Charles  Baudelaire 349 

Asperges  me 3o0 

AvENT 332 

Noël 334 

Saints  innocents 336 

Circoncision 358 

Rois ...  360 

Kyrie  Eleison 302 

Gloria  ix  excelsis oG4 

Credo 3G6 


TABLE  447 

ASCKNSIOX 368 

VeRI  8ANCTR 370 

Juin 372 

Sanctcs 374 

Immaculâr  conckption 375 

Dévotions 377 

Ao:«is  Dbi 379 

TOLSSAWT 380 

In  initio 382 

V^.rnES  ni'STiQUEs 38i 

CuilPLIES    RH    VILLE 337 

Prudence 398 

Pénitence 301 

OpPORTET  H£RBSES  ESSE 393 

Final 394 

ODES  EN  SON  HONNEUR 

I.  Tu  fus  une  grande  amoureuse .•  •  •  •  399 

II.  Laisse  dire  la  calomnie 401 

III.  L'écartement  des  bras 403 

IV.  La  Sainte  ta  patronne 405 

V.  Quand  je  cause  avec  toi 407 

VI.  Mais   après  les  merveilles 409 

VII.  Fifi  s'est  réveillé 411 

VIII.  Cuisses  grosses  mais  fuselées 413 

IX.  Tu  fus  souvent  cruelle 413 

X.  Et  maintenant  aux  Fesses! 417 

Xi.  Riche  ventre 4i'l 

XII.  Mais  Sa  tête,  Sa  tête 423 

XIII.  Nos  repas  sont  charmants 426 


448  TABLE 

Xiy.       Nous  sommes  bien  faits 428 

XV.        Quand  tu  me  racontes  les  frasques 430 

XVf.       Je  ne  suis  pas  jaloux 432 

XVII.  «  Tu  m'ostines !» 434 

XVIII.  0  toi  triomphante 436 

XIX.  Ils   me  disent  que  tu  me  trompes 438 


Imprimerie  BUSSIÈRE.  —  Saint-Amand  (Cher) 


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