/ ^
ŒUVRES COMPLÈTES
DE
PAUL VERLAINE
y;vd.l
GiUVRES COMPLETES
DB
PAUL VERLAINE
AMOUR — BONHEUR — PARALLÈLEMENT)
CHANSONS POUR ELLE
LITURGIES INTIMES — ODES EN SON HONNEUR
TOME DEUXIÈME
Deuxiime Edition
PARIS
LIBRAIRIE LEON VANIER, EDITEUR
A. MESSEIN, Sucer
19, Q.UAI SAINT-MICHEL, I9
1905
AMOUR
PRIERE DU MATIN
0 Seigneur, exaucez et dictez ma prière,
Vous la pleine Sagesse et la toute Bonté,
Vous sans cesse anxieux de mon heure dernière,
Et qui m'avez aimé de toute éternité.
Car — ce bonheur terrible est tel, tel ce mystère
Miséricordieux, que, cent fois médité,
Toujours il confondit ma raison qu'il atterre, —
Oui, vous m'avez aimé de toute éternité,
Oui, votre grand souci, c'est mon heure dernière.
Vous la voulez heureuse et, pour la faire ainsi,
Dès avant l'univers, dès avant la lumière,
Vous préparâtes tout, ayant ce grand souci.
Exaucez ma prière après l'avoir formée
De gratitude immense et des plus humbles vœux,
Comme un poète scande une ode bien-aimée,
Comme une mère baise un fils sur les cheveux.
4 AMOUR
— Donnez-moi de vous plaire, et puisque pour vous plaire
I II me faut être heureux, d'abord dans la douleur
' Parmi les hommes durs sous une loi sévère,
Puis dans le ciel tout près de vous sans plus de pleur,
Tout près de vous, le Père éternel, dans la joie
Éternelle, ravi dans les splendeurs des saints,
0 donnez-moi la foi très forte, que je croie.
Devoir souffrir cent morts s'ils plaît à vos desseins ;
Et donnez-moi la foi très douce que j'estime
N'avoir de haine juste et sainte que pour moi.
Que j'aime le pécheur en détestant son crime,
Que surtout j'aime ceux de nous encor sans foi ;
Et donnez-moi la foi très humble, que je pleure
Sur l'impropriété de tant de maux soufferts,
Sur l'inutilité des grâces et sur l'heure
Lâchement gaspillée aux efforts que je perds;
Et que votre Esprit-Saint qui sait toute nuance
Rende prudent mon zèle et sage mon ardeur;
Donnez, juste Seigneur, avec la confiance,
Donnez la méfiante à votre serviteur.
Que je ne sois jamais un objet de censure
Dans l'action pieuse et le juste discours;
Enseignez-moi l'accent, montrez-moi la mesure ;
D'un scandale, d'un seul, préservez mes entours;
AMOUR
Faites que mon exemple amène à vous connaître
Tous ceux que vous voudrez de tant de pauvres fous,
Vos enfants sans leur Pftro, un élut sans lo Maître,
Et que, si jfl suis bon, toute gloire aille à vous;
Et puis, et puis, quand tout des choses nécessaires,
L'homme, la palionce et ce devoir dicté,
Aura fructiflé de mon mieux dans nos serres.
Laissez-moi vous aimer en toute charité,
Laissez-moi, faites-moi de toutes mes faiblesses
Aimer Jusqu'à la mort votre perfection.
Jusqu'à la mort des sens et de leurs milles ivresses.
Jusqu'à la mort du cœur, orgueil et passion,
Jusqu'à la mort du pauvre esprit lâche et rebelle
Que votre volonté dès longtemps appelait
"Vers l'humilité sainte éternellement belle,
Mais lui gardait son rêve infernalement laid,
Son gros rêve éveillé de lourdes rhétoriques,
Spéculation creuse et calculs impuissants,
Ronflant et s'étirant en phrases pléthoriques.
Ah ! tuez mon esprit, et mon cœur et mes sens!
Place à l'àme qui croie, et qui sente et qui voie
Que tout est vanité fors elle-même en Dieu;
Place à rame, Seigneur, marchant dans votre voie
£t ne tendant qu'au ciel, seul espoir et seul lieu l-~
O AMOUR
Et que cette âme soit la servante très douce
Avant d'être l'épouse au trône non pareil.
Donnez-lui l'Oraison comme le lit de mousse
Où ce petit oiseau se baigne de soleil,
La paisible oraison comme la fraîche étable
Où cet agneau s'ébatte et broute dans les coins
D'ombre et d'or quand sévit le midi redoutable.
Et que juin faitci'ier l'insecte dans les foins,
L'oraison bien en vous, fût-ce parmi la foule.
Fût-ce dans le tumulte et l'erreur des cités.
Donnez-lui l'oraison qui soude et d'où découle
Un ruisseau toujours clair d'austères vérités :
La mort, le noir péché, la pénitence blanche,
L'occasion à fuir et la grâce à guetter ;
Donnez-lui l'oraison d'en haut et d'où s'épanche
Le fleuve amer et fort qu'il lui faut remonter :
Mortification spirituelle, épreuve
Du feu par le désir et de l'eau par le pleur
Sans fin d'être imparfaite et de se sentir veuve
D'un amour que doit seul aviver la douleur,
Sécheresses ainsi que des trombes de sable
En travers du torrent où luttent ses bras lourds.
Un ciel de plomb fondu, la soif inapaisable
Au milieu de cette eau qui l'assoiffé toujours,
AMOUR
Mais cette eau-l& jaillit & la vie éternelle.
Et la vague bientôt porterait doucement
L'ûme persévérante et son amour fidèle
Aux pieds de votre Amour fidèle, 6 Dieu clément!
La bonne mort pour quoi Vous-Mômevous mourûtes
Me ressusciterait cl votre éternité.
Pitié pour ma faiblesse, assistez à mes luttes ~
Elt bénissez refTortdema débilité!
Pitié, Dieu pitoyable! et m'aidez ù parfaire
L'œuvre de votre Créateur adorable, en sauvant
L'ûme que rachetaient les affres du Calvaire ;
Père, considérez le prix de votre enfant.
ÉCRIT EN 1875
A. EDMOND LEPELLETIEa
J'ai naguère habité le meilleur des chûteaux
Dans le plus fin pays d'eau vive et de coteaux :
Quatre tours s'élevaient sur le front d'autant d'ailes,
Et j'ai longtemps, longtemps habité Tuno d'elles.
Le mur, étant de briques extérieurement,
Luisait rouge au soleil de ce site dormant,
Mais un lait de chaux, clair comme une aube qui pleure.
Tendait légèrement la voûte intérieure.
0 dianedes yeux qui vont parler au cœur,
0 réveil pour les sens éperdus de langueur,
Gloire des fronts d'aïeuls, orgueil jeune des branches,
Innocence et fierté des choses, couleurs blanches!
Parmi des escaliers en vrille, tout aciers,
Et cuivres, luxes brefs encore émaciés.
Cette blancheur bleuâtre et si douce à m'en croire,
Que relevait un peu la longue plinthe noire,
S'emplissait tout le jour de silence et d'air pur
Pour que la nuit y vînt rêver de pâle azur.
AMOUR V
Une chambre h'wn closo, uno InMo, une; chaise,
l'n lit strict où l'on pût dormir juste à son aise,
Du jour suffisamment et de rospaco assez,
Tel fut mon lot durant les longs mois là passés,
El je n'ai jamais plaint ni les mois ni l'espace,
Ni le reste, et du point de vue où je me place.
Maintenant que voici le monde de retour,
Ah ! vraiment, j'ai roprot aux deux ans dans la tour! —
Car c'était bien la paix réelle et respectable, -
Ce lit dur, cette chaise unique et cette table,
La paix où l'on aspire alors qu'on est bien soi.
Cette chambre aux murs blancs, ce rayon sobre et coi,
Qui glissait lentement en teintes apaisées.
Au lieu de ce grand jour diffus de vos croisées.—
Car, à quoi bon le vain appareil et l'ennui
Du plaisir, à lailn, quand le malheur à lui,
(Et le malheur est bien un trésor qu'on déterre)
Et pourquoi cet effroi de rester solitaire
Qui pique le troupeau des hommes d'à présent.
Comme si leur commerce était bien suffisant?
Questions! Donc j'étais heureux avec ma vie,
Reconnaissant de biens que nul, certes, n'envie.
(0 fraîcheur de sentir qu'on n'a pas de jaloux 1
0 bonté d'être cru plus malheureux que tous î)
Je partageais les jours de cette solitude
Entre ces deux bienfaits, la prière et l'étude,
Que délassait un peu de travail manuel.
Ainsi les Saints! J'avais aussi ma part de ciel,
10 AMOUR
Surtout quand, revenant au jour, si proche encore,
Où j'étais ce mauvais sans plus qui s'édulcore
En la luxure lâche aux farces sans pardon,
Je pouvais supputer tout le prix de ce don :
N'être plus là, parmi les choses de la foule,
S'y dépensant, plutôt dupe, pierre qui roule,
Mais de fait un complice à tous ces noirs péchés,
N'être plus là, compter au rang des cœurs cachés,
Des cœurs discrets que Dieu fait siens dans le silence,
Sentir qu'on grandit bon et sage, et qu'on s'élance
Du plus bas au plus haut en essors bien réglés,
Humble, prudent, béni, la croissance des blés!
D'ailleurs, nuls soins gênants, nulle démarche à faire.
Deux fois le jour ou trois, un serviteur sévère
Apportait mes repas et repartait muet.
Nul bruit. Rien dans la tour jamais ne remuait
Qu'une horloge au cœur clair qui battait à coups larges,
C'était la liberté (la seule !) sans ses charges,
-C'était la dignité dans la sécurité 1
0 lieu presque aussitôt regretté que quitté,
Château, château magique où mon âme s'est faite,
Frais séjour où se vint apaiser la tempête
De ma raison allant à vau-l'eau dans mon sang,
Château, château qui luis tout rouge et dors tout blanc,
Comme un bon fruit de qui le goût est sur mes lèvres
Et désaltère encore l'arrière-soif des fièvres,
0 sois béni, château d'où me voilà sorti
Prêt à la vie, armé de douceur et nanti
AMOUA H
Do la Foi, pain et sol et manteau pour la route
Si déserte, si rude et si longue, sans doute,
Par laquelle il faut tendre aux innocents sommets.
Et soit aimé I'Auteur do la Grâce, ù jamais!
(Stickney, Angleterre.)
UN CONTE
A J.-K. HUYSMANS
Simplement, comme on verse un parfum sur une flamme
Et comme un soldat répand son sang pour la pairie,
Je voudrais pouvoir mettre mon cœur avec mon âme
Dans un beau cantique à la sainte Vierge Marie.
Mais je suis, hélas! un pauvre pécheur trop indigne.
Ma voix hurlerait parmi le chœur des voix des justes :
Ivre encore du vin amer de la terrestre vigne,
Elle pourrait offenser des oreilles augustes.
Il faut un cœur pur comme l'eau qui jaillit des roches,
Il faut qu'un enfant vêtu de lin soit notre emblème,
Qu'un agneau bêlant n'éveille en nous aucuns reproches,
Que l'innocence nous ceigne un brûlant diadème,
Il faut tout cela pour oser dire vos louanges,
0 vous, Vierge Mère, ô vous Marie Immaculée,
Vous, blanche à travers les battemeuis d'ailes desanges,
Qui posez vos pieds sur notre terre consolée.
A M 0 u n 13
Du moins jn ferai savoir à qui voudra l'entendre
Comment il advint qu'une ûmc des plus égarées,
Gr&ce à ces regards cléments de votre gloire tendre,
Revint au bercail des Innocences ignorées.
Innocence, ô belle après l'Ignorance inouïe,
Eau claire du cœur après le feu vierge de l'àmc.
Paupière de grûcc sur la prunelle éblouie,
Désaltèrement du cerf rompu d'amour qui brame 1
Ce fut un amant dans toute la force du terme :
Il avait connu toute la chair, infâme ou vierge,
Et la profondeur monstrueuse d'un épiderme,
Et le sang d'un cœur, cire vermeille pour son cierge!
Ce fut un athée, et qui poussait loin sa logique -
Tout en méprisant les fadaises qu'elle autorise,
Et comme un forçat qui remâche une vieille chique
Il aimait le jus flasque de la mécréantise.
Ce fut un brutal, ce fut un ivrogne des rues,
Ce fut un mari comme on en rencontre aux barrières;
Bon que les amours premières fussent disparues.
Mais cela n'excuse en rien l'excès de ses manières.
Ce fut, et quel préjudice ! un Parisien fade.
Vous savez, de ces provinciaux cent fois plus pires
Qui prennent au sérieux la plus sotte cascade.
Sans s'apercevoir, ô leur âme, que tu respires;
14 AMOUR
Race de théâtre et de boutique dont les vices
Eux-mêmes, avec leur odeur rance et renfermée,
L^.veraient le cœur à des sauvages, leurs complices,
Race de trottoir, race d'égout et de fumée 1
Enfin un sot, un infatué de ce temps bête
-(Dont l'esprit au fond consiste à boire de la bière)
Et par-dessus tout une folle tête inquiète,
Un cœur à tous vents, vraiment mais vilement sincère.
Mais sans doute, et moi j'inclinerai fort à le croire,
Dans quelque coin bien discret et sûr de ce cœur même,
Il avait gardé comme qui dirait la mémoire
D'avoir été ces petits enfants que Jésus aime.
Avait-il, — et c'est vraiment plus vrai que vraisemblable,
Conservé dans le sanctuaire de sa cervelle
Votre nom, Marie, et votre titre vénérable,
Comme un mauvais prêtre ornerait encor sa chapelle?
Ou tout bonnement peut-être qu'il était encore.
Malgré tout son vice et tout son crime et tout le reste,
Cet homme très simple qu'au moins sa candeur décore
En comparaison d'un monde autour que Dieu déteste.
Toujours est-il que ce grand pécheur eut des conduites
Folles à ce point d'en devenir trop maladroites
Si bien que les tribunaux s'en mirent, — et les suites!
Et le voyez-vous dans la plus étroite des boîtes?
AMOUR 15
Cellules! Prisons liumanitalres! il faut lairc
Voire horreur fadasse ot co progrès d'hypocrisie...
Puis il s'attendrit, il réfléchit. Par quel mystère,
0 Marie, 6 vous, de toute éternité choisie?
Puis il se tourna vers votre Fils et vers Sa mère,
0 qu'il fut heureux, mais là promptement, tout de suite !
Que de larmes, quelle Joie, ô Mère ! et pour vous plaire,
Tout de suite aussi le voilà qui bien vile quille
Tout cet appareil d'orgueil et de pauvres malices,
Ce qu'on nomme esprit et ce qu'on nomme la Science,
Et les rires et les sourires où tu te plisses,
Lèvre des petits exégètes de l'incroyance !
Et le voilà qui s'agenouille et, bien humble, égrène
Entre ses doigts fiers les grains enflammés du Rosaire,
Implorant de Vous, la Mère, et la Sainte, et la Reine,
L'affranchissement d'être ce charnel, ô misère !
0 qu'il voudrait bien ne plus savoir rien du monde
Qu'adorer obscurément la mystique sagesse,
Qu'aimer le cœur de Jésus dans l'extase profonde
De penser à vous en même temps pendant la Messe.
0 faites cela, faites celle grâce à celte âme,
0 vous, vierge Mère, ô vous Marie Immaculée,
Toute en argent parmi l'argent de l'épilhalame,
Qui posez vos pieds sur notre terre consolée.
BOURNEMOUTH
A FRANCIS POICTEVIK
Le long bois de sapins se tord jusqu'au rivage,
L'étroit bois de sapins, de lauriers et de pins,
Avec la ville autour déguisée en village :
Chalets éparpillés rouges dans le feuillage
Et les blanches villas des stations de bains.
Le bois sombre descend d'un plateau de bruyère,,
Va, vient, creuse un vallon, puis monte vert et noir
Et redescend en fins bosquets où la lumière
Filtre et dore l'obscur sommeil du cimetière
Qui s'étage bercé d'un vague nonchaloir.
A gauche la tour lourde (elle attend une flèche)
Se dresse d'une église invisible d'ici,
L'estacade très loin ; haute, la tour, et sèche :
C'est bien l'anglicanisme impérieux et roche
A qui l'essor du cœur vers le ciel manque aussi.
AMOUR 17
^ fait un de ces temps ainsi que je les aime,
Ni brume ni soleil! le soleil deviné,
Pressenti, du brouillard mourant dansant &même
Le ciel très haut qui tourne et fuit, rose de crème;
L'atmosphère est de perle et la mer d'or fané.
De la tour protestante il part un chant de cloche,
Puis deux et trois et quatre, et puis huit à la fois,
Instinctive harmonie allant de proche en proche,
Enthousiasme, joie, appel, douleur, reproche,
Avec de l'or, du bronze et du feu dans la voix ;
Bruit immense et bien doux que le long bois écoute!
La musique n'est pas plus belle. Cela vient
Lentement sur la mer qui chante et fiémit toute.
Comme sous une armée au pas sonne une route
Dans l'écho qu'un combat d'avant-garde retient.
La sonnerie est morte. Une rouge traînée
De grands sanglots palpite et s'éteint sur la mer,
L'éclair froid d'un couchant de la nouvelle année
Ensanglante là-bas la ville couronnée
De nuit tombante et vibr à l'ouest encore clair.
Le soir se fonce. Il fait glacial. L'estacade
Frissonne elle ressac a gémi dans son bois
Chanteur, puis est tombé lourdement en cascade
II. S
18
Sur un rythme brutal comme l'ennui maussade
Qui martelait mes jours coupables d'autrefois :
Solitude du cœur dans le vide de l'âme,
Le combat de la mer et des vents de l'hiver,
L'orgueil vaincu, navré, qui râle et qui déclame,
Et cette nuit où rampe un guet-apens infâme,
Catastrophe flairée, avant-goût de l'Enfer...!
Voici trois tintements comme trois coups de flûtes,
Trois encor, trois encorl VAngelus oublié
Se souvient, le voici qui dit : Paix à ces luttes !
Le Verbe s'est fait chair pour relever tes chutes,
Une vierge a conçu, le monde est délié !
Ainsi Dieu parle par la voix de sa chapelle
Sise à mi-côté à droite et sur le bord du bois...
0 Rome, ô Mère! Cri, geste qui nous rappelle
Sans cessse au bonheur seul et donne au cœur rebelle
Et triste le conseil pratique de la Croix.
" — La nuit est de velours. L'estacade laissée
Tait par degré son bruit sous l'eau qui refluait,
Une route assez droite heureusement tracée
Guide jusque chez moi ma retraite pressée
Dans ce noir absolu sous le long bois muet.
Janvier 1877.
TIIERE
A <VILB LB BRUN
« Angels I » seul coin luisant dans ce Londres du soir,
Où (Ïambe un peu de gaz et jase quelque foule,
C'est drôle que, semblable à tel très dur espoir,
Ton souvenir m'obsède et puissamment enroule
Autour de mon esprit un regret rouge et noir :
Devantures, chansons, omnibus et les danses
Dans le demi-brouillard où flue un goût de rhum,
Décence, toutefois, le souci des cadences.
Et même dans l'ivresse un certain décorum.
Jusqu'à Iheure où la brume et la nuit se font denses.
« Angels! » jours déjà loin, soleils morts, flots taris;
Mes vieux péchés longtemps ont rôdé par tes voies.
Tout soudain rougissant, misère! et tout surpris
De se plaire vraiment à tes honnêtes joies,
Eux pour tout le contraire arrivés de Paris!
20 AMOUR
Souvent l'incompressible Enfance ainsi se joue,
Fût-ce dans ce rapport infinitésimal,
Du monstre intérieur qui nous crispe la joue
Au froid ricanement de la haine et du mal,
On gonfle notre lèvre amère en lourde moue.
L'Enfance baptismale émerge du pécheur,
Inattendue, alerte, et nargue ce farouche
D'un sourire non sans franchise ou sans fraîcheur,
Qui vient, quoiqu'il en ait, se poser sur sa bouche
A lui, par un prodige exquisement vengeur.
C'est la Grâce qui passe aimable et nous fait signe.
0 la simplicité primitive, elle encor!
Cher recommeneement bien humble! Fuite insigne
De l'heure vers l'azur mûrisseur de fruits d'or!
« Angels ! » ô nom revu, calme et frais comme un cygne I
UN CRUCIFIX
A GKRMAIN NOUVEAU
Église Saint-Géry, Arras.
Au bout d'un bas-côté de l'église gothique,
Contre le mur qui vient baiser le jour mystique
D'un long vitrail d'azur et d'or finement roux,
Le Crucifix se dresse, ineffablement doux,
Sur sa croix peinte en vert aux arêtes dorées,
Et la gloire d'or sombre en langues échancrées
Flue autour de la tête et les bras étendus,
Tels quatre vols de fiammes en un seul confondus.
La statue est en bois, de grandeur naturelle,
Légèrement teintée, et l'on croirait sur elle
Voir s'arrêter la vie à l'instant qu'on la voit.
Merveille d'art pieux, celui qui la fit doit
N'avoir fait qu'elle et s'être éteint dans la victoire
D'être un bon ouvrier trois fois sûr de sa gloire.
« Voilà l'homme I » Robuste et délicat pourtant.
C'est bien le corps qu'il faut pour avoir souffert tant.
Z2 AMOUR
Et c'est bien la poitrine où bat le Cœur immense :
Par les lèvres le souffle expirant dit, « Clémence »
Tant l'artiste les a disjointes saintement,
Elles bras grands ouverts prouvent le Dieu clément;
La couronne d'épine est énorme et cruelle
Sur le front inclinant sa pdleur fraternelle
Vers l'ignorance humaine et l'orreur du pécheur,
Tandis que, pour noyer le scrupule empêcheur
D'aimer et d'espérer comme la Foi l'enseigne,
Les pieds saignent, les mains saignent, le côté saigne;
On sent qu'il s'offre au Père en toute charité.
Ce vrai Christ catholique éperdu de bonté,
Pour spécialement sauver vos âmes tristes,
Pharisiens naïfs, sincères jansénistes!
— Un ami qui passait, bon peintre et bon chrétien
Et bon poète aussi, — les trois s'accordent bien, —
Vit cette œuvre sublime et fit une copie
Exquise, et surprenant mon regard qui l'épie,
Très gracieusement chez moi vint l'oublier.
Et j'ai rimé ces vers pour le remercier. —
Août 1880.
BALLADE
A PROPOS DE DEUX ORMEAUX QU IL AVAIT
A Léon Vanier.
Mon jardin fut doux et léger.
Tant qu'il fut mon humble richesse :
Mi-potager et mi-verger,
Avec quelque fleur qui se dresse
Couleur d'amour et d'allégresse,
Et des oiseaux sur des rameaux,
Et du gazon pour la paresse.
Mais rien ne valut mes ormeaux.
De ma claire salle à manger
Où du vin fit quelque prouesse,
Je les voyais tous deux bouger
Doucement au vent qui les presse
L'un vers l'autre en une caresse,
Et leurs feuilles flûtaient des mots.
Le clos était plein de tendresse.
Mais rien ne valut mes ormeaux.
2* AMOUR
Hélas 1 quand il fallut changer
De deux et quitter ma liesse,
Le verger et le potager
Se partagèrent ma tristesse,
Et la fleur couleur charmeresse,
Et l'herbe, oreiller de mes maux,
Et l'oiseau surent ma détresse.
Mais rien ne valut mes ormeaux.
ENVOI
Prince, j'ai goûté la simplesse
De vivre heureux dans vos hameaux
Gaîté, santé que rien ne blesse.
Mais rien ne valut mes ormeaux.
SUR UN RELIQUAIRE
qu'on lui avait dérobé
Seul bijou de ma pauvreté.
Ton mince argent, ta perle fausse
(En tout quatre francs) ont tenté
Quelqu'un dont l'esprit ne se hausse,
Parmi ces paysans cafards,
A vous dégoûter d'être au monde.
— Tas d'Onans et de Putiphars! —
Que juste au niveau de l'immonde,
Elle Témoin, et le Gardien,
Le Grain d'une poussière illustre.
Un ami du mien et du tien
Crispe sur lui sa main de rustre I
Est-ce simplement un voleur,
Ou s'Use guindé au sacrilège?
Bah! ces rustiques-là! Mais leur
Gros laid vice que rien n'allège,
26 AMOUR
Ne connaît rien que de brutal
Et ne s'est jamais douté d'une
Ame immortelle. Du métal,
C'est tout ce qu'il voit dans la lune;
Tout ce qu'il voit dans le soleil,
C'est foin épais et fumier dense,
Et quand éclot le jour vermeil,
Il suppute timbre et quittance,
Hypothèque, gens mis dedans,
Placements, la dot de la fille,
Crédits ouverts à deux battants
Et l'usure au bout qui mordille I
Donc, vol, oui, sacrilège, non.
Mais le fait monstrueux existe,
Et pour cet ouvrage sans nom
Mon âme est immensément triste.
01 pour lui ramener la paix.
Daignez, vous, grand saint Benoît Labre,
Écouter les vœux que je fais
Peur que ma foi ne se délabre
En voyant ce crime impuni
Rester inutile ! 0 la Grâce,
Implorez-la sur l'homme, et ni
L'homme ni moi n'oublierons. Grâce 1
AMOUR t7
Grûce pourIcpauvr<^ larron
Inconscient (lu péché pirel
Inlercétlcz, 6 bon patron,
Et qu'enfin le bon Dieu l'inspire,
Que (le ce débris de ce corps
Exalté par la pénitence
Sorte une vertu de remords,
Et que l'exquis conseil le tance
Et lui montre toute l'horreur
Du vol et de ce vol impie
Avec la torpeur et l'erreur
D'un passé qu'il faut qu'il expie.
Qu'il s'émeuve à ce double objet
Et tremblant au son du tonnerre
Respecte ce qu'il outrageait
En attendant qu'il le vénère.
Et que cette conversion
L'amène à la foi de ses pères
D'avant la Révolution.
Ma Foi, dis-le-moi, tu l'espères?
Ma foi, celle du charbonnier,
Ainsi la veux-je, et la souhaite
Au possesseur, croyons dernier,
De la sainte petite boîte.
A MADAME X...
BN LUI ENVOYANT UNE PENSÉE
Au temps où vous m'aimiez (bien sûr?),
Vous m'envoyâtes, fraîche éclose,
Une chère petite rose,
Frais emblème, message pur.
Elle disait en son langage
Les « serments du premier amour» :
Votre cœur à moi pour toujours
Et toutes les choses d'usage.
Trois ans sont passés. Nous voilai
Mais moi j'ai gardé la mémoire
De votre rose, et c'est ma gloire
De penser encore à cela.
Hélas ! si j'ai la souvenance,
Je n'ai plus la fleur, ni le cœur.
Elle est aux quatre vents, la fleur.
Le cœur? mais, voici que j'y pense,
AMOUK 29
Fut-il mion jamais? cnlro nous?
Moi, le mien bat toujours le mCmp,
Il est toujours simple. Un emblème
A mon tour. Dites, voulez-vous
Que, tout pesé, je vous envoie,
Triste sélam, mais c'est ainsi,
Cette pauvre négrcsse-ci?
Elle n'est pas couleur de joie,
Mais elle est couleur de mon cœur;
Je l'ai cueillie ù quelque fonte
Du pavé captif que j'arpente
En ce lieu de juste douleur.
A-t-elle besoin d'autres preuves?
Acceptez-la pour le plaisir.
J'ai tant fait que de la cueillir,
Et c'est presque une fleur-des-veuves.
1873.
UN VEUF PARLE
Je vois un groupe sur la mer.
Quelle mer? Ceile de mes larmes.
Mes yeux mouillés du vent amer
Dans cette nuit d'ombre et d'alarmes
Sont deux étoiles sur la mer.
C'est une toute jeune femme
Et son enfant déjà tout grand
Dans une barque ou nul ne rame,
Sans mât ni voile, en plein courant...
Un jeune garçon, une femme !
En plein courant dans l'ouragan!
L'enfant se cramponne à sa mère
Qui ne sait plus où, non plus qu'en...,
Ni plus rien, et qui, folle, espère
En h courant, en l'ouragan.
AMoun 31
Espéroz en Diou, pauvro folle,
Crois en notre Père, petit.
La tempête qui vous désole,
Mon cœur de li-liaut vous prédit
Qu'elle va cesser, petit, folle 1
Et paix au groupe sur la mer,
Sur celte mer de bouncs larmes!
Mes yeux joyeux dans le ciel clair,
Par cette nuit sans plus d'alarmes,
Sont deux bons anges sur la mer-
1878.
IL PARLE ENCORE
Ni pardon ni répit, dit le monde,
Plus de place au sénat du loisir I
On rend grâce et justice au désir
Qui te prend d'une paix si profonde.
Et l'on eût fait trêve avec plaisir,
Mais la guerre est jalouse : il faut vivre
Ou mourir du combat qui t'enivre.
Aussi bien tes vœux sont absolus
Quand notre art est un mol équilibre.
Nous donnons un sens large au mot : libre,
Et ton sens va : Vite ou jamais plus.
Ta prière est un ordre qui vibre ;
Alors nous, indolents conseilleurs,
Que te dire, excepté : Cherche ailleurs?
AMOUR 33
Et Je vois rOrgiioil et In Luxure
Parmi la n'-ponscî ; tel un cor
Dans l'éclat fan(5 d'un vil décor,
Prêtant sa rago à la flûte impure.
Quel décor connu mais triste encorl
C'est la ville où se oaillc et se lie
Ce passé qu'on boit jusqu'à la lie,
C'est Paris banal, maussade et blanc,
Qui chantonne une ariette vieille
En cuvant sa « noce » de la veille
Comme un invalide sur un banc.
La Luxure me dit à l'oreille :
Bonhomme, on vous a déjà donné.
Et l'Orgueil se tait comme un damné.
0 Jésus, vous voyez que la porte
Est fermée au Devoir qui frappait,
Et que l'on s'écarte à mon aspect.
Je n'ai plus qu'à prier pour la morte.
Mais l'agneau, bénissez qui le paît!
Que le thym soit doux à sa bouchettel
Que le loup respecte la houlette !
Et puis, bon pasteur, paissez mon cœur : —
II est seul désormais sur la terre,
Et l'horreur de rester solitaire
Le distrait en l'étrange langueur
n. S
34
AMOUR
D'un espoir qui ne veut pas se taire,
Et l'appelle aux prés qu'il ne faut pas.
Donnez-lui de n'aller qu'en vos pas.
1879.
BALLADE
BN B&VB
Au D' Louis JuUien,
J'ai rêvé d'elle, et nous nous pardonnions
Non pas nos torts, il n'en est en amour,
Mais l'absolu de nos opinions
Et que la vie ait pour nous pris ce tour.
Simple elle était comme au temps de ma cour,
Simple elle était comme au temps de ma cour.
En robe grise et verte et voilà tout. —
J'aimai toujours les femmes dans ce goût.
Et son langage était sincère et coi
Mais quel émoi de me dire au débout :
J'ai rêvé d'elle et pas elle de moi.
Elle ni moi nous ne nous résignions
A plus souffrir pas plus tard que ce jour,
0! nous revoir encore compagnons,
Chacun étant descendu de sa tour
Pour un baiser bien payé de retour I
36 AMOUR
Le beau projet! Et nous étions debout,
Mais dans la main, avec du sang qui bout
Et cbante un fier doncc gratus. Mais quoi?
C'était un songe, ô tristesse et dégoût!
J'ai rêvé d'elle et pas elle de moi.
Et nous suivions tes luisants fanions,
Soie et satin, ô Bonheur vainqueur, pour
Jusqu'à la mort, que d'ailleurs nous niions.
J'allais par les chemins en troubadour,
Chantant, ballant, sans craindre ce pandour,
Qui vous saute à la gorge et vous découd.
Elle évoquait la chère nuit d'Août
Où son aveu bas et lent me fit roi.
Moi, j'adorais ce retour qui m'absout.
J'ai rêvé d'elle et pas elle de moi.
ENVOI
Princesse elle est sans doute à l'autre bout
Du monde où règne et persiste ma foi.
Amen, alors, puisqu'à mes dam et coût
J'ai rêvé d'elle et pas elle de moi.
ADIEU
Hélas! je n'étais pas fait pour cette haine
Et pour ce mépris plus forts que moi que j'ai. ■
Mais pourquoi m'avoir fait cet agneau sans laine
Et pourquoi m'avoir fait ce cœur outragé?
J'étais né pour plaire à toute âme un peu fière.
Sorte il'homme en rêve et capable du mieux,
Parfois tout sourire et parfois tout prière,
Et toujours des cieux attendris dans les yeux ;
Toujoui^ la bonté des caresses sincères,
En dépit de tout et quoi qu'il y parût.
Toujours la pudeur des hontes nécessaires
Dans l'argent brutal et les stupeurs du rut;
Toujours le pardon, toujours le sacrifice 1
J'eus plus d'un des torts, mais j'avais tous les soins.
Votre mère était tendrement ma complice.
Qui voyait mes torts et mes soins, elle, au moins.
38 AMOUR
Elle n'aimait pas que par vous je souffrisse.
Elle est morte et j'ai porté sur son tombeau ;
Mais je doute fort qu'elle approuve et bénisse
La chose actuelle et trouve cela beau.
Et j'ai peur aussi, nous en terre, de croire
Que le pauvre enfant, votre fils et le mien,
Ne vénérera pas trop votre mémoire,
0 vous sans égard pour le mien et le tien,
Je n'étais pas fait pour dire de ces choses,
Moi dont la parole exhalait autrefois
Un épithalame en des apothéoses.
Ce chant du matin où mentait votre voix.
J'étais, je suis né pour plaire aux nobles âmes,
Pour les consoler un peu d'un monde impur.
Cimier d'or chanteur et tunique de flammes,
Moi le Chevalier qui saigne sur azur,
Moi qui dois mourir d'une mort douce et chaste
Dont le cygne et l'aigle encor seront jaloux.
Dans l'honneur vainqueur malgré ce vous néfaste.
Dans la gloire aussi des Illustres Époux !
Novembre 1886.
BALLADE
KN L UONNEUIl DE LOUISE MICHIL
Madame et Pauline Roland,
Chailolte, Théroigne, Lucile,
Pi'esque Jeanne d'Arc, éloilant
Le front de la foule imbécile,
Nom des cieux, cœur divin qu'exile
Celte espèce de moins que rien
France bourgeoise au dos facile.
Louise Michel est très bien.
Elle aime le Pauvre ùpre et franc
Ou timide, elle est la faucille
Dans le blé mûr pour le pain blanc
Du Pauvre, et la sainte Cécile,
Et la Muse rauque et gracile
Du Pauvre et son ange gardien
A ce simple, à cet indocile.
Louise Michel est très bien.
40 AMOUR
Gouvernements de maltalent,
Mégathérium ou baccille,
Soldat brut, robin insolent,
Ou quelque compromis fragile.
Géant de boue aux pieds d'argile.
Tout cela son courroux chrétien
L'écrase d'un mépris agile.
Louise Michel est très bien.
ENVOI
Citoyenne ! votre évangile
On meurt pour! c'est l'Honneur 1 et bien
Loin des Taxil et des Bazile,
Louise Michel est très bien.
A LOUIS II DE BAVIERE
Roi, le seul vrai roi de ce siècle, salut, Sire,
Qui voulûtes mourir vengeant votre raison
Des choses de la politique, et du délire
De cette Science intruse dans la maison.
De cette Science assassin de TOraison
Et du Chant et de l'Art et de toute la Lyre,
Et simplement et plein d'orgueil en floraison
Tuâtes en mourant, salut, Roi, bravo, Sire !
Vous fûtes un poète, un soldat, le seul Roi
De ce siècle où les rois se font si peu de chose.
Et le martyr de la Raison selon la Foi.
Salut à votre très unique apothéose,
Et que votre âme ait son fier cortège, or et fer.
Sur un air magnifique et joyeux de Wagner.
PARSIFAL
A JULES TELLIEB
Parsifai a vaincu les Filles, leur gentil
Babil et la luxure amusante — et sa pente
Vers la Chair de garçon vierge que cela tente
D'aimer les seins légers et ce gentil babil ;
Il a vaincu la Femme belle, au cœur subtil,
Étalant ses bras frais et sa gorge excitante ;
Il a vaincu l'Enfer et rentre sous la tente
Avec un lourd trophée à son bras puéril,
Avec la lance qui perça ie Flanc suprême l
Il a guéri le roi, le voici roi lui-même,
Et prêtre du très saint Trésor essentiel.
En robe d'or il adore, gloire et symbole,
Le vase pur où resplendit le sang réel.
— ■ Et, ô ces voix d'enfants chantant dans la coupole I
SAINT GRAAL
▲ LEON BLOT
Parfois je sens, mourant des temps où nous vivons.
Mon immense douleur s'enivrer d'espérance.
En vain l'heure honteuse ouvre des trous profonds,
En vain bdillent sous nous les désatres sans fonds
Pour engloutir l'abus de notre dpre souffrance,
Le sang de Jésus-Christ ruisselle sur la France.
Le précieux Sang coule à flots de ses autels
Non encor renversés, et coulerait encore
Le fussent-ils, et quand nos malheurs seraient tels
Que les plus forts, cédant à ces effrois mortels,
Eux-mêmes subiraient la loi qui déshonore.
De l'ombre des cachots il jaillirait encore,
Il coulerait encor des pierres des cachots.
Descellerait l'horreur des ciments, doux et rouge
Suintement, torrent patient d'oraisons,
D'expiation forte et de bonnes raisons
44
AMOUR
Contre les lâchetés et les « feux sur qui bouge » I
Et toute guillotine et cette Gueuse rouge... !
Torrent d'amour du Dieu d'amour et de douceur,
Fût-ce parmi l'horreur de ce monde moqueur,
Fleuve rafraîchissant du feu qui désaltère,
Source vive où s'en vient ressusciter le cœur
Même de l'assassin, même de l'adultère.
Salut de la patrie, ô sang qui désaltère 1
« GAIS ET CONTENTS »
A CHARLES VESSERON
Une chanson folle et légère
Comme le drapeau tricolore
Court furieusement dans l'air,
Fifrant une France ûpre encore.
Sa gaîté qui rit d'elle-même
Et du reste en passant se moque
Pourtant veut bien dire : Tandem 1
Et vaticine le grand choc.
Écoutez ! le flonflon se pare
Des purs accents de la Patrie,
Espèce de chant du départ
Du gosse effrayant de Paris.
Il est le rythme, il est la joie,
Il est la Revanche essayée,
U est l'entrain, il est tout, quoi!
Jusqu'au juron luron qui sied,
46
Jusqu'au cri de reconnaissance
Qu'on pousse quand il faut qu'on meure
De sang-froid, dans tout son bon sens,
Avec de l'honneur plein son cœur !
A FERNAND LANGLOIS
Vous vous êtes penché sur ma mélancolie.
Non comme un indiscret, non comme un curieux,
Et vous avez surpris la clef de ma folie,
Tel un consolateur attentif et pieux ;
Et vous avez ouvert doucement ma serrure,
Y mettant tout le temps, non ainsi qu'un voleur,
Mais ainsi que quelqu'un qui préserve et rassure
Un triste possesseur peut-être receleur
Soyez aimé d'un cœur plus veuf que toutes veuves,
Qui n'avait plus personne en qui pleurer vraiment,
Soyez béni d'une âme errant au bord des fleuves
Consolateurs si mal avec leur air dormant ;
Que soient suivis des pas d'un but d. la dérive
Hier encor, vos pas eux-mêmes tristes, ô
Si tristes, mais que si bien tristes ! et que vive
Encore, alors ! mais par vous pour Dieu, ce roseau,
48 AMOUR
Cet oiseau, ce roseau sous cet oiseau, ce blême
Oiseau sur ce pâle roseau fleuri jadis,
Et pâle et sombre, spectre et spectre noir: Moi-même!
Surrexit hodie, non plus : de profanais.
Fiat! La défaillance a fini. Le courage
Revient. Sur votre bras permettez qu'appuyé
Je marche en la fraîcheur de l'expirant orage,
Moi-même comme qui dirait défoudroyé.
Là, je vais mieux. Tantôt le calme s'en va naître.
Il naît. Si vous voulez, allons à petits pas,
Devisant de la vie et d'un bonheur peut-être
Non, sans doute, impossible, en somme, n'est-ce pas?
Oui, causons de bonheur, mais vous? pourquoi si triste,
Vous aussi? Vous si jeune et si triste, ô pourquoi,
Dites? Mais cela vous regarde; et si j'insiste.
C'est uniquement pour vous plaire et non pour moi.
Discrétion sans borne, immense sympathie !
C'est l'heure précieuse, elle est unique, elle est
Angélique. Tantôt l'avcz-vous pressentie ?
Avez-vous comme su — moi je l'ai — qu'il fallait
Peut-être bien, sans doute, et quoique, et puisque, en somme
Éprouvant tant d'estime et combien de pitié.
Laissez monter en nous, fleur suprême de l'homme,
Franchement, largement, simplement, l'Amitié.
DELICATESSE
A MADEMOISELLE RACUILDS
Tu nous rends l'égal des héros et des dieux,
Et. nous procurant d'être les seuls dandies,
Fais de nos orgueils des sommets radieux,
Non plus ces foyers de troubles incendies.
Tu brilles et luis, vif astre aux rayons doux,
Sur l'horizon noir d'une lourde tristesse.
Par toi surtout nous plaisons au Dieu jaloux,
Choisie, une, fleur du Bien, Délicatesse I
Plus fière fierté, plus pudique pudeur
Qui ne sais rougir à force d'être fière.
Qui ne peux que vaincre en ta sereine ardeur,
Vierge ayant tout su, très paisible guerrière.
Musique pour l'âme et parfum pour l'esprit.
Vertu qui n'es qu'un nom, mais le nom d'un ange,
Noble dame guidant au ciel qui sourit
Notre immense eiTort de parmi cette fange.
ANGÉLUS DE MIDI
Je suis dur comme un juif et têtu comme lui,
Littéral, ne faisant le bien qu'avec ennui,
Quand je le fais, et prêt à tout le mal possible ;
Mon esprit s'ouvre et s'offre, on dirait une cible ;
Je ne puis plus compter les chutes de mon cœur ;
La charité se fane aux doigts de la langueur ;
L'ennemi m'investit d'un fossé d'eau dormante ;
Un parti de mon être a peur et parlemente :
Il me faut à tout prix un secours prompt et fort.
Ce fort secours, c'est vous, maîtresse de la mort
Et reine de la vie, ô Vierge immaculée.
Qui tendez vers Jésus la Face constellée
Pour lui montrer le Sein de toutes les douleurs
Et tendez vers nos pas, vers nos ris, vers nos pleurs
AMOUR SI
Kt vers nos vanités douloureuses les paumes
Lumineusos, les Mains n'îpandcuses do baumes.
Mario, ayoz pitié de moi qui ne vaux rien
Dans le chaste combat du Sage et du Chrétien ;
Priez pour mon courage et pour qu'il persévère, ^
Pour de la patience, en cette longue guerre,
A supporter le froid et le chaud des saisons;
Écartez le fléau des mauvaises raisons ;
llendez-moi simple et fort, inaccessible aux larmes.
Indomptable à la peur; mettez-moi sous les armes,
Que j'écrase, puisqu'il le faut, et broie enfin
Tous les vains appétits, et la soif et la faim, —
Et l'amour sensuel, cette chose cruelle,
Et la haine encore plus cruelle et sensuelle,
Faites-moi le soldat rapide de vos vœux.
Que pour obéir soit le rien que je peux.
Que ce que vous voulez soit tout ce que je puisse 1
J'immolerai comme en un calme sacrifice
Sur votre autel honni jadis, baisé depuis,
Le mauvais que je fus, le lâche que je suis.
La sale vanité de l'or qu'on a, l'envie
D'en avoir mais pas pour le Pauvre, cette vie
Pour soi, quel soi! l'affreux besoin de plaire aux gens,
I/affreux besoin de plaire aux gens trop indulgents,
Hommes prompts aux complots, femmes tôt adultères,
Tous préjugés, mourez sous mes mains militaires!
Mais pour qu'un bien beau fruit récompense ma paix,
Fleurissîut dans tout moi la fleur des divins Mais,
52 AMOUR
Votre amour, Mère tendre, et votre culte tendre.
Ah! vous aimer, n'aimer Dieu que pour vous, ne tendre
A lui qu'en vous sans plus aucun détour subtil,
Et mourir avec vous tout près.
Ainsi solt-ill
A LÉON VALADE
Douze longs ans ont lui depuis les jours si courts
Où le même devoir nous tenait côte à côte !
Ilélas! les passions dont mon cœur s'est fait l'hôte
Furieux ont troublé ma paix de ces bons jours;
Et j'ai couru bien loin de nos calmes séjours
Au pourchas du Bonheur, ne trouvant que la Faute ;
Le vaste monde autour de ma fuite trop haute
Fondait en vains aspects, ronflait en vains discours...
— L'Orgueil, fol hippogriffe, a replié ses ailes;
Un cœur nouveau fleurit au feu des humbles zèles
Dans mon sein visité par la foudre de Dieu.
Mais l'antique amitié, simple, joyeuse, exacte,
Pendant tout mon désastre, à toute heure, en tout lieu,
— J'en suis fier, mon Valade, — entre nous tint ce pacte.
1881.
A ERNEST DELAHAYE
Dieu, nous voulant amis parfaits, nous fit tous deux
Gais de cette gaîté qui rit pour elle-même,
De ce rire absolu, colossal et suprême,
Qui s'esclaffe de tous et ne blesse aucun d'eux.
Tous deux nous ignorons l'égoïsme hideux
Qui nargue ce prochain même qu'il faut qu'on aime
Comme soi-même : tels que les termes du problème,
Telle la loi totale au texte non douteux.
Et notre rire étant celui de l'innocence,
Il éclate et rugit dans la toute-puissance
D'un bon orage plein de lumière et d'air frais.
Pour le soin du Salut, qui me pique et m'inspire,
J'estime que, parmi nos façons d'êti^e prêts,
Il nous faut mettre au rang des meilleures ce rire.
A EMILE BLEMONT
f,a vindicte bourgeoise assassinait mon nom
Chinoisemcnt, à coups d'épingle, quelle affaire !
Et la tempête allait plus âpre dans mon verre.
D'ailleurs du seul grief, Dieu bravé, pas un non,
Pas un oui, pas un mot! L'Opinion sévère
Mais juste s'en moquait, autant qu'une guenon
De noix vides. Ce bœuf bavant sur son fanon,
Le Public mâchonnait ma gloire... encore à faire.
L'heure était tentatrice, et plusieurs d'entre ceux
Qui m'aimaient, en dépit de Prudhomme complice,
Tournèrent carrément, furent de mon supplice,
Ou se turent, la Peur les trouvant paresseux.
Mais vous, du premier jour vous fûtes simple, brave.
Fidèle : et dans un cœur bien fait cela se grave.
A CHARLES DE SIVRY
Mon Charles, autrefois mon frère, et pardieu bienl
Encore tel malgré toutes les lois ensemble,
Te souvient-il d'un amoureux qui n'ose et tremble
Et verse le secret de son cœur dans le tien ?
Ah! de vivre? Et te souvient-il du fameux Sage,
Austère avec douceur, en route, croyait-il.
Pour un beau Bethléem littéral et subtil,
Entre un berger naïf et quelque très haut mage?
— L'amoureux est un veuf orgueilleux. Ah ! de vivre !
Le sage a suspendu son haleine et son livre.
N'aspirant plus en Dieu que par la bonne mort.
Et pourtant, pourtant comme ils sont toujours le même
Homme du chaste espoir de justes noces qu'aime
Ou non celle qui sous sa tombe d'oubli dortl
A EMMANUEL GlIABRIER
Chabrier, nous faisions, un ami cher et moi,
Des paroles pour vous qui leur donniez des ailes,
Et tous trois frémissions quand, pour bénir nos zèles,
Passait l'Ecce Deus et le Je ne sais quoi.
Chez ma mère charmante et divinement bonne.
Votre génie improvisait au piano,
Et c'était tout autour comme un brûlant anneau
De sympathie et d'aise aimable qui rayonne.
Hélas! ma mère est morte et l'ami cher est mort.
Et me voici semblable au chrétien près du port,
Qui surveille les tout derniers écueils du monde,
Non toutefois sans saluer à l'horizon,
Comme une voile sur le large au blanc frisson,
Le souvenir des frais instants de paix profonde.
A EDMOND THOMAS
Mon ami, vous m'avez, quoiqu'encore si jeune,
Vu déjà bien divers, mais ondoyant jamais !
Direct et bref, oui : tels les Juin suivent les Mais,
Ou comme un affamé de la veille déjeune.
Homme de primesaut et d'excès, je le suis.
D'aventure et d'erreur, allons, je le concède,
Soit, bien, mais illogique ou mol ou lâche ou tiède
En quoi que ce soit, le dire, je ne le puis,
Je ne le dois ! Et ce serait le plus impie
Péché contre le Saint-Esprit que rien n'expie,
Pour ma foi que l'amour éclaire de son feu,
Et pour mon cœur d'or pur le mensonge suprême,
Puisqu'il n'est de justice, après l'église et Dieu,
Que celle qu'on se fait, à confesse, soi-même.
A CHARLES MORIGE
Impérial, royal, sacerdotal, comme une
République Française en ce Quatre-vingt-treize,
Brûlant empereur, roi, prêtre dans sa fournaise,
Avec la danse, autour, de la grande Commune ;
L'étudiant et sa guitare et sa fortune
A travers les décors d'une Espagne mauvaise
Mais blanche de pieds nains et noire d'yeux de braise.
Héroïque au soleil et folle sous la lune ;
Néoptolème, âme charmante et chaste tête.
Dont je serais en même temps le Philoctète
Au cœur ulcéré plus encor que sa blessure.
Et, pour un conseil froid et bon parfois, l'Ulysse;
Artiste pur, poète où la gloire s'assure ;
Cher aux femmes, cher aux lettres, Charles Morice !
A MAURICE DU PLEYSSYS
Je vous prends à témoin entre tous mes amis,
Vous qui m'avez connu dès l'extrême infortune,
Que je fus digne d'elle, à Dieu seul tout soumis,
Sans criard désespoir ni jactance importune,
Simple dans mon mépris pour des revanches viles
Et dans l'immense effort en détournant leurs coups,
Calme à travers ces sortes de guerres civiles
Oiila Faim et l'Honneur eurent leurs tours jaloux,
Et, n'est-ce pas, bon juge, et fier! mon du Plessys,
Qu'en l'amer combat que la gloire revendique
L'Honneur a triomphé de sorte magnifique ?
Aimez-moi donc, aimez quels que soient les soucis
Plissant parfois mon front et crispant mon sourire,
Ma haute pauvreté plus chère qu'un empire.
A PROPOS
D'UN « CENTENAIRE » DE CALDERON
(1600-1681)
▲ JOSE MARIA DE UEREDIA
Ce poète terrible et divinement doux,
Plus largo que Corneille et plus haut que Shakspeare,
Grand comme Eschyle avec ce souffle qui l'inspire,
CeCalderon mystique et mythique esta nous.
Oui cette gloire est nôtre, et nous voici jaloux
De le dire bien haut à ce siècle en délire :
Calderon, catholique avant tout, noble lyre
Et saints accents, et bon catholique avant tous,
Salut! Et qu'est ce bruit fâcheux d'académies.
De concours, de discours, autour de ce grand mort
En éveil parmi tant de choses endormies ?
02 AMOUR
Laissez rêver, laissez penser son Œuvre fort
Qui plane, loin d'un siècle impie et ridicule,
Au-dessus, au-delà des colonnes d'Hercule !
Mai 1881.
A VICTOR HUGO
EN LUI ENVOYANT « SAGESSE »
Nul parmi vos flatteurs d'aujourd'hui n'a connu
Mieux que moi la fierté d'admirer votre gloire :
Votre nom m'enivrait comme un nom de victoire,
Votre œuvre, je l'aimais d'un amour ingénu.
Depuis, la Vérité m'a mis le monde à nu.
J'aime Dieu, son Église, et ma vie est de croire
Tout ce que vous tenez, hélas ! pour dérisoire.
Et j'abhorre en vos vers le Serpent reconnu.
J'ai changé. Comme vous. Mais d'une autre manière.
Tout petit que je suis j'avais aussi le droit
D'une évolution, la bonne, la dernière.
Or, je sais la louange, ô maître, que vous doit
L'enthousiasme ancien ; la voici franche, pleine.
Car vous me fûtes doux en des heures do peine.
iSSl.
SAINT BENOIT-JOSEPH LABRE
JOUR DE LA CANONISATION
Comme l'Église est bonne en ce siècle de haine.
D'orgueil et d'avarice et de tous les péchés,
D'exalter aujourd'hui le caché des cachés,
Le doux entre les doux à l'ignorance humaine
Et le mortifié sans pair que la Foi mène.
Saignant de pénitence et blanc d'extase, chez
Les peuples et les saints, qui, tous sens détachés,
Fit de la Pauvreté son épouse et sa reine.
Comme un autre Alexis, comme un autre François,
Et fut le Pauvre affreux, angélique, à la fois
Pratiquant la douceur, l'horreur de l'Évangile I
Et pour ainsi montrer au monde qu'il a tort
Et que les pieds crus d'or et d'argent sont d'argile,
Comme l'Église est tendre et que Jésus et foril
PARABOLES
Soyez béni, Seigneur, qui m'avez fait chrétien
Dans ces temps de féroce ignorance et de haine;
Mais donnez-moi la force et Taudace sereine
De vous être à toujours fidèle comme un chien,
De vous être l'agneau destiné qui suit bien
Sa mère et ne sait faire au pdtre aucune peine,
Sentant qu'il doit sa vie encore, après sa laine.
Au maître, quand il veut utiliser ce bien,
Le poisson, pour servir au Fils de monogramme,
L'ânon obscur qu'un jour en triomphe il monta,
Et, dans ma chair, les porcs qu'à l'abîme il jeta.
Car l'animal, meilleur que l'homme et que la femme,
En ces temps de révolte et de duplicité
Fait son humble devoir avec simplicité.
SONNET HÉROÏQUE
La Gueule parle : « L'or, et puis encore l'or,
Toujours l'or, et la viande, et les vins, et la viande.
Et l'or pour les vins fins et la viande, on demande
Un trou sans fond pour l'or toujours et l'or encor! »
La Panse dit : « A moi la chute du trésor !
La viande, et les vins fins, et l'or, toute provende,
A moi! Dégringolez dans l'outre toute grande
Ouverte du seigneur Nabuchodonosor ! »
L'œil est de pur cristal dans les suifs de la face :
Il brille, net et franc, près du vrai, rouge et faux.
Seule perfection parmi tous les défauts.
L'Ame attend vainement un remords efficace,
Et dans l'impénitence agonise de faim
Et de soif, et sanglote en pensant à La fin.
1881.
DRAPEAU VRAI
A RAYMOND DE LA TA1LI1ED8
Le soldat qui sait bien et veut bien son métier
Sera l'homme qu'il faut au Devoir inilexible :
Le Devoir, qu'il combatte ou qu'il tire à la cible,
Qu'il s'essore à la mort ou balte un plat sentier ;
Le Devoir, qu'il subisse (et l'aime!) un ordre altier
Ou repousse le bas conseil de tel liorrible
Dégoût; le Devoir bon, le Devoir dur, le crible
Où restent les défauts de l'homme tout entier ;
Le Devoir saint, la fîère et douce Obéissance,
Rappel de la Famille en dépit de la France
Actuelle, au mépris de cette France-là!
Famille, foyer, France antique et l'immortelle,
Le Devoir seul devoir, le Soldat qu'appela
D'avance cette France : or l'Espérance est telle.
PENSEE DU SOIR
k ERNEST RAYNAUD
Couché dans l'herbe pâle et froide de l'exil,
Sous les ifs et les pins qu'argenté le grésil,
Ou bien errant, semblable aux formes que suscite
Le rêve, par l'horreur du paysage scythe.
Tandis qu'autour, pasteurs de troupeaux fabuleux.
S'effarouchent les blancs Barbares aux yeux bleus,
Le poète de l'art d'Aimer, le tendre Ovide
Embrasse l'horizon d'un long regard avide
Et contemple la mer immense tristement.
Le cheveu poussé rare et gris que le tourment
Des bises va mêlant sur le front qui se plisse,
L'habit troué livrant la chair au froid, complice,
Sous l'aigreur du sourcil tordu l'œil terne et las,
La barbe épaisse, inculte et presque blanche, hélas
Tous ces témoins qu'il faut d'un deuil expiatoire
Disent une sinistre et lamentable histoire
AMOUR 69
D'amour excessif, d'&prc envie et de fureur
Ktquol(iuc rcsponsabilil*' d'Kinpereur.
Ovide morne pense à Rome et puis encore
A Rome que sa gloire illusoire décore.
Or, Jésus! vous m'avez justement obscurci :
Mais, n'étant pas Ovide, au moins Je suis ceci.
PAYSAGES
A ANATOLE BAJO
Au pays de mon père on voit des bois sans nombre,
Là des loups font parfois luire leurs yeux dans l'ombre
Et la myrtile est noire au pied du chêne vert.
Noire de profondeur, sur l'étang découvert,
Sous la bise soufflant balsamiquement dure
L'eau saute à petits flots, minéralement pure.
Les villages de pierre ardoisière aux toits bleus
Ont leur pacage et leur labourage autour d'eux.
Du bétail non pareil s'y fait des chairs friandes.
Sauvagement un peu parmi les hautes viandes;
Et l'habitant, grâce à la Foi sauv^^ est heureux.
Au pays de ma mère est un sol plantureux
Où l'homme, doux et fort, vit prince de la plaine
De patients travaux pour quelles moissons pleine,
Avec, rares, des bouquets d'arbres et de l'eau.
L'industrie a sali par place ce tableau
De paix patriarcale et de campagne dense
Et compromis jusqu'à des points cette abondance,
A M 0 u n 71
Mais l'ensemble est resté, gomme toute, trl's bien.
\.c peuple est Troid et chaud, non sans un fond chrétien.
Helle, très au-dessus de toute la contrée.
Se dresse épcrdumont la tour démesurée
D'un gothique befTroi sur le ciel balancé
Allcslant les devoirs et les droits du passé,
Et tout en haut de lui le grand lion de Flandre
Hurle en cris d'or dans l'air moderne : « Osez les prendre ! »
Le pays de mon rêve est un site charmant
Qui tient des deux aspects décrits précédemment :
Quelque Apreté se môle aux saveurs géorgiques.
L'amour et le loisir môme sont énergiques.
Calmes, équilibrés sur l'ordre et le devoir.
La vierge en général s'abstient du nonchaloir
Dangereux aux vertus, et Tamant qui la presse
A coutume avant tout d'éviter la paresse
Où le vice puisa ses armes en tout temps.
Si bien qu'en mon pays tous les cœurs sont contents,
Sont, ou plutôt étaient.
Au cœur ou dans la tête.
La tempête est venue. Est-ce bien la tempête?
En tout cas, il y eut de la grêle et du feu,
Et la misère, et comme un abandon de Dieu.
La mortalité fut sur les mères taries
Des troupeaux rebutés par l'herbe des prairies.
Et les jeunes sont morts après avoir langui
D'un sort qu'on croyait parti d'où, jeté par qui?
72 AMOtin
Dans les champs ravagés la terre diluée
Comme une pire mer flotte en une buée.
Des arbres détrempés les oiseaux sont partis,
Laissant leurs nids et des squelettes de petits.
D'amours de fiancés, d'union des ménages
Il n'est plus question dans mes tristes parages.
Mais la croix des clochers doucement toujours luit,
Dans les cages plus d'une cloche encore bruit,
Et, béni signal d'espérance et de refuge,
L'arc-en-ciel apparaît comme après le déluge.
LUCIEN LÉTINOIS
Mon fils est mort. J'adore, ô mon Dieu, votre loi. —
Je vous offre les pleurs d'un cœur presque parjure ,
Vous châtiez bien fort et parferez la foi
Qu'alanguissait l'amour pour une créature.
Vous chutiez bien fort. Mon fils est mort, hélas I
Vous me l'aviez donné, voici que votre droite
Me le reprend à l'heure où mes pauvres pieds las
Réclamaient ce cher guide en cette route étroite.
Vous me l'aviez donné, vous me le reprenez :
Gloire à vous ! J'oubliais beaucoup trop votre gloire
Dans la langueur d'aimer mieux les trésors donnés
Que le Munificent de toute cette histoire.
Vous me l'aviez donné, je vous le rends très pur,
Tout pétri de vertu, d'amour et de simplesse.
C'est pourquoi, pardonnez, Terrible, à celui sur
Le cœur de qui, Dieu Tort, sévit cette faiblesse.
74 AMOUn
Et laissez-moi pleurer et faites-moi bénir
L'élu dont vous voudrez certes que la prière
Rappi'oche un peu l'instant si bon de revenir
A lui dans Vous, Jésus, après ma mort, dernière.
I
Il
Car vraiment j'ai soufTerl beaucoup l
Débusqué, traqué comme un loup
Qui n'en peut plus d'errer en chasse
Du bon repos, du sûr abri,
Et qui fait des bonds de cabri
Sous les coups de toute une race.
La Haine et l'Envie et l'Argent,
Bons limiers au flair diligent.
M'entourent, me serrent. Ça dure
Depuis des jours, depuis des mois»
Depuis des ans ! Dîner d'émois,
Souper d'efîrois, pitance dure !
Mais, dans l'horreur du bois natal,
Voici le Lévrier fatal,
La Mort. — Ah ! la bête et la brute I -
Plus qu'à moitié mort, moi, la Mort
Pose sur moi sa patte et mord
Ce cœur, sans achever la lutte '
76 AMOUR
Et je reste sanglant, tirant
Mes pas saignants vers le torrent
Qui hurle à travers mon bois chaste.
Laissez-moi mourir au moins, vous,
Mes frères pour de bon, les Loups 1 -
Que ma sœur, la Femme, dévaste.
III
0 la Femme ! Prudent, sage, calme ennemi,
N'exagérant jamais ta victoire à demi.
Tuant tous les blessés, itillant tout le butin,
Et répandant le fer et la flamme au lointain.
Ou bon ami, peu sûr mais tout de même bon,
Et doux, trop doux souvent, tel un feu de charbon
Qui berce le loisir, vous l'amuse et l'endort,
Et parfois induit le dormeur en telle mort
Délicieuse par quoi l'âme meurt aussi !
Femme à jamais quittée, ô oui ! reçois ici,
Non sans l'expression d'un injuste regret,
L'insulte d'un qu'un seul remords ramènerait.
Mais comme lu n'as pas de remords plus qu'un if
N'a d'ombre vive, c'est l'adieu définitif.
Arbre fatal sous qui gît mal l'Humanité,
Depuis Eden jusques à Ce Jour Irrité.
IV
Ma cousine Élisa, presque une sœur aînée — .
Mieux qu'une sœur, ô toi, voici donc ramenée
La saison de malheur où tu me quittas pour
Ce toujours, — ce jamais ! Le voici de retour
Le jour affreux qui m'a sevré de l'aile douce
Oîi m'abriter contre tel chagrin de Tom Pouce,
Tel bobo. Certes oui, pauvre maman était
Bien, trop ! bonne, et mon cœur à la voir palpitait,
Tressautait, et riait, et pleurait de l'entendre.
Mais toi, je t'aimais autrement, non pas plus tendre
Plus familier, voilà. Car la Mère est toujours
Au fond redoutée un petit et respectée
Absolument, tandis qu'à jamais regrettée,
Tu m'apparais, chère ombre, ainsi qu'en ton vivant,
Blonde et rose au profil pourtant grave et rêvant
Avec de beaux yeux bleus où s'instruisait mon âme
De tout petit garçon, et plus tard, où la flamme
De ma forte amitié chaste d'adolescent
AMOUR
TO
Puis (l'hommo mettait un reflet incanJescent.
Kt tu iiio fus d'abord guide puis camarade,
Puis ami, non amie (une nuance fadej.
Et tu dors maintenant après m'avoir béni.
Mais je sens Lien qu'en moi quelque chose est fini.
J'ai la fureur d'aimer. Mon cœur si faible est fou^
N'importe quand, n'importe quel et n'importe où,
Qu'un éclair de beauté, de vertu, de vaillance
Luise, il s'y précipite, il y vole, il s'y lance.
Et, le temps d'une étreinte, il embrasse cent fois
L'être ou l'objet qu'il a poursuivi de son choix;
Puis, quand l'illusion a replié son aile.
Il revient triste et seul bien souvent, mais fidèle.
Et laissant aux ingrats quelque chose de lui,
Sang ou chair. Mais, sans plus mourir dans son ennui.
Il embarque aussitôt pour l'île des Chimères
Et n'en rapporte rien que des larmes amères
Qu'il savoure, et d'affreux désespoirs d'un instant,
Puis rembarque.
— Il est brusque et volontaire tant
Qu'en ses courses dans les infinis il arrive,
Navigateur têtu, qu'il va droit à la rive,
Sans plus s'inquiéter que s'il n'existait pas
De recueil proche qui met son esquif à bas.
AMOUR 81
Mais lui Tait do recueil un tremplin et dirigo
Sa naj^c vers le bord. I/y voilà. Le prodige
Serait qu'il n'eût pas fait avidement le tour,
Du matin jusqu'au soir et du soir jusqu'au jour,
Et le tour et le tour encore du promontoire,
Et rien ! Pas d'arbres ni d'heibcs, pas d'eau pour boire,
La faim, la soif, et les yeux brûlés du soleil,
Et nul vestige humain, et pas un cœur pareil!
Non pas à lui, — jamais il n'aura son semblable, —
Mais un cœur d'homme, un cœur vivant, un cœur palpable
Fût-il faux, fût-il lâche, un cœur! quoi, pas un cœur I
Il attendra, sans rien perdre de sa vigueur
Que la fièvre soutient et l'amour encourage,
Qu'un bateau montre un bout de mdt dans ce parage,
Et fera des signaux qui seront aperçus,
Tel il raisonne. Et puis fiez-vous là-dessus ! —
Un jour il restera non vu, l'étrange apôtre.
Mais que lui fait la mort, sinon celle d'un autre?
Ah ! ses morts ! Ah ! ses morts, mais il est plus mort qu'eux !
Quelque fibre toujours de son esprit fougueux
Vit dans leur fosse et puise une tristesse douce ;
Il les aime comme un oiseau son nid de mousse ;
Leur mémoire est son cher oreiller, il y dort.
Il rêve d'eux, les voit, cause avec et s'endort
Plein d'eux que pour encor quelque effrayante affaire
J'ai la fureur d'aimer. Qu'y faire? Ah! laisser faire! ^
VI
0 ses lettres d'alors! les miennes elles-mênesl
Je ne crois pas qu'il soit des choses plus suprêmes.
J'étais, je ne puis dire mieux, vraiment très bien.
Ou plutôt, je puis dire tout, vraiment chrétien.
J'éclatais de sagesse et de sollicitude,
Mettant tout mon soin pieux, toute l'étude
Dont tout mon être était capable, à confirmer
Cette âme dans l'effort de prier et d'aimer.
Oui, j'étais devant Dieu qui m'écoute, si j'ose
Le dire, quel que soit l'orgueil fou que suppose
Un tel serment juré sur sa tête qui dort,
Pur comme un saint et mûr pour cette bonne mort.
Qu'aujourd'hui j'entrevois à travers bien des doutes.
Mais lui ! ses lettres ! l'ange ignorant de nos routes,
Le pur esprit vêtu d'une innocente chair !
0 souvenir, de tous peut-être mon plus cher !
Mots frais, la phrase enfant, style naïf et chaste
Où marche la vertu dans la sorte de faste.
AMOUR
Déroulement d'encens, cymbales de cristal,
Qui sied ù la candeur de cet flge natal.
Vingt ans !
Trois ans après il naissait dans la gloire
Éternelle, emplissant à jamais ma mémoire.
VII
Mon fils est brave ; il va sui' son cheval de guerre,
Sans reproche et sans peur par la route du bien,
Un dur chemin d'embûche et de piège où naguère
Encore il fut blessé et vainquit en chrétien.
Mon fils est fier : en vain sa jeunesse et sa force
L'invitent au plaisir par les langueurs du soir,
Mon enfant se remet, rit de la vile amorce,
Et, les yeux en avant, aspire au seul devoir.
Mon fils est bon : un jour que du bout de son aile
Le soupçon d'une faute effleurait mes cheveux,
Mon enfant, pressentant l'angoisse paternelle,
S'en vint me consoler en de nobles aveux.
Mon fils est fort : son cœur était méchant, maussade.
Irrité, dépité ; mon enfant dit : « Tout beau.
Ceci ne sera pas. Au médecin, malade ! »
"Vint au prêtre, et partit avec un cœur nouveau
AMOUR 85
Mais surtout quo mon fils est beau ! Dieu Tcnvironno
Do lumiùro et d'amour, parce qu'il fut pieux
Et doux et digne cncor de la Sainte Couronne
Réservée aux soldats du combat pour les cieux.
Chère tête un instant courbée, humiliée
Sous le Verbe éternel du Règne triomphant,
Sois bénie à présent que réconciliée.
— Et je baise le front royal de mon enfant I
VIII
0 l'odieuse obscurité
Du jour le plus gai de l'année
Dans la monstrueuse cité
Où se fit notre destinée !
Au lieu du bonheur attendu,
Quel deuil profond, quelles ténèbres l
J'en étais comme un mort, et tu
Flottais en des pensers funèbres.
La nuit croissait avec le jour
Sur notre vitre et sur notre âme,
Tel un pur, un sublime amour
Qu'eût étreint la luxure infâme ;
Et l'affreux brouillard refluait
Jusqu'en la chambre où la bougie
Semblait un reproche muet
Pour quelque lendemain d'orgie,
AMOUR 87
Un remords de péché mortel
Serrait notre cœur solitaire...
Puis notre désespoir fut tel
Que nous oubliâmes la terre,
Et que pensant au seul Jésus
Né rien que pour ce jour môme,
Notre foi prenant le dessus
Nous éclaira du jour suprême,
— Bonne tristesse qu'aima Dieut
Brume dont se voilait la Grûce,
Crainte que l'éclat de son feu
Ne iatigudt notre âme lasse.
Délicates attentions
D'une Providence attendrie !.••
0 parfois encore soyons
Ainsi tristes, âmè chérie I
IX
Tout en suivant ton blanc convoi, je me disais
Pourtant : C'est vrai, Dieu t'a repris quand tu faisais
Sa joie et dans l'éclair de ta blanche innocence.
Plus tard la Femme eût mis sans doute en sa puissance
Ton cœur ardent vers elle affrontée un momen i
Seulement et t'ayant laissé le tremblement
D'elle, et du trouble en l'âme à cause d'une étreinte ;
Mais tu t'en détournas bientôt par noble crainte
Et revins à la simple, à la noble Vertu,
Tout entier à fleurir, lys un instant battu
Des passions, et plus viril après l'orage,
Plus magnifique pour le céleste suffrage
Et la gloire éternelle... Ainsi parlait ma foi.
Mais quelle horreur de suivre, ô toi ! ton blanc convoi I
Il patinait merveilleusement,
S'élançant, qu'impétueusement I
n'arrivant si joliment vraiment.
Fin comme une grande jeune fille.
Brillant, vif et fort, telle une aiguille,
La souplesse, l'élan d'une anguille.
Des jeux d'optique prestigieux,
Un tourment délicieux des yeux,
Un éclair qui serait gracieux.
Parfois il restait comme invisible.
Vitesse en route vers une cible
Si lointaine, elle-même invisible...
Invisible de même aujourd'hui.
Que sera-t-il advenu de lui ?
Que sera-t-il advenu de lui?
XI
La Belle au Bois dormait, Gendrillon sommeillait,
Madame Barbe-bleue? elle attendait ses frères;
Et le petit Poucet, loin de l'ogre si laid,
Se reposait sur l'herbe en chantant des prières.
L'oiseau couleur-de-temps planait dans Tair léger
Qui caresse la feuille au sommet des bocages
Très nombreux, tout petits, et rêvant d'ombrager
Semaine, fenaison, et les autres ouvrages.
Les fleurs des champs, les fleurs innombrables des champs,-
Plus belles qu'un jardin où l'Homme a mis ses tailles.
Ses coupes et son goût à lui, — les fleurs des gens ! —
Flottaient comme un tissu très fin dans l'or des pailles,
Et, fleurant simple, ôtaient au vent sa crudité,
Au vent fort mais alors atténué, de l'heure
Où l'après-midi va mourir. Et la bonté
Du paysage au cœur disait : Meurs ou demeure I
AMOUR 01
Les blés encore verls, les seigles déjà blonds
Accupillaiont riiirondelle en leur flot pacifique.
Un tas de voix d'oiseaux criait vers les sillons
Si doucement qu'il ne faut pas d'autre musique...
Pcau-d'Ane rentre. On bat la retraite — écoutez! —
Dans les États voisins de Riquet-à-la-Houppe,
Et nous joignons l'auberge, enchantés, esquintés,
Le bon coin où se coupe et se trempe la soupe!
XII
Je te vois encore à cheval
Tandis que chantaient les trompettes,
Et ton petit air martial
Chantait aussi quand les trompettes;
Je te vois toujours en treillis
Comme un long Pierrot de corvée
Très élégant sous le treillis»
D'une allure toute trouvée ;
Je te vois autour des canons,
Frêles doigts dompteurs de colosses.
Grêles voix pleines de crés noms,
Bras chétifs vainqueurs de colosses;
Et je te rêvais une mort
Militaire, sûre et splendide.
Mais Dieu vint qui te fit la mort
Confuse de la typhoïde...
AMOUR V3
Seigneur, j'adoro vos desseins,
Mais commo ils sont impénétrables!
Je les adoro, vos desseins,
Mais comme ils sont impénr-tiablesl
XIII
Le petit coin, le petit nid
Que j'ai trouvés,
Les grands espoirs que j'ai couvés.
Dieu les bénit.
Les heures des fautes passées
Sont effacoes
Au pur cadran de mes pensées.
L'innocence m'entoure et toi,
Simplicité.
Mon cœur par Jésus visité
Manque de quoi?
Ma pauvreté, ma solitude,
Pain dur, lit rude,
Quel soin jaloux! l'exquise étude t
L'àme aimante au cœur fait exprès,
Ce dévouement,
Viennent donner un dénouement
Calme et si frais
AMOUR 9S
A la délresso de ma vie
Inassouvie
D*avoir satisfait toute cDvio !
Seigneur, ô merci. N'est-ce pas
La bonne mort?
Aimez mon patient cfTort
Et nos combats.
Les miens et moi, le ciel nous voie
Par l'humble voie
Entrer, Seigneur, dans Votre joie.
I
XIV
Notre essai de culture eut une triste fln,
Mais il fit mon (>ilire un long temps et ma joie :
J'y voyais se développer ton être fin
Dans ce beau travail qui bénit ceux qu'il emploie ;
J'y voyais ton profil fluet sur l'horizon
Marcher comme à pas vifs derrière la charrue,
Gourmandant les chevaux ainsi que de raison,
Sans colère, et criant diah et criant hue ;
Je te voyais herser, rouler, faucher parfois,
Consultant les anciens, inquiet d'un nuage,
L'hiver à la batteuse ou liant dans nos bois,
Je t'aidais, vite hors d'haleine et tout en nage.
Le dimanche, en l'éveil des cloches, tu suivais
Le chemin de jardins pour aller à la Messe ;
Après midi, l'auberge une heure où tu buvais
Pour dire, et puis la danse aux soirs de grand'liesse.
AMOUB 97
Hélas ! tout ce bonheur que je croyais permis,
Vertu, courage & deux, non mépris de la tonlb
Mais pitié d'elle avec très peu de bons amis,
Croula dans des choses d'argent comme un mur croule
Après, tu meurs ! — Un dol sans pair livre à la Faim
Ma fierté, ma vigueur, et la gloire apparue...
Ahl frérot! est-ce enfin là-haut ton spectre fin
Qui m'appelle à grands bras derrière la charrue?
XV
Puisque encore déjà la sottise tempête,
Explique alors la chose, ô malheureux poète.
Je connus cet enfant, mon amère douceur,
Dans un pieux collège où j'étais professeur.
Ses dix-sept ans mutins et maigres, sa réelle
Intelligence, et la pureté vraiment belle
Que disaient et ses yeux et son geste et sa voix,
Captivèrent mon cœur et dictèrent mon choix
De lui pour fils, puisque, mon vrai fils, mes entrailles.
On me le cache en manière de représailles
Pour je ne sais quels torts charnels et surtout pour
Un lier départ à la recherche de l'amour
Loin d'une vie aux platitudes résignée !
Oui, surtout et plutôt pour ma fuite indignée
En compagnie illustre et fraternelle vers
Tous les points du physique et moral univers,
— Il paraît que les gens dirent jusqu'à Sodome, —
Où mourussent les cris de Madame Prudhomme I
I
Aiioun M
Je lui fis part de mon dessein. II accepta.
Il avait des parents qu'il aimait, qu'il quitta
DVsprit pourôtre mien, tout en restant son maître
Kt maître de son cœur, de son ûme peut-ôtre,
Mais de son esprit, plus.
Ce fut bien, ce fut b«au.
Et c'eût été trop bon, n'eût été le tombeau.
Jugez.
En même temps que toutes mes idées,
(Les bonnes !) entraient dans son esprit, précédées
De l'Amitié jonchant leur passage de fleurs.
De lui, simple et blanc comme un lys calme aux couleu0
D'innocence candide et d'espérance verte.
L'Exemple descendait sur mon Ame entr'ouverte
Et sur mou cœur qu'il pénétrait plein de pitié;
Par un cliemin semé des fleurs de l'Amilié;
Exer.iple des vertus joyeuses, la franchise,
La chasteté, la foi naïve dans l'Église,
Exemple des vertus austères, vivre en Dieu,
Le chérir en tout temps et le craindre en tout lieu,
Sourire, que l'instant soit léger ou sévère,
Pardonner, qui n'est pas une petite affaix-el
—Cela dura six ans, puis l'ange s'envola,
Dès lors je vais hagard et comme ivre. Voilà.
XVI
Cette adoption de toi pour mon enfant
Puisque l'on m'avait volé mon fils réel,
Elle n'était pas dans les conseils du ciel,
Je me le suis dit, en pleurant, bien souvent ;
Je me le suis dit toujours devant la tombe
Noire de fusains, blanche de marguerites,
Elle fut sans doute un de ces démérites
Cause de ces mots où voici que je tombe,
Ce fut, je le crains, un faux raisonnement.
A bien réfléchir je n'avais pas le droit,
Pour me consoler dans mon chemin étroit,
De te choisir, même ô si naïvement,
Même ô pour ce plan d'humble vertu cachée :
Quelques champs autour d'une maison sans faste
Que connaît le pauvre, et sur un bonheur chaste
La grâce de Dieu complaisamment penchée;
AMOun iOt
Fallait le laisser pauvre et gai dans ton nid,
Ne pas te môlor à mes jeux orageux,
Et soulTrir l'exil en proscrit courageux,
L'exil loin du (Ils né d'un amour bénit.
11 me reviendrait, le fils des justes noces,
A l'époque d'ôtre au moment d'tMre un homme,
Quand il comprendrait, quand il sentirait comme
Son père endura de sottises féroces 1
Cette adoption fut le fruit défendu;
J'aurais dû passer dans l'odeur et le frais
De l'arbre et du fruit sans m'arrcler auprès.
Le ciel m'a puni... J'aurais dû, j'aurais dùl
»
XVI
Ce portrait qui n'est pas ressemblant,
Qui fait roux tes cheveux noirs plutôt,
Qui fait rose ton teint brun plutôt,
Ce pastel, comme il est ressemblant f
Car il peint la beauté de ton ûme,
La beauté de ton âme un peu sombre
Mais si chère au fond que, sur mon ûme,
Il a raison de n'avoir pas d'ombre.
Tu n'étais pas beau dans le sens vil
Qu'il paraît qu'il faut pour plaire aux dames.
Et, pourtant, de face et de profil.
Tu plaisais aux hommes comme aux femmes.
Ton nez certes n'était pas si droit.
Mais plus court qu'il n'est dans le pastel,
Mais plus vivant que dans le pastel,
Mais aussi long et droit que de droit.
AMOUR 103
Ta lèvre et son ombre de moustache
Fut rouge moins qu'en celte peinture
Où lu n'as pas du tout de moustache,
Mais c'est ta souriancc si pure.
Ton port de cou n'était pas si dur,
Mais llexiblc, et d'un aigle et d'un cygne;
Car ta fierté parfois primait sur
Ta douceur dive et ta grâce insigne.
Mais tes yeux, ahl tes yeux, c'est bien eux.
Leur regard triste et gai, c'est bien lui.
Leur éclat apaisé c'est bien lui.
Ces sourcils orageux, que c'est eux !
Ah ! portrait qu'en tous les lieux j'emporte
Où m'emporte une fausse espérance,
Ah! pastel spectre, te voir m'emporte
Où? parmi tout, jouissance et transe 1
0 l'élu de Dieu, priez pour moi.
Toi qui sur terre étais mon bon ange;
Car votre image, plein d'alme émoi.
Je la vénère d'un culle étrange.
XVIII
Ame, te souvient-il, au fond du paradis,
De la gare d'Auteuil et des trains de jadis
T'amenant chaque jour, venus de La Chapelle?
Jadis déjà! Combien pourtant je me rappelle
Mes stations au bas du rapide escalier
Dans l'attente de toi, sans pouvoir oublier
Ta grâce en descendant les marches, mince et leste
Comme un ange le long de l'échelle céleste.
Ton sourire amical ensemble et filial,
Ton serrement de main cordial et loyal.
Ni tes yeux d'innocent, doux mais vifs, clairs et sombres
Qui m'allaient droit au cœur et pénétraient mes ombres.
Après les premiers mots de bonjour et d'accueil.
Mon vieux bras dans le tien, nous quittions cet Auteuil,
Et sous les arbres pleins d'une gente musique,
Notre entretien était souvent métaphysique.
0 tes forts arguments, ta foi du charbonnier !
Non sans quelque tendance, ô si franche ! à nier,
Mais si vite quittée au premier pas du doute 1
Et puis nous rentrions, plus que lents, par la route
Un peu des écoliers, chez moi, chcs nous plutôt,
Y déjeuner de rien, rumailler vite et tût,
Et dépêcher longtemps une vague besogne.
Mon pauvre enfant, ta voix dans le bois de Boulogne!
XIX
11 m'arrivait souvent, seul avec ma pensée,
— Pour le fils de son nom tel un père de chair, —
D'aimer à te rêver dans un avenir cher
La parfaite, la belle et sage fiancée.
Je cherchais, je trouvais, jamais content assez,
Amoureux tout d'un coup et prompt à me reprendre.
Tour à tour confiant et jaloux, froid et tendre,
Me crispant en soupçons, plein de soins empressés,
Prenant ta cause enfin jusqu'à tenir ta place.
Tant j'étais lien, que dis-je là? tant j'étais toi,
Un toi qui t'aimait mieux, savait mieux qui et quoi.
Discernait ton bonheur de quel cœur perspicace !
Puis, comme ta petite femme s'incarnait,
Toute prête, vertu, bon nom, grâce et le reste,
0 nos projets! voici que le Père céleste,
Mieux informé, rompit le mariage net.
A 11 0 un 107
Kl ravit, pour la Seule épouse, pour la Gloire
Klcrnelle, ton Amn aux plus ultimes cieux,
Kn attendant que ressuscite glorieux
Ton corps, aimable et fin compagnon de victoire.
XX
Tu mourus dans la salle Serre,
A l'hospice de la Pitié ;
On avait jugé nécessaire
De t'y mener mort à moitié.
J'ignorais cet acte funeste.
Quand j'y courus et que j'y fus,
Ce fut pour recueillir le reste
De ta vie en propos confus.
Et puis, et puis, je me rappelle
Comme d'hier, en vérité :
Nous obtenons qu'à la chapelle
Un service en noir soit chanté:
Les cierges autour de la bière
Flambent comme des yeux levés
Dans l'extase d'une prière
Vers des paradis retrouvés ;
AMOUR 109
La croix du tabernacle et celle
De l'absoute luisent ainsi
Qu'un espoir infini que scelle
La Parole et le Sang oussi ;
La bière est blanche qu'illumine
La cire et berce le plain-chant
De promesse et de paix divine,
Berceau plus frêle et plus touchant.
XXI
Si lu ne mourus pas entre mes bras,
Ce fut tout comme, et de ton agonie,
J'en vis assez, ô détresse infinie!
Tu délirais, plus pâle que tes draps ;
Tu me tenais, d'une voix trop lucide,
Des propos doux et fous, « que j'étais mort.
Que c'était triste », et tu serrais très fort
Ma mam tremblante, et regardais à vide;
Je me tournais, n'en pouvant plus de pleurs.
Mais ta fièvre voulait suivre son thème.
Tu m'appelais par mon nom de baptême,
Puis ce fut tout, ô douleurs des douleurs !
J'eusse en effet dû mourir à ta place,
Toi debout, là, présidant nos adieux... !
Je dis cela faute de dire mieux.
Et pardonnez, Dieu juste, à mon audace.
XXII
L'affreux Ivry dévorateur
A tes reliques dans sa terre
Sous de pâles Heurs sans odeur
Et des arbres nains sans mystère.
Je laisse les charniers ûétris
Où gtt la moitié de Paris.
Car, mon fils béni, tu reposes
Sur le territoire d'Ivry-
Commune, où, du moins, mieux encloses.
Les tombes dorment à l'abri
Du flot des multitudes bêtes.
Les dimanches, jeudis et fêtes.
Le cimetière est trivial
Dans la campagne révoltante,
Mais je sais le coin filial
Où ton corps a planté sa tente.
H 2 AMOUR
— Ami, je viens parler à toi.
— Commence par prier pour moi.
Bien pieusement je me signe
Devant la croix de pierre et dis
En sanglotant à chaque ligne
Un très humble De profundis.
— Alors ta belle âme est sauvée î
— Mais par quel désir éprouvée 1
Les fleurettes du jardinet
Sont bleuâtres et rose tendre
Et blanches, et l'on reconnaît'
Des soins qu'il est juste d'attendre.
— Le désir, sans doute, de Dieu ?
— Oui, rien n'est plus dur que ce feu.
Les couronnes renouvelées
Semblent d'agate et de cristal ;
Des feuilles d'arbres des allées
Tournent dans un grand vent brutal.
— Comme tu dois souffrir, pauvre âme !
— Rien n'est plus doux que dans cette flamme.
AMoun M3
Voici le soir gris qui descend ;
Il faut quitter le cimetière,
Et je m'éloigne en t'adressant
Une invocation dernière :
— Ame vers Dieu, pensez à moi.
— Commence par prier pour toi.
XXIII
0 Nouvelle-Forêt ! nom de féerie et d'armes I
Le mousquet a souvent rompu philtres et charmes
Sous tes rameaux où le rossignol s'effarait.
0 Shakspeare ! ô Cromwell ! ô Nouvelle-Forêt I
Non désormais joli seulement, plus tragique
Ni magique, mais, par une aimable logique,
Encadrant Lymington, vieux boui'g, le plus joli
Et le plus vieux des bourgs jadis guerriers, d'un pli
D'arbres sans nombre vains de leur grâce hautaine,
Avec la mer qui rêve haut, pas très lointaine,
Comme un puissant écho des choses d'autrefois.
J'y vécus solitaire, ou presque, quelques mois,
Solitaire et caché, — comme, tapi sous l'herbe.
Tout ce passé dormant aux pieds du bois superbe, -
Non sans, non plus, dans l'ombre et le silence fiers,
Moi, le cri sourd de mes avant-derniers hiers,
Passion, ironie, atroce grosse joie !
Non sans, non plus, sur la dive corde de soie
Et d'or du cœur désormais pur, cette chanson,
La meilleure ! d'amour filial au frisson
AMOUR ir
Héni c«;rlc8. — 0 ses Ictlros dans la semaine
Pur la l»oîle vitrée, et que fou je promèno,
Fou do plaisir, i travers bois, les relisant
Cent fois. — Et cet Ivry-commune d'ù-présenl.
XXIV
Ta voix grave et basse
Pourtant était douce
Comme du velours,
Telle, en ton discours,
Sur de sombre mousse
De belle eau qui passe.
Ton rire éclatait
Sans gêne et sans art,
Franc, sonore et libre.
Tel, au bois qui vibre,
Un oiseau qui part
Trillant son motet.
Cette voix, ce rire
Font dans ma mémoire.
Qui te voit souvent
Et mort et vivant.
Comme un bruit de gloire
Dans quelque martyre.
Alloua 117
Ma tristesse en toi
S'égaio h. ces sons
Qui disent : « Courage
Au cœur que l'orage
Emplit des frissons
De quel triste émoi !
Orage, la rage.
Tais-la, que jo cause
Avec mon ami
Qui semble endormi,
Mais qui se repose
En un conseil sage...
XXV
0 mes morts tristement nombreux
Qui me faites un dôme ombreux
De paix, de prière et d'exemple,
Comme autrefois le Dieu vivant
Daigna vouloir qu'un humble enfant
Se sanctifiât dans le temple.
0 mes morts penchés sur mon cœur.
Pitoyables à sa langueur,
Père, mère, âmes angéliques,
Et toi qui fus mieux qu'une sœur,
Et toi, jeune homme de douceur
Pour qui ces vers mélancoliques,
Et vous tous, îa meilleure part
De mon âme, dont le départ
Flétrit mon heure la meilleure.
Ami que votre heure faucha,
0 mes morts, voyez que déjà
Il se fait temps qu'aussi je meure.
AMOUR 119
Car plus rien sur terre qu'exil !
El pourquoi Dieu rclire-l-il
Lo pain lui-même de ma bouche,
Sinon pour me rejoindre à vous
Dans son sein redoutable et doux,
Loin de ce monde ûpre et farouche.
Aplanissez-moi le chemin,
Venez me prendre par la main,
Soyez mes guides dans la gloire.
Ou bien plutôt, — Seigneur vengeur! —
Priez pour un pauvre pêcheur
Indigne encor du Purgatoire.
BATIGNOLLES
Un grand bloc de grès ; quatre noms : mon père
Et ma mère et moi, puis mon fils bien tard.
Dans l'étroite paix du plat cimetière
Blanc et noir et vert, au long du rempart.
Cinq tables de grès ; le tombeau nu, fruste,
En un carré long, haut d'un mètre et plus.
Qu'une chaîne entoure et décore juste.
Au bas du faubourg qui ne bruit plus.
C'est de là que la trompette de l'ange
Fera se dresser nos corps ranimés
Pour la vie enfin qui jamais ne change,
0 vous, père et mère et fils bien-aiméa.
A GEORGES VERLAINE
Ce liv-e ira vers toi comme celui d'Ovide
S'en alla vers la Ville.
Il fut chassé de Rome; un coup bien plus perfide
Loin de mon fils m'exile.
Te reverrai-je? Et quel? Mais quoi? moi mort ou non,
Voici mon testament :
Crains Dieu, ne hais personne, et porte bien ton nom
Qui fut porté dûment.
BONHEUR
L'incroyable, Tunique horreur de pardonner,
Quand l'offense et le tort ont eu cette envergure,
Est un royal effort qui peut faire figure
Pour le souci de plaire et le soin d'étonner :
L'orgueij, qu'il faut, se doit prévaloir sans scrupule
Et s'endormir pur, fort des péchés expiés,
Jjoux, le front dans les cieux reconquis, et les pieds
Sur celte humanité toute honte et crapule
Ou plutôt et surtout, gloire à Dieu qui voulut
Au cœur qu'un nen émeut, tel sous des doigts un luth,
Faire un pou de repos dans l'entier sacrifice.
Paix à ce cœur enfin de bonne volonté
Qui ne veut battre plus que vers la Charité,
Et que votre plaisir, ô Jésus, s'assouvisse.
II
La vie est bien sévère
A cet homme trop gai :
Plus le vin dans le verre
Pour le sang fatigué,
Plus l'huile dans la lampe
Pour les yeux et la main,
Plus l'envieux qui rampe
Pour l'orgueil surhumain,
Plus l'épouse choisie
Pour vivre et pour mourir.
En qui l'on s'extasie
Pour s'aider à souffrir,
Hélas ! et plus les femmes
Pour le cœur et la chair.
Plus la Foi, sel des âmes,
Pour la peur de l'Enfer,
DONIIRUR 127
El ni plus TEspérance
Pour le ciel mérité
Par combien de souffrance 1
Rien. Si. La Charité.
Le pardon des offenses
Comme un déchirement,
L'abandon des vengeances.
Comme un délaissement,
Changer au mieux le pire,
A la méchanceté
Déployant son empire,
Opposer la bonté,
Peser, se rendre compte.
Faire la part de tous,
Boire la bonne honte,
Être toujours plus doux...
Quelque chaleur va luire
Pour le cœur fatigué,
La vie enfin sourire
A cet homme trop gai.
Et puisque je pardonne,
Mon Dieu, pardonnez-moi,
Ornant Tdme enfîn bonne
D'espérance et de foi.
III
Après la chose faite, après le coup porté
Après le joug très dur librement accepté,
Et le fardeau plus lourd que le ciel et la terre,
Levé d'un dos vraiment et gaîment volontaire,
Après la bonne haine et la chère rancœur.
Le rêve de tenir, implacable vainqueur.
Les ennemis du cœur et de l'âme et les autres;
De voir couler des pleurs plus alTreux que les nôtres
De leurs yeux dont on est le Moïse au rocher,
Tout ce train mis en fuite, et courez le chercher 1
Alors on est content comme au sortir d'un rôve,
On se retrouve net, clair, simple, on sent que crève
Un abcès de sottise et d'erreur, et voici
Que de l'éternité, symbole en raccourci
Toute une plénitude afflue, aime et s'installe,
L'être palpite entier dans la forme totale.
Et la chair est moins faible et l'esprit moins prompt;
Désormais, on le sait, on s'y tient, fleuriront
BONUEun 129
1,0 lys (lu faire pur, celui du clinslo dire,
Et, si daigne Jésus, la rose du martyre.
Alors on trouve, ô Jésus si lent à vous venger,
Combien doux est le joug et le fardeau légerl
Charité la plus forte entre toutes les Forces,
Tu veux dire, saint piège aux célestes amorces,
Les mains tendres du fort, de l'heureux et du grand
Autour du sort plaintif du faible et du souffrant.
Le regard franc du riche au pauvre exempt d'envie
Ou jaloux, et ton nom encore signifie
Quelle douceur choisie, et quel droit dévouement,
Et ce tact virginal, et l'ange exactement!
Mais l'ange est innocent, essence bienheureuse.
Il n'a point à passer par notre vie affreuse
Et toi. Vertu sans pair, presqu'Une, n'es-tu pas
Humaine en même temps que divine, ici-bas?
Aussi la conscience a dû, pour des fins sûres.
Surtout sentir en toi le pardon des injures.
Par toi nous devenons semblables à Jésus
Portant sa croix infâme et qui, cloué dessus.
Priait pour ses bourreaux d'Israël et de Rome,
A Jésus qui, du moins, homme avec tout d'un homme,
N'avait lui jamais eu de torts de son côté,
Et, par Lui, tu nous fais croire en l'éternité.
n.
De plus, cette ignorance de Vous I
Avoir des yeux et ne pas vous voir,
Une âme et ne pas vous concevoir.
Un esprit sans nouvelles de Vous !
0 temps, ô mœurs qu'il en soit ainsi,
Et que ce vase de belles fleurs,
Qu'un tel vase, précieux d'ailleurs,
De la plus belle se passe ainsi !
Religion, unique raison,
Et seule règle et loi, piété,
Rien, là, de vous n'a jamais été,
Pas un penser juste, une oraison !
Aussi cette ignorance de tout!
Et de soi-même, droits et devoirs
Et des autres, leurs justes pouvoirs,
Leur action légitime et tout !
BONilBUII
131
Jus(]u'i\ int'connaîlrtî on moi quel nom,
(Juel lilre augurai cl de par Dicul
El six ans pusses h plaire à Dieu,
Vertu réelle, effort bel et bon!
Jusqu'à ne pas se douter vraiment
Ou tour affreux et plus que cruel
Qu'un sot grief, î\ peine réel,
in (lige à ses revanches vraiment.
Éclairez ces t(5ni;bres de mort,
C'est votre créature après tout.
L'ignorance invincible l'absout.
Bah! claire et bonne lui soit la morL
L'adultère, celui du moins codifié
Au mépris de l'Église et de Dieu ddfié,
Tout d'abord doit sembler la faute irrémissible.
Tel un trait lancé juste, ayant l'enfer pour cible!
Beaucoup de vrais croyants, questionnés ici,
Répondraient à coup sûr qu'il en retourne ainsi.
D'autre part le mondain, qui n'y voit pas un crime,
Pour qui tous mauvais tours sont des bons coups d'escrime,
Rit du procédé lourd, préférant, affrontés,
Tous risques et périls à ces légalités
Abominablement prudentes et transies
Entre ces droits divers et plusieurs fantaisies,
Enfin juge le cas boiteux, piteux, honteux.
Le Sage, de qui l'ùme et l'esprit vont tous deux,
Bien équilibrés, di'oit, au vrai milieu des causes,
Pleure sur telle femme en route pour ces choses.
Il plaide l'ignorance, elle donc ne sachant -f .
Que le côté naïf, c'est-à-dire méchant.
BONnKUR
133
IkMas ! do celte douce et misérable vie.
Kllc platl et liî sait, et ce qu'elle est ravie
Mais sou caprice lue, elle l'ignoro tant!
Elle croit que d'aimer c'est de l'argent comptant,
Non un fonds travaillant, qu'on paie et qu'on est quitte,
Que d'aitncr c'est toujours « qu'arriva-t-clle ensuite »,
Non un seul vœu qui lient jusqu'à la mort de nous.
Et certes suscité, néanmoins son courroux
(•ronde le seul péché, plaignant les pécheresses,
Coupables tout au plus de certaines paresses,
Et les trois quarts du temps luxurieuses point.
Bêle orgueil, intérêt mesquin, voilà le joint,
Avec d'avoir été trop ou trop peu jalouses.
Seigneur, ayez pitié des âmes, nos épouses.
VI
Puis, déjà très anciens,
Des songes de souvenirs,
Si doux nécromancieiis
D'encor pires avenirs :
Une fille, presque enfant,
Quasi z(!'zayante un peu,
Dont on s'éprit en rêvant,
Et qu'on aima dans le bleu.
Mains qu'on baisa que souvent
Bouche aussi, cheveux aussi I
C'était l'âge triomphant
Sans feintise et sans souci.
Puis on eut tous les deux tort,
Mais l'autre n'en convient pas.
Et si c'est pour l'un la mort,
Pour l'autre c'est le trépas.
B 0 N U E U il
135
Monlrcz-vous, Dieu de douceur,
Fùl-co nu suprômc moment,
Pour qu'aussi Vàmo, ma sœur.
Revive éternellement.
VII
Maintenant, au gouffre du Bonheur I
Mais avant le glorieux naufrage
Il faut faire à cette mer en rage
Quelque sacrifice et quelque honneur.
Jettes-y, dans cette mer terrible,
Ouragan de calme, flot de paix,
Tes songes creux, tes rêves épais,
Et tous les défauts comme d'un crible.
(Car de gros vices tu n'en as plus.
Quant aux défauts, foule vénielle
Contaminante, ivraie et nielle.
Tu les as tous on ne peut pas plus.)
Jettes-y tes petites colères,
— Garde-les grandes pour les cas vrais,
Les scrupules excessifs après,
— Les extrêmes, que tu les tolères 1
BONIIRUn
137
Jclto la moindre velléité
De concupiscence, quelle qu'elle
Soit, femmes ou vin ou gloire, ah! quelle
Qu'elle soit, qu'importe en vérité I
Jette-moi tout ce luxe inutile
Sans soupir, au contraire, en chantant,
Jette sans peur, au contraire étant
Lors détesté d'un luxe inutile
Jette à l'eau ! Que légers nous dansions
En route pour l'entonnoir tragique
Que nul atlas ne cite ou n'indique,
Sur la mer des Résignations.
VIII
L'homme pauvre du cœur est-il si rare, en somme "t
Non. Et je suis cet homme et vous êtes cet homme,
Et tous les hommes sont cet homme ou furent lui,
Ou le seront quand l'heure opportune aura lui.
Conçus dans l'agonie épuisée et plaintive
De deux désirs que, seul, un feu brutal avive,
Sans vestige autre nôtre, à travers cet émoi,
Qu'une larme de quoi! Que pleure quoi! dans quoi!
Nés parmi la douleur, le sang et la sanie
Nus, de corps sans instinct et d'âme sans génie
Pour grandir et souffrir par l'àme et par le corps,
Vivant au jour le jour, bernés de vœux discors,
Pour mourir dans l'horreur fatale et la détresse,
Quoi de nous, dès qu'en nous la question se dresse ?
Quoi? qu'un être capable au plus de moins que peu
En dehors du besoin d'aimer et de voir Dier
Et quelque chose, au fi^ont, du fond du cœur te monte
Qui ressemble à la crainte et qui tient de la honte,
1
BONHRUn 139
Quehjue choso, on dirait, d'encore incomplète,
Mais dont la Charité ferait l'Huniililé.
Lors, ù «luclqu'un vraimtMil do nature ingénue
Sa conscience n'a qu'à dire : continue,
Si la chair n'arrivait à son tour, en disant :
Arrête, et c'est la guerre en ce juste à présent.
Mais tout n'est pas perdu malgré le coup si rude :
Car la chair avant tout est chose d'habitude,
Elle peut se plier et doit s'acclimater
C'est son droit, son devoir, la loi de la mater
Selon les strictes lois de la bonne nature.
Or la nature est simple, elle admet la culture ;
Elle procède avec douceur, calme et lenteur.
Ton corps est un lutteur, fais-le vivre en lutteur
Sobre et chaste, abhorrant l'excès de toute sorte.
Femme qui le détourne et vin qui le transporte
Et la paresse pire encore que l'excès.
Enfin pacifié, puis apaisé, — tu sais
Quels sacrements il faut pour cette tâche intense.
Et c'est l'Eucharistie après la Pénitence, —
Ce corps allégé, libre et presque glorieux,
Dûment redevenu, dûment laborieux
Va se rompre au plutôt, s'assouplir au service
De ton esprit d'amour, d'offre et de sacrifice
Subira les saisons et les privations.
Enfin sera le temple embaumé d'actions
De grâce, d'encens pur et de vertus chrétiennes,
Et tout retentissant de psaumes et d'antiennes
140 BONHEUR
Qu'habite TEsprit-Saint et que daigne Jésus
Visiter comparable aux bons rois bien reçus.
De ce moment, toi, pauvre avec pleine assurance,
Après avoir prié pour la persévérance,
Car, docte charité tout d'abord pense à soi,
Puise au gouffre infini de la Foi — plus de foi.^
Que jamais et présente à Dieu ton vœu bien tendre,
Bien ardent, bien formel et de voir et d'entendre
Les hommes t'imiter, même te dépasser
Dans la course au salut, et pour mieux les pousser
A ces fins que le ciel en extase contemple,
Dien humble (souviens-toi !), prêcheur, prêche d'exemple l
IX
Bon pauvre, ton vêtement est léger
Comme une brume,
Oui, mais aussi ton cœur, il est léger
Comme une plume,
Ton libre cœur qui n'a qu'à plaire à Dieu,
Ton cœur bien quitte
De toute dette humaine, en quelque lieu
Que l'homme habite,
Ta part de plaisir et d'aise paraît
Peu suffisante.
Ta conscience, en revanche, apparaît
Satisfaisante.
Ta conscience que, précisément,
Tes malheurs mêmes
Ont dégagée, en ce juste moment.
Des soins suprêmes.
Ton boire et ton manger sont, je le crains.
Tristes et mornes ;
Seulement ton corps faible a, dans ses reins
Sans fin ni bornes,
142 BONHEUR
Des forces d'abstinence et de i-efus
Très glorieuses,
Et des ailes vers les cieux entrevus
Impérieuses.
Ta tête, franche de mets et de vin,
Toute pensée,
Tout intellect, conforme au plan divin,
Haut redressée,
Ta tête est prête à tout enseignement
De la parole
Et, de l'exemple de Jésus clément
Et bénévole.
Et de Jésus terrible, prêt au pleur
Qu'il faut qu'on verse,
A l'affront vil qui poigne, à la douleur
Lente qui perce.
Le monde pour toi seul, le monde affreux
Devient possible,
T'environnant, toi qu'il croit malheureux,
D'oubli paisible.
Même t'ayant d'étonnantes douceurs
Et ces caresses !
Les femmes qui sont parfois d'âpres sœurs,
D'aigres maîtresses,
Et de douloureux compagnons toujours
Ou toujours presque,
Te jaugeant malfringant, aux gestes lourds,
Un peu grotesque,
DONlIKUn
149
Tout à fait incapable Uc n'aimer
Qu'ù les voir belles.
Qu'à les trouver bonnes et île n'nimcr
Qu'elles en elles,
Et le pesant si léger (|ue ce n*es
Hicn de le dire,
Te dispenseront, tous comptes au net,
De leur sourire.
Et te voilà libre, ù dîner, en roi.
Seul ù ta table,
Sans nul flatteur, quel fléau pour un roi,
Plus détestable?
L'assassin, l'escroc et l'humble voleur
Qui n'y voient guère
De nuance, t'épargnent comme leur
Plus jeune frère.
Des vertus surérogatoires, la
Prudence humaine,
(L'autre, la cardinale, ah ! celle-là
Que Dieu t'y mène!)
L'amabilité, l'aiTabilité
Quasi célestes,
Sans rien d'alîecté, sans rien d'apprêté,
Franches modestes,
Nimbent le destin, que Dieu te voulut
Tendre et sévère.
Dans l'intérêt surtout de ton salut,
A bien parfaire
14t BONHEUR
Et pour ange contre le lourd méchant
Toujours stupide
La clairvoyance te Ruide en marchant,
Fine et rapide,
La clairvoyance, qui n'est pas du tout,
La Méfiance
Et qui plutôt serait pour sommer tout,
La Prévoyance,
Élicitant les gens de prime-saut
Sous les grimaces
Faisant sortir la sottise du sot,
Trouvant des traces.
Et médusant la curiosité
De l'hypocrite
Par un regard entre les yeux planté
Qui brûle vite...
Et s'il ose rester des ennemis
A ta misère,
Pardonne-leur, ainsi que l'a promis
Ton Notre-Père...
Afin que Dieu te pardonne aussi, Lui,
Prends celte avance.
Car, dans le mal fait au prochain, c'est Lui r^
Seul qu'on offense. Il
X
Écrit en 1888.
Le « sort » fantasque qui me gdte à sa manière —
M'a logé cetle fois, peut-être la dernière
Et la dernière c'est la bonne — à l'hôpital I
De mon rêve à ceci le réveil est brutal
Mais explicable par le fait d'une voleuse
(Dont l'histoire posthume est, dit-on, graveleuse;
Du fait d'un rhumatisme aussi, moindre détail;
Puis d'un gîte où l'on est qu'importe le portail?
J'y suis, j'y vis. « Non, j'y végète », on rectifie;
On se trompe. J'y vis dans le strict de la vie,
Le pain qu'il faut, pas trop de vin, et mieux couché I
Évidemment j'expie un très ancien péché
(Très ancien?) dont mon sang a des fois la secousse,
Et la pénitence est relativement douce
Dans le martyrologe et sur l'armoriai
Des poètes, peut-être un peu proverbial.
C'est un lieu comme un autre, on en prend l'habitude:
A prison bonne enfant longanime Latude.
i. fO
146 BONUEUR
Sans compter qu'au rimeur, pour en parler, alors 1
Pauvre et fier, il ne reste qu'à mourir dehors
Ou tout comme, en ces temps vraiment trop peu propices.
Et mourir pour mourir. Muse qui me respices,
Autant le faire ici qu'ailleurs, et même mieux,
Sinon qu'ici l'on est tout « laïque », les vieux
Abus sont réformés et le « citoyen » libre !
Et fort! doit, ou l'État perdrait son équilibre,
Avec ça qu'il n'est pas à cheval sur un pall
Mourir dans les bras du Conseil Municipal,
Mal rassurante et pas assez édifiante
Conclusion pour tel, qu'un vœu mystique hante
Moi par exemple, j'en forme l'aveu sans fard,
Me dût-on traiter d'âne ou d'impudent cafard,
La conversation, dans ce modeste asile.
Ne m'est pas autrement pénible et difficile !
Ces braves gens, que le Journal rend un peu sots,
Du moins ont conservé, malgré tous les assauts
Que « l'Instruction » livre à leur tête obsédée ;
Quelque saveur encor de parole et d'idée ;
La Révolution, qu'il faut toujours citer
Et condamner, n'a pu complètement gâter
Leur trivialité non sans grâce et sincère.
Même je les préfère aux mufles de ma sphère
Certes! et je subis leur choc sans trop d'émoi.
Leur vice et leur vertu sont juste à point pour moi
Les goûter et me plaire en ces lieux salutaires
(A comme moi) des espèces de solitaires,
BOMIEUM
U7
lispijce de couvent moins cet espoir cljr<''lienl
Lo monde est tel qu'ici je n'ai besoin de rien
Et que j'y resterais, ma foi, toute ma vie,
Sans grands jaloux, j'espère, et pour sûr, sans enviel
Si, dès guéri, si je gut-ris, car tout se peut,
Je n'avais quelque chose à faire, que Dieu veut.
XI
Prêtres de Jésus-Christ, la vérité vous garde.
Ah! soyez ce que pense une foule bavarde
Ou ce que le penseur lui-même dit de vous.
Bassement orgueilleux, haineusement jaloux,
Avares, impurs, durs, la vérité vous garde.
Et, de fait, nul de vous ne risque, ne hasarde
Un seul pan du prestige, un seul pli du drapeau,
Tant la doctrine exacte du Bien et du Beau
Est là, qui vous maintient entre ses hauts dilemmes.
Plats comme les bourgeois, vautrés dans des Thélèmes
Ou guindés vers l'honneur pharisaïque alors,
Qu'importe, si, Jésus, plus fort que des cœurs morts,
Règne par vos dehors du reste incontestables?
Cultes respectueux, formules respectables,
Un emploi libéral et franc des Sacrements
(Car les temps ont du moins, dans leurs relâchements,
Parmi plus d'une bonne et délicate chose.
Laissé tomber l'affreux jansénisme morose),
BONIlEUn
li9
El co seul mot sur votre enseigne : Charité I
Mal gracieux, sans goùl aucun, môme afTcclé,
Pour si peu que ce soit d'art et do poésie,
Incapables d'un bout de lecture choisie,
D'un regard attentif, d'une oreille en arrêt
Pis qu'inconsciemment hostiles, on dirait,
A tout ce qui, dans l'homme etdcurit et s'allume.
Plus lourds que les marteaux et plus lourds qu'une enclume.
Sans môme l'étincelle et le bruit triomphant,
(Jue fait? si Jésus a, pour séduire l'enfant
Et le sage qu'est l'homme en sa double énergie,
Votre théologie et votre liturgie ?
D'ailleurs maints d'entre vous, troupeau trié déjà.
Valent mieux que le monde autour qui vous jugea,
Lisent clair, visent droit, entendent net en somme,
Vivent et pensent, plus que non pas un autre homme.
Que tels, mes chers lecteure, que moi cet écrivain,
Tant leur science est courte et tant mon art est vainl
C'est vrai qu'il sort de vous, comme de votre Maître,
Quand même une vertu qui vous fait reconnaître.
Elle offusque les sots, ameute les méchants.
Remplis les bons d'émois révérents et touchants.
Force indéfinissable ayant de tout en elle,
Comme surnaturelle et comme naturelle.
Mystérieuse et dont vous allez investis,
Grands par comparaison chez les peuples petits.
Vous avez tous les airs de toutes, sinon toutes
I Les choses qu'il faut être en Taffre de vos rouies,
450 BONHEUR
Si vous ne l'êtes pas, du moins vous paraissez
Tels qu'il faut et semblez dans ce zèle empressés,
Poussant votre industrie et votre économie,
Depuis la sainteté jusqu'à la bonhomie.
Hypocrisie, émet un tiers, ou nullité !
Bonhomie, on doit dire en chœur, et sainteté !
Puisque, ô croyons toujours le bien de préférence,
Mais c'est surtout ce siècle et surtout cette France,
Que charme et que bénit, à quelques fins de Dieu?
Votre ombre lumineuse et réchauffante un peu.
Seul bienfait apparent de la grâce invisible
Sur la France insensée et le siècle insensible
Siècle de fer et France, hélas ! toute de nerfs,
France d'où détalant partout comme des cerfs,
Les principes, respect, l'honneur de sa parole.
Famille, probité, filent en bande folle,
Siècle d'âpreté juive et d'ennuis protestants,
Noyant tout, le superbe et l'exquis des instants,
Au remous gris de mers de chiffres et de phrases.
Vous, phares doux parmi ces brumes et ces gazes,
Ah! luisez-nous encore et toujours jusqu'au jour,
Jusqu'à l'heure du cœur expirant vers l'amour
Divin, pour refleurir éternel dans la même
Charité loin de cette épreuve froide et blême.
Et puis, en la minute obscure des adieux.
Flambez, torches d'encens, et rallumez nos yeux
BONHEUR
iSl
A Tunique Beautt'?, toute bonne et puissante,
Drùlez ce qui n'est plus la pri^^^ innocente,
L'aspiration sainte et le repentir vrail
Puisse un prêtre être là, Jésus, quand je mourrail
XII
Guerrière, militaire et virile en tout poînt,
La sainte Chasteté que Dieu voit la première,
De toutes les vertus marchant dans sa lumière
Après la Charité distante presque point,
Va d'un pas assuré mieux qu'aucune amazone
A travers l'aventure et l'erreur du Devoir,
Ses yeux grands ouverts pleins du dessein de bien voir,
Son corps robuste et beau digne d'emplir un trône,
Son corps robuste et nu balancé noblement.
Entre une tête haute et des jambes sereines,
Du port majestueux qui sied aux seules reines,
Et sa candeur la vêt du plus beau vêtement.
Elle sait ce qu'il faut qu'elle sache des choses.
Entre autres que Jésus a fait l'homme de chair
Et mis dans notre sang un charme doux-amer
D'où doivent découler nos naissances moroses.
DONUEUa 153
Et que l'amour charnel est bénit en des cas.
Elle préside alors et sourit à ces fêtes,
Dévêt la jeune épouse avec ses mains honnêtes
Et la m&ne à Tépoux par des tours délicats.
Elle entre dans leur lit, lève le linge ultime,
Guide pour le baiser et l'acte et le repos
Leurs corps voluptueux aux fins de bons propos
Et désormais va vivre entre eux leur auge intime.
Puis au-dessus du couple ou plutôt à côté,
— Bien agir fait s'unir les vœux et les nivelle, —
Vers le Vierge et la Vierge isolés dans leur belle
ThébaïJe à chacun la sainte Chasteté.
Sans quitter les Amants, par un charmant miracle,
Vole et vient rafraîchir l'Intacte et l'impollu
De gais parfums de fleurs comme s'il avait plu
D'un bon orage sur l'un et sur l'autre habitacle,
Et vêt de chaleur douce au point et de jour clair
La cellule du Moine et celle de la Nonne,
Car s'il nous faut souffrir pour que Dieu nous pardonne.
Du moins Dieu veut punir, non torturer la chair.
Elle dit à ces chers enfants de l'Innocence :
Dormez, veillez, priez. Priez surtout, afin
Que vous n'ayez pas fait tous ces travaux en vain.
Humilité, douceur et céleste ignorance 1
154 BONHEUR
Enfin elle va chez la Veuve et chez le Veuf,
Chez le vieux Débauché, chez l'Amoureuse vieille,
Et leur tient des discours qui sont une merveille
Et leur refait, à force d'art, un corps tout neut
Et quand alors elle a fini son tour du monde,
Tour du monde ubiquiste, invisible et présent,
Elle court à son point de départ en faisant
Tel grand détour, espoir d'espérance profonde ;
Et ce point de départ est un lieu bien connu,
Eden môme : là sous le chêne et vers la rose.
Puisqu'il paraît qu'il n'a pas faire autre chose,
Rit et gazouille un beau petit enfant tout nu.
XIII
Un projet de mon âge mûr
Me tint six ans Tûme ravie,
C'était, d'après un plan bien sûr.
De réédiûerma vie.
Vie encor vivante après tout.
Insuffisamment ruinée.
Avec ses murs toujours debout
Que respecte la graminée,
Murs de vraie et franche vertu.
Fondations intactes certes.
Fronton battu, non abattu.
Sans noirs lichens ni mousses vertes,
L'orgueil qu'il faut et qu'il fallait,
Le repentir quand c'était brave,
Douceur parfois comme le lait,
Fierté souvent comme la lave.
156 BONHEUR
Or, durant ces deux fois trois ans,
L'essai fut bon, grand le courage.
L'œuvre en aspects forts et plaisants
Montait, tenant tête à l'orage.
Un air de grâce et de respect
Magnifiait les calmes lignes
De l'édifice que drapait
L'éclat de la neige et des cygnes...
Furieux mais insidieux,
Voici l'essaim des mauvais anges.
Rayant le pur, le radieux
Paysage de vols étranges,
Salissant d'outrages sans nom,
Obscénités basses et fades.
De mon renaissant Parthénon
Les portiques et les façades.
Tandis que quelques-uns d'entre eux,
Minant le sol, sapant la base,
S'apprêtent, par un art affreux,
A faire de tout table rase.
Ce sont, véniels et mortels.
Tous les péchés des catéchismes
Et bien d'autres encore, tels
Qu'ils font les sophismes des schismes.
BONHEUR 1S7
La Luxure aux tours sans merci,
L'afTreuse Avarice morale,
I,a Paresse morale aussi,
L*Envio à la dent sépulcrale,
La Colère hors des combats,
La Gourmandise, rage, ivresse,
L'Orgueil, alors qu'il ne faut pas,
Sans compter la sourde détresse
Des vices à peine entrevus.
Dans la conscience scrutée,
Hideur brouillée et tas confus.
Tourbe brouillante et ballottée.
Mais quoi! n'est-ce pas toujours voiis,
Démon femelle, triple peste,
Pire flot de tout ce remous,
Pire ordure que tout le reste.
Vous toujours, vil cri de haro.
Qui me proclame et me diffame.
Gueuse inepte, lâche bourreau,
Horrible, horrible, horrible femme?
Vous l'insultant mensonge noir,
La haine longue, l'affront rance,
Vous qui seriez le désespoir.
Si la foi n'était l'Espérance.
153 BONHEUR
EtTEspérance le pardon,
Et ce pardon une vengeance.
Mais quel voluptueux pardon,
Quelle savoureuse vengeance 1
Et tous trois, espérance et foi
Et pardon, chassant la séquelle
Infernale de devant moi,
Protégeront de leur tutelle
Les nobles travaux qu'a repris
Ma bonne volonté calmée,
Pour grâce à des grâces sans prix.
Achever l'œuvre bien-aimée
Toute de marbre précieux
En ordonnance solennelle
Bien par-delà les derniers cieux,
Jusque dans la vie éternelle.
XIV
Sois de bronze et de marbre et surtout sois de chair
Certes, prise l'orgueil nécessaire plus cher,
Pour ton combat avec les contingences vaines;
Que les poils de ta barbe ou le sang de tes veines ;
Mais vis, vis pour souffrir, souffre pour expier,
Expie et va-t'en vivre et puis reviens prier,
Prier pour le courage et la persévérance
De vivre dans ce siècle, hélas ! et cette France,
Siècle et France ignorants et tristement railleurs.
(Mais le règne est plus haut et la patrie ailleurs
Et la solution est autre du problème.)
Sois de chair et même aime cette chair, la même
Que celle de Jésus sur terre et dans les cieux,
Et dans le Très Saint-Sacrement si précieux
Qu'il n'est de comparable à sa valeur que celle
De ta chair vénérable en sa moindre parcelle
Et dans le moindre grain de l'Hostie à l'autel ;
Car ce mystère, l'Incarnation, est tel,
160 BONHEUR
Par l'exégèse autour comme par sa nature ;
Qu'il fait égale au Créateur la créature,
Cependant que, par un miracle encor plus grand,
L'Eucharistie, elle, les confond et les rend
Identiques. Or cette chair expiatoire.
Fais-t'en une arme douloureuse de victoire
Sur l'orgueil que Satan peut d'elle t'inspirer
Pour l'orgueil qu'à jamais tu peux considérer
Gomme le prix suprême et le but enviable.
Tout le reste n'est rien que malice du diable !
Alors, oui, sois de bronze impassible, revêts
L'armure inaccessible à braver le Mauvais,
-T»udeur, Calme, Respect, Silence et Vigilance.
Puis soie de marbre, et pur, sous le heaume qui lance
Par ses trous le regard de tes yeux assurés,
Marche à pas révérents sur les parvis sacrés.
XV
Mon ami, ma plus belle amitié, ma meilleure,
— Les morts sont morts, douce leur soit l'éterniié !
Laisse-moi te le dire en toute vérité,
Tu vins au temps marqué, tu parus à ton heure ;
I
Tu parus sur ma vie et tu vins dans mon cœur
Au jour climatt'rique où, noir vaisseau qui sombre,
J'allais noyer ma chair sous la débauche sombre.
Ma chair dolente, et mon esprit jadis vainqueur,
Et mon ûrae naguère et jadis toute blanche !
Mais tu vins, tu parus, tu vins comme un voleur,
— Tel Christviendra — Voleur qui m'a pris mon malheur!
Tu parus sur ma mer non pas comme une planche
De salut, mais le Salut même ! Ta vertu
Première, la gaieté, c'est elle-même, franche
Comme l'or, comme un bel oiseau sur une brandie
Qui s'envole dans un brillant turlututu.
n. H
162 BONHEUR
Emportant sur son aile électrique les ires
Et les affres et les tentations encor;
Ton bon sens, — tel après du fifre c'est du cor, —
Vient paisiblement mettre fin aux délires,
N'étant point, ô que non ! le prud'homisme affreux,
Mais l'équilibre, mais la vision artiste,
Sûre et sincère et qui persiste et qui résiste
A l'argumentateur plat comme un songe creux ;
Et ta bonté, conforme à ta jeunesse, est verte,
Mais elle va mûrir délicieusement!
Elle met dans tout moi le renouveau charmant
D'une sève éveillée et d'une âme entr'ouverte.
Elle étend, sous mes pieds, un gazon souple et frais
Où ces marcheurs saignants reprennent du courage,
Caressés par des fleurs au gai parfum sauvage,
Lavés de la rosée et s'attardant exprès.
Elle met sur ma tête, aux tempêtes calmées.
Un ciel profond et clair où passe le vent pur
Et vif, éparpillant les notes dans l'azur
D'oiseaux volant et s'éveillant sous les ramées.
Elle verse à mes yeux, qui ne pleureront plus,
Un paisible sommeil dans la nuit transparente
Que de rêves légers bénissent, troupe errante
De souvenirs et d'espoirs révolus.
BONHEUR 1G3
Avec des tours naïfs et des besoins d'enfance,
Elle veut être flère et rôve de pouvoir
lîtro rudo un petit sans pouvoir que vouloir
Tant le bon mouvement sur l'autre prend d'avance.
J'use d'elle et parfois d'elle j'abuserais
Par égoïsme un peu bien surérogatoire,
Tort d'ailleurs pardonnable en toute humaine histoire
Mais non dans celle-ci, de crainte des regrets.
De mon côté, c'est vrai qu'à travers mes caprices,
Mes nerfs et tout le train de mon tempérament.
Je t'estime et je t'estime, ô si fidèlement,
Trouvant dans ces devoirs mes plus chères délices.
Déployant tout le peu que j'ai de paternel
Plus encorque de fraternel, malgré l'extrôme
Fraternité, tu sais, qu'est notre amitié môme.
Exultant sur ce presque amour presque charnel!
Presque charnel à force de sollicitude
Paternelle vraiment et maternelle aussi.
Presque un amour à cause, ô toi de l'insouci
De vivre sinon pour cette sollicitude.
Vaste, impétueux donc, et de prime-saut, mais
Non sans prudence en raison de l'expérience
Très douloureuse qui m'apprit toute nuance.
Du jour lointain, quand la première fois j'aimais:
164 BONHEUR
Ce presque amour est saint; il bénit d'innocence
Mon reste d'une vie en somme toute au mal,
Et c'est comme les eaux d'un torrent baptismal
Sur des péchés qu'en vain l'Enfer déçu recense.
Aussi, précieux toi plus cher que tous les moi
Que je fus et serai si doit durer ma vie,
Soyons tout l'un pour l'autre en dépit de l'envie.
Soyons tout l'un à l'autre en toute bonne foi.
Allons, d'un bel élan qui demeure exemplaire
Et fasse autour le monde étonné chastement.
Réjouissons les cieux d'un spectacle charmant
Et du siècle et du sort défions la colère.
Nous avons le bonheur ainsi qu'il est permis.
Toi de qui la pensée est toute dans la mienne,
Il n'est, dans la légende actuelle et l'ancienne
Rien de plus noble et de plus beau que deux amis,
Déployant à l'envi les splendeurs de leurs âmes.
Le Sacrifice et l'Indulgence jusqu'au sang,
La Charité qui porte un monde dans son flanc
Et toutes les pudeurs comme de douces flammes 1
Soyons tout l'un à l'autre enfin ! et l'un pour l'autre
En dépit des jaloux, et de nos vains soupçons,
A nous, et cette foi pour de bon, renonçons
Au vil respect humain où la foule se vautre,
BONHEUR 105
Afln qu'enfin co J<^8us-Christ qui nous créa
Nous fasso grûce cl fasse grûcc au inonde immonde
D'autour de nous alors unis, — paix sans seconde I —
Duflnilivcment, et dicte: Alléluia.
« Qu'ils entrent dans ma joie et goûtent mes louanges;
« Car ils ont accompli leur tâche comme dû,
« Et leur cri d'espérance, il me fut entendu,
« Et voilà pourquoi les anges et les archanges
« S'écarteront de devant Moi pour avoir admis,
« Purifiés de tous péchés inévitables
« Et des traverses quelquefois épouvantable?"^
« Ce couple infiniment bénissable d'Amis. »
XVI
Seigneur, vous m'avez laissé vivre
Pour m'éprouver jusqu'à la fin.
Vous châtiez celte chair ivre,
Par la douleur et par la faim !
Et Vous permîtes que le diable
Tentât mon âme misérable
Comme l'âme forte de Job,
Puis Vous m'avez envoyé l'ange
Qui gagea le combat étrange
Avec le grand aïeuJ Jacob
Mon enfance, elle fut joyeuse :
Or je naquis choyé, béni
Et je crûs, chair insoucieuse,
Jusqu'au temps du trouble infini
Qui nous prend comme une tempête,
BONHEUR iC7
Nous poussant comme par la tête
Vers ral>îine et prêts à tomber ;
Quant à moi, puisqu'il faut le dire.
Mes sens affreux et leur délire
Allaient me faire succomber,
Quand Vous parûtes. Dieu de grâce
Qui savez tout bien arranger.
Qui Vous mettez bien à la place,
L'auteur et l'ôteur du danger,
Vous me punîtes par moi-même
D'un supplice cru le suprême
(Oui, ma pauvre âme le croyait)
Mais qui n'était au fond rien qu'une
Perche tendue, ô qu'opportune l
A mon salut qui se noyait.
Comprises les dures délices,
J'ai marché dans le droit sentier,
Y cueillant sous des cieux propices
Pleine paix et bonheur entier,
Paix de remplir enfin ma tiche,
Bonheur de n'être plus un Idche
Épris des seules voluptés
De l'orgueil et de la luxure, ^
Et cette fleur, l'extase pure
Des bons projets exécutés,
168 BONHEUR
C'est alors que la mort commence
Son œuvre inexpiable ? Non,
Mais qui me saisit de démence
Bien qu'encor criant Votre nom.
L'Ami me meurt, aussi la Mère,
Une rancune plus qu'amère
Me piétine en ce dur moment
Et me cantonne en la misère.
Dans la littérale misère,
Du froid, et du délaissement!
Tout s'en mêle : la maladie
Vient en aide à l'autre fléau.
Le guignon, comme un incendie
Dans un pays où manque l'eau,
Ravage et dévaste ma vie.
Traînant à sa suite l'envie.
L'ordre, l'obsèque trahison,
La sale pitié dérisoire,
Jusqu'à cette rumeur de gloire
Comme une insulte à la raison I
Ces mystères, je les pénètre ;
Tous les mystères, je les connais,
Oui, certes, Vous êtes le maître
Dont les rigueurs sont les bienfaits.
Mais, ô Vous, donnez-moi la force,
BONIIBUt 109
Donnez, comme à l'arbre l'écorce.
Comme l'inslinct à l'animal,
Donnez à ce cœur voire ouvrage,
Seigneur, la force cl le courage
Pour le bien cl conlre le mal.
Mais, hélas ! je ratiocine
Sur mes fautes et mes douleurs,
Espèce de mauvais Racine
Analysant jusqu'à mes pleurs.
Dans ma raison mal assagie,
Je fais de la psychologie
Au lieu d'ùtre un cœur pénitent
Tout simple et tout aimable en somme.
Sans plus l'astuce du vieil homme
Et sans plus l'orgueil protestant...
Je crois en l'Église romaine,
Catholique, apostolique et
La seule humaine qui nous mène
Au but que Jésus indiquait,
La seule divine qui porte
Notre croix jusques à la porte
Des libres cieux enfin ouverts.
Qui la porte par vos bras même,
0 grand Crucifié suprême
Donnant pour nous vos maux soufiferts.
BONHEUR 170
Je crois en la toute-présense,
A la messe de Jésus-Christ,
Je crois à la toute-puissance
Du Sang que pour nous il offrit
Et qu'il offre au seul Juge encore
Par ce mystère que j'adore
Qui fait qu'un homme vain, menteur,
Pourvu qu'il porte le vrai signe
Qui le consacre entre tous digne,
Puisse créer le Créateur.
Je confesse la Vierge unique,
Reine de la neuve Sion,
Portant aux plis de sa tunique
La grâce et l'intercession.
Elle protège l'innocence,
Accueille la résipiscence,
Et debout quand tous à genoux,
Impêtre le pardon du Père
Pour le pécheur qui désespère...
Mère du fils, priez pour nous 1
XVII
Romponsl Ce que j'ai dit, je ne le reprends pas.
Puisque je le pensai, c'est donc que c'était vrai.
Je le garderai jusqu'au jour où je mourrai,
Total, intégral, pur, en dépit des combats
De la rancœur très haute et de l'orgueil très bas.
Mais comme un fier métal qui sort du minerai
De vos nuages à la fin je surgirai,
Je surgis, amitiés d'ennuis et de débats...
0 pour l'afTection toute simple et si douce
Oii l'âme se blottit comme en un nid de mousse!
Et fi donc de la sale « âme parisienne » !
Vive l'esprit français, d'Artois jusqu'en Gascogne
De la Champagne et de TArgonne à la Bourgogne
Et vive un cœur, morbleu ! dont un cœur se souvienne!
XVIII
J'ai dit à Tesprit vain, à Tostentation,
L'Ilion de l'orgueil futile, le Sion
De la frivolité sans cœur et sans entrailles,
La citadelle enfin du Faux :
« Croulez, murailles
Ridicules et pis, remparts bêtes et pis.
Contrescarpes, sautez comme autant de tapis
Qu'un valet matinal aux fenêtres secoue,
Fossés que l'eau remplit, concrétez-vous en boue
Qu'il ne reste plus rien qu'un souvenir banal
De tout votre appareil, et que cet arsenal,
Chics fougueux et froids, mots secs, phrase redondante,
Et coetera, se rende à l'émeute grondante
Des sentiments enfin naturels et réels. »
Ahl j'en suis revenu, des « dandysmes » « cruels»
Vrais ou faux, dans la vie (accident ou coutume)
Ou dans l'art ou tout bêtement dans le costume.
BONHEUR
173
Le vêtement de son état avec le moins
De taches et de trous possible, apte aux besoins,
Aux lies, aux chics qu'il faut, le linge, mal terrible
D'empois et d'amidon, le plus fréquent possible,
Et souple et frais autour du corps dispos aussi,
Voilà pour le costume, et quant à l'art, voici :
L'art tout d'abord doit être et paraître sincère j
Et clair, absolument : c'est la loi nécessaire '
Et dure, n'est-ce pas, les jeunes, mais la loi ;
Carie public, non le premier venu, mais moi.
Mais mes pairs et moi, par exemple, vieux complices,
Nous, promoteurs de vos, de nos pauvres malices.
Nous autres qu'au besoin vous sauriez bien chercher,
Le vrai, le seul Public qu'il faille raccrocher.
Le Public, pour user de ce mot ridicule,
Dorénavant il bat en retraite et recule
Devant vos trucs un peu trop niais d'aujourd'hui,
Tordu par le fou rire ou navré par l'ennui.
L'art, mes enfants, c'est d'être absolument soi-même, —
Et qui m'aime me suive et qui me suit qu'il m'aime,
Et si personne n'aime ou me suit, allons seul.
Mais traditionnel et soyons notre aïeul!
Obéissons au sang qui coule dans nos veines
Et qui ne peut broncher en conjectures vaines.
Flux de verve gauloise et flot d'aplomb romain
Avec, puisqu'un peu Franc, de bon limon germain,
^" In.\- p^^I"
174 BONHEUR
Moyennant cette allure et par cette assurance
Il pourra bien germer des artistes en France.
Mais, plus de fioritures, bons petits,
Ni de ce pessimisme et ni du cliquetis
De ce ricanement comme d'armes faussées,
Et ni de ce scepticisme en sottes fusées ;
Autrement c'est la mort et je vous le prédis
De ma voix de bonhomme, encore un peu. Jadis.
Foin! d'un art qui blasphème et fi! d'un art qui pose,;
Et vive un vers bien simple, autrement c'est la prose.
La Simplicité, — c'est d'ailleurs Vavis rara, —
0 la Simplicité, tout-puissant, qui l'aura
Véritable, au service, en outre, de la Vie
Elle vous rend bon, franc, vous demi-déifie.
Que dis-je ? elle vous déifie en Jésus-Christ
Par l'opération du même Saint-Esprit
Et l'humblesse sans nom de son Eucharistie,
Sur les siècles épand l'ordre et la sympathie,
Règne avec la candeur et lutte par la foi,
Mais la foi tout de go, sans peur et sans émoi
Ni de ces grands raffinements des exégètes,
Elle trempe les cœurs, rassérène les têtes,
Enfante la vertu, met en fuite le mal
Et fixerait le monde en son état normal
N'était la Liberté que Dieu dispense aux àmea
Et dont le premier homme et nous, nous abusâmes
Jusqu'aux tristes excès où nous nous épuisons
Dans des complexités comme autant de prisons.
BONHEUR
175
Et puis, c'est l'unité désirable et supr/^me :
On vit simple, comme on naît simple, comme on aime
Quand on aime vraiment et fort, et comme on hait
Kt comme l'on pardonne, au bout, lorsque l'on est
Purement, nettement simple et Ton meurt de même,
Comme on naît, comme on vit, comme on hait, comme on aime,
Car aimer c'est l'Alpha, fils, et c'est l'Oméga
Des simples que le Dieu simple et bon délégua
Pour témoigner de lui sur cette sombre terre
En attendant leur vol calme dans sa lumière.
Oui, d'être absolument soi-même, absolument! *^
D'être un brave homme épris de vivre, et réclamant
Sa place à toi, juste Soleil de tout le monde.
Sans plus se soucier, naïveté profonde !
De ce tiers, l'apparat, que du fracas, ce quart,
Pour le costume, dans la vie et quant à l'art;
Dédaigneux au superlatif de la réclame,
L*n digne homme amoureux et frère de la Femme,
Élevant ses enfants pour ici-bas et pour
Leur lot gagné dûment en le meilleur Séjour,
Fervent de la patrie et doux aux misérables.
Fier pourtant, partant, aux refus inexorables
Devant les préjugés et la banalité
Assumant à l'euvi ce masque dégoûté
176 BONHEUR
Qui rompt la patience et provoque la claque
Et, pour un peu, ferait défoncer la baraque !
Rude à l'orgueil tout en pitoyant l'orgueilleux,
Mais dur au fat et l'écrasant d'un mot joyeux
S'il juge toutefois qu'il en vaille la peine
Et que sa nullité soit digne de l'aubaine.
Oui, d'être et de mourir loin d'un siècle gourmé
Dans la franchise, ô vivre et mourir enfermé,
Et s'il nous faut, par surcroît, de posthumes socles,
Gloire au poète pur en ces jours de monocles!
XIX
La neige à travers la brume —
Tombe et tapisse sans bruit
Le chemin creux qui conduit
A l'église où l'on allume
Pour la messe de minuit.
Londres sombre flambe et fume;
0 la chère qui s'y cuit
Et la boisson qui s'ensuit!
C'est Christmas et sa coutume
De minuit jusqu'à minuit.
Sur la plume et le bitume,
Paris bruit et jouit.
Ripaille et Plaisant déduit
Sur le bitume et la plume
S'exaspèrent dès minuit.
178 BONHEUR
Le malade en l'amertume
De l'hospice où le poursuit
Un espoir toujours détruit
S'épouvante et se consume
Dans le noir d'un long minuit.
La cloche au son clair d'enclume
Dans la cour fine qui luit,
Loin du péché qui nous nuit,
Nous appelle en grand costume
A la messe de minuit.
XX
Je voudrais, sî ma vie était encore à faire.
Qu'une femme très calme habitât avec moi
Plus jeune de dix ans, qui portât sans émoi
La moitié d'une vie au fond plutôt sévère.
Notre cœur à tous deux dans ce château de verre,
Notre regard commun ! franchise et bonne foi.
Un et double dirait comme en soi-même : Voil
Et répondrait comme à soi-même: persévère!
Elle se tiendrait à sa place, mienne aussi,
Nous serions en ceci le couple réussi - .
Que l'inégalité, parbleu! des caractères *
Ne saurait empêcher l'équilibre qu'il faut,
Ce point était compris d'esprits en somme austères
Qu'au fond et qu'en tout cas l'indulgence prévaut.
#..1
II
L'indulgence qui n'est pas de l'indifférence
Et qui n'est pas non plus de la faiblesse, ni
De la paresse, pour un devoir défini,
Monitoire au plaisir, bénin à la souffrance.
Non plus le scepticisme et ni préjugé rance
Mais grand'délicatesse et bel accord béni
Et ni la chair honnie et ni l'ennui banni
Toute mansuétude et comme vieille France.
Nous serions une mer en deux fleuves puissants
Où le Bonheur et le Malheur têtes de flottes
Nous passeraient sans heurts, montés par le Bon sens,
Ubiquiste équipage, ubiquiste pilote,
Ubiquiste amiral sous ton sûr pavillon.
Amitié, non plus sous le vôtre, Amour brouillon.
m
III
L'amitié, mais entre homme et femme elle est divine 1
Elle n'empôche rien, aussi bien des rapports
Nécessaires, et sous les mieux séants dehors
Abrite les secrets aimables qu'on devine.
Nous mettrions chacun du nôtre, elle est très fine,
Moi plus naïf, et bien réglés en chers efforts
Lesdits rapports dès lors si joyeux sans remords
Dans la simplesse ovine et la raison bovine.
Si le bonheur était d'ici, ce léserait!
Puis nous nous en irions sans l'ombre d'un regret.
La conscience en paix et de l'espoir plein l'âme.
Comme les bons époux d'il n'y a pas longtemps
Quand l'un et l'autre d'être heureux étaient contents,
Qui vivaient, sans le trop chanter, l'épithalame.
XXI
0! j'ai froid d'un froid de glace
0! je brûle à toute place !
Mes os vont se cariant,
Des blessures vont criant;
Mes ennemis pleins de joie
Ont fait de moi quelle proie I
Mon cœur, ma tête et mes reins
Souffrent de maux souverains.
Tout me fuit, adieu ma gloire 1
Est-ce donc le Purgatoire?
Ou si c'est l'enfer ce lieu
Ne me parlant plus de Dieu ?
— L'indignité de ton sort
Est le plaisir d'un plus Fort,
BONIIKUR 183
Dieu plus juste, et plus Habile
Que ce toi-même débile.
Tu souffres de tel mal profond
Que des volontés te font,
Plus bénignes que la tienne
Si mal et si peu chrétienne»
Tes humiliations
Sont des bénédictions
Et ces mornes sécheresses
Où tu le désintéresses
De purs avertissements
Descendus de cieux aimants.
Tes ennemis sont les anges,
Moins cruels et moins étrange*
Que bons inconsciemment,
D'un Seigneur rude et clément
Aime tes croix et tes plaies,
Il est sain que tu les aies.
Face aux terribles courroux.
Bénis et tombe à genoux.
184 BONHEUH
Fer qui coupe et voix qui tance,
C'est la bonne Pénitence.
Sous la glace et dans le feu
Tu retrouveras ton Dieu.
I
XXII
Un scrupule qui m'a l'air sot comme un péché
Argumente.
Dieu vit au sein d'un cœur caché,
Non d'un esprit épars, en milliers de pages,
En millions de mots hardis comme des pages,
A tous les vents du ciel ou plutôt de l'enfer.
Et d'un scandale tel, précisément tout fler.
Il faut, pour plaire à Dieu, pour apaiser sa droite,
Suivre le long sentier, gravir la pente étroite,
Sans un soupir de trop, fût-il mélodieux,
Sans un geste au surplus, même agréable aux yeux,
Laisser à d'autres l'art et la littérature
Et ne vivre que juste à même la nature
Tu pratiquais jadis et naguère ces us
Content de reposer à l'ombre de Jésus
Y pansant de vin, d'huile de lin tes blessures
Et maintenant, ingrat à la Croix, tu t'assures
i86 BONHEUR
En la gloire profane et le renom païen,
Comme si iout cela n'était pas trois fois rien,
Comme si tel beau vers, telle phrase sonore,
Chantait mieux qu'un grillon, brillait plus qu'un fulgore
Va, risque ton salut, ton salut racheté
Un temps, par une vie autre, c'est vérité,
Que celle de tes ans primes, enfance molle,
Age pubère fou, jeunesse molle et folle
Risque ton âme, objet de tes soins d'autrefois
Pour quels triomphes vains sur quels banals pavois ?
Malheureux I
Je réponds avec raison, je pense :
Je n'attends, je ne veux pas d'autre récompense
A ce mien grand effort d'écrire de mon mieux
Que l'amitié du jeune et l'estime du vieux
Lettrés qui sont au fond les seules belles âmes,
Car où prendre un public en ces foules infâmes
D'idioterie en haut et folles par en bas?
Où, — le trouver ou pas, le mériter ou pas,
Le conserver ou pas ! — l'assentiment d'un être
Simple, naïf et bon, sans même le connaître
Que par ce seul lien comme immatériel,
C'est tout mon attentat au seul devoir réel,
Essentiel gagner le ciel par les mérites,
Et je doute, Jésus pieux, que tu t'irrites
Pour quelque doux rimeur chantant ta gloire ou bien
Étalant ses péchés au pilori chrétien ;
BONIIKUR 1M7
Tu ne suscites pas l'aspic et la couleuvre
Contre un poème ou contre un poète. Ton œuvre,
Consolant les ennuis de co morne 8(''jour
Par un concert de foi, d'esp(^'rance et d'amour;
Puis ne me fis-tu pas, avec le don de vivre,
Le don aussi, sans quoi je meurs! de faire un livre,
Une œuvre où s'altestAt toute ma quantité,
Toute, bien mal, la force et l'orgueil révolta
Des sens etleurcolère encore qui sont la même
Luxure au fond et bien la faiblesse suprême.
Et la mysticité, l'amour d'aller au ciel
Par le seul graduel du juste graduel,
Douceur et charité, seule toute-puissance.
Tu m'as donné ce don, et par reconnaissance
J'en use librement, qu'on me blâme, tant pis.
Quant à quêter les voix, quant à tàter les pis
De dame Renommée, à ses heures marûtre,
Fil
Mais, pour en finir, leur foyer ou son âlre
Souffrent-ils de mon cas? Quelle poutre en votre œil.
Quelle paille en votre œil de ce fait? De quel deuil,
De quel scandale, vers ou proses, sont-ils cause
Dont cela vaille un peu la peine qu'on en cause?
XXIII
Après le départ des cloches
Au milieu du Gloria,
Dès l'heure ordinaire des vêpres
On consacre les Saintes Huiles
Qu'escorte ensuite un long cortège
De pontifes et de lévites.
Il pluvine, il neigeotte,
L'hiver vide sa hotte.
Le tabernacle bâille, vide.
L'autel, tout nu, n'a plus de cierges,
De grands draps noirs pendent aux grilles,
Les orgues saintes sont muettes.
Du brouillard danse à mêmr
Le ciel encore blême.
BONHEUR 189
On dispense à flots d'eau bénite,
Toutes cires sont allumées,
Et de solennelle musique
S'enfle au chœur et monte au juLû,
Un clair soleil qui grise
Réchaufl'e l'âpre bise.
Gloria! Voici les clochci
Revenir! Alléluia!
XXIV
L'ennui de vivre avec les gens et dans les choses
Font souvent ma parole et mon regard moroses.
Mais d'avoir conscience et souci dans tel cas
Exhausse ma tristesse, ennoblit mon tracas.
Alors mon discours chante et mes yeux de sourire
Où la divine certitude s'en vient luire.
Et la divine patience met son sel
Dans mon long bon conseil d'usage universel.
Car non pas tout à fait par effet de l'âge
A mes heures je suis une façon de sage,
Presque un sage sans trop d'emphase ou d'embarras.
Répandant quelque bien et faisant des ingrats.
Or néanmoins la vie et son morne problème
Rendent parfois ma voix maussade et mon front blême.
BONUBUR 101
Dn ces tentations je me sauve à nouveau
Kn dos moralités juste à mon seul niveau ;
Et c'est d'un examen méthodique et sévère,
Dieu qui sondez les reins I que je me considère.
Scrutant mes moindres torts et jusques aux derniers,
Tel un juge interroge à fond des prisonniers.
Je poursuis à ce point Thumeur de mon scrupule,
Que de gens ont parlé qui m'ont dit ridicule.
N'importe ! en ces moments est-ce d'humilité î
Je me semble béni de quelque charité,
De quelque loyauté, pour parler en pauvre homme.
De quelque encore charité. — Folie en somme !
Nous ne sommes rien. Dieu c'est tout. Dieu nous créa,
Dieu nous sauve. Voilà ! Voici mon aléa :
Prier obstinément. Plonger dans la prière,
C'est se tremper aux flots d'une bonne rivière
C'est faire de son être un parfait instrument
Pour combattre le mal et courber l'élément.
Prier intensément. Rester dans la prière.
C'est s'armer pour l'élan et s'assurer derrière.
192 BONHEUR
C'est de paraître doux et ferme pour autrui
Conformément à ce qu'on se rend envers lui.
La prière nous sauve après nous faire vivre,
Elle est le gage sûr et le mot qui délivre
Elle est l'ange et la dame, elle est la grande sœur
Pleine d'amour sévère et de forte douceur.
La prière a des pieds légers comme des ailes ;
Et des ailes pour que ses pieds volent comme elles;
La prière est sagace; elle pense, elle voit,
Scrute, interroge, doute, examine, enfin croit
Elle ne peut nier, étant par excellence
La crainte salutaire et l'effort en silence.
Elle est universelle et sanglante ou sourit,
Vole avec le génie et court avec l'esprit.
Elle est ésotérique ou bégaie, enfantine
Sa langue est indifféremment grecque ou latine,
Ou vulgaire, ou patoise, argotique s'il faut!
Car souvent plus elle est bas, mieux elle vaut.
Je me dis tout cela, je voudrais bien le faire,
0 Seigneur, donnez-moi de m'élever de terre
BONHKUn 193
En riiuml)lo vœu que seul peut former un enfant
Vers votre volonté d'après comme d'avant.
Telle action quelconque en tel temps de ma vie
Et que cette action quelconque soit suivie
D'un abandon complet en vous que formulAt
Le plus simple et le plus ponctuel postulat,
Juste pour la nécessité quotidienne
En attendant, toujours sans fin, ma mort chrétienne.
XXV
A Monsieur Borély.
Vous m'avez demandé quelques vers sur « Amour ».
Ce mien livre, d'émoi cruel et de détresse,
Déjà loin dans mon Œuvre étrange qui se presse
Et dévale, flot plus amer de jour en jour.
Qu'en dire, sinon : « Poor Yorick! » ou mieux « poor
Lelian I » et pauvre âme à tout faire, faiblesse,
Mollesse par des fois et caresse et paresse.
Ou tout à coup partie en guerre comme pour
Tout casser d'un passé si pur, si chastement
Ordonné par la beauté des calmes pensées.
Et pour damner tant d'heures en Dieu dépensées.
Puis il revient, mon Œuvre, las d'un tel ahan,
Pénitent, et tombant à genoux mains dressées...
Priez avec et pour le pauvre Lelian l
ick^
XXVI
A propos de « Parallèlement ».
Ces vers durent être faits,
Cet aveu fut nécessaire,
Témoignant d'un cœur sincère
Et tout bon ou tout mauvais.
Mauvais, oui, méchant, nenni.
La sensualité seule,
Cliair folle, lombes et gueule,
Trouble son désir béni.
Beauté des corps et des yeux,
Parfums, régals, les ivresses.
Les caresses, les paresses.
Barraient seuls la route aux cieux.
i96 BONHEUR
Est-ce fini ? Tu l'assures
Sorte de pressentiment
D'un final apaisement,
Divin panseur de blessures,
Humain rémunérateur
Des mérites si minimes,
Arbitre des légitimes
Elans devers la hauteur
Du devoir enfin visible,
Après tout ce dur chemin.
Divine âme, cœur humain.
Céleste et terrestre cible !
0 mon Dieu, voyez mes vœux,
Oyez mes cris de faiblesse.
Donnez-moi toute simplesse
Pour vouloir ce que je veux.
Alors seront effacées
A vos yeux inofTensifs,
Avec mes torts confessés
Ces lignes si peu pensées.
xxvn
Or tu n'es pas vaincu, sinon par le Seigneur,
Oppose au siècle un front de courage et d'honneur.
Bande ton cœur moins faible au fond que tu ne crois.
Ne cherche, en fait d'abri, que l'ombre de la croix.
Ceins, sinon l'innocence, hélas! et la candeur,
Du moins la tempérance et du moins la pudeur,
Et dans le bon combat contre péchés et maux
S'il faut, eh bien, emprunte à certains animaux,
Béhémos et Léviathan, prudents qu'ils sont.
Les armures pour la défensive qu'ils ont.
Puisque ton cas, pour l'offensive, est superflu,
Abdique les airs martiaux où tu t'es plu.
Laisse l'épée et te confie au bouclier.
Carapace-toi bien, comme d'un bon acier,
De discrétion fine et de fort quant-à-moi.
Puis, quand tu voudras r' attaquer, reprends la Foi 1
XXVIII
Les plus belles voix
De la Confrérie
Célèbrent le mois
Heureux de Marie.
0 les douces voix !
Monsieur le curé
L'a dil à la Messe :
C'est le mois sacré.
Écoulons sans cesse
Monsieur le Curé.
Faut nous distinguer,
Faut, mesdemoiselles,
Bien dire et fuguer
Les hymnes nouvelles.
Faut nous distinguer,
BONHEUR t09
Uien dire et flier
Les motets antiques,
Bien dire et couler
Les anciens cantiques,
Filer et couler.
Dieu nous bénira,
Nous et nos familles.
Marie ouira
Les vœux de ses filles.
Dieu nous bénira.
Elle est la bonté,
C'est comme la Mère
Dans la Trinité,
La Fille et la Mère.
Elle est la bonté,
La compassion,
Sans fin et sans trêve,
L'intercession
Qu'appuie et soulève
La compassion.
200 BONHEUR
Avant le salut,
Chantons ses louanges;
Pendant le salut,
Chantons ses louanges
Après le salut
Chantons ses louanges.
XXIX
L'autel bas s'orne de hautes mauves,
La chasuble blanche est toute en fleurs,
A travers les pâles vitraux jaunes
Le soleil se répand comme un ileuve ;
On chante au graduel : Fi-li-a 1
D'une voix si lentement joyeuse
Qu'il faudrait croire que c'est l'extase
D'à-jamais voir la Reine des cieux;
Le sermon du tremblotant vicaire
Est gentil plus que par un dimanche,
Qui dit que pour s'élever dans l'air
Faut être humble et de foi cordiale ;
11 ajoute, le cher vieux bonhomme,
Que la gloire ultime est réservée
Sur tous ceux qui vivent dans la pompe,
Aux pauvres d'esprit et de monnaie ;
202 BONIIEUH
On sort de l'église, après les vêpres,
Pour la procession si louchante
Qui a nom : du Vœu de Louis Treize
C'est le cas de prier pour la France.
î jgji >\'ti:ù^
iaaiahq:
■r,\ insz li fïîb,
,9319rf ef
noona o-
XXX
L'amour de la Patrie est le premier amour
Et le dernier amour après l'amour de Dieu,
C'est un feu qui s'allume alors que luit le jour
Où notre regard luit comme un céleste feu,
C'est le jour baptismal aux paupières divines
De l'enfant, la rumeur de l'aurore aux oreilles
Frais-écloses, c'est l'air emplissant les poitrines
En fleur, l'air printanier rempli d'odeurs vermeilles I
L'enfant grandit, il sent la terre sous ses pas
Qui le porte, le berce, et, bonne, le nourrit.
Et douce, désaltère encore ses repas
D'une liqueur, délice et gloire de l'esprit.
Puis l'enfant se fait homme ou devient jeune fille,
Et cependant que croît sa chair pleine de grâce,
Son âme se répand par-delà la famille
Et cherche une âme sœur, une chair au'il enlace •
204 BONHEUR
Et quand il a trouvé cette âme et cette chair,
Il naît d'autres enfants encore, fleurs de fleurs
Qui germeront aussi le jardin jeune et cher
Des générations d'ici, non pas d'ailleurs.
L'homme et la femme ayant l'un et l'autre leur tâche,
S'en vont chacun un peu de son côté. La femme
Gardienne du foyer tout le jour sans relâche,
La nuit garde l'honneur comme une chaste flamme ;
L'homme vaque aux durs soins du dehors : les travaux,
La parole à porter, — sûr de ce qu'elle vaut, —
Sévère et probe et douce, et rude aux discours faux.
Et la nuit le ramène entre les bras qu'il faut.
Tous deux, si pacifique est leur course terrestre.
Mourront bénis de fils et vieux dans la patrie ;
Mais que le noir démon, la Guerre, essore l'œstre,
Que l'air natal s'empourpre aux reflets de tuerie,
Que l'étranger mette son pied sur le vieux sol
Nourricier, — imitant les peuples de tous bords,
Saragosse, Moscou, le Russe, l'Espagnol,
La France de Quatre-vingt-treize, l'homme alors.
Magnifié soudain, à son œuvre se hausse
Et tragique et classique et très fort et très calme.
Lutte pour sa maison ou combat pour sa fosse.
Meurt en pensant aux siens ou leur conquiert la palme.
BONHKUR 605
S'il survit, il reprend le train de tous les jours,
Élève ses enfants dans la crainte du dieu
Des ancêtres et va refleurir ses amours
Aux flancs de Tépousée éprise du fler Jeu.
L'Age mûr est celui des sévères pensées.
Des espoirs soucieux, des amitiés jalouses.
C'est l'heure aussi des justes haines amassées,
Et quand sur la place publique, habits et blouses,
Les citoyens discords dans d'honnôtes combats
(Et combien douloureux à leur fraternité !)
S'arrachent les devoirs et les droits, ô non pas
Pour le lucre, mais pour une stricte équité,
II prend parti, pleurant de tuer, mais terrible
Et tuant sans merci, comme en d'autres batailles,
Le sang autour de lui giclant comme d'un crible,
Une atroce fureur, pourtant sainte, aux entrailles.
Tué, son nom, célèbre ou non, reste honoré.
Proscrit ou non, il meurt heureux, dans tous les cas,
D'avoir voué sa vie et tout au Lieu Sacré
Qui le fit homme et tout, de joyeux petit gas.
Sa veuve et ses petits garderont sa mémoire,
La terre sera douce à cet enfant fidèle
Où le vent pur de la Patrie, en plis de gloire.
Frissonnera comme un drapeau tout fleurant d'elle.
206 BONHEUR
Mais quoi donc, le poète, à moins d'être chrétien
(Le chrétien se fait tel que Jésus dit qu'il soit),
Comment en ces temps-ci et très fier peut-il bien
Aimer la France ainsi qu'il doit comme il la voit,
Dépravée, insensée, une fille, une folle
Déchirant de ses mains la pudeur des aïeules
Et l'honneur ataval et, l'antique parole,
La parlant en argot pour des sottises seules,
L'amour, l'évaporant en homicides vils
D'oii quelque pâle enfant, rare fantôme, sort,
Son Dieu, le reniant pour quels crimes civils 1
Prête à mourir d'ailleurs de quelle lâclie mortl
Lui-même que Dieu voit être un pur patriote
L'atTamant aujourd'hui, le prescrivant naguère.
Pour n'avoir pas voulu boire comme un îlote
Le gros vin du scandale au verre du vulgaire,
Le dénonçant aux sots pires que les méchants.
Bourreaux mesquins, non moins d'ailleurs que tels méchants
Pire que tous, à cause, ô honte! que ses chants
Faisaient honte à plusieurs à cause de leurs chants.
Enfin, méconnaissant et l'heure et le génie
Jusqu'à ce péché noir entre tous ceux de l'homme
Jusqu'à ce plongeon dans toute l'ignominie
D'insulter l'ange comme en l'unique Sodome i
BONIIRUR 207
Mais le poète est un chrétien qui dit : « Non pns! *>
A ces comme vcllûilés d'ôlic tcnlo
Vers les déclamations par la Pauvreté,
Et d'elles dans Tltorreur du premier mauvais pas.
« Non pas ! » puis s'adressant à la Vierge Marie :
m 0 vous, reine de France et de toute la terre,
Vous qui fidèlement gardez notre patrie
Depuis les premiers temps jusqu'à cette heure austère
Où chacun a besoin du courage de dix
S*il veut garder sa foi par ses pertes de fois
La pratiquer tout simplement, ainsi jadis,
Puis y mourir tout simplement, comme autrefois!
Depuis les Notre-Dame au-dessus des ancêtres
Profilant leur prière immense et solennelle
Jusqu'aux mois de Marie, échos des soirs champêtres,
Sourire de l'Église aux cœurs vierges en elle.
Depuis que notre culte intronisait nos rois,
Depuis que notre sang teignait votre pennon
Jusqu'au jour où quel Dogme à travers tant d'effrois
Ajoutait quel honneur encore à votre nom,
Vons qui, multipliant miracles et promesses,
De la Sainte-Chandelle à la Salette et Lourdes,
Daignez faire chez nous éclore des prouesses
Même en ces temps d'horreur d'État louches et sourdes.
208 BONHEUR
Mère, sauvez la France, intercédez pour nous,
Donnez-nous la foi vive et surtout l'humble foi,
Que rdrae de tous nos aïeux brûle en nous tous
Pour la vie et la mort, au foyer, dans la loi,
Dans le lit conjugal, sur la couche dernière,
Simple et forte et sincère et bellement naïve.
Pour qu'en les chocs prévus, virils à sa manière,
Qui fut la bonne quand elle dut être active,
Si Dieu nous veut vaincus, du moins nous le soyons
En exemple, lavant hier par aujourd'hui
Et faits, après l'horreur, l'honneur des nations.
Et s'il nous veut vainqueurs nous le soyons pour lui. »
XXXI
Immédiatement après le salut somptueux,
Le luminaire éteint moins les seuls cierges liturgiques.
Les psaumes pour les morts sont dits sur un mode mineur
Par les clercs et le peuple saisi de mélancolie.
Un glas lent se répand des clochers de la cathédrale
Répandu par tous les campaniles du diocèse,
Et plane et pleure sur les villes et sur la campagne
Dans la nuit tôt venue en la saison aiTiérée.
Chacun s en fut coucher reconduit par la voix dolente
Et douce à l'infini de Tairain commémoratoire
Qui va bercer le sommeil un peu triste des vivants
Du souvenir des décédés de toutes les paroisses.
n.
XXXII
La cathédrale est majestueuse
Que j'imagine en pleine campagne
Sur quelque affluent de quelque Meuse
Non loin de l'Océan qu'il regagne,
L'Océan pas vu que je devine
Par l'air chargé de sels et d'arômes.
La croix est d'or dans la nuit divine
D'entre l'envol des tours et des dômes*
Des Angélus font aux campaniles
Une couronne d'argent qui chante ;
De blancs hibous, aux longs cris graciles,
Tournent sans fin de sorte charmante ;
Des processions jeunes et claires
Vont et viennent de porches sans nombre^
Soie et perles de vivants rosaires,
Rogations pour de chers fruits d'ombre.
BONHEUR
211
Ce n'est pas un rêve ni la vie,
C'est ma belle et ma chaste pensée,
Si vous voulez ma philosophie,
Ma mort choisie ainsi déguisée.
XXXIII
Voix de Gabriel
Chez rhumble Marie,
Cloches de Noël,
Dans la nuit fleurie,
Siècles, célébrez
Mes sens délivrés l
Martyrs, troupe blanche.
Et les confesseurs,
Fruits d'or de la branche.
Vous, frères et sœurs,
Vierges dans la gloire,
Chantez ma victoire 1
Les Saints ignorés,
Vertus qu'on méprise^,
Qui nous sauverez
Par votre entremise,
BONUBUR 213
Prier, que la foi
Demeure iiumble en moi.
Pécheurs, par le monde,
Qui vous repentez,
Dans l'ardeur profonde
D'ôlre rachetés,
Or, je vous contemple,
Donnez-moi l'exemple.
Nature, animaux,
Eaux, plantes et pierres.
Vos simples travaux
Sont d'humbles prières,
Vous obéissez :
Pour Dieu c'est assex.
■>i;-V
PARALLÈLEMENT
•v/'
DEDICACE
Vous souvient-il, cocodette un peu mûre
Qui gobergez vos flemmes de bourgeoise,
Du temps joli quand, gamine un peu sûre,
Tu m'écoutais, blanc-bec fou qui dégoise?
Garddtes-vous fidèle la mémoire,
0 grasse en des jerseys de poult-de-soie,
De t'être plu jadis à mon grimoire,
Cour par écrit, postale petite oye?
Avei-vous oublié. Madame Mère,
Non, n'est-ce pas, même en vos bêtes fêtes.
Mais fautes de goût, mais non de grammaire.
Au rebours de tes chères lettres bêtes?
Et quand sonna l'heure des justes noces,
Sorte d'Ariane qu'on me dit lourde.
Mes yeux gourmands et mes baisers féroces,
A tes nennis faisant l'oreille sourde?
21R PARALLÈLEMENT
Rappelez-vous aussi s'il est loisible
A votre cœur de veuve mal morose,
Ce moi toujours prêt, terrible, horrible,
Ce toi mignon prenant goût à la chose,
Et tout le train, tout l'entrain d'un manège
Qui par malheur devient notre ménage.
Que n'avez-vous en ces jours-là, que n'ai-je
Compris les torts de votre et de mon âgel
C'est bien fâcheux : me voici, lamentable
Épave éparse à tous les flots du vice,
Vous voici, toi, coquine détestable.
Et ceci fallait que je l'écrivisse 1
ALLÉGORIE
Un très vieux temple antique s'écroulant
Sur le sommet indécis d'un mont jaune,
Ainsi qu'un roi déchu pleurant son trône ;
Se mire, pâle, au tain d'un fleuve lent;
Grâce endormie et regard somnolent,
Une naïde âgée, auprès d'une aulne,
Avec un brin de saule agace un faune
Qui lui sourit, bucolique et galant.
Sujet naïf et fade qui m'attristes,
Dis, quel poète entre tous les artistes,
Quel ouvrier morose t'opéra,
Tapisserie usée et surannée.
Banale comme un décor d'opéra.
Factice, hélas ! comme ma destinée?
LES AMIES
I
SUR LE BALCON
Toutes deux regardaient s'enfuir les hirondelles :
L'une pâle aux cheveux de jais, et l'autre blonde
Et rose, et leurs peignoirs légers de vieille blonde
Vaguement serpentaient, nuages, autour d'elles.
Et toutes deux, avec des langueurs d'asphodèles,
Tandis qu'au ciel montait la lune molle et ronde,
Savouraient à longs traits l'émotion profonde
Du soir et le bonheur triste des cœurs fidèles.
Telles, leurâ bras pressant, moites, leurs tailles souples,
Couple étrange qui prend pitié des autres couples,
Telles, sur le balcon, rêvaient les jeunes femmes.
Derrière elles, au fond du retrait riche et sombre,
Emphatique comme un trône de mélodrame
Et plein d'odeurs, le Lit, défait, s'ouvrait dans l'ombre.
%^»
II
ENSIONNAIRES
L'une avait quinze ans, Tautre en avait seize ;
Toutes deux dormaient dans la mCme chambre
C'était par un soir très lourd de septembre :
Frêles, des yeux bleus, des rougeurs de fraises.
Chacune a quitté, pour se mettre à l'aise,
La fine chemise au frais parfum d'ambre.
La plus jeune étend les bras et se cambre,
Et sa sœur, les mains sur ses seins, la baise.
Puis tombe à genoux, puis devient farouche
Et tumultueuse et folle et sa bouche
Plonge sous l'or blond, dans les ombres grises;
Et l'enfant, pendant ce temps-là, recense
Sur ses doigts mignons des valses promises,
Et, rose, sourit avec innocence.
III
PER AMICA SILENTIA
Les longs rideaux de blanche mousseline
Que la lueur pdle de la veilleuse
Fait fluer comme une vague opaline
Dans l'ombre mollement mystérieuse,
Les grands rideaux du grand lit d'Adeline
Ont entendu, Claire, ta voix rieuse,
Ta douce voix argentine et câline
Qu'une autre voix enlace, furieuse.
« Aimons, aimons ! « disaient vos voix mêlées,
Claire, Adeline, adorables victimes
Du noble vœu de vos âmes sublimes.
Aimez, aimez ! ô chères Esseulées,
Puisqu'en ces jours de malheur, vous encore,
Le glorieux Stigmate vous décore.
0.1-^
IV
PRINTEMPS
Tendre, la jeune femme rousse,
Que tant d'innocence émoustille,
Dit à la blonde jeune fille
Ces mots, tout bas, d'une voix douce:
« Sève qui monte et fleur qui pousse,
Ton enfance est une charmille :
Laisse errer mes doigts dans la mousse
Où le bouton de rose brille,
Laisse-moi, parmi l'herbe claire,
Boire les gouttes de rosée
Dont la fleur tendre est arrosée, —
V Afin que le plaisir, ma chère,
Illumine ton front candide
Comme l'aube l'azur timide. »
V
ÉTÉ
Et l'enfant répondit, pâmée
Sous la fourmillante caresse
De sa pantelante maîtresse :
« Je me meurs, ô ma bien-aimée!
« Je me meurs : ta gorge enflammée
Et lourde me soûle, m'oppresse ;
Ta forte chair d'où sort l'ivresse
Est étrangement parfumée :
« Elle a, ta chair, le charme sombre
Des maturités estivales, —
Elle en a l'ambre, elle en a l'ombre ;
« Ta voix tonne dans les rafales,
Et ta chevelure sanglante
Fuit brusquement dans la nuit lente. »
VI
SAPno
Furieuse, les yeux caves et les seins roides,
Sapho, que la langueur de son désir irrite,
Comme une louve court le long des grèves froides.
Elle songe à Phaon, oublieuse du Rite,
Et, voyant à ce point ses larmes dédaignées,
Arrache ses cheveux immenses par poignées;
Puis elle évoque, en des remords sans accalmies.
Ces temps où rayonnait, pure, la jeune gloire]
De ses amours chantés en vers que la mémoire
De rdme va redire aux vierges endormies :
Et voilà qu'elle abat ses paupières blêmies
Et saute dans la mer où l'appelle la Moire, —
Tandis qu'au ciel éclate, incendiant l'eau noire,
La pùle Séléné qui venge les Amies.
lu 15
FILLES
i
A LA PRINCESSE ROUKINL
■ Capellos de Angelos. »
{Friandise espagnole.)
C'est une laide de Boucher
Sans poudre dans sa chevelure,
FoUeJment blonde et d'une allure
Vénuste à tous nous débaucher.
Mais je la crois mienne entre tous
Cette crinière tant baisée,
Cette cascatelle embrasée
Qui m'allume par tous les bouts.
Elle est à moi bien plus encor
Comme une flamboyante enceinte
Aux entours de la porte sainte,
L'aime, la dive toison d'or!
ÀRALLELEMENT 227
Et qui pourrait dire ce corps
Sinon moi, son cliantro et son prôtre,
Et son esclave huinl)le et son mullre
Qui s'en damnerait sans remords.
Son cher corps rare, harmonieux,
Suave, blanc comme une rose
Blanche, blanc de lait pur, et rose
Gomme un lis sous de pourpres cicux?
Cuisses belles, seins redressants.
Le dos, les reins, le ventre, fête
Pour les yeux et les mains en quête
Et pour la bouche et tous les sens?
Mignonne, allons voir si ton lit
A toujours sous le rideau rouge
L'oreiller sorcier qui tant bouge
Et les draps fous. 0 vers ton liti
II
SÉGUIDILLE
Brune encore non eue,
Je te veux presque nue
Sur un canapé noir
Dans un jaune boudoir,
Comme en mil huit cent trente.
Presque nue et non nue
A travers une nue
De dentelles montrant
Ta chair où va courant
Ma bouche délirante.
Je te veux trop rieuse
Et très impérieuse,
Méchante et mauvaise et
Pire s'il te plaisait,
Mais si luxurieuse I
:d
PAnALLÈLRMKNT 229
Ah! ton corps noir et rose
Et clair de lune ! Ah! pose
Ton coude sur mon cœur,
Et tout ton corps vainciueur,
Tout ton corps que j'adore 1
Ah I ton corps, qu'il repose
Sur mon ûme morose
Et TétoufTe s'il peut,
Si ton caprice veut !
Encore, encore, encore I
Splendides, glorieuses,
Bellement furieuses
Dans leurs jeunes ébats.
Fous mon orgueil en bas
Sous tes fesses joyeuses!
III
CASTA PIANA
Tes cheveux bleus aux dessous roux,
Tes yeux très durs qui sont trop doux,
Ta beauté, qui n'en est pas une,
Tes seins que busqua, que musqua
Un diable cruel et jusqu'à
Ta pâleur volée à la lune,
Nous ont mis dans tous nos états,
Notre-dame du galetas
Que l'on vénère avec des cierges
Non bénits, les Avé non plus
Récités lors des Angélus
Que sonnent tant d'heures peu vierges.
Et vraiment tu sens le fagot :
Tu tournes un homme en nigaud.
(
PARALLÈLEMENT 231
En chilTe, en symbole, en un souffle.
Le temps de dire ou de faire oui,
Le temps d'un bonjour ébloui,
Le temps de baiser ta pantoufle.
Terrible lieu, ton galetas 1
On t'y prend toujours sur le tas
A démolir quelque maroufle,
Et, décanillés, ces amants,
Munis de tous les sacrements,
T'y penses moins qu'à ta pantoufle I
T'as raison ! Aime-moi donc mieux
Que tous ces jeunes et ces vieux
Qui ne savent pas la manière,
Moi qui suis dans ton mouvement,
Moi qui connais le boniment
Et te voue une cour plénière!
Ne fronce plus ces sourcils-ci,
Casta, ni cette bouche-ci.
Laisse-moi puiser tous tes baumes,
Piana, sucrés, salés, poivrés,
Et laisse-moi boire, poivrés,
Salés, sucrés, tes sacrés baumes.
IV
AUBURN
« Et des ch&tain's aussi. »
{Chanson de Malbrouk.)
Tes yeux, tes cheveux indécis,
L'arc mal précis de tes sourcils,
La fleur pâlotte de ta bouche,
Ton corps vague et pourtant dodu.
Te donnent un air peu farouche
A qui tout mon hommage est dû.
Mon hommage, eh, parbleu ! tu l'as.
Tous les soirs, quels joie et soûlas,
0 ma très sortable châtaine,
Quand vers mon lit tu viens, les seins
Roides, et quelque peu hautaine,
Sûre de mes humbles desseins,
Les seins roides sous la chemise,
Fière de la fête promise
PAnALLKLEUENT 233
A tes sens partout et longtemps,
Heureuse de savoir ma lèvre,
Ma main, mon tout, impénitents
De ces péchés qu'un fol s'en sèvre!
Sûre de baisers savoureux
Dans le coin des yeux, dans le creux
Des bras et sur le bout des mammes,
Sûre de l'agenouillement
Vers ce buisson ardent des femmes
Follement, fanatiquement!
Et hautaine puisque tu sais
Que ma chaire adore à l'excès
Ta chair et que tel est ce culte
Qu'après chaque mort, — quelle mortl
Elle renaît, dans quel tumulte!
Pour mourir encore et plus fort.
Oui, ma vague, sois orgueilleuse
Car radieuse ou sourcilleuse.
Je suis ton vaincu, tu m'as tien :
Tu me roules comme la vague
Dans un délice bien païen,
Et tu n'es pas déjà si vague 1
A MADEMOISELLE*"
Rustique beauté
Qu'on a dans les coins.
Tu sens bon les foins,
La chair et l'été.
Tes trente-deux dents
De jeune animal
Ne vont point trop mal
A tes yeux ardents.
Ton corps dépravant
Sous tes habits courts,
Retroussés et lourds,
Tes seins en avant.
PAHALLÈLEMKNT 235
Tes mollets farauds,
Ton buste tentant,
— Gai, comme impudent,
Ton cul ferme et gros,
Nous boulent au sang
Un feu bote et doux
Qui nous rend tout fous,
Croupe, rein et flanc.
Le petit vacher
Tout fier de son cas,
Le maître et ses gas»
Les gas du berger
Je meurs si je mens,
Je les trouve heureux.
Tous ces cul-terreux,
D'être tes amants.
VI
A MADAME*'
Vos narines qui vont en l'air,
Non loin de deux beaux yeux quelconque».
Sont mignonnes comme ces conques
Du bord de mer de bains de mer ;
Un sourire moins franc qu'aimable
Découvre de petites dents,
Diminutifs outrecuidents
De celles d'un loup de la fable ;
Bien en chair, lente avec du chien,
On remarque votre personne,
Et votre voix fine raisonne
Non sans des agréments très bien ,
rARALLÈLEMBNT
De la grflce externe et légère
Et qui me laissait plutôt coi
Font de vous un morceau de roi,
0 constitutionnel, chère I
Toujours est-il, regret ou non,
Que je ne sais pourquoi mon Ame
Par ces froids pense à vous, Madame
De qui je ne sais plus le nom.
RÉVÉRENCE PARLER
1
PROLOGUE D'UN LIVRE DONT IL NE PARAITRA
QUE LES EXTRAITS CI-APRÈS
Ce n'est pas de ces dieux foudroyés.
Ce n'est pas encore une infortune
Poétique autant qu'inopportune,
0 lecteur de bon sens, ne fuyez!
On sait trop tout le prix du malheur
Pour le perdre en disert gaspillage.
Vous n'aurez ni mes traits ni mon âge,
Ni le vi'ai mal secret de mon cœur.
Et de ce que ces vers maladifs
Furent faits en prison, pour tout dire,
On ne va pas crier au martyre.
Que Dieu vous garde des expansifs!
PAHALLiLEMENT 239
On VOUS donno un livre fait ainsi.
Prenez-lo pour ce qu^il vaut en somme.
C'est Vœgri somnium d'un brave homme
Étonné de se trouver ici.
On y met, avec la «« bonne foy »,
L'orthographe à peu près qu'on possède
Regrettant de n'avoir à son aide
Que ce prestige d'être bien soi.
Vous lirez ce libelle tel quel.
Tout ainsi que vous feriez d'un autre.
Ce vœu bien modeste est le seul nôtre.
N'étant guère après tout criminel.
Un mot encor, car je vous dois
Quelque lueur en déHnilive
Concernant la chose qui m'arrive :
Je compte parmi les maladroits.
J'ai perdu ma vie, et je sais bien
Que tout blâme sur moi s'en va fondre ;
A cela je ne puis que répondre
Que je suis vraiment né Saturnien.
II
IMPRESSION FAUSSE
Dame souris trotte
Noire dans le gris du soir,
Dame souris trotte
Grise dans le noir.
On sonne la cloche :
Dormez, les bons prisonniers
On sonne la cloche :
Faut que vous dormiez.
Pas de mauvais rêves,
Ne pensez qu'à vos amours.
Pas de mauvais rêves :
Les belles toujours I
FAlALLiLBIlINT 241
Le grand clair de lunel
On ronfle ferme à cdté.
Le grand clair de lune
Enréalitél
Un nuage passe,
Il fait noir comme en un four.
Un nuage passe.
Tiens, le petit jour I
Dame souris trotte,
Rose dans les rayons bleus.
Dame souris trotte :
Debout, paresseux 1
III
AUTRE
La cour se fleurit de souci
Comme le front
De tous ceux-ci
Qui vont en rond
En flageolant sur leur fémur
Débilité
Le long du mur
Fou de clarté.
Tournez, Samsons sans Dalila,
Sans Philistin,
Tournez bien la
Meule au destin.
Vaincu risible de la loi,
Mouds tour à tour
Ton cœur, ta foi
Et ton amour 1
PAHALLÈLEUENT 243
Ils vonti et leurs pauvres souliers
Font un bruit sec,
Humiliés,
La pipe au bec.
Pas un mot ou bien le cachot,
Pas un soupir.
Il fait si chaud
Qu'on croit mourir.
J'en suis de ce cirque eiïaré,
Soumis d'ailleurs
Et préparé
A tous malheurs
^t pourquoi si j'ai contristô
Ton vœu têtu,
Société,
Me choierais-tu?
Allons, frères, bons vieux voleurs,
Doux vagabonds.
Filous en fleurs,
Mes chers, mes bons,
Fumons philosophiquement,
Promenons-nous
Paisiblement :
Rien faire est doux.
IV
RÉVERSIBILITÉS
Totus in maligno posilus.
Entends les pompes qui font
Le cri des chats.
Des sifflets viennent et vont
Comme en pourchas.
Ah! dans ces tristes décors
Les Déjà sont les Encorsl
0 les vagues Angélus !
(Qui viennent d'où?)
"Vois s'allumer les Saluts
Du fond d'un trou.
Ah! dans ces mornes séjours
Les Jamais sont les Toujours I
PARALLiLKMENT t48
Quels rôves épouvantés,
Vous, grands murs blancs 1
Que de sanglots répétés.
Fous ou dolents !
Ah! dans ces piteux retraits
Les Toujours sont les Jamais 1
Tu meurs doucereusement,
Obscurément,
Sans qu'on veille, ô cœur aimant.
Sans testament!
Ah ! dans ces deuils sans rachats
Les Encors sont les Déjàsl
TANTALIZED
L'aile où je suis donnant juste sur une gare,
J'entends de nuit (mes nuits sont blanches) la bagarre
Des machines qu'on chauffe et des trains ajustés,
Et vraiment c'est des bruits de nids répercutés
A des cieux de fonte et de verre et gras de houille.
Vous n'imaginez pas comme cela gazouille
Et comme l'on dirait des efforts d'oiselets
Vers des vols tout prochains à des cieux violets
Encore et que le point du jour éclaire à peine,
0 ces wagons qui vont dévaler dans la plaine I
••*1
V!
INVRAISEMBLABLE MAIS VRAI
Las! je suis à l'Index et dans les dédicaces "*
Me voici Paul V... pur et simple. Les audaces
De mes amis, tant les éditeurs sont des saints,
Doivent éliminer mon nom de leurs desseins.
Extraordinaire et saponaire tonnerre
D'une excommunication que je vénère
Au point d'en faire des fautes de quantité I •
Vrai, si je n'étais pas (forcément) désisté
Des choses, j'aimerais, surtout m'étant contraire.
Cette' pudeur du moins si rare de libraire.
VII
LE DERNIER DIZAIN
0 Belgique qui m'as valu ce dur loisir,
Merci ! J'ai pu du moins réfléchir et saisir
Dans le silence doux et blanc de tes cellules
Les raisons qui fuyaient comme des libellules
A travers les roseaux bavards d'un monde vain
Les raisons de mon être éternel et divin,
Et les étiqueter comme en un beau musée
Dans les cases en fin cristal de ma pensée.
Mais, ô Belgique, assez de ce huis clos têtu I
Ouvre enfln, car c'est bon pour une fois, sais-tu!
Bruxelles, août 1873. — Mons, janvier 1875.
^^<^
LUNES
Je veux, pour te tuer, ô temps qui me dévastes,
Remonter jusqu'aux jours bleuis des amours chastes
Et bercer ma luxure et ma honte au bruit doux
D'un baiser sur Sa main et non plus dans Leurs cous
Le Tibère effrayant que je suis à celte heure,
Quoi que j'en aie, et que je rie ou que je pleure,
Qu'il dorme ! pour rêver, loin d'un cruel bonheur,
Aux tendrons pâlots dont on ménageait l'honneur
Es fêtes, dans, après le bal sur la pelouse.
Le clair de lune quand le clocher sonnait douze.
II
A LA MANIÈRE DE PAUL VERLAINE
C'est à cause du clair de lune "
Que j'assume ce masque nocturne
Et de Saturne penchant son urne
Et de ces lunes l'une après l'une.
Des romances sans paiwles ont,
D'un accord discord ensemble et frais,
Agacé ce cœur fadasse exprès.
0 le son, le frisson qu'elles ontl
Il n'est pas que vous n'ayez fait grâce
A quelqu'un qui vous jetait l'ofTense :
Or, moi, je pardonne à mon enfance
Revenant fardée et non sans grâce.
k-
rARALLiSLKUENT iTA
Je pardonne h ce mensonge-là
En faveur en somme du plaisir
Très banal drôlement qu'un loisir
Douloureux un peu m*inocula.
III
«XPLICATION
Je TOUS dis que ce n'est pas ee que l'on pensa.
P. V.
Le bonheur de saigner sur le cœur d'un ami,
Le besoin de pleurer bien longtemps sur son sein,
Le désir de parler à lui, bas à demi,
Le rêve de rester ensemble sans dessein 1
Le malheur d'avoir tant de belles ennemies,
La satiété d'être une machine obscène,
L'horreur des cris impurs de toutes ces lamies.
Le cauchemar d'une incessante mise en scène 1
Mourir pour sa Patrie ou pour son Dieu, gaîment,
Ou pour l'autre, en ses fcras, et baisant chastement
La main qui ne trahit, la bouche qui ne menti
PARALLÈLEMENT 253
Vivre loin des devoirs et des saintes tourmentes
Pour les seins clairs et pour les yeux luisant d'amantes,
Et pour le... reste I vers telles morts infamantes!
IV
AUTRE EXPLICATION
Amour qui ruisselais de flammes et de lait,
Qu'est devenu ce temps, et comme est-ce qu'elle est,
La constance sacrée au chrême des promesses?
Elle ressemble une putain dont les prouesses
Empliraient cent bidets de futurs fœtus froids;
Et le temps a crû mais pire, tels les elTrois
D'un polype grossi d'heure en heure et qui pète.
Lâches, nous ! de nous être ainsi lâchés !
« Arrête !
Dit quelqu'un de dedans le sein. C'est bien la loi.
On peut mourir pour telle ou tel, on vit pour soi,
Même quand on voudrait vivre pour tel ou telle I
Et puis l'heure sévère, ombre de la mortelle,
S'en vient déjà couvrir les trois quarts du cadran.
Il faut, dès ce jourd'hui, renier le tyran
rAnAT.L{!LB)iBNT 2!Sf
Plaisir, et se complaire aux prudents hyménées,
Quittant le souvenir des heures entraînées
Et des gens. Et voilà la norme et le flambeau.
Ce sera bien. »
L'Amour :
« Ce ne serait pas beau. »
i
LIMBES
L imagination, reine,
Tient ses ailes étendues,
Mais la robe qu'elle traîne
A des lourdeurs éperdues.
Cependant que la Pensée,
Papillon, s'envole et vole,
Rose et noir clair, élancée
Hors de la tête frivole.
L'imagination, sise
En son trône, ce fier siège!
Assiste, comme indécise,
A tout ce presie manège,
PAnALLfcLEMBNT 251
Et le papillon fait rage,
Monte et descend, plane et vire
On dirait dnns un naufrage
Des culbutes du navire.
La reine pleure de joie
Et de peine encore, à cause
De son cœur qu'un chaud pleur noie,
Et n'entend goutte à la chose.
Psyché Deux pourtant se lasse
Son vol est la main plus lente
Que cent tours de passe-passe
Ont fait toute tremblante.
Hélas, voici l'agonie !
Qui s'en fût formé l'idée?
Et tandis que, bon génie
Plein d'une douceur lactée,
La bestiole céleste
S'envient palpiter à terre,
La Folle-du-Logis reste
Dans sa gloire solitaire 1
u. n
VI
LOMBES
Deux femmes des mieux m'ont apparu cette nuit.
Mon rêve était au bal, je vous demande un peu!
L'une d'entre elles maigre assez, blonde, un œil bleu,
Un noir et ce regard mécréant qui poursuit.
L'autre, brune au regard sournois qui flatte et nuit,
Seins joyeux d'être vus, digne d'un demi-dieu!
Et toutes deux avaient, pour rappeler le jeu
De la main chaude, sous la traîne qui bruit,
Des bas de dos très beaux et d'une gaîté folle
Auxquels il ne manquait vraiment que la parole,
Royale arrière-garde aux combats du plaisir.
PAnALLKLEMENT 259
Kl CCS dames, —- scrutez l'armoriai de France, —
S'ofTorçiiiont d'entamer l'orgueil de mon désir
El n'en revenaient pas de mon indifTérence.
Vouzicrs (Ardcnnes), 18 avril — 13 mai 188&
LA DERNIERE FÊTE GALANTE
Pour une bonne foîs, séparons-nous,
Très chers messieurs et si belles mesdames.
Assez comme cela d'épithalames,
Et puis là, nos plaisirs furent trop doux.
Nul remords, nul regret vrai, nul désastre;
C'est effrayant ce que nous sentons
D'affinités avecque les moutons
Enrubannés du pire poétastre.
Nous fûmes trop ridicules un peu
Avec nos airs de n'y toucher qu'à peine.
Le Dieu d'amour veut qu'on ait de l'haleine.
Il a raison ! Et c'est un jeune Dieu.
Séparons-nous, je vc-^^s le dis encore.
0 que nos cœurs qui furent trop bêlants.
Dès ce jourd'hui réclament trop hurlants
L'embarquement pour >Sodome et Gomorrhe I
>^^
POÈiME SATURNIN
Ce fut bizarre et Salnn dut rire.
Ce jour d'été m'avait tout soùlé.
Quelle chanteuse impossible à dire
Et tout ce qu'elle a débagoulé 1
Ce piano dans trop de fumée
Sous des suspensions à pétrole I
Je crois, j'avais la bile enflammée,
J'entendais de travers ma parole.
Je crois, mes sens étaient à l'envers,
Ma bile avait fait des bouillons fantasques.
0 les refrains de cafés-concerts.
Faussés par le plus plâtré des masques!
Dans des troquets comme en ces bourgades,
J'avais rôdé, suçant peu de glace.
Trois galopins aux yeux de tribades
Dévisageaient sans fin ma grimace.
262 PAHALLÈLEMENT
Je fus hué manifestement
Par ces voyous, non loin de la gare,
Et les engueulai si goulûment
Que j'en faillis gober mon cigare.
Je rentre : une voix à mon oreille,
Un pas fantôme. Aucun ou personne?
On m'a frôlé. — La nuit sans pareille !
Ah 1 l'heure d'im réveil drôle sonne.
Attigny (Ardennes), 31 mai — l" juillet 1885.
L'IMPUDENT
La misère et le mauvais œil,
Soit dit sans le calomnirr,
Ont fait à ce monstre d'orgueil
Une dme de vieux prisonnier.
Oui, jettatore, oui, le dernier
Et le premier des gueux en deuil
De l'ombre même d'un denier
Qu'ils poursuivront jusqu'au cercueiL
Son regard mûrit les enfants.
Il a des refus triomphants.
Même il est bêle à sa façon.
Beautés passant, au lieu de sous,
Faites à ce mauvais garçon
L'aumône seulement... de vous.
L'IMPENITENT
Rôdeur vanné, ton œil fané
Tout plein d'un désir satané
Mais qui n'est pas l'œil d'un bélître.
Quand passe quelqu'un de gentil
Lance un éclair comme une vitre.
Ton blaire flaire, ûpre et subtil,
Et l'étamine et le pistil.
Toute fleur, tout fruit, toute viande,
Et la langue d'homme entendu
Pourléche ta lèvre friande.
Vieux faune en l'air guettant ton dû,
As-tu vraiment bandé, tendu
L'arme assez de tes paillardises?
L'as-tu, drôle, braquée assez?
Ce n'est rien que tu nous le dises.
iPARALLkLEXBNT 265
Quoi, malgré ces reins fricassés,
Ce cœur érclnté, tu no sais
Que dévouer à la luxure
Ton cœur, tes reins, ta poche & flel,
Ta raie et toute ta fressure 1
Sucrés et doux comme le miel,
Damnants comme le feu du ciel,
Bleus comme Heur, noirs comme poudre,
Tu rafToles beaucoup des yeux
Do tout genre en dépit du Foudre.
Les nez te plaisent, gracieux
Ou simplement malicieux
Étant la force des visages,
Étant aussi, suivant des gens.
Des indices et des présages.
Longs baisers plus clairs que des chanta,
Tout petits baisers astringents
Qu'on dirait qui vous sucent l'âme,
Bons gros baisers d'enfants, légers
Baisers danseurs, telle une flamme.
Baisers mangeurs, baisers mangés,
Baisers buveurs, bus, enragés,
t66 PARALLÈLEMENT
Baisers languides et farouches,
Ce que t'aimes bien, c'est surtout,
N'est-ce pas? les belles boubouches.
Les corps enfin sont de ton goût.
Mieux pourtant couchés que debout,
Se mouvant sur place qu'en marche,
Mais de n'importe quel climat,
Pont-Saint-Esprit ou Pont-de-l'Arche.
Pour que ce goût les acclamât
Minces, grands d'aspect plutôt mat,
Faudrait pourtant du jeune en somme.
Pieds fins et forts, tout légers bras
Musculeux et des cheveux comme
Ça tombe, longs, bouclés ou ras, —
Sinon pervers et scélérats
Tout à fait, un peu d'innocence
En moins, pour toi sauver, du moins.
Quelque ombre encore de décence ?
Nenni dà! Vous, soyez témoins,
Dieux la connaissant dans les coins,
Que ces manières de parts telles,
Sont pour s'amuser mieux au fond
Sans trop rausser aux bagatelles.
PARALLiCLEllENT 267
C'est ainsi quo les choses vont
Et que les raillards flciïC's font.
Mais tu te ris de ces morales, —
Tel un quelqu'un plus que pressé
Passe outre aux défenses murales !
Et tu réponds, un peu lassé
De te voir ainsi relancé,
De ta voix que la soif di'grade
Mais qui n'est pas d'un marniiteux :
« Qu'y peux-tu faire, camarade,
Si nous sommes cet amiteux ? n
SUR UNE STATUE DE GANYMEDE
Eh quoi ! Dans cette ville d'eaux.
Trêve, repos, paix, intermède,
Encor toi de face et de dos,
Beau petit ami Ganymède,
L'aigle t'emporte, on dirait comme
Amoureux de parmi les fleurs.
Son aile, d'élans économe,
Semble le vouloir par ailleurs
Que chez ce Jupin tyrannique,
Comme qui dirait au Revard ',
Et son œil qui nous fait la nique
Te coule un drôle de regard.
Bah ! reste avec nous, bon garçon,
Notre ennui, viens donc le distraire
Un peu de la bonne façon,
N'es-tu pas notre petit frè?*:
* Montagnes aux environs d'Aix-les-Baina.
L
PROLOGUE SUPPRIMÉ
A UN LIVDE <c D'INVECTIVES n
Mes femmes, toutes I et ce n'es» pas effrayant!
A peu près, en trente ans ! neuf, ainsi que les Muses,
Je vous évoque et vous invoque, chœur riant,
Au seuil de ce recueil où, mon fiel, tu t'amuses.
Neuf environ ! Sans m'occuper du casuel,
Des amours de raccroc, des baisers de rencontre,
Neuf que j'aimais et qui m'aimaient, ceci c'est réel.
Ou que non pas, qu'importe à ce Fiel qui se montre?
Je vous évoque, corps si choyés, chères chairs,
Seins adorés, regards où les miens vinrent vivre
Et mourir, et tous les trésors encor plus cliers,
Je vous invoque au seuil, mesdames, de mon livre •
PARALLELEMENT
Toi qui fus blondinette et mignarde aux yeux bleus;
Vous mes deux brunes, l'une grasse et grande, et l'autre
Imperceptible avec, toutes deux, de doux yeux
De velours sombi'e, d'où coulait cette âme vôtre ;
Et ô rouquine en fleur qui mis ton rose et blanc
Incendie es mon cœur, plutôt noir, qui s'embrase
A ton étreinte, bras très frais, souple et dur flanc,
Et l'or mystérieux du vase pour l'extase.
Et vous autres, Parisiennes à l'excès,
Toutes de musc abandonné sur ma prière
(Car je déteste les parfums et je ne sais
Rien de meilleur à respirer que l'odeur fière
Et saine de la femme seule que l'on eut
Pour le moment sur le moment), et vous, le reste
Qu'on, sinon très gentil, très moralement, eut
D'un geste franc, bon, et leste, sinon céleste.
Je vous atteste, sœurs aimables de mon corps,
Qu'on fut injuste à mon endroit, et que je souffre
A cause de cette faiblesse, fleur du corps,
Perte de l'âme, qui, paraît-il, mène au gouffre;
PABALLftLEMKNT 271
Au goufTro où les malins, les matois, les «< peinards »
Gomme autant do démons d'enfer, un enfer bête
Et d'autant plus méchant dans sos ennuis traînards,
Accueillent d'escroquerie âpre le poète...
0 mes chères, soyez mes muses, en ce nid
Encore bienséant d'un pamphlet qui s'essore.
Soyez à ce pauvret que la haine bénit
Le rire du soleil et les pleurs de l'aurore.
Donnez force et virilité, parle bonheur
Que vous donniez jadis à ma longue jeunesse,
Pour que je parle bien, et comme à votre honneur
Et comme en votre honneur, et pour que je renaisse
En quelque sorte à la Vigueur, non celle-là
Que nous déployions en des ères plus propices,
Mais à celle qu'il faut, au temps où nous voilà,
Contre les scélérats, les sots et les complices.
0 mes femmes, soyez mes muses, voulez-vous ?
Soyez même un petit comme un lot d'Erynnies
Pour rendre plus méchants mes vers encor trop doux
A l'adresse de ce vil tas d'i"uominies :
272 PARALLÈLEMENT
Telle contemporaine et tel contemporain
Dont j'ai trop éprouvé la haine et la rancune,
Martial et non Juvénal, et non d'airain,
Mais de poivre et de sel, la mienne de rancune.
Mes vers seront méchants, du moins je m'en prévaux,
Gomme la gale et comme un hallier de vermine.
Et comme tout... Et sus aux griefs vrais ou faux
Qui m'agacent... Muses, or, sus à la vermine !
24 septembre 91.
i
LE SONNET DE L'HOMME AU SABLE
Aussi la créature était par trop toujours la même
Qui donnait ses baisers comme un enfant donne des noix.
Indifférente à tout, hormis au prestige suprême
De lacire à moustache et de l'empoisdes faux-cols droits.
Et j'ai ri, car je tiens la solution du problème :
Ce pouf était dans l'air dès le principe, je le vois;
Quand la chair et le sang, exaspérés d'un long carême,
Réclamèrent leur dû, — la créature était en bois.
C'est le comte d'Hoffmann avec la bêtise en marge,
Amis qui m'écoutez, faites votre entendement large,
Car c'est la vérité que ma morale, et la voici :
Si, par malheur, puisse d'ailleurs l'augure aller au diable!
Quelqu'un de vous devait s'emberlificoter aussi.
Qu'il réclame un conseil de revision préalable.
n. i"
GUITARE
Le pauvre du chemin creux chante et parle.
Il dit : « Mon nom est Pierre et non Charle,
Et je m'appelle aussi Duchatelet*.
Une fois je vis, moi qu'on croit très laid,
Passer vraiment une femme très belle.
(Si je la voyais telle, elle était telle.)
Nous nous maridmes au vieux curé.
On eut tout ce qu'on avait espéré.
Jusqu'à l'enfant qu'on m'a dit vivre encore
Mais elle devint la pire pécore
Même digne de cette chanson.
Et certain beau soir quitta la maison
En emportant tout l'argent du ménage
Dont les trois quarts étaient mon apanage,
C'était une voleuse, une sans-cœur.
Et puis, par des fois, je lui faisais peur.
> Voir Louise Leclercq, nouvelles par l'auteur.
PARALLELEMENT 275
Ello n'avait pas l'ombro d'une excuse,
Pas un amant ou par rage ou par ru.se
Il paraît qu'elle coucho depuis peu
Avec un individu qui lient lieu
D'époux à cette femme de querelle.
Faut-il la tuer ou prier pour elle?»
Et le pauvre sait très bien qu'il priera.
Mais le diable parierait qu'il tuera.
BALLADE DE LA VIE EN ROUGE
L'un toujours vit la vie en rose,
Jeunesse qui n'en finit plus,
Seconde enfance moins morose,
Ni vœux, ni regrets superflus.
Ignorant tout flux et reflux,
Ce sage pour qui rien ne bouge
Règne instinctif : tel un phallus.
Mais moi je vois la vie en rouge.
L'autre ratiocine et glose
Sur des modes irrésolus,
Soupesant, pesant chaque chose
De mains gourdes aux lourds calus.
Lui faudrait du temps tant et plus
Pour se risquer hors de son bouge.
Le monde est gris à ce reclus.
Mais moi je vois la vie en rouge.
PARALLiLEUENT 277
Lui, cet autre alentour il ose
Jeter des regards bien voulus,
Mais, sur quoi que son œil se pose,
II s'exaspère où tu le plus,
Œil des philanthropes joufflus;
Tout lui semble noir, vierge ou gouge,
Les hommes, vins bus, livres lus,
Mais moi je vois la vie en rouge.
ENVOI
Prince et princesse, allez, élus,
En triomphe par la route où je
Trime d'ornières en talus.
Mais moi je vois la vie en rouge.
MAINS
Ce ne sont pas des mains d'altesse,
De beau prélat quelque peu saint.
Pourtant une délicatesse
Y laisse son galbe succinct.
Ce ne sont pas des mains d'artiste.
De poète proprement dit,
Mais quelque chose comme triste
En fait comme un groupe en petit;
Car les mains ont leur caractère,
C'est tout un monde en mouvement
Où le pouce et l'auriculaire
Donnent les pôles de l'aimant.
Les météores de la tête
Comme les tempêtes du cœur,
Tout s'y répète et s'y reflète
Par un don logique et vainqueur.
PAHALLkLEMRNT 2*9
Ce ne sont pas non plus les palmes
D'un rural ou d*un faubourien ;
Encor leurs grandes lignes calmes
Disent : « Travail qui ne doit rien. »
Elles sont maigres, longues, grises,
Phalange large, ongle carré.
Tels on ont aux vitraux d'églises
Les saints sous le rinceau doré,
Ou telu quelques vieux militaires
Déshabitués des combats
Se rappellent leurs longues guerres
Qu'ils narrent entre haut et bas.
Ce soir elles ont, ces mains sèches,
Sous leurs rares poils hérissés,
Des airs spécialement réches,
Comme en proie à d'âpres pensers.
Le noir souci qui les agace,
Leur quasi-songe aigre les font
Faire une sinistre grimace
A leur façon, mains qu'elles son
J'ai peur à les voir sur la table
Préméditer là, sous mes yeux,
Quelque chose de redoutable,
D'inflexible et de furieux.
280 PARALLÈLEMENT
La main droite est bien à ma droite,
L'autre à ma gauche, je suis seuL
Les linges dans la chambre étroite
Prennent des aspects de linceul.
Dehors le vent hurle sans trêve,
Le soir descend insidieux...
Ah! si ce sont des mains de rêve,
Tant mieux, — ou tant pis, — ou tant mieux I
LES MORTS QUE...
Les morts que Ton fait saigner dans leur tombe
Se vengent toujours.
Ils ont leur manière, et plaignez qui tombe
Sous leurs grands coups sourds.
Mieux vaut n'avoir jamais connu la vie,
Mieux vaut la mort lente d'autres suivie,
Tant le temps est long, tant les coups sont lourds.
Les vivants qu'on fait pleurer comme on saigne
Se vengent parfois.
Ceux-là qu'ils ont pris, qu'un chacun les plaigne,
Pris entre leurs doigts.
Mieux vaut un ours et les jeux de sa patte,
Mieux vaut cent fois le chanvre et sa cravate,
Mieux vaut l'édredon d'Othello cent fois.
282 PARALLÈLEMENT
Otoi, persécuteur, crains le vampire
Et crains Tétrangleur :
Leur jour de colère apparaîtra pire
Que toute douleur.
Tiens ton âme prête à ce jour ultime
Qui surprendra l'assassin comme un crime
Et fondra sur le sol comme un voleur.
NOUVELLES VARIATIONS
SUR LE POINT DU JOUR
Le Point du Jour, le Point blanc de Paris,
Le seul point blanc, grâce à tant de bùlisse
Et neuve et laide et que je t'en ralisâe,
Le Point du Jour, aurore des paris !
Le bonneteau fleurit « dessur » la berge,
La bonne tôt s'y déprave, tant pis
Pour elle et tant mieux pour le birbe cris
Qui lui du moins la croit encore vierge.
II a raison, le vieux, car voyez donc
Comme il est joli toujours le paysage :
Paris au loin, triste et gai, fol et sage,
£t le Trocadtro, ce cas, au fond.
284 rÀRALLÈLEHENT
Puis la verdure et le ciel et les types
Et la rivière obscène et molle, avec
Des gens trop beaux, leur cigare à leur bec
Épatants ces raetteurs-au-vent de tripes l
PIERROT GAMIN
Ce n'est pas Pierrot en herbe
Non plus que Pierrot en gerbe.
C'est Pierrot, Pierrot, Pierrot.
Pierrot gamin, Pierrot gosse,
Le cerneau hors de la cosse,
C'est Pierrot, Pierrot, Pierrot.
Bien qu'un rien plus haut qu'un môtre.
Le mignon drôle sait mettre
Dans ses yeux l'éclair d'acier
Qui sied au subtil génie
De sa malice finie
De poète-grimacier.
Lèvres rouge-de-blessure
Où sommeille la luxure,
PARALLELEMENT
Face pâle aux rictus fins,
Longue, très accentuée
Qu'on dirait habituée
A contempler toutes fins,
Corps fluet et non pas maigre,
Voix de fille et non pas aigre.
Corps d'éphèbe en tout petit,
Voix de tête, corps en fête,
Créature toujours prête
A soûler chaque appétit.
Va, frère, va, camarade,
Fais le diable, bats l'estrade
Dans ton rêve et sur Paris
Et par le monde, et sois l'âme
Vile, haute, noble, infâme
De nos innocents esprits 1
Grandis, car c'est la coutume.
Cube ta riche amertume,
Exagère ta gaieté
Caricature, auréole,
La grimace et le symbole
De notre simplicité l
Xbl
CES PASSIONS...
Ces passions qu*eux seuls nomment encore amours
Sont des amours aussi, tendres et furieuses,
Avec des particularités curieuses
Que n'ont pas les amours certes de tous les jours.
Même plus qu'elles et mieux qu'elles héroïques.
Elles se parent de splendeurs d'àme et de sang
Telles qu'au prix d'elles les amours dans le rang
Ne sont que Ris et Jeux ou besoins erotiques,
Que vains proverbes, que riens d'enfants trop gâtés,
— « Ah ! les pauvres amours banales, animales,
Normales ! Gros goûts lourds ou frugales fringales.
Sans compter la sottise et des fécondités! »
— Peuvent dire ceux-là que sacre le haut Rite,
Ayant conquis la plénitude du plaisir,
Et l'insaliabilité de leur désir
Bénissant la fidélité de leur mérite.
288 PARALLÈLEMENT
La plénitude ! lis l'ont superlativement :
Baisers repus, gorgés, mains privilégiées
Dans la richesse des caresses repayées.
Et ce divin final anéantissement 1
Comme ce sont les forts et les forts, l'habitude
De la force les rend invaincus au déduit.
Plantureux, savoureux, débordant, le déduit 1
Je le crois bien qu'ils l'ont la pleine plénitude I
Et pour combler leur vœux, chacun d'eux lour à tour
Fait l'action suprôme, a la parfaite extase,
— Tantôt la coupe ou la bouche et tantôt le vase, —
Pâmé comme la nuit, fervent comme le jour.
Leurs beaux ébats sont grands et gais. Pas de ces crises:
Vapeurs, nerfs. Non, des jeux courageux, puis d'heureux
Bras las autour du cou, pour de moins langoureux
Qu'étroits sommeils à deux, tout coupés de reprises.
Dormez, les amoureux 1 Tandis qu'autour de vous
Le monde inattentif aux choses délicates,
Bruit ou gît en somnolences scélérates,
Sans même, il est si bête! être de vous jaloux.
Et ces réveils francs, clairs, riants, vers l'aventure
De flers damnés d'un plus magnifique sabbat?
Et salut, témoins purs de l'âme en ce combat
Pour l'affi'anchissement de la lourde nature 1
LOETI ET ERRABUNDI
Les courses furent intrépides
(Comme aujourd'hui le repos pèsel)
Par les steamers et les rapides.
(Que me veut cet at home obèse?;
Nous allions, — vous en souvient-il,
Voyageur où ça disparu? —
Filant légers dans l'air subtil,
Deux spectres joyeux, on eût crul
Car les passions satisfaites
Insolemment outre mesure
Mettaient dans nos tètes des fêtes
Et dans nos sens, que tout rassure,
Tout, la jeunesse, l'amitié,
Et nos cœurs, ah ! que dégagés
Des femmes prises en pitié
Et du dernier des préjugée,
H. 19
290 PARALLÈLEMENT
Laissant la crainte de l'origine
Et le scrupule au bon ermite,
Puisque quand la borne est franchie
Ponsard ne veut plus de limite.
-Entre autres blâmables excès,
Je crois que nous bûmes de tout,
Depuis les plus grands vins français
Jusqu'à ce faro, jusqu'au stout.
En passant par les eaux-de-vie
Qu'on cite comme redoutables,
L'âme au septième ciel ravie,
Le corps, plus humble, sous les tables.
Des paysages, des cités
Posaient pour nos yeux jamais las;
Nos belles curiosités
Eussent mangé tous les atlas.
Fleuves et monts, bronzes et marbres,
Les couchants d'or, l'aube magique,
L'Angleterre, mère des arbres,
Fille des Beffrois, la Belgique,
La mer, terrible et douce au point, —
Brochaient sur le roman très cher
Que ne discontinuait point
Notre âme, — et qui d de notre chair ?..é
I
PAHALLkLRMKNT 29<
I,e roman de vivre à deux hommes
Mieux que non pas d'époux modèles,
Chacun au tas versant des sommes
De scnlimcnls forts et fidèles.
I/envie aux yeux de basilic
Censurait ce mode d'écot ;
Nous dinions du bldmc public
Et soupions du môme fricot.
La misère aussi faisait rage
Par des fois dans le phalanstère :
On ripostait par le courage,
La joie et les pommes de terre.
Scandaleux sans savoir pourquoi
(Peut-être que c'était trop beau),
Mais notre couple restait coi
Comme deux bon porte-drapeau,
Cois dans l'orgueil d'être plus libres
Que les plus libres de ce monde,
Sourd aux gros mots de tous calibres.
Inaccessible au rire immonde.
Nous avions laissé sans émoi
Tous impédiments dans Paris,
Lui quelques sots bernés, et moi
Certaine princesse Souris,
292 PARALLÈLEMENT
Une sotte qui tourna pire...
Puis soudain tomba notre gloire,
Tels, nous, des maréchaux d'empire
Déchus en brigands de la Loire.
Mais déchus volontairement!
C'était une permission,
Pour parler militairement,
Que notre séparation,
Permission sous nos semelles
Et depuis combien de campagnes I
Pardonnùtes-vous aux femelles ?
Moi j'ai peu revu ces campagnes,
Assez toutefois pour souffrir.
Ah! quel cœur faible que mon cœurl
Mais mieux vaut souffrir que mourir,
Et surtout mourir de langueur.
On vous dit mort, vous. Que le diable
Emporte avec qui la colporte
La nouvelle irrémédiable
Qui vient ainsi battre ma porte!
Je n'y veux rien croire. Mort, vous.
Toi, dieu parmi les demi-dieux!
Ceux qui le disent sont des fous.
Mort, mon grand péché radieux,
FAnALLkLEMKNT S9S
Tout ce passé brûlant encore
Dans mes veines et ma cervelle
Et qui rayonne et qui fulgore
Sur ma ferveur toujours nouvelle 1
Mort tout ce triomphe ioouï
Retentissant suns frcia ni fin
Sur l'air jamais évanoui
Que bat mon cœur qui fut divin I
Quoi, le miraculeux poème
Et la toute-philosûphie,
Et ma patrie et ma bohème
Morts ? Allons donc ! tu vis ma vie 1
BALLADE
DE LA
MAUVAISE RÉPUTATION
Il eut des temps quelques argents
Et régala ses camarades
D'un sexe ou deux, intelligents
Ou charmants, ou bien les deux grades.
Si que dans les esprits malades
Sa bonne réputation
Subit que de dégringolades 1
Lucullus? Non, Trimalcion.
Sous ses lambris, c'étaient des chants
Et des paroles point trop fades.
Eros et Bacchos indulgents
Présidaient à ces sérénades
Qu'accompagnaient des embrassades.
Puis chœurs et conversation
Cessaient pour des fins peu maussades.
Lucullus? Non. Trimalcion
PAnALLitLEMBNT 20S
l/aubo pointait et ces méchants
La saluait par cent aubades
Qui réveillaient au loin les gens
De bien, et par mille rasades.
Cependant de vagues brigades,
— Zèle ou dénonciation, —
Verbalisaient chez des alcades
LucuUus? Non. Trimalcion.
ENVOI
Prince, ô très haut marquis de Sade,
Un souris pour votre scion
Fier derrière sa palissade.
Lucullus? Non. Trimalcion.
CAPRICE
0 poète, faux pauvre et faux riche, homme vrai,
Jusqu'en l'extérieur riche et pauvre pas vrai
(Dès l'or, comment veux-tu qu'on soit sûr de ton cœur?)
Tour à tour souple, drôle et monsieur somptueux,
Du vert clair plein d' « espère « au noir componctueux,
Ton habit a toujours quelque détail blagueur.
Un bouton manque. Un fil dépasse. D'où venue
Cette tache — ah çà, malvenue ou bienvenue? —
Qui rit et pleure sur le cheviot et la toile?
Nœud noué bien et mal, soulier luisant et terne.
Bref, un type à se pendre à la Vieille-Lanterne
Comme à marcher, gai proverbe, à la belle étoile.
Gueux, mais pas comme ça, l'homme vrai, le seul vrai.
Poète, va, si ton langage n'est pas vrai.
Toi l'es, et ton langage, alors 1 Tant pis pour ceux
Qui n'auront pas aimé, fous comme autant de tois,
La lune pour chaufTer les sans femmes ni toits,
La mort, ah 1 pour bercer les coeurs malchanceux,
rARALLkLBMRtrr 297
Pauvres cœurs mal tombés, trop bons et très Hcrs certes!
Car l'ironie éclate aux lèvres belles, certes,
De vos blessures, cœurs plus blessés qu'une cible,
Petits sacrés-cœurs de Jésus plus lamentables!
Va, poète, le seul des hommes véritables.
Meurs sauvé, meurs de faim pourtant le moins possible.
I
BALLADE SAPPHO
Ma douoî main de maîtresse et d'amant
Passe et rit sur ta chère chair en fête,
Rit et jouit de ton jouissement.
Pour la servir tu sais bien qu'elle est faite,
Etton beau corps faut que je le dévête
Pour l'enivrer sans fin d'un art nouveau
Toujours dans la caresse toujours poète.
Je suis pareil à la grande Sappho.
Laisse ma tête errant et s'abîmant
A l'aventure, un peu farouche, en quête
D'ombre et d'odeur et d'un travail charmant
Vers les saveurs de ta gloire secrète.
Laisse rôder l'ûme de ton poète
Partout par là, champ ou bois, mont ou vau,
Comme lu veux et si je le souhaite.
Je suis pareil à la grande Sappho.
rAnALLlLBMBNT 209
Jo presse alors tout ton corps goulûment,
Toulo ta chair contre mon corps d'alhlète
Qui se bande et s'amollit par moment,
Heureux du triomphe ot de la dtîfaite
En ce conflit du cœur et de la tûte.
Pour la stérile étreinte où le cerveau
Vient faire enfin la nature complète.
Je suis pareil à la grande Sappho.
ENVOI
Prince ou princesse, honnête ou malhonnête,
Qui qu'en grogne, quel que soit son niveau.
Trop su poète ou divin proxénète,
Je suis pareil à la grande Sappho.
CHANSONS POUR ELLE
Tu n'es pas du teut vertueuse,
Je ne suis pas du tout jaloux 1
C'est de se la couler heureuse
Encor le moyen le plus doux.
Vive l'arnour et vivent nous !
Tu possèdes et tu pratiques
Les tours les plus intelligents
Et les trucs les plus authentiques
A l'usage des braves gens,
Et tu m'as quels soins indulgents!
D'aucuns clabaudent, sur ton âge
Qui n'est plus seize ans ni vingt ans.
Mais ô ton opulent corsage,
Tes yeux riants, comme chantants,
Et t tes baisers épatants 1
304 CUANSONS POUR ELLB
Sois-moi fidèle si possible
Et surtout si cela te plaît,
Mais reste souvent accessible
A mon désir, humble valet
Content d'un « viens ! » ou d'un soufflet.
« Hein? passé le temps des prouesses 1 »
Me disent les sots d'alentour.
Ça, non, car grâce à tes caresses
C'est encor, c'est toujours mon tour.
Vivent nous et vive l'amour !
II
Compagne savoureuse et bonne
A qui j'ai confié le soin
Définitif de ma personne,
Toi mon dernier, mon seul témoin»
Viens çà, chère, que je te baise,
Que je t'embrasse long et fort,
Mon cœur près de ton cœur bat d'aise
Et d'amour pour jusqu'à la mort:
Aime-moi,
Car, sans toi.
Rien ne puis.
Rien ne suis.
Je vais gueux comme un rat d'église,
Et toi tu n'as que tes dix doigts ;
La table n'est pas souvent mise
Dans nos sous-sols et sous nos toits;
20
306 CHANSONS POUR ELLE
Mais jamais notre lit ne chôme,
Toujours joyeux, toujours fêté,
Et j'y suis le roi du royaume '
De ta gaîté, de ta santé 1
Aime-moi,
Car, sans toi,
Rien ne puis.
Rien ne suis.
Après nos nuits d'amour robuste,
Je sors de tes bras mieux trempé,
Ta riche caresse est la juste
Sans rien de ma chair de trompé,
Ton amour répand la vaillance
Dans tout mon être, comme un vin,
Et, seule, tu sais la science
De me gonfler un cœur divin.
Aime-moi,
Car, sans toi,
Rien ne puis,
Rien ne suis.
Qu'importe ton passé, ma belle,
Et qu'importe, parbleu ! le miea :
Je t'aime d'un amour Adèle
Et tu ne m'as fait que du bien.
CHANSONS POUR KLLB 307
Unissons dans nos deux misères
Lo pardon qu'on nous refusait,
Et jo t'étreins et tu me serres
Et zut au monde qui jasait!
Aime-moi
Car, sans toi,
Rien ne puis,
Rien ne suis.
III
Voulant te fuir (fuir ses amours I
Mais un poète est bête),
J'ai pris, l'un de ces derniers jours,
La poudre d'escampette.
Qui fut penaud, qui fut nigaud
Dès après un quart d'heure?
Et je revins en mendigot
Qui supplie et qui pleure.
Tu pardonnas : mais pas longtemps
Depuis la fois première
Je filais, pareil aux autans,
Comme la fois dernière.
Tu me cherchas, me dénichas;
Courte et bonne, l'enquête!
Qui fut content du doux pourchas?
Moi donc, ta grosse bête I
CHANSONS POUR ELLE 309
Puisque nous voici réunis,
Dis, sans ruse et sans feinte,
Ne nous cherchons plus d'autres nids
Que ma, que ton étreinte.
Malgré mon caractère afTreux,
Malgré ton caractère
A/Treux, restons toujours heureux :
Fois première et dernière.
IV
Or, malgré ta cruauté
Affectée, et l'air très faux
De sale méchanceté
Dont, bête, tu te prévaux
J'aime ta lasciveté !
Et quoiqu'en dépit de tout
Le trop factice dégoût
Que me dicte ton souris
Qui m'est, à mes dams et coût.
Rouge aux crocs blancs de souris I
Je t'aime comme l'on croit,
Et mon désir fou qui croît,
Tel un champignon des prés,
S'érige ainsi que le Doigt
D'un Terme là tout exprès.
CHANSONS POUK RLLf ^\i
Donc, malgré ma cruauté
Affectée, et l'air très faux
De pire méchanceté,
Dont, bôle, je me prévaux.
Aime ma simplicité.
Zon, flûte et bcust.
Zon, violon,
(BiRAHOER.)
Jusques aux pervers nonchaloirs
De ces yeux noirs,
Jusques, depuis ces flemmes blanches
De larges hanches
Et d'un ventre et de beaux seins
Aux fiers dessins,
Tout pervertit, tout convertit tous mes desseins
Jusques à votre menterie,
Bouche fleurie,
Jusques aux pièges mal tendus
Tant attendus,
De tant d'appas, de tant de charmes.
De tant d'alarmes,
Tout pervertit, tout avertit mes tristes larmes,
ODANSONS POUR RLLR 313
Et, chère, ah! dis : FliUcs et zons
A mes chansons
Qui vont hrilmant, toi s des cerfs prestes
Aux gcsics lestes,
Ahl dis donc, Ch&re : Flûte et zonl
A ma chanson,
£t si je fais Vù.ae, eh bien, donne-moi du sont
VI
La saison qui s'avance
Nous baille la défense
D'user des us d'été,
Le frisson de l'automne
Déjà nous pelotonne
Dans le lit mieux fêté.
Fi de l'été morose,
Toujours la même chose î
M J'ai chaud, t'as chaud, dormons! »
Dormir au lieu de vivre
S'ennuyer comme un livre...
Voici l'automne, aimons!
L'un dans l'autre, à notre aise,
Soyons pires que braise
Puisque s'en vient l'hiver,
Tous les deux, corps et dme,
Soyons pires que llamme,
Soyons pires que chair I
3/s'
Vil
Je suis plus pauvre que jamais
Et que personne ;
Mais j'ai ton cou gras, tes bras frais.
Ta façon bonne
De faire l'amour, et le tour
Leste et frivole,
Et la caresse, nuit et jour,
De ta parole.
Je suis riche de tes beaux yeux.
De ta poitrine,
Nid follement voluptueux,
Couche ivoirine
Où mon désir, las d'autre part.
Se ravigore
Et pour d'autres ébats repart
Plus brave encore...
316 CHANSONS POUR ELLE
Sans doute tu ne m'aimes pas
Comme je t'aime,
Je sais combien tu me trompes
Jusqu'à l'extrême.
Que me fait, puisque je ne vis
Qu'en ton essence,
Et que tu tiens mes sens ravis
Sous ta puissance?
VIII
Que ton âme soit blanche ou noire,
Que fait? Ta peau de jeune ivoire
Est rose et blanche et jaune un peu.
Elle sent bon, ta chair, perverse
Ou non, que fait? puisqu'elle berce
La mienne de chair, nom de Dieul
Elle la berce, ma chair folle.
Ta folle de chair, ma parole
La plus sacrée ! — et que donc bien l
Et la mienne, grdce à la tienne,
Quelque réserve qui la tienne.
Elle s'en donne, nom d'un chien 1
Quant à nos âmes, dis, Madame,
Tu sais, mon âme et puis ton âme.
Nous en moquons-nous? Que non pasl
Seulement nous sommes au monde.
Ici-bas, sur la terre ronde,
£t Dor au ciel, mais ici-bas.
318 CHANSONS POUR ELLE
Or, ici-bas, faut qu'on profite
Du plaisir qui passe si vite
Et du bonheur de se pâmer,
Aimons, ma petite méchante,
Telle l'eau va, tel l'oiseau chante,
Et tels, nous ne devons qu'aimer.
IX
Tu m'as frappé, c'est ridicule,
Je l'ai battue et c'est affreux :
Je m'en repens et tu m'en veux.
C'est bien, c'est selon la formule.
Je n'avais qu'à me tenir coi
Sous l'aimable averse des gifles
De ta main experte en mornifles,
Sans même demander pourquoi.
Et toi, ton droit, ton devoir même»
Au risque de t'exténuer.
Il serait de continuer
De façon extrême et suprême...
Seulement, ô ne m'en veux plus.
Encore que ce fût un crime
De t'avoir faite ma victime...
Dis, plus de refus absolus,
320 CHANSONS POUR ELLE
Bats-moi, petite, comme plâtre,
Mais ensuite viens me baiser,
Pas? quel besoin d'éterniser
Une querelle trop folâtre.
Pour se brouiller plus d'un instant,
Le temps de nous faire une moue
Qu'éteint un bécot sur la joue,
Puis sur la bouche en attendant
Mieux encor, n'est-ce pas, gamine?
Promets-le-moi sans biaiser.
C'est convenu? Oui? Puis-je oser?
Allons, plus de ta grise mine !
L'horrible nuit d'insomnie I
— Sans la présence bénie
De ton cher corps près de moi.
Sans ta bouche tant baisée
Encore que trop rusée
En toute mauvaise foi,
Sans ta bouche tout mensonge,
Mais si franche quand j'y songe,
Et qui sait me consoler
Sous l'aspect et sous l'espèce
D'une fraise — et, bonne pièce ! —
D'un très plausible parler,
Et surtout sans le pentdcle
De tes sens et le miracle
Multiple est un, lleur et fruit,
De tes durs yeux de sorcière,
Durs et doux ù ta manière...
Vrai Dieu ! la terrible nuitl
II
21
XI
Vrai, nous avons trop d'esprit.
Chérie !
Je crois que mal nous en prit,
Chérie !
D'ainsi lutter corps à corps
Encore !
Sans repos et sans remords
Encore l
Plus, n'est-ce pas? de ces lutte»
Sans but,
Plus de ces mauvaises flûtes.
Ce luth,
0 ce luth de bien se faire
Tel air,
Toujours vibrant, chanson hère
Dans l'air l
CHANSONS POUR BLLI C23
Et n'ayons plus d'esprit,
T'en prie!
Tu vois que mal nous en prit...
T'en prie.
Soyons bons tout bôlcmcnt,
Charmante,
Aimons-nous aimablement
M'amante !
XII
Tu bois, c'est hideux! presque autant que moi.
Je bois, c'est honteux, presque plus que toi,
Ce n'est plus ce qu'on appelle une vie...
Ah! la femme, fol, fol est qui s'y fie !
Les hommes, bravo ! c'est fler et soumis,
On peut s'y fier, voilà des amis !
Nous buvons, mais, vous mesdames, l'ivresse
Vous va moins qu'à nous, — te change en tigresse.
Moi tout au plus en un simple cochon ;
Quelque idéal sot dans mon cabochon,
Quelque bêtise en sus, quelque sottise
En outre, — mais toi, la fainéantise,
La méchanceté, l'obstination,
Un peu le vice et beaucoup l'option.
Pour être plus folle, sur ma parole I
Que ma folie à moi déjà si folle.
0HAN80N8 POUA BLLI 32S
Ces réilcxions mo coûtent beaucoup,
Mais ce soir jo suis d'une liumcur do loup.
Kxcusc, si mon discours va si rogue,
Mais ce soir je suis d'une humeur de dogue.
Hah ! buvons pas trop (s'il nous est possible),
Ma bouche est un trou, la tienne est un crible.
Dieu sp'ira bien reconnaître les siens.
Morale : surtout baisons-nous — et viens I
XIII
Es-tu brune ou blonde ?
Sont-ils noirs ou bleus,
Tes yeux?
Je n'en sais rien, mais j'aime leur clarté profonde,
Mais j'adore le désordre de tes cheveux.
Es-tu douce ou dure?
Est-il sensible ou moqueur,
Ton cœur?
Je n'en sais rien, mais je rends grâce à la nature
D'avoir fait de ton cœur mon maître et mon vainqueur.
Fidèle, infidèle?
Qu'est-ce que ça fait.
Au fait ?
Puisque, toujours disposé à couronner mon zèle
Ta beauté sert d^. gage à mon plus cher souhait.
3x
XIV
Je ne t'aime pas en toilette
Et je déteste la voilette
Qui t'obscurcit tes yeux, mes cieux.
Et j'abomine la « tournure »
Parodie et caricature,
De tels tiens appas somptueux.
Je suis hostile à toute robe
Qui plus ou moins cache et dérobe
Ces charmes, au fond les meilleurs :
Ta gorge, mon plus cher délice,
Tes épaules et la malice
De tes mollets ensorceleurs.
Fi d'une femme trop bien mise!
Je te veux, ma belle, en chemise,
— Voile aimable, obstacle badin,
Nappe d'autel pour l'aime messe.
Drapeau mignard vaincu sans cesse
Matin et soir, soir et matin.
XV
Chemise de femme, armure ad hoc
Pour les chers combats et le gai choc,
Avec, si frais et que blancs et gras,
Sortant tout nus, joyeux, les deux bras,
Vêtement suprême,
De mode toujours,
C'est toi seul que j'aime
De tous ses atours.
Quand Elle s'en vient devers le lit,
L'orgueil des beaux seins cambrés emplit
Et bombe le linge tout parfumé
Du seul vrai parfum, son corps pâmé.
Vêtement suprême,
De mode toujours,
C'est toi seul que j'aime
De tous ses atours.
0UAN80NI POUR RLLI 3S9
Quand oUo entre dans lo Ht, c'est mieux
Encor : sous ma main lo précieux
Trésor do sa rroupo HH'mit dans
Los plis do balisto redondants.
Vùtoment supnhnn,
De modo toujours,
C'est toi seul que j'aime
De tous ses atours.
Mais lorsqu'elle a pris place à côté
De moi, l'humble serf de sa beauté,
Il est divin et mieux mon bonheur
A bousculer le linge et l'honneurl
Vêtement suprôme.
De mode toujours.
C'est loi seul que j'aime
De tous ses atours.
XVI
L'été ne fut pas adorable
Après cet hiver infernal,
Et quel printemps défavorable l
Et l'automne commence mal,
Bah ! nous nous réchaufTùmes
En mêlant nos deux âmes.
La pauvreté, notre compagne
Dont nous nous serions bien passés,
Vainement menait la campagne
Durant tous ces longs mois glact's...
Nous incaguions l'intruse,
Son astuce et sa ruse.
Et riches, de baisers sans nombre,
— La seule opulence, crois-moi, —
Que nous fait que le temps soit sombre
S'il fait soleil en moi, chez toi.
Et que le plaisir rie
A notre gueuserie?
^^
XVII
Je ne suis plus de ces esprits philosophiques,
Et ce n'est pas de morale que tu te piques
Deux admirables conditions pour Tamour
Tel que nous l'entendrons, c'est-à-dire sans tour
Aucun de bête convenance ou de limites,
Mais chaud, rieur — et zut à tous us hypocrites I
Aimons gaîment
Et franchement.
J'ai reconnu que la vertu, quand s'agit d'Elles,
Est duperie et que la plupart d'elles ont
Raison de s'en passer, nous prenant pour modèles :
Si bien qu'il est très bien de faire comme font
Les bonnes bêtes de la terre et les célestes.
N'est-ce pas ? prompts moineaux, n'est-ce pas, les cerfs prestes.
Aimons bien fort
Jusqu'à la mort.
333 CHANSONS pour elle
Pratique mon bon conseil et reste amusante.
S'il se peut, sois-le plus encore et représente
Toi bien que c'est ta loi d'être pour nous charmer
Et la fleur n'est pas plus faite pour se fermer
Que vos cœurs et vos sens, ô nos belles amies...
Tête en l'air, sens au clair, vos « pudeurs » endormies,
Aimons dûment
Et verdement
XVI II
Si tu le veux bien, divine Ignorante,
Je ferai celui qui ne sait plus rien
Que te caresser d'une main errante.
En le geste expert du pire vaurien,
Si tu le veux bien, divine Ignorante.
Soyons scandaleux sans plus nous gêner
Qu'un cerf et sa biche es bois authentiques.
La honte, envoyons-la se promener.
Même exagérons et, sinon cyniques,
Soyons scandaleux sans plus nous gêner.
Surtout ne parlons pas littérature.
Au diable lecteurs, auteurs, éditeurs
Surtout! Livrons-nous à notre nature
Dans l'oubli charmant de toutes pudeurs,
Et, ô ! ne parlons pas littérature !
334 CHANSONS POUR ELLE
Jouir et dormir, ce sera, veux-tu?
Notre fonction première et dernière,
Notre seule et notre double vertu,
Conscience unique, unique lumière.
Jouir et dormir, m amante, veux-tu î
XIX
Ton rire éclaire mon vieux cœur
Comme une lanterne une cave
Où mûrirait tel cru vainqueur :
Aï, Beaune, Sauterne, Grave.
Ton rire éclaire mon vieux cœur.
Ta voix claironne dans mon âme :
Tel un signal d'aller au feu...
... De tes yeux en effet tout flamme
On y va, sacré nom de Dieu !
Ta voix claironne dans mon âme.
Ta manière, ton menco,
Ton cbic, ton galbe, ton que sais-je,
Me disent : « Viens ça» Prodeo.
(0 ces souvenirs de collège !)
Ta manière ! ton meneo !
336 CHANSONS POUR ELLE
~Ta gorge, tes hanches, ton geste,
Et le reste, odeur et fraîcheur
Et chaleur m'insinuent: reste !
Si j'y reste, en ton lit mangeur !
Ta gorge, tes hanches ! ton geste !
XX
Ta crois au marc de café,
Aux pr<5sages, aux grands jeux :
Moi je ne ciois qu'en les grands yeux.
Tu crois aux contes de fées,
Aux jours néfastes, aux songes.
Moi je ne crois qu'en tes mensonges.
Tu crois en un vague Dieu
En quelque saint spécial,
En tel Ave contre tel mal.
Je ne crois qu'aux heures bleues
Et rose que tu m'épanches
Dans la volupté des nuits blanches I
Et si profonde est ma foi
Envers tout ce que je croi
Que je ne vis plus que pour toi.
n. 22
XXI
Lorsque tu cherches tes puces,
C*est très rigolo.
Que de ruses, que d'astuces 1
J'aime ce tableau.
C'est, alliciant en diable
Et mon cœur en bat
D'un battement préalable
A quelque autre ébat
Sous la chemise tendue
Au large, à deux mains
Tes yeux scrutent l'étendue
Entre tes durs seins.
Toujours tu reviens bredouille,
D'ailleurs, de ce jeu.
N'importe, il me trouble et brouille,
Ton sport, et pas peu !
CHANSONS POUn ILLI 339
Lasse-toi d'ôtre déraite
Aussi sottement,
Viens payer une autre fôle
A ton corps charmant
Qu'une chasse infructueuse
Par monts et par vaux.
Tu seras victorieuse...
Si je uc prévaux l
XXII
J'ai rêvé de toi cette nuit :
Tu te pâmais en mille poses
Et roucoulais des tas de choses...
Et moi, comme on savoure un fruit,
Je te baisais à bouche pleine
Un peu partout, mont, val ou plaine.
J'étais d'une élasticité,
D'un ressort vraiment admirable :
Tudieu, quelle haleine et quel rabhi I
Et toi, chère, de ton côté,
Quel rable, quelle haleine, quelle
Elasticité de gazelle...
Au réveil ce fut, dans tes bras,
Mais plus aiguë et plus parfaite,
Exactement la même fèleJ
M'
XXIII
Je n ai pas de chance en femme,
El, depuis mon âge d'homme,
Je ne suis tombé guère, en somme.
Que sur des criardes infâmes.
C'est vrai que je suis criard
Moi-même et d'un révoltant
Caractère tout autant,
Peut-être plus par hasard.
Mes femmes furent légères,
Toi-même tu l'es un peu,
Cet épouvantable aveu
Soit dit entre nous, ma chère.
C'est vrai que je fus coureur.
Peut-être le suis-je encore :
Cet aveu me déshonore.
Parfois je me fais horreur.
342 CHANso^'s pour elle
Baste : restons tout de même
Amants fervents, puisqu'en somme
Toi, bonne fille et moi, brave homme,
Tu m'aimes, dis, et que je t'aime.
XXIV
Bien qu'elle soit ta meilleure amie,
C'est farce ce que nous la trompons
Jusques à l'excès, sans penser mie
A elle, tant nos instants sont bons,
Nos instants sont bons!
Je fais des comparaisons, de môme
Toi cocufiant Ion autre amant,
Et je dois dire que ton système
Pour le cocufier est charmant.
Ton us est charmant I
Mon plaisir est d'autant plus coupable
(Et plus exquis, grûce à ton concours)
Qu'elle se montre aussi très capable
Et fort experte aux choses d'amours.
Mais sans ton concours ?
344 CHANSONS POUR ELLK
Trompons-Ia bien, car elle nous trompe
Peut-être aussi, tant on est coquins
Et qu'il n'est de pacte qu'on ne rompe.
Trompons-/cs bien. Nuls remords mesquins!
Soyons bien coquins 1
XXV
Je fus mystique et je ne le suis plus
(I.a femme m'aura repris tout entier),
Non sans garder des respects absolus
Pour l'idéal qu'il fallut renier.
Mais la femme m'a repris tout entier!
J'allais priant le Dieu de mon enfance
(Aujourd'hui c'est toi qui m'as à genoux),
J'étais plein de foi, de blanche espérance.
De charité sainte aux purs feux si doux.
Mais aujourd'hui tu m'as à tes genoux !
La femme, par toi, redevient le maître,
Un maître tout-puissant et tyrannique,
Mais qu'insidieux! feignant de tout permettre
Pour en arriver à tel but satanique...
0 le temps béni quand J'étais ce mystique I
LITURGIES INTIMES
A CHARLES BAUDELAIRE
Je ne t'ai pas connu, je ne t'ai pas aimé,
Je ne te connais point et je t'aime encor moins :
Je me chargerais mal de ton nom diffamé,
Et, si j'ai quelque droit d'être entre tes témoins,
Ccst que, d'abord, et c^est qu'ailleurs, vers les Pieds joints
D'abord par les clous froids, puis par l'élan pâmé
Des femmes de péché desquelles ô tant oints,
Tant baisés, chrâne fol et baiser affamé! —
Tu tombas, tu prias, comme moi, comme toutes
Les âmes que la faim et la soif sur tes routes
Poussaient belles d'espoir au Calvaire touché l
— Calvaire juste et vrai, Calvaire où, donc, ces doutes^
Ci, çà, grimaces, art, pleurent de leurs déroutes.
Ucin ? mourir simplement, nous, hommes de péché.
ASPERGES ME
I
Moi qui ne suis qu'un brin d'hysope dans la main
Du Seigneur tout-puissant qui m'octroya la grâce,
Je puis, si mon dessein est pur devant sa face,
Purifier autrui passant sur mon chemin.
Je puis, si ma prière est de celles qu'allège
L'Humilité du poids d'un désir languissant
Comme un païen peut baptiser en cas pressant,
Laver mon prochain, le blanchir plus que la neige.
Prenez pitié de moi. Seigneur, suivant l'efFet
Miséricordieux de vos mansuétudes.
Veuillez bander mon cœur, cœur aux épreuves rudes.
Que le zèle pour votre maison soulevait
Faites-moi prospérer dans mes vœux charitables,
Et pour cela, suivant le rite respecté,
Gloire à la Trinité durant l'éternité.
Gloire à Dieu dans les cieux les plus inabordables,
tlTURGIES INTIMES 3?Si
Gloire au Père, fauteur et gouverneur de tout,
Au Fils, crc^'ateur et sauveur, juge et partie.
Au Saint-Esprit, de qui la lumière est sortie
Par quel rayon? — ainsi qu'une eau lustrale, mon sang bout, -—
Moi qui ne suis qu'un brin d'bysope dans la main...
AVENT
II
M Dans les Avents », comme l'on dit
Chez mes pays qui sont rustiques
Et qui patoisent un petit
Entre autres usages antiques,
« Dans les Avents les côs chantont »,
Toute la nuit, grâce à la lune
« ClarLive » alors, et dont le front
S'argente et cuivre dès la brune
Jusqu'à l'aube en peu d'ombre, et ces
Chante-clair, clair comme un beau rêve,
Proclament jusques à l'excès
Le soleil... qui plus tard se lève,
LITURGIEH INTIMRS 3^).1
Trop tard pour ceux qui sont reclus
Au poulailler, — tout comme une Ame
Ne tendant que vers les élus,
Dans le pOchc, prison infûme, —
Et comme une ûme les bons coqs,
Vigilants, tels au temps de Pierre,
SouiTrent, mais, en dépit des chocs
D'ombre, chantent, et l'âme espère.
NOËL
III
Petit Jésus qu'il nous faut être,
Si nous voulons voir Dieu le Père,
Accordez-nous d'alors renaître
En purs bébés, nus, sans repaire
Qu'une étable, et sans compagnie
Qu'une âne et qu'un bœuf, humble paire ;
D'avoir l'ignorance infinie
Et l'immense toute-faiblesse
Par quoi l'humble enfance est bénie ;
De n'agir sans qu'un rien ne blesse
Notre chair pourtant innocente
Encor même d'une caresse,
LITURGIES IMTlUEi 3D3
San» que notre œil chétif ne sente
Doulounniscinent l'éclat môme
De l'aube à peine pdlissante,
Du soir venant, lueur suprême,
Sans éprouver aucune envie
Que d'un long sommeil tiède et blêrae.M
En purs bébés que l'âpre vie
Destine, — pour (juel but sévère
Ou bienheureux? — foule asservie
Ou troupe libre, à quel calvairef
SAINTS INNOCENTS
IV
Cruel Hérode, noir Péché,
De tes sept glaives tu poursuis
Les innocents, lesquels je suis
Dans mes cinq sens, — et, qu'empêché
Me voici pour, las! me défendre 1
L'argile dont Dieu les forma,
Leur faiblesse à ces tristes sens
Par quoi je suis les innocents
Que l'on immole dans Rama,
Trahissent leur âge trop tendre.
Nulle fuite. Mais mon Sauveur,
Assumant mon sort et ma mort.
Vit en Egypte dont il sort
A temps pour l'insigne faveur
Qu'il me fait de donner sa vie
LiTunniKii INTIUKS 357
Et sa pensée à mon bonheur
Élerncl, et, par Taclioa
Sûre de l'absolution
De son prôtro à lui, le Seigneur,
Ressuscite ma chair ravie.
CIRCONCISION
Petit Jésus qui souffrez déjà dans votre chair
Pour obéir au premier précepte de la Loi,
Or, nous venons en ce jour saintement doux-amer,
Vous offrir les prémices aussi de notre foi.
Pour obéir, nous autres, à votre obéissance,
Nous apportons sur l'autel le parfait hommage
De nos péchés pénitents à votre innocence,
Sur Tautel blanc où votre sang si pur, notre otage.
Coule mystiquement comme il coula littéral
Au Golgotha, comme il stilla, pas plus réel
Mais littéral aussi, ce jour, dont le rituel
IJetient l'anniversaire cruel et lilial.
LITURGIES INTIMBI 359
El nous circoncisons nos cœurs suivant votre exemple,
Et nous voudrons ressembler à Vous-même, qui flics
Le vieux Siméon, dans la solennité du temple,
Exhaler vers vous une allégresse sans limites.
L'ancien Adam qui se désolait dans son espoir
Toujours remis d'enfin voir, de ses yeux, nous meilleurs,
Nous très doux sans plus d'ire rouge ou d'orgueil noir,
Va chanter un fier cantique de joie et de pleurs,
Et dans les cieux les bienheureux et bienheureuses
S'éjouiront plus que de coutume, et les anges.
Pour ce que cette année, elle à peine dans les langes,
Dès son premier souffle, a ces haleines amoureuses.
ROIS
VI
La myrrhe, l'or et l'encens
Sont des présents moins aimable»
Que de plus humbles présents
Offerts aux Yeux adorables
Qui souriront plutôt mieux
A de simples vœux pieux.
Le voyage des Rois Mages
Certes agrée au Seigneur.
Il accepte ces hommages
Et les tient en haut honneur;
Mais d'un pécheur qui s'amende
Pour lui la gloire est plus grande.
Dans ce sublime concours
D'adorations premières,
Jésus goûtera toujours
LITURGIES INTIMRfl 361'
Davantage les prières
Des misérables et leur
Garde un royaume meilleur.
Les anges et les archanges
Qui réveillent les bergers,
Voix d*espoir et de louanges
Aux hommes encouragés,
Priment dans l'azur sans voile
La miraculeuse étoile...
Riches, pauvres, faisons-nous
Néant devant toi, le Maître,
De Ton saint nom seuls jaloux :
Tu sauras bien reconnaître
Et magnifier les tiens,
Riches, pauvres, tous chrétiens.
KYRIE ELEISON
VII
Ayez pitié ae nous, Seigneurl
Christ, ayez pitié de nous!
Donnez-nous la victoire et l'honneur
Sur l'ennemi de nous tous.
Ayez pitié de nous, Seigneur.
Rendez-nous plus croyants et plus doux
Loin du Péché suborneur,
Christ, ayez pitié de nous.
Criblez-nous comme fait le vanneur
Du grain dont il est jaloux.
Ayez pitié de nous. Seigneur.
Nous vous en supplions à genoux,
Ouvrez-nous par la Foi et le Bonheur.
Christ, ayez pitié de nous.
LITUnciES INTDIBt .ICI
Ouvroz-nous par l'Amour le Bonheur,
Nous vous en prions à genoux.
Ayez pilié de nous, Seigneur.
Seigneur, par l'Espérance, ouvrci-nous,
Clirisl, ouvrez-nous le Bonheur.
Christ, ayez pitié de nous.
Ayez pitié de nous, Seigneur 1
GLORIA IN EXGELSIS
VIII
Gloire à Dieu dans les hauteurs,
Paix aux hommes sur la terre 1
Aux hommes qui l'attendaient
Dans leur bonne volonté.
Le salut vient sur la terre...
Gloire à Dieu dans les hauteurs
Nous te louons, bénissons,
Adorons, glorifions.
Te rendons grdce et merci
De cette gloire infinie !
0 Seigneur, Dieu, roi du ciel,
Père, Puissance éternelle,
LITUnOIRS INTIMES Ml
0 Fils unique de Dieu,
Agneau de Dieu, Fils du père,
Vous efTacez les péchés :
Vous aurez pilié de nous.
Vous efTacez les péchés :
Vous écouterez nos vœux.
Vous, à la droite du Père,
Vous aurez pitié de nous.
Car vous êtes le seul Saint,
Seul Seigneur et seul Très Haut,
0 Jésus, qui fûtes oint
De très loin et de très haut,
Dieu des cieux, avec l'Esprit,
Dans le Père,
Ainsi soit-iU
CREDO
IX
Je crois ce que l'Église catholique
M'enseigna dès l'âge d'entendement :
Que Dieu le Père est le fauteur unique
Et le régulateur absolument
De toute chose invisible et visible,
Et que, par un mystère indéfectible,
Il engendra, ne fit pas Jésus-Christ
Son Fils unique avant que la lumière
Ne fût créée, et qu'il était écrit
Que celui-ci mourrait de mort amère,
Pour nous saii^er du malheur immorte/
Sur le Calvaire et, depuis, sur l'Autel;
LITUIir, IKS I.NTlUEa 367
Enfln quo PEsprit saint, lequel procède
El du Père et du Fils et qui parlait
Par les prophètes, et ma foi qui s'aide
De charitô croit le dogme complet
De rÉglise de Rome, au saint baptôme,
En la vie éternelle.
Vœu suprême.
ASCENSION
Jésus au ciel est monté
Pour vous envoyer sa grâce
Espérance et charité,
Foi qui jamais ne se lasse,
Patience et tous les dons
Que l'esprit porte en ses flamme».
Et les trésors de pardons,
De zèle au salut des âmes,
De courage durant les
Tentations de ce monde.
Ah! surtout, oui, devant les
Tentations de ce monde,
LITUnUIBi) INTIMIt 369
Ces scandales étalés
Tour à tour beaux puis immondes,
Pauvres cœurs écarlelés,
Tristes Ames vagabondes 1
Jésus au ciel est monté,
Mais en nous laissant son ombre :
L'Évangile répété
Sans cesse aux peuples sans nombre.
Jésus au ciel est monté
Pour mieux veiller, Lui, fait homme,
Sur notre fragilité
Qu'il éprouva... Mais nous, comme
Jésus au ciel est monté
Notre nuit n'y pourrait suivre
Avant la mort sa clarté :
Ahl d'esprit allons y vivre !
xu u
VENI, SANCTE..
XI
« Esprit-Saint, descendez en » ceux
Qui raillent l'antique cantique
Où les simples mettent leurs vœux
Sur la plus naïve musique.
Versez les sept dons de la foi,
Versez, « esprit d'intelligence »,
Dans les âmes toutes au moi
Surtout l'amour et l'indulgence
Et le goût de la pauvreté
Tant des autres que de soi-même
Qu'ils comprennent la charité
Puisqu'ils sont l'élite et la crème.
tITUnCIKS l.NTIMCB 371
Qu'ils eslimcnt leur rire 80t,
Visant, non le dogme immuable.
Mais l'humble et lo faible (un assaut
Dont le capitaine est le Diable).
Au lieu d'ainsi le profaner,
Ce cantique de nos ancCIres,
Qu'ils le méditent, pour donner
Le bon exemple, eux, les grands maître».
Et, tandis qu'ils seront en train
D'édifier le paupérisme
D'esprit et d'argent, qu'ils réin-
Tègrent un peu le Catéchisme.
JUIN
XII
Mois de Jésus, mois rouge et or, mois de l'Amour,
Juin, pendant quel le cœur en fleur et Tàme en flamme
Se sont épanouis dans la splendeur du jour
Parmi des chants et des parfums d'épithalame.
Mois du Saint-Sacrement et mois du Sacré-Cœur,
Mois splendide du Sang réel, et de la Chair vraie,
Pendant que l'herbe mûre offre à l'été vainqueur
Un champ clos où le blé triomphe de l'ivraie.
Et pendant quel, nous misérables, nous pécheurs,
Remémorés de la Présence non pareille.
Nous sentons ravigorés en retours vengeurs
<iontre Satan, pour des triomphes que surveille
LITURGIES INTIMKI 373
Du ciel h\-Iiaut, cl sur torrc, do l'ostensoir,
l/uilor«5, l'alorablo Amour sanglant et chaste,
Kt du sein douloureux où gtlc notre espoir
Le Cœur, le Cœur brûlant que le désir dévaste,
Le désir de sauver les nôtres, ô Ronté
Essentielle, de leur gagner la victoire
Éternelle. EtTencens do l'immuable été
Monte mystiquement en des douceurs de gloire.
SANGTUS
XIII
Saint est l'homme au sortir du baptême,
Petit enfant humble et ne tétant pas même,
Et si pur alors qu'il est la pureté suprême.
Saint est l'homme après l'Eucharistie.
La chair de Jésus a sa chair investie
De force sage et de divine modestie.
Saint l'homme quand clos ses jours débiles,
Dans l'heur et dans le pardon des Saintes Huiles,
Et l'essor soudain vers des séjours enfin tranquilles.
Les cieux sont pleins, Juste, de ta gloire.
La terre en bas vénérera ta mémoire.
Béni soit celui qui vient au Nom qu'il nous faut croire l
Hosanna sur terre et dans les cieux.
Deux fois hosanna pour l'homme glorieux 1
Trois fois hosanna pour Dieu miséricordieux.
IMMACULÉE CONCEPTIOiN
XIV
Vous fûtes conçue immaculée,
Ainsi l'Église l'a constaté
Pour faire notre ûme consolée
Et notre fois plus fort conseillée,
Et notre esprit plus ferme et bandé.
La raison veut ce dogme et l'assume.
La charité l'embrasse et s'y tient,
Et Satan grince et l'enfer écume
Et hurle: « L'Eve prédite vient
Dont le Serpent saura l'amertune » :
Sous Id tutelle et dans l'onction
De votre chaste et sainte mère Anne,
Vous grandissez en perfection
Jusqu'à votre présentation
Au temple saint, loin du bruit profane.
376 LITURGIES INTIMES
Du monde vain que fuira Jésus
Et, comme lui, toute au pauvre monde.
Vous atteignez dans de pieux us
L'époque où, dans sa pitié profonde.
Dieu veut que de vous sorte Jésus 1
L'ange qui vous salua la mère
Du Rédempteur que Dieu nous donnait
Ne troubla pas votre candeur fière
Qui dit comme Dieu de la lumière :
« Ce que vous m'annoncez me soit fait. »
Et tout le temps que vivra le Maître,
Vous le passerez obscurément,
Sans rien vouloir savoir ou connaître
Que de l'aimer comme il daigne l'être.
Jusqu'à sa mort, prise saintement.
Aussi, quand vous-même rendez l'âme,
Pendant à votre conception
Immaculée, un décret proclame
Pour vous la tombe un séjour infâme,
Vous soustrait à la corruption,
Et vous enlève au séjour de la gloire
D'où vous régnez sur l'Ange et sur nous.
Participant à toute l'histoire
De notre vie intime et de tous
Les hauts débats de la grande histoire-
DÉVOTIONS
XV
Sécheresse maligne et coupable langueur,
Il n'est remède encore à vos tristesses noires
Que telles dévotions surcrogatoires,
Comme des mois de Marie et du Sacré-Cœur,
Éclat et parfum purs de fleurs rouges et bleues,
Par quoi l'àme qu'endeuille un ennui morfondu,
Tout soudain s'éveille à l'enthousiasme dû
Et sent ressusciter ses allégresses feues
Cantiques frais et blancs de vierges comme aux temps
Premiers, quand les chrétiens étaient toute innocence,
Hymnes brûlants d'une théologie intense
Dans la sanglante ardeur des cierges palpitants ;
3*8 LITURGIES INTIMES
Comme le chemin delà Croix, baisers et larmes,
Argent et neige et noir d'or des Vendredis Saints,
Lent cortège à genoux dans la paix des tocsins,
Stabats sévères indiciblement aux si doux charmes,
Et la dévotion, aussi, du chapelet,
Grains enflammés de chaste délire oii s'embrase
L'ennui souvent, où parfois l'excès de l'extase
Se consumait au feu des Ave qui roulait;
Et celle enfin des saints locaux, Martin de France,
Et Geneviève de Paris, saints du pays
Et des villes et des villages, obéis
Et vénérés avec chacun son espérance
Et son exemple et son précepte bien donné,
Ses miracles! — 0 mœurs plus intimes du culte,
Eh oui, c'est encor vous, en dépit de l'insulte,
Qui nous sauvez, peut-être, à tel moment donné.
AGNUS DEI
XVI
L'agneau cherche ramèrc bniyère,
C'est le sel et non le sucre qu'il préfère,
Son pas fait le bruit d'une averse sur la poussière.
Quand il veut un but, rien ne l'arrête,
Brusque, il fonce avec des grands coups de sa tête,
Puis il bcle vers sa mère accourue inquiète...
Agneau de Dieu, qui sauves les hommes.
Agneau de Dieu, qui nous comptes et nous nommes,
Agneaude Dieu, vois, prends pitié de ce que noussommes,
Donne-nous la paix et non la guerre,
0 l'agneau terrible en ta juste colère,
0 toi, seul Agneau, Dieu le seul fils de Dieu le Père.
TOUSSAINT
XVII
Ces vrais vivants qui sont les saints.
Et les vrais morts qui seront nous,
C'est notre double fête à tous,
Comme la fleur de nos desseins,
Comme le drapeau symbolique
Que l'ouvrier plante gaîment
Au faite neuf du bâtiment,
Mais, au lieu de pierre et de brique,
C'est de notre chair qu'il s'agit,
Et de notre âme en ce nôtre œuvre
Qui, narguant la vieille couleuvre,
A force de travaux surgit.
LITUIIGIES INTIMES .181
Notre flme et notre chair domptées
Par la truelle et le ciment
Du patient renoncement
Et des heures dûment comptées.
Mais il est des âmes encor,
Il est des chairs encore comme
En chantier, qu'à tort on dénomme
Les morts, puisqu'ils vivent, trésor
Au repos, mais que nos prières
Seulement peuvent monnayer
Pour, l'architecte, l'employer
Aux grandes dépenses dernières.
Prions, entre les morts, pour maints
De la terre et du Purgatoire,
Prions de façon méritoire
Oeux de là-haut qui sont les saints.
IN INITIO
XVIII
Chez mes pays, qui sont rustiquef
Dans tel cas simplement pieux,
Voire un peu superstitieux,
Entre autres pratiques antiques,
Sur la tête du paysan,
Rite profond, vaste symbole,
Le prêtre, étendant son étole,
Dit l'évangile de saint Jean :
« Au commencement était le Ver)*"
« Et le Verbe était en Dieu.
« Et le verbe était Dieu. »
Ainsi va ie texte superbe,
LITURGIES INTIMES 3S3
S'épanchant en ondes de claire
Vérité sur l'hutnaino erreur,
Lavant l'immondice et l'horreur.
Et la luxure et la colère,
Et les sept péchés, et d'un flux
Tout parfumé d'odeurs divines,
Rafraîchissant jusqu'aux racines
L'arbre du bien, sec et perclus,
Et déracinant sous sa force
L'arbre du mal et du malheur
Naguère tout en sève, en fleur.
En fruit, du feuillage à l'écorce.
0 Jean, le plus grand, après l'autre
Jean, le Baptiste, des grands saints,
Priez pour moi le Sein des seins
Où vous dormiez, étant apôtre !
0, comme pour le paysan,
Sur ma tête frivole et folle,
Bon prêtre étendant ton étole,
Dis Tévangile de saint Jean.
VÊPRES RUSTIQUES
XIX
Le dernier coup de vêpres a sonné : l'on tinte.
Entrons donc dans l'Église et couvrons-nous d'eau sainte.
Il y a peu de monde encore. Qu'il fait frais !
C'est bon par ces temps lourds, ça semble fait exprès.
On allume les six grands cierges, l'on apporte
Le ciboire pour le salut. Voici la porte
De la sacristie entr'ouverte, et l'on voit bien
S'habiller les enfants de chœur et le doyen.
"Voici venir le court cortège, et les deux chantres
Tiennent de gros antiphonaires sur leurs ventres.
Une clochette retentit et le clergé
S'agenouille devant l'autel, dûment rangé.
LirunOIBS INTIMES 38S
Une prière est murmurée à voix si basse
Qu'on entend comme un vol de bons anges qui passe.
Le prfilre, se signant, adjure le Seigneur,
Et les clers, se signant, appellent le Seigneur.
l'Jt chacun exaltant la Trinité, commence,
Prophète-roi, David, ta psalmodie immense :
u Le Seigneur dit... » « Je vous louerai... » « Qu'heureux les saints.
« Fils, louez le Seigneur... » et, vibrant par essaims,
Les versets de ce chant militaire et mystique :
« Quand Israël sortit d'Egypte... » Et la musique
Du grêle harmonium et du vaste plain-chant !
L'Église s'est remplie. Il fait tiède. L'argent
Pour le culte et celui du denier de Saint-Pierre
Et des pauvres tombe à bruit doux dans l'aumônière.
L'hymme propre et Magnificat aux flots d'encens l
Une langueur céleste envahit tous les sens.
Au court sermon qui suit sur un thème un peu rance.
On somnole sans trop pourtant d'irrévérence.
n. 25
386 LITURGIES INTIMES
Le soleil lui faisant un nimbe mordoré,
Le vieux saint du village est tout transfiguré.
Ça sent bon. On dirait des fleurs très anciennes.
S'exhalant, lentes, dans le latin des antiennes.
Et le Salut ayant béni l'humble troupeau
Des fidèles, on rejoint meilleurs le hameau.
Le soir on soupe mieux, et quand la nuit invite
Au sommeil, on s'endort bien à l'aise et plus vite.
COMPLIES EN VILLE
XX
Au sortir de Paris on entre à Notre-Dame.
Le fracas blanc vous jette aux accords long-voilés.
L'affreux soleil criard ù l'ombre qui se pâme
Qui se p;\me, aux regards des vitraux constellés,
Et l'adoration à Tinfini s'étire
En des récitatifs lentement en-allés.
Vêpres sont dites, et l'autel noir ne fait luire
Que six cierges, après les flammes du Salut
Dont l'encens rôde eucor mêlé des goûts de cire.
Un clerc a lu : Jubé, domne, comme fallut.
Et 1 orage du fond des stalles se déchaîne
De rude psalmodie au même instant qu'il lut,
388 LITURGIES INTIMES
Le bon orage frais sous la voûte hautaine
Où le jour tamisé parles Saints et les Rois
Des rosaces oscille en volute sereine.
Cela parle de paix de l'âme, des effrois
De la nuit dissipés par l'acte et la prière.
L'espérance s'enroule autour des piliers froids.
C'est la suprême joie, et l'extrême lumière
Concentrée aux rais de la seule Vérité,
Et le vieux Siméon dit l'extase dernière !
Recommandons notre âme au Dieu de vérité.
PRUDENCE
XXI
Contrition parfaite,
Les anges sont en fêtes
Mieux d'un pêcheur contrit que d'un juste qui meurt.
Bon propos, la victoire
Préparée et la gloire
Presque déjà dans l'au-delà sans choc ni heurt.
Absolution sainte
Savourée avec crainte
D'en être indigne encor, d'en peut-être abuser.
Rentrée emmi le monde
Et son horreur profonde
Avec un cœur d'amour qui ne sait biaiser,
390 LITURGIES INTIMES
Car c'est l'amour divine
Qui prévoit et devine
Les pièges, le manège et les tours du Péché.
Garde à toi tout de même,
Gare au trompeur suprême,
Chrétien certes fidèle encore qu'empêché
Par l'extase première
D'avoir vu la Lumière,
Et les yeux éblouis et tous les sens tremblants.
0 chrétien nouveau, prie
A la Vierge Marie,
Et marche vers la bonne mort à pas bien lents.
PÉNITENCE
XXII
La kixure, ce moins terrible des péchés;
Ces deux pires de tous, l'Avarice et l'Envie;
La Gourmandise, abus risible de la vie ;
Toi, Paresse, leur mère à tous, à ces péchés,
Et la Colère, presque belle en sa hideur,
Avec de faux reflets d'héroïsme, on veut croire.
Et l'Orgueil son grand frère à la gloire illusoire
Et tous dans leur révolte horrible et leur hideur.
Pénitence, presque innocence tu les vaincs,
Tu les poursuis, tu les arrêtes et les captes
Sauvant les ûmes, par l'excellence des actes,
De l'Enfer et de ses milices que tu vaincs.
392 LITURGIES INTIMES
Oui, tu nous dictes et fait faire d'excellents
Actes à cause de l'excellence des causes,
Épanouissant, sur les épines de roses
Que la Prière après vient cueillir à pas lents,
Pénitence, du fond de mes crimes affreux.
Luxure, orgueil, colère et toute la filière,
J'invoque ton secours, Vertu particulière.
Seule agréable à Dieu qui voit mon cœur affreux.
OPPORTET HyERESES ESSE
XXIII
Opportet hxreses esse.
Car il faut, en effet, encore,
Que notre foi, donc, s'édulcore
Opportet hœrescs esse.
II fallait quelque humilité,
Ma Foi qui poses et grimaces,
Afin que tu t'édulcorasses;
Et l'hérésiarque entêté
T'a tenté, ne nous dis pas non.
Jusque vers les pires péchés,
T'entraînant du doute impur chex
Le Diable l'ouvrant son fanon.
Or maintenant, courage! assez
De larmes sur l'erreur d'un jour,
Songe au pardon du Dieu d'amour.
Opportet hxredcs esse.
FINAL
Tai fait ces vers qu'un bien indigne pécheur^
0 bien indigne, après tant de grâces données,
Lâchement, salement, froidement piétinées
Par mes pieds de pécheur, de vil et laid pécheur.
J'ai fait ces vers. Seigneur, à votre gloire encory
A votre gloire douce encor qui me tente
Toujours, en attendant la formidable attente
Ou de votre courroux ou de ta gloire encore,
Jésus, qui pus absoudre et bénir mon péché.
Mon péché monstrueux, mon crime bien plutôt 1
Je me rementerais de votre amour, plutôt.
Que de mon effrayant et vil et laid péché.
Jésus qui sus bénir ma folle indignité.
Bénir, souffrir, mourir pour moi, ta créature^
Et dès avant le temps, choisis dans la nature.
Créateur, moi, ceci, pourri d'indignité I
LITUR0IB8 INTIMES 395
Aunsit Jésus! avec un immense remords
Et plein de tels sanglots! à cause de mes fautes
Je viens et je reviens à toi, crampes aux côtes,
Les pieds pleins de cloques et les usages morts,
Les usages? Du cœur, de la téta, de tout
Mon être on dirait cloué de paralysie
Navrant en même temps ma pauvre poésie
Qui ne s'exhale plus, mais qui reste debout
Comme frappée, ainsi le troupeau par l'orage.
Berger en tête, et si fidèle nonobstant
Mon cœur est là. Seigneur, qui t'adore d'autant
Que tu m'aimes encore ainsi parmi l'orage.
Mon cœur est un troupeau dissipé par l'autan
Mais qui se réunit quand le vrai Berger siffle
Et que le bon vieux chien, Sergent ou Remords, gifle
D'une dent suffisante et dure assez l'engeance.
Affreuse que je suis, troupeau qui m'en allai
Vers une monstrueuse et solitaire voie.
0, me voici, Seigneur, ô votre sainte joie!
Votre pacage simple en les prés où, j'allai
Naguère, et le lin pur qu'il faut et qu'il fallut.
Et la contrition, hélas! si nécessaire.
Et si vous voulez bien accepter ma misère,
La voici! faites-la, telle, hélas! qu'il fallut.
ODES EN SON HONNEUR
Tu fus une grande amoureuse
A ta façon, la seule bonne
Puisqu'elle est tienne et que personne
Plus que toi ne fut malheureuse
Après la crise de bonheur
Que lu portas avec honneur,
Oui, tu fus comme une héroïna,
Et maintenant tu vis, statue
Toujours belle sur la ruine
D'un espoir qui se perpétue
En dépit du Sort évident,
Mais tu persistes cependant.
Pour cela, je t'aime et t'admire
Encore mieux que je ne l'aime
Peut-être, et ce m'est un suprôrao
Orgueil d'être meilleur ou pire
Que celui qui fil tout le mal.
D'être à tes pieds tremblant, féal.
400 ODES EN SON HONNEUIl
\]se de moi, je suis ta chose;
Mon amour va, ton humble esclave,
Prêt à tout ce que lui propose
Ta volonté, dure ou suave,
Prompt à jouir, prompt à souffrir,
Prompt vers tout hormis pour mourir!
Mourir dans mon corps et mon âme,
Je le veux si c'est ton caprice.
Quand il faudra que je périsse
Tout entier, fais un signe, femme,
Mais que mon amour dût cesser?
Il ne peut s'éterniser.
Jette un regard de complaisance,
0 femme forte, ô sainte, ô reine,
Sur ma fatale insuffisance
Sans doute à te faire sereine :
Toujours triste du temps fané.
Du moins, souris au vieux damné.
II
Laisse dire la calomnie
Qui ment, dément, nie et renie
Et la médisance bien pire
Qui ne donne que pour reprendre
Et n'emprunte que pour revendre...
Ah 1 laisse faire, laisse dire !
Faire et dire lâches et sottes,
Faux gens de bien, feintes mascottes.
Langue d'aspic et de vipère;
Ils font des gestes hypocrites.
Ils clament, forts de leurs mérites,
Un mal de toi qui m'exaspère,
Moi qui t'estime et te vénère
Au-dessus de tout sur la terre.
T'estime et vénère, ma belle,
De l'amour fou que je le voue,
Toi, bonne et sans par trop de inoùe,
M'admeltant au lit, ma fidèle I
402 ODES KN SON HONNEUR
Mais toi, méprise ces menées,
Plus haute que tes destinées,
Grand cœur, glorieuse martyre.
Plane au-dessus de tes rancunes
Contre ces d'aucuns et d'aucunes;
Bah! laisse faire et laisse dire!
Bah! fais ce que tu veux, ma belle
Et bonne, — fidèle, infidèle, —
Comme tu fis toute ta vie.
Mais toujours, partout, belle et bonne.
Et ne craignant rien de personne,
Quoi qu'en aient la haine et l'envie.
Et puis tu m'as, si tu m'accordes
Un peu de ces miséricordes
Qui siéient envers un birbe honnête.
Tu m'as, chère, pour te défendre.
Te plaire, si tu veux m'entendre
Et voir, encore que laid et bête.
III
L'écartement des bras m'est cher, presque plus cher
Que l'écartement autre :
Mer puissante et que belle et que bonne de chair,
Quel appât est la vôtre!
O seins, mon grand orgueil, mon immense bonheur,
Purs, blancs, joie et caresse,
Volupté pour mes yeux et mes mains et mon cœur
Qui bat de votre ivresse,
Aisselles, fins cheveux courts qu'ondoie un parfum
Capiteux où je plonge,
Cou gras comme le miel, ambré comme lui, qu'un
Dieu fit bien mieux qu'en songe.
Fraîcheur enfin des bras endormis et rêveurs
Autour de mes épaules,
Palpitantes et si doux d'étreinte à mes ferveurs
Toutes à leurs grands rôles,
404 ODES EN SON HONNEUR
Que je ne sais quoi pleure en moi, peine et plaisir.
Plaisir fou, chaste peine,
Et que je ne puis mieux assouvir le désir
De quoi mon âme est pleine
Qu'en des baisers plus langoureux et plus ardents
Sur le glorieux buste
Non sans un sentiment comme un peu triste dans
L'extase comme auguste 1
Et maintenant vers l'ombre blanche — et noire un peu,
L'amour il peut détendre
Plus par en bas et plus intime son fier jeu
Dès lors naïf et tendre l
I\
La sainte, ta patronne, est surtout vénérée
Dans nos pays du Nord et toute la contrée
Dont je suis à demi, la Lorraine et l'Ardenne.
Elle fut courageuse et douce et mourut vierge
Et martyre. Or il faut lui brûler un beau cierge
En ce jour de ta fête et de quelque fredaine
De plus, peut-être, en son honneur, ô ma païenne I
Tu n'es pas vierge, hélas! mais encore martyre
Non pour Dieu, mais qui te plut. (Qu'ont-ils à rire?)
A cause de ton cœur saignant resté sublime.
Courageuse, tu l'es, pauvre chère adorée,
Pour supporter tant de douleur démesurée
Avec cette fierté qui pare une victime.
Avec tout ce pardon joyeux et longanime.
Et douce? Ah oui! malgré ton allure si vive
Et si forte et rude parfois. Douce et naïve
Comme ta voix d'enfant aux notes paysannes.
406 ODES EN SON HONNEUR
Douce au pauvre et naïve envers tous et que bonne
Sous un dehors souvent brutal qui vous étonne,
Vous, les gens, mais dont j'ai vite su les arcanes 1
Douce et bonne et naïve, âme exquise qui planes
Au-dessus de tout préjugé bête ou féroce,
Au-dessus de l'hypocrisie ejt du cant rosse
Et du jargon menteur et de l'argot fétide
Dans la région pure où la haine s'ignore,
Où la rancune expire, où l'amour pur arbore
Sur la blancheur des cieux sa bannière candide.
0 résignation infiniment splendide.
En ce jour de ta fête et malgré nos frivoles
Préoccupations moins coupables que folles
De baisers redoublés pour le cas, et l'antienne
Plus gentille encor qu'excessive des mots lestes,
Recueillons-nous pourtant, pensons aux fins célestes
Afin qu'après ma mort ou, las ! après la tienne,
Le survivant pour l'absent prie, ô ma chrétienne 1
« Quand je cause avec toi paisiblement,
Ce m*est vraiment charmant, tu causes si paisiblement !
Quand je dispute et te fais des reproches,
Tu disputes, c'est drôle, et me fais aussi des reproches.
S'il m'arrive, hélas ! d'un peu te tromper,
0 misère ! tu cours la ville afin de me tromper.
Et si je suis depuis des temps fidèle,
Tu me restes, durant juste tous ces temps-là, fidèle.
Suis-je heureux, tu te montres plus heureuse
Encore, et je suis plus heureux, d'enfin! te voir heureuse.
Pleuré-je, tu pleures à mon côté.
Suis-je pressant, tu viens bien gentiment de mon côté.
40S ODES EN SON HONNEUR
v}uand je me ptlme, lors tu te pâmes.
Et je me pâme plus de sentir qu'aussi tu te pâmes.
Ah ! dis quand je mourrai, mourras-tu, toi ? »
Elle : « Comme je t'aimais mieux, je mourrai plus que toi. »
... Et je me réveillai de ce colloque
Hélas ! C'était un rêve (un rêve ou bien quoi?) ce colloque.
VI
Hais après les merveilles
Qui n'ont pas de pareilles
De l'épaule et du sein,
Faut sur un autre mode
Dresser une belle ode
Au glorieux bassin.
Faut célébrer la blanche
Souplesse de la hanche
Et sa mate largeur,
Dire le ventre opime
Et sa courbe sublime
Vers le sexe mangeur
Que chastement, encore
Que joliment, décore
Et défend juste assez
L'ombre qui sied aux choses
Divines, peu moroses
Rideaux drûment tressés.
410 ODES EN SON HONNEUR
Teutatès adorable,
Saturne plus aimable,
Anthropophage cher
Qui veut aux sacrifices
Non le sang des génisses
Mais le lait de ma chair.
Nous chanterons ensuite
L'aine blonde et sa fuite
Ambrée au sein du Saint...
Mais déposons la lyre.
Livrons-nous au délire
Raisonnable et succinct?
Non ! fou, braque, orgiaque.
En apache, en canaque
Ivre de tafia :
Nous ne sommes pas l'homme
Pour la docte Sodome
Quand la Femme il y a.
VII
Fifl s'est réveillé. Dès l'aube tu m'as dit
Bonjour en deux baisers, et le pauvre petit
Pépia, puis remit sa tête sous son aile
Et lut pour le moment sa génie ritournelle.
Ici je te rendis pour les tiens un baiser
Multiforme, ubiquiste et qui fut se poser
De la plante des pieds au bout des cheveux sombres
Avec des stations aux lieux d'éclairs et d'ombres,
Un jeu (car tu riais) ridiculement doux,
Çt, brusque, entre les tiens je poussai mes genoux,
Tôt redressé sur eux et, penché vers ta bouche,
Fus brutal sans que tu te montrasses farouche,
Car tu remerciais dans un regard mouillé
C'est alors que Fifi, tout à fait réveillé,
412 ODES EN SON HONNEUR
Le mignon compagnon! comparable aux bons drilles
ûue le bonheur d'autrui ne fait pas envieux,
Salua mon triomphe en des salves de trille^s
Que tout soi^^etit cœur semblait lancer aux cieux.
Il sautillait, fîérot, comme un gars qui se cambre,
Acclamant un vainqueur justement renommé,
Et l'aurore éclatant aux carreaux de la chambre
Attestait sans mentir que nous avions aimé.
VIII
Cuisses grosses mais fuselées.
Tendres et fermes par dessous,
Dessus d'un dur qui serait doux,
Musculeuses et potelées,
Cuisses si bonnes tant baisées
Devers leur naissance et par là.
Blanches plus que rose-thé, la
Meilleure part de mes pensées,
Genoux, petites têtes d'anges
Bouffis dans leur juste maigreur,
Mollets bondis qui font fureur
En des bas clairs craignant les fanges.
Pieds dressés pour te hausser jusque
A ma taille pour t'embrasser,
Moi, t'enlever et te placer
Sur le lit, pieds très beaux que busqué
414 ODES EN SO.N HONNEUH
La cheville de mol ivoire
Et que parfume leur fraîcheur ;
Doigts délicats, frêle rougeur
Doucement fauve au talon, voire
Assez forte peau pour la marche.
Mais quoi! faut-il pas au cher corps
Base solide et soutiens forts,
Au cher corps qui garde mon Arche,
L'arche de crainte et de blandices
Où j'entre, tous torts révolus,
Comme on monterait au ciel. Pieds
Divins, genoux fins, bonnes cuisses!
IX
Tu fus souvent cruelle,
Même injuste parfois,
Mais que fait, ô ma belle,
Puisqu'en toi seule crois
Et puisque suis ta chose.
Que tu me trompes avec Pierre,
Louis, et cœtera punctum,
Je sais, mais, là ! n'en ai que faire :
Ne suis que l'humble factotum
De ton humeur gaie ou morose.
S'il arrive que tu me battes,
Soufflettes, égratignes, tu
Es le maître dans nos pénates,
Et moi le cocu, le battu,
Suis content et vois tout en rose.
416
ODES EN SON DONNEUR
Et puis dame j'opine
Qu'à me voir ainsi si
Tien, finiras, divine
Par m'aimoter ainsi
Qu'on s'attache à sa chose.
Et maintenant, aux Fesses I
Je veux que tu confesses,
Muse, ces miens trésors
Pour quels — et tu t'y fies —
Je donnerais cent vies
Et, riche, tous mes ors
Avec un tas d'encors.
Mais avant la cantate
Que mes âme et prostate
Et mon sang en arrêt
Vont dire à la louange
De son cher Cul que l'ange.,
0 déchu! saluerait,
Puis il l'adorerait,
Posons de lentes lèvres
Sur les délices mièvres
lU 27
418 ODES EN SON HONNEUR
Du dessous des genoux,
Souple papier de Chine,
Fins tendons, ligne fine
Des veines sans nul pouls
Sensible, il est si doux 1
Et maintenant, aux Fesses I
Déesses de déesses,
Chair de chair, beau de beau.
Seul beau qui nous pénètre
Avec les seins, peut-être.
D'émoi toujours nouveau,
Pulpe dive, aime peau !
Elles sont presques ovales,
Presque rondes. Opales,
Ambres, roses (très peu)
S'y fondent, s'y confondent
En blanc mat que répondent
Les noirs, roses par jeu,
De la raie au milieu.
Déesses de déesses!
Du repos en liesses,
De la calme gaîté,
De malines fossettes
Ainsi que des risettes,
00B9 BN SON UONNBUR 419
Quelque perversité
Dans que de majesté... 1
Et quand Theure est sonnée
D'unir ma destinée
A Son Destin fôté,
Je puis aller sans crainte
Et bien tenter l'étreinte
Devers l'autre côté :
Leur concours m'est prêté.
Je me dresse et je presse
Et l'une et l'autre fesse
Dans mes heureuses mains.
Toute leur ardeur donne,
Leur vigueur est la bonne
Pour aider aux hymens
Des soirs aux lendemains...
Ce sont les reins ensuite,
Amples, nerveux qu'invito
L'amour aux seuls élans
Ou'il faille dans ce mondei^
C'est le dos gras et monde,
Satin tiède, éclairs blancs.
Ondulements troublants.
420 ODES EN SON HONNEUR
Et c'est enfin la nuque
Qu'il faudrait être eunuque
Pour n'avoir de frissons,
La nuque damnatrice,
Folle dominatrice
Aux frisons polissons
Que nous reconnaissons.
0 nuque proxénète,
Vaguement déshonnête
Et chaste vaguement,
Frisons, joli symbole
Des voiles de l'Idole
De ce temple charmant,
Frisons chers doublement I
XI
Riche ventre qui n'a jamais porté,
Seins opulents qui n'ont pas allaité,
Bras frais et gras, purs de tout soin servile.
Beau cou qui n'a plié que sous le poids
De lents baisers à tous les chers endroits,
Menton où la paresse se profile,
Bouche éclatante et rouge d'où jamais
Rien n'est sorti que propos que j'aimais,
Oiseux et gais — et quel nid de délices !
Nez retroussé quêtant les seuls parfums
De la santé robuste, yeux plus que bruns
Et moins que noirs, indulgemment complices.
Front peu penseur mais pour cela bien mieux,
Longs cheveux noirs dont le grand flot soyeux,
Jusques aux reins lourdement se hasarde,
422 ODES EN SON HONNEUR
^"îroupe superbe éprise de loisir
Sauf aux travaux du suprême plaisir,
Aux gais combats dont c'est l'arrière-garde,
Jambes enfin, vaillantes seulement
Dans le plaisant déduit au bon moment
Serrant mon buste et ballant vers la nue,
Puis, au repos, — cuisses, genoux, mollet, —
Fleurant comme ambre et blanches comme lait
— Tel le pastel d'après ma femme nue.
Xll
Mais Sa tôle, Sa tête !
Folle, unique tempôte
D'injustice indignée,
De mensonge en furie,
Visions de tuerie
Et de vengeance ignée.
Puis exquise bonace,
Du soleil plein l'espace.
Colombe sur l'abîme,
Toute bonne pensée
Caressée et bercée
Pour un réveil sublime.
Force de la nature
Magnifiquement dure
Et si douce, Sa tête.
Adoré phénomène
0 de ma Philomène
La tête, seule fêtel
424 ODES EN SON HONNEUR
Et voyez quelle est bell
Cette tête rebelle
A la littérature
Comme à l'art de la brosse
Et du ciseau féroce,
Voyez, race futui'e 1
Car je veux dire aux Anges
Ce plus cher des visages,
Cheveux noirs comme Tombi
Où passerait une onde
Pure, froide, profonde,
Sous un ciel bas et sombre,
Petit front d'Immortelle
Plissé dans la querelle,
Nez mignard qu'ironise
Un bout clair qui s'envole,
Bouche d'où Sa parole
Part, précise et consise
Mais sorcière sans cesse,
Qui blesse et qui caressa
Mon ûme obéissante,
Soumise, adulatrice,
0 voix dominatrice,
0 voix toute-puissante...!
0DK8 BN SON HONNEUR iZj
Et 6 sur cetlo bouche
Plus Apro que farouche,
Plus faroucljo que tendre,
Plus tendre qu'ordinaire.
Prince au fond débonnaire,
Le Baiser semble attendre,
Et tout cela qu'éclaire
Le regard circulaire
De deux yeux de braise,
Bruns avec de la flamme,
Sournois avec de l'àme
Et du cœur, n'en déplaise
A nos jaloux, ma reine,
Ma noble souveraine
Qui me lient danstes geôles,
0 tête belle et bonne
Et mauvaise — et couronne
Du trône, tes Épaules,
XIII
Nos repas sont charmants encore que modestes,
Grâce à ton art profond d'accommoder les restes
Du rôti d'hier ou de ce récent pot-au-feu
En hachis et ragoûts comme on n'en trouve pas chez Dieu.
Le vin n'a pas ce nom, car à quoi sert la gloire?
Et puisqu'il est tiré, ne faut-il pas le boire ?
Pour le pain, comme on n'en a pas toujours mangé,
Qu'il nous semble excellent me semble un fait archijugé.
Le légume est pour presque rien, et le fromage :
Nous en usons en rois dont ce serait l'usage.
Quant aux fruits, leur primeur ça nous est bien égal,
Pourvu qu'il y en ait dans ce festin vraiment frugal.
Mais le triomphe, au moins pour moi, c'est la salade :
Comme elle en prend ! sans jamais se sentir malade,
Plus forte en cela que défunt Tragaldabas,
Et j'en bâfre de cœur tant elle est belle en ces ébats,
ODBS IN SON BONNEUH 497
Et le caré, qui pour ma port fort m'indiffère,
Ce qu'elle Taime, mes bons amis, quelle affaire !
Je m'en amuse et j'en jouis pour elle, vrai I
Et puis je sais si bien que la nuit j'en profiterai.
Je sais si bien que le sommeil fuira sa lèvre
Et ses yeux allumés encor d'un brin de fièvre
Par la goutte de rhum bue en trinquant gaîment
Avec moi, présage gentil d'un choc bien plus charmant.
XIV
Nous sommes bien faits l'un pour l'autre;
Pourtant quand tu me rencontreras
Menant mes derniers embarras
D'homme grave et de bon apôtre,
\Ruine encore de chrétien,
\Philosophe déjà païen,
Lourd de doctrine et de scrupule,
(Le tout un peu décomposé)
Mais au fond très bien disposé
Pour la popine et la crapule.
En un mot, sot entre les sots
De cette sorte de puceaux,
T'eus quelque mal à la conquête,
— Et par ce mot que j'ai voulu
J'entends ton triomphe absolu, —
Sinon de mon cœur, de ma tête;
Je ne parle pas de mon corps
Vaincu dès les primes abords.
00B8 EN SON HONNEUR 420
Mais comme nous sympathisûmes
Dès nos esprits mis en rapport
Et dès lors quel parfait accord
Entre ces luronnes, nos dmea,
Ces luronnes et nos lurons
D'esprits tout carrés et tout ronds!
Toi simple encor, que compliquée,
Et moi naïf aux cents replis,
Notre expérience des lits
Et noire ignorance marquée
En fait de sentiment subtil,
Tout ce nous rendait que gentil
L'un à l'autre ! en dépit, par crises,
De colères bien vite au trot.
D'humeurs noires, roses bientôt,
Et, mon Dieu, d'un tas de sottises
Qu'on réparait, pour r'apaiser
Madame et Monsieur, d'un baiser 1
C'est de persévérer, petite I
C'est, chère, de continuer,
Quittes à parfois nous tuer
Pour nous ressusciter ensuite.
C'est de rester à deux, vraiment.
Bon cœur et mauvais garnement.
XV
Quand tu me racontes les frasques
De ta chienne de vie aussi,
Mes pleurs tombent gros, lourds, ainsi
Que des fontaines dans des vasques,
Et mes longs soupirs condolents
Se mêlent à tes récits lents.
Tu me dis tes amours premières :
Fille des champs avec des gars,
Puis fille en ville aux fols écarts
Et les trahisons coutumières
Et mutuelles sans remord
Des deux parts et comme d'accord.
Tout d'un coup un caprice vite
Mûri, par l'us, en passion
Sauvage, tel l'humble scion
Grandissant en palme subite
ODKS BN SON iiONNBDR 431
Qu'agiterait dans quchpie vert
Paysage un vent du désert.
Fidèle, toi, l'autre, infidèle.
Toi douloureuse, Idche, enfin
Furieuse, soûle du vin
Du vice, essorant d'un coup d'aile
Ton cœur comme un aigle blessé,
Mais sans pouvoir fuir le passé...
Je t'écoute, et ma pitié toute.
Toute mon admiration,
Une indicible afTection,
Sinon celle d'un pur amour
Te vont de moi par quelle route
Qui souffrirait, chère, à son tour,
Qui souffrira, j'en ai la crainte.
Qui souffre déjà, tu le sais,
Toi parfois mauvaise à l'excès.
Charmante aussi comme une sainte
Envers ce moi, bon vieil amant,
Le dernier, hein, probablement?
XVI
Je ne suis pas jaloux de ton passé, chérie,
Et même je t'en aime et t'en admire mieux.
11 montre ton grand cœur et la gloire inflétrie
D'un amour tendre et fort autant qu'impétueux.
Car tu n'eus peur ni de la mort ni de la vie,
Et, jusqu'à cet automne fler répercuté
Vers les jours orageux de ta prime beauté,
Ton beau sanglot, honneur sublime, t'a suivie.
Ton beau sanglot que ton beau rire condolait
Comme un frère plus mâle, et ces deux bons génies
T'ont sacrée à mes yeux de vertus infinies
Dont mon amour à moi, tout fier, se prévalait
Et se targue pour t'adorer au sens mystique :
Consolations, vœux, respects, en même temps
Qu'humbles caresses et qu'hommages ex-votants
De ma chair à ce corps vaillant, temple héroïque
ODES EN SON IIONNEUA t.T7
OÙ tant de passions comme en un Panthéon,
Rancœurs, pardons, fureurs et la sainte luxure
Tinrent leur culte, respectant la forme pure
Et le galbe puissant profanés par Phaon.
Pense à Phaon pour Toublier dans mon étreinte
Plus douce et plus fidèle, amant d*après-midi,
D'extrême après-midi, mais non pas attiédi
Que me voici, tout plein d'extases et de crainte.
Va, je t'aime... mieux que l'autre : il faut l'oublier,
Toi, souris-moi du moins entre deux confidences,
Amazone blessée es belles imprudences
Qui se réveille au sein d'un vieux brave écuyer.
XVII
« Tu m'ostinesl » — « Et je t'emmène
A la campagne. » Ainsi parlaient
Deux amoureux dont s'éperlaient
Plus d'un encor propos amène.
Je crains fort que ces amoureux
N'aient été nous l'autre semaine
Nous répondant, Tyrcis, Climène,
Hélas 1 en mots trop savoureux.
Mais puisqu'il en est temps encore,
Puisqu'il en est encore temps,
Ne soyons donc plus mécontents,
Au contraire, et que s'édulcore
Notre courroux, pourtant grondant
Un petit peu, mais pour la forme,
En un orage horrible, énorme,
De gros baisers se répondant.
ODBl IN SON UONNEUR 435
0 ma duro et bonne compagne,
Asset, dis, de malentendus,
Et si tu veux — car je le dus —
Or, je t'emmène à la campagne.
XVIII
0 toi triomphante sur deux
« Rivales » (pour dire en haut style).
Tu fus ironique, — elles... feues —
Et n'employas d'effort subtil
Que .juste assez pour que tu fus —
Ses encor mieux, grâce à cet us
Qu'as de me plaire sans complaire
Plus qu'il ne faut à mes caprices.
Or je te viens jouer un air
Tout parfumé d'ambre et d'iris,
Bien qu'ayant en horreur tripli^e
Tout parfum hostile ou complice,
Sauf la seule odeur de toi, frais
Et chaud effluve, vent de mer
Et vent, sous le soleil, de prées
Non sans quelque saveur amère
Pour saler et poivrer ainsi
Qu'il est urgent, mon cœur transi.
0DK8 IN SON BONNBU> 437
Mon cœur, mnis non pas ma bravoure
En fait d'amour 1 Tu ressuscite-
Rais un défunt, le bandant pour
Le déduit dont Vénus dit : SitI
Oui, mon cœur encore ilpantèle
Du combat court, mais de peur telle 1
Peur de te perdre si le sort
Des armes eût trahi tes coups.
Peur encor de toi, peur encore
De tant de boudes et de moues.
Quant aux deux autres, 6 là làl
Guère n'y pensais, t'étais là.
Iris, ambre, ainsi j'annonçai
— Ma mémoire est bonne — ces vers
A ta victoire fière et gaie
Sur tes rivales somnifères.
Mais que n'ont-ils le don si cher,
Si pur? Fleurer comme ta chair!
XIX
Ils me disent que tu me trompes.
D'abord, qu'est-ce que ça leur fait?
Chère frivole, que tu rompes
Un serment que tu n'as pas fait?
Ils me disent que t'es méchante
Envers moi, — moi, qui suis si boni
Toi méchante ! Qu'un autre chante
Ce refrain très loin d'être bon
Méchante, toi qui toujours m'offres
Un sourire amusant toujours,
Toi, ma reine, qui de tes coffres
Me puise des trésors toujours.
Ils me disent et croient bien dire,
0 toi que tu ne m'aimes pas?
Que m'importe, j'ai ton sourire,
Et puis tu ne m'aimerais pas?
ODES t:i SON UONNKUB 439
Tu no m*aimcs? Et la grdce
Et la Torce de ta beauté.
Tu me les donnes, gronde et grasse
Et voluptueuse beauté.
Tu ne m'aimes pas? Et quand même
Ce serait vrai, qu'est-ce que fait?
M Si tu ne m'aimes pas, je t'aime. »
— Mais tu m'aimes, dis, par le fait.
TABLE
AMOUR
Pri^rb do MATm 3
Ecrit en 1875 8
Uncontb 12
bournbmouth 16
Thbrb • 19
Un CRUCIFIX 21
Balladb 23
Sur rm rbliquairb qu'on lui avait dérobé 23
A MaDAUB X... EN LUI ENVOTART UNE PENSiB 28
Un veuf PARLE 30
Il PARLE ENCORE 32
Ballade 35
Adieu 37
Ballade en l'honneur db Louise Michel 39
A Louis II DE Bavière 41
Pausifal 42
*42 TABLE
Saint Graal. 43
Gais et contents 45
A Fernand Langlois 47
Délicatesse 49
Angélus de midi 50
A Léon Valade 53
A Ernest Delahaye 54
A Emile Blémont 55
A Charles de Sivry 56
A Emmanuel Charrier 57
A Edmond Thomas 58
A Charles Morice 59
A Maurice du Plessys CO
A PROPOS d'un « centenaire » DE Cai.iiihon 61
A ViTCOR Hugo 03
Saint Benoît-Joseph Labre G4
Paraboles 03
Sonnet héroïque 06
Drapeau vrai 67
Pensée du soir 68
Paysages 70
Lucien Létinois 73
Bationolles 120
A Georges Verlaine 121
BONHEUR
I. L'incroyable, l'unique horreur de pardonner . . 125
IL La vie est bien sévère 126
TADLK
443
III. Apr^B la chose faite, après lo coup porté. ... 128
IV. Do plus, colto ignorance (le Vous ! 130
V. L'adultère, celui (lu moins codifia 132
VI. i'uis, déjà très anciens l.'Ji
Vil. iMiiintcnant, au gouffre du IJonheur! 13G
VI II. L'homme pauvre du cœur est-il si rare, en
somme 138
IX. Don pnuvrc, ton vAtcmcnt est léger 141
X. Le c sort » Tantasquc qui me g&te & sa raa-
nif-re 145
XI. Prêtres de Jésus-Christ, la vérité vous garde . . 148
XII. Guerrière, militaire et virile en tout point . . . 1.j2
XIII. Un projet de mon âge mûr 155
XIV. Sois de bronze et de marbre et surtout sois de
choir l.';9
XV. Mon ami, ma plus belle amitié, ma meilleure. . 161
XVI. Seigneur, vous m'avez laissé vivre 166
XVII. Rompons ! Ce que j'ai dit, je ne le reprends
pas 171
XVIII. J'ai dit à l'esprit vain, & TostentatioD 172
XIX. La neige à travers la brume 177
XX. Je voudrais, si ma vie était encore à faire. . . . 179
XXI. 0 1 j'ai froid d'un froid de glace 182
XXII. Un scrupule qui m'a l'air sot comme un péché. 185
XXIII. Après le départ des cloches 188
XXIV. L'ennui de vivre avec le monde et dans les
choses 190
XXV. Vous m'avez demandé quelques vers sur
« Amour » 194
XXVI. Ces vers durent être faits 195
XXVII. Or tu n'es pas vaincu, sinon par le Sei-
gneur 197
XXVMl. Les plus belles voix 198
XXIX. L'autel bas s'orne de hautes mauves 201
XXX. L'amour de la Patrie est le premier amour. . . 203
XXXI. Immédiatement après le salut somptueux. . . 209
444
XXXII. La cathttdrale est majestueuse 210
XXXIII. Voix de Gabriel 212
PARALLÈLEMENT
Dédicace 217
Allégorie 219
Les amies 220
I. Sur le balcon 220
II. Pensionnaires 221
III. Per arnica silentia 222
IV. Printemps 223
V. Été 224
VI. Saplio 225
Filles 226
I. A la princesse Roukine 226
II. Séguidiile 228
III. Casta Piana 230
IV. Auburn 232
V. A Mademoiselle *** 234
VI. A Madame *** 236
Référence parler 238
I. Prologue d'un livre dont il ne paraîtra que les
extraits ci-après 238
H. Impression fausse 240
m. Autre 242
IV. Réversibilités 244
V. Tantalized 246
VI. Invraisemblable mais vrai 247
VII. Le dernier dizain 248
Lunes 240
I. Je veux, pour te tuer, ô temps qui me dévastes. 249
H. 4 la manière de Paul Verlaine 250
III. Explication 252
TABLE 445
IV. Aulro explication 2S4
V. Llmbei 256
VI. Lombes 258
La dkr.mèrb pétr oalantb 260
Poème saturki.'v 261
L'imprudent 263
L'impénitent 264
SCR UNE STATUE DE GanTMÈDE 268
Prologue supprimé a un livre « d'invectives » 269
Le sonnet de l'homme au sable 273
Gcitaue 274
Ballade delà vie en rouoe 276
Mains 278
Les morts que l'on fait saioner 281
Nouvelles varutions sur le point du jour . • 283
Pierrot oamin 285
Ces passions qu'eux seuls NOMMENT encore AMOURS. . . . 287
Ljîti et errabukdi 289
Ballade de la maivaisb réputation 294
Caprice 296
Ballade Sappiio 298
CHANSONS POUR ELLE
I. Tu n'es pas du tout vertueuse 303
H. Compagne savoureuse et bonne 305
III. Voulant te fuir 308
IV. Or, malgré ta cruauté 310
V. Jusques aux pervers noncbaloirs 312
VI. La saison qui s'avance 314
VII. Je suis plus pauvre que jamais 315
446
VIII. Que ton âme soit blanche ou noire 317
IX. Tu m'as frappé, c'est ridicule 319
X. L'horrible nuit d'insomnie ! 321
XI. Vrai, nous avons trop d'esprit 322
XII. Tu bois, c'est hideux ! presque autant que
moi 324
Xïll. Es-tu brime ou blonde? 326
XIV. Je ne t'aime pas en toilette 327
XV. Chemise de femme, armure ad hoc 328
XVI. L'été ne fut pas adorable 330
XVII. Je ne suis plus de ces esprits philosophiques. . 331
XVIII. Si tu le veux bien, divine Ignorante 333
XIX. Ton rire éclaire mon vieux cœur 335
XX. Tu crois au marc de café 337
XXI. Lorsque tu cherches tes puces 338
XXII. J'ai rêvé de toi cette nuit 340
XXIII. Je n'ai pas de chance en femme 341
XXIV. Bien qu'elle soit ta meilleure amie 343
XXV. Je fus mystique et je ne le suis plus 343
LITURGIES INTIMES
A Charles Baudelaire 349
Asperges me 3o0
AvENT 332
Noël 334
Saints innocents 336
Circoncision 358
Rois ... 360
Kyrie Eleison 302
Gloria ix excelsis oG4
Credo 3G6
TABLE 447
ASCKNSIOX 368
VeRI 8ANCTR 370
Juin 372
Sanctcs 374
Immaculâr conckption 375
Dévotions 377
Ao:«is Dbi 379
TOLSSAWT 380
In initio 382
V^.rnES ni'STiQUEs 38i
CuilPLIES RH VILLE 337
Prudence 398
Pénitence 301
OpPORTET H£RBSES ESSE 393
Final 394
ODES EN SON HONNEUR
I. Tu fus une grande amoureuse .• • • • 399
II. Laisse dire la calomnie 401
III. L'écartement des bras 403
IV. La Sainte ta patronne 405
V. Quand je cause avec toi 407
VI. Mais après les merveilles 409
VII. Fifi s'est réveillé 411
VIII. Cuisses grosses mais fuselées 413
IX. Tu fus souvent cruelle 413
X. Et maintenant aux Fesses! 417
Xi. Riche ventre 4i'l
XII. Mais Sa tête, Sa tête 423
XIII. Nos repas sont charmants 426
448 TABLE
Xiy. Nous sommes bien faits 428
XV. Quand tu me racontes les frasques 430
XVf. Je ne suis pas jaloux 432
XVII. « Tu m'ostines !» 434
XVIII. 0 toi triomphante 436
XIX. Ils me disent que tu me trompes 438
Imprimerie BUSSIÈRE. — Saint-Amand (Cher)
) \
as
/
\
<a
a,
H
02
O
>
(0
+>
m
o
o
03
8
O
UNIVERSITY OF TORONTO
LIBRARY
Acme Library Card Pocket
Under Pat. "Réf. Index File."
Made by LISEAET BUREAU
1
#:èî
-^^é^.
I X VÎ'^J
-^.^*
'V ^-