OEUVRES COMPLÈTES
DE PIERRE DE BOURDEILLE
SEIGNEUR DE
BRANTÔME
PUBLIÉES d'après les MANUSCRITS
AVEC VARIANTES ET FRAGMENTS INEDITS
POUR LA SOCIÉTÉ DE l'hISTOIRE DE FRANCE
PAR LUDOVIC LALANNE
TOME SEPTIEME
RODOMONTADES ESPAIGNOLLES. — SER^EKS ESPAIGNOLS.
— M. DE LA NOUE. EETRAICTES DE GUERRE.
DES DAMES.
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A PARIS
CHEZ M"' V' JULES RENOUARD
LIBRAIRE DE LA SOCIÉTÉ DE l'HISTOIRE DE FRANCE
RUE DE TOURNON, N° 6
M DCCC LXXIII
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EXTRAIT DU UEGLEiMEXT.
Art. 14. Le Conseil désigne les ouvrages à publier, et choisit
les personnes les plus capables d'en préparer et d'en suivre la
publication.
Il nomme, pour chaque ouvrage à publier, un Commissaire
responsable chargé d'en surveiller l'exécution.
Le nom de l'Editeur sera placé en tête de chaque volume.
Aucun volume ne pourra paraître sous le nom de la Société
sans l'autorisation du Conseil, et s'il n'est accompagné d'une dé-
claration du Commissaire responsable, portant que le travail lui
a paru mériter d'être publié.
Le Commissaire responsable soussigné déclare que
l'Edition des OEuvbes complètes de Pierre de Bourdeille,
SEIGNEUR DE Brantôme, préparée par M. Ludovic Lalanne,
lui a paru digne d'être publiée par la Société de l'Histoire
DE France.
Fait à Paris, /e 10 décembre 1873.
Signé JULES MARION.
Certifié ,
Le Secrétaire de la Société de l'Histoire de France,
J. DESNOYERS.
DISCOURS
D^AUCUNES RODOMONTADES
ET
GENTILLES RENCONTRES
ET PAROLLES ESPAIGNOLLES.
A LA REYNE MARGUERITE *.
Madame ,
Voici le livre d'aucunes Rodomontades et Rencontres es'
paignolles que de longtemps je vous ay desdié, et promis
l . Il y a deux rédactions du Discours des Rodomontades . La
première en date, pour laquelle a été composée la dédicace à la
reine Marguerite, qu'on peut lire en tête de notre premier volume
(p. 5), occupe une partie du manuscrit 3273 du fonds français
[olim. Béthune, n» 8776), et ne nous semble avoir été utilisée par
aucun des précédents éditeurs. De la seconde rédaction, adoptés
dans toutes les éditions, il existe un manuscrit possédé par la
famille de Bourdeille , et dont le texte a été collationné par
M. Monmerqué. Elle est beaucoup plus étendue que la première,
mais offre cette particularité que Brantôme en a retranché la tra-
duction qu'il avait faite des nombreux passages espagnols cités
vu — 1
2 DEDICACE.
dernièrement lorsque j'eus l'honneur de vous faire la révé-
rance à Usson,
Je les ay toutes mises en leur langage, sans m'amuser
à les traduire , autant par le commandement que m'en
fistes, que parce que vous en parlez et entendez la langue
aussi bien (|ue j'ai jamais veu la feu reyne d'Espaigne
vostre sœur; car vostre gentil esprit comprend tout et
n'ignore rien, comme despuis peu je l'ai encore mieux
cogneu.
Ce fust esté aussy autant de superfluité pour vous, mais
non pour d'autres personnes qui sont novices en ceste
langue, et leur fust esté un fort grand plaisir et commo-
dité d'en faire une petite traduction ; car telles en pen-
par lui. Ainsi qu'il le dit dans sa seconde dédicace à Marguerite
(celle que nous reproduisons ici) il a opéré ces retranchements afin
de se conformer au désir de la princesse qui connaissait assez la
langue castillane pour être à même de se passer d'interprète.
Tout en adoptant le texte de cette dernière rédaction, nous avons,
conformément au manuscrit de la ])remière, inséré à la suite de
chaque citation espagnole la traduction de Brantôme.
Au commencement du manuscrit de la première rédaction, ma-
nuscrit non pas écrit, mais corrigé de la main de Brantôme, on lit :
« Ce recueil qui s'ensuit des Rodomontades espaignolles est dé-
dié à notre reyne de France et Nm>arre pour en avoir été dési-
reuse, ainsi que j'ay dit en la lettre que je luy ay escrite au
commancement de mon premier livre. » Cette lettre est la pre-
mière dédicace dont nous avons parlé plus haut. La seconde ne
portant plus que les mots : A la reyne Marguerite, on voit qu'elle
est postérieure au divorce de Henri IV, c'est-à-dire au mois de
novembre 1^99.
La prétention qu'affecte si souvent Brantôme de parier le
« friand espagnol » est surtout visil)Ie dans les Rodomontades .
Qu'elle pût être justifiée à l'époque de sa jeunesse, au moment
de ses voyages au delà des Alpes et des Pyrénées, nous le croyons
facilement. Mais il n'en était certainement plus de même vingt
cinq ou trente ans après, quand il se mit à rédiger ses livres, et
A LA REY-\E MARGUERITE. 3
sent parler et cnteudrc bien la langue, qui s'y treuvent
bien empescliées. Aussy je n'ay faict ce livre pour elles,
que pour vous.
Que s'il vous plaist, Madame, les vous faire lire, car
vos beaux yeux ne sont dignes de porter leur belle veue
sur chose si basse, je croy que vous y prendrez quelque
plaisir; car il y a de la sériosité * et de la joyeuseté meslées
ensemble; vous priant, Madame, de n'en faire part à per-
sonne, uy les mettre en lumière ; car si elles vous agréent,
j'en seray très ayse, ne désirant plaire à d'autres qu'à vous :
sinon, et qu'y trouviez à redire, j'espère tant de vostre
bonté généreuse que vous en couvrirez mes fautes, et en
considérant qu'en pensant bien faire j'ay entrepris cet
œuvre pour vous donner quelque plaisir.
ce qui apparaissait déjà dans ses autres ouvrages est manifeste
en celui-ci. Il suffit en effet d'en lire quelques pages pour s'a-
percevoir, ce dont peut-être il ne se rendoit pas bien compte,
qu'il avait alors à moitié oublié l'idiome dont la connaissance le
rendait si fier. Sans parler de leur très-défectueuse orthographe ,
les textes espagnols qu'il sème partout avec tant de complaisance
sont pleins d'incorrections et de fautes. Tantôt ce sont des mots
qu'il forge de toutes pièces, ou des mots français ou italiens qu'il
espagnolise à sa manière [leznrdos pour lagnrios, schenio dont il
a fabriqué escuerno) ; tantôt l'italien et le castillan sont confondus :
il écrit corne pour como^ che pour que, da pour de, in pour en,
lo pour el, per pour por, sta pour esta^ etc. Parfois il lui arrive
de se tromper dans le texte et dans la traduction. Ainsi (voyez
p. 23), au lieu de hacia arriha (en haut), il écrit les mots hazia
riha qui ne sont point espagnols, et la traduction qu'il en donne
(par del.à l'eau) est un contre-sens et un non-sens. Plus loin (p. S5),
il traduit con poca desadumhre (avec peu de chagrin) comme s'il
y avait con algun peso (avec quelque poids) . Nous avons fait dis-
paraître ces fautes grossières, et nous adi'essons ici tous nos re-
mercîments à notre ami M. Roulin, bibliotliécaire de l'Institut,
pour l'aide qu'il a bien voulu nous prêter en cette circonstance.
\. Sériosité, chose sérieuse.
4 DEDICACE.
Que si vous en trouvez aucun, j'en seray d'autant plus
glorieux et hardy de vous présenter tous les autres, des-
quelz je vous en ay monstre les suscriptions, qui sont les
pièces entières dont cestuy-cy en est l'eschantillon ;
lequel je n'ay tant reniply de son subject que je n'en aye
faict une bonne réserve dans les autres livres, non seu-
lement en ce qui touche les Espaignols , mais les braves
François vos subjects , qui , en beaux exploits et bien
dire, ont surmonté tousjours toutes les autres nations du
monde.
Recevez donc. Madame, je vous supplie, ce livre qui
vous est offert du meilleur de mon âme, ne pouvant mieux;
et, comme dit FEspaignol : reciba Vuestra Magestad lo
que yo offresco, que es lo poco que puedo por lo mucho que
deseo, y le place dar tal lustre que, cohierto del nombre y
bondad de Sua Majestad, saïga s in verguenza a sus pies *.
Sur ce. Madame, je vous baise très-humblement les
mains, et vous supplie me tenir toujours en qualité de
vostre obéyssant subject, et très affectionné serviteur,
BOURDEILLE,
1 . Que Votre Majesté reçoive ce que je lui offre C'est peu en
comparaison de ce que je désirerais ; mais qu'il lui plaise de don-
ner tel lustre que, couvert du nom et de la bonté de S. M., il se
mette à ses pieds sans honte.
DISCOURS
SUR
LES RODOMONTADES.
Il faut un peu parler des rodomontades espaignol-
les^ car certes elles surpassent toutes les autres, de
quelque nation que ce soit; d'autant qu'il faut con-
fesser la nation espaignoUe brave, bravasche et val-
leureuse, et fort prompte d'esprit, et de belles pa-
rolles profférées à l'improviste.
J'accommanceray donc lorsque le grand marquis
de Pescayre, après la chasse des François hors de
Testât de Milan, eut bravement forcé et pris la ville
de Gênes, qui tenoit pour les François. Il ne faut
demander quelles richesses il y avoit trouvées, et de
combien l'armée espaignoUe s'en emplist; si bien
que, quelques jours après, la mettant aux champs, il
la trouva si chargée, embarrassée de bagages, de ca-
réages^, mulles, mulletz et chevaux, que le marquis
fut contraint de faire un bandon, pour casser cest
embaratz, bagages et carréages, et empeschemens,
1. Caréagey chariot; de l'espagnol carruage
G RODO^ÏONTADES
comme les nomme Caesar. Parquoy fut commandé
que les capitaines de chasque bande n'eussent chas-
cun que quatre chevaux pour soy, et deux pour
l'alfier, et nul pour soldat qui fust sain_, mais ouy
bien que les mallades en eussent chascun le leur pour
les porter; encore falloit-il qu'ilz fussent visitez par
les médecins pour voir s'ilz estoient vrayement mal-
lades, et qu'ilz eussent tousjours sur eux leur pa-
tente pour faire foy, signée et de son capitaine et de
son médecin.
Ce bandon fait, il y eut un capitaine nommé Vega,
Grenadin , el quai , cou arrogancia mililar y con
gesto y palabras desbaratadas de enujo, en un corillo
de soldados, cornnienço , casi vazonando en publico
j braçeando : que si hallava hombres semejaiites a
si en aninio j juizio , que trabajaria de modo que
lus soldados no tuviessen necessidad de aque lia patente ^
los quales siendo debilitados por lo sangre derramada
en îantas batallas y victorias^ nierescian, por la
honra de su Vfdor, no solainente ser llei>ados a ca-
vallo^ mas en carros triumphales^ a manera de los
antiguos consules y emperadores romanos en sus glo-
rias y triuniplios. « Il y eut un caj)ilaine Vega, Grena-
din, lequel avec une arrogance millitaire et gestes et
paroUes braves et débordées de despit, commança
à dire parmy quelque troupe de soldatz, et bravant et
le publiant, que, s'il trouvoit gens semblables à luy
en courage et en esprit et jugement, qu'il fairoit dire
que les soldalz n'auroient besoing d'aucune patente,
ïecux , disoit-il, lesquelz estans foibles et débilitez
par tant de leur sang respandu en tant de batailles,
méritoient pour l'honneur de leur valeur non seule-
ESPAIGNOLLES. 7
ment d'aller à cheval, mais sur des chariots trium-
phans à la mode des anciens consulz et empereurs
romains, en leur gloire et triumphesV » Voyez quelle
brave superbité !
Moy, estant un jour au Louvre, je vis entrer deux
soldatz espaignolz, braves et bien en poinct, et de
fort belle façon. Je cogneuz aussitost qu'ilz estoient
Espaignolz ; et d'autant que mon humeur a esté tous-
jours de les aymer, les pratiquer et entretenir, comme
certes parmy les gens de guerre il me semble n'estre
point plus brave entretien que du soldat espaignol,
car il triumphe de discourir de son art, je me mis à
les accoster et araisonner en espaignol; car j'ay veu
que j 'a vois ceste langue aussi famillière que la
mienne, et telles gens sont fort aises quand ilz ren-
contrent un estranger qui parle leur langage; et leur
demandis d'où ilz venoient. Hz me respondirent :
De Flandes, serior. — Y que nuevas?^ leur répli-
qua y-je. — Non otras^ senoi\ me dirent-ilz, sino
qiiando somos partidos, aj sejs dias, vinieron al prin-
cipe de Parnia mil y dozientos humbres d^ armas de
las ç/ejas companias de Napoles, las mas bra^'as de
valor y de ca\>allos que salieron jamas ael rejno^ tan
bien armados^ tan luzidos doro j de plata, tan bien
ataviadus y emplumados de grandes j gentiles pana-
chas, a manera de los antigaos soldados j legioneros
romanos^ a los quales se pueden jgualar en todo : de
1. Ce passage est tiré de Vallès, liv. III, ch. iv, f 80 : Del
castigo que dio el marques de Pescara al capitan Vega, Granadino,
porque avia amotinado parte del exercito. Brantôme a ajouté au
texte les quatorze derniers mots, depuis a manera.
2. De Flandre, monsieur. — Et quelles nouvelles?
8 RODO:\IONTADES
modo qiC agora la F landes fia a da tener, pues ques
ta brai>a cavaUeria esta juntada en nueslra infante'
n'a espaignola, que se puede dezir la flor de todas las
otras nationes , sin gastar {digo yo) Chonra de los
solda dos francezes^ qiCen cerdad bravos es tan. Mas
adonde son los soldados espagnoles^ todos con razon
deven callar^ corne Vuestra Merced lo puede bien saper ,
puesque los aveys pratiquados f tratados, comme yo
lo cognosco en su trage y Jiablar soldadesco. « Autres
nouvelles^ me dirent-ilz, n'y a point, sinon quand
nous en sommes partis il y a six jours, sont arrivez
au prince douze cens hommes d'armes des vieilles
ordonnances du royaume de Naples qui sont les plus
belles qui en sortirent jamais ; car ilz sont très bien
montez sur de si bons chevaux et bien armez, tant
luysans d'or et d'argent, tant bien en poinct et tant
bien emplumez de grands et gentilz panaches à ma-
nière des anciens soldatz et légionaires romains, aus-
quelz on les peut accomparer en tout, de façon que
la Flandre maintenant n'a que tenir, puisque si brave
cavallerie est joincte avec nostre infanterie espaignolle,
laquelle se peut dire la fleur de toutes autres nations,
sans que je veuille toucher à l'honneur des soldatz
François, lesquelz certes sont bons soldatz; mais là
où sont les soldatz espaignolz, tous les autres doivent
caler * et se taire devant eux, comme vous-mesmes le
pouvez sçavoir puisque les avez pratiquez ainsi que
je le puis cognoistre en votre façon et parler solda-
desque. »
Considérez, s'il vous plaist, où ces gens m'allèrent
1. Caler, se taire.
ESPAIG NULLES. 9
faire et prendre leur comparaison ! Comme de vray,
parmi ces belles antiquitez de Rome^ il n'y a rien
encor de si beau à voir que ces braves légionnaires
romains avec leurs habillemens de teste, tant couAcrts
de plumes, les unes haussantes, les autres penchantes.
Et si telle veue estoit agréable, elle estoit bien autant
effroyable par la représentation des horribles testes
et grandes gueules de lions, et autres bestes espou-
vantables, qu'ils portoient naifves avec leurs peaux,
ou faisoient engraver pour les représenter sur lesditz
habillemens et casques.
Par ce dire de ce soldat, vous voyez, et par ceste
rodomontade précédente', comme les Espaignolz se
sont donnez et asseurez de tout temps la gloire d'estre
les meilleurs de toutes nations. Et certes ilz ont
raison d'avoir ceste opinion et créance; car les effectz
s'en sont ensuivys.
Ce sont esté eux qui despuis cent à six vingtz ans
en sça ont conquis par leur valeur et vertu les Indes
occidentalles et orientales, qui sont tout un monde
complet.
Ce sont esté eux qui nous ont tant de fois com-
batuz, batuz et rebatuz, au royaume de Naples, et
puis nous en ont chassez.
Ce sont esté eux qui en ont tout de mesme fait
en l'estat de Milan , qui nous avoit cousté tant de
sang et de moyens pour l'avoir, et nous en ont frus-
tré en nous ostant nostre ancien patrimoine.
Ce sont esté eux qui, non contans de ces biens
1. Les quatorze lignes qui précèdent manquent dans le ma-
nuscrit.
dO RODOMONTADES
ravis à nous, ont passé en Flandres, et venus en
France pour essayer à nous chasser de nos fouyers ,
mais_, ne pouvant, nous ont fait de grands maux,
nous ont pris de nos villes, nous ont donné des ba-
tailles et gaignées sur nous, et nous ont faict mourir
je ne sçay combien de cent mill' hommes : aussi
leur en avons-nous bien fait mourir des leurs.
Ce sont esté eux qui sont venus au bout * des Alle-
mans, et leur ont mis le joug en la guerre d'AUe-
maigne, chose non encores ouye ny veue ni faite dès'
le grand Jules Caesar, ny des autres grands empereurs
romains.
Ce sont esté eux qui, suivant la devise de leur
grand empereur Charles, de passer plus oiiltre ^ ont
traversé les mers, ont donné dans l'Affrique, pris
leur principalle ville et forteresse, Tunis et la Col-
lette.
Ce sont esté eux qui ont passé en Barbarie, ont
pris le royaume d'Oran, les villes d'Afïrique et de
Tripoly, Belys et son Pignon, et qui eussent fait
d'avantage sans le barbare élément de mer et de ciel,
non pas plus doux ny piteux que l'autre, qui les em-
pescha soubz leur empereur, ostant occasion de ne
prendre le royaume d'Alger, qui estoit emporté , ne
faut point doubter, si ces deux ellémens tant soit
peu eussent voulu favoriser et incliner à ses entre-
prises.
Ce sont esté ceux lesquelz, par petites poignées
des gens enclos dans les citadelles, rocques et clias-
teaux, tiennent et ont tenu en bride, et ont donné
1. Au bout, à bout. — 2. Dès, depuis.
ESPAIGNOLLES. 11
les loix auv potentatz d'Italie et au>: estalz de Flan-
dres, et en plusieurs endroictz de la chrestienté jus-
ques à la Barbarie, Morée et autres païs infidelles,
voire jusques en la Transilvanie , soubz ce brave
Castaldo ', et Hongrie et Boème.
Ce sont esté eux lesquelz l'empereur Cbarles, au
plus ibrt de ses affaires et combatz, quand il s'en
voyoit entourné* seullement de quatre ou cinq mille,
se tenoit du tout invincible, et hasardoit et sa per-
sonne et son empire, et tous ses biens soubz leur
valleur seullement; et disoit souvant que la summa
de sus gnerrns era puesla en las meckas encendidas
de sus harquebuzerjs espaignolles , « que le plus grand
effect de ses guerres cstoit mis et fondé sur les
mesches allumées de ses harquebusiers espaignolz. »
Car certainement, de ce temps, ilz en ont emporté
le prix, et si nous en ont apris l'art et les premières
leçons; car avant eux^ nous n'usions que d'arbalestes,
et n'avions pas l'esprit de nous accommoder et apro-
prier des liarquebuz.
Ce sont esté eux qui, en nostre temps et à nos
veues, ont remis, soubz la conduicte de ce grand
duc d'Albe, qu'ilz appelloient leur père, en un tour
de miain, toute la Flandres rebellée à leur seigneur.
Ce sont esté eux desquelz environ mille à douze
cens, en ceste miesmes guerre, en Zellande', Iraver-
sarent un bras de mer d'un quart de lieu large,
1. Jean-Baptiste Castaldo, mestre de camp général de l'armée
impériale dans la guerre des protestants.
2. Entourné, entouré.
3. En 1575. Voyez Strada, liv. VIII.
12 RODOMONTADES
estant basse, sans autres armes que leurs espées qu'ilz
tenoient en leur bouche, allarent deffaire environ
quatre ou cinq mille Zellandois de commune *, qui
les attandoient sur le bord de propos dellibéré| et
les mirent tous en pièces. Grand miracle de main,
certes !
Ce sont esté ceux là qui aydarent dom Joan d'Aus-
trie à gaigner ceste belle et signalée bataille d'Éle-
panlhe. Ce sont ceux là encores qui, avec ce grand
capitaine le prince de Parme , ont fait trembler
toute la France, et longtemps tenue en allarme.
Ce sont esté ceux pour lesquelz ce grand et mesme
empereur Charles s'humilia à l'Espaigne, lorsqu'estant
party par mer de Flandres, pour y aller finir ces
jours convertis , s'estant désembarqué à Larede *,
port vers Biscaye et y prist terre, on dict qu'il s'age-
noilla aussitost, et remercia Dieu de ce qu'à ses der-
niers jours il luy avoit fait ceste grâce de pouvoir
encor revoir ce pais, lequel par dessus tous autres il
avoit aymé, pour luy avoir aydé à estre parvenu à
l'empire, et à une si haute grandeur qu'il avoit heu
en son temps , attribuant, après Dieu, à la nation
espaignolle toutes ses victoires et triumphes; et prof-
féra ces parolles' : Dios os salue y guarde^ o mi que-
rida madré. Como desnudo soj salldo del ^ientre de
1. De gens du pays.
2. Laredo, à 48 kilomètres O. de Bilbao.
3. Le texte espagnol, qui devait se trouver sur un feuillet sé-
paré, manque dans le manuscrit. On lit en marge de la main de
Brantôme : Faut mètre V hespagnol advant le françoys. Ce texte
est, du reste, de la façon de Brantôme qui a traduit à peu près
le récit de Strada, liv. i. — Cf. de Thou, liv. XVI.
ESPAIGNOLLES. 13
mi madré ^ y como desnudo tan bien me i^uelvo a ti,
como a mi segunda madré, a la quai, en favor de tan
grandes merecimientos que yo he recebido de ti, no
podiendo par ahora^ ni mas, ni mejor, yo le hago un
présente de este pobre cuerpo enfermo, y de estos po-
bres huesos secos y debilUados, a O ma très-chère et
désirée mère. Dieu te sauve et garde ! Comme nud
je suis sorty du ventre de ma mère, ainsi comme
nud je retourne vers toy. comme à ma seconde
mère, et en récompanse de plusieurs mérites que tu
as usé envers moy, ne pouvant mieux pour à cest'
heure, je te donne ce mien corps malladif et mes os
foibles et débilles. »
Ainsi, ayant parlé les larmes aux yeux, il salue
très-courtoisement tous les seigneurs qui estoient
venus au devant de luy ; et, s'aclieminant peu à peu
par terre à son monastère, il passa à Vailledolid ^, où
il veid son pettit-filz et filleul, Charles le prince d'Es-
paigne, à qui il fit de fort belles leçons pour ensuivre
ses prédécesseurs. Considérez, s'il vous plaist, l'hu-
miliation de ce grand empereur, luy qui, en son
temps, avoit creu, par manière de dire, que la terre
n'estoit pas assez digne de le porter, s'agenouiller à
elle ! Hélas ! il ne l'eust pas fait, si la vieillesse, la
malladie et l'indisposition , qui font humillier les
plus orgueilleux, ne luy ^ eussent poussé.
Ce sont esté ceux, et sont encor, par lesquelz le
grand roy d'Espaigne donne terreur à tous ses enne-
mis, soyent cachez, soient descouvertz, que quand
on parle qu'il y a en son armée seuUement huict
1. Vailledolid^ Valladolid. — 2. Luj, l'y.
14 RODOMONTADES
miir Espaignolz natiirelz, on s'oste de là, et fait-on
place.
Et, ce qui est plus à remarquer en toutes ses belles
factions, c'est qu'ilz n'y sont allez, ny ne les ont
exploictées par des montaignes, grands monceaux et
monces ^ d'hommes, mais par de petites troupes; car
il ne s'est jamais trouvé dix mill' Espaignolz naturelz
tout à un coup ensemble, que la plus grande ne
montoit pas à plus de huict à neuf mille; desquelz,
en quelques combatz désastreux pour eux et batailles
infortunées, quelque grand carnage qui ait esté, ja-
mais on n'a veu, ny leu, ny ouy qu'on ait trouvé
estenduz mortz sur la place trois mill' Espaignolz,
et n'en desplaise aux batailles de Ravanne et de Sé-
rizoUes, assez malencontreuses et sanglantes pour
eux , certes. Il en mourut près de trois mille à
Saincte-Maure en Dalmatie, assiégez des Turcz ; mais
ce fut par une longueur de siège, par une grande
fatigue et famine du dedans, et par faute de secours,
après avoir fait si bien; mais pour le coup de miain,
il en mourut peu, je dis en combatant. Au^ siège et
prise de Castromoro, il en mourut aussi force, fust
ou du fil de l'espée ou à la cadène. Au siège de Metz,
il en mourut aussi une grand' quantité; mais le ciel
leur fit bien autant de mal que les hommes; si bien
que l'on dit que l'empereur Charles estant devant,
et ayant demeuré environ quinze jours dans son lict,
mallade de ses gouttes, sans visiter ses tranchées, et
s'estant levé pour les voir, et recogneu la batterie et
d. Monces ou mouces (mot douteux), masses.
2. Cette phrase manque dans le manuscrit.
ESPAIGNOLLES. i b
les bresches qui avoient esté faites, s'estonnaiit et
bien fasché , il se mit à dire assez haut : Y como no
se entra alla dentvo ? Ha ! bien veo fo que no tengo
mas hombres. « Et comment ne s'entre-il point léans?
Ha ! je vois bien que je n'ay plus d'hommes. » Il y
eut quelques soldatz là prësens qui ouvrent cela ; et,
fort àischez de telles parolles, respondirent : Sacra
Magestadj no os quexays de nosotros. Si, teneis aun
algunos hombres y de los bra\'os ; mas no podemos
combaiir el cielo corne los hombres. « Sacrée Majesté,
ne vous plaignez point de nous autres. Si_, vous
avez encore des hommes et des bons ; mais nous ne
pouvons pas combatre les cieux comme les hom-
mes. » L'empereur, les regardant en pitié, haussant
les espaulles, dist seuUement : Es verdad; Dios es
mas poderoso que nosotros ^ ; et leur fit donner le
vin.
Mais de quoy m'amusè-je tant à escrire la louange
de ces braves hommes, veu que d'eux-mesmes ilz le
sçavent publier, à mon advis, et ne les cachent nul-
lement; car, si leurs beaux faitz s'estandent seuUe-
ment d'mi doigt, ilz les r'allongent de la coudée. Hz
ont raison; aussi, à bien faire bien dire. Et si j'ay
veu remarquer à des grands personnages et capi-
taines que peu souvant eux , estans en troupes, ont
fally de leur devoir et valleur, sinon dernièrement à
la prise de la Gollette, faite par l'Ochaly, qu'il prist
en trente un jour, comme l'Espaignol l'avoit gardée
trente un an; en quoy l'Ochaly avant qu'y aller le
dist au Grand-Seigneur : qu'il la prendroit en autant
1 . C'est la vérité ; Dieu est plus puissant que nous.
16 RODOMONTADES
de jours comme on l'avoit gardée d'années, qui es-
toient trente une (j'en fais le discours ailleurs*), à
quoy il ne faillit. Mais certes les Espaignolz pour le
coup y eurent un grand blasme, et oftançarent gran-
dement leur belle et antique valeur et réputation;
car tout à coup sortii^ent de la garnison quatre cens
Espaignolz (c'estoyt trop), qui s'allarent jetter dans le
camp de l'Ochaly, et se reniarent. Et ne tiens ce
conte de moy, mais de feu M. de Savoye (et qu'il
est assez commun aussi), car luy estant à Lion, ayant
accompaigné le roy à son retour de Poulloigne, nous
l'estant allé voir un jour, M. d'Estrosse et moy, et
luy ayant demandé des nouvelles de la Collette, car
en ceste saison ell'estoit assiégée, il nous dist : « Ve-
« nez vous -en demain au matin disner avec moy
« vous deux, etdisneronsà part tous seulz ensemble.
« J'attans mon courrier, qui sans faillir viendra à ce
« soir ou ceste nuict; et je vous en diray. » L'en-
demain nous n'y fallismes , qui nous conta la prise,
et la faute grande de ces Espaignolz ainsi retirez de
leur devoir et réputation; dont il en estoit très des-
pit : et dist que les soldatz espaignolz en une si
grande multitude n'avoient erré jamais, ny fait telle
veillaquerie^ que celle-là, et qu'ilz faisoient grand
tort à leurs compaignons; et pour une telle si énorme
faute, il ne falloit blasmer le reste, car ilz avoient
toujours si bien fait en toutes partz qu'ilz avoient
esté, qu'à jamais ilz méritoient un' éternelle gloire ;
et que, de ce que de ses yeux il avoit veu, il ne
i. Voyez tome II, p. 60, 61.
2. Ve illaquer ie, coquinerie; de l'espagnol bellaqueria.
ESPAIGNOLLES. i 7
pouvoit dire autrement : que c'estoient les meilleurs
soldatz du monde, et plus dignes pour la guerre et
pour en porter mieux toutes les fatigues : et allégua
qu'à la guerre d'Allemaigne il veid huict cens soldatz
espaignolz deffaire douze cens chevaux en campai-
gne et plaine raze; cela se lit aussy.
Je n'aurois jamais fait si je voulois par trop m'ar-
rester sur les vertuz et les louanges de ces gens-là.
Je retourne à mon pris fait de leurs rodomon-
tades.
Lorsque nous autres François fusmes à Malte pour
le secourir, le roy d'Espaigne, comme bon catholiq
et brave prince certes , y envoya neuf à dix mill'
hommes de guerre pour le secours, soubz la con-
duicte du marquis de Pescayre, dernier mort*, brave
et gentil seigneur, nostre capitaine général, et tenant
fort de ses prédécesseurs. Je vins à demander à un
soldat espaignol qui me parressoit gallant par dessus
les autres : Seiîor, de quantos soldados esta compuesta
esta armada ? — Seiîor j me respondit-il, fo le dire :
ay très milt Italianos ^ très mil Tedescos, j seys mil
soldados. « De combien de soldatz est composée
ceste armée? — Je vous diray, me respondit-il. Il
y a trois mill'Italiens, trois mille Tudesques et six
mille soldatz. » Voyez un peu et considérez quelle
responce; car les Italiens et Tudesques, il ne les conte
poinct pour soldatz ; mais les Espaignolz, il les com-
prend et les nomme pour soldatz. Quelle gloire pour
eux, et quel mespris pour les autres! Si est-ce que
\ . François-Ferdinand d'Avalos , marquis de Pescalre , mort
en 1S71.
VII — 2
iS RODOMONTADES
les Italiens leur firent la honte toute entière à ceste
expédition de la Collette ; car^ estans ressarrez dans
un fort tout auprès^ qui avoit esté fait à la haste, et
commandez par Pagan Dorio et Gabrio Cervellon,
et eux pouvant estre de cinq à six mille, tindrent
bon, longtemps après la Gollette prise_, et combati-
rent très bien, et y acquirent un grand honneur, ainsi
que monseigneur de Savoye nous conta , et que ce ,
seul coup les pouvoit advanjtager sur les Espaignolz
et non jamais d'autres. Cela disoit-il fort à la gloire
desdictz Espaignolz; disant et affermant que les Ita-
liens ne les avoient jamais surpassez que ce coup ;
mais ouy bien les Espaignolz, les Italiens en mill'
endroitz.
Sur quoy il nous fit un conte qu'il tenoit d'aucuns
vieux capitaines, que, lorsqu'il fallut à Anthoyne de
Lève de s'aller jetter dans Pavie, que le roy Fran-
çois P"" alloit assiéger, il demanda surtout à M. de
Bourbon, à Charles de L'Aunoy et au marquis de
Pescaire, que sa garnison fust complette et parfaite
du tout des bandes espaignolles; mais on ne luy oc-
troya que quatre cens Espaignolz, et le reste Tudes-
ques et Italiens; et mesmes les capitaines et soldatz
espaignolz luy reffusarent à plat qu'ilz n'y iroient
point, encor qu'il fust fort aymé et cogneu d'eux; car,
disoient-ilz, que las companias espanolas en ningwia
mariera déviait repartir par gua.rdias de ciiidad ; si
noj que devian ser adjuntadas en un cuerpo de orden
invencible, gar dadas par las cosas inciertaSy difficiles
y escahrosas de la guerra. « Que les compaignies
espaignolles en nulle façon ne dévoient se despartir
ny desjoindre pour la garde d'une ville, mais qu'elles
ESPAIGNOLLES. i 9
devroient oslre tousjours joiiictes enseml^le en un
corps d'un ordre invincible, grand et d'estime, pour
remédier tout à coup aux causes incertaines, difii-
culteuses et escalabreiisos de la cuerre. »
C'est bien se louer cela; mais aussi ilz avoicnl
raison; car, tant que ce corps de soldatz espaignolz
a esté bien ferme, sollide et bien joinct enseml^le,
ilz s'en sont bien faitz acroire; et mesmes cest(^ fois
là, car ilz furent le principal gain de la l)ataillc de
Pavie, conduictz par leur brave marquis do Pcscayre,
Aussi, lorsqu'il eut fait rompre le parc, et qu'ilz
commençarent à parrestre dans le cliamp de bataille,
ilz commençarent tous à crier : ^qiu esta el marques
con sus Espanoles. « Icy est le marquis avec ses Es-
paignolz. »
Aussi eux et luy se raportoient si bien ensemble
en toutes façons, que jamais ilz n'ont esté batuz en-
semble, tant leurs créances des uns et des autres se
correspondoient; si bien qu'ilz ne se contredisoient
en rien quand falloit quelque chose de beau. Si que
souvant , estans près à se mutiner j^our leurs payes,
aussitost qu'il les avoit arraisonnez le moings du
monde ilz estoient aussitost gaignez : mesmes qu'un
jour, les voulant mener à une entreprise en Testât
de Milan contre nous, et aucuns se mutinant, et de-
mandans deux payes avecques les Tudesques qui en
demandoient de mesmes, M. le marquis ne leur
ayant dit que ce seul mot : qu'il ne s'atlandoit nul-
lement d'eux ny de leur brave courage, aucun refTas
mesmes, non pas seulement para hazer tremar la
Italia y la Francia, mas para porter Icyes : « non
seulement pour faire trembler l'Italie et la France,
20 RODOMOXTA.DES
mais pour leur imposer loix ; » soudain tous d'une
voix se meirent à crier : Famos, vamos adoucie qui-
sierèdes; que los soldados espanoles no van a la gnerra
comme ohreros^ segiin el uso de los soldados mercena-
rlos^ si no a ganar gloria, triumphos y victorias y ré-
putation. « Allons, allons où vous voudrez; que les
soldatz espaignolz ne vont point à la guerre comme
manouvriers et selon l'usance des soldatz merce-
naires, mais pour gaigner gloires, triumphes, victoires
et réputation. »
Parlons un peu d'aucuns particuliers.
Je vis à la court de Madric un brave soldat qui
avoit une très belle façon. Il estoit Gascon, mais fort
espaignollisé, et nourry de longue main parmy les
bandes espaignolles, et s'estoit desbandé de sa com-
paignée pour quelques affaires qu'il avoit à la court,
ce me disoit-il : et, le voyant ordinairement se pour-
mener dans la court et parmy la ville sans espée, je
luy demandis pourquoy il ne portoit point d'espée,
luy qui estoit soldat. Il me respondit en espaignol :
Sehor^ jo tengo miedo de la justicia, porque mi es-
pada esta tan carnicera , qua cada passo me daria
priessa de sacarla fuera; y, sa cada una çez, no haria
otra cosa que carne y sangre. « Monsieur, j'ay peur
delà justice, d'autant que mon espée est tant car-
nassière qu'à chaque pas elle me presseroit de la ti-
rer, et estant une fois tirée, elle ne fairoit autre chose
que chair et sang. »
Celluy là n'est pas mauvais, et l'espée encor plus
mauvaise.
Aux premières guerres civilles, que nous tenions
Orléans assiégé, un jour que nous passions par le
ESPAIGXOLLES. 21
Cartier des Espaignolz'^ M. de Maisonfleur, qui estoit
un fort gallant et gentil cavailler, et moy, nous vis-
mes un soldat espaignol qui avoit un débat avec une
paouATC femme revanderesse d'harans, et y avoit
plus de crieries entre luy et elle^ que vous eussiez dit
qu'il estoit question d'une grand' somme : enfin,
c'estoit pour deux harans blancs, si bien qu'il vou-
loit fraper la paouvre femme. Maisonfleur, se voulant
faire de feste, s'advança pour luy en dire un mot
de remontrance. Luy, regardant dédaigneusement
Maisonfleur, ne luy dist autre chose, sinon : Pues,
(juien sois , vos que hahlays * ? Maisonfleur, qui par-
loit fort bon espaignol, respondit : Yo soy capltan^.
L'autre luy répliqua, après avoir songé un peu en
soy et regardé en terre : Pues^ vaynse a todos los
diahlos con sus capitanerias, y no me digais iiada'*\
et passe oultre. Maisonfleur demeure estonné, et non
pourtant sans en faire collère face, mais riante ; car
moy je luy dis aussitost : « Par Dieu ! il la vous a
« donné belle, et vous a faict vostre compte preste-
« ment en trois jetions. Il n'a pas fait grand cas de
« vostre quallité. Aussi estiez-vous bien à loysir' de
(f vouloir, vous François, entreprendre de corriger
« un soldat espaignol en son cartier ! »
Je vis une fois à Crémonne un soldat espaignol de
fort belle façon, qui ne portoit point d'espée par la
\. Il y avait dans l'armée royale un corps de troupes espa-
gnoles qui avait combattu à Dreux.
2. Qui êtes-vous donc, vous qui parlez ? — 3. Je suis capitaine.
4. Eh! bien, allez à tous les diables avec vos capitaineries, et
ne me dites rien.
5. Etre bien à loisir, avoir du temps à perdre.
2-2 RODOMONTADES
rue; et ainsi que nous nous vinmes arraisonner, je
luy demande pourquoy il n'en portoit, et si la justice
de la ville le luy avoit pioîiibë; il me respondit :
No y seiior ; la justicia d'esta ciudad no ha que ver
sabra mj, porque soy soldado viejo seiialado, j en
campa ni as bien adventajada ; mas, ja niesmo me say
ardenada la pragmalica , porque soy fan presto de
manOj que par el menar çiento que me passa por las
arejas, jo lue go bueho, f saco la nianoa Vespada, j
la primera que se me tapa muere a su nialhara, came
qaatro a cinque vezes me a acontescida assy par las
calles me passeando ; de manera que, par no caer en
las manos de nuestro argus il, y en peligra de vida,
ht Itecha vaiO a Bios de na traer mas espada , sina
quando vamos a la guérira, a entramas en guardia.
« Non, la justice n'a que voir sur moy, car je suis
vieux soldat et signalé, et de compaignie, et bien ad-
vantagé ; mais je me suis moy-mesme fait l'ordon-
nance de n'en porter_, parce que je suis si prompt de
la main que pour le moindre vent qui me passe par
les oreilles, je me tourne, je sacque' la main à l'espée,
de sorte que le premier que je rencontre_, je le tue,
comme cinq ou six fois, cela m'est arrivé me pour-
menant par les rues; si bien que pour ne tumber
plus entre les mains de nostre prévostde camp et en
péril de ma vie, j'ay fait veu à Dieu de ne porter
jamais espée, sinon pour entrer en garde et aller à la
guerre. y>
Ln soldat canarien, de l'isle des Canaries, mais
i . Sacquer, tirer du fourreau, dégainer, — Brantôme a donné
ici à ce verbe le sens de l'espagnol sacar.
ESPAIGNOLLES. 23
pourtant espaignoUisé et affiné ' par les bandes espai-
gnolles, allant en un assaut, son capitaine le voyant
pasle et tremblant, luy reprocha qu'il trembloit et
qu'il avoit peur. Il luy respondit d'une l)elle asseu-
rance : Trernen las carnes, parque coino hurnanas y
sensibles el my hva\'0^ v'alieiite ^ y deiermiiiado co-
raçon Ids lleva y las trae al postrero passa ^ doncle mas
no han de boher. « Certes, mes chairs tremblent, d'au-
tant que^ comme humaines et sensitives_, mon brave
et vaillant courage et déterminé les porte, les traîne
au dernier pas de la mort, dont jamais plus ne re-
tourneront. » Ce soldat étoit bien dissemblable à
plusieurs qui font bonne mine allans aux combatz,
mais dans l'àme ilz tremblent.
Un autre soldat en menassant un autre, luy dist :
Si yo te torno^ yo te echare tan alto, che mas presto
sentiras la muer te que la cayda. « Si je vous prens,
je vous jetteray si haut en l'air que vous sentirez
plus tost la mort que la cheute. »
L'autre disoit bien mieux : Que de tantos Moros
que matavUj les cortava las cabezzas, y pues las
ecliava tan alto, que antes que bohnessen, K>enian
medio conudas de moscas. « Que de tant de Mores
qu'il tuoit, il leur coupoit les testes et puis les jet-
toit si haut dans le ciel qu'avant que descendre elles
étoient à demy mangées des mousches. »
Un autre louoit encore sa force d'autre façon : En
tamando un hombre , dandale un punta pie, lo em-
hiare dos o très legas hacia arriba; y antes che buelva^
quiero que quede un anno. « En prenant un homme
1. Affiné, perfectionné, achevé; de l'espagnol afinado.
24 RODOMONTADES
et luy donnant du pied tant seullement , je l'en-
voyerai deux ou trois lieux par delà l'eau, et avant
qu'il tourne, je veux qu'il soit plus d'un an après à
venir. » Pensez qu'il l'eust si bien endormy de sa
boutade, qu'il luy eust falu autant de temps à s'é-
veiller et se remettre.
Geste force n'est pas moins grande que l'autre qui
dist après la battaille d'Elépante : En la hatalla
d Elepaniho^ con don Juan estando en su real, en\>es-
timos con la galera real del Turco; yo no meti gran
fuerça en mi braço, yo tire con mi montante una
pequeha cuchillada^ che fue tan hazia al fondo de
la mary que profondio tinfierno^ y co^i la punta de
nariz a Pluton. « En la bataille d'Elépanthe avec don
Joan, moy estant en sa réalle, nous envestîmes la
réalle turquesque. Je ne mis pas pour cela grand
force en mon bras autrement, mais avec un montant
que je tiray d'une petite couchillade ^, elle alla si ad-
vant dans le fond de la mer, qu'elle profFondit l'en-
fer où là j'accueilly et coupé la poincte de la naze* à
Pluton. »
Taisons ces ridicules et fauces rodomontades, et
parlons d'une vraye et de fait. Du temps de nos
guerres de Lombardie, que les impérialistes avoient
assiégé, soubz Prospero Columno, le chasteau de
Milan, M. de l'Autreq vint de dehors pour donner
secours; et ce fut lors que ledit Prospero fit ce beau
traict pour l'empescher, dont j'ay parlé ailleurs fai-
\ . Voici la traduction exacte de la phrase espagnole : « Je tirai
avec mon espadon {montante) une petite estocade [cuchillada).
2. Naze, nez.
ESPAIGNOLLES. 25
sant mention de luy* : et, ne pouvant, se campa
devant, faisant quelque forme de forcer la tranchée
de l'ennemy, ce qu'il ne fit. Cependant qu'il demeu-
ra là campé devant l'ennemy, estant en soucy de
prendre langue de l'ennemy, duquel il n'en avoit
aucune, il fut fait cas audit Prospero qu'il y avoit là
parmy les bandes espaignolles un soldat espaignol
qui s'appelloit Lobo^, qui estoit le meilleur ingambe
et le plus grand courreur qu'on sceust voir; car,
ayant un mouton sur ses espauUes, il eust couru
contre le meilleur courreur quiconque fust, sans au-
cune charge. Cela pleust audit Prospero; et, pour
ce, l'ayant envoyé quérir, luy déclaire le service qu'il
désiroit tirer de luy pour le service de l'empereur, et
qu'il falloit qu'il essayast avec ses bonnes jambes
sçavoir ce que l'ennemy faisoit. Soudain Lobo luy
promit qu'il fairoit merveilles, et pour ce prist avec
luy un sien compaignon d'armes, gentil soldat espai-
gnol, bien ingambe aussi comme luy, et surtout fort
adextre et prompt à charger son harquebuz et à tirer
un'arquebusade. Ledit Lobo va près du camp de
l'ennemy, de nuict, et là rencontre en sentinelle per-
due un grand et démesuré advanturier françois, qui
avoit demandé : Qui ua là ? I^obo soudain à luy, et
le saisit, et le charge sur ses espaulles comme un
mouton, et soudain reprend sa routte vers son camp,
et s'y retire avec l'excorte de son compaignon, qui
tira trois fois [si bien] qu'il arrive seurement avec sa
1. Voyez tome I, p. 147.
2. Non pas Lobo, mais Lupon, suivant Vallès (f°' 60 v° et 61),
d'où Brantôme a tiré son récit.
26 RODOMONTADES
charge au sieur Prospero_, qui, le voyant arriver, se
mit à rire, et tous les capitaines, d'un tel exploit,
bien admirable certes. Et ayant interrogé l'adventu-
rier, prist telle langue et advis qu'il peut de luy;
après le renvoya à son camp sans luy mal faire, et fit
bien récompenser Lobo et son compaignon. Yoylà
une belle force d'homme et une belle dextérité, et
de son compaignon et tout. Geste rodomontade vaut
bien autant que les autres de parolles. Voylà de ter-
ribles forces ! J'aymerois autant ouyr parler des forces
d'Hercules , ou bien du rynocéros de l'amphitéâtre ,
de Martial, qui se jouoit d'un taureau comme d'une
pellotte, et qui le jettoit aussi haut, ainsi que le por-
tent les vers :
Quantus erat cornu cui pila taurus erat *.
Un autre, ayant querelle contre un autre, alloit
disant partout : Conoceis un tal , o es sa aniigo ?
Ruega Bios por el, porque tîene pendencias conmigo.
« Connoissez-vous un tel, ou est-il votre amy ? Priez
Dieu pour luy, car il a querelle avec moy. »
Comme l'autre qui disoit : Estas son mis misas
que hazer acuchilladas ^ y matar hombres, j que-
brar las muelas a una puta. « Ce sont mes messes,
que de faire à coups d'espée et de tuer gens, et rom-
pre les maschoires à une putain. » Ce dernier est
une grande vaillance !
Lorsque l'empereur passa par France, il y eust un
1 . Quelle force dans sa corne pour laquelle un taureau n'é-
tait qu'une balle! — Voyez Martial, liv. I, epig. XI de Rhino-
cerote.
ESPAIGNOLLES. 27
capitaine Espaignol avec luy, qui, voyant entrer un
jour le clievallier d'Ambres \ bravasche autant ou plus
comme luy, et avec cela très-vaillant, il vint deman-
der à un autre : Senur, este ca^allero es tan vallente
cornes bravo? « Ce cavailler est-il autant vaillant
comme il fait du brave? » Et luy estant respondu
qu'ov : Juro a Bios, dunque que se puede jgualar a
rni. « Il se peut parangonner à moy. »
Ce chevailler d'Ambres, ayant entendu ceste pa-
roUe, vouloit fort s'aller esprouver contre luy, sans
la deffance que le roy avait fait de ne quereller au-
cun Espaignol. M. de Bussi avoit cela, que s'il fust
venu à la court quelque brave nouveau, de le que-
reller et se battre contre luy.
Un autre soldat espaignol disoit : Yo harto tengo
que hazer en consolar esta iny espada, que no se
quexe de mi j désespère , parque ha tantos dias que la
hago holgar^ j que no saca fruto de sus ennemigos .
« J'ay beaucoup à faire de consoller mon espée qu'elle
ne se plaigne de moy et ne se désespère de quoy je
ne l'ay faite esbattre si longtemps, sans tirer quelque
fruict de ses ennemis. » Voylà une bonne espée, et
aussi bonne que de l'autre, qui disoit de la sienne
en la tirant à demy : O espada^ si supiesses hablar,
dizierades quantos hombres matast.es. « O espée , si
vous sçaviez parler, vous diriez combien d'hommes
vous avez tuez. »
Un autre que l'on louoit devant luy, il dist : No
ay necessidad de contar my valores y virtudes, que
todo el muiido las sabe. « Il n'est point besoing de
1 . Probablement François de Voisins, bax^on d'Ambres.
28 RODOMONTADES
conter mes valeurs et vertiiz, car tout le monde les
sçait. »
Un autre qui contant ses vaillantises, disoit : En
Scicilia he muerto dos snltendores, in Sarde^na tres^
in Napoles dos^ j très en Lombardia ; de inanera que,
segun buena cuenta, son diez. Pues no los escriçij
mas pero acuerdome bien dellos^ porque tengo exce-
lente memoria, de manera que no se habla d'olro que
de mj virtud, de my gesto j hazaiïas, que me hazen
tenter de los hombres y amnr de las niugeres , de ma-
nera que passeando por las calles todas tiravaîi mi
muchacho por la cappa^ y entendia ellas como por
detras le pedian : « Quien es este cavalier o tan bra-
vo^ f dispues to, y hermoso? Es este don Juan de
Mandozza ? No, respondia el muchacho^ sino su her-
mano. » Y ellas respondian : (( Mira como se assen
tan bien los cabellos j la barba. O quan valerosas son
las que alcançan su amor ! » F entrambas rogavan
mi muchacho que tuniesse forma comU entrasse en sus
casas : de tal suerte que las tengo importunas de me
tanto rogar y amar, porque para complir sus ruegosj
empedo mis negotios y mis guerras. « En Scicile j'ay
tué deux volleurs ou brigands; en Sardaigne trois;
au royaume de Naples deux, et trois en Lombardie;
de mode que pour bon conte sont dix, non pas que
je les aye pourtant escritz mais il m'en souvient
bien^ car j'ay une fort excellente mémoire; de sorte
qu'il ne se parle d'autre chose en ceste ville, sinon
de ma vertu, et de ma valeur et de mes faitz qui me
font craindre des hommes et aymer des femmes ; si
bien que passant par les rues tirent mon page par la
cape, et luy demandent : « Qui est-ce ce brave, beau
ESPAIGNOLLES. 29
« et gentil chevallier? Est-ce point dom Joan de
a Mandozze? » ainsi que j'entendois par derrière;
et luy respondoit : « Non, c'est son parent. » Et
elles respondoient : « Voyez comme il porte la barbe
« bien faite, et les cheveux bien renversez. O que
« celle-là est bien heureuse et valleureuse qui peut
« avoir et acquérir son amour! » Et entr' elles
prioient mon page qu'il trouvast moyen de me me-
ner en leur logis. Mais enfin je les treuve importiuies
de me prier et d'aymer tant; car pour accomplir
leurs prières, il faut que je laisse mes affaires et mes
factions de guerre. » Voylà un bel Adonis ! Et pensez
qu'il estoit aussi laid qu'un beau diable.
J'aymerois autant un autre, lequel batoit son page
ou laquais, et luy disoit : Dl, vellaco , quantas vezes
te he jo mandado que no arides a cada passa publi-
cando my valor y porque , ojendolo las mugeres no se
pierdan por my ; de suerte que. soy mas impedido a
mosLrar a ellas la magnip.ce?icia de mi animo^ que
no en toniar las ciudades y maiar ennemigos? « Dites,
gallant, combien de fois vous ay-je deffandu que
n'allissiez jamais publier ma valleur, comme vous
faites, affin que les femmes l'oyant ne se perdent
pour mon amour, si bien que je suis plus empesché
à leur monstrer la magnificence de mon cœur, que
je ne suis à prendre des places et villes, et à tuer des
ennemys. » Voilà un plaisant badin.
Feu M. d'Estrosse et moy, ainsi qu'une fois en
Italie nous interrogions un soldat espaignol qui nous
vint accoster, et luy demandions son nom, il nous
dist qu'il s'appelloit dom Diego Leonys, porque havia
in Berberia niatado très leones, « Parce qu'en Bar-
30 RODOMONTADES
barie, il a voit tué trois lyons. w Je vous assure qu'il
ne s'en alla pas sans nous donner bien à rire, non
seiillemenl pour ce coup, mais pour beaucoup de
temps après.
J'aymerois autant celluy qui se vantoit et disoit :
qiCen las Indias havia quebrado un hraço a un ele-
phante\ / aun osaria jurar, que si vuviesse ponido
una mas de faerça huviesse passado el hraço al ele-
phante por el cuero y por las entrannas y las vuviesse
sacado por la boca. « Qu'il avoit d'un coup de
poinct rompu un bras à un éléphant ; encor oseroit-
il jurer que s'il eust employé un peu plus de force,
il eut passé le bras de l'éléphant par la peau et par
ses entrailles , et les eust fait sortir par la bouche. »
Voylà de grands coups.
Un jeiuie soldat espaignol estant interrogé comme,
estant si jeune, il avoit déjà les moustaches de sa
jeime barbe si grandes, il respondit : Estos bigotes
fueron hechos a la fumada del canon ^ y por esta
crescen tan grandes j tan presto, « Ces moustaches
sont été faites à la fumée du canon et par ce elles ont
creu ainsi grandes. »
J'aymerois bien autant un capitaine espaignol, au-
quel estant demandé si sa compaignée estoit compo-
sée de vieux soldatz_, il dist : Que si ; porque hazia el
los soldados nuevos luego viejos ; no con las pagas
de muchos aîîos, corne acostumbravan los otros capi-
tanes^ sino en muchas peleas y continuas escaramuças,
con honrada y provechosa sua disciplina de guerra.
a Parce qu'il faisoit les soldatz nouveaux aussitost
vieux, non pas par les payes de plusieurs années,
comme ont de coustume la pluspart des capitaines,
ESPAIGNOLLES. 31
mays par plusieurs combatz et continuelles escar-
mouches avec un' fort lionnorable et profil table sienne
discipline de guerre. »
Il avoit raison de dire cela; car, coustumièrement,
ce ne sont les longues années que l'on fait aux ar-
mées qui font les bons soldatz, mais les continuel/
combatz et ordinaires exercices des escarmouches et
mènemens des mains. Dont je désespère' souvant,
quand j'oy dire telz et telz sont aux armces, et
mesmes aucuns grandz. Et qu'y font-ilz sinon aller
voir le général au matin, et luy donner le bon jour,
s'en aller au Cartier, jouer tout le long du jour, faire
bonne chère, se donner du bon temps? Et telz y
aura-il qui auront esté six ou sept fois en des voya-
ges, qui n'auront tiré espée du costé : et eux arrivans
à la court, ou à leur patrie et maisons, font la mine;
et eux et leurs gens publieront qu'ilz ont fait mons
et merveilles, et auront tué Mardy-Gras. Au diable
s'ilz ont tué une mousche ! Voylà comment les lon-
gues fréquentations des guerres ne font pas les capi-
taines ny les bons soldatz, mais le continuel manie-
ment des armes, et la continuelle recherche des
combatz et des hasardz.
Feu M. le conte de Brissac se fit en un rien le plus
grand capitaine que tant de vieillardz qu'il avoit aux
armées, seuUement parce qu'il ne fut jamais en repos,
tant qu'il y fut, ains à toute heure et à tous mo-
mans et occasions ne faisoit que rechercher la guerre,
les combatz et les rencontres et à toutes sortes d'ha-
^ sardz; aussi se façonnant ainsi en un rien tout de
1. Je désespère, j'enrage.
32 RODOMONTADES
mesmes façonna tant ses capitaines et soldatz que
combien qu'ilz y fussent jeunes d'ans, ilz estoient
vieux et d'expériances et de playes.
Mais comment me suis-je perdu en ceste digres-
sion, et m'esgare de mon premier thème de rodo-
montades? c'est tout un. Elle n'est point mauvaise,
puisqu'il * est venu à j)ropos : un'autre fois je l'eusse
oubliée au bout de ma plume. Or, retournons à ^
une plaisante et ridicule rodomontade d'un soldai
espaignol, lequel se trouva au désarmer et au des-
pouiller du roy François, à sa prise à Pavie; car il
n'estoit pas filz de bon père, ou de bonne mère, qui
n'en eust quelque lopin, les uns pour récompance
d'honneur, et les autres pour celle du proffit. Or il
advint que le bonheur tumba à ce soldat d'oster les
espérons du roy; dont il s'en sentit si gloriffié, que,
partout où il alloit, il disoit : Seîior, no avejs sen-
tidoja mas nombrar y renombrar aquel que sacco las
espuelas doradas del rej Francesco en Pai^ia, quando
fue preso? Yo soy aquel. « Avez vous ^ ouy jamais
nommer et renommer celluy qui osta les espérons
dorez du roy François à sa prise de Pavie? C'est
moy. »
C'est tout de mesmes d'un qui disoit : Grandes pa-
labras dixo el rey don Hernandes a don Juan mi
abuelo : « Saca mis botas. » « Grandes parolles dit
le roy don Fernand à mon ayeul don Joan : Tirez-
moi mes bottes. « Voylà de belles rodomontades, et
1 . //, cela.
2. Le manuscrit porte en cet endroit et encore ailleurs : amns
pour avez-vous que donnent les anciennes éditions.
ESPAIGNOLLES. 33
fort ambitieuses ! Laissons-les là et parlons-en d'au-
tres.
Lorsque l'empereur Charles eut pris la Gollette, et
qu'il fallut marcher parmy les sables chauds et esté-
rilles* et avec grandes incommoditez vers Tunis, s'apa-
rurent à l'audevant de luy, pour l'empescher, envi-
ron trente mille Mores, tant à cheval qu'à pied. Il y
eut un jeune soldat espaignol qui, s'estonnant de
voir tant de gens tout à un coup^ commança à s'es-
crier : Jésus! Y cou lontos Moros havemos du pelear ?
Soudain un vieux soldat, marchant près de luy, luy
remonstre : Calla, hisoîio; a mas génie j Moros y mas
ganancia )• gloria. <t Et comment! avons-nous à com-
batre tant de ]Mores ! » L'autre dist : « Taisez-vous,
bisogne*; tant plus nous avons à combatre de gens,
tant plus y aurons de proffit, de butin et de gloyre. »
Un soldat, allant à la camisade que ce brave don
Johan d'Auslrie donna en Flandres au camp des
Estatz, et en devisant avec ses compaignons, et mar-
chant, il vint à demander des ennemys : Quantos
son * ? Un sien compaignon luy répliqua soudain :
Vaiate al diabolo^ cou tu inquisition j' cuenta; mas
diga : FamoSj vamos a ellos, quantos que sean. « Va
au diable avec ton inquisition et ton conte. Mais
dites : Allons, allons à eux, quelque nombre qu'ilz
soient. »
L'empereur Charles, en la guerre d'Ongrie, un
jour qu'il faisoit la reveue de son camp, et estant
1. Esterilles, stériles.
2. Bisogne, recrue. Nous dii'ions aujourd'imi conscrit,
3 . Combien sont-ils ?
34 RODOMONTADES
avec luy Ferdinand son frère_, roy des Romains, le-
quel portoit ses cheveux longs et grands en fenestre,
comme l'on disoit à l'antique, à mode de son ayeul
Ferdinand', il y eut un soldat qui en eust dcspit, et
s'escriant il dist : Sacra Magestad, le doy mis pagos,
y hagas esquillar al hermano luyo don Hernandes .
« Sacrée Majesté, je vous donne toutes mes payes
que me devez et faites tondre la teste à vostre frère
Ferdinand. » 11 falloit bien dire que ce soldat estoit
bien haul à la main, de ne souffrir une chose qui ne
luy touchoit en rien. L'empereur l'ouyt, et ne s'en
fit que rire avecques son frère.
Un autre fit bien pis à ceste fois mesmes; car,
ainsi que l'empereur passoit par les batailles et fai-
soit reveue, il se mit à crier : Vaiate al diablo, bo-
cina féal que tan tarde sejs venido^ que todo el dia
somos muertos dhambre y frio. « Au diable soyez-
vous, laide bouche, que vous êtes venu si tard, car
nous sommes mortz de froid et de fain. » L'empe-
reur l'ouyt aussi; mais il n'en fit que rire, sans en
vouloir tirer punition, pensant grandement faillir,
non seullement en celluy là, mais en autres, s'ilz eus-
sent délinqué; car il aymoit et chérissoit ses soldatz
espaignolz comme ses enfans.
Une plaisante rodomontade fut d'un hydalguo es~
paignol, lequel, ayant fait un jour une demande au
roy Ferdinand dans sa salle, et le roy demeurant
assez, et songeant pour luy faire responce, il luy
dist : Sacra Magestad^ hagami por Di'os ropucsta;
sino alla baxo esta mi macho. « Sacrée Magesté, pour
1. Voyez tome I, p. 87-88.
ESPAIGNOLLES. 38
Dieu, faites-moy responce, sinon mon mullct est là-
bas qui m'attand » ; eomme voulant dire : « Si vous
« ne me despcscliez viste, je m'en retourne sur mon
« mullet. » Quel fou, fad, glorieux estoit cest hy-
dalgo, et plaisant pourtant avec son mullet!
Le marquis de Pescayre estant à la bataille de Ra-
vanne et combattant vaillammant _, luy ayant esté
donné pour gouverneur un fort honnesle liomme,
qui se nommoit Placidio de Sangro, cavallero muy
noble y esforzado^ , après avoir combatu , et l'un et
l'autre, longtemps fort courageusement, conside-
rando el peli^ro del danno vezino, buelto al marques
le dize : « O ! cai^allero valeroso^ pues que no es casa
u de animo varonil^ sino de loco del todo, contrastar
« taiito tiempo con la fortuna contraria , porque en
« tanto que el cavallo esta sano j las fuerças basian,
« no os librajs de la muer te ^ jos gardajs para me-
« jor Ventura. » Estonces el marques le respondio :
« De buen grado obedesceria ^ o Sangro muy fiel^ a
(' este con^ejo saludable ^ si me persuadicrades cosa
(f tanto honrosa quanto segura; antes quiero jo que
« me lloren mis amigos muerto con honra^ que jo
« llore affrentosamente, con hujda infâme en casa^
« tantas rnuertes de tan grandes capitanes^, » « Con-
te sidérant le péril du dommage voysin, tourné vers
« le marquis, il luy dist : « O cavailler valeureux,
« c'est peu de chose pour un noble et généreux cou-
« rage, sinon d'un fou du tout, contester si long-
ée temps contre la fortune contraire. Par quoy, cepen-
1 . Cavalier très-noble et vaillant.
2. Ceci est pris textuellement de Vallès, liv. I, cli. m, fol. 13.
36 RODOMONTADES
« dant que vostre cheval est encor entier et sain et
« que les forces vous baslent, vous vous devez déli-
« vrer de la mort , et vous garder pour meilleure
« advanture. » Le marquis alors lu y respondit :
« Voluntiers, mon grand amy et fidel Sangro, j'o-
« béyrois à ce conseil salutaire que vous me donnez si
« vous me persuadiez chose autant honnorable pour
« moy comme seure , mais j'ayme pluslost que mes
i( amys me pleurent mort avecques grande gloire et
« réputation que si avec grand'honte pour une vil-
ce laine fuite, en ma maison retiré, je plourois tant
« de morts de tant de grands capitaines qui gisent
« icy. »)
Voylà, certes, une très belle et courageuse rodo-
montade, et à laquelle, tout ainsi qu'elle fut dite, le
marquis ne faillit à l'efFaict; car, plustost que fuir, il
fut pris prisonnier : observant en cela très bien aussi
sa devise, qu'il avoit pris d'un bouclier, avec ces
mots : y^ut cum hoc, aut in hoc \ que donna ceste
brave mère d'Esparte ^ à son filz quand il alla à la
guerre, et luv commanda ou de s'en retourner hon-
norablement avec luy en vie, ou bien porté dessus
estandu mort.
On dit que Tallebot le grand, quand il mourut à
Castillon ^, dist à son filz semblables parolles aux
précédentes pour se sauver; mais le filz ne voulut
obéir au père, et mourut avecques luy.
1. Ou avec ou dessus. — 2. Esparte, Sparte.
3. A Castillon d;ms le Périgord, le 17 juillet \k")^. Vovez Paul-
Éraile, à cette date. Cf. la Chronique de Mathieu d'Escouchy,
édit. G. de Beaucourt, t. II, p. 41, note 1.
ESPAIGNOLLES. 37
Froissard ', parlant de la bataille [de] Nicopoly
contre les Tarez, il y eut un chevailler franoois,
nommé le sire de Montcaré *, vaillant seigneur et
gentil chevailler, qui estoit d'Artois, lequel, quand il
veid que la desconfiture tournoit sur les François,
il avoit là son filz fort jeune, il dist à un sien es-
cuyer : « Prends mon filz et l'emmène; tu le peux
partir par cesle allée qui est toute ouverte. Sauve-
toy, mon fîlz, et j'attandray l'advanture avec les
autres. » Ce sont les mesmes parolles de Froissard.
L'enfant respondit que point ne partiroit, et ne lai-
roit* son père ; mais le fit tant à force, que l'escuyer
l'emmena et le mit hors de péril , et vinrent sur le
Danube : mais l'enfant, qui estoit tout triste de son
père, se noya par grand malheur entre deux barques,
et ne le peut-on sauver.
J'ai leu dans un livre espaignol *, parlant de la
bataille de Pavie , de Galeaz San-Sevrin , qui estoit
grand escuyer du roy François, que.^ combatiendo va-
lerosamentey miirio delante del rey, con honrado fin
de i>ida^ j satisfizo lo que de*^>ia a la gracia real, y a
su honra esclarescida ; et qualj cayendo con la cajda
de su cava.llo ^ huelto a don Guillielmo de Langay^
noble cavallerOy que lo que r la socorrer en aquel es-
tremo casOy le dixo : « Dexadnie , hijo, gozar a lo
M menos de mi hado^ y partios de aqui con toda la
« presteza que pudïeredes , y corred a deffender al
1. Voyez Froissart, liv. IV, ch. lu, édit. du Panthéon, p. 263.
2. Montcavrel.
3. Lairoit, laisserait.
4. Vallès, liv. VI, ch. v, fol. 171.
38 RODOMONTADES
« rey; j si us lihrais saho de la pelea, acordar os eys,
« como ami go y piadozo, de nii nombre y honrado
(( p,n. » Lequel combattant vaillamment mourut de-
vant son roy par une honnorable fin de vie, sattisfît
très bien de ce qu'il devoil à l'amytié et bonne grâce
que le roy luy portoit et à son honneur très grand
tout ensemble ; lequel tumbant à terre par la clieute
de son cheval, s'estant tourné vers monsieur de Lan-
geay, gentil ehevailler qui le vouloit secourir en un
cas si extrême, luy dist : « Laissez-moy, mon fils,
« jomr au moins de ma destinée et partez viste d'icy,
« et avec le plus de prestezze que vous pourrez, et
« allez secourir le roy, et si vous eschapez ceste mes-
« lée et ce combat, je vous prie de vous souvenir,
« comme mon bon amy et charitable, de mon nom
« et de ma fin honnorable » ; qu'estoit bien autant
à dire qu'il ne la celast, et la publiast.
Ces rodomontades et parolles graves sont belles.
Mais encores plus est une que prononça le marquis
de Pescayre de cy-devant, lequel, allant un jour à un
combat contre Berthelemy d'Alviano, grand capitaine
vénitien, dexando el cavallo^ a pie, con una pica en la
mano, buelto atras, dixo : « Ea, soldados ! tened cuy-
« dada que si entrando jo en la batalla^ querra mi
« Ventura que muera honradamenle en ella^ vosotros
« no permitajs que sea antes hollado de los pies de
(c los ennemigos, que de los çuestros. » Los soldados y
gritando animosamente , le respondieron muy ale-
gres, que passasse adelanie con buen animo, porque
ellus estauan determinados de ganar loor de tan gran
virtud^ siendo le muy obedientes como a capitan, y
como a soldado peleando esforçadamente : y no en-
ESPAIGNOLLES. 39
gtiùo et successo a sus trocadas esperanças , porqiie
todos combatieron miiy bien œn furioso as allô *.
« liai soldats, ayez soucy et souvenance que moy
M entrant en la bataille, si la fortune veuille que j'y
« meure lionnorablement , que vous autres ne per-
ce mettiez que mon corps soit plustost foullé des
<( piedz des ennemys que des vostres. » Les soldatz
alors avec un grand cry luy respondirent tous joyeux
qu'il passast et se mist hardiment devant avec son
brave cœur, parce qu'eux estoient tous résolus et dé-
terminez gaigner la louange d'une si grande vertu,
luy estans très obéissantz comm' à leur capitaine,
et comme soldat aussi qui, comme soldat, combattoit
si bravement avec eux ; et qui fust le bon succez ^ ne
les trompa point en leur espérance, parce que tous
combattoient très vaillamment et emportarent la vic-
toire. ))
En ceste rodomontade il y a à remarquer deux:
choses : l'une , qui se peut mieux représenter que
dire, d'autant qu'il se faut représenter que c'est une
grand'gloire au soldat, alors qu'il void son corronnel
abbattu mort par terre à sa teste, qui ' ne s'estonne
point et ne recuUe point en arrière, mais pousse plus
ad vaut, aymant mieux fouler le corps de son géné-
ral et luy passer sur le ventre en vengeant sa mort
vaillamment, que si son ennemy venoit après trium-
])liant et luy foulast le corps, et passant par dessus,
et suivant les autres siens ennemis sans autre forme
de vengeance; ce qui estoit certes très bien advisé et
1, Ceci, sauf la dernière ligne, est encore tiré de Vallès, liv. I,
eh. VIII, fol. 27.
2. Et fut le bon succès qui.... — 3. Qui^ qu'il.
40 RODOMONTADES
remonstré à ce grand marquis. L'autre chose qui est
à noter, est que les soldatz disoient qu'ilz estoient
prestz d'obéir, non-seuUement à leurs capitaines,
mais à un soldat qui en vouloit faire le mestier avec
eux; comme certes rien n'anime tant le soldat que
quand il void son corronnel, son maistre de camp
et son capitaine faire de mesme comme luy. Les sol-
datz dudit marquis ne fallirent pas à son dire, car ilz
firent si bien qu'ilz, gaignèrent la bataille ; et se list
que le roy Ferdinand vouloit avoir le nom, non-seul-
lement des capitaines mais des soldatz, et les fit
mettre par escrit, de façon que : aun oy dia^ en los
libros de los tesoreroSy estan élégante mente escriptos
los nombres de aquellos soldados que en el hecho de
las armas de Vicenda, al rio B renia, combatiendo
en la vanguardia, ganaron la batalla con marai^illoso
valor\ « Encores aujourd'huy se trouve par escrit
dans les livres des thrésoriers le nom des soldatz qui,
à Vicence et au fleuve Brente, gaignarent ceste ba-
taille avec une si grande vallem\ »
Lorsque ce grand roy d'Espaigne, qui fut l'an 1 588,
fit et dressa un si grand et superbe apareil de mer
contre l'Angleterre, après leur nauflirage, je vis au-
cuns soldatz et capitaines, voire gentilzhommes es-
paignolz, passant par la France et tirans vers leurs
pais, qui m'en firent de hautz contes. Entre autres
choses, ilz me faisoient l'armée de six-vinglz vais-
seaux, dont le moindre estoit de trois cens tonneaux.
Il y en avoit vingt de mille à douze cens tonneaux,
dont il y avoit quatre ou cinq grandes galléasses du
1. Voyez Vallès, ibid., fol. 28 v».
ESPAIGNOLLES. 41
tout incomparables; plus de quarante à cinquante
de sept à huict cens; si bien qu'il y avoit trois ans
que ce grand roy avoit mis tous ses espritz , ses ef-
fortz, ses desseings et ses moyens : et puis m'allarent
dire ceste rodomontade, qu'un an ad vaut que l'ar-
mée partist du port, cl rey hcwia mandado a La gran
mur Oceano , que se apure jasse para recebir en su
reyno j aguas sus i^asselles, non propriamenle K'as-
selles y para dezir verdad^ mas montaignas de legne ;
y lan bien a lus i'ientos, para cessar y callarse, y fa-
^orescer sin ninguna ternpestad a la navigation de su
armada; la sombra de la quai queria el que hiziese
caer y baxar con gran humilidad, no solamente los
arboles y mnsteles de los navios^ nias las puntas de
los campanillos de toda V Ingalatierra. « Le roy d'Es-
paigne avoit commandé un an avant à la grand'mer
océane qu'elle s'aprestast pour recepvoir en son
royaume et en ses eaux ses vaisseaux , non pas pro-
prement vaisseaux, pour dire le vray, mais des mon-
taignes de bois, et en manda de mesmes aux vents
pour caller, se taire et favoriser à la navigation de
son armée, l'ombre de laquelle il vouloit qu'elle fist
baisser et choir avec grand'liumilité devant soy, non
seuUement les arbres et matz des navires , mais les
pointtes des clochers de toute l'Angleterre. »
Certes, voylà une belle rodomontade et menace
espaignoUe, si la fortune eust voulu favoriser l'entre-
prise. Mais ceste grand'armée s'en alla en rien, moi-
tié par la prévoyance et conduicte de ce grand
capitaine le millort Drap ^, l'un des plus grands capi-
1. Drake.
42
RODOMONTADES
tailles qui ayt battu la mer Océane deux cens ans y
a, voyre et possible jamays, et moitié par les tour-
mentes et vagues de la mer_, par troj) irritées , pos-
sible, des menaces qu'on leur avoit fait, lesquelles
de soy sont fort orgueilleuses et ne veiiUent estre
bravées en nulle façon. Rodomonten sceut bien que
dire. Lorsqu'il voulut passer d'Afrique en Europe_, il
se mist à maugréer Dieu par ces motz : Se gli è
alcun Dio fiel cielo^ cliio nol so. Certo, huomo non
è quiï habia ç'isto. Ma la vil gente lo crede per paara.
El mio buono brando, e la rnia armalura^ e Vanimo
cKio ho sono il mio Dio^. « S'il y a aucun Dieu au
ciel, que je ne sçay au vray, car il n'y a homme qui
l'ait veu, mais la paouvre gent le croit par peur. Ma
bonne espée et mes armes et mon cœur sont mon
Dieu, w Force autres vilains et exécrables motz dist-il,
qui sont escritz dans Rolland r Amoureux, qu'il vaut
mieux taire que dire, tant ilz sont vilains; et puis,
parlant aux vens : Soffia el vento, se sai soffiare ^ ;
et les brave et mesprise, et monte sur mer, contre
l'advis de tous les pillottes el mariniers. Et, ce qui
est le bon, y estant^ ne s'estonne et ne laisse à con-
1. Voici le texte exact de Boiardo :
Se egli è alcun Dlo nel ciel, ch' io nol so certo,
La stassi ad alto e dl quà giù non cura.
Huomo non è che l'iiabbia visto esperto ;
Ma la vil gente crede clie per paura.
Io di mia fede vi ragiono aperto,
Che solo il mio buon brando e l'armatura,
E la mazza, ch'io porto, e'I destrer mio
E l'animo ch'io ho sono il mio Dio.
{Oiiando înnamorato^ liv. II, c. m, st. 22.)
2. Que lèvent souffle, s'il sait souffler.
ESPAIGNOLLES. 43
tinuer ces bravades et blaphèmes. ïoulesfois, il y
fut bien secoué, et prest à périr.
Ovide* raconte qu'Ajax Oylée tournant de la guerre
de Troye, son navire fut mené de toutes façons par
les ondes, les tempcstes et les ventz, luy les mau-
gréant et détestant. Ledit navire vint à donner à
travers d'un escueil, que se brisant, Ajax eut l'adresse
de s'en jetter soudain hors sur l'escueil, où, s'y agraf-
fant des mains et des ongles, se mit à maugréer da-
vantage. « En despit de Jupiter et Minerve, dist-il, je
« me sauverai des eaux de Neptune. » Mais Jupiter,
irrité de telz blaphèmes, envoyé soudain son foudre
sur l'escueil, qui, s'esclattant en deux partz, l'une
demeure ferme, et l'autre, de la salvation d'Ajax ^,
tumbe dans l'eau et emporte l'homme, et tous deux
s'obruarent' et sumergearent ainsi dans la mer, dont
il pensoit estre sauvé.
Quand les rodomontades de parolles portent leur
coup et leur effect, [elles] sont fort à estimer ; car il
y a deux sortes de rodomontades, l'une de parolles,
et l'autre d'efFaitz : et ceste-cy dernière mérite louange
sur les autres, comme ceste-cy que je vais dire, que
j'ay leue dans le livre de la guerre cC. 4 lie maigrie, lliit
en espaignol par le seigneur d'Avilla, qu'y estoit pré-
sent, et que j'ay veu confirmer au feu capitaine Valle-
frenière , gentil soldadin s'il en fut onques, et qui
\ . Ce n'est point Ovide qui rapporte les circonstances de la mort
d'Aja.v que rappelle ici Brantôme. On les trouve dans \' Odyssée,
chant IV, vers 399 et suiv.
2. C'est-à-dire où Ajax s'était sauvé.
3. S'obruarent, s'engloutirent.
44 RODOMONTADES
estoit lors page de dom Alvaro de wSando en ceste
mesme guerre, l'ayant pris jeune garçonnet en Pied-
mont, et dcspuis mourut devant Bourg-sur-Mer, te-
nant le party huguenot : de la perte duquel ce fut
un grand dommage, car il avoit beaucoup veu, et
croy qu'il estoit des bons capitaines qu'eust M. l'ad-
mirai, et le plus pratic. L'histoire raconte donc que
el emperadur, viendo qiC era necessario de ganar la
otra parte del rio A Ibis ^ tantas vezes nom brada por
los antiquos Romanos , y tan poca visto por ellos , y
de los Espanoles bien reconocido y segnalado, j que
havia mandado que Varquebuzerîa usasse toda dili-
gentia^ y que passase. Assi subitamente se desnuda-
ron diez harquebuseros espagnoles a la vista del em-
perador, j estos, nadando con las espadas atravesadns
en las bocas, llegaron a algunas barquas , tirando a
los ennemigos rnuchos Juirquebuzazzos de la ribera, y
ganarofdas , y mataron a los que habian quedado
dentro^ y assi las truxeron. En las quales passa thar-
quebuzerîa, y quedo seiiora de la ribera, y los enne-
migos conimançaron del toda a perder el anima. Y
queriendo el braira emperador reconoscer y galar-
donar tan valientes soldados, despues la ganada ba-
talla, mando venir los dichos soldados adelante Su
Magesfad, y darles un çestido de tercïopelo carmezi,
olros dizen de grana, a su modoy y bien garnescido
dora y plata^ y cien ducados a cada unOj y grandes
ventajas en sus compagnias ; de manera que assi se-
gnalados, adelante tado el campa^ yçan braveando y
passeanda con gran super bia^ de manera que toda la
gente yua deziendo d ellos : a Aqul esLan los bravos y
« determinados de las barcas ». (Le livre n'en dit pas
ESPAIGNOLLES. 45
tant*; mais ledit capitaine, fort mon amy, me Fa
conté ainsi.) « L'empereur voyant qu'il estoit né-
cessaire de gaigner le passage, et l'autre part de la
rivière et fleuve d'Albis * si souvant renommé par les
Romains et si peu veu d'eux, mais fort bien recogneu
et signalé des Espaignolz (bon celluy-là pour l'bon-
neur de l'Espaignol) il commanda que l'harquebuze-
rie fist tout son devoir et dilligence de passer tout
aussitost par delà. A sa veue^ dix soldatz espaignolz
se despouillarent tous nudz et teiians leurs espées
de travers dans la bouche, abordarent quelques bar-
ques que les ennemys tenoient et sautèrent dedans
maugré eux et les harquebuzades que l'on tiroit de
l'autre costé de la rivière^ et tuarent ceux qui estoient
dedans et puis emmenarent les barques aux leurs qui
prinrent là le moyen de faire passer l'iiarquebusc-
rie dedans lesdites barques et à gaigner la rivière, si
bien que les ennemis commançarent à perdre cou-
rage; dont après la bataille gaignée l'empereur vou-
lant recognoistre et récompenser de si braves sol-
datz, il les fit venir devant tout le camp et les haut
loua, et fit donner à chascun un accoustrement de
vellours cramoysy, d'autres disent d'escarlate à leur
1 . Brantôme a non-seulement allongé , mais arrangé le texte
de Louis d'Avila. Voyez Comentario del illustre senor don Luis de
Avila y Zuniga De la guerra de Alemana ^ hecha de Carlo y
Maximo, emperador romano, rey de Espafîa, Anvers, loSO, in-S",
f* 83 v", où l'on ne trouve rien sur la récompense donnée aux
soldats par Charles V. Le texte, depuis les mots Y queriendo el
bravo emperador^ appartient à notre auteur qui a mis en espagnol
le récit que lui avait fait le capitaine Valfrenière.
2. Albis, l'Elbe.
46 RODOMONTADES
mode (ainsi qu'ilz les apelloient Jors tudesquillos ^
autres houraquillos) et fort garny de passement d'or
et d'argent, et à cliascun cent diicatz et grands ad-
vantages parmy lem^s compaignées, de sorte qii'estans
ainsi signaliez de faitz et d'habitz, se pourmenant
par le camp se faisoient admirer de tout le monde
qui disoit : « Voylà les braves et déterminez qui ont
gaignë les barques. »
Je vous jure qu'on avoit raison de les admirer, et
de les apeler telz ; car leur acte estoit brave : et telle
rodomontade valloit plus que cent de parolles.
C'est assez sérieusement parlé : retournons encores
un peu à la boullbnnerie touchant ces rodomontades.
Un certain Espaignol, louant un' espée qu'il avoit
à un sien compaignon, disoit : De cinqiio que tengOj
es sa es en la quien yo tengo mas coii fiança, y la que
nunca me falto de la mano. Ëssa es la que tan famada
esta en toda la tierra; y es la que tantas çezes me pi'do
emprestada don Pedro Recuero ; y esta misma es que
treyenta anos a esta parte no se ha hecho campo en
toda l' Andelozia, donde ella no se haya hallado; por-
que de Cordoça, de Caliz, de Malega, de Cartagenaj
y de otras mâchas y dwersas partes , donde succeden
algunos desafios entre los amiqos , luego me emhian
por ella. Y cou esta fue con la que înataron el sacris-
tan de San-Lucar : y con esta cortaron los muslos
a Navarico, el soldado del ducque; y con esta Rava-
nal hizo grandes cosas en Toledo, al tiempo que don
Galtero mato al Viscayno en el Alcaçar^ y non fue
otra cosa de su sahoj sino tener esta espada : y esta
es misma^ por quien^ ha un ano que tienen y a por
costumbre en los desaffos sacar por condicion que
ESPAIGNOLLES. 47
nunguno lle^e la espada mia; de maiicra qiCcs tan
famada por todas las lier ras y compagnîas, corne la
espada encantada de Roldan, y del rey Artus. Que si
yo quiziesse contar las ifirtudes desta espada , nunca
acabaria. « De cinq espées que j'ay, ceste-cy est la
meilleure, et celle en laquelle je me fie le plus, el
celle qui ne me faut jamais de la main, et celle qui
est tant renommée par ceste terre, et celle-là que si
souvant don Pedro Recuero' m'a demandé à em-
prumpter, et celle-là mesmes que trente ans y a qu'il
n'a esté fait combat, ny deffit en toute l'Andelouzie
qu'elle ne s'y soit trouv^ée; car de Cordonna, de Ca-
lix, de Malega, de Cartagène et d'autres partz di-
verses fois es lieux où se doivent faire des combatz et
désaffitz, soudain l'on la m'envoyoit quérir, car c'est
ceste-cy avec laquelle on tua le sacristant^ de Sainct-
Luce, avec laquelle on coupa les deux jarretz à Na-
varico, soldat du duc, avec laquelle Ravanal fit de si
grands cboses en ToUède, du temps que don Gal-
tero tua le biscain en Alcaçar, et rien ne fut cause
de sa salvation , sinon qu'il avoit ceste espée en la
main; mais depuis un an elle a esté deffendue, de
sorte que quand l'on vient en un'estaquade, il faut
mettre en condition qu'on n'y portera point mon
espée ; de manière qu'ell'est si renommée qu'on l'es-
time plus que l'espée de Rolland ou du roy Artuz.
Que si je voulois conter les vertuz de ceste espée,
jamais je n'aurois fait. »
Ceste espée me fait ressouvenir d'un de nos vieux
capitaines de Piedmont, que j'ay cogneu, qui pour-
1. Recuero^ mulelier. — 2. Sacristant^, sacristain.
48 RODOMONTADES
tant ne faisoit pas plus grands miracles de son es-
pée qu'un autre, et disoit : « Quiconque aura affaire
« à moy, il faut qu'il aye affaire à Martine que me
« voylà au costé (appellant son espée Martine) : et
« quiconque me la l^esongnera (usant de l'autre mot
« sallaud qui commance par f), qu'il die hardiement
(f qu'il aura bcsongné la meilleure espée de France. »
Voylà une plaisante louange d'espée de cet Espai-
gnolM Mais le gallant s'oublie en cela; car il ne conte
point les vaillantises qu'il a faites avecques ceste es-
pée, sinon celle des autres; mais il pourra dire que
si les autres faisoient si bien avecques ceste espée
emprumptée_, que infalliblement , estant sienne et
entre ses mains, elle faisoit rage. Toutesfois, il y en a
aucuns et plusieurs aux espées desquelz ne faut attri-
buer lem's beaux faictz et vaillantises, mais à leurs
bonnes mains et braves courages. Cestuy-cy, que je
vays nommer, se loue bien mieux.
Il y avoit donc un Espaignol qui disoit : No saheys
que me acontescio en Cordova , parque no haj causa
mas publica en Andelozia^ d'aquel Francisco Cordo-
nerOy el quai hy70 muestra de hazer mano contra mi ?
No se huvo acabado de desembolçer de su capa^ quando
jo lo tenta con su mismo pugnal cortada la mano dc'
recha^ y claçada en cima del bodegon de Gajetaneto,
Pero, ny por esso perdi la tierra, ny dexe de pas-
searme par las calles y rincones^ sin temer la justicia;
porque ella y la caresma no son sîno para lus rui-
nes, vellacoSy y desdichados y de mas^ siempre anda-
ua yo bien armado^ siempre la espada en la mano^ y
\. L'Espagnol dont il est question à l'autre page.
ESPAIOOLLES. 49
cnn la média vajna^ y tamhien nunca dexava un bra-
quet de los Se\'illaiios de la cinta ; cou la barba larga^
y cabellos trasquillados ; y quando era me nés ter de
salir acompagnadoy no me faltavan amigos^ que, a
medio repiquete de campana, se juntavan trecienlos
cumpagneros, y todos en verdad hombres de bien y de
mano. « N'avez -vous jamais sceu ce que m'arriva
une fois à Cordova, car il n'y a chose si publique en
toute l'Andelouzie de ce Francisque Cordonero*, le-
quel fit monstre de venir aux mains avecqiies moy?
Il ne se fut pas sitost désemvelopé de sa Cape, qu'il
me trouva sur luy, et que de sa propre dague que je
luy oste, je luy en coupe la main droicle et la cloue
aussitost au-dessus de la porte du cabaret de Gaye-
lanet, et si ne laisse pour cela la terre, ny à me pour-
mener par les rues et cantons sans avoir peur de la
justice ; car la justice et le caresme (comme l'on ditj
sont faitz pour les moschans et malheureux. De plus
j'allois toujours fort bien armé, l'espée en la main
avec la moitié du fourreau, et le boucler^ des meil-
leurs qui s'en trouve en Séville, tousjours pendu à la
ceinture, la barbe longue et les cheveux courtz; et
quand j'avois besoing d'aller accompaigné, je n'a vois
point faute d'amis, car en un demy son de repiquet^
de cloche, j'avois toujours trois cens compaignons
qui se venoient joindre à moy, tous gens de bien et
de main. »
Un gentilhomme espaignol, qui estoil fort gros et
\ . Cordonero signifie cordier.
2. Boucler, bouclier,
3. Repiquet, carillon; c'est le mot espagnol {repiquete) francisé.
vu — 4
:;0 RODOMONTADES
gras, montant un jour le degré du cliasteau de Ma-
dric, il y eut deux autres gentilzhommes qui estoient
au haut, qui, le voyant monter, s'entredirent assez
haut que l'autre l'ouit : Mira el puerco que sube.
a Voyez le pourceau qui monte. » L'autre, estant
monté, leur dist : Si, fo soy puerco; mas, vos no me
matareys, dist-il à l'un, et à l'autre : y vos, no me
comerefs^ . « Ouy, je suis pourceau, mais vous ne me
tuerez pas, » picquant l'un, qu'il ne le tueroit pas
pour son peu de valleur qu'il cognoissoit en luy; et
l'autre, qu'il ne le mangeroit point, d'autant qu'il
estoit soubçonné d'estre maranne, lesquelz ne man-
gent point de pourceau.
Un médecin dict bien mieux : lequel estant allé
voir un évesque qui estoit malade, mais fort gros
et gras, et l'ayant laissé, ainsy que aucuns de ses
amys, en sortant de sa chambre, luy eussent deman-
dé comment il se portoit, il ne dict autre chose, si-
non : Pluguiese a Bios que fuesse tal mi macho^ !
Un paouvre diable espaignol qu'on menoit pendre,
ainsi que le cordeiller l'admonestoit de son salut, et
luy demandoit s'il ne s'estoit pas bien tousjours sou-
venu d'un'oraison qu'il luy avoit apris, et s'il ne
l'avoit pas tousjours dicte, laquelle, la disant tous les
jours, il ne mouroit jamais de feu ny d'eau, et si
sçauroit le jour de sa mort; le gallant, tout prest à
estre jette au vent, luy respondit arrogamment : Fa-
te al diablo, segnor frajle^ que tan bien aveys pro-
i . Et vous, vous ne me mangerez point.
2. Plût à Dieu que mon mulet se portât aussi bien. — Ce para-
graphe manque dans le manuscrit.
ESPAIGNOLLES. 51
phetizailo, y tan mal ma sej\'(do lu ovation ; porquc
no muero en fuego ny agua, mas en cl ajre, que es
peor, f tan bien yo sabese, y cognosco el dia de nii
muevte. « Au diable soyez-vous donné, monsieur le
moyne, que si bien a^ous avez prophetizé, et tant
mal m'a servy votre oraison, car je ne meurs ny dans
le feu, ny dans l'eau, mais en l'air qui est pis, et si je
sçay bien à ceste heure et cognois fort bien le jour
de ma mort. » Et ainsi mourut-il. Ce conte tient
pluslost de la plaisanterie que de la rodomontade;
et l'ay plus tost escrit que pensé : toutesfois je no
m'en repens, car il n'est point mauvais.
Un capitaine espaignol estant un jour allé voir une
courtizane, sa dame, à Tolledo, elle luy pensant re-
monstrer qu'il ne venoit à la bonne heure, d'autant
qu'à telle heure du soir passoient et repassoient trois
braves et rodomontz de la court, tous couvertz, et
leurs rondelles en la main chascun, qui estoient les
deux Pymantelz et don Juan de Guzman, il luy res-
[)ondit en bravant : Que vengan, que vengan estos
bravos di cor te ^ j de las mas pintndos ^ tan bien
arodelados ! Que vive a DioSy sus rodelas y broqueles
no me espantan, ny mas ny menos que los cosseletes
y harquebuzes de cien enemigos en campagnia. Y si
vie ne n, yo les mostrare quan peligrosa cosa es de
tocar a mis amores. « Qu'ilz viennent, qu'ilz vien-
nent, ces braves et mauvais et des mieux painctz de
la court, qui sont si bien couvertz de leurs rondelles
et boucliers, ilz me font autant de peur que les cor-
celletz et harquebuz de cent ennemis en campaignc ;
que s'ilz viennent, je leur fairay sentir combien la
chose est périlleuse de toucher à mes amours. » Mais
ri2 RODOMONTADES
le bon fut ainsi comm' il l)ravoit, les voycy venir
toucher à la porte avccques grand'rumeur de leurs
armes, ce que luy, entendant le bruict, il dist à sa
dame : Se/îora, i^ran locura séria y trato d'un atre-
vido temerario y ignnro de las armas , d'un solo
acometer a très : y por esso, mejor es por my de re-
cognoscer la puer ta por detras ; y me recoger^ y me
salvar faera. « Seignore, ce seroit une grand' follie,
traict d'un prësumptueux téméraire et qui ne sçait
que c'est que des armes, d'un seul entreprendre à se
battre contre trois, et par ce, il est meilleur pour moy
que je recognoisse un peu la porte de dernière * et
me retire et me sauve. » Je tiens ce conte de M. de
Savoye, qui en sçavoit de fort bons, et les racontoit
bien quand il vouloit.
Et certes, ce capitaine avoit raison, après avoir
bien pensé en son fait, de se desdire de sa bravade
et se retirer de bonn'heure; car ces Pimentelz es-
toient des fandans de la court de l'empereur, et des
plus accomplis et adroitz. Ce furent ces deux qui se
firent tant signaller en tous les tournois et combatz
cellebrez en Flandres pour la réception du roy d'Es-
paigne^, et mesme don Alonso l'aisné, ainsi que j'ay
leu et ouy raconter à madame de Fontaines, l'une
des honnestes dames de France, qui estoit lors fille
de la reyne Eléonor et se nommoit Torcy. Du despuis
ce don Alonzo fut envoyé visce-roy à la Gollette, où
il fut accusé de sodomie, et pour ce sentencié. Sur-
quoy un gentilhomme françois, que je cognois, de-
•f . De dernière, de derrière.
2. Voyez tome III, p. 91 et suiv.
ESPAIGNOLLES. 53
mandant une fois à Rome à un Espaignol de la mort
dudit Alonzo, lors il luy respondit naïfVement :
Seilor, fue quernado^ porque era bujarroiij conio por
Ventura Vaessa Merced. « Il fut brûlé parce qu'il es-
toit bougeron comme par advanture vous pourriez
estre. » Ce qui fut tourné en risée, voyant la naïfveté
dont usoit en son parler ledit Espaignol, et aussi que
ledit e^entilhomme estoit soubconné de ce vice^
Ce capitaine espaignol précédent tenoit de l'hu-
meur et opinion d'un autre qui disoit : Mas quiero
yo que de mi diga la gente : « aqui un tal hujo, » que
« aqui un talmurio. » <.< J'aime mieux que le monde
dise de moy : un tel fuist, que si l'on disoit : en un tel
lieu il mourut. » Celluy-là voloyt vivre à bon esciant.
Un soldat espaignol, descouvrant et racontant un
jour une demie douzaine de blessures ou harquebu-
zades qu'il avoit receues à la guerre, l'une prise au
siège de Parpignan, l'autre à la Goullette, la troisies-
me à Serizolles, la quatriesme à une rencontre en
Piedmont, et la cinquiesme à la reprise de Casai; et,
venant à la sixiesme, monstrant une grand' ballaffre,
et faisant la mine de mesmes, qu'il avoit tout le long
du visage, il dist : Y esta me la dio por delras un bu-
jarron Italiano, que me pesa mas que todas^ porque
luego que me la dio, hujo y escapo de mis manos, de
tal manera que no le piule alcançar , y se tiens tan
segreto y escondldo de my^ fj^'<^'f ^^^^ aiîos que voj
biiscando por el, sin poder hallarlo. Mas, vice Dios ï
que si yo le topo, aunque fuesse entre los braços de
1 . D'après cette phrase, ce gentilhomme ne peut être Brantôme,
comme nous l'avions supposé ailleurs. Voyez t. I, p. 323, note 1.
54 RODOAIONTADES
Belzebut,fo le dare tantos palos a la turquesqua^ q^jo
le Jiare morir buen marlyr. « Et ceste-cy me la donna
lin bougre italien par derrière, qui me pèse plus que
toutes les autres, parce que tout aussitost qu'il me
la donna, il se mit en fuite, de sorte que je ne peuz
jamais l'attaindre; et si se tient si secret et cache de
mov que je ne le puis trouver, et si je le vois* cher-
chant il V a plus de deux ans; mais je vous jure bien
que si je le rencontre jamais, fust-il entre les bras de
Belzébut, je luy donneray tant de coups de baston à
la turquesque fqui est à dire par le ventre), que je le
fairay mourir bon martyr. »
Un de nos capitaines l'rançois dist bien mieux une
fois, menassant un sien ennemy : « Je luy donray
« tant de coups de baston que je l'en fairay mourir :
ft et, quand il sera mort, je le fairay escorcher, et
« corroyer sa peau; si bien que j'en fairay un tabou-
ce rin, que je fairay encor batre vingt ans après, afin
« qu'il se souvienne de moy en l'autre monde. •»
En tournant de Malte, nous autres François qu'y
estions allez pour le siège , nous rencontrasmes en
Toscane, à nostre chemin, un soldat espaignol de
moyen aage et de fort belle façon, comme certes de
ceux-là il ne s'en trouve qui l'ait mauvaise; mais
pourtant fort mal mené de sa personne, et bien des-
chiré. M. de Lansac et moy nous nous mismes à luy
demander d'où il venoit. Il nous respondit qu'il ve-
noit de la guerre d'Hongrie, et que nouvelle volunté
luy avoit pris d'aller chercher loingtaine advanture
par les armes, encores qu'il fust du tout, disoit-il,
\ . l'ois, vais.
ESPAIGNOLLES. 5S
riiinco par las (irrjias, u rompu pour les armes » ; se
repentant pourtant fort du voyage, pour n'avoir
trouvé en ces pais aucune courtoisie, tant la gent y
estoit barbare et rude. Puis, en ayant assez dit de
mal, il eut ceste superbetté de ne nous demander l'au-
mosne scelon la coustume des autres paouvres; mais,
])ar ces motz nullement ne vergoigneux ne piteux, il
nous dist : « Senores, Vuessas Mercedes consideran
con poca pesadiuubre * que si fuessen en mi lugar, lo
cjiCliavt'iaii da nieuester para passar su cainino^ yo^
si fuesse en el çuestro lugar, lo que les daria de buena
caridad y gana , para soccorru de vuestras necessita-
des. « Messieurs, considérez avec quelque peu de
poix, si vous autres estiez en ma place ce que vous
auriez de besoing pour passer chemin, et moy si
j'estois en la vostre ce que je vous donrois de bonne
charité et volunté pour le secours de vos nécessitez. »
Aboyez quelle gloire et quelle industrieuse façon de
demander l'aumosne sans faire le gueux et du que-
mant ! Je vous laisse à penser si nous en rismes et si
nous en fismes le conte ailleurs : et si n'y a pas long-
temps que nous le fismes à M. de Guyse, Lansac et
moy, qui m'en fit souvenir, dont son excellence en
rist bien ; et mesmes que , veu ceste gravité et façon
altière, nous eusmes honte de luy donner peu : mais
chascun de nous luy bailla un double ducat; encor
le maraut en fit peu de conte, disant que no basta-
r km para sejs pastos"', et que si nous luy voulions
donner un laquais jusques à Naples, qu'il le nous
i. Voy. p. 3, note.
2. Qu'ils ne suûiraient pas pour six repas.
56 RODOMONTADES
rendroit : et Dieu seait^ le maraut, s'il eust tenu la
parolle, et nous autres plus à deloysyr* que de luy
donner ledit laquays, non pas pour cent fois autant.
Asseurez-vous pourtant que nous menasmes bien le
conte.
11 est pareil à un que m'a conté un gentilhomme,
lequel, se pourmenant une fois dans Rome, à Ve^-
\vài\e^ de populo^ ^ toute nuict noire, avec un autre
gentilhomme, voicy venir un Espaignol assez bien
en poinct, qui les vint accoster par telles parolles:
Seî^nores, la nocJie ni a tal [avorecido de topar a k>os-
otrus geiiiiles Franceses , para siipiicarlos d'hai^er
lastima de mi, pobre y misera; porque , de dia, por
todo el thesoro del mundo, no queria muestrar a la
gente mi miser ia; f por esso siiplico à Vuessas Mer-
cedes que me alargueii sus libérales y largas manos
franceses. « Messieurs, la nuict m'a tellement favo-
risé de vous rencontrer vous autres gentilz François
pour vous prier d'avoir pitié de moy paouvre et misé-
rable, d'autant que [de jour] pour tout le trésor du
monde, je ne voudrois monstrer ma misère; et pour
ce, je vous suplie que vos mains françoises tant lar-
ges et libéralles s'estendent sur moy. »
Voylà de mes mandians secretz et honteux ; et, au
partir de là, qui les verra au jour en public, ilz fai-
ront des braves , ne faut point dire comment , et si
ne craindront de dire : Pesé a tal que somos hydal-
gos coniel rej, dineros menos. « Nous sommes gen-
\. Je crois que le sens est : Dieu sait.... si nous autres nous
aurions été bien avisés de lui donner ledit laquais.
2. Estrade, rue, de l'italien strada. — 3. Del popolo.
ESPAIGNOLLES. î>7
tilzhommes comme le roy; il est vray que nous
n'avons pas tant d'argent. )>
Telz mandians ne sont point pareilz à sept ou huict
que je vis une fois à Séville, lesquelz, venans des
Indes, et ayant fait un fracas de leur navire \ et
s'en estant sauvez au mieux qu'ilz avoient peu, ne
craignoient, se pourmenant par la ville , à faire en-
tendre au peuple leurs honnorables nécessitez par ces
parolles : Ea ! segnores, tengaii Viiessas Mercedes las-
tima iV estas pobr es soldados f ninrineros, desbarala-
dos f faligados de la rnar y delïhambre^ çenieiido de
tierras desiertas, comiendo culebras y lezardos^y liasla
las siielas de çapatos cocidas : en comniendanios nos
la buejia gente que les hagaii la caridad al nombre de
Dlos. « Hé ! messieurs, ayez pitié de ces paouvres sol-
datz et mariniers ruinez et fatiguez de la mer et de la
fain, venant des terres désertes, mangeant les coul-
leuvres et lézards, jusques aux semelles de nos soul-
liers cuites, nous recommandons à la bonne gent que
nous fassent aucune charité au nom sainct de Dieu. »
Un soldat espaignol se plaignant de sa paouvretté,
disoit que son père avoit eu de grands moyens en
son temps ; rnas que los hai>ia gaslado en fiestas^ tor-
neos , recocijos , juegos , bayles y triunfos. <( Mais
qu'il les avoit tous gaslez en festes, tournois, esba-
temens et dances et triumphes. »
J'ay ouy dire à un vieux soldat espaignol que le
1. Ayant fait un fracas de leur navire, c'est-à-dire ayant fait
naufrage. Ces deux locutions, étymologiquement parlant, sont
identiques : fracaso, en espagnol, signifie chute suivie de rupture.
2. Lézardas, il faudrait lai^artos. — Voyez p. 3, note.
yS RODOMONTADES
rov François, quand il estoit piisonnier en Espaigne,
il estoit fort songneusement gardé de si\ eompaignies
de vieux soldatz espaignolz, et par Allarcon, grand
capitaine en qui l'empereur se tioit fort, leur com-
mantlaiU : Quel rey Francisco , par su passatiempo^
acostumbrava sembrar adelante los soldados de su
guardia los escudos de oro, co/t tanlo nienosprecio de
su fortunn présente, rpie los soldados^ accarlciandolo,
soierK'ia j impiatnenle se quexavan de Dios, porque et
rej Francisco no era su seitor, para conquisfar todo
el mundo, o porque ellos teniendo licencia del einpe-
rador, libres de juramento, no conibatian sie/ido el su
capilan : tanto quel segnor don Alarcon^ capitan de su
gardia, fue forçado refrenar la cortezia y liberalidad
del rejj y la familiaridad de los soldados. « Le roy
François, pour son passetemps, avoit quelquefois ac-
coustumé jetter, semer devant les soldatz de sa garde
force escus au solleil avec si grand mespris de sa for-
tune présente qu'il ne s'en soucioit, si bien que les
soldatz pour l'en caresser superbement et par trop
iniquement se plaignoient de Dieu , de quoy le roy
François n'estoit leur seigneur pour conquester tout
le monde, ou bien qu'eux fussent libres de leur ser-
ment de fidellité qu'ilz prestoient à l'emjjereur, ne
combatissent soubz luv estant leur général ; de sorle
que Alarcon, capitaine de la garde, oyant telles pa
rolles fut contraint faire cesser ceste libérallité au roy,
et aux soldatz empesclier et deft'endre de converser
si famillièrement avec le roy »; ce qu'il avoit raison;
car la conséquence s'en fust emprès ensuivie, le
voyant après si libéral^ et eux si afïectionnez à louer
sa libérallité et ne la relFuser point, et aussi qu'ilz
ESPAIGXOLLES. 59
l'avoieiît veu si vaillant et si généreux , et faire si
généreusement en la bataille , et n'avoient encores
ny veu ny senty ce que l'empereur sçavoit faire : car,
comme j'ay dit, bien tard se mit-il à se mettre en
campaigne; si bien que l'un estoit tout fait desjà, que
l'autre estoit tout neuf. \Ln quoy nous nocterons aussi
que le naturel de l'Espaignol est fort avare , et ay-
mera mieux la bource de son ennemy où il n'y aura
que deux escus, ou une petite rançon , que de le
tuer, comm'en toutes les guerres où ilz ont estez
c'est apareu ; car les Espaignolz desroboyent, et les
Tudesques tuoient.
Un Espaignol voulant monstrer sa grand'puis-
sance qu'il avoit en sa ville, où il se tenoit, il disoit:
Esta en mi niano meter Motos en la tierra, j puedo
pregonar vino y vende r vinagre, y salir nie con todo
esto. « Il est en ma main de mettre les Mores en ceste
terre, et si puis faire crier du vin et ne vendre pour-
tant que du vinaigre et m'en sortir avec cela. »
Voylà un gallant qui avoit beaucoup d'authorité en
sa ville, et la vantoit très bien et glorieusement!
Comme j'ay dict cy-devant qu'aucuns soldatz es-
paignolz ont esté insolentz de paroiles à leur empe-
reur, sur quoy il me souvient d'avoir leu en un livre
espaignol *, et l'avoir ouy confirmer à deux vieux
gendarmes françois, qu'estant Anthoyne de Lève
\. Ce livre est, sans aucun doute, l'ouvrage de Vallès; mais,
dans les divers passages où il parle de l'administration d'Antoine
de Lève à Milan, nous n'avons pas retrouvé les phrases citées
plus haut. Brantôme, ici comme ailleurs, a mélangé et rédigé en
espagnol le souvenir de ses lectures et de ce qu'on lui avait ra-
conté.
60 RODOMONTADES
une fois dans Milan pressé pour le payement de ses
soldatz, tant Espaignolz que Tudesques, et ne sça-
chant de quov faire argent, il s'advisa que ninguno
pudiesse coser pan^ teiier liarina en su casa sino los
que fuH'iaii arrendado; y a estos les hazia pagar par
cada carga très ducados de derechos : con esta mo-
neda pago abundamenie los Tudescos y Espagnoles.
« Que aucun ne peust faire pain ny tenir farine chez
soy, sinon ceux ausquelz il avoit arrantë ', et à ceux
leur faisoit payer pour chasque charge trois ducatz
de droit^ et avec ceste monnoye, il en paya fort bien
les Tudesques et Espaignolz. » A quoy fut une risée
parmy les Espaignolz, et mocquerie, qu'ilz se mirent
à apeller l'empereur emperador Carlos, senor fornero.
tt l'empereur Charles, monsieur le fournier. m Mais
pourtant la risée se tourna après contr'eux ; car on
se mit à les apeler soldados de la pagnota, « soldatz
de la pagnotte^ » ; ce qui leur estoit le plus grand
despit que pour lors l'on leur peust faire, et la plus
grande injure qu'on leur eust peu dire : et voylà
d'où est venue la première dérivation des soldatz de
la pagnotte ; dont despuis s'est ensuivy que les soldatz
qui ne vivoient d'aucunes payes que du pain de la
munition, et mesmes depuis en Piedmont, on les ap-
pelloit de ces temps soldatz de la pagnotte. Or, faut
noter que, quelque temps après, l'empereur Charles
s'estant sorty de son Espaigne et mis en campaigne,
il produisit tant de braves fruictz de luy et de sa val-
\. Jrranté , affermé. C'est le mot espagnol [arrendado) fran-
cisé.
2. En italien pagnoUa signifie à la fois petit pain et sot.
ESPAIGNOLLES. 61
leur, que les soldalz espaignolz se mirent à dire en
riant parmy eux : Juro a Dios, que agora no somos
mas soldados del emperador fornero, mas del empe-
rador giierrero. n A ceste heure ne sommes-nous plus
soldatz de l'empereur fournier, mais de l'empereur
guerrier. » Et, certes, il l'estoit, et très-bon : aussi le
pensoit-il bien eslre, ainsi qu'il se vanta, à son retour
du voyage de la GouUette à Rome, devant Sa Sainc-
tetë et tout le sainct collège des cardinaux, où il dé-
chiffra si bien le roy François, et le brava et le mena-
ça, jusques à dire : Yo lo forçare y mètre a tal punto
de guerra^ que serK'ira para accabar elpostrero capitulo
de los Illustres desdichados de Bocacio. « Je le mettray à
un tel poinct de la guerre qu'il servira pour achever le
dernier chapitre des Illustres malheureux de Bocace •. »
D'autant que Bocace en a fait un livre, où il exprime
la grandeur d'aucuns grands, et leur déclinaison^ par
amprès. Ceste rodomontade estoit belle, si le fait
l'eust accompaignée ; mais il s'en fallut. Le voyage
de Provance qu'il entreprit et rompit par sa courte
honte, avec son grand conseiller Anthoyne de Lève,
qui en fut auteur; mais il y fut bien attrapé par l'ad-
vis du prince de Melphe, grand capitaine et très-
renommé certes , qui , le voyant après la prise de
Foussan vouloir venir à Thurin (belle butte d'expé-
rance pour estre pris, s'il y tournoit visage comme il
vouloit), le fit advertir par un espion, faisant du bon
vallet à l'empereur, et luy monstrer qu'il luy vouloit
faire un bon service, et qu'il dressast ses dessains
1 . C'est le livre intitulé : De caxibux illustrium virorum.
2. Déclinaison, déclin.
62 RODOMONTADES
vers Provance, et principallement vers Marceille, où
il faisoit très-bon, n'y ayant personne pour le sous-
tenir, ce qu'il eusl aisément fait. Ledit Antlioine
de Lève, voyant les choses facilitées par ledit prince
contre l'opinion de tous, il persuada l'empereur ce
proget, qui réussit mal, dont il en mourut de des-
pit. Ledit Anthoine de Lève fit là une grand'faute de
prendre advis et conseil de son ennemy '.
Ce que ne fit pas Assanagas, Espaignol reignié^,
que Barberousse avoit laissé dans Alger pour gouver-
neur et son lieutenant, lorsque l'empereur l'alla as-
siéger; et l'ayant envoyé sommer et luy remonstrer
qu'il ne sçauroit mieux faire en toutes sortes que de
n'attendre la furie d'un siège, mais de rendre la ville
sans autre cérémonie, il respondit : Nunca peor cosa
fue^ que towar consejo de su enueînigo. Que si me
couse jnrades de no rendïr la devra , yo la reuderia;
mas pues rjue, coma enemigo^ me aconsejajs de la
render, jo no quiero quitarla, « Il ne fut jamais pire
chose que de prendre conseil de son ennemy et le
croire; de sorte que si vous me conseillez de ne la
rendre point je la rendrois y, mais puisque, comme
ennemy, vous me conseillez et invitez de la rendre,
je ne la rendray point. » Et dist bien mieux :
« Avecques quoy, vous autres, qui bravez et me-
« nassez, me pensez-vous prendre et faire tant de
« mal? — Avec tant de gens, de moyens de guerre
« que nous avons. — Et moy, respondit-il, j'en ay
« de mesmes céans, et de ce qu'il me faut pour me
\. Voyez t. I, p. 176, et P. Jove, liv. XXXV.
2. Reignie, renégat.
ESPAIGNOLLES. 63
« flofTendre de vous autres*. » Ha! quel renégat et
eunuque tout ensemble !
Il avoit bien raison de parler si bien et de faire
encore mieux : ce qui doit bien servir d'exemple et
d'advis à force capitaines qui ont gardé des places^
de peur qu'ilz ne se laissent aller aux douces som-
mations, blandisses- et belles parolles que leur disent
et envoyent ceux de dehors pour les attirer à se
rendre à eux : et faut qu'ilz bouschent leurs oreilles,
comme on fait au chant des scraynes^; car, s'ilz se
laissent glisser le moins du monde dans le conseil de
leur ennemy, les voylà perduz et déshonnorez pour
tout jamais : ainsi que je sçay d'un gentilhomme de
par le monde, lequel, estant dans un chasteau de
Guienne*, le plus fort qu'il y ait esté il y a trois cens
ans, luy tenant le party de ceux de la relligion, après
la bataille de Montcontour, fut envoyé sommer et
presclier par un gentilhomme sien parent , qui luy
donna tant du bec et de l'esle, que, misérablement,
et à sa grand'honte et confusion, il rendit la place
par ceste seuUe sommation et conseil; place si forte,
que, cinq ans après, estant au mesme estât, fut as-
saille d'un grand prince, lieutenant de roy, qu'il ne
1. Voyez P. Jove, liv. XL.
2. Blandisses, caresses, hlanditix.
3. Serayne, sii'ène.
4. Il s'agit du château de Lusignan que le capitaine calviniste
Mirambeau rendit aux catholiques en 1569, à la sollicitation de
son proche parent Lansac. « Cela ne lui fit pas honneur, dit de
Thou (liv. XLVI), et il en fut depuis blâmé. » Brantôme a parlé
ailleurs de la prise du château par le duc de Montpensier en 1574.
(Voyez t. V, p. 16 et suiv.)
6i RODOMOMADES
sceut forcer ny avoir de trois mois, encor à grand'-
peiiie, et par une honnorable composition. Ce qui
devoit estre une grand'honte à ce gentilhomme, qu'on
disoit de luy par risée que, pourquoy il avoit rendue
ainsi aisément, ce n'estoit pas faute de munition ny
vivres, car il en avoit ce qu'il en falloit, mais parce
qu'il n'avoit pas de moustarde pour manger son
bœuf sallé. J'ay peur de m'estre un peu extravagué
de mon premier dessain : mais pourtant j'y tourne
encor, méritant excuse, car ma digression n'a point
estée mal à propos ny innutille, et aussi qu'un'autre
fois je l'eusse oubliée.
Le marquis de Pescayre, ayant assiégé une place
nommée Pisquiton', en l'estat de Milan, il y eut de-
dans très arcabuseros excellentisimos defensores ,
puestos en mira de un lugar secreto del niuro, teninn
ojo si verian parescer ahgun espaîiol en quien des-
armasse n los arcabuzes près lamente con tiros cier-
tos : y assi fue^ que aviendo cajdo muertos subita-
mente muy maltratados el capitan Busto j el capltan
Mercado^ assestando ja el tercero diligenternente
contra el marques de Pescara, y queriendo dar fuego
a su arcabuZy de presto un capitan de Pavia, llama-
do el Fratino, hechandole la mano, le quito la mecha
encendida , gritando a grandes vozes : « No quiera
« Dios, que oy par nuestra crueldad^ muera el mas
« esforçado capitan que K>ive , padre de los soldados^
« y el que nos manliene^ aunque le seamos enemi-
« gos: mas antes le conser\>emos la s-ida^ porque nos-
\ . Pizzighitone. — Tout ce passage est emprunté à Vallès ,
liv. III, ch. I, f" 74.
ESPAIGNOLLES. Gn
« otros f/ue viçirnos ganando sueldo , no nnirianios de
M hamhre en una paz négligente y perezosa. » « Il y
eut dedans trois harquebuziers très exellens qui s'es-
toient mis en mire' derrière une cannonière fort se-
crette pour faire chascun son coup sur l'Espaignol
qu'iiz voyoient bien à propos et sans coup faillir;
dont il y eut deux capitaines l'un nommé le Bust et
l'autre Mercado qui tumbarent tous deux mortz. Le
troisième ainsi qu'il estoit prest d'en faire autant au
marquis de Pescayre, il y eut un capitaine de Pavie,
nommé le Fratin, qui courant à grand'haste et ostant
la mesche allumée de dessus la serpentine, se mit à
crier tout haut : « Ah ! jà Dieu n'advienne qu'au-
c( jourd'huy par une trop grande cruauté meure le
« plus grand capitaine qui vive aujourd'huy_, lequel
« est père des soldatz et lequel nous maintient, en-
« cores que nous soyons ses ennemys; mais il luy
« faut conserver la vie^ affin que nous autres qui vi-
ce vous bien en gaignant et tirant solde, ne mourions
« de fain en une paix négligente et paresseuse. »
Ainsi luy fut sauvé la vie. Il avait raison de parler
ainsi, car, comme ennemy de paix et grand amy de
guerre et d'ambition, il leur entretenoit toujours leur
gaigne-pain.
Et ce fut pourquoy M. le mareschal d'Estrosse,
ayant esté un matin salué par deux cordelliers de
ces motz : Dio vi donna la pace^ , il leur respondit :
Et Dio vl tolga il purgalorlo^\ comme disant : « Si vous
me donnez ce souhait de mallédiction, à me dési-
1 . En mire, à l'affût.
■2 . Dieu vous donne la paix ! — 3 . Et Dieu vous ôte le purgatoire !
VII — o
66 RODOMONTADES
rer la paix, je vous donne un' autre de mcsme_, de
vous oster le purgatoire. » Car l'un vit de la guerre,
et l'autre vit des pratiques qui proviennent de ce
qu'on donne pour les âmes du purgatoire : de façon
que l'un et l'autre étoient quiètes de là.
Et eertes, je trouve que le capitaine Fratin avoit
raison de sauver la vie à un tel capitaine; car il n'y
arien qui nourrisse mieux le soldat, de quelque
party que soit, qu'un brave capitaine guerrier et
ambitieux ; car il n'ayme non plus la paix ny le repos
que le soldat.
Lorsque ce grand capitaine feu M. de Guyse,
François de Lorraine, mourut à Orléans, quasi aus-
sitost après sa mort la paix fut faite. Je veidz force
soldatz, tant d'un party que d'autre, le plourer ex-
trêmement, pour avoir perdu leur père nourrisson.
Et si vous diray que j'y vis plusieurs soldatz de la
relligion, qui estoient dans Orléans, le regretter au-
tant ou plus que les autres; d'autant que la pluspart
d'eux estoient tous vieux soldatz, et de ceux qui
avaient combatu soubz luy aux guerres passées es-
trangères : car les huguenotz, en ceste guerre, avoient
enlevé avecqu' eux la plus belle voilée des vieux
soldatz, d'autant qu'ilz avoient les devantz et en
avoient fait leur provision devant nous : et iceux
soldatz l'aymoient et lionnoroient très fort, et pour
ce le regrettoient ; et aussi qu'ilz ne sça voient où
prendre party et tirer solde, et demeuroient en fris-
che, non comme ceux du roy, qui furent plusieurs
apoinctez; car force compaignées furent envoyées
aux garnisons. Voylà comment ce grand capitaine
fut regreté autant des soldatz de l'ennemy que des
ESPAIGNOLLES. 67
siens : car, pour en parler sainement, le soldat n'ad-
vise pas quel vent tire sur le droit et sur le tort de la
guerre, mais où il yaà gaigner; et qui luy ouvre les
moyens pour avoir du pain, celluy-là est son père.
Aussi ne faut-il doubter que si feu M. de Guyse ne
fust esté tué, encor que la paix eust esté laite, il
vouloit fort faire la guerre à l'Angleterre où il avoit
de fort grands dessins : et, pour ce, ces soldatz di-
soient que, tant qu'il vivroit, ilz n'auroient jamais
manque de moyens : ce qui est très certain. Un grand
capitaine disoit « qu'un soldat sans guerre est une
cheminée sans feu, en esté. »
Pour' quant au purgatoire, cela est assez certain
que la practique, l'autorité et la prééminence en est
du tout attribuée aux gens d'église, ainsi que le con-
firma le pape Alexandre^, Espaignol, à qui, comme
un jour aucuns cardinaux des siens eussent remons-
tré une grande faute d'un sien peintre, qui avoit
peint l'enfer au naturel, et, là dedans, parmy les
empereurs, roys et papes^ il y avoit peint et repré-
senté au vif Sa Saincteté, et qu'il falloit punir le
peintre ou l'en faire effacer du tout de la peinture,
il leur respondit de sang-froid : Ciertamente, no
tengo jo podcr para sacar a nad'ie del in fier no ; a
estar en et purgatorio^ bien le podiera yo hacer^. Je
l'ay ouy dire ainsy à un moyne espaignol; et, quand
il le fau droit monstrer par escrit et imprimé, je le
1 . Cet alinéa manque dans le manuscrit.
2. Alexandre VI (Borgia).
3. Certainement je n'ai pouvoir de tirer personne de l'enfer. Si
c'était du purgatoire, bien pourrais je 'e faire.
68 RODOMONTADES
monstrei'ois bien en quelque petit recoing d'un petit
livret*. Ce pape en disoit bien d'autres, dont je n'en
parle pas, car il n'estoit pas bon François.
Don Louys d'Avilla estant assiégé dans la citadelle
d'Anvers, lorsqu'il fallut sortir et forcer les retran-
chemens de la ville, entre autres belles paroles qu'il
dist à ses soldatz, fut ceste-cy : Ea^ soldadosl es nie-
iiester mostrar en este lugar su çirtud^ como en un
muj afaniado teairo de las cosas de la guerra.
H Ha ! soldatz , il faut montrer en ce lieu sa vertu
comm' en un très-renommé théâtre, des choses de la
guerre. »
Avant donner la bataille de Pavye, le marquis de
Pescayre dist et commanda au marquis del Gouast,
con gesto sei'ero y aîiimoso, pero alegre : primo es
menés ter ganar este lugar de Mirabel, con vuestra
virtud, haziendo todo su esfuerço : que si las manos^
lo quai Dios no quiera^ no bastaren contra el ene-
migo tant as \'ezes vencido, hazed que los cuerpos mu-
riendo con mucha honra, loqual deven a los animas
valorosos, vengandose del enemigo, se satisfàgan nO'
hlamente^. « Mon cousin, il faut gaigner ce lieu de
Mirabel avec vostre vertu et avec tout l'effort que
vous pourrez; que si les mains n'y peuvent baster
(ce que Dieu ne veuille!) contre l'ennemy tant de fois
vaincu, il faut nommément que les corps en mou-
rant avec grand'gloire (ce qu'ilz doivent aux courages
\ . Ce livret, que Brantôme ne veut pas nommer, est proba-
blement un pamphlet protestant ; mais je n'ai pu le découvrir.
2, Ceci est pris à peu près textuellement dans Vallès, liv. VI,
ch. IV, f" 16J v°.
ESPAIGNOLLES. G 9
généreux) en se vengeant de Tennemy le récompen-
sent noblement et généreusement. »
Geste bataille perdue pour nous, ce dit parmy les
Espaignolz que Sa Majesté ayant esté prise, et le mar-
quis del Gouast, au retour de la chasse de quelques
Souysses, ayant sceu la prise, vint dans le mesme
champ de bataille saluer Sadicte Magesté avec lui
très-grand honneur et respect, chassant d'allentour
de luy une troupe infinie de soldatz, qui le pres-
soient et l'importunoient de toutes partz; et après
luy avoir aporté toutes ces belles raisons qu'il
pouvoit, pour le consoUer sur son désastre, et surtout
luy allégant la bonté de l'empereur, le roy luy res-
pondit avec ces belles parolles et dignes à remar-
quer, dont je m'estonne que nos escrivains Fran-
çois n'ont touché ces gentilles particullaritez et
parolles , et qu'il faille que les emprumptions des
estrangers. Je le diray premièrement en espaignol :
Yo hauia determinaduy mariendo honradamenie con
los annados , librar tni anima d'esta tan gran as-
pereza de mis cosas, par no quedar vivo ^ despues de
/lai'er muerto tantos capitanes mios muy esclaresci-
dos : pero la forluna que ja de mucho tiempo es aspe-
rissimamente^ y a gran tuerio muy eneniiga a nues-
tro nombre ^por gaardar la vida a mi pesar^ para un
espectaculo de escarnio y hurla ^ y no ha querido que
yo muriesse muerle muy honrada. .4 lo menos, cou
solo esto consolare a mi mismo acordandome de una
tan gran perdida^ que de oy adelante no temereya mas
ninguna injuria ni fuerça de fortuna, porque aviendo
sido ella cruelissima siempre y furiosa y nunca
jamas ahundantemente harta par tantas desventuras^
70 RODOMONTADES
agora finalmeiite avra a pagado el resta de su odio en
esto publico lloro de toda la Francia, j postrera per-
d'ida min par el caso de tan grande desventurà^. « Je
m'cstois résolu et déterminé que mourant honnora-
blemenl parmy les armes , je me peusse dellivrer et
mon esprit d'une si grande asprezze^, et surchargé de
mes affaires pour ne demeurer en vie, après avoir
veu devant mes yeu\ tant de braves et vaillans capi-
taines des miens estanduz mortz autour de moy;
mais la fortune qui de long temps m'est si cruelle, et
à grand tort grand'ennemie de mon nom pour me
conserver la vie à mon très grand regret, et pour
servir d'espectacle d'une moquerie et dérision, n'a
pas voulu que je mourusse d'une mort honnorable.
Pour le moins en cela auray-je occasion de me con-
soller en moy-mesme que, me souvenant et mettant
devant mes yeux souvant ma grand' perte, que d'au-
jourd'huy en avant je ne craindray aucune injure ny
force de la fortune, j)arce que m'ayant esté toujours
très cruelle et furieuse , ny jamais assez souUe ha-
bondamment de tant désadvantures qu'elle m'a donné,
elle aura finallement payé le reste de son hayne en
ceste publique plaincte et deuil de toute la France et
dernière perte mienne par le cas et advènement
d'une si grande désadvanture. »
Voylà certes de belles parolles, et brave résolution
d'un si magnanime roy à ne se soucier plus de la
1. Voyez le ch. viii du liv. VI de Vallès, f* 175 : De lo que
dixo el re de Francia al marques de Guasto. — Nous en avons
donné le texte au tome III, Appendice^ p. 442.
2. Asprezze^ âpreté. C'est le mot espagnol (aspereza) que Bran-
tôme a francisé.
ESPAIGNOLLES. 71
fortune, puisqu'cU'avoit achevé de vomir son venin
sur luy *en ceste si grande perte et déconvenue. Telles
paroUes toucharent si fort au cœur des soldatz qui
estoient à l'entour, qu'ilz se mirent tous à plorer
et admirer ce grand roy. Cela se tient et se dit par-
my les Espaignolz.
J'ay * traduict en françois ces mots précédens espai-
gnolz, et non poinct les autres ; car il faut croire que
le roy les prononça tous en françois, et les Espai-
gnols l'allarent traduire en leur langue.
Sur quoy j'ay pris ce subject de faire ce discours,
pour noter que, bien que ce grand roi parlast force
langues, comme la latine, l'espaignolle et l'italienne,
il voulait toujours porter tant d'honnem* à la sienne,
qu'il la préféroit à toute autre et ne vouloit laisser
en arrière, pour faire marcher devant l'estrangère.
Aussy, ainsy que j'ay ouy dire à feu M. de Lansac, le
bon homme, qu'il est bien tousjours meilleur, plus
séant et plus grave, quand un roy parle de grandes
choses devant les estrangers, et mesmes ses compai-
gnons, roys et princes, faut qu'il parle son vrai lan-
gage, sans s'abaisser et se contraindre jusques-là de
parler celuy de son compaignon, et contenter ses
oreilles comme s'il luy vouloit servir de truchement.
L'empereur en monstra un très bel exemple en
cela, lorsqu'il fut à Rome, et parla devant le pape,
les cardinaux, les ambassadeurs, et qu'il brava tant,
par trop enorgueily de sa victoire de Tliunis et de la
Collette. Il Y eut les deux ambassadeurs de nostre
i . Les huit alinéas suivants jusqu'à Quand le roy Henry IP^
p, 76, manquent dans le manuscrit.
72 RODOMONTADES
roy, l'un vers Sa Saincteté, l'autre vers Sa Césarée
Majesté, qui luy remonstrarent de ne parler poinct
espaignol_, mais autre langue plus intelligible. Il res-
pondit à M. l'ëvesque de Màcon ', comme au princi-
pal, à cause du rang qu'il tenoit vers Sa Saincteté, et
marchoit devant M. de Velly, qui estoit près Sa Ma-
jesté, et ce avecques un certain dédain : Seiîor obispo,
entiendame si quiere ; j no espère de mi otras pala-
bras que de mi lengua espaiiola^ la quai es tan noble,
que merece ier sabida j enlendida de toda la gente
christiana *.
Il y eut bien là de la natreté à l'empereur; car, s'il
eust voulu, il eust fort bien parlé François ou italien
au pays et au lieu où il estoit, voir allemand et fla-
mand, son pays natal, s'il eust fallu; et il les eust
bien rendus à quia, car il sçavoit toutes ces langues;
mais il ne voulut parler que l'autre, possible pour
faire despit à ces messieurs les ambassadeurs et à au-
cuns cardinaux françois et autres partisans du roy;
ou bien le fit-il par un desdain et bravade et osten-
tation, pour honorer mieux sa langue et aussi (ainsy
que j'ay dict) que ceste langue est fort bravasclie et
fort propre pour menaces. Ce monsieur l'ambassa-
deur eut tort en cela; car il le devoit laisser parler,
et l'escouter et l'entendre bien, et puis le payer de
mesme monnoye, et luy faire sa response en françois,
1, Charles Hemard de Denonville. — Voyez P. Jove ,
liv. XXXV.
2. Monsieur l'évêque, comprenez-moi si vous voulez, mais n'at-
tendez point de moi d'autres paroles qu'en ma langue espagnole,
qui est si noble, qu'elle méx'ite d'être sue et comprise de toute
la chrétienté.
ESPAIGNOLLES. 73
sans descouvrir son asnerie; mais possible n'eust-il
peu entendre son discours ainsi espaignolisé. Ainsi
les fautes que luy et son compaignon lirent, et qui
cuydarenl porter préjudice à nostre roy, en font foy
de cela. J'en ay escrit assez dans le discours que je
fais de ce grand roy'.
Tant y a que ces ambassadeurs et autres qui tien-
nent leur place ont grand tort et grand'honte de
n'apprendre les langues pour s'en servir au besoing,
comme estoit celuy-là; et monstrent bien qu ilz sont
de grandz veau\ , qui ne sçavent et ne parlent que
leur langue de veau. Et ressemblent un certain éves-
que de France, qui alla au concile dernier de Trente
sans argent et sans latin, et retourna de mesmes.
Quel embarquement sans biscuit, et quel retour
aussi ! Que diable peuvent faire ces gens qui n'ont
nul exercice plus honorable pour eux que d'es-
tudier, et ne sçavoir que leur langue; car, quant à
la latine, le temps passé n'en sa voient guères; les
autres qui crachoient quelque latin, c'estoit quelque
latin de brevière^, mal raffiné et tamisé. D'autres
l'ont peu bien parler, mais c'estoient des oyseaux
rares, ainsi que fit M. le cardinal de Bellay, quand
il harangua le pape Clément, au lieu de Poyet, qui
fit le sot, et perdoit l'honneur de la patrie sans ce
grand cardinal, qui rabilla tout. Pour le temps d'au-
jourd'hui, nos prélats se sont ravisez, qui comman-
cent à tirer des armes et à desgainer le latin. Dieu
mercv les huguenots, qui leur ont tant faict la guerre
qu'ilz les ont aguerris et de mesmes armes qu'ilz les
i. Voyez t. III, p. 99 et suiv. — 2. £revière, bréviaire.
74 RODOMONTADES
avoient battus d'autrefois, maintenant les battent;
dont c'est bien employé. Que diroit-on d'un certain
ambassadeur françois que j'ay cogneu? Luy, ayant
demeuré six ans en Espaigne, en retourna en par-
lant aussi mal la langue comme si jamais il n'y eust
esté; et disoit-on qu'il ressemble it le perroquet de
Madame de Brienne, qui avoit demeuré vingt ans en
cage, et n'avoit jamais peu apprendre à parler un
seul mot ; proverbe ancien du temps des roys Fran-
çois et Henry, nos grands roys, et qu'on practiquoit
à la cour envers ceux qui n'avoient rien appris ny
rien sceu dire.
Or pour reprendre encore mon discours, M. de
Lansac disoit qu'il est très nécessaire qu'un ambas-
sadeur entende et parle le plus de langues qu'il peut,
pour s'en servir à la nécessité aux lieux où il sera, et
mesme pour l'espaignolle, latine, françoise et ita-
lienne ; car pour les autres elles sont difficilles, et
pour ce ilz en sont excusables ; mais pour ces quatre,
ilz en doivent estre taxez et blasmez s'ilz ne les sça-
vent, non pas pour les practiquer ordinairement et
en faire litière, comme on dict, mais pour quelques
fois, pour la nécessité, pour la gentillesse, pour
l'honneur, pour la gloire, voire pour quelque osten-
tation, et pour dire que l'on en sçait d'autant.
Et plus en doivent faire nos grandz roys et princes,
qui doivent toujours honorer leurs langues; et, quant ^
aux estrangères, il les faut réserver pour manière de
devis, de causeries, de motz à propos, de gaudisse-
ries, bravades et gentillesses, afin que d'autant plus
ilz se rendent admirables de sçavoir plus que leur
langue naturelle, ainsi que faisoit ce grand roy Fran-
ESPAIGNOLLES. 75
cois, qui, aux gmiidz allaircs, ne se defl'erroiL jamais
de son beau parler franoois, et n'en parla autre de-
vant le pape Clément, le pape Paul, à Marseille et à
Nice, et avecques l'empereur Charles passant en
France. La reyne de Navarre sa sœur, si sça vante et
bien disante, bien qu'elle sceust parler bon espai-
gnol et bon italien, s'accommodoit toujours de son
parler naturel pour choses de conséquence; mais
quand il falloit en jetter quelques motz à la traverse
des joyeusetez et gallanteries, elle monstroit qu'elle
sçavoit plus que son pain quotidien. Nostre grand
roy Henry II parloit si bien espaignol qu'homme de
son royaume, pour avoir esté assez en aage dans
l'Espaigne et en ostage pour l'apprendre; mais il ne
parloit jamais que son François avecques les Espai-
gnolz, mesmes quand il y alloit d'affaires d'impor-
tance, mais pour dire le mot, et de faire une ren-
contre espaignolle, il la faisoit fort bien et de fort
bonne grâce. La reyne, sa femme et mère de nos
roy s, parloit encore fort peu son toscan avecques
ceux de sa nation pour grandz affaires, ainsi que le
roy son mary, portant en cela l'honneur qu'elle de-
voit au royaume où elle aA^oit pris sa grandeur et
bonne fortune. La reyne Marguerite sa fille, bien
qu'elle entende la langue italienne et espaignolle et
qu'elle les parle aussi disertement comme si elle
avoit esté née, nourrie et eslevée toute sa vie en
Italie et Espaigne, elle en use de pareille façon en de
grandes choses; mais pour alléguer de belles ren-
contres et gentilz passages et bien dire les motz, elle
n'en cède à aucune personne, aussi bien qu'en sa
langue françoise, tant elle a l'esprit grand et subtil.
76 RODOMONTADES
Nous autres petilz compaignons, si nous sçavons ces
langues, il est très-bon que nous les parlions et les
practiquions; mais il les faut sçavoir ])arraitement
pour ne nous faire moequer si nous y faillons : aussi
si nous nous en sçavons acquitter très-bien, nous
nous en rendrons bien plus aimez, honnorez et esti-
mez_, tant à l'endroict des plus petitz qu'à l'endroict
des grandz; ainsi que m'arriva une fois parlant au
roy d'Espaigne', qui fit plus d'estime de moy qu'il
n'eust fait quant il m'entendit parler sa langue, ainsi
quej'ay dict ailleurs : comme de vray, pour lors je
la parlois très bien, et s'en estonna, et m'en fit très
bonne chère. Il faut que je me vante de cela en passant.
Or, pour faire fin, j'allongerois volontiers ce dis-
cours (qui est très beau) si j'estois aussi capable et
aussi bien disant que ledict M. de Lansac, duquel
j'en tiens la plus grand' part : car il s'entendoit très
bien en telles matières pour avoir esté par diverses
fois, et pour le moins trente fois, en divers lieux et
ambassades durant sa vie. Je ne passe donc plus
avant, de peur de m'enrayer, et retourne à d'autres
rodomontades, bien marry d'avoir esté si long en ce
discours.
Quand le roy Henry IP assiégea la ville de Dinant*,
il la fit battre si furieusement que ceux de dedans,
n'attandant que l'assaut général et leur totalle ruyne,
ne se voulant trop opiniastrer, advisarent d'envoyer
i . Philippe II.
2. En 1554. — Nous ne savons en quels termes Romero "a i^a-
conté son histoire à notre auteur; mais ce que nous pouvons dire
c'est que le re'cit de Brantôme ne nous paraît être qu'une ampli-
fication de celui de de Thou (liv. XIIÏ).
ESPAIGNOLLES. 77
vers Sa Magesté le capitaine du chasteau et un capi-
taine de la ville pour parlamenter, ausquelz fut ac-
cordé que, rendant la place et y laissant l'artillerie,
s'en yroient vies et bagues sauves, avecquesl'espée et
la dague seuUement, laissant toutes les autres armes en
place. Cela estant sccu par JuUian Romero, qui avoit
lëans une compaignie d'Espaignolz naturelz, trouva
fort estrange et fascheux de sortir sans toutes ses
armes; et, pensant faire condescendre M. le connes-
table (qui capitulloit ') à plus honnorable party, le
vint trouver, et luy tint telz propos, braves et graves
certes : Monsur, si assi es que de toclas las artes no
aj nie j or juez que los mesmos officiâtes pues que no
aj sehor ny capitan que mejor hahia tratado y prati-
quado las armas como V. Excelencia. Yo espero tanto
en ella que las favorescera hoj de todo su poder^ ha-
zia nosotros soldados espaiioles^ recogiendonos y nos
tratando^ no corno vencidos, mas segun nuestra valor
j' virtud; la quai in quanto a mi toca, e querido con-
fidar en la suerte dudosa d'una pelea singular y de-
safio, algunos afios aj, a Fontainebleau^ adelante la
Magestad real del rey Francisco, mas presto que pa~
descer alguna deshonra y afrenta, j hazer cosa poco
degna de soldado j hombre honrado^ teniendo mas
querida mi honra que mi sangre y mi vida, laquai
slempre de buen animo he empleado en tantos mil la-
res de pelligros, passando f re passa ndo tantas tierras
y mares ^ y solo esto para ganar gloriay loor : en que
fortuna^ amiga de los bravos y valientes^ m'a tan
agradescido y favorescido^ que me puedo nombrar
1 . Qui capitulloit, qui faisait la capitulation.
78 RODOMONTADES
entre los que ganaroji algo /)or sus esfuerços y proes'
sas, por mi soberajw hien^ del quai me puedo alahar
y nventajar^ swndo las armas el cunibre de mi todo,
y el fuudo de mi nada ; de las quales desseo mas la
guardiay conservacion que de todas cosas; las quales
armas teniemlo perdldas^ quiero que la génie me
tenga en poca estima: y si lai es mi desdicha de nos
las quitar, queremos mas presto todos nosotros, conto
desesperados , que si nos faltan los remos, nos ayu-
dar de las celas y combatir hasla morir, y muestrar
por desesperacion que, mas presto queremos morir con
las armas en las manos, que saharnos sin ellas como
soldados vellacos. Por esso, Monseignor^ yo y mis
compagneros suplicamos su Sacra Magestad que nos
dexa yr y salgar con tal condicion y partido noble y
generoso^ y se contenta d^esla tierra, la quai tantos
grandes y principes faltaron de tomar otras vezes ; y
nos haziendo esta merced, justamente se podra llamar
el Rey auguslo y vencedor por tal ilustre Iratamien-
to hecho a valientes soldados vencidos^ no por falta de
coraçon y animo^ mas por mala sue rie. « Monsieur,
si ainsi est que de tous les artz, il n'y a meilleur juge
que les mesmes artisans et officiers et que puisqu'il
n'y a seigneur ny capitaine en toute l'Europe qui ait
mieux pratiqué les armes que vous, j'espère tant en
vous que vous les favoriserez beaucoup aujourd'huy
à l'endroit de. nous autres solda tz espaignolz, nous
accueillant et traictant non comme vaincuz, mais
selon nostre vertu et Aaleur; laquelle, quand à moi
touche', je Tay voulu, il y a quelques années, corn-
1 . Quand à moi touche, quant à ce qui me touche.
ESPAIGXOLLES. 79
mettre entre les mains de la fortune doubteuse d'un
camp-clos, à Fontainebleau, devant la Magesté royalle
qui nous donna le camp, oiiy, dis-je, la commettre
plustost que d'endurer aucune honte et affront, et faire
chose indigne de soldat et homme de bien, tenant
plus cher mon honneur que mon sang et ma vie,
laquelle d'un bon courage j'ay toujours employée en
tant de milions de périlz, passant et repassant tant
de terres et de mers, et rien de tout cela sinon pour
acquérir gloire et louange; en quoy la fortune, amie
des braves et vallians, m'a tant favorisé que je me puis
nombrer et mettre parmy ceux qui ont gaigné quel-
que chose par leur prouesse et valeur, et ce pour mon
bien souverain, duquel je me puis justement louer et
advantager, estant les armes le comble de mon tout
et le fonds de mon rien, desquelles j'en désire la
soigneuse garde plus que de toutes choses du monde;
que si je les avois perdues, je veux que le monde ne
face jamais aucune estime de moy, et si tell'est
nostre désadvanture que vous nous les vouliez oster,
nous aymons mieux trestous, comme désespérez, de
nous ayder de la voille si les rames nous faillent, et
combattre jusques au mourir et monstrer par un
désespoir que nous aymons mieux mourir avec les
armes en la main que nous sauver sans elles comme
soldatzde peu. Parquoy, monsieur, mes compaignons
et moy suplions Sa Magesté de nous laisser sortir
avec tel bonnes te party, et qu'elle se contante de
ceste place devant laquelle tant de princes et grands
se sont faillis d'autrefois; et luy nous faisant ceste
faveur, il se pourra justement dire auguste et vain-
cueur pour im si illustre traictementfaitàdessoldatz
80 RODOMONTADES
vaincuz, non par faute de courage, mais par malle
fortune. »
A ces parolles, par trop audacieuses pour un vaincu,
respondit M. le connestable, qui estoit de son natu-
rel fort impatiant d'un glorieux , et qui le sçavoit
gourmander et rabrouer très bien quand il l'entre-
prenoit, ainsi que je Tay veu souvant : « Capitaine,
« mon amy, je vous estimerois grandement si vostre
« force et pouvoir estoient correspondans à vostre
« courage, à vostre parolle et bon vouloir que vous
« me voulez tant faire parroistre. Mais je vois bien
K que vous ne cognoissez vostre fortune, ou bien
« que vous la dissimuliez : voulant, par advanture,
« faire nouveaux droitz en guerre, que le vaincu
« donne loy au vaincueur, et, par advanture, vous
« vouloir réserver un si grand advantage, que de
« vouloir emporter les armes, non seullement sur
« moy qui sçays assez ce qu'elles vallent , mais sur
« un roy jeune, courageux et présent en ce siège ,
« qui ne voudroit céder, non à vous (avec lequel le
(f parangon n'est nullement semblable, non plus que
« du ciel au plus bas de la terre), mais au plus grand
(( prince du monde. Et semble que vostre demande
« est fort contraire à vous-mesmes en ce que faites
« nostre roy si grand (comme certes il est assez
c cogneu tel partout, sans que le disiez) : et néan-
« moins vous prétendez d'emporter sur luy et avoir
« l'hoimeur de ce qu'il pourchasse le plus en ce
<( monde, comme voulant dire que, quelque grand
(( prince qu'il soit, vous n'entendez estre inférieur à
« luy en la conservation des armes et en réputation
« d'honneur. Vrayement, beau sire, je l'aymerois de
ESPAIGNOLLES. 81
(( vous et seroit bon que le preneur fust pris et le
'( victorieux fust vaincu; et que celluy qui fait trem-
« hier terres et mers, cédast en réputation des armes
(f à un tel oyseau que vous. Or, sçavez-vous qu'il y
« a? La grâce que l'on peut faire aux: malheureux,
« c'est de leur déclairer promplemenl leur malheur;
u parquoy la mieilleure nouvelle que je vous puisse
« faire sçavoir, est que si vous n'aceptez sur le
« champ la composition que je vous ay proposée,
« vous vous retirez soudain; car, avant qu'il soit
« quatr' heures, je vous auray pris d'assaut, et ne
« vous donneray loysir de changer d'advis : et vous
« assurez que, si vous eschapez de l'espée, la corde
« ne vous faudra, pour vous aprendre à vouloir ca-
« pituler avec celluy qui tient vostre vie et vostre
ce mort en ses mains. »
Voylà la responce de M. le connestable, et digne
d'un tel capitaine, et qui se peut dire à beau jeu beau
retour; dont le capitaine espaignol demeura si es-
tonné, que, rongeant le frain de son cœur, demanda
encor, par un' importunité, au moins que luy dou-
ziesme sortist avecques ses armes. Cependant M. le
connestable, par une grand' ruse de guerre,' fait
advertir les autres Espaignolz que Romero ne play-
doit plus pour eux, que pour hiy seullement et une
douzaine d'autres à son choix, laissant les autres en
croupe à la mercy de l'espée. Ce qu'entendant le
reste des autres Espaignolz , soudain s'acordèrent à
la mesme capitulation que les Allemans et Flamans,
et sortirent tous ensemble; dont Romero cuyda se
désespérer, qui demeura prisonnier parmy nous.
Je tiens ceste histoire de nos François qui y es-
vu — 6
8? RODOMONTADES
toient présens, et dadit Julien Romero mesmes qui
me la conta mieux que je ne la dis; et ce fut lors
que nous allions à Malte, entrant dans le Far de
Messine. Nous vismes derrière nous quinze gallères
de Scieile venir d'un bon vent en poupe, avec le
bastard *, qui en un rien (encores que nous fussions
loing fort d'elles, et nous quasi touchans Messine)
eurent attainl nos paouvres pettites frégattes, mon-
tans à douze ou treize, car nous n'eusmes pas plus
tost pris port et terre, qu'eux quasi aussitost firent
de mesmes. Cesdites gallères venoient de la GoUette
pour y porter vivres, munitions et soldafz, craignans
la venue du Grand-Seigneur, qui la menassoit ou
Malte. Parmy ces lionnestes Espaignolz qui estoient
dans ces gallères, se trouva ledit Julien Romero, qui,
s'estant enquis, et trouvant que nous estions Fran-
çois, nous vint, comme très-courtois cavailler, saluer
et accoster le long dudit port, et arraisonnant main-
tenant avec messieurs d'Estrosse et de Brissac, ores
avecques autres, cependant que nous avions envoyé
à la ville chercher logis, et nous promenans le long
de ceste belle place du port, auprès de ceste belle
fontaine, et maintenant avecques l'un et l'autre. Il
fut fort aise de parler à moy, d'autant que de tous
nous autres gentilzhommes qui estions là , il n'y
avoit nul qui parlast espaignol que moy ; car il n'y
avoit qu'un an que je ne faisois que venir d'Espaigne,
et le parlois fort friandement; dont, entre autres
propos que me tint ce seigneur Julian, fut qu'il me
demanda des nouvelles de France, et de M. le con
1 . On appelait bâtarde la plus grande des voiles d'^ine galère.
ESPAIGNOLLES. 83
nestable, et comment il se portoit sur son viel aage;
et liiy en ayant dit de bonnes, il monstra qu'il en
estoit fort joyeux, ce me disl-il, et puis me continua
de dire ses louanges, et comme une fois il luy avoit
faict aussi belle peur qu'il eust eu jamais en sa Vie :
et me fit ce discours précédant, avec plus belles pa-
roUes du monde; si bien que je ne vis jamais mieux
dire, car il estoit très-éloquant, à la soldade*.
Outre plus, me dist qu'il craignoit fort ceste fois
que M. le connestable ou le roy luy fissent très-
mauvais party de la vie; d'autant qu'ilz le menassa-
rent, et luy reprocbarent qu'après avoir receu du
roy François tant d'bonneur en sa court, sur l'otroy *
du camp-clos qu'il luy avoit donné *, sans recog-
noistre un tel bienfait, s'en estoit allé, de son plein
vouloir, servir le roy d'Angleterre en la guerre de
Bouloigne, estant pour lors trefves entre l'empereur
et Sa Magesté Chrestienne. Mais il me dist en cela ses
raisons, que l'empereur estoit irrité contre luy, pour
avoir esleu le camp en France, à ce qu'il me dist.
Nonobstant cela, si fallit-il à courir fortune de la
vie ; car M. le connestable estoit sévère en ces
choses-là.
Le combat fut le commancement de réputation
dudit seigneur Jullien, encores que ce ne fust rien
qui vaille, à ce que j'ay ouy raconter à force gentilz-
hommes et autres qui vivent encores et servit plus
de risée et mocquerie que d'autres choses; si bien
que de despit le roy en jetta de bonn' heure le
1. Â la soldade, à la soldat. — 2. Octroj, octroi.
3. Voyez le Discours sur les duels, t. III, p. 261-26"?.
84 RODOMONTADES
baston. Car, en lieu de eombattre valleureusement à
outrance, la partie de Julien, encor que la fortune
luy fust au commancement assez bonne, et meilleure
que de Juillien , commança à crier par trois fois :
No te quiero, segnor Julliano; et de là vint le proverbe
qui a longtemps couru à la court et en France : No
te quiero, segnor Julliano, « je ne vous chercha
point, seigneur JuUian, » qui se disoit quand quel-
qu'un fuyoit la luitte. Toutesfois il y alla un petit
plus de l'honneur' dudit Jullian que de l'autre, et en
a fait despuis toute sa vie grand triumphe, qui luy
a aydé, avec d'autres belles advantures qu'il a
couru pour son empereur et son roy, aux guerres,
pour le service desquelz enfin est mort honnorable-
ment en ses guerres de Flandres.
Avant que finir je diray ce mot : que tous gallans
hommes, cavalliers et capitaines, me semblent qu'ilz
doib vent fort peser ceste responce susdicte de M. le
connestable ; car il n'y a mot qui ne porte sa sen-
tence et advis très nécessaire pour eux, et mesmes
pour la brave tté qu'il usa à son brave. Sur quoy je
fairay ce pettit conte que, lorsque nous allasmes à
Malte, partant de Messine avec nos frëgattes, nous
vinsmes coucher à une pettite ville entre Messine et
Sarragosse* qui se nomme Cataigne', là où l'on dit
que le premier fondement et parlement des vespres
scicilianes fut fait et jette. Arrivans là, ceux de la
ville tinrent leurs portes serrées, et firent difficulté
\. Le manuscrit 3273 (f 149) porte entre parenthèses ces
mots : Je dis du bon, qui ont été biffés.
2. Svracuse. — 3. Catane.
ESPAIGNOLLES. 8 S
de nous laisser entrer. Il y eut parmy nous un capi-
taine provançal qui^ se voulant faire de feste, parce-
qu'il jargonnoit un peu et assez mal l'espaignol, qui
alla se présenter à la porte et y demander entrée,
plus par bravetté que par courtoisie. Sur quoy il y
eut un soldat espaignol peu endurant, qui, s'advan-
çant, poussa assez discourtoisemeiit ledit capitaine,
pour s'oster de devant la porte; ledit capitaine luy
dist : Soldadu, que querejs hazer^ ? L'autçe bravasche
luy respond : Te tratar de hrcwo^ porque hazes del
hravo. Faya se : ap par lèse de aqut y accuerdase de
las visperas sicilianas. « Je vous veux traiter en
brave, puisque vous faites du brave; allez-vous-en
et ostez-vous d'icy, et vous vous souvenez des ves-
pres scicilianes. » IP y eut un honneste gentilhom-
me françois qui parloit fort bien espaignol, que je
ne nommeray point pour sa gloire', qui se mit à
parler le friand espaignol. Aussitost qu'il l'eut ouy,
il quitta tout, et vint à luy, et luy dit d'une grande
joie : Vota a Dios que tal hahlar me plaee'*, et dit à
l'autre : Aparlaos de aqul, barragojiw : no quiero
hahlar con vos ; jo hablo cou este ca\>allero muy gen-
til hnblador'^; et, venant à luy, l'embrassa à la mode
soldatesque; et causèrent fort ensemble de nostre
voyage en passégeant^, et puis allèrent souper en-
1 . Soldat, que voulez-vous faire ?
2. Ce qui suit jusqu'à la fin de l'alinéa manque dans le manuscrit.
3. C'était Brantôme. — 4. Ah Dieu ! qu'un tel parler me plaît!
b. Retirez-vous d'ici, baragouineur; je neveux point vous par-
ler. Je parle à ce cavalier si gentil parleur. (Le mot barragoyno
été forgé par Brantôme.)
6. En passégeant, en se promenant; de Vitulien passeggiare.
8G RODOMONTADES
semble, que le gentil cavallier françois luy donna; et
l'auti'e l'accepta galantement : car ilz ayment ces
gens-là à faire aussi bonne chère que nous, mais que
ce ne soit à leurs despens; car autrement ilz se lais-
sent mourir de faim. Ce fut à mon homme à se re-
tirer, car il y eust eu de la rumeur. Toutcsfois cela
se passa. Comme il y a toujours et d'uns et d'au-
tres, et les uns courtois et les autres arrogans, on
nous laissa entrer courtoisement, et vivre et coucher
pour nostre argent.
Si faut-il que je fasse à ce propos un plaisant conte,
qui m'arriva une fois à Paris, au commancement des
premières guerres. Ainsi que le camp s'estoit ache-
miné à Estampes pour se dresser, moy ayant envoyé
tout mon train devant, et demeuré à Paris pour
quelques affaires qui me restoient, ou possible pour
l'amour, je dirois mieux, je prins la poste pour aller
joindre l'armée audict Estampes. Je n'avois qu'un
homme des miens, moy avec mon postillon. Estant
entre les deux portes de Sa inct- Jacques, voycy venir
la garde, qui estoit grosse et grande, et qui se faisoit
fort estroictement en ce temps , et entre autres un
grand homme, marchant du quartier de Saint-Jac-
ques, qui portoit une grand' hallebarde' et une cuy-
rasse, qui arreste fort rudement mon postillon, et
prend la bride de son cheval. Je m'advance, et crie :
« Mort-Dieu ! l'homme à la grand'barbe, que vou-
« lez-vous faire ? >» Il vint à moy aussitost, et me pré-
santantla poincte de l'hallebarde, il me dist : « Mort-
ff Dieu! l'homme sans barbe, je veux vous arrester. Où
1 . Les anciennes éditions ajoutent : avec une grande barbe.
ESPAIGNOLLES. 87
« est voslre passeport? Ne sçavous pas l'ordonnance
« qui a été faite, de ne sortir sans passeport du pré-
« vost des marchans? » Tout à coup je me vis en-
tourné de cent poincles d'espées, de picques et
d'liallel)ardes. Ce fut donc à moy à monstrer mon
passeport (car je l'avois), et luy dire qu'il le devoit
demander plus honnestement et doucement, et que
je n'estois bastant pour faire teste à un corps-de-
garde si remply. Toutesfois après belles excuses, nous
fusmes amis comme devant; et, estant arrivé, j'en
fis le conte à feu M. de Guyse, qui le trouva bon,
tant de la demande que de la responce, et en rit
bien, ensemble plusieurs de l'armée ausqueiz j'en fis
mesmes part; car, comme me dist M. de Guyse :
« Un brave a bravé un brave; et quictes de là tous
deux. »
Quand le duc d'Albe passa en Flandres contre les
guerres civilles des Gueux ^, il ne se voulut servir
d'autre infanterie que de l'espaignolle , et n'y en
mena d'autre. Mais qu'ell'estoit-elle? L'une des plus
belles qui jamais fut mise en campaigne; car il en fit
choix parmy tous les terzes de Lombardie, Naples,
de ScicUle^, de Sardaigne; si bien que, de ce beau
choix il en fit un corps très beau et bien fourny, jus-
ques à neuf ou dix mille, n'y ayant rien à dire, soit
en belles armes, soit en parades d'abilliemens, soit
en bonté et vertu d'hommes, soit en leur entretien
de vivres et de payes, jusques à leurs courtizanes.
qui en parures parreissoient princesses. Bref rien n'y
i. En 1367.
2. Le manuscrit porte par erreur : Séville.
88 RODOMONTADES
manqua. Et, comme par où ilz passoient près de la
frontière de France, vers la Lorraine, les chemins
estoicnt rompus de gens quasi (par manière de dire)
pour les voir, on leur demanda pourquoy le duc
n'avoit avecque luy pris d'autre infanterie italienne
ou ludesque. Aucuns respondoient : Porque conoce
bien que cou suigular vlrlud y çalor de ilosoIvos Es-
pagnoles, ha de alcançar en esta guerra el clarissi-
nio nombre de Gran Capitan^ mas que ningun otro
que nunca fue. « Parce qu'il cognoit et juge bien
qu'avec la singidière vertu et valleur de nous autres
Espaignolz, il doib attaindre en ceste guerre le nom
illustre d'un grand capitaine plus qu'aucun qui ait
jamais esté. » Comme de vray, par leurs seuUes ar-
mes, il a fait trembler tout ce païs-là, et remis en son
premier devoir.
J'entretenois une fois, dans le chasteau de Milan,
un vieux soldat espaignol, morte-paye de léans, qui
avoit toute sa vie consommé aux guerres de l'empe-
reur Charles, et me racontoit qu'il n'aymoit rien
tant que les soldatz espaignolz, porque como buenos
oficiales y labradores , havian texido con sus manos
propias la corona de laurel que llevava al derredor
de la cabeca, no temiendo dar fin a sus vidas, para
hazer bwir la fama del y dellos. rr Parce que, comme
bons maistres et artizans, ilz avoient de leurs mains
propres tissu la couronne de lauriers qu'il portoit à
l'entour de sa teste, ne craignant donner fin à leur
vie pour faire vivre sa renommée et de luy et d'eux. »
Un simple soldat espaignol, pour avoir esté trouvé
en quelque larcin, fut condampné d'avoir un'oreille
coupée; à quoi s'escria, en disant : Una oreja, pesea
I
ESPAIGNOLLES. 89
tal ! Mas querria fo /norir, que suffrir tal afrenta.
En tanto dixo el capitan : a Concedase esta gracia a
este soldado tan desseoso de la honra. » « Comment,
« une oreille coupée! j'ayme bien mieux: mourir que
« d'endurer un tel affront. » A quoy son capitaine res-
pondit : « Eh ! bien donc que l'on fasse cette grâce à
« ce soldat tant ambitieux d'honneur. » Et ayma
mieux passer par les armes et mourir que d'avoir
l'oreille coupée.
J'aymerois autant d'un soldat gascon, lequel estant
sur l'esclielle près de la mort, il y eut une femme
qui le vint requérir pour mary, ainsi que le temps
passé se faisoit*. Luy, la voyant boiteuse, laide et fort
contrefaite, et marcher fort incommodément, il dist :
« Que fairai-je de cela? Je n'aurois que desplaisir et
«incommodité. « Pinge^ pinge, dist-il au bourreau,
qui est autant à dire en gascon, pends ^ pends, ce
qu'il fit; et le gallant ayma mieux estre pendu que
de s'assubjettir à une si laide beste. Celluy-là es-
loit fort curieux de son ayse, et ennemy de la lay-
deur.
Aux premières guerres civilles, lorsqu'il fallut as-
saillir les fauxbourgs et portereaux d'Orléans, feu
M. de Guyse commanda aux François donner d'un
costé, et aux Espaignolz de l'autre. A la teste du ré-
giment des Espaignolz se trouva un jeune soldat qui,
par dessus tous, se faisoit si bien parestre en ses ar-
mes et son harquebuz et son fourniment fort beau,
et ti'ès-leste en grâce, en façon et en habilhemens,
car il avoit un pourpoinct de satin jaune, tout cou-
1 . Les éditions ajoutent : Suivant t ancienne loy des Goths.
00 RODOMONTADES
vert de passement d'argent, et les chausses à bandes
de mesmes, avec un cliapeau de tafletas [noir]^ tout
couvert de plumes jaunes, si bien qu'il le faisoit très-
beau voir, car avec cela il estoit beau et agréable de
visage, et d'une jollie, gentille et maigrelline^ taille;
enfin il paressoit tel que feu M. de Guyse demanda
à don CaravajaP, qui leur commandoit, qui estoit ce
jeune homme, car, à sa contenance, il monstroit
estre de lieu et de courage. Caravajal lui respondit
qu'il estoit de la maison de Mandozze, de laquelle
sont sortis de grands personnages en tout : et, sur
ce, il le présenta à M. de Guyse pour luy faire la ré-
vérance. Ainsi que mondit sieur de Guyse le receut
fort courtoisement, et Caravajal luy dist la bonne
opinion qu'avoit M. de Guyse de luy, et comment
il luy avoit demandé son nom. En faisant la révé-
rance à M. de Guyse et luy en rendant humbles
grâces, alors ce jeune respondit : Monsegnor , oy
o morire con honi^a , o mudare mi color atnarillo
en Colorado, por nlgiuia sangrienta j noble herida;
o hare algiin illustre segnal de mi nombre, por la
merced y favor de mi gênerai que lo ha pedido.
« Monsieur, je mourray aujourd'huy avec honneur
ou je changeray ma coulleur jaune en rouge par
quelque blessure sanglante et noble, ou je fairay et
donray quelque marque illustre de mon nom en ré-
compance de la grâce et faveur de mon général qui
le demande. » Ainsi qu'il le dist et promit, ainsi il le
tint : car d'abordade, et s'avançant des plus avantz,
1. Maigrelin, maigrelet, mince.
2. Le manuscrit porte : CaravanjaL
ESPAIGXOLLES. 9i
il receut une grande harquebuzade au corps, du costé
gauche, dont pourtant il ne mourut; et M. de Guyse
le fit penser fort songneusement, et deux jours après
le fit mettre sur l'eau dans un batteau, et le conduire
à lilois avec d'autres blessez; et vis comme M. de
Guvse le recommanda à la reyne par Jehan-Baptiste,
qu'on nommoit le compère, qu'il envoyoit vers elle.
Je vis tout cela, car j'y estois.
Certes, ce jeune gentilhomme espaignol accomplit
mieux sa parolle que ne fit une fois un grand sei-
gneur estranger , que je ne nommeray point pour sa
quallité, qu'il faut révérer'; lequel, s'estant retiré
vers le roy Henry pour avoir receu une par trop
grande injure de l'empereur Charles, qui luy avoit
fait massacrer son père, aussi qu'un sien frère estoit
mort dans un siège pour le service du roy; quelque
temps après, ainsi que le roy Henry marchoit pour
livrer bataille à l'empereur devant Vallencianes, le
jour avant, lorsque l'armée marchoit en belle or-
donnance de guerre, et que ce jour on tint l'empe-
reur plus près qu'il n'estoit, ledit seigneur, armé de
toutes pièces, monté sur un beau coursier, grand et
fort, se vint présenter au roy, et ayant tiré son
espée, dist au roy : Sire, oggi con questa spada io
voglio K'emlicar la morte ciel padre e del fratello. « Au-
jourd'huy avec ceste espée je veux vanger la mort
1 . Ce grand seigneur étranger doit être Ferdinand de Saint-
Severin, prince de Salerne , qui en 1532 vint trouver Henri II
à Damvilliers, et, quatre jours après, retourna à Naples. (Voyez
de Thou, liv. X.) En ce cas Brantôme se tromperait de date et
de localité; car la campagne de Valenciennes n'eut lieu que l'an-
née suivante, en 1553.
92 RODOMONTADES
(le mon père et de mon frère. » Et, voyant que le
roy aplaudissoit à ses beaux motz, plus encouragé,
vint à pousser son cheval en advant^ pour luy faire
quelques passades. Mais le cheval estant un peu rude
et gaillard, et trouvant son homme soubz soy un
peu de légère tenue, s'advisa de s'en deffaire et le
porter par terre, en luy faisant faire la conversion de
sainct Paoul. Ce fut audit seigneur à crier : Ahi me !
yo son rnezzo mcrto \ et toute la jeunesse qui estoit
près du roy Henry à rire leur saoul, et à faire relie ver
ledit seigneur. Le lendemain, qui estoit le jour qu'on
pensoit assurément de venir aux mains, puisqu'on
y avoit failly le jour précédent, et que les deux ar-
mées ne s'en pouvoient desdire, ledit seigneur voyant
que c'estoit à bon escient qu'il y falloit faire, com-
mança à crier : Corne l Non s'è nissunu fiuniara^ nis-
siuio basque, nissuno monte tra noi et loro. Questo
non è buono. « Comment! n'y a-il point entre nous
et eux aucune rivière ou ruysseau, nul bois, nulle
montagne? Cella n'est pas bon. »
Assurez-vous qu'il désiroit bien quelque obstacle,
ou de montaigne ou de maretz, ou d'un bois, ou
d'une rivière, ou ruysseau, pour se garder de joindre
de près; mais il n'y avoit lieu. Que si l'empereur eust
voulu mordre, le champ de Mars ne fut jamais si
beau; mais il fuist le choc par de bons retranche-
mens qu'il avoit fait auprès de la ville de Vallen-
ciannes; si bien que pour le coup la partie ne fut
jouée en gros, sinon par légières escarmousches : ce
qui fut un grand contentement audit seigneur qui
\ . Hélas ! je suis à moitié moi't.
I
espaig\oltj:s. 93
paravant avolt menacé et crié vengeance, car il ne
vouloit venir aux mains nullement, sinon de parol-
les bravasches, dont ils'ayda encores pis que devant.
Je tiens ce conte de M. d'Uzais, qui le faisoit le plus
plaisamment qu'il estoit possible. Au bout de quel-
ques trois ans ledit seigneur et son frère, et toute sa
maison-, se retirarent du party du roy; et^ sans au-
cun respect d'injure receue, espousarent et prindrent
celluy de l'empereur.
Le jour de la bataille de Cerizolles, ainsi que le
marquis del Gouast recognoissoit nostre armée qui
marchoit à luy, il vint dire aux gens de pied espai-
gnolz : Ea, soldados; aqui esian, a mi parecer, /os
Gasgones^ vuestros vezinos , j- quasi hermanos : a
rl/os ! Que si son venc/dos, somos vencedores nylmas
ny luenos qiinndo un cuerpo esta derribado y caydo
en tierra^ todos los otros miembros quedan sin fuerça
y valor. « Soldatz, voylà, à mon advis, les Gascons
vos voysins et quasi frères. Il faut aller à eux, car
s'ilz sont vaincuz, nous sommes vainqueurs, ny plus
ny moins que quand un grand corps est abatu et
tumbé en terre, tous ses autres membres demeurent
sans force et valleur. » Vovlà une grand* louange
pour les Gascons, mettant toute la force de l'armée
ce jouv-là en eux comme en estant le vray corps, et
que quasi un corps ayant esté deffait et abattu, toutes
les autres forces n'avoient qu'à tenir. Je tiens ce conte
de M. de Grille, brave et gallant gentilhomme provan-
çal, qui, pour sa valleur, fut despuis fait du roy senes-
chal de Beaucayre , et qui estoit capitaine en chef
d'une compaignée de gens de pied en ceste bataille,
et qui parloit bon espaignol; car, ayant esté pris dans
94 RODOMONTADES
Thérouanne, avoit demeuré trois ans prisonnier par-
my eux.
Estant à la court d'Espaigne, au retour de la con-
queste de Belys, force gallans hommes, gentilzhom-
~ mes_, capitaines, et autres Espaignolz qui y avoient
estez, estans venus à ladite court pour faire la ré-
vérance au roy, et se faire remarquer et recognoistre
pour leur voyage, je vis passer, estant dans une
boutique d'un marchant , un jeune gentilhomme
bizarre et fort bigarré en ses habilhemens, et force
plumes en son bonnet de diverses coulleurs, monté
sur un cheval d'Hespaigne , beau, avec une housse
de vellours, rellevant ses moustaches à chasque pas
de son cheval; enfin, faisant bien la piaffe, vray
piaffeur, homme de main point autrement. Je vins
demander à un capitaine qui estoit dans la boutique,
marchandant avec moy, qui pouvoit estre celluy-là
qui faisoit si bonne mine. Il me respondit seulle-
ment : Es aquel que tomo el Peiîon de Belljs, y nunca
fiie. DexacUo ir, seiior^ y volar a iodos los diables ^
con sus plumas, que tan mal haze del bravo. « C'est
celluy qui print le Pignon du Bellys et n'y fut jamais.
Laissez-le aller et voiler à tous les diables avecques
ses plumes_, que tant fait-il du brave mal à propos. »
J'aymerois autant d'un gentilhomme tollédan, le-
quel menaçoit tous les jours, qu'il s'en alloit faire un
voyage aux Indes, et jamais ne partoit. Un jour, il
parut avecques un chapeau tout couvert de plumes,
dont il y en eut un qui rencontra ainsi sur luy : ISo es
posible que no saïga agora este çirote, pues qu'esta
tan bien emplumado. « Il n'est pas possible que ce
vireton ne parte, puisau'il est si bien emplumé ; >j
ESPAIGNOLLES. 95
faisant allusion sur un vireton, ou Irait d'arhaleste,
qui part et descoche mieux quand il est bien em-
penné.
G'estoit lors un grand cas que ceste conqueste de
Bellys et de son Pignon, qui estoit une haute roche oii
il y avoit une forteresse fort mal aisée à monter et à
battre : et dedans y pouvoit avoir, quelques soixante
Turcs naturelz; mais ilz s'effroyarent et s'en allarent,
n'ayant tenu que trois à quatre jours. L'armée qui
estoit devant estoit très belle, de plus de dix mil
hommes, et de soixante-dix gallères, où comman-
doit don Garcie de Tollède, vice-roy de Scicille, car
je la vis et y estois.
J'ay oiiy raconter en Espaigne, à de vieux capi-
taines et soldatz espaignolz, que Gonsalle Pisarre \
s'estantesmeu et rebellé contre l'empereur Charles, luy
fit de grandes guerres civilles aux Indes, ausquelles
ne fut vaincu jamais, quelque bataille qu'il ait donné
ny rencontré, sinon à la dernière qu'il donna, en
ayant combatu jusques à l'extrémité luy et ses gens,
no como leones , mas como verdaderos EspaTwles .
« Non comme lions, mais comme vrais Espaignolz; m
voulant par là inférer qu'ilz estoient plus braves et
hardis que lions. Et luy ne pouvant plus, et ses gens
tous deffaitz, il demanda à un de ses compaignons
et capitaines qui s'apelloit Jehan d'Acosta : a Que fai-
1 . Gonzalo Pizarre était frère de François Pizarre, le conquérant
du Pérou. Le 9 avril 1548, il fut défait et pris à cinq lieues de
Cuzco, dans la plaine de Xaquixaguana par Pedro de la Gasca ,
conseiller de l'inquisition, envoyé au Pérou par Charles-Quint
pour rétablii' l'autorité royale. Le lendemain même il fut dé-
capité.
96 RODOMONTADES
a rons-noiis, nous autres qui sommes restez seulz? —
« Allons-nous-en^ respondit Acosta, vers la Gasca, »
qui estoit un capitaine de leur, contraire party. « Al-
« lons-v donc^ dist Pizarre. » Vamos a morir, como
biieuos f verdaderos cJiristianos. )> « Allons mourir
comme vrais et bons chrestiens, » pensant estre un
acte de bonchrestien, ce dit le conte, d'aymer mieux
se rendre à son ennemy que fuir; aussi dit-on que
jamais ses ennemis ne veirent ses espaulles. Et,
voyant auprès de soy Yillavicencio, il luy demanda
qu'il estoit. L'autre luy respondit qiiera serge nto
major del cainpo impérial^. — Y yo, soy Gonk,alle
Pizaro, respondit-il, el desdichado. a Et moy Gon-
zalle Pizarro le deffortuné, » et luy donna son espée.
Il marchoit en brave cavallier, et en contenance
royale. Il estoit monté sur un beau et puissant che-
val, qui ce jour l'a voit fait ferrer de treize clous de
chasque pied, afin qu'il ne luy manquast au besoing,
armé d'une jacque de maille, et une cuyrasse fort
riche, et par dessus une cazaque de vellours, et en
sa teste bourguignotte toute d'or, qui estoit un œuvre
non moins beau que riche. Ce sergent-major fut fort
ayse d'avoir fait butin d'un tel prisonnier, et incon-
tinant le mena devant de Gasça, qui estoit celluy qui
commandoit, qui luy demanda soudain s'il estoit
beau d'avoir esmeu et bandé tout ce royaume contre
l'empereur son souverain et maistre. Pizarre respon-
dit : Yo y mis hermanos, hariendo conquistado estas
tierras y paezes a nueslras cuestas, trabajos^ gastos
y sangre, no havemos pensndo pecar contra la Sacra
{. Qu'il était sergent-major du camp impérial.
ESPAIGNOLLES. 97
Maestdd, gardnndolas , y regiendo , y gobernando ,
como légitimas sehores y conquistadores, u Moy et
mes frères, ayant conquis ceste terre et le pais à nos
propres coustz et despans, avec nostre travail et nos-
tre sang, n'avons jamais pensé faillir ny pécher con-
tre la Sacrée Magesté en les gardant et administrant
comme légitimes seigneurs et conquerrans. »
Alors Gasça dist qu'on l'oslast de devant liiy ; et y
eurent plusieurs soldatz qui eurent chascun plus de
cinq ou six mille pesantz d'or pour leur butin. Le
lendemain de sa prise, il fut sententié à miort, et à
estre décapité et mené sur une mulle les mains liées,
et ayant une cape sur les espaulles. 11 mourut en
bon clirestien, par signes, sans parler un seul mot,
retenant au reste avec soy un' autliorité encores
grande, grave façon et contenance sévère. Sa teste
fut portée en la ville des roys *, où elle fut mise sur
un pillier de marbre, enfermée d'un trellis de fer,
avec ce lillre ou escriteau : Aqui esta la caheça del
trahidor Gonzalle Pizarro^ el qiud dio la batalla en
la valle de Xaqusaguava contra la bandera y estan-
darte real del Imperador su segnor, al lunes 9 de abril
1548. « Ici est la teste du trahistre Gonzalle Pizarre,
qui donna la bataille en la vallée de Xaquisaguava,
contre l'estandart royal de l'empereur, son seigneur.
Ce lundy 9 apvril 1 548. »
Voylà la fin de Gonzalle Pizarre, qui ne fut jamais
vaincu en bataille qu'il aye donné, encor qu'il en
ait donné plusieui's. Diego Centeno paya au bourreau
ses habillemens, qui estoient fort riches, affin qu'il
1 . Lima appelée anciennement Ciudad de los reyes.
VII — 7-
93 RODOMONTADES
ne le despouillast point, le faisant enterrer avecqu'-
eux en la ville de Cusco, nonobstant qu'il eust esté
son grand ennemy capital. Acte beau, et certes di-
gne, disant que non era tratto de chrisliano, ny tan
poco de cavallero, injuriar y ojfender los muertos.
« Que ce n'estoit traict de chrestien ny de cavallier
injurier et offancer les mortz. » Il ^ se dict de plusieurs_,
et s'en voit qui ont fait ce traict à leurs ennemys,
dont Dieu les en pardonne.
Après la sentence de Pizarre, on la donna de mes-
mes à Francisque Caravajal_, l'un de ses complices et
capitaines, à estre pendu et mis en quatre quartiers,
et sa teste mise avec celle de Pizarre, dont il dist :
Harto es, pues que no puedo rnorir dos vezes. « C'est
assez; je ne puis mourir deux fois*, m
Un' soldat gascon, en Piedmont, ayant esté ainsy
condemné avoir la teste coupée, comme dict Rabe-
lais, il dict : Cah de diou^ lou cabl You donne lou
reste per un hardyt'*. Il dict bien un autre mot, mais
il estoit trop sallaud; et pour ce je le tays, bien
\ . Cette phrase et le commencement de la suivante manquent
dans le manuscrit.
2. Tout ce que Brantôme raconte de Gonzalo Pizarre et de
F. de Caravajal est tiré soit des Commentarios reaies de l'inca
Garcilasso de la Vega, deuxième partie, liv. II, ch. xxxvi et suiv.,
Cordoue, 1617, in-f°, p. 200 et suiv., soit de YHistoria del des-
cubrimiento y conquista del Peru, d'Augustin de Zarate, liv. VU,
chap. VII et vm.
3. Ce qui suit jusqu'à la ligne 10 de la p. 100 manque dans le
manuscrit.
4. Tête-Dieu! La tête ! Je donne le reste pour un hardi. — Le
hardi était une monnaie de billon frappée en Guyenne et qui va-
lait trois deniers.
J
ESPAIGNOLLES. 99
qu'il fust plaisant, et mesmes estant sur le poinct de
la mort.
Ainsi en diet de mesmes un pauvre Espaignol qu'on
condemna estre pendu : Harto es. Yo muerto, que
me llei^en a la carniceria\
Un autre, ayant esté condempné par le juge d'estre
pendu, il ne sceut que luy dire, sinon, d'un despit,
qu'il ressembloit bien à Pilate; mais le juge respon-
dit bien mieux : ^ lo menas ^ no liware mis manos,
para condenar un tan gran vellaco coma ços^.
Un autre dict aussy bien, estant condemné d'avoir
les deux oreilles coupées. Ainsy que le bourreau lui
eust haussé les cheveux pour les voir et les luy couper,
et ne les ayant point trouvées, le bourreau luy dict
en colère : Os hurlais asi de la génie? L'autre luy
respondit : Cuerpo de tal, esioy obligado a dar orejas
cada martes^? Pensez que c'estoit un mardy qu'on
les luy avoit coupées auparavant, et que pour cela il
n'en amanda ny n'en empira son marché.
Voylà comment ces marauds se gaudissent sur le
poinct de la mort. Ce ne sont pas eux seulement,
mais gens de plus grande estoffe et de plus saincte
vie qu'eux; ainsi qu'il advint à un fraj bernardine''
espaignol. Ainsy qu'il estoit sur les agonies de la mort,
et qu'un sien compaignon le vint consoller et re-
monstrer qu'il n'en mourroit point ce coup, et que
1. C'est assez. Moi mort, qu'on me porte à la boucherie.
2. Au moins, je ne laverai pas mes mains pour condamner uu
aussi grand coquin que vous.
3. Vous moquez-vous ainsi du monde? — Corbleu! suis-jc
obligé de fournir des oi-eilles chaque mardi ?
4. Moine bernardin.
iOO RODOMONTADES
pour le seiir il pstoit prédestiné de mourir un jour
j)rélat, il luy respondit plaisamment : Olro muere
prelado^ y yo morire pelado\ Cela vouloit inférer
qu'il mourroit la teste pelée et rase, comme religieux
qu'il cstoit, ou qu'il eust quelque maladie chaude.
Pour retourner à ce brave Caravajal, outre qu'il
fut brave et vaillant en faictz, il estoitaussy subtil en
motz, et surtout avecqiies cela très cruel, et tel que
le proverbe en sortit de luy : Mas fiero y cruel que
CaravajaL^ La nuict para vaut qu'il fut exécuté, le
capitaine Centeno le fut voir. Caravanjal fit sem-
blant, tant il estoit glorieux, de ne le cognoistre
point. Quand l'autre luy eust dit s'il ne le recognois-
soit pas, il respondit : Como te podria yo conocer^
que nunca te vi pov la delantera , si no por la t ra-
sera ^? Quelle chasse ! par laquelle luy donna en-
tendre soubz bourre, et le picqua, que l'autre avoit
lousjours fouy devant luy en tous ses combatz'^;
1. Un autre mourra prélat, et moi je mourrai pelé.
2. Plus fier et plus cruel que Caravajal.
3. Comment pourrais-je te connaître? je ne t'ai jamais vu par
devant, mais seulement par derrière.
4 . F~ar. T.a nuict avant qu'il fust exécutté , le capitaine Cen-
teno le fut voir. Caravanjal lit semblant de ne le cognoistre point.
Quand l'autre luy eut dit s'il ne le recognoyssoyt point, il res-
pondit : Como, te podria y o te conocer que nunca te vi que por
de tras? « Comment vous pourrois-je cognoistre que je ne vous
ay jamais veu que par le derrière ? » luy donnant à entendre
soubz bourre et le piquant que l'autre avoit tousjours fouy devant
luy. Quelle chasse! Il estoit fort subtil en telles responces, et
fort brave et vaillant, mais si cruel que le proverbe en sortit :
mas fiero y cruel que Caravanjcû. « Plus cruel que Caravanjal. »
(Ms. 2373, f" 157 v°.) — Brantôme a arrangé le texte de Garci- :v
lasso de la Vega, que voici : Dixo entonces Carvajal : Por Dios, !?;
ESPAIGNOLLES. 101
Chasse* certes aussi bonne que celle d'une dame de
la court d'Espaigne , laquelle, voulant mal à un ca-
vallier qui estoit allé en ceste dernière guerre de
Grenade *, ainsi que le bruict vint à la court qu'il
estoit mort, elle dict : ISo piiede ser ; porqiie los
Moros no comen carne de liebre^; villaine attaque
pourtant pour le taxer de couardise comme le lièvre,
qui fuit tousjours et ne combat jamais; ou possible
pour la lèpre, car les Mores n'en mangent point pour
ce subject, non plus que du pourceau et autres ani-
maux deflendus en leur loy.
Pour parler de la cruauté de ce Caravajal, il se
dict qu'il tua plus de cent hommes de sa main propre
en une battaille qu'il donna. 11 estoit aagé de plus
de quatre-vingtz quatr' ans lorsqu'il mourut. Quel
brave et vaillant vieillard I II fut fort dur à se con-
fesser. Il avoit porté une enseigne en la battaille de
Ravanne, et paravant avoit esté soldat du grand ca-
pitaine Gonsalve au royaume de Naples. De bon
maistre bon aprentif; car c'a esté un des meilleurs
hommes de guerre qui ait jamais passé aux Indes, ce
disoyt-on lors*.
La maison de Pizarre et [celle] de Caravanjal furent
senor, que como siempre via vuesa merced de espaldas que agora
teniendole de cara no le conocia (liv. V, ch. xxxix).
1. Ce qui suit jusqu'à la fia de l'alinéa manque dans le ma-
nuscrit.
2. En 1570.
3. Cela ne peut être; car les Mores ne mangent point de chair
de lièvre.
4. Zarate, dans l'ouvrage cité plus haut (p. 98, note i) con-
tient (liv. V, ch. xi) de cui'ieux détails sur lui.
1 (>2 RODOMONTADES
(lu lout rasées, et dedans toutes semées de sel, avec tel
escriteau : Icy sont les maisons des traîtres Pizarre et
CaravanjaL De mon temps, que j'estois en Espaigne,
leurs noms et valleurs raisonnoient encores par la
bouche d'un' infinité de gens, et en racontoient de
beaux et esmerveillables actes, et ne se pouvoient
saouler d'assez les louer. Que c'est que de vaillance I
car, qu'elle soit ou mal ou bien employée, ell' est
toujours estimée, ainsi que dit le refFrain en latin :
Fama, swe bona, ^swe mala, fama est. Et autres di-
sent : Sive honum, swe maliim fama est. « Toute re-
nommée, soit bien ou mal, est renommée; » ou
bien, « soit bonne ou mauvaise, c'est renommée, »
et mesmes quand elle part d'un cœur vaillant et
généreux, et non point poltron; car enfin tout cœur
généreux, qui entreprend quelque chose de grand
selon soy, ne sçauroit estre autrement que fort estimé
et loué, comme Machiavel en est de cet ad vis. Mais
pourtant il est bien tousjours plus louable et plus
sainct faire bien que mal; car enfin le bien est tous-
jours récompansé pour le bien, et mal pour le maL
Il faut conter ceste rodomontade en fait, qui est
très-belle, et pourtant incroyable : Muchas cosas han
acaescido a los Espagnoles en diversas partes, des-
pues que y con invincibles animos^ andan desplegando
sus banderas quasi per todo el mundo ; por las qua-
les han merescido entre todas las naciones renombre
de inmorlal memoria. Y dexadas muchas que por
varias historias andan celebradas, el écho solo de un
soldadOj el quai ïndignamente esta puesto en olvido,
fuerca a créer quanto sea el animo y valor de lagente
espagnola. Al tiempo que el marques de Pescara an-
ESPAIGNOLLES. 103
dai>a en buelto en las porfladas guerras de Lombar-
dia, haviendo se tnivada entre Franceses f Espagnoles
una pelea^ vino a herir una pelota a Luys de la Seiia,
soldado^ que andava puesto en hilera en su squadron
de infanteria; y no valiendo la deffensa del cosselete,
le entro la pelota en el cuerpo. El animoso soldado,
sentiendo que la pelota baxaha por los vazios a las
tripas, aparlado un poco de su ordonença, con incom,'
payable esfuerco y osadia, saccandose un cuchillo, se
hizo una pequena abertura en la barn'ga, por donde
(casa que parère fabula) hizo salir la bala : y bol-
viendo con los dedos las tripas para dentro, con ani-
mo nunca visto^ hizo con la punta del cuchiVo, de una
y otra parte ^ algunos agajeros en sus mesmas car-
nes^ y passando por ellos la agujela^ cosio con grande
constancia la abertura que luwia iiecho ; y buelto a
su hillera, no se conocio en su semblante el marty-
rio que de si, con sus nianos, havia hecho antes hizo;
y parecia de hizo su personado entre los muy sanos,
nquel que ténia el cuerpo tan mal dispuesto : hasta
que de hay a poco rato lo hirieron de un arcabuzazo
en la cefa, y le quebraron un ojo, por lo quai fue ne-
cesario que le sacasen del escadron. Y no con me nos
diligencia que admiracion curado, vino a Valladolid
donde estaba el emperador don Carlos, y monstrando
el testimonio de su valentia, Su Mngeslad le hizo
nierced de cien ducados de renia para siempre. « Plu-
sieurs cas et événemens sont arrivez aux Espaignolz
en beaucoup d'endroitz despiiis qu'ilz vont d'un gé-
néreux courage, desployant leur bandière quasi par
tout le monde; par lesquelz ilz ont méritez sur toutes
naclions le renom d'une mémoire immortelle, et en
104 RODOMONTADES
laissant plusieurs qui sont cellébrez en plusieurs et
diverses histoires, l'acte d'un simple soldat, lequel par
trop indignement est mis en oubly, force et con-
trainct à croire combien soit le courage et valeur de
la gent espaignoUe. Au temps que le marquis de
Pescayre estoit embrouillé aux guerres opiniastres en
Lombardie, s'cstant attaqué entre les François et
Espaignolz un combat_, il y eut une balle d'arquebus
qui vint à blesser Louys de la Sanna, soldat, ainsi
qu'il marchoit en sa file et son ordre parmy son es-
quadron d'infanterie et ne luy servant la deffence du
corcellet, la balle luy entra dans le corps. Le brave
soldat sentant que la balle luy baissoil par le vague
dans les trippes, se retirant un peu de son ordon-
nance, avec un cueur grand et incomparable har-
dyesse, tirant son Cousteau se fit une petite ouverture
au ventre, par où (chose qui parest fable) fit sortir
la balle et avec les doigtz retournant et ressarrant
les trippes par le dedans, d'un courage non jamais
veu, fit encores avec la poincle du cousteau d'une et
autre part deux petitz trous en forme d'œilletz dans
sa mesme chair, et passant à travers d'eux un' aguil-
lette, par une grande constance cousut et ferma l'ou-
verture qu'il avoit faite, et après s'en tournant à sa
fille et à son ordre, il ne se cognent en luv aucune-
ment ny en son semblant le martyre qu'il s'estoit fait
et donné avec ses propres mains, ains comme devant
joua son personnage parmy les sains celluy qui
avoit son corps si mal disposé et blessé, jusques à ce
que de là à un peu de temps, il fut lilessé d'un' har-
quebusade sur le sourcil qui luy rompit et creva l'œil
dont luy fut nécessaire qu'on i'ostast de l'esquadron
ESPA.IGNOLLES. 405
et de son rang, et fut après guéry avec autant de dil-
ligence que d'admiration; et estant venu à Vailledol-
lid où estoit pour lors l'empereur Charles, s'estant
présenté à luy et luy monstre tesmoignage de sa
vaillance, SaMagesté luy fit donner pour récompence
cent ducatz de rente annuelle et pour tousjours. »
Je crois qu'après ce conte il ne me faut mesler d'en
faire un autre de plus grande générosité espagnolle
que celluy-là. Geste rodomontade en vaut bien cent
autres de parolles. Je pense qu'on ne sçauroit quel
plus louer, ou ce soldat espaignol, ou M. Sceva*, l'un
des esleuz et favoris soldatz de Jules Cézar, lequel
après s'estre trouvé (luy faisant service) en plusieurs
battailles, rencontres et combatz en la Gaulle, et
s'estre fait signaller par^ un des vaillans et détermi-
nez soldatz qui fussent à son armée, et venant la
guerre entre luy et Pompée en ce grand combat qui
se fit entr'eux deux à Duracliie ', ce soldat , après
avoir heu un œil crevé, et son corps percé en six
divers endroictz de part en part, et son bouclier
trouvé, auquel estoient encores fichées et plantées
six-vingtz flesches, en outre trouvez plus de deux cens
trous de flesches qui l'avoient percé à jour, se jette
(ce néanmoins) hardiment dans la mer; et fit tant
qu'il se sauva à la nage, et vint trouver son général.
Encor, après avoir si bien fait, se présentant à luy
desnué de ses armes (chose illicite en la millice ro-
maine), se mit à luy crier : « Ah! mon empereur,
1. M. Cesius Sceva. Voy. Valère Maxime, liv. III, ch. ii, n° 23.
2. Par^ pour.
3. DyiTachium, aujourd'hui Durazzo.
i 06 RODOMONTADES
pardonnez-moi si j'ay perdu mes armes. » A quoy
César ne fit autre esgard ny réprimande; mais le
louant pardessus tout, le mit en honneur et estât de
centenier.
J'ay cogneu un brave, escabreux et vaillant gen-
tilhomme de Brelaigne, qui s'apelloit M. de Ma-
reuil, de fort bonne maison, nourry autresfois page
d'honneur du roy François premier : lequel, aagé de
soixante ans, en la bataille de Dreux, ayant fait ce
qu'un homme de guerre peut faire vaillamment, et
y ayant esté blessé en trois endroits, Fun d'un coup
de pistollet dans le bras gauche, et l'autre d'espée
dans le corps au 'deffaut de l'arnois*, et se sentant
foible du sang qu'il rendoit, s'en vint trouver (tout
sanglant qu'il estoit, tant du sang de l'ennemy que
du sien) M. de Guyse, et luy dist en luy monstrant
ses blessures : « Monsieur, je vous suplie me dire et
« juger si je suis encor en estât de combattre, ou de
« me retirer pour me faire penser. Que si vous me
« jugez encor bon pour retourner à la charge, et
« qu'ainsi le voulez, je m'y en vais pour m'achever :
« si non, et qu'il vous plaise me commander de
« m'aller faire penser, je m'y en vais; mais autrement
« n'yray je point si vous ne me le commandez. —
« Ouy, responditM. de Guyse, monsieur de Mareuil,
(( je veux que vous ailliez faire penser, et le vous
'i commande quand vous ne le voudriez pas. Vous
« en avez assez fait pour vostre part. » Je vis, le soir,
que M. de Guyse fit le conte; et ledit sieur de Ma-
reuil fut si bien secouru et pensé qu'il eschapa, et
1 . Arnois, armure.
ESPAIGNOLLES. 107
vesquit encores plus de quinze ans après, tousjours
aussi brave et vaillant que jamais, et tousjours esca-
labroux et querelleux, et avoit tousjours quelque que-
relle. Encor un an advant que mourir, en eut-il une
contre Saincte-Collombe le bègue, très brave et baut
à la main, et vaillant; et les trouva l'on à Bloys
qu'ilz s'alloient battre, sans qu'ilz furent empescbez,
et puis accordez. Ce M. de Mareuil fut pour ses
mérites récompancé de l'ordre Sainct-Michel, qui
estoit peu de chose, car il estoit par trop commun :
il méritoit de plus grands biens et grades.
Les soldatz espaignolz qui vinrent au premier
voyage en France avec le prince de Parme, disoient :
Que eran todos de una volunlad, es a scdjer, morir o
vence7\ « Hz estoient tous d'une mesme volunté : mou-
rir ou vaincre, » j preslos al niandamiento de su
gênerai (tous prestz à obéir aux commandemens de
leur général) ; y en su armada, con el claror de las
armas de los soldados, sus rayos del sol hazia mas
ilustres, de inanera que con queslas luzidas armas,
j con las rlcas cublerLas y panachos engallados^ pa-
recia una muestra de una muj flurida huerta^ que re-
presentava alli la orgulleza del coraçon, j dava senal
en los colorados rostros, tanto que, solo con el aspecto,
ponian furor, f manifestavan a los enemigos el pe-
ligro tan cerca que sus presencias . « Et en son armée
avec la clairté des armes des soldatz, le soleil en
monstroit ses rayons plus clairs et plus illustres, de
mode qu'elle se paressoit avec leurs riches couver-
tures et casaques de gendarmes et leurs braves pe-
naches pendillans une monstre d'un jardin bien
fleury qui là représenloit l'orgueil du cueur, et
108 RODOMONTADES
donnoit signal aux visages collorez tant et tant que,
avec le seul regard, ilz donnoient fureur et manifes-
toient aux ennemis le péril aussi près d'eux comme
leur présence. » Voylà de beaux motz certes, et sur-
tout les deux derniers.
Un soldat espaignol, me louant une fois le roy
d'Espaigne, me disl : Ninguno aj en nuestros tiem-
pos entre los principes christianos y inoros, a quien
se deva acalamiento y obediencia , como al catho-
lico rey d Espagna^ nu senor, ciijos notables he-
chos^ sabidos hasta las estrellas, oscurecen los de los
emperadores. Y no es nienester que lo diga : diganlo
los rey nos y reyes del ^encidos, digalo todo el rnondo.
« Il n'y a point en nostre temps, entre les princes
chrestiens et Mores, roy à qui l'on doive porter plus
d'honneur, de respect et obéissance qu'au roy catho-
lique, mon maistre; les faitz notables duquel, montez
jusqu'aux estoilles, obscurcissent ceux là des empe-
reurs sans qu'il soit besoing que je le die, que lesroys
et royaumes par luy subjuguez et vaincuz le disent;
voire le dise mesmes tout le monde. »
Le duc d'Albe, celluy qui conquesta le royaume
de Navarre pour Ferdinant, estant prest d'estre as-
siégé dans Pampelune par le roy Jehan de Navarre,
assisté des forces françoises que le roy Louys XII luy
avoit envoyé, conduictes par M. d'Angoulesme, jeune
prince, despuis roy François, et de M. de La Pal^
lice, les habitans dudict Pampellonne luy ayant re-
monstré le peu de force qu'il avoit léans pour faire
teste à une si grande armée, il leur respondit que :
A un mas génie desseava el que se fuessen, porque
nias fionra a los pocos quedava. Los Pampeloneses^
ESPAIGNOLLES. 10<)
acordando se poco desla îionra^ dixeron : « Mas la
honra sin ^ente mal se gana. * » « Qu'il ne desiroit
qu'il y eust d'avantage de gens, pource que plus
grand'gloire demeureroit au petit nombre qui leur
fairoit teste, mais ceux de Pampellonne ne se soucians
de cest honneur, luy respondirentque voluntiers ceste
gloire mal s'acquiert sans gens, m Respondu bien,
certes, pour ceux qui veulent jouer leur jeu au plus
seur, et au proflit du mesnageMe l'honneur. Pélopi-
das dist bien autrement, lorsqu'il voulut aller contre
Allexandre le tyran : on luy vint dire comme l'on
avoit recogneu ses forces, et qu'il y avoit grand nom-
bre de gens montant bien plus que les siens. Il res-
pondit seulement : « Tant plus ilz seront, tant plus
nous en tuerons*. » Celluy-là avoit l'esprit tandu plus
au carnage qu'à l'honneur; non pas comme un ca-
pitaine espaignol disoit : Que adonde liaj mas afren-
ta^ alli mas honra se gana. « Là où il y a plus
d'hasard et d'affront *, là plus de gloire s'acquiert. »
Je croys l'avoir dit ailleurs
Un capitaine espaignol, petit, fort d'estature, luy
estant fait la guerre de sa pettilesse, il respondit :
En los cuerpos pequehos se ensierra un grande y
fuerte coracon ; porque la natura aquello que falto
en. et cuerpo^ puso en la {>irtud del animo. « Dans les
1 . Ceci est tiré (p. 199) de la Conquista de Nm<arra dont il est
question plus bas, p. 111, note 4. Le duc d'Albe est Frédéric de
Tolède, dont Brantôme a parlé, t. I, p. 129.
2. Mesnage, épargne.
3. Plutarque, Fie de Pélopidas, ch. lviii. — II s'agit d'Alexan-
dre, tyran de Phères.
4. Affront, c'est-à-dire d'obstacles, de dangers à affronter.
110 RODOMONTADES
corps des petitz s'enserre un grand et fort courage,
parce que la nature a mis cela qui se faut au corps
en la vertu de l'esprit et de l'âme. »
Un autre disoit pourquoy il bravoit tant, estant
si petit, et n'avoit tant de quoy à braver. Il respon-
dit : Hombre chiquilo, si no brava, no vale nada.
« Un homme petit, s'il ne brave, il ne vaut rien. »
Comme de vray j'en ay veu un' infinité de petitz
hommes, n'ayans pas bien de quoy à payer leur
homme : autrement, vous les voyez estandre sur la
poincte des piedz, ayans leurs gentes^ mules, ou, pour
mieux dire, leurs eschasses de liège, ainsi que j'en
ay veu plusieurs se hausser le plus qu'ilz peuvent, et
se gehenner en leurs postures, affin qu'ilz puissent
mieux braver et faire la piaffe. Enfin ce sont des
mirmidons targués' pour faire la guerre aux grues;
ou voudroient fort estre toujours montez sur des
cluchiers ' pour parler de plus haut. Voylà comment
les petites gens ne se contentent point de leurs pet-
titesses, mais souhaitent toujours estre grands. Si
est-ce que ce n'est pas le meilheur que d'estre si grand
extravagamment ; car j'ay veu force de ces grands
n'estre pas plus habiles que les petitz, voire très ba-
dautz et fadatz* de nature et d'art, ny plus vaillans
non plus, mais très poltrons; et outre, l'on les vise
mieux à la guerre, et, qui plus est, sont fort subgetz
àavoir les jarretz coupez, qui y veut tirer : ainsi qu'il
\. Gentes^ gentilles.
2. Targués^ targés, couverts de targe (bouclier).
3. Cluchiers, clochers.
4. Fadat^ sot.
ESPAIGNOLLES. Hl
se dit et se list' que lorsque le grand sultan Soliman
fut à Hongrie et à Vienne*, fut pris dans une forteresse
un soldat lansquenet de si extrême auteur', qu'on le
tenoit pour un géant et pour un miracle de na-
ture, si bien que l'on en fit un présent au grand Sol-
liman, pensant qu'il s'en deust servir h sa garde.
Mais, au lieu de cela, il en tira son plaisir par une
barbare cruauté; car il le fit attacher par les bras et
les piedz. et le fit mettre tout debout en une salle
pour combattre en estaquade contre un petit nain
qu'on luy avoit donné, et qu'il avoit en délices. Ce
petit nain estoit armé de son espée, qui demeura
plus d'un' heure à tuer ce géant, tant il avoit peu de
force et assenoit si mal ses coups, ores luy donnant
sur le corps comme il se pouvoit hausser, ores sur
les cuisses, ores sur les jarretz, le paouvre géant pa-
rant aux coups au mieux qu'il pouvoit et esquivant.
Enfin il tumba par terre, et ce nain le paracheva
comme il peut : et ainsi en donna le plaisir à Soli-
man, et à aucuns bâchas et grands de sa court. Il y
pouvoit avoir du plaisir pour ceux qui sont barbares
et cruelz, et de la risée, mais nullement pour nous
autres qui sommes chrestiens. Je croys que les Ro-
mains n'exibarent jamais un tel passe-temps.
J'ay leu dans un livre espaignol, qui se nomme La
Conquista de Ncwarra *, que le roy Jehan de Navarre
1. C'est P. Jove qui raconte le fait au commencement du
XL* livre de son Histoire.
2. En 1541. — 3. Auteur, hauteur.
4. La Conquista del reyno de Navarra, par Luy S Correa, To-
lède, 1513, in-f°, goth. Ce livre fort rare, que Brantôme a déjà
cité (t. I, p. 430), a été réimprimé à Pampelune en J843, in-8°,
112 RODOMONTADES
ayant envoyé un héraut vers les ducz d'Albe et de
Nagere, tous deux généraux de l'armée (ce qui n'est
pas le meilleur, porque una hueste gobeniada de dos
soberanos ccipitanes, nunca bien se conserva \ « par-
ce qu'une armée gouvernée par deux généraux jamais
bien se conserve) », pour demander bataille auprès
de Pampellonne, ilz respondirent que alli no la que-
rian dar^ mas en los razos carnpos de Bordeos, adon-
de aderessaban sus caminos, para conquisfar toda la
Gujenna^. « Que là ilz ne la vouloient donner, mais
aux plaines rases de Bourdeaux, là où ilz adressoient
leurs pieds et chemin pour conquérir toute la Guyen-
ne. » Cequ'ilz ne firent et ne tindrent, car l'obstacle
estoit trop grand : aussi ne le voulloient-ilz entre-
prendre, mais il falloit qu'ilz fissent ceste bravade.
Après la battaille deSainct-Quantin, les Espaignolz
disoient : Este dia perdieron los Franceses el nom-
bre que Tito Livio les da^ diziendo : « Galli sunt glo-
ria belli. » « Ce jour, les François perdirent le nom
pai' les soins de Don José Yanguas y Miranda, sous le titre de
Historia de la Conquista del reino de Navarra por el duque de
Jlba escrita por Luis Correa. — Nous n'avons pu nous pro-
curer que cette réimpression.
\. Por do consta que nunca, hueste gobernada de dos sobe-
ranos capitanes se pudo conservar {Conquista de Navarra, p. 235).
2. A cette rodomontade Brantôme a ajouté la gasconnade qui
suit et qui est de son cru ; car voici le texte du chroniqueur :
El duque de Najara, respondiô que él era muy contento de
les dar la batalla ; que esperasen porque parecia estar de camino
y que, no solo alli, mas en los rasos campos de Burdeos se la
presentaria. El rey de armas respondiô que si la habian de dar
fuese luego, porque no podian mas esperar : esto diciendo se fué
{Conquista de Navarra^ p. 241).
ESPAIGNOLLES. HZ
que Tite Live leur donne, disant que les Gaulois sont
l'honneur de la guerre. » Hz ne s'en doivent point
mocquer, parce comm' eux-mesmes disent, las cosas
de la guerra van mal al tiernpo que mas sin pensarlo
estan. « Les choses de la guerre vont mal au temps
que, sans penser, elles sont.' »
Lorsque l'empereur arriva devant Metz, y ayant
envoyé auparavant son armée, ceux de son camp
cellébrarent son arrivée par de grands feuz, salves et
autres grands signalz de joye. Ceux de dedans, de
leur costé, estans en cervelle de ceste venue, et qu'à
ce premier abord on leur pourroit préparer quelque
fricassée, firent aussi par toute la ville allumer des
chandelles aux fenestres, et allumer feuz sur leurs
rempartz; de sorte que les Espaignolz disoient : Que
era cosa maravillosa de los faegos^ y luminarias, y
hachas, queran en la ciudad, de manera que pare cia
cosa encantada. No menos el real del emperador era
visto claro y radiante de la mucha. lumbre de fuegos,
que parecia otro cielo estrellado. ". G'estoit une
chose esmerveillable du feu et luminaires et torches
qui estoient en la ville, si bien qu'elle paressoit une
chose enchantée, ny plus ny moins le camp de l'em-
pereur estoit veu si clair et radiant de la grand'
quantité de feuz qu'il paressoit un autre ciel es-
toillé. M
Estant le duc d'Albe assiégé dans Pampellonne par
le roy Jehan et M. de La Pallice*, et attandant l'as-
1 . C'est-à-dire : les choses de la guerre vont mal au moment où
l'on y pense le moins.
2. En 1512.
VII — 8
1 1 4 RODOMONTADES
saut, entre autres parolles qu'il prononça en son
harangue^ exortant les siens, il dist celle-ey^ : Bien
creo, cavalier os ^ que no podre crecer vucstro esfuerzo
cou mis palabras , y tambien soy cierto que la vis ta de
la batalla nos porna miedo. Aquello que mâchas vezes
deseasies hâves hallado, que es ver os cou vuestros ene-
migos, y no solo vuestros, mas de Dios. Todo lo que a
mi es dado de proveer con mucha diligencia lo he
hecho ; lo demas en la virtud de vuestros coraçones
y fortaleza de braços esta : ruegoos que acordes del
nombre de Espaàa, que nunca supo ser vencida. Y si
me quereis respondei\ que de eso no se pueden alabar
las Espanoles, que es tan sus vanderas en poder de
sus enemigos, despues del dia de la batalla de Ra-
vanna ^ yo asi os lo confieso : mas mirad que tan san-
grienta vitoria tuvieron , que los mismos Francezes
confiesan cjue pluguieria d Dios que ellos fueran los
vincidos, porque non tuvieran la vitoria tan llorosa^
Acordad vos que en la tierra que debajo de vuestros
pies hollais, el rej Carlo Magno fué vencido y desba-
ratado, con muerte de sus doze pares. Dezia el rey
nuestro don Âlonzo el Casto, ques mas gloria es de
conservar lo adquirido, que ganar grandes lier r as ^
aquellas no podiendo sostener. Y porque a los virtuosoSy
mostrandoles el peligro, mas les crece el esfuerzo,^ os
hago saber, que estais sentenciados por los France '
ses à perder las vidas sin ninguna merced. Ruegoos
que asi las vendais, que primero vuestros matadores,
1, Ce discours est tiré textuellement de la Conquista de Na~
varra, p, 214-213.
2. Les huit mots qui précèdent ont été ajoutés par Brantôme.
ESPAIGNOLLES. dlS
que vuestra sangre, caja en el suelo. Y, parque veo
ya las ^'andcras de Los enemigos acercnrse^ os encargo
que saqueis de i>ergûenza el nombre y gloria de vuestra
Espaùa, « Cavailliers, je croy très bien que je no
vous sçaurois croistre le courage par parolles, et aussi
je suis très assuré que la veue de la bataille ou
assaut qui se prépare pour venir à vous ne vous peut
donner aucune craincte; ce que vous avez tant désiré,
vous l'avez trouvé, qu'est de voir et venir aux mains
avec vos ennemys. Tout ce qui touche à ma charge et
mon estât de pourvoir avec grande dilligence, je l'ay
fait. De [ce] qui reste, il gist en vos valleurs et de vos
bras. Je vous prie que vous vous souvenez du nom d'Es-
paigne, laquelle ne sceut jamais que c'est que d'estre
vaincue ; et si vous me respondez que de cela les Es-
paignolz ne s'en peuvent louer, puis * leurs enseignes
et drapeaux sont encor entre les mains des François
despuis le jour de la bataille de Ravanne, certes je le
vous confesse ; mais voyez aussi que c'a esté une si
sanglante victoire , que les mesmes François confes-
sent qu'il eust pieu à Dieu qu'ilz fussent estez vaincuz,
pour avoir eu une victoire si luctueuse et plorable *.
Souvenez-vous qu'en ceste mesme terre que vous
foulez de vos piedz, ce grand Charlemaigne fut vain-
cu et deffaitavec ses douze pairs. Nostre don Alphon-
ce le Chaste' souloit dire que mieux valloitet y avoit
plus de gloire de conserver le sien et son acquis que
1. Puis, puisque.
2. Luctueuse, pleine de deuil, luctuosa. — Plorable, afQigeante.
plorabilis.
3. Alphonse II, roi desAsturies, mort en 842.
116 RODOMONTADES
de conquérir grandes terres et ne les sçavoir souste-
nir ny garder, et parce qu'aux braves et valleureux
leur monstrant le péril, le cœur leur croist, je vous
faitz asçavoir que vous estes tous sententiez et con-
dempnez par les François à perdre les vies, sans au-
cune grâce ny mercy. Je vous prie que vous les leur
vandez si bien que vos tueurs tumbent plustost en
terre que vostre sang; et parce que je vois les ensei-
gnes des ennemis s'aprocher, je vous encliarge que
vous exemptiez de toute honte le nom et la gloire
d'Espaigne. »
Voylà de beaux motz et [de] grand poix, encores
qu'ilz soient courtz. Aussi un chef de guerre ne se
doit jamais amuser aux grandes harangues, lorsqu'on
est prest à venir aux mains : les efTectz y sont plus
propres; ainsi que faisoit ce grand capitaine Jules
César, lequel, sur le poinct du combat, n'emploioit
le temps en grandes et longues concions, comme
nous voyons en ses Commantaires , qui parloit si
briefvement, et en gallant soldat et capitaine à ses
gens. Ce brave Catillina , dans Saluste*, lorsqu'il
falut donner sa bataille, triumpha de bien dire et
courtement en peu de motz, qui portarent si grand
poix que les soldatz, de ce esmeuz, tous moururent
en le mesme champ de bataille qu'ilz avoient choysi,
sans en bouger le pied. J'ay veu beaucoup de grands
capitaines qui se sont mocquez, comme M. le ma-
reschal Estrozze, ainsi que j'ay ouy dire à un de
ses capitaines, de leurs compaignons grands haran-
gueurs, principallement en telles besoignes si has-
i. Voyez Salluste, Catili/m, ch. lviii.
ESPAIGNOLLES. il7
tives et preignantes '. Il est bien vray que les consulz
romains s'en sont meslez bien fort, comme nous
lisons en nos histoires, et mesmes en Tite Live : mais
c'esloit longtemps devant qu'ilz eommançassent leur
combat qu'ilz harangoient , [et] se préparoient de
bonn' heure, car telle estoit la coustume : autrement
le mistère n'en eust rien valu. Mais lorsque se venoit
à enfoncer sans marchander, s'ilz se fussent mis sur
leurs beaus dyres et discours millitaires, ce fussent
estez de vrais fatz; et se fussent trouvez les ennemis
sur les bras, de telle façon qu'ilz n'eussent eu loysir
de songer en eux, ny se recognoistre, ny leur ordre,
ny leur place de bataille; et si n'eussent jamais fait
de si beaux exploitz de guerres et gaigné tant de ba-
tailles, et fussent estez ainsi sottement deffaitz. Voilà
pourquoy les grands capitaines, s'ilz se veulent fon-
der sur les grandz araisonnemens que l'Espaignol ap-
pelle razonamientos, faut que ce soit la vigille de la
bataille, lorsqu'on l'attant, ou un' heure ou deux de-
vant la bataille, mais non point sur le poinct du choc,
lequel ne demande que les plus courtes et briefves pa-
roUes. Guichardin s'est voulu mesler d'imiter Tite Live
en ses harangues millitaires. Entre autres, il en fait
une par trop prollixe ^ que fit M. de Nemours prest à
donner la bataille de Ravanne, qui certes est des plus
belles et des plus dignes, pour animer ses soldatz,
comme ilz furent : mais il est à présumer qu'il abré-
gea bien autrement son dire ; car là il estoit question
promptement de venir aux mains aussitost qu'ilz
d. Preignantes, pressantes.
2. Voyez Guichardin, liv. X, ch. iv.
118 RODOMONTADES
eurent passé le canal. Polo Jovio s'est aussi ainsi fort
amusé à deserire plusieurs longues harangues. Enfin
plusieurs, ou la pluspart des histhoriographes, en ont
fait de mesmes, desquelles Belleforest a esté curieux
d'en faire une recherche et un recueil bien gros,
dont nous en voyons le livre *. Celluy qui a fait nostre
HistJioire de Franôe^ fait M. de Guyse et M. l'Admirai
haranguant en la bataille de Dreux si prolixement,
qu'il n'en est rien. Je vis parler M. de Guyse, mais
peu et bon. Quand à M. l'admirai, il n'eut guières
loysir d'haranguer si longuement, et mesmes en la
dernière charge qui se fit. Or, à ce que j'ay ouy
dire que M. le mareschal Estrozze disoit, c'a esté
plustost la grand' vanité des histhoriographes qui les
y a poussez et fait ainsi trouver, excogiter et mettre
par eserit ces grandes et longues harangues; lesquelz,
plains de vent et gloire , vouloient illustrer leur
histoire et la rendre plus belle par ces grandes su-
perfluitez de paroUes. D'autres paouvres fatz et sotz
pensoient que leur histoire seroit manque et haire ',
si elle n'estoit décorée et allongée d'une grand' crue
et suite de motz. Pour fin, en matière de combatz,
il n'y a que les briefves harangues; ainsi que fit ce
brave M. de Guyse le Grand, le jour qu'il pensoit
avoir l'assaut à Metz, que M. de Ronsard a mis en
\ . Harangues militaires et concions de princes , capitaines
ambassadeurs, etc., 1388, iii-f°.
2. Il s'agit de l'Histoire de France depuis lo50, de Fr. de la
Popelinière. Au livre IX, dans le récit de la bataille de Dreux.,
on trouve en efi'et de longues harangues de Montmorency, de
Guise, de Coligny, de Coudé (éd. 1381, t. i, f°' 346 et suiv.).
3. Fautive et maigre.
ESPAIGNOLLES. H9
vers. Et ne fut si longue pourtant comme la fait
M. de Ronsard*, ainsi que j'ay ouy dire à ceux qui
l'ouïrent et y estoient; et si l'original valloit mieux
que la copie. Et fut une chose très-belle de la luy
ouyr prononcer; car, outre qu'il avoit la grâce belle
si jamais capitaine l'eut, il avoit l'éloquance millitaire
très grande, comme j'espère en dire quelques-unes
des siennes, par un chapitre que je veux faire d'une
centaine d'harangues millitaires, très-courtes, tant
de nostre temps que d'autres ". Cependant je laisse
ce discours; car, comme dit l'Espaignol, olras tracas
tengo a guardar, y olras o\}ejas a trasquilar^^ et que
je veux encor reprendre les parolles de ce grand duc
d'Albe*, par lesquelles il ne déguise point aux siens
d'avoir esté vaincu à Ravanne; mais pourtant il ra-
valle fort ceste victoire pour nous. Toutesfois, quoy
qu'il die, luy et autres Espaignolz, elle fut grande et
très signallee pour nous, sanglante pour eux, et puis
nous rapporta du malheur par la perte de ce qu'a-
vions conquis en Italie et à Milan. Les Espaignolz
ont cela de bon, qu'il/ ne se confessent jamais vain-
cus ny battus, et ramènent tout à leur gloire; ainsy
que fit ce grand duc d'Albe dernier en l'iandres, en
une harangue qu'il adressa à son armée, et princi-
pallement à ses soldats espaignolz quelques jours
1. Brantôme en a déjà parlé. Voyez t. IV, p. 192, note 2.
2. On ne possède que trois de ces harangues, savoir : de César,
de Pompée et de Ciéopâtre.
3. J'ai d'autres vaches à garder et d'autres brebis à tondre.
— Ce qui suit jusqu'à p. 121, lig. 28, un soldat espaignol, man-
que dans le manuscrit.
4. Voyez plus haut, p. 114.
120 RODOMONTADES
avant qu'il pensoit donner la bataille au prince d'O-
range \ près la rivière de Meuse, qui avoit amené une
si grand' armée contre luy pour le combattre ; mais
le tout s'en alla en fumée, par la providence et sage
conduicte de ce grand capitaine, qui le fit retirer
avecques sa grand' honte en Allemaigne; de quoy
j'en parle ailleurs. Ce grand duc donc va remente-
Yoir à ses Espaignolz de bout à autre tous les beaux
exploictz qu'ilz ont faictz depuis cent ans, et met
tout en ligne de compte et de gloire, aussy battus et
vaincus que vainqueurs. Et cela m'a conté un soldat
françois espaignolisé qui estoit lors parmy les bandes
espaignolles, qui entendoit le tout. Ce grand duc
donc premièrement parle des grandes guerres qu'ilz
ont faictes au royaume de Naples, soubs le grand
capitaine Gonzalvo, Raymond de Cardone, de la ba-
taille de Ra vanne, bien qu'elle leur fust désastreuse;
parle de ceste grand' conqueste des Indes, qu'il leur
met devant les yeux, faicte par Hernando Cortès et
Francisco Pizzare , qu'il nomme tous les deux par
ces mots : ia hoiira de la milicia espahola^; raconte
le beau combat qu'ilz ont rendu en Italie soubz ce
vaillant marquis de Pescaire et Anthoyne de Lève,
et M. de Bourbon en la prise de Rome; les sièges
de Naples et de Florence soubz Filibert le prince
d'Orange; le lèvement du siège de Vienne, et la
chasse et fuite du sultan Solyman; la conqueste de
la Collette, de Thunis et de Clèves; les voyages de la
Provence, d'Alger et de Landrecy, où il ne fit trop
bien ses affaires; la guerre d'Allemaigne , qui fut
1. En 1568. — 2. L'honneur de la milice espagnole.
ESPAIGNOLLES. 121
belle celle-là, où l'empereur acquist grande gloire;
les guerres de Piedmont, de Parme et de Sienne ;
(il ne gaigna rien aux. deux premières, tesmoings la
bataille de CérizoUes et la conqueste de Piedmont,
comme j'en parle ailleurs; Sienne fut gaignée, mais
elle leur cousta bon) ; puis le siège de Metz, qui leur
fut très malheureux ; n'oublie le voyage de M. de
Guyse, et la rompure* de son desseing; et puis vient
finir sur les deux batailles de Sainct-Quentin et
Gra vélines, qui contraindrent le roy Henry (n'en
pouvant plus) à demander la paix. Il s'en faut* les
prises de Calais, de Guysnes, de Théonville, et le
camp d'Amiens, où le roy, estant en personne, pré-
senta cent fois la bataille au roy d'Espaigne, mais
point de nouvelles. Enfin il en conta prou , sans
s'oublier aussi, et se disant, estant lieutenant plu-
sieurs fois de l'empereur Charles, estre vray tesmoing
de leur valeur. Ceste vanterie pour luy et pour ses
soldatz est excusable, autrement le vent espaignol
n'auroit point de lieu. Ainsi en ceste harangue il
imita quasy son oncle le conquesteur de Navarre,
que je viens de dire, qu'aucuns ont voulu croire
avoir esté son père ; mais cela est faux, car son père
fut don Garcie de Tolède, qui mourut aux Gerbes
contre les Mores, en la fleur de son aage, y ayant
esté envoyé avec dom Pedro de Navarre , lieu-
tenant du roy Ferdinand en l'armée qu'il y envoya
en M. D. X.
Un soldat espaignol ayant apellé un seigneur ita-
lien en combat, l'Italien luy fit responce que, d'au-
1. Rompure, rupture. — 2. 7/ s'en faut, il y manque.
J 22 RODOMONTADES
tant qu'il n'estoit son pareil de lignage, il luy en-
voyeroit son vallet pour le combattre. Le soldat luy
répliqua : Yo lo otorgo^ porque, por niuj ruin que
sea, sera mejor que ços. « Je l'accepte , car quelque
meseliant et chétif qu'il soit, il sera meilleur que yous. »
Il s'en dit de mesme d'un gentilhomme François
qui refFusa ainsi le combat à un qui n'estoit de si
bonne maison que luy, mais qu'il luy envoyeroit un
de ses valletz. L'autre respondit : « Je l'en aymerois
« mieux, car il ne m'en sçauroit envoyer pas un des
« siens qui ne soit plus homme de bien et de valleur
« que luy; et par ainsi en combatant le vallet j'ac-
« querray plus d'honneur qu'à combatre le maistre. »
Un seigneur de Castille fit bien mieux. D'autant
qu'en Castille , pour faire camp, il faut que les deux
parties soient esgalles en lignage, et, parce que sa
partie estoit fort inférieure à luy, il dist : Dezid a
tal que me hago de tan rujii linage como e/, j que
se saïga a matar comîgo a tal parte? « Dites à un tel
que pour cest' heure, je me fais d'aussi mauvais et
bas lignage que luy, et, pour ce, qu'il vienne en telle
part se tuer contre moy. »
Il y en a force grands qui ont fait de telz traictz,
qui se sont desmis pour un' heure de leurs dignitez,
charges, gardes et ordres, pour combatre leurs infé-
rieurs, à quoy ilz ont plus d'honneur que de s'ayder
de telles cuyrasses poltronnes. J'en ay faict un beau
discours ailleurs * .
Les Portugais avoient de coustume de cellébrer
tous les ans la grand' feste du jour que fut donnée
\ . Voyez le Discours sur les Duels, t. VI, p. 463 et suiv.
ESPAIGNOLLES. 423
la bataille d' Aljuvaro ta \ Par cas, un cordellier ce jour
estant venu baiser les mains du roy, qui en cellé-
broit la feste, dist au cordellier : Que os parece de
nuestra jiesta? Celebranse en Castilla taies fiestas
por seniejantes vencimientos? Le cordeillier respon-
dit : No se hazen, porque son teintas las i^iciorias
nuestras que cada din séria fies ta, y nior'uian los
oficiales de hamhre, « Que vous semble de nostre
feste? En CastilJe s'en célèbre-il de telles pour telles
victoires? w — L'autre luy respondit : « Non, il ne
s'en fait point de telles, d'autant que nos victoires
sont en si grand nombre que tous les jours il seroit
feste, et les artizans mourroient de fain. » Voylà une
rodomontade d'un moyne aussi belle que soldat ou
homme de guerre eust sceu dire.
A* cela au bout de quelque temps, un cordellier
portugais la rendit bonne, fust au mesmes cordellier,
ou à un autre qui fust qui en parlast; car en pres-
chant un tel jour de l'an que celuy-là que ceste ba-
taille fut donnée, il dist en ces mesmes mots à son
sermon, en représentant la bataille (comme telz pres-
cheurs font souvent quand ilz extra vaguent de leur
thème) : Nosotros christianos^ estabamos de un cabo
del rio,j los Castellanos de la otra parte^ . Quelle at-
tacque fratresque * !
1 . Aljuvarota, ville du Portugal, dans l'Estramadure, près de
laquelle en 1383 Jean I", roi de Portugal, remporta une victoire
décisive sur Jean I*', roi de Castille.
2. J^es deux alinéas qui suivent manquent dans le manuscrit.
3. Nous autres chrétiens, nous étions d'un côté de la rivière,
et les Castillans de l'autre.
4. Fratresque^ de moine.
124 RODOMONTADES
De tout temps les Portugais et les Castillans ne se
sont guière aymez, comme je le cogneus une fois,
mov estant à Lisbonne, et entré dans la boutique
d'un marcliand de soie pour y achepler quelque
étofl'e ; et d'autant que je parlois bon castillan, je de-
mande à une jeune fille qui gardoit la boutique où
estoit le maistre. Elle l'appella soudain , et dit. me
prenant pour Castillan : yifjiU esta an Castellano que
pregunta pur /i\ Luy, se courrouçant contre elle,
luy dit, après m'avoir cogneu pour François : j^el-
laca, mai criac/a, a un homhre como este^ no tienes
verguenza de llamarle Castellano^? k ce?,ie heure,
despuis que le roy d'Espaigne a mis le royaume de
Portugal entre ses mains, ilz sont grandz confédérez
et amys; mais c'est par force.
Le combat qui fut au royaume de Naples, entre
douze gentilzliommes françois et douze cavalliers es-
paignolz, demeura fort douteux sur la victoire. Après
qu'il fut finy, le grand capitaine, après qu'il eust en-
voyé les siens pour bien choysis, demanda à celluy
qui en avoit porté les nouvelles comment estoit allé
l'affaire. L'autre, parlant ambiguement, ne luy res-
pondit que : Seiïor, los nuestros \>inieron a nos por
buenos. Le grand capitaine respondit : Por rnejores
os auia jo emblado. « Les nostres sont tournez à
nous pour bons. » Le grand capitain respondit :
« Je les y avois envoyez pour meilleurs, w Comme
voulant dire qu'il les avoit envoyez pour très bons
1. Voilà un Castillan qui vous demande.
2. Coquine, mal-apprise, n'as-tu point de honte d'appeler
Castillan un homme comme celui-ci?
ESPAIGXOLLES. 125
et très bien choisis, et pour faire mieux qu'ilz ne
firent. Là on peut cognoislre que les nostres n'y fu-
rent pas tous desconfitz, comme aucuns anciens es-
trangiers et liistoriograj)hos en ont parlé; mais il leur
faut pardonner pour vouloir mal à nostre naction.
Mais qui lira le roman de M. de Bayard, trouvera
bien que nos François y firent mieux que les Espai-
gnolz, encor que lesditz Espaignolz s'advisarent de
donner aux chevaux du commancement, tenant la
maxime : Muerto el ccwallo^ perdido ÏJiomhre d'ar-
mas^. M. de Bayard acquist là une très grande gloire.
Lorsque les François perdirent le royaume de
Naples, et M. d'Aubigny leur général avec eux_, le
grand capitan leur fit tous les honnestes Iraictemens
et condictions qu'il fut possible, et leur donna tou-
tes choses nécessaires, et chevaux pour les emmener.
M. d'Aubigny voulant braver, encor qu'il fust vaincu,
pria le grand capitan qu'il les accommodast au
moins de bons et forts chevaux pour retourner. Le
grand capitant, interprettant le mot retourner pour
revenir à la guerre et retourner au pais pour la faire
et renouveller, luy respondit : Torna en biien hora,
quando quisiercdes ; que siempre hallareys en mi la
rnisma liberalidad que hasla aqu'i. « Tournez hardi-
ment quand vous voudrez; que toujours en moy
trouverez la mesmelibérallité qu'avez faitjusques icy.»
Bonne et belle responce certes d'un tel capitaine et
si courtois, et piquante doucement.
1 . Le cheval mort, le cavalier est perdu. — Brantôme a déjà
cité plus d'une fois ce proverbe ainsi que ce combat de Bayard.
(Voy. le Loyal serviteur ^ ch. xxiii.)
426 RODOMONTADES
Durant le siège de Parpignan', non pas de ce der-
nier, il y eut le marquis de Cenette^ qui demanda
un coup de lance; et voyant que de là à peu deux
eavalliers sortirent ainsi que le dit marquis se reti-
roit, et luy, les voyant, voulut à eux retourner, dont
il y eut son escuyer qui luy dist : IVo bue/va F. S. que
yo ire, y deribare uno de aqnellos, y V . S. llegara a
corlarle la cabeça. Respondio el marques : Antes jo
quiero jr, f deribarle he yo ; y llegarejs vos despues,
y bezar le heys en el rabo. « Vostre Seigneurie n'y
aille point. Mais laissez-moy faire, je m'y en vois en
abattre un d'eux, et vous viendrez après et luy cou-
perez la teste. » A qui respondit le marquis : w J'ay-
me mieux y aller devant et en abatre un, et vous
viendrez après, et luy baiserez le cul. » Il fut bien
employé de faire une telle responce à ce brave.
En quoy j'en ay veu en ma vie de telz braves fatz
que celluy-là, qui veullent faire ainsi des vaillans et
disent : « Monsieur, n'allez pas là; il y fait dange-
« reux : laissez-m'y aller, et ne bougez d'icy. » Et
Dieu sçait, quelque bonne myne qu'ilz fassent et
parolles qu'ilz disent, ilz se conchient. Il leur fau-
droit dire ce que dist le grand capitan à un autre
qui luy tenoit mesme propos : Si no tengo miedo,
porque quereys me la meter en elcuerpo? « Si je n'ay
point de peur, pourquoy me la voulez-vous mettre
1. Perpignan fut assiégé inutilement par le dauphin Henri
en 1542. C'est de ce siège dont parle Brantôme. Celui qu'il a{î-
pelle le dernier eut lieu en 1597 où la ville fut attaquée par
Ornano.
2. Est-ce le marquis de Ce nette, comte de Nasaolte, à qui Gue-
varra a adressé une de ses lettres (liv. II)?
ESPAIGNOLLES. 127
dans Je corps? » Et comme dist un grand capitaine
des nostres à un gallant que je sçay : « Pourquoy
« me voulez-vous faire poltron, moy qui ne le suis
« point, et vous, vous faire hardy et asseuré qui ne
« Testes point? »
Un capitaine espaignol combattant en estaquade
contre un autre, et luy ayant coupé un bras et un
jarret, dont il lumba par terre, luy dist : « Rendz-
« toy, autrement je te couperay la teste. » L'autre
luy respondit : Hazed lo que quisierades , que aunque
me falta el braço para pelear^ sohrame el coraçon
para mor'ir. « Faites ce que vous voudrez; car encor
que le bras me defFaut pour combattre, il me reste
un brave cœur pour mourir. » Disant souvent ce
mot : Muera la vida, y la fama siempre viva"^.
Un ' soldat espaignol ayant, en un defFy, mis son
ennemy en un tel point blessé qu'il n'en pouvoit
plus, si bien qu'en lieu de luy demander la vie il
luy demanda la mort, et le pria de la luy donner,
l'autre ne le voulut ; mais l'estropia très-bien de bras
et de jambes, pour deux raisons dict-il : La una,
parque mas penas \tens,as\ en vwir; y la olra, parque
puedas dar razon de quien te herio, y te dio taies cu-
chilladas '. Comme de vray, ce fut à ce pauvre diable
un grand crève-cœur de se voir ainsi vivre estro-
pié de son ennemy, et n'en pouvoir tirer raison. La
mort fust esté cent fois plus souhaictable.
Un autre voyant braver un gallant de paroUes et
1. La vie meurt, et la renomme'e vit toujours.
2. Les deux alinéas suivants manquent dans le manuscrit.
3. L'une, pour que tu souffres plus en vivant ; l'autre, pour que
tu puisses dire qui t'a blessé et t'a donné de tels coups.
d28 RODOMONTADES
rodomontades, il dict seulement que : Cnlla, cabeza
de soherhio, que ella hasta a hacerte /?iorir^.
Un capitaine espaignol, tournant des guerres d'I-
tallie, et en racontant merveilles de ses vaillances en
une table, son page qui estoit derrière, tout froide-
ment luy dist en lui ostant le bonnet * : Supplico a
V . M. me de licencia para que lo créa. « Je vous prie
que vous me donniez congé pour le croire, w
Un' paouvre demandant l'aumosne à un soldat
pour l'honneur de Dieu, et qu'il prieroit Dieu pour
luy, l'autre mettant la main à la bource luy donna
un réal : Toma^ dixo el,y ruega por ti, cjue iio quiero
prestar a usura. « Tenez, [dit- il,] priez Dieu pour
vous, car je ne veux pas prester à usure. » Quel bon
compaignon voylà ! Il ne se soucioit guières des priè-
res d'autruy.
Un* soldat espaignol, estant tourné en sa patrie,
et se vantant en bonne compaignie qu'il avoit veu
tout le monde, il y en eut un qui, relevant ce mot,
luy dict : Puede ser que V. M. ha ja estado en Cos-
mografla^. L'autre luy respondit, fust à escient, ou
pensant que ce fust quelque grande région ou cité :
Seiior, llegamos a vista de ella: pero dexamosla a
mano derecha^ porque ibamos de priesa^. Quel gal-
1 . Tais-toi, tête d'orgueilleux qui seule suffit à te faire mourir.
2. Var. (anciennes éditions) : Il y eut un certain vallet qui ser-
vant luy respondit froidement, en ostant le bonnet,
3. Cet alinéa manque dans les éditions précédentes.
4. Cet alinéa et les deux suivants manquent dans le manuscrit.
5. Peut-être, monsieur, que vous avez été en Cosmographie.
6. Monsieur, nous l'avons eue en vue; toutefois nous la lais-
sâmes à main droite, parce que nous étions .pressés.
ESPAIGNOLLES. 129
lant! possible se mocquoit-il d'eux, aussi bien qu'eux
de luy, ou bien qu'il lust là descouvert.
J'aymerois autant le conte d'un certain Italien, qui
un jour voyant le roy François discourir à sa table
de la grandeur et beauté de sa ville de Milan, ainsi
que chascun en disoit sa rastellée, l'Italien, se pro-
duisant, dit que certes c'estoit une très-belle ville,
mais que le port n'en valloit rien, et qu'il n'y avoit
gallère ny navire qui ne courust grande fortune de se
perdre à l'entrant, si Ton y advisoit bien. Le roy,
avec toute l'assemblée, se mit aussytost à rire et à luv
dire qu'il avoit très bien veu et recogne u la place et
le port à ce qu'il disoit, et qu'il s'advançast un peu
pour en parler encor mieux. Parquoy luy s'avançant,
il ne dit autre chose, sinon en faisant sa révérence
bien bas : Basla^ sire, cliio v ho parlalo *. Le roy
luy demanda ce qu'il vouloit dire par là. Luy respon-
dit que, puisqu'un chascun parloit, il vouloit parler
aussy, et que s'il eust dit quelque chose de bon et
vray, il ne l'eust escouté, et n'eust faict cas de luy;
et, pour ce, s'estoit advisé à trouver ceste bourle^,
pour être mieux reçu à parler à Sa Majesté, et estre
entendu d'elle, sachant bien que la mer n'estoit pas
plus près de Milan que Gennes.
Un pareil traict fit un que j'ay cogneu capitaine
de gallères, nommé M. de Beaulieu, fort mon grand
amy, qui avoit esté lieutenant d'une des gallères de
feu M. le grand-prieur de France, de la maison de
Lorraine, qui l'aymoit pardessus tous ses capitaines
1 . Il suffit, sire, que je vous aie parle.
2. Bourle^ plaisanterie, bourde; de l'italien hurla.
130 RODOMONTADES
et serviteurs, car c'estoit le meilleur compaignon, et
qui disoit le mot de la meilleure grâce qu'homme
de France. Ceux de Marseille, ayant un jour une
affaire à la court de grande importance, ilz envoya-
rent par deux fois deux consuls des mieux choisis et
des plus sages, qui n'y peurent rien faire, et s'en
retournarent comme ilz estoient venuz. Sur quoy ilz
s'advisarent de prier ledict M. de Beaulieu d'aller à
la court, et prendre la charge de ceste affaire ; ce
qu'il entreprend fort librement, car il estoit prompt
et très-officieux. Après qu'il eut faict son harangue à
la reyne-mère, qui gouvernoit tout pour lors, elle
luy dict en riant bien fort : « Et quoy ! Beaulieu,
« ceux de Marseille n'avoient-ilz point en leur ville
« un plus sage personnage que vous pour envoyer
« en ambassade ? i> Il luy respondit : « Oui vrayment,
a madame; mais quand ilz ont veu que les deux
« qu'ilz vous ont envoyez n'oni rien peu faire, ilz se
(( sont advisez d'y envoyer un fou , si qu'il feroit
« mieux qu'un plus sage ; et pour ce ilz m'ont del-
« légué. Que si vous me faictes ce bien, madame,
« de m'octroyer ma requeste, vous me mettrez en
« réjîutation; et, de fou qu'on me tient, je seray dé-
« sormais estimé très sage, w T.a reyne, qui aymoit
les bons motz et à rire, luy accorda sa requeste et le
fit dépesclier : et puis s'en retourna joyeux, et fort
glorieux, et bien estimé des Marseillois qui luy firent
un beau présent de mille escus pour sa peine , qu'il
ne cela point à la reyne, qui en fut bien ayse. J'es-
tois lors à la court, qui en vis tout le passe-temps ;
car ledict Beaulieu estoit mon intime amy.
Estant demandé un jour à un brave combien
ESPAIGNOLLES. iM
d'hommes il pourroit bien combattre et en sortir* à
son honneur, il rcspondit: Si es homhre de bien, uno
hasta; y de vellacos, la calle llena. « Si c'est un hom-
me de bien, il y a assez de luy; mais si ce sont des
poltrons et gens de peu, toute la rue pleine, w Comme
voulant dire qu'il en tueroit tant que les rues en se-
roient pleines, et en pueroient. Geste response certes
est belle et de considération; car il n'y a rien si aisé
que de battre des gens de peu.
Si nous voulons croire à un conte d'un capitaine
que j'ay cogneu, vray enfant de la mathe s'il en fut
onc, qu'on apelloit le capitaine Fréville, brave et
vaillant, un grand jeun' homme de l'aage de vingt-
cinq ans, de belle et haute taille, et bonne façon, et
qui parloit aussi bon allemant comme sa langue
françoise, pour avoir demeuré au pais six ou sept
ans; ce capitaine estoit fort mon amy et m'avoit
suivy au siège de la Rochelle, et à la court quelque-
fois. Le roy Henry, à son retour de Polloigne, estant
à Lion, ce capitaine estoit bien souvant avec moy,
dont il me fut dit de bon lieu que je l'advertisse
qu'il ne se pourmenast plus tant, et qu'il pourroit
estre en peine de la justice; ce que je ne failly de
luy dire, et de l'en advertir. Mais il me rcspondit
froidement : « Monsieur, je vous en remercie; mais
a ne vous en mettez point en peine pour moy de
« cela; car cela n'est rien. Ce n'est que quelque pet-
« tite batterie dont on m'accuse; mais la justice ne
« me sçauroit rien que faire. » Je voulus sçavoir au
vray que c'estoit. Il me dist : « Monsieur, c'est rien
« cela; mais, puisque le voulez sçavoir, c'estoit un
« maraut, marchant de Paris, qui m'avoit fait un
i 32 RODOMONTADES
« desplaisir. Je le fis guetter et seeuz comment il
« s'en alloit à Orléans un jour, avec quatre ou cinq
« autres marchans de ses compaignons. Je monte à
« cheval. Je les suis tant que je puis. Je les trouve
'< qu'ilz disnoient à T^ongemeau '. Je mis pied à terre,
(( et donne mon cheval à mon homme pour le tenir.
« Je monte en haut avecques mon pistollet bien
« bandé et le chien abattu. Je trouve mon homme
« au bout de la table. Soudain je vins à luy, et luy
'< dis : Confesse-toj,, marchant de Paris, tu es mort.
« Je luy présente le pistollet, lequel faut, et soudain
« mis la main à l'espée. Je luy donne à travers le
« corps, et tumbe roide mort par terre. Je vis ses
« compaignons qui font semblant de faire des mau-
« vais. Je donne à l'un si grand extramasson sur la
« teste, que je la luy fends à demy ; si bien que, tout
« estourdy, il tumbe dans le feu qui l'acheva de
« mourir. Au tiers je donne une grand' estoquade,
« dont il tumba soubz la table, pour amasser les
( miettes qui y estoient tumbées ; mais il n'en amas-
ce sa guières, car il mourut. Le quatriesme se mit à
« fuir et gaigner les degretz, mais je lui donne un si
« grand coup de pied parmy le cul, qu'il descendit
« plus viste qu'il ne voulut, car il se rompit le col.
« Moy, j 'essuyé bien gentiment mon espée à la nape,
« et bois un coup, laisse mes gens là mortz. Je redes-
« cens et passe sur le corps de l'autre au degré et,
« tout froidement, remonte sur mon cheval, sans
« que personne de l'hostellerie s'esmeut ny bougeast
« autrement, et me sauve. Et tout cela, mon espée
1. Longjumeau (Seine-et-Oise) .
ESPAIGNOLLES. 133
« et moy l'avons fait en un tourne -main. » Après
luy m'avoir fait ce conte, ne pouvant m'en garder
de rire, je luy dis : « Comment ! apellez-vous cela
a rien? Ah! pour Dieu! vous estes mal, si ne prenez
« garde à vous. Sortez- vous-en de ceste ville : » dont
ilmecreut; et l'accommode d'un bon cheval et d'ar-
gent et se sauva : si bien qu'il eust esté pris, ou qu'il
eust tardé un' heure à partir, il estoit perdu. Encore
veux-je bien jurer qu'à grand' peine voulut-il partir,
sans que je l'en pressasse. Voilà comment ce jeun'
homme rendit bien mallades les quatre personnes,
et comment la fortune luy fut bonne. Hé ! quel
tueur !
Il arriva un pareil trait à Milan, lorsqu'Anthoine de
Leyve en estoit gouverneur pour l'empereur Charles,
à un conte de cet estât, qu'on appelloit le conte
Claudio seuUement, et non autrement S Par cas, un
jour estant allé à la chasse, et son oyseau ayant voilé
une perdrix, quand il fut à la remise, qui estoit un
lieu fort esgaré et peu battu, il trouva quatre soldatz
qui s'estoient deffiez, et avoient clioysi pour leur
camp et estaquade un parc de brebis et moutons,
dont usent les pastres en là pour y retenir et resser-
rer leur bestial, affin d'enfumer mieux leurs terres.
Quel camp-clos, voyez, je vous prie, que ces braves
gens-là avoient chovsi! Le conte Claudio, les voyant
tous quatre en chemise, et prestz à se battre deux
contre deux, les pria de ne se battre point pour
1 . L'anecdote du comte Claudio a été déjà racontée par Bran-
tôme, et presque avec les mêmes termes, dans le Discours sur les
Duels. Voy. t. VI, p. 350-352.
134 RODOMONTADES
l'amour de luy, et de s'accorder. Eux luy dirent
qu'ilz n'en fairoient rien, mais que s'il en vouloit
avoir le plaisir, et en estre le juge, qu'il veist faire
seulement. Le conte Claudio dist qu'il n'en fairoit
rien, et qu'il ne luy seroit reproché qu'en sa présence
ilz se coupassent ainsi la gorge; et là-dessus met pied
à terre, l'espée au poinct, pour les empescher deba-
tre. Eux aussitost, comme désespérez, vont concer-
ter ensemble, et s'escrier : « Tuons-le, puisqu'il nous
« veut rompre nostre entreprise; et, amprès, nous
« la reprendrons, et nous nous battrons et verrons
(( à qui le champ demeurera; » et de fait le chargent
à outrance. Mais luy, qui estoit pour ce temps-là un
des vaillans de l'estat de Milan, se garde si bien d'eux,
et les charge si bien tous quatre, que trois demeura-
rent mortz estandus sur la place; et le quatriesme,
blessé à la mort, luy demanda la vie, laquelle il luy
accorda, et puis s'en alla. Et, despuis, ce soldat en
fit le raport et le conte que j'ay ouy faire à Milan
d'autres fois.
Voylà de bonnes fortunes de Mars , qu'il envoyé
à ceux qu'il luy plaist. Faut bien nocter en cecy que,
quand des gens de bien ont grand' envie de se bat-
tre, ou qu'ilz sont une fois aux mains, il n'y a rien
qui leur fasché plus quand quelques-uns surviennent
qui les veullent séparer : et bien souvant a l'on veu
arriver de mesme que je viens raconter, que les
deux ennemis, ou quatre, ou plus grand'troupe s'ac-
cordent à charger messieurs les sépareurs (j'en ay
veu deux telz traictz en ma vie) ; n'estant rien si fas-
cheux au monde à un vaillant et brave homme que
de luy rompre son dessein d'armes.
ESPAIGNOLLES. 138
Au siège de La Fère dernièrement', ayant esté pris
deux soldatz à un' escarmouche, dont l'im estoit
fi-ançois et l'autre espaignol, et menez devant le rov,
il * dist au François que sa sentence de mort estoit
donnée par son bandon' pour les François révoltez
contre luy, mais qu'il luy pardonneroit et luy donne-
roit la vie s'il luy disoit la vérité. L'autre l'ayant
promis, le roy luy demanda combien ilz pouvoient
avoir encor de vivres léans. Le François luy respon-
dit qu'il y en avoit encor pour un mois. Et ayant
demandé à l'Espaignol de mesmes combien il en
avoit, l'Espaignol respondit qu'il y en avoit encor
pour deux ou trois mois. AUors le roy s'adressant au
François, luy dist : « Vous serez pendu, car vous
« m'avez menty. » L'Espaignol, advisé, prompt et
courtois à sauver la vie de son compaignon, dist au
roy : Sacra Majestad^ no miente : porque no ay mas
para los Franceses, que son grandes comedores ; mas
bastan para losEspaîioles^que viv^n y se contentan de
poco. K Sacrée Magesté, il ne ment point; car il n'en
peut pas avoir davantage pour les François qui sont
grands mangeurs; mais il y en peut bien avoir autant
pour les Espaignolz qui vivent et se contentent de
peu. » Aussi mandarent-ilz au cardinal d'Austriche
qu'il leur envoyast seullement du sel; car ilz se salle-
roient et se mangeroient les uns les autres avant que
1. Le siège de la Fère par Henri IV (1595-1596).
2. //, Henri IV.
3. Ce bandon est probablement la Déclaration du roi, datée
du 27 octobre 1593, par laquelle il promet pardon et abolition à
ceux qui, dans le délai d'un mois, se retireront du parti des re-
belles.
\ 36 RODOMONTADES
se rendre. La rodomontade ne fut pas là bonne, car ilz
furent bien avses de se rendre à une honeste compo-
sition que nostre roy généreux leur tint très bien *.
Certainement* de croire que les Espaignolz soient
plus sobres que les François, il le faut : à quoy deux
soldatz ' se rencontrant une fois en Italie dans une
hostellerie, l'boste leur servit un plat de raisins, ce
que le François n'approuva point, et n'en voulut
manger; ce que l'Espaignol remonstra à l'hoste, di-
sant que /os Franceses no eran acostumhrados hacer
sus edificios sobre cosas redondas \ L'Espaignol ,
quant à luy, il mange de tout ce qu'on luy donne,
et se contente de peu quand il va de son coust et de
sa bourse. Que si a^ous le surprenez sur son ordi-
naire, il est quitte, en vous en présentant et priant
d'en manger, à vous dire : Segnor, coma de este pe-
dazo de tocino ; que juro a Dios no haj perdiz que le
valga^. Quand ilz sont à la table et aux despens
d'autruy, ilz mangent aussy bien que les François.
Aussi se mocquent-ilz d'eux, qu'ilz mettent tout à la
mangeaille et vont tout nudz; et eux \>an vesttdos y
atai>iados como rejes^. Comme de vray, il n'est pas
possible de voir chose si brave comme j'ay veu d'au-
\, Var. Que le roy très généreux leur octroya et tint très
bien.
2. Ce qui suit jusqu'à la troisième ligne de l'alinéa suivant
manque dans le manuscrit.
3. C'est-à-dire un soldat français et un soldat espagnol.
4. Que les Français n'étaient point accoutumés à bâtir sur des
choses rondes.
5. Monsieur, mangez de ce morceau de salé. Je jure Dieu qu'il
n'y a pas de perdrix qui le vaille.
6. Vont vêtus et parés comme des rois.
ESPAIGNOLLES. 137
très fois les vieux soldatz des lerzes de Naples, de
Seicile, de Lombardie, de Sardaigne, voire de la
Collette quand ilz la tenoient.
Pour retourner encor à leur sobriété, et comme
ilz endurent la faim, je m'en vais faire ce conte et
puis plus. A la révolte de la ville de Sienne, et qu'elle
fut surjH'ise et gaignée pour nostre roy Henry IP, il
V eut trois soldatz espaignolz qui, ne perdant cœur,
gaignarent une tour de la porte Romane, et se réso-
lurent là de vendre leur mort au plus haut pris
qu'ilz pourroient. Comme de fait, ilz firent si bien
que M. de Termes, le principal clieffrançois de l'en-
treprise, vint luy-mesmes parler à eux qu'ilz se ren-
dissent, et qu'il leur fairoit bonne guerre et hon-
neste composition, et qu'ilz advisassent bien qu'il y
avoit quatre ou cinq jours desjà qu'ilz n'avoient rien
mangé, et qu'ilz s'en alioient aux vespres ou vigiles
de la mort, n'ayant nulle provision pour vivre, et
qu'ilz fairoient bien de se rendre et prendre le party
du rov et laisser celluy de l'empereur , autrement il
les fairoit brûler léans ou mourir de fain. Par une
petite fenestre de la tour, un respondit pour tous de
ceste manière : Cavalleros ^ qualesquiera que fuere-
des, todos como estamos bezamos vuestras manos mu-
chas vezeSy por el buen partïdo y \>oluntad que de nos
lihrar de muerte nos haveys mostrado. Y qaanto a
nos rendir, j servir al rey de Francia, el es tan
hueno que no le fallara quien le sirva; y nosotros
tan leales al nueslro, que ningun temor de muerte
nos hara variar ; y no nos espanto el fuego, ni
otra muerte qualquiera que çiniere. En que toca
a su inlanto, y a lo que deceis que no tenemos de
138 RODOMONTADES
corner, sahed que aca tenemos abiindancia de ladrillos,
y siempre que a los Espagnoles falta la provision,
con est os bien molidos nos sustentâmes ^ « Cavaillers,
quelz que vous soyez, tous telz que nous sommes
icv, vous baisons les mains plusieurs fois pour le bon
parly et la bonne volunté que nous monstrez à nous
dellivrer de la mort; et quand à nous rendre et servir
le roy de France, il est si bon que gens ne luy fail-
lent pour le servir, et nous autres si loyalz au nostre
que nulle craincte de mort nous faira jamais varrier
nostre intention, soit le feu, soit autre mort; et quant
à ce que vous dites que n'avons de quoy à manger,
sçachez que nous avons céans grand' abondance de
tuyles et carreaux de briques, et toutes fois et quantes
qu'aux Espaignolz la provision faut, avec ces tuyles
et carreaux bien moulus et pilez nous nous substan-
tons. ))
]M. de Termes loua fort leur dire et valleur.
Toutesfois, leur ayant encores remonstré leur mal,
ilz y songearent et se rendirent ; et les prist à mercy,
et les r'envoya sains et sauves. Il ne faut point
doubter pourtant qu'ilz ne mangearent à l'extrémité
de ce tuyle broyé comm' ilz fyrent à croyre, tant de
temps ayant demeuré là et si longuement, tant ilz
sont patiens de la fain entre autres vertuz millitaires.
Et ne faut point aussi douter qu'ilz n'eussent volunté
de se rendre, car ilz n'en pouvoient plus : mais il
falloit advant qu'ilz fissent ceste rodomontade, et
bravassent, tant ilz sont coustumiers de braver, aussi
\ . Ce passage est, à quelques mots près, tiré textuellement de
la Conquista de Sena, f° 38.
ESPAIGNOLLES. 439
bien en leur prospère qu'en leur adverse fortune ; et
telle est la vertu de telz généreux.
En ceste guerre et la bataille de Sienne faicte,
entre le seigneur d'Estrozze et le marquis de Mari-
gnan, les Espaignolz donnarent réputation à Astol-
pho Baglion d'y avoir très bien fait; si bien, di-
soient-ilz^ que tan grande eslrago en los enemîs,os
hazia, que no hombre topava con su espada cortadora^
que a la dulçura de sus kilos no dexase la i^ida en
sus manos. « Qu'il faisoit si grand effort sur les en-
nemis qu'il n'y avoit homme qu'il rencontrast avec
son espée tranchante que par la douceur de ses
filz (quelle douceur!) ne laissast sa vie entre ses
mains. »
Hz louarent bien autant là mesmes un capitan Léon
y un Espinosa, de los quales era tanlo el estrago que
en los ennemigos liazian, que olra cosa no hollavan
entre sus piesy sino liombres muertos de uno y otra
parte. « Lesquelz faisoient tant de faitz d'armes con-
tre les ennemis, que autre chose ne levoient entre
leurs piedz sinon gens mortz d'une et d'autre
part. »
Un soldat espaignol du prince de Parme, durant
ces guerres, avant esté pris des nostres, et interrogé
par un capitaine des nostres aussi s'il n'y avoit point
parmy leurs bandes quelque brave capitaine, et par-
my eux , qui sceust et voulût tirer quelque coup de
picque pour gentillesse contre luy, l'autre luy res-
pondit : Si aj, juro a Dios, muchos, y mas que no
ay pelos en sus barbas. « S'il y en a, ouy, plus que
vous n'avez de poil en votre barbe. »
Un autre, prins vers la frontière de Picardie, et
440 RODOMONTADES
mené au roy ^, tournant de la Franche-Conté, après
la prise de Cambray ', il demanda ce qu'on disoit de
luy parmy son armée. Il respondit : No otra cosa,
si'no que por ireinla mil ducados que haK>eys ganado
en la Franelie-Conté, haveys perd'ido Cambrav. « Sinon
que pour trente mil' escus que vous avez gaigné à
la Franche-Conté , vous avez perdu Cambray. »
Ceiluy-là pouvoit dire vray; car, si le roy ne se fust
amusé à la Franche-Conté à y faire la patrouille, il
n'eust pas perdu Cambray; car sa présence seulle
eust estonné l'ennemy. Bien est-il vray qu'on pourra
là-dessus objetter les prises de Calais et Guynes à sa
barbe. Cela est vray; mais il faut avoir ouy les rai-
sons du roy, qu'on dit qu'il n'y a esté bien servy,
et qu'il ne vouloit desmordre une place, La Fère,
qu'il avoit eue à la fin par sa brave résolution; et si
eust fait l'un et l'autre, s'il fust esté creu et bien servy.
Quand le prince de Parme vint pour désassiéger
Paris par le commandement de son roy, qu'il luy
avoit donné exprès, usant de ces propres motz : « Ne
« faillez d'aller secourir ma ville de Paris, » comme
la tenant desjà sienne, il assiégea Lagny pour faire à
nostre roy desmordre Paris et l'attirer à la battaille ;
ce que le roy désiroit fort, et l'autre ne faisoit que
le semblant : là où il y eut eu une grand' faute de
laisser une telle ville de conséquence pour secourir
une bicoque, et quicter un beau champ qu'il avoit à
luy desjà, pour en aller chercher un autre bien loing
pour combattre. Ce prince de Parme donc ayant
sceu que le roy disoit qu'il entreprenoit trop de vou-
1. Henri IV. — 2. Par les Espagnols, en lS9.j.
ESPAIGNOLLES. 141
loir prendre une ville à sa barbe, et de donner une
l)ataille comme il se vantoit , il fit ceste responce à
quelque prisonnier François : « Dites-luy que je la
luy prendray, citin que fuese pues ta en cima de su
moslacJio. w « Encores qu'elle fut posée sur la cime
de sa moustache. » Le roy luy fit rendre responce
qu'il luy oposeroit tant de montaignes de fer qu'il
l'en empescheroit bien. Le prince répliqua : Plu-
guiese a Dios que fuessen (ï oro, que seriamos mas
ricos. a Pleust à Dieu qu'elles fussent d'or, que nous
en serions plus riches. » Inférant par là qu'après
avoir porté par terre toutes ses montaignes de fer,
qui estoient ses gens armez, et les avoir deffaitz,
pour une tant riche despouille ilz viendroient tous
riches et opuilans.
Le dire ne trompa point ledit prince, car il prist
la ville sans donner bataille, et si leva le siège de
Paris comme il vouloit; ce qui luy fut un très-grand
honneur, et tout pareil encore à celluy qu'il receut
à Rouan; car le roy, sçachant qu'il le venoit désas-
siéger, luy manda qu'il le tiendroit à ce coup pour
le plus grand capitaine du monde s'il luy faisoit lever
le siège sans donner à ceste fois bataille, le prince
luy manda seullement : « Dites-luy donc qu'il com-
te mance à me tenir pour tel ; car je leveray le siège,
« et si ne donneray point de bataille. » J'eusse bien
mis ces parolles en espaignol, mais elles sont com-
munes. Il fit encores à ceste fois là ce qu'il voulut,
ainsi que j'espère le dire au discours que je faii-ay
de luy*.
1. Ce discours n'a jamais été écrit.
142 RODOMONTADES
Voylà deux fortunes et deux gloires incompara-
bles. Ceux qui veulent gloser sur la paroUe dudit
prince, disent qu'il entendoit sa moustache celle
qu'il portoit si grande, et si pendante de ses che-
veux , dont plusieurs de son royaume l'ont imité
en cela; mais depuis il Fa faite couper, car s'il eust
entendu les moustaches de la barbe, il eust usé de ce
mot propre espaignol qui dit : Las bigotes de su
barbas *.
En ces deux et mémorables factions, les Espai-
gnolz s'attribuent la gloire, comme en toutes autres
où ilz se treuvent en armées royalles, que leur val-
leur, leur discipline millitaire et leur ordre de guerre
triumphent par-dessus toutes les autres. Et, pour de
grandz miracles de cela, je leur ay veu alléguer force
exemples, et en autres celluy de Hernan Cortès,
digno [dizen ellos) por cierto de ponerse entre los
nueçe de la fama; el quai, con nienos de mit infan-
tes espagnoles j ochenta cavalloSy prendio dentro de
su ciudad al gran rej Montezuma, y al fin con sola
la buena orden sujeto el imper io Mexicano. Y en
nuestros dias^ Hernan Ahares de Toledo, aquel gran
capitan y ducque de Alva, con solos mil arcabuze-
ros, y quinientos musqueterosj y la buena disciplina
y orden de guerra^ rompio y degollo en Friza, a la
ribera del rio Amazio, doze mil hombres con que el
conde Ludoçico Nazao a\)ia entrado en aquella pro-
vincia. « Digne, disent-ilz, pour certain d'estre mis
parmy les neuf de la Renommée (qui sont les neuf
preus), de Herman Cortez, lequel avec moins de mil
1. Les moustaches de sa barbe.
ESPAIGNOLLES. 143
hommes de pied espaignolz, et huiclante chevaux,
prist dans sa cité le grand roy Monteçuma; et à la
fin avec le hel ordre subjuga du tout l'empire mexi-
qiian. En nos temps derniers, Hernan Alvarès de
Tolède, duc d'All)e et grand capitaine, avec seule-
ment mil' harquebuziers et cinq cens mousquetaires,
avec la bonne discipline et ordre de guerre, rompit
et tailla en pièces, en Frize, près le fleuve Amazio*,
dix mil hommes que le comte Ludovic de Nansau
avoit là menez. »
Les Espaignolz, en ce dernier combat, en content
beaucoup ; car le duc d'Albe avoit bien plus de gens
que dit le conte : mais l'autre en avoit deux fois plus
que luy; et surtout, huict ou neuf cens François,
très-braves solda tz qui comba tirent bien. J'estois
lors à la court, quand ces nouvelles vindrent au roy,
qui trouva cette deffaite très belle et mémorable, et
mesme de si peu de gens contre si grand nombre.
Certainement il faut louer leur discipline et bel
ordre : en cela ressemblans aux anciens braves Ro-
mains, qui, par discipline de guerre, et non par
grand nombre de gens, ont conquis tout le monde.
Mais qui est cause de ce bel ordre et discipline, si
non le beau entretènement que le roy d'Espaigne
donne à ses gens de guerre, et les belles soldes et
payes qui ne leur manquent jamais, bien qu'ilz les
attendent, mays pourtant ne les perdent comme nos
solda tz françois font? Car là où l'argent trotte, l'or-
dre s'y establit, et où il manque, il n'y a plus que
confusion. Et ay ouï dire à de grandz capitaines que
1. Amazio^ Q\\\ai.\xn. Amasius^ l'Ems.
144 RODOMONTADES
nul grand aujourd'huy, quel qu'il soit, ne peut en-
tretenir un' armée bien pollicée_, disciplinée et bien
ordonnée longtemps, qu'un roy d'Espaigne, ainsi
qu'il a tousjours fait despuis que l'empereur son père
luy laissa tous ses estatz. Aussi est-il si grand et puis-
sant en terres et moyens, que jamais les Romains
n'en aprocharent. En cas qu'il ne soit vray, consi-
dérons un peu les grandz tiltres qu'il porte sur le
front, que je vois^ mettre icy par curiosité : Don Phi-
lippe, por la gracia de Dios, rej de Caslilla, de Léon,
de yéragon, de las dos Sicilias, de Jérusalem, de
Portugal, de Navarra, de Granada, de Toledo, de
Valencia, de Galizia , de Mallorca , de Sevilla, de
Cerdeîia, de Cordova, de Corsega, de Murcia, de Jaen^
de los Algarçes , de Algezira, de Gibraltar^ de las
islas de Canaria^ de las Indias Orientales y Ociden-
taleSy islas y tierra firme del Mar Oceano ; archiduc-
que de Austria, ducque de Borgoha, Bravante, y
Milan; conde de Abspurg, de F landes, y Tirol, j
Barcelona; seiîor de Viscaya, de Genova^ y de Mo-
li.na ^ .
Voylàdes tiltres qui font peur, à les ouïr seulement
1. Vois^ vais.
2. Don Philippe, par la grâce de Dieu, roi de Castille, de
Léon, d'Aragon, des Deux-Siciles, de Jérusalem, de Portugal, de
Navarre, de Grenade, de Tolède, de Valence, de Galice, de Ma-
jorque, de Séville , de Sardaigne, de Cordoue, de Corse, de
Murcie, de Jaen, des Algarves, d'Algeziras, de Gibraltar, des
Canaries, des Indes Orientales et Occidentales, des îles et terre
ferme de l'Océan; archiduc d'Autriche, duc de Bourgogne, de
Brabant et de Milan ; comte de Hapsbourg , de Flandre , de
T} roi et de Barcelone ; seigneur de Biscaye , de Gênes et de
Molina.
ESPAIGNOLLES. i 45
nommer, et mesmes de ces deux Indes Orienlalles
et Occidenlalles. On pourra dire que celluy des Es-
paignes peut porter avec soy plusieurs petitz royau-
mes qu'on nomme par villes; mais pourtant sont
royaumes bons et grands, comme la duché de Milan,
qui porte son nom d'une ville, et non du païs. Et
quelle duché est-ce, et combien y a-il de villes des-
soubz ! Le royaume de Naples, quel royaume est-ce !
De mesmes sont tous les royaumes de villes qui sont
en Espaigne. Baste* que c'est un grand roy, et que
j'ay ouy dire que les Romains ne furent jamais si
grands terriens ny opulans que luy. Cela est aisé à
cognoislre, qui en veut computer et mesurer les
terres de l'un et des autres*.
Comme j'ay parlé cy-devant de la discipline mili-
taire des Espaignolz, certes elle est très-belle, bien
pollicée et gentiment observée; mais il faut confes-
ser le vray : quilz sont fort fasclieux et importuns
en cela, d'estre fort subjetz à se mutiner quand leur
paye leur manque, et non pourtant guières pour au-
tre subject; car ilz ne se veulent mettre à sédition que
bien à propos et avecques raison. Il y a longtemps
qu'ilz en ont pris ceste coustume, et l'ont continuée
soubz le grand marquis de Pescayre, soubz M. de
Bourbon et soubz le duc d'Albe. Ilz' n'y ont pas faict
de grandes fautes en cela, car ilz les sçavoient avoir,
1. Baste, suffit.
2. Ici s'arrête le manuscrit des Rodomontades, à la suite des-
quelles vient la première rédaction des Sermens et juremens ex-
paignols. >'ous ne pouvons plus que reproduire le texte des
anciennes éditions.
3. Hz, Pescaire, Bourbon et Albe.
VII — 10
146 RODOMONTADES
et leur donner tant de pillages qu'ilz avoient beau
moyen de patienter et attendre leurs payes, qu'ilz
n'en vouloient perdre pourtant pas une seule : tes-
moing le sac de Rome, qui les rendit saouls jusqu'à
la gorge, et pourtant fallut que le pape baillast de
l'argent pour les payer.
Or voicy la façon qu'ilz ont à se mutiner, ainsy que
j'ay ouy dire et conter à aucuns d'eux : ilz commen-
cent à se plaindre les uns les autres, et puis sourde-
ment font courre ces motz parmy eux : Motin, mo-
tin *. Et puis tout haut commencent à crier : A
fuera^ a fiiera , los gusmanes. Apartense , porque
nos queremos amotinar^. Car, s'il y a des gentils-
hommes et des gusmans, qu'ilz appellent ainsi par-
my eux (comme il y en a force), ne les veulent point
recevoir en leur compaignie; aussy eux ne le fe-
roient pour tout le bien du monde, car ilz seroient
déshonorez pour jamais, bien qu'il y en ait eu aucuns,
ainsy que j'en ferois un beau discours; mais il seroit
icy trop long et superflu. Les capitaines qui en sen-
tent le vent se retirent de bonne heure, tant pour
ne courir fortune de la vie que de l'honneur; car ilz
penseroient estre déshonorez à perpétuité, et leur
seroit reprochable s'ilz se trouvoient brouillez parmy
leurs menées. S'estant joincts en bonnes troupes, qui
plus qui moins, ilz eslisent pour leur chef le plus ha-
bile et le plus advisé qu'ilz peuvent choisir parmy
1. Révolte, révolte 1
2. Dehors, dehors les cadets 1 Qu'ils s'en aillent, parce que
nous voulons nous révolter. — Sur ce nom de Gusmanes, voyez
tome I, p. 33b.
ESPAIGNOLLES. ikl
eux, et l'appellent elegidu, et nous autres disons
es/eu. Hz le contraignent d'en prendre la charge; et
ne faut pas qu'il la refuse; autrement ilz le feroient
mourir et passer par les armes. Cela faict, ilz luy
obëyssent comme à leur vrai chef et capitaine, se ré-
servant pourtant quelques voix entre eux_, puis tas-
chent à surprendre quelques villes pour leur servir
de retraictes. De là ilz font mille maux, volleries et
rançonnemens.
Entre les plus signalez amutinemens que j'aye ouy
raconter parmy eux, ce fut celuy qu'ilz firent en Si-
cile à Ferdinand de Gonzague, en estant visce-roy*.
La première source en vint de la GoUette, et pou-
voient estre bien près de quatre mille. Mais Bernar-
din de Mandozze, général des gallères de Scicille, en
prévoyant le danger, y remédia de bonne heure;
car, s'ilz se fussent ralliez avecques les Allarbes* et
les Mores, la Gollette, Thunis et tout de par de là,
[cela] alloit très mal pour l'empereur. Par quoy, so\ibz
belles promesses et parolles qu'il leur fit, il les char-
gea tous sur les gallères et navires, et les trajetta en
Scicille, où estans et pensans toucher argent n'en
touchèrent pas une maille : et alors ce fut pis que
devant, car ilz firent mille maux, prindrent des
villes, tinrent les champs, rançonnèrent et pillèrent
tout le monde; enfin ilz firent le diable. Hz avoient
esleu par-dessus tous, d'une mesme voix, pour chef,
un certain Heredia, parce qu'il estoit fin, subellin et
surtout fort éloquent, et qui parloit d'or ; car il avoit
1 . En 4d38. Tout ce qui suit est tiré de P. Jove, liv. XXXVIII.
2. Allarbes, Arabes.
148 RODOMONTADES
eslé d'autres fois moyne bien preschant;, et avoit
quitté le froc pour porter les armes. Il avoit pour
compaignon un Mont-Dragon, navarrès, qui advi-
soit* sur la criminallité. Pour fin de conte, ilz firent
tant de maux, et se firent tant craindre, qu'ilz don-
nèrent bien de FafFaire à Ferdinand , et à songer à
luy; car, de les avoir par les armes, il n'en falloit
point parler, tant ilz estoient forts, braves et vaillans,
et se sça voient très-bien conduire en bons hommes
de guerre : et, pour ce, fut advisé de les avoir par
douceur et belles promesses. Donc, après plusieurs
allées, venues, conférences et ambassades par Alvare
de Sando, Sancho Allarcon, Alphonse Vives, et sur-
tout par Juan Varga, le bon vieillard , que les amu-
Imez aymoient et appelloient leur père, la paix fut
faicte. Et pour la conclure et rendre bien ferme et
stable, il fut dict et arresté qu'à un certain lieu où la
messe se diroit, tous, d'une part et d'autre, au moins
les chefs, jureroient sur le corps de Nostre-Seigneur,
quand le prestre le leveroit , qu'ilz tiendroient la
paix et ne l'enfraindroient nullement. Quand ce fut
là, les députez d'Heredia très- volontairement haus-
sèrent les mains dextres. Il y eut un desdictz dépu-
tez, qui s'appelloit Villa-Lobo , lequel voyant don
Ferdinand estre long et tardif à hausser la sienne, il
luy cria tout haut : Seilor i^irej; alzed la mano, si
quisieredes, que es el cuerpo de Dios que aqui çeis.
Si no la alzais j laego nos apartamos del juramento,
y quehranios la paz, y guerra coma adelante ^ C'est
1. Jdviser, donner son avis; de l'italien avisar.
2. Seigneur vice-roi, levez la main, s'il vous plaît. Voilà le
ESPAIGNOLLES. i49
parlé cela à un général, et bravé un vice-roy. Quelle
rodomontade ! Ce n'est de pair à pair, ny de com-
paignon à compaignon, mais d'inférieur à son supé-
rieur. Ce fut à Ferdinand à lever la main aussytosl,
et faire bonne mine pour le coup; mais après il en
eut bien sa raison, car, les ayant séparez et départis
aux garnisons, qui çà qui là, il en fit mourir et pen-
dre tous les chefs premièrement, et force autres, et
plusieurs jetter dans la mer; si bien qu'on en voyoit
les rives bordées de corps morts, jusques environ
cinq cens. Les autres, les rellégua et les envoya aux
isles circonvoisines , où la pluspart moururent de
faim, comme en l'isle de I.ypary, que je pense n'a-
voir veu si misérable habitation; car il n'y croist
que des câpriers. Les autres furent envoyez en Es-
paigne pour y estre ignominieusement veus. Dont
aucuns disoient, quand on les y menoit, que mns
presto lus liiciesen niorir^ que recebir tal afrenta y
i^erguenzaj ser traidos al escarnio de sus parentes,
ainigos y compaîieros ^ . Pour conclure, ilz furent
très-rigoureusement chastiez, ce que le conseil d'Es-
paigne trouva pourtant très mauvais, et se mit à en
faire le procès à don Ferdinand. J'en ouys raconter
quelques particularitez du plaidoyé, qui certes sont
belles, et fondées sur quelques raisons, lesquelles
j'eusse mis icy, mais elles fussent été trop longues.
corps de Dieu que vous voyez. Si vous ne la levez pas, nous nous
départons sur le champ de notre serment ; nous rompons la paix,
et la guerre sera comme devant.
1. Qu'ils auraient bien mieux aimé mourir que de recevoir un
tel affront et un tel opprobre, et que d'être exposés au mépris de
leurs parents, de leurs amis et de leurs compagnons.
i50 RODOMONTADES
J'espère les mettre ailleurs. Hz luy firent donner un
adjournement personnel pour comparoistre ; mais
l'empereur fit surseoir la cause. Aucuns* ont dict et
escrit qu'il trouva très-bonne ladicte rigueur et pu-
nition, et mesme qu'il taxa Ferdinand de n'en avoir
pas prou faict; mais sont menteries, car je tiens de
vieux capitaines et soldatz espaignolz que j'ay veus
en Sicile et à Naples, qu'il en fut très- mal content,
et en blasma ledict Gonzague ; et en coulla la chose
pour le coup : et, tant s'en faut que l'empereur le
trouvast bon, que, quand les députez de Milan vin-
rent vers luy ^ pour luy remonstrer les maux que
d'autres amutinez, conduitz par leur chef Sarmento,
faisoient en sa duché de Milan, et que, s'il ne leur
en faisoit raison, ilz seroient contraincts de se la
faire eux-mesmes, il s'en courrouça et estomaqua
fort, et menaça s'ilz luy tenoient jamais ce propos;
et si leur en fit faire une réprimande et menace plus
rigoureuse par son chancellier de Granvelle.
Or ledict Ferdinand ayant envoyé ces pauvres ma-
lotrus en Espaigne, et veuz en tel estât de tout le
monde, mesmes aucuns s'estans présentez au con-
seil, ne faut point demander si le spectacle en fut
odieux à toute l'Espaigne, et à belles injures après
luy; car ceste nation sçait fort bien echar pullas^ :
et la pluspart l'appelloient vellaco Italiano^ enemigo
del nombre f valor de los Espaiîoles , traydor, per-^
jura, hurlador del cuerpo sagrado de ISuestro-Senor^
\. Aucuns, c'est P. Jove, liv. XXXVIII.
2. En lo38. Voy. P. Jove, liv. XXXVIII.
3. Donner des brocards.
ESPUGNOLLES. 151
enganador de fe, y verdugo saîigriento^', bref, une
infinité d'autres sortes d'injures que l'ire, le despit,
le désespoir, la liayne et l'offense, leur rapportoient
en la bouche, que j'ay ouy dire et que je tays. Au
moins, disoient aucuns, s'il les eust décimez, et faict
mourir quelques coupables, la chose ne seroit si
exécrable, et les renvoyer contre les Turcs, ainsy que
fît le marquis del Gouast ceux qui s'amutinèrent en
la duché de Milan, soubs leur chef Sarmento, qu'il
envoya jusqu'au nombre de trois mille, en Dalma-
cye, à Calaro et à Castro-Novo, là où pourtant ilz
périrent tous, fust ou par le fd de l'espée, ou de la
cadène de Barberousse et de ses gens, portans la
peyne de leurs maux et de leurs meffaictz qu'ilz
avoient faictz en leur rébellion ; mais aussy ilz firent
bien mourir de leurs ennemys. Possible ceux-cy de
Ferdinand, s'ilz fussent estez employez pour mesme
subject, en eussent faict de mesmes, ou mieux; et
par ainsi autant de Turcs mortz et tuez et moins
d'ennemys.
Certes, il n'est pas besoing d'estre si rigoureux et
cruel en telles justices; car telles gens quelquefois
ayans estez pardonnez, et venans à se recognoistre,
réparent leurs fautes et font de bons services. Je n'en
sçaurois alléguer plus brave exemple que des amu-
tinez de la ville d'Alost en Flandres, qui d'eux-mes-
me secoururent si bien et si vaillamment la citadelle
d'Anvers, assiégée par les États, dont j'en parle ail-
1 . Lâche Italien, ennemi du nom et de la valeur des Espagnols,
traître , parjure , moqueur du corps sacré de Notre-Seigneur ,
trompeur contre la foi promise, et bourreau sanguinaire.
lo2 RODOMONTADES
leursMlz en ont faict de mesmes en plusieurs autres
lieux, s'estant ainsi réconciliez; je dirois bien où,
mais je serois trop long.
Je voudrois seulement sçavoir sur ce discours, de
quelque grand docteur, s'il y alla beaucoup de la
conscience dudict Ferdinand en ce serment preste et
rompu, qu'aucuns ont dict qu'il ne l'avoit faict que
de bouche et non de cœur; savoir si cela se peut
faire en la présence et à la veue du corps de
Nostre-Seigneur , et si ce n'est point l'offenser en
abusant ainsy de son sacrement et de son mystère.
Pour quant à l'honneur, il y a tant de raisons de
pro et contra^ que je les laisse à discourir aux grands
capitaines et plus gentils cavalliers que moy. Tant y
a pourtant, il me semble, qu'on ne doit point estre
tant ainsv sévère à l'endroict des pauvres soldatz,
bien qu'ilz fassent telz ou autres délicts; car ce sont
eux qui battaillent pour les chefs; ce sont eux qui
acheptent de leur sang les victoires, et les chefs en
triomphent de l'honneur et du proffit. A quoy sceut
très bien avoir esgard Scipion en Espaigne contre
ses amutinez, qui, ne se contentans de leur rébellion,
prindrent l'autorité et enseigne de consuls à l'instance
des soldatz ^ Les chefs en furent punis, et aucuns
soldatz; et les autres furent pardonnez, qui après
firent à luy et à la république romaine très bons ser-
vices. Je pense bien que ces grands chastieurs de sé-
ditions voudroient bien que les soldatz fissent de
pierre pain, ainsy que le diable vouloit que Jésus-
\. Voy. tome II, p. d84.
2. Voyez Plutarque, Fie de Scipion l'Africain, ch. xii et suiv.
ESP AIG NULLES. 4 53
Christ fist en son désert. Mais ne pouvant faire ces
miracles, il faut bien qu'ilz vivent ; et vivre ne peu-
vent-ilz s'ilz n'ont leur payes, ou ne brigandent. Et,
ne leur voulant permettre le brigandage, leur rete-
nant leur solde, que veut-on qu'ilz fassent? Voylà en
quoy ces grands capitaines et généraux d'armées doi-
vent bien arregarder sur ces chastimens, car il y va
de la conscience. Cependant je brise icy, estant le
discours trop long, et fascheux possible à aucuns.
Un de ces ans, que nostre roy print et gaigna Pa-
ris de la façon que chacun sçait', les Espaignolz qui
estoient dedans, qu'aucuns nommoient Napolitains
(mais autant y avoit-il des uns que des autres), ilz
furent fort estonnez, et comme gens braves et vail-
lans se résolurent au combat; et s'estant mis en bat-
taille, le roy leur manda qu'ilz ne s'amusassent point
à cela, autrement qu'ilz estoient tous perdus s'ilz en
venoient là; toutesfois s'ilz vouloient estre sages, qu'il
leur feroit si bonne et honneste guerre qu'ilz au-
roient occasion de se contenter en leur octroyant,
leurs vies et bagues sauves, la retraicte de gens de
guerre, ensemble seure conduicte. Leur maistre de
camp qui leur commandoit, avec d'autres capitaines,
admirans la générosité de nostre roy, se mirent tous
à dire : Mira oquel rey çaleroso^ el quai no se con-
tenta de vencer los hombres con las armas, mas los
vence j gana con toda cor tes ia y gentileza^. Pour ce
1. Henri IV entra à Paris le 22 mars 1394.
2. Voyez ce généreux roi, qui ne se contente point de vain-
cre les hommes par les armes, mais les vainc et les gagne par
toutes sortes de courtoisies et de gracieusetés.
1S4 RODOMONTADES
ilz acceptèrent le party. Et pour se retirer^ marchans
par la ville, le roy les voulut voir passer; lesquelz
tous luy vindrent faire de grandes révérences, au
moins les capitaines; les soldatz le saluoient avec-
ques leur gentille mode, ainsy qu'ilz savent très bien
faire. Le roy leur rendit la pareille, selon le respect
de sa royale grandeux, et les fit très seurement con-
duire au lieu de leur retraicte. Ce ne fut sans dire
tous les biens du monde de ce grand roy, comme
ilz avoient raison; car s'il eust voulu estre cruel, ilz
estoient perdus et mis en pièces.
Quasi telles et semblables paroles dirent ces pau-
vres Espaignolz restez devant Metz de feu M. de
Guyse le Grand, lesquelz ayant trouvé au lèvement
du siège misérables malades, mourans de froid et de
faim, fit retirer, loger, substanter, panser, si que
plusieurs en eschappèrent par son bon traictement,
et puis les fit conduire tous à sauveté vers Thionville.
Ce fut à eux d'en dire tous les biens du monde,
comme de raison. Et entre autres beaux motz qu'ilz en
proférèrent, furent ceux-cy qui portent grand poids,
bien qu'ilz soient courtz et briefz : Que era justo
enemi'go y piadoso vencedor * .
Il ne leur fit pas de mesmes que firent les Espai-
gnolz à nos François et lansquenetz qui restèrent
devant Pamplune, le siège levé par M. d'Angoules-
me, le roy Jehan de Navarre et M. de I^a Palisse,
qui^ leur faisoient jurer et promettre, si sanasen^ de
4. Qu'il était équitable ennemi et vainqueur miséricordieux.
2. Qui, les Espagnols. Ce passage est emprunté, avec quelques
changements, à la Conquista del reyno de ISavarra^ p. 234-233.
ESPAIGNOLLES. ISf)
no rcccbir nuis sueldo del rey de Francia, pues contra
la Iglesia se mostraba, A los que esto creian y pro"
metian, daban el Corpus Domini, j los otros sacra-
mentos de la madré sauta Iglesia, j^ si morian, ecle-
siastica sepoltura. Los que eran interrogados por sus
confesores , que no querian reconciliarse , los dexa-
han alla morir'^ ; y y si morian, como Moros los enter-
ruban , porque tal era la intencion y la bula de l papa
Julio^. Quelle bulle d'or! Les Espaignolz se vantent
de tout cela; mais, à ce que j'ay ouy dire à aucuns
vieux gentilshommes, et françois et lansquenetz,
confès et non confès, ilz ne furent espargnez non
plus les uns que les autres; et leur bailloient dronoSy
aussi bien que frère Jehan des Entommures^ dans Ra-
belais, le donna à ceux qui vandangeoient le clos de
sa vigne'.
M. de Guyse n'en fit pas de mesme, car, bien
qu'il y eust force lansquenetz et autres AUemans
sentans mal de la foy, il les fit secourir comme les
bons chrestiens et catholiques, mais non pas de si
bonne affection, s'en remettant à la volonté de
Dieu, et ne voulant acquérir la réputation d'un
\ . Los dexaban alla mor-ir. 11 y a au contraire dans l'histo-
rien espagnol curabanle.
2. S'ils guérissaient, de ne plus recevoir de solde du roy de
France, puisqu'il se montrait contraire à l'Eglise. A ceux qui
croyaient et promettaient cela, ils leur donnaient le Corpus Do-
mini^ et les autres sacrements de la sainte mère Eglise, et s'ils
mouraient la sépulture ecclésiastique. Ceux qui étaient interrogés
par leurs confesseurs, et qui ne voulaient point se réconcilier, ils
les laissaient là mourir; et, s'ils mouraient, ils les enterraient
comme Maures; car tel était l'ordre de la bulle du pape Jules.
3. Voyez Gaj-gantua, liv. I, chap. xxvii.
15G RODOMONTADES
homme cruel et barl^are, puisque l'homme est fait à
la semblance et image de Dieu. Je m'en remetz à un
grand théologien ce qu'il en diroit là.
Sur ceste dernière guerre de Grenade faicte et par-
faicte par don Juan d'Austrie, par cas, en courant la
poste, nous nous trouvasmes de rencontre un capi-
taine espaignol et moVj, luy qui venoit d'Espaigne al-
lant en Flandres, et moy de la cour en ma maison.
Nous nous mismes luy et moy à deviser fort de ceste
guerre. A mon advis qu'il m'en conta prou, et sur-
tout il me va louer don Juan jusques au tiers ciel en
me le nommant de plein abord sepiiltura de los pa-
ganos ; j que sus obras j {'alencias mas queriaii ser
vistas para ser creidas que no contadas\
Quand la capitulation d'Amiens se fit dernière-
ment*, il y eut un député de dedans, espaignol, qui,
ayant trouvé Sa Majesté en quelques masures qui les
attendoit pour composer, dit en entrant, pensant
faire de l'officieux et du curieux de la vie du roy :
El rej no esta aqui bien seguro de los canoiîazos^. Le
roy qui louyt luy respondit : « Le roy est ici plus
« en seureté que vous autres n'estes dans Amiens. »
Puis ayant commencé leur pourparler, la première
chose qu'ilz demandèrent, parque (dirent-ilz) es ra-
zon que las cosas celestiales çajan primero'*, fut que
l'on ne touchast point à la sépulture de don Hernan-
r
1. La sépulture des païens, et que ses actions et vaillances
voulaient plutôt être vues que racontées pour être crues.
2. Amiens fut rendu à Henri IV le 25 septembre 1597.
3. Le roy n'est pas ici bien à l'abri des canonnades.
4. Parce qu'il est raisonnable que les choses célestes soient
traitées les premières.
ESPAIGNOLLES. 157
dille '_, et qu'elle ne fiist point rompue ny démolie.
Le roy leur respondit gentiment : « 11 est raison que
a la sépulture de don Hernandille soit démoUie et
« rompue, puisqu'il a fait rompre et démollir les
« murailles de ma ville d'Amiens. » Hz demandèrent
après el saco de la villa '^, demande certes très irrai-
sonnable et très impudente, et mesmes à un tel roy,
qui leur respondit bravement : « Et comment! une
« chose que vous avez desjà pillée il y a longtemps,
« la demandez-vous? « Hz jurèrent aussytost qu'ilz
n'y avoient jamais touché. A quoy le roy aussytost
répliqua bravement : « Puis donc qu'elle n'a esté
« pillée en mon absence, à vostre advis, si je per-
ce mettrai qu'elle le soit en ma présence ! » J'ay mis
ces trois articles non pour belles rencontres de l'Es-
paignol, ny pour grandes rodomontades^ sinon la
dernière pour demander le sac, mais pour les gen-
tilles responses de nostre roy, qui est fort subtil en
beaux dires et gentilles responses et fort courtes, s'il
en fut onc. J'espère en dire aucunes en sa vie. Enfin
la capitulation fut faicte et bien gardée, à l'honneur
de nostre roy. Que s'il ne fust esté généreux et mi-
séricordieux , il les tenoit tous la corde au col ,
1. Hermantello Porto-Carrero, gouverneur d'Amiens, avait été
tué le 3 septembre, et inhumé dans la cathédrale, dit de Thou
(liv. CXVIII), avec une épitaphe à sa louange, gravée en lettres
d or sur une planche de bois couverte de velours noir. — Un des
articles de la capitulation porta que les tombeaux élevés dans les
églises d'Amiens en l'honneur de Porto-Carrero et des oÉBciers
espagnols tués pendant le siège seraient respectés, pourvu que les
épitaphes ne continssent rien d'offensant pour la France.
2. Le sac de la ville.
158 RODOMONTADES
puisque le cardinal d'Austrie avoit failly de les se-
courir.
Si faut-il que je die quelques gentilles rencontres
et rodomontades qui touchent les dames.
Lorsque la reyne ' vint à Bayonne, de toutes les
Espaignolles qu'elle avoit, elle n'en mena aucune
avecques ses Françoises que Magdeleine de Giron,
fille de la comtesse d'Iraigne, dame d'honneur de la-
dicte reyne. Elle y mena bien aussy la segnora So-
fonisba, Italienne, damoiselle crémonoise, belle et
honneste fille, et douce, qui avoit tout plein de
vertuz, et surtout qui sçavoit bien peindre et pour-
traire au naturel; les autres filles en Espaigne bien
faschées pour ne se trouver en telle et si belle feste,
qui eussent bien certainement paré la cour, car il y
en avoit de belles, et entre autres Léonor de Tolède,
qui estoit très-belle, et qui eust possible effacé le
lustre de ladicte Magdeleine de Giron, dont elle fut
bien ayse de quoy ne vint pour ce subject. Je ne
desduiray les raisons pourquoy ces belles filles ne
vindrent point, pour ne servir en rien à nostre
conte.
Geste donc belle Magdeleine parut très belle ; aussy
le pensoit-elle bien estre, tant elle estoit arrogante. Si
bien que moy devisant un jour d'elle et de sa beauté
avec un certain cavaliier espaignol, il me dict, par
un certain desdain et despit : Dexadla^ serior. Jaro
a Bios y que es tan braça y orgullosa por su belclad^
que si el cielo se abaxase y se arrodillase delante sus
pieSy no se dignaria decirle que se le^antase, y se i^ol-
1. La reine d'Espagne Elisabeth, en 1565.
ESPAIGNOLLES. lo9
\)iese a su lugar\ Voylà une parole bien arrogante, et
plaisante imagination, de se figurer le ciel descendre
de son lieu pour s'humilier à elle *.
Telles paroles sont quasi semblables à celles que
jadis tinrent nos braves chevalliers franoois, qui allè-
rent en Hongrie soustenir les Hongres contre les
Turcs, conduitz par ce vaillant Jehan duc de Bour-
gongne, et par le mareschal de Boucicaut; lesquelz,
trop bouillans, présumans trop d'eux, disoient par-
tout que leurs lances n'estoient pas seulement bas-
tantes pour deffaire tous les Turcs et les battre, mais,
si le ciel vouloit descendre sur eux pour leur faire
guerre, l'empescher par le soustien de leurs bois et
1. Laissez-la, monsieur. Je jure Dieu qu'elle est si orgueilleuse,
à cause de sa beauté, que si le ciel s'abaissait et se prosternait à
ses pieds, elle ne daignerait pas lui dire de se relever, et de se
remettre en sa place.
2. Var. Lorsque la reyne d'Espaigne vint à Bayonne, de toutes
ses filles espaignolles qu'elle avoit, elle n'en amena aucune que
Magdalena de Giron, fille de la contesse d'Igregne , dame d'hon-
neur de ladite reyne; les autres filles restarent en Espaigne, bien
faschées pour ne se trouver en telle feste. Je n'en desduiray
les raisons pourquoy elles ne \indrent, car elles ne servent rien
à nostre conte. Geste donq Magd aliéna parust en ceste court l'une
des plus belles filles; aussi le pensoit-elle bien estre, tant ell' es-
toit arrogante; si bien que moy parlant un jour d'elle et de sa
beauté a un cavailler espaignol, il me dist d'elle comme par des-
dain et certain dépit : Dexadla , segnor. Juro a Dios qu es tan
brava y orgullosa por su beldad, que si el cielo fuesse arodillado
adelanle sus pies], ella no se dignaria decirle que se levantase y
se alçase. « Laissez-la. EU' est si fière et si orgueilleuse à cause de
sa beauté que si le ciel estoit à genoux devant ses piedz, elle ne
daigneroit dire qu'il se levast. » Quelle humeur de s'aller imaginer
que le ciel deust descendre pour s'humilier à elle! (Ms. 3273,
f° 168.)
i 60 RODOMONTADES
lances qu'il ne descendist, el le tenir en l'air comme
il estoit. Mais pourtant le malheur fut tel que leur
rodomontade ne porta feu; car, sans avoir affaire au
ciel, ilz furent tous dcsconfits et deflhits par les hom-
mes, comme on peut voir par nos chroniques fran-
çoises.
J'aymerois autant d'un capitaine espaignol. Allant
en un combat, et animant ses soldats, el louant leurs
forces, il leur dit : /^ofo a Dios^ que si el cielo se
cayese^ le Jiernos de tener con los brazos\ Si ce brave
eust faict ce coup, il fust esté estimé un second Atlas,
qui soustenoit le ciel de ses espaules. Quel fardeau !
encor que j'aye ouy dire à un vieux resveur de phi-
losophe que l'air est fort léger, et que le ciel, qui en
participe, l'est aussy. Je coupe là, craignant que,
pour voiler trop haut, je ne vinsse à tomber comme
fit Icarus; car le parler m'en est aussy estranger et
incogneu que le haut allemand; ny ne veux non
plus l'apprendre, ny la science et tout, doublant de
mon cerveau débile et peu capable pour y advenir.
Or, pour retourner à ceste belle Magdeleine de
Giron, bien qu'elle fust altière, elle n'estoit pourtant
trop ennemie de l'amour, et ne refusa point d'estre
servie (comme toute belle et gentille dame ne doit
faire ce refus) de plusieurs honnestes cavalliers, et
mesmes de M. d'Amville, aujourd'huy M. le connes-
table, pour lors jeune et brave seigneur, qui la ser-
vit fort discrettement tant que le voyage dura, et en
porta les couleurs jaunes et tannées. Il y eut pour
1. Je jure Dieu que si le ciel s'abaissait, nous le pourrions
soutenir avec nos bras.
ESPAIGNOLLES. 161
lors un genlilhomme François, bien honneste et ga-
lant, qui, le jour de la procession du sacre \ ainsi
qu elle marchoit, luy advint de faire un faux pas; ce
gentilhomme s'advance aussytost pour la redresser
et luy ayder. Elle le renvoya bien loing, avecques
un certain desdain et rabrouement, disant : Jésus ! Y
(jual (liscrecion de Frances* l Elle estoit bien vray-
ment desdaigneuse et glorieuse, de rendre le mal
pour le bien et payer la courtoisie par la discour-
toisie. T^e gentilhomme luy eust bien rendu son
change; mais il n'osa, pour le respect de la reyne
sa maistresse, qui le sceut et luy ' en fit une re-
monstrance.
Au bout de quelque temps elle fut mariée avecques
un grand seigneur d'Espaigne, dont j'ay oublié le
nom, qui fut après vice-roy aux Indes. Ainsy qu'elle
l'y alloit trouver avecques la flotte ordinaire, son
vaisseau, avecques deux autres, s'estans escartez vers
l'isle de San-Domingo, un gentilhomme françois qui
s'appelloit M. de Landreau*, de bonne maison, vail-
lant et brave, et homme de mer, ayant armé quel-
ques vaisseaux pour aller en cours et chercher ad-
vanture, fallit à prendre le vaisseau de ladicte dame,
et de faict le canonna; mais elle fut secourue de
deux autres vaisseaux qui donnèrent la chasse audict
Landreau : et, sans ce secours , il la prenoit, à ce
qu'il dist à M. d'Estrozze et à moy à son retour; et
1 . Sacre ou Sacre-Dieu, le saint Sacrement,
2. Jésus! Et quelle courtoisie française!
3. Luy, à Madeleine de Girone.
4. Charles Routiaud, seigneur de Landercau.
vu — 11
162 RODOMONTADES
que, s'il l'eust prise, il luy eust faict bonne guerre et
toute honneste raison, en luy faisant payer pourtant
le tribut de son ancienne arrogance.
Certes, il y a des dames aussy arrogantes en Es-
paigne comme des hommes et cavalliers; et l'air du
pays le porte ainsy. Aucuns aiment à servir ces fem-
mes et filles de ceste humeur, qu'ilz disent bravas y
fieras como torosK Aussy dict-on que chascun ayme
son semblable. Si l'on en obtient la victoire, d'au-
tant plus en est-elle à priser : et si l'on en est vaincu,
la gloire n'en est pas moindre ; ainsy que dit un ga-
lant cavallier un jour, et qui portoit pour devise
une branche de laurier avecques ces molz : Los
unos le han traido por ser vencedor ; jo , por ser
bien vencido \ Voilà comme telz braves se plaisent
en leur gloire, et ayment les dames altières et géné-
reuses.
J'ay veu d'autres fois chanter en Espaigne une
vieille chanson, que proprement on appelle la ro-
mance^ qui est bien gentille, où l'on introduict une
dame se lamentant et s'afïligeant de son mary qui
estoit prisonnier en Angleterre, et ne le pouvoit ra-
voir par rançon ne autrement; et, pour ce, elle
escrit une lettre au roy d'Angleterre, de sa propre
main, et luy mande qu'il ait à le luy renvoyer sain,
sauve et sans danger : autrement, qu'elle luy an-
nonce guerre et le menace de la luy faire très cruelle
par mer et par terre, et puis, dit-elle : Que si me
\ . Braves et lières comme des taureaux.
2. Les uns le portent comme vainqueurs, moi je le poi'te comme
bien vaincu.
ESPAIGNOLLES. 163
falta capitan, jo misma lleçare la bandera, y ire a
ponerla hasia las puertas de Londres; y tambien , si
me falta caîionerOf yo misma dare fuego a la artil-
leria ; si que dira toda la gente : <( Jésus ' que muger
guerrera^ ! » Voilà une brave guerrière, et seconde
Marfise ou Bradamante, qui vouloit elle-mesme, par
faute d'autre, conduire son armée, planter son es-
tendart sur le haut de la muraille, et servir de ca-
nonnier, et bailler feu à son artillerie. La chanson
en est fort jolie, et l'air plaisant.
Geste dame estoit plus valeureuse qu'une autre,
qui usa de paroUes certes généreuses à l'endroict
d'un cavallier, pour l induire à se battre pour l'a-
mour d'elle contre un autre qui l'avoit offensée. Les
paroles estoient telles : Bien creo yo^ gentil caballeroy
que no os faltara virlud para otorgar mi rue go, asi
como os sohra hondad y valor para los^rar la Victoria
de su persona *. Gentilles parolles certes , et pour
prier et pour louer.
Une belle jeune dame espaignoUe ayant esté ma-
riée de frais, et venant de bonne heure à estre
grosse, qui paradvant estant fille très hautaine des-
daignoit le mariage bien fort, et disoit que no queria
ser sugeta a ningunoy segun el çalor y gloria de su
1. Que si je ne trouve point de capitaine, je lèverai moi-même
l'étendard, et je Tirai planter jusques aux portes de Londres; et
si je manque de canonniers, je mettrai moi-même le feu à l'artil-
lerie; en sorte que tout le monde dira : Je'sus! quelle femme
guerrière !
2. Je crois bien, brave cavalier, que le courage ne vous man-
quera pas pour m'accorder ma prière, comme vous avez assez de
force et de valeui' pour obtenir la victoire sur lui.
164 RODOMONTADES
persona^^ et que, bien qu'elle y fust contraincte,
elle s'efforceroit le plus qu'elle pourroit d'empescher
son marv qu'il n'enlevast son pucellage que le plus
tard qu'elle pourroit, son dire ne correspondit point
à sa gloire ny à l'effect; car, bientost après son ma-
riage, elle fut enceinte, et en devint estonnée et hon-
teuse, et fit ce qu'elle peut pour cacher sa groisse *,
et ne la monstrer que le plus tard qu'elle pourroit.
De quoy s'appercevant un autre cavallier qui d'au-
tres fois l'avoit servie estant fille, fut bien ayse de
prendre ceste occasion pour luy en faire la guerre;
et, l'ayant un jour abordée, il luy dit que no estu-
viese auergofizada, porque lodos bien sabian que de
semejantes luchas siempre resultan taies cajdas ; j
por eso no se maravillaban si estaba avergonzada ,
porque en aquel caso ella era no^icia, y que sentia
en si unos mudamientos nunca por ella sentidos ^ y
taies que , aunque su esfuerzo , virtud j gloria fuesse
grande, no bastaria para resistir a las inclinaciones
de la naturaleza, pues era de muger^. Ce cavallier
parla bien à elle, et à sa gloire et vanterie, et garde
de son pucellage, et à la fragilité de son sexe, du-
1. Qu'elle ne voulait s'assujettir à personne, comme le com-
portaient sa vertu et sa gloire.
2. Groisse, grossesse,
3. Qu'elle ne fût point honteuse, parce que tout le monde savait
qu'en de telles luttes arrivaient toujours de semblables chutes; que
cependant on ne s'étonnait point de la voir confuse, parce qu'elle
était novice en ce cas, et qu'elle éprouvait en elle un changement
qu'elle n'avait jamais éprouvé, et qui était tel que, quoique son
courage, sa vertu et sa gloire fussent bien gi\inds, ils ne pou-
vaient pas néanmoins résister aux inclinations de la nature, puis-
qu'elle était femme.
ESPAIGNOLLES. 165
quel les dames ne doivent tant présumer n'y s'enor-
gueillir.
Par cas, une des compaignes de cette dame, qui
estoit encore fille, se trouvant là présente, la voulut
excuser, et un peu brocarder aussy en lui disant :
Como es posiblcy se nom y que su generosa virtud, es-
fuerzo j animo soberbio no os escusaron de ser herida
de llaga que tantos desmajos os causa? Plegue a Dios
que no sea mortal, como fo creo que no sera, porque
j amas de estas heridas no murio ninguna donzella^ .
Sur ce, le cavallier précédent, qui estoit présent,
leva ce coup et luy dit : Ha\ senora, p'o.v, que eso
certificals, haheislo pro^'ado? — Guardeme Dios (res-
pondit-elle) de este estrecho. IVo, sehor ; mas helo
oido certificar a perso na s de gran credito ^. Il ne
falloit point alléguer là de personnes de grand cré-
dit pour servir de tesmoings; car, bien que le des-
troit soit aussy dangereux que celuy de Gibraltar,
aucunes le passent bien sans danger, et d'autres
non.
Une dame ayant perdu son serviteur qu'elle avoit
faict de frais et peu gardé, car il vint à estre tué
aussy tost en une guerre , et en ayant sceu les nou-
1 . Comment est-il possible , madame , que votre généreuse
vertu, votre courage et la fierté de votre âme, ne vous aient pas
empêchée de recevoir une blessure qui vous cause tant de cha-
grin ? Plaise à Dieu qu'elle ne soit point mortelle, comme je crois
qu'elle ne le sera point; car jamais de semblables blessures ne
mourut une demoiselle.
2. Ha! madame, vous qui assurez cela, l'avez-vous donc
expérimenté? — Dieu me garde d'un tel malheur! Non, mon-
sieur; mais je l'ai entendu assurer à des personnes de grande
créance.
166 RODOMONTADES
velles, elle dit : Jhl seîîor caballero, que si tan tarde
me conocisteis^ muj temprano me perdeis^ !
Un autre cavallier le voyant ainsy en douleur, dit
à un sien compaignon : El tiempo cura las cosas, fno
haj gra^'e dolor que andando el tiempo no se disminuya '.
Une dame demandant un jour le livre de la Ce-
lestine à un cavallier, il luy respondit, en luy don-
nant bonne : Por Diosy sefiorUf que me espanto de
Vm. ! Teniendo en casa el original ^pedir el traslado^ !
Bon, celuy-là.
Les Espaignolz sont fort subtils à gentiment bro-
carder et piquer, et appellent cela, molejar, o gol-
pear'*. Ainsy que fit un jour un cavallier estant parmy
trois filles, toutes trois sœurs, et bien noires. Elles
luy demandèrent un jour de foire, par cas, à em-
prunter un ducat pour acliepter quelque chose, di-
sant qu'elles n'en avoient point apporté sur elles. Il
leur dit qu'il n'en avoit point sur l'heure, et qu'il en
estoit bien marry. Elles luy dirent : Comol un hom-
hre tan honrado no tener un ducado ? Dixo el : Por-
que no, cuerpo de talï pues entre vosotras très no
hay una blanca^. L'allusion n'en est pas mauvaise,
d. Ah! mon cher cavaher, qui m'avez connu si tard, vous me
perdez trop tût !
2. Le temps guérit toutes choses; et il n'y a point de douleur
si grande qui ne diminue avec le temps.
3. Par Dieu! que vous m'étonnez, madame. Ayant chez vous
l'original, me demander la copie! — Je crois que le piquant de
cette réponse consiste en ce que l'héroïne de la célèbre tragi-comé-
die de la Celesiinuy laquelle a donne son nom à la pièce, est une
entremetteuse.
4. Railler ou frapper.
5. Comment! un si galant homme n'avoir point un ducat? Il
ESPAIGNOLLES. 167
car une blanca c'est une monnoie d'Espaigne; et con-
vertissoit ceste allusion sur elles trois, parmy les-
quelles n'y en avoit pas une blanche.
Un médecin espaignol ayant receu quelque des-
plaisir d'une dame veufve, chargea un jour un ma-
quignon, devant elle, de luy trouver una rnula que
fuesse viuda^. Le carretier * luy respondit : Como, cuer-
po de tall Os hurlais de nii^ seîior doctor ? Nunca fue
mula ^'iuda^. Le médecin luy répliqua : Dlgo fo que
tenga très condiciones de una v'iuda; que sea garda ^
andadora j comedora'' .
L'on dict que les veufves, au moins aucunes, ont
ces trois conditions. Pour bien aller et pour bien
manger, je m'en rapporte à ceux qui en ont faict
preuve et y ont pris esgard. Pour quant à la troi-
siesme, j'en ay veu beaucoup de personnes, et
mesmes une de très grande authorité^, de très grand
esprit, cstre de ceste opinion et tenir ceste maxime,
qu'une femme, aussitost qu'elle est veufve, devient
plus grasse et en bon poinct; ce que j'ay apperçeu
et m'en suis esmerveillé. Car aucune femme ay-je
veu entre les mains de leurs marys, maigres, seiches,
exténuées, qu'elles en tomboient sur les dents. Ve-
leur dit : Pourquoi non, corbleu ! puisqu'entre vous trois il n'y ii
pas une blanche.
1 . Une mule qui fût veuve.
2. Carretier, charretier.
3. Comment, corbleu! vous moquez-vous de moi, monsieur le
docteur? Il n'y a jamais eu de mule veuve.
4. Je veux dire qu'elle ait les trois qualités d'une veuve;
qu'elle soit grasse, coureuse et mangeuse.
5. Probablement Catherine de Médicis.
168 RODOMONTADES
noient-elles à estre veiifves, les voylà remises et re-
faictes aussitost, comme un cheval maigre et élan-
gory * mis à l'herbe , qui se reffaict et se remet
soudainement. De sorte que c'est une maxime, que
qui veut engraisser une femme mariée, qu'il la fasse
veufve; car c'est le meilleur engrais qu'on luy sçau-
roit donner. Ce n'est pas pourtant que les marys ne
leur donnent le traictement et l'ordinaire qu'il leur
faut, selon leur faculté et petit pouvoir; mais vous
diriez que venant de leurs mains, elles ne les trouvent
jamais si bons comme quand elles sont en viduité, et
qu'elles le prennent d'elles-mesmes qui çà qui là, en
leur plainière volonté. J'en voudrois volontiers de-
mander une raison à quelque bon médecin, si ce
n'est qu'il me renvoyast à l'apologue * de l'asne et du
cheval qui est dans Rabelais ', et à leur parlement
qu'ilz firent quasi sur mesme chose , où enfin mon-
sieur l'asne conclut qu'il n'y a que la liberté des
champs et choisir sa pasture comme l'on veut, et
faire autre chose que je n'ose dire, et n'estre nulle-
ment en subjection, bien que l'on mange son saoul
à crever dans l'estable.
Un cavallier parlant un jour d'amour à une femme
aagée, mais pourtant belle encore et fort désirable,
elle luy dit : V como, senor, me habla V . S, de esta
cosa a mis complétas * ? L'autre luy respondit : Se-
horay sus complétas valen mas que las horas de prima
d . Elangory, languissant.
2. Les précédentes éditions poi'tent apologie.
'i. Voyez Pantagruel, liv. V, ch. viii.
4. Eh! monsieur, comment me parlez-vous de telle chose,
lorsque je suis aux complies ?
ESPAIGNOLLES. 169
de qualqaier otra^ ; faisant allusion gentille là-dessus
sur les complies du soir et sur les heures de prime
du matin. J'en ay faict un beau discours sur ce sub-
ject ailleurs. Et combien y a-il de dames aagées qui
sont autant belles et désirables que les jeunes? De
vieillard, il n'en fut jamais un beau ny désirable pour
les dames, si ce n'est qu'on se voulust ayder d'un plai-
.sant mot qu'un vieux cavallier dit un jour k une belle
dame, luy présentant son service, et qu'elle l'en re-
prenoit. Geste dame s'appellant madaina de la Torre^,
il luy dit : Tal torre ha menester de una barba-cana '.
Ce mot est bon et porte en soy deux intelligences*,
car une barbecane est une espèce de fortification, et
barba cana. en espagnol signifie barbe blanche.
Telle et semblable dit un cavallier d'une fort belle
et honneste dame, laquelle ayant espousé un homme
fort laid et sale, toutesfois n'enlaidissait nullement,
mais s'embellissoit de jour en jour. Ce cavallier alla
rencontrer que no habia visto jamais frula en un tal
cesto que tanto durase sin podrirse ^ J'ay veu beau-
coup de femmes en ma vie de ce naturel, à ne se
gaster ny corrompre leurs beautez pour hanter des
marys layds, sales et maussades.
Or, faisons une fin, et belle, par trois belles et
honnestes princesses.
i . Madame, vos complies valent mieux que les primes de toute
autre,
2. Madame de La Tour.
3. Une telle tour a besoin d'une barbacane.
U. Intelligence^ sens, signification.
5. Qu'il n'avait jamais vu de fruit rester si longtemps en pareil
panier sans se pourrir.
170 RODOMONTADES
A ce mesme voyage et entrevue de Bayonne que
j^ay dict ci-devant, madame de Guyse, aujourd'huy
madame de Nemours, y estoit, où elle parut fraische-
ment vefve, et très belle et en bon poinct, ainsy que
de son temps jeune il n'y en a poinct eu une qui
l'ait passée, comme son automne en donne encore
une belle apparence; et bien qu'alors elle fust plus
aagée de beaucoup que Magdeleine de Giron, elle
l'efFaça fort, bien qu'elle pensast le contraire; car
volontiers on void aucuns fruicts en automne aussi
beaux ou plus qu'en esté. Ainsy donc qu'elle estoit
un jour en la chambre de la reyne, un cavallier es-
paignol de bonne façon, et bien en poinct, me vint
demander : Seiior, quien es esta linda dama ^'estida
de luto? — SeTior, luy répondis-je, es madama de
Gujza , muger de aqiiel gran capitan monsur de
Gufza, — Es madama de Giijza? dit-il. laJame
DioSy que linda dama es, f de muj braira y alla
guisa^ l Ce mot est un mot ancien des vieux romans,
qui correspond bien à ce nom de Gujse; et puis,
continuant à la louer, il me dit : Vive Dios ! que
bravo trage titne, j- que es bien tallada, y de linda
catadura ! — Et puis me redemanda : Es fan buena
catolica, y enemiga de los luteranos^ como su marido?
— Si, senor, luy respondis-je , y aun mas ; porque
los luteranos le han matado^.
\ . Monsieur, quelle est cette belle dame vêtue de deuil ? —
Monsieur, cest madame de Guise, femme de ce grand capitaine
M. de Guise. — C'est madame de Guise? Dieu me soit en aide!
c'est une belle dame et de très-grande et haute guise!
2. Vive Dieu! qu'elle est bien liabille'e ! quelle est bien faite,
et de belle mine ! Est-elle aussi bonne catholique et aussi grande
ESPAIGNOLLES. 171
Il me redemanda si elle avoit des enfans aussi
beaux qu'elle. Je luy dis qu'ouy, et lui monstray
M. de Guyse son fils, et qu'elle en avoit deux autres
aux escolles à Paris, tous deux semblables. Après,
avant un peu songé en soy, et arregardant ceste belle
dame, et de grand' admiration, il dit, par une petite
exclamation : Ol bien adçenturado capitan^ que tantos
homhres enemi^os de Dios peleasteis y matasteis en
campos y K'illasl O! bien aiheniurado^ otra vez^ jr
mas, que con tantos asaltos combatisteis y venais tais
esta linda dama en las camas y pabellones ' / Et me
disoit cela comme par un despit amoureux, jaloux
de quoy il n'eust peu participer à une si Iielle ad-
vanture.
Comme de vray, je croy qu'il n'y a au monde si
grand chagrin ny despit à un amoureux d'une belle
dame, que quand il songe que son mary ou un autre
en jouissent, et n'en mange son pain qu'à la fumée
du festin ou par imagination. J'ay ouy tenir ceste
opinion à un très grand et brave prince ^ qui est mort,
qui me racontoit un jour privément que, s'il estoit
roy de quelque grand royaume, il ne seroit jamais
tyran que pour une chose; qu'il entretiendroit très
bien la justice et fairoit observer très estroictement
ennemie des luthériens que son mari ? — Oui , monsieur, et en-
core plus, parce que les luthériens l'ont tué.
1 . O trop heureux capitaine , qui avez combattu et tué tant
d'hommes ennemis de Dieu dans les champs et dans les villes! ô
trop heureux, encore une autre fois, et plus, qui avez combattu
et vaincu à tant d'assauts cette belle dame sur la couche et sous
les pavillons du lit.
2. Probablement le duc Henri de Guise,
172 RODOMONTADES
ses édicts et ordonnances, ne fairoil tort à personne,
caresseroit fort sa noblesse, et surtout ne fouUeroit
jamais son peuple de grandes tailles, tributs ny sub-
sides; mais que si un sien subject, ou grand ou petit,
eust une belle femme de laquelle il vint espris,
certes il perdroit tout respect, et estendroit là-dessus
un peu de tyrannie; car il faudroit résolument qu'il
en jouyst bon gré maugré, ou par amour ou par force;
mais premier tenteroit toutes les voyes de douceur
et d'amour ; et que si elles estoient trop longues et
fascheuses à tenir, qu'il useroit de diligence et de
prise : « Car bien gastée, disoit-il, seroit-elle d'avoir
« l'accointance d'un brave roy, etlemary d'estre son
« compaignon, à qui et à elle fairoit de grands biens
« et donneroit de bonnes grades, et ne leur en seroit
« jamais ingrat, ny surtout les escandalliseroit ? »
Je pense n'avoir guières changé de ces motz qu'il me
dit, car quasi ilz sont tous semblables; et me les di-
soit sur un très beau et très grant subject, sur lequel
ceste tyrannie méritoit bien d'estre exercée.
La reyne d'Espaigne, povir l'amour de laquelle
seule ce voyage et entrevue de Bayonne se fit ', parut
aussi très belle ; et n'y eut François qui, l'ayant veue
estant fille, n'advouast d'estre extrêmement accrue
en beauté, bonne façon et belle majesté, bien qu'elle
eust apporté tout cela dès sa naissance; mais l'aage
et le temps font beaucoup de belles et bonnes
1. Les contemporains attachèrent une grande importance poli-
tique à l'entrevue de Bayonne. Il y en eut même qui prétendirent
que la Salnt-Barthélemy y avait été décidée. C'est évidemment
pour répondre ù ces bruits que Brantôme dit si nettement que l'u-
nique motif du voyage de Catherine était de voir sa fille Elisabeth.
ESPAIGNOLLES. 173
choses, aussi bien que de mauvaises et de laides.
Ainsi, un jour que je devisois avec un fort honneste
cavallier espaignol (car certes force braves et honnes-
tes d'eux me recherclioient, tant pour en avoir veu
et cogneu aucuns en la cour d'Espaigne, qu'il n'avoit
pas six mois que j'en estois venu, que pour en par-
ler bien la langue), il me dit ainsi que nous estions
sur les hautes louanges de ceste belle revue, ces
mesmes motz, et beaux certes : Que de çeras, tan
principal reyna y tan coinplida, parecia ser anles la
creacion del muado^ quasi escondida y cerrada en el
pensamiento de Dios^ hastaque fuese su divina volun-
tad que se juntase par santo niatrimonio con el rey
don Phelipe ; que siendo pur sus bue nos hados tan
grande, tan poderoso rej, j quasi tocando el cielo con
ta mano de su grandeza j pujanza^ era menés ter ^ y
no de otro modo, que no esposase otra sino aquella,
que^ por su gran Jiennosura^ su honrada mages tad,
y sus virtudes claras y nobles, semejaba mas divina
y celestial^ que humana^. C'estoit bien louer son
roy et sa reyne. Je parle d'elle plus au long en un
discours que j'ai faict à part pour elle, sans passer
outre.
d . Qu'en vérité une reine si grande et si accomplie paraissait
avoir été avant la création du monde comme cachée et renfer-
mée dans la pensée de Dieu, jusqu'à ce que ce fût sa divine
volonté de la joindre par saint mariage avec le roi don Philippe;
lequel étant, par son heureux destin, si grand et si puissant roi, et
touchant pour ainsi dù'e le ciel avec la main de sa grandeur et
de sa puissance, il était nécessaire, et non autrement, qu'il n'en
épousât point d'autre qu'elle, qui, par sa grande beauté, son
honorable majesté et ses pures et nobles vertus, semblait plutôt
divine et céleste qu'humaine.
174 RODOMONTADES
Or, ceste si belle reyiie d'Espaigne a esté louée des
siens, non-seulement par ces belles, mais par un
million d'autres paroles (car ilz l'aymoient fort, voire
quasi l'adoroient, ainsi que j'ay dicl ailleurs*), la
reyne de Navarre, sa troisième sœur, a bien esté au-
tant admirée et louée d'eux quand ilz l'ont veue, les
faisant aller à l'esgal toutes deux. Mais pourtant la
puisnée passoit un peu devant l'aisnée, ainsi que l'on
void quelquefois en un boscage un jeune arbrisseau,
par ses belles branches, se hausser sur un autre plus
vieux que luy. Mais pourtant toutes deux estoient
très-belles, mais par airs différens pourtant ; car
chascune avoit le sien à part, très beau et très admi-
rable.
Il faut donc sçavoir que lorsque ceste belle reyne
de Navarre alla aux bains de Spa * elle passa par Na-
mur, comme j'ai dict ailleurs, où elle fut lionno-
rablement receue par don Juan d'Austrie, et veue en
grande admiration des capitaines et soldatz espai-
gnolz. De là à peu je rencontray à Paris, dans le Pa-
lais, un capitaine espaignol, à qui je demanday s'il
l'avoit veue de par là ; il me dit que si, y que por ser
extremada de beldad j buenas gracias^ habia mas
priesa^ quando salia fuera, por mirarla^ que no a
beber agua de los baîîos ; y que por et arte de su her-
mosura captivaba las persoiias con la fama, y aun
muy mejor con su presencia : porque se mostraba su
hermosura entre las otras damas, coma el sol entre
\ . Voyez sa Notice dans un autre volume.
2. En lo77. Voyez ses Mémoires^ édition de la Bibliothèque
elzévirienne, p. 83.
ESPAIGNOLLES. 175
las estrellas. De sus otras i lustres y claras virludes
no hablo jo, parque^ por ser tan hermosUy ninguna
cosa le falta^.
Je rencontray une autre fois, dans le Louvre, un
autre capitaine espaignol venant d'Espaigne vers
FlandreS;, qui m'ayant choisi par dessus mes compai-
gnons, comme connoissant en moy quelque façon
espaignolle, ainsi qu'il me dit après, me pria de le
faire entrer dans la grande salle du bal, qui estoit un
jour d'une grande magnificence, pour voir seule-
ment ceste belle reyne de Navarre, de qui la fama
volaba por todo el mundo *, me dit-il. Je le fis en-
trer avec moy, lequel, durant tout le bal, ne dit
jamais mot, ny fît autre geste, sinon regarder fixe-
ment ceste belle reyne, sans jetter ses yeux ailleurs,
comme j'y pris garde ; et luy laissay faire, sans le
desbaucher de sa contemplation. Après le bal finy,
je luy dis : Y pues, sehor, que os parece de nuestra
rejna de Navarra ? — Que me parece, seîïor ? me
respondit-il. Juro a Dios^ me parece tal, que si estu-
viese en nuestra corte de Madrid, como esta en esta,
el camino séria tan poblado, para visitar y mirarla,
que pareceria un camino de romeria, donde muchos
1 . Et qu'à cause de l'excellence de sa beauté et de sa bonne
grâce, il y avait plus d'empressement pour la voir quand elle
sortait, que pour boire l'eau des bains; "et que, par le moyen
de sa beauté, sa réputation, et encore plus sa présence captivaient
les gens; car sa beauté brillait entre les autres dames comme le
soleil entre les étoiles. Je ne parle point de ses autres vertus no-
bles et illustres, parce qu'elle était si belle que rien ne lui man-
quait.
2. La renommée volait par tout l'univers.
176 RODOMOIXTADES
perdones se ganan : que aunque sehalado camino no
hiibiera, solanienle hastaria de seguir el hilo de la
gente, para luirar y adorarla, como rejna de la
tierra^y la gène râla de todas las viras rejnas y da-
mas las mas senaladas de la Europa^ y pregonarla
tal con juslo y honrado titalo, por su d'wina beldad,
real magestad, y buenas gracias *.
Certes , cest honneste homme avoit raison de te-
nir de telz propos ; car je pense qu'au monde ne
s'est jamais veu princesse plus belle. J'en puis par-
ler au vray; car j'en ay veu force, et en France et
aux pays estrangers, où la beauté se loge. Il ne luy
manque qu'une chose : qu'elle n'est autant heureuse
en ce monde comme ses mérites le requièrent, el
que ses plus affectionnez serviteurs souhaitent et di-
sent. Je n'en puis conjecturer autre raison ^ sinon
que le ciel qui l'a faicte ne veut, comme jaloux,
qu'elle dépende d'autre que de luy, bien qu'elle ne
se soucie point de ceste grandeur du monde que
tous et toutes recherchent tant ; se fondant sur une
raison qui est belle certes, qu'elle me fit cest honneur
de me dire il n'y a pas longtemps : qu'elle n'avoit af-
\ . Eh bien, monsieur, que vous semble-t-il de notre reine de
Navarre? — Ce qu'il m'en semble, monsieur? je jure Dieu qu'elle
me paraît telle, que si elle e'tait à notre cour de Madrid, comme
elle est en celle-ci , le chemin serait si fréquenté pour la visi-
ter et la voir, qu'il paraîtrait un chemin de pèlerinage où l'on
gagne bien des pardons ; même s'il n'y avait point de chemin
tracé, il suffirait de suivre la lile des gens pour la voir et l'adorer
comme reine de la terre, et la première de toutes les autres
reines et dames les plus signalées de l'Europe, et la proclamer
telle par un juste et honorable titre, à cause de sa di\'ine beauté,
de sa royale majesté et de ses bonnes grâces.
ESPAIG -NULLES. 177
faire d'ambition ny de grandeur plus haute que celle
qui luy estoit née et venue d'une si grande race de
roys ses ayeulx et ancestres ; si qu'elle se peut dire
estre aujourd'huy la seule restée de la plus grande
maison du monde, et qu'il n'y a royaume, empire,
ny monarchie, qui la peust rendre plus grande
qu'elle est. L'ambition est bonne pour les princesses
basses, et [qui] luy sont nullement égales; mais, pour
quanta elle, à part' l'ambition. Elle se contente de ce
qu'elle est, ny ne seauroit voiler plus haut. Ses belles
et amples aisles de sa noble maison, de ses vertuz et
de ses qualitez , luy peuvent donner le vol, voire
jusqu'au ciel, quand elle se voudra laisser porter à
elles.
Finissons donc ici par ceste belle fin ; car j'en ay
faict un fort long et grand discours à part^
1. J part V ambition, c'est-à-dire elle a mis l'ambition de côté.
2. Voyez le Discours V de la première partie des Dames.
FIN DES RODOMOKTADES ESPAIGJSOLLES.
vil — 12
SERMENS ET JUREMENS
ESPAIGNOLS'.
Après avoir raconté aucunes rodomontades des Es-
paignolz, il m'a semblé bon de raconter aussi aucuns
de leurs sermentz particuliers que je leur ay ouy
dire : en quoy je les treuve plus divers et plus chan-
geans qu'aucunes nations que j'aye pratiqué; et si
en invantent ordinairement de nouveaux. Le plus
commun et ancien est :
1. Juro a Di'os*.
Puis ceux qui s'ensuivent.
II. Si, por aquella seîiora que nacio preserçada de
la culpa on'ginaL
III. Si, por mis pecados que confese anteayer a
los pies del confesor.
\ . Le traité des Sermens et juremens espaignols était primiti-
vement confondu avec les Rodomontades qu'il terminait, comme
on le voit dans le manuscrit. Il n'y occupe que cinq pages et
demie. Mais plus tard Brantôme l'a considérablement augmenté et
en a fait un opuscule distinct.
2. I. J'en jure à Dieu. — II. Oui par cette femme qui naquit
préservée du péché originel. — III. Oui, par mes péchés que je
confessai avant-hier aux pieds du confesseur. —
180 SERMENS ET JUREMENS
IV. S/', por et santo voto que Jiize saliendo de las
gale ras de los renegados.
V. Si\ por la casa santa de Jérusalem.
VI. Sij por la eiicarnacion del Verho d'wino.
VII. Si, por la Veronica santa de Jaheii.
Vni. Si\ por los cor por aies santos de Daroça.
IX. Si, por Nuestra Senora de Mont-Serrat,
X. Siy por el aima de mi madré, que esta en pa-
ra y so.
Pensez qu'il en avoit un bon certificat.
XI. Si, por las revclaciones de san Juan.
XII. Si, por la purificacion de Nuestra-Senora.
XIII. Si, por la sagrada natii'idad de Christo,
XIV. Si, por la cinta de san Francisco.
XV. Si, por la i^ida de mi padre, homhre de bien.
XVI. Si, yo renie go de aquel puto de ruin ladron
que motejaba Nuestro-Senor en la cruz.
XVII. Si, por la letania de los santos.
XVIII. Si, por el juramento que tengo hecho.
XIX. Si, por la Madré sin manzilla,
IV. Oui, par le saint vœu que je fis en sortant des galères des re-
négats.— V. Oui, par la sainte maison de Je'rusalem.— VI. Oui, par
l'incarnation du Verbe divin. — VII. Oui, par la sainte Véronique
de Jaën. — VIII. Oui, par les saints corporaux de Daroça. —
IX. Oui, par INotre-Dame de Mont-Serrat. — X. Oui, par l'âme
de ma mère qui est en paradis. — XI. Oui, par les révélations
de saint Jean. — XII. Oui, par la purification de Notre-Dame. —
XIII. Oui, par la sainte nativité de Christ. — XIV. Oui, par le
cordon de saint François. — XV. Oui, par la vie de mon père,
homme de bien. — XVI. Oui, je renie ce débauché de mau-
vais larron, qui se moquait de Notrc-Seigneur sur la croix. —
XVII. Oui, par les litanies des saints. — XVIII, Oui, par le ju-
rement que j'ai fait. — XIX. Oui, par la Mère sans tache. —
ESPAIGNOLS. 481
XX. Si, par la Se nom de la Coronada.
XXI. Si, par los qualro evangelios santos.
El la-dessus il se faut signer à la bouche, aux deux
poitrines gauche et dextre, et puis à l'estomach.
XXII. Si, por el Sepulcro santo, en el quai elHijo
de Dios fite sepullado.
XXin. Si por las nowenas de la seîîora santa Eli-
zabet.
XXIV. Si, por la sagrada Escritura.
XXV. En verdad, por Nuestra-SeTiora del Pilar de
Saragoça te lo juro,
XXVI. Si, o reniego de las que tengo en la car a.
Il veut dire les ballaffres qu'il tient au visage.
XX Vn. Si, o renie i^o los pecados de los muertos,
XXVIII. Si, por la encarnacion de Clirislo.
XXIX. Si, por las reliquias santas de san Juan de
Latran .
XXX. Si, por toda la perdicion delmundo, le lojuro.
XXXI. Si, por la ver a cruz de Caravaça.
XXXII. Si, por el cuerpo de santo Alfonzo, que esta
en Zamora, te lo juro.
XX. Oui, par Notre-Dame de la Coronade. — XXI. Oui , par
les quatre saints Evangiles. — XXII. Oui, par le saint sépulcre,
où le fils de Dieu a été enseveli, — XXIII. Oui, par les neuvaines
de madame sainte Elisabeth. — XXIV. Oui, par la sainte Ecri-
ture. — XXV. En vérité, je te le jure par Notre-Dame del Pilar
de Saragosse. — XXVI. Oui, ou je renie celles que j'ai au visage.
— XXVII. Oui, ou je renie, les péchés des morts. — XXVIII. Oui,
par l'incarnation du Christ. — XXIX, Oui, par les saintes reli-
ques de saint Jean de Latran. — XXX. Oui, je te le jure par
la perdition totale du monde. — XXXI. Oui, par la vraie croix
de Caravaça. — XXXII. Oui, je te le jure par le corps de saint
Alfonse, qui est à Zamora. —
18-2 SERMENS ET JUREMENS
XXXIII. Sij por el apostoldivino sant Vago.
XXXIV. Si por el siglo de mis finados.
XXXV. Si, por Las brasas de san Anton.
XXXVI. Si, por el sagrario de Nuestra Senora.
XXXVII. Si, por la oreja sagrada de Malchus, y
sanada por la mano de Jésus.
Elle pouvait bien être sacrée puisque Jésus-Christ
l'avoit touchée, non autrement.
XXXVIII. Si, por el buen ladron, que Jesu-Cristo
sabo moriendo con el.
XXXIX. Siy por los lihros de inaestre Abraham.
XL. Si y o reniego de los infieles del Hijo de
Dios.
XLI. Si, o reniego los Moros quando van descaria-
dos s in rey.
XLII. Sij por las cuentas de mi rosario.
XLIII. iS/, por la Virgen, que concibio sin dolor.
XLIV. Si, por la penitencia de santa Maria Mag~
dalena.
XLV. Si, por el angel de la paz.
XL VI. Sij por el Seiwr que padecio en la cruz.
XXXIIl. Oui, par le divin apôtre saint Jacques. — XXXIV. Oui,
par le siècle des miens qui sont morts. — XXXV. Oui, par le feu de
saint Antoine. — XXXVI. Oui, par le tabernacle de Noti^e-Dame.
— XXXVII. Oui, par l'oreille sacrée de Malchus, guérie par la main
de Jésus-Christ. — XXXVIII. Oui, par le bon larron, que Jésus-
Christ sauva en mourant avec lui. — XXXIX. Oui, par les livres de
maître Abraham. — XL. Oui, ou je renie les infidèles au (ils de
Dieu. — XLI. Oui, je renie les Mores, quand ils errent sans roi.
— XLII. Oui, par les grains de mon rosaire. — XLIII. Oui, par
la Vierge qui conçut sans douleur*. — XLIV. Oui, par la péni-
tence de sainte Marie-Magdeleine. — XJlV. Oui, par l'ange de
la paix. — XLVI. Oui, par le Seigneur qui souffrit sur la croix.
ESPAIGNOI.S. 483
XIjVII. .s/, por la Sehora de los Campus.
XLVIII. Si, por l(i\ relupdas de Ronia.
XLIX. Si, u reniei^o de la 4jue nie pario^ si no es
{'erdad.
\j. Si, o renie f^o del opcio que queda en poder de
rapazes.
LI. Si., u renicgo de la pula de mi suegra.
LU. ^/, por la Seùora de las Hucrtas.
LUI. Si., par la pasion dcl Uijo de IJios.
LIV. ^/, o reniego de la casa abrasada de Platon.
LV. 5/, por la Santa Trinidad.
TiVL Si, o reniego de la ley de aquel piito de Ma-
huma, y ahomino la casa donde esta sepultado.
LVIl. Sij o reniego del monaguillo de la iglesia,
criado del sacrislan.
IjVHI. lui K'erdad ^ la a firme por los santos de
Dios.
]j1X. Si., o reniego del espirilu maligno.
TiX. Si, por las romereas de san Yago.
LXL Si, por la Firgen del Remédia, te lo jura.
XLVII. Oui, par Notre-Dame des Champs. — XLVIII. Oui,
par les relicpies de Rome, — ■ XLIX. Oui, ou je renie celle (jui
m'a enTanté, si cela n'est pas vrai. — L. Oui, ou je renie le mé-
tier qui reste au pouvoir des enlans. — LI. Oui, ou je renie ma
putain de belle-mère. — LII. Oui, par Notre-Dame des .Fardins.
— LUI. Oui, par la j)assion du l''ils de Dieu. — LIV. Oui, ou jr-
reiiio le manoir embrasé de Pluton. — LV. Oui, par la .sainte
Trinité. — LVI. Oui, ou je renie la loi de ce débauché de Maho-
met, et je déteste son sépulcre. — LVII. Oui , ou je renie l'en-
fant de chœur, valet du sacristain. — LVIII. En vérité, je vous
l'assure par les saints de Dieu. — LIX. Oui, ou je renie l'esprit
malin. — LX. Oui , par les pèlerinages de saint Jacques. —
LXI. Oui, je te le jure |)ar Notre-Dame du Remède.
d8(i SERMENS ET .lUREMENS
LXII. Si, por la vida del emperador Carlos.
LXIII. Si, por la vida del rey don Phelipe.
LXIV. Si, por los ojos de mi dama.
LXV. Si, por estas barbas que nacieron a la fu-
mada de los canones\
ïlz en disent l)ien d'exécrables, comme je vis un
jour un bandoUier près de Narbonne, qui jum por
los higados de Dios^. Malheureux qu'il estoit ! Un
autre juroit : Ciierpo de Dios por el pan, sangre de
Dios por el vino '.
Je* vis un soldat à Naples, où estant faite pragma-
tique ou deffance de ne jurer parmy leurs bandes,
luy, ayant perdu tout son argent dans le corps-de-
garde, il dist seuUement : Beso las manos al senor
Pilato^. Interrogé^ par quelqu'un de ses compaignons
de ce qu'il vouloit dire par là, il respondit qu'il re-
mercioit Pilate et luy en sçavoit bon gré de quoy il
avoit sententié nostre Sauveur Jésus-Christ. Celluy-là
devoit estre bruslé.
Un autre soldat estant un jour enti-é dans le logis
d'une femme, son hostesse, qui avoit trois ou quatre
LXII. Oui, par la vie de l'empereur Charles. — LXIII. Oui,
par la vie du roi don Philippe. — LXIV. Oui, par les yeux de
ma maîtresse. — LXV. Oui, par ces moustaches, nées à la fumée
des canons.
\ . Voyez plus haut p. 30.
2. Par les entrailles de Dieu.
3. Corps de Dieu pour le i)ain; sang de Dieu pour le vin.
4. Var. Je le vis jurer une fois à un soldat, mais bien pis jura
et blasphéma un autre soldat à Naples où.... (ms. 3273, f" i8J).
5. Je baise les mains au seigneur Pilate.
6. Far. Comme, dist-il après, le remerciant et sçacliant bon
gré de quoy il avoit sententié Jesus-Chrit. (Ms. 3273, ihid.)
ESPAIGNOLS. 18."
petits enfans à l'entour d'elle qui ne faisoient que
crier et l'importuner^ il dit : Que no vive aun el rey
don Herodes para vengnrme de estos ninos ' / Inférant
par là qu'il eust voulu le roy Hérodes encor revivre,
pour faire un second massacre de petits innocens,
afin que pour luy il n'eust plus la teste rompue du
cry de ces petits enfans. Quelle religion !
Un autre soldai, sortant de malladie el d'une
grand' fiebvre chaude, allant à l'église remercier Dieu
pour sa guérison, il dist et salua ainsi : Beso las
manos, seîtor Jesu, j lambien a vos, san Pahlo j san
Pedro y y a todos vosotros apostoles y otros santos de
vida eterna^ ; et se tournant vers sainct Anthovne
peint avec sa grande barbe blanche, il dit : Y no a
vos^ barba blanca, que tan mal su fue^o me trato, j
me quemo en mis calenluras^.
Le brave M. de Bayard ne fit pas cela; lequel,
1 . Ah ! que le roi Hérode ne vit-il encore , pour me délivrer
de ces enfants.
2. Je vous baise les mains, seigneur Jésus, et à vous aussi,
saint Paul, saint Pierre, et à tous les autres apôtres et saints de
la vie éternelle.
3. Mais non point à vous, barbe blanche, dont le feu m'a si
mal traité, et m'a tant brûlé pendant ma fièvre.
Var. Il maudissoit la challeur et le feu qu'il avoit enduré en
sa tiebvre, réputant le tout à monsieur sainct Anthoyne.
Je vis une fois un bandolier auprès de Narbonne qui me jura
por cl higado de dios. Celluy là est fort escandaleux. Un autre
me jura : Por la lelania de los sanctos. Encore celluy est comme
les autres précédens assez léger.
Les Italiens ne sont si divers en leurs juremens, mais ilz en
disent de fort escandaleux et odieux , lesquels il vaut mieux taire
que dire. Nos François sont grands jureurs aussi, mesmes que le
temps passé ce proverbe courroit : Il renie Dieu comme un ad-
186 SERMENS ET JUREMENS
ainsi que dit son roman*, estant un jour persécuté
d'une forte fiebvre chaude, de telle façon qu'il en
brusloit, il implora Monsienr sainct Anlhoine en luy
faisant telle oraison : « Ah ! monsieur yVnthoyne, mon
« bon sainct et seigneur_, je vous supplie avoir souve-
« nance lorsque nous autres François nous allasmes
« jetter dans Parme, que les Impériaux vouloient
i( venir assiéger. Il fut arresté qu'on brusleroit et
a abattroit-on toutes les maisons et églises qui es-
« toient aux faux-bourgs. Je ne voulus jamais con-
« sentir que la vostre fust abbattue, bien qu'elle
« fust de grande importance ; mais je m'y allay jetter
« dedans avecques ma compaignie , si bien que je
X la garday, et demeura entière. » Geste oraison
faicte, au bout de huict jours M. de Bayard fut
guéry.
A propos de baiser les mains, un prescheur, en
Espaigne, preschant le premier dimanche de cares-
me, et touchant l'évangile de ce jour-là et de la ten-
tation de Satan à l'endroict de Nostre-Seigneur, ve-
nant sur ce poinet qu'il luy dit qu'il se jettast du
haut du pinacle du temple en bas, et que, puisqu'il
estoit fils de Dieu, il seroit aussytost relevé des anges
sans se faire mal; sur ce le prescheur dit tels mots :
Jésus, como caballero muj bien criado^ respondio
asi : Beso las manos^ seilor Satan. Tengo yo olra
escale r a para baxar".
venturier, mais aujourd'hui chascun s'en accommode. Dieu à tous
leur fasse la grâce de s'en refformer. (Jbid., i" 181, v".)
1 . Voyez le Loyal Serviteur, ch. lv.
2. Jésus, comme un cavalier bien appris, répondit ainsi : « Je
ESPAIGNOLS. 187
Je sçay un très grand prélat * qui fit une quasi pa-
reille faute fet sans penser) que celle-là, car je l'ouvs :
lequel prescliant ce mesme jour à Fontainebleau de-
vant le roy, la reine et toute la cour, où il y avoit
deux ou trois cens huguenots, et touchant ce mesme
poinct de la tentation, il dict : « Hé! diable, mon
« amy, que vous ay-je faict pour me vouloir tenter
(( ainsi? » Ce mot là ne fust pas plustost dit qu'il fut
relevé de plusieurs de l'assistance , mesmes des
huguenots , qui s'en mirent à rire avecques une
sourde rumeur, dont après ilz en firent bien leur
proffict. Le sermon achevé, s'estant enquis à aucuns
de ses gens pourquoy on avoit ry, ilz luy dirent
parce qu'il avoit appelle le diable son amj-; dont il
en fut si fasché, qu'il dit l'avoir dit à l'improviste et
sans y songer, et qu'il voudroit avoir donné dix
mille escus, et tenir le mot dans la bouche.
Or il faut noter que aucuns de ces Espaignols
ayment tant à dire de bons mots, qu'ilz n'espargnent
ny religion, ny religieux, ny personne, ny chose
quelconque qui soit.
J'allois un jour à Naples avecques le procache',
avecques qui vont toutes sortes de gens, selon la
rencontre qu'ilz trouvent. Par cas, estoit avec nous
le sergent majour de Naples, qui portoit le nom de
Caravajal, gallant homme certes. Il ne faut point de-
mander si l'on est mal traicté par les mains de ce
vous baise les mains, seigneur Satan; j'ai un autre escalier pour
descendre. »
t. Le cardinal de Lorraine. Voyez t. II, p. 277.
2. Le messager, procaccio.
188 SERMENS ET JUREMENS
procaclie. Après que nous eusmes disnë en une ville
qui s'appelle Bellistre', aussy mal qu'il est possible, et
de très meschante viande, on nous porta pour le fruict
deux j)lats de sallade, où il y avoit des herbes que le
diable n'en eust pas mangé, tant elles estoient sauva-
ges et amères. Dans deux autres plats à part il y avoit
un peu de vinaigre et force huile, comme il y en u
force en ces quartiers, et aussy qu'ilz n'y veulent
que fort peu de vinaigre. Caravajal, voyant ce beau
mets avecques ceste grande quantité d'huile s'escria
du haut de la table où il estoit, et moy près de luy :
Seùores, qiiien quiere morir de vosotros y que aqui
esta la extremauncion}? Parce que l'extrême onction
se faict d'huile. Nous nous mismes tous à rire, fors
un moyne qui estoit présent, qui dit : Seîîor capitan,
estas palabras no son huenas a decir^. Le capitaine
luy respondit : Sehor frayle^ estas jerbas no son
buenas a conier. Tome este aceyte, y lle^ele al vica-
rio''. Le pauvre moyne demeura estonné; et fallut
qu'il beust ceste-là, car l'autre ne s'en soucioit
guières.
Un pauvre un jour demandant l'aumosne à un
soldat, et qu'il prieroit Dieu pour luy, il met la
main à la bourse, et luy donne une réaile, en disant :
Tomadj que yo no presto a uzurœ'.
\. Bellistre, Velletri; en latin Felitrx. r
3. Messieurs, qui de vous autres a envie île mourir, car voici
l'extrême-onction ?
3. Monsieur le capitaine, ces paroles ne sont pas bonnes à dire.
4. Monsieur le moine, ces herbes ne sont pas bonnes à man-
ger. Prenez-donc ce vinaigre, et le portez à votre vicaire.
î). Tiens, je ne prête point à usure.
ESPAIGNOLS. 189*
Un autre, en demandant l'aumosne de mesmes, et
qu'il prieroit Dieu aussi pour luy, il luy dit, en ne
luy donnant rien : Rogad par vos que leneis harto
menester de vuestras rogaruis para sus pecados, siii
gastarlas por otros \ Cestuv ne fut pas si courtois
que le précédent.
Un autre pauvre demandoit l'aumosne à un caval-
lier, et qu'il la luy donnast, pues que era su herma-
no*. L'autre, estonné, luy demanda comme il estoit
son irère; il respondit : Porque todos somos de un
misrno padre, Adan j Eva^. L'autre, tirant sabource,
luy donna una blanca. Sur quoy le pauvre respliqua
que c'estoit fort peu pour estre son frère. Le cavallier,
le renvoyant bien loing, luy dit : Si cada uno de tus
hermanos te dièse otro tanto, no hahria principe tan
rico como tu *.
Un cavallier espaignol voyant un jour un autre qui
parloit à sa maistresse d'amour, lequel estoit laid et
noir comme un beau diable, s'approchant de luy, il
luy dit : Fade rétro, Satanas ; no tenteis mi se-
iiora^.
Un autre amoureux, contemplant en un tableau
les mystères de la passion de Nostre-Seigneur, ainsy
que les peintres nous le représentent, il dit : Igualar
\ . Prie pour toi, tu as assez besoin de tes prières pour tes pé-
che's, sans les prodiguer pour les autres.
2. Puisqu'il était son frère.
3. Parce que nous sommes tous sortis des mêmes ancêtres,
Adam et Eve.
4. Si chacun de tes frères te donnait autant, il n'y aurait point
de prince si riche que toi.
b. Retire-toi d'ici, Satan; ne tente point ma dame.
i90 SERiMEJNS ET JUREMENS
otros martirios a estos séria gran desi^ario ; mas
grandes son los mios\
Geste comparaison sourde, en quelque façon que
ce soit, ne se doit faire. Telle ou pire en fit un cor-
dellier une fois, dont j'en vais faire le conte. Ce cor-
dellier estoit un des prescheurs et confesseurs de la
reyne Anne de Bretaigne. Je ne sçay si c'est point
frère Jehan Bourgeois, fort renommé de ce temps-là,
ou autre. Pour lors ladicte reyne avoit une de ses
filles qui s'appelloit Bourdeille, sœur propre et aynée
de feu mon père, et pour ce ma tante, fillole du roy
Louys XII, dont elle portoit le nom de Louyse de
Bourdeille. Il l'a voit faicte venir à la cour dès l'aage
de six ans, et la faisoit quasi ordinairement manger
au bas de sa table, estant petite garce, parce qu'elle
avoit le bec affilé et disoit d'or, et causoit plaisam-
ment, et luy bailloit ainsy du plaisir. Mais quand
elle vint sur l'aage de unze à douze ans, la reyne la
fît tirer de là et manger à l'ordinaire avecques ses
compaignons. Or, venant sur l'aage de quatorze à
quinze ans, elle estoit si belle qu'on l'appelloit rjnge
de la cour, dont plusieurs gentilshommes en furent
serviteurs et amoureux, jusques à ce M. le cordel-
lier (car soubs la ceinture de saint François l'amour
y voile aussy bien qu'ailleurs), qui, en l'exhortant,
fust ou en la chambre de la reyne (car lors les cor-
delliers entroient partout, tant on se fioit en eux),
ou en confession, de l'amour de Dieu et de la cha-
rité, il en faisoit tomber tousjours quelques mots sur
4. Ce serait une grande extravagance de comparer d'autres
souHrances à celles-ci ; mais les miennes sont grandes.
ESPAIGNOLS. 191
son amour; si bien que ma tante l'en ayant renvoyé
bien loing par deux ou trois fois, et luy ne s'en dé-
sistant, le dit à la gouvernante, qui en fit le rapport
à la reyne, qui n'en fit autre semblant, sinon la tan-
cer, et luy dire que c'estoit une mauvaise garce, et
que ce cordellier estoit un très sainct et homme de
bien. Cela dura quelque temps jusqu'à un jour de
vendredy sainct, que luy venant à prescher la Pas-
sion dans la grande salle de Bloys, devant la reyne
Anne, ses filles et sa cour, il se mit de plein abord,
par son ])remier thème, à commencer ainsy son ser-
mon, et par ces propres mots : « Pour vous, belle
« nature humaine, c'est aujourd'liuy pour qui j'en-
te dure, dit ainsy Nostre-Seigneur Jésus-Christ à un
« tel jour d'anuict pour sa Passion. » Puis, s'estant
plus avant enfoncé en propos, il va si dextrement et
subtilement contourner et convertir tout son texte et
passage de la Passion en celle qui l'affligeoit pour
l'amom' de ceste belle nature humaine qui estoit au
devant de sa cliièse * avecques ses compaignes et au-
tres dames, sm^ laquelle jettoit tousjours quasi ses
yeux, contrefaisant du triste, du marmiteux et du
passionné des tourmens de Nostre-Seigneur, que
pourtant il convertissoit tousjours sur les siens. Bien
peu de personnes s'advisèrent de cela, sinon la reyne
un peu, qui, ne se fiant en son jugement, après le
sermon failly, elle fit venir le galland parler à elle,
en la présence de deux de ses docteurs qui avoient
esté au sermon, auxquels la reyne ayant conféré son
soupçon et son doubte, s'en allèrent aussy doubler
J . Chièse, chaise, chaire.
192 SERMENS ET JUREMENS
et appercevoir, et liiy répéter la plus grande part des
passages, tant vrais que feintz, tant bons que mau-
vais, qu'avoit alléguez le galland. Enfin trouvèrent
qu'il y avoit de la meschanceté ; et pour ce, estant
appelle devant la reyne et les docteurs, et estant
convaincu d'un tel crime (non sans se deflfendre
pourtant bravement), on dit que la reyne le fit
fouetter en sa cuisine : mais point, car elle n'aymoit
point le scandale; ains le renvoya à son provincial,
avecques belles recommandations qu'il s'en souvint
toute la vie ; et par ainsi , ma tante bien ayse d'estre
délivrée d'un tel fascheu\ importun, et de n'estre
plus taxée de la reyne de l'avoir accusé à tort, et que
la vérité en estoit cognue ; dont la reyne l'en ayma
davantage, et le roy son parrain. Mais elle ne ves-
quit guières après; car elle mourut à l'aage de quinze
venant à seize ans. Grand dommage certes d'une si
belle fleur fanie' et emportée en son plus beau apvril.
Elle fut fort regrettée du roy, de la reyne, de toute
la cour, et enterrée très honnorablement auxCordel-
liers, près du grand autel, à main gauche. Avant que
leur église se bruslast, il y a environ seize à dix-
sept ans*, son épitaphe en bronze paroissoit encore
attaché contre un pillier, lequel fondit avecques plu-
sieurs autres, tant le feu et l'embrasement fut grand
et désolable, sans y pouvoir remédier. Je tiens ce
conte de feu ma mère et du bonhomme M. de Pons',
qui le lenoit, disoit-il, de madame de Pons sa mère,
i . Fanie, fannée.
2, Le 19 novembre 1580. Vo}e;« L'Estoile, à cette date.
3. Antoine, sire de Pons, comte de Marennes, chevalier des
ESPAIGiNOLS. lu;}
gouvernante de madame Uenée de France, despuis
duchesse de Ferrare. Je pense que si madame de iNe-
mours, sa fille, s'en vouloit aujourd'huy ressouvenir,
elle le pourroit asseurer; et voylà mon conte achevé.
Venons à d'autres.
Il s'est trouvé de bons compaignons d'autresfois
en ces cordelliers, comme un Espaignol que je vais
dire , appelé Fray Inigo. yVllant ini jour dans une
rue de Tolède, et aucunes belles et honnestes dames
(comme il y en a force) allans devant et luy après, et
faisans grand'poussière de leurs robes traisnantes en
terre, ainsy qu'elles se fussent advisées de luy et de
la poussière qui luy nuisoit s'arrestèrent tout court
(car elles l'avoient en grand'révérence), et luy dirent
fort courtoisement : Pase viieslra reverencia, porque
noie démos poh>o \ Luy, refusant de passer, leur
dist : Beso las maiios^ senoras. Fajanse, que el poho
de las ovejas no le ahorece el lobo *. Quel fin loup
voilà puisqu'il n'abhorroit point la poussière de ces
belles dames ! Il n'eneust point abhorré autre chose,
ny leur chair, non plus que le loup celle des brebis,
bien qu'il fist bien de la mine et qu'il prélassast
tant qu'il pouvoit, aspirant un jour à une mytre.
De quoy l'en reprenoit un jour un sien compai-
gnon, et de despit luy dit : Quitad esta vana gloria;
ordres du roi, né le 2 février lolO. Il était fils de François, sire
de Pons, comte de Marennes, et de Catherine de Ferrières.
\ . Que votre révérence jjasse devant, afin que nous ne lui fas-
sions point de poussière.
2. Je vous baise les mains, mesdames; marchez toujours. Le
loup n'abhorre point la poussière des brebis.
vji — 13
194 SERMENS ET JUREMENS
que aunque lluevan muras , nunca caera una en su
cabeza ' .
L'on peut bien quelquesfois brocarder et se moe-
quer de ces gens-là, puisqu'ilz se mocquent entre
eux-mesmes les uns des autres, comme fit un cordel-
lier un jour à un jacobin. Allant par pays tous deux
de compaignie, et venant passer un ruisseau où il
n'y avoit planche ny pont, le jacobin luy dit que
puisqu'il estoit deschaussé et pieds nuds, qu'il se
mist dans l'eau et qu'il le portast sur ses espauUes ;
ce que le cordellier luy accorda volontiers; et le pas-
sant, quand ce fut au mitan de l'eau, il luy demanda
s'il ne portoit point d'argent sur luy. L'autre respon-
dit qu'il avoit environ six réalles. Alors il luy dit :
Padre^ perdonadme, que no puedo llevar comigo di-
neros, porque asi lo manda mi régla. Y , diciendo
eso^ iuego lo écho en el rio, y se penso ahogar '. Pen-
sez que le cordellier s'en mocqua bien, et en rit son
saoul.
Une bonne femme estant malade, et ayant en-
voyé quérir son curé pour la confesser, elle luy donna
pour sa peine une poulie, qu'il prit gentiment et
l'emporta. Quand elle fut guérie, ne se souvenant
du don, elle demanda à sa chambrière qu'estoit de-
venue sa poulie. Elle luy dit qu'elle l'aA^oit donnée au
curé par son commandement; à quoy elle respon-
\ . Laissez-là cette vaine gloire. Quand même il pleuvrait des
mitres, il n'en tomberait jamais une sur votre tête.
2. oc Mon père, pardonnez-moi, je ne puis porter d'argent sur
moi, parce que ma règle me l'ordonne ainsi. » Et, en disant cela,
il le jeta dans l'eau, où l'autre pensa se noyer.
ESPAIGI\OLS. 195
dit : Yale me Dlos ! Infiailas veces que se. me perdio
esta galliiia, la di al diahlo, f iiunca la tomo : y ima
t-'ez que la prometi al cura, la llevo lue^o\
Un bon compaignon ayant espousé une belle et
lionneste femme ^ et pour ce qu'il estoit mauvais
mesnager et avoit despendu tout le bien que son
père luy avoit laissé, elle se sépara de luy ; dont s'en
plaignit au vicaire pour la hiy faire rendre : de qiioy
le vicaire s'enquérant à son procureur, luy demanda
si habia consumido el matrimonio *. Le procureur res-
pondit plaisamment : Y ami el patrimonio '; faisant
allusion du matrimoinc et du patrimoine, qu'il les
avoit consommez tous deux, à son dam, et de la
femme et tout.
Un autre fit bien mieux, qui, ayant de mesmes
mangé tout son bien, et rencontré un jour par un
sien amy, et trouvé à table qu'il faisoit bonne chère,
et souppoit avec un flambeau de cire; luy pensant
remonstrer que, puisqu'il n'a voit plus de quoy faire
telles despenses, pourquoy il faisoit celle-là d'un
flambeau de cire et ne se contentoit d'une petite
chandelle de suif; l'autre luy respondit : Senor,
llego al cabo del afio cou mi hacienda'*. Quel bout de
l'an, et quelle comparaison ! Ne vous dis-je pas
qu'ilz n'espargnent rien pour dire un bon mot,
\ . Dieu me soit en aide ! Une infinité de fois que cette poulie
s'est perdue, je l'ai donnée au diable sans qu'il l'ait jamais prise;
et pour mie fois que je l'ai promise au curé, il l'a emportée sur le
champ.
2. S'il avait consommé le mariage.
3. Et même le patrimoine.
4. Monsieur, je fais le bout de l'an de mon bien.
196 SERMENS ET JUREMENS
comme plusieurs autres que je dirois bien ? mais je
serois trop long. Si diray-je encore ceux-cy :
La reyne d'Espaigne, donne Izabelle* de France,
estant un jour en une procession à Madrid avec ses
dames et filles qui la suivoîent , toutes aussi belles
qu'elle, et, venant après la dernière leur gouver-
nante, vieille et laide, il^ y eut un cavallier qui ren-
contra là-dessus, et dit : Esta dama parece la muer Le
al cabo de un rosario de oro o de pedrerias *. Il se
faut imaginer là-dessus un beau cliappellet de pier-
reries ou d'or, de quelque façon, au bout duquel on
met coustumièrement une teste de mort, pour en
avoir souvenance.
Un capitaine de gallères poursuivant une galliote
de Mores, il fit un vœu que, s'il la pouvoil prendre,
qu'il en donneroit la dixme à Nostre-Dame de Gua-
dalup. Un de ses soldats s'en mit à rire; et luy ayant
esté demandé pourquoi, il respondit : l.o que ha pro-
metido el capitan^ ahora es de los Moros ; y si se
gana^ sera de nosotros soldados ; pues mirad adonde
se ha de sacar el diezmo par Nuestra-Senora^ . Le
gallant se vouloit partager pour luy et pour ses com-
paignons, avant que rien donner à Nostre-Dame.
Cestuy-cy, et puis plus. Un gallant, ou, pour
mieux dire, un mesch^nt garnement, estant un jour
malade d'une fiebvre chaude qui le pressoit et l'alté-
1. Elisabeth.
2. Cette dame a tout l'air d'une tête de mort au bout d'un ro-
saire d'or ou de pierreries.
3. Ce que le capitaine a promis est encore en la puissance des
Maures; et si on le prend, il sera à nous autres soldats. V03CZ
donc oii il prendra la dîme pour Notre-Dame,
ESPAIGNOLS. 197
roit fort, il demanda à son médecin de l'eau de fon-
taine pour boire. Il luy respondit qu'elle luy feroit
mal s'il en beuvoit_, et qu'il n'en auroit point. L'au-
tre luy respondit : Dadme pues un poco de agua hen-
dila para heher , que cosa tan bendita y sagrada no
puede hacer mal\ Le médecin lui respondit : O l hijo
de puta, que habeis dicho ? Dénie quanta agua qui-
siere^. Ainsy l'abandonna M. le médecin à boire son
saoul d'autre eau, et ne toucher à l'eau béniste, qui
a bien plus d'autres vertus que de la boire, ainsy que
j'en vais faire un conte.
M. de Orignaux', gentilhomme de Périgord, brave
et très-habile en son temps, et chevallier d'honneur
de la reyne Anne de Bretaigne, fut une fois envoyé
en ambassade vers le pape Jules par le roy Louis XII
son maistre. Par cas, un jour estant au palais de
Saine t-Pierre, il veid sortir cinq ou six cardinaux,
faisans bien des empressez, qui alloient jetter le
diable hors du corps d'un pauvre homme. Il les pria
de l'attendre un peu qu'il eust diet un mot à Sa
Saincteté, et qu'il vouloit aller avec eux pour voir
ce mystère qu'il n'avoit jamais veu. A qui ilz dirent,
par une grande spéciauté, qu'il ne falloit pas qu'il y
vinst, parce qu'il ne s'estoit pas confessé et mis en
estât et bonne dévotion comme eux, d'autant que
ces malins esprits souloieiit, quand on les chassoit
\. Donnez-moi donc un peu d'eau bénite pour boire. Une
chose si bénite et si sacrée ne saurait faire mal.
2. O fils de putain! qu'as-tu dit? Qu'on lui donne autant d'eau
qu'il voudra.
3. Brantôme a déjà raconté cette histoire dans la première ré-
daction de l'article consacré à Trivulce. Voy. t. II, p. 224, note.
I
198 SERMENS ET JUREMENS
d'un corps, s'aller aussy tost rejetter dedans un au-
tre s'il se trouvoit en son chemin, et n'estoit en bon
estât que doit estre un vray et bon clirestien et ca-
tholique; et parainsy ce malin esprit, estant par eux
chassé du corps de ce pauvre homme, pourroit en-
trer dans le sien, le trouvant tout immonde et honny.
A quoy M. de Grignaux respondit promptement :
« Le prenez-vous là? j'y ay trouvé un bon remède;
« car je me jetteray tout chaussé et tout vestu dans
( le grand bénistier, et m'y plongeray jusqu'à la
« gorge. Mais, avant, je prendray de l'eau béniste
« ma pleine bouche; et, lorsque vous aurez faictvos
« oraisons, imprécations et brinborions, et que je
« pourray au plus près cognoistre que ce diable vou-
« dra sortir, je commenceray à jetter par ma bouche,
(( et rejaillir peu à peu mon eau béniste, et l'enfre-
rt tiendray toujours ainsy jusqu'à ce que le diable
a aura sorty par la vitre, ou rentré dans le corps de
(( quelqu'un de vous autres, qui n'estes pas plus nets,
« ni ne valiez pas plus que moy, et estes pires que
« le diable. Car, Pasques-Dieu (tel estoit son ser-
« ment), vous estes, et votre maistre, tous traystres, >
« qui ne faictes que trahir et tromper le roy mon
« maistre; » ce qui arriva puis après. Voilà donc
comment M. de Orignaux, voulant mettre ordre aux
trous du haut et du bas, par là où il présumoit que
diable deust passer, fit approuver à l'assemblée que
le remède estoit très-bon, et qu'il verroit tout le mys-
tère sans danger et fortune.
Je tiens ce conte d'un vieux gentilhomme mon
voisin, qui disoit le tenir de feu M. de Bourdeille ^
mon père, qui estoit parent et bon amy de M. de ^
ESPAIGNOLS. 199
Orignaux, et aussi bon corapaignon que luy ; lesquelz
tous deux, et en France, et au dehors aux guerres
d'Italie, en avoient fait de bonnes en leur temps,
bien que mon père fust plus jeune, car il estoit page
de la reyne Anne, allant toujours sur son premier
mulet de devant sa litière, qui estoit un grand hon-
neur de ce temps, que M. de Orignaux estoit desjà
chevallier d'honneur de ladicte reyne, laquelle (sor-
tant hors de page) le luy donna pour le mener aux
guerres de Naples. Je sçay plusieurs bons contes de
tous deux, qui sont subelins, et qui lèvent la paille,
dont j'en conte aucuns en mes autres li^Tes'.
Or bien que ce conte soit joyeux et ridicule, il
faut toujours confesser et avouer que l'eau béniste a
de très-grandes vertus et propriétez, soit contre ces
esprits malins, soit pour les foudres, tempestes, ora-
ges et tonnerres, pour le feu et embrasement, bref
pour une infinité de choses dont l'on a veu de
grands miracles.
Je cuydois n'allonger ce petit traicté des Juremens
espaignols tant comme j'ay faict. Mais, comme un
propos ameine l'autre, je me suis perdu un peu en
ces petits contes précédens, qu'il vaut mieux dire
que raconter ces énormes juremens et blaphêmes ,
qui sont par trop scandaleux, et très-nuisibles à
l'âme, et plus qu'on ne pense; et m'estonne qu'on
ne s'en corrige mieux qu'on ne faict. Mais, à ce que
j'ay veu et pratiqué, il n'y a guières peuple, de quel-
que nation que ce soit, qui ne s'en ayde fort vilaine-
ment. Les François s'en accommodent aussy bien
1. Voyez, plus loin la Vie d'Anne de Bretagne.
ooo SERMENS ET JUREMENS
que les autres, et mesmes les Gascons, voire plusieurs
Francimans , et surtout les solda tz et advanturiers
de guerre, ainsi qu'on couroit le temps passé le pro-
verbe : « Il jure comme un advanturier, ou comme
un sergent qui prend et tient son homme au col-
let. » Les lansquenets jurent estrangement aussy.
Bref, tous s'en aydent, et principalement les Italiens;
car ilz prennent Dieu, la Vierge Marie, et tous les
saincts et sainctes, par le haut, par le bas, par le
mitan, que c'est chose fort abhorrable. Ceux qui en
ont pratiqué le pays en confirmeront mon dire.
Je vis une fois (je ne diray plus que cestuy-cy) un
capitaine de gallères italien, genevois', que je ne
nommeray point, qui suivoit M. le grand prieur de
France, de la maison de Lorraine. Estans sur mer,
ainsy que nous estions prests à passer le goulphe de
Livourne, qui est très-dangereux, jouant aux dez
contre un autre, luy ayant livré dix pour son poinct
et sa chance, et rencontré et pris pour luy quatorze,
il se mit, en tirant les dez, à dire par trois fois : Fa
quattordiciy rnesser Domeneddio, o tu perdi un anima
christiana^. En ce disant, il fit la chance de son hom-
me, et luy perdit. Puis, continuant et renforçant
plus vilainement son blapliême , il dist : Yo so heu
che messe r Donieneddio mi vol dar oggi qualche
stretta ; ma, tu mentirai, dit-il en regardant le ciel,
cK io no giuocaro piu^. Et prenant les dez, il les jetta
1. Génois.
2. Fais quatorze, Seigneur Dieu, ou tu perds une âme chré-
tienne.
3. Je vois bien que le Seigneur Dieu me veut aujourd'hui pré-
ESPAIGAOLS. 201
dans la mer, en se retirant avec une perte de trois
cens escus.
Ce blaphême porta si grand malheur, que nous
estant engoulphez en cedict goulphe, seize gallères
qu'avoit ledict M. le grand prieur, coururent grande
fortune, et cuydèrent quasi toutes périr. Mondict
sieur le grand prieur ayant sceu après le blaphême
dudict capitaine, l'en tança très-aigrement, et qu'il
n'y retournast plus, autrement il luy fairoit sentir :
lequel il laissa en le voyant contrit et repentant, et
que luy-mesme eut plus grand peur que tous les
autres durant la tempeste. Il avoit raison; car Dieu
s'en irrita , comme il fit paroistre. Du despuis il
s'en corrigea, et le vis ne jurer ni blaphémer plus
tant comme il faisoit : et, quand on luy en faisoit la
guerre qu'il estoit devenu sage, il respondoit : La
fortuna cli Lworno mi fa ancora paura^ .
Il seroit besoing que Dieu quelquesfois donnast
tout à coup ainsy des cliastimens à ceux qui le jurent
si exécrablement. Hz s'en corrigeroient, et les autres
y prendroient exemple : car enfin ce n'est qu'une
accoustumance aysée à s'en delTaire, ainsy que j'en
ay veu l'expérience en plusieurs.
cipiter en quelque malheur ; mais tu mentiras , car je ne jouerai
plus.
1 . Le danger de Livourne me fait encore peur.
FIN DES SERMENS ET JUREMRNS ESPAIGNOLS.
M. DE LA NOUE.
A SÇAVOIR A QUI L'ON EST PLUS TENU, OU A SA PATRIE,
A SON ROY OU A SON BIENFACTEUR ».
J'estois un jour en lionneste compaignie d'hon-
nestes seigneiu's et dames; et ainsi qu'on se rencon-
tre à discourir^ parmy ces lionnestes personnes, de
plusieurs subjects, nous vinmes à tomber sur M. de
J^a Noue, duquel on ne se peut assez saouler de dire
les biens, les vertus, les valeurs et les mérites qui
estoient en luy ; si bien qu'il fut tenu estre resté le
plus grand capitaine que nous eussions aujourd'hui
1. François de la Noue, dit Bras de fer, né en 4 531, blessé
mortellement au siège de Lamballe et mort quelques jours après,
le 4 août 1591.
2. Dan> les anciennes éditions et dans l'édition Monmerqué, ce
Discours est mis entre la vie de M. Parisot et celle de Charles IX.
Rien n'autorisait à l'insérer en cet endroit, car il ne figure ni là,
ni ailleurs, dans aucun des manuscrits que noits avons consultés;
et sa forme , son titre et enfin la place que lui donne Brantôme, dans
rénumération de ses ouvrages (voyez t. I, p. 82), démontraient
suffisamment qu'il formait un traité séparé. Nous lui avons donc
conservé la place qu'il occupe avec raison dans l'édition Buchon.
En l'absence de manuscrit, nous avons reproduit le texte des édi-
tions antérieures.
204 M. DE LA NOUE.
en France. On conta comment, estant sorti de page
d'avec le roi Henry son maistre, il fit son appren-
tissage sous luy, et de ses voyages qu'il fit en Picardie
et frontières de Flandres, où luy-mesme estoit tous-
jours général et conducteur de ses armées. Aussy les
plus vieux capitaines ne luy eussent sceu rien ap-
prendre soubs un si bon maistre et guerrier, puisque
soubs meilleur il ne pouvoit. T.edit seigneur de La
Noue apprit donc là ses rudimens de guerre, puis
s'en alla en Piedmont avec M. d'Amville, comme
j'ay dict ailleurs, où il se trouva en plusieurs com-
bats, et mesmes en un qui fut faict au Pont-d'As-
ture*, où il y eut une deffaicte de cinq cens Espai-
gnols naturels, qui le fit fort valoir et estimer.
Nos guerres civilles estant survenues, il se mit à
suivre le party de la religion, de laquelle il estoit
grand zélateur ; et aussy que M. l'admirai, voyant sa
suffisance, l'a voit attiré pour autant se décharger de
son grand faix, ainsi qu'il le servit très-bien et le
soulagea fort ; car dès-lors il commencoit à estre
bon capitaine, d'autant qu'il aymoit fort à lire, et
ce qu'il lisoit il le pratiquoit très-bien quand il estoit
en sa charge de guerre; et aussy qu'il en aymoit
fort à discourir, comme je l'ay fort ouy attentive-
ment bien souvent, et appris de luy-mesme au
voyage d'Escosse que nous fismes, lorsque nous al-
lasmes conduire la pauvre feue reyne de France marr
tyrisée *.
La seconde guerre venue, il fit un grand service
à son party; car messieurs le Prince, l'admirai et
1. Ponte-di-Stura. — 2. Marie Stuart.
M. DE LA NOUE. 20S
d'Andelot ayant assiégé le roy dans Paris à demy,
eux estans dans Sainct-Denis, ilz donnèrent la char-
ge à M. de La Noue d'aller surprendre Orléans; ce
qu'il fit facilement par le moyen du baillif Grelot' et
ceux de la ville^ qui estoient quasi tous la pluspart
partisans de la religion; mais il restoit la citadelle,
qui estoit bonne et bien munie d'artillerie^ qui fouet-
toit ceux de la ville, il ne faut dire comment. Mais
M. de La Noue la battit et l'assaillit si bien, qu'à la
longue d'un mois ou trois sepmaines, l'emporta, ce-
pendant que les autres amusoient le roy et ses forces,
qui ne put la secourir; car s'il les eust divisées pour
y aller, ilz ne demandoient pas mieux.
Les Iroisiesmes troubles revindrent puis après, où
mondict seigneur de La Noue lit encore mieux; car,
ayant M. d'Andelot, un autre grand capitaine, avec
soy, et toutes les forces huguenottes de la Bretaigne,
Normandie, le Mayne, le Perche, l'Anjou et autres
provinces, fallut passer la rivière de Loyre, estant
M. de Montpensier d'un costé et M. de Martigues de
l'autre*. Nonobstant, la passèrent bravement sans
grande perte de gens, et une bien grande de la troupe
de M. de Martigues, car il perdit son enseigne,
M. d'Ourches', de Dauphiné, brave et vaillant gen-
tilhomme s'il en fut oncques, et fort mon amy, du-
quel la perte emporta plus que tout ce que M. d'An-
delot peust perdre. La rivière se passa donc en despit
i . Jérôme Groslot. La Noue s'empara d'Orléans le 28 septem-
bre iS67. La porte Banière, dont les catholiques avaient fait une
espèce de citadelle, se rendit le 12 octobre suivant.
2. En 1568. Voyez de Thou, liv. XLIV.
3. Rostain d'Urre, seigneur d'Ourches.
206 M_. DE LÀ NOUE.
de tout obstacle, M. d'Andelot y travaillant d'un
costé et M. de La Noue de l'autre. Toutes ces forces
lîuguenoltes estant assemblées, elles prindrent Sainct-
Jehan, Cognac, Xaintes, Pons, Blaye, Angoulesmes
et plusieurs autres.
Monsieur, frère du roy, nostre général, emmena
son armée ; si bien qu'en un an il leur livra deux ba-
tailles, celle de Jarnac, et l'autre de Montcontour,
es quelles toutes deux M. de La Noue fut pris en
vray homme de guerre, encor qu'en celle de Jarnac
luy fallut combattre ayant la fièvre quarte. Les
princes et M. l'admirai estant allez en Gascogne et
Languedoc, il demeura avec le comte de La Roche-
foucaut en Xainctonge, Angoulmois, Poictou et au-
tres pays de leur conqueste, gouverneur; dont il
s'acquicta bien, car il deffit Puygaillard *, qui avoit
six ou sept cens chevaux, et le régiment des gardes
qui s'estoit sauvé dans Lusson, qu'il prit à sa mercy ;
là où il usa d'une grande courtoisie de guerre, car il
le renvoya avec toutes ses armes, enseignes et tabou-
rins, comme point vaincu : de quoy fut fort loué
d'un chacun, et le vis fort louer à la reyne et au roy,
comme de chose inouye et peu advenue.
La paix se fit, et le comte Ludovic de Nassau alla
faire ses entreprises en Flandres, demandant pour
son second M. de La Noue, et firent prou pour un
commencement; mais ilz eurent en barbe ce grand
capitaine le duc d'Albe, qui les empescha soudain de
parachever leur besogne, et leur emporta Valan-
ciennes par le moyen de la citadelle qu'ilz n'avoient
1. En 1570. Voyez de Thou, liv. XLVII,
AI. DE LA NOUE. 207
pas ; et puis les alla assiéger dedans Mons en Hay-
naut, où ledict comte estant tombé malade, ce fut à
M. de La Noue à supporter le faix du siège de tout;
mais, n'en pouvant plus, fut contraint d'en sortir
par une très-belle et honnorable composition ', avec
pourtant une très grande admiration et estime qu'il
laissa de luy au duc d'Albe et à toute son armée.
Le massacre de la Saine^-Barthélemy s'estant en-
suivy, fut envoyé quérir jusques en Flandres par
nostre roy, pour l'envoyer à La Rochelle et la solli-
citer de luy rendre son obéyssance (cecy est une
autre paire de manches, et longues à coudre, que
j'espère dire ailleurs et à propos); mais il n'y put
rien gaigner, et fallut qu'il en sortist sans rien faire,
sinon d'avoir donné une bonne leçon et instruction
pour se bien def fendre, qu'elles nous coustèrent la
perte de vingt mille hommes; car quand il y entra
ilz estoient au bout de leur rollet*, ainsi que luy et
eux m'ont dict.
Ce siège nous porta la paix qui ne dura guières,
car, le roi de Poulogne s'en estant allé en son nou-
veau royaume, les armes se prindrent au mardy-
gras, en Normandie, M. le comte de Montgommery
en chef, et en Xainctonge et Guyenne, M. de La
Noue chef; où pourtant il fut grandement blasmé
des siens mesmes de n'avoir secouru jamais ceux de
Lusignan assiégez, d'un seul homme, non pas d'une
seule allarme, en trois mois que le siège dura; et
j'en ay veu plusieurs soldats qui estoient dedans s'en
i. En août 1572. Voyez de Thou, Uv. LIV.
2. Rollet, rouleau.
208 M. DE LA NOUE.
plaindre, disaiis : a M. de La Noue nous a fort bien
« nouez, mais il nous a mal desnouez, m Mais, pour
cela, il ne le faut pas mésestimer, car possible il
n'avoit pas le moyen ; si a-on veu des places secou-
rues de nostre temps pourtant, et plus mal aysées
que celle-là. Je m'en rapporte à ce qui en est; je luy
en ay veu dire des raisons alors que ce siège duroit,
m'ayant le roy despesché de Lyon vers luy', lors-
qu'il fut de retour de Poulogne, pour ouvrir quelques
propos de paix.
Or, ayant, Monsieur, frère du roy, conceu quel-
ques mécontentements contre Sa Majesté, et soufflé
par les huguenots, qui n'avoient plus un grand chef,
et qui avoient pris à propos ceste occasion de mé-
contentement, il s'en alla de la cour. M. de La Noue,
dès le siège de La Rochelle, avoit commencé à le dé-
baucher : je sçay ce que luy en dis, me doublant
bien de quelque chose, et qu'il y avoit quelque an-
guille soubs roche; mais il me nyoit tout; et tant
plus qu'il me faisoit ces protestations, je luy répli-
quois tousjours (car nous estions très-grands amys,
et la pluspart du temps couchions ensemble) qu'il
mettroit ce prince à mal. Enfin, le voylà aux armes
et hors de la cour. M. de La Noue le va trouver
vers le Poictou avec ses forces, où je le vis et luy
ramenteus ^ bien ses anciennes protestations qu'il
me faisoit devant La Rochelle; mais la reyne mère,
qui estoit toute bonne et très sage, ne cessa jamais
qu'elle n'eust accordé les deux frères; si bien que le
roy de Navarre, s'en estant aussy desparty de la
1. En 157<i. — 2. Ramenteus, rappelai.
M. DE LA NOUE. 209
cour quelques six mois après Monsieur, fut eslu chef
général de la religion, comme luy appartenoit, puis-
qu'il en estoit des fermes, et veu sa grandeur. M. de
La Noue l'assista tousjours si bien en ces guerres de
Gascogne, que luy, qui estoit jeune prince et peu
pratique aux armes, mais pourtant vif et de gentil
esprit et courageux, moitié de son instinct et moitié
de ce qu'il voyoit faire à M. de La Noue, l'imitoit;
et fit si bien, que c'est aujourd'hui un des grands ca-
j)itaines et roys et princes de la chrestienlé.
Le rov de Navarre, la paix venue, le fit surinten-
dant de sa maison, qui estoit un très grand honneur
pour luy; mais ayant esté appelle par le prince d'O-
range et les Estats des Pays-Bas, sur le résonnement
de son nom et de ses beaux faits, qui s'espandoient
partout, fut esleu par eux leur mareschal-général de
camp, et supplié de l'accepter, avec de beaux partis
et appoinctemens qu'ilz lui présentoienl*. Il quicta
cette surintendance; et luy, qui n'estoit si bon œco-
nome comme bon guerrier, changea le ménage avec
la guerre, qui luy estoit plus propre ; ainsy que le
roy François I sceut très-bien remonstrer une fois à
feu M. de La Pallice , dit mareschal de Cha-
banes,' lequel, désirant (à son advènement à la cou-
ronne) récompenser M. de Boissy, qui avoit esté
gouverneur de son enfance, et ne sçachant estât en
son royaume plus propre pour luy que celuy de
grand-maistre, pria M. de La Pallice de luy résigner
l'estat de grand-maistre qu'il avoit eu du roy
Louys XII, et qu'il le feroit en eschange mareschal
1. En lo78.
vil — 1 4
210 M. DE LA i\OUE.
de France, estant bien plus de raison que luy^ qui
toute sa vie avoit manié les armes, eust un estât qui
luy fust plus convenable à sa profession, à son mes-
tier et exercice, qu'un autre où il n'avoit jamais esté
bien ny advenant : ainsy, par ces belles raisons,
l'escliange se fict. J'ay dit cecy ailleurs*, mais c'est
tout un.
M. de La Noue en fit de mesmes, lequel quitta le
bureau et la marmite, et l'économie du roy de Na-
varre pour aller guerroyer en Flandres. M. d'Estrozze
et moy le vismes partir de France; et_, sans M. d'Es-
trozze, je m'estois desbauché et résolu d'aller avec
luy; mais il me retint, et me pria de n'y aller point.
Que maudicte soit l'heure que je le crus ! car je se-
rois maintenant mort avec gloire, ou je vivrois plus
heureux que je ne suis. Ce n'est pas la première
fois que mondict sieur d'Estrozze a retardé aucunes
bonnes fortunes qui se sont présentées à moy ; mais
je l'aymois tant, qu'il disposoit de moy comme il
vouloit.
Voylà donc M. de La Noue en Flandres, oxi il fut re-
ceu avec une très-grande joye, allégresse et admira-
tion de tous les Estats, qui pour lors avoient une
armée de cinquante mille combaltans. Et vint bien à
poinct d'avoir recouvert pour ce coup un si grand
capitaine, d'autant que dom Juan d'Austrie leur
donna pour un matin une camisade si chaude et si
serrée, que, sans la bonne conduicte et l'assistance
de M. de La Noue, et la vaillance de sept ou huit
i . Dans la première rédaction de la notice sur M. de Chièvres.
Voyez tome 1, p. 218, note.
M. DE LA. NOUE. 2H
cens François qui se trouvèrent là, qui ne faisoient
qu'arriver, toute leur armée estoit deffaicte, comme
les Espaignols le sceurent très-bien dire.
Je ne conteray point les beaux exploicts d'armes
qu'il a faicts, les beaux combats, les belles rencontres,
et surtout les prises de villes fortes et imprenables
qu'il a emportées par surprises, par escalades, voire
en plein jour, et mesme celle où il prit le comte
d'Aiguemont*, bien jeune alors en tout, mais despuis
qui s'estoit bien faict, ainsy qu'il le monstra derniè-
rement en la battaille d'Yvry, où il mourut à la teste
de ses troupes, aussy vaillamment que jamais homme
mourut en guerre; et fit bien paroistre qu'il estoit
fils de père, et que, s'il eust vescu autant que luy, se
fust rendu esgal à luy, car il estoit vaillant ; et tout
vaillant, avec le temps, et si nature luy donne le
loysir de vivre, se fait grand capitaine, comme je le
tiens des grands.
Enfin, comme Mars est tousjours douteux autant
que dieu qu'ayent jamais inventé les poètes, tourna
la chance à M. de La Noue, et fut pris en une ren-
contre petite*; petite l'appellè-je , car il n'avoit
qu'une poignée de gens : et de ceste rencontre et
prise (de laquelle j'espère parler ailleurs) estoit chef
le marquis de Richebourg ', autrement dict le mar-
quis de Ranty, lequel, au commencement que M. de
La Noue alla en Flandres (ainsy que je le tiens de
1 . Le comte Philippe d'Egmont fut surpris dans Ninove par
la Noue en 1580. Voyez de ïhou, liv. LXXL
2. Lé 10 mai 1580 à Ingelmunster. Voyez de Thou, liv. LXXL
3. Robert de Melun, marquis de Richebourg.
212 M. DE LA NOUE.
plusieurs capitaines qui estoient avec luy), estoit
fort nouveau, suivant le party des Estats, et, appre-
nant ses principales leçons de M. de La Noue, se ren-
dit en un rien si bon capitaine, qu'il est mort (ayant
changé sa robe) l'un des bons que le roy d'Espaigne eust
là-bas. Il mourut à cesteestacade d'Anvers*; j'espère en
parler ailleurs, pour estre l'une des belles choses qui
aye esté faicte en ces guerres civilles gauloises.
Ledict marquis ne traicta mondict sieur de La
Noue à sa prise comme il devoit, et comme le dis-
ciple le devoit à son maistre ; et fit fort peu de cas
de luy, comme de l'incognu à l'incognu. Pour fin, il
fut livré à l'Espaignol, qui le met en une prison si
estroicte, qu'il n'en sceut jamais sortir qu'au bout de
cinq ans et demy, qu'il fut délivré par le moyen de
messieurs de Guy se et Lorraine, où il y eut de très-
grandes cérémonies, que, sans ces deux princes, mal
aysément il fust sorty*. Je le sçay aussy bien
qu'homme de France, pour en avoir parlé à feu
M. de Guyse pour luy assez de fois ; et la première
1. Le 4 avril 1585, les Anversois, assie'gés par le prince de
Parme, dirigèrent des brûlots contre une estacade construite sur
l'Escaut et qui fermait l'entrée de leur port. Cette entreprise ne
re'ussit qu'à moitié. L'un des brûlots, en éclatant, fit sauter une
partie de l'estacade et tua envii-on huit cents Espagnols. Voyez de
ïhou, liv. LXXXIll.
2. Il fut échangé, en 158S, contre le comte Philippe d'Eg-
raont, aux conditions suivantes : Il dut promettre de ne jamais
servir contre Philippe II et de ne porter les armes contre qui
que ce fût sans l'ordre du roi, et de plus, comme gage de sa
parole, fournir une caution de cent mille écus d'or, dont se ren-
dirent garants le roi de Navarre, le duc de Lorraine et le duc de
Guise. (Voyea de Thou, liv. LXXXIII.)
M. DE LA NOUE. 213
fois ce fut à la chambre de la reyne à Sainct-Maur,
après la roulte de M. d'Estrozze vers le Portugal.
Estant donc sorty, et accomply quelques solem-
nitez promises en sa délivrance, l'occasion se pré-
sentant pour servir le roy, partit de Sedan avec
quelques trouppes, et^ se joignant avec quelques par-
tisans du roy (comme avec M. de Longueville le gé-
néral, et qui pour son aage promettoit d'estre un
jour aussy grand capitaine qu'aucun de ses généreux
ancestres), il vint droit à Senlis^ que pour lors
M. d'Aumale tenoit estroictement assiégé ; et, encor
qu'il fust beaucoup plus fort, M. de La Noue ne re-
fusa le combat et luy livra la battaille, si bien mise
en ordre, si bien arrangée et si bien conduicte, qu'il
la gaigne, et donne la chasse audict M. d'Aumale et
à ses gens, luy en deffaict grande quantité morts par
terre, et lève le siège de Senlis : ce qui ne fut pas un
petit service et léger faict au roy, d'autant que M. du
Mayne, accompagné d'une armée de quinze mille
hommes, tous enragez, désespérez de la mort de leur
brave M. de Guyse, et tous enflambez pour venger
sa mort, avoient donné dans les faubourgs de Tours,
les avoient faussez et fait une grande escorne au roy,
qui n'estoit assez bastant de forces, encor qu'il se
fust aydé de frais de celles du roy de Navarre; car
volontiers on quitte un vieil ennemy, et s'ayde de
luy pour se venger du nouveau. Et M. du Mayne te-
nant la campaigne, estant bravigant *, car c'est la
plus belle chose qu'il aye faicte en ceste guerre, et
sur le poinct de faire encore quelque chose de nou-
i . Bravigant, faisant le fanfaron ; en italien braveggiare.
214 M. DE LA NOUE.
veau et de plus beau^ comme d'empescher Sa Ma-
jesté de passer la Loyre, et le cogner de deçà, les
nouvelles vinrent de ceste bataille de Senlis gaignëe
par M. de La Noue : non que je veuille dire que
M. de lia Noue seul l'aye gaignée, car je ferois tort
au brave M. de Longueville et autres braves sei-
gneurs qui estoient avec luy; mais on ne sçauroit
nier qu'il n'en fustbien l'autheur du gain, à cause de
sa grande suffisance et le bel ordre qu'il y mit.
Ces nouvelles donc arrivées au camp de M. du
Mayne, et les Parisiens espouvantez de ce grand
choc de fortune, mandèrent viste à M. du Mayne,
et le pressèrent de rebrousser et d'aller à eux ; ce
qu'il luy fallut faire, estant sur le poinct le plus beau
de ses affaires; ce qui donna le temps et loisir au roy
de se redresser, se renforcer et passer la rivière à
Gergeau qu'il força, et tira droit à Paris; à sa mal'
heure très-grande, car il y fut tué.
Or, ainsy que j'allois disant et publiant les louan-
ges, valeurs et vertus de ce grand M. de La Noue, il
y eut une personne de la compaignie, que je ne
nommeray point, ny son sexe, mais bien sa qualité,
qui estoit grande et haute, et avec cela fort spiri-
tuelle, et sçavoit les affaires du monde', qui me prit
par la main et m'arresta, ne voulant permettre que
j'en parachevasse le cours, et me dit : <( Certaine-
« ment, M. de La Noue ne se sauroit tant louer
M comme ses mérites le portent; mais quand l'on
« considérera ses ingratitudes, dont il a eu le blasme
« d'estre fort remply, il se trouvera fort estrange-
i . Probablement Marguerite de Valois.
M. DE LA NOUE. 21 î$
« ment souillé, et si bien, que tant de belles vertus
(( qu'il porte sur luy ne l'en sçauroient nullement
K laver; car il faut dire que c'est le plus ingrat gén-
ie tilhomme que jamais nasquit en France. » Et ceste
personne disoit qu'elle le tenoit ainsy du roy et de
la reyne.
Aux premiers troubles, il se banda du tout contre
les petits enfants du roy son maistre, qui l'avoit
nourry page, aymé, eslevé et fort chéri; mesmes que
le plus souvent il ne faisoit guières partie à la paulme
qu'il n'y appellast La Noue, car il estoit des plus
adroits et parfaicts, mesmes qu'on ne parloit que des
revers de La Noue, qui certes estoient beaux, bien
tirez et de bonne grâce, et d'une terrible force ; si
bien qu'il le faisoit cognoistre par tous ceux de sa
cour. En temps de guerre, s'il' rompoit une lance, il *
publioit qu'il en avoit rompu trois; qui certes estoit
une grande bonté et faveur de maistre, et grande
obligation . au subject. Pour récompence, il fît la
guerre du tout en tout à ses enfants mineurs.
La seconde guerre , il y retourna encor et prit
Orléans, comme j'ay dict. Aux troisiesmes troubles,
il fut pris à la battaille de Jarnac, duquel M. de
Montpensier, indigné à toute outrance contre les
huguenots pour leur religion, et pour luy avoir fait
de frais quelques petites galanteries à la prise de la
ville de Mirebeau, sollicitoit fort la mort ; mais.
Monsieur, pour lors notre général, luy sauva la vie,
aussi bien là comme à la battaille de Montcontour,
où il fut pris pour la seconde fois.
1. S'il, si la Noue. — 2. 7/, Henri II.
216 31, DE LA iNOUE.
Du despuis, après le massacre de la Sainct-Bar-
tliélemy, le roy l'envoya quérir en Flandres, sortant
du siège de Mons en Haynaut, le remit en sa grâce,
le remit en ses biens, en ce ' qu'il aille à La Rochelle
et persuade aux habitans de rentrer en leur deue
obéyssance : ce qu'il ne fît point, mais leur per-
suada le contraire. De plus, continuant ses mescon-
noissances, il fut un des principaux ministres qui
persuada à Monsieur, estant à La Rochelle (cela est
bien vray), de s'esmouvoir et de s'en aller de la
compaignie de M. son frère; mais le coup fut rompu
(j'en dirois bien les occasions) jusques à ce que les
armes se prindrent au mardy-gras, que mondict
sieur, frère du roy, et le roy de Navarre, furent
descouverts en leurs menées à la cour, et par ce es-
piez et tenus de près, tant par la providence du roy
Charles que de la reyne. Et de tout en estoit cause
M. de La Noue, pour en faire jouer le jeu, qui pour-
tant, nonobstant que ces deux grands princes fussent
prisonniers, luy ne laissa à mouvoir et faire tous-
jours guerre, et trouver inventions et moyens pour
faire sortir Monsieur de la cour, qu'il alla trouver et
persuader beaucoup de choses (comme Monsieur l'a
dit despuis) contre le roy et l'Estat, sans la bonté de
Monsieur et la sagesse de la reyne mère, qui le mit
d'accord avec le roy son frère, et le remit si bien,
qu'oncques puis ne s'arma contre luy. /
Mais le rov de Navarre prit sa place, où M. de La
Noue l'assista tousjours à faire la guerre contre son
roy, jusqu'à ce que, sentant quelques remords de
1 . En ce, en ce but.
M. DE LA NOUE. 217
conscience en soy^ pour se parjurer si souvent et
estre ingrat contre Sa Majesté, que j'ay ouy dire par
gens qui le tenoient de luy, qu'il prit la résolution
de ne plus guerroyer sa patrie et son roy, ains ail-
leurs aller porter son ambition (car il en a eu plus
qu'homme du monde, je dis d'honneur, mais non
guières de grandeurs et de biens) en pays estranger.
Parquoy, s'en alla en Flandres, où y ayant guerroyé
quelque temps assez heureusement et glorieusement,
fut enfin prisonnier de guerre et confiné dans une
prison si obscure, si estroicte et si misérable, qu'il
n'en attendoit que d'heure à autre la sentence de sa
mort, sans aucun espoir d'en sortir, non plus qu'un
pauvre criminel serré dans un cachot, jusqu'à ce
qu'au bout de cinq ans et demy M. de Lorraine, qui
l'avoit cognu à la cour fort familièrement, et fort
aymé, et joué souvent ensemble, eut compassion de
luy, et traicta et moyenna si favorablement sa déli-
vrance à l'endroit du roy d'Espaigne, qu'il l'obtint
contre tout espoir humain.
Ce grand M. le duc de Guyse n'y espargna de son
costé ny sa faveur ny son labeur, ainsy qu'il n'a
sceu s'engarder d'en dire et confesser la vérité dans
son manifeste et déclaration* qu'il a faicte sur sa
1 . Voyez Déclaration de F. de la Noue pour la prise d armes
et la défense de Sedan et de Jainets, Verdun, 1588, in-S"; elle a
été réimprimée dans les Mémoires de la Ligue, t. II, p. 454-471,
édit. de 1590, in-8°. Le duc de Bouillon, Guillaume-Robert de la
Mark, avait nommé la Noue son exécuteur testamentaire et le tu-
teur de sa sœur Charlotte, et celui-ci eut à défendre l'héritage
de sa pupille contre les prétentions de Charles II , duc de Lor-
raine.
218 M. DE LA NOUE.
prise des armes pour la deffense des villes de Sedan
et Jamets, frontière du royaume de France, et soubs
la protection de Sa Majesté. I^a substance de ces pa-
roles est donc telle * : « Que monseigneur le duc de
a Lorraine, outre autres seuretez, s'obligeoit au roy
« d'Espaigne, pour luy, de la somme de cent mille
a escus, et en son defFaut^, un prince d'Allemagne
« ou un canton des Suisses : que je luy consigne-
ce rois aussy mon second fils pour un an en ostage à
« sa cour : davantage , que ledict sieur et mondict
« sieur le duc de Guyse promettoient, par un escrit
« à part, signé de leur main, que je ne porterois les
« armes contre le roy d'Espaigne. De tous lesquelz
« liens les Espaignols me lièrent comme s'ilz eus-
« sent eu à craindre qu'un petit soldat comme moy
« vinst tost ou tard à altérer le cours de leur vic-
« toire : duquel pensement j'estois très-éloigné, et ne
« tendoit mon affection qu'à parvenir jusques en ma
« maison pour m'y reposer et rendre grâces à Dieu
(f de ce qu'il m'avoit tiré de l'ombre de la mort et
« du sépulchre. Estant arrivé en Lorraine, je com-
« muniquay avec lesdicts princes, pour sçavoir s'ilz
« me vouloient gratifier de ceste obligation; ce
« qu'ilz m'accordèrent très-libéralement, moyennant
« que Sa Majesté Très-Chrestienne le consentist;
« vers laquelle j'allay, et ne pus obtenir son con-
« sentement, sinon que je luy promisse de ne porter
a les armes sans son exprès commandement et con-
« sentement, ce que j'accorday : et tout aussitost
« elle escrit à monseigneur le duc de Lorraine qu'il
1. Voyez Déclaration, p. 436.
M. DE LA NOUE. 219
« pouvoit respondie pour moy au roy d'Espaigne;
« ce qu'il fit avec ces conditions : que je luy obli-
« gerois cent mille escus sur tous mes biens pour
« gage de son obligation, à quoy je satisfis; après,
« que je luy promettois de ne porter armes contre
« luy et son Estât, ce que je luy promis aussi, en cas
« que cela ne contrevinst en ce que je devois d'o-
« bëvssance, de servitude et de fidélité à la couronne
« de France et au roy mon souverain seigneur. Le
« tout parachevé, je me despartis desdicts princes,
« ayant esté bénignement accueilly d'eux, et m'en
« allav à Gènes ve, où je choisis ma demeure pen-
« dant ceste misérable guerre. Au bout de deux
« mois, mon fils*, que je retiray d'auprès du roy de
« Navarre, arriva vers moy, et l'envoyay en ostage à
« Nancv, où il a receu de la courtoisie tant qu'il y a
« demeuré. »
Un peu avant ces paroles escrites, il en dit d'au-
tres qu'il faut bien escrire aussi, qui sont telles^ : « La
(( première cause du bénéfice de ma délivrance fut
« la bonté de Dieu qui se souvint de mon affliction ;
« la seconde, le prisonnier que je tenois, pour lequel
« je fus eschangé, qui estoit de beaucoup plus grand
« prix que moy; et la tierce, l'obligation de cent
« mille escus, faicte par le roy de Navarre sur ses
« biens de Flandres, pour la seureté de ma promesse
a de ne porter jamais les armes contre le roy d'Espai-
« en ses pays. »
•1 . Odet de la Noue , seigneur de Téligny, mort à Paris en
août 1618.
2. Voyez Déclaration, p. 455.
220 M. DE LA NOUE.
Or, sur toutes ces paroles, réplique M. de Lor-
raine : que, pour la première cause de la délivrance
attribuée à Dieu, il passe cela fort aysément, d'au-
tant que, sans la bonté divine, tous les effects hu-
mains sont très-inutiles et vains; et quant à la se-
conde touchant l'eschange, c'est sçachans tous, et
M. de La Noue ne le sçauroit desnier, ou sa femme
ou autres personnes qui ont négocié pour luy, que,
sans les entremises et prières de luy, l'eschange ne se
fust jamais fait; car le roy d'Espaigne ne le voulut,
ny nostre roy ny nostre reyne, qui estoit fort proche
du prisonnier*, qui sollicitoit fort et ferme la déli-
vrance de son parent, mais nullement l'eschange.
Et moy, Branthome, qui escris cette histoire, j'en
puis porter asseuré tesmoignage; car, comme amy
intime que je suis dudict M. de La Noue, j'en parlay
au feu roy à Sainct-Maur, un peu advant les nopces
de M. de Joyeuse*, et le suppliay pour ayder sa li-
berté. Il m'en refusa tout-à-trac, et me dit sembla-
bles mots : « La Noue m'a si souvent rompu sa foy,
« et si mal recognu les grâces et les plaisirs que je
« luy ay faicts, que jamais il n'en recevra de moy. »
J'en suppliay la reyne sa femme, allant un jour à la
messe à Sainct-Maur, et M. de Mercure, estant au
dict Sainct-Maur un jour assis près de luy dans
la chambre de la reyne mère, qui me firent sem-
blables responses, me reproclians fort son ingra-
i . Le prisonnier dont il s'agit, Philippe, comte d'Egmont, e'tait
neveu de xMarguerite d'Egmont, mère de la reine Louise.
2. Anne de Joyeuse épousa Marguerite de Lorraine, sœur de
la reine Louise, le 24 septembre 1581.
M. DE LA NOUE. 2-21
titude, encore que je la rabatisse de tout ce qu'il
falloit. Estoit avec moy un solliciteur dudit de La
Noue, qui estoit un grand homme blond, qui n'a-
voit à la cour autre recours qu'à moy. Je ne sçay
s'il vit, mais luy, lisant cecy, m'en pourra des-
mentir.
Il y avoit aussi un autre poinct : que le roy
d'Espaigne ne vouloit nullement la liberté dudict
M. de La Noue, ainsi qu'il paroist bien par la lon-
gueur du temps qu'il l'a tenu en prison et par
les liens eslroicts dont ledict sieur de La Noue ad-
voue estre lié en sa capitulation, estant le naturel
du roy espaignol de se craindre et de se deffai-
re, en quelque façon qu'il puisse, d'un grand ca-
pitaine qui luy soit ennemy et peut nuyre, tes-
moings le prince d'Orange et autres, et aussi de gai-
gner et de rechercher celuy qui beaucoup luy peut
servir; de façon qu'il ne faut nullement doubler que,
sans les grandes importunitez et prières de M. de
Lorraine et de M. de Guyse, auxquels il portoit
grande amitié et faveur, et les vouloit gratifier en
tout ce qu'il pouvoit pour s'en servir au plus grand
besoing, comme il a faict depuis de M. de Guyse,
malaysément fust-il jamais sorty; jusques-là que l'on
a tenu longtemps, et en Espaigne, et en France, et
en Flandres, qu'il ne se pouvoit trouver aucun es-
change pour faire avec M. de La Noue, sur sa déli-
vrance, quelque grand seigneur espaignol, flamand,
italien fust, fors le prince de Parme, s'il venoit à
estre pris.
Voilà donc comment sa délivrance estoit du tout
désespérée sans M. de Lorraine, ainsi qu'il ne se put
222 M. DE LA NOUE.
engarder de le dire par ces mots en sadicle déclara-
tion : « Je sçay bien, dit-il, que je suis accusé d^estre
« ingrat envers mon bienfacteur, à cause que je porte
(( les armes contre lui; mais c'est en deffense que je
« ne puis abandonner, sans estre convaincu de plus
« grande ingratitude envers mon pays et mon roy '. »
Voilà donc comment il appelle M. de Lorraine son
bienfacteur, et confesse une petite ingratitude, crai-
gnant une plus grande.
Quant aux cent mille escus qu'il allègue estre la
troisième cause de sa délivrance, ce sont abus; car
ilz sont autant en la bourse du roy d'Espaigne com-
me cent grains de mil dans la bouche d'une truye;
et que se soucie ce grand et riche roy de cent mille
escus, puisqu'il en a tant de tous costez, qu'une si
petite somme ne luy est jamais en ligne de compte,
ny mesmes tumbée en ses coffres? De sorte que, si
M. de La Noue les a livrez, ce qui n'est encore,
le dict roy les a distribuez et donnez libérallement
aux uns et aux autres, et mesmes à ceux qui l'avoient
pris et tenoient en garde, encore qu'il les eust bien
auparavant récompensez : mais les récompenses de
ce prince à l'endroict de ceux qui les ont méritées
ne portent point de bornes. Et si sadicte Majesté a
fait coucher dans les articles de la capitulation les-
dicts cent mille escus, c'a esté plustost pour ces rai-
sons que j'ay dictes, on pro forma (comme l'on dit),
que pour autre cause, ny pour les mettre dans les
coffres de son espargne. Et jamais homme d'esprit
qui entend les affaires du roy d'Espaigne ne tiendra
1 . Voyez Déclaration^ p. 465. '
M. DE LA ^OUE. 223
ceste maxime : que c'estoit pour les consigner dans
ses coffres ny pour s'en prévaloir.
Outre ces raisons, ledict M. de La Noue dit * : que
M. de Bouillon venant à mourir à Genesve, après la
routte de sa grande et incroyable armée qu'il avoit
emmenée en France*, il pria ledict M. de la Noue,
qui estoit là pour lors résidant, de prendre la tutelle
de mademoiselle de Bouillon, sa sœur, estant pu-
pille, ce qu'il accepta très volontiers, plus certes
par le désir qu'il avoit de faire desplaisir à M. de
Lorraine (ainsi qu'il le monstra ) que pour curiosité
du bien et de la personne de la fille ; car d'obligation
à M. de Bouillon n'en avoit-il aucune, sinon qu'ilz
estoient d'une mesme religion : car d'avoir sollicité
pour sa liberté, d'avoir respondu pour sa rançon,
comme M. de Lorraine, rien moins que cela. Davan-
tage, il sçavoit bien que M. de Lorraine faisoit la
guerre aux terres de la fille, et tenoit Jamets assiégé.
Ce n'estoit donc que pour endommager M. de Lor-
raine, et luy faire la guerre de gayeté de cœur. En-
core, s'il y fust esté contraint, ou de force, ou de
crainte, ou de parenté, ou d'obligation, ou autre
chose, ou bien que de longtemps avant il eust esté
chargé de ceste tutelle, certainement il avoit quelque
occasion et raison de s'en acquitter et faire valoir,
et s'ayder des raisons des jurisconsultes, qu'il allègue
tant en sa déclaration, par lesquelles le tuteur est
obligé et lié estroictement pour son pupil ou pupille.
Mais, sur la plus chaude colle qu'il venoit de recep-
i. Voyez Déclaration, p. 459.
2. En lo87. Voyez de Thou, liv. LXXXVII.
224 M. DE LA NOUE.
voir des bienfaicts de M. de Lorraine, il s'est allé
charger de ceste charge, afin d'avoir meilleure cou-
leur pour couvrir sa mécognoissance.
Il est bien vrai qu'il monstra^ par apparence et
quelques effects feincts, qu'il vouloit faire accord
entre ces deux maisons de Lorraine et Bouillon, qui
de longue main s'en veulent à cause de leurs biens
naturels de Bouillon, jadis aliénez si honnorablement
par leur brave ayeul Godefroy * pour la guerre
saincte; mais soubs main il entretenoit toujours le
brazier, comme il parut : car luy estant recherché
par M. de Lorraine du vray moven pour à jamais
rendre ces deux maisons amyes et unies, de faire le
mariage entre M. de Vaudemont*, troisiesme fils de
M. de Lorraine, beau et gentil jeune prince, il en
fit response telle qu'elle luy pleut, par un très maigre
mot; mais pourtant aprrs il ne se peut engarder de
dire qu'il seroit bien à desloysir ' d'accorder ce ma-
riage, veu qu'ilz estoient divers de religion, et que
jamais il ne l'accorderoit à personne quelconque
qu'il ne fust de la sienne. S'il fust esté accordé avec
ce prince de Vaudemont pourtant, il eust fait un
œuvre bon et pie, pour avoir mis en paix ces deux
maisons. Voilà les raisons que M. de Lorraine allègue.
Quant à M. de Guy se, M. de La Noue confesse et
advoue dans sa déclaration luy avoir pareille obli-
gation qu'à M. de Lorraine. Il le peut bien dire, se-
1 . Godefroi de Bouillon.
2. Charles de Vaudemont, second fils de Charles H, duc de
Lorraine .
3. Desloysir, loisir.
M. DE LA NOUE. 225
Ion les eflects qui s'en sont ensuivis. Et croy que c'a
esté luy qui le premier en a ouvert le propos de sa
délivrance, et le premier travaillé, et vais dire com-
ment. Environ deux ans devant qu'il sortist, estoit
allé un gentilhomme italien aux bains de Spa, lequel
estoit à M. de Guyse, non pour besoing qu'il eust
d'y aller, mais pour y conduire une maistresse dont
il estoit serviteur. Je ne puis pas bien me souvenir
du nom, je l'ay oublié; mais il estoit de haute taille
et noiraud. Son chemin fut de passer par Limbourg
où estoit M. de La Noue prisonnier, 11 luy prit envie
de sonder s'il pourroit entrer dans le cliasteau; et
ayant fait sçavoir au capitaine que c'estoit un gentil-
homme qui estoit à M. de Guyse, et Ferrarois, et
qu'il demandoit à luy baiser les mains et voir le
chasteau, si son plaisir tel estoit, le capitaine ayant
entendu ses qualitez le iist entrer aussytost; car s'il
fust esté François ou à un autre que M. de Guyse,
la porte luy eust été fermée. Estant donc entré, après
avoir salué le capitaine et l'avoir entretenu, et veu
à plaisir le cliasteau et la forteresse qui est très-belle,
que le duc Charles, dernier de Bourgogne, avoit faict
bastir, il le mena voir M. de La Noue, lequel pour
lors avoit esté cslargy, et ne tenoit si estroicte prison
ny cruelle comme auparavant. Et, s'estant mis à l'ar-
raisonner, M. de La Noue, sçachant qu'il estoit à
M. de Guyse, le pria de luv dire qu'il eust pitié de
luy et qu'il l'avdast à le tirer de ces ténèbres et mi-
sères, s'asseurant qu'il n'y avoit ny roy ny prince en
la chrestienté qui le peust faire, sinon luy, pour la
belle opinion et estime qu'avoit le roy catholique de
luy, et la grande faveur et amitié qu'il luy portoit;
vu — 15
226 M. DE LA NOUE.
que bien difficile seroit la chose s'il ne l'oblenoit de
luy, car il le sçavoit bien , et que s'il luy plaisoit Sa
Majesté supplier pour luy et sa liberté, qu'il l'obtien-
droit facilement : que si sa bonté estoit telle et si
généreuse envers luy que de l'obliger de ceste déli-
vrance, qu'à tout jamais il employeroit sa vie, ses
moyens pour luy faire service ; et que quand il auroit
parlé à luy, qu'il luy monstreroit au doigt et qu'il
ouvriroit les moyens par lesquelz il luy en pourroit
faire beaucoup.
Ce gentilhomme ne faillit, aussytost tourné en
France et à la cour (qui estoit alors à Sainct-Maur),
rapporter toutes ces paroles à M. de Guyse, lesquelles
mondict seigneur me fit cest honneur de me dire, à
moy, dis-je, Branthôme, qui escris cecy, d'autant
qu'il m'aymoit et me tenoit pour son serviteur assez
privé, et me le dit de telle façon. Un jour qu'il en-
troit en la chambre de la reyne mère du roy, et ce
gentilhomme après luy, Fhuyssier de chambre de la-
dicte reyne, nommé M. de Virard, autrement dict
Gorge, qui avoit esté à madame de Nemours, me
dit : « Voilà un gentilhomme qui vient de voir M. de
« La Noue vostre grand amy, qui vous en dira des
M nouvelles, et ce qu'il a apporté de sa prison à
« M. de Guyse. »
Alors moy, voyant M. de Guyse à la ruelle du Ht
de la reyne, et fort à desloysir, je vins à luy et dis :
« Monsieur, vous avez sceu des nouvelles de M. de
« La Noue par un gentilhomme qui l'a veu? —
« Ouy, mon fils (encore que je fusse bien esté son
« père; mais il m'appeloit ainsi quelquesfois), me
« respondit M. de Guyse fort familièrement, j'en ay
M. DE LA XOUE. 227
« sceu; « et me raconta tous ces mesmes propos
que j'ay cy-dessus escrits. Alors je luy dis libre-
ment : « Monsieur, et vous qui estes si généreux,
« brave et vaillant, ne voulez-vous pas faire quelque
« chose pour vos semblables? M. de La Noue l'est
« tel : vous le soavez, vous l'avez veu aux affaires ;
« oblii^ez-le à vous par un tel bienfaict. » Il me res-
pondit : « Je le voudrois bien, mon grand amy, car
(( le pauvre homme, qui est un si grand capitaine,
a me fait pitié; mais je m'asseure que le roy m'en
« voudroit mal; car il ne l'ayme point, et se plaint
K fort de luy, et si s'entend avec le roy catholique
« pour la grande longueur et détention de sa prison.
(c — Vous avez raison, monsieur, luy répliquay-je,
a car je suis esté si hardy d'en parler à Sa Majesté,
« qui m'a rabroué bien loing, me disant que c'es-
« toit un ingrat, et qu'il estoit bien là où il estoit et
« là où il luy falloit, et que je ne luy en parlasse
(c plus. » Toutesfois continuay-je à M. de Guyse luy
dire : « Ne laissez pour cela, monsieur, à vous em-
« ployer pour cest honneste homme ainsy captif
« misérablement ; Dieu et le monde vous en sauront
« bon gré, et si l'obligerez à vous immortellement ;
« et pourrez faire cela soubs bourre, si finement et
« excoitement que l'on n'en sentira que le vent. »
M. de Guvse, alors me regardant d'un bon œil :
K Laissez faire, dit-il, nous ferons quelque chose si
« nous vivons. » Et despuis me disoit souvent : « Je
a croy, monsieur de Bourdeille (car il m'appeloit
« tousjours ainsy), que nous ferons quelque chose
« pour nostre homme; j'y ai mis déjà de bons fers
« au feu. j)
228 M. DE LA NOUE.
Je crois qu'il s'y employa bien aussy pour M. de
La Vallée^ qui avoit esté gentilhomme de la chambre
de M. le cardinal de Lorraine, et son grand gouver-
neur autrefois, et appartenoit de quelque chose à
M. ou à Mme de La Noue : et si, quelque temps
avant, il avoit employé ledict M. de Guyse, au mas-
sacre de la Sainct-Barthélemy, pour les enfants du-
dict M. de La Noue qui avoient esté faicts prison -
niers, pour lesquels le dict M. de Guyse s'employa,
ainsi qu'il me le dit une fois aux Thuilleries. J'allè-
gue tous ces noms et circonstances, afin qu'on ne
me trouve point menteur ou controuveux*.
Enfin tant y a, mondict sieur de Guyse a si bien
servy M. de La Noue en cecy, qu'il le faut dire le
premier autheur, et M. de Lorraine. Je ne sçay
comment il n'a reeognu ce bienfaict à l'endroict de
M. de Guyse despuis. Je pense qu'il n'eut loysir de
luy estre cognoissant'; carie jDauvre prince vint à
estre tué à Blois. Bien est vray que MM. de Lor-
raine et de Guyse estoient si proches, si unis, si alliez
en ceste guerre, que qui frappoit l'un frappoit l'au-
tre : et, à ce que j'ay ouy dire à une personne, mon-
dict sieur de Guyse n'en estoit guières content; mais
il ne publioit pas, car il estoit très-sage et retenu
prince. Il n'y a eu que M. de I^orraine qui s'en soit
ressenty, et M. d'Aumale à la bataille de Senlis, où
M. de La Noue luy cousta bon. Voilà, en sommaire,
les bienfaicts de ces deux princes et les mesconten-
temens de l'un et de l'autre.
i . Controuveux , diseur de choses controuvées.
2. Cognoissant, reconnaissant.
M. DE LA NOUE. 229
Sur ce discours _, il y eut un gentilhomme en la
compaignie que j'ay dit qui prit la parole, car il sça-
voit très-bien dire, et avoit un très-bon esprit, qui,
alléguant les raisons de M. de La Noue qu'il met en
sa Déclaration^ se mit à proposer une question, et à
la delTendre fort et ferme : à quoi l'on est plus tenu,
ou à son bienfacteur, et à faire pour luy, ou à sa pa-
trie et à son roy, et pour eux s'employer. M. de La
Noue, dit-il, a porté pour ses plus belles raisons
qu'il sçait bien qu'on l'accusera d'estre ingrat envers
son bienfacteur, à cause qu'il porte les armes contre
luy ; mais c'est en deffense qu'il ne peut abandonner
sans estre convaincu de plus grande ingratitude à
son pays et à son roy. Voylà donc comment il se
convainc d'ingratitude, puisqu'il nomme l'autre plus
grande ingratitude : et allègue ce brave bastard d'Or-
léans, la Hire et Poton, qui deffendirent si brave-
ment le royaume de France qui estoit tout en
bransle et combustion. « Vraiement! il en doit bien
« faire la petite bouche , de sa patrie et de son
« roy », dit le gentilhomme. « Cela seroit bon si jamais
« il n'avoit porté les armes et contre sa patrie et
« contre l'un et l'autre, et contre son roy qu'il faut
« chèrement chérir, et luy qui estoit des plus vail-
« lans et meilleurs chefs de la trouppe, s'il n'eust
« aydé à les ruyner, et les mettre du tout en bransle.
« Sans cela, ses raisons seroient très-bonnes et nul-
a lement dissimulées, et luy digne de s'accomparer
« en lojauté à ces braves capitaines, qu'il a mis en
« avant pour son mirouer, s'il eust fait comme eux,
« qui, de leur vie, ne desgainèrent l'espée contre leur
« roy et leur patrie; comme a faict M. de La Noue,
230 M. DE LA NOUE.
a qui, par l'espace de vingt ans, n'a faict que Irem-
« per la sienne clans les entrailles de ses plus fidèles
« nourrissons. » Et, quand tout est bien dict, il
n'avoit si grande ol)ligation, ny à son roy, ny à sa
patrie, qu'il le chante si haut; car, l'un et l'autre l'ont
désiré cent fois mort, s'il eust eu autant de vies. El
croy fermement que, sans feu M. de Mai'tigues, aux
deux batailles que j'ay dict ci-devant, où il fut pris_,
il eust passé le pas; mais M. de Martigues disoit tou-
jours au roy, qui estoit alors Monsieur, nostre géné-
ral : « Monsieur, vous savez que je vous ay toujours
« dict que jamais je ne vous parlerois ny importune-
« rois pour huguenot du monde, sinon pour mon
«Breton (ainsy appeloit-il tousjours M. de La
« Noue). Sur tout je vous demande sa vie, » qui luy
estoit librement octroyée, pour les mérites dudict
sieur de Martigues : par quoy, tout ainsy que Mon-
sieur estoit la cause efficiente à luy sauver la vie,
M. de Martigues estoit la mouvante : et pour récom-
pense, sur la fin de ses jours il entreprit et prit la
charge du roy pour aller en Bretaigne faire la guerre
à outrance à sa femme, et à sa fille et à son gendre';
que j'ay ouy dire* à plusieurs de sa religion, lesquels
sçachant l'obligation qu'il avoitàce seigneur, ne de-
voit pour tous les biens du monde prendre ceste
charge du roy, ainsy s'en excuser justement, et
ailleurs aller faire la guerre. Aussy dit-on que par
1 . Philippe-Emmanuel de Lorraine, duc de Mercœur, qui avait
épousé en 1575 Marie de Luxembourg, fille de Sébastien de
Luxembourg , duc de Penthièvre , vicomte de Martigues (mort
en 15G9) et de Marie de Beaucaire.
2. C'est-à-dire : et comme j'ay ouy dire il ne devoit
M. DE LA NOUE. «1
ostf jugement de Dieu, comiBe par ialak: pimiliofi,
j fut tue a la première TÛle qalà <Mlic|>it^ qm «toit
du pfîaeifal patrimoîiie dadiet aagoeur de Marli-
^e&, qa^oD noaBne LaanbaEe. Axt^i on dit qn'il en
pnopbéàa sa flMxt, aflanl en ee voyage ; cr car, «ti-
c «oît-iL, îe m^^o Ta» ■loanr en akhi ciste, r-nmar
t' le bon lièvre- j» Son coup luy lut a la teste, q«î
-sloit aœ lurqpeinttSfede, et n'en ikisoit compte;
Biais an boot de trois jours il xnoarut. Ycms diriez
qne les wbks totàiet goenieres et b&oillaijtes de
'L de Martignes, eoHOBe il estoit tfBBÊÊà ii TÎToit,
irrilèreot el iarmmal de tdUe êiôod eoolre luy.
Or, pgor toomer à nostre qaestîoQ entreprise,
a|xèB avoir toot bien eostâd^é, i|aeile dbiig;aliDii
powoDSiOoas avoir à ooOre pairie si gnmde, qaVIe
ikoos lasse tanl otibfier loiites les aiftres, on nos
hitwâae)lma% mmioità,'^ esr^ et qui soMuacs-acwB «a
ooiiir natale terre, «nott no vray exmymrtrt d^yeefle^
prodflk tljefUe hors de ses entraSes
vcaj esieraBeiii? T a-t-îl dooe tant à
ariies de Ivy esire obi%ez ? Je Toudi-ois biea
qBcSe cAiigatioH peut avoiir une ar'dtire ^en révérence
paffant de ecÊOL et eefies qm m'oyenl] n nostre fxnrpi,
poor rarar jette liors de scn ? Tant s'eo fuit, qoè le
corps est pins ob&gé à FeiitrDD de s^en estre jette £-
bfiCTMnt, qoe d'entre deatearé dedans pcmr l'infecter
tfTnrthrgr et Iny porter et causer 4|iielc|ae p*osse loa-
ladie. Eslaas doue tek exen»&ens, tcAes ordores et
poorr^oRS jeOees de là, noos ae Inr avons pas phu»
d^ob^plîoo pour immk jeter ddbors, 4|Be pour ncias
repcevoir drdans yd noos so— es mui 1s. Eœore
las lOMs à ele lompi^cle ooss reçok
232 M. DE LA NOUE.
et nous enterre, pour nous délivrer de tant de maux
que nous pâtissons en ce monde, que lorsqu'elle nous
y produit, pour y tant endurer, pâlir et travailler.
Les législateurs et les rois, les communautez et res-
publiques, pour se conserver, sont allez trouver ces
inventions, qu'il n'y avoit rien si beau et si honora-
ble que deffeudre la patrie et mourir pour elle et pour
eux. Certainement il est vray, et rien n'est plus doux,
comme dit Horace *, diitce pro patria mori^ c'est-à-
dire, mourir pour le pays. Mais aussi d'y estre si es-
troictement liez que l'on en doive quitter tous autres
debvoirs et obligations, ce sont abus.
Les Romains qui ont été les premiers qui ont fait
valoir ceste coustume, et qui l'ont tant louée et ap-
prouvée, s'en sont bien fourvoyez autrefois; tes-
moings Coriolanus, Sertorius, Sylla, Marins, César,
Pompée, Anthoine, Brutus, Cassius, et une infinité
d'autres autheurs et fauteurs de guerres civiles ; non
que je veuille dire qu'ilz firent bien de destruire et
ruyner leur patrie; mais, plusieurs en ont eu très-
grandes occasions de îdive à l'encontre d'elle, qui a
esté autant subjecte aux mescognoissances et ingra-
titudes que tous autres pays ; tesmoings ces pauvres
Coriolanus, Sertorius, Lucullus, Scipion, et une in-
finité d'autres, desquels les noms seroient trop longs
à descrire.
Ce que je dis des patries, il s'en peut dire de
mesme des roys, lesquels, pour le plus grand artifice
qu'ils sont allez trouver pour se maintenir et agran-
1. Dulce et décorum est pro patria mori.
(Horace, Odes, liv. III, ii.^
M. DE LA NOUE. 233
dir, c'est d'avoir inventé que nos vies estoient à eux,
desquelles ilz s'en servent, et de nous, comme de
monnoye d'or et d'argent, qu'ilz font trotter, aller,
virer, tourner, dépositer* de la mesme façon les uns
comme les autres; et, après qu'ilz en ont faict, ilz
nous plantent là, et ne s'en soucient plus. Ainsy que
je me plaignois d'un prince qui m'estoit tenu et à qui
j'avois faict deux bons services. « Ne sçavez-vous
« pas, dit-il, que ces grands, quand ilz ont faict des
« personnes, ilz les quittent? » Ce qui ne se doit pas
faire pourtant; car roy et subjects sont nomma re-
lata, en françois noms relatifs, ce disent les dialec-
titiens; c'est-à-dire qui sont conjoincts et qui se rap-
portent ensemble ; car, tout ainsy que le subject est
tenu de servir son roy, aussi le roy est tenu d'aymer,
maintenir et caresser son subject.
Il est bien vray pourtant, et pour en parler plus
sainement, que le subject est plus estroictement lié à
son roy. Toutesfois, le roy ne le doit abandonner
en sa nécessité, ny gourmander ou tyranniser; au-
trement il met en désespoir le subject de faire beau-
coup de choses qu'il ne devroit ni ne voudroit;
ainsy que fut contrainct ce grand prince de Melfe*,
lequel, après avoir faict, luy premier et quasi le der-
nier du royaume de Naples, ce que bon, loyal et
vaillant subject pouvoit faire, assailly dans sa ville
pillée et forcée, et luy pris prisonnier, jamais ne
pouvant obtenir de l'empereur un seul denier pour
payer sa rançon, fut contrainct d'avoir recours au
J. Depositer, déposer; de l'espagnol depositar.
2. Voyez son article, tome II, p. 226.
234 M. DE LA NOUE.
roy François, de la luy demander et la gaigner ainsy,
en se soubmeltant à son service, et, se desgageant
du gage, du debvoir et hommage de fidélité qu'il deb-
voit à son prince, porter les armes pour luy, qu'il
porta si heureusement et si vaillamment et fidèlement,
qu'il en fut faict mareschal de France et gouverneur
de Piedmont , le principal pays pour lors de la
France, et autant scalabreux, et où il debvoit estre
commis un des fidèles subjects natifs propres de la
France ; qui estoit cause qu'on trouvoit estrange une
telle eslection, là en un pays estrange ; et pourtant
luy s'en acquitta mieux et avec plus de loyauté
qu'un naturel et propre françois. Si telle occasion
de se révolter ne fust esté juste, et qu'on l'eust trou-
vée pour ingratitude ou trahison, jamais le roy ne
s'en fust servy de ceste façon.
Un peu auparavant luy, en avoit fait de mesmes
don Pedro de Navarre^, qui le prit dans Melfe;
lequel, après avoir faict beaucoup de services à sa
patrie et à ses roys, tant en Barbarie contre les infi-
dèles que contre les chrestiens, venant à estre pris
à Ravenne, n'ayant pu finer d'un seul denier pour
se délivrer de captivité, il fut contrainct de quitter
son party, embrasser celuy du roy François. J'en
alléguerois un' infinité d'autres exemples, et mesmes
de ceux de Milan et de Naples, lorsque nos derniers
roys les tenoient. Quand ilz les sont venus à perdre
et à changer de fortune, ont changé de volontez, et
pris l'occasion de victoire; et n'ont point advisé si
Naples et Milan appartenoient de juste droict à nos
i. Voyez tome I, p. 1b7 et suivantes.
M. DE LA NOUE. 235
roys; car et qu'eussent-ilz faict? Hz eussent quitté
leur pays et leurs maisons, et s'en fussent venus
mourir de faim en France, ainsy que j'ay veu les
princes de Salerne, les ducs de Somme, d'Atrie, le
comte de Gajazze, le seigneur Julio Brancazzo, et
une infinité d'autres que j'ay veus à nostre cour,
faisans à tout le monde plus de pilié que d'envie, et
qui mouroient quasi de faim, comme mourut ainsy
le prince de Salerne, qui mourut ne laissant après
soy pour se faire- enterrer, comme je vis. Et n'eust-il
pas mieux valu qu'ilz n'eussent bougé de leur patrie
et maisons, et s'accommoder au temps et au vouloir
du sort?
Lorsque le petit roy Charles YIII prit Naples, le
seigneur Ursin', qui avoit receu une infinité de plai-
sirs de la maison d'Arragon, estoit abstrainct de plu-
sieurs liens de foy, d'obligation, d'honneur et de
conjonction de sang, estant général de toute l'armée
royalle, et connestable de tout le royaume de Naples;
néanmoins, voyant qu'il ne pouvoit pas bien sauver
le roy son bienfacteur, ny se garantir des armes vic-
torieuses de France, et ne trouvant expédient à s'en-
garder d'aller en ruyne avec liiy, consentit, avec une
grande merveille des François mesmes, que ses en-
fans s'accordassent avec les François, et fissent ser-
vice au roy de France. A cela nécessité les y contrai-
gnoit; estans ces propres intérests de telle nature,
qu'ilz font oublier les plaisirs, tant grands qu'ilz
soient, pour remédier à eux.
i. Virgiiiio Orsini ou Orsino, comte de Tagliacozzo, conné-
table du royaume de Naples, mort en janvier 1497.
^236 M. DE 1.4 NOUE.
Peu après, ledict roy Charles venant à perdre
ledict royaume, Fabricio et Prospère Colonna, qui
avoient receu tant de biens et d'honneurs du roy
Charles, contraincts de la mesme nécessité, et du
désir de se conserver en leurs Estats et biens, ilz s'ac-
cordèrent avec Ferdinand et l'allèrent servir, et luy
aidèrent à conquérir son royaume, aymans mieux
laisser leur bienfacleur seul que se perdre avec luy,
dont pourtant n'en furent trop estimez. Encor que
CCS ingratitudes que je viens d'alléguer ne fussent li-
cites, elles furent excusables.
Autant en furent les Angevins _, c'est-à-dire ceux
qui tenoient le party d'Anjou ou de France à Naples,
lesquels contraincts s'accommodèrent au temps et à
la fortune, suivirent le party d'Arragon; qui pour-
tant, quelques années après, n'en furent pirement
traictez du roy Louy X Illorsqu'il les reconquit; ains
les reprit tous en grâce et en faveur, voyant bien
qu'ilz n'avoient desvoyé par malignité ny par bon
«ré ; car tels ingrats faillans ahisy sont abhorrables
partout. Par ainsy, M. de La Noue fust esté excusa-
ble s'il eust esté pressé de ces nécessitez, comme ces
autres que je viens d'alléguer pour exemples. J'en
ailéguerois plusieurs autres, mais je n'aurois jamais
faict.
Parquoy, pour retourner encor aux obligations,
qu'aucuns publient et cellèbrent tant, que nous de-
vons à nos pays et à nos souverainetez, en quoy
peuvent-elles estre si grandes? Ventre-non pas de
ma vie ! nous ne sommes pas plus tost nays que nous
en recepvons plus de maux, de misères, de tour-
mens, que de plaisirs et bienfaicts. Si nous sommes
M. DE LA NOUE. 237
en la guerre, il faut prodiguer nos vies et nos biens
pour un mourceau de pain : si nous les perdons, nous
n'en avons autre chose que cela; si nous eschappons,
la pluspart du monde en demeure chetifve et misé-
rable, sans aucune récompense. Avons-nous eschap-
pé la guerre, et la paix soit, voilà la justice qui nous
fait consommer tous nos biens en procès. Le moin-
dre délict que nous faisons, nous sommes exécutez
ignominieusement; nous sommes bourellez par mille
lourmens, nous sommes bannis, et nos biens pro-
scrits et confisquez; bref, nous sommes su])jocts à
mille injures; et si nous avons fait quelques services,
les voilà oubliez, comme furent ceux de Thémis-
tocles, Coriolanus, Sertorius, Lucuilus, Scipion, et
une infinité d'autres.
Que feroit donc là-dessus un gallant homme,
brave, vaillant et courageux? c'est de faire comme
eux, et prendre les armes, et s'en repentir*, et user
de mesme ingratitude. Il n'y eut que le bon homme
Scipion, lequel, je croy, s'il eust eu la mesme vi-
gueur et force, lorsqu'en sa belle et fleurissante jeu-
nesse il entreprit le voyage d'AffVique, il en eust fait
dire dans Rome et ailleurs; et eust bien autant re-
mué que Coriolanus et Sertorius , et leur eust bien
fait maudire leur ingratitude. Et pour parler d'exem-
ples de nostre temps, que pouvoient moins faire ces
quatre braves frères Estrozzes, et ces vaillans hommes
les seigneurs Petro, Paolo, Toussin, les capitaines
Mazin, Bernardo, San-Petro Corso, Jehan de Thurin,
bref un' infinité d'autres bannis, tant de Fleurance
i. Il faut probablemeni lire : les faire s'en repentir.
538 M. DE LA NOUE.
que d'ailleurs, sinon de faire ce qu'ilz firent, que de
se retirer en France et faire au pis qu'ilz purent
contre leur nation, et là chercher leur vivre, et là
le ti»ouver, puisque leur patrie leur desnyoit, et sau-
ver leur vie qu'on vouloit leur oster par cruels tour-
mens ?
Je sçay bien qu'il y a aucuns zélateurs de la patrie,
cérimonieux et conscientieux , qui ont tenu ceste
proposition : que certainement ilz pouvoient esviter
le danger préparé, et fuyr la fureur de la patrie et
de la souveraineté irritée, qui ne dure pourtant pas
toujours, et se tenir coy, et vivre en repos, et tenir
les mains liées, afin de donner occasion à leur supé-
riorité^ de s'appaiser et leur user après de clémence,
voyant la débonnaireté de leur doux naturel et pai-
sibles actions. Vrayment, voylà de braves philo-
sophes scrupuleux! Leurs fièvres quartaines! et ce-
pendant que je feray ainsy du sot et du réformé, qui
me nourrira? Au lieu qu'exposant mon espée au
vent, elle me donne bien à manger, et une très-belle
et bonne réputation; et, la tenant à l'abry et couverte
d'un fourreau, je meurs de faim et vis comme une
beste, sans gloire et sans honneur.
Qu'eust faict M. de Bourbon, s'il n'eust faict ce
qu'il fit? Enfin il fust esté prisonnier, et luy eust-on
faict son procès et couper la teste, comme on avoit
faict au connestable de Sainct Paul, et déshonnoré
pour jamais, et luy et les siens : au lieu qu'il est mort
4. Supériorité, supérieur. Brantôme emploie ce mot comme
plus haut il a usé du mot souveraineté dans le sens de sou-
verain.
M. DE LA NOUE. 230
très-glorieux, si jamais grand mourut, ayant vengé
ses injures et offenses, pris son roy en battailie ran-
gée, qui le vouloit faire mourir; et fut bien receu,
et trouva des courtoisies aux pays estrangers, que le
sien propre luy avoit desnyées. En quoy est bien
vray ce qu'on disoit anciennement :
Omne solum forti patria est^ ut piscibus sequor *.
c'est-à-dire : « Toute terre est terre, et tout pays est
pays, et pareil et tel, à un homme généreux, comme
toute mer 1 est aux poissons. »
Ces exemples pourtant que je viens d'alléguer, ce
n'est pas poiu- une maxime que je veuille tenir qu'à
chaque coup on doive estre ingrat à sa patrie et à ses
supérieurs, et se révolter pour la moindre mousche
qui leur vole devant le nez. Mais il faut meurement
songer et considérer les occasions et les subjects, et
faire comme fit le feu prince de Condé, Charles* de
Bourbon, tué à la battailie de Jarnac, lequel, lors-
qu'il cuyda estre attrapé dans sa maison de Noyers,
que M. de Tavannes disoit tenir la beste dans les
toiles ', et ne resloit qu'à la lancer et la prendre, il
se sauva à grandes traitles avec toute sa famille, se
retirant tant qu'il pouvoit, et sans s'arrester à La
Rochelle; et là commença à tourner teste et prit les
armes; et, pour sa defténse, il disoit que tant qu'il
avoit peu, et qu'il avoit trouvé terre, il avoit fuy ;
mais, ayant trouvé la mer, et ne la pouvant traver-
1. Ovide, Fastes, liv, I, vers 15.
2. Louis et non Charles. Voyez tome V, p. H5.
3. Voyez tome V, p. 115.
240 M. DE LA NOUE.
ser ny nager comme les poissons, il avoit esté con-
trainct de s'arrester, de peur de se noyer passant
plus oulre^ et se revirer au mieux qu'il put. Il eust
bien mieux valu possible qu'il n'eust tenté l'hazard,
et se fust embarqué et tiré plus outre, car il ne fust
pas esté tué six mois après, comme il fut. Bienheu-
reux sont aucuns qui peuvent patienter en ces cho-
ses-là, et d'autres bien malheureux sont-ilz aussy.
C'est assez parlé de ces ingratitudes, parlons un
peu de recognoissances, et comme elles sont plus loua-
bles. J'ay ouy raconter à une personne grande que
le grand roy François, grand certes en tout, ne fut
point si rigoureux, ny ne voulut point tant de mal,
comme l'on diroit bien, aux serviteurs de M. de
Bourbon qui le suivirent hors de France en son ad-
versité. Quand on les luy amenoit pris, ainsv qu'ilz
passoient pavs pour suivre leur maistre, il les inter-
rogeoit simplement où ilz alloient, et, après leurs
responses, qu'ilz suivoient leur maistre, sans autre-
ment s'estomaquer, il disoit à ceux qui les avoient
pris, ou bien à d'autres qui crioient Toile, toile, cru-
ci fige! (comme il y en a tousjours de telles gens, et
s'en trouvent assez pour faire de bons valets) : « Ce
c seroit charge de faire mal à ces pauvres gens; ce sont
« pauvres serviteurs et officiers de leur maistre, qui
« les nourrit très-bien; ilz le vont trouver pour vi-
ce vre; que s'ilz l'abandonnoient, ilz mourroient de
ce faim ailleurs : moy-mesme ne leur en donnerois
a pas, n'en estant la raison, ny aussy pour l'oster aux
rt miens pour le donner à eux. Parquoy, qu'ilz se
« retirent; ilz sont à louer pour leur loyauté. » Et
par ainsy, se fondant sur de très-bonnes raisons, il
M. DE LA NOUE. 941
n'exerça que peu de rigueurs de justice envers eux,
ny mesmes envers les plus coupables, ny les plus
grands, auxquels il pardonna, comme au seigneur
de Sa i net- Va Hier, estant sur l'escbafïaut, et de La
Vaui2uvon' et Louvs d'Ars.
a t.' c/
Qui plus est, il s'en servit d'aucuns, comme il fit
de M. de Pomperant, lequel estoit tenu grandement
à M. de Bourbon, à cause qu'il avoit tué à Amboise
le seigneur de Cliissay, l'un des gallands et mignons
de la cour*. Et ainsy que ledict Pomperant fut cher-
ché partout, n'estant bon à donner aux chiens, pour
la hayne que luy portoient le roy et les seigneurs et
dames de la cour, à cause de ce meurtre, M. de
Bourbon le recela dans son logis (car lors les logis
des grands princes esloient sacrez) et le fit esvader
secrettement, si bien qu'on n'en entendit plus par-
ler, sinon au bout de quelque temps, qu'il fallut à
M. de Bourbon luy-mesme s'esvader et s'enfuyr de
France. Ledict seigneur de Pomperant le servit et le
seconda si bien, qu'il le sauva hors de France heu-
reusement par sa vaillance, résolution et prévoyance,
ainsi que le récite très-bien M. du Bellay en ses 31 é •
moires '; si que, possible, sans luy M. de Bourbon
eust couru une très-grande fortune. Et par ainsy,
luy, brave et généreux, recognut le bien de sa vie à
l'endroict de son bienfacteur par un service signalé,
avec plusieurs autres, ne l'abandonnant jamais en
ses guerres et adversitez. Après la battaille de Pavie,
1. François des Cars, seigneur de la Vauguyon.
2. Voyez tome I, p. 255-256.
3. Voyez du Bellay, anne'e 1523.
VII — 16
^242 31. DE LA NOUE.
le roy ayant cognu et esprouvé sa grande loyauté
après l'avoir envoyé deux fois en Espaigne j)our sa
prison vers l'empereur, M. de Bourbon vivant pour-
tant, le roy le prit en grâce et en son service, le re-
mit en ses biens et luy donna bonneurs et grades;
car il le pourveut d'une compaignie d'bommes d'ar-
mes, de laquelle il s'acquitta très-lionnorablement et
vaillamment au royaume de Naplcs, où il mourut en
servant son roy loyaument, et aussy fidèlement en
portant la croix blanche comme il avoit faict M. de
Bourbon portant la croix rouge.
Voilà l'humeur de ce grand roy de se servir d'un
tel serviteur, si plein de gratitude et si recognoissant.
Il n'en fit pas de mesmes à l'endroict d'un serviteur
dudict M. de Bourbon, chéry et très-aymé et favory
de son maistre; je ne le nommeray point *. Il estoit
père d'un grand d'aujourd'huy, et qui a un bon
grade en France. Cestuy serviteur, et son premier
valet de chambre, sçachant tous les secrets de son
maistre, d'autant qu'il se fioit en luy comme en Dieu,
alla descouvrir au roy toutes les menées et mani-
gances de son maistre de poinct en poinct, en luy
monstrant le double de tous ses mémoires et instruc-
tions ; de telle façon que, si le roy n'eust esté bon et
sagcroy, il mettoit la teste de son maistre sur un
escliaffaut : mais le roy le voulut gaigner par dou-
ceur, comme il fit à Chantelle, lorsqu'il luy parla à
son lict, faisant du malade. Certainement du pre-
i. C'est Jacques I, sii'e de Matignon, pannetier de François I",
moi'l en 1337. II fut père de Jacques II, sire de Matignon, ma-
réchal de France,
M. DE LA NOUE. 243
mier abord le roy fit bonne chère à ce serviteur in-
grat, et l'estima pour ce coup; mais despuis et luy et
toute sa cour l'estimèrent meschant, ingrat, ingra-
tissime, importun et très-odieux. Se trouvant une
fois eux dans la chambre de la reyne, luy et Pompe-
rant, et devisans ensemble, le roy, les seigneurs, les
gentilshommes et les dames les regardans, disoient
tous d'une voix assez haute : « Il y a bien différence
« de ces deux-là_, l'un pour avoir esté traistre et très
« ingrat à son maistre_, et l'autre très-loyal et reco-
(( gnoissant, et très-homme de bien. » Et n'y avoit
ny petit ny grand qui n'al^horrast l'un et n'estimast
beaucoup l'autre et ne l'admirast.
Et si le roy a bien estimé le sieur de Pomperant
pour sa générosité de bon et recognoissant naturel,
l'empereur, de son costé, en fît bien de mesme à
plusieurs serviteurs et honnestes gentilshommes du-
dict M. de Bourbon; car, ayant perdu leur bon
maistre, ne sçachant où se retirer, luy ayant recognu
en eux leur fidellitez, loyales actions et amitié en-
vers leur maistre, les retira à soy et s'en servit, et
s'en trouva très-bien; et si bien les rescompensa
tous, qu'il n'y eut aucun qui demeura pauvre. Ces-
dits gentilshommes, des plus remarquez, estoient
les sieurs de La Mothe des Noyers', Le Peloux,
l'AUière^, Montbardon, Luringe, des Guerres* et
1 . Charles de Chocques, seigneur de la Mothe des JSToyers.
2. Jean de Vitry, l'aîné, sieur de Lallière.
3. Dans le procès du connétable figurent, parmi les accusés,
Antoine des Guières, seigneur de Charency, et Barthélémy de
Guerre, châtelain de Moulins. (Voyez Ms, Dupuy, n° 434, f" 413.)
Je ne sais duquel des deux veut parler Brantôme.
244 M. DE ]..\ NOUE
La Cliapelle-Montmoreau; de tous ceux-là je n'ay
veu que le seigneur des Guerres à Naples, la pre-
mière fois que j'y fus^ et qu'il vint faire la révérence
à feu M. le grand-prieur de Lorraine, fort honneste
gentilhomme certes. Il avoit bien six mille escus d'in-
trade à Gazé, et esloit marié à Naples. Ge La Gha-
pelle-Montmoreau estoit un gentilhomme, mon voi-
sin, que je n'ay point veu; mais j'ay ouy raconter
à deux de ses frères qui l'allèrent veoir en Espaigne
par cinq ou six fois, et l'y virent si honoré et si
enrichy, que, les voyant, il les pria de ne se dire
ses frères, à cause qu'ilz étoient très-mal en poinct,
car je croy qu'ilz n'avoient pas tous ensemble deux
cents livres de rente, et donna à sesdicts frères assez
de moyens ; mais c'estoient des desbauchez qui
brouillèrent et consommèrent tout à leur retour. Du
despuis j'ay veu aucuns titres de luy, par lesquelz il
paroissoit qu'il avoit, ou en estât chez l'empereur, ou
en pensions, ou en banques, plus de douze mille du-
cats de revenus. Il mourut à Nancy, ayant esté en-
voyé ambassadeur par l'empereiu' son maistre vers
l'altesse de madame sa niepce\ et est enterré audict
Nancy aux Cordeliiers, dans une petite chapelle à
droite en entrant, ainsy que m'ont dict ses frères,
lesquelz ont laissé perdre tout par faute d'aller sur
les lieux, et aussy qu'ilz n'avoient point trop d'es-
prit : leur frère leur avoit tout emporté avec luy.
i. Chrétienne de Danemark, femme' de François, duc de Lor-
raine, morte en 1590. Elle était fille de Christiern II, roi de Da-
nemark et d'Elisabeth ou Isabelle d'Autriche, sœur de Charles-
Quint.
M. DE LA NOUE. 24S
J'y ay veii d'aussy l)oau\ papiers et titres, que,
s'ilz russeiit tombez entre les mains d'un lial)ile
homme, il fust esté riche de plus de cinquante mille
escus.
Voylà comme l'empereur sceut très-bien remar-
quer et recognoistre les bons cœurs de ces gens
(le bien : que s'ilz fussent esté autres, il ne s'en
fust jamais servy ny ne les eust jamais estimez ;
car ces grands, encor qu'ilz fassent pour le com-
mancement bonne chère aux traistres et aux in-
grats à leurs bienfacteurs, et leur monstrent quel-
ques signes de bénivolance *, si est-ce que puis après
ilzs'en mocquent, ilz ne s'y fient point et ne les esti-
ment jamais.
Je me soubviens que, lorsque M. de Montmorency
d'annuy ' fut contraint de s'armer contre le roy en
Languedoc, lorsqu'il tourna de Poulogne, il dict à ses
serviteurs et gentilshommes : « Messieurs, vous voyez
« comme je suis pressé et contraint de prendre les
« armes contre mon roy, ce que j'ay fuy tout ce que
« j'ay peu; je les prends certes à mon grand regret,
« non pour agresser, mais pour me deffendre. Je
« sçay que parmy vous autres il y en peut avoir
« quelqu'un à qui l'âme et la conscience peuvent
« picquer de faire comme moy et de s'armer à l'en-
« contre de son roy, chose fort difficile à digérer ;
« parquoy tous ceux qui sont atteints de ces re-
« mors et qui ne voudront demeurer avec moy
tt et s'en aller, je les puis asseurer que pour cela je ne
i. Bénivolance, bienveillance; de l'italien henivolenza.
2. Le maréchal Damville.
246 M. DE LA NOUE.
« leur voudray mal, ny leur feray aucun tort ny
« desplaisir, et en serois bien marry. Tant s'en
« faut, que je les feray conduire seurement où
« ilz voudront : et à ceux qui voudront demeurer
« avec moi et courir ma fortune, je leur auray une
« grande obligation, et se ressentiront de moy en tout
« ce que je pourray de la bonne fortune qui me vou-
« dra rire. »
De ceux qui voulurent demeurer avec luy le
nombre en fut plus grand que des autres qui s'en
estèrent d'avec luy et s'en allèrent ; dont il y en
eut deux que je ne nommeray point, qu'il y avoit
longtemps qui avoient esté de sa maison ; entre
autres un (je ne dirai point de quelle nation, car on le
pourroit cognoistre et le blasmer, ce que je ne veux,
car il estoit fort mon amy), il y avoit trente ans qu'il
servoit le maistre. Quand ilz vindrent à la cour et se
présenter au roy, luy donnant à entendre que,
comme ses très-humbles subjects et serviteurs, ilz
s'estoient despartis d'avec leur maistre et de ses
factions, veu qu'il se bandoit contre Sa Majesté, le
rov les receut certes avec un bon visage ; mais je
sçay bien ce que je luy en vis dire par après , et se
mocquer d eux à part, et les tenir par trop ingrats et
de peu de cœur : et non luy seulement, mais toute
la cour, les blasma et les monstra au doigt, pour
avoir ainsy abandonné leur maistre en son bon be-
soing, soubs cette légère couleur qu'ilz ne vouloient
point avoir le renom et nom de révoltez contre leur
maistre.
Lorsque Monsieur s'en alla mescontent de la cour,
j'en sçay plusieurs qui en firent de mesmes, et ne le
M. DE LA NOUE. 247
voulurent sui\Te ny courir sa fortune, alléguans tous-
jours ce vieil dicton, qu'ilz ne vouloient aller contre
le roy. Quand il alla aussy en Flandres la première
fois contre l'opinion du roy, il y en eut aussy qui
l'abandonnèrent et qui ne le voulurent suivre, disans
qu'ilz ne vouloient aller contre la volonté du roy ;
mais je vous jure que le roy, ny la reyne, ny toute
la cour, ne les en estimèrent nullement et n'en firent
nul cas, et se mocquoient d'eux : car je sçay bien
que la reyne m'en nomma ua qui se fit deffendre au
roy exprès, dont il en fut bien mocqué et fouetté de
belles parolles, à mon advis. J'ay veu fort bien tout
cela et en parle comme très-certain, car j'estois de la
partie moy-mesme pour leur donner des fessées;
et les appelions les conscienlieux deaii douce ^ et
les dévots et religieux réalistes^, et les bons secou-
reurs de leurs maistres et bienfacteurs en leurs néces-
sitez.
C'est aussy une vraie fol lie d'avoir ces sottes scru-
pules, que d'estre ainsy du tout fidelle au service du
roy et si attaché qu'on le préfère à tout autre; car je
voudrois bien sçavoir : voylà un pauvre diable qui
n'est cognu du roy non plus que le plus estranger de
Turquie, qu'il vinst laisser et abandonner son bien-
facteur qui l'ayme, le cognoist, pour aller au service
du roy qui n'en fera compte : que doit-on dire de
luv, sinon que c'est un sot? Aussy à la bataille de
Jarnac fut pris un brave et vaillant gentilhomme
appelle M. de Corbozon, frère second de M. le
comte de Montgommery. Ainsy que Monsieur, nos-
1 . Réalliste, royaliste.
248 M. DE LA NOUE.
tre roy Henry despuis, liiy eut dit qu'il falloit qu'il
quittast son party et fist service au roy, il luy
respondit : « Certainement, monsieur, du temps
« que M. le prince de Condé mon maistre vivoit,
« j'eusse plustost choisy mille morts que de l'avoir
(( quitté et luy et son party, encor que je voyois
a bien que je faillois, et luy aussy grandement, de se
« bander ainsy contre son roy : et me pardonnez
a si je le dis; mais à ceste heure, puisqu'il est
a mort et que je n'ay plus de maistre ny de bien-
« facteur qui me doibve tenir lié à soy par ces pe-
« tites obligations, s'il plaist au roy me pardonner,
H et à vous aussy, monseigneur, de me prendre pour
« serviteur, je vous serviray aussy fidèlement comme
« j'ay faict mon premier maistre. » Il dit cela à
Monsieur, et devant tout le monde , qui luy en
sceut un très-bon gré ; et luy et toute l'assistance
l'en estimèrent fort ; si bien que Monsieur le prit
à son service, avec beaucoup de protestation de le
bien servir. Et quant à moy, je pense qu'il est permis
de Dieu de prendre et suivre son mieux là où on le
trouve.
Quelques années avant, aux premières guerres, un
gentilhomme de Xainctonge, nommé Saincte-Foy,
ayant esté faict créature de M. le Prince et son lieu-
tenant de sa compaignie de gens-d'armes, et à qui il
avoit desparty de ses honneurs et beaucoup de ses
moyens, et encor qu'il fust riche gentilhomme, si
est-ce que M. le Prince l'ayant advancé, poussé et
faict cognoistreet valloir, il le vint à quitter à Orléans,
soubs le prétexte de dévot réalliste, et vint trouver le
roy au bois de Vincennes, avec d'autres que je ne nom-
M. DE LA NOUE. 249
meray point, mais non obligez audict prince. Il y fut si
malvenu et trouvé si odieux, et du roy de Navarre, pour
avoir ainsy abandonné son frère*, et de tout le monde,
et on en fit si peu de cas, que de despit il se retira
en sa maison avec sa patente et sauve-garde du roy,
que personne ne vouloit voir, au moins peu, non pas
ses amys. Et quant à ceux de son party, ilz luy por-
tèrent une telle hayne et inimitié, qu'ilz ne cessèrent
jamais, jusques à ce qu'un jour, retournant de La
Rocbelle, où il estoit maryé avec la fille héritière de
madame de Laneret, bourgeoise, le guettèrent en
chemin et le tuèrent.
Voylà enfin comme il en prend aux ingrats; car,
quelque belle couleur qu'ilz puissent trouver en leur
faict, ilz sont tousjours rejetiez de toutes bonnes et
honnestes compaignies : et faut bien dire qu'ilz sont
en rancune de tout le monde, qu'eux-mesmes se
hayssent et ne se peuvent aymer; et le plus grand
desplaisir qu'on leur sçauroit faire, c'est de les appel-
1er ingrats; et confesseront plustost qu'ilz sont sub-
jects à toutes autres imperfections que tachez de ce
vice. Ce qui n'advient pour autre chose, sinon de ce
que l'ingratitude est inexcusable : car, faillir à l'obli-
gation que l'on a, ce vice est trop déshonneste et ne
sçauroit se couvrir d'aucune chose. Ainsy demeure
tousjours toute nue, si bien qu'elle est contraincte
de monstrer partout sa honte et sa vergogne; au
lieu que les autres vices se peuvent quelquefois pal-
lier et couvrir de quelque manteau, sinon vray, du
moins approchant de quelque couverture.
1 . Le prince de Condé, frère d'xintoine, roi de Navarre.
2r50 M. DE LA NOUE.
Et ce qui est cause aujourd'hui qu'il y a tant d'in-
grats et que l'on ne se soucie point de ce vice et
péché, c'est qu'il ne porte point de punition quant
et soy, comme plusieurs autres, et aussy qu'un tel
mesfaict ne peut recebvoir peine qui le puisse es-
galler. Les Égyptiens jadis en sont esté fort ennemys
de telles gens, et ne les punissoient autrement, sinon
qu'ilz les faisoient cryer et publier partout pour in-
fâmes, afin que personne ne leur fist plus aucuns plai-
sirs, estimant peine condigne à l'ingratitude d'un
amy de les luy faire perdre. Tous les Perses, comme
dit Zénophon *, ne trouvoient parmi eux aucun vice
plus blasmable que ceste maudicte ingratitude, et
chastioient fort rigoureusement ceux qui en estoient
touchez.
Il y en a aucuns qui tiennent que, comme la
trahison ne peut, estre assez punie, aussi l'ingratitude
ne peut estre assez blasmée et en horreur à tout le
monde, estimans ces deux vices si conjoincts en-
semble, que l'on peut dire que tout traistre est in-
grat; car, comme le traistre n'est autre chose que
faillir de foy promise ou deue à une personne, aussy
estre ingrat n'est autre chose que faillir à l'obligation
que l'on a et se doibt à cause d'un plaisir. Ce malheu-
reux Judas, qui trahit Jésus-Christ son bon maistre,
fut et traistre et ingrat tout ensemble; ingrat, pour
avoir si mal recognu le bien et l'honneur qu'il luy
avoit faict de l'avoir receu en sa tant honorable,
belle et saincte compaignie, là où il estoit plus heu-
reux qu'il ne lui appartenoit; et traistre, pour l'avoir
i. Voyez Cjropêdie, liv. I, cliap. ii.
M. DE LA NOUE. 251
trahi et livré à la mort. Que gaigna-il par là, sinon
pour le monde, que les Juifs, après s'en eslre servis,
se mocquèrent de luy, l'eurent en mespris et hor-
reur? Et quand il leur rendit leur argent, ilz n'en
firent compte comme* de ce qu'il estoit. Et quant à
Dieu, il fut condamné de luy aussytost, et miséra-
blement envoyé aux enfers.
Je voudrois bien sçavoir quelle tant grande
louange acquit Brutus pour avoir tué Caesar son bien-
facteur, qui l'avoit tant aymé, tant favorisé et mons-
tre ce qu'il sçavoit de la guerre en celle de la Gaule.
Encor dict-on qu'il estoit son fils, pour l'avoir en-
gendré de Servillia, qu'il eniretenoit. Ce ne fut pas
tout, il luy sauva la vie dans la battaille de Pharsale,
l'ayant recommandé à tous ses soldats et ceux de son
camp surtout de luy sauver la vie et le luy emme-
ner vif; ce qui fut faict, dont il eut une joye ex-
tresme : et pour rescompense de tant de biens, luy
conjura sa mort, luy bailla quasy les premiers coups,
se fondant sur une sotte opinion qu'il y alloit du ser-
vice de la patrie et de la respublique et de son grand
intérest. Vrayment ouy! Que la patrie puis après luy
fit de grands biens et rescompensesl II s'en alla de la
ville comme un meurtrier et banny, seul et desguisé,
et luy et ses compaignons, l'un passant par une porte,
et l'autre par l'autre. Toutesfois, au bout de quelque
temps, ilz assemblèrent quelques grandes forces, qui
furent cause du livrement de la battaille de Pliilippes,
où luy se tua raiisérablement; et avecques luy de tous
les autres conjurez n'en eschappa un qui ne mourust
1 . Comme, que.
282 M. DE LA NOUE.
misérablement. Voylà la rescompense de mes ingrats,
quelque prétexte qu'ilz ayent d'estre tant zellez à leur
patrie; et n'y eut à la fin aucun qui ne les mésesti-
mast tous. Comme, certes, un si galant homme que
Ca^sar ne dehvoit estre ainsy traicté par les siens; et
pour un si lasche traict Brutus en eut de belles of-
frandes de sa patrie pour rescompense de son ingra-
titude envers son bienfacteur.
Charles I, roy des deux Sicilles , duc d'Anjou et
frère au roy sainct Louys, ayant en sa prison Henry
d'Espaigne ', qui luy avoit esté très-ingrat des bien-
faicts receus de luy, et l'ayant recueilly qu'il ne sça-
voit où aller (car son frère l'avoit chassé d'Espaigne),
pour rescompense le quitta, et s'alla accoster de Cor-
radin, et l'assister le jour de la battaille qu'il perdit;
ne le voulut punir de mort, pour luy avoir donné la
vie, par les prières de l'abbé de Mont-Cassin, sainct
religieux, mais le fit attacher par le col comme une
beste, et mettre dans une cage de fer, et le fit pour-
mener par toutes les villes du royaume, servant de
spectacle à tout monde, et de risée. Ainsy fut-il res-
compense de son ingratitude, et hay et mocqué d'un
chascun.
De nostre temps, en nos guerres civilles troisies-
mes, il y eut un certain Montravel*, natif de la
Brye, gentilhomme (à ce que l'on disoit), mais en
cela pourtant dérogea-il à sa noblesse, lequel, pen^
4. Henri, infant de Castille, sénateur et gouverneur de Rome,
fils de Ferdinand Ilf, roi de Castille. Vo\'ez Collenuccio, édit, de
Naples, lu63, lib. IV, p. 416 et suiv.
2. Maurevel. Voyez tome IV, p. 300, et t. V, p. 216-247.
M. DE LA NOUE. 2S3
sant faire un grand service au roy, entreprit et réso-
lut de tuer IVI. de Mouy, qui l'avoit nourri i)age et
eslevé et poussé aux armes; et de faict il le fit ; car
après la battaille de Montcontour perdue pour les
huguenots, ainsy que M. de Mouy eut choisy pour
soy la ville de Nyort, comme d'autres firent d'autres
villes pour rompre le cours de la victoire de leurs
ennemys, et s'estant allé pourmener hors de la ville
pour la contempler et voir la force et la foiblessc,
voicy venir ce Monlravel, monté sur un bon cheval,
résolu, qui donna un coup de pistolle à son maistre,
le trouvant tout désarmé; et puis se sauve au camp
de Monsieur, nostre général, auquel il se présente
et raconte son beau coup. A l'instant il fut assez
bien venu, et de Monsieur et d'aucuns du conseil,
et autres; mais pourtant si fut-il abhorré de tous
ceux de nostre armée; si bien que personne ne le
vouloit accoster pour avoir ainsy si perfidement et
proditoirement tué son maistre et son bienfacteur,
encor qu'il eust fait un grand service au roy et à la
patrie pour leur avoir exterminé un ennemy très-
brave et très-vaillant, et qui, après M. l'admirai (car
M. d'Andelot estoit mort), n'y en avoit point de pa-
reil pour leur nuire. Et luy fut commandé de se re-
tirer en sa maison^ comme ne se fiant nullement en
luy (car qui fait de tels coups en faict plusieurs au-
tres) jusques à ce qu'on l'envoya quérir pour tuer
M. l'admirai, comme assassineur; mais il le faillit; et
ne fut pas mort de sa main sans d'autres qui réparè-
rent sa faute au massacre de la Sainct-Barthélemy.
Que devint-il, pour fin, ce Montra vel? Il eut deux
compaignies telles quelles au siège de La Rochelle,
254 M. DE LA NOUE.
où il perdit ses escrimes, et ne put pas bien jouer de
celle du garde-derrière_, car je ne vis jamais homme
si estonné en siège que cestiiy-là; et peu se trouvoit
en factions, sinon à garder quelque chëtif quartier
qui lui esloit donné; et quand il vouloit se fourrer
parmy les autres compaignies_, un cliascun le fuyoit
comme la peste. Après il vint à la cour, où il deman-
doit tousjours quelque chose, et par importunitë
l'obtenoit, craignant qu'il ne list aux autres ce qu'ilz
lui avoient faiet faire ; et de faict il eut pension,
comme si ce fust esté le tueur du roy, non pas pour
tuer le roy, mais gagé par Sa Majesté pour tuer les
autres. Il eut de plus le privilège d'aller dans Paris et
le Louvre, jusques dans la chambre du roy, tous-
jours couvert et armé de pistolles, luy sixiesme, d'au-
tant qu'il estoit menacé; mais pourtant quand il
entroit dans la chambre du roy nul ne le vouloit
accoster. Un chacun le détestoit et abhorroit, mes-
mes le roy dernier Henry III, si bien qu'il lui fit
defïèndre sa chambre; et n'y vint j^lus, sinon dans
le Louvre, mais estonné, la veue basse et la carre
d'un tel homme qu'il estoit. Enfin M. de Mouy
aisné fils, brave et courageux gentilhomme, ne pou-
vant plus traisner si longtemps la mort du père sans
estre vengée, trouvant ce Montravel dans la rue,
l'attaqua si furieusement qu'il le tua; mais le mal-
heur fut qu'un des satellites dudiet Montravel tira
un coup de pétrinal audict M. de Mouy, dont il
mourut, et n'eut le loysir de jouyr du fruit de la
vengeance, sinon que la gloire luy en demeura im-
mortelle après sa mort. Voylà comme il en prend à
telles gens et fort justement.
M. DE LA NOUE. -255
Or, advant que finir ce discours d'ingrats, et
comme il ne leur est bienséant d'oublier et ne reco-
gnoistre leurs bienfacteurs, pour le plus beau de tous
exemples j'allëgueray cestuy-cy, qui se trouve aux.
histoires de Savoy e. Le comte Edouard de Savoye, le
jour de la battaille de Varey *, qui fut donnée entre
luy et le Dauphin de Viennois, où il fut pris par un
seigneur de Dauphiné, nommé Au]:)erjour de Ma-
leys"; mais, parce qu^il ne pouvoit le garder seul, le
seigneur dcTournon' apercent comme ledict comte
se vouloit deffaire de luy et combattoit tousjours,
courut avec sa trouppe, et arrestèrent tous deux
ledict comte prisonnier; lequel, comme ilz se met-
toient en debvoir de le désarmer et luy oster son
armet, le jeune seigneur de Boselet*, accompaigné
du seigneur d'Antremont, le recourut d'entre les
mains d'Auberjour et du seigneur de Tournon; les-
quelz, voyans leur proye s'enlever de leurs mains,
s'escryèrent à haute voix qu'on leur donnast se-
cours, et envoyèrent une trompette à messire Albert,
seigneur de Sassonnage^, luy dire qu'il picquâst avec
sa trouppe pour ayder à reconquérir le comte de Sa-
voye leur prisonnier qu'on avoit recouru. Mais le
seigneur de Sassonnage, portant grande amitié et
i . Varey (Ain) et non Varcy, comme on lit dans les pre'cédentes
éditions. En 132o, Edouard, comte de Savoie, y fut défait par
Guignes XIII , dauphin de Viennois. Le re'cit de Brantôme est tiré
de la Chronique de Savoie de Paradin, liv. II, chap. cxix, p. 207,
2. Auberjon de Maleys ou de Mailles.
3. Guillaume, de Toui'non.
k. Hugues de Bocsozel, seigneur de Roche.
5. Albert, baron de Sassenage.
256 M. DE LA NOUE.
dcbvoir au comte Edouard, fit la sourde oreille,
feignant d'estre cmpesché ailleurs contre ses enne-
mvs; dont fut recouru ledict comte, et emmené en
lieu de seureté par ses gens. Or faut noter qu'un
peu de temps auj^aradvant, ledict seigneur de Sas-
sonnagc, estant ambassadeur en France, avec charge
de demander une fille au roy en miaryage pour
M. le Dauphin son seigneur \ tumba en un grand
inconvénient et danger de sa vie, pour avoir tué le
seigneur d'Aigreville, grand-maistre d'hostel de Fran-
ce, qui avoit respondu audict de Sassonnage, que
le roy n'estoit délibéré de donner sa fille à un tel
pourceau qu'estoit le Dauphin son maistre; pour
laquelle responce ledict de Sassonnage mit l'espée au
poing et tua ledict giand-maistre : dequoy le roi in-
digné commanda aussytost de le prendre et en faire
l'exécution du meurtre; ce qui eust esté faict, et eust
eu ledict Sassonnage la teste trenchée, n'eust été le
comte Edouard de Savoye, qui pour lors estoit à la
cour de France, qui le fit esvader et sauver, et luy
donna moyen d'esviter la fureur du roy*. Ainsy le
seigneur de Sassonnage, ne voulant estre ingrat à
l'endroit de celuy dont il tenoit la vie, donna aussy
moyen audict comte de se sauver de la battaille. Et
n'est, par ainsy, nul plaisir perdu entre les gens de
bien. Je croy que guières ne se trouvera un plus beau
exemple de belle reconnaissance que cestuy-là, et ne
sçauroit-on assez louer ledict seigneur de Sassonnage.
1 . Guignes XIII, dauphin de Viennois, qui épousa Elisabeth de
France, fille de Philippe le Long,
2. Voyez Paradin, .p. 207.
M. DE L4 NOUE. 257
Un autre bel exemple avons-nous de Noradin,
Soudan de Damas, lequel, un jour que Baudoin, roi
de Hiérusalem eut faict quelques courses sur les Sar-
razins et Arabes, et eut faict un grand butin sur eux,
tant de biens que de personnes, dont entre autres
s'y trouva la femme du Soudan; et ainsy qu'il se re-
liroit chargé de son butin , ladicte femme vint à ac-
coucher en plein chemin. Il luy fit assister de tout
ce qu'il put en ses couches, et luy fit alletter (ne
pouvant mieux) son enfant par une chamelle qui ne
venoit que d'avoir un fan, et puis la fit reconduire
et rendre en seureté à son mary. Ce soudan, au bout
de quelque temps, recognoissant ceste gracieuseté et
courtoisie, sauva la vie audict Baudouin dans une
place assiégée desdicts Arabes; et si fit bien mieux,
car, quelques années après , ledict Baudouin venant
à mourir sans enfants, ordonna par sa dernière vo-
lonté que son corps fust porté de Baruth à Hiérusa-
lem pour y estre inhumé, là où il fut fort pleuré et
regretté^ tant des siens que des estrangers qui s'y
trouvèrent. Aucuns des principaux du conseil de
Noradin s'efforcèrent de luy persuader de courir sus
aux chrestiens, et qu'il n'y fit jamais meilleur, ce-
pendant qu'ilz s'amusoient aux pleurs et à l'enterre-
ment de leur roy ; mais Noradin ne le voulut jamais,
tant pour les vertus de ce grand roy qu'il admiroit,
et qu'il ne vouloit qu'on le perturbast en son enter-
rement, que pour la recognoissance de la courtoisie
passée : et ainsy laissa aux vivans célébrer les obsè-
ques de leur roy*. Quelle bonté de barbare, qui ef-
1. Voyez Guillaume de Tyr, liv. XVIII.
VII — 17
258 M. DE LA A'OUE.
face force chrestiens que je sçay ! A grand peine M. de
La Noue eust-il i'ail à l'endroict de M. de Lorraine
comme fit ledict sieur de Sassonnage^ quand il l'eust
tenu ainsy à sa mercy, veu que de loing il Fabbayoit
et luy nuysoit le plus qu'il pouvoit.
En nos guerres civilles^ en la battaille de Jarnac,
le feu comte Gayasse' brave et gallant gentilhomme
italien, qui s'estoit trouvé en plusieurs bons affaires
pour le service du roy, et mesmes au siège de Sien-
ne avec M. de Montluc, et mourut en Daupliiné
(lorsque le roy Henry III tourna de Poulogne) en
titre de marescbal de camp, et fut tué en une ren-
contre ; il fut soupçonné, et non à tort, d'avoir sauvé
M. de Téligny, qui par cas estoit tumbé entre ses
mains; mais, d'autant qu'il avoit receu plaisir de
luy, le voulut recognoistre en une si belle occasion :
parquoy le fit esvader, sans sonner mot, tout belle-
ment du champ de battaille, et le conduisit hors du
vainqueur, sans en voidoir faire sa parade au général
et à l'armée, comme plusieurs pleins de vanité et in-
grats eussent faict, ny sans crainte d'en estre repris
ny en estre en peine; car il ne luy alloit rien moins
que de la teste pour le droict de la guerre. Monsieur,
nostre général, le sceut comme par une suspicion
sourde; car il y avoit joué son jeu seur et sans bruit,
si bien que par aucune vive apparence ny conjec-
ture vraye on n'en eust rien sceu juger sainement;
si n'en fut-il inquiété nullement du général, ains en
fut loué, et de luy et des gallants de l'armée, et fort
estimé, pour avoir esté si bien à l'endroict de son amy.
1. Jean Guidas de Saint-Séveriii, comte de Cajasso.
M. DE LA NOUE. 259
Le marquis de Ricliebourg, autrement de Rentv,
n'en fit de mesme à l'endroiet dudict M. de La
Noue; car eneor qu'il luy eust obligation de tout ce
qu'il sçavoit de la guerre dès-lors qu'il alla en Flan-
dres (j'ay escritcecy, s'il me semble, ailleurs*), quand
il fut pris on ne le recognut nullement, jusques à
faire fort peu de cas de luy et le rudoyer, et parler
fort bravaschement à luy, et s'en servir au lieu où il
le mena en forme de triomphe, non de magnifi-
cence, mais de risée et de desdain ; et dict-on que,
luy ayant esté remonstré par aucuns de ses privez à
le traicter plus honnorablement, et selon son mérite
et sa fortune, et l'obligation qu'il luy avoit, il n'en
fit aucun cas, sinon, je pense, que tout ainsy que le-
dict M. de La Noue avoit faict à sa patrie et à son
roy et autres, il estoit nécessaire et très-juste qu'on
luv en fist de mesmes.
Pompée usa de pareil à l'endroiet de Perpenna%
lequel, après qu'il luy fut mené prisonnier, le fit
mourir tout incontinent; ne méritant en cela d'estre
blasmé ny condamné d'ingratitude, comme mal re-
cognoissant des bons services, tours et plaisirs que
ledict Perpenna luy avoit faicls en Sicille, ainsy com-
me aucuns le chargeoient; mais plustost doibt estre
loué de grande magnanimité, pour avoir sauvé toute
une respublique que ce meschant homme accusoit
par des papiers qu'il montra à Pompée, qu'il ne
voulut voir pourtant, qu'il avoit retiré de Sertorius;
aussy que ce maraut ne méritoit de vivre, pour avoir
1. Voyez plus haut, p. 211.
2. Voyez Plutarque, Vie de Pompée, cli. xxix.
260 M. DE LA NOUE.
tué son général et son capitaine, qui valoit plus que
luy, et duquel il avoit receu une infinité de plaisirs
et de courtoisies.
Il faut que je fasse ce petit conte d'un de nos fran-
çois, qui fut le cardinal Balue, du temps du roy
Louis XI, Son premier advancement fut qu'il fut
simple valet de l'évesque d'Angers', de la maison de
Bcauveau, dont j'en ay cognu la race bonne et no-
ble. Il fut eslevé par luy en biens et grandeurs, et
puis le donna au roy Louis XI, qui aymoit fort les
gens subelins d'esprit; et, pour ce qu'il le trouva à
son gré, le fit évesque d'Evreux et puis cardinal. Es-
tant monté si haut, comme ingrat s'oujjlia, et en son
Dieu et ses maistres. Il commença premièrement en
Dieu, et puis en son, maistre premier, dont il fit de
si meschants rapporcs faux au roy, qui croyoit légè-
rement, qu'il adjousta foy à ses parolles; et, par frau-
duleuses informations qu'il fit faire, il fit desclarer
inhabile à l'évesché, et se fit par conséquent (cela
s'entend) conférer par le roy ladicte évesché ^ Ainsi
il defiit son premier maistre et bienfacteur; et puis
il fut traistre au roy, son second maistre, par mille
trahisons qu'il luy fit, et intelligences qu'il avoit
avec le duc de Bourgoigne et autres ses ennemys ;
dont il luy fit espouser une prison fort estroicte
et rigoureuse pour onze ans, non sans soupçon de
poison, à la mode de ce roy, qui sçavoit ainsy chas-
tier ses gens traistres et desloyaux; ce qui fut bien
employé : et ainsy devroit-on faire à tous les infidèles
et ingrats; le monde en seroit plus net qu'il n'est.
1. Jean II de Beauvau. — 2. En 1468.
M. DK LA NOUE. 2(i1
Or, voyià comme il prend mal aux ingrats, et
Irès-ljien aux rceognoissans, et selon la volonté et
permission de noslre Dieu, lequel abhorre et mau-
diel les uns, et ayme et bénit les autres, mesmes (jue
nous encocnons son indignation et courroux lorsque
nous luy sommes ingrats, et ne recognoissons les
biens qu'il nous a faicts ; et gaignons sa grâce lors-
que nous les recognoissons, en nous recommandant
fort dans ses sainctes loix; et sa saincte Église aussy
nous commande expiessément de prier Dieu pour
nos bienfiicteurs. Et aussy que de tout temps immé-
morial, voire après la création du monde, les bien-
facteurs sont advant les roys, cela est assez notoire,
et, d'autant que l'antiquité va devant les roys. J'allé-
guerois force autres authoritez et exemples sur ce
subject ; mais je n'aurois jamais faict, et aussy que le
champ en est si beau, si plantureux, qu'il y faut un
meilleur agriculteur et plus excellent que moy, pour
le bien cultiver, agencer, adorner et embellir de
belles parolles.
Voylà le discours qu'en fit ceste honneste personne
que j'ay nommée. Et quant à moy, Branthôme, qui
escrips et fais ce livre, certainement je puis bien dire
que j'ay eu ma part des mescognoissances de M. de
Ea Noue aussy bien que les autres; car je me puis
vanter qu'il n'a eu pas un de ses amys qui l'ait plus
servy durant sa prison, ny plus sollicité, ny pj'is
mieux la parolle pour luy, que moy, et, n'en des-
plaise à feu M. d'Estrozze', son intime amy, qui n'en
1. « En ce temps (juin 1580), dit l'Estollc, passèrent par Paris
quelques courriers espagnols, ausquels Strozzi dit que si le roy
2G2 M. DE LA NOUE.
osa jamais parler au roy ny à autres grands comme
moy; et que si encor M. de La Noue veut dire la
vérité *, il pourra confesser comment un soir, en se
voulant retirer du Louvre fort tard, quelque temps
advant qu'il allast en Flandres, l'ambassadeur d'Es-
paigne qui avoit bien sceu comment il vouloit aller
là faire quelque chose qui ne valloit guières contre
le roy son maistre, ayant dressé une fricassée et une
partie jDOur le faire tuer, en allant de là l'eau au
fauxbourg Sainct-Germain, en son logis, et luy en
ayant sceu l'avis très-certain, il ne fut accompaigné
d'aucuns que de moy et mes gens, encore qu'il eust
là des amys; mais ilz firent les sourds et recreus; et
le menay sain et seur en sondict logis delà l'eau,
sans qu'on osast nous attaquer nullement, encor que
nous trouvasmes quelques gens de rencontre, qui
n'estoient là pour bien faire. Enfin je pense qu'il n'a
trouvé amy plus fidelle que moy, ny qui luy ait plus
aydé et servy, ny durant, ny dehors sa prison.
Pour rescompense, en estant hors, il vint à la
cour pour faire sa révérence à son roy et luy parler
des conditions de sa liberté; et moy, ny estant pas
pour lors, ne me fit qu'envoyer des simples recom-
mandations par M. du Préau, aujourd'huy gouver-
neur de Chastelleraud, que j'ay nourry page, fort
d'Espagne ou les siens faisoient à la Noue autre traitement que
ne méritoit un brave gentilhomme et vi^ai prisonnier de guerre,
il éeorcheroit autant d'Espagnols qu'il en tomberoit entrp ses
mains. »
i . Cet appel à la Noue prouve que le Discours a été co mposé
en plusieurs fois; car, à la page 231, Brantôme, qui ne s'en est
pas souvenu, parle de la mort de la Noue.
M. DE LA XOUE. 203
brave et vaillant jeune homme, et bien accomplv en
plusieurs vertus_, et qui a conquis son gouvernement
par son espée. Il est vray qu'il luy dit que, mais
qu'il se fust recognu et revenu à soy, estant encore
tout estonné en France, qu'il m'escriroit et me re-
mercieroit des offices que luy avois faicts en prison ;
mais c'a esté celuy-là duquel despuis n'ay sceu au-
cunes nouvelles, suivant en cela son naturel. Si faut-
il que je l'excuse pourtant, et que je die de luy qu'il
ne luy faut imputer cette imperfection à défectuosité
du cœur, car il n'en fut oncques un si noble et gé-
néreux; mais tel est-il nay, et aussy que le grand
zelle qu'il portoit à sa religion luy avoit tellement
atteint lame, qu'il eust oublié toutes choses pour la
servir et maintenir, ainsy que plusieurs autres reli-
gieux de ceste mesme ordre comme luy en ont faict
de mesmes, jusqu'à oublier le respect des pères et
mères qu'ilz leur doibvent; non que je les veuille
tous comprendre en général soubs cette règle et opi-
niastreté d'hérésie, car il y en a prou qui ne l'ont
observée.
Entre lesquelz j'en ay cognu un qui estoit un gen-
tilhomme du Languedoc, brave et vaillant s'il en fut
oncques, nommé M. de Grémian , qui fut celuy qui
prit Aigues-Mortes ', le roy estant en Avignon à son
retour de Poulogne, et à sa barbe, et à sa plus grande
colère , qu'il vouloit du tout exterminer ceux du
Languedoc, pour l'inimitié qu'il portoit à M. de
Montmorency. Je l'ay veu autrefois cornette de
1. Antoine du Pleix, seigneur de Gre'mian et de Lucques. Il
s'empara d'Aigues-Mortos par surprise en 1575.
264 M. DE LA NOUE.
M. d'Acier', lorsqu'il mena cette grande troiippe de
gens de guerre à M. le Prince en Xainctonge. Ce
M. Gremian donc, encor qu'il fust jeune fou, scala-
breux et huguenot à bander et racler, et ennemy
mortel des catholiques, si est-ce qu'il porta tel res-
pect et honneur à son père, que jamais il n'entreprit
guerre là où il sçavoit son père M, de Gremian (qui
estoit aussy un brave et vaillant gentilhomme) estre
en présence. Si bien qu'une fois ayant entrepris sur
une ville du Languedoc, dont ne me soubviens du
nom, et de faict l'ayant prise par escallade, ainsy
qu'il entroit dans la place de la ville, il sceut que son
père estoit dans ladicte place, qui rallioit ses gens
pour rembarrer ses ennemys : aussytost ayant sceu
que le père estoit là, il ramassa ses gens, et les en
retourne par le mesme chemin qu'ilz estoient tous
venus, disant qu'il aymeroit mieux mourir que se
trouver en aucun endroict où il pourroit nuire à son
père le moins du monde, ou à son honneur ou à sa
vie; et par ainsy se retire, encor que son père ne
l'esparg'nast point là où il pouvoit luy faire guerre;
non pourtant qu'il ne l'aymast comme père, mais il
estoit si bon catholique qu'il fermoit les yeux à tout;
ce que ne faisoit pas le filz, du moins à l'endroict
de son père ; en quoy il est fort à louer, autant pour
cela que pour ses vaillantises. Je croy qu'il est encor
en vie et dans Aigues-Mortes, qu'il a fort bien gardé
despuis encontre plusieurs entreprises; car c'est une
des aussy fortes villes de France, et d 'aussy grande
conséquence.
d. Jacques de Crussol, baron d'Acier.
M. DE LA NOUE. 265
J'ay faict ceste disgression pour servir de fin, et
pourtant, estant venue à propos, je ne l'ay voulu ou-
blier, car possible une autre fois ne m'en fussè-je
pas souvenu si bien; et, en matière d'escrire, il faut
prendre les traictz de la plume, soit au bond, soit à
la volée, ainsy qu'ilz viennent, sans en perdre l'oc-
casion, car elle ne se recouvre quand on veut ; aussy
que la mémoire tergiverse si deçà, si delà, qu'elle ne
vient pas tousjours au gisle comme l'on veut. Voicv
donc la fin de ce discours que je crains estre par
trop long.
FIN DE M. DE LA NOUE.
DISCOURS
D'AUCUNES RETRAICTES DE GUERRE
qu'ont faicïes aucuns grands capitaines
ET COMMEKT ELLES VALENT BIEN AUTANT QUELQUEFOIS
QUE LES COMBATS*.
J'ay souvent ouy dire à de grands capitaines et
généraux d'armées, que les retraictes belles et les de-
meslemens de combats méritent bien autant de
louanges que les exécutions^ chose n'estant si difli-
cile en guerre que celle-là. Et le capitaine qui faict
une belle retirade devant son ennemy, est bien au-
tant à estimer que celuy qni le combat; d'autant,
disoient-ilz, que le moindre capitaine qui aura du
cœur peut combattre et bien se retirer. Sur lequel
subject nous en avons une infinité d'exemples, tant
antiques que modernes. Et d'autant que j'ay protesté
de n'en produire point d'antiques, pour estre trop
communs et sceus d'un chascun, je n'en produiray
que de nos modernes; et pour le premier, j'en
i. Nous n'avons point trouvé de manuscrit de ce discours.
Nous reproduisons le texte des anciennes éditions.
2()8 DISCOURS
prendray un du marquis de Pescayre, don Fernando
d'Avalos. Ce brave marquis donc ayant chassé les
François de l'eslat de Milan, avecqucs M. de Bourbon,
et avant esté persuadé et fort pressé par luy pour
j)asser en France, il vint à son très-grand regret en
Provence, quasy en despit de luy, porque sabia bierij
decia el, que la nnturaleza de iudos los desterrados es
t(d, que coinhidados de una muy pequena esperança^
facilnienle se embuehen en qnalquiera difficultad ; y
que, en los principios de las cosasj no miden ningun
peligro cou la razon , y que major locura no podia
ser que^ con un capitan desterrado , que en publico
juyzio açia sido condenado por iraydor, j con tan
poco exercito, emprender de combatir un reyno riquis-
simo; en donde, los Franceses^ afficionados al nombre
real, estaban acostumbrado, no solamente por amor
natural, pero casi por servit obediencia^ a série fieles;
j aun casi adorar el rostro de su rej^ como si fuessé
una gran cleidad occulta-, abominando grandemente
del nombre de trajdor, y no açiendose jamas rebe-
lado alguno de ellos contra su rej legitimo. Pero
confiado en el ualor de sus soldados y animo eni-
prendio la guerra, y paso^. C'est-à-dire : « Parce que,
disoit-il, le naturel des hommes bannis de leur
patrie est tel, que, conviez d'une petite espérance,
facilement s'embrouillent en quelque difficulté que
ce soit, et jamais, au commencement des choses, ne
mesurent les périls avec la raison ; et qu'il n'y avoit
foHe plus grande qu'avec un capitaine banny et de-
4 . Ce passage, à quelques mots près, et sauf la dernière phrase,
est tiré de Vallès, liv. III, cli. ii.
D'AUCUNES RETRAICTES DE GUERRE. S>69
ciaré cMi plein jugement traître, et avec petites forces,
s'embarrasser et entreprendre de faire la guerre dans
ini royaume où les François , très aOfcctionnez au
nom royal, avoient accoustumé, non-seulement par
amour naturel, mais quasi par vile servitude et com-
mandement, à cstrc fidelles, voire quasi adorer le
visage de leur rov, commo si c'esLoit quelque déitë oc-
culte; abominant grandement le vilain nom de Lrais-
tre, desquels n^en avoit eu d'aucune mémoire qui se
fust rebellé de son roy légitime. Toutesfois, se con-
liant en la valeur et courage de ses soldats, il entre-
prit laguerre et passa. »
Et d'aliordade allèrent assiéger Marseille, gardée
si bien par ceux qui estoient dedans qu'ilz y firent
très-mal leurs besoignes. Et s'y voulant opiniastrer,
le roy eut loisir de s'armer et aller à l'encontre d'eux,
faisant si bonne diligence, y ayant premièrement
envoyé M. de Longueville et luy après, qu'il fallut à
M. de Bourbon et au marquis songer à faire leur re-
traicte et à grands pas pour estre si vivement pour-
suivi par le rov et ses forces, que ce fut à eux à
faire si grandes et vilaines traictes par ces chemins
raboteux de ces hautes et horribles à voir seulement
montaignesdes Alpes, qu'on en ouyt jamais parler de
telles.
De tal manera, dicen los Espaîioles^ que los solda-
dos, enceinte y très dias de viage, hicieron su camino
con tanta presteza y paciencia^ que estando casi todos
siii çapatos, se cubrieron los pies desolados con cueros
\. Ce passage est composé de phrases empruntées aux cli. ix
et X du liv. IV de Vallès.
^270 DISCOURS
recientes de animales. Y, porque la art Hier ia non po-
dia caminaj\ cl marques con un fuego hizo romperla,
j: puso las pedazos del métal en bestias de carga ; y
por eso, aunque trajese consigo mas de doze mil ca-
raajes o bestias de carga , no deœo aun solo un
bagaje de soldado en camino tan largo j tan enojoso,
y a si iodos s a nos y salvos llegaron a Pavia, lugar de
toda seguridad^ y pasaron et Po ^ C'est à dire : « De
telle manière, disent les Espaignols, que les soldats,
en vingt-trois journées de voyage, firent leur chemin
avec tant de prestesse et de nécessité, qu'estans tous
quasi sans souliers, étaient contraincts d'envelopper
et couvrir leurs pauvres pieds, tout espinez^ et esgra-
tignez, de quelques cuirs faicts de fraisclies peaux de
bestes. Et, parce que l'artillerie ne pouvoit suivre, le
marquis la fit rompre avec du feu, et en fit mettre
les pièces du métal sur des bestes de charge : et, en-
core qu'il eust en son camp et tirast après lui plus de
douze mille bestes de charge et de carréage, il ne de-
meura en chemin un seul chétif bagage de soldat; et
ainsi sains et sauves arrivèrent à Pavie, lieu de seu-
reté, et passèrent le Pô. »
Toute ceste diligence et belle retraicte est digne à
estimer en la façon de laquelle le roi les pressoit,
et telle qu'entrant par une porte dans Milan, son
ennemy passoit par l'autre. Le marquis se monstra
là un très-habile et grand capitaine. Aussi dit-'on
de luy que de sa nature n'estoit grand vanteur,
mais ne se peut en garder qu'il ne s'en vantast et
1. Voyez Vallès, liv. IV. ch. x,
±. Espinez^ déchires par les épines.
D'AUCUNES REÏR41CTES DE GUERRE. 271
fist une grande ostentation, comme disent les Espai-
nols : De esta sola hazana y retirada^ que en ninguna
cosa fue sernejante a hujda, de gran admiracion dicen
que acostumhrava gluriarse el marques de Pescava^
siendo en olra nianera muj comedido a hlasonar de
si mesnio, callando con singular modestia las cosas
que te trajan loor\ daado a entender que el estava
contenta solo con aquel fructo de gloria que ténia
puesto en la propria consciencia^ el quai florescia
dichosamente mas en hoca agena que en su propiia^.
C'est à dire : « De ce seul faict et retirade, qui en nulle
chose ne fut pareille à une fuite, comme d'une chose
de grande admiration, on dit que le marquis de Pes-
cayre s'en souloit fort glorifier; estant autrement
fort arresté à parler et blasonner de soy-mesme,
taisant avec une grande modestie les choses qui
luy tiroient a louange; , donnant à entendre qu'il es-
toit assez seul content avec le fruit de gloire qu'il
tenoit en sa propre conscience, lequel fleurissoit
mieux et plus heureusement en la bouche d'autruy
qu'en la sienne. »
Et certes, il falloit bien que ce brave marquis esti-
mast bien ceste retraicte poiu* un grand exploict de
guerre, puisque ses beaux combats il taisoit, et en
ceste retraicte ne se pouvoit garder qu'il ne se louast
grandement, comme tous grands capitaines l'ont
louée, et surtout M. le connestable ^, qui aydoit fort
à luy donner la chasse pour ce coup.
Une autre belle retraicte fit ce brave Philibert de
1. Voyez Vallès, liv. IV, ch. x, f» 122.
2. Anne de Montmorency.
272 DISCOURS
Chaslon, prince d'Orange, le non-pair de la Flandres
de ce temps-là, lorsqu'il se retira si bravement après
avoir faict tous les beaux debvoirs de guerre avec-
ques une fort petite armée sortie du sac de Rome;
car encor qu'elle y fust entrée grande, si n'en sortit-
elle de mesmes, estant le naturel des soldats, après
s'eslre enrichis d'un grand butin, se desbander et s'en
aller ; pour attirer au combat de M. Lautrecq, deux
fois plus fort et plus puissant que luy, s'estant campé
devant sa barbe à Troye ', dans la Pouille, pour luy
empescher le chemin de Naples, et M. de Lautreq
ne l'ayant voulu combattre ny recevoir à la battaille,
encor qu'il eusl très-grande apparence de la victoire,
et eust respondu : « Je ne puis donner la battaille,
« sans y perdre beaucoup de gens de bien, mais je
« les aurai la corde au col; » d'autant qu'il attendoit
Horace Baglion, qui amenoit les vieilles bandes noires
de Jehan de Médicis, qui estoient le principal, voire
tout le nerf de son armée. Ce qu'ayant sceu Phihbert,
la nuict d'entre un vendredy et samedy, fit mettre
toutes les campanes ^ des mulets dans les coffres, et
sans sonner trompettes ny tambours, deslogea, pre-
nant le chemin des bois droict vers Naples; et laissa
M. de Lautreq planté et campé avec sa bravade et jac-
tance gasconne et son altier rudoyement, qui portoient
grands dommages certes à ses grandes vertus, en ju-
rant son ohé^, car c'estoit son serment ordinaire. 11
envoya après quelque gendarmerie et cavallerie; et
donnèrent sur la queue, et en deffirent quelques-uns,
1 . Troja, dans la Capitanate.
2. CampuneSy cloches. — 3. Ohé^ oui-bien.
D'AUCUNES REÏRAICTES DE GUERRE. 273
mais bien peu. Pour ce coup, il * fit la leçon à ce grand
capitaine. Encor dict-on que, sans qu'il s'apperceut
d'une apparence de mutinerie parmy les EspaignoJs,
et lansquenets demandans leurs payes, ainsi qu'ilz
firent en arrivant à Naples, ledict prince eust pris
une autre résolution ; mais possible ne fust-elle esté si
louable que ceste retraicte.
J'ay ouy dire à aucuns anciens que, lorsqu'il fallut
à l'admirai Bonnivet abandonner du tout l'eslat de
Milan, y ayant esté très-mal mené de messieurs de
Bourbon et de Pescayre, et des soldats impériaux, à
la retraicte qu'il luy fallut faire à Romagnano, que
firent messieurs de Bayard et Vandenesse qui en
avoient la charge, estant ledict amiral Bonnivet
blessé et se faisant porter en litière, s'ilz n'y fussent
esté tuez, que la retraicte s'en alloit estre des plus
signalées. Dès qu'ilz furent morts, un chascun perdit
cœur, ayant perdu leur principaux chefs et appuys,
et s'en allèrent tous à la desbandade et en désordre;
de sorte que les impériaux en eurent tel marché
qu'ilz voulurent. Et disent les Espaignols * qu'ilz leur
prirent sept pièces d'artillerie, que les soldats menè-
rent dans Milan, bien ramées* et couvertes de feuilles
d'arbres , en signe de grand triomphe. Tant que
messieurs de Bayard et Vandenesse demeurèrent en
vie, tout alla bien, et se retiroient nos François tous-
jours en fuite de loup; mais leur mort apporta tout
deuil, tout malheur et toute confusion. On dit* que
1. //, Philibert. — 2. Les Espagnols, c'est-à-dire Vallès.
3. Ramées, couvertes de branches.
4. On dit, c'est-à-dire Vallès. Brantôme a déjà raconté tout
VII — 18
274 DISCOURS
M. l'admirai en ayant donné totale charge de ceste
retraicte à M. de Bayard (M. du Bellay y met M. de
Sainct-Pol, mais l'Espaignol ne faict mention que de
miessieurs de Bayarrl et Vandenesse), luy recomman-
dant surtout l'artillerie qu'elle ne fust prise, M. de
Bayard luy respondit : « Monsieur, j'eusse fort de-
« siré que le roy et vous m'eussiez donné ceste
« charge en fortune plus prospère et heureuse que
« l'advanture me traie te; je feray en sorte que tant
« que j'auray la vie, je la deifendray si bien que
« l'ennemy n'en triomphera point, »
Et ainsy qu'il le dit, il le tint très-bien, demeurant
tousjours serré, sur la queue, et rendant tousjours
quelque gentil combat. Mais le malheur fut qu'il eut
une grande mousquetade dans Tespaule, qui le força
de la douleur de mettre pied à terre : et soudain,
ayant esté assisté des siens, et le voulant désarmer
et porter sm^ des picques (car il n'y avoit soldat qui
ne l'aimast et ne l'honorast plus que le général), il
pria chascun de se retirer et sauver. « Car, quant à
« moy, dit-il, je veux mourir dans le champ où j'ay
« combattu, n'estant bien séant à un grand homme
a de guerre de mourir autrement qu'armé de toutes
ses armes. »
Et ainsy que les soldats espaignols, poursuivant la
victoire, le voyant estendu, lui demandèrent qui
il estoit, et qu'il se rendist : « Ouy, dit-il, je me
« rends à M. le marquis de Pescayre; » dont tous les
Espaignols commencèrent à le louer grandement di-
ceci dans l'article consacré à Bayard (voyez t. II, p. 382 et sui-
vantes) .
D'AUCUNES RETRAICTES DE GUERRE. 275
sans : Que se maravilhihan miicho del gran jujzio de
tan valeroso homhre, cl rjual sabiendo rnuj bien que
la suprema autoridad del go^'ierno estava en poder
de don Carlos de Lanoy y del duque de Barbon,
quisiesse antes rendirse al marques que a ellos; dando
à entender que el nombre de la guerra canada ton va-
lor verdadero, y con hec/ios illustres, era muj mas
noble y honrado, que no el que se gana con el juego
de la fortuna amorosa^ y con el soberbio fa^'or de los
rejes delmundo^^ c'est-à-dire : « Qu'ilz s'émerveilloient
fort du grand jugement d'un si valeureux homme,
lequel sçachant bien que la suprême autliorilé du
golivernemenl appartenoit à don Charles de Lanoy
et M. de Bourbon^ néanmoins il aima mieux se ren-
dre au marquis qu'aux autres, sçachant bien que le
renom de la guerre, gaigné par une vraie vertu et
par illustres faictz, est plus honnorable que celuy
qui se gaigne par le jeu de la fortune amoureuse, ou
par la superbe faveur des roys. »
M. le marquis aussi lé receut fort honnorable-
ment, et luy bailla des gardes pour l'avoir en re-
commandation a que no reciblese ninguna violencia ni
injuria de ninguno soldado a^'ariento o ignorante ,
porque era menés ter que persiguiese los enemigos^,
c'est-à-dire : « Qu'il ne receut nulle violence ni in-
jure d'aucun soldat, avare ou ignorant de l'art de la
guerre; car il luy falloit poursuivre l'ennemy. »
Ledict marquis le voyant en tel estât, s'escria aux
soldats : Eal soldados, vicloria tenemos ; porque es
\. Vallès, liv. III, ch. xi, f" 106.
2. Vallès, ibid.
276 DISCOURS
maerto el capitan Bayarch'^. « Soldats, nous avons la
victoire, puisque le capitaine Bayard est mort. » Et
luy fit tous les honneurs du monde pour si peu de
vie qu'il luy restoit, et les meilleurs traictemens;
ayant commandé luy faire tendre un pavillon fort
superbe sur le champ mesme, et un lict pour se re-
poser; et mourut ainsy sans jamais se désarmer. Y
asl murio armado en el campo, conio lo habia siempre
deseado : « Et ainsi mourut tout armé dans le camp,
comme il l'avoit toujours souhaité. »
Après sa mort, le marquis honora son corps de
superbes obsèques, et le renvoya aux siens honora-
blement, qui l'emmenèrent en France. Ce fut lors
qu'il dict à M. de Bourbon ces belles parolles que
M. du Bellay a mises dans ses Mémoires. Car, ainsy
que M. de Bourbon poursuivoit l'ennemy, et passant
auprès de M. de Bayard et le voyant en si piteux
estât, lui dict : « Monsieur de Bayard, j'ay grand-
« pitié de vous. » Lequel luy respondit : « Mais moy,
u Monsieur, de vous, qui combattez contre vostre
« Dieu, vostre roy et vostre patrie; et moy, je meurs
« les armes à la main pour les defFendre'. »
Je suis esté un peu long en cet incident, et crains
qu'on ne me coulpe ' de m'estre ainsy extra vagué.
Toutesfois, parlant si bien de ce grand personnage,
tout peut passer sous ceste belle monstre.
Et, pour retourner encore à nos retraictes, aux-
quelles tend nostre discours, pour en parler de celle
i. Le texte de du Bellay a été' arrangé par Brantôme qui
l'avait déjà modifié ailleurs. Voyez t. Il, p. 386.
2. Coulper, reprocher.
D'AUCUÎVES REÏRAICTES DE GUERRE. 277
que le feu roy François fit devant Landrecy : Lan-
drecy ayant esté assiégé par l'empereur fort furieuse-
ment d'une très-grande puissance (car il avoit dix-huit
mille Espaignols des vieilles bandes, six mille An-
glois, selon le concordat entre luy et le roy d'Angle-
terre, et treize mille chevaux, tant de ses vieilles
ordonnances de Naples, des Pays-Bas et des Clévois),
le roy résolut de secourir ceux de dedans, qui
avoient si bien faict que rien plus, tant à se bien
deffendrc qu'à bien assaillir. Aussy léans y avoit-il
deux bons chefs, le capitaine La Lande et M. d'Essé.
Il dresse donc une armée, mais non si forte que celle
de l'empereur, et vient à sa barbe avitailler et ren-
forcer sa place; et non sans en advertir l'empereur;
car le jour advant, assez près de Landrecy, fit tirer
une volée de canon à toute son artillerie, pour faire
signal à la ville qu'il n'en estoit pas loing, et leur
donner courage. Et, s'approchant le lendemain, en-
vitaille, renforce, faict ce qu'il veut; et puis se met
sur sa retraicte, menant l'avant-garde, et laissant sur
la queue et Tarrière-garde M. le Dauphin son fils,
qui pensant une fois donner battaille comme il dési-
roit (car il estoit du tout courageux et homme de
main), Sadicte Majesté tourna bride soudain pour
secourir : mais il n'en eut grand besoing, car l'empe-
reur, ayant desbandé Ferdinand de Gonzague, son
lieutenant général, pour aller après avecques toute
sa cavallerie légère, et quelque harquebuserie espai-
gnoUe, pour les amuser en attendant le gros qu'il
menoit, ne fut rien faict, sinon quelque petite escar-
mouche, où le seigneur d'Andouin, fort favorisé de
M. le Dauphin, fut tué, et quelques autres, pour s'es-
278 DISCOURS
Ire adventurez mal à propos, comme un jour je
Fouys conter à M. l'admirai. Nonobstant, le roy se
retira parmy les bois à Guyso, ayant faict ce qu'il
avoit voulu fort heureusement, et n'ayant rien perdu.
Et ce fut à l'empereur à se retirer en son camp, et
puis à lever totalement le siège de Landrecy. Pour
conclusion, le roy secourut sa ville à la barbe d'un
grand empereur, et enfin se démesla de battaille, et
se retira : ce qui ne fut peu de resputation pour luy,
toutes choses bien pensées; et fut estimé, non-seu-
lement des siens, mais des estrangers, qui affirmoient
avoir esté la plus belle chose qu'il fit jamais.
En quoy faut noter une chose de ces deux grands
princes, en laquelle ilz trompèrent tous ceux de leur
armée; car l'un et l'autre publioient parmy leurs
gens qu'ilz vouloient donner battaille : le roy, pour
dire tout haut qu'il vouloit voir si l'empereur estant
en personne seroit aussy heureux en battaille com-
me il avoit esté par ses lieutenans à La Bicoque
et à Pavye, et que c'estoit chose qu'il avoit le plus
souhaicté de l'y voir, et de s'attaquer de sa personne
à la sienne, s'ilz se pouvoient rencontrer. De l'autre
costé, l'empereur, au partir de Gueldres, avoit faict
du brave , et s'estoit Ayante qu'il iroit jusques à Paris
pour voir ce qu'on y faisoit; mais ny l'un ny l'autre
ne firent ce qu'ilz avoient dict. Voyez quelles osten-
tations de princes qui ne firent que donner dans le
vent! Aussy faut-il bien souvent qu'en telles choses
ilz bravent plus et fassent peu, tiennent mines bra-
vasclies et pleines de vanité : car cela importe, ainsy
que j'ay ouy dire à de grandz capitaines, encor que
la honte leur tombe sur le front de n'avoir joint leur
D'AUCUNES RETRAICTES DE GUERRE. 279
effet avec leurs parolles. Mais ces princes et les
grandz sont su}3Jects à boire plus de honte en telles
chose que les petits; et ne leur en chaut mais en
quelle façon, ou en honneur, ou en déshonneur, ilz
parviennent à leui's fins; et qui gaigne est le plus
honnoré.
J'ay ouy dire à plusieurs que feu M. le connestable
avoit projette son dessein de la retraicte de Sainct-
Quentin du tout sur cest exemple du roy que je
viens de dire, s'y voulant du tout conformer : mais
il ne la fit pas de nuict, ains de plein jour; qui fut
sa perte, si l'on veut croire les grands capitaines, et
mesmes M. de Montluc, qui en a très-bien escrit
dans son livre*, où il tient la maxime que le capi-
taine qui se retire de nuict n'en est pas pour cela
subject à la honte, mais plustost son ennemy, qui,
pensant le trouver le lendemain au matin, n'y trou-
ve que la place vuide, et demeure avec autant de
nez, et bien trompé. J'ay veu plusieurs en excuser
M. le connestable, mettant un grand blasme sur le
mareschal de camp qui estoit pour lors, que je ne
nommeray point, pour n'avoir jette mille ou douze
cens arquebusiers sur quelque passage, qui eussent
donné à songer au comte d'Aiguemont, qui n'avoit
que de la cavallerie, et mesmes des pistoliers qui
craignent l'arquebuserie , que le roy avait refusée
par l'opinion de M. le connestable qui les desdai-
gna fort; mais ce furent eux qui aydèrent beaucoup
et servirent à nous battre. Si mondict sieur le con-
nestable se fusl gouverné comme le roy François, il
1 . Voyez Commentaires, tome I, p. 470.
280 DISCOURS
ciist acquis toute pareille louange, pour avoir envi-
taillé Sainet-Quentin bravement à la teste d'une
grande armée, et beaucoup plus foible que son en-
nemy'.
La route de M. le mareschal d'Estrozze, l'un des
grands capitaines de nostre temps, à Sienne, faisans
la retraicle, advint, pour ne l'avoir faicte de nuict,
ainsy que M. de Monluc luy avoit très-bien conseillé *.
La retraicte de M. de Montejan et de Boissy, à
Brignolles, j)our n'eslre faicte à propos, ni à chaux
ny à sable, comme l'on dit, les fit tomber entre les
mains de Ferdinand de Gonzague, à leur honte et
perte de leurs gens.
M. l'admirai d'Annebaut, après avoir envitaillé
Thérouanne, avoit faict un très-beau coup, si les
jeunes gens qu'il avoit menez avec luy, des gallants
de la cour, n'eussent voulu taster ce que sçavoit
faire l'ennemy jusques dans leur camp, qui se mit en
armes, les mit en route, et prit le chef, M. d'Anne-
baut, prisonnier, et autres^
Longtemps advant en estoit arrivé de mesmes du rè-
gne du roy Louis XII, en ceste mesme place, et pour
mesme subject d'envitaillement, qui fut très-bien faict
et au contentement et louange de tous. Mais au retour
des matines, comme l'on dit, et à la retraicte, pensant
estre invincibles et que l'ennemy ne les oseroit sui-
vre veu la vaillance qu'ilz avoient monstrée, et le
desdaignant, se- mirent à se retirer joyeusement,
i . C'est-à-dire ayant en tête une grande armée, et lui étant
beaucoup plus faible que son ennemi.
2. Voyez Commentaires, tome I, p. 4S7.
D'AUCUTVES RETRAICTES DE GUERRE. 281
chantans, causans et ayant laissé leurs grands che-
vaux pour monter sur des haquenées et bestes d'am-
ble pour aller mieux à leur ayse estant fatiguez de
la course. Lors ilz furent chargez de l'ennemy si à
l'improviste et si furieusement, qu'ilz furent con-
traints, non de se retirer, mais de fuyr à bon es-
cient : dont le mot qu'on en dict, la journée des es-
pérons, d'autant que leurs espérons leur servirent
plus que leurs lances, où furent pris M. de Longue-
ville, dict M. de Dunois, M. de Bayard et d'autres
grands capitaines, qui trestous oublièrent leurs le-
çons. M. de Piennes gouverneur de Picardie, en
estoit chef.
Si faut-il que je fasse un conte, cependant qu'il
m'en soubvient, pour descendre du majeur au mi-
neur, qui est assez plaisant. Du temps de nos guer-
res civilles que Poictiers fut assiégé par les princes
huguenots et M. l'admirai ', il y eut un certain jeune
gentilhomme de par le monde, que je ne nommeray
point; car il m'appartient, et de fort grande maison.
Il estoit en sa jeunesse fort coustumier de faire tous-
jours un peu du sot, et autant qu'homme qui fust
en sa contrée et pays de vaches ; mais pourtant
avec cela estoit très-vaillant. Il avoit eu la compai-
gnie de son père , au moins la moitié, par résigna-
tion. Pour envie qu'il eut de faire parler un peu de
luy à son commancement de gendarme , il demanda
à Monsieur, frère du roy, pour lors nostre général,
d'aller jusques au camp de l'ennemy pour le reco-
gnoistre et y faire quelque raflade. Monsieur, qui se
1. En 1569.
282 ^ DISCOURS
(louhtoit de quelque traict de son mestier^ luy donna
licence. 11 y va de fort gave humeur, et de faict
donna bien rafle de quelques gens, fait quelques lé-
gères rapines, si bien pourtant et avec tel esclan-
dre, qu'il mit tout le camp huguenot en allarme, et
en armes et à cheval. Il fut enfin poursuivi d'une
grosse troupe de François et de reystres; mais liiy,
au lieu de faire une belle tirade et grande cavalcade,
s'en alla repaistre et dormir à trois petites lieues du
camp seulement, pensant avoir fait un beau coup.
Les poursuivans, en ayant eu sitost nouvelles, le
pensant aller lancer jusqu'à sept ou huit lieues, en
eurent très-bon marché, le trouvèrent et le prin-
drent dans le lict très-aysément à trois lieues; dont
la risée en fut très -grande au camp de l'un et de
l'autre. Et quand on lui demandoit ce qu'il pensoit
faire, il respondoit seulement : « Je pensois faire ce
« que j'ay faict, et ne pensois pas qu'on me deust
(( suivre plus loing qu'à une lieue de là, m'es-
(( tant approché si près d'eux. » Si vous asseurè-je
pourtant que despuis il s'est rendu vaillant et bon
homme de guerre, car il en est de race. Voilà une
belle retirade, ou, pour mieux dire, coyonade ou
caguade'.
Or, si nous louons les grandes armées et conduc-
teurs d'icelles pour leurs retraictes en un grand bloc
général, nous en avons aussy aucuns particuliers,
c'est-à dire en petite troupe. Et commançons à une
poignée de sept à huict cens Espaignols, qui se sau-
vèrent de la battaille de Ravenne, lesquelz, après
1. Caguade, cacade.
D'AUCUNES RETRAIGTES DE GUERRE. 283
qu'ilz eurent veu la totale fin de la battaille à leur
très-grand dommage, résolurent de se retirer et sau-
ver leur vie; et marchant en bon ordre, serrez et
résolus , M. de Nemours qui ne se senloit encor
bien assouvi du grand past et festin qu'il avoit faict
tout le long du jour sur le sang répandu de tant
d'ennemys, voyant que le dessert de ces Espaignolz
s'en alloit tout entier sans en taster, et à sa veue,
part la teste baissée avec seulement vingt ou vingt-
cinq qui estoient restez avec; et quoiqu'aucuns luy
criassent : « Monseigneur, soubvenez-vous de ce que
« vos bons capitaines, qui ont suivi la victoire, vous
« ont priez de les attendre, et de ne bouger du camp,
« et de tenir ferme jusqu'à leur retour, et que vous
« leur avez si sainctement juré et promis, » il n'en
voulut rien croire ni faire; mais tout courageuse-
ment et tout haut cria : « Ah ! qui m'aymera si me
« suive, >» et donne. Ces Espaignols, qui le virent
venir, luy crièrent :
Ea ! monserwr, somos pobra gente desharatada.
Dexadnos ir por nueslra mala ventara, y se con-
tente vuestra excelencia de la çicloria, que no sera
mas illustre por nos perder y matar. C'est-à-dire :
« Ah ! monseigneur, nous sommes pauvres gens, à
demy perclus et sans puissance. Laissez-nous aller
par notre maie adventure, et contentez-vous de la
victoire, que vous ne rendrez pas plus illustre pour
nous deffaire, tuer et perdre. »
Mais M. de Nemours, ne se contentant, donne
dedans, où il fut tué et plusieurs des siens, et les
autres blessez à mort et trouvez entre les morts,
comme M. de Lautreq.
284 DISCOURS
Cela faict, lesdicls Espaignols, sans s'estonner et
s'amuser, tirent de longue, et enfilent le chemin le
long d'un grand canal, marchant en très-bon ordre,
et vindrent à rencontrer messieurs Louys d'Ars et de
Bayard tournans de la chasse, lesquelz bien las, et
ne sachant rien de leur général, s'advancèrent à ces
Espaignols, faisant bonne mine; car ilz n'eussent sceu
leur faire grand mal, d'autant qu'eux et leurs che-
vaux estoient si recreus d'avoir chassé si loing, qu'ilz
furent très-ayses quand aucuns capitaines espaignols
s'advancèrent, qui dirent les mesmes parolles qu'ilz
avoient dictes à M. de Nemours, celant pourtant sa
/nort. M. de Bayard, qui parloit bon espaignol, et
qui les avoit longtemps pratiquez, et estoit la mesme
courtoisie, et qu'ilz n'en pouvoient aussy plus, leur
dit : « Allez-vous-en donc, messieurs, à la bonne
« liieure. Vous aurez la courtoisie jusques au rendre;
« mais ouvrez-vous et fendez, et laissez-nous passer,
« et si nous voulons avoir vos enseignes, » qu'ilz luy
donnèrent aussytost et à grande joye. Et passant tous
au travers, et s'entresaluant les uns les autres très-
courtoisement, s'entredirent adieu, et chacun tira
son chemin. Mais les nostres arrivant dans le champ
de battaille, et sçachant la mort de M. de Nemours
donnée par lesdicts Espaignols, se repentirent bien de
la courtoisie donnée'.
II n'est pas possible d'ouyr parler d'une plus belle
retirade, quasy semblable à celle que firent six ou
sept mille soldats romains (encor faut-il parler un
1. Brantôme a tiré son récit, mais en l'arrangeant et en y
ajoutant, du ch. liv du Loyal Serviteur.
D'AUCUNES RETRAICTES DE GUERRE. 283
peu des antiques puisqu'ilz ont esté si braves, et les
meslcr un peu parmy nous autres) eschappez de la
sanglante battaille de Cannes; lesquelz, après avoir
faict jusqu'au dernier debvoir, et combattu jusques à
l'extrémité, considérans ne pouvoir plus servir, sinon
d'autant augmenter les morts et ensanglanter d'au-
tant la battaille, se résolurent de se démesler du
combat et se retirer où bon la fortune les condui-
roit; comme ilz firent en très-bel ordre, sentant
mieux leurs vainqueurs que leurs vaincus. Ce que
pourtant ceux de leur ville n'approuvèrent, ayant
esté loing des coups et sous la clieminée, jugeant à
leur ayse les choses autrement qu'elles ne se condui-
rent là à l'œil et à l'elFect; et, comme résolus cen-
'seurs et réformateurs jusques au bout des ongles,
ces messieurs firent de grandes indignitez à ces pau-
vres soldats, leur faisant faire, advant que tourner à
leur service, plus de pénitences que ne firent jamais
les hermites du Calvaire, de Spolette, ou du Mont-
Serrat. Et pourtant telz gentilz soldats estoient beau-
coup à estimer de s'estre ainsy retirez; et ne faut
doubter qu'Annibal, s'il les eust peu tous faire mas-
vsacrer, l'eust faict très- volontiers ; mais les voyant se
retirer en si belle contenance, reigle et ordre, il les
laissa là; possible, s'ilz fussent allez en déroute, les
eust-il chargez et mis en pièces*.
En nos seconds troubles, après la journée de
Meaux par les huguenots au roy, et qu'ilz se furent
jettez dans Sainct-Denys, leroy commandaàM. d'Es-
trozze, maistre de camp tant seulement des dix en-
i. Voyez Ïite-Live, liv. XXV, cli. vi et vu.
^8G DISCOURS
seignes de la garde du roy, lesquelles pom^tant alors
n'estoient point près sa personne, mais les avoit en-
voyées aux frontières de Picardie en garnison, de les
aller quérir et mener dans Paris à son secours, où il
estoit à demi assiégé. M. d'Estrozze y alla; et d'au-
tant que ses dix compaignies estoient la force princi-
pale du roy, et sur laquelle il s'appuyoit le plus, pour
estre tous vieux soldats choysis et quasy la pluspart
qui avoient commandé ou dignes de commander,
comme quasy tous ont faict despuis, M. le Prince et
M. l'admirai, encor qu'ilz aymassent naturellement
M. d'Estrozze , détachèrent aussytost M. de Mouy
Saint-Fal avec douze cens chevaux pour l'aller def-
faire , quoy qu'il fust ; car c'estoit une dangereuse
petite troupe pour eux. M. de Mouy ne faillit pas de
les aller rencontrer entre Abbeville et Amyens; et les
trouvant marclians en vrais gens de guerre, serrez,
résolus et entournoyez de tous costez de bons cha-
riots qui marchoient tousjours en forme de barri-
cade, ne les osa attaquer ny nullement enfoncer, en-
core qu'il se fist quelque petite et légère escarmouche
de chevaux huguenots pour les attirer hors de leurs
charrettes. Mais ces braves capitaines et soldats, ti-
rant tousjours arquebusades bien à propos, ne lais-
soient à marcher, et M. de Mouy de les cavalier en
attendant son bon, ou qu'il les trouvast le moins du
monde desbandez ou estonnez. Enfin M. d'Estrozze
et ses capitaines et soldats se retirèrent si bien, en
tournant tousjours la teste vaillamment l'espace de
huict jours, qu'approchant de Paris, M. de Mouy fut
contrainct de les quitter à huict lieues de là et les
donner au diable, et s'en aller d'un costé et eux de
D'AUCUNES RETRAICTES DE GUERRE. 287
l'aulre ; et ainsy arrivèrent à Paris, n'estant que cinq
cens seulement, cinquante par compaignie. M. d'Es-
trozze m'a dict que beaucoup et une infinité de sol-
dats de Picardie s'estoient voulu jetter dans sa
trouppe, si bien qu'il l'eust agrandie de plus de mille
liommes; mais il ne le voulut jamais, pour ostenta-
tion qu'il vouloit avoir d'estre si bravement passé,
et s'estre retiré avec une si petite troupe, et aus-
sy qu'il avoit si grande fiance et asseurance de la
valeur de ces cinq cens soldats, qu'il pensoit estre
invincible, et qu'il n'en tenoit pas un de tous eux
pour lasche et poltron, et qu'ilz eussent combattu
jusqu'à la dernière goutte de leur sang. Au lieu que
s'il en eust pris d'autres nouveaux, il n'eust fallu que
quelques poltrons pour gaster tout et mettre tous les
bons en peine et en désordre, ainsy que cela s'est
veu souvent. Enfin les voylà arrivez à Paris par la
Porte-Neuve *, avec un grand estonnement du roy,
de sa cour, de son armée et de ceux de Paris, pen-
sant résolument qu'ilz avoient esté tous deffaicts ,
ainsy que les nouvelles fausses en avoient couru, et
qu'on avoit sceu qu'on estoit allé au-devant d'eux
pour les despescher et def faire.
Voilà une très-belle retraicte pour n'estre que ar-
quebusiers et quelque peu d'halebardiers (car les
compaignies en portoient lors), faicte à la barbe de
douze cens choysis, conduicts par un des vaillans
liommes de France parmy les plaines de Picardie,
favorables pour les chevaux, et mal pour l'arquebu-
1. Près du Louvre. Elle était, suivant Hurtaut [Dict. de Paris,
t. IV, p. 12S), presque sur ralignemeut de la rue Saint-Nicaise.
^288 DISCOURS
série, etchevallez l'espace de liuiet jours. L'admiration
en fut très-grande et une joie extresme au roy, qui
les voulut voir tous, et les fit passer dedans le Louvre,
les embrasser et faire bon visage; et leur ayant com-
mandé leur logis, voulut qu'ilz se rafraischissent et
de deux jours n'allassent à la guerre qu'ilz ne fus-
sent reposez; mais le lendemain allèrent voir l'en-
nemy, qui les cognut aussytost au son et bruict de
leurs bonnes arquebuses et à leur valeur; et trois
jours après il partit de Sainct-Denys, tirant vers la
Lorraine, et nous les suivismes.
J'ay ouy dire depuis à M. de Mouy que jamais il
n'avoit veu de plus braves capitaines et soldats, ny
plus asseurez que ceux-là; louant surtout M. d'Es-
trozze qu'il n'eust jamais peu croire en son jeune
aage qu'il eust pu conduire si bien une telle retraicte.
El d'autant que les capitaines méritent eslre nom-
mez, cognus et recommandez à la postérité, je les
vais nommer : M. d'Estrozze, maistre de camp; le
capitaine Bordas, de Dacs', son lieutenant; le capi-
taine Charrion ; le capitaine Cosseins; le capitaine
Torcez; le capitaine Nevillian; le capitaine Gouas
l'aisné ; le capitaine Cadillan ; le capitaine Gouas le
jeune; tous Gascons; le capitaine Cabanes, Auver-
gnac, et le capitaine Hirromberry, Basque; qui sont,
je pense, tous morts à ceste heure, et pense les avoir
veuz tous quasy mourir. Je croys que le capitaine
Bordas vit encor.
Aux premières guerres, les bons soldats se ran-
geoient la pluspart du costé des huguenots, à cause
1. Ducs, Dax.
D'AUCUNES RETRAICTES DE GUERRE. 289
de quelque bandon qui fut fait à la cour contre les
capitaines qui demandoient leurs payes dues et res-
compense des services passez ; de sorte que , pour
un temps, ilz nous surpassèrent en nombre de sol-
dais vieux et bons. De Metz partirent un jour cin-
quante soldats de la religion (car ilz y fleurissoient
fort), en dessein et résolution de se rendre dedans
Orléans, quoy qu'il fust. Quand ilz furent vers Ver-
dun, M. d'Espan* eut langue comme cinquante sol-
dats estoient partis de Metz_, et s'en venoient passer
dans son gouvernement (car il estoit lieutenant du
roy en l'absence de M. de Nevers, auparadvant
comte d'Eu), et tiroient droict vers Orléans. Il amasse
soudain ce qu'il peut et à la haste pour les aller def-
faire. Ces pauvres cinquante soldats en ayant eu le
vent, résolurent, quoy qu'il fust, de passer; mar-
chant nuict et jour_, font de grandes traictes, de
petits repas et cornas repos. M. d'Espan les suit tant
qu'il peut, et les attrape. Eux le voyant venir se jet-
tent dans un moulin qu'ilz trouvèrent à propos et à
la bonne advanture (fortune ayde tousjours aux vail-
lans et courageux), se rembarrent^, se fortifient, ti-
rent force harquebusades, et si vaillamment, que
quelques petits arquebusiers qui estoient là, pensez
quelques fiollans', n'osèrent approcher, ny la caval-
lerie non plus. Enfin la nuict arrive et sépare le com-
bat. M. d'Espan se retire à quelque bourg prochain
1 . Est-ce Charles de Cominges , seigneur d'Espaon , mort
en 4615?
2. Se rembarrer, se barricader.
3. Fiollans^ bravaches, -,
va — 19
290 DISCOURS
pour reposer et repaistre, laisse quelque ehétif corps
de garde, pensant les attraper le lendemain. Non-
obslant ilz sortent, combattent, faussent le corps de
garde qui s'estoit mis au devant d'eux, marchent
toute la nuict. Le lendemain au jour rencontrent au-
cuns paysans assemblez avec leur tocsin, les raflent,
comme un foudre et orage rafle un champ de bled.
Enfin, après avoir bien eu trente allarmes et rencon
très, se retirent, et arrivent à Orléans tous sains et
sauves, fors trois qui demeurèrent tuez; et racon-
tant leur fortune à M. le Prince, à MM. l'Admirai et
d'Andelot, leur couronnel, les ravirent, et un chas-
cun qui les ouyt, en une merveilleuse admiration de
leur fortune, et de leur vaillance, et de leur retraicte.
Ainsy sauvez, ilz furent par après si bien venus,
traictez et respectez, que j'ay ouy dire à feu M. de
Téligny qu'un jour le bandon estant faict de ne tou-
cher plus à la démolition de l'église de Saincte-
Croix*, qui est un œuvre très-admirable, ainsy que
M. d'Andelot passoit devant et en ouyt le bruit, il
entra dedans et y trouva trois soldats faisans encor
ravage, et, de colère, leur remonstra la deffense qui
en avoit esté faicte, et qu'ilz seroient tous pendus.
Ainsy que le bourreau fut venu pour l'exécution, il
y en eut deux des trois qui dirent : « Monsieur, sau-
« vez-nous la vie. Nous sommes des cinquante sol-
« dats de Metz qui vous sommes venus trouver, et
« avons si bien faict et tant pâty et combattu pour
« l'amour de vous. » M. d'Andelot dist aussytost :
« Estes-vous de ceux-là? la vie vous est sauve. » Et
1. A Orléans.
D'AUCUNES RETRAICTES DE GUERRE. 291
le tiers, qui n'en estoit pas, fut pendu pour donner
exemple.
Voylà une retraicte belle celle-là, et de grand ha-
zard et de grand'peine, veu le petit nombre de gens
qu'ilz estoient, et tous compaignons ensemble sans
avoir aucun qui leur commandast^ sinon un caporal
que d'eux-mesmes ilz eslurent.
Dernièrement en ceste guerre de la ligue que le
baron Dona vint en France* avec ceste grosse armée
composée de cinquante mille estrangiers, tant AUe-
mandz que Suisses et autres^ plus qu'il y a longtemps
que pour un coup entra en France, et quelques
François parmy eux, tous menaçant, plus que ne fit
jamais Rodomont quand il passa de la Barbarie vers
nous, de la destruire et ruyner de fonds en comble,
comme il parut à son commencement par les grandz
feux qu'il alluma en la Lorraine et Bourgogne ; si s'en
fallut-il beaucoup de son espérance et furieuses me-
naces; car ce vaillant M. de Guyse, luy faisant main-
tenant teste, maintenant le costoyant, le mena si
beau et par tant de fatigues qu'il luy donna, et par
les combatz, comme auprès de Montargis et Auneau,
que tout ce grand peuple qu'il avoit conduit fut ré-
duit à rien; et fut contraint, avec MM. de Bouillon
et de La Marche, frères, de composer avec le roy,
et tirer vers leur pays avec une composition telle
qu'elle. J'ay veu un homme qui estoit alors avec
M. de La Noue. Il les vit arriver avec cinq cens che-
vaux seulement à Genesve, bien mallotreux*, du
reste de leur naufrage.
1. En 1587. — 2. Mallotreux, misérables.
292 DISCOURS
Or, M. de Chastillon, filz de ce grand admirai, et
qui commençoit déjà à le suivre de près en ses va-
leurs et vertus, si par trop tost il ne fust esté prévenu
de sa mort naturelle, qui poui^tant fut advancée d'un
coup qu'il avoit receu au siège de Chartres, ne vou-
lut jamais signer cette composition : tant s'en faut,
qu'il répugna et contredit tout ce qu'il peut, jusqu'à
leur faire de grandz aflronts et reproches d'honneur,
à ce que j'ay ouy dire à ceux de leur party. Il se ré-
solut de les laisser jouyr à pleine joye de leur com-
position, et la solemniser par beaux festins et car-
roux dans le camp du roy, et luy prend quelques
cens chevaux des siens qu'il avoit menez du Langue-
doc, et autant d'harquebusiers, et se met sur sa re-
traicte, et tire chemin sur le passage de Loyre, et
advise gaigner d'où il estoit party, nonobstant qu'il
fust poursuivi et couru à force, car on luy en vouloit
à cause du père. M. de Mandelot*, gouverneur de
Lyon, se trouve à Taudevant, et l'assaut. M. de
Chastillon le soutient, et combat si vaillamment que
la perte va plus grande du costé de Mandelot que du
sien, passe la rivière et se conduit là où il vouloit,
après avoir battu les fanges et combattu le mauvais
temps l'espace de dix ou quinze jours.
Certes, j'ay ouy parler à de grandz capitaines que
ceste retirade est des plus signalées, et qu'il parois-
soit bien qu'il avoit estudié la vie de M. l'admirai
son père; lequel, en tant de battailles qu'il a données
en nos guerres civiles, et perdues quant et quant, en
a fait ses retraictes si belles et si signalées, et mesmes
i. François de Mandelot, mort en 1588.
D'AUCUNES RETRAICTES DE GUERRE. 293
en celle de Montcontour, tout blessé qu'il estoit, que
quasy on ne sçavoit que plus louer, ou les beaux
exploitz d'armes qu'il y faisoit, ou ses retirades.
Ceux qui ont veu les retraites de Dreux, de Sainct-
Denis, de Jarnac, de Montcontour, en sçauront bien
que dire; et que si la fortune lui estoit contraire en
la battaille, pour le moins la démesloit-il bien, et
s'en retiroit sihonnorablement, qu'onne sçauroit lui
reprocher qu'il eust pris l'espouvante et s'en fust fuy,
comme ont faict beaucoup de capitaines après leur
battaille perdue, dont les livres sont tous pleins.
Tant s'en faut, qu'après la battaille de Dreux, ainsi
que nous pensions tout gaigné pour nous et tout
perdu pour eux, les voicy venir sur les quatre heu-
res du soir, huict jours avant Noël, à nous, environ
cinq cens chevaux seulement qu'ilz estoient, que,
sans la vaillance et sage prévoyance de M. de Guyse,
je ne sçay que c'en fust esté, et y en eut bien d'es-
tonnez. Et après le coup fait, et voyant qu'il n'y fai-
soit bon, prindrent congé de nous (et qui avoit mal,
à son dam), et puis se retirèrent. Je m'estonne que
nos histoires de nostre temps sont esté si desloyales
ou ignorantes qu'elles n'ayent touché ces choses.
M. le mareschal de Bié' est fort à louer que,
quand les Anglois sortirent de Boulongne pour luy
donner la battaille auprès du fort de Montreau, il y
avoit avec luy le régiment du comte Reingrave, ce-
luy des François et des Italiens. Comme les ennemis
chargèrent nostre cavallerie, elle se mit en route; et
voyant ledict sieur le désordre des gens de cheval,
1 . Du Biez.
294 ' DISCOURS
il s'en courut au battaillon des gens de pied, et leur
dit : « O! mes amys, ce n'est pas avec la cavallerie
(( que j'espérois de gaignerla battaille, car c'est avec
« vous; » et mit pied à terre; et prenant une picque
d'un soldat auquel il bailla son cheval, se fit oster
ses espérons, et commença sa retraicte droict à Ar-
delot. Les ennemys ayant chassé la cavallerie, tour-
nans à luy, il demeura quatre heures ou plus sur sa
retraicte, ayant les gens de cheval l'une fois devant,
une autre à costé, et leurs gens de pied sur la queue :
mais ilz ne l'osèrent jamais enfoncer; et jamais il ne
fit cinquante pas qu'il ne fist teste aux ennemis, es-
tant en l'aage de soixante et dix ans.
Ce brave, vaillant, et le plus accompli prince du
monde, M. de Nemours, en fit de mesmes à la jour-
née de Meaux, où le roy fut assailly du prince de
Condé, de M. l'admirai, jusques à quinze cens che-
vaux, bons et bien choisis; qui, mettant pied à terre,
dit aux Suisses : « C'est avec vous, mes amis, que je
« veux combattre et mourir. Sus, marchons, et ne
« vous souciez. Hz ne sont pas gens pour nous, car
« nous nous retirerons en despit d'eux, et si sauve-
« rons nostre roy et maistre. » Ce qu'ilz firent par
la traite d'un bon jour entier, et jamais les autres,
ny à costé, ny devant, ny derrière, ne les osèrent at-
taquer. Hz ont dit despuis qu'ilz ne le vouloient
(maisainsy dit le renard des poulies); c'est à sçavoir,
car ilz n'estoient pas là pour enfiler des perles. Et
aucuns m'ont bien dit que bien servit la contenance
de M. de Nemours.
Nous avons de frais un très-beau traict du prince
de Parme. Après avoir levé le siège de Rouen et pris
D'AUCUNES RETRAICTES DE GUERRE. 295
Caudebec(ce que j'espère déduire ailleurs) , il n'y eut
homme du party du roy qui ne dist^ affirmast et ju-
rast que Sa Majesté ayant recueilly toutes ses forces
qui luy accouroient et affluoient de toutes partz,
montant à neuf mille chevaux, le prince de Parme
estoit acculé et perdu et réduict du tout à demander,
pieds et bras liez, au roy miséricorde ou passage.
J'ay veu une infinité de gens qui me faisoient enra-
ger de ces propos; et m'estonnois contre eux qui
faisoient profession de porter les armes, d'estre si
grossiers d'avoir ceste opinion. Et là-dessus ledict
prince se mocque d'eux, fait un pont de batteaux
sur ceste large rivière de Seyne, qui semble là plus-
tost une petite mer qu'une rivière (cas esmerveil-
lable!), et passe, luy et toute son armée; et tout
blessé qu'il estoit se retire dans Paris avec si belle
ordonnance de battaille qu'on ne luy sceut jamais
que faire, sinon luy donner sur la queue et deffaire
quelque cent chevaux, et ravager un assez grand
bagage qui ne pouvoit suivre le camp. Je ne sçay
comment l'on doit appeler cela, sinon une très-belle
retraicte d'un grand capitaine, et fort louable. J'en
dirois une infinité d'autres, mais je n'aurois jamais
faict. Il ne se faut pas tant opiniastrer et durer sur
un mesme subject; faut varier.
Or, pour faire une belle fin et la bien couronner,
j'achèveray par une très-belle retraicte que fit M. de
Guyse à ceste entrée de grosse armée du baron Dona
que j'ay dict cy-devant, lequel, pour un grand ca-
pitaine qu'on sçait qu'il estoit, fit un grand pas de
clerc. Car tout conquérant qui entre en un pays
pour conquérir doit tousjours, quoy qu'il en soit.
296 DISCOURS
chercher à combattre; et celiiy qui est pour la def-
fense^ à ne la ' recevoir, quand mesmes il verroit un
très-beau jeu, si ce n'est par contrainte ou nécessité,
ou apparence de grande victoire. Aussy M. de
Guyse, qui estoit grand capitaine, luy faisoit oublier
sa leçon et à tous ses reystres.
Le faict est donc tel de M. de Guyse duquel je
veux parler*. Luy, voulant, recognoistre, quoy qu'il
fust, leur armée, et ayant envoyé MM. de Rosne'
et de La Routte pour aller charger quelques reys-
tres qui avoient passé un pont, du haut d'une col-
line il vit clairement l'armée ennemie et la retraicte
des siens, avec apparence qu'ilz ne se démesleroient
pas aysément; et estoit conseillé de tous ceux qui
estoient avec luy de se retirer, n'ayant forces bas-
tantes pour recueillir ses chevaux-légers, ny mesmes
pour soustenir un si grand faix, n'estant point armé
ny bien monté (car il estoit allé seulement sur un
courtaut, et tout désarmé, en dangier de se perdre,
loing de deux lieues de son armée, demeurée sans
chef ni commandement), et qu'il verroit plus tost
l'ennemy sur ses bras prest à le charger, que d'avoir
1. La recevoir^ recevoir la bataille.
2. Le récit de Brantôme est conforme à celui de de Thou
(liv. LXXXVII). Tous deux l'ont emprunté, et Brantôme presque
textuellement, au Discours ample et très s>éritahle eontenant les plus ^
mémorables faitz avenuz en t année mil cinq cens quatrevingt et
septj tant en l'armée commandée par monsieur le duc de Guyse
qu'en celle des huguenolz conduite par le duc de Bouillon, envoyé
par un gentilh.om.me français à la royne d'Angleterre. Imprimé
l'an de grâce MDLXXXVIII, 150 p. in-8°.— Ce Discours est at-
tribué à la Chastre.
3. Chrétien de Savigny, seigneur de Rosne.
D'AUCUNES RETRAICTES DE GUERRE. 297
receii * le commandement de se mettre en ordon-
nance. A toutes ces remonstrances il fit lors response
d'un très-brave guerrier, et plein de hardiesse. « Je
« sçay, dit-il, adressant la parole à M. de La Chastre,
« et recognois en quelz termes sont nos affaires ; à
« quoy il se peut pourvoir par hardiesse et prudence,
a Je feray un traict que j'ay en la fantaisie. Je prends
« la charge de faire ceste retraicte; et vous, allez
« donner ordre à l'armée, et retirez nos forces dans
« ce destroict du pont à Sainct- Vincent'; et l'ordon-
« nez pour me recevoir, et l'ennemy aussy, s'il nous
« suit jusques-là. »
Or, il faut noter que comme c'est la coustume,
principalement des François plus que de nulle autre
nation, de s'advancer tousjours sans commandement
et à la desbandade, qui sur bidet, qui sans armes, il
s'en trouva alors assez qui cuydèrent apporter de la
confusion et du désordre; et à la vérité, sans la pré-
sence de M. de Guyse, il y en.eust eu à bon escient.
Mais ce prince n'estant pas moins heureux que va-
leureux, avec tel amour et affection parmy les siens,
se présenta à la teste de ses chevaux-légers, l'espée
au poing, en pourpoint, sur un courtaijt, parlant
aux uns en italien, aux autres en françois, nommant
et appelant les capitaines par leurs noms, les exhor-
tant de ne s'estonner point et de croire qu'il les con-
serveroit ou qu'il se perdroit avec eux , et qu'ilz
fissent seulement ce qu'il diroit.
1. Que d'avoir receu, c'est-à-dire que son armée eût reçu.
2. Pont-Sain t- Vincent , village de l'arrondissement de Nancy
(Meurthe) .
298 DISCOURS
Sa présence et son authorité eut tant de pouvoir
sur toute ceste trouppe, que ehascun demeura ferme,
sans crainte du dangier, et attentif à ses commande-
mcns, se retirant auprès de luy sur le haut d'un cos-
teau, faisant teste à l'armée ennemye qui passoit à
la file sur le pont de Peligny*; et firent par leur
bonne mine et contenance tenir bride aux plus ad-
vancez jusques à ce qu'il fist sa retraite, poussé par un
gros ost de sept cornettes de reystres qui marchoient
furieusement, et devant eux trois cens chevaux fran-
çois et six ou sept vingts harquebusiers à cheval qui
commençoient à monter la colline, qui estoit si roide
qu'un cheval qui l'eust montée au trot se fust mis
hors d'haleine; ce qui donna temps et loisir audict
seigneur de Guyse d'effectuer ce traict dont il avoit
parlé. Se retirant environ dix ou douze pas en ar-
rière, les ennemys perdant veue de luy, et prenant
temps à propos, il tourna tout court sur la main
gauche, à la droite des ennemis, et gaigna par un
petit vallon un gué de la rivière de Modon *, où il y
avoit un moulin, et passa la rivière sur le costé d'oii
venoit et marchoit l'armée des huguenots, s'estant
toute leur cavallerie tellement advancée pour venir
à l'allarme et secours des premiers, qu'il ne restoit
à ceste queue que des Suisses qui ne le pou voient
ny arrester, ny suivre, ny offenser. Et, coulant le
long de la rivière, se mit au pas à faire sa retraicte
à son aise , repassant vers les siens à un gué à cinq
cens pas de sa place de battaille.
1. Pulligny sur le Madon (Meurthe)
2. Le Madon.
D'AUCUNES RETRAICTES DE GUERRE. 299
Les huguenots ayant gaigné le haut de la colline
d'où estoit party M. de Guyse, et voyant cesle ca-
vallerie si près de leurs Suisses de là la rivière d'où
ilz venoient, furent bien estonnez, et ne se peurent
de prime face imaginer que ce fussent autres que les
leurs. Néanmoins, la chose bien recognue, ilz se mi-
rent à les poursuivre; mais arrivant au gué où avoit
passé mondict sieur de Guyse, il s'y trouva dix ou
douze harquebusiers du sieur de La Chastre, qu'il
avoit mis dans un moulin, qui servirent grandement,
le débattant et gardant avec telle résolution ^t opi-
niastreté, qu'ayant tué quelques hommes qui s'ad-
vancèrent d'essayer de passer les premiers, les autres
tindrent bride, attendans leurs harquebusiers; les-
quelz mettans pied à terre, forcèrent le moulin, pri-
rent ou tuèrent tout ce qui estoit dedans ; et y
moururent ces braves soldatz bravement et honnora-
blement, vendans bien leur vie et chèrement à leurs
ennemys, faisans un grand service, donnans loisir
par leur perle audict sieur de Guyse de gaigner
plus de chemin. Si M. le connestable, à sa retraicte
de Sainct-Quentin, eust mis aussy des harquebusiers
dans un moulin qui estoit là près, il ne se fust perdu.
C'est ce que les grandz capitaines tiennent aussy qu'il
faut faire, quelquefois perdre et bazarder une petite
trouppe; et ne la faut espargner pour en sauver
une grande.
Et ainsy se rendit M. de Guyse, sans aller plus
vite que le pas, à la place de battaille de son armée,
qui estoit fort bien logée en un estroit entre les vi-
gnes et la rivière de Modon, ayant le logis du Pont-
Sainct- Vincent à dos. Et notez que l'armée de mon-
300 DISCOURS
dict sieur de Guyse ne montoit pas à plus de six
mille hommes, ayant en teste à combattre ceste
grosse armée composée de cinquante mille hommes,
et à leur barbe et nez se retirer si bravement. En
quoy faut admirer l'asseurance, le jugement, la réso-
lution, la vaillance et la conduicte de ce grand ca-
pitaine, qui n'avoit pas encore atteint l'aage de
quarante ans. Que maudites soient les misérables et
détestables mains qui le massacrèrent et Postèrent à
nostre France ! Que s'il estoit ores en vie, elle ne se-
roit la, proie des estrangiers, comme elle est mainte-
nant, et mesmes des Allemands, qu'il avoit si bien
estrillez.
Mais où trouvera-on et lira-on une telle retraicte
faicte par le beau mi tan de ses ennemis? Encor que
le grand feu M, de Guyse, son père, en fist quasy une
pareille devant Paris, aux premières guerres, lorsque
les lîuguenotz le vindrent par forme assiéger : et
nous voulans faire parade de leurs reystres, que
M. d'Andelot avoit amenez de fixais, conduicts par
le maresclial Daix % il fut donné charge à M. de
Genlys d'en prendre quelques quinze cens, et venir
charger quelques compaignies de gendarmes qui es-
toient pour lors en garde, et quelques harquebusiers
et chevaux-légers, vers les faubourgs de Sainct-Mar-
ceau et de Sainct-Jacques. Je ne nommeray point
les compaignies, car elles y firent très-mal, et fuirent
très- bien, au grand regret et despit de M. de Guyse,
qui, ayant fait mettre ses Suisses en battaille par de
1 . Le niareschal Daix, C'est Frédéric de Roltzhausen, maré-
chal de Hesse.
D'AUCUNES RETRAICTES DE GUERRE. 301
là ses tranchées, et bordées d'harquebusiers, et M. le
prince de Joinville, son fils, laissé avec eux, qui es-
toit tant jeune que rien plus; mais pourtant il sui-
voit partout M. son père (tant dès-lors monstroit-il
ce qu'il debvoit estre un jour) : et, sortant de la
tranchée, alla faire une grande cerne*, et, prenant
les ennemis en queue, les chargea si furieusement,
n'ayant seulement que deux, cens chevaux des gen-
tilzhommes de la cour, de sa suite et de sa cornette,
qu'il les fausse, les ouvre, les escarte, et passe par le
mitan, et fait halte après; et puis se retire froide-
ment, sans que les autres s'osèrent rallier pour les
venir charger, ainsy qu'il les altendoit : et se retira
le petit pas dans sa tranchée, où il parla bien à ces
messieurs les gendarmes et chevalliers fuyards, leur
reprochant leur fuite, et leur disant tout haut (car
j'estois avec luy et l'ouys) : i< Ah! gens-d'armes
« de France , prenez la quenouille , et laissez la
« lance. »
Il estoit lors monté sur son bon cheval moreP, des
beaux genetz et bons qui sortist il y a longtemps
du royaume de Naples ; et, en descendant, il le loua
fort, et dit que pour le jour de la battaille il n'en
vouloit pas de meilleur, ny d'autre. Ce que l'enne-
my avoit sceu, et pensant qu'il y fust monté, mi-
rent tous leurs esprits et leurs efforts pour le tuer
à la battaille de Dreux : mais il avoit changé d'opi-
nion; car il prit le bay Samson, gi-and coursier fort,
qui avoit servi plus de trois ans d'estallon à Esclairon ',
d. Cerne, cercle; d'où le verbe cerner. — 2. Morel, moreau.
3. Esclairon, Eclaron près de Vassy (Haute-Marne).
302 DISCOURS
OÙ il tenoit son haras : et son escuyer italien, nommé
Hespany, estoit monté sur le morcl, qui pour avoir
esté pris pour feu M. de Guy se, mourut de plus de
vingt coups de pistollets.
Geste disgression pourroit estre fascheusé à au-
cuns, et à d'autres possible que non : mais je veux
mettre toutes les circonstances, afin qu'on ne me
trouve menteur. Ce fut lors qu'il dit aussy aux Pa-
risiens, qui e&toient un peu effrayez de se voir à
demy assiégez : « Je vous garderay, mes amys, du
« mal; mais de peur je ne puis : » tenant ce mot
du roy François, qui dit de mesmes aux Parisiens,
lorsque l'empereur Charles V vint et s'approcha d'eux
vers Chasteau-Thierry.
Mais pour retourner à la retraicte de M. de Guyse
dernier, qu'il l'apprist de M. son père, ou qu'il l'ait
faicte ou inventée de sa teste, c'est la plus belle qui
se fit et se fera jamais. Et croy que cela luy vint de
sa seule teste et de son seul esprit; car il en avoit
tout ce qu'il falloit, voire pour en revendre, et de
vaillance ; de quoy à une autre fois nous en parle-
rons. Je fais donc fin, après avoir dit qu'il me sem-
ble qu'à la battaille de Trebie *, il y eut dix mille
soldatz romains, qui, ayant perdu la battaille, pas-
sèrent au travers et au beau mitan de leurs ennemis,
et se sauvèrent et se retirèrent bravement, à leur
barbe, dans la ville de Plaisance. Possible que mon-
dict sieur de Guyse, qui lisoit et estudioit tous les
jours, ou se souvenoit de loing, ou avoit leu de frais
le, conte, qui luy ayda bien à propos pour le coup à
i. Voyez Tite-Live, liv, XXI,
D'AUCUNES RETRAICfES DE GUERRE. 303
sa vaillance, à sa conduit te et à son gentil esprit et
brave courage.
Froissart racontant de la battaille de Nicopoly *,
que donnèrent les Ongres et les François, dit que,
parmy les François, il y eut deux escuyers de Picar-
die très-vaillans, qui, puis après, se peurent bien dire
vrais chevalliers. Hz s'estoient trouvez en maintes
rencontres, et en estoient partis en leur honneur.
L'un s'appelloit Guillaume de Bu*, et l'autre Le Bor-
gne de Monquel. Ces deux donques, combattans par
force d'armes et vaillance, passèrent outre les bat-
tailles, et retournèrent à la battaille par deux fois
bravement et vaillamment, où ilz firent force aper-
tises d'armes (ainsy parle-il) ; mais, voulant mourir
en un si sainct conflit, se firent là tuer. Il est à pré-
sumer que, puisqu'ilz avoient ainsy passé et repassé
par ces deux fois outre les battailles en bien com-
battant, qu'ilz pouvoient faire une aussy honorable
retraicte que là mourir. Voilà comment ces Romains
ne firent pas si bien que ces deux François, encore
poui'tant qu'ilz soient fort à louer.
Or c'est assez de ceste matière et subject parlé.
i . Voyez Froissart, liv. IV, ch, lu.
2. Les pre'cédentes éditions portent par erreur : Guillaume Den.
Fli\ DU DISCOURS d'aUCUJNES RETRAICTES DE GUERRE.
RECUEIL
DES DAMES
VII — 20
DES DAMES.
PREMIERE PARTIE.
DISCOURS I.
SUR LA REYNE ANNE DE RRETAGNE^.
Puisqu'il me faut parler des dames, je ne veux
1. Dans le catalogue de ses écrits (voy. t. I, p. 2), c'est sous
le simple titre de Recueil des Dames que Brantôme a désigné les
deux ouvrages intitulés par les éditeurs anciens et modernes :
Vies des Dames illustres ; Dames galantes, et qui ont été publiés
poui' la première fois en 1665. Nous leur avons conservé le titre
que Brantôme leur avait donné. Il n'en existe plus, à notre con-
naissance du moins, aucun manuscrit original ; mais les copies en
sont fort nombreuses, et, comme nous l'avons fait précédemment,
nous avons adopté celle qui est conservée dans la collection Du-
puy et qui nous semble avoir servi de type aux autres. Elle pré-
sente mi certain nombre de changements que Dupuy a faits de son
chef et qui avaient pour but de rendre le texte plus clair ou plus
correct. Nous n'avons guère tenu compte que de ceux qui nous
ont paru motivés par une erreur de copiste.
2. Anne de Bretagne, fille de François II, duc de Bretagne, et
308 DES DAMES.
toutes pleines : et ne seroit qu'en chaffourer le pa-
pier en vain ; car il y en a assez d'escrit, et mesmes
ce grand Boccace en a fliict un beau livre à part'.
Je me contentera v donc d'en escrire d'aucunes par-
ticulières, et principalement des nostresde nostre
France, et de celles de nostre temps ou de nos pères
qui nous en ont peu raconter.
Je commenceray donc par nostre reyne Anne de
Bretagne, la plus digne et honorable reyne qui ait
esté depuis la reyne Blanche, mère du roy sainct
Louis , et si sage et si vertueuse , j usques à son
règne.
Geste reyne Anne donc fut riche héritière de la
duché de Bretagne, qu'on tient une des belles de la
chrestienté, et pour ce fut fort recherchée des plus
grandz. M. le duc d'Orléans, qui depuis fut le roy
Louis XII% en ses jeunes ans la rechercha fort, et
pour elle fît de beaux faictz d'armes en Bretagne, et
mesmes en la bataille de Sainct-Aubin, où il fut pris
combattant à pied à la teste de son infanterie. J'ay
ouy dire que ceste prise fut cause qu'd ne l'espousa
alors; sur laquelle entrevint^ Maximilian, duc d'Aus-
triche, depuis empereur, qui l'espousa par les mains
de Françoise de Foix, ne'e au château de Nantes le 26 janvier
1476. Elle avait douze ans quand son {)ère mourut en octobre
1488. Elle épousa 1° Charles VIII le 6 décembre 1491 , 2° Louis XII
le 8 janvier 1499, et mourut le 9 janvier 1514. — L'ouvrage le
plus complet que l'on ait sur cette princesse est sa Fie publiée par
M. Le Roux de Lincy, 1861, 4 vol. petit in-8°.
1 . C'est le traité De Claris nmlieribus dont la première édi-
tion est de 1473, in-fol., goth.
2. Entretint ^ intervint.
ANNE DE BRETAGNE. 309
de son oncle le prince d'Orange', dans la grand' église
de Nantes ; mais le roy Charles VHP aiant advisé avec
son conseil qu'il n'estoit pas bon d'avoir un si puis-
sant seigneur ancré et empiété dans son royaume,
rompit le mariage qui s'estoit faict entre lui et Mar-
guerite de Flandres, et osta ladicte Anne à Maximi-
lian son compromis, et l'espousa; de sorte qu'aucuns*
ont conjecturé là-dessus que leur mariage de l'un et
l'autre, ainsi noué et desnoué, fut malheureux en
lignée.
Or, si elle a esté désirée pour ses biens, elle l'a esté
autant pour ses vertus et mérites; car elle estoit belle
et agréable, ainsi que j'ay ouy dire aux anciens qui
l'ont veue, et selon son portraict, que j'ay veu au
vif; et resembloit en visage à la l^elle damoiselle de
Chasteauneuf ', qui a esté à la court tant renommée
en beauté; et cela suffise pour dire sa beauté, ainsi
que je l'ay veue figurer à la reyne mère.
Sa taille estoit belle et médiocre. Il est vray qu'elle
avoit un [iied plus courl que l'autre, le moins du
monde, car on s'en appercevoit peu, et malaisément
le cognoissoit-on; dont pour cela sa beauté n'en
estoit point gastée; car j'ay veu beaucoup de très-
belles femmes avoir ceste légière deffectuosité, qui
estoient extresmes en beauté, comme madame la
princesse de Condé*, de la maison de Longueville.
i . Jean de Ghalon, prince d'Orange. Le mariage eut lieu en 1490.
2. Aucuns, c'est-à-dire Commines. Voyez ses Mémoires, liv. VII,
ch. IV.
3. Rene'e de Rieux. Voyez t. II, p. 18] .
4. Françoise d'Orléans-Longueville, mariée en 1S65 à Louis I*"""
de Bourbon, prince de Condé, morte le 11 juin 1601.
310 DES DAMES.
Encor dit-on que rhabilation de telles femmes en
est fort dëlicieuse_, pour quelque certain mouvement
et agitation qui ne se rencontre pas aux autres. Voilà
la beauté du corps de cette reyne.
Pour celle de l'esprit, elle n'estoit pas moindre;
car elle estoit très-vertueuse, sage, lionneste, bien
disante, et de fort gentil et subtil esprit. Aussi avoit-
elle esté nourrie par madame de Laval ', très-habille
et accomplie dame, qui lui avoit esté donnée par le
duc François son père pour gouvernante. Au reste
elle estoit très-bonne, fort miséricordieuse et fort
charitable, ainsi que j'ay ouy dire aux miens. Vray
est qu'elle estoit fort prompte à la vengeance, et par-
donnoit malaisément quand on l'avoit offensée de ^
malice, ainsi qu'elle le monstra au mareschal de Gié,
pour l'affront qu'il luy fist lorsque le roi Louis, son
seigneur et mary, fust si fort malade à Blois, dont on
le tenoit pour mort'. Elle, voulant pourveoir à son
faict, en cas qu'elle vinst à estre vefve, fit charger
sur la rivière de Loire trois ou quatre bateaux de
ses plus précieux meubles, bagues, joyaux et argent,
pour les transporter en sa ville et chasteau de Nantes.
Ledict mareschal, rencontrant les bateaux entre Sau-
mur et INantes, les fit arrester et saisir, comme par
trop curieux de vouloir contrefaire le bon officier et
bon vallet de la couronne; mais la fortune voulut
que le roy, par les bonnes prières de son peuple,
duquel il estoit le vray père, en eschupa.
i. Françoise de Dinan, de la maison d'Albret, dame de Cha-
teaubriand et de Laval. *
2. De, par. — 3. En la03.
ANNE DE BRETAGNE. 3i1
La reyne, despitée de ce traict, ne chauma pas
sur sa vengeance, et l'aiant bien couvée, le faiot
chasser de la court. Ce fut lors que le dit mareschal,
aiant achevé de faire ceste belle maison du Verger',
et s'y retirant, dict qu'à bonne heure la pluye l'avoit
pris pour se mettre si à propos à couvert souIdz ceste
belle maison qui ne venoit que d'estre faicte. Ce ne
fut pas tout que ce bannissement de court; mais par
des grandes recherches qu'elle fit faire partout où il
avoit commandé, il fut trouvé qu'il avoit faict des
fautes et concussions et pilleries (ainsi qu'aucuns gou-
verneurs y sont sujets); si bien que lui, aiant récusé
aucunes courtz de parlement, il eut celui de Toulouze,
où son procès avoit esté renvoie et évoqué pour ces
raisons, et aussi que ceste cour de longtemps a esté
fort justiciable*, et point corrompue. Là, son procès
veu, fut convaincu ; mais la reyne ne voulut pas sa
mort, d'autant, disoit-elle, que la mort est le vray
remède de tous maux et douleurs et qu'estant mort,
il seroit trop heureux; mais elle voulut qu'il vescut
bas et ravalé ainsi qu'il avoit esté paravant grand,
afin que, par sa fortune changée de grande et haute
où il s'estoit veu, en un misérable estât bas, il vescust
en marrissons, douleurs et tristesses, qui lui feroient
plus de mal cent fois que la mort mesmes ; car la mort
ne lui dureroit qu'un jour, voire qu'une heure, et ses
langueurs qu'il auroit le feroient mourir tous les jours.
1 . En Anjou.
2. Justiciable, pratiquant la justice. Le mot a été biffé dans le
manuscrit par Dupuy et remplacé par ceux-ci -.juste et équitable,
qui depuis ont été adoptés dans les autres manuscrits et dans les
éditions.
312 DES DAMES.
Voilà la vengeance de ceste brave reyne. Elle fut
un jour fort marrie contre M. d'Orléans, de telle fa-
çon qu'elle ne s'en peut appaiser de longtemps,
d'autant que la mort de M. le Dauphin son filz estant
survenue ', le roy Charles son mary et elle en furent
si désolez, que les médecins, craignans la débilité et
foible habitude* du roy, eurent peur que telle dou-
leur pût porter préjudice à sa santé; dont ils con-
seillarent au roy de se resjouir, et aux princes de la
court d'inventer quelques nouveaux passe-temps,
jeux, dances et momeries, pour donner du plaisir au
roy et à la reyne : ce qu'aiant entrepris , M. d'Or-
léans lit au chasteau d'Amboise une masquarade
avec une dance, où il fit tant du fou, et y dança si
gayement, ainsi qu'il se dit et se list', que la reyne,
cuydant qu'il démenast telle allégresse pour se voir
plus près d'estre roy de France, voyant M. le Dau-
phin mort, luy en voulut un mal extrême, et lui en
fit une telle mine, qu'il fallut qu'il s'ostast d'Amboise
où estoit la court, et s'en allast à son chasteau de
Blois. On ne peut objecter rien à cette reyne, sinon
ce seul sy de vengeance, si la vengeance est un sy,
puisqu'elle est si belle et si douce ; mais d'ailleurs elle
avoit des parties très-louables".
Quand le roy son mary alla au royaume de Na-
ples, et tant qu'il y fut, elle sceut très-bien gouver-
ner le royaume de France avec ceux que lui avoit
i . Le dauphin Charles-Orland mourut dans sa quatrième an-
née, le 6 décembre i49o.
2. Habitude, complexion.
3. Dans Commines. Voyez ses Mémoires, liv. VIII, oh. xx.
ANNE DE BRETAGNE. 313
donné le roy pour l'assister; mais elle vouloit tous-
jours garder son rang, sa grandeur et primauté, et
estre crue^ toute jeune qu'elle estoit, et s'en faisoit
bien accroire; aussi n'y trouva l'on rien à dire.
Elle eust un très-grand regret à la mort du roy
Charles, tant pour l'amitié qu'elle lui portoit que
pour ne se veoir qu'à demy reyne, n'aiant point
d'enfans. Et ainsi que ses plus privées dames, com-
me je tiens de bon lieu, la plaignoient de la voir
vef've d'un si grand roy, et malaisément pouvoir re-
tourner en un si haut estât, car le roy Louis estoit
marié avec Jeanne de France, elle respondoit qu'elle
demeureroit plustost toute sa vie vefve d'un roy que
de se rabaisser à un moindre que luy; toutesfois
qu'elle ne désesperoittant de son bonheur, qu'elle ne
pensast encor estre un jour reyne de France ré-
gnante, comme elle avoit esté, si elle vouloit. Ses
anciennes amours lui faisoient dire ce mot, et qu'elle
vouloit ralumer en sa poitrine eschaufée encor un
peu; ce qui arriva : car le roy Louis, ayant répudié
Jeanne sa femme , se souvenant de ses premières
amours qu'il avoit porté à ladicte reyne Anne , et
n'en aiant encor perdu la flamme, la prit en mariage,
comme nous avons veu et leu. Voylà sa prophétie
accomplie, qu'elle fondoit sur le naturel du roy
Louis, qui ne se put jamais engarder de l'aimer toute
mariée qu'ell' estoit ; et la regardoit de bon œil
tousjours, estant M. d'Orléans; car malaisément se
peut-on défaire d'un grand feu quand il a une fois
saisy l'ame.
Il estoit très-beau prince, et fort aimable, et pour
ce elle ne l'hayssoit pas. L'aiant prise estant i*oy, il
314 DES DAMES.
riionnora beaucoup, lui laissant jouir de son bien et
de sa duché, sans qu'il y touschast et en prit un
seul sou : aussi elle l'employoit bien, car elle estoit
très-libéralle. Et d'autant que le roy ne faisoit des
dons immenses, pour lesquelz entretenir il eust fallu
qu'il foullast son peuple, ce qu'il fuyoit comme la
peste, elle suppléoit à son défaut : car il n'y avoit
grand capitaine de son royaume à qui elle ne don-
nast des pensions, et fist des présens extraordinaires,
ou d'argent ou de grosses chaisnes d'or, quand ilz
alloient en quelque voyage, ou en retournoient; et
de mesmes en faisoit des petits, selon leur qualitez;
aussi tous couroient à elle, et peu en sortoient d'avec
elle mal contens. Surtout elle a eu ceste réputation
d'avoir aimé ses serviteurs domestiques, et à eux faicts
de bons biens.
Ce fut la première qui commença à dresser la
grande court des dames, que nous avons veue depuis
elle jusques à cest' heure; car elle en avoit une très-
grande suitte, et de dames et de filles, et n'en refusa
jamais aucune; tant s'en faut, qu'elle s'enquerroit
des gentilzhommes leurs pères qui estoient à la court,
s'ilz avoient des filles, et quelles elles estoient, et les
leur demandoit. J'ay eu une tante de Bourdeille*,
qui eut cet honneur d'estre nourrie d'elle; mais
elle mourut en sa coiu^t en l'aage de quinze ans, et
fut enterrée derrière le grand autel des Cordelliers à
Paris; et en ay veu le tumbeau et la subscription
avant que l'église fust bruslée.
Sa court estoit une fort belle escole pour les dames,
1. Louise de Bourdeille; voyez plus haut, p. 190-193.
ANNE DE BRETAGNE. 315
car elle les faisoit bien nourrir et sagement; et tou-
tes, à son modelle, se foisoient et se façonnoient
très-sages et vertueuses : et d'autant qu'elle avoit le
cœur grand et haut^, elle voulut avoir ses gardes, et
si institua la seconde bande des cent gentilshommes;
car auparavant n'y en avoit qu'une : et la plus grand'
part de sa dicte garde estoient Bretons, qui jamais
ne failloient, quand elle sortoit de sa chambre, fust
pour aller à la messe ou s'aller promener, de l'at-
tendre sur cette petite terrasse de Blois qu'on appelle
encor la Perche aux Bretons', elle-mesmes l'ayant
ainsi nommée. Quand elle les y voyoit : « Yoilà mes
« Bretons, qui sont_, disoit-elle, sur la Perche qui
« m'attendent. » Asseurez-vous qu'elle ne mettoit
point son bien en réserve, mais qu'il estoit bien em-
ployé en toutes choses hautes.
Ce fut elle qui fit bastir par une grand'superbeté
ce beau vaisseau et grande masse de bois, qu'on ap-
pelloit la Cordelliere^ qui s'attaqua si furieusement
en plaine mer contre la Régente d\4ngleterre, et
s'accrocha tellement avecq' elle, qu'ilz se bruslèrent
et se périrent, si bien que rien n'en eschapa, fust des
personnes, fust de ce qui estoit dedans; dont on
[n']en peust tirer des nouvelles en terre, et dont la
revne en fut très-marrie*.
\. La Perche aux Bretons est représente'e (voyez pi. III) dans
\' Histoire du château de Blois, par M. de la Saussaye, 1840, gr.
in-4°.
2. Le combat et l'incendie de Marie-la-Cordelière et du Régent
eurent lieu le 10 août 1512 à la hauteur de l'île d'Ouessant, et
ont été célébrés par Germain Brice dans un poème latin (1S13,
in-4'') dont une traduction en vers français due à P. Choque,
316 DES DAMES.
Le roy l'honoroil de telle sorte, que lui estant
raporté un jour que les clercs de la basoche du Pa-
lais, et les escolliers aussi, avoient joué des jeux où
ils parloient du roy, de sa court et de tous les grandz,
il n'en fist autre semblant, sinon de dire qu'il falloit
qu'ilz passassent leur temps, et qu'il leur permettoit
qu'ils parlassent de luy et de sa court, non pour-
tant desreglement, mais surtout qu'ils ne parlassent
de la reyne sa femme en façon quelconque; autre-
ment qu'il les feroit tous pendre. Voilà l'honneur
qu'il lui portoit.
De surplus, il ne venoit jamais en sa court prince
estranger, ou amjjassadeur, qu'après l'avoir veu et
ouy qu'il ne l'envoyast faire la révérence à la reyne,
voulant qu'on lui portast le mesme respect qu'à luy,
et aussi qu'il cognoissoit en elle une grande suffi-
sance pour entretenir et contenter telz grandz per-
sonnages, comme très-bien elle sçavoit faire; et y
prenoit très-grand plaisir, car elle avoit très-bonne et
belle grâce et magesté pour les recueillir, et belle
éloquence pour les entretenir; et si, quelquesfois,
parmy son parler françois, estoit curieuse, pour
rendre plus grande admiration de soy, d'y entre-
mesler quelque mot estranger qu'elle apprenoit de
M. de Grignolz', son chevalier d'honneur, qui estoit
un fort gallant homme, et qui avoit bien veu son
monde, et pratiqué et sceu fort bien les langues es-
Irangères, et avec cela de fort bonne et plaisante
roi d'armes d'Anne de Bretagne, a été publiée par M. Jal, 184.^,
in-8°.
1 . Grignols ou Orignaux. Voyez plus haut, p. \91-i î)9 et tome II,
p. 224, note.
ANNE DE BRETAGNE. 317
compagnie, et qui rencontroit bien. Sur quoy un
jour la reyne hiy aiant demandé quelques mots en es-
pagnol pour les dire à l'embassadeur d'Espagne, et
luy aiant dit quelque petite sallaudrie en riant, elle
l'apprit aussitost : et le lendemain, attendant l'am-
bassadeur, M. de Orignaux en fit le conte au roy,
qui le trouva bon, cognoissant son humeur gaye et
plaisante; mais, pourtant il alla trouver la reyne, et
luy descouvrit le tout, avec l'advertissement de se
garder de ne prononcer ces motz. Elle en fut en si
grande colère, quelque risée qu'en fit le roy, qu'elle
cuida chasser M. de Orignaux, et luy en fit la mine,
sans le voir pour quelques jours; mais M. de Ori-
gnaux lui en fit ses humbles excuses, disant ce qu'il
en avoit faict n'estoit que pour faire rire le roy et lui
faire passer le temps, et qu'il ne fust pas esté si mal
advisé de ne l'en advertir, ou le roy, comme il avoit
faict, lorsque l'amliassadcur eust voulu venir : et
ainsi, par les prières du roy, elle s'appaisa.
Or si le roy l'a aimée et honorée vivante, com-
me vous voyez, il faut croire qu'estant morte il luy
en a faict de mesmes. Et pour manifester le deuil qu'il
en fit, en faict foy les superbes et honorables funé-
railles et obsèques qu'il fit d'elle, lesquelles j'ay leu
dans une vieille histoire de France que j'ay veu traisner
en un cabinet de nostre maison, dont l'on n'en fai-
soit cas ; et l'aiant amassée je les y ay remarquées '. Et
1 . Je n'ai pu retrouver {'Histoire de France d'où Brantôme a
tiré cette relation. Il est facile de voir que, dans les passages qu'il
en cite, il a intercalé plusieurs phrases de son cru, comme la der-
nière du second alinéa et la première du troisième. Cf. p. 3i0,
note 1.
318 DES DAMES,
d'autant que c'est une chose qu'on doit noter, je l'ay
voulu mettre icy de mot à mot comme dit le livre,
sans en rien changer; car, encor qu'il soit vieux, le
parler n'en est trop mauvais; et de la vérité de ce
livre j'en suis esté confirmé par ma grand'mère, ma-
dame la séneschale de Poitou, de la maison du Lude,
qui estoit lors à la court. Ce livre donc conte ainsi :
« Geste reine estoit une honorable et vertueuse reine
et fort sage, la vraye mère des pauvres, le support des
gentilshommes, le recueil * des dames et damoiselles et
honnestes filles, et le refuge des sçavans hommes : aussi
tout le peuple de France ne se peut saouler de la plorer
et regretter.
« Elle mourut au chasteau de Blois le vingt et uniesme
de janvier, Tau mil cinq cens et treize *, sur Taccomplis-
sement d'une chose qu'elle avoit la plus désirée, qu'estoit
l'union du roy, son seigneur, et du pape et de Féglise ro-
maine, en aborrant fort le scisme et la diversion^. Aussi
elle ne cessa jamais après le roy, qu'il ne s'y remist; dont
elle estoit fort aymée et révérée grandement des princes
et prélatz catholiques, autant que le roy en estoit hay.
« J'ay veu à Sainct-Denys d'autresfois une grand'chape
d'église, toute couverte de perles en broderie, qu'elle avoit
faict faire exprès pour en faire un présent au pape; mais
la mort la prévinst. Après son trespas, son corps demeura,
par l'espace de trois jours, dans sa chambre, le visage tout
descouvert , qui ne se monstroit nullement changé par
l'hydeuse mort, mais aussi beau et agréable que durant
son vivant. Et à l'entour de ce corps y avoit douze gros
cierges de cire blanche, tous allumez tousjours jusques à
1. Recueil, asile. — 2. Lisez ; le 9 janvier 1514.
3. Diversion^ séparation. — Dupuy a biffé ce mot et mis à la
place division.
ANNE DE BRETAGNE. 319
ce qu'il fust embaumé et mis en un très-riche cercueil; et
puis fut mise en la graucVsalle pour aucuns jours, accom-
pagnée tousjours de cierges et flambeaux, et de toutes
sortes de prestres.
« Le vendredy vingt-septiesme du mois de janvier*, fust
son corps tiré hors du chasteau, fort honnorablement ac-
compagné de tous les prestres et religieux de la ville, porte
par gens vestus de deuil et chapperons en testes , avec
vingt-quatre autres plus grosses torches que les autres,
portées par vingt-quatre olficiers de Testât de ladicte dame ;
et, en chacunes d'icelles toutes, avoit deux riches escus-
sons armoyez des armes et honneste blason d'icelle noble
dame. En amprès lesdictes torches, estoient les révérends
seigneurs et prélatz, évéques, abbez, et M. le cardinal de
Luxembourg ^, pour faire ledict office, lequel leva le corps
de ladicte dame, du chasteau de Blois. Puis marchoient les
huissiers en ordre, tous vestus de robes noires, et chape-
rons de dueil.
« En après marchoient le capitaine , messire Gabriel de
la Chastre, et ses archiers, les seigneurs de Concressault,
Chastaing et La Tour', accompagnez de leurs archiers.
« Après estoient les roys et hérauts d'armes revestus de
leurs cottes et blasons d'armoirie. A la main droicte mar-
choient le premier maistre d'hostel et les autres ; à la main
senextre estoient les maistres des requestes; et consé-
quemment * marchoient le grand escuyer de ladicte dame ;
(car elle avoit sa grand' escuy rie et son grand escuyer,
comme le roy, ainsi que l'on list qu'il accompagna le roy
1. Le 3 février.
2. Philippe de Luxembourg qui fut évêque du Mans de 1477
à 1C07 et de 1509 à 1519.
3. Alexandre de Menipeny, seigneur de Concressaut, chevalier
d'honneur de la reine Marie d'Angleterre. — Guillaume de Bon-
neval, seigneur de Chastain. — Antoine de la ïour, vicomte de
Tm-enne, chambellan de Charles VIII et de Louis XII.
4. Conséquemment, à la suite.
320 DES DAMES.
Charles au royaume de Naples; mais il ' n'espécifie point le
nom). Son corps estoit porté de ses gentilshommes et offi-
ciers. Les coings ou carrez du drap qui csloient sur le corps
esloient portez par le seigneur de Sainct-Pol, le seigneur
de Lautreq, le sieur de LavaP, et Louys M. de Nevers.
Ceux qui portoient le poisle dudict corps, estoient le sei-
gneur de Pontièvre, le seigneur de Chasteaubriand, Pierre
M. de Candalle, et le seigneur de Montafdanl ^ . Et après es-
toit le seigneur de Orignaux, chevalier d'honneur de la-
dicte reyne. Et à mener le grand deuil estoient : Le sei-
gneur d'Angoulesme, le seigneur d'Allançon, le seigneur
de Vandosme, la dame de Bourbon, la dame d'Angou-
lesme et la dame d'Allançon ^ ; et après icelle, la dame de
Mailly^, dame d'honneur de ladicte reyne. Et après al-
loient toutes les dames et damoiselles et filles d'honneur,
honnestement vestues de robes noires et de dueil.
« En après marchoit le duc d'Albanie ® avec les ambas-
sadeurs, les seigneurs barons de Bretaigne, et autres plu-
sieurs notables seigneurs , chambellans et officiers, ainsy
qu'ils dévoient aller, et chacun mis en son ordre. Enfin,
fut ledict corps ainsi porté en l'église de Sainct-Sauveur;
1. //, l'auteur de la relation; cette parenthèse est évidemment
une intercalation de Brantôme.
2. François de Bourbon, comte de Saint-Pol. — Odet de Foix,
seigneur de Lautrec. — Gui XVI, comte de Laval, mort en 1 531 .
3. René de Brosse, dit de Bretagne, comte (nominal) de Pen-
thièvre. — Jean de Laval, seigneur de Châteaubriant. — Pierre de
Foix, fils de Gaston il de Foix, comte de Caudale. — Pierre de
Laval, seigneur de Montafilant.
4. François de Valois, comte d'AngouIême, depuis François l".
— François, duc d'Alençon. — Charles de Bourbon, comte de
Vendôme. — Amie de France, duchesse de Bourbon. — Louise
de Savoie, duchesse d'AngouIême. — Marguerite, duchesse d'A-
lençon.
5. Jacqueline d'Astarac , femme d'Antoine de Mailly, mort
après lo49.
G. Jean Stuart, duc d'Alban\ .
ANNE DE BRETAGNE. 321
et là ne prist aucun sa place, fors qu'il estoit ordonné par
ceux qui en avoient la charge, et les niaistres des cérémo-
nies; et furent diltes vigilles. Et le lendemain, qui estoit
sabmedy, fut fait un service fort soleninel par plusieurs
prélats; et ne furent à l'offrande, fors M. d'Angoulesnie et
M. d'Allançon, auxquels furent portez, leurs olfrandcs par
les roys d'armes IMontjove et Bretagne.
• Et après le service accompli, cliascun s'en alla dis-
ner ; et après disner partist le corps hors la ville avec tout
le luminaire et estât dessusdict, et tousjours ainsi honno-
rablement accompagné en ce beau et dévot ordre jusques
au lieu de la sépulture; et tousjours vigilles; et le lende-
main messes en tous les lieux et villes et places où ledict
corps et la compagnie arrivoient le soir au giste, et tant
que le dimanche septuagésime, douziesme de febvrier,
parvindrent jusques en l'église de Nostre-Dame-des-
Champs aux fauxbourgs de Paris, là où le corps fust gardé
par deux nuicts avec moult grand' quantité de luminaires ;
et le service dévot faict. Le mardy ensuivant, quatorziesme
de febvrier, furent au devant du corps les processions avec
les croix de toutes les églises et religions de Paris, et toute
l'université ; ensemble aussi les présidens et conseillers
de la souveraine court de parlement, et généralement
toutes les autres courts et jurisdictions, officiers et advo-
cats, procureurs, bourgeois, marchands et habitans, et
autres menus olficiers de la ville , lesquels eux tous
accompagnèrent icelluv corps moult révéremment, avec
les très-nobles seigneurs et dames de Testât dessus-dict,
ainsi qu'ils partirent de Bloys; et chascuu tousjours en
bel ordre entre eux, tous selon leurs degrez. Et devant
le corps entrèrent à Paris par la porte de Sainct-Jacques,
les pages d'honneur, nuds testes, tous vestus de vellours
noir et chapperons de deuil, montez sur les courciers et
chevaux bardez de vellours jusques en terre, à grandes
croix de satin blanc dessus; et puis un cheval d'honneur
et hacquenée, accoustrez de mesmes, estoient ainsi menez ,
VII — 21
322 DES DAMES.
et conduicts par les laisses, qui est à dire menés en main,
et le chariot qui avoit emmené le corps de ladicte dame
jusques ausdicts faulxbourgs de Paris, avecques six chevaux
euhavnachcz, et couverts de mesnies vellours, à grandes
croix de satin blanc. Le charriot estoit aussi couvert de
vellours, à une grande croix de niesmcs, et les quatre
coings honnestements portez par quatre seigneurs ; et si
estoient les charretiers et pallefreniers vestus de vellours,
et chapperons de deuil.
« L'efligie et représentation de la reyne estoit posée
dessus son corps, et tout porté par plusieurs gentilshom-
mes dessus une httière de Ijois toute couverte d'un riche
drap d'or, traict et eslevé, fourré et enrichy d'hermines.
Ladicte effigie estoit moult richement accoustrée, vestue
dessoubz d'une cotte de drap d'or, et dessus un grand
sercot * de vellours cramoisy de pourpre , fourré d'hermi-
nes; une couronne mise en son chef dessus ung coissin'
de drap d'or; ung sceptre estoit en sa main droicte, et en
sa senextre tenoit une main de justice ; et au dessus estoit
porté ung riche poisle bleuf * en manière de ciel, semé à
l'entour d'escus de France et de Bretagne; et estoit porté
par les quatre présidens de la court de parlement, et des
dessusdicts seigneurs et dames, portans le deuil après le
corps. Et ainsy fut conduit jusques à la grand' église de
Nostre-Dame de Paris, où fut faict un moult solempnel
service. Le lendemain, qui estoit mardy quinziesme de
febvrier, fut ainsy continuellement porté hors Paris, en
l'ordre et manière que dessus, pour estre sépulture en la
dévote église de Sainct-Denys en France; et ainsy furent
les processions de Paris, pour conduire le corps jusques à
une croix qui est un peu par de là le lieu où l'on faict la
foyre du landy * ; et en ce lieu où est la croix, le révérend
1. Sercot, surcot. — 2. Coissln, coussin.
;j. Bleuf, bleu.
4. Sur le territoire de la Chapelle-Saint-Denis.
ANNE DE BRETAGNE. 323
père en Dieu abbé* et vénérables religieux, avec les pres-
tres des églises et panoisscs de Sainct-Denis, vestus de
leurs grandes chappes, avec leurs croix, ensemble les ma-
nans et habitans de ladicte ville, vindrent en procession
pour recevoir le corps de ladicte reyne, lequel fut porté
en Téglise de Saiuct-Deuys, et tousjours accompaigné ho-
norablement des dessus nommez très-nobles princes et
princesses, seigneurs, dames et damoiselles, et le train,
ainsy que dessus.
« Le divin service fut faict pour Tàme de ladicte dame
par le cardinal du Mans*; et firent l'office de diacre et
soubsdiacre les archevesques de Lyon et de Sens *, accom-
pagnez des abbez de Saincte-Geneviefve et Sainct-Ma-
gloyre*. Et en ce dévot service assistarent tousjours les
dessusdicls nommez princes et princesses, seigneurs, da-
mes et damoiselles, uug chacun selon Tordonnance des
maistres et conducteurs des cérémonies. Et, amprès le
service, fut faict et prcsché un beau sermon par le véné-
rable confesseur du roy, maistre Parvy ^, docteur fameux
es sacrez volumes *. Et le tout deuement accomply, le
corps de ladicte dame, madame Anne, en son vivant très-
noble reyne de France, duchesse de Bretagne et contesse
1. Pierre GoufiSer de Boisy, abbe' de Saint-Denis de 1503
à 1317.
2. Philippe de Luxembourg. Voyez plus haut p. 319, note 2.
3. François I*' de Rohan , archevêque de Lyon de 1501
à 1536. — Tristan de Salazar, archevêque de Sens de 1475
à 1319.
4. Charles de Villiers-L'Isle-Adam, abbé de Sainte-Geneviève.
— Gui de Montmu^el ou Montmirail, abbé de Saint-Magloire.
5. Guillaume Petit ou Parvi, dominicain, confesseur de Louis XII
et de François P', évêque de Troyes (1517), de SenHs (1527),
mort le 8 décembre 1536. On a de lui ; Viat de Salut, 1527,
in-8°, goth., souvent réimprimé; La Formation de V homme et
son excellence, 1538, in-8°.
6. Sacrez volumes, saintes Ecritures,
324 DES DAMES.
d'Estampes, fut honorablement inhumé et ensépulturé de-
dans le sépulchre à elle préparé.
« Après, le liérault d'armes, dict Bretaigne, appella tous
les princes, officiers d'icelle dame, c'est assavoir, le che-
vallier d'honneur, le grand maistre d'hostel et autres, pour,
eux tous et nn chacun d'eux, accomplir leurs offices en-
vers ledict corps, ce qu'ilz firent moult piteusement, et
jettans larmes de leurs yeux. Et, ce faict, le prénommé
roy d'armes cria par trois fois à haulte voix moult piteuse-
ment : La tres-chrestienne reyne de France^ duchesse de
Bretagne^ nostre dame souveraine ^ est morte; et puis un
chacun s'en alla. Le corps demeura en sépulture.
Durant sa vie et après sa mort^ elle fut honnorée
de tels titres comme j'ay dict : la vraye mère des
pauvres, le confort des nobles gentilshommes, le
recueil des dames et damoiselles et lionnestes fdles,
et le refuge des sçavans hommes et de bonne vie; si
bien que, parlant d'elle morte, on disoit que c'estoit
autant renouveller de deuilz et regrets pour toutes
ces personnes, et aussi pour ses serviteurs domesti-
ques, qu'elle aymoit uniquement. Elle fut fort reli-
gieuse et dévote. Ce fut elle qui la première fit la fon-
dation des Bons-Hommes^ dits autrement Minimes;
et en accommença l'église desdicts Bons-Hommes près
de Paris ', et puis après celle de Rome, qui est si belle
et noble, et où j'ay veu qu'il n'y avoit de receus au-
cuns religieux que François.
Voylà, de mot en mot, les superbes obsèques de
ceste reyne, sans rien en changer de l'original, de
peur de faillir, ne pouvant dire mieux. Elles sont
1. Le cuuvcat des .Minimes de Nigeon ou Chaillot,
ANNE DE BRETAGNE. 325
toutes pareilles à celles de nos roys que j'ay leu et
veu, et à celles du roy Charles IX" où j'estois*, que la
reyne sa mère voulut faire belles et magnifiques^ en-
cores que les finances de France fussent lors courtes
pour y despendre tant, à cause de la partance du
roy de Poulongue, qui en avoit avec sa suitte beau-
coup gasté et emporté.
Certes, je trouve ces deux enterremens quasy tous
semblables, fors en trois choses : L'une, que celuy
de la reyne Anne fust plus superbe; l'autre, que le
tout alla si bien d'ordre et si sagement qu'il n'y eust
aucune division ny contestation de rangs, ainsy
qu'il arriva à celuy du roy Charles; car, son corps
estant prest à partir de Nostre-Dame, la court de
parlement eust quelque picque de presséance avec la
noblesse et l'Église, d'autant qu'elle alléguoit tenir
place de roy qu'elle représentoit du tout en tout
en l'absence du roy, qui estoit hors du royaume.
Sur quoy il y eust une grande princesse de par le
monde *, que je sçay bien , et qui lui touchoit de
fort près, et ne la veux nommer, qui alla arguer et
dire « qu'il ne se falloit esmerveiller si, durant le
« vivant du roy, les séditions et troubles avoient eu
« si grand' vogue, que tout mort qu'il estoit il es-
« mouvoit, brouilloit et troubloit encores. » Hélas!
il n'en pouvoit mais, le pauvre prince ny mort ny
vivant. On sçait assez qui ont esté les autheurs des
1 . Le transfert du corps de Charles IX à Saint-Denis eut lieu
le IS juillet 1374. Voyez le Trespas et obsèques du très chrestien
roy de France , Charles IX , dans le tome VIII (première série)
des Archives curieuses de l' Histoire de France.
2. Il s'agit bien évidemment de Marguerite de Valois.
326 DES DAMES.
séditions et de nos guerres civilles. Cette princesse,
qui prononça ces mots, despuis l'a trouvé bien à
dire, et l'a bien regretté. L'autre chose et dernière,
est que le corps du roy fust quitté, estant à l'é-
glise de Sainct-Ladre, de tout le grand convoy, tant
des princes, seigneurs, court de parlement, et ceux
de l'église et de la ville, et ne fust suivy ny accompa-
gné que du pauvre M. d'Estrozze, de Fumel ^ et
moy, et deux autres gentilshommes de la chambre,
qui ne voulusmes jamais habandonner nostre mais-
tre tant qu'il seroit sur terre. Il y avoit aussi quel-
ques archiers de la garde, chose qui faisoit grand'
pitié à voir, dans les champs. Sur le tard, et huict
heures du soir en juillet, en fallut porter le corps et
ceste effigie si mal accompagnée.
Estant à la croix ^, nous y trouvasmes tous les re-
ligieux de Sainct-Denys qui l'attendoient; et, avec
cérémonies de l'église à ce requises, fut honnorable-
ment mené à Sainct-Denys, où ce grand M. le car-
dinal de Lorraine le receut fort dévotieusement et
honnorablement, ainsy qu'il sçavoit bien faire.
La reyne ^ fut fort en colère de quoy tout ce grand
convoy n'avoit passé outre, ainsy qu'elle entendoit,
fors Monsieur, son fîlz, et le roy de Navarre, qu'elle
tenoit comme prisonniers. Le lendemain pourtant,
ils ne faillirent pas, avec très-bonne garde, en coche,
et capitaine des gardes avec eux, de se trouver au
grand service solemnel, avec le grand convoy et
1 . Probablement Charles de Belleville, baron de Fumel, tué à
la bataille de Coutras (1587).
2. Vf)yez plus naut, p. 322, note 4. — 3. La reine mère.
ANNE DE BRETAGNE. 327
compagnie d'auparavant; chose qui fut fort pitoyable
à voir.
Après disner, la court de parlement envoia dire
et commander à M. le grand aumosnier, M. Amyot,
de leur aller dire grâces après disner, comme au roy;
lequel leur fit responce qu'il n'en feroit rien, et que
ce n'estoit point devant eux qu'il les debvoit dire.
Ils luy en firent faire deux commandements consé-
cutifs et menasses; ce qu'il refusa encores, et s'alla
cacher pour ne leur respondre plus : mais ils jura-
rent qu'ils ne partiroient de là qu'ils ne vinst; mais,
ne s' estant peu trouver, ils furent contraincts de les
dire eux-mesmes , et se lever avec des menaces
grandes qu'ils firent, et injures qu'ils dëbagoiilarent
contre ledict aulmosnier, jusques à l'appeller maraut
et filz de bouchier. J'en vis tout le progrez; et sçay
bien tout ce que Monsieur me commanda d'aller
parler à M. le cardinal pour appaiser le tout, d'au-
tant qu'ils avoient faict commandement à Monsieur,
comme eux représentans le roy, de leur envoyer le
grand aumosnier qui ne se pouvoit trouver, et M. le
cardinal leur en alla parler; mais il n'y gaigna rien,
se tenans tousjours sur leur opinion et royale ma-
jesté et authorité. Je sçay ce que m'en dict M. le
cardinal et me dict ce que je ne diray point : que
c'estoient des vrais sots \ « M. le premier président
de Thou* présidoit alors, (grand sénateur certes), mais
il avoit de l'humeur. Voylà une autre esmeute qui
fit dire encor à cette princesse et autres, de ce prince
1. Ces huit derniers mots sont biffés sur le manuscrit.
2. Christophe de Thou, le père de l'historien.
328 DES DAMES.
vivant et mort, sur terre et en terre, que ce corps
esmouvoit encor le monde, et le mettoit en sédition.
Hélas! il n'en pouvoit mais.
J'ay faict ce petit incident possible plus long qu'il
ne falloit_, et me pourra l'on reprendre : mais je res-
pondray que je l'ay faict et mis ainsi qu'il m'est
venu en fantaisie et en souvenance; qu'il est ainsy
assez bien à propos, et que je le pourrois oublier,
me semblant estre une chose assez remarquable.
Et pour retourner encor à noslre reyne Anne, il
parest bien, par ce beau debvoir dernier de funé-
railles, qu'elle estoit bien aimée et du monde et du
ciel, et bien autrement que ne fust cette pompeuse
et orgueilleuse reyne Ysabeau de Bavières, femme du
feu roy Charles Vl% laquelle estant morte à Paris, son
corps fust tant mesprisé qu'il fut mis de son hostel
dans un petit batteau sur la rivière de Saine, sans
autre forme de cérimonie et pompe; et fust passé
par une si petite poterne, et si estroicte, qu'à grand
peine y pouvoit-il passer; et fut ainsi porté à Sainct-
Denys en son sépulchre, ny plus ny moins qu'une
simple damoyselle. Il y avoit bien aussi de la diffé-
rence de ses actions à celles de la reyne Anne; car
elle mist les Anglois en France et dans Paris, mist le
rovaume en combustion et division, et l'apauvrist et
ruina du tout: et la reyne Anne le tint en paix, et
l'a£;randist et l'enrichist de sa belle duché et biens
qu'elle y apporta. Dont il ne se faut esbayr si le roy
la regretta, et en démena un tel dueil qu'il en cuyda
mourir au bois de Vincennes, et s'habilla fort long-
temps de noir et toute sa court; et ceux qui venoient
autrement les en faisoit chasser; et n'eust point ouy
ANNE DE BRETAGNE. 329
ambassadeur, quel qu'il fiist, qu'il ne fust liahillé de
noir. Et dict bien plus ceste vieille histoire que j'ay
alléguée, que, « lorsqu'il donna sa fille aisnée à
a M. d'Angoulesme, despuis le roy François, le deuil
« ne fut nullement quicté ne laissé en sa court; et le
« jour qu'ils furent espousez dans la chappelle de
« Sainct-Germain-en-I.aye , le marié et la mariée
« n'estoient vestus et habillez, ce dit l'histoire, que
« de drap noir, honnestement et en forme de deuil,
« pour le trespas de la susdicte reyne madame Anne
« de Bretagne, mère de la mariée, en présence du
« roy son père, accompaigné de tous les princes du
« sang et nobles seigneurs et prélats, princesses,
« dames et damoiselles, tous vestus de drap noir en
« forme de deuil. » Voylà comment le livre en parle;
qui est une austérité estrange de dueil qu'il faut no-
ter, que le jour propre des nopces n'en peut estre
dispensé pour après avoir esté repris le lendemain.
Par là cognoist-on si ceste princesse estoit aymée et
digne d'estre aymée du roy son mary, qui quelques-
fois, en ses goguettes et gayetez, l'appelloit le plus
souvent sa Bretonne.
Si elle eust vescu plus longtemps, elle n'eust jamais
consenty à ce mariage dessusdict; et souvent y avoit
bien répugné et desdit le roy son mary, d'autant
qu'elle hayssoit mortellement madame d'Angou-
lesme, despuis madame la régente, n'estant leurs
humeurs guières semblables, et peu accordantes
ensemble; aussi qu'elle vouloit colloquer sa dicte
fille avec Charles d'Austriehe, lors jeune, et le plus
grand seigneur de la chrestienté, qui despuis fut
empereur, encor qu'elle vist bien M. d'Angoulesme
330 DES DAMES.
s'approcher fort de la couronne; mais elle ne son-
geoit pas en cela , ny ne y vouloit songer, se fiant
d'avoir encor des enfants; car lorsqu'elle mourut
elle n'avoit que trente-sept ans.
De son temps et règne, régnoit ceste grande et
sage reyne Isabeau de Castille, bien accordante en
mœurs avec nostre reyne Anne. Aussi elles s'entr'av-
moient fort, et se visitoient souvent par ambassades,
lettres et présents; et c'est ainsi que la vertu recher-
che tousjours la vertu.
Le roy Louis fut après content de se marier pour
la troisiesme fois avec la reyne Marie, sœur du roy
d'Angleterre, très-belle princesse, jeune, et trop
pour luy, dont mal lui en prist. Et se maria plus par
nécessité et pour faire paix avecques l'Anglois, et
mettre son royaume en repos, que pour autre chose,
ne pouvant oublier jamais sa reyne Anne : aussi
commanda-il à sa mort qu'ils fussent couverts tous
deux soubs un mesme tombeau, ainsi qu'on le voit à
Sainct-Denys, tout de marbre blanc, aussi beau et
superbe qu'il en soit point là.
Or, je m'arreste en ce discours, et ne passe plus,
outre, m'en remettant aux livres qui ont escrit mieux
de ceste reyne que je ne sçaurois faire : toutesfois,
pour me contenter, j'ay faict ce discours.
Je diray encor ce petit discours, que c'est d'elle
que noz reynes et princesses ont tiré l'usage de met-
tre à l'entour de leurs armoyries et escussons la cor-
dellière, les portant auparavant nullement entournez,
mais toutes vagues; et ladicte reyne fust la première
qui mist cette cordellière.
Or, je n'en dis plus, n'aiant esté de son temps;
ANNE DE BRETAGNE. 331
toutesfois, je proteste bien n'avoir parlé qu'en la
vérité, pour l'avoir apprise et d'aucuns livres, comme
j'ay dict, et de madame la séneschalle ma grand'
mère, et de madame de Dampierre ma tante, un
vray registre de la court, et aussi habille, sage et
vertueuse dame qui entra à la court il y a cent ans,
et qui sçavoit aussi bien discourir de toutes choses.
Aussi dès l'aage de huict ans y avoit-elle esté nour-
rie, et n'avoit rien oublié; et la faisoit bon ouyr par-
ler, ainsi que j'ay veu nos roys et reynes y prendre
ung singidier plaisir de l'ouyr, car elle sçavoit tout,
et de son temps et du passé : si bien qu'on prenoit
langue d'elle comme d'un oracle. Aussi le roy
Henri IIP dernier la fist dame d'honneur de la reyne
sa femme. Des mémoires et leçons que j'av appris
d'elle je me suis servi, et espère m'en servir beau-
coup en ce livre.
J'ay veu l'épitaphe de ladicte reyne ainsy faict :
Cy gist Anne, qui fust femme de deux grands roys;
En tout grande cent fois, comme reyne deux fois.
Jamais reyne comme elle n'enrichist tant la France.
Voylà que c'est d'avoir une grande alliance.
332 DES D/VMES.
DISCOURS II.
SUR LA REYNE, MERE DE NOS ROYS DERNIERS,
CATHERINE DE MEDÏCIS'.
Je me suis cent fois estonné et esmerveillé de tant
de bons escrivains que nous avons veus de nostre
temps en la France^ qu'ilz n'ayent esté curieux de
faire quelque beau recueil de la vie et gestes de la
reyne mère, Catberine de Médicis, puisqu'elle en a
produict d'amples matières, et taillé bien de la be-
sogne, si jamais reyne tailla ; ainsi que diet l'empe-
reur Charles à Paulo Jovio une fois, à son retour
de son triumpliant voyage de la Goullette, voulant
faire la guerre au roy François : qu'il fîst seulement
provision d'ancre et papier, qu'il lui alloit bien tailler
de la besoigne^ Aussi de vray ceste reyne en a taillé
de si belle, qu'un bon et zellé escrivain en eust faict
une lUiade entière : miais ou ils sont esté paresseux
ou ingrats; car elle ne fust jamais chiche à l'endroict
des sçavans, et qui escrivoient quelque chose. J'en
i. Catherine de Médicis, fille unique de Laurent de Médicis,
duc d'Urbin, et de Magdeleine de la Tour, comtesse d'Auvergne
et de Lauraguais, née à Florence le 13 avril 1519, mariée à
Henri II, le 27 octobre 1533, morte au château de Blois le 5 jan-
vier 1 589. Elle était nièce de Clément VII.
2. Expedire te, inquit, Jovi, calamos oportet, ut quaîjam gesta
sunt in historiis tempestive perscribas ; nam hoc armorum motu,
magnus profecto tibi novi operis labor paratur. (P. Jove, 1. XLIII,
Florence, 1550-1552, t. II, p. 439.)
CATHERINE DE MEDICIS. 333
nommerois plusieurs qui en ont tiré de bons biens,
en quoy d'autant ils sont accusez d'ingratitude.
Il y en a eu un pourtant qui s'en est voulu mesler
d'en escrire; et de faict en fcist un petit livre qu'il
intitula la f^ie de Catherine * ; mais c'est un impos-
teur et non digne d'estre creu, puisqu'il est plus
plain de mentcries que de vérité, ainsi qu'clle-
mesmes le dict l'ayant veu, comme telles faussetez
sont apparentes à un chacun, et aisées à noter et rejet-
ter. Aussi celui qui l'a faict luy vouloit mal mortel,
et estoit ennemy de son nom, de son estât, de sa
vie, et de son honneur et humeur; voylà pourquoy
il est à rejetter. Quand à moy, je désirerois fort sça-
voir bien dire, ou que j'eusse un bonne plume, et
bien taillée à commandement, pour l'exalter et louer
comme elle le mérite. Toutesfois, telle qu'elle est,
je m'en vais l'employer à l'azard.
Geste reyne donc est extraicte, du costé du père,
de la race de Médicis, l'une des nobles et illustres
maisons, non-seulement de l'Italie, mais de la chres-
tienté, quoi qu'on en die. Elle estoit estrangère de ce
costé, comme les alliances des grands ne se peuvent
prendre communément dans leurs royaumes : aussi
n'est-ce pas quelquesfois le meilleur; car les alliances
estrangères vallent bien autant ou plus que les pro-
chaines. La maison toutesfois de Médicis a quasi
tousjours esté alliée et confédérée avec la couronne
\ . C'est l'écrit intitulé : Discours merveilleux de la vie, actions
et déportemens de la reine Catherine de Médicis, dont la première
édition est de 157o, in-8, et qui a été réimprimé un très-grand
nombre de (ois, soit séparément soit dans des recueils. On l'attri-
bue généralement, mais sans i)reuves, à Henri Estienne.
334 DES DAMES.
de France, dont encores en porte les fleurs de lys
que le roy Louis XF donna à ceste maison en signe
d'alliance et confédération perpétuelle. De la généra-
tion maternelle, elle est sortie originellement de l'une
des plus nobles maisons de France, vraye Françoise
de race, de cœur et aflection, de ceste grande mai-
son de Boulongne et conté d'Auvergne : de sorte
qu'on ne sçauroit dire ny juger en quelle des deux
maisons y a eu plus de grandeur et actes plus mé-
morables. Or, voicy ce qu'en dict M. l'archevesque
de Bourges, de la maison de Beaune ', un aussi grand
sçavant et digne prélat qui soit en la chrestienté (en-
cor qu'aucuns le disent un peu légier en créance,
et guières bon pour la ballance de Monsieur Sainct-
Micliel où il poise les bons chrestiens au jour du ju-
gement, ainsi qu'on dict), en l'oraison funèbre qu'il
lit pour ladicte reyne à Blois :
« Du temps que ce grand capitaine gaulois, Brennus,
mena son armée par toute Fltalie et Grèce, estoient avec
luy en sa trouppe deux gentilshommes François, F un
nommé Felsinus, l'autre nommé Bono, qui, voyant le mau-
vais desseing que prenoit Brennus, après ses belles con-
questes, d'aller envahir le temple de Delphe, pour se
souiller, soy et son armée, du sacrilège de ce temple, ils
se retirarent tous deux, et passarent en Asie avec leurs
vaisseaux et hommes; où ils pénétrèrent si avant, qu'ils
entrèrent en la terre des Mèdes, qui est proche de la Ly-
die et de la Perside; où aiant faict plusieurs conquestes
et obtenu de grandes victoires, se seroient enfin retirez;
et, passans par l'Italie, espcrans revenir en France, Felsi-
1 . Renaud de Beaune de Semblançay, archevêque de Bourges
de 1580 à 1602.
CATHERINE DE MEDICIS. 335
nus s'arresta en un lieu où est à présent situé Florence,
le long du lleuve d'Arne, qu'il recogneul assez beau et dé-
Icclablc, et de semblable assiete qu'une qui lui avoit pieu
en ce pays de Mède une autre fois; et y bastit une cité
qui est aujourd'huy Florence; comme aussi son compa-
gnon Bono bastit la ville de Bouonia, appellée Boulongne,
toutes deux voisines : et, dès lors, pour les conquestes et
victoires que ce Felsinus avoit eu en ce J)ays des Mèdes,
l'ut appelle Medicus entre les siens, dont depuis le surnom
a demeuré en la famille; comme nous lisons de Paulus*,
qui fut surnommé Macedo?iicus pour avoir conquis Macé-
doine sur Perseus, et Scipion, qui fut appelle Affriqiiain
pour avoir faict de mesmes de l'Affrique. »
Je ne sçay d'où a pris ceste histoire ledict M. de
Beaune; mais il est vraysemblable que^ devant le
roy et une telle assemblée qui estoit là pour le con-
voy de la reyne^ il ne l'eust voulu alléguer sans bon
autheur. Voilà comme cette descente^ est bien esloi-
gnée de celte moderne que l'on suppose et attribue
sans propos à ceste famille de Médicis, ainsi que
faict ce livre menteur que j'ay dit de la vie de la-
dicte reyne. Puis, dict davantage ledict sieur de
Beaune : qu'on list dans les chroniques, qu'un nommé
Everard de Médicis, sieur de Florence, amprès plu-
sieurs années, au voyage et expédition que fist Charle-
maigne en Italie contre Didier, roy des Lombardz,
alla à son secours avec plusieiu's de ses subjects; et,
l'ayant fort vertueusement secouru et assisté, fut con-
firmé et investv en ladite seigneurie de Florence.
Plusieurs années après, un Anemond de Médicis,
1. Paul-Emile. — -2. Descente y descendance.
336 DES DAMES.
aussi sieur de Florence, passa avec plusieurs de ses
suhjects au voyage de la Terre-Saincte avec Godef-
froy de Buillon, où il mourut devant le siège de
Nicée en Asie '. Geste grandeur a tousjours continué
on ceste maison jusques à ce que Florence, réduicte
en république par guerres intestines en Italie d'entre
les empereurs et les peuples, les personnes illustres
de ceste maison ont manifesté leur valleur et gran-
deur de temps en temps : comme nous voyons par
ces derniers siècles le grand Gosme de Médicis_, qui,
par ses armes , ses navires et vaisseaux , a espou-
vanté les Turcs jusques au fonds de l'Orient et mer
Méditerranée; si bien que nul de son temps, tant
grand qu'il fust, ne l'a surpassé ny en force ny en
valeur ny en richesse, ainsy qu'en a escript Raphaël
Volateran ^
Les temples et lieux sacrez par luy bastis, les hos-
pitaux par luy fondez jusques en Jérusalem, font
ample preuve de sa piété et magnanimité.
Il y a eu aussi Laurent de Medicis', surnommé
le Grand pour ses actes vertueux ; ces deux grands
et honnorables papes Léon et Glément, tant de cardi-
naux si grands personnages de ce nom, et puis ce
grand duc de Toscane, Gosme de Médicis, sage et
ad visé s'il en fust oncq. Il* a paru à se maintenir en
1 . Je liai pas besoin de dire que tout ce qui précède n'est
qu'un tissu de fables.
2. Raphaël Maffei de Volterra, dans ses Commentarii urbani.
Bâle, 1530, in-fol., liv. V, f°* 55 et 56 v°.
3. Lauient \" de Médicis, prince de Florence, mort le 8 avril
■1492.
4. Il a paru, il a paru tel.
CATHERINE DE MEDICIS. 337
son estât, qu'il trouva et envahist, fort troublé au
commancement.
Bref, on ne scauroit rien desrober à cestc maison
de Médicis qu'elle ne fust illustre, très-noble et
grande de toutes parts.
Quant à la maison de Bouloigne et d'Auvergne,
qui ne dira qu'elle ne soit très-grande, estant sortie
originairement de ce grand Eustache de Bouloigne,
dont le frère, Godefroy de Buillon, a porté les armes
et armoyries avec un si grand nombre de princes,
seigneurs, chevalliers et soldats chrestiens, jusques
dedans Hiérusalem sur la sépulture de nostre Sau-
veur, et se seroit rendu et faict roy par son espée et
ses armes avec la faveur de Dieu, roy non-seulement
de Hiérusalem, mais d'une grand' partie de l'Orient,
à la confusion de iMahommet, des Sarrazins et maho-
métans, tant et si avant, qu'il auroit donné estonne-
ment à tout le reste du monde, aiant replanté le
christianisme en Asie, qui estoit du tout à bas? Au
reste ceste maison a esté recherchée d'alliance quasi
de tous les royaumes de la chrestienté et grandes
maisons, comme de celle de France, d'Angleterre,
d'Escosse, d'Ongrie, de Portugal; jusques là que le
royaume* luy appartenoit de droict, ainsi que j'ay
ouy dire au premier président de Thou^, et que la
reyne mesme me fit cest honneur de me le dire à
Bourdeaux, lorsqu'elle sceut la mort du roy Sébastien
dernier mort'; et futreceue à débattre son droict par
1. Le rojaume de Portugal.
2. Christophe de Thou, le père de f historien.
3. En 1578.
VII — 22
3a8 DES DAMES.
justice en la dernière assemblée d'estatz tenue au-
dict Portugal, auparavant le décès du dernier roy
cardinal*; et ce fust aussi pourquoy elle arma soubz
M. d'Estrozze pour y fère une brèche, le roy d'Espai-
gne lors l'aiant usurpé ; et ne s'en fut arrestée en si
beau chemin sans des raisons que j'allégueray ail-
leurs une autre fois.
Je vous laisse doncq' à penser si ceste maison de
Ëoulongne estoit grande : ouy^ telle qu'une fois j'ouy
dire au pape Pio quarto, estant à table, ainsi qu'il
bailla à disner après sa création aux cardinaux de
Ferrare et de Guise, ses créateurs^, qu'il tenoit ceste
maison si grande et si noble qu'il n'en sçavoit en
France, telle qu'elle fust, qui la surpassast en ancien-
neté, ny valeur, ny grandeur.
C'est bien contre les malheureux détracteurs, qui
ont dict que ceste reyne estoit une Florantine et de
bas lieu : on peut voir le contraire. Au reste, elle
n'estoit si pauvre qu'elle n'ayt porté en mariage à la
France des terres qui vallent aujourd'huy six vingts
mille livres comme sont les contez d'Auvergne, de
Lauragais, les seigneuries de Lèverons, Donsenac,
Boussac, Gorrèges, Hondecourt, et autres terres,
toutes de la succession de sa mère ; et encor pour
son dot heut plus de deux cens mil escuz ou ducatz,
qui vaudroient aujourd'huy plus de quatre cens
1. Le cardinal Henri de Portugal.
2. Dupuy a changé, et bien à tort, le mot créateurs que porte
le manuscrit en celui de créatures qui offre un sens complètement
opposé et est en désaccord avec l'histoire. En effet le cardinal de
Guise fut l'un des principaux auteurs de l'élévation de Pie IV au
trône pontifical (26 décembre 1559). Voyez de Thou, liv. XXIII.
CATHERINE DE MÉDICIS. 339
mille, avecques grande quantité de meubles, riches-
ses et précieuses pierreries et joyaux, comme les
plus belles et plus grosses perles qu'on ait veu
jamais pour si grande quantité, que despuis elle
donna à la reyne d'Escosse sa nore^ que lui ay veu
porter; outre cela, forces seigneuries, maisons, actions
et prétentions, qu'elle avoit en Italie. Outre plus que
tout cela, pour son mariage, les affaires de France,
qui estoienl si esbranlécs par la prison du roy et
ses pertes de Milan et Naples, s'en commançarent à
s'affermir.
Le roy François aussi le sçavoit bien dire, que tel
mariage avoit beaucoup servi à ses affaires. Aussi
donna-on à ceste reyne ceste devise de l'arc-en-ciel
qu'elle a portée tant qu'elle a esté mariée, avecq ces
motz grecz : cpw; cpepet, -ri^ï yaV/iVviv^, qui est autant à
dire que, tout ainsi que ce feu et arc-en-ciel apporte
et signifie le beau temps après la pluye, aussi ceste
reyne estoit vray signe de clarté, sérénité et tran-
quilité de paix. Le grec est ainsi traduict : ignis ad-
fert serenitatem ^.
D'avantage , l'empereur n'osa pousser plus avant
son ambitieuse devise plus outre ; car encor que les
trefves fussent entre luy et le roy François, si cou-
\. Nore, bru; nurus.
2. Je porte la lumière et la se'rénité. — Les pre'cédents éditeurs,
les anciens comme les nouveaux, ont mis à la place de la phrase
grecque, estropie'e dans le manuscrit et que Dupuy a rétablie ,
une suite de syllabes qui n'ont aucun sens.
3. Dupuy a biflé cette mauvaise traduction et l'a remplacée par
celle-ci : Lucem fert et serenitatem , qui est la bonne , et que
tous les éditeurs ont reproduite.
340 DES DAMES.
voit-il tousjours son ambition soubz dessein de gai-
gner toujours sur la France ce qu'il eust peu; et
s'estonna fort de ceste alliance avec le pape, le co-
gnoissant habille, courageux et vindicatif de sa pri-
son faicte par son armée impériale au sac de Rome.
Et tel maryage luy despleust tellement, que j'ay ouy
dire à une dame de vérité, lors à la court, que s'il
ne fust esté marié avec l'impératrice, qu'il eust prins
l'alliance dudict pape, et eust espousé sa niepce,
tant pour estre appuyé d'un si grand party, que
parce qu'il craignoit que le pape luy aydast à perdre
Naples, Milan et Gênes, ainsi qu'il l'avoit promis au
roy François, lorsqu'il luy fit livrer l'argent du dot
de sa niepce et ses bagues et joyaux; qu'oultre tout
cela, pour faire le douaire digne d'un tel mariage, il
luy avoit promis, par instrument auten tique, trois
perles d'inextimable valeur, de l'excessiveté * des-
quelles les plus grands roys estoient fort envieux et
convoiteux, qu'estoient Naples, Milan et Gênes. Et
de faict ne fault doubler que si ledict pape eust
vescu ses ans naturels, qu'il lui eust vendue bonne,
et lui eust faict couster cher sa prison, pour agran-
dire sa niepce et le royaume où elle avoit esté collo-
quée; mais il mourut fort jeune^ : encores pourtant
tout ce profict nous demeura pour ce coup.
Voylà donc nostre reyne, ayant perdu sa mère
Madelayne de Bouloigne, et Laurens de Médicis son
père, duc d'Urbin, en bas aage, mariée après parle
bon oncle en nostre France, où elle fut menée par
i. Excessiveté, grand prix.
2. En lo'Sk, à cinquante-quatre ans.
CATHERINE DE MEDICIS. 341
mer à Marseille en grand triumphe, et ses nopces
pompeusement faictes, à i'aage de quatorze ans. Elle
se fit tellement aimer du roy son beau-père, et du
roy Henry son mary, que, demeurant dix ans sans
produire lignée, il y eust forces personnes qui per-
suadarent au roy et à M. le Dauphin son mary de la
répudier, car il estoit besoing d'avoir de la lignée
en France : jamais ny l'un ny l'autre n'y voulurent
consentir, tant ils l'aymoient : aussi dans les dix ans,
selon le naturel des femmes de la race de Médicis
qui sont tardives à concepvoir, elle commança à pro-
duire le petit roy François deuxiesme : dont sur ce
j'ay ouy faire un conte, que, lorsqu'il fut né, il y eut
une dame de la court, qui estoit de bonne compa-
gnie, et disoit bien le mot, qui vint présenter un
placet à M. le Dauphin, par lequel elle le prioit de
luy faire donner l'abbaye de Sainct- Victor qu'il avoit
rendue vaccante. Dont il fut fort estonné de tel mot;
mais, d'autant qu'on disoit à la court qu'il ne te-
noit pas tant à Madame la Dauphine comme à Mon-
sieur le Dauphin pourquoy ils n'avoient d'enfans,
parce qu'on disoit que mondict sieur le Dauphin
avoit son faict tort', et qui n'estoit pas bien droict,
et que pour ce la semence n'alloit pas bien droict
dans la matrice, ce qui empeschoit fort de concep-
voir; mais, après que cest enfant fut né, on dict
qu'il ne tenoit plus à M. le Dauphin, et qu'il avoit
faict dire qu'il n'avoit son v.. tort : et par ainsy ceste
dame aiant expliqué son placet à M. le Dauphin,
tout fut tourné en risée, et dict qu'il avoit rendu
1. Tort^ tors.
342 DES DAMES.
l'abbaye de Sainct-Victor vaecante, faisant allusion
d'un mot à l'autre, que je laisse imaginer au lecteur
sans que j'en face plus ample explication.
Puis, la reyne d'Espagne nasquit, et après consécu-
tivement ceste belle et illustre lignée que nous avons
veu, et quasi aussitost née, aussitost perdue, par
trop grand malheur : ce qui fut cause que le roy
son mary l'en ayma davantage, encor qu'il l'aymast
bien fort et de telle façon, que luy, qui estoit d'amou-
reuse complexion, et aymoit fort à faire l'amour
et aller au change, il disoit souvent que, sur toutes
les femmes du monde, il n'y avoit que la reyne sa
femme en cela, et n'en sçavoit aucune qui la valût.
Il avoit raison de le dire, car c'estoit une princesse
belle et très-aymable.
Elle estoit de fort belle et riche taille, de grande
majesté, toutesfois fort douce quand il falloit, de
belle apparance, bonne grâce, le visage beau et agréa-
ble, la gorge très-belle et blanche et pleine, fort
blanche aussi par le corps, et la charnure* belle, et
son cuir net, ainsi que j'ay ouy dire à aucunes de
ses dames, et ung enbonpoinct très-riche, la jambe
et la grève ^ très-belle, ainsi que j'ay ouy dire aussi à
de ses dames , et qui prenoit grand plaisir à la bien
chausser, et à en voir la chausse bien tirée et tandue;
du reste, la plus belle main qui fut jamais veue, si
crois-je. Les poètes jadis ont loué Aurore pour avoir
de belles mains et de beaux doigts; mais je pense
que la reyne l'eust effacée en tout cela; et si l'a tous-
jours gardée et maintenue telle jusques à sa mort.
1. Charnure, carnation. — 2. Grèue, cuisse.
CATHERINE DE MEDICIS. 343
Le roy son fils , Henry IIP, en hérita de beaucoup
de ceste l)eauté de main.
De plus, elle s'iiahilloit lousjours fort bien et su-
perbement, et a voit tousjours quelque gentille et
nouvelle invention. Bref, elle avoit beaucoup de
beautez en soy pour se faire fort aymer. Sur quoy il
me souvient qu'elle estant ung jour allée voir à
Lyon un peintre, qui s'appelloit Corneille *, qui avoit
peint en une grand'chambre tous les grands sei-
gneurs, princes, cavalliers, et grandes reynes, prin-
cesses, dames, filles de la court de France, estant
donc en ladicte chambre de ces paintures, nous y
vismes cette reyne parestre painte très -bien en sa
beauté et en sa perfection, habillée à la francèze
d'un chapperon avec ses grosses perles, et une robe
à grandes manches de toille d'argent fourrées de
loups cerviers ; le tout si bien représenté au vif avec
son beau visage qu'il n'y falloit rien plus que la pa-
roUe, aiant ses trois belles filles auprès d'elle. A quoy
elle prist fort grand plaisir à telle veue, et toute la
compagnie qui y estoit, s'amusant fort à la contem-
pler et admirer et louer sa beauté par dessus toutes :
elle-mesmes s'y ravist en la contemplation, si bien
qu'elle n'en peust retirer ses yeux de dessus, jusques
à ce que M. de Nemours luy vint dire : « Madame,
« je vous trouve là fort bien pourtraicte, et n'y a rien
« à dire; et me semble que vos filles vous portent
« grand honneur; car elles ne vont point devant
1. Claude Corneille, peintre et graveur de Lyon. On connaît
entre autres de lui : Epitome des rois de France, •1546, in-4°.
Voy. Robert-Dumesnil , Le Peintre-graveur français , t. VI, p. 7
et suivantes.
344 DES DAMES.
« vous, et ne vous surpassent point. » Elle luy res-
pondict : « Mon cousin , je croy qu'il vous ressou-
« vient bien du temps, de l'aage et de l'habillement
a de ceste painture : vous pouvez bien juger mieux
« que pas un de ceste compagnie, vous qui m'avez
« veue ainsy, si j'estois estimée telle que vous dic-
« tes, et que suis estée comme me voylà. » Il n'y
eust pas un en la compagnée qui ne louast et esti-
mast infiniment ceste beauté, et ne dist que la mère
estoit digne des filles, et les filles dignes de la mère :
et telle beauté luy a duré, et mariée et vefve, jusques
quasi à sa mort; non qu'elle fust si fresche comme
en ses ans plus fleurissans, mais pourtant bien en-
tretenue et fort désirable et agréable.
Au reste, elle estoit de fort bonne compagnie et
gaye humeur, aymant tous honnestes exercices,
comme la dance, où elle avoit très-belle grâce et
majesté. Elle aymoit la chasse fort aussi : sur quoy
j'ay ouy faire le conte à une dame de la court d'alors,
que le roy François aiant choisy et faict une trouppe,
qui s'appelloit la petite bande, des dames de sa court,
des plus belles, gentilles et plus de ses favorites,
souvant se dérosbant de sa court, s'en partoit et
s'en alloit en autres maisons courir le cerf et passer
son temps, et y demeuroit là quelquesfois ainsi re-
tiré huict jours, dix jours, quelquesfois plus, quel-
quesfois moins, ainsi qu'il lui plaisoit, et l'humeur
l'en prenoit. Nostre reyne, qui estoit lors madame
la Dauphine, voyant telles parties se faire sans elle,
mesmes que mesdames ses belles-sœurs* en estoient,
4. Madeleine et Marguerite.
CATHERINE DE iMÉDICIS, 345
et elle demeuroit au logis, elle fit prière au roy de la
mener tousjours quant et luy, et qu'il luy fist cest
honneur de permettre qu'elle ne bougeast jamais
d'avec luy. On dict qu'elle, qui estoit tousjours fine et
habile, le fist bien autant pour veoir les actions du
roy, et en tirer les secrets, et escouter et sçavoir toutes
choses, autant pour cela que pour la chasse, ou plus.
Le roy François lui en sceut si bon gré d'une telle
prière, voyant la bonne volonté qu'il voyoit en elle
d'aymer sa compagnie, qu'il luy accorda de très-bon
cœur : et, autre qu'il l'aymoit naturellement, il l'en
ayma tousjours davantage; et se délectoit à lui faire
donner plaisir à la chasse, en laquelle elle n'aban-
donnoit jamais le roy, et le suivoit tousjours à cou-
rir : car elle estoit fort bien à cheval et hardie, et s'y
tenoit de fort bonne grâce, ayant esté la première
d'avoir mis la jambe sur l'arçon, d'autant que la
grâce y estoit bien plus belle et apparoissante que
sur la planchette; et a tousjours fort aymé d'aller à
cheval jusques en l'aage de soixante ou plus, qui
pour la foiblesse l'en privarent, en ayant tous les en-
nuis du monde; car c'estoit l'un de ses grands plai-
sirs, et à faire de grandes et vistes traictes, encor
qu'elle en fust tumbée souvent au grand dommage
de son corps; car elle en fust blessée plusieurs fois,
jusques à rompure de jambe et blesseure à la teste,
dont il l'en falust trépaner : et, lorsqu'elle fust vefve,
et heut la charge du roy et du royaume, accompa-
gnoit toujours le roy et le menoit avec elle et tous
ses enfans; et quand le roy son mary vivoit, elle al-
loit quasy ordinairement avec luy à l'assemblée du
cerf et autres chasses.
346 DES DAMES.
S'il joiioit au palle-mail, elle le voyoit le plus sou-
vent jouer, et y jouoit elle-mesme. Elle le voyoit
jouer à la paulme. Elle aymoit aussi fort à tirer de
l'harbaleste à jalet \ et en tiroit fort bien : et tous-
jours, quand elle s'alloit pourmener, faisoit porter
son liarbaleste; et quand elle voyoit quelque beau
coup, elle tiroit.
Elle invantoit tousjours quelques nouvelles danses
ou quelques beaux ballets. Quand il faisoit mauvais
temps, elle invantoit aussi des jeux, et y passoit son
temps avec les uns et les autres, estant fort privée,
mais aussi fort grave et austère quand il falloit;
aymoit fort à veoir jouer des commédies et tragé-
dies; mais despuis Sofonisba, composée par M. de
Sainct-Gelays ^ et très-bien représentée par mesda-
mes ses filles et autres dames et damoiselles et gen-
tilshommes de sa court, qu'elle fît jouer à Bloys aux
nopces de M. de Cipière et du marquis d'Albeuf,
elle eust opinion qu'elle avoit porté le malheur aux
affaires du royaume, ainsi qu'il succéda; elle n'en
fist plus jouer, mais ouy bien des commédies et tra-
\. On appelait ainsi une espèce d'arbalète avec laquelle on
lançait soit des j'alets ou galets, c'est-à-dire de petits cailloux ronds
soit des balles de métal.
2. Le titre de la première édition de la traduction faite par Mel-
lin de Saint-Gelais de cette tragédie du Trissin, dont il a été parlé
ailleurs (voyez tome III, p. 237), nous donne la date de la repré-
sentation : Sophonishe , tragédie très-excellente , représentée et
prononcée devant le roy en sa ville de Blois ^ Paris, in-8°, 1530.
(comme l'année ne commençait qu'à Pâques , peut-être faut-il lire
lù60). La cour séjourna deux fois à Blois, en 1559, d'abord au
commencement de novembre, puis dans la seconde moitié de dé-
cembre.
CATHERINE DE MEDICIS. 347
gi-commédies, el mesmes celles des Zani et Pantha-
hns, y prenant grand plaisir, et en rioit son saoul
comme un autre; car elle rioit volontiers; aussi de
son naturel elle estoit jovyale et aymoit à dire le
mot, et rencontroit fort bien, et cognoissoit bien où
il falloit jetter sa pierre et son mot, et où il y avoit
à redire.
Elle passoit fort son temps, les après-disnées, à
besongner après ses ouvrages de soye, où elle y es-
toit tant parfaicte qu'il estoit possible. Bref, ceste
reyne aymoit et s'adonnoit à tous honnestes exer-
cices; et n'y en avoit pas un, au moins digne d'elle
et de son sexe, qu'elle ne voulust sçavoir et prati-
quer. Voylà ce que je puis dire pour parler briefve-*
ment et fuir prolixité, de la beauté de son corps et
de ses exercices.
Quand elle appelloit quelqu'un mon amj^ c'estoit
qu'elle l'estimoit sot, ou qu'elle estoit en collère : si
bien qu'elle avoit un gentilhomme servant, nommé
M. de Bois-Février, qui disoit bien le mot, quand
elle l'appeloit mon amy : « Ha! madame, respondoit-
« il, j'aymerois miieux que vous me dissiez vostre
a ennemj^ car c'est autant à dire que je suis un sot,
« ou qu'estes en colère contre moy, ainsi que je
« cognois vostre naturel de longtemps. »
Quand à son esprit, il a esté très-grand et très-
admirable, ainsy qu'il s'est monstre en tant de beaux
et signalez actes desquels sa vie est illustrée pour
jamais. Le roy son mary et son conseil l'estimarent
telle, que, lorsque le roy alla en son voyage d'Alle-
magne, hors de son royaume, il l'establit et l'or-
donna pour régente et gouvernante en tout son
348 " DES DAMES.
royaume pendant son absence, par déclaration so-
lomnellement faicte en plain parlement de Paris'. Et
en ceste charge se conduisist si sagement, qu'il n'y
eut aucun remuement, changement ny altercation
en cest estât, pour l'absence du roy; mais, au con-
traire, pourveust si bien aux affaires, qu'elle fit assis-
ter le roy d'argent, de moyens et de gens, et de
tout autre sorte de secours, qui lui servist beaucoup
à son retour, et mêmes en la conqueste des villes
qu'il fist en la duché de Luxembourg, comme Yvoy,
Monlmédy, Dampvillers, Simay * et autres.
Je vous laisse donc à penser si celuy qui a escrit
cette belle vie que j'ay dict a bien détracté de dire
que jamais le roy son mary n'avoit voulu qu'elle
mist le nez sur les affaires de son Estât. La faisant
ainsy régente en son absence, n'estoit-ce pas occasion
ample d'en avoir plaine cognoissance, et comme
elle faisoit en l'absence du roy son mary parmy tous
ses voyages qu'il faisoit tous les ans, allant en ses
armées?
Que fit elle après la bataille de wSaint-Laurens, et
que l'Estat estoit en bransle, et le roy estant allé à
Compiègne pour redresser nouvelle armée? Ell'es-
pousa tellement les affaires, qu'ell'excita et esmeut
messieurs de Paris à faire un prompt secours à leur
roy, qui vint très-bien à propos, et pour l'argent, et
autres choses nécessaires pour la guerre.
4. Le 12 février lSo2. — Brantôme oublie de dire que le roi
avait adjoint à Catherine de Médicis un conseil qui la laissait
presque sans autorité.
2. Chimay.
CATHERINE DE MEDICIS. 349
Or^ le roy son mary blessé, ceux qui estoient de
ce temps, et qui l'ont veu, ne peuvent ignorer le
grand soucy qu'elle prist pour sa guérison, et les
veilles qu'elle fist auprès de luy sans se coucher, les
grandes prières dont elle importunoit Dieu coup sur
coup, et les processions et visitations d'églises qu'elle
fist, et les postes qu'elle envoia partout pour quérir
médecins et chirurgiens. Mais son heure estant ve-
nue, et aiant passé de ce monde en l'autre, elle en
fist de telles lamentations, en jetta de telles larmes,
que jamais elle ne les a taries; et pour sa souve-
nance, et lorsqu'on parloit de luy, tant qu'elle a
vescu, elle en a jette tousjours quelqu'une du pro-
fond de ses yeux : dont elle en prit ceste devise pro-
pre et convenable à son dueil et à ses pleurs, qui
estoit une montagne de chaux vive, sur laquelle les
gouttes d'eaue du ciel tumboient à foison; et disoient
les mots tel en latin : Ardorem extincta testantur vi-
vere flamma. « Les gouttes d'eaue et de larmes
monstrent bien leur ardeur, encor que la flamme
soit estaincte, » telle devise prenant son allégorie
sur le naturel de la chaux vive, laquelle estant arou-
sée d'eau brusle estrangement, et monstre son ar-
deur encor qu'elle ne face point apparoir de flamme
et qu'elle soit estaincte.
Par ainsy nostre reyne monstroit son ardeur et
son affection par ses larmes, encore que sa flamme,
qui estoit le roy son mary, fust estaincte, qu'estoit
autant à dire que, tout mort qu'il estoit, faisoit bien
paroistre par ses larmes qu'elle ne le pouvoit ou-
bher, et qu'elle l'aymoit tousjours.
Une quasy semblable devise portoit jadis madame
350 DES DAMES.
Valantine de Milan, duchesse d'Orléans^ après la
mort de son mary tué à Paris, dont elle eust un si
grand regret, que, pour tout soûlas et confort en
ses gëmissemens, elle print un cliantepleure ou arrou-
souer pour sa devise, sur le hault de laquelle estoit
une S en signe, ainsi qu'on dict, que seulle souvant
se soucioit et souspiroit; et autour dudict cliante-
pleure estoient escrips ces mots :
Rien ne m'est plus,
Plus ne m'est rien.
On voit encor ceste devise dans l'église des Cor-
deliers à Bloys, en sa chapelle.
Le bon roy René de Scicille, ayant perdu sa femme
Ysabeau de Lorraine, en porta si grand deuil, qu'il
ne se peut jamais guières bien resjouir, et ainsi que
ses plus privez amis et favoris luy remontroient
quelque consolation, il les menoit en son cabinet, et
là il leur monstroit painct de sa main, car il estoit
excellent peintre, un arc turquois^ duquel la corde
estoit brisée et rompue, et au dessoubs estoit escript :
Àrco per lentare pia^a nonsana^.
Puis leur disoit : « Mes amis, par ceste peinture
« je responds à toutes vos raisons; car, ainsi que,
« pour destandre un arc, ou briser ou rompre sa
« corde, la playe qu'il a faicte de sa flesclie n'en est
« rien de plus tost guérie; aussi la vie de ma chère
« espouse est par mort eslaincte et brisée; pour ce
\. Torquois, turc.
2. L'aie, |)our être détendu, ne guérit pas la blessure.
CATHERINE DE MEDICIS. 381
(( n'est pas guérie la playe du loyal amour, dont elle
« vivante me navra le cœur. »
En plusieurs lieux à Angiers on voit en peinture
ces arcs turquois et ces cordes rompues, et au des-
soubs ces mots : Arco per Lentare, et mesmes aux
Cordelliers, en la cliappelle Sainct-Bernardin qu'il a
faict édifier : et prist ceste devise après la mort de sa
femme, car de son vivant il en portoit un' autre '.
Or, nostre reyne, autour sa devise que je viens de
dire, y avoit faict mettre des trophées de mirouers
cassez, d'esvantailz et pennaches rompus, des car-
quans brisez et ses pierreries et perles espandues par
terre, les chesnes toutes en pièces; le tout en signe
de quitter toutes boml^ances mondaines puisque son
miary estoit mort, duquel n'a jamais peu arrester le
deuil. Et, sans la grâce de Dieu et sa constance dont
il l'avoit douée, elle eust succumbé à ceste grande
tristesse et ennuy : et aussi qu'elle voyoit que ses
enfans fort jeunes et la France avoient grandement
besoing d'elle, comme nous l'avons veu despuis par
expérience; car, comme une Sémiramis, ou un' autre
Atalia, elle entreprist, sauva, et garantist et préserva
sesdits enfans et leur règne de plusieurs entreprises
qui leur estoient préparées en leur bas aage, avec
telle prudence et industrie, que tout le monde la
trouva admirable. Et aiant la régence de ce royaume
après la mort du roy François son fils, pendant la
minorité de nos roys, par l'ordonnance des estatz
d'Orléans, s'en fit bien accroire sur le roy de Na-
varre, qui, comme prince premier du sang, vouloit
J . Ce passage sur Renci est tire de Bourdigué, part. III, cb. xvi.
352 DES DAMES.
estre régent en sa place et gouverner tout; mais elle
gaigna si bien et si dextrement lesdicts estats, que, si
ledict roy de Navarre eust passé plus outre, elle le
l'aisoit déclarer attainct de crime de lèze-majesté. Et
possible l'eust-elle faict sans madame de Montpen-
sier, qui la gouvernoit fort, pour les menées qu'on
disoit avoir faict faire à M. le prince de Condé sur
l'Estat; si bien que ce fut audict roy de se conten-
ter d'estre soubz elle; et voilà un des subtils et ha-
biles traicts qu'elle fit pour son commencement.
Puis amprès, elle sceut entretenir son grade et
auctorité si impérieusement, que nul n'y osoit con-
tredire, tant grand et remueur fust-il, jusques au
bout de trois mois amprès, que la cour estoit à Fon-
tainebleau , ledict roy de Navarre , voulant ressentir
son cœur, prit mescontentement sur ce que M. de
Guyse se faisoit porter les clefz du logis du roy tous
les soirs, et les gardoit toutes les nuictz en sa cham-
bre comme grand-maistre, car c'est l'une de ses
charges, et nul n'osoit sortir hors sans luy* : ce qui
faschoit fort au roy de Navarre, les voulant garder;
mais, en estant refusé, se despita et mutina de telle
façon, que, pour un matin vint prendre congé du
roy et de la reyne pour s'en aller hors de la court,
et emmenoit avecq luy tous les princes du sang qu'il
avoit gaignez avec M. le connestable et ses enfans et
nepveuz. I^a reyne, qui ne s'attendoit nullement à
cela, fut fort estonnée du commencement, et s'estant
essayée tout ce qu'elle avoit peu de rompre ce coup,
et donné bonne espérance audict roy de Navarre
i . Sans luy, sans avoir recours à lui.
CATHERINE DE MEDICIS. 353
qu'en patientant il seroit un jour contant; mais par
belles parolles elle ne peut rien tant gaigner sur ledict
roy qui ne se mist en son parlement. Sur ce_, ladicte
reyne s'advise de ce point sul)til : c'est qu'elle en-
voyé faire commandement à M. le conestable que,
comme le principal, premier et plus vieux officier de
la couronne , il eust à demeurer près du roy son
maislre, ainsi que son debvoir et sa charge luy com-
mandoil, et n'eust à laisser le roy. M. le connestable,
sage et advisé qu'il estoit, et fort zélé à son maistre,
et curieux de sa grandeur et son honneur, ayant un
peu songé en son debvoir et au commandement que
on lui avoit faict, le va trouver et se présenter à luy,
prest de faire sa charge, son debvoir et estât , et ne
bouger d'auprès de sa personne : ce qui estonna fort
le roy de Navarre estant sur le point de monter à
cheval, n'attendant que M. le conestable, qui lui
alla remonstrer son commandement et sa charge, et
lui persuada de ne bouger lui-mesme et ne partir ;
autrement, qu'il s'en pouvoit aller sans lui, ne le
pouvant suivre, pour son honneur et debvoir : si
bien qu'il alla trouver le roy et la reyne à la susci-
lation de mondict sieur le conestable; et, aians con-
férez ensemble avec Leurs Maj estez, le voyage du roy
navarrois fut rompu, et ses muletz envolez quérir et
contremandez, qui estoient desjà arrivez à Melun. Et
le tout s'apaisa, au contentement dudict roy de Na-
varre : non que M, de Guise en diminuast rien de
sa charge, nv en desmordist rien de son honneur,
car il garda tousjours sa préhéminence et ce qui lui
appartenoit, sans s'estonner de rien, encor qu'il n'y
fust le plus fort, estant l'homme du monde en ces
VII — 23
354 DES DAMES.
choses-là qui s'estonnoit le moins, mais qui sçavoit
très-bien braver et tenir son rang, et garder ce qu'il
avoit. Il ne faut doubter, ainsi que tout le monde le
tenoit, que si ladicte reyne ne se fust advisée de ceste
ruse à l'endroit de M. le conestable, que toute ceste
troupe ne fust allée à Paris remuer; chose qui n'eust
guières valu : en quoy il faut donner grand los à
ladicte reyne de ce traict. Je le sçay, j'y estois, et
qu'aucuns tenoient alors que ce n'estoit de son in-
vention, mais du cardinal de Tournon, sage et ad-
visé prélat; mais c'est menterie, car, tout vieil rou-
tier de prudence et conseil qu'il estoit, ma foy, ladicte
reyne en sçavoit plus que lui, ny que tout le conseil
du roy ensemble; car, bien souvent, quand il estoit
en deffaut, elle le relevoit et le mettoit à la trace et
aux voyes, ainsi que j'en alléguerois plusieurs exem-
ples; mais ce sera assez que je dise cettuy-cy^ qui est
frais, qu'elle-mesme me fist cest honneur de discou-
rir. Il est tel :
Quand elle vint en Guienne et à Cognac dernière-
ment^, pour accorder les princes de la relligion et
de la ligue et mettre le royaume en paix , qu'elle
voyoit s'aller ruiner par telles divisions, elle s'advisa,
pour traicter ceste paix, de faire publier une trefve
premièrement, de laquelle le roy de INavarre et le
prince de Condé furent très-mal contens et amutinez;
d'autant, disoient-ils, que ceste publication leur por-
toit un très grand préjudice à cause de leurs estran-
gers, qui l'ayant entendue, se pourroient refroidir de
leur voyage, ou le retarder, croyans que ladicte
1. A la fin de décembre 1586.
CATHERINE DE MÉDICIS. 355
reyne l'eust faict à ces desseins. Et dirent et se réso-
lurent nommément de ne veoir la reyne, ny traicter
avec elle, que ladicte trefVe ne fust descriée * ; ce que
trouvant son conseil, qu'elle avoit pour lors près
d'elle (encor qu'il fust composé de bonnes testes,
fort ridicule et peu honorable, voire quasi impos-
sible de trouver moyen de la faire descrier , la
reyne leur dit : « Vrayement, vous estes bien esbays
« sur ce remède. N'y sçavez-vous autre chose? Il n'y
et a qu'un point pour cela. Vous avez à Maillezays le
« régiment de Neufvy et de Sorlu, huguenots. Faictes-
« moy partir d'icy, de Nyort, le plus d'harquebusiers
« que vous pourrez, et allez-les-moy tailler en piè-
« ces; et voilà aussitost la trefve descriée et descou-
« sue, sans autrement se pener^ » Ainsi comm' elle
le commanda aussitost exécuté; et les harquebuziers
levez, et menez soubz la conduitte du capitaine L'Es-
telle, allarent si bien forcer leur fort et leurs barri-
cades, que les voilà tous desfaictz, Sorlu tué, qui
estoit un vaillant homme, et Neufvy pris, avec forces
autres mortz, et pris tous leurs drappeaux aussi, et
ainsi menez à Niort à la reyne'; laquelle usant en leur
endroict de ses tours accoutumez de clémence, leur
pardonna à tous et les renvoya avec leurs enseignes
et drapeaux mesmes, ce que guières peu s'est veu pour
lesdicts drapeaux, et chose rare; mais elle voulust
faire ce traict par dessus la rareté, ce me dict-elle.
i . Descriée, nous dirions aujourd'hui dénoncée.
2. Pener, peiner.
3. Voyez l'Histoire universelle de d'Aubigné, année 1587, liv. I,
ch, vji.
356 DES DAMES.
aii\ princes qui congneurent bien qu'ils avoient af-
faire avec une très-lia])ile princesse, et que ce n'es-
toit à elle d'adresser une telle moquerie de lui faire
descrier une trefve par la mesme trompette qui
l'avoit criée : et lui pensant faire recevoir ceste honte,
elle tumba sur eux-mesmes, leur aiant mandé par
les prisonniers que ce n'estoit à eux: de la désespé-
rer en demandant choses desraisonnablcs et mal
séantes, puisqu'il estoit en sa puissance de leur faire
mal.
Et bien ! voilà comment ceste reyne sceut donner
et apprendre la leçon à ceux de son conseil. J'en di-
rois bien d'autres, mais j'ay à traicter d'autres points,
dont le premier sera cettuy-cy, pour respondre à
aucuns que j'ay veu dire souvent, qu'elle avoit esmeu
les premières armes, ou estoit cause de nos guerres
civilles. Qui en veut voir la source il ne le croira pas ;
car le Triumvirat, et le roy de Navarre par dessus,
aiant esté créé, elle, en voyant les menées qui se
préparoient, et le changement que faisoit ledict roy
de Navarre de lui, qui, auparavant de longtemps hu-
guenot si fort réformé, s'estoit rendu catholique, et
que par un tel changement ell' eust peur du roy, du
royaume et de sa persone qu'il ne leur mésadvinst,
songea et s'esmaya' à quoy pouvoient tendre tant de
menées, parlemens et collocutions " qui se faisoient
en secret : et n'en pouvant au vray tirer le fonds
du pot, comme on dit, elle s'advisa un jour, ainsi
que. tout le conseil secret se tenoit en la chambre du
roy de Navarre, d'aller en la chambre d'en hault
1. S'esmayer, s'ëtonnei'. — 2. Collocutions, colloques.
CATHERINE DE MÉDICIS. 357
dessus la sienne; et par le moien d'un sarbacaine
qu'elle avoit faict couler subtilement tout le long de
la tapisserie, sans estrc apperceue ouyt tous leurs pro-
pos. Entre autres, elle en ouyt un qui lui fut très-
terrible et amer, car il y eust le mareschal de Sainct-
Andrë, l'un du Triumvirat, qui opina qu'il falloit
jetter la royne avecq un sac dans l'eau, et que au-
trement ils ne pourroient jamais bien besongner
en leur affaire : mais feu M. de Guise, qui estoit
tout bon et généreux, dit qu'il ne falloit pas, et que
c'estoit chose par trop injuste de faire mourir ainsi
misérablement la femme et la mère de leurs roys, et
s'y opposa du tout : de quoy ladite reyne l'a aimé
lousjours, et le monstra bien à ses enfans après sa
mort, leur donnant tous ses estatz*. Je vous laisse à
penser qu'elle sentence ce fut pour ceste reyne, et,
l'aiant ouve ainsi de ses oreilles, si ell' eust occasion
d'avoir peur, encor qu'elle s'asseurast de M. de
Guise; mais, à ceque j'ay ouy dire à une de ses plus
privées, elle craignoit qu'ilz fissent le coup sans le
sceu dudict M. de Guise, comme elle avoit raison;
car, en un acte détestable tel, il se faut doubter d'un
homme de bien tousjours, et jamais ne lui commu-
niquer. Ce fut doncq à elle à adviser à sa salvation,
et employer ceux qu'elle voyoit desjà aux armes ^, et
les prier d'avoir pitié de la mère et des enfans\ Voilà
toute la cause qu'elle [elle] est de la guerre civille.
Car elle ne voulut jamais aller à Orléans avecq les
i. État, charge, dignité.
2. Les huguenots.
3. Voyez de Thou, Uv. XXIX.
3o8 DES DAMES.
autres, ny leur donner le roy et ses enfans, comme
elle pouvoit; mais elle fust très-aise que soubs le gra-
bouil et rameur d'armes, elle fust en sauveté, et le
roy son fils et ses enfans, comme de raison. Toutes-
fois, elle pria et tira parolle d'eux que toutesfois et
quantes qu'elle les sommeroit de poser les armes
bas, qu'ilz le feroient; ce que néantmoins ne vou-
lurent faire quand il fust au joindre, quelques allées
et venues qu'elle fist vers eux, et la peine qu'elle
prist et le grand chaud qu'elle endura vers Talsy',
pour les persuader à entendre à la paix qu'elle avoit
desjà faicte bonne et seure pour toute la France,
s'ilz y eussent voulu entendre dès lors : et ce feu, et
tant d'autres que nous avons veu allumez du reste
des tizons premiers fussent estaints pour tout jamais
en France, s'ils l'eussent voulu croire. Je sçay ce que
je luy en vis dire la larme à l'œil, et de quel zèle
elle y procéda.
Voylà donc en quoy on ne la peut taxer du pre-
mier brandon de guerre civille, non plus que de la
seconde qui fut à la journée de Meaux ; car alors
elle ne songeoit qu'à la ciiasse, ny que donner plai-
sir au roy à sa belle maison de Monceaux. L'adver-
tissemenl vint que M. le Prince et tous ceux de la
relligion estoient en armes et en campagne, pour
surprendre le roy, soubs couleur de luy présenter
une resqueste. Dieu sçait alors qui fut cause de ceste
nouvelle esmeute : et, sans les six mille Suisses qui
avoient esté nouvellement levez, on ne sçait ce que
s'en fust esté. Sur la levée desquelz ils prindrent au-
i. Talcy (Loir-et-Cher); à la fin de juin 1562.
CATHERINE DE MÉDICIS. 359
cunement le prétexte de reslévation de leurs armes',
disans et publians qu'on les avoit faiet lever et venir
pour leur faire la guerre; et ce furent eux pourtant
les premiers (je le sçay pour estre alors à la court),
qui en sollicitarent le roy et la reyne, sur le passage
du duc d'Albe et de son armée, craignans que, soubs
couleur de Irajetter* en Flandres, elle ne vinst fondre
sur la frontière de France, et disans que c'estoit la
coustume d'armer tousjours les frontières lorsqu'on
voyoit son voisin s'armer. On ne peut ignorer quelle
instance pour cela on fit au roy et à la reyne et par
lettres et par ambassades; et mesmes M. le Prince et
M. l'admirai vindrent trouver le roy à Sainct-Ger-
main-en-Laye pour cet effect, comme je les vis. Je
voudrois bien sçavoir aussi (car tout ce que j'escris
en cecy je l'ay veu), qui fit prendre les armes au
mardy gras', et qui suborna et sollicita Monsieur,
frère du roy, et le roy de Navarre, d'entendre aux
entreprises pour lesquelles La Molle et Coconas fu-
rent deffaicts à Paris? Ce n'estoit pas la reyne; car
par sa prudence elle empescha qu'elles ne prindrent
feu, tenant Monsieur et le roy de Navarre si serrez
dans le bois de Vincennes qu'ils ne peurent sortir;
et après la mort du roy Charles, les ressarra si bien
dans Paris et le Louvre, et grilla si bien pour un ma-
tin leurs fenestres, au moins celle du roy de Navarre
qui estoit logé le plus bas (je sçay ce que m'en dict
le roy de Navarre, la larme à l'œil), et les surveilloit-
on si bien qu'ils ne peurent jamais eschapper, comme
i. De leur prise d'armes. — 2. Trajetter, passer.
3. Le 22 février iï^lk.
360 DES DAMES.
ils en avoient la volonté : ce qui eust grandement
brouillé l'Estat et empesclié le retour de Pologne au
roy, car ils tendoient fort là (je le sçay bien pour
avoir esté convié à la fricassée) ; qui est encores un
des beau\ traicts qu'aye faict la reyne. Et, au partir
de Paris^ les mena à Lyon au devant du roy, si dex-
trement et vigillamment qu'on ne les eust sceu juger
prisonniers qui les eust veu, et aller en coche avec
elle; et toustesfois elle les remist entre les mains du
roy qui, pour sa venue, pardonna tout.
En après, qui est-ce qui desbaucha encores Mon-
sieur, frère du roy, de partir de Paris de belle nuict,
sortir de la compaignie du roy son frère qui l'ay-
moyt tant, et se deffaire de son amitié, pour pren-
dre les armes et brouiller toute la France? M. de La
Noue sçait tout cela*, et les menées qui s'en com-
mençarent dès le siège de La Rochelle, et ce que je
luy en dis. Ce ne fust donc pas la reyne mère; car,
par un tel et si inopiné deslogement de son fils, elle
en prist un tel regret de voir le frère bandé contre le
frère et son roy, qu'elle jura qu'elle mourroit en la
peine, ou elle les remettroit et rejoindroit comme
devant; ce qu'elle fist; car je luy vis dire à Blois,
estant ?ur le parlement avec Monsieur, qu'elle ne
supplioit rien tant Dieu que de luy envoier cette
grâce de réunion , et après qu'il luy envoiast la
mort , et qu'elle la recevroit du meilleur de son
cœur; ou bien qu'elle se vouloit retirer en ses mai-
sons de Monceaux et Chenonceaux , sans jamais se '
mesler plus des affaires de France, voulant para-
1. Voyez plus haut, p. 208.
CATHERINE DE MEDICIS. 361
chever le reste de ses jours en tranquillité. Et de
faiet, le vouloit faire ainsy; mais le roy la pria de
ne s'en oster, car luy et son royaume avoient grand
besoing d'elle. Je m'asseure que si elle n'eust faict,
ce coup, la paix, que c'estoit faict alors de la France;
car il y avoit lors cinquante mille estrangiers, tant
d'un costé que d'autre, qui eussent bien aydé à
Tabbattre et ruyner.
Ce ne fut pas donc elle, ce coup, qui fit prendre
les armes, non plus qu'aux premiers estats à Bloys,
lesquelz ne A-^ouloient qu'une seule relligion, et pro-
poser d'abolir lautre contraire à la leur; et par ce
demandarent que si on ne la pouvoit abolir par le
glaive spirituel, qu'il y falloit apporter le temporel.
Aucuns ont dict que la reyne les avoit gaignez; ce
sont abus, car d'aucunes provinces il y en eut force
qui apportarent des cayers qui ne faisoient rien pour
elle. Je ne dis pas qu'elle ne les gaigna par après; ce
qui fut un bon coup de partie et d'esprit; aussi que
ce ne fust pas elle qui demanda lesdicts estats : tant
s'en fault, les réprouva du tout, d'autant qu'ils dimi-
nuoient fort l'autliorité du roy et la sienne. Ce fu-
rent ceux de la relligion qui les avoient demandez,
il y avoit longtemps, et voulurent nommément, et le
requerirent par les articles de la paix dernière, qu'ils
fussent appeliez et tenus; à quoy la reyne y répu-
gnoit fort, prévoyant des abus. Toutesfois, pour les
contenter et qu'ils crioient tant après, ils les eurent
à leur confusion et dommage, non à leur profict et
contantement, comme ils pensoient; si bien qu'ils en
prindrent les armes. Ce ne fut pas la reyne encor
qui en fit le coup.
362 DES DAMES.
Bref, ce ne fut pas elle aussi qui les fit prendre
lorsqu'on prist Mont-de Marsan, La Fère en Picar-
die, et Cahors^ Je m'en rapporte à ce que dict le roy
à M. de Miossans, qui l'estoit venu trouver de la
part du roy de Navarre, qui le rabroua fort, et luy
dict ce pendant qu'on le paissoit de belles parolles,
prenoit-on les armes et prenoit-on ses villes.
Voylà donc comment ceste reyne a esté motrice
dé toutes nos guerres et nos feux, lesquels, encores
qu'elle ne les eust allumez, elle employoit tousjours
ses peines et tous ses labeurs pour les estaindre,
abhorrant de voir tant de noblesse et gens de
bien mourir. Et sans cela et sa commisération, tels
l'ont baye à mal mortel qui s'en fussent très-mal
trouvez, et seroient maintenant en terre, et leur
party ne fleuriroit tant qu'il faict : ce qu'il faut im-
puter .à sa bonté, dont nous aurions maintenant
grand besoing; car, ainsy que tout le monde le dict,
et le pauvre peuple le crie : « nous n'avons plus de
« reyne mère pour nous faire la paix. » Il ne tint pas
à elle qu'elle ne se fist^, lorsqu'elle vint en Guienne
dernièrement pour en traicter à Cougnac, à Jarnac,
avec le roy de Navarre et le prince de Condé. Je
sçay ce que luy en vis dire les larmes aux yeux et les
regrets au cœur, à quoy ces princes n'y vouloient
condescendre; et possible ne verrions-nous les mal-
heurs que nous avons aujourd'hui.
On l'a voulue accuser aussi d'avoir esté complice en
la guerre de la ligue. Pourquoy donc eust-elle entre-
pris ceste paix que je viens de dire, si elle en fust
1. En 1580. — 2. En d.-JSG. Voyez plus haut, p. 3S4.
CATHERINE DE MEDICIS. 363
esté? Poiirquoy eust-elle appaisé le tumulte des bar-
ricades de Paris, et réconcilié le roy avec M. de
Guise, pour le faire mourir et tuer, ainsi que nous
avons veu?
Or, pour fin, qu'on desbagoule contre elle tout ce
qu'on voudra, jamais nous n'en aurons une telle en
France si bonne pour la paix.
On l'a fort accusée du massacre de Paris : ce sont
lettres clauses pourmoy quand à cela, car alors j'es-
tois à nostre embarquement de Brouage; mais j'ay
bien ouy dire qu'elle n'en fut la première autrice*.
Il y a trois ou quatre autres, que je nommerois bien,
qui furent plus ardans qu'elle et qui l'y poussarent
fort, luy faisant accroire que, pour les menaces que
Ton faisoit à cause de la blesseure de M, l'admirai,
on tueroit le roy, et elle et ses enfans, et toute sa
court, ou qu'on seroit aux armes pis que jamais. En
quoy certes ceux de la relligion eurent grand tort de
faire telles menaces qu'on dict qu'ils faisoient; car
ils en empirarent le marché du pauvre M. l'admirai,
et luv en procurarent la mort. Que s'ils se fussent te-
nus coys et n'eussent sonné mot, et laissé guérir
M. l'admirai , il s'en fust allé après hors de Paris
tout bellement et à son aise, et n'en fust esté autre
chose.
M. de La Noue a esté bien de ceste opinion; et sçay
bien que lui et M. d'Estrozze et moy en avons parlé,
luy n'aiant jamais approuvé ces bravades, ces auda-
ces et menaces , et mesmes en la cour de son roy et
sa ville de Paris, que l'on fist; et en blasma mesme
1 . Jutrice, auteur.
364 DES DAMES.
fort M. de Theligni son beau-frère^ qui en estoit des
eschaufFez^ l'appellant et ses compaignons de vrays
folz et mal habilles. M. l'admirai n'usa jamais de ces
parolles, ainsy que j'ay ouy dire à aucuns, au moings
tout liault. Je ne dis pas qu'en secret et en privé
avec ses plus familiers qu'il n'en parlast hautement.
Et voylà la cause de la mort de M. l'admirai et du
massacre des siens_, et non pas la reyne, ainsy que
j'ay ouy dire à aucuns qui le sçavent bien, encor
qu'il y ait plusieurs qu'on ne leur sçauroit oster l'o-
pinion de la teste que ceste fusée n'eust esté fdlée de
longue main, et ceste trame couvée. Ce sont abus :
les moins passionnez le croient ainsi ; les plus obsti-
nez et passionnez le croient autrement; et bien sou-
vent nous donnons cet honneur aux roys et aux
grands princes que quelquesfois pour l'événement
des choses, et qu'elles sont arrivées, nous les disons
prudens et providens, et qui ont bien sceu dissimu-
ler; à quoy y ont autant songé qu'en tridet\
Pour retourner encores à nostre reyne, ses enne-
mis luy ont mis à sus qu'elle n'estoit pas bonne
françoise. Dieu le sçait, et de quelle affection je la vis
pousser pour chasser les Anglois hors du Havre de
Grâce, et ce qu'elle en dict à M. le Prince, et comme
elle l'y fit aller avec forces gentilshommes de son
party, et les compaignies couronnelles de M. d'An-
delot , et autres huguenottes , et comment elles
mesme en personne mena l'armée, estant montée
ordinairement à cheval comme une seconde belle
reyne Marfise, et s'exposant aux harquebusades et
i . Tridet; je n'ai pu trouver la signification de ce mot.
CATIIEIUNE DE MEDIGIS. 365
canonnades comme ung de ses capitaines, voyant
faire tousjours la l)aUerie, disant qu'elle ne seroit ja-
mais à son aise qu'elle n'eiist pris ceste ville et chassé
ces Anglois de France, liayssant plus que poison
ceux qui la leur avoient vendue. Aussi fit-elle tant
qu'enfin elle la rendist françoise.
Lorsque Rouen estoit assic'gé, je la vis en toutes les
collères du monde quand elle y vist entrer le secours
des Anglois, qui entrarent par la gallère françoise
qui avoit esté prise un an devant, craignant que
ceste place, faillant à estre prise par nous, vînt en la
domination des Anglois : aussi poussa-elle fort à la
roue, comme l'on dict, pour la prendre; et ne fail-
loit tous les jours à venir au fort Saincte-Catherine
tenir conseil et voir faire la batterie. Que je l'ay veue
souvant passant par ce chemin creux de Saincte-
Catherine ! Les canonnades et harquebusades pleu-
voient entour d'elle, qu'elle s'en soucioit autant que
rien.
Ceux qui lors y estoient l'ont veu aussi bien que
mov. Il y a encor aujourd'huy forces dames ses filles
qui luy accompagnoient, ausquelles le jeu ne plaisoit
trop; je le sçav et les y ay veues; et quand M. le
connestable et M. de Guise luy remonstroient qu'il
luy en arriveroit du malheur, elle n'en faisoit que
rire et dire pourquoy elle s'y espargneroit non plus
qu'eux, puisqu'elle avoit le courage aussi bon qu'eux,
mais non la force que son sexe luy desnioit; car pour la
peine elle l'enduroit très-bien, fust à pied ou à che-
val. Et pense que dès longtemps ne fut reyne ny prin-
cesse mieux à cheval, ny s'y tenant de meilleure
grâce; ne sentant pour cela sa dame hommasse en
366 DES DAMES.
forme et façon d'amazonne bisarre, mais sa gente
princesse, belie^ bien agréable et douce.
On a dict d'elle, qu'elle estoit fort espaignoUe.
Certainement, tant que sa bonne fille a vescu, elle a
avmé l'Espagne; mais après qu'elle a esté morte on
sçait, au moins aucuns, si elle a eu occasion de
l'avmer, et la terre et la nation. Bien est vray qu'elle
a esté tousjours si prudente jusques là, qu'elle a
voulu tousjours entretenir le roy d'Espaigne comme
son bon gendre, afïin qu'il en traictast mieux sa belle
et bonne fille, comme est la coustume des bonnes
mères, aussi affin qu'il ne nous vint troubler la
France, ny faire la guerre, selon son brave cœur et
naturel ambitieux. D'aucuns aussi ont voulu dire
qu'elle n'aymoit point la noblesse de France, et en
desiroit fort le sang respandu. Je m'en rapporte à
tant de paix par elle faictes, combien elle l'a espar-
gné : et, outre cela, qu'on prenne esgard à elle, tant
qu'elle a esté régente et ses enfans en minorité, si
l'on a veu à la court tant de querelles et combats
comme il s'en est veu despuis; car elle n'y en a ja-
mais voulu voir; et tousjours a faict expresses def-
fences de ne venir là, et faict chastier ceux qui y
contrevenoient. Du despuis, je l'ay veue bien sou-
vent à la court, quand le roy alloit quelquesfois de-
hors pour y séjourner quelques jours, et qu'elle de-
meuroit absolue et seule à la court, du temps que
les querelles commançarent à se rendre communes,
et les combats. Jamais elle n'en voulut permettre
ung, et soudain commandement faict aux capitaines
des gardes de faire les deffences, et aux mareschaux
et capitaines de les accorder : aussi, pour dire vray,
CATHERINE DE MÉDICIS. 367
on la craigiioit plus que le roy en cela; car elle sça-
voit bien parler à ces désobéissans et desreglez, et les
ravaudoit terriblement.
Je me souviens qu'une fois, le roy estant aux bains
de Bourbon*, feu mon cousin de La Chastigneraye
eut une querelle contre Pardailhan*. Elle le fist cher-
cher partout pour lui defl'endre de ne se battre, sur
la vie; mais, ne s'estant peu trouver par deux jours
entiers, elle le fit guetter si bien, que, par un diman-
che matin, luy, estant en l'isle de Louviers, attendant
son ennemy, le grand prévost le vint surprendre là
et l'emmena prisonnier, par le commandement de la
reyne, dans la Bastille; mais il n'y demeura qu'une
heure pourtant; et après l'envoya quérir, et lui en
fît la réprimande moitié aigre, moitié douce, ainsy
qu'elle estoit toute bonne et rude quand elle vouloit.
Je sçay bien ce qu'elle m'en dict aussi, d'autant que
j'estois pour seconder mondict cousin : que comme
le plus aagé je debvois estre le plus sage.
I-.'année que le roy tourna de Polongne', il s'es-
meut une querelle entre messieurs de Grillon et
d'Entraguet, tous deux braves et vaillans gentilshom-
mes; et s'estans appeliez et prests à se battre, le roy
leur fit faire deffence par M. de Rambouillet, l'un de
ses capitaines des gardes lors en quartier, de ne se
battre; et fit commandement à M. de Nevers et ma-
reschal de Retz de les accorder, à quoy ils faillirent.
i . Bourbon-l'Archambaut (Allier).
2. Charles de Vivonne, baron de la Chastaigneraie. — Hector
de Gondrin, seigneur de Pardaillan.
3. En 1374.
3G8 DES DAMES.
La reyne les envoya quérir le soir en sa ehamlDre; et
d'autant que leurs querelles touchoient deux grandes
dames des siennes, elle leur commanda en toute ri-
gueur, et pria après en toute douceur, de se rappor-
ter à elle tous deux: de leur différent, puisqu'elle
leur faisoit l'honneur de s'en mesler, et, puisque les
princes, mareschaux et capitaines, avoient failly à
leur accord, qu'elle en vouloit avoir la cognoissance
et la gloire : parquoy elle les rendist amis, et les fist
embrasser sans autre forme, en prenant le tout sur
elle; si bien que, par sa prudence, le subjeet de la
querelle, qui touclioit un peu l'honneur de ses deux
dames et estoit escabreux, ne fut jamais sçeu ny pu-
blié. Voylà une grande bonté de princesse! Et puis
dire qu'elle n'aymoit point la noblesse! Ha! si faisoit;
elle la cognoissoit et l'extimoit trop. Je croy qu'il n'y
avoit grande maison en son royaume qu'elle ne co-
gneut, et disoit l'avoir appris du grand roy François,
qui sçavoit toutes les généalogies des grandes familles
de son royaume, et aussi du roy son mary, lequel
avoit cela, que, quand il eut veu une fois un gentil-
homme, il le cognoissoit tousjours, fust en sa face ou
en ses faicts ou en sa réputation.
J'ay veu ceste reyne , souvent et ordinairement,
lorsque le roy son fils estoit mineur, prendre la
peine de lui présenter elle-mesme les gentilshommes
de son royaume, et luy ramentevoit : « Un tel a faict
« service au roy vostre grand père, en tels et tels
« endroicts, un tel à vostre père, » et ainsy de tous
les autres; et commander de s'en ressouvenir, et de
les aimer, et de leur faire du bien, et de les recog-
noistre une autre fois : ce qu'il sceut très-bien faire
CATHERINE DE MÉDICIS. 369
puis après; car, par telle inslruclion, ce roy cognois-
soit fort bien les gens de bien, de race et d'hon-
neur, qui estoient en son royaume.
Ces détracteurs aussi ont dict qu'elle n'aymoit
point son peuple. Il y a paru. Fust-il jamais tant tiré
de tailles, subsides, imposts et autres deniers, tant
qu'elle a demeuré gouvernant la minorité de ses en-
fans, comme il en a esté tiré depuis en une seule an-
née? Luy a-on trouvé tant d'argent caché, et aux
banques d'Italie, comme l'on crioit tant? Tant s'en
faut, qu'après sa mort on ne luy a trouvé un seul
sol : et, ainsi que j'ay ouy dire à aucuns de ses finan-
ciers et aucunes de ses dames, qu'elle s'est trouvée
après sa mort endebtée de huict cens mill' escus, les
gages de ses dames, gentilshommes et officiers de sa
maison, deubs d'une année, et son revenu d'un an
mangé; si bien que, quelques mois avant mourir,
ses financiers hiy remonstrarent cette nécessité ; et
elle en rioit, et disoit qu'il falloit louer Dieu de tout
et trouver de quoy vivre. Voylà son avarice et le
grand trésor qu'elle amassoit, comme Ton disoit.
Elle n'avoit garde d'en faire; car elle avoit le cœur
tout noble, tout libéral et tout magnifique, et tout
pareil à celui de son grand oncle le pape Léon *, et
du magnifique le seigneur Laurens de Médicis; car
elle despensoit et donnoit tout, ou faisoit bastir, ou
despensoit en d'honnorables magnificences; et pre-
noit plaisir de donner tousjours quelque récréation à
son peuple ou à sa court, comme en festins, balz,
dances, combats, couremens de bagues dont elle en
1. Léon X.
VII — 24
370 DES DAMES.
a faict trois fort superbes en sa vie : l'un qui fut faict
à Fontainebleau au mardy gras après les premiers
troubles, où il y eut et tournois et rompement de
lances , combats à la barrière , bref toutes sortes de
jeux d'armes, avec une commédie sur le subject de
la belle Genièvre de l'Arioste, qu'elle fit représenter
par madame d'Angoulesme et par ses plus honnestes
et belles princesses, et dames et filles de sa court,
qui certes la représen tarent très-bien, et tellement
qu'on n'en vist jamais une plus belle; puis à
Bayonne, à l'entreveue de la reyne sa bonne fille, où
la magnificence fut telle en toutes choses que les Es-
pagnolz, qui sont fort desdaigneux de toutes autres,
fors des leurs, jurarent n'avoir rien veu de plus beau,
et que le ' roy n'y sçauroit pas approcher; et s'en
retournarent ainsi édifiiez.
Je sçay que plusieurs en France blasmarent ceste
despence par trop superflue; mais la reyne disoit
qu'elle le faisoit pour monstrer à l'estranger que la
France n'estoit si totalement ruinée et pauvre, à
cause des guerres passées, comme il l'estimoit; et
que, puisque pour tels esbatz on sçavoit despendre,
que pour les conséquences et importances on leur
sçauroit encore mieux faire; et que d'autant plus la
France en seroit mieux estimée et redoubtée, tant
pour en voir ses biens et richesses, que pour voir
tant de gentilshommes si braves et si adroicts aux
armes, ainsy que certes il s'y en trouva là beaucoup,
et qu'il fit très-bon veoir, et dignes d'estre admirez.
Davantage il estoit bien raison que pour la plus
i . Le, leur.
CATHERINE DE MEDICIS. 371
grande reyne de la chrestienté, la plus belle, la plus
honneste et la meilleure, on fist quelque solemnelle
feste par dessus les autres; et vous asseure que si
elle ne se fust faicte telle, l'estrangier se fusl fort
mocqué de nous, et s'en fust retourné en opinion de
nous tenir tous en France pour de grands gueux. Ce
n'est donc pas sans une bonne et juste considération
que cette sage et advisée reyne fist ceste despense,
comme ell' en fist aussi une fort belle à l'arrivée des
Poulonnois à Paris ', qu'elle festina fort superbement
en ses Tuilleries : et après souper, dans une grand'
salle faicte à poste et toute en tournée d'une infinité
de flambeaux, elle leur représenta le plus beau ballet
qui fut jamais faict au monde (je puis parler ainsy).
lequel fust composé de seize dames et damoiselles
des plus belles et des mieux apprises des siennes, qui
comparurent dans un grand roch tout argenté, où
elles estoient assises dans des niches en forme de
nuées de tous costez. Ces seize dames représentoient
les seize provinces de la France, avecques une musi-
que la plus mélodieuse qu'on eust sceu voir; et après
avoir faict dans ce roch le tour de la salle par parade
comme dans un camp, et après s'estre bien faict
voir ainsi, elles Aindrent toutes à descendre de ce
roch, et s'estant mises en forme d'un petit bataillon
bizarrement invanté, les violons montans jusques à
une trentaine, sonnans quasy un air de guerre fort
plaisant, elles vindrent marcher soubs l'air de ces
violons, et par une belle cadance sans en sortir ja-
1 . Les Polonais, envoyés pour offrir au duc d'Anjou le trône de
Pologne, firent leur entrée à Paris le 49 août 1S73.
372 DES DAMES.
mais, s'approcher et s'arrester un peu devant Leur
Majestez, et puis après danser leur ballet si bizarre-
ment in vanté, et par tant de tours, contours et des-
tours, d'entrelasseures ' et meslanges, affrontements et
arrests_, qu'aucune dame jamais ne faillit de se trouver
à son poinct ny à son rang : si bien que tout le monde
s'esbalîit que , parmi une telle confusion et un tel
désordre, jamais ne faillirent leurs ordres, tant ces
dames avoient le jugement solide et la retentive
bonne, et s'estoient si bien apprises. Et dura ce bal-
let bizarre pour le moins une heure, lequel estant
achevé, toutes ces dames, représentans lesdictes seize
provinces que j'ay dict, vindrent à présenter au roy,
à la reyne, au roy de Polongne, à Monsieur, son
frère, et au roy et reyne de Navarre, et autres grands
et de France et de Polongne, chacune à chacun une
placque toute d'or, grande comme de la paulme de la
main, bien esmaillé et gentiment en œuvre, où es-
toient gravez les fruicts et les singularitez de chasque
province, en quoy elle estoit plus fertille, comme :
la Provence des citrons et oranges, en la Champai-
gne des bledz, en la Bourgongne des vins, en la
Guyenne des gens de guerre (grand honneur certes
celuy-là pour la Guyenne), et ainsy consécutivement
de toutes autres provinces.
A Bayonne, tels quasy semblables présens se firent
en un combat qui s'y fîst, que je représenterois bien,
et tous lesdicts présens et les dames qui les receu-
rent (mais cela est long) ; mais les hommes les don-
noient aux dames et icy les dames aux hommes. Et
i Jintrelasxeures, entrelacements.
CATHERINE DE MÉDICIS. 373
notiez que toutes ces inventions ne venoient d'autre
boutique ny d'autre esprit que de la reyne; car elle
y esloit maistresse et fort inventive en toutes choses.
Elle avoit cela que, quelques magnificences qui se
fissent à la court, la sienne passoit toutes les autres.
Aussi disoit-on qu'il n'y avoit que la reyne-mère
pour faire quelque chose de beau. Et si telles des-
penses coustoient, aussi donnoient-elles du plaisir;
disant en cela souvent qu'elle vouloit imiter les em-
pereurs romains qui s'estudioient d'exhiber des jeux
au peuple et luy donner plaisir et l'amuser autant en
cela sans luy donner loisir à mal faire.
D'ailleurs, et outre ce qu'elle se délectoit à donner
plaisir à ce peuple_, elle leur donnoit bien à gaigner;
car elle aymoit fort toutes sortes d'artizans et les
payoit bien_, et les occupoit souvent chacun en son
art, et ne les faisoit point chaumer, et surtout les
massons et architectes ainsi qu'il parest en ses belles
maisons des Tliuilleries, imparfaicles pourtant, de
Sainct-Mor, Monceau et Chenonceaux. Et aimoit
aussi fort les gens sçavans et si lisoit volontiers, ou
se faisoit lire leurs oeuvres qu'ilz luy présentoient,
ou qu'elle avoit sceu qu'ils avoient escript, et les
faisoit achepter, jusques à lire les belles invectives
qui se faisoient contre elle, dont elle se mocquoit
et s'en rioit sans s'en altérer autrement, les appel-
lant des bavards et des donneurs de billevesées ;
ainsy usoit elle de ce mot, et elle vouloit tout sça-
voir.
Au voyage de Lorraine des seconds troubles, les
huguenots avoient avec eux une fort belle et grande
couUevrine et la nommoient la reyne mère. Ils furent
374 DES DAMES.
contraincts l'enterrer à Villenozze \ ne la pouvant
Iraisner à cause de leurs grandes traictes , mauvais
atelage et pesanteur, qui jamais pourtant ne peut
estre descouverte ny trouvée. La reyne sçacliant
qu'on luy avoit ainsi donné son nom, elle voulut
sçavoir pourquoy. Il y eust quelqu'un, après en avoir
esté fort pressé d'elle de le dire, il respondit : « C'est,
« madame, parce qu'elle avoit le calibre plus grand
« et plus gros que les autres. » Elle n'en fist que
rire la première.
Elle n'espargnoit point sa peine à lire quelque
chose qu'elle eust en fantaisie. Je la vis une fois, es-
tant embarquée à Blaye pour aller disner à Bourg,
tout du long du chemin lire en parchemin, comme
un rapporteur ou advocat , tout un procès verbal
que l'on avoit faict de Dard ois, basque, secrétaire
favory de feu M. le connestable, sur quelques me-
nées et intelligences dont il avoit esté accusé et con-
stitué prisonnier à Rayonne. Elle n'en osta jamais la
veue qu'il ne fust achevé de lire, et si avoit plus de
dix pages de parchemin. Quand elle n'estoit point
empeschée, elle-mesme lisoit toutes les lettres de con-
séquence qu'on luy escrivoit, et le plus souvent de sa
main en faisoit les despesches, cela s'appelle aux
plus grandes et ses privées personnes. Je la vis une
fois, pour une après-disnée, escrire de sa main vingt
paires de lettres et longues.
Elle disoit et parloit fort bien fi'ançois, encor
1 . 11 y a deux Villenoxe, tous eux en Champagne : Villenoxe-
la -Grande dans l'Aube et Villenoxe -la -Petite dans Seine-et-
Marne.
CATHERINE DE MÉDICIS. 375
qu'elle fust italienne. A ceux de sa nation pourtant
ne parloit que bien souvent François, tant elle hon-
noroit la France et sa langue, et faisoit fort paroistre
son beau dire aux grands, aux estrangiers et aux
ambassadeurs qui la venoieut trouver tousjours après
le roy. Elle leur respondoit fort pertinemment, avec
une fort belle grâce et majesté, comme je l'ay veue
aussi parler aux courts de parlement, fût en public,
fût en privé; et qui bien souvent les menoit beau,
quand ils s'eslravaguoient ou faisoient trop des rete-
nus, et ne vouloient condescendre aux édicts faicts
en son conseil privé ou ordonnances du roy et les
siennes. Asseurez-vous qu'elle parloit bien en reyne
et se faisoit bien redouter en reyne. Je la vis une
fois à Bourdeaux, lorsqu'elle mena la reyne de Na-
varre sa fille au roy son mary (elle m'avoit com-
mandé dès la court d'aller avec elle) bien parler à
ces messieurs, qui ne vouloient abolir quelque cer-
taine confrairie par eux in vantée et observée, ce
qu'elle vouloit nommément casser, prévoyant qu'elle
apporteroit quelque queue à la fin qui ne vaudroit
rien et préjudicieroit à l'Estat *. Ils la vindrent trou-
ver à l'évesché dans le jardin où elle estoit se pour-
menant, un dimanche matin. Il y en eust un qui
porta la paroi! e pour tous, pour lui donner à enten-
dre le fruict de ceste confraiine et l'utilité qu'elle ap-
portoit pour le public. Elle, sans estre préparée, res-
pondit si bien par de si belles parolles et apparentes
raisons et propres pour la randre mal fondée et
4. Il a déjà été question de l'abolition de cette confrérie, t. III,
p. 382-383.
376 DES DAMES.
odieuse^ qu'il n'y eut là pas un qui n'admirast l'es
prit de ceste reyne et ne demeurast estonné et con-
fus; d'autant, que pour la dernière parolle, elle dict :
« Non; je veux, et le roy mon filz, qu'elle soit ex-
ce terminée, et qu'il n'en soit jamais plus parlé,
« pour des raisons secrettes que je ne vous veux
« dire, outre celles que je vous ay dict; autrement
« je vous ferai ressentir que c'est que de désobéir au
« roy et à moy. » Par ainsy chacun calla, et plus
jamais n'en fust parlé.
Elle faisoit de ses tours bien souvent à l'endroict
des princes et des plus grands, quand ils avoient
failly grandement, et qu'elle prenoit sa collère, et
qu'elle faisoit de l'altière ; n'estant rien au monde si
superbe et brave qu'elle, quand il falloit, n'espar-
gnant nullement les véritez à un chacun.
J'ay veu feu M. de Savoye*, qui avoit accoustumé
l'empereur, le roy d'Espaigne, et veu tant de grands,
la craindre et la respecter plus que si ce fust esté sa
mère, et M. de Lorraine de mesmes, bref tous les
grands de la clirestienté. J'en alléguerois plusieurs
exemples; mais à une autre fois, et à leur tour, je les
diray : pour ce coup, me suffira de ce que j'en ay
dict.
Entre toutes ses perfections , elle estoit bonne
chrestienne et fort dévote, faisant souvent ses pas-
ques, et ne faillant jamais touts les jours au service
divin, à ses messes et ses vespres, qu'elle rendoit
fort agréables autant que dévotes, par les bons chan-
tres de sa chappelle, qu'elle avoit été curieuse de
i . Emmanuel-Philibert.
CATHERINE DE MEDICIS. 377
recouvrer des plus exquis : aussi naturellement elle
avmoit la musique, et en donnoit souvent plaisir à
sa court dans sa chambre, qui n'estoit nullement
fermée aux honnestes dames et honnestes gens, voire
à tous et à toutes, ne la voulant resserrer à la mode
d'Espagne, ny d'Italie son pays, ny mesmes comme
nos autres reynes Elizabetli d'Austriche et Loyse de
Lorraine ont faict; mais disoit que, tout ainsy que
le roy François son beau-père, qu'elle honnoroit
fort, la luy avoit dressée et faicte libre, qu'elle la
vouloit ainsy entretenir à la vraye françoise, sans en
rien innover ni réformer, et qu' ainsi aussi le roy son
mary l'avoit voulu : aussi sa chambre estoit tout le
plaisir de la court.
Elle avoit ordinairement de fort belles et honnestes
filles, avec lesquelles tous les jours en son anticham-
bre on conversoit , on discouroit et divisoit ', tant
sagement et tant modestement que l'on n'eust osé
faire autrement; car le gentilhomme qu'y failloit en
estoit banny et menacé, et en crainte d'avoir pis,
jusques à ce qu'elle luy pardonnoit et faisoit grâce,
ainsi qu'elle y estoit propre et toute bonne de soy.
Pour fin, sa compagnie et sa court estoit un vray
paradis du monde et escolle de toute honnesteté, de
vertu, l'ornement de la France, ainsi que le sçavoient
bien dire les estrangiers quand ils y venoient; car
ils y estoient très-bien receus, et commandement
exprès à ses dames et filles de se parer, lors de leur
venue, qu'elles paroissoient déesses, et les entre-
tenir sans s'amuser ailleurs; autrement elles estoient
1, Divisait, devisait.
378 DES DAMES.
bien tancées d'elle , et en avoient bien la répri-
mande.
Bref, sa court a esté telle, que, quant elle a esté
morte, on a dict par la voix de tous que la court
n'estoit plus la court, et que jamais plus il n'y au-
roit en France une reyne mère. Mais quelle court
estoit-ce? telle que je crois que jamais emperière de
Rome de jadis n'en a tenu, pour dames, une pareille
d'ordinaire, ny nos roys de France. Bien est-il vray
que ce grand empereur Charlemagne et roy de
France, de son vivant prist grand plaisir faire et
dresser des courts grandes et planières, tant des
pairs, ducs, contes, paladins, barons et chevaliers
de France, que de dames leurs femmes et damoi-
selles leurs filles, et plusieurs autres de toutes con-
trées, pour tenir compagnie et court, ainsy que disent
les vieux romans de ce temps, à l'impératrice et
reyne, pour voir les belles jouxtes, tournois, magni-
ficences qui s'y faisoient très-superbes par une grande
trouppe de chevaliers errans venans de toutes parts.
Mais quoy ! ces belles et grandes assemblées et com-
pagnées ne se faisoient ny se voyoient que trois ou
quatre fois de l'an, et puis au partir de la feste se
despartoient et se retiroient en leurs terres et mai-
sons, jusques à une autre fois, encores qu'aucuns
disent que ce Charlemagne fut, sur sa vieillesse, fort
adonné aux femmes, mesmes que ses filles furent
bonnes compagnes, et que Louys le Débonnaire, à
l'advènement de la couronne, fut contrainct de ban-
nir ses sœurs en certains lieux pour avoir esté trop
escandalisées de l'amour avec les hommes, et si
chassa une infinité de dames qui estoient de la
CATHERINE DE MEDIGIS. 379
joyeuse bande. Ces courts pourtant dudict Charle-
magne n'estoient de durée, je dis du temps de ses
beaux ans; car il s'amusoit lors aux guerres, selon
noz vieux romans ; et sur ses jours , sa court
estoit ainsy par trop desbordée, comme j'ay dict;
mais la court de nostre roy Henry IP et de nostre
reyne estoit ordinaire ', fust en guerre, fust en paix,
fust ou pour résider ou demeurer en un lieu pour
quelques mois, fust qu'elle se remuast en autres
maisons de plaisance et chasteaux de noz roys, qui
n'en ont point de faute, et en ont plus que roys du
monde. Geste belle et grande compagnie tousjours,
au moins la majeure part, marchoit et alloit avec sa
reyne; si que d'ordinaire pour le moings sa court
estoit plaine de plus trois cens dames ou damoiselles.
Aussi les mareschaux des logis et fourriers du roy
affirmoient qu'elles tenoient tousjours la moitié des
logis, ainsy que j'ay veu l'espace de trente-trois ans
que j'ay pratiqué tousjours la court sans guère l'a-
bandonner, fors aux voyages de nos guerres et autres
estrangiers : mais, estant de retour, j'y estois d'or-
dinaire; car le séjour m'en estoit fort agréable,
comme n'en aiant jamais veu ailleurs plus beau; et
pense que par le monde, depuis qu'il est faict, on
n'en a jamais veu de pareil : et d'autant que le beau
nom de ces belles dames qui assistoient à nostre
reyne à décorer sa court ne se doibl taire, j'en met-
tray icy aucunes, selon qu'il m'en souviendra, que
j'ay veu sur la fin du mariage de la reyne , car para-
vant j'estois trop jeune, et durant sa viduité.
i . Ordinaire, habituelle.
380 DES DAMES. ]
Premièrement, il y avoit mesdames les filles de
France. Je les mets les premières; car jamais elles ne
perdent leur rang et vont devant toutes autres, tant
ceste maison est grande et noble, sçavoir ' :
Madame Elizabeth de France, despuis reyne d'Es-
pagne ;
Madame Claude, despuis duchesse de Lorraine;
Et madame Marguerite, despuis reyne de Navarre;
Madame la sœur du roy, despuis duchesse de Sa-
voye;
La reyne d'Escosse, despuis reyne dauphine, et
reyne de France ;
La reyne de Navarre, Jeanne d'Allebret;
Madame Catherine sa fille, aujourd'huy Madame
la sœur du roy;
Madame Diane, fille naturelle du roy *, despuis
légitimée, et madame de Castres, et en secondes
nopces madame de Montmorency, et puis madame
d'Angoulesme ^;
Madame d'Anguien, de la maison de Sainct-Pol et
Touteville, héritière*;
i. Le Laboureur, qui, dans les Additions aux Mémoires de
Castelnau, a été le premier à faire connaître Brantôme dont il a
donné de nombreux extraits, a publié, entre autres, la notice de
Catherine de Médicis. Il a accompagné cette énumération des
dames de la cour de notes dont nous avons profité, et où il a cor-
rigé quelques erreurs commises par notre historien.
2. Henri IL
3. Comme on le verra dans ce volume et dans le suivant,
Brantôme a consacré une notice à toutes ces princesses, à l'excep-
tion de Jeanne d'Albret et de sa fille Catherine qui devint du-
chesse de Bar.
4. Marie de Bourbon, comtesse de Saint-Pol, femme 1° de Jean
CATHERINE DE MEDICIS. 381
Madame la princesse de Condé,' de la maison de
Roye';
Madame de Ne vers, de la maison de Vandosme*;
Madame de Guise, de la maison dé Ferrare ' ;
Madame Diane de Poictiers, duchesse de Valanti-
nois ;
Mesdames les duchesses d'Aumalle et de Bouillon ,
ses filles*;
Madame la marquise de Rothelin, de la maison de
Rohan*;
Madame de Montpensier, de la maison de Longvi
ou Givry^ ;
Madame l'admiralle de Brion, sa sœur^ ;
Madame de Rieux, sœur de M. de Montpensier*;
Madame la marquise d'Elbeuf, sa fille, de la maison
de Rieux';
de Bourbon, comte d'Enghien; 2° de François de Clèves, duc de
Nevers; 3° de Léonoi- d'Orléans, duc de Longueville.
1. Léonore de Roye, première femme de Louis de Bourbon,
prince de Gondé.
2. Marguerite de Bourbon, femme de François de Clèves, duc
de Nevers.
3. Anne d'Esté, femme du duc François de Guise.
4. Louise de Brezé, femme de Claude de Lorraine, duc d'Au-
male, et Françoise de Brezé, femme de Robert de la Marck, duc
de Bouillon.
b. Jacqueline de Rohan, femme de François d'Orléans, mar-
quis de Rothelin.
6. Jacqueline de Longwy, femme de Louis de Bourbon, duc
de Montpensier.
7. Françoise de LongAvy, femme de l'amiral Chabot, seigneur
de Brion.
8. Suzanne de Bourbon, femme de Claude de Rieux.
9. Louise de Rieux, femme de René de Lorraine, marquis
d'Elbeuf.
382 DES DAMES.
Madame la princesse de la Roche-sur-Ion, vefve du
mareschal de Montejean ' ;
Madame la mareschalle de Sainct-André^ de la
maison de Liistrac*;
Madame la mareschalle de Strozzi, de la maison
des Médicis, fort proche de la reyne';
Madame la contesse de Sommerive et de Tande,
sa fille*;
Madame la contesse d'Urfé_, sa proche et grande
confidente®;
Madame la mareschalle de Brissac, de la maison
d'Estellan en Normandie^;
Madame la mareschalle de Termes_, du Piedmont'';
Madame la connestable';
Madame la mareschalle d'Amville, de la maison de
Bouillon®;
Madame Tadmiralle de Chastillon, de la maison
de Laval'";
Madame de Roye, sœur de M. l'admirai " ;
i . Philippe de Montespedon, femme de René de Montejean.
2. Marguerite de Lustrac, femme du maréchal de Saint- André.
3. Madeleine de Médicis, femme de Pierre Strozzi.
4. Clarisse Strozzi, femme d'Honorat de Savoie, comte de
Sommerive et de Tende.
5. Renée de Savoie, femme de Jacques, marquis d'Urfé.
6 . Charlotte le Picart, dame d'Estelan.
7. iV. de Saluées, femme du maréchal Paul de Termes. [
8. Madeleine de Savoie, femme d'Anne de Montmorency.
9. Antoinette de la Mark , première femme du connétable
Henri de Montmorency.
10. Charlotte de Laval, première femme de l'amiral deColigny.
il. Madeleine de 31ailly, femme de Charles de Roye, comte de
Roucy.
CATHERINE DE MEDICIS. 383
Madame d'Andelot, de la maison de Laval, héri-
tière*;
Madame de Martigues, dite avant madamoiselle de
Villemontays, grande favorite de la reyne d'Eseosse' ;
Madame de Cursol, despuis duchesse d'Uzais' ;
Madame la contesse de la Rocliefoucault, de la
maison de la Mirande*;
Madame de Randan, sa sœur";
Madame la contesse de la Rochefoucault en se-
condes nopces, de la maison de Roye, sœur de la
princesse de Condé*;
Bref, un' infinité d'autres belles dames avoit cette
reyne, dont il ne me peut pas souvenir, quand elle
estoit durant quelque temps" de son règne et de ma-
riage; puis estant vefve elle eust les deux reynes ses
belles-filles, Elisabeth d'Autriche et Louyse de Lor-
raine ;
La reyne de Navarre, sa fille, le miracle du monde;
Madame la princesse de Navarre, sa belle-sœur';
i. Claude de Rieux, femme de Fr. d'Andelot,
2. Marie de Beaucaire, femme de Sébastien de Luxembourg,
vicomte de Martigues.
3. Louise de Clerrabnt, mariée en secondes noces à Antoine
de Crussol, premier duc d'Uzès.
4. Sylvia Pica de la Mirande, première femme de François de
la Rochefoucauld.
5. Fulvia Pica de la Mirande, femme de Charles de la Roche-
foucauld, comte de Randan.
6 . Charlotte de Roye, seconde femme de François de la Roche-
foucauld.
7. Durant quelque temps, dans les premiers temps.
8. Sa belle sœur, Catherine de Bourbon, belle-sœur de la reine
Marguerite.
384 DES DAMES.
Madame la princesse de Condé, de la maison de
Longueville * ;
Madame la princesse de Condé, sa belle-fille, de
la maison de Nevers* ;
Madame de Nevers, sa sœur, héritière de la mai-
son, et l'aîsnée ' ;
Madame de Guise, leur seconde sœur, mariée en
premières nopces au prince Portian, et puis avec
M. de Guise * ;
Madame de Nevers, de la maison de Monlpensier,
vefve du conte d'Eu, despuis M. de Nevers^;
Madame de JNevers, de la maison de Bouillon,
mariée au second M. de Nevers, et despuis avec M. de
Clermont-Tallard , et avec M. de Sagonne après* ;
Madame de Montpensier, de la maison de Guize';
Madame de Bouillon , de la maison de Mont-
pensier ^ ;
1. Françoise d'Orléans, seconde femme de Louis de Bourbon,
prince de Condé.
2. Marie de Clèves, première femme de Henri de Bourbon,
prince de Conde'.
3. Henriette de Clèves, duchesse de Nevers, femme de Louis
de Gonzague.
4. Catherine de Clèves, femme 1° d'Antoine de Croy, prince
de Porcien, 2° du duc Henri de Guise.
5. Anne de Bourbon, femme de François de Clèves, duc de
Nevers.
6. Diane de la Mark, femme i° de Jacques de Clèves, duc de
Nevers; 2° de Henri de Clermont, comte de Tonnerre; 3° de Jean
Babou, comte de Sagonne.
7. Catherine de Lorraine, seconde femme de Louis de Bour-
bon, duc de Montpensier.
8. Françoise de Bourbon, femme de Henri-Robert de la Mark,
duc de Bouillon.
CATHERINE DE MÉDICIS. 388
Madame de Longueville, vefve de messieurs d'An-
guien et Nevers ' ;
Madame la Princesse Dauphine, de la maison de
Mézières et d'Anjou';
Madame de Candalle, de la maison de Montmo-
rency ' ;
Madame d'Espernon, sa fille*;
Madame de Joyeuse^, sœur de la reyne";
Madame de Mercure , fille de M. de Marti-
gues«;
Madame la princesse de Conty, de la maison de
Lusse ' ;
Madame de Raix de la maison de Dampierre,
vefve de feu M. d'Annebaut, et puis remariée à M. de
Raiz«;
Madame la contesse Fiasque, de la maison d'Es-
trozze, fille de Robert Strozze';
i. Marie de Bourbon, voyez page 380, note 4.
2. Renée d'Anjou, marquise de Mézières, femme de François
de Bourbon , duc de Montpensier, dauphin d'Auvergne , dit le
Prince Dauphin.
8. Marie de Montmorency, femme de Henri de Foix, comte de
Candale,
4. Marguerite de Foix, femme du duc d'Espernon.
5. Marguerite de Lorraine, femme 1" d'Anne, duc de Joyeuse;
2° de François de Luxembourg, duc de Piney.
6. Marie de Luxembourg, femme de Philippe-Emmanuel de
Lorraine, duc de Mercœur,
7. Jeanne de Coesmes, dame de Lucé, première femme de
François de Bourbon, prince de Conti.
8. Claude-Catherine de Clermont, femme 1° de Jean, seigneur
d'Annebaut et de Raiz ; 2° d'Albert de Gondi , maréchal de
Raiz.
9. Alfonsine Strozzi, femme de Scipion de Fiesque.
386 T^ES DAMES.
Madame la mareschalle de Biron, de la maison de
Sainct-Blancqiiart' ;
Madame de La Vallette, de la maison du Bou-
chage * ;
Madame la mareschalle de Joyeuse, sa sœur ais-
nëe';
Madame de Nançay, son autre sœur*;
Madame du Bouchage, de la maison de La Val-
lette ^ ;
Madame la duchesse d'Uzais la dernière, de la
maison de Clermont-Tallard * ;
Madame de Moatlor, sa sœur ; et madame de Ma-
non, son autre sœur ' ;
Mesdames de Cypierre et Alluye, sœurs, de la
maison de Pienne * ;
Mesdames de Barbezieux, de Pienne et de Chas-
1 . Jeamie de Saint-Blancart , femme du premier maréchal de
Biron.
2. Jeamie de Batarnay, femme de Bernard de Nogaret, sei-
gneur de la Valette.
3. Marie de Batarnay, femme de Guillaume de Joyeuse, maré-
chal de France.
4. Gabrielle de Batarnay, femme de Gaspard de la Chastre,
seigneur de Nancey.
o. Catherine de la Valette, femme de Henri, comte du Bou-
chage, duc de Joyeuse.
6 . Françoise de Clermont , fournie de Jacques de Crussol , duc
d'Uzès.
7. Diane de Clermont, femme de Flory- Louis , seigneur de
Montlaur. — Charlotte de Clermont, mariée en secondes noces à
Jean d'O, seigneur de Manou.
8. Louise de Halluin, femme de Gilbert de 3Iarcilly, seigneur
de Cipierre. — Anne de Halluin, femme de Florimond Robertet,
seigneur d'Alluye.
CATHERINE DE MÉDICIS. 387
teauroiix , toutes trois sœurs , de la maison de
Brion ' ;
Mesdames de Carnavallet, l'une de la maison de
Vueil, et l'autre de la maison de La Baume ^ ;
Madame de Rouanays, de la maison de Sainct-
Blansay, dicte avant madame de Chasteau-Briant,
fort favorite de la reyne_, sa maistresse';
Madame de Sauve, sa niepee*;
Madame de Lenoncourt, despuis madame de Gui-
mené'
A 5 .
•>
Madame de Schomberg^ ;
Madame de Sansac , de la maison de Mont-
beron ' ;
! . Françoise Cliabot, femme de François de la Rochefoucauld,
baron de Barbezieux . — Anne Chabot, femme de Charles Halluin,
seigneur de Piennes. — Antoinette Chabot, femme de Jean d'A.u-
mont, maiéchal de France, comte de Châteauroux.
2. François de Kernevenoy, seigneur de Carnavalet, épousa
\° Anne Hurault de Vueil; 2" Françoise de la Baume. Le manu-
scrit porte à tort : « l'une de la maison de Dinteville. » Nous
avons suivi la leçon de Le Laboureur. Il n'y a point eu de dame
de Carnavalet du nom de Dinteville.
3. Claude de Beaune de Semblançay, femme 1° de Louis Bur-
gensis, sieur de Montgauguier ; 2° de Claude Gouffier, duc de
Roannois.
4. Charlotte de Beaune, femme 1° de Simon de Fixes, seigneur
de Sauve ; 2o de François de la Trémoille , marquis de Noir-
moustier.
5. Fi'ançoise de Laval, femme 1" de Henri de Lenoncourt;
2° de Louis de Rohan, prince de Guéméné.
6. Jeanne Chastaigner de la Roche-Posay, femme 1" de Henri
Clutin, seigneur de Villeparisis; 2° de Gaspard de Schomberg,
comte de Nanteuil.
7. Louise de iNIontberon, femme de Jean Prévost, baron de
Sansac.
388 DES DAMES.
Madame de Bourdeille, de la maison de Montbe-
ron aussi, fort proches parantes' ;
Mesdames de Lansac, l'une de la maison de Mor-
temart, et l'autre, la jeune, de la maison de Pothon
de Saintrailles ' ;
Madame d'Assigny et madame de Brissac sa fdle';
Madame de Clermont d'Amboise, vefve de feu
M. de l'Aubespine le jeune, de la maison d'Oysel ou
Villeparisi * ;
Madame de Villeroy, sa belle -sœur, de la maison
de l'Aubespine^;
Madame de La Bourdezière, de la maison de Ro-
bertet^;
Madame d'Estrée ^ ;
Madame la contesse de Saine t-Aignan*;
1 . Jacquelte de Montberon, femme d'André, vicomte de Bour-
deille.
2. Gabrielle de Rochechouart. Elle épousa en troisièmes noces
Louis de Saint-Gelais, seigneur de Lansac, qui, devenu veuf,
épousa N Raffîn, dite Poton.
3. Jeanne du Plessis, femme en premières noces de Jean, mar-
quis d'Acigné. — Judith d'Acigné, femme de Charles de Cossé,
duc de Brissac.
4. Marie Clutin, fille de Henri, seigneur de Villeparisis et
d'Oisel, femme 1° de Claude de l'Aubespine, 2° de Georges, sei-
gneur de Clermont.
5. xMadeleine de l'Aubespine, femme de Nicolas de Neufville,
seigneur de Villeroy.
6. Françoise Robertet, mariée en premières noces à Jacques
Babou de la Bourdaisière.
7. Françoise Babou, femme d'Antoine d'Estrées, marquis de
Cœuvres,
8. Marie Babou, femme de Claude de Beauvillier, comte de
Saint- Aignan.
CATHERINE DE MÉDICIS. 389
Madame de Sourdis' ;
Madame d'Arvaut et madame de Montoyron, ses
filles^;
]M;idame de la Tour, despiiis madame de Cler-
mont d'Antragues, de la maison de Bon, de Mar-
seilles* ;
Madame d'Antragiies, la première, de la maison
de Guimenay, et madame d'Entragues, la seconde,
qui est annuit* ;
Madame de Villeclayr la jeune, de la maison de
la Marche, ou Bouillon, et l'autre de la maison de
la Bretesche';
Mesdames de Méru et Tlioré, l'une de la maison
de Cossé, et l'autre d'Humières^;
Madame la contesse de Maullevrier, de la maison
de LimeuiP;
1. Isabeau Babou, femme de François d'Escoubleau, seigneur
de Sourdis.
2. Madeleine Babou, femme d'Honorat Ysoré, baron d'Ervaut.
— Diane Babou, femme de Charles Turpin, seigneur de Mon-
toiron.
3. Hélène Bon, femme 1° de Charles de Gondi, bar-on de la
Tour; 2° de Charles de Balsac, seigneur d'Entragues.
4. Jacqueline de Rohan, première femme de François de Bal-
sac , seigneur d'Entragues, qui, devenu veuf, épousa Marie
Touchet.
f). Françoise de la Mark, première femme de René de Ville-
quier qui, en secondes noces, épousa Louise de Savonières.
6. Renée de Cossé, femme de Charles de Montmorency, sei-
gneur de Méru. — Léonore de Humières, première femme de
Guillaume de Montmorency, seigneur de Thoré.
7. Antoinette de la Tour, femme en secondes noces de Charles
de la Mark, comte de Maulevrier.
390 DES DAMES.
Madame de Ragny, de la maison de Cypierre ' ;
Madame la marquise de Maignelets, de la maison
de Raix*;
Madame de Fargis, de la maison de Pienne';
Madame de Senerpont et madame de Beaudiné,
sa fille, de la maison d'Ouarty * ;
Madame de Lesigny ' ;
Madame du Lude, de la maison de La Fayette* ;
Madame la comtesse de Sancerre, sa fille'';
Madame de Fontaine-Guérin , de la maison de
Sancerre ^ ;
Madame de Lavardin , de la maison de Negre-
pellisse ^ ;
i . Catherine de INIarcilly, femme de François de la Magdelène,
seignem* de Ragny.
2. Claude-Marguerite de Gondi, femme de Charles de Halluin,
marquis de Maignelets. Le manuscrit porte à tort La Melleraye,
erreiu" rectifiée par Le Laboureur.
3. Jeanne de Halluin, femme de Philippe d'Angennes, sieur
du Fargis.
4. Madeleine de Suse , femme 1" de Joachim, seigneur de
Warty; 2° de Jean de Monchi, seigneur de Sénarpont. Elle eut
de son premier mariage Françoise de Warty, femme de Galiot de
Crussol, seigneur de Beaudiner.
5. Jeanne Clausse, femme de Charles de Pierrevive, seigneur
de Lezigny.
6. Jacqueline de la Fayette, femme de Gui de Daillon, comte
du Lude.
7. Anne de Daillon, femme de Jean de Bueil, comte de San-
cerre.
8. Anne de Bueil , femme d'Honoré de Bueil , seigneur de
Fontaine-Guérin.
9. Catherine de Negrepelisse, femme de Jean de Beaumanoii',
marquis de Lavardin, maréchal de France. ^
CATHERINE DE MKDICIS. 391
Mesdames la mareschalle de Matignon, de Ruffec,
de Mallicorne, toutes trois sœurs, de la maison du
Lude';
Madame de La Chastre*;
Madame de Clermont de Lodesve, de la maison de
Bernoy * ;
Madame Bourdin*j
Madame de Bruslard**;
Madame de Pinard.^;
Tant d'autres y en a-il, qu'avant en achever le
conte je m'en romprois la teste ; et tant plus j'y son-
gerois, la mémoire me varieroit : voylà pourquov je
les passe soubs sillence. Et si l'on m'inculpe que je
ne les mets pas bien en leur rang, quand elles es-
toient avec leur reyne elles le gardoient assez bien
sans avoir la peine de les ranger icy.
Il fault venir ast' heure aux filles que j'ay veu, tant
avec la reyne mère qu'avecques Mesdames et les rey-
nes ses belles-filles, et autres grandes princesses de la
court, lesquelles, encores que je les aye veu toutes
1 . Françoise de Daillon , femme du maréchal de Matignon ;
Françoise de Daillon, femme de Philippe de Volvire , marquis de
Ruffec; Anne de Daillon, femme de Jean de Chources, seigneur
de Malicorne.
2. Anne Robertet, mariée en secondes noces à Claude de la
Chastre, seigneur de la Maisonfort.
3. Aldonce de Bernuy, mariée en premières noces à Gui de
Castelnau, seigneur de Clermont-Lodève.
k. Marie Bochetel, mariée en premières noces à Jacques Bour-
din, seigneur de Villaines.
5. Marguerite Chevalier, femme de Pierre Brûlart.
6. Marie de l'Aubespine, femme de Claude Pinart, secrétaire
d'État.
392 DES DAMES.
qiiasy maryées, je ne les nommeray que filles, ainsi
que dès le commancement elles ont esté avec leur
maistresses. El dirois bien et nommerois tous les
gentilshommes aveeques qui elles ont esté mariées ;
mais cela seroit trop long à lire et superflu. Aussi
crois-je que le meilleur temps qu'elles ont eu jamais,
et qu'on leur demande, c'est quand elles estoient
filles ; car elles avoient leur libéral arbitre pour estre
religieuses, aussi bien de Vénus que de Diane, mais
qu'elles eussent de la sagesse et de l'habilité et sça-
voir, pour engarder l'enflure du ventre.
En voicy doncques aucunes, et des plus anciennes,
qui sont une vingtaine, et des premières :
Mademoiselle de Rohan * ;
Mademoiselle de Piennes*;
Mademoiselle de Sourdis ' ;
Mademoiselle de Bourlemont * ;
Mademoiselle de Tenie * ;
Mesdamoiselles de Cabrianne et Guionnière, soeurs " ;
Madamoiselle de Bourdeille ' ;
Madamoiselle de Rouhot*;
1. Françoise de Rohan.
2. Anne de Halluin. Voyez plus haut, p. 386, note 8.
3. Est-ce Charlotte d'Escoubleau de Sourdis, femme de Charles
de Maillé, comte de Kerman?
4. Françoise, fille de René d'Anglure, baron de Bourlemont.
5. Françoise Foucher de Thenies.
6. iV. Cabriane, femme de N. le Voyer de Bonnefille ; N. Ca-
briane, femme de iV. du Plantis, seigneur de la Guyonnière.
7. Jeanne de Bourdeille, mariée (1384) à Claude d'Espinay,
comte de Duretal.
8. Est-ce Barbe Rouault, mariée à Nicolas de Montmorency,
seigneur de Bours ?
CATHERINE DE MEDICIS. 393
Mesdamoiselles de Limeuil, sœurs, dont l'aisnée
mourut à la court' ;
Madamoiselle de Charlus * ;
Madamoiselle de Brion ' ;
Madamoiselle de Sainct-Boire, la belle, despuis ma-
dame la Grande * ;
Madamoiselle de Sainct-André, très-riche héritière,
fille de M. le mareschal de Sainct-André";
Madamoiselle de Montbron, riche héritière de la
maison d'Ausances*;
Madmoiselle de Burlan, autrement Théligny ' ;
Mesdamoiselles d'Inteville, trois sœurs * ;
Mesdamoiselles de Flammin, de Ceton, Béton,
Leviston, escossoises;
Madamoiselle de Fontpertuis ' ;
Madamoiselle de Thorigny '° ;
Madamoiselle de Noian ;
Mesdamoiselles de Riberac, autrement de Guiti-
nières
11 .
7
i . Elles étaient filles de Gilles de la Tour, seigneur de Limeuil ;
la plus jeune, Isabeau, fut mariée à Scipion de Sardini.
2. Jeanne Gabrielle de Lévis de Charlus.
3. Françoise Chabot. Voyez plus haut, p. 387, note i.
4. jNIarie de Gaignon de Saint-Bohaire, troisième femme de
Claude GoufEer, grand écuyer de France.
b. Catherine d'Albon.
6. Jeanne de Montberon ou sa nièce Louise.
7. Est-ce Marguerite de Téligny, qui devint la femme de La Noue ?
8. Antoinette de Dinteville, femme de Claude de Bussy ; Agnès
de Dinteville, femme de Joachim de Chastenay ; Renée de Din-
teville qui dès lo63 était abbesse de Remiremont.
9 . Suzanne de Constant de Fontpertuis.
10. Gilonne de Goyon.
41 . Elles étaient filles de Geoffroy d'Aydie, baron de Guitinières.
394 DES DAMES.
Madamoiselle de Chasteauneuf ' ;
Madamoiselle de Montai " ;
Madamoiselle de la Chastigneraye, l'aisnée';
Madamoiselle de Charansonnet ;
Madamoiselle de la Chastre*;
Mesdamoiselles d'Estanay, les deux sœurs ;
Mesdamoiselles de Certau, les deux sœurs;
Mesdamoiselles de Pons, les deux sœurs;
Madamoiselle d'Atrie®;
Madamoiselle de Caracce*, sa cousine;
Madamoiselle de la Mirande'';
Mesdamoiselles de Brissac, les deux sœurs "
Madamoiselle Davilla, Cipriote, eschapëe du sac
de Chipre ^ ;
Madamoiselle de Cipierre*";
Madamoiselle d'Ayelle " ;
Madamoiselle de la Molthe;
Madamoiselle de Vitry";
i . Renée de Rieux.
2. Rose de Montai.
3. Héliette de Vivonne.
4. Anne de la Chastre, femme de François de l'Hospital, sei-
gneur de Vitry.
5. Anna d'Aquaviva, fille de Jean -François, duc d'Atrie.
6. Ou Caratte.
7. La comtesse de Randan, nommée plus haut, p. 383, note S.
8. Diane et Jeanne de Cossé.
9. La sœur de l'historien Davila.
10. Cathei'ine de Marcilly, dont il a été question plus haut,
p. 390, note i.
•1 1 . Elle était Italienne et épousa un gentilhomme normand, Jean
d'Hemeries.
12. Louise de L'Hospital, depuis Mme de Simiers.
CATHERINE DE MÉDICIS. 395
Madamoiselle de Fouchaud' ;
Madamoiselle du Tiers';
Madamoiselle de la Vernav ;
Madamoiselle de Beaulieu, de la maison de Brissac ,
bastarde ' ;
Madamoiselle de Grandmonl * ;
Madamoiselle du Lude'^;
Madamoiselle de la Bretesche * ;
Madamoiselle de Bouilly ';
INIadamoiselle de la Chastigneraye , la seconde ' ;
Mesdamoiselles d'Estrée, Gabrielle et Diane * ;
Madamoiselle de Surgieres";
Madamoiselle de Rostain " ;
Madamoiselle de Faucheuse '* ;
Madamoiselle de Rebours " ;
4. De la maison de Saint-Gerraain-Beaupré.
2. Fille de Jean du ïhier, secrétaire d'Etat.
3. iV. de Cossé, demoiselle de Beaulieu, fille naturelle du ma-
réchal de Brissac.
4. Marguerite d'Aure qui devint la femme de Jean de Durfort,
seigneur de Duras.
o. La comtesse de Sancerre, nommée plus haut, p. 390, note 7,
6. Louise de Savomiières, depuis dame de Villequier. Voy. plus
haut, p. 389, note 3.
7. iV. de Brouilly.
8. Marie de Vivonne.
9. Gabrielle, depuis duchesse de Beaufort; Diane, femme du
maréchal de Balagny.
40. Hélène de Fonsèque, fille de René de Surgères.
4 4 . Anne de Rostaing,
42. Françoise de Montmorency, fille du baron de Fosseux, dite
la Fosseuse.
43. iV". de Rebours qui fut maîtresse de Henri IV et mourut
vers 4o8a.
396 DES DAMES.
Madamoiselle de Villesavin ^ ;
Mesdamoiselles de Barbezieux, les trois sœurs';
Madamoiselle de Lucé*;
Madamoiselle de Cheronne* ;
Mesdamoiselles de Bacqiieville ;
Et pour couronner la fin, madamoyselle de Guise",
fraischement eslevée^ très-belle et honneste princesse,
et madamoiselle de Longueville, l'aisnée, de mesme
vertu * ;
En nommeray-je encor davantage ? Non ; car ma
mémoire n'y sçauroit fournir. Aussi il y en a tant
d'autres dames et filles, que je les prie de m'escuser
si je les fais passer au bout de la plume ; non que je
ne les veuille fort priser et estimer ; mais je n'y
ferois que resver et m'y amuser par trop. Pour vou-
loir faire fin^ et dire que toute cette compagnie, que
je viens à nommer, on n'y eust sceu rien reprendre
de leur temps, car toute beauté y abondoit, toute
majesté, toute gentillesse, toute bonne grâce ; et bien-
heureux estoit-il qui pouvoit estre touché de l'amour
de telles dames, et bien heureux aussi qui en pou-
voit escapar"^. Et vous jure que je n'ay nommé nulles
4 . De la famille de Phelypeaux.
2. Françoise, Antoinette et Charlotte de la Rochefoucauld,
filles de Charles, seigneur de Barbezieux.
3. Jeanne de Coesme, fille de Louis, baron de Lucé.
4. Marie de Chaunoy, fille de Jean, seigneur de Cheronne.
5. Ironise de Lorraine, fille de Henri de Guise, marie'e à Louis
de Bourbon, prince de Conti; Antoinette d'Orléans, fille de Fran-
çois de Longueville , mariée à Charles de Gondi , mai-quis de
Belle-Isle.
6. Les filles d'Antoine Martel, seigneur de Bacqueville.
7. Escapar^ échapper.
CATHERINE DE MÉDICIS. 397
de ces dames et damoiselles qui ne fussent fort belles,
agréal)les et bien accomplies , et toutes bastantes
pour mettre un feu par tout le monde. Aussi, tant
qu'elles sont esté en leurs beaux aages, elles en ont
bien bruslé une bonne part^ autant de nous autres
gentilshommes de court que d'autres qui s'appro-
choient de leur feuv : aussi à plusieurs ont-elles esté
douces^ amiables et favorables et courtoises. Je parle
d'aucunes, desquelles j'espère en faire de bons con-
tes dans ce livre avant que je m'en desparte, et d'au-
tres aussi qui ne sont y comprises ; mais le tout si
modestement, et sans escandale, qu'on ne s'en aper-
cevra de rien; car le tout se couvrira soubs le rideau
du silence de leur nom : si que possible aucunes qui
en liront des contes d'elles-mesmes ne s'en désagré-
ront'; car puisque le plaisir amoureux ne peut pas
tousjours durer, pour beaucoup d'incommoditez ,
empeschemens et changemens, pour le moins le sou-
venir du vieil passé contente encor.
Or, pour bien considérer combien il faisoit beau
voir toute ceste belle troupe de dames et damoi-
selles, créatures plustost divines que humaines, il
falloit se représenter les entrées de Paris et autres
villes, les sacrées et superlatives nopces de noz roys
de France, et de leurs sœurs filles de France, comme
celles du roy dauphin, du roy Charles, du roy
Henry IIP, de la reyne d'Espagne, de madame de
Lorraine, de la reyne de Navarre, sans forces autres
grandes nopces de princes et princesses , comme
celles de M. de Joyeuse, qui les a toutes surpassées,
1. Ne s'en dcmigrirunt, ne rauioat point pour de'sagréable.
398 DES DAMES.
si la reyne de Navarre y fut esté, puis l'entreveue de
Bavonne , l'arrivée des Poulonnois et une infinité
d'autres et pareilles magnificences que je n'aurois
jamais achevé de dire, où l'on a veu ces dames pa-
restre les unes plus belles que les autres, les unes
plus braves et mieux en poinct que les autres ; car,
en telles festes, outre leurs grands moyens, le roy et
les reynes leur donnoient de grandes livrées, les unes
plus gentilles que les autres, les unes plus agréables
que les autres.
Bref, on n'eust rien veu que tout beau, tout escla-
tant, tout brave, tout superbe, que jamais la gloire
de Niquée * n'en approcha : car on voyoit tout cela
reluire dans une salle du bal, au Pallais ou au Lou-
vre, comme estoilles au ciel en temps serain. Aussi
leur reyne vouloit et leur commandoit tousjours
qu'elles comparussent en hault et superbe appa-
reil, encor que, durant sa viduité, elle ne se para
jamais de mondaines soyes, sinon lugubres, mais
tant bien proprement pourtant, et si bien accom-
modée, qu'elle parroissoit bien la reyne par-dessus
toutes.
Il est vray que le jour des nopces de ses deux
filz, Charles et Henry, elle porta des robes de vel-
lours noir, voulant, disoit-elle, solemniser la feste
par ce signal pardessus les autres ; mais , estant ma-
riée , elle s'habilloit fort richement et superbement,
1 . Niquée, l'une des he'roïnes de Y Amadis, était fille du soudan
de Babylone Zaïr. Une magicienne l'enferma dans un palais en-
chanté, au milieu d'une salle d'une magnificence sans égale. De
là l'expression jadis si usitée : Im. gloire de Niquée. Voyez le hui-
tième livre A' Amadis de Gaule ^ ch. xxiv.
CATHERINE DE MÉDICIS. 399
et paroissoit bien ce qu'elle estoit. Et ce qui estoit
très que beau à voir et à admirer, c'estoit aux pro-
cessions générales qui se faisoient, fût à Paris ou au-
tres lieuv, quelque petit fût-il, que la court y fust,
comme à celles de la Feste-Dieu, à celles des Ra-
meaux, portans leurs palmes et rameaux d'une si
bonne grâce, et le jour de la Chandelleur portans de
mesmes leurs llambeaux, desquels les feux conten-
doient avec les leurs. En ces trois processions, qui
sont les bien fort solemnelles , certes on n'y remar-
quoit que toute beauté, toute bonne grâce, tout beau
port, tout beau marcher et toute braveté, si que les
voyans en demeuroient tous ravis.
II faisoit beau voir aussi quand la reyne alloit par
pays en sa litière, estant grosse, lorsqu'elle estoit
mai'iée, fust qu'elle allast à cheval à l'assemblée ', ou
par pays, vous eussiez veu quarante à cinquante da-
mes ou damoiselles la suivre, montées sur de belles
hacquenées tant bien harnechées, et elles se tenant à
cheval de si bonne grâce, que les hommes ne s'y pa-
roissoient pas mieux , tant bien en point pour ha-
billemens à cheval, que rien plus; leurs chapeaux
tant bien garnis de plumes, ce qui enrichissoit encor
la grâce, si que ces plumes volletantes en l'air repré-
sentoient à demander amour ou guerre. Virgille, qui
s'est voulu mesler d'escrire le hault appareil de la
reyne Didon quand elle alloit et estoit à la chasse*,
n'a rien approché au prix de celuy de nostre reyne
avec ses dames, et ne luy en desplaise.
1. Assemblée^ rendez-vous de chasse. Voyez p. 345, in fine.
2. Voyez Enéide, lib. IV, vers 435-140.
400 DES DAMES.
Aussi comme j'ay dict cy-devant_, cestereyne faicte
de la main de ce grand roy François, qui avoit in-
troduict ceste belle et superbe boubance n'a voulu
rien oublier ny laisser de ce qu'elle avoit apris^ mais
l'a voulu tousjours imiter, voire surpasser, et luy ay
veu dire trois ou quatre fois en ma vie sur ce sub-
ject. Ceux qui ont veu toutes ces choses comme moy
en sentent encor l'àme ravie comme moy; car ce
que je dis est vray, car je l'ay veu. Voylà donc la
court de nostre reyne. Que malheureux fust le jour
que telle reyne mourut!
J'av ouy conter que nostre roy d'aujourd'huy*,
quelques dix-huict mois après qu'il se vist un peu
avant dans la fortune et espérance d'estre un peu
roy assez universel, se mist un jour à discourir avec
feu M. le mareschal de Biron des desseings et pro-
jects qu'il faisoit pour ung jour faire sa court plan-
teureuse, belle, et du tout ressemblable à celle que
nostre dicte reyne entretenoit; car alors elle estoit
en son plus grand lustre et splandeur qu'elle fust ja-
mais. M. le mareschal luy respondit : « Il n'est pas
« en vostre puissance, ny de roy qui viendra jamais,
{< si ce n'est que vous fissiez tant avec Dieu qu'il
« vous fist ressusciter la reyne mère, pour la vous
« ramener telle. « Mais ce n'estoit pas cela que le
roy demandoit, car il n'avoit rien, lorsqu'elle mou-
rut, qu'il hayssoit tant qu'elle, et sans subject pour-
tant, comme j'ay peu veoir : mais il le doibt sçavoir
mieux que moy.
Que malheureux fust encor le jour que telle reyne
1. Henri IV.
CATHERINE DE MEDICIS. 401
mourut, et sur le poinct que nous en avions plus de
nécessité et en avons encores !
Elle mourut à Bloys de tristesse qu'elle conceut du
massacre qui se fist, et de la triste tragédie qui s'y
joua , et voyant que, sans y penser, elle avoit faict
venir là les princes, pensant bien faire, ainsy que
M. le cardinal de Bourbon luy dict : « Hélas ! ma-
« dame, vous nous avez tous menez à la bouche-
« rie sans y penser, w Cela luy toucha si fort au
cœur, et la mort de ces pauvres gens, qu'elle se re-
mit dedans le lit, aiant esté paravant malade, et onc-
ques plus n'en releva.
On dict que, lorsque le roy luy annoncea le meur-
tre de M. de Guise, et qu'il estoit roy absolu, sans
compagnon, ny maistre, elle luy demanda s'il avoit
mis ordre aux affaires de son royaume avant que
faire ce coup. Il respondit qu'ouy. « Dieu le veuille,
dict-elle, mon fils. » Gomme très-prudente qu'elle es-
toit , elle prévoyoit bien ce qui luy debvoit advenir,
et à tout le royaume.
Il y en a aucuns qui ont parlé diversement de sa
mort, et mesme de poison. Possible qu'ouy, possible
que non; mais on la tient morte et crevée de despit,
comme elle avoit raison.
Elle fut mise en son lict de parade, ainsy que j'ay
ouy dire à une de ses dames, ny plus ny moins que
la reyne Anne , que j'ay dict par cy devant, et vestue
de mesmes habits royaux qu'a voit ladicte reyne, qui
n'avoient servy depuis sa mort à autres qu'à elle; et
fust portée après dans l'église hors du chasteau, en
mesme pompe et solemnité que ladicte reyne Anne,
où elle gist et repose encores ; le roy l'ayant voulue
vil — 26
402 DES DAMES,
faire porter à Chartres et de là à Sainct-Denys, pour
la mettre avec le roy son mary dans le mesme cer-
cueil qu'elle luy avoit faict faire, bastir et construire,
si beau et si superbe; mais la guerre qui survint
empescha le tout.
Voylà ce que je puis dire à cette heure de ceste
grande reyne , qui a donné certes de si grands sub-
jects pour parler dignement d'elle, que ce petit dis-
cours n'est assez bastant pour ses louanges. Je le
sçay bien; mais aussi la qualité de mon sçavoir n'y
pourroit suffire , puisque les mieux disans y seroient
bien empeschez. Toutesfois, pour tel discours qu'il
est, je l'appends en toute humilité et dévotion à ses
pieds, et ce aussi pour fuir la trop grand' prolixité,
pom^ laquelle certes je ne me sens trop capable :
mais j'espère bien ne me séparer d'elle tant en mes
discours que je m'en taise du tout, et n'en parle lors
qu'il faudra, ainsy que ses belles et non pareilles
vertus me le commandent , et m'en donnent ample
matière, aiant veu tout ce qu'ay escrit d'elle, et qui
a passé de mon temps, d'autres temps je l'ay appris
de personnes fort illustres, ainsy que je le feray en
tous ces livres.
Ceste reyne qui fut de tant de roys la mère,
Et des reynes aussi, ensemble de la France,
Mourut lorsqu'on avoit d'elle le plus d'affaire;
Car nul qu'elle n'a peu luy donner assistance *.
1. Ces vers, comme ceux de la page 448 sui^ Marie Stuart,
sont probablement de Brantôme.
LA REYNE D'ESCOSSE. 403
DISCOURS III.
SUR LA REYNE d'eSCOSSE,
JAniS REYNE DE NOSTRE FRANCE ' .
Ceux qui voudront jamais escrire de ceste illustre
reyiie d'Escosse en ont deux très-amples subjects,
l'un celuy de sa vie, et l'autre celuy de sa mort;
l'un et l'autre très-mal accompagnez de la bonne for-
tune_, ainsy que j'en veux loucber quelques poincts
en ce petit discours, par forme d'abrégé, et non en
longue histoire; laquelle je laisse à descrire aux plus
sçavans et mieux couchans par escript.
Cette reyne donc eust son père, le roy Jacques,
fort homme de bien et de valeur, et fort bon fran-
çois; aussi avoit-il raison. Après qu'il fut veuf de
i . Marie Stuart , fille de Jacques V, roi d'Ecosse , et de Marie
de Lorraine, fille de Claude de Guise, née à Linlithgow (Ecosse)
le 5 décembre 1542, morte sur l'échafaud à Fotheringay le 18 fé-
vrier lo87. Envoyée en France (août 1S48), elle y épousa, le
24 avril 1 558, le dauphin François qui monta sur le trône l'année
suivante. Devenue veuve (1 560), elle retourna en Ecosse (août
1561) et se remaria d'aboi^d (1565) au fils du comte de Lennox,
Darnley, puis (1567) à l'un des meurtriers de celui-ci, le comte de
Bothwell. Réfugiée en Angleterre pour échapper à ses sujets ré-
voltés (1568), et, retenue prisonnière, elle ne recouvra jamais la
liberté. Elle fut condamnée à mort le 29 octobre 1586 comme
coupable de conspii'ation contre Elisabeth . Des nombreux ouvrages
publiés sur elle, nous citerons son Histoire, par M. Mignet et le
Recueil de ses Lettres, par le prince Labanofi", 7 vol. in-8°. —
Elle eut de Darnley un fils qui fut Jacques 1" d'Angleterre.
404 DES DAMES.
madame Magdelaine, fille de France', demanda au
roy François quelque honneste et vertueuse prin-
cesse de son royaume pour se remarier, ne désirant
rien tant que de continuer l'alliance de France.
Le roy François, ne sçachant mieux choisir pour
contenter ce bon prince, luy donna la fille de M. de
Guise, Claude de Lorraine, vefve pour lors de feu
M. de Longueville, laquelle fust trouvée de ce roy si
belle, sage et vertueuse et honneste, qu'il fust fort
aise, et s'estii^tia très-heureux de la prendre ; et s'en
trouva tel après qu'il l'eust prise et espousée, et tout
le royaume d'Escosse, qu'elle gouverna fort sage-
ment lorsqu'elle fust vefve, qui le fut en peu d'an-
nées après son mariage, n'y ayant demeuré guières
avecques luy, non sans luy avoir produict une belle
lignée, qui fut cette belle, et des plus belles pour
lors princesses du monde, nostre reyne, de laquelle
nous parlons. Icelle, n'estant quasy, par manière de
dire, que née et estant aux mammelles tettant, les
Anglois vindrent assaillir l'Escosse, et fallut que sa
mère l'allast cachant, pour crainte de ceste furie, de
terre en terre d'Escosse ; et, sans le bon secours que
le roy Henry y envoya, à grand peine eust-elle esté
sauvée; et ce nonobstant la fallust mettre sin^ les
vaisseaux et l'exposer aux vagues, orages et aux
vents de la mer, à la passer en France pour sa plus
grande seureté : où certes ceste malle fortune n'ayant
peu passer la mer avec elle, ou ne l'osant pour ce
coup l'attacquer en France, la laissa si bien que la
bonne la prist par la main. Et, ainsy que son bel aage
i . Fille de François l".
LA REYNE D'ESCOSSE. 405
croissoit, ainsy vist-on en elle sa grande beauté, ses
grandes vertus, croistre de telle sorte que, venant sur
les quinze ans, sa beauté commança à faire parestre
sa lumière en beau plain midy et à en effacer le
soleil lorsqu'il luysoit le plus fort, tant la beauté de
son corps estoit belle. Et pour celle de l'âme, elle
estoit toute pareille; car elle s'estoit faicte fort sça-
vante en latin '. Estant en l'aage de treize à quatorze
ans, elle déclama devant le roy Henry, la reyne, et
toute la court, publiquement en la salle du Louvre,
une oraison en latin qu'elle avoit faicte, soubtenant
et deffendant, contre l'opinion commune, qu'il estoit
bien séant aux femmes de scavoir les lettres et arts
libéraux. Songez quelle rare chose c'estoit et admira-
ble de voir cette belle et sçavante reyne ainsy orer ^
en latin, qu'elle entendoit et parloit fort bien; car je
l'ay veue là : et fut si curieuse de faire faire à Anthoine
Fochin ', de Chauny en Vermandois, et l'addresse à
ladicte reyne, une Réthorique en françois que nous
avons encor en lumière, affin qu'elle l'entendist mieux
et se fist plus éloquente en françois, comme elle a
esté, et mieux que si dans la France mesmes eût pris
sa naissance. Aussi la faisoit-il bon voir parler, fust
1. Il existe à la Bibliothèque nationale un petit volume in-12
contenant le recueil autographe d'un certain nombre de thèmes
]atins de Marie Stuart. Ce manuscrit que j'ai fait le premier con-
naître (voyez Y A thème um français, 1853, p. 755) a été publié en
entier, pour le Warton Club, par M. de Montaiglon, sous le titre
de Latin Thèmes of Mary Stuart, Londres, 1855, in-8°.
2. Orer, parler, haranguer. Nous avons encore le composé pé-
rorer. *^
3. Antoine Fouquelin, auteur d'une Rhétorique française, dé-
diée à Marie Stuart, i557, in-8°.
406 DES DAMES.
aux plus grands ou fnsl aux plus petits. Et tant qu'elle
a esté en France, elle se réservoit tousjours deux heu-
res du jour pour estudier et lire : aussi il n'y avoit
ouières de sciences humaines qu'elle n'en discourût
liien. Surtout elle aimoit la poésie et les poètes^ mais
sur tous M. de Ronsard', M. du Belay^, et M. de Mai-
sonfleur^ qui ont faict de belles poésies et élégies
pour elle, et mesmes sur son partement de la France,
que j'ay veu souvent lire à elle-mesmes en France et
en Escosse, les larmes à l'œil et les souspirs au cœur.
Elle se mesloit d'estre poëte, et composoit des
vers, dont j'en ay veu aucuns de beaux et très-
bien faicts, et nullement ressemblans à ceux qu'on
luy a mis à sus avoir faict sur l'amour du comte
Baudouel * : ils sont trop grossiers et mal polis pour
estre sortis de sa belle boutique. M. de Ronsard es-
toit bien de mon opinion en cela, ainsy que nous en
discourions un jour, et que nous les lisions. Elle en
composoit bien de plus beaux et de plus gentils, et
promptement, comme je l'ay veue souvent qu'elle se
1 . Voyez Le premier livre des Poèmes de P. de Ronsard, dé-
diez a très illustre et très vertueuse princesse Marie Stuart, reyne
d' Escosse, dans les Œuvres de Ronsard, 1623, t. II, p. 1171
et suiv.
2. Voyez, entre autres, dans l'e'dition donne'e par M. Marty-
Laveaux (1866-67, 2 vol. m-12), t. I, p. 316; t. II, p. 454 et
463.
3. Je ne connais de Maisonfleur que treize cantiques dans un
recueil intitulé : Les Cantiques du sieur de Valagre et les Canti-
ques du sieur de Maizonfleur, Paris, lo87, in-î2; et en outre
dans le ms 16G3 du fonds français (f* 89 et 122) trois pièces de
vers. Il n'y est point question de Marie Stuart,
4. Le comte de Bothwell.
LA REYNE D'ESCOSSE. 407
retiroit en son cabinet , et sortoit aussitost pour
nous en monstrer à aucuns honnestes gens que nous
estions là. De plus, elle escrivoit fort bien en prose,
et surtout en lettres, que j ay veues très-belles et très-
éloquentes et hautes. Toulesfois, quand elle devisoit
avec aucuns, elle usoit de fort doux, mignard et fort
agréable parler, et avec une bonne majesté, meslée
avec une fort discrette et modeste privante, et sur-
tout avec une fort belle grâce ; mesmes que sa langue
naturelle \ qui de soy est fort rurale, barbare, mal
sonnante et scéanle, elle la parloit de si belle grâce,
et la façonnoit de telle sorte, qu'elle la faisoit trou-
ver très-belle et très-agréable en elle, mais non en
autres.
Voyez quelle vertu avoit une telle beauté et telle
grâce, de faire tourner ung barbarisme* grossier en
une douce civilité et gratieuse mondanité ! Et ne
s'en faut esbahir de cela, qu'estant habillée à la sau-
vage (comime je l'ay veue) et à la barbaresque mode
des sauvages de son pays, elle paroissoit, en un corps
miortel et habit barbare et grossier, une vraye déesse.
Ceux qui l'ont veue ainsi habillée le pourront ainsy
confesser en toute vérité; et ceux qui ne l'ont veue
en pourront avoir veu son pourtraict, estant ainsy ha-
billée. Si que j'ay veu dire à la reynemère et au roy,
qu'elle se monstroit encor en celuy-là plus belle, plus
agréable et plus désirable qu'en tous les autres. Que
pouvoit-elle donc parestre se représentant en ses
belles et riches parures, fût à la françoise ou espai-
gnolle, ou avec le bonnet à l'italienne, ou en ses au-
1. L'écossais. — 2. J]/irharis/nc, havbarie.
408 DES DAMES. !
très habits de son grand deuil blanc, avec lequel il
la faisoit très-beau voir? car la blancheur de son vi-
sage contendoit avec la blancheur de son voile à qui
l'emporteroit ; mais enfin l'artifice de son voile le
perdoit, et la neige de son blanc visage effaçoit l'au-
tre : aussi se fît-il à la court une chanson d'elle por-
tant le deuil, qui estoit telle :
L'on voit soubs blanc atour,
En grand deuil et tristesse,
Se pourmener mainct tour
De beauté la déesse,
Tenant le traict en main
De son fils inhumain ;
Et Amour sans fronteau ' ,
Volleter autour d'elle,
Desguisant son bandeau
En un funèbre voile,
Où sont ces mots écrits :
Mourir ou estre pris.
Voylà comment ceste princesse paroissoit belle en
toutes façons d'habits, fussent barbares, fussent
mondains, fussent austères. Elle avoit encor ceste
perfection pour faire mieux embrazer le monde, la
voix très-douce et très-bonne; car elle chantoit très-
bien, accordant sa voix avec le luth, qu'elle touchoit
bien joliment de ceste belle main blanche et de ces
beaux doigtz si bien façonnez, qui ne dévoient rien
à ceux de l'Aurore. Que reste-il d'avantage pour dire
ses beautez ? sinon ce qu'on disoit d'elle : que le so-
leil de son Escosse estoit fort dissemblable à elle;
1. Fronteau, bandeau.
LA REYNE D'ESCOSSE. 409
car, quelquefois, de l'an il ne luyt pas cinq heures en
son pays; et elle luysoit tousjours si bien, que de
ses clairs rayons elle en faisoit part à sa terre et à
son peuple, qui avDit plus besoing de lumière que
tout autre, pour, de son inclination*, estre fort esloi-
gné du grand soleil du ciel. Ah ! royaume d'Escosse,
je croys que maintenant vos jours sont encores bien
plus courts qu'ils n'estoient, et vos nuicls plus lon-
gues, puisque vous avez perdu cette princesse qui
vous illuminoit. Mais vous en avez esté ingratz, ne
l'ayant sceu recognoistre du debvoir de fidélité
comme vous deviez, et comme nous en parlerons
ailleurs.
Or ceste dame et princesse pleust tant à la France,
qu'elle* pria le roy Henry d'en prendre l'alliance,
et la donner à M. le Dauphin, son fils bien aymé,
qui, de son costé, en estoit esperduement espris. Les
nopces donc en furent solemnellement célébrées
dans la grand' esglise et le Palais de Paris, où l'on
vist cette reyne parestre cent fois plus belle qu'une
déesse du ciel, fût au matin à aller aux espousailles
en brave majesté, fust après-disner à se pourmener au
bal, et fust sur le soir à s'acheminer d'un pas mo-
deste et façon desdaigneuse, pour offrir et parfaire
son veu au dieu Hyménée : si bien que la voix d'un
chascun s'alloit espandant et résonnant par la court
et parmy la grand' cité , que bien heureux estoit
cent et cent fois le prince qui s'alloit joindre avec
cette princesse; que si le royaume d'Escosse estoit
quelque chose de prix, la reyne le valloit davantage ;
1. Inclination^ inclinaison. — 2. Quelle, que la France.
kiO DES DAMES.
car, encores qu'elle n'eiist ny sceptre ny couronne,
sa seulle personne et sa divine beauté valloient un
royaume ; mais puisqu'elle estoit reyne , elle appor-
toit à la France et à son mary double fortune.
Voylà ce que le monde alloit disant d'elle; et par
ainsi elle fut appellée la reyne dauphine, et le roy
son mary roy dauphin^ vivant tous deux en une très-
grande amour et plaisante concorde.
Puis , venant ce grand roy Henry à mourir, vin-
drent à estre roy et reyne de France, roy et reyne
de deux grands royaumes, heureux et très-heureux
tous deux, si le roy son mary ne fust esté emporté
par la mort, ny elle par conséquent restée vefve au
beau avril de ses plus beaux ans, et n'aiant jouy en-
semble de leur amour, plaisirs et félicitez , que quel-
ques quatre années.
Vovlà une félicité de peu de durée, et à qui la
malle fortune pour ce coup devoit pardonner; mais,
la malfaisante qu'elle est voulut ainsy traicter misé-
rablement cette princesse, qui, de sa perte et de son
deuil elle-mesme fist ceste chanson :
En mon triste et doux chant,
D'un ton fort lamentable,
Je jette un deuil trenchant,
De perte incomparable,
Et en souspirs cuysans
Passe mes meilleurs ans.
Fut-il un tel malheur
De dure destinée,
Ny si triste douleur
De dame fortunée,
LA REYNE D'ESCOSSE. 4H
Qui mon cœur et mon œil
Vois en bière et cercueil ?
Qui, en mon doux printemps
Et fleur de ma jeunesse,
Toutes les peines sens
D'une extrême tristesse,
Et en rien n'ay plaisir,
Qu'en regret et désir?
Ce qui m'estoit plaisant
Ores m'est peine dure ;
Le jour le plus luisant
M'est nuit noire et obscure.
Et n'est rien si exquis.
Qui de moy soit requis.
J'ay au cœur et à l'œil
Un portràict et image
Qui figure mon deuil
En mon pasle visage.
De vioUettes taint,
Qui est l'amoureux tainct.
Pour mon mal estranger *
Je ne m'arreste en place ;
Mais j'ay eu beau changer,
Si ma douleur n'efface ;
Car mon pis et mon mieux
Sont les plus déserts lieux.
Si en quelque séjour.
Soit en bois ou en prée.
Soit sur l'aube du jour,
Ou soit sur la vesprée,
4. Estranger, éloigner.
412 DES DAMES.
Sans cesse mon cœur sent
Le regret d'un absent.
Si parfois vers ces lieux
Viens à dresser ma veue,
Le doux traict de ses yeux
Je vois en une nue;
Soudain je voy en Feau,
Comme dans un tombeau.
Si je suis en repos,
Sommeillant sur ma couche,
J'oy qu'il me tient propos.
Je le sens qu'il me touche :
En labeur, en recoy*,
Tousjours est près de moy.
Je ne vois autre objet,
Pour beau qui se présente,
A qui que soit subject,
Oncques mon cœur consente,
Exempt de perfection,
A ceste affection.
Metz, chanson, icy fin
A si triste complainte,
Dont sera le refrain :
Amour vraye et non faincte
Pour la séparation,
N'aura diminution*.
1. Recciy, repos.
2. Ces vers, avec une cinquantaine d'autres e'crits par elle sur
un livre d'heures et publiés par le prince de Labanoff (t. VII,
p. 346 et suiv.), sont, je crois, les seuls authentiques que l'on ait
de Marie Stuart. Quant à la pièce si connue : Jdieu , plaisant
pays de France, elle est d'un littérateur du dernier siècle. Meus-
LA REYNE D'ESCOSSE. 413
Voylà les regrets qu'alloit jettant et chantant piteu-
sement ceste triste reyne, qui les manifestoit encores
plus par son pasle tainct; car^ dès-lors qu'elle fust
vefve, je ne l'ay veue jamais changer en un plus col-
loré, tant que j'ay eu cet honneur de la voir, et en
France et en Escosse, où il luy fallut aller à son très-
grand regret, au bout de di\-huict mois de sa viduité,
pour pacifier son royaume, fort divisé pour sa religion.
Hélas ! elle n'y avoit aucune envie ny volonté. Je luy
ay veu dire souvent, et appréhender comme la mort
ce voyage; et désiroit cent fois plus de demeurer en
France simple douayrière, et se contanter de son
Tourayne et Poictou pour son douaire donné à elle,
que d'aller régner là en ses pays sauvages ; mais mes-
sieurs ses oncles*, au moins aucuns et non pas tous,
lui conseillarent, voir l'en pressarent (je n'en diray
point les occasions), qui pourtant s'en repentirent
bien plus après de la faute.
Sur quoy ne faut doubler nullement si, lors de
son parlement, le feu roy Charles, son beau-frère,
fust esté en aage accomply comme il estoit fort petit
et jeune, et aussi s'il fust esté en l'humeur et amour
d'elle comme je l'ay veu, jamais il ne l'eust laissée
partir, et résolument il l'eust espousée; car je l'en
ay veu tellement amoureux , que jamais il ne regar-
doit son pourtraict qu'il n'y tînt l'œil tellement fixé
et ravy, qu'il ne s'en pouvoit jamais oster ny s'en
ressasier, et dire souvent que c'estoit la plus belle
nier de Querlon (mort en 1780), comme M. Rathery l'a démontré
le premier dans un article de X Encyclopédie des gens du monde.
\. Les Guises.
414 DES DAMES.
princesse qui nasquit jamais au monde : et tenoit le
feu roy son frère par trop heureux d'avoir jouy d'une
si belle princesse^ et qu'il ne debvoit nullement re-
gretter sa mort dans le tumbeau, puisqu'il avoit pos-
sédé en ce monde ceste beauté et son plaisir, pour
si peu d'espace de temps qu'il l'eust possédée; et
que telle jouissance valloit ])lus que celle de son
royaume. De sorte que, si elle fust demeurée en
France, il l'eût espousée : il y estoit résolu, encores
que ce fust esté sa belle-sœur; mais le pape d'alors
ne luy en eût jamais refusé la dispense, veu qu'il
l'avoit bien concédée à un sien subject, qui estoit feu
M. de Loué ^, pour espouser la sienne, et aussi que
despuis, en Espaigne, on a veu le marquis d'Aguilar
en avoir eu de mesmes, et forces autres en ce pays-
là, qui n'en font trop de difficulté, pour entretenir
leur maisons, et ne les gaster et dissiper, comme
nous faisons en France.
Tous ces discours ay-je veu faire pour ce subject à
luy et à plusieurs, lesquels j'obmettray pour ne va-
rier en notredict subject de nostre reyne, laquelle
enfin estant persuadée, comme j'ay dict, d'aller en
son royaume , et son voyage aiant esté remis à
la prime % fit tant, que, le remettant de mois en
mois, elle ne partit que vers la fin du mois d'aoust.
Et faut noter que ceste prime, en laquelle elle pen-
soit partir, vint si tardive, si fascheuse, si froide,
1 . Gilles de Laval, seigneur de Loué, avait épouse' en pre-
mières noces Renée de Rohan, veuve de son frère René de Laval,
seigneur de Loué.
2. Prime, printemps.
LA REYNE D'ESCOSSE. 415
qu'au mois d'avril n'y avoit pas aucune apparois-
sance* de se parer de sa belle robe verte, ny de ses
belles fleurs. Si bien que les gallans de la court al-
loient augurant là -dessus, et publiant que ceste
prime avoit changé sa belle et plaisante saison en un
ord et fascheux yver, et n'avoit voulu se vestir de
ses belles couleurs et verdures, pour le deuil qu'elle
vouloit porter de la partance de ceste belle reyne,
qui luy servoit totalement de lustre. M. de Mai-
sonfleur, gentil cavalier pour les lettres et pour
les armes , en fît pour ce subject une fort belle
élégie.
Le commancement de l'autonne estant donc venu,
il fallut que ceste reyne, après avoir assez temporisé,
abandonnast la France; et s'estant acheminée par
terre à Calais, accompagnée de messieurs tous ses
oncles, M. de Nemours, et de la pluspart des grands
et honnestes de la court , ensemble des dames ,
comme de madame de Guyse et autres, tous regret-
tans et pleurans à chaudes larmes l'absence d'une
telle reyne , elle trouva au port deux gallères , l'une
de M. de Meullon ^, et l'autre du capitaine Albize, et
deux navires de charge seulement pour tout arme-
ment : et, six jours après son séjour de Calais, ayant
dict ses adieux piteux et plains de souspirs à toute la
grand' compagnie qui estoit là, despuis le plus grand
jusques au plus petit, s'embarqua, ayant de ses on-
cles avec elle messieurs d'Aumalle, grand prieur, et
d'Elbeuf, et M. d'Amville, aujourd'liuy M. le con-
i . Àpparoissance, apparence.
2. Meuillon. Voyez tome IV, p. 158-1 59,
416 DES DAMES.
nestable, et force noblesse que nous estions avec elle
dans la gallère de M. de Meuillon, pour estre la meil-
leure et la plus belle'.
Ainsi donc qu'elle commançoit à vouloir sortir du
port, et que les rames commançoient à se vouloir
mouiller, elle y vist entrer en plaine mer, et tout à
coup à sa veue, s'enfoncer un navire devant elle et
se périr, et la pluspart des mariniers se noyer, pour
n'avoir pas bien pris le courant et le fond ; ce qu'elle
voyant, s'escria incontinent : « Ah ! mon Dieu ! quelle
« augure de voyage est cecy ! w Et la gallère estant
sortie du port, et s'estant eslevé un petit vent frais,
on commança à faire voile, et la cliiorme se re-
poser. Elle, sans songer à autre action, s'appuye les
deux bras sur la pouppe de la gallère du costé du
timon, et se mist à fondre en grosses larmes, jettant
tousjours ses beaux yeux sm^ le port et le lieu d'où
elle estoit partie, prononceant tousjours ces tristes
parolles : (( Adieu France ! Adieu France ! » les ré-
pétant à cliasque coup; et luy dura cet exercice do-
lent près de cinq heures, jusques qu'il commença à
faire nuict, et qu'on lui demanda si elle ne se vouloit
point osier de là et souper un peu. Alors, redoublant
ses pleurs plus que jamais, dict ces mots : « C'est
a bien à ceste heure, ma chère France, que je vous
a perds du tout de veue, puisque la nuict obscure
« est jalouse de mon contentement de vous voir tant
« que j'eusse peu, et m'apporte un voile noir devant
« mes yeux pour me priver d'un tel bien. Adieu
1. Marie Stuart partit de Calais le 15 août 1561 et arriva en
Ecosse le 19.
LA REYNE D'ESCOSSE. 417
« donc^ ma chère France, je ne vous verray jamais
« plus ! )) Ainsi se retira, disant qu'elle avoit faict
tout le contraire de Didon, qui ne fit que regarder
la mer quand .^^.néas se despartit d'avec elle, et elle
regardoit tousjours la terre. Elle voulut se coucher
sans n'avoir mangé qu'une sallade et ne voulut des-
cendre en bas dans la chambre de pouppe; mais on
luy fit dresser la traverse de la gallère en hault de la
pou[)pe, et luy dressa-on là son lict : et reposa peu,
n'oubliant nullement ses souspirs et larmes. Elle com-
manda au timonnier, sitost qu'il seroit jour, s'il
voyoit et descouvroit encor le terrain de la France,
qu'il l'esveillast et ne craignist de l'appeller. A quoy
la fortune la favorisa; car le vent s'estant cessé, et
aiant eu recours aux rames , on ne fist guières de
chemin ceste nuict : si bien que, le jour paressant,
parut encor le terrain de France; et, n'ayant failly
le timonnier au commandement qu'elle luy avoit
faict, elle se leva sur son lict, et se mit à contempler
la France encor, et tant qu'elle peut. Mais la gallère
s'esloignant, elle esloigna son contentement, et ne
vist plus son beau terrain. Adonc redoubla encor
ces mots : « Adieu la France! Cela est faict. Adieu
« la France ! je pense ne vous voir jamais plus! »
Si désira-elle cette fois qu'une armée d'Angleterre
parût, de laquelle nous estions fort menacez, afin
qu'elle eust subject et fût contrainte de reîascher en
arrière, et se sauver au port d'où elle estoit partie;
mais Dieu en cela ne la voulut favoriser à ses sou-
haits, car, sans aucun empeschement, nous arrivas-
mes au Petit-Lict; dont sur le navigage je feray ce
petit incident : que le premier soir que nous feusmes
418 DES DAMES.
embarquez, le seigneur de Chastellard', qui despuis
iust exécuté en Escosse par son oulre-cuydance_, et
non pour crime^ comme je diray (qui estoit gentil
cavaliier et homme de bonne espée et bonnes let-
tres), ainsi qu'il vist qu'on allumoit le fanal, il dict
ce gentil mot : « Il ne seroit poinct besoing de ce
« fanal ny de ce flambeau, pour nous esclairer en
« mer, car les beaux yeux de ceste reyne sont assez
« eselairans et bastans pour esclairer de leurs beaux
« feux toute la mer, voire l'embraser pour un be-
« soing. »
Faut noter qu'un jour avant, qui fut un dimanche
matin , que nous arrivasmes en Escosse , il s'esleva
un si grand brouillard, que nous ne pouvions pas
voir despuis la jjoupe jusques à l'arbre de la gal-
lère, en quoy les pilottes et comités * furent fort eston-
nez ; si bien que par nécessité, il fallut mouiller l'an-
cre en plaine mer, et jetter la sonde pour sçavoir
où nous estions. Ce brouillard dura tout le long d'un
jour, toute la nuict, jusques au lendemain matin à
huict heures, que nous nous trouvasmes environnez
d'un' infinité d'escueilz; si bien que, si nous fussions
allez en avant ou à costé, nous eussions donné à
travers et nous fussions tous péris. De quoy la reyne
disoit que, pour son particulier, ne s'en fust guières
souciée, ne souhaittant rien tant que la mort; mais
elle ne l'eust pas souliaittée ny voulu, pour le géné-
ral, pour tout le royaume d'Escosse. Ayant donc re-
i. Pierre de Boscosel de Chastelard, Dauphinois, né vers 1540,
décapité à Edimbourg en 1363. Voyez p. 451-453.
2, Comité, officier des galères.
LA REYNE D'ESCOSSE. 419
cogneu et veu, le matin de ce brouillard levé, le
terrain d'Escosse, il y en eut qui augurarent sur ledict
brouillard , qu'il signifioil qu'on alloit prendre terre
dans un royaume brouillé, brouillon et mal plaisant.
Nous allasmes entrer et prendre terre au Petit-Lit,
où soudain les principaux de là et de l'Islebourg*
accoururent pour recueillir leur reyne; et ayant sé-
journé deux Iieures seulement au Petil-Lict, fallut
s'acbeminer à l'Isleboiirg qui n'est qu'à une petite
lieue de là. La reyne y alla à cheval, et ses dames et
seigneurs sur des hacquenées guilledines du pays,
telles quelles, et barnecbées de mesmes; dont, sur
tel appareil, la reyne se mist à pleurer et dire : que
ce n'estoient pas les pompes, les apprestz, les magni-
ficences ny les superbes montures de la France, dont
elle avoit jouy si longtemps; mais puisqu'il luy f'al-
loit changer son paradis en un enfer, qu'il falloit
prendre patience. Et qui pis est, le soir, ainsi qu'elle
se vouloit coucher, estant logée en bas en l'abbaye
de rilebourg- (qui est certes un beau bastiment et
ne tient rien du pays), vindrcnt soubs sa fenestre cinq
ou six cens marauts de la ville luy donner l'aubade
de meschans violions et petits rebecz', dont il n'y en
a faute en ce pays là; et se mirent à chanter des
pseaumes tant mal chantez et si mal accordez, que
rien plus. Hé! quelle musique et quel repos pour sa
nuict!
Le lendemain matin, on luy cuida tuer son au-
mosnier devant son logis; et s'il ne se fîist sauvé de
1. Edimbourg. -— 9.. L'abbaye d'Holyrood.
3. Rebec, espèce de violon.
4-20 DES DAMES.
vielesse dedans sa chambre il estoit mort, et en eus-
sent faiet de mesmes comme ils firent despuis à son
secrétaire David \ l(>quel, d'autant qu'il estoit d'es-
prit, la reyne l'aymoit pour le maniement de ses
affaires : mais on le luy tua dedans sa salle, si près
d'elle que le sang luy en rejalist sur sa robbe, et luy
tumba mort à ses pieds.
Quelle indignité! Ils luy en ont bien faict d'autres;
dont ne se faut estonner s'ils ont parlé mal d'elle.
Ce tour faict à son aumosnier, elle en vint si triste
et fascbée qu'elle dicl : « Voilà un beau commance-
« ment d'obéissance et de recueil ^ de mes subjects !
« Je ne sçay quelle en sera la fin ; mais je la prévois
« très-mauvaise. » Ainsy que la pauvre princesse en
cela s'est monstrée despuis une seconde Cassandre en
prophétie, comme elle estoit en beauté.
Estant là, elle vcsquit environ trois ans fort sage-
ment en sa viduité; et y eust persisté, n'aiant nul-
ment envie de violer les mânes de son mary; mais les
Estatz de son royaume la priarent et la sollicitarent
de se remarier, affin qu'elle leur peut laisser quelque
beau roy enfanté d'elle, comme est cestuy-cy d'au-
joLu-d'huy.
Il y en a qui ont dit qu'aux premières guerres le
roy de Navarre la voulust espouser, en répudiant la
reyne sa femme à cause de la religion ; mais elle n'y
voulut consentir, disant qu'elle a voit une âme, et
qu'elle ne la vouloit perdre pour toutes les grandeurs
1. David Rizzio, assassiné le 9 mars 1566. Voyez de Thou,
liv. XL, et Lingard, règne d'Elisabeth, ch. ii.
2. Recueil, accueil.
LA REYNE D'ESCOSSE. 421
du monde, faisant un grand scrupule d'espouser un
homme marié.
Enfin elle se remaria ' avec un jeune seigneur d'An-
gleterre (le fort grande maison^ mais non pareil à
elle. Ce mariage ne futguières heureux, ny pour l'un
ny pour l'autre. Je ne veux iey raconter comment le
roy son mary, après luy avoir feict un fort bel en-
fant, qui règne aujourd'huy, fut tué et mourut par
une fougade dressée où il logeoit^ L'histoire en est
imprimée et escripte, mais non au vray, pour l'ac-
cusation qu'on a suscité à la reyne d'y avoir esté
consente*. Ce sont abus et menteries, car jamais ceste
reyne ne fust cruelle : elle estoit du tout bonne et
très-douce. Jamais en France elle ne tist cruauté,
mesmes elle n'a pris plaisir ny eu le cœur de voir
deffaire les pauvres criminel/, par justice, comme
beaucoup de grandes que j'aycogneu; et alors qu'elle
estoit en sa gallère, ne voulust jamais permettre que
l'on battist le moins du monde un seul forçat et en
pria M. le grand prieur son oncle et le commanda
expressément au comité, ayant une compassion ex-
trême de leur misère, et le cœur lui en faisoit mal.
Pour lin, jamais cruauté ne logea au cœur d'une si
grande et douce beauté; mais ce sont esté des impos-
teurs qui l'ont dict et escrit, entre autres M. Bucca-
nan *; en quoy il a mal recogneu les biens que sa
1 . Son mariage avec Darnley se fit secrètement le 9 j iiillot 1563,
et fut célébré solennellement quelque temps après.
2. Le dO février 1367. — 3. Consente, consentante.
^. Georges Buchanan, poète latin et historien, mort en 1582.
Bien qu'il eût reçu divers bienfaits de Marie Stuart, il l'a indigne-
ment traitée dans son Reruni Scoticarum Historia (1582), et dans
422 DES DAMES.
reyne luv avoit faictz en France et en Escosse, pour
la grâce de sa vie et du relief de son ban \ Il eut
mieux valu qu'il eust employé son divin sçavoir à
Darler mieux d'elle, ny des amours de Baudouet, jus-
nues à V mettre quelques sonnetz qu'elle avoit faicts,
que ceux qui ont cogneu sa poésie et son sçavoir di-
ront bien tousjours qu'ils ne sont venus d'elle, ny
moins jugeront de ses amours; car ce Baudouet es-
toit le plus laid bomme, et d'aussi mauvaise grâce
qui se peut voir. Mais si celuy-là n'en a bien dict,
il V en a d'autres qui en ont escrit un fort beau livre
de son innocence % que j'ay veu, qui l'a si bien dé-
clarée et prouvée que les moindres esprits y mor-
droient , comlîien que ses ennemis n'y ayent eu
esgard; mais la désirant faire perdre, comme ils ont
faîct à la fin, et comme obstinez, l'en ont tellement
persécutée, qu'ils ne cessarent jamais qu'elle ne fust
miise en prison dans un fort cbasteau : on dit que c'est
Sainct-Ândré en Escosse ^ Et ayant demeuré près d'un
an misérablement captive, fut délivrée par le moyen
d'un fort honneste et brave gentilhomme du pays et
de bonne maison, nommé M. de Béton* que j'ay
cogneu et veu , lequel m'en conta l'histoire lors-
qu'il en vint porter la nouvelle au roy, ainsi que
nous passions l'eaue devant le Louvre. Il estoit nep-
un violent pamphlet intitulé : De Maria, regina Scotorum^ totaque
ejus contra regem conspiratione, tS72, in-S",
1 . Et l'avoir fait relever de son ban.
2. L' innocence de la très-illustre princesse Marie Stuart (par
F, de Belleforest), 4572, in-8».
3. Au château de Lochlevin, en juin 1567.
4. Beaton. — L'évasion de Marie eut lieu le 2 mai 1568.
LA REYNE D'ESCOSSE. 423
veii de l'évesque de Glasco ', aml)assadeiir en France,
un des hommes de bien et dignes prélats qui se voit
point, et qui a esté fidelle serviteur de sa maistresse
jusques à son dernier souspir, et luy est encor autant
après son trespas.
Voylà donc ceste reyne en liberté, qui ne chauma
pas; et en moins d'un rien eut amassé une armée de
ceu\ qu'elle eslimoit ses plus fidelles : et la menant,
elle la première en teste, montée sur une bonne hac-
quenée, vestue d'un simple cottillon ou Juppé de
taffetas blanc, et coiffée d'une coiffé de crespe des-
sus; de quoy j'ay veu plusieurs personnes s'estonner,
mesme la reyne mère, qu'une si tendre princesse, et
si délicate qu'elle estoit et avoit esté toute sa vie,
fût ainsi habituée aux incommoditez de la guerre.
Mais aussi qu'est la chose que l'on n'endure et que
l'on ne face pour régner absoluement, et de se van-
ger de son peuple rebelle, et le ranger à son obéis-
sance ?
Voylà doncques cette reyne, belle et généreuse,
comme une seconde Zénobia, à la teste de son ar-
mée, la conduisant pour l'affronter à celle de ses
ennemis, et livrer bataille; mais, hélas! quel mal-
heur ! Ainsy qu'elle pensoit les siens venir aux mains
avec les autres, et ainsy qu'elle les exortoit et ani-
moit pour ses belles et valeureuses parolles, qui eus-
sent pu esmouvoir les rocliiers, ils vindrent tous à
hausser leur picques sans rendre combat; et, tant
1 . Jacques Beaton, le dernier évêque de Glasgow, mort à Paris
en '1603. Il fut l'un des fondateurs du collège des Ecossais dans
cette ville.
424 DES DAMES.
d'un costé que d'autre, vindrent mettre les armes
bas, s'embrasser et se faire amis ; et confédérez et
conjurez ensemble firent complot de se saisir de la
reyne, et la prendre prisonnière, et la mener en An-
gleterre. jM. de Gros, intendant de sa maison, gentil-
homme d'Auvergne, en conta ainsi l'histoire à la
reyne mère, en venant de là ; et le vis à Saint-Mor,
qui nous la conta à aucuns de nous.
Enfin elle fust menée en Angleterre ' où elle fust
logée en un chasteau si estroictement et en telle cap-
tivité, qu'elle n'en a bougé de dix-huict à vingt ans
jusques à sa mort, dont elle en eut sentence, par
trop cruelle, fondée sur plusieurs raisons telles
quelles, qui sont dans l'arrest; mais une des princi-
palles, à ce que je tiens de bon lieu, fut que la reyne
d'Angleterre ne l'ayma jamais, et a esté tousjours et
de longtemps jalouse de sa beauté, qu'elle voyoit
surpasser la sienne (que c'est de jalousie!), et pour la
relligion aussi. Or tant y a que ceste princesse après
sa longue prison fut condamnée à la mort, et avoir la
teste tranchée ; et son arrest luy fust prononcé deux
mois advant qu'elle fust exécutée. Aucuns disent
qu'elle n'en sceut rien, sinon quand on fust pour
l'exécuter. D'autres disent qu'il luy fut prononcé
deux mois advant l'exécution, ainsi que la reyne
mère en eut l'advis estant à Congnac, qui en fut très-
marrie; et, mesmes luy dict on ceste particularité :
qu'aussilost que l'arrest fust prononcé on luy tendist
i. Après la défaite de ses troupes à Langside, le 13 mai 15G8,
elle voulut, malgré les instances de ses amis, se réfugier en An-
gleterre où elle arriva le IG.
LA REYNE D'ESCOSSE. 425
sa chambre el son lict de noir. La reyne mère se
mist là dessus à louer fort la constance de ladicte
reyne d'Escosse, et qu'elle n'en avoit jamais veu ny
ouy parler d'une plus constante en son adversité
(j'estois présent alors), et crovoit pourtant que la
reyne d'Angleterre ne la feroit point mourir, ne l'es-
timant cruelle tant jusques là^ et que de son naturel
elle ne l'estoit point; (mais elle le fut là), et aussi que
M. de Bellièvre, que le roy avoit despesché pour luy
sauver la vie, opéreroit quelque chose de bon ; mais
il n'y gaigna rien.
Pour venir donc à ceste mort piteuse, qu'on ne
peut descrire qu'avec grande compassion', le dix-
septiesme donc de febvrier Tan mil cinq cens quatre-
vin^t-sept % arrivant au lieu oij estoit la reyne
prisonnière, chasteau appelle Fodringhaye', les com-
missaires de la reyne d'Angleterre, par elle envoyez
(je ne diray point leur nom, car il ne serviroit de
rien), sur les deux ou trois heures après midy, et
[estant en la présence de Paulet, son gardien ou
geôlier, font lecture de leur commission touchant
l'exécution, à leur prisonnière, luy desclarant que
le lendemain matin ils y procéderoient, l'admones-
tant de s'apprester entre sept ou huict. Elle, sans
d. La plupart des détails qui suivent sont tirés d'une relation
contemporaine que Brantôme cite plus loin. Elle est intitulée : Le
Martyre de la royne et Escosse^ douarière de France, Edimbourg,
chez Jean >»"afeild, 1S87, 510 p. in-8°. Nous mettons entre cro-
chets les passages qu'il lui a empruntés textuellement.
2. Il y a par erreur nonante un dans le manuscrit; Dupuy a
biffé ce chiffre et mis en marge 1S87. , •
3. Fotheringay.
426 DES DAMES.
s'estonner aucunement, les remercia de leur bonnes
nouvelles, disant qu'elles ne pouvoient estre meil-
leures pour elles, pour voir maintenant la fin de ses
misères, et que dès longtemps elle s'estoit apprestée
et résolue à mourir, despuis sa détention en Angle-
terre, suppliant pourtant les commissaires de lui
donner un peu de temps et de loisir pour faire son
testament et donner ordre à ses affaires, puisque cela
gissoit' à leur volonté, comme leur commission por-
toit. A quoy le conte de Cherusbery ^ luy dit assez
rudement : « Non, non, madame; il faut mourir.
a Tenez -vous preste demain entre sept et huict heu-
« res du matin, On ne vous prolongera pas le délav
« d'un moment »'.] Il y en eut un plus courtois, ce
luy sembloit, qui luy voulut user de quelques re-
monstrances pour estimer de luy donner quelque
constance davantage à supporter cette mort. Elle luy
respondit qu'elle n'avoit point besoin de consolation,
pour le moins venant de luy; mais que s'il vouloit
faire ce bon office à sa conscience de luy faire venir
son aumosnier * pour la confesser, que ce lui seroit
une obligation qui surpasseroit toute autre; car,
pour son corps, elle ne croioit pas qu'ils fussent si
inhumains qu'ils ne luy donnassent droict de sépulture.
Lors il luy répliqua qu'il ne s'y falloit point attendre;
de façon qu'elle fust contraincte d'escrire sa confes-
sion, qui fut telle :
[« J'ay estée combattue aujourd'huy de ma relligion, et
« de recevoir la consolation des hérétiques. Vous enten-
i. Gissoit, gisoit, — 2. Slirewsbury.
3. Martyre^ p. 410. — 4. Il s'appelait Préau.
LA REYNE D'ESCOSSE. 427
« drez par Boiirgoing * et les autres, que j'ay faict fulelle-
« ment protestation de ma foy, en laquelle je veux mourir.
« J'av requis de vous avoir pour faire ma confession et
« recevoir mon sacrement, ce qui m'a esté cruellement
« refusé, aussi bien que le transport de mon corps, et de
« pouvoir tester librement, ou rien escrire que par leurs
« mains. A faute de cela, je confesse la griefveté de mes
« péchez en général, comme j 'avois délibéré de faire à
«< vous en particulier, vous priant, au nom de Dieu, de
« prier et veiller ceste nuict avec moy pour la satisfaction
« de mes péchez, et m'envoyer vostre absolution et pardon
« de toutes les olTences que j'ay faictes. J'essayray de vous
« voir en leur présence, comme ils m'ont accordé du
« maistre d'hostel; et s'il m'est permis, devant tous je vous
« demanderay pardon. Advisez-moy de plus propres priè-
« res pour ceste nuict et pour demain matin, car le temps
« est court et je n'ay loisir d'escrire ; mais je vous recom-
« manderay comme le reste , et surtout vos bénéfices vous
« seront asseurez, et vous recommanderav au roy. Je n'ay
«f plus de loisir; advisez-moy de tout ce que vous penserez
« de bon pour mon salut par escrit ^.]
Après cela faict et pourveu au salut de son âme
avant toutes choses, elle ne perdist point temps, et
si peu qu'il luy restoit (bien long pourtant et suffi-
sant pour esbranler une constance des plus asseurez,
mais en elle on n'v cognent aucune crainte de la
mort, mais beaucoup de contentement de sortir des
misères mondaines), l'employa à escrire à nostre roy,
à la reyne mère qu'elle honnoroit beaucoup, à mon-
sieur et à madame de Guise, et à autres particuliers,
lettres certes fort piteuses, mais du tout tendantes à
1. Son médecin. — 2. Martyre^ p. 418.
428 DES DAMES.
leur faire cognoistre que jusques à la dernière heure,
elle n'avoit perdu la mémoire d'eux, et le contente-
ment qu'elle recevoit de se voir délivrée de tant de
maux , desquels il y avoit vingt et ung an qu'elle
estoit accablée; et leur envoia à tous des présens qui
estoient de la valeur et pris que le pouvoit consen-
tir une pauvi'e reyne captive et mal fortunée.
Après envoya quérir sa maison, despuis le plus
grand jusques au plus petit, et fit ouvrir ses coffres,
et regarda combien elle pouvoit avoir d'argent j leur
despartit à chacun selon son moyen et le service
qu'elle avoit tiré d'eux; et à ses femmes leur partagea
ce qui luy pouvoit encor rester de bagues, de car-
quans, de lytestes ' et acoustremens ; leur disant à
tous que c'estoit avec beaucoup de regret qu'elle
n'avoit davantage pour leur donner et les récom-
penser, mais qu'elle s'asseuroit que son fds satisferoit
à sa nécessité : et pria son maistre d'hostel de le
faire entendre à sondict fils, à qui elle renvoyoit sa
bénédiction, le priant de ne venger point sa mort,
laissant le tout à Dieu à en ordonner selon ses di-
vines volontez ; et leur dict adieu à tous sans lar-
moyer aucunement; mais au contraire les consolloit,
et leur disoit qu'il ne falloit pas qu'ils pleurassent sur
le poinct de la voir bienheureuse en contr'eschange
de tant de malheurs qu'elle avoit eu ; puis les fit
tous sortir de la chambre, réservé ses femmes. !
Or il estoit desjà nuict ; et se retira en son ora-
toire, où elle pria Dieu plus de deux heures, les ge-
noux tous nuds contre terre, car ses femmes s'en ap-
\ . Ly teste, ruban de tête.
LA REYNE D'ESCOSSE. 429
perçeurent; puis elle s'en revint en sa chambre, et
leur dict : « Je croy qu'il vault ])eaLicoup mieux,
« mes amies, que je mange quelque chose, et que
« je me couche après , afin que demain je ne face
« chose indigne de moy, et que le cœur ne me faille. »
Quelle générosité et quel courage ! Ce qu'elle fist; et,
prenant une rostie au vin seulement s'en alla cou-
cher, et dormit fort peu, et employa la plus grand'
partie de la nuict en prières et oraisons.
Elle se leva deux heures devant jour, et s'habilla le
plus proprement qu'elle peut, et mieux que de cous-
tume, et print une robbe de vellours noir, qui estoit
tout ce qu'elle s'estoit réservé de ses accouslremens,
disant à ses femmes : « Mes amies, je vous eusse
a laissé plustost cesteaccoustrement que celuy d'hier,
(( sinon qu'il faut que j'aille à la mort unpeuhonno-
« rablement, et que j'aye quelque chose plus que le
« commun. Voyià un mouchouer que j'ay réservé
« aussi, qui sera pour me bander les yeux quand je
« viendray là, que je vous donne, ma mie (parlant à
« une de ses femmes), car je veux recevoir ce der-
« nier office de vous. »
Après, elle se retira en son oratoire, leur aiant dict
de rechef à Dieu en les baisant; et leur dict tout
plain de particularitez pour dire au roy, à la reyne
et à ses parens, non chose qui tendist à la vengeance,
mais au contraire plustost ; et fist là ses pasques par
le moyen d'une hostie consacrée que le bon pape
Pie V luy avoit envoyée pour s'en servir à sa néces-
sité, et qu'elle avoit tousjours fort curieusement et
sainctement gardée et conservée.
Après avoir dict toutes ses oraisons, qui furent
430 DES DAMES.
bien longues^ car il estoit desjà grand matin, elle
s'en vint dans sa chambre; elle s'assist auprès du feu,
parlant toujours à ses femmes et les consolant, au
lieu que les autres la debvoient consoler; leur disant
que ce n'estoit rien que des fœlicitez de ce monde,
et qu'elle en debvoit bien servir d'exemple aux plus
grandes de la terre jusques aux plus petites; qu'elle,
qui avoit esté reyne des royaumes de France et
d'Escosse, de l'un par nature, de l'autre par fortune,
après avoir triumphé pesle-mesle dans les honneurs
et grandeurs, la voilà réduicte entre les mains d'un
bourreau, innocente toutesfois; ce qui la consoloit
pourtant ; mesmement le plus beau de leur prétexte
estoit pris pour la faire mourir sui' sa religion catho-
lique, bonne, saincte, qu'elle n'abandonneroit jamais
jusques au dernier souspir, puisqu'elle y avoit esté
baptisée, et qu'elle ne vouloit autre gloire après sa
mort, sinon qu'elles publiassent sa fermeté par toute
la France, quand elles y seroient retournées, comme
elle les en prioit; et qu'encores qu'elle sçavoit
qu'elles auroient beaucoup de crève-cœur de la voir
sur l'eschaffaut pour jouer une telle tragédie, si vou-
loit-elle qu'elles fussent les tesmoings de sa mort,
sçachant bien qu'elle n'en pourroit avoir de plus fi-
delles, pour en faire le rapport de ce qui en advien-
droit.
Ainsy qu'elle achevoit ces parolles, l'on vint heur-
ter fort rudement à la porte. Ses femmes, se doub-
tant que c'estoit l'heure qu'on la venoit quérir, vou-
lurent faire résistance d'ouvrir ; mais elle leur dict :
« Mes amies, cela ne sert de rien, ouvrez. »
Et entra premièrement un compagnon, avec un
LA REYNE D'ESCOSSE. 431
bastoii liLuic en la maiii^ lequel, autrement sans s'a-
dresser à personne, diet en se pourmenant, par deux
fois : « Me voicy venu, me voicy venu. » I.a reyne
se doublant qu'il l'adverlissoit de l'heure de l'exécu-
tion, prist en la mam une petite croix d'hyvoire.
Puis après vindrent les commissaires susdicts, et
estans entrez la reyne leur dict : « Et bien! mes-
« sieurs, vous m'estes venue quérir. Je suis preste et
« très-résolue de mourir ; et trouve que la reyne, ma
« bonne sœur, faict beaucoup pour moy, et tous vous
« autres particulièrement, qui en avez faict ceste re-
« cherclie. Allons donc. » Eux, voyans ceste con-
stance accompagnée d'une si grande douceur et ex-
trême beauté, s'en estonnarent fort; car jamais on
ne la vist plus belle, aiant une couleur aux joues qui
l'embellissoit.
Ainsy Boccace escript de Soplionisba*, laquelle
estant en son adversité après la prise de son mary et
de sa ville, et parlant à Massinissa : « Vous eussiez
H dicl, raconte-il, que son propre malheur la rendoit
« plus belle; et luy favorisoit la douceur de son vi-
ce sage, pour la rendre plus désirable et agréable. »
Ces commissaires furent grandement esmeuz à
quelque compassion. Toutesfois, ainsy qu'elle sortoit,
ils ne voulurent pas permettre à ses femmes de la
suivre, craignans que, pour leurs lamentations, sous-
' pirs et haults cris, l'acte de l'exécution en fut aucu-
nement troublé; mais elle leur dict : « Et quoy 1
« messieurs, me voulez- vous user tant de rigueurs
1 . Voyez Boccace, De Claris mulieribus, ch. Lxvm : De Sopho-
nisba résina Numidia:.
432 DES DAMES.
« que de ne permettre seulement ou consentir que
« mes femmes m'accompagnent au suplice? Au moins
« que j'obtienne ceste faveur de vous autres. » Ce
îju'ils luy accordarent, en leur promettant qu'elle
leur imposeroit silence quand ils les feroient venir
lorsqu'il faudroit.
[Le lieu de l'exécution estoit dans la salle , au
milieu de laquelle on avoit dressé un eschaffaut large
de douze piedz en quarré, et hault de deux_, tapissé
de mescbante revesche noire. ']
Elle entra donc dans ceste salle, avec pareille ma-
jesté et grâce comme si elle fût entrée dans une salle
du bal, où on l'avoit veue d'autrefois si excellem-
ment paroistre, sans jamais changer de contenance.
Et ainsy qu'elle fut auprès de l'eschaffaut^ elle appella
son maistre d'hostel et luy dict : « Aydez-moy à
« monter; c'est le dernier office que je recevray de
« vous; » et luy réitéra tout ce qu'elle luy avoit dict
en sa chambre pour dire à son fils. Puis, estant sur
l'eschafl'aut_, elle demanda son aumosnier, priant les
officiers qui estoient là de permettre qu'il vinst; [ce
qui luy fut refusé tout à plat, luy disant le comte de
Kent, qu'il la plaignoit grandement de la voir ainsy
adonnée aux superstitions du temps passé , et qu'il
falloit porter la croix de Christ en son cœur et non
en la main. A quoy elle fist response qu'il estoit mal
aisé de porter tel et si beau object en la main, sans
\ . Martyre, p. 420. « La revesche, dit le Dictionnaire de Tré-
voux, est une étoffe de laine qui n'est point croisée, mais qui est
une espèce de frise ou de ratine frisée à poil long et qui est moins
serrée. »
LA REYNE D'ESCOSSE. 433
que le cœur en fût touché de quelque esmotion
et souvenance; que la chose la plus séante à toute
personne chrestienne, c'estoit de porter la vraye
marque de sa rédemption lorsque la mort la mena-
çoit. Et, voyant qu'elle ne pouvoit avoir son aumos-
nier, elle pria de faire venir ses femmes, ainsy qu'ils
luy avoient promis; ce qu'ils feirent : l'une des-
quelles, à son entrée dans la salle, appercevant sa
maistresse sur l'eschaffaut en tel équipage parmi les
bourreaux , ne se peut engarder de crier, gémir et
perdre contenance; mais incontinent la reyne luy
aiant faict signe du doigt contre la bouche, elle se
se retint \]
Sa Majesté alors commancea à faire des protesta-
tions que jamais elle n'avoit attenté ny à Testât, ny
à la vie de la reyne, sa bonne sœur; ouy bien d'avoir
voulu rechercher sa liberté, comme tous captifs sont
obligez; mais qu'elle voyoil bien que la cause de sa
mort estoit la relligion, dont elle s'estimoit très-heu-
reuse de terminer sa vie pour ce subject; et prioit la
reyne sa bonne sœur d'avoir pitié de ses pauvres
serviteurs qu'elle tenoit captifs, en considération de
l'affliction dont ils avoient esté meus à rechercher
la liberté de leur maistresse, puisqu'elle en devoit
pâtir pour tous.
On luy emmena un ministre pour l'exorter; mais
elle luy dict en anglois : « Ah! mon amy, donne-
(( moy patience; » [luy déclarant qu'elle ne vou-
loit communiquer avec luy, ny avoir aucuns propos
avec ceux de sa secte, et qu'elle estoit apprestée à
i. Martyre, p. 421.
vu — 28
434 DES DAMES.
mourir sans son conseil, et que telles gens que luy
ne luy pouvoient apporter aucune consolation ou
contentement d'esprit. Ce néantmoins, voyant qu'il
continuoit ses prières en son barragouin, elle ne
laisse de dire les siennes en latin^ eslevant sa voix
par dessus celle du ministre '] ; et puis redit qu'elle
s'extimoit [beaucoup heureuse de respandre la der-
nière goutte de son sang pour sa relligion, plus que
de vi\Te si longuement, et qu'elle ne pouvoit atten-
dre que nature parachevast le cours ordonné de
sa vie, et qu'elle espéroit tant en celuy qui estoit re-
présenté par la croix qu'elle tenoit en sa main, et
devant les pieds duquel elle se prosternoit, que ceste
mort temporelle, soufferte pour son nom, luy seroit
le passage, le commancement et l'entrée de la vie
éternelle avec les anges et les âmes bienheureuses,
qui recevroient d'elle son sang, et la représenleroient
devant Dieu en dévotion de toutes ses offenses, les
priant de luy estre intercesseurs pour obtenir pardon
de grâce.]
[Telles estoient ses prières , estant à genoux sur
l'eschafïaut, lesquelles elle faisoit d'un cœur fort ar-
dent, y adjoustant plusieurs autres pour le pape, les
roys de France, d'Espaigne, et mesmes pour la reyne
d'Angleterre, priant Dieu la vouloir illuminer^ de
son sainct esprit '] ; pria aussi pour son fils, et pour
l'isle de la Bretagne et d'Escosse, pour les vouloir
convertir.
Cela faict, elle appella ses femmes pour luy aider
1. Martyre, p. 425.
2. 11 y a enluminer dans la relation. — 3. Martyre^ p. 424.
LA REYNE D'ESCOSSE. 435
à oster son voyle noir, sa coifFure et ses autres orne-
mens; et ainsy que le bourreau y vouloit toucher,
elle luy dict : « Ha! monamy, ne me touche point, m
P"outesfois, elle ne peut engarder qu'il n'y touchast;
car après qu'on eut abbaissé sa robbe jusques à la
ceinture, ce villain la tira par le bras assez lourde-
ment, et luy osta son pourpoint. Son corps de cotte
avoit le collet bas, de manière que son col et sa
belle gorge, plus blanche qu'albastre, paroissoient
nuds et découverts. Elle-mesme s'accommoda le plus
dilligemment qu'elle pouvoit, disant qu'elle n'estoit
pas accoustumée de se despouiller devant le monde,
ny en si grand' compagnie (on dict qu'il y pouvoit
bien avoir quatre à cinq cens personnes), ne se ser-
vir de tels vallets de chambre.]
[Le bourreau se mist à genoux et luy demanda
pardon, à quoy elle dict qu'elle luy pardonnoit, et à
tous ceux qui estoient autheurs de sa mort, d'aussi
bon cœur qu'elle désiroit ses péchez luy estre par-
donnez de Dieu\]
Puis elle dict à sa femme à qui elle avoit donné
auparavant le mouchoir, qu'elle luy portast ledict
mouchouer.
[Elle portoit une croix d'or, où il y avoit du
bois de la vraye croix* avec l'image de Nostre-Sei-
gneur, qu'elle vouloit bailler à l'une de ses damoi-
selles; mais le bourreau l'en empescha, nonobstant
que Sa Majesté l'eusl prié de ce faire, luy pro-
1. Martyre, p. 423.
2 . Les mots où il y avoit du bois de la vraye croix ne se trou-
vent point dans la relation.
436 DES DAMES.
metlaiit que la damoiselle luy payeroit trois fois la
valeur.]
[Ainsy s'eslant toute aprestée, après avoir baisé
les damoiselles, elle leur donna congé de se retirer
avec sa bénédiction, leur faisant le signe de la croix
sur elles. Et, voyant que l'une des deux ne se pou-
voit contenir de plorer, elle luy imposa silence, di-
sant qu'elle s'cstoit obligée de promesse qu'elles ne
feroient aucun trouble par leurs pleurs et gémisse-
mens, leur commandant de se retirer doucement, de
prier Dieu pour elle, et porter bon et ifidelle tesmoi-
gnage de sa mort en la relligion ancienne, saincte et
catholique.]
[L'une des deux luy aiant bandé les yeux avec
son mouchouer, incontinent elle se jetta à genoux de
grand courage, sans donner la moindre démonstra-
tion ou signe d'aucune crainte de la mort. Sa con-
stance estoit telle, que toute l'assistance, mesmes ses
ennemis, furent esmeus; et n'y eust pas quatre per-
sonnes qui se peurent garder de plorer, tant ils trou-
varent ce spectacle estrange, se condamnans eux-
mesmes en leur conscience d'une telle injustice \]
[Et parce que le bourreau, ou plustost ministre
de Satlian ^ l'importunoit, luy voulant tuer l'âme
avecques le corps, et la troubloit en ses prières, en
haussant sa voix pour le surmonter, elle dict en latin
le pseaume. In te, Domine, spera^i: non confiuidar in
œternum, lequel elle récita tout au long. Aiant
1. Martyre, p. 426-27.
2. Il y a seulement dans la relation : Et parce que le ministre
de Sathan.
I
LA REYNE D'ESCOSSE. 437
aclievé, se mist la teste sur le billot ; et, comme elle
répétoit de rechef, In ma nus tuas. Domine, commen-
do spiritum meum ^ le bourreau lui bailla un grand
coup de hache, dont il luy enfoncea ses altiffets dans
la teste, laquelle il n'emporta qu'au Iroisiesme coup,
pour rendre le martyre plus grand et plus illustre,
combien que ce n'est pas la peine mais la cause qui
faict le martyre.]
[Ce faict, il prend la teste en la main, et la mons-
trant au\ assistans, dit : « Dieu sauve la reyne Eli-
« sabeth ! Ainsy adviène aux ennemis de l'Evangille! »
Et, en ce disant, la descoifla, par manière de mes-
pris, affin de monstrer ses cheveux desjà blancs',]
qu'elle ne craignoit pourtant, estant en vie, de les
monstrer, ny se les tordre et friser, comme quand
elle les avoit si beaux, si blonds et cendrez; car- ce
n'estoit pas la vieillesse qui les avoit ainsy rendus
changez en l'aage de trente-cinq ans, et n'aiant pas
quasi quarante ans*; mais c'estoient les ennuits, tris-
tesses et maux qu'elle avoit endurez en son royaume
et en sa prison.
[Cette malheureuse tragédie finie, ces pauvres da-
moiselles, curieuses de l'honneur de leur maistresse,
s'addressarent à Paulet, son gardien, et le priarent
que le bourreau ne touchast plus au corps de leur
maistresse, et qu'il leur fût permis de la despouiller,
après que le monde seroit retiré, afin qu'aucune indi-
gnité ne fust faicte au corps, promettant de luy ren-
dre la despouille et tout ce qu'il pourroit avoir et
demander ; mais ce maudit les renvoia fort lour-
\. Martyre^ p. 428. — 2. Elle avait quarante-quatre ans.
438 DES DAMES.
dément, leur commandant de sortir hors de la
salle.]
[Cependant le bourreau la deschaussa et la ma-
nia à sa discrétion *.] On double s'il luy en fist de
mesme comme ce misérable muletier fist, dans les
Cent Nouvelles de la reyne de Navarre ^, à l'en-
droict de ceste pauvre femme qu'il tua. Il arrive
des tentations aux hommes plus estranges que
celles-là.
[Après qu'il heut faict ce qu'il vouloit , le corps
fut porté en une chambre joignante celle de ses ser-
viteurs, bien fermée, de peur qu'ils n'y entrassent
pour luy faire aucun pie et bon office : ce qui
leur augmenta et doubla leur ennui ; car ils la
voyoient par un trou au travers, à demy couverte
d'un morceau de drap de bure qu'on avoit arraché
de la table du jeu de son billard ^] Quelle mœqua-
niqueté*, voire animosité et indignité, de ne luy en
avoir voulu achepter ung noir un peu plus digne
d'elle !
[Ce pauvre corps y fut assez longtemps en ceste
sorte, jusques à ce qu'il commança à se corrompre,
qu'enfin, ils furent contraincts de le saller et embau-
mer à la légière, pour espargner les frais; et puis le
mirent en un coffre de plomb, où il fut gardé sept
mois, et puis porté en terre proffane du temple de
1. Martyre, p. 429.
2. Voyez la seconde Nouvelle de la première Journée.
3. Martyre, p, 430.
4. Mxquani quêté , vilenie. Je n'ai trouvé ce mot que dans le
dictionnaire français- anglais de Cotgrave (16U}, où il est écrit
mécaniqueté .
LA REYNE D'ESCOSSE. 439
Petersbroiich*. Vray est que caste église est dédiée
soubz le nom de Sainct Pierre, et la reyne Catheriue
d'Espagne* y est enterrée à la catholique; mais elle est
aujourd'huy profane, comme sont toutes les églises
d'Angleterre '.]
Il y en a qui ont dict et escript, mesmes des An-
glois qui ont faict un livre de ceste mort et de ses
causes : [que la dcspouille de la revue morte fut os-
tée au bourreau, en luy payant la valeur en argent de
ses habits et ornemens royaux *.]
Aucuns Espaignols en firent de mesmes lorsqu'ils
firent mourir Francisque Pizarre, ainsi que j'ay dict
en quelque part, parlant de luy^
[La revesclie, dont l'eschaflaut estoit couvert,
mesmes les aisses* d'iceluy, le pavé de la maison et
toutes autres choses arrousées de son sang, furent in-
continent, une partie bruslez, une partie lavez, de
peur qu'au temps advenir ils ne servissent à super-
stition, c'est à dire, de peur qu'aucuns catholiques
songneux ne les vinssent un jour à achepter ou re-
cuillir avec respect, et honneur et révérence (quelle
crainte, qui pourra servir possible de prophétie et
augure!), comme les bons pères anciens avoient de
coustume de garder les reliques, et observer avec dé-
votion les monumens des martirs. Ce n'est pas de
ce temps que les hérétiques ont ainsy faict : Qui om-
nia qiias martjrum erant, cremabant, comme dit
\. Petersborough.
2. Catherine d'Aragon, première femme de Henri VIII.
3. Martyre, p. 430. — 4. Ibid., p. 432.
f>. Voyez plus haut, p. 97-98. — fi. Aisses, ais. •
440 DES DAMES.
Eusèbe, et cineres in Rhodanum spargebant, ut cum
corporibus interiret eorum qnoqiie memoria '. Mais
pourtant la mémoire de ceste reyne , en despit de
toutes choses, vivra à jamais en gloire et en trium-
phe \]
Voylà enfin le discours de sa mort, que je tiens
par le rapport de deux damoiselles précédentes, bien
honnestes certes et bien fidelles à leur maistresse, et
obéissantes à son commandement, pour avoir porté
tesmoignage de sa constance et de sa relligion. Elles
s'en retournarent en France après l'avoir perdue,
car elles estoient françoises : dont l'une estoit fille de
madamoiselle de Raré^, que j'avois veu en France
l'une des dames de ladicte reyne. Je pense que ces
deux honnestes damoiselles eussent faict plorer les
plus barbares à les ouir faire si piteux conte, qu'elles
rendoient du tout lamentable et par les pleurs et par
leurs douces, dolentes et belles parolles.
J'en ay appris aussi beaucoup d'un livre qui a
esté faict et imprimé, qui s'intitule : Le Martjre de
reyne d^Escosse, duuairière de France *. Hélas ! pour
avoir esté notre reyne, cela ne luy a guières servi. Il
me semble que, pour avoir esté telle, on debvoit
1. Qui brûlaient tout ce qui appartenait aux martyrs, et en
jetaient les cendres dans le Rhôue , afin qu'avec leur corps périt
aussi leur mémoire.
2. Martyre, p. 433.
3. C'est probablement elle qui, dans un inventaire des objets
appartenant à Marie et trouvés après sa mort entre les mains de
ses serviteurs, est désignée ainsi : Renée Rallay, alias Beaure-
gard. (Voyez Labanoff, t. VII, p. 259, 265, 268, 270, 272.)
4. Voyez plus haut, p. 425, note 1.
LA REYNE D'ESCOSSE. 4'ii
craindre à la faire mourir de peur de la vengeance : et
y eut-on songé cent fois avant que venir là, si nos-
tre roy en eust bien voulu prendre l'affirmative ; mais,
d'autant qu'alors il hayssoit messieurs de Guise ses
cousins, il s'en soucia fort peu, que par manière
d'acquit. Hélas ! qu'en pouvoit mais la pauvi^e inno-
cente? Voilà ce qu'en disoient aucuns.
D'autres disent et asseurent qu'il s'en formalisa
fort. Comme de vray il envoya à la reyne d'Angle-
terre M. de Bellièvre, l'un des grands et prudens
sénateurs de France, et des plus suffisans, qui n'y
faillist d'y apporter toutes ses raisons, prières de son
roy, et menaces, et tout ce qu'il peut, et entre autres
de luy alléguer qu'il n'appartenoit à un roy ou à un
souverain de faire mourir un autre roy ou un autre
souverain, sur lequel il ne pouvoit avoir aucune
puissance, ny de Dieu ny des hommes : dont sur ce
lui allégua d'un visage courroucé l'histoire de Corra-
din, mort et exécuté à Naples; menaçant ladicte
reyne d'une prophétie de vengeance, comme à l'au-
tre qui fît faire l'exécution ' : et d'autant que l'his-
toire est à propos, piteuse, et quasi semblable à celle
de nostre reyne ; et pour mieux l'estendre je suis
esté d'avis de la mettre icy par escript \
Conrradin donc de Suève', jeune gentilhomme qui
fut fils d'Henry, aisné fils de Fédéric n% passa en
1. Voyez le discours de Bellièvre à Elisabeth, dans de Thou,
Uv. LXXXVI.
2. Tout ce qui suit jusqu'à la page 447 est tiré des livres IV
et V de CoUenuccio, et là, comme ailleurs, Brantôme s'est servi
de la traduction de Sauvage.
3. De Suève, de la maison de Souabe.
442 DES DAMES.
Italie, accompaigné d'un sien parent de son aage,
duc d'Austrie, et avec une fort grosse armée d'Alle-
mands et autres, cuydant recouvrer Naples et Sicille,
qu'il prétendoit luy appartenir par la succession de son
ayeul et de ses oncles; et, de faict, mist aucunement
Charles, duc d'Anjou, premier roy de Naples, pour
lors paisible, en danger de le perdre; mais il vint à
perdre la bataille; et, ses gens defFaicts, fut pris avec
sondict parent (je ne diray la façon, ne servant à
nostre propos), et menez devant le roy Charles, qui
les fit très-bien garder prisonniers l'espace d'un an,
au bout duquel, au vingt sixiesme d'octobre ', l'on
estendit des couvertures de velours cramoisy au mi-
lieu du marché de Naples, au lieu où fut mise despuis
une colonne dans l'église des Carmes, que la mère de
Conrradin fit bastir despuis. Et furent emmenez sur les
couvertures estendues Conrradin et le duc d'Austrie
et autres , en grand' presse de peuple , non seule-
ment de François et de Néapolitains, mais de toutes
les villes voisines, qui estoient accourues à si cruel
spectacle; lequel aussi le roy Charles vist combien
qu'il fut en une tour assez loing de là, regardant
tout ce qui s'y faisoit.
Quand ils furent venus, maistre Robert de Barry,
premier greffier du roy Charles, monta sur un per-
ron que l'on avoit dressé tout exprès, et leust la sen-
tence de mort contre les susdicts, pour avoir troublé
la paix de l'Église, avoir faucement usurpé le nom
de roy, voulu occuper et attenter contre la per-
sonne du roy mesmes. A quoy Conrradin dit en lan-
1. 1268.
LA REYNE D'ESCOSSE. 443
gue latine à celui qui la prononcea , la valeur de
telles parolles : « Thraistre, paillard, meschant, tu as
« condamné le fils du roy. Et ne sçais-tu pas qu'un
« pareil sur son pareil n'a point de commandement
« ny de puissance, et ne le peut condemner à la
« mort ? »
Puis, il nia qu'il eust voulu offenser l'Église, mais
seulement conquester le royaume qui luy apparte-
noit, et qu'on luy retenoit à tort, mais qu'il espéroit
qu'on vengeroit sa mort : et, tirant un gand de sa
main, le jetta vers le peuple comme un signe d'inves-
titure, mais plustost de vengeance, disant qu'il lais-
soit son héritier dom Frédéric de Castille, filz de sa
tante. Cedict gand fut recuilly d'un chevalier, et des-
puis porté au roy Pierre d'Arragon.
Cela faict, le premier fust le duc d'Austrie à qui la
teste fut tranchée ; laquelle, toute séparée du corps,
cria par deux fois : Maria. Et Conrradin l'ayant prinse,
la baisa tendrement, et, la sarrant auprès de sa poic-
trine, pleura le malheur de son compaignon, s'accu-
sant soy-mesmes qu'il avoit esté occasion de sa mort,
l'aiant tiré d'avecques sa mère, et emmené avec soy à
si cruelle fortune. Puis se mist à genoux, les mains
levées au ciel et les yeux, demandant pardon : et,
sur ce point, l'exécuteur de tel office luy fit voiler
la teste, et à d'autres après. Et, à ce ministre bour-
reau ung autre, pour cela appareillé, fist le sembla-
ble qu'il avoit faict aux autres, luy coupant inconti-
nant la teste, afin qu'il ne se peut jamais vanter
d'avoir espandu si noble sang.
Les corps sans teste demeurarent sur terre long-
temps, et ne fut homme si hardy d'y toucher, jusques
444 DES DAMES.
à tant que Charles eust commandé qu'ils fussent en-
sepvelis.
Telle fut la fin misérable de ce jeune prince
Conrradin^ plaint et pleuré de tous ceux qui le virent
mourir.
Plusieurs qui escrivoient de ce temps, ce dict l'his-
toire, blasmarent fort le jugement de Charles pour
l'avoir faict mourir, ne leur semblant- point chose
royalle et crestienne d'user de la cruauté envers un
tel seigneur, et de tel aage et de telle noblesse et for-
tune, d'autant que c'est chose autant belle ethonno-
rable de garder les grands seigneurs comme de les
vaincre, et qu'après la victoire on doibt mettre l'es-
pée bas et ne l'arrouser plus de sang vaincu, et prin-
cipallement chrestien ; et, qui pis est, luy, aiant esté
pris devant Damiette par les Sarrazins, avec le roy
sainct Louys son frère, furent royallement traictez,
royallement tenus et royallement relaschez en paiant
rançon.
Aussi le roy Pierre d'Arragon, le reprochant au-
dict roy Charles par une lettre, pource qu'il n'avoit
pas gardé telle raison envers Conrradin que les
Sarrazins envers luy, entre autres parolles luy dit
ainsy : Tu Nerone Neronior, ei Sarrncenis crudelior :
« Tu es plus Néron que Néron, et plus cruel que les
« Sarrazins. »
Aussi Robert, comte de Flandres, son gendre*,
prist si grand desplaisir à ceste mort, que, plain
d'une noble collère, transperça d'un coup d'estoc et
1 . Robert III de Béthune, comte de Flandre, qui avait épousé
Blanche, fille de Charles d'Anjou.
LA REYINE D'ESCOSSE. 445
tua celuy qui leust Ja sentence, luy semblant celuy
n'estre pas digne de vivre, qui, estant de très-basse
race, avoit esté si hardy de lire une sentence de mort
contre un prince do si hault lignage.
Or, pour la vengeance de ceste mort et supplice,
au bout de quelque temps, ainsy que le roy Charles
estoit venu à Bourdeaux pour se trouver au combat
assigné et compromis entre luy et le roy Pierre, son
fils unique Charles, prince de Sallerne, vint à estre
pris en ung combat de mer fort malheureusement,
et contre le commandement de son père qui' luy
avoit faict exprès de ne venir aux mains nullement,
et toute sa fleur de noblesse françoise prise etdéfaicte
par Rogier de Loria, Callabrois, et admirai du roy
Pierre*; dont, par un coup, furent les testes tran-
chées en Scicille, à Messine, à plus de deux cens
gentilshommes et barons françois, et tout pour la
vengeance de Conrradin.
En partie le royaume se vint à révolter, mesmes la
ville de Naples, sur lequel piteux jeu arriva Charles,
qui, venant^ mallade de tristesse, despit et mélancolie,
passa de cette vie en l'autre, ayant régné dix neuf
ans assez paisil)lement, et n'ayant que cinquante six
ans* : laquelle mort aiant esté sceue par les Sciciliens,
courrent à la prison où étoit le reste des pauvres
François pris par cest admirai Rogier de Loria, pour
les tuer et massacrer tous; mais parce que, tous cap-
tifs qu'ils estoient, se deffendirent vaillamment, pour
1. Qui, qu'il. — -2. Le 23 juin 1284.
3. Venant, devenant.
4. Le 7 janvier l28o. Il avait soixante-cinq ans.
446 DES DAMES.
avoir plustosl faict et s'oster du danger, mirent le
feu aux prisons, et les bruslarent tous en vie. Voyez
quelle vengeance ! Puis assemblarent tous les sindics
de toutes les villes de Sicille, pour juger Charles,
prince de Sallerne, en ensuivant la manière de faire
du roy Charles, son père, quand il jugea Coniradin;
et tous, d'un commun accord, le jugearent et con-
damnèrent d'avoir la teste trenchée, comme son père
avoit condamné Conrradin.
Estant ce jugement ainsi donné, la reyne Con-
stance^, par un vendredy matin, envoya signifier la
mort au jeune prince, le faisant advertir qu'il pour-
veut au salut de son ame, parce qu'il falloit qu'il re-
ceust la mort ce jour là comme Conrradin. A quoy
le prince respondit par telles paroles : « Je suis con-
te tenl de prendre en patience de bon cœur ceste
a mort, me souvenant qu'à tel jour qu'aujourd'hui
« Nostre-Seigneur Jésus-Christ aussi receut sa mort
« et passion. »
Quand la reyne eut entendu qu'il avoit faict ceste
responce, elle, qui estoit bonne chrestienne, dévote,
sage et modeste dame, dict ainsy : « Puisque le
« prince, pour le regard de ce jour, veut prendre la
a mort si doucement et si patiemment, j'ay aussi dé-
« libéré, en l'honneur d'icelluy qui à tel jour souffrit
« mort et passion, luy estre miséricordieuse comme
« il nous le fust aussi ; « et, cela dict, commanda
qu'il fût gardé sans qu'on luy fist aucun desplaisir.
Et, pour contenter le peuple qui requéroit sa mort,
1. Constance, reine de Sicile, fille de Mainfroi et femme (1261)
de Pierre d'Aragon.
LA REYNE D'ESCOSSE, 4^*7
à tous elle leur fist entendre qu'en chose de telle im-
portance, de laquelle pourroit sortir plusieurs scan-
dalles, il ne falloit faire aucune délibération sans le
sceu du roy Pierre; et ainsi commanda que le jeune
prince fust mené en Cathalongne en toute seureté (ce
qui fut faict, et laissé à l'advis et jugement du roy
Pierrej ; qui despuis, après quatre ans avoir demeuré
prisonnier, fut délivré à la mode que dict l'his-
toire.
Cest acte n'apporta pas moins de louange à ceste
sage et pitoiable reyne, usant de ceste douceur et
piété, que d'infamie, dict l'histoire, au roy Charles,
pour s'estre baigné trop cruellement dans le sang in-
nocent du jeune et royal enfant, suivant son appétit
désordonné.
Voilà l'histoire de Conrradin, sur laquelle je n'ay
veu guières personnes généreuses qui n'aient dict que
la reyne d'Angleterre eust acquis une gloire immor-
telle, si elle eust usé de miséricorde à l'endroict de
la reyne d'Escosse, en imitant ceste bonne reyne
Constance ; et aussi qu'elle ne seroit exempte de
courir la fortune de la vengeance qui l'attend, quoy
qu'il tarde, pour un tel saug innocent respandu qui
la crie là hault.
On dict que la dicte reyne angloise fut sage et ad-
visée en cela : car, non seulement elle en voulut pas-
ser par l'advis de ceux de son royaume, mais de
plusieurs grands princes et seigneurs protestans, tant
d'Allemagne que de France, comme le feu prince de
Condé et Cazimir, morts peu après, et le prince d'O-
range et autres, qui signarent ceste mort violante, et
d'autres qui n'attendent pas de moins; car ils en
448 DES DAMES.
sentent la conscience chargée, puisque cela ne leur
touchoit en rien, et ne venoit en aucun advantage,
ne le faisant que pour plaire à ladicte reyne,
mais, tant s'en faut, leur portoit un préjudice inex-
timable.
On dict aussi que ladite reyne Élizubeth^ quand
elle envoya signifiier ceste triste sentence à la pauvre
reyne Marie, que celui qui luy en porta la parolle
lasseura que c'esloit à son grand et triste regret,
mais par la contrainte de ses estats, qui l'en avoient
pressée, elle respondit : « Elle a bien plus de puis-
« sance que cela pour les rendre obéissans à ses vo-
« lontez quand il luy plaist, car c'est la princesse,
« voyre le prince, qui se faict autant craindre et ré-
M vérer. »
Or, je m'en rapporte à la vérité du tout, que le
temps révellera . Cependant la reyne morte vivra glo-
rieuse, et en ce monde et en l'autre, jusques à ce
qu'il vienne d'icy à quelques années quelque bon
pape qui la canonise pour le martyre qu'elle a souffert
en l'honneur de Dieu et de sa loy.
Il ne fault doubter que si ce grand, vaillant et gé-
néreux prince, feu M. de Guise dernier, ne fust
mort, que la vengeance d'une si noble reyne et cou-
sine ainsy morte ne seroit maintenant à naistre. Or
c'est assez parlé d'un subject si pitoyable, par quoy
je fais fin.
Ceste reyne, qui fut en beauté non semblable.
, Fut par trop d'injustice exécutée à mort,
Pour soustenir sa foy d'un cœur inviolable.
Se peut-il faire donc qu'on n'en venge le tort.-*
LA REYNE D'ESCOSSE. iiU9
Il y en a eu un qui avoit faict son tombeau en vers
latins, dont la substance estoit telle : « Nature avoit
produiot cestc reyne pour estre veue de tout le
monde; aussi a-elle esté veue en grande admiration
pour sa beauté et ses vertus, tant qu'elle a veseu :
mais l'Angleterre, y portant envie, la mist sur un es-
chafTaut, pour estre veue en dérision, qui pourtant a
esté bien trompée, car telle veue luy a tourné à
louange et admiration envers le monde, et gloire et
grâce envers Dieu. »
Si faut-il, advant que je finisse, que je die encores
cecy pour response à aucuns que j'ay veu parler mal
de la mort de Chastellard, que la reyne fist exécuter
en Escosse, et l'en taxer, voire estre si malheureux
de tenir que, par vengeance divine, elle avoit juste-
ment pâty comme elle avoit faict pâtir autruy. Il
faudroit donc à ce conte qu'il n'y eust nullement de
justice, et qu'il n'en faut jamais faire : et qui en sçait
l'histoire n'en blasmera nullement nostre dicte
reyne ; et, pour ce, je la vois raconter pour sa justiffi-
cation.
Ce Chastellard donc fut un gentilhomme de Dau-
phiné, de bon lieu et de bonne part, car il fut petit
nepveu, du costé de la mère, de ce brave M. de
Bayard ; aussi disoit-on qu'il luy ressembloit de
taille, car il l'avoit moyenne et très-belle, et me-
grelline, ainsy qu'on disoit M. de Bayard l'avoit. Il
estoit fort adroict aux armes et dispost en toutes
choses et à tous honnestes exercices, comme à tirer
des armes, à jouer à la paume, à sauter et à danser.
Bref, il estoit gentilhomme très accomply; et, quand
à l'âme, il l'avoit aussi très-belle, car il parloit très-
vu — 29
450 DES DAMES.
bien, et mettoit par escrist des mieux, et mesmes en
ritme, aussi bien que gentilhomme de France, usant
d'une poésie fort douce et gentille, en cavalier.
Il suivoit M. d'Anville, ainsy nommé de ce temps,
aujourd'huy M. le connestable : et lorsque nous fus-
mes avec M. le grand prieur, de la maison de Lor-
raine, et luy, conduire ladicte reyne, ledict Chastel-
lard fut avec luy, qui en ceste compaignie se fist
cognoistre à la reyne ce qu'il estoit en toutes ces gen-
tilles actions, et surtout en ses rithmes ; et entre au-
tres il en fist une d'elle sur une traduction en italien,
car il le parloit et l'entendoit bien, qui commence :
Che giova posséder ciltadi e regni, etc. ? qui est un
sonnet très-bien faict, dont la substance est telle :
« De quoy sert posséder tant de royaumes, citez,
". villes, provinces, commander à tant de peuples,
« se faire respecter, craindre, admirer et veoir d'un
« chacun, et dormir vefve, seule et froide comme
(c glace? » Il fit plusieurs autres rithmes très-belles,
que j'ay veues escrites en main; car jamais elles n'ont
esté imprimées, que j'aye veu.
La reyne donc qui aymoit les lettres, et principal-
lement les rithmes, et quelquefois elle en faisoit de
gentilles, se pleust à voir celles dudict Chastellard,
et mesmes elle luy faisoit response; et, pour ce, luy
faisoit bonne chère et l'entretenoit souvent. Cepen-
dant Uiy s'embrase couvertement d'un feu par trop
liault, sans que l'object en peuve mais; car et qui
peut delFendre d'aymer? On a bien aymé le temps
passé les plus cliastes déesses et dames et ayme-1'on
encor, voire a-l'on aymé des statues de marbre; mais
pour cela les dames n'en sont à blasmer si elles n'y
LA REY\E D'ESCOSSE. 451
adhèrent. Brusle donc qui voudra sur ses feux cou-
verts !
Chastellard s'en tourne avecques toute la troupe en
France, fort fasché et désespéré d'abandonner si bel
object. Au bout d'un an , la première guerre civille
vient en France. Luy, qui estoit de la relligion, com-
bat en soy quel party il doibt yjrendre, ou d'aller à
Orléans avec les autres, ou de demeurer avec M. d'An-
ville, et avec luy faire la guerre contre sa relligion.
Ce dernier luy est trop amer d'aller ainsy contre sa
foy et sa conscience; de l'autre, porter les armes
contre son maistre luy desplait grandement : par-
quoy résout ny pour l'un ny pour l'autre combattre,
mais de se bannir de France et s'en aller en Escosse,
et laisser battre qui voudra, et là couler le temps. Il
en ouvre les propos à M. d'Anville et luy descouvre
sa résolution, et le prie d'escrire à la reyne des let-
tres en sa faveur ; ce qu'il obtint : et, aiant pris
des uns et des autres, il part; et le vis partir et me
dict à Dieu et une partie de sa résolution, car nous
estions bons amis.
Il faict donc son voyage et l'achève heureusement ;
si bien qu'estant arrivé en Escosse et ayant discouru
toute sa résolution à la reyne, elle le reçoit humai-
nement, et l'asseure estre le bien venu; mais, abu-
sant de ceste bonne chère, il voulut s'attaquer à un
si haut soleil, qu'il s'y perdit comme Phaëton ; car,
forcé d'amour et de rage, il fut si présumptueux de
se cacher soubs le lict de la reyne, lequel fut descou-
vert ainsv qu'elle se vouloit coucher. Mais la reyne
sans faire aucun scandalle, luy pardonna s'aydant
du l>eau conseil que ceste dame d'honneur fist à sa
45^ DES DAMES.
maistresse dans les Nouvelles de la reyne de Navarre',
lorsqu'un seigneur de la court de son frère, coulant
par une trapelle, faicte par luy exprès en la ruelle, la
voulut forcer, de laquelle il n'en rapporta rien que
honte et de belles esgratigneures : et le voulant faire
chastier de sa témérité et s'en plaindre à son frère, sa
dame d'honnem^ luy conseilla que, puisqu'il n'en avoit
eu que des esgratigneures et honte, il estoit assez
puny, et qu'en pensant faire clair son honneur, elle
l'obscursissoit davantage , estant l'honneur d'une
dame de tel pris, qu'il ne se doibt jamais mettre en
débat, et que tant plus on le veut contendre*, tant
plus il va au nez du monde, et puis à la bouche des
mesdisans.
Notre reyne d'Escosse, comme sage et prudente,
passa ainsy cet scandale; mais ledict Chastellard,
non content et plus que forcené d'amour, y retourna
pour la seconde fois, ayant oublié sa première faute
et son pardon. Alors la reyne, pour son honneur, et
à ne donner occasion à ses femmes de penser mal,
voyre à son peuple s'il le scavoit, perdit patience, le
mist entre les mains de la justice, qui le condamna
aussitost à avoir la teste trenchée, veu le crime du
faict. Et le jour venu, ayant esté mené sur l'eschaf-
faut, advant mourir avoit en ses mains les hymnes
de M. de Ronsard; et pour son éternelle consolation,
se mist à lire tout entièrement l'himne de la mort',
i . Il s'agit de Bonnivet et de Marguerite de Navarre dont l'aven-
ture est racontée dans la Nouvelle IV de VHeptaméron. Bran-
tôme en a déjà parlé. Voyez tome III, p. 67.
2. Contendre^ discuter.
3. C'est l'hymne IX du second livre des Hymnes.
LA REY.N'E D'ESCOSSE. 4o3
qui est très-bien faict et propre pour faire abhorrer la
mort, ne s'a}dant autrement d'autre livre spirituel,
ny de ministre ny de confesseur.
Après avoir faict son entière lecture, se tourne vers
le lieu où il pensoit que la reyne fust, s'cscria hault :
« A Dieu, la plus belle et la plus cruelle princesse du
« monde; » et puis, fort constamment tendant le col
à l'exécuteur, se laissa deffaire fort aisément.
Aucuns ont voulu discourir à quoy il l'appelloit
tant cruelle, ou si c'estoit qu'elle n'eust eu pitié de
son amour ou de sa vie. Là dessus qu'eust-elle sceu
faire? Si, après le premier pardon, elle eût donné le
second, elle estoit scandalisée partout ; et pour sauver
son honneur, il fallut que la justice usast de son
droict : et c'est la fin de l'histoire.
FIN DU SEPTIEME VOLUME.
APPENDICE.
I. Alexandre VJ et le tableau du jugement dernier^
p. 67.
Dans l'anecdote que rapporte Brantôme, et qu'il dit tenir
d'un moine espagnol et d'un petit livret imprimé, il s'agit
évidemment du Jugement dernier de Michel-Ange. Par con-
séquent elle ne s'applique point à Alexandre VI, mais à
Paul III dont le maître des cérémonies Biagio est repré-
senté par le peintre au milieu d'un groupe de damnés,
sous la figure d'un personnage à oreilles d'âne, mordu par
un serpent. Le fait est du reste raconté de diverse sma-
nières par les biographes.
II. Sur Jehan-Baptiste ^ p. 91.
Ce Jehan-Baptiste, que l'on appelait le compère, était
maître d'hôtel de Catherine de Médicis et son compatriote.
Elle l'avait amené d'Italie avec elle.
III. Dei>ises de Catherine de Médicis. \
I
Dans le manuscrit 894 du fonds français à la Biblio-
thèque nationale se trouvent trois pages de devises de la
main de Catherine.
TABLE DES MATIÈRES.
DISCOURS D'AUCUNES RODOMONTADES ET GENTILLES RENCONTRES
ET PAROLLES ESPAIGNOLLES, p. 1 à 177.
Dédicace à la reine Marguerite, p. 1-4. Prise de Gênes par le
marquis de Pescaire ; son ordonnance sur les bagages de
l'armée; révolte du capitaine Vega; Vallès, cité, îi-7; conver-
sation de Brantôme avec deux soldats espagnols au Louvre,
7-8. Légionnaires romains; exploits des Espagnols, 9 et suiv.
Mot de Charles-Quint sur les arquebusiers espagnols, i 1 ; dé-
faite des Zélandais par les Espagnols, H-12, Paroles de Char-
les V débarquant en Espagne, 12-13. Pertes des Espagnols en
diverses guerres, 14. Réponse de soldats à Charles V au
siège de Metz, 13. Prise de la Goulettc par l'Ouchaly; nou-
velles qu'en donne le duc de Savoie à Brantôme ; renégats
espagnols, 15-16. Voyage de Brantôme à Malte; sa conversa-
tion avec un soldat espagnol, 17. Bravoure des Italiens au
siège de la Goulelte; anecdote racontée par M. de Savoie sur
Antoine de Lève au siège de Pavie, 1 8 ; amour des soldats
espagnols pour le marquis de Pescaire, 19. Ce qu'un Gascon
espagnolisé dit à Brantôme, à Madrid, 20. Brantôme, Maison-
fleur et un soldat espagnol au siège d'Orléans, 20-21. Bran-
tôme et un soldat espagnol à Crémone, 21-22. Vanteries de
divers soldats espagnols, 22-24. Trait d'un soldat espagnol,
Lobo, au siège du château de Milan par Prospero Colonna ;
Vallès, cité 24-26. Martial, cité; anecdotes, 26. Un capitaine
espagnol et le chevalier d'Ambres; caractère de Bussy d'Am-
boise, 26-27. Anecdotes diverses, 27-29. Strozzi, Brantôme
et un soldat espagnol; mots de divers soldats espagnols, 30.
456 TABLE DES MATIERES.
Réflexions de Brantôme sur la vie qu'on mène aux armées;
Éloge du comte de Brissac, 30-31. Soldat espagnol et Fran-
çois I" à Pavie ; un Espagnol et le roi Fernand, 32. Soldats
espagnols à l'expédition de Tunis, et en Flandre, 33. Mot d'un
soldat espagnol à Charles V sin* la chevelure de son frère Fer-
dinand; insolence d'un autre à Charles V, 33-34. Le roi Fer-
dinand et un hidalgo; Pescaire à la bataille de Ravenne; sa
devise, 34-36. Mort de Talbot et de son lils à Castillon, du
sire de Montcavrel à Nicopolis ; de Galéas de Saint-Severin à
Pavie; Froissart et Vallès, cités, 36-38. Paroles de Pescaire
marchant contre Alviane qui est battu; réflexions à ce sujet;
Vallès, cité, 38-40. Ce que les Espagnols disent à Brantôme
sur VJrnmda, 40-42. Bravade de Rodomont; Boiardo, cité,
42. Mort d'Ajax; erreur de Brantôme, 43. Le capitaine Val-
frenière ; beau trait de dix soldats espagnols au passage de 1
l'Elbe ])i\v Charles-Quint; Louis d'Avila, cité, 43-46. Éloge
d'une épée par un Espagnol, 46-47. Un capitaine du Piémont '
et son épée Martine, 47-48. Vanterie d'un Espagnol, 48-49.
Bons mots d'un gentilhomme espagnol ; d'un médecin ; d'un
homme qu'on menait pendre, 30-51. Un capitaine espagnol,
sa maîtresse, les deux Pimentel et Juan de Gusman, 51-52. i
Tournois en Flandre ; Mme de Fontaine-Chalandray ; Alonzo f
Pimentel, vice-roi de la Goulette, exécuté comme sodomite ; î
anecdote à ce sujet, 52-53. Mot d'un capitaine espagnol; van- ^
terie d'un soldat espagnol, 53-54. Menace d'un capitaine fran- i
çais contre son ennemi, 54. Rencontre faite en 'Toscane par ;
Brantôme et Lansac d'un soldat Espagnol qui leur demande ?'
l'aumône, 54-56. Anecdote d'un mendiant espagnol à Rome,
56. Naufragés vus par Brantôme à Séville; mot d'un soldat
espagnol sur sa pauvreté, 57. Anecdote de François I" pri-
sonnier racontée à Brantôme par un vieux soldat es])agnol,
57-58- Avarice de l'Espagnol; mot d'un Espagnol sur son
pouvoir dans sa ville,- 59. Expédient d'Antoine de Lève pour ,
payer ses troupes; surnom donné par les soldats à Charles V;
soldats de la pagnotte, 60-61. Menaces de Charles V à Fran-
çois I"; Boccace, cité; insuccès de l'expédition de Charles-
Quint en Provence; par qui conseillée, 61-62. Réponse du
renégat Assanagas, gouverneur d'Alger à Chailes-Quint, 62.
Lusignan livré aux catholiques j)ar Mirambeau, 63-64. Pes-
TABLE DES MATIERES. 4S7
caire au siège de Pizzighitone esl sauvé par un ennemi, le ca-
pitaine Fratin, 64-63. Réponse du maréchal Strozzi à deux
cordeliers, Go-66. François de Guise regretté par les soldats
huguenots ; la première armée de huguenots composée de vieux
soldats, 66-67. Soldat sans guerre est cheminée sans feu; mot
d'Alexandre VI (voy. Appendice, p. 454) à un cardinal sur le
Purgatoire, 67. Paroles de Louis d'Avila assiégé dans la cita-
delle d'Anvers; de Pescaire au marquis del Gouast; Vallès,
cité, 68-69. Paroles de François I"" prisonnier au marquis del
Gouast; Vallès, cité, 6?-71. François I" parlait toujours en
français, bien qu'il sût d'autres langues, 71, 74-7.j; mot de
M. de Lansac, à ce sujet, 71, 74. Anecdote de Charles V et de
l'évêque de Maçon, ambassadeur à Rome, 70-72. Railleries de
Brantôme sur les ambassadeurs qui ne savent pas les langues
étrangères ; évêque français ne sachant pas le latin, au concile
de Trente; le cardinal du Bellay; service que les huguenots
ont rendu aux gens d'église, 72-73. Ignorance d'un ambassa-
deur français près la cour d'Espagne; le perroquet de Mme de
Brienne. De la nécessité pour les ambassadeurs de savoir les
langues étrangères, 74. François P"" et la reine de Navarre sa
sœur savaient plusieurs langues ; Henri II parlait très-bien
espagnol ; Catherine de Médicis ne parlait que peu italien ; sa
fille Marguerite faisait de même; son éloge, 7o. Bon accueil
que Philippe II fait à Brantôme à cause de sa connaissance de
l'espagnol; éloge de M. de Lansac, 76. Capitulation de Di-
nant; Julien Roméro et le connétable de Montmorency, 76-84.
Rencontre de Brantôme et de Romero à Messine, 82-83. Com-
bat de Romero à Fontainebleau, dicton à ce sujet, 83-84.
Aventures de Brantôme à Catane, et à la porte Saint- Jacques à
Paris, 8S-87. Passage des troupes espagnoles en Lorraine,
87-88 ; ce qu'un soldat espagnol dit à Brantôme à Milan, 88.
Plaisantes anecdotes d'un soldat espagnol; d'un soldat gascon,
88-89. François de Guise et un soldat espagnol de la maison
de Mendozze, au siège d'Orléans, 89-91 . Fanfaronnade d'un
seigneur italien devant Henri II, racontée à Brantôme par
M. d'Uzès, 91-92. Mot du Uîarquis del Gouast sur les Gascons
à la bataille de Cerisoles ; M. de Grille, 93-94. Mots sur des
Espagnols fanfarons; prise du Pignon de Belys, 94-95. Récit
de la défaite et de la mort de Gonzalès Pizarre au Pérou, 9o-
458 TABLE DES MATIERES.
98; supplice de Fr, Caravajal, 98 ; ses paroles moqueuses à Cen-
teno; sa cruauté 100-101; sa maison et celle de Pizarre, dé-
molies, 101-102. Garcilasso de la Vega et Zarate, cités, 98,
note 1,100, note 4, 101, note 4. Mots plaisants de gens condamnés
au supplice, 98, 99; d'un moine au lit de mort, 99. Mot d'une
dame sur un cavalier espagnol poltron, iOi. Machiavel, cité,
102. Actions héroïques de Louis de la Sanna, 402-104; de
Cesius Sceva ; Valère Maxime, cité, 10b. Vaillance de M. de
Mareuil à la bataille de Dreux, 106. Armée du duc de Parme
en France, 107. Eloge de PhiHppe II par un soldat espagnol,
108. Le duc d'Albe Frédéric et les habitants de Pampelune;
la Conquista de Navarra, citée, 108-109. Pelopidas et Alexan-
dre de Phcres; Plutarque, cité, 109. Anecdotes et réflexions
sur les hommes de petite taille, 109-110. Soldat géant massa-
cré par un nain devant Soliman; P. Jove, cité, 110, Hl. Ré-
ponse des ducs d'Albe et de Najara au roi de Navarre;
Conquista de Navarra, citée, 111-112. Mot des Espagnols sur
les Français après la bataille de Saint-Quentin, 112-113.
Charles-Quint devant Metz, 113. Harangue du duc d'Albe
assiégé dans Pampelune; Conquista de Navarra, citée, 113-
116, Digression sur les harangues militaires; Tite-Live ; Gui-
chardin; Belleforest; P. Jove; erreurs de la Popelinière; le
duc de Guise et Coligny à Dreux"; mot du maréchal Strozzi sUr
les historiographes; le duc de Guise à Metz; Ronsard, 117-
119. Recueil de harangues projeté par Brantôme; harangue
du dernier duc d'Albe à ses soldats en Flandre, 119-121. Di-
verses anecdotes sur les duels, 121-122. Mots d'un cordelier
espagnol au roi de Portugal et d'un cordelier portugais à un
autre cordelier sur la bataille d'Aljuvarota, 122-123. Haine
des Portugais et des Castillans; aventure de Brantôme à Lis-
bonne, 124. Combat de douze Français et de douze Espagnols
au royaume de Naples; le Loyal Serviteur, cité, 124-125. Gon-
zalve de Cordoue et d'Aubigny, 125. Le marquis de Cenette
et son écuyer à Perpignan; mot de Gonsalve de Cordoue, 126-
1 27. Anecdotes sur les duels, etc. La Cosmographie, 1 28. Anec-
dote de François I" et d'un Italien, 129. M. de Beaulieu en-
voyé a la cour par les Marseillais; son succès, 129, 130. Mot
d'un brave; assassinat de quatre hommes par le capitaine Fré-
ville, que Brantôme sauve, 131-133, Aventure du comte Clau-
I
TABLE DES MATIERES. 459
dio et de quatre soldats, 133-134. Henri IV et deux soldats
prisonniers au siège de la Fère, 135-136. Sobriété des Espa-
gnols, 136. Le maréchal de Termes et trois soldats espagnols
à Sienne; La Conquista de Sena , citée, 137-139. Exploits
d'Astolfe Baglion, du capitaine Léon et d'Espinosa à la bataille
de Sienne, 139. Réponse d'un prisonnier espagnol à un capi-
taine français; d'un autre prisonnier à Henri IV sur la perte
de Cambrai, 139-140. Campagnes en France du prince de
Parme qui prend Lagny et fait lever le siège de Paris; mots
de lui et d'Henri IV, 140-142. Eloge des soldats espagnols,
de Fernand Cortez et du duc d'Albe qui défait le comte de
Nassau; l'argent cause de la bonne discipline des soldats, 142-
143. Titres que porte le roi d'Espagne, plus grand terrien que
les Romains, 144-14.5. Révoltes des soldats espagnols; com-
ment elles se font, 145-147. Récit de celle qui eut lieu en Si-
cile en 1538. Perfidie de Ferdinand de Gonzague, 147-153.
Comment le marquis del Gouast se débarassa des soldats ré-
voltés dans le Milanais; soldats révoltés à Alost , 151-152,
Révolte des Romains sous Scipion en Espagne, 152. Généro-
sité d'Henri IV envers la garnison espagnole de Paris, 153-
154; humanité du duc de Guise à l'égard des ennemis restés
devant Metz, 154-155. Mauvais traitements des Espagnols à
l'égard des Français au siège de Pampelune; la Conquista de
Navarra et Rabelais, cités, 154-155. Rencontre de Brantôme
et d'un capitaine espagnol; éloge de don Juan, 156. Prise
d'Amiens par Henri IV; ce qu'il répond aux Espagnols qui lui
demandaient le sac de la ville; sépulture de Hermantello
Porto-Carrero dans cette ville, 156-158. Entrevue de Rayonne;
beauté de Madeleine de Giron; mot sur elle, 158-159; cour-
tisée par M. d'Amville, 160. Son insolence envers un gentil-
homme français; danger qu'elle court sur mer, 161. Bravade
et défaite des Français à Nicopolis, 159. M. de Landreau,
vaillant homme de mer; ce qu'il raconte à Brantôme et à
Strozzi, 161. Arrogance de dames espagnoles; une romance
espagnole, 162-163. Anecdotes diverses et bons mots sur les
dames espagnoles, 163-169. Réflexions sur l'embonpoint des
veuves; Rabelais, cité, 167-169. Conversation de Rrantôme et
d'un Espagnol sur Mme de Guise, à l'entrevue de Rayonne,
170-171, Ce qu'un grand prince dit à Brantôme sur l'amour.
460 TABLE DES MATIERES.
fi
171-172. Eloge de la reine d'Espagne, 172-174. La reine t^
Marguerite aux eaux de Spa; éloges qu'en font deux Espa-
gnols à Brantôme, 174-176. Ses malheurs; ce qu'elle dit à
Brantôme sur son peu d'ambition, 176-177.
SERMENS ET JUREMENS ESPAIGNOLS, p. 179 à 20{.
Enumération de serments et jurements en usage chez les Espa-
gnols, 179-184. Pilate; Hérode ; saint Antoine, 184-18^. Ma-
ladie de Bavard guérie par saint Antoine, 185-] 86. Anecdotes
d'im prédicateur espagnol ; du cardinal de Lorraine prêchant
à Fontainebleau, 186-187. Anecdote de Caravajal dans une
auberge de Velletri, 187-188. Anecdotes sur des mendiants,
sur des amoureux, 188-189. Histoire, à la cour d'Anne de
Bretagne, d'une tante de Brantôme, Jeanne de Bourdeille, et
d'un cordelier qui en était amoureux, 190-192. Incendie de
l'église des Cordeliers à Paris; Mme de Pons, 192-193. Mot
d'un cordelier fray Inigo à plusieurs dames, 193. Anecdote
d'un cordelier et d'un jacobin; d'une poule donnée à un curé;
anecdotes diverses, 194-197. Plaisante anecdote de M. de
Orignaux à Rome, 197-199. Jurements chez différents peuples;
blasphème d'un Génois sur une galère où se trouvait Bran-
tôme, et ce qui en advint, 200-201.
M. DE LA NOUE :
A 8ÇATOIR A QUI t'oK EST PLUS TENU OU A SA PATRIE, A SON ROT OH A SON
BIENFACTEUR, p. 203-2G5.
Commencements de M. de La Noue ; il sert en Piémont sous
M. Damville; embrasse le calvinisme; attiré par CoUgny; son
amour de l'étude ; accompagne avec Brantôme Marie Stuart
en Ecosse, 203-204. Il s'empare d'Orléans, 204; passe la Loire;
mort de M. d'Ourches, ami de Brantôme, 20"). La Noue est
pris à Jarnac et à Moncontom*; défait Puygaillard; passe en
Flandre et est pris dans Mons, 206-207 ; est envoyé à la Ro-
chelle par le roi après la Saint-Barthélémy, 206-207. Il est
blâmé de n'avoir pas secouru Lusignan, 207-208. Grand ami
de Brantôme; il attire Monsieur hors de la cour, 208. Le roi
TABLE DES MATIERES. 461
de Navarre élu chef géne'ral des huguenots; son éloge: est
assisté par La Noue qu'il nomme surintendant de sa maison.
Charge de grand maître donnée par François I" à M. de
Boisy, 209-210. La Noue est appelé par les révoltés des Pays-
Bas; Strozzi empêche Brantôme de le suivre, 209-210. Com-
bat de La Noue contre Juan d'Autriche; il fait prisonnier le
comte d'Egmont, 210-211. Il est pris par le marquis de Riche-
bourg, 211. Mort de celui-ci à Anvers. Longue captivité de
La Noue qui est délivré par le moyen de MM. de Guise et de
Lorraine, 212. Il défait à Senlis le duc d'Aumale, 213; résul-
tat de cette victoire, 214. Accusation d'ingratitude portée par
Marguerite de Valois contre La Noue, 214-215. Affection de
Henri II pour La Noue qui |)rend les armes contre ses enfants;
Il est sauvé par Henri III après Jarnac et Moncontour, 213.
Envoyé par lui à la Rochelle, il encourage les habitants à la
résistance; ses menées avec François d'Alençon, 216. Sa dure
captivité en Flandre; sa Déclaration, citée, 217-219. Com-
ment et par qui il obtint sa liberté, 219-223. Brantôme sol-
licite en sa faveur Henri III, la reine Louise et M. de Mer-
cœur, 220-221 . Comment La Noue se justifie d'avoir soutenu
la fille du duc de Bouillon contre son bienftiiteur M. de Lor-
raine qui assiégait Jamets; discussion à ce sujet, 222-225.
Service rendu à La Noue par M. de Guise, 224-228. Il est
visité dans sa prison par un gentilhomme italien, 224-226.
Entretien de Brantôme et de M. de Guise, 226-227. iM. de La
Vallée. M. de Guise sauve les enfants de La Noue à la Saint-
Barthélémy, 228. Discussion sur la question : si on est plus
obligé à son bienfaiteur, à sa patrie ou à son roi, 229 et suiv.
M. de Martigues obtient de Monsieur la vie de La Noue après
Jarnac et Moncontour, 230. La Noue fait la guerre à ses en-
fants en Bretagne et est blessé mortellement devant Lamballe,
230-231. Diatribe sur l'amour de la patrie et la fidélité que
l'on doit au roi, 231 et suiv. Horace, cité, 232. Ingratitude
de la patrie, exemples tirés des Romains, 232. Ingratitude des
rois et des princes, 233. Apologie de ceux qui ont abandonné
la cause de leur patrie ; le prince de Melphe ; Pierre de Navarre ;
le prince de Salerne, Virginio Orsini et autres seigneurs italiens,
234-235; Fabricius et Prospero Colonna ; les Angevins de Naples,
236. Bannis romains et italiens, 237. Apologie du connétable
462 TABLE DES MATIERES.
de Bourbon; Ovide, cité; le prince de Condé poursuivi par Ta-
vannes, 238, 239. Générosité de François I*" envers les servi-
teurs de M. de Bourbon, 240 et suiv. Saint-Vallier, La Vau-
guyon, Louis d'Ars. Reconnaissance de Pompérant envers le
connétable de Bourbon qui lui avait sauvé la vie, 24i . Il rentre
en grâce près de François I" et meurt au royaume de Naples ; la
croix blanche de France opposée à la croix rouge des Bourgui-
gnons. Trahison de Jacques de Matignon envers le connétable,
242. Au contraire de Pompérant, il est mal vu du roi et de la
cour ; Charles V accueille et emploie les serviteurs du conné-
table, 243-246. Brantôme voit l'un d'eux, le seigneur des
Guerres à Naples; détails sur celui-ci et sur ses frères, 244.
Paroles du maréchal Damville à ses serviteurs et gentils-
hommes au moment de prendre les armes contre le roi ; deux
d'entre eux le quittent et sont mal reçus à la cour, 24o-246.
Gentilshommes de Monsieur l'abandonnant lors de son expé-
dition de Flandre, bafoués à la cour et entre autres par Bi'an-
tome ; railleries au sujet de la fidélité absolue au roi ; anec-
dotes de Corbozon servant le roi après la mort de Condé ; de
Sainte-Foy abandonnant le même prince et tué par les hugue-
nots, 247-249. Diatribe contre le vice d'ingratitude puni chez
les Egyptiens et les Perses; Xénophon, cité. Judas; Brutus,
meurtrier de César, 230-252. Vengeance de Charles le"" d'Anjou
à l'égard de Henri d'Espagne ; Collenuccio, cité. Assassinat de
M. de Mouy, par Maurevel qui est tué par le fils de celui-ci,
252-2u4. Le comte Edouard de Savoie sauvé à la bataille de
Varey par le seigneur de Sassenage qui, ayant tué le sei-
gneur d'Aigreville, avait été sauvé du supplice par le comte;
Paradin, cité, 255-256. Le Soudan Noradin et Baudoin roi de
Jérusalem; Guillaume de Tyr, cité, 257. M. de Téligny, sauvé
à Jarnac par le comte de Gayasse, 258-259. Ingratitude du
marquis de Richebourg envers La Noue. 211, 259. Pom-
pée et Perpenna, 259. Le cardinal Balue et Juan de Beau-
vau évêque d'Evreux , 260. Réflexions sur les ingrats ; La
Noue ingrat envers Brantôme qui l'avait sauvé d'un grand
danger; Strozzi; du Préau, 261-203. Respect que portait à
son père catholique le capitaine huguenot Gremian qui avait
pris Aigues-Mortes, 263-264. Excuses de Brantôme sur sa
mai.ière d'écrire, 265.
TABLE DES MATIERES. 463
DISCOURS D'AUCUNES RETRAICTES DE GUERRE
qu'ont faites aucuns grands capitaines, et comment elles valent bien
AUTANT quelquefois QUE LES COMBATS, p. 2G7-303.
Ce que Brantôme a entendu dire à de grands capitaines sur les
retraites, 267. Invasion en Provence de Pescaire qui assiège
Marseille; sa belle retraite; Vallès, cité, 268-271. Retraite du
prince d'Orange Philibert, de Rome sur Naples, devant Lau-
trec; obé, jurement habituel de celui-ci, 272-273. Retraite de
Bonnivet ; récit de la mort de Bayard ; Vallès et du Bellay,
cités, 273-276. Retraite de François I*"" après avoir avitaillé
Landrecy, 277-279. Causes des défaites de Montmorency à
Saint-Quentin, de Strozzi devant Sienne, de Montejean et Boissy
à Brignolles, des Français à Térouanne, 279-281. Anecdote d'un
parent de Brantôme pris devant Poitiers, 281-282. Retraite des
Espagnols à la bataille de Ravenne; mort de M. de Nemours;
le Loyal Serviteur, cité, 282-284. Comment les Romains trai-
tèrent les fuyards de Cannes , 284-285. Belle retraite de
Strozzi devant les huguenots, 283-289. Aux premières guerres
civiles les bons soldats se mirent dans les rangs des huguenots ;
pourquoi; trait héroïque de cinquante soldats huguenots; anec-
dote sur la démolition de l'église Sainte-Croix à Orléans, 289-
291. Défaite de l'armée du baron de Dhona par le duc de
Guise, 291 . Belles retraites de Châtillon et de son père l'amiral
de Cohgny, 292-293; du maréchal du Biez devant Boulogne;
de M. de Nemours de Meaux à Paris, 293-294; du prince de
Parme devant Henri IV, 294-29o. Relation de la retraite de
M. de Guise devant le baron de Dhtma, d'après le Discours de
la Châtre, 295-300, 302. Regrets sur sa mort. Beau combat de
son père François de Guise sous les murs de Paris ; ce qu'il
dit aux fuyards et aux Parisiens, 300-302. Retraite des Ro-
mains à la bataille de Trébie, 302. Mort de deux écuyers pi-
cards à la bataille de Nicopolis; Froissart, cité, 303,
464 TABLE DES MATIERES.
DES DAMES.
PREMIÈRE PARTIR.
DISCOURS I.
SUR I.* REYNE ANNE DE BRETAGNE, p. 307-331.
Livre de Boccace sur les dames illustres, 308. Anne héritière du
duché de Bretagne ; recherchée par le duc d'Orléans (Louis XII) ,
308. Mariée à Maximilien, puis à Charles VIII; Commines
cité ; ressemblait à la belle Châteauneuf ; était un peu boi-
teuse comme la princesse de Condé , 309. Eloge de ses ver-
tus et de son esprit ; élevée par Mme de Laval ; vengeance
qu'elle tire du maréchal de Gié, 310-311. Sa colère conti^e le
duc d'Orléans au sujet de la mort du dauphin. 312. Gouverne
le royaume en l'absence de Charles VIII; ses regrets et ses
espérances à la mort de celui-ci ; épouse le duc d'Orléans qui
la laisse jouir de son duché; sa générosité, 313-314. Elle est
la première qui forma une cour de dames ; Jeanne de Bour-
deille, tante de Brantôme ; sa garde de cent gentilshommes ;
la Perche aux Bretons, à Blois ; fait construire le vaisseau la
Cordelière; destinée de ce navire, 314-315. Honorée de
Louis XII qui défend aux clercs de la basoche de parler d'elle;
visitée des ambassadeurs; tour que lui joue M. de Orignaux,
316-317. Récit de ses obsèques d'après une vieille chronique,
318-324. Regrets causés par sa mort; sa fondation des Bons-
Hommes, 324. Compai^aison de ses funérailles avec celles de
Charles IX ; dispute de préséance entre le parlement, la no-
blesse et l'Eglise; mot de Marguerite de Valois, 32G-32S. Le
corps de Charles IX n'est suivi que de quelques gentilshommes
parmi lesquels figurait Brantôme ; colère de Catherine de Mé-
dicis à ce sujet, 326. Le grand aumônier Amyot refuse de dire
les grâces au parlement ; colère de celui-ci ; mot du cardina
de Lorraine à Brantôme à ce sujet, 327 ; Comparaison d'Anne
de Bretagne avec Isabeau de Bavière, 328. Regrets de Louis XII
qui l'appelait sa Bretonne ; il porte longtemps son deuil ; oppo-
TABLE DES MATIERES. 468
sition d'Anne au mariage de sa fille avec le duc d'Angoulêmc
(François I"), 329-330. Isabelle de Castille; mariage de
Louis XII avec Marie d'Angleterre; son tombeau et celui d'Anne
à Saint-Denis. Anne est la première qui ait mis la cordelière
autour de ses armoiries, 330. Éloge de Mme de Dampierre,
tante de Brantôme; épitaphe de la reine Anne, 331.
DISCOURS II.
SUR LA REYKE, MfcKE DE NOS RO\S DEFxXIERS , CATHERINT DE MEDICIS,
1>. 332-403.
Etonnement de Brantôme de ce qu'on n'a point écrit la vie de
Catherine de Médicis ; mot de Charles V à i*. Jovc, 332. Libelhi
contre Catherine, 333. Origine de la maison de Mcdicis; fables
débitées à ce propos par Bernard de Beaune, archevêque de
Bourges , dans l'oraison funèbre de la reine ; personnages
illustres de la maison de Médicis, 334-336 ; illustration de la
maistm de Boulogne et d'Auvergne ; ce qu'en dit Pie IV devant
Brantôme. Prétentions de Catherine au trône de Portugal, 337-
338. Richesses et joyaux qu'elle apporte en France; perle
qu'elle donne à Marie Stuart, 338-339. Avantages que Fran-
çois l" retire du mariage de son fils avec Catherine ; devise
grecque de Catherine ; Brantôme entend dii-e que Charles V
l'aurait épousée s'il n'avait été marié. Promesses que Clé-
ment VII avait faites au roi, 338-340. Affection qu'elle inspire
à François I" et à Heni'i II qui refuse de la répudiei- ; anecdote
plaisante d'une dame de la cour demandant l'abbaje de Saint-
Victor, 341-342. Catherine reste dix ans sans avoir d'enfants;
sa postérité; ce qu'en disait son mari; son portrait, 342. Sa
visite à Lyon au peintre Corneille qui avait fait son portrait et
celui des dames et seigneurs de sa cour, 343-344. Elle aimait
la danse et la chasse ; elle obtient de François I" de faire
partie de la petite bande ; aimait à monter à cheval ; fut la pre-
mière à mettre la jambe sur l'arçon; ses chutes; elle subit l'opé-
ration du trépan, 344-343; tirait de l'arbalète à jalet; inven-
tait des jeux ; aimait les tragédies et les comédies ; fait iouer à
Blois la Sofonisba, 346-347 ; sa gaieté ; excellait aux ouvrages
de soie; mot que lui dit M. de Bois-Février, 347; créée ré-
gente par Henri II pendant la guerre d'Allemagne, 347-3 48.
vu •— 30
46(> TABLE DES MATIERES.
Ses regrets de la mort de son mari ; devise qu'elle prend, 349,
351; devises de Valcntine de IMilan, do René d'Anjou; Bour-
digné cité, 3b0-351 . Son habileté ; se fait nommer régente par
les États d'Orléans malgré le roi de Navarre, 351-352. Démêlés
de celui-ci avec le duc de Guise à Fontainebleau ; comment
elle l'apaise, 352-354; le cardinal de Tournon, 35(i. Récit
fait par Catherine à Brantôme de la manière dont elle lit rom-
pre une trêve en Guyenne; défaite des huguenots à Maillezais;
le capitaine L'Estelle; Sorlu et Neufry, 354-356; elle est ac-
cusée à tort d'être la cause des guerres civiles ; le maréchal
de Saint-André propose à ses collègues du triumvirat de la
noyer; M. de Guise s'y refuse; elle invoque le secours des
protestants; conférences de Talcy, 356-358. Prise d'armes des
huguenots à Meaux ; captivité de Monsieur et du roi de Na-
vaiTC ; ce qu'en dit celui-ci à Brantôme, 358-360. Ses négo-
ciations avec Monsieur ; ce qu'elle en dit à Brantôme ; États de
Blois demandés par les huguenots tournent contre eux, 300-
362. Miossens rabroué par Henri III au sujet de la prise de
Cahors; amour de Catherine pour la paix, 362-303. Accusée
du massacre de la Saint-Barthélémy, provoqué par les menaces
des huguenots, après l'assassinat tenté sur l'amiral ; la Noue ;
Strozzi ; TéUgny, 362-364. Prise du Havre et de Rouen; cou-
rage de Catherine qui s'exposait au feu des ennemis, 364-360.
Accusée d'être espagnole ; défendait les duels ; querelles de
Charles de la Chastaigneraie et de Pardaillan, de Grillon et
d'Antraguet, arrangées par elle, 366-368. Ses gracieusetés
envers la noblesse, 368. Ses dépenses; ses dettes; fêtes qu'elle
donne : à Fontainebleau, à l'entrevue de Bayonne et à l'arrivée
des ambassadeurs polonais à Paris, 369-371 . Détails sur cette
dernière fête, 371-372 ; protégeait les artisans et surtout les
maçons et les architectes ; châteaux des Tuileries , de Saint-
Maur, de Chenonceaux ; aimait les savants ; se mocjuait des
libelles faits contre elle, 373. Coulevrine qui portait son nom,
373-374 ; aimait à lire ; Dardois, secrétaire du connétable ;
correspondance de Catherine, 374. Elle parlait bien français;
abolit une confrérie à Bordeaux, 374-375. Respectée du duc
de Savoie et du duc de Lorraine ; était bonne chrétienne et fort
dévote; aimait la musique; sa chambre était le plaisir de la
cour, 377. Suite nombreuse de belles filles qu'elle avait tou-
TABLE DES MATIERES. 467
jours avec elle; de'tails à ee sujet, 377-379. Cours de Char-
lemagne et de Henri II, 378-379. Énumcration des dames
et demoiselles qui composaient la cour de Catherine , 380-
396. Aventures amoureuses de ((uelques-unes; •galanterie et
luxe de la cour à diverses fêtes et en voyage; liabilicments de
Catherine; gloire de Nique'e ; Virgile cité, 397-400. Conversa-
tion de Henri IV et de Biron au sujet de la cour, 400. Elle
meurt de chagrin du meurtre des Guises à Blois; ce qu'elle en
dit à son lils; ses obsèques; quatrain sur elle, 401-402.
DISCOURS m.
SUR I.\ RtYXF. D'tSCOSSE, .I\DIS KEYNE DE NOSTRE FRANCE, J). 4o:)-45;i.
Naissance de Marie Stuart , 403 ; sa mère ; elle est emmenée
enfant en France, 404. Sa beauté; harangue qu'elle fait en
latin à quatorze ans; son recueil de thèmes; fait faire une Rhé-
torique françoise à Ant. Fochin, 407. Son amour de l'étude et
de la poésie ; vers faits pour elle par Ronsard, du Bellay et
Maisonfleur ; vers à Bothwell qu'on lui a faussement attribués ;
vers qu'elle montrait à Brantôme et à d'autres gens de sa cour;
écrivait bien en prose ; comment elle parlait l'écossais ; por-
trait d'elle habillée à l'écossaise ; ce qu'en disaient la reine ,
mère et Charles IX, 407 ; blancheur de son teint ; chanson sur
elle; chantait et jouait du ludi, 408. Son mariage avec le dau-
phin ; est appelée rcinc-dauphinc et son mari le roi-dauphin ;
chanson qu'elle fit sur son veuvage, 409-412 ; son retour en
Ecosse; élégie de Maisonfleur sur son départ, 413-414. Bran-
tôme l'accompagne ; relation de son voyage, 41S-4I9. Mot de
Chastelard sur elle, 418 ; concert qu'on lui donne le soir de son
arrivée; danger que court son aumônier, 419-420. Meurtre
de son secrétaire David Rizzio ; elle refuse d'épouser le roi de
Navarre ; son mariage avec Darnlcy qui est assassiné ; sa
beauté; calomnies de Buchanan contre elle, 419-422. Elle est
enfermée au château de Lochlevin; sa délivrance par Beaton
qui en conte l'histoire à Brantôme. Elle se met à la tête d'une
armée et est trahie par les siens; M. de Cros en fait le récit à
Brantôme, 422-424. Elle se réfugie en Angleterre oi!i elle est
emprisonnée; sa condamnation à mort; M. de Bellièvre est en-
liGS TABLE DES MATIERES.
voyé inutilement près d'Elisabeth pour obtenir sa grâce, 424-
425, 441. Récit de son supplice le Martyre de la reine d'É-
rosse, cité, 42o-441; Boccace cilé, 431; jMlle de Baré, 440. Récit
du supplice de Conradin et de son cousin le duc d'Autriche
condamnes par Charles d'Anjou; Collenuccio cit(', 441-444.
F>ettrc de Pierre d'Aragon à Charles ; Robert de Barry tué par
Robert, comte de Flandre, 444. Charles, prince de Salerne,
est fait prisonnier })ar Roger oe Loria , 445 ; il est condamné
à mort et sauvé par la reine Constance, 446-447. Mort de
Charles d'Anjou; massacre des Français en Sicile, 44S-446.
Elisabeth est poussée à l'exécution de Marie par les princes et
seigneurs protestants d'Allemagne et de France, 447. Hypo-
crisie d'Elisabeth ; réponse que lui fait Marie ; vers sur sa
mort, 448. Son tombeau en vers latins, 449. Amour de Chas-
telard pour Marie Stuart ; son histoire ; relation de son sup-
plice à Edimbourg, 449-453.
Appbndiciî 454
FIN DE LA TABLE DES MATIERES.
12740.^— Typographie Labure, rue de t'ieurus, '.', à Purif,
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PQ Brantôme, Pierre de Bourdeille
^oU5 Oeuvres complètes
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