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Full text of "Oeuvres complètes de Pierre de Bourdeille, seigneur de Brantome, publiées d'après les manuscrits avec variantes et fragments inédits pour la Société de l'histoire de France"

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OEUVRES   COMPLÈTES 

DE  PIERRE   DE  BOURDEILLE 

SEIGNEUR    DE 

BRANTÔME 

PUBLIÉES    d'après    les    MANUSCRITS 

AVEC    VARIANTES    ET    FRAGMENTS    INEDITS 

POUR     LA    SOCIÉTÉ    DE     l'hISTOIRE    DE    FRANCE 

PAR   LUDOVIC  LALANNE 


TOME   SEPTIEME 

RODOMONTADES    ESPAIGNOLLES.   —   SER^EKS    ESPAIGNOLS. 

—  M.  DE  LA   NOUE.  EETRAICTES  DE   GUERRE.  

DES    DAMES. 


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A  PARIS 

CHEZ  M"'  V'  JULES  RENOUARD 

LIBRAIRE    DE    LA    SOCIÉTÉ    DE    l'HISTOIRE    DE    FRANCE 
RUE   DE  TOURNON,    N°  6 

M  DCCC  LXXIII 


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EXTRAIT   DU   UEGLEiMEXT. 


Art.  14.  Le  Conseil  désigne  les  ouvrages  à  publier,  et  choisit 
les  personnes  les  plus  capables  d'en  préparer  et  d'en  suivre  la 
publication. 

Il  nomme,  pour  chaque  ouvrage  à  publier,  un  Commissaire 
responsable  chargé  d'en  surveiller  l'exécution. 

Le  nom  de  l'Editeur  sera  placé  en  tête  de  chaque  volume. 

Aucun  volume  ne  pourra  paraître  sous  le  nom  de  la  Société 
sans  l'autorisation  du  Conseil,  et  s'il  n'est  accompagné  d'une  dé- 
claration du  Commissaire  responsable,  portant  que  le  travail  lui 
a  paru  mériter  d'être  publié. 


Le  Commissaire  responsable  soussigné  déclare  que 
l'Edition  des  OEuvbes  complètes  de  Pierre  de  Bourdeille, 
SEIGNEUR  DE  Brantôme,  préparée  par  M.  Ludovic  Lalanne, 
lui  a  paru  digne  d'être  publiée  par  la  Société  de  l'Histoire 
DE  France. 

Fait  à  Paris,  /e  10  décembre  1873. 

Signé  JULES  MARION. 

Certifié , 
Le  Secrétaire  de  la  Société  de  l'Histoire  de  France, 
J.  DESNOYERS. 


DISCOURS 

D^AUCUNES   RODOMONTADES 


ET 


GENTILLES  RENCONTRES 
ET     PAROLLES    ESPAIGNOLLES. 


A  LA  REYNE   MARGUERITE *. 

Madame  , 

Voici  le  livre  d'aucunes  Rodomontades  et  Rencontres  es' 
paignolles  que  de  longtemps  je  vous  ay  desdié,  et  promis 

l .  Il  y  a  deux  rédactions  du  Discours  des  Rodomontades .  La 
première  en  date,  pour  laquelle  a  été  composée  la  dédicace  à  la 
reine  Marguerite,  qu'on  peut  lire  en  tête  de  notre  premier  volume 
(p.  5),  occupe  une  partie  du  manuscrit  3273  du  fonds  français 
[olim.  Béthune,  n»  8776),  et  ne  nous  semble  avoir  été  utilisée  par 
aucun  des  précédents  éditeurs.  De  la  seconde  rédaction,  adoptés 
dans  toutes  les  éditions,  il  existe  un  manuscrit  possédé  par  la 
famille  de  Bourdeille ,  et  dont  le  texte  a  été  collationné  par 
M.  Monmerqué.  Elle  est  beaucoup  plus  étendue  que  la  première, 
mais  offre  cette  particularité  que  Brantôme  en  a  retranché  la  tra- 
duction qu'il  avait  faite  des  nombreux  passages  espagnols  cités 

vu  —  1 


2  DEDICACE. 

dernièrement  lorsque  j'eus  l'honneur  de  vous  faire  la  révé- 
rance  à  Usson, 

Je  les  ay  toutes  mises  en  leur  langage,  sans  m'amuser 
à  les  traduire ,  autant  par  le  commandement  que  m'en 
fistes,  que  parce  que  vous  en  parlez  et  entendez  la  langue 
aussi  bien  (|ue  j'ai  jamais  veu  la  feu  reyne  d'Espaigne 
vostre  sœur;  car  vostre  gentil  esprit  comprend  tout  et 
n'ignore  rien,  comme  despuis  peu  je  l'ai  encore  mieux 
cogneu. 

Ce  fust  esté  aussy  autant  de  superfluité  pour  vous,  mais 
non  pour  d'autres  personnes  qui  sont  novices  en  ceste 
langue,  et  leur  fust  esté  un  fort  grand  plaisir  et  commo- 
dité d'en  faire  une  petite  traduction  ;  car  telles  en  pen- 

par  lui.  Ainsi  qu'il  le  dit  dans  sa  seconde  dédicace  à  Marguerite 
(celle  que  nous  reproduisons  ici)  il  a  opéré  ces  retranchements  afin 
de  se  conformer  au  désir  de  la  princesse  qui  connaissait  assez  la 
langue  castillane  pour  être  à  même  de  se  passer  d'interprète. 
Tout  en  adoptant  le  texte  de  cette  dernière  rédaction,  nous  avons, 
conformément  au  manuscrit  de  la  ])remière,  inséré  à  la  suite  de 
chaque  citation  espagnole  la  traduction  de  Brantôme. 

Au  commencement  du  manuscrit  de  la  première  rédaction,  ma- 
nuscrit non  pas  écrit,  mais  corrigé  de  la  main  de  Brantôme,  on  lit  : 
«  Ce  recueil  qui  s'ensuit  des  Rodomontades  espaignolles  est  dé- 
dié à  notre  reyne  de  France  et  Nm>arre  pour  en  avoir  été  dési- 
reuse, ainsi  que  j'ay  dit  en  la  lettre  que  je  luy  ay  escrite  au 
commancement  de  mon  premier  livre.  »  Cette  lettre  est  la  pre- 
mière dédicace  dont  nous  avons  parlé  plus  haut.  La  seconde  ne 
portant  plus  que  les  mots  :  A  la  reyne  Marguerite,  on  voit  qu'elle 
est  postérieure  au  divorce  de  Henri  IV,  c'est-à-dire  au  mois  de 
novembre  1^99. 

La  prétention  qu'affecte  si  souvent  Brantôme  de  parier  le 
«  friand  espagnol  »  est  surtout  visil)Ie  dans  les  Rodomontades . 
Qu'elle  pût  être  justifiée  à  l'époque  de  sa  jeunesse,  au  moment 
de  ses  voyages  au  delà  des  Alpes  et  des  Pyrénées,  nous  le  croyons 
facilement.  Mais  il  n'en  était  certainement  plus  de  même  vingt 
cinq  ou  trente  ans  après,  quand  il  se  mit  à  rédiger  ses  livres,  et 


A  LA  REY-\E  MARGUERITE.  3 

sent  parler  et  cnteudrc  bien  la  langue,  qui  s'y  treuvent 
bien  empescliées.  Aussy  je  n'ay  faict  ce  livre  pour  elles, 
que  pour  vous. 

Que  s'il  vous  plaist,  Madame,  les  vous  faire  lire,  car 
vos  beaux  yeux  ne  sont  dignes  de  porter  leur  belle  veue 
sur  chose  si  basse,  je  croy  que  vous  y  prendrez  quelque 
plaisir;  car  il  y  a  de  la  sériosité  *  et  de  la  joyeuseté  meslées 
ensemble;  vous  priant,  Madame,  de  n'en  faire  part  à  per- 
sonne, uy  les  mettre  en  lumière  ;  car  si  elles  vous  agréent, 
j'en  seray  très  ayse,  ne  désirant  plaire  à  d'autres  qu'à  vous  : 
sinon,  et  qu'y  trouviez  à  redire,  j'espère  tant  de  vostre 
bonté  généreuse  que  vous  en  couvrirez  mes  fautes,  et  en 
considérant  qu'en  pensant  bien  faire  j'ay  entrepris  cet 
œuvre  pour  vous  donner  quelque  plaisir. 

ce  qui  apparaissait  déjà  dans  ses  autres  ouvrages  est  manifeste 
en  celui-ci.  Il  suffit  en  effet  d'en  lire  quelques  pages  pour  s'a- 
percevoir, ce  dont  peut-être  il  ne  se  rendoit  pas  bien  compte, 
qu'il  avait  alors  à  moitié  oublié  l'idiome  dont  la  connaissance  le 
rendait  si  fier.  Sans  parler  de  leur  très-défectueuse  orthographe , 
les  textes  espagnols  qu'il  sème  partout  avec  tant  de  complaisance 
sont  pleins  d'incorrections  et  de  fautes.  Tantôt  ce  sont  des  mots 
qu'il  forge  de  toutes  pièces,  ou  des  mots  français  ou  italiens  qu'il 
espagnolise  à  sa  manière  [leznrdos  pour  lagnrios,  schenio  dont  il 
a  fabriqué  escuerno)  ;  tantôt  l'italien  et  le  castillan  sont  confondus  : 
il  écrit  corne  pour  como^  che  pour  que,  da  pour  de,  in  pour  en, 
lo  pour  el,  per  pour  por,  sta  pour  esta^  etc.  Parfois  il  lui  arrive 
de  se  tromper  dans  le  texte  et  dans  la  traduction.  Ainsi  (voyez 
p.  23),  au  lieu  de  hacia  arriha  (en  haut),  il  écrit  les  mots  hazia 
riha  qui  ne  sont  point  espagnols,  et  la  traduction  qu'il  en  donne 
(par  del.à  l'eau)  est  un  contre-sens  et  un  non-sens.  Plus  loin  (p.  S5), 
il  traduit  con  poca  desadumhre  (avec  peu  de  chagrin)  comme  s'il 
y  avait  con  algun  peso  (avec  quelque  poids) .  Nous  avons  fait  dis- 
paraître ces  fautes  grossières,  et  nous  adi'essons  ici  tous  nos  re- 
mercîments  à  notre  ami  M.  Roulin,  bibliotliécaire  de  l'Institut, 
pour  l'aide  qu'il  a  bien  voulu  nous  prêter  en  cette  circonstance. 
\.  Sériosité,  chose  sérieuse. 


4  DEDICACE. 

Que  si  vous  en  trouvez  aucun,  j'en  seray  d'autant  plus 
glorieux  et  hardy  de  vous  présenter  tous  les  autres,  des- 
quelz  je  vous  en  ay  monstre  les  suscriptions,  qui  sont  les 
pièces  entières  dont  cestuy-cy  en  est  l'eschantillon  ; 
lequel  je  n'ay  tant  reniply  de  son  subject  que  je  n'en  aye 
faict  une  bonne  réserve  dans  les  autres  livres,  non  seu- 
lement en  ce  qui  touche  les  Espaignols ,  mais  les  braves 
François  vos  subjects ,  qui ,  en  beaux  exploits  et  bien 
dire,  ont  surmonté  tousjours  toutes  les  autres  nations  du 
monde. 

Recevez  donc.  Madame,  je  vous  supplie,  ce  livre  qui 
vous  est  offert  du  meilleur  de  mon  âme,  ne  pouvant  mieux; 
et,  comme  dit  FEspaignol  :  reciba  Vuestra  Magestad  lo 
que  yo  offresco,  que  es  lo  poco  que  puedo  por  lo  mucho  que 
deseo,  y  le  place  dar  tal  lustre  que,  cohierto  del  nombre  y 
bondad  de  Sua  Majestad,  saïga  s  in  verguenza  a  sus  pies  *. 
Sur  ce.  Madame,  je  vous  baise  très-humblement  les 
mains,  et  vous  supplie  me  tenir  toujours  en  qualité  de 
vostre  obéyssant  subject,  et  très  affectionné  serviteur, 

BOURDEILLE, 

1 .  Que  Votre  Majesté  reçoive  ce  que  je  lui  offre  C'est  peu  en 
comparaison  de  ce  que  je  désirerais  ;  mais  qu'il  lui  plaise  de  don- 
ner tel  lustre  que,  couvert  du  nom  et  de  la  bonté  de  S.  M.,  il  se 
mette  à  ses  pieds  sans  honte. 


DISCOURS 

SUR 


LES  RODOMONTADES. 


Il  faut  un  peu  parler  des  rodomontades  espaignol- 
les^  car  certes  elles  surpassent  toutes  les  autres,  de 
quelque  nation  que  ce  soit;  d'autant  qu'il  faut  con- 
fesser la  nation  espaignoUe  brave,  bravasche  et  val- 
leureuse,  et  fort  prompte  d'esprit,  et  de  belles  pa- 
rolles  profférées  à  l'improviste. 

J'accommanceray  donc  lorsque  le  grand  marquis 
de  Pescayre,  après  la  chasse  des  François  hors  de 
Testât  de  Milan,  eut  bravement  forcé  et  pris  la  ville 
de  Gênes,  qui  tenoit  pour  les  François.  Il  ne  faut 
demander  quelles  richesses  il  y  avoit  trouvées,  et  de 
combien  l'armée  espaignoUe  s'en  emplist;  si  bien 
que,  quelques  jours  après,  la  mettant  aux  champs,  il 
la  trouva  si  chargée,  embarrassée  de  bagages,  de  ca- 
réages^,  mulles,  mulletz  et  chevaux,  que  le  marquis 
fut  contraint  de  faire  un  bandon,  pour  casser  cest 
embaratz,  bagages   et  carréages,  et   empeschemens, 

1.  Caréagey  chariot;  de  l'espagnol  carruage 


G  RODO^ÏONTADES 

comme  les  nomme  Caesar.  Parquoy  fut  commandé 
que  les  capitaines  de  chasque  bande  n'eussent  chas- 
cun  que  quatre  chevaux  pour  soy,  et  deux  pour 
l'alfier,  et  nul  pour  soldat  qui  fust  sain_,  mais  ouy 
bien  que  les  mallades  en  eussent  chascun  le  leur  pour 
les  porter;  encore  falloit-il  qu'ilz  fussent  visitez  par 
les  médecins  pour  voir  s'ilz  estoient  vrayement  mal- 
lades, et  qu'ilz  eussent  tousjours  sur  eux  leur  pa- 
tente pour  faire  foy,  signée  et  de  son  capitaine  et  de 
son  médecin. 

Ce  bandon  fait,  il  y  eut  un  capitaine  nommé  Vega, 
Grenadin ,  el  quai ,  cou  arrogancia  mililar  y  con 
gesto  y  palabras  desbaratadas  de  enujo,  en  un  corillo 
de  soldados,  cornnienço ,  casi  vazonando  en  publico 
j  braçeando  :  que  si  hallava  hombres  semejaiites  a 
si  en  aninio  j  juizio ,  que  trabajaria  de  modo  que 
lus  soldados  no  tuviessen  necessidad  de  aque lia  patente ^ 
los  quales  siendo  debilitados  por  lo  sangre  derramada 
en  îantas  batallas  y  victorias^  nierescian,  por  la 
honra  de  su  Vfdor,  no  solainente  ser  llei>ados  a  ca- 
vallo^  mas  en  carros  triumphales^  a  manera  de  los 
antiguos  consules  y  emperadores  romanos  en  sus  glo- 
rias  y  triuniplios.  «  Il  y  eut  un  caj)ilaine  Vega,  Grena- 
din, lequel  avec  une  arrogance  millitaire  et  gestes  et 
paroUes  braves  et  débordées  de  despit,  commança 
à  dire  parmy  quelque  troupe  de  soldatz,  et  bravant  et 
le  publiant,  que,  s'il  trouvoit  gens  semblables  à  luy 
en  courage  et  en  esprit  et  jugement,  qu'il  fairoit  dire 
que  les  soldalz  n'auroient  besoing  d'aucune  patente, 
ïecux ,  disoit-il,  lesquelz  estans  foibles  et  débilitez 
par  tant  de  leur  sang  respandu  en  tant  de  batailles, 
méritoient  pour  l'honneur  de  leur  valeur  non  seule- 


ESPAIGNOLLES.  7 

ment  d'aller  à  cheval,  mais  sur  des  chariots  trium- 
phans  à  la  mode  des  anciens  consulz  et  empereurs 
romains,  en  leur  gloire  et  triumphesV  »  Voyez  quelle 
brave  superbité  ! 

Moy,  estant  un  jour  au  Louvre,  je  vis  entrer  deux 
soldatz  espaignolz,  braves  et  bien  en  poinct,  et  de 
fort  belle  façon.  Je  cogneuz  aussitost  qu'ilz  estoient 
Espaignolz  ;  et  d'autant  que  mon  humeur  a  esté  tous- 
jours  de  les  aymer,  les  pratiquer  et  entretenir,  comme 
certes  parmy  les  gens  de  guerre  il  me  semble  n'estre 
point  plus  brave  entretien  que  du  soldat  espaignol, 
car  il  triumphe  de  discourir  de  son  art,  je  me  mis  à 
les  accoster  et  araisonner  en  espaignol;  car  j'ay  veu 
que  j 'a vois  ceste  langue  aussi  famillière  que  la 
mienne,  et  telles  gens  sont  fort  aises  quand  ilz  ren- 
contrent un  estranger  qui  parle  leur  langage;  et  leur 
demandis  d'où  ilz  venoient.  Hz  me  respondirent  : 
De  Flandes,  serior.  —  Y  que  nuevas?^  leur  répli- 
qua y-je.  —  Non  otras^  senoi\  me  dirent-ilz,  sino 
qiiando  somos  partidos,  aj  sejs  dias,  vinieron  al  prin- 
cipe de  Parnia  mil  y  dozientos  humbres  d^ armas  de 
las  ç/ejas  companias  de  Napoles,  las  mas  bra^'as  de 
valor  y  de  ca\>allos  que  salieron  jamas  ael  rejno^  tan 
bien  armados^  tan  luzidos  doro  j  de  plata,  tan  bien 
ataviadus  y  emplumados  de  grandes  j  gentiles  pana- 
chas, a  manera  de  los  antigaos  soldados  j  legioneros 
romanos^  a  los  quales  se  pueden  jgualar  en  todo  :  de 

1.  Ce  passage  est  tiré  de  Vallès,  liv.  III,  ch.  iv,  f  80  :  Del 
castigo  que  dio  el  marques  de  Pescara  al  capitan  Vega,  Granadino, 
porque  avia  amotinado  parte  del  exercito.  Brantôme  a  ajouté  au 
texte  les  quatorze  derniers  mots,  depuis  a  manera. 

2.  De  Flandre,  monsieur.  —  Et  quelles  nouvelles? 


8  RODO:\IONTADES 

modo  qiC  agora  la  F  landes  fia  a  da  tener,  pues  ques 
ta  brai>a  cavaUeria  esta  juntada  en  nueslra  infante' 
n'a  espaignola,  que  se  puede  dezir  la  flor  de  todas  las 
otras  nationes ,  sin  gastar  {digo  yo)  Chonra  de  los 
solda  dos  francezes^  qiCen  cerdad  bravos  es  tan.  Mas 
adonde  son  los  soldados  espagnoles^  todos  con  razon 
deven  callar^  corne  Vuestra  Merced  lo  puede  bien  saper , 
puesque  los  aveys  pratiquados  f  tratados,  comme  yo 
lo  cognosco  en  su  trage  y  Jiablar  soldadesco.  «  Autres 
nouvelles^  me  dirent-ilz,  n'y  a  point,  sinon  quand 
nous  en  sommes  partis  il  y  a  six  jours,  sont  arrivez 
au  prince  douze  cens  hommes  d'armes  des  vieilles 
ordonnances  du  royaume  de  Naples  qui  sont  les  plus 
belles  qui  en  sortirent  jamais  ;  car  ilz  sont  très  bien 
montez  sur  de  si  bons  chevaux  et  bien  armez,  tant 
luysans  d'or  et  d'argent,  tant  bien  en  poinct  et  tant 
bien  emplumez  de  grands  et  gentilz  panaches  à  ma- 
nière des  anciens  soldatz  et  légionaires  romains,  aus- 
quelz  on  les  peut  accomparer  en  tout,  de  façon  que 
la  Flandre  maintenant  n'a  que  tenir,  puisque  si  brave 
cavallerie  est  joincte  avec  nostre  infanterie  espaignolle, 
laquelle  se  peut  dire  la  fleur  de  toutes  autres  nations, 
sans  que  je  veuille  toucher  à  l'honneur  des  soldatz 
François,  lesquelz  certes  sont  bons  soldatz;  mais  là 
où  sont  les  soldatz  espaignolz,  tous  les  autres  doivent 
caler  *  et  se  taire  devant  eux,  comme  vous-mesmes  le 
pouvez  sçavoir  puisque  les  avez  pratiquez  ainsi  que 
je  le  puis  cognoistre  en  votre  façon  et  parler  solda- 
desque.   » 

Considérez,  s'il  vous  plaist,  où  ces  gens  m'allèrent 

1.  Caler,  se  taire. 


ESPAIG  NULLES.  9 

faire  et  prendre  leur  comparaison  !  Comme  de  vray, 
parmi  ces  belles  antiquitez  de  Rome^  il  n'y  a  rien 
encor  de  si  beau  à  voir  que  ces  braves  légionnaires 
romains  avec  leurs  habillemens  de  teste,  tant  couAcrts 
de  plumes,  les  unes  haussantes,  les  autres  penchantes. 
Et  si  telle  veue  estoit  agréable,  elle  estoit  bien  autant 
effroyable  par  la  représentation  des  horribles  testes 
et  grandes  gueules  de  lions,  et  autres  bestes  espou- 
vantables,  qu'ils  portoient  naifves  avec  leurs  peaux, 
ou  faisoient  engraver  pour  les  représenter  sur  lesditz 
habillemens  et  casques. 

Par  ce  dire  de  ce  soldat,  vous  voyez,  et  par  ceste 
rodomontade  précédente',  comme  les  Espaignolz  se 
sont  donnez  et  asseurez  de  tout  temps  la  gloire  d'estre 
les  meilleurs  de  toutes  nations.  Et  certes  ilz  ont 
raison  d'avoir  ceste  opinion  et  créance;  car  les  effectz 
s'en  sont  ensuivys. 

Ce  sont  esté  eux  qui  despuis  cent  à  six  vingtz  ans 
en  sça  ont  conquis  par  leur  valeur  et  vertu  les  Indes 
occidentalles  et  orientales,  qui  sont  tout  un  monde 
complet. 

Ce  sont  esté  eux  qui  nous  ont  tant  de  fois  com- 
batuz,  batuz  et  rebatuz,  au  royaume  de  Naples,  et 
puis  nous  en  ont  chassez. 

Ce  sont  esté  eux  qui  en  ont  tout  de  mesme  fait 
en  l'estat  de  Milan ,  qui  nous  avoit  cousté  tant  de 
sang  et  de  moyens  pour  l'avoir,  et  nous  en  ont  frus- 
tré en  nous  ostant  nostre  ancien  patrimoine. 

Ce  sont  esté  eux  qui,  non  contans  de  ces  biens 

1.  Les  quatorze  lignes  qui  précèdent  manquent  dans  le  ma- 
nuscrit. 


dO  RODOMONTADES 

ravis  à  nous,  ont  passé  en  Flandres,  et  venus  en 
France  pour  essayer  à  nous  chasser  de  nos  fouyers , 
mais_,  ne  pouvant,  nous  ont  fait  de  grands  maux, 
nous  ont  pris  de  nos  villes,  nous  ont  donné  des  ba- 
tailles et  gaignées  sur  nous,  et  nous  ont  faict  mourir 
je  ne  sçay  combien  de  cent  mill'  hommes  :  aussi 
leur  en  avons-nous  bien  fait  mourir  des  leurs. 

Ce  sont  esté  eux  qui  sont  venus  au  bout  *  des  Alle- 
mans,  et  leur  ont  mis  le  joug  en  la  guerre  d'AUe- 
maigne,  chose  non  encores  ouye  ny  veue  ni  faite  dès' 
le  grand  Jules  Caesar,  ny  des  autres  grands  empereurs 
romains. 

Ce  sont  esté  eux  qui,  suivant  la  devise  de  leur 
grand  empereur  Charles,  de  passer  plus  oiiltre  ^  ont 
traversé  les  mers,  ont  donné  dans  l'Affrique,  pris 
leur  principalle  ville  et  forteresse,  Tunis  et  la  Col- 
lette. 

Ce  sont  esté  eux  qui  ont  passé  en  Barbarie,  ont 
pris  le  royaume  d'Oran,  les  villes  d'Afïrique  et  de 
Tripoly,  Belys  et  son  Pignon,  et  qui  eussent  fait 
d'avantage  sans  le  barbare  élément  de  mer  et  de  ciel, 
non  pas  plus  doux  ny  piteux  que  l'autre,  qui  les  em- 
pescha  soubz  leur  empereur,  ostant  occasion  de  ne 
prendre  le  royaume  d'Alger,  qui  estoit  emporté ,  ne 
faut  point  doubter,  si  ces  deux  ellémens  tant  soit 
peu  eussent  voulu  favoriser  et  incliner  à  ses  entre- 
prises. 

Ce  sont  esté  ceux  lesquelz,  par  petites  poignées 
des  gens  enclos  dans  les  citadelles,  rocques  et  clias- 
teaux,  tiennent  et  ont  tenu  en  bride,  et  ont  donné 

1.  Au  bout,  à  bout.  —  2.  Dès,  depuis. 


ESPAIGNOLLES.  11 

les  loix  auv  potentatz  d'Italie  et  au>:  estalz  de  Flan- 
dres, et  en  plusieurs  endroictz  de  la  chrestienté  jus- 
ques  à  la  Barbarie,  Morée  et  autres  païs  infidelles, 
voire  jusques  en  la  Transilvanie ,  soubz  ce  brave 
Castaldo  ',  et  Hongrie  et  Boème. 

Ce  sont  esté  eux  lesquelz  l'empereur  Cbarles,  au 
plus  ibrt  de  ses  affaires  et  combatz,  quand  il  s'en 
voyoit  entourné*  seullement  de  quatre  ou  cinq  mille, 
se  tenoit  du  tout  invincible,  et  hasardoit  et  sa  per- 
sonne et  son  empire,  et  tous  ses  biens  soubz  leur 
valleur  seullement;  et  disoit  souvant  que  la  summa 
de  sus  gnerrns  era  puesla  en  las  meckas  encendidas 
de  sus  harquebuzerjs  espaignolles ,  «  que  le  plus  grand 
effect  de  ses  guerres  cstoit  mis  et  fondé  sur  les 
mesches  allumées  de  ses  harquebusiers  espaignolz.  » 
Car  certainement,  de  ce  temps,  ilz  en  ont  emporté 
le  prix,  et  si  nous  en  ont  apris  l'art  et  les  premières 
leçons;  car  avant  eux^  nous  n'usions  que  d'arbalestes, 
et  n'avions  pas  l'esprit  de  nous  accommoder  et  apro- 
prier  des  liarquebuz. 

Ce  sont  esté  eux  qui,  en  nostre  temps  et  à  nos 
veues,  ont  remis,  soubz  la  conduicte  de  ce  grand 
duc  d'Albe,  qu'ilz  appelloient  leur  père,  en  un  tour 
de  miain,  toute  la  Flandres  rebellée  à  leur  seigneur. 

Ce  sont  esté  eux  desquelz  environ  mille  à  douze 
cens,  en  ceste  miesmes  guerre,  en  Zellande',  Iraver- 
sarent  un  bras  de  mer  d'un  quart  de  lieu  large, 

1.  Jean-Baptiste  Castaldo,  mestre  de  camp  général  de  l'armée 
impériale  dans  la  guerre  des  protestants. 

2.  Entourné,  entouré. 

3.  En  1575.  Voyez  Strada,  liv.  VIII. 


12  RODOMONTADES 

estant  basse,  sans  autres  armes  que  leurs  espées  qu'ilz 
tenoient  en  leur  bouche,  allarent  deffaire  environ 
quatre  ou  cinq  mille  Zellandois  de  commune  *,  qui 
les  attandoient  sur  le  bord  de  propos  dellibéré|  et 
les  mirent  tous  en  pièces.  Grand  miracle  de  main, 
certes  ! 

Ce  sont  esté  ceux  là  qui  aydarent  dom  Joan  d'Aus- 
trie  à  gaigner  ceste  belle  et  signalée  bataille  d'Éle- 
panlhe.  Ce  sont  ceux  là  encores  qui,  avec  ce  grand 
capitaine  le  prince  de  Parme ,  ont  fait  trembler 
toute  la  France,  et  longtemps  tenue  en  allarme. 

Ce  sont  esté  ceux  pour  lesquelz  ce  grand  et  mesme 
empereur  Charles  s'humilia  à  l'Espaigne,  lorsqu'estant 
party  par  mer  de  Flandres,  pour  y  aller  finir  ces 
jours  convertis ,  s'estant  désembarqué  à  Larede  *, 
port  vers  Biscaye  et  y  prist  terre,  on  dict  qu'il  s'age- 
noilla  aussitost,  et  remercia  Dieu  de  ce  qu'à  ses  der- 
niers jours  il  luy  avoit  fait  ceste  grâce  de  pouvoir 
encor  revoir  ce  pais,  lequel  par  dessus  tous  autres  il 
avoit  aymé,  pour  luy  avoir  aydé  à  estre  parvenu  à 
l'empire,  et  à  une  si  haute  grandeur  qu'il  avoit  heu 
en  son  temps ,  attribuant,  après  Dieu,  à  la  nation 
espaignolle  toutes  ses  victoires  et  triumphes;  et  prof- 
féra  ces  parolles'  :  Dios  os  salue  y  guarde^  o  mi  que- 
rida  madré.   Como  desnudo  soj  salldo  del  ^ientre  de 

1.  De  gens  du  pays. 

2.  Laredo,  à  48  kilomètres  O.  de  Bilbao. 

3.  Le  texte  espagnol,  qui  devait  se  trouver  sur  un  feuillet  sé- 
paré, manque  dans  le  manuscrit.  On  lit  en  marge  de  la  main  de 
Brantôme  :  Faut  mètre  V  hespagnol  advant  le  françoys.  Ce  texte 
est,  du  reste,  de  la  façon  de  Brantôme  qui  a  traduit  à  peu  près 
le  récit  de  Strada,  liv.  i.  —  Cf.  de  Thou,  liv.  XVI. 


ESPAIGNOLLES.  13 

mi  madré ^  y  como  desnudo  tan  bien  me  i^uelvo  a  ti, 
como  a  mi  segunda  madré,  a  la  quai,  en  favor  de  tan 
grandes  merecimientos  que  yo  he  recebido  de  ti,  no 
podiendo  par  ahora^  ni  mas,  ni  mejor,  yo  le  hago  un 
présente  de  este  pobre  cuerpo  enfermo,  y  de  estos  po- 
bres  huesos  secos  y  debilUados,  a  O  ma  très-chère  et 
désirée  mère.  Dieu  te  sauve  et  garde  !  Comme  nud 
je  suis  sorty  du  ventre  de  ma  mère,  ainsi  comme 
nud  je  retourne  vers  toy.  comme  à  ma  seconde 
mère,  et  en  récompanse  de  plusieurs  mérites  que  tu 
as  usé  envers  moy,  ne  pouvant  mieux  pour  à  cest' 
heure,  je  te  donne  ce  mien  corps  malladif  et  mes  os 
foibles  et  débilles.  » 

Ainsi,  ayant  parlé  les  larmes  aux  yeux,  il  salue 
très-courtoisement  tous  les  seigneurs  qui  estoient 
venus  au  devant  de  luy  ;  et,  s'aclieminant  peu  à  peu 
par  terre  à  son  monastère,  il  passa  à  Vailledolid  ^,  où 
il  veid  son  pettit-filz  et  filleul,  Charles  le  prince  d'Es- 
paigne,  à  qui  il  fit  de  fort  belles  leçons  pour  ensuivre 
ses  prédécesseurs.  Considérez,  s'il  vous  plaist,  l'hu- 
miliation de  ce  grand  empereur,  luy  qui,  en  son 
temps,  avoit  creu,  par  manière  de  dire,  que  la  terre 
n'estoit  pas  assez  digne  de  le  porter,  s'agenouiller  à 
elle  !  Hélas  !  il  ne  l'eust  pas  fait,  si  la  vieillesse,  la 
malladie  et  l'indisposition  ,  qui  font  humillier  les 
plus  orgueilleux,  ne  luy  ^  eussent  poussé. 

Ce  sont  esté  ceux,  et  sont  encor,  par  lesquelz  le 
grand  roy  d'Espaigne  donne  terreur  à  tous  ses  enne- 
mis, soyent  cachez,  soient  descouvertz,  que  quand 
on  parle  qu'il  y  a  en  son  armée  seuUement  huict 

1.   Vailledolid^  Valladolid.  —  2.  Luj,  l'y. 


14  RODOMONTADES 

miir  Espaignolz  natiirelz,  on  s'oste  de  là,  et  fait-on 
place. 

Et,  ce  qui  est  plus  à  remarquer  en  toutes  ses  belles 
factions,  c'est  qu'ilz  n'y  sont  allez,  ny  ne  les  ont 
exploictées  par  des  montaignes,  grands  monceaux  et 
monces  ^  d'hommes,  mais  par  de  petites  troupes;  car 
il  ne  s'est  jamais  trouvé  dix  mill'  Espaignolz  naturelz 
tout  à  un  coup  ensemble,  que  la  plus  grande  ne 
montoit  pas  à  plus  de  huict  à  neuf  mille;  desquelz, 
en  quelques  combatz  désastreux  pour  eux  et  batailles 
infortunées,  quelque  grand  carnage  qui  ait  esté,  ja- 
mais on  n'a  veu,  ny  leu,  ny  ouy  qu'on  ait  trouvé 
estenduz  mortz  sur  la  place  trois  mill'  Espaignolz, 
et  n'en  desplaise  aux  batailles  de  Ravanne  et  de  Sé- 
rizoUes,  assez  malencontreuses  et  sanglantes  pour 
eux ,  certes.  Il  en  mourut  près  de  trois  mille  à 
Saincte-Maure  en  Dalmatie,  assiégez  des  Turcz  ;  mais 
ce  fut  par  une  longueur  de  siège,  par  une  grande 
fatigue  et  famine  du  dedans,  et  par  faute  de  secours, 
après  avoir  fait  si  bien;  mais  pour  le  coup  de  miain, 
il  en  mourut  peu,  je  dis  en  combatant.  Au^  siège  et 
prise  de  Castromoro,  il  en  mourut  aussi  force,  fust 
ou  du  fil  de  l'espée  ou  à  la  cadène.  Au  siège  de  Metz, 
il  en  mourut  aussi  une  grand'  quantité;  mais  le  ciel 
leur  fit  bien  autant  de  mal  que  les  hommes;  si  bien 
que  l'on  dit  que  l'empereur  Charles  estant  devant, 
et  ayant  demeuré  environ  quinze  jours  dans  son  lict, 
mallade  de  ses  gouttes,  sans  visiter  ses  tranchées,  et 
s'estant  levé  pour  les  voir,  et  recogneu  la  batterie  et 

d.  Monces  ou  mouces  (mot  douteux),  masses. 
2.  Cette  phrase  manque  dans  le  manuscrit. 


ESPAIGNOLLES.  i  b 

les  bresches  qui  avoient  esté  faites,  s'estonnaiit  et 
bien  fasché ,  il  se  mit  à  dire  assez  haut  :  Y  como  no 
se  entra  alla  dentvo  ?  Ha  !  bien  veo  fo  que  no  tengo 
mas  hombres.  «  Et  comment  ne  s'entre-il  point  léans? 
Ha  !  je  vois  bien  que  je  n'ay  plus  d'hommes.  »  Il  y 
eut  quelques  soldatz  là  prësens  qui  ouvrent  cela  ;  et, 
fort  àischez  de  telles  parolles,  respondirent  :  Sacra 
Magestadj  no  os  quexays  de  nosotros.  Si,  teneis  aun 
algunos  hombres  y  de  los  bra\'os  ;  mas  no  podemos 
combaiir  el  cielo  corne  los  hombres.  «  Sacrée  Majesté, 
ne  vous  plaignez  point  de  nous  autres.  Si_,  vous 
avez  encore  des  hommes  et  des  bons  ;  mais  nous  ne 
pouvons  pas  combatre  les  cieux  comme  les  hom- 
mes. »  L'empereur,  les  regardant  en  pitié,  haussant 
les  espaulles,  dist  seuUement  :  Es  verdad;  Dios  es 
mas  poderoso  que  nosotros  ^  ;  et  leur  fit  donner  le 
vin. 

Mais  de  quoy  m'amusè-je  tant  à  escrire  la  louange 
de  ces  braves  hommes,  veu  que  d'eux-mesmes  ilz  le 
sçavent  publier,  à  mon  advis,  et  ne  les  cachent  nul- 
lement; car,  si  leurs  beaux  faitz  s'estandent  seuUe- 
ment d'mi  doigt,  ilz  les  r'allongent  de  la  coudée.  Hz 
ont  raison;  aussi,  à  bien  faire  bien  dire.  Et  si  j'ay 
veu  remarquer  à  des  grands  personnages  et  capi- 
taines que  peu  souvant  eux ,  estans  en  troupes,  ont 
fally  de  leur  devoir  et  valleur,  sinon  dernièrement  à 
la  prise  de  la  Gollette,  faite  par  l'Ochaly,  qu'il  prist 
en  trente  un  jour,  comme  l'Espaignol  l'avoit  gardée 
trente  un  an;  en  quoy  l'Ochaly  avant  qu'y  aller  le 
dist  au  Grand-Seigneur  :  qu'il  la  prendroit  en  autant 

1 .  C'est  la  vérité  ;  Dieu  est  plus  puissant  que  nous. 


16  RODOMONTADES 

de  jours  comme  on  l'avoit  gardée  d'années,  qui  es- 
toient  trente  une  (j'en  fais  le  discours  ailleurs*),  à 
quoy  il  ne  faillit.  Mais  certes  les  Espaignolz  pour  le 
coup  y  eurent  un  grand  blasme,  et  oftançarent  gran- 
dement leur  belle  et  antique  valeur  et  réputation; 
car  tout  à  coup  sortii^ent  de  la  garnison  quatre  cens 
Espaignolz  (c'estoyt  trop),  qui  s'allarent  jetter  dans  le 
camp  de  l'Ochaly,  et  se  reniarent.  Et  ne  tiens  ce 
conte  de  moy,  mais  de  feu  M.  de  Savoye  (et  qu'il 
est  assez  commun  aussi),  car  luy  estant  à  Lion,  ayant 
accompaigné  le  roy  à  son  retour  de  Poulloigne,  nous 
l'estant  allé  voir  un  jour,  M.  d'Estrosse  et  moy,  et 
luy  ayant  demandé  des  nouvelles  de  la  Collette,  car 
en  ceste  saison  ell'estoit  assiégée,  il  nous  dist  :  «  Ve- 
«  nez  vous -en  demain  au  matin  disner  avec  moy 
«  vous  deux,  etdisneronsà  part  tous  seulz  ensemble. 
«  J'attans  mon  courrier,  qui  sans  faillir  viendra  à  ce 
«  soir  ou  ceste  nuict;  et  je  vous  en  diray.  »  L'en- 
demain  nous  n'y  fallismes ,  qui  nous  conta  la  prise, 
et  la  faute  grande  de  ces  Espaignolz  ainsi  retirez  de 
leur  devoir  et  réputation;  dont  il  en  estoit  très  des- 
pit  :  et  dist  que  les  soldatz  espaignolz  en  une  si 
grande  multitude  n'avoient  erré  jamais,  ny  fait  telle 
veillaquerie^  que  celle-là,  et  qu'ilz  faisoient  grand 
tort  à  leurs  compaignons;  et  pour  une  telle  si  énorme 
faute,  il  ne  falloit  blasmer  le  reste,  car  ilz  avoient 
toujours  si  bien  fait  en  toutes  partz  qu'ilz  avoient 
esté,  qu'à  jamais  ilz  méritoient  un'  éternelle  gloire  ; 
et  que,  de  ce  que  de  ses  yeux  il  avoit  veu,  il  ne 

i.  Voyez  tome  II,  p.  60,  61. 

2.    Ve illaquer ie,  coquinerie;  de  l'espagnol  bellaqueria. 


ESPAIGNOLLES.  i  7 

pouvoit  dire  autrement  :  que  c'estoient  les  meilleurs 
soldatz  du  monde,  et  plus  dignes  pour  la  guerre  et 
pour  en  porter  mieux  toutes  les  fatigues  :  et  allégua 
qu'à  la  guerre  d'Allemaigne  il  veid  huict  cens  soldatz 
espaignolz  deffaire  douze  cens  chevaux  en  campai- 
gne  et  plaine  raze;  cela  se  lit  aussy. 

Je  n'aurois  jamais  fait  si  je  voulois  par  trop  m'ar- 
rester  sur  les  vertuz  et  les  louanges  de  ces  gens-là. 
Je  retourne  à  mon  pris  fait  de  leurs  rodomon- 
tades. 

Lorsque  nous  autres  François  fusmes  à  Malte  pour 
le  secourir,  le  roy  d'Espaigne,  comme  bon  catholiq 
et  brave  prince  certes ,  y  envoya  neuf  à  dix  mill' 
hommes  de  guerre  pour  le  secours,  soubz  la  con- 
duicte  du  marquis  de  Pescayre,  dernier  mort*,  brave 
et  gentil  seigneur,  nostre  capitaine  général,  et  tenant 
fort  de  ses  prédécesseurs.  Je  vins  à  demander  à  un 
soldat  espaignol  qui  me  parressoit  gallant  par  dessus 
les  autres  :  Seiîor,  de  quantos  soldados  esta  compuesta 
esta  armada  ?  —  Seiîor j  me  respondit-il,  fo  le  dire  : 
ay  très  milt Italianos ^  très  mil  Tedescos,  j  seys  mil 
soldados.  «  De  combien  de  soldatz  est  composée 
ceste  armée?  —  Je  vous  diray,  me  respondit-il.  Il 
y  a  trois  mill'Italiens,  trois  mille  Tudesques  et  six 
mille  soldatz.  »  Voyez  un  peu  et  considérez  quelle 
responce;  car  les  Italiens  et  Tudesques,  il  ne  les  conte 
poinct  pour  soldatz  ;  mais  les  Espaignolz,  il  les  com- 
prend et  les  nomme  pour  soldatz.  Quelle  gloire  pour 
eux,  et  quel  mespris  pour   les  autres!  Si  est-ce  que 

\ .  François-Ferdinand  d'Avalos ,  marquis  de  Pescalre ,  mort 
en  1S71. 

VII  —   2 


iS  RODOMONTADES 

les  Italiens  leur  firent  la  honte  toute  entière  à  ceste 
expédition  de  la  Collette  ;  car^  estans  ressarrez  dans 
un  fort  tout  auprès^  qui  avoit  esté  fait  à  la  haste,  et 
commandez  par  Pagan  Dorio  et  Gabrio  Cervellon, 
et  eux  pouvant  estre  de  cinq  à  six  mille,  tindrent 
bon,  longtemps  après  la  Gollette  prise_,  et  combati- 
rent  très  bien,  et  y  acquirent  un  grand  honneur,  ainsi 
que  monseigneur  de  Savoye  nous  conta ,  et  que  ce  , 
seul  coup  les  pouvoit  advanjtager  sur  les  Espaignolz 
et  non  jamais  d'autres.  Cela  disoit-il  fort  à  la  gloire 
desdictz  Espaignolz;  disant  et  affermant  que  les  Ita- 
liens ne  les  avoient  jamais  surpassez  que  ce  coup  ; 
mais  ouy  bien  les  Espaignolz,  les  Italiens  en  mill' 
endroitz. 

Sur  quoy  il  nous  fit  un  conte  qu'il  tenoit  d'aucuns 
vieux  capitaines,  que,  lorsqu'il  fallut  à  Anthoyne  de 
Lève  de  s'aller  jetter  dans  Pavie,  que  le  roy  Fran- 
çois P""  alloit  assiéger,  il  demanda  surtout  à  M.  de 
Bourbon,  à  Charles  de  L'Aunoy  et  au  marquis  de 
Pescaire,  que  sa  garnison  fust  complette  et  parfaite 
du  tout  des  bandes  espaignolles;  mais  on  ne  luy  oc- 
troya que  quatre  cens  Espaignolz,  et  le  reste  Tudes- 
ques  et  Italiens;  et  mesmes  les  capitaines  et  soldatz 
espaignolz  luy  reffusarent  à  plat  qu'ilz  n'y  iroient 
point,  encor  qu'il  fust  fort  aymé  et  cogneu  d'eux;  car, 
disoient-ilz,  que  las  companias  espanolas  en  ningwia 
mariera  déviait  repartir  par  gua.rdias  de  ciiidad ;  si 
noj  que  devian  ser  adjuntadas  en  un  cuerpo  de  orden 
invencible,  gar dadas  par  las  cosas  inciertaSy  difficiles 
y  escahrosas  de  la  guerra.  «  Que  les  compaignies 
espaignolles  en  nulle  façon  ne  dévoient  se  despartir 
ny  desjoindre  pour  la  garde  d'une  ville,  mais  qu'elles 


ESPAIGNOLLES.  i  9 

devroient  oslre  tousjours  joiiictes  enseml^le  en  un 
corps  d'un  ordre  invincible,  grand  et  d'estime,  pour 
remédier  tout  à  coup  aux  causes  incertaines,  difii- 
culteuses  et  escalabreiisos  de  la  cuerre.  » 

C'est  bien  se  louer  cela;  mais  aussi  ilz  avoicnl 
raison;  car,  tant  que  ce  corps  de  soldatz  espaignolz 
a  esté  bien  ferme,  sollide  et  bien  joinct  enseml^le, 
ilz  s'en  sont  bien  faitz  acroire;  et  mesmes  cest(^  fois 
là,  car  ilz  furent  le  principal  gain  de  la  l)ataillc  de 
Pavie,  conduictz  par  leur  brave  marquis  do  Pcscayre, 
Aussi,  lorsqu'il  eut  fait  rompre  le  parc,  et  qu'ilz 
commençarent  à  parrestre  dans  le  cliamp  de  bataille, 
ilz  commençarent  tous  à  crier  :  ^qiu  esta  el  marques 
con  sus  Espanoles.  «  Icy  est  le  marquis  avec  ses  Es- 
paignolz.  » 

Aussi  eux  et  luy  se  raportoient  si  bien  ensemble 
en  toutes  façons,  que  jamais  ilz  n'ont  esté  batuz  en- 
semble, tant  leurs  créances  des  uns  et  des  autres  se 
correspondoient;  si  bien  qu'ilz  ne  se  contredisoient 
en  rien  quand  falloit  quelque  chose  de  beau.  Si  que 
souvant ,  estans  près  à  se  mutiner  j^our  leurs  payes, 
aussitost  qu'il  les  avoit  arraisonnez  le  moings  du 
monde  ilz  estoient  aussitost  gaignez  :  mesmes  qu'un 
jour,  les  voulant  mener  à  une  entreprise  en  Testât 
de  Milan  contre  nous,  et  aucuns  se  mutinant,  et  de- 
mandans  deux  payes  avecques  les  Tudesques  qui  en 
demandoient  de  mesmes,  M.  le  marquis  ne  leur 
ayant  dit  que  ce  seul  mot  :  qu'il  ne  s'atlandoit  nul- 
lement d'eux  ny  de  leur  brave  courage,  aucun  refTas 
mesmes,  non  pas  seulement  para  hazer  tremar  la 
Italia  y  la  Francia,  mas  para  porter  Icyes  :  «  non 
seulement  pour  faire  trembler  l'Italie  et  la  France, 


20  RODOMOXTA.DES 

mais  pour  leur  imposer  loix  ;  »  soudain  tous  d'une 
voix  se  meirent  à  crier  :  Famos,  vamos  adoucie  qui- 
sierèdes;  que  los  soldados  espanoles  no  van  a  la  gnerra 
comme  ohreros^  segiin  el  uso  de  los  soldados  mercena- 
rlos^  si  no  a  ganar  gloria,  triumphos  y  victorias  y  ré- 
putation. «  Allons,  allons  où  vous  voudrez;  que  les 
soldatz  espaignolz  ne  vont  point  à  la  guerre  comme 
manouvriers  et  selon  l'usance  des  soldatz  merce- 
naires, mais  pour  gaigner  gloires,  triumphes,  victoires 
et  réputation.  » 

Parlons  un  peu  d'aucuns  particuliers. 

Je  vis  à  la  court  de  Madric  un  brave  soldat  qui 
avoit  une  très  belle  façon.  Il  estoit  Gascon,  mais  fort 
espaignollisé,  et  nourry  de  longue  main  parmy  les 
bandes  espaignolles,  et  s'estoit  desbandé  de  sa  com- 
paignée  pour  quelques  affaires  qu'il  avoit  à  la  court, 
ce  me  disoit-il  :  et,  le  voyant  ordinairement  se  pour- 
mener  dans  la  court  et  parmy  la  ville  sans  espée,  je 
luy  demandis  pourquoy  il  ne  portoit  point  d'espée, 
luy  qui  estoit  soldat.  Il  me  respondit  en  espaignol  : 
Sehor^  jo  tengo  miedo  de  la  justicia,  porque  mi  es- 
pada  esta  tan  carnicera ,  qua  cada  passo  me  daria 
priessa  de  sacarla  fuera;  y,  sa  cada  una  çez,  no  haria 
otra  cosa  que  carne  y  sangre.  «  Monsieur,  j'ay  peur 
delà  justice,  d'autant  que  mon  espée  est  tant  car- 
nassière qu'à  chaque  pas  elle  me  presseroit  de  la  ti- 
rer, et  estant  une  fois  tirée,  elle  ne  fairoit  autre  chose 
que  chair  et  sang.  » 

Celluy  là  n'est  pas  mauvais,  et  l'espée  encor  plus 
mauvaise. 

Aux  premières  guerres  civilles,  que  nous  tenions 
Orléans  assiégé,  un  jour  que  nous  passions  par  le 


ESPAIGXOLLES.  21 

Cartier  des  Espaignolz'^  M.  de  Maisonfleur,  qui  estoit 
un  fort  gallant  et  gentil  cavailler,  et  moy,  nous  vis- 
mes  un  soldat  espaignol  qui  avoit  un  débat  avec  une 
paouATC  femme  revanderesse  d'harans,  et  y  avoit 
plus  de  crieries  entre  luy  et  elle^  que  vous  eussiez  dit 
qu'il  estoit  question  d'une  grand'  somme  :  enfin, 
c'estoit  pour  deux  harans  blancs,  si  bien  qu'il  vou- 
loit  fraper  la  paouvre  femme.  Maisonfleur,  se  voulant 
faire  de  feste,  s'advança  pour  luy  en  dire  un  mot 
de  remontrance.  Luy,  regardant  dédaigneusement 
Maisonfleur,  ne  luy  dist  autre  chose,  sinon  :  Pues, 
(juien  sois ,  vos  que  hahlays  *  ?  Maisonfleur,  qui  par- 
loit  fort  bon  espaignol,  respondit  :  Yo  soy  capltan^. 
L'autre  luy  répliqua,  après  avoir  songé  un  peu  en 
soy  et  regardé  en  terre  :  Pues^  vaynse  a  todos  los 
diahlos  con  sus  capitanerias,  y  no  me  digais  iiada'*\ 
et  passe  oultre.  Maisonfleur  demeure  estonné,  et  non 
pourtant  sans  en  faire  collère  face,  mais  riante  ;  car 
moy  je  luy  dis  aussitost  :  «  Par  Dieu  !  il  la  vous  a 
«  donné  belle,  et  vous  a  faict  vostre  compte  preste- 
«  ment  en  trois  jetions.  Il  n'a  pas  fait  grand  cas  de 
«  vostre  quallité.  Aussi  estiez-vous  bien  à  loysir'  de 
(f  vouloir,  vous  François,  entreprendre  de  corriger 
«  un  soldat  espaignol  en  son  cartier  !  » 

Je  vis  une  fois  à  Crémonne  un  soldat  espaignol  de 
fort  belle  façon,  qui  ne  portoit  point  d'espée  par  la 

\.  Il  y  avait  dans  l'armée  royale  un  corps  de  troupes  espa- 
gnoles qui  avait  combattu  à  Dreux. 

2.  Qui  êtes-vous  donc,  vous  qui  parlez  ?  —  3.  Je  suis  capitaine. 

4.  Eh!  bien,  allez  à  tous  les  diables  avec  vos  capitaineries,  et 
ne  me  dites  rien. 

5.  Etre  bien  à  loisir,  avoir  du  temps  à  perdre. 


2-2  RODOMONTADES 

rue;  et  ainsi  que  nous  nous  vinmes  arraisonner,  je 
luy  demande  pourquoy  il  n'en  portoit,  et  si  la  justice 
de  la  ville  le  luy  avoit  pioîiibë;  il  me  respondit  : 
No  y  seiior  ;  la  justicia  d'esta  ciudad  no  ha  que  ver 
sabra  mj,  porque  soy  soldado  viejo  seiialado,  j  en 
campa  ni  as  bien  adventajada  ;  mas,  ja  niesmo  me  say 
ardenada  la  pragmalica ,  porque  soy  fan  presto  de 
manOj  que  par  el  menar  çiento  que  me  passa  por  las 
arejas,  jo  lue  go  bueho,  f  saco  la  nianoa  Vespada,  j 
la  primera  que  se  me  tapa  muere  a  su  nialhara,  came 
qaatro  a  cinque  vezes  me  a  acontescida  assy  par  las 
calles  me  passeando  ;  de  manera  que,  par  no  caer  en 
las  manos  de  nuestro  argus  il,  y  en  peligra  de  vida, 
ht  Itecha  vaiO  a  Bios  de  na  traer  mas  espada ,  sina 
quando  vamos  a  la  guérira,  a  entramas  en  guardia. 
«  Non,  la  justice  n'a  que  voir  sur  moy,  car  je  suis 
vieux  soldat  et  signalé,  et  de  compaignie,  et  bien  ad- 
vantagé  ;  mais  je  me  suis  moy-mesme  fait  l'ordon- 
nance de  n'en  porter_,  parce  que  je  suis  si  prompt  de 
la  main  que  pour  le  moindre  vent  qui  me  passe  par 
les  oreilles,  je  me  tourne,  je  sacque'  la  main  à  l'espée, 
de  sorte  que  le  premier  que  je  rencontre_,  je  le  tue, 
comme  cinq  ou  six  fois,  cela  m'est  arrivé  me  pour- 
menant  par  les  rues;  si  bien  que  pour  ne  tumber 
plus  entre  les  mains  de  nostre  prévostde  camp  et  en 
péril  de  ma  vie,  j'ay  fait  veu  à  Dieu  de  ne  porter 
jamais  espée,  sinon  pour  entrer  en  garde  et  aller  à  la 
guerre.  y> 

Ln  soldat   canarien,   de  l'isle   des  Canaries,  mais 

i .  Sacquer,  tirer  du  fourreau,  dégainer,  — Brantôme  a  donné 
ici  à  ce  verbe  le  sens  de  l'espagnol  sacar. 


ESPAIGNOLLES.  23 

pourtant  espaignoUisé  et  affiné  '  par  les  bandes  espai- 
gnolles,  allant  en  un  assaut,  son  capitaine  le  voyant 
pasle  et  tremblant,  luy  reprocha  qu'il  trembloit  et 
qu'il  avoit  peur.  Il  luy  respondit  d'une  l)elle  asseu- 
rance  :  Trernen  las  carnes,  parque  coino  hurnanas  y 
sensibles  el  my  hva\'0^  v'alieiite  ^  y  deiermiiiado  co- 
raçon  Ids  lleva  y  las  trae  al  postrero  passa ^  doncle  mas 
no  han  de  boher.  «  Certes,  mes  chairs  tremblent,  d'au- 
tant que^  comme  humaines  et  sensitives_,  mon  brave 
et  vaillant  courage  et  déterminé  les  porte,  les  traîne 
au  dernier  pas  de  la  mort,  dont  jamais  plus  ne  re- 
tourneront. »  Ce  soldat  étoit  bien  dissemblable  à 
plusieurs  qui  font  bonne  mine  allans  aux  combatz, 
mais  dans  l'àme  ilz  tremblent. 

Un  autre  soldat  en  menassant  un  autre,  luy  dist  : 
Si  yo  te  torno^  yo  te  echare  tan  alto,  che  mas  presto 
sentiras  la  muer  te  que  la  cayda.  «  Si  je  vous  prens, 
je  vous  jetteray  si  haut  en  l'air  que  vous  sentirez 
plus  tost  la  mort  que  la  cheute.  » 

L'autre  disoit  bien  mieux  :  Que  de  tantos  Moros 
que  matavUj  les  cortava  las  cabezzas,  y  pues  las 
ecliava  tan  alto,  que  antes  que  bohnessen,  K>enian 
medio  conudas  de  moscas.  «  Que  de  tant  de  Mores 
qu'il  tuoit,  il  leur  coupoit  les  testes  et  puis  les  jet- 
toit  si  haut  dans  le  ciel  qu'avant  que  descendre  elles 
étoient  à  demy  mangées  des  mousches.  » 

Un  autre  louoit  encore  sa  force  d'autre  façon  :  En 
tamando  un  hombre ,  dandale  un  punta  pie,  lo  em- 
hiare  dos  o  très  legas  hacia  arriba;  y  antes  che  buelva^ 
quiero  que  quede  un  anno.  «  En  prenant  un  homme 

1.  Affiné,  perfectionné,  achevé;  de  l'espagnol  afinado. 


24  RODOMONTADES 

et  luy  donnant  du  pied  tant  seullement ,  je  l'en- 
voyerai  deux  ou  trois  lieux  par  delà  l'eau,  et  avant 
qu'il  tourne,  je  veux  qu'il  soit  plus  d'un  an  après  à 
venir.  »  Pensez  qu'il  l'eust  si  bien  endormy  de  sa 
boutade,  qu'il  luy  eust  falu  autant  de  temps  à  s'é- 
veiller et  se  remettre. 

Geste  force  n'est  pas  moins  grande  que  l'autre  qui 
dist  après  la  battaille  d'Elépante  :  En  la  hatalla 
d Elepaniho^  con  don  Juan  estando  en  su  real,  en\>es- 
timos  con  la  galera  real  del  Turco;  yo  no  meti  gran 
fuerça  en  mi  braço,  yo  tire  con  mi  montante  una 
pequeha  cuchillada^  che  fue  tan  hazia  al  fondo  de 
la  mary  que  profondio  tinfierno^  y  co^i  la  punta  de 
nariz  a  Pluton.  «  En  la  bataille  d'Elépanthe  avec  don 
Joan,  moy  estant  en  sa  réalle,  nous  envestîmes  la 
réalle  turquesque.  Je  ne  mis  pas  pour  cela  grand 
force  en  mon  bras  autrement,  mais  avec  un  montant 
que  je  tiray  d'une  petite  couchillade  ^,  elle  alla  si  ad- 
vant  dans  le  fond  de  la  mer,  qu'elle  profFondit  l'en- 
fer où  là  j'accueilly  et  coupé  la  poincte  de  la  naze*  à 
Pluton.  » 

Taisons  ces  ridicules  et  fauces  rodomontades,  et 
parlons  d'une  vraye  et  de  fait.  Du  temps  de  nos 
guerres  de  Lombardie,  que  les  impérialistes  avoient 
assiégé,  soubz  Prospero  Columno,  le  chasteau  de 
Milan,  M.  de  l'Autreq  vint  de  dehors  pour  donner 
secours;  et  ce  fut  lors  que  ledit  Prospero  fit  ce  beau 
traict  pour  l'empescher,  dont  j'ay  parlé  ailleurs  fai- 


\ .  Voici  la  traduction  exacte  de  la  phrase  espagnole  :  «  Je  tirai 
avec  mon  espadon  {montante)  une  petite  estocade  [cuchillada). 
2.  Naze,  nez. 


ESPAIGNOLLES.  25 

sant  mention  de  luy*  :  et,  ne  pouvant,  se  campa 
devant,  faisant  quelque  forme  de  forcer  la  tranchée 
de  l'ennemy,  ce  qu'il  ne  fit.  Cependant  qu'il  demeu- 
ra là  campé  devant  l'ennemy,  estant  en  soucy  de 
prendre  langue  de  l'ennemy,  duquel  il  n'en  avoit 
aucune,  il  fut  fait  cas  audit  Prospero  qu'il  y  avoit  là 
parmy  les  bandes  espaignolles  un  soldat  espaignol 
qui  s'appelloit  Lobo^,  qui  estoit  le  meilleur  ingambe 
et  le  plus  grand  courreur  qu'on  sceust  voir;  car, 
ayant  un  mouton  sur  ses  espauUes,  il  eust  couru 
contre  le  meilleur  courreur  quiconque  fust,  sans  au- 
cune charge.  Cela  pleust  audit  Prospero;  et,  pour 
ce,  l'ayant  envoyé  quérir,  luy  déclaire  le  service  qu'il 
désiroit  tirer  de  luy  pour  le  service  de  l'empereur,  et 
qu'il  falloit  qu'il  essayast  avec  ses  bonnes  jambes 
sçavoir  ce  que  l'ennemy  faisoit.  Soudain  Lobo  luy 
promit  qu'il  fairoit  merveilles,  et  pour  ce  prist  avec 
luy  un  sien  compaignon  d'armes,  gentil  soldat  espai- 
gnol, bien  ingambe  aussi  comme  luy,  et  surtout  fort 
adextre  et  prompt  à  charger  son  harquebuz  et  à  tirer 
un'arquebusade.  Ledit  Lobo  va  près  du  camp  de 
l'ennemy,  de  nuict,  et  là  rencontre  en  sentinelle  per- 
due un  grand  et  démesuré  advanturier  françois,  qui 
avoit  demandé  :  Qui  ua  là  ?  I^obo  soudain  à  luy,  et 
le  saisit,  et  le  charge  sur  ses  espaulles  comme  un 
mouton,  et  soudain  reprend  sa  routte  vers  son  camp, 
et  s'y  retire  avec  l'excorte  de  son  compaignon,  qui 
tira  trois  fois  [si  bien]  qu'il  arrive  seurement  avec  sa 


1.  Voyez  tome  I,  p.  147. 

2.  Non  pas  Lobo,  mais  Lupon,  suivant  Vallès  (f°'  60  v°  et  61), 
d'où  Brantôme  a  tiré  son  récit. 


26  RODOMONTADES 

charge  au  sieur  Prospero_,  qui,  le  voyant  arriver,  se 
mit  à  rire,  et  tous  les  capitaines,  d'un  tel  exploit, 
bien  admirable  certes.  Et  ayant  interrogé  l'adventu- 
rier,  prist  telle  langue  et  advis  qu'il  peut  de  luy; 
après  le  renvoya  à  son  camp  sans  luy  mal  faire,  et  fit 
bien  récompenser  Lobo  et  son  compaignon.  Yoylà 
une  belle  force  d'homme  et  une  belle  dextérité,  et 
de  son  compaignon  et  tout.  Geste  rodomontade  vaut 
bien  autant  que  les  autres  de  parolles.  Voylà  de  ter- 
ribles forces  !  J'aymerois  autant  ouyr  parler  des  forces 
d'Hercules ,  ou  bien  du  rynocéros  de  l'amphitéâtre , 
de  Martial,  qui  se  jouoit  d'un  taureau  comme  d'une 
pellotte,  et  qui  le  jettoit  aussi  haut,  ainsi  que  le  por- 
tent les  vers  : 

Quantus  erat  cornu  cui  pila  taurus  erat  *. 

Un  autre,  ayant  querelle  contre  un  autre,  alloit 
disant  partout  :  Conoceis  un  tal ,  o  es  sa  aniigo  ? 
Ruega  Bios  por  el,  porque  tîene  pendencias  conmigo. 
«  Connoissez-vous  un  tel,  ou  est-il  votre  amy  ?  Priez 
Dieu  pour  luy,  car  il  a  querelle  avec  moy.  » 

Comme  l'autre  qui  disoit  :  Estas  son  mis  misas 
que  hazer  acuchilladas  ^  y  matar  hombres,  j  que- 
brar  las  muelas  a  una  puta.  «  Ce  sont  mes  messes, 
que  de  faire  à  coups  d'espée  et  de  tuer  gens,  et  rom- 
pre les  maschoires  à  une  putain.  »  Ce  dernier  est 
une  grande  vaillance  ! 

Lorsque  l'empereur  passa  par  France,  il  y  eust  un 

1 .  Quelle  force  dans  sa  corne  pour  laquelle  un  taureau  n'é- 
tait qu'une  balle!  —  Voyez  Martial,  liv.  I,  epig.  XI  de  Rhino- 
cerote. 


ESPAIGNOLLES.  27 

capitaine  Espaignol  avec  luy,  qui,  voyant  entrer  un 
jour  le  clievallier  d'Ambres  \  bravasche  autant  ou  plus 
comme  luy,  et  avec  cela  très-vaillant,  il  vint  deman- 
der à  un  autre  :  Senur,  este  ca^allero  es  tan  vallente 
cornes  bravo?  «  Ce  cavailler  est-il  autant  vaillant 
comme  il  fait  du  brave?  »  Et  luy  estant  respondu 
qu'ov  :  Juro  a  Bios,  dunque  que  se  puede  jgualar  a 
rni.  «  Il  se  peut  parangonner  à  moy.  » 

Ce  chevailler  d'Ambres,  ayant  entendu  ceste  pa- 
roUe,  vouloit  fort  s'aller  esprouver  contre  luy,  sans 
la  deffance  que  le  roy  avait  fait  de  ne  quereller  au- 
cun Espaignol.  M.  de  Bussi  avoit  cela,  que  s'il  fust 
venu  à  la  court  quelque  brave  nouveau,  de  le  que- 
reller et  se  battre  contre  luy. 

Un  autre  soldat  espaignol  disoit  :  Yo  harto  tengo 
que  hazer  en  consolar  esta  iny  espada,  que  no  se 
quexe  de  mi  j  désespère ,  parque  ha  tantos  dias  que  la 
hago  holgar^  j  que  no  saca  fruto  de  sus  ennemigos . 
«  J'ay  beaucoup  à  faire  de  consoller  mon  espée  qu'elle 
ne  se  plaigne  de  moy  et  ne  se  désespère  de  quoy  je 
ne  l'ay  faite  esbattre  si  longtemps,  sans  tirer  quelque 
fruict  de  ses  ennemis.  »  Voylà  une  bonne  espée,  et 
aussi  bonne  que  de  l'autre,  qui  disoit  de  la  sienne 
en  la  tirant  à  demy  :  O  espada^  si  supiesses  hablar, 
dizierades  quantos  hombres  matast.es.  «  O  espée ,  si 
vous  sçaviez  parler,  vous  diriez  combien  d'hommes 
vous  avez  tuez.  » 

Un  autre  que  l'on  louoit  devant  luy,  il  dist  :  No 
ay  necessidad  de  contar  my  valores  y  virtudes,  que 
todo  el  muiido  las  sabe.  «  Il  n'est  point  besoing  de 

1 .  Probablement  François  de  Voisins,  bax^on  d'Ambres. 


28  RODOMONTADES 

conter  mes  valeurs  et  vertiiz,  car  tout  le  monde  les 
sçait.  » 

Un  autre  qui  contant  ses  vaillantises,  disoit  :  En 
Scicilia  he  muerto  dos  snltendores,  in  Sarde^na  tres^ 
in  Napoles  dos^  j  très  en  Lombardia  ;  de  inanera  que, 
segun  buena  cuenta,  son  diez.  Pues  no  los  escriçij 
mas  pero  acuerdome  bien  dellos^  porque  tengo  exce- 
lente  memoria,  de  manera  que  no  se  habla  d'olro  que 
de  mj  virtud,  de  my  gesto  j  hazaiïas,  que  me  hazen 
tenter  de  los  hombres y  amnr  de  las  niugeres ,  de  ma- 
nera que  passeando  por  las  calles  todas  tiravaîi  mi 
muchacho  por  la  cappa^  y  entendia  ellas  como  por 
detras  le  pedian  :  «  Quien  es  este  cavalier o  tan  bra- 
vo^ f  dispues to,  y  hermoso?  Es  este  don  Juan  de 
Mandozza  ?  No,  respondia  el  muchacho^  sino  su  her- 
mano.  »  Y  ellas  respondian  :  ((  Mira  como  se  assen 
tan  bien  los  cabellos  j  la  barba.  O  quan  valerosas  son 
las  que  alcançan  su  amor  !  »  F  entrambas  rogavan 
mi  muchacho  que  tuniesse  forma  comU  entrasse  en  sus 
casas  :  de  tal  suerte  que  las  tengo  importunas  de  me 
tanto  rogar  y  amar,  porque  para  complir  sus  ruegosj 
empedo  mis  negotios  y  mis  guerras.  «  En  Scicile  j'ay 
tué  deux  volleurs  ou  brigands;  en  Sardaigne  trois; 
au  royaume  de  Naples  deux,  et  trois  en  Lombardie; 
de  mode  que  pour  bon  conte  sont  dix,  non  pas  que 
je  les  aye  pourtant  escritz  mais  il  m'en  souvient 
bien^  car  j'ay  une  fort  excellente  mémoire;  de  sorte 
qu'il  ne  se  parle  d'autre  chose  en  ceste  ville,  sinon 
de  ma  vertu,  et  de  ma  valeur  et  de  mes  faitz  qui  me 
font  craindre  des  hommes  et  aymer  des  femmes  ;  si 
bien  que  passant  par  les  rues  tirent  mon  page  par  la 
cape,  et  luy  demandent  :  «  Qui  est-ce  ce  brave,  beau 


ESPAIGNOLLES.  29 

«  et  gentil  chevallier?  Est-ce  point  dom  Joan  de 
a  Mandozze?  »  ainsi  que  j'entendois  par  derrière; 
et  luy  respondoit  :  «  Non,  c'est  son  parent.  »  Et 
elles  respondoient  :  «  Voyez  comme  il  porte  la  barbe 
«  bien  faite,  et  les  cheveux  bien  renversez.  O  que 
«  celle-là  est  bien  heureuse  et  valleureuse  qui  peut 
«  avoir  et  acquérir  son  amour!  »  Et  entr'  elles 
prioient  mon  page  qu'il  trouvast  moyen  de  me  me- 
ner en  leur  logis.  Mais  enfin  je  les  treuve  importiuies 
de  me  prier  et  d'aymer  tant;  car  pour  accomplir 
leurs  prières,  il  faut  que  je  laisse  mes  affaires  et  mes 
factions  de  guerre.  »  Voylà  un  bel  Adonis  !  Et  pensez 
qu'il  estoit  aussi  laid  qu'un  beau  diable. 

J'aymerois  autant  un  autre,  lequel  batoit  son  page 
ou  laquais,  et  luy  disoit  :  Dl,  vellaco ,  quantas  vezes 
te  he  jo  mandado  que  no  arides  a  cada  passa  publi- 
cando  my  valor  y  porque ,  ojendolo  las  mugeres  no  se 
pierdan  por  my  ;  de  suerte  que.  soy  mas  impedido  a 
mosLrar  a  ellas  la  magnip.ce?icia  de  mi  animo^  que 
no  en  toniar  las  ciudades y  maiar  ennemigos?  «  Dites, 
gallant,  combien  de  fois  vous  ay-je  deffandu  que 
n'allissiez  jamais  publier  ma  valleur,  comme  vous 
faites,  affin  que  les  femmes  l'oyant  ne  se  perdent 
pour  mon  amour,  si  bien  que  je  suis  plus  empesché 
à  leur  monstrer  la  magnificence  de  mon  cœur,  que 
je  ne  suis  à  prendre  des  places  et  villes,  et  à  tuer  des 
ennemys.  »  Voilà  un  plaisant  badin. 

Feu  M.  d'Estrosse  et  moy,  ainsi  qu'une  fois  en 
Italie  nous  interrogions  un  soldat  espaignol  qui  nous 
vint  accoster,  et  luy  demandions  son  nom,  il  nous 
dist  qu'il  s'appelloit  dom  Diego  Leonys,  porque  havia 
in  Berberia  niatado  très  leones,   «  Parce  qu'en  Bar- 


30  RODOMONTADES 

barie,  il  a  voit  tué  trois  lyons.  w  Je  vous  assure  qu'il 
ne  s'en  alla  pas  sans  nous  donner  bien  à  rire,  non 
seiillemenl  pour  ce  coup,  mais  pour  beaucoup  de 
temps  après. 

J'aymerois  autant  celluy  qui  se  vantoit  et  disoit  : 
qiCen  las  Indias  havia  quebrado  un  hraço  a  un  ele- 
phante\  /  aun  osaria  jurar,  que  si  vuviesse  ponido 
una  mas  de  faerça  huviesse  passado  el  hraço  al  ele- 
phante  por  el  cuero  y  por  las  entrannas y  las  vuviesse 
sacado  por  la  boca.  «  Qu'il  avoit  d'un  coup  de 
poinct  rompu  un  bras  à  un  éléphant  ;  encor  oseroit- 
il  jurer  que  s'il  eust  employé  un  peu  plus  de  force, 
il  eut  passé  le  bras  de  l'éléphant  par  la  peau  et  par 
ses  entrailles ,  et  les  eust  fait  sortir  par  la  bouche.  » 
Voylà  de  grands  coups. 

Un  jeiuie  soldat  espaignol  estant  interrogé  comme, 
estant  si  jeune,  il  avoit  déjà  les  moustaches  de  sa 
jeime  barbe  si  grandes,  il  respondit  :  Estos  bigotes 
fueron  hechos  a  la  fumada  del  canon ^  y  por  esta 
crescen  tan  grandes  j  tan  presto,  «  Ces  moustaches 
sont  été  faites  à  la  fumée  du  canon  et  par  ce  elles  ont 
creu  ainsi  grandes.  » 

J'aymerois  bien  autant  un  capitaine  espaignol,  au- 
quel estant  demandé  si  sa  compaignée  estoit  compo- 
sée de  vieux  soldatz_,  il  dist  :  Que  si  ;  porque  hazia  el 
los  soldados  nuevos  luego  viejos  ;  no  con  las  pagas 
de  muchos  aîîos,  corne  acostumbravan  los  otros  capi- 
tanes^  sino  en  muchas  peleas y  continuas  escaramuças, 
con  honrada  y  provechosa  sua  disciplina  de  guerra. 
a  Parce  qu'il  faisoit  les  soldatz  nouveaux  aussitost 
vieux,  non  pas  par  les  payes  de  plusieurs  années, 
comme  ont  de  coustume  la  pluspart  des  capitaines, 


ESPAIGNOLLES.  31 

mays  par  plusieurs  combatz  et  continuelles  escar- 
mouches avec  un'  fort  lionnorable  et  profil  table  sienne 
discipline  de  guerre.  » 

Il  avoit  raison  de  dire  cela;  car,  coustumièrement, 
ce  ne  sont  les  longues  années  que  l'on  fait  aux  ar- 
mées qui  font  les  bons  soldatz,  mais  les  continuel/ 
combatz  et  ordinaires  exercices  des  escarmouches  et 
mènemens  des  mains.  Dont  je  désespère'  souvant, 
quand  j'oy  dire  telz  et  telz  sont  aux  armces,  et 
mesmes  aucuns  grandz.  Et  qu'y  font-ilz  sinon  aller 
voir  le  général  au  matin,  et  luy  donner  le  bon  jour, 
s'en  aller  au  Cartier,  jouer  tout  le  long  du  jour,  faire 
bonne  chère,  se  donner  du  bon  temps?  Et  telz  y 
aura-il  qui  auront  esté  six  ou  sept  fois  en  des  voya- 
ges, qui  n'auront  tiré  espée  du  costé  :  et  eux  arrivans 
à  la  court,  ou  à  leur  patrie  et  maisons,  font  la  mine; 
et  eux  et  leurs  gens  publieront  qu'ilz  ont  fait  mons 
et  merveilles,  et  auront  tué  Mardy-Gras.  Au  diable 
s'ilz  ont  tué  une  mousche  !  Voylà  comment  les  lon- 
gues fréquentations  des  guerres  ne  font  pas  les  capi- 
taines ny  les  bons  soldatz,  mais  le  continuel  manie- 
ment des  armes,  et  la  continuelle  recherche  des 
combatz  et  des  hasardz. 

Feu  M.  le  conte  de  Brissac  se  fit  en  un  rien  le  plus 
grand  capitaine  que  tant  de  vieillardz  qu'il  avoit  aux 
armées,  seuUement  parce  qu'il  ne  fut  jamais  en  repos, 
tant  qu'il  y  fut,  ains  à  toute  heure  et  à  tous  mo- 
mans  et  occasions  ne  faisoit  que  rechercher  la  guerre, 
les  combatz  et  les  rencontres  et  à  toutes  sortes  d'ha- 
^        sardz;  aussi  se  façonnant  ainsi  en  un  rien  tout  de 

1.  Je  désespère,  j'enrage. 


32  RODOMONTADES 

mesmes  façonna  tant  ses  capitaines  et  soldatz  que 
combien  qu'ilz  y  fussent  jeunes  d'ans,  ilz  estoient 
vieux  et  d'expériances  et  de  playes. 

Mais  comment  me  suis-je  perdu  en  ceste  digres- 
sion, et  m'esgare  de  mon  premier  thème  de  rodo- 
montades? c'est  tout  un.  Elle  n'est  point  mauvaise, 
puisqu'il  *  est  venu  à  j)ropos  :  un'autre  fois  je  l'eusse 
oubliée  au  bout  de  ma  plume.  Or,  retournons  à  ^ 
une  plaisante  et  ridicule  rodomontade  d'un  soldai 
espaignol,  lequel  se  trouva  au  désarmer  et  au  des- 
pouiller  du  roy  François,  à  sa  prise  à  Pavie;  car  il 
n'estoit  pas  filz  de  bon  père,  ou  de  bonne  mère,  qui 
n'en  eust  quelque  lopin,  les  uns  pour  récompance 
d'honneur,  et  les  autres  pour  celle  du  proffit.  Or  il 
advint  que  le  bonheur  tumba  à  ce  soldat  d'oster  les 
espérons  du  roy;  dont  il  s'en  sentit  si  gloriffié,  que, 
partout  où  il  alloit,  il  disoit  :  Seîior,  no  avejs  sen- 
tidoja  mas  nombrar  y  renombrar  aquel  que  sacco  las 
espuelas  doradas  del  rej  Francesco  en  Pai^ia,  quando 
fue  preso?  Yo  soy  aquel.  «  Avez  vous  ^  ouy  jamais 
nommer  et  renommer  celluy  qui  osta  les  espérons 
dorez  du  roy  François  à  sa  prise  de  Pavie?  C'est 
moy.  » 

C'est  tout  de  mesmes  d'un  qui  disoit  :  Grandes  pa- 
labras dixo  el  rey  don  Hernandes  a  don  Juan  mi 
abuelo  :  «  Saca  mis  botas.  »  «  Grandes  parolles  dit 
le  roy  don  Fernand  à  mon  ayeul  don  Joan  :  Tirez- 
moi  mes  bottes.  «  Voylà  de  belles  rodomontades,  et 


1 .  //,  cela. 

2.  Le  manuscrit  porte  en  cet  endroit  et  encore  ailleurs  :  amns 
pour  avez-vous  que  donnent  les  anciennes  éditions. 


ESPAIGNOLLES.  33 

fort  ambitieuses  !  Laissons-les  là  et  parlons-en  d'au- 
tres. 

Lorsque  l'empereur  Charles  eut  pris  la  Gollette,  et 
qu'il  fallut  marcher  parmy  les  sables  chauds  et  esté- 
rilles*  et  avec  grandes  incommoditez  vers  Tunis,  s'apa- 
rurent  à  l'audevant  de  luy,  pour  l'empescher,  envi- 
ron trente  mille  Mores,  tant  à  cheval  qu'à  pied.  Il  y 
eut  un  jeune  soldat  espaignol  qui,  s'estonnant  de 
voir  tant  de  gens  tout  à  un  coup^  commança  à  s'es- 
crier  :  Jésus!  Y  cou  lontos  Moros  havemos  du  pelear  ? 
Soudain  un  vieux  soldat,  marchant  près  de  luy,  luy 
remonstre  :  Calla,  hisoîio;  a  mas  génie  j  Moros  y  mas 
ganancia  )•  gloria.  <t  Et  comment!  avons-nous  à  com- 
batre  tant  de  ]Mores  !  »  L'autre  dist  :  «  Taisez-vous, 
bisogne*;  tant  plus  nous  avons  à  combatre  de  gens, 
tant  plus  y  aurons  de  proffit,  de  butin  et  de  gloyre.  » 

Un  soldat,  allant  à  la  camisade  que  ce  brave  don 
Johan  d'Auslrie  donna  en  Flandres  au  camp  des 
Estatz,  et  en  devisant  avec  ses  compaignons,  et  mar- 
chant, il  vint  à  demander  des  ennemys  :  Quantos 
son  *  ?  Un  sien  compaignon  luy  répliqua  soudain  : 
Vaiate  al  diabolo^  cou  tu  inquisition  j'  cuenta;  mas 
diga  :  FamoSj  vamos  a  ellos,  quantos  que  sean.  «  Va 
au  diable  avec  ton  inquisition  et  ton  conte.  Mais 
dites  :  Allons,  allons  à  eux,  quelque  nombre  qu'ilz 
soient.  » 

L'empereur  Charles,  en  la  guerre  d'Ongrie,  un 
jour  qu'il  faisoit   la  reveue  de  son  camp,   et  estant 


1.  Esterilles,  stériles. 

2.  Bisogne,  recrue.  Nous  dii'ions  aujourd'imi  conscrit, 

3 .  Combien  sont-ils  ? 


34  RODOMONTADES 

avec  luy  Ferdinand  son  frère_,  roy  des  Romains,  le- 
quel portoit  ses  cheveux  longs  et  grands  en  fenestre, 
comme  l'on  disoit  à  l'antique,  à  mode  de  son  ayeul 
Ferdinand',  il  y  eut  un  soldat  qui  en  eust  dcspit,  et 
s'escriant  il  dist  :  Sacra  Magestad,  le  doy  mis  pagos, 
y  hagas  esquillar  al  hermano  luyo  don  Hernandes . 
«  Sacrée  Majesté,  je  vous  donne  toutes  mes  payes 
que  me  devez  et  faites  tondre  la  teste  à  vostre  frère 
Ferdinand.  »  11  falloit  bien  dire  que  ce  soldat  estoit 
bien  haul  à  la  main,  de  ne  souffrir  une  chose  qui  ne 
luy  touchoit  en  rien.  L'empereur  l'ouyt,  et  ne  s'en 
fit  que  rire  avecques  son  frère. 

Un  autre  fit  bien  pis  à  ceste  fois  mesmes;  car, 
ainsi  que  l'empereur  passoit  par  les  batailles  et  fai- 
soit  reveue,  il  se  mit  à  crier  :  Vaiate  al  diablo,  bo- 
cina  féal  que  tan  tarde  sejs  venido^  que  todo  el  dia 
somos  muertos  dhambre  y  frio.  «  Au  diable  soyez- 
vous,  laide  bouche,  que  vous  êtes  venu  si  tard,  car 
nous  sommes  mortz  de  froid  et  de  fain.  »  L'empe- 
reur l'ouyt  aussi;  mais  il  n'en  fit  que  rire,  sans  en 
vouloir  tirer  punition,  pensant  grandement  faillir, 
non  seullement  en  celluy  là,  mais  en  autres,  s'ilz  eus- 
sent délinqué;  car  il  aymoit  et  chérissoit  ses  soldatz 
espaignolz  comme  ses  enfans. 

Une  plaisante  rodomontade  fut  d'un  hydalguo  es~ 
paignol,  lequel,  ayant  fait  un  jour  une  demande  au 
roy  Ferdinand  dans  sa  salle,  et  le  roy  demeurant 
assez,  et  songeant  pour  luy  faire  responce,  il  luy 
dist  :  Sacra  Magestad^  hagami  por  Di'os  ropucsta; 
sino  alla  baxo  esta  mi  macho.  «  Sacrée  Magesté,  pour 

1.  Voyez  tome  I,  p.  87-88. 


ESPAIGNOLLES.  38 

Dieu,  faites-moy  responce,  sinon  mon  mullct  est  là- 
bas  qui  m'attand  »  ;  eomme  voulant  dire  :  «  Si  vous 
«  ne  me  despcscliez  viste,  je  m'en  retourne  sur  mon 
«  mullet.  »  Quel  fou,  fad,  glorieux  estoit  cest  hy- 
dalgo,  et  plaisant  pourtant  avec  son  mullet! 

Le  marquis  de  Pescayre  estant  à  la  bataille  de  Ra- 
vanne   et  combattant  vaillammant  _,  luy  ayant  esté 
donné  pour  gouverneur  un  fort  honnesle  liomme, 
qui  se  nommoit  Placidio  de  Sangro,  cavallero  muy 
noble  y  esforzado^ ,  après  avoir  combatu  ,  et  l'un  et 
l'autre,   longtemps   fort    courageusement,    conside- 
rando  el  peli^ro  del  danno  vezino,  buelto  al  marques 
le  dize  :  «  O  !  cai^allero  valeroso^  pues  que  no  es  casa 
u  de  animo  varonil^  sino  de  loco  del  todo,  contrastar 
«  taiito  tiempo  con  la  fortuna  contraria ,  porque  en 
«  tanto  que  el  cavallo  esta  sano  j  las  fuerças  basian, 
«  no  os  librajs  de  la  muer  te  ^  jos  gardajs  para  me- 
«  jor  Ventura.  »   Estonces  el  marques  le  respondio  : 
«  De  buen  grado  obedesceria  ^  o  Sangro  muy  fiel^  a 
('  este  con^ejo  saludable  ^  si  me  persuadicrades   cosa 
(f  tanto  honrosa  quanto  segura;  antes  quiero  jo  que 
«  me  lloren  mis  amigos  muerto  con  honra^  que  jo 
«  llore  affrentosamente,  con  hujda  infâme  en  casa^ 
«  tantas  rnuertes  de  tan  grandes  capitanes^,  »  «  Con- 
te sidérant  le  péril  du  dommage  voysin,  tourné  vers 
«  le  marquis,  il  luy  dist  :  «  O  cavailler  valeureux, 
«  c'est  peu  de  chose  pour  un  noble  et  généreux  cou- 
«  rage,  sinon  d'un  fou  du  tout,  contester  si  long- 
ée temps  contre  la  fortune  contraire.  Par  quoy,  cepen- 

1 .  Cavalier  très-noble  et  vaillant. 

2.  Ceci  est  pris  textuellement  de  Vallès,  liv.  I,  cli.  m,  fol.  13. 


36  RODOMONTADES 

«  dant  que  vostre  cheval  est  encor  entier  et  sain  et 
«  que  les  forces  vous  baslent,  vous  vous  devez  déli- 
«  vrer  de  la  mort ,  et  vous  garder  pour  meilleure 
«  advanture.  »  Le  marquis  alors  lu  y  respondit  : 
«  Voluntiers,  mon  grand  amy  et  fidel  Sangro,  j'o- 
«  béyrois  à  ce  conseil  salutaire  que  vous  me  donnez  si 
«  vous  me  persuadiez  chose  autant  honnorable  pour 
«  moy  comme  seure ,  mais  j'ayme  pluslost  que  mes 
i(  amys  me  pleurent  mort  avecques  grande  gloire  et 
«  réputation  que  si  avec  grand'honte  pour  une  vil- 
ce  laine  fuite,  en  ma  maison  retiré,  je  plourois  tant 
«  de  morts  de  tant  de  grands  capitaines  qui  gisent 
«  icy.  ») 

Voylà,  certes,  une  très  belle  et  courageuse  rodo- 
montade, et  à  laquelle,  tout  ainsi  qu'elle  fut  dite,  le 
marquis  ne  faillit  à  l'efFaict;  car,  plustost  que  fuir,  il 
fut  pris  prisonnier  :  observant  en  cela  très  bien  aussi 
sa  devise,  qu'il  avoit  pris  d'un  bouclier,  avec  ces 
mots  :  y^ut  cum  hoc,  aut  in  hoc  \  que  donna  ceste 
brave  mère  d'Esparte  ^  à  son  filz  quand  il  alla  à  la 
guerre,  et  luv  commanda  ou  de  s'en  retourner  hon- 
norablement  avec  luy  en  vie,  ou  bien  porté  dessus 
estandu  mort. 

On  dit  que  Tallebot  le  grand,  quand  il  mourut  à 
Castillon  ^,  dist  à  son  filz  semblables  parolles  aux 
précédentes  pour  se  sauver;  mais  le  filz  ne  voulut 
obéir  au  père,  et  mourut  avecques  luy. 


1.  Ou  avec  ou  dessus.  —  2.  Esparte,  Sparte. 

3.  A  Castillon  d;ms  le  Périgord,  le  17  juillet  \k")^.  Vovez  Paul- 
Éraile,  à  cette  date.  Cf.  la  Chronique  de  Mathieu  d'Escouchy, 
édit.  G.  de  Beaucourt,  t.  II,  p.  41,  note  1. 


ESPAIGNOLLES.  37 

Froissard  ',  parlant  de  la  bataille  [de]  Nicopoly 
contre  les  Tarez,  il  y  eut  un  chevailler  franoois, 
nommé  le  sire  de  Montcaré  *,  vaillant  seigneur  et 
gentil  chevailler,  qui  estoit  d'Artois,  lequel,  quand  il 
veid  que  la  desconfiture  tournoit  sur  les  François, 
il  avoit  là  son  filz  fort  jeune,  il  dist  à  un  sien  es- 
cuyer  :  «  Prends  mon  filz  et  l'emmène;  tu  le  peux 
partir  par  cesle  allée  qui  est  toute  ouverte.  Sauve- 
toy,  mon  fîlz,  et  j'attandray  l'advanture  avec  les 
autres.  »  Ce  sont  les  mesmes  parolles  de  Froissard. 
L'enfant  respondit  que  point  ne  partiroit,  et  ne  lai- 
roit*  son  père  ;  mais  le  fit  tant  à  force,  que  l'escuyer 
l'emmena  et  le  mit  hors  de  péril ,  et  vinrent  sur  le 
Danube  :  mais  l'enfant,  qui  estoit  tout  triste  de  son 
père,  se  noya  par  grand  malheur  entre  deux  barques, 
et  ne  le  peut-on  sauver. 

J'ai  leu  dans  un  livre  espaignol  *,  parlant  de  la 
bataille  de  Pavie ,  de  Galeaz  San-Sevrin ,  qui  estoit 
grand  escuyer  du  roy  François,  que.^  combatiendo  va- 
lerosamentey  miirio  delante  del  rey,  con  honrado  fin 
de  i>ida^  j  satisfizo  lo  que  de*^>ia  a  la  gracia  real,  y  a 
su  honra  esclarescida  ;  et  qualj  cayendo  con  la  cajda 
de  su  cava.llo  ^  huelto  a  don  Guillielmo  de  Langay^ 
noble  cavallerOy  que  lo  que r la  socorrer  en  aquel  es- 
tremo  casOy  le  dixo  :  «  Dexadnie ,  hijo,  gozar  a  lo 
M  menos  de  mi  hado^  y  partios  de  aqui  con  toda  la 
«  presteza  que  pudïeredes ,  y  corred  a  deffender  al 


1.  Voyez  Froissart,  liv.  IV,  ch.  lu,  édit.  du  Panthéon,  p.  263. 

2.  Montcavrel. 

3.  Lairoit,  laisserait. 

4.  Vallès,  liv.  VI,  ch.  v,  fol.  171. 


38  RODOMONTADES 

«  rey;  j  si  us  lihrais  saho  de  la  pelea,  acordar  os  eys, 
«  como  ami  go  y  piadozo,  de  nii  nombre  y  honrado 
((  p,n.  »  Lequel  combattant  vaillamment  mourut  de- 
vant son  roy  par  une  honnorable  fin  de  vie,  sattisfît 
très  bien  de  ce  qu'il  devoil  à  l'amytié  et  bonne  grâce 
que  le  roy  luy  portoit  et  à  son  honneur  très  grand 
tout  ensemble  ;  lequel  tumbant  à  terre  par  la  clieute 
de  son  cheval,  s'estant  tourné  vers  monsieur  de  Lan- 
geay,  gentil  ehevailler  qui  le  vouloit  secourir  en  un 
cas  si  extrême,  luy  dist  :  «  Laissez-moy,  mon  fils, 
«  jomr  au  moins  de  ma  destinée  et  partez  viste  d'icy, 
«  et  avec  le  plus  de  prestezze  que  vous  pourrez,  et 
«  allez  secourir  le  roy,  et  si  vous  eschapez  ceste  mes- 
«  lée  et  ce  combat,  je  vous  prie  de  vous  souvenir, 
«  comme  mon  bon  amy  et  charitable,  de  mon  nom 
«  et  de  ma  fin  honnorable  »  ;  qu'estoit  bien  autant 
à  dire  qu'il  ne  la  celast,  et  la  publiast. 

Ces  rodomontades  et  parolles  graves  sont  belles. 
Mais  encores  plus  est  une  que  prononça  le  marquis 
de  Pescayre  de  cy-devant,  lequel,  allant  un  jour  à  un 
combat  contre  Berthelemy  d'Alviano,  grand  capitaine 
vénitien,  dexando  el  cavallo^  a  pie,  con  una  pica  en  la 
mano,  buelto  atras,  dixo  :  «  Ea,  soldados  !  tened  cuy- 
«  dada  que  si  entrando  jo  en  la  batalla^  querra  mi 
«  Ventura  que  muera  honradamenle  en  ella^  vosotros 
«  no  permitajs  que  sea  antes  hollado  de  los  pies  de 
(c  los  ennemigos,  que  de  los  çuestros.  »  Los  soldados  y 
gritando  animosamente ,  le  respondieron  muy  ale- 
gres,  que  passasse  adelanie  con  buen  animo,  porque 
ellus  estauan  determinados  de  ganar  loor  de  tan  gran 
virtud^  siendo  le  muy  obedientes  como  a  capitan,  y 
como  a  soldado  peleando  esforçadamente  :  y  no  en- 


ESPAIGNOLLES.  39 

gtiùo  et  successo  a  sus  trocadas  esperanças ,  porqiie 
todos  combatieron  miiy  bien  œn  furioso  as  allô  *. 
«  liai  soldats,  ayez  soucy  et  souvenance  que  moy 
M  entrant  en  la  bataille,  si  la  fortune  veuille  que  j'y 
«  meure  lionnorablement ,  que  vous  autres  ne  per- 
ce mettiez  que  mon  corps  soit  plustost  foullé  des 
<(  piedz  des  ennemys  que  des  vostres.  »  Les  soldatz 
alors  avec  un  grand  cry  luy  respondirent  tous  joyeux 
qu'il  passast  et  se  mist  hardiment  devant  avec  son 
brave  cœur,  parce  qu'eux  estoient  tous  résolus  et  dé- 
terminez gaigner  la  louange  d'une  si  grande  vertu, 
luy  estans  très  obéissantz  comm'  à  leur  capitaine, 
et  comme  soldat  aussi  qui,  comme  soldat,  combattoit 
si  bravement  avec  eux  ;  et  qui  fust  le  bon  succez  ^  ne 
les  trompa  point  en  leur  espérance,  parce  que  tous 
combattoient  très  vaillamment  et  emportarent  la  vic- 
toire. )) 

En  ceste  rodomontade  il  y  a  à  remarquer  deux: 
choses  :  l'une ,  qui  se  peut  mieux  représenter  que 
dire,  d'autant  qu'il  se  faut  représenter  que  c'est  une 
grand'gloire  au  soldat,  alors  qu'il  void  son  corronnel 
abbattu  mort  par  terre  à  sa  teste,  qui  '  ne  s'estonne 
point  et  ne  recuUe  point  en  arrière,  mais  pousse  plus 
ad  vaut,  aymant  mieux  fouler  le  corps  de  son  géné- 
ral et  luy  passer  sur  le  ventre  en  vengeant  sa  mort 
vaillamment,  que  si  son  ennemy  venoit  après  trium- 
])liant  et  luy  foulast  le  corps,  et  passant  par  dessus, 
et  suivant  les  autres  siens  ennemis  sans  autre  forme 
de  vengeance;  ce  qui  estoit  certes  très  bien  advisé  et 

1,  Ceci,  sauf  la  dernière  ligne,  est  encore  tiré  de  Vallès,  liv.  I, 
eh.  VIII,  fol.  27. 

2.  Et  fut  le  bon  succès  qui....  —  3.  Qui^  qu'il. 


40  RODOMONTADES 

remonstré  à  ce  grand  marquis.  L'autre  chose  qui  est 
à  noter,  est  que  les  soldatz  disoient  qu'ilz  estoient 
prestz  d'obéir,  non-seuUement  à  leurs  capitaines, 
mais  à  un  soldat  qui  en  vouloit  faire  le  mestier  avec 
eux;  comme  certes  rien  n'anime  tant  le  soldat  que 
quand  il  void  son  corronnel,  son  maistre  de  camp 
et  son  capitaine  faire  de  mesme  comme  luy.  Les  sol- 
datz dudit  marquis  ne  fallirent  pas  à  son  dire,  car  ilz 
firent  si  bien  qu'ilz,  gaignèrent  la  bataille  ;  et  se  list 
que  le  roy  Ferdinand  vouloit  avoir  le  nom,  non-seul- 
lement  des  capitaines  mais  des  soldatz,  et  les  fit 
mettre  par  escrit,  de  façon  que  :  aun  oy  dia^  en  los 
libros  de  los  tesoreroSy  estan  élégante  mente  escriptos 
los  nombres  de  aquellos  soldados  que  en  el  hecho  de 
las  armas  de  Vicenda,  al  rio  B renia,  combatiendo 
en  la  vanguardia,  ganaron  la  batalla  con  marai^illoso 
valor\  «  Encores  aujourd'huy  se  trouve  par  escrit 
dans  les  livres  des  thrésoriers  le  nom  des  soldatz  qui, 
à  Vicence  et  au  fleuve  Brente,  gaignarent  ceste  ba- 
taille avec  une  si  grande  vallem\  » 

Lorsque  ce  grand  roy  d'Espaigne,  qui  fut  l'an  1  588, 
fit  et  dressa  un  si  grand  et  superbe  apareil  de  mer 
contre  l'Angleterre,  après  leur  nauflirage,  je  vis  au- 
cuns soldatz  et  capitaines,  voire  gentilzhommes  es- 
paignolz,  passant  par  la  France  et  tirans  vers  leurs 
pais,  qui  m'en  firent  de  hautz  contes.  Entre  autres 
choses,  ilz  me  faisoient  l'armée  de  six-vinglz  vais- 
seaux, dont  le  moindre  estoit  de  trois  cens  tonneaux. 
Il  y  en  avoit  vingt  de  mille  à  douze  cens  tonneaux, 
dont  il  y  avoit  quatre  ou  cinq  grandes  galléasses  du 

1.  Voyez  Vallès,  ibid.,  fol.  28  v». 


ESPAIGNOLLES.  41 

tout  incomparables;  plus  de  quarante  à  cinquante 
de  sept  à  huict  cens;  si  bien  qu'il  y  avoit  trois  ans 
que  ce  grand  roy  avoit  mis  tous  ses  espritz ,  ses  ef- 
fortz,  ses  desseings  et  ses  moyens  :  et  puis  m'allarent 
dire  ceste  rodomontade,  qu'un  an  ad  vaut  que  l'ar- 
mée partist  du  port,  cl  rey  hcwia  mandado  a  La  gran 
mur  Oceano ,  que  se  apure jasse  para  recebir  en  su 
reyno  j  aguas  sus  i^asselles,  non  propriamenle  K'as- 
selles  y  para  dezir  verdad^  mas  montaignas  de  legne ; 
y  lan  bien  a  lus  i'ientos,  para  cessar  y  callarse,  y  fa- 
^orescer  sin  ninguna  ternpestad  a  la  navigation  de  su 
armada;  la  sombra  de  la  quai  queria  el  que  hiziese 
caer  y  baxar  con  gran  humilidad,  no  solamente  los 
arboles  y  mnsteles  de  los  navios^  nias  las  puntas  de 
los  campanillos  de  toda  V Ingalatierra.  «  Le  roy  d'Es- 
paigne  avoit  commandé  un  an  avant  à  la  grand'mer 
océane  qu'elle  s'aprestast  pour  recepvoir  en  son 
royaume  et  en  ses  eaux  ses  vaisseaux ,  non  pas  pro- 
prement vaisseaux,  pour  dire  le  vray,  mais  des  mon- 
taignes  de  bois,  et  en  manda  de  mesmes  aux  vents 
pour  caller,  se  taire  et  favoriser  à  la  navigation  de 
son  armée,  l'ombre  de  laquelle  il  vouloit  qu'elle  fist 
baisser  et  choir  avec  grand'liumilité  devant  soy,  non 
seuUement  les  arbres  et  matz  des  navires ,  mais  les 
pointtes  des  clochers  de  toute  l'Angleterre.  » 

Certes,  voylà  une  belle  rodomontade  et  menace 
espaignoUe,  si  la  fortune  eust  voulu  favoriser  l'entre- 
prise. Mais  ceste  grand'armée  s'en  alla  en  rien,  moi- 
tié par  la  prévoyance  et  conduicte  de  ce  grand 
capitaine  le  millort  Drap  ^,  l'un  des  plus  grands  capi- 

1.  Drake. 


42 


RODOMONTADES 


tailles  qui  ayt  battu  la  mer  Océane  deux  cens  ans  y 
a,  voyre  et  possible  jamays,  et  moitié  par  les  tour- 
mentes et  vagues  de  la  mer_,  par  troj)  irritées ,  pos- 
sible, des  menaces  qu'on  leur  avoit  fait,  lesquelles 
de  soy  sont  fort  orgueilleuses  et  ne  veiiUent  estre 
bravées  en  nulle  façon.  Rodomonten  sceut  bien  que 
dire.  Lorsqu'il  voulut  passer  d'Afrique  en  Europe_,  il 
se  mist  à  maugréer  Dieu  par  ces  motz  :  Se  gli  è 
alcun  Dio  fiel  cielo^  cliio  nol  so.  Certo,  huomo  non 
è  quiï  habia  ç'isto.  Ma  la  vil gente  lo  crede  per  paara. 
El  mio  buono  brando,  e  la  rnia  armalura^  e  Vanimo 
cKio  ho  sono  il  mio  Dio^.  «  S'il  y  a  aucun  Dieu  au 
ciel,  que  je  ne  sçay  au  vray,  car  il  n'y  a  homme  qui 
l'ait  veu,  mais  la  paouvre  gent  le  croit  par  peur.  Ma 
bonne  espée  et  mes  armes  et  mon  cœur  sont  mon 
Dieu,  w  Force  autres  vilains  et  exécrables  motz  dist-il, 
qui  sont  escritz  dans  Rolland  r Amoureux,  qu'il  vaut 
mieux  taire  que  dire,  tant  ilz  sont  vilains;  et  puis, 
parlant  aux  vens  :  Soffia  el  vento,  se  sai  soffiare  ^  ; 
et  les  brave  et  mesprise,  et  monte  sur  mer,  contre 
l'advis  de  tous  les  pillottes  el  mariniers.  Et,  ce  qui 
est  le  bon,  y  estant^  ne  s'estonne  et  ne  laisse  à  con- 


1.  Voici  le  texte  exact  de  Boiardo  : 

Se  egli  è  alcun  Dlo  nel  ciel,  ch'  io  nol  so  certo, 
La  stassi  ad  alto  e  dl  quà  giù  non  cura. 
Huomo  non  è  che  l'iiabbia  visto  esperto  ; 
Ma  la  vil  gente  crede  clie  per  paura. 
Io  di  mia  fede  vi  ragiono  aperto, 
Che  solo  il  mio  buon  brando  e  l'armatura, 
E  la  mazza,  ch'io  porto,  e'I  destrer  mio 
E  l'animo  ch'io  ho  sono  il  mio  Dio. 

{Oiiando  înnamorato^  liv.  II,  c.  m,  st.  22.) 

2.  Que  lèvent  souffle,  s'il  sait  souffler. 


ESPAIGNOLLES.  43 

tinuer  ces  bravades  et  blaphèmes.  ïoulesfois,  il  y 
fut  bien  secoué,  et  prest  à  périr. 

Ovide*  raconte  qu'Ajax  Oylée  tournant  de  la  guerre 
de  Troye,  son  navire  fut  mené  de  toutes  façons  par 
les  ondes,  les  tempcstes  et  les  ventz,  luy  les  mau- 
gréant et  détestant.  Ledit  navire  vint  à  donner  à 
travers  d'un  escueil,  que  se  brisant,  Ajax  eut  l'adresse 
de  s'en  jetter  soudain  hors  sur  l'escueil,  où,  s'y  agraf- 
fant  des  mains  et  des  ongles,  se  mit  à  maugréer  da- 
vantage. «  En  despit  de  Jupiter  et  Minerve,  dist-il,  je 
«  me  sauverai  des  eaux  de  Neptune.  »  Mais  Jupiter, 
irrité  de  telz  blaphèmes,  envoyé  soudain  son  foudre 
sur  l'escueil,  qui,  s'esclattant  en  deux  partz,  l'une 
demeure  ferme,  et  l'autre,  de  la  salvation  d'Ajax  ^, 
tumbe  dans  l'eau  et  emporte  l'homme,  et  tous  deux 
s'obruarent'  et  sumergearent  ainsi  dans  la  mer,  dont 
il  pensoit  estre  sauvé. 

Quand  les  rodomontades  de  parolles  portent  leur 
coup  et  leur  effect,  [elles]  sont  fort  à  estimer  ;  car  il 
y  a  deux  sortes  de  rodomontades,  l'une  de  parolles, 
et  l'autre  d'efFaitz  :  et  ceste-cy  dernière  mérite  louange 
sur  les  autres,  comme  ceste-cy  que  je  vais  dire,  que 
j'ay  leue  dans  le  livre  de  la  guerre  cC. 4  lie  maigrie,  lliit 
en  espaignol  par  le  seigneur  d'Avilla,  qu'y  estoit  pré- 
sent, et  que  j'ay  veu  confirmer  au  feu  capitaine  Valle- 
frenière ,  gentil  soldadin  s'il  en  fut  onques,  et  qui 


\ .  Ce  n'est  point  Ovide  qui  rapporte  les  circonstances  de  la  mort 
d'Aja.v  que  rappelle  ici  Brantôme.  On  les  trouve  dans  \' Odyssée, 
chant  IV,  vers  399  et  suiv. 

2.  C'est-à-dire  où  Ajax  s'était  sauvé. 

3.  S'obruarent,  s'engloutirent. 


44  RODOMONTADES 

estoit  lors  page  de  dom  Alvaro  de  wSando  en  ceste 
mesme  guerre,  l'ayant  pris  jeune  garçonnet  en  Pied- 
mont,  et  dcspuis  mourut  devant  Bourg-sur-Mer,  te- 
nant le  party  huguenot  :  de  la  perte  duquel  ce  fut 
un  grand  dommage,  car  il  avoit  beaucoup  veu,  et 
croy  qu'il  estoit  des  bons  capitaines  qu'eust  M.  l'ad- 
mirai, et  le  plus  pratic.  L'histoire  raconte  donc  que 
el  emperadur,  viendo  qiC  era  necessario  de  ganar  la 
otra  parte  del  rio  A  Ibis  ^  tantas  vezes  nom  brada  por 
los  antiquos  Romanos ,  y  tan  poca  visto  por  ellos ,  y 
de  los  Espanoles  bien  reconocido  y  segnalado,  j  que 
havia  mandado  que  Varquebuzerîa  usasse  toda  dili- 
gentia^  y  que  passase.  Assi  subitamente  se  desnuda- 
ron  diez  harquebuseros  espagnoles  a  la  vista  del  em- 
perador,  j  estos,  nadando  con  las  espadas  atravesadns 
en  las  bocas,  llegaron  a  algunas  barquas ,  tirando  a 
los  ennemigos  rnuchos  Juirquebuzazzos  de  la  ribera,  y 
ganarofdas ,  y  mataron  a  los  que  habian  quedado 
dentro^  y  assi  las  truxeron.  En  las  quales  passa  thar- 
quebuzerîa,  y  quedo  seiiora  de  la  ribera,  y  los  enne- 
migos conimançaron  del  toda  a  perder  el  anima.  Y 
queriendo  el  braira  emperador  reconoscer  y  galar- 
donar  tan  valientes  soldados,  despues  la  ganada  ba- 
talla,  mando  venir  los  dichos  soldados  adelante  Su 
Magesfad,  y  darles  un  çestido  de  tercïopelo  carmezi, 
olros  dizen  de  grana,  a  su  modoy  y  bien  garnescido 
dora  y  plata^  y  cien  ducados  a  cada  unOj  y  grandes 
ventajas  en  sus  compagnias ;  de  manera  que  assi  se- 
gnalados,  adelante  tado  el  campa^  yçan  braveando  y 
passeanda  con  gran  super bia^  de  manera  que  toda  la 
gente  yua  deziendo  d ellos  :  a  Aqul  esLan  los  bravos  y 
«  determinados  de  las  barcas  ».  (Le  livre  n'en  dit  pas 


ESPAIGNOLLES.  45 

tant*;  mais  ledit  capitaine,  fort  mon  amy,  me  Fa 
conté  ainsi.)  «  L'empereur  voyant  qu'il  estoit  né- 
cessaire de  gaigner  le  passage,  et  l'autre  part  de  la 
rivière  et  fleuve  d'Albis  *  si  souvant  renommé  par  les 
Romains  et  si  peu  veu  d'eux,  mais  fort  bien  recogneu 
et  signalé  des  Espaignolz  (bon  celluy-là  pour  l'bon- 
neur  de  l'Espaignol)  il  commanda  que  l'harquebuze- 
rie  fist  tout  son  devoir  et  dilligence  de  passer  tout 
aussitost  par  delà.  A  sa  veue^  dix  soldatz  espaignolz 
se  despouillarent  tous  nudz  et  teiians  leurs  espées 
de  travers  dans  la  bouche,  abordarent  quelques  bar- 
ques que  les  ennemys  tenoient  et  sautèrent  dedans 
maugré  eux  et  les  harquebuzades  que  l'on  tiroit  de 
l'autre  costé  de  la  rivière^  et  tuarent  ceux  qui  estoient 
dedans  et  puis  emmenarent  les  barques  aux  leurs  qui 
prinrent  là  le  moyen  de  faire  passer  l'iiarquebusc- 
rie  dedans  lesdites  barques  et  à  gaigner  la  rivière,  si 
bien  que  les  ennemis  commançarent  à  perdre  cou- 
rage; dont  après  la  bataille  gaignée  l'empereur  vou- 
lant recognoistre  et  récompenser  de  si  braves  sol- 
datz, il  les  fit  venir  devant  tout  le  camp  et  les  haut 
loua,  et  fit  donner  à  chascun  un  accoustrement  de 
vellours  cramoysy,  d'autres  disent  d'escarlate  à  leur 


1 .  Brantôme  a  non-seulement  allongé ,  mais  arrangé  le  texte 
de  Louis  d'Avila.  Voyez  Comentario  del  illustre  senor  don  Luis  de 

Avila  y  Zuniga De  la  guerra  de  Alemana  ^  hecha  de  Carlo  y 

Maximo,  emperador  romano,  rey  de  Espafîa,  Anvers,  loSO,  in-S", 
f*  83  v",  où  l'on  ne  trouve  rien  sur  la  récompense  donnée  aux 
soldats  par  Charles  V.  Le  texte,  depuis  les  mots  Y  queriendo  el 
bravo  emperador^  appartient  à  notre  auteur  qui  a  mis  en  espagnol 
le  récit  que  lui  avait  fait  le  capitaine  Valfrenière. 

2.  Albis,  l'Elbe. 


46  RODOMONTADES 

mode  (ainsi  qu'ilz  les  apelloient  Jors  tudesquillos ^ 
autres  houraquillos)  et  fort  garny  de  passement  d'or 
et  d'argent,  et  à  cliascun  cent  diicatz  et  grands  ad- 
vantages  parmy  lem^s  compaignées,  de  sorte  qii'estans 
ainsi  signaliez  de  faitz  et  d'habitz,  se  pourmenant 
par  le  camp  se  faisoient  admirer  de  tout  le  monde 
qui  disoit  :  «  Voylà  les  braves  et  déterminez  qui  ont 
gaignë  les  barques.  » 

Je  vous  jure  qu'on  avoit  raison  de  les  admirer,  et 
de  les  apeler  telz  ;  car  leur  acte  estoit  brave  :  et  telle 
rodomontade  valloit  plus  que  cent  de  parolles. 

C'est  assez  sérieusement  parlé  :  retournons  encores 
un  peu  à  la  boullbnnerie  touchant  ces  rodomontades. 

Un  certain  Espaignol,  louant  un'  espée  qu'il  avoit 
à  un  sien  compaignon,  disoit  :  De  cinqiio  que  tengOj 
es  sa  es  en  la  quien  yo  tengo  mas  coii  fiança,  y  la  que 
nunca  me  falto  de  la  mano.  Ëssa  es  la  que  tan  famada 
esta  en  toda  la  tierra;  y  es  la  que  tantas  çezes  me  pi'do 
emprestada  don  Pedro  Recuero  ;  y  esta  misma  es  que 
treyenta  anos  a  esta  parte  no  se  ha  hecho  campo  en 
toda  l' Andelozia,  donde  ella  no  se  haya  hallado;  por- 
que  de  Cordoça,  de  Caliz,  de  Malega,  de  Cartagenaj 
y  de  otras  mâchas  y  dwersas  partes ,  donde  succeden 
algunos  desafios  entre  los  amiqos ,  luego  me  emhian 
por  ella.  Y  cou  esta  fue  con  la  que  înataron  el  sacris- 
tan  de  San-Lucar  :  y  con  esta  cortaron  los  muslos 
a  Navarico,  el  soldado  del  ducque;  y  con  esta  Rava- 
nal  hizo  grandes  cosas  en  Toledo,  al  tiempo  que  don 
Galtero  mato  al  Viscayno  en  el  Alcaçar^  y  non  fue 
otra  cosa  de  su  sahoj  sino  tener  esta  espada  :  y  esta 
es  misma^  por  quien^  ha  un  ano  que  tienen  y  a  por 
costumbre  en  los  desaffos  sacar  por  condicion  que 


ESPAIGNOLLES.  47 

nunguno  lle^e  la  espada  mia;  de  maiicra  qiCcs  tan 
famada  por  todas  las  lier  ras  y  compagnîas,  corne  la 
espada  encantada  de  Roldan,  y  del  rey  Artus.  Que  si 
yo  quiziesse  contar  las  ifirtudes  desta  espada ,  nunca 
acabaria.  «  De  cinq  espées  que  j'ay,  ceste-cy  est  la 
meilleure,  et  celle  en  laquelle  je  me  fie  le  plus,  el 
celle  qui  ne  me  faut  jamais  de  la  main,  et  celle  qui 
est  tant  renommée  par  ceste  terre,  et  celle-là  que  si 
souvant  don  Pedro  Recuero'  m'a  demandé  à  em- 
prumpter,  et  celle-là  mesmes  que  trente  ans  y  a  qu'il 
n'a  esté  fait  combat,  ny  deffit  en  toute  l'Andelouzie 
qu'elle  ne  s'y  soit  trouv^ée;  car  de  Cordonna,  de  Ca- 
lix,  de  Malega,  de  Cartagène  et  d'autres  partz  di- 
verses fois  es  lieux  où  se  doivent  faire  des  combatz  et 
désaffitz,  soudain  l'on  la  m'envoyoit  quérir,  car  c'est 
ceste-cy  avec  laquelle  on  tua  le  sacristant^  de  Sainct- 
Luce,  avec  laquelle  on  coupa  les  deux  jarretz  à  Na- 
varico,  soldat  du  duc,  avec  laquelle  Ravanal  fit  de  si 
grands  cboses  en  ToUède,  du  temps  que  don  Gal- 
tero  tua  le  biscain  en  Alcaçar,  et  rien  ne  fut  cause 
de  sa  salvation ,  sinon  qu'il  avoit  ceste  espée  en  la 
main;  mais  depuis  un  an  elle  a  esté  deffendue,  de 
sorte  que  quand  l'on  vient  en  un'estaquade,  il  faut 
mettre  en  condition  qu'on  n'y  portera  point  mon 
espée  ;  de  manière  qu'ell'est  si  renommée  qu'on  l'es- 
time plus  que  l'espée  de  Rolland  ou  du  roy  Artuz. 
Que  si  je  voulois  conter  les  vertuz  de  ceste  espée, 
jamais  je  n'aurois  fait.  » 

Ceste  espée  me  fait  ressouvenir  d'un  de  nos  vieux 
capitaines  de  Piedmont,  que  j'ay  cogneu,  qui  pour- 

1.  Recuero^  mulelier.  —  2.  Sacristant^,  sacristain. 


48  RODOMONTADES 

tant  ne  faisoit  pas  plus  grands  miracles  de  son  es- 
pée  qu'un  autre,  et  disoit  :  «  Quiconque  aura  affaire 
«  à  moy,  il  faut  qu'il  aye  affaire  à  Martine  que  me 
«  voylà  au  costé  (appellant  son  espée  Martine)  :  et 
«  quiconque  me  la  l^esongnera  (usant  de  l'autre  mot 
«  sallaud  qui  commance  par  f),  qu'il  die  hardiement 
(f  qu'il  aura  bcsongné  la  meilleure  espée  de  France.  » 

Voylà  une  plaisante  louange  d'espée  de  cet  Espai- 
gnolM  Mais  le  gallant  s'oublie  en  cela;  car  il  ne  conte 
point  les  vaillantises  qu'il  a  faites  avecques  ceste  es- 
pée, sinon  celle  des  autres;  mais  il  pourra  dire  que 
si  les  autres  faisoient  si  bien  avecques  ceste  espée 
emprumptée_,  que  infalliblement ,  estant  sienne  et 
entre  ses  mains,  elle  faisoit  rage.  Toutesfois,  il  y  en  a 
aucuns  et  plusieurs  aux  espées  desquelz  ne  faut  attri- 
buer lem's  beaux  faictz  et  vaillantises,  mais  à  leurs 
bonnes  mains  et  braves  courages.  Cestuy-cy,  que  je 
vays  nommer,  se  loue  bien  mieux. 

Il  y  avoit  donc  un  Espaignol  qui  disoit  :  No  saheys 
que  me  acontescio  en  Cordova ,  parque  no  haj  causa 
mas  publica  en  Andelozia^  d'aquel  Francisco  Cordo- 
nerOy  el  quai  hy70  muestra  de  hazer  mano  contra  mi  ? 
No  se  huvo  acabado  de  desembolçer  de  su  capa^  quando 
jo  lo  tenta  con  su  mismo  pugnal  cortada  la  mano  dc' 
recha^  y  claçada  en  cima  del  bodegon  de  Gajetaneto, 
Pero,  ny  por  esso  perdi  la  tierra,  ny  dexe  de  pas- 
searme  par  las  calles  y  rincones^  sin  temer  la  justicia; 
porque  ella  y  la  caresma  no  son  sîno  para  lus  rui- 
nes, vellacoSy  y  desdichados y  de  mas^  siempre  anda- 
ua  yo  bien  armado^  siempre  la  espada  en  la  mano^  y 

\.  L'Espagnol  dont  il  est  question  à  l'autre  page. 


ESPAIOOLLES.  49 

cnn  la  média  vajna^  y  tamhien  nunca  dexava  un  bra- 
quet de  los  Se\'illaiios  de  la  cinta  ;  cou  la  barba  larga^ 
y  cabellos  trasquillados  ;  y  quando  era  me  nés  ter  de 
salir  acompagnadoy  no  me  faltavan  amigos^  que,  a 
medio  repiquete  de  campana,  se  juntavan  trecienlos 
cumpagneros,  y  todos  en  verdad  hombres  de  bien  y  de 
mano.  «  N'avez -vous  jamais  sceu  ce  que  m'arriva 
une  fois  à  Cordova,  car  il  n'y  a  chose  si  publique  en 
toute  l'Andelouzie  de  ce  Francisque  Cordonero*,  le- 
quel fit  monstre  de  venir  aux  mains  avecqiies  moy? 
Il  ne  se  fut  pas  sitost  désemvelopé  de  sa  Cape,  qu'il 
me  trouva  sur  luy,  et  que  de  sa  propre  dague  que  je 
luy  oste,  je  luy  en  coupe  la  main  droicle  et  la  cloue 
aussitost  au-dessus  de  la  porte  du  cabaret  de  Gaye- 
lanet,  et  si  ne  laisse  pour  cela  la  terre,  ny  à  me  pour- 
mener  par  les  rues  et  cantons  sans  avoir  peur  de  la 
justice  ;  car  la  justice  et  le  caresme  (comme  l'on  ditj 
sont  faitz  pour  les  moschans  et  malheureux.  De  plus 
j'allois  toujours  fort  bien  armé,  l'espée  en  la  main 
avec  la  moitié  du  fourreau,  et  le  boucler^  des  meil- 
leurs qui  s'en  trouve  en  Séville,  tousjours  pendu  à  la 
ceinture,  la  barbe  longue  et  les  cheveux  courtz;  et 
quand  j'avois  besoing  d'aller  accompaigné,  je  n'a  vois 
point  faute  d'amis,  car  en  un  demy  son  de  repiquet^ 
de  cloche,  j'avois  toujours  trois  cens  compaignons 
qui  se  venoient  joindre  à  moy,  tous  gens  de  bien  et 
de  main.  » 

Un  gentilhomme  espaignol,  qui  estoil  fort  gros  et 

\ .  Cordonero  signifie  cordier. 

2.  Boucler,  bouclier, 

3.  Repiquet,  carillon;  c'est  le  mot  espagnol  {repiquete)  francisé. 

vu  —  4 


:;0  RODOMONTADES 

gras,  montant  un  jour  le  degré  du  cliasteau  de  Ma- 
dric,  il  y  eut  deux  autres  gentilzhommes  qui  estoient 
au  haut,  qui,  le  voyant  monter,  s'entredirent  assez 
haut  que  l'autre  l'ouit  :  Mira  el  puerco  que  sube. 
a  Voyez  le  pourceau  qui  monte.  »  L'autre,  estant 
monté,  leur  dist  :  Si,  fo  soy  puerco;  mas,  vos  no  me 
matareys,  dist-il  à  l'un,  et  à  l'autre  :  y  vos,  no  me 
comerefs^ .  «  Ouy,  je  suis  pourceau,  mais  vous  ne  me 
tuerez  pas,  »  picquant  l'un,  qu'il  ne  le  tueroit  pas 
pour  son  peu  de  valleur  qu'il  cognoissoit  en  luy;  et 
l'autre,  qu'il  ne  le  mangeroit  point,  d'autant  qu'il 
estoit  soubçonné  d'estre  maranne,  lesquelz  ne  man- 
gent point  de  pourceau. 

Un  médecin  dict  bien  mieux  :  lequel  estant  allé 
voir  un  évesque  qui  estoit  malade,  mais  fort  gros 
et  gras,  et  l'ayant  laissé,  ainsy  que  aucuns  de  ses 
amys,  en  sortant  de  sa  chambre,  luy  eussent  deman- 
dé comment  il  se  portoit,  il  ne  dict  autre  chose,  si- 
non :  Pluguiese  a  Bios  que  fuesse  tal  mi  macho^  ! 

Un  paouvre  diable  espaignol  qu'on  menoit  pendre, 
ainsi  que  le  cordeiller  l'admonestoit  de  son  salut,  et 
luy  demandoit  s'il  ne  s'estoit  pas  bien  tousjours  sou- 
venu d'un'oraison  qu'il  luy  avoit  apris,  et  s'il  ne 
l'avoit  pas  tousjours  dicte,  laquelle,  la  disant  tous  les 
jours,  il  ne  mouroit  jamais  de  feu  ny  d'eau,  et  si 
sçauroit  le  jour  de  sa  mort;  le  gallant,  tout  prest  à 
estre  jette  au  vent,  luy  respondit  arrogamment  :  Fa- 
te  al  diablo,  segnor  frajle^  que   tan  bien  aveys  pro- 


i  .  Et  vous,  vous  ne  me  mangerez  point. 

2.  Plût  à  Dieu  que  mon  mulet  se  portât  aussi  bien. —  Ce  para- 
graphe manque  dans  le  manuscrit. 


ESPAIGNOLLES.  51 

phetizailo,  y  tan  mal  ma  sej\'(do  lu  ovation  ;  porquc 
no  muero  en  fuego  ny  agua,  mas  en  cl  ajre,  que  es 
peor,  f  tan  bien  yo  sabese,  y  cognosco  el  dia  de  nii 
muevte.  «  Au  diable  soyez-vous  donné,  monsieur  le 
moyne,  que  si  bien  a^ous  avez  prophetizé,  et  tant 
mal  m'a  servy  votre  oraison,  car  je  ne  meurs  ny  dans 
le  feu,  ny  dans  l'eau,  mais  en  l'air  qui  est  pis,  et  si  je 
sçay  bien  à  ceste  heure  et  cognois  fort  bien  le  jour 
de  ma  mort.  »  Et  ainsi  mourut-il.  Ce  conte  tient 
pluslost  de  la  plaisanterie  que  de  la  rodomontade; 
et  l'ay  plus  tost  escrit  que  pensé  :  toutesfois  je  no 
m'en  repens,  car  il  n'est  point  mauvais. 

Un  capitaine  espaignol  estant  un  jour  allé  voir  une 
courtizane,  sa  dame,  à  Tolledo,  elle  luy  pensant  re- 
monstrer  qu'il  ne  venoit  à  la  bonne  heure,  d'autant 
qu'à  telle  heure  du  soir  passoient  et  repassoient  trois 
braves  et  rodomontz  de  la  court,  tous  couvertz,  et 
leurs  rondelles  en  la  main  chascun,  qui  estoient  les 
deux  Pymantelz  et  don  Juan  de  Guzman,  il  luy  res- 
[)ondit  en  bravant  :  Que  vengan,  que  vengan  estos 
bravos  di  cor  te  ^  j  de  las  mas  pintndos  ^  tan  bien 
arodelados  !  Que  vive  a  DioSy  sus  rodelas  y  broqueles 
no  me  espantan,  ny  mas  ny  menos  que  los  cosseletes 
y  harquebuzes  de  cien  enemigos  en  campagnia.  Y  si 
vie  ne  n,  yo  les  mostrare  quan  peligrosa  cosa  es  de 
tocar  a  mis  amores.  «  Qu'ilz  viennent,  qu'ilz  vien- 
nent, ces  braves  et  mauvais  et  des  mieux  painctz  de 
la  court,  qui  sont  si  bien  couvertz  de  leurs  rondelles 
et  boucliers,  ilz  me  font  autant  de  peur  que  les  cor- 
celletz  et  harquebuz  de  cent  ennemis  en  campaignc  ; 
que  s'ilz  viennent,  je  leur  fairay  sentir  combien  la 
chose  est  périlleuse  de  toucher  à  mes  amours.  »  Mais 


ri2  RODOMONTADES 

le  bon  fut  ainsi  comm'  il  l)ravoit,  les  voycy  venir 
toucher  à  la  porte  avccques  grand'rumeur  de  leurs 
armes,  ce  que  luy,  entendant  le  bruict,  il  dist  à  sa 
dame  :  Se/îora,  i^ran  locura  séria  y  trato  d'un  atre- 
vido  temerario  y  ignnro  de  las  armas  ,  d'un  solo 
acometer  a  très  :  y  por  esso,  mejor  es  por  my  de  re- 
cognoscer  la  puer  ta  por  detras  ;  y  me  recoger^  y  me 
salvar  faera.  «  Seignore,  ce  seroit  une  grand'  follie, 
traict  d'un  prësumptueux  téméraire  et  qui  ne  sçait 
que  c'est  que  des  armes,  d'un  seul  entreprendre  à  se 
battre  contre  trois,  et  par  ce,  il  est  meilleur  pour  moy 
que  je  recognoisse  un  peu  la  porte  de  dernière  *  et 
me  retire  et  me  sauve.  »  Je  tiens  ce  conte  de  M.  de 
Savoye,  qui  en  sçavoit  de  fort  bons,  et  les  racontoit 
bien  quand  il  vouloit. 

Et  certes,  ce  capitaine  avoit  raison,  après  avoir 
bien  pensé  en  son  fait,  de  se  desdire  de  sa  bravade 
et  se  retirer  de  bonn'heure;  car  ces  Pimentelz  es- 
toient  des  fandans  de  la  court  de  l'empereur,  et  des 
plus  accomplis  et  adroitz.  Ce  furent  ces  deux  qui  se 
firent  tant  signaller  en  tous  les  tournois  et  combatz 
cellebrez  en  Flandres  pour  la  réception  du  roy  d'Es- 
paigne^,  et  mesme  don  Alonso  l'aisné,  ainsi  que  j'ay 
leu  et  ouy  raconter  à  madame  de  Fontaines,  l'une 
des  honnestes  dames  de  France,  qui  estoit  lors  fille 
de  la  reyne  Eléonor  et  se  nommoit  Torcy.  Du  despuis 
ce  don  Alonzo  fut  envoyé  visce-roy  à  la  Gollette,  où 
il  fut  accusé  de  sodomie,  et  pour  ce  sentencié.  Sur- 
quoy  un  gentilhomme  françois,  que  je  cognois,  de- 

•f .  De  dernière,  de  derrière. 

2.  Voyez  tome  III,  p.  91  et  suiv. 


ESPAIGNOLLES.  53 

mandant  une  fois  à  Rome  à  un  Espaignol  de  la  mort 
dudit  Alonzo,  lors  il  luy  respondit  naïfVement  : 
Seilor,  fue  quernado^  porque  era  bujarroiij  conio  por 
Ventura  Vaessa  Merced.  «  Il  fut  brûlé  parce  qu'il  es- 
toit  bougeron  comme  par  advanture  vous  pourriez 
estre.  »  Ce  qui  fut  tourné  en  risée,  voyant  la  naïfveté 
dont  usoit  en  son  parler  ledit  Espaignol,  et  aussi  que 
ledit  e^entilhomme  estoit  soubconné  de  ce  vice^ 

Ce  capitaine  espaignol  précédent  tenoit  de  l'hu- 
meur et  opinion  d'un  autre  qui  disoit  :  Mas  quiero 
yo  que  de  mi  diga  la  gente  :  «  aqui  un  tal  hujo,  »  que 
«  aqui  un  talmurio.  »  <.<  J'aime  mieux  que  le  monde 
dise  de  moy  :  un  tel  fuist,  que  si  l'on  disoit  :  en  un  tel 
lieu  il  mourut.  »  Celluy-là  voloyt  vivre  à  bon  esciant. 

Un  soldat  espaignol,  descouvrant  et  racontant  un 
jour  une  demie  douzaine  de  blessures  ou  harquebu- 
zades  qu'il  avoit  receues  à  la  guerre,  l'une  prise  au 
siège  de  Parpignan,  l'autre  à  la  Goullette,  la  troisies- 
me  à  Serizolles,  la  quatriesme  à  une  rencontre  en 
Piedmont,  et  la  cinquiesme  à  la  reprise  de  Casai;  et, 
venant  à  la  sixiesme,  monstrant  une  grand'  ballaffre, 
et  faisant  la  mine  de  mesmes,  qu'il  avoit  tout  le  long 
du  visage,  il  dist  :  Y  esta  me  la  dio  por  delras  un  bu- 
jarron  Italiano,  que  me  pesa  mas  que  todas^  porque 
luego  que  me  la  dio,  hujo  y  escapo  de  mis  manos,  de 
tal  manera  que  no  le  piule  alcançar ,  y  se  tiens  tan 
segreto  y  escondldo  de  my^  fj^'<^'f  ^^^^  aiîos  que  voj 
biiscando  por  el,  sin  poder  hallarlo.  Mas,  vice  Dios  ï 
que  si  yo  le  topo,  aunque  fuesse  entre  los  braços  de 

1 .  D'après  cette  phrase,  ce  gentilhomme  ne  peut  être  Brantôme, 
comme  nous  l'avions  supposé  ailleurs.  Voyez  t.  I,  p.  323,  note  1. 


54  RODOAIONTADES 

Belzebut,fo  le  dare  tantos  palos  a  la  turquesqua^  q^jo 
le  Jiare  morir  buen  marlyr.  «  Et  ceste-cy  me  la  donna 
lin  bougre  italien  par  derrière,  qui  me  pèse  plus  que 
toutes  les  autres,  parce  que  tout  aussitost  qu'il  me 
la  donna,  il  se  mit  en  fuite,  de  sorte  que  je  ne  peuz 
jamais  l'attaindre;  et  si  se  tient  si  secret  et  cache  de 
mov  que  je  ne  le  puis  trouver,  et  si  je  le  vois*  cher- 
chant il  V  a  plus  de  deux  ans;  mais  je  vous  jure  bien 
que  si  je  le  rencontre  jamais,  fust-il  entre  les  bras  de 
Belzébut,  je  luy  donneray  tant  de  coups  de  baston  à 
la  turquesque  fqui  est  à  dire  par  le  ventre),  que  je  le 
fairay  mourir  bon  martyr.  » 

Un  de  nos  capitaines  l'rançois  dist  bien  mieux  une 
fois,  menassant  un  sien  ennemy  :  «  Je  luy  donray 
«  tant  de  coups  de  baston  que  je  l'en  fairay  mourir  : 
ft  et,  quand  il  sera  mort,  je  le  fairay  escorcher,  et 
«  corroyer  sa  peau;  si  bien  que  j'en  fairay  un  tabou- 
ce  rin,  que  je  fairay  encor  batre  vingt  ans  après,  afin 
«  qu'il  se  souvienne  de  moy  en  l'autre  monde.  •» 

En  tournant  de  Malte,  nous  autres  François  qu'y 
estions  allez  pour  le  siège ,  nous  rencontrasmes  en 
Toscane,  à  nostre  chemin,  un  soldat  espaignol  de 
moyen  aage  et  de  fort  belle  façon,  comme  certes  de 
ceux-là  il  ne  s'en  trouve  qui  l'ait  mauvaise;  mais 
pourtant  fort  mal  mené  de  sa  personne,  et  bien  des- 
chiré.  M.  de  Lansac  et  moy  nous  nous  mismes  à  luy 
demander  d'où  il  venoit.  Il  nous  respondit  qu'il  ve- 
noit  de  la  guerre  d'Hongrie,  et  que  nouvelle  volunté 
luy  avoit  pris  d'aller  chercher  loingtaine  advanture 
par  les  armes,  encores  qu'il  fust  du  tout,  disoit-il, 

\ .   l'ois,  vais. 


ESPAIGNOLLES.  5S 

riiinco  par  las  (irrjias,  u  rompu  pour  les  armes  »  ;  se 
repentant  pourtant  fort  du  voyage,  pour  n'avoir 
trouvé  en  ces  pais  aucune  courtoisie,  tant  la  gent  y 
estoit  barbare  et  rude.  Puis,  en  ayant  assez  dit  de 
mal,  il  eut  ceste  superbetté  de  ne  nous  demander  l'au- 
mosne  scelon  la  coustume  des  autres  paouvres;  mais, 
])ar  ces  motz  nullement  ne  vergoigneux  ne  piteux,  il 
nous  dist  :  «  Senores,  Vuessas  Mercedes  consideran 
con  poca  pesadiuubre  *  que  si  fuessen  en  mi  lugar,  lo 
cjiCliavt'iaii  da  nieuester  para  passar  su  cainino^  yo^ 
si  fuesse  en  el  çuestro  lugar,  lo  que  les  daria  de  buena 
caridad  y  gana ,  para  soccorru  de  vuestras  necessita- 
des.  «  Messieurs,  considérez  avec  quelque  peu  de 
poix,  si  vous  autres  estiez  en  ma  place  ce  que  vous 
auriez  de  besoing  pour  passer  chemin,  et  moy  si 
j'estois  en  la  vostre  ce  que  je  vous  donrois  de  bonne 
charité  et  volunté  pour  le  secours  de  vos  nécessitez.  » 
Aboyez  quelle  gloire  et  quelle  industrieuse  façon  de 
demander  l'aumosne  sans  faire  le  gueux  et  du  que- 
mant  !  Je  vous  laisse  à  penser  si  nous  en  rismes  et  si 
nous  en  fismes  le  conte  ailleurs  :  et  si  n'y  a  pas  long- 
temps que  nous  le  fismes  à  M.  de  Guyse,  Lansac  et 
moy,  qui  m'en  fit  souvenir,  dont  son  excellence  en 
rist  bien  ;  et  mesmes  que ,  veu  ceste  gravité  et  façon 
altière,  nous  eusmes  honte  de  luy  donner  peu  :  mais 
chascun  de  nous  luy  bailla  un  double  ducat;  encor 
le  maraut  en  fit  peu  de  conte,  disant  que  no  basta- 
r km  para  sejs  pastos"',  et  que  si  nous  luy  voulions 
donner  un  laquais  jusques  à  Naples,  qu'il  le  nous 

i.  Voy.  p.  3,  note. 

2.  Qu'ils  ne  suûiraient  pas  pour  six  repas. 


56  RODOMONTADES 

rendroit  :  et  Dieu  seait^  le  maraut,  s'il  eust  tenu  la 
parolle,  et  nous  autres  plus  à  deloysyr*  que  de  luy 
donner  ledit  laquays,  non  pas  pour  cent  fois  autant. 
Asseurez-vous  pourtant  que  nous  menasmes  bien  le 
conte. 

11  est  pareil  à  un  que  m'a  conté  un  gentilhomme, 
lequel,  se  pourmenant  une  fois  dans  Rome,  à  Ve^- 
\vài\e^  de  populo^ ^  toute  nuict  noire,  avec  un  autre 
gentilhomme,  voicy  venir  un  Espaignol  assez  bien 
en  poinct,  qui  les  vint  accoster  par  telles  parolles: 
Seî^nores,  la  nocJie  ni  a  tal  [avorecido  de  topar  a  k>os- 
otrus  geiiiiles  Franceses ,  para  siipiicarlos  d'hai^er 
lastima  de  mi,  pobre  y  misera;  porque ,  de  dia,  por 
todo  el  thesoro  del  mundo,  no  queria  muestrar  a  la 
gente  mi  miser ia;  f  por  esso  siiplico  à  Vuessas  Mer- 
cedes que  me  alargueii  sus  libérales  y  largas  manos 
franceses.  «  Messieurs,  la  nuict  m'a  tellement  favo- 
risé de  vous  rencontrer  vous  autres  gentilz  François 
pour  vous  prier  d'avoir  pitié  de  moy  paouvre  et  misé- 
rable, d'autant  que  [de  jour]  pour  tout  le  trésor  du 
monde,  je  ne  voudrois  monstrer  ma  misère;  et  pour 
ce,  je  vous  suplie  que  vos  mains  françoises  tant  lar- 
ges et  libéralles  s'estendent  sur  moy.  » 

Voylà  de  mes  mandians  secretz  et  honteux  ;  et,  au 
partir  de  là,  qui  les  verra  au  jour  en  public,  ilz  fai- 
ront  des  braves ,  ne  faut  point  dire  comment ,  et  si 
ne  craindront  de  dire  :  Pesé  a  tal  que  somos  hydal- 
gos  coniel  rej,  dineros  menos.  «  Nous  sommes  gen- 


\.  Je  crois  que  le  sens  est  :  Dieu  sait....  si  nous  autres  nous 
aurions  été  bien  avisés  de  lui  donner  ledit  laquais. 

2.  Estrade,  rue,  de  l'italien  strada.  —  3.  Del  popolo. 


ESPAIGNOLLES.  î>7 

tilzhommes  comme  le   roy;    il   est   vray   que   nous 
n'avons  pas  tant  d'argent.  )> 

Telz  mandians  ne  sont  point  pareilz  à  sept  ou  huict 
que  je  vis  une  fois  à  Séville,  lesquelz,  venans  des 
Indes,  et  ayant  fait  un  fracas  de  leur  navire  \  et 
s'en  estant  sauvez  au  mieux  qu'ilz  avoient  peu,  ne 
craignoient,  se  pourmenant  par  la  ville ,  à  faire  en- 
tendre au  peuple  leurs  honnorables  nécessitez  par  ces 
parolles  :  Ea  !  segnores,  tengaii  Viiessas  Mercedes  las- 
tima  iV estas  pobr es  soldados  f  ninrineros,  desbarala- 
dos  f  faligados  de  la  rnar  y  delïhambre^  çenieiido  de 
tierras  desiertas,  comiendo  culebras  y  lezardos^y  liasla 
las  siielas  de  çapatos  cocidas  :  en  comniendanios  nos 
la  buejia  gente  que  les  hagaii  la  caridad  al  nombre  de 
Dlos.  «  Hé  !  messieurs,  ayez  pitié  de  ces  paouvres  sol- 
datz  et  mariniers  ruinez  et  fatiguez  de  la  mer  et  de  la 
fain,  venant  des  terres  désertes,  mangeant  les  coul- 
leuvres  et  lézards,  jusques  aux  semelles  de  nos  soul- 
liers  cuites,  nous  recommandons  à  la  bonne  gent  que 
nous  fassent  aucune  charité  au  nom  sainct  de  Dieu.  » 

Un  soldat  espaignol  se  plaignant  de  sa  paouvretté, 
disoit  que  son  père  avoit  eu  de  grands  moyens  en 
son  temps  ;  rnas  que  los  hai>ia  gaslado  en  fiestas^  tor- 
neos ,  recocijos ,  juegos ,  bayles  y  triunfos.  <(  Mais 
qu'il  les  avoit  tous  gaslez  en  festes,  tournois,  esba- 
temens  et  dances  et  triumphes.  » 

J'ay  ouy  dire  à  un  vieux    soldat  espaignol  que  le 


1.  Ayant  fait  un  fracas  de  leur  navire,  c'est-à-dire  ayant  fait 
naufrage.  Ces  deux  locutions,  étymologiquement  parlant,  sont 
identiques  :  fracaso,  en  espagnol,  signifie  chute  suivie  de  rupture. 

2.  Lézardas,  il  faudrait  lai^artos.  —  Voyez  p.  3,  note. 


yS  RODOMONTADES 

rov  François,  quand  il  estoit  piisonnier  en  Espaigne, 
il  estoit  fort  songneusement  gardé  de  si\  eompaignies 
de  vieux  soldatz  espaignolz,  et  par  Allarcon,  grand 
capitaine  en  qui  l'empereur  se  tioit  fort,  leur  com- 
mantlaiU  :  Quel  rey  Francisco ,  par  su  passatiempo^ 
acostumbrava  sembrar  adelante  los  soldados  de  su 
guardia  los  escudos  de  oro,  co/t  tanlo  nienosprecio  de 
su  fortunn  présente,  rpie  los  soldados^  accarlciandolo, 
soierK'ia  j  impiatnenle  se  quexavan  de  Dios,  porque  et 
rej  Francisco  no  era  su  seitor,  para  conquisfar  todo 
el  mundo,  o  porque  ellos  teniendo  licencia  del  einpe- 
rador,  libres  de  juramento,  no  conibatian  sie/ido  el  su 
capilan  :  tanto  quel  segnor  don  Alarcon^  capitan  de  su 
gardia,  fue  forçado  refrenar  la  cortezia  y  liberalidad 
del  rejj  y  la  familiaridad  de  los  soldados.  «  Le  roy 
François,  pour  son  passetemps,  avoit  quelquefois  ac- 
coustumé  jetter,  semer  devant  les  soldatz  de  sa  garde 
force  escus  au  solleil  avec  si  grand  mespris  de  sa  for- 
tune présente  qu'il  ne  s'en  soucioit,  si  bien  que  les 
soldatz  pour  l'en  caresser  superbement  et  par  trop 
iniquement  se  plaignoient  de  Dieu ,  de  quoy  le  roy 
François  n'estoit  leur  seigneur  pour  conquester  tout 
le  monde,  ou  bien  qu'eux  fussent  libres  de  leur  ser- 
ment de  fidellité  qu'ilz  prestoient  à  l'emjjereur,  ne 
combatissent  soubz  luv  estant  leur  général  ;  de  sorle 
que  Alarcon,  capitaine  de  la  garde,  oyant  telles  pa 
rolles  fut  contraint  faire  cesser  ceste  libérallité  au  roy, 
et  aux  soldatz  empesclier  et  deft'endre  de  converser 
si  famillièrement  avec  le  roy  »;  ce  qu'il  avoit  raison; 
car  la  conséquence  s'en  fust  emprès  ensuivie,  le 
voyant  après  si  libéral^  et  eux  si  afïectionnez  à  louer 
sa  libérallité  et  ne  la  relFuser  point,  et  aussi  qu'ilz 


ESPAIGXOLLES.  59 

l'avoieiît  veu  si  vaillant  et  si  généreux ,  et  faire  si 
généreusement  en  la  bataille ,  et  n'avoient  encores 
ny  veu  ny  senty  ce  que  l'empereur  sçavoit  faire  :  car, 
comme  j'ay  dit,  bien  tard  se  mit-il  à  se  mettre  en 
campaigne;  si  bien  que  l'un  estoit  tout  fait  desjà,  que 
l'autre  estoit  tout  neuf.  \Ln  quoy  nous  nocterons  aussi 
que  le  naturel  de  l'Espaignol  est  fort  avare ,  et  ay- 
mera  mieux  la  bource  de  son  ennemy  où  il  n'y  aura 
que  deux  escus,  ou  une  petite  rançon ,  que  de  le 
tuer,  comm'en  toutes  les  guerres  où  ilz  ont  estez 
c'est  apareu  ;  car  les  Espaignolz  desroboyent,  et  les 
Tudesques  tuoient. 

Un  Espaignol  voulant  monstrer  sa  grand'puis- 
sance  qu'il  avoit  en  sa  ville,  où  il  se  tenoit,  il  disoit: 
Esta  en  mi  niano  meter  Motos  en  la  tierra,  j  puedo 
pregonar  vino  y  vende r  vinagre,  y  salir  nie  con  todo 
esto.  «  Il  est  en  ma  main  de  mettre  les  Mores  en  ceste 
terre,  et  si  puis  faire  crier  du  vin  et  ne  vendre  pour- 
tant que  du  vinaigre  et  m'en  sortir  avec  cela.  » 
Voylà  un  gallant  qui  avoit  beaucoup  d'authorité  en 
sa  ville,  et  la  vantoit  très  bien  et  glorieusement! 

Comme  j'ay  dict  cy-devant  qu'aucuns  soldatz  es- 
paignolz ont  esté  insolentz  de  paroiles  à  leur  empe- 
reur, sur  quoy  il  me  souvient  d'avoir  leu  en  un  livre 
espaignol  *,  et  l'avoir  ouy  confirmer  à  deux  vieux 
gendarmes    françois,    qu'estant  Anthoyne    de  Lève 

\.  Ce  livre  est,  sans  aucun  doute,  l'ouvrage  de  Vallès;  mais, 
dans  les  divers  passages  où  il  parle  de  l'administration  d'Antoine 
de  Lève  à  Milan,  nous  n'avons  pas  retrouvé  les  phrases  citées 
plus  haut.  Brantôme,  ici  comme  ailleurs,  a  mélangé  et  rédigé  en 
espagnol  le  souvenir  de  ses  lectures  et  de  ce  qu'on  lui  avait  ra- 
conté. 


60  RODOMONTADES 

une  fois  dans  Milan  pressé  pour  le  payement  de  ses 
soldatz,  tant  Espaignolz  que  Tudesques,  et  ne  sça- 
chant  de  quov  faire  argent,  il  s'advisa  que  ninguno 
pudiesse  coser  pan^  teiier  liarina  en  su  casa  sino  los 
que  fuH'iaii  arrendado;  y  a  estos  les  hazia  pagar  par 
cada  carga  très  ducados  de  derechos  :  con  esta  mo- 
neda  pago  abundamenie  los  Tudescos  y  Espagnoles. 
«  Que  aucun  ne  peust  faire  pain  ny  tenir  farine  chez 
soy,  sinon  ceux  ausquelz  il  avoit  arrantë  ',  et  à  ceux 
leur  faisoit  payer  pour  chasque  charge  trois  ducatz 
de  droit^  et  avec  ceste  monnoye,  il  en  paya  fort  bien 
les  Tudesques  et  Espaignolz.  »  A  quoy  fut  une  risée 
parmy  les  Espaignolz,  et  mocquerie,  qu'ilz  se  mirent 
à  apeller  l'empereur  emperador  Carlos,  senor  fornero. 
tt  l'empereur  Charles,  monsieur  le  fournier.  m  Mais 
pourtant  la  risée  se  tourna  après  contr'eux  ;  car  on 
se  mit  à  les  apeler  soldados  de  la  pagnota,  «  soldatz 
de  la  pagnotte^  »  ;  ce  qui  leur  estoit  le  plus  grand 
despit  que  pour  lors  l'on  leur  peust  faire,  et  la  plus 
grande  injure  qu'on  leur  eust  peu  dire  :  et  voylà 
d'où  est  venue  la  première  dérivation  des  soldatz  de 
la pagnotte ;  dont  despuis  s'est  ensuivy  que  les  soldatz 
qui  ne  vivoient  d'aucunes  payes  que  du  pain  de  la 
munition,  et  mesmes  depuis  en  Piedmont,  on  les  ap- 
pelloit  de  ces  temps  soldatz  de  la  pagnotte.  Or,  faut 
noter  que,  quelque  temps  après,  l'empereur  Charles 
s'estant  sorty  de  son  Espaigne  et  mis  en  campaigne, 
il  produisit  tant  de  braves  fruictz  de  luy  et  de  sa  val- 

\.  Jrranté ,  affermé.  C'est  le  mot  espagnol  [arrendado)  fran- 
cisé. 

2.  En  italien  pagnoUa  signifie  à  la  fois  petit  pain  et  sot. 


ESPAIGNOLLES.  61 

leur,  que  les  soldalz  espaignolz  se  mirent  à  dire  en 
riant  parmy  eux  :  Juro  a  Dios,  que  agora  no  somos 
mas  soldados  del  emperador  fornero,  mas  del  empe- 
rador  giierrero.  n  A  ceste  heure  ne  sommes-nous  plus 
soldatz  de  l'empereur  fournier,  mais  de  l'empereur 
guerrier.  »  Et,  certes,  il  l'estoit,  et  très-bon  :  aussi  le 
pensoit-il  bien  eslre,  ainsi  qu'il  se  vanta,  à  son  retour 
du  voyage  de  la  GouUette  à  Rome,  devant  Sa  Sainc- 
tetë  et  tout  le  sainct  collège  des  cardinaux,  où  il  dé- 
chiffra si  bien  le  roy  François,  et  le  brava  et  le  mena- 
ça, jusques  à  dire  :  Yo  lo  forçare  y  mètre  a  tal  punto 
de guerra^  que  serK'ira  para  accabar  elpostrero  capitulo 
de  los  Illustres  desdichados  de  Bocacio.  «  Je  le  mettray  à 
un  tel  poinct  de  la  guerre  qu'il  servira  pour  achever  le 
dernier  chapitre  des  Illustres  malheureux  de  Bocace  •.  » 
D'autant  que  Bocace  en  a  fait  un  livre,  où  il  exprime 
la  grandeur  d'aucuns  grands,  et  leur  déclinaison^  par 
amprès.  Ceste  rodomontade  estoit  belle,  si  le  fait 
l'eust  accompaignée  ;  mais  il  s'en  fallut.  Le  voyage 
de  Provance  qu'il  entreprit  et  rompit  par  sa  courte 
honte,  avec  son  grand  conseiller  Anthoyne  de  Lève, 
qui  en  fut  auteur;  mais  il  y  fut  bien  attrapé  par  l'ad- 
vis  du  prince  de  Melphe,  grand  capitaine  et  très- 
renommé  certes ,  qui ,  le  voyant  après  la  prise  de 
Foussan  vouloir  venir  à  Thurin  (belle  butte  d'expé- 
rance  pour  estre  pris,  s'il  y  tournoit  visage  comme  il 
vouloit),  le  fit  advertir  par  un  espion,  faisant  du  bon 
vallet  à  l'empereur,  et  luy  monstrer  qu'il  luy  vouloit 
faire  un  bon  service,  et  qu'il  dressast  ses  dessains 

1 .  C'est  le  livre  intitulé  :  De  caxibux  illustrium  virorum. 

2.  Déclinaison,  déclin. 


62  RODOMONTADES 

vers  Provance,  et  principallement  vers  Marceille,  où 
il  faisoit  très-bon,  n'y  ayant  personne  pour  le  sous- 
tenir,  ce  qu'il  eusl  aisément  fait.  Ledit  Antlioine 
de  Lève,  voyant  les  choses  facilitées  par  ledit  prince 
contre  l'opinion  de  tous,  il  persuada  l'empereur  ce 
proget,  qui  réussit  mal,  dont  il  en  mourut  de  des- 
pit.  Ledit  Anthoine  de  Lève  fit  là  une  grand'faute  de 
prendre  advis  et  conseil  de  son  ennemy  '. 

Ce  que  ne  fit  pas  Assanagas,  Espaignol  reignié^, 
que  Barberousse  avoit  laissé  dans  Alger  pour  gouver- 
neur et  son  lieutenant,  lorsque  l'empereur  l'alla  as- 
siéger; et  l'ayant  envoyé  sommer  et  luy  remonstrer 
qu'il  ne  sçauroit  mieux  faire  en  toutes  sortes  que  de 
n'attendre  la  furie  d'un  siège,  mais  de  rendre  la  ville 
sans  autre  cérémonie,  il  respondit  :  Nunca  peor  cosa 
fue^  que  towar  consejo  de  su  enueînigo.  Que  si  me 
couse jnrades  de  no  rendïr  la  devra ,  yo  la  reuderia; 
mas  pues  rjue,  coma  enemigo^  me  aconsejajs  de  la 
render,  jo  no  quiero  quitarla,  «  Il  ne  fut  jamais  pire 
chose  que  de  prendre  conseil  de  son  ennemy  et  le 
croire;  de  sorte  que  si  vous  me  conseillez  de  ne  la 
rendre  point  je  la  rendrois  y,  mais  puisque,  comme 
ennemy,  vous  me  conseillez  et  invitez  de  la  rendre, 
je  ne  la  rendray  point.  »  Et  dist  bien  mieux  : 
«  Avecques  quoy,  vous  autres,  qui  bravez  et  me- 
«  nassez,  me  pensez-vous  prendre  et  faire  tant  de 
«  mal?  —  Avec  tant  de  gens,  de  moyens  de  guerre 
«  que  nous  avons.  —  Et  moy,  respondit-il,  j'en  ay 
«  de  mesmes  céans,  et  de  ce  qu'il  me  faut  pour  me 

\.  Voyez  t.  I,  p.  176,  et  P.  Jove,  liv.  XXXV. 
2.  Reignie,  renégat. 


ESPAIGNOLLES.  63 

«  flofTendre  de  vous  autres*.  »  Ha!  quel  renégat  et 
eunuque  tout  ensemble  ! 

Il  avoit  bien  raison  de  parler  si  bien  et  de  faire 
encore  mieux  :  ce  qui  doit  bien  servir  d'exemple  et 
d'advis  à  force  capitaines  qui  ont  gardé  des  places^ 
de  peur  qu'ilz  ne  se  laissent  aller  aux  douces  som- 
mations, blandisses-  et  belles  parolles  que  leur  disent 
et  envoyent  ceux  de  dehors  pour  les  attirer  à  se 
rendre  à  eux  :  et  faut  qu'ilz  bouschent  leurs  oreilles, 
comme  on  fait  au  chant  des  scraynes^;  car,  s'ilz  se 
laissent  glisser  le  moins  du  monde  dans  le  conseil  de 
leur  ennemy,  les  voylà  perduz  et  déshonnorez  pour 
tout  jamais  :  ainsi  que  je  sçay  d'un  gentilhomme  de 
par  le  monde,  lequel,  estant  dans  un  chasteau  de 
Guienne*,  le  plus  fort  qu'il  y  ait  esté  il  y  a  trois  cens 
ans,  luy  tenant  le  party  de  ceux  de  la  relligion,  après 
la  bataille  de  Montcontour,  fut  envoyé  sommer  et 
presclier  par  un  gentilhomme  sien  parent ,  qui  luy 
donna  tant  du  bec  et  de  l'esle,  que,  misérablement, 
et  à  sa  grand'honte  et  confusion,  il  rendit  la  place 
par  ceste  seuUe  sommation  et  conseil;  place  si  forte, 
que,  cinq  ans  après,  estant  au  mesme  estât,  fut  as- 
saille d'un  grand  prince,  lieutenant  de  roy,  qu'il  ne 


1.  Voyez  P.  Jove,  liv.  XL. 

2.  Blandisses,  caresses,  hlanditix. 

3.  Serayne,  sii'ène. 

4.  Il  s'agit  du  château  de  Lusignan  que  le  capitaine  calviniste 
Mirambeau  rendit  aux  catholiques  en  1569,  à  la  sollicitation  de 
son  proche  parent  Lansac.  «  Cela  ne  lui  fit  pas  honneur,  dit  de 
Thou  (liv.  XLVI),  et  il  en  fut  depuis  blâmé.  »  Brantôme  a  parlé 
ailleurs  de  la  prise  du  château  par  le  duc  de  Montpensier  en  1574. 
(Voyez  t.  V,  p.  16  et  suiv.) 


6i  RODOMOMADES 

sceut  forcer  ny  avoir  de  trois  mois,  encor  à  grand'- 
peiiie,  et  par  une  honnorable  composition.  Ce  qui 
devoit  estre  une  grand'honte  à  ce  gentilhomme,  qu'on 
disoit  de  luy  par  risée  que,  pourquoy  il  avoit  rendue 
ainsi  aisément,  ce  n'estoit  pas  faute  de  munition  ny 
vivres,  car  il  en  avoit  ce  qu'il  en  falloit,  mais  parce 
qu'il  n'avoit  pas  de  moustarde  pour  manger  son 
bœuf  sallé.  J'ay  peur  de  m'estre  un  peu  extravagué 
de  mon  premier  dessain  :  mais  pourtant  j'y  tourne 
encor,  méritant  excuse,  car  ma  digression  n'a  point 
estée  mal  à  propos  ny  innutille,  et  aussi  qu'un'autre 
fois  je  l'eusse  oubliée. 

Le  marquis  de  Pescayre,  ayant  assiégé  une  place 
nommée  Pisquiton',  en  l'estat  de  Milan,  il  y  eut  de- 
dans très  arcabuseros  excellentisimos  defensores , 
puestos  en  mira  de  un  lugar  secreto  del  niuro,  teninn 
ojo  si  verian  parescer  ahgun  espaîiol  en  quien  des- 
armasse n  los  arcabuzes  près  lamente  con  tiros  cier- 
tos  :  y  assi  fue^  que  aviendo  cajdo  muertos  subita- 
mente  muy  maltratados  el  capitan  Busto  j  el  capltan 
Mercado^  assestando  ja  el  tercero  diligenternente 
contra  el  marques  de  Pescara,  y  queriendo  dar  fuego 
a  su  arcabuZy  de  presto  un  capitan  de  Pavia,  llama- 
do  el  Fratino,  hechandole  la  mano,  le  quito  la  mecha 
encendida ,  gritando  a  grandes  vozes  :  «  No  quiera 
«  Dios,  que  oy  par  nuestra  crueldad^  muera  el  mas 
«  esforçado  capitan  que  K>ive ,  padre  de  los  soldados^ 
«  y  el  que  nos  manliene^  aunque  le  seamos  enemi- 
«  gos:  mas  antes  le  conser\>emos  la  s-ida^  porque  nos- 

\ .  Pizzighitone.  —  Tout   ce  passage   est  emprunté   à  Vallès , 
liv.  III,  ch.  I,  f"  74. 


ESPAIGNOLLES.  Gn 

«  otros  f/ue  viçirnos  ganando  sueldo ,  no  nnirianios  de 
M  hamhre  en  una  paz  négligente  y  perezosa.  »  «  Il  y 
eut  dedans  trois  harquebuziers  très  exellens  qui  s'es- 
toient  mis  en  mire'  derrière  une  cannonière  fort  se- 
crette  pour  faire  chascun  son  coup  sur  l'Espaignol 
qu'iiz  voyoient  bien  à  propos  et  sans  coup  faillir; 
dont  il  y  eut  deux  capitaines  l'un  nommé  le  Bust  et 
l'autre  Mercado  qui  tumbarent  tous  deux  mortz.  Le 
troisième  ainsi  qu'il  estoit  prest  d'en  faire  autant  au 
marquis  de  Pescayre,  il  y  eut  un  capitaine  de  Pavie, 
nommé  le  Fratin,  qui  courant  à  grand'haste  et  ostant 
la  mesche  allumée  de  dessus  la  serpentine,  se  mit  à 
crier  tout  haut  :  «  Ah  !  jà  Dieu  n'advienne  qu'au- 
c(  jourd'huy  par  une  trop  grande  cruauté  meure  le 
«  plus  grand  capitaine  qui  vive  aujourd'huy_,  lequel 
«  est  père  des  soldatz  et  lequel  nous  maintient,  en- 
«  cores  que  nous  soyons  ses  ennemys;  mais  il  luy 
«  faut  conserver  la  vie^  affin  que  nous  autres  qui  vi- 
ce vous  bien  en  gaignant  et  tirant  solde,  ne  mourions 
«  de  fain  en  une  paix  négligente  et  paresseuse.  » 
Ainsi  luy  fut  sauvé  la  vie.  Il  avait  raison  de  parler 
ainsi,  car,  comme  ennemy  de  paix  et  grand  amy  de 
guerre  et  d'ambition,  il  leur  entretenoit  toujours  leur 
gaigne-pain. 

Et  ce  fut  pourquoy  M.  le  mareschal  d'Estrosse, 
ayant  esté  un  matin  salué  par  deux  cordelliers  de 
ces  motz  :  Dio  vi  donna  la  pace^ ,  il  leur  respondit  : 
Et  Dio  vl  tolga  il purgalorlo^\  comme  disant  :  «  Si  vous 
me  donnez  ce  souhait  de  mallédiction,  à  me  dési- 

1 .  En  mire,  à  l'affût. 

■2 .  Dieu  vous  donne  la  paix  !  — 3 .  Et  Dieu  vous  ôte  le  purgatoire  ! 

VII    —   o 


66  RODOMONTADES 

rer  la  paix,  je  vous  donne  un'  autre  de  mcsme_,  de 
vous  oster  le  purgatoire.  »  Car  l'un  vit  de  la  guerre, 
et  l'autre  vit  des  pratiques  qui  proviennent  de  ce 
qu'on  donne  pour  les  âmes  du  purgatoire  :  de  façon 
que  l'un  et  l'autre  étoient  quiètes  de  là. 

Et  eertes,  je  trouve  que  le  capitaine  Fratin  avoit 
raison  de  sauver  la  vie  à  un  tel  capitaine;  car  il  n'y 
arien  qui  nourrisse  mieux  le  soldat,  de  quelque 
party  que  soit,  qu'un  brave  capitaine  guerrier  et 
ambitieux  ;  car  il  n'ayme  non  plus  la  paix  ny  le  repos 
que  le  soldat. 

Lorsque  ce  grand  capitaine  feu  M.  de  Guyse, 
François  de  Lorraine,  mourut  à  Orléans,  quasi  aus- 
sitost  après  sa  mort  la  paix  fut  faite.  Je  veidz  force 
soldatz,  tant  d'un  party  que  d'autre,  le  plourer  ex- 
trêmement, pour  avoir  perdu  leur  père  nourrisson. 
Et  si  vous  diray  que  j'y  vis  plusieurs  soldatz  de  la 
relligion,  qui  estoient  dans  Orléans,  le  regretter  au- 
tant ou  plus  que  les  autres;  d'autant  que  la  pluspart 
d'eux  estoient  tous  vieux  soldatz,  et  de  ceux  qui 
avaient  combatu  soubz  luy  aux  guerres  passées  es- 
trangères  :  car  les  huguenotz,  en  ceste  guerre,  avoient 
enlevé  avecqu'  eux  la  plus  belle  voilée  des  vieux 
soldatz,  d'autant  qu'ilz  avoient  les  devantz  et  en 
avoient  fait  leur  provision  devant  nous  :  et  iceux 
soldatz  l'aymoient  et  lionnoroient  très  fort,  et  pour 
ce  le  regrettoient  ;  et  aussi  qu'ilz  ne  sça voient  où 
prendre  party  et  tirer  solde,  et  demeuroient  en  fris- 
che,  non  comme  ceux  du  roy,  qui  furent  plusieurs 
apoinctez;  car  force  compaignées  furent  envoyées 
aux  garnisons.  Voylà  comment  ce  grand  capitaine 
fut  regreté  autant  des  soldatz  de  l'ennemy  que  des 


ESPAIGNOLLES.  67 

siens  :  car,  pour  en  parler  sainement,  le  soldat  n'ad- 
vise  pas  quel  vent  tire  sur  le  droit  et  sur  le  tort  de  la 
guerre,  mais  où  il  yaà  gaigner;  et  qui  luy  ouvre  les 
moyens  pour  avoir  du  pain,  celluy-là  est  son  père. 
Aussi  ne  faut-il  doubter  que  si  feu  M.  de  Guyse  ne 
fust  esté  tué,  encor  que  la  paix  eust  esté  laite,  il 
vouloit  fort  faire  la  guerre  à  l'Angleterre  où  il  avoit 
de  fort  grands  dessins  :  et,  pour  ce,  ces  soldatz  di- 
soient que,  tant  qu'il  vivroit,  ilz  n'auroient  jamais 
manque  de  moyens  :  ce  qui  est  très  certain.  Un  grand 
capitaine  disoit  «  qu'un  soldat  sans  guerre  est  une 
cheminée  sans  feu,  en  esté.  » 

Pour'  quant  au  purgatoire,  cela  est  assez  certain 
que  la  practique,  l'autorité  et  la  prééminence  en  est 
du  tout  attribuée  aux  gens  d'église,  ainsi  que  le  con- 
firma le  pape  Alexandre^,  Espaignol,  à  qui,  comme 
un  jour  aucuns  cardinaux  des  siens  eussent  remons- 
tré  une  grande  faute  d'un  sien  peintre,  qui  avoit 
peint  l'enfer  au  naturel,  et,  là  dedans,  parmy  les 
empereurs,  roys  et  papes^  il  y  avoit  peint  et  repré- 
senté au  vif  Sa  Saincteté,  et  qu'il  falloit  punir  le 
peintre  ou  l'en  faire  effacer  du  tout  de  la  peinture, 
il  leur  respondit  de  sang-froid  :  Ciertamente,  no 
tengo  jo  podcr  para  sacar  a  nad'ie  del  in  fier  no  ;  a 
estar  en  et  purgatorio^  bien  le  podiera  yo  hacer^.  Je 
l'ay  ouy  dire  ainsy  à  un  moyne  espaignol;  et,  quand 
il  le  fau droit  monstrer  par  escrit  et  imprimé,  je  le 


1 .  Cet  alinéa  manque  dans  le  manuscrit. 

2.  Alexandre  VI  (Borgia). 

3.  Certainement  je  n'ai  pouvoir  de  tirer  personne  de  l'enfer.  Si 
c'était  du  purgatoire,  bien  pourrais  je  'e  faire. 


68  RODOMONTADES 

monstrei'ois  bien  en  quelque  petit  recoing  d'un  petit 
livret*.  Ce  pape  en  disoit  bien  d'autres,  dont  je  n'en 
parle  pas,  car  il  n'estoit  pas  bon  François. 

Don  Louys  d'Avilla  estant  assiégé  dans  la  citadelle 
d'Anvers,  lorsqu'il  fallut  sortir  et  forcer  les  retran- 
chemens  de  la  ville,  entre  autres  belles  paroles  qu'il 
dist  à  ses  soldatz,  fut  ceste-cy  :  Ea^  soldadosl  es  nie- 
iiester  mostrar  en  este  lugar  su  çirtud^  como  en  un 
muj  afaniado  teairo  de  las  cosas  de  la  guerra. 
H  Ha  !  soldatz ,  il  faut  montrer  en  ce  lieu  sa  vertu 
comm'  en  un  très-renommé  théâtre, des  choses  de  la 
guerre.  » 

Avant  donner  la  bataille  de  Pavye,  le  marquis  de 
Pescayre  dist  et  commanda  au  marquis  del  Gouast, 
con  gesto  sei'ero  y  aîiimoso,  pero  alegre  :  primo  es 
menés  ter  ganar  este  lugar  de  Mirabel,  con  vuestra 
virtud,  haziendo  todo  su  esfuerço  :  que  si  las  manos^ 
lo  quai  Dios  no  quiera^  no  bastaren  contra  el  ene- 
migo  tant  as  \'ezes  vencido,  hazed  que  los  cuerpos  mu- 
riendo  con  mucha  honra,  loqual  deven  a  los  animas 
valorosos,  vengandose  del  enemigo,  se  satisfàgan  nO' 
hlamente^.  «  Mon  cousin,  il  faut  gaigner  ce  lieu  de 
Mirabel  avec  vostre  vertu  et  avec  tout  l'effort  que 
vous  pourrez;  que  si  les  mains  n'y  peuvent  baster 
(ce  que  Dieu  ne  veuille!)  contre  l'ennemy  tant  de  fois 
vaincu,  il  faut  nommément  que  les  corps  en  mou- 
rant avec  grand'gloire  (ce  qu'ilz  doivent  aux  courages 


\ .  Ce  livret,  que  Brantôme  ne  veut  pas  nommer,  est  proba- 
blement un  pamphlet  protestant  ;  mais  je  n'ai  pu  le  découvrir. 

2,  Ceci  est  pris  à  peu  près  textuellement  dans  Vallès,  liv.  VI, 
ch.  IV,  f"  16J  v°. 


ESPAIGNOLLES.  G  9 

généreux)  en  se  vengeant  de  Tennemy  le  récompen- 
sent noblement  et  généreusement.  » 

Geste  bataille  perdue  pour  nous,  ce  dit  parmy  les 
Espaignolz  que  Sa  Majesté  ayant  esté  prise,  et  le  mar- 
quis del  Gouast,  au  retour  de  la  chasse  de  quelques 
Souysses,  ayant  sceu  la  prise,  vint  dans  le  mesme 
champ  de  bataille  saluer  Sadicte  Magesté  avec  lui 
très-grand  honneur  et  respect,  chassant  d'allentour 
de  luy  une  troupe  infinie  de  soldatz,  qui  le  pres- 
soient  et  l'importunoient  de  toutes  partz;  et  après 
luy  avoir  aporté  toutes  ces  belles  raisons  qu'il 
pouvoit,  pour  le  consoUer  sur  son  désastre,  et  surtout 
luy  allégant  la  bonté  de  l'empereur,  le  roy  luy  res- 
pondit  avec  ces  belles  parolles  et  dignes  à  remar- 
quer, dont  je  m'estonne  que  nos  escrivains  Fran- 
çois n'ont  touché  ces  gentilles  particullaritez  et 
parolles ,  et  qu'il  faille  que  les  emprumptions  des 
estrangers.  Je  le  diray  premièrement  en  espaignol  : 
Yo  hauia  determinaduy  mariendo  honradamenie  con 
los  annados ,  librar  tni  anima  d'esta  tan  gran  as- 
pereza  de  mis  cosas,  par  no  quedar  vivo  ^  despues  de 
/lai'er  muerto  tantos  capitanes  mios  muy  esclaresci- 
dos  :  pero  la  forluna  que  ja  de  mucho  tiempo  es  aspe- 
rissimamente^  y  a  gran  tuerio  muy  eneniiga  a  nues- 
tro  nombre ^por  gaardar  la  vida  a  mi  pesar^  para  un 
espectaculo  de  escarnio  y  hurla  ^  y  no  ha  querido  que 
yo  muriesse  muerle  muy  honrada.  .4  lo  menos,  cou 
solo  esto  consolare  a  mi  mismo  acordandome  de  una 
tan  gran  perdida^  que  de  oy  adelante  no  temereya  mas 
ninguna  injuria  ni  fuerça  de  fortuna,  porque  aviendo 
sido  ella  cruelissima  siempre  y  furiosa  y  nunca 
jamas  ahundantemente  harta  par  tantas  desventuras^ 


70  RODOMONTADES 

agora  finalmeiite  avra  a  pagado  el  resta  de  su  odio  en 
esto  publico  lloro  de  toda  la  Francia,  j  postrera  per- 
d'ida  min  par  el  caso  de  tan  grande  desventurà^.  «  Je 
m'cstois  résolu  et  déterminé  que  mourant  honnora- 
blemenl  parmy  les  armes ,  je  me  peusse  dellivrer  et 
mon  esprit  d'une  si  grande  asprezze^,  et  surchargé  de 
mes  affaires  pour  ne  demeurer  en  vie,  après  avoir 
veu  devant  mes  yeu\  tant  de  braves  et  vaillans  capi- 
taines des  miens  estanduz  mortz  autour  de  moy; 
mais  la  fortune  qui  de  long  temps  m'est  si  cruelle,  et 
à  grand  tort  grand'ennemie  de  mon  nom  pour  me 
conserver  la  vie  à  mon  très  grand  regret,  et  pour 
servir  d'espectacle  d'une  moquerie  et  dérision,  n'a 
pas  voulu  que  je  mourusse  d'une  mort  honnorable. 
Pour  le  moins  en  cela  auray-je  occasion  de  me  con- 
soller  en  moy-mesme  que,  me  souvenant  et  mettant 
devant  mes  yeux  souvant  ma  grand'  perte,  que  d'au- 
jourd'huy  en  avant  je  ne  craindray  aucune  injure  ny 
force  de  la  fortune,  j)arce  que  m'ayant  esté  toujours 
très  cruelle  et  furieuse ,  ny  jamais  assez  souUe  ha- 
bondamment  de  tant  désadvantures qu'elle  m'a  donné, 
elle  aura  finallement  payé  le  reste  de  son  hayne  en 
ceste  publique  plaincte  et  deuil  de  toute  la  France  et 
dernière  perte  mienne  par  le  cas  et  advènement 
d'une  si  grande  désadvanture.  » 

Voylà  certes  de  belles  parolles,  et  brave  résolution 
d'un  si  magnanime  roy  à  ne  se  soucier  plus  de  la 

1.  Voyez  le  ch.  viii  du  liv.  VI  de  Vallès,  f*  175  :  De  lo  que 
dixo  el  re  de  Francia  al  marques  de  Guasto.  —  Nous  en  avons 
donné  le  texte  au  tome  III,  Appendice^  p.  442. 

2.  Asprezze^  âpreté.  C'est  le  mot  espagnol  (aspereza)  que  Bran- 
tôme a  francisé. 


ESPAIGNOLLES.  71 

fortune,  puisqu'cU'avoit  achevé  de  vomir  son  venin 
sur  luy  *en  ceste  si  grande  perte  et  déconvenue.  Telles 
paroUes  toucharent  si  fort  au  cœur  des  soldatz  qui 
estoient  à  l'entour,  qu'ilz  se  mirent  tous  à  plorer 
et  admirer  ce  grand  roy.  Cela  se  tient  et  se  dit  par- 
my  les  Espaignolz. 

J'ay  *  traduict  en  françois  ces  mots  précédens  espai- 
gnolz, et  non  poinct  les  autres  ;  car  il  faut  croire  que 
le  roy  les  prononça  tous  en  françois,  et  les  Espai- 
gnols  l'allarent  traduire  en  leur  langue. 

Sur  quoy  j'ay  pris  ce  subject  de  faire  ce  discours, 
pour  noter  que,  bien  que  ce  grand  roi  parlast  force 
langues,  comme  la  latine,  l'espaignolle  et  l'italienne, 
il  voulait  toujours  porter  tant  d'honnem*  à  la  sienne, 
qu'il  la  préféroit  à  toute  autre  et  ne  vouloit  laisser 
en  arrière,  pour  faire  marcher  devant  l'estrangère. 
Aussy,  ainsy  que  j'ay  ouy  dire  à  feu  M.  de  Lansac,  le 
bon  homme,  qu'il  est  bien  tousjours  meilleur,  plus 
séant  et  plus  grave,  quand  un  roy  parle  de  grandes 
choses  devant  les  estrangers,  et  mesmes  ses  compai- 
gnons,  roys  et  princes,  faut  qu'il  parle  son  vrai  lan- 
gage, sans  s'abaisser  et  se  contraindre  jusques-là  de 
parler  celuy  de  son  compaignon,  et  contenter  ses 
oreilles  comme  s'il  luy  vouloit  servir  de  truchement. 

L'empereur  en  monstra  un  très  bel  exemple  en 
cela,  lorsqu'il  fut  à  Rome,  et  parla  devant  le  pape, 
les  cardinaux,  les  ambassadeurs,  et  qu'il  brava  tant, 
par  trop  enorgueily  de  sa  victoire  de  Tliunis  et  de  la 
Collette.  Il  Y  eut  les  deux  ambassadeurs   de  nostre 


i .  Les  huit  alinéas  suivants  jusqu'à  Quand  le  roy  Henry  IP^ 
p,  76,  manquent  dans  le  manuscrit. 


72  RODOMONTADES 

roy,  l'un  vers  Sa  Saincteté,  l'autre  vers  Sa  Césarée 
Majesté,  qui  luy  remonstrarent  de  ne  parler  poinct 
espaignol_,  mais  autre  langue  plus  intelligible.  Il  res- 
pondit  à  M.  l'ëvesque  de  Màcon  ',  comme  au  princi- 
pal, à  cause  du  rang  qu'il  tenoit  vers  Sa  Saincteté,  et 
marchoit  devant  M.  de  Velly,  qui  estoit  près  Sa  Ma- 
jesté, et  ce  avecques  un  certain  dédain  :  Seiîor  obispo, 
entiendame  si  quiere ;  j  no  espère  de  mi  otras  pala- 
bras que  de  mi  lengua  espaiiola^  la  quai  es  tan  noble, 
que  merece  ier  sabida  j  enlendida  de  toda  la  gente 
christiana  *. 

Il  y  eut  bien  là  de  la  natreté  à  l'empereur;  car,  s'il 
eust  voulu,  il  eust  fort  bien  parlé  François  ou  italien 
au  pays  et  au  lieu  où  il  estoit,  voir  allemand  et  fla- 
mand, son  pays  natal,  s'il  eust  fallu;  et  il  les  eust 
bien  rendus  à  quia,  car  il  sçavoit  toutes  ces  langues; 
mais  il  ne  voulut  parler  que  l'autre,  possible  pour 
faire  despit  à  ces  messieurs  les  ambassadeurs  et  à  au- 
cuns cardinaux  françois  et  autres  partisans  du  roy; 
ou  bien  le  fit-il  par  un  desdain  et  bravade  et  osten- 
tation, pour  honorer  mieux  sa  langue  et  aussi  (ainsy 
que  j'ay  dict)  que  ceste  langue  est  fort  bravasclie  et 
fort  propre  pour  menaces.  Ce  monsieur  l'ambassa- 
deur eut  tort  en  cela;  car  il  le  devoit  laisser  parler, 
et  l'escouter  et  l'entendre  bien,  et  puis  le  payer  de 
mesme  monnoye,  et  luy  faire  sa  response  en  françois, 

1,  Charles    Hemard    de    Denonville.    —    Voyez   P.    Jove , 
liv.  XXXV. 

2.  Monsieur  l'évêque,  comprenez-moi  si  vous  voulez,  mais  n'at- 
tendez point  de  moi  d'autres  paroles  qu'en  ma  langue  espagnole, 
qui  est  si  noble,  qu'elle  méx'ite  d'être  sue  et  comprise  de  toute 
la  chrétienté. 


ESPAIGNOLLES.  73 

sans  descouvrir  son  asnerie;  mais  possible  n'eust-il 
peu  entendre  son  discours  ainsi  espaignolisé.  Ainsi 
les  fautes  que  luy  et  son  compaignon  lirent,  et  qui 
cuydarenl  porter  préjudice  à  nostre  roy,  en  font  foy 
de  cela.  J'en  ay  escrit  assez  dans  le  discours  que  je 
fais  de  ce  grand  roy'. 

Tant  y  a  que  ces  ambassadeurs  et  autres  qui  tien- 
nent leur  place  ont  grand  tort  et  grand'honte  de 
n'apprendre  les  langues  pour  s'en  servir  au  besoing, 
comme  estoit  celuy-là;  et  monstrent  bien  qu  ilz  sont 
de  grandz  veau\ ,  qui  ne  sçavent  et  ne  parlent  que 
leur  langue  de  veau.  Et  ressemblent  un  certain  éves- 
que  de  France,  qui  alla  au  concile  dernier  de  Trente 
sans  argent  et  sans  latin,  et  retourna  de  mesmes. 
Quel  embarquement  sans  biscuit,  et  quel  retour 
aussi  !  Que  diable  peuvent  faire  ces  gens  qui  n'ont 
nul  exercice  plus  honorable  pour  eux  que  d'es- 
tudier,  et  ne  sçavoir  que  leur  langue;  car,  quant  à 
la  latine,  le  temps  passé  n'en  sa  voient  guères;  les 
autres  qui  crachoient  quelque  latin,  c'estoit  quelque 
latin  de  brevière^,  mal  raffiné  et  tamisé.  D'autres 
l'ont  peu  bien  parler,  mais  c'estoient  des  oyseaux 
rares,  ainsi  que  fit  M.  le  cardinal  de  Bellay,  quand 
il  harangua  le  pape  Clément,  au  lieu  de  Poyet,  qui 
fit  le  sot,  et  perdoit  l'honneur  de  la  patrie  sans  ce 
grand  cardinal,  qui  rabilla  tout.  Pour  le  temps  d'au- 
jourd'hui, nos  prélats  se  sont  ravisez,  qui  comman- 
cent  à  tirer  des  armes  et  à  desgainer  le  latin.  Dieu 
mercv  les  huguenots,  qui  leur  ont  tant  faict  la  guerre 
qu'ilz  les  ont  aguerris  et  de  mesmes  armes  qu'ilz  les 

i.  Voyez  t.  III,  p.  99  et  suiv.  —  2.  £revière,  bréviaire. 


74  RODOMONTADES 

avoient  battus  d'autrefois,  maintenant  les  battent; 
dont  c'est  bien  employé.  Que  diroit-on  d'un  certain 
ambassadeur  françois  que  j'ay  cogneu?  Luy,  ayant 
demeuré  six  ans  en  Espaigne,  en  retourna  en  par- 
lant aussi  mal  la  langue  comme  si  jamais  il  n'y  eust 
esté;  et  disoit-on  qu'il  ressemble it  le  perroquet  de 
Madame  de  Brienne,  qui  avoit  demeuré  vingt  ans  en 
cage,  et  n'avoit  jamais  peu  apprendre  à  parler  un 
seul  mot  ;  proverbe  ancien  du  temps  des  roys  Fran- 
çois et  Henry,  nos  grands  roys,  et  qu'on  practiquoit 
à  la  cour  envers  ceux  qui  n'avoient  rien  appris  ny 
rien  sceu  dire. 

Or  pour  reprendre  encore  mon  discours,  M.  de 
Lansac  disoit  qu'il  est  très  nécessaire  qu'un  ambas- 
sadeur entende  et  parle  le  plus  de  langues  qu'il  peut, 
pour  s'en  servir  à  la  nécessité  aux  lieux  où  il  sera,  et 
mesme  pour  l'espaignolle,  latine,  françoise  et  ita- 
lienne ;  car  pour  les  autres  elles  sont  difficilles,  et 
pour  ce  ilz  en  sont  excusables  ;  mais  pour  ces  quatre, 
ilz  en  doivent  estre  taxez  et  blasmez  s'ilz  ne  les  sça- 
vent,  non  pas  pour  les  practiquer  ordinairement  et 
en  faire  litière,  comme  on  dict,  mais  pour  quelques 
fois,  pour  la  nécessité,  pour  la  gentillesse,  pour 
l'honneur,  pour  la  gloire,  voire  pour  quelque  osten- 
tation, et  pour  dire  que  l'on  en  sçait  d'autant. 

Et  plus  en  doivent  faire  nos  grandz  roys  et  princes, 
qui  doivent  toujours  honorer  leurs  langues;  et,  quant  ^ 
aux  estrangères,  il  les  faut  réserver  pour  manière  de 
devis,  de  causeries,  de  motz  à  propos,  de  gaudisse- 
ries,  bravades  et  gentillesses,  afin  que  d'autant  plus 
ilz  se  rendent  admirables  de  sçavoir  plus  que  leur 
langue  naturelle,  ainsi  que  faisoit  ce  grand  roy  Fran- 


ESPAIGNOLLES.  75 

cois,  qui,  aux  gmiidz  allaircs,  ne  se  defl'erroiL  jamais 
de  son  beau  parler  franoois,  et  n'en  parla  autre  de- 
vant le  pape  Clément,  le  pape  Paul,  à  Marseille  et  à 
Nice,   et    avecques   l'empereur  Charles  passant    en 
France.  La  reyne  de  Navarre  sa  sœur,  si  sça vante  et 
bien  disante,  bien  qu'elle  sceust  parler  bon  espai- 
gnol  et  bon  italien,  s'accommodoit  toujours  de  son 
parler  naturel  pour  choses  de    conséquence;   mais 
quand  il  falloit  en  jetter  quelques  motz  à  la  traverse 
des  joyeusetez  et  gallanteries,  elle  monstroit  qu'elle 
sçavoit  plus  que  son  pain  quotidien.   Nostre  grand 
roy  Henry  II  parloit  si  bien  espaignol  qu'homme  de 
son  royaume,  pour  avoir  esté  assez   en   aage  dans 
l'Espaigne  et  en  ostage  pour  l'apprendre;  mais  il  ne 
parloit  jamais  que  son  François  avecques  les  Espai- 
gnolz,  mesmes  quand  il  y  alloit  d'affaires  d'impor- 
tance, mais  pour  dire  le  mot,  et  de  faire  une  ren- 
contre espaignolle,  il  la  faisoit   fort  bien  et  de  fort 
bonne  grâce.  La  reyne,  sa  femme  et  mère  de  nos 
roy  s,   parloit  encore   fort  peu   son   toscan  avecques 
ceux  de  sa  nation  pour  grandz  affaires,  ainsi   que  le 
roy  son  mary,  portant  en  cela  l'honneur  qu'elle  de- 
voit  au  royaume  où  elle  aA^oit  pris  sa  grandeur  et 
bonne   fortune.    La  reyne  Marguerite    sa  fille,   bien 
qu'elle  entende  la  langue  italienne  et  espaignolle  et 
qu'elle   les   parle    aussi   disertement   comme    si  elle 
avoit  esté  née,  nourrie   et  eslevée  toute  sa  vie  en 
Italie  et  Espaigne,  elle  en  use  de  pareille  façon  en  de 
grandes  choses;  mais  pour  alléguer  de   belles  ren- 
contres et  gentilz  passages  et  bien  dire  les  motz,  elle 
n'en  cède  à  aucune  personne,    aussi  bien  qu'en  sa 
langue  françoise,  tant  elle  a  l'esprit  grand  et  subtil. 


76  RODOMONTADES 

Nous  autres  petilz  compaignons,  si  nous  sçavons  ces 
langues,  il  est  très-bon  que  nous  les  parlions  et  les 
practiquions;  mais  il  les  faut  sçavoir  ])arraitement 
pour  ne  nous  faire  moequer  si  nous  y  faillons  :  aussi 
si  nous  nous  en  sçavons  acquitter  très-bien,  nous 
nous  en  rendrons  bien  plus  aimez,  honnorez  et  esti- 
mez_,  tant  à  l'endroict  des  plus  petitz  qu'à  l'endroict 
des  grandz;  ainsi  que  m'arriva  une  fois  parlant  au 
roy  d'Espaigne',  qui  fit  plus  d'estime  de  moy  qu'il 
n'eust  fait  quant  il  m'entendit  parler  sa  langue,  ainsi 
quej'ay  dict  ailleurs  :  comme  de  vray,  pour  lors  je 
la  parlois  très  bien,  et  s'en  estonna,  et  m'en  fit  très 
bonne  chère.  Il  faut  que  je  me  vante  de  cela  en  passant. 

Or,  pour  faire  fin,  j'allongerois  volontiers  ce  dis- 
cours (qui  est  très  beau)  si  j'estois  aussi  capable  et 
aussi  bien  disant  que  ledict  M.  de  Lansac,  duquel 
j'en  tiens  la  plus  grand'  part  :  car  il  s'entendoit  très 
bien  en  telles  matières  pour  avoir  esté  par  diverses 
fois,  et  pour  le  moins  trente  fois,  en  divers  lieux  et 
ambassades  durant  sa  vie.  Je  ne  passe  donc  plus 
avant,  de  peur  de  m'enrayer,  et  retourne  à  d'autres 
rodomontades,  bien  marry  d'avoir  esté  si  long  en  ce 
discours. 

Quand  le  roy  Henry  IP  assiégea  la  ville  de  Dinant*, 
il  la  fit  battre  si  furieusement  que  ceux  de  dedans, 
n'attandant  que  l'assaut  général  et  leur  totalle  ruyne, 
ne  se  voulant  trop  opiniastrer,  advisarent  d'envoyer 

i .  Philippe  II. 

2.  En  1554.  — Nous  ne  savons  en  quels  termes  Romero  "a  i^a- 
conté  son  histoire  à  notre  auteur;  mais  ce  que  nous  pouvons  dire 
c'est  que  le  re'cit  de  Brantôme  ne  nous  paraît  être  qu'une  ampli- 
fication de  celui  de  de  Thou  (liv.  XIIÏ). 


ESPAIGNOLLES.  77 

vers  Sa  Magesté  le  capitaine  du  chasteau  et  un  capi- 
taine de  la  ville  pour  parlamenter,  ausquelz  fut  ac- 
cordé que,  rendant  la  place  et  y  laissant  l'artillerie, 
s'en  yroient  vies  et  bagues  sauves,  avecquesl'espée  et 
la  dague  seuUement,  laissant  toutes  les  autres  armes  en 
place.  Cela  estant  sccu  par  JuUian  Romero,  qui  avoit 
lëans  une  compaignie  d'Espaignolz  naturelz,  trouva 
fort  estrange  et  fascheux  de  sortir  sans  toutes  ses 
armes;  et,  pensant  faire  condescendre  M.  le  connes- 
table  (qui  capitulloit  ')  à  plus  honnorable  party,  le 
vint  trouver,  et  luy  tint  telz  propos,  braves  et  graves 
certes  :  Monsur,  si  assi  es  que  de  toclas  las  artes  no 
aj  nie j or  juez  que  los  mesmos  officiâtes  pues  que  no 
aj  sehor  ny  capitan  que  mejor  hahia  tratado  y  prati- 
quado  las  armas  como  V.  Excelencia.  Yo  espero  tanto 
en  ella  que  las  favorescera  hoj  de  todo  su  poder^  ha- 
zia  nosotros  soldados  espaiioles^  recogiendonos  y  nos 
tratando^  no  corno  vencidos,  mas  segun  nuestra  valor 
j'  virtud;  la  quai  in  quanto  a  mi  toca,  e  querido  con- 
fidar  en  la  suerte  dudosa  d'una  pelea  singular  y  de- 
safio,  algunos  afios  aj,  a  Fontainebleau^  adelante  la 
Magestad  real  del  rey  Francisco,  mas  presto  que  pa~ 
descer  alguna  deshonra  y  afrenta,  j  hazer  cosa  poco 
degna  de  soldado  j  hombre  honrado^  teniendo  mas 
querida  mi  honra  que  mi  sangre  y  mi  vida,  laquai 
slempre  de  buen  animo  he  empleado  en  tantos  mil  la- 
res de  pelligros,  passando  f  re passa ndo  tantas  tierras 
y  mares ^  y  solo  esto  para  ganar  gloriay  loor  :  en  que 
fortuna^  amiga  de  los  bravos  y  valientes^  m'a  tan 
agradescido  y   favorescido^   que  me  puedo   nombrar 

1 .   Qui  capitulloit,  qui  faisait  la  capitulation. 


78  RODOMONTADES 

entre  los  que  ganaroji  algo  /)or  sus  esfuerços  y  proes' 
sas,  por  mi  soberajw  hien^  del  quai  me  puedo  alahar 
y  nventajar^  swndo  las  armas  el  cunibre  de  mi  todo, 
y  el  fuudo  de  mi  nada  ;  de  las  quales  desseo  mas  la 
guardiay  conservacion  que  de  todas  cosas;  las  quales 
armas  teniemlo  perdldas^  quiero  que  la  génie  me 
tenga  en  poca  estima:  y  si  lai  es  mi  desdicha  de  nos 
las  quitar,  queremos  mas  presto  todos  nosotros,  conto 
desesperados ,  que  si  nos  faltan  los  remos,  nos  ayu- 
dar  de  las  celas  y  combatir  hasla  morir,  y  muestrar 
por  desesperacion  que,  mas  presto  queremos  morir  con 
las  armas  en  las  manos,  que  saharnos  sin  ellas  como 
soldados  vellacos.  Por  esso,  Monseignor^  yo  y  mis 
compagneros  suplicamos  su  Sacra  Magestad  que  nos 
dexa  yr  y  salgar  con  tal  condicion  y  partido  noble  y 
generoso^  y  se  contenta  d^esla  tierra,  la  quai  tantos 
grandes  y  principes  faltaron  de  tomar  otras  vezes ;  y 
nos  haziendo  esta  merced,  justamente  se  podra  llamar 
el  Rey  auguslo  y  vencedor  por  tal  ilustre  Iratamien- 
to  hecho  a  valientes  soldados  vencidos^  no  por  falta  de 
coraçon  y  animo^  mas  por  mala  sue  rie.  «  Monsieur, 
si  ainsi  est  que  de  tous  les  artz,  il  n'y  a  meilleur  juge 
que  les  mesmes  artisans  et  officiers  et  que  puisqu'il 
n'y  a  seigneur  ny  capitaine  en  toute  l'Europe  qui  ait 
mieux  pratiqué  les  armes  que  vous,  j'espère  tant  en 
vous  que  vous  les  favoriserez  beaucoup  aujourd'huy 
à  l'endroit  de. nous  autres  solda tz  espaignolz,  nous 
accueillant  et  traictant  non  comme  vaincuz,  mais 
selon  nostre  vertu  et  Aaleur;  laquelle,  quand  à  moi 
touche',  je  Tay  voulu,  il  y  a  quelques  années,  corn- 

1 .    Quand  à  moi  touche,  quant  à  ce  qui  me  touche. 


ESPAIGXOLLES.  79 

mettre  entre  les  mains  de  la  fortune  doubteuse  d'un 
camp-clos,  à  Fontainebleau,  devant  la  Magesté  royalle 
qui  nous  donna  le  camp,  oiiy,  dis-je,  la  commettre 
plustost  que  d'endurer  aucune  honte  et  affront,  et  faire 
chose  indigne  de  soldat  et  homme  de  bien,  tenant 
plus  cher  mon  honneur  que  mon  sang  et  ma  vie, 
laquelle  d'un  bon  courage  j'ay  toujours  employée  en 
tant  de  milions  de  périlz,  passant  et  repassant  tant 
de  terres  et  de  mers,  et  rien  de  tout  cela  sinon  pour 
acquérir  gloire  et  louange;  en  quoy  la  fortune,  amie 
des  braves  et  vallians,  m'a  tant  favorisé  que  je  me  puis 
nombrer  et  mettre  parmy  ceux  qui  ont  gaigné  quel- 
que chose  par  leur  prouesse  et  valeur,  et  ce  pour  mon 
bien  souverain,  duquel  je  me  puis  justement  louer  et 
advantager,  estant  les  armes  le  comble  de  mon  tout 
et  le  fonds  de  mon  rien,  desquelles  j'en  désire  la 
soigneuse  garde  plus  que  de  toutes  choses  du  monde; 
que  si  je  les  avois  perdues,  je  veux  que  le  monde  ne 
face  jamais  aucune  estime  de  moy,  et  si  tell'est 
nostre  désadvanture  que  vous  nous  les  vouliez  oster, 
nous  aymons  mieux  trestous,  comme  désespérez,  de 
nous  ayder  de  la  voille  si  les  rames  nous  faillent,  et 
combattre  jusques  au  mourir  et  monstrer  par  un 
désespoir  que  nous  aymons  mieux  mourir  avec  les 
armes  en  la  main  que  nous  sauver  sans  elles  comme 
soldatzde  peu.  Parquoy,  monsieur,  mes  compaignons 
et  moy  suplions  Sa  Magesté  de  nous  laisser  sortir 
avec  tel  bonnes  te  party,  et  qu'elle  se  contante  de 
ceste  place  devant  laquelle  tant  de  princes  et  grands 
se  sont  faillis  d'autrefois;  et  luy  nous  faisant  ceste 
faveur,  il  se  pourra  justement  dire  auguste  et  vain- 
cueur  pour  im  si  illustre  traictementfaitàdessoldatz 


80  RODOMONTADES 

vaincuz,  non  par  faute  de  courage,  mais  par  malle 
fortune.  » 

A  ces  parolles,  par  trop  audacieuses  pour  un  vaincu, 
respondit  M.  le  connestable,  qui  estoit  de  son  natu- 
rel fort  impatiant  d'un  glorieux ,  et  qui  le  sçavoit 
gourmander  et  rabrouer  très  bien  quand  il  l'entre- 
prenoit,  ainsi  que  je  Tay  veu  souvant  :  «  Capitaine, 
«  mon  amy,  je  vous  estimerois  grandement  si  vostre 
«  force  et  pouvoir  estoient  correspondans  à  vostre 
«  courage,  à  vostre  parolle  et  bon  vouloir  que  vous 
«  me  voulez  tant  faire  parroistre.  Mais  je  vois  bien 
K  que  vous  ne  cognoissez  vostre  fortune,  ou  bien 
«  que  vous  la  dissimuliez  :  voulant,  par  advanture, 
«  faire  nouveaux  droitz  en  guerre,  que  le  vaincu 
«  donne  loy  au  vaincueur,  et,  par  advanture,  vous 
«  vouloir  réserver  un  si  grand  advantage,  que  de 
«  vouloir  emporter  les  armes,  non  seullement  sur 
«  moy  qui  sçays  assez  ce  qu'elles  vallent ,  mais  sur 
«  un  roy  jeune,  courageux  et  présent  en  ce  siège , 
«  qui  ne  voudroit  céder,  non  à  vous  (avec  lequel  le 
(f  parangon  n'est  nullement  semblable,  non  plus  que 
«  du  ciel  au  plus  bas  de  la  terre),  mais  au  plus  grand 
((  prince  du  monde.  Et  semble  que  vostre  demande 
«  est  fort  contraire  à  vous-mesmes  en  ce  que  faites 
«  nostre  roy  si  grand  (comme  certes  il  est  assez 
c  cogneu  tel  partout,  sans  que  le  disiez)  :  et  néan- 
«  moins  vous  prétendez  d'emporter  sur  luy  et  avoir 
«  l'hoimeur  de  ce  qu'il  pourchasse  le  plus  en  ce 
<(  monde,  comme  voulant  dire  que,  quelque  grand 
((  prince  qu'il  soit,  vous  n'entendez  estre  inférieur  à 
«  luy  en  la  conservation  des  armes  et  en  réputation 
«  d'honneur.  Vrayement,  beau  sire,  je  l'aymerois  de 


ESPAIGNOLLES.  81 

((  vous  et  seroit  bon  que  le  preneur  fust  pris  et  le 
'(  victorieux  fust  vaincu;  et  que  celluy  qui  fait  trem- 
«  hier  terres  et  mers,  cédast  en  réputation  des  armes 
(f  à  un  tel  oyseau  que  vous.  Or,  sçavez-vous  qu'il  y 
«  a?  La  grâce  que  l'on  peut  faire  aux:  malheureux, 
«  c'est  de  leur  déclairer  promplemenl  leur  malheur; 
u  parquoy  la  mieilleure  nouvelle  que  je  vous  puisse 
«  faire  sçavoir,  est  que  si  vous  n'aceptez  sur  le 
«  champ  la  composition  que  je  vous  ay  proposée, 
«  vous  vous  retirez  soudain;  car,  avant  qu'il  soit 
«  quatr'  heures,  je  vous  auray  pris  d'assaut,  et  ne 
«  vous  donneray  loysir  de  changer  d'advis  :  et  vous 
«  assurez  que,  si  vous  eschapez  de  l'espée,  la  corde 
«  ne  vous  faudra,  pour  vous  aprendre  à  vouloir  ca- 
«  pituler  avec  celluy  qui  tient  vostre  vie  et  vostre 
ce  mort  en  ses  mains.  » 

Voylà  la  responce  de  M.  le  connestable,  et  digne 
d'un  tel  capitaine,  et  qui  se  peut  dire  à  beau  jeu  beau 
retour;  dont  le  capitaine  espaignol  demeura  si  es- 
tonné,  que,  rongeant  le  frain  de  son  cœur,  demanda 
encor,  par  un'  importunité,  au  moins  que  luy  dou- 
ziesme  sortist  avecques  ses  armes.  Cependant  M.  le 
connestable,  par  une  grand'  ruse  de  guerre,' fait 
advertir  les  autres  Espaignolz  que  Romero  ne  play- 
doit  plus  pour  eux,  que  pour  hiy  seullement  et  une 
douzaine  d'autres  à  son  choix,  laissant  les  autres  en 
croupe  à  la  mercy  de  l'espée.  Ce  qu'entendant  le 
reste  des  autres  Espaignolz ,  soudain  s'acordèrent  à 
la  mesme  capitulation  que  les  Allemans  et  Flamans, 
et  sortirent  tous  ensemble;  dont  Romero  cuyda  se 
désespérer,  qui  demeura  prisonnier  parmy  nous. 

Je  tiens  ceste  histoire  de  nos  François  qui  y  es- 
vu  —  6 


8?  RODOMONTADES 

toient  présens,  et  dadit  Julien  Romero  mesmes  qui 
me  la  conta  mieux  que  je  ne  la  dis;  et  ce  fut  lors 
que  nous  allions  à  Malte,  entrant  dans  le  Far  de 
Messine.  Nous  vismes  derrière  nous  quinze  gallères 
de  Scieile  venir  d'un  bon  vent  en  poupe,  avec  le 
bastard  *,  qui  en  un  rien  (encores  que  nous  fussions 
loing  fort  d'elles,  et  nous  quasi  touchans  Messine) 
eurent  attainl  nos  paouvres  pettites  frégattes,  mon- 
tans  à  douze  ou  treize,  car  nous  n'eusmes  pas  plus 
tost  pris  port  et  terre,  qu'eux  quasi  aussitost  firent 
de  mesmes.  Cesdites  gallères  venoient  de  la  GoUette 
pour  y  porter  vivres,  munitions  et  soldafz,  craignans 
la  venue  du  Grand-Seigneur,  qui  la  menassoit  ou 
Malte.  Parmy  ces  lionnestes  Espaignolz  qui  estoient 
dans  ces  gallères,  se  trouva  ledit  Julien  Romero,  qui, 
s'estant  enquis,  et  trouvant  que  nous  estions  Fran- 
çois, nous  vint,  comme  très-courtois  cavailler,  saluer 
et  accoster  le  long  dudit  port,  et  arraisonnant  main- 
tenant avec  messieurs  d'Estrosse  et  de  Brissac,  ores 
avecques  autres,  cependant  que  nous  avions  envoyé 
à  la  ville  chercher  logis,  et  nous  promenans  le  long 
de  ceste  belle  place  du  port,  auprès  de  ceste  belle 
fontaine,  et  maintenant  avecques  l'un  et  l'autre.  Il 
fut  fort  aise  de  parler  à  moy,  d'autant  que  de  tous 
nous  autres  gentilzhommes  qui  estions  là ,  il  n'y 
avoit  nul  qui  parlast  espaignol  que  moy  ;  car  il  n'y 
avoit  qu'un  an  que  je  ne  faisois  que  venir  d'Espaigne, 
et  le  parlois  fort  friandement;  dont,  entre  autres 
propos  que  me  tint  ce  seigneur  Julian,  fut  qu'il  me 
demanda  des  nouvelles  de  France,  et  de  M.  le  con 

1 .  On  appelait  bâtarde  la  plus  grande  des  voiles  d'^ine  galère. 


ESPAIGNOLLES.  83 

nestable,  et  comment  il  se  portoit  sur  son  viel  aage; 
et  liiy  en  ayant  dit  de  bonnes,  il  monstra  qu'il  en 
estoit  fort  joyeux,  ce  me  disl-il,  et  puis  me  continua 
de  dire  ses  louanges,  et  comme  une  fois  il  luy  avoit 
faict  aussi  belle  peur  qu'il  eust  eu  jamais  en  sa  Vie  : 
et  me  fit  ce  discours  précédant,  avec  plus  belles  pa- 
roUes  du  monde;  si  bien  que  je  ne  vis  jamais  mieux 
dire,  car  il  estoit  très-éloquant,  à  la  soldade*. 

Outre  plus,  me  dist  qu'il  craignoit  fort  ceste  fois 
que  M.  le  connestable  ou  le  roy  luy  fissent  très- 
mauvais  party  de  la  vie;  d'autant  qu'ilz  le  menassa- 
rent,  et  luy  reprocbarent  qu'après  avoir  receu  du 
roy  François  tant  d'bonneur  en  sa  court,  sur  l'otroy  * 
du  camp-clos  qu'il  luy  avoit  donné  *,  sans  recog- 
noistre  un  tel  bienfait,  s'en  estoit  allé,  de  son  plein 
vouloir,  servir  le  roy  d'Angleterre  en  la  guerre  de 
Bouloigne,  estant  pour  lors  trefves  entre  l'empereur 
et  Sa  Magesté  Chrestienne.  Mais  il  me  dist  en  cela  ses 
raisons,  que  l'empereur  estoit  irrité  contre  luy,  pour 
avoir  esleu  le  camp  en  France,  à  ce  qu'il  me  dist. 
Nonobstant  cela,  si  fallit-il  à  courir  fortune  de  la 
vie  ;  car  M.  le  connestable  estoit  sévère  en  ces 
choses-là. 

Le  combat  fut  le  commancement  de  réputation 
dudit  seigneur  Jullien,  encores  que  ce  ne  fust  rien 
qui  vaille,  à  ce  que  j'ay  ouy  raconter  à  force  gentilz- 
hommes  et  autres  qui  vivent  encores  et  servit  plus 
de  risée  et  mocquerie  que  d'autres  choses;  si  bien 
que  de   despit  le  roy  en  jetta  de   bonn'  heure   le 

1.  Â  la  soldade,  à  la  soldat.  —  2.   Octroj,  octroi. 
3.  Voyez  le  Discours  sur  les  duels,  t.  III,  p.  261-26"?. 


84  RODOMONTADES 

baston.  Car,  en  lieu  de  eombattre  valleureusement  à 
outrance,  la  partie  de  Julien,  encor  que  la  fortune 
luy  fust  au  commancement  assez  bonne,  et  meilleure 
que  de  Juillien ,  commança  à  crier  par  trois  fois  : 
No  te  quiero,  segnor  Julliano;  et  de  là  vint  le  proverbe 
qui  a  longtemps  couru  à  la  court  et  en  France  :  No 
te  quiero,  segnor  Julliano,  «  je  ne  vous  chercha 
point,  seigneur  JuUian,  »  qui  se  disoit  quand  quel- 
qu'un fuyoit  la  luitte.  Toutesfois  il  y  alla  un  petit 
plus  de  l'honneur'  dudit  Jullian  que  de  l'autre,  et  en 
a  fait  despuis  toute  sa  vie  grand  triumphe,  qui  luy 
a  aydé,  avec  d'autres  belles  advantures  qu'il  a 
couru  pour  son  empereur  et  son  roy,  aux  guerres, 
pour  le  service  desquelz  enfin  est  mort  honnorable- 
ment  en  ses  guerres  de  Flandres. 

Avant  que  finir  je  diray  ce  mot  :  que  tous  gallans 
hommes,  cavalliers  et  capitaines,  me  semblent  qu'ilz 
doib vent  fort  peser  ceste  responce  susdicte  de  M.  le 
connestable  ;  car  il  n'y  a  mot  qui  ne  porte  sa  sen- 
tence et  advis  très  nécessaire  pour  eux,  et  mesmes 
pour  la  brave tté  qu'il  usa  à  son  brave.  Sur  quoy  je 
fairay  ce  pettit  conte  que,  lorsque  nous  allasmes  à 
Malte,  partant  de  Messine  avec  nos  frëgattes,  nous 
vinsmes  coucher  à  une  pettite  ville  entre  Messine  et 
Sarragosse*  qui  se  nomme  Cataigne',  là  où  l'on  dit 
que  le  premier  fondement  et  parlement  des  vespres 
scicilianes  fut  fait  et  jette.  Arrivans  là,  ceux  de  la 
ville  tinrent  leurs  portes  serrées,  et  firent  difficulté 


\.  Le  manuscrit  3273   (f  149)   porte  entre   parenthèses  ces 
mots  :  Je  dis  du  bon,  qui  ont  été  biffés. 
2.  Svracuse.  —  3.  Catane. 


ESPAIGNOLLES.  8  S 

de  nous  laisser  entrer.  Il  y  eut  parmy  nous  un  capi- 
taine provançal  qui^  se  voulant  faire  de  feste,  parce- 
qu'il  jargonnoit  un  peu  et  assez  mal  l'espaignol,  qui 
alla  se  présenter  à  la  porte  et  y  demander  entrée, 
plus  par  bravetté  que  par  courtoisie.  Sur  quoy  il  y 
eut  un  soldat  espaignol  peu  endurant,  qui,  s'advan- 
çant,  poussa  assez  discourtoisemeiit  ledit  capitaine, 
pour  s'oster  de  devant  la  porte;  ledit  capitaine  luy 
dist  :  Soldadu,  que  querejs  hazer^  ?  L'autçe  bravasche 
luy  respond  :  Te  tratar  de  hrcwo^  porque  hazes  del 
hravo.  Faya  se  :  ap par  lèse  de  aqut  y  accuerdase  de 
las  visperas  sicilianas.  «  Je  vous  veux  traiter  en 
brave,  puisque  vous  faites  du  brave;  allez-vous-en 
et  ostez-vous  d'icy,  et  vous  vous  souvenez  des  ves- 
pres  scicilianes.  »  IP  y  eut  un  honneste  gentilhom- 
me françois  qui  parloit  fort  bien  espaignol,  que  je 
ne  nommeray  point  pour  sa  gloire',  qui  se  mit  à 
parler  le  friand  espaignol.  Aussitost  qu'il  l'eut  ouy, 
il  quitta  tout,  et  vint  à  luy,  et  luy  dit  d'une  grande 
joie  :  Vota  a  Dios  que  tal  hahlar  me  plaee'*,  et  dit  à 
l'autre  :  Aparlaos  de  aqul,  barragojiw  :  no  quiero 
hahlar  con  vos  ;  jo  hablo  cou  este  ca\>allero  muy  gen- 
til hnblador'^;  et,  venant  à  luy,  l'embrassa  à  la  mode 
soldatesque;  et  causèrent  fort  ensemble  de  nostre 
voyage  en  passégeant^,  et  puis  allèrent  souper  en- 

1 .  Soldat,  que  voulez-vous  faire  ? 

2.  Ce  qui  suit  jusqu'à  la  fin  de  l'alinéa  manque  dans  le  manuscrit. 

3.  C'était  Brantôme.  —  4.  Ah  Dieu  !  qu'un  tel  parler  me  plaît! 
b.  Retirez-vous  d'ici,  baragouineur;  je  neveux  point  vous  par- 
ler. Je  parle  à  ce  cavalier  si  gentil  parleur.   (Le  mot  barragoyno 

été  forgé  par  Brantôme.) 

6.  En  passégeant,  en  se  promenant;  de  Vitulien  passeggiare. 


8G  RODOMONTADES 

semble,  que  le  gentil  cavallier  françois  luy  donna;  et 
l'auti'e  l'accepta  galantement  :  car  ilz  ayment  ces 
gens-là  à  faire  aussi  bonne  chère  que  nous,  mais  que 
ce  ne  soit  à  leurs  despens;  car  autrement  ilz  se  lais- 
sent mourir  de  faim.  Ce  fut  à  mon  homme  à  se  re- 
tirer, car  il  y  eust  eu  de  la  rumeur.  Toutcsfois  cela 
se  passa.  Comme  il  y  a  toujours  et  d'uns  et  d'au- 
tres, et  les  uns  courtois  et  les  autres  arrogans,  on 
nous  laissa  entrer  courtoisement,  et  vivre  et  coucher 
pour  nostre  argent. 

Si  faut-il  que  je  fasse  à  ce  propos  un  plaisant  conte, 
qui  m'arriva  une  fois  à  Paris,  au  commancement  des 
premières  guerres.  Ainsi  que  le  camp  s'estoit  ache- 
miné à  Estampes  pour  se  dresser,  moy  ayant  envoyé 
tout  mon  train  devant,  et  demeuré  à  Paris  pour 
quelques  affaires  qui  me  restoient,  ou  possible  pour 
l'amour,  je  dirois  mieux,  je  prins  la  poste  pour  aller 
joindre  l'armée  audict  Estampes.  Je  n'avois  qu'un 
homme  des  miens,  moy  avec  mon  postillon.  Estant 
entre  les  deux  portes  de  Sa inct- Jacques,  voycy  venir 
la  garde,  qui  estoit  grosse  et  grande,  et  qui  se  faisoit 
fort  estroictement  en  ce  temps ,  et  entre  autres  un 
grand  homme,  marchant  du  quartier  de  Saint-Jac- 
ques, qui  portoit  une  grand'  hallebarde'  et  une  cuy- 
rasse,  qui  arreste  fort  rudement  mon  postillon,  et 
prend  la  bride  de  son  cheval.  Je  m'advance,  et  crie  : 
«  Mort-Dieu  !  l'homme  à  la  grand'barbe,  que  vou- 
«  lez-vous  faire  ?  >»  Il  vint  à  moy  aussitost,  et  me  pré- 
santantla  poincte  de  l'hallebarde,  il  me  dist  :  «  Mort- 
ff  Dieu!  l'homme  sans  barbe,  je  veux  vous  arrester.  Où 

1 .   Les  anciennes  éditions  ajoutent  :  avec  une  grande  barbe. 


ESPAIGNOLLES.  87 

«  est  voslre  passeport?  Ne  sçavous  pas  l'ordonnance 
«  qui  a  été  faite,  de  ne  sortir  sans  passeport  du  pré- 
«  vost  des  marchans?  »  Tout  à  coup  je  me  vis  en- 
tourné  de  cent  poincles  d'espées,  de  picques  et 
d'liallel)ardes.  Ce  fut  donc  à  moy  à  monstrer  mon 
passeport  (car  je  l'avois),  et  luy  dire  qu'il  le  devoit 
demander  plus  honnestement  et  doucement,  et  que 
je  n'estois  bastant  pour  faire  teste  à  un  corps-de- 
garde  si  remply.  Toutesfois  après  belles  excuses,  nous 
fusmes  amis  comme  devant;  et,  estant  arrivé,  j'en 
fis  le  conte  à  feu  M.  de  Guyse,  qui  le  trouva  bon, 
tant  de  la  demande  que  de  la  responce,  et  en  rit 
bien,  ensemble  plusieurs  de  l'armée  ausqueiz  j'en  fis 
mesmes  part;  car,  comme  me  dist  M.  de  Guyse  : 
«  Un  brave  a  bravé  un  brave;  et  quictes  de  là  tous 
deux.  » 

Quand  le  duc  d'Albe  passa  en  Flandres  contre  les 
guerres  civilles  des  Gueux  ^,  il  ne  se  voulut  servir 
d'autre  infanterie  que  de  l'espaignolle ,  et  n'y  en 
mena  d'autre.  Mais  qu'ell'estoit-elle?  L'une  des  plus 
belles  qui  jamais  fut  mise  en  campaigne;  car  il  en  fit 
choix  parmy  tous  les  terzes  de  Lombardie,  Naples, 
de  ScicUle^,  de  Sardaigne;  si  bien  que,  de  ce  beau 
choix  il  en  fit  un  corps  très  beau  et  bien  fourny,  jus- 
ques  à  neuf  ou  dix  mille,  n'y  ayant  rien  à  dire,  soit 
en  belles  armes,  soit  en  parades  d'abilliemens,  soit 
en  bonté  et  vertu  d'hommes,  soit  en  leur  entretien 
de  vivres  et  de  payes,  jusques  à  leurs  courtizanes. 
qui  en  parures  parreissoient  princesses.  Bref  rien  n'y 

i.  En  1367. 

2.  Le  manuscrit  porte  par  erreur  :  Séville. 


88  RODOMONTADES 

manqua.  Et,  comme  par  où  ilz  passoient  près  de  la 
frontière  de  France,  vers  la  Lorraine,  les  chemins 
estoicnt  rompus  de  gens  quasi  (par  manière  de  dire) 
pour  les  voir,  on  leur  demanda  pourquoy  le  duc 
n'avoit  avecque  luy  pris  d'autre  infanterie  italienne 
ou  ludesque.  Aucuns  respondoient  :  Porque  conoce 
bien  que  cou  suigular  vlrlud  y  çalor  de  ilosoIvos  Es- 
pagnoles, ha  de  alcançar  en  esta  guerra  el  clarissi- 
nio  nombre  de  Gran  Capitan^  mas  que  ningun  otro 
que  nunca  fue.  «  Parce  qu'il  cognoit  et  juge  bien 
qu'avec  la  singidière  vertu  et  valleur  de  nous  autres 
Espaignolz,  il  doib  attaindre  en  ceste  guerre  le  nom 
illustre  d'un  grand  capitaine  plus  qu'aucun  qui  ait 
jamais  esté.  »  Comme  de  vray,  par  leurs  seuUes  ar- 
mes, il  a  fait  trembler  tout  ce  païs-là,  et  remis  en  son 
premier  devoir. 

J'entretenois  une  fois,  dans  le  chasteau  de  Milan, 
un  vieux  soldat  espaignol,  morte-paye  de  léans,  qui 
avoit  toute  sa  vie  consommé  aux  guerres  de  l'empe- 
reur Charles,  et  me  racontoit  qu'il  n'aymoit  rien 
tant  que  les  soldatz  espaignolz,  porque  como  buenos 
oficiales  y  labradores ,  havian  texido  con  sus  manos 
propias  la  corona  de  laurel  que  llevava  al  derredor 
de  la  cabeca,  no  temiendo  dar  fin  a  sus  vidas,  para 
hazer  bwir  la  fama  del  y  dellos.  rr  Parce  que,  comme 
bons  maistres  et  artizans,  ilz  avoient  de  leurs  mains 
propres  tissu  la  couronne  de  lauriers  qu'il  portoit  à 
l'entour  de  sa  teste,  ne  craignant  donner  fin  à  leur 
vie  pour  faire  vivre  sa  renommée  et  de  luy  et  d'eux.  » 

Un  simple  soldat  espaignol,  pour  avoir  esté  trouvé 
en  quelque  larcin,  fut  condampné  d'avoir  un'oreille 
coupée;  à  quoi  s'escria,  en  disant  :  Una  oreja,  pesea 


I 


ESPAIGNOLLES.  89 

tal  !  Mas  querria  fo  /norir,  que  suffrir  tal  afrenta. 
En  tanto  dixo  el  capitan  :  a  Concedase  esta  gracia  a 
este  soldado  tan  desseoso  de  la  honra.  »  «  Comment, 
«  une  oreille  coupée!  j'ayme  bien  mieux:  mourir  que 
«  d'endurer  un  tel  affront.  »  A  quoy  son  capitaine  res- 
pondit  :  «  Eh  !  bien  donc  que  l'on  fasse  cette  grâce  à 
«  ce  soldat  tant  ambitieux  d'honneur.  »  Et  ayma 
mieux  passer  par  les  armes  et  mourir  que  d'avoir 
l'oreille  coupée. 

J'aymerois  autant  d'un  soldat  gascon,  lequel  estant 
sur  l'esclielle  près  de  la  mort,  il  y  eut  une  femme 
qui  le  vint  requérir  pour  mary,  ainsi  que  le  temps 
passé  se  faisoit*.  Luy,  la  voyant  boiteuse,  laide  et  fort 
contrefaite,  et  marcher  fort  incommodément,  il  dist  : 
«  Que  fairai-je  de  cela?  Je  n'aurois  que  desplaisir  et 
«incommodité.  «  Pinge^  pinge,  dist-il  au  bourreau, 
qui  est  autant  à  dire  en  gascon,  pends ^  pends,  ce 
qu'il  fit;  et  le  gallant  ayma  mieux  estre  pendu  que 
de  s'assubjettir  à  une  si  laide  beste.  Celluy-là  es- 
loit  fort  curieux  de  son  ayse,  et  ennemy  de  la  lay- 
deur. 

Aux  premières  guerres  civilles,  lorsqu'il  fallut  as- 
saillir les  fauxbourgs  et  portereaux  d'Orléans,  feu 
M.  de  Guyse  commanda  aux  François  donner  d'un 
costé,  et  aux  Espaignolz  de  l'autre.  A  la  teste  du  ré- 
giment des  Espaignolz  se  trouva  un  jeune  soldat  qui, 
par  dessus  tous,  se  faisoit  si  bien  parestre  en  ses  ar- 
mes et  son  harquebuz  et  son  fourniment  fort  beau, 
et  ti'ès-leste  en  grâce,  en  façon  et  en  habilhemens, 
car  il  avoit  un  pourpoinct  de  satin  jaune,  tout  cou- 

1 .  Les  éditions  ajoutent  :  Suivant  t ancienne  loy  des  Goths. 


00  RODOMONTADES 

vert  de  passement  d'argent,  et  les  chausses  à  bandes 
de  mesmes,  avec  un  cliapeau  de  tafletas  [noir]^  tout 
couvert  de  plumes  jaunes,  si  bien  qu'il  le  faisoit  très- 
beau  voir,  car  avec  cela  il  estoit  beau  et  agréable  de 
visage,  et  d'une  jollie,  gentille  et  maigrelline^  taille; 
enfin  il  paressoit  tel  que  feu  M.  de  Guyse  demanda 
à  don  CaravajaP,  qui  leur  commandoit,  qui  estoit  ce 
jeune  homme,  car,  à  sa  contenance,  il  monstroit 
estre  de  lieu  et  de  courage.  Caravajal  lui  respondit 
qu'il  estoit  de  la  maison  de  Mandozze,  de  laquelle 
sont  sortis  de  grands  personnages  en  tout  :  et,  sur 
ce,  il  le  présenta  à  M.  de  Guyse  pour  luy  faire  la  ré- 
vérance.  Ainsi  que  mondit  sieur  de  Guyse  le  receut 
fort  courtoisement,  et  Caravajal  luy  dist  la  bonne 
opinion  qu'avoit  M.  de  Guyse  de  luy,  et  comment 
il  luy  avoit  demandé  son  nom.  En  faisant  la  révé- 
rance  à  M.  de  Guyse  et  luy  en  rendant  humbles 
grâces,  alors  ce  jeune  respondit  :  Monsegnor ,  oy 
o  morire  con  honi^a ,  o  mudare  mi  color  atnarillo 
en  Colorado,  por  nlgiuia  sangrienta  j  noble  herida; 
o  hare  algiin  illustre  segnal  de  mi  nombre,  por  la 
merced  y  favor  de  mi  gênerai  que  lo  ha  pedido. 
«  Monsieur,  je  mourray  aujourd'huy  avec  honneur 
ou  je  changeray  ma  coulleur  jaune  en  rouge  par 
quelque  blessure  sanglante  et  noble,  ou  je  fairay  et 
donray  quelque  marque  illustre  de  mon  nom  en  ré- 
compance  de  la  grâce  et  faveur  de  mon  général  qui 
le  demande.  »  Ainsi  qu'il  le  dist  et  promit,  ainsi  il  le 
tint  :  car  d'abordade,  et  s'avançant  des  plus  avantz, 

1.  Maigrelin,  maigrelet,  mince. 

2.  Le  manuscrit  porte  :  CaravanjaL 


ESPAIGXOLLES.  9i 

il  receut  une  grande  harquebuzade  au  corps,  du  costé 
gauche,  dont  pourtant  il  ne  mourut;  et  M.  de  Guyse 
le  fit  penser  fort  songneusement,  et  deux  jours  après 
le  fit  mettre  sur  l'eau  dans  un  batteau,  et  le  conduire 
à  lilois  avec  d'autres  blessez;  et  vis  comme  M.  de 
Guvse  le  recommanda  à  la  reyne  par  Jehan-Baptiste, 
qu'on  nommoit  le  compère,  qu'il  envoyoit  vers  elle. 
Je  vis  tout  cela,  car  j'y  estois. 

Certes,  ce  jeune  gentilhomme  espaignol  accomplit 
mieux  sa  parolle  que  ne  fit  une  fois  un  grand  sei- 
gneur estranger ,  que  je  ne  nommeray  point  pour  sa 
quallité,  qu'il  faut  révérer';  lequel,  s'estant  retiré 
vers  le  roy  Henry  pour  avoir  receu  une  par  trop 
grande  injure  de  l'empereur  Charles,  qui  luy  avoit 
fait  massacrer  son  père,  aussi  qu'un  sien  frère  estoit 
mort  dans  un  siège  pour  le  service  du  roy;  quelque 
temps  après,  ainsi  que  le  roy  Henry  marchoit  pour 
livrer  bataille  à  l'empereur  devant  Vallencianes,  le 
jour  avant,  lorsque  l'armée  marchoit  en  belle  or- 
donnance de  guerre,  et  que  ce  jour  on  tint  l'empe- 
reur plus  près  qu'il  n'estoit,  ledit  seigneur,  armé  de 
toutes  pièces,  monté  sur  un  beau  coursier,  grand  et 
fort,  se  vint  présenter  au  roy,  et  ayant  tiré  son 
espée,  dist  au  roy  :  Sire,  oggi  con  questa  spada  io 
voglio  K'emlicar  la  morte  ciel  padre  e  del  fratello.  «  Au- 
jourd'huy  avec  ceste  espée  je  veux  vanger  la  mort 

1 .  Ce  grand  seigneur  étranger  doit  être  Ferdinand  de  Saint- 
Severin,  prince  de  Salerne ,  qui  en  1532  vint  trouver  Henri  II 
à  Damvilliers,  et,  quatre  jours  après,  retourna  à  Naples.  (Voyez 
de  Thou,  liv.  X.)  En  ce  cas  Brantôme  se  tromperait  de  date  et 
de  localité;  car  la  campagne  de  Valenciennes  n'eut  lieu  que  l'an- 
née suivante,  en  1553. 


92  RODOMONTADES 

(le  mon  père  et  de  mon  frère.  »  Et,  voyant  que  le 
roy  aplaudissoit  à  ses  beaux  motz,  plus  encouragé, 
vint  à  pousser  son  cheval  en  advant^  pour  luy  faire 
quelques  passades.  Mais  le  cheval  estant  un  peu  rude 
et  gaillard,  et  trouvant  son  homme  soubz  soy  un 
peu  de  légère  tenue,  s'advisa  de  s'en  deffaire  et  le 
porter  par  terre,  en  luy  faisant  faire  la  conversion  de 
sainct  Paoul.  Ce  fut  audit  seigneur  à  crier  :  Ahi  me  ! 
yo  son  rnezzo  mcrto  \  et  toute  la  jeunesse  qui  estoit 
près  du  roy  Henry  à  rire  leur  saoul,  et  à  faire  relie  ver 
ledit  seigneur.  Le  lendemain,  qui  estoit  le  jour  qu'on 
pensoit  assurément  de  venir  aux  mains,  puisqu'on 
y  avoit  failly  le  jour  précédent,  et  que  les  deux  ar- 
mées ne  s'en  pouvoient  desdire,  ledit  seigneur  voyant 
que  c'estoit  à  bon  escient  qu'il  y  falloit  faire,  com- 
mança  à  crier  :  Corne  l  Non  s'è  nissunu  fiuniara^  nis- 
siuio  basque,  nissuno  monte  tra  noi  et  loro.  Questo 
non  è  buono.  «  Comment!  n'y  a-il  point  entre  nous 
et  eux  aucune  rivière  ou  ruysseau,  nul  bois,  nulle 
montagne?  Cella  n'est  pas  bon.  » 

Assurez-vous  qu'il  désiroit  bien  quelque  obstacle, 
ou  de  montaigne  ou  de  maretz,  ou  d'un  bois,  ou 
d'une  rivière,  ou  ruysseau,  pour  se  garder  de  joindre 
de  près;  mais  il  n'y  avoit  lieu.  Que  si  l'empereur  eust 
voulu  mordre,  le  champ  de  Mars  ne  fut  jamais  si 
beau;  mais  il  fuist  le  choc  par  de  bons  retranche- 
mens  qu'il  avoit  fait  auprès  de  la  ville  de  Vallen- 
ciannes;  si  bien  que  pour  le  coup  la  partie  ne  fut 
jouée  en  gros,  sinon  par  légières  escarmousches  :  ce 
qui   fut  un  grand   contentement  audit  seigneur  qui 

\  .  Hélas  !  je  suis  à  moitié  moi't. 


I 


espaig\oltj:s.  93 

paravant  avolt  menacé  et  crié  vengeance,  car  il  ne 
vouloit  venir  aux  mains  nullement,  sinon  de  parol- 
les  bravasches,  dont  ils'ayda  encores  pis  que  devant. 
Je  tiens  ce  conte  de  M.  d'Uzais,  qui  le  faisoit  le  plus 
plaisamment  qu'il  estoit  possible.  Au  bout  de  quel- 
ques trois  ans  ledit  seigneur  et  son  frère,  et  toute  sa 
maison-,  se  retirarent  du  party  du  roy;  et^  sans  au- 
cun respect  d'injure  receue,  espousarent  et  prindrent 
celluy  de  l'empereur. 

Le  jour  de  la  bataille  de  Cerizolles,  ainsi  que  le 
marquis  del  Gouast  recognoissoit  nostre  armée  qui 
marchoit  à  luy,  il  vint  dire  aux  gens  de  pied  espai- 
gnolz  :  Ea,  soldados;  aqui  esian,  a  mi  parecer,  /os 
Gasgones^  vuestros  vezinos ,  j-  quasi  hermanos  :  a 
rl/os  !  Que  si  son  venc/dos,  somos  vencedores  nylmas 
ny  luenos  qiinndo  un  cuerpo  esta  derribado  y  caydo 
en  tierra^  todos  los  otros  miembros  quedan  sin  fuerça 
y  valor.  «  Soldatz,  voylà,  à  mon  advis,  les  Gascons 
vos  voysins  et  quasi  frères.  Il  faut  aller  à  eux,  car 
s'ilz  sont  vaincuz,  nous  sommes  vainqueurs,  ny  plus 
ny  moins  que  quand  un  grand  corps  est  abatu  et 
tumbé  en  terre,  tous  ses  autres  membres  demeurent 
sans  force  et  valleur.  »  Vovlà  une  grand*  louange 
pour  les  Gascons,  mettant  toute  la  force  de  l'armée 
ce  jouv-là  en  eux  comme  en  estant  le  vray  corps,  et 
que  quasi  un  corps  ayant  esté  deffait  et  abattu,  toutes 
les  autres  forces  n'avoient  qu'à  tenir.  Je  tiens  ce  conte 
de  M.  de  Grille,  brave  et  gallant  gentilhomme  provan- 
çal,  qui,  pour  sa  valleur,  fut  despuis  fait  du  roy  senes- 
chal  de  Beaucayre ,  et  qui  estoit  capitaine  en  chef 
d'une  compaignée  de  gens  de  pied  en  ceste  bataille, 
et  qui  parloit  bon  espaignol;  car,  ayant  esté  pris  dans 


94  RODOMONTADES 

Thérouanne,  avoit  demeuré  trois  ans  prisonnier  par- 
my  eux. 

Estant  à  la  court  d'Espaigne,  au  retour  de  la  con- 
queste  de  Belys,  force  gallans  hommes,  gentilzhom- 
~  mes_,  capitaines,  et  autres  Espaignolz  qui  y  avoient 
estez,  estans  venus  à  ladite  court  pour  faire  la  ré- 
vérance  au  roy,  et  se  faire  remarquer  et  recognoistre 
pour  leur  voyage,  je  vis  passer,  estant  dans  une 
boutique  d'un  marchant ,  un  jeune  gentilhomme 
bizarre  et  fort  bigarré  en  ses  habilhemens,  et  force 
plumes  en  son  bonnet  de  diverses  coulleurs,  monté 
sur  un  cheval  d'Hespaigne ,  beau,  avec  une  housse 
de  vellours,  rellevant  ses  moustaches  à  chasque  pas 
de  son  cheval;  enfin,  faisant  bien  la  piaffe,  vray 
piaffeur,  homme  de  main  point  autrement.  Je  vins 
demander  à  un  capitaine  qui  estoit  dans  la  boutique, 
marchandant  avec  moy,  qui  pouvoit  estre  celluy-là 
qui  faisoit  si  bonne  mine.  Il  me  respondit  seulle- 
ment  :  Es  aquel  que  tomo  el  Peiîon  de  Belljs,  y  nunca 
fiie.  DexacUo  ir,  seiior^  y  volar  a  iodos  los  diables  ^ 
con  sus  plumas,  que  tan  mal  haze  del  bravo.  «  C'est 
celluy  qui  print  le  Pignon  du  Bellys  et  n'y  fut  jamais. 
Laissez-le  aller  et  voiler  à  tous  les  diables  avecques 
ses  plumes_,  que  tant  fait-il  du  brave  mal  à  propos.  » 

J'aymerois  autant  d'un  gentilhomme  tollédan,  le- 
quel menaçoit  tous  les  jours,  qu'il  s'en  alloit  faire  un 
voyage  aux  Indes,  et  jamais  ne  partoit.  Un  jour,  il 
parut  avecques  un  chapeau  tout  couvert  de  plumes, 
dont  il  y  en  eut  un  qui  rencontra  ainsi  sur  luy  :  ISo  es 
posible  que  no  saïga  agora  este  çirote,  pues  qu'esta 
tan  bien  emplumado.  «  Il  n'est  pas  possible  que  ce 
vireton  ne  parte,  puisau'il  est  si  bien  emplumé  ;  >j 


ESPAIGNOLLES.  95 

faisant  allusion  sur  un  vireton,  ou  Irait  d'arhaleste, 
qui  part  et  descoche  mieux  quand  il  est  bien  em- 
penné. 

G'estoit  lors  un  grand  cas  que  ceste  conqueste  de 
Bellys  et  de  son  Pignon,  qui  estoit  une  haute  roche  oii 
il  y  avoit  une  forteresse  fort  mal  aisée  à  monter  et  à 
battre  :  et  dedans  y  pouvoit  avoir,  quelques  soixante 
Turcs  naturelz;  mais  ilz  s'effroyarent  et  s'en  allarent, 
n'ayant  tenu  que  trois  à  quatre  jours.  L'armée  qui 
estoit  devant  estoit  très  belle,  de  plus  de  dix  mil 
hommes,  et  de  soixante-dix  gallères,  où  comman- 
doit  don  Garcie  de  Tollède,  vice-roy  de  Scicille,  car 
je  la  vis  et  y  estois. 

J'ay  oiiy  raconter  en  Espaigne,  à  de  vieux  capi- 
taines et  soldatz  espaignolz,  que  Gonsalle  Pisarre  \ 
s'estantesmeu  et  rebellé  contre  l'empereur  Charles,  luy 
fit  de  grandes  guerres  civilles  aux  Indes,  ausquelles 
ne  fut  vaincu  jamais,  quelque  bataille  qu'il  ait  donné 
ny  rencontré,  sinon  à  la  dernière  qu'il  donna,  en 
ayant  combatu  jusques  à  l'extrémité  luy  et  ses  gens, 
no  como  leones ,  mas  como  verdaderos  EspaTwles . 
«  Non  comme  lions,  mais  comme  vrais  Espaignolz;  m 
voulant  par  là  inférer  qu'ilz  estoient  plus  braves  et 
hardis  que  lions.  Et  luy  ne  pouvant  plus,  et  ses  gens 
tous  deffaitz,  il  demanda  à  un  de  ses  compaignons 
et  capitaines  qui  s'apelloit  Jehan  d'Acosta  :  a  Que  fai- 

1 .  Gonzalo Pizarre  était  frère  de  François  Pizarre,  le  conquérant 
du  Pérou.  Le  9  avril  1548,  il  fut  défait  et  pris  à  cinq  lieues  de 
Cuzco,  dans  la  plaine  de  Xaquixaguana  par  Pedro  de  la  Gasca , 
conseiller  de  l'inquisition,  envoyé  au  Pérou  par  Charles-Quint 
pour  rétablii'  l'autorité  royale.  Le  lendemain  même  il  fut  dé- 
capité. 


96  RODOMONTADES 

a  rons-noiis,  nous  autres  qui  sommes  restez  seulz? — 
«  Allons-nous-en^  respondit  Acosta,  vers  la  Gasca,  » 
qui  estoit  un  capitaine  de  leur,  contraire  party.  «  Al- 
«  lons-v  donc^  dist  Pizarre.  »  Vamos  a  morir,  como 
biieuos  f  verdaderos  cJiristianos.  )>  «  Allons  mourir 
comme  vrais  et  bons  chrestiens,  »  pensant  estre  un 
acte  de  bonchrestien,  ce  dit  le  conte,  d'aymer  mieux 
se  rendre  à  son  ennemy  que  fuir;  aussi  dit-on  que 
jamais  ses  ennemis  ne  veirent  ses  espaulles.  Et, 
voyant  auprès  de  soy  Yillavicencio,  il  luy  demanda 
qu'il  estoit.  L'autre  luy  respondit  qiiera  serge nto 
major  del  cainpo  impérial^.  —  Y yo,  soy  Gonk,alle 
Pizaro,  respondit-il,  el  desdichado.  a  Et  moy  Gon- 
zalle  Pizarro  le  deffortuné,  »  et  luy  donna  son  espée. 
Il  marchoit  en  brave  cavallier,  et  en  contenance 
royale.  Il  estoit  monté  sur  un  beau  et  puissant  che- 
val, qui  ce  jour  l'a  voit  fait  ferrer  de  treize  clous  de 
chasque  pied,  afin  qu'il  ne  luy  manquast  au  besoing, 
armé  d'une  jacque  de  maille,  et  une  cuyrasse  fort 
riche,  et  par  dessus  une  cazaque  de  vellours,  et  en 
sa  teste  bourguignotte  toute  d'or,  qui  estoit  un  œuvre 
non  moins  beau  que  riche.  Ce  sergent-major  fut  fort 
ayse  d'avoir  fait  butin  d'un  tel  prisonnier,  et  incon- 
tinant  le  mena  devant  de  Gasça,  qui  estoit  celluy  qui 
commandoit,  qui  luy  demanda  soudain  s'il  estoit 
beau  d'avoir  esmeu  et  bandé  tout  ce  royaume  contre 
l'empereur  son  souverain  et  maistre.  Pizarre  respon- 
dit :  Yo  y  mis  hermanos,  hariendo  conquistado  estas 
tierras  y  paezes  a  nueslras  cuestas,  trabajos^  gastos 
y  sangre,  no  havemos  pensndo  pecar  contra  la  Sacra 

{.  Qu'il  était  sergent-major  du  camp  impérial. 


ESPAIGNOLLES.  97 

Maestdd,  gardnndolas  ,  y  regiendo  ,  y  gobernando , 
como  légitimas  sehores  y  conquistadores,  u  Moy  et 
mes  frères,  ayant  conquis  ceste  terre  et  le  pais  à  nos 
propres  coustz  et  despans,  avec  nostre  travail  et  nos- 
tre  sang,  n'avons  jamais  pensé  faillir  ny  pécher  con- 
tre la  Sacrée  Magesté  en  les  gardant  et  administrant 
comme  légitimes  seigneurs  et  conquerrans.  » 

Alors  Gasça  dist  qu'on  l'oslast  de  devant  liiy  ;  et  y 
eurent  plusieurs  soldatz  qui  eurent  chascun  plus  de 
cinq  ou  six  mille  pesantz  d'or  pour  leur  butin.  Le 
lendemain  de  sa  prise,  il  fut  sententié  à  miort,  et  à 
estre  décapité  et  mené  sur  une  mulle  les  mains  liées, 
et  ayant  une  cape  sur  les  espaulles.  11  mourut  en 
bon  clirestien,  par  signes,  sans  parler  un  seul  mot, 
retenant  au  reste  avec  soy  un'  autliorité  encores 
grande,  grave  façon  et  contenance  sévère.  Sa  teste 
fut  portée  en  la  ville  des  roys  *,  où  elle  fut  mise  sur 
un  pillier  de  marbre,  enfermée  d'un  trellis  de  fer, 
avec  ce  lillre  ou  escriteau  :  Aqui  esta  la  caheça  del 
trahidor  Gonzalle  Pizarro^  el  qiud  dio  la  batalla  en 
la  valle  de  Xaqusaguava  contra  la  bandera  y  estan- 
darte  real  del  Imperador  su  segnor,  al  lunes  9  de  abril 
1548.  «  Ici  est  la  teste  du  trahistre  Gonzalle  Pizarre, 
qui  donna  la  bataille  en  la  vallée  de  Xaquisaguava, 
contre  l'estandart  royal  de  l'empereur,  son  seigneur. 
Ce  lundy  9  apvril  1 548.  » 

Voylà  la  fin  de  Gonzalle  Pizarre,  qui  ne  fut  jamais 
vaincu  en  bataille  qu'il  aye  donné,  encor  qu'il  en 
ait  donné  plusieui's.  Diego  Centeno  paya  au  bourreau 
ses  habillemens,  qui  estoient  fort  riches,  affin  qu'il 

1 .  Lima  appelée  anciennement  Ciudad  de  los  reyes. 

VII  —  7- 


93  RODOMONTADES 

ne  le  despouillast  point,  le  faisant  enterrer  avecqu'- 
eux  en  la  ville  de  Cusco,  nonobstant  qu'il  eust  esté 
son  grand  ennemy  capital.  Acte  beau,  et  certes  di- 
gne, disant  que  non  era  tratto  de  chrisliano,  ny  tan 
poco  de  cavallero,  injuriar  y  ojfender  los  muertos. 
«  Que  ce  n'estoit  traict  de  chrestien  ny  de  cavallier 
injurier  et  offancer  les  mortz.  »  Il  ^  se  dict  de  plusieurs_, 
et  s'en  voit  qui  ont  fait  ce  traict  à  leurs  ennemys, 
dont  Dieu  les  en  pardonne. 

Après  la  sentence  de  Pizarre,  on  la  donna  de  mes- 
mes  à  Francisque  Caravajal_,  l'un  de  ses  complices  et 
capitaines,  à  estre  pendu  et  mis  en  quatre  quartiers, 
et  sa  teste  mise  avec  celle  de  Pizarre,  dont  il  dist  : 
Harto  es,  pues  que  no  puedo  rnorir  dos  vezes.  «  C'est 
assez;  je  ne  puis  mourir  deux  fois*,  m 

Un' soldat  gascon,  en  Piedmont,  ayant  esté  ainsy 
condemné  avoir  la  teste  coupée,  comme  dict  Rabe- 
lais, il  dict  :  Cah  de  diou^  lou  cabl  You  donne  lou 
reste  per  un  hardyt'*.  Il  dict  bien  un  autre  mot,  mais 
il  estoit   trop   sallaud;    et  pour  ce  je   le  tays,  bien 


\ .  Cette  phrase  et  le  commencement  de  la  suivante  manquent 
dans  le  manuscrit. 

2.  Tout  ce  que  Brantôme  raconte  de  Gonzalo  Pizarre  et  de 
F.  de  Caravajal  est  tiré  soit  des  Commentarios  reaies  de  l'inca 
Garcilasso  de  la  Vega,  deuxième  partie,  liv.  II,  ch.  xxxvi  et  suiv., 
Cordoue,  1617,  in-f°,  p.  200  et  suiv.,  soit  de  YHistoria  del  des- 
cubrimiento  y  conquista  del  Peru,  d'Augustin  de  Zarate,  liv.  VU, 
chap.  VII  et  vm. 

3.  Ce  qui  suit  jusqu'à  la  ligne  10  de  la  p.  100  manque  dans  le 
manuscrit. 

4.  Tête-Dieu!  La  tête  !  Je  donne  le  reste  pour  un  hardi.  —  Le 
hardi  était  une  monnaie  de  billon  frappée  en  Guyenne  et  qui  va- 
lait trois  deniers. 


J 


ESPAIGNOLLES.  99 

qu'il  fust  plaisant,  et  mesmes  estant  sur  le  poinct  de 
la  mort. 

Ainsi  en  diet  de  mesmes  un  pauvre  Espaignol  qu'on 
condemna  estre  pendu  :  Harto  es.  Yo  muerto,  que 
me  llei^en  a  la  carniceria\ 

Un  autre,  ayant  esté  condempné  par  le  juge  d'estre 
pendu,  il  ne  sceut  que  luy  dire,  sinon,  d'un  despit, 
qu'il  ressembloit  bien  à  Pilate;  mais  le  juge  respon- 
dit  bien  mieux  :  ^  lo  menas  ^  no  liware  mis  manos, 
para  condenar  un  tan  gran  vellaco  coma  ços^. 

Un  autre  dict  aussy  bien,  estant  condemné  d'avoir 
les  deux  oreilles  coupées.  Ainsy  que  le  bourreau  lui 
eust  haussé  les  cheveux  pour  les  voir  et  les  luy  couper, 
et  ne  les  ayant  point  trouvées,  le  bourreau  luy  dict 
en  colère  :  Os  hurlais  asi  de  la  génie?  L'autre  luy 
respondit  :  Cuerpo  de  tal,  esioy  obligado  a  dar  orejas 
cada  martes^?  Pensez  que  c'estoit  un  mardy  qu'on 
les  luy  avoit  coupées  auparavant,  et  que  pour  cela  il 
n'en  amanda  ny  n'en  empira  son  marché. 

Voylà  comment  ces  marauds  se  gaudissent  sur  le 
poinct  de  la  mort.  Ce  ne  sont  pas  eux  seulement, 
mais  gens  de  plus  grande  estoffe  et  de  plus  saincte 
vie  qu'eux;  ainsi  qu'il  advint  à  un  fraj  bernardine'' 
espaignol.  Ainsy  qu'il  estoit  sur  les  agonies  de  la  mort, 
et  qu'un  sien  compaignon  le  vint  consoller  et  re- 
monstrer  qu'il  n'en  mourroit  point  ce  coup,  et  que 

1.  C'est  assez.  Moi  mort,  qu'on  me  porte  à  la  boucherie. 

2.  Au  moins,  je  ne  laverai  pas  mes  mains  pour  condamner  uu 
aussi  grand  coquin  que  vous. 

3.  Vous  moquez-vous   ainsi   du   monde?   —  Corbleu!  suis-jc 
obligé  de  fournir  des  oi-eilles  chaque  mardi  ? 

4.  Moine  bernardin. 


iOO  RODOMONTADES 

pour  le  seiir  il  pstoit  prédestiné  de  mourir  un  jour 
j)rélat,  il  luy  respondit  plaisamment  :  Olro  muere 
prelado^  y  yo  morire  pelado\  Cela  vouloit  inférer 
qu'il  mourroit  la  teste  pelée  et  rase,  comme  religieux 
qu'il  cstoit,  ou  qu'il  eust  quelque  maladie  chaude. 

Pour  retourner  à  ce  brave  Caravajal,  outre  qu'il 
fut  brave  et  vaillant  en  faictz,  il  estoitaussy  subtil  en 
motz,  et  surtout  avecqiies  cela  très  cruel,  et  tel  que 
le  proverbe  en  sortit  de  luy  :  Mas  fiero  y  cruel  que 
CaravajaL^  La  nuict  para  vaut  qu'il  fut  exécuté,  le 
capitaine  Centeno  le  fut  voir.  Caravanjal  fit  sem- 
blant, tant  il  estoit  glorieux,  de  ne  le  cognoistre 
point.  Quand  l'autre  luy  eust  dit  s'il  ne  le  recognois- 
soit  pas,  il  respondit  :  Como  te  podria  yo  conocer^ 
que  nunca  te  vi  pov  la  delantera ,  si  no  por  la  t  ra- 
sera ^?  Quelle  chasse  !  par  laquelle  luy  donna  en- 
tendre soubz  bourre,  et  le  picqua,  que  l'autre  avoit 
lousjours   fouy  devant   luy  en   tous  ses  combatz'^; 

1.  Un  autre  mourra  prélat,  et  moi  je  mourrai  pelé. 

2.  Plus  fier  et  plus  cruel  que  Caravajal. 

3.  Comment  pourrais-je  te  connaître?  je  ne  t'ai  jamais  vu  par 
devant,  mais  seulement  par  derrière. 

4 .  F~ar.  T.a  nuict  avant  qu'il  fust  exécutté ,  le  capitaine  Cen- 
teno le  fut  voir.  Caravanjal  lit  semblant  de  ne  le  cognoistre  point. 
Quand  l'autre  luy  eut  dit  s'il  ne  le  recognoyssoyt  point,  il  res- 
pondit :  Como,  te  podria  y o  te  conocer  que  nunca  te  vi  que  por 
de  tras?  «  Comment  vous  pourrois-je  cognoistre  que  je  ne  vous 
ay  jamais  veu  que  par  le  derrière  ?  »  luy  donnant  à  entendre 
soubz  bourre  et  le  piquant  que  l'autre  avoit  tousjours  fouy  devant 
luy.  Quelle  chasse!  Il  estoit  fort  subtil  en  telles  responces,  et 
fort  brave  et  vaillant,  mais  si  cruel  que  le  proverbe  en  sortit  : 
mas  fiero  y  cruel  que  Caravanjcû.  «  Plus  cruel  que  Caravanjal.  » 
(Ms.  2373,  f"  157  v°.)  —  Brantôme  a  arrangé  le  texte  de  Garci-  :v 
lasso  de  la  Vega,  que  voici  :  Dixo  entonces  Carvajal  :  Por  Dios,        !?; 


ESPAIGNOLLES.  101 

Chasse*  certes  aussi  bonne  que  celle  d'une  dame  de 
la  court  d'Espaigne ,  laquelle,  voulant  mal  à  un  ca- 
vallier  qui  estoit  allé  en  ceste  dernière  guerre  de 
Grenade  *,  ainsi  que  le  bruict  vint  à  la  court  qu'il 
estoit  mort,  elle  dict  :  ISo  piiede  ser ;  porqiie  los 
Moros  no  comen  carne  de  liebre^;  villaine  attaque 
pourtant  pour  le  taxer  de  couardise  comme  le  lièvre, 
qui  fuit  tousjours  et  ne  combat  jamais;  ou  possible 
pour  la  lèpre,  car  les  Mores  n'en  mangent  point  pour 
ce  subject,  non  plus  que  du  pourceau  et  autres  ani- 
maux deflendus  en  leur  loy. 

Pour  parler  de  la  cruauté  de  ce  Caravajal,  il  se 
dict  qu'il  tua  plus  de  cent  hommes  de  sa  main  propre 
en  une  battaille  qu'il  donna.  11  estoit  aagé  de  plus 
de  quatre-vingtz  quatr'  ans  lorsqu'il  mourut.  Quel 
brave  et  vaillant  vieillard  I  II  fut  fort  dur  à  se  con- 
fesser. Il  avoit  porté  une  enseigne  en  la  battaille  de 
Ravanne,  et  paravant  avoit  esté  soldat  du  grand  ca- 
pitaine Gonsalve  au  royaume  de  Naples.  De  bon 
maistre  bon  aprentif;  car  c'a  esté  un  des  meilleurs 
hommes  de  guerre  qui  ait  jamais  passé  aux  Indes,  ce 
disoyt-on  lors*. 

La  maison  de  Pizarre  et  [celle]  de  Caravanjal  furent 


senor,  que  como  siempre  via  vuesa  merced  de  espaldas  que  agora 
teniendole  de  cara  no  le  conocia  (liv.  V,  ch.  xxxix). 

1.  Ce  qui  suit  jusqu'à  la  fia  de   l'alinéa  manque  dans  le  ma- 
nuscrit. 

2.  En  1570. 

3.  Cela  ne  peut  être;  car  les  Mores  ne  mangent  point  de  chair 
de  lièvre. 

4.  Zarate,  dans  l'ouvrage  cité  plus  haut  (p.  98,  note  i)  con- 
tient (liv.  V,  ch.  xi)  de  cui'ieux  détails  sur  lui. 


1  (>2  RODOMONTADES 

(lu  lout  rasées,  et  dedans  toutes  semées  de  sel,  avec  tel 
escriteau  :  Icy  sont  les  maisons  des  traîtres  Pizarre  et 
CaravanjaL  De  mon  temps,  que  j'estois  en  Espaigne, 
leurs  noms  et  valleurs  raisonnoient  encores  par  la 
bouche  d'un'  infinité  de  gens,  et  en  racontoient  de 
beaux  et  esmerveillables  actes,  et  ne  se  pouvoient 
saouler  d'assez  les  louer.  Que  c'est  que  de  vaillance  I 
car,  qu'elle  soit  ou  mal  ou  bien  employée,  ell'  est 
toujours  estimée,  ainsi  que  dit  le  refFrain  en  latin  : 
Fama,  swe  bona,  ^swe  mala,  fama  est.  Et  autres  di- 
sent :  Sive  honum,  swe  maliim  fama  est.  «  Toute  re- 
nommée, soit  bien  ou  mal,  est  renommée;  »  ou 
bien,  «  soit  bonne  ou  mauvaise,  c'est  renommée,  » 
et  mesmes  quand  elle  part  d'un  cœur  vaillant  et 
généreux,  et  non  point  poltron;  car  enfin  tout  cœur 
généreux,  qui  entreprend  quelque  chose  de  grand 
selon  soy,  ne  sçauroit  estre  autrement  que  fort  estimé 
et  loué,  comme  Machiavel  en  est  de  cet  ad  vis.  Mais 
pourtant  il  est  bien  tousjours  plus  louable  et  plus 
sainct  faire  bien  que  mal;  car  enfin  le  bien  est  tous- 
jours  récompansé  pour  le  bien,  et  mal  pour  le  maL 
Il  faut  conter  ceste  rodomontade  en  fait,  qui  est 
très-belle,  et  pourtant  incroyable  :  Muchas  cosas  han 
acaescido  a  los  Espagnoles  en  diversas  partes,  des- 
pues que  y  con  invincibles  animos^  andan  desplegando 
sus  banderas  quasi  per  todo  el  mundo  ;  por  las  qua- 
les  han  merescido  entre  todas  las  naciones  renombre 
de  inmorlal  memoria.  Y  dexadas  muchas  que  por 
varias  historias  andan  celebradas,  el  écho  solo  de  un 
soldadOj  el  quai  ïndignamente  esta  puesto  en  olvido, 
fuerca  a  créer  quanto  sea  el  animo y  valor  de  lagente 
espagnola.  Al  tiempo  que  el  marques  de  Pescara  an- 


ESPAIGNOLLES.  103 

dai>a  en  buelto  en  las  porfladas  guerras  de  Lombar- 
dia,  haviendo  se  tnivada  entre  Franceses  f  Espagnoles 
una  pelea^  vino  a  herir  una  pelota  a  Luys  de  la  Seiia, 
soldado^  que  andava  puesto  en  hilera  en  su  squadron 
de  infanteria;  y  no  valiendo  la  deffensa  del  cosselete, 
le  entro  la  pelota  en  el  cuerpo.  El  animoso  soldado, 
sentiendo  que  la  pelota  baxaha  por  los  vazios  a  las 
tripas,  aparlado  un  poco  de  su  ordonença,  con  incom,' 
payable  esfuerco  y  osadia,  saccandose  un  cuchillo,  se 
hizo  una  pequena  abertura  en  la  barn'ga,  por  donde 
(casa  que  parère  fabula)  hizo  salir  la  bala  :  y  bol- 
viendo  con  los  dedos  las  tripas  para  dentro,  con  ani- 
mo  nunca  visto^  hizo  con  la  punta  del  cuchiVo,  de  una 
y  otra  parte  ^  algunos  agajeros  en  sus  mesmas  car- 
nes^ y  passando  por  ellos  la  agujela^  cosio  con  grande 
constancia  la  abertura  que  luwia  iiecho  ;  y  buelto  a 
su  hillera,  no  se  conocio  en  su  semblante  el  marty- 
rio  que  de  si,  con  sus  nianos,  havia  hecho  antes  hizo; 
y  parecia  de  hizo  su  personado  entre  los  muy  sanos, 
nquel  que  ténia  el  cuerpo  tan  mal  dispuesto  :  hasta 
que  de  hay  a  poco  rato  lo  hirieron  de  un  arcabuzazo 
en  la  cefa,  y  le  quebraron  un  ojo,  por  lo  quai  fue  ne- 
cesario  que  le  sacasen  del  escadron.  Y  no  con  me  nos 
diligencia  que  admiracion  curado,  vino  a  Valladolid 
donde  estaba  el  emperador  don  Carlos,  y  monstrando 
el  testimonio  de  su  valentia,  Su  Mngeslad  le  hizo 
nierced  de  cien  ducados  de  renia  para  siempre.  «  Plu- 
sieurs cas  et  événemens  sont  arrivez  aux  Espaignolz 
en  beaucoup  d'endroitz  despiiis  qu'ilz  vont  d'un  gé- 
néreux courage,  desployant  leur  bandière  quasi  par 
tout  le  monde;  par  lesquelz  ilz  ont  méritez  sur  toutes 
naclions  le  renom  d'une  mémoire  immortelle,  et  en 


104  RODOMONTADES 

laissant  plusieurs  qui  sont  cellébrez  en  plusieurs  et 
diverses  histoires,  l'acte  d'un  simple  soldat,  lequel  par 
trop  indignement  est  mis  en  oubly,  force  et  con- 
trainct  à  croire  combien  soit  le  courage  et  valeur  de 
la  gent  espaignoUe.  Au  temps  que  le  marquis  de 
Pescayre  estoit  embrouillé  aux  guerres  opiniastres  en 
Lombardie,  s'cstant  attaqué  entre  les  François  et 
Espaignolz  un  combat_,  il  y  eut  une  balle  d'arquebus 
qui  vint  à  blesser  Louys  de  la  Sanna,  soldat,  ainsi 
qu'il  marchoit  en  sa  file  et  son  ordre  parmy  son  es- 
quadron  d'infanterie  et  ne  luy  servant  la  deffence  du 
corcellet,  la  balle  luy  entra  dans  le  corps.  Le  brave 
soldat  sentant  que  la  balle  luy  baissoil  par  le  vague 
dans  les  trippes,  se  retirant  un  peu  de  son  ordon- 
nance, avec  un  cueur  grand  et  incomparable  har- 
dyesse,  tirant  son  Cousteau  se  fit  une  petite  ouverture 
au  ventre,  par  où  (chose  qui  parest  fable)  fit  sortir 
la  balle  et  avec  les  doigtz  retournant  et  ressarrant 
les  trippes  par  le  dedans,  d'un  courage  non  jamais 
veu,  fit  encores  avec  la  poincle  du  cousteau  d'une  et 
autre  part  deux  petitz  trous  en  forme  d'œilletz  dans 
sa  mesme  chair,  et  passant  à  travers  d'eux  un'  aguil- 
lette,  par  une  grande  constance  cousut  et  ferma  l'ou- 
verture qu'il  avoit  faite,  et  après  s'en  tournant  à  sa 
fille  et  à  son  ordre,  il  ne  se  cognent  en  luv  aucune- 
ment ny  en  son  semblant  le  martyre  qu'il  s'estoit  fait 
et  donné  avec  ses  propres  mains,  ains  comme  devant 
joua  son  personnage  parmy  les  sains  celluy  qui 
avoit  son  corps  si  mal  disposé  et  blessé,  jusques  à  ce 
que  de  là  à  un  peu  de  temps,  il  fut  lilessé  d'un'  har- 
quebusade  sur  le  sourcil  qui  luy  rompit  et  creva  l'œil 
dont  luy  fut  nécessaire  qu'on  i'ostast  de  l'esquadron 


ESPA.IGNOLLES.  405 

et  de  son  rang,  et  fut  après  guéry  avec  autant  de  dil- 
ligence  que  d'admiration;  et  estant  venu  à  Vailledol- 
lid  où  estoit  pour  lors  l'empereur  Charles,  s'estant 
présenté  à  luy  et  luy  monstre  tesmoignage  de  sa 
vaillance,  SaMagesté  luy  fit  donner  pour  récompence 
cent  ducatz  de  rente  annuelle  et  pour  tousjours.  » 

Je  crois  qu'après  ce  conte  il  ne  me  faut  mesler  d'en 
faire  un  autre  de  plus  grande  générosité  espagnolle 
que  celluy-là.  Geste  rodomontade  en  vaut  bien  cent 
autres  de  parolles.  Je  pense  qu'on  ne  sçauroit  quel 
plus  louer,  ou  ce  soldat  espaignol,  ou  M.  Sceva*,  l'un 
des  esleuz  et  favoris  soldatz  de  Jules  Cézar,  lequel 
après  s'estre  trouvé  (luy  faisant  service)  en  plusieurs 
battailles,  rencontres  et  combatz  en  la  Gaulle,  et 
s'estre  fait  signaller  par^  un  des  vaillans  et  détermi- 
nez soldatz  qui  fussent  à  son  armée,  et  venant  la 
guerre  entre  luy  et  Pompée  en  ce  grand  combat  qui 
se  fit  entr'eux  deux  à  Duracliie  ',  ce  soldat ,  après 
avoir  heu  un  œil  crevé,  et  son  corps  percé  en  six 
divers  endroictz  de  part  en  part,  et  son  bouclier 
trouvé,  auquel  estoient  encores  fichées  et  plantées 
six-vingtz  flesches,  en  outre  trouvez  plus  de  deux  cens 
trous  de  flesches  qui  l'avoient  percé  à  jour,  se  jette 
(ce  néanmoins)  hardiment  dans  la  mer;  et  fit  tant 
qu'il  se  sauva  à  la  nage,  et  vint  trouver  son  général. 
Encor,  après  avoir  si  bien  fait,  se  présentant  à  luy 
desnué  de  ses  armes  (chose  illicite  en  la  millice  ro- 
maine), se  mit  à  luy   crier  :  «  Ah!    mon  empereur, 


1.  M.  Cesius  Sceva.  Voy.  Valère  Maxime,  liv.  III,  ch.  ii,  n°  23. 

2.  Par^  pour. 

3.  DyiTachium,  aujourd'hui  Durazzo. 


i  06  RODOMONTADES 

pardonnez-moi  si  j'ay  perdu  mes  armes.  »  A  quoy 
César  ne  fit  autre  esgard  ny  réprimande;  mais  le 
louant  pardessus  tout,  le  mit  en  honneur  et  estât  de 
centenier. 

J'ay  cogneu  un  brave,  escabreux  et  vaillant  gen- 
tilhomme de  Brelaigne,  qui  s'apelloit  M.  de  Ma- 
reuil,  de  fort  bonne  maison,  nourry  autresfois  page 
d'honneur  du  roy  François  premier  :  lequel,  aagé  de 
soixante  ans,  en  la  bataille  de  Dreux,  ayant  fait  ce 
qu'un  homme  de  guerre  peut  faire  vaillamment,  et 
y  ayant  esté  blessé  en  trois  endroits,  Fun  d'un  coup 
de  pistollet  dans  le  bras  gauche,  et  l'autre  d'espée 
dans  le  corps  au  'deffaut  de  l'arnois*,  et  se  sentant 
foible  du  sang  qu'il  rendoit,  s'en  vint  trouver  (tout 
sanglant  qu'il  estoit,  tant  du  sang  de  l'ennemy  que 
du  sien)  M.  de  Guyse,  et  luy  dist  en  luy  monstrant 
ses  blessures  :  «  Monsieur,  je  vous  suplie  me  dire  et 
«  juger  si  je  suis  encor  en  estât  de  combattre,  ou  de 
«  me  retirer  pour  me  faire  penser.  Que  si  vous  me 
«  jugez  encor  bon  pour  retourner  à  la  charge,  et 
«  qu'ainsi  le  voulez,  je  m'y  en  vais  pour  m'achever  : 
«  si  non,  et  qu'il  vous  plaise  me  commander  de 
«  m'aller  faire  penser,  je  m'y  en  vais;  mais  autrement 
«  n'yray  je  point  si  vous  ne  me  le  commandez.  — 
«  Ouy,  responditM.  de  Guyse,  monsieur  de  Mareuil, 
((  je  veux  que  vous  ailliez  faire  penser,  et  le  vous 
'i  commande  quand  vous  ne  le  voudriez  pas.  Vous 
«  en  avez  assez  fait  pour  vostre  part.  »  Je  vis,  le  soir, 
que  M.  de  Guyse  fit  le  conte;  et  ledit  sieur  de  Ma- 
reuil fut  si  bien  secouru  et  pensé  qu'il  eschapa,  et 

1 .  Arnois,  armure. 


ESPAIGNOLLES.  107 

vesquit  encores  plus  de  quinze  ans  après,  tousjours 
aussi  brave  et  vaillant  que  jamais,  et  tousjours  esca- 
labroux  et  querelleux,  et  avoit  tousjours  quelque  que- 
relle. Encor  un  an  advant  que  mourir,  en  eut-il  une 
contre  Saincte-Collombe  le  bègue,  très  brave  et  baut 
à  la  main,  et  vaillant;  et  les  trouva  l'on  à  Bloys 
qu'ilz  s'alloient  battre,  sans  qu'ilz  furent  empescbez, 
et  puis  accordez.  Ce  M.  de  Mareuil  fut  pour  ses 
mérites  récompancé  de  l'ordre  Sainct-Michel,  qui 
estoit  peu  de  chose,  car  il  estoit  par  trop  commun  : 
il  méritoit  de  plus  grands  biens  et  grades. 

Les  soldatz  espaignolz  qui  vinrent  au  premier 
voyage  en  France  avec  le  prince  de  Parme,  disoient  : 
Que  eran  todos  de  una  volunlad,  es  a  scdjer,  morir  o 
vence7\  «  Hz  estoient  tous  d'une  mesme  volunté  :  mou- 
rir ou  vaincre,  »  j  preslos  al  niandamiento  de  su 
gênerai  (tous  prestz  à  obéir  aux  commandemens  de 
leur  général)  ;  y  en  su  armada,  con  el  claror  de  las 
armas  de  los  soldados,  sus  rayos  del  sol  hazia  mas 
ilustres,  de  inanera  que  con  queslas  luzidas  armas, 
j  con  las  rlcas  cublerLas  y  panachos  engallados^  pa- 
recia  una  muestra  de  una  muj  flurida  huerta^  que  re- 
presentava  alli  la  orgulleza  del  coraçon,  j  dava  senal 
en  los  colorados  rostros,  tanto  que,  solo  con  el  aspecto, 
ponian  furor,  f  manifestavan  a  los  enemigos  el  pe- 
ligro  tan  cerca  que  sus  presencias .  «  Et  en  son  armée 
avec  la  clairté  des  armes  des  soldatz,  le  soleil  en 
monstroit  ses  rayons  plus  clairs  et  plus  illustres,  de 
mode  qu'elle  se  paressoit  avec  leurs  riches  couver- 
tures et  casaques  de  gendarmes  et  leurs  braves  pe- 
naches  pendillans  une  monstre  d'un  jardin  bien 
fleury   qui    là    représenloit   l'orgueil    du   cueur,   et 


108  RODOMONTADES 

donnoit  signal  aux  visages  collorez  tant  et  tant  que, 
avec  le  seul  regard,  ilz  donnoient  fureur  et  manifes- 
toient  aux  ennemis  le  péril  aussi  près  d'eux  comme 
leur  présence.  »  Voylà  de  beaux  motz  certes,  et  sur- 
tout les  deux  derniers. 

Un  soldat  espaignol,  me  louant  une  fois  le  roy 
d'Espaigne,  me  disl  :  Ninguno  aj  en  nuestros  tiem- 
pos  entre  los  principes  christianos  y  inoros,  a  quien 
se  deva  acalamiento  y  obediencia ,  como  al  catho- 
lico  rey  d Espagna^  nu  senor,  ciijos  notables  he- 
chos^  sabidos  hasta  las  estrellas,  oscurecen  los  de  los 
emperadores.  Y  no  es  nienester  que  lo  diga  :  diganlo 
los  rey  nos  y  reyes  del  ^encidos,  digalo  todo  el  rnondo. 
«  Il  n'y  a  point  en  nostre  temps,  entre  les  princes 
chrestiens  et  Mores,  roy  à  qui  l'on  doive  porter  plus 
d'honneur,  de  respect  et  obéissance  qu'au  roy  catho- 
lique, mon  maistre;  les  faitz  notables  duquel,  montez 
jusqu'aux  estoilles,  obscurcissent  ceux  là  des  empe- 
reurs sans  qu'il  soit  besoing  que  je  le  die,  que  lesroys 
et  royaumes  par  luy  subjuguez  et  vaincuz  le  disent; 
voire  le  dise  mesmes  tout  le  monde.  » 

Le  duc  d'Albe,  celluy  qui  conquesta  le  royaume 
de  Navarre  pour  Ferdinant,  estant  prest  d'estre  as- 
siégé dans  Pampelune  par  le  roy  Jehan  de  Navarre, 
assisté  des  forces  françoises  que  le  roy  Louys  XII  luy 
avoit  envoyé,  conduictes  par  M.  d'Angoulesme,  jeune 
prince,  despuis  roy  François,  et  de  M.  de  La  Pal^ 
lice,  les  habitans  dudict  Pampellonne  luy  ayant  re- 
monstré  le  peu  de  force  qu'il  avoit  léans  pour  faire 
teste  à  une  si  grande  armée,  il  leur  respondit  que  : 
A  un  mas  génie  desseava  el  que  se  fuessen,  porque 
nias  fionra  a  los  pocos  quedava.  Los  Pampeloneses^ 


ESPAIGNOLLES.  10<) 

acordando  se  poco  desla  îionra^  dixeron  :  «  Mas  la 
honra  sin  ^ente  mal  se  gana.  *  »  «  Qu'il  ne  desiroit 
qu'il  y  eust  d'avantage  de  gens,  pource  que  plus 
grand'gloire  demeureroit  au  petit  nombre  qui  leur 
fairoit  teste,  mais  ceux  de  Pampellonne  ne  se  soucians 
de  cest  honneur,  luy  respondirentque  voluntiers  ceste 
gloire  mal  s'acquiert  sans  gens,  m  Respondu  bien, 
certes,  pour  ceux  qui  veulent  jouer  leur  jeu  au  plus 
seur,  et  au  proflit  du  mesnageMe  l'honneur.  Pélopi- 
das  dist  bien  autrement,  lorsqu'il  voulut  aller  contre 
Allexandre  le  tyran  :  on  luy  vint  dire  comme  l'on 
avoit  recogneu  ses  forces,  et  qu'il  y  avoit  grand  nom- 
bre de  gens  montant  bien  plus  que  les  siens.  Il  res- 
pondit  seulement  :  «  Tant  plus  ilz  seront,  tant  plus 
nous  en  tuerons*.  »  Celluy-là  avoit  l'esprit  tandu  plus 
au  carnage  qu'à  l'honneur;  non  pas  comme  un  ca- 
pitaine espaignol  disoit  :  Que  adonde  liaj  mas  afren- 
ta^  alli  mas  honra  se  gana.  «  Là  où  il  y  a  plus 
d'hasard  et  d'affront  *,  là  plus  de  gloire  s'acquiert.  » 
Je  croys  l'avoir  dit  ailleurs 

Un  capitaine  espaignol,  petit,  fort  d'estature,  luy 
estant  fait  la  guerre  de  sa  pettilesse,  il  respondit  : 
En  los  cuerpos  pequehos  se  ensierra  un  grande  y 
fuerte  coracon  ;  porque  la  natura  aquello  que  falto 
en.  et  cuerpo^  puso  en  la  {>irtud  del  animo.  «  Dans  les 


1 .  Ceci  est  tiré  (p.  199)  de  la  Conquista  de  Nm<arra  dont  il  est 
question  plus  bas,  p.  111,  note  4.  Le  duc  d'Albe  est  Frédéric  de 
Tolède,  dont  Brantôme  a  parlé,  t.  I,  p.  129. 

2.  Mesnage,  épargne. 

3.  Plutarque,  Fie  de  Pélopidas,  ch.  lviii. — II  s'agit  d'Alexan- 
dre, tyran  de  Phères. 

4.  Affront,  c'est-à-dire  d'obstacles,  de  dangers  à  affronter. 


110  RODOMONTADES 

corps  des  petitz  s'enserre  un  grand  et  fort  courage, 
parce  que  la  nature  a  mis  cela  qui  se  faut  au  corps 
en  la  vertu  de  l'esprit  et  de  l'âme.  » 

Un  autre  disoit  pourquoy  il  bravoit  tant,  estant 
si  petit,  et  n'avoit  tant  de  quoy  à  braver.  Il  respon- 
dit  :  Hombre  chiquilo,  si  no  brava,  no  vale  nada. 
«  Un  homme  petit,  s'il  ne  brave,  il  ne  vaut  rien.  » 
Comme  de  vray  j'en  ay  veu  un'  infinité  de  petitz 
hommes,  n'ayans  pas  bien  de  quoy  à  payer  leur 
homme  :  autrement,  vous  les  voyez  estandre  sur  la 
poincte  des  piedz,  ayans  leurs  gentes^  mules,  ou,  pour 
mieux  dire,  leurs  eschasses  de  liège,  ainsi  que  j'en 
ay  veu  plusieurs  se  hausser  le  plus  qu'ilz  peuvent,  et 
se  gehenner  en  leurs  postures,  affin  qu'ilz  puissent 
mieux  braver  et  faire  la  piaffe.  Enfin  ce  sont  des 
mirmidons  targués'  pour  faire  la  guerre  aux  grues; 
ou  voudroient  fort  estre  toujours  montez  sur  des 
cluchiers  '  pour  parler  de  plus  haut.  Voylà  comment 
les  petites  gens  ne  se  contentent  point  de  leurs  pet- 
titesses,  mais  souhaitent  toujours  estre  grands.  Si 
est-ce  que  ce  n'est  pas  le  meilheur  que  d'estre  si  grand 
extravagamment  ;  car  j'ay  veu  force  de  ces  grands 
n'estre  pas  plus  habiles  que  les  petitz,  voire  très  ba- 
dautz  et  fadatz*  de  nature  et  d'art,  ny  plus  vaillans 
non  plus,  mais  très  poltrons;  et  outre,  l'on  les  vise 
mieux  à  la  guerre,  et,  qui  plus  est,  sont  fort  subgetz 
àavoir  les  jarretz  coupez,  qui  y  veut  tirer  :  ainsi  qu'il 


\.  Gentes^  gentilles. 

2.  Targués^  targés,  couverts  de  targe  (bouclier). 

3.  Cluchiers,  clochers. 

4.  Fadat^  sot. 


ESPAIGNOLLES.  Hl 

se  dit  et  se  list'  que  lorsque  le  grand  sultan  Soliman 
fut  à  Hongrie  et  à  Vienne*,  fut  pris  dans  une  forteresse 
un  soldat  lansquenet  de  si  extrême  auteur',  qu'on  le 
tenoit  pour  un  géant  et  pour  un  miracle  de  na- 
ture, si  bien  que  l'on  en  fit  un  présent  au  grand  Sol- 
liman,  pensant  qu'il  s'en  deust  servir  h  sa  garde. 
Mais,  au  lieu  de  cela,  il  en  tira  son  plaisir  par  une 
barbare  cruauté;  car  il  le  fit  attacher  par  les  bras  et 
les  piedz.  et  le  fit  mettre  tout  debout  en  une  salle 
pour  combattre  en  estaquade  contre  un  petit  nain 
qu'on  luy  avoit  donné,  et  qu'il  avoit  en  délices.  Ce 
petit  nain  estoit  armé  de  son  espée,  qui  demeura 
plus  d'un'  heure  à  tuer  ce  géant,  tant  il  avoit  peu  de 
force  et  assenoit  si  mal  ses  coups,  ores  luy  donnant 
sur  le  corps  comme  il  se  pouvoit  hausser,  ores  sur 
les  cuisses,  ores  sur  les  jarretz,  le  paouvre  géant  pa- 
rant aux  coups  au  mieux  qu'il  pouvoit  et  esquivant. 
Enfin  il  tumba  par  terre,  et  ce  nain  le  paracheva 
comme  il  peut  :  et  ainsi  en  donna  le  plaisir  à  Soli- 
man, et  à  aucuns  bâchas  et  grands  de  sa  court.  Il  y 
pouvoit  avoir  du  plaisir  pour  ceux  qui  sont  barbares 
et  cruelz,  et  de  la  risée,  mais  nullement  pour  nous 
autres  qui  sommes  chrestiens.  Je  croys  que  les  Ro- 
mains n'exibarent  jamais  un  tel  passe-temps. 

J'ay  leu  dans  un  livre  espaignol,  qui  se  nomme  La 
Conquista  de  Ncwarra  *,  que  le  roy  Jehan  de  Navarre 

1.  C'est  P.  Jove  qui  raconte  le  fait  au  commencement  du 
XL*  livre  de  son  Histoire. 

2.  En  1541.  —  3.  Auteur,  hauteur. 

4.  La  Conquista  del  reyno  de  Navarra,  par  Luy  S  Correa,  To- 
lède, 1513,  in-f°,  goth.  Ce  livre  fort  rare,  que  Brantôme  a  déjà 
cité  (t.  I,  p.  430),  a  été  réimprimé  à  Pampelune  en  J843,  in-8°, 


112  RODOMONTADES 

ayant  envoyé  un  héraut  vers  les  ducz  d'Albe  et  de 
Nagere,  tous  deux  généraux  de  l'armée  (ce  qui  n'est 
pas  le  meilleur,  porque  una  hueste  gobeniada  de  dos 
soberanos  ccipitanes,  nunca  bien  se  conserva  \  «  par- 
ce qu'une  armée  gouvernée  par  deux  généraux  jamais 
bien  se  conserve)  »,  pour  demander  bataille  auprès 
de  Pampellonne,  ilz  respondirent  que  alli  no  la  que- 
rian  dar^  mas  en  los  razos  carnpos  de  Bordeos,  adon- 
de  aderessaban  sus  caminos,  para  conquisfar  toda  la 
Gujenna^.  «  Que  là  ilz  ne  la  vouloient  donner,  mais 
aux  plaines  rases  de  Bourdeaux,  là  où  ilz  adressoient 
leurs  pieds  et  chemin  pour  conquérir  toute  la  Guyen- 
ne. »  Cequ'ilz  ne  firent  et  ne  tindrent,  car  l'obstacle 
estoit  trop  grand  :  aussi  ne  le  voulloient-ilz  entre- 
prendre, mais  il  falloit  qu'ilz  fissent  ceste  bravade. 
Après  la  battaille  deSainct-Quantin,  les  Espaignolz 
disoient  :  Este  dia  perdieron  los  Franceses  el  nom- 
bre que  Tito  Livio  les  da^  diziendo  :  «  Galli  sunt  glo- 
ria  belli.  »  «  Ce  jour,  les  François  perdirent  le  nom 


pai'  les  soins  de  Don  José  Yanguas  y  Miranda,  sous  le  titre  de 
Historia  de  la  Conquista  del  reino  de  Navarra  por  el  duque  de 
Jlba escrita  por  Luis  Correa.  —  Nous  n'avons  pu  nous  pro- 
curer que  cette  réimpression. 

\.  Por  do  consta  que  nunca,  hueste  gobernada  de  dos  sobe- 
ranos capitanes  se  pudo  conservar  {Conquista  de  Navarra,  p.  235). 

2.  A  cette  rodomontade  Brantôme  a  ajouté  la  gasconnade  qui 
suit  et  qui  est  de  son  cru  ;  car  voici  le  texte  du  chroniqueur  : 

El   duque  de  Najara, respondiô  que  él  era  muy  contento  de 

les  dar  la  batalla  ;  que  esperasen  porque  parecia  estar  de  camino 
y  que,  no  solo  alli,  mas  en  los  rasos  campos  de  Burdeos  se  la 
presentaria.  El  rey  de  armas  respondiô  que  si  la  habian  de  dar 
fuese  luego,  porque  no  podian  mas  esperar  :  esto  diciendo  se  fué 
{Conquista  de  Navarra^  p.  241). 


ESPAIGNOLLES.  HZ 

que  Tite  Live  leur  donne,  disant  que  les  Gaulois  sont 
l'honneur  de  la  guerre.  »  Hz  ne  s'en  doivent  point 
mocquer,  parce  comm'  eux-mesmes  disent,  las  cosas 
de  la  guerra  van  mal  al  tiernpo  que  mas  sin  pensarlo 
estan.  «  Les  choses  de  la  guerre  vont  mal  au  temps 
que,  sans  penser,  elles  sont.'  » 

Lorsque  l'empereur  arriva  devant  Metz,  y  ayant 
envoyé  auparavant  son  armée,  ceux  de  son  camp 
cellébrarent  son  arrivée  par  de  grands  feuz,  salves  et 
autres  grands  signalz  de  joye.  Ceux  de  dedans,  de 
leur  costé,  estans  en  cervelle  de  ceste  venue,  et  qu'à 
ce  premier  abord  on  leur  pourroit  préparer  quelque 
fricassée,  firent  aussi  par  toute  la  ville  allumer  des 
chandelles  aux  fenestres,  et  allumer  feuz  sur  leurs 
rempartz;  de  sorte  que  les  Espaignolz  disoient  :  Que 
era  cosa  maravillosa  de  los  faegos^  y  luminarias,  y 
hachas,  queran  en  la  ciudad,  de  manera  que  pare cia 
cosa  encantada.  No  menos  el  real  del  emperador  era 
visto  claro  y  radiante  de  la  mucha.  lumbre  de  fuegos, 
que  parecia  otro  cielo  estrellado.  ".  G'estoit  une 
chose  esmerveillable  du  feu  et  luminaires  et  torches 
qui  estoient  en  la  ville,  si  bien  qu'elle  paressoit  une 
chose  enchantée,  ny  plus  ny  moins  le  camp  de  l'em- 
pereur estoit  veu  si  clair  et  radiant  de  la  grand' 
quantité  de  feuz  qu'il  paressoit  un  autre  ciel  es- 
toillé.  M 

Estant  le  duc  d'Albe  assiégé  dans  Pampellonne  par 
le  roy  Jehan  et  M.  de  La  Pallice*,  et  attandant  l'as- 


1 .  C'est-à-dire  :  les  choses  de  la  guerre  vont  mal  au  moment  où 
l'on  y  pense  le  moins. 

2.  En  1512. 

VII  —  8 


1 1 4  RODOMONTADES 

saut,  entre  autres  parolles  qu'il  prononça  en  son 
harangue^  exortant  les  siens,  il  dist  celle-ey^  :  Bien 
creo,  cavalier  os  ^  que  no  podre  crecer  vucstro  esfuerzo 
cou  mis  palabras ,  y  tambien  soy  cierto  que  la  vis  ta  de 
la  batalla  nos  porna  miedo.  Aquello  que  mâchas  vezes 
deseasies  hâves  hallado,  que  es  ver  os  cou  vuestros  ene- 
migos,  y  no  solo  vuestros,  mas  de  Dios.  Todo  lo  que  a 
mi  es  dado  de  proveer  con  mucha  diligencia  lo  he 
hecho  ;  lo  demas  en  la  virtud  de  vuestros  coraçones 
y  fortaleza  de  braços  esta  :  ruegoos  que  acordes  del 
nombre  de  Espaàa,  que  nunca  supo  ser  vencida.  Y  si 
me  quereis  respondei\  que  de  eso  no  se  pueden  alabar 
las  Espanoles,  que  es  tan  sus  vanderas  en  poder  de 
sus  enemigos,  despues  del  dia  de  la  batalla  de  Ra- 
vanna  ^  yo  asi  os  lo  confieso  :  mas  mirad  que  tan  san- 
grienta  vitoria  tuvieron ,  que  los  mismos  Francezes 
confiesan  cjue  pluguieria  d  Dios  que  ellos  fueran  los 
vincidos,  porque  non  tuvieran  la  vitoria  tan  llorosa^ 
Acordad  vos  que  en  la  tierra  que  debajo  de  vuestros 
pies  hollais,  el  rej  Carlo  Magno  fué  vencido  y  desba- 
ratado,  con  muerte  de  sus  doze  pares.  Dezia  el  rey 
nuestro  don  Âlonzo  el  Casto,  ques  mas  gloria  es  de 
conservar  lo  adquirido,  que  ganar  grandes  lier r as ^ 
aquellas  no  podiendo  sostener.  Y  porque  a  los  virtuosoSy 
mostrandoles  el  peligro,  mas  les  crece  el  esfuerzo,^  os 
hago  saber,  que  estais  sentenciados  por  los  France ' 
ses  à  perder  las  vidas  sin  ninguna  merced.  Ruegoos 
que  asi  las  vendais,  que  primero  vuestros  matadores, 

1,  Ce  discours  est  tiré  textuellement  de  la  Conquista  de  Na~ 
varra,  p,  214-213. 

2.  Les  huit  mots  qui  précèdent  ont  été  ajoutés  par  Brantôme. 


ESPAIGNOLLES.  dlS 

que  vuestra  sangre,  caja  en  el  suelo.  Y,  parque  veo 
ya  las  ^'andcras  de  Los  enemigos  acercnrse^  os  encargo 
que  saqueis  de  i>ergûenza  el  nombre  y  gloria  de  vuestra 
Espaùa,  «  Cavailliers,  je  croy  très  bien  que  je  no 
vous  sçaurois  croistre  le  courage  par  parolles,  et  aussi 
je  suis  très  assuré  que  la  veue  de  la  bataille  ou 
assaut  qui  se  prépare  pour  venir  à  vous  ne  vous  peut 
donner  aucune  craincte;  ce  que  vous  avez  tant  désiré, 
vous  l'avez  trouvé,  qu'est  de  voir  et  venir  aux  mains 
avec  vos  ennemys.  Tout  ce  qui  touche  à  ma  charge  et 
mon  estât  de  pourvoir  avec  grande  dilligence,  je  l'ay 
fait.  De  [ce]  qui  reste,  il  gist  en  vos  valleurs  et  de  vos 
bras.  Je  vous  prie  que  vous  vous  souvenez  du  nom  d'Es- 
paigne,  laquelle  ne  sceut  jamais  que  c'est  que  d'estre 
vaincue  ;  et  si  vous  me  respondez  que  de  cela  les  Es- 
paignolz  ne  s'en  peuvent  louer,  puis  *  leurs  enseignes 
et  drapeaux  sont  encor  entre  les  mains  des  François 
despuis  le  jour  de  la  bataille  de  Ravanne,  certes  je  le 
vous  confesse  ;  mais  voyez  aussi  que  c'a  esté  une  si 
sanglante  victoire ,  que  les  mesmes  François  confes- 
sent qu'il  eust  pieu  à  Dieu  qu'ilz  fussent  estez  vaincuz, 
pour  avoir  eu  une  victoire  si  luctueuse  et  plorable  *. 
Souvenez-vous  qu'en  ceste  mesme  terre  que  vous 
foulez  de  vos  piedz,  ce  grand  Charlemaigne  fut  vain- 
cu et  deffaitavec  ses  douze  pairs.  Nostre  don  Alphon- 
ce  le  Chaste'  souloit  dire  que  mieux  valloitet  y  avoit 
plus  de  gloire  de  conserver  le  sien  et  son  acquis  que 


1.  Puis,  puisque. 

2.  Luctueuse,  pleine  de  deuil,  luctuosa.  —  Plorable,  afQigeante. 
plorabilis. 

3.  Alphonse  II,  roi  desAsturies,  mort  en  842. 


116  RODOMONTADES 

de  conquérir  grandes  terres  et  ne  les  sçavoir  souste- 
nir  ny  garder,  et  parce  qu'aux  braves  et  valleureux 
leur  monstrant  le  péril,  le  cœur  leur  croist,  je  vous 
faitz  asçavoir  que  vous  estes  tous  sententiez  et  con- 
dempnez  par  les  François  à  perdre  les  vies,  sans  au- 
cune grâce  ny  mercy.  Je  vous  prie  que  vous  les  leur 
vandez  si  bien  que  vos  tueurs  tumbent  plustost  en 
terre  que  vostre  sang;  et  parce  que  je  vois  les  ensei- 
gnes des  ennemis  s'aprocher,  je  vous  encliarge  que 
vous  exemptiez  de  toute  honte  le  nom  et  la  gloire 
d'Espaigne.  » 

Voylà  de  beaux  motz  et  [de]  grand  poix,  encores 
qu'ilz  soient  courtz.  Aussi  un  chef  de  guerre  ne  se 
doit  jamais  amuser  aux  grandes  harangues,  lorsqu'on 
est  prest  à  venir  aux  mains  :  les  efTectz  y  sont  plus 
propres;  ainsi  que  faisoit  ce  grand  capitaine  Jules 
César,  lequel,  sur  le  poinct  du  combat,  n'emploioit 
le  temps  en  grandes  et  longues  concions,  comme 
nous  voyons  en  ses  Commantaires ,  qui  parloit  si 
briefvement,  et  en  gallant  soldat  et  capitaine  à  ses 
gens.  Ce  brave  Catillina ,  dans  Saluste*,  lorsqu'il 
falut  donner  sa  bataille,  triumpha  de  bien  dire  et 
courtement  en  peu  de  motz,  qui  portarent  si  grand 
poix  que  les  soldatz,  de  ce  esmeuz,  tous  moururent 
en  le  mesme  champ  de  bataille  qu'ilz  avoient  choysi, 
sans  en  bouger  le  pied.  J'ay  veu  beaucoup  de  grands 
capitaines  qui  se  sont  mocquez,  comme  M.  le  ma- 
reschal  Estrozze,  ainsi  que  j'ay  ouy  dire  à  un  de 
ses  capitaines,  de  leurs  compaignons  grands  haran- 
gueurs, principallement  en  telles  besoignes  si  has- 

i.  Voyez  Salluste,  Catili/m,  ch.  lviii. 


ESPAIGNOLLES.  il7 

tives  et  preignantes  '.  Il  est  bien  vray  que  les  consulz 
romains  s'en  sont  meslez  bien  fort,  comme  nous 
lisons  en  nos  histoires,  et  mesmes  en  Tite  Live  :  mais 
c'esloit  longtemps  devant  qu'ilz  eommançassent  leur 
combat  qu'ilz  harangoient ,  [et]  se  préparoient  de 
bonn'  heure,  car  telle  estoit  la  coustume  :  autrement 
le  mistère  n'en  eust  rien  valu.  Mais  lorsque  se  venoit 
à  enfoncer  sans  marchander,  s'ilz  se  fussent  mis  sur 
leurs  beaus  dyres  et  discours  millitaires,  ce  fussent 
estez  de  vrais  fatz;  et  se  fussent  trouvez  les  ennemis 
sur  les  bras,  de  telle  façon  qu'ilz  n'eussent  eu  loysir 
de  songer  en  eux,  ny  se  recognoistre,  ny  leur  ordre, 
ny  leur  place  de  bataille;  et  si  n'eussent  jamais  fait 
de  si  beaux  exploitz  de  guerres  et  gaigné  tant  de  ba- 
tailles, et  fussent  estez  ainsi  sottement  deffaitz.  Voilà 
pourquoy  les  grands  capitaines,  s'ilz  se  veulent  fon- 
der sur  les  grandz  araisonnemens  que  l'Espaignol  ap- 
pelle razonamientos,  faut  que  ce  soit  la  vigille  de  la 
bataille,  lorsqu'on  l'attant,  ou  un'  heure  ou  deux  de- 
vant la  bataille,  mais  non  point  sur  le  poinct  du  choc, 
lequel  ne  demande  que  les  plus  courtes  et  briefves  pa- 
roUes.  Guichardin  s'est  voulu  mesler  d'imiter  Tite  Live 
en  ses  harangues  millitaires.  Entre  autres,  il  en  fait 
une  par  trop  prollixe  ^  que  fit  M.  de  Nemours  prest  à 
donner  la  bataille  de  Ravanne,  qui  certes  est  des  plus 
belles  et  des  plus  dignes,  pour  animer  ses  soldatz, 
comme  ilz  furent  :  mais  il  est  à  présumer  qu'il  abré- 
gea bien  autrement  son  dire  ;  car  là  il  estoit  question 
promptement   de  venir  aux  mains  aussitost   qu'ilz 


d.  Preignantes,  pressantes. 

2.  Voyez  Guichardin,  liv.  X,  ch.  iv. 


118  RODOMONTADES 

eurent  passé  le  canal.  Polo  Jovio  s'est  aussi  ainsi  fort 
amusé  à  deserire  plusieurs  longues  harangues.  Enfin 
plusieurs,  ou  la  pluspart  des  histhoriographes,  en  ont 
fait  de  mesmes,  desquelles  Belleforest  a  esté  curieux 
d'en  faire  une  recherche  et  un  recueil  bien  gros, 
dont  nous  en  voyons  le  livre  *.  Celluy  qui  a  fait  nostre 
HistJioire  de  Franôe^  fait  M.  de  Guyse  et  M.  l'Admirai 
haranguant  en  la  bataille  de  Dreux  si  prolixement, 
qu'il  n'en  est  rien.  Je  vis  parler  M.  de  Guyse,  mais 
peu  et  bon.  Quand  à  M.  l'admirai,  il  n'eut  guières 
loysir  d'haranguer  si  longuement,  et  mesmes  en  la 
dernière  charge  qui  se  fit.  Or,  à  ce  que  j'ay  ouy 
dire  que  M.  le  mareschal  Estrozze  disoit,  c'a  esté 
plustost  la  grand'  vanité  des  histhoriographes  qui  les 
y  a  poussez  et  fait  ainsi  trouver,  excogiter  et  mettre 
par  eserit  ces  grandes  et  longues  harangues;  lesquelz, 
plains  de  vent  et  gloire ,  vouloient  illustrer  leur 
histoire  et  la  rendre  plus  belle  par  ces  grandes  su- 
perfluitez  de  paroUes.  D'autres  paouvres  fatz  et  sotz 
pensoient  que  leur  histoire  seroit  manque  et  haire  ', 
si  elle  n'estoit  décorée  et  allongée  d'une  grand'  crue 
et  suite  de  motz.  Pour  fin,  en  matière  de  combatz, 
il  n'y  a  que  les  briefves  harangues;  ainsi  que  fit  ce 
brave  M.  de  Guyse  le  Grand,  le  jour  qu'il  pensoit 
avoir  l'assaut  à  Metz,  que  M.  de  Ronsard  a  mis  en 

\ .  Harangues  militaires  et  concions  de  princes ,   capitaines 
ambassadeurs,  etc.,  1388,  iii-f°. 

2.  Il  s'agit  de  l'Histoire  de  France  depuis  lo50,  de  Fr.  de  la 
Popelinière.  Au  livre  IX,  dans  le  récit  de  la  bataille  de  Dreux., 
on  trouve  en  efi'et  de  longues  harangues  de  Montmorency,  de 
Guise,  de  Coligny,  de  Coudé  (éd.  1381,  t.  i,  f°'  346  et  suiv.). 

3.  Fautive  et  maigre. 


ESPAIGNOLLES.  H9 

vers.  Et  ne  fut  si  longue  pourtant  comme  la  fait 
M.  de  Ronsard*,  ainsi  que  j'ay  ouy  dire  à  ceux  qui 
l'ouïrent  et  y  estoient;  et  si  l'original  valloit  mieux 
que  la  copie.  Et  fut  une  chose  très-belle  de  la  luy 
ouyr  prononcer;  car,  outre  qu'il  avoit  la  grâce  belle 
si  jamais  capitaine  l'eut,  il  avoit  l'éloquance  millitaire 
très  grande,  comme  j'espère  en  dire  quelques-unes 
des  siennes,  par  un  chapitre  que  je  veux  faire  d'une 
centaine  d'harangues  millitaires,  très-courtes,  tant 
de  nostre  temps  que  d'autres  ".  Cependant  je  laisse 
ce  discours;  car,  comme  dit  l'Espaignol,  olras  tracas 
tengo  a  guardar,  y  olras  o\}ejas  a  trasquilar^^  et  que 
je  veux  encor  reprendre  les  parolles  de  ce  grand  duc 
d'Albe*,  par  lesquelles  il  ne  déguise  point  aux  siens 
d'avoir  esté  vaincu  à  Ravanne;  mais  pourtant  il  ra- 
valle  fort  ceste  victoire  pour  nous.  Toutesfois,  quoy 
qu'il  die,  luy  et  autres  Espaignolz,  elle  fut  grande  et 
très  signallee  pour  nous,  sanglante  pour  eux,  et  puis 
nous  rapporta  du  malheur  par  la  perte  de  ce  qu'a- 
vions conquis  en  Italie  et  à  Milan.  Les  Espaignolz 
ont  cela  de  bon,  qu'il/  ne  se  confessent  jamais  vain- 
cus ny  battus,  et  ramènent  tout  à  leur  gloire;  ainsy 
que  fit  ce  grand  duc  d'Albe  dernier  en  l'iandres,  en 
une  harangue  qu'il  adressa  à  son  armée,  et  princi- 
pallement   à  ses   soldats   espaignolz  quelques  jours 

1.  Brantôme  en  a  déjà  parlé.  Voyez  t.  IV,  p.  192,  note  2. 

2.  On  ne  possède  que  trois  de  ces  harangues,  savoir  :  de  César, 
de  Pompée  et  de  Ciéopâtre. 

3.  J'ai  d'autres  vaches  à  garder  et  d'autres  brebis  à  tondre. 
—  Ce  qui  suit  jusqu'à  p.  121,  lig.  28,  un  soldat  espaignol,  man- 
que dans  le  manuscrit. 

4.  Voyez  plus  haut,  p.  114. 


120  RODOMONTADES 

avant  qu'il  pensoit  donner  la  bataille  au  prince  d'O- 
range \  près  la  rivière  de  Meuse,  qui  avoit  amené  une 
si  grand'  armée  contre  luy  pour  le  combattre  ;  mais 
le  tout  s'en  alla  en  fumée,  par  la  providence  et  sage 
conduicte  de  ce  grand  capitaine,  qui  le  fit  retirer 
avecques  sa  grand'  honte  en  Allemaigne;  de  quoy 
j'en  parle  ailleurs.  Ce  grand  duc  donc  va  remente- 
Yoir  à  ses  Espaignolz  de  bout  à  autre  tous  les  beaux 
exploictz  qu'ilz  ont  faictz  depuis  cent  ans,  et  met 
tout  en  ligne  de  compte  et  de  gloire,  aussy  battus  et 
vaincus  que  vainqueurs.  Et  cela  m'a  conté  un  soldat 
françois  espaignolisé  qui  estoit  lors  parmy  les  bandes 
espaignolles,  qui  entendoit  le  tout.  Ce  grand  duc 
donc  premièrement  parle  des  grandes  guerres  qu'ilz 
ont  faictes  au  royaume  de  Naples,  soubs  le  grand 
capitaine  Gonzalvo,  Raymond  de  Cardone,  de  la  ba- 
taille de  Ra vanne,  bien  qu'elle  leur  fust  désastreuse; 
parle  de  ceste  grand'  conqueste  des  Indes,  qu'il  leur 
met  devant  les  yeux,  faicte  par  Hernando  Cortès  et 
Francisco  Pizzare ,  qu'il  nomme  tous  les  deux  par 
ces  mots  :  ia  hoiira  de  la  milicia  espahola^;  raconte 
le  beau  combat  qu'ilz  ont  rendu  en  Italie  soubz  ce 
vaillant  marquis  de  Pescaire  et  Anthoyne  de  Lève, 
et  M.  de  Bourbon  en  la  prise  de  Rome;  les  sièges 
de  Naples  et  de  Florence  soubz  Filibert  le  prince 
d'Orange;  le  lèvement  du  siège  de  Vienne,  et  la 
chasse  et  fuite  du  sultan  Solyman;  la  conqueste  de 
la  Collette,  de  Thunis  et  de  Clèves;  les  voyages  de  la 
Provence,  d'Alger  et  de  Landrecy,  où  il  ne  fit  trop 
bien  ses  affaires;  la  guerre  d'Allemaigne ,  qui  fut 

1.  En  1568.  —  2.   L'honneur  de  la  milice  espagnole. 


ESPAIGNOLLES.  121 

belle  celle-là,  où  l'empereur  acquist  grande  gloire; 
les  guerres  de  Piedmont,  de  Parme  et  de  Sienne  ; 
(il  ne  gaigna  rien  aux.  deux  premières,  tesmoings  la 
bataille  de  CérizoUes  et  la  conqueste  de  Piedmont, 
comme  j'en  parle  ailleurs;  Sienne  fut  gaignée,  mais 
elle  leur  cousta  bon)  ;  puis  le  siège  de  Metz,  qui  leur 
fut  très  malheureux  ;  n'oublie  le  voyage  de  M.  de 
Guyse,  et  la  rompure*  de  son  desseing;  et  puis  vient 
finir  sur  les  deux  batailles  de  Sainct-Quentin  et 
Gra vélines,  qui  contraindrent  le  roy  Henry  (n'en 
pouvant  plus)  à  demander  la  paix.  Il  s'en  faut*  les 
prises  de  Calais,  de  Guysnes,  de  Théonville,  et  le 
camp  d'Amiens,  où  le  roy,  estant  en  personne,  pré- 
senta cent  fois  la  bataille  au  roy  d'Espaigne,  mais 
point  de  nouvelles.  Enfin  il  en  conta  prou ,  sans 
s'oublier  aussi,  et  se  disant,  estant  lieutenant  plu- 
sieurs fois  de  l'empereur  Charles,  estre  vray  tesmoing 
de  leur  valeur.  Ceste  vanterie  pour  luy  et  pour  ses 
soldatz  est  excusable,  autrement  le  vent  espaignol 
n'auroit  point  de  lieu.  Ainsi  en  ceste  harangue  il 
imita  quasy  son  oncle  le  conquesteur  de  Navarre, 
que  je  viens  de  dire,  qu'aucuns  ont  voulu  croire 
avoir  esté  son  père  ;  mais  cela  est  faux,  car  son  père 
fut  don  Garcie  de  Tolède,  qui  mourut  aux  Gerbes 
contre  les  Mores,  en  la  fleur  de  son  aage,  y  ayant 
esté  envoyé  avec  dom  Pedro  de  Navarre ,  lieu- 
tenant du  roy  Ferdinand  en  l'armée  qu'il  y  envoya 
en  M.  D.  X. 

Un  soldat  espaignol  ayant  apellé  un  seigneur  ita- 
lien en  combat,  l'Italien  luy  fit  responce  que,  d'au- 

1.  Rompure,  rupture.  —  2.  7/  s'en  faut,  il  y  manque. 


J  22  RODOMONTADES 

tant  qu'il  n'estoit  son  pareil  de  lignage,  il  luy  en- 
voyeroit  son  vallet  pour  le  combattre.  Le  soldat  luy 
répliqua  :  Yo  lo  otorgo^  porque,  por  niuj  ruin  que 
sea,  sera  mejor  que  ços.  «  Je  l'accepte ,  car  quelque 
meseliant  et  chétif  qu'il  soit,  il  sera  meilleur  que  yous.  » 

Il  s'en  dit  de  mesme  d'un  gentilhomme  François 
qui  refFusa  ainsi  le  combat  à  un  qui  n'estoit  de  si 
bonne  maison  que  luy,  mais  qu'il  luy  envoyeroit  un 
de  ses  valletz.  L'autre  respondit  :  «  Je  l'en  aymerois 
«  mieux,  car  il  ne  m'en  sçauroit  envoyer  pas  un  des 
«  siens  qui  ne  soit  plus  homme  de  bien  et  de  valleur 
«  que  luy;  et  par  ainsi  en  combatant  le  vallet  j'ac- 
«  querray  plus  d'honneur  qu'à  combatre  le  maistre.  » 

Un  seigneur  de  Castille  fit  bien  mieux.  D'autant 
qu'en  Castille ,  pour  faire  camp,  il  faut  que  les  deux 
parties  soient  esgalles  en  lignage,  et,  parce  que  sa 
partie  estoit  fort  inférieure  à  luy,  il  dist  :  Dezid  a 
tal  que  me  hago  de  tan  rujii  linage  como  e/,  j  que 
se  saïga  a  matar  comîgo  a  tal  parte?  «  Dites  à  un  tel 
que  pour  cest'  heure,  je  me  fais  d'aussi  mauvais  et 
bas  lignage  que  luy,  et,  pour  ce,  qu'il  vienne  en  telle 
part  se  tuer  contre  moy.  » 

Il  y  en  a  force  grands  qui  ont  fait  de  telz  traictz, 
qui  se  sont  desmis  pour  un'  heure  de  leurs  dignitez, 
charges,  gardes  et  ordres,  pour  combatre  leurs  infé- 
rieurs, à  quoy  ilz  ont  plus  d'honneur  que  de  s'ayder 
de  telles  cuyrasses  poltronnes.  J'en  ay  faict  un  beau 
discours  ailleurs  * . 

Les  Portugais  avoient  de  coustume  de  cellébrer 
tous  les  ans  la  grand'  feste  du  jour  que  fut  donnée 

\ .  Voyez  le  Discours  sur  les  Duels,  t.  VI,  p.  463  et  suiv. 


ESPAIGNOLLES.  423 

la  bataille  d' Aljuvaro ta  \  Par  cas,  un  cordellier  ce  jour 
estant  venu  baiser  les  mains  du  roy,  qui  en  cellé- 
broit  la  feste,  dist  au  cordellier  :  Que  os  parece  de 
nuestra  jiesta?  Celebranse  en  Castilla  taies  fiestas 
por  seniejantes  vencimientos?  Le  cordeillier  respon- 
dit  :  No  se  hazen,  porque  son  teintas  las  i^iciorias 
nuestras  que  cada  din  séria  fies  ta,  y  nior'uian  los 
oficiales  de  hamhre,  «  Que  vous  semble  de  nostre 
feste?  En  CastilJe  s'en  célèbre-il  de  telles  pour  telles 
victoires?  w  —  L'autre  luy  respondit  :  «  Non,  il  ne 
s'en  fait  point  de  telles,  d'autant  que  nos  victoires 
sont  en  si  grand  nombre  que  tous  les  jours  il  seroit 
feste,  et  les  artizans  mourroient  de  fain.  »  Voylà  une 
rodomontade  d'un  moyne  aussi  belle  que  soldat  ou 
homme  de  guerre  eust  sceu  dire. 

A*  cela  au  bout  de  quelque  temps,  un  cordellier 
portugais  la  rendit  bonne,  fust  au  mesmes  cordellier, 
ou  à  un  autre  qui  fust  qui  en  parlast;  car  en  pres- 
chant  un  tel  jour  de  l'an  que  celuy-là  que  ceste  ba- 
taille fut  donnée,  il  dist  en  ces  mesmes  mots  à  son 
sermon,  en  représentant  la  bataille  (comme  telz  pres- 
cheurs  font  souvent  quand  ilz  extra  vaguent  de  leur 
thème)  :  Nosotros  christianos^  estabamos  de  un  cabo 
del  rio,j  los  Castellanos  de  la otra parte^ .  Quelle  at- 
tacque  fratresque  *  ! 

1 .  Aljuvarota,  ville  du  Portugal,  dans  l'Estramadure,  près  de 
laquelle  en  1383  Jean  I",  roi  de  Portugal,  remporta  une  victoire 
décisive  sur  Jean  I*',  roi  de  Castille. 

2.  J^es  deux  alinéas  qui  suivent  manquent  dans  le  manuscrit. 

3.  Nous  autres  chrétiens,  nous  étions  d'un  côté  de  la  rivière, 
et  les  Castillans  de  l'autre. 

4.  Fratresque^  de  moine. 


124  RODOMONTADES 

De  tout  temps  les  Portugais  et  les  Castillans  ne  se 
sont  guière  aymez,  comme  je  le  cogneus  une  fois, 
mov  estant  à  Lisbonne,  et  entré  dans  la  boutique 
d'un  marcliand  de  soie  pour  y  achepler  quelque 
étofl'e  ;  et  d'autant  que  je  parlois  bon  castillan,  je  de- 
mande à  une  jeune  fille  qui  gardoit  la  boutique  où 
estoit  le  maistre.  Elle  l'appella  soudain ,  et  dit.  me 
prenant  pour  Castillan  :  yifjiU  esta  an  Castellano  que 
pregunta  pur  /i\  Luy,  se  courrouçant  contre  elle, 
luy  dit,  après  m'avoir  cogneu  pour  François  :  j^el- 
laca,  mai  criac/a,  a  un  homhre  como  este^  no  tienes 
verguenza  de  llamarle  Castellano^?  k  ce?,ie  heure, 
despuis  que  le  roy  d'Espaigne  a  mis  le  royaume  de 
Portugal  entre  ses  mains,  ilz  sont  grandz  confédérez 
et  amys;  mais  c'est  par  force. 

Le  combat  qui  fut  au  royaume  de  Naples,  entre 
douze  gentilzliommes  françois  et  douze  cavalliers  es- 
paignolz,  demeura  fort  douteux  sur  la  victoire.  Après 
qu'il  fut  finy,  le  grand  capitaine,  après  qu'il  eust  en- 
voyé les  siens  pour  bien  choysis,  demanda  à  celluy 
qui  en  avoit  porté  les  nouvelles  comment  estoit  allé 
l'affaire.  L'autre,  parlant  ambiguement,  ne  luy  res- 
pondit  que  :  Seiïor,  los  nuestros  \>inieron  a  nos  por 
buenos.  Le  grand  capitaine  respondit  :  Por  rnejores 
os  auia  jo  emblado.  «  Les  nostres  sont  tournez  à 
nous  pour  bons.  »  Le  grand  capitain  respondit  : 
«  Je  les  y  avois  envoyez  pour  meilleurs,  w  Comme 
voulant  dire  qu'il  les  avoit  envoyez  pour  très  bons 


1.  Voilà  un  Castillan  qui  vous  demande. 

2.  Coquine,  mal-apprise,    n'as-tu  point  de  honte  d'appeler 
Castillan  un  homme  comme  celui-ci? 


ESPAIGXOLLES.  125 

et  très  bien   choisis,  et  pour  faire  mieux  qu'ilz   ne 
firent.  Là  on  peut  cognoislre  que  les  nostres  n'y  fu- 
rent pas  tous  desconfitz,  comme  aucuns  anciens  es- 
trangiers  et  liistoriograj)hos  en  ont  parlé;  mais  il  leur 
faut  pardonner   pour  vouloir  mal  à  nostre  naction. 
Mais  qui  lira  le  roman   de  M.  de  Bayard,    trouvera 
bien  que  nos  François  y  firent  mieux  que  les  Espai- 
gnolz,  encor  que  lesditz  Espaignolz  s'advisarent  de 
donner  aux  chevaux  du   commancement,    tenant  la 
maxime  :  Muerto  el  ccwallo^  perdido  ÏJiomhre  d'ar- 
mas^.  M.  de  Bayard  acquist  là  une  très  grande  gloire. 
Lorsque   les   François   perdirent    le    royaume  de 
Naples,  et  M.  d'Aubigny  leur  général   avec  eux_,   le 
grand  capitan  leur  fit  tous  les  honnestes  Iraictemens 
et  condictions  qu'il  fut  possible,  et  leur  donna  tou- 
tes choses  nécessaires,  et  chevaux  pour  les  emmener. 
M.  d'Aubigny  voulant  braver,  encor  qu'il  fust  vaincu, 
pria    le    grand  capitan   qu'il    les    accommodast    au 
moins  de  bons  et  forts  chevaux  pour  retourner.  Le 
grand  capitant,  interprettant  le  mot  retourner  pour 
revenir  à  la  guerre  et  retourner  au  pais  pour  la  faire 
et  renouveller,  luy  respondit  :  Torna  en  biien  hora, 
quando  quisiercdes  ;  que  siempre  hallareys  en  mi  la 
rnisma  liberalidad  que  hasla  aqu'i.  «  Tournez  hardi- 
ment  quand  vous  voudrez;   que   toujours  en  moy 
trouverez  la  mesmelibérallité  qu'avez  faitjusques  icy.» 
Bonne  et  belle  responce  certes  d'un  tel  capitaine  et 
si  courtois,  et  piquante  doucement. 


1 .  Le  cheval  mort,  le  cavalier  est  perdu.  —  Brantôme  a  déjà 
cité  plus  d'une  fois  ce  proverbe  ainsi  que  ce  combat  de  Bayard. 
(Voy.  le  Loyal  serviteur ^  ch.  xxiii.) 


426  RODOMONTADES 

Durant  le  siège  de  Parpignan',  non  pas  de  ce  der- 
nier, il  y  eut  le  marquis  de  Cenette^  qui  demanda 
un  coup  de  lance;  et  voyant  que  de  là  à  peu  deux 
eavalliers  sortirent  ainsi  que  le  dit  marquis  se  reti- 
roit,  et  luy,  les  voyant,  voulut  à  eux  retourner,  dont 
il  y  eut  son  escuyer  qui  luy  dist  :  IVo  bue/va  F.  S.  que 
yo  ire,  y  deribare  uno  de  aqnellos,  y  V .  S.  llegara  a 
corlarle  la  cabeça.  Respondio  el  marques  :  Antes  jo 
quiero  jr,  f  deribarle  he  yo  ;  y  llegarejs  vos  despues, 
y  bezar  le  heys  en  el  rabo.  «  Vostre  Seigneurie  n'y 
aille  point.  Mais  laissez-moy  faire,  je  m'y  en  vois  en 
abattre  un  d'eux,  et  vous  viendrez  après  et  luy  cou- 
perez la  teste.  »  A  qui  respondit  le  marquis  :  w  J'ay- 
me  mieux  y  aller  devant  et  en  abatre  un,  et  vous 
viendrez  après,  et  luy  baiserez  le  cul.  »  Il  fut  bien 
employé  de  faire  une  telle  responce  à  ce  brave. 

En  quoy  j'en  ay  veu  en  ma  vie  de  telz  braves  fatz 
que  celluy-là,  qui  veullent  faire  ainsi  des  vaillans  et 
disent  :  «  Monsieur,  n'allez  pas  là;  il  y  fait  dange- 
«  reux  :  laissez-m'y  aller,  et  ne  bougez  d'icy.  »  Et 
Dieu  sçait,  quelque  bonne  myne  qu'ilz  fassent  et 
parolles  qu'ilz  disent,  ilz  se  conchient.  Il  leur  fau- 
droit  dire  ce  que  dist  le  grand  capitan  à  un  autre 
qui  luy  tenoit  mesme  propos  :  Si  no  tengo  miedo, 
porque  quereys  me  la  meter  en  elcuerpo?  «  Si  je  n'ay 
point  de  peur,   pourquoy  me  la  voulez-vous  mettre 

1.  Perpignan  fut  assiégé  inutilement  par  le  dauphin  Henri 
en  1542.  C'est  de  ce  siège  dont  parle  Brantôme.  Celui  qu'il  a{î- 
pelle  le  dernier  eut  lieu  en  1597  où  la  ville  fut  attaquée  par 
Ornano. 

2.  Est-ce  le  marquis  de  Ce  nette,  comte  de  Nasaolte,  à  qui  Gue- 
varra  a  adressé  une  de  ses  lettres  (liv.  II)? 


ESPAIGNOLLES.  127 

dans  Je  corps?  »  Et  comme  dist  un  grand  capitaine 
des  nostres  à  un  gallant  que  je  sçay  :  «  Pourquoy 
«  me  voulez-vous  faire  poltron,  moy  qui  ne  le  suis 
«  point,  et  vous,  vous  faire  hardy  et  asseuré  qui  ne 
«  Testes  point?  » 

Un  capitaine  espaignol  combattant  en  estaquade 
contre  un  autre,  et  luy  ayant  coupé  un  bras  et  un 
jarret,  dont  il  lumba  par  terre,  luy  dist  :  «  Rendz- 
«  toy,  autrement  je  te  couperay  la  teste.  »  L'autre 
luy  respondit  :  Hazed  lo  que  quisierades ,  que  aunque 
me  falta  el  braço  para  pelear^  sohrame  el  coraçon 
para  mor'ir.  «  Faites  ce  que  vous  voudrez;  car  encor 
que  le  bras  me  defFaut  pour  combattre,  il  me  reste 
un  brave  cœur  pour  mourir.  »  Disant  souvent  ce 
mot  :  Muera  la  vida,  y  la  fama  siempre  viva"^. 

Un  '  soldat  espaignol  ayant,  en  un  defFy,  mis  son 
ennemy  en  un  tel  point  blessé  qu'il  n'en  pouvoit 
plus,  si  bien  qu'en  lieu  de  luy  demander  la  vie  il 
luy  demanda  la  mort,  et  le  pria  de  la  luy  donner, 
l'autre  ne  le  voulut  ;  mais  l'estropia  très-bien  de  bras 
et  de  jambes,  pour  deux  raisons  dict-il  :  La  una, 
parque  mas  penas  \tens,as\  en  vwir;  y  la  olra,  parque 
puedas  dar  razon  de  quien  te  herio,  y  te  dio  taies  cu- 
chilladas  '.  Comme  de  vray,  ce  fut  à  ce  pauvre  diable 
un  grand  crève-cœur  de  se  voir  ainsi  vivre  estro- 
pié de  son  ennemy,  et  n'en  pouvoir  tirer  raison.  La 
mort  fust  esté  cent  fois  plus  souhaictable. 

Un  autre  voyant  braver  un  gallant  de  paroUes  et 

1.  La  vie  meurt,  et  la  renomme'e  vit  toujours. 

2.  Les  deux  alinéas  suivants  manquent  dans  le  manuscrit. 

3.  L'une,  pour  que  tu  souffres  plus  en  vivant  ;  l'autre,  pour  que 
tu  puisses  dire  qui  t'a  blessé  et  t'a  donné  de  tels  coups. 


d28  RODOMONTADES 

rodomontades,  il  dict  seulement  que  :  Cnlla,  cabeza 
de  soherhio,  que  ella  hasta  a  hacerte  /?iorir^. 

Un  capitaine  espaignol,  tournant  des  guerres  d'I- 
tallie,  et  en  racontant  merveilles  de  ses  vaillances  en 
une  table,  son  page  qui  estoit  derrière,  tout  froide- 
ment luy  dist  en  lui  ostant  le  bonnet  *  :  Supplico  a 
V .  M.  me  de  licencia  para  que  lo  créa.  «  Je  vous  prie 
que  vous  me  donniez  congé  pour  le  croire,  w 

Un'  paouvre  demandant  l'aumosne  à  un  soldat 
pour  l'honneur  de  Dieu,  et  qu'il  prieroit  Dieu  pour 
luy,  l'autre  mettant  la  main  à  la  bource  luy  donna 
un  réal  :  Toma^  dixo  el,y  ruega  por  ti,  cjue  iio  quiero 
prestar  a  usura.  «  Tenez,  [dit- il,]  priez  Dieu  pour 
vous,  car  je  ne  veux  pas  prester  à  usure.  »  Quel  bon 
compaignon  voylà  !  Il  ne  se  soucioit  guières  des  priè- 
res d'autruy. 

Un*  soldat  espaignol,  estant  tourné  en  sa  patrie, 
et  se  vantant  en  bonne  compaignie  qu'il  avoit  veu 
tout  le  monde,  il  y  en  eut  un  qui,  relevant  ce  mot, 
luy  dict  :  Puede  ser  que  V.  M.  ha  ja  estado  en  Cos- 
mografla^.  L'autre  luy  respondit,  fust  à  escient,  ou 
pensant  que  ce  fust  quelque  grande  région  ou  cité  : 
Seiior,  llegamos  a  vista  de  ella:  pero  dexamosla  a 
mano  derecha^  porque  ibamos  de  priesa^.  Quel  gal- 


1 .  Tais-toi,  tête  d'orgueilleux  qui  seule  suffit  à  te  faire  mourir. 

2.  Var.  (anciennes  éditions)  :  Il  y  eut  un  certain  vallet  qui  ser- 
vant luy  respondit  froidement,  en  ostant  le  bonnet, 

3.  Cet  alinéa  manque  dans  les  éditions  précédentes. 

4.  Cet  alinéa  et  les  deux  suivants  manquent  dans  le  manuscrit. 

5.  Peut-être,  monsieur,  que  vous  avez  été  en  Cosmographie. 

6.  Monsieur,  nous  l'avons  eue  en  vue;   toutefois  nous  la  lais- 
sâmes à  main  droite,  parce  que  nous  étions  .pressés. 


ESPAIGNOLLES.  129 

lant!  possible  se  mocquoit-il  d'eux,  aussi  bien  qu'eux 
de  luy,  ou  bien  qu'il  lust  là  descouvert. 

J'aymerois  autant  le  conte  d'un  certain  Italien,  qui 
un  jour  voyant  le  roy  François  discourir  à  sa  table 
de  la  grandeur  et  beauté  de  sa  ville  de  Milan,  ainsi 
que  chascun  en  disoit  sa  rastellée,  l'Italien,  se  pro- 
duisant, dit  que  certes  c'estoit  une  très-belle  ville, 
mais  que  le  port  n'en  valloit  rien,  et  qu'il  n'y  avoit 
gallère  ny  navire  qui  ne  courust  grande  fortune  de  se 
perdre  à  l'entrant,  si  Ton  y  advisoit  bien.  Le  roy, 
avec  toute  l'assemblée,  se  mit  aussytost  à  rire  et  à  luv 
dire  qu'il  avoit  très  bien  veu  et  recogne u  la  place  et 
le  port  à  ce  qu'il  disoit,  et  qu'il  s'advançast  un  peu 
pour  en  parler  encor  mieux.  Parquoy  luy  s'avançant, 
il  ne  dit  autre  chose,  sinon  en  faisant  sa  révérence 
bien  bas  :  Basla^  sire,  cliio  v  ho  parlalo  *.  Le  roy 
luy  demanda  ce  qu'il  vouloit  dire  par  là.  Luy  respon- 
dit  que,  puisqu'un  chascun  parloit,  il  vouloit  parler 
aussy,  et  que  s'il  eust  dit  quelque  chose  de  bon  et 
vray,  il  ne  l'eust  escouté,  et  n'eust  faict  cas  de  luy; 
et,  pour  ce,  s'estoit  advisé  à  trouver  ceste  bourle^, 
pour  être  mieux  reçu  à  parler  à  Sa  Majesté,  et  estre 
entendu  d'elle,  sachant  bien  que  la  mer  n'estoit  pas 
plus  près  de  Milan  que  Gennes. 

Un  pareil  traict  fit  un  que  j'ay  cogneu  capitaine 
de  gallères,  nommé  M.  de  Beaulieu,  fort  mon  grand 
amy,  qui  avoit  esté  lieutenant  d'une  des  gallères  de 
feu  M.  le  grand-prieur  de  France,  de  la  maison  de 
Lorraine,  qui  l'aymoit  pardessus  tous  ses  capitaines 

1 .  Il  suffit,  sire,  que  je  vous  aie  parle. 

2.  Bourle^  plaisanterie,  bourde;  de  l'italien  hurla. 


130  RODOMONTADES 

et  serviteurs,  car  c'estoit  le  meilleur  compaignon,  et 
qui  disoit  le  mot  de  la  meilleure  grâce  qu'homme 
de  France.  Ceux  de  Marseille,  ayant  un  jour  une 
affaire  à  la  court  de  grande  importance,  ilz  envoya- 
rent  par  deux  fois  deux  consuls  des  mieux  choisis  et 
des  plus  sages,  qui  n'y  peurent  rien  faire,  et  s'en 
retournarent  comme  ilz  estoient  venuz.  Sur  quoy  ilz 
s'advisarent  de  prier  ledict  M.  de  Beaulieu  d'aller  à 
la  court,  et  prendre  la  charge  de  ceste  affaire  ;  ce 
qu'il  entreprend  fort  librement,  car  il  estoit  prompt 
et  très-officieux.  Après  qu'il  eut  faict  son  harangue  à 
la  reyne-mère,  qui  gouvernoit  tout  pour  lors,  elle 
luy  dict  en  riant  bien  fort  :  «  Et  quoy  !  Beaulieu, 
«  ceux  de  Marseille  n'avoient-ilz  point  en  leur  ville 
«  un  plus  sage  personnage  que  vous  pour  envoyer 
«  en  ambassade  ?  i>  Il  luy  respondit  :  «  Oui  vrayment, 
a  madame;  mais  quand  ilz  ont  veu  que  les  deux 
«  qu'ilz  vous  ont  envoyez  n'oni  rien  peu  faire,  ilz  se 
((  sont  advisez  d'y  envoyer  un  fou ,  si  qu'il  feroit 
«  mieux  qu'un  plus  sage  ;  et  pour  ce  ilz  m'ont  del- 
«  légué.  Que  si  vous  me  faictes  ce  bien,  madame, 
«  de  m'octroyer  ma  requeste,  vous  me  mettrez  en 
«  réjîutation;  et,  de  fou  qu'on  me  tient,  je  seray  dé- 
«  sormais  estimé  très  sage,  w  T.a  reyne,  qui  aymoit 
les  bons  motz  et  à  rire,  luy  accorda  sa  requeste  et  le 
fit  dépesclier  :  et  puis  s'en  retourna  joyeux,  et  fort 
glorieux,  et  bien  estimé  des  Marseillois  qui  luy  firent 
un  beau  présent  de  mille  escus  pour  sa  peine ,  qu'il 
ne  cela  point  à  la  reyne,  qui  en  fut  bien  ayse.  J'es- 
tois  lors  à  la  court,  qui  en  vis  tout  le  passe-temps  ; 
car  ledict  Beaulieu  estoit  mon  intime  amy. 

Estant   demandé  un  jour  à   un   brave   combien 


ESPAIGNOLLES.  iM 

d'hommes  il  pourroit  bien  combattre  et  en  sortir*  à 
son  honneur,  il  rcspondit:  Si  es  homhre  de  bien,  uno 
hasta;  y  de  vellacos,  la  calle  llena.  «  Si  c'est  un  hom- 
me de  bien,  il  y  a  assez  de  luy;  mais  si  ce  sont  des 
poltrons  et  gens  de  peu,  toute  la  rue  pleine,  w  Comme 
voulant  dire  qu'il  en  tueroit  tant  que  les  rues  en  se- 
roient  pleines,  et  en  pueroient.  Geste  response  certes 
est  belle  et  de  considération;  car  il  n'y  a  rien  si  aisé 
que  de  battre  des  gens  de  peu. 

Si  nous  voulons  croire  à  un  conte  d'un  capitaine 
que  j'ay  cogneu,  vray  enfant  de  la  mathe  s'il  en  fut 
onc,  qu'on  apelloit  le  capitaine  Fréville,  brave  et 
vaillant,  un  grand  jeun'  homme  de  l'aage  de  vingt- 
cinq  ans,  de  belle  et  haute  taille,  et  bonne  façon,  et 
qui  parloit  aussi  bon  allemant  comme  sa  langue 
françoise,  pour  avoir  demeuré  au  pais  six  ou  sept 
ans;  ce  capitaine  estoit  fort  mon  amy  et  m'avoit 
suivy  au  siège  de  la  Rochelle,  et  à  la  court  quelque- 
fois. Le  roy  Henry,  à  son  retour  de  Polloigne,  estant 
à  Lion,  ce  capitaine  estoit  bien  souvant  avec  moy, 
dont  il  me  fut  dit  de  bon  lieu  que  je  l'advertisse 
qu'il  ne  se  pourmenast  plus  tant,  et  qu'il  pourroit 
estre  en  peine  de  la  justice;  ce  que  je  ne  failly  de 
luy  dire,  et  de  l'en  advertir.  Mais  il  me  rcspondit 
froidement  :  «  Monsieur,  je  vous  en  remercie;  mais 
a  ne  vous  en  mettez  point  en  peine  pour  moy  de 
«  cela;  car  cela  n'est  rien.  Ce  n'est  que  quelque  pet- 
«  tite  batterie  dont  on  m'accuse;  mais  la  justice  ne 
«  me  sçauroit  rien  que  faire.  »  Je  voulus  sçavoir  au 
vray  que  c'estoit.  Il  me  dist  :  «  Monsieur,  c'est  rien 
«  cela;  mais,  puisque  le  voulez  sçavoir,  c'estoit  un 
«  maraut,  marchant  de  Paris,  qui  m'avoit  fait  un 


i  32  RODOMONTADES 

«  desplaisir.  Je  le  fis  guetter  et  seeuz   comment  il 
«  s'en  alloit  à  Orléans  un  jour,  avec  quatre  ou  cinq 
«  autres  marchans  de  ses  compaignons.  Je  monte  à 
«  cheval.  Je  les  suis  tant  que  je  puis.  Je  les  trouve 
'<  qu'ilz  disnoient  à  T^ongemeau  '.  Je  mis  pied  à  terre, 
((  et  donne  mon  cheval  à  mon  homme  pour  le  tenir. 
«  Je  monte  en  haut    avecques  mon    pistollet   bien 
«  bandé  et  le  chien  abattu.  Je  trouve  mon  homme 
«  au  bout  de  la  table.  Soudain  je  vins  à  luy,  et  luy 
'<  dis  :  Confesse-toj,,  marchant  de  Paris,  tu  es  mort. 
«  Je  luy  présente  le  pistollet,  lequel  faut,  et  soudain 
«  mis  la  main  à  l'espée.  Je  luy  donne  à  travers  le 
«  corps,  et  tumbe  roide  mort  par  terre.   Je  vis  ses 
«  compaignons  qui  font  semblant  de  faire  des  mau- 
«  vais.  Je  donne  à  l'un  si  grand  extramasson  sur  la 
«  teste,  que  je  la  luy  fends  à  demy  ;  si  bien  que,  tout 
«  estourdy,   il   tumbe  dans  le  feu   qui  l'acheva  de 
«  mourir.  Au   tiers  je  donne  une  grand'  estoquade, 
«  dont  il  tumba  soubz   la  table,   pour  amasser  les 
(  miettes  qui  y  estoient  tumbées  ;  mais  il  n'en  amas- 
ce  sa  guières,  car  il  mourut.  Le  quatriesme  se  mit  à 
«  fuir  et  gaigner  les  degretz,  mais  je  lui  donne  un  si 
«  grand  coup  de  pied  parmy  le  cul,  qu'il  descendit 
«  plus  viste  qu'il  ne  voulut,  car  il  se  rompit  le  col. 
«  Moy,  j 'essuyé  bien  gentiment  mon  espée  à  la  nape, 
«  et  bois  un  coup,  laisse  mes  gens  là  mortz.  Je  redes- 
«  cens  et  passe  sur  le  corps  de  l'autre  au  degré  et, 
«  tout  froidement,   remonte  sur    mon   cheval,   sans 
«  que  personne  de  l'hostellerie  s'esmeut  ny  bougeast 
«  autrement,  et  me  sauve.  Et  tout  cela,  mon  espée 

1.  Longjumeau  (Seine-et-Oise) . 


ESPAIGNOLLES.  133 

«  et  moy  l'avons  fait  en  un  tourne -main.  »  Après 
luy  m'avoir  fait  ce  conte,  ne  pouvant  m'en  garder 
de  rire,  je  luy  dis  :  «  Comment  !  apellez-vous  cela 
a  rien?  Ah!  pour  Dieu!  vous  estes  mal,  si  ne  prenez 
«  garde  à  vous.  Sortez- vous-en  de  ceste  ville  :  »  dont 
ilmecreut;  et  l'accommode  d'un  bon  cheval  et  d'ar- 
gent et  se  sauva  :  si  bien  qu'il  eust  esté  pris,  ou  qu'il 
eust  tardé  un'  heure  à  partir,  il  estoit  perdu.  Encore 
veux-je  bien  jurer  qu'à  grand'  peine  voulut-il  partir, 
sans  que  je  l'en  pressasse.  Voilà  comment  ce  jeun' 
homme  rendit  bien  mallades  les  quatre  personnes, 
et  comment  la  fortune  luy  fut  bonne.  Hé  !  quel 
tueur  ! 

Il  arriva  un  pareil  trait  à  Milan,  lorsqu'Anthoine  de 
Leyve  en  estoit  gouverneur  pour  l'empereur  Charles, 
à  un  conte  de  cet  estât,  qu'on  appelloit  le  conte 
Claudio  seuUement,  et  non  autrement  S  Par  cas,  un 
jour  estant  allé  à  la  chasse,  et  son  oyseau  ayant  voilé 
une  perdrix,  quand  il  fut  à  la  remise,  qui  estoit  un 
lieu  fort  esgaré  et  peu  battu,  il  trouva  quatre  soldatz 
qui  s'estoient  deffiez,  et  avoient  clioysi  pour  leur 
camp  et  estaquade  un  parc  de  brebis  et  moutons, 
dont  usent  les  pastres  en  là  pour  y  retenir  et  resser- 
rer leur  bestial,  affin  d'enfumer  mieux  leurs  terres. 
Quel  camp-clos,  voyez,  je  vous  prie,  que  ces  braves 
gens-là  avoient  chovsi!  Le  conte  Claudio,  les  voyant 
tous  quatre  en  chemise,  et  prestz  à  se  battre  deux 
contre  deux,  les  pria  de   ne  se   battre  point  pour 


1 .  L'anecdote  du  comte  Claudio  a  été  déjà  racontée  par  Bran- 
tôme, et  presque  avec  les  mêmes  termes,  dans  le  Discours  sur  les 
Duels.  Voy.  t.  VI,  p.  350-352. 


134  RODOMONTADES 

l'amour   de   luy,   et  de   s'accorder.   Eux  luy  dirent 
qu'ilz  n'en  fairoient  rien,  mais  que    s'il   en  vouloit 
avoir  le  plaisir,  et  en  estre  le  juge,  qu'il  veist  faire 
seulement.  Le  conte  Claudio  dist  qu'il  n'en  fairoit 
rien,  et  qu'il  ne  luy  seroit  reproché  qu'en  sa  présence 
ilz  se  coupassent  ainsi  la  gorge;  et  là-dessus  met  pied 
à  terre,  l'espée  au  poinct,  pour  les  empescher  deba- 
tre.  Eux  aussitost,  comme  désespérez,  vont  concer- 
ter ensemble,  et  s'escrier  :  «  Tuons-le,  puisqu'il  nous 
«  veut  rompre  nostre  entreprise;  et,    amprès,   nous 
«  la  reprendrons,  et  nous  nous  battrons  et  verrons 
((  à  qui  le  champ  demeurera;  »  et  de  fait  le  chargent 
à  outrance.  Mais  luy,  qui  estoit  pour  ce  temps-là  un 
des  vaillans  de  l'estat  de  Milan,  se  garde  si  bien  d'eux, 
et  les  charge  si  bien  tous  quatre,  que  trois  demeura- 
rent  mortz  estandus  sur  la  place;   et  le  quatriesme, 
blessé  à  la  mort,  luy  demanda  la  vie,  laquelle  il  luy 
accorda,  et  puis  s'en  alla.  Et,  despuis,  ce  soldat  en 
fit  le  raport  et  le  conte  que  j'ay  ouy  faire  à  Milan 
d'autres  fois. 

Voylà  de  bonnes  fortunes  de  Mars ,  qu'il  envoyé 
à  ceux  qu'il  luy  plaist.  Faut  bien  nocter  en  cecy  que, 
quand  des  gens  de  bien  ont  grand'  envie  de  se  bat- 
tre, ou  qu'ilz  sont  une  fois  aux  mains,  il  n'y  a  rien 
qui  leur  fasché  plus  quand  quelques-uns  surviennent 
qui  les  veullent  séparer  :  et  bien  souvant  a  l'on  veu 
arriver  de  mesme  que  je  viens  raconter,  que  les 
deux  ennemis,  ou  quatre,  ou  plus  grand'troupe  s'ac- 
cordent à  charger  messieurs  les  sépareurs  (j'en  ay 
veu  deux  telz  traictz  en  ma  vie)  ;  n'estant  rien  si  fas- 
cheux  au  monde  à  un  vaillant  et  brave  homme  que 
de  luy  rompre  son  dessein  d'armes. 


ESPAIGNOLLES.  138 

Au  siège  de  La  Fère  dernièrement',  ayant  esté  pris 
deux  soldatz  à  un'  escarmouche,  dont  l'im  estoit 
fi-ançois  et  l'autre  espaignol,  et  menez  devant  le  rov, 
il  *  dist  au  François  que  sa  sentence  de  mort  estoit 
donnée  par  son  bandon'  pour  les  François  révoltez 
contre  luy,  mais  qu'il  luy  pardonneroit  et  luy  donne- 
roit  la  vie  s'il  luy  disoit  la  vérité.  L'autre  l'ayant 
promis,  le  roy  luy  demanda  combien  ilz  pouvoient 
avoir  encor  de  vivres  léans.  Le  François  luy  respon- 
dit  qu'il  y  en  avoit  encor  pour  un  mois.  Et  ayant 
demandé  à  l'Espaignol  de  mesmes  combien  il  en 
avoit,  l'Espaignol  respondit  qu'il  y  en  avoit  encor 
pour  deux  ou  trois  mois.  AUors  le  roy  s'adressant  au 
François,  luy  dist  :  «  Vous  serez  pendu,  car  vous 
«  m'avez  menty.  »  L'Espaignol,  advisé,  prompt  et 
courtois  à  sauver  la  vie  de  son  compaignon,  dist  au 
roy  :  Sacra  Majestad^  no  miente  :  porque  no  ay  mas 
para  los  Franceses,  que  son  grandes  comedores  ;  mas 
bastan  para  losEspaîioles^que  viv^n y  se contentan  de 
poco.  K  Sacrée  Magesté,  il  ne  ment  point;  car  il  n'en 
peut  pas  avoir  davantage  pour  les  François  qui  sont 
grands  mangeurs;  mais  il  y  en  peut  bien  avoir  autant 
pour  les  Espaignolz  qui  vivent  et  se  contentent  de 
peu.  »  Aussi  mandarent-ilz  au  cardinal  d'Austriche 
qu'il  leur  envoyast  seullement  du  sel;  car  ilz  se  salle- 
roient  et  se  mangeroient  les  uns  les  autres  avant  que 

1.  Le  siège  de  la  Fère  par  Henri  IV  (1595-1596). 

2.  //,  Henri  IV. 

3.  Ce  bandon  est  probablement  la  Déclaration  du  roi,  datée 
du  27  octobre  1593,  par  laquelle  il  promet  pardon  et  abolition  à 
ceux  qui,  dans  le  délai  d'un  mois,  se  retireront  du  parti  des  re- 
belles. 


\  36  RODOMONTADES 

se  rendre.  La  rodomontade  ne  fut  pas  là  bonne,  car  ilz 
furent  bien  avses  de  se  rendre  à  une  honeste  compo- 
sition que  nostre  roy  généreux  leur  tint  très  bien  *. 

Certainement*  de  croire  que  les  Espaignolz  soient 
plus  sobres  que  les  François,  il  le  faut  :  à  quoy  deux 
soldatz  '  se  rencontrant  une  fois  en  Italie  dans  une 
hostellerie,  l'boste  leur  servit  un  plat  de  raisins,  ce 
que  le  François  n'approuva  point,  et  n'en  voulut 
manger;  ce  que  l'Espaignol  remonstra  à  l'hoste,  di- 
sant que  /os  Franceses  no  eran  acostumhrados  hacer 
sus  edificios  sobre  cosas  redondas  \  L'Espaignol , 
quant  à  luy,  il  mange  de  tout  ce  qu'on  luy  donne, 
et  se  contente  de  peu  quand  il  va  de  son  coust  et  de 
sa  bourse.  Que  si  a^ous  le  surprenez  sur  son  ordi- 
naire, il  est  quitte,  en  vous  en  présentant  et  priant 
d'en  manger,  à  vous  dire  :  Segnor,  coma  de  este  pe- 
dazo  de  tocino  ;  que  juro  a  Dios  no  haj  perdiz  que  le 
valga^.  Quand  ilz  sont  à  la  table  et  aux  despens 
d'autruy,  ilz  mangent  aussy  bien  que  les  François. 
Aussi  se  mocquent-ilz  d'eux,  qu'ilz  mettent  tout  à  la 
mangeaille  et  vont  tout  nudz;  et  eux  \>an  vesttdos  y 
atai>iados  como  rejes^.  Comme  de  vray,  il  n'est  pas 
possible  de  voir  chose  si  brave  comme  j'ay  veu  d'au- 

\,  Var.  Que  le  roy  très  généreux  leur  octroya  et  tint  très 
bien. 

2.  Ce  qui  suit  jusqu'à  la  troisième  ligne  de  l'alinéa  suivant 
manque  dans  le  manuscrit. 

3.  C'est-à-dire  un  soldat  français  et  un  soldat  espagnol. 

4.  Que  les  Français  n'étaient  point  accoutumés  à  bâtir  sur  des 
choses  rondes. 

5.  Monsieur,  mangez  de  ce  morceau  de  salé.  Je  jure  Dieu  qu'il 
n'y  a  pas  de  perdrix  qui  le  vaille. 

6.  Vont  vêtus  et  parés  comme  des  rois. 


ESPAIGNOLLES.  137 

très  fois  les  vieux  soldatz  des  lerzes  de  Naples,  de 
Seicile,  de  Lombardie,  de  Sardaigne,  voire  de  la 
Collette  quand  ilz  la  tenoient. 

Pour  retourner  encor  à  leur  sobriété,  et  comme 
ilz  endurent  la  faim,  je  m'en  vais  faire  ce  conte  et 
puis  plus.  A  la  révolte  de  la  ville  de  Sienne,  et  qu'elle 
fut  surjH'ise  et  gaignée  pour  nostre  roy  Henry  IP,  il 
V  eut  trois  soldatz  espaignolz  qui,  ne  perdant  cœur, 
gaignarent  une  tour  de  la  porte  Romane,  et  se  réso- 
lurent là  de  vendre  leur  mort  au  plus  haut  pris 
qu'ilz  pourroient.  Comme  de  fait,  ilz  firent  si  bien 
que  M.  de  Termes,  le  principal  clieffrançois  de  l'en- 
treprise, vint  luy-mesmes  parler  à  eux  qu'ilz  se  ren- 
dissent, et  qu'il  leur  fairoit  bonne  guerre  et  hon- 
neste  composition,  et  qu'ilz  advisassent  bien  qu'il  y 
avoit  quatre  ou  cinq  jours  desjà  qu'ilz  n'avoient  rien 
mangé,  et  qu'ilz  s'en  alioient  aux  vespres  ou  vigiles 
de  la  mort,  n'ayant  nulle  provision  pour  vivre,  et 
qu'ilz  fairoient  bien  de  se  rendre  et  prendre  le  party 
du  rov  et  laisser  celluy  de  l'empereur  ,  autrement  il 
les  fairoit  brûler  léans  ou  mourir  de  fain.  Par  une 
petite  fenestre  de  la  tour,  un  respondit  pour  tous  de 
ceste  manière  :  Cavalleros ^  qualesquiera  que  fuere- 
des,  todos  como  estamos  bezamos  vuestras  manos  mu- 
chas  vezeSy  por  el  buen  partïdo  y  \>oluntad  que  de  nos 
lihrar  de  muerte  nos  haveys  mostrado.  Y  qaanto  a 
nos  rendir,  j  servir  al  rey  de  Francia,  el  es  tan 
hueno  que  no  le  fallara  quien  le  sirva;  y  nosotros 
tan  leales  al  nueslro,  que  ningun  temor  de  muerte 
nos  hara  variar  ;  y  no  nos  espanto  el  fuego,  ni 
otra  muerte  qualquiera  que  çiniere.  En  que  toca 
a  su  inlanto,  y  a   lo  que  deceis  que  no  tenemos  de 


138  RODOMONTADES 

corner,  sahed  que  aca  tenemos  abiindancia  de  ladrillos, 
y  siempre  que  a  los  Espagnoles  falta  la  provision, 
con  est  os  bien  molidos  nos  sustentâmes  ^  «  Cavaillers, 
quelz  que  vous  soyez,  tous  telz  que  nous  sommes 
icv,  vous  baisons  les  mains  plusieurs  fois  pour  le  bon 
parly  et  la  bonne  volunté  que  nous  monstrez  à  nous 
dellivrer  de  la  mort;  et  quand  à  nous  rendre  et  servir 
le  roy  de  France,  il  est  si  bon  que  gens  ne  luy  fail- 
lent  pour  le  servir,  et  nous  autres  si  loyalz  au  nostre 
que  nulle  craincte  de  mort  nous  faira  jamais  varrier 
nostre  intention,  soit  le  feu,  soit  autre  mort;  et  quant 
à  ce  que  vous  dites  que  n'avons  de  quoy  à  manger, 
sçachez  que  nous  avons  céans  grand'  abondance  de 
tuyles  et  carreaux  de  briques,  et  toutes  fois  et  quantes 
qu'aux  Espaignolz  la  provision  faut,  avec  ces  tuyles 
et  carreaux  bien  moulus  et  pilez  nous  nous  substan- 
tons.  )) 

]M.  de  Termes  loua  fort  leur  dire  et  valleur. 
Toutesfois,  leur  ayant  encores  remonstré  leur  mal, 
ilz  y  songearent  et  se  rendirent  ;  et  les  prist  à  mercy, 
et  les  r'envoya  sains  et  sauves.  Il  ne  faut  point 
doubter  pourtant  qu'ilz  ne  mangearent  à  l'extrémité 
de  ce  tuyle  broyé  comm'  ilz  fyrent  à  croyre,  tant  de 
temps  ayant  demeuré  là  et  si  longuement,  tant  ilz 
sont  patiens  de  la  fain  entre  autres  vertuz  millitaires. 
Et  ne  faut  point  aussi  douter  qu'ilz  n'eussent  volunté 
de  se  rendre,  car  ilz  n'en  pouvoient  plus  :  mais  il 
falloit  advant  qu'ilz  fissent  ceste  rodomontade,  et 
bravassent,  tant  ilz  sont  coustumiers  de  braver,  aussi 


\ .  Ce  passage  est,  à  quelques  mots  près,  tiré  textuellement  de 
la  Conquista  de  Sena,  f°  38. 


ESPAIGNOLLES.  439 

bien  en  leur  prospère  qu'en  leur  adverse  fortune  ;  et 
telle  est  la  vertu  de  telz  généreux. 

En  ceste  guerre  et  la  bataille  de  Sienne  faicte, 
entre  le  seigneur  d'Estrozze  et  le  marquis  de  Mari- 
gnan,  les  Espaignolz  donnarent  réputation  à  Astol- 
pho  Baglion  d'y  avoir  très  bien  fait;  si  bien,  di- 
soient-ilz^  que  tan  grande  eslrago  en  los  enemîs,os 
hazia,  que  no  hombre  topava  con  su  espada  cortadora^ 
que  a  la  dulçura  de  sus  kilos  no  dexase  la  i^ida  en 
sus  manos.  «  Qu'il  faisoit  si  grand  effort  sur  les  en- 
nemis qu'il  n'y  avoit  homme  qu'il  rencontrast  avec 
son  espée  tranchante  que  par  la  douceur  de  ses 
filz  (quelle  douceur!)  ne  laissast  sa  vie  entre  ses 
mains.  » 

Hz  louarent  bien  autant  là  mesmes  un  capitan  Léon 
y  un  Espinosa,  de  los  quales  era  tanlo  el  estrago  que 
en  los  ennemigos  liazian,  que  olra  cosa  no  hollavan 
entre  sus  piesy  sino  liombres  muertos  de  uno  y  otra 
parte.  «  Lesquelz  faisoient  tant  de  faitz  d'armes  con- 
tre les  ennemis,  que  autre  chose  ne  levoient  entre 
leurs  piedz  sinon  gens  mortz  d'une  et  d'autre 
part.  » 

Un  soldat  espaignol  du  prince  de  Parme,  durant 
ces  guerres,  avant  esté  pris  des  nostres,  et  interrogé 
par  un  capitaine  des  nostres  aussi  s'il  n'y  avoit  point 
parmy  leurs  bandes  quelque  brave  capitaine,  et  par- 
my  eux ,  qui  sceust  et  voulût  tirer  quelque  coup  de 
picque  pour  gentillesse  contre  luy,  l'autre  luy  res- 
pondit  :  Si  aj,  juro  a  Dios,  muchos,  y  mas  que  no 
ay  pelos  en  sus  barbas.  «  S'il  y  en  a,  ouy,  plus  que 
vous  n'avez  de  poil  en  votre  barbe.  » 

Un  autre,  prins  vers  la  frontière  de  Picardie,  et 


440  RODOMONTADES 

mené  au  roy  ^,  tournant  de  la  Franche-Conté,  après 
la  prise  de  Cambray  ',  il  demanda  ce  qu'on  disoit  de 
luy  parmy  son  armée.  Il  respondit  :  No  otra  cosa, 
si'no  que  por  ireinla  mil  ducados  que  haK>eys  ganado 
en  la  Franelie-Conté,  haveys perd'ido  Cambrav.  «  Sinon 
que  pour  trente  mil'  escus  que  vous  avez  gaigné  à 
la  Franche-Conté ,  vous  avez  perdu  Cambray.  » 
Ceiluy-là  pouvoit  dire  vray;  car,  si  le  roy  ne  se  fust 
amusé  à  la  Franche-Conté  à  y  faire  la  patrouille,  il 
n'eust  pas  perdu  Cambray;  car  sa  présence  seulle 
eust  estonné  l'ennemy.  Bien  est-il  vray  qu'on  pourra 
là-dessus  objetter  les  prises  de  Calais  et  Guynes  à  sa 
barbe.  Cela  est  vray;  mais  il  faut  avoir  ouy  les  rai- 
sons du  roy,  qu'on  dit  qu'il  n'y  a  esté  bien  servy, 
et  qu'il  ne  vouloit  desmordre  une  place,  La  Fère, 
qu'il  avoit  eue  à  la  fin  par  sa  brave  résolution;  et  si 
eust  fait  l'un  et  l'autre,  s'il  fust  esté  creu  et  bien  servy. 
Quand  le  prince  de  Parme  vint  pour  désassiéger 
Paris  par  le  commandement  de  son  roy,  qu'il  luy 
avoit  donné  exprès,  usant  de  ces  propres  motz  :  «  Ne 
«  faillez  d'aller  secourir  ma  ville  de  Paris,  »  comme 
la  tenant  desjà  sienne,  il  assiégea  Lagny  pour  faire  à 
nostre  roy  desmordre  Paris  et  l'attirer  à  la  battaille  ; 
ce  que  le  roy  désiroit  fort,  et  l'autre  ne  faisoit  que 
le  semblant  :  là  où  il  y  eut  eu  une  grand'  faute  de 
laisser  une  telle  ville  de  conséquence  pour  secourir 
une  bicoque,  et  quicter  un  beau  champ  qu'il  avoit  à 
luy  desjà,  pour  en  aller  chercher  un  autre  bien  loing 
pour  combattre.  Ce  prince  de  Parme  donc  ayant 
sceu  que  le  roy  disoit  qu'il  entreprenoit  trop  de  vou- 

1.    Henri  IV.   —  2.  Par  les  Espagnols,  en  lS9.j. 


ESPAIGNOLLES.  141 

loir  prendre  une  ville  à  sa  barbe,  et  de  donner  une 
l)ataille  comme  il  se  vantoit ,  il  fit  ceste  responce  à 
quelque  prisonnier  François  :  «  Dites-luy  que  je  la 
luy  prendray,  citin  que  fuese  pues  ta  en  cima  de  su 
moslacJio.  w  «  Encores  qu'elle  fut  posée  sur  la  cime 
de  sa  moustache.  »  Le  roy  luy  fit  rendre  responce 
qu'il  luy  oposeroit  tant  de  montaignes  de  fer  qu'il 
l'en  empescheroit  bien.  Le  prince  répliqua  :  Plu- 
guiese  a  Dios  que  fuessen  (ï  oro,  que  seriamos  mas 
ricos.  a  Pleust  à  Dieu  qu'elles  fussent  d'or,  que  nous 
en  serions  plus  riches.  »  Inférant  par  là  qu'après 
avoir  porté  par  terre  toutes  ses  montaignes  de  fer, 
qui  estoient  ses  gens  armez,  et  les  avoir  deffaitz, 
pour  une  tant  riche  despouille  ilz  viendroient  tous 
riches  et  opuilans. 

Le  dire  ne  trompa  point  ledit  prince,  car  il  prist 
la  ville  sans  donner  bataille,  et  si  leva  le  siège  de 
Paris  comme  il  vouloit;  ce  qui  luy  fut  un  très-grand 
honneur,  et  tout  pareil  encore  à  celluy  qu'il  receut 
à  Rouan;  car  le  roy,  sçachant  qu'il  le  venoit  désas- 
siéger,  luy  manda  qu'il  le  tiendroit  à  ce  coup  pour 
le  plus  grand  capitaine  du  monde  s'il  luy  faisoit  lever 
le  siège  sans  donner  à  ceste  fois  bataille,  le  prince 
luy  manda  seullement  :  «  Dites-luy  donc  qu'il  com- 
te mance  à  me  tenir  pour  tel  ;  car  je  leveray  le  siège, 
«  et  si  ne  donneray  point  de  bataille.  »  J'eusse  bien 
mis  ces  parolles  en  espaignol,  mais  elles  sont  com- 
munes. Il  fit  encores  à  ceste  fois  là  ce  qu'il  voulut, 
ainsi  que  j'espère  le  dire  au  discours  que  je  faii-ay 
de  luy*. 

1.  Ce  discours  n'a  jamais  été  écrit. 


142  RODOMONTADES 

Voylà  deux  fortunes  et  deux  gloires  incompara- 
bles. Ceux  qui  veulent  gloser  sur  la  paroUe  dudit 
prince,  disent  qu'il  entendoit  sa  moustache  celle 
qu'il  portoit  si  grande,  et  si  pendante  de  ses  che- 
veux ,  dont  plusieurs  de  son  royaume  l'ont  imité 
en  cela;  mais  depuis  il  Fa  faite  couper,  car  s'il  eust 
entendu  les  moustaches  de  la  barbe,  il  eust  usé  de  ce 
mot  propre  espaignol  qui  dit  :  Las  bigotes  de  su 
barbas  *. 

En  ces  deux  et  mémorables  factions,  les  Espai- 
gnolz  s'attribuent  la  gloire,  comme  en  toutes  autres 
où  ilz  se  treuvent  en  armées  royalles,  que  leur  val- 
leur,  leur  discipline  millitaire  et  leur  ordre  de  guerre 
triumphent  par-dessus  toutes  les  autres.  Et,  pour  de 
grandz  miracles  de  cela,  je  leur  ay  veu  alléguer  force 
exemples,  et  en  autres  celluy  de  Hernan  Cortès, 
digno  [dizen  ellos)  por  cierto  de  ponerse  entre  los 
nueçe  de  la  fama;  el  quai,  con  nienos  de  mit  infan- 
tes espagnoles  j  ochenta  cavalloSy  prendio  dentro  de 
su  ciudad  al  gran  rej  Montezuma,  y  al  fin  con  sola 
la  buena  orden  sujeto  el  imper io  Mexicano.  Y  en 
nuestros  dias^  Hernan  Ahares  de  Toledo,  aquel  gran 
capitan  y  ducque  de  Alva,  con  solos  mil  arcabuze- 
ros,  y  quinientos  musqueterosj  y  la  buena  disciplina 
y  orden  de  guerra^  rompio  y  degollo  en  Friza,  a  la 
ribera  del  rio  Amazio,  doze  mil  hombres  con  que  el 
conde  Ludoçico  Nazao  a\)ia  entrado  en  aquella  pro- 
vincia.  «  Digne,  disent-ilz,  pour  certain  d'estre  mis 
parmy  les  neuf  de  la  Renommée  (qui  sont  les  neuf 
preus),  de  Herman  Cortez,  lequel  avec  moins  de  mil 

1.  Les  moustaches  de  sa  barbe. 


ESPAIGNOLLES.  143 

hommes  de  pied  espaignolz,  et  huiclante  chevaux, 
prist  dans  sa  cité  le  grand  roy  Monteçuma;  et  à  la 
fin  avec  le  hel  ordre  subjuga  du  tout  l'empire  mexi- 
qiian.  En  nos  temps  derniers,  Hernan  Alvarès  de 
Tolède,  duc  d'All)e  et  grand  capitaine,  avec  seule- 
ment mil'  harquebuziers  et  cinq  cens  mousquetaires, 
avec  la  bonne  discipline  et  ordre  de  guerre,  rompit 
et  tailla  en  pièces,  en  Frize,  près  le  fleuve  Amazio*, 
dix  mil  hommes  que  le  comte  Ludovic  de  Nansau 
avoit  là  menez.  » 

Les  Espaignolz,  en  ce  dernier  combat,  en  content 
beaucoup  ;  car  le  duc  d'Albe  avoit  bien  plus  de  gens 
que  dit  le  conte  :  mais  l'autre  en  avoit  deux  fois  plus 
que  luy;  et  surtout,  huict  ou  neuf  cens  François, 
très-braves  solda tz  qui  comba tirent  bien.  J'estois 
lors  à  la  court,  quand  ces  nouvelles  vindrent  au  roy, 
qui  trouva  cette  deffaite  très  belle  et  mémorable,  et 
mesme  de  si  peu  de  gens  contre  si  grand   nombre. 

Certainement  il  faut  louer  leur  discipline  et  bel 
ordre  :  en  cela  ressemblans  aux  anciens  braves  Ro- 
mains, qui,  par  discipline  de  guerre,  et  non  par 
grand  nombre  de  gens,  ont  conquis  tout  le  monde. 
Mais  qui  est  cause  de  ce  bel  ordre  et  discipline,  si 
non  le  beau  entretènement  que  le  roy  d'Espaigne 
donne  à  ses  gens  de  guerre,  et  les  belles  soldes  et 
payes  qui  ne  leur  manquent  jamais,  bien  qu'ilz  les 
attendent,  mays  pourtant  ne  les  perdent  comme  nos 
solda  tz  françois  font?  Car  là  où  l'argent  trotte,  l'or- 
dre s'y  establit,  et  où  il  manque,  il  n'y  a  plus  que 
confusion.  Et  ay  ouï  dire  à  de  grandz  capitaines  que 

1.  Amazio^  Q\\\ai.\xn.  Amasius^  l'Ems. 


144  RODOMONTADES 

nul  grand  aujourd'huy,  quel  qu'il  soit,  ne  peut  en- 
tretenir un'  armée  bien  pollicée_,  disciplinée  et  bien 
ordonnée  longtemps,  qu'un  roy  d'Espaigne,  ainsi 
qu'il  a  tousjours  fait  despuis  que  l'empereur  son  père 
luy  laissa  tous  ses  estatz.  Aussi  est-il  si  grand  et  puis- 
sant en  terres  et  moyens,  que  jamais  les  Romains 
n'en  aprocharent.  En  cas  qu'il  ne  soit  vray,  consi- 
dérons un  peu  les  grandz  tiltres  qu'il  porte  sur  le 
front,  que  je  vois^  mettre  icy  par  curiosité  :  Don  Phi- 
lippe, por  la  gracia  de  Dios,  rej  de  Caslilla,  de  Léon, 
de  yéragon,  de  las  dos  Sicilias,  de  Jérusalem,  de 
Portugal,  de  Navarra,  de  Granada,  de  Toledo,  de 
Valencia,  de  Galizia ,  de  Mallorca  ,  de  Sevilla,  de 
Cerdeîia,  de  Cordova,  de  Corsega,  de  Murcia,  de  Jaen^ 
de  los  Algarçes ,  de  Algezira,  de  Gibraltar^  de  las 
islas  de  Canaria^  de  las  Indias  Orientales  y  Ociden- 
taleSy  islas  y  tierra  firme  del  Mar  Oceano  ;  archiduc- 
que  de  Austria,  ducque  de  Borgoha,  Bravante,  y 
Milan;  conde  de  Abspurg,  de  F  landes,  y  Tirol,  j 
Barcelona;  seiîor  de  Viscaya,  de  Genova^  y  de  Mo- 
li.na  ^ . 

Voylàdes  tiltres  qui  font  peur,  à  les  ouïr  seulement 

1.  Vois^  vais. 

2.  Don  Philippe,  par  la  grâce  de  Dieu,  roi  de  Castille,  de 
Léon,  d'Aragon,  des  Deux-Siciles,  de  Jérusalem,  de  Portugal,  de 
Navarre,  de  Grenade,  de  Tolède,  de  Valence,  de  Galice,  de  Ma- 
jorque,  de  Séville  ,  de  Sardaigne,  de  Cordoue,  de  Corse,  de 
Murcie,  de  Jaen,  des  Algarves,  d'Algeziras,  de  Gibraltar,  des 
Canaries,  des  Indes  Orientales  et  Occidentales,  des  îles  et  terre 
ferme  de  l'Océan;  archiduc  d'Autriche,  duc  de  Bourgogne,  de 
Brabant  et  de  Milan  ;  comte  de  Hapsbourg ,  de  Flandre ,  de 
T}  roi  et  de  Barcelone  ;  seigneur  de  Biscaye ,  de  Gênes  et  de 
Molina. 


ESPAIGNOLLES.  i  45 

nommer,  et  mesmes  de  ces  deux  Indes  Orienlalles 
et  Occidenlalles.  On  pourra  dire  que  celluy  des  Es- 
paignes  peut  porter  avec  soy  plusieurs  petitz  royau- 
mes qu'on  nomme  par  villes;  mais  pourtant  sont 
royaumes  bons  et  grands,  comme  la  duché  de  Milan, 
qui  porte  son  nom  d'une  ville,  et  non  du  païs.  Et 
quelle  duché  est-ce,  et  combien  y  a-il  de  villes  des- 
soubz  !  Le  royaume  de  Naples,  quel  royaume  est-ce  ! 
De  mesmes  sont  tous  les  royaumes  de  villes  qui  sont 
en  Espaigne.  Baste*  que  c'est  un  grand  roy,  et  que 
j'ay  ouy  dire  que  les  Romains  ne  furent  jamais  si 
grands  terriens  ny  opulans  que  luy.  Cela  est  aisé  à 
cognoislre,  qui  en  veut  computer  et  mesurer  les 
terres  de  l'un  et  des  autres*. 

Comme  j'ay  parlé  cy-devant  de  la  discipline  mili- 
taire des  Espaignolz,  certes  elle  est  très-belle,  bien 
pollicée  et  gentiment  observée;  mais  il  faut  confes- 
ser le  vray  :  quilz  sont  fort  fasclieux  et  importuns 
en  cela,  d'estre  fort  subjetz  à  se  mutiner  quand  leur 
paye  leur  manque,  et  non  pourtant  guières  pour  au- 
tre subject;  car  ilz  ne  se  veulent  mettre  à  sédition  que 
bien  à  propos  et  avecques  raison.  Il  y  a  longtemps 
qu'ilz  en  ont  pris  ceste  coustume,  et  l'ont  continuée 
soubz  le  grand  marquis  de  Pescayre,  soubz  M.  de 
Bourbon  et  soubz  le  duc  d'Albe.  Ilz'  n'y  ont  pas  faict 
de  grandes  fautes  en  cela,  car  ilz  les  sçavoient  avoir, 

1.  Baste,  suffit. 

2.  Ici  s'arrête  le  manuscrit  des  Rodomontades,  à  la  suite  des- 
quelles vient  la  première  rédaction  des  Sermens  et  juremens  ex- 
paignols.  >'ous  ne  pouvons  plus  que  reproduire  le  texte  des 
anciennes  éditions. 

3.  Hz,  Pescaire,  Bourbon  et  Albe. 

VII  —  10 


146  RODOMONTADES 

et  leur  donner  tant  de  pillages  qu'ilz  avoient  beau 
moyen  de  patienter  et  attendre  leurs  payes,  qu'ilz 
n'en  vouloient  perdre  pourtant  pas  une  seule  :  tes- 
moing  le  sac  de  Rome,  qui  les  rendit  saouls  jusqu'à 
la  gorge,  et  pourtant  fallut  que  le  pape  baillast  de 
l'argent  pour  les  payer. 

Or  voicy  la  façon  qu'ilz  ont  à  se  mutiner,  ainsy  que 
j'ay  ouy  dire  et  conter  à  aucuns  d'eux  :  ilz  commen- 
cent à  se  plaindre  les  uns  les  autres,  et  puis  sourde- 
ment font  courre  ces  motz  parmy  eux  :  Motin,  mo- 
tin  *.  Et  puis  tout  haut  commencent  à  crier  :  A 
fuera^  a  fiiera ,  los  gusmanes.  Apartense ,  porque 
nos  queremos  amotinar^.  Car,  s'il  y  a  des  gentils- 
hommes et  des  gusmans,  qu'ilz  appellent  ainsi  par- 
my eux  (comme  il  y  en  a  force),  ne  les  veulent  point 
recevoir  en  leur  compaignie;  aussy  eux  ne  le  fe- 
roient  pour  tout  le  bien  du  monde,  car  ilz  seroient 
déshonorez  pour  jamais,  bien  qu'il  y  en  ait  eu  aucuns, 
ainsy  que  j'en  ferois  un  beau  discours;  mais  il  seroit 
icy  trop  long  et  superflu.  Les  capitaines  qui  en  sen- 
tent le  vent  se  retirent  de  bonne  heure,  tant  pour 
ne  courir  fortune  de  la  vie  que  de  l'honneur;  car  ilz 
penseroient  estre  déshonorez  à  perpétuité,  et  leur 
seroit  reprochable  s'ilz  se  trouvoient  brouillez  parmy 
leurs  menées.  S'estant  joincts  en  bonnes  troupes,  qui 
plus  qui  moins,  ilz  eslisent  pour  leur  chef  le  plus  ha- 
bile et  le  plus  advisé  qu'ilz  peuvent  choisir  parmy 


1.  Révolte,  révolte  1 

2.  Dehors,  dehors  les  cadets  1  Qu'ils  s'en  aillent,  parce  que 
nous  voulons  nous  révolter.  —  Sur  ce  nom  de  Gusmanes,  voyez 
tome  I,  p.  33b. 


ESPAIGNOLLES.  ikl 

eux,  et  l'appellent  elegidu,  et  nous  autres  disons 
es/eu.  Hz  le  contraignent  d'en  prendre  la  charge;  et 
ne  faut  pas  qu'il  la  refuse;  autrement  ilz  le  feroient 
mourir  et  passer  par  les  armes.  Cela  faict,  ilz  luy 
obëyssent  comme  à  leur  vrai  chef  et  capitaine,  se  ré- 
servant pourtant  quelques  voix  entre  eux_,  puis  tas- 
chent  à  surprendre  quelques  villes  pour  leur  servir 
de  retraictes.  De  là  ilz  font  mille  maux,  volleries  et 
rançonnemens. 

Entre  les  plus  signalez  amutinemens  que  j'aye  ouy 
raconter  parmy  eux,  ce  fut  celuy  qu'ilz  firent  en  Si- 
cile à  Ferdinand  de  Gonzague,  en  estant  visce-roy*. 
La  première  source  en  vint  de  la  GoUette,  et  pou- 
voient  estre  bien  près  de  quatre  mille.  Mais  Bernar- 
din de  Mandozze,  général  des  gallères  de  Scicille,  en 
prévoyant  le  danger,  y  remédia  de  bonne  heure; 
car,  s'ilz  se  fussent  ralliez  avecques  les  Allarbes*  et 
les  Mores,  la  Gollette,  Thunis  et  tout  de  par  de  là, 
[cela]  alloit  très  mal  pour  l'empereur.  Par  quoy,  so\ibz 
belles  promesses  et  parolles  qu'il  leur  fit,  il  les  char- 
gea tous  sur  les  gallères  et  navires,  et  les  trajetta  en 
Scicille,  où  estans  et  pensans  toucher  argent  n'en 
touchèrent  pas  une  maille  :  et  alors  ce  fut  pis  que 
devant,  car  ilz  firent  mille  maux,  prindrent  des 
villes,  tinrent  les  champs,  rançonnèrent  et  pillèrent 
tout  le  monde;  enfin  ilz  firent  le  diable.  Hz  avoient 
esleu  par-dessus  tous,  d'une  mesme  voix,  pour  chef, 
un  certain  Heredia,  parce  qu'il  estoit  fin,  subellin  et 
surtout  fort  éloquent,  et  qui  parloit  d'or  ;  car  il  avoit 

1 .  En  4d38.  Tout  ce  qui  suit  est  tiré  de  P.  Jove,  liv.  XXXVIII. 

2.  Allarbes,  Arabes. 


148  RODOMONTADES 

eslé  d'autres  fois  moyne  bien  preschant;,  et  avoit 
quitté  le  froc  pour  porter  les  armes.  Il  avoit  pour 
compaignon  un  Mont-Dragon,  navarrès,  qui  advi- 
soit*  sur  la  criminallité.  Pour  fin  de  conte,  ilz  firent 
tant  de  maux,  et  se  firent  tant  craindre,  qu'ilz  don- 
nèrent bien  de  FafFaire  à  Ferdinand ,  et  à  songer  à 
luy;  car,  de  les  avoir  par  les  armes,  il  n'en  falloit 
point  parler,  tant  ilz  estoient  forts,  braves  et  vaillans, 
et  se  sça voient  très-bien  conduire  en  bons  hommes 
de  guerre  :  et,  pour  ce,  fut  advisé  de  les  avoir  par 
douceur  et  belles  promesses.  Donc,  après  plusieurs 
allées,  venues,  conférences  et  ambassades  par  Alvare 
de  Sando,  Sancho  Allarcon,  Alphonse  Vives,  et  sur- 
tout par  Juan  Varga,  le  bon  vieillard ,  que  les  amu- 
Imez  aymoient  et  appelloient  leur  père,  la  paix  fut 
faicte.  Et  pour  la  conclure  et  rendre  bien  ferme  et 
stable,  il  fut  dict  et  arresté  qu'à  un  certain  lieu  où  la 
messe  se  diroit,  tous,  d'une  part  et  d'autre,  au  moins 
les  chefs,  jureroient  sur  le  corps  de  Nostre-Seigneur, 
quand  le  prestre  le  leveroit ,  qu'ilz  tiendroient  la 
paix  et  ne  l'enfraindroient  nullement.  Quand  ce  fut 
là,  les  députez  d'Heredia  très- volontairement  haus- 
sèrent les  mains  dextres.  Il  y  eut  un  desdictz  dépu- 
tez, qui  s'appelloit  Villa-Lobo ,  lequel  voyant  don 
Ferdinand  estre  long  et  tardif  à  hausser  la  sienne,  il 
luy  cria  tout  haut  :  Seilor  i^irej;  alzed  la  mano,  si 
quisieredes,  que  es  el  cuerpo  de  Dios  que  aqui  çeis. 
Si  no  la  alzais  j  laego  nos  apartamos  del  juramento, 
y  quehranios  la  paz,  y  guerra  coma  adelante  ^  C'est 

1.  Jdviser,  donner  son  avis;  de  l'italien  avisar. 

2.  Seigneur  vice-roi,  levez  la  main,  s'il  vous  plaît.  Voilà  le 


ESPAIGNOLLES.  i49 

parlé  cela  à  un  général,  et  bravé  un  vice-roy.  Quelle 
rodomontade  !  Ce  n'est  de  pair  à  pair,  ny  de  com- 
paignon  à  compaignon,  mais  d'inférieur  à  son  supé- 
rieur. Ce  fut  à  Ferdinand  à  lever  la  main  aussytosl, 
et  faire  bonne  mine  pour  le  coup;  mais  après  il  en 
eut  bien  sa  raison,  car,  les  ayant  séparez  et  départis 
aux  garnisons,  qui  çà  qui  là,  il  en  fit  mourir  et  pen- 
dre tous  les  chefs  premièrement,  et  force  autres,  et 
plusieurs  jetter  dans  la  mer;  si  bien  qu'on  en  voyoit 
les  rives  bordées  de  corps  morts,  jusques  environ 
cinq  cens.  Les  autres,  les  rellégua  et  les  envoya  aux 
isles  circonvoisines ,  où  la  pluspart  moururent  de 
faim,  comme  en  l'isle  de  I.ypary,  que  je  pense  n'a- 
voir veu  si  misérable  habitation;  car  il  n'y  croist 
que  des  câpriers.  Les  autres  furent  envoyez  en  Es- 
paigne  pour  y  estre  ignominieusement  veus.  Dont 
aucuns  disoient,  quand  on  les  y  menoit,  que  mns 
presto  lus  liiciesen  niorir^  que  recebir  tal  afrenta  y 
i^erguenzaj  ser  traidos  al  escarnio  de  sus  parentes, 
ainigos  y  compaîieros  ^ .  Pour  conclure,  ilz  furent 
très-rigoureusement  chastiez,  ce  que  le  conseil  d'Es- 
paigne  trouva  pourtant  très  mauvais,  et  se  mit  à  en 
faire  le  procès  à  don  Ferdinand.  J'en  ouys  raconter 
quelques  particularitez  du  plaidoyé,  qui  certes  sont 
belles,  et  fondées  sur  quelques  raisons,  lesquelles 
j'eusse  mis  icy,  mais  elles  fussent  été  trop  longues. 

corps  de  Dieu  que  vous  voyez.  Si  vous  ne  la  levez  pas,  nous  nous 
départons  sur  le  champ  de  notre  serment  ;  nous  rompons  la  paix, 
et  la  guerre  sera  comme  devant. 

1.  Qu'ils  auraient  bien  mieux  aimé  mourir  que  de  recevoir  un 
tel  affront  et  un  tel  opprobre,  et  que  d'être  exposés  au  mépris  de 
leurs  parents,  de  leurs  amis  et  de  leurs  compagnons. 


i50  RODOMONTADES 

J'espère  les  mettre  ailleurs.  Hz  luy  firent  donner  un 
adjournement  personnel  pour  comparoistre  ;  mais 
l'empereur  fit  surseoir  la  cause.  Aucuns*  ont  dict  et 
escrit  qu'il  trouva  très-bonne  ladicte  rigueur  et  pu- 
nition, et  mesme  qu'il  taxa  Ferdinand  de  n'en  avoir 
pas  prou  faict;  mais  sont  menteries,  car  je  tiens  de 
vieux  capitaines  et  soldatz  espaignolz  que  j'ay  veus 
en  Sicile  et  à  Naples,  qu'il  en  fut  très- mal  content, 
et  en  blasma  ledict  Gonzague  ;  et  en  coulla  la  chose 
pour  le  coup  :  et,  tant  s'en  faut  que  l'empereur  le 
trouvast  bon,  que,  quand  les  députez  de  Milan  vin- 
rent vers  luy  ^  pour  luy  remonstrer  les  maux  que 
d'autres  amutinez,  conduitz  par  leur  chef  Sarmento, 
faisoient  en  sa  duché  de  Milan,  et  que,  s'il  ne  leur 
en  faisoit  raison,  ilz  seroient  contraincts  de  se  la 
faire  eux-mesmes,  il  s'en  courrouça  et  estomaqua 
fort,  et  menaça  s'ilz  luy  tenoient  jamais  ce  propos; 
et  si  leur  en  fit  faire  une  réprimande  et  menace  plus 
rigoureuse  par  son  chancellier  de  Granvelle. 

Or  ledict  Ferdinand  ayant  envoyé  ces  pauvres  ma- 
lotrus en  Espaigne,  et  veuz  en  tel  estât  de  tout  le 
monde,  mesmes  aucuns  s'estans  présentez  au  con- 
seil, ne  faut  point  demander  si  le  spectacle  en  fut 
odieux  à  toute  l'Espaigne,  et  à  belles  injures  après 
luy;  car  ceste  nation  sçait  fort  bien  echar  pullas^  : 
et  la  pluspart  l'appelloient  vellaco  Italiano^  enemigo 
del  nombre  f  valor  de  los  Espaiîoles ,  traydor,  per-^ 
jura,  hurlador  del  cuerpo  sagrado  de  ISuestro-Senor^ 


\.  Aucuns,  c'est  P.  Jove,  liv.  XXXVIII. 

2.  En  lo38.  Voy.  P.  Jove,  liv.  XXXVIII. 

3.  Donner  des  brocards. 


ESPUGNOLLES.  151 

enganador  de  fe,  y  verdugo  saîigriento^',  bref,  une 
infinité  d'autres  sortes  d'injures  que  l'ire,  le  despit, 
le  désespoir,  la  liayne  et  l'offense,  leur  rapportoient 
en  la  bouche,  que  j'ay  ouy  dire  et  que  je  tays.  Au 
moins,  disoient  aucuns,  s'il  les  eust  décimez,  et  faict 
mourir  quelques  coupables,  la  chose  ne  seroit  si 
exécrable,  et  les  renvoyer  contre  les  Turcs,  ainsy  que 
fît  le  marquis  del  Gouast  ceux  qui  s'amutinèrent  en 
la  duché  de  Milan,  soubs  leur  chef  Sarmento,  qu'il 
envoya  jusqu'au  nombre  de  trois  mille,  en  Dalma- 
cye,  à  Calaro  et  à  Castro-Novo,  là  où  pourtant  ilz 
périrent  tous,  fust  ou  par  le  fd  de  l'espée,  ou  de  la 
cadène  de  Barberousse  et  de  ses  gens,  portans  la 
peyne  de  leurs  maux  et  de  leurs  meffaictz  qu'ilz 
avoient  faictz  en  leur  rébellion  ;  mais  aussy  ilz  firent 
bien  mourir  de  leurs  ennemys.  Possible  ceux-cy  de 
Ferdinand,  s'ilz  fussent  estez  employez  pour  mesme 
subject,  en  eussent  faict  de  mesmes,  ou  mieux;  et 
par  ainsi  autant  de  Turcs  mortz  et  tuez  et  moins 
d'ennemys. 

Certes,  il  n'est  pas  besoing  d'estre  si  rigoureux  et 
cruel  en  telles  justices;  car  telles  gens  quelquefois 
ayans  estez  pardonnez,  et  venans  à  se  recognoistre, 
réparent  leurs  fautes  et  font  de  bons  services.  Je  n'en 
sçaurois  alléguer  plus  brave  exemple  que  des  amu- 
tinez  de  la  ville  d'Alost  en  Flandres,  qui  d'eux-mes- 
me  secoururent  si  bien  et  si  vaillamment  la  citadelle 
d'Anvers,  assiégée  par  les  États,  dont  j'en  parle  ail- 


1 .  Lâche  Italien,  ennemi  du  nom  et  de  la  valeur  des  Espagnols, 
traître  ,  parjure  ,  moqueur  du  corps  sacré  de  Notre-Seigneur , 
trompeur  contre  la  foi  promise,  et  bourreau  sanguinaire. 


lo2  RODOMONTADES 

leursMlz  en  ont  faict  de  mesmes  en  plusieurs  autres 
lieux,  s'estant  ainsi  réconciliez;  je  dirois  bien  où, 
mais  je  serois  trop  long. 

Je  voudrois  seulement  sçavoir  sur  ce  discours,  de 
quelque  grand  docteur,  s'il  y  alla  beaucoup  de  la 
conscience  dudict  Ferdinand  en  ce  serment  preste  et 
rompu,  qu'aucuns  ont  dict  qu'il  ne  l'avoit  faict  que 
de  bouche  et  non  de  cœur;  savoir  si  cela  se  peut 
faire  en  la  présence  et  à  la  veue  du  corps  de 
Nostre-Seigneur ,  et  si  ce  n'est  point  l'offenser  en 
abusant  ainsy  de  son  sacrement  et  de  son  mystère. 
Pour  quant  à  l'honneur,  il  y  a  tant  de  raisons  de 
pro  et  contra^  que  je  les  laisse  à  discourir  aux  grands 
capitaines  et  plus  gentils  cavalliers  que  moy.  Tant  y 
a  pourtant,  il  me  semble,  qu'on  ne  doit  point  estre 
tant  ainsv  sévère  à  l'endroict  des  pauvres  soldatz, 
bien  qu'ilz  fassent  telz  ou  autres  délicts;  car  ce  sont 
eux  qui  battaillent  pour  les  chefs;  ce  sont  eux  qui 
acheptent  de  leur  sang  les  victoires,  et  les  chefs  en 
triomphent  de  l'honneur  et  du  proffit.  A  quoy  sceut 
très  bien  avoir  esgard  Scipion  en  Espaigne  contre 
ses  amutinez,  qui,  ne  se  contentans  de  leur  rébellion, 
prindrent  l'autorité  et  enseigne  de  consuls  à  l'instance 
des  soldatz  ^  Les  chefs  en  furent  punis,  et  aucuns 
soldatz;  et  les  autres  furent  pardonnez,  qui  après 
firent  à  luy  et  à  la  république  romaine  très  bons  ser- 
vices. Je  pense  bien  que  ces  grands  chastieurs  de  sé- 
ditions voudroient  bien  que  les  soldatz  fissent  de 
pierre  pain,  ainsy  que  le  diable   vouloit  que  Jésus- 

\.  Voy.  tome  II,  p.  d84. 

2.   Voyez  Plutarque,  Fie  de  Scipion  l'Africain,  ch.  xii  et  suiv. 


ESP  AIG  NULLES.  4  53 

Christ  fist  en  son  désert.  Mais  ne  pouvant  faire  ces 
miracles,  il  faut  bien  qu'ilz  vivent  ;  et  vivre  ne  peu- 
vent-ilz  s'ilz  n'ont  leur  payes,  ou  ne  brigandent.  Et, 
ne  leur  voulant  permettre  le  brigandage,  leur  rete- 
nant leur  solde,  que  veut-on  qu'ilz  fassent?  Voylà  en 
quoy  ces  grands  capitaines  et  généraux  d'armées  doi- 
vent bien  arregarder  sur  ces  chastimens,  car  il  y  va 
de  la  conscience.  Cependant  je  brise  icy,  estant  le 
discours  trop  long,  et  fascheux  possible  à  aucuns. 

Un  de  ces  ans,  que  nostre  roy  print  et  gaigna  Pa- 
ris de  la  façon  que  chacun  sçait',  les  Espaignolz  qui 
estoient  dedans,  qu'aucuns  nommoient  Napolitains 
(mais  autant  y  avoit-il  des  uns  que  des  autres),  ilz 
furent  fort  estonnez,  et  comme  gens  braves  et  vail- 
lans  se  résolurent  au  combat;  et  s'estant  mis  en  bat- 
taille,  le  roy  leur  manda  qu'ilz  ne  s'amusassent  point 
à  cela,  autrement  qu'ilz  estoient  tous  perdus  s'ilz  en 
venoient  là;  toutesfois  s'ilz  vouloient  estre  sages,  qu'il 
leur  feroit  si  bonne  et  honneste  guerre  qu'ilz  au- 
roient  occasion  de  se  contenter  en  leur  octroyant, 
leurs  vies  et  bagues  sauves,  la  retraicte  de  gens  de 
guerre,  ensemble  seure  conduicte.  Leur  maistre  de 
camp  qui  leur  commandoit,  avec  d'autres  capitaines, 
admirans  la  générosité  de  nostre  roy,  se  mirent  tous 
à  dire  :  Mira  oquel  rey  çaleroso^  el  quai  no  se  con- 
tenta de  vencer  los  hombres  con  las  armas,  mas  los 
vence  j  gana  con  toda  cor  tes  ia  y  gentileza^.  Pour  ce 


1.  Henri  IV  entra  à  Paris  le  22  mars  1394. 

2.  Voyez  ce  généreux  roi,  qui  ne  se  contente  point  de  vain- 
cre les  hommes  par  les  armes,  mais  les  vainc  et  les  gagne  par 
toutes  sortes  de  courtoisies  et  de  gracieusetés. 


1S4  RODOMONTADES 

ilz  acceptèrent  le  party.  Et  pour  se  retirer^  marchans 
par  la  ville,  le  roy  les  voulut  voir  passer;  lesquelz 
tous  luy  vindrent  faire  de  grandes  révérences,  au 
moins  les  capitaines;  les  soldatz  le  saluoient  avec- 
ques  leur  gentille  mode,  ainsy  qu'ilz  savent  très  bien 
faire.  Le  roy  leur  rendit  la  pareille,  selon  le  respect 
de  sa  royale  grandeux,  et  les  fit  très  seurement  con- 
duire au  lieu  de  leur  retraicte.  Ce  ne  fut  sans  dire 
tous  les  biens  du  monde  de  ce  grand  roy,  comme 
ilz  avoient  raison;  car  s'il  eust  voulu  estre  cruel,  ilz 
estoient  perdus  et  mis  en  pièces. 

Quasi  telles  et  semblables  paroles  dirent  ces  pau- 
vres Espaignolz  restez  devant  Metz  de  feu  M.  de 
Guyse  le  Grand,  lesquelz  ayant  trouvé  au  lèvement 
du  siège  misérables  malades,  mourans  de  froid  et  de 
faim,  fit  retirer,  loger,  substanter,  panser,  si  que 
plusieurs  en  eschappèrent  par  son  bon  traictement, 
et  puis  les  fit  conduire  tous  à  sauveté  vers  Thionville. 
Ce  fut  à  eux  d'en  dire  tous  les  biens  du  monde, 
comme  de  raison.  Et  entre  autres  beaux  motz  qu'ilz  en 
proférèrent,  furent  ceux-cy  qui  portent  grand  poids, 
bien  qu'ilz  soient  courtz  et  briefz  :  Que  era  justo 
enemi'go  y  piadoso  vencedor  * . 

Il  ne  leur  fit  pas  de  mesmes  que  firent  les  Espai- 
gnolz à  nos  François  et  lansquenetz  qui  restèrent 
devant  Pamplune,  le  siège  levé  par  M.  d'Angoules- 
me,  le  roy  Jehan  de  Navarre  et  M.  de  I^a  Palisse, 
qui^  leur  faisoient  jurer  et  promettre,  si  sanasen^  de 

4.  Qu'il  était  équitable  ennemi  et  vainqueur  miséricordieux. 
2.  Qui,  les  Espagnols.  Ce  passage  est  emprunté,  avec  quelques 
changements,  à  la  Conquista  del  reyno  de  ISavarra^  p.  234-233. 


ESPAIGNOLLES.  ISf) 

no  rcccbir  nuis  sueldo  del  rey  de  Francia,  pues  contra 
la  Iglesia  se  mostraba,  A  los  que  esto  creian  y  pro" 
metian,  daban  el  Corpus  Domini,  j  los  otros  sacra- 
mentos  de  la  madré  sauta  Iglesia,  j^  si  morian,  ecle- 
siastica  sepoltura.  Los  que  eran  interrogados  por  sus 
confesores ,  que  no  querian  reconciliarse  ,  los  dexa- 
han  alla  morir'^  ;  y  y  si  morian,  como  Moros  los  enter- 
ruban  ,  porque  tal  era  la  intencion  y  la  bula  de l  papa 
Julio^.  Quelle  bulle  d'or!  Les  Espaignolz  se  vantent 
de  tout  cela;  mais,  à  ce  que  j'ay  ouy  dire  à  aucuns 
vieux  gentilshommes,  et  françois  et  lansquenetz, 
confès  et  non  confès,  ilz  ne  furent  espargnez  non 
plus  les  uns  que  les  autres;  et  leur  bailloient  dronoSy 
aussi  bien  que  frère  Jehan  des  Entommures^  dans  Ra- 
belais, le  donna  à  ceux  qui  vandangeoient  le  clos  de 
sa  vigne'. 

M.  de  Guyse  n'en  fit  pas  de  mesme,  car,  bien 
qu'il  y  eust  force  lansquenetz  et  autres  AUemans 
sentans  mal  de  la  foy,  il  les  fit  secourir  comme  les 
bons  chrestiens  et  catholiques,  mais  non  pas  de  si 
bonne  affection,  s'en  remettant  à  la  volonté  de 
Dieu,    et  ne    voulant  acquérir   la    réputation    d'un 

\ .  Los  dexaban  alla  mor-ir.  11  y  a  au  contraire  dans  l'histo- 
rien espagnol  curabanle. 

2.  S'ils  guérissaient,  de  ne  plus  recevoir  de  solde  du  roy  de 
France,  puisqu'il  se  montrait  contraire  à  l'Eglise.  A  ceux  qui 
croyaient  et  promettaient  cela,  ils  leur  donnaient  le  Corpus  Do- 
mini^ et  les  autres  sacrements  de  la  sainte  mère  Eglise,  et  s'ils 
mouraient  la  sépulture  ecclésiastique.  Ceux  qui  étaient  interrogés 
par  leurs  confesseurs,  et  qui  ne  voulaient  point  se  réconcilier,  ils 
les  laissaient  là  mourir;  et,  s'ils  mouraient,  ils  les  enterraient 
comme  Maures;  car  tel  était  l'ordre  de  la  bulle  du  pape  Jules. 

3.  Voyez  Gaj-gantua,  liv.  I,  chap.  xxvii. 


15G  RODOMONTADES 

homme  cruel  et  barl^are,  puisque  l'homme  est  fait  à 
la  semblance  et  image  de  Dieu.  Je  m'en  remetz  à  un 
grand  théologien  ce  qu'il  en  diroit  là. 

Sur  ceste  dernière  guerre  de  Grenade  faicte  et  par- 
faicte  par  don  Juan  d'Austrie,  par  cas,  en  courant  la 
poste,  nous  nous  trouvasmes  de  rencontre  un  capi- 
taine espaignol  et  moVj,  luy  qui  venoit  d'Espaigne  al- 
lant en  Flandres,  et  moy  de  la  cour  en  ma  maison. 
Nous  nous  mismes  luy  et  moy  à  deviser  fort  de  ceste 
guerre.  A  mon  advis  qu'il  m'en  conta  prou,  et  sur- 
tout il  me  va  louer  don  Juan  jusques  au  tiers  ciel  en 
me  le  nommant  de  plein  abord  sepiiltura  de  los  pa- 
ganos ;  j  que  sus  obras  j  {'alencias  mas  queriaii  ser 
vistas  para  ser  creidas  que  no  contadas\ 

Quand  la  capitulation  d'Amiens  se  fit  dernière- 
ment*, il  y  eut  un  député  de  dedans,  espaignol,  qui, 
ayant  trouvé  Sa  Majesté  en  quelques  masures  qui  les 
attendoit  pour  composer,  dit  en  entrant,  pensant 
faire  de  l'officieux  et  du  curieux  de  la  vie  du  roy  : 
El  rej  no  esta  aqui  bien  seguro  de  los  canoiîazos^.  Le 
roy  qui  louyt  luy  respondit  :  «  Le  roy  est  ici  plus 
«  en  seureté  que  vous  autres  n'estes  dans  Amiens.  » 
Puis  ayant  commencé  leur  pourparler,  la  première 
chose  qu'ilz  demandèrent,  parque  (dirent-ilz)  es  ra- 
zon  que  las  cosas  celestiales  çajan  primero'*,  fut  que 
l'on  ne  touchast  point  à  la  sépulture  de  don  Hernan- 

r 

1.  La  sépulture  des  païens,  et  que  ses  actions  et  vaillances 
voulaient  plutôt  être  vues  que  racontées  pour  être  crues. 

2.  Amiens  fut  rendu  à  Henri  IV  le  25  septembre  1597. 

3.  Le  roy  n'est  pas  ici  bien  à  l'abri  des  canonnades. 

4.  Parce  qu'il  est  raisonnable  que  les  choses  célestes  soient 
traitées  les  premières. 


ESPAIGNOLLES.  157 

dille  '_,  et  qu'elle  ne  fiist  point  rompue  ny  démolie. 
Le  roy  leur  respondit  gentiment  :  «  11  est  raison  que 
a  la  sépulture  de  don  Hernandille  soit  démoUie  et 
«  rompue,  puisqu'il  a  fait  rompre  et  démollir  les 
«  murailles  de  ma  ville  d'Amiens.  »  Hz  demandèrent 
après  el  saco  de  la  villa  '^,  demande  certes  très  irrai- 
sonnable et  très  impudente,  et  mesmes  à  un  tel  roy, 
qui  leur  respondit  bravement  :  «  Et  comment!  une 
«  chose  que  vous  avez  desjà  pillée  il  y  a  longtemps, 
«  la  demandez-vous?  «  Hz  jurèrent  aussytost  qu'ilz 
n'y  avoient  jamais  touché.  A  quoy  le  roy  aussytost 
répliqua  bravement  :  «  Puis  donc  qu'elle  n'a  esté 
«  pillée  en  mon  absence,  à  vostre  advis,  si  je  per- 
ce mettrai  qu'elle  le  soit  en  ma  présence  !  »  J'ay  mis 
ces  trois  articles  non  pour  belles  rencontres  de  l'Es- 
paignol,  ny  pour  grandes  rodomontades^  sinon  la 
dernière  pour  demander  le  sac,  mais  pour  les  gen- 
tilles responses  de  nostre  roy,  qui  est  fort  subtil  en 
beaux  dires  et  gentilles  responses  et  fort  courtes,  s'il 
en  fut  onc.  J'espère  en  dire  aucunes  en  sa  vie.  Enfin 
la  capitulation  fut  faicte  et  bien  gardée,  à  l'honneur 
de  nostre  roy.  Que  s'il  ne  fust  esté  généreux  et  mi- 
séricordieux ,    il   les    tenoit    tous   la   corde   au   col , 


1.  Hermantello  Porto-Carrero,  gouverneur  d'Amiens,  avait  été 
tué  le  3  septembre,  et  inhumé  dans  la  cathédrale,  dit  de  Thou 
(liv.  CXVIII),  avec  une  épitaphe  à  sa  louange,  gravée  en  lettres 
d  or  sur  une  planche  de  bois  couverte  de  velours  noir.  —  Un  des 
articles  de  la  capitulation  porta  que  les  tombeaux  élevés  dans  les 
églises  d'Amiens  en  l'honneur  de  Porto-Carrero  et  des  oÉBciers 
espagnols  tués  pendant  le  siège  seraient  respectés,  pourvu  que  les 
épitaphes  ne  continssent  rien  d'offensant  pour  la  France. 

2.  Le  sac  de  la  ville. 


158  RODOMONTADES 

puisque  le  cardinal  d'Austrie  avoit  failly  de  les  se- 
courir. 

Si  faut-il  que  je  die  quelques  gentilles  rencontres 
et  rodomontades  qui  touchent  les  dames. 

Lorsque  la  reyne  '  vint  à  Bayonne,  de  toutes  les 
Espaignolles  qu'elle  avoit,  elle  n'en  mena  aucune 
avecques  ses  Françoises  que  Magdeleine  de  Giron, 
fille  de  la  comtesse  d'Iraigne,  dame  d'honneur  de  la- 
dicte  reyne.  Elle  y  mena  bien  aussy  la  segnora  So- 
fonisba,  Italienne,  damoiselle  crémonoise,  belle  et 
honneste  fille,  et  douce,  qui  avoit  tout  plein  de 
vertuz,  et  surtout  qui  sçavoit  bien  peindre  et  pour- 
traire  au  naturel;  les  autres  filles  en  Espaigne  bien 
faschées  pour  ne  se  trouver  en  telle  et  si  belle  feste, 
qui  eussent  bien  certainement  paré  la  cour,  car  il  y 
en  avoit  de  belles,  et  entre  autres  Léonor  de  Tolède, 
qui  estoit  très-belle,  et  qui  eust  possible  effacé  le 
lustre  de  ladicte  Magdeleine  de  Giron,  dont  elle  fut 
bien  ayse  de  quoy  ne  vint  pour  ce  subject.  Je  ne 
desduiray  les  raisons  pourquoy  ces  belles  filles  ne 
vindrent  point,  pour  ne  servir  en  rien  à  nostre 
conte. 

Geste  donc  belle  Magdeleine  parut  très  belle  ;  aussy 
le  pensoit-elle  bien  estre,  tant  elle  estoit  arrogante.  Si 
bien  que  moy  devisant  un  jour  d'elle  et  de  sa  beauté 
avec  un  certain  cavaliier  espaignol,  il  me  dict,  par 
un  certain  desdain  et  despit  :  Dexadla^  serior.  Jaro 
a  Bios  y  que  es  tan  braça  y  orgullosa  por  su  belclad^ 
que  si  el  cielo  se  abaxase  y  se  arrodillase  delante  sus 
pieSy  no  se  dignaria  decirle  que  se  le^antase,  y  se  i^ol- 

1.  La  reine  d'Espagne  Elisabeth,  en  1565. 


ESPAIGNOLLES.  lo9 

\)iese  a  su  lugar\  Voylà  une  parole  bien  arrogante,  et 
plaisante  imagination,  de  se  figurer  le  ciel  descendre 
de  son  lieu  pour  s'humilier  à  elle  *. 

Telles  paroles  sont  quasi  semblables  à  celles  que 
jadis  tinrent  nos  braves  chevalliers  franoois,  qui  allè- 
rent en  Hongrie  soustenir  les  Hongres  contre  les 
Turcs,  conduitz  par  ce  vaillant  Jehan  duc  de  Bour- 
gongne,  et  par  le  mareschal  de  Boucicaut;  lesquelz, 
trop  bouillans,  présumans  trop  d'eux,  disoient  par- 
tout que  leurs  lances  n'estoient  pas  seulement  bas- 
tantes  pour  deffaire  tous  les  Turcs  et  les  battre,  mais, 
si  le  ciel  vouloit  descendre  sur  eux  pour  leur  faire 
guerre,  l'empescher  par  le  soustien  de  leurs  bois  et 

1.  Laissez-la,  monsieur.  Je  jure  Dieu  qu'elle  est  si  orgueilleuse, 
à  cause  de  sa  beauté,  que  si  le  ciel  s'abaissait  et  se  prosternait  à 
ses  pieds,  elle  ne  daignerait  pas  lui  dire  de  se  relever,  et  de  se 
remettre  en  sa  place. 

2.  Var.  Lorsque  la  reyne  d'Espaigne  vint  à  Bayonne,  de  toutes 
ses  filles  espaignolles  qu'elle  avoit,  elle  n'en  amena  aucune  que 
Magdalena  de  Giron,  fille  de  la  contesse  d'Igregne ,  dame  d'hon- 
neur de  ladite  reyne;  les  autres  filles  restarent  en  Espaigne,  bien 
faschées  pour  ne  se  trouver  en  telle  feste.  Je  n'en  desduiray 
les  raisons  pourquoy  elles  ne  \indrent,  car  elles  ne  servent  rien 
à  nostre  conte.  Geste  donq  Magd aliéna  parust  en  ceste  court  l'une 
des  plus  belles  filles;  aussi  le  pensoit-elle  bien  estre,  tant  ell'  es- 
toit  arrogante;  si  bien  que  moy  parlant  un  jour  d'elle  et  de  sa 
beauté  a  un  cavailler  espaignol,  il  me  dist  d'elle  comme  par  des- 
dain  et  certain  dépit  :  Dexadla ,  segnor.  Juro  a  Dios  qu  es  tan 
brava  y  orgullosa  por  su  beldad,  que  si  el  cielo  fuesse  arodillado 
adelanle  sus  pies],  ella  no  se  dignaria  decirle  que  se  levantase  y 
se  alçase.  «  Laissez-la.  EU'  est  si  fière  et  si  orgueilleuse  à  cause  de 
sa  beauté  que  si  le  ciel  estoit  à  genoux  devant  ses  piedz,  elle  ne 
daigneroit  dire  qu'il  se  levast.  »  Quelle  humeur  de  s'aller  imaginer 
que  le  ciel  deust  descendre  pour  s'humilier  à  elle!  (Ms.  3273, 
f°  168.) 


i  60  RODOMONTADES 

lances  qu'il  ne  descendist,  el  le  tenir  en  l'air  comme 
il  estoit.  Mais  pourtant  le  malheur  fut  tel  que  leur 
rodomontade  ne  porta  feu;  car,  sans  avoir  affaire  au 
ciel,  ilz  furent  tous  dcsconfits  et  deflhits  par  les  hom- 
mes, comme  on  peut  voir  par  nos  chroniques  fran- 
çoises. 

J'aymerois  autant  d'un  capitaine  espaignol.  Allant 
en  un  combat,  et  animant  ses  soldats,  el  louant  leurs 
forces,  il  leur  dit  :  /^ofo  a  Dios^  que  si  el  cielo  se 
cayese^  le  Jiernos  de  tener  con  los  brazos\  Si  ce  brave 
eust  faict  ce  coup,  il  fust  esté  estimé  un  second  Atlas, 
qui  soustenoit  le  ciel  de  ses  espaules.  Quel  fardeau  ! 
encor  que  j'aye  ouy  dire  à  un  vieux  resveur  de  phi- 
losophe que  l'air  est  fort  léger,  et  que  le  ciel,  qui  en 
participe,  l'est  aussy.  Je  coupe  là,  craignant  que, 
pour  voiler  trop  haut,  je  ne  vinsse  à  tomber  comme 
fit  Icarus;  car  le  parler  m'en  est  aussy  estranger  et 
incogneu  que  le  haut  allemand;  ny  ne  veux  non 
plus  l'apprendre,  ny  la  science  et  tout,  doublant  de 
mon  cerveau  débile  et  peu  capable  pour  y  advenir. 

Or,  pour  retourner  à  ceste  belle  Magdeleine  de 
Giron,  bien  qu'elle  fust  altière,  elle  n'estoit  pourtant 
trop  ennemie  de  l'amour,  et  ne  refusa  point  d'estre 
servie  (comme  toute  belle  et  gentille  dame  ne  doit 
faire  ce  refus)  de  plusieurs  honnestes  cavalliers,  et 
mesmes  de  M.  d'Amville,  aujourd'huy  M.  le  connes- 
table,  pour  lors  jeune  et  brave  seigneur,  qui  la  ser- 
vit fort  discrettement  tant  que  le  voyage  dura,  et  en 
porta  les  couleurs  jaunes  et  tannées.   Il  y  eut  pour 


1.  Je  jure  Dieu  que  si  le  ciel  s'abaissait,  nous  le  pourrions 
soutenir  avec  nos  bras. 


ESPAIGNOLLES.  161 

lors  un  genlilhomme  François,  bien  honneste  et  ga- 
lant, qui,  le  jour  de  la  procession  du  sacre  \  ainsi 
qu  elle  marchoit,  luy  advint  de  faire  un  faux  pas;  ce 
gentilhomme  s'advance  aussytost  pour  la  redresser 
et  luy  ayder.  Elle  le  renvoya  bien  loing,  avecques 
un  certain  desdain  et  rabrouement,  disant  :  Jésus  !  Y 
(jual  (liscrecion  de  Frances*  l  Elle  estoit  bien  vray- 
ment  desdaigneuse  et  glorieuse,  de  rendre  le  mal 
pour  le  bien  et  payer  la  courtoisie  par  la  discour- 
toisie. T^e  gentilhomme  luy  eust  bien  rendu  son 
change;  mais  il  n'osa,  pour  le  respect  de  la  reyne 
sa  maistresse,  qui  le  sceut  et  luy  '  en  fit  une  re- 
monstrance. 

Au  bout  de  quelque  temps  elle  fut  mariée  avecques 
un  grand  seigneur  d'Espaigne,  dont  j'ay  oublié  le 
nom,  qui  fut  après  vice-roy  aux  Indes.  Ainsy  qu'elle 
l'y  alloit  trouver  avecques  la  flotte  ordinaire,  son 
vaisseau,  avecques  deux  autres,  s'estans  escartez  vers 
l'isle  de  San-Domingo,  un  gentilhomme  françois  qui 
s'appelloit  M.  de  Landreau*,  de  bonne  maison,  vail- 
lant et  brave,  et  homme  de  mer,  ayant  armé  quel- 
ques vaisseaux  pour  aller  en  cours  et  chercher  ad- 
vanture,  fallit  à  prendre  le  vaisseau  de  ladicte  dame, 
et  de  faict  le  canonna;  mais  elle  fut  secourue  de 
deux  autres  vaisseaux  qui  donnèrent  la  chasse  audict 
Landreau  :  et,  sans  ce  secours ,  il  la  prenoit,  à  ce 
qu'il  dist  à  M.  d'Estrozze  et  à  moy  à  son  retour;  et 


1 .  Sacre  ou  Sacre-Dieu,  le  saint  Sacrement, 

2.  Jésus!  Et  quelle  courtoisie  française! 

3.  Luy,  à  Madeleine  de  Girone. 

4.  Charles  Routiaud,  seigneur  de  Landercau. 

vu  —  11 


162  RODOMONTADES 

que,  s'il  l'eust  prise,  il  luy  eust  faict  bonne  guerre  et 
toute  honneste  raison,  en  luy  faisant  payer  pourtant 
le  tribut  de  son  ancienne  arrogance. 

Certes,  il  y  a  des  dames  aussy  arrogantes  en  Es- 
paigne  comme  des  hommes  et  cavalliers;  et  l'air  du 
pays  le  porte  ainsy.  Aucuns  aiment  à  servir  ces  fem- 
mes et  filles  de  ceste  humeur,  qu'ilz  disent  bravas  y 
fieras  como  torosK  Aussy  dict-on  que  chascun  ayme 
son  semblable.  Si  l'on  en  obtient  la  victoire,  d'au- 
tant plus  en  est-elle  à  priser  :  et  si  l'on  en  est  vaincu, 
la  gloire  n'en  est  pas  moindre  ;  ainsy  que  dit  un  ga- 
lant cavallier  un  jour,  et  qui  portoit  pour  devise 
une  branche  de  laurier  avecques  ces  molz  :  Los 
unos  le  han  traido  por  ser  vencedor  ;  jo ,  por  ser 
bien  vencido  \  Voilà  comme  telz  braves  se  plaisent 
en  leur  gloire,  et  ayment  les  dames  altières  et  géné- 
reuses. 

J'ay  veu  d'autres  fois  chanter  en  Espaigne  une 
vieille  chanson,  que  proprement  on  appelle  la  ro- 
mance^ qui  est  bien  gentille,  où  l'on  introduict  une 
dame  se  lamentant  et  s'afïligeant  de  son  mary  qui 
estoit  prisonnier  en  Angleterre,  et  ne  le  pouvoit  ra- 
voir par  rançon  ne  autrement;  et,  pour  ce,  elle 
escrit  une  lettre  au  roy  d'Angleterre,  de  sa  propre 
main,  et  luy  mande  qu'il  ait  à  le  luy  renvoyer  sain, 
sauve  et  sans  danger  :  autrement,  qu'elle  luy  an- 
nonce guerre  et  le  menace  de  la  luy  faire  très  cruelle 
par  mer  et  par  terre,  et  puis,  dit-elle  :   Que  si  me 


\ .  Braves  et  lières  comme  des  taureaux. 
2.  Les  uns  le  portent  comme  vainqueurs,  moi  je  le  poi'te  comme 
bien  vaincu. 


ESPAIGNOLLES.  163 

falta  capitan,  jo  misma  lleçare  la  bandera,  y  ire  a 
ponerla  hasia  las  puertas  de  Londres;  y  tambien ,  si 
me  falta  caîionerOf  yo  misma  dare  fuego  a  la  artil- 
leria  ;  si  que  dira  toda  la  gente  :  <(  Jésus  '  que  muger 
guerrera^  !  »  Voilà  une  brave  guerrière,  et  seconde 
Marfise  ou  Bradamante,  qui  vouloit  elle-mesme,  par 
faute  d'autre,  conduire  son  armée,  planter  son  es- 
tendart  sur  le  haut  de  la  muraille,  et  servir  de  ca- 
nonnier,  et  bailler  feu  à  son  artillerie.  La  chanson 
en  est  fort  jolie,  et  l'air  plaisant. 

Geste  dame  estoit  plus  valeureuse  qu'une  autre, 
qui  usa  de  paroUes  certes  généreuses  à  l'endroict 
d'un  cavallier,  pour  l  induire  à  se  battre  pour  l'a- 
mour d'elle  contre  un  autre  qui  l'avoit  offensée.  Les 
paroles  estoient  telles  :  Bien  creo  yo^  gentil  caballeroy 
que  no  os  faltara  virlud  para  otorgar  mi  rue  go,  asi 
como  os  sohra  hondad  y  valor  para  los^rar  la  Victoria 
de  su  persona  *.  Gentilles  parolles  certes ,  et  pour 
prier  et  pour  louer. 

Une  belle  jeune  dame  espaignoUe  ayant  esté  ma- 
riée de  frais,  et  venant  de  bonne  heure  à  estre 
grosse,  qui  paradvant  estant  fille  très  hautaine  des- 
daignoit  le  mariage  bien  fort,  et  disoit  que  no  queria 
ser  sugeta  a  ningunoy  segun  el  çalor  y  gloria  de  su 

1.  Que  si  je  ne  trouve  point  de  capitaine,  je  lèverai  moi-même 
l'étendard,  et  je  Tirai  planter  jusques  aux  portes  de  Londres;  et 
si  je  manque  de  canonniers,  je  mettrai  moi-même  le  feu  à  l'artil- 
lerie; en  sorte  que  tout  le  monde  dira  :  Je'sus!  quelle  femme 
guerrière  ! 

2.  Je  crois  bien,  brave  cavalier,  que  le  courage  ne  vous  man- 
quera pas  pour  m'accorder  ma  prière,  comme  vous  avez  assez  de 
force  et  de  valeui'  pour  obtenir  la  victoire  sur  lui. 


164  RODOMONTADES 

persona^^  et  que,  bien  qu'elle  y  fust  contraincte, 
elle  s'efforceroit  le  plus  qu'elle  pourroit  d'empescher 
son  marv  qu'il  n'enlevast  son  pucellage  que  le  plus 
tard  qu'elle  pourroit,  son  dire  ne  correspondit  point 
à  sa  gloire  ny  à  l'effect;  car,  bientost  après  son  ma- 
riage, elle  fut  enceinte,  et  en  devint  estonnée  et  hon- 
teuse, et  fit  ce  qu'elle  peut  pour  cacher  sa  groisse  *, 
et  ne  la  monstrer  que  le  plus  tard  qu'elle  pourroit. 
De  quoy  s'appercevant  un  autre  cavallier  qui  d'au- 
tres fois  l'avoit  servie  estant  fille,  fut  bien  ayse  de 
prendre  ceste  occasion  pour  luy  en  faire  la  guerre; 
et,  l'ayant  un  jour  abordée,  il  luy  dit  que  no  estu- 
viese  auergofizada,  porque  lodos  bien  sabian  que  de 
semejantes  luchas  siempre  resultan  taies  cajdas ;  j 
por  eso  no  se  maravillaban  si  estaba  avergonzada , 
porque  en  aquel  caso  ella  era  no^icia,  y  que  sentia 
en  si  unos  mudamientos  nunca  por  ella  sentidos ^  y 
taies  que ,  aunque  su  esfuerzo ,  virtud  j  gloria  fuesse 
grande,  no  bastaria  para  resistir  a  las  inclinaciones 
de  la  naturaleza,  pues  era  de  muger^.  Ce  cavallier 
parla  bien  à  elle,  et  à  sa  gloire  et  vanterie,  et  garde 
de  son  pucellage,  et  à  la  fragilité  de  son  sexe,  du- 

1.  Qu'elle  ne  voulait  s'assujettir  à  personne,  comme  le  com- 
portaient sa  vertu  et  sa  gloire. 

2.  Groisse,  grossesse, 

3.  Qu'elle  ne  fût  point  honteuse,  parce  que  tout  le  monde  savait 
qu'en  de  telles  luttes  arrivaient  toujours  de  semblables  chutes;  que 
cependant  on  ne  s'étonnait  point  de  la  voir  confuse,  parce  qu'elle 
était  novice  en  ce  cas,  et  qu'elle  éprouvait  en  elle  un  changement 
qu'elle  n'avait  jamais  éprouvé,  et  qui  était  tel  que,  quoique  son 
courage,  sa  vertu  et  sa  gloire  fussent  bien  gi\inds,  ils  ne  pou- 
vaient pas  néanmoins  résister  aux  inclinations  de  la  nature,  puis- 
qu'elle était  femme. 


ESPAIGNOLLES.  165 

quel  les  dames  ne  doivent  tant  présumer  n'y  s'enor- 
gueillir. 

Par  cas,  une  des  compaignes  de  cette  dame,  qui 
estoit  encore  fille,  se  trouvant  là  présente,  la  voulut 
excuser,  et  un  peu  brocarder  aussy  en  lui  disant  : 
Como  es  posiblcy  se  nom  y  que  su  generosa  virtud,  es- 
fuerzo  j  animo  soberbio  no  os  escusaron  de  ser  herida 
de  llaga  que  tantos  desmajos  os  causa?  Plegue  a  Dios 
que  no  sea  mortal,  como  fo  creo  que  no  sera,  porque 
j amas  de  estas  heridas  no  murio  ninguna  donzella^ . 
Sur  ce,  le  cavallier  précédent,  qui  estoit  présent, 
leva  ce  coup  et  luy  dit  :  Ha\  senora,  p'o.v,  que  eso 
certificals,  haheislo  pro^'ado?  —  Guardeme  Dios  (res- 
pondit-elle)  de  este  estrecho.  IVo,  sehor  ;  mas  helo 
oido  certificar  a  perso na s  de  gran  credito  ^.  Il  ne 
falloit  point  alléguer  là  de  personnes  de  grand  cré- 
dit pour  servir  de  tesmoings;  car,  bien  que  le  des- 
troit  soit  aussy  dangereux  que  celuy  de  Gibraltar, 
aucunes  le  passent  bien  sans  danger,  et  d'autres 
non. 

Une  dame  ayant  perdu  son  serviteur  qu'elle  avoit 
faict  de  frais  et  peu  gardé,  car  il  vint  à  estre  tué 
aussy tost  en  une  guerre ,  et  en  ayant  sceu  les  nou- 

1 .  Comment  est-il  possible ,  madame ,  que  votre  généreuse 
vertu,  votre  courage  et  la  fierté  de  votre  âme,  ne  vous  aient  pas 
empêchée  de  recevoir  une  blessure  qui  vous  cause  tant  de  cha- 
grin ?  Plaise  à  Dieu  qu'elle  ne  soit  point  mortelle,  comme  je  crois 
qu'elle  ne  le  sera  point;  car  jamais  de  semblables  blessures  ne 
mourut  une  demoiselle. 

2.  Ha!  madame,  vous  qui  assurez  cela,  l'avez-vous  donc 
expérimenté?  —  Dieu  me  garde  d'un  tel  malheur!  Non,  mon- 
sieur; mais  je  l'ai  entendu  assurer  à  des  personnes  de  grande 
créance. 


166  RODOMONTADES 

velles,  elle  dit  :  Jhl  seîîor  caballero,  que  si  tan  tarde 
me  conocisteis^  muj  temprano  me  perdeis^  ! 

Un  autre  cavallier  le  voyant  ainsy  en  douleur,  dit 
à  un  sien  compaignon  :  El  tiempo  cura  las  cosas,  fno 
haj  gra^'e  dolor  que  andando  el  tiempo  no  se  disminuya '. 

Une  dame  demandant  un  jour  le  livre  de  la  Ce- 
lestine  à  un  cavallier,  il  luy  respondit,  en  luy  don- 
nant bonne  :  Por  Diosy  sefiorUf  que  me  espanto  de 
Vm.  !  Teniendo  en  casa  el  original ^pedir  el  traslado^  ! 
Bon,  celuy-là. 

Les  Espaignolz  sont  fort  subtils  à  gentiment  bro- 
carder et  piquer,  et  appellent  cela,  molejar,  o  gol- 
pear'*.  Ainsy  que  fit  un  jour  un  cavallier  estant  parmy 
trois  filles,  toutes  trois  sœurs,  et  bien  noires.  Elles 
luy  demandèrent  un  jour  de  foire,  par  cas,  à  em- 
prunter un  ducat  pour  acliepter  quelque  chose,  di- 
sant qu'elles  n'en  avoient  point  apporté  sur  elles.  Il 
leur  dit  qu'il  n'en  avoit  point  sur  l'heure,  et  qu'il  en 
estoit  bien  marry.  Elles  luy  dirent  :  Comol  un  hom- 
hre  tan  honrado  no  tener  un  ducado  ?  Dixo  el  :  Por- 
que  no,  cuerpo  de  talï  pues  entre  vosotras  très  no 
hay  una  blanca^.  L'allusion  n'en  est  pas  mauvaise, 

d.  Ah!  mon  cher  cavaher,  qui  m'avez  connu  si  tard,  vous  me 
perdez  trop  tût  ! 

2.  Le  temps  guérit  toutes  choses;  et  il  n'y  a  point  de  douleur 
si  grande  qui  ne  diminue  avec  le  temps. 

3.  Par  Dieu!  que  vous  m'étonnez,  madame.  Ayant  chez  vous 
l'original,  me  demander  la  copie!  —  Je  crois  que  le  piquant  de 
cette  réponse  consiste  en  ce  que  l'héroïne  de  la  célèbre  tragi-comé- 
die de  la  Celesiinuy  laquelle  a  donne  son  nom  à  la  pièce,  est  une 
entremetteuse. 

4.  Railler  ou  frapper. 

5.  Comment!  un  si  galant  homme  n'avoir  point  un  ducat?  Il 


ESPAIGNOLLES.  167 

car  une  blanca  c'est  une  monnoie  d'Espaigne;  et  con- 
vertissoit  ceste  allusion  sur  elles  trois,  parmy  les- 
quelles n'y  en  avoit  pas  une  blanche. 

Un  médecin  espaignol  ayant  receu  quelque  des- 
plaisir d'une  dame  veufve,  chargea  un  jour  un  ma- 
quignon, devant  elle,  de  luy  trouver  una  rnula  que 
fuesse  viuda^.  Le  carretier  *  luy  respondit  :  Como,  cuer- 
po  de  tall  Os  hurlais  de  nii^  seîior  doctor  ?  Nunca  fue 
mula  ^'iuda^.  Le  médecin  luy  répliqua  :  Dlgo  fo  que 
tenga  très  condiciones  de  una  v'iuda;  que  sea  garda  ^ 
andadora  j  comedora'' . 

L'on  dict  que  les  veufves,  au  moins  aucunes,  ont 
ces  trois  conditions.  Pour  bien  aller  et  pour  bien 
manger,  je  m'en  rapporte  à  ceux  qui  en  ont  faict 
preuve  et  y  ont  pris  esgard.  Pour  quant  à  la  troi- 
siesme,  j'en  ay  veu  beaucoup  de  personnes,  et 
mesmes  une  de  très  grande  authorité^,  de  très  grand 
esprit,  cstre  de  ceste  opinion  et  tenir  ceste  maxime, 
qu'une  femme,  aussitost  qu'elle  est  veufve,  devient 
plus  grasse  et  en  bon  poinct;  ce  que  j'ay  apperçeu 
et  m'en  suis  esmerveillé.  Car  aucune  femme  ay-je 
veu  entre  les  mains  de  leurs  marys,  maigres,  seiches, 
exténuées,  qu'elles  en  tomboient  sur  les  dents.  Ve- 


leur  dit  :  Pourquoi  non,  corbleu  !  puisqu'entre  vous  trois  il  n'y  ii 
pas  une  blanche. 

1 .  Une  mule  qui  fût  veuve. 

2.  Carretier,  charretier. 

3.  Comment,  corbleu!  vous  moquez-vous  de  moi,  monsieur  le 
docteur?  Il  n'y  a  jamais  eu  de  mule  veuve. 

4.  Je  veux   dire  qu'elle   ait  les  trois   qualités  d'une  veuve; 
qu'elle  soit  grasse,  coureuse  et  mangeuse. 

5.  Probablement  Catherine  de  Médicis. 


168  RODOMONTADES 

noient-elles  à  estre  veiifves,  les  voylà  remises  et  re- 
faictes  aussitost,  comme  un  cheval  maigre  et  élan- 
gory  *  mis  à  l'herbe ,  qui  se  reffaict  et  se  remet 
soudainement.  De  sorte  que  c'est  une  maxime,  que 
qui  veut  engraisser  une  femme  mariée,  qu'il  la  fasse 
veufve;  car  c'est  le  meilleur  engrais  qu'on  luy  sçau- 
roit  donner.  Ce  n'est  pas  pourtant  que  les  marys  ne 
leur  donnent  le  traictement  et  l'ordinaire  qu'il  leur 
faut,  selon  leur  faculté  et  petit  pouvoir;  mais  vous 
diriez  que  venant  de  leurs  mains,  elles  ne  les  trouvent 
jamais  si  bons  comme  quand  elles  sont  en  viduité,  et 
qu'elles  le  prennent  d'elles-mesmes  qui  çà  qui  là,  en 
leur  plainière  volonté.  J'en  voudrois  volontiers  de- 
mander une  raison  à  quelque  bon  médecin,  si  ce 
n'est  qu'il  me  renvoyast  à  l'apologue  *  de  l'asne  et  du 
cheval  qui  est  dans  Rabelais  ',  et  à  leur  parlement 
qu'ilz  firent  quasi  sur  mesme  chose ,  où  enfin  mon- 
sieur l'asne  conclut  qu'il  n'y  a  que  la  liberté  des 
champs  et  choisir  sa  pasture  comme  l'on  veut,  et 
faire  autre  chose  que  je  n'ose  dire,  et  n'estre  nulle- 
ment en  subjection,  bien  que  l'on  mange  son  saoul 
à  crever  dans  l'estable. 

Un  cavallier  parlant  un  jour  d'amour  à  une  femme 
aagée,  mais  pourtant  belle  encore  et  fort  désirable, 
elle  luy  dit  :  V  como,  senor,  me  habla  V .  S,  de  esta 
cosa  a  mis  complétas  *  ?  L'autre  luy  respondit  :  Se- 
horay  sus  complétas  valen  mas  que  las  horas  de  prima 

d  .   Elangory,  languissant. 
2.  Les  précédentes  éditions  poi'tent  apologie. 
'i.  Voyez  Pantagruel,  liv.  V,  ch.  viii. 

4.  Eh!  monsieur,  comment  me  parlez-vous  de  telle  chose, 
lorsque  je  suis  aux  complies  ? 


ESPAIGNOLLES.  169 

de  qualqaier  otra^ ;  faisant  allusion  gentille  là-dessus 
sur  les  complies  du  soir  et  sur  les  heures  de  prime 
du  matin.  J'en  ay  faict  un  beau  discours  sur  ce  sub- 
ject  ailleurs.  Et  combien  y  a-il  de  dames  aagées  qui 
sont  autant  belles  et  désirables  que  les  jeunes?  De 
vieillard,  il  n'en  fut  jamais  un  beau  ny  désirable  pour 
les  dames,  si  ce  n'est  qu'on  se  voulust  ayder  d'un  plai- 
.sant  mot  qu'un  vieux  cavallier  dit  un  jour  k  une  belle 
dame,  luy  présentant  son  service,  et  qu'elle  l'en  re- 
prenoit.  Geste  dame  s'appellant  madaina  de  la  Torre^, 
il  luy  dit  :  Tal  torre  ha  menester  de  una  barba-cana  '. 
Ce  mot  est  bon  et  porte  en  soy  deux  intelligences*, 
car  une  barbecane  est  une  espèce  de  fortification,  et 
barba  cana.  en  espagnol  signifie  barbe  blanche. 

Telle  et  semblable  dit  un  cavallier  d'une  fort  belle 
et  honneste  dame,  laquelle  ayant  espousé  un  homme 
fort  laid  et  sale,  toutesfois  n'enlaidissait  nullement, 
mais  s'embellissoit  de  jour  en  jour.  Ce  cavallier  alla 
rencontrer  que  no  habia  visto  jamais  frula  en  un  tal 
cesto  que  tanto  durase  sin  podrirse  ^  J'ay  veu  beau- 
coup de  femmes  en  ma  vie  de  ce  naturel,  à  ne  se 
gaster  ny  corrompre  leurs  beautez  pour  hanter  des 
marys  layds,  sales  et  maussades. 

Or,  faisons  une  fin,  et  belle,  par  trois  belles  et 
honnestes  princesses. 

i  .  Madame,  vos  complies  valent  mieux  que  les  primes  de  toute 
autre, 

2.  Madame  de  La  Tour. 

3.  Une  telle  tour  a  besoin  d'une  barbacane. 
U.  Intelligence^  sens,  signification. 

5.  Qu'il  n'avait  jamais  vu  de  fruit  rester  si  longtemps  en  pareil 
panier  sans  se  pourrir. 


170  RODOMONTADES 

A  ce  mesme  voyage  et  entrevue  de  Bayonne  que 
j^ay  dict  ci-devant,  madame  de  Guyse,  aujourd'huy 
madame  de  Nemours,  y  estoit,  où  elle  parut  fraische- 
ment  vefve,  et  très  belle  et  en  bon  poinct,  ainsy  que 
de  son  temps  jeune  il  n'y  en  a  poinct  eu  une  qui 
l'ait  passée,  comme  son  automne  en  donne  encore 
une  belle  apparence;  et  bien  qu'alors  elle  fust  plus 
aagée  de  beaucoup  que  Magdeleine  de  Giron,  elle 
l'efFaça  fort,  bien  qu'elle  pensast  le  contraire;  car 
volontiers  on  void  aucuns  fruicts  en  automne  aussi 
beaux  ou  plus  qu'en  esté.  Ainsy  donc  qu'elle  estoit 
un  jour  en  la  chambre  de  la  reyne,  un  cavallier  es- 
paignol  de  bonne  façon,  et  bien  en  poinct,  me  vint 
demander  :  Seiior,  quien  es  esta  linda  dama  ^'estida 
de  luto?  —  SeTior,  luy  répondis-je,  es  madama  de 
Gujza ,  muger  de  aqiiel  gran  capitan  monsur  de 
Gufza,  —  Es  madama  de  Giijza?  dit-il.  laJame 
DioSy  que  linda  dama  es,  f  de  muj  braira  y  alla 
guisa^  l  Ce  mot  est  un  mot  ancien  des  vieux  romans, 
qui  correspond  bien  à  ce  nom  de  Gujse;  et  puis, 
continuant  à  la  louer,  il  me  dit  :  Vive  Dios  !  que 
bravo  trage  titne,  j-  que  es  bien  tallada,  y  de  linda 
catadura  !  —  Et  puis  me  redemanda  :  Es  fan  buena 
catolica,  y  enemiga  de  los  luteranos^  como  su  marido? 
—  Si,  senor,  luy  respondis-je ,  y  aun  mas  ;  porque 
los  luteranos  le  han  matado^. 

\ .  Monsieur,  quelle  est  cette  belle  dame  vêtue  de  deuil  ?  — 
Monsieur,  cest  madame  de  Guise,  femme  de  ce  grand  capitaine 
M.  de  Guise.  —  C'est  madame  de  Guise?  Dieu  me  soit  en  aide! 
c'est  une  belle  dame  et  de  très-grande  et  haute  guise! 

2.  Vive  Dieu!  qu'elle  est  bien  liabille'e  !  quelle  est  bien  faite, 
et  de  belle  mine  !  Est-elle  aussi  bonne  catholique  et  aussi  grande 


ESPAIGNOLLES.  171 

Il  me  redemanda  si  elle  avoit  des  enfans  aussi 
beaux  qu'elle.  Je  luy  dis  qu'ouy,  et  lui  monstray 
M.  de  Guyse  son  fils,  et  qu'elle  en  avoit  deux  autres 
aux  escolles  à  Paris,  tous  deux  semblables.  Après, 
avant  un  peu  songé  en  soy,  et  arregardant  ceste  belle 
dame,  et  de  grand'  admiration,  il  dit,  par  une  petite 
exclamation  :  Ol  bien  adçenturado  capitan^  que  tantos 
homhres  enemi^os  de  Dios  peleasteis  y  matasteis  en 
campos  y  K'illasl  O!  bien  aiheniurado^  otra  vez^  jr 
mas,  que  con  tantos  asaltos  combatisteis  y  venais  tais 
esta  linda  dama  en  las  camas  y  pabellones  '  /  Et  me 
disoit  cela  comme  par  un  despit  amoureux,  jaloux 
de  quoy  il  n'eust  peu  participer  à  une  si  Iielle  ad- 
vanture. 

Comme  de  vray,  je  croy  qu'il  n'y  a  au  monde  si 
grand  chagrin  ny  despit  à  un  amoureux  d'une  belle 
dame,  que  quand  il  songe  que  son  mary  ou  un  autre 
en  jouissent,  et  n'en  mange  son  pain  qu'à  la  fumée 
du  festin  ou  par  imagination.  J'ay  ouy  tenir  ceste 
opinion  à  un  très  grand  et  brave  prince  ^  qui  est  mort, 
qui  me  racontoit  un  jour  privément  que,  s'il  estoit 
roy  de  quelque  grand  royaume,  il  ne  seroit  jamais 
tyran  que  pour  une  chose;  qu'il  entretiendroit  très 
bien  la  justice  et  fairoit  observer  très  estroictement 


ennemie  des  luthériens  que  son  mari  ?  —  Oui ,  monsieur,  et  en- 
core plus,  parce  que  les  luthériens  l'ont  tué. 

1 .  O  trop  heureux  capitaine ,  qui  avez  combattu  et  tué  tant 
d'hommes  ennemis  de  Dieu  dans  les  champs  et  dans  les  villes!  ô 
trop  heureux,  encore  une  autre  fois,  et  plus,  qui  avez  combattu 
et  vaincu  à  tant  d'assauts  cette  belle  dame  sur  la  couche  et  sous 
les  pavillons  du  lit. 

2.  Probablement  le  duc  Henri  de  Guise, 


172  RODOMONTADES 

ses  édicts  et  ordonnances,  ne  fairoil  tort  à  personne, 
caresseroit  fort  sa  noblesse,  et  surtout  ne  fouUeroit 
jamais  son  peuple  de  grandes  tailles,  tributs  ny  sub- 
sides; mais  que  si  un  sien  subject,  ou  grand  ou  petit, 
eust  une  belle  femme  de  laquelle  il  vint  espris, 
certes  il  perdroit  tout  respect,  et  estendroit  là-dessus 
un  peu  de  tyrannie;  car  il  faudroit  résolument  qu'il 
en  jouyst  bon  gré  maugré,  ou  par  amour  ou  par  force; 
mais  premier  tenteroit  toutes  les  voyes  de  douceur 
et  d'amour  ;  et  que  si  elles  estoient  trop  longues  et 
fascheuses  à  tenir,  qu'il  useroit  de  diligence  et  de 
prise  :  «  Car  bien  gastée,  disoit-il,  seroit-elle  d'avoir 
«  l'accointance  d'un  brave  roy,  etlemary  d'estre  son 
«  compaignon,  à  qui  et  à  elle  fairoit  de  grands  biens 
«  et  donneroit  de  bonnes  grades,  et  ne  leur  en  seroit 
«  jamais  ingrat,  ny  surtout  les  escandalliseroit  ?  » 
Je  pense  n'avoir  guières  changé  de  ces  motz  qu'il  me 
dit,  car  quasi  ilz  sont  tous  semblables;  et  me  les  di- 
soit  sur  un  très  beau  et  très  grant  subject,  sur  lequel 
ceste  tyrannie  méritoit  bien  d'estre  exercée. 

La  reyne  d'Espaigne,  povir  l'amour  de  laquelle 
seule  ce  voyage  et  entrevue  de  Bayonne  se  fit  ',  parut 
aussi  très  belle  ;  et  n'y  eut  François  qui,  l'ayant  veue 
estant  fille,  n'advouast  d'estre  extrêmement  accrue 
en  beauté,  bonne  façon  et  belle  majesté,  bien  qu'elle 
eust  apporté  tout  cela  dès  sa  naissance;  mais  l'aage 
et   le    temps   font  beaucoup    de    belles   et   bonnes 

1.  Les  contemporains  attachèrent  une  grande  importance  poli- 
tique à  l'entrevue  de  Bayonne.  Il  y  en  eut  même  qui  prétendirent 
que  la  Salnt-Barthélemy  y  avait  été  décidée.  C'est  évidemment 
pour  répondre  ù  ces  bruits  que  Brantôme  dit  si  nettement  que  l'u- 
nique motif  du  voyage  de  Catherine  était  de  voir  sa  fille  Elisabeth. 


ESPAIGNOLLES.  173 

choses,  aussi  bien  que  de  mauvaises  et  de  laides. 
Ainsi,  un  jour  que  je  devisois  avec  un  fort  honneste 
cavallier  espaignol  (car  certes  force  braves  et  honnes- 
tes  d'eux  me  recherclioient,  tant  pour  en  avoir  veu 
et  cogneu  aucuns  en  la  cour  d'Espaigne,  qu'il  n'avoit 
pas  six  mois  que  j'en  estois  venu,  que  pour  en  par- 
ler bien  la  langue),  il  me  dit  ainsi  que  nous  estions 
sur  les  hautes  louanges  de  ceste  belle  revue,  ces 
mesmes  motz,  et  beaux  certes  :  Que  de  çeras,  tan 
principal  reyna  y  tan  coinplida,  parecia  ser  anles  la 
creacion  del  muado^  quasi  escondida  y  cerrada  en  el 
pensamiento  de  Dios^  hastaque  fuese  su  divina  volun- 
tad  que  se  juntase  par  santo  niatrimonio  con  el  rey 
don  Phelipe  ;  que  siendo  pur  sus  bue  nos  hados  tan 
grande,  tan  poderoso  rej,  j  quasi  tocando  el  cielo  con 
ta  mano  de  su  grandeza  j  pujanza^  era  menés  ter  ^  y 
no  de  otro  modo,  que  no  esposase  otra  sino  aquella, 
que^  por  su  gran  Jiennosura^  su  honrada  mages tad, 
y  sus  virtudes  claras  y  nobles,  semejaba  mas  divina 
y  celestial^  que  humana^.  C'estoit  bien  louer  son 
roy  et  sa  reyne.  Je  parle  d'elle  plus  au  long  en  un 
discours  que  j'ai  faict  à  part  pour  elle,  sans  passer 
outre. 

d .  Qu'en  vérité  une  reine  si  grande  et  si  accomplie  paraissait 
avoir  été  avant  la  création  du  monde  comme  cachée  et  renfer- 
mée dans  la  pensée  de  Dieu,  jusqu'à  ce  que  ce  fût  sa  divine 
volonté  de  la  joindre  par  saint  mariage  avec  le  roi  don  Philippe; 
lequel  étant,  par  son  heureux  destin,  si  grand  et  si  puissant  roi,  et 
touchant  pour  ainsi  dù'e  le  ciel  avec  la  main  de  sa  grandeur  et 
de  sa  puissance,  il  était  nécessaire,  et  non  autrement,  qu'il  n'en 
épousât  point  d'autre  qu'elle,  qui,  par  sa  grande  beauté,  son 
honorable  majesté  et  ses  pures  et  nobles  vertus,  semblait  plutôt 
divine  et  céleste  qu'humaine. 


174  RODOMONTADES 

Or,  ceste  si  belle  reyiie  d'Espaigne  a  esté  louée  des 
siens,  non-seulement  par  ces  belles,  mais  par  un 
million  d'autres  paroles  (car  ilz  l'aymoient  fort,  voire 
quasi  l'adoroient,  ainsi  que  j'ay  dicl  ailleurs*),  la 
reyne  de  Navarre,  sa  troisième  sœur,  a  bien  esté  au- 
tant admirée  et  louée  d'eux  quand  ilz  l'ont  veue,  les 
faisant  aller  à  l'esgal  toutes  deux.  Mais  pourtant  la 
puisnée  passoit  un  peu  devant  l'aisnée,  ainsi  que  l'on 
void  quelquefois  en  un  boscage  un  jeune  arbrisseau, 
par  ses  belles  branches,  se  hausser  sur  un  autre  plus 
vieux  que  luy.  Mais  pourtant  toutes  deux  estoient 
très-belles,  mais  par  airs  différens  pourtant  ;  car 
chascune  avoit  le  sien  à  part,  très  beau  et  très  admi- 
rable. 

Il  faut  donc  sçavoir  que  lorsque  ceste  belle  reyne 
de  Navarre  alla  aux  bains  de  Spa  *  elle  passa  par  Na- 
mur,  comme  j'ai  dict  ailleurs,  où  elle  fut  lionno- 
rablement  receue  par  don  Juan  d'Austrie,  et  veue  en 
grande  admiration  des  capitaines  et  soldatz  espai- 
gnolz.  De  là  à  peu  je  rencontray  à  Paris,  dans  le  Pa- 
lais, un  capitaine  espaignol,  à  qui  je  demanday  s'il 
l'avoit  veue  de  par  là  ;  il  me  dit  que  si,  y  que  por  ser 
extremada  de  beldad  j  buenas  gracias^  habia  mas 
priesa^  quando  salia  fuera,  por  mirarla^  que  no  a 
beber  agua  de  los  baîîos  ;  y  que  por  et  arte  de  su  her- 
mosura  captivaba  las  persoiias  con  la  fama,  y  aun 
muy  mejor  con  su  presencia  :  porque  se  mostraba  su 
hermosura  entre  las  otras  damas,  coma  el  sol  entre 


\ .  Voyez  sa  Notice  dans  un  autre  volume. 
2.  En  lo77.  Voyez  ses  Mémoires^  édition  de  la  Bibliothèque 
elzévirienne,  p.  83. 


ESPAIGNOLLES.  175 

las  estrellas.  De  sus  otras  i lustres  y  claras  virludes 
no  hablo  jo,  parque^  por  ser  tan  hermosUy  ninguna 
cosa  le  falta^. 

Je  rencontray  une  autre  fois,  dans  le  Louvre,  un 
autre  capitaine  espaignol  venant  d'Espaigne  vers 
FlandreS;,  qui  m'ayant  choisi  par  dessus  mes  compai- 
gnons,  comme  connoissant  en  moy  quelque  façon 
espaignolle,  ainsi  qu'il  me  dit  après,  me  pria  de  le 
faire  entrer  dans  la  grande  salle  du  bal,  qui  estoit  un 
jour  d'une  grande  magnificence,  pour  voir  seule- 
ment ceste  belle  reyne  de  Navarre,  de  qui  la  fama 
volaba  por  todo  el  mundo  *,  me  dit-il.  Je  le  fis  en- 
trer avec  moy,  lequel,  durant  tout  le  bal,  ne  dit 
jamais  mot,  ny  fît  autre  geste,  sinon  regarder  fixe- 
ment ceste  belle  reyne,  sans  jetter  ses  yeux  ailleurs, 
comme  j'y  pris  garde  ;  et  luy  laissay  faire,  sans  le 
desbaucher  de  sa  contemplation.  Après  le  bal  finy, 
je  luy  dis  :  Y  pues,  sehor,  que  os  parece  de  nuestra 
rejna  de  Navarra  ?  —  Que  me  parece,  seîïor  ?  me 
respondit-il.  Juro  a  Dios^  me  parece  tal,  que  si  estu- 
viese  en  nuestra  corte  de  Madrid,  como  esta  en  esta, 
el  camino  séria  tan  poblado,  para  visitar  y  mirarla, 
que  pareceria  un  camino  de  romeria,  donde  muchos 


1 .  Et  qu'à  cause  de  l'excellence  de  sa  beauté  et  de  sa  bonne 
grâce,  il  y  avait  plus  d'empressement  pour  la  voir  quand  elle 
sortait,  que  pour  boire  l'eau  des  bains;  "et  que,  par  le  moyen 
de  sa  beauté,  sa  réputation,  et  encore  plus  sa  présence  captivaient 
les  gens;  car  sa  beauté  brillait  entre  les  autres  dames  comme  le 
soleil  entre  les  étoiles.  Je  ne  parle  point  de  ses  autres  vertus  no- 
bles et  illustres,  parce  qu'elle  était  si  belle  que  rien  ne  lui  man- 
quait. 

2.  La  renommée  volait  par  tout  l'univers. 


176  RODOMOIXTADES 

perdones  se  ganan  :  que  aunque  sehalado  camino  no 
hiibiera,  solanienle  hastaria  de  seguir  el  hilo  de  la 
gente,  para  luirar  y  adorarla,  como  rejna  de  la 
tierra^y  la  gène  râla  de  todas  las  viras  rejnas  y  da- 
mas las  mas  senaladas  de  la  Europa^  y  pregonarla 
tal  con  juslo  y  honrado  titalo,  por  su  d'wina  beldad, 
real  magestad,  y  buenas  gracias  *. 

Certes ,  cest  honneste  homme  avoit  raison  de  te- 
nir de  telz  propos  ;  car  je  pense  qu'au  monde  ne 
s'est  jamais  veu  princesse  plus  belle.  J'en  puis  par- 
ler au  vray;  car  j'en  ay  veu  force,  et  en  France  et 
aux  pays  estrangers,  où  la  beauté  se  loge.  Il  ne  luy 
manque  qu'une  chose  :  qu'elle  n'est  autant  heureuse 
en  ce  monde  comme  ses  mérites  le  requièrent,  el 
que  ses  plus  affectionnez  serviteurs  souhaitent  et  di- 
sent. Je  n'en  puis  conjecturer  autre  raison  ^  sinon 
que  le  ciel  qui  l'a  faicte  ne  veut,  comme  jaloux, 
qu'elle  dépende  d'autre  que  de  luy,  bien  qu'elle  ne 
se  soucie  point  de  ceste  grandeur  du  monde  que 
tous  et  toutes  recherchent  tant  ;  se  fondant  sur  une 
raison  qui  est  belle  certes,  qu'elle  me  fit  cest  honneur 
de  me  dire  il  n'y  a  pas  longtemps  :  qu'elle  n'avoit  af- 

\ .  Eh  bien,  monsieur,  que  vous  semble-t-il  de  notre  reine  de 
Navarre?  —  Ce  qu'il  m'en  semble,  monsieur?  je  jure  Dieu  qu'elle 
me  paraît  telle,  que  si  elle  e'tait  à  notre  cour  de  Madrid,  comme 
elle  est  en  celle-ci ,  le  chemin  serait  si  fréquenté  pour  la  visi- 
ter et  la  voir,  qu'il  paraîtrait  un  chemin  de  pèlerinage  où  l'on 
gagne  bien  des  pardons  ;  même  s'il  n'y  avait  point  de  chemin 
tracé,  il  suffirait  de  suivre  la  lile  des  gens  pour  la  voir  et  l'adorer 
comme  reine  de  la  terre,  et  la  première  de  toutes  les  autres 
reines  et  dames  les  plus  signalées  de  l'Europe,  et  la  proclamer 
telle  par  un  juste  et  honorable  titre,  à  cause  de  sa  di\'ine  beauté, 
de  sa  royale  majesté  et  de  ses  bonnes  grâces. 


ESPAIG -NULLES.  177 

faire  d'ambition  ny  de  grandeur  plus  haute  que  celle 
qui  luy  estoit  née  et  venue  d'une  si  grande  race  de 
roys  ses  ayeulx  et  ancestres  ;  si  qu'elle  se  peut  dire 
estre  aujourd'huy  la  seule  restée  de  la  plus  grande 
maison  du  monde,  et  qu'il  n'y  a  royaume,  empire, 
ny  monarchie,  qui  la  peust  rendre  plus  grande 
qu'elle  est.  L'ambition  est  bonne  pour  les  princesses 
basses,  et  [qui]  luy  sont  nullement  égales;  mais,  pour 
quanta  elle,  à  part'  l'ambition.  Elle  se  contente  de  ce 
qu'elle  est,  ny  ne  seauroit  voiler  plus  haut.  Ses  belles 
et  amples  aisles  de  sa  noble  maison,  de  ses  vertuz  et 
de  ses  qualitez ,  luy  peuvent  donner  le  vol,  voire 
jusqu'au  ciel,  quand  elle  se  voudra  laisser  porter  à 
elles. 

Finissons  donc  ici  par  ceste  belle  fin  ;  car  j'en  ay 
faict  un  fort  long  et  grand  discours  à  part^ 

1.  J  part  V ambition,  c'est-à-dire  elle  a  mis  l'ambition  de  côté. 

2.  Voyez  le  Discours  V  de  la  première  partie  des  Dames. 


FIN    DES    RODOMOKTADES    ESPAIGJSOLLES. 


vil  —  12 


SERMENS  ET  JUREMENS 

ESPAIGNOLS'. 


Après  avoir  raconté  aucunes  rodomontades  des  Es- 
paignolz,  il  m'a  semblé  bon  de  raconter  aussi  aucuns 
de  leurs  sermentz  particuliers  que  je  leur  ay  ouy 
dire  :  en  quoy  je  les  treuve  plus  divers  et  plus  chan- 
geans  qu'aucunes  nations  que  j'aye  pratiqué;  et  si 
en  invantent  ordinairement  de  nouveaux.  Le  plus 
commun  et  ancien  est  : 

1.  Juro  a  Di'os*. 

Puis  ceux  qui  s'ensuivent. 

II.  Si,  por  aquella  seîiora  que  nacio  preserçada  de 
la  culpa  on'ginaL 

III.  Si,  por  mis  pecados  que  confese  anteayer  a 
los  pies  del  confesor. 

\ .  Le  traité  des  Sermens  et  juremens  espaignols  était  primiti- 
vement confondu  avec  les  Rodomontades  qu'il  terminait,  comme 
on  le  voit  dans  le  manuscrit.  Il  n'y  occupe  que  cinq  pages  et 
demie.  Mais  plus  tard  Brantôme  l'a  considérablement  augmenté  et 
en  a  fait  un  opuscule  distinct. 

2.  I.  J'en  jure  à  Dieu.  —  II.  Oui  par  cette  femme  qui  naquit 
préservée  du  péché  originel.  —  III.  Oui,  par  mes  péchés  que  je 
confessai  avant-hier  aux  pieds  du  confesseur.  — 


180  SERMENS  ET  JUREMENS 

IV.  S/',  por  et  santo  voto  que  Jiize  saliendo  de  las 
gale  ras  de  los  renegados. 

V.  Si\  por  la  casa  santa  de  Jérusalem. 

VI.  Sij  por  la  eiicarnacion  del  Verho  d'wino. 

VII.  Si,  por  la  Veronica  santa  de  Jaheii. 
Vni.  Si\  por  los  cor  por  aies  santos  de  Daroça. 

IX.  Si,  por  Nuestra  Senora  de  Mont-Serrat, 

X.  Siy  por  el  aima  de  mi  madré,  que  esta  en  pa- 
ra y  so. 

Pensez  qu'il  en  avoit  un  bon  certificat. 

XI.  Si,  por  las  revclaciones  de  san  Juan. 

XII.  Si,  por  la  purificacion  de  Nuestra-Senora. 

XIII.  Si,  por  la  sagrada  natii'idad  de  Christo, 

XIV.  Si,  por  la  cinta  de  san  Francisco. 

XV.  Si,  por  la  i^ida  de  mi padre,  homhre  de  bien. 

XVI.  Si,  yo  renie  go  de  aquel  puto  de  ruin  ladron 
que  motejaba  Nuestro-Senor  en  la  cruz. 

XVII.  Si,  por  la  letania  de  los  santos. 

XVIII.  Si,  por  el  juramento  que  tengo  hecho. 

XIX.  Si,  por  la  Madré  sin  manzilla, 

IV.  Oui,  par  le  saint  vœu  que  je  fis  en  sortant  des  galères  des  re- 
négats.—  V.  Oui,  par  la  sainte  maison  de  Je'rusalem.— VI.  Oui,  par 
l'incarnation  du  Verbe  divin.  — VII.  Oui,  par  la  sainte  Véronique 
de  Jaën.  —  VIII.  Oui,  par  les  saints  corporaux  de  Daroça.  — 
IX.  Oui,  par  INotre-Dame  de  Mont-Serrat.  —  X.  Oui,  par  l'âme 
de  ma  mère  qui  est  en  paradis.  —  XI.  Oui,  par  les  révélations 
de  saint  Jean.  —  XII.  Oui,  par  la  purification  de  Notre-Dame.  — 
XIII.  Oui,  par  la  sainte  nativité  de  Christ.  —  XIV.  Oui,  par  le 
cordon  de  saint  François.  —  XV.  Oui,  par  la  vie  de  mon  père, 
homme  de  bien.  —  XVI.  Oui,  je  renie  ce  débauché  de  mau- 
vais larron,  qui  se  moquait  de  Notrc-Seigneur  sur  la  croix.  — 
XVII.  Oui,  par  les  litanies  des  saints.  —  XVIII,  Oui,  par  le  ju- 
rement que  j'ai  fait.  —   XIX.   Oui,  par  la  Mère  sans   tache.  — 


ESPAIGNOLS.  481 

XX.  Si,  par  la  Se  nom  de  la  Coronada. 

XXI.  Si,  par  los  qualro  evangelios  santos. 

El  la-dessus  il  se  faut  signer  à  la  bouche,  aux  deux 
poitrines  gauche  et  dextre,  et  puis  à  l'estomach. 

XXII.  Si,  por  el  Sepulcro  santo,  en  el  quai  elHijo 
de  Dios  fite  sepullado. 

XXin.  Si  por  las  nowenas  de  la  seîîora  santa  Eli- 
zabet. 

XXIV.  Si,  por  la  sagrada  Escritura. 

XXV.  En  verdad,  por  Nuestra-SeTiora  del  Pilar  de 
Saragoça  te  lo  juro, 

XXVI.  Si,  o  reniego  de  las  que  tengo  en  la  car  a. 
Il  veut  dire  les  ballaffres  qu'il  tient  au  visage. 
XX Vn.  Si,  o  renie i^o  los  pecados  de  los  muertos, 

XXVIII.  Si,  por  la  encarnacion  de  Clirislo. 

XXIX.  Si,  por  las  reliquias  santas  de  san  Juan  de 
Latran . 

XXX.  Si,  por  toda  la perdicion  delmundo,  le  lojuro. 

XXXI.  Si,  por  la  ver  a  cruz  de  Caravaça. 

XXXII.  Si,  por  el  cuerpo  de  santo  Alfonzo,  que  esta 
en  Zamora,  te  lo  juro. 

XX.  Oui,  par  Notre-Dame  de  la  Coronade.  —  XXI.  Oui ,  par 
les  quatre  saints  Evangiles.  —  XXII.  Oui,  par  le  saint  sépulcre, 
où  le  fils  de  Dieu  a  été  enseveli,  —  XXIII.  Oui,  par  les  neuvaines 
de  madame  sainte  Elisabeth.  —  XXIV.  Oui,  par  la  sainte  Ecri- 
ture. —  XXV.  En  vérité,  je  te  le  jure  par  Notre-Dame  del  Pilar 
de  Saragosse.  —  XXVI.  Oui,  ou  je  renie  celles  que  j'ai  au  visage. 
—  XXVII.  Oui,  ou  je  renie,  les  péchés  des  morts.  —  XXVIII.  Oui, 
par  l'incarnation  du  Christ.  —  XXIX,  Oui,  par  les  saintes  reli- 
ques de  saint  Jean  de  Latran.  —  XXX.  Oui,  je  te  le  jure  par 
la  perdition  totale  du  monde.  —  XXXI.  Oui,  par  la  vraie  croix 
de  Caravaça.  —  XXXII.  Oui,  je  te  le  jure  par  le  corps  de  saint 
Alfonse,  qui  est  à  Zamora.  — 


18-2  SERMENS  ET  JUREMENS 

XXXIII.  Sij  por  el  apostoldivino  sant  Vago. 

XXXIV.  Si  por  el  siglo  de  mis  finados. 

XXXV.  Si,  por  Las  brasas  de  san  Anton. 

XXXVI.  Si,  por  el  sagrario  de  Nuestra  Senora. 

XXXVII.  Si,  por  la  oreja  sagrada  de  Malchus,  y 
sanada  por  la  mano  de  Jésus. 

Elle  pouvait  bien  être  sacrée  puisque  Jésus-Christ 
l'avoit  touchée,  non  autrement. 

XXXVIII.  Si,  por  el  buen  ladron,  que  Jesu-Cristo 
sabo  moriendo  con  el. 

XXXIX.  Siy  por  los  lihros  de  inaestre  Abraham. 
XL.    Si  y    o    reniego   de    los    infieles   del   Hijo   de 

Dios. 

XLI.  Si,  o  reniego  los  Moros  quando  van  descaria- 
dos  s  in  rey. 

XLII.  Sij  por  las  cuentas  de  mi  rosario. 

XLIII.  iS/,  por  la  Virgen,  que  concibio  sin  dolor. 

XLIV.  Si,  por  la  penitencia  de  santa  Maria  Mag~ 
dalena. 

XLV.  Si,  por  el  angel  de  la  paz. 

XL VI.  Sij  por  el  Seiwr  que  padecio  en  la  cruz. 

XXXIIl.  Oui,  par  le  divin  apôtre  saint  Jacques.  — XXXIV.  Oui, 
par  le  siècle  des  miens  qui  sont  morts.  —  XXXV.  Oui,  par  le  feu  de 
saint  Antoine.  —  XXXVI.  Oui,  par  le  tabernacle  de  Noti^e-Dame. 

—  XXXVII.  Oui,  par  l'oreille  sacrée  de  Malchus,  guérie  par  la  main 
de  Jésus-Christ.  —  XXXVIII.  Oui,  par  le  bon  larron,  que  Jésus- 
Christ  sauva  en  mourant  avec  lui.  — XXXIX.  Oui,  par  les  livres  de 
maître  Abraham.  —  XL.  Oui,  ou  je  renie  les  infidèles  au  (ils  de 
Dieu.  —  XLI.  Oui,  je  renie  les  Mores,  quand  ils  errent  sans  roi. 

—  XLII.  Oui,  par  les  grains  de  mon  rosaire.  —  XLIII.  Oui,  par 
la  Vierge  qui  conçut  sans  douleur*.  —  XLIV.  Oui,  par  la  péni- 
tence de  sainte  Marie-Magdeleine.  —  XJlV.  Oui,  par  l'ange  de 
la  paix.  —  XLVI.  Oui,  par  le  Seigneur  qui  souffrit  sur  la  croix. 


ESPAIGNOI.S.  483 

XIjVII.  .s/,  por  la  Sehora  de  los  Campus. 

XLVIII.  Si,  por  l(i\  relupdas  de  Ronia. 

XLIX.  Si,  u  reniei^o  de  la  4jue  nie  pario^  si  no  es 
{'erdad. 

\j.  Si,  o  renie f^o  del  opcio  que  queda  en  poder  de 
rapazes. 

LI.  Si.,  u  renicgo  de  la  pula  de  mi  suegra. 

LU.  ^/,  por  la  Seùora  de  las  Hucrtas. 

LUI.  Si.,  par  la  pasion  dcl  Uijo  de  IJios. 

LIV.  ^/,  o  reniego  de  la   casa  abrasada  de  Platon. 

LV.  5/,  por  la  Santa  Trinidad. 

TiVL  Si,  o  reniego  de  la  ley  de  aquel  piito  de  Ma- 
huma,  y  ahomino  la  casa  donde  esta  sepultado. 

LVIl.  Sij  o  reniego  del  monaguillo  de  la  iglesia, 
criado  del  sacrislan. 

IjVHI.  lui  K'erdad  ^  la  a  firme  por  los  santos  de 
Dios. 

]j1X.  Si.,  o  reniego  del  espirilu  maligno. 

TiX.  Si,  por  las  romereas  de  san  Yago. 

LXL  Si,  por  la  Firgen  del  Remédia,  te  lo  jura. 

XLVII.  Oui,  par  Notre-Dame  des  Champs.  —  XLVIII.  Oui, 
par  les  relicpies  de  Rome,  — ■  XLIX.  Oui,  ou  je  renie  celle  (jui 
m'a  enTanté,  si  cela  n'est  pas  vrai.  —  L.  Oui,  ou  je  renie  le  mé- 
tier qui  reste  au  pouvoir  des  enlans.  —  LI.  Oui,  ou  je  renie  ma 
putain  de  belle-mère.  —  LII.  Oui,  par  Notre-Dame  des  .Fardins. 
—  LUI.  Oui,  par  la  j)assion  du  l''ils  de  Dieu.  —  LIV.  Oui,  ou  jr- 
reiiio  le  manoir  embrasé  de  Pluton.  —  LV.  Oui,  par  la  .sainte 
Trinité.  —  LVI.  Oui,  ou  je  renie  la  loi  de  ce  débauché  de  Maho- 
met, et  je  déteste  son  sépulcre.  —  LVII.  Oui ,  ou  je  renie  l'en- 
fant de  chœur,  valet  du  sacristain.  —  LVIII.  En  vérité,  je  vous 
l'assure  par  les  saints  de  Dieu.  —  LIX.  Oui,  ou  je  renie  l'esprit 
malin.  —  LX.  Oui ,  par  les  pèlerinages  de  saint  Jacques.  — 
LXI.  Oui,  je  te  le  jure  |)ar  Notre-Dame  du  Remède. 


d8(i  SERMENS  ET  .lUREMENS 

LXII.  Si,  por  la  vida  del  emperador  Carlos. 

LXIII.  Si,  por  la  vida  del  rey  don  Phelipe. 

LXIV.  Si,  por  los  ojos  de  mi  dama. 

LXV.  Si,  por  estas  barbas  que  nacieron  a  la  fu- 
mada  de  los  canones\ 

ïlz  en  disent  l)ien  d'exécrables,  comme  je  vis  un 
jour  un  bandoUier  près  de  Narbonne,  qui  jum  por 
los  higados  de  Dios^.  Malheureux  qu'il  estoit  !  Un 
autre  juroit  :  Ciierpo  de  Dios  por  el  pan,  sangre  de 
Dios  por  el  vino  '. 

Je*  vis  un  soldat  à  Naples,  où  estant  faite  pragma- 
tique ou  deffance  de  ne  jurer  parmy  leurs  bandes, 
luy,  ayant  perdu  tout  son  argent  dans  le  corps-de- 
garde,  il  dist  seuUement  :  Beso  las  manos  al  senor 
Pilato^.  Interrogé^  par  quelqu'un  de  ses  compaignons 
de  ce  qu'il  vouloit  dire  par  là,  il  respondit  qu'il  re- 
mercioit  Pilate  et  luy  en  sçavoit  bon  gré  de  quoy  il 
avoit  sententié  nostre  Sauveur  Jésus-Christ.  Celluy-là 
devoit  estre  bruslé. 

Un  autre  soldat  estant  un  jour  enti-é  dans  le  logis 
d'une  femme,  son  hostesse,  qui  avoit  trois  ou  quatre 

LXII.  Oui,  par  la  vie  de  l'empereur  Charles.  —  LXIII.  Oui, 
par  la  vie  du  roi  don  Philippe.  —  LXIV.  Oui,  par  les  yeux  de 
ma  maîtresse.  —  LXV.  Oui,  par  ces  moustaches,  nées  à  la  fumée 
des  canons. 

\ .  Voyez  plus  haut  p.  30. 

2.  Par  les  entrailles  de  Dieu. 

3.  Corps  de  Dieu  pour  le  i)ain;  sang  de  Dieu  pour  le  vin. 

4.  Var.  Je  le  vis  jurer  une  fois  à  un  soldat,  mais  bien  pis  jura 
et  blasphéma  un  autre  soldat  à  Naples  où....   (ms.  3273,  f"  i8J). 

5.  Je  baise  les  mains  au  seigneur  Pilate. 

6.  Far.  Comme,  dist-il  après,  le  remerciant  et  sçacliant  bon 
gré  de  quoy  il  avoit  sententié  Jesus-Chrit.  (Ms.  3273,  ihid.) 


ESPAIGNOLS.  18." 

petits  enfans  à  l'entour  d'elle  qui  ne  faisoient  que 
crier  et  l'importuner^  il  dit  :  Que  no  vive  aun  el  rey 
don  Herodes  para  vengnrme  de  estos  ninos  '  /  Inférant 
par  là  qu'il  eust  voulu  le  roy  Hérodes  encor  revivre, 
pour  faire  un  second  massacre  de  petits  innocens, 
afin  que  pour  luy  il  n'eust  plus  la  teste  rompue  du 
cry  de  ces  petits  enfans.  Quelle  religion  ! 

Un  autre  soldai,  sortant  de  malladie  el  d'une 
grand'  fiebvre  chaude,  allant  à  l'église  remercier  Dieu 
pour  sa  guérison,  il  dist  et  salua  ainsi  :  Beso  las 
manos,  seîtor  Jesu,  j  lambien  a  vos,  san  Pahlo  j  san 
Pedro  y  y  a  todos  vosotros  apostoles  y  otros  santos  de 
vida  eterna^ ;  et  se  tournant  vers  sainct  Anthovne 
peint  avec  sa  grande  barbe  blanche,  il  dit  :  Y  no  a 
vos^  barba  blanca,  que  tan  mal  su  fue^o  me  trato,  j 
me  quemo  en  mis  calenluras^. 

Le  brave  M.   de  Bayard  ne  fit  pas  cela;  lequel, 

1 .  Ah  !  que  le  roi  Hérode  ne  vit-il  encore ,  pour  me  délivrer 
de  ces  enfants. 

2.  Je  vous  baise  les  mains,  seigneur  Jésus,  et  à  vous  aussi, 
saint  Paul,  saint  Pierre,  et  à  tous  les  autres  apôtres  et  saints  de 
la  vie  éternelle. 

3.  Mais  non  point  à  vous,  barbe  blanche,  dont  le  feu  m'a  si 
mal  traité,  et  m'a  tant  brûlé  pendant  ma  fièvre. 

Var.  Il  maudissoit  la  challeur  et  le  feu  qu'il  avoit  enduré  en 
sa  tiebvre,  réputant  le  tout  à  monsieur  sainct  Anthoyne. 

Je  vis  une  fois  un  bandolier  auprès  de  Narbonne  qui  me  jura 
por  cl  higado  de  dios.  Celluy  là  est  fort  escandaleux.  Un  autre 
me  jura  :  Por  la  lelania  de  los  sanctos.  Encore  celluy  est  comme 
les  autres  précédens  assez  léger. 

Les  Italiens  ne  sont  si  divers  en  leurs  juremens,  mais  ilz  en 
disent  de  fort  escandaleux  et  odieux ,  lesquels  il  vaut  mieux  taire 
que  dire.  Nos  François  sont  grands  jureurs  aussi,  mesmes  que  le 
temps  passé  ce  proverbe  courroit  :  Il  renie  Dieu  comme  un  ad- 


186  SERMENS  ET  JUREMENS 

ainsi  que  dit  son  roman*,  estant  un  jour  persécuté 
d'une  forte  fiebvre  chaude,  de  telle  façon  qu'il  en 
brusloit,  il  implora  Monsienr  sainct  Anlhoine  en  luy 
faisant  telle  oraison  :  «  Ah  !  monsieur  yVnthoyne,  mon 
«  bon  sainct  et  seigneur_,  je  vous  supplie  avoir  souve- 
«  nance  lorsque  nous  autres  François  nous  allasmes 
«  jetter  dans  Parme,  que  les  Impériaux  vouloient 
i(  venir  assiéger.  Il  fut  arresté  qu'on  brusleroit  et 
a  abattroit-on  toutes  les  maisons  et  églises  qui  es- 
«  toient  aux  faux-bourgs.  Je  ne  voulus  jamais  con- 
«  sentir  que  la  vostre  fust  abbattue,  bien  qu'elle 
«  fust  de  grande  importance  ;  mais  je  m'y  allay  jetter 
«  dedans  avecques  ma  compaignie ,  si  bien  que  je 
X  la  garday,  et  demeura  entière.  »  Geste  oraison 
faicte,  au  bout  de  huict  jours  M.  de  Bayard  fut 
guéry. 

A  propos  de  baiser  les  mains,  un  prescheur,  en 
Espaigne,  preschant  le  premier  dimanche  de  cares- 
me,  et  touchant  l'évangile  de  ce  jour-là  et  de  la  ten- 
tation de  Satan  à  l'endroict  de  Nostre-Seigneur,  ve- 
nant sur  ce  poinet  qu'il  luy  dit  qu'il  se  jettast  du 
haut  du  pinacle  du  temple  en  bas,  et  que,  puisqu'il 
estoit  fils  de  Dieu,  il  seroit  aussytost  relevé  des  anges 
sans  se  faire  mal;  sur  ce  le  prescheur  dit  tels  mots  : 
Jésus,  como  caballero  muj  bien  criado^  respondio 
asi  :  Beso  las  manos^  seilor  Satan.  Tengo  yo  olra 
escale r a  para  baxar". 


venturier,  mais  aujourd'hui  chascun  s'en  accommode.  Dieu  à  tous 
leur  fasse  la  grâce  de  s'en  refformer.  (Jbid.,  i"  181,  v".) 

1 .  Voyez  le  Loyal  Serviteur,  ch.  lv. 

2.  Jésus,  comme  un  cavalier  bien  appris,  répondit  ainsi  :  «  Je 


ESPAIGNOLS.  187 

Je  sçay  un  très  grand  prélat  *  qui  fit  une  quasi  pa- 
reille faute  fet  sans  penser)  que  celle-là,  car  je  l'ouvs  : 
lequel  prescliant  ce  mesme  jour  à  Fontainebleau  de- 
vant le  roy,  la  reine  et  toute  la  cour,  où  il  y  avoit 
deux  ou  trois  cens  huguenots,  et  touchant  ce  mesme 
poinct  de  la  tentation,  il  dict  :  «  Hé!  diable,  mon 
«  amy,  que  vous  ay-je  faict  pour  me  vouloir  tenter 
((  ainsi?  »  Ce  mot  là  ne  fust  pas  plustost  dit  qu'il  fut 
relevé  de  plusieurs  de  l'assistance  ,  mesmes  des 
huguenots ,  qui  s'en  mirent  à  rire  avecques  une 
sourde  rumeur,  dont  après  ilz  en  firent  bien  leur 
proffict.  Le  sermon  achevé,  s'estant  enquis  à  aucuns 
de  ses  gens  pourquoy  on  avoit  ry,  ilz  luy  dirent 
parce  qu'il  avoit  appelle  le  diable  son  amj-;  dont  il 
en  fut  si  fasché,  qu'il  dit  l'avoir  dit  à  l'improviste  et 
sans  y  songer,  et  qu'il  voudroit  avoir  donné  dix 
mille  escus,  et  tenir  le  mot  dans  la  bouche. 

Or  il  faut  noter  que  aucuns  de  ces  Espaignols 
ayment  tant  à  dire  de  bons  mots,  qu'ilz  n'espargnent 
ny  religion,  ny  religieux,  ny  personne,  ny  chose 
quelconque  qui  soit. 

J'allois  un  jour  à  Naples  avecques  le  procache', 
avecques  qui  vont  toutes  sortes  de  gens,  selon  la 
rencontre  qu'ilz  trouvent.  Par  cas,  estoit  avec  nous 
le  sergent  majour  de  Naples,  qui  portoit  le  nom  de 
Caravajal,  gallant  homme  certes.  Il  ne  faut  point  de- 
mander si  l'on   est  mal  traicté  par  les  mains  de  ce 


vous  baise  les  mains,  seigneur  Satan;  j'ai  un  autre  escalier  pour 
descendre.  » 

t.  Le  cardinal  de  Lorraine.  Voyez  t.  II,  p.  277. 

2.   Le  messager,  procaccio. 


188  SERMENS   ET  JUREMENS 

procaclie.  Après  que  nous  eusmes  disnë  en  une  ville 
qui  s'appelle  Bellistre',  aussy  mal  qu'il  est  possible,  et 
de  très  meschante  viande,  on  nous  porta  pour  le  fruict 
deux  j)lats  de  sallade,  où  il  y  avoit  des  herbes  que  le 
diable  n'en  eust  pas  mangé,  tant  elles  estoient  sauva- 
ges et  amères.  Dans  deux  autres  plats  à  part  il  y  avoit 
un  peu  de  vinaigre  et  force  huile,  comme  il  y  en  u 
force  en  ces  quartiers,  et  aussy  qu'ilz  n'y  veulent 
que  fort  peu  de  vinaigre.  Caravajal,  voyant  ce  beau 
mets  avecques  ceste  grande  quantité  d'huile  s'escria 
du  haut  de  la  table  où  il  estoit,  et  moy  près  de  luy  : 
Seùores,  qiiien  quiere  morir  de  vosotros  y  que  aqui 
esta  la  extremauncion}?  Parce  que  l'extrême  onction 
se  faict  d'huile.  Nous  nous  mismes  tous  à  rire,  fors 
un  moyne  qui  estoit  présent,  qui  dit  :  Seîîor  capitan, 
estas  palabras  no  son  huenas  a  decir^.  Le  capitaine 
luy  respondit  :  Sehor  frayle^  estas  jerbas  no  son 
buenas  a  conier.  Tome  este  aceyte,  y  lle^ele  al  vica- 
rio''.  Le  pauvre  moyne  demeura  estonné;  et  fallut 
qu'il  beust  ceste-là,  car  l'autre  ne  s'en  soucioit 
guières. 

Un  pauvre  un  jour  demandant  l'aumosne  à  un 
soldat,  et  qu'il  prieroit  Dieu  pour  luy,  il  met  la 
main  à  la  bourse,  et  luy  donne  une  réaile,  en  disant  : 
Tomadj  que  yo  no  presto  a  uzurœ'. 

\.  Bellistre,  Velletri;  en  latin  Felitrx.  r 

3.  Messieurs,  qui  de  vous  autres  a  envie  île  mourir,  car  voici 
l'extrême-onction  ? 

3.  Monsieur  le  capitaine,  ces  paroles  ne  sont  pas  bonnes  à  dire. 

4.  Monsieur  le  moine,  ces  herbes  ne  sont  pas  bonnes  à  man- 
ger. Prenez-donc  ce  vinaigre,  et  le  portez  à  votre  vicaire. 

î).  Tiens,  je  ne  prête  point  à  usure. 


ESPAIGNOLS.  189* 

Un  autre,  en  demandant  l'aumosne  de  mesmes,  et 
qu'il  prieroit  Dieu  aussi  pour  luy,  il  luy  dit,  en  ne 
luy  donnant  rien  :  Rogad  par  vos  que  leneis  harto 
menester  de  vuestras  rogaruis  para  sus  pecados,  siii 
gastarlas  por  otros  \  Cestuv  ne  fut  pas  si  courtois 
que  le  précédent. 

Un  autre  pauvre  demandoit  l'aumosne  à  un  caval- 
lier,  et  qu'il  la  luy  donnast,  pues  que  era  su  herma- 
no*.  L'autre,  estonné,  luy  demanda  comme  il  estoit 
son  irère;  il  respondit  :  Porque  todos  somos  de  un 
misrno  padre,  Adan  j  Eva^.  L'autre,  tirant  sabource, 
luy  donna  una  blanca.  Sur  quoy  le  pauvre  respliqua 
que  c'estoit  fort  peu  pour  estre  son  frère.  Le  cavallier, 
le  renvoyant  bien  loing,  luy  dit  :  Si  cada  uno  de  tus 
hermanos  te  dièse  otro  tanto,  no  hahria  principe  tan 
rico  como  tu  *. 

Un  cavallier  espaignol  voyant  un  jour  un  autre  qui 
parloit  à  sa  maistresse  d'amour,  lequel  estoit  laid  et 
noir  comme  un  beau  diable,  s'approchant  de  luy,  il 
luy  dit  :  Fade  rétro,  Satanas ;  no  tenteis  mi  se- 
iiora^. 

Un  autre  amoureux,  contemplant  en  un  tableau 
les  mystères  de  la  passion  de  Nostre-Seigneur,  ainsy 
que  les  peintres  nous  le  représentent,  il  dit  :  Igualar 


\ .  Prie  pour  toi,  tu  as  assez  besoin  de  tes  prières  pour  tes  pé- 
che's,  sans  les  prodiguer  pour  les  autres. 

2.  Puisqu'il  était  son  frère. 

3.  Parce  que  nous  sommes  tous  sortis  des  mêmes    ancêtres, 
Adam  et  Eve. 

4.  Si  chacun  de  tes  frères  te  donnait  autant,  il  n'y  aurait  point 
de  prince  si  riche  que  toi. 

b.  Retire-toi  d'ici,  Satan;  ne  tente  point  ma  dame. 


i90  SERiMEJNS  ET  JUREMENS 

otros  martirios  a   estos    séria  gran    desi^ario  ;    mas 
grandes  son  los  mios\ 

Geste  comparaison  sourde,  en  quelque  façon  que 
ce  soit,  ne  se  doit  faire.  Telle  ou  pire  en  fit  un  cor- 
dellier  une  fois,  dont  j'en  vais  faire  le  conte.  Ce  cor- 
dellier  estoit  un  des  prescheurs  et  confesseurs  de  la 
reyne  Anne  de  Bretaigne.  Je  ne  sçay  si  c'est  point 
frère  Jehan  Bourgeois,  fort  renommé  de  ce  temps-là, 
ou  autre.  Pour  lors  ladicte  reyne  avoit  une  de  ses 
filles  qui  s'appelloit  Bourdeille,  sœur  propre  et  aynée 
de  feu  mon  père,  et  pour  ce  ma  tante,  fillole  du  roy 
Louys  XII,  dont  elle  portoit  le  nom  de  Louyse  de 
Bourdeille.  Il  l'a  voit  faicte  venir  à  la  cour  dès  l'aage 
de  six  ans,  et  la  faisoit  quasi  ordinairement  manger 
au  bas  de  sa  table,  estant  petite  garce,  parce  qu'elle 
avoit  le  bec  affilé  et  disoit  d'or,  et  causoit  plaisam- 
ment, et  luy  bailloit  ainsy  du  plaisir.  Mais  quand 
elle  vint  sur  l'aage  de  unze  à  douze  ans,  la  reyne  la 
fît  tirer  de  là  et  manger  à  l'ordinaire  avecques  ses 
compaignons.  Or,  venant  sur  l'aage  de  quatorze  à 
quinze  ans,  elle  estoit  si  belle  qu'on  l'appelloit  rjnge 
de  la  cour,  dont  plusieurs  gentilshommes  en  furent 
serviteurs  et  amoureux,  jusques  à  ce  M.  le  cordel- 
lier  (car  soubs  la  ceinture  de  saint  François  l'amour 
y  voile  aussy  bien  qu'ailleurs),  qui,  en  l'exhortant, 
fust  ou  en  la  chambre  de  la  reyne  (car  lors  les  cor- 
delliers  entroient  partout,  tant  on  se  fioit  en  eux), 
ou  en  confession,  de  l'amour  de  Dieu  et  de  la  cha- 
rité, il  en  faisoit  tomber  tousjours  quelques  mots  sur 


4.  Ce  serait  une  grande  extravagance  de   comparer  d'autres 
souHrances  à  celles-ci  ;  mais  les  miennes  sont  grandes. 


ESPAIGNOLS.  191 

son  amour;  si  bien  que  ma  tante  l'en  ayant  renvoyé 
bien  loing  par  deux  ou  trois  fois,  et  luy  ne  s'en  dé- 
sistant, le  dit  à  la  gouvernante,  qui  en  fit  le  rapport 
à  la  reyne,  qui  n'en  fit  autre  semblant,  sinon  la  tan- 
cer, et  luy  dire  que  c'estoit  une  mauvaise  garce,  et 
que  ce  cordellier  estoit  un  très  sainct  et  homme  de 
bien.  Cela  dura  quelque  temps  jusqu'à  un  jour  de 
vendredy  sainct,  que  luy  venant  à  prescher  la  Pas- 
sion dans  la  grande  salle  de  Bloys,  devant  la  reyne 
Anne,  ses  filles  et  sa  cour,  il  se  mit  de  plein  abord, 
par  son  ])remier  thème,  à  commencer  ainsy  son  ser- 
mon, et  par  ces  propres  mots  :  «  Pour  vous,  belle 
«  nature  humaine,  c'est  aujourd'liuy  pour  qui  j'en- 
te dure,  dit  ainsy  Nostre-Seigneur  Jésus-Christ  à  un 
«  tel  jour  d'anuict  pour  sa  Passion.  »  Puis,  s'estant 
plus  avant  enfoncé  en  propos,  il  va  si  dextrement  et 
subtilement  contourner  et  convertir  tout  son  texte  et 
passage  de  la  Passion  en  celle  qui  l'affligeoit  pour 
l'amom'  de  ceste  belle  nature  humaine  qui  estoit  au 
devant  de  sa  cliièse  *  avecques  ses  compaignes  et  au- 
tres dames,  sm^  laquelle  jettoit  tousjours  quasi  ses 
yeux,  contrefaisant  du  triste,  du  marmiteux  et  du 
passionné  des  tourmens  de  Nostre-Seigneur,  que 
pourtant  il  convertissoit  tousjours  sur  les  siens.  Bien 
peu  de  personnes  s'advisèrent  de  cela,  sinon  la  reyne 
un  peu,  qui,  ne  se  fiant  en  son  jugement,  après  le 
sermon  failly,  elle  fit  venir  le  galland  parler  à  elle, 
en  la  présence  de  deux  de  ses  docteurs  qui  avoient 
esté  au  sermon,  auxquels  la  reyne  ayant  conféré  son 
soupçon  et  son  doubte,  s'en  allèrent  aussy  doubler 

J .  Chièse,  chaise,  chaire. 


192  SERMENS   ET  JUREMENS 

et  appercevoir,  et  liiy  répéter  la  plus  grande  part  des 
passages,  tant  vrais  que  feintz,  tant  bons  que  mau- 
vais, qu'avoit  alléguez  le  galland.  Enfin  trouvèrent 
qu'il  y  avoit  de  la  meschanceté  ;  et  pour  ce,  estant 
appelle  devant  la  reyne  et  les  docteurs,  et  estant 
convaincu  d'un  tel  crime  (non  sans  se  deflfendre 
pourtant  bravement),  on  dit  que  la  reyne  le  fit 
fouetter  en  sa  cuisine  :  mais  point,  car  elle  n'aymoit 
point  le  scandale;  ains  le  renvoya  à  son  provincial, 
avecques  belles  recommandations  qu'il  s'en  souvint 
toute  la  vie  ;  et  par  ainsi ,  ma  tante  bien  ayse  d'estre 
délivrée  d'un  tel  fascheu\  importun,  et  de  n'estre 
plus  taxée  de  la  reyne  de  l'avoir  accusé  à  tort,  et  que 
la  vérité  en  estoit  cognue  ;  dont  la  reyne  l'en  ayma 
davantage,  et  le  roy  son  parrain.  Mais  elle  ne  ves- 
quit  guières  après;  car  elle  mourut  à  l'aage  de  quinze 
venant  à  seize  ans.  Grand  dommage  certes  d'une  si 
belle  fleur  fanie'  et  emportée  en  son  plus  beau  apvril. 
Elle  fut  fort  regrettée  du  roy,  de  la  reyne,  de  toute 
la  cour,  et  enterrée  très  honnorablement  auxCordel- 
liers,  près  du  grand  autel,  à  main  gauche.  Avant  que 
leur  église  se  bruslast,  il  y  a  environ  seize  à  dix- 
sept  ans*,  son  épitaphe  en  bronze  paroissoit  encore 
attaché  contre  un  pillier,  lequel  fondit  avecques  plu- 
sieurs autres,  tant  le  feu  et  l'embrasement  fut  grand 
et  désolable,  sans  y  pouvoir  remédier.  Je  tiens  ce 
conte  de  feu  ma  mère  et  du  bonhomme  M.  de  Pons', 
qui  le  lenoit,  disoit-il,  de  madame  de  Pons  sa  mère, 


i .  Fanie,  fannée. 

2,  Le  19  novembre  1580.  Vo}e;«  L'Estoile,  à  cette  date. 

3.  Antoine,  sire  de  Pons,  comte  de  Marennes,  chevalier  des 


ESPAIGiNOLS.  lu;} 

gouvernante  de  madame  Uenée  de  France,  despuis 
duchesse  de  Ferrare.  Je  pense  que  si  madame  de  iNe- 
mours,  sa  fille,  s'en  vouloit  aujourd'huy  ressouvenir, 
elle  le  pourroit  asseurer;  et  voylà  mon  conte  achevé. 
Venons  à  d'autres. 

Il  s'est  trouvé  de  bons  compaignons  d'autresfois 
en  ces  cordelliers,  comme  un  Espaignol  que  je  vais 
dire ,  appelé  Fray  Inigo.  yVllant  ini  jour  dans  une 
rue  de  Tolède,  et  aucunes  belles  et  honnestes  dames 
(comme  il  y  en  a  force)  allans  devant  et  luy  après,  et 
faisans  grand'poussière  de  leurs  robes  traisnantes  en 
terre,  ainsy  qu'elles  se  fussent  advisées  de  luy  et  de 
la  poussière  qui  luy  nuisoit  s'arrestèrent  tout  court 
(car  elles  l'avoient  en  grand'révérence),  et  luy  dirent 
fort  courtoisement  :  Pase  viieslra  reverencia,  porque 
noie  démos  poh>o  \  Luy,  refusant  de  passer,  leur 
dist  :  Beso  las  maiios^  senoras.  Fajanse,  que  el poho 
de  las  ovejas  no  le  ahorece  el  lobo  *.  Quel  fin  loup 
voilà  puisqu'il  n'abhorroit  point  la  poussière  de  ces 
belles  dames  !  Il  n'eneust  point  abhorré  autre  chose, 
ny  leur  chair,  non  plus  que  le  loup  celle  des  brebis, 
bien  qu'il  fist  bien  de  la  mine  et  qu'il  prélassast 
tant  qu'il  pouvoit,  aspirant  un  jour  à  une  mytre. 
De  quoy  l'en  reprenoit  un  jour  un  sien  compai- 
gnon,  et  de  despit  luy  dit  :  Quitad  esta  vana  gloria; 


ordres  du  roi,  né  le  2  février  lolO.  Il  était  fils  de  François,  sire 
de  Pons,  comte  de  Marennes,  et  de  Catherine  de  Ferrières. 

\ .  Que  votre  révérence  jjasse  devant,  afin  que  nous  ne  lui  fas- 
sions point  de  poussière. 

2.  Je  vous  baise  les  mains,  mesdames;  marchez  toujours.  Le 
loup  n'abhorre  point  la  poussière  des  brebis. 

vji  —  13 


194  SERMENS  ET  JUREMENS 

que  aunque  lluevan  muras ,  nunca  caera  una  en  su 
cabeza  ' . 

L'on  peut  bien  quelquesfois  brocarder  et  se  moe- 
quer  de  ces  gens-là,  puisqu'ilz  se  mocquent  entre 
eux-mesmes  les  uns  des  autres,  comme  fit  un  cordel- 
lier  un  jour  à  un  jacobin.  Allant  par  pays  tous  deux 
de  compaignie,  et  venant  passer  un  ruisseau  où  il 
n'y  avoit  planche  ny  pont,  le  jacobin  luy  dit  que 
puisqu'il  estoit  deschaussé  et  pieds  nuds,  qu'il  se 
mist  dans  l'eau  et  qu'il  le  portast  sur  ses  espauUes  ; 
ce  que  le  cordellier  luy  accorda  volontiers;  et  le  pas- 
sant, quand  ce  fut  au  mitan  de  l'eau,  il  luy  demanda 
s'il  ne  portoit  point  d'argent  sur  luy.  L'autre  respon- 
dit  qu'il  avoit  environ  six  réalles.  Alors  il  luy  dit  : 
Padre^  perdonadme,  que  no  puedo  llevar  comigo  di- 
neros,  porque  asi  lo  manda  mi  régla.  Y ,  diciendo 
eso^  iuego  lo  écho  en  el  rio,  y  se  penso  ahogar  '.  Pen- 
sez que  le  cordellier  s'en  mocqua  bien,  et  en  rit  son 
saoul. 

Une  bonne  femme  estant  malade,  et  ayant  en- 
voyé quérir  son  curé  pour  la  confesser,  elle  luy  donna 
pour  sa  peine  une  poulie,  qu'il  prit  gentiment  et 
l'emporta.  Quand  elle  fut  guérie,  ne  se  souvenant 
du  don,  elle  demanda  à  sa  chambrière  qu'estoit  de- 
venue sa  poulie.  Elle  luy  dit  qu'elle  l'aA^oit  donnée  au 
curé  par  son  commandement;  à  quoy  elle  respon- 


\ .  Laissez-là  cette  vaine  gloire.  Quand  même  il  pleuvrait  des 
mitres,  il  n'en  tomberait  jamais  une  sur  votre  tête. 

2.  oc  Mon  père,  pardonnez-moi,  je  ne  puis  porter  d'argent  sur 
moi,  parce  que  ma  règle  me  l'ordonne  ainsi.  »  Et,  en  disant  cela, 
il  le  jeta  dans  l'eau,  où  l'autre  pensa  se  noyer. 


ESPAIGI\OLS.  195 

dit  :  Yale  me  Dlos  !  Infiailas  veces  que  se.  me  perdio 
esta  galliiia,  la  di  al  diahlo,  f  iiunca  la  tomo  :  y  ima 
t-'ez  que  la  prometi  al  cura,  la  llevo  lue^o\ 

Un  bon  compaignon  ayant  espousé  une  belle  et 
lionneste  femme  ^  et  pour  ce  qu'il  estoit  mauvais 
mesnager  et  avoit  despendu  tout  le  bien  que  son 
père  luy  avoit  laissé,  elle  se  sépara  de  luy  ;  dont  s'en 
plaignit  au  vicaire  pour  la  hiy  faire  rendre  :  de  qiioy 
le  vicaire  s'enquérant  à  son  procureur,  luy  demanda 
si  habia  consumido  el  matrimonio  *.  Le  procureur  res- 
pondit  plaisamment  :  Y  ami  el  patrimonio  ';  faisant 
allusion  du  matrimoinc  et  du  patrimoine,  qu'il  les 
avoit  consommez  tous  deux,  à  son  dam,  et  de  la 
femme  et  tout. 

Un  autre  fit  bien  mieux,  qui,  ayant  de  mesmes 
mangé  tout  son  bien,  et  rencontré  un  jour  par  un 
sien  amy,  et  trouvé  à  table  qu'il  faisoit  bonne  chère, 
et  souppoit  avec  un  flambeau  de  cire;  luy  pensant 
remonstrer  que,  puisqu'il  n'a  voit  plus  de  quoy  faire 
telles  despenses,  pourquoy  il  faisoit  celle-là  d'un 
flambeau  de  cire  et  ne  se  contentoit  d'une  petite 
chandelle  de  suif;  l'autre  luy  respondit  :  Senor, 
llego  al  cabo  del  afio  cou  mi  hacienda'*.  Quel  bout  de 
l'an,  et  quelle  comparaison  !  Ne  vous  dis-je  pas 
qu'ilz  n'espargnent   rien   pour   dire   un    bon   mot, 

\ .  Dieu  me  soit  en  aide  !  Une  infinité  de  fois  que  cette  poulie 
s'est  perdue,  je  l'ai  donnée  au  diable  sans  qu'il  l'ait  jamais  prise; 
et  pour  mie  fois  que  je  l'ai  promise  au  curé,  il  l'a  emportée  sur  le 
champ. 

2.  S'il  avait  consommé  le  mariage. 

3.  Et  même  le  patrimoine. 

4.  Monsieur,  je  fais  le  bout  de  l'an  de  mon  bien. 


196  SERMENS   ET  JUREMENS 

comme  plusieurs  autres  que  je  dirois  bien  ?  mais  je 
serois  trop  long.  Si  diray-je  encore  ceux-cy  : 

La  reyne  d'Espaigne,  donne  Izabelle*  de  France, 
estant  un  jour  en  une  procession  à  Madrid  avec  ses 
dames  et  filles  qui  la  suivoîent ,  toutes  aussi  belles 
qu'elle,  et,  venant  après  la  dernière  leur  gouver- 
nante, vieille  et  laide,  il^  y  eut  un  cavallier  qui  ren- 
contra là-dessus,  et  dit  :  Esta  dama  parece  la  muer  Le 
al  cabo  de  un  rosario  de  oro  o  de  pedrerias  *.  Il  se 
faut  imaginer  là-dessus  un  beau  cliappellet  de  pier- 
reries ou  d'or,  de  quelque  façon,  au  bout  duquel  on 
met  coustumièrement  une  teste  de  mort,  pour  en 
avoir  souvenance. 

Un  capitaine  de  gallères  poursuivant  une  galliote 
de  Mores,  il  fit  un  vœu  que,  s'il  la  pouvoil  prendre, 
qu'il  en  donneroit  la  dixme  à  Nostre-Dame  de  Gua- 
dalup.  Un  de  ses  soldats  s'en  mit  à  rire;  et  luy  ayant 
esté  demandé  pourquoi,  il  respondit  :  l.o  que  ha  pro- 
metido  el  capitan^  ahora  es  de  los  Moros  ;  y  si  se 
gana^  sera  de  nosotros  soldados ;  pues  mirad  adonde 
se  ha  de  sacar  el  diezmo  par  Nuestra-Senora^ .  Le 
gallant  se  vouloit  partager  pour  luy  et  pour  ses  com- 
paignons,  avant  que  rien  donner  à  Nostre-Dame. 

Cestuy-cy,  et  puis  plus.  Un  gallant,  ou,  pour 
mieux  dire,  un  mesch^nt  garnement,  estant  un  jour 
malade  d'une  fiebvre  chaude  qui  le  pressoit  et  l'alté- 

1.  Elisabeth. 

2.  Cette  dame  a  tout  l'air  d'une  tête  de  mort  au  bout  d'un  ro- 
saire d'or  ou  de  pierreries. 

3.  Ce  que  le  capitaine  a  promis  est  encore  en  la  puissance  des 
Maures;  et  si  on  le  prend,  il  sera  à  nous  autres  soldats.  V03CZ 
donc  oii  il  prendra  la  dîme  pour  Notre-Dame, 


ESPAIGNOLS.  197 

roit  fort,  il  demanda  à  son  médecin  de  l'eau  de  fon- 
taine pour  boire.  Il  luy  respondit  qu'elle  luy  feroit 
mal  s'il  en  beuvoit_,  et  qu'il  n'en  auroit  point.  L'au- 
tre luy  respondit  :  Dadme  pues  un  poco  de  agua  hen- 
dila  para  heher ,  que  cosa  tan  bendita  y  sagrada  no 
puede  hacer  mal\  Le  médecin  lui  respondit  :  O  l  hijo 
de  puta,  que  habeis  dicho  ?  Dénie  quanta  agua  qui- 
siere^.  Ainsy  l'abandonna  M.  le  médecin  à  boire  son 
saoul  d'autre  eau,  et  ne  toucher  à  l'eau  béniste,  qui 
a  bien  plus  d'autres  vertus  que  de  la  boire,  ainsy  que 
j'en  vais  faire  un  conte. 

M.  de  Orignaux',  gentilhomme  de  Périgord,  brave 
et  très-habile  en  son  temps,  et  chevallier  d'honneur 
de  la  reyne  Anne  de  Bretaigne,  fut  une  fois  envoyé 
en  ambassade  vers  le  pape  Jules  par  le  roy  Louis  XII 
son  maistre.  Par  cas,  un  jour  estant  au  palais  de 
Saine t-Pierre,  il  veid  sortir  cinq  ou  six  cardinaux, 
faisans  bien  des  empressez,  qui  alloient  jetter  le 
diable  hors  du  corps  d'un  pauvre  homme.  Il  les  pria 
de  l'attendre  un  peu  qu'il  eust  diet  un  mot  à  Sa 
Saincteté,  et  qu'il  vouloit  aller  avec  eux  pour  voir 
ce  mystère  qu'il  n'avoit  jamais  veu.  A  qui  ilz  dirent, 
par  une  grande  spéciauté,  qu'il  ne  falloit  pas  qu'il  y 
vinst,  parce  qu'il  ne  s'estoit  pas  confessé  et  mis  en 
estât  et  bonne  dévotion  comme  eux,  d'autant  que 
ces   malins  esprits   souloieiit,  quand  on  les  chassoit 

\.  Donnez-moi  donc  un  peu  d'eau  bénite  pour  boire.  Une 
chose  si  bénite  et  si  sacrée  ne  saurait  faire  mal. 

2.  O  fils  de  putain!  qu'as-tu  dit?  Qu'on  lui  donne  autant  d'eau 
qu'il  voudra. 

3.  Brantôme  a  déjà  raconté  cette  histoire  dans  la  première  ré- 
daction de  l'article  consacré  à  Trivulce.  Voy.  t.  II,  p.  224,  note. 


I 


198  SERMENS  ET  JUREMENS 

d'un  corps,  s'aller  aussy  tost  rejetter  dedans  un  au- 
tre s'il  se  trouvoit  en  son  chemin,  et  n'estoit  en  bon 
estât  que  doit  estre  un  vray  et  bon  clirestien  et  ca- 
tholique; et  parainsy  ce  malin  esprit,  estant  par  eux 
chassé  du  corps  de  ce  pauvre  homme,   pourroit  en- 
trer dans  le  sien,  le  trouvant  tout  immonde  et  honny. 
A  quoy  M.   de  Grignaux   respondit  promptement  : 
«  Le  prenez-vous  là?  j'y  ay  trouvé  un  bon  remède; 
«  car  je  me  jetteray  tout  chaussé  et  tout  vestu  dans 
(  le    grand    bénistier,    et  m'y  plongeray  jusqu'à  la 
«  gorge.  Mais,  avant,  je  prendray  de  l'eau  béniste 
«  ma  pleine  bouche;  et,  lorsque  vous  aurez  faictvos 
«  oraisons,  imprécations  et  brinborions,    et  que  je 
«  pourray  au  plus  près  cognoistre  que  ce  diable  vou- 
«  dra  sortir,  je  commenceray  à  jetter  par  ma  bouche, 
((  et  rejaillir  peu  à  peu  mon  eau  béniste,  et  l'enfre- 
rt  tiendray  toujours  ainsy  jusqu'à  ce  que  le  diable 
a  aura  sorty  par  la  vitre,  ou  rentré  dans  le  corps  de 
((  quelqu'un  de  vous  autres,  qui  n'estes  pas  plus  nets, 
«  ni  ne  valiez  pas  plus  que  moy,  et  estes  pires  que 
«  le  diable.   Car,   Pasques-Dieu   (tel  estoit   son   ser- 
«  ment),  vous  estes,  et  votre  maistre,  tous  traystres,   > 
«  qui  ne  faictes   que  trahir   et  tromper  le  roy  mon 
«  maistre;   »  ce  qui  arriva  puis   après.  Voilà  donc 
comment  M.  de  Orignaux,  voulant  mettre  ordre  aux 
trous  du  haut  et  du  bas,  par  là  où  il  présumoit  que 
diable  deust  passer,  fit  approuver  à  l'assemblée  que 
le  remède  estoit  très-bon,  et  qu'il  verroit  tout  le  mys- 
tère sans  danger  et  fortune. 

Je  tiens  ce   conte  d'un  vieux   gentilhomme   mon 
voisin,  qui  disoit   le  tenir    de  feu  M.  de  Bourdeille  ^ 
mon  père,  qui  estoit  parent  et  bon  amy  de  M.  de  ^ 


ESPAIGNOLS.  199 

Orignaux,  et  aussi  bon  corapaignon  que  luy  ;  lesquelz 
tous  deux,  et  en  France,  et  au  dehors  aux  guerres 
d'Italie,  en  avoient  fait  de  bonnes  en  leur  temps, 
bien  que  mon  père  fust  plus  jeune,  car  il  estoit  page 
de  la  reyne  Anne,  allant  toujours  sur  son  premier 
mulet  de  devant  sa  litière,  qui  estoit  un  grand  hon- 
neur de  ce  temps,  que  M.  de  Orignaux  estoit  desjà 
chevallier  d'honneur  de  ladicte  reyne,  laquelle  (sor- 
tant hors  de  page)  le  luy  donna  pour  le  mener  aux 
guerres  de  Naples.  Je  sçay  plusieurs  bons  contes  de 
tous  deux,  qui  sont  subelins,  et  qui  lèvent  la  paille, 
dont  j'en  conte  aucuns  en  mes  autres  li^Tes'. 

Or  bien  que  ce  conte  soit  joyeux  et  ridicule,  il 
faut  toujours  confesser  et  avouer  que  l'eau  béniste  a 
de  très-grandes  vertus  et  propriétez,  soit  contre  ces 
esprits  malins,  soit  pour  les  foudres,  tempestes,  ora- 
ges et  tonnerres,  pour  le  feu  et  embrasement,  bref 
pour  une  infinité  de  choses  dont  l'on  a  veu  de 
grands  miracles. 

Je  cuydois  n'allonger  ce  petit  traicté  des  Juremens 
espaignols  tant  comme  j'ay  faict.  Mais,  comme  un 
propos  ameine  l'autre,  je  me  suis  perdu  un  peu  en 
ces  petits  contes  précédens,  qu'il  vaut  mieux  dire 
que  raconter  ces  énormes  juremens  et  blaphêmes , 
qui  sont  par  trop  scandaleux,  et  très-nuisibles  à 
l'âme,  et  plus  qu'on  ne  pense;  et  m'estonne  qu'on 
ne  s'en  corrige  mieux  qu'on  ne  faict.  Mais,  à  ce  que 
j'ay  veu  et  pratiqué,  il  n'y  a  guières  peuple,  de  quel- 
que nation  que  ce  soit,  qui  ne  s'en  ayde  fort  vilaine- 
ment.   Les   François  s'en  accommodent  aussy  bien 

1.  Voyez,  plus  loin  la  Vie  d'Anne  de  Bretagne. 


ooo  SERMENS  ET  JUREMENS 

que  les  autres,  et  mesmes  les  Gascons,  voire  plusieurs 
Francimans  ,  et  surtout  les  solda tz  et  advanturiers 
de  guerre,  ainsi  qu'on  couroit  le  temps  passé  le  pro- 
verbe :  «  Il  jure  comme  un  advanturier,  ou  comme 
un  sergent  qui  prend  et  tient  son  homme  au  col- 
let. »  Les  lansquenets  jurent  estrangement  aussy. 
Bref,  tous  s'en  aydent,  et  principalement  les  Italiens; 
car  ilz  prennent  Dieu,  la  Vierge  Marie,  et  tous  les 
saincts  et  sainctes,  par  le  haut,  par  le  bas,  par  le 
mitan,  que  c'est  chose  fort  abhorrable.  Ceux  qui  en 
ont  pratiqué  le  pays  en  confirmeront  mon  dire. 

Je  vis  une  fois  (je  ne  diray  plus  que  cestuy-cy)  un 
capitaine  de  gallères  italien,  genevois',  que  je  ne 
nommeray  point,  qui  suivoit  M.  le  grand  prieur  de 
France,  de  la  maison  de  Lorraine.  Estans  sur  mer, 
ainsy  que  nous  estions  prests  à  passer  le  goulphe  de 
Livourne,  qui  est  très-dangereux,  jouant  aux  dez 
contre  un  autre,  luy  ayant  livré  dix  pour  son  poinct 
et  sa  chance,  et  rencontré  et  pris  pour  luy  quatorze, 
il  se  mit,  en  tirant  les  dez,  à  dire  par  trois  fois  :  Fa 
quattordiciy  rnesser  Domeneddio,  o  tu  perdi  un  anima 
christiana^.  En  ce  disant,  il  fit  la  chance  de  son  hom- 
me, et  luy  perdit.  Puis,  continuant  et  renforçant 
plus  vilainement  son  blapliême ,  il  dist  :  Yo  so  heu 
che  messe r  Donieneddio  mi  vol  dar  oggi  qualche 
stretta  ;  ma,  tu  mentirai,  dit-il  en  regardant  le  ciel, 
cK io  no  giuocaro piu^.  Et  prenant  les  dez,  il  les  jetta 


1.  Génois. 

2.  Fais  quatorze,  Seigneur  Dieu,  ou  tu  perds  une  âme  chré- 
tienne. 

3.  Je  vois  bien  que  le  Seigneur  Dieu  me  veut  aujourd'hui  pré- 


ESPAIGAOLS.  201 

dans  la  mer,  en  se  retirant  avec  une  perte  de  trois 
cens  escus. 

Ce  blaphême  porta  si  grand  malheur,  que  nous 
estant  engoulphez  en  cedict  goulphe,  seize  gallères 
qu'avoit  ledict  M.  le  grand  prieur,  coururent  grande 
fortune,  et  cuydèrent  quasi  toutes  périr.  Mondict 
sieur  le  grand  prieur  ayant  sceu  après  le  blaphême 
dudict  capitaine,  l'en  tança  très-aigrement,  et  qu'il 
n'y  retournast  plus,  autrement  il  luy  fairoit  sentir  : 
lequel  il  laissa  en  le  voyant  contrit  et  repentant,  et 
que  luy-mesme  eut  plus  grand  peur  que  tous  les 
autres  durant  la  tempeste.  Il  avoit  raison;  car  Dieu 
s'en  irrita ,  comme  il  fit  paroistre.  Du  despuis  il 
s'en  corrigea,  et  le  vis  ne  jurer  ni  blaphémer  plus 
tant  comme  il  faisoit  :  et,  quand  on  luy  en  faisoit  la 
guerre  qu'il  estoit  devenu  sage,  il  respondoit  :  La 
fortuna  cli  Lworno  mi  fa  ancora  paura^ . 

Il  seroit  besoing  que  Dieu  quelquesfois  donnast 
tout  à  coup  ainsy  des  cliastimens  à  ceux  qui  le  jurent 
si  exécrablement.  Hz  s'en  corrigeroient,  et  les  autres 
y  prendroient  exemple  :  car  enfin  ce  n'est  qu'une 
accoustumance  aysée  à  s'en  delTaire,  ainsy  que  j'en 
ay  veu  l'expérience  en  plusieurs. 


cipiter  en  quelque  malheur  ;  mais  tu  mentiras ,  car  je  ne  jouerai 
plus. 

1 .  Le  danger  de  Livourne  me  fait  encore  peur. 


FIN    DES    SERMENS    ET   JUREMRNS    ESPAIGNOLS. 


M.  DE  LA  NOUE. 


A  SÇAVOIR  A  QUI   L'ON  EST  PLUS  TENU,   OU   A  SA  PATRIE, 
A  SON  ROY  OU   A  SON  BIENFACTEUR  ». 


J'estois  un  jour  en  lionneste  compaignie  d'hon- 
nestes  seigneiu's  et  dames;  et  ainsi  qu'on  se  rencon- 
tre à  discourir^  parmy  ces  lionnestes  personnes,  de 
plusieurs  subjects,  nous  vinmes  à  tomber  sur  M.  de 
J^a  Noue,  duquel  on  ne  se  peut  assez  saouler  de  dire 
les  biens,  les  vertus,  les  valeurs  et  les  mérites  qui 
estoient  en  luy  ;  si  bien  qu'il  fut  tenu  estre  resté  le 
plus  grand  capitaine  que  nous  eussions  aujourd'hui 

1.  François  de  la  Noue,  dit  Bras  de  fer,  né  en  4  531,  blessé 
mortellement  au  siège  de  Lamballe  et  mort  quelques  jours  après, 
le  4  août  1591. 

2.  Dan>  les  anciennes  éditions  et  dans  l'édition  Monmerqué,  ce 
Discours  est  mis  entre  la  vie  de  M.  Parisot  et  celle  de  Charles  IX. 
Rien  n'autorisait  à  l'insérer  en  cet  endroit,  car  il  ne  figure  ni  là, 
ni  ailleurs,  dans  aucun  des  manuscrits  que  noits  avons  consultés; 
et  sa  forme  ,  son  titre  et  enfin  la  place  que  lui  donne  Brantôme,  dans 
rénumération  de  ses  ouvrages  (voyez  t.  I,  p.  82),  démontraient 
suffisamment  qu'il  formait  un  traité  séparé.  Nous  lui  avons  donc 
conservé  la  place  qu'il  occupe  avec  raison  dans  l'édition  Buchon. 
En  l'absence  de  manuscrit,  nous  avons  reproduit  le  texte  des  édi- 
tions antérieures. 


204  M.  DE  LA  NOUE. 

en  France.  On  conta  comment,  estant  sorti  de  page 
d'avec  le  roi  Henry  son  maistre,  il  fit  son  appren- 
tissage sous  luy,  et  de  ses  voyages  qu'il  fit  en  Picardie 
et  frontières  de  Flandres,  où  luy-mesme  estoit  tous- 
jours  général  et  conducteur  de  ses  armées.  Aussy  les 
plus  vieux  capitaines  ne  luy  eussent  sceu  rien  ap- 
prendre soubs  un  si  bon  maistre  et  guerrier,  puisque 
soubs  meilleur  il  ne  pouvoit.  T.edit  seigneur  de  La 
Noue  apprit  donc  là  ses  rudimens  de  guerre,  puis 
s'en  alla  en  Piedmont  avec  M.  d'Amville,  comme 
j'ay  dict  ailleurs,  où  il  se  trouva  en  plusieurs  com- 
bats, et  mesmes  en  un  qui  fut  faict  au  Pont-d'As- 
ture*,  où  il  y  eut  une  deffaicte  de  cinq  cens  Espai- 
gnols  naturels,  qui  le  fit  fort  valoir  et  estimer. 

Nos  guerres  civilles  estant  survenues,  il  se  mit  à 
suivre  le  party  de  la  religion,  de  laquelle  il  estoit 
grand  zélateur  ;  et  aussy  que  M.  l'admirai,  voyant  sa 
suffisance,  l'a  voit  attiré  pour  autant  se  décharger  de 
son  grand  faix,  ainsi  qu'il  le  servit  très-bien  et  le 
soulagea  fort  ;  car  dès-lors  il  commencoit  à  estre 
bon  capitaine,  d'autant  qu'il  aymoit  fort  à  lire,  et 
ce  qu'il  lisoit  il  le  pratiquoit  très-bien  quand  il  estoit 
en  sa  charge  de  guerre;  et  aussy  qu'il  en  aymoit 
fort  à  discourir,  comme  je  l'ay  fort  ouy  attentive- 
ment bien  souvent,  et  appris  de  luy-mesme  au 
voyage  d'Escosse  que  nous  fismes,  lorsque  nous  al- 
lasmes  conduire  la  pauvre  feue  reyne  de  France  marr 
tyrisée  *. 

La  seconde  guerre  venue,  il  fit  un  grand  service 
à  son  party;    car   messieurs  le  Prince,   l'admirai  et 

1.  Ponte-di-Stura.  —  2.  Marie  Stuart. 


M.  DE   LA  NOUE.  20S 

d'Andelot  ayant  assiégé  le  roy  dans  Paris  à  demy, 
eux  estans  dans  Sainct-Denis,  ilz  donnèrent  la  char- 
ge à  M.  de  La  Noue  d'aller  surprendre  Orléans;  ce 
qu'il  fit  facilement  par  le  moyen  du  baillif  Grelot'  et 
ceux  de  la  ville^  qui  estoient  quasi  tous  la  pluspart 
partisans  de  la  religion;  mais  il  restoit  la  citadelle, 
qui  estoit  bonne  et  bien  munie  d'artillerie^  qui  fouet- 
toit  ceux  de  la  ville,  il  ne  faut  dire  comment.  Mais 
M.  de  La  Noue  la  battit  et  l'assaillit  si  bien,  qu'à  la 
longue  d'un  mois  ou  trois  sepmaines,  l'emporta,  ce- 
pendant que  les  autres  amusoient  le  roy  et  ses  forces, 
qui  ne  put  la  secourir;  car  s'il  les  eust  divisées  pour 
y  aller,  ilz  ne  demandoient  pas  mieux. 

Les  Iroisiesmes  troubles  revindrent  puis  après,  où 
mondict  seigneur  de  La  Noue  lit  encore  mieux;  car, 
ayant  M.  d'Andelot,  un  autre  grand  capitaine,  avec 
soy,  et  toutes  les  forces  huguenottes  de  la  Bretaigne, 
Normandie,  le  Mayne,  le  Perche,  l'Anjou  et  autres 
provinces,  fallut  passer  la  rivière  de  Loyre,  estant 
M.  de  Montpensier  d'un  costé  et  M.  de  Martigues  de 
l'autre*.  Nonobstant,  la  passèrent  bravement  sans 
grande  perte  de  gens,  et  une  bien  grande  de  la  troupe 
de  M.  de  Martigues,  car  il  perdit  son  enseigne, 
M.  d'Ourches',  de  Dauphiné,  brave  et  vaillant  gen- 
tilhomme s'il  en  fut  oncques,  et  fort  mon  amy,  du- 
quel la  perte  emporta  plus  que  tout  ce  que  M.  d'An- 
delot peust  perdre.  La  rivière  se  passa  donc  en  despit 

i .  Jérôme  Groslot.  La  Noue  s'empara  d'Orléans  le  28  septem- 
bre iS67.  La  porte  Banière,  dont  les  catholiques  avaient  fait  une 
espèce  de  citadelle,  se  rendit  le  12  octobre  suivant. 

2.  En  1568.  Voyez  de  Thou,  liv.  XLIV. 

3.  Rostain  d'Urre,  seigneur  d'Ourches. 


206  M_.  DE   LÀ  NOUE. 

de  tout  obstacle,  M.  d'Andelot  y  travaillant  d'un 
costé  et  M.  de  La  Noue  de  l'autre.  Toutes  ces  forces 
lîuguenoltes  estant  assemblées,  elles  prindrent  Sainct- 
Jehan,  Cognac,  Xaintes,  Pons,  Blaye,  Angoulesmes 
et  plusieurs  autres. 

Monsieur,  frère  du  roy,  nostre  général,  emmena 
son  armée  ;  si  bien  qu'en  un  an  il  leur  livra  deux  ba- 
tailles, celle  de  Jarnac,  et  l'autre  de  Montcontour, 
es  quelles  toutes  deux  M.  de  La  Noue  fut  pris  en 
vray  homme  de  guerre,  encor  qu'en  celle  de  Jarnac 
luy  fallut  combattre  ayant  la  fièvre  quarte.  Les 
princes  et  M.  l'admirai  estant  allez  en  Gascogne  et 
Languedoc,  il  demeura  avec  le  comte  de  La  Roche- 
foucaut  en  Xainctonge,  Angoulmois,  Poictou  et  au- 
tres pays  de  leur  conqueste,  gouverneur;  dont  il 
s'acquicta  bien,  car  il  deffit  Puygaillard  *,  qui  avoit 
six  ou  sept  cens  chevaux,  et  le  régiment  des  gardes 
qui  s'estoit  sauvé  dans  Lusson,  qu'il  prit  à  sa  mercy  ; 
là  où  il  usa  d'une  grande  courtoisie  de  guerre,  car  il 
le  renvoya  avec  toutes  ses  armes,  enseignes  et  tabou- 
rins,  comme  point  vaincu  :  de  quoy  fut  fort  loué 
d'un  chacun,  et  le  vis  fort  louer  à  la  reyne  et  au  roy, 
comme  de  chose  inouye  et  peu  advenue. 

La  paix  se  fit,  et  le  comte  Ludovic  de  Nassau  alla 
faire  ses  entreprises  en  Flandres,  demandant  pour 
son  second  M.  de  La  Noue,  et  firent  prou  pour  un 
commencement;  mais  ilz  eurent  en  barbe  ce  grand 
capitaine  le  duc  d'Albe,  qui  les  empescha  soudain  de 
parachever  leur  besogne,  et  leur  emporta  Valan- 
ciennes  par  le  moyen  de  la  citadelle  qu'ilz  n'avoient 

1.  En  1570.  Voyez  de  Thou,  liv.  XLVII, 


AI.  DE    LA  NOUE.  207 

pas  ;  et  puis  les  alla  assiéger  dedans  Mons  en  Hay- 
naut,  où  ledict  comte  estant  tombé  malade,  ce  fut  à 
M.  de  La  Noue  à  supporter  le  faix  du  siège  de  tout; 
mais,  n'en  pouvant  plus,  fut  contraint  d'en  sortir 
par  une  très-belle  et  honnorable  composition  ',  avec 
pourtant  une  très  grande  admiration  et  estime  qu'il 
laissa  de  luy  au  duc  d'Albe  et  à  toute  son  armée. 

Le  massacre  de  la  Saine^-Barthélemy  s'estant  en- 
suivy,  fut  envoyé  quérir  jusques  en  Flandres  par 
nostre  roy,  pour  l'envoyer  à  La  Rochelle  et  la  solli- 
citer de  luy  rendre  son  obéyssance  (cecy  est  une 
autre  paire  de  manches,  et  longues  à  coudre,  que 
j'espère  dire  ailleurs  et  à  propos);  mais  il  n'y  put 
rien  gaigner,  et  fallut  qu'il  en  sortist  sans  rien  faire, 
sinon  d'avoir  donné  une  bonne  leçon  et  instruction 
pour  se  bien  def fendre,  qu'elles  nous  coustèrent  la 
perte  de  vingt  mille  hommes;  car  quand  il  y  entra 
ilz  estoient  au  bout  de  leur  rollet*,  ainsi  que  luy  et 
eux  m'ont  dict. 

Ce  siège  nous  porta  la  paix  qui  ne  dura  guières, 
car,  le  roi  de  Poulogne  s'en  estant  allé  en  son  nou- 
veau royaume,  les  armes  se  prindrent  au  mardy- 
gras,  en  Normandie,  M.  le  comte  de  Montgommery 
en  chef,  et  en  Xainctonge  et  Guyenne,  M.  de  La 
Noue  chef;  où  pourtant  il  fut  grandement  blasmé 
des  siens  mesmes  de  n'avoir  secouru  jamais  ceux  de 
Lusignan  assiégez,  d'un  seul  homme,  non  pas  d'une 
seule  allarme,  en  trois  mois  que  le  siège  dura;  et 
j'en  ay  veu  plusieurs  soldats  qui  estoient  dedans  s'en 


i.  En  août  1572.  Voyez  de  Thou,  Uv.  LIV. 

2.  Rollet,  rouleau. 


208  M.  DE   LA  NOUE. 

plaindre,  disaiis  :  a  M.  de  La  Noue  nous  a  fort  bien 
«  nouez,  mais  il  nous  a  mal  desnouez,  m  Mais,  pour 
cela,  il  ne  le  faut  pas  mésestimer,  car  possible  il 
n'avoit  pas  le  moyen  ;  si  a-on  veu  des  places  secou- 
rues de  nostre  temps  pourtant,  et  plus  mal  aysées 
que  celle-là.  Je  m'en  rapporte  à  ce  qui  en  est;  je  luy 
en  ay  veu  dire  des  raisons  alors  que  ce  siège  duroit, 
m'ayant  le  roy  despesché  de  Lyon  vers  luy',  lors- 
qu'il fut  de  retour  de  Poulogne,  pour  ouvrir  quelques 
propos  de  paix. 

Or,  ayant,  Monsieur,  frère  du  roy,  conceu  quel- 
ques mécontentements  contre  Sa  Majesté,  et  soufflé 
par  les  huguenots,  qui  n'avoient  plus  un  grand  chef, 
et  qui  avoient  pris  à  propos  ceste  occasion  de  mé- 
contentement, il  s'en  alla  de  la  cour.  M.  de  La  Noue, 
dès  le  siège  de  La  Rochelle,  avoit  commencé  à  le  dé- 
baucher :  je  sçay  ce  que  luy  en  dis,  me  doublant 
bien  de  quelque  chose,  et  qu'il  y  avoit  quelque  an- 
guille soubs  roche;  mais  il  me  nyoit  tout;  et  tant 
plus  qu'il  me  faisoit  ces  protestations,  je  luy  répli- 
quois  tousjours  (car  nous  estions  très-grands  amys, 
et  la  pluspart  du  temps  couchions  ensemble)  qu'il 
mettroit  ce  prince  à  mal.  Enfin,  le  voylà  aux  armes 
et  hors  de  la  cour.  M.  de  La  Noue  le  va  trouver 
vers  le  Poictou  avec  ses  forces,  où  je  le  vis  et  luy 
ramenteus  ^  bien  ses  anciennes  protestations  qu'il 
me  faisoit  devant  La  Rochelle;  mais  la  reyne  mère, 
qui  estoit  toute  bonne  et  très  sage,  ne  cessa  jamais 
qu'elle  n'eust  accordé  les  deux  frères;  si  bien  que  le 
roy  de    Navarre,   s'en  estant  aussy  desparty   de    la 

1.  En  157<i.  —  2.  Ramenteus,  rappelai. 


M.  DE  LA  NOUE.  209 

cour  quelques  six  mois  après  Monsieur,  fut  eslu  chef 
général  de  la  religion,  comme  luy  appartenoit,  puis- 
qu'il en  estoit  des  fermes,  et  veu  sa  grandeur.  M.  de 
La  Noue  l'assista  tousjours  si  bien  en  ces  guerres  de 
Gascogne,  que  luy,  qui  estoit  jeune  prince  et  peu 
pratique  aux  armes,  mais  pourtant  vif  et  de  gentil 
esprit  et  courageux,  moitié  de  son  instinct  et  moitié 
de  ce  qu'il  voyoit  faire  à  M.  de  La  Noue,  l'imitoit; 
et  fit  si  bien,  que  c'est  aujourd'hui  un  des  grands  ca- 
j)itaines  et  roys  et  princes  de  la  chrestienlé. 

Le  rov  de  Navarre,  la  paix  venue,  le  fit  surinten- 
dant de  sa  maison,  qui  estoit  un  très  grand  honneur 
pour  luy;  mais  ayant  esté  appelle  par  le  prince  d'O- 
range et  les  Estats  des  Pays-Bas,  sur  le  résonnement 
de  son  nom  et  de  ses  beaux  faits,  qui  s'espandoient 
partout,  fut  esleu  par  eux  leur  mareschal-général  de 
camp,  et  supplié  de  l'accepter,  avec  de  beaux  partis 
et  appoinctemens  qu'ilz  lui  présentoienl*.  Il  quicta 
cette  surintendance;  et  luy,  qui  n'estoit  si  bon  œco- 
nome  comme  bon  guerrier,  changea  le  ménage  avec 
la  guerre,  qui  luy  estoit  plus  propre  ;  ainsy  que  le 
roy  François  I  sceut  très-bien  remonstrer  une  fois  à 
feu  M.  de  La  Pallice ,  dit  mareschal  de  Cha- 
banes,'  lequel,  désirant  (à  son  advènement  à  la  cou- 
ronne) récompenser  M.  de  Boissy,  qui  avoit  esté 
gouverneur  de  son  enfance,  et  ne  sçachant  estât  en 
son  royaume  plus  propre  pour  luy  que  celuy  de 
grand-maistre,  pria  M.  de  La  Pallice  de  luy  résigner 
l'estat  de  grand-maistre  qu'il  avoit  eu  du  roy 
Louys  XII,   et  qu'il  le  feroit  en  eschange  mareschal 

1.  En  lo78. 

vil  —  1 4 


210  M.  DE  LA  i\OUE. 

de  France,  estant  bien  plus  de  raison  que  luy^  qui 
toute  sa  vie  avoit  manié  les  armes,  eust  un  estât  qui 
luy  fust  plus  convenable  à  sa  profession,  à  son  mes- 
tier  et  exercice,  qu'un  autre  où  il  n'avoit  jamais  esté 
bien  ny  advenant  :  ainsy,  par  ces  belles  raisons, 
l'escliange  se  fict.  J'ay  dit  cecy  ailleurs*,  mais  c'est 
tout  un. 

M.  de  La  Noue  en  fit  de  mesmes,  lequel  quitta  le 
bureau  et  la  marmite,  et  l'économie  du  roy  de  Na- 
varre pour  aller  guerroyer  en  Flandres.  M.  d'Estrozze 
et  moy  le  vismes  partir  de  France;  et_,  sans  M.  d'Es- 
trozze, je  m'estois  desbauché  et  résolu  d'aller  avec 
luy;  mais  il  me  retint,  et  me  pria  de  n'y  aller  point. 
Que  maudicte  soit  l'heure  que  je  le  crus  !  car  je  se- 
rois  maintenant  mort  avec  gloire,  ou  je  vivrois  plus 
heureux  que  je  ne  suis.  Ce  n'est  pas  la  première 
fois  que  mondict  sieur  d'Estrozze  a  retardé  aucunes 
bonnes  fortunes  qui  se  sont  présentées  à  moy  ;  mais 
je  l'aymois  tant,  qu'il  disposoit  de  moy  comme  il 
vouloit. 

Voylà  donc  M.  de  La  Noue  en  Flandres,  oxi  il  fut  re- 
ceu  avec  une  très-grande  joye,  allégresse  et  admira- 
tion de  tous  les  Estats,  qui  pour  lors  avoient  une 
armée  de  cinquante  mille  combaltans.  Et  vint  bien  à 
poinct  d'avoir  recouvert  pour  ce  coup  un  si  grand 
capitaine,  d'autant  que  dom  Juan  d'Austrie  leur 
donna  pour  un  matin  une  camisade  si  chaude  et  si 
serrée,  que,  sans  la  bonne  conduicte  et  l'assistance 
de  M.  de  La  Noue,  et  la  vaillance  de  sept  ou  huit 

i .  Dans  la  première  rédaction  de  la  notice  sur  M.  de  Chièvres. 
Voyez  tome  1,  p.  218,  note. 


M.  DE  LA.  NOUE.  2H 

cens  François  qui  se  trouvèrent  là,  qui  ne  faisoient 
qu'arriver,  toute  leur  armée  estoit  deffaicte,  comme 
les  Espaignols  le  sceurent  très-bien  dire. 

Je  ne  conteray  point  les  beaux  exploicts  d'armes 
qu'il  a  faicts,  les  beaux  combats,  les  belles  rencontres, 
et  surtout  les  prises  de  villes  fortes  et  imprenables 
qu'il  a  emportées  par  surprises,  par  escalades,  voire 
en  plein  jour,  et  mesme  celle  où  il  prit  le  comte 
d'Aiguemont*,  bien  jeune  alors  en  tout,  mais  despuis 
qui  s'estoit  bien  faict,  ainsy  qu'il  le  monstra  derniè- 
rement en  la  battaille  d'Yvry,  où  il  mourut  à  la  teste 
de  ses  troupes,  aussy  vaillamment  que  jamais  homme 
mourut  en  guerre;  et  fit  bien  paroistre  qu'il  estoit 
fils  de  père,  et  que,  s'il  eust  vescu  autant  que  luy,  se 
fust  rendu  esgal  à  luy,  car  il  estoit  vaillant  ;  et  tout 
vaillant,  avec  le  temps,  et  si  nature  luy  donne  le 
loysir  de  vivre,  se  fait  grand  capitaine,  comme  je  le 
tiens  des  grands. 

Enfin,  comme  Mars  est  tousjours  douteux  autant 
que  dieu  qu'ayent  jamais  inventé  les  poètes,  tourna 
la  chance  à  M.  de  La  Noue,  et  fut  pris  en  une  ren- 
contre petite*;  petite  l'appellè-je ,  car  il  n'avoit 
qu'une  poignée  de  gens  :  et  de  ceste  rencontre  et 
prise  (de  laquelle  j'espère  parler  ailleurs)  estoit  chef 
le  marquis  de  Richebourg  ',  autrement  dict  le  mar- 
quis de  Ranty,  lequel,  au  commencement  que  M.  de 
La  Noue  alla  en  Flandres  (ainsy  que  je  le  tiens   de 


1 .  Le  comte  Philippe  d'Egmont  fut  surpris  dans  Ninove  par 
la  Noue  en  1580.  Voyez  de  ïhou,  liv.  LXXL 

2.  Lé  10  mai  1580  à  Ingelmunster.  Voyez  de  Thou,  liv.  LXXL 

3.  Robert  de  Melun,  marquis  de  Richebourg. 


212  M.  DE  LA  NOUE. 

plusieurs  capitaines  qui  estoient  avec  luy),  estoit 
fort  nouveau,  suivant  le  party  des  Estats,  et,  appre- 
nant ses  principales  leçons  de  M.  de  La  Noue,  se  ren- 
dit en  un  rien  si  bon  capitaine,  qu'il  est  mort  (ayant 
changé  sa  robe)  l'un  des  bons  que  le  roy  d'Espaigne  eust 
là-bas.  Il  mourut  à  cesteestacade  d'Anvers*;  j'espère  en 
parler  ailleurs,  pour  estre  l'une  des  belles  choses  qui 
aye  esté  faicte  en  ces  guerres  civilles  gauloises. 

Ledict  marquis  ne  traicta  mondict  sieur  de  La 
Noue  à  sa  prise  comme  il  devoit,  et  comme  le  dis- 
ciple le  devoit  à  son  maistre  ;  et  fit  fort  peu  de  cas 
de  luy,  comme  de  l'incognu  à  l'incognu.  Pour  fin,  il 
fut  livré  à  l'Espaignol,  qui  le  met  en  une  prison  si 
estroicte,  qu'il  n'en  sceut  jamais  sortir  qu'au  bout  de 
cinq  ans  et  demy,  qu'il  fut  délivré  par  le  moyen  de 
messieurs  de  Guy  se  et  Lorraine,  où  il  y  eut  de  très- 
grandes  cérémonies,  que,  sans  ces  deux  princes,  mal 
aysément  il  fust  sorty*.  Je  le  sçay  aussy  bien 
qu'homme  de  France,  pour  en  avoir  parlé  à  feu 
M.  de  Guyse  pour  luy  assez  de  fois  ;  et  la  première 

1.  Le  4  avril  1585,  les  Anversois,  assie'gés  par  le  prince  de 
Parme,  dirigèrent  des  brûlots  contre  une  estacade  construite  sur 
l'Escaut  et  qui  fermait  l'entrée  de  leur  port.  Cette  entreprise  ne 
re'ussit  qu'à  moitié.  L'un  des  brûlots,  en  éclatant,  fit  sauter  une 
partie  de  l'estacade  et  tua  envii-on  huit  cents  Espagnols.  Voyez  de 
ïhou,  liv.  LXXXIll. 

2.  Il  fut  échangé,  en  158S,  contre  le  comte  Philippe  d'Eg- 
raont,  aux  conditions  suivantes  :  Il  dut  promettre  de  ne  jamais 
servir  contre  Philippe  II  et  de  ne  porter  les  armes  contre  qui 
que  ce  fût  sans  l'ordre  du  roi,  et  de  plus,  comme  gage  de  sa 
parole,  fournir  une  caution  de  cent  mille  écus  d'or,  dont  se  ren- 
dirent garants  le  roi  de  Navarre,  le  duc  de  Lorraine  et  le  duc  de 
Guise.  (Voyea  de  Thou,  liv.  LXXXIII.) 


M.  DE  LA  NOUE.  213 

fois  ce  fut  à  la  chambre  de  la  reyne  à  Sainct-Maur, 
après  la  roulte  de  M.  d'Estrozze  vers  le  Portugal. 

Estant  donc  sorty,  et  accomply  quelques  solem- 
nitez  promises  en  sa  délivrance,  l'occasion  se  pré- 
sentant pour  servir  le  roy,  partit  de  Sedan  avec 
quelques  trouppes,  et^  se  joignant  avec  quelques  par- 
tisans du  roy  (comme  avec  M.  de  Longueville  le  gé- 
néral, et  qui  pour  son  aage  promettoit  d'estre  un 
jour  aussy  grand  capitaine  qu'aucun  de  ses  généreux 
ancestres),  il  vint  droit  à  Senlis^  que  pour  lors 
M.  d'Aumale  tenoit  estroictement  assiégé  ;  et,  encor 
qu'il  fust  beaucoup  plus  fort,  M.  de  La  Noue  ne  re- 
fusa le  combat  et  luy  livra  la  battaille,  si  bien  mise 
en  ordre,  si  bien  arrangée  et  si  bien  conduicte,  qu'il 
la  gaigne,  et  donne  la  chasse  audict  M.  d'Aumale  et 
à  ses  gens,  luy  en  deffaict  grande  quantité  morts  par 
terre,  et  lève  le  siège  de  Senlis  :  ce  qui  ne  fut  pas  un 
petit  service  et  léger  faict  au  roy,  d'autant  que  M.  du 
Mayne,  accompagné  d'une  armée  de  quinze  mille 
hommes,  tous  enragez,  désespérez  de  la  mort  de  leur 
brave  M.  de  Guyse,  et  tous  enflambez  pour  venger 
sa  mort,  avoient  donné  dans  les  faubourgs  de  Tours, 
les  avoient  faussez  et  fait  une  grande  escorne  au  roy, 
qui  n'estoit  assez  bastant  de  forces,  encor  qu'il  se 
fust  aydé  de  frais  de  celles  du  roy  de  Navarre;  car 
volontiers  on  quitte  un  vieil  ennemy,  et  s'ayde  de 
luy  pour  se  venger  du  nouveau.  Et  M.  du  Mayne  te- 
nant la  campaigne,  estant  bravigant  *,  car  c'est  la 
plus  belle  chose  qu'il  aye  faicte  en  ceste  guerre,  et 
sur  le  poinct  de  faire  encore  quelque  chose  de  nou- 

i .  Bravigant,  faisant  le  fanfaron  ;  en  italien  braveggiare. 


214  M.  DE   LA  NOUE. 

veau  et  de  plus  beau^  comme  d'empescher  Sa  Ma- 
jesté de  passer  la  Loyre,  et  le  cogner  de  deçà,  les 
nouvelles  vinrent  de  ceste  bataille  de  Senlis  gaignëe 
par  M.  de  La  Noue  :  non  que  je  veuille  dire  que 
M.  de  lia  Noue  seul  l'aye  gaignée,  car  je  ferois  tort 
au  brave  M.  de  Longueville  et  autres  braves  sei- 
gneurs qui  estoient  avec  luy;  mais  on  ne  sçauroit 
nier  qu'il  n'en  fustbien  l'autheur  du  gain,  à  cause  de 
sa  grande  suffisance  et  le  bel  ordre  qu'il  y  mit. 

Ces  nouvelles  donc  arrivées  au  camp  de  M.  du 
Mayne,  et  les  Parisiens  espouvantez  de  ce  grand 
choc  de  fortune,  mandèrent  viste  à  M.  du  Mayne, 
et  le  pressèrent  de  rebrousser  et  d'aller  à  eux  ;  ce 
qu'il  luy  fallut  faire,  estant  sur  le  poinct  le  plus  beau 
de  ses  affaires;  ce  qui  donna  le  temps  et  loisir  au  roy 
de  se  redresser,  se  renforcer  et  passer  la  rivière  à 
Gergeau  qu'il  força,  et  tira  droit  à  Paris;  à  sa  mal' 
heure  très-grande,  car  il  y  fut  tué. 

Or,  ainsy  que  j'allois  disant  et  publiant  les  louan- 
ges, valeurs  et  vertus  de  ce  grand  M.  de  La  Noue,  il 
y   eut  une  personne  de  la    compaignie,   que  je  ne 
nommeray  point,  ny  son  sexe,  mais  bien  sa  qualité, 
qui  estoit  grande  et  haute,  et  avec  cela   fort  spiri- 
tuelle, et  sçavoit  les  affaires  du  monde',  qui  me  prit 
par  la  main  et  m'arresta,  ne  voulant  permettre  que 
j'en  parachevasse   le  cours,   et  me  dit  :    <(  Certaine- 
«  ment,    M.  de  La  Noue   ne  se   sauroit  tant  louer 
M  comme  ses  mérites  le  portent;  mais  quand  l'on 
«  considérera  ses  ingratitudes,  dont  il  a  eu  le  blasme 
«  d'estre  fort  remply,  il  se  trouvera  fort    estrange- 

i .  Probablement  Marguerite  de  Valois. 


M.  DE  LA  NOUE.  21  î$ 

«  ment  souillé,  et  si  bien,  que  tant  de  belles  vertus 
((  qu'il  porte  sur  luy  ne  l'en  sçauroient  nullement 
K  laver;  car  il  faut  dire  que  c'est  le  plus  ingrat  gén- 
ie tilhomme  que  jamais  nasquit  en  France.  »  Et  ceste 
personne  disoit  qu'elle  le  tenoit  ainsy  du  roy  et  de 
la  reyne. 

Aux  premiers  troubles,  il  se  banda  du  tout  contre 
les  petits  enfants  du  roy  son  maistre,  qui  l'avoit 
nourry  page,  aymé,  eslevé  et  fort  chéri;  mesmes  que 
le  plus  souvent  il  ne  faisoit  guières  partie  à  la  paulme 
qu'il  n'y  appellast  La  Noue,  car  il  estoit  des  plus 
adroits  et  parfaicts,  mesmes  qu'on  ne  parloit  que  des 
revers  de  La  Noue,  qui  certes  estoient  beaux,  bien 
tirez  et  de  bonne  grâce,  et  d'une  terrible  force  ;  si 
bien  qu'il  le  faisoit  cognoistre  par  tous  ceux  de  sa 
cour.  En  temps  de  guerre,  s'il'  rompoit  une  lance,  il  * 
publioit  qu'il  en  avoit  rompu  trois;  qui  certes  estoit 
une  grande  bonté  et  faveur  de  maistre,  et  grande 
obligation .  au  subject.  Pour  récompence,  il  fît  la 
guerre  du  tout  en  tout  à  ses  enfants  mineurs. 

La  seconde  guerre ,  il  y  retourna  encor  et  prit 
Orléans,  comme  j'ay  dict.  Aux  troisiesmes  troubles, 
il  fut  pris  à  la  battaille  de  Jarnac,  duquel  M.  de 
Montpensier,  indigné  à  toute  outrance  contre  les 
huguenots  pour  leur  religion,  et  pour  luy  avoir  fait 
de  frais  quelques  petites  galanteries  à  la  prise  de  la 
ville  de  Mirebeau,  sollicitoit  fort  la  mort  ;  mais. 
Monsieur,  pour  lors  notre  général,  luy  sauva  la  vie, 
aussi  bien  là  comme  à  la  battaille  de  Montcontour, 
où  il  fut  pris  pour  la  seconde  fois. 

1.  S'il,  si  la  Noue.  —  2.  7/,  Henri  II. 


216  31,  DE   LA  iNOUE. 

Du  despuis,  après  le  massacre  de  la  Sainct-Bar- 
tliélemy,  le  roy  l'envoya  quérir  en  Flandres,  sortant 
du  siège  de  Mons  en  Haynaut,  le  remit  en  sa  grâce, 
le  remit  en  ses  biens,  en  ce  '  qu'il  aille  à  La  Rochelle 
et  persuade  aux  habitans  de  rentrer  en  leur  deue 
obéyssance  :  ce  qu'il  ne  fît  point,  mais  leur  per- 
suada le  contraire.  De  plus,  continuant  ses  mescon- 
noissances,  il  fut  un  des  principaux  ministres  qui 
persuada  à  Monsieur,  estant  à  La  Rochelle  (cela  est 
bien  vray),  de  s'esmouvoir  et  de  s'en  aller  de  la 
compaignie  de  M.  son  frère;  mais  le  coup  fut  rompu 
(j'en  dirois  bien  les  occasions)  jusques  à  ce  que  les 
armes  se  prindrent  au  mardy-gras,  que  mondict 
sieur,  frère  du  roy,  et  le  roy  de  Navarre,  furent 
descouverts  en  leurs  menées  à  la  cour,  et  par  ce  es- 
piez  et  tenus  de  près,  tant  par  la  providence  du  roy 
Charles  que  de  la  reyne.  Et  de  tout  en  estoit  cause 
M.  de  La  Noue,  pour  en  faire  jouer  le  jeu,  qui  pour- 
tant, nonobstant  que  ces  deux  grands  princes  fussent 
prisonniers,  luy  ne  laissa  à  mouvoir  et  faire  tous- 
jours  guerre,  et  trouver  inventions  et  moyens  pour 
faire  sortir  Monsieur  de  la  cour,  qu'il  alla  trouver  et 
persuader  beaucoup  de  choses  (comme  Monsieur  l'a 
dit  despuis)  contre  le  roy  et  l'Estat,  sans  la  bonté  de 
Monsieur  et  la  sagesse  de  la  reyne  mère,  qui  le  mit 
d'accord  avec  le  roy  son  frère,  et  le  remit  si  bien, 
qu'oncques  puis  ne  s'arma  contre  luy.  / 

Mais  le  rov  de  Navarre  prit  sa  place,  où  M.  de  La 
Noue  l'assista  tousjours  à  faire  la  guerre  contre  son 
roy,  jusqu'à   ce  que,  sentant  quelques  remords  de 

1 .  En  ce,  en  ce  but. 


M.  DE  LA  NOUE.  217 

conscience  en  soy^  pour  se  parjurer  si  souvent  et 
estre  ingrat  contre  Sa  Majesté,  que  j'ay  ouy  dire  par 
gens  qui  le  tenoient  de  luy,  qu'il  prit  la  résolution 
de  ne  plus  guerroyer  sa  patrie  et  son  roy,  ains  ail- 
leurs aller  porter  son  ambition  (car  il  en  a  eu  plus 
qu'homme  du  monde,  je  dis  d'honneur,  mais  non 
guières  de  grandeurs  et  de  biens)  en  pays  estranger. 
Parquoy,  s'en  alla  en  Flandres,  où  y  ayant  guerroyé 
quelque  temps  assez  heureusement  et  glorieusement, 
fut  enfin  prisonnier  de  guerre  et  confiné  dans  une 
prison  si  obscure,  si  estroicte  et  si  misérable,  qu'il 
n'en  attendoit  que  d'heure  à  autre  la  sentence  de  sa 
mort,  sans  aucun  espoir  d'en  sortir,  non  plus  qu'un 
pauvre  criminel  serré  dans  un  cachot,  jusqu'à  ce 
qu'au  bout  de  cinq  ans  et  demy  M.  de  Lorraine,  qui 
l'avoit  cognu  à  la  cour  fort  familièrement,  et  fort 
aymé,  et  joué  souvent  ensemble,  eut  compassion  de 
luy,  et  traicta  et  moyenna  si  favorablement  sa  déli- 
vrance à  l'endroit  du  roy  d'Espaigne,  qu'il  l'obtint 
contre  tout  espoir  humain. 

Ce  grand  M.  le  duc  de  Guyse  n'y  espargna  de  son 
costé  ny  sa  faveur  ny  son  labeur,  ainsy  qu'il  n'a 
sceu  s'engarder  d'en  dire  et  confesser  la  vérité  dans 
son  manifeste  et  déclaration*  qu'il  a   faicte    sur    sa 


1 .  Voyez  Déclaration  de  F.  de  la  Noue  pour  la  prise  d  armes 
et  la  défense  de  Sedan  et  de  Jainets,  Verdun,  1588,  in-S";  elle  a 
été  réimprimée  dans  les  Mémoires  de  la  Ligue,  t.  II,  p.  454-471, 
édit.  de  1590,  in-8°.  Le  duc  de  Bouillon,  Guillaume-Robert  de  la 
Mark,  avait  nommé  la  Noue  son  exécuteur  testamentaire  et  le  tu- 
teur de  sa  sœur  Charlotte,  et  celui-ci  eut  à  défendre  l'héritage 
de  sa  pupille  contre  les  prétentions  de  Charles  II ,  duc  de  Lor- 
raine. 


218  M.  DE   LA  NOUE. 

prise  des  armes  pour  la  deffense  des  villes  de  Sedan 
et  Jamets,  frontière  du  royaume  de  France,  et  soubs 
la  protection  de  Sa  Majesté.  I^a  substance  de  ces  pa- 
roles est  donc  telle  *  :  «  Que  monseigneur  le  duc  de 
a  Lorraine,  outre  autres  seuretez,  s'obligeoit  au  roy 
«  d'Espaigne,  pour  luy,  de  la  somme  de  cent  mille 
a  escus,  et  en  son  defFaut^,  un  prince  d'Allemagne 
«  ou  un  canton  des  Suisses  :  que  je  luy  consigne- 
ce  rois  aussy  mon  second  fils  pour  un  an  en  ostage  à 
«  sa  cour  :  davantage ,  que  ledict  sieur  et  mondict 
«  sieur  le  duc  de  Guyse  promettoient,  par  un  escrit 
«  à  part,  signé  de  leur  main,  que  je  ne  porterois  les 
«  armes  contre  le  roy  d'Espaigne.  De  tous  lesquelz 
«  liens  les  Espaignols  me  lièrent  comme  s'ilz  eus- 
«  sent  eu  à  craindre  qu'un  petit  soldat  comme  moy 
«  vinst  tost  ou  tard  à  altérer  le  cours  de  leur  vic- 
«  toire  :  duquel  pensement  j'estois  très-éloigné,  et  ne 
«  tendoit  mon  affection  qu'à  parvenir  jusques  en  ma 
«  maison  pour  m'y  reposer  et  rendre  grâces  à  Dieu 
(f  de  ce  qu'il  m'avoit  tiré  de  l'ombre  de  la  mort  et 
«  du  sépulchre.  Estant  arrivé  en  Lorraine,  je  com- 
«  muniquay  avec  lesdicts  princes,  pour  sçavoir  s'ilz 
«  me  vouloient  gratifier  de  ceste  obligation;  ce 
«  qu'ilz  m'accordèrent  très-libéralement,  moyennant 
«  que  Sa  Majesté  Très-Chrestienne  le  consentist; 
«  vers  laquelle  j'allay,  et  ne  pus  obtenir  son  con- 
«  sentement,  sinon  que  je  luy  promisse  de  ne  porter 
a  les  armes  sans  son  exprès  commandement  et  con- 
«  sentement,  ce  que  j'accorday  :  et  tout  aussitost 
«  elle  escrit  à  monseigneur  le  duc  de  Lorraine  qu'il 

1.  Voyez  Déclaration,  p.  436. 


M.  DE  LA  NOUE.  219 

«  pouvoit  respondie  pour  moy  au  roy  d'Espaigne; 
«  ce  qu'il  fit  avec  ces  conditions  :  que  je  luy  obli- 
«  gerois  cent  mille  escus  sur  tous  mes  biens  pour 
«  gage  de  son  obligation,  à  quoy  je  satisfis;  après, 
«  que  je  luy  promettois  de  ne  porter  armes  contre 
«  luy  et  son  Estât,  ce  que  je  luy  promis  aussi,  en  cas 
«  que  cela  ne  contrevinst  en  ce  que  je  devois  d'o- 
«  bëvssance,  de  servitude  et  de  fidélité  à  la  couronne 
«  de  France  et  au  roy  mon  souverain  seigneur.  Le 
«  tout  parachevé,  je  me  despartis  desdicts  princes, 
«  ayant  esté  bénignement  accueilly  d'eux,  et  m'en 
«  allav  à  Gènes ve,  où  je  choisis  ma  demeure  pen- 
«  dant  ceste  misérable  guerre.  Au  bout  de  deux 
«  mois,  mon  fils*,  que  je  retiray  d'auprès  du  roy  de 
«  Navarre,  arriva  vers  moy,  et  l'envoyay  en  ostage  à 
«  Nancv,  où  il  a  receu  de  la  courtoisie  tant  qu'il  y  a 
«  demeuré.  » 

Un  peu  avant  ces  paroles  escrites,  il  en  dit  d'au- 
tres qu'il  faut  bien  escrire  aussi,  qui  sont  telles^  :  «  La 
((  première  cause  du  bénéfice  de  ma  délivrance  fut 
«  la  bonté  de  Dieu  qui  se  souvint  de  mon  affliction  ; 
«  la  seconde,  le  prisonnier  que  je  tenois,  pour  lequel 
«  je  fus  eschangé,  qui  estoit  de  beaucoup  plus  grand 
«  prix  que  moy;  et  la  tierce,  l'obligation  de  cent 
«  mille  escus,  faicte  par  le  roy  de  Navarre  sur  ses 
«  biens  de  Flandres,  pour  la  seureté  de  ma  promesse 
a  de  ne  porter  jamais  les  armes  contre  le  roy  d'Espai- 
«  en  ses  pays.  » 

•1 .  Odet  de  la  Noue ,  seigneur  de  Téligny,  mort  à  Paris  en 
août  1618. 

2.  Voyez  Déclaration,  p.  455. 


220  M.  DE  LA  NOUE. 

Or,  sur  toutes  ces  paroles,  réplique  M.  de  Lor- 
raine :  que,  pour  la  première  cause  de  la  délivrance 
attribuée  à  Dieu,  il  passe  cela  fort  aysément,  d'au- 
tant que,  sans  la  bonté  divine,  tous  les  effects  hu- 
mains sont  très-inutiles  et  vains;  et  quant  à  la  se- 
conde touchant  l'eschange,  c'est  sçachans  tous,  et 
M.  de  La  Noue  ne  le  sçauroit  desnier,  ou  sa  femme 
ou  autres  personnes  qui  ont  négocié  pour  luy,  que, 
sans  les  entremises  et  prières  de  luy,  l'eschange  ne  se 
fust  jamais  fait;  car  le  roy  d'Espaigne  ne  le  voulut, 
ny  nostre  roy  ny  nostre  reyne,  qui  estoit  fort  proche 
du  prisonnier*,  qui  sollicitoit  fort  et  ferme  la  déli- 
vrance de  son  parent,  mais  nullement  l'eschange. 

Et  moy,  Branthome,  qui  escris  cette  histoire,  j'en 
puis  porter  asseuré  tesmoignage;  car,  comme  amy 
intime  que  je  suis  dudict  M.  de  La  Noue,  j'en  parlay 
au  feu  roy  à  Sainct-Maur,  un  peu  advant  les  nopces 
de  M.  de  Joyeuse*,  et  le  suppliay  pour  ayder  sa  li- 
berté. Il  m'en  refusa  tout-à-trac,  et  me  dit  sembla- 
bles mots  :  «  La  Noue  m'a  si  souvent  rompu  sa  foy, 
«  et  si  mal  recognu  les  grâces  et  les  plaisirs  que  je 
«  luy  ay  faicts,  que  jamais  il  n'en  recevra  de  moy.  » 
J'en  suppliay  la  reyne  sa  femme,  allant  un  jour  à  la 
messe  à  Sainct-Maur,  et  M.  de  Mercure,  estant  au 
dict  Sainct-Maur  un  jour  assis  près  de  luy  dans 
la  chambre  de  la  reyne  mère,  qui  me  firent  sem- 
blables responses,    me  reproclians   fort   son    ingra- 


i .  Le  prisonnier  dont  il  s'agit,  Philippe,  comte  d'Egmont,  e'tait 
neveu  de  xMarguerite  d'Egmont,  mère  de  la  reine  Louise. 

2.  Anne  de  Joyeuse  épousa  Marguerite  de  Lorraine,  sœur  de 
la  reine  Louise,  le  24  septembre  1581. 


M.   DE   LA  NOUE.  2-21 

titude,  encore  que  je  la  rabatisse  de  tout  ce  qu'il 
falloit.  Estoit  avec  moy  un  solliciteur  dudit  de  La 
Noue,  qui  estoit  un  grand  homme  blond,  qui  n'a- 
voit  à  la  cour  autre  recours  qu'à  moy.  Je  ne  sçay 
s'il  vit,  mais  luy,  lisant  cecy,  m'en  pourra  des- 
mentir. 

Il  y  avoit  aussi  un  autre  poinct  :  que  le  roy 
d'Espaigne  ne  vouloit  nullement  la  liberté  dudict 
M.  de  La  Noue,  ainsi  qu'il  paroist  bien  par  la  lon- 
gueur du  temps  qu'il  l'a  tenu  en  prison  et  par 
les  liens  eslroicts  dont  ledict  sieur  de  La  Noue  ad- 
voue  estre  lié  en  sa  capitulation,  estant  le  naturel 
du  roy  espaignol  de  se  craindre  et  de  se  deffai- 
re,  en  quelque  façon  qu'il  puisse,  d'un  grand  ca- 
pitaine qui  luy  soit  ennemy  et  peut  nuyre,  tes- 
moings  le  prince  d'Orange  et  autres,  et  aussi  de  gai- 
gner  et  de  rechercher  celuy  qui  beaucoup  luy  peut 
servir;  de  façon  qu'il  ne  faut  nullement  doubler  que, 
sans  les  grandes  importunitez  et  prières  de  M.  de 
Lorraine  et  de  M.  de  Guyse,  auxquels  il  portoit 
grande  amitié  et  faveur,  et  les  vouloit  gratifier  en 
tout  ce  qu'il  pouvoit  pour  s'en  servir  au  plus  grand 
besoing,  comme  il  a  faict  depuis  de  M.  de  Guyse, 
malaysément  fust-il  jamais  sorty;  jusques-là  que  l'on 
a  tenu  longtemps,  et  en  Espaigne,  et  en  France,  et 
en  Flandres,  qu'il  ne  se  pouvoit  trouver  aucun  es- 
change  pour  faire  avec  M.  de  La  Noue,  sur  sa  déli- 
vrance, quelque  grand  seigneur  espaignol,  flamand, 
italien  fust,  fors  le  prince  de  Parme,  s'il  venoit  à 
estre  pris. 

Voilà  donc  comment  sa  délivrance  estoit  du  tout 
désespérée  sans  M.  de  Lorraine,  ainsi  qu'il  ne  se  put 


222  M.  DE   LA  NOUE. 

engarder  de  le  dire  par  ces  mots  en  sadicle  déclara- 
tion :  «  Je  sçay  bien,  dit-il,  que  je  suis  accusé  d^estre 
«  ingrat  envers  mon  bienfacteur,  à  cause  que  je  porte 
((  les  armes  contre  lui;  mais  c'est  en  deffense  que  je 
«  ne  puis  abandonner,  sans  estre  convaincu  de  plus 
«  grande  ingratitude  envers  mon  pays  et  mon  roy '.  » 
Voilà  donc  comment  il  appelle  M.  de  Lorraine  son 
bienfacteur,  et  confesse  une  petite  ingratitude,  crai- 
gnant une  plus  grande. 

Quant  aux  cent  mille  escus  qu'il  allègue  estre  la 
troisième  cause  de  sa  délivrance,  ce  sont  abus;  car 
ilz  sont  autant  en  la  bourse  du  roy  d'Espaigne  com- 
me cent  grains  de  mil  dans  la  bouche  d'une  truye; 
et  que  se  soucie  ce  grand  et  riche  roy  de  cent  mille 
escus,  puisqu'il  en  a  tant  de  tous  costez,  qu'une  si 
petite  somme  ne  luy  est  jamais  en  ligne  de  compte, 
ny  mesmes  tumbée  en  ses  coffres?  De  sorte  que,  si 
M.  de  La  Noue  les  a  livrez,  ce  qui  n'est  encore, 
le  dict  roy  les  a  distribuez  et  donnez  libérallement 
aux  uns  et  aux  autres,  et  mesmes  à  ceux  qui  l'avoient 
pris  et  tenoient  en  garde,  encore  qu'il  les  eust  bien 
auparavant  récompensez  :  mais  les  récompenses  de 
ce  prince  à  l'endroict  de  ceux  qui  les  ont  méritées 
ne  portent  point  de  bornes.  Et  si  sadicte  Majesté  a 
fait  coucher  dans  les  articles  de  la  capitulation  les- 
dicts  cent  mille  escus,  c'a  esté  plustost  pour  ces  rai- 
sons que  j'ay  dictes,  on pro  forma  (comme  l'on  dit), 
que  pour  autre  cause,  ny  pour  les  mettre  dans  les 
coffres  de  son  espargne.  Et  jamais  homme  d'esprit 
qui  entend  les  affaires  du  roy  d'Espaigne  ne  tiendra 

1 .  Voyez  Déclaration^  p.  465.  ' 


M.  DE  LA  ^OUE.  223 

ceste  maxime  :  que  c'estoit  pour  les  consigner  dans 
ses  coffres  ny  pour  s'en  prévaloir. 

Outre  ces  raisons,  ledict  M.  de  La  Noue  dit  *  :  que 
M.  de  Bouillon  venant  à  mourir  à  Genesve,  après  la 
routte  de  sa  grande  et  incroyable  armée  qu'il  avoit 
emmenée  en  France*,  il  pria  ledict  M.  de  la  Noue, 
qui  estoit  là  pour  lors  résidant,  de  prendre  la  tutelle 
de  mademoiselle  de  Bouillon,   sa  sœur,  estant  pu- 
pille,  ce   qu'il  accepta  très  volontiers,    plus  certes 
par  le  désir  qu'il   avoit  de  faire  desplaisir  à  M.   de 
Lorraine  (ainsi  qu'il  le  monstra  )  que  pour  curiosité 
du  bien  et  de  la  personne  de  la  fille  ;  car  d'obligation 
à  M.  de  Bouillon  n'en  avoit-il  aucune,  sinon  qu'ilz 
estoient  d'une  mesme  religion  :  car  d'avoir  sollicité 
pour  sa  liberté,   d'avoir  respondu  pour  sa  rançon, 
comme  M.  de  Lorraine,  rien  moins  que  cela.  Davan- 
tage, il  sçavoit  bien  que  M.  de  Lorraine  faisoit  la 
guerre  aux  terres  de  la  fille,  et  tenoit  Jamets  assiégé. 
Ce  n'estoit  donc  que  pour  endommager  M.  de  Lor- 
raine, et  luy  faire  la  guerre  de  gayeté  de  cœur.  En- 
core, s'il  y  fust  esté  contraint,   ou  de  force,  ou  de 
crainte,  ou  de  parenté,   ou  d'obligation,   ou  autre 
chose,  ou  bien  que  de  longtemps  avant   il  eust  esté 
chargé  de  ceste  tutelle,  certainement  il  avoit  quelque 
occasion  et  raison  de  s'en   acquitter  et  faire  valoir, 
et  s'ayder  des  raisons  des  jurisconsultes,  qu'il  allègue 
tant  en  sa  déclaration,  par  lesquelles  le   tuteur   est 
obligé  et  lié  estroictement  pour  son  pupil  ou  pupille. 
Mais,  sur  la  plus  chaude  colle  qu'il  venoit  de  recep- 

i.   Voyez  Déclaration,  p.  459. 

2.  En  lo87.  Voyez  de  Thou,  liv.  LXXXVII. 


224  M.   DE    LA  NOUE. 

voir  des  bienfaicts  de  M.  de  Lorraine,  il  s'est  allé 
charger  de  ceste  charge,  afin  d'avoir  meilleure  cou- 
leur pour  couvrir  sa  mécognoissance. 

Il  est  bien  vrai  qu'il  monstra^  par  apparence  et 
quelques  effects  feincts,  qu'il  vouloit  faire  accord 
entre  ces  deux  maisons  de  Lorraine  et  Bouillon,  qui 
de  longue  main  s'en  veulent  à  cause  de  leurs  biens 
naturels  de  Bouillon,  jadis  aliénez  si  honnorablement 
par  leur  brave  ayeul  Godefroy  *  pour  la  guerre 
saincte;  mais  soubs  main  il  entretenoit  toujours  le 
brazier,  comme  il  parut  :  car  luy  estant  recherché 
par  M.  de  Lorraine  du  vray  moven  pour  à  jamais 
rendre  ces  deux  maisons  amyes  et  unies,  de  faire  le 
mariage  entre  M.  de  Vaudemont*,  troisiesme  fils  de 
M.  de  Lorraine,  beau  et  gentil  jeune  prince,  il  en 
fit  response  telle  qu'elle  luy  pleut,  par  un  très  maigre 
mot;  mais  pourtant  aprrs  il  ne  se  peut  engarder  de 
dire  qu'il  seroit  bien  à  desloysir  '  d'accorder  ce  ma- 
riage, veu  qu'ilz  estoient  divers  de  religion,  et  que 
jamais  il  ne  l'accorderoit  à  personne  quelconque 
qu'il  ne  fust  de  la  sienne.  S'il  fust  esté  accordé  avec 
ce  prince  de  Vaudemont  pourtant,  il  eust  fait  un 
œuvre  bon  et  pie,  pour  avoir  mis  en  paix  ces  deux 
maisons.  Voilà  les  raisons  que  M.  de  Lorraine  allègue. 

Quant  à  M.  de  Guy  se,  M.  de  La  Noue  confesse  et 
advoue  dans  sa  déclaration  luy  avoir  pareille  obli- 
gation qu'à  M.  de  Lorraine.  Il  le  peut  bien  dire,  se- 


1 .  Godefroi  de  Bouillon. 

2.  Charles  de  Vaudemont,   second  fils  de  Charles  H,   duc  de 
Lorraine . 

3.  Desloysir,  loisir. 


M.  DE  LA  NOUE.  225 

Ion  les  eflects  qui  s'en  sont  ensuivis.  Et  croy  que  c'a 
esté  luy  qui  le  premier  en  a  ouvert  le  propos  de  sa 
délivrance,  et  le  premier  travaillé,  et  vais  dire  com- 
ment. Environ  deux  ans  devant  qu'il  sortist,  estoit 
allé  un  gentilhomme  italien  aux  bains  de  Spa,  lequel 
estoit  à  M.  de  Guyse,  non  pour  besoing  qu'il  eust 
d'y  aller,  mais  pour  y  conduire  une  maistresse  dont 
il  estoit  serviteur.  Je  ne  puis  pas  bien  me  souvenir 
du  nom,  je  l'ay  oublié;  mais  il  estoit  de  haute  taille 
et  noiraud.  Son  chemin  fut  de  passer  par  Limbourg 
où  estoit  M.  de  La  Noue  prisonnier,  11  luy  prit  envie 
de  sonder  s'il  pourroit  entrer  dans  le  cliasteau;  et 
ayant  fait  sçavoir  au  capitaine  que  c'estoit  un  gentil- 
homme qui  estoit  à  M.  de  Guyse,  et  Ferrarois,  et 
qu'il  demandoit  à  luy  baiser  les  mains  et  voir  le 
chasteau,  si  son  plaisir  tel  estoit,  le  capitaine  ayant 
entendu  ses  qualitez  le  iist  entrer  aussytost;  car  s'il 
fust  esté  François  ou  à  un  autre  que  M.  de  Guyse, 
la  porte  luy  eust  été  fermée.  Estant  donc  entré,  après 
avoir  salué  le  capitaine  et  l'avoir  entretenu,  et  veu 
à  plaisir  le  cliasteau  et  la  forteresse  qui  est  très-belle, 
que  le  duc  Charles,  dernier  de  Bourgogne,  avoit  faict 
bastir,  il  le  mena  voir  M.  de  La  Noue,  lequel  pour 
lors  avoit  esté  cslargy,  et  ne  tenoit  si  estroicte  prison 
ny  cruelle  comme  auparavant.  Et,  s'estant  mis  à  l'ar- 
raisonner, M.  de  La  Noue,  sçachant  qu'il  estoit  à 
M.  de  Guyse,  le  pria  de  luv  dire  qu'il  eust  pitié  de 
luy  et  qu'il  l'avdast  à  le  tirer  de  ces  ténèbres  et  mi- 
sères, s'asseurant  qu'il  n'y  avoit  ny  roy  ny  prince  en 
la  chrestienté  qui  le  peust  faire,  sinon  luy,  pour  la 
belle  opinion  et  estime  qu'avoit  le  roy  catholique  de 
luy,   et  la  grande  faveur  et  amitié  qu'il  luy  portoit; 

vu  —  15 


226  M.  DE  LA  NOUE. 

que  bien  difficile  seroit  la  chose  s'il  ne  l'oblenoit  de 
luy,  car  il  le  sçavoit  bien ,  et  que  s'il  luy  plaisoit  Sa 
Majesté  supplier  pour  luy  et  sa  liberté,  qu'il  l'obtien- 
droit  facilement  :  que  si  sa  bonté  estoit  telle  et  si 
généreuse  envers  luy  que  de  l'obliger  de  ceste  déli- 
vrance, qu'à  tout  jamais  il  employeroit  sa  vie,  ses 
moyens  pour  luy  faire  service  ;  et  que  quand  il  auroit 
parlé  à  luy,  qu'il  luy  monstreroit  au  doigt  et  qu'il 
ouvriroit  les  moyens  par  lesquelz  il  luy  en  pourroit 
faire  beaucoup. 

Ce  gentilhomme  ne  faillit,  aussytost  tourné  en 
France  et  à  la  cour  (qui  estoit  alors  à  Sainct-Maur), 
rapporter  toutes  ces  paroles  à  M.  de  Guyse,  lesquelles 
mondict  seigneur  me  fit  cest  honneur  de  me  dire,  à 
moy,  dis-je,  Branthôme,  qui  escris  cecy,  d'autant 
qu'il  m'aymoit  et  me  tenoit  pour  son  serviteur  assez 
privé,  et  me  le  dit  de  telle  façon.  Un  jour  qu'il  en- 
troit  en  la  chambre  de  la  reyne  mère  du  roy,  et  ce 
gentilhomme  après  luy,  Fhuyssier  de  chambre  de  la- 
dicte  reyne,  nommé  M.  de  Virard,  autrement  dict 
Gorge,  qui  avoit  esté  à  madame  de  Nemours,  me 
dit  :  «  Voilà  un  gentilhomme  qui  vient  de  voir  M.  de 
«  La  Noue  vostre  grand  amy,  qui  vous  en  dira  des 
M  nouvelles,  et  ce  qu'il  a  apporté  de  sa  prison  à 
«  M.  de  Guyse.  » 

Alors  moy,  voyant  M.  de  Guyse  à  la  ruelle  du  Ht 
de  la  reyne,  et  fort  à  desloysir,  je  vins  à  luy  et  dis  : 
«  Monsieur,  vous  avez  sceu  des  nouvelles  de  M.  de 
«  La  Noue  par  un  gentilhomme  qui  l'a  veu?  — 
«  Ouy,  mon  fils  (encore  que  je  fusse  bien  esté  son 
«  père;  mais  il  m'appeloit  ainsi  quelquesfois),  me 
«  respondit  M.  de  Guyse  fort  familièrement,  j'en  ay 


M.  DE  LA   XOUE.  227 

«  sceu;  «  et  me  raconta  tous  ces  mesmes  propos 
que  j'ay  cy-dessus  escrits.  Alors  je  luy  dis  libre- 
ment :  «  Monsieur,  et  vous  qui  estes  si  généreux, 
«  brave  et  vaillant,  ne  voulez-vous  pas  faire  quelque 
«  chose  pour  vos  semblables?  M.  de  La  Noue  l'est 
«  tel  :  vous  le  soavez,  vous  l'avez  veu  aux  affaires  ; 
«  oblii^ez-le  à  vous  par  un  tel  bienfaict.  »  Il  me  res- 
pondit  :  «  Je  le  voudrois  bien,  mon  grand  amy,  car 
((  le  pauvre  homme,  qui  est  un  si  grand  capitaine, 
a  me  fait  pitié;  mais  je  m'asseure  que  le  roy  m'en 
«  voudroit  mal;  car  il  ne  l'ayme  point,  et  se  plaint 
K  fort  de  luy,  et  si  s'entend  avec  le  roy  catholique 
«  pour  la  grande  longueur  et  détention  de  sa  prison. 
(c  —  Vous  avez  raison,  monsieur,  luy  répliquay-je, 
a  car  je  suis  esté  si  hardy  d'en  parler  à  Sa  Majesté, 
«  qui  m'a  rabroué  bien  loing,  me  disant  que  c'es- 
«  toit  un  ingrat,  et  qu'il  estoit  bien  là  où  il  estoit  et 
«  là  où  il  luy  falloit,  et  que  je  ne  luy  en  parlasse 
(c  plus.  »  Toutesfois  continuay-je  à  M.  de  Guyse  luy 
dire  :  «  Ne  laissez  pour  cela,  monsieur,  à  vous  em- 
«  ployer  pour  cest  honneste  homme  ainsy  captif 
«  misérablement  ;  Dieu  et  le  monde  vous  en  sauront 
«  bon  gré,  et  si  l'obligerez  à  vous  immortellement  ; 
«  et  pourrez  faire  cela  soubs  bourre,  si  finement  et 
«  excoitement  que  l'on  n'en  sentira  que  le  vent.  » 
M.  de  Guvse,  alors  me  regardant  d'un  bon  œil  : 
K  Laissez  faire,  dit-il,  nous  ferons  quelque  chose  si 
«  nous  vivons.  »  Et  despuis  me  disoit  souvent  :  «  Je 
a  croy,  monsieur  de  Bourdeille  (car  il  m'appeloit 
«  tousjours  ainsy),  que  nous  ferons  quelque  chose 
«  pour  nostre  homme;  j'y  ai  mis  déjà  de  bons  fers 
«  au  feu.  j) 


228  M.  DE  LA  NOUE. 

Je  crois  qu'il  s'y  employa  bien  aussy  pour  M.  de 
La  Vallée^  qui  avoit  esté  gentilhomme  de  la  chambre 
de  M.  le  cardinal  de  Lorraine,  et  son  grand  gouver- 
neur autrefois,  et  appartenoit  de  quelque  chose  à 
M.  ou  à  Mme  de  La  Noue  :  et  si,  quelque  temps 
avant,  il  avoit  employé  ledict  M.  de  Guyse,  au  mas- 
sacre de  la  Sainct-Barthélemy,  pour  les  enfants  du- 
dict  M.  de  La  Noue  qui  avoient  esté  faicts  prison  - 
niers,  pour  lesquels  le  dict  M.  de  Guyse  s'employa, 
ainsi  qu'il  me  le  dit  une  fois  aux  Thuilleries.  J'allè- 
gue tous  ces  noms  et  circonstances,  afin  qu'on  ne 
me  trouve  point  menteur  ou  controuveux*. 

Enfin  tant  y  a,  mondict  sieur  de  Guyse  a  si  bien 
servy  M.  de  La  Noue  en  cecy,  qu'il  le  faut  dire  le 
premier  autheur,  et  M.  de  Lorraine.  Je  ne  sçay 
comment  il  n'a  reeognu  ce  bienfaict  à  l'endroict  de 
M.  de  Guyse  despuis.  Je  pense  qu'il  n'eut  loysir  de 
luy  estre  cognoissant';  carie  jDauvre  prince  vint  à 
estre  tué  à  Blois.  Bien  est  vray  que  MM.  de  Lor- 
raine et  de  Guyse  estoient  si  proches,  si  unis,  si  alliez 
en  ceste  guerre,  que  qui  frappoit  l'un  frappoit  l'au- 
tre :  et,  à  ce  que  j'ay  ouy  dire  à  une  personne,  mon- 
dict sieur  de  Guyse  n'en  estoit  guières  content;  mais 
il  ne  publioit  pas,  car  il  estoit  très-sage  et  retenu 
prince.  Il  n'y  a  eu  que  M.  de  I^orraine  qui  s'en  soit 
ressenty,  et  M.  d'Aumale  à  la  bataille  de  Senlis,  où 
M.  de  La  Noue  luy  cousta  bon.  Voilà,  en  sommaire, 
les  bienfaicts  de  ces  deux  princes  et  les  mesconten- 
temens  de  l'un  et  de  l'autre. 


i .  Controuveux ,  diseur  de  choses  controuvées. 
2.  Cognoissant,  reconnaissant. 


M.  DE  LA  NOUE.  229 

Sur  ce  discours _,  il  y  eut  un  gentilhomme  en  la 
compaignie  que  j'ay  dit  qui  prit  la  parole,  car  il  sça- 
voit  très-bien  dire,  et  avoit  un  très-bon  esprit,  qui, 
alléguant  les  raisons  de  M.  de  La  Noue  qu'il  met  en 
sa  Déclaration^  se  mit  à  proposer  une  question,  et  à 
la  delTendre  fort  et  ferme  :  à  quoi  l'on  est  plus  tenu, 
ou  à  son  bienfacteur,  et  à  faire  pour  luy,  ou  à  sa  pa- 
trie et  à  son  roy,  et  pour  eux  s'employer.  M.  de  La 
Noue,  dit-il,  a  porté  pour  ses  plus  belles  raisons 
qu'il  sçait  bien  qu'on  l'accusera  d'estre  ingrat  envers 
son  bienfacteur,  à  cause  qu'il  porte  les  armes  contre 
luy  ;  mais  c'est  en  deffense  qu'il  ne  peut  abandonner 
sans  estre  convaincu  de  plus  grande  ingratitude  à 
son  pays  et  à  son  roy.  Voylà  donc  comment  il  se 
convainc  d'ingratitude,  puisqu'il  nomme  l'autre  plus 
grande  ingratitude  :  et  allègue  ce  brave  bastard  d'Or- 
léans, la  Hire  et  Poton,  qui  deffendirent  si  brave- 
ment le  royaume  de  France  qui  estoit  tout  en 
bransle  et  combustion.  «  Vraiement!  il  en  doit  bien 
«  faire  la  petite  bouche ,  de  sa  patrie  et  de  son 
«  roy  »,  dit  le  gentilhomme.  «  Cela  seroit  bon  si  jamais 
«  il  n'avoit  porté  les  armes  et  contre  sa  patrie  et 
«  contre  l'un  et  l'autre,  et  contre  son  roy  qu'il  faut 
«  chèrement  chérir,  et  luy  qui  estoit  des  plus  vail- 
«  lans  et  meilleurs  chefs  de  la  trouppe,  s'il  n'eust 
«  aydé  à  les  ruyner,  et  les  mettre  du  tout  en  bransle. 
«  Sans  cela,  ses  raisons  seroient  très-bonnes  et  nul- 
a  lement  dissimulées,  et  luy  digne  de  s'accomparer 
«  en  lojauté  à  ces  braves  capitaines,  qu'il  a  mis  en 
«  avant  pour  son  mirouer,  s'il  eust  fait  comme  eux, 
«  qui,  de  leur  vie,  ne  desgainèrent  l'espée  contre  leur 
«  roy  et  leur  patrie;  comme  a  faict  M.  de  La  Noue, 


230  M.  DE  LA  NOUE. 

a  qui,  par  l'espace  de  vingt  ans,  n'a  faict  que  Irem- 
«  per  la  sienne  clans  les  entrailles  de  ses  plus  fidèles 
«  nourrissons.  »  Et,  quand  tout  est  bien  dict,  il 
n'avoit  si  grande  ol)ligation,  ny  à  son  roy,  ny  à  sa 
patrie,  qu'il  le  chante  si  haut;  car,  l'un  et  l'autre  l'ont 
désiré  cent  fois  mort,  s'il  eust  eu  autant  de  vies.  El 
croy  fermement  que,  sans  feu  M.  de  Mai'tigues,  aux 
deux  batailles  que  j'ay  dict  ci-devant,  où  il  fut  pris_, 
il  eust  passé  le  pas;  mais  M.  de  Martigues  disoit  tou- 
jours au  roy,  qui  estoit  alors  Monsieur,  nostre  géné- 
ral :  «  Monsieur,  vous  savez  que  je  vous  ay  toujours 
«  dict  que  jamais  je  ne  vous  parlerois  ny  importune- 
«  rois  pour  huguenot  du  monde,  sinon  pour  mon 
«Breton  (ainsy  appeloit-il  tousjours  M.  de  La 
«  Noue).  Sur  tout  je  vous  demande  sa  vie,  »  qui  luy 
estoit  librement  octroyée,  pour  les  mérites  dudict 
sieur  de  Martigues  :  par  quoy,  tout  ainsy  que  Mon- 
sieur estoit  la  cause  efficiente  à  luy  sauver  la  vie, 
M.  de  Martigues  estoit  la  mouvante  :  et  pour  récom- 
pense, sur  la  fin  de  ses  jours  il  entreprit  et  prit  la 
charge  du  roy  pour  aller  en  Bretaigne  faire  la  guerre 
à  outrance  à  sa  femme,  et  à  sa  fille  et  à  son  gendre'; 
que  j'ay  ouy  dire*  à  plusieurs  de  sa  religion,  lesquels 
sçachant  l'obligation  qu'il  avoitàce  seigneur,  ne  de- 
voit  pour  tous  les  biens  du  monde  prendre  ceste 
charge  du  roy,  ainsy  s'en  excuser  justement,  et 
ailleurs  aller  faire   la  guerre.  Aussy  dit-on  que  par 

1 .  Philippe-Emmanuel  de  Lorraine,  duc  de  Mercœur,  qui  avait 
épousé  en  1575  Marie  de  Luxembourg,  fille  de  Sébastien  de 
Luxembourg ,  duc  de  Penthièvre ,  vicomte  de  Martigues  (mort 
en  15G9)  et  de  Marie  de  Beaucaire. 

2.  C'est-à-dire  :  et  comme  j'ay  ouy  dire il  ne  devoit 


M.  DE  LA  NOUE.  «1 

ostf  jugement  de  Dieu,  comiBe  par  ialak:  pimiliofi, 
j  fut  tue  a  la  première  TÛle  qalà <Mlic|>it^  qm  «toit 
du  pfîaeifal  patrimoîiie  dadiet  aagoeur  de  Marli- 
^e&,  qa^oD  noaBne  LaanbaEe.  Axt^i  on  dit  qn'il  en 
pnopbéàa  sa  flMxt,  aflanl  en  ee  voyage  ;  cr  car,  «ti- 
c  «oît-iL,  îe  m^^o  Ta»  ■loanr  en  akhi  ciste,  r-nmar 
t' le  bon  lièvre-  j»  Son  coup  luy  lut  a  la  teste,  q«î 
-sloit  aœ  lurqpeinttSfede,  et  n'en  ikisoit  compte; 
Biais  an  boot  de  trois  jours  il  xnoarut.  Ycms  diriez 
qne  les  wbks  totàiet  goenieres  et  b&oillaijtes  de 
'L  de  Martignes,  eoHOBe  il  estoit  tfBBÊÊà  ii  TÎToit, 
irrilèreot  el  iarmmal  de  tdUe  êiôod  eoolre  luy. 
Or,  pgor  toomer  à  nostre  qaestîoQ  entreprise, 
a|xèB  avoir  toot  bien  eostâd^é,  i|aeile  dbiig;aliDii 
powoDSiOoas  avoir  à  ooOre  pairie  si  gnmde,  qaVIe 
ikoos  lasse  tanl  otibfier  loiites  les  aiftres,  on  nos 
hitwâae)lma%  mmioità,'^  esr^  et  qui  soMuacs-acwB  «a 
ooiiir  natale  terre,  «nott  no  vray  exmymrtrt  d^yeefle^ 
prodflk  tljefUe  hors  de  ses  entraSes 
vcaj  esieraBeiii?  T  a-t-îl  dooe  tant  à 
ariies  de  Ivy  esire  obi%ez  ?  Je  Toudi-ois  biea 
qBcSe  cAiigatioH  peut  avoiir  une  ar'dtire  ^en  révérence 
paffant  de  ecÊOL  et  eefies  qm  m'oyenl]  n  nostre  fxnrpi, 
poor  rarar  jette  liors  de  scn  ?  Tant  s'eo  fuit,  qoè  le 
corps  est  pins  ob&gé  à  FeiitrDD  de  s^en  estre  jette  £- 
bfiCTMnt,  qoe  d'entre  deatearé  dedans  pcmr  l'infecter 
tfTnrthrgr  et  Iny  porter  et  causer  4|iielc|ae  p*osse  loa- 
ladie.  Eslaas  doue  tek  exen»&ens,  tcAes  ordores  et 
poorr^oRS  jeOees  de  là,  noos  ae  Inr  avons  pas  phu» 
d^ob^plîoo  pour  immk  jeter  ddbors,  4|Be  pour  ncias 
repcevoir  drdans  yd  noos  so— es  mui  1s.  Eœore 
las  lOMs  à  ele  lompi^cle  ooss  reçok 


232  M.  DE   LA  NOUE. 

et  nous  enterre,  pour  nous  délivrer  de  tant  de  maux 
que  nous  pâtissons  en  ce  monde,  que  lorsqu'elle  nous 
y  produit,  pour  y  tant  endurer,  pâlir  et  travailler. 

Les  législateurs  et  les  rois,  les  communautez  et  res- 
publiques,  pour  se  conserver,  sont  allez  trouver  ces 
inventions,  qu'il  n'y  avoit  rien  si  beau  et  si  honora- 
ble que  deffeudre  la  patrie  et  mourir  pour  elle  et  pour 
eux.  Certainement  il  est  vray,  et  rien  n'est  plus  doux, 
comme  dit  Horace  *,  diitce  pro  patria  mori^  c'est-à- 
dire,  mourir  pour  le  pays.  Mais  aussi  d'y  estre  si  es- 
troictement  liez  que  l'on  en  doive  quitter  tous  autres 
debvoirs  et  obligations,  ce  sont  abus. 

Les  Romains  qui  ont  été  les  premiers  qui  ont  fait 
valoir  ceste  coustume,  et  qui  l'ont  tant  louée  et  ap- 
prouvée, s'en  sont  bien  fourvoyez  autrefois;  tes- 
moings  Coriolanus,  Sertorius,  Sylla,  Marins,  César, 
Pompée,  Anthoine,  Brutus,  Cassius,  et  une  infinité 
d'autres  autheurs  et  fauteurs  de  guerres  civiles  ;  non 
que  je  veuille  dire  qu'ilz  firent  bien  de  destruire  et 
ruyner  leur  patrie;  mais,  plusieurs  en  ont  eu  très- 
grandes  occasions  de  îdive  à  l'encontre  d'elle,  qui  a 
esté  autant  subjecte  aux  mescognoissances  et  ingra- 
titudes que  tous  autres  pays  ;  tesmoings  ces  pauvres 
Coriolanus,  Sertorius,  Lucullus,  Scipion,  et  une  in- 
finité d'autres,  desquels  les  noms  seroient  trop  longs 
à  descrire. 

Ce  que  je  dis  des  patries,  il  s'en  peut  dire  de 
mesme  des  roys,  lesquels,  pour  le  plus  grand  artifice 
qu'ils  sont  allez  trouver  pour  se  maintenir  et  agran- 


1.  Dulce  et  décorum  est  pro  patria  mori. 

(Horace,  Odes,  liv.  III,  ii.^ 


M.  DE  LA  NOUE.  233 

dir,  c'est  d'avoir  inventé  que  nos  vies  estoient  à  eux, 
desquelles  ilz  s'en  servent,  et  de  nous,  comme  de 
monnoye  d'or  et  d'argent,  qu'ilz  font  trotter,  aller, 
virer,  tourner,  dépositer*  de  la  mesme  façon  les  uns 
comme  les  autres;  et,  après  qu'ilz  en  ont  faict,  ilz 
nous  plantent  là,  et  ne  s'en  soucient  plus.  Ainsy  que 
je  me  plaignois  d'un  prince  qui  m'estoit  tenu  et  à  qui 
j'avois  faict  deux  bons  services.  «  Ne  sçavez-vous 
«  pas,  dit-il,  que  ces  grands,  quand  ilz  ont  faict  des 
«  personnes,  ilz  les  quittent?  »  Ce  qui  ne  se  doit  pas 
faire  pourtant;  car  roy  et  subjects  sont  nomma  re- 
lata, en  françois  noms  relatifs,  ce  disent  les  dialec- 
titiens;  c'est-à-dire  qui  sont  conjoincts  et  qui  se  rap- 
portent ensemble  ;  car,  tout  ainsy  que  le  subject  est 
tenu  de  servir  son  roy,  aussi  le  roy  est  tenu  d'aymer, 
maintenir  et  caresser  son  subject. 

Il  est  bien  vray  pourtant,  et  pour  en  parler  plus 
sainement,  que  le  subject  est  plus  estroictement  lié  à 
son  roy.  Toutesfois,  le  roy  ne  le  doit  abandonner 
en  sa  nécessité,  ny  gourmander  ou  tyranniser;  au- 
trement il  met  en  désespoir  le  subject  de  faire  beau- 
coup de  choses  qu'il  ne  devroit  ni  ne  voudroit; 
ainsy  que  fut  contrainct  ce  grand  prince  de  Melfe*, 
lequel,  après  avoir  faict,  luy  premier  et  quasi  le  der- 
nier du  royaume  de  Naples,  ce  que  bon,  loyal  et 
vaillant  subject  pouvoit  faire,  assailly  dans  sa  ville 
pillée  et  forcée,  et  luy  pris  prisonnier,  jamais  ne 
pouvant  obtenir  de  l'empereur  un  seul  denier  pour 
payer  sa  rançon,  fut  contrainct  d'avoir  recours  au 

J.  Depositer,  déposer;  de  l'espagnol  depositar. 
2.  Voyez  son  article,  tome  II,  p.  226. 


234  M.  DE  LA  NOUE. 

roy  François,  de  la  luy  demander  et  la  gaigner  ainsy, 
en  se  soubmeltant  à  son  service,  et,  se  desgageant 
du  gage,  du  debvoir  et  hommage  de  fidélité  qu'il  deb- 
voit  à  son  prince,  porter  les  armes  pour  luy,  qu'il 
porta  si  heureusement  et  si  vaillamment  et  fidèlement, 
qu'il  en  fut  faict  mareschal  de  France  et  gouverneur 
de  Piedmont ,  le  principal  pays  pour  lors  de  la 
France,  et  autant  scalabreux,  et  où  il  debvoit  estre 
commis  un  des  fidèles  subjects  natifs  propres  de  la 
France  ;  qui  estoit  cause  qu'on  trouvoit  estrange  une 
telle  eslection,  là  en  un  pays  estrange  ;  et  pourtant 
luy  s'en  acquitta  mieux  et  avec  plus  de  loyauté 
qu'un  naturel  et  propre  françois.  Si  telle  occasion 
de  se  révolter  ne  fust  esté  juste,  et  qu'on  l'eust  trou- 
vée pour  ingratitude  ou  trahison,  jamais  le  roy  ne 
s'en  fust  servy  de  ceste  façon. 

Un  peu  auparavant  luy,  en  avoit  fait  de  mesmes 
don  Pedro  de  Navarre^,  qui  le  prit  dans  Melfe; 
lequel,  après  avoir  faict  beaucoup  de  services  à  sa 
patrie  et  à  ses  roys,  tant  en  Barbarie  contre  les  infi- 
dèles que  contre  les  chrestiens,  venant  à  estre  pris 
à  Ravenne,  n'ayant  pu  finer  d'un  seul  denier  pour 
se  délivrer  de  captivité,  il  fut  contrainct  de  quitter 
son  party,  embrasser  celuy  du  roy  François.  J'en 
alléguerois  un'  infinité  d'autres  exemples,  et  mesmes 
de  ceux  de  Milan  et  de  Naples,  lorsque  nos  derniers 
roys  les  tenoient.  Quand  ilz  les  sont  venus  à  perdre 
et  à  changer  de  fortune,  ont  changé  de  volontez,  et 
pris  l'occasion  de  victoire;  et  n'ont  point  advisé  si 
Naples  et  Milan  appartenoient  de  juste  droict  à  nos 

i.  Voyez  tome  I,  p.  1b7  et  suivantes. 


M.  DE   LA  NOUE.  235 

roys;  car  et  qu'eussent-ilz  faict?  Hz  eussent  quitté 
leur  pays  et  leurs  maisons,  et  s'en  fussent  venus 
mourir  de  faim  en  France,  ainsy  que  j'ay  veu  les 
princes  de  Salerne,  les  ducs  de  Somme,  d'Atrie,  le 
comte  de  Gajazze,  le  seigneur  Julio  Brancazzo,  et 
une  infinité  d'autres  que  j'ay  veus  à  nostre  cour, 
faisans  à  tout  le  monde  plus  de  pilié  que  d'envie,  et 
qui  mouroient  quasi  de  faim,  comme  mourut  ainsy 
le  prince  de  Salerne,  qui  mourut  ne  laissant  après 
soy  pour  se  faire-  enterrer,  comme  je  vis.  Et  n'eust-il 
pas  mieux  valu  qu'ilz  n'eussent  bougé  de  leur  patrie 
et  maisons,  et  s'accommoder  au  temps  et  au  vouloir 
du  sort? 

Lorsque  le  petit  roy  Charles  YIII  prit  Naples,  le 
seigneur  Ursin',  qui  avoit  receu  une  infinité  de  plai- 
sirs de  la  maison  d'Arragon,  estoit  abstrainct  de  plu- 
sieurs liens  de  foy,  d'obligation,  d'honneur  et  de 
conjonction  de  sang,  estant  général  de  toute  l'armée 
royalle,  et  connestable  de  tout  le  royaume  de  Naples; 
néanmoins,  voyant  qu'il  ne  pouvoit  pas  bien  sauver 
le  roy  son  bienfacteur,  ny  se  garantir  des  armes  vic- 
torieuses de  France,  et  ne  trouvant  expédient  à  s'en- 
garder  d'aller  en  ruyne  avec  liiy,  consentit,  avec  une 
grande  merveille  des  François  mesmes,  que  ses  en- 
fans  s'accordassent  avec  les  François,  et  fissent  ser- 
vice au  roy  de  France.  A  cela  nécessité  les  y  contrai- 
gnoit;  estans  ces  propres  intérests  de  telle  nature, 
qu'ilz  font  oublier  les  plaisirs,  tant  grands  qu'ilz 
soient,  pour  remédier  à  eux. 

i.  Virgiiiio  Orsini  ou  Orsino,  comte  de  Tagliacozzo,  conné- 
table du  royaume  de  Naples,  mort  en  janvier  1497. 


^236  M.  DE   1.4  NOUE. 

Peu  après,  ledict  roy  Charles  venant  à  perdre 
ledict  royaume,  Fabricio  et  Prospère  Colonna,  qui 
avoient  receu  tant  de  biens  et  d'honneurs  du  roy 
Charles,  contraincts  de  la  mesme  nécessité,  et  du 
désir  de  se  conserver  en  leurs  Estats  et  biens,  ilz  s'ac- 
cordèrent avec  Ferdinand  et  l'allèrent  servir,  et  luy 
aidèrent  à  conquérir  son  royaume,  aymans  mieux 
laisser  leur  bienfacleur  seul  que  se  perdre  avec  luy, 
dont  pourtant  n'en  furent  trop  estimez.  Encor  que 
CCS  ingratitudes  que  je  viens  d'alléguer  ne  fussent  li- 
cites, elles  furent  excusables. 

Autant  en  furent  les  Angevins  _,  c'est-à-dire  ceux 
qui  tenoient  le  party  d'Anjou  ou  de  France  à  Naples, 
lesquels  contraincts  s'accommodèrent  au  temps  et  à 
la  fortune,  suivirent  le  party  d'Arragon;  qui  pour- 
tant, quelques  années  après,  n'en  furent  pirement 
traictez  du  roy  Louy  X  Illorsqu'il  les  reconquit;  ains 
les  reprit  tous  en  grâce  et  en  faveur,  voyant  bien 
qu'ilz  n'avoient  desvoyé  par  malignité  ny  par  bon 
«ré  ;  car  tels  ingrats  faillans  ahisy  sont  abhorrables 
partout.  Par  ainsy,  M.  de  La  Noue  fust  esté  excusa- 
ble s'il  eust  esté  pressé  de  ces  nécessitez,  comme  ces 
autres  que  je  viens  d'alléguer  pour  exemples.  J'en 
ailéguerois  plusieurs  autres,  mais  je  n'aurois  jamais 
faict. 

Parquoy,  pour  retourner  encor  aux  obligations, 
qu'aucuns  publient  et  cellèbrent  tant,  que  nous  de- 
vons à  nos  pays  et  à  nos  souverainetez,  en  quoy 
peuvent-elles  estre  si  grandes?  Ventre-non  pas  de 
ma  vie  !  nous  ne  sommes  pas  plus  tost  nays  que  nous 
en  recepvons  plus  de  maux,  de  misères,  de  tour- 
mens,  que  de  plaisirs  et  bienfaicts.  Si  nous  sommes 


M.  DE   LA  NOUE.  237 

en  la  guerre,  il  faut  prodiguer  nos  vies  et  nos  biens 
pour  un  mourceau  de  pain  :  si  nous  les  perdons,  nous 
n'en  avons  autre  chose  que  cela;  si  nous  eschappons, 
la  pluspart  du  monde  en  demeure  chetifve  et  misé- 
rable, sans  aucune  récompense.  Avons-nous  eschap- 
pé  la  guerre,  et  la  paix  soit,  voilà  la  justice  qui  nous 
fait  consommer  tous  nos  biens  en  procès.  Le  moin- 
dre délict  que  nous  faisons,  nous  sommes  exécutez 
ignominieusement;  nous  sommes  bourellez  par  mille 
lourmens,  nous  sommes  bannis,  et  nos  biens  pro- 
scrits et  confisquez;  bref,  nous  sommes  su])jocts  à 
mille  injures;  et  si  nous  avons  fait  quelques  services, 
les  voilà  oubliez,  comme  furent  ceux  de  Thémis- 
tocles,  Coriolanus,  Sertorius,  Lucuilus,  Scipion,  et 
une  infinité  d'autres. 

Que  feroit  donc  là-dessus  un  gallant  homme, 
brave,  vaillant  et  courageux?  c'est  de  faire  comme 
eux,  et  prendre  les  armes,  et  s'en  repentir*,  et  user 
de  mesme  ingratitude.  Il  n'y  eut  que  le  bon  homme 
Scipion,  lequel,  je  croy,  s'il  eust  eu  la  mesme  vi- 
gueur et  force,  lorsqu'en  sa  belle  et  fleurissante  jeu- 
nesse il  entreprit  le  voyage  d'AffVique,  il  en  eust  fait 
dire  dans  Rome  et  ailleurs;  et  eust  bien  autant  re- 
mué que  Coriolanus  et  Sertorius ,  et  leur  eust  bien 
fait  maudire  leur  ingratitude.  Et  pour  parler  d'exem- 
ples de  nostre  temps,  que  pouvoient  moins  faire  ces 
quatre  braves  frères  Estrozzes,  et  ces  vaillans  hommes 
les  seigneurs  Petro,  Paolo,  Toussin,  les  capitaines 
Mazin,  Bernardo,  San-Petro  Corso,  Jehan  de  Thurin, 
bref  un'  infinité  d'autres  bannis,  tant  de  Fleurance 

i.  Il  faut  probablemeni  lire  :  les  faire  s'en  repentir. 


538  M.  DE  LA  NOUE. 

que  d'ailleurs,  sinon  de  faire  ce  qu'ilz  firent,  que  de 
se  retirer  en  France  et  faire  au  pis  qu'ilz  purent 
contre  leur  nation,  et  là  chercher  leur  vivre,  et  là 
le  ti»ouver,  puisque  leur  patrie  leur  desnyoit,  et  sau- 
ver leur  vie  qu'on  vouloit  leur  oster  par  cruels  tour- 
mens  ? 

Je  sçay  bien  qu'il  y  a  aucuns  zélateurs  de  la  patrie, 
cérimonieux  et  conscientieux ,  qui  ont  tenu  ceste 
proposition  :  que  certainement  ilz  pouvoient  esviter 
le  danger  préparé,  et  fuyr  la  fureur  de  la  patrie  et 
de  la  souveraineté  irritée,  qui  ne  dure  pourtant  pas 
toujours,  et  se  tenir  coy,  et  vivre  en  repos,  et  tenir 
les  mains  liées,  afin  de  donner  occasion  à  leur  supé- 
riorité^ de  s'appaiser  et  leur  user  après  de  clémence, 
voyant  la  débonnaireté  de  leur  doux  naturel  et  pai- 
sibles actions.  Vrayment,  voylà  de  braves  philo- 
sophes scrupuleux!  Leurs  fièvres  quartaines!  et  ce- 
pendant que  je  feray  ainsy  du  sot  et  du  réformé,  qui 
me  nourrira?  Au  lieu  qu'exposant  mon  espée  au 
vent,  elle  me  donne  bien  à  manger,  et  une  très-belle 
et  bonne  réputation;  et,  la  tenant  à  l'abry  et  couverte 
d'un  fourreau,  je  meurs  de  faim  et  vis  comme  une 
beste,  sans  gloire  et  sans  honneur. 

Qu'eust  faict  M.  de  Bourbon,  s'il  n'eust  faict  ce 
qu'il  fit?  Enfin  il  fust  esté  prisonnier,  et  luy  eust-on 
faict  son  procès  et  couper  la  teste,  comme  on  avoit 
faict  au  connestable  de  Sainct  Paul,  et  déshonnoré 
pour  jamais,  et  luy  et  les  siens  :  au  lieu  qu'il  est  mort 


4.  Supériorité,  supérieur.  Brantôme  emploie  ce  mot  comme 
plus  haut  il  a  usé  du  mot  souveraineté  dans  le  sens  de  sou- 
verain. 


M.  DE  LA  NOUE.  230 

très-glorieux,  si  jamais  grand  mourut,  ayant  vengé 
ses  injures  et  offenses,  pris  son  roy  en  battailie  ran- 
gée, qui  le  vouloit  faire  mourir;  et  fut  bien  receu, 
et  trouva  des  courtoisies  aux  pays  estrangers,  que  le 
sien  propre  luy  avoit  desnyées.  En  quoy  est  bien 
vray  ce  qu'on  disoit  anciennement  : 

Omne  solum  forti patria  est^  ut  piscibus  sequor  *. 

c'est-à-dire  :  «  Toute  terre  est  terre,  et  tout  pays  est 
pays,  et  pareil  et  tel,  à  un  homme  généreux,  comme 
toute  mer  1  est  aux  poissons.  » 

Ces  exemples  pourtant  que  je  viens  d'alléguer,  ce 
n'est  pas  poiu-  une  maxime  que  je  veuille  tenir  qu'à 
chaque  coup  on  doive  estre  ingrat  à  sa  patrie  et  à  ses 
supérieurs,  et  se  révolter  pour  la  moindre  mousche 
qui  leur  vole  devant  le  nez.  Mais  il  faut  meurement 
songer  et  considérer  les  occasions  et  les  subjects,  et 
faire  comme  fit  le  feu  prince  de  Condé,  Charles*  de 
Bourbon,  tué  à  la  battailie  de  Jarnac,  lequel,  lors- 
qu'il cuyda  estre  attrapé  dans  sa  maison  de  Noyers, 
que  M.  de  Tavannes  disoit  tenir  la  beste  dans  les 
toiles  ',  et  ne  resloit  qu'à  la  lancer  et  la  prendre,  il 
se  sauva  à  grandes  traitles  avec  toute  sa  famille,  se 
retirant  tant  qu'il  pouvoit,  et  sans  s'arrester  à  La 
Rochelle;  et  là  commença  à  tourner  teste  et  prit  les 
armes;  et,  pour  sa  defténse,  il  disoit  que  tant  qu'il 
avoit  peu,  et  qu'il  avoit  trouvé  terre,  il  avoit  fuy  ; 
mais,  ayant  trouvé  la  mer,  et  ne  la  pouvant  traver- 

1.  Ovide,  Fastes,  liv,  I,  vers  15. 

2.  Louis  et  non  Charles.  Voyez  tome  V,  p.  H5. 

3.  Voyez  tome  V,  p.  115. 


240  M.  DE  LA  NOUE. 

ser  ny  nager  comme  les  poissons,  il  avoit  esté  con- 
trainct  de  s'arrester,  de  peur  de  se  noyer  passant 
plus  oulre^  et  se  revirer  au  mieux  qu'il  put.  Il  eust 
bien  mieux  valu  possible  qu'il  n'eust  tenté  l'hazard, 
et  se  fust  embarqué  et  tiré  plus  outre,  car  il  ne  fust 
pas  esté  tué  six  mois  après,  comme  il  fut.  Bienheu- 
reux sont  aucuns  qui  peuvent  patienter  en  ces  cho- 
ses-là, et  d'autres  bien  malheureux  sont-ilz  aussy. 

C'est  assez  parlé  de  ces  ingratitudes,  parlons  un 
peu  de  recognoissances,  et  comme  elles  sont  plus  loua- 
bles. J'ay  ouy  raconter  à  une  personne  grande  que 
le  grand  roy  François,  grand  certes  en  tout,  ne  fut 
point  si  rigoureux,  ny  ne  voulut  point  tant  de  mal, 
comme  l'on  diroit  bien,  aux  serviteurs  de  M.  de 
Bourbon  qui  le  suivirent  hors  de  France  en  son  ad- 
versité. Quand  on  les  luy  amenoit  pris,  ainsv  qu'ilz 
passoient  pavs  pour  suivre  leur  maistre,  il  les  inter- 
rogeoit  simplement  où  ilz  alloient,  et,  après  leurs 
responses,  qu'ilz  suivoient  leur  maistre,  sans  autre- 
ment s'estomaquer,  il  disoit  à  ceux  qui  les  avoient 
pris,  ou  bien  à  d'autres  qui  crioient  Toile,  toile,  cru- 
ci  fige!  (comme  il  y  en  a  tousjours  de  telles  gens,  et 
s'en  trouvent  assez  pour  faire  de  bons  valets)  :  «  Ce 
c  seroit  charge  de  faire  mal  à  ces  pauvres  gens;  ce  sont 
«  pauvres  serviteurs  et  officiers  de  leur  maistre,  qui 
«  les  nourrit  très-bien;  ilz  le  vont  trouver  pour  vi- 
ce vre;  que  s'ilz  l'abandonnoient,  ilz  mourroient  de 
ce  faim  ailleurs  :  moy-mesme  ne  leur  en  donnerois 
a  pas,  n'en  estant  la  raison,  ny  aussy  pour  l'oster  aux 
rt  miens  pour  le  donner  à  eux.  Parquoy,  qu'ilz  se 
«  retirent;  ilz  sont  à  louer  pour  leur  loyauté.  »  Et 
par  ainsy,  se  fondant  sur  de  très-bonnes  raisons,  il 


M.  DE  LA  NOUE.  941 

n'exerça  que  peu  de  rigueurs  de  justice  envers  eux, 
ny  mesmes  envers  les  plus  coupables,  ny  les  plus 
grands,  auxquels  il  pardonna,  comme  au  seigneur 
de  Sa  i  net- Va  Hier,  estant  sur  l'escbafïaut,  et  de  La 
Vaui2uvon'  et  Louvs  d'Ars. 

a     t.'  c/ 

Qui  plus  est,  il  s'en  servit  d'aucuns,  comme  il  fit 
de  M.  de  Pomperant,  lequel  estoit  tenu  grandement 
à  M.  de  Bourbon,  à  cause  qu'il  avoit  tué  à  Amboise 
le  seigneur  de  Cliissay,  l'un  des  gallands  et  mignons 
de  la  cour*.  Et  ainsy  que  ledict  Pomperant  fut  cher- 
ché partout,  n'estant  bon  à  donner  aux  chiens,  pour 
la  hayne  que  luy  portoient  le  roy  et  les  seigneurs  et 
dames  de  la  cour,  à  cause  de  ce  meurtre,  M.  de 
Bourbon  le  recela  dans  son  logis  (car  lors  les  logis 
des  grands  princes  esloient  sacrez)  et  le  fit  esvader 
secrettement,  si  bien  qu'on  n'en  entendit  plus  par- 
ler, sinon  au  bout  de  quelque  temps,  qu'il  fallut  à 
M.  de  Bourbon  luy-mesme  s'esvader  et  s'enfuyr  de 
France.  Ledict  seigneur  de  Pomperant  le  servit  et  le 
seconda  si  bien,  qu'il  le  sauva  hors  de  France  heu- 
reusement par  sa  vaillance,  résolution  et  prévoyance, 
ainsi  que  le  récite  très-bien  M.  du  Bellay  en  ses  31  é • 
moires  ';  si  que,  possible,  sans  luy  M.  de  Bourbon 
eust  couru  une  très-grande  fortune.  Et  par  ainsy, 
luy,  brave  et  généreux,  recognut  le  bien  de  sa  vie  à 
l'endroict  de  son  bienfacteur  par  un  service  signalé, 
avec  plusieurs  autres,  ne  l'abandonnant  jamais  en 
ses  guerres  et  adversitez.  Après  la  battaille  de  Pavie, 

1.  François  des  Cars,  seigneur  de  la  Vauguyon. 

2.  Voyez  tome  I,  p.  255-256. 

3.  Voyez  du  Bellay,  anne'e  1523. 

VII  —  16 


^242  31.  DE  LA  NOUE. 

le  roy  ayant  cognu  et  esprouvé  sa  grande  loyauté 
après  l'avoir  envoyé  deux  fois  en  Espaigne  j)our  sa 
prison  vers  l'empereur,  M.  de  Bourbon  vivant  pour- 
tant, le  roy  le  prit  en  grâce  et  en  son  service,  le  re- 
mit en  ses  biens  et  luy  donna  bonneurs  et  grades; 
car  il  le  pourveut  d'une  compaignie  d'bommes  d'ar- 
mes, de  laquelle  il  s'acquitta  très-lionnorablement  et 
vaillamment  au  royaume  de  Naplcs,  où  il  mourut  en 
servant  son  roy  loyaument,  et  aussy  fidèlement  en 
portant  la  croix  blanche  comme  il  avoit  faict  M.  de 
Bourbon  portant  la  croix  rouge. 

Voilà  l'humeur  de  ce  grand  roy  de  se  servir  d'un 
tel  serviteur,  si  plein  de  gratitude  et  si  recognoissant. 
Il  n'en  fit  pas  de  mesmes  à  l'endroict  d'un  serviteur 
dudict  M.  de  Bourbon,  chéry  et  très-aymé  et  favory 
de  son  maistre;  je  ne  le  nommeray  point  *.  Il  estoit 
père  d'un  grand  d'aujourd'huy,  et  qui  a  un  bon 
grade  en  France.  Cestuy  serviteur,  et  son  premier 
valet  de  chambre,  sçachant  tous  les  secrets  de  son 
maistre,  d'autant  qu'il  se  fioit  en  luy  comme  en  Dieu, 
alla  descouvrir  au  roy  toutes  les  menées  et  mani- 
gances de  son  maistre  de  poinct  en  poinct,  en  luy 
monstrant  le  double  de  tous  ses  mémoires  et  instruc- 
tions ;  de  telle  façon  que,  si  le  roy  n'eust  esté  bon  et 
sagcroy,  il  mettoit  la  teste  de  son  maistre  sur  un 
escliaffaut  :  mais  le  roy  le  voulut  gaigner  par  dou- 
ceur, comme  il  fit  à  Chantelle,  lorsqu'il  luy  parla  à 
son  lict,  faisant  du  malade.  Certainement  du  pre- 


i.  C'est  Jacques  I,  sii'e  de  Matignon,  pannetier  de  François  I", 
moi'l  en  1337.  II  fut  père  de  Jacques  II,  sire  de  Matignon,  ma- 
réchal de  France, 


M.  DE  LA  NOUE.  243 

mier  abord  le  roy  fit  bonne  chère  à  ce  serviteur  in- 
grat, et  l'estima  pour  ce  coup;  mais  despuis  et  luy  et 
toute  sa  cour  l'estimèrent  meschant,  ingrat,  ingra- 
tissime,  importun  et  très-odieux.  Se  trouvant  une 
fois  eux  dans  la  chambre  de  la  reyne,  luy  et  Pompe- 
rant,  et  devisans  ensemble,  le  roy,  les  seigneurs,  les 
gentilshommes  et  les  dames  les  regardans,  disoient 
tous  d'une  voix  assez  haute  :  «  Il  y  a  bien  différence 
«  de  ces  deux-là_,  l'un  pour  avoir  esté  traistre  et  très 
«  ingrat  à  son  maistre_,  et  l'autre  très-loyal  et  reco- 
((  gnoissant,  et  très-homme  de  bien.  »  Et  n'y  avoit 
ny  petit  ny  grand  qui  n'al^horrast  l'un  et  n'estimast 
beaucoup  l'autre  et  ne  l'admirast. 

Et  si  le  roy  a  bien  estimé  le  sieur  de  Pomperant 
pour  sa  générosité  de  bon  et  recognoissant  naturel, 
l'empereur,  de  son  costé,  en  fît  bien  de  mesme  à 
plusieurs  serviteurs  et  honnestes  gentilshommes  du- 
dict  M.  de  Bourbon;  car,  ayant  perdu  leur  bon 
maistre,  ne  sçachant  où  se  retirer,  luy  ayant  recognu 
en  eux  leur  fidellitez,  loyales  actions  et  amitié  en- 
vers leur  maistre,  les  retira  à  soy  et  s'en  servit,  et 
s'en  trouva  très-bien;  et  si  bien  les  rescompensa 
tous,  qu'il  n'y  eut  aucun  qui  demeura  pauvre.  Ces- 
dits  gentilshommes,  des  plus  remarquez,  estoient 
les  sieurs  de  La  Mothe  des  Noyers',  Le  Peloux, 
l'AUière^,   Montbardon,    Luringe,   des    Guerres*    et 

1 .  Charles  de  Chocques,  seigneur  de  la  Mothe  des  JSToyers. 

2.  Jean  de  Vitry,  l'aîné,  sieur  de  Lallière. 

3.  Dans  le  procès  du  connétable  figurent,  parmi  les  accusés, 
Antoine  des  Guières,  seigneur  de  Charency,  et  Barthélémy  de 
Guerre,  châtelain  de  Moulins.  (Voyez  Ms,  Dupuy,  n°  434,  f"  413.) 
Je  ne  sais  duquel  des  deux  veut  parler  Brantôme. 


244  M.  DE  ]..\  NOUE 

La   Cliapelle-Montmoreau;  de  tous  ceux-là  je  n'ay 
veu  que  le  seigneur  des  Guerres  à  Naples,  la  pre- 
mière fois  que  j'y  fus^  et  qu'il  vint  faire  la  révérence 
à  feu  M.  le  grand-prieur  de  Lorraine,  fort  honneste 
gentilhomme  certes.  Il  avoit  bien  six  mille  escus  d'in- 
trade  à  Gazé,  et  esloit  marié  à  Naples.  Ge  La  Gha- 
pelle-Montmoreau  estoit  un  gentilhomme,  mon  voi- 
sin, que  je  n'ay  point  veu;  mais  j'ay  ouy  raconter 
à  deux  de  ses  frères  qui  l'allèrent  veoir  en  Espaigne 
par  cinq  ou  six  fois,  et  l'y  virent  si   honoré    et   si 
enrichy,  que,  les  voyant,    il  les   pria  de  ne  se  dire 
ses  frères,  à  cause  qu'ilz  étoient  très-mal  en  poinct, 
car  je  croy  qu'ilz  n'avoient  pas  tous  ensemble  deux 
cents  livres  de  rente,  et  donna  à  sesdicts  frères  assez 
de   moyens  ;    mais    c'estoient   des   desbauchez    qui 
brouillèrent  et  consommèrent  tout  à  leur  retour.  Du 
despuis  j'ay  veu  aucuns  titres  de  luy,  par  lesquelz  il 
paroissoit  qu'il  avoit,  ou  en  estât  chez  l'empereur,  ou 
en  pensions,  ou  en  banques,  plus  de  douze  mille  du- 
cats de  revenus.   Il  mourut  à  Nancy,  ayant  esté  en- 
voyé ambassadeur  par  l'empereiu'  son  maistre  vers 
l'altesse  de  madame  sa  niepce\  et  est  enterré  audict 
Nancy  aux  Cordeliiers,  dans  une  petite  chapelle   à 
droite  en   entrant,  ainsy  que  m'ont  dict  ses   frères, 
lesquelz  ont  laissé  perdre   tout  par  faute  d'aller  sur 
les  lieux,  et  aussy  qu'ilz  n'avoient  point  trop  d'es- 
prit :  leur  frère  leur  avoit  tout  emporté  avec   luy. 


i.  Chrétienne  de  Danemark,  femme' de  François,  duc  de  Lor- 
raine, morte  en  1590.  Elle  était  fille  de  Christiern  II,  roi  de  Da- 
nemark et  d'Elisabeth  ou  Isabelle  d'Autriche,  sœur  de  Charles- 
Quint. 


M.  DE   LA  NOUE.  24S 

J'y  ay  veii  d'aussy  l)oau\  papiers  et  titres,  que, 
s'ilz  russeiit  tombez  entre  les  mains  d'un  lial)ile 
homme,  il  fust  esté  riche  de  plus  de  cinquante  mille 
escus. 

Voylà  comme  l'empereur  sceut  très-bien  remar- 
quer et  recognoistre  les  bons  cœurs  de  ces  gens 
(le  bien  :  que  s'ilz  fussent  esté  autres,  il  ne  s'en 
fust  jamais  servy  ny  ne  les  eust  jamais  estimez  ; 
car  ces  grands,  encor  qu'ilz  fassent  pour  le  com- 
mancement  bonne  chère  aux  traistres  et  aux  in- 
grats à  leurs  bienfacteurs,  et  leur  monstrent  quel- 
ques signes  de  bénivolance  *,  si  est-ce  que  puis  après 
ilzs'en  mocquent,  ilz  ne  s'y  fient  point  et  ne  les  esti- 
ment jamais. 

Je  me  soubviens  que,  lorsque  M.  de  Montmorency 
d'annuy  '  fut  contraint  de  s'armer  contre  le  roy  en 
Languedoc,  lorsqu'il  tourna  de  Poulogne,  il  dict  à  ses 
serviteurs  et  gentilshommes  :  «  Messieurs,  vous  voyez 
«  comme  je  suis  pressé  et  contraint  de  prendre  les 
«  armes  contre  mon  roy,  ce  que  j'ay  fuy  tout  ce  que 
«  j'ay  peu;  je  les  prends  certes  à  mon  grand  regret, 
«  non   pour  agresser,  mais  pour  me    deffendre.  Je 
«  sçay  que  parmy  vous  autres   il   y  en  peut  avoir 
«  quelqu'un    à  qui  l'âme  et  la   conscience  peuvent 
«  picquer  de  faire  comme  moy  et  de  s'armer  à  l'en- 
«  contre  de  son  roy,  chose  fort  difficile  à  digérer  ; 
«  parquoy  tous   ceux  qui   sont   atteints  de   ces   re- 
«  mors   et   qui    ne    voudront   demeurer    avec   moy 
tt  et  s'en  aller,  je  les  puis  asseurer  que  pour  cela  je  ne 

i.  Bénivolance,  bienveillance;  de  l'italien  henivolenza. 
2.  Le  maréchal  Damville. 


246  M.  DE  LA  NOUE. 

«  leur  voudray  mal,  ny  leur  feray  aucun  tort  ny 
«  desplaisir,  et  en  serois  bien  marry.  Tant  s'en 
«  faut,  que  je  les  feray  conduire  seurement  où 
«  ilz  voudront  :  et  à  ceux  qui  voudront  demeurer 
«  avec  moi  et  courir  ma  fortune,  je  leur  auray  une 
«  grande  obligation,  et  se  ressentiront  de  moy  en  tout 
«  ce  que  je  pourray  de  la  bonne  fortune  qui  me  vou- 
«  dra  rire.   » 

De    ceux    qui    voulurent    demeurer   avec   luy    le 
nombre  en  fut  plus  grand  que  des  autres  qui  s'en 
estèrent  d'avec  luy  et  s'en   allèrent  ;  dont   il  y  en 
eut  deux  que  je  ne  nommeray  point,  qu'il  y  avoit 
longtemps   qui    avoient    esté  de    sa  maison  ;    entre 
autres  un  (je  ne  dirai  point  de  quelle  nation,  car  on  le 
pourroit  cognoistre  et  le  blasmer,  ce  que  je  ne  veux, 
car  il  estoit  fort  mon  amy),  il  y  avoit  trente  ans  qu'il 
servoit  le  maistre.  Quand  ilz  vindrent  à  la  cour  et  se 
présenter   au   roy,  luy    donnant    à    entendre    que, 
comme   ses  très-humbles  subjects  et  serviteurs,   ilz 
s'estoient   despartis   d'avec    leur  maistre   et   de  ses 
factions,  veu  qu'il  se  bandoit  contre  Sa  Majesté,  le 
rov  les  receut  certes  avec  un  bon  visage  ;  mais  je 
sçay  bien  ce  que  je  luy  en  vis  dire  par  après ,  et  se 
mocquer  d  eux  à  part,  et  les  tenir  par  trop  ingrats  et 
de  peu  de  cœur  :  et  non  luy  seulement,  mais  toute 
la  cour,  les  blasma  et  les  monstra  au   doigt,  pour 
avoir  ainsy  abandonné  leur  maistre  en  son  bon  be- 
soing,  soubs  cette  légère  couleur  qu'ilz  ne  vouloient 
point  avoir  le  renom  et  nom  de  révoltez  contre  leur 
maistre. 

Lorsque  Monsieur  s'en  alla  mescontent  de  la  cour, 
j'en  sçay  plusieurs  qui  en  firent  de  mesmes,  et  ne  le 


M.  DE   LA  NOUE.  247 

voulurent  sui\Te  ny  courir  sa  fortune,  alléguans  tous- 
jours  ce  vieil  dicton,  qu'ilz  ne  vouloient  aller  contre 
le  roy.  Quand  il  alla  aussy  en  Flandres  la  première 
fois  contre  l'opinion  du  roy,  il  y  en  eut  aussy  qui 
l'abandonnèrent  et  qui  ne  le  voulurent  suivre,  disans 
qu'ilz  ne  vouloient  aller  contre  la  volonté  du  roy  ; 
mais  je  vous  jure  que  le  roy,  ny  la  reyne,  ny  toute 
la  cour,  ne  les  en  estimèrent  nullement  et  n'en  firent 
nul  cas,  et  se  mocquoient  d'eux  :  car  je  sçay  bien 
que  la  reyne  m'en  nomma  ua  qui  se  fit  deffendre  au 
roy  exprès,  dont  il  en  fut  bien  mocqué  et  fouetté  de 
belles  parolles,  à  mon  advis.  J'ay  veu  fort  bien  tout 
cela  et  en  parle  comme  très-certain,  car  j'estois  de  la 
partie  moy-mesme  pour  leur  donner  des  fessées; 
et  les  appelions  les  conscienlieux  deaii  douce ^  et 
les  dévots  et  religieux  réalistes^,  et  les  bons  secou- 
reurs  de  leurs  maistres  et  bienfacteurs  en  leurs  néces- 
sitez. 

C'est  aussy  une  vraie  fol  lie  d'avoir  ces  sottes  scru- 
pules, que  d'estre  ainsy  du  tout  fidelle  au  service  du 
roy  et  si  attaché  qu'on  le  préfère  à  tout  autre;  car  je 
voudrois  bien  sçavoir  :  voylà  un  pauvre  diable  qui 
n'est  cognu  du  roy  non  plus  que  le  plus  estranger  de 
Turquie,  qu'il  vinst  laisser  et  abandonner  son  bien- 
facteur  qui  l'ayme,  le  cognoist,  pour  aller  au  service 
du  roy  qui  n'en  fera  compte  :  que  doit-on  dire  de 
luv,  sinon  que  c'est  un  sot?  Aussy  à  la  bataille  de 
Jarnac  fut  pris  un  brave  et  vaillant  gentilhomme 
appelle  M.  de  Corbozon,  frère  second  de  M.  le 
comte  de  Montgommery.  Ainsy  que  Monsieur,  nos- 

1 .  Réalliste,  royaliste. 


248  M.  DE  LA  NOUE. 

tre  roy  Henry  despuis,  liiy  eut  dit  qu'il  falloit  qu'il 
quittast  son    party   et   fist  service    au    roy,    il   luy 
respondit  :    «    Certainement,   monsieur,   du   temps 
«  que  M.  le  prince  de  Condé   mon  maistre   vivoit, 
«  j'eusse  plustost  choisy  mille  morts  que  de  l'avoir 
((  quitté   et  luy  et  son  party,  encor  que  je  voyois 
a  bien  que  je  faillois,  et  luy  aussy  grandement,  de  se 
«  bander  ainsy  contre  son  roy  :  et  me  pardonnez 
a  si  je    le   dis;    mais  à    ceste    heure,    puisqu'il   est 
a  mort  et  que  je  n'ay  plus  de  maistre  ny  de  bien- 
«  facteur  qui  me  doibve  tenir  lié  à  soy  par  ces  pe- 
«  tites  obligations,  s'il  plaist  au  roy  me  pardonner, 
H  et  à  vous  aussy,  monseigneur,  de  me  prendre  pour 
«  serviteur,  je  vous  serviray  aussy  fidèlement  comme 
«  j'ay   faict  mon  premier  maistre.  »  Il  dit    cela    à 
Monsieur,    et  devant  tout   le  monde ,   qui  luy    en 
sceut  un  très-bon  gré  ;   et  luy  et  toute  l'assistance 
l'en  estimèrent  fort  ;  si  bien  que  Monsieur   le  prit 
à  son  service,  avec  beaucoup  de  protestation  de  le 
bien  servir.  Et  quant  à  moy,  je  pense  qu'il  est  permis 
de  Dieu  de  prendre  et  suivre  son  mieux  là  où  on  le 
trouve. 

Quelques  années  avant,  aux  premières  guerres,  un 
gentilhomme  de  Xainctonge,  nommé  Saincte-Foy, 
ayant  esté  faict  créature  de  M.  le  Prince  et  son  lieu- 
tenant de  sa  compaignie  de  gens-d'armes,  et  à  qui  il 
avoit  desparty  de  ses  honneurs  et  beaucoup  de  ses 
moyens,  et  encor  qu'il  fust  riche  gentilhomme,  si 
est-ce  que  M.  le  Prince  l'ayant  advancé,  poussé  et 
faict  cognoistreet  valloir,  il  le  vint  à  quitter  à  Orléans, 
soubs  le  prétexte  de  dévot  réalliste,  et  vint  trouver  le 
roy  au  bois  de  Vincennes,  avec  d'autres  que  je  ne  nom- 


M.  DE  LA  NOUE.  249 

meray  point,  mais  non  obligez  audict  prince.  Il  y  fut  si 
malvenu  et  trouvé  si  odieux,  et  du  roy  de  Navarre,  pour 
avoir  ainsy  abandonné  son  frère*,  et  de  tout  le  monde, 
et  on  en  fit  si  peu  de  cas,  que  de  despit  il  se  retira 
en  sa  maison  avec  sa  patente  et  sauve-garde  du  roy, 
que  personne  ne  vouloit  voir,  au  moins  peu,  non  pas 
ses  amys.  Et  quant  à  ceux  de  son  party,  ilz  luy  por- 
tèrent une  telle  hayne  et  inimitié,  qu'ilz  ne  cessèrent 
jamais,  jusques  à  ce  qu'un  jour,  retournant  de  La 
Rocbelle,  où  il  estoit  maryé  avec  la  fille  héritière  de 
madame  de  Laneret,  bourgeoise,  le  guettèrent  en 
chemin  et  le  tuèrent. 

Voylà  enfin  comme  il  en  prend  aux  ingrats;  car, 
quelque  belle  couleur  qu'ilz  puissent  trouver  en  leur 
faict,  ilz  sont  tousjours  rejetiez  de  toutes  bonnes  et 
honnestes  compaignies  :  et  faut  bien  dire  qu'ilz  sont 
en  rancune  de  tout  le  monde,  qu'eux-mesmes  se 
hayssent  et  ne  se  peuvent  aymer;  et  le  plus  grand 
desplaisir  qu'on  leur  sçauroit  faire,  c'est  de  les  appel- 
1er  ingrats;  et  confesseront  plustost  qu'ilz  sont  sub- 
jects  à  toutes  autres  imperfections  que  tachez  de  ce 
vice.  Ce  qui  n'advient  pour  autre  chose,  sinon  de  ce 
que  l'ingratitude  est  inexcusable  :  car,  faillir  à  l'obli- 
gation que  l'on  a,  ce  vice  est  trop  déshonneste  et  ne 
sçauroit  se  couvrir  d'aucune  chose.  Ainsy  demeure 
tousjours  toute  nue,  si  bien  qu'elle  est  contraincte 
de  monstrer  partout  sa  honte  et  sa  vergogne;  au 
lieu  que  les  autres  vices  se  peuvent  quelquefois  pal- 
lier et  couvrir  de  quelque  manteau,  sinon  vray,  du 
moins  approchant  de  quelque  couverture. 

1 .  Le  prince  de  Condé,  frère  d'xintoine,  roi  de  Navarre. 


2r50  M.  DE  LA  NOUE. 

Et  ce  qui  est  cause  aujourd'hui  qu'il  y  a  tant  d'in- 
grats et  que  l'on  ne  se  soucie  point  de  ce  vice  et 
péché,  c'est  qu'il  ne  porte  point  de  punition  quant 
et  soy,  comme  plusieurs  autres,  et  aussy  qu'un  tel 
mesfaict  ne  peut  recebvoir  peine  qui  le  puisse  es- 
galler.  Les  Égyptiens  jadis  en  sont  esté  fort  ennemys 
de  telles  gens,  et  ne  les  punissoient  autrement,  sinon 
qu'ilz  les  faisoient  cryer  et  publier  partout  pour  in- 
fâmes, afin  que  personne  ne  leur  fist  plus  aucuns  plai- 
sirs, estimant  peine  condigne  à  l'ingratitude  d'un 
amy  de  les  luy  faire  perdre.  Tous  les  Perses,  comme 
dit  Zénophon  *,  ne  trouvoient  parmi  eux  aucun  vice 
plus  blasmable  que  ceste  maudicte  ingratitude,  et 
chastioient  fort  rigoureusement  ceux  qui  en  estoient 
touchez. 

Il  y  en  a  aucuns  qui  tiennent  que,  comme  la 
trahison  ne  peut,  estre  assez  punie,  aussi  l'ingratitude 
ne  peut  estre  assez  blasmée  et  en  horreur  à  tout  le 
monde,  estimans  ces  deux  vices  si  conjoincts  en- 
semble, que  l'on  peut  dire  que  tout  traistre  est  in- 
grat; car,  comme  le  traistre  n'est  autre  chose  que 
faillir  de  foy  promise  ou  deue  à  une  personne,  aussy 
estre  ingrat  n'est  autre  chose  que  faillir  à  l'obligation 
que  l'on  a  et  se  doibt  à  cause  d'un  plaisir.  Ce  malheu- 
reux Judas,  qui  trahit  Jésus-Christ  son  bon  maistre, 
fut  et  traistre  et  ingrat  tout  ensemble;  ingrat,  pour 
avoir  si  mal  recognu  le  bien  et  l'honneur  qu'il  luy 
avoit  faict  de  l'avoir  receu  en  sa  tant  honorable, 
belle  et  saincte  compaignie,  là  où  il  estoit  plus  heu- 
reux qu'il  ne  lui  appartenoit;  et  traistre,  pour  l'avoir 

i.  Voyez  Cjropêdie,  liv.  I,  cliap.  ii. 


M.  DE   LA  NOUE.  251 

trahi  et  livré  à  la  mort.  Que  gaigna-il  par  là,  sinon 
pour  le  monde,  que  les  Juifs,  après  s'en  eslre  servis, 
se  mocquèrent  de  luy,  l'eurent  en  mespris  et  hor- 
reur? Et  quand  il  leur  rendit  leur  argent,  ilz  n'en 
firent  compte  comme*  de  ce  qu'il  estoit.  Et  quant  à 
Dieu,  il  fut  condamné  de  luy  aussytost,  et  miséra- 
blement envoyé  aux  enfers. 

Je    voudrois    bien     sçavoir   quelle     tant    grande 
louange  acquit  Brutus  pour  avoir  tué  Caesar  son  bien- 
facteur,  qui  l'avoit  tant  aymé,  tant  favorisé  et  mons- 
tre ce  qu'il  sçavoit  de  la  guerre  en  celle  de  la  Gaule. 
Encor  dict-on  qu'il  estoit  son  fils,  pour  l'avoir  en- 
gendré de  Servillia,  qu'il  eniretenoit.   Ce  ne  fut  pas 
tout,  il  luy  sauva  la  vie  dans  la  battaille  de  Pharsale, 
l'ayant  recommandé  à  tous  ses  soldats  et  ceux  de  son 
camp  surtout  de  luy  sauver  la  vie  et  le  luy  emme- 
ner vif;  ce  qui  fut  faict,  dont  il  eut  une  joye  ex- 
tresme  :  et  pour  rescompense  de  tant  de  biens,  luy 
conjura  sa  mort,  luy  bailla  quasy  les  premiers  coups, 
se  fondant  sur  une  sotte  opinion  qu'il  y  alloit  du  ser- 
vice de  la  patrie  et  de  la  respublique  et  de  son  grand 
intérest.  Vrayment  ouy!  Que  la  patrie  puis  après  luy 
fit  de  grands  biens  et  rescompensesl  II  s'en  alla  de  la 
ville  comme  un  meurtrier  et  banny,  seul  et  desguisé, 
et  luy  et  ses  compaignons,  l'un  passant  par  une  porte, 
et  l'autre  par  l'autre.  Toutesfois,  au  bout  de  quelque 
temps,  ilz  assemblèrent  quelques  grandes  forces,  qui 
furent  cause  du  livrement  de  la  battaille  de  Pliilippes, 
où  luy  se  tua  raiisérablement;  et  avecques  luy  de  tous 
les  autres  conjurez  n'en  eschappa  un  qui  ne  mourust 

1 .  Comme,  que. 


282  M.  DE   LA  NOUE. 

misérablement.  Voylà  la  rescompense  de  mes  ingrats, 
quelque  prétexte  qu'ilz  ayent  d'estre  tant  zellez  à  leur 
patrie;  et  n'y  eut  à  la  fin  aucun  qui  ne  les  mésesti- 
mast  tous.  Comme,  certes,  un  si  galant  homme  que 
Ca^sar  ne  dehvoit  estre  ainsy  traicté  par  les  siens;  et 
pour  un  si  lasche  traict  Brutus  en  eut  de  belles  of- 
frandes de  sa  patrie  pour  rescompense  de  son  ingra- 
titude envers  son  bienfacteur. 

Charles  I,  roy  des  deux  Sicilles ,  duc  d'Anjou  et 
frère  au  roy  sainct  Louys,  ayant  en  sa  prison  Henry 
d'Espaigne  ',  qui  luy  avoit  esté  très-ingrat  des  bien- 
faicts  receus  de  luy,  et  l'ayant  recueilly  qu'il  ne  sça- 
voit  où  aller  (car  son  frère  l'avoit  chassé  d'Espaigne), 
pour  rescompense  le  quitta,  et  s'alla  accoster  de  Cor- 
radin,  et  l'assister  le  jour  de  la  battaille  qu'il  perdit; 
ne  le  voulut  punir  de  mort,  pour  luy  avoir  donné  la 
vie,  par  les  prières  de  l'abbé  de  Mont-Cassin,  sainct 
religieux,  mais  le  fit  attacher  par  le  col  comme  une 
beste,  et  mettre  dans  une  cage  de  fer,  et  le  fit  pour- 
mener  par  toutes  les  villes  du  royaume,  servant  de 
spectacle  à  tout  monde,  et  de  risée.  Ainsy  fut-il  res- 
compense de  son  ingratitude,  et  hay  et  mocqué  d'un 
chascun. 

De  nostre  temps,  en  nos  guerres  civilles  troisies- 
mes,  il  y  eut  un  certain  Montravel*,  natif  de  la 
Brye,  gentilhomme  (à  ce  que  l'on  disoit),  mais  en 
cela  pourtant  dérogea-il  à  sa  noblesse,  lequel,  pen^ 


4.  Henri,  infant  de  Castille,  sénateur  et  gouverneur  de  Rome, 
fils  de  Ferdinand  Ilf,  roi  de  Castille.  Vo\'ez  Collenuccio,  édit,  de 
Naples,  lu63,  lib.  IV,  p.  416  et  suiv. 

2.  Maurevel.  Voyez  tome  IV,  p.  300,  et  t.  V,  p.  216-247. 


M.  DE  LA  NOUE.  2S3 

sant  faire  un  grand  service  au  roy,  entreprit  et  réso- 
lut de  tuer  IVI.  de  Mouy,  qui  l'avoit  nourri  i)age  et 
eslevé  et  poussé  aux  armes;  et  de  faict  il  le  fit  ;  car 
après  la  battaille  de  Montcontour  perdue  pour  les 
huguenots,  ainsy  que  M.  de  Mouy  eut  choisy  pour 
soy  la  ville  de  Nyort,  comme  d'autres  firent  d'autres 
villes  pour  rompre  le  cours  de  la  victoire  de  leurs 
ennemys,  et  s'estant  allé  pourmener  hors  de  la  ville 
pour  la  contempler  et  voir  la  force  et  la  foiblessc, 
voicy  venir  ce  Monlravel,  monté  sur  un  bon  cheval, 
résolu,  qui  donna  un  coup  de  pistolle  à  son  maistre, 
le  trouvant  tout  désarmé;  et  puis  se  sauve  au  camp 
de  Monsieur,  nostre  général,  auquel  il  se  présente 
et  raconte  son  beau  coup.  A  l'instant  il  fut  assez 
bien  venu,  et  de  Monsieur  et  d'aucuns  du  conseil, 
et  autres;  mais  pourtant  si  fut-il  abhorré  de  tous 
ceux  de  nostre  armée;  si  bien  que  personne  ne  le 
vouloit  accoster  pour  avoir  ainsy  si  perfidement  et 
proditoirement  tué  son  maistre  et  son  bienfacteur, 
encor  qu'il  eust  fait  un  grand  service  au  roy  et  à  la 
patrie  pour  leur  avoir  exterminé  un  ennemy  très- 
brave  et  très-vaillant,  et  qui,  après  M.  l'admirai  (car 
M.  d'Andelot  estoit  mort),  n'y  en  avoit  point  de  pa- 
reil pour  leur  nuire.  Et  luy  fut  commandé  de  se  re- 
tirer en  sa  maison^  comme  ne  se  fiant  nullement  en 
luy  (car  qui  fait  de  tels  coups  en  faict  plusieurs  au- 
tres) jusques  à  ce  qu'on  l'envoya  quérir  pour  tuer 
M.  l'admirai,  comme  assassineur;  mais  il  le  faillit;  et 
ne  fut  pas  mort  de  sa  main  sans  d'autres  qui  réparè- 
rent sa  faute  au  massacre  de  la  Sainct-Barthélemy. 

Que  devint-il,  pour  fin,  ce  Montra vel?  Il  eut  deux 
compaignies  telles  quelles  au  siège  de  La  Rochelle, 


254  M.  DE   LA  NOUE. 

où  il  perdit  ses  escrimes,  et  ne  put  pas  bien  jouer  de 
celle  du  garde-derrière_,  car  je  ne  vis  jamais  homme 
si  estonné  en  siège  que  cestiiy-là;  et  peu  se  trouvoit 
en  factions,  sinon  à  garder  quelque  chëtif  quartier 
qui  lui  esloit  donné;  et  quand  il  vouloit  se  fourrer 
parmy  les  autres  compaignies_,  un  cliascun  le  fuyoit 
comme  la  peste.  Après  il  vint  à  la  cour,  où  il  deman- 
doit  tousjours  quelque  chose,  et  par  importunitë 
l'obtenoit,  craignant  qu'il  ne  list  aux  autres  ce  qu'ilz 
lui  avoient  faiet  faire  ;  et  de  faict  il  eut  pension, 
comme  si  ce  fust  esté  le  tueur  du  roy,  non  pas  pour 
tuer  le  roy,  mais  gagé  par  Sa  Majesté  pour  tuer  les 
autres.  Il  eut  de  plus  le  privilège  d'aller  dans  Paris  et 
le  Louvre,  jusques  dans  la  chambre  du  roy,  tous- 
jours  couvert  et  armé  de  pistolles,  luy  sixiesme,  d'au- 
tant qu'il  estoit  menacé;  mais  pourtant  quand  il 
entroit  dans  la  chambre  du  roy  nul  ne  le  vouloit 
accoster.  Un  chacun  le  détestoit  et  abhorroit,  mes- 
mes  le  roy  dernier  Henry  III,  si  bien  qu'il  lui  fit 
defïèndre  sa  chambre;  et  n'y  vint  j^lus,  sinon  dans 
le  Louvre,  mais  estonné,  la  veue  basse  et  la  carre 
d'un  tel  homme  qu'il  estoit.  Enfin  M.  de  Mouy 
aisné  fils,  brave  et  courageux  gentilhomme,  ne  pou- 
vant plus  traisner  si  longtemps  la  mort  du  père  sans 
estre  vengée,  trouvant  ce  Montravel  dans  la  rue, 
l'attaqua  si  furieusement  qu'il  le  tua;  mais  le  mal- 
heur fut  qu'un  des  satellites  dudiet  Montravel  tira 
un  coup  de  pétrinal  audict  M.  de  Mouy,  dont  il 
mourut,  et  n'eut  le  loysir  de  jouyr  du  fruit  de  la 
vengeance,  sinon  que  la  gloire  luy  en  demeura  im- 
mortelle après  sa  mort.  Voylà  comme  il  en  prend  à 
telles  gens  et  fort  justement. 


M.  DE   LA  NOUE.  -255 

Or,  advant  que  finir  ce  discours  d'ingrats,  et 
comme  il  ne  leur  est  bienséant  d'oublier  et  ne  reco- 
gnoistre  leurs  bienfacteurs,  pour  le  plus  beau  de  tous 
exemples  j'allëgueray  cestuy-cy,  qui  se  trouve  aux. 
histoires  de  Savoy e.  Le  comte  Edouard  de  Savoye,  le 
jour  de  la  battaille  de  Varey  *,  qui  fut  donnée  entre 
luy  et  le  Dauphin  de  Viennois,  où  il  fut  pris  par  un 
seigneur  de  Dauphiné,  nommé  Au]:)erjour  de  Ma- 
leys";  mais,  parce  qu^il  ne  pouvoit  le  garder  seul,  le 
seigneur  dcTournon'  apercent  comme  ledict  comte 
se  vouloit  deffaire  de  luy  et  combattoit  tousjours, 
courut  avec  sa  trouppe,  et  arrestèrent  tous  deux 
ledict  comte  prisonnier;  lequel,  comme  ilz  se  met- 
toient  en  debvoir  de  le  désarmer  et  luy  oster  son 
armet,  le  jeune  seigneur  de  Boselet*,  accompaigné 
du  seigneur  d'Antremont,  le  recourut  d'entre  les 
mains  d'Auberjour  et  du  seigneur  de  Tournon;  les- 
quelz,  voyans  leur  proye  s'enlever  de  leurs  mains, 
s'escryèrent  à  haute  voix  qu'on  leur  donnast  se- 
cours, et  envoyèrent  une  trompette  à  messire  Albert, 
seigneur  de  Sassonnage^,  luy  dire  qu'il  picquâst  avec 
sa  trouppe  pour  ayder  à  reconquérir  le  comte  de  Sa- 
voye  leur  prisonnier  qu'on  avoit  recouru.  Mais  le 
seigneur  de    Sassonnage,   portant  grande  amitié   et 

i .  Varey  (Ain)  et  non  Varcy,  comme  on  lit  dans  les  pre'cédentes 
éditions.  En  132o,  Edouard,  comte  de  Savoie,  y  fut  défait  par 
Guignes  XIII ,  dauphin  de  Viennois.  Le  re'cit  de  Brantôme  est  tiré 
de  la  Chronique  de  Savoie  de  Paradin,  liv.  II,  chap.  cxix,  p.  207, 

2.  Auberjon  de  Maleys  ou  de  Mailles. 

3.  Guillaume,  de  Toui'non. 

k.  Hugues  de  Bocsozel,  seigneur  de  Roche. 
5.  Albert,  baron  de  Sassenage. 


256  M.  DE  LA  NOUE. 

dcbvoir  au  comte  Edouard,  fit  la  sourde  oreille, 
feignant  d'estre  cmpesché  ailleurs  contre  ses  enne- 
mvs;  dont  fut  recouru  ledict  comte,  et  emmené  en 
lieu  de  seureté  par  ses  gens.  Or  faut  noter  qu'un 
peu  de  temps  auj^aradvant,  ledict  seigneur  de  Sas- 
sonnagc,  estant  ambassadeur  en  France,  avec  charge 
de  demander  une  fille  au  roy  en  miaryage  pour 
M.  le  Dauphin  son  seigneur  \  tumba  en  un  grand 
inconvénient  et  danger  de  sa  vie,  pour  avoir  tué  le 
seigneur  d'Aigreville,  grand-maistre  d'hostel  de  Fran- 
ce, qui  avoit  respondu  audict  de  Sassonnage,  que 
le  roy  n'estoit  délibéré  de  donner  sa  fille  à  un  tel 
pourceau  qu'estoit  le  Dauphin  son  maistre;  pour 
laquelle  responce  ledict  de  Sassonnage  mit  l'espée  au 
poing  et  tua  ledict  giand-maistre  :  dequoy  le  roi  in- 
digné commanda  aussytost  de  le  prendre  et  en  faire 
l'exécution  du  meurtre;  ce  qui  eust  esté  faict,  et  eust 
eu  ledict  Sassonnage  la  teste  trenchée,  n'eust  été  le 
comte  Edouard  de  Savoye,  qui  pour  lors  estoit  à  la 
cour  de  France,  qui  le  fit  esvader  et  sauver,  et  luy 
donna  moyen  d'esviter  la  fureur  du  roy*.  Ainsy  le 
seigneur  de  Sassonnage,  ne  voulant  estre  ingrat  à 
l'endroit  de  celuy  dont  il  tenoit  la  vie,  donna  aussy 
moyen  audict  comte  de  se  sauver  de  la  battaille.  Et 
n'est,  par  ainsy,  nul  plaisir  perdu  entre  les  gens  de 
bien.  Je  croy  que  guières  ne  se  trouvera  un  plus  beau 
exemple  de  belle  reconnaissance  que  cestuy-là,  et  ne 
sçauroit-on  assez  louer  ledict  seigneur  de  Sassonnage. 

1 .  Guignes  XIII,  dauphin  de  Viennois,  qui  épousa  Elisabeth  de 
France,  fille  de  Philippe  le  Long, 

2.  Voyez  Paradin,  .p.  207. 


M.  DE  L4  NOUE.  257 

Un  autre  bel  exemple  avons-nous  de  Noradin, 
Soudan  de  Damas,  lequel,  un  jour  que  Baudoin,  roi 
de  Hiérusalem  eut  faict  quelques  courses  sur  les  Sar- 
razins  et  Arabes,  et  eut  faict  un  grand  butin  sur  eux, 
tant  de  biens  que  de  personnes,  dont  entre  autres 
s'y  trouva  la  femme  du  Soudan;  et  ainsy  qu'il  se  re- 
liroit  chargé  de  son  butin ,  ladicte  femme  vint  à  ac- 
coucher en  plein  chemin.  Il  luy  fit  assister  de  tout 
ce  qu'il  put  en  ses  couches,  et  luy  fit  alletter  (ne 
pouvant  mieux)  son  enfant  par  une  chamelle  qui  ne 
venoit  que  d'avoir  un  fan,  et  puis  la  fit  reconduire 
et  rendre  en  seureté  à  son  mary.  Ce  soudan,  au  bout 
de  quelque  temps,  recognoissant  ceste  gracieuseté  et 
courtoisie,  sauva  la  vie  audict  Baudouin  dans  une 
place  assiégée  desdicts  Arabes;  et  si  fit  bien  mieux, 
car,  quelques  années  après ,  ledict  Baudouin  venant 
à  mourir  sans  enfants,  ordonna  par  sa  dernière  vo- 
lonté que  son  corps  fust  porté  de  Baruth  à  Hiérusa- 
lem pour  y  estre  inhumé,  là  où  il  fut  fort  pleuré  et 
regretté^  tant  des  siens  que  des  estrangers  qui  s'y 
trouvèrent.  Aucuns  des  principaux  du  conseil  de 
Noradin  s'efforcèrent  de  luy  persuader  de  courir  sus 
aux  chrestiens,  et  qu'il  n'y  fit  jamais  meilleur,  ce- 
pendant qu'ilz  s'amusoient  aux  pleurs  et  à  l'enterre- 
ment de  leur  roy  ;  mais  Noradin  ne  le  voulut  jamais, 
tant  pour  les  vertus  de  ce  grand  roy  qu'il  admiroit, 
et  qu'il  ne  vouloit  qu'on  le  perturbast  en  son  enter- 
rement, que  pour  la  recognoissance  de  la  courtoisie 
passée  :  et  ainsy  laissa  aux  vivans  célébrer  les  obsè- 
ques de  leur  roy*.  Quelle  bonté  de  barbare,  qui  ef- 

1.  Voyez  Guillaume  de  Tyr,  liv.  XVIII. 

VII  —  17 


258  M.  DE   LA  A'OUE. 

face  force  chrestiens  que  je  sçay  !  A  grand  peine  M.  de 
La  Noue  eust-il  i'ail  à  l'endroict  de  M.  de  Lorraine 
comme  fit  ledict  sieur  de  Sassonnage^  quand  il  l'eust 
tenu  ainsy  à  sa  mercy,  veu  que  de  loing  il  Fabbayoit 
et  luy  nuysoit  le  plus  qu'il  pouvoit. 

En  nos  guerres  civilles^  en  la  battaille  de  Jarnac, 
le  feu  comte  Gayasse'  brave  et  gallant  gentilhomme 
italien,  qui  s'estoit  trouvé  en  plusieurs  bons  affaires 
pour  le  service  du  roy,  et  mesmes  au  siège  de  Sien- 
ne avec  M.  de  Montluc,  et  mourut  en  Daupliiné 
(lorsque  le  roy  Henry  III  tourna  de  Poulogne)  en 
titre  de  marescbal  de  camp,  et  fut  tué  en  une  ren- 
contre ;  il  fut  soupçonné,  et  non  à  tort,  d'avoir  sauvé 
M.  de  Téligny,  qui  par  cas  estoit  tumbé  entre  ses 
mains;  mais,  d'autant  qu'il  avoit  receu  plaisir  de 
luy,  le  voulut  recognoistre  en  une  si  belle  occasion  : 
parquoy  le  fit  esvader,  sans  sonner  mot,  tout  belle- 
ment du  champ  de  battaille,  et  le  conduisit  hors  du 
vainqueur,  sans  en  voidoir  faire  sa  parade  au  général 
et  à  l'armée,  comme  plusieurs  pleins  de  vanité  et  in- 
grats eussent  faict,  ny  sans  crainte  d'en  estre  repris 
ny  en  estre  en  peine;  car  il  ne  luy  alloit  rien  moins 
que  de  la  teste  pour  le  droict  de  la  guerre.  Monsieur, 
nostre  général,  le  sceut  comme  par  une  suspicion 
sourde;  car  il  y  avoit  joué  son  jeu  seur  et  sans  bruit, 
si  bien  que  par  aucune  vive  apparence  ny  conjec- 
ture vraye  on  n'en  eust  rien  sceu  juger  sainement; 
si  n'en  fut-il  inquiété  nullement  du  général,  ains  en 
fut  loué,  et  de  luy  et  des  gallants  de  l'armée,  et  fort 
estimé,  pour  avoir  esté  si  bien  à  l'endroict  de  son  amy. 

1.  Jean  Guidas  de  Saint-Séveriii,  comte  de  Cajasso. 


M.  DE   LA  NOUE.  259 

Le  marquis  de  Ricliebourg,  autrement  de  Rentv, 
n'en  fit  de  mesme  à  l'endroiet  dudict  M.  de  La 
Noue;  car  eneor  qu'il  luy  eust  obligation  de  tout  ce 
qu'il  sçavoit  de  la  guerre  dès-lors  qu'il  alla  en  Flan- 
dres (j'ay  escritcecy,  s'il  me  semble,  ailleurs*),  quand 
il  fut  pris  on  ne  le  recognut  nullement,  jusques  à 
faire  fort  peu  de  cas  de  luy  et  le  rudoyer,  et  parler 
fort  bravaschement  à  luy,  et  s'en  servir  au  lieu  où  il 
le  mena  en  forme  de  triomphe,  non  de  magnifi- 
cence, mais  de  risée  et  de  desdain  ;  et  dict-on  que, 
luy  ayant  esté  remonstré  par  aucuns  de  ses  privez  à 
le  traicter  plus  honnorablement,  et  selon  son  mérite 
et  sa  fortune,  et  l'obligation  qu'il  luy  avoit,  il  n'en 
fit  aucun  cas,  sinon,  je  pense,  que  tout  ainsy  que  le- 
dict  M.  de  La  Noue  avoit  faict  à  sa  patrie  et  à  son 
roy  et  autres,  il  estoit  nécessaire  et  très-juste  qu'on 
luv  en  fist  de  mesmes. 

Pompée  usa  de  pareil  à  l'endroiet  de  Perpenna% 
lequel,  après  qu'il  luy  fut  mené  prisonnier,  le  fit 
mourir  tout  incontinent;  ne  méritant  en  cela  d'estre 
blasmé  ny  condamné  d'ingratitude,  comme  mal  re- 
cognoissant  des  bons  services,  tours  et  plaisirs  que 
ledict  Perpenna  luy  avoit  faicls  en  Sicille,  ainsy  com- 
me aucuns  le  chargeoient;  mais  plustost  doibt  estre 
loué  de  grande  magnanimité,  pour  avoir  sauvé  toute 
une  respublique  que  ce  meschant  homme  accusoit 
par  des  papiers  qu'il  montra  à  Pompée,  qu'il  ne 
voulut  voir  pourtant,  qu'il  avoit  retiré  de  Sertorius; 
aussy  que  ce  maraut  ne  méritoit  de  vivre,  pour  avoir 


1.  Voyez  plus  haut,  p.  211. 

2.  Voyez  Plutarque,  Vie  de  Pompée,  cli.  xxix. 


260  M.  DE  LA  NOUE. 

tué  son  général  et  son  capitaine,  qui  valoit  plus  que 
luy,  et  duquel  il  avoit  receu  une  infinité  de  plaisirs 
et  de  courtoisies. 

Il  faut  que  je  fasse  ce  petit  conte  d'un  de  nos  fran- 
çois,  qui  fut  le  cardinal  Balue,  du  temps  du  roy 
Louis  XI,  Son  premier  advancement  fut  qu'il  fut 
simple  valet  de  l'évesque  d'Angers',  de  la  maison  de 
Bcauveau,  dont  j'en  ay  cognu  la  race  bonne  et  no- 
ble. Il  fut  eslevé  par  luy  en  biens  et  grandeurs,  et 
puis  le  donna  au  roy  Louis  XI,  qui  aymoit  fort  les 
gens  subelins  d'esprit;  et,  pour  ce  qu'il  le  trouva  à 
son  gré,  le  fit  évesque  d'Evreux  et  puis  cardinal.  Es- 
tant monté  si  haut,  comme  ingrat  s'oujjlia,  et  en  son 
Dieu  et  ses  maistres.  Il  commença  premièrement  en 
Dieu,  et  puis  en  son,  maistre  premier,  dont  il  fit  de 
si  meschants  rapporcs  faux  au  roy,  qui  croyoit  légè- 
rement, qu'il  adjousta  foy  à  ses  parolles;  et,  par  frau- 
duleuses informations  qu'il  fit  faire,  il  fit  desclarer 
inhabile  à  l'évesché,  et  se  fit  par  conséquent  (cela 
s'entend)  conférer  par  le  roy  ladicte  évesché  ^  Ainsi 
il  defiit  son  premier  maistre  et  bienfacteur;  et  puis 
il  fut  traistre  au  roy,  son  second  maistre,  par  mille 
trahisons  qu'il  luy  fit,  et  intelligences  qu'il  avoit 
avec  le  duc  de  Bourgoigne  et  autres  ses  ennemys  ; 
dont  il  luy  fit  espouser  une  prison  fort  estroicte 
et  rigoureuse  pour  onze  ans,  non  sans  soupçon  de 
poison,  à  la  mode  de  ce  roy,  qui  sçavoit  ainsy  chas- 
tier  ses  gens  traistres  et  desloyaux;  ce  qui  fut  bien 
employé  :  et  ainsy  devroit-on  faire  à  tous  les  infidèles 
et  ingrats;  le  monde  en  seroit  plus  net  qu'il  n'est. 

1.  Jean  II  de  Beauvau.  —  2.  En  1468. 


M.   DK   LA  NOUE.  2(i1 

Or,  voyià  comme  il  prend  mal  aux  ingrats,  et 
Irès-ljien  aux  rceognoissans,  et  selon  la  volonté  et 
permission  de  noslre  Dieu,  lequel  abhorre  et  mau- 
diel  les  uns,  et  ayme  et  bénit  les  autres,  mesmes  (jue 
nous  encocnons  son  indignation  et  courroux  lorsque 
nous  luy  sommes  ingrats,  et  ne  recognoissons  les 
biens  qu'il  nous  a  faicts  ;  et  gaignons  sa  grâce  lors- 
que nous  les  recognoissons,  en  nous  recommandant 
fort  dans  ses  sainctes  loix;  et  sa  saincte  Église  aussy 
nous  commande  expiessément  de  prier  Dieu  pour 
nos  bienfiicteurs.  Et  aussy  que  de  tout  temps  immé- 
morial, voire  après  la  création  du  monde,  les  bien- 
facteurs  sont  advant  les  roys,  cela  est  assez  notoire, 
et,  d'autant  que  l'antiquité  va  devant  les  roys.  J'allé- 
guerois  force  autres  authoritez  et  exemples  sur  ce 
subject  ;  mais  je  n'aurois  jamais  faict,  et  aussy  que  le 
champ  en  est  si  beau,  si  plantureux,  qu'il  y  faut  un 
meilleur  agriculteur  et  plus  excellent  que  moy,  pour 
le  bien  cultiver,  agencer,  adorner  et  embellir  de 
belles  parolles. 

Voylà  le  discours  qu'en  fit  ceste  honneste  personne 
que  j'ay  nommée.  Et  quant  à  moy,  Branthôme,  qui 
escrips  et  fais  ce  livre,  certainement  je  puis  bien  dire 
que  j'ay  eu  ma  part  des  mescognoissances  de  M.  de 
Ea  Noue  aussy  bien  que  les  autres;  car  je  me  puis 
vanter  qu'il  n'a  eu  pas  un  de  ses  amys  qui  l'ait  plus 
servy  durant  sa  prison,  ny  plus  sollicité,  ny  pj'is 
mieux  la  parolle  pour  luy,  que  moy,  et,  n'en  des- 
plaise à  feu  M.  d'Estrozze',  son  intime  amy,  qui  n'en 

1.  «  En  ce  temps  (juin  1580),  dit  l'Estollc,  passèrent  par  Paris 
quelques  courriers  espagnols,  ausquels  Strozzi  dit  que  si  le  roy 


2G2  M.  DE  LA  NOUE. 

osa  jamais  parler  au  roy  ny  à  autres  grands  comme 
moy;  et  que  si  encor  M.  de  La  Noue  veut  dire  la 
vérité  *,  il  pourra  confesser  comment  un  soir,  en  se 
voulant  retirer  du  Louvre  fort  tard,  quelque  temps 
advant  qu'il  allast  en  Flandres,  l'ambassadeur  d'Es- 
paigne  qui  avoit  bien  sceu  comment  il  vouloit  aller 
là  faire  quelque  chose  qui  ne  valloit  guières  contre 
le  roy  son  maistre,  ayant  dressé  une  fricassée  et  une 
partie  jDOur  le  faire  tuer,  en  allant  de  là  l'eau  au 
fauxbourg  Sainct-Germain,  en  son  logis,  et  luy  en 
ayant  sceu  l'avis  très-certain,  il  ne  fut  accompaigné 
d'aucuns  que  de  moy  et  mes  gens,  encore  qu'il  eust 
là  des  amys;  mais  ilz  firent  les  sourds  et  recreus;  et 
le  menay  sain  et  seur  en  sondict  logis  delà  l'eau, 
sans  qu'on  osast  nous  attaquer  nullement,  encor  que 
nous  trouvasmes  quelques  gens  de  rencontre,  qui 
n'estoient  là  pour  bien  faire.  Enfin  je  pense  qu'il  n'a 
trouvé  amy  plus  fidelle  que  moy,  ny  qui  luy  ait  plus 
aydé  et  servy,  ny  durant,  ny  dehors  sa  prison. 

Pour  rescompense,  en  estant  hors,  il  vint  à  la 
cour  pour  faire  sa  révérence  à  son  roy  et  luy  parler 
des  conditions  de  sa  liberté;  et  moy,  ny  estant  pas 
pour  lors,  ne  me  fit  qu'envoyer  des  simples  recom- 
mandations par  M.  du  Préau,  aujourd'huy  gouver- 
neur de  Chastelleraud,  que  j'ay  nourry  page,    fort 

d'Espagne  ou  les  siens  faisoient  à  la  Noue  autre  traitement  que 
ne  méritoit  un  brave  gentilhomme  et  vi^ai  prisonnier  de  guerre, 
il  éeorcheroit  autant  d'Espagnols  qu'il  en  tomberoit  entrp  ses 
mains.  » 

i .  Cet  appel  à  la  Noue  prouve  que  le  Discours  a  été  co  mposé 
en  plusieurs  fois;  car,  à  la  page  231,  Brantôme,  qui  ne  s'en  est 
pas  souvenu,  parle  de  la  mort  de  la  Noue. 


M.  DE  LA  XOUE.  203 

brave  et  vaillant  jeune  homme,  et  bien  accomplv  en 
plusieurs  vertus_,  et  qui  a  conquis  son  gouvernement 
par  son  espée.  Il  est  vray  qu'il  luy  dit  que,  mais 
qu'il  se  fust  recognu  et  revenu  à  soy,  estant  encore 
tout  estonné  en  France,  qu'il  m'escriroit  et  me  re- 
mercieroit  des  offices  que  luy  avois  faicts  en  prison  ; 
mais  c'a  esté  celuy-là  duquel  despuis  n'ay  sceu  au- 
cunes nouvelles,  suivant  en  cela  son  naturel.  Si  faut- 
il  que  je  l'excuse  pourtant,  et  que  je  die  de  luy  qu'il 
ne  luy  faut  imputer  cette  imperfection  à  défectuosité 
du  cœur,  car  il  n'en  fut  oncques  un  si  noble  et  gé- 
néreux; mais  tel  est-il  nay,  et  aussy  que  le  grand 
zelle  qu'il  portoit  à  sa  religion  luy  avoit  tellement 
atteint  lame,  qu'il  eust  oublié  toutes  choses  pour  la 
servir  et  maintenir,  ainsy  que  plusieurs  autres  reli- 
gieux de  ceste  mesme  ordre  comme  luy  en  ont  faict 
de  mesmes,  jusqu'à  oublier  le  respect  des  pères  et 
mères  qu'ilz  leur  doibvent;  non  que  je  les  veuille 
tous  comprendre  en  général  soubs  cette  règle  et  opi- 
niastreté  d'hérésie,  car  il  y  en  a  prou  qui  ne  l'ont 
observée. 

Entre  lesquelz  j'en  ay  cognu  un  qui  estoit  un  gen- 
tilhomme du  Languedoc,  brave  et  vaillant  s'il  en  fut 
oncques,  nommé  M.  de  Grémian ,  qui  fut  celuy  qui 
prit  Aigues-Mortes  ',  le  roy  estant  en  Avignon  à  son 
retour  de  Poulogne,  et  à  sa  barbe,  et  à  sa  plus  grande 
colère ,  qu'il  vouloit  du  tout  exterminer  ceux  du 
Languedoc,  pour  l'inimitié  qu'il  portoit  à  M.  de 
Montmorency.    Je   l'ay   veu    autrefois    cornette    de 

1.  Antoine  du  Pleix,  seigneur  de  Gre'mian  et  de  Lucques.  Il 
s'empara  d'Aigues-Mortos  par  surprise  en  1575. 


264  M.  DE  LA  NOUE. 

M.  d'Acier',  lorsqu'il  mena  cette  grande  troiippe  de 
gens  de  guerre  à  M.  le  Prince  en  Xainctonge.  Ce 
M.  Gremian  donc,  encor  qu'il  fust  jeune  fou,  scala- 
breux  et  huguenot  à  bander  et  racler,  et  ennemy 
mortel  des  catholiques,  si  est-ce  qu'il  porta  tel  res- 
pect et  honneur  à  son  père,  que  jamais  il  n'entreprit 
guerre  là  où  il  sçavoit  son  père  M,  de  Gremian  (qui 
estoit  aussy  un  brave  et  vaillant  gentilhomme)  estre 
en  présence.  Si  bien  qu'une  fois  ayant  entrepris  sur 
une  ville  du  Languedoc,  dont  ne  me  soubviens  du 
nom,  et  de  faict  l'ayant  prise  par  escallade,  ainsy 
qu'il  entroit  dans  la  place  de  la  ville,  il  sceut  que  son 
père  estoit  dans  ladicte  place,  qui  rallioit  ses  gens 
pour  rembarrer  ses  ennemys  :  aussytost  ayant  sceu 
que  le  père  estoit  là,  il  ramassa  ses  gens,  et  les  en 
retourne  par  le  mesme  chemin  qu'ilz  estoient  tous 
venus,  disant  qu'il  aymeroit  mieux  mourir  que  se 
trouver  en  aucun  endroict  où  il  pourroit  nuire  à  son 
père  le  moins  du  monde,  ou  à  son  honneur  ou  à  sa 
vie;  et  par  ainsy  se  retire,  encor  que  son  père  ne 
l'esparg'nast  point  là  où  il  pouvoit  luy  faire  guerre; 
non  pourtant  qu'il  ne  l'aymast  comme  père,  mais  il 
estoit  si  bon  catholique  qu'il  fermoit  les  yeux  à  tout; 
ce  que  ne  faisoit  pas  le  filz,  du  moins  à  l'endroict 
de  son  père  ;  en  quoy  il  est  fort  à  louer,  autant  pour 
cela  que  pour  ses  vaillantises.  Je  croy  qu'il  est  encor 
en  vie  et  dans  Aigues-Mortes,  qu'il  a  fort  bien  gardé 
despuis  encontre  plusieurs  entreprises;  car  c'est  une 
des  aussy  fortes  villes  de  France,  et  d 'aussy  grande 
conséquence. 

d.  Jacques  de  Crussol,  baron  d'Acier. 


M.  DE   LA  NOUE.  265 

J'ay  faict  ceste  disgression  pour  servir  de  fin,  et 
pourtant,  estant  venue  à  propos,  je  ne  l'ay  voulu  ou- 
blier, car  possible  une  autre  fois  ne  m'en  fussè-je 
pas  souvenu  si  bien;  et,  en  matière  d'escrire,  il  faut 
prendre  les  traictz  de  la  plume,  soit  au  bond,  soit  à 
la  volée,  ainsy  qu'ilz  viennent,  sans  en  perdre  l'oc- 
casion, car  elle  ne  se  recouvre  quand  on  veut  ;  aussy 
que  la  mémoire  tergiverse  si  deçà,  si  delà,  qu'elle  ne 
vient  pas  tousjours  au  gisle  comme  l'on  veut.  Voicv 
donc  la  fin  de  ce  discours  que  je  crains  estre  par 
trop  long. 


FIN    DE    M.   DE    LA    NOUE. 


DISCOURS 

D'AUCUNES  RETRAICTES  DE  GUERRE 

qu'ont  faicïes  aucuns  grands  capitaines 


ET   COMMEKT    ELLES    VALENT   BIEN   AUTANT    QUELQUEFOIS 
QUE    LES    COMBATS*. 


J'ay  souvent  ouy  dire  à  de  grands  capitaines  et 
généraux  d'armées,  que  les  retraictes  belles  et  les  de- 
meslemens  de  combats  méritent  bien  autant  de 
louanges  que  les  exécutions^  chose  n'estant  si  difli- 
cile  en  guerre  que  celle-là.  Et  le  capitaine  qui  faict 
une  belle  retirade  devant  son  ennemy,  est  bien  au- 
tant à  estimer  que  celuy  qni  le  combat;  d'autant, 
disoient-ilz,  que  le  moindre  capitaine  qui  aura  du 
cœur  peut  combattre  et  bien  se  retirer.  Sur  lequel 
subject  nous  en  avons  une  infinité  d'exemples,  tant 
antiques  que  modernes.  Et  d'autant  que  j'ay  protesté 
de  n'en  produire  point  d'antiques,  pour  estre  trop 
communs  et  sceus  d'un  chascun,  je  n'en  produiray 
que   de  nos  modernes;    et  pour  le    premier,   j'en 

i.  Nous  n'avons  point  trouvé  de  manuscrit  de  ce  discours. 
Nous  reproduisons  le  texte  des  anciennes  éditions. 


2()8  DISCOURS 

prendray  un  du  marquis  de  Pescayre,  don  Fernando 

d'Avalos.   Ce  brave  marquis  donc  ayant  chassé  les 

François  de  l'eslat  de  Milan,  avecqucs  M.  de  Bourbon, 

et  avant  esté  persuadé  et  fort  pressé  par  luy  pour 

j)asser  en  France,  il  vint  à  son  très-grand  regret  en 

Provence,  quasy  en  despit  de  luy,  porque  sabia  bierij 

decia  el,  que  la  nnturaleza  de  iudos  los  desterrados  es 

t(d,  que  coinhidados  de  una  muy  pequena  esperança^ 

facilnienle  se  embuehen  en  qnalquiera  difficultad ;  y 

que,  en  los  principios  de  las  cosasj  no  miden  ningun 

peligro  cou  la  razon  ,  y  que  major  locura  no  podia 

ser  que^  con  un  capitan  desterrado ,   que  en  publico 

juyzio   açia  sido  condenado  por  iraydor,  j  con  tan 

poco  exercito,  emprender  de  combatir  un  reyno  riquis- 

simo;  en  donde,  los  Franceses^  afficionados  al  nombre 

real,  estaban  acostumbrado,  no  solamente  por  amor 

natural,  pero  casi  por  servit  obediencia^  a  série  fieles; 

j  aun  casi  adorar  el  rostro  de  su  rej^  como  si  fuessé 

una  gran  cleidad  occulta-,  abominando  grandemente 

del  nombre  de  trajdor,  y  no  açiendose  jamas  rebe- 

lado  alguno  de  ellos  contra  su  rej  legitimo.   Pero 

confiado  en  el  ualor  de  sus  soldados  y  animo  eni- 

prendio  la  guerra,  y  paso^.  C'est-à-dire  :  «  Parce  que, 

disoit-il,    le   naturel   des    hommes  bannis    de   leur 

patrie  est  tel,  que,   conviez  d'une  petite  espérance, 

facilement  s'embrouillent  en  quelque  difficulté  que 

ce  soit,  et  jamais,  au  commencement  des  choses,  ne 

mesurent  les  périls  avec  la  raison  ;  et  qu'il  n'y  avoit 

foHe  plus  grande  qu'avec  un  capitaine  banny  et  de- 

4 .  Ce  passage,  à  quelques  mots  près,  et  sauf  la  dernière  phrase, 
est  tiré  de  Vallès,  liv.  III,  cli.  ii. 


D'AUCUNES  RETRAICTES   DE   GUERRE.  S>69 

ciaré  cMi  plein  jugement  traître,  et  avec  petites  forces, 
s'embarrasser  et  entreprendre  de  faire  la  guerre  dans 
ini  royaume  où  les  François ,  très  aOfcctionnez  au 
nom  royal,  avoient  accoustumé,  non-seulement  par 
amour  naturel,  mais  quasi  par  vile  servitude  et  com- 
mandement, à  cstrc  fidelles,  voire  quasi  adorer  le 
visage  de  leur  rov,  commo  si  c'esLoit  quelque  déitë  oc- 
culte; abominant  grandement  le  vilain  nom  de  Lrais- 
tre,  desquels  n^en  avoit  eu  d'aucune  mémoire  qui  se 
fust  rebellé  de  son  roy  légitime.  Toutesfois,  se  con- 
liant  en  la  valeur  et  courage  de  ses  soldats,  il  entre- 
prit laguerre  et  passa.  » 

Et  d'aliordade  allèrent  assiéger  Marseille,  gardée 
si  bien  par  ceux  qui  estoient  dedans  qu'ilz  y  firent 
très-mal  leurs  besoignes.  Et  s'y  voulant  opiniastrer, 
le  roy  eut  loisir  de  s'armer  et  aller  à  l'encontre  d'eux, 
faisant  si  bonne  diligence,  y  ayant  premièrement 
envoyé  M.  de  Longueville  et  luy  après,  qu'il  fallut  à 
M.  de  Bourbon  et  au  marquis  songer  à  faire  leur  re- 
traicte  et  à  grands  pas  pour  estre  si  vivement  pour- 
suivi par  le  rov  et  ses  forces,  que  ce  fut  à  eux  à 
faire  si  grandes  et  vilaines  traictes  par  ces  chemins 
raboteux  de  ces  hautes  et  horribles  à  voir  seulement 
montaignesdes  Alpes,  qu'on  en  ouyt  jamais  parler  de 
telles. 

De  tal  manera,  dicen  los  Espaîioles^  que  los  solda- 
dos,  enceinte  y  très  dias  de  viage,  hicieron  su  camino 
con  tanta  presteza  y  paciencia^  que  estando  casi  todos 
siii  çapatos,  se  cubrieron  los  pies  desolados  con  cueros 

\.  Ce  passage  est  composé  de  phrases  empruntées  aux  cli.  ix 
et  X  du  liv.  IV  de  Vallès. 


^270  DISCOURS 

recientes  de  animales.  Y,  porque  la  art  Hier  ia  non  po- 
dia  caminaj\  cl  marques  con  un  fuego  hizo  romperla, 
j:  puso  las  pedazos  del  métal  en  bestias  de  carga  ;  y 
por  eso,  aunque  trajese  consigo  mas  de  doze  mil  ca- 
raajes  o  bestias  de  carga ,  no  deœo  aun  solo  un 
bagaje  de  soldado  en  camino  tan  largo  j  tan  enojoso, 
y  a  si  iodos  s  a  nos  y  salvos  llegaron  a  Pavia,  lugar  de 
toda  seguridad^  y  pasaron  et  Po  ^  C'est  à  dire  :  «  De 
telle  manière,  disent  les  Espaignols,  que  les  soldats, 
en  vingt-trois  journées  de  voyage,  firent  leur  chemin 
avec  tant  de  prestesse  et  de  nécessité,  qu'estans  tous 
quasi  sans  souliers,  étaient  contraincts  d'envelopper 
et  couvrir  leurs  pauvres  pieds,  tout  espinez^  et  esgra- 
tignez,  de  quelques  cuirs  faicts  de  fraisclies  peaux  de 
bestes.  Et,  parce  que  l'artillerie  ne  pouvoit  suivre,  le 
marquis  la  fit  rompre  avec  du  feu,  et  en  fit  mettre 
les  pièces  du  métal  sur  des  bestes  de  charge  :  et,  en- 
core qu'il  eust  en  son  camp  et  tirast  après  lui  plus  de 
douze  mille  bestes  de  charge  et  de  carréage,  il  ne  de- 
meura en  chemin  un  seul  chétif  bagage  de  soldat;  et 
ainsi  sains  et  sauves  arrivèrent  à  Pavie,  lieu  de  seu- 
reté,  et  passèrent  le  Pô.  » 

Toute  ceste  diligence  et  belle  retraicte  est  digne  à 
estimer  en  la  façon  de  laquelle  le  roi  les  pressoit, 
et  telle  qu'entrant  par  une  porte  dans  Milan,  son 
ennemy  passoit  par  l'autre.  Le  marquis  se  monstra 
là  un  très-habile  et  grand  capitaine.  Aussi  dit-'on 
de  luy  que  de  sa  nature  n'estoit  grand  vanteur, 
mais  ne  se  peut  en  garder  qu'il  ne  s'en  vantast  et 

1.  Voyez  Vallès,  liv.  IV.  ch.  x, 
±.  Espinez^  déchires  par  les  épines. 


D'AUCUNES  REÏR41CTES   DE  GUERRE.  271 

fist  une  grande  ostentation,  comme  disent  les  Espai- 
nols  :  De  esta  sola  hazana  y  retirada^  que  en  ninguna 
cosa  fue  sernejante  a  hujda,  de  gran  admiracion  dicen 
que  acostumhrava  gluriarse  el  marques  de  Pescava^ 
siendo  en  olra  nianera  muj  comedido  a  hlasonar  de 
si  mesnio,  callando  con  singular  modestia  las  cosas 
que  te  trajan  loor\  daado  a  entender  que  el  estava 
contenta  solo  con  aquel  fructo  de  gloria  que  ténia 
puesto  en  la  propria  consciencia^  el  quai  florescia 
dichosamente  mas  en  hoca  agena  que  en  su  propiia^. 
C'est  à  dire  :  «  De  ce  seul  faict  et  retirade,  qui  en  nulle 
chose  ne  fut  pareille  à  une  fuite,  comme  d'une  chose 
de  grande  admiration,  on  dit  que  le  marquis  de  Pes- 
cayre  s'en  souloit  fort  glorifier;  estant  autrement 
fort  arresté  à  parler  et  blasonner  de  soy-mesme, 
taisant  avec  une  grande  modestie  les  choses  qui 
luy  tiroient  a  louange;  , donnant  à  entendre  qu'il  es- 
toit  assez  seul  content  avec  le  fruit  de  gloire  qu'il 
tenoit  en  sa  propre  conscience,  lequel  fleurissoit 
mieux  et  plus  heureusement  en  la  bouche  d'autruy 
qu'en  la  sienne.  » 

Et  certes,  il  falloit  bien  que  ce  brave  marquis  esti- 
mast  bien  ceste  retraicte  poiu*  un  grand  exploict  de 
guerre,  puisque  ses  beaux  combats  il  taisoit,  et  en 
ceste  retraicte  ne  se  pouvoit  garder  qu'il  ne  se  louast 
grandement,  comme  tous  grands  capitaines  l'ont 
louée,  et  surtout  M.  le  connestable  ^,  qui  aydoit  fort 
à  luy  donner  la  chasse  pour  ce  coup. 

Une  autre  belle  retraicte  fit  ce  brave  Philibert  de 


1.  Voyez  Vallès,  liv.  IV,  ch.  x,  f»  122. 

2.  Anne  de  Montmorency. 


272  DISCOURS 

Chaslon,  prince  d'Orange,  le  non-pair  de  la  Flandres 
de  ce  temps-là,  lorsqu'il  se  retira  si  bravement  après 
avoir  faict  tous  les  beaux  debvoirs  de  guerre  avec- 
ques  une  fort  petite  armée  sortie  du  sac  de  Rome; 
car  encor  qu'elle  y  fust  entrée  grande,  si  n'en  sortit- 
elle  de  mesmes,  estant  le  naturel  des  soldats,  après 
s'eslre  enrichis  d'un  grand  butin,  se  desbander  et  s'en 
aller  ;  pour  attirer  au  combat  de  M.  Lautrecq,  deux 
fois  plus  fort  et  plus  puissant  que  luy,  s'estant  campé 
devant  sa  barbe  à  Troye  ',  dans  la  Pouille,  pour  luy 
empescher  le  chemin  de  Naples,  et  M.  de  Lautreq 
ne  l'ayant  voulu  combattre  ny  recevoir  à  la  battaille, 
encor  qu'il  eusl  très-grande  apparence  de  la  victoire, 
et  eust  respondu  :  «  Je  ne  puis  donner  la  battaille, 
«  sans  y  perdre  beaucoup  de  gens  de  bien,  mais  je 
«  les  aurai  la  corde  au  col;  »  d'autant  qu'il  attendoit 
Horace  Baglion,  qui  amenoit  les  vieilles  bandes  noires 
de  Jehan  de  Médicis,  qui  estoient  le  principal,  voire 
tout  le  nerf  de  son  armée.  Ce  qu'ayant  sceu  Phihbert, 
la  nuict  d'entre  un  vendredy  et  samedy,  fit  mettre 
toutes  les  campanes  ^  des  mulets  dans  les  coffres,  et 
sans  sonner  trompettes  ny  tambours,  deslogea,  pre- 
nant le  chemin  des  bois  droict  vers  Naples;  et  laissa 
M.  de  Lautreq  planté  et  campé  avec  sa  bravade  et  jac- 
tance gasconne  et  son  altier  rudoyement,  qui  portoient 
grands  dommages  certes  à  ses  grandes  vertus,  en  ju- 
rant son  ohé^,  car  c'estoit  son  serment  ordinaire.  11 
envoya  après  quelque  gendarmerie  et  cavallerie;  et 
donnèrent  sur  la  queue,  et  en  deffirent  quelques-uns, 

1 .  Troja,  dans  la  Capitanate. 

2.  CampuneSy  cloches.  —  3.   Ohé^  oui-bien. 


D'AUCUNES  REÏRAICTES  DE  GUERRE.  273 

mais  bien  peu.  Pour  ce  coup,  il  *  fit  la  leçon  à  ce  grand 
capitaine.  Encor  dict-on  que,  sans  qu'il  s'apperceut 
d'une  apparence  de  mutinerie  parmy  les  EspaignoJs, 
et  lansquenets  demandans  leurs  payes,  ainsi  qu'ilz 
firent  en  arrivant  à  Naples,  ledict  prince  eust  pris 
une  autre  résolution  ;  mais  possible  ne  fust-elle  esté  si 
louable  que  ceste  retraicte. 

J'ay  ouy  dire  à  aucuns  anciens  que,  lorsqu'il  fallut 
à  l'admirai  Bonnivet  abandonner  du  tout  l'eslat  de 
Milan,  y  ayant  esté  très-mal  mené  de  messieurs  de 
Bourbon  et  de  Pescayre,  et  des  soldats  impériaux,  à 
la  retraicte  qu'il  luy  fallut  faire  à  Romagnano,  que 
firent  messieurs  de  Bayard  et  Vandenesse  qui  en 
avoient  la  charge,  estant  ledict  amiral  Bonnivet 
blessé  et  se  faisant  porter  en  litière,  s'ilz  n'y  fussent 
esté  tuez,  que  la  retraicte  s'en  alloit  estre  des  plus 
signalées.  Dès  qu'ilz  furent  morts,  un  chascun  perdit 
cœur,  ayant  perdu  leur  principaux  chefs  et  appuys, 
et  s'en  allèrent  tous  à  la  desbandade  et  en  désordre; 
de  sorte  que  les  impériaux  en  eurent  tel  marché 
qu'ilz  voulurent.  Et  disent  les  Espaignols  *  qu'ilz  leur 
prirent  sept  pièces  d'artillerie,  que  les  soldats  menè- 
rent dans  Milan,  bien  ramées*  et  couvertes  de  feuilles 
d'arbres ,  en  signe  de  grand  triomphe.  Tant  que 
messieurs  de  Bayard  et  Vandenesse  demeurèrent  en 
vie,  tout  alla  bien,  et  se  retiroient  nos  François  tous- 
jours  en  fuite  de  loup;  mais  leur  mort  apporta  tout 
deuil,  tout  malheur  et  toute  confusion.  On  dit*  que 

1.  //,  Philibert.  —  2.  Les  Espagnols,  c'est-à-dire  Vallès. 

3.  Ramées,  couvertes  de  branches. 

4.  On  dit,  c'est-à-dire  Vallès.  Brantôme  a  déjà  raconté  tout 

VII  —  18 


274  DISCOURS 

M.  l'admirai  en  ayant  donné  totale  charge  de  ceste 
retraicte  à  M.  de  Bayard  (M.  du  Bellay  y  met  M.  de 
Sainct-Pol,  mais  l'Espaignol  ne  faict  mention  que  de 
miessieurs  de  Bayarrl  et  Vandenesse),  luy  recomman- 
dant surtout  l'artillerie  qu'elle  ne  fust  prise,  M.  de 
Bayard  luy  respondit  :  «  Monsieur,  j'eusse  fort  de- 
«  siré  que  le  roy  et  vous  m'eussiez  donné  ceste 
«  charge  en  fortune  plus  prospère  et  heureuse  que 
«  l'advanture  me  traie  te;  je  feray  en  sorte  que  tant 
«  que  j'auray  la  vie,  je  la  deifendray  si  bien  que 
«  l'ennemy  n'en  triomphera  point,  » 

Et  ainsy  qu'il  le  dit,  il  le  tint  très-bien,  demeurant 
tousjours  serré,  sur  la  queue,  et  rendant  tousjours 
quelque  gentil  combat.  Mais  le  malheur  fut  qu'il  eut 
une  grande  mousquetade  dans  Tespaule,  qui  le  força 
de  la  douleur  de  mettre  pied  à  terre  :  et  soudain, 
ayant  esté  assisté  des  siens,  et  le  voulant  désarmer 
et  porter  sm^  des  picques  (car  il  n'y  avoit  soldat  qui 
ne  l'aimast  et  ne  l'honorast  plus  que  le  général),  il 
pria  chascun  de  se  retirer  et  sauver.  «  Car,  quant  à 
«  moy,  dit-il,  je  veux  mourir  dans  le  champ  où  j'ay 
«  combattu,  n'estant  bien  séant  à  un  grand  homme 
a  de  guerre  de  mourir  autrement  qu'armé  de  toutes 
ses  armes.  » 

Et  ainsy  que  les  soldats  espaignols,  poursuivant  la 
victoire,  le  voyant  estendu,  lui  demandèrent  qui 
il  estoit,  et  qu'il  se  rendist  :  «  Ouy,  dit-il,  je  me 
«  rends  à  M.  le  marquis  de  Pescayre;  »  dont  tous  les 
Espaignols  commencèrent  à  le  louer  grandement  di- 

ceci  dans  l'article  consacré  à  Bayard  (voyez  t.  II,  p.  382  et  sui- 
vantes) . 


D'AUCUNES  RETRAICTES  DE  GUERRE.  275 

sans  :  Que  se  maravilhihan  miicho  del  gran  jujzio  de 
tan  valeroso  homhre,  cl  rjual  sabiendo  rnuj  bien  que 
la  suprema  autoridad  del  go^'ierno  estava  en  poder 
de  don  Carlos  de  Lanoy  y  del  duque  de  Barbon, 
quisiesse  antes  rendirse  al  marques  que  a  ellos;  dando 
à  entender  que  el  nombre  de  la  guerra  canada  ton  va- 
lor  verdadero,  y  con  hec/ios  illustres,  era  muj  mas 
noble  y  honrado,  que  no  el  que  se  gana  con  el  juego 
de  la  fortuna  amorosa^  y  con  el  soberbio  fa^'or  de  los 
rejes delmundo^^  c'est-à-dire  :  «  Qu'ilz  s'émerveilloient 
fort  du  grand  jugement  d'un  si  valeureux  homme, 
lequel  sçachant  bien  que  la  suprême  autliorilé  du 
golivernemenl  appartenoit  à  don  Charles  de  Lanoy 
et  M.  de  Bourbon^  néanmoins  il  aima  mieux  se  ren- 
dre au  marquis  qu'aux  autres,  sçachant  bien  que  le 
renom  de  la  guerre,  gaigné  par  une  vraie  vertu  et 
par  illustres  faictz,  est  plus  honnorable  que  celuy 
qui  se  gaigne  par  le  jeu  de  la  fortune  amoureuse,  ou 
par  la  superbe  faveur  des  roys.  » 

M.  le  marquis  aussi  lé  receut  fort  honnorable- 
ment,  et  luy  bailla  des  gardes  pour  l'avoir  en  re- 
commandation a  que  no  reciblese  ninguna  violencia  ni 
injuria  de  ninguno  soldado  a^'ariento  o  ignorante , 
porque  era  menés  ter  que  persiguiese  los  enemigos^, 
c'est-à-dire  :  «  Qu'il  ne  receut  nulle  violence  ni  in- 
jure d'aucun  soldat,  avare  ou  ignorant  de  l'art  de  la 
guerre;  car  il  luy  falloit  poursuivre  l'ennemy.  » 

Ledict  marquis  le  voyant  en  tel  estât,  s'escria  aux 
soldats  :  Eal  soldados,  vicloria   tenemos  ;  porque  es 

\.  Vallès,  liv.  III,  ch.  xi,  f"  106. 
2.  Vallès,  ibid. 


276  DISCOURS 

maerto  el  capitan  Bayarch'^.  «  Soldats,  nous  avons  la 
victoire,  puisque  le  capitaine  Bayard  est  mort.  »  Et 
luy  fit  tous  les  honneurs  du  monde  pour  si  peu  de 
vie  qu'il  luy  restoit,  et  les  meilleurs  traictemens; 
ayant  commandé  luy  faire  tendre  un  pavillon  fort 
superbe  sur  le  champ  mesme,  et  un  lict  pour  se  re- 
poser; et  mourut  ainsy  sans  jamais  se  désarmer.  Y 
asl  murio  armado  en  el  campo,  conio  lo  habia  siempre 
deseado  :  «  Et  ainsi  mourut  tout  armé  dans  le  camp, 
comme  il  l'avoit  toujours  souhaité.  » 

Après  sa  mort,  le  marquis  honora  son  corps  de 
superbes  obsèques,  et  le  renvoya  aux  siens  honora- 
blement, qui  l'emmenèrent  en  France.  Ce  fut  lors 
qu'il  dict  à  M.  de  Bourbon  ces  belles  parolles  que 
M.  du  Bellay  a  mises  dans  ses  Mémoires.  Car,  ainsy 
que  M.  de  Bourbon  poursuivoit  l'ennemy,  et  passant 
auprès  de  M.  de  Bayard  et  le  voyant  en  si  piteux 
estât,  lui  dict  :  «  Monsieur  de  Bayard,  j'ay  grand- 
«  pitié  de  vous.  »  Lequel  luy  respondit  :  «  Mais  moy, 
u  Monsieur,  de  vous,  qui  combattez  contre  vostre 
«  Dieu,  vostre  roy  et  vostre  patrie;  et  moy,  je  meurs 
«  les  armes  à  la  main  pour  les  defFendre'.  » 

Je  suis  esté  un  peu  long  en  cet  incident,  et  crains 
qu'on  ne  me  coulpe  '  de  m'estre  ainsy  extra  vagué. 
Toutesfois,  parlant  si  bien  de  ce  grand  personnage, 
tout  peut  passer  sous  ceste  belle  monstre. 

Et,  pour  retourner  encore  à  nos  retraictes,  aux- 
quelles tend  nostre  discours,  pour  en  parler  de  celle 

i.   Le  texte  de  du  Bellay  a  été'  arrangé  par  Brantôme  qui 
l'avait  déjà  modifié  ailleurs.  Voyez  t.  Il,  p.  386. 
2.  Coulper,  reprocher. 


D'AUCUÎVES  REÏRAICTES  DE  GUERRE.  277 

que  le  feu  roy  François  fit  devant  Landrecy  :  Lan- 
drecy  ayant  esté  assiégé  par  l'empereur  fort  furieuse- 
ment d'une  très-grande  puissance  (car  il  avoit  dix-huit 
mille  Espaignols  des  vieilles  bandes,  six  mille  An- 
glois,  selon  le  concordat  entre  luy  et  le  roy  d'Angle- 
terre, et  treize  mille  chevaux,  tant  de  ses  vieilles 
ordonnances  de  Naples,  des  Pays-Bas  et  des  Clévois), 
le  roy  résolut  de  secourir  ceux  de  dedans,  qui 
avoient  si  bien  faict  que  rien  plus,  tant  à  se  bien 
deffendrc  qu'à  bien  assaillir.  Aussy  léans  y  avoit-il 
deux  bons  chefs,  le  capitaine  La  Lande  et  M.  d'Essé. 
Il  dresse  donc  une  armée,  mais  non  si  forte  que  celle 
de  l'empereur,  et  vient  à  sa  barbe  avitailler  et  ren- 
forcer sa  place;  et  non  sans  en  advertir  l'empereur; 
car  le  jour  advant,  assez  près  de  Landrecy,  fit  tirer 
une  volée  de  canon  à  toute  son  artillerie,  pour  faire 
signal  à  la  ville  qu'il  n'en  estoit  pas  loing,  et  leur 
donner  courage.  Et,  s'approchant  le  lendemain,  en- 
vitaille,  renforce,  faict  ce  qu'il  veut;  et  puis  se  met 
sur  sa  retraicte,  menant  l'avant-garde,  et  laissant  sur 
la  queue  et  Tarrière-garde  M.  le  Dauphin  son  fils, 
qui  pensant  une  fois  donner  battaille  comme  il  dési- 
roit  (car  il  estoit  du  tout  courageux  et  homme  de 
main),  Sadicte  Majesté  tourna  bride  soudain  pour 
secourir  :  mais  il  n'en  eut  grand  besoing,  car  l'empe- 
reur, ayant  desbandé  Ferdinand  de  Gonzague,  son 
lieutenant  général,  pour  aller  après  avecques  toute 
sa  cavallerie  légère,  et  quelque  harquebuserie  espai- 
gnoUe,  pour  les  amuser  en  attendant  le  gros  qu'il 
menoit,  ne  fut  rien  faict,  sinon  quelque  petite  escar- 
mouche, où  le  seigneur  d'Andouin,  fort  favorisé  de 
M.  le  Dauphin,  fut  tué,  et  quelques  autres,  pour  s'es- 


278  DISCOURS 

Ire  adventurez  mal  à  propos,  comme  un  jour  je 
Fouys  conter  à  M.  l'admirai.  Nonobstant,  le  roy  se 
retira  parmy  les  bois  à  Guyso,  ayant  faict  ce  qu'il 
avoit  voulu  fort  heureusement,  et  n'ayant  rien  perdu. 
Et  ce  fut  à  l'empereur  à  se  retirer  en  son  camp,  et 
puis  à  lever  totalement  le  siège  de  Landrecy.  Pour 
conclusion,  le  roy  secourut  sa  ville  à  la  barbe  d'un 
grand  empereur,  et  enfin  se  démesla  de  battaille,  et 
se  retira  :  ce  qui  ne  fut  peu  de  resputation  pour  luy, 
toutes  choses  bien  pensées;  et  fut  estimé,  non-seu- 
lement des  siens,  mais  des  estrangers,  qui  affirmoient 
avoir  esté  la  plus  belle  chose  qu'il  fit  jamais. 

En  quoy  faut  noter  une  chose  de  ces  deux  grands 
princes,  en  laquelle  ilz  trompèrent  tous  ceux  de  leur 
armée;  car  l'un  et  l'autre  publioient  parmy  leurs 
gens  qu'ilz  vouloient  donner  battaille  :  le  roy,  pour 
dire  tout  haut  qu'il  vouloit  voir  si  l'empereur  estant 
en  personne  seroit  aussy  heureux  en  battaille  com- 
me il  avoit  esté  par  ses  lieutenans  à  La  Bicoque 
et  à  Pavye,  et  que  c'estoit  chose  qu'il  avoit  le  plus 
souhaicté  de  l'y  voir,  et  de  s'attaquer  de  sa  personne 
à  la  sienne,  s'ilz  se  pouvoient  rencontrer.  De  l'autre 
costé,  l'empereur,  au  partir  de  Gueldres,  avoit  faict 
du  brave ,  et  s'estoit  Ayante  qu'il  iroit  jusques  à  Paris 
pour  voir  ce  qu'on  y  faisoit;  mais  ny  l'un  ny  l'autre 
ne  firent  ce  qu'ilz  avoient  dict.  Voyez  quelles  osten- 
tations de  princes  qui  ne  firent  que  donner  dans  le 
vent!  Aussy  faut-il  bien  souvent  qu'en  telles  choses 
ilz  bravent  plus  et  fassent  peu,  tiennent  mines  bra- 
vasclies  et  pleines  de  vanité  :  car  cela  importe,  ainsy 
que  j'ay  ouy  dire  à  de  grandz  capitaines,  encor  que 
la  honte  leur  tombe  sur  le  front  de  n'avoir  joint  leur 


D'AUCUNES  RETRAICTES  DE  GUERRE.  279 

effet  avec  leurs  parolles.  Mais  ces  princes  et  les 
grandz  sont  su}3Jects  à  boire  plus  de  honte  en  telles 
chose  que  les  petits;  et  ne  leur  en  chaut  mais  en 
quelle  façon,  ou  en  honneur,  ou  en  déshonneur,  ilz 
parviennent  à  leui's  fins;  et  qui  gaigne  est  le  plus 
honnoré. 

J'ay  ouy  dire  à  plusieurs  que  feu  M.  le  connestable 
avoit  projette  son  dessein  de  la  retraicte  de  Sainct- 
Quentin  du  tout  sur  cest  exemple  du  roy  que  je 
viens  de  dire,  s'y  voulant  du  tout  conformer  :  mais 
il  ne  la  fit  pas  de  nuict,  ains  de  plein  jour;  qui  fut 
sa  perte,  si  l'on  veut  croire  les  grands  capitaines,  et 
mesmes  M.  de  Montluc,  qui  en  a  très-bien  escrit 
dans  son  livre*,  où  il  tient  la  maxime  que  le  capi- 
taine qui  se  retire  de  nuict  n'en  est  pas  pour  cela 
subject  à  la  honte,  mais  plustost  son  ennemy,  qui, 
pensant  le  trouver  le  lendemain  au  matin,  n'y  trou- 
ve que  la  place  vuide,  et  demeure  avec  autant  de 
nez,  et  bien  trompé.  J'ay  veu  plusieurs  en  excuser 
M.  le  connestable,  mettant  un  grand  blasme  sur  le 
mareschal  de  camp  qui  estoit  pour  lors,  que  je  ne 
nommeray  point,  pour  n'avoir  jette  mille  ou  douze 
cens  arquebusiers  sur  quelque  passage,  qui  eussent 
donné  à  songer  au  comte  d'Aiguemont,  qui  n'avoit 
que  de  la  cavallerie,  et  mesmes  des  pistoliers  qui 
craignent  l'arquebuserie ,  que  le  roy  avait  refusée 
par  l'opinion  de  M.  le  connestable  qui  les  desdai- 
gna fort;  mais  ce  furent  eux  qui  aydèrent  beaucoup 
et  servirent  à  nous  battre.  Si  mondict  sieur  le  con- 
nestable se  fusl  gouverné  comme  le  roy  François,  il 

1 .  Voyez  Commentaires,  tome  I,  p.  470. 


280  DISCOURS 

ciist  acquis  toute  pareille  louange,  pour  avoir  envi- 
taillé  Sainet-Quentin  bravement  à  la  teste  d'une 
grande  armée,  et  beaucoup  plus  foible  que  son  en- 
nemy'. 

La  route  de  M.  le  mareschal  d'Estrozze,  l'un  des 
grands  capitaines  de  nostre  temps,  à  Sienne,  faisans 
la  retraicle,  advint,  pour  ne  l'avoir  faicte  de  nuict, 
ainsy  que  M.  de  Monluc  luy  avoit  très-bien  conseillé  *. 

La  retraicte  de  M.  de  Montejan  et  de  Boissy,  à 
Brignolles,  j)our  n'eslre  faicte  à  propos,  ni  à  chaux 
ny  à  sable,  comme  l'on  dit,  les  fit  tomber  entre  les 
mains  de  Ferdinand  de  Gonzague,  à  leur  honte  et 
perte  de  leurs  gens. 

M.  l'admirai  d'Annebaut,  après  avoir  envitaillé 
Thérouanne,  avoit  faict  un  très-beau  coup,  si  les 
jeunes  gens  qu'il  avoit  menez  avec  luy,  des  gallants 
de  la  cour,  n'eussent  voulu  taster  ce  que  sçavoit 
faire  l'ennemy  jusques  dans  leur  camp,  qui  se  mit  en 
armes,  les  mit  en  route,  et  prit  le  chef,  M.  d'Anne- 
baut, prisonnier,  et  autres^ 

Longtemps  advant  en  estoit  arrivé  de  mesmes  du  rè- 
gne du  roy  Louis  XII,  en  ceste  mesme  place,  et  pour 
mesme  subject  d'envitaillement,  qui  fut  très-bien  faict 
et  au  contentement  et  louange  de  tous.  Mais  au  retour 
des  matines,  comme  l'on  dit,  et  à  la  retraicte,  pensant 
estre  invincibles  et  que  l'ennemy  ne  les  oseroit  sui- 
vre veu  la  vaillance  qu'ilz  avoient  monstrée,  et  le 
desdaignant,   se-  mirent  à  se   retirer  joyeusement, 


i .  C'est-à-dire  ayant  en  tête  une  grande  armée,  et  lui  étant 
beaucoup  plus  faible  que  son  ennemi. 

2.  Voyez  Commentaires,  tome  I,  p.  4S7. 


D'AUCUTVES  RETRAICTES   DE  GUERRE.  281 

chantans,  causans  et  ayant  laissé  leurs  grands  che- 
vaux pour  monter  sur  des  haquenées  et  bestes  d'am- 
ble pour  aller  mieux  à  leur  ayse  estant  fatiguez  de 
la  course.  Lors  ilz  furent  chargez  de  l'ennemy  si  à 
l'improviste  et  si  furieusement,  qu'ilz  furent  con- 
traints, non  de  se  retirer,  mais  de  fuyr  à  bon  es- 
cient :  dont  le  mot  qu'on  en  dict,  la  journée  des  es- 
pérons, d'autant  que  leurs  espérons  leur  servirent 
plus  que  leurs  lances,  où  furent  pris  M.  de  Longue- 
ville,  dict  M.  de  Dunois,  M.  de  Bayard  et  d'autres 
grands  capitaines,  qui  trestous  oublièrent  leurs  le- 
çons. M.  de  Piennes  gouverneur  de  Picardie,  en 
estoit  chef. 

Si  faut-il  que  je  fasse  un  conte,  cependant  qu'il 
m'en  soubvient,  pour  descendre  du  majeur  au  mi- 
neur, qui  est  assez  plaisant.  Du  temps  de  nos  guer- 
res civilles  que  Poictiers  fut  assiégé  par  les  princes 
huguenots  et  M.  l'admirai ',  il  y  eut  un  certain  jeune 
gentilhomme  de  par  le  monde,  que  je  ne  nommeray 
point;  car  il  m'appartient,  et  de  fort  grande  maison. 
Il  estoit  en  sa  jeunesse  fort  coustumier  de  faire  tous- 
jours  un  peu  du  sot,  et  autant  qu'homme  qui  fust 
en  sa  contrée  et  pays  de  vaches  ;  mais  pourtant 
avec  cela  estoit  très-vaillant.  Il  avoit  eu  la  compai- 
gnie  de  son  père ,  au  moins  la  moitié,  par  résigna- 
tion. Pour  envie  qu'il  eut  de  faire  parler  un  peu  de 
luy  à  son  commancement  de  gendarme ,  il  demanda 
à  Monsieur,  frère  du  roy,  pour  lors  nostre  général, 
d'aller  jusques  au  camp  de  l'ennemy  pour  le  reco- 
gnoistre  et  y  faire  quelque  raflade.  Monsieur,  qui  se 

1.  En  1569. 


282  ^  DISCOURS 

(louhtoit  de  quelque  traict  de  son  mestier^  luy  donna 
licence.  11  y  va  de  fort  gave  humeur,  et  de  faict 
donna  bien  rafle  de  quelques  gens,  fait  quelques  lé- 
gères rapines,  si  bien  pourtant  et  avec  tel  esclan- 
dre, qu'il  mit  tout  le  camp  huguenot  en  allarme,  et 
en  armes  et  à  cheval.  Il  fut  enfin  poursuivi  d'une 
grosse  troupe  de  François  et  de  reystres;  mais  liiy, 
au  lieu  de  faire  une  belle  tirade  et  grande  cavalcade, 
s'en  alla  repaistre  et  dormir  à  trois  petites  lieues  du 
camp  seulement,  pensant  avoir  fait  un  beau  coup. 
Les  poursuivans,  en  ayant  eu  sitost  nouvelles,  le 
pensant  aller  lancer  jusqu'à  sept  ou  huit  lieues,  en 
eurent  très-bon  marché,  le  trouvèrent  et  le  prin- 
drent  dans  le  lict  très-aysément  à  trois  lieues;  dont 
la  risée  en  fut  très -grande  au  camp  de  l'un  et  de 
l'autre.  Et  quand  on  lui  demandoit  ce  qu'il  pensoit 
faire,  il  respondoit  seulement  :  «  Je  pensois  faire  ce 
«  que  j'ay  faict,  et  ne  pensois  pas  qu'on  me  deust 
((  suivre  plus  loing  qu'à  une  lieue  de  là,  m'es- 
((  tant  approché  si  près  d'eux.  »  Si  vous  asseurè-je 
pourtant  que  despuis  il  s'est  rendu  vaillant  et  bon 
homme  de  guerre,  car  il  en  est  de  race.  Voilà  une 
belle  retirade,  ou,  pour  mieux  dire,  coyonade  ou 
caguade'. 

Or,  si  nous  louons  les  grandes  armées  et  conduc- 
teurs d'icelles  pour  leurs  retraictes  en  un  grand  bloc 
général,  nous  en  avons  aussy  aucuns  particuliers, 
c'est-à  dire  en  petite  troupe.  Et  commançons  à  une 
poignée  de  sept  à  huict  cens  Espaignols,  qui  se  sau- 
vèrent  de   la  battaille  de  Ravenne,  lesquelz,    après 

1.  Caguade,  cacade. 


D'AUCUNES  RETRAIGTES  DE  GUERRE.  283 

qu'ilz  eurent  veu  la  totale  fin  de  la  battaille  à  leur 
très-grand  dommage,  résolurent  de  se  retirer  et  sau- 
ver leur  vie;  et  marchant  en  bon  ordre,  serrez  et 
résolus ,  M.  de  Nemours  qui  ne  se  senloit  encor 
bien  assouvi  du  grand  past  et  festin  qu'il  avoit  faict 
tout  le  long  du  jour  sur  le  sang  répandu  de  tant 
d'ennemys,  voyant  que  le  dessert  de  ces  Espaignolz 
s'en  alloit  tout  entier  sans  en  taster,  et  à  sa  veue, 
part  la  teste  baissée  avec  seulement  vingt  ou  vingt- 
cinq  qui  estoient  restez  avec;  et  quoiqu'aucuns  luy 
criassent  :  «  Monseigneur,  soubvenez-vous  de  ce  que 
«  vos  bons  capitaines,  qui  ont  suivi  la  victoire,  vous 
«  ont  priez  de  les  attendre,  et  de  ne  bouger  du  camp, 
«  et  de  tenir  ferme  jusqu'à  leur  retour,  et  que  vous 
«  leur  avez  si  sainctement  juré  et  promis,  »  il  n'en 
voulut  rien  croire  ni  faire;  mais  tout  courageuse- 
ment et  tout  haut  cria  :  «  Ah  !  qui  m'aymera  si  me 
«  suive,  >»  et  donne.  Ces  Espaignols,  qui  le  virent 
venir,  luy  crièrent  : 

Ea  !  monserwr,  somos  pobra  gente  desharatada. 
Dexadnos  ir  por  nueslra  mala  ventara,  y  se  con- 
tente vuestra  excelencia  de  la  çicloria,  que  no  sera 
mas  illustre  por  nos  perder y  matar.  C'est-à-dire  : 
«  Ah  !  monseigneur,  nous  sommes  pauvres  gens,  à 
demy  perclus  et  sans  puissance.  Laissez-nous  aller 
par  notre  maie  adventure,  et  contentez-vous  de  la 
victoire,  que  vous  ne  rendrez  pas  plus  illustre  pour 
nous  deffaire,  tuer  et  perdre.  » 

Mais  M.  de  Nemours,  ne  se  contentant,  donne 
dedans,  où  il  fut  tué  et  plusieurs  des  siens,  et  les 
autres  blessez  à  mort  et  trouvez  entre  les  morts, 
comme  M.  de  Lautreq. 


284  DISCOURS 

Cela  faict,  lesdicls  Espaignols,  sans  s'estonner  et 
s'amuser,  tirent  de  longue,  et  enfilent  le  chemin  le 
long  d'un  grand  canal,  marchant  en  très-bon  ordre, 
et  vindrent  à  rencontrer  messieurs  Louys  d'Ars  et  de 
Bayard  tournans  de  la  chasse,  lesquelz  bien  las,  et 
ne  sachant  rien  de  leur  général,  s'advancèrent  à  ces 
Espaignols,  faisant  bonne  mine;  car  ilz  n'eussent  sceu 
leur  faire  grand  mal,  d'autant  qu'eux  et  leurs  che- 
vaux estoient  si  recreus  d'avoir  chassé  si  loing,  qu'ilz 
furent  très-ayses  quand  aucuns  capitaines  espaignols 
s'advancèrent,  qui  dirent  les  mesmes  parolles  qu'ilz 
avoient  dictes  à  M.  de  Nemours,  celant  pourtant  sa 
/nort.  M.  de  Bayard,  qui  parloit  bon  espaignol,  et 
qui  les  avoit  longtemps  pratiquez,  et  estoit  la  mesme 
courtoisie,  et  qu'ilz  n'en  pouvoient  aussy  plus,  leur 
dit  :  «  Allez-vous-en  donc,  messieurs,  à  la  bonne 
«  liieure.  Vous  aurez  la  courtoisie  jusques  au  rendre; 
«  mais  ouvrez-vous  et  fendez,  et  laissez-nous  passer, 
«  et  si  nous  voulons  avoir  vos  enseignes,  »  qu'ilz  luy 
donnèrent  aussytost  et  à  grande  joye.  Et  passant  tous 
au  travers,  et  s'entresaluant  les  uns  les  autres  très- 
courtoisement,  s'entredirent  adieu,  et  chacun  tira 
son  chemin.  Mais  les  nostres  arrivant  dans  le  champ 
de  battaille,  et  sçachant  la  mort  de  M.  de  Nemours 
donnée  par  lesdicts  Espaignols,  se  repentirent  bien  de 
la  courtoisie  donnée'. 

II  n'est  pas  possible  d'ouyr  parler  d'une  plus  belle 
retirade,  quasy  semblable  à  celle  que  firent  six  ou 
sept  mille  soldats  romains  (encor  faut-il  parler  un 

1.  Brantôme  a  tiré  son  récit,  mais  en  l'arrangeant  et  en  y 
ajoutant,  du  ch.  liv  du  Loyal  Serviteur. 


D'AUCUNES  RETRAICTES  DE  GUERRE.  283 

peu  des  antiques  puisqu'ilz  ont  esté  si  braves,  et  les 
meslcr  un  peu  parmy  nous  autres)  eschappez  de  la 
sanglante  battaille  de  Cannes;  lesquelz,  après  avoir 
faict  jusqu'au  dernier  debvoir,  et  combattu  jusques  à 
l'extrémité,  considérans  ne  pouvoir  plus  servir,  sinon 
d'autant  augmenter  les  morts  et  ensanglanter  d'au- 
tant la  battaille,  se  résolurent  de  se  démesler  du 
combat  et  se  retirer  où  bon  la  fortune  les  condui- 
roit;  comme  ilz  firent  en  très-bel  ordre,  sentant 
mieux  leurs  vainqueurs  que  leurs  vaincus.  Ce  que 
pourtant  ceux  de  leur  ville  n'approuvèrent,  ayant 
esté  loing  des  coups  et  sous  la  clieminée,  jugeant  à 
leur  ayse  les  choses  autrement  qu'elles  ne  se  condui- 
rent  là  à  l'œil  et  à  l'elFect;  et,  comme  résolus  cen- 
'seurs  et  réformateurs  jusques  au  bout  des  ongles, 
ces  messieurs  firent  de  grandes  indignitez  à  ces  pau- 
vres soldats,  leur  faisant  faire,  advant  que  tourner  à 
leur  service,  plus  de  pénitences  que  ne  firent  jamais 
les  hermites  du  Calvaire,  de  Spolette,  ou  du  Mont- 
Serrat.  Et  pourtant  telz  gentilz  soldats  estoient  beau- 
coup à  estimer  de  s'estre  ainsy  retirez;  et  ne  faut 
doubter  qu'Annibal,  s'il  les  eust  peu  tous  faire  mas- 
vsacrer,  l'eust  faict  très- volontiers  ;  mais  les  voyant  se 
retirer  en  si  belle  contenance,  reigle  et  ordre,  il  les 
laissa  là;  possible,  s'ilz  fussent  allez  en  déroute,  les 
eust-il  chargez  et  mis  en  pièces*. 

En  nos  seconds  troubles,  après  la  journée  de 
Meaux  par  les  huguenots  au  roy,  et  qu'ilz  se  furent 
jettez  dans  Sainct-Denys,  leroy  commandaàM.  d'Es- 
trozze,  maistre  de  camp  tant   seulement  des  dix  en- 

i.  Voyez  Ïite-Live,  liv.  XXV,  cli.  vi  et  vu. 


^8G  DISCOURS 

seignes  de  la  garde  du  roy,  lesquelles  pom^tant  alors 
n'estoient  point  près  sa  personne,  mais  les  avoit  en- 
voyées aux  frontières  de  Picardie  en  garnison,  de  les 
aller  quérir  et  mener  dans  Paris  à  son  secours,  où  il 
estoit  à  demi  assiégé.  M.  d'Estrozze  y  alla;  et  d'au- 
tant que  ses  dix  compaignies  estoient  la  force  princi- 
pale du  roy,  et  sur  laquelle  il  s'appuyoit  le  plus,  pour 
estre  tous  vieux  soldats  choysis  et  quasy  la  pluspart 
qui  avoient  commandé  ou  dignes  de  commander, 
comme  quasy  tous  ont  faict  despuis,  M.  le  Prince  et 
M.  l'admirai,  encor  qu'ilz  aymassent  naturellement 
M.  d'Estrozze ,  détachèrent  aussytost  M.  de  Mouy 
Saint-Fal  avec  douze  cens  chevaux  pour  l'aller  def- 
faire  ,  quoy  qu'il  fust  ;  car  c'estoit  une  dangereuse 
petite  troupe  pour  eux.  M.  de  Mouy  ne  faillit  pas  de 
les  aller  rencontrer  entre  Abbeville  et  Amyens;  et  les 
trouvant  marclians  en  vrais  gens  de  guerre,  serrez, 
résolus  et  entournoyez  de  tous  costez  de  bons  cha- 
riots qui  marchoient  tousjours  en  forme  de  barri- 
cade, ne  les  osa  attaquer  ny  nullement  enfoncer,  en- 
core qu'il  se  fist  quelque  petite  et  légère  escarmouche 
de  chevaux  huguenots  pour  les  attirer  hors  de  leurs 
charrettes.  Mais  ces  braves  capitaines  et  soldats,  ti- 
rant tousjours  arquebusades  bien  à  propos,  ne  lais- 
soient  à  marcher,  et  M.  de  Mouy  de  les  cavalier  en 
attendant  son  bon,  ou  qu'il  les  trouvast  le  moins  du 
monde  desbandez  ou  estonnez.  Enfin  M.  d'Estrozze 
et  ses  capitaines  et  soldats  se  retirèrent  si  bien,  en 
tournant  tousjours  la  teste  vaillamment  l'espace  de 
huict  jours,  qu'approchant  de  Paris,  M.  de  Mouy  fut 
contrainct  de  les  quitter  à  huict  lieues  de  là  et  les 
donner  au  diable,  et  s'en  aller  d'un  costé  et  eux  de 


D'AUCUNES  RETRAICTES  DE   GUERRE.  287 

l'aulre  ;  et  ainsy  arrivèrent  à  Paris,  n'estant  que  cinq 
cens  seulement,  cinquante  par  compaignie.  M.  d'Es- 
trozze  m'a  dict  que  beaucoup  et  une  infinité  de  sol- 
dats de  Picardie  s'estoient  voulu  jetter  dans  sa 
trouppe,  si  bien  qu'il  l'eust  agrandie  de  plus  de  mille 
liommes;  mais  il  ne  le  voulut  jamais,  pour  ostenta- 
tion qu'il  vouloit  avoir  d'estre  si  bravement  passé, 
et  s'estre  retiré  avec  une  si  petite  troupe,  et  aus- 
sy  qu'il  avoit  si  grande  fiance  et  asseurance  de  la 
valeur  de  ces  cinq  cens  soldats,  qu'il  pensoit  estre 
invincible,  et  qu'il  n'en  tenoit  pas  un  de  tous  eux 
pour  lasche  et  poltron,  et  qu'ilz  eussent  combattu 
jusqu'à  la  dernière  goutte  de  leur  sang.  Au  lieu  que 
s'il  en  eust  pris  d'autres  nouveaux,  il  n'eust  fallu  que 
quelques  poltrons  pour  gaster  tout  et  mettre  tous  les 
bons  en  peine  et  en  désordre,  ainsy  que  cela  s'est 
veu  souvent.  Enfin  les  voylà  arrivez  à  Paris  par  la 
Porte-Neuve  *,  avec  un  grand  estonnement  du  roy, 
de  sa  cour,  de  son  armée  et  de  ceux  de  Paris,  pen- 
sant résolument  qu'ilz  avoient  esté  tous  deffaicts , 
ainsy  que  les  nouvelles  fausses  en  avoient  couru,  et 
qu'on  avoit  sceu  qu'on  estoit  allé  au-devant  d'eux 
pour  les  despescher  et  def faire. 

Voilà  une  très-belle  retraicte  pour  n'estre  que  ar- 
quebusiers et  quelque  peu  d'halebardiers  (car  les 
compaignies  en  portoient  lors),  faicte  à  la  barbe  de 
douze  cens  choysis,  conduicts  par  un  des  vaillans 
liommes  de  France  parmy  les  plaines  de  Picardie, 
favorables  pour  les  chevaux,  et  mal  pour  l'arquebu- 

1.  Près  du  Louvre.  Elle  était,  suivant  Hurtaut  [Dict.  de  Paris, 
t.  IV,  p.  12S),  presque  sur  ralignemeut  de  la  rue  Saint-Nicaise. 


^288  DISCOURS 

série,  etchevallez  l'espace  de  liuiet  jours.  L'admiration 
en  fut  très-grande  et  une  joie  extresme  au  roy,  qui 
les  voulut  voir  tous,  et  les  fit  passer  dedans  le  Louvre, 
les  embrasser  et  faire  bon  visage;  et  leur  ayant  com- 
mandé leur  logis,  voulut  qu'ilz  se  rafraischissent  et 
de  deux  jours  n'allassent  à  la  guerre  qu'ilz  ne  fus- 
sent reposez;  mais  le  lendemain  allèrent  voir  l'en- 
nemy,  qui  les  cognut  aussytost  au  son  et  bruict  de 
leurs  bonnes  arquebuses  et  à  leur  valeur;  et  trois 
jours  après  il  partit  de  Sainct-Denys,  tirant  vers  la 
Lorraine,  et  nous  les  suivismes. 

J'ay  ouy  dire  depuis  à  M.  de  Mouy  que  jamais  il 
n'avoit  veu  de  plus  braves  capitaines  et  soldats,  ny 
plus  asseurez  que  ceux-là;  louant  surtout  M.  d'Es- 
trozze  qu'il  n'eust  jamais  peu  croire  en  son  jeune 
aage  qu'il  eust  pu  conduire  si  bien  une  telle  retraicte. 
El  d'autant  que  les  capitaines  méritent  eslre  nom- 
mez, cognus  et  recommandez  à  la  postérité,  je  les 
vais  nommer  :  M.  d'Estrozze,  maistre  de  camp;  le 
capitaine  Bordas,  de  Dacs',  son  lieutenant;  le  capi- 
taine Charrion  ;  le  capitaine  Cosseins;  le  capitaine 
Torcez;  le  capitaine  Nevillian;  le  capitaine  Gouas 
l'aisné  ;  le  capitaine  Cadillan  ;  le  capitaine  Gouas  le 
jeune;  tous  Gascons;  le  capitaine  Cabanes,  Auver- 
gnac,  et  le  capitaine  Hirromberry,  Basque;  qui  sont, 
je  pense,  tous  morts  à  ceste  heure,  et  pense  les  avoir 
veuz  tous  quasy  mourir.  Je  croys  que  le  capitaine 
Bordas  vit  encor. 

Aux  premières  guerres,  les  bons  soldats  se  ran- 
geoient  la  pluspart  du  costé  des  huguenots,   à  cause 

1.  Ducs,  Dax. 


D'AUCUNES  RETRAICTES  DE  GUERRE.  289 

de  quelque  bandon  qui  fut  fait  à  la  cour  contre  les 
capitaines  qui  demandoient  leurs  payes  dues  et  res- 
compense  des  services  passez  ;  de  sorte  que ,  pour 
un  temps,  ilz  nous  surpassèrent  en  nombre  de  sol- 
dais vieux  et  bons.  De  Metz  partirent  un  jour  cin- 
quante soldats  de  la  religion  (car  ilz  y  fleurissoient 
fort),  en  dessein  et  résolution  de  se  rendre  dedans 
Orléans,  quoy  qu'il  fust.  Quand  ilz  furent  vers  Ver- 
dun, M.  d'Espan*  eut  langue  comme  cinquante  sol- 
dats estoient  partis  de  Metz_,  et  s'en  venoient  passer 
dans  son  gouvernement  (car  il  estoit  lieutenant  du 
roy  en  l'absence  de  M.  de  Nevers,  auparadvant 
comte  d'Eu),  et  tiroient  droict  vers  Orléans.  Il  amasse 
soudain  ce  qu'il  peut  et  à  la  haste  pour  les  aller  def- 
faire.  Ces  pauvres  cinquante  soldats  en  ayant  eu  le 
vent,  résolurent,  quoy  qu'il  fust,  de  passer;  mar- 
chant nuict  et  jour_,  font  de  grandes  traictes,  de 
petits  repas  et  cornas  repos.  M.  d'Espan  les  suit  tant 
qu'il  peut,  et  les  attrape.  Eux  le  voyant  venir  se  jet- 
tent dans  un  moulin  qu'ilz  trouvèrent  à  propos  et  à 
la  bonne  advanture  (fortune  ayde  tousjours  aux  vail- 
lans  et  courageux),  se  rembarrent^,  se  fortifient,  ti- 
rent force  harquebusades,  et  si  vaillamment,  que 
quelques  petits  arquebusiers  qui  estoient  là,  pensez 
quelques  fiollans',  n'osèrent  approcher,  ny  la  caval- 
lerie  non  plus.  Enfin  la  nuict  arrive  et  sépare  le  com- 
bat. M.  d'Espan  se  retire  à  quelque  bourg  prochain 

1 .  Est-ce   Charles    de   Cominges ,    seigneur    d'Espaon ,   mort 
en  4615? 

2.  Se  rembarrer,  se  barricader. 

3.  Fiollans^  bravaches,  -, 

va  —  19 


290  DISCOURS 

pour  reposer  et  repaistre,  laisse  quelque  ehétif  corps 
de  garde,  pensant  les  attraper  le  lendemain.  Non- 
obslant  ilz  sortent,  combattent,  faussent  le  corps  de 
garde  qui  s'estoit  mis  au  devant  d'eux,  marchent 
toute  la  nuict.  Le  lendemain  au  jour  rencontrent  au- 
cuns paysans  assemblez  avec  leur  tocsin,  les  raflent, 
comme  un  foudre  et  orage  rafle  un  champ  de  bled. 
Enfin,  après  avoir  bien  eu  trente  allarmes  et  rencon 
très,  se  retirent,  et  arrivent  à  Orléans  tous  sains  et 
sauves,  fors  trois  qui  demeurèrent  tuez;  et  racon- 
tant leur  fortune  à  M.  le  Prince,  à  MM.  l'Admirai  et 
d'Andelot,  leur  couronnel,  les  ravirent,  et  un  chas- 
cun  qui  les  ouyt,  en  une  merveilleuse  admiration  de 
leur  fortune,  et  de  leur  vaillance,  et  de  leur  retraicte. 
Ainsy  sauvez,  ilz  furent  par  après  si  bien  venus, 
traictez  et  respectez,  que  j'ay  ouy  dire  à  feu  M.  de 
Téligny  qu'un  jour  le  bandon  estant  faict  de  ne  tou- 
cher plus  à  la  démolition  de  l'église  de  Saincte- 
Croix*,  qui  est  un  œuvre  très-admirable,  ainsy  que 
M.  d'Andelot  passoit  devant  et  en  ouyt  le  bruit,  il 
entra  dedans  et  y  trouva  trois  soldats  faisans  encor 
ravage,  et,  de  colère,  leur  remonstra  la  deffense  qui 
en  avoit  esté  faicte,  et  qu'ilz  seroient  tous  pendus. 
Ainsy  que  le  bourreau  fut  venu  pour  l'exécution,  il 
y  en  eut  deux  des  trois  qui  dirent  :  «  Monsieur,  sau- 
«  vez-nous  la  vie.  Nous  sommes  des  cinquante  sol- 
«  dats  de  Metz  qui  vous  sommes  venus  trouver,  et 
«  avons  si  bien  faict  et  tant  pâty  et  combattu  pour 
«  l'amour  de  vous.  »  M.  d'Andelot  dist  aussytost  : 
«  Estes-vous  de  ceux-là?  la  vie  vous  est  sauve.  »  Et 

1.  A  Orléans. 


D'AUCUNES  RETRAICTES  DE  GUERRE.  291 

le  tiers,  qui  n'en  estoit  pas,  fut  pendu  pour  donner 
exemple. 

Voylà  une  retraicte  belle  celle-là,  et  de  grand  ha- 
zard  et  de  grand'peine,  veu  le  petit  nombre  de  gens 
qu'ilz  estoient,  et  tous  compaignons  ensemble  sans 
avoir  aucun  qui  leur  commandast^  sinon  un  caporal 
que  d'eux-mesmes  ilz  eslurent. 

Dernièrement  en  ceste  guerre  de  la  ligue  que  le 
baron  Dona  vint  en  France*  avec  ceste  grosse  armée 
composée  de  cinquante  mille  estrangiers,  tant  AUe- 
mandz  que  Suisses  et  autres^  plus  qu'il  y  a  longtemps 
que  pour  un  coup  entra  en  France,  et  quelques 
François  parmy  eux,  tous  menaçant,  plus  que  ne  fit 
jamais  Rodomont  quand  il  passa  de  la  Barbarie  vers 
nous,  de  la  destruire  et  ruyner  de  fonds  en  comble, 
comme  il  parut  à  son  commencement  par  les  grandz 
feux  qu'il  alluma  en  la  Lorraine  et  Bourgogne  ;  si  s'en 
fallut-il  beaucoup  de  son  espérance  et  furieuses  me- 
naces; car  ce  vaillant  M.  de  Guyse,  luy  faisant  main- 
tenant teste,  maintenant  le  costoyant,  le  mena  si 
beau  et  par  tant  de  fatigues  qu'il  luy  donna,  et  par 
les  combatz,  comme  auprès  de  Montargis  et  Auneau, 
que  tout  ce  grand  peuple  qu'il  avoit  conduit  fut  ré- 
duit à  rien;  et  fut  contraint,  avec  MM.  de  Bouillon 
et  de  La  Marche,  frères,  de  composer  avec  le  roy, 
et  tirer  vers  leur  pays  avec  une  composition  telle 
qu'elle.  J'ay  veu  un  homme  qui  estoit  alors  avec 
M.  de  La  Noue.  Il  les  vit  arriver  avec  cinq  cens  che- 
vaux seulement  à  Genesve,  bien  mallotreux*,  du 
reste  de  leur  naufrage. 

1.  En  1587.  —  2.  Mallotreux,  misérables. 


292  DISCOURS 

Or,  M.  de  Chastillon,  filz  de  ce  grand  admirai,  et 
qui  commençoit  déjà  à  le  suivre  de  près  en  ses  va- 
leurs et  vertus,  si  par  trop  tost  il  ne  fust  esté  prévenu 
de  sa  mort  naturelle,  qui  poui^tant  fut  advancée  d'un 
coup  qu'il  avoit  receu  au  siège  de  Chartres,  ne  vou- 
lut jamais  signer  cette  composition  :  tant  s'en  faut, 
qu'il  répugna  et  contredit  tout  ce  qu'il  peut,  jusqu'à 
leur  faire  de  grandz  aflronts  et  reproches  d'honneur, 
à  ce  que  j'ay  ouy  dire  à  ceux  de  leur  party.  Il  se  ré- 
solut de  les  laisser  jouyr  à  pleine  joye  de  leur  com- 
position, et  la  solemniser  par  beaux  festins  et  car- 
roux  dans  le  camp  du  roy,  et  luy  prend  quelques 
cens  chevaux  des  siens  qu'il  avoit  menez  du  Langue- 
doc, et  autant  d'harquebusiers,  et  se  met  sur  sa  re- 
traicte,  et  tire  chemin  sur  le  passage  de  Loyre,  et 
advise  gaigner  d'où  il  estoit  party,  nonobstant  qu'il 
fust  poursuivi  et  couru  à  force,  car  on  luy  en  vouloit 
à  cause  du  père.  M.  de  Mandelot*,  gouverneur  de 
Lyon,  se  trouve  à  Taudevant,  et  l'assaut.  M.  de 
Chastillon  le  soutient,  et  combat  si  vaillamment  que 
la  perte  va  plus  grande  du  costé  de  Mandelot  que  du 
sien,  passe  la  rivière  et  se  conduit  là  où  il  vouloit, 
après  avoir  battu  les  fanges  et  combattu  le  mauvais 
temps  l'espace  de  dix  ou  quinze  jours. 

Certes,  j'ay  ouy  parler  à  de  grandz  capitaines  que 
ceste  retirade  est  des  plus  signalées,  et  qu'il  parois- 
soit  bien  qu'il  avoit  estudié  la  vie  de  M.  l'admirai 
son  père;  lequel,  en  tant  de  battailles  qu'il  a  données 
en  nos  guerres  civiles,  et  perdues  quant  et  quant,  en 
a  fait  ses  retraictes  si  belles  et  si  signalées,  et  mesmes 

i.  François  de  Mandelot,  mort  en  1588. 


D'AUCUNES  RETRAICTES  DE  GUERRE.  293 

en  celle  de  Montcontour,  tout  blessé  qu'il  estoit,  que 
quasy  on  ne  sçavoit  que  plus  louer,  ou  les  beaux 
exploitz  d'armes  qu'il  y  faisoit,  ou  ses  retirades. 
Ceux  qui  ont  veu  les  retraites  de  Dreux,  de  Sainct- 
Denis,  de  Jarnac,  de  Montcontour,  en  sçauront  bien 
que  dire;  et  que  si  la  fortune  lui  estoit  contraire  en 
la  battaille,  pour  le  moins  la  démesloit-il  bien,  et 
s'en  retiroit  sihonnorablement,  qu'onne  sçauroit  lui 
reprocher  qu'il  eust  pris  l'espouvante  et  s'en  fust  fuy, 
comme  ont  faict  beaucoup  de  capitaines  après  leur 
battaille  perdue,  dont  les  livres  sont  tous  pleins. 
Tant  s'en  faut,  qu'après  la  battaille  de  Dreux,  ainsi 
que  nous  pensions  tout  gaigné  pour  nous  et  tout 
perdu  pour  eux,  les  voicy  venir  sur  les  quatre  heu- 
res du  soir,  huict  jours  avant  Noël,  à  nous,  environ 
cinq  cens  chevaux  seulement  qu'ilz  estoient,  que, 
sans  la  vaillance  et  sage  prévoyance  de  M.  de  Guyse, 
je  ne  sçay  que  c'en  fust  esté,  et  y  en  eut  bien  d'es- 
tonnez.  Et  après  le  coup  fait,  et  voyant  qu'il  n'y  fai- 
soit bon,  prindrent  congé  de  nous  (et  qui  avoit  mal, 
à  son  dam),  et  puis  se  retirèrent.  Je  m'estonne  que 
nos  histoires  de  nostre  temps  sont  esté  si  desloyales 
ou  ignorantes  qu'elles  n'ayent  touché  ces  choses. 

M.  le  mareschal  de  Bié'  est  fort  à  louer  que, 
quand  les  Anglois  sortirent  de  Boulongne  pour  luy 
donner  la  battaille  auprès  du  fort  de  Montreau,  il  y 
avoit  avec  luy  le  régiment  du  comte  Reingrave,  ce- 
luy  des  François  et  des  Italiens.  Comme  les  ennemis 
chargèrent  nostre  cavallerie,  elle  se  mit  en  route;  et 
voyant  ledict  sieur  le  désordre  des  gens  de  cheval, 

1 .  Du  Biez. 


294  '  DISCOURS 

il  s'en  courut  au  battaillon  des  gens  de  pied,  et  leur 
dit  :  «  O!  mes  amys,  ce  n'est  pas  avec  la  cavallerie 
((  que  j'espérois  de  gaignerla  battaille,  car  c'est  avec 
«  vous;  »  et  mit  pied  à  terre;  et  prenant  une  picque 
d'un  soldat  auquel  il  bailla  son  cheval,  se  fit  oster 
ses  espérons,  et  commença  sa  retraicte  droict  à  Ar- 
delot.  Les  ennemys  ayant  chassé  la  cavallerie,  tour- 
nans  à  luy,  il  demeura  quatre  heures  ou  plus  sur  sa 
retraicte,  ayant  les  gens  de  cheval  l'une  fois  devant, 
une  autre  à  costé,  et  leurs  gens  de  pied  sur  la  queue  : 
mais  ilz  ne  l'osèrent  jamais  enfoncer;  et  jamais  il  ne 
fit  cinquante  pas  qu'il  ne  fist  teste  aux  ennemis,  es- 
tant en  l'aage  de  soixante  et  dix  ans. 

Ce  brave,  vaillant,  et  le  plus  accompli  prince  du 
monde,  M.  de  Nemours,  en  fit  de  mesmes  à  la  jour- 
née de  Meaux,  où  le  roy  fut  assailly  du  prince  de 
Condé,  de  M.  l'admirai,  jusques  à  quinze  cens  che- 
vaux, bons  et  bien  choisis;  qui,  mettant  pied  à  terre, 
dit  aux  Suisses  :  «  C'est  avec  vous,  mes  amis,  que  je 
«  veux  combattre  et  mourir.  Sus,  marchons,  et  ne 
«  vous  souciez.  Hz  ne  sont  pas  gens  pour  nous,  car 
«  nous  nous  retirerons  en  despit  d'eux,  et  si  sauve- 
«  rons  nostre  roy  et  maistre.  »  Ce  qu'ilz  firent  par 
la  traite  d'un  bon  jour  entier,  et  jamais  les  autres, 
ny  à  costé,  ny  devant,  ny  derrière,  ne  les  osèrent  at- 
taquer. Hz  ont  dit  despuis  qu'ilz  ne  le  vouloient 
(maisainsy  dit  le  renard  des  poulies);  c'est  à  sçavoir, 
car  ilz  n'estoient  pas  là  pour  enfiler  des  perles.  Et 
aucuns  m'ont  bien  dit  que  bien  servit  la  contenance 
de  M.  de  Nemours. 

Nous  avons  de  frais  un  très-beau  traict  du  prince 
de  Parme.  Après  avoir  levé  le  siège  de  Rouen  et  pris 


D'AUCUNES  RETRAICTES  DE  GUERRE.  295 

Caudebec(ce  que  j'espère  déduire  ailleurs) ,  il  n'y  eut 
homme  du  party  du  roy  qui  ne  dist^  affirmast  et  ju- 
rast  que  Sa  Majesté  ayant  recueilly  toutes  ses  forces 
qui  luy  accouroient  et  affluoient  de  toutes  partz, 
montant  à  neuf  mille  chevaux,  le  prince  de  Parme 
estoit  acculé  et  perdu  et  réduict  du  tout  à  demander, 
pieds  et  bras  liez,  au  roy  miséricorde  ou  passage. 
J'ay  veu  une  infinité  de  gens  qui  me  faisoient  enra- 
ger de  ces  propos;  et  m'estonnois  contre  eux  qui 
faisoient  profession  de  porter  les  armes,  d'estre  si 
grossiers  d'avoir  ceste  opinion.  Et  là-dessus  ledict 
prince  se  mocque  d'eux,  fait  un  pont  de  batteaux 
sur  ceste  large  rivière  de  Seyne,  qui  semble  là  plus- 
tost  une  petite  mer  qu'une  rivière  (cas  esmerveil- 
lable!),  et  passe,  luy  et  toute  son  armée;  et  tout 
blessé  qu'il  estoit  se  retire  dans  Paris  avec  si  belle 
ordonnance  de  battaille  qu'on  ne  luy  sceut  jamais 
que  faire,  sinon  luy  donner  sur  la  queue  et  deffaire 
quelque  cent  chevaux,  et  ravager  un  assez  grand 
bagage  qui  ne  pouvoit  suivre  le  camp.  Je  ne  sçay 
comment  l'on  doit  appeler  cela,  sinon  une  très-belle 
retraicte  d'un  grand  capitaine,  et  fort  louable.  J'en 
dirois  une  infinité  d'autres,  mais  je  n'aurois  jamais 
faict.  Il  ne  se  faut  pas  tant  opiniastrer  et  durer  sur 
un  mesme  subject;  faut  varier. 

Or,  pour  faire  une  belle  fin  et  la  bien  couronner, 
j'achèveray  par  une  très-belle  retraicte  que  fit  M.  de 
Guyse  à  ceste  entrée  de  grosse  armée  du  baron  Dona 
que  j'ay  dict  cy-devant,  lequel,  pour  un  grand  ca- 
pitaine qu'on  sçait  qu'il  estoit,  fit  un  grand  pas  de 
clerc.  Car  tout  conquérant  qui  entre  en  un  pays 
pour  conquérir  doit  tousjours,    quoy  qu'il  en  soit. 


296  DISCOURS 

chercher  à  combattre;  et  celiiy  qui  est  pour  la  def- 
fense^  à  ne  la  '  recevoir,  quand  mesmes  il  verroit  un 
très-beau  jeu,  si  ce  n'est  par  contrainte  ou  nécessité, 
ou  apparence  de  grande  victoire.  Aussy  M.  de 
Guyse,  qui  estoit  grand  capitaine,  luy  faisoit  oublier 
sa  leçon  et  à  tous  ses  reystres. 

Le  faict  est  donc  tel  de  M.  de  Guyse  duquel  je 
veux  parler*.  Luy,  voulant,  recognoistre,  quoy  qu'il 
fust,  leur  armée,  et  ayant  envoyé  MM.  de  Rosne' 
et  de  La  Routte  pour  aller  charger  quelques  reys- 
tres qui  avoient  passé  un  pont,  du  haut  d'une  col- 
line il  vit  clairement  l'armée  ennemie  et  la  retraicte 
des  siens,  avec  apparence  qu'ilz  ne  se  démesleroient 
pas  aysément;  et  estoit  conseillé  de  tous  ceux  qui 
estoient  avec  luy  de  se  retirer,  n'ayant  forces  bas- 
tantes  pour  recueillir  ses  chevaux-légers,  ny  mesmes 
pour  soustenir  un  si  grand  faix,  n'estant  point  armé 
ny  bien  monté  (car  il  estoit  allé  seulement  sur  un 
courtaut,  et  tout  désarmé,  en  dangier  de  se  perdre, 
loing  de  deux  lieues  de  son  armée,  demeurée  sans 
chef  ni  commandement),  et  qu'il  verroit  plus  tost 
l'ennemy  sur  ses  bras  prest  à  le  charger,  que  d'avoir 

1.  La  recevoir^  recevoir  la  bataille. 

2.  Le  récit  de  Brantôme  est  conforme  à  celui  de  de  Thou 
(liv.  LXXXVII).  Tous  deux  l'ont  emprunté,  et  Brantôme  presque 
textuellement,  au  Discours  ample  et  très  s>éritahle  eontenant  les  plus  ^ 
mémorables  faitz  avenuz  en  t année  mil  cinq  cens  quatrevingt  et 
septj  tant  en  l'armée  commandée  par  monsieur  le  duc  de  Guyse 
qu'en  celle  des  huguenolz  conduite  par  le  duc  de  Bouillon,  envoyé 
par  un  gentilh.om.me  français  à  la  royne  d'Angleterre.  Imprimé 
l'an  de  grâce  MDLXXXVIII,  150  p.  in-8°.— Ce  Discours  est  at- 
tribué à  la  Chastre. 

3.  Chrétien  de  Savigny,  seigneur  de  Rosne. 


D'AUCUNES  RETRAICTES  DE  GUERRE.  297 

receii  *  le  commandement  de  se  mettre  en  ordon- 
nance. A  toutes  ces  remonstrances  il  fit  lors  response 
d'un  très-brave  guerrier,  et  plein  de  hardiesse.  «  Je 
«  sçay,  dit-il,  adressant  la  parole  à  M.  de  La  Chastre, 
«  et  recognois  en  quelz  termes  sont  nos  affaires  ;  à 
«  quoy  il  se  peut  pourvoir  par  hardiesse  et  prudence, 
a  Je  feray  un  traict  que  j'ay  en  la  fantaisie.  Je  prends 
«  la  charge  de  faire  ceste  retraicte;  et  vous,  allez 
«  donner  ordre  à  l'armée,  et  retirez  nos  forces  dans 
«  ce  destroict  du  pont  à  Sainct- Vincent';  et  l'ordon- 
«  nez  pour  me  recevoir,  et  l'ennemy  aussy,  s'il  nous 
«  suit  jusques-là.  » 

Or,  il  faut  noter  que  comme  c'est  la  coustume, 
principalement  des  François  plus  que  de  nulle  autre 
nation,  de  s'advancer  tousjours  sans  commandement 
et  à  la  desbandade,  qui  sur  bidet,  qui  sans  armes,  il 
s'en  trouva  alors  assez  qui  cuydèrent  apporter  de  la 
confusion  et  du  désordre;  et  à  la  vérité,  sans  la  pré- 
sence de  M.  de  Guyse,  il  y  en.eust  eu  à  bon  escient. 
Mais  ce  prince  n'estant  pas  moins  heureux  que  va- 
leureux, avec  tel  amour  et  affection  parmy  les  siens, 
se  présenta  à  la  teste  de  ses  chevaux-légers,  l'espée 
au  poing,  en  pourpoint,  sur  un  courtaijt,  parlant 
aux  uns  en  italien,  aux  autres  en  françois,  nommant 
et  appelant  les  capitaines  par  leurs  noms,  les  exhor- 
tant de  ne  s'estonner  point  et  de  croire  qu'il  les  con- 
serveroit  ou  qu'il  se  perdroit  avec  eux  ,  et  qu'ilz 
fissent  seulement  ce  qu'il  diroit. 


1.  Que  d'avoir  receu,  c'est-à-dire  que  son  armée  eût  reçu. 

2.  Pont-Sain t- Vincent ,  village  de  l'arrondissement  de  Nancy 
(Meurthe) . 


298  DISCOURS 

Sa  présence  et  son  authorité  eut  tant  de  pouvoir 
sur  toute  ceste  trouppe,  que  ehascun  demeura  ferme, 
sans  crainte  du  dangier,  et  attentif  à  ses  commande- 
mcns,  se  retirant  auprès  de  luy  sur  le  haut  d'un  cos- 
teau,  faisant  teste  à  l'armée  ennemye  qui  passoit  à 
la  file  sur  le  pont  de  Peligny*;  et  firent  par  leur 
bonne  mine  et  contenance  tenir  bride  aux  plus  ad- 
vancez  jusques  à  ce  qu'il  fist  sa  retraite,  poussé  par  un 
gros  ost  de  sept  cornettes  de  reystres  qui  marchoient 
furieusement,  et  devant  eux  trois  cens  chevaux  fran- 
çois  et  six  ou  sept  vingts  harquebusiers  à  cheval  qui 
commençoient  à  monter  la  colline,  qui  estoit  si  roide 
qu'un  cheval  qui  l'eust  montée  au  trot  se  fust  mis 
hors  d'haleine;  ce  qui  donna  temps  et  loisir  audict 
seigneur  de  Guyse  d'effectuer  ce  traict  dont  il  avoit 
parlé.  Se  retirant  environ  dix  ou  douze  pas  en  ar- 
rière, les  ennemys  perdant  veue  de  luy,  et  prenant 
temps  à  propos,  il  tourna  tout  court  sur  la  main 
gauche,  à  la  droite  des  ennemis,  et  gaigna  par  un 
petit  vallon  un  gué  de  la  rivière  de  Modon  *,  où  il  y 
avoit  un  moulin,  et  passa  la  rivière  sur  le  costé  d'oii 
venoit  et  marchoit  l'armée  des  huguenots,  s'estant 
toute  leur  cavallerie  tellement  advancée  pour  venir 
à  l'allarme  et  secours  des  premiers,  qu'il  ne  restoit 
à  ceste  queue  que  des  Suisses  qui  ne  le  pou  voient 
ny  arrester,  ny  suivre,  ny  offenser.  Et,  coulant  le 
long  de  la  rivière,  se  mit  au  pas  à  faire  sa  retraicte 
à  son  aise ,  repassant  vers  les  siens  à  un  gué  à  cinq 
cens  pas  de  sa  place  de  battaille. 


1.  Pulligny  sur  le  Madon  (Meurthe) 

2.  Le  Madon. 


D'AUCUNES  RETRAICTES  DE  GUERRE.  299 

Les  huguenots  ayant  gaigné  le  haut  de  la  colline 
d'où  estoit  party  M.  de  Guyse,  et  voyant  cesle  ca- 
vallerie  si  près  de  leurs  Suisses  de  là  la  rivière  d'où 
ilz  venoient,  furent  bien  estonnez,  et  ne  se  peurent 
de  prime  face  imaginer  que  ce  fussent  autres  que  les 
leurs.  Néanmoins,  la  chose  bien  recognue,  ilz  se  mi- 
rent à  les  poursuivre;  mais  arrivant  au  gué  où  avoit 
passé  mondict  sieur  de  Guyse,  il  s'y  trouva  dix  ou 
douze  harquebusiers  du  sieur  de  La  Chastre,  qu'il 
avoit  mis  dans  un  moulin,  qui  servirent  grandement, 
le  débattant  et  gardant  avec  telle  résolution  ^t  opi- 
niastreté,  qu'ayant  tué  quelques  hommes  qui  s'ad- 
vancèrent  d'essayer  de  passer  les  premiers,  les  autres 
tindrent  bride,  attendans  leurs  harquebusiers;  les- 
quelz  mettans  pied  à  terre,  forcèrent  le  moulin,  pri- 
rent ou  tuèrent  tout  ce  qui  estoit  dedans  ;  et  y 
moururent  ces  braves  soldatz  bravement  et  honnora- 
blement,  vendans  bien  leur  vie  et  chèrement  à  leurs 
ennemys,  faisans  un  grand  service,  donnans  loisir 
par  leur  perle  audict  sieur  de  Guyse  de  gaigner 
plus  de  chemin.  Si  M.  le  connestable,  à  sa  retraicte 
de  Sainct-Quentin,  eust  mis  aussy  des  harquebusiers 
dans  un  moulin  qui  estoit  là  près,  il  ne  se  fust  perdu. 
C'est  ce  que  les  grandz  capitaines  tiennent  aussy  qu'il 
faut  faire,  quelquefois  perdre  et  bazarder  une  petite 
trouppe;  et  ne  la  faut  espargner  pour  en  sauver 
une  grande. 

Et  ainsy  se  rendit  M.  de  Guyse,  sans  aller  plus 
vite  que  le  pas,  à  la  place  de  battaille  de  son  armée, 
qui  estoit  fort  bien  logée  en  un  estroit  entre  les  vi- 
gnes et  la  rivière  de  Modon,  ayant  le  logis  du  Pont- 
Sainct- Vincent  à  dos.  Et  notez  que  l'armée  de  mon- 


300  DISCOURS 

dict  sieur  de  Guyse  ne  montoit  pas  à  plus  de  six 
mille  hommes,  ayant  en  teste  à  combattre  ceste 
grosse  armée  composée  de  cinquante  mille  hommes, 
et  à  leur  barbe  et  nez  se  retirer  si  bravement.  En 
quoy  faut  admirer  l'asseurance,  le  jugement,  la  réso- 
lution, la  vaillance  et  la  conduicte  de  ce  grand  ca- 
pitaine, qui  n'avoit  pas  encore  atteint  l'aage  de 
quarante  ans.  Que  maudites  soient  les  misérables  et 
détestables  mains  qui  le  massacrèrent  et  Postèrent  à 
nostre  France  !  Que  s'il  estoit  ores  en  vie,  elle  ne  se- 
roit  la,  proie  des  estrangiers,  comme  elle  est  mainte- 
nant, et  mesmes  des  Allemands,  qu'il  avoit  si  bien 
estrillez. 

Mais  où  trouvera-on  et  lira-on  une  telle  retraicte 
faicte  par  le  beau  mi  tan  de  ses  ennemis?  Encor  que 
le  grand  feu  M,  de  Guyse,  son  père,  en  fist  quasy  une 
pareille  devant  Paris,  aux  premières  guerres,  lorsque 
les  lîuguenotz  le  vindrent  par  forme  assiéger  :  et 
nous  voulans  faire  parade  de  leurs  reystres,  que 
M.  d'Andelot  avoit  amenez  de  fixais,  conduicts  par 
le  maresclial  Daix  %  il  fut  donné  charge  à  M.  de 
Genlys  d'en  prendre  quelques  quinze  cens,  et  venir 
charger  quelques  compaignies  de  gendarmes  qui  es- 
toient  pour  lors  en  garde,  et  quelques  harquebusiers 
et  chevaux-légers,  vers  les  faubourgs  de  Sainct-Mar- 
ceau  et  de  Sainct-Jacques.  Je  ne  nommeray  point 
les  compaignies,  car  elles  y  firent  très-mal,  et  fuirent 
très- bien,  au  grand  regret  et  despit  de  M.  de  Guyse, 
qui,  ayant  fait  mettre  ses  Suisses  en  battaille  par  de 


1 .  Le  niareschal  Daix,  C'est  Frédéric  de  Roltzhausen,  maré- 
chal de  Hesse. 


D'AUCUNES  RETRAICTES  DE  GUERRE.  301 

là  ses  tranchées,  et  bordées  d'harquebusiers,  et  M.  le 
prince  de  Joinville,  son  fils,  laissé  avec  eux,  qui  es- 
toit  tant  jeune  que  rien  plus;  mais  pourtant  il  sui- 
voit  partout  M.  son  père  (tant  dès-lors  monstroit-il 
ce  qu'il  debvoit  estre  un  jour)  :  et,  sortant  de  la 
tranchée,  alla  faire  une  grande  cerne*,  et,  prenant 
les  ennemis  en  queue,  les  chargea  si  furieusement, 
n'ayant  seulement  que  deux,  cens  chevaux  des  gen- 
tilzhommes  de  la  cour,  de  sa  suite  et  de  sa  cornette, 
qu'il  les  fausse,  les  ouvre,  les  escarte,  et  passe  par  le 
mitan,  et  fait  halte  après;  et  puis  se  retire  froide- 
ment, sans  que  les  autres  s'osèrent  rallier  pour  les 
venir  charger,  ainsy  qu'il  les  altendoit  :  et  se  retira 
le  petit  pas  dans  sa  tranchée,  où  il  parla  bien  à  ces 
messieurs  les  gendarmes  et  chevalliers  fuyards,  leur 
reprochant  leur  fuite,  et  leur  disant  tout  haut  (car 
j'estois  avec  luy  et  l'ouys)  :  i<  Ah!  gens-d'armes 
«  de  France ,  prenez  la  quenouille  ,  et  laissez  la 
«  lance.  » 

Il  estoit  lors  monté  sur  son  bon  cheval  moreP,  des 
beaux  genetz  et  bons  qui  sortist  il  y  a  longtemps 
du  royaume  de  Naples  ;  et,  en  descendant,  il  le  loua 
fort,  et  dit  que  pour  le  jour  de  la  battaille  il  n'en 
vouloit  pas  de  meilleur,  ny  d'autre.  Ce  que  l'enne- 
my  avoit  sceu,  et  pensant  qu'il  y  fust  monté,  mi- 
rent tous  leurs  esprits  et  leurs  efforts  pour  le  tuer 
à  la  battaille  de  Dreux  :  mais  il  avoit  changé  d'opi- 
nion; car  il  prit  le  bay  Samson,  gi-and  coursier  fort, 
qui  avoit  servi  plus  de  trois  ans  d'estallon  à  Esclairon  ', 

d.  Cerne,  cercle;  d'où  le  verbe  cerner.  —  2.  Morel,  moreau. 
3.   Esclairon,  Eclaron  près  de  Vassy  (Haute-Marne). 


302  DISCOURS 

OÙ  il  tenoit  son  haras  :  et  son  escuyer  italien,  nommé 
Hespany,  estoit  monté  sur  le  morcl,  qui  pour  avoir 
esté  pris  pour  feu  M.  de  Guy  se,  mourut  de  plus  de 
vingt  coups  de  pistollets. 

Geste  disgression  pourroit  estre  fascheusé  à  au- 
cuns, et  à  d'autres  possible  que  non  :  mais  je  veux 
mettre  toutes  les  circonstances,  afin  qu'on  ne  me 
trouve  menteur.  Ce  fut  lors  qu'il  dit  aussy  aux  Pa- 
risiens, qui  e&toient  un  peu  effrayez  de  se  voir  à 
demy  assiégez  :  «  Je  vous  garderay,  mes  amys,  du 
«  mal;  mais  de  peur  je  ne  puis  :  »  tenant  ce  mot 
du  roy  François,  qui  dit  de  mesmes  aux  Parisiens, 
lorsque  l'empereur  Charles  V  vint  et  s'approcha  d'eux 
vers  Chasteau-Thierry. 

Mais  pour  retourner  à  la  retraicte  de  M.  de  Guyse 
dernier,  qu'il  l'apprist  de  M.  son  père,  ou  qu'il  l'ait 
faicte  ou  inventée  de  sa  teste,  c'est  la  plus  belle  qui 
se  fit  et  se  fera  jamais.  Et  croy  que  cela  luy  vint  de 
sa  seule  teste  et  de  son  seul  esprit;  car  il  en  avoit 
tout  ce  qu'il  falloit,  voire  pour  en  revendre,  et  de 
vaillance  ;  de  quoy  à  une  autre  fois  nous  en  parle- 
rons. Je  fais  donc  fin,  après  avoir  dit  qu'il  me  sem- 
ble qu'à  la  battaille  de  Trebie  *,  il  y  eut  dix  mille 
soldatz  romains,  qui,  ayant  perdu  la  battaille,  pas- 
sèrent au  travers  et  au  beau  mitan  de  leurs  ennemis, 
et  se  sauvèrent  et  se  retirèrent  bravement,  à  leur 
barbe,  dans  la  ville  de  Plaisance.  Possible  que  mon- 
dict  sieur  de  Guyse,  qui  lisoit  et  estudioit  tous  les 
jours,  ou  se  souvenoit  de  loing,  ou  avoit  leu  de  frais 
le,  conte,  qui  luy  ayda  bien  à  propos  pour  le  coup  à 

i.  Voyez  Tite-Live,  liv,  XXI, 


D'AUCUNES  RETRAICfES   DE  GUERRE.  303 

sa  vaillance,  à  sa  conduit  te  et  à  son  gentil  esprit  et 
brave  courage. 

Froissart  racontant  de  la  battaille  de  Nicopoly  *, 
que  donnèrent  les  Ongres  et  les  François,  dit  que, 
parmy  les  François,  il  y  eut  deux  escuyers  de  Picar- 
die très-vaillans,  qui,  puis  après,  se  peurent  bien  dire 
vrais  chevalliers.  Hz  s'estoient  trouvez  en  maintes 
rencontres,  et  en  estoient  partis  en  leur  honneur. 
L'un  s'appelloit  Guillaume  de  Bu*,  et  l'autre  Le  Bor- 
gne de  Monquel.  Ces  deux  donques,  combattans  par 
force  d'armes  et  vaillance,  passèrent  outre  les  bat- 
tailles,  et  retournèrent  à  la  battaille  par  deux  fois 
bravement  et  vaillamment,  où  ilz  firent  force  aper- 
tises  d'armes  (ainsy  parle-il)  ;  mais,  voulant  mourir 
en  un  si  sainct  conflit,  se  firent  là  tuer.  Il  est  à  pré- 
sumer que,  puisqu'ilz  avoient  ainsy  passé  et  repassé 
par  ces  deux  fois  outre  les  battailles  en  bien  com- 
battant, qu'ilz  pouvoient  faire  une  aussy  honorable 
retraicte  que  là  mourir.  Voilà  comment  ces  Romains 
ne  firent  pas  si  bien  que  ces  deux  François,  encore 
poui'tant  qu'ilz  soient  fort  à  louer. 

Or  c'est  assez  de  ceste  matière  et  subject  parlé. 

i .  Voyez  Froissart,  liv.  IV,  ch,  lu. 

2.  Les  pre'cédentes  éditions  portent  par  erreur  :  Guillaume  Den. 


Fli\   DU  DISCOURS  d'aUCUJNES  RETRAICTES  DE  GUERRE. 


RECUEIL 


DES  DAMES 


VII  —  20 


DES  DAMES. 


PREMIERE    PARTIE. 

DISCOURS    I. 

SUR    LA    REYNE    ANNE    DE    RRETAGNE^. 

Puisqu'il  me  faut  parler  des  dames,  je  ne  veux 


1.  Dans  le  catalogue  de  ses  écrits  (voy.  t.  I,  p.  2),  c'est  sous 
le  simple  titre  de  Recueil  des  Dames  que  Brantôme  a  désigné  les 
deux  ouvrages  intitulés  par  les  éditeurs  anciens  et  modernes  : 
Vies  des  Dames  illustres  ;  Dames  galantes,  et  qui  ont  été  publiés 
poui'  la  première  fois  en  1665.  Nous  leur  avons  conservé  le  titre 
que  Brantôme  leur  avait  donné.  Il  n'en  existe  plus,  à  notre  con- 
naissance du  moins,  aucun  manuscrit  original  ;  mais  les  copies  en 
sont  fort  nombreuses,  et,  comme  nous  l'avons  fait  précédemment, 
nous  avons  adopté  celle  qui  est  conservée  dans  la  collection  Du- 
puy  et  qui  nous  semble  avoir  servi  de  type  aux  autres.  Elle  pré- 
sente mi  certain  nombre  de  changements  que  Dupuy  a  faits  de  son 
chef  et  qui  avaient  pour  but  de  rendre  le  texte  plus  clair  ou  plus 
correct.  Nous  n'avons  guère  tenu  compte  que  de  ceux  qui  nous 
ont  paru  motivés  par  une  erreur  de  copiste. 

2.  Anne  de  Bretagne,  fille  de  François  II,  duc  de  Bretagne,  et 


308  DES  DAMES. 

toutes  pleines  :  et  ne  seroit  qu'en  chaffourer  le  pa- 
pier en  vain  ;  car  il  y  en  a  assez  d'escrit,  et  mesmes 
ce  grand  Boccace  en  a  fliict  un  beau  livre  à  part'. 
Je  me  contentera v  donc  d'en  escrire  d'aucunes  par- 
ticulières, et  principalement  des  nostresde  nostre 
France,  et  de  celles  de  nostre  temps  ou  de  nos  pères 
qui  nous  en  ont  peu  raconter. 

Je  commenceray  donc  par  nostre  reyne  Anne  de 
Bretagne,  la  plus  digne  et  honorable  reyne  qui  ait 
esté  depuis  la  reyne  Blanche,  mère  du  roy  sainct 
Louis ,  et  si  sage  et  si  vertueuse ,  j  usques  à  son 
règne. 

Geste  reyne  Anne  donc  fut  riche  héritière  de  la 
duché  de  Bretagne,  qu'on  tient  une  des  belles  de  la 
chrestienté,  et  pour  ce  fut  fort  recherchée  des  plus 
grandz.  M.  le  duc  d'Orléans,  qui  depuis  fut  le  roy 
Louis  XII%  en  ses  jeunes  ans  la  rechercha  fort,  et 
pour  elle  fît  de  beaux  faictz  d'armes  en  Bretagne,  et 
mesmes  en  la  bataille  de  Sainct-Aubin,  où  il  fut  pris 
combattant  à  pied  à  la  teste  de  son  infanterie.  J'ay 
ouy  dire  que  ceste  prise  fut  cause  qu'd  ne  l'espousa 
alors;  sur  laquelle  entrevint^  Maximilian,  duc  d'Aus- 
triche,  depuis  empereur,  qui  l'espousa  par  les  mains 


de  Françoise  de  Foix,  ne'e  au  château  de  Nantes  le  26  janvier 
1476.  Elle  avait  douze  ans  quand  son  {)ère  mourut  en  octobre 
1488.  Elle  épousa  1°  Charles  VIII  le  6  décembre  1491 ,  2°  Louis  XII 
le  8  janvier  1499,  et  mourut  le  9  janvier  1514.  —  L'ouvrage  le 
plus  complet  que  l'on  ait  sur  cette  princesse  est  sa  Fie  publiée  par 
M.  Le  Roux  de  Lincy,  1861,  4  vol.  petit  in-8°. 

1 .  C'est  le  traité  De  Claris  nmlieribus  dont  la  première  édi- 
tion est  de  1473,  in-fol.,  goth. 

2.  Entretint ^  intervint. 


ANNE  DE  BRETAGNE.  309 

de  son  oncle  le  prince  d'Orange',  dans  la  grand'  église 
de  Nantes  ;  mais  le  roy  Charles  VHP  aiant  advisé  avec 
son  conseil  qu'il  n'estoit  pas  bon  d'avoir  un  si  puis- 
sant seigneur  ancré  et  empiété  dans  son  royaume, 
rompit  le  mariage  qui  s'estoit  faict  entre  lui  et  Mar- 
guerite de  Flandres,  et  osta  ladicte  Anne  à  Maximi- 
lian  son  compromis,  et  l'espousa;  de  sorte  qu'aucuns* 
ont  conjecturé  là-dessus  que  leur  mariage  de  l'un  et 
l'autre,  ainsi  noué  et  desnoué,  fut  malheureux  en 
lignée. 

Or,  si  elle  a  esté  désirée  pour  ses  biens,  elle  l'a  esté 
autant  pour  ses  vertus  et  mérites;  car  elle  estoit  belle 
et  agréable,  ainsi  que  j'ay  ouy  dire  aux  anciens  qui 
l'ont  veue,  et  selon  son  portraict,  que  j'ay  veu  au 
vif;  et  resembloit  en  visage  à  la  l^elle  damoiselle  de 
Chasteauneuf ',  qui  a  esté  à  la  court  tant  renommée 
en  beauté;  et  cela  suffise  pour  dire  sa  beauté,  ainsi 
que  je  l'ay  veue  figurer  à  la  reyne  mère. 

Sa  taille  estoit  belle  et  médiocre.  Il  est  vray  qu'elle 
avoit  un  [iied  plus  courl  que  l'autre,  le  moins  du 
monde,  car  on  s'en  appercevoit  peu,  et  malaisément 
le  cognoissoit-on;  dont  pour  cela  sa  beauté  n'en 
estoit  point  gastée;  car  j'ay  veu  beaucoup  de  très- 
belles  femmes  avoir  ceste  légière  deffectuosité,  qui 
estoient  extresmes  en  beauté,  comme  madame  la 
princesse  de  Condé*,  de  la  maison  de  Longueville. 

i  .  Jean  de  Ghalon,  prince  d'Orange.  Le  mariage  eut  lieu  en  1490. 

2.  Aucuns,  c'est-à-dire  Commines.  Voyez  ses  Mémoires,  liv.  VII, 
ch.  IV. 

3.  Rene'e  de  Rieux.  Voyez  t.  II,  p.  18] . 

4.  Françoise  d'Orléans-Longueville,  mariée  en  1S65  à  Louis  I*""" 
de  Bourbon,  prince  de  Condé,  morte  le  11  juin  1601. 


310  DES  DAMES. 

Encor  dit-on  que  rhabilation  de  telles  femmes  en 
est  fort  dëlicieuse_,  pour  quelque  certain  mouvement 
et  agitation  qui  ne  se  rencontre  pas  aux  autres.  Voilà 
la  beauté  du  corps  de  cette  reyne. 

Pour  celle  de  l'esprit,  elle  n'estoit  pas  moindre; 
car  elle  estoit  très-vertueuse,  sage,  lionneste,  bien 
disante,  et  de  fort  gentil  et  subtil  esprit.  Aussi  avoit- 
elle  esté  nourrie  par  madame  de  Laval  ',  très-habille 
et  accomplie  dame,  qui  lui  avoit  esté  donnée  par  le 
duc  François  son  père  pour  gouvernante.  Au  reste 
elle  estoit  très-bonne,  fort  miséricordieuse  et  fort 
charitable,  ainsi  que  j'ay  ouy  dire  aux  miens.  Vray 
est  qu'elle  estoit  fort  prompte  à  la  vengeance,  et  par- 
donnoit  malaisément  quand  on  l'avoit  offensée  de  ^ 
malice,  ainsi  qu'elle  le  monstra  au  mareschal  de  Gié, 
pour  l'affront  qu'il  luy  fist  lorsque  le  roi  Louis,  son 
seigneur  et  mary,  fust  si  fort  malade  à  Blois,  dont  on 
le  tenoit  pour  mort'.  Elle,  voulant  pourveoir  à  son 
faict,  en  cas  qu'elle  vinst  à  estre  vefve,  fit  charger 
sur  la  rivière  de  Loire  trois  ou  quatre  bateaux  de 
ses  plus  précieux  meubles,  bagues,  joyaux  et  argent, 
pour  les  transporter  en  sa  ville  et  chasteau  de  Nantes. 
Ledict  mareschal,  rencontrant  les  bateaux  entre  Sau- 
mur  et  INantes,  les  fit  arrester  et  saisir,  comme  par 
trop  curieux  de  vouloir  contrefaire  le  bon  officier  et 
bon  vallet  de  la  couronne;  mais  la  fortune  voulut 
que  le  roy,  par  les  bonnes  prières  de  son  peuple, 
duquel  il  estoit  le  vray  père,  en  eschupa. 

i.  Françoise  de  Dinan,  de  la  maison  d'Albret,  dame  de  Cha- 
teaubriand et  de  Laval.  * 
2.  De,  par.  —  3.  En  la03. 


ANNE  DE  BRETAGNE.  3i1 

La  reyne,  despitée  de  ce  traict,  ne  chauma  pas 
sur  sa  vengeance,  et  l'aiant  bien  couvée,  le  faiot 
chasser  de  la  court.  Ce  fut  lors  que  le  dit  mareschal, 
aiant  achevé  de  faire  ceste  belle  maison  du  Verger', 
et  s'y  retirant,  dict  qu'à  bonne  heure  la  pluye  l'avoit 
pris  pour  se  mettre  si  à  propos  à  couvert  souIdz  ceste 
belle  maison  qui  ne  venoit  que  d'estre  faicte.  Ce  ne 
fut  pas  tout  que  ce  bannissement  de  court;  mais  par 
des  grandes  recherches  qu'elle  fit  faire  partout  où  il 
avoit  commandé,  il  fut  trouvé  qu'il  avoit  faict  des 
fautes  et  concussions  et  pilleries  (ainsi  qu'aucuns  gou- 
verneurs y  sont  sujets);  si  bien  que  lui,  aiant  récusé 
aucunes  courtz  de  parlement,  il  eut  celui  de  Toulouze, 
où  son  procès  avoit  esté  renvoie  et  évoqué  pour  ces 
raisons,  et  aussi  que  ceste  cour  de  longtemps  a  esté 
fort  justiciable*,  et  point  corrompue.  Là,  son  procès 
veu,  fut  convaincu  ;  mais  la  reyne  ne  voulut  pas  sa 
mort,  d'autant,  disoit-elle,  que  la  mort  est  le  vray 
remède  de  tous  maux  et  douleurs  et  qu'estant  mort, 
il  seroit  trop  heureux;  mais  elle  voulut  qu'il  vescut 
bas  et  ravalé  ainsi  qu'il  avoit  esté  paravant  grand, 
afin  que,  par  sa  fortune  changée  de  grande  et  haute 
où  il  s'estoit  veu,  en  un  misérable  estât  bas,  il  vescust 
en  marrissons,  douleurs  et  tristesses,  qui  lui  feroient 
plus  de  mal  cent  fois  que  la  mort  mesmes  ;  car  la  mort 
ne  lui  dureroit  qu'un  jour,  voire  qu'une  heure,  et  ses 
langueurs  qu'il  auroit  le  feroient  mourir  tous  les  jours. 

1 .  En  Anjou. 

2.  Justiciable,  pratiquant  la  justice.  Le  mot  a  été  biffé  dans  le 
manuscrit  par  Dupuy  et  remplacé  par  ceux-ci  -.juste  et  équitable, 
qui  depuis  ont  été  adoptés  dans  les  autres  manuscrits  et  dans  les 
éditions. 


312  DES  DAMES. 

Voilà  la  vengeance  de  ceste  brave  reyne.  Elle  fut 
un  jour  fort  marrie  contre  M.  d'Orléans,  de  telle  fa- 
çon qu'elle  ne  s'en  peut  appaiser  de  longtemps, 
d'autant  que  la  mort  de  M.  le  Dauphin  son  filz  estant 
survenue  ',  le  roy  Charles  son  mary  et  elle  en  furent 
si  désolez,  que  les  médecins,  craignans  la  débilité  et 
foible  habitude*  du  roy,  eurent  peur  que  telle  dou- 
leur pût  porter  préjudice  à  sa  santé;  dont  ils  con- 
seillarent  au  roy  de  se  resjouir,  et  aux  princes  de  la 
court  d'inventer  quelques  nouveaux  passe-temps, 
jeux,  dances  et  momeries,  pour  donner  du  plaisir  au 
roy  et  à  la  reyne  :  ce  qu'aiant  entrepris ,  M.  d'Or- 
léans lit  au  chasteau  d'Amboise  une  masquarade 
avec  une  dance,  où  il  fit  tant  du  fou,  et  y  dança  si 
gayement,  ainsi  qu'il  se  dit  et  se  list',  que  la  reyne, 
cuydant  qu'il  démenast  telle  allégresse  pour  se  voir 
plus  près  d'estre  roy  de  France,  voyant  M.  le  Dau- 
phin mort,  luy  en  voulut  un  mal  extrême,  et  lui  en 
fit  une  telle  mine,  qu'il  fallut  qu'il  s'ostast  d'Amboise 
où  estoit  la  court,  et  s'en  allast  à  son  chasteau  de 
Blois.  On  ne  peut  objecter  rien  à  cette  reyne,  sinon 
ce  seul  sy  de  vengeance,  si  la  vengeance  est  un  sy, 
puisqu'elle  est  si  belle  et  si  douce  ;  mais  d'ailleurs  elle 
avoit  des  parties  très-louables". 

Quand  le  roy  son  mary  alla  au  royaume  de  Na- 
ples,  et  tant  qu'il  y  fut,  elle  sceut  très-bien  gouver- 
ner le  royaume   de  France  avec  ceux  que  lui  avoit 


i .  Le  dauphin  Charles-Orland  mourut  dans  sa  quatrième  an- 
née, le  6  décembre  i49o. 

2.  Habitude,  complexion. 

3.  Dans  Commines.  Voyez  ses  Mémoires,  liv.  VIII,  oh.  xx. 


ANNE   DE  BRETAGNE.  313 

donné  le  roy  pour  l'assister;  mais  elle  vouloit  tous- 
jours  garder  son  rang,  sa  grandeur  et  primauté,  et 
estre  crue^  toute  jeune  qu'elle  estoit,  et  s'en  faisoit 
bien  accroire;  aussi  n'y  trouva  l'on  rien  à  dire. 

Elle  eust  un  très-grand  regret  à  la  mort  du  roy 
Charles,  tant  pour  l'amitié  qu'elle  lui  portoit  que 
pour  ne  se  veoir  qu'à  demy  reyne,  n'aiant  point 
d'enfans.  Et  ainsi  que  ses  plus  privées  dames,  com- 
me je  tiens  de  bon  lieu,  la  plaignoient  de  la  voir 
vef've  d'un  si  grand  roy,  et  malaisément  pouvoir  re- 
tourner en  un  si  haut  estât,  car  le  roy  Louis  estoit 
marié  avec  Jeanne  de  France,  elle  respondoit  qu'elle 
demeureroit  plustost  toute  sa  vie  vefve  d'un  roy  que 
de  se  rabaisser  à  un  moindre  que  luy;  toutesfois 
qu'elle  ne  désesperoittant  de  son  bonheur,  qu'elle  ne 
pensast  encor  estre  un  jour  reyne  de  France  ré- 
gnante, comme  elle  avoit  esté,  si  elle  vouloit.  Ses 
anciennes  amours  lui  faisoient  dire  ce  mot,  et  qu'elle 
vouloit  ralumer  en  sa  poitrine  eschaufée  encor  un 
peu;  ce  qui  arriva  :  car  le  roy  Louis,  ayant  répudié 
Jeanne  sa  femme ,  se  souvenant  de  ses  premières 
amours  qu'il  avoit  porté  à  ladicte  reyne  Anne ,  et 
n'en  aiant  encor  perdu  la  flamme,  la  prit  en  mariage, 
comme  nous  avons  veu  et  leu.  Voylà  sa  prophétie 
accomplie,  qu'elle  fondoit  sur  le  naturel  du  roy 
Louis,  qui  ne  se  put  jamais  engarder  de  l'aimer  toute 
mariée  qu'ell'  estoit  ;  et  la  regardoit  de  bon  œil 
tousjours,  estant  M.  d'Orléans;  car  malaisément  se 
peut-on  défaire  d'un  grand  feu  quand  il  a  une  fois 
saisy  l'ame. 

Il  estoit  très-beau  prince,  et  fort  aimable,  et  pour 
ce  elle  ne  l'hayssoit  pas.  L'aiant  prise  estant  i*oy,  il 


314  DES  DAMES. 

riionnora  beaucoup,  lui  laissant  jouir  de  son  bien  et 
de  sa  duché,  sans  qu'il  y  touschast  et  en  prit  un 
seul  sou  :  aussi  elle  l'employoit  bien,  car  elle  estoit 
très-libéralle.  Et  d'autant  que  le  roy  ne  faisoit  des 
dons  immenses,  pour  lesquelz  entretenir  il  eust  fallu 
qu'il  foullast  son  peuple,  ce  qu'il  fuyoit  comme  la 
peste,  elle  suppléoit  à  son  défaut  :  car  il  n'y  avoit 
grand  capitaine  de  son  royaume  à  qui  elle  ne  don- 
nast  des  pensions,  et  fist  des  présens  extraordinaires, 
ou  d'argent  ou  de  grosses  chaisnes  d'or,  quand  ilz 
alloient  en  quelque  voyage,  ou  en  retournoient;  et 
de  mesmes  en  faisoit  des  petits,  selon  leur  qualitez; 
aussi  tous  couroient  à  elle,  et  peu  en  sortoient  d'avec 
elle  mal  contens.  Surtout  elle  a  eu  ceste  réputation 
d'avoir  aimé  ses  serviteurs  domestiques,  et  à  eux  faicts 
de  bons  biens. 

Ce  fut  la  première  qui  commença  à  dresser  la 
grande  court  des  dames,  que  nous  avons  veue  depuis 
elle  jusques  à  cest'  heure;  car  elle  en  avoit  une  très- 
grande  suitte,  et  de  dames  et  de  filles,  et  n'en  refusa 
jamais  aucune;  tant  s'en  faut,  qu'elle  s'enquerroit 
des  gentilzhommes  leurs  pères  qui  estoient  à  la  court, 
s'ilz  avoient  des  filles,  et  quelles  elles  estoient,  et  les 
leur  demandoit.  J'ay  eu  une  tante  de  Bourdeille*, 
qui  eut  cet  honneur  d'estre  nourrie  d'elle;  mais 
elle  mourut  en  sa  coiu^t  en  l'aage  de  quinze  ans,  et 
fut  enterrée  derrière  le  grand  autel  des  Cordelliers  à 
Paris;  et  en  ay  veu  le  tumbeau  et  la  subscription 
avant  que  l'église  fust  bruslée. 

Sa  court  estoit  une  fort  belle  escole  pour  les  dames, 

1.  Louise  de  Bourdeille;  voyez  plus  haut,  p.  190-193. 


ANNE  DE  BRETAGNE.  315 

car  elle  les  faisoit  bien  nourrir  et  sagement;  et  tou- 
tes, à  son  modelle,  se  foisoient  et  se  façonnoient 
très-sages  et  vertueuses  :  et  d'autant  qu'elle  avoit  le 
cœur  grand  et  haut^,  elle  voulut  avoir  ses  gardes,  et 
si  institua  la  seconde  bande  des  cent  gentilshommes; 
car  auparavant  n'y  en  avoit  qu'une  :  et  la  plus  grand' 
part  de  sa  dicte  garde  estoient  Bretons,  qui  jamais 
ne  failloient,  quand  elle  sortoit  de  sa  chambre,  fust 
pour  aller  à  la  messe  ou  s'aller  promener,  de  l'at- 
tendre sur  cette  petite  terrasse  de  Blois  qu'on  appelle 
encor  la  Perche  aux  Bretons',  elle-mesmes  l'ayant 
ainsi  nommée.  Quand  elle  les  y  voyoit  :  «  Yoilà  mes 
«  Bretons,  qui  sont_,  disoit-elle,  sur  la  Perche  qui 
«  m'attendent.  »  Asseurez-vous  qu'elle  ne  mettoit 
point  son  bien  en  réserve,  mais  qu'il  estoit  bien  em- 
ployé en  toutes  choses  hautes. 

Ce  fut  elle  qui  fit  bastir  par  une  grand'superbeté 
ce  beau  vaisseau  et  grande  masse  de  bois,  qu'on  ap- 
pelloit  la  Cordelliere^  qui  s'attaqua  si  furieusement 
en  plaine  mer  contre  la  Régente  d\4ngleterre,  et 
s'accrocha  tellement  avecq'  elle,  qu'ilz  se  bruslèrent 
et  se  périrent,  si  bien  que  rien  n'en  eschapa,  fust  des 
personnes,  fust  de  ce  qui  estoit  dedans;  dont  on 
[n']en  peust  tirer  des  nouvelles  en  terre,  et  dont  la 
revne  en  fut  très-marrie*. 


\.  La  Perche  aux  Bretons  est  représente'e  (voyez  pi.  III)  dans 
\' Histoire  du  château  de  Blois,  par  M.  de  la  Saussaye,  1840,  gr. 
in-4°. 

2.  Le  combat  et  l'incendie  de  Marie-la-Cordelière  et  du  Régent 
eurent  lieu  le  10  août  1512  à  la  hauteur  de  l'île  d'Ouessant,  et 
ont  été  célébrés  par  Germain  Brice  dans  un  poème  latin  (1S13, 
in-4'')  dont  une  traduction  en  vers  français  due  à  P.  Choque, 


316  DES   DAMES. 

Le  roy  l'honoroil  de  telle  sorte,  que  lui  estant 
raporté  un  jour  que  les  clercs  de  la  basoche  du  Pa- 
lais, et  les  escolliers  aussi,  avoient  joué  des  jeux  où 
ils  parloient  du  roy,  de  sa  court  et  de  tous  les  grandz, 
il  n'en  fist  autre  semblant,  sinon  de  dire  qu'il  falloit 
qu'ilz  passassent  leur  temps,  et  qu'il  leur  permettoit 
qu'ils  parlassent  de  luy  et  de  sa  court,  non  pour- 
tant desreglement,  mais  surtout  qu'ils  ne  parlassent 
de  la  reyne  sa  femme  en  façon  quelconque;  autre- 
ment qu'il  les  feroit  tous  pendre.  Voilà  l'honneur 
qu'il  lui  portoit. 

De  surplus,  il  ne  venoit  jamais  en  sa  court  prince 
estranger,  ou  amjjassadeur,  qu'après  l'avoir  veu  et 
ouy  qu'il  ne  l'envoyast  faire  la  révérence  à  la  reyne, 
voulant  qu'on  lui  portast  le  mesme  respect  qu'à  luy, 
et  aussi  qu'il  cognoissoit  en  elle  une  grande  suffi- 
sance pour  entretenir  et  contenter  telz  grandz  per- 
sonnages, comme  très-bien  elle  sçavoit  faire;  et  y 
prenoit  très-grand  plaisir,  car  elle  avoit  très-bonne  et 
belle  grâce  et  magesté  pour  les  recueillir,  et  belle 
éloquence  pour  les  entretenir;  et  si,  quelquesfois, 
parmy  son  parler  françois,  estoit  curieuse,  pour 
rendre  plus  grande  admiration  de  soy,  d'y  entre- 
mesler  quelque  mot  estranger  qu'elle  apprenoit  de 
M.  de  Grignolz',  son  chevalier  d'honneur,  qui  estoit 
un  fort  gallant  homme,  et  qui  avoit  bien  veu  son 
monde,  et  pratiqué  et  sceu  fort  bien  les  langues  es- 
Irangères,   et  avec  cela    de  fort  bonne  et  plaisante 

roi  d'armes  d'Anne  de  Bretagne,  a  été  publiée  par  M.  Jal,  184.^, 
in-8°. 

1 .  Grignols  ou  Orignaux.  Voyez  plus  haut,  p.  \91-i  î)9  et  tome  II, 
p.  224,  note. 


ANNE  DE  BRETAGNE.  317 

compagnie,  et  qui  rencontroit  bien.  Sur  quoy  un 
jour  la  reyne  hiy  aiant  demandé  quelques  mots  en  es- 
pagnol pour  les  dire  à  l'embassadeur  d'Espagne,  et 
luy  aiant  dit  quelque  petite  sallaudrie  en  riant,  elle 
l'apprit  aussitost  :  et  le  lendemain,  attendant  l'am- 
bassadeur, M.  de  Orignaux  en  fit  le  conte  au  roy, 
qui  le  trouva  bon,  cognoissant  son  humeur  gaye  et 
plaisante;  mais,  pourtant  il  alla  trouver  la  reyne,  et 
luy  descouvrit  le  tout,  avec  l'advertissement  de  se 
garder  de  ne  prononcer  ces  motz.  Elle  en  fut  en  si 
grande  colère,  quelque  risée  qu'en  fit  le  roy,  qu'elle 
cuida  chasser  M.  de  Orignaux,  et  luy  en  fit  la  mine, 
sans  le  voir  pour  quelques  jours;  mais  M.  de  Ori- 
gnaux lui  en  fit  ses  humbles  excuses,  disant  ce  qu'il 
en  avoit  faict  n'estoit  que  pour  faire  rire  le  roy  et  lui 
faire  passer  le  temps,  et  qu'il  ne  fust  pas  esté  si  mal 
advisé  de  ne  l'en  advertir,  ou  le  roy,  comme  il  avoit 
faict,  lorsque  l'amliassadcur  eust  voulu  venir  :  et 
ainsi,  par  les  prières  du  roy,  elle  s'appaisa. 

Or  si  le  roy  l'a  aimée  et  honorée  vivante,  com- 
me vous  voyez,  il  faut  croire  qu'estant  morte  il  luy 
en  a  faict  de  mesmes.  Et  pour  manifester  le  deuil  qu'il 
en  fit,  en  faict  foy  les  superbes  et  honorables  funé- 
railles et  obsèques  qu'il  fit  d'elle,  lesquelles  j'ay  leu 
dans  une  vieille  histoire  de  France  que  j'ay  veu  traisner 
en  un  cabinet  de  nostre  maison,  dont  l'on  n'en  fai- 
soit  cas  ;  et  l'aiant  amassée  je  les  y  ay  remarquées  '.  Et 

1 .  Je  n'ai  pu  retrouver  {'Histoire  de  France  d'où  Brantôme  a 
tiré  cette  relation.  Il  est  facile  de  voir  que,  dans  les  passages  qu'il 
en  cite,  il  a  intercalé  plusieurs  phrases  de  son  cru,  comme  la  der- 
nière du  second  alinéa  et  la  première  du  troisième.  Cf.  p.  3i0, 
note  1. 


318  DES  DAMES, 

d'autant  que  c'est  une  chose  qu'on  doit  noter,  je  l'ay 
voulu  mettre  icy  de  mot  à  mot  comme  dit  le  livre, 
sans  en  rien  changer;  car,  encor  qu'il  soit  vieux,  le 
parler  n'en  est  trop  mauvais;  et  de  la  vérité  de  ce 
livre  j'en  suis  esté  confirmé  par  ma  grand'mère,  ma- 
dame la  séneschale  de  Poitou,  de  la  maison  du  Lude, 
qui  estoit  lors  à  la  court.  Ce  livre  donc  conte  ainsi  : 

«  Geste  reine  estoit  une  honorable  et  vertueuse  reine 
et  fort  sage,  la  vraye  mère  des  pauvres,  le  support  des 
gentilshommes,  le  recueil  *  des  dames  et  damoiselles  et 
honnestes  filles,  et  le  refuge  des  sçavans  hommes  :  aussi 
tout  le  peuple  de  France  ne  se  peut  saouler  de  la  plorer 
et  regretter. 

«  Elle  mourut  au  chasteau  de  Blois  le  vingt  et  uniesme 
de  janvier,  Tau  mil  cinq  cens  et  treize  *,  sur  Taccomplis- 
sement  d'une  chose  qu'elle  avoit  la  plus  désirée,  qu'estoit 
l'union  du  roy,  son  seigneur,  et  du  pape  et  de  Féglise  ro- 
maine, en  aborrant  fort  le  scisme  et  la  diversion^.  Aussi 
elle  ne  cessa  jamais  après  le  roy,  qu'il  ne  s'y  remist;  dont 
elle  estoit  fort  aymée  et  révérée  grandement  des  princes 
et  prélatz  catholiques,  autant  que  le  roy  en  estoit  hay. 

«  J'ay  veu  à  Sainct-Denys  d'autresfois  une  grand'chape 
d'église,  toute  couverte  de  perles  en  broderie,  qu'elle  avoit 
faict  faire  exprès  pour  en  faire  un  présent  au  pape;  mais 
la  mort  la  prévinst.  Après  son  trespas,  son  corps  demeura, 
par  l'espace  de  trois  jours,  dans  sa  chambre,  le  visage  tout 
descouvert ,  qui  ne  se  monstroit  nullement  changé  par 
l'hydeuse  mort,  mais  aussi  beau  et  agréable  que  durant 
son  vivant.  Et  à  l'entour  de  ce  corps  y  avoit  douze  gros 
cierges  de  cire  blanche,  tous  allumez  tousjours  jusques  à 

1.  Recueil,  asile.  —  2.  Lisez  ;  le  9  janvier  1514. 
3.  Diversion^  séparation.  —  Dupuy  a  biffé  ce  mot  et  mis  à  la 
place  division. 


ANNE  DE  BRETAGNE.  319 

ce  qu'il  fust  embaumé  et  mis  en  un  très-riche  cercueil;  et 
puis  fut  mise  en  la  graucVsalle  pour  aucuns  jours,  accom- 
pagnée tousjours  de  cierges  et  flambeaux,  et  de  toutes 
sortes  de  prestres. 

«  Le  vendredy  vingt-septiesme  du  mois  de  janvier*,  fust 
son  corps  tiré  hors  du  chasteau,  fort  honnorablement  ac- 
compagné de  tous  les  prestres  et  religieux  de  la  ville,  porte 
par  gens  vestus  de  deuil  et  chapperons  en  testes ,  avec 
vingt-quatre  autres  plus  grosses  torches  que  les  autres, 
portées  par  vingt-quatre  olficiers  de  Testât  de  ladicte  dame  ; 
et,  en  chacunes  d'icelles  toutes,  avoit  deux  riches  escus- 
sons  armoyez  des  armes  et  honneste  blason  d'icelle  noble 
dame.  En  amprès  lesdictes  torches,  estoient  les  révérends 
seigneurs  et  prélatz,  évéques,  abbez,  et  M.  le  cardinal  de 
Luxembourg  ^,  pour  faire  ledict  office,  lequel  leva  le  corps 
de  ladicte  dame,  du  chasteau  de  Blois.  Puis  marchoient  les 
huissiers  en  ordre,  tous  vestus  de  robes  noires,  et  chape- 
rons de  dueil. 

«  En  après  marchoient  le  capitaine ,  messire  Gabriel  de 
la  Chastre,  et  ses  archiers,  les  seigneurs  de  Concressault, 
Chastaing  et  La  Tour',  accompagnez  de  leurs  archiers. 

«  Après  estoient  les  roys  et  hérauts  d'armes  revestus  de 
leurs  cottes  et  blasons  d'armoirie.  A  la  main  droicte  mar- 
choient le  premier  maistre  d'hostel  et  les  autres  ;  à  la  main 
senextre  estoient  les  maistres  des  requestes;  et  consé- 
quemment  *  marchoient  le  grand  escuyer  de  ladicte  dame  ; 
(car  elle  avoit  sa  grand' escuy rie  et  son  grand  escuyer, 
comme  le  roy,  ainsi  que  l'on  list  qu'il  accompagna  le  roy 

1.  Le  3  février. 

2.  Philippe  de  Luxembourg  qui  fut  évêque  du  Mans  de  1477 
à  1C07  et  de  1509  à  1519. 

3.  Alexandre  de  Menipeny,  seigneur  de  Concressaut,  chevalier 
d'honneur  de  la  reine  Marie  d'Angleterre.  —  Guillaume  de  Bon- 
neval,  seigneur  de  Chastain.  —  Antoine  de  la  ïour,  vicomte  de 
Tm-enne,  chambellan  de  Charles  VIII  et  de  Louis  XII. 

4.  Conséquemment,  à  la  suite. 


320  DES  DAMES. 

Charles  au  royaume  de  Naples;  mais  il  '  n'espécifie  point  le 
nom).  Son  corps  estoit  porté  de  ses  gentilshommes  et  offi- 
ciers. Les  coings  ou  carrez  du  drap  qui  csloient  sur  le  corps 
esloient  portez  par  le  seigneur  de  Sainct-Pol,  le  seigneur 
de  Lautreq,  le  sieur  de  LavaP,  et  Louys  M.  de  Nevers. 
Ceux  qui  portoient  le  poisle  dudict  corps,  estoient  le  sei- 
gneur de  Pontièvre,  le  seigneur  de  Chasteaubriand,  Pierre 
M.  de  Candalle,  et  le  seigneur  de  Montafdanl  ^ .  Et  après  es- 
toit  le  seigneur  de  Orignaux,  chevalier  d'honneur  de  la- 
dicte  reyne.  Et  à  mener  le  grand  deuil  estoient  :  Le  sei- 
gneur d'Angoulesme,  le  seigneur  d'Allançon,  le  seigneur 
de  Vandosme,  la  dame  de  Bourbon,  la  dame  d'Angou- 
lesme  et  la  dame  d'Allançon  ^  ;  et  après  icelle,  la  dame  de 
Mailly^,  dame  d'honneur  de  ladicte  reyne.  Et  après  al- 
loient  toutes  les  dames  et  damoiselles  et  filles  d'honneur, 
honnestement  vestues  de  robes  noires  et  de  dueil. 

«  En  après  marchoit  le  duc  d'Albanie  ®  avec  les  ambas- 
sadeurs, les  seigneurs  barons  de  Bretaigne,  et  autres  plu- 
sieurs notables  seigneurs  ,  chambellans  et  officiers,  ainsy 
qu'ils  dévoient  aller,  et  chacun  mis  en  son  ordre.  Enfin, 
fut  ledict  corps  ainsi  porté  en  l'église  de  Sainct-Sauveur; 

1.  //,  l'auteur  de  la  relation;  cette  parenthèse  est  évidemment 
une  intercalation  de  Brantôme. 

2.  François  de  Bourbon,  comte  de  Saint-Pol.  —  Odet  de  Foix, 
seigneur  de  Lautrec.  —  Gui  XVI,  comte  de  Laval,  mort  en  1 531 . 

3.  René  de  Brosse,  dit  de  Bretagne,  comte  (nominal)  de  Pen- 
thièvre.  — Jean  de  Laval,  seigneur  de  Châteaubriant.  —  Pierre  de 
Foix,  fils  de  Gaston  il  de  Foix,  comte  de  Caudale.  —  Pierre  de 
Laval,  seigneur  de  Montafilant. 

4.  François  de  Valois,  comte  d'AngouIême,  depuis  François  l". 
—  François,  duc  d'Alençon.  —  Charles  de  Bourbon,  comte  de 
Vendôme.  —  Amie  de  France,  duchesse  de  Bourbon.  —  Louise 
de  Savoie,  duchesse  d'AngouIême.  —  Marguerite,  duchesse  d'A- 
lençon. 

5.  Jacqueline  d'Astarac ,  femme  d'Antoine  de  Mailly,  mort 
après  lo49. 

G.  Jean  Stuart,  duc  d'Alban\ . 


ANNE  DE  BRETAGNE.  321 

et  là  ne  prist  aucun  sa  place,  fors  qu'il  estoit  ordonné  par 
ceux  qui  en  avoient  la  charge,  et  les  niaistres  des  cérémo- 
nies; et  furent  diltes  vigilles.  Et  le  lendemain,  qui  estoit 
sabmedy,  fut  fait  un  service  fort  soleninel  par  plusieurs 
prélats;  et  ne  furent  à  l'offrande,  fors  M.  d'Angoulesnie  et 
M.  d'Allançon,  auxquels  furent  portez,  leurs  olfrandcs  par 
les  roys  d'armes  IMontjove  et  Bretagne. 

•  Et  après  le  service  accompli,  cliascun  s'en  alla  dis- 
ner  ;  et  après  disner  partist  le  corps  hors  la  ville  avec  tout 
le  luminaire  et  estât  dessusdict,  et  tousjours  ainsi  honno- 
rablement  accompagné  en  ce  beau  et  dévot  ordre  jusques 
au  lieu  de  la  sépulture;  et  tousjours  vigilles;  et  le  lende- 
main messes  en  tous  les  lieux  et  villes  et  places  où  ledict 
corps  et  la  compagnie  arrivoient  le  soir  au  giste,  et  tant 
que  le  dimanche  septuagésime,  douziesme  de  febvrier, 
parvindrent  jusques  en  l'église  de  Nostre-Dame-des- 
Champs  aux  fauxbourgs  de  Paris,  là  où  le  corps  fust  gardé 
par  deux  nuicts  avec  moult  grand' quantité  de  luminaires  ; 
et  le  service  dévot  faict.  Le  mardy  ensuivant,  quatorziesme 
de  febvrier,  furent  au  devant  du  corps  les  processions  avec 
les  croix  de  toutes  les  églises  et  religions  de  Paris,  et  toute 
l'université  ;  ensemble  aussi  les  présidens  et  conseillers 
de  la  souveraine  court  de  parlement,  et  généralement 
toutes  les  autres  courts  et  jurisdictions,  officiers  et  advo- 
cats,  procureurs,  bourgeois,  marchands  et  habitans,  et 
autres  menus  olficiers  de  la  ville ,  lesquels  eux  tous 
accompagnèrent  icelluv  corps  moult  révéremment,  avec 
les  très-nobles  seigneurs  et  dames  de  Testât  dessus-dict, 
ainsi  qu'ils  partirent  de  Bloys;  et  chascuu  tousjours  en 
bel  ordre  entre  eux,  tous  selon  leurs  degrez.  Et  devant 
le  corps  entrèrent  à  Paris  par  la  porte  de  Sainct-Jacques, 
les  pages  d'honneur,  nuds  testes,  tous  vestus  de  vellours 
noir  et  chapperons  de  deuil,  montez  sur  les  courciers  et 
chevaux  bardez  de  vellours  jusques  en  terre,  à  grandes 
croix  de  satin  blanc  dessus;  et  puis  un  cheval  d'honneur 
et  hacquenée,  accoustrez  de  mesmes,  estoient  ainsi  menez   , 

VII  —  21 


322  DES  DAMES. 

et  conduicts  par  les  laisses,  qui  est  à  dire  menés  en  main, 
et  le  chariot  qui  avoit  emmené  le  corps  de  ladicte  dame 
jusques  ausdicts  faulxbourgs  de  Paris,  avecques  six  chevaux 
euhavnachcz,  et  couverts  de  mesnies  vellours,  à  grandes 
croix  de  satin  blanc.  Le  charriot  estoit  aussi  couvert  de 
vellours,  à  une  grande  croix  de  niesmcs,  et  les  quatre 
coings  honnestements  portez  par  quatre  seigneurs  ;  et  si 
estoient  les  charretiers  et  pallefreniers  vestus  de  vellours, 
et  chapperons  de  deuil. 

«  L'efligie  et  représentation  de  la  reyne  estoit  posée 
dessus  son  corps,  et  tout  porté  par  plusieurs  gentilshom- 
mes dessus  une  httière  de  Ijois  toute  couverte  d'un  riche 
drap  d'or,  traict  et  eslevé,  fourré  et  enrichy  d'hermines. 
Ladicte  effigie  estoit  moult  richement  accoustrée,  vestue 
dessoubz  d'une  cotte  de  drap  d'or,  et  dessus  un  grand 
sercot  *  de  vellours  cramoisy  de  pourpre ,  fourré  d'hermi- 
nes; une  couronne  mise  en  son  chef  dessus  ung  coissin' 
de  drap  d'or;  ung  sceptre  estoit  en  sa  main  droicte,  et  en 
sa  senextre  tenoit  une  main  de  justice  ;  et  au  dessus  estoit 
porté  ung  riche  poisle  bleuf  *  en  manière  de  ciel,  semé  à 
l'entour  d'escus  de  France  et  de  Bretagne;  et  estoit  porté 
par  les  quatre  présidens  de  la  court  de  parlement,  et  des 
dessusdicts  seigneurs  et  dames,  portans  le  deuil  après  le 
corps.  Et  ainsy  fut  conduit  jusques  à  la  grand' église  de 
Nostre-Dame  de  Paris,  où  fut  faict  un  moult  solempnel 
service.  Le  lendemain,  qui  estoit  mardy  quinziesme  de 
febvrier,  fut  ainsy  continuellement  porté  hors  Paris,  en 
l'ordre  et  manière  que  dessus,  pour  estre  sépulture  en  la 
dévote  église  de  Sainct-Denys  en  France;  et  ainsy  furent 
les  processions  de  Paris,  pour  conduire  le  corps  jusques  à 
une  croix  qui  est  un  peu  par  de  là  le  lieu  où  l'on  faict  la 
foyre  du  landy  *  ;  et  en  ce  lieu  où  est  la  croix,  le  révérend 

1.  Sercot,  surcot.  —  2.   Coissln,  coussin. 

;j.  Bleuf,  bleu. 

4.  Sur  le  territoire  de  la  Chapelle-Saint-Denis. 


ANNE  DE  BRETAGNE.  323 

père  en  Dieu  abbé*  et  vénérables  religieux,  avec  les  pres- 
tres  des  églises  et  panoisscs  de  Sainct-Denis,  vestus  de 
leurs  grandes  chappes,  avec  leurs  croix,  ensemble  les  ma- 
nans  et  habitans  de  ladicte  ville,  vindrent  en  procession 
pour  recevoir  le  corps  de  ladicte  reyne,  lequel  fut  porté 
en  Téglise  de  Saiuct-Deuys,  et  tousjours  accompaigné  ho- 
norablement des  dessus  nommez  très-nobles  princes  et 
princesses,  seigneurs,  dames  et  damoiselles,  et  le  train, 
ainsy  que  dessus. 

«  Le  divin  service  fut  faict  pour  Tàme  de  ladicte  dame 
par  le  cardinal  du  Mans*;  et  firent  l'office  de  diacre  et 
soubsdiacre  les  archevesques  de  Lyon  et  de  Sens  *,  accom- 
pagnez des  abbez  de  Saincte-Geneviefve  et  Sainct-Ma- 
gloyre*.  Et  en  ce  dévot  service  assistarent  tousjours  les 
dessusdicls  nommez  princes  et  princesses,  seigneurs,  da- 
mes et  damoiselles,  uug  chacun  selon  Tordonnance  des 
maistres  et  conducteurs  des  cérémonies.  Et,  amprès  le 
service,  fut  faict  et  prcsché  un  beau  sermon  par  le  véné- 
rable confesseur  du  roy,  maistre  Parvy  ^,  docteur  fameux 
es  sacrez  volumes  *.  Et  le  tout  deuement  accomply,  le 
corps  de  ladicte  dame,  madame  Anne,  en  son  vivant  très- 
noble  reyne  de  France,  duchesse  de  Bretagne  et  contesse 


1.  Pierre  GoufiSer  de  Boisy,  abbe'  de  Saint-Denis  de  1503 
à  1317. 

2.  Philippe  de  Luxembourg.  Voyez  plus  haut  p.  319,  note  2. 

3.  François  I*'  de  Rohan ,  archevêque  de  Lyon  de  1501 
à  1536.  —  Tristan  de  Salazar,  archevêque  de  Sens  de  1475 
à  1319. 

4.  Charles  de  Villiers-L'Isle-Adam,  abbé  de  Sainte-Geneviève. 
—  Gui  de  Montmu^el  ou  Montmirail,  abbé  de  Saint-Magloire. 

5.  Guillaume  Petit  ou  Parvi,  dominicain,  confesseur  de  Louis  XII 
et  de  François  P',  évêque  de  Troyes  (1517),  de  SenHs  (1527), 
mort  le  8  décembre  1536.  On  a  de  lui  ;  Viat  de  Salut,  1527, 
in-8°,  goth.,  souvent  réimprimé;  La  Formation  de  V homme  et 
son  excellence,  1538,  in-8°. 

6.  Sacrez  volumes,  saintes  Ecritures, 


324  DES   DAMES. 

d'Estampes,  fut  honorablement  inhumé  et  ensépulturé  de- 
dans le  sépulchre  à  elle  préparé. 

«  Après,  le  liérault  d'armes,  dict  Bretaigne,  appella  tous 
les  princes,  officiers  d'icelle  dame,  c'est  assavoir,  le  che- 
vallier d'honneur,  le  grand  maistre  d'hostel  et  autres,  pour, 
eux  tous  et  nn  chacun  d'eux,  accomplir  leurs  offices  en- 
vers ledict  corps,  ce  qu'ilz  firent  moult  piteusement,  et 
jettans  larmes  de  leurs  yeux.  Et,  ce  faict,  le  prénommé 
roy  d'armes  cria  par  trois  fois  à  haulte  voix  moult  piteuse- 
ment :  La  tres-chrestienne  reyne  de  France^  duchesse  de 
Bretagne^  nostre  dame  souveraine  ^  est  morte;  et  puis  un 
chacun  s'en  alla.  Le  corps  demeura  en  sépulture. 

Durant  sa  vie  et  après  sa  mort^  elle  fut  honnorée 
de  tels  titres  comme  j'ay  dict  :  la  vraye  mère  des 
pauvres,  le  confort  des  nobles  gentilshommes,  le 
recueil  des  dames  et  damoiselles  et  lionnestes  fdles, 
et  le  refuge  des  sçavans  hommes  et  de  bonne  vie;  si 
bien  que,  parlant  d'elle  morte,  on  disoit  que  c'estoit 
autant  renouveller  de  deuilz  et  regrets  pour  toutes 
ces  personnes,  et  aussi  pour  ses  serviteurs  domesti- 
ques, qu'elle  aymoit  uniquement.  Elle  fut  fort  reli- 
gieuse et  dévote.  Ce  fut  elle  qui  la  première  fit  la  fon- 
dation des  Bons-Hommes^  dits  autrement  Minimes; 
et  en  accommença  l'église  desdicts  Bons-Hommes  près 
de  Paris  ',  et  puis  après  celle  de  Rome,  qui  est  si  belle 
et  noble,  et  où  j'ay  veu  qu'il  n'y  avoit  de  receus  au- 
cuns religieux  que  François. 

Voylà,  de  mot  en  mot,  les  superbes  obsèques  de 
ceste  reyne,  sans  rien  en  changer  de  l'original,  de 
peur  de  faillir,  ne  pouvant  dire  mieux.  Elles  sont 

1.  Le  cuuvcat  des  .Minimes  de  Nigeon  ou  Chaillot, 


ANNE  DE  BRETAGNE.  325 

toutes  pareilles  à  celles  de  nos  roys  que  j'ay  leu  et 
veu,  et  à  celles  du  roy  Charles  IX"  où  j'estois*,  que  la 
reyne  sa  mère  voulut  faire  belles  et  magnifiques^  en- 
cores  que  les  finances  de  France  fussent  lors  courtes 
pour  y  despendre  tant,  à  cause  de  la  partance  du 
roy  de  Poulongue,  qui  en  avoit  avec  sa  suitte  beau- 
coup gasté  et  emporté. 

Certes,  je  trouve  ces  deux  enterremens  quasy  tous 
semblables,  fors  en  trois  choses  :  L'une,  que  celuy 
de  la  reyne  Anne  fust  plus  superbe;  l'autre,  que  le 
tout  alla  si  bien  d'ordre  et  si  sagement  qu'il  n'y  eust 
aucune  division  ny  contestation  de  rangs,  ainsy 
qu'il  arriva  à  celuy  du  roy  Charles;  car,  son  corps 
estant  prest  à  partir  de  Nostre-Dame,  la  court  de 
parlement  eust  quelque  picque  de  presséance  avec  la 
noblesse  et  l'Église,  d'autant  qu'elle  alléguoit  tenir 
place  de  roy  qu'elle  représentoit  du  tout  en  tout 
en  l'absence  du  roy,  qui  estoit  hors  du  royaume. 
Sur  quoy  il  y  eust  une  grande  princesse  de  par  le 
monde  *,  que  je  sçay  bien ,  et  qui  lui  touchoit  de 
fort  près,  et  ne  la  veux  nommer,  qui  alla  arguer  et 
dire  «  qu'il  ne  se  falloit  esmerveiller  si,  durant  le 
«  vivant  du  roy,  les  séditions  et  troubles  avoient  eu 
«  si  grand'  vogue,  que  tout  mort  qu'il  estoit  il  es- 
«  mouvoit,  brouilloit  et  troubloit  encores.  »  Hélas! 
il  n'en  pouvoit  mais,  le  pauvre  prince  ny  mort  ny 
vivant.  On  sçait  assez  qui  ont  esté  les  autheurs  des 

1 .  Le  transfert  du  corps  de  Charles  IX  à  Saint-Denis  eut  lieu 
le  IS  juillet  1374.  Voyez  le  Trespas  et  obsèques  du  très  chrestien 
roy  de  France ,  Charles  IX ,  dans  le  tome  VIII  (première  série) 
des  Archives  curieuses  de  l' Histoire  de  France. 

2.  Il  s'agit  bien  évidemment  de  Marguerite  de  Valois. 


326  DES  DAMES. 

séditions  et  de  nos  guerres  civilles.  Cette  princesse, 
qui  prononça  ces  mots,  despuis  l'a  trouvé  bien  à 
dire,  et  l'a  bien  regretté.  L'autre  chose  et  dernière, 
est  que  le  corps  du  roy  fust  quitté,  estant  à  l'é- 
glise de  Sainct-Ladre,  de  tout  le  grand  convoy,  tant 
des  princes,  seigneurs,  court  de  parlement,  et  ceux 
de  l'église  et  de  la  ville,  et  ne  fust  suivy  ny  accompa- 
gné que  du  pauvre  M.  d'Estrozze,  de  Fumel  ^  et 
moy,  et  deux  autres  gentilshommes  de  la  chambre, 
qui  ne  voulusmes  jamais  habandonner  nostre  mais- 
tre  tant  qu'il  seroit  sur  terre.  Il  y  avoit  aussi  quel- 
ques archiers  de  la  garde,  chose  qui  faisoit  grand' 
pitié  à  voir,  dans  les  champs.  Sur  le  tard,  et  huict 
heures  du  soir  en  juillet,  en  fallut  porter  le  corps  et 
ceste  effigie  si  mal  accompagnée. 

Estant  à  la  croix  ^,  nous  y  trouvasmes  tous  les  re- 
ligieux de  Sainct-Denys  qui  l'attendoient;  et,  avec 
cérémonies  de  l'église  à  ce  requises,  fut  honnorable- 
ment  mené  à  Sainct-Denys,  où  ce  grand  M.  le  car- 
dinal de  Lorraine  le  receut  fort  dévotieusement  et 
honnorablement,  ainsy  qu'il  sçavoit  bien  faire. 

La  reyne  ^  fut  fort  en  colère  de  quoy  tout  ce  grand 
convoy  n'avoit  passé  outre,  ainsy  qu'elle  entendoit, 
fors  Monsieur,  son  fîlz,  et  le  roy  de  Navarre,  qu'elle 
tenoit  comme  prisonniers.  Le  lendemain  pourtant, 
ils  ne  faillirent  pas,  avec  très-bonne  garde,  en  coche, 
et  capitaine  des  gardes  avec  eux,  de  se  trouver  au 
grand   service  solemnel,  avec  le    grand  convoy  et 

1 .  Probablement  Charles  de  Belleville,  baron  de  Fumel,  tué  à 
la  bataille  de  Coutras  (1587). 

2.  Vf)yez  plus  naut,  p.  322,  note  4.  —  3.  La  reine  mère. 


ANNE  DE  BRETAGNE.  327 

compagnie  d'auparavant;  chose  qui  fut  fort  pitoyable 
à  voir. 

Après  disner,  la  court  de  parlement  envoia  dire 
et  commander  à  M.  le  grand  aumosnier,  M.  Amyot, 
de  leur  aller  dire  grâces  après  disner,  comme  au  roy; 
lequel  leur  fit  responce  qu'il  n'en  feroit  rien,  et  que 
ce  n'estoit  point  devant  eux  qu'il  les  debvoit  dire. 
Ils  luy  en  firent  faire  deux  commandements  consé- 
cutifs et  menasses;  ce  qu'il  refusa  encores,  et  s'alla 
cacher  pour  ne  leur  respondre  plus  :  mais  ils  jura- 
rent  qu'ils  ne  partiroient  de  là  qu'ils  ne  vinst;  mais, 
ne  s' estant  peu  trouver,  ils  furent  contraincts  de  les 
dire  eux-mesmes ,  et  se  lever  avec  des  menaces 
grandes  qu'ils  firent,  et  injures  qu'ils  dëbagoiilarent 
contre  ledict  aulmosnier,  jusques  à  l'appeller  maraut 
et  filz  de  bouchier.  J'en  vis  tout  le  progrez;  et  sçay 
bien  tout  ce  que  Monsieur  me  commanda  d'aller 
parler  à  M.  le  cardinal  pour  appaiser  le  tout,  d'au- 
tant qu'ils  avoient  faict  commandement  à  Monsieur, 
comme  eux  représentans  le  roy,  de  leur  envoyer  le 
grand  aumosnier  qui  ne  se  pouvoit  trouver,  et  M.  le 
cardinal  leur  en  alla  parler;  mais  il  n'y  gaigna  rien, 
se  tenans  tousjours  sur  leur  opinion  et  royale  ma- 
jesté et  authorité.  Je  sçay  ce  que  m'en  dict  M.  le 
cardinal  et  me  dict  ce  que  je  ne  diray  point  :  que 
c'estoient  des  vrais  sots  \  «  M.  le  premier  président 
de  Thou*  présidoit  alors,  (grand  sénateur  certes),  mais 
il  avoit  de  l'humeur.  Voylà  une  autre  esmeute  qui 
fit  dire  encor  à  cette  princesse  et  autres,  de  ce  prince 

1.  Ces  huit  derniers  mots  sont  biffés  sur  le  manuscrit. 

2.  Christophe  de  Thou,  le  père  de  l'historien. 


328  DES  DAMES. 

vivant  et  mort,  sur  terre  et  en  terre,  que  ce  corps 
esmouvoit  encor  le  monde,  et  le  mettoit  en  sédition. 
Hélas!  il  n'en  pouvoit  mais. 

J'ay  faict  ce  petit  incident  possible  plus  long  qu'il 
ne  falloit_,  et  me  pourra  l'on  reprendre  :  mais  je  res- 
pondray  que  je  l'ay  faict  et  mis  ainsi  qu'il  m'est 
venu  en  fantaisie  et  en  souvenance;  qu'il  est  ainsy 
assez  bien  à  propos,  et  que  je  le  pourrois  oublier, 
me  semblant  estre  une  chose  assez  remarquable. 

Et  pour  retourner  encor  à  noslre  reyne  Anne,  il 
parest  bien,  par  ce  beau  debvoir  dernier  de  funé- 
railles, qu'elle  estoit  bien  aimée  et  du  monde  et  du 
ciel,  et  bien  autrement  que  ne  fust  cette  pompeuse 
et  orgueilleuse  reyne  Ysabeau  de  Bavières,  femme  du 
feu  roy  Charles  Vl%  laquelle  estant  morte  à  Paris,  son 
corps  fust  tant  mesprisé  qu'il  fut  mis  de  son  hostel 
dans  un  petit  batteau  sur  la  rivière  de  Saine,  sans 
autre  forme  de  cérimonie  et  pompe;  et  fust  passé 
par  une  si  petite  poterne,  et  si  estroicte,  qu'à  grand 
peine  y  pouvoit-il  passer;  et  fut  ainsi  porté  à  Sainct- 
Denys  en  son  sépulchre,  ny  plus  ny  moins  qu'une 
simple  damoyselle.  Il  y  avoit  bien  aussi  de  la  diffé- 
rence de  ses  actions  à  celles  de  la  reyne  Anne;  car 
elle  mist  les  Anglois  en  France  et  dans  Paris,  mist  le 
rovaume  en  combustion  et  division,  et  l'apauvrist  et 
ruina  du  tout:  et  la  reyne  Anne  le  tint  en  paix,  et 
l'a£;randist  et  l'enrichist  de  sa  belle  duché  et  biens 
qu'elle  y  apporta.  Dont  il  ne  se  faut  esbayr  si  le  roy 
la  regretta,  et  en  démena  un  tel  dueil  qu'il  en  cuyda 
mourir  au  bois  de  Vincennes,  et  s'habilla  fort  long- 
temps de  noir  et  toute  sa  court;  et  ceux  qui  venoient 
autrement  les  en  faisoit  chasser;  et  n'eust  point  ouy 


ANNE  DE  BRETAGNE.  329 

ambassadeur,  quel  qu'il  fiist,  qu'il  ne  fust  liahillé  de 
noir.  Et  dict  bien  plus  ceste  vieille  histoire  que  j'ay 
alléguée,  que,  «  lorsqu'il  donna  sa  fille  aisnée  à 
a  M.  d'Angoulesme,  despuis  le  roy  François,  le  deuil 
«  ne  fut  nullement  quicté  ne  laissé  en  sa  court;  et  le 
«  jour  qu'ils  furent  espousez  dans  la  chappelle  de 
«  Sainct-Germain-en-I.aye ,  le  marié  et  la  mariée 
«  n'estoient  vestus  et  habillez,  ce  dit  l'histoire,  que 
«  de  drap  noir,  honnestement  et  en  forme  de  deuil, 
«  pour  le  trespas  de  la  susdicte  reyne  madame  Anne 
«  de  Bretagne,  mère  de  la  mariée,  en  présence  du 
«  roy  son  père,  accompaigné  de  tous  les  princes  du 
«  sang  et  nobles  seigneurs  et  prélats,  princesses, 
«  dames  et  damoiselles,  tous  vestus  de  drap  noir  en 
«  forme  de  deuil.  »  Voylà  comment  le  livre  en  parle; 
qui  est  une  austérité  estrange  de  dueil  qu'il  faut  no- 
ter, que  le  jour  propre  des  nopces  n'en  peut  estre 
dispensé  pour  après  avoir  esté  repris  le  lendemain. 
Par  là  cognoist-on  si  ceste  princesse  estoit  aymée  et 
digne  d'estre  aymée  du  roy  son  mary,  qui  quelques- 
fois,  en  ses  goguettes  et  gayetez,  l'appelloit  le  plus 
souvent  sa  Bretonne. 

Si  elle  eust  vescu  plus  longtemps,  elle  n'eust  jamais 
consenty  à  ce  mariage  dessusdict;  et  souvent  y  avoit 
bien  répugné  et  desdit  le  roy  son  mary,  d'autant 
qu'elle  hayssoit  mortellement  madame  d'Angou- 
lesme,  despuis  madame  la  régente,  n'estant  leurs 
humeurs  guières  semblables,  et  peu  accordantes 
ensemble;  aussi  qu'elle  vouloit  colloquer  sa  dicte 
fille  avec  Charles  d'Austriehe,  lors  jeune,  et  le  plus 
grand  seigneur  de  la  chrestienté,  qui  despuis  fut 
empereur,  encor  qu'elle  vist  bien  M.  d'Angoulesme 


330  DES  DAMES. 

s'approcher  fort  de  la  couronne;  mais  elle  ne  son- 
geoit  pas  en  cela ,  ny  ne  y  vouloit  songer,  se  fiant 
d'avoir  encor  des  enfants;  car  lorsqu'elle  mourut 
elle  n'avoit  que  trente-sept  ans. 

De  son  temps  et  règne,  régnoit  ceste  grande  et 
sage  reyne  Isabeau  de  Castille,  bien  accordante  en 
mœurs  avec  nostre  reyne  Anne.  Aussi  elles  s'entr'av- 
moient  fort,  et  se  visitoient  souvent  par  ambassades, 
lettres  et  présents;  et  c'est  ainsi  que  la  vertu  recher- 
che tousjours  la  vertu. 

Le  roy  Louis  fut  après  content  de  se  marier  pour 
la  troisiesme  fois  avec  la  reyne  Marie,  sœur  du  roy 
d'Angleterre,  très-belle  princesse,  jeune,  et  trop 
pour  luy,  dont  mal  lui  en  prist.  Et  se  maria  plus  par 
nécessité  et  pour  faire  paix  avecques  l'Anglois,  et 
mettre  son  royaume  en  repos,  que  pour  autre  chose, 
ne  pouvant  oublier  jamais  sa  reyne  Anne  :  aussi 
commanda-il  à  sa  mort  qu'ils  fussent  couverts  tous 
deux  soubs  un  mesme  tombeau,  ainsi  qu'on  le  voit  à 
Sainct-Denys,  tout  de  marbre  blanc,  aussi  beau  et 
superbe  qu'il  en  soit  point  là. 

Or,  je  m'arreste  en  ce  discours,  et  ne  passe  plus, 
outre,  m'en  remettant  aux  livres  qui  ont  escrit  mieux 
de  ceste  reyne  que  je  ne  sçaurois  faire  :  toutesfois, 
pour  me  contenter,  j'ay  faict  ce  discours. 

Je  diray  encor  ce  petit  discours,  que  c'est  d'elle 
que  noz  reynes  et  princesses  ont  tiré  l'usage  de  met- 
tre à  l'entour  de  leurs  armoyries  et  escussons  la  cor- 
dellière,  les  portant  auparavant  nullement  entournez, 
mais  toutes  vagues;  et  ladicte  reyne  fust  la  première 
qui  mist  cette  cordellière. 

Or,  je  n'en  dis  plus,  n'aiant  esté  de  son  temps; 


ANNE  DE  BRETAGNE.  331 

toutesfois,  je  proteste  bien  n'avoir  parlé  qu'en  la 
vérité,  pour  l'avoir  apprise  et  d'aucuns  livres,  comme 
j'ay  dict,  et  de  madame  la  séneschalle  ma  grand' 
mère,  et  de  madame  de  Dampierre  ma  tante,  un 
vray  registre  de  la  court,  et  aussi  habille,  sage  et 
vertueuse  dame  qui  entra  à  la  court  il  y  a  cent  ans, 
et  qui  sçavoit  aussi  bien  discourir  de  toutes  choses. 
Aussi  dès  l'aage  de  huict  ans  y  avoit-elle  esté  nour- 
rie, et  n'avoit  rien  oublié;  et  la  faisoit  bon  ouyr  par- 
ler, ainsi  que  j'ay  veu  nos  roys  et  reynes  y  prendre 
ung  singidier  plaisir  de  l'ouyr,  car  elle  sçavoit  tout, 
et  de  son  temps  et  du  passé  :  si  bien  qu'on  prenoit 
langue  d'elle  comme  d'un  oracle.  Aussi  le  roy 
Henri  IIP  dernier  la  fist  dame  d'honneur  de  la  reyne 
sa  femme.  Des  mémoires  et  leçons  que  j'av  appris 
d'elle  je  me  suis  servi,  et  espère  m'en  servir  beau- 
coup en  ce  livre. 

J'ay  veu  l'épitaphe  de  ladicte  reyne  ainsy  faict  : 

Cy  gist  Anne,  qui  fust  femme  de  deux  grands  roys; 
En  tout  grande  cent  fois,  comme  reyne  deux  fois. 
Jamais  reyne  comme  elle  n'enrichist  tant  la  France. 
Voylà  que  c'est  d'avoir  une  grande  alliance. 


332  DES  D/VMES. 


DISCOURS   II. 

SUR  LA  REYNE,  MERE  DE  NOS  ROYS  DERNIERS, 
CATHERINE  DE  MEDÏCIS'. 

Je  me  suis  cent  fois  estonné  et  esmerveillé  de  tant 
de  bons  escrivains  que  nous  avons  veus  de  nostre 
temps  en  la  France^  qu'ilz  n'ayent  esté  curieux  de 
faire  quelque  beau  recueil  de  la  vie  et  gestes  de  la 
reyne  mère,  Catberine  de  Médicis,  puisqu'elle  en  a 
produict  d'amples  matières,  et  taillé  bien  de  la  be- 
sogne, si  jamais  reyne  tailla  ;  ainsi  que  diet  l'empe- 
reur Charles  à  Paulo  Jovio  une  fois,  à  son  retour 
de  son  triumpliant  voyage  de  la  Goullette,  voulant 
faire  la  guerre  au  roy  François  :  qu'il  fîst  seulement 
provision  d'ancre  et  papier,  qu'il  lui  alloit  bien  tailler 
de  la  besoigne^  Aussi  de  vray  ceste  reyne  en  a  taillé 
de  si  belle,  qu'un  bon  et  zellé  escrivain  en  eust  faict 
une  lUiade  entière  :  miais  ou  ils  sont  esté  paresseux 
ou  ingrats;  car  elle  ne  fust  jamais  chiche  à  l'endroict 
des  sçavans,  et  qui  escrivoient  quelque  chose.  J'en 

i.  Catherine  de  Médicis,  fille  unique  de  Laurent  de  Médicis, 
duc  d'Urbin,  et  de  Magdeleine  de  la  Tour,  comtesse  d'Auvergne 
et  de  Lauraguais,  née  à  Florence  le  13  avril  1519,  mariée  à 
Henri  II,  le  27  octobre  1533,  morte  au  château  de  Blois  le  5  jan- 
vier 1  589.  Elle  était  nièce  de  Clément  VII. 

2.  Expedire  te,  inquit,  Jovi,  calamos  oportet,  ut  quaîjam  gesta 
sunt  in  historiis  tempestive  perscribas  ;  nam  hoc  armorum  motu, 
magnus  profecto  tibi  novi  operis  labor  paratur.  (P.  Jove,  1.  XLIII, 
Florence,  1550-1552,  t.  II,  p.  439.) 


CATHERINE  DE  MEDICIS.  333 

nommerois  plusieurs  qui  en  ont  tiré  de  bons  biens, 
en  quoy  d'autant  ils  sont  accusez  d'ingratitude. 

Il  y  en  a  eu  un  pourtant  qui  s'en  est  voulu  mesler 
d'en  escrire;  et  de  faict  en  fcist  un  petit  livre  qu'il 
intitula  la  f^ie  de  Catherine  *  ;  mais  c'est  un  impos- 
teur et  non  digne  d'estre  creu,  puisqu'il  est  plus 
plain  de  mentcries  que  de  vérité,  ainsi  qu'clle- 
mesmes  le  dict  l'ayant  veu,  comme  telles  faussetez 
sont  apparentes  à  un  chacun,  et  aisées  à  noter  et  rejet- 
ter.  Aussi  celui  qui  l'a  faict  luy  vouloit  mal  mortel, 
et  estoit  ennemy  de  son  nom,  de  son  estât,  de  sa 
vie,  et  de  son  honneur  et  humeur;  voylà  pourquoy 
il  est  à  rejetter.  Quand  à  moy,  je  désirerois  fort  sça- 
voir  bien  dire,  ou  que  j'eusse  un  bonne  plume,  et 
bien  taillée  à  commandement,  pour  l'exalter  et  louer 
comme  elle  le  mérite.  Toutesfois,  telle  qu'elle  est, 
je  m'en  vais  l'employer  à  l'azard. 

Geste  reyne  donc  est  extraicte,  du  costé  du  père, 
de  la  race  de  Médicis,  l'une  des  nobles  et  illustres 
maisons,  non-seulement  de  l'Italie,  mais  de  la  chres- 
tienté,  quoi  qu'on  en  die.  Elle  estoit  estrangère  de  ce 
costé,  comme  les  alliances  des  grands  ne  se  peuvent 
prendre  communément  dans  leurs  royaumes  :  aussi 
n'est-ce  pas  quelquesfois  le  meilleur;  car  les  alliances 
estrangères  vallent  bien  autant  ou  plus  que  les  pro- 
chaines. La  maison  toutesfois  de  Médicis  a  quasi 
tousjours  esté  alliée  et  confédérée  avec  la  couronne 

\ .  C'est  l'écrit  intitulé  :  Discours  merveilleux  de  la  vie,  actions 
et  déportemens  de  la  reine  Catherine  de  Médicis,  dont  la  première 
édition  est  de  157o,  in-8,  et  qui  a  été  réimprimé  un  très-grand 
nombre  de  (ois,  soit  séparément  soit  dans  des  recueils.  On  l'attri- 
bue généralement,  mais  sans  i)reuves,  à  Henri  Estienne. 


334  DES  DAMES. 

de  France,  dont  encores  en  porte  les  fleurs  de  lys 
que  le  roy  Louis  XF  donna  à  ceste  maison  en  signe 
d'alliance  et  confédération  perpétuelle.  De  la  généra- 
tion maternelle,  elle  est  sortie  originellement  de  l'une 
des  plus  nobles  maisons  de  France,  vraye  Françoise 
de  race,  de  cœur  et  aflection,  de  ceste  grande  mai- 
son de  Boulongne  et  conté  d'Auvergne  :  de  sorte 
qu'on  ne  sçauroit  dire  ny  juger  en  quelle  des  deux 
maisons  y  a  eu  plus  de  grandeur  et  actes  plus  mé- 
morables. Or,  voicy  ce  qu'en  dict  M.  l'archevesque 
de  Bourges,  de  la  maison  de  Beaune  ',  un  aussi  grand 
sçavant  et  digne  prélat  qui  soit  en  la  chrestienté  (en- 
cor  qu'aucuns  le  disent  un  peu  légier  en  créance, 
et  guières  bon  pour  la  ballance  de  Monsieur  Sainct- 
Micliel  où  il  poise  les  bons  chrestiens  au  jour  du  ju- 
gement, ainsi  qu'on  dict),  en  l'oraison  funèbre  qu'il 
lit  pour  ladicte  reyne  à  Blois  : 

«  Du  temps  que  ce  grand  capitaine  gaulois,  Brennus, 
mena  son  armée  par  toute  Fltalie  et  Grèce,  estoient  avec 
luy  en  sa  trouppe  deux  gentilshommes  François,  F  un 
nommé  Felsinus,  l'autre  nommé  Bono,  qui,  voyant  le  mau- 
vais desseing  que  prenoit  Brennus,  après  ses  belles  con- 
questes,  d'aller  envahir  le  temple  de  Delphe,  pour  se 
souiller,  soy  et  son  armée,  du  sacrilège  de  ce  temple,  ils 
se  retirarent  tous  deux,  et  passarent  en  Asie  avec  leurs 
vaisseaux  et  hommes;  où  ils  pénétrèrent  si  avant,  qu'ils 
entrèrent  en  la  terre  des  Mèdes,  qui  est  proche  de  la  Ly- 
die et  de  la  Perside;  où  aiant  faict  plusieurs  conquestes 
et  obtenu  de  grandes  victoires,  se  seroient  enfin  retirez; 
et,  passans  par  l'Italie,  espcrans  revenir  en  France,  Felsi- 

1 .  Renaud  de  Beaune  de  Semblançay,  archevêque  de  Bourges 
de  1580  à  1602. 


CATHERINE  DE   MEDICIS.  335 

nus  s'arresta  en  un  lieu  où  est  à  présent  situé  Florence, 
le  long  du  lleuve  d'Arne,  qu'il  recogneul  assez  beau  et  dé- 
Icclablc,  et  de  semblable  assiete  qu'une  qui  lui  avoit  pieu 
en  ce  pays  de  Mède  une  autre  fois;  et  y  bastit  une  cité 
qui  est  aujourd'huy  Florence;  comme  aussi  son  compa- 
gnon Bono  bastit  la  ville  de  Bouonia,  appellée  Boulongne, 
toutes  deux  voisines  :  et,  dès  lors,  pour  les  conquestes  et 
victoires  que  ce  Felsinus  avoit  eu  en  ce  J)ays  des  Mèdes, 
l'ut  appelle  Medicus  entre  les  siens,  dont  depuis  le  surnom 
a  demeuré  en  la  famille;  comme  nous  lisons  de  Paulus*, 
qui  fut  surnommé  Macedo?iicus  pour  avoir  conquis  Macé- 
doine sur  Perseus,  et  Scipion,  qui  fut  appelle  Affriqiiain 
pour  avoir  faict  de  mesmes  de  l'Affrique.  » 

Je  ne  sçay  d'où  a  pris  ceste  histoire  ledict  M.  de 
Beaune;  mais  il  est  vraysemblable  que^  devant  le 
roy  et  une  telle  assemblée  qui  estoit  là  pour  le  con- 
voy  de  la  reyne^  il  ne  l'eust  voulu  alléguer  sans  bon 
autheur.  Voilà  comme  cette  descente^  est  bien  esloi- 
gnée  de  celte  moderne  que  l'on  suppose  et  attribue 
sans  propos  à  ceste  famille  de  Médicis,  ainsi  que 
faict  ce  livre  menteur  que  j'ay  dit  de  la  vie  de  la- 
dicte  reyne.  Puis,  dict  davantage  ledict  sieur  de 
Beaune  :  qu'on  list  dans  les  chroniques,  qu'un  nommé 
Everard  de  Médicis,  sieur  de  Florence,  amprès  plu- 
sieurs années,  au  voyage  et  expédition  que  fist  Charle- 
maigne  en  Italie  contre  Didier,  roy  des  Lombardz, 
alla  à  son  secours  avec  plusieiu's  de  ses  subjects;  et, 
l'ayant  fort  vertueusement  secouru  et  assisté,  fut  con- 
firmé et  investv  en  ladite  seigneurie  de  Florence. 
Plusieurs  années  après,  un  Anemond  de   Médicis, 

1.  Paul-Emile.  —  -2.  Descente  y  descendance. 


336  DES  DAMES. 

aussi  sieur  de  Florence,  passa  avec  plusieurs  de  ses 
suhjects  au  voyage  de  la  Terre-Saincte  avec  Godef- 
froy  de  Buillon,  où  il  mourut  devant  le  siège  de 
Nicée  en  Asie  '.  Geste  grandeur  a  tousjours  continué 
on  ceste  maison  jusques  à  ce  que  Florence,  réduicte 
en  république  par  guerres  intestines  en  Italie  d'entre 
les  empereurs  et  les  peuples,  les  personnes  illustres 
de  ceste  maison  ont  manifesté  leur  valleur  et  gran- 
deur de  temps  en  temps  :  comme  nous  voyons  par 
ces  derniers  siècles  le  grand  Gosme  de  Médicis_,  qui, 
par  ses  armes ,  ses  navires  et  vaisseaux ,  a  espou- 
vanté  les  Turcs  jusques  au  fonds  de  l'Orient  et  mer 
Méditerranée;  si  bien  que  nul  de  son  temps,  tant 
grand  qu'il  fust,  ne  l'a  surpassé  ny  en  force  ny  en 
valeur  ny  en  richesse,  ainsy  qu'en  a  escript  Raphaël 
Volateran  ^ 

Les  temples  et  lieux  sacrez  par  luy  bastis,  les  hos- 
pitaux  par  luy  fondez  jusques  en  Jérusalem,  font 
ample  preuve  de  sa  piété  et  magnanimité. 

Il  y  a  eu  aussi  Laurent  de  Medicis',  surnommé 
le  Grand  pour  ses  actes  vertueux  ;  ces  deux  grands 
et  honnorables  papes  Léon  et  Glément,  tant  de  cardi- 
naux si  grands  personnages  de  ce  nom,  et  puis  ce 
grand  duc  de  Toscane,  Gosme  de  Médicis,  sage  et 
ad  visé  s'il  en  fust  oncq.  Il*  a  paru  à  se  maintenir  en 

1 .  Je  liai  pas  besoin  de  dire  que  tout  ce  qui  précède  n'est 
qu'un  tissu  de  fables. 

2.  Raphaël  Maffei  de  Volterra,  dans  ses  Commentarii  urbani. 
Bâle,  1530,  in-fol.,  liv.  V,  f°*  55  et  56  v°. 

3.  Lauient  \"  de  Médicis,  prince  de  Florence,  mort  le  8  avril 
■1492. 

4.  Il  a  paru,  il  a  paru  tel. 


CATHERINE  DE  MEDICIS.  337 

son  estât,  qu'il  trouva  et  envahist,  fort  troublé  au 
commancement. 

Bref,  on  ne  scauroit  rien  desrober  à  cestc  maison 
de  Médicis  qu'elle  ne  fust  illustre,  très-noble  et 
grande  de  toutes  parts. 

Quant  à  la  maison  de  Bouloigne  et  d'Auvergne, 
qui  ne  dira  qu'elle  ne  soit  très-grande,  estant  sortie 
originairement  de  ce  grand  Eustache  de  Bouloigne, 
dont  le  frère,  Godefroy  de  Buillon,  a  porté  les  armes 
et  armoyries  avec  un  si  grand  nombre  de  princes, 
seigneurs,  chevalliers  et  soldats  chrestiens,  jusques 
dedans  Hiérusalem  sur  la  sépulture  de  nostre  Sau- 
veur, et  se  seroit  rendu  et  faict  roy  par  son  espée  et 
ses  armes  avec  la  faveur  de  Dieu,  roy  non-seulement 
de  Hiérusalem,  mais  d'une  grand'  partie  de  l'Orient, 
à  la  confusion  de  iMahommet,  des  Sarrazins  et  maho- 
métans,  tant  et  si  avant,  qu'il  auroit  donné  estonne- 
ment  à  tout  le  reste  du  monde,  aiant  replanté  le 
christianisme  en  Asie,  qui  estoit  du  tout  à  bas?  Au 
reste  ceste  maison  a  esté  recherchée  d'alliance  quasi 
de  tous  les  royaumes  de  la  chrestienté  et  grandes 
maisons,  comme  de  celle  de  France,  d'Angleterre, 
d'Escosse,  d'Ongrie,  de  Portugal;  jusques  là  que  le 
royaume*  luy  appartenoit  de  droict,  ainsi  que  j'ay 
ouy  dire  au  premier  président  de  Thou^,  et  que  la 
reyne  mesme  me  fit  cest  honneur  de  me  le  dire  à 
Bourdeaux,  lorsqu'elle  sceut  la  mort  du  roy  Sébastien 
dernier  mort';  et  futreceue  à  débattre  son  droict  par 


1.  Le  rojaume  de  Portugal. 

2.  Christophe  de  Thou,  le  père  de  f  historien. 

3.  En  1578. 

VII  —  22 


3a8  DES   DAMES. 

justice  en  la  dernière  assemblée  d'estatz  tenue  au- 
dict  Portugal,  auparavant  le  décès  du  dernier  roy 
cardinal*;  et  ce  fust  aussi  pourquoy  elle  arma  soubz 
M.  d'Estrozze  pour  y  fère  une  brèche,  le  roy  d'Espai- 
gne  lors  l'aiant  usurpé  ;  et  ne  s'en  fut  arrestée  en  si 
beau  chemin  sans  des  raisons  que  j'allégueray  ail- 
leurs une  autre  fois. 

Je  vous  laisse  doncq'  à  penser  si  ceste  maison  de 
Ëoulongne  estoit  grande  :  ouy^  telle  qu'une  fois  j'ouy 
dire  au  pape  Pio  quarto,  estant  à  table,  ainsi  qu'il 
bailla  à  disner  après  sa  création  aux  cardinaux  de 
Ferrare  et  de  Guise,  ses  créateurs^,  qu'il  tenoit  ceste 
maison  si  grande  et  si  noble  qu'il  n'en  sçavoit  en 
France,  telle  qu'elle  fust,  qui  la  surpassast  en  ancien- 
neté, ny  valeur,  ny  grandeur. 

C'est  bien  contre  les  malheureux  détracteurs,  qui 
ont  dict  que  ceste  reyne  estoit  une  Florantine  et  de 
bas  lieu  :  on  peut  voir  le  contraire.  Au  reste,  elle 
n'estoit  si  pauvre  qu'elle  n'ayt  porté  en  mariage  à  la 
France  des  terres  qui  vallent  aujourd'huy  six  vingts 
mille  livres  comme  sont  les  contez  d'Auvergne,  de 
Lauragais,  les  seigneuries  de  Lèverons,  Donsenac, 
Boussac,  Gorrèges,  Hondecourt,  et  autres  terres, 
toutes  de  la  succession  de  sa  mère  ;  et  encor  pour 
son  dot  heut  plus  de  deux  cens  mil  escuz  ou  ducatz, 
qui    vaudroient   aujourd'huy    plus    de   quatre  cens 

1.  Le  cardinal  Henri  de  Portugal. 

2.  Dupuy  a  changé,  et  bien  à  tort,  le  mot  créateurs  que  porte 
le  manuscrit  en  celui  de  créatures  qui  offre  un  sens  complètement 
opposé  et  est  en  désaccord  avec  l'histoire.  En  effet  le  cardinal  de 
Guise  fut  l'un  des  principaux  auteurs  de  l'élévation  de  Pie  IV  au 
trône  pontifical  (26  décembre  1559).  Voyez  de  Thou,  liv.  XXIII. 


CATHERINE  DE  MÉDICIS.  339 

mille,  avecques  grande  quantité  de  meubles,  riches- 
ses et  précieuses  pierreries  et  joyaux,  comme  les 
plus  belles  et  plus  grosses  perles  qu'on  ait  veu 
jamais  pour  si  grande  quantité,  que  despuis  elle 
donna  à  la  reyne  d'Escosse  sa  nore^  que  lui  ay  veu 
porter;  outre  cela,  forces  seigneuries,  maisons,  actions 
et  prétentions,  qu'elle  avoit  en  Italie.  Outre  plus  que 
tout  cela,  pour  son  mariage,  les  affaires  de  France, 
qui  estoienl  si  esbranlécs  par  la  prison  du  roy  et 
ses  pertes  de  Milan  et  Naples,  s'en  commançarent  à 
s'affermir. 

Le  roy  François  aussi  le  sçavoit  bien  dire,  que  tel 
mariage  avoit  beaucoup  servi  à  ses  affaires.  Aussi 
donna-on  à  ceste  reyne  ceste  devise  de  l'arc-en-ciel 
qu'elle  a  portée  tant  qu'elle  a  esté  mariée,  avecq  ces 
motz  grecz  :  cpw;  cpepet,  -ri^ï  yaV/iVviv^,  qui  est  autant  à 
dire  que,  tout  ainsi  que  ce  feu  et  arc-en-ciel  apporte 
et  signifie  le  beau  temps  après  la  pluye,  aussi  ceste 
reyne  estoit  vray  signe  de  clarté,  sérénité  et  tran- 
quilité  de  paix.  Le  grec  est  ainsi  traduict  :  ignis  ad- 
fert  serenitatem  ^. 

D'avantage ,  l'empereur  n'osa  pousser  plus  avant 
son  ambitieuse  devise  plus  outre  ;  car  encor  que  les 
trefves  fussent  entre   luy   et  le  roy  François,  si  cou- 


\.  Nore,  bru;  nurus. 

2.  Je  porte  la  lumière  et  la  se'rénité.  —  Les  pre'cédents  éditeurs, 
les  anciens  comme  les  nouveaux,  ont  mis  à  la  place  de  la  phrase 
grecque,  estropie'e  dans  le  manuscrit  et  que  Dupuy  a  rétablie , 
une  suite  de  syllabes  qui  n'ont  aucun  sens. 

3.  Dupuy  a  biflé  cette  mauvaise  traduction  et  l'a  remplacée  par 
celle-ci  :  Lucem  fert  et  serenitatem ,  qui  est  la  bonne ,  et  que 
tous  les  éditeurs  ont  reproduite. 


340  DES  DAMES. 

voit-il  tousjours  son  ambition  soubz  dessein  de  gai- 
gner  toujours  sur  la  France  ce  qu'il  eust  peu;  et 
s'estonna  fort  de  ceste  alliance  avec  le  pape,  le  co- 
gnoissant  habille,  courageux  et  vindicatif  de  sa  pri- 
son faicte  par  son  armée  impériale  au  sac  de  Rome. 
Et  tel  maryage  luy  despleust  tellement,  que  j'ay  ouy 
dire  à  une  dame  de  vérité,  lors  à  la  court,  que  s'il 
ne  fust  esté  marié  avec  l'impératrice,  qu'il  eust  prins 
l'alliance  dudict  pape,  et  eust  espousé  sa  niepce, 
tant  pour  estre  appuyé  d'un  si  grand  party,  que 
parce  qu'il  craignoit  que  le  pape  luy  aydast  à  perdre 
Naples,  Milan  et  Gênes,  ainsi  qu'il  l'avoit  promis  au 
roy  François,  lorsqu'il  luy  fit  livrer  l'argent  du  dot 
de  sa  niepce  et  ses  bagues  et  joyaux;  qu'oultre  tout 
cela,  pour  faire  le  douaire  digne  d'un  tel  mariage,  il 
luy  avoit  promis,  par  instrument  auten tique,  trois 
perles  d'inextimable  valeur,  de  l'excessiveté  *  des- 
quelles les  plus  grands  roys  estoient  fort  envieux  et 
convoiteux,  qu'estoient  Naples,  Milan  et  Gênes.  Et 
de  faict  ne  fault  doubler  que  si  ledict  pape  eust 
vescu  ses  ans  naturels,  qu'il  lui  eust  vendue  bonne, 
et  lui  eust  faict  couster  cher  sa  prison,  pour  agran- 
dire  sa  niepce  et  le  royaume  où  elle  avoit  esté  collo- 
quée;  mais  il  mourut  fort  jeune^  :  encores  pourtant 
tout  ce  profict  nous  demeura  pour  ce  coup. 

Voylà  donc  nostre  reyne,  ayant  perdu  sa  mère 
Madelayne  de  Bouloigne,  et  Laurens  de  Médicis  son 
père,  duc  d'Urbin,  en  bas  aage,  mariée  après  parle 
bon  oncle  en  nostre  France,  où  elle  fut  menée  par 


i.  Excessiveté,  grand  prix. 

2.  En  lo'Sk,  à  cinquante-quatre  ans. 


CATHERINE  DE  MEDICIS.  341 

mer  à  Marseille  en  grand  triumphe,  et  ses  nopces 
pompeusement  faictes,  à  i'aage  de  quatorze  ans.  Elle 
se  fit  tellement  aimer  du  roy  son  beau-père,  et  du 
roy  Henry  son  mary,  que,  demeurant  dix  ans  sans 
produire  lignée,  il  y  eust  forces  personnes  qui  per- 
suadarent  au  roy  et  à  M.  le  Dauphin  son  mary  de  la 
répudier,  car  il  estoit  besoing  d'avoir  de  la  lignée 
en  France  :  jamais  ny  l'un  ny  l'autre  n'y  voulurent 
consentir,  tant  ils  l'aymoient  :  aussi  dans  les  dix  ans, 
selon  le  naturel  des  femmes  de  la  race  de  Médicis 
qui  sont  tardives  à  concepvoir,  elle  commança  à  pro- 
duire le  petit  roy  François  deuxiesme  :  dont  sur  ce 
j'ay  ouy  faire  un  conte,  que,  lorsqu'il  fut  né,  il  y  eut 
une  dame  de  la  court,  qui  estoit  de  bonne  compa- 
gnie, et  disoit  bien  le  mot,  qui  vint  présenter  un 
placet  à  M.  le  Dauphin,  par  lequel  elle  le  prioit  de 
luy  faire  donner  l'abbaye  de  Sainct- Victor  qu'il  avoit 
rendue  vaccante.  Dont  il  fut  fort  estonné  de  tel  mot; 
mais,  d'autant  qu'on  disoit  à  la  court  qu'il  ne  te- 
noit  pas  tant  à  Madame  la  Dauphine  comme  à  Mon- 
sieur le  Dauphin  pourquoy  ils  n'avoient  d'enfans, 
parce  qu'on  disoit  que  mondict  sieur  le  Dauphin 
avoit  son  faict  tort',  et  qui  n'estoit  pas  bien  droict, 
et  que  pour  ce  la  semence  n'alloit  pas  bien  droict 
dans  la  matrice,  ce  qui  empeschoit  fort  de  concep- 
voir; mais,  après  que  cest  enfant  fut  né,  on  dict 
qu'il  ne  tenoit  plus  à  M.  le  Dauphin,  et  qu'il  avoit 
faict  dire  qu'il  n'avoit  son  v..  tort  :  et  par  ainsy  ceste 
dame  aiant  expliqué  son  placet  à  M.  le  Dauphin, 
tout  fut  tourné   en  risée,   et   dict   qu'il  avoit  rendu 

1.    Tort^  tors. 


342  DES  DAMES. 

l'abbaye  de  Sainct-Victor  vaecante,  faisant  allusion 
d'un  mot  à  l'autre,  que  je  laisse  imaginer  au  lecteur 
sans  que  j'en  face  plus  ample  explication. 

Puis,  la  reyne  d'Espagne  nasquit,  et  après  consécu- 
tivement ceste  belle  et  illustre  lignée  que  nous  avons 
veu,  et  quasi  aussitost  née,  aussitost  perdue,  par 
trop  grand  malheur  :  ce  qui  fut  cause  que  le  roy 
son  mary  l'en  ayma  davantage,  encor  qu'il  l'aymast 
bien  fort  et  de  telle  façon,  que  luy,  qui  estoit  d'amou- 
reuse complexion,  et  aymoit  fort  à  faire  l'amour 
et  aller  au  change,  il  disoit  souvent  que,  sur  toutes 
les  femmes  du  monde,  il  n'y  avoit  que  la  reyne  sa 
femme  en  cela,  et  n'en  sçavoit  aucune  qui  la  valût. 
Il  avoit  raison  de  le  dire,  car  c'estoit  une  princesse 
belle  et  très-aymable. 

Elle  estoit  de  fort  belle  et  riche  taille,  de  grande 
majesté,  toutesfois  fort  douce  quand  il  falloit,  de 
belle  apparance,  bonne  grâce,  le  visage  beau  et  agréa- 
ble, la  gorge  très-belle  et  blanche  et  pleine,  fort 
blanche  aussi  par  le  corps,  et  la  charnure*  belle,  et 
son  cuir  net,  ainsi  que  j'ay  ouy  dire  à  aucunes  de 
ses  dames,  et  ung  enbonpoinct  très-riche,  la  jambe 
et  la  grève  ^  très-belle,  ainsi  que  j'ay  ouy  dire  aussi  à 
de  ses  dames ,  et  qui  prenoit  grand  plaisir  à  la  bien 
chausser,  et  à  en  voir  la  chausse  bien  tirée  et  tandue; 
du  reste,  la  plus  belle  main  qui  fut  jamais  veue,  si 
crois-je.  Les  poètes  jadis  ont  loué  Aurore  pour  avoir 
de  belles  mains  et  de  beaux  doigts;  mais  je  pense 
que  la  reyne  l'eust  effacée  en  tout  cela;  et  si  l'a  tous- 
jours  gardée  et  maintenue  telle  jusques  à  sa  mort. 

1.  Charnure,  carnation.  —  2.  Grèue,  cuisse. 


CATHERINE  DE  MEDICIS.  343 

Le  roy  son  fils ,  Henry  IIP,  en  hérita  de  beaucoup 
de  ceste  l)eauté  de  main. 

De  plus,  elle  s'iiahilloit  lousjours  fort  bien  et  su- 
perbement, et  a  voit  tousjours  quelque  gentille  et 
nouvelle  invention.  Bref,  elle  avoit  beaucoup  de 
beautez  en  soy  pour  se  faire  fort  aymer.  Sur  quoy  il 
me  souvient  qu'elle  estant  ung  jour  allée  voir  à 
Lyon  un  peintre,  qui  s'appelloit  Corneille  *,  qui  avoit 
peint  en  une  grand'chambre  tous  les  grands  sei- 
gneurs, princes,  cavalliers,  et  grandes  reynes,  prin- 
cesses, dames,  filles  de  la  court  de  France,  estant 
donc  en  ladicte  chambre  de  ces  paintures,  nous  y 
vismes  cette  reyne  parestre  painte  très -bien  en  sa 
beauté  et  en  sa  perfection,  habillée  à  la  francèze 
d'un  chapperon  avec  ses  grosses  perles,  et  une  robe 
à  grandes  manches  de  toille  d'argent  fourrées  de 
loups  cerviers  ;  le  tout  si  bien  représenté  au  vif  avec 
son  beau  visage  qu'il  n'y  falloit  rien  plus  que  la  pa- 
roUe,  aiant  ses  trois  belles  filles  auprès  d'elle.  A  quoy 
elle  prist  fort  grand  plaisir  à  telle  veue,  et  toute  la 
compagnie  qui  y  estoit,  s'amusant  fort  à  la  contem- 
pler et  admirer  et  louer  sa  beauté  par  dessus  toutes  : 
elle-mesmes  s'y  ravist  en  la  contemplation,  si  bien 
qu'elle  n'en  peust  retirer  ses  yeux  de  dessus,  jusques 
à  ce  que  M.  de  Nemours  luy  vint  dire  :  «  Madame, 
«  je  vous  trouve  là  fort  bien  pourtraicte,  et  n'y  a  rien 
«  à  dire;  et  me  semble  que  vos  filles  vous  portent 
«  grand  honneur;    car  elles   ne  vont    point   devant 

1.  Claude  Corneille,  peintre  et  graveur  de  Lyon.  On  connaît 
entre  autres  de  lui  :  Epitome  des  rois  de  France,  •1546,  in-4°. 
Voy.  Robert-Dumesnil ,  Le  Peintre-graveur  français ,  t.  VI,  p.  7 
et  suivantes. 


344  DES  DAMES. 

«  vous,  et  ne  vous  surpassent  point.  »  Elle  luy  res- 
pondict  :  «  Mon  cousin ,  je  croy  qu'il  vous  ressou- 
«  vient  bien  du  temps,  de  l'aage  et  de  l'habillement 
a  de  ceste  painture  :  vous  pouvez  bien  juger  mieux 
«  que  pas  un  de  ceste  compagnie,  vous  qui  m'avez 
«  veue  ainsy,  si  j'estois  estimée  telle  que  vous  dic- 
«  tes,  et  que  suis  estée  comme  me  voylà.  »  Il  n'y 
eust  pas  un  en  la  compagnée  qui  ne  louast  et  esti- 
mast  infiniment  ceste  beauté,  et  ne  dist  que  la  mère 
estoit  digne  des  filles,  et  les  filles  dignes  de  la  mère  : 
et  telle  beauté  luy  a  duré,  et  mariée  et  vefve,  jusques 
quasi  à  sa  mort;  non  qu'elle  fust  si  fresche  comme 
en  ses  ans  plus  fleurissans,  mais  pourtant  bien  en- 
tretenue et  fort  désirable  et  agréable. 

Au  reste,  elle  estoit  de  fort  bonne  compagnie  et 
gaye  humeur,  aymant  tous  honnestes  exercices, 
comme  la  dance,  où  elle  avoit  très-belle  grâce  et 
majesté.  Elle  aymoit  la  chasse  fort  aussi  :  sur  quoy 
j'ay  ouy  faire  le  conte  à  une  dame  de  la  court  d'alors, 
que  le  roy  François  aiant  choisy  et  faict  une  trouppe, 
qui  s'appelloit  la  petite  bande,  des  dames  de  sa  court, 
des  plus  belles,  gentilles  et  plus  de  ses  favorites, 
souvant  se  dérosbant  de  sa  court,  s'en  partoit  et 
s'en  alloit  en  autres  maisons  courir  le  cerf  et  passer 
son  temps,  et  y  demeuroit  là  quelquesfois  ainsi  re- 
tiré huict  jours,  dix  jours,  quelquesfois  plus,  quel- 
quesfois moins,  ainsi  qu'il  lui  plaisoit,  et  l'humeur 
l'en  prenoit.  Nostre  reyne,  qui  estoit  lors  madame 
la  Dauphine,  voyant  telles  parties  se  faire  sans  elle, 
mesmes  que  mesdames  ses  belles-sœurs*  en  estoient, 

4.  Madeleine  et  Marguerite. 


CATHERINE  DE  iMÉDICIS,  345 

et  elle  demeuroit  au  logis,  elle  fit  prière  au  roy  de  la 
mener  tousjours  quant  et  luy,  et  qu'il  luy  fist  cest 
honneur  de  permettre  qu'elle  ne  bougeast  jamais 
d'avec  luy.  On  dict  qu'elle,  qui  estoit  tousjours  fine  et 
habile,  le  fist  bien  autant  pour  veoir  les  actions  du 
roy,  et  en  tirer  les  secrets,  et  escouter  et  sçavoir  toutes 
choses,  autant  pour  cela  que  pour  la  chasse,  ou  plus. 
Le  roy  François  lui  en  sceut  si  bon  gré  d'une  telle 
prière,  voyant  la  bonne  volonté  qu'il  voyoit  en  elle 
d'aymer  sa  compagnie,  qu'il  luy  accorda  de  très-bon 
cœur  :  et,  autre  qu'il  l'aymoit  naturellement,  il  l'en 
ayma  tousjours  davantage;  et  se  délectoit  à  lui  faire 
donner  plaisir  à  la  chasse,  en  laquelle  elle  n'aban- 
donnoit  jamais  le  roy,  et  le  suivoit  tousjours  à  cou- 
rir :  car  elle  estoit  fort  bien  à  cheval  et  hardie,  et  s'y 
tenoit  de  fort  bonne  grâce,  ayant  esté  la  première 
d'avoir  mis  la  jambe  sur  l'arçon,  d'autant  que  la 
grâce  y  estoit  bien  plus  belle  et  apparoissante  que 
sur  la  planchette;  et  a  tousjours  fort  aymé  d'aller  à 
cheval  jusques  en  l'aage  de  soixante  ou  plus,  qui 
pour  la  foiblesse  l'en  privarent,  en  ayant  tous  les  en- 
nuis du  monde;  car  c'estoit  l'un  de  ses  grands  plai- 
sirs, et  à  faire  de  grandes  et  vistes  traictes,  encor 
qu'elle  en  fust  tumbée  souvent  au  grand  dommage 
de  son  corps;  car  elle  en  fust  blessée  plusieurs  fois, 
jusques  à  rompure  de  jambe  et  blesseure  à  la  teste, 
dont  il  l'en  falust  trépaner  :  et,  lorsqu'elle  fust  vefve, 
et  heut  la  charge  du  roy  et  du  royaume,  accompa- 
gnoit  toujours  le  roy  et  le  menoit  avec  elle  et  tous 
ses  enfans;  et  quand  le  roy  son  mary  vivoit,  elle  al- 
loit  quasy  ordinairement  avec  luy  à  l'assemblée  du 
cerf  et  autres  chasses. 


346  DES  DAMES. 

S'il  joiioit  au  palle-mail,  elle  le  voyoit  le  plus  sou- 
vent jouer,  et  y  jouoit  elle-mesme.  Elle  le  voyoit 
jouer  à  la  paulme.  Elle  aymoit  aussi  fort  à  tirer  de 
l'harbaleste  à  jalet  \  et  en  tiroit  fort  bien  :  et  tous- 
jours,  quand  elle  s'alloit  pourmener,  faisoit  porter 
son  liarbaleste;  et  quand  elle  voyoit  quelque  beau 
coup,  elle  tiroit. 

Elle  invantoit  tousjours  quelques  nouvelles  danses 
ou  quelques  beaux  ballets.  Quand  il  faisoit  mauvais 
temps,  elle  invantoit  aussi  des  jeux,  et  y  passoit  son 
temps  avec  les  uns  et  les  autres,  estant  fort  privée, 
mais  aussi  fort  grave  et  austère  quand  il  falloit; 
aymoit  fort  à  veoir  jouer  des  commédies  et  tragé- 
dies; mais  despuis  Sofonisba,  composée  par  M.  de 
Sainct-Gelays  ^  et  très-bien  représentée  par  mesda- 
mes ses  filles  et  autres  dames  et  damoiselles  et  gen- 
tilshommes de  sa  court,  qu'elle  fît  jouer  à  Bloys  aux 
nopces  de  M.  de  Cipière  et  du  marquis  d'Albeuf, 
elle  eust  opinion  qu'elle  avoit  porté  le  malheur  aux 
affaires  du  royaume,  ainsi  qu'il  succéda;  elle  n'en 
fist  plus  jouer,  mais  ouy  bien  des  commédies  et  tra- 

\.  On  appelait  ainsi  une  espèce  d'arbalète  avec  laquelle  on 
lançait  soit  des  j'alets  ou  galets,  c'est-à-dire  de  petits  cailloux  ronds 
soit  des  balles  de  métal. 

2.  Le  titre  de  la  première  édition  de  la  traduction  faite  par  Mel- 
lin  de  Saint-Gelais  de  cette  tragédie  du  Trissin,  dont  il  a  été  parlé 
ailleurs  (voyez  tome  III,  p.  237),  nous  donne  la  date  de  la  repré- 
sentation :  Sophonishe ,  tragédie  très-excellente ,  représentée  et 
prononcée  devant  le  roy  en  sa  ville  de  Blois ^  Paris,  in-8°,  1530. 
(comme  l'année  ne  commençait  qu'à  Pâques ,  peut-être  faut-il  lire 
lù60).  La  cour  séjourna  deux  fois  à  Blois,  en  1559,  d'abord  au 
commencement  de  novembre,  puis  dans  la  seconde  moitié  de  dé- 
cembre. 


CATHERINE  DE  MEDICIS.  347 

gi-commédies,  el  mesmes  celles  des  Zani  et  Pantha- 
hns,  y  prenant  grand  plaisir,  et  en  rioit  son  saoul 
comme  un  autre;  car  elle  rioit  volontiers;  aussi  de 
son  naturel  elle  estoit  jovyale  et  aymoit  à  dire  le 
mot,  et  rencontroit  fort  bien,  et  cognoissoit  bien  où 
il  falloit  jetter  sa  pierre  et  son  mot,  et  où  il  y  avoit 
à  redire. 

Elle  passoit  fort  son  temps,  les  après-disnées,  à 
besongner  après  ses  ouvrages  de  soye,  où  elle  y  es- 
toit  tant  parfaicte  qu'il  estoit  possible.  Bref,  ceste 
reyne  aymoit  et  s'adonnoit  à  tous  honnestes  exer- 
cices; et  n'y  en  avoit  pas  un,  au  moins  digne  d'elle 
et  de  son  sexe,  qu'elle  ne  voulust  sçavoir  et  prati- 
quer. Voylà  ce  que  je  puis  dire  pour  parler  briefve-* 
ment  et  fuir  prolixité,  de  la  beauté  de  son  corps  et 
de  ses  exercices. 

Quand  elle  appelloit  quelqu'un  mon  amj^  c'estoit 
qu'elle  l'estimoit  sot,  ou  qu'elle  estoit  en  collère  :  si 
bien  qu'elle  avoit  un  gentilhomme  servant,  nommé 
M.  de  Bois-Février,  qui  disoit  bien  le  mot,  quand 
elle  l'appeloit  mon  amy  :  «  Ha!  madame,  respondoit- 
«  il,  j'aymerois  miieux  que  vous  me  dissiez  vostre 
a  ennemj^  car  c'est  autant  à  dire  que  je  suis  un  sot, 
«  ou  qu'estes  en  colère  contre  moy,  ainsi  que  je 
«  cognois  vostre  naturel  de  longtemps.  » 

Quand  à  son  esprit,  il  a  esté  très-grand  et  très- 
admirable,  ainsy  qu'il  s'est  monstre  en  tant  de  beaux 
et  signalez  actes  desquels  sa  vie  est  illustrée  pour 
jamais.  Le  roy  son  mary  et  son  conseil  l'estimarent 
telle,  que,  lorsque  le  roy  alla  en  son  voyage  d'Alle- 
magne, hors  de  son  royaume,  il  l'establit  et  l'or- 
donna pour  régente   et   gouvernante   en    tout   son 


348     "  DES  DAMES. 

royaume  pendant  son  absence,  par  déclaration  so- 
lomnellement  faicte  en  plain  parlement  de  Paris'.  Et 
en  ceste  charge  se  conduisist  si  sagement,  qu'il  n'y 
eut  aucun  remuement,  changement  ny  altercation 
en  cest  estât,  pour  l'absence  du  roy;  mais,  au  con- 
traire, pourveust  si  bien  aux  affaires,  qu'elle  fit  assis- 
ter le  roy  d'argent,  de  moyens  et  de  gens,  et  de 
tout  autre  sorte  de  secours,  qui  lui  servist  beaucoup 
à  son  retour,  et  mêmes  en  la  conqueste  des  villes 
qu'il  fist  en  la  duché  de  Luxembourg,  comme  Yvoy, 
Monlmédy,  Dampvillers,  Simay  *  et  autres. 

Je  vous  laisse  donc  à  penser  si  celuy  qui  a  escrit 
cette  belle  vie  que  j'ay  dict  a  bien  détracté  de  dire 
que  jamais  le  roy  son  mary  n'avoit  voulu  qu'elle 
mist  le  nez  sur  les  affaires  de  son  Estât.  La  faisant 
ainsy  régente  en  son  absence,  n'estoit-ce  pas  occasion 
ample  d'en  avoir  plaine  cognoissance,  et  comme 
elle  faisoit  en  l'absence  du  roy  son  mary  parmy  tous 
ses  voyages  qu'il  faisoit  tous  les  ans,  allant  en  ses 
armées? 

Que  fit  elle  après  la  bataille  de  wSaint-Laurens,  et 
que  l'Estat  estoit  en  bransle,  et  le  roy  estant  allé  à 
Compiègne  pour  redresser  nouvelle  armée?  Ell'es- 
pousa  tellement  les  affaires,  qu'ell'excita  et  esmeut 
messieurs  de  Paris  à  faire  un  prompt  secours  à  leur 
roy,  qui  vint  très-bien  à  propos,  et  pour  l'argent,  et 
autres  choses  nécessaires  pour  la  guerre. 


4.  Le  12  février  lSo2.  —  Brantôme  oublie  de  dire  que  le  roi 
avait  adjoint  à  Catherine  de  Médicis  un  conseil  qui  la  laissait 
presque  sans  autorité. 

2.  Chimay. 


CATHERINE  DE  MEDICIS.  349 

Or^  le  roy  son  mary  blessé,  ceux  qui  estoient  de 
ce  temps,  et  qui  l'ont  veu,  ne  peuvent  ignorer  le 
grand  soucy  qu'elle  prist  pour  sa  guérison,  et  les 
veilles  qu'elle  fist  auprès  de  luy  sans  se  coucher,  les 
grandes  prières  dont  elle  importunoit  Dieu  coup  sur 
coup,  et  les  processions  et  visitations  d'églises  qu'elle 
fist,  et  les  postes  qu'elle  envoia  partout  pour  quérir 
médecins  et  chirurgiens.  Mais  son  heure  estant  ve- 
nue, et  aiant  passé  de  ce  monde  en  l'autre,  elle  en 
fist  de  telles  lamentations,  en  jetta  de  telles  larmes, 
que  jamais  elle  ne  les  a  taries;  et  pour  sa  souve- 
nance, et  lorsqu'on  parloit  de  luy,  tant  qu'elle  a 
vescu,  elle  en  a  jette  tousjours  quelqu'une  du  pro- 
fond de  ses  yeux  :  dont  elle  en  prit  ceste  devise  pro- 
pre et  convenable  à  son  dueil  et  à  ses  pleurs,  qui 
estoit  une  montagne  de  chaux  vive,  sur  laquelle  les 
gouttes  d'eaue  du  ciel  tumboient  à  foison;  et  disoient 
les  mots  tel  en  latin  :  Ardorem  extincta  testantur  vi- 
vere  flamma.  «  Les  gouttes  d'eaue  et  de  larmes 
monstrent  bien  leur  ardeur,  encor  que  la  flamme 
soit  estaincte,  »  telle  devise  prenant  son  allégorie 
sur  le  naturel  de  la  chaux  vive,  laquelle  estant  arou- 
sée  d'eau  brusle  estrangement,  et  monstre  son  ar- 
deur encor  qu'elle  ne  face  point  apparoir  de  flamme 
et  qu'elle  soit  estaincte. 

Par  ainsy  nostre  reyne  monstroit  son  ardeur  et 
son  affection  par  ses  larmes,  encore  que  sa  flamme, 
qui  estoit  le  roy  son  mary,  fust  estaincte,  qu'estoit 
autant  à  dire  que,  tout  mort  qu'il  estoit,  faisoit  bien 
paroistre  par  ses  larmes  qu'elle  ne  le  pouvoit  ou- 
bher,  et  qu'elle  l'aymoit  tousjours. 

Une  quasy  semblable  devise  portoit  jadis  madame 


350  DES   DAMES. 

Valantine  de  Milan,  duchesse  d'Orléans^  après  la 
mort  de  son  mary  tué  à  Paris,  dont  elle  eust  un  si 
grand  regret,  que,  pour  tout  soûlas  et  confort  en 
ses  gëmissemens,  elle  print  un  cliantepleure  ou  arrou- 
souer  pour  sa  devise,  sur  le  hault  de  laquelle  estoit 
une  S  en  signe,  ainsi  qu'on  dict,  que  seulle  souvant 
se  soucioit  et  souspiroit;  et  autour  dudict  cliante- 
pleure estoient  escrips  ces  mots  : 

Rien  ne  m'est  plus, 
Plus  ne  m'est  rien. 

On  voit  encor  ceste  devise  dans  l'église  des  Cor- 
deliers  à  Bloys,  en  sa  chapelle. 

Le  bon  roy  René  de  Scicille,  ayant  perdu  sa  femme 
Ysabeau  de  Lorraine,  en  porta  si  grand  deuil,  qu'il 
ne  se  peut  jamais  guières  bien  resjouir,  et  ainsi  que 
ses  plus  privez  amis  et  favoris  luy  remontroient 
quelque  consolation,  il  les  menoit  en  son  cabinet,  et 
là  il  leur  monstroit  painct  de  sa  main,  car  il  estoit 
excellent  peintre,  un  arc  turquois^  duquel  la  corde 
estoit  brisée  et  rompue,  et  au  dessoubs  estoit  escript  : 
Àrco per  lentare  pia^a  nonsana^. 

Puis  leur  disoit  :  «  Mes  amis,  par  ceste  peinture 
«  je  responds  à  toutes  vos  raisons;  car,  ainsi  que, 
«  pour  destandre  un  arc,  ou  briser  ou  rompre  sa 
«  corde,  la  playe  qu'il  a  faicte  de  sa  flesclie  n'en  est 
«  rien  de  plus  tost  guérie;  aussi  la  vie  de  ma  chère 
«  espouse  est  par  mort  eslaincte  et  brisée;  pour  ce 


\.    Torquois,  turc. 

2.  L'aie,  |)our  être  détendu,  ne  guérit  pas  la  blessure. 


CATHERINE  DE  MEDICIS.  381 

((  n'est  pas  guérie  la  playe  du  loyal  amour,  dont  elle 
«  vivante  me  navra  le  cœur.  » 

En  plusieurs  lieux  à  Angiers  on  voit  en  peinture 
ces  arcs  turquois  et  ces  cordes  rompues,  et  au  des- 
soubs  ces  mots  :  Arco  per  Lentare,  et  mesmes  aux 
Cordelliers,  en  la  cliappelle  Sainct-Bernardin  qu'il  a 
faict  édifier  :  et  prist  ceste  devise  après  la  mort  de  sa 
femme,  car  de  son  vivant  il  en  portoit  un'  autre  '. 

Or,  nostre  reyne,  autour  sa  devise  que  je  viens  de 
dire,  y  avoit  faict  mettre  des  trophées  de  mirouers 
cassez,  d'esvantailz  et  pennaches  rompus,  des  car- 
quans  brisez  et  ses  pierreries  et  perles  espandues  par 
terre,  les  chesnes  toutes  en  pièces;  le  tout  en  signe 
de  quitter  toutes  boml^ances  mondaines  puisque  son 
miary  estoit  mort,  duquel  n'a  jamais  peu  arrester  le 
deuil.  Et,  sans  la  grâce  de  Dieu  et  sa  constance  dont 
il  l'avoit  douée,  elle  eust  succumbé  à  ceste  grande 
tristesse  et  ennuy  :  et  aussi  qu'elle  voyoit  que  ses 
enfans  fort  jeunes  et  la  France  avoient  grandement 
besoing  d'elle,  comme  nous  l'avons  veu  despuis  par 
expérience;  car,  comme  une  Sémiramis,  ou  un' autre 
Atalia,  elle  entreprist,  sauva,  et  garantist  et  préserva 
sesdits  enfans  et  leur  règne  de  plusieurs  entreprises 
qui  leur  estoient  préparées  en  leur  bas  aage,  avec 
telle  prudence  et  industrie,  que  tout  le  monde  la 
trouva  admirable.  Et  aiant  la  régence  de  ce  royaume 
après  la  mort  du  roy  François  son  fils,  pendant  la 
minorité  de  nos  roys,  par  l'ordonnance  des  estatz 
d'Orléans,  s'en  fit  bien  accroire  sur  le  roy  de  Na- 
varre, qui,  comme  prince  premier  du  sang,  vouloit 

J .  Ce  passage  sur  Renci  est  tire  de  Bourdigué,  part.  III,  cb.  xvi. 


352  DES  DAMES. 

estre  régent  en  sa  place  et  gouverner  tout;  mais  elle 
gaigna  si  bien  et  si  dextrement  lesdicts  estats,  que,  si 
ledict  roy  de  Navarre  eust  passé  plus  outre,  elle  le 
l'aisoit  déclarer  attainct  de  crime  de  lèze-majesté.  Et 
possible  l'eust-elle  faict  sans  madame  de  Montpen- 
sier,  qui  la  gouvernoit  fort,  pour  les  menées  qu'on 
disoit  avoir  faict  faire  à  M.  le  prince  de  Condé  sur 
l'Estat;  si  bien  que  ce  fut  audict  roy  de  se  conten- 
ter d'estre  soubz  elle;  et  voilà  un  des  subtils  et  ha- 
biles traicts  qu'elle  fit  pour  son  commencement. 

Puis  amprès,  elle  sceut  entretenir  son  grade  et 
auctorité  si  impérieusement,  que  nul  n'y  osoit  con- 
tredire, tant  grand  et  remueur  fust-il,  jusques  au 
bout  de  trois  mois  amprès,  que  la  cour  estoit  à  Fon- 
tainebleau ,  ledict  roy  de  Navarre ,  voulant  ressentir 
son  cœur,  prit  mescontentement  sur  ce  que  M.  de 
Guyse  se  faisoit  porter  les  clefz  du  logis  du  roy  tous 
les  soirs,  et  les  gardoit  toutes  les  nuictz  en  sa  cham- 
bre comme  grand-maistre,  car  c'est  l'une  de  ses 
charges,  et  nul  n'osoit  sortir  hors  sans  luy*  :  ce  qui 
faschoit  fort  au  roy  de  Navarre,  les  voulant  garder; 
mais,  en  estant  refusé,  se  despita  et  mutina  de  telle 
façon,  que,  pour  un  matin  vint  prendre  congé  du 
roy  et  de  la  reyne  pour  s'en  aller  hors  de  la  court, 
et  emmenoit  avecq  luy  tous  les  princes  du  sang  qu'il 
avoit  gaignez  avec  M.  le  connestable  et  ses  enfans  et 
nepveuz.  I^a  reyne,  qui  ne  s'attendoit  nullement  à 
cela,  fut  fort  estonnée  du  commencement,  et  s'estant 
essayée  tout  ce  qu'elle  avoit  peu  de  rompre  ce  coup, 
et   donné    bonne  espérance  audict  roy  de  Navarre 

i .  Sans  luy,  sans  avoir  recours  à  lui. 


CATHERINE  DE  MEDICIS.  353 

qu'en  patientant  il  seroit  un  jour  contant;  mais  par 
belles  parolles  elle  ne  peut  rien  tant  gaigner  sur  ledict 
roy  qui  ne  se  mist  en  son  parlement.  Sur  ce_,  ladicte 
reyne  s'advise  de  ce  point  sul)til  :  c'est  qu'elle  en- 
voyé faire  commandement  à  M.  le  conestable  que, 
comme  le  principal,  premier  et  plus  vieux  officier  de 
la  couronne ,  il  eust  à  demeurer  près  du  roy  son 
maislre,  ainsi  que  son  debvoir  et  sa  charge  luy  com- 
mandoil,  et  n'eust  à  laisser  le  roy.  M.  le  connestable, 
sage  et  advisé  qu'il  estoit,  et  fort  zélé  à  son  maistre, 
et  curieux  de  sa  grandeur  et  son  honneur,  ayant  un 
peu  songé  en  son  debvoir  et  au  commandement  que 
on  lui  avoit  faict,  le  va  trouver  et  se  présenter  à  luy, 
prest  de  faire  sa  charge,  son  debvoir  et  estât ,  et  ne 
bouger  d'auprès  de  sa  personne  :  ce  qui  estonna  fort 
le  roy  de  Navarre  estant  sur  le  point  de  monter  à 
cheval,  n'attendant  que  M.  le  conestable,  qui  lui 
alla  remonstrer  son  commandement  et  sa  charge,  et 
lui  persuada  de  ne  bouger  lui-mesme  et  ne  partir  ; 
autrement,  qu'il  s'en  pouvoit  aller  sans  lui,  ne  le 
pouvant  suivre,  pour  son  honneur  et  debvoir  :  si 
bien  qu'il  alla  trouver  le  roy  et  la  reyne  à  la  susci- 
lation  de  mondict  sieur  le  conestable;  et,  aians  con- 
férez ensemble  avec  Leurs  Maj estez,  le  voyage  du  roy 
navarrois  fut  rompu,  et  ses  muletz  envolez  quérir  et 
contremandez,  qui  estoient  desjà arrivez  à  Melun.  Et 
le  tout  s'apaisa,  au  contentement  dudict  roy  de  Na- 
varre :  non  que  M,  de  Guise  en  diminuast  rien  de 
sa  charge,  nv  en  desmordist  rien  de  son  honneur, 
car  il  garda  tousjours  sa  préhéminence  et  ce  qui  lui 
appartenoit,  sans  s'estonner  de  rien,  encor  qu'il  n'y 
fust  le  plus  fort,  estant  l'homme  du  monde  en  ces 

VII  —  23 


354  DES  DAMES. 

choses-là  qui  s'estonnoit  le  moins,  mais  qui  sçavoit 
très-bien  braver  et  tenir  son  rang,  et  garder  ce  qu'il 
avoit.  Il  ne  faut  doubter,  ainsi  que  tout  le  monde  le 
tenoit,  que  si  ladicte  reyne  ne  se  fust  advisée  de  ceste 
ruse  à  l'endroit  de  M.  le  conestable,  que  toute  ceste 
troupe  ne  fust  allée  à  Paris  remuer;  chose  qui  n'eust 
guières  valu  :  en  quoy  il  faut  donner  grand  los  à 
ladicte  reyne  de  ce  traict.  Je  le  sçay,  j'y  estois,  et 
qu'aucuns  tenoient  alors  que  ce  n'estoit  de  son  in- 
vention, mais  du  cardinal  de  Tournon,  sage  et  ad- 
visé  prélat;  mais  c'est  menterie,  car,  tout  vieil  rou- 
tier de  prudence  et  conseil  qu'il  estoit,  ma  foy,  ladicte 
reyne  en  sçavoit  plus  que  lui,  ny  que  tout  le  conseil 
du  roy  ensemble;  car,  bien  souvent,  quand  il  estoit 
en  deffaut,  elle  le  relevoit  et  le  mettoit  à  la  trace  et 
aux  voyes,  ainsi  que  j'en  alléguerois  plusieurs  exem- 
ples; mais  ce  sera  assez  que  je  dise  cettuy-cy^  qui  est 
frais,  qu'elle-mesme  me  fist  cest  honneur  de  discou- 
rir. Il  est  tel  : 

Quand  elle  vint  en  Guienne  et  à  Cognac  dernière- 
ment^, pour  accorder  les  princes  de  la  relligion  et 
de  la  ligue  et  mettre  le  royaume  en  paix ,  qu'elle 
voyoit  s'aller  ruiner  par  telles  divisions,  elle  s'advisa, 
pour  traicter  ceste  paix,  de  faire  publier  une  trefve 
premièrement,  de  laquelle  le  roy  de  INavarre  et  le 
prince  de  Condé  furent  très-mal  contens  et  amutinez; 
d'autant,  disoient-ils,  que  ceste  publication  leur  por- 
toit  un  très  grand  préjudice  à  cause  de  leurs  estran- 
gers,  qui  l'ayant  entendue,  se  pourroient  refroidir  de 
leur  voyage,    ou  le    retarder,  croyans    que   ladicte 

1.  A  la  fin  de  décembre  1586. 


CATHERINE  DE  MÉDICIS.  355 

reyne  l'eust  faict  à  ces  desseins.  Et  dirent  et  se  réso- 
lurent nommément  de  ne  veoir  la  reyne,  ny  traicter 
avec  elle,  que  ladicte  trefVe  ne  fust  descriée  *  ;  ce  que 
trouvant  son  conseil,  qu'elle  avoit  pour  lors  près 
d'elle  (encor  qu'il  fust  composé  de  bonnes  testes, 
fort  ridicule  et  peu  honorable,  voire  quasi  impos- 
sible de  trouver  moyen  de  la  faire  descrier ,  la 
reyne  leur  dit  :  «  Vrayement,  vous  estes  bien  esbays 
«  sur  ce  remède.  N'y  sçavez-vous  autre  chose?  Il  n'y 
et  a  qu'un  point  pour  cela.  Vous  avez  à  Maillezays  le 
«  régiment  de  Neufvy  et  de  Sorlu,  huguenots.  Faictes- 
«  moy  partir  d'icy,  de  Nyort,  le  plus  d'harquebusiers 
«  que  vous  pourrez,  et  allez-les-moy  tailler  en  piè- 
«  ces;  et  voilà  aussitost  la  trefve  descriée  et  descou- 
«  sue,  sans  autrement  se  pener^  »  Ainsi  comm'  elle 
le  commanda  aussitost  exécuté;  et  les  harquebuziers 
levez,  et  menez  soubz  la  conduitte  du  capitaine  L'Es- 
telle, allarent  si  bien  forcer  leur  fort  et  leurs  barri- 
cades, que  les  voilà  tous  desfaictz,  Sorlu  tué,  qui 
estoit  un  vaillant  homme,  et  Neufvy  pris,  avec  forces 
autres  mortz,  et  pris  tous  leurs  drappeaux  aussi,  et 
ainsi  menez  à  Niort  à  la  reyne';  laquelle  usant  en  leur 
endroict  de  ses  tours  accoutumez  de  clémence,  leur 
pardonna  à  tous  et  les  renvoya  avec  leurs  enseignes 
et  drapeaux  mesmes,  ce  que  guières  peu  s'est  veu  pour 
lesdicts  drapeaux,  et  chose  rare;  mais  elle  voulust 
faire  ce  traict  par  dessus  la  rareté,  ce  me  dict-elle. 


i .  Descriée,  nous  dirions  aujourd'hui  dénoncée. 

2.  Pener,  peiner. 

3.  Voyez  l'Histoire  universelle  de  d'Aubigné,  année  1587,  liv.  I, 
ch,  vji. 


356  DES   DAMES. 

aii\  princes  qui  congneurent  bien  qu'ils  avoient  af- 
faire avec  une  très-lia])ile  princesse,  et  que  ce  n'es- 
toit  à  elle  d'adresser  une  telle  moquerie  de  lui  faire 
descrier  une  trefve  par  la  mesme  trompette  qui 
l'avoit  criée  :  et  lui  pensant  faire  recevoir  ceste  honte, 
elle  tumba  sur  eux-mesmes,  leur  aiant  mandé  par 
les  prisonniers  que  ce  n'estoit  à  eux:  de  la  désespé- 
rer en  demandant  choses  desraisonnablcs  et  mal 
séantes,  puisqu'il  estoit  en  sa  puissance  de  leur  faire 
mal. 

Et  bien  !  voilà  comment  ceste  reyne  sceut  donner 
et  apprendre  la  leçon  à  ceux  de  son  conseil.  J'en  di- 
rois  bien  d'autres,  mais  j'ay  à  traicter  d'autres  points, 
dont  le  premier  sera  cettuy-cy,  pour  respondre  à 
aucuns  que  j'ay  veu  dire  souvent,  qu'elle  avoit  esmeu 
les  premières  armes,  ou  estoit  cause  de  nos  guerres 
civilles.  Qui  en  veut  voir  la  source  il  ne  le  croira  pas  ; 
car  le  Triumvirat,  et  le  roy  de  Navarre  par  dessus, 
aiant  esté  créé,  elle,  en  voyant  les  menées  qui  se 
préparoient,  et  le  changement  que  faisoit  ledict  roy 
de  Navarre  de  lui,  qui,  auparavant  de  longtemps  hu- 
guenot si  fort  réformé,  s'estoit  rendu  catholique,  et 
que  par  un  tel  changement  ell'  eust  peur  du  roy,  du 
royaume  et  de  sa  persone  qu'il  ne  leur  mésadvinst, 
songea  et  s'esmaya'  à  quoy  pouvoient  tendre  tant  de 
menées,  parlemens  et  collocutions  "  qui  se  faisoient 
en  secret  :  et  n'en  pouvant  au  vray  tirer  le  fonds 
du  pot,  comme  on  dit,  elle  s'advisa  un  jour,  ainsi 
que.  tout  le  conseil  secret  se  tenoit  en  la  chambre  du 
roy   de  Navarre,  d'aller  en   la  chambre  d'en  hault 

1.  S'esmayer,  s'ëtonnei'.  —  2.   Collocutions,  colloques. 


CATHERINE  DE  MÉDICIS.  357 

dessus  la  sienne;  et  par  le  moien  d'un  sarbacaine 
qu'elle  avoit  faict  couler  subtilement  tout  le  long  de 
la  tapisserie,  sans  estrc  apperceue  ouyt  tous  leurs  pro- 
pos. Entre  autres,  elle  en  ouyt  un  qui  lui  fut  très- 
terrible  et  amer,  car  il  y  eust  le  mareschal  de  Sainct- 
Andrë,  l'un  du  Triumvirat,  qui  opina  qu'il  falloit 
jetter  la  royne  avecq  un  sac  dans  l'eau,  et  que  au- 
trement ils  ne  pourroient  jamais  bien  besongner 
en  leur  affaire  :  mais  feu  M.  de  Guise,  qui  estoit 
tout  bon  et  généreux,  dit  qu'il  ne  falloit  pas,  et  que 
c'estoit  chose  par  trop  injuste  de  faire  mourir  ainsi 
misérablement  la  femme  et  la  mère  de  leurs  roys,  et 
s'y  opposa  du  tout  :  de  quoy  ladite  reyne  l'a  aimé 
lousjours,  et  le  monstra  bien  à  ses  enfans  après  sa 
mort,  leur  donnant  tous  ses  estatz*.  Je  vous  laisse  à 
penser  qu'elle  sentence  ce  fut  pour  ceste  reyne,  et, 
l'aiant  ouve  ainsi  de  ses  oreilles,  si  ell'  eust  occasion 
d'avoir  peur,  encor  qu'elle  s'asseurast  de  M.  de 
Guise;  mais,  à  ceque  j'ay  ouy  dire  à  une  de  ses  plus 
privées,  elle  craignoit  qu'ilz  fissent  le  coup  sans  le 
sceu  dudict  M.  de  Guise,  comme  elle  avoit  raison; 
car,  en  un  acte  détestable  tel,  il  se  faut  doubter  d'un 
homme  de  bien  tousjours,  et  jamais  ne  lui  commu- 
niquer. Ce  fut  doncq  à  elle  à  adviser  à  sa  salvation, 
et  employer  ceux  qu'elle  voyoit  desjà  aux  armes  ^,  et 
les  prier  d'avoir  pitié  de  la  mère  et  des  enfans\  Voilà 
toute  la  cause  qu'elle  [elle]  est  de  la  guerre  civille. 
Car  elle  ne  voulut  jamais  aller  à  Orléans  avecq  les 


i.  État,  charge,  dignité. 

2.  Les  huguenots. 

3.  Voyez  de  Thou,  Uv.  XXIX. 


3o8  DES  DAMES. 

autres,  ny  leur  donner  le  roy  et  ses  enfans,  comme 
elle  pouvoit;  mais  elle  fust  très-aise  que  soubs  le  gra- 
bouil  et  rameur  d'armes,  elle  fust  en  sauveté,  et  le 
roy  son  fils  et  ses  enfans,  comme  de  raison.  Toutes- 
fois,  elle  pria  et  tira  parolle  d'eux  que  toutesfois  et 
quantes  qu'elle  les  sommeroit  de  poser  les  armes 
bas,  qu'ilz  le  feroient;  ce  que  néantmoins  ne  vou- 
lurent faire  quand  il  fust  au  joindre,  quelques  allées 
et  venues  qu'elle  fist  vers  eux,  et  la  peine  qu'elle 
prist  et  le  grand  chaud  qu'elle  endura  vers  Talsy', 
pour  les  persuader  à  entendre  à  la  paix  qu'elle  avoit 
desjà  faicte  bonne  et  seure  pour  toute  la  France, 
s'ilz  y  eussent  voulu  entendre  dès  lors  :  et  ce  feu,  et 
tant  d'autres  que  nous  avons  veu  allumez  du  reste 
des  tizons  premiers  fussent  estaints  pour  tout  jamais 
en  France,  s'ils  l'eussent  voulu  croire.  Je  sçay  ce  que 
je  luy  en  vis  dire  la  larme  à  l'œil,  et  de  quel  zèle 
elle  y  procéda. 

Voylà  donc  en  quoy  on  ne  la  peut  taxer  du  pre- 
mier brandon  de  guerre  civille,  non  plus  que  de  la 
seconde  qui  fut  à  la  journée  de  Meaux  ;  car  alors 
elle  ne  songeoit  qu'à  la  ciiasse,  ny  que  donner  plai- 
sir au  roy  à  sa  belle  maison  de  Monceaux.  L'adver- 
tissemenl  vint  que  M.  le  Prince  et  tous  ceux  de  la 
relligion  estoient  en  armes  et  en  campagne,  pour 
surprendre  le  roy,  soubs  couleur  de  luy  présenter 
une  resqueste.  Dieu  sçait  alors  qui  fut  cause  de  ceste 
nouvelle  esmeute  :  et,  sans  les  six  mille  Suisses  qui 
avoient  esté  nouvellement  levez,  on  ne  sçait  ce  que 
s'en  fust  esté.  Sur  la  levée  desquelz  ils  prindrent  au- 

i.  Talcy  (Loir-et-Cher);  à  la  fin  de  juin  1562. 


CATHERINE  DE  MÉDICIS.  359 

cunement  le  prétexte  de  reslévation  de  leurs  armes', 
disans  et  publians  qu'on  les  avoit  faiet  lever  et  venir 
pour  leur  faire  la  guerre;  et  ce  furent  eux  pourtant 
les  premiers  (je  le  sçay  pour  estre  alors  à  la  court), 
qui  en  sollicitarent  le  roy  et  la  reyne,  sur  le  passage 
du  duc  d'Albe  et  de  son  armée,  craignans  que,  soubs 
couleur  de  Irajetter*  en  Flandres,  elle  ne  vinst  fondre 
sur  la  frontière  de  France,  et  disans  que  c'estoit  la 
coustume  d'armer  tousjours  les  frontières  lorsqu'on 
voyoit  son  voisin  s'armer.  On  ne  peut  ignorer  quelle 
instance  pour  cela  on  fit  au  roy  et  à  la  reyne  et  par 
lettres  et  par  ambassades;  et  mesmes  M.  le  Prince  et 
M.  l'admirai  vindrent  trouver  le  roy  à  Sainct-Ger- 
main-en-Laye  pour  cet  effect,  comme  je  les  vis.  Je 
voudrois  bien  sçavoir  aussi  (car  tout  ce  que  j'escris 
en  cecy  je  l'ay  veu),  qui  fit  prendre  les  armes  au 
mardy  gras',  et  qui  suborna  et  sollicita  Monsieur, 
frère  du  roy,  et  le  roy  de  Navarre,  d'entendre  aux 
entreprises  pour  lesquelles  La  Molle  et  Coconas  fu- 
rent deffaicts  à  Paris?  Ce  n'estoit  pas  la  reyne;  car 
par  sa  prudence  elle  empescha  qu'elles  ne  prindrent 
feu,  tenant  Monsieur  et  le  roy  de  Navarre  si  serrez 
dans  le  bois  de  Vincennes  qu'ils  ne  peurent  sortir; 
et  après  la  mort  du  roy  Charles,  les  ressarra  si  bien 
dans  Paris  et  le  Louvre,  et  grilla  si  bien  pour  un  ma- 
tin leurs  fenestres,  au  moins  celle  du  roy  de  Navarre 
qui  estoit  logé  le  plus  bas  (je  sçay  ce  que  m'en  dict 
le  roy  de  Navarre,  la  larme  à  l'œil),  et  les  surveilloit- 
on  si  bien  qu'ils  ne  peurent  jamais  eschapper,  comme 


i.  De  leur  prise  d'armes.  —  2.   Trajetter,  passer. 
3.   Le  22  février  iï^lk. 


360  DES  DAMES. 

ils  en  avoient  la  volonté  :  ce  qui  eust  grandement 
brouillé  l'Estat  et  empesclié  le  retour  de  Pologne  au 
roy,  car  ils  tendoient  fort  là  (je  le  sçay  bien  pour 
avoir  esté  convié  à  la  fricassée)  ;  qui  est  encores  un 
des  beau\  traicts  qu'aye  faict  la  reyne.  Et,  au  partir 
de  Paris^  les  mena  à  Lyon  au  devant  du  roy,  si  dex- 
trement  et  vigillamment  qu'on  ne  les  eust  sceu  juger 
prisonniers  qui  les  eust  veu,  et  aller  en  coche  avec 
elle;  et  toustesfois  elle  les  remist  entre  les  mains  du 
roy  qui,  pour  sa  venue,  pardonna  tout. 

En  après,  qui  est-ce  qui  desbaucha  encores  Mon- 
sieur, frère  du  roy,  de  partir  de  Paris  de  belle  nuict, 
sortir  de  la  compaignie  du  roy  son  frère  qui  l'ay- 
moyt  tant,  et  se  deffaire  de  son  amitié,  pour  pren- 
dre les  armes  et  brouiller  toute  la  France?  M.  de  La 
Noue  sçait  tout  cela*,  et  les  menées  qui  s'en  com- 
mençarent  dès  le  siège  de  La  Rochelle,  et  ce  que  je 
luy  en  dis.  Ce  ne  fust  donc  pas  la  reyne  mère;  car, 
par  un  tel  et  si  inopiné  deslogement  de  son  fils,  elle 
en  prist  un  tel  regret  de  voir  le  frère  bandé  contre  le 
frère  et  son  roy,  qu'elle  jura  qu'elle  mourroit  en  la 
peine,  ou  elle  les  remettroit  et  rejoindroit  comme 
devant;  ce  qu'elle  fist;  car  je  luy  vis  dire  à  Blois, 
estant  ?ur  le  parlement  avec  Monsieur,  qu'elle  ne 
supplioit  rien  tant  Dieu  que  de  luy  envoier  cette 
grâce  de  réunion ,  et  après  qu'il  luy  envoiast  la 
mort ,  et  qu'elle  la  recevroit  du  meilleur  de  son 
cœur;  ou  bien  qu'elle  se  vouloit  retirer  en  ses  mai- 
sons de  Monceaux  et  Chenonceaux ,  sans  jamais  se  ' 
mesler  plus  des  affaires  de  France,  voulant   para- 

1.  Voyez  plus  haut,  p.  208. 


CATHERINE  DE  MEDICIS.  361 

chever  le  reste  de  ses  jours  en  tranquillité.  Et  de 
faiet,  le  vouloit  faire  ainsy;  mais  le  roy  la  pria  de 
ne  s'en  oster,  car  luy  et  son  royaume  avoient  grand 
besoing  d'elle.  Je  m'asseure  que  si  elle  n'eust  faict, 
ce  coup,  la  paix,  que  c'estoit  faict  alors  de  la  France; 
car  il  y  avoit  lors  cinquante  mille  estrangiers,  tant 
d'un  costé  que  d'autre,  qui  eussent  bien  aydé  à 
Tabbattre  et  ruyner. 

Ce  ne  fut  pas  donc  elle,  ce  coup,  qui  fit  prendre 
les  armes,  non  plus  qu'aux  premiers  estats  à  Bloys, 
lesquelz  ne  A-^ouloient  qu'une  seule  relligion,  et  pro- 
poser d'abolir  lautre  contraire  à  la  leur;  et  par  ce 
demandarent  que  si  on  ne  la  pouvoit  abolir  par  le 
glaive  spirituel,  qu'il  y  falloit  apporter  le  temporel. 
Aucuns  ont  dict  que  la  reyne  les  avoit  gaignez;  ce 
sont  abus,  car  d'aucunes  provinces  il  y  en  eut  force 
qui  apportarent  des  cayers  qui  ne  faisoient  rien  pour 
elle.  Je  ne  dis  pas  qu'elle  ne  les  gaigna  par  après;  ce 
qui  fut  un  bon  coup  de  partie  et  d'esprit;  aussi  que 
ce  ne  fust  pas  elle  qui  demanda  lesdicts  estats  :  tant 
s'en  fault,  les  réprouva  du  tout,  d'autant  qu'ils  dimi- 
nuoient  fort  l'autliorité  du  roy  et  la  sienne.  Ce  fu- 
rent ceux  de  la  relligion  qui  les  avoient  demandez, 
il  y  avoit  longtemps,  et  voulurent  nommément,  et  le 
requerirent  par  les  articles  de  la  paix  dernière,  qu'ils 
fussent  appeliez  et  tenus;  à  quoy  la  reyne  y  répu- 
gnoit  fort,  prévoyant  des  abus.  Toutesfois,  pour  les 
contenter  et  qu'ils  crioient  tant  après,  ils  les  eurent 
à  leur  confusion  et  dommage,  non  à  leur  profict  et 
contantement,  comme  ils  pensoient;  si  bien  qu'ils  en 
prindrent  les  armes.  Ce  ne  fut  pas  la  reyne  encor 
qui  en  fit  le  coup. 


362  DES  DAMES. 

Bref,  ce  ne  fut  pas  elle  aussi  qui  les  fit  prendre 
lorsqu'on  prist  Mont-de  Marsan,  La  Fère  en  Picar- 
die, et  Cahors^  Je  m'en  rapporte  à  ce  que  dict  le  roy 
à  M.  de  Miossans,  qui  l'estoit  venu  trouver  de  la 
part  du  roy  de  Navarre,  qui  le  rabroua  fort,  et  luy 
dict  ce  pendant  qu'on  le  paissoit  de  belles  parolles, 
prenoit-on  les  armes  et  prenoit-on  ses  villes. 

Voylà  donc  comment  ceste  reyne  a  esté  motrice 
dé  toutes  nos  guerres  et  nos  feux,  lesquels,  encores 
qu'elle  ne  les  eust  allumez,  elle  employoit  tousjours 
ses  peines  et  tous  ses  labeurs  pour  les  estaindre, 
abhorrant  de  voir  tant  de  noblesse  et  gens  de 
bien  mourir.  Et  sans  cela  et  sa  commisération,  tels 
l'ont  baye  à  mal  mortel  qui  s'en  fussent  très-mal 
trouvez,  et  seroient  maintenant  en  terre,  et  leur 
party  ne  fleuriroit  tant  qu'il  faict  :  ce  qu'il  faut  im- 
puter .à  sa  bonté,  dont  nous  aurions  maintenant 
grand  besoing;  car,  ainsy  que  tout  le  monde  le  dict, 
et  le  pauvre  peuple  le  crie  :  «  nous  n'avons  plus  de 
«  reyne  mère  pour  nous  faire  la  paix.  »  Il  ne  tint  pas 
à  elle  qu'elle  ne  se  fist^,  lorsqu'elle  vint  en  Guienne 
dernièrement  pour  en  traicter  à  Cougnac,  à  Jarnac, 
avec  le  roy  de  Navarre  et  le  prince  de  Condé.  Je 
sçay  ce  que  luy  en  vis  dire  les  larmes  aux  yeux  et  les 
regrets  au  cœur,  à  quoy  ces  princes  n'y  vouloient 
condescendre;  et  possible  ne  verrions-nous  les  mal- 
heurs que  nous  avons  aujourd'hui. 

On  l'a  voulue  accuser  aussi  d'avoir  esté  complice  en 
la  guerre  de  la  ligue.  Pourquoy  donc  eust-elle  entre- 
pris ceste  paix  que  je  viens  de  dire,  si  elle  en  fust 

1.   En  1580.  —  2.  En  d.-JSG.  Voyez  plus  haut,  p.  3S4. 


CATHERINE  DE  MEDICIS.  363 

esté?  Poiirquoy  eust-elle  appaisé  le  tumulte  des  bar- 
ricades de  Paris,  et  réconcilié  le  roy  avec  M.  de 
Guise,  pour  le  faire  mourir  et  tuer,  ainsi  que  nous 
avons  veu? 

Or,  pour  fin,  qu'on  desbagoule  contre  elle  tout  ce 
qu'on  voudra,  jamais  nous  n'en  aurons  une  telle  en 
France  si  bonne  pour  la  paix. 

On  l'a  fort  accusée  du  massacre  de  Paris  :  ce  sont 
lettres  clauses  pourmoy  quand  à  cela,  car  alors  j'es- 
tois  à  nostre  embarquement  de  Brouage;  mais  j'ay 
bien  ouy  dire  qu'elle  n'en  fut  la  première  autrice*. 
Il  y  a  trois  ou  quatre  autres,  que  je  nommerois  bien, 
qui  furent  plus  ardans  qu'elle  et  qui  l'y  poussarent 
fort,  luy  faisant  accroire  que,  pour  les  menaces  que 
Ton  faisoit  à  cause  de  la  blesseure  de  M,  l'admirai, 
on  tueroit  le  roy,  et  elle  et  ses  enfans,  et  toute  sa 
court,  ou  qu'on  seroit  aux  armes  pis  que  jamais.  En 
quoy  certes  ceux  de  la  relligion  eurent  grand  tort  de 
faire  telles  menaces  qu'on  dict  qu'ils  faisoient;  car 
ils  en  empirarent  le  marché  du  pauvre  M.  l'admirai, 
et  luv  en  procurarent  la  mort.  Que  s'ils  se  fussent  te- 
nus coys  et  n'eussent  sonné  mot,  et  laissé  guérir 
M.  l'admirai ,  il  s'en  fust  allé  après  hors  de  Paris 
tout  bellement  et  à  son  aise,  et  n'en  fust  esté  autre 
chose. 

M.  de  La  Noue  a  esté  bien  de  ceste  opinion;  et  sçay 
bien  que  lui  et  M.  d'Estrozze  et  moy  en  avons  parlé, 
luy  n'aiant  jamais  approuvé  ces  bravades,  ces  auda- 
ces et  menaces ,  et  mesmes  en  la  cour  de  son  roy  et 
sa  ville  de  Paris,  que  l'on  fist;  et  en  blasma  mesme 

1 .  Jutrice,  auteur. 


364  DES  DAMES. 

fort  M.  de  Theligni  son  beau-frère^  qui  en  estoit  des 
eschaufFez^  l'appellant  et  ses  compaignons  de  vrays 
folz  et  mal  habilles.  M.  l'admirai  n'usa  jamais  de  ces 
parolles,  ainsy  que  j'ay  ouy  dire  à  aucuns,  au  moings 
tout  liault.  Je  ne  dis  pas  qu'en  secret  et  en  privé 
avec  ses  plus  familiers  qu'il  n'en  parlast  hautement. 
Et  voylà  la  cause  de  la  mort  de  M.  l'admirai  et  du 
massacre  des  siens_,  et  non  pas  la  reyne,  ainsy  que 
j'ay  ouy  dire  à  aucuns  qui  le  sçavent  bien,  encor 
qu'il  y  ait  plusieurs  qu'on  ne  leur  sçauroit  oster  l'o- 
pinion de  la  teste  que  ceste  fusée  n'eust  esté  fdlée  de 
longue  main,  et  ceste  trame  couvée.  Ce  sont  abus  : 
les  moins  passionnez  le  croient  ainsi  ;  les  plus  obsti- 
nez et  passionnez  le  croient  autrement;  et  bien  sou- 
vent nous  donnons  cet  honneur  aux  roys  et  aux 
grands  princes  que  quelquesfois  pour  l'événement 
des  choses,  et  qu'elles  sont  arrivées,  nous  les  disons 
prudens  et  providens,  et  qui  ont  bien  sceu  dissimu- 
ler; à  quoy  y  ont  autant  songé  qu'en  tridet\ 

Pour  retourner  encores  à  nostre  reyne,  ses  enne- 
mis luy  ont  mis  à  sus  qu'elle  n'estoit  pas  bonne 
françoise.  Dieu  le  sçait,  et  de  quelle  affection  je  la  vis 
pousser  pour  chasser  les  Anglois  hors  du  Havre  de 
Grâce,  et  ce  qu'elle  en  dict  à  M.  le  Prince,  et  comme 
elle  l'y  fit  aller  avec  forces  gentilshommes  de  son 
party,  et  les  compaignies  couronnelles  de  M.  d'An- 
delot ,  et  autres  huguenottes ,  et  comment  elles 
mesme  en  personne  mena  l'armée,  estant  montée 
ordinairement  à  cheval  comme  une  seconde  belle 
reyne  Marfise,   et  s'exposant  aux  harquebusades  et 

i .   Tridet;  je  n'ai  pu  trouver  la  signification  de  ce  mot. 


CATIIEIUNE  DE  MEDIGIS.  365 

canonnades  comme  ung  de  ses  capitaines,  voyant 
faire  tousjours  la  l)aUerie,  disant  qu'elle  ne  seroit  ja- 
mais à  son  aise  qu'elle  n'eiist  pris  ceste  ville  et  chassé 
ces  Anglois  de  France,  liayssant  plus  que  poison 
ceux  qui  la  leur  avoient  vendue.  Aussi  fit-elle  tant 
qu'enfin  elle  la  rendist  françoise. 

Lorsque  Rouen  estoit  assic'gé,  je  la  vis  en  toutes  les 
collères  du  monde  quand  elle  y  vist  entrer  le  secours 
des  Anglois,  qui  entrarent  par  la  gallère  françoise 
qui  avoit  esté  prise  un  an  devant,  craignant  que 
ceste  place,  faillant  à  estre  prise  par  nous,  vînt  en  la 
domination  des  Anglois  :  aussi  poussa-elle  fort  à  la 
roue,  comme  l'on  dict,  pour  la  prendre;  et  ne  fail- 
loit  tous  les  jours  à  venir  au  fort  Saincte-Catherine 
tenir  conseil  et  voir  faire  la  batterie.  Que  je  l'ay  veue 
souvant  passant  par  ce  chemin  creux  de  Saincte- 
Catherine  !  Les  canonnades  et  harquebusades  pleu- 
voient  entour  d'elle,  qu'elle  s'en  soucioit  autant  que 
rien. 

Ceux  qui  lors  y  estoient  l'ont  veu  aussi  bien  que 
mov.  Il  y  a  encor  aujourd'huy  forces  dames  ses  filles 
qui  luy  accompagnoient,  ausquelles  le  jeu  ne  plaisoit 
trop;  je  le  sçav  et  les  y  ay  veues;  et  quand  M.  le 
connestable  et  M.  de  Guise  luy  remonstroient  qu'il 
luy  en  arriveroit  du  malheur,  elle  n'en  faisoit  que 
rire  et  dire  pourquoy  elle  s'y  espargneroit  non  plus 
qu'eux,  puisqu'elle  avoit  le  courage  aussi  bon  qu'eux, 
mais  non  la  force  que  son  sexe  luy  desnioit;  car  pour  la 
peine  elle  l'enduroit  très-bien,  fust  à  pied  ou  à  che- 
val. Et  pense  que  dès  longtemps  ne  fut  reyne  ny  prin- 
cesse mieux  à  cheval,  ny  s'y  tenant  de  meilleure 
grâce;  ne  sentant  pour  cela  sa  dame  hommasse  en 


366  DES   DAMES. 

forme  et  façon   d'amazonne  bisarre,  mais  sa  gente 
princesse,  belie^  bien  agréable  et  douce. 

On  a  dict  d'elle,  qu'elle  estoit  fort  espaignoUe. 
Certainement,  tant  que  sa  bonne  fille  a  vescu,  elle  a 
avmé  l'Espagne;  mais  après  qu'elle  a  esté  morte  on 
sçait,  au  moins  aucuns,  si  elle  a  eu  occasion  de 
l'avmer,  et  la  terre  et  la  nation.  Bien  est  vray  qu'elle 
a  esté  tousjours  si  prudente  jusques  là,  qu'elle  a 
voulu  tousjours  entretenir  le  roy  d'Espaigne  comme 
son  bon  gendre,  afïin  qu'il  en  traictast  mieux  sa  belle 
et  bonne  fille,  comme  est  la  coustume  des  bonnes 
mères,  aussi  affin  qu'il  ne  nous  vint  troubler  la 
France,  ny  faire  la  guerre,  selon  son  brave  cœur  et 
naturel  ambitieux.  D'aucuns  aussi  ont  voulu  dire 
qu'elle  n'aymoit  point  la  noblesse  de  France,  et  en 
desiroit  fort  le  sang  respandu.  Je  m'en  rapporte  à 
tant  de  paix  par  elle  faictes,  combien  elle  l'a  espar- 
gné  :  et,  outre  cela,  qu'on  prenne  esgard  à  elle,  tant 
qu'elle  a  esté  régente  et  ses  enfans  en  minorité,  si 
l'on  a  veu  à  la  court  tant  de  querelles  et  combats 
comme  il  s'en  est  veu  despuis;  car  elle  n'y  en  a  ja- 
mais voulu  voir;  et  tousjours  a  faict  expresses  def- 
fences  de  ne  venir  là,  et  faict  chastier  ceux  qui  y 
contrevenoient.  Du  despuis,  je  l'ay  veue  bien  sou- 
vent à  la  court,  quand  le  roy  alloit  quelquesfois  de- 
hors pour  y  séjourner  quelques  jours,  et  qu'elle  de- 
meuroit  absolue  et  seule  à  la  court,  du  temps  que 
les  querelles  commançarent  à  se  rendre  communes, 
et  les  combats.  Jamais  elle  n'en  voulut  permettre 
ung,  et  soudain  commandement  faict  aux  capitaines 
des  gardes  de  faire  les  deffences,  et  aux  mareschaux 
et  capitaines  de  les  accorder  :  aussi,  pour  dire  vray, 


CATHERINE  DE  MÉDICIS.  367 

on  la  craigiioit  plus  que  le  roy  en  cela;  car  elle  sça- 
voit  bien  parler  à  ces  désobéissans  et  desreglez,  et  les 
ravaudoit  terriblement. 

Je  me  souviens  qu'une  fois,  le  roy  estant  aux  bains 
de  Bourbon*,  feu  mon  cousin  de  La  Chastigneraye 
eut  une  querelle  contre  Pardailhan*.  Elle  le  fist  cher- 
cher partout  pour  lui  defl'endre  de  ne  se  battre,  sur 
la  vie;  mais,  ne  s'estant  peu  trouver  par  deux  jours 
entiers,  elle  le  fit  guetter  si  bien,  que,  par  un  diman- 
che matin,  luy,  estant  en  l'isle  de  Louviers,  attendant 
son  ennemy,  le  grand  prévost  le  vint  surprendre  là 
et  l'emmena  prisonnier,  par  le  commandement  de  la 
reyne,  dans  la  Bastille;  mais  il  n'y  demeura  qu'une 
heure  pourtant;  et  après  l'envoya  quérir,  et  lui  en 
fît  la  réprimande  moitié  aigre,  moitié  douce,  ainsy 
qu'elle  estoit  toute  bonne  et  rude  quand  elle  vouloit. 
Je  sçay  bien  ce  qu'elle  m'en  dict  aussi,  d'autant  que 
j'estois  pour  seconder  mondict  cousin  :  que  comme 
le  plus  aagé  je  debvois  estre  le  plus  sage. 

I-.'année  que  le  roy  tourna  de  Polongne',  il  s'es- 
meut  une  querelle  entre  messieurs  de  Grillon  et 
d'Entraguet,  tous  deux  braves  et  vaillans  gentilshom- 
mes; et  s'estans  appeliez  et  prests  à  se  battre,  le  roy 
leur  fit  faire  deffence  par  M.  de  Rambouillet,  l'un  de 
ses  capitaines  des  gardes  lors  en  quartier,  de  ne  se 
battre;  et  fit  commandement  à  M.  de  Nevers  et  ma- 
reschal  de  Retz  de  les  accorder,  à  quoy  ils  faillirent. 


i .  Bourbon-l'Archambaut  (Allier). 

2.  Charles  de  Vivonne,  baron  de  la  Chastaigneraie.  —  Hector 
de  Gondrin,  seigneur  de  Pardaillan. 

3.  En  1374. 


3G8  DES  DAMES. 

La  reyne  les  envoya  quérir  le  soir  en  sa  ehamlDre;  et 
d'autant  que  leurs  querelles  touchoient  deux  grandes 
dames  des  siennes,  elle  leur  commanda  en  toute  ri- 
gueur, et  pria  après  en  toute  douceur,  de  se  rappor- 
ter à  elle  tous  deux:  de  leur  différent,  puisqu'elle 
leur  faisoit  l'honneur  de  s'en  mesler,  et,  puisque  les 
princes,  mareschaux  et  capitaines,  avoient  failly  à 
leur  accord,  qu'elle  en  vouloit  avoir  la  cognoissance 
et  la  gloire  :  parquoy  elle  les  rendist  amis,  et  les  fist 
embrasser  sans  autre  forme,  en  prenant  le  tout  sur 
elle;  si  bien  que,  par  sa  prudence,  le  subjeet  de  la 
querelle,  qui  touclioit  un  peu  l'honneur  de  ses  deux 
dames  et  estoit  escabreux,  ne  fut  jamais  sçeu  ny  pu- 
blié. Voylà  une  grande  bonté  de  princesse!  Et  puis 
dire  qu'elle  n'aymoit  point  la  noblesse!  Ha!  si  faisoit; 
elle  la  cognoissoit  et  l'extimoit  trop.  Je  croy  qu'il  n'y 
avoit  grande  maison  en  son  royaume  qu'elle  ne  co- 
gneut,  et  disoit  l'avoir  appris  du  grand  roy  François, 
qui  sçavoit  toutes  les  généalogies  des  grandes  familles 
de  son  royaume,  et  aussi  du  roy  son  mary,  lequel 
avoit  cela,  que,  quand  il  eut  veu  une  fois  un  gentil- 
homme, il  le  cognoissoit  tousjours,  fust  en  sa  face  ou 
en  ses  faicts  ou  en  sa  réputation. 

J'ay  veu  ceste  reyne ,  souvent  et  ordinairement, 
lorsque  le  roy  son  fils  estoit  mineur,  prendre  la 
peine  de  lui  présenter  elle-mesme  les  gentilshommes 
de  son  royaume,  et  luy  ramentevoit  :  «  Un  tel  a  faict 
«  service  au  roy  vostre  grand  père,  en  tels  et  tels 
«  endroicts,  un  tel  à  vostre  père,  »  et  ainsy  de  tous 
les  autres;  et  commander  de  s'en  ressouvenir,  et  de 
les  aimer,  et  de  leur  faire  du  bien,  et  de  les  recog- 
noistre  une  autre  fois  :  ce  qu'il  sceut  très-bien  faire 


CATHERINE  DE  MÉDICIS.  369 

puis  après;  car,  par  telle  inslruclion,  ce  roy  cognois- 
soit  fort  bien  les  gens  de  bien,  de  race  et  d'hon- 
neur, qui  estoient  en  son  royaume. 

Ces  détracteurs  aussi   ont  dict    qu'elle   n'aymoit 
point  son  peuple.  Il  y  a  paru.  Fust-il  jamais  tant  tiré 
de  tailles,  subsides,   imposts  et  autres  deniers,  tant 
qu'elle  a  demeuré  gouvernant  la  minorité  de  ses  en- 
fans,  comme  il  en  a  esté  tiré  depuis  en  une  seule  an- 
née? Luy  a-on  trouvé  tant   d'argent  caché,   et  aux 
banques  d'Italie,   comme  l'on  crioit  tant?  Tant  s'en 
faut,  qu'après  sa  mort  on  ne  luy  a   trouvé  un  seul 
sol  :  et,  ainsi  que  j'ay  ouy  dire  à  aucuns  de  ses  finan- 
ciers et  aucunes  de  ses  dames,  qu'elle  s'est  trouvée 
après  sa  mort  endebtée  de  huict  cens  mill'  escus,  les 
gages  de  ses  dames,  gentilshommes  et  officiers  de  sa 
maison,  deubs  d'une  année,  et  son  revenu  d'un  an 
mangé;   si  bien  que,  quelques  mois  avant  mourir, 
ses  financiers  hiy  remonstrarent  cette  nécessité  ;  et 
elle  en  rioit,  et  disoit  qu'il  falloit  louer  Dieu  de  tout 
et   trouver  de  quoy  vivre.  Voylà  son  avarice  et  le 
grand    trésor   qu'elle    amassoit,  comme  Ton  disoit. 
Elle  n'avoit  garde  d'en  faire;  car  elle  avoit  le  cœur 
tout  noble,  tout  libéral  et  tout  magnifique,  et  tout 
pareil  à  celui  de  son  grand  oncle  le  pape  Léon  *,  et 
du  magnifique  le  seigneur  Laurens  de  Médicis;  car 
elle  despensoit  et  donnoit  tout,  ou  faisoit  bastir,  ou 
despensoit  en  d'honnorables  magnificences;  et  pre- 
noit  plaisir  de  donner  tousjours  quelque  récréation  à 
son  peuple  ou  à   sa  court,  comme  en  festins,  balz, 
dances,  combats,  couremens  de  bagues  dont  elle  en 

1.  Léon  X. 

VII  —  24 


370  DES  DAMES. 

a  faict  trois  fort  superbes  en  sa  vie  :  l'un  qui  fut  faict 
à  Fontainebleau  au  mardy  gras  après  les  premiers 
troubles,  où  il  y  eut  et  tournois  et  rompement  de 
lances ,  combats  à  la  barrière ,  bref  toutes  sortes  de 
jeux  d'armes,  avec  une  commédie  sur  le  subject  de 
la  belle  Genièvre  de  l'Arioste,  qu'elle  fit  représenter 
par  madame  d'Angoulesme  et  par  ses  plus  honnestes 
et  belles  princesses,  et  dames  et  filles  de  sa  court, 
qui  certes  la  représen tarent  très-bien,  et  tellement 
qu'on  n'en  vist  jamais  une  plus  belle;  puis  à 
Bayonne,  à  l'entreveue  de  la  reyne  sa  bonne  fille,  où 
la  magnificence  fut  telle  en  toutes  choses  que  les  Es- 
pagnolz,  qui  sont  fort  desdaigneux  de  toutes  autres, 
fors  des  leurs,  jurarent  n'avoir  rien  veu  de  plus  beau, 
et  que  le  '  roy  n'y  sçauroit  pas  approcher;  et  s'en 
retournarent  ainsi  édifiiez. 

Je  sçay  que  plusieurs  en  France  blasmarent  ceste 
despence  par  trop  superflue;  mais  la  reyne  disoit 
qu'elle  le  faisoit  pour  monstrer  à  l'estranger  que  la 
France  n'estoit  si  totalement  ruinée  et  pauvre,  à 
cause  des  guerres  passées,  comme  il  l'estimoit;  et 
que,  puisque  pour  tels  esbatz  on  sçavoit  despendre, 
que  pour  les  conséquences  et  importances  on  leur 
sçauroit  encore  mieux  faire;  et  que  d'autant  plus  la 
France  en  seroit  mieux  estimée  et  redoubtée,  tant 
pour  en  voir  ses  biens  et  richesses,  que  pour  voir 
tant  de  gentilshommes  si  braves  et  si  adroicts  aux 
armes,  ainsy  que  certes  il  s'y  en  trouva  là  beaucoup, 
et  qu'il  fit  très-bon  veoir,  et  dignes  d'estre  admirez. 

Davantage  il  estoit  bien  raison  que  pour  la  plus 

i .  Le,  leur. 


CATHERINE  DE  MEDICIS.  371 

grande  reyne  de  la  chrestienté,  la  plus  belle,  la  plus 
honneste  et  la  meilleure,  on  fist  quelque  solemnelle 
feste  par  dessus  les  autres;  et  vous  asseure  que  si 
elle  ne  se  fust  faicte  telle,  l'estrangier   se  fusl  fort 
mocqué  de  nous,  et  s'en  fust  retourné  en  opinion  de 
nous  tenir  tous  en  France  pour  de  grands  gueux.  Ce 
n'est  donc  pas  sans  une  bonne  et  juste  considération 
que  cette  sage  et  advisée  reyne  fist  ceste  despense, 
comme  ell'  en  fist  aussi  une  fort  belle  à  l'arrivée  des 
Poulonnois  à  Paris  ',  qu'elle  festina  fort  superbement 
en    ses  Tuilleries  :  et  après  souper,  dans  une  grand' 
salle  faicte  à  poste  et  toute  en  tournée  d'une  infinité 
de  flambeaux,  elle  leur  représenta  le  plus  beau  ballet 
qui  fut  jamais  faict  au  monde  (je  puis  parler  ainsy). 
lequel  fust  composé  de  seize  dames  et  damoiselles 
des  plus  belles  et  des  mieux  apprises  des  siennes,  qui 
comparurent  dans  un  grand  roch  tout  argenté,  où 
elles  estoient  assises  dans  des  niches  en   forme  de 
nuées  de  tous  costez.  Ces  seize  dames  représentoient 
les  seize  provinces  de  la  France,  avecques  une  musi- 
que la  plus  mélodieuse  qu'on  eust  sceu  voir;  et  après 
avoir  faict  dans  ce  roch  le  tour  de  la  salle  par  parade 
comme  dans  un  camp,  et  après    s'estre   bien  faict 
voir  ainsi,  elles  Aindrent  toutes  à  descendre  de  ce 
roch,  et  s'estant  mises  en  forme  d'un  petit  bataillon 
bizarrement  invanté,  les  violons  montans  jusques  à 
une  trentaine,  sonnans  quasy  un  air  de  guerre  fort 
plaisant,  elles  vindrent   marcher  soubs  l'air  de  ces 
violons,  et  par  une  belle  cadance  sans  en  sortir  ja- 


1 .  Les  Polonais,  envoyés  pour  offrir  au  duc  d'Anjou  le  trône  de 
Pologne,  firent  leur  entrée  à  Paris  le  49  août  1S73. 


372  DES  DAMES. 

mais,  s'approcher  et  s'arrester  un  peu  devant  Leur 
Majestez,  et  puis  après  danser  leur  ballet  si  bizarre- 
ment in  vanté,  et  par  tant  de  tours,  contours  et  des- 
tours, d'entrelasseures  '  et  meslanges,  affrontements  et 
arrests_,  qu'aucune  dame  jamais  ne  faillit  de  se  trouver 
à  son  poinct  ny  à  son  rang  :  si  bien  que  tout  le  monde 
s'esbalîit  que ,  parmi  une  telle  confusion  et  un  tel 
désordre,  jamais  ne  faillirent  leurs  ordres,  tant  ces 
dames  avoient  le  jugement  solide  et  la  retentive 
bonne,  et  s'estoient  si  bien  apprises.  Et  dura  ce  bal- 
let bizarre  pour  le  moins  une  heure,  lequel  estant 
achevé,  toutes  ces  dames,  représentans  lesdictes  seize 
provinces  que  j'ay  dict,  vindrent  à  présenter  au  roy, 
à  la  reyne,  au  roy  de  Polongne,  à  Monsieur,  son 
frère,  et  au  roy  et  reyne  de  Navarre,  et  autres  grands 
et  de  France  et  de  Polongne,  chacune  à  chacun  une 
placque  toute  d'or,  grande  comme  de  la  paulme  de  la 
main,  bien  esmaillé  et  gentiment  en  œuvre,  où  es- 
toient  gravez  les  fruicts  et  les  singularitez  de  chasque 
province,  en  quoy  elle  estoit  plus  fertille,  comme  : 
la  Provence  des  citrons  et  oranges,  en  la  Champai- 
gne  des  bledz,  en  la  Bourgongne  des  vins,  en  la 
Guyenne  des  gens  de  guerre  (grand  honneur  certes 
celuy-là  pour  la  Guyenne),  et  ainsy  consécutivement 
de  toutes  autres  provinces. 

A  Bayonne,  tels  quasy  semblables  présens  se  firent 
en  un  combat  qui  s'y  fîst,  que  je  représenterois  bien, 
et  tous  lesdicts  présens  et  les  dames  qui  les  receu- 
rent  (mais  cela  est  long)  ;  mais  les  hommes  les  don- 
noient  aux  dames  et  icy  les  dames  aux  hommes.  Et 

i    Jintrelasxeures,  entrelacements. 


CATHERINE  DE  MÉDICIS.  373 

notiez  que  toutes  ces  inventions  ne  venoient  d'autre 
boutique  ny  d'autre  esprit  que  de  la  reyne;  car  elle 
y  esloit  maistresse  et  fort  inventive  en  toutes  choses. 
Elle  avoit  cela  que,  quelques  magnificences  qui  se 
fissent  à  la  court,  la  sienne  passoit  toutes  les  autres. 
Aussi  disoit-on  qu'il  n'y  avoit  que  la  reyne-mère 
pour  faire  quelque  chose  de  beau.  Et  si  telles  des- 
penses coustoient,  aussi  donnoient-elles  du  plaisir; 
disant  en  cela  souvent  qu'elle  vouloit  imiter  les  em- 
pereurs romains  qui  s'estudioient  d'exhiber  des  jeux 
au  peuple  et  luy  donner  plaisir  et  l'amuser  autant  en 
cela  sans  luy  donner  loisir  à  mal  faire. 

D'ailleurs,  et  outre  ce  qu'elle  se  délectoit  à  donner 
plaisir  à  ce  peuple_,  elle  leur  donnoit  bien  à  gaigner; 
car  elle  aymoit  fort  toutes  sortes  d'artizans  et  les 
payoit  bien_,  et  les  occupoit  souvent  chacun  en  son 
art,  et  ne  les  faisoit  point  chaumer,  et  surtout  les 
massons  et  architectes  ainsi  qu'il  parest  en  ses  belles 
maisons  des  Tliuilleries,  imparfaicles  pourtant,  de 
Sainct-Mor,  Monceau  et  Chenonceaux.  Et  aimoit 
aussi  fort  les  gens  sçavans  et  si  lisoit  volontiers,  ou 
se  faisoit  lire  leurs  oeuvres  qu'ilz  luy  présentoient, 
ou  qu'elle  avoit  sceu  qu'ils  avoient  escript,  et  les 
faisoit  achepter,  jusques  à  lire  les  belles  invectives 
qui  se  faisoient  contre  elle,  dont  elle  se  mocquoit 
et  s'en  rioit  sans  s'en  altérer  autrement,  les  appel- 
lant  des  bavards  et  des  donneurs  de  billevesées  ; 
ainsy  usoit  elle  de  ce  mot,  et  elle  vouloit  tout  sça- 
voir. 

Au  voyage  de  Lorraine  des  seconds  troubles,  les 
huguenots  avoient  avec  eux  une  fort  belle  et  grande 
couUevrine  et  la  nommoient  la  reyne  mère.  Ils  furent 


374  DES   DAMES. 

contraincts  l'enterrer  à  Villenozze  \  ne  la  pouvant 
Iraisner  à  cause  de  leurs  grandes  traictes ,  mauvais 
atelage  et  pesanteur,  qui  jamais  pourtant  ne  peut 
estre  descouverte  ny  trouvée.  La  reyne  sçacliant 
qu'on  luy  avoit  ainsi  donné  son  nom,  elle  voulut 
sçavoir  pourquoy.  Il  y  eust  quelqu'un,  après  en  avoir 
esté  fort  pressé  d'elle  de  le  dire,  il  respondit  :  «  C'est, 
«  madame,  parce  qu'elle  avoit  le  calibre  plus  grand 
«  et  plus  gros  que  les  autres.  »  Elle  n'en  fist  que 
rire  la  première. 

Elle  n'espargnoit  point  sa  peine  à  lire  quelque 
chose  qu'elle  eust  en  fantaisie.  Je  la  vis  une  fois,  es- 
tant embarquée  à  Blaye  pour  aller  disner  à  Bourg, 
tout  du  long  du  chemin  lire  en  parchemin,  comme 
un  rapporteur  ou  advocat ,  tout  un  procès  verbal 
que  l'on  avoit  faict  de  Dard  ois,  basque,  secrétaire 
favory  de  feu  M.  le  connestable,  sur  quelques  me- 
nées et  intelligences  dont  il  avoit  esté  accusé  et  con- 
stitué prisonnier  à  Rayonne.  Elle  n'en  osta  jamais  la 
veue  qu'il  ne  fust  achevé  de  lire,  et  si  avoit  plus  de 
dix  pages  de  parchemin.  Quand  elle  n'estoit  point 
empeschée,  elle-mesme  lisoit  toutes  les  lettres  de  con- 
séquence qu'on  luy  escrivoit,  et  le  plus  souvent  de  sa 
main  en  faisoit  les  despesches,  cela  s'appelle  aux 
plus  grandes  et  ses  privées  personnes.  Je  la  vis  une 
fois,  pour  une  après-disnée,  escrire  de  sa  main  vingt 
paires  de  lettres  et  longues. 

Elle  disoit    et    parloit   fort  bien  fi'ançois,  encor 


1 .  11  y  a  deux  Villenoxe,  tous  eux  en  Champagne  :  Villenoxe- 
la -Grande  dans  l'Aube  et  Villenoxe -la -Petite  dans  Seine-et- 
Marne. 


CATHERINE  DE  MÉDICIS.  375 

qu'elle  fust  italienne.  A  ceux  de  sa  nation  pourtant 
ne  parloit  que  bien  souvent  François,  tant  elle  hon- 
noroit  la  France  et  sa  langue,  et  faisoit  fort  paroistre 
son  beau  dire  aux  grands,  aux  estrangiers  et  aux 
ambassadeurs  qui  la  venoieut  trouver  tousjours  après 
le  roy.  Elle  leur  respondoit  fort  pertinemment,  avec 
une  fort  belle  grâce  et  majesté,  comme  je  l'ay  veue 
aussi  parler  aux  courts  de  parlement,  fût  en  public, 
fût  en  privé;  et  qui  bien  souvent  les  menoit  beau, 
quand  ils  s'eslravaguoient  ou  faisoient  trop  des  rete- 
nus, et  ne  vouloient  condescendre  aux  édicts  faicts 
en  son  conseil  privé  ou  ordonnances  du  roy  et  les 
siennes.  Asseurez-vous  qu'elle  parloit  bien  en  reyne 
et  se  faisoit  bien  redouter  en  reyne.  Je  la  vis  une 
fois  à  Bourdeaux,  lorsqu'elle  mena  la  reyne  de  Na- 
varre sa  fille  au  roy  son  mary  (elle  m'avoit  com- 
mandé dès  la  court  d'aller  avec  elle)  bien  parler  à 
ces  messieurs,  qui  ne  vouloient  abolir  quelque  cer- 
taine confrairie  par  eux  in  vantée  et  observée,  ce 
qu'elle  vouloit  nommément  casser,  prévoyant  qu'elle 
apporteroit  quelque  queue  à  la  fin  qui  ne  vaudroit 
rien  et  préjudicieroit  à  l'Estat  *.  Ils  la  vindrent  trou- 
ver à  l'évesché  dans  le  jardin  où  elle  estoit  se  pour- 
menant,  un  dimanche  matin.  Il  y  en  eust  un  qui 
porta  la  paroi! e  pour  tous,  pour  lui  donner  à  enten- 
dre le  fruict  de  ceste  confraiine  et  l'utilité  qu'elle  ap- 
portoit  pour  le  public.  Elle,  sans  estre  préparée,  res- 
pondit  si  bien  par  de  si  belles  parolles  et  apparentes 
raisons  et   propres  pour  la   randre   mal    fondée   et 

4.  Il  a  déjà  été  question  de  l'abolition  de  cette  confrérie,  t.  III, 
p.  382-383. 


376  DES  DAMES. 

odieuse^  qu'il  n'y  eut  là  pas  un  qui  n'admirast  l'es 
prit  de  ceste  reyne  et  ne  demeurast  estonné  et  con- 
fus; d'autant,  que  pour  la  dernière  parolle,  elle  dict  : 
«  Non;  je  veux,  et  le  roy  mon  filz,  qu'elle  soit  ex- 
ce  terminée,  et  qu'il  n'en  soit  jamais  plus  parlé, 
«  pour  des  raisons  secrettes  que  je  ne  vous  veux 
«  dire,  outre  celles  que  je  vous  ay  dict;  autrement 
«  je  vous  ferai  ressentir  que  c'est  que  de  désobéir  au 
«  roy  et  à  moy.  »  Par  ainsy  chacun  calla,  et  plus 
jamais  n'en  fust  parlé. 

Elle  faisoit  de  ses  tours  bien  souvent  à  l'endroict 
des  princes  et  des  plus  grands,  quand  ils  avoient 
failly  grandement,  et  qu'elle  prenoit  sa  collère,  et 
qu'elle  faisoit  de  l'altière  ;  n'estant  rien  au  monde  si 
superbe  et  brave  qu'elle,  quand  il  falloit,  n'espar- 
gnant  nullement  les  véritez  à  un  chacun. 

J'ay  veu  feu  M.  de  Savoye*,  qui  avoit  accoustumé 
l'empereur,  le  roy  d'Espaigne,  et  veu  tant  de  grands, 
la  craindre  et  la  respecter  plus  que  si  ce  fust  esté  sa 
mère,  et  M.  de  Lorraine  de  mesmes,  bref  tous  les 
grands  de  la  clirestienté.  J'en  alléguerois  plusieurs 
exemples;  mais  à  une  autre  fois,  et  à  leur  tour,  je  les 
diray  :  pour  ce  coup,  me  suffira  de  ce  que  j'en  ay 
dict. 

Entre  toutes  ses  perfections ,  elle  estoit  bonne 
chrestienne  et  fort  dévote,  faisant  souvent  ses  pas- 
ques,  et  ne  faillant  jamais  touts  les  jours  au  service 
divin,  à  ses  messes  et  ses  vespres,  qu'elle  rendoit 
fort  agréables  autant  que  dévotes,  par  les  bons  chan- 
tres de  sa  chappelle,  qu'elle  avoit  été  curieuse  de 

i .  Emmanuel-Philibert. 


CATHERINE  DE  MEDICIS.  377 

recouvrer  des  plus  exquis  :  aussi  naturellement  elle 
avmoit  la  musique,  et  en  donnoit  souvent  plaisir  à 
sa  court  dans  sa  chambre,  qui  n'estoit  nullement 
fermée  aux  honnestes  dames  et  honnestes  gens,  voire 
à  tous  et  à  toutes,  ne  la  voulant  resserrer  à  la  mode 
d'Espagne,  ny  d'Italie  son  pays,  ny  mesmes  comme 
nos  autres  reynes  Elizabetli  d'Austriche  et  Loyse  de 
Lorraine  ont  faict;  mais  disoit  que,  tout  ainsy  que 
le  roy  François  son  beau-père,  qu'elle  honnoroit 
fort,  la  luy  avoit  dressée  et  faicte  libre,  qu'elle  la 
vouloit  ainsy  entretenir  à  la  vraye  françoise,  sans  en 
rien  innover  ni  réformer,  et  qu'  ainsi  aussi  le  roy  son 
mary  l'avoit  voulu  :  aussi  sa  chambre  estoit  tout  le 
plaisir  de  la  court. 

Elle  avoit  ordinairement  de  fort  belles  et  honnestes 
filles,  avec  lesquelles  tous  les  jours  en  son  anticham- 
bre on  conversoit ,  on  discouroit  et  divisoit  ',  tant 
sagement  et  tant  modestement  que  l'on  n'eust  osé 
faire  autrement;  car  le  gentilhomme  qu'y  failloit  en 
estoit  banny  et  menacé,  et  en  crainte  d'avoir  pis, 
jusques  à  ce  qu'elle  luy  pardonnoit  et  faisoit  grâce, 
ainsi  qu'elle  y  estoit  propre  et  toute  bonne  de  soy. 

Pour  fin,  sa  compagnie  et  sa  court  estoit  un  vray 
paradis  du  monde  et  escolle  de  toute  honnesteté,  de 
vertu,  l'ornement  de  la  France,  ainsi  que  le  sçavoient 
bien  dire  les  estrangiers  quand  ils  y  venoient;  car 
ils  y  estoient  très-bien  receus,  et  commandement 
exprès  à  ses  dames  et  filles  de  se  parer,  lors  de  leur 
venue,  qu'elles  paroissoient  déesses,  et  les  entre- 
tenir sans  s'amuser  ailleurs;  autrement  elles  estoient 

1,  Divisait,  devisait. 


378  DES   DAMES. 

bien   tancées  d'elle ,   et  en  avoient  bien   la   répri- 
mande. 

Bref,  sa  court  a  esté  telle,  que,  quant  elle  a  esté 
morte,  on  a  dict  par  la  voix  de  tous  que  la  court 
n'estoit  plus  la  court,  et  que  jamais  plus  il  n'y  au- 
roit  en  France  une  reyne  mère.  Mais  quelle  court 
estoit-ce?  telle  que  je  crois  que  jamais  emperière  de 
Rome  de  jadis  n'en  a  tenu,  pour  dames,  une  pareille 
d'ordinaire,  ny  nos  roys  de  France.  Bien  est-il  vray 
que  ce  grand  empereur  Charlemagne  et  roy  de 
France,  de  son  vivant  prist  grand  plaisir  faire  et 
dresser  des  courts  grandes  et  planières,  tant  des 
pairs,  ducs,  contes,  paladins,  barons  et  chevaliers 
de  France,  que  de  dames  leurs  femmes  et  damoi- 
selles  leurs  filles,  et  plusieurs  autres  de  toutes  con- 
trées, pour  tenir  compagnie  et  court,  ainsy  que  disent 
les  vieux  romans  de  ce  temps,  à  l'impératrice  et 
reyne,  pour  voir  les  belles  jouxtes,  tournois,  magni- 
ficences qui  s'y  faisoient  très-superbes  par  une  grande 
trouppe  de  chevaliers  errans  venans  de  toutes  parts. 
Mais  quoy  !  ces  belles  et  grandes  assemblées  et  com- 
pagnées  ne  se  faisoient  ny  se  voyoient  que  trois  ou 
quatre  fois  de  l'an,  et  puis  au  partir  de  la  feste  se 
despartoient  et  se  retiroient  en  leurs  terres  et  mai- 
sons, jusques  à  une  autre  fois,  encores  qu'aucuns 
disent  que  ce  Charlemagne  fut,  sur  sa  vieillesse,  fort 
adonné  aux  femmes,  mesmes  que  ses  filles  furent 
bonnes  compagnes,  et  que  Louys  le  Débonnaire,  à 
l'advènement  de  la  couronne,  fut  contrainct  de  ban- 
nir ses  sœurs  en  certains  lieux  pour  avoir  esté  trop 
escandalisées  de  l'amour  avec  les  hommes,  et  si 
chassa  une    infinité    de    dames  qui    estoient    de   la 


CATHERINE  DE  MEDIGIS.  379 

joyeuse  bande.  Ces  courts  pourtant  dudict  Charle- 
magne  n'estoient  de  durée,  je  dis  du  temps  de  ses 
beaux  ans;  car  il  s'amusoit  lors  aux  guerres,  selon 
noz    vieux    romans  ;    et    sur    ses   jours ,    sa    court 
estoit  ainsy  par  trop  desbordée,    comme  j'ay  dict; 
mais  la  court  de  nostre  roy  Henry  IP  et  de  nostre 
reyne  estoit  ordinaire  ',  fust  en  guerre,  fust  en  paix, 
fust  ou  pour  résider  ou  demeurer  en  un  lieu  pour 
quelques  mois,    fust    qu'elle    se  remuast   en    autres 
maisons  de  plaisance  et  chasteaux  de  noz  roys,  qui 
n'en  ont  point  de  faute,  et  en  ont  plus  que  roys  du 
monde.  Geste  belle  et  grande  compagnie  tousjours, 
au  moins  la  majeure  part,  marchoit  et  alloit  avec  sa 
reyne;  si  que  d'ordinaire  pour  le  moings  sa  court 
estoit  plaine  de  plus  trois  cens  dames  ou  damoiselles. 
Aussi  les  mareschaux  des  logis  et  fourriers  du  roy 
affirmoient  qu'elles  tenoient  tousjours  la  moitié  des 
logis,  ainsy  que  j'ay  veu  l'espace  de  trente-trois  ans 
que  j'ay  pratiqué  tousjours  la  court  sans  guère  l'a- 
bandonner, fors  aux  voyages  de  nos  guerres  et  autres 
estrangiers  :  mais,   estant  de  retour,  j'y  estois  d'or- 
dinaire;   car  le    séjour   m'en    estoit    fort   agréable, 
comme  n'en  aiant  jamais  veu  ailleurs  plus  beau;  et 
pense  que  par  le  monde,  depuis  qu'il  est  faict,  on 
n'en  a  jamais  veu  de  pareil  :  et  d'autant  que  le  beau 
nom  de   ces  belles  dames  qui  assistoient  à  nostre 
reyne  à  décorer  sa  court  ne  se  doibl  taire,  j'en  met- 
tray  icy  aucunes,  selon  qu'il  m'en  souviendra,  que 
j'ay  veu  sur  la  fin  du  mariage  de  la  reyne ,  car  para- 
vant  j'estois  trop  jeune,  et  durant  sa  viduité. 

i .   Ordinaire,  habituelle. 


380  DES  DAMES.  ] 

Premièrement,  il  y  avoit  mesdames  les  filles  de 
France.  Je  les  mets  les  premières;  car  jamais  elles  ne 
perdent  leur  rang  et  vont  devant  toutes  autres,  tant 
ceste  maison  est  grande  et  noble,  sçavoir  '  : 

Madame  Elizabeth  de  France,  despuis  reyne  d'Es- 
pagne ; 

Madame  Claude,  despuis  duchesse  de  Lorraine; 

Et  madame  Marguerite,  despuis  reyne  de  Navarre; 

Madame  la  sœur  du  roy,  despuis  duchesse  de  Sa- 
voye; 

La  reyne  d'Escosse,  despuis  reyne  dauphine,  et 
reyne  de  France  ; 

La  reyne  de  Navarre,  Jeanne  d'Allebret; 

Madame  Catherine  sa  fille,  aujourd'huy  Madame 
la  sœur  du  roy; 

Madame  Diane,  fille  naturelle  du  roy  *,  despuis 
légitimée,  et  madame  de  Castres,  et  en  secondes 
nopces  madame  de  Montmorency,  et  puis  madame 
d'Angoulesme  ^; 

Madame  d'Anguien,  de  la  maison  de  Sainct-Pol  et 
Touteville,  héritière*; 

i.  Le  Laboureur,  qui,  dans  les  Additions  aux  Mémoires  de 
Castelnau,  a  été  le  premier  à  faire  connaître  Brantôme  dont  il  a 
donné  de  nombreux  extraits,  a  publié,  entre  autres,  la  notice  de 
Catherine  de  Médicis.  Il  a  accompagné  cette  énumération  des 
dames  de  la  cour  de  notes  dont  nous  avons  profité,  et  où  il  a  cor- 
rigé quelques  erreurs  commises  par  notre  historien. 

2.  Henri  IL 

3.  Comme  on  le  verra  dans  ce  volume  et  dans  le  suivant, 
Brantôme  a  consacré  une  notice  à  toutes  ces  princesses,  à  l'excep- 
tion de  Jeanne  d'Albret  et  de  sa  fille  Catherine  qui  devint  du- 
chesse de  Bar. 

4.  Marie  de  Bourbon,  comtesse  de  Saint-Pol,  femme  1°  de  Jean 


CATHERINE  DE  MEDICIS.  381 

Madame  la  princesse  de  Condé,'  de  la  maison  de 
Roye'; 

Madame  de  Ne  vers,  de  la  maison  de  Vandosme*; 

Madame  de  Guise,  de  la  maison  dé  Ferrare  '  ; 

Madame  Diane  de  Poictiers,  duchesse  de  Valanti- 
nois  ; 

Mesdames  les  duchesses  d'Aumalle  et  de  Bouillon , 
ses  filles*; 

Madame  la  marquise  de  Rothelin,  de  la  maison  de 
Rohan*; 

Madame  de  Montpensier,  de  la  maison  de  Longvi 
ou  Givry^  ; 

Madame  l'admiralle  de  Brion,  sa  sœur^  ; 

Madame  de  Rieux,  sœur  de  M.  de  Montpensier*; 

Madame  la  marquise  d'Elbeuf,  sa  fille,  de  la  maison 
de  Rieux'; 

de  Bourbon,  comte  d'Enghien;  2°  de  François  de  Clèves,  duc  de 
Nevers;  3°  de  Léonoi-  d'Orléans,  duc  de  Longueville. 

1.  Léonore  de  Roye,  première  femme  de  Louis  de  Bourbon, 
prince  de  Gondé. 

2.  Marguerite  de  Bourbon,  femme  de  François  de  Clèves,  duc 
de  Nevers. 

3.  Anne  d'Esté,  femme  du  duc  François  de  Guise. 

4.  Louise  de  Brezé,  femme  de  Claude  de  Lorraine,  duc  d'Au- 
male,  et  Françoise  de  Brezé,  femme  de  Robert  de  la  Marck,  duc 
de  Bouillon. 

b.  Jacqueline  de  Rohan,  femme  de  François  d'Orléans,  mar- 
quis de  Rothelin. 

6.  Jacqueline  de  Longwy,  femme  de  Louis  de  Bourbon,  duc 
de  Montpensier. 

7.  Françoise  de  LongAvy,  femme  de  l'amiral  Chabot,  seigneur 
de  Brion. 

8.  Suzanne  de  Bourbon,  femme  de  Claude  de  Rieux. 

9.  Louise  de  Rieux,  femme  de  René  de  Lorraine,  marquis 
d'Elbeuf. 


382  DES   DAMES. 

Madame  la  princesse  de  la  Roche-sur-Ion,  vefve  du 
mareschal  de  Montejean  '  ; 

Madame  la  mareschalle  de  Sainct-André^  de  la 
maison  de  Liistrac*; 

Madame  la  mareschalle  de  Strozzi,  de  la  maison 
des  Médicis,  fort  proche  de  la  reyne'; 

Madame  la  contesse  de  Sommerive  et  de  Tande, 
sa  fille*; 

Madame  la  contesse  d'Urfé_,  sa  proche  et  grande 
confidente®; 

Madame  la  mareschalle  de  Brissac,  de  la  maison 
d'Estellan  en  Normandie^; 

Madame  la  mareschalle  de  Termes_,  du  Piedmont''; 

Madame  la  connestable'; 

Madame  la  mareschalle  d'Amville,  de  la  maison  de 
Bouillon®; 

Madame  Tadmiralle  de  Chastillon,  de  la  maison 
de  Laval'"; 

Madame  de  Roye,  sœur  de  M.  l'admirai  "  ; 


i .  Philippe  de  Montespedon,  femme  de  René  de  Montejean. 

2.  Marguerite  de  Lustrac,  femme  du  maréchal  de  Saint- André. 

3.  Madeleine  de  Médicis,  femme  de  Pierre  Strozzi. 

4.  Clarisse  Strozzi,   femme   d'Honorat  de  Savoie,   comte  de 
Sommerive  et  de  Tende. 

5.  Renée  de  Savoie,  femme  de  Jacques,  marquis  d'Urfé. 

6 .  Charlotte  le  Picart,  dame  d'Estelan. 

7.  iV.  de  Saluées,  femme  du  maréchal  Paul  de  Termes.  [ 

8.  Madeleine  de  Savoie,  femme  d'Anne  de  Montmorency. 

9.  Antoinette   de  la  Mark ,   première    femme  du    connétable 
Henri  de  Montmorency. 

10.  Charlotte  de  Laval,  première  femme  de  l'amiral  deColigny. 
il.  Madeleine  de  31ailly,  femme  de  Charles  de  Roye,  comte  de 

Roucy. 


CATHERINE  DE  MEDICIS.  383 

Madame  d'Andelot,  de  la  maison  de  Laval,  héri- 
tière*; 

Madame  de  Martigues,  dite  avant  madamoiselle  de 
Villemontays,  grande  favorite  de  la  reyne  d'Eseosse'  ; 

Madame  de  Cursol,  despuis  duchesse  d'Uzais'  ; 

Madame  la  contesse  de  la  Rocliefoucault,  de  la 
maison  de  la  Mirande*; 

Madame  de  Randan,  sa  sœur"; 

Madame  la  contesse  de  la  Rochefoucault  en  se- 
condes nopces,  de  la  maison  de  Roye,  sœur  de  la 
princesse  de  Condé*; 

Bref,  un'  infinité  d'autres  belles  dames  avoit  cette 
reyne,  dont  il  ne  me  peut  pas  souvenir,  quand  elle 
estoit  durant  quelque  temps"  de  son  règne  et  de  ma- 
riage; puis  estant  vefve  elle  eust  les  deux  reynes  ses 
belles-filles,  Elisabeth  d'Autriche  et  Louyse  de  Lor- 
raine ; 

La  reyne  de  Navarre,  sa  fille,  le  miracle  du  monde; 

Madame  la  princesse  de  Navarre,  sa  belle-sœur'; 


i.  Claude  de  Rieux,  femme  de  Fr.  d'Andelot, 

2.  Marie  de  Beaucaire,  femme  de  Sébastien  de  Luxembourg, 
vicomte  de  Martigues. 

3.  Louise  de  Clerrabnt,   mariée  en  secondes  noces  à  Antoine 
de  Crussol,  premier  duc  d'Uzès. 

4.  Sylvia  Pica  de  la  Mirande,  première  femme  de  François  de 
la  Rochefoucauld. 

5.  Fulvia  Pica  de  la  Mirande,  femme  de  Charles  de  la  Roche- 
foucauld, comte  de  Randan. 

6 .  Charlotte  de  Roye,  seconde  femme  de  François  de  la  Roche- 
foucauld. 

7.  Durant  quelque  temps,  dans  les  premiers  temps. 

8.  Sa  belle  sœur,  Catherine  de  Bourbon,  belle-sœur  de  la  reine 
Marguerite. 


384  DES  DAMES. 

Madame  la  princesse  de  Condé,  de  la  maison  de 
Longueville  *  ; 

Madame  la  princesse  de  Condé,  sa  belle-fille,  de 
la  maison  de  Nevers*  ; 

Madame  de  Nevers,  sa  sœur,  héritière  de  la  mai- 
son, et  l'aîsnée  '  ; 

Madame  de  Guise,  leur  seconde  sœur,  mariée  en 
premières  nopces  au  prince  Portian,  et  puis  avec 
M.  de  Guise  *  ; 

Madame  de  Nevers,  de  la  maison  de  Monlpensier, 
vefve  du  conte  d'Eu,  despuis  M.  de  Nevers^; 

Madame  de  JNevers,  de  la  maison  de  Bouillon, 
mariée  au  second  M.  de  Nevers,  et  despuis  avec  M.  de 
Clermont-Tallard ,  et  avec  M.  de  Sagonne  après*  ; 

Madame  de  Montpensier,  de  la  maison  de  Guize'; 

Madame  de  Bouillon ,  de  la  maison  de  Mont- 
pensier ^  ; 

1.  Françoise  d'Orléans,  seconde  femme  de  Louis  de  Bourbon, 
prince  de  Condé. 

2.  Marie  de  Clèves,  première  femme  de  Henri  de  Bourbon, 
prince  de  Conde'. 

3.  Henriette  de  Clèves,  duchesse  de  Nevers,  femme  de  Louis 
de  Gonzague. 

4.  Catherine  de  Clèves,  femme  1°  d'Antoine  de  Croy,  prince 
de  Porcien,  2°  du  duc  Henri  de  Guise. 

5.  Anne  de  Bourbon,  femme  de  François  de  Clèves,  duc  de 
Nevers. 

6.  Diane  de  la  Mark,  femme  i°  de  Jacques  de  Clèves,  duc  de 
Nevers;  2°  de  Henri  de  Clermont,  comte  de  Tonnerre;  3°  de  Jean 
Babou,  comte  de  Sagonne. 

7.  Catherine  de  Lorraine,  seconde  femme  de  Louis  de  Bour- 
bon, duc  de  Montpensier. 

8.  Françoise  de  Bourbon,  femme  de  Henri-Robert  de  la  Mark, 
duc  de  Bouillon. 


CATHERINE   DE  MÉDICIS.  388 

Madame  de  Longueville,  vefve  de  messieurs  d'An- 
guien  et  Nevers  '  ; 

Madame  la  Princesse  Dauphine,  de  la  maison  de 
Mézières  et  d'Anjou'; 

Madame  de  Candalle,  de  la  maison  de  Montmo- 
rency '  ; 

Madame  d'Espernon,  sa  fille*; 

Madame  de  Joyeuse^,  sœur  de  la  reyne"; 

Madame  de  Mercure ,  fille  de  M.  de  Marti- 
gues«; 

Madame  la  princesse  de  Conty,  de  la  maison  de 
Lusse  '  ; 

Madame  de  Raix  de  la  maison  de  Dampierre, 
vefve  de  feu  M.  d'Annebaut,  et  puis  remariée  à  M.  de 
Raiz«; 

Madame  la  contesse  Fiasque,  de  la  maison  d'Es- 
trozze,  fille  de  Robert  Strozze'; 

i.  Marie  de  Bourbon,  voyez  page  380,  note  4. 

2.  Renée  d'Anjou,  marquise  de  Mézières,  femme  de  François 
de  Bourbon ,  duc  de  Montpensier,  dauphin  d'Auvergne ,  dit  le 
Prince  Dauphin. 

8.  Marie  de  Montmorency,  femme  de  Henri  de  Foix,  comte  de 
Candale, 

4.  Marguerite  de  Foix,  femme  du  duc  d'Espernon. 

5.  Marguerite  de  Lorraine,  femme  1"  d'Anne,  duc  de  Joyeuse; 
2°  de  François  de  Luxembourg,  duc  de  Piney. 

6.  Marie  de  Luxembourg,  femme  de  Philippe-Emmanuel  de 
Lorraine,  duc  de  Mercœur, 

7.  Jeanne  de  Coesmes,  dame  de  Lucé,  première  femme  de 
François  de  Bourbon,  prince  de  Conti. 

8.  Claude-Catherine  de  Clermont,  femme  1°  de  Jean,  seigneur 
d'Annebaut  et  de  Raiz  ;  2°  d'Albert  de  Gondi ,  maréchal  de 
Raiz. 

9.  Alfonsine  Strozzi,  femme  de  Scipion  de  Fiesque. 


386  T^ES  DAMES. 

Madame  la  mareschalle  de  Biron,  de  la  maison  de 
Sainct-Blancqiiart'  ; 

Madame  de  La  Vallette,  de  la  maison  du  Bou- 
chage *  ; 

Madame  la  mareschalle  de  Joyeuse,  sa  sœur  ais- 

nëe'; 

Madame  de  Nançay,  son  autre  sœur*; 

Madame  du  Bouchage,  de  la  maison  de  La  Val- 
lette ^  ; 

Madame  la  duchesse  d'Uzais  la  dernière,  de  la 
maison  de  Clermont-Tallard  *  ; 

Madame  de  Moatlor,  sa  sœur  ;  et  madame  de  Ma- 
non, son  autre  sœur  '  ; 

Mesdames  de  Cypierre  et  Alluye,  sœurs,  de  la 
maison  de  Pienne  *  ; 

Mesdames  de  Barbezieux,  de  Pienne  et  de  Chas- 

1 .  Jeamie  de  Saint-Blancart ,  femme  du  premier  maréchal  de 
Biron. 

2.  Jeamie  de  Batarnay,  femme  de  Bernard  de  Nogaret,  sei- 
gneur de  la  Valette. 

3.  Marie  de  Batarnay,  femme  de  Guillaume  de  Joyeuse,  maré- 
chal de  France. 

4.  Gabrielle  de  Batarnay,  femme  de  Gaspard  de  la  Chastre, 
seigneur  de  Nancey. 

o.  Catherine  de  la  Valette,  femme  de  Henri,  comte  du  Bou- 
chage, duc  de  Joyeuse. 

6 .  Françoise  de  Clermont ,  fournie  de  Jacques  de  Crussol ,  duc 
d'Uzès. 

7.  Diane  de  Clermont,  femme  de  Flory- Louis ,  seigneur  de 
Montlaur.  —  Charlotte  de  Clermont,  mariée  en  secondes  noces  à 
Jean  d'O,  seigneur  de  Manou. 

8.  Louise  de  Halluin,  femme  de  Gilbert  de  3Iarcilly,  seigneur 
de  Cipierre.  —  Anne  de  Halluin,  femme  de  Florimond  Robertet, 
seigneur  d'Alluye. 


CATHERINE  DE  MÉDICIS.  387 

teauroiix ,  toutes  trois  sœurs ,  de  la  maison  de 
Brion  '  ; 

Mesdames  de  Carnavallet,  l'une  de  la  maison  de 
Vueil,  et  l'autre  de  la  maison  de  La  Baume ^  ; 

Madame  de  Rouanays,  de  la  maison  de  Sainct- 
Blansay,  dicte  avant  madame  de  Chasteau-Briant, 
fort  favorite  de  la  reyne_,  sa  maistresse'; 

Madame  de  Sauve,  sa  niepee*; 

Madame  de  Lenoncourt,  despuis  madame  de  Gui- 
mené' 


A  5  . 

•> 

Madame  de  Schomberg^  ; 

Madame  de  Sansac ,  de  la  maison  de  Mont- 
beron  '  ; 

! .  Françoise  Cliabot,  femme  de  François  de  la  Rochefoucauld, 
baron  de  Barbezieux .  —  Anne  Chabot,  femme  de  Charles  Halluin, 
seigneur  de  Piennes.  —  Antoinette  Chabot,  femme  de  Jean  d'A.u- 
mont,  maiéchal  de  France,  comte  de  Châteauroux. 

2.  François  de  Kernevenoy,  seigneur  de  Carnavalet,  épousa 
\°  Anne  Hurault  de  Vueil;  2"  Françoise  de  la  Baume.  Le  manu- 
scrit porte  à  tort  :  «  l'une  de  la  maison  de  Dinteville.  »  Nous 
avons  suivi  la  leçon  de  Le  Laboureur.  Il  n'y  a  point  eu  de  dame 
de  Carnavalet  du  nom  de  Dinteville. 

3.  Claude  de  Beaune  de  Semblançay,  femme  1°  de  Louis  Bur- 
gensis,  sieur  de  Montgauguier  ;  2°  de  Claude  Gouffier,  duc  de 
Roannois. 

4.  Charlotte  de  Beaune,  femme  1°  de  Simon  de  Fixes,  seigneur 
de  Sauve  ;  2o  de  François  de  la  Trémoille ,  marquis  de  Noir- 
moustier. 

5.  Fi'ançoise  de  Laval,  femme  1"  de  Henri  de  Lenoncourt; 
2°  de  Louis  de  Rohan,  prince  de  Guéméné. 

6.  Jeanne  Chastaigner  de  la  Roche-Posay,  femme  1"  de  Henri 
Clutin,  seigneur  de  Villeparisis;  2°  de  Gaspard  de  Schomberg, 
comte  de  Nanteuil. 

7.  Louise  de  iNIontberon,  femme  de  Jean  Prévost,  baron  de 
Sansac. 


388  DES  DAMES. 

Madame  de  Bourdeille,  de  la  maison  de  Montbe- 
ron  aussi,  fort  proches  parantes'  ; 

Mesdames  de  Lansac,  l'une  de  la  maison  de  Mor- 
temart,  et  l'autre,  la  jeune,  de  la  maison  de  Pothon 
de  Saintrailles  '  ; 

Madame  d'Assigny  et  madame  de  Brissac  sa  fdle'; 

Madame  de  Clermont  d'Amboise,  vefve  de  feu 
M.  de  l'Aubespine  le  jeune,  de  la  maison  d'Oysel  ou 
Villeparisi  *  ; 

Madame  de  Villeroy,  sa  belle -sœur,  de  la  maison 
de  l'Aubespine^; 

Madame  de  La  Bourdezière,  de  la  maison  de  Ro- 
bertet^; 

Madame  d'Estrée  ^  ; 

Madame  la  contesse  de  Saine t-Aignan*; 


1 .  Jacquelte  de  Montberon,  femme  d'André,  vicomte  de  Bour- 
deille. 

2.  Gabrielle  de  Rochechouart.  Elle  épousa  en  troisièmes  noces 
Louis  de  Saint-Gelais,  seigneur  de  Lansac,  qui,  devenu  veuf, 
épousa  N Raffîn,  dite  Poton. 

3.  Jeanne  du  Plessis,  femme  en  premières  noces  de  Jean,  mar- 
quis d'Acigné.  —  Judith  d'Acigné,  femme  de  Charles  de  Cossé, 
duc  de  Brissac. 

4.  Marie  Clutin,  fille  de  Henri,  seigneur  de  Villeparisis  et 
d'Oisel,  femme  1°  de  Claude  de  l'Aubespine,  2°  de  Georges,  sei- 
gneur de  Clermont. 

5.  xMadeleine  de  l'Aubespine,  femme  de  Nicolas  de  Neufville, 
seigneur  de  Villeroy. 

6.  Françoise  Robertet,  mariée  en  premières  noces  à  Jacques 
Babou  de  la  Bourdaisière. 

7.  Françoise  Babou,  femme  d'Antoine  d'Estrées,  marquis  de 
Cœuvres, 

8.  Marie  Babou,  femme  de  Claude  de  Beauvillier,  comte  de 
Saint- Aignan. 


CATHERINE  DE   MÉDICIS.  389 

Madame  de  Sourdis'  ; 

Madame  d'Arvaut  et  madame  de  Montoyron,  ses 
filles^; 

]M;idame  de  la  Tour,  despiiis  madame  de  Cler- 
mont  d'Antragues,  de  la  maison  de  Bon,  de  Mar- 
seilles*  ; 

Madame  d'Antragiies,  la  première,  de  la  maison 
de  Guimenay,  et  madame  d'Entragues,  la  seconde, 
qui  est  annuit*  ; 

Madame  de  Villeclayr  la  jeune,  de  la  maison  de 
la  Marche,  ou  Bouillon,  et  l'autre  de  la  maison  de 
la  Bretesche'; 

Mesdames  de  Méru  et  Tlioré,  l'une  de  la  maison 
de  Cossé,  et  l'autre  d'Humières^; 

Madame  la  contesse  de  Maullevrier,  de  la  maison 
de  LimeuiP; 


1.  Isabeau  Babou,  femme  de  François  d'Escoubleau,  seigneur 
de  Sourdis. 

2.  Madeleine  Babou,  femme  d'Honorat  Ysoré,  baron  d'Ervaut. 
—  Diane  Babou,  femme  de  Charles  Turpin,  seigneur  de  Mon- 
toiron. 

3.  Hélène  Bon,  femme  1°  de  Charles  de  Gondi,  bar-on  de  la 
Tour;  2°  de  Charles  de  Balsac,  seigneur  d'Entragues. 

4.  Jacqueline  de  Rohan,  première  femme  de  François  de  Bal- 
sac ,  seigneur  d'Entragues,  qui,  devenu  veuf,  épousa  Marie 
Touchet. 

f).  Françoise  de  la  Mark,  première  femme  de  René  de  Ville- 
quier  qui,  en  secondes  noces,  épousa  Louise  de  Savonières. 

6.  Renée  de  Cossé,  femme  de  Charles  de  Montmorency,  sei- 
gneur de  Méru.  —  Léonore  de  Humières,  première  femme  de 
Guillaume  de  Montmorency,  seigneur  de  Thoré. 

7.  Antoinette  de  la  Tour,  femme  en  secondes  noces  de  Charles 
de  la  Mark,  comte  de  Maulevrier. 


390  DES   DAMES. 

Madame  de  Ragny,  de  la  maison  de  Cypierre  '  ; 

Madame  la  marquise  de  Maignelets,  de  la  maison 
de  Raix*; 

Madame  de  Fargis,  de  la  maison  de  Pienne'; 

Madame  de  Senerpont  et  madame  de  Beaudiné, 
sa  fille,  de  la  maison  d'Ouarty  *  ; 

Madame  de  Lesigny  '  ; 

Madame  du  Lude,  de  la  maison  de  La  Fayette*  ; 

Madame  la  comtesse  de  Sancerre,  sa  fille''; 

Madame  de  Fontaine-Guérin ,  de  la  maison  de 
Sancerre  ^  ; 

Madame  de  Lavardin ,  de  la  maison  de  Negre- 
pellisse  ^  ; 


i  .  Catherine  de  INIarcilly,  femme  de  François  de  la  Magdelène, 
seignem*  de  Ragny. 

2.  Claude-Marguerite  de  Gondi,  femme  de  Charles  de  Halluin, 
marquis  de  Maignelets.  Le  manuscrit  porte  à  tort  La  Melleraye, 
erreiu"  rectifiée  par  Le  Laboureur. 

3.  Jeanne  de  Halluin,  femme  de  Philippe  d'Angennes,  sieur 
du  Fargis. 

4.  Madeleine  de  Suse ,  femme  1"  de  Joachim,  seigneur  de 
Warty;  2°  de  Jean  de  Monchi,  seigneur  de  Sénarpont.  Elle  eut 
de  son  premier  mariage  Françoise  de  Warty,  femme  de  Galiot  de 
Crussol,  seigneur  de  Beaudiner. 

5.  Jeanne  Clausse,  femme  de  Charles  de  Pierrevive,  seigneur 
de  Lezigny. 

6.  Jacqueline  de  la  Fayette,  femme  de  Gui  de  Daillon,  comte 
du  Lude. 

7.  Anne  de  Daillon,  femme  de  Jean  de  Bueil,  comte  de  San- 
cerre. 

8.  Anne  de  Bueil ,  femme  d'Honoré  de  Bueil ,  seigneur  de 
Fontaine-Guérin. 

9.  Catherine  de  Negrepelisse,  femme  de  Jean  de  Beaumanoii', 
marquis  de  Lavardin,  maréchal  de  France.  ^ 


CATHERINE  DE   MKDICIS.  391 

Mesdames  la  mareschalle  de  Matignon,  de  Ruffec, 
de  Mallicorne,  toutes  trois  sœurs,  de  la  maison  du 
Lude'; 

Madame  de  La  Chastre*; 

Madame  de  Clermont  de  Lodesve,  de  la  maison  de 
Bernoy  * ; 

Madame  Bourdin*j 

Madame  de  Bruslard**; 

Madame  de  Pinard.^; 

Tant  d'autres  y  en  a-il,  qu'avant  en  achever  le 
conte  je  m'en  romprois  la  teste  ;  et  tant  plus  j'y  son- 
gerois,  la  mémoire  me  varieroit  :  voylà  pourquov  je 
les  passe  soubs  sillence.  Et  si  l'on  m'inculpe  que  je 
ne  les  mets  pas  bien  en  leur  rang,  quand  elles  es- 
toient  avec  leur  reyne  elles  le  gardoient  assez  bien 
sans  avoir  la  peine  de  les  ranger  icy. 

Il  fault  venir  ast'  heure  aux  filles  que  j'ay  veu,  tant 
avec  la  reyne  mère  qu'avecques  Mesdames  et  les  rey- 
nes  ses  belles-filles,  et  autres  grandes  princesses  de  la 
court,  lesquelles,  encores  que  je  les  aye  veu  toutes 

1 .  Françoise  de  Daillon ,  femme  du  maréchal  de  Matignon  ; 
Françoise  de  Daillon,  femme  de  Philippe  de  Volvire ,  marquis  de 
Ruffec;  Anne  de  Daillon,  femme  de  Jean  de  Chources,  seigneur 
de  Malicorne. 

2.  Anne  Robertet,  mariée  en  secondes  noces  à  Claude  de  la 
Chastre,  seigneur  de  la  Maisonfort. 

3.  Aldonce  de  Bernuy,  mariée  en  premières  noces  à  Gui  de 
Castelnau,  seigneur  de  Clermont-Lodève. 

k.  Marie  Bochetel,  mariée  en  premières  noces  à  Jacques  Bour- 
din,  seigneur  de  Villaines. 

5.  Marguerite  Chevalier,  femme  de  Pierre  Brûlart. 

6.  Marie  de  l'Aubespine,  femme  de  Claude  Pinart,  secrétaire 
d'État. 


392  DES  DAMES. 

qiiasy  maryées,  je  ne  les  nommeray  que  filles,  ainsi 
que  dès  le  commancement  elles  ont  esté  avec  leur 
maistresses.  El  dirois  bien  et  nommerois  tous  les 
gentilshommes  aveeques  qui  elles  ont  esté  mariées  ; 
mais  cela  seroit  trop  long  à  lire  et  superflu.  Aussi 
crois-je  que  le  meilleur  temps  qu'elles  ont  eu  jamais, 
et  qu'on  leur  demande,  c'est  quand  elles  estoient 
filles  ;  car  elles  avoient  leur  libéral  arbitre  pour  estre 
religieuses,  aussi  bien  de  Vénus  que  de  Diane,  mais 
qu'elles  eussent  de  la  sagesse  et  de  l'habilité  et  sça- 
voir,  pour  engarder  l'enflure  du  ventre. 

En  voicy  doncques  aucunes,  et  des  plus  anciennes, 
qui  sont  une  vingtaine,  et  des  premières  : 

Mademoiselle  de  Rohan  *  ; 

Mademoiselle  de  Piennes*; 

Mademoiselle  de  Sourdis  '  ; 

Mademoiselle  de  Bourlemont  *  ; 

Mademoiselle  de  Tenie  *  ; 

Mesdamoiselles  de  Cabrianne  et  Guionnière,  soeurs  "  ; 

Madamoiselle  de  Bourdeille  '  ; 

Madamoiselle  de  Rouhot*; 

1.  Françoise  de  Rohan. 

2.  Anne  de  Halluin.  Voyez  plus  haut,  p.  386,  note  8. 

3.  Est-ce  Charlotte  d'Escoubleau  de  Sourdis,  femme  de  Charles 
de  Maillé,  comte  de  Kerman? 

4.  Françoise,  fille  de  René  d'Anglure,  baron  de  Bourlemont. 

5.  Françoise  Foucher  de  Thenies. 

6.  iV.  Cabriane,  femme  de  N.  le  Voyer  de  Bonnefille  ;  N.  Ca- 
briane,  femme  de  iV.  du  Plantis,  seigneur  de  la  Guyonnière. 

7.  Jeanne  de  Bourdeille,  mariée  (1384)  à  Claude  d'Espinay, 
comte  de  Duretal. 

8.  Est-ce  Barbe  Rouault,  mariée  à  Nicolas  de  Montmorency, 
seigneur  de  Bours  ? 


CATHERINE  DE   MEDICIS.  393 

Mesdamoiselles  de  Limeuil,  sœurs,  dont  l'aisnée 
mourut  à  la  court'  ; 

Madamoiselle  de  Charlus  *  ; 

Madamoiselle  de  Brion  '  ; 

Madamoiselle  de  Sainct-Boire,  la  belle,  despuis  ma- 
dame la  Grande  *  ; 

Madamoiselle  de  Sainct-André,  très-riche  héritière, 
fille  de  M.  le  mareschal  de  Sainct-André"; 

Madamoiselle  de  Montbron,  riche  héritière  de  la 
maison  d'Ausances*; 

Madmoiselle  de  Burlan,  autrement  Théligny  '  ; 

Mesdamoiselles  d'Inteville,  trois  sœurs  *  ; 

Mesdamoiselles  de  Flammin,  de  Ceton,  Béton, 
Leviston,  escossoises; 

Madamoiselle  de  Fontpertuis  '  ; 

Madamoiselle  de  Thorigny  '°  ; 

Madamoiselle  de  Noian  ; 

Mesdamoiselles  de  Riberac,  autrement  de  Guiti- 
nières 


11 . 

7 


i .  Elles  étaient  filles  de  Gilles  de  la  Tour,  seigneur  de  Limeuil  ; 
la  plus  jeune,  Isabeau,  fut  mariée  à  Scipion  de  Sardini. 

2.  Jeanne  Gabrielle  de  Lévis  de  Charlus. 

3.  Françoise  Chabot.  Voyez  plus  haut,  p.  387,  note  i. 

4.  jNIarie  de  Gaignon  de  Saint-Bohaire,  troisième  femme  de 
Claude  GoufEer,  grand  écuyer  de  France. 

b.  Catherine  d'Albon. 

6.  Jeanne  de  Montberon  ou  sa  nièce  Louise. 

7.  Est-ce  Marguerite  de  Téligny,  qui  devint  la  femme  de  La  Noue  ? 

8.  Antoinette  de  Dinteville,  femme  de  Claude  de  Bussy  ;  Agnès 
de  Dinteville,  femme  de  Joachim  de  Chastenay  ;  Renée  de  Din- 
teville qui  dès  lo63  était  abbesse  de  Remiremont. 

9 .  Suzanne  de  Constant  de  Fontpertuis. 
10.  Gilonne  de  Goyon. 

41 .  Elles  étaient  filles  de  Geoffroy  d'Aydie,  baron  de  Guitinières. 


394  DES   DAMES. 

Madamoiselle  de  Chasteauneuf  '  ; 

Madamoiselle  de  Montai  "  ; 

Madamoiselle  de  la  Chastigneraye,  l'aisnée'; 

Madamoiselle  de  Charansonnet  ; 

Madamoiselle  de  la  Chastre*; 

Mesdamoiselles  d'Estanay,  les  deux  sœurs  ; 

Mesdamoiselles  de  Certau,  les  deux  sœurs; 

Mesdamoiselles  de  Pons,  les  deux  sœurs; 

Madamoiselle  d'Atrie®; 

Madamoiselle  de  Caracce*,  sa  cousine; 


Madamoiselle  de  la  Mirande''; 
Mesdamoiselles  de  Brissac,  les  deux  sœurs  " 


Madamoiselle  Davilla,  Cipriote,  eschapëe  du  sac 
de  Chipre  ^  ; 
Madamoiselle  de  Cipierre*"; 
Madamoiselle  d'Ayelle  "  ; 
Madamoiselle  de  la  Molthe; 
Madamoiselle  de  Vitry"; 


i  .  Renée  de  Rieux. 

2.  Rose  de  Montai. 

3.  Héliette  de  Vivonne. 

4.  Anne  de  la  Chastre,  femme  de  François  de  l'Hospital,  sei- 
gneur de  Vitry. 

5.  Anna  d'Aquaviva,  fille  de  Jean -François,  duc  d'Atrie. 

6.  Ou  Caratte. 

7.  La  comtesse  de  Randan,  nommée  plus  haut,  p.  383,  note  S. 

8.  Diane  et  Jeanne  de  Cossé. 

9.  La  sœur  de  l'historien  Davila. 

10.  Cathei'ine  de  Marcilly,  dont  il  a  été  question  plus  haut, 
p.  390,  note  i. 

•1 1 .  Elle  était  Italienne  et  épousa  un  gentilhomme  normand,  Jean 
d'Hemeries. 

12.   Louise  de  L'Hospital,  depuis  Mme  de  Simiers. 


CATHERINE  DE  MÉDICIS.  395 

Madamoiselle  de  Fouchaud'  ; 
Madamoiselle  du  Tiers'; 
Madamoiselle  de  la  Vernav  ; 

Madamoiselle  de  Beaulieu,  de  la  maison  de  Brissac , 
bastarde  '  ; 

Madamoiselle  de  Grandmonl  *  ; 

Madamoiselle  du  Lude'^; 

Madamoiselle  de  la  Bretesche  *  ; 

Madamoiselle  de  Bouilly '; 

INIadamoiselle  de  la  Chastigneraye ,  la  seconde  '  ; 

Mesdamoiselles  d'Estrée,  Gabrielle  et  Diane  *  ; 

Madamoiselle  de  Surgieres"; 

Madamoiselle  de  Rostain  "  ; 

Madamoiselle  de  Faucheuse  '*  ; 

Madamoiselle  de  Rebours  "  ; 


4.   De  la  maison  de  Saint-Gerraain-Beaupré. 

2.  Fille  de  Jean  du  ïhier,  secrétaire  d'Etat. 

3.  iV.  de  Cossé,  demoiselle  de  Beaulieu,  fille  naturelle  du  ma- 
réchal de  Brissac. 

4.  Marguerite  d'Aure  qui  devint  la  femme  de  Jean  de  Durfort, 
seigneur  de  Duras. 

o.  La  comtesse  de  Sancerre,  nommée  plus  haut,  p.  390,  note  7, 

6.  Louise  de  Savomiières,  depuis  dame  de  Villequier.  Voy.  plus 
haut,  p.  389,  note  3. 

7.  iV.  de  Brouilly. 

8.  Marie  de  Vivonne. 

9.  Gabrielle,  depuis  duchesse  de  Beaufort;  Diane,   femme  du 
maréchal  de  Balagny. 

40.  Hélène  de  Fonsèque,  fille  de  René  de  Surgères. 
4  4 .  Anne  de  Rostaing, 

42.  Françoise  de  Montmorency,  fille  du  baron  de  Fosseux,  dite 
la  Fosseuse. 

43.  iV".  de  Rebours  qui  fut  maîtresse  de  Henri  IV  et  mourut 
vers  4o8a. 


396  DES   DAMES. 

Madamoiselle  de  Villesavin  ^  ; 

Mesdamoiselles  de  Barbezieux,  les  trois  sœurs'; 

Madamoiselle  de  Lucé*; 

Madamoiselle  de  Cheronne*  ; 

Mesdamoiselles  de  Bacqiieville  ; 

Et  pour  couronner  la  fin,  madamoyselle  de  Guise", 
fraischement  eslevée^  très-belle  et  honneste  princesse, 
et  madamoiselle  de  Longueville,  l'aisnée,  de  mesme 
vertu  *  ; 

En  nommeray-je  encor  davantage  ?  Non  ;  car  ma 
mémoire  n'y  sçauroit  fournir.  Aussi  il  y  en  a  tant 
d'autres  dames  et  filles,  que  je  les  prie  de  m'escuser 
si  je  les  fais  passer  au  bout  de  la  plume  ;  non  que  je 
ne  les  veuille  fort  priser  et  estimer  ;  mais  je  n'y 
ferois  que  resver  et  m'y  amuser  par  trop.  Pour  vou- 
loir faire  fin^  et  dire  que  toute  cette  compagnie,  que 
je  viens  à  nommer,  on  n'y  eust  sceu  rien  reprendre 
de  leur  temps,  car  toute  beauté  y  abondoit,  toute 
majesté,  toute  gentillesse,  toute  bonne  grâce  ;  et  bien- 
heureux estoit-il  qui  pouvoit  estre  touché  de  l'amour 
de  telles  dames,  et  bien  heureux  aussi  qui  en  pou- 
voit escapar"^.  Et  vous  jure  que  je  n'ay  nommé  nulles 

4 .  De  la  famille  de  Phelypeaux. 

2.  Françoise,  Antoinette  et  Charlotte  de  la  Rochefoucauld, 
filles  de  Charles,  seigneur  de  Barbezieux. 

3.  Jeanne  de  Coesme,  fille  de  Louis,  baron  de  Lucé. 

4.  Marie  de  Chaunoy,  fille  de  Jean,  seigneur  de  Cheronne. 

5.  Ironise  de  Lorraine,  fille  de  Henri  de  Guise,  marie'e  à  Louis 
de  Bourbon,  prince  de  Conti;  Antoinette  d'Orléans,  fille  de  Fran- 
çois de  Longueville ,  mariée  à  Charles  de  Gondi ,  mai-quis  de 
Belle-Isle. 

6.  Les  filles  d'Antoine  Martel,  seigneur  de  Bacqueville. 

7.  Escapar^  échapper. 


CATHERINE  DE  MÉDICIS.  397 

de  ces  dames  et  damoiselles  qui  ne  fussent  fort  belles, 
agréal)les  et  bien  accomplies ,    et   toutes   bastantes 
pour  mettre  un  feu  par  tout  le  monde.  Aussi,  tant 
qu'elles  sont  esté  en  leurs  beaux  aages,  elles  en  ont 
bien  bruslé  une  bonne  part^   autant  de  nous  autres 
gentilshommes  de  court  que  d'autres  qui  s'appro- 
choient  de  leur  feuv  :  aussi  à  plusieurs  ont-elles  esté 
douces^  amiables  et  favorables  et  courtoises.  Je  parle 
d'aucunes,  desquelles  j'espère  en  faire  de  bons  con- 
tes dans  ce  livre  avant  que  je  m'en  desparte,  et  d'au- 
tres aussi  qui  ne  sont  y  comprises  ;  mais  le  tout  si 
modestement,  et  sans  escandale,  qu'on  ne  s'en  aper- 
cevra de  rien;  car  le  tout  se  couvrira  soubs  le  rideau 
du  silence  de  leur  nom  :  si  que  possible  aucunes  qui 
en  liront  des  contes  d'elles-mesmes  ne  s'en  désagré- 
ront';  car  puisque  le  plaisir  amoureux  ne  peut  pas 
tousjours   durer,    pour  beaucoup   d'incommoditez , 
empeschemens  et  changemens,  pour  le  moins  le  sou- 
venir du  vieil  passé  contente  encor. 

Or,  pour  bien  considérer  combien  il  faisoit  beau 
voir  toute  ceste  belle  troupe  de  dames  et  damoi- 
selles, créatures  plustost  divines  que  humaines,  il 
falloit  se  représenter  les  entrées  de  Paris  et  autres 
villes,  les  sacrées  et  superlatives  nopces  de  noz  roys 
de  France,  et  de  leurs  sœurs  filles  de  France,  comme 
celles  du  roy  dauphin,  du  roy  Charles,  du  roy 
Henry  IIP,  de  la  reyne  d'Espagne,  de  madame  de 
Lorraine,  de  la  reyne  de  Navarre,  sans  forces  autres 
grandes  nopces  de  princes  et  princesses ,  comme 
celles  de  M.  de  Joyeuse,  qui  les  a  toutes  surpassées, 

1.  Ne  s'en  dcmigrirunt,  ne  rauioat  point  pour  de'sagréable. 


398  DES   DAMES. 

si  la  reyne  de  Navarre  y  fut  esté,  puis  l'entreveue  de 
Bavonne ,  l'arrivée  des  Poulonnois  et  une  infinité 
d'autres  et  pareilles  magnificences  que  je  n'aurois 
jamais  achevé  de  dire,  où  l'on  a  veu  ces  dames  pa- 
restre  les  unes  plus  belles  que  les  autres,  les  unes 
plus  braves  et  mieux  en  poinct  que  les  autres  ;  car, 
en  telles  festes,  outre  leurs  grands  moyens,  le  roy  et 
les  reynes  leur  donnoient  de  grandes  livrées,  les  unes 
plus  gentilles  que  les  autres,  les  unes  plus  agréables 
que  les  autres. 

Bref,  on  n'eust  rien  veu  que  tout  beau,  tout  escla- 
tant,  tout  brave,  tout  superbe,  que  jamais  la  gloire 
de  Niquée  *  n'en  approcha  :  car  on  voyoit  tout  cela 
reluire  dans  une  salle  du  bal,  au  Pallais  ou  au  Lou- 
vre, comme  estoilles  au  ciel  en  temps  serain.  Aussi 
leur  reyne  vouloit  et  leur  commandoit  tousjours 
qu'elles  comparussent  en  hault  et  superbe  appa- 
reil, encor  que,  durant  sa  viduité,  elle  ne  se  para 
jamais  de  mondaines  soyes,  sinon  lugubres,  mais 
tant  bien  proprement  pourtant,  et  si  bien  accom- 
modée, qu'elle  parroissoit  bien  la  reyne  par-dessus 
toutes. 

Il  est  vray  que  le  jour  des  nopces  de  ses  deux 
filz,  Charles  et  Henry,  elle  porta  des  robes  de  vel- 
lours  noir,  voulant,  disoit-elle,  solemniser  la  feste 
par  ce  signal  pardessus  les  autres  ;  mais ,  estant  ma- 
riée ,  elle  s'habilloit  fort  richement  et  superbement, 

1 .  Niquée,  l'une  des  he'roïnes  de  Y Amadis,  était  fille  du  soudan 
de  Babylone  Zaïr.  Une  magicienne  l'enferma  dans  un  palais  en- 
chanté, au  milieu  d'une  salle  d'une  magnificence  sans  égale.  De 
là  l'expression  jadis  si  usitée  :  Im.  gloire  de  Niquée.  Voyez  le  hui- 
tième livre  A' Amadis  de  Gaule ^  ch.  xxiv. 


CATHERINE  DE   MÉDICIS.  399 

et  paroissoit  bien  ce  qu'elle  estoit.  Et  ce  qui  estoit 
très  que  beau  à  voir  et  à  admirer,  c'estoit  aux  pro- 
cessions générales  qui  se  faisoient,  fût  à  Paris  ou  au- 
tres lieuv,  quelque  petit  fût-il,  que  la  court  y  fust, 
comme  à  celles  de  la  Feste-Dieu,  à  celles  des  Ra- 
meaux, portans  leurs  palmes  et  rameaux  d'une  si 
bonne  grâce,  et  le  jour  de  la  Chandelleur  portans  de 
mesmes  leurs  llambeaux,  desquels  les  feux  conten- 
doient  avec  les  leurs.  En  ces  trois  processions,  qui 
sont  les  bien  fort  solemnelles ,  certes  on  n'y  remar- 
quoit  que  toute  beauté,  toute  bonne  grâce,  tout  beau 
port,  tout  beau  marcher  et  toute  braveté,  si  que  les 
voyans  en  demeuroient  tous  ravis. 

II  faisoit  beau  voir  aussi  quand  la  reyne  alloit  par 
pays  en  sa  litière,  estant  grosse,  lorsqu'elle  estoit 
mai'iée,  fust  qu'elle  allast  à  cheval  à  l'assemblée  ',  ou 
par  pays,  vous  eussiez  veu  quarante  à  cinquante  da- 
mes ou  damoiselles  la  suivre,  montées  sur  de  belles 
hacquenées  tant  bien  harnechées,  et  elles  se  tenant  à 
cheval  de  si  bonne  grâce,  que  les  hommes  ne  s'y  pa- 
roissoient  pas  mieux ,  tant  bien  en  point  pour  ha- 
billemens  à  cheval,  que  rien  plus;  leurs  chapeaux 
tant  bien  garnis  de  plumes,  ce  qui  enrichissoit  encor 
la  grâce,  si  que  ces  plumes  volletantes  en  l'air  repré- 
sentoient  à  demander  amour  ou  guerre.  Virgille,  qui 
s'est  voulu  mesler  d'escrire  le  hault  appareil  de  la 
reyne  Didon  quand  elle  alloit  et  estoit  à  la  chasse*, 
n'a  rien  approché  au  prix  de  celuy  de  nostre  reyne 
avec  ses  dames,  et  ne  luy  en  desplaise. 

1.  Assemblée^  rendez-vous  de  chasse.  Voyez  p.  345,  in  fine. 

2.  Voyez  Enéide,  lib.  IV,  vers  435-140. 


400  DES  DAMES. 

Aussi  comme  j'ay  dict  cy-devant_,  cestereyne  faicte 
de  la  main  de  ce  grand  roy  François,  qui  avoit  in- 
troduict  ceste  belle  et  superbe  boubance  n'a  voulu 
rien  oublier  ny  laisser  de  ce  qu'elle  avoit  apris^  mais 
l'a  voulu  tousjours  imiter,  voire  surpasser,  et  luy  ay 
veu  dire  trois  ou  quatre  fois  en  ma  vie  sur  ce  sub- 
ject.  Ceux  qui  ont  veu  toutes  ces  choses  comme  moy 
en  sentent  encor  l'àme  ravie  comme  moy;  car  ce 
que  je  dis  est  vray,  car  je  l'ay  veu.  Voylà  donc  la 
court  de  nostre  reyne.  Que  malheureux  fust  le  jour 
que  telle  reyne  mourut! 

J'av  ouy  conter  que  nostre  roy  d'aujourd'huy*, 
quelques  dix-huict  mois  après  qu'il  se  vist  un  peu 
avant  dans  la  fortune  et  espérance  d'estre  un  peu 
roy  assez  universel,  se  mist  un  jour  à  discourir  avec 
feu  M.  le  mareschal  de  Biron  des  desseings  et  pro- 
jects  qu'il  faisoit  pour  ung  jour  faire  sa  court  plan- 
teureuse,  belle,  et  du  tout  ressemblable  à  celle  que 
nostre  dicte  reyne  entretenoit;  car  alors  elle  estoit 
en  son  plus  grand  lustre  et  splandeur  qu'elle  fust  ja- 
mais. M.  le  mareschal  luy  respondit  :  «  Il  n'est  pas 
«  en  vostre  puissance,  ny  de  roy  qui  viendra  jamais, 
{<  si  ce  n'est  que  vous  fissiez  tant  avec  Dieu  qu'il 
«  vous  fist  ressusciter  la  reyne  mère,  pour  la  vous 
«  ramener  telle.  «  Mais  ce  n'estoit  pas  cela  que  le 
roy  demandoit,  car  il  n'avoit  rien,  lorsqu'elle  mou- 
rut, qu'il  hayssoit  tant  qu'elle,  et  sans  subject  pour- 
tant, comme  j'ay  peu  veoir  :  mais  il  le  doibt  sçavoir 
mieux  que  moy. 

Que  malheureux  fust  encor  le  jour  que  telle  reyne 

1.   Henri  IV. 


CATHERINE  DE  MEDICIS.  401 

mourut,  et  sur  le  poinct  que  nous  en  avions  plus  de 
nécessité  et  en  avons  encores  ! 

Elle  mourut  à  Bloys  de  tristesse  qu'elle  conceut  du 
massacre  qui  se  fist,  et  de  la  triste  tragédie  qui  s'y 
joua ,  et  voyant  que,  sans  y  penser,  elle  avoit  faict 
venir  là  les  princes,  pensant  bien  faire,  ainsy  que 
M.  le  cardinal  de  Bourbon  luy  dict  :  «  Hélas  !  ma- 
«  dame,  vous  nous  avez  tous  menez  à  la  bouche- 
«  rie  sans  y  penser,  w  Cela  luy  toucha  si  fort  au 
cœur,  et  la  mort  de  ces  pauvres  gens,  qu'elle  se  re- 
mit dedans  le  lit,  aiant  esté  paravant  malade,  et  onc- 
ques  plus  n'en  releva. 

On  dict  que,  lorsque  le  roy  luy  annoncea  le  meur- 
tre de  M.  de  Guise,  et  qu'il  estoit  roy  absolu,  sans 
compagnon,  ny  maistre,  elle  luy  demanda  s'il  avoit 
mis  ordre  aux  affaires  de  son  royaume  avant  que 
faire  ce  coup.  Il  respondit  qu'ouy.  «  Dieu  le  veuille, 
dict-elle,  mon  fils.  »  Gomme  très-prudente  qu'elle  es- 
toit  ,  elle  prévoyoit  bien  ce  qui  luy  debvoit  advenir, 
et  à  tout  le  royaume. 

Il  y  en  a  aucuns  qui  ont  parlé  diversement  de  sa 
mort,  et  mesme  de  poison.  Possible  qu'ouy,  possible 
que  non;  mais  on  la  tient  morte  et  crevée  de  despit, 
comme  elle  avoit  raison. 

Elle  fut  mise  en  son  lict  de  parade,  ainsy  que  j'ay 
ouy  dire  à  une  de  ses  dames,  ny  plus  ny  moins  que 
la  reyne  Anne ,  que  j'ay  dict  par  cy  devant,  et  vestue 
de  mesmes  habits  royaux  qu'a  voit  ladicte  reyne,  qui 
n'avoient  servy  depuis  sa  mort  à  autres  qu'à  elle;  et 
fust  portée  après  dans  l'église  hors  du  chasteau,  en 
mesme  pompe  et  solemnité  que  ladicte  reyne  Anne, 
où  elle  gist  et  repose  encores  ;  le  roy  l'ayant  voulue 

vil  —  26 


402  DES  DAMES, 

faire  porter  à  Chartres  et  de  là  à  Sainct-Denys,  pour 
la  mettre  avec  le  roy  son  mary  dans  le  mesme  cer- 
cueil qu'elle  luy  avoit  faict  faire,  bastir  et  construire, 
si  beau  et  si  superbe;  mais  la  guerre  qui  survint 
empescha  le  tout. 

Voylà  ce  que  je  puis  dire  à  cette  heure  de  ceste 
grande  reyne ,  qui  a  donné  certes  de  si  grands  sub- 
jects  pour  parler  dignement  d'elle,  que  ce  petit  dis- 
cours n'est  assez  bastant  pour  ses  louanges.  Je  le 
sçay  bien;  mais  aussi  la  qualité  de  mon  sçavoir  n'y 
pourroit  suffire ,  puisque  les  mieux  disans  y  seroient 
bien  empeschez.  Toutesfois,  pour  tel  discours  qu'il 
est,  je  l'appends  en  toute  humilité  et  dévotion  à  ses 
pieds,  et  ce  aussi  pour  fuir  la  trop  grand'  prolixité, 
pom^  laquelle  certes  je  ne  me  sens  trop  capable  : 
mais  j'espère  bien  ne  me  séparer  d'elle  tant  en  mes 
discours  que  je  m'en  taise  du  tout,  et  n'en  parle  lors 
qu'il  faudra,  ainsy  que  ses  belles  et  non  pareilles 
vertus  me  le  commandent ,  et  m'en  donnent  ample 
matière,  aiant  veu  tout  ce  qu'ay  escrit  d'elle,  et  qui 
a  passé  de  mon  temps,  d'autres  temps  je  l'ay  appris 
de  personnes  fort  illustres,  ainsy  que  je  le  feray  en 
tous  ces  livres. 

Ceste  reyne  qui  fut  de  tant  de  roys  la  mère, 
Et  des  reynes  aussi,  ensemble  de  la  France, 
Mourut  lorsqu'on  avoit  d'elle  le  plus  d'affaire; 
Car  nul  qu'elle  n'a  peu  luy  donner  assistance  *. 

1.  Ces  vers,  comme  ceux  de  la  page  448  sui^  Marie  Stuart, 
sont  probablement  de  Brantôme. 


LA  REYNE  D'ESCOSSE.  403 


DISCOURS    III. 

SUR     LA     REYNE     d'eSCOSSE, 

JAniS  REYNE  DE  NOSTRE  FRANCE  ' . 

Ceux  qui  voudront  jamais  escrire  de  ceste  illustre 
reyiie  d'Escosse  en  ont  deux  très-amples  subjects, 
l'un  celuy  de  sa  vie,  et  l'autre  celuy  de  sa  mort; 
l'un  et  l'autre  très-mal  accompagnez  de  la  bonne  for- 
tune_,  ainsy  que  j'en  veux  loucber  quelques  poincts 
en  ce  petit  discours,  par  forme  d'abrégé,  et  non  en 
longue  histoire;  laquelle  je  laisse  à  descrire  aux  plus 
sçavans  et  mieux  couchans  par  escript. 

Cette  reyne  donc  eust  son  père,  le  roy  Jacques, 
fort  homme  de  bien  et  de  valeur,  et  fort  bon  fran- 
çois;  aussi  avoit-il   raison.  Après  qu'il  fut  veuf  de 

i .  Marie  Stuart ,  fille  de  Jacques  V,  roi  d'Ecosse ,  et  de  Marie 
de  Lorraine,  fille  de  Claude  de  Guise,  née  à  Linlithgow  (Ecosse) 
le  5  décembre  1542,  morte  sur  l'échafaud  à  Fotheringay  le  18  fé- 
vrier lo87.  Envoyée  en  France  (août  1S48),  elle  y  épousa,  le 
24  avril  1  558,  le  dauphin  François  qui  monta  sur  le  trône  l'année 
suivante.  Devenue  veuve  (1 560),  elle  retourna  en  Ecosse  (août 
1561)  et  se  remaria  d'aboi^d  (1565)  au  fils  du  comte  de  Lennox, 
Darnley,  puis  (1567)  à  l'un  des  meurtriers  de  celui-ci,  le  comte  de 
Bothwell.  Réfugiée  en  Angleterre  pour  échapper  à  ses  sujets  ré- 
voltés (1568),  et,  retenue  prisonnière,  elle  ne  recouvra  jamais  la 
liberté.  Elle  fut  condamnée  à  mort  le  29  octobre  1586  comme 
coupable  de  conspii'ation  contre  Elisabeth .  Des  nombreux  ouvrages 
publiés  sur  elle,  nous  citerons  son  Histoire,  par  M.  Mignet  et  le 
Recueil  de  ses  Lettres,  par  le  prince  Labanofi",  7  vol.  in-8°.  — 
Elle  eut  de  Darnley  un  fils  qui  fut  Jacques  1"  d'Angleterre. 


404  DES   DAMES. 

madame  Magdelaine,  fille  de  France',  demanda  au 
roy  François  quelque  honneste  et  vertueuse  prin- 
cesse de  son  royaume  pour  se  remarier,  ne  désirant 
rien  tant  que  de  continuer  l'alliance  de  France. 

Le  roy  François,  ne  sçachant  mieux  choisir  pour 
contenter  ce  bon  prince,  luy  donna  la  fille  de  M.  de 
Guise,  Claude  de  Lorraine,  vefve  pour  lors  de  feu 
M.  de  Longueville,  laquelle  fust  trouvée  de  ce  roy  si 
belle,  sage  et  vertueuse  et  honneste,  qu'il  fust  fort 
aise,  et  s'estii^tia  très-heureux  de  la  prendre  ;  et  s'en 
trouva  tel  après  qu'il  l'eust  prise  et  espousée,  et  tout 
le  royaume  d'Escosse,  qu'elle  gouverna  fort  sage- 
ment lorsqu'elle  fust  vefve,  qui  le  fut  en  peu  d'an- 
nées après  son  mariage,  n'y  ayant  demeuré  guières 
avecques  luy,  non  sans  luy  avoir  produict  une  belle 
lignée,  qui  fut  cette  belle,  et  des  plus  belles  pour 
lors  princesses  du  monde,  nostre  reyne,  de  laquelle 
nous  parlons.  Icelle,  n'estant  quasy,  par  manière  de 
dire,  que  née  et  estant  aux  mammelles  tettant,  les 
Anglois  vindrent  assaillir  l'Escosse,  et  fallut  que  sa 
mère  l'allast  cachant,  pour  crainte  de  ceste  furie,  de 
terre  en  terre  d'Escosse  ;  et,  sans  le  bon  secours  que 
le  roy  Henry  y  envoya,  à  grand  peine  eust-elle  esté 
sauvée;  et  ce  nonobstant  la  fallust  mettre  sin^  les 
vaisseaux  et  l'exposer  aux  vagues,  orages  et  aux 
vents  de  la  mer,  à  la  passer  en  France  pour  sa  plus 
grande  seureté  :  où  certes  ceste  malle  fortune  n'ayant 
peu  passer  la  mer  avec  elle,  ou  ne  l'osant  pour  ce 
coup  l'attacquer  en  France,  la  laissa  si  bien  que  la 
bonne  la  prist  par  la  main.  Et,  ainsy  que  son  bel  aage 

i .  Fille  de  François  l". 


LA   REYNE   D'ESCOSSE.  405 

croissoit,  ainsy  vist-on  en  elle  sa  grande  beauté,  ses 
grandes  vertus,  croistre  de  telle  sorte  que,  venant  sur 
les  quinze  ans,  sa  beauté  commança  à  faire  parestre 
sa  lumière  en  beau  plain  midy  et  à  en  effacer  le 
soleil  lorsqu'il  luysoit  le  plus  fort,  tant  la  beauté  de 
son  corps  estoit  belle.  Et  pour  celle  de  l'âme,  elle 
estoit  toute  pareille;  car  elle  s'estoit  faicte  fort  sça- 
vante  en  latin  '.  Estant  en  l'aage  de  treize  à  quatorze 
ans,  elle  déclama  devant  le  roy  Henry,  la  reyne,  et 
toute  la  court,  publiquement  en  la  salle  du  Louvre, 
une  oraison  en  latin  qu'elle  avoit  faicte,  soubtenant 
et  deffendant,  contre  l'opinion  commune,  qu'il  estoit 
bien  séant  aux  femmes  de  scavoir  les  lettres  et  arts 
libéraux.  Songez  quelle  rare  chose  c'estoit  et  admira- 
ble de  voir  cette  belle  et  sçavante  reyne  ainsy  orer  ^ 
en  latin,  qu'elle  entendoit  et  parloit  fort  bien;  car  je 
l'ay  veue  là  :  et  fut  si  curieuse  de  faire  faire  à  Anthoine 
Fochin  ',  de  Chauny  en  Vermandois,  et  l'addresse  à 
ladicte  reyne,  une  Réthorique  en  françois  que  nous 
avons  encor  en  lumière,  affin  qu'elle  l'entendist  mieux 
et  se  fist  plus  éloquente  en  françois,  comme  elle  a 
esté,  et  mieux  que  si  dans  la  France  mesmes  eût  pris 
sa  naissance.  Aussi  la  faisoit-il  bon  voir  parler,  fust 

1.  Il  existe  à  la  Bibliothèque  nationale  un  petit  volume  in-12 
contenant  le  recueil  autographe  d'un  certain  nombre  de  thèmes 
]atins  de  Marie  Stuart.  Ce  manuscrit  que  j'ai  fait  le  premier  con- 
naître (voyez  Y  A  thème  um  français,  1853,  p.  755)  a  été  publié  en 
entier,  pour  le  Warton  Club,  par  M.  de  Montaiglon,  sous  le  titre 
de  Latin  Thèmes  of  Mary  Stuart,  Londres,  1855,  in-8°. 

2.  Orer,  parler,  haranguer.  Nous  avons  encore  le  composé  pé- 
rorer. *^ 

3.  Antoine  Fouquelin,  auteur  d'une  Rhétorique  française,  dé- 
diée à  Marie  Stuart,  i557,  in-8°. 


406  DES  DAMES. 

aux  plus  grands  ou  fnsl  aux  plus  petits.  Et  tant  qu'elle 
a  esté  en  France,  elle  se  réservoit  tousjours  deux  heu- 
res du  jour  pour  estudier  et  lire  :  aussi  il  n'y  avoit 
ouières  de  sciences  humaines  qu'elle  n'en  discourût 
liien.  Surtout  elle  aimoit  la  poésie  et  les  poètes^  mais 
sur  tous  M.  de  Ronsard',  M.  du  Belay^,  et  M.  de  Mai- 
sonfleur^  qui  ont  faict  de  belles  poésies  et  élégies 
pour  elle,  et  mesmes  sur  son  partement  de  la  France, 
que  j'ay  veu  souvent  lire  à  elle-mesmes  en  France  et 
en  Escosse,  les  larmes  à  l'œil  et  les  souspirs  au  cœur. 
Elle  se  mesloit  d'estre  poëte,  et  composoit  des 
vers,  dont  j'en  ay  veu  aucuns  de  beaux  et  très- 
bien  faicts,  et  nullement  ressemblans  à  ceux  qu'on 
luy  a  mis  à  sus  avoir  faict  sur  l'amour  du  comte 
Baudouel  *  :  ils  sont  trop  grossiers  et  mal  polis  pour 
estre  sortis  de  sa  belle  boutique.  M.  de  Ronsard  es- 
toit  bien  de  mon  opinion  en  cela,  ainsy  que  nous  en 
discourions  un  jour,  et  que  nous  les  lisions.  Elle  en 
composoit  bien  de  plus  beaux  et  de  plus  gentils,  et 
promptement,  comme  je  l'ay  veue  souvent  qu'elle  se 

1 .  Voyez  Le  premier  livre  des  Poèmes  de  P.  de  Ronsard,  dé- 
diez a  très  illustre  et  très  vertueuse  princesse  Marie  Stuart,  reyne 
d' Escosse,  dans  les  Œuvres  de  Ronsard,  1623,  t.  II,  p.  1171 
et  suiv. 

2.  Voyez,  entre  autres,  dans  l'e'dition  donne'e  par  M.  Marty- 
Laveaux  (1866-67,  2  vol.  m-12),  t.  I,  p.  316;  t.  II,  p.  454  et 
463. 

3.  Je  ne  connais  de  Maisonfleur  que  treize  cantiques  dans  un 
recueil  intitulé  :  Les  Cantiques  du  sieur  de  Valagre  et  les  Canti- 
ques du  sieur  de  Maizonfleur,  Paris,  lo87,  in-î2;  et  en  outre 
dans  le  ms  16G3  du  fonds  français  (f*  89  et  122)  trois  pièces  de 
vers.  Il  n'y  est  point  question  de  Marie  Stuart, 

4.  Le  comte  de  Bothwell. 


LA   REYNE   D'ESCOSSE.  407 

retiroit  en  son  cabinet ,  et  sortoit  aussitost  pour 
nous  en  monstrer  à  aucuns  honnestes  gens  que  nous 
estions  là.  De  plus,  elle  escrivoit  fort  bien  en  prose, 
et  surtout  en  lettres,  que  j  ay  veues  très-belles  et  très- 
éloquentes  et  hautes.  Toulesfois,  quand  elle  devisoit 
avec  aucuns,  elle  usoit  de  fort  doux,  mignard  et  fort 
agréable  parler,  et  avec  une  bonne  majesté,  meslée 
avec  une  fort  discrette  et  modeste  privante,  et  sur- 
tout avec  une  fort  belle  grâce  ;  mesmes  que  sa  langue 
naturelle  \  qui  de  soy  est  fort  rurale,  barbare,  mal 
sonnante  et  scéanle,  elle  la  parloit  de  si  belle  grâce, 
et  la  façonnoit  de  telle  sorte,  qu'elle  la  faisoit  trou- 
ver très-belle  et  très-agréable  en  elle,  mais  non  en 
autres. 

Voyez  quelle  vertu  avoit  une  telle  beauté  et  telle 
grâce,  de  faire  tourner  ung  barbarisme*  grossier  en 
une  douce  civilité  et  gratieuse  mondanité  !  Et  ne 
s'en  faut  esbahir  de  cela,  qu'estant  habillée  à  la  sau- 
vage (comime  je  l'ay  veue)  et  à  la  barbaresque  mode 
des  sauvages  de  son  pays,  elle  paroissoit,  en  un  corps 
miortel  et  habit  barbare  et  grossier,  une  vraye  déesse. 
Ceux  qui  l'ont  veue  ainsi  habillée  le  pourront  ainsy 
confesser  en  toute  vérité;  et  ceux  qui  ne  l'ont  veue 
en  pourront  avoir  veu  son  pourtraict,  estant  ainsy  ha- 
billée. Si  que  j'ay  veu  dire  à  la  reynemère  et  au  roy, 
qu'elle  se  monstroit  encor  en  celuy-là  plus  belle,  plus 
agréable  et  plus  désirable  qu'en  tous  les  autres.  Que 
pouvoit-elle  donc  parestre  se  représentant  en  ses 
belles  et  riches  parures,  fût  à  la  françoise  ou  espai- 
gnolle,  ou  avec  le  bonnet  à  l'italienne,  ou  en  ses  au- 

1.   L'écossais.  —  2.  J]/irharis/nc,  havbarie. 


408  DES  DAMES.  ! 

très  habits  de  son  grand  deuil  blanc,  avec  lequel  il 
la  faisoit  très-beau  voir?  car  la  blancheur  de  son  vi- 
sage contendoit  avec  la  blancheur  de  son  voile  à  qui 
l'emporteroit  ;  mais  enfin  l'artifice  de  son  voile  le 
perdoit,  et  la  neige  de  son  blanc  visage  effaçoit  l'au- 
tre :  aussi  se  fît-il  à  la  court  une  chanson  d'elle  por- 
tant le  deuil,  qui  estoit  telle  : 

L'on  voit  soubs  blanc  atour, 
En  grand  deuil  et  tristesse, 
Se  pourmener  mainct  tour 
De  beauté  la  déesse, 
Tenant  le  traict  en  main 
De  son  fils  inhumain  ; 
Et  Amour  sans  fronteau  ' , 
Volleter  autour  d'elle, 
Desguisant  son  bandeau 
En  un  funèbre  voile, 
Où  sont  ces  mots  écrits  : 
Mourir  ou  estre  pris. 

Voylà  comment  ceste  princesse  paroissoit  belle  en 
toutes  façons  d'habits,  fussent  barbares,  fussent 
mondains,  fussent  austères.  Elle  avoit  encor  ceste 
perfection  pour  faire  mieux  embrazer  le  monde,  la 
voix  très-douce  et  très-bonne;  car  elle  chantoit  très- 
bien,  accordant  sa  voix  avec  le  luth,  qu'elle  touchoit 
bien  joliment  de  ceste  belle  main  blanche  et  de  ces 
beaux  doigtz  si  bien  façonnez,  qui  ne  dévoient  rien 
à  ceux  de  l'Aurore.  Que  reste-il  d'avantage  pour  dire 
ses  beautez  ?  sinon  ce  qu'on  disoit  d'elle  :  que  le  so- 
leil de  son  Escosse  estoit  fort  dissemblable  à  elle; 

1.  Fronteau,  bandeau. 


LA   REYNE   D'ESCOSSE.  409 

car,  quelquefois,  de  l'an  il  ne  luyt  pas  cinq  heures  en 
son  pays;  et  elle  luysoit  tousjours  si  bien,  que  de 
ses  clairs  rayons  elle  en  faisoit  part  à  sa  terre  et  à 
son  peuple,  qui  avDit  plus  besoing  de  lumière  que 
tout  autre,  pour,  de  son  inclination*,  estre  fort  esloi- 
gné  du  grand  soleil  du  ciel.  Ah  !  royaume  d'Escosse, 
je  croys  que  maintenant  vos  jours  sont  encores  bien 
plus  courts  qu'ils  n'estoient,  et  vos  nuicls  plus  lon- 
gues, puisque  vous  avez  perdu  cette  princesse  qui 
vous  illuminoit.  Mais  vous  en  avez  esté  ingratz,  ne 
l'ayant  sceu  recognoistre  du  debvoir  de  fidélité 
comme  vous  deviez,  et  comme  nous  en  parlerons 
ailleurs. 

Or  ceste  dame  et  princesse  pleust  tant  à  la  France, 
qu'elle*  pria  le  roy  Henry  d'en  prendre  l'alliance, 
et  la  donner  à  M.  le  Dauphin,  son  fils  bien  aymé, 
qui,  de  son  costé,  en  estoit  esperduement  espris.  Les 
nopces  donc  en  furent  solemnellement  célébrées 
dans  la  grand'  esglise  et  le  Palais  de  Paris,  où  l'on 
vist  cette  reyne  parestre  cent  fois  plus  belle  qu'une 
déesse  du  ciel,  fût  au  matin  à  aller  aux  espousailles 
en  brave  majesté,  fust  après-disner  à  se  pourmener  au 
bal,  et  fust  sur  le  soir  à  s'acheminer  d'un  pas  mo- 
deste et  façon  desdaigneuse,  pour  offrir  et  parfaire 
son  veu  au  dieu  Hyménée  :  si  bien  que  la  voix  d'un 
chascun  s'alloit  espandant  et  résonnant  par  la  court 
et  parmy  la  grand'  cité ,  que  bien  heureux  estoit 
cent  et  cent  fois  le  prince  qui  s'alloit  joindre  avec 
cette  princesse;  que  si  le  royaume  d'Escosse  estoit 
quelque  chose  de  prix,  la  reyne  le  valloit  davantage  ; 

1.  Inclination^  inclinaison.  —  2.  Quelle,  que  la  France. 


kiO  DES  DAMES. 

car,  encores  qu'elle  n'eiist  ny  sceptre  ny  couronne, 
sa  seulle  personne  et  sa  divine  beauté  valloient  un 
royaume  ;  mais  puisqu'elle  estoit  reyne ,  elle  appor- 
toit  à  la  France  et  à  son  mary  double  fortune. 

Voylà  ce  que  le  monde  alloit  disant  d'elle;  et  par 
ainsi  elle  fut  appellée  la  reyne  dauphine,  et  le  roy 
son  mary  roy  dauphin^  vivant  tous  deux  en  une  très- 
grande  amour  et  plaisante  concorde. 

Puis ,  venant  ce  grand  roy  Henry  à  mourir,  vin- 
drent  à  estre  roy  et  reyne  de  France,  roy  et  reyne 
de  deux  grands  royaumes,  heureux  et  très-heureux 
tous  deux,  si  le  roy  son  mary  ne  fust  esté  emporté 
par  la  mort,  ny  elle  par  conséquent  restée  vefve  au 
beau  avril  de  ses  plus  beaux  ans,  et  n'aiant  jouy  en- 
semble de  leur  amour,  plaisirs  et  félicitez ,  que  quel- 
ques quatre  années. 

Vovlà  une  félicité  de  peu  de  durée,  et  à  qui  la 
malle  fortune  pour  ce  coup  devoit  pardonner;  mais, 
la  malfaisante  qu'elle  est  voulut  ainsy  traicter  misé- 
rablement cette  princesse,  qui,  de  sa  perte  et  de  son 
deuil  elle-mesme  fist  ceste  chanson  : 

En  mon  triste  et  doux  chant, 
D'un  ton  fort  lamentable, 
Je  jette  un  deuil  trenchant, 
De  perte  incomparable, 
Et  en  souspirs  cuysans 
Passe  mes  meilleurs  ans. 

Fut-il  un  tel  malheur 
De  dure  destinée, 
Ny  si  triste  douleur 
De  dame  fortunée, 


LA  REYNE  D'ESCOSSE.  4H 

Qui  mon  cœur  et  mon  œil 
Vois  en  bière  et  cercueil  ? 

Qui,  en  mon  doux  printemps 
Et  fleur  de  ma  jeunesse, 
Toutes  les  peines  sens 
D'une  extrême  tristesse, 
Et  en  rien  n'ay  plaisir, 
Qu'en  regret  et  désir? 

Ce  qui  m'estoit  plaisant 
Ores  m'est  peine  dure  ; 
Le  jour  le  plus  luisant 
M'est  nuit  noire  et  obscure. 
Et  n'est  rien  si  exquis. 
Qui  de  moy  soit  requis. 

J'ay  au  cœur  et  à  l'œil 
Un  portràict  et  image 
Qui  figure  mon  deuil 
En  mon  pasle  visage. 
De  vioUettes  taint, 
Qui  est  l'amoureux  tainct. 

Pour  mon  mal  estranger  * 
Je  ne  m'arreste  en  place  ; 
Mais  j'ay  eu  beau  changer, 
Si  ma  douleur  n'efface  ; 
Car  mon  pis  et  mon  mieux 
Sont  les  plus  déserts  lieux. 

Si  en  quelque  séjour. 
Soit  en  bois  ou  en  prée. 
Soit  sur  l'aube  du  jour, 
Ou  soit  sur  la  vesprée, 


4.  Estranger,  éloigner. 


412  DES    DAMES. 

Sans  cesse  mon  cœur  sent 
Le  regret  d'un  absent. 

Si  parfois  vers  ces  lieux 
Viens  à  dresser  ma  veue, 
Le  doux  traict  de  ses  yeux 
Je  vois  en  une  nue; 
Soudain  je  voy  en  Feau, 
Comme  dans  un  tombeau. 

Si  je  suis  en  repos, 
Sommeillant  sur  ma  couche, 
J'oy  qu'il  me  tient  propos. 
Je  le  sens  qu'il  me  touche  : 
En  labeur,  en  recoy*, 
Tousjours  est  près  de  moy. 

Je  ne  vois  autre  objet, 
Pour  beau  qui  se  présente, 
A  qui  que  soit  subject, 
Oncques  mon  cœur  consente, 
Exempt  de  perfection, 
A  ceste  affection. 

Metz,  chanson,  icy  fin 
A  si  triste  complainte, 
Dont  sera  le  refrain  : 
Amour  vraye  et  non  faincte 
Pour  la  séparation, 
N'aura  diminution*. 

1.  Recciy,  repos. 

2.  Ces  vers,  avec  une  cinquantaine  d'autres  e'crits  par  elle  sur 
un  livre  d'heures  et  publiés  par  le  prince  de  Labanoff  (t.  VII, 
p.  346  et  suiv.),  sont,  je  crois,  les  seuls  authentiques  que  l'on  ait 
de  Marie  Stuart.  Quant  à  la  pièce  si  connue  :  Jdieu ,  plaisant 
pays  de  France,  elle  est  d'un  littérateur  du  dernier  siècle.  Meus- 


LA  REYNE  D'ESCOSSE.  413 

Voylà  les  regrets  qu'alloit  jettant  et  chantant  piteu- 
sement ceste  triste  reyne,  qui  les  manifestoit  encores 
plus  par  son  pasle  tainct;  car^  dès-lors  qu'elle  fust 
vefve,  je  ne  l'ay  veue  jamais  changer  en  un  plus  col- 
loré,  tant  que  j'ay  eu  cet  honneur  de  la  voir,  et  en 
France  et  en  Escosse,  où  il  luy  fallut  aller  à  son  très- 
grand  regret,  au  bout  de  di\-huict  mois  de  sa  viduité, 
pour  pacifier  son  royaume,  fort  divisé  pour  sa  religion. 
Hélas  !  elle  n'y  avoit  aucune  envie  ny  volonté.  Je  luy 
ay  veu  dire  souvent,  et  appréhender  comme  la  mort 
ce  voyage;  et  désiroit  cent  fois  plus  de  demeurer  en 
France  simple  douayrière,  et  se  contanter  de  son 
Tourayne  et  Poictou  pour  son  douaire  donné  à  elle, 
que  d'aller  régner  là  en  ses  pays  sauvages  ;  mais  mes- 
sieurs ses  oncles*,  au  moins  aucuns  et  non  pas  tous, 
lui  conseillarent,  voir  l'en  pressarent  (je  n'en  diray 
point  les  occasions),  qui  pourtant  s'en  repentirent 
bien  plus  après  de  la  faute. 

Sur  quoy  ne  faut  doubler  nullement  si,  lors  de 
son  parlement,  le  feu  roy  Charles,  son  beau-frère, 
fust  esté  en  aage  accomply  comme  il  estoit  fort  petit 
et  jeune,  et  aussi  s'il  fust  esté  en  l'humeur  et  amour 
d'elle  comme  je  l'ay  veu,  jamais  il  ne  l'eust  laissée 
partir,  et  résolument  il  l'eust  espousée;  car  je  l'en 
ay  veu  tellement  amoureux ,  que  jamais  il  ne  regar- 
doit  son  pourtraict  qu'il  n'y  tînt  l'œil  tellement  fixé 
et  ravy,  qu'il  ne  s'en  pouvoit  jamais  oster  ny  s'en 
ressasier,  et  dire  souvent  que  c'estoit  la  plus  belle 

nier  de  Querlon  (mort  en  1780),  comme  M.  Rathery  l'a  démontré 
le  premier  dans  un  article  de  X Encyclopédie  des  gens  du  monde. 
\.  Les  Guises. 


414  DES  DAMES. 

princesse  qui  nasquit  jamais  au  monde  :  et  tenoit  le 
feu  roy  son  frère  par  trop  heureux  d'avoir  jouy  d'une 
si  belle  princesse^  et  qu'il  ne  debvoit  nullement  re- 
gretter sa  mort  dans  le  tumbeau,  puisqu'il  avoit  pos- 
sédé en  ce  monde  ceste  beauté  et  son  plaisir,  pour 
si  peu  d'espace  de  temps  qu'il  l'eust  possédée;  et 
que  telle  jouissance  valloit  ])lus  que  celle  de  son 
royaume.  De  sorte  que,  si  elle  fust  demeurée  en 
France,  il  l'eût  espousée  :  il  y  estoit  résolu,  encores 
que  ce  fust  esté  sa  belle-sœur;  mais  le  pape  d'alors 
ne  luy  en  eût  jamais  refusé  la  dispense,  veu  qu'il 
l'avoit  bien  concédée  à  un  sien  subject,  qui  estoit  feu 
M.  de  Loué  ^,  pour  espouser  la  sienne,  et  aussi  que 
despuis,  en  Espaigne,  on  a  veu  le  marquis  d'Aguilar 
en  avoir  eu  de  mesmes,  et  forces  autres  en  ce  pays- 
là,  qui  n'en  font  trop  de  difficulté,  pour  entretenir 
leur  maisons,  et  ne  les  gaster  et  dissiper,  comme 
nous  faisons  en  France. 

Tous  ces  discours  ay-je  veu  faire  pour  ce  subject  à 
luy  et  à  plusieurs,  lesquels  j'obmettray  pour  ne  va- 
rier en  notredict  subject  de  nostre  reyne,  laquelle 
enfin  estant  persuadée,  comme  j'ay  dict,  d'aller  en 
son  royaume ,  et  son  voyage  aiant  esté  remis  à 
la  prime  %  fit  tant,  que,  le  remettant  de  mois  en 
mois,  elle  ne  partit  que  vers  la  fin  du  mois  d'aoust. 
Et  faut  noter  que  ceste  prime,  en  laquelle  elle  pen- 
soit  partir,  vint  si  tardive,   si  fascheuse,   si  froide, 


1 .  Gilles  de  Laval,  seigneur  de  Loué,  avait  épouse'  en  pre- 
mières noces  Renée  de  Rohan,  veuve  de  son  frère  René  de  Laval, 
seigneur  de  Loué. 

2.  Prime,  printemps. 


LA  REYNE  D'ESCOSSE.  415 

qu'au  mois  d'avril  n'y  avoit  pas  aucune  apparois- 
sance*  de  se  parer  de  sa  belle  robe  verte,  ny  de  ses 
belles  fleurs.  Si  bien  que  les  gallans  de  la  court  al- 
loient  augurant  là -dessus,  et  publiant  que  ceste 
prime  avoit  changé  sa  belle  et  plaisante  saison  en  un 
ord  et  fascheux  yver,  et  n'avoit  voulu  se  vestir  de 
ses  belles  couleurs  et  verdures,  pour  le  deuil  qu'elle 
vouloit  porter  de  la  partance  de  ceste  belle  reyne, 
qui  luy  servoit  totalement  de  lustre.  M.  de  Mai- 
sonfleur,  gentil  cavalier  pour  les  lettres  et  pour 
les  armes ,  en  fît  pour  ce  subject  une  fort  belle 
élégie. 

Le  commancement  de  l'autonne  estant  donc  venu, 
il  fallut  que  ceste  reyne,  après  avoir  assez  temporisé, 
abandonnast  la  France;  et  s'estant  acheminée  par 
terre  à  Calais,  accompagnée  de  messieurs  tous  ses 
oncles,  M.  de  Nemours,  et  de  la  pluspart  des  grands 
et  honnestes  de  la  court ,  ensemble  des  dames , 
comme  de  madame  de  Guyse  et  autres,  tous  regret- 
tans  et  pleurans  à  chaudes  larmes  l'absence  d'une 
telle  reyne ,  elle  trouva  au  port  deux  gallères ,  l'une 
de  M.  de  Meullon  ^,  et  l'autre  du  capitaine  Albize,  et 
deux  navires  de  charge  seulement  pour  tout  arme- 
ment :  et,  six  jours  après  son  séjour  de  Calais,  ayant 
dict  ses  adieux  piteux  et  plains  de  souspirs  à  toute  la 
grand'  compagnie  qui  estoit  là,  despuis  le  plus  grand 
jusques  au  plus  petit,  s'embarqua,  ayant  de  ses  on- 
cles avec  elle  messieurs  d'Aumalle,  grand  prieur,  et 
d'Elbeuf,   et  M.    d'Amville,  aujourd'liuy  M.  le  con- 


i  .  Àpparoissance,  apparence. 

2.  Meuillon.  Voyez  tome  IV,  p.  158-1 59, 


416  DES  DAMES. 

nestable,  et  force  noblesse  que  nous  estions  avec  elle 
dans  la  gallère  de  M.  de  Meuillon,  pour  estre  la  meil- 
leure et  la  plus  belle'. 

Ainsi  donc  qu'elle  commançoit  à  vouloir  sortir  du 
port,  et  que  les  rames  commançoient  à  se  vouloir 
mouiller,  elle  y  vist  entrer  en  plaine  mer,  et  tout  à 
coup  à  sa  veue,  s'enfoncer  un  navire  devant  elle  et 
se  périr,  et  la  pluspart  des  mariniers  se  noyer,  pour 
n'avoir  pas  bien  pris  le  courant  et  le  fond  ;  ce  qu'elle 
voyant,  s'escria  incontinent  :  «  Ah  !  mon  Dieu  !  quelle 
«  augure  de  voyage  est  cecy  !  w  Et  la  gallère  estant 
sortie  du  port,  et  s'estant  eslevé  un  petit  vent  frais, 
on  commança  à  faire  voile,  et  la  cliiorme  se  re- 
poser. Elle,  sans  songer  à  autre  action,  s'appuye  les 
deux  bras  sur  la  pouppe  de  la  gallère  du  costé  du 
timon,  et  se  mist  à  fondre  en  grosses  larmes,  jettant 
tousjours  ses  beaux  yeux  sm^  le  port  et  le  lieu  d'où 
elle  estoit  partie,  prononceant  tousjours  ces  tristes 
parolles  :  ((  Adieu  France  !  Adieu  France  !  »  les  ré- 
pétant à  cliasque  coup;  et  luy  dura  cet  exercice  do- 
lent près  de  cinq  heures,  jusques  qu'il  commença  à 
faire  nuict,  et  qu'on  lui  demanda  si  elle  ne  se  vouloit 
point  osier  de  là  et  souper  un  peu.  Alors,  redoublant 
ses  pleurs  plus  que  jamais,  dict  ces  mots  :  «  C'est 
a  bien  à  ceste  heure,  ma  chère  France,  que  je  vous 
a  perds  du  tout  de  veue,  puisque  la  nuict  obscure 
«  est  jalouse  de  mon  contentement  de  vous  voir  tant 
«  que  j'eusse  peu,  et  m'apporte  un  voile  noir  devant 
«  mes  yeux  pour  me  priver   d'un   tel  bien.  Adieu 


1.  Marie  Stuart  partit  de  Calais  le  15  août  1561  et  arriva  en 
Ecosse  le  19. 


LA   REYNE  D'ESCOSSE.  417 

«  donc^  ma  chère  France,  je  ne  vous  verray  jamais 
«  plus  !  ))  Ainsi  se  retira,  disant  qu'elle  avoit  faict 
tout  le  contraire  de  Didon,  qui  ne  fit  que  regarder 
la  mer  quand  .^^.néas  se  despartit  d'avec  elle,  et  elle 
regardoit  tousjours  la  terre.  Elle  voulut  se  coucher 
sans  n'avoir  mangé  qu'une  sallade  et  ne  voulut  des- 
cendre en  bas  dans  la  chambre  de  pouppe;  mais  on 
luy  fit  dresser  la  traverse  de  la  gallère  en  hault  de  la 
pou[)pe,  et  luy  dressa-on  là  son  lict  :  et  reposa  peu, 
n'oubliant  nullement  ses  souspirs  et  larmes.  Elle  com- 
manda au  timonnier,  sitost  qu'il  seroit  jour,  s'il 
voyoit  et  descouvroit  encor  le  terrain  de  la  France, 
qu'il  l'esveillast  et  ne  craignist  de  l'appeller.  A  quoy 
la  fortune  la  favorisa;  car  le  vent  s'estant  cessé,  et 
aiant  eu  recours  aux  rames ,  on  ne  fist  guières  de 
chemin  ceste  nuict  :  si  bien  que,  le  jour  paressant, 
parut  encor  le  terrain  de  France;  et,  n'ayant  failly 
le  timonnier  au  commandement  qu'elle  luy  avoit 
faict,  elle  se  leva  sur  son  lict,  et  se  mit  à  contempler 
la  France  encor,  et  tant  qu'elle  peut.  Mais  la  gallère 
s'esloignant,  elle  esloigna  son  contentement,  et  ne 
vist  plus  son  beau  terrain.  Adonc  redoubla  encor 
ces  mots  :  «  Adieu  la  France!  Cela  est  faict.  Adieu 
«  la  France  !  je  pense  ne  vous  voir  jamais  plus!  » 

Si  désira-elle  cette  fois  qu'une  armée  d'Angleterre 
parût,  de  laquelle  nous  estions  fort  menacez,  afin 
qu'elle  eust  subject  et  fût  contrainte  de  reîascher  en 
arrière,  et  se  sauver  au  port  d'où  elle  estoit  partie; 
mais  Dieu  en  cela  ne  la  voulut  favoriser  à  ses  sou- 
haits, car,  sans  aucun  empeschement,  nous  arrivas- 
mes  au  Petit-Lict;  dont  sur  le  navigage  je  feray  ce 
petit  incident  :  que  le  premier  soir  que  nous  feusmes 


418  DES   DAMES. 

embarquez,  le  seigneur  de  Chastellard',  qui  despuis 
iust  exécuté  en  Escosse  par  son  oulre-cuydance_,  et 
non  pour  crime^  comme  je  diray  (qui  estoit  gentil 
cavaliier  et  homme  de  bonne  espée  et  bonnes  let- 
tres), ainsi  qu'il  vist  qu'on  allumoit  le  fanal,  il  dict 
ce  gentil  mot  :  «  Il  ne  seroit  poinct  besoing  de  ce 
«  fanal  ny  de  ce  flambeau,  pour  nous  esclairer  en 
«  mer,  car  les  beaux  yeux  de  ceste  reyne  sont  assez 
«  eselairans  et  bastans  pour  esclairer  de  leurs  beaux 
«  feux  toute  la  mer,  voire  l'embraser  pour  un  be- 
«  soing.  » 

Faut  noter  qu'un  jour  avant,  qui  fut  un  dimanche 
matin ,  que  nous  arrivasmes  en  Escosse ,  il  s'esleva 
un  si  grand  brouillard,  que  nous  ne  pouvions  pas 
voir  despuis  la  jjoupe  jusques  à  l'arbre  de  la  gal- 
lère,  en  quoy  les  pilottes  et  comités  *  furent  fort  eston- 
nez  ;  si  bien  que  par  nécessité,  il  fallut  mouiller  l'an- 
cre en  plaine  mer,  et  jetter  la  sonde  pour  sçavoir 
où  nous  estions.  Ce  brouillard  dura  tout  le  long  d'un 
jour,  toute  la  nuict,  jusques  au  lendemain  matin  à 
huict  heures,  que  nous  nous  trouvasmes  environnez 
d'un'  infinité  d'escueilz;  si  bien  que,  si  nous  fussions 
allez  en  avant  ou  à  costé,  nous  eussions  donné  à 
travers  et  nous  fussions  tous  péris.  De  quoy  la  reyne 
disoit  que,  pour  son  particulier,  ne  s'en  fust  guières 
souciée,  ne  souhaittant  rien  tant  que  la  mort;  mais 
elle  ne  l'eust  pas  souliaittée  ny  voulu,  pour  le  géné- 
ral, pour  tout  le  royaume  d'Escosse.  Ayant  donc  re- 


i.  Pierre  de  Boscosel  de  Chastelard,  Dauphinois,  né  vers  1540, 
décapité  à  Edimbourg  en  1363.  Voyez  p.  451-453. 
2,  Comité,  officier  des  galères. 


LA  REYNE   D'ESCOSSE.  419 

cogneu  et  veu,  le  matin  de  ce  brouillard  levé,  le 
terrain  d'Escosse,  il  y  en  eut  qui  augurarent  sur  ledict 
brouillard ,  qu'il  signifioil  qu'on  alloit  prendre  terre 
dans  un  royaume  brouillé,  brouillon  et  mal  plaisant. 

Nous  allasmes  entrer  et  prendre  terre  au  Petit-Lit, 
où  soudain  les  principaux  de  là  et  de  l'Islebourg* 
accoururent  pour  recueillir  leur  reyne;  et  ayant  sé- 
journé deux  Iieures  seulement  au  Petil-Lict,  fallut 
s'acbeminer  à  l'Isleboiirg  qui  n'est  qu'à  une  petite 
lieue  de  là.  La  reyne  y  alla  à  cheval,  et  ses  dames  et 
seigneurs  sur  des  hacquenées  guilledines  du  pays, 
telles  quelles,  et  barnecbées  de  mesmes;  dont,  sur 
tel  appareil,  la  reyne  se  mist  à  pleurer  et  dire  :  que 
ce  n'estoient  pas  les  pompes,  les  apprestz,  les  magni- 
ficences ny  les  superbes  montures  de  la  France,  dont 
elle  avoit  jouy  si  longtemps;  mais  puisqu'il  luy  f'al- 
loit  changer  son  paradis  en  un  enfer,  qu'il  falloit 
prendre  patience.  Et  qui  pis  est,  le  soir,  ainsi  qu'elle 
se  vouloit  coucher,  estant  logée  en  bas  en  l'abbaye 
de  rilebourg-  (qui  est  certes  un  beau  bastiment  et 
ne  tient  rien  du  pays),  vindrcnt  soubs  sa  fenestre  cinq 
ou  six  cens  marauts  de  la  ville  luy  donner  l'aubade 
de  meschans  violions  et  petits  rebecz',  dont  il  n'y  en 
a  faute  en  ce  pays  là;  et  se  mirent  à  chanter  des 
pseaumes  tant  mal  chantez  et  si  mal  accordez,  que 
rien  plus.  Hé!  quelle  musique  et  quel  repos  pour  sa 
nuict! 

Le  lendemain  matin,  on  luy  cuida  tuer  son  au- 
mosnier  devant  son  logis;  et  s'il  ne  se  fîist  sauvé  de 

1.  Edimbourg.  -—  9..  L'abbaye  d'Holyrood. 
3.  Rebec,  espèce  de  violon. 


4-20  DES   DAMES. 

vielesse  dedans  sa  chambre  il  estoit  mort,  et  en  eus- 
sent faiet  de  mesmes  comme  ils  firent  despuis  à  son 
secrétaire  David  \  l(>quel,  d'autant  qu'il  estoit  d'es- 
prit, la  reyne  l'aymoit  pour  le  maniement  de  ses 
affaires  :  mais  on  le  luy  tua  dedans  sa  salle,  si  près 
d'elle  que  le  sang  luy  en  rejalist  sur  sa  robbe,  et  luy 
tumba  mort  à  ses  pieds. 

Quelle  indignité!  Ils  luy  en  ont  bien  faict  d'autres; 
dont  ne  se  faut  estonner  s'ils  ont  parlé  mal  d'elle. 
Ce  tour  faict  à  son  aumosnier,  elle  en  vint  si  triste 
et  fascbée  qu'elle  dicl  :  «  Voilà  un  beau  commance- 
«  ment  d'obéissance  et  de  recueil  ^  de  mes  subjects  ! 
«  Je  ne  sçay  quelle  en  sera  la  fin  ;  mais  je  la  prévois 
«  très-mauvaise.  »  Ainsy  que  la  pauvre  princesse  en 
cela  s'est  monstrée  despuis  une  seconde  Cassandre  en 
prophétie,  comme  elle  estoit  en  beauté. 

Estant  là,  elle  vcsquit  environ  trois  ans  fort  sage- 
ment en  sa  viduité;  et  y  eust  persisté,  n'aiant  nul- 
ment  envie  de  violer  les  mânes  de  son  mary;  mais  les 
Estatz  de  son  royaume  la  priarent  et  la  sollicitarent 
de  se  remarier,  affin  qu'elle  leur  peut  laisser  quelque 
beau  roy  enfanté  d'elle,  comme  est  cestuy-cy  d'au- 
joLu-d'huy. 

Il  y  en  a  qui  ont  dit  qu'aux  premières  guerres  le 
roy  de  Navarre  la  voulust  espouser,  en  répudiant  la 
reyne  sa  femme  à  cause  de  la  religion  ;  mais  elle  n'y 
voulut  consentir,  disant  qu'elle  a  voit  une  âme,  et 
qu'elle  ne  la  vouloit  perdre  pour  toutes  les  grandeurs 

1.  David  Rizzio,  assassiné  le  9  mars  1566.  Voyez  de  Thou, 
liv.  XL,  et  Lingard,  règne  d'Elisabeth,  ch.  ii. 

2.  Recueil,  accueil. 


LA  REYNE   D'ESCOSSE.  421 

du  monde,  faisant  un  grand  scrupule  d'espouser  un 
homme  marié. 

Enfin  elle  se  remaria  '  avec  un  jeune  seigneur  d'An- 
gleterre (le  fort  grande  maison^  mais  non  pareil  à 
elle.  Ce  mariage  ne  futguières  heureux,  ny  pour  l'un 
ny  pour  l'autre.  Je  ne  veux  iey  raconter  comment  le 
roy  son  mary,  après  luy  avoir  feict  un  fort  bel  en- 
fant, qui  règne  aujourd'huy,  fut  tué  et  mourut  par 
une  fougade  dressée  où  il  logeoit^  L'histoire  en  est 
imprimée  et  escripte,  mais  non  au  vray,  pour  l'ac- 
cusation qu'on  a  suscité  à  la  reyne  d'y  avoir  esté 
consente*.  Ce  sont  abus  et  menteries,  car  jamais  ceste 
reyne  ne  fust  cruelle  :  elle  estoit  du  tout  bonne  et 
très-douce.  Jamais  en  France  elle  ne  tist  cruauté, 
mesmes  elle  n'a  pris  plaisir  ny  eu  le  cœur  de  voir 
deffaire  les  pauvres  criminel/,  par  justice,  comme 
beaucoup  de  grandes  que  j'aycogneu;  et  alors  qu'elle 
estoit  en  sa  gallère,  ne  voulust  jamais  permettre  que 
l'on  battist  le  moins  du  monde  un  seul  forçat  et  en 
pria  M.  le  grand  prieur  son  oncle  et  le  commanda 
expressément  au  comité,  ayant  une  compassion  ex- 
trême de  leur  misère,  et  le  cœur  lui  en  faisoit  mal. 

Pour  lin,  jamais  cruauté  ne  logea  au  cœur  d'une  si 
grande  et  douce  beauté;  mais  ce  sont  esté  des  impos- 
teurs qui  l'ont  dict  et  escrit,  entre  autres  M.  Bucca- 
nan  *;  en  quoy  il  a  mal  recogneu  les  biens  que  sa 

1 .  Son  mariage  avec  Darnley  se  fit  secrètement  le  9  j  iiillot  1563, 
et  fut  célébré  solennellement  quelque  temps  après. 

2.  Le  dO  février  1367.  —  3.  Consente,  consentante. 

^.  Georges  Buchanan,  poète  latin  et  historien,  mort  en  1582. 
Bien  qu'il  eût  reçu  divers  bienfaits  de  Marie  Stuart,  il  l'a  indigne- 
ment traitée  dans  son  Reruni  Scoticarum  Historia  (1582),  et  dans 


422  DES   DAMES. 

reyne  luv  avoit  faictz  en  France  et  en  Escosse,  pour 
la  grâce  de  sa  vie  et  du  relief  de  son  ban  \  Il  eut 
mieux  valu  qu'il  eust  employé  son  divin  sçavoir  à 
Darler  mieux  d'elle,  ny  des  amours  de  Baudouet,  jus- 
nues  à  V  mettre  quelques  sonnetz  qu'elle  avoit  faicts, 
que  ceux  qui  ont  cogneu  sa  poésie  et  son  sçavoir  di- 
ront bien  tousjours  qu'ils  ne  sont  venus  d'elle,  ny 
moins  jugeront  de  ses  amours;  car  ce  Baudouet  es- 
toit  le  plus  laid  bomme,  et  d'aussi  mauvaise  grâce 
qui  se  peut  voir.  Mais  si  celuy-là  n'en  a  bien  dict, 
il  V  en  a  d'autres  qui  en  ont  escrit  un  fort  beau  livre 
de  son  innocence  %  que  j'ay  veu,  qui  l'a  si  bien  dé- 
clarée et  prouvée  que  les  moindres  esprits  y  mor- 
droient ,  comlîien  que  ses  ennemis  n'y  ayent  eu 
esgard;  mais  la  désirant  faire  perdre,  comme  ils  ont 
faîct  à  la  fin,  et  comme  obstinez,  l'en  ont  tellement 
persécutée,  qu'ils  ne  cessarent  jamais  qu'elle  ne  fust 
miise  en  prison  dans  un  fort  cbasteau  :  on  dit  que  c'est 
Sainct-Ândré  en  Escosse  ^  Et  ayant  demeuré  près  d'un 
an  misérablement  captive,  fut  délivrée  par  le  moyen 
d'un  fort  honneste  et  brave  gentilhomme  du  pays  et 
de  bonne  maison,  nommé  M.  de  Béton*  que  j'ay 
cogneu  et  veu ,  lequel  m'en  conta  l'histoire  lors- 
qu'il en  vint  porter  la  nouvelle  au  roy,  ainsi  que 
nous  passions  l'eaue  devant  le  Louvre.  Il  estoit  nep- 

un  violent  pamphlet  intitulé  :  De  Maria,  regina  Scotorum^  totaque 
ejus  contra  regem  conspiratione,  tS72,  in-S", 

1 .  Et  l'avoir  fait  relever  de  son  ban. 

2.  L' innocence  de  la  très-illustre  princesse  Marie  Stuart  (par 
F,  de  Belleforest),  4572,  in-8». 

3.  Au  château  de  Lochlevin,  en  juin  1567. 

4.  Beaton.  —  L'évasion  de  Marie  eut  lieu  le  2  mai  1568. 


LA   REYNE  D'ESCOSSE.  423 

veii  de  l'évesque  de  Glasco  ',  aml)assadeiir  en  France, 
un  des  hommes  de  bien  et  dignes  prélats  qui  se  voit 
point,  et  qui  a  esté  fidelle  serviteur  de  sa  maistresse 
jusques  à  son  dernier  souspir,  et  luy  est  encor  autant 
après  son  trespas. 

Voylà  donc  ceste  reyne  en  liberté,  qui  ne  chauma 
pas;  et  en  moins  d'un  rien  eut  amassé  une  armée  de 
ceu\  qu'elle  eslimoit  ses  plus  fidelles  :  et  la  menant, 
elle  la  première  en  teste,  montée  sur  une  bonne  hac- 
quenée,  vestue  d'un  simple  cottillon  ou  Juppé  de 
taffetas  blanc,  et  coiffée  d'une  coiffé  de  crespe  des- 
sus; de  quoy  j'ay  veu  plusieurs  personnes  s'estonner, 
mesme  la  reyne  mère,  qu'une  si  tendre  princesse,  et 
si  délicate  qu'elle  estoit  et  avoit  esté  toute  sa  vie, 
fût  ainsi  habituée  aux  incommoditez  de  la  guerre. 
Mais  aussi  qu'est  la  chose  que  l'on  n'endure  et  que 
l'on  ne  face  pour  régner  absoluement,  et  de  se  van- 
ger  de  son  peuple  rebelle,  et  le  ranger  à  son  obéis- 
sance ? 

Voylà  doncques  cette  reyne,  belle  et  généreuse, 
comme  une  seconde  Zénobia,  à  la  teste  de  son  ar- 
mée, la  conduisant  pour  l'affronter  à  celle  de  ses 
ennemis,  et  livrer  bataille;  mais,  hélas!  quel  mal- 
heur !  Ainsy  qu'elle  pensoit  les  siens  venir  aux  mains 
avec  les  autres,  et  ainsy  qu'elle  les  exortoit  et  ani- 
moit  pour  ses  belles  et  valeureuses  parolles,  qui  eus- 
sent pu  esmouvoir  les  rocliiers,  ils  vindrent  tous  à 
hausser  leur  picques  sans  rendre  combat;  et,   tant 


1 .  Jacques  Beaton,  le  dernier  évêque  de  Glasgow,  mort  à  Paris 
en  '1603.  Il  fut  l'un  des  fondateurs  du  collège  des  Ecossais  dans 
cette  ville. 


424  DES  DAMES. 

d'un  costé  que  d'autre,  vindrent  mettre  les  armes 
bas,  s'embrasser  et  se  faire  amis  ;  et  confédérez  et 
conjurez  ensemble  firent  complot  de  se  saisir  de  la 
reyne,  et  la  prendre  prisonnière,  et  la  mener  en  An- 
gleterre. jM.  de  Gros,  intendant  de  sa  maison,  gentil- 
homme d'Auvergne,  en  conta  ainsi  l'histoire  à  la 
reyne  mère,  en  venant  de  là  ;  et  le  vis  à  Saint-Mor, 
qui  nous  la  conta  à  aucuns  de  nous. 

Enfin  elle  fust  menée  en  Angleterre  '  où  elle  fust 
logée  en  un  chasteau  si  estroictement  et  en  telle  cap- 
tivité, qu'elle  n'en  a  bougé  de  dix-huict  à  vingt  ans 
jusques  à  sa  mort,  dont  elle  en  eut  sentence,  par 
trop  cruelle,  fondée  sur  plusieurs  raisons  telles 
quelles,  qui  sont  dans  l'arrest;  mais  une  des  princi- 
palles,  à  ce  que  je  tiens  de  bon  lieu,  fut  que  la  reyne 
d'Angleterre  ne  l'ayma  jamais,  et  a  esté  tousjours  et 
de  longtemps  jalouse  de  sa  beauté,  qu'elle  voyoit 
surpasser  la  sienne  (que  c'est  de  jalousie!),  et  pour  la 
relligion  aussi.  Or  tant  y  a  que  ceste  princesse  après 
sa  longue  prison  fut  condamnée  à  la  mort,  et  avoir  la 
teste  tranchée  ;  et  son  arrest  luy  fust  prononcé  deux 
mois  advant  qu'elle  fust  exécutée.  Aucuns  disent 
qu'elle  n'en  sceut  rien,  sinon  quand  on  fust  pour 
l'exécuter.  D'autres  disent  qu'il  luy  fut  prononcé 
deux  mois  advant  l'exécution,  ainsi  que  la  reyne 
mère  en  eut  l'advis  estant  à  Congnac,  qui  en  fut  très- 
marrie;  et,  mesmes  luy  dict  on  ceste  particularité  : 
qu'aussilost  que  l'arrest  fust  prononcé  on  luy  tendist 


i.  Après  la  défaite  de  ses  troupes  à  Langside,  le  13  mai  15G8, 
elle  voulut,  malgré  les  instances  de  ses  amis,  se  réfugier  en  An- 
gleterre où  elle  arriva  le  IG. 


LA   REYNE  D'ESCOSSE.  425 

sa  chambre  el  son  lict  de  noir.  La  reyne  mère  se 
mist  là  dessus  à  louer  fort  la  constance  de  ladicte 
reyne  d'Escosse,  et  qu'elle  n'en  avoit  jamais  veu  ny 
ouy  parler  d'une  plus  constante  en  son  adversité 
(j'estois  présent  alors),  et  crovoit  pourtant  que  la 
reyne  d'Angleterre  ne  la  feroit  point  mourir,  ne  l'es- 
timant cruelle  tant  jusques  là^  et  que  de  son  naturel 
elle  ne  l'estoit  point;  (mais  elle  le  fut  là),  et  aussi  que 
M.  de  Bellièvre,  que  le  roy  avoit  despesché  pour  luy 
sauver  la  vie,  opéreroit  quelque  chose  de  bon  ;  mais 
il  n'y  gaigna  rien. 

Pour  venir  donc  à  ceste  mort  piteuse,  qu'on  ne 
peut  descrire  qu'avec  grande  compassion',  le  dix- 
septiesme  donc  de  febvrier  Tan  mil  cinq  cens  quatre- 
vin^t-sept  %  arrivant  au  lieu  oij  estoit  la  reyne 
prisonnière,  chasteau  appelle  Fodringhaye',  les  com- 
missaires de  la  reyne  d'Angleterre,  par  elle  envoyez 
(je  ne  diray  point  leur  nom,  car  il  ne  serviroit  de 
rien),  sur  les  deux  ou  trois  heures  après  midy,  et 
[estant  en  la  présence  de  Paulet,  son  gardien  ou 
geôlier,  font  lecture  de  leur  commission  touchant 
l'exécution,  à  leur  prisonnière,  luy  desclarant  que 
le  lendemain  matin  ils  y  procéderoient,  l'admones- 
tant de  s'apprester  entre  sept  ou   huict.   Elle,  sans 

d.  La  plupart  des  détails  qui  suivent  sont  tirés  d'une  relation 
contemporaine  que  Brantôme  cite  plus  loin.  Elle  est  intitulée  :  Le 
Martyre  de  la  royne  et Escosse^  douarière  de  France,  Edimbourg, 
chez  Jean  >»"afeild,  1S87,  510  p.  in-8°.  Nous  mettons  entre  cro- 
chets les  passages  qu'il  lui  a  empruntés  textuellement. 

2.  Il  y  a  par  erreur  nonante  un  dans  le  manuscrit;  Dupuy  a 
biffé  ce  chiffre  et  mis  en  marge  1S87.  ,  • 

3.  Fotheringay. 


426  DES  DAMES. 

s'estonner  aucunement,  les  remercia  de  leur  bonnes 
nouvelles,  disant  qu'elles  ne  pouvoient  estre  meil- 
leures pour  elles,  pour  voir  maintenant  la  fin  de  ses 
misères,  et  que  dès  longtemps  elle  s'estoit  apprestée 
et  résolue  à  mourir,  despuis  sa  détention  en  Angle- 
terre, suppliant  pourtant  les  commissaires  de  lui 
donner  un  peu  de  temps  et  de  loisir  pour  faire  son 
testament  et  donner  ordre  à  ses  affaires,  puisque  cela 
gissoit'  à  leur  volonté,  comme  leur  commission  por- 
toit.  A  quoy  le  conte  de  Cherusbery  ^  luy  dit  assez 
rudement  :  «  Non,  non,  madame;  il  faut  mourir. 
a  Tenez -vous  preste  demain  entre  sept  et  huict  heu- 
«  res  du  matin,  On  ne  vous  prolongera  pas  le  délav 
«  d'un  moment  »'.]  Il  y  en  eut  un  plus  courtois,  ce 
luy  sembloit,  qui  luy  voulut  user  de  quelques  re- 
monstrances  pour  estimer  de  luy  donner  quelque 
constance  davantage  à  supporter  cette  mort.  Elle  luy 
respondit  qu'elle  n'avoit  point  besoin  de  consolation, 
pour  le  moins  venant  de  luy;  mais  que  s'il  vouloit 
faire  ce  bon  office  à  sa  conscience  de  luy  faire  venir 
son  aumosnier  *  pour  la  confesser,  que  ce  lui  seroit 
une  obligation  qui  surpasseroit  toute  autre;  car, 
pour  son  corps,  elle  ne  croioit  pas  qu'ils  fussent  si 
inhumains  qu'ils  ne  luy  donnassent  droict  de  sépulture. 
Lors  il  luy  répliqua  qu'il  ne  s'y  falloit  point  attendre; 
de  façon  qu'elle  fust  contraincte  d'escrire  sa  confes- 
sion, qui  fut  telle  : 

[«  J'ay  estée  combattue  aujourd'huy  de  ma  relligion,  et 
«  de  recevoir  la  consolation  des  hérétiques.  Vous  enten- 

i.  Gissoit,  gisoit,  —  2.  Slirewsbury. 

3.  Martyre^  p.  410.  —  4.  Il  s'appelait  Préau. 


LA  REYNE  D'ESCOSSE.  427 

«  drez  par  Boiirgoing  *  et  les  autres,  que  j'ay  faict  fulelle- 
«  ment  protestation  de  ma  foy,  en  laquelle  je  veux  mourir. 
«  J'av  requis  de  vous  avoir  pour  faire  ma  confession  et 
«  recevoir  mon  sacrement,  ce  qui  m'a  esté  cruellement 
«  refusé,  aussi  bien  que  le  transport  de  mon  corps,  et  de 
«  pouvoir  tester  librement,  ou  rien  escrire  que  par  leurs 
«  mains.  A  faute  de  cela,  je  confesse  la  griefveté  de  mes 
«  péchez  en  général,  comme  j 'avois  délibéré  de  faire  à 
«<  vous  en  particulier,  vous  priant,  au  nom  de  Dieu,  de 
«  prier  et  veiller  ceste  nuict  avec  moy  pour  la  satisfaction 
«  de  mes  péchez,  et  m'envoyer  vostre  absolution  et  pardon 
«  de  toutes  les  olTences  que  j'ay  faictes.  J'essayray  de  vous 
«  voir  en  leur  présence,  comme  ils  m'ont  accordé  du 
«  maistre  d'hostel;  et  s'il  m'est  permis,  devant  tous  je  vous 
«  demanderay  pardon.  Advisez-moy  de  plus  propres  priè- 
«  res  pour  ceste  nuict  et  pour  demain  matin,  car  le  temps 
«  est  court  et  je  n'ay  loisir  d'escrire  ;  mais  je  vous  recom- 
«  manderay  comme  le  reste  ,  et  surtout  vos  bénéfices  vous 
«  seront  asseurez,  et  vous  recommanderav  au  roy.  Je  n'ay 
«f  plus  de  loisir;  advisez-moy  de  tout  ce  que  vous  penserez 
«  de  bon  pour  mon  salut  par  escrit  ^.] 

Après  cela  faict  et  pourveu  au  salut  de  son  âme 
avant  toutes  choses,  elle  ne  perdist  point  temps,  et 
si  peu  qu'il  luy  restoit  (bien  long  pourtant  et  suffi- 
sant pour  esbranler  une  constance  des  plus  asseurez, 
mais  en  elle  on  n'v  cognent  aucune  crainte  de  la 
mort,  mais  beaucoup  de  contentement  de  sortir  des 
misères  mondaines),  l'employa  à  escrire  à  nostre  roy, 
à  la  reyne  mère  qu'elle  honnoroit  beaucoup,  à  mon- 
sieur et  à  madame  de  Guise,  et  à  autres  particuliers, 
lettres  certes  fort  piteuses,  mais  du  tout  tendantes  à 

1.   Son  médecin.  —  2.   Martyre^  p.  418. 


428  DES   DAMES. 

leur  faire  cognoistre  que  jusques  à  la  dernière  heure, 
elle  n'avoit  perdu  la  mémoire  d'eux,  et  le  contente- 
ment qu'elle  recevoit  de  se  voir  délivrée  de  tant  de 
maux ,  desquels  il  y  avoit  vingt  et  ung  an  qu'elle 
estoit  accablée;  et  leur  envoia  à  tous  des  présens  qui 
estoient  de  la  valeur  et  pris  que  le  pouvoit  consen- 
tir une  pauvi'e  reyne  captive  et  mal  fortunée. 

Après  envoya  quérir  sa  maison,  despuis  le  plus 
grand  jusques  au  plus  petit,  et  fit  ouvrir  ses  coffres, 
et  regarda  combien  elle  pouvoit  avoir  d'argent  j  leur 
despartit  à  chacun  selon  son  moyen  et  le  service 
qu'elle  avoit  tiré  d'eux;  et  à  ses  femmes  leur  partagea 
ce  qui  luy  pouvoit  encor  rester  de  bagues,  de  car- 
quans,  de  lytestes  '  et  acoustremens  ;  leur  disant  à 
tous  que  c'estoit  avec  beaucoup  de  regret  qu'elle 
n'avoit  davantage  pour  leur  donner  et  les  récom- 
penser, mais  qu'elle  s'asseuroit  que  son  fds  satisferoit 
à  sa  nécessité  :  et  pria  son  maistre  d'hostel  de  le 
faire  entendre  à  sondict  fils,  à  qui  elle  renvoyoit  sa 
bénédiction,  le  priant  de  ne  venger  point  sa  mort, 
laissant  le  tout  à  Dieu  à  en  ordonner  selon  ses  di- 
vines volontez  ;  et  leur  dict  adieu  à  tous  sans  lar- 
moyer aucunement;  mais  au  contraire  les  consolloit, 
et  leur  disoit  qu'il  ne  falloit  pas  qu'ils  pleurassent  sur 
le  poinct  de  la  voir  bienheureuse  en  contr'eschange 
de  tant  de  malheurs  qu'elle  avoit  eu  ;  puis  les  fit 
tous  sortir  de  la  chambre,  réservé  ses  femmes.  ! 

Or  il  estoit  desjà  nuict  ;  et  se  retira  en  son  ora- 
toire, où  elle  pria  Dieu  plus  de  deux  heures,  les  ge- 
noux tous  nuds  contre  terre,  car  ses  femmes  s'en  ap- 

\ .  Ly teste,  ruban  de  tête. 


LA  REYNE  D'ESCOSSE.  429 

perçeurent;  puis  elle  s'en  revint  en  sa  chambre,  et 
leur  dict  :  «  Je  croy  qu'il  vault  ])eaLicoup  mieux, 
«  mes  amies,  que  je  mange  quelque  chose,  et  que 
«  je  me  couche  après ,  afin  que  demain  je  ne  face 
«  chose  indigne  de  moy,  et  que  le  cœur  ne  me  faille.  » 
Quelle  générosité  et  quel  courage  !  Ce  qu'elle  fist;  et, 
prenant  une  rostie  au  vin  seulement  s'en  alla  cou- 
cher, et  dormit  fort  peu,  et  employa  la  plus  grand' 
partie  de  la  nuict  en  prières  et  oraisons. 

Elle  se  leva  deux  heures  devant  jour,  et  s'habilla  le 
plus  proprement  qu'elle  peut,  et  mieux  que  de  cous- 
tume,  et  print  une  robbe  de  vellours  noir,  qui  estoit 
tout  ce  qu'elle  s'estoit  réservé  de  ses  accouslremens, 
disant  à  ses  femmes  :  «  Mes  amies,  je  vous  eusse 
a  laissé  plustost  cesteaccoustrement  que  celuy  d'hier, 
((  sinon  qu'il  faut  que  j'aille  à  la  mort  unpeuhonno- 
«  rablement,  et  que  j'aye  quelque  chose  plus  que  le 
«  commun.  Voyià  un  mouchouer  que  j'ay  réservé 
«  aussi,  qui  sera  pour  me  bander  les  yeux  quand  je 
«  viendray  là,  que  je  vous  donne,  ma  mie  (parlant  à 
«  une  de  ses  femmes),  car  je  veux  recevoir  ce  der- 
«  nier  office  de  vous.  » 

Après,  elle  se  retira  en  son  oratoire,  leur  aiant  dict 
de  rechef  à  Dieu  en  les  baisant;  et  leur  dict  tout 
plain  de  particularitez  pour  dire  au  roy,  à  la  reyne 
et  à  ses  parens,  non  chose  qui  tendist  à  la  vengeance, 
mais  au  contraire  plustost  ;  et  fist  là  ses  pasques  par 
le  moyen  d'une  hostie  consacrée  que  le  bon  pape 
Pie  V  luy  avoit  envoyée  pour  s'en  servir  à  sa  néces- 
sité, et  qu'elle  avoit  tousjours  fort  curieusement  et 
sainctement  gardée  et  conservée. 

Après  avoir  dict  toutes   ses  oraisons,    qui    furent 


430  DES  DAMES. 

bien  longues^  car  il  estoit  desjà  grand  matin,  elle 
s'en  vint  dans  sa  chambre;  elle  s'assist  auprès  du  feu, 
parlant  toujours  à  ses  femmes  et  les  consolant,  au 
lieu  que  les  autres  la  debvoient  consoler;  leur  disant 
que  ce  n'estoit  rien  que  des  fœlicitez  de  ce  monde, 
et  qu'elle  en  debvoit  bien  servir  d'exemple  aux  plus 
grandes  de  la  terre  jusques  aux  plus  petites;  qu'elle, 
qui  avoit  esté  reyne  des  royaumes  de  France  et 
d'Escosse,  de  l'un  par  nature,  de  l'autre  par  fortune, 
après  avoir  triumphé  pesle-mesle  dans  les  honneurs 
et  grandeurs,  la  voilà  réduicte  entre  les  mains  d'un 
bourreau,  innocente  toutesfois;  ce  qui  la  consoloit 
pourtant  ;  mesmement  le  plus  beau  de  leur  prétexte 
estoit  pris  pour  la  faire  mourir  sui'  sa  religion  catho- 
lique, bonne,  saincte,  qu'elle  n'abandonneroit  jamais 
jusques  au  dernier  souspir,  puisqu'elle  y  avoit  esté 
baptisée,  et  qu'elle  ne  vouloit  autre  gloire  après  sa 
mort,  sinon  qu'elles  publiassent  sa  fermeté  par  toute 
la  France,  quand  elles  y  seroient  retournées,  comme 
elle  les  en  prioit;  et  qu'encores  qu'elle  sçavoit 
qu'elles  auroient  beaucoup  de  crève-cœur  de  la  voir 
sur  l'eschaffaut  pour  jouer  une  telle  tragédie,  si  vou- 
loit-elle  qu'elles  fussent  les  tesmoings  de  sa  mort, 
sçachant  bien  qu'elle  n'en  pourroit  avoir  de  plus  fi- 
delles,  pour  en  faire  le  rapport  de  ce  qui  en  advien- 
droit. 

Ainsy  qu'elle  achevoit  ces  parolles,  l'on  vint  heur- 
ter fort  rudement  à  la  porte.  Ses  femmes,  se  doub- 
tant  que  c'estoit  l'heure  qu'on  la  venoit  quérir,  vou- 
lurent faire  résistance  d'ouvrir  ;  mais  elle  leur  dict  : 
«  Mes  amies,  cela  ne  sert  de  rien,  ouvrez.  » 

Et  entra  premièrement  un   compagnon,   avec  un 


LA  REYNE  D'ESCOSSE.  431 

bastoii  liLuic  en  la  maiii^  lequel,  autrement  sans  s'a- 
dresser à  personne,  diet  en  se  pourmenant,  par  deux 
fois  :  «  Me  voicy  venu,  me  voicy  venu.  »  I.a  reyne 
se  doublant  qu'il  l'adverlissoit  de  l'heure  de  l'exécu- 
tion, prist  en  la  mam  une  petite  croix  d'hyvoire. 

Puis  après  vindrent  les  commissaires  susdicts,  et 
estans  entrez  la  reyne  leur  dict  :  «  Et  bien!  mes- 
«  sieurs,  vous  m'estes  venue  quérir.  Je  suis  preste  et 
«  très-résolue  de  mourir  ;  et  trouve  que  la  reyne,  ma 
«  bonne  sœur,  faict  beaucoup  pour  moy,  et  tous  vous 
«  autres  particulièrement,  qui  en  avez  faict  ceste  re- 
«  cherclie.  Allons  donc.  »  Eux,  voyans  ceste  con- 
stance accompagnée  d'une  si  grande  douceur  et  ex- 
trême beauté,  s'en  estonnarent  fort;  car  jamais  on 
ne  la  vist  plus  belle,  aiant  une  couleur  aux  joues  qui 
l'embellissoit. 

Ainsy  Boccace  escript  de  Soplionisba*,  laquelle 
estant  en  son  adversité  après  la  prise  de  son  mary  et 
de  sa  ville,  et  parlant  à  Massinissa  :  «  Vous  eussiez 
H  dicl,  raconte-il,  que  son  propre  malheur  la  rendoit 
«  plus  belle;  et  luy  favorisoit  la  douceur  de  son  vi- 
ce sage,  pour  la  rendre  plus  désirable  et  agréable.  » 

Ces  commissaires  furent  grandement  esmeuz  à 
quelque  compassion.  Toutesfois,  ainsy  qu'elle  sortoit, 
ils  ne  voulurent  pas  permettre  à  ses  femmes  de  la 
suivre,  craignans  que,  pour  leurs  lamentations,  sous- 
'  pirs  et  haults  cris,  l'acte  de  l'exécution  en  fut  aucu- 
nement troublé;  mais  elle  leur  dict  :  «  Et  quoy  1 
«  messieurs,  me  voulez- vous  user  tant  de  rigueurs 


1 .  Voyez  Boccace,  De  Claris  mulieribus,  ch.  Lxvm  :  De  Sopho- 
nisba  résina  Numidia:. 


432  DES  DAMES. 

«  que  de  ne  permettre  seulement  ou  consentir  que 
«  mes  femmes  m'accompagnent  au  suplice?  Au  moins 
«  que  j'obtienne  ceste  faveur  de  vous  autres.  »  Ce 
îju'ils  luy  accordarent,  en  leur  promettant  qu'elle 
leur  imposeroit  silence  quand  ils  les  feroient  venir 
lorsqu'il  faudroit. 

[Le  lieu  de  l'exécution  estoit  dans  la  salle ,  au 
milieu  de  laquelle  on  avoit  dressé  un  eschaffaut  large 
de  douze  piedz  en  quarré,  et  hault  de  deux_,  tapissé 
de  mescbante  revesche  noire.  '] 

Elle  entra  donc  dans  ceste  salle,  avec  pareille  ma- 
jesté et  grâce  comme  si  elle  fût  entrée  dans  une  salle 
du  bal,  où  on  l'avoit  veue  d'autrefois  si  excellem- 
ment paroistre,  sans  jamais  changer  de  contenance. 
Et  ainsy  qu'elle  fut  auprès  de  l'eschaffaut^  elle  appella 
son  maistre  d'hostel  et  luy  dict  :  «  Aydez-moy  à 
«  monter;  c'est  le  dernier  office  que  je  recevray  de 
«  vous;  »  et  luy  réitéra  tout  ce  qu'elle  luy  avoit  dict 
en  sa  chambre  pour  dire  à  son  fils.  Puis,  estant  sur 
l'eschafl'aut_,  elle  demanda  son  aumosnier,  priant  les 
officiers  qui  estoient  là  de  permettre  qu'il  vinst;  [ce 
qui  luy  fut  refusé  tout  à  plat,  luy  disant  le  comte  de 
Kent,  qu'il  la  plaignoit  grandement  de  la  voir  ainsy 
adonnée  aux  superstitions  du  temps  passé ,  et  qu'il 
falloit  porter  la  croix  de  Christ  en  son  cœur  et  non 
en  la  main.  A  quoy  elle  fist  response  qu'il  estoit  mal 
aisé  de  porter  tel  et  si  beau  object  en  la  main,  sans 


\ .  Martyre,  p.  420.  «  La  revesche,  dit  le  Dictionnaire  de  Tré- 
voux, est  une  étoffe  de  laine  qui  n'est  point  croisée,  mais  qui  est 
une  espèce  de  frise  ou  de  ratine  frisée  à  poil  long  et  qui  est  moins 
serrée.  » 


LA   REYNE  D'ESCOSSE.  433 

que  le  cœur  en  fût  touché  de  quelque  esmotion 
et  souvenance;  que  la  chose  la  plus  séante  à  toute 
personne  chrestienne,  c'estoit  de  porter  la  vraye 
marque  de  sa  rédemption  lorsque  la  mort  la  mena- 
çoit.  Et,  voyant  qu'elle  ne  pouvoit  avoir  son  aumos- 
nier,  elle  pria  de  faire  venir  ses  femmes,  ainsy  qu'ils 
luy  avoient  promis;  ce  qu'ils  feirent  :  l'une  des- 
quelles, à  son  entrée  dans  la  salle,  appercevant  sa 
maistresse  sur  l'eschaffaut  en  tel  équipage  parmi  les 
bourreaux ,  ne  se  peut  engarder  de  crier,  gémir  et 
perdre  contenance;  mais  incontinent  la  reyne  luy 
aiant  faict  signe  du  doigt  contre  la  bouche,  elle  se 
se  retint  \] 

Sa  Majesté  alors  commancea  à  faire  des  protesta- 
tions que  jamais  elle  n'avoit  attenté  ny  à  Testât,  ny 
à  la  vie  de  la  reyne,  sa  bonne  sœur;  ouy  bien  d'avoir 
voulu  rechercher  sa  liberté,  comme  tous  captifs  sont 
obligez;  mais  qu'elle  voyoil  bien  que  la  cause  de  sa 
mort  estoit  la  relligion,  dont  elle  s'estimoit  très-heu- 
reuse de  terminer  sa  vie  pour  ce  subject;  et  prioit  la 
reyne  sa  bonne  sœur  d'avoir  pitié  de  ses  pauvres 
serviteurs  qu'elle  tenoit  captifs,  en  considération  de 
l'affliction  dont  ils  avoient  esté  meus  à  rechercher 
la  liberté  de  leur  maistresse,  puisqu'elle  en  devoit 
pâtir  pour  tous. 

On  luy  emmena  un  ministre  pour  l'exorter;  mais 
elle  luy  dict  en  anglois  :  «  Ah!  mon  amy,  donne- 
((  moy  patience;  »  [luy  déclarant  qu'elle  ne  vou- 
loit  communiquer  avec  luy,  ny  avoir  aucuns  propos 
avec  ceux  de  sa  secte,  et  qu'elle  estoit  apprestée  à 

i.  Martyre,  p.  421. 

vu  —  28 


434  DES  DAMES. 

mourir  sans  son  conseil,  et  que  telles  gens  que  luy 
ne  luy  pouvoient  apporter  aucune  consolation  ou 
contentement  d'esprit.  Ce  néantmoins,  voyant  qu'il 
continuoit  ses  prières  en  son  barragouin,  elle  ne 
laisse  de  dire  les  siennes  en  latin^  eslevant  sa  voix 
par  dessus  celle  du  ministre  ']  ;  et  puis  redit  qu'elle 
s'extimoit  [beaucoup  heureuse  de  respandre  la  der- 
nière goutte  de  son  sang  pour  sa  relligion,  plus  que 
de  vi\Te  si  longuement,  et  qu'elle  ne  pouvoit  atten- 
dre que  nature  parachevast  le  cours  ordonné  de 
sa  vie,  et  qu'elle  espéroit  tant  en  celuy  qui  estoit  re- 
présenté par  la  croix  qu'elle  tenoit  en  sa  main,  et 
devant  les  pieds  duquel  elle  se  prosternoit,  que  ceste 
mort  temporelle,  soufferte  pour  son  nom,  luy  seroit 
le  passage,  le  commancement  et  l'entrée  de  la  vie 
éternelle  avec  les  anges  et  les  âmes  bienheureuses, 
qui  recevroient  d'elle  son  sang,  et  la  représenleroient 
devant  Dieu  en  dévotion  de  toutes  ses  offenses,  les 
priant  de  luy  estre  intercesseurs  pour  obtenir  pardon 
de  grâce.] 

[Telles  estoient  ses  prières ,  estant  à  genoux  sur 
l'eschafïaut,  lesquelles  elle  faisoit  d'un  cœur  fort  ar- 
dent, y  adjoustant  plusieurs  autres  pour  le  pape,  les 
roys  de  France,  d'Espaigne,  et  mesmes  pour  la  reyne 
d'Angleterre,  priant  Dieu  la  vouloir  illuminer^  de 
son  sainct  esprit  ']  ;  pria  aussi  pour  son  fils,  et  pour 
l'isle  de  la  Bretagne  et  d'Escosse,  pour  les  vouloir 
convertir. 

Cela  faict,  elle  appella  ses  femmes  pour  luy  aider 


1.  Martyre,  p.  425. 

2.  11  y  a  enluminer  dans  la  relation.  —   3.  Martyre^  p.  424. 


LA  REYNE  D'ESCOSSE.  435 

à  oster  son  voyle  noir,  sa  coifFure  et  ses  autres  orne- 
mens;  et  ainsy  que  le   bourreau  y  vouloit   toucher, 
elle  luy  dict  :  «  Ha!  monamy,  ne  me  touche  point,  m 
P"outesfois,  elle  ne  peut  engarder  qu'il  n'y  touchast; 
car  après  qu'on  eut  abbaissé  sa  robbe  jusques  à  la 
ceinture,  ce  villain  la  tira  par  le  bras  assez  lourde- 
ment, et  luy  osta  son  pourpoint.  Son  corps  de  cotte 
avoit  le  collet  bas,  de  manière  que   son    col   et  sa 
belle  gorge,   plus    blanche  qu'albastre,  paroissoient 
nuds  et  découverts.  Elle-mesme  s'accommoda  le  plus 
dilligemment  qu'elle  pouvoit,  disant  qu'elle  n'estoit 
pas  accoustumée  de  se  despouiller  devant  le  monde, 
ny  en  si  grand'  compagnie  (on  dict  qu'il  y  pouvoit 
bien  avoir  quatre  à  cinq  cens  personnes),  ne  se  ser- 
vir de  tels  vallets  de  chambre.] 

[Le  bourreau  se  mist  à  genoux  et  luy  demanda 
pardon,  à  quoy  elle  dict  qu'elle  luy  pardonnoit,  et  à 
tous  ceux  qui  estoient  autheurs  de  sa  mort,  d'aussi 
bon  cœur  qu'elle  désiroit  ses  péchez  luy  estre  par- 
donnez de  Dieu\] 

Puis  elle  dict  à  sa  femme  à  qui  elle  avoit  donné 
auparavant  le  mouchoir,  qu'elle  luy  portast  ledict 
mouchouer. 

[Elle  portoit  une  croix  d'or,  où  il  y  avoit  du 
bois  de  la  vraye  croix*  avec  l'image  de  Nostre-Sei- 
gneur,  qu'elle  vouloit  bailler  à  l'une  de  ses  damoi- 
selles;  mais  le  bourreau  l'en  empescha,  nonobstant 
que   Sa  Majesté   l'eusl  prié    de  ce  faire,    luy  pro- 


1.  Martyre,  p.  423. 

2 .  Les  mots  où  il  y  avoit  du  bois  de  la  vraye  croix  ne  se  trou- 
vent point  dans  la  relation. 


436  DES  DAMES. 

metlaiit  que  la  damoiselle  luy  payeroit  trois  fois  la 

valeur.] 

[Ainsy  s'eslant  toute  aprestée,  après  avoir  baisé 
les  damoiselles,  elle  leur  donna  congé  de  se  retirer 
avec  sa  bénédiction,  leur  faisant  le  signe  de  la  croix 
sur  elles.  Et,  voyant  que  l'une  des  deux  ne  se  pou- 
voit  contenir  de  plorer,  elle  luy  imposa  silence,  di- 
sant qu'elle  s'cstoit  obligée  de  promesse  qu'elles  ne 
feroient  aucun  trouble  par  leurs  pleurs  et  gémisse- 
mens,  leur  commandant  de  se  retirer  doucement,  de 
prier  Dieu  pour  elle,  et  porter  bon  et  ifidelle  tesmoi- 
gnage  de  sa  mort  en  la  relligion  ancienne,  saincte  et 
catholique.] 

[L'une  des  deux  luy  aiant  bandé  les  yeux  avec 
son  mouchouer,  incontinent  elle  se  jetta  à  genoux  de 
grand  courage,  sans  donner  la  moindre  démonstra- 
tion ou  signe  d'aucune  crainte  de  la  mort.  Sa  con- 
stance estoit  telle,  que  toute  l'assistance,  mesmes  ses 
ennemis,  furent  esmeus;  et  n'y  eust  pas  quatre  per- 
sonnes qui  se  peurent  garder  de  plorer,  tant  ils  trou- 
varent  ce  spectacle  estrange,  se  condamnans  eux- 
mesmes  en  leur  conscience  d'une  telle  injustice  \] 

[Et  parce  que  le  bourreau,  ou  plustost  ministre 
de  Satlian  ^  l'importunoit,  luy  voulant  tuer  l'âme 
avecques  le  corps,  et  la  troubloit  en  ses  prières,  en 
haussant  sa  voix  pour  le  surmonter,  elle  dict  en  latin 
le  pseaume.  In  te,  Domine,  spera^i:  non  confiuidar  in 
œternum,    lequel   elle    récita    tout  au   long.    Aiant 


1.  Martyre,  p.  426-27. 

2.  Il  y  a  seulement  dans  la  relation  :  Et  parce  que  le  ministre 
de  Sathan. 


I 


LA   REYNE   D'ESCOSSE.  437 

aclievé,  se  mist  la  teste  sur  le  billot  ;  et,  comme  elle 
répétoit  de  rechef,  In  ma  nus  tuas.  Domine,  commen- 
do  spiritum  meum  ^  le  bourreau  lui  bailla  un  grand 
coup  de  hache,  dont  il  luy  enfoncea  ses  altiffets  dans 
la  teste,  laquelle  il  n'emporta  qu'au  Iroisiesme  coup, 
pour  rendre  le  martyre  plus  grand  et  plus  illustre, 
combien  que  ce  n'est  pas  la  peine  mais  la  cause  qui 
faict  le  martyre.] 

[Ce  faict,  il  prend  la  teste  en  la  main,  et  la  mons- 
trant  au\  assistans,  dit  :  «  Dieu  sauve  la  reyne  Eli- 
«  sabeth  !  Ainsy  adviène  aux  ennemis  de  l'Evangille!  » 
Et,  en  ce  disant,  la  descoifla,  par  manière  de  mes- 
pris,  affin  de  monstrer  ses  cheveux  desjà  blancs',] 
qu'elle  ne  craignoit  pourtant,  estant  en  vie,  de  les 
monstrer,  ny  se  les  tordre  et  friser,  comme  quand 
elle  les  avoit  si  beaux,  si  blonds  et  cendrez;  car- ce 
n'estoit  pas  la  vieillesse  qui  les  avoit  ainsy  rendus 
changez  en  l'aage  de  trente-cinq  ans,  et  n'aiant  pas 
quasi  quarante  ans*;  mais  c'estoient  les  ennuits,  tris- 
tesses et  maux  qu'elle  avoit  endurez  en  son  royaume 
et  en  sa  prison. 

[Cette  malheureuse  tragédie  finie,  ces  pauvres  da- 
moiselles,  curieuses  de  l'honneur  de  leur  maistresse, 
s'addressarent  à  Paulet,  son  gardien,  et  le  priarent 
que  le  bourreau  ne  touchast  plus  au  corps  de  leur 
maistresse,  et  qu'il  leur  fût  permis  de  la  despouiller, 
après  que  le  monde  seroit  retiré,  afin  qu'aucune  indi- 
gnité ne  fust  faicte  au  corps,  promettant  de  luy  ren- 
dre la  despouille  et  tout  ce  qu'il  pourroit  avoir  et 
demander  ;   mais    ce  maudit  les  renvoia  fort  lour- 

\.  Martyre^  p.  428.  —  2.  Elle  avait  quarante-quatre  ans. 


438  DES  DAMES. 

dément,   leur    commandant    de    sortir  hors   de    la 
salle.] 

[Cependant  le  bourreau  la  deschaussa  et  la  ma- 
nia à  sa  discrétion  *.]  On  double  s'il  luy  en  fist  de 
mesme  comme  ce  misérable  muletier  fist,  dans  les 
Cent  Nouvelles  de  la  reyne  de  Navarre  ^,  à  l'en- 
droict  de  ceste  pauvre  femme  qu'il  tua.  Il  arrive 
des  tentations  aux  hommes  plus  estranges  que 
celles-là. 

[Après  qu'il  heut  faict  ce  qu'il  vouloit ,  le  corps 
fut  porté  en  une  chambre  joignante  celle  de  ses  ser- 
viteurs, bien  fermée,  de  peur  qu'ils  n'y  entrassent 
pour  luy  faire  aucun  pie  et  bon  office  :  ce  qui 
leur  augmenta  et  doubla  leur  ennui  ;  car  ils  la 
voyoient  par  un  trou  au  travers,  à  demy  couverte 
d'un  morceau  de  drap  de  bure  qu'on  avoit  arraché 
de  la  table  du  jeu  de  son  billard  ^]  Quelle  mœqua- 
niqueté*,  voire  animosité  et  indignité,  de  ne  luy  en 
avoir  voulu  achepter  ung  noir  un  peu  plus  digne 
d'elle  ! 

[Ce  pauvre  corps  y  fut  assez  longtemps  en  ceste 
sorte,  jusques  à  ce  qu'il  commança  à  se  corrompre, 
qu'enfin,  ils  furent  contraincts  de  le  saller  et  embau- 
mer à  la  légière,  pour  espargner  les  frais;  et  puis  le 
mirent  en  un  coffre  de  plomb,  où  il  fut  gardé  sept 
mois,  et  puis  porté  en  terre  proffane  du  temple  de 

1.  Martyre,  p.  429. 

2.  Voyez  la  seconde  Nouvelle  de  la  première  Journée. 

3.  Martyre,  p,  430. 

4.  Mxquani quêté ,  vilenie.  Je  n'ai  trouvé  ce  mot  que  dans  le 
dictionnaire  français- anglais  de  Cotgrave  (16U},  où  il  est  écrit 
mécaniqueté . 


LA   REYNE  D'ESCOSSE.  439 

Petersbroiich*.  Vray  est  que  caste  église  est  dédiée 
soubz  le  nom  de  Sainct  Pierre,  et  la  reyne  Catheriue 
d'Espagne*  y  est  enterrée  à  la  catholique;  mais  elle  est 
aujourd'huy  profane,  comme  sont  toutes  les  églises 
d'Angleterre  '.] 

Il  y  en  a  qui  ont  dict  et  escript,  mesmes  des  An- 
glois  qui  ont  faict  un  livre  de  ceste  mort  et  de  ses 
causes  :  [que  la  dcspouille  de  la  revue  morte  fut  os- 
tée  au  bourreau,  en  luy  payant  la  valeur  en  argent  de 
ses  habits  et  ornemens  royaux  *.] 

Aucuns  Espaignols  en  firent  de  mesmes  lorsqu'ils 
firent  mourir  Francisque  Pizarre,  ainsi  que  j'ay  dict 
en  quelque  part,  parlant  de  luy^ 

[La  revesclie,  dont  l'eschaflaut  estoit  couvert, 
mesmes  les  aisses*  d'iceluy,  le  pavé  de  la  maison  et 
toutes  autres  choses  arrousées  de  son  sang,  furent  in- 
continent, une  partie  bruslez,  une  partie  lavez,  de 
peur  qu'au  temps  advenir  ils  ne  servissent  à  super- 
stition, c'est  à  dire,  de  peur  qu'aucuns  catholiques 
songneux  ne  les  vinssent  un  jour  à  achepter  ou  re- 
cuillir  avec  respect,  et  honneur  et  révérence  (quelle 
crainte,  qui  pourra  servir  possible  de  prophétie  et 
augure!),  comme  les  bons  pères  anciens  avoient  de 
coustume  de  garder  les  reliques,  et  observer  avec  dé- 
votion les  monumens  des  martirs.  Ce  n'est  pas  de 
ce  temps  que  les  hérétiques  ont  ainsy  faict  :  Qui  om- 
nia   qiias    martjrum  erant,    cremabant,   comme  dit 


\.  Petersborough. 

2.  Catherine  d'Aragon,  première  femme  de  Henri  VIII. 

3.  Martyre,  p.  430.  —  4.   Ibid.,  p.  432. 

f>.  Voyez  plus  haut,  p.  97-98.  —  fi.  Aisses,  ais.        • 


440  DES   DAMES. 

Eusèbe,  et  cineres  in  Rhodanum  spargebant,  ut  cum 
corporibus  interiret  eorum  qnoqiie  memoria  '.  Mais 
pourtant  la  mémoire  de  ceste  reyne ,  en  despit  de 
toutes  choses,  vivra  à  jamais  en  gloire  et  en  trium- 
phe  \] 

Voylà  enfin  le  discours  de  sa  mort,  que  je  tiens 
par  le  rapport  de  deux  damoiselles  précédentes,  bien 
honnestes  certes  et  bien  fidelles  à  leur  maistresse,  et 
obéissantes  à  son  commandement,  pour  avoir  porté 
tesmoignage  de  sa  constance  et  de  sa  relligion.  Elles 
s'en  retournarent  en  France  après  l'avoir  perdue, 
car  elles  estoient  françoises  :  dont  l'une  estoit  fille  de 
madamoiselle  de  Raré^,  que  j'avois  veu  en  France 
l'une  des  dames  de  ladicte  reyne.  Je  pense  que  ces 
deux  honnestes  damoiselles  eussent  faict  plorer  les 
plus  barbares  à  les  ouir  faire  si  piteux  conte,  qu'elles 
rendoient  du  tout  lamentable  et  par  les  pleurs  et  par 
leurs  douces,  dolentes  et  belles  parolles. 

J'en  ay  appris  aussi  beaucoup  d'un  livre  qui  a 
esté  faict  et  imprimé,  qui  s'intitule  :  Le  Martjre  de 
reyne  d^Escosse,  duuairière  de  France  *.  Hélas  !  pour 
avoir  esté  notre  reyne,  cela  ne  luy  a  guières  servi.  Il 
me  semble  que,  pour  avoir  esté  telle,   on  debvoit 


1.  Qui  brûlaient  tout  ce  qui  appartenait  aux  martyrs,  et  en 
jetaient  les  cendres  dans  le  Rhôue  ,  afin  qu'avec  leur  corps  périt 
aussi  leur  mémoire. 

2.  Martyre,  p.  433. 

3.  C'est  probablement  elle  qui,  dans  un  inventaire  des  objets 
appartenant  à  Marie  et  trouvés  après  sa  mort  entre  les  mains  de 
ses  serviteurs,  est  désignée  ainsi  :  Renée  Rallay,  alias  Beaure- 
gard.  (Voyez  Labanoff,  t.  VII,  p.  259,  265,  268,  270,  272.) 

4.  Voyez  plus  haut,  p.  425,  note  1. 


LA   REYNE   D'ESCOSSE.  4'ii 

craindre  à  la  faire  mourir  de  peur  de  la  vengeance  :  et 
y  eut-on  songé  cent  fois  avant  que  venir  là,  si  nos- 
tre  roy  en  eust  bien  voulu  prendre  l'affirmative  ;  mais, 
d'autant  qu'alors  il  hayssoit  messieurs  de  Guise  ses 
cousins,  il  s'en  soucia  fort  peu,  que  par  manière 
d'acquit.  Hélas  !  qu'en  pouvoit  mais  la  pauvi^e  inno- 
cente? Voilà  ce  qu'en  disoient  aucuns. 

D'autres  disent  et  asseurent  qu'il  s'en  formalisa 
fort.  Comme  de  vray  il  envoya  à  la  reyne  d'Angle- 
terre M.  de  Bellièvre,  l'un  des  grands  et  prudens 
sénateurs  de  France,  et  des  plus  suffisans,  qui  n'y 
faillist  d'y  apporter  toutes  ses  raisons,  prières  de  son 
roy,  et  menaces,  et  tout  ce  qu'il  peut,  et  entre  autres 
de  luy  alléguer  qu'il  n'appartenoit  à  un  roy  ou  à  un 
souverain  de  faire  mourir  un  autre  roy  ou  un  autre 
souverain,  sur  lequel  il  ne  pouvoit  avoir  aucune 
puissance,  ny  de  Dieu  ny  des  hommes  :  dont  sur  ce 
lui  allégua  d'un  visage  courroucé  l'histoire  de  Corra- 
din,  mort  et  exécuté  à  Naples;  menaçant  ladicte 
reyne  d'une  prophétie  de  vengeance,  comme  à  l'au- 
tre qui  fît  faire  l'exécution  '  :  et  d'autant  que  l'his- 
toire est  à  propos,  piteuse,  et  quasi  semblable  à  celle 
de  nostre  reyne  ;  et  pour  mieux  l'estendre  je  suis 
esté  d'avis  de  la  mettre  icy  par  escript  \ 

Conrradin  donc  de  Suève',  jeune  gentilhomme  qui 
fut  fils  d'Henry,  aisné  fils  de  Fédéric  n%  passa  en 

1.  Voyez  le  discours  de  Bellièvre  à  Elisabeth,  dans  de  Thou, 
Uv.  LXXXVI. 

2.  Tout  ce  qui  suit  jusqu'à  la  page  447  est  tiré  des  livres  IV 
et  V  de  CoUenuccio,  et  là,  comme  ailleurs,  Brantôme  s'est  servi 
de  la  traduction  de  Sauvage. 

3.  De  Suève,  de  la  maison  de  Souabe. 


442  DES   DAMES. 

Italie,  accompaigné  d'un  sien  parent  de  son  aage, 
duc  d'Austrie,  et  avec  une  fort  grosse  armée  d'Alle- 
mands et  autres,  cuydant  recouvrer  Naples  et  Sicille, 
qu'il  prétendoit  luy  appartenir  par  la  succession  de  son 
ayeul  et  de  ses  oncles;  et,  de  faict,  mist  aucunement 
Charles,  duc  d'Anjou,  premier  roy  de  Naples,  pour 
lors  paisible,  en  danger  de  le  perdre;  mais  il  vint  à 
perdre  la  bataille;  et,  ses  gens  defFaicts,  fut  pris  avec 
sondict  parent  (je  ne  diray  la  façon,  ne  servant  à 
nostre  propos),  et  menez  devant  le  roy  Charles,  qui 
les  fit  très-bien  garder  prisonniers  l'espace  d'un  an, 
au  bout  duquel,  au  vingt  sixiesme  d'octobre  ',  l'on 
estendit  des  couvertures  de  velours  cramoisy  au  mi- 
lieu du  marché  de  Naples,  au  lieu  où  fut  mise  despuis 
une  colonne  dans  l'église  des  Carmes,  que  la  mère  de 
Conrradin  fit  bastir  despuis.  Et  furent  emmenez  sur  les 
couvertures  estendues  Conrradin  et  le  duc  d'Austrie 
et  autres ,  en  grand'  presse  de  peuple ,  non  seule- 
ment de  François  et  de  Néapolitains,  mais  de  toutes 
les  villes  voisines,  qui  estoient  accourues  à  si  cruel 
spectacle;  lequel  aussi  le  roy  Charles  vist  combien 
qu'il  fut  en  une  tour  assez  loing  de  là,  regardant 
tout  ce  qui  s'y  faisoit. 

Quand  ils  furent  venus,  maistre  Robert  de  Barry, 
premier  greffier  du  roy  Charles,  monta  sur  un  per- 
ron que  l'on  avoit  dressé  tout  exprès,  et  leust  la  sen- 
tence de  mort  contre  les  susdicts,  pour  avoir  troublé 
la  paix  de  l'Église,  avoir  faucement  usurpé  le  nom 
de  roy,  voulu  occuper  et  attenter  contre  la  per- 
sonne du  roy  mesmes.  A  quoy  Conrradin  dit  en  lan- 

1.  1268. 


LA  REYNE   D'ESCOSSE.  443 

gue  latine  à  celui  qui  la  prononcea ,  la  valeur  de 
telles  parolles  :  «  Thraistre,  paillard,  meschant,  tu  as 
«  condamné  le  fils  du  roy.  Et  ne  sçais-tu  pas  qu'un 
«  pareil  sur  son  pareil  n'a  point  de  commandement 
«  ny  de  puissance,  et  ne  le  peut  condemner  à  la 
«  mort  ?  » 

Puis,  il  nia  qu'il  eust  voulu  offenser  l'Église,  mais 
seulement  conquester  le  royaume  qui  luy  apparte- 
noit,  et  qu'on  luy  retenoit  à  tort,  mais  qu'il  espéroit 
qu'on  vengeroit  sa  mort  :  et,  tirant  un  gand  de  sa 
main,  le  jetta  vers  le  peuple  comme  un  signe  d'inves- 
titure, mais  plustost  de  vengeance,  disant  qu'il  lais- 
soit  son  héritier  dom  Frédéric  de  Castille,  filz  de  sa 
tante.  Cedict  gand  fut  recuilly  d'un  chevalier,  et  des- 
puis porté  au  roy  Pierre  d'Arragon. 

Cela  faict,  le  premier  fust  le  duc  d'Austrie  à  qui  la 
teste  fut  tranchée  ;  laquelle,  toute  séparée  du  corps, 
cria  par  deux  fois  :  Maria.  Et  Conrradin  l'ayant  prinse, 
la  baisa  tendrement,  et,  la  sarrant  auprès  de  sa  poic- 
trine,  pleura  le  malheur  de  son  compaignon,  s'accu- 
sant  soy-mesmes  qu'il  avoit  esté  occasion  de  sa  mort, 
l'aiant  tiré  d'avecques  sa  mère,  et  emmené  avec  soy  à 
si  cruelle  fortune.  Puis  se  mist  à  genoux,  les  mains 
levées  au  ciel  et  les  yeux,  demandant  pardon  :  et, 
sur  ce  point,  l'exécuteur  de  tel  office  luy  fit  voiler 
la  teste,  et  à  d'autres  après.  Et,  à  ce  ministre  bour- 
reau ung  autre,  pour  cela  appareillé,  fist  le  sembla- 
ble qu'il  avoit  faict  aux  autres,  luy  coupant  inconti- 
nant  la  teste,  afin  qu'il  ne  se  peut  jamais  vanter 
d'avoir  espandu  si  noble  sang. 

Les  corps  sans  teste  demeurarent  sur  terre  long- 
temps, et  ne  fut  homme  si  hardy  d'y  toucher,  jusques 


444  DES  DAMES. 

à  tant  que  Charles  eust  commandé  qu'ils  fussent  en- 
sepvelis. 

Telle  fut  la  fin  misérable  de  ce  jeune  prince 
Conrradin^  plaint  et  pleuré  de  tous  ceux  qui  le  virent 
mourir. 

Plusieurs  qui  escrivoient  de  ce  temps,  ce  dict  l'his- 
toire, blasmarent  fort  le  jugement  de  Charles  pour 
l'avoir  faict  mourir,  ne  leur  semblant-  point  chose 
royalle  et  crestienne  d'user  de  la  cruauté  envers  un 
tel  seigneur,  et  de  tel  aage  et  de  telle  noblesse  et  for- 
tune, d'autant  que  c'est  chose  autant  belle  ethonno- 
rable  de  garder  les  grands  seigneurs  comme  de  les 
vaincre,  et  qu'après  la  victoire  on  doibt  mettre  l'es- 
pée  bas  et  ne  l'arrouser  plus  de  sang  vaincu,  et  prin- 
cipallement  chrestien  ;  et,  qui  pis  est,  luy,  aiant  esté 
pris  devant  Damiette  par  les  Sarrazins,  avec  le  roy 
sainct  Louys  son  frère,  furent  royallement  traictez, 
royallement  tenus  et  royallement  relaschez  en  paiant 
rançon. 

Aussi  le  roy  Pierre  d'Arragon,  le  reprochant  au- 
dict  roy  Charles  par  une  lettre,  pource  qu'il  n'avoit 
pas  gardé  telle  raison  envers  Conrradin  que  les 
Sarrazins  envers  luy,  entre  autres  parolles  luy  dit 
ainsy  :  Tu  Nerone  Neronior,  ei  Sarrncenis  crudelior  : 
«  Tu  es  plus  Néron  que  Néron,  et  plus  cruel  que  les 
«  Sarrazins.  » 

Aussi  Robert,  comte  de  Flandres,  son  gendre*, 
prist  si  grand  desplaisir  à  ceste  mort,  que,  plain 
d'une  noble  collère,  transperça  d'un  coup  d'estoc  et 

1 .  Robert  III  de  Béthune,  comte  de  Flandre,  qui  avait  épousé 
Blanche,  fille  de  Charles  d'Anjou. 


LA  REYINE  D'ESCOSSE.  445 

tua  celuy  qui  leust  Ja  sentence,  luy  semblant  celuy 
n'estre  pas  digne  de  vivre,  qui,  estant  de  très-basse 
race,  avoit  esté  si  hardy  de  lire  une  sentence  de  mort 
contre  un  prince  do  si  hault  lignage. 

Or,  pour  la  vengeance  de  ceste  mort  et  supplice, 
au  bout  de  quelque  temps,  ainsy  que  le  roy  Charles 
estoit  venu  à  Bourdeaux  pour  se  trouver  au  combat 
assigné  et  compromis  entre  luy  et  le  roy  Pierre,  son 
fils  unique  Charles,  prince  de  Sallerne,  vint  à  estre 
pris  en  ung  combat  de  mer  fort  malheureusement, 
et  contre  le  commandement  de  son  père  qui'  luy 
avoit  faict  exprès  de  ne  venir  aux  mains  nullement, 
et  toute  sa  fleur  de  noblesse  françoise  prise  etdéfaicte 
par  Rogier  de  Loria,  Callabrois,  et  admirai  du  roy 
Pierre*;  dont,  par  un  coup,  furent  les  testes  tran- 
chées en  Scicille,  à  Messine,  à  plus  de  deux  cens 
gentilshommes  et  barons  françois,  et  tout  pour  la 
vengeance  de  Conrradin. 

En  partie  le  royaume  se  vint  à  révolter,  mesmes  la 
ville  de  Naples,  sur  lequel  piteux  jeu  arriva  Charles, 
qui,  venant^  mallade  de  tristesse,  despit  et  mélancolie, 
passa  de  cette  vie  en  l'autre,  ayant  régné  dix  neuf 
ans  assez  paisil)lement,  et  n'ayant  que  cinquante  six 
ans*  :  laquelle  mort  aiant  esté  sceue  par  les  Sciciliens, 
courrent  à  la  prison  où  étoit  le  reste  des  pauvres 
François  pris  par  cest  admirai  Rogier  de  Loria,  pour 
les  tuer  et  massacrer  tous;  mais  parce  que,  tous  cap- 
tifs qu'ils  estoient,  se  deffendirent  vaillamment,  pour 


1.  Qui,  qu'il.  —  -2.  Le  23  juin  1284. 

3.  Venant,  devenant. 

4.  Le  7  janvier  l28o.  Il  avait  soixante-cinq  ans. 


446  DES   DAMES. 

avoir  plustosl  faict  et  s'oster  du  danger,  mirent  le 
feu  aux  prisons,  et  les  bruslarent  tous  en  vie.  Voyez 
quelle  vengeance  !  Puis  assemblarent  tous  les  sindics 
de  toutes  les  villes  de  Sicille,  pour  juger  Charles, 
prince  de  Sallerne,  en  ensuivant  la  manière  de  faire 
du  roy  Charles,  son  père,  quand  il  jugea  Coniradin; 
et  tous,  d'un  commun  accord,  le  jugearent  et  con- 
damnèrent d'avoir  la  teste  trenchée,  comme  son  père 
avoit  condamné  Conrradin. 

Estant  ce  jugement  ainsi  donné,  la  reyne  Con- 
stance^, par  un  vendredy  matin,  envoya  signifier  la 
mort  au  jeune  prince,  le  faisant  advertir  qu'il  pour- 
veut  au  salut  de  son  ame,  parce  qu'il  falloit  qu'il  re- 
ceust  la  mort  ce  jour  là  comme  Conrradin.  A  quoy 
le  prince  respondit  par  telles  paroles  :  «  Je  suis  con- 
te tenl  de  prendre  en  patience  de  bon  cœur  ceste 
a  mort,  me  souvenant  qu'à  tel  jour  qu'aujourd'hui 
«  Nostre-Seigneur  Jésus-Christ  aussi  receut  sa  mort 
«   et  passion.  » 

Quand  la  reyne  eut  entendu  qu'il  avoit  faict  ceste 
responce,  elle,  qui  estoit  bonne  chrestienne,  dévote, 
sage  et  modeste  dame,  dict  ainsy  :  «  Puisque  le 
«  prince,  pour  le  regard  de  ce  jour,  veut  prendre  la 
a  mort  si  doucement  et  si  patiemment,  j'ay  aussi  dé- 
«  libéré,  en  l'honneur  d'icelluy  qui  à  tel  jour  souffrit 
«  mort  et  passion,  luy  estre  miséricordieuse  comme 
«  il  nous  le  fust  aussi  ;  «  et,  cela  dict,  commanda 
qu'il  fût  gardé  sans  qu'on  luy  fist  aucun  desplaisir. 
Et,  pour  contenter  le  peuple  qui  requéroit  sa  mort, 

1.  Constance,  reine  de  Sicile,  fille  de  Mainfroi  et  femme  (1261) 
de  Pierre  d'Aragon. 


LA  REYNE  D'ESCOSSE,  4^*7 

à  tous  elle  leur  fist  entendre  qu'en  chose  de  telle  im- 
portance, de  laquelle  pourroit  sortir  plusieurs  scan- 
dalles,  il  ne  falloit  faire  aucune  délibération  sans  le 
sceu  du  roy  Pierre;  et  ainsi  commanda  que  le  jeune 
prince  fust  mené  en  Cathalongne  en  toute  seureté  (ce 
qui  fut  faict,  et  laissé  à  l'advis  et  jugement  du  roy 
Pierrej  ;  qui  despuis,  après  quatre  ans  avoir  demeuré 
prisonnier,  fut  délivré  à  la  mode  que  dict  l'his- 
toire. 

Cest  acte  n'apporta  pas  moins  de  louange  à  ceste 
sage  et  pitoiable  reyne,  usant  de  ceste  douceur  et 
piété,  que  d'infamie,  dict  l'histoire,  au  roy  Charles, 
pour  s'estre  baigné  trop  cruellement  dans  le  sang  in- 
nocent du  jeune  et  royal  enfant,  suivant  son  appétit 
désordonné. 

Voilà  l'histoire  de  Conrradin,  sur  laquelle  je  n'ay 
veu  guières  personnes  généreuses  qui  n'aient  dict  que 
la  reyne  d'Angleterre  eust  acquis  une  gloire  immor- 
telle, si  elle  eust  usé  de  miséricorde  à  l'endroict  de 
la  reyne  d'Escosse,  en  imitant  ceste  bonne  reyne 
Constance  ;  et  aussi  qu'elle  ne  seroit  exempte  de 
courir  la  fortune  de  la  vengeance  qui  l'attend,  quoy 
qu'il  tarde,  pour  un  tel  saug  innocent  respandu  qui 
la  crie  là  hault. 

On  dict  que  la  dicte  reyne  angloise  fut  sage  et  ad- 
visée  en  cela  :  car,  non  seulement  elle  en  voulut  pas- 
ser par  l'advis  de  ceux  de  son  royaume,  mais  de 
plusieurs  grands  princes  et  seigneurs  protestans,  tant 
d'Allemagne  que  de  France,  comme  le  feu  prince  de 
Condé  et  Cazimir,  morts  peu  après,  et  le  prince  d'O- 
range et  autres,  qui  signarent  ceste  mort  violante,  et 
d'autres  qui  n'attendent  pas  de  moins;  car  ils  en 


448  DES  DAMES. 

sentent  la  conscience  chargée,  puisque  cela  ne  leur 
touchoit  en  rien,  et  ne  venoit  en  aucun  advantage, 
ne  le  faisant  que  pour  plaire  à  ladicte  reyne, 
mais,  tant  s'en  faut,  leur  portoit  un  préjudice  inex- 
timable. 

On  dict  aussi  que  ladite  reyne  Élizubeth^  quand 
elle  envoya  signifiier  ceste  triste  sentence  à  la  pauvre 
reyne  Marie,  que  celui  qui  luy  en  porta  la  parolle 
lasseura  que  c'esloit  à  son  grand  et  triste  regret, 
mais  par  la  contrainte  de  ses  estats,  qui  l'en  avoient 
pressée,  elle  respondit  :  «  Elle  a  bien  plus  de  puis- 
«  sance  que  cela  pour  les  rendre  obéissans  à  ses  vo- 
«  lontez  quand  il  luy  plaist,  car  c'est  la  princesse, 
«  voyre  le  prince,  qui  se  faict  autant  craindre  et  ré- 
M  vérer.  » 

Or,  je  m'en  rapporte  à  la  vérité  du  tout,  que  le 
temps  révellera .  Cependant  la  reyne  morte  vivra  glo- 
rieuse, et  en  ce  monde  et  en  l'autre,  jusques  à  ce 
qu'il  vienne  d'icy  à  quelques  années  quelque  bon 
pape  qui  la  canonise  pour  le  martyre  qu'elle  a  souffert 
en  l'honneur  de  Dieu  et  de  sa  loy. 

Il  ne  fault  doubter  que  si  ce  grand,  vaillant  et  gé- 
néreux prince,  feu  M.  de  Guise  dernier,  ne  fust 
mort,  que  la  vengeance  d'une  si  noble  reyne  et  cou- 
sine ainsy  morte  ne  seroit  maintenant  à  naistre.  Or 
c'est  assez  parlé  d'un  subject  si  pitoyable,  par  quoy 
je  fais  fin. 

Ceste  reyne,  qui  fut  en  beauté  non  semblable. 
,    Fut  par  trop  d'injustice  exécutée  à  mort, 
Pour  soustenir  sa  foy  d'un  cœur  inviolable. 
Se  peut-il  faire  donc  qu'on  n'en  venge  le  tort.-* 


LA   REYNE   D'ESCOSSE.  iiU9 

Il  y  en  a  eu  un  qui  avoit  faict  son  tombeau  en  vers 
latins,  dont  la  substance  estoit  telle  :  «  Nature  avoit 
produiot  cestc  reyne  pour  estre  veue  de  tout  le 
monde;  aussi  a-elle  esté  veue  en  grande  admiration 
pour  sa  beauté  et  ses  vertus,  tant  qu'elle  a  veseu  : 
mais  l'Angleterre,  y  portant  envie,  la  mist  sur  un  es- 
chafTaut,  pour  estre  veue  en  dérision,  qui  pourtant  a 
esté  bien  trompée,  car  telle  veue  luy  a  tourné  à 
louange  et  admiration  envers  le  monde,  et  gloire  et 
grâce  envers  Dieu.  » 

Si  faut-il,  advant  que  je  finisse,  que  je  die  encores 
cecy  pour  response  à  aucuns  que  j'ay  veu  parler  mal 
de  la  mort  de  Chastellard,  que  la  reyne  fist  exécuter 
en  Escosse,  et  l'en  taxer,  voire  estre  si  malheureux 
de  tenir  que,  par  vengeance  divine,  elle  avoit  juste- 
ment pâty  comme  elle  avoit  faict  pâtir  autruy.  Il 
faudroit  donc  à  ce  conte  qu'il  n'y  eust  nullement  de 
justice,  et  qu'il  n'en  faut  jamais  faire  :  et  qui  en  sçait 
l'histoire  n'en  blasmera  nullement  nostre  dicte 
reyne  ;  et,  pour  ce,  je  la  vois  raconter  pour  sa  justiffi- 
cation. 

Ce  Chastellard  donc  fut  un  gentilhomme  de  Dau- 
phiné,  de  bon  lieu  et  de  bonne  part,  car  il  fut  petit 
nepveu,  du  costé  de  la  mère,  de  ce  brave  M.  de 
Bayard  ;  aussi  disoit-on  qu'il  luy  ressembloit  de 
taille,  car  il  l'avoit  moyenne  et  très-belle,  et  me- 
grelline,  ainsy  qu'on  disoit  M.  de  Bayard  l'avoit.  Il 
estoit  fort  adroict  aux  armes  et  dispost  en  toutes 
choses  et  à  tous  honnestes  exercices,  comme  à  tirer 
des  armes,  à  jouer  à  la  paume,  à  sauter  et  à  danser. 
Bref,  il  estoit  gentilhomme  très  accomply;  et,  quand 
à  l'âme,  il  l'avoit  aussi  très-belle,  car  il  parloit  très- 
vu  —  29 


450  DES  DAMES. 

bien,  et  mettoit  par  escrist  des  mieux,  et  mesmes  en 
ritme,  aussi  bien  que  gentilhomme  de  France,  usant 
d'une  poésie  fort  douce  et  gentille,  en  cavalier. 

Il  suivoit  M.  d'Anville,  ainsy  nommé  de  ce  temps, 
aujourd'huy  M.  le  connestable  :  et  lorsque  nous  fus- 
mes  avec  M.  le  grand  prieur,  de  la  maison  de  Lor- 
raine, et  luy,  conduire  ladicte  reyne,  ledict  Chastel- 
lard  fut  avec  luy,  qui  en  ceste  compaignie  se  fist 
cognoistre  à  la  reyne  ce  qu'il  estoit  en  toutes  ces  gen- 
tilles actions,  et  surtout  en  ses  rithmes  ;  et  entre  au- 
tres il  en  fist  une  d'elle  sur  une  traduction  en  italien, 
car  il  le  parloit  et  l'entendoit  bien,  qui  commence  : 
Che  giova  posséder  ciltadi  e  regni,  etc.  ?  qui  est  un 
sonnet  très-bien  faict,  dont  la  substance  est  telle  : 
«  De  quoy  sert  posséder  tant  de  royaumes,  citez, 
".  villes,  provinces,  commander  à  tant  de  peuples, 
«  se  faire  respecter,  craindre,  admirer  et  veoir  d'un 
«  chacun,  et  dormir  vefve,  seule  et  froide  comme 
(c  glace?  »  Il  fit  plusieurs  autres  rithmes  très-belles, 
que  j'ay  veues  escrites  en  main;  car  jamais  elles  n'ont 
esté  imprimées,  que  j'aye  veu. 

La  reyne  donc  qui  aymoit  les  lettres,  et  principal- 
lement  les  rithmes,  et  quelquefois  elle  en  faisoit  de 
gentilles,  se  pleust  à  voir  celles  dudict  Chastellard, 
et  mesmes  elle  luy  faisoit  response;  et,  pour  ce,  luy 
faisoit  bonne  chère  et  l'entretenoit  souvent.  Cepen- 
dant Uiy  s'embrase  couvertement  d'un  feu  par  trop 
liault,  sans  que  l'object  en  peuve  mais;  car  et  qui 
peut  delFendre  d'aymer?  On  a  bien  aymé  le  temps 
passé  les  plus  cliastes  déesses  et  dames  et  ayme-1'on 
encor,  voire  a-l'on  aymé  des  statues  de  marbre;  mais 
pour  cela  les  dames  n'en  sont  à  blasmer  si  elles  n'y 


LA    REY\E   D'ESCOSSE.  451 

adhèrent.  Brusle  donc  qui  voudra  sur  ses  feux  cou- 
verts ! 

Chastellard  s'en  tourne  avecques  toute  la  troupe  en 
France,  fort  fasché  et  désespéré  d'abandonner  si  bel 
object.  Au  bout  d'un  an ,  la  première  guerre  civille 
vient  en  France.  Luy,  qui  estoit  de  la  relligion,  com- 
bat en  soy  quel  party  il  doibt  yjrendre,  ou  d'aller  à 
Orléans  avec  les  autres,  ou  de  demeurer  avec  M.  d'An- 
ville,  et  avec  luy  faire  la  guerre  contre  sa  relligion. 
Ce  dernier  luy  est  trop  amer  d'aller  ainsy  contre  sa 
foy  et  sa  conscience;  de  l'autre,  porter  les  armes 
contre  son  maistre  luy  desplait  grandement  :  par- 
quoy  résout  ny  pour  l'un  ny  pour  l'autre  combattre, 
mais  de  se  bannir  de  France  et  s'en  aller  en  Escosse, 
et  laisser  battre  qui  voudra,  et  là  couler  le  temps.  Il 
en  ouvre  les  propos  à  M.  d'Anville  et  luy  descouvre 
sa  résolution,  et  le  prie  d'escrire  à  la  reyne  des  let- 
tres en  sa  faveur  ;  ce  qu'il  obtint  :  et,  aiant  pris 
des  uns  et  des  autres,  il  part;  et  le  vis  partir  et  me 
dict  à  Dieu  et  une  partie  de  sa  résolution,  car  nous 
estions  bons  amis. 

Il  faict  donc  son  voyage  et  l'achève  heureusement  ; 
si  bien  qu'estant  arrivé  en  Escosse  et  ayant  discouru 
toute  sa  résolution  à  la  reyne,  elle  le  reçoit  humai- 
nement, et  l'asseure  estre  le  bien  venu;  mais,  abu- 
sant de  ceste  bonne  chère,  il  voulut  s'attaquer  à  un 
si  haut  soleil,  qu'il  s'y  perdit  comme  Phaëton  ;  car, 
forcé  d'amour  et  de  rage,  il  fut  si  présumptueux  de 
se  cacher  soubs  le  lict  de  la  reyne,  lequel  fut  descou- 
vert ainsv  qu'elle  se  vouloit  coucher.  Mais  la  reyne 
sans  faire  aucun  scandalle,  luy  pardonna  s'aydant 
du  l>eau  conseil  que  ceste  dame  d'honneur  fist  à  sa 


45^  DES   DAMES. 

maistresse  dans  les  Nouvelles  de  la  reyne  de  Navarre', 
lorsqu'un  seigneur  de  la  court  de  son  frère,  coulant 
par  une  trapelle,  faicte  par  luy  exprès  en  la  ruelle,  la 
voulut  forcer,  de  laquelle  il  n'en  rapporta  rien  que 
honte  et  de  belles  esgratigneures  :  et  le  voulant  faire 
chastier  de  sa  témérité  et  s'en  plaindre  à  son  frère,  sa 
dame  d'honnem^  luy  conseilla  que,  puisqu'il  n'en  avoit 
eu  que  des  esgratigneures  et  honte,  il  estoit  assez 
puny,  et  qu'en  pensant  faire  clair  son  honneur,  elle 
l'obscursissoit  davantage ,  estant  l'honneur  d'une 
dame  de  tel  pris,  qu'il  ne  se  doibt  jamais  mettre  en 
débat,  et  que  tant  plus  on  le  veut  contendre*,  tant 
plus  il  va  au  nez  du  monde,  et  puis  à  la  bouche  des 
mesdisans. 

Notre  reyne  d'Escosse,  comme  sage  et  prudente, 
passa  ainsy  cet  scandale;  mais  ledict  Chastellard, 
non  content  et  plus  que  forcené  d'amour,  y  retourna 
pour  la  seconde  fois,  ayant  oublié  sa  première  faute 
et  son  pardon.  Alors  la  reyne,  pour  son  honneur,  et 
à  ne  donner  occasion  à  ses  femmes  de  penser  mal, 
voyre  à  son  peuple  s'il  le  scavoit,  perdit  patience,  le 
mist  entre  les  mains  de  la  justice,  qui  le  condamna 
aussitost  à  avoir  la  teste  trenchée,  veu  le  crime  du 
faict.  Et  le  jour  venu,  ayant  esté  mené  sur  l'eschaf- 
faut,  advant  mourir  avoit  en  ses  mains  les  hymnes 
de  M.  de  Ronsard;  et  pour  son  éternelle  consolation, 
se  mist  à  lire  tout  entièrement  l'himne  de  la  mort', 

i  .  Il  s'agit  de  Bonnivet  et  de  Marguerite  de  Navarre  dont  l'aven- 
ture est  racontée  dans  la  Nouvelle  IV  de  VHeptaméron.  Bran- 
tôme en  a  déjà  parlé.  Voyez  tome  III,  p.  67. 

2.  Contendre^  discuter. 

3.  C'est  l'hymne  IX  du  second  livre  des  Hymnes. 


LA   REY.N'E  D'ESCOSSE.  4o3 

qui  est  très-bien  faict  et  propre  pour  faire  abhorrer  la 
mort,  ne  s'a}dant  autrement  d'autre  livre  spirituel, 
ny  de  ministre  ny  de  confesseur. 

Après  avoir  faict  son  entière  lecture,  se  tourne  vers 
le  lieu  où  il  pensoit  que  la  reyne  fust,  s'cscria  hault  : 
«  A  Dieu,  la  plus  belle  et  la  plus  cruelle  princesse  du 
«  monde;  »  et  puis,  fort  constamment  tendant  le  col 
à  l'exécuteur,  se  laissa  deffaire  fort  aisément. 

Aucuns  ont  voulu  discourir  à  quoy  il  l'appelloit 
tant  cruelle,  ou  si  c'estoit  qu'elle  n'eust  eu  pitié  de 
son  amour  ou  de  sa  vie.  Là  dessus  qu'eust-elle  sceu 
faire?  Si,  après  le  premier  pardon,  elle  eût  donné  le 
second,  elle  estoit  scandalisée  partout  ;  et  pour  sauver 
son  honneur,  il  fallut  que  la  justice  usast  de  son 
droict  :  et  c'est  la  fin  de  l'histoire. 


FIN    DU    SEPTIEME    VOLUME. 


APPENDICE. 

I.  Alexandre  VJ  et  le  tableau  du  jugement  dernier^ 
p.  67. 

Dans  l'anecdote  que  rapporte  Brantôme,  et  qu'il  dit  tenir 
d'un  moine  espagnol  et  d'un  petit  livret  imprimé,  il  s'agit 
évidemment  du  Jugement  dernier  de  Michel-Ange.  Par  con- 
séquent elle  ne  s'applique  point  à  Alexandre  VI,  mais  à 
Paul  III  dont  le  maître  des  cérémonies  Biagio  est  repré- 
senté par  le  peintre  au  milieu  d'un  groupe  de  damnés, 
sous  la  figure  d'un  personnage  à  oreilles  d'âne,  mordu  par 
un  serpent.  Le  fait  est  du  reste  raconté  de  diverse  sma- 
nières  par  les  biographes. 

II.   Sur  Jehan-Baptiste  ^  p.  91. 

Ce  Jehan-Baptiste,  que  l'on  appelait  le  compère,  était 
maître  d'hôtel  de  Catherine  de  Médicis  et  son  compatriote. 
Elle  l'avait  amené  d'Italie  avec  elle. 


III.  Dei>ises  de  Catherine  de  Médicis.  \ 

I 
Dans  le  manuscrit  894  du  fonds  français  à  la  Biblio- 
thèque nationale  se  trouvent  trois  pages  de  devises  de  la 
main  de  Catherine. 


TABLE  DES  MATIÈRES. 


DISCOURS  D'AUCUNES  RODOMONTADES  ET  GENTILLES  RENCONTRES 
ET  PAROLLES  ESPAIGNOLLES,  p.  1  à  177. 

Dédicace  à  la  reine  Marguerite,  p.  1-4.  Prise  de  Gênes  par  le 
marquis  de  Pescaire  ;  son  ordonnance  sur  les  bagages  de 
l'armée;  révolte  du  capitaine  Vega;  Vallès,  cité,  îi-7;  conver- 
sation de  Brantôme  avec  deux  soldats  espagnols  au  Louvre, 
7-8.  Légionnaires  romains;  exploits  des  Espagnols,  9  et  suiv. 
Mot  de  Charles-Quint  sur  les  arquebusiers  espagnols,  i  1  ;  dé- 
faite des  Zélandais  par  les  Espagnols,  H-12,  Paroles  de  Char- 
les V  débarquant  en  Espagne,  12-13.  Pertes  des  Espagnols  en 
diverses  guerres,  14.  Réponse  de  soldats  à  Charles  V  au 
siège  de  Metz,  13.  Prise  de  la  Goulettc  par  l'Ouchaly;  nou- 
velles qu'en  donne  le  duc  de  Savoie  à  Brantôme  ;  renégats 
espagnols,  15-16.  Voyage  de  Brantôme  à  Malte;  sa  conversa- 
tion avec  un  soldat  espagnol,  17.  Bravoure  des  Italiens  au 
siège  de  la  Goulelte;  anecdote  racontée  par  M.  de  Savoie  sur 
Antoine  de  Lève  au  siège  de  Pavie,  1 8  ;  amour  des  soldats 
espagnols  pour  le  marquis  de  Pescaire,  19.  Ce  qu'un  Gascon 
espagnolisé  dit  à  Brantôme,  à  Madrid,  20.  Brantôme,  Maison- 
fleur  et  un  soldat  espagnol  au  siège  d'Orléans,  20-21.  Bran- 
tôme et  un  soldat  espagnol  à  Crémone,  21-22.  Vanteries  de 
divers  soldats  espagnols,  22-24.  Trait  d'un  soldat  espagnol, 
Lobo,  au  siège  du  château  de  Milan  par  Prospero  Colonna  ; 
Vallès,  cité  24-26.  Martial,  cité;  anecdotes,  26.  Un  capitaine 
espagnol  et  le  chevalier  d'Ambres;  caractère  de  Bussy  d'Am- 
boise,  26-27.  Anecdotes  diverses,  27-29.  Strozzi,  Brantôme 
et  un  soldat  espagnol;   mots  de  divers  soldats  espagnols,  30. 


456  TABLE  DES  MATIERES. 

Réflexions  de  Brantôme  sur  la  vie  qu'on  mène  aux  armées; 
Éloge  du  comte  de  Brissac,  30-31.  Soldat  espagnol  et  Fran- 
çois I"  à  Pavie  ;  un  Espagnol  et  le  roi  Fernand,  32.  Soldats 
espagnols  à  l'expédition  de  Tunis,  et  en  Flandre,  33.  Mot  d'un 
soldat  espagnol  à  Charles  V  sin*  la  chevelure  de  son  frère  Fer- 
dinand; insolence  d'un  autre  à  Charles  V,  33-34.  Le  roi  Fer- 
dinand et  un  hidalgo;  Pescaire  à  la  bataille  de  Ravenne;  sa 
devise,  34-36.  Mort  de  Talbot  et  de  son  lils  à  Castillon,  du 
sire  de  Montcavrel  à  Nicopolis  ;  de  Galéas  de  Saint-Severin  à 
Pavie;  Froissart  et  Vallès,  cités,  36-38.  Paroles  de  Pescaire 
marchant  contre  Alviane  qui  est  battu;  réflexions  à  ce  sujet; 
Vallès,  cité,  38-40.  Ce  que  les  Espagnols  disent  à  Brantôme 
sur  VJrnmda,  40-42.  Bravade  de  Rodomont;  Boiardo,  cité, 
42.  Mort  d'Ajax;  erreur  de  Brantôme,  43.  Le  capitaine  Val- 
frenière  ;   beau  trait  de   dix  soldats  espagnols  au  passage  de  1 

l'Elbe  ])i\v  Charles-Quint;  Louis  d'Avila,  cité,  43-46.  Éloge 
d'une  épée  par  un  Espagnol,  46-47.  Un  capitaine  du  Piémont  ' 

et  son  épée  Martine,  47-48.  Vanterie  d'un  Espagnol,  48-49. 
Bons  mots  d'un  gentilhomme  espagnol  ;  d'un  médecin  ;  d'un 
homme  qu'on  menait  pendre,  30-51.  Un  capitaine  espagnol, 
sa  maîtresse,  les  deux  Pimentel   et  Juan   de  Gusman,    51-52.  i 

Tournois  en  Flandre  ;    Mme  de  Fontaine-Chalandray  ;  Alonzo  f 

Pimentel,    vice-roi  de   la  Goulette,    exécuté  comme  sodomite  ;  î 

anecdote  à  ce  sujet,  52-53.  Mot  d'un  capitaine  espagnol;  van-  ^ 

terie  d'un  soldat  espagnol,  53-54.  Menace  d'un  capitaine  fran-  i 

çais  contre  son  ennemi,  54.   Rencontre    faite   en    'Toscane   par  ; 

Brantôme  et   Lansac  d'un  soldat  Espagnol  qui  leur  demande  ?' 

l'aumône,  54-56.  Anecdote  d'un  mendiant  espagnol  à  Rome, 
56.  Naufragés  vus  par  Brantôme  à  Séville;  mot  d'un  soldat 
espagnol  sur  sa  pauvreté,  57.  Anecdote  de  François  I"  pri- 
sonnier racontée  à  Brantôme  par  un  vieux  soldat  es])agnol, 
57-58-  Avarice  de  l'Espagnol;  mot  d'un  Espagnol  sur  son 
pouvoir  dans  sa  ville,-  59.  Expédient  d'Antoine  de  Lève  pour  , 

payer  ses  troupes;  surnom  donné  par  les  soldats  à  Charles V; 
soldats  de  la  pagnotte,  60-61.  Menaces  de  Charles  V  à  Fran- 
çois I";  Boccace,  cité;  insuccès  de  l'expédition  de  Charles- 
Quint  en  Provence;  par  qui  conseillée,  61-62.  Réponse  du 
renégat  Assanagas,  gouverneur  d'Alger  à  Chailes-Quint,  62. 
Lusignan  livré  aux    catholiques   j)ar  Mirambeau,  63-64.  Pes- 


TABLE  DES  MATIERES.  4S7 

caire  au  siège  de  Pizzighitone  esl  sauvé  par  un  ennemi,  le  ca- 
pitaine Fratin,  64-63.  Réponse  du  maréchal  Strozzi  à  deux 
cordeliers,  Go-66.  François  de  Guise  regretté  par  les  soldats 
huguenots  ;  la  première  armée  de  huguenots  composée  de  vieux 
soldats,  66-67.  Soldat  sans  guerre  est  cheminée  sans  feu;  mot 
d'Alexandre  VI  (voy.  Appendice,  p.  454)  à  un  cardinal  sur  le 
Purgatoire,  67.  Paroles  de  Louis  d'Avila  assiégé  dans  la  cita- 
delle d'Anvers;  de  Pescaire  au  marquis  del  Gouast;  Vallès, 
cité,  68-69.  Paroles  de  François  I""  prisonnier  au  marquis  del 
Gouast;  Vallès,  cité,  6?-71.  François  I"  parlait  toujours  en 
français,  bien  qu'il  sût  d'autres  langues,  71,  74-7.j;  mot  de 
M.  de  Lansac,  à  ce  sujet,  71,  74.  Anecdote  de  Charles  V  et  de 
l'évêque  de  Maçon,  ambassadeur  à  Rome,  70-72.  Railleries  de 
Brantôme  sur  les  ambassadeurs  qui  ne  savent  pas  les  langues 
étrangères  ;  évêque  français  ne  sachant  pas  le  latin,  au  concile 
de  Trente;  le  cardinal  du  Bellay;  service  que  les  huguenots 
ont  rendu  aux  gens  d'église,  72-73.  Ignorance  d'un  ambassa- 
deur français  près  la  cour  d'Espagne;  le  perroquet  de  Mme  de 
Brienne.  De  la  nécessité  pour  les  ambassadeurs  de  savoir  les 
langues  étrangères,  74.  François  P""  et  la  reine  de  Navarre  sa 
sœur  savaient  plusieurs  langues  ;  Henri  II  parlait  très-bien 
espagnol  ;  Catherine  de  Médicis  ne  parlait  que  peu  italien  ;  sa 
fille  Marguerite  faisait  de  même;  son  éloge,  7o.  Bon  accueil 
que  Philippe  II  fait  à  Brantôme  à  cause  de  sa  connaissance  de 
l'espagnol;  éloge  de  M.  de  Lansac,  76.  Capitulation  de  Di- 
nant;  Julien  Roméro  et  le  connétable  de  Montmorency,  76-84. 
Rencontre  de  Brantôme  et  de  Romero  à  Messine,  82-83.  Com- 
bat de  Romero  à  Fontainebleau,  dicton  à  ce  sujet,  83-84. 
Aventures  de  Brantôme  à  Catane,  et  à  la  porte  Saint- Jacques  à 
Paris,  8S-87.  Passage  des  troupes  espagnoles  en  Lorraine, 
87-88  ;  ce  qu'un  soldat  espagnol  dit  à  Brantôme  à  Milan,  88. 
Plaisantes  anecdotes  d'un  soldat  espagnol;  d'un  soldat  gascon, 
88-89.  François  de  Guise  et  un  soldat  espagnol  de  la  maison 
de  Mendozze,  au  siège  d'Orléans,  89-91 .  Fanfaronnade  d'un 
seigneur  italien  devant  Henri  II,  racontée  à  Brantôme  par 
M.  d'Uzès,  91-92.  Mot  du  Uîarquis  del  Gouast  sur  les  Gascons 
à  la  bataille  de  Cerisoles  ;  M.  de  Grille,  93-94.  Mots  sur  des 
Espagnols  fanfarons;  prise  du  Pignon  de  Belys,  94-95.  Récit 
de  la  défaite  et  de  la  mort  de  Gonzalès  Pizarre  au  Pérou,  9o- 


458  TABLE  DES  MATIERES. 

98;  supplice  de  Fr,  Caravajal,  98  ;  ses  paroles  moqueuses  à  Cen- 
teno;  sa  cruauté  100-101;  sa  maison  et  celle  de  Pizarre,  dé- 
molies, 101-102.  Garcilasso  de  la  Vega  et  Zarate,  cités,  98, 
note  1,100,  note  4, 101,  note  4.  Mots  plaisants  de  gens  condamnés 
au  supplice,  98,  99;  d'un  moine  au  lit  de  mort,  99.  Mot  d'une 
dame  sur  un  cavalier  espagnol  poltron,  iOi.  Machiavel,  cité, 
102.  Actions  héroïques  de  Louis  de  la  Sanna,  402-104;  de 
Cesius  Sceva  ;  Valère  Maxime,  cité,  10b.  Vaillance  de  M.  de 
Mareuil  à  la  bataille  de  Dreux,  106.  Armée  du  duc  de  Parme 
en  France,  107.  Eloge  de  PhiHppe  II  par  un  soldat  espagnol, 
108.  Le  duc  d'Albe  Frédéric  et  les  habitants  de  Pampelune; 
la  Conquista  de  Navarra,  citée,  108-109.  Pelopidas  et  Alexan- 
dre de  Phcres;  Plutarque,  cité,  109.  Anecdotes  et  réflexions 
sur  les  hommes  de  petite  taille,  109-110.  Soldat  géant  massa- 
cré par  un  nain  devant  Soliman;  P.  Jove,  cité,  110,  Hl.  Ré- 
ponse des  ducs  d'Albe  et  de  Najara  au  roi  de  Navarre; 
Conquista  de  Navarra,  citée,  111-112.  Mot  des  Espagnols  sur 
les  Français  après  la  bataille  de  Saint-Quentin,  112-113. 
Charles-Quint  devant  Metz,  113.  Harangue  du  duc  d'Albe 
assiégé  dans  Pampelune;  Conquista  de  Navarra,  citée,  113- 
116,  Digression  sur  les  harangues  militaires;  Tite-Live  ;  Gui- 
chardin;  Belleforest;  P.  Jove;  erreurs  de  la  Popelinière;  le 
duc  de  Guise  et  Coligny  à  Dreux";  mot  du  maréchal  Strozzi  sUr 
les  historiographes;  le  duc  de  Guise  à  Metz;  Ronsard,  117- 
119.  Recueil  de  harangues  projeté  par  Brantôme;  harangue 
du  dernier  duc  d'Albe  à  ses  soldats  en  Flandre,  119-121.  Di- 
verses anecdotes  sur  les  duels,  121-122.  Mots  d'un  cordelier 
espagnol  au  roi  de  Portugal  et  d'un  cordelier  portugais  à  un 
autre  cordelier  sur  la  bataille  d'Aljuvarota,  122-123.  Haine 
des  Portugais  et  des  Castillans;  aventure  de  Brantôme  à  Lis- 
bonne, 124.  Combat  de  douze  Français  et  de  douze  Espagnols 
au  royaume  de  Naples;  le  Loyal  Serviteur,  cité,  124-125.  Gon- 
zalve  de  Cordoue  et  d'Aubigny,  125.  Le  marquis  de  Cenette 
et  son  écuyer  à  Perpignan;  mot  de  Gonsalve  de  Cordoue,  126- 
1 27.  Anecdotes  sur  les  duels,  etc.  La  Cosmographie,  1  28.  Anec- 
dote de  François  I"  et  d'un  Italien,  129.  M.  de  Beaulieu  en- 
voyé a  la  cour  par  les  Marseillais;  son  succès,  129,  130.  Mot 
d'un  brave;  assassinat  de  quatre  hommes  par  le  capitaine  Fré- 
ville,  que  Brantôme  sauve,  131-133,  Aventure  du  comte  Clau- 


I 


TABLE  DES   MATIERES.  459 

dio  et  de  quatre  soldats,  133-134.  Henri  IV  et  deux  soldats 
prisonniers  au  siège  de  la  Fère,  135-136.  Sobriété  des  Espa- 
gnols, 136.  Le  maréchal  de  Termes  et  trois  soldats  espagnols 
à  Sienne;  La  Conquista  de  Sena ,  citée,  137-139.  Exploits 
d'Astolfe  Baglion,  du  capitaine  Léon  et  d'Espinosa  à  la  bataille 
de  Sienne,  139.  Réponse  d'un  prisonnier  espagnol  à  un  capi- 
taine français;  d'un  autre  prisonnier  à  Henri  IV  sur  la  perte 
de  Cambrai,  139-140.  Campagnes  en  France  du  prince  de 
Parme  qui  prend  Lagny  et  fait  lever  le  siège  de  Paris;  mots 
de  lui  et  d'Henri  IV,  140-142.  Eloge  des  soldats  espagnols, 
de  Fernand  Cortez  et  du  duc  d'Albe  qui  défait  le  comte  de 
Nassau;  l'argent  cause  de  la  bonne  discipline  des  soldats,  142- 
143.  Titres  que  porte  le  roi  d'Espagne,  plus  grand  terrien  que 
les  Romains,  144-14.5.  Révoltes  des  soldats  espagnols;  com- 
ment elles  se  font,  145-147.  Récit  de  celle  qui  eut  lieu  en  Si- 
cile en  1538.  Perfidie  de  Ferdinand  de  Gonzague,  147-153. 
Comment  le  marquis  del  Gouast  se  débarassa  des  soldats  ré- 
voltés dans  le  Milanais;  soldats  révoltés  à  Alost ,  151-152, 
Révolte  des  Romains  sous  Scipion  en  Espagne,  152.  Généro- 
sité d'Henri  IV  envers  la  garnison  espagnole  de  Paris,  153- 
154;  humanité  du  duc  de  Guise  à  l'égard  des  ennemis  restés 
devant  Metz,  154-155.  Mauvais  traitements  des  Espagnols  à 
l'égard  des  Français  au  siège  de  Pampelune;  la  Conquista  de 
Navarra  et  Rabelais,  cités,  154-155.  Rencontre  de  Brantôme 
et  d'un  capitaine  espagnol;  éloge  de  don  Juan,  156.  Prise 
d'Amiens  par  Henri  IV;  ce  qu'il  répond  aux  Espagnols  qui  lui 
demandaient  le  sac  de  la  ville;  sépulture  de  Hermantello 
Porto-Carrero  dans  cette  ville,  156-158.  Entrevue  de  Rayonne; 
beauté  de  Madeleine  de  Giron;  mot  sur  elle,  158-159;  cour- 
tisée par  M.  d'Amville,  160.  Son  insolence  envers  un  gentil- 
homme français;  danger  qu'elle  court  sur  mer,  161.  Bravade 
et  défaite  des  Français  à  Nicopolis,  159.  M.  de  Landreau, 
vaillant  homme  de  mer;  ce  qu'il  raconte  à  Brantôme  et  à 
Strozzi,  161.  Arrogance  de  dames  espagnoles;  une  romance 
espagnole,  162-163.  Anecdotes  diverses  et  bons  mots  sur  les 
dames  espagnoles,  163-169.  Réflexions  sur  l'embonpoint  des 
veuves;  Rabelais,  cité,  167-169.  Conversation  de  Rrantôme  et 
d'un  Espagnol  sur  Mme  de  Guise,  à  l'entrevue  de  Rayonne, 
170-171,  Ce  qu'un  grand  prince  dit  à  Brantôme  sur  l'amour. 


460  TABLE   DES  MATIERES. 

fi 

171-172.    Eloge   de    la  reine   d'Espagne,    172-174.    La  reine  t^ 

Marguerite  aux  eaux  de  Spa;  éloges  qu'en  font  deux  Espa- 
gnols à  Brantôme,  174-176.  Ses  malheurs;  ce  qu'elle  dit  à 
Brantôme  sur  son  peu  d'ambition,    176-177. 


SERMENS  ET  JUREMENS  ESPAIGNOLS,  p.  179  à  20{. 

Enumération  de  serments  et  jurements  en  usage  chez  les  Espa- 
gnols, 179-184.  Pilate;  Hérode  ;  saint  Antoine,  184-18^.  Ma- 
ladie de  Bavard  guérie  par  saint  Antoine,  185-]  86.  Anecdotes 
d'im  prédicateur  espagnol  ;  du  cardinal  de  Lorraine  prêchant 
à  Fontainebleau,  186-187.  Anecdote  de  Caravajal  dans  une 
auberge  de  Velletri,  187-188.  Anecdotes  sur  des  mendiants, 
sur  des  amoureux,  188-189.  Histoire,  à  la  cour  d'Anne  de 
Bretagne,  d'une  tante  de  Brantôme,  Jeanne  de  Bourdeille,  et 
d'un  cordelier  qui  en  était  amoureux,  190-192.  Incendie  de 
l'église  des  Cordeliers  à  Paris;  Mme  de  Pons,  192-193.  Mot 
d'un  cordelier  fray  Inigo  à  plusieurs  dames,  193.  Anecdote 
d'un  cordelier  et  d'un  jacobin;  d'une  poule  donnée  à  un  curé; 
anecdotes  diverses,  194-197.  Plaisante  anecdote  de  M.  de 
Orignaux  à  Rome,  197-199.  Jurements  chez  différents  peuples; 
blasphème  d'un  Génois  sur  une  galère  où  se  trouvait  Bran- 
tôme, et  ce  qui  en  advint,  200-201. 

M.  DE  LA   NOUE  : 

A  8ÇATOIR    A   QUI   t'oK   EST   PLUS   TENU   OU    A   SA   PATRIE,   A  SON   ROT   OH   A  SON 
BIENFACTEUR,    p.    203-2G5. 

Commencements  de  M.  de  La  Noue  ;  il  sert  en  Piémont  sous 
M.  Damville;  embrasse  le  calvinisme;  attiré  par  CoUgny;  son 
amour  de  l'étude  ;  accompagne  avec  Brantôme  Marie  Stuart 
en  Ecosse,  203-204.  Il  s'empare  d'Orléans,  204;  passe  la  Loire; 
mort  de  M.  d'Ourches,  ami  de  Brantôme,  20").  La  Noue  est 
pris  à  Jarnac  et  à  Moncontom*;  défait  Puygaillard;  passe  en 
Flandre  et  est  pris  dans  Mons,  206-207  ;  est  envoyé  à  la  Ro- 
chelle par  le  roi  après  la  Saint-Barthélémy,  206-207.  Il  est 
blâmé  de  n'avoir  pas  secouru  Lusignan,  207-208.  Grand  ami 
de  Brantôme;  il  attire  Monsieur  hors  de  la  cour,  208.  Le  roi 


TABLE  DES  MATIERES.  461 

de  Navarre   élu  chef  géne'ral   des  huguenots;   son  éloge:   est 
assisté  par  La  Noue  qu'il   nomme    surintendant  de  sa  maison. 
Charge    de   grand  maître  donnée    par    François  I"  à  M.  de 
Boisy,  209-210.  La  Noue  est  appelé  par  les  révoltés  des  Pays- 
Bas;  Strozzi  empêche  Brantôme  de  le  suivre,  209-210.  Com- 
bat de  La  Noue  contre  Juan  d'Autriche;  il  fait  prisonnier  le 
comte  d'Egmont,  210-211.  Il  est  pris  par  le  marquis  de  Riche- 
bourg,  211.  Mort  de  celui-ci  à  Anvers.  Longue   captivité  de 
La  Noue  qui  est  délivré  par  le  moyen  de  MM.  de  Guise  et  de 
Lorraine,  212.  Il  défait  à  Senlis  le  duc  d'Aumale,  213;  résul- 
tat de  cette  victoire,  214.  Accusation  d'ingratitude  portée  par 
Marguerite  de  Valois  contre  La  Noue,    214-215.    Affection  de 
Henri  II  pour  La  Noue  qui  |)rend  les  armes  contre  ses  enfants; 
Il  est  sauvé  par  Henri  III   après  Jarnac  et  Moncontour,  213. 
Envoyé  par  lui  à  la  Rochelle,  il  encourage  les  habitants  à  la 
résistance;  ses  menées  avec  François  d'Alençon,  216.  Sa  dure 
captivité   en  Flandre;    sa  Déclaration,   citée,   217-219.   Com- 
ment et  par  qui  il  obtint  sa  liberté,  219-223.   Brantôme  sol- 
licite en  sa  faveur  Henri  III,   la  reine  Louise  et  M.  de  Mer- 
cœur,   220-221 .  Comment  La  Noue  se  justifie   d'avoir  soutenu 
la  fille   du  duc  de  Bouillon  contre  son   bienftiiteur  M.  de  Lor- 
raine  qui  assiégait  Jamets;    discussion   à  ce  sujet,    222-225. 
Service  rendu  à  La  Noue   par  M.   de  Guise,   224-228.   Il  est 
visité  dans  sa  prison  par   un  gentilhomme   italien,   224-226. 
Entretien  de  Brantôme  et  de  M.  de  Guise,  226-227.  iM.  de  La 
Vallée.  M.  de  Guise  sauve  les  enfants  de  La  Noue  à  la  Saint- 
Barthélémy,   228.   Discussion  sur  la  question  :  si  on  est  plus 
obligé  à  son  bienfaiteur,  à  sa  patrie  ou  à  son  roi,  229  et  suiv. 
M.  de  Martigues  obtient  de  Monsieur  la  vie  de  La  Noue  après 
Jarnac  et  Moncontour,  230.  La  Noue  fait  la  guerre  à  ses  en- 
fants en  Bretagne  et  est  blessé  mortellement  devant  Lamballe, 
230-231.  Diatribe  sur  l'amour   de  la  patrie  et  la   fidélité  que 
l'on  doit   au  roi,  231  et  suiv.  Horace,  cité,   232.  Ingratitude 
de  la  patrie,  exemples  tirés  des  Romains,  232.  Ingratitude  des 
rois  et  des  princes,  233.   Apologie  de  ceux  qui  ont  abandonné 
la  cause  de  leur  patrie  ;  le  prince  de  Melphe  ;  Pierre  de  Navarre  ; 
le  prince  de  Salerne,  Virginio  Orsini  et  autres  seigneurs  italiens, 
234-235;  Fabricius  et  Prospero  Colonna  ;  les  Angevins  de  Naples, 
236.  Bannis  romains  et  italiens,  237.  Apologie  du  connétable 


462  TABLE  DES  MATIERES. 

de  Bourbon;  Ovide,  cité;  le  prince  de  Condé  poursuivi  par  Ta- 
vannes,  238,  239.  Générosité  de  François  I*"  envers  les  servi- 
teurs de  M.  de  Bourbon,  240  et  suiv.  Saint-Vallier,  La  Vau- 
guyon,  Louis  d'Ars.  Reconnaissance  de  Pompérant  envers  le 
connétable  de  Bourbon  qui  lui  avait  sauvé  la  vie,  24i .  Il  rentre 
en  grâce  près  de  François  I"  et  meurt  au  royaume  de  Naples  ;  la 
croix  blanche  de  France  opposée  à  la  croix  rouge  des  Bourgui- 
gnons. Trahison  de  Jacques  de  Matignon  envers  le  connétable, 
242.  Au  contraire  de  Pompérant,  il  est  mal  vu  du  roi  et  de  la 
cour  ;  Charles  V  accueille  et  emploie  les  serviteurs  du  conné- 
table, 243-246.  Brantôme  voit  l'un  d'eux,  le  seigneur  des 
Guerres  à  Naples;  détails  sur  celui-ci  et  sur  ses  frères,  244. 
Paroles  du  maréchal  Damville  à  ses  serviteurs  et  gentils- 
hommes au  moment  de  prendre  les  armes  contre  le  roi  ;  deux 
d'entre  eux  le  quittent  et  sont  mal  reçus  à  la  cour,  24o-246. 
Gentilshommes  de  Monsieur  l'abandonnant  lors  de  son  expé- 
dition de  Flandre,  bafoués  à  la  cour  et  entre  autres  par  Bi'an- 
tome  ;  railleries  au  sujet  de  la  fidélité  absolue  au  roi  ;  anec- 
dotes de  Corbozon  servant  le  roi  après  la  mort  de  Condé  ;  de 
Sainte-Foy  abandonnant  le  même  prince  et  tué  par  les  hugue- 
nots, 247-249.  Diatribe  contre  le  vice  d'ingratitude  puni  chez 
les  Egyptiens  et  les  Perses;  Xénophon,  cité.  Judas;  Brutus, 
meurtrier  de  César,  230-252.  Vengeance  de  Charles  le""  d'Anjou 
à  l'égard  de  Henri  d'Espagne  ;  Collenuccio,  cité.  Assassinat  de 
M.  de  Mouy,  par  Maurevel  qui  est  tué  par  le  fils  de  celui-ci, 
252-2u4.  Le  comte  Edouard  de  Savoie  sauvé  à  la  bataille  de 
Varey  par  le  seigneur  de  Sassenage  qui,  ayant  tué  le  sei- 
gneur d'Aigreville,  avait  été  sauvé  du  supplice  par  le  comte; 
Paradin,  cité,  255-256.  Le  Soudan  Noradin  et  Baudoin  roi  de 
Jérusalem;  Guillaume  de  Tyr,  cité,  257.  M.  de  Téligny,  sauvé 
à  Jarnac  par  le  comte  de  Gayasse,  258-259.  Ingratitude  du 
marquis  de  Richebourg  envers  La  Noue.  211,  259.  Pom- 
pée et  Perpenna,  259.  Le  cardinal  Balue  et  Juan  de  Beau- 
vau  évêque  d'Evreux ,  260.  Réflexions  sur  les  ingrats  ;  La 
Noue  ingrat  envers  Brantôme  qui  l'avait  sauvé  d'un  grand 
danger;  Strozzi;  du  Préau,  261-203.  Respect  que  portait  à 
son  père  catholique  le  capitaine  huguenot  Gremian  qui  avait 
pris  Aigues-Mortes,  263-264.  Excuses  de  Brantôme  sur  sa 
mai.ière  d'écrire,  265. 


TABLE  DES   MATIERES.  463 


DISCOURS   D'AUCUNES   RETRAICTES  DE  GUERRE 
qu'ont  faites  aucuns  grands  capitaines,  et  comment  elles  valent  bien 

AUTANT    quelquefois   QUE    LES    COMBATS,    p.     2G7-303. 

Ce  que  Brantôme  a  entendu  dire  à  de  grands  capitaines  sur  les 
retraites,  267.  Invasion  en  Provence  de  Pescaire  qui  assiège 
Marseille;  sa  belle  retraite;  Vallès,  cité,  268-271.  Retraite  du 
prince  d'Orange  Philibert,  de  Rome  sur  Naples,  devant  Lau- 
trec;  obé,  jurement  habituel  de  celui-ci,  272-273.  Retraite  de 
Bonnivet  ;  récit  de  la  mort  de  Bayard  ;  Vallès  et  du  Bellay, 
cités,  273-276.  Retraite  de  François  I*""  après  avoir  avitaillé 
Landrecy,  277-279.  Causes  des  défaites  de  Montmorency  à 
Saint-Quentin,  de  Strozzi  devant  Sienne,  de  Montejean  et  Boissy 
à  Brignolles,  des  Français  à  Térouanne,  279-281.  Anecdote  d'un 
parent  de  Brantôme  pris  devant  Poitiers,  281-282.  Retraite  des 
Espagnols  à  la  bataille  de  Ravenne;  mort  de  M.  de  Nemours; 
le  Loyal  Serviteur,  cité,  282-284.  Comment  les  Romains  trai- 
tèrent les  fuyards  de  Cannes ,  284-285.  Belle  retraite  de 
Strozzi  devant  les  huguenots,  283-289.  Aux  premières  guerres 
civiles  les  bons  soldats  se  mirent  dans  les  rangs  des  huguenots  ; 
pourquoi;  trait  héroïque  de  cinquante  soldats  huguenots;  anec- 
dote sur  la  démolition  de  l'église  Sainte-Croix  à  Orléans,  289- 
291.  Défaite  de  l'armée  du  baron  de  Dhona  par  le  duc  de 
Guise,  291 .  Belles  retraites  de  Châtillon  et  de  son  père  l'amiral 
de  Cohgny,  292-293;  du  maréchal  du  Biez  devant  Boulogne; 
de  M.  de  Nemours  de  Meaux  à  Paris,  293-294;  du  prince  de 
Parme  devant  Henri  IV,  294-29o.  Relation  de  la  retraite  de 
M.  de  Guise  devant  le  baron  de  Dhtma,  d'après  le  Discours  de 
la  Châtre,  295-300,  302.  Regrets  sur  sa  mort.  Beau  combat  de 
son  père  François  de  Guise  sous  les  murs  de  Paris  ;  ce  qu'il 
dit  aux  fuyards  et  aux  Parisiens,  300-302.  Retraite  des  Ro- 
mains à  la  bataille  de  Trébie,  302.  Mort  de  deux  écuyers  pi- 
cards à  la  bataille  de  Nicopolis;  Froissart,  cité,  303, 


464  TABLE  DES  MATIERES. 

DES  DAMES. 
PREMIÈRE    PARTIR. 

DISCOURS  I. 

SUR  I.*  REYNE  ANNE  DE  BRETAGNE,  p.  307-331. 

Livre  de  Boccace  sur  les  dames  illustres,  308.  Anne  héritière  du 
duché  de  Bretagne  ;  recherchée  par  le  duc  d'Orléans  (Louis  XII) , 
308.  Mariée  à  Maximilien,  puis  à  Charles  VIII;  Commines 
cité  ;  ressemblait  à  la  belle  Châteauneuf  ;  était  un  peu  boi- 
teuse comme  la  princesse  de  Condé ,  309.  Eloge  de  ses  ver- 
tus et  de  son  esprit  ;  élevée  par  Mme  de  Laval  ;  vengeance 
qu'elle  tire  du  maréchal  de  Gié,  310-311.  Sa  colère  conti^e  le 
duc  d'Orléans  au  sujet  de  la  mort  du  dauphin.  312.  Gouverne 
le  royaume  en  l'absence  de  Charles  VIII;  ses  regrets  et  ses 
espérances  à  la  mort  de  celui-ci  ;  épouse  le  duc  d'Orléans  qui 
la  laisse  jouir  de  son  duché;  sa  générosité,  313-314.  Elle  est 
la  première  qui  forma  une  cour  de  dames  ;  Jeanne  de  Bour- 
deille,  tante  de  Brantôme  ;  sa  garde  de  cent  gentilshommes  ; 
la  Perche  aux  Bretons,  à  Blois  ;  fait  construire  le  vaisseau  la 
Cordelière;  destinée  de  ce  navire,  314-315.  Honorée  de 
Louis  XII  qui  défend  aux  clercs  de  la  basoche  de  parler  d'elle; 
visitée  des  ambassadeurs;  tour  que  lui  joue  M.  de  Orignaux, 
316-317.  Récit  de  ses  obsèques  d'après  une  vieille  chronique, 
318-324.  Regrets  causés  par  sa  mort;  sa  fondation  des  Bons- 
Hommes,  324.  Compai^aison  de  ses  funérailles  avec  celles  de 
Charles  IX  ;  dispute  de  préséance  entre  le  parlement,  la  no- 
blesse et  l'Eglise;  mot  de  Marguerite  de  Valois,  32G-32S.  Le 
corps  de  Charles  IX  n'est  suivi  que  de  quelques  gentilshommes 
parmi  lesquels  figurait  Brantôme  ;  colère  de  Catherine  de  Mé- 
dicis  à  ce  sujet,  326.  Le  grand  aumônier  Amyot  refuse  de  dire 
les  grâces  au  parlement  ;  colère  de  celui-ci  ;  mot  du  cardina 
de  Lorraine  à  Brantôme  à  ce  sujet,  327  ;  Comparaison  d'Anne 
de  Bretagne  avec  Isabeau  de  Bavière,  328.  Regrets  de  Louis  XII 
qui  l'appelait  sa  Bretonne  ;  il  porte  longtemps  son  deuil  ;  oppo- 


TABLE   DES  MATIERES.  468 

sition  d'Anne  au  mariage  de  sa  fille  avec  le  duc  d'Angoulêmc 
(François  I"),  329-330.  Isabelle  de  Castille;  mariage  de 
Louis  XII  avec  Marie  d'Angleterre;  son  tombeau  et  celui  d'Anne 
à  Saint-Denis.  Anne  est  la  première  qui  ait  mis  la  cordelière 
autour  de  ses  armoiries,  330.  Éloge  de  Mme  de  Dampierre, 
tante  de  Brantôme;  épitaphe  de  la  reine  Anne,  331. 

DISCOURS   II. 

SUR    LA    REYKE,    MfcKE    DE    NOS    RO\S    DEFxXIERS ,    CATHERINT    DE    MEDICIS, 
1>.    332-403. 

Etonnement  de  Brantôme  de  ce  qu'on  n'a  point  écrit  la  vie  de 
Catherine  de  Médicis  ;  mot  de  Charles  V  à  i*.  Jovc,  332.  Libelhi 
contre  Catherine,  333.  Origine  de  la  maison  de  Mcdicis;  fables 
débitées  à  ce  propos  par  Bernard  de  Beaune,  archevêque  de 
Bourges ,  dans  l'oraison  funèbre  de  la  reine  ;  personnages 
illustres  de  la  maison  de  Médicis,  334-336  ;  illustration  de  la 
maistm  de  Boulogne  et  d'Auvergne  ;  ce  qu'en  dit  Pie  IV  devant 
Brantôme.  Prétentions  de  Catherine  au  trône  de  Portugal,  337- 
338.  Richesses  et  joyaux  qu'elle  apporte  en  France;  perle 
qu'elle  donne  à  Marie  Stuart,  338-339.  Avantages  que  Fran- 
çois l"  retire  du  mariage  de  son  fils  avec  Catherine  ;  devise 
grecque  de  Catherine  ;  Brantôme  entend  dii-e  que  Charles  V 
l'aurait  épousée  s'il  n'avait  été  marié.  Promesses  que  Clé- 
ment VII  avait  faites  au  roi,  338-340.  Affection  qu'elle  inspire 
à  François  I"  et  à  Heni'i  II  qui  refuse  de  la  répudiei-  ;  anecdote 
plaisante  d'une  dame  de  la  cour  demandant  l'abbaje  de  Saint- 
Victor,  341-342.  Catherine  reste  dix  ans  sans  avoir  d'enfants; 
sa  postérité;  ce  qu'en  disait  son  mari;  son  portrait,  342.  Sa 
visite  à  Lyon  au  peintre  Corneille  qui  avait  fait  son  portrait  et 
celui  des  dames  et  seigneurs  de  sa  cour,  343-344.  Elle  aimait 
la  danse  et  la  chasse  ;  elle  obtient  de  François  I"  de  faire 
partie  de  la  petite  bande  ;  aimait  à  monter  à  cheval  ;  fut  la  pre- 
mière à  mettre  la  jambe  sur  l'arçon;  ses  chutes;  elle  subit  l'opé- 
ration du  trépan,  344-343;  tirait  de  l'arbalète  à  jalet;  inven- 
tait des  jeux  ;  aimait  les  tragédies  et  les  comédies  ;  fait  iouer  à 
Blois  la  Sofonisba,  346-347  ;  sa  gaieté  ;  excellait  aux  ouvrages 
de  soie;  mot  que  lui  dit  M.  de  Bois-Février,  347;  créée  ré- 
gente par  Henri  II  pendant  la  guerre  d'Allemagne,   347-3  48. 

vu  •—  30 


46(>  TABLE   DES  MATIERES. 

Ses  regrets  de  la  mort  de  son  mari  ;  devise  qu'elle  prend,  349, 
351;  devises  de  Valcntine  de  IMilan,  do  René  d'Anjou;  Bour- 
digné  cité,  3b0-351 .  Son  habileté  ;  se  fait  nommer  régente  par 
les  États  d'Orléans  malgré  le  roi  de  Navarre,  351-352.  Démêlés 
de  celui-ci  avec  le  duc  de  Guise  à  Fontainebleau  ;  comment 
elle  l'apaise,  352-354;  le  cardinal  de  Tournon,  35(i.  Récit 
fait  par  Catherine  à  Brantôme  de  la  manière  dont  elle  lit  rom- 
pre une  trêve  en  Guyenne;  défaite  des  huguenots  à  Maillezais; 
le  capitaine  L'Estelle;  Sorlu  et  Neufry,  354-356;  elle  est  ac- 
cusée à  tort  d'être  la  cause  des  guerres  civiles  ;  le  maréchal 
de  Saint-André  propose  à  ses  collègues  du  triumvirat  de  la 
noyer;  M.  de  Guise  s'y  refuse;  elle  invoque  le  secours  des 
protestants;  conférences  de  Talcy,  356-358.  Prise  d'armes  des 
huguenots  à  Meaux  ;  captivité  de  Monsieur  et  du  roi  de  Na- 
vaiTC  ;  ce  qu'en  dit  celui-ci  à  Brantôme,  358-360.  Ses  négo- 
ciations avec  Monsieur  ;  ce  qu'elle  en  dit  à  Brantôme  ;  États  de 
Blois  demandés  par  les  huguenots  tournent  contre  eux,  300- 
362.  Miossens  rabroué  par  Henri  III  au  sujet  de  la  prise  de 
Cahors;  amour  de  Catherine  pour  la  paix,  362-303.  Accusée 
du  massacre  de  la  Saint-Barthélémy,  provoqué  par  les  menaces 
des  huguenots,  après  l'assassinat  tenté  sur  l'amiral  ;  la  Noue  ; 
Strozzi  ;  TéUgny,  362-364.  Prise  du  Havre  et  de  Rouen;  cou- 
rage de  Catherine  qui  s'exposait  au  feu  des  ennemis,  364-360. 
Accusée  d'être  espagnole  ;  défendait  les  duels  ;  querelles  de 
Charles  de  la  Chastaigneraie  et  de  Pardaillan,  de  Grillon  et 
d'Antraguet,  arrangées  par  elle,  366-368.  Ses  gracieusetés 
envers  la  noblesse,  368.  Ses  dépenses;  ses  dettes;  fêtes  qu'elle 
donne  :  à  Fontainebleau,  à  l'entrevue  de  Bayonne  et  à  l'arrivée 
des  ambassadeurs  polonais  à  Paris,  369-371 .  Détails  sur  cette 
dernière  fête,  371-372  ;  protégeait  les  artisans  et  surtout  les 
maçons  et  les  architectes  ;  châteaux  des  Tuileries ,  de  Saint- 
Maur,  de  Chenonceaux  ;  aimait  les  savants  ;  se  mocjuait  des 
libelles  faits  contre  elle,  373.  Coulevrine  qui  portait  son  nom, 
373-374  ;  aimait  à  lire  ;  Dardois,  secrétaire  du  connétable  ; 
correspondance  de  Catherine,  374.  Elle  parlait  bien  français; 
abolit  une  confrérie  à  Bordeaux,  374-375.  Respectée  du  duc 
de  Savoie  et  du  duc  de  Lorraine  ;  était  bonne  chrétienne  et  fort 
dévote;  aimait  la  musique;  sa  chambre  était  le  plaisir  de  la 
cour,  377.  Suite  nombreuse  de  belles  filles  qu'elle  avait  tou- 


TABLE   DES   MATIERES.  467 

jours  avec  elle;  de'tails  à  ee  sujet,  377-379.  Cours  de  Char- 
lemagne  et  de  Henri  II,  378-379.  Énumcration  des  dames 
et  demoiselles  qui  composaient  la  cour  de  Catherine ,  380- 
396.  Aventures  amoureuses  de  ((uelques-unes;  •galanterie  et 
luxe  de  la  cour  à  diverses  fêtes  et  en  voyage;  liabilicments  de 
Catherine;  gloire  de  Nique'e  ;  Virgile  cité,  397-400.  Conversa- 
tion de  Henri  IV  et  de  Biron  au  sujet  de  la  cour,  400.  Elle 
meurt  de  chagrin  du  meurtre  des  Guises  à  Blois;  ce  qu'elle  en 
dit  à  son  lils;  ses  obsèques;  quatrain  sur  elle,  401-402. 


DISCOURS  m. 

SUR    I.\    RtYXF.    D'tSCOSSE,    .I\DIS    KEYNE    DE    NOSTRE    FRANCE,    J).    4o:)-45;i. 

Naissance  de  Marie  Stuart ,  403  ;  sa  mère  ;  elle  est  emmenée 
enfant  en  France,  404.  Sa  beauté;  harangue  qu'elle  fait  en 
latin  à  quatorze  ans;  son  recueil  de  thèmes;  fait  faire  une  Rhé- 
torique françoise  à  Ant.  Fochin,  407.  Son  amour  de  l'étude  et 
de  la  poésie  ;  vers  faits  pour  elle  par  Ronsard,  du  Bellay  et 
Maisonfleur  ;  vers  à  Bothwell  qu'on  lui  a  faussement  attribués  ; 
vers  qu'elle  montrait  à  Brantôme  et  à  d'autres  gens  de  sa  cour; 
écrivait  bien  en  prose  ;  comment  elle  parlait  l'écossais  ;  por- 
trait d'elle  habillée  à  l'écossaise  ;  ce  qu'en  disaient  la  reine , 
mère  et  Charles  IX,  407  ;  blancheur  de  son  teint  ;  chanson  sur 
elle;  chantait  et  jouait  du  ludi,  408.  Son  mariage  avec  le  dau- 
phin ;  est  appelée  rcinc-dauphinc  et  son  mari  le  roi-dauphin  ; 
chanson  qu'elle  fit  sur  son  veuvage,  409-412  ;  son  retour  en 
Ecosse;  élégie  de  Maisonfleur  sur  son  départ,  413-414.  Bran- 
tôme l'accompagne  ;  relation  de  son  voyage,  41S-4I9.  Mot  de 
Chastelard  sur  elle,  418  ;  concert  qu'on  lui  donne  le  soir  de  son 
arrivée;  danger  que  court  son  aumônier,  419-420.  Meurtre 
de  son  secrétaire  David  Rizzio  ;  elle  refuse  d'épouser  le  roi  de 
Navarre  ;  son  mariage  avec  Darnlcy  qui  est  assassiné  ;  sa 
beauté;  calomnies  de  Buchanan  contre  elle,  419-422.  Elle  est 
enfermée  au  château  de  Lochlevin;  sa  délivrance  par  Beaton 
qui  en  conte  l'histoire  à  Brantôme.  Elle  se  met  à  la  tête  d'une 
armée  et  est  trahie  par  les  siens;  M.  de  Cros  en  fait  le  récit  à 
Brantôme,  422-424.  Elle  se  réfugie  en  Angleterre  oi!i  elle  est 
emprisonnée;  sa  condamnation  à  mort;  M.  de  Bellièvre  est  en- 


liGS  TABLE  DES   MATIERES. 

voyé  inutilement  près  d'Elisabeth  pour  obtenir  sa  grâce,  424- 
425,  441.  Récit  de  son  supplice  le  Martyre  de  la  reine  d'É- 
rosse,  cité,  42o-441;  Boccace  cilé,  431;  jMlle  de  Baré,  440.  Récit 
du  supplice  de  Conradin  et  de  son  cousin  le  duc  d'Autriche 
condamnes  par  Charles  d'Anjou;  Collenuccio  cit(',  441-444. 
F>ettrc  de  Pierre  d'Aragon  à  Charles  ;  Robert  de  Barry  tué  par 
Robert,  comte  de  Flandre,  444.  Charles,  prince  de  Salerne, 
est  fait  prisonnier  })ar  Roger  oe  Loria ,  445  ;  il  est  condamné 
à  mort  et  sauvé  par  la  reine  Constance,  446-447.  Mort  de 
Charles  d'Anjou;  massacre  des  Français  en  Sicile,  44S-446. 
Elisabeth  est  poussée  à  l'exécution  de  Marie  par  les  princes  et 
seigneurs  protestants  d'Allemagne  et  de  France,  447.  Hypo- 
crisie d'Elisabeth  ;  réponse  que  lui  fait  Marie  ;  vers  sur  sa 
mort,  448.  Son  tombeau  en  vers  latins,  449.  Amour  de  Chas- 
telard  pour  Marie  Stuart  ;  son  histoire  ;  relation  de  son  sup- 
plice à  Edimbourg,  449-453. 
Appbndiciî 454 


FIN    DE    LA    TABLE    DES    MATIERES. 


12740.^— Typographie  Labure,  rue  de  t'ieurus,   '.',  à  Purif, 


0 


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PQ      Brantôme,  Pierre  de  Bourdeille 

^oU5       Oeuvres  complètes 

Bo 

t.7 


7