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Full text of "Oeuvres complètes de Bourdaloue, de la Compagnie de Jésus"

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*H 


OEUVRES 


COMPLETES 


DE  BOURDALOUE, 

DE  LA  COMPAGNIE  DE  JÉSUS. 


DEUXIEME  PARTIE  DES  MYSTÈRES. 


TOME  ONZIEME. 


DE  L'IMPRIMERIE  DE  J.  B.  KINDELEM. 


OEUVRES 


COMPLETES 


DE  BOURDALOUE, 

DE  LA  COMPAGNIE  DE  JÉSUS; 

NOUVELLE  ÉDITION, 

AUGMENTÉE  D'UNE  NOTICE  SUR  SA  VIE  ET  SES  OUVRAGES, 
ET  D'UNE  TABLE  GÉNÉRALE  DES  MATIÈRES. 


TOME  ONZIEME. 


A  LYON, 

CHEZ  F.0,s  GUYOT,   LIBRAIRE -EDITEUR, 

R-UE   MERCIÈRE,  IV.0  5g  ,  AUX  TROIS  VERTUS  THEOLOGALES. 
I82I. 


T.   Il 


SERMON 


SUR 

LA  CONCEPTION  DE  LA  VIERGE. 


Jacob  autem  genuit  Joseph  virum  Maria?,  de  quâ 
natus  est  Jésus,  qui  vocatar  Christus. 

Jacob  fut  père  de  Joseph  ,  l'époux  de  Marie  ,  de 
laquelle  est  né  Jésus,  qu'on  appelle  Christ.  Ea  saint 
Matthieu,  chap.  i. 

Sire, 

Jun  peu  de  paroles ,  voilà  l'éloge  le  plus  accompli 
de  l'illustre  Vierge  dont  nous  célébrons  aujourd'hui 
la  fête  :  c'est  celle  de  qui  est  né  le  Sauveur  :  De 
quâ  natus  est  Jésus.  Voilà  ce  qui  rend  la  concep- 
tion de  Marie,  non-seulement  si  glorieuse,  mais 
si  sainte;  et  sur  quoi  saint  Augustin  s'est  fondé  , 
quand  il  a  dit  que,  pour  l'honneur  de  Jésus-Christ, 
il  exceptoit  toujours  Marie  lorsqu'il  s'agissoit  du 
péché  ,  et  qu'il  ne  pouvoitpas  même  souffrir  qu'on 
mît  en  question  si  elle  y  avoit  été  sujette.  Excepta 
Virgine  Maria,  de  quâ ,  propter  honorem  Do- 
mini  ,  nullam  prorsùs ,  cùm  de  peccato  agitur, 
haberi  volo  quœstionem.  La  raison  qu'il  en  ap- 
porte marque  encore  mieux  sa  pensée.  Car  nous 
savons,  ajoute  ce  saint  docteur,  que  cette  Vierge 
incomparable  a  reçu  d'autant  plus  de  grâces  pour 
tome  xi.  i 


fe  SUR   LA    CONCEPTION 

triompher  entièrement  du  péché  ,  que  c'est  elle 
qui  a  mérité  de  concevoir  et  de  porter  dans    ses 
chastes  entrailles  celui  que  la  foi  nous  assure  avoir 
été  exempt  de  tout  péché ,  et  absolument  incapable 
d'avoir  rien  de  commun  avec  le  péché  :  Inde  enim 
scimus  ,  quod  ei  tantô  plus  gratiœ  collatum  fuit 
ad  vincendum  ornni  ex  parle  peccatum  ,  quia 
concipere  et  parère  meruit  eum ,  quem  constat 
nullum  habuisse  peccatum.  Témoignage  bien  au- 
thentique en  faveur  de  la  sainte  Vierge;  règle  sûre, 
que  tout  prédicateur  de  l'Evangile  peut  suivre  en- 
core aujourd'hui,  puisqu'il  y  a  tant  de  siècles  que 
saint  Augustin ,  le  plus  grand  docteur  de  l'Eglise  , 
se    la    prescrivoit   lui-même  :  Excepta   Virgine 
Maria.  C'est  ce  qui  détermina  les  Pères  du  concile 
de  Trente  à  déclarer  que  leur  intention  n'étoit  pas 
de  comprendre  l'immaculée  et  bienheureuse  Mère 
de  Dieu  (car  ainsi  l'appellent- ils)  dans  le  décret 
où  il  s'agissoit  du  péché  d'origine  :  Déclarât  hœc 
sancta  sjnodus ,    non    esse    intentionis  suœ , 
comprehendere  in  hoc  decreto,  ubï  de  peccato 
originali  agitur ,  beatam  et  immaculatam  Dei 
genitricem.  Or,  le  saint  concile  n'ayant  pas  voulu 
la  confondre  avec  le  reste  des  hommes  dans  la  loi 
générale  du  péché,  qui  seroit  assez  téméraire  pour 
l'y  envelopper?  Tel  est  aussi  le  motif  pourquoi 
l'Eglise,  conduite  par  l'esprit  de  Dieu,  a  institué 
cette  fête  particulière  sous  le  titre  de  la  Concep- 
tion de  Marie.  Elle  prétend  honorer  la  grâce  pri- 
vilégiée et  miraculeuse  qui  sanctifia  la  Mère  de 
Dieu  dès  le  moment  qu'elle  fut  conçue;  et  c'est  à 


DE   LA    VIERGE.  3 

moi,  mes  chers  auditeurs,  de  contribuer  à  ce  des- 
sein de  l'Eglise,  et  de  vous  faire  trouver  dans  ce 
mystère  ,  tout  stérile  qu'il  paroit  pour  l'édification 
des  mœurs,  un  fonds  également  avantageux,  et 
pour  la  gloire  de  Marie ,  et  pour  notre  propre  uti- 
lité. Or  c'est,  comme  vous  l'allez  voir,  à  quoi  je 
me  suis  attaché.  Mais  il  me  faut,  Vierge  sainte, 
un  secours  puissant;  il  me  faut  des  lumières  pour 
m'éclairer,  des  grâces  pour  me  soutenir,  et  c'est 
par  vous  que  je  les  obtiendrai,  en  implorant  auprès 
de  Dieu  votre  intercession,  et  vous  disant  :  Ave , 
Maria, 

J'entre  dans  mon  sujet  par  une  pensée  qui  m'a 
paru  digne  de  toutes  vos  réflexions,  et  à  laquelle 
j'ai  cru  devoir  m'arrêter,  parce  qu'elle  me  fournit 
une  ample  matière  d'instruction  et  de  morale  tou- 
chant le  mystère  que  nous  solennisons.  Car  je  pré- 
tends que  ce  mystère ,  par  la  comparaison  que  nous 
devons  faire,  et  qu'il  nous  donne  lieu  de  faire  entre 
Marie  et  nous,  ou  plutôt  entre  la  conception  de 
Marie  et  la  nôtre  ,  nous  découvre  aujourd'hui  trois 
choses ,  en  quoi  consiste  la  science  la  plus  solide 
et  la  plus  salutaire  de  l'homme  chrétien ,  qui  est 
la  connoissance  de  nous-mêmes;  trois  choses  qu'il 
nous  est  surtout  important  de  bien  pénétrer,  et  que 
nous  ne  pouvons  ignorer,  sans  ignorer  le  fend  de 
notre  religion  :  savoir ,  ce  que  nous  sommes  sans  la 
grâce  ,  ce  que  nous  sommes  par  la  grâce,  et  ce  que 
nous  devons  à  la  grâce.  Quand  je  dis  la  grâce  , 
j'entends  celle  que  les  théologiens  appellent  grâce 
sanctifiante ,  et  qui  est  en  nous  le  plus  précieux  de 


4  SUR   LA  CONCEPTION 

tous  les  dons  de  Dieu ,  puisque  c'est  par  elle  que 
de  pécheurs  nous  devenons  justes,  et  d'ennemis  de 
Dieu  enfans  de  Dieu.  J'entends  cette  grâce  habi- 
tuelle que  Dieu  répand  dans  nos  âmes ,  et  qui  est 
l'effet ,  ou  du  baptême ,  que  je  puis  pour  cela  dé- 
finir ,  après  saint  Jérôme ,  le  sacrement  de  notre 
conception  spirituelle  et  de  notre  régénération  ;  ou 
de  la  pénitence  ,  qui ,  nous  tenant  lieu  d'un  second 
baptême,  est  le  sacrement  de  notre  justification. 
Je  prétends  ,  dis-je  ,  que  le  mystère  de  la  concep- 
tion de  Marie  ,  bien  médité  et  bien  approfondi , 
nous  fait  parfaitement  connoître  ces  trois  choses  : 
ce  que  nous  sommes  sans  la  grâce,  c'est-à-dire, 
la  corruption  de  notre  nature  par  le  péché;  ce  que 
nous  sommes  par  la  grâce,  c'est-à-dire,  l'excel- 
lence de  notre  sanctification  par  le  baptême  ;  ce 
que  nous  devons  à  la  grâce ,  c'est-à-dire ,  la  vigi- 
lance et  le  soin  avec  lequel  nous  devons  la  con- 
server en  nous  et  l'honorer.  Comprenez ,  s'il  vous 
plaît,  mon  dessein.  Marie,  par  le  privilège  de  sa 
conception,  pleinement  victorieuse  du  péché, nous 
fait  connoître,  par  une  règle  toute  contraire  ,  l'état 
malheureux  où  nous  a  réduits  le  péché  :  ce  sera  la 
première  partie.  Marie,  sanctifiée  par  la  grâce  de 
sa  conception  ,  nous  fait  connoître ,  avec  toute  la 
proportion  qu'il  peut  y  avoir ,  l'heureux  état  où. 
nous  sommes  élevés  parla  grâce  de  notre  adoption  : 
ce  sera  la  seconde  partie.  Marie ,  fidèle  à  la  grâce 
de  sa  conception  ,  nous  fait  connoître  par  sou 
exemple  l'obligation  indispensable  que  nous  avons 
île  ménager  et  d'honorer  la  grâce  en  vertu  de  la- 


DE   LA    VIERGE,  S 

quelle  nous  sommes  devant  Dieu  tout  ce  que  nous 
sommes  :  ce  sera  la  dernière  partie.  Or ,  être  ins- 
truit de  tout  cela,  c'est  avoir  une  connoissance 
entière  et  parfaite  de  nous-mêmes;  car  c'est  con- 
noître  tout  à  la  fois,  et  notre  véritable  misère,  et 
notre  solide  bonheur ,  et  notre  plus  important 
devoir:  voilà  ce  que  j'appelle  l'homme,  et,  selon 
l'expression  de  la  Sagesse ,  tout  l'homme  :  Hoc  est 
enim  omnis  homo  (i).  Notre  véritable  misère , 
pour  en  gémir  devant  Dieu  dans  l'esprit  d'une 
sainte  componction  ;  notre  solide  bonheur ,  pour  en 
bénir  Dieu ,  et  lui  en  rendre  grâce  dans  l'esprit 
d'une  humble  confiance  ;  et  notre  plus  important 
devoir ,  pour  l'accomplir ,  en  marchant  dans  la  voie 
de  Dieu ,  selon  l'esprit  et  les  règles  de  la  pru- 
dence chrétienne  :  c'est  tout  le  partage  de  ce 
discours,  et  ce  qui  demande  une  attention  parti- 
culière. 

PREMIÈRE    PARTIE. 

Ce  n'est  point  un  paradoxe  que  j'ai  avancé ,  mais 
un  principe  certain  que  j'ai  établi ,  quand  j'ai  dit 
que  le  privilège  de  la  conception  de  Marie  ,  par  où 
elle  a  triomphé  du  péché,  nous  fait  clairement 
connoître  l'état  malheureux  où  le  péché  nous  a 
réduits  ;  et  que  ,  pour  nous  bien  convaincre  de  ce 
que  nous  sommes  sans  la  grâce ,  nous  n'avons  qu'à 
nous  appliquer  le  mystère  de  ce  jour.  En  voici  la 
preuve.  Marie ,  au  moment  que  Dieu  la  forma  dans 
le  sein  de  sa  mère ,  se  trouva ,  par  l'avantage  sin- 

(0    Eccl»  13. 


6  SUR    LA   CONCEPTION 

gulier  de  sa  conception,  et  la  plus  illustre  ,  et  la 
plus  accomplie ,  et  la  plus  heureuse  de  toutes   les 
créatures.  La  plus  illustre  :  elle  étoit  de  la  maison 
royale  de  Juda  ;  et ,  comme  petite-fille  de  David  , 
combien  pouvoit-elle  compter  parmi  ses  ancêtres 
de  monarques  et  de  souverains  ?  La  plus  accom- 
plie :  elle   étoit  dès-lors  le   chef-d'œuvre  de  la 
toute-puissance  du  Créateur;  et,  par  les  qualités 
ëminentes  qui   la  distinguoient ,  et  qui  dévoient 
faire  de  sa  personne  le  miracle  de  son  sexe ,  rien 
dans  l'ordre  de  la  nature  ne  lui  pouvoit  être  com- 
paré. La  plus  heureuse  :  elle  étoit  conçue  pour  être 
la  mère  d'un  Dieu  ,  et  pour  donner  au  monde  un 
Rédempteur.  Rien  de  plus  vrai ,  Chrétiens.  Mais  , 
o  profondeur  et  abîme  des  conseils  de  Dieu  !  tout 
cela  sans  la  grâce ,  et  hors  de  la  grâce  dont  Marie , 
dans  sa  conception,  reçut  les  prémices,  non-seu- 
lement n'eût  été  de  nul  mérite  devant  Dieu ,  mais 
n'eût  pas  empêché  que  Marie  même  ,  malgré  tous 
ces  avantages,  ne  fût  personnellement  l'objet  de  la 
haine  de  Dieu  :  c'est  ce  que  la  foi  nous  oblige  de 
croire.  Or ,  quelle   conséquence  ne   devons-nous 
donc  pas  tirer  de  là ,  pour  comprendre  ce  que  c'est, 
par  rapport  à  nous ,  que  la  malédiction  du  péché , 
et  jusqu'où  s'étend  la  fatale  disgrâce  de  notre  ori- 
gine ?  Non  ,  mes  chers  auditeurs ,  Dieu ,  dont  le 
discernement  est  infaillible,  et  qui,  seul  juge  équi- 
table du  mérite  de  sa  créature,  sait  l'estimer  par 
ce  qu'elle  vaut,  ne  considéra  Marie  dans  sa  con- 
ception ,  ni  par  la  noblesse  de  sa  naissance ,  ni  par 
les  grâces  naturelles  dont  le  ciel  commençoit  déjà 


BE    LA    VIERGE.  f 

et  si  libéralement  à  la  pourvoir,  ni  même  absolu- 
ment parce  que  le  Saint  des  saints  devoit  naître- 
d'elle.  Cela  pouvoit  suffire  pour  rendre  sa  concep- 
tion glorieuse ,  mais  cela  ne  suffisoit  pas  pour  faire 
de  cette  Yierge  une  créature  selon  le  cœur  de  Dieu* 
Ainsi  Dieu  ne  l'estima,  Dieu  ne  la  regarda  comme 
sa  fille  bien-aimée ,  que  parce  qu'elle  lui  parut  dès- 
lors  revêtue  de  sa  grâce ,  et  affranchie  de  la  cor- 
ruption du  péché.  Vérité  si  constante  (ne  perdez 
pas  cette  remarque  de  saint  Chrysostôme ,  aussi 
édifiante  pour  vous  qu'elle  est  essentielle  au  sujet 
que  je  traite),  vérité  si  constante,  que  parce  qu'il 
y  a  eu  des  ancêtres  de  Marie  prévaricateurs,  im- 
pies, idolâtres  :  quoiqu'ancêtres  de  Marie  et  de 
Jésus-Christ  même,  ils  ont  néanmoins  été  réprouvés 
de  Dieu.  Par  où  Dieu,  ajoute  saint  Chrysostôme  ,  a 
voulu  montrer,  jusque  dans  les  ancêtres  de  son 
Fils ,  que  tout  ce  qui  ne  porte  pas  le  caractère  de 
la  sainteté  est  indigne  de  lui;  que  tout  ce  qui  esb 
infecté  de  la  contagion  du  péché,  quelque  grand 
d'ailleurs  qu'il  puisse  être  selon  le  monde ,  n'est  à 
ses  yeux  qu'un  sujet  de  réprobation.  Arrêtons-nous, 
là  ,  chrétiens  ;  et ,  sans  perdre  Marie  de  vue ,  com- 
mençons par  là  à  découvrir  ce  que  nous  sommes- 
Nous  avons  tous  été  conçus  dans  le  péché  ;  la 
foi  nous  l'apprend,  et  l'expérience  même  nous  le- 
fait  sentir.  Voilà  le  fond  de  notre  misère ,  que  nous 
prétendons  bien  connoître ;  et  moi,  je  vais  vous 
faire  voir  combien  il  s'en  faut  que  nous  ne  l'ayons 
jusques  à  présent  connu.  Ecoutez-moi,  et  vous  en 
allez  convenir.  Il  est  vrai ,  éclairés  des  lumières  de 


8  SUR    LA    CONCEPTION 

la  foi ,  nous  confessons  avec  l'Apôtre,  qu'an  mo- 
ment de  notre  conception  ,  nous  sommes  tous  en- 
fans  de  colère  :  Naturel  filii  irœ  (i);  et  il  n'y  a 
personne  qui  ne  soit  prêt  aujourd'hui  à  dire  àDieu 
comme  David  :  Ecce  in  iniquitatibus  conceptus 
swn  ,  et  in  peccatis  concepit  me  mater  mea  (2). 
Vous  voyez ,  Seigneur ,  que  j'ai  été  formé  dans 
l'iniquité ,  et  que  la  mère  qui  m'a  conçu,  m'a  conçu 
dans  le  péché.  Ainsi  parlons-nous  ,  quand,  touchés 
de  l'esprit  de  pénitence,  nous  entrons  dans  les 
sentimens  de  ce  saint  roi.  Nous  n'en  demeurons  pas 
là  :  parce  que  nous  avons  été  conçus  dans  le  péché, 
nous  nous  reconnoissons  de  bonne  foi  sujets  aux 
désordres  qu'il  produit,  et  qui  en  sont  les  tristes 
effets;  c'est-à-dire,  nous  savons  que  ce  premier 
péché  nous  a  attiré  un  déluge  de  maux  ,  et  que, 
par  les  deux  plaies  mortelles  qu'il  nous  a  faites  , 
l'ignorance  et  la  concupiscence ,  il  a  répandu  le 
venin  de  sa  malignité  dans  toutes  les  puissances  de 
notre  ame;  que  c'est  pour  cela  qu'il  n'y  a  plus  rien 
en  nous  de  sain  ;  que  notre  esprit  est  susceptible 
des  plus  grossières  erreurs  ;  que  notre  volonté  est 
comme  livrée  aux  plus  honteuses  passions  ;  que 
notre  imagination  est  le  siège  et  la  source  de  l  illu- 
sion ;  que  nos  sens  sont  les  portes  et  les  organes 
de  l'incontinence  ;  que  nous  naissons  remplis  de 
foiblesses,  assujettis  à  l'inconstance  et  à  la  vanité 
de  nos  pensées  ,  esclaves  de  nos  tempéramens  et  de 
nos  humeurs,  dominés  par  nos  propres  désirs. 
INous  n'ignorons  pas  que  de  là  nous  vient  cette 

(1)  Ephes.  2.  —  (2)  Psal.  5o. 


DE    LA   VIERGE.  g 

difficulté  de  faire  le  bien ,  cette  pente  et  cette  in- 
clination au  mal,  cette  répugnance  à  nos  devoirs, 
cette  disposition  à  secouer  le  joug  de  nos  plus  lé- 
gitimes obligations,  cette  haine  de  la  vérité  qui 
nous  corrige  et  qui  nous  redresse,  cet  amour  de  la 
flatterie  qui  nous  trompe  et  qui  nous  corrompt,  ce 
dégoût  de  la  vertu ,  ce  charme  empoisonné  du 
vice  :  de  là  cette  guerre  intestine  que  nous  sentons 
dans  nous-mêmes ,  ces  combats  de  la  chair  contre 
la  raison,  ces  révoltes  secrètes  de  la  raison  même 
contre  Dieu ,  cette  bizarre  obstination  à  vouloir  tou- 
jours ce  que  la  loi  nous  défend,  parce  qu'elle  nous 
le  défend ,  et  à  ne  vouloir  point  ce  qu'elle  nous 
commande  ,  parce  qu'elle  nous  le  commande  ;  à 
aimer  par  entêtement  ce  qui  souvent  en  soi  n'est 
point  aimable ,  et  à  rejeter  injustement  et  opiniâtre- 
ment ce  qu'on  nous  ordonne  d'aimer,  et  ce  qui 
mériteroit  de  l'être.  Renversement  monstrueux,  dit 
saint  Augustin ,  mais  qui ,  par  là  même  qu'il  est 
monstrueux,  devient  la  preuve  sensible  du  péché 
que  nous  contractons  dans  notre  origine,  et  que 
nous  apportons  en  naissant.  Voilà  ,  encore  une 
fois ,  ce  que  nous  éprouvons  ,  et  ce  que  nous  re- 
gardons comme  les  suites  malheureuses  de  notre 
conception.  Or,  convenir  de  tout  cela  ,  me  direz- 
vous,  n'est-ce  pas  suffisamment  nous  connoître  ? 
Non ,  mes  chers  auditeurs ,  entre  les  effets  de  ce 
premier  péché  dont  je  parle,  il  y  en  a  encore  de  plus 
aftligeans ,  et  à  la  connoissance  desquels  le  mystère 
que  nous  célébrons  nous  conduit.  Ce  n'est  là  que 
le  fonds  de  notre  misère  :  mais  prenez  garde  ;  en 


10  SUR    LA    CONCEPTION 

voici  le  comble,  en  voici  l'excès,  en  voici  le  pro- 
dige, en  voici  l'abus,  en  voici  la  malignité,  en 
voici  l'abomination  ,  et  si  ce  terme  ne  suffit  pas ,  en 
voici ,  pour  m'exprimer  avec  le  Prophète,  l'abomi- 
nation de  désolation.  Autant  de  points  que  je  vous 
prie  de  bien  suivre  ,  parce  qu'étant  ainsi  distingués, 
et  l'un  enchérissant  toujours  sur  l'autre,  c'est  de 
quoi  vous  donner  par  degrés  une  idée  juste  de  ce 
fonds  de  corruption  que  nous  avons  à  combattre  , 
et  que  la  grâce  de  Jésus-Christ  doit  détruire  en  nous. 
Je  reprends  et  je  m'explique. 

Le  comble  -de  notre  misère  ,  c'est  que  notre  mi- 
sère même,  quoique  humiliante,  ne  nous  humilie 
pas;  et  que,  malgré  tant  de  sujets    qu'elle  nous 
donne  de  nous  confondre ,  nous  ne   laissons  pas 
d'être  encore  remplis  d'orgueil.  Pour  être  aveugles , 
foibles  ,  pauvres  ,  misérables  (car  fussions-nous 
d'ailleurs  les  dieux  de  la  terre ,  tel  est,  en  qualité 
d'enfans  d'Adam,  notre   apanage   et  notre  sort), 
nous   n'en  sommes  pas  moins  prévenus  d'estime 
pour  nous-mêmes.  Pour  être  dégradés  et  dépouillés 
de  tous  les  privilèges  de  l'innocence ,   nous  n'en 
sommes  pas   moins  contens  de  nous-mêmes  ;   pas 
moins  occupés  de  nous-mêmes ,  pas  moins  ama- 
teurs ni  moins  idolâtres  de  nous-mêmes.  Marie , 
avec  la  plénitude  de  la  grâce,  a   été  humble;   et 
nous ,  avec  le  néant  du  péché  ,  nous  sommes  su- 
perbes. Oui ,  mes  frères,  voilà  le   désordre   que 
nous  avons  tous  a  nous  reprocher.  Beaucoup  d'igno- 
rance, jointe  à  beaucoup  de  présomption;  foiblesses 
extrêmes ,  soutenues  d'une  pitoyable  vanité  ;  indi- 


DE    LA   VIERGE.  lï 

gence  affreuse  des  vrais  et  solides  mérites ,  accom  - 
pagnée  d'une  enflure  de  cœur,  qui  seule,  selon 
l'Ecriture,  suffiroit  pour  nous  attirer  l'indignation 
de  Dieu  :  car  qu'y  a-t-il  de  plus  propre  à  irriter  la 
colère  de  Dieu  ,  qu'un  pauvre  orgueilleux  ?  Or,  qui 
de  nous ,  s'il  se  connoît  bien ,  n'avouera  pas  qu'il 
a  part  ,  comme  pécheur ,  à  cette  malédiction»? 
Pauperem  superbum  odivit  anima  mea  (i).  Il 
y  a  plus. 

L'excès  de  notre  misère,  c'est  qu'étant  aussi  dé- 
plorable que  je  vous  l'ai  représentée ,  toute  déplo- 
rable qu'elle  est ,  nous  ne  la  déplorons  pas.  Les 
Saints  et  les  élus  de  Dieu  en  ont  gémi,  et  nous  n'en 
sommes  pas  touchés.  Saint  Paul ,  dans  l'amertume 
de  son  ame ,  s'en  est  affligé ,  et  nous  nous  en  con- 
solons. Ah  !  Seigneur ,  s'écrioit  le  saint  homme  Job, 
pourquoi  m'avez-vous  mis  dans  une  disposition  qui 
me  rend  si  contraire  à  vous ,  et  pourquoi  par  là  me 
suis-je  devenu  insupportable  à  moi-même  ?  Quare 
posuisti  me  contrarium  tibi ,  etfactus  sum  mihi- 
metipsi  gravis  (2)  1  Est-ce  ainsi  que  parle  un  mon- 
dain; est-ce  ainsi  qu'il  pense  ?  non  :  insensible  à  ses 
maux ,  il  souffre  tranquillement  cet  état  de  contra- 
riété entre  Dieu  et  lui.  S'il  gémit  sous  le  joug  de 
ses  passions  ,  ce  n'est  point  parce  que  ses  passions 
le  rendent  contraire  à  Dieu ,  mais  parce  qu'elles 
troublent  son  repos ,  mais  parce  qu'elles  lui  causent 
de  mortels  chagrins  ,  mais  parce  qu'il  se  voit  sou- 
vent dans  l'impuissance  de  les  satisfaire.  De  ce 
qu'elles  le  tiennent  captif  sous  la  loi  du  péché  > 
(i)  Eccli;  a5.  —  (2)  Jojj.  7. 


12  DE    LA     CONCEPTION 

c'est  à  quoi  il  ne  fait  nulle  attention.  Il  est  esclave 
de  la  concupiscence  qui  le  domine ,  maïs  esclave 
volontaire ,  parce  qu'il  en  veut  bien  être  domine. 
Il  sent  dans  son  cœur  mille  révoltes  intérieures 
contre  Dieu  :  et  ces  révoltes  continuelles  et  si  dan- 
gereuses, bien  loin  de  l'étonner,  ne  lui  donnent 
pas  la  moindre  inquiétude.  Pourvu  qu'il  arrive  à 
ses  fins,  il  consent  à  vivre  sous  l'empire  de  la  chair, 
et  à  être  vendu  au  péché.  A  combien  de  pécheurs 
du  siècle  ce  tableau  n'expose-t-il  pas  leurs  véri- 
tables ,  mais  damnables  sentimens  ?  Allons  plus 
avant. 

Le  prodige  de  notre  misère,  c'est  qu'au  lieu  de 
la  déplorer,  nous  nous  aveuglons  tous  les  jours 
jusqu'à  nous  en  féliciter,  jusqu'à  nous  en  glorifier. 
Car  où  est  l'ambitieux  qui  ne  s'applaudit  pas  inté- 
rieurement des  idées  ,  des  projets  ,  des  succès  de 
son  ambition  ?  où  est  le  riche  avare  qui  ne  se  sait  pas 
bon  gré  de  ses  sordides  épargnes  et  de  son  avarice? 
où  est  l'impudique  qui  ne  met  pas  son  bonheur 
dans  ses  infâmes  voluptés  ?  où  est  le  vindicatif  qui 
ne  se  fait  pas  un  triomphe  de  sa  vengeance?  Ces 
passions ,  dont  l'Apôtre  de  Jésus-Christ  faisoit  le 
sujet  de  sa  douleur  ,  à  mesure  que  nous  oublions 
Dieu,  deviennent  le  sujet  de  notre  joie.  Par  un  ren- 
versement de  religion  et  même  de  raison  ,  ces  pas- 
sions deviennent  nos  divinités  ;  nous  leur  faisons 
sans  cesse  des  sacrifices,  nous  leur  obéissons  aveu- 
glément :  non  contens  de  leur  être  soumis  nous- 
mêmes  ,  nous  exigeons  des  autres  qu'ils  s'y  sou- 
mettent ;  nous  voulons  qu'ils  en  soient  les  appro- 


DE    LA    VIERGE.  l3 

foateurs  :  entrer  dans  nos  passions,  c'est  savoir 
nous  plaire  ;  les  contredire  ,  c'est  nous  offenser  : 
plus  ces  passions  sont  vives  et  ardentes ,  moins  nous 
souffrons  qu'on  y  résiste  ;  plus  elles  sont  honteuses , 
plus  nous  sommes  jaloux  qu'on  les  respecte ,  et 
qu'on  ne  les  choque  pas.  Ce  que  je  dis,  n'est-ce 
pas  le  monde  tel  qu'il  est  ;  et  cela  même ,  si  nous 
avons  une  étincelle  de  christianisme,  ne  doit-il  pas 
nous  faire  horreur?  Yoici  néanmoins  quelque  chose 
encore  au-delà. 

L'abus  de  notre  misère ,  c'est  que  nous  en  ti- 
rons même  avantage,  jusqu'à  nous  enservir comme 
d'une  excuse  dans  nos  péchés  ,  et  jusqu'à  nous  en 
prévaloir  contre  Dieu.  Au  lieu  que  David  deman- 
doit  humblement  à  Dieu  d'êfre  guéri  de  sa  foi- 
blesse ,  s'en  accusant  comme  d'un  mal  :  Miserere 
met  ,  Domine  ,  quoniam  infirrnus  sum  ;  sana 
me  (i),  nous  alléguons  la  notre  comme  une  raison 
que  nous  supposons  devoir  couvrir  nos  dérégle- 
mens ,  et  nous  tenir  lieu  de  justification  ,  c'est-à- 
dire,  parce  que  nous  sommes  foibles,  et  que  nous 
avons  été  conçus  dans  le  péché ,  nous  voulons  que 
Dieu  dissimule  nos  crimes,  qu'il  les  tolère,  et 
qu'il  ne  les  recherche  pas  dans  toute  la  rigueur 
de  sa  justice.  Mieux  instruits  que  lui-même  de 
l'équité  de  ses  jugemens,  nous  prétendons  que, 
parce  qu'il  connoît  notre  fragilité  ,  il  soit  moins 
en  droit  de  nous  condamner  et  de  nous  punir  ;  et 
à  force  de  le  prétendre  ,  nous  nous  accoutumons 
à  le  penser   et  à  le   croire.  Dieu ,   qui  selon  les 

(i)  Psalm.  G. 


l4  DE    LA    CONCEPTION 

oracles  de  l'Ecriture ,  est  le  vengeur  inexorable 
du  péché  ,  nous  paroît ,  pour  des  créatures  aussi 
fragiles  que  nous  le  sommes,  un  Dieu  trop  sévère 
et  trop  rigide  :  ou  plutôt ,  selon  notre  caprice 
et  notre  sens ,  nous  nous  en  faisons  un  Dieu  plus 
humain ,  un  Dieu  plus  condescendant  à  nos  incli- 
nations ,  un  Dieu  moins  ennemi  de  nos  désordres  ; 
parce  qu'étant,  disons-nous,  l'auteur  de  notre  être, 
il  sait  de  quelle  masse  il  nous  a  tirés ,  et  qu'il 
n'exige  pas  de  nous  une  sainteté  si  parfaite.  Car 
ne  sont-ce  pas  là  les  téméraires  et  pernicieux  rai- 
sonnemens  que  forme  tous  les  jours  l'impiété?  Et 
voilà  ce  que  j'appelle  abuser  de  notre  misère  même. 
La  malignité  de  notre  misère,  c'est  que  le  péché 
dans  lequel  nous  sommes  conçus ,  par  une  funeste 
qualité  qui  lui  est  propre ,  infecte  en  nous  tout  ce 
qui  vient  de  Dieu ,  et  tout  ce  que  nous  avons  re- 
çu de  Dieu  :  talens  de  l'esprit ,  forces  du  corps , 
capacité  ,  santé  ,  noblesse ,  beauté ,  dons  de  la  na- 
ture ,  et  par  conséquent  du  Créateur;  prospérités, 
honneurs  ,  dignités  ,  richesses  ,  dons  de  fortune, 
c'est-à-dire  ,  de  la  Providence  ;  mais  tout  cela , 
par  le  malheur  de  notre  conception  ,  occasion  de 
péché  ,  instrument  de  péché  ,  source  de  péché. 
Yoilà  ce  qui  perd  l'homme  chrétien  ,  mais  ce  que 
l'homme  charnel  et  mondain  ne  sent  pas  et  ne 
comprend  pas.  Permettez-moi  de  vous  le  faire 
comprendre  ,  et  d'en  tirer  la  preuve  de  vous- 
mêmes.  Dans  l'ordre  naturel  des  choses  ,  plus 
vous  êtes  heureux  selon  le  monde  ,  plus  vous 
devriez  être  soumis  à  Dieu  et  reconnoissans  envers 


DE   LA  VIERGE.  l5 

Dieu.  Mais  parce  que  le  péché  a  renversé  dans 
vous  ce  bel  ordre,  plus  Dieu  vous  comble  de  ses 
biens  ,  plus  il  semble  que  vous  soyez  nés  pour  lui 
être  ingrats  et  rebelles.  Jusques  à  ses  grâces  et  à  ses 
faveurs ,  tout  vous  pervertit  ;  la  prospérité  vous 
corrompt ,  les  honneurs  vous  enflent,  les  richesses 
entretiennent  votre  luxe,  la  santé  vous  fait  oublier 
le  soin  du  salut.  Si  Dieu ,  par  des  moyens  tout 
contraires,  veut  vous  forcer  de  retourner  à  lui, 
les  remèdes  qu'il  y  emploie  se  tournent  pour  vous 
en  poison  :  l'adversité  vous  irrite  ,  l'humiliation 
vous  désespère  ,  la  disette  ,  (  car  où  n'est-elle  pas , 
et  quelles  conditions  en  sont  exemptes?  )  la  disette 
vous  fait  tomber  dans  l'injustice,  et  l'infirmité  dans 
le  relâchement  et  la  tiédeur.  Ce  qui  devroit  vous 
sanctifier,  vous  endurcit  ;  et  ce  qui  devroit  vous 
convertir  et  vous  rapprocher  de  Dieu  ,  vous  en 
éloigne.  Tant  il  est  vrai  que  le  péché  a  comme 
anéanti ,  ou  plutôt  a  corrompu  dans  vous  tous  les 
dons  de  Dieu,  et  ruiné  pleinement  et  absolument 
l'œuvre  de  Dieu.  Peut- on  rien  ajouter  à  ceci? 
oui ,  mes  chers  auditeurs  ,  et  ce  que  j'y  ajoute  est 
encore  infiniment  plus  digne  de  nos  larmes. 

L'abomination  de  notre  misère  ,  c'est  que ,  non 
contens  d'être  enfans  de  colère  par  nature ,  nous  le 
sommes  ,  et  nous  voulons  bien  l'être  par  notre 
choix.  Avoir  péché  dans  autrui ,  et  naître  ennemi 
de  Dieu  par  la  nécessité  inévitable  de  notre  ori- 
gine ,  c'est  la  malédiction  commune  où  nous  nous 
plaignons  d'avoir  été  enveloppés  :  mais  nous  en 
plaignons-nous  de  bonne  foi  ,  tandis  que  nous  y 


16  SUR    LA    CONCEPTION 

joignons  celle  d'être  encore  ennemis  de  Dieu  par 
un  libre  consentement  de  notre  volonté  ?  Or  , 
vous  le  savez  ,  hommes  mondains  à  qui  je  parle; 
vous  savez  jusqu'où  sur  ce  point  va  le  liberti- 
nage du  siècle  ,  et  souvent  jusqu'à  quel  excès  vous 
l'avez  vous-même  porté.  Avoir  été  conçus  dans  le 
péché,  c'est  le  sort  de  toute  la  postérité  d'Adam  ; 
mais  vivre  impunément  dans  le  péché ,  mais  se 
plaire  dans  le  péché ,  mais  faire  gloire  du  péché  , 
mais  s'endurcir  dans  le  péché ,  mais  persévérer 
avec  obstination  dans  le  péché  ,  mais  s'exposer  sans 
crainte  au  danger  prochain  de  mourir  dans  l'état  du 
péché,  mais  vouloir  bien  actuellement  mourir  dans 
son  péché  ,  c'est  le  sort  particulier,  mais  le  sort 
affreux  ,  de  je  ne  sais  combien  d'ames  perverties  , 
que  le  torrent  du  monde  entraîne  :  et  Dieu  veuille 
qu'entre  ceux  qui  m'écoutent,  il  n'y  en  ait  point  de 
ce  nombre.  Job  demandoit  à  Dieu  ,  que  le  jour 
pérît,  où  il  avoit  été  conçu.  Il  souhaitoit  que  ce 
jour  eût  été  changé  en  ténèbres,  que  jamais  le  so- 
leil ne  l'eût  éclairé,  et  qu'il  eût  pu  être  effacé  du 
nombre  des  jours  ;  et  il  avoit  raison,  dit  saint  Au- 
gustin ,  puisque  c'étoit  le  jour  malheureux  où  il 
avoit  commencé  d'être  pécheur,  et,  sans  le  vouloir 
même ,  ennemi  de  Dieu.  Que  fait  le  libertin  ?  par 
un  sentiment  bien  contraire  ,  il  compte  parmi  les 
beaux  jours  de  sa  vie,  certains  jours,  où,  librement 
et  sans  remords  ,  il  s'est  livré  à  l'esprit  impur:  ces 
jours  infortunés  qu'il  a  passés  dans  le  crime  ;  ces 
jours  où,  pour  se  satisfaire  ,  il  a  renoncé  à  son  Dieu; 
ces  jours  ,  en  eux-mêmes  pleins  d'horreur ,  ne  lais- 


DE    LA    VIERGE.  iy 

sent  pas,  parce  qu'il  est  sensuel  et  voluptueux, 
de  se  représenter  à  lui  comme  des  jours  agréables: 
il  en  conserve  le  souvenir;  il  en  souhaiteroit  le  re- 
tour ;  bien  loin  de  pleurer  parce  qu'ils  ont  été, 
son  chagrin  est  qu'ils  ne  sont  plus.  Mais  ,  sans  par- 
ler précisément  du  libertin,  et  sans  l'être,  mes  chers 
auditeurs  ,  le  honteux  reproche  que  nous  avons  au- 
jourd'hui à  nous  faire  ,  c'est  qu'à  ce  péché  d'ori- 
gine contracté  par  une  autre  volonté  que  la  nôtre  , 
nous  ajoutons  de  notre  chef  mille  autres  péchés  per- 
sonnels, d'autantplus  punissables  devant  Dieu,  que 
nous  les  commettons  souvent  de  dessein  formé  ,  et 
que  nous  ne  pouvons  les  imputer  qu'à  nous-mêmes. 
Péchés  qui  ne  sont  ni  d'ignorance,  ni  de  surprise: 
mais  qui,  procédant  d'une  malice  pure,  ont  encore 
plus  d'opposition  à  la  sainteté  de  Dieu ,  et  par  là 
doivent  beaucoup  plus  outrager  Dieu;  péchés  qu'il 
nous  seroit  facile  d'éviter ,  et  auxquels  nous  ne  suc- 
combons que  parce  que  nous  ne  comptons  pour  rien 
d'y  succomber  ;  péchés  dont  nous  recherchons  l'oc- 
casion ,  dont  nous  attirons  la  tentation ,  dont  nous  ne 
craignons  point  de  courir  le  risque,  et  qui ,  par  tou- 
tes ces  circonstances,  portent  avec  eux  un  caractère 
particulier  de  réprobation  ,  puisqu'il  est  vrai  alors 
que  nous  sommes  enfans  de  colère,  non  plus  par 
nature  et  par  nécessité,  mais  par  notre  propre  vo- 
lonté. Ai-je  pu  mieux  vous  exprime!  l'abomination 
de  notre  misère  l  Ne  nous  lassons  point  d'en  sonder 
l'abîme  profond ,  et  sur  cela  écoutez  ce  qui  me 
reste  à  vous  dire. 

L'abomination  de  désolation  dans  notre  misère , 
TOME   xi.  a 


î8  SUR    LA    CONCEPTION 

c'est  qu'au  lieu  que  la  grâce  qui  sanctifia  la  con-^ 
ception  de  Marie,   a  parfaitement   et  absolument 
triomphé  dans  sa  personne  du  péché  originel ,  nous , 
au  contraire,  malgré  la  grâce  du  baptême,  qui  ef- 
face en  nous  ce  péché,  par  un  dernier  désordre  qui 
ne  peut  être  attribué  qu'à  la  dépravation  de  notre 
cœur  ,  nous  suscitons  encore  tous  les  jours  dans  le 
christianisme  ,  si  j'ose  ainsi  m'exprimer  ,  de  nou- 
veaux péchés  originels  ,  pires  que  le  premier ,  et 
d'une    conséquence  pour   nous  plus  pernicieuse» 
Qu'est-ce  à  dire,  nouveaux  péchés  originels?  c'est- 
à-dire  ,  certains  péchés  dont  nous  sommes  les  au- 
teurs, et  qui,  par  une  fatale  propagation,  se  com- 
muniquant et  se  répandant  ,  passent  de  nos  per- 
sonnes dans  celle  des  autres.  J'appelle  péchés  ori- 
ginels, ces  péchés  de  scandale  contre  lesquels  le 
Fiis  de  Dieu  a  prononcé  dans  l'Evangile  de  si  fou- 
droyans  anathêmes  :  j'appelle  péchés  originels  ,  cer- 
tains péchés  des  pères  et  des  mères  à  l'égard  de  leurs 
enfans;  d'un  père,  qui  par  succession,  inspire  à  son 
fds  ses  inimitiés  et  ses  vengeances;  d'une  mère  qui, 
oubliant  qu'elle  est  chrétienne  ,  pervertit  sa  fille  en 
lui  inspirant  la  vanité  et  l'amour  du  monde  :  j'ap- 
pelle péchés  originels  ,  certains  péchés  des  chefs 
de  famille  à  l'égard  de  leurs   domestiques  ;   d'un 
maître  ,  qui ,  pire  qu'un  infidèle  ,  fait  des  siens  les 
ministres  de   ses   débauches  ;   d'une  femme  qui  , 
abusant  de  son   autorité  ,    engage  la   conscience 
d'une  jeune  personne    que    Dieu  lui  a  confiée  , 
et  la  perd  en  l'obligeant  à  être  la  confidente  de 
ses   intrigues  :    j'appelle  péchés  originels  „   cer- 


DE    LA    VIERCE.  .      j§ 

tains  péciiés  des  grands  à  l'égard  des  peuples  ,  des 
prêtres  à  l'égard  des  laïques  ,  des  supérieurs  à  l'é- 
gard de  leurs  inférieurs.  En  quoi  le  péché  d'Adam 
fut  -  il  si  énorme  devant  Dieu  ?  en  ce  qu'il  ne  fut 
pas  le  péché  d'un  seul ,  mais  de  plusieurs  ;  en  ce 
qu'Adam  violant  le  précepte ,  nous  comprit  tous 
dans  le  malheur  de  sa  désobéissance  ;  en  ce  qu'é- 
tant notre  chef,  il  ne  put  commettre  ce  péché  sans 
nous  en  rendre  coupables.  C'est  un  mystère  de  foi 
que  nous  révérons  :  mais  ce  qui  nous  paroît  mys- 
tère dans  le  péché  d'Adam,  est  évident  et  sensible 
dans  les  espèces  de  péché  que  je  viens  de  vous  mar- 
quer. Car  je  dis  toujours  que  la  désolation  de  notre 
misère  est  de  répandre  sur  autrui  notre  iniquité  ; 
est  de  ne  nous  pas  contenter  d'être  pécheurs,  mais 
de  pervertir  avec  nous  des  âmes  innocentes ,  de  les 
rendre  complices  de  nos  désordres,  et  de  les  en 
charger;  et  d'être,  aussi  bien  qu'Adam  ,  le  prin- 
cipe et  la  source  de  leur  damnation.  Ah  !  chrétiens 
n'est-ce  pas  ici  que  je  pourrois  m'écrier  avec  le  pro- 
phète Jérémie,  et  conclure  avec  lui  :  Quis  dabit 
capitimeo  aquam,  et  oculis  meis  fontem  lacry- 
marum  (1)  l  Qui  donnera  à  mes  yeux  une  fontaine 
de  larmes  pour  pleurer  jour  et  nuit  de  pareils  mal- 
heurs? malheurs  qui  sont  les  suites  du  premier  péché; 
mais  malheurs  infiniment  plus  déplorables  que  ce  pé- 
ché là  même  dont  nous  ressentons  les  tristes  effets. 
Vous  seule ,  ô  glorieuse  Vierge  ,  avez  été  pré- 
servée de  cette  corruption  et  de  cette  malédiction 
originelle  ;  vous  seule  dans  votre  conception  ave? 

(0   Jcreia.  9, 


20  SUR    LA    CONCEPTION 

paru  devant  Dieu  pure  et  sans  tache  ;  mais  c'est 
pour  cela  même  que  nous  recourons  à  vous,  et  que 
nous  implorons  votre  protection  toute -puissante. 
Car  le  privilège  que  vous  avez  reçu  de  Dieu  pour 
être  exempte  de  nos  misères  ,  ne  peut  vous  inspirer 
pour  nous  que  de  la  compassion.  Vous  êtes  la  mère 
de  miséricorde;  mais  vous  ne  pouvez  l'être  que  pour 
nous ,  et  pour  nous  comme  pécheurs.  Votre  gloire 
dépendoit  en  quelque  façon  de  notre  disgrâce,  et 
s'il  n'y  avoit  eu  des  pécheurs  ,  vous  n'auriez  jamais 
mis  au  monde  celui  qui  les  a  sauvés ,  et  par  con- 
séquent jamais  vous  n'auriez  été  Mère  de  Dieu. 
C'est  donc  avec  une  ferme  confiance  que  nous  nous 
prosternons  devant  vous.  Malheureuse  postérité 
d'une  mère  pécheresse,  mais  trouvant  en  vous  une 
mère  sainte  et  une  mère  charitable  ,  nous  vous 
adressons  nos  prières  et  nos  vœux ,  nous  poussons 
vers  vous  des  soupirs  ;  et  les  secours  que  nous  vous 
demandons ,  c'est  pour  apprendre  à  nous  humilier 
dans  la  vue  de  notre  misère  ,  à  la  déplorer ,  à  n'en 
pas  tirer  an  moins  une  vaine  gloire  ,  à  n'en  pas  abu- 
ser ,  à  ne  la  pas  augmenter  ;  enfin ,  à  connoître  non- 
seulement  ce  que  nous  sommes  sans  la  grâce  ,  mais 
aussi  ce  que  vous  avez  été  et  ce  que  nous  sommes 
par  la  grâce.  Nous  Talions  voir  dans  la  seconde 
partie. 

DEUXIÈME    PARTIE. 

C'est  le  sentiment  de  toute  l'Eglise,  qui  nous 
doit  ici  tenir  lieu  de  règle  ,  que  Marie  après  Jésus- 
Christ  a  été  la  première  des  élus  de  Dieu  ;  et  il 
est  d'ailleurs  évident  que  le  premier  effet  de  son 


DE    LA    VIERGE.  ^ï 

élection  ou  de  sa  prédestination,  a  été  la  grâce  sin- 
gulière en  quoi  j'ai  fait  consister  le  privilège  de  sa 
conception.  Grâce  souveraine,  dont  elle  put  bien 
dire  dès-lors  :  Tout  ce  que  je  suis,  et  tout  ce  que 
je  serai  jamais ,  je  le  suis  en  vertu  de  cette  grâce , 
dont  Dieu  me  prévient  aujourd'hui  :  Gratid  Del 
sum  id  quod  sum  (i).  Grâce  féconde,  qui  dès  ce 
moment  là  lui  donna  lieu  de  pouvoir  ajouter  avec 
l'Apôtre ,  mais  bien  plus  justement  que  l'Apôtre  : 
Et  gratia  ejus  in  me  vacua  non  fuit  (u)  ;  Et 
cette  grâce  de  mon  Dieu  n'a  point  été  stérile  en 
moi.  Car  il  est  vrai ,  chrétiens,  que  cette  grâce  fut, 
à  l'égard  de  Marie ,  comme  une  onction  céleste 
dont  Dieu  la  remplit  dans  l'instant  même  qu'elle  fut 
conçue.  Mais  pourquoi? pour  sanctifier  sa  personne, 
et  pour  relever  le  mérite  de  toutes  les  actions  de 
sa  vie.  Ne  perdez  rien  de  ces  deux  pensées.  Pour 
sanctifier  sa  personne  de  la  manière  la  plus  par- 
faite et  la  plus  avantageuse,  dont  une  pure  créature 
peut  être  sanctifiée  au-dessous  de  Dieu  ,  et  pour  re- 
lever le  mérite  de  toutes  les  actions  de  sa  vie  ,  c'est- 
à-dire  ,  pour  rendre  toutes  ses  actions  précieuses 
devant  Dieu  ,  et  digues  de  Dieu.  Deux  merveilleux 
effets  que  je  distinguent  qui,  par  les  deux  consé- 
quences que  j'en  tirerai,  en  comparant  toujours  la 
conception  de  Marie  avec  la  nôtre,  nous  feront 
connoître  à  nous-mêmes  l'heureux  état  où  nous 
élève  par  le  baptême  la  grâce  de  notre  adoption. 

Grâce  qui  sanctifia  la  personne  de  Marie,  et  qui 
la  sanctifia  de    la  manière   qui   convenoit  à   une 

(»)i.Cor.  i5.  —  (2)  Ibid. 


$Z  SUR.    LA   CONCEPTION 

créature  que  Dieu  formoit  actuellement ,  et  qu'il 
destinoit  pour  être  la  mère  de  son  Fils.  Car  dans 
ee  bienheureux  moment,  Marie  déjà  pleine  de 
grâce ,  et  pleine  de  l'esprit  de  Dieu ,  eut  droit  de- 
dire  bien  mieux  qu'Isaïe  :  Dominas  ab  utero  vo- 
cavit  me  (i)  ;  Avant  que  je  visse  le  jour,  le  Sei- 
gneur m'a  appelée  :  De  ventre  matris  meœ  re- 
corda tus  est  nominis  met  (2)  ;  Dès  le  sein  de  ma 
mère  il  m'a  fait  sentir  l'impression  de  sa  grâce ,  et 
s'est  souvenu  de  mon  nom.  Oui ,  dès  cet  instant 
le  Verbe  de  Dieu  se  souvint  de  l'auguste  nom ,  du 
sacré  nom  ,  du  nom  vénérable  que  Marie  devoit  un- 
jour  porter,  et  parce  que  c'étoit  d'elle  qu'il  vouloit 
naître  :  au  lieu  qu'il  dit  à.  Isaïe  :  Servus  meus  es 
tu  ,  quia  in  te  gloriabor  (3)  ;  Vous  êtes  mon  ser- 
viteur, et  c'est  en  vous  que  je  me  glorifierai  :  il- dit 
à  Marie ,  quoiqu'elle  fut  son  humble  servante  :  Vous 
êtes  celle  que  j'ai  choisie  pour  être  ma  mère;  car 
c'est  en  cette  qualité  que  vous  êtes  aujourd'hui 
conçue  ;  et  voilà  pourquoi  non-seulement  je  me 
glorifierai,  mais  dès  maintenant  je  me  glorifie  en 
vous.  Dès  cet  instant  là ,  dis-je  ,  le  Verbe  de  Dieu , 
en  vue  de  son  incarnation  prochaine  ,  se  fit  comme 
une  gloire  particulière  ,  et  crut  se  devoir  à  lui-» 
même  de  sanctifier  cette  Vierge,  de  l'enrichir  de 
ses  dons  ,  et  de  la  combler  de  ses  faveurs  les  plus 
exquises.  Le  souvenir  que  c'étoit  celle  dont  il  de-? 
voit  être  bientôt  le  Fils  ,  sa  tendresse  lui  fit  oublie? 
les  lois  générales  de  sa  justice  rigoureuse  ,  pour  la 
séparer  de  la  masse  commune  des  enfans  d'Adam  ; 

'.-)  Isaïc.  4g.  —  (2)  IbiJ.  —  (3)  Ibiàà, 


DE  LA    VIERGE.  si 

pour  la  privilégier  ,  pour  la  distinguer,  pour  l'ho- 
norer, en  consacrant  les  prémices  de  son  être  par 
cette  onction  de  sainteté  dont  elle  fut  remplie;  et 
comme  son  Fils  présomptif,  rendant  par  avance, 
si  je  puis  ainsi  parler,  cette  espèce  de  respect  à  sa 
maternité  future  :  De  ventre  matris  mece  recor- 
datus  est  nominis  met.  Ce  n'est  pas  tout. 

J'ai  dit  que  la  grâce  de  la  conception  de  Marie, 
au  même  temps  qu'elle  sanctifia  sa  personne ,  fut 
en  elle  comme  une  source  intarissable  de  mérites  , 
pour  consacrer  et  pour  relever  toutes  les  actions 
de  sa  vie.  Ceci  n'est  pas  moins  digne  de  votre  at- 
tention. Car  selon  les  règles  et  les  principes  de  la 
théologie  ,  il  est  encore  vrai  que  la  Mère  de  Dieu 
durant  tout  le  cours  de  sa  vie ,  n'a  pas  fait  une 
seule  action  qui  n'ait  tiré  son  mérite  et  sa  valeur 
de  cette  première  grâce.  Autre  abîme  des  trésors 
infinis  de  la  miséricorde  divine  :  O  altitude»  àivi- 
tiarum  (i)  /  Pour  vous  faire  mieux  entendre  co 
que  je  veux  dire,  je  vais  vous  en  donner  une  fi- 
gure sensible  ,  et  la  voici.  Imaginez-vous ,  mes 
chers  auditeurs ,  ce  petit  grain  de  l'évangile,  qui, 
semé  dans  le  champ  ,  et  y  ayant  germé  ,  croît  peu 
h  peu  jusqu'à  devenir  un  grand  arbre.  Rien  de  plus 
juste  pour  exprimer  ma  pensée.  Dès  que  ce  grain 
a  pris  racine,  il  pousse  son  germe,  il  sort  de  la 
terre  ;  à  force  de  s'élever  il  jette  des  branches  ,  il 
se  couvre  de  feuilles  ,  il  se  pare  de  fleurs,  il  porte 
des  fruits  ;  mais  en  sorte  que  tout  cela  n'a  de  subsis- 
tance et  de  vie  que  par  lui.  Car  c'est  de  la  racine* 

(i)  Rom.  ii. 


24  SUR    LA    CONCEPTION 

et  de  ce  grain  que  les  plus  hautes  branches  de  l'arbre 
tirent  la  sève  qui  les  nourrit;  et  cette  sève  ainsi 
répandue  entretient  la  fraîcheur  des  feuilles ,  fait 
la  beauté  des  fleurs ,  donne  aux  fruits  leur  goût  et 
leur  saveur.  Voilà  le  symbole  de  la  grâce  que  reçut 
Marie  dans  sa  conception.  Ce  fut  comme  un  germe 
divin  qui  se  forma  dans  son  cœur,  mais  dont  la 
vertu  se  répandit  ensuite  dans  tout  le  corps  de  ses 
actions.  Tout  ce  qu'a  jamais  fait  Marie  a  été  saint , 
et  d'un  mérite  inestimable  devant  Dieu  :  pourquoi? 
parce  que  tout  ce  qu'elle  a  fait  partoit  d'un  prin- 
cipe de  sanctification  qui  étoit  en  elle  et  qui  don- 
noit  le  prix  à   tout.    Or ,   quel  étoit    ce  principe 
de  sanctification?  la  grâce  de  sa  conception.  Cette 
grâce,  je  l'avoue,  n'étoit  que  la  racine  des   dons 
sublimes  dont  le  ciel  ensuite  la  combla,  et  qui  rele- 
vèrent à  une  perfection  si  éminente.  Mais  parce  que 
la  racine  étoit  sainte,  les  branches  le  furent  aussi  : 
Si  raclix  sancta  ,  et  rami  (i).  Qu'est-ce  que  j'en- 
tends par  les  branches?  ce  sont  les  vertus  que  cette 
incomparable  Yierge  pratiquoit,  les  bonnes  œuvres 
qu'elle  faisoit,  les  devoirs  qu'elle  accomplissoit,  le 
culte  qu'elle  rendoit  à  Dieu,  les  oflices  de  charité 
dont  elle  s'acquittoit  envers  le  prochain  ,  les  exer- 
cices d'humilité   qui  la  rendoient  si   attentive  sur 
elle-même.  Car  ce  n'est  point  une  vaine   conjec- 
ture ,  mais  une  vérité  solide  ,  que  tout  cela  fut  sanc- 
tifié par  la  même  grâce  qui  sanctifia  son  ame  au  mo- 
ment de  sa  conception  ;  et  que  cette  grâce  qu'elle 
ne  perdit  jamais  ,  fut,  pour  me  servir  du  terme  de 

(1)  Rom.   11. 


DE    LA    VIERGE.  o5 

l'évangile  ,  le  levain  sacré  dont  la  bénédiction  et 
l'efficace  se  communiqua  à  tous  les  temps  de  sa  vie. 
Or  de  là ,  chrétiens  ,  faisant  un  retour  sur  nous- 
mêmes,  il  nous  est  aisé  de  conclure  ce  que  nous 
sommes  par  la  grâce  et  avec  la  grâce.  Car  le  bap- 
tême, qui,  selon  les  Pères  ,  est,  comme  j'ai  dit,  le 
sacrement  de  notre  conception  spirituelle ,  et  même 
la  pénitence  ,  qui  est  celui  de  notre  justification, 
nous  donnent  une  grâce  ,  qui ,  pour  être  d'un  ordre 
bien  inférieur  à  celle  de  Marie  ,  ne  laisse  pas  d'opé- 
rer en  nous  par  proportion  les  mêmes  effets.  Je 
veux  dire  que  nous  recevons  une  grâce  qui  sancti- 
fie nos  personnes,  en  nous  élevant  jusqu'à  la  dignité 
d'enfans  de  Dieu,  et  qui  répand  sur  toutes  nos  ac- 
tions un  mérite  par  où  elles  deviennent  dignes  de 
Dieu  ,  et  de  la  vie  éternelle  que  nous  devons  pos- 
séder en  Dieu.  A  quoi  sommes-nous  sensibles ,  si 
nous  ne  le  sommes  pas  à  ces  deux  avantages  si  pré- 
cieux? En  vertu  de  la  grâce  qui  nous  sanctifie,  nous 
sommes  les  enfans  de  Dieu.  C'est  ce  que  nous  a 
expressément  déclaré  celui  d'entre  les  apôtres  qui 
pouvoit  mieux  nous  en  instruire  ,  et  à  qui  ce  secret 
fut  révélé ,  quand  il  reposa,  comme  bien  aimé  dis- 
ciple ,  sur  le  sein  de  son  maître.  C'est  lui  qui  nous 
a  mis  en  main  ce  titre  authentique  de  notre  adop- 
tion; et  qui,  nous  apprenant  ce  que  nous  sommes, 
pose  pour  fondement  de  son  évangile  ,  que  le  pou- 
voir d'être  enfans  de  Dieu  ,  nous  a  été  donné  à  tous  : 
Quotquot  autcm  receperunt  eum  dédit  eis  po- 
testatem  fdios  Dei fieri  (1).  Or,  il  est  de  la  foi 

(i)  Joan.  î. 


:2D  SUR   LA  CONCEPTION 

que  ce  pouvoir  est  essentiellement  attaché  à  la  grâce 
habituelle  dont  je  parle.  Si  nous  savions  priser  le 
don  de  Dieu;  si  le  péché  ne  nous  aveugloit  pas  9 
jusqu'à  nous  ôter  le  sentiment  de  notre  propre  gran- 
deur ,  c'est  de  cette  grâce  que  nous  ferions  toute 
notre  gloire  :  l'unique  pensée  qui  nous  occuperoit, 
et  dont  nous  serions  vivement  touchés ,  ce  seroit 
de  respecter  dans  nous  cette  qualité  d'enfans  de 
Dieu  ,  de  la  soutenir  par  notre  conduite  ,  de  la  pré- 
férer à  tous  les  honneurs  du  siècle,  et  de  rentrer 
souvent  dans  nous-mêmes  pour  faire  cette  sainte 
réflexion  :  Qui  suis-je  devant  Dieu  et  auprès  de 
Dieu?  tandis  que  je  suis  dans  l'état  de  sa  grâce, 
j'ai  droit  de  l'appeler  mon  père,  et  il  veut  bien, 
tout  Dieu  qu'il  est,  me  reconnoître  parmi  ses  en-^ 
fans.  Voilà  ce  qu'il  estime  en  moi ,  et  sur  quoi  je 
dois  faire  fonds  pour  me  glorifier  et  pour  me  confier 
en  lui.  Tous  les  autres  titres  ou  de  naissance  ou  de 
fortune,  qui  pourroient  dans  le  monde  me  distin- 
guer, sont  titres  vains,  titres  périssables,  titres 
dangereux  :  titres  vains ,  puisqu'ils  ne  sont  pas  ca- 
pables par  eux-mêmes  de  me  rendre  agréable  à 
Dieu  :  titres  périssables  ,  puisque  la  mort  les  efface 
si  tôt  et  les  fait  évanouir  :  titres  dangereux  pour  le 
salut,  puisqu'il  est  si  facile  d'en  abuser,  et  si  diffi- 
cile de  n'en  abuser  pas,  et  qu'on  n'en  peut  attendre 
autre  chose  que  d'être  jugé  de  Dieu  plus  exacte- 
ment et  plus  rigoureusement.  Toute  ma  confiance 
doit  donc  être  dans  ce  titre  honorable  d'enfant  de 
Dieu  :  et  malheur  à  vous  ,  mes  chers  auditeurs  ,  si 
jamais  il  vous  arrivoit  de  faire  consister  la  votre 


DE    LA    VIERGE.  2J 

dans  une  grandeur  seulement  humaine.  Je  ne  pré-* 
tends  point  pour  cela  diminuer  les  avantages,  même 
extérieurs  et  temporels ,  que  vous  avez  reçus  de 
Dieu  dans  votre  naissance.  Ce  que  nous  voyons  dans 
la  conception  de  Marie  ,  je  dis  la  grandeur  du  monde 
sanctifiée  par  la  grâce  du  Créateur,  doit  m'inspirer 
un  autre  sentiment.  Car  Dieu  n'a  point  méprisé  dans 
Marie  cette  grandeur  de  la  naissance  ,  dont  l'Eglise 
même  semble  aujourd'hui  lui  faire  honneur.  Au 
contraire,  il  a  voulu  que  Marie  fut  d'un  sang  noble 
et  royal  :  pourquoi  ?  pour  faire  éclater  ,  dit  saint 
Chrysostome,  la  vertu  de  sa  grâce  ,  et  pour  donner 
aux  grands  du  monde  cette  consolation  dans  leur 
état,  non-seulement  que  la  grandeur  peut  servir  de 
fond  à  la  plus  éminente  sainteté  ,  mais  que  la  sain- 
teté ,  pour  être  éminente ,  ne  trouve  point  de  fond 
qui  lui  soit  plus  propre  que  la  grandeur  :  pour  leur 
marquer  que ,  selon  le  dessein  de  la  Providence  , 
ils  peuvent ,  sans  rien  confondre  ,  être  grands  et  être 
saints  ;  mais  qu'ils  ne  sont  grands  que  pour  être 
saints  ,  et  que  plus  ils  sont  grands,  plus  ils  sont 
capables  d'honorer  Dieu  ,  quand  ils  sont  saints. 

Divine  leçon  que  leur  fait  aujourd'hui  le  Saint- 
Esprit,  en  leur  proposant  la  généalogie  de  la  mère 
de  Dieu  ,  comme  la  plus  auguste  de  l'univers.  Mais 
cette  leçon  ,  qui  ne  regarde  que  les  grands  ,  n'aurait 
pas  assez  d'étendue.  Je  parle  donc  à  tous  sans  excep- 
tion ,  puisqu'il  n'y  a  point  de  juste  sur  la  terre  ,  de- 
quelque  condition  qu'il  soit,  qui  n'ait  droit  de  dire 
comme  chrétien  :  Je  suis  né  de  Dieu ,  et  cette  grâce 
qui  me  sanctifie ,  n'est  rien  moins  dans  moi,  qu'une 


28  SUR   LA    CONCEPTION 

participation  de  la  nature  de  Dieu.  C'est  l'idée 
que  chacun  de  nous  sans  présomption  peut  et  doit 
avoir  de  soi-même,  s'il  est  en  grâce  avec  Dieu, 
puisque  Dieu,  en  termes  exprès,  nous  le  témoigne 
par  le  premier  de  ses  apôtres  :  Ut  per  hœc  effi- 
ciamini  divince  consorles  natures  (i).  Quelque 
languissante  que  soit  notre  foi ,  si  nous  raisonnions 
et  si  nous  agissions  suivant  ce  principe  ,  en  fau- 
droit-il  davantage  pour  la  ranimer  ?  Voyez  ,  mes 
frères,  disoit  saint  Jean,  exhortant  les  premiers  fi- 
dèles, (et  pourquoi  dans  le  même  sens  ne  vous  le 
dirois-je  pas  aujourd'hui?)  voyez  quel  amour  le 
Père  qui  est  notre  Dieu,  nous  a  marqué  en  voulant 
qu'on  nous  appelât  ses  enfans  ,  et  que  nous  le  fus- 
sions en  effet  :  Videte  qualem  charitatem  dédit 
Pater  nobis ,  utfilii  Dei  nominemur  et  simus  (2). 
Mais  voyez  aussi,  ajoutoit-il,  et  dois- je  ajouter, 
quel  retour  de  zèle  ,  de  ferveur ,  de  reconnoissance , 
demande  cette  charité  d'un  Dieu;  voyez  à  quelle 
pureté  de  mœurs  elle  vous  engage  ;  voyez  l'obli- 
gation qu'elle  vous  impose  de  vous  sanctifier  en 
esprit  et  en  vérité,  pour  n'être  pas  indigues  de 
cette  adoption  ,  qui  vous  donne  un  Dieu  pour  père  ; 
voyez  si  c'est  trop  exiger  de  vous,  quand  Dieu 
prétend  que  pour  cela  vous  cessiez  d'être  des  hom- 
mes charnels,  et  que  vous  commenciez  à  vivre  eu 
hommes  raisonnables  ;  voyez  si  toute  la  perfection 
contenue  dans  la  loi  chrétienne  ,  est  trop  pour  des 
enfans  de  Dieu  :  Videte.  Ah  !  Seigneur ,  s  écrioit 
saint  Léon,  pape,  méritons-nous  de  porter  un  si 

(1)  2.  Pctr.  1.  —  (2)  ii  Joau.  3. 


DE    LA     VIERGE.  29 

beau  nom,  si  nous  venons  à  le  flétrir,  oubliant  la 
noblesse  de  son  origine ,  pour  nous  laisser  dominer 
par  des  vices  honteux;  et  ne  faut-il  pas  que  nous 
renoncions  pour  jamais  à  l'honneur  de  vous  appar- 
tenir, si  nous  marchons  encore  dans  les  voies  cor- 
rompues du  siècle  ?  Etre  enfans  de  Dieu ,  et  suc- 
comber à  toutes  les  passions  de  l'homme ,  et  être 
sujets  à  toutes  les  foiblesses  de  l'homme,  et  s'aban- 
donner aux  désirs  déréglés  de  l'homme  ,  ne  se- 
roit-ce  pas  un  monstre  dans  l'ordre  de  la  grâce  ? 
C'est  néanmoins,  mes  chers  auditeurs,  ce  qui  doit 
confondre  tant  d'ames  mondaines,  et  sur  quoi  je 
veux  bien  me  promettre  que  dans  l'esprit  d'une 
sainte  componction  ,  chacun  s'appliquera  de  bonne 
foi  à  reconnoître  devant  Dieu  son  injustice  et  à  la 
pleurer.  Poursuivons. 

En  vertu  de  la  grâce  qui  nous  sanctifie  comme 
enfans  de  Dieu  ,  nous  sommes  les  héritiers  de  Dieu, 
et  les  cohéritiers  de  Jésus-Christ  dans  le  royaume  de 
Dieu  :  Si  autemjtlii ,  et  hœredes  ;  hceredes  qui- 
dem  Dei ,  cohœredes  autem  Christi  (1).  Héritiers 
de  Dieu  ,  parce  que  Dieu  ,  dit  saint  Augustin  ,  ne 
nous  a  point  promis  d'autre  héritage  que  la  pos- 
session de  lui-même.  Or  c'est  la  grâce  sanctifiante 
qui  nous  assure  cet  héritage  céleste  ,  et  Dieu  ,  le 
meilleur  et  le  plus  libéral  de  tous  les  pères,  ne  peut 
nous  le  refuser ,  tandis  que  sa  grâce  est  en  nous , 
et  que  nous  sommes  en  grâce  avec  lui.  Cohéritiers 
de  Jésus-Christ;  car  nous  devenons  capables  ,  non- 
seulement  de  posséder  }  mais  de  mériter  le  royaume 

(1)  Rom.  S, 


5o  SUR   LA    CONCEPTION 

de  Dieu,  et  de  le  me'riter  par  autant  de  titres  que 
nous  pratiquons  de  bonnes  œuvres ,  et  que  nous 
faisons  d'actions  chre'tiennes  :  puisqu'il  est  encore 
de  la  foi ,  que  toutes  nos  œuvres  élevées ,  sancti- 
fiées ,  et  comme  divinisées  par  la  grâce ,  nous  ser- 
vent de  mérites  pour  la  gloire;  que  chacune,  en 
particulier  ,  est  pour  nous  comme  un  droit  acquis  à 
cette  gloire;  que  les  plus  viles  et  les  plus  basses  en 
apparence  ont  une  sainteté  proportionnée  à  cette 
gloire  ;  qu'à  un  verre  d'eau  donné  pour  Dieu ,  est 
dû,  par  justice  et  par  récompense,  un  degré  de 
cette  gloire  ;  et  qu'ainsi  la  vie  du  juste  sur  la  terre 
devient  un  mérite  continuel ,  dont  Dieu,  selon  saint 
Paul ,  veut  bien  être  dès  maintenant  le  dépositaire, 
pour  en  être  éternellement  le  rémunérateur.  Il  est 
vrai  :  mais  aussi,  renversant  la  proposition ,  con- 
cluez de  là  quelle  perte  fait  un  pécheur  qui  vient 
à  déchoir  de  l'état  de  grâce,  puisqu'il  n'est  pas 
moins  de  la  foi ,  que  hors  de  cet  état  toutes  nos 
œuvres  sont  des  œuvres  mortes  ,  de  nul  prix  devant 
Dieu  ,  et  incapables  de  nous  obtenir  la  récompense 
des  élus  de  Dieu.  Ce  n'est  pas  que ,  dans  l'état  du 
péché,  quoique  privés  de  la  grâce  habituelle,  nous 
ne  puissions  faire  des  actions  louables  et  vertueuses , 
des  actions  saintes  et  surnaturelles ,  des  actions 
même  utiles  pour  le  salut,  puisqu'au  moins  elles 
peuvent  nous  servir  de  dispositions  pour  nous  con- 
vertir à  Dieu.  Mais  je  ne  vous  instruirois  pas  à  fond 
de  votre  religion ,  si  je  ne  vous  avertissois  que  toutes 
ces  actions  ,  quoique  saintes  ,  quoique  surnaturelles, 
quoiqu'utiles,  hors  de  l'état  de  la  grâce ,  ne  méritent 


DE    LA    VIERGE.  3l 

ïien  pour  le  ciel  ;  que  Dieu  ne  nous  eu  tiendra 
jamais  compte  dans  l'éternité ,  et  qu'au  lieu  qu'étant 
consacrées  par  la  grâce  ,  elles  nous  auroient  acquis 
des  trésors  de  gloire  :  du  moment  qu'elles  n'ont  pas 
cet  avantage  ,  elles  ne  peuvent  nous  conduire  à  ce 
royaume ,  que  Dieu,  comme  juge  équitable  5  réserve 
à  ses  amis.  Or,  ma  douleur  est  de  voir  des  chré- 
tiens insensibles  à  de  si  importantes  vérités;  des 
chrétiens  qni  perdent  la  grâce  tranquillement,  qui 
la  perdent  sans  chagrin  et  sans  trouble  ,  et  qui  par 
là  ne  montrent  que  trop  leur  peu  de  foi  et  même 
leur  secrète  irréligion.  O  homme  !  concluoit  le  grand 
saint  Léon,  indigné  du  scandale  que  je  déplore, 
et  touché  d'un  si  prodigieux  aveuglement;  6  homme! 
qui  que  vous  soyez,  reconnoissez  donc  aujourd'hui 
votre  dignité  ;  et,  sanctifié  comme  vous  l'êtes  par  la 
grâce  qui  vous  associe  à  la  nature  divine ,  ne  re- 
tombez pas  dans  votre  première  bassesse  :  Ag~ 
nosce  ,  6  homo  ,  digtiilatem  tuam  ;  et  divinœ 
consors  factus  naturœ ,  noli  in  veterem  vilita- 
tem  degeneri  conversalione  redire.  Mais  il  faut 
pour  cela  .  mes  chers  auditeurs ,  que  nous  appliquant 
l'exemple  de  Marie,  nous  apprenions  ce  que  nous 
devons  à  la  grâce  :  c'est  la  dernière  partie. 

TROISIÈME     PARTIE. 

C'est  une  vérité  ,  chrétiens  ,  qui  ne  peut  être  con- 
testée, qu'après  Jésus-Christ,  l'exemple  de  Marie, 
sa  mère,  est  l'idée  la  plus  excellente  que  nous  puis- 
sions nous  proposer  pour  la  conduite  de  notre  vie. 
A  quoi  j'ajoute  en  particulier,  que  l'usage  qu'a  fait 


5u  SUR    LA    CONCEPTION 

Marie  de  la  grâce  de  sa  conception  ,  est  le  modèle 
le  plus  parfait  que  Dieu  pût  nous  mettre  devant  les 
yeux  pour  nous  apprendre  l'usage  que  nous  devons 
faire  de  la  grâce  de  notre  sanctification.  C'est,  mes 
chers  auditeurs  ,  ce  qui  va  vous  paroître  évident , 
par  la  comparaison  de  ces  deux  grâces  ,  ou  plu- 
tôt par  l'opposition  que  je  remarque  entre  Marie  et 
nous,  touchant  la  correspondance  et  la  fidélité  due 
à  ces  deux  grâces.  Opposition  qui  d'une  part  nous 
confondra  ;  mais  qui  de  l'autre  nous  instruira ,  et 
dont  il  ne  tiendra  qu'à  nous  de  tirer  les  règles  les 
plus  solides  et  les  plus  sûres  d'une  vie  chrétienne. 
Car  ,  prenez  garde  ,  s'il  vous  plaît  :  Marie  , 
quoique  exempte  de  toutes  foiblesses  ,  et  confirmée 
en  grâce  dans  sa  conception,  n'a  pas  laissé  de  fuir 
le  monde  et  la  corruption  du  monde.  Marie,  quoi- 
que conçue  avec  tous  les  privilèges  de  l'innocence, 
n'a  pas  laissé  de  vivre  dans  l'austérité  et  dans  les 
rigueurs  de  la  pénitence.  Marie ,  quoique  remplie 
du  Saint-Esprit  dès  l'instant  de  son  origine,  n'a  pas 
laissé  de  travailler;  et  sans  mettre  jamais  de  bornes 
à  sa  sainteté  ,  elle  a  toujours  été  croissant  en  ver- 
tus et  en  mérites.  Quelles  conséquences  pour  nous  , 
qui  sommes  ,  il  est  vrai,  soit  dans  le  baptême  ,  soit 
dans  la  pénitence  ,  régénérés  et  justifiés  par  la 
grâce;  mais  par  une  grâce  qui  n'a  ni  la  stabilité 
de  celle  de  Marie  ,  ni  son  intégrité  ,  ni  sa  pléni- 
tude ;  ou  plutôt,  par  une  grâce  dont  les  caractères 
sont  tout  diiférens  de  celle  de  Marie.  Je  veux  dire 
par  une  grâce  qui,  toute  puissante  qu'elle  est,  se 
trouve  exposée  à  nos  inconstances  et  à  nos  fragi-- 


DE    LA    VIERGE.  33 

îités  ;  qui,  toute  sanctifiante  qu'elle  est,  n'e'tant  pas 
une  grâce  d'innocence  ,  ne  nous  dispense  pas  de  l'o- 
bligation de  pleurer  et  de  nous  mortifier;  qui,  toute 
abondante  qu'elle  est,  n'empêche  pas  qu'il  ne  reste 
encore  dans  nous  un  vide ,  je  dis  un  vide  de  mérites 
que  Dieu  veut  que  nous  remplissions  par  nos  actions 
et  par  nos  œuvres  !  Cependant,  malgré  la  différence 
de  ces  caractères,  nous  nous  obstinons  à  n'en  croire 
que  notre  propre  sens  ;  et  suivant  des  maximes  et  des 
voies  contradictoirement  opposées  à  celles  de  Marie, 
quoique  fragiles  et  sujets  à  tous  les  désordres  d'une 
nature  corrompue ,  nous  nous  exposons  téméraire- 
ment aux  plus  dangereuses  tentations  du  monde. 
Quoique  conçus  dans  le  péché  et  dans  l'iniquité  , 
nous  prétendons  vivre  dans  la  mollesse  et  dans  le 
plaisir  ;  quoique  dénués  de  mérites  et  de  vertus , 
nous  arrêtons  le  don  de  Dieu ,  et  nous  retenons  sa 
grâce  dans  l'oisiveté  d'une  vie  mondaine  et  inutile. 
IN'apprendrons-nous  jamais  à  nous  conduire  selon 
les  lois  de  cette  parfaite  sagesse ,  qui ,  comme  parle 
l'évangile,  doit  nous  rappeler,  tout  pécheurs  que 
nous  sommes  ,  à  la  prudence  des  justes  ;  et  Dieu 
pouvoit-il  nous  y  engager  par  des  raisons  plus  fortes 
et  plus  pressantes  que  celles-ci ,  qui  sont  les  suites 
naturelles  du  mystère  que  nous  célébrons  ? 

Marie,  sanctifiée  dès  sa  conception,  n'a  jamais  per- 
du la  grâce  qu'elle  avoit  reçue  de  Dieu  :  je  ne  m'en 
étonne  pas.  Non-seulement  elle  ne  l'a  jamais  per- 
due ,  mais  elle  n'en  a  jamais  terni  le  lustre  par  le 
moindre  péché.  Ainsi ,  selon  le  témoignage  et  la 
décision  du  concile  de  Trente,  l'a  toujours  cru  toute 
tome  xi.  3 


34  SUR     LA     CONCEPTION 

l'Eglise  :  Quemadinodùm  de  beatd  Virgine  tenet 
Ecclesia.  Ce  n'est  point  encore  ce  qui  me  surprend; 
mais  ce  que  j'admire  et  ce  qui  fait  le  sujet  de  mon 
étonnement,  c'est  de  voir  la  circonspection,  l'at- 
tention ,  la  vigilance  avec  laquelle  Marie  a  conservé 
cette  grâce,  qu'elle  ne  devoit  jamais  perdre,  et 
même  qu'elle  ne  pouvoit  perdre;  l'ayant  ménagée 
avec  autant  de  précaution  ,  que  si  elle  eût  couru 
tous  les  risques  ;  s'étant  pour  cela  dès  sa  plus  tendre 
enfance  séparée  du  monde  ;  ayant  renoncé  pour 
cela  à  tout  commerce  et  à  tout  engagement  avec 
le  monde  ;  ayant  consacré  pour  cela  les  prémices 
de  sa  vie  par  un  divorce  solennel  et  éternel  avec 
le  monde  ;  ayant  vécu  pour  cela  dans  un  si  par- 
fait éloignement  du  monde  ,  que  la  vue  même 
d'un  ange  la  troubla,  parce  qu'il  étoit  transfiguré  en 
homme  :  voilà ,  dis-je ,  ce  qui  me  jette  dans  l'admi- 
ration. Car  enfin,  la  grâce  de  la  conception  de  Marie 
étoit  à  l'épreuve  de  la  corruption  du  monde;  c'étoit 
une  grâce  solide  que  toute  l'iniquité  du  monde  ne 
pouvoit  altérer  ni  ébranler;  et  la  même  théologie  qui 
nous  enseigne  que  la  mère  de  Dieu  ne  pécha  jamais, 
nous  apprend  qu'elle  étoit  impeccable  par  la  grâce, 
comme  Jésus-Christ  l'étoit  par  nature  ;  parce  qu'à 
l'instant  même  qu'elle  fut  conçue ,  Dieu  la  confir- 
ma et  la  fixa  dans  l'état  de  la  sainteté.  Le  monde, 
tout  perverti  qu'il  est ,  n'avoit  donc  rien  de  dange- 
reux pour  elle.  En  quelque  occasion  qu'elle  se  fût 
trouvée,  elle  auroit  donc  pu  marcher  sûrement;  et  la 
grâce  qu'elle  portoit  dans  son  cœur,  n'auroit  pas  plus 
été  souillée  de  tous  les  désordres  et  de  tous  les  scan- 


DE    LA    VIERGE.  3^ 

daîes  du  monde  ,  que  le  rayon  du  soleil  de  la  boue 
qu'il  éclaire  et  qu'il  pénètre  sans  en  contracter  l'im- 
pureté. Mais  c'est  en  cela  même  que  la  conduite  de 
cette  reine  des  vierges  devient  aujourd'hui  notre 
exemple  ,  et  que  son  exemple,  par  l'énorme  con- 
trariété qui  se  rencontre  entre  elle  et  nous  ,  est 
une  conviction  seule  capable  de  nous  confondre  de- 
vant Dieu.  Car  voici ,  chrétiens  ,  en  quoi  je  la  fais 
consister.  Marie,  en  vertu  de  sa  conception,  pos- 
sédoit  une  grâce  inaltérable,  et,  comme  parlent  les 
théologiens ,  inamissible  ;  cependant  elle  marcha 
toujours  dans  l'étroite  voie  de  la  crainte  du  Sei- 
gneur ;  et  nous ,  tout  foibles  que  nous  sommes ,  nous 
nous  exposons  témérairement  à  tous  les  dangers. 
Nous  portons,  comme  dit  l'Apôtre,  le  trésor  delà 
grâce  dans  des  vases  de  terre,  c'est-à-dire ,  dans  des 
corps  mortels  et  corruptibles  :  Habemus  thesau- 
rum  istum  in  vasis  fictilibus  (i);  et  nous  ne  crai- 
gnons rien.  Nous  Je  portons  ,  ce  riche  et  précieux 
trésor,  dans  un  chemin  glissant,  parmi  des  ténèbres 
épaisses,  au  milieu  des  écueils  et  des  précipices, 
poursuivis  d'autant  de  démons  qu'il  y  a  d'ennemis 
de  notre  salut  qui  cherchent  à  nous  l'enlever;  et  rien 
de  tout  cela  ne  nous  rend  plus  attentifs  et  plus  vi- 
gilans.  Je  ne  sais  si  je  m'explique  assez ,  Pt  je  ne 
puis  trop  insister  sur  ce  parallèle.  Marie,  qui,  par 
la  grâce  de  son  origine  ,  éloit  exempte  des  foiblesses 
du  péché  ,  s'est  néanmoins ,  par  zèle  et  par  amour 
de  ses  devoirs  ,  éloignée  des  occasions  du  péché  ;  et 
nous,  à  qui  notre  foiblesse  fait  souvent  de  ces  occa- 

(1)  2.  Cor.  4. 


36  SUR    LA    CONCEPTION 

sions  autant  de  péchés,  nous  nous  y  jetons  présomp- 
îueusement  ,  et  nous  y  demeurons  opiniâtrement. 
Marie,  à  qui  Dieu  dans  sa  conception  avoit  donné 
un  préservatif  infaillible  contre  le  monde ,  se  tint 
néanmoins  dans  une  entière  séparation  du  monde; 
et  nous,  qui  savons  par  tant  d'épreuves  combien 
le  monde  est  contagieux  pour  nous ,  bien  loin  de  le 
fuir,  nous  l'aimons,  nous  nous  y  plaisons,  nous 
nous  y  intriguons  ,  nous  nous  y  poussons  ;  outre 
les  engagemens  légitimes  que  nous  y  avons  par  la 
nécessité  de  notre  état,  nous  nous  en  faisons  tous 
les  jours  de  volontaires  et  de  criminels. 

Or  c'est  en  quoi  paroît  notre  présomption ,  de 
vouloir  que  Dieu  fasse  continuellement  pour  nous 
des  miracles.  Il  n'en  a  fait  qu'un  pour  sanctifier 
Marie,  et  nous  voudrions  qu'il  en  fit  sans  cesse  de 
nouveaux  pour  nous  conserver.  Comme  ces  trois 
jeunes  hommes  dans  la  fournaise  deBabylone,  au 
milieu  des  flammes  qu'allume  partout  l'esprit  im- 
pur,  nous  voudrions  qu'il  nous  soutînt  en  mille 
occasions  où  la  curiosité  nous  porte  ,  où  la  vanité 
nous  conduit ,  où  la  passion  nous  attache  ,  où  nous 
nous  trouvons  contre  l'ordre  du  ciel,  et  où  la  grâce 
même  des  anges  ne  seroit  pas  en  sûreté.  Nous  vou- 
drions, avec  une  grâce  aussi  peu  stable  que  la  nôtre, 
être  aussi  forts  et  avoir  les  mêmes  droits  que  Marie 
avec  la  grâce  saine  et  entière  de  sa  conception;  et 
ce  que  Marie  n'a  pas  osé  dans  l'état  de  cette  grâce 
privilégiée  ,  nous  l'osons  dans  le  triste  état  où  le 
péché  nous  a  réduits.  Mais  abus,  chrétiens;  le  pré- 
tendre ainsi,  c'est  nous  aveugler  et  nous  tromper 


DE    LA    VIERGE.  3/ 

nous-mêmes.  Si  cela  étoit ,  les  saints  auroient  pris, 
pour  ne  pas  risquer  la  grâce  de  leur  innocence,  des 
mesures  bien  peu  nécessaires.  Eu  vain  l'esprit  de 
Dieu  qui  les  gouvernoit,  leur  auroit-il  inspiré  tant 
de  haine  pour  le  monde  :  et  en  vain  ce  même  es- 
prit nous  proposeroit-il  la  sainteté  de  Marie  comme 
une  sainteté  exemplaire  ,  puisque  sans  nous  séparer 
du  monde,  et  sans  le  combattre,  il  nous  seroitaisé, 
au  milieu  du  monde  même,  de  nous  maintenir  dans 
la  grâce.  Non,  non,  il  n'en  va  pas  de  la  sorte.  La 
grâce  qui  nous  rend  amis  et  enfans  de  Dieu,  est 
une  grâce  que  nous  pouvons  perdre;  et  par  consé- 
quent nous  devons  veiller  avec  soin  sur  cette  grâce  : 
prêts  à  exposer  tout  le  reste  pour  elle ,  parce  qu'elle 
est  la  vie  de  notre  arae  ;  et  déterminés  à  ne  l'exposer 
jamais,  parce  qu'en  la  perdant  nous  perdons  tout» 
Elle  nous  est  enviée  par  le  démon,  et  c'est  ce  qui  nous 
doit  rendre  plus  circonspects:  de  puissans ennemis 
l'attaquent  dans  nous  ,  et  c'est  à  nous  de  nous  en 
défendre  ;  et  puisqu'il  a  plu  au  Seigneur  de  nous 
soumettre  à  cette  nécessité  d'avoir  toujours  les  armes 
à  la  main,  il  faut  de  cette  nécessité,  quelque  gênante 
qu'elle  puisse  être ,  nous  faire  un  mérite  et  une  vertu. 
Cela  nous  obligera  à  opérer  notre  salut  avec  crainte 
et  avec  tremblement;  ainsi  le  prétendoit  saint  Paul. 
Il  faudra  renoncer  à  un  certain  monde  :  heureux 
si  par  là  nous  assurons  le  talent  que  Dieu  nous  a 
confié  !  On  ne  nous  dit  pas  qu'il  faille  renoncer  à 
tous  les  engagemens  du  monde  :  car  il  y  en  a  qui 
sont  d'un  devoir  indispensable ,  et  ceux-là  n'ont  rien 
d'incompatible  avec  la  grâce  ;  mais  on  nous  dit  qu'il 


38  SUR    LA    CONCEPTION 

faut  renoncer  à  ceux  qui  n'ont  point  d'autre  fonde- 
ment que  la  passion  ,  que  le  plaisir ,  que  la  sen- 
sualité; parce  que  la  grâce,  toute  sanctifiante  qu'elle 
est,  ne  peut  subsister  avec  eux.  On  ne  nous  oblige 
pas  à  fuir  le  monde  en  général ,  mais  on  nous  oblige 
à  fuir  un  monde  particulier  qui  nous  pervertit  et  qui 
nous  pervertira  toujours,  parce  que  c'est  un  monde 
où  règne  le  péché  ,  un  monde  d'où  la  charité  est 
bannie ,  un  inonde  dont  la  médisance  fait  presque 
tous  les  entretiens,  un  monde  où  le  libertinage  passe 
non-seulement  pour  agréable  ,  mais  pour  honnête; 
un  monde  d'où  nous  ne  sortons  jamais  qu'avec  des 
consciences,  ou  troublées  de  remords ,  ou  chargées 
de  crimes  ;  un  monde  au  torrent  duquel  nous  sen- 
tons bien  que  nous  ne  pouvons  résister. 

Voilà  l'essentielle  et  importante  vérité  que  nous 
prêche  Marie  par  son  exemple;  et  c'est  à  vous ,  aines 
fidèles,  dont  elle  a  honoré  le  sexe,  de  vous  l'appli- 
quer personnellement.  Car  l'exemple  de  Marie  est 
fait  pour  vous  ;  et  quand  saint  Ambroiseparloit  aux 
femmes  chrétiennes  de  son  siècle ,  c'étoit  la  règle 
qu'il  leur  proposoit.  Considérez  Marie,  leur  disoit- 
il  ;  il  n'y  a  rien  dans  sa  conduite  qui  ne  vous  instruise. 
Voyez  avec  quelle  réserve  et  avec  quelle  modestie  elle 
reçut  la  visite  d'un  ange  ;  et  vous  apprendrez  com- 
ment vous  devez  traiter  avec  des  hommes  pécheurs. 
C'étoit  un  ange,  mais  sous  une  figure  humaine;  et 
voilà  pourquoi  elle  prétendit  avoir  raison  et  même 
obligation  de  se  troubler.  C'étoit  le  ministre  de  Dieu, 
l'ambassadeur  de  Dieu  ;  mais  elle  savoit  qu'une 
épouse  de  Dieu  doit  se  défier  des  serviteurs  de  Dieu 


DE    LA    VIERGE.  3g 

même.  Elle  étoit  confirmée  en  grâce  ,  et  le  Seigneur 
étoit  avec  elle  ;  mais  il  n'étoit  avec  elle  ,  reprend 
saint  Ambroise ,  que  parce  qu'elle  ne  pouvoit  être 
sans  peine  avec  tout  autre  qu'avec  lui  ;  et  elle  n'é- 
toit confirmée  en  grâce ,  que  parce  qu'elle  étoit  con- 
firmée dans  la  défiance  d'elle-même.  Voilà  le  mo- 
dèle et  le  grand  modèle  sur  lequel  Dieu  vous  jugera;, 
mais  sur  lequel  j'aime  bien  mieux  que  vous  vous  ju- 
giez dès  aujourd'hui  vous-mêmes.  Par  là,  je  dis 
par  votre  conformité  à  ce  modèle  ,  et  par  le  soin  que 
vous  aurez  d'imiter  cet  exemple ,  votre  conduite  sera 
telle  que  la  veut  saint  Paul ,  irrépréhensible  et  sans 
tache  ;  parla  votre  réputation,  dont  vous  êtes  res- 
ponsables à  Dieu  et  aux  hommes  ,  se  trouvera  à 
couvert  de  la  médisance;  par  là  vous  serez  au-dessus 
delà  censure,  et  le  monde  même  vous  respectera; 
par  là  cesseront  tant  d'imprudences  malheureuses 
qui  sont  le  scandale  de  votre  vie  ;  tant  de  libertés 
que  le  monde  même,  tout  corrompu  qu'il  est,  ne 
vous  permet ,  ni  ne  vous  pardonne  pas  ;  tant  de  con- 
versations dont  la  licence  n'aboutit  qu'à  l'iniquité; 
par  là  les  bienséances  les  plus  exactes  et  les  plus 
sévères  vous  deviendront  dans  la  pratique  aussi 
douces  qu'elles  vous  sembloient  importunes  et  fa- 
tigantes; par  là  votre  régularité  confondra  le  liber- 
tinage ,  et  votre  piété  sera  une  piété  solide  :  car  , 
qu'est-ce  que  votre  piété  sans  cette  régularité ,  si- 
non un  fantôme  que  Dieu  réprouve  ,  et  dont  les 
hommes  font  le  sujet  de  leurs  railleries?  En  un  mot, 
vous  réglant  sur  l'exemple  de  Marie,  vous  sancti- 
fierez le  christianisme  dans  vos  personnes  :   car  je 


4o  SUR   LA  CONCEPTION 

vous  l'ai  déjà  dit  plus  d'une  fois,  mesdames  ,  et 
j'ose  encore  une  fois  vous  le  redire,  c'est  de  vous, 
et  presqu'uniquement  de  vous  que  dépend  le  bon 
ordre  et  la  sanctification  du  christianisme  :  j'en  ap- 
pelle ià-dessus  à  vos  propres  connoissances  ;  et  pour 
vous  convaincre  de  cette  vérité  ,  je  ne  veux  point 
d'autres  témoins  que  vous-mêmes. 

Cependant  Marie  n'ayant  jamais  perdu ,  ni  même 
souillé  par  le  moindre  péché  ,  la  grâce  de  sa  con- 
ception ,  selon  les  lois  communes ,  ne  devoit-elle 
pas  être  exempte  des  rigueurs  de  la  pénitence?  Tel 
étoit  sans  doute  le  privilège  de  son  état  ;  mais  pré- 
tendit-elle en  jouir  ?  non ,  mes  chers  auditeurs.  Mère 
d'un  fils  qui,  sans  avoir  connu  le  péché,  venoit  au 
monde  pour  être  la  victime  publique  du  péché,  elle 
voulut  avoir  part  à  son  sacrifice.  Mère  d'un  Dieu 
qui,  étant  l'innocence  même,  venoit  par  sa  mort 
faire  pénitence  pour  nous,  elle  se  fit  un  devoir  et 
un  mérite  d'entrer  dans  ses  sentimens:  elle  ressentit 
comme  lui  les  péchés  des  hommes,  elle  les  pleura  ; 
et  la  douleur  qu'elle  en  conçut,  selon  l'oracle  de 
Siméon,  fut  comme  une  épée  qui  perça  son  ame  et 
qui  déchira  son  cœur.  Quoique  sainte  et  remplie  de 
grâce,  elle  passa  ses  jours  dans  la  pénitence  la  plus 
austère  :  et  c'est  ce  que  nous  avons  de  la  peine  à 
comprendre.  Mais  ce  que  je  comprends  encore 
moins,  c'est  que  des  pécheurs  ,  et  des  pécheurs 
chargés  de  crimes  ,  par  une  conduite  directement 
opposée,  veuillent  goûter  toutes  les  douceurs  de  la 
vie.  Car  voilà  notre  désordre:  déchus  de  la  grâce  de 
l'innocence  ,  nous  en  voulons  avoir  tous  les  avan- 


DE    LA    VIERGE.  ^l 

tages  ;  conçus  dans  le  péché  ,  nous  n'en  voulons 
pas  subir  les  châtimens  ,  ni  prendre  les  remèdes. 
Les  avantages  de  l'innocence  sont  le  repos ,  la  tran- 
quillité ,  le  plaisir ,  la  joie  ;  je  dis  une  joie  pure ,  sans 
disgrâce  et  sans  amertume.  Or  n'est-ce  pas  là  ce  que 
nous  cherchons  avec  tant  d'empressement  et  tant  de 
passion  ;  et  à  nous  entendre  parler ,  à  nous  voir  agir , 
ne  diroit-on  pas  que  nous  y  avons  droit  ?  Au  con- 
traire ,  l'assujettissement,  le  travail,  l'humiliation  , 
la  souffrance  ,  les  larmes  ,  selon  l'Apôtre ,  sont  le 
juste  payement  et  la  solde  du  péché  :  Stipendia 
peccati  (i);  mais  qu'avons-nous  plus  en  horreur? 
de  quoi  cherchons-nous  plus  à  nous  préserver?  et 
nous  prêcher  une  telle  morale  ,  n'est-ce  pas ,  à  ce 
qu'il  paroît,  nous  offenser?  La  pénitence,  disent 
les  conciles ,  est  comme  le  supplément  et  comme 
le  recouvrement  de  la  grâce  de  l'innocence  ;  et  mal- 
gré la  perte  de  notre  innocence,  nous  ne  voulons 
point  de  pénitence.  Si  Dieu  nous  la  fait  faire  par  lui- 
même  ,  nous  en  murmurons  :  si  cette  pénitence  se 
trouve  attachée  à  nos  conditions  ,  nous  nous  la  ren- 
dons inutile;  d'une  pénitence  salutaire  qu'elle  pou- 
voit  être ,  nous  nous  en  faisons  une  pénitence  forcée  ; 
et  voilà  ,  mes  chers  auditeurs  ,  votre  malheureux 
état.  Car  où  voit-on  plus  de  sujets  et  de  matière  de 
pénitence  qu'à  la  cour;  et  en  même  temps  où  voit- 
on  dans  la  pratique  moins  de  pénitence  chrétienne 
qu'à  la  cour?  Là  où  le  péché  abonde,  c'est  là,  par 
un  renversement  bien  déplorable  ,  que  je  trouve 
moins  la  vraie  pénitence  ,  et  que  règne  avec  plus 

(i)  Rom.  G. 


+1  SUR    LA    CONCEPTION 

d'empire  l'orgueil  de  l'esprit ,  la  mollesse  des  sens  r 
et  l'amour  de  soi-même. 

Enfin ,  par  une  dernière  opposition  entre  Marie 
et  nous ,  quoique  la  grâce  de  sa  conception  fût  une 
grâce  surabondante  et  presque  sans  mesure,  Marie 
néanmoins  n'en  est  pas  demeurée  là  :  mais  toute  son 
application,  tandis  qu'elle  vécut,  fut  d'augmenter 
cette  grâce  ,  croissant  tons  les  jours  de  mérite  en 
mérite  ,  de  sainteté  en  sainteté;  et  nous,  en  qui  la 
grâce  même  laisse  un  si  grand  vide,  nous  n'avons 
nul  zèle  pour  le  remplir;  nous  nous  contentons  de 
ce  que  nous  sommes:  pour  un  homme  du  monde, 
dit-on ,  pour  un  courtisan ,  il  n'en  faut  pas  davan- 
tage. Et  qui  sommes-nous  pour  borner  ainsi  la  grâce 
de  notre  Dieu  :  Qui  estis  vos  (i)  /  Si  Dieu  veut 
se  servir  de  nous ,  et  s'il  demande  de  nous  plus  de 
perfection,  pourquoi  ne  lui  obéirons-nous  pas,  et 
pourquoi  faudra-t-il  que  sa  main  et  sa  miséricorde 
soient  raccourcies  par  notre  infidélité?  Ali!  chré- 
tiens, la  consistance  dans  la  grâce  n'est  que  pour  la 
gloire.  Dans  cette  vie ,  ou  il  faut  croître ,  ou  il  faut 
déchoir.  C'est  ce  que  saint  Paul  enseignoit  aux  pre- 
miers fidèles.  Croissez  ,  mes  frères,  leur  disoit-il, 
dansla  science  de  Dieu;  croissez  dans  son  amour  et 
dans  sa  grâce  ;  croissez  dans  la  foi  et  dans  toutes 
les  vertus  ;  sans  cela  vous  êtes  dans  la  voie  de  per- 
dition. Or,  pour  croître  de  la  sorte,  il  faut  agir;  et 
c'est  ce  qu'a  fait  Marie.  Sans  laisser  jamais  la  grâce 
oisive,  elle  l'a  rendue  agissante,  fervente,  appliquée 
à  de  continuelles  pratiques  de  piété  et  de  charité. 

(i)  Juclilh.  8. 


DE    LA    VIERGE.  43 

Mais  quelles  bonnes  œuvres  pratiquez-vous  ,  et  à 
quels  devoirs  de  charité  envers  les  pauvres  vous 
adonnez-vous?  S'il  y  a  pour  vous  un  moyen  sûr 
et  infaillible  de  persévérer  dans  la  grâce ,  au  mi- 
lieu du  monde  où  vous  vivez ,  c'est  celui-là.  Car 
au  lieu  que  saint  Bernard  vous  déclare,  et  avec 
raison ,  que  quoi  que  vous  fassiez ,  vous  ne  con- 
serverez jamais  l'humilité  dans  le  luxe,  la  chasteté 
dans  les  délices,  la  piété  dans  les  intrigues  et  dans 
les  vaines  occupations  du  siècle,  je  vous  dis  pour 
votre  consolation ,  qu'en  donnant  vos  soins  aux 
pauvres  de  Jésus-Christ,  et  en  vous  employant 
pour  eux,  vous  corrigerez  votre  délicatesse  par  la 
vue  de  leurs  misères,  votre  vanité  par  les  services 
que  vous  leur  rendrez,  votre  froideur  et  votre  in- 
dévotion par  la  sainteté  de  cet  exercice ,  et  qu'ainsi , 
malgré  les  périls  même  de  votre  état,  mettant  cette 
grâce  en  œuvre  et  la  faisant  agir  pour  Dieu,  vous 
la  sauverez  pour  vous-mêmes.  Et  de  quoi  nous 
sert-il ,  mes  chers  auditeurs  ,  de  posséder  cette  grâce 
si  précieuse  ,  et  de  n'en  faire  aucun  usage  ? 

C'est  donc  ainsi  que  Marie  a  honoré  la  grâce , 
et  que  nous  devons  l'honorer.  Quand  Tertullien 
parle  de  la  défiance  salutaire  que  nous  devons  avoir 
de  nous-mêmes  pour  nous  préserver  du  péché ,  il 
dit  un  beau  mot ,  savoir  ,  que  la  crainte  de  1  homme 
est  alors  un  respect  et  un  honneur  que  l'homme  , 
en  vue  de  sa  foiblesse  et  par  esprit  de  religion , 
rend  humblement  à  Dieu  :  Timor  hominis  honor 
Dei;  parce  qu'en  effet  rien  n'est  plus  honorable  à 
Dieu  que  cette  circonspection  de  l'homme ,  et  cette 


44  SUR    LA  CONCEPTION 

attention  non-seulement  à  ne  point  offenser  son 
Dieu ,  mais  à  ne  courir  pas  même  volontairement 
le  moindre  risque  de  perdre  sa  grâce.  Et  le  même 
Tertullien.  expliquant  davantage  sa  pensée  ,  dans 
l'exemple  de  certains  pécheurs  ,  qui,  sortis  de  leurs 
désordres  et  des  occasions  malheureuses  où  ils 
s'étoient  engagés ,  y  renoncent  pour  jamais  et  de 
bonne  foi ,  semblables  à  ceux  qui ,  s'étant  sauvés 
d'un  naufrage ,  disent  un  éternel  adieu  à  la  mer  :  il 
ajoute  que  ces  pécheurs  honorent  le  bienfait  de 
Dieu  et  la  grâce  de  leur  conversion ,  par  le  souvenir 
efficace  du  danger  qu'ils  ont  couru  :  Et  benefi- 
cium  Del ,  salutem  suam  scillcet  ,  memoricl 
■pericull  honorant.  Faisons  encore  pins  :  comme 
Marie  ,  ne  nous  contentons  pas  d'honorer  la  grâce 
en  la  conservant,  mais  honorons-la  en  lui  laissant 
toute  son  action  -,  honorons-la  en  lui  faisant  prendre 
tous  les  jours  de  nouveaux  accroissemens  ,  et  en  lui 
disposant  pour  cela  nos  cœurs. 

C'est  dans  cette  sainte  résolution,  ô  glorieuse 
mère  de  mon  Dieu  !  que  nous  vous  présentons  nos 
vœux;  et  que,  touché  d'un  zèle  particulier  comme 
prédicateur  de  l'évangile,  j'ose  vous  présenter  les 
miens,  non-seulement  pour  attirer  sur  tous  mes 
auditeurs  les  effets  de  votre  protection ,  mais  afin 
que  Dieu,  par  votre  intercession  toute-puissante, 
sanctifie  l'auguste  mariage  qui  fait  maintenant  le 
sujet  de  notre  joie  (i).  C'est  votre  ouvrage  ,  Sire  , 
et  par  l'intérêt  que  l'Eglise  et  la  religion ,  aussi  bien 

(1)  Le  P.  Hourdaloue  (it  ce  compliment  au  roi  deux  jours  après  le 
vnariage  de  monseigneur  le  duc  de  Bourgogne. 


DÉ    LA    VIERGE.  45 

que  l'Etat,  y  doivent  prendre  ,  le  devoir  de  mon 
ministère  m'oblige  ici  à  vous  en  féliciter.  Le  jeune 
prince  que  vous  éleviez ,  et  que  la  Providence  a 
destiné  pour  être  dans  la  suite  des  temps  assis  sur 
le  trône  ,  formé  par  vous ,  étoit  déjà  le  prodige 
de  son  âge  et  l'admiration  de  la  cour.  Dans  la  pre- 
mière fleur  de  ses  années ,  capable  de  juger  de 
tout,  intelligent ,  savant ,  pénétrant,  plein  d'une 
solide  raison ,  et  ce  qui  est  encore  plus ,  d'une  so- 
lide religion  ,  aimant  le  bien  ,  ayant  en  horreur  l'in- 
justice et  l'impiété  ,  né  avec  des  inclinations  toutes 
royales,  équitable,  humain,  généreux,  ce  prince 
étoit  déjà  parvenu  à  être,  non  plus  l'espérance  , 
mais  la  consolation  de  votre  majesté.  Il  lui  falloit 
une  princesse  digne  de  lui  :  votre  majesté  l'a  trou- 
vée. Nous  la  voyons,  et  j'ai  l'honneur  d'être  le  pre- 
mier qui ,  dans  le  haut  rang  où  elle  nous  paroît  au- 
jourd'hui, lui  annonce  les  vérités  du  salut.  Il  me 
suffiroit ,  pour  faire  en  deux  mots  l'éloge  de  cette 
princesse ,  de  dire  que  votre  majesté  l'a  préférée 
à  toutes  les  princesses  de  l'Europe  ;  et  que ,  toute 
jeune  qu'elle  est,  elle  a  su  gagner  votre  estime. 
Mais  il  n'est  pas  ici  question  de  faire  l'éloge  de 
la  princesse ,  il  s'agit  de  rendre  grâce  à  Dieu  de 
nous  l'avoir  donnée,  et  de  lui  faire  connoltre  à 
elle-même  les  desseins  de  Dieu  sur  elle.  Elle  nous 
a  apporté  la  paix  ,  et  par  là  sa  personne  nous  doit 
être  chère  ;  mais  nous  nous  promettons  encore 
quelque  chose  de  plus  important.  On  admire  en 
elle  des  qualités  qui  la  rendent  parfaite  selon  le 
monde  ;  on  est  charmé  de  ses  manières ,  de  la  viva- 


46  SUR   LA   CONCEPTION 

cité  de  son  esprit ,  de  la  maturité  de  son  jugement, 
de  cette  science  du  monde  si  avancée,  de  ce  talent 
qu'elle  a  de  savoir  plaire  à  qui  elle  doit  plaire  :  mais 
pour  moi  qui  ne  dois  avoir  égard  qu'à  ce  qui  la 
rend  parfaite  selon  Dieu ,  je  bénis  le  ciel  de  nous 
avoir  donné  dans  sa  personne  une  princesse  chré- 
tienne ;  une  princesse  qui ,  instruite  de  la  religion 
qu'elle  professe ,  fera  son  capital  de  la  pratiquer  ; 
qui ,  occupée  de  ses  devoirs  ,  n'aura  rien ,  Sire , 
plus  à  cœur  que  de  seconder  le  zèle  de  votre  ma- 
jesté ,  que  de  se  conformer  en  toutes  choses  à  ses 
intentions  ,  que  de  mériter  les  bonnes  grâces  de 
monseigneur,  que  d'édifier  le  prince  son  époux  , 
que  de  servir  de  modèle  à  toutes  les  princesses  de 
la  cour,  que  de  leur  inspirer,  par  sa  conduite  , 
l'amour  de  la  vraie  piété ,  que  de  leur  en  donner 
le  goût  ;  une  princesse ,  qui ,  s'élevant  au-dessus  de 
la  vanité,  emploiera  le  discernement  et  les  lumières 
dont  Dieu  l'a  pourvue ,  à  démêler  la  vérité  d'avec 
le  mensonge  ,  à  éloigner  de  soi  la  flatterie  ,  à  se  pré- 
server de  l'erreur,  à  ne  pas  donner  dans  le  piège 
des  passions  d'autrui,  à  être  en  garde  contre  l'in- 
trigue ,  à  ne  se  pas  laisser  séduire  par  la  médi- 
sance ,  à  bannir  le  libertinage  de  sa  maison  ,  à  en 
exterminer  le  vice,  à  y  maintenir  la  probité,  à  y 
faire  craindre  et  honorer  Dieu  ;  une  princesse  dont 
bientôt  les  exemples  seront  plus  puissans  que  toutes 
mes  paroles  ,  pour  établir  dans  cette  cour  le  règne 
des  vertus  ;  et  qui,  marchant  sur  les  pas  de  ces 
grandes  reines  et  de  ces  vertueuses  princesses  dont 
la  mémoire  toute  récente  est  encore  parmi  nous  en 


DE    LA    VIERGE.  47 

bénédiction  ,  sera  comme  elles  ,  la  protectrice  dé- 
clarée des  intérêts  de  Dieu,  la  mère  des  pauvres, 
le  refuge  et  l'asile  des  malheureux.  Voilà  ,  plus  que 
son  rang,  ce  qui  me  la  rend  vénérable  ,  et  ce  qul 
me  fait  dire  comme  le  serviteur  d'Abraham ,  lorsque  , 
voyant  pour  la  première  fois  l'épouse  du  fils  de  son 
maître,  il  s'écria  dans  un  transport  d'admiration  et 
d'action  de  grâces  :  Ipsa  est  midier ,  qnam  prœ- 
■pavavit  Dominus  fdio  domini  mei  (i);  Oui,  la 
voici  celle  que  Dieu  ,  par  son  aimable  providence , 
a  choisie  pour  être  l'épouse  du  fils  de  mon  sei- 
gneur :  Filio  domini  mei.  Ces  paroles  d'Eliézer 
furent  une  espèce  de  prédiction,  qui  s'accomplit 
dans  la  suite  par  l'abondance  des  grâces  que  Dieu 
répandit  sur  la  maison  d'Abraham  ,  et  sur  le  ma- 
riage dlsaac.  Faites ,  ô  mon  Dieu  !  que  ces  mêmes 
paroles,  appliquées  à  notre  invincible  monarque  et 
à  son  auguste  famille  ,  soient  suivies  des  mêmes 
effets;  et  puisque  vous  êtes  l'auteur  de  cette  glo- 
rieuse alliance  qui  vient  de  mettre  le  comble  à 
i  notre  bonheur,  versez  sur  les  deux  royales  per- 
sonnes qu'elle  a  unies  d'un  lien  si  sacré  ,  vos  plus 
singulières  faveurs;  non-seulement  parles  prospé- 
rités temporelles  dont  ils  méritent  d'être  comblés  , 
mais  encore  plus  abondamment  par  les  grâces  du 
salut  qui  feront  pour  l'un  et  pour  l'autre  le  prin- 
cipe d'une  éternité  bienheureuse  que  je  leur  sou- 
haite ,  au  nom  du  Père ,  etc, 

(*)  Gènes,  %\. 


SERMON 


SUR 

L'ANNONCIATION  DE  LA  VIERGE. 


Dixit  autem  Maria  ad  Angelum  :  Ecce  ancilla  Domini , 
fiât  mihi  secundum  verbum  taum. 

Alors  Marie  dit  à  l'Ange  :  Je  suis  la  servante  du 
Seigneur  ,  c/uil  me  soit  j ait  selon  votre  parole.  Eu  saint 
Lac ,  chap.  i. 

Sire, 

*-<'est  de  cette  réponse  de  Marie  que  dépendoit 
l'accomplissement  du  glorieux  mystère  que  nous 
célébrons.  Ce  consentement  étoit ,  dans  l'ordre  des 
décrets  éternels  de  Dieu,  une  des  conditions  re- 
quises pour  l'incarnation  du  Verbe  ,  et  voilà  ,  mes 
chers  auditeurs ,  l'essentielle  obligation  que  nous 
avons  à  cette  reine  des  vierges  ,  puisqu'il  est  de  la 
foi ,  que  c'est  par  elle  que  Jésus-Christ  nous  a  été 
donné ,  et  à  elle  que  nous  sommes  redevables  de 
ce  Dieu  sauveur.  Car  si  le  Fils  même  de  Dieu  des- 
cend de  sa  gloire,  si,  dans  les  chastes  entrailles 
de  Marie,  il  vient,  pour  le  salut  des  hommes,  se 
faire  homme,  c'est  au  moment  qu'elle  a  dit,  et 
parce  qu'elle  a  dit  :  Je  suis  la  servante  du  Seigneur, 
qu'il  me  soit  fait  selon  votre  parole  :  Ecce  ancilla 
Domini ,  fuit  mihi  secundùm  verbum  tuum.  JNe 


SUR  L'ANNONCIATION  DE  LA  VIERGE.  49 

séparons  donc  point  dans  ce  discours  la  mère  du 
fils  et  le  fds  de  la  mère  :  ne  séparons  point  l'éloge 
de  Marie  du  mystère  adorable  et  incompréhensible 
de  l'homme-Dieu  ;  mais  tâchons  à  tirer  de  l'un  et 
de  l'autre  de  quoi  nous  instruire  et  de  quoi  nous 
édifier.  Saint  Augustin  disoit  que ,  pour  parler  di- 
gnement et  utilement  du  Verbe  incarné  dans  le 
sein  de  la  Vierge ,  il  falloit  que  la  parole  de  Dieu 
s'incarnât  en  quelque  sorte  tout  de  nouveau  dans  la 
bouche  des  prédicateurs ,  et  que  le  ministre  de 
l'évangile  devoit  avoir  le  même  zèle  que  saint  Paul , 
pour  pouvoir  dire  à  ses  auditeurs  comme  cet  apôtre  : 
Filioll  mei,  quos  iteriim  parturio,  donec  for~ 
metur  in  vobis  Chris  tus  (1);  Mes  chers  enfans  , 
pour  qui  je  me  sens  pressé  des  mouvemens  les  plus 
vifs  d'une  tendresse  paternelle,  jusqu'à  ce  que  Jé- 
sus-Christ soit  formé  en  vous.  C'est  la  grâce  qui 
m'est  aujourd'hui  nécessaire.  Il  faut  qu'à  l'exemple 
du  Docteur  des  nations ,  je  travaille  à  former  Jé- 
sus-Christ dans  vos  aines,  et  que  vous  conceviez 
spirituellement  le  Verbe  de  Dieu,  tandis  que  je 
vais  vous  annoncer  sa  conception  substantielle  et 
véritable.  Nous  avons  besoin  pour  cela  des  lumières 
du  Saint-Esprit,  qui  suryint  dans  Marie;  et  c'est 
par  l'intercession  de  cette  vierge  toute-puissante 
que  nous  les  devons  demander  :  Ave  Maria, 

C'est  le  sentiment  de  tous  les  Pères  de  l'Eglise  , 
que  Marie,  sans  avoir  pu  proprement  mériter  que 
le  Verbe  divin  s'incarnât,  a  pu  néanmoins ,  par  sa 

(1)  Gaiat.  4. 

TOME  XI.  4 


5o  SUR     L'ANNONCIATION 

correspondance  aux  desseins  de  Dieu ,  servir  à  l'ac- 
complissement de  ce  mystère  iueflable.  Car,  au 
moment  qu'il  fut  sur  Je  point  de  s'accomplir,  elle 
s'y  trouva  préparée  par  des  sentimens  intérieurs  et 
par  des  vertus  qui  la  rendirent  non-seulement  digne, 
mais  la  plus  digne  et  la  seule  digne  d'être  la  mère 
du  Rédempteur.  C'est  pour  cela  que  Dieu  l'avoit 
comblée  de  tant  de  grâces,  pour  cela  qu'il  l'avoit 
préservée  de  tout  péché  ,  pour  cela  que,  dès  ses 
plus  tendres  années ,  elle  s'étoit  séparée  du  monde; 
pour  cela  qu'en  se  présentant  dans  le  temple,  elle 
s'étoit  elle-même  consacrée  à  Dieu ,  parce  qu'elle 
-étoit  dès-lors  destinée  à  être  le  temple  vivant  et  le 
sanctuaire  de  Dieu.  Le  point  est  de  savoir  quelles 
furent  en  particulier  ces  dispositions  de  Marie,  et  à 
quoi  Dieu  eut  surtout  égard  pour  la  faire  entrer  en 
participation  de  ce  mystère ,  et  pour  l'élever  à  la 
maternité  divine.  Les  uns  prétendent  que  ce  fut  par 
son  humilité  profonde , par  son  obéissance  héroïque, 
par  sa  parfaite  soumissionaux  ordres  de  Dieu ,  qu'elle 
trouva  grâce  devant  Dieu.  Les  autres  attribuent 
cette  grâce,  ou,  pour  mieux  dire,  cette  gloire 
qu'elle  reçut  de  Dieu ,  à  sa  pureté  angélique  ,  par 
où  elle  étoit  déjà ,  comme  vierge ,  l'épouse  de  Dieu. 
Joignons,  chrétiens,  l'un  et  l'autre  ensemble  ;  et 
disons  avec  saint  Bernard,  que  cette  vierge  incom- 
parable conçut  le  Verbe  de  Dieu,  et  par  son  hu- 
milité ,  et  par  sa  virginité  :  Virginitate  plaçait  , 
humilitate  concepit.  C'est  à  cette  pensée  que  je 
m'attache  avec  d'autant  plus  de  raison ,  qu'elle  me 
paroît  fondée  sur  les  paroles  de  mon  texte ,  puisqu'il 


DE    LA    VIERGE.  5r 

est  constant  que  la  disposition  la  plus  prochaine 
qu'apporta  Marie  à  l'incarnation  de  Jésus-Christ , 
fut  le  consentement  qu'elle  donna  à  la  parole  de 
l'ange ,  en  lui  disant  :  Je  suis  la  servante  du  Sei- 
gneur,  qu'il  me  soit  fait  selon  votre  parole.  Or,  ce 
consentement  fut  tout  à  la  fois,  et  une  protestation 
sincère  de  son  humilité  ,  et  une  solennelle  profession 
île  sa  virginité.  Car,  en  se  reconnoissant  la  ser- 
vante du  Seigneur ,  elle  s'humilia;  et,  en  ne  voulant 
accepter  l'honneur  de  la  maternité  divine ,  qu'à 
condition  que  tout  s'accompliroit  selon  la  parole 
de  l'ange ,  c'est-à-dire ,  par  l'opération  du  Saint- 
Esprit  ,  elle  déclara  non-seulement  qu'elle  étoit 
vierge,  mais  qu'elle  vouloit  toujours  l'être.  Ainsi, 
il  est  vrai  de  dire  qu'elle  conçut  ce  Dieu  de  gloire , 
et  par  l'humilité  de  son  cœur  ,  et  par  la  pureté  de 
son  corps  :  par  l'humilité  de  son  cœur,  qui ,  de  la 
condition  d'une  simple  fille,  l'éleva  jusqu'à  la  di- 
gnité de  mère  de  Dieu  :  ce  sera  la  première  partie  ; 
par  la  pureté  de  son  corps,  qui,  comme  parle 
S.  Àmbroise ,  eut  le  bonheur  d'attirer  sur  la  terre 
le  Verbe  de  Dieu  :  ce  sera  la  seconde  partie.  Don- 
nez-moi, s'il  vous  plaît ,  une  favorable  attention. 

PREMIÈRE    PARTIE. 

Quelque  parfaites  en  elles-mêmes  que  soient  les 
autres  vertus,  et  quelque  mérite  d'ailleurs  qu'elles 
puissent  avoir,  c'est  l'humilité  ,  dit  saint  Augustin, 
qui, de  la  part  de  l'homme,  doit  être  la  première 
et  essentielle  disposition  aux  communications  de 
Dieu.  Et  la  raison  qu'en  apporte  ce  saint  docteur , 


52  SUR     L'ANNONCIATION 

meparoît  aussi  convaincante  qu'elle  est  naturelle  : 
parce  qu'il  est  évident ,  ajoute-t-il ,  que  ,  pour  re- 
cevoir les  grâces  et  les  faveurs  de  Dieu ,  il  faut  au 
moins  être  vide  de  soi-même  :  Dieu  ,  tout  Dieu 
qu'il  est,  si  j'ose  m'exprimer  de  la  sorte,  ne  trou- 
vant plus  de  place  dans  un  cœur  plein  de  lui-même , 
c'est-à-dire  ,  dans  un  cœur  infecté  de  l'amour  et 
de  la  vaine  estime  de  soi-même.  Or,  l'effet  propre 
de  l'humilité  est  de  faire  en  nous  ce  vide  mysté- 
rieux et  salutaire  ,qui  consiste  dans  l'oubli  de  nous- 
mêmes  ,  dans  le  détachement  de  nous-mêmes ,  dans 
le  renoncement  à  nous-mêmes;  par  conséquent  , 
c'est  l'humilité  qui  nous  rend  capables  de  posséder 
Dieu  ,  d'être  des  vases  d'élection  propres  à  contenir 
les  dons  de  Dieu,  en  un  mot,  de  servir  de  sujets 
aux  épanchemens  ineffables  des  grâces  et  de  l'esprit 
de  Dieu  :  principe  sur  lequel  est  fondé  le  mystère 
de  ce  jour.  Car  voici,  mes  chers  auditeurs  ,  l'appli- 
cation que  j'en  fais.  Dieu  vouloit  se  communiquer 
à  l'homme,  mais  d'une  manière  étonnante,  et  qui 
devoit  même  surpasser  l'intelligence  de  l'homme; 
savoir,  par  la  voie  incompréhensible  de  l'incarna- 
iion  de  son  Verbe.  Parlons  plus  simplement  et  plus 
clairement.  Dieu  vouloit  que  ce  Verbe  ,  que  ce  Fils 
du  Très-haut  vînt  au  monde  revêtu  de  notre  chair; 
qu'il  fut  homme  comme  nous,  et,  à  l'exclusion  du 
péché  ,  parfaitement  semblable  à  nous.  Pour  cela  il 
cherchoit  une  vierge  qui  pût,  en  qualité  de  mère, 
coopérer  à  l'accomplissement  de  ce  grand  dessein  ; 
une  vierge  selon  son  cœur,  et  en  qui  il  trouvât 
ce  fonds  d'humilité  indispensablement  requis  pour 


DE    LA    VIERGE.  53 

en  faire  ïe  temple  vivant  où  devoit  habiter  neuf 
mois  entiers  la  plénitude  de  la  divinité.  Au  mo- 
ment qu'il  fallut  venir  à  l'exécution  de  l'ouvrage 
qu'il  s'étoit  proposé ,  il  jeta  les  jeux  sur  Marie  ;  et 
Marie  seule,  entre  les  femmes,  lui  parut  dans  l'état 
de  cette  humilité  parfaite  qu'il  demandoit.  C'est 
pour  cela,  dit  saint  Augustin,  qu'il  la  choisit  pré- 
férablement  à  toutes  les  autres  ,  et  qu'il  l'honora  de 
la  plus  éminente  de  toutes  les  grâces,  qui  étoit 
celle  de  concevoir  un  Dieu  ,  parce  qu'elle  étoit , 
sans  contestation  et  sans  exception,  la  plus  humble 
des  servantes  de  Dieu.  Voilà ,  dis-je  ,  en  deux  mots , 
le  mystère  que  nous  célébrons.  Mais,  pour  votre  édi- 
fication et  pour  la  mienne,  permettez- moi  de  vous 
le  développer. 

Non ,  chrétiens  ,  quand  Dieu  choisit  Marie  pour 
l'élever  à  la  maternité  divine ,  il  ne  considéra  en 
elle,  ni  la  grandeur  de  sa  naissance,  ni  les  talens 
de  son  esprit  y  ni  les  perfections  de  son  corps  ,  ni 
tous  les  autres  avantages  dont  il  l'avoit,  comme 
créateur,  si  libéralement  pourvue.  Il  est  vrai,  Ma- 
rie ,  même  selon  le  monde  ,  étoit  la  plus  accomplie 
de  toutes  les  créatures.  Issue  de  David  et  de  tant 
d'autres  rois  qu'elle  comptoit  parmi  ses  ancêtres  , 
elle  avoit  hérité  de  toute  leur  gloire  :  douée  des 
qualités  naturelles  qu'elle  avoit  reçues  de  Dieu  , 
elle  étoit,  comme  parle  saint  Bernard,  le  chef- 
d'œuvre  de  tous  les  siècles,  et  nulle  des  filles  d'Is- 
raël ne  lui  fut  jamais  comparable  dans  le  merveilleux 
assemblage  de  ces  grâces  extérieures  et  éclatantes 
dont  elle  se  trouvoit  enrichie  ;  car  c'est  d'elle  ,  à  la 


54  SUR     L'ANNONCIATION 

lettre  ,  qu'on  pouvoitbien  dire  :  Multœ  fili.ce  con- 
gregaverunt  divitias ,  lu  supergressa  es  uni- 
versels (i).  Mais  rien   de   tout   cela  précisément 
n'engagea  Dieu  au  choix  qu'il  fit  d'elle  pour  être 
la  mère  du  Messie ,  et  pour   donner  au  monde   le 
Rédempteur.  Je  dis  plus  „  et  ceci  est  encore  plus 
digne  de  vos  réflexions.  Ce  qui  décida  en   faveur 
de  Marie  ,  ce  qui  détermina  Dieu  à  lui  donner  la 
préférence  de  cette  auguste   maternité  ,  ce  ne  fut 
pas  même  absolument  ni  en  général  les  mérites  de 
sa  sainteté.  Je  m'explique  ,  Marie  ,  pour  être  mère 
de  Dieu  j  devoit  être  sainte;  mais  toute  espèce  de 
sainteté  n'auroit  pas  suffi  :  il  falloit  pour  cela  une 
sainteté  d'un  caractère  particulier,  qui  disposât  Ma- 
rie à  être  la  mère  d'un  Dieu  incarné,  c'est-à-dire, 
la  mère  d'un  Dieu  qui  s'anéantissoit  en  devenant 
son  fils  et  se  faisant  homme.  Or,  ce   caractère    ne 
pouvoit  être  que  l'humilité  ;  et  si  1  humilité  n'avoit 
pas   été  la  vertu  prédominante   de   cette  vierge , 
quand  elle  eût  eu  d'ailleurs  tous  les  mérites  et  toute 
la  sainteté  des  anges  ,  Dieu  ne  l'aurait  pas  choisie. 
Par  où  donc,  entre   toutes  les  vierges,  se  distin- 
gua-t-elle  devant  ce  Dieu  de  majesté  ?  C'est  elle- 
même  qui  nous  l'apprend  :  par  la    connoissance 
qu'elle  eut  de  sa  bassesse ,  et  par  l'aveu  qu'elle  en 
fit.  Or ,  cet  aveu  de  sa  bassesse  ne  fut  qu'une  expres- 
sion vive  et  affectueuse  de  rinunilité  de  son  cœur. 
Quia  respexit  huntili talent   ancillœ  suce  (2)  : 
Oui ,  dit-elle  dans  ce  sacré  cantique  ,  qui ,  selon  la 
pensée  de  saint  Ambroise ,  fut  comme  l'extase  de 

(1)  Proy.  39.  —  (s)  Luc.  1. 


DE    LA   VIERGE.  55 

son  humilité ,  mais  de  son  humilité  glorifiée  ;  on 
m'appellera  bienheureuse ,  et  je  le  suis  en  effet  ; 
car  le  Tout-puissant  a  fait  en  moi  de  grandes  choses  : 
et  pourquoi  les  a-t-il  faites  ?  parce  qu'il  n'a  pas  dé- 
daigné la  bassesse  de  sa  servante,  et  qu'il  a  eu 
égard  au  sentiment  qu'elle  en  avoit  :  Ecce  enim 
ex  hoc  (i).  Gela  seul  m'a  attiré  non-seulement 
ses  bénédictions  et  ses  grâces,  mais  sa  personne 
et  sa  divinité  même  ;  et  je  veux  bien  le  publier 
hautement ,  afin  que  toutes  les  âmes  justes  ,  profi- 
tant de  la  confession  que  j'en  fais  ,  sachent  qu'il 
n'y  a  que  l'humilité  à  qui  Dieu  se  communique , 
ni  qui  puisse  l'approcher  de  nous  et  nous  appro- 
cher de  lui.  Il  ne  faut  pas  s'étonner,  chrétiens, 
que  Dieu  en  use  de  la  sorte  à  l'égard  de  Marie» 
Car,  comme  raisonne  saint  Bernard,  un  Dieu  qui 
lui-même  étoit  sur  le  point  de  s'humilier  jusqu'à 
l'excès  ,  en  se  revêtant  de  notre  chair,  devoit  avoir 
des  complaisances  infinies  pour  l'humilité.  Puisque 
dans  l'état  même  de  sa  gloire,  il  a  tant  d'égards 
pour  cette  vertu ,  et  que ,  par  la  seule  raison  qu'il 
est  grand  ,  toutes  ses  inclinations  sont  pour  les  pe- 
tits et  pour  les  humbles  :  Quoniam  excelsus  Do- 
minus  ,  et  humilia  respicit  (2)  ;  que  falloit-ii  at- 
tendre de  lui  dans  la  disposition  prochaine  où  il  se 
trouvoit  de  devenir  un  Dieu  humble  ,  sinon  qu'il  se 
fît  encore  un  honneur  d'être  conçu  par  la  plus 
humble  de  toutes  les  créatures  ;  et  qu'agissant  con- 
séquemment,  il  voulût  entrer  dans  le  monde  par  l'hu- 
milité ,  qui  fut  son  principal  et  son  souverain  attrait  ? 

(1)  Luc.  1.  —  (2)  Psalm.  137. 


56  sur  l'annonciation 

Mais  enfin  qu'y  eut- il  donc  de  si  singulier  et  de 
si  rare  dans  l'humilité  de  Marie,  et  en  quoi  l'hu- 
milité de  Marie  lui  parut-elle  alors  si  digne  de  lui? 
Ah  !  chrétiens  ,  Dieu  trouva  dans  Marie  une  humi- 
lité qui  ne  s'étoit  jamais  vue  sur  la  terre ,  et  qui  ne 
s'y  verra  jamais  ;  je  veux  dire  ,  une  humilité  jointe 
à  la  plénitude  du  mérite  ;  première  circonstance  : 
car  être  humble  sans  mérite  ,  dit  saint  Chrysostôme  , 
c'est  une  nécessité  :  être  humble  avec  quelque  mé- 
rite, c'est  une  louange  :  mais  être  humble  dans  l'ac- 
tuelle possession  de  tous  les  mérites  ,  c'est  un  mi- 
racle ,  et  il  falloit  ce  miracle  pour  l'incarnation.  Or, 
c'est  ce  miracle  qui  paroît  visiblement  dans  la  per- 
sonne de  Marie.  Car  prenez  garde ,  s'il  vous  plaît  : 
on  la  salue  comme  pleine  de  grâce  :  Ave ,  gratid 
■plena  (i);  et  elle  proteste  qu'elle  est  la  servante 
du  Seigneur  :  Ecce  ancilla  Domini  (2).  Si  elle 
n'eût  été  que  servante,  ou  si  elle  n'eût  été  que 
pleine  de  grâce,  elle  n'auroit  jamais  été  mère  de 
Dieu;  c'est  l'excellente  réflexion  de  saint  Chrysos- 
tôme :  mais  parce  qu'elle  est  l'un  et  l'autre  tout 
ensemble  ;  parce  qu'étant  pleine  de  grâce ,  elle  ne 
laisse  pas  de  s'appeler  humble  servante  du  Seigneur , 
parmi  eflet  de  l'opération  divine  ,  de  servante  elle 
devient  mère.  Voici  quelque  chose  de  plus  :  une 
humilité  dans  le  comble  de  l'honneur;  autre  cir- 
constance. Etre  humble,  poursuit  saint  Chrysos- 
tôme ,  dans  l'humiliation  ,  être  humble  dans  l'obs- 
curité d'une  condition  vile  et  abjecte  ,  ce  n'est  tout 
au  plus  qu'une  vertu  commune  et  populaire  ;  mais 

(l)  Luc.  1.   —  (2)  Ibid. 


DE   LA   VIERGE.  5j 

être  humble ,  comme  l'a  été  Marie ,  dans  le  plus 
haut  degré  d'élévation  ,  c'est  une  vertu  héroïque , 
et  par  où  Marie  mérita  l'admiration ,  non  pas  sim- 
plement des  hommes  et  des  anges,  mais  pour  ainsi 
dire  de  Dieu  même.  Car  pourquoi  ne  parlerois-je 
pas  ainsi,  et  pourquoi  craindrois-je  de  dire,  que 
celui  qui  admira  la  foi  du  centenier  et  de  la  femme 
chananéenne ,  dut  encore  bien  plus  admirer  l'hu- 
milité de  cette  vierge  ?  Entrons  dans  le  détail.  Un 
ange  est  député  à  Marie  :  tout  ange  qu'il  est,  il  ne 
lui  parle  qu'avec  respect.  Il  lui  déclare  qu'elle  est 
bénie  entre  toutes  les  femmes ,  qu'elle  a  trouvé 
grâce  aux  yeux  du  Seigneur ,  qu'elle  concevra  un 
Fils  à  qui  elle  donnera  le  nom  de  Jésus  ,  qu'elle 
sera  remplie  du  Saint-Esprit ,  que  le  fruit  qui  naîtra 
d'elle  sera  saint  par  excellence ,  qu'il  sera  Fils  de 
Dieu,  qu'il  rétablira  le  trône  de  David,  qu'il  ré- 
gnera éternellement,  et  que  c'est  par  elle  enfin  que 
tout  cela  doit  être  fait.  Que  pouvoit-on  lui  annoncer 
de  plus  grand  ?  quel  droit  ne  sembloit-elle  pas  alors 
avoir  de  se  former  de  hautes  idées  d'elle-même , 
surtout  lorsqu'elle  savoit  que  ce  n'étoient  point  là 
des  flatteries ,  puisqu'elle  recevoit  tous  ces  éloges 
et  de  la  bouche  d'un  ange ,  et  de  la  part  de  Dieu  ? 
Cependant ,  chrétiens  ,  à  tous  ces  éloges  elle  ne  fait 
qu'une  seule  réponse  :  mais  elle  la  fait  avec  autant 
de  sincérité ,  qu'une  ame  vaine  et  peu  solide  auroit 
pu  la  faire  avec  dissimulation  et  avec  affectation. 
Ecce  ancilla  Domini  :  Je  suis ,  dit-elle ,  la  ser- 
vante du  Seigneur.  Vous  me  parlez  d'être  sa  mère  , 
et  ce  seroit  pour  moi  un  titre  de  supériorité  :  mais 


58  SUR     L'ANNONCIATION 

je  m'en  tiens  à  celui  de  ma  dépendance  ,  à  celui  de 
l'entière  soumission  et  de  la  servitude  que  je  lui  ai 
vouée ,  et  dont  je  ne  me  départirai  jamais  :  Ecce 
ancilla. 

Or  voilà ,  mes  chers  auditeurs  >  encore  une  foi?, 
ce  qui  ravit  le  ciel.  Voilà ,  souffrez  que  je  m'explique 
ainsi ,  ce  qui  achève  de  déterminer  le  Verbe  de 
Dieu  à  sortir  du  sein  de  son  Père,  et  à  descendre 
du  trône  de  sa  gloire  jusque  dans  la  profondeur  de 
notre  néant.  Car ,  c'est  bien  ici  que  s'est  vérifiée 
la  parole  du  Prophète   royal ,  qu'un  abîme   attire 
un 'autre  abîme  :  Abyssus  abyssum  invocat(i)* 
Tandis  que  Marie  s'humilie  devant  Dieu,  le  Verbe 
de  Dieu  s'anéantit  en  elle  :  cet  abîme  de  l'humilité 
d'une  vierge  attire  un  second  abîme  encore  plus 
grand  ,  qui  est  celui  de  l'anéantissement  d'un  Dieu. 
Car  c'est  le  terme  ,  et  le  terme  unique  par  où  saint 
Paul  a  cru  pouvoir  dignement  exprimer  le  mystère 
d'un  Dieu-homme  :  Qui  càm  in  forma  Deiesset, 
exinanivit    semetipsum    formam   servi    acci- 
pieus  (2)  ;  ce   Jésus-Christ  que  j-e  vous  prêche , 
disoit-il  aux  Corinthiens,  est  celui  qui  étant  Dieu  , 
et  n'estimant  point  que  ce  fut  pour  lui  une  usurpa- 
tion d'être  égal  à  Dieu  ,  s'est  anéanti  lui-même,  pre- 
nant la  forme  de  serviteur  et  se  rendant  semblable 
aux  hommes.  En  effet ,  qu'un  Dieu  se  fasse  homme, 
c'est,  par  rapport  à  Dieu,  ce  qui  surpasse  tous  les 
degrés  d'abaissement  que  notre  imagination  se  fi- 
gure ,  et  qu'elle  peut  se  figurer.  Il  faut  pour  aller 
jusque-là,   que  la  révélation  divine  vienne  à  son 

(1)  Psalm.  41.  —  (2)  Philip.  2. 


DE    LA    VIERGE.  5g 

secours  ;  et  que ,  fortifiée  des  plus  vives  lumières 
de  la  foi ,  elle  nous  élève  au-dessus  de  nous-mêmes , 
pour  nous  faire  comprendre  ce  que  c'est  qu'un  Dieu 
dans  cet  état.  Or  comment  le  comprenons-nous  ? 
par  ce  seul  mot ,  qui  signifie  plus  que  tout  ce  que 
les  théologiens  et  les  Pères  se  sont  efforcés  de  nous 
en  dire  ;  aussi  est-ce  le  Saint-Esprit  qui  l'a  dicté. 
11  s'est  fait  homme,  c'est-à-dire,  de  Dieu  qu'il 
étoit,  sans  préjudice  delà  souveraineté  de  son  être, 
il  s'est  réduit  à  une  espèce  de  néant  :  Exinanivit 
semetipsum  (i). 

G'estdonc  de cenéantdivin,pourparlerainsi,que 
nous  avons  été  formés  ;  et  c'est  par  la  vertu  mira- 
culeuse de  cet  anéantissement  d'un  Dieu,  que  nous 
sommes,  vous  et  moi,  tout  ce  que  nous  sommes 
dans  l'ordre  de  la  grâce.  Comme  le  premier  néant  que 
j'appelle  le  néant  de  la  création  ,  a  été  le  principe  et 
l'origine  de  tous  les  êtres  qui  sont  dans  la  nature  ,  il  a 
fallu  que  de  ce  second  néant ,  qui  est  le  néant  de  l'hu- 
miliation et  de  l'incarnation  du  Verbe ,  Dieu  tirât  tous 
les  êtres  qui  sont  de  l'ordre  surnaturel ,  c'est-à-dire , 
toutes  les  grâces,  toutes  les  vertus  ,  tous  les  mérites  9 
toutes  les  lumières,  toutes  les  inspirations,  tous  les 
dons  célestes  qui  doivent  contribuer  au  salut  et  à  la 
justification  des  hommes.  C'est  sur  ce  néant  d'un 
Dieu  fait  chair ,  que  la  miséricorde  a  travaillé  pour 
faire  des  saints,  des  prédestinés  ,  des  élus;  comme 
la  toute  -  puissance  avoit  travaillé  sur  le  premier 
néant,  pour  créer  des  cieux  et  des  astres.  Sans  cela 
nous  serions  demeurés  dans  le  néant  éternel  de  notre 

(l)  Philip.  2. 


60  SUR    L'ANNONCIATION 

misère  et  de  notre  péché  :  il  n'y  avoit  qu'un  Dieu 
qui  pût  nous  en  faire  sortir,  et  il  n'a  point  trouvé 
d'autre  moyen  que  l'anéantissement  de  son  adorable 
personne  :  Eocinanivit  semetipswn.  Anéantisse- 
ment de  mon  Dieu  ,  s'écrie  S.  Bernard  ,  plus  avanta- 
geux pour  moi  que  sa  grandeur  même,  et  que  sa 
puissance  même;  ou  plutôt,  anéantissement  de  mon 
Dieu ,  sans  lequel  sa  puissance  et  sa  grandeur  même 
n'auroient  eu  rien  d'avantageux  pour  moi  ;  anéan- 
tissement plus  fécond ,  plus  riche,  plus  abondant 
que  les  trésors  mêmes  de  Dieu ,  puisque  tous  les 
trésors  de  la  bonté  et  de  la  charité  de  Dieu  y  sont 
renfermés ,  et  que  de  là  me  sont  venus  tous  les  biens 
que  j'ai  reçus  de  Dieu  et  que  j'en  recevrai  jamais  ; 
anéantissement  en  vertu  duquel  je  subsiste,  et  au- 
quel je  suis  redevable  de  tout  mon  bonheur  ;  anéan- 
tissement qui ,  me  représentant  mon  Dieu  dans  cet 
abîme  d'humiliation  où  je  le  contemple  aujourd'hui, 
me  le  rend  encore  plus  admirable  et  plus  aimable 
que  lorsque  je  le  considérois  dans  la  splendeur  des 
saints ,  et  dans  le  centre  glorieux  de  sa  pure  divi- 
nité :  Quanta  pro  me  vilior  ,  tanto  mihi  carior. 
Telles  étoient  les  pensées  de  saint  tèernard  en  vue 
de  ce  mystère  ,  qu'il  méditoit  et  dont  il  étoit  pé- 
nétré. 

Mais  allons  plus  avant,  et  pour  nous  rendre  ce 
mystère  encore  plus  utile ,  faisons  un  relour  sur 
nous-mêmes.  Entrons  dans  les  sentiinens  de  Jésus- 
Christ  ,  entrons  dans  ceux  de  Marie  :  je  veux  dire, 
mettons- nous,  selon  la  maxime  du  grand  Apôtre, 
dans  les  mêmes  dispositions  où  se  trouvèrent  Jésus- 


DE  LA    VIERGE.  6l 

Christ  et  Marie  au  moment  de  l'incarnation  :  Hoc 
enim  sentite  in  vobis ,  quod  et  in  Christo  Je- 
su  (i).  Car  voici ,  mes  chers  auditeurs,  ce  que  le 
mystère  de  l'incarnation  nous  prêche,  l'esprit  d'hu- 
milité ,  la  pratique  de  l'humilité ,  l'étude  et  la  science 
éminente  de  l'humilité  ,  le  mérite  de  l'humilité.  Les 
païens  ,  disoit  saint  Jérôme  ,  n'ont  été  humbles  ,  et 
n'ont  pu  l'être  que  par  raison  :  mais  pour  nous  qui 
sommes  fidèles,  nous  devons  l'être  et  par  raison,  et 
par  religion.  Les  Juifs  n'avoient  besoin  d'humilité , 
que  pour  obéir  à  un  Dieu  qui  leur  paroissoit  tou- 
jours grand ,  et  devant  qui  ils  dévoient  trembler  ; 
mais  en  qualité  de  chrétiens  ,  nous  avons  besoin 
d'humilité  pour  servir  un  Dieu  qui  s'est  fait  petit  et 
à  qui  nous  devons  nous  conformer.  Comme  l'abîme 
de  l'humilité  de  Marie  a  attiré  un  second  abîme , 
qui-est  celui  des  humiliations  du  Fils  de  Dieu ,  il 
faut  que  celui  tles-4mmiliations  du  Fils  de  Dieu  en 
attire  un  troisième  dans  nous  ;  et  qu'en  nous  sanc- 
tifiant par  l'exercice  de  l'humilité  chrétienne ,  nous 
joignions  l'anéantissement  volontaire  de  nous-mê- 
mes à  cet  anéantissement  prodigieux  du  Verbe  ; 
afin  que  de  l'un  et  de  l'autre  il  se  fasse  un  tout  sans 
lequel  la  foi  nous  enseigne  qu'il  n'y  a  point  de  sa- 
lut pour  nous  ,  puisqu'il  est  de  la  foi  que  l'anéan- 
tissement du  Verbe  incarné  relève  le  mérite  du 
nôtre ,  et  que  le  nôtre  doit  être  l'effet  et  comme  le 
supplément  et  la  consommation  de  celui  du  Verbe 
incarné.  Parlons  sans  figure ,  et  réduisons  ceci  à  des 
termes  plus  simples. 
(1)  Philip.  a. 


62  SUR     L'ANNONCIATION 

On  vous  a  cent  fois  entretenus  des  désordres  de 
l'orgueil ,  de  cette  passion  malheureuse  que  l'on  peut 
bien  appeler  le  péché  originel  de  l'homme  ,  puis- 
qu'au  moins  en  a-t-elle  été  la  cause,  et  qu'elle  est 
encore  aujourd'hui  le  principe  le  plus  général  de 
tous  les  déréglemens  du  monde.  On  vous  en  a  fait 
des  discours  entiers  ,  et  peut-être  plus  d'une  fois 
avez-vous  été  convaincus  ,  que  de  s'y  laisser  domi- 
ner, c'étoit  une  des  marques  les  plus  visibles  d'un 
sens  réprouvé.  Mais  ,  chrétiens  ,  on  ne  vous  en  a 
rien  dit  d'essentiel ,  si  vous  le  comparez  à  ce  que  je 
vous  en  dis  aujourd'hui.  Oubliez  donc  tous  les  au- 
tres motifs  dont  on  s'est  servi  pour  vous  donner 
horreur  de  ce  péché  :  comptez  pour  rien  tout  ce 
qu'on  vous  a  fait  entendre  de  l'injustice  de  l'orgueil, 
de  son  indignité ,  de  sa  vanité  ,  de  ses  extrava- 
gances pitoyables  ,  de  ses  honteux  emportemens  , 
de  ses  aveuglemens  grossiers,  de  ses  insupportables 
présomptions  ,  de  ses  ridicules  fiertés,  de  ses  basses 
et  odieuses  jalousies.  C'étaient  des  raisons  fortes  et 
pressantes,  mais  encore  trop  humaines:  il  en  falloit 
une  prise  de  la  sainteté  même  du  christianisme,  et 
dont  nous  ne  pussions  nous  défendre  sans  renoncer 
à  notre  foi.  Or  cette  raison  étoit  attachée  à  l'auguste 
mystère  de  l'incarnation.  Car  un  Dieu  tel  qu'on 
nous  le  propose  dans  le  mystère  de  ce  jour  ;  un. 
Dieu  volontairement  et  par  choix  revêtu  de  la  forme 
de  serviteur;  un  Dieu  ,  pour  sauver  et  pour  réfor- 
mer l'homme  ,  couvert  des  misères  de  l'homme  ;  un 
Dieu  fait  chair  ,  pour  guérir  ,  dit  saint  Augustin  , 
les  enflures  criminelles  de  notre  esprit,  c'est  ce  qui 


DE    LA    VIERGE.  63 

confondra  éternellement  le  vice  que  je  combats,  ce 
qui  le  confondra  sans  réplique  ,  ce  qui  le  confondra 
dans  tous  les  états  du  christianisme ,  ce  qui  le  con- 
fondra en  nous  convaincant  d'une  contradiction 
presque  aussi  incompréhensible  que  le  mystère 
même  qui  la  fait  naître.  Car  la  plus  monstrueuse 
contradiction,  n'est-ce  pas  d'invoquer  ce  Dieu 
sauveur,  que  nous  savons  ne  nous  appartenir  comme 
Sauveur  que  par  son  humilité,  et  en  l'invoquant, 
d'être  actuellement  possédés  d'un  secret  orgueil  ; 
de  lui  rendre  grâce  de  s'être  abaissé  pour  nous,  et 
de  ne  penser  qu'à  nous  élever  nous-mêmes  ;  d'éta- 
blir toute  notre  confiance  sur  ce  qu'il  s'est  anéanti 
pour  nous  racheter,  et  de  ne  travailler  qu'à  devenir 
quelque  chose  ,  et,  s'il  étoit  possible ,  toutes  choses 
selon  le  monde  ?  N'est-ce  pas  là,  dis-je  ,  insulter 
en  quelque  manière  à  son  incarnation  divine  ? 

Il  faut  être  humble,  chrétiens.  Je  ne  vous  dis 
point  que  sans  cela  il  ne  peut  y  avoir  de  solide  ver- 
tu; je  ne  vous  dis  point  que  l'humilité  est,  de  l'a- 
veu du  monde  même,  le  fondement  du  véritable 
mérite  ;  je  ne  vous  dis  point  ?que  si  vous  n'êtes 
humbles  ,  c'est  en  vain  même  que  vous  espérez  de 
parvenir  à  cette  prétendue  gloire  mondaine  que 
vous  cherchez;  je  ne  vous  dis  point  que  sans  l'hu- 
milité vous  ne  trouverez  jamais  la  paix  ni  le  repos 
de  vos  âmes.  Autant  vous  en  diroit  un  philosophe; 
et  quelque  convaincante  sur  ce  point  que  fut  sa 
morale  ,  je  doute  qu'on  y  déférât  beaucoup.  Mais  je 
vous  dis  qu'il  faut  être  humble  pour  être  chrétien  • 
et  que  sans  l'humilité,  il  n'y  a  ni  religion ,  ni  chris- 


64  SUR    L5 ANNONCIATION 

tianisme,  puisque,  sans  l'humilité,  il  n'y auroitpas 
même  eu  d'incarnation ,  ni  d'homme-Dieu.  S'il  vous 
reste  encore  de  la  foi ,  pouvez-vous  n'être  pas  tou- 
chés de  cette  vérité  ?  Je  sais  néanmoins  que  cette 
vérité,  toute  édifiante  qu'elle  est,  ne  sera  pas  du 
goût  de  ceux  qui  m'écoutent;  et  je  sais,  quoique 
avec  douleur,  que  l'humilité  que  je  prêche  ici,  est 
cette  sagesse  cachée  que  saint  Paul  a  cru  bien  dé- 
finir quand  il  a  dit  que  c'étoit  celle  que  nul  des 
princes  de  ce  monde  n'avoit  connue  :  Sapienliam 
in  mysterio  ,  quœ  abscondlta  est ,  quam  nemo 
-principiam  hujus  secull  cognovit  (i),  Mais  c'est 
pour  cela  même  que  je  vous  la  prêche,  afin  que, 
malgré  le  Dieu  du  siècle,  elle  soit  hautement  ré- 
vélée ,  là  où  elle  est  plus  grossièrement  ignorée  et 
plus  ouvertement  combattue;  afin  qu'il  ne  soit  plus 
vrai  que  nul  des  princes  du  monde  ne  l'a  connue; 
afin  que,  jusque  dans  la  cour,  elle  reçoive  un  té- 
moignage, ou  qui  sanctifie  ceux  qui  la  croient ,  ou 
qui  serve  à  justifier  Dieu  contre  ceux  qui  ne  la 
croient  pas.  Car  ,  de  l'une  ou  de  l'autre  manière, 
il  faut,  chrétiens,  que  cette  sagesse  triomphe  de 
vos  erreurs.  Et  je  vous  rends  grâce  ,  ô  mon  Dieu  ! 
de  ce  qu'il  y  a  encore  des  âmes  dans  qui  elle 
triomphe  pleinement;  de  ce  que  votre  main  n'est  pas 
raccourcie  ;  de  ce  que  parmi  les  grands  à  qui  je 
parle,  il  se  trouve  encore  des  humbles  de  cœur  à 
qui  vous  découvrez  vos  voies  :  ce  sont  vos  élus  y 
Seigneur,  et  à  vous  seul  en  appartient  le  discerne- 
ment. S'ils  sont  en  petit  nombre ,  c'est  cette  profon- 

(i)  t.  Cor.  2. 


DE    LA    VIERGE,  65 

deur  de  vos  conseils  que  nous  révérons  :  mais  , 
quoi  qu'il  en  soit,  j'ai  toujours  droit  de  me  conso- 
ler aujourd'hui  de  ce  que  la  proposition  de  votre 
apôtre  n'est  plus  si  absolue  ni  si  générale  ;  et  tout 
indigne  que  je  suis  de  mon  ministère,  j'ai  le  bon- 
heur de  prêcher  avec  plus  d'avantage  que  lui  cette 
sagesse  de  vos  humiliations ,  puisque  je  la  prêche 
devant  des  puissans  du  siècle  ,  non-seulement  qui 
la  connoissent  ,  mais  qui  l'adorent ,  et  qui  con- 
viennent avec  moi  de  l'obligation  indispensable  ou 
ils  sont  de  la  pratiquer. 

Vous  me  direz  ,  chrétiens  :  Mais  peut-on  être 
humble  et  grand  tout  à  la  fois  ?  car  voilà  le  prétexte 
que  l'esprit  du  monde  a  opposé  de  tout  temps  à  cette 
vérité.  Et  moi  je  vous  réponds  :  En  peut-on  dou- 
ter après  la  preuve  authentique  et  le  modèle  ad- 
mirable que  Dieu  nous  en  a  donné  dans  l'incar- 
nation de  son  Fils  ?  Vous  me  demandez  si  l'on  peut 
être  humble  et  grand  tout  à  la  fois  :  et  le  Fils  de 
Dieu  a  bien  pu  devenir  humble  en  demeurant  Dieu  ; 
et  Marie  a  bien  pu  être  la  plus  humble  de  toutes  les 
créatures  ,  en  devenant  la  mère  d'un  Dieu.  Quoi 
donc  !  reprend  saint  Chrysostôme  ,  les  grandeurs 
humaines  ont-elles  quelque  chose  de  plus  éclatant 
que  la  maternité  de  Dieu ,  et  que  la  divinité  même; 
et  puisque  la  divinité  et  la  maternité  de  Dieu  se  sont 
si  bien  accordées  avec  l'humilité  dans  Jésus-Christ 
et  dans  Marie ,  oserons-nous  dire  qu'il  n'y  ait  rien 
de  grand  sur  la  terre  avec  quoi  l'humilité  puisse 
être  incompatible  ?  Oui ,  chrétiens ,  on  peut  être 
grand  et  humble  tout  ensemble  ;  c'est-à-dire  ,  on 
tome  xi.  5     ' 


£6  sur   l'annonciation 

peut  être  humble  dans  la  grandeur,  comme  on  peut 
être  superbe  dans  la  bassesse.  On  ne  peut  pas  être 
humble,  et  ambitionner  d'être  grand,  et  se  plaire  à 
être  grand,  et  faire  toutes  choses  pour  être  grand; 
mais  on  peut  être  humble  et  être  grand,  parce  qu'on 
peut  être  grand ,  par  l'ordre  de  Dieu ,  et  que  l'ordre 
de  Dieu  n'a  rien  qui  ne  contribue  à  maintenir  l'hu- 
milité. Et  voilà,  mes  chers  auditeurs,  ce  que  j'ap- 
pelle la  grâce  de  votre  état.  Vous  qui  tenez  dans  le 
monde  des  rangs  honorables,  et  que  la  Providence 
a  élevés  au-dessus  du  commun  des  hommes ,  voilà, 
si  vous  voulez  le  reconnoître ,  l'avantage  que  vous 
possédez,   de  trouver  dans  l'humilité  que  ce  mys- 
tère vous  inspire  ,  de  quoi  sanctifier  votre  condi- 
tion, et  de  trouver  dans  votre  condition  de   quoi 
rendre  votre  humilité  plus  sainte  et  plus  précieuse 
devant  Dieu  ;  voilà  en  quoi  Dieu  vous  a  privilégiés, 
de  vous  avoir  donné  le  moyen  d'être  humbles  avec 
mérite ,  et  d'être  grands  sans  risque  et  sans  péril. 
Concevez  bien  ,  s'il  vous  plaît,  ce  secret  de  sa  mi- 
séricorde. Si  Dieu  vous  avoit  laissés  dans  la  corrup- 
tion du  péché  ,   livrés  à  vos  propres  désirs  ,   cette 
grandeur  dont  vous  êtes  revêtus  seroit  une  gran- 
deur funeste  qui  vous  perdroit ,  qui  vous  aveugle- 
roit,  qui  seroit  pour  vous  une  source  de  crimes  ,  et 
qui  n'aboutiroit  enfin  qu'à  votre  damnation  :  ou  si , 
par  un   changement  d'état,   Dieu,  au   contraire, 
vous  avoit  fait  naître  dans  la  poussière  et  dans  les 
plus  viles  conditions  du  monde  ,    l'humilité  dont 
vous  auriez  fait  profession,  n'eut  été'souvent  qu'une 
humilité  naturelle,  qu'une  impuissance  de  vous  éle- 


DE    LA    VIERGE.  67 

ver  plus  haut,  ou  même  qu'une  bassesse  fie  cœur 
indigne  du  nom  d'humilité.  Qu'a  fait  Dieu  ?  par  une 
providence  toute  singulière,  il  vous  a  préservés  de 
ces  deux  écueils  :  il  vous  a  donné  de  la  naissance , 
des  emplois  ,  des  rangs  ,  afin  que  si  vous  étiez  hum- 
bles et  chrétiens,  vous  le  fussiez  par  vertu;  et  il 
vous  a  pourvus  de  l'humilité  chrétienne ,  afin  que 
cette  naissance,  ces  emplois  ,  ces  rangs  ne  dégéné- 
rassent point  dans  une  grandeur  profane  et  abomi- 
nable à  ses  yeux;  La  grandeur  toute  seule  auroit 
dû  vous  faire  trembler  :  l'humilité  toute  seule  ,  dans 
le  sens  que  je  viens  de  le  dire,  n'auroit  pas  pu  vous 
assurer  :  l'une  vous  auroit  exposés  à  des  tentations 
presque  invincibles  ;  l'autre ,  sous  l'apparence  même 
du  bien ,  auroit  été  douteuse  et  équivoque.  L'al- 
liance des  deux  est  ce  qui  doit  faire  votre  consola- 
tion :  car  l'humilité  ,  à  l'épreuve  de  la  grandeur , 
est  le  plus  infaillible  ouvrage  de  la  grâce  ,  et  le  mé- 
rite le  plus  pur  sur  lequel  vous  puissiez  compter  : 
et  la  grandeur ,  sanctifiée  par  l'humilité ,  non-seu- 
lement n'est  plus  un  piège,  mais  devient  elle-même 
salutaire.  Quel  hommage  ,  chrétiens  ,  n'en  pouvez- 
vous  pas  faire  à  Dieu  ?  à  combien  de  saintes  œuvres 
ne  peut-elle  pas  vous  servir  pour  les  intérêts  de 
Dieu  ?  dans  quelle  nécessité  ne  vous  met-elle  pas 
d'être  sur  la  terre ,  chacun  à  proportion  de  votre 
pouvoir  ,  les  ministres  et  les  hommes  de  Dieu  ?  Cette 
grandeur  soumise  à  Dieu,  employée  pour  Dieu  , 
anéantie  pour  l'humilité  de  la  religion  en  présence 
de  Dieu  :  quel  tribut  de  gloire  ne  lui  rapporte- 
fc-elle  pas,  et  quelle   facilité  ne  vous  donne-t-elle 


£8  SUR    L'ANNONCIATION 

pas  à  vous-mêmes ,  sans  cesser  d'être  tout  ce  que 
vous  êtes,  d'être  encore  des  saints?  Il  est  vrai, 
disoit  saint  Pierre,  notre  Dieu  est  un  juge  équi- 
table ,  qui  ne  regarde  point  la  qualité,  et  qui  ne  fait 
nulle  différence  des  conditions  des  hommes  :  Non 
est  personarum  -accepter  Deus  (i).  Mais  il  faut 
pourtant  convenir,  qu'agissant  même  en  juge  équi- 
table ,  Dieu  se  tient  en  quelque  sorte  plus  honoré 
de  la  piété  des  grands ,  que  de  celle  des  hommes 
du  commun  :  pourquoi  ?  parce  que  la  piété  dans  les 
grands  ,  pour  être  sincère  et  véritable  ,  supposeun 
plus  grand  fonds  d'humilité.  Or  Dieu,  à  proprement 
parler ,  ne  nous  considère  que  par  le  plus  ou  le 
moins  d'humilité  qui  est  en  nous  ;  et  si  nos  vertus, 
par  rapport  à  nous,  ont  devant  lui  quelque  dis- 
tinction ,  c'est  uniquement  par  là  qu'il  les  mesure. 
C'est  pour  cela  même  aussi ,  vous  disois-je  il  y  a 
quelque  temps ,  que  Dieu  vous  a  faits  ce  que  vous 
êtes ,  et  c'est  enfin  ce  qui  vous  doit  faire  aimer  l'hu- 
milité* Non ,  vous  ne  la  devez  point  regarder  comme 
une  vertu  odieuse  qui  vous  dispute  vos  droits  et 
vos  rangs,  mais  comme  une  vertu  précieuse  qui 
sanctifie  la  grandeur  même,  et  qui  la  rend  méri- 
toire devant  Dieu  ,  et  plus  vénérable  devant  les 
hommes.  Sainte  humilité  ,  c'est  vous  qui  avez  conçu 
le  Verbe  de  Dieu  ;  ou  plutôt ,  c'est  par  vous  que 
Marie  l'a  conçu  dans  son  sein  ,  et  que  nous  le  devons 
concevoir  dans  nous-mêmes.  Voyons  encore  com- 
ment Marie  contribue  par  sa  virginité  à  cette  divine 
conception  ;  c'est  la  seconde  partie. 
(0  Act.  10. 


DE    LA    VIERGE.  69 

DEUXIÈME    PARTIE. 

Dieu  l'avoit  dit,  chrétiens,  et  le  plus  authen- 
tique de  tous  les  signes  qu'il  avoit  promis  au  monde  , 
pour  marquer  l'accomplissement  du  grand  mystère 
de  notre  rédemption  ,  c'étoir,  selon  le  rapport 
d'Isaïe ,  qu'une  Vierge  demeurant  vierge  conce- 
vroit  un  fds  ,  et  que  ce  fils  seroitDieu  ;  non  pas  un 
Dieu  séparé  de  nous ,  ni  élevé  comme  Dieu  au- 
dessus  de  nous  9  mais  un  Dieu  abaissé  jusqu'à  nous , 
et  entretenant ,  quoique  Dieu ,  un  commerce  in- 
time avec  nous.  Car  voilà,  ajoute  l'Evangéliste, 
ce  que  signifioit  l'auguste  nom  d'Emmanuel  :  Ecce 
virgo  in  utero  habebit ,  et  pariet  fdium;  et  vo- 
cabunt  nomen  ejus  Emmanuel ,  quod  est  inter- 
pretatum ,  nobiscum  Deus  (1).  Ce  prodige,  je 
l'avoue ,  surpassoit  toutes  les  lois  de  la  nature  ;  mais 
après  tout ,  il  ne  laissoit  pas  d'être  dans  un  sens 
parfaitement  naturel.  Car ,  comme  raisonne  saint 
Bernard ,  si  un  Dieu  se  faisant  homme ,  devoit  avoir 
une  mère ,  il  étoit  de  sa  dignité  ,  et  par  là  d'une 
espèce  de  nécessité,  que  cette  mère  fut  vierge;  et 
si  une  vierge,  par  le  plus  inoui  de  tous  les  miracles  , 
devoit,  sans  cesser  d'être  vierge,  avoir  un  fils,  il 
étoit  pour  elle  d'une  bienséance  absolue  et  comme 
indispensable ,  que  ce  fils  fût  Dieu  :  Neque  enim 
mit  partit  s  alius  virginem  y  aut  Deum  decuit 
partus  alter.  Il  falloit  que  le  Verbe  de  Dieu,  par 
un  excès  de  son  amour  et  de  sa  charité  ,  sortît  hors 
du  sein  de  Dieu,  et,  si  je  puis  ainsi  dire,  hors  de 

(1)  Matth.  1. 


70  SUR     L'ANNONCIATION 

lui-même ,  pour  se  mettre  en  état  d'être  conçu  selon 
la  chair  :  mais  supposé  cette  sortie,  qui  est  propre- 
ment ce  que  nous  appelons  incarnation,  le  Verbe 
de  Dieu  ne  pouvoit  être  autrement  conçu  selon  la 
chair ,  que  par  la  voie  miraculeuse  de  la  virginité  : 
pourquoi?  parce  que  toute  autre  conception  que 
celle-là  auroit  obscurci  l'éclat  et  la  gloire  de  sa  di- 
vinité. Cette  pensée  de  saint  Bernard  a  je  ne  sais 
quoi  de  sublime,  et  pour  peu  d'étendue  qu'on  lui 
donnât ,  elle  remplirait  vos  esprits  des  plus  hautes 
idées  de  la  religion.  Mais  sans  rien  rabattre  de  la 
sublimité  de  cette  pensée ,  il  faut  encore  quelque 
chose  de  plus  sensible  ,  et  de  plus  propre  à  l'édifi- 
cation de  vos  mœurs.  Or  c'est  à  quoi  le  Saint-Es- 
prit me  paraît  avoir  admirablement  pourvu  par  la 
conduite  qu'il  a  tenue  dans  l'exécution  de  ce  mys- 
tère :  conduite ,  si  vous  l'examinez  bien ,  capable 
de  vous  inspirer  toute  la  vénération  ,  tout  le  respect, 
tout  l'amour  dus  à  l'excellente  vertu  dont  je  dois 
présentement  vous  parler,  et  qui  est  la  pureté  chré- 
tienne. Car  en  voici ,  mes  chers  auditeurs ,  la  plus 
solide  et  la  plus  touchante  leçon  ;  étudiez-la  dans  la 
suite  de  notre  évangile. 

Dieu,  par  un  mouvement  de  son  infinie  miséri- 
corde, envoie  un  ange  sur  la  terre,  non-seulement 
pour  annoncer  ,  mais  pour  négocier  la  nouvelle  al- 
liance qu'il  est  sur  le  point  de  faire  avec  les  hom- 
mes. Et  à  qui  envoie-t-il  cet  ange  ?  à  une  vierge  : 
M  issus  est  angélus  a  Deo  ad  virginem  (  i  ).  Or 
vous  savez  (belle  réflexion  de  saint  Bernard  sur  ces 

(1)  Luc.  î. 


DE    LA    VIERGE.  71 

trois  noms,  ou  plutôt  sur  ces  trois  personnes,  uii 
ange  ,  un  Dieu  ,  une  vierge)  ;  vous  savez  que  Dieu  „ 
qui  est  le  plus  pur  de  tous  les  esprits  et  la  source 
de  toute  pureté ,  engendre  éternellement  son  fils 
par  la  plus  pure  et  la  plus  sainte  de  toutes  les  géné- 
rations. D'on  vient  que  saint  Grégoire  de  INazianze , 
en  parlant  du  Père  céleste,  l'appelle  vierge  par 
excellence  et  le  premier  des  vierges.  Vous  savez 
que  les  anges  sont  de  purs  esprits  dégagés  de  la  ma- 
tière ,  et  que  ceux  qui  ont  persévéré  dans  la  jus- 
tice et  dans  la  sainteté  originelle  où  Dieu  les  avoit 
créés,  j'entends  les  anges  bienheureux  ,  ont  encore 
l'avantage  d'être  spécialement  purs  et  sans  tache 
devant  Dieu.  Et  vous  savez,  enfin,  que  les  vierges, 
quoique  dans  un  corps  mortel ,  par  la  profession 
qu'elles  font  d'une  sainte  virginité  ,  sont  comme 
les  anges  de  la  terre  :  Erunt  sicut  angeli  Del  (1). 
Dieu  qui  députe,  l'ange  qui  est  député  ,  Marie  à 
qui  la  députation  est  faite  ,  autant  de  caractères 
différens  de  la  plus  parfaite  pureté ,  selon  la  diffé- 
rence des  sujets  qui  concourent  à  ce  mystère  :  An- 
gélus à  Deo  ad  vlrglnem.  Que  veux-je  conclure 
de  là  ?  ce  que  le  Saint-Esprit  semble  avoir  prétendu 
par  là  nous  déclarer;  savoir,  que  Dieu  étant  par 
lui-même  la  pureté  essentielle  .il  falloit  ou  une 
pureté  angélique,  ou  une  pureté  virginale;  disons 
mieux,  qu'il  falloit  l'un  et  l'autre  ensemble,  pour 
concerter  entre  Dieu  et  l'homme  cette  ineffable  et 
adorable  union  qui  s'est  accomplie  dans  le  Verbe 
fait  chair.   Mais  encore,  reprend   saint  Bernard? 

(»)  Matth.  22. 


wj2.  SUR    L'ANNONCIATION 

laquelle  de  ces  deux  sortes  de  pureté  ,  l'angélique 
et  la  virginale ,  a  eu  plus  de  part  à  ce  mystère  ?  et 
pour  laquelle  Dieu  paroît-il  avoir  eu  plus  de  consi- 
dération? Ah  !  répond  ce  saint  docteur ,  en  peut-on 
douter  ,  après  l'exemple  que  ce  Dieu  de  gloire  nous 
en  donne  aujourd'hui  lui-même ,  c'est-à-dire  ,  après 
la  haute  préférence  qu'il  donne   aujourd'hui  à  la 
pureté  virginale  sur  la  pureté  angélique  ?  Vous  me 
demandez  en  quoi   consiste   cette  préférence  :  le 
voici  :  Le  Verbe  de  Dieu ,  dans  le  dessein  de  s'in- 
carner, choisit  une  vierge  pour  mère,  et  il  lui  dé- 
pute un  ange  qui  n'est  auprès  d'elle  que  son  am- 
bassadeur. Elle  est  donc ,  en  vertu  de  ce  mystère , 
aussi  élevée   comme  vierge  au-dessus  de  l'ange  , 
que*' le  nom  de  mère   qu'elle   reçoit  surpasse  celui 
de  ministre  et  de  serviteur.  Tanto  melior  angelis, 
pourrois-je  dire  ,  en  me  servant  des  termes  de  saint 
Paul ,  quanta  differentiàs  prœ  Mis  nomen  hœ- 
reditavit  (i). 

Dieu  prêt  à  se  faire  homme ,  obligea  l'ange  à 
s'humilier  devant  cette  vierge  ;  et  lui-même ,  tout 
Dieu  qu'il  est ,  par  un  honneur  anticipé  qu'il  veut 
bien  lui  faire  comme  à  sa  future  mère  ,  il  commence 
en  quelque  sorte  à  dépendre  d'elle ,  puisque  dans 
la  plus  importante  négociation ,  il  demande  son 
consentement.  Ne  vous  en  étonnez  pas ,  poursuit 
saint  Bernard  :  c'est  qu'en  effet  la  pureté  de  cette 
vierge  étoit  d'un  mérite  qui  la  rendoit  bien  plus 
précieuse  et  plus  estimable  devant  Dieu,  que  celle 
des  Anges.  L'ange  qui  saluoit  Marie  étoit  pur,  il 

(i)  Hcbr.  i. 


DE    LA    VIERGE.  78 

est  vrai  ;  mais  comment  ?  par  nature  et  par  un  pri- 
vilège de  béatitude  et  de  gloire  :  mais  Marie  étoit 
vierge  par  choix  ,  par  vœu  ,  par  esprit  de  religion» 
La  virginité  de  Marie  étoit  donc  comme  un  sacri- 
fice continuel  qu'elle  faisoit  à  Dieu ,  une  oblation 
de  son  corps  qu'elle  immoloit  comme  une  hostie 
vivante  et  agréable  aux  yeux  de  Dieu ,  une  consé- 
cration de  sa  personne  qui  devoit  être  le  sanctuaire 
et  la  demeure  de  son  Dieu.  Voyez  avec  quelle  pru- 
dence et  quelle  circonspection  elle  conserve  le  tré- 
sor de  sa  virginité.  Admirez  la  constance  et  la  fer- 
meté qu'elle  témoigne  pour  ne  le  pas  perdre.  Deux 
devoirs  des  vierges  chrétiennes  ,  dont  Dieu  veut  que 
Marie  soit  aujourd'hui  le  modèle.  Ecoutez-moi,  et 
instruisez-vous.  Un  ange  se  présente  à  elle,  et  elle 
se  trouble.  A  peine  a-t-il  commencé  à  lui  parler,  que 
la  crainte  la  saisit ,  qu'elle  se  sent  intérieuremen  t 
combattue  de  mille  pensées  :  Turbata  est ,  et  co- 
gitabat  qualis  esset  isla  salutatio  (1).  Si  Marie 
eût  été  de  ces  personnes  mondaines  ,  qui  ne  sont 
vierges  que  de  corps  sans  l'être  d'esprit,  cette  vi- 
site qu'elle  recevoit,  n'auroit  eu  rien  pour  elle  de  si 
surprenant;  et  les  louanges  qu'on  lui  donnoit,  au 
lieu  de   l'étonner,  l'auroient  agréablement  flattée. 
Mais  la  profession  qu'elle  a  toujours  faite  ,  de  n'avoir 
comme  vierge ,  d'entretien  particulier  qu'avec  Dieu  , 
la  loi  qu'elle  s'est  prescrite  ,  et  qu'elle  a  gardée  ,  de 
fuir  tout  autre    commerce  ,   et  de  renoncer   aux 
mœurs  et  aux  usages  du  siècle  profane;  son  exacte 
et  sévère  régularité ,  son  attention  à  ne  se  relâcher 

(1)  Luc.  1. 


74  SUR    L'ANNONCIATION 

jamais  sur  les  moindres  bienséances  ,  la  possession 
où  elle  est ,  d'une  conduite  irrépréhensible  et  à  l'é- 
preuve de  la  plus  rigide  censure ,  la  pudeur  et  la 
modestie  qui  lui  sont  plus  que  naturelles  ;  l'opinion 
dont  elle  est  prévenue,  que  les  louanges  données  à 
son  sexe  et  favorablement  reçues  ,  que  les  louanges 
mêmes  souffertes  et  écoutées  tranquillement ,  sont 
le  poison  le  plus  contagieux  et  le  plus  mortel  :  tout 
cela  lui  cause  un  trouble  qu'elle  n'a  pas  honte  de 
faire  paroître ,  parce  qu'être  troublée  de  la  sorte  , 
c'est  le  véritable  caractère  d'une  vierge  fidèle  à  Dieu. 
Voilà  sa  prudence  et  sa  vigilance  :  ajoutez-y  sa 
constance  et  sa  fermeté.  On  déclare  à  Marie  qu'elle 
doit  être  la  mère  d'un  fils  qui  sera  éternellement 
roi ,  qui  sera  le  Saint  des  saints,  qui  sera  le  Fils  du 
Très-haut ,  qui  sera  le  Sauveur  de  tout  le  monde  ; 
et  elle  demande  comment  cela  se  pourra  faire  , 
parce  qu'elle  est  vierge ,  et  vierge  par  un  engage- 
ment ,  auquel  ni  la  qualité  de  mère  de  Dieu  ,  ni 
celle  de  reine  du  ciel  et  de  la  terre  ,  ne  la  feront 
jamais  renoncer  :  Quomodo  fiet  îstud ,  quoniam 
virum  non  cognosco  (i)  /  Ah  !  Marie,  s'écrie  là- 
dessus  saint  Augustin  ,  c'est  pour  cela  même  que  la 
chose  se  pourra  faire,  et  qu'elle  se  fera,  parce  que 
vous  ne  comprenez  pas  comment  elle  est  possible. 
Car  si  vous  le  compreniez  de  la  manière  que  toute 
autre  l'auroit  compris,  dès-là  vous  seriez  incapable 
d'être  à  Dieu  ce  que  Dieu  veut  que  vous  lui  soyez. 
Il  a  fallu  que  votre  virginité  parut  en  ce  moment 
là  vous  rendre  comme  incrédule  ;  il  a  fallu  que  la 

(î)  Luc.  1. 


DE    LA    VIERGE.  7^ 

proposition  qu'on  vous  faisoit  d'être  la  mère  de 
votre  Dieu ,  vous  alarmât  d'abord  et  vous  troublât, 
afin  que  vous  fussiez  digne  de  l'être. 

En  effet,  ce  refus  de  la  maternité  divine,  plutôt 
que  de  cesser  d'être  vierge ,  ce  vœu  de  virginité 
dans  lequel  elle  demeura  ferme  et  immobile  jusqu'à 
n'être  pas  ébranlée  par  la  parole  même  d'un  ange 
qui  lui  promettoit  un  Dieu  pour  fils  :  Immobile 
virginitatis  propos  itum,  quodnec  angelofilium 
Deum  promittente ,  aliquatenùs  litubavit ;  voilà, 
dit  saint  Jérôme ,  ce  que  Dieu  a  considéré  dans 
Marie,  et  par  où  Marie ,  entre  toutes  les  autres  vier- 
ges ,  a  eu  la  préférence  de  l'estime  et  du  choix  de 
Dieu.  Or,  qu'est-iî  arrivé  de  là?  une  chose,  chré- 
tiens ,  aussi  consolante  pour  vous  qu'elle  vous  paroî- 
tra  merveilleuse.  Yous  savez  quelle  fut  la  cause  de 
ce  déluge  universel  qui  inonda  toute  la  terre.  Dieu, 
dans  sa  colère,  voyant  la  corruption  du  genre  hu- 
main ,  avoit  juré  que  son  esprit  ne  demeureroifc 
jamais  dans  l'homme,  parce  que  l'homme  étoit  de- 
venu tout  charnel  :  Non  permanebit  spiritus  meus 
in  œternum  in  homine^  quia  caro  est  (i).  Mais 
aujourd'hui,  réflexion  admirable  de  saint  Augus- 
tin ,  Dieu  révoque ,  pour  ainsi  dire  ,  cet  arrêt;  et, 
par  un  autre  serment  tout  contraire  en  apparence, 
mais  qui  néanmoins  s'accorde  parfaitement  avec  le 
premier,  il  assure  que  son  esprit  demeurera  dans 
Marie ,  et  que  de  Marie  il  se  répandra  dans  tous  les 
hommes  :  pourquoi  ?  parce  que ,  dans  la  personne 
de  Marie,  l'homme  a  cessé  d'être  charnel;  c'est-à- 

(i)  Geaes.  6. 


76  SUR    L'ANNONCIATION 

dirç ,  parce  que  Marie  est  vierge ,  et  vierge  par  une 
profession  qui,  l'élevant  au-dessus  de  l'homme  ,  la 
rend  capable  des  plus  hautes  faveurs  de  Dieu ,  et  de 
la  plénitude  même  de  l'esprit  de  Dieu  :  Spiritus 
sanctus  superveniet  in  te  (1).  Au  lieu  que ,  dans  la 
création,  l'esprit  de  Dieu  étoit  simplement  venu 
pour  se  communiquer  à  l'homme  en  vue  de  son 
innocence,  et  parce  que  l'homme  n'avoit  point  en- 
core péché;  au  moment  de  l'incarnation  ,  ce  même 
esprit,  selon  la  parole  sacrée,  survint  dans  Marie; 
et  comment?  avec  un  surcroit,  avec  une  surabon- 
dance ,  avec  un  épanchement  de  dons  et  de  grâces 
sans  mesure  ,  en  vue  de  sa  pureté  et  parce  qu'elle 
étoit  vierge  :  Superveniet  in  te. 

Ce  n'est  pas  assez  :  non-seulement  Dieu  veut  que 
Marie ,  en   conséquence  de  ce  qu'elle  est  vierge , 
soit  remplie  de  son  esprit  ;  mais  parce  qu'elle  a  fait, 
comme  vierge ,  un  éternel  divorce  avec  la  chair  et 
le  sang  ,  c'est  par  elle  que  lui-même,  qui  est  un  pur 
esprit,  veut  faire  une  éternelle  alliance  avec  notre 
chair  ;  disons  mieux ,  c'est  par  elle  que  lui-même 
veut  être  fait  chair.  Car  voilà  le  terme  qu'a  employé 
l'Evangéliste ,  pour  exprimer  le  miracle  de  ce  Verbe 
de  Dieu  incarné  et  fait  homme  :  Et  verbum  caro 
factwn  est  (2).  Saint  Jean  n'a  pas  cru  qu'il  suffît 
de  dire  que  le  Verbe  de  Dieu  s'étoit  fait  homme , 
de  dire  qu'il  s'étoit  allié  à  une  nature  raisonnable , 
de  dire  qu'il  avoit  pris  une  ame  immortelle  et  spiri- 
tuelle ;  mais  il  a  réduit  en  quelque  sorte  tout  ce 
mystère  à  la  bienheureuse  adoption  que  le  Verbe  a 

(1)  Luc.  1.  —  (2)  Joan.  1. 


BE   LA    VIERGE.  77 

faite  de  notre  chair  dans  le  sein  de  Marie  :  Et  Ver- 
bum  caro  faction  est.  O  mon  Dieu  !  est-il  possible 
que  la  virginité  ait  eu  ce  pouvoir   sur  vous;    et 
qu'un  Dieu  aussi  grand ,   aussi  saint ,  aussi  parfait 
que  vous,  en  soit  venu  jusqu'à  se  faire  chair!  Oui, 
chrétiens ,  c'est  ce  que  la  foi  nous  révèle  :  ce  Dieu- 
homme  ,  par  son  incarnation  ,  a  ennobli  dans  sa 
personne  tout  l'homme  ,  mais  il  a  particulièrement 
ennobli  la  chair  de  l'homme  par  les  merveilleux 
rapports  que  son  incarnation  a  fondés  entre  lui  et 
nous.  Car  c'est  selon  la  chair  que  cet  homme-Dieu 
est  notre  frère ,   c'est  selon  la  chair  que  nous  ne 
faisons  qu'un  corps  avec  lui,  c'est  selon  la  chair 
qu'il  est  notre  chef,  et  que  nous  sommes  ses  mem- 
bres :  Nescitis  quoniam  corpora  vestra  membra 
sunt  Christi  (  1  )  ?  Ne  savez-vous  pas  ,  mes  frères  , 
disoit  saint  Paul,  et  pouvez-vous  l'ignorer,  que, 
depuis  qu'un  Dieu  a  bien  daigné  prendre  un  corps 
semblable  au  nôtre,  nos  corps  ,  par  un  merveilleux 
changement,   ont  cessé,   pour  ainsi  dire,   d'être 
nos  corps;  et  qu'ils  sont  devenus  le  corps  de  Jésus- 
Christ?  N'est-ce  pas  une  des  premières  leçons  qu'on 
i  vous  a  faites  dans  le  christianisme ,  que  vous  êtes 
i  incorporés  à  Jésus-Christ ,  ou  plutôt  que  vous  êtes 
;  le  corps  de  Jésus-Christ  même  ?  Vos  estis  corpus 
Christi ,  et  membra  de  membro  (2).  Après  cela, 
faut-il  s'étonner  que  le  même  apôtre  ait  cru  avoir 
!  droit  d'exiger  des  chrétiens,  comme  chrétiens  ,  une 
pureté  de  mœurs  si  inviolable  ;  et  que ,  de  toutes 
les  choses  qu'il  leur  recommandoit ,  celle  qu'il  a 

(1)  1.  Cor.  6.  —  (a)  »,  Cor.  12, 


78  SUR    L'ANNONCIATION 

paru  avoir  plus  à  cœur,  ait  été  qu'ils  sanctifiassent 
leurs  corps?  Supposé  ces  principes  de  la  foi,  que  je 
viens  de  vous  expliquer,  pouvoit-il  trop  insister 
sur  ce  devoir  !  Ayant  les  liaisons  que  nous  avons 
avec  Jésus-Christ ,  serons-nous  jamais  aussi  purs 
et  aussi  saints  que  nous  devons  l'être  ?  Notre  chair 
étant  la  chair  de  Jésus-Christ,  oserons-nous  nous 
plaindre  des  soins  et  de  l'exacte  régularité  à  quoi 
nous  assujettit  ce  point  de  notre  religion ,  comme 
si  c'étoit  un  excès  de  perfection  ?  Voulons-nous 
qu'il  ne  nous  en  coûte  rien ,  d'être  non-seulement 
les  frères,  mais  les  membres  et  le  corps  d'un  homme- 
Dieu  ?  et  cette  allianee  sacrée  que  nous  avons  con- 
tractée avec  lui ,  n'aurait-elle  en  nous  point  d'autre 
effet  que  de  nous  avoir  élevés  à  un  si  haut  rang 
d'honneur ,  pour  en  être  éternellement  indignes  ? 
Après  cela  même,  devons-nous  trouver  étrange  que 
les  Pères  de  l'Eglise ,  parlant  de  l'impureté  qui 
corrompt  aujourd'hui  tout  le  christianisme,  en  aient 
témoigné  tant  d'horreur,  puisqu'il  est  certain  que 
ce  péché ,  déshonorant  nos  corps,  déshonore  le  corps 
de  Jésus-Christ  ?  Devons-nous  être  surpris  que  ce 
péché,  par  la  seule  raison  que  le  Verbe  s'est  fait 
chair,  leur  ait  paru  d'une  toute  autre  grièveté ,  que 
s'il  violoit  simplement  la  loi  de  Dieu ,  et  que  l'Eglise 
des  premiers  siècles  ait  été  pour  cela  si  rigoureuse  et 
si  sévère  à  le  punir,  persuadée  qu'elle  étoit qu'en  le 
punissant,  elle  vengeoit  l'a  liront  personnel  qu'en 
recevoit  son  époux?  Que  la  chair  de  l'homme, 
disoit  éloquemment  Tertullien  ,  que  la  chair  de 
de  l'homme,  avant  l'incarnation  de  Jésus-Christ. 


DÉ    LA    VIERGE.  79 

ait  été  corrompue  et  souillée  de  crimes,  ses  déré- 
glemens  pouvoient  être  alors   plus  pardonnables. 
Elle  n'avoit  pas  encore  la  gloire  d'être  entrée  dans 
l'alliance  d'un  Dieu  ;  elle  n'étoit  pas  encore  incor- 
porée au  Yerbe  de  Dieu  ;   elle  n'avoit  pas  encore 
reçu  cette  onction  de  grâce ,  en  vertu  de  laquelle 
elle  devoit  être  hypostatiquement  unie  à  Dieu.  Mais 
depuis  que  le  Fils  de  Dieu  l'a  ennoblie,  et  que, 
par  le  plus  grand  de  tous  les  miracles ,  il  en  a  fait 
sa  propre  chair;  depuis  que  cette  chair  a  commencé 
à  lui  appartenir  ;  depuis  qu'elle  a  changé  dans  sa 
personne  de  condition  et  d'état,  ah  !  mes  frères  , 
concluoit-il ,  ne  traitons  plus  ses  désordres  de  simple 
foiblesse  ;  et  tonte  chair  qu'elle  est,  ne  l'excusons 
plus  par  sa  fragilité ,  puisque  sa  foiblesse  et  sa  fra- 
gilité est  l'opprobre  de  l'incarnation  de  notre  Dieu. 
Non  ,  chrétiens  ,  je  n'ai  pas  de  peine  à  comprendre 
pourquoi  Tertullien  parloit  ainsi.  Il  outroit  quel- 
quefois la  morale  du  christianisme ,  et  il  abondoit 
en  son  sens  ;  mais  sur  le  point  que  nous  traitons  , 
il  n'a  rien  dit  qui  ne  soit  encore  au-dessous  de  la 
vérité ,  puisqu'il  n'a  rien  dit  qui  approche  de  la 
parole  de  saint  Paul.  Car  ce  grand  apôtre,  après 
avoir  supposé  que  ,  par  le  mystère  de  l'incarnation  , 
tous  les  hommes,  sans  en  excepter  aucun,  sont  de- 
venus les  membres  de  Jésus-Christ,  n'a  plus  hé- 
sité à  tirer  de  là  cette  affreuse  conséquence ,  dont 
il  n'y  a  point  d'impudique  qui  ne  doive  trembler  : 
Tollens  ergd  membra  Christi  ^faciam  membra 
meretricis  (i)  /  Si  c'étoit  un  autre  que  saint  Paul 

(i)  i.  Cor.  0. 


80  SUR    L'ANNONCIATION 

qui  se  fût  expliqué  de  la  sorte ,  nous  ne  pourrions 
entendre  ces  termes;  et  la  pudeur  que  nous  affec- 
tons ,  malgré  la  licence  et  le  débordement  des 
mœurs  où  nous  vivons,  nous  feroit  rebuter  une 
instruction  si  nécessaire  et  si  essentielle  :  mais  si 
c'est  l'esprit  de  la  foi  qui  nous  anime  et  qui  nous 
conduit,  quel  effet  cette  conséquence  ne  doit-elle 
pas  produire  en  nous  ?  quelle  horreur  ne  doit-elle 
pas  nous  inspirer  pour  le  péché  que  je  combats  ? 
et  si  nous  en  sommes  esclaves ,  quelle  indignation 
ne  doit-elle  pas  nous  faire  concevoir  contre  nous- 
mêmes  ?  Tollens  ergô  membra  Christi ,  faciam 
membra  meretricis  ï  Cela  seul  bien  médité  ne 
doit-il  pas  être  pour  nous  plus  convaincant  que 
toutes  les  prédications;  et  pour  peu  qu'il  nous  reste 
de  religion  ,  en  faut-il  davantage  pour  nous  préser- 
ver de  l'emportement  des  passions  impures  ? 

Vous  me  direz  :  Mais  il  s'ensuit  donc  que  le  Fils 
de  Dieu,  s'incarnant  et  se  faisant  homme ,  a  rendu 
le  péché  de  l'homme  plus  abominable  et  plus  irré- 
missible qu'il  ne  le  seroit  de  lui-même?  Oui,  re- 
prend saint  Chrysostôme  ,  cela  s'ensuit  et  doit  s'en- 
suivre nécessairement.  Mais  nous  sommes  donc, en 
conséquence  de  ce  mystère ,  plus  criminels  que 
nous  ne  l'aurions  été  si  nous  étions  demeurés  dans 
l'état  de  notre  première  corruption  ?  rien  de  plus 
incontestable  et  de  plus  vrai.  Mais  l'incarnation  de 
Jésus-Christ  nous  devientdonc  préjudiciable,  quand 
nous  nous  abandonnons  à  notre  incontinence  ? 
c'est  ce  que  toutes  les  Ecritures  vous  prêchent.  Ah  ! 
chrétiens ,  peut-être  y  en  a-t-il  parmi  vous  d'assez 


DE    LA    VIERGE.  8l 

ingrats  et  d'assez  insensibles  aux  bienfaits  de  Dieu , 
pour  souhaiter  que  Dieu  ne  les  eût  point  tant  ho- 
norés ;  peut-être  leur  infidélité  va-t-elle  jusque-là  ; 
et,  s'il  étoit  dans  leur  choix  de  prendre  l'un  ou 
l'autre  des  deux  partis ,  peut-être  renonceroient-ils 
à  la  gloire  d'appartenir  à  Jésus-Christ ,  pourvu  qu'il 
leur  fût  permis  de  satisfaire  impunément  leurs  désirs 
déréglés  ,  et  qu'ils  se  trouvassent  par  là  déchargés 
de  l'obligation  que  ce  mystère  leur  impose  ,  de  vivre 
dans  l'ordre.  Mais  il  ne  dépend  plus  d'eux  -,   ni  de 
nous ,  que  cela  soit  ainsi  ;  et  il  ne  dépend  plus  de 
Jésus-Christ  même  qu'il   cesse  d'être  ce  qu'il  nous 
est.  Soyons  libertins  tant  que  nous  voudrons,  nous 
serons  toujours  ses  frères  selon  la  chair  :  jusque  dans 
les  enfers ,  si  nous  sommes  jamais  réprouvés  de  Dieu  , 
nous  en  porterons  le  caractère  ;  et  ces  désordres  de 
la  chair  tireront  éternellement  de  lui ,  malgré  que 
nous  en  ayons,  un  sujet  particulier  ,  ou  un  surcroît 
de  condamnation. 

Peut-être  ,  mes  chers  auditeurs  ,  ces  désordres 
ont-ils  déjà  éteint  les  plus  vives  lumières  de  votre 
foi,  et  peut-être  ceux  à  qui  je  parle  ne  croient-ils 
plus  que  foiblement  le  mystère  de  l'incarnation  d'un, 
Dieu  :  car  le  moyen  de  le  croire  et  de  vivre  dans 
l'habitude  de  ce  péché  ?  Mais  croyons-le  ,  ou  ne  le 
croyons  pas  ;  si  nous  vivons  dans  le  désordre  de 
ce  péché,  nous  nous  faisons  de  ce  mystère,  qui 
par  excellence  est  le  mystère  du  salut ,  un  mystère 
fie  réprobation.  Si  nous  ne  le  croyons  pas ,  notre 
TOME  xi.  6 


32  SUR    L'ANNONCIATION 

arrêt  est  déjà  porté  ,  et  dès-là  nous  voilà  jugés  : 
Qui  non  crédit ,  jam  judicatus  est  (i);  si  nous 
le  croyons,  nous  nous  jugeons  et  nous  nous  con- 
damnons nous-mêmes.  Si  nous  ne  le  crovons  pas, 
il  n'y  a  point  de  Sauveur  pour  nous  ;  et  si  nous  le 
croyons  ,  il  y  en  a  un  ,  mais  pour  notre  confusion. 
Car  souvenons-nous,  chrétiens,  que  ce  Dieu  fait 
homme  est  en  même  temps ,  selon  l'oracle  du  saint 
pontife  Siméon ,  pour  la  ruine  des  uns  et  pour  la 
résurrection  des  autres  :  Positus  est  in  ruinant  et 
in  resurrectionem  multorum  (2).  11  s'est  incarné 
pour  nous  sauver;  mais  il  pourra  bien  arriver,  par 
l'abus  que  nous  faisons  de  ses  grâces ,  qu'il  se  soit 
incarné  pour  nous  perdre.  Or  ,  s'il  doit  jamais  con- 
tribuer à  la  perte  de  quelques  pécheurs ,  comme 
l'évangile  nous  l'assure ,  sur  qui  doit-on  présumer 
que  tomberont  ses  anathèmes ,  si  ce  n'est  pas  en 
particulier  sur  ces  chrétiens  sensuels ,  sur  ces  volup- 
tueux impénitens  et  obstinés  dans  leur  péché  ?  Ah  ! 
Seigneur ,  ne  permettez  pas  qu'une  si  funeste  pré- 
diction se  vérifie  jamais  en  nous  ,  et  que  les  mérites 
de  votre  vie  mortelle  ,  qui ,  dans  les  vues  de  votre 
infinie  miséricorde,  doivent  servir  à  notre  salut, 
par  un  châtiment  de  votre  redoutable  justice  ,  ser- 
vent à  notre  malheur  éternel.  Et  vous  ,  Vierge  sainte 
et  toute  pure  ,  puissante  médiatrice  des  hommes  , 
et  leur  mère  ,  puisque  vous  êtes  la  rnère  d'un  Dieu- 
homme  ,  en  nous  donnant  ce  Sauveur  que  vous  por- 
tez dans  votre  sein  virginal,  et  qui  vient  nous  ra- 

(1)  Joan.  3.  —  (3)  Luc.  2. 


DE   LA    VIERGE.  83 

cheter ,  aidez-nous  à  recueillir  les  fruits  d'une  si 
abondante  rédemption,  afin  que,  parles  grâces 
dont  votre  Fils  adorable  est  la  source ,  et  dont 
vous  êtes  la  dispensatrice,  nous  puissions  par- 
venir à  la  bienheureuse  éternité,  où  nous  con- 
duise ,  etc. 


sztrrr; 


AUTRE  SERMON 

SUR 

/ANNONCIATION  DE  LA  VIERGE, 


Verbum  caro  factnm  est,  et  habîtavit  ia  nobis. 

Le  Verbe  s'est  fuit  chair ,  et  il  a  demeuré  parmi  nous. 
"En  saint  Jean  ,  chap.  z. 

Sjre, 

Cj'est  le  grand  mystère  que  nous  célébrons  au- 
jourd'hui, et  sur  quoi  est  fondée  toute  la  religion 
chrétienne.  Mystère  que  l'apôtre  saint  Paul  expri- 
moit  en  des  termes  si  relevés ,  et  qu'il  appeloit  le 
mystère  par  excellence  de  la  bouté  et  de  la  charité 
de  Dieu  envers  les  hommes  :  Magnum  pielatis 
sacramentum  ,  manifestatum  in  carne  (i).  Le 
Verbe  s'est  fait  chair:  voilà,  dit  saint  Augustin,  ce 
qui  paroissoit  incroyable.  Mais  il  y  avoit  encore  , 
ajoute-t-il ,  quelque  chose  de  plus  incroyable ,  sa- 
voir ,  que  ce  mystère  ,  tout  incroyable  qu'il  étoit , 
fût  cru  néanmoins  dans  le  monde;  et  c'est  ce  qui 
est  arrivé.  De  ces  deux  choses  incroyables ,  celle 
qui  l'étoit  le  plus,  a  cessé  de  l'être  ,  et  est  devenue 
non-seulement  croyable,  mais  évidente.  Car  il  est 
évident  que  le  mystère  d'un  Dieu  incarné  a  été 
prêché  aux  nations ,  et  que  le  monde  s'est  soumis 

(i)  i.  Tim.  5. 


SUR  L'ANNONCIATION  DE  LA  VIERGE.  85 

à  ce  point  de  foi  :  Magnum  pietatis  sacramen- 
tum  ,  prœdicatum  gentibus  ,  creditum  in  mun- 
do(i).  Quand  saint  Paul  en  parloit  ainsi ,  ce  n'étoit 
qu'une   prédiction   qui  dès-lors  coramençoit  à   se 
vérifier;  mais  nous  voyons  la  prédiction  pleinement 
accomplie.  Le  monde  devenu  chrétien  croit  un  Dieu 
fait  chair;  et  voilà  le  miracle  qu'a  opéré  le  Seigneur , 
et  qui  paroît  à  nos  yeux  :  A  Domino  factura  est 
istud ,  et  est  mirabile  in  oculis  nostris  (2).  Or 
convaincus ,  comme  nous  le  sommes  ,  du  plus  in- 
croyable ,  pourquoi  aurions-  nous  de  la  peine  à  croire 
ce  qui  l'est  moins?  c'étoit  le  raisonnement  de  saint 
Augustin.  Mais  ce  n'est  pas  assez  :  le  Verbe  fait 
chair  a  demeuré  parmi  nous  :  Et  habitavit  in  no- 
bis  (3);  pourquoi  cela?  pour  nous  instruire  par  ses 
exemples  et  pour  nous  sanctifier  par  sa  doctrine. 
Voilà,  dit  saint  Paul,  par  rapport  à  nous  une  des 
principales  fins  de  l'incarnation  :  Apparuit  eru- 
diens  nos  (4).  Ecoutez-le  donc ,  mes  chers  audi- 
teurs ,  ce  Verbe  incréé  ,  mais  incarné  :  c'est  par  moi 
qu'il  vous  doit  aujourd'hui  parler  ,  c'est  moi  qui  lui 
dois  servir  d'organe  ;  et ,  pour  m'acquitter  dignement 
d'un  si  saint  ministère ,  j'ai  besoin  des  lumières  et 
des  grâces  du  même  esprit  dont  Marie  reçut  la  plé- 
nitude. Demandons-les  par  l'intercession  de  cette 
mère  de  Dieu ,  et  disons-lui  avec  l'Ange  :  Ave , 
Maria» 

Ce  n'est  pas  sans  un  dessein  particulier  que  l'Evan- 
géliste ,  pour  nous  donner  une  idée  juste  du  mystère 

(1)  1.  Tim.  3.  —  (2)  Psalm.  117.  —  (3)  Joaa.  1.  —  (4)  Tit.  2 


*86  SUR    L'ANNONCIATION 

de  ce  jour,  l'a  renfermé  dans  ces  trois  divines  pa- 
roles ,  que  nous  ne  devons  jamais  prononcer  qu'avec 
respect  :  le  Verbe  s'est  fait  chair  :  Verbum  caro 
factum  est.  (i).  Autrefois  saint  Paul  défendoit  aux 
ministres  de  l'église  chargés  de  l'instruction  des  fi- 
dèles ,  d'entretenir  leurs  auditeurs  de  ce  qui  regar- 
doit  les  généalogies  et  les  alliances  ,  prétendant  que 
c'étoient  des  questions  inutiles  qui  ne  servoient  qu'à 
exciter  des  disputes,  et  qui  ne  contribuoient  en  rien 
à   l'édification   des  mœurs.  Ainsi  l'ordonnoit-il    à 
Timothée.  Il  n'en  est  pas  de  même  ,  chrétiens  ,  des 
alliances  du  Yerbe  avec  la  chair  ;  et  de  la  chair  avec 
le  Verbe ,  dont  j'entreprends  ici  de  vous  parler , 
car  ce  sont  des  alliances   toutes  saintes  qu'il  vous 
est  important  de  bien  connoître ,  et  qu'il  ne  vous 
est  pas  permis  d'ignorer  ;  des  alliances  qui  doivent 
être  le  sujet  de  vos  réflexions  ,  comme  elles  sont 
l'objet  de  votre  foi  ;  des  alliances  qui  vous  découvrent 
les  plus  admirables  principes  que  vous  puissiez  vous 
appliquer  pour  la  réformation  de  votre  vie.  Or  j'en 
trouve  trois  de  ce  caractère  dans  le  mystère  ado- 
rable de   l'incarnation,   et  les   voici.   Alliance  du 
Verbe  avec  la  chair,  par  rapport  à  Jésus-Christ; 
alliance  du  Verbe  avec  la  chair,  par  rapport  à  Ma- 
rie ,  sa  mère  ;  alliance  du  Verbe  avec  la  chair  ,  par 
rapport  à  nous  qui  sommes  ses  frères;   alliances, 
dis-je,  que  je  vous  propose  comme  infiniment  pro- 
pres à  vous  toucher ,  à  vous  convertir ,  à  vous  sanc- 
tifier, à  vous  rendre  de  parfaits  chrétiens,  si  vous 
en  savez  profiter.  Et  afin  que  vous  en  puissiez  mieux 

(1)  Joan.  1. 


DE    LA    VIERGE.  87 

faire  le  discernement,  je  distingue  dans  ces  trois 
alliances  autant  de  degrés  qui  élèvent  la  chair  de 
l'homme,  dans  la  personne  de  Jésus-Christ  jusqu'à 
la  souveraineté  de  l'être  de  Dieu;  dans  la  personne 
de  Marie,  jusqu'au  rang  sublime  de  la  maternité 
de  Dieu;  et,  dans  nos  personnes,  jusqu'à  la  di- 
gnité d'enfant  de  Dieu.  Ainsi,  gardant  les  propor- 
tions convenables  entre  Jésus-Christ  et  Marie  ,  et 
entre  Marie  et  nous  ,  ce  seul  mystère  du  Verbe  in- 
carné nous  fait  voir  aujourd'hui  trois  grands  mi- 
racles. Dans  Jésus-Christ  un  homme-Dieu  :  ce  sera 
la  première  partie  ;  dans  Marie  une  mère  de  Dieu  : 
ce  sera  la  seconde  ;  dans  nous  ,  qui  que  nous  soyons , 
mais  surtout  si  nous  sommes  en  état  de  grâce ,  de 
légitimes  enfans  de  Dieu  :  c'est  la  troisième.  Vous 
verrez,  chrétiens,  les  trois  conséquences  pratiques 
que  je  tirerai  de  là,  non-seulement  pour  vous  af- 
fermir dans  la  foi ,  mais  pour  vous  apprendre  à 
remplir  dignement  les  plus  saints  devoirs  du  chris- 
tianisme. 

PREMIÈRE    PARTIE. 

Il  est  donc  vrai ,  chrétiens ,  que  la  chair  de 
l'homme  a  été  élevée  dans  Jésus-Christ  jusqu'à  la 
souveraineté  de  l'être  de  Dieu;  et  c'est  ce  que  le 
Saint-Esprit  a  prétendu  d'abord  nous  marquer  par 
ces  paroles  :  Verbum  caro  factum  est;  Le  Verbe 
s'est  fait  chair.  Demander  comment  et  pourquoi 
s'est  accompli  ce  prodige,  ce  seroit  le  détruire  ,  dit 
saint  Augustin,  en  voulant  le  connoître  ,  puisqu'il 
est  certain  que  ce  mystère  de  l'incarnation  du  Verbe 


$8  SUR    L'ANNONCIATION 

ne  seroit  plus  par  excellence  l'œuvre  de  Dieu ,  si 
l'on  en  ponvoit  rendre  raison  ,  et  qu'il  n'auroit  plus 
l'avantage  de  se  distinguer  par  sa  singularité  ,  si , 
dans  l'ordre  de  la  nature  ou  de  la  grâce  ,  on  en  pou- 
voit  trouver  un  seul  exemple  :  Hic  si  ratio  quœ- 
ritur ,  non  erit  mirabile  ;  si  exemplum  ,  non  erit 
singulare.  J'avoue  que  Marie,  au  moment  que 
l'Ange  lui  en  fit  la  déclaration,  ne  laissa  pas  de  dire: 
Quomodo  fiet  îstud  t  Comment  cela  se   fera-t-il  f 
Mais  saint  Chrysostôme   remarque    très-bien  que 
cette  demande   fut  alors  l'effet  d'une  profonde  et 
respectueuse  admiration  ,  et  non  pas  d'une  présomp- 
tueuse et  vaine  curiosité  ;  et,  que  si  Marie  voulut 
savoir  de  quelle   manière  se  vérifieroit   ce  qui  lui 
étoit  annoncé  de  la  part  du  ciel ,  ce   ne  fut  point 
par  incrédulité,  mais  par  un  pur  zèle,  et  par  un 
sincère  amour  de  la   virginité  qu'elle  avoit  vouée. 
Quoi  qu'il  en   soit,  chrétiens ,  voilà    le  miracle 
qui  nous   est    proposé  dans   cette  fête ,  et  que  je 
dois  vous  expliquer.  Car  je  serois  prévaricateur,  et 
je  ne  m'acquitterois  pas  de  mon  ministère,  si,pré- 
férablement  à  tout  le  reste ,  je  ne  m'attachois  au- 
jourd'hui à  vous  développer  cet  article  essentiel  de 
votre  foi.  Voilà,  dis-je,  le  miracle  que  la  foi  nous 
révèle  ,  un  Dieu  incarné,  un  Dieu-homme,  jusqu'à 
pouvoir  dire,  dans  le  sens  propre  et  naturel,  qu'il 
s'est  fait  chair  :  Verbum   caro  fastum  est.  D'où 
il  s'ensuit ,  par  une   conséquence  nécessaire  ,  que 
la  chair  de  l'homme ,  considérée  dans  la  personne 
du  Rédempteur,  est  donc   véritablement  la  chair 
d'un  Dieu  ;  que  dans  l'instant  bienheureux  où  fut 


DE    LA    VIERGE.  8$ 

conçue  cette  chair  virginale,  elle  se  trouva  donc» 
toute  chair  qu'elle  étoit ,  pénétrée  ,  comme  dit  saint 
Paul ,  de  l'onction  de  Dieu ,  inséparablement  unie 
au  Verbe  de  Dieu;  n'ayant,  selon  le  langage   des 
théologiens ,  point  d'autre  substance  que  celle   du 
Verbe   de  Dieu  ;  qu'en   recevant  l'être ,  elle  entra 
donc   d'abord  en  possession  de  toute  la  gloire  qui 
appartient  à  Dieu ,  et  que  le  Fils  de  Dieu  la  recon- 
noîtra   dans  toute  l'éternité,  pour  une  chair  qu'il 
s'est  appropriée,  qu'il  a  consacrée,  qu'il  a  déifiée; 
car  c'est  ainsi  qu'en  ont  parlé  tous  les  Pères ,  dans 
des  termes  que  la  tradition  même  de  l'Eglise  au- 
roiteu  peine  à  autoriser  ,  s'ils  n'étoient  encore  au- 
dessous  de  l'énergie  et  de  la  force  de  ceux-ci  :  le 
Verbe  s'est  fait  chair.  Tune  in  utero  virgo  con- 
cepit ,  et  Verbum  caro  factura  est,  ut  caro  fier  et 
Deus  :  Ce  fut  alors,  dit  saint  Ambroise ,  qu'une 
vierge  conçut  miraculeusement ,  et  que  le  Verbe 
fut  fait  chair ,  afin  que  la  chair   devînt   Dieu.   Ce 
père  pouvoit-il  s'en  expliquer  d'une  manière  plus 
expresse  ?  et  parce  qu'une  vérité  aussi  importante 
que  celle-là  ne  peut  être  appuyée  sur  trop  de  té- 
moignages ,  ajoutons  celui  de  saint  Augustin  :  Talis 
fuit  ista  suscepfio  ,  auœ  Deum  hominem  face- 
ret  et  hominem  Deum.  Oui ,  mes  frères ,  disoit  ce 
saint  docteur,  l'effet  de  cette  incarnation  a  été  tel , 
que  l'homme  s'est  vu  dans  Jésus-Christ  élevé  jus- 
qu'à Dieu  ,  et  que  Dieu ,  dans  ce  même  Jésus-Christ, 
s'est  vu  réduit  à  la  forme  d'un   homme.  Expres- 
sions ,  je  le  répète ,  qui  demandent  toute  la  sou- 
mission de  la  foi ,  et  qui  nous  paroîtroient  avoir  je 


go  SUR    L  ANNONCIATION 

ne  sais  quoi  de  dur,  si  elles  n'étoient  évidemment 
fondées  sur  ce  principe  incontestable  :  Verbum 
caro  f actu m  est. 

Delà  vient ,  mes  chers  auditeurs  (appliquez-vous 
à  ceci,  et  ne  pensez  pas  que  la  grandeur  de  mon 
sujet  m'emporte  trop  loin  ,  puisqu'autant  qu'il  est 
relevé  ,  autant  me  suis-je  étudié  à  le  traiter  exac- 
tement) :  de  là  vient  que  dans  Jésus-Christ,  entre 
la  chair  et  le  Verbe,  il  n'y  a  rien  de  divisé;  et  que 
ce  qui  étoit  vrai  de  l'un ,  par  une  communication 
d'attributs  ,  l'est  encore  de  l'autre.  Ainsi  parce  que 
la  chair  de  Jésus-Christ  a  été  passible  et  mortelle  , 
nous  disons,  sans  craindre  d'être  accusés  de  blas- 
phème ,  que  le  Verbe  de  Dieu  a  souffert  et  est  mort 
pour  nous  :  et  d'ailleurs  parce  que  le  Verbe  de  Dieu 
est  égal  à  Dieu  ,  nous  ne  craignons  point  la  censure, 
en  disant  que  la  chair  de  Jésus-Christ  est  assise  à 
la  droite  de  Dieu.  Et  quoiqu'il  n'y  ait  point  d'extré- 
mités plus  opposées  ,  que  la  croix  et  le  trône  de 
Dieu,  nous  ne  faisons  pas  plus  de  difficulté  d'attri- 
buer à  cette  chair  du  Fils  de  l'homme  ,  qui  a  été 
crucifiée ,  la  prééminence  du  trône  de  Dieu  ,  que 
d'attribuer  au  Verbe  de  Dieu ,  qui  est  la  splendeur 
de  la  gloire  du  Père,  l'humiliation  et  l'ignominie 
de  la  croix.  Pourquoi  ?  parce  que  tout  cela  n'est 
qu'une  suite  de  ce  que  nous  professons  par  ces  pa- 
roles :  Verbum  caro  j act uni  est. 

Il  est  vrai,  et  je  suis  toujours  obligé  de  le  re- 
connoître ,  ce  mystère  est  difficile  à  croire  ,  et  c'est 
là  que  nous  devons  captiver  nos  esprits.  Mais  puis- 
qu'un Dieu  veut  bien  anéantir  pour  nous  dans  ce 


DE    LA    VIERGE.  91 

mystère  sa  souveraine  majesté,  ne  refusons  pas  au 
moins  de  lui  soumettre  notre  raison.  Soumission 
nécessaire  :  car,  comme  disoit  saint  Àthanase,  je 
ne  puis  savoir  comment  le  Verbe  s'est  incarné  ; 
mais  il  ne  m'est  pas  permis  d'ignorer  qu'il  se  soit 
incarné ,  et  qu'il  ait  pris  une  chair  semblable  à  la 
mienne.  Au  lieu  donc  de  m'engager  dans  une  re- 
cherche inutile ,  et  qui  passe  toutes  mes  vues  ;  au 
lieu  de  vouloir  pénétrer  dans  ces  ineffables  secrets 
de  l'incarnation  divine,  lorsque  je  ne  me  connois 
pas  moi-même;  ce  que  j'ai  surtout  à  faire,  c'est  de 
bénir  mille  fois  la  miséricorde  infinie  de  mon  Dieu, 
non-seulement  parce  qu'il  est  descendu  de  sa  gloire 
pour  moi,  et  qu'il  s'est  fait  homme  comme  moi, 
mais  parce  qu'il  m'a  révélé  ,  et  qu'il  m'a  fait  an- 
noncer ce  mystère  de  mon  salut.  Car  si  je  puis  être 
sauvé  sans  la  science  de  l'incarnation  ,  je  ne  puis 
l'être  sans  la  foi  de  l'incarnation  ;  c'est-à-dire ,  si 
je  puis  être  sauvé  sans  savoir  par  quelle  vertu  et 
de  quelle  manière  le  Verbe  de  Dieu  a  élevé  la  chair 
de  l'homme  à  une  si  noble  alliance  ,  je  ne  puis  l'être 
sans  savoir  que  cette  merveilleuse  alliance  s'est  faite 
dans  la  personne  de  Jésus-Christ ,  en  sorte  que 
dans  la  personne  de  Jésus-Christ  il  y  a  eu  tout  à  la 
fois  et  un  vrai  Dieu  et  un  vrai  homme  :  Verbum 
caro  factura  est. 

C'est  de  quoi  tant  d'hérétiques  n'ont  pas  voulu 
convenir ,  et  c'est  pour  mieux  affermir  la  créance 
de  ce  mystère,  que  Dieu  a  permis  qu'elle  fut  atta- 
quée par  tant  d'endroits.  Les  uns  ont  combattu  la 
divinité  de  Jésus-Christ ,  ne  considérant  pas  qu'il 


92  SUR     L'ANNONCIATION 

est  aujourd'hui  formé  dans  le  sein  de  Marie  par  lai 
seule  opération  de  l'esprit  divin  :  Spiritus  scindas 
superveniet  in  te  (i);  que  l'ange  l'appelle  absolu- 
ment saint  et  la  sainteté  même  :  Sanctum  vocabi- 
tur  (u)  ;  qu'il  est  conçu  par  une  mère  vierge ,  et 
demeurant  toujours  vierge ,  quoique  mère  ;  enfin 
qu'il  vient  dans  le  inonde  pour  être  le  Sauveur  du 
monde  :  principes  d'où  il  s'ensuit  incontestable- 
ment qu'il  est  Dieu.  Car,  comme  raisonnent  saint 
Ambroise ,  saint  Augustin ,  saint  Cyrille  et  saint 
Bernard ,  il  n'appartient  qu'à  un  Dieu  d'être  saint 
par  lui-même  et  la  source  de  toute  sainteté  ;  qu'à 
un  Dieu  d'être  fils  d'une  vierge  ,  sans  que  cette  vierge 
y  perde  rien  de  sa  virginité  ;  qu'à  un  Dieu  de  sau- 
ver le  monde  après  qu'il  l'a  créé. 

D'autres  ont  refusé ,  par  une  erreur  toute  con- 
traire, de  reconnoître  l'humanité  de  Jésus-Christ; 
tantôt  ne  lui  attribuant  qu'un  corps  imaginaire  et 
fantastique  ;  tantôt  lui  accordant  un  vrai  corps  , 
mais  sans  ame  et  sans  intelligence  ;  tantôt  lui  don- 
nant un  corps  parfait ,  mais  formé  d'une  matière 
toute  céleste  et  non  de  la  substance  de  Marie  : 
dogmes  insoutenables ,  à  quoi  les  docteurs  de 
l'Eglise,  et  entre  autres  Tertullieu  ,  saint  Athanase 
et  saint  Léon  pape ,  ont  opposé  toutes  les  Ecri- 
tures et  les  plus  solides  raisons.  Car,  disoient-ils, 
si  Jésus-Christ  n'a  eu  qu'un  corps  imaginaire , 
comment  nous  a-t-il  rachetés  de  son  sang  ?  S'il  n'a 
eu  qu'un  corps  sans  ame ,  comment  a-t-on  pu 
l'appeler  homme;  et  s'il  n'étoit  pas  homme,  com- 

(1)  Luc.  1.  —  (2)  Ibid. 


DE   LA   VI  ERE  E.  93 

ment  a-t-il  satisfait  pour  les  hommes  ?  Si  son  corps 
a  seulement  été  formé  dans  le  sein  de  Marie ,  et 
non  de  la  substance  de  Marie,  comment  Elisabeth 
l'appela-t  elle  la  mère  de  son  Seigneur,  Mater  Do- 
mini  mei  (1);  et  comment  l'ange  lui  dit-il  que 
l'homme-Dieu  qu'elle  devoit  porter  dans  ses  chastes 
flancs  ,  naîtroit  d'elle  :  Nascetur  ex  te  (2)? 

Enfin  ,  conclut  S.  Augustin  ,  plusieurs  se  sont  trom- 
pés tout  à  la  fois  ,  à  l'égard  de  la  divinité  de  J.  G.,  et 
à  l'égard  de  son  humanité,  non  pas  en  niant  ni  l'une 
ni  l'autre ,  mais  l'union  de  l'une  et  de  l'autre ,  telle  que 
le  Saint-Esprit  l'a  faite,  et  telle  qu'elle  subsistera  tou- 
jours. Car,  ils  reconnoissent  en  Jésus-Christ,  etune 
vraie  divinité ,  et  une  vraie  humanité.  Mais  comme 
le  propre  de  l'hérésie  est  de  donner  dans  toutes  les 
extrémités,  ou  bien  d'une  part ,  ils  prétendoient  que 
Dieu  et  l'homme  dans  l'incarnation  avoient  été 
seulement  unis  de  volonté,  unis  de  sentimens  et 
d'intérêts,  unis  par  adoption  ,  par  affection ,  par 
communication  de  gloire  ,  et  non  point  d'une  union 
réelle  et  substantielle  :  ou  bien  d'autre  part,  ils 
confondoient  tellement  ensemble  la  divinité  et  l'hu- 
manité, qu'outre  l'unité  de  personne,  ils  établis— 
soient  encore  dans  l'homme-Dieu  unité  de  nature. 
Erreurs  foudroyées  par  l'Eglise  dans  ces  fameux 
conciles  dont  les  célèbres  décisions  nous  servent 
de  règles,  et  qui  nous  apprennent  qu'en  vertu  de 
l'incarnation,  le  Verbe  divin  s'est  réellement  et  subs- 
tantiellement uni  à  notre  chair  ;  que  par  cette  union 
le  Verbe  incarné  s'est  rendu  propres  toutes  les  mi- 

(1)  Luc,  1,—  (3)  lia. 


C)4  SUR    L'ANNONCIATION 

sères  de  l'homme,  et  que  l'homme  est  entré  en 
participation  de  toutes  les  grandeurs  de  Dieu;  qu'il 
y  a  néanmoins  entre  les  deux  natures  qui  composent 
cette  adorable  personne,  la  nature  divine  et  la 
nature  humaine ,  une  distinction  essentielle ,  sans 
qu'elles  aient  été  confondues;  et  que  l'une  ,  comme 
partaient  quelques  hérétiques  ,  ait  absorbé  l'autre* 
Tel  est,  chrétiens  ,  le  précis  de  la  doctrine  ortho- 
doxe touchant  le  mystère  d'un  Dieu  fait  homme  ;, 
et  c'est  de  quoi  il  falloit  d'abord  vous  instruire  r 
Verbum  caro  faction  est, 

N'en  demeurons  pas  là  :  mais  réduisant  à  la  pra- 
tique et  aux  mœurs  cette  première  vérité,  profitons 
de  la  fête  de  ce  jour  pour  nous  disposer  à  la  solen- 
nité de  Pâques  qui  approche,  et  faisons-nous  du 
mystère  de  l'incarnation  une  préparation  solide  à. 
l'accomplissement  du  grand  précepte  de  la  commu- 
nion. Car  voilà  sur  quoi  est  fondée  cette  loi  si  sainte, 
qui  nous  oblige  à  nous  éprouver  nous-mêmes  avant 
que  de  recevoir  le  corps  de  Jésus-Christ ,  et  à  n'y 
participer  jamais  qu'avec  une  conscience  pure  ,  et 
dans  un  état  où,  sans  être  absolument  assurés  que 
nous  sommes  dignes  d'amour,  nous  puissions  toute- 
fois, quoique  pécheurs,  dire  avee humilité  ,  comme 
saint  Paul  :  Nihil  rnihi  conscius  swn  (i);  Ma 
conscience  ne  rat  reproche  rien  ,  du  moins  rien  de 
capital  et  de  grief.  On  demande  pourquoi  l'Apôtre 
a  fait  un  crime  si  atroce  de  ce  qu'il  appelle  commu- 
nion indigne  ;  et  l'on  s'étonne  qu'animé  du  zèle 
apostolique  dont  il  étoit  rempli,  il  ait  fulminé  de 
{i)  a.  Cor.  l\. 


DE    LA    VIERGE.  ^5 

si    terribles   anathèmes  contre  ceux  qui,  dans  un 
état  de  mort,  osent  manger   le  pain  de  vie  qu'il 
leur  ait  déclaré  que  c'est  alors  leur  jugement  qu'ils 
mangent,  etleur  condamnation;  qu'il  les  ait  traités 
de  profanateurs  et  de  sacrilèges;  et  que  sur  sa  pa- 
role ,    malgré    la    corruption  du   siècle,   la    seule 
pensée  de    communier    indignement  fasse  encore 
horreur  aux  chrétiens  les  plus  imparfaits  et  même 
les  plus  mondains.  Non  ,  non  ,  mes  chers  auditeurs, 
il  ne  faut  point  en  être  surpris.  Supposé  ce  que  je 
viens  de  vous  dire  ,  et  ce  que  la  foi  nous  enseigne 
de  l'incarnation  du  Verbe ,  il  n'y  a  rien  en  tout  cela 
qui  ne  soit  facile  à  comprendre;  et  quand  une  fois 
j'ai  conçu   que  ce  pain  dont  parle   saint  Paul,  est 
le  corps  du  Seigneur  et  le  Seigneur  même  ,  je  sous- 
cris sans  peine  à  tous  les  anathèmes  qu'il  prononce 
contre  ceux  qui  prennent  sans  discernement  cette 
nourriture  céleste.  Quelque  formidables  qu'ils  soient, 
je  n'ai  ,   pour  les   trouver  équitables  ,  qu'à  m'ap- 
pliquer  personnellement   le  mystère  du  Verbe  fait 
chair,    en    me  disant   à  moi-même   :  Cette  chair 
que  je  mange  dans  le  sacrement,  est  la  chair  d'un. 
Dieu,  et  je  la  profane  quand  je  la  mange  dans  l'état 
du  péché.  Par  l'incarnation  elle  est  unie  à  une  per- 
sonne divine  ;   et  par  l'indigne  communion  que  je 
fais,  je  l'unis,     toute  sainte  qu'elle  est,  à  une  ame 
criminelle  et  ennemie    de   Dieu.  Gela  seul  me  fait 
sentir  la  raison    qu'a  eue  saint  Paul ,  de  condamner 
si  sévèrement  ces  sacrilèges  qui  se  présentent  à  la 
table  du  Sauveu  r  sans  avoir  la  robe  de  noce  qui  est 
h  grâce, et  il   n'y  a  point  ensuite  de  châtiment  qui 


06  SUR    L'ANNONCIATION 

ne  me  paroisse  encore  au-dessous  d'une  telle  pro- 
fanation. 

Que  faudroit-il  donc  dire  à  un  chrétien  qui  se 
trouve  sur  le  point  de  célébrer  la  Pâque  ,  et  de 
prendre  part  au  sacrement  de  Jésus-Christ  ?  Ecoutez- 
moi  ,  hommes  du  siècle  ,  et  n'oubliez  jamais  cette 
instruction.  Il  faudroit  lui  dire  à  peu  près  ,  et  avec 
la  proportion  qui  doit  être  ici  gardée ,  ce  que  l'ange 
dit  à  Marie  :  Ideoque  et  quod  jiascetur  ex  te 
sancttim  ,  vocabltur  Fllius  Dei.  Prenez  garde  , 
mon  frère ,  ce  qui  est  caché  sous  les  symboles  de 
ce  pain ,  c'est  le  Saint  des  saints  et  le  Fils  de  Dieu  , 
le  même  qui  est  né  d'une  vierge ,  le  même  dont 
l'ange  fit  à  cette  vierge  un  si  magnifique  éloge. 
Voilà  celui  que  vous  allez  recevoir.  Ainsi  rentrez 
en  vous-même,  et  vous  mesurant  sur  l'exemple  de 
Marie ,  puisque  vous  êtes  destiné  à  porter  dans 
votre  sein  le  même  Dieu  ,  voyez  si  vous  êtes  dans 
les  mêmes  dispositions  ;  voyez  si  vous  avez  reçu 
comme  elle,  l'esprit  divin;  voyez  si  l'esprit  cor- 
rompu du  monde  ne  règne  pas  encore  dans  vous. 
Car  il  ne  s'agit  pas  moins  pour  vous  que  d'être  , 
aussi  bien  que  Marie  ,  le  temple  vivant  où  un  Dieu 
fait  chair,  doit  et  veut  faire  sa  demeure  :  Verbum 
caro  factum  est ,    et  habitavit  in  jiobis. 

Ah  !  chrétiens ,  quelle  épreuve  Marie  ne  fit-elle 
pas  d'elle-même  ,  avant  que  de  consentir  à  ce  que 
l'ange  lui  proposoit!  Et  quand  elle  apprit  que  l'heure 
étoit  venue  où  le  Verbe  ,  avec  toute  la  plénitude 
de  sa  divinité  ,  devoit  s'incarner  en  elle  ,  avec  quelle 
foi  et  quelle  humilité  ne  répondit-elle  pas  à  l'hon- 


DE    LA    VIERGE.  gj 

neur  que  Dieu  lui  faisoit ,  et  aux  miséricordes  dont 
il  la  combloit  !  Avec  quelle  pureté  ,  avec  quelle 
obéissance  ,  avec  quelle  confiance  ,  avec  quel 
amour  ne  conçut-elle  pas  ce  Dieu-homme  dans  son 
chaste  sein  ?  Par  combien  de  vertus  héroïques  ne 
se  mit-elle  pas  en  état  de  coopérer  à  cet  ineffable 
mystère?  Or  tel  est,  mes  chers  auditeurs,  l'excel- 
lent modèle  sur  quoi  nous  devons  aujourd'hui  nous 
former.  Marie  étoit  sainte  dès  sa  conception  ;  de- 
puis sa  conception ,  croissant  en  âge  ,  elle  avoit 
toujours  crû  en  sainteté.  Avant  que  l'ange  ne  la 
saluât  ,  elle  étoit  déjà  pleine  de  grâce  :  mais  cela 
ne  suffisoit  pas.  Il  fallut  que  le  Saint-Esprit  lui- 
même  ,  selon  l'expression  de  l'évangile  ,  survînt  en 
elle  ,  et  qu'il  l'a  sanctifiât  tout  de  nouveau  par 
des  grâces  plus  abondantes.  Encore  après  cette 
nouvelle  sanctification  ,  saint  Ambroise  ne  croit 
point  offenser  Marie ,  quand  il  dit  au  Sauveur  du 
monde  :  Tu  ad  liberandum  siisçepturus  honii- 
nem ,  non  horruisti  virginis  uterum.  Ah  !  Sei- 
gneur ,  pour  sauver  l'homme  ,  vous  qui  êtes  la  sain- 
teté même ,  n'avez  point  eu  horreur  de  vous  ren- 
fermer dans  le  sein  d'une  vierge  !  Approchons,  chré- 
tiens ,  de  la  communion,  prévenus  de  ce  sentiment, 
et  nous  n'en  approcherons  plus  avec  tant  de  lâcheté 
et  tant  de  négligence  ;  nous  ne  nous  y  présente- 
rons plus  avec  une  indévotion  et  une  tiédeur  dont 
nous  ne  pouvons  trop  gémir  ;  nous  n'en  sortirons  plus 
aussi  froids  ,  aussi  indifterens ,  et  ce  qui  est  encore 
plus  déplorable  ,  aussi  imparfaits  ,  que  si  nous  n'y 
étions  jamais  venus.  Nous  préparer  ace  sacrement  ^ 
tome  xi.  7 


g8  SUR    L'ANNONCIATION 

ce  sera  la  plus  grande  et  la  plus  sérieuse  occupation 
de  notre  vie  :  en  profiter  ,   ce  sera  le  plus  ardent 
de  nos  désirs;  en  abuser,  ce  sera  la  plus  mortelle 
de  nos  craintes.  Nous  irons  à  la  sainte   table  avec 
des  cœurs  embrasés  d'amour  ;   comme  des   lions  » 
dit  saint  Chrysostôme  ,  respirant  le  feu  de  la  cha- 
rité ;   comme   des  aigles ,  ajoute  saint  Augustin  , 
élevés  au-dessus  de  la  terre  par  des  pensées  toutes 
célestes  :  nous  y  recevrons  ce  Dieu  de  gloire,  dans 
le  même  esprit  que  Marie  le  conçut,  et  son  exemple 
nous  servira  de  règle.  Du  reste ,  tirer  de  là  des  con- 
séquences spécieuses ,  mais  qui ,  sous  une  fausse 
apparence    de    respect ,   nous    éloigneroient  pour 
jamais  du  corps  de  Jésus-Christ;  faire  consister  les 
dispositions  nécessaires  dans  des  degrés  de   sain- 
teté où  personnelle  peut  atteindre;  demander  pour 
ce    sacrement   un  état   aussi  parfait  que  celui   de 
Marie  ;  en  uïi  mot,  de  l'obligation  d'imiter  Marie  , 
se  faire,  contre  l'intention  de  Jésus-Christ  même  , 
un  obstacle  insurmontable  à  la  communion  ,  c'est 
a.  quoi  porte  le  raffinement  du  libertinage  ;  mais 
c'est  le  piège  grossier  dont  votre  piété  ,  aussi  pru- 
dente qu'éclairée  ,   saura  bien  se  garantir.  Au  con- 
traire, delà  nécessité  de  communier,  conclure  celle 
de  se  sanctifier  ;  y  travailler  en  effet  et  y  donner 
tous  ses  soins  ,    c'est  p:>i*  là  que  nous  honorons  le 
ni) 'stère  du  Dieu  incarné.   Alliance  de  notre  chair 
avec  le  Verbe ,  premier  miracle  que  nous  avons  vu 
dans  un  homme-Dieu.  Passons  an  second  ,  qui  nous 
fera  voir  dans  une  vierge  nue  mère  de  Dieu  :  c'est 
le  sujet  de  la  seconde  partie. 


DE    LA   VIERGE.  gg 

DEUXIÈME     PARTIE. 

ïî  Fallait,  chrétiens,  pour  mettre  au  monde  un 
ï)ieu-homme  et  fait  chair,  qu'il  y  eût  une  créature 
prédestinée  en  qualité  de  mère  de  Dieu  selon  la 
chair,  et  voilà  ce  que  j'appelle  la  seconde  alliance 
de  la  chair  avec  le  Verbe  dans  la  personne  de  Ma- 
rie. Alliance  que  l'hérésie  n'a  pas  voulu  reconnoître 
dans  cette  vierge,  non  plus  que  celle  de  la  divinité 
et  de  l'humanité  dans  Jésus-Christ.  Mais  alliance 
que  les  vrais  fidèles  ont  hautement  et  constamment 
soutenue.  Appliquez-vous  d'abord ,  mes  chers  audi- 
teurs ,  à  en  comprendre  le  dogme  :  nous  verrons  en- 
suite la  gloire  qui  en  revient  à  Marie,  et  le  fruit 
que  nous  en  pouvons  retirer. 

Une  vierge  mère  de  Dieu  ,  et  mère  de  Dieu  selon 
la  chair,  c'est  ce  qui  choqua  autrefois  la  fausse  piété 
des  hérétiques  ,  surtout  de  ce  fameux  Nestorius , 
patriarche  de  Constantinople.  Cet  homme  emporté 
par  l'esprit  d'orgueil ,  en  abusant  du  pouvoir  que 
lui  donnoit  son  caractère,  osa  disputer  à  Marie  sa 
qualité  de  mère  de  Dieu:  et  dans  cette  vue  y  eut-il 
artifice  qu'il  n'employât,  et  déguisement  dont  il 
n'usât,  pour  couvrir  ou  pour  adoucir  la  malignité 
de  son  erreur?  Car,  suivant  le  rapport  des  Pères  , 
tout  ce  qu'on  peut  d'ailleurs  imaginer  de  titres  spé- 
cieux et  honorables ,  il  les  accorda  u  Marie ,  hors 
celui  dont  il  étoit  uniquement  question.  Il  confessa 
qu'elle  étoit  la  mère  du  Saint  des  saints,  qu'elle 
étoit  la  mère  du  Rédempteur  des  hommes; il  con- 
vint qu'elle  avoit  reçu  et  porté  le  Verbe  de  Dieu 


JOO  SUR   L  ANNONCIATION 

dans  ses  chastes  entrailles  ;  il  se  relâcha  même  jus- 
ques  à  dire  qu'elle  étoit  la  mère  d'un  homme  ,  qui, 
dans  un  sens,  avoit  été  Dieu  ,  parce  qu'il  avoit  été 
spécialement  uni  à  Dieu.  Mais  qu'elle  fut  absolu*» 
ment  et  sans   restriction  mère  de  Dieu ,  c'est  sur 
quoi  on  ne  put  fléchir  cet  esprit  incrédule  et  opi- 
niâtre. Que  lit  l'Eglise?  elle  rejeta  toutes  ces  subti- 
lités -,  et  plus  Nestorius  s'obstinoit  à  combattre  ce 
titre  de  mère  de  Dieu  ,  plus  elle  s'intéressa  à  le  main- 
tenir. Il  ne  s'agissoit  en  apparence  que  d'un  seul  mot, 
et  ce  seul  mot  grec  :  ôcorôxo? ,  qui  signifie  mère  de 
Dieu ,  étoit  le  sujet  de  toutes  les  contestations.  Mais 
parce  qu'il  est  vrai,  comme  l'a  sagement  remarqué 
saint  Léon  pape,  que  le  chemin  qui  conduit  à  la 
vie,  est  un  chemin  étroit ,  non-seulement  pour  l'ob- 
servation des  préceptes ,  mais  encore  plus  pour  la 
soumission  aux  vérités  orthodoxes  :  Non  in  sold 
mandatorum  observantid ,  sed  in  recto  tramite 
fidei,  arcta  via  estquœ  ducit  ad  vitam ,  l'Eglise 
prit  la  défense  de  ce  seul  mot  avec  toute  la  force 
et  toute  l'ardeur  de   son  zèle.  Elle  assembla  des 
conciles,  elle  fulmina  des  anathêmes,  elle  censura 
des  évêques ,  elle  n'épargna  pas  ceux  qui  tenoient 
les  premiers  rangs,  elle  les  excommunia,  elle  les 
dégrada  :  pourquoi  ?  parce  que  dans  ce  seul  titre  de 
mère  de  Dieu,  étoit  renfermé  tout  le  mystère  de 
rincarnation  du  Verbe,  Car  c'est  pour  cela  qu'on 
se  fit  comme  un  capital ,  et  un  point  essentiel  de 
religion,  de  croire  que  Marie  étoit,  dans   le  sens 
le  plus  naturel,  mère  de  Dieu.  Non  pas  que  cette 
créance  fût  nouvelle,  puisque, selon  saint  Cyrille, 


DE    LA    VIERGE.  101 

toute  la  tradition  L'àutorisoit,  et  que  déjà  depuis 
long-temps  Julien  l'Apostat  l'avoit  reprochée  aux 
chre'tiens  :  Vos  christiani  ,  Mariam  numquam 
cessatis  vocare  Del  genitricem  ;  mais  on  voulut 
que  cette  créance ,  aussi  ancienne  que  l'Eglise  , 
fût  désormais  comme  un  symbole  de  foi  ;  et  l'on 
arrêta  dans  le  concile  d'Ephèse,  que  le  titre  de 
mère  de  Dieu  seroit  un  terme  consacré  conire  l'hé- 
résie nestorienne,  comme  celui  de  consubstantiel 
l'avoit  été  dans  le  concile  de  Nicée  contre  l'hérésie 
arienne. 

Voilà  ,  mes  frères  ,  ce  que  nous  croyons  ;  et  c'est 
sur  ce  dogme  ainsi  établi  que  sont  fondés  tous  les 
honneurs  que  nous  rendons  à  Marie  :  c'est,  dis-je  , 
sur  sa  maternité  divine,  qui,  dans  l'ordre  des  dé- 
crets de  Dieu  ,  l'a  élevée  au-dessus  de  tout  ce  qui 
n'est  pas  Dieu.  Nous  n'en  faisons  pas  pour  cela  une 
divinité.  Ecoutez  ceci,  vous  qui,  réunis  à  l'Eglise, 
avez  besoin  d'être  instruits  à  fond  de  sa  doctrine , 
et  achevez  de  vous  détromper  des  fausses  idées 
que  vous  aviez  conçues  du  culte  de  la  mère  de  Dieu. 
Nous  n'en  faisons  pas  une  divinité  ;  et  je  pourrois 
appliquer  ici  ce  que  le  grand  saint  Augustin  ,  dans 
un  semblable  sujet ,  répondoit  aux  manichéens  ,  qui, 
malicieusement  et  injustement ,  accusoient  les  ca- 
tholiques de  rendre  aux  martyrs  un  culte  super- 
stitieux et  idolâtre.  Voici  ce  qu'il  leur  disoit,  en 
s'adressant  à  Fauste  :  11  est  vrai  que  nous  nous  assem- 
blons pour  célébrer  les  fêtes  des  martyrs  ;  mais  nous 
n'avons  jamais  eu  la  pensée  d'offrir,  par  exemple, 
le  sacrifice  à  aucun  des  martyrs.  Nous  savons  que 


102  SUR    l'annonciation 

cet  honneur  n'est  dû  qu'à  Dieu  seul,  et  c'est  aussi 
à  Dieu  seul  que  nous  le  rendons.  Car  où  est  l'évêque, 
où  est  le  prêtre  qui  ait  jamais  dit  étant  à  l'autel  : 
C'est  à  vous  ,  Pierre  ;  c'est  à  vous ,  Paul  ;  c'est  à 
vous  ,  Cyprien ,  que  nous  o tirons  et  que  nous  immo- 
lons l'agneau  sans  tache  ?  Nous  l'immolons  à  Dieu, 
qui  a  couronné  les  martyrs;  et  nous  ne  l'offrons  en 
mémoire  des  martyrs,  que  pour  participer  à  leurs 
mérites,  pour  obtenir  le  secours  de  leur  intercession  : 
ainsi  parloit  saint  Augustin  ,  et  je  dis  le  même  de 
Marie.  Nous  célébrons  avec  solennité  le  jour  bien- 
heureux où  l'ange  lui  annonça  le  choix  que  Dieu 
faisoit  d'elle  ;  mais  à  Dieu  ne  plaise  ,  qu'en  lui  ren- 
dant nos  hommages  ,  parce  qu'elle  a  conçu  le  Yerbe 
de  Dieu,  nous  la  confondions  avec  Dieu  :  c'est  de 
quoi  nous  ne  craignons  pas  qu'on  puisse  soupçonner 
notre  foi.  Car,  pour  me  servir  du  même  raisonne- 
ment ,  où  est  le  prêtre  ,  qui  dans  les  saints  mystères 
ait  jamais  dit  :  C'est  à  vous,  Marie  ,  que  nous  sa- 
crifions? Nous  sacrifions  à  celui  qui  a  prédestiné 
Marie  ,  qui  a  sanctifié  Marie  ,  qui  a  glorifié  Marie  ; 
mais  quoiquelle  soit  incontestablement  mère  de 
Dieu ,  nous  ne  la  regardons  et  nous  ne  l'honorons 
que  comme  une  pure  créature ,  dont  tout  le  bonheur 
est  d'avoir  été  fidèle  à  Dieu,  d'avoir  été  humble 
devant  Dieu,  d'avoir  été  singulièrement  élue  de 
Dieu. 

Cependant,  sans  élever  Marie  jusqu'à  Dieu,  est-il, 
du  reste  ,  une  grandeur  comparable  à  celle  de  cette 
mère  de  Dieu?  Tâchons,  mes  chers  auditeurs  ,  à 
nous  en  former  quelque  idée  ;  mais  souvenons-  nous 


DE    LA    VIERGE.  lo3 

d'abord  de  ce  qu'a  dit  saint  Bernard  ,  que  Marie 
elle-même  n'eût  pu  la  comprendre  dans  toute  son 
étendue  ,  ni  l'expliquer  :  Audacter  dico ,  quod  nec 
ipsa  plané  Maria  potuit  explicare.  Après  cela , 
vous  ne  serez  pas  surpris  si  ce  que  j'ai  à  vous  dire 
se  trouve  encore  infiniment  au-dessous  de  mon  sujet. 

Je  considère  Marie  sous  deux  rapports  :  l'un  à 
Dieu  ,  et  l'autre  aux  hommes.  Marie  devient  mère 
de  Dieu  :  c'est  le  premier  rapport;  et  Marie,  mère 
de  Dieu ,  devient  par  là  même  la  médiatrice  et  comme 
la  mère  des  hommes  :  c'est  le  second.  Or  ,  voyons 
autant  qu'il  nous  est  possible ,  quelle  gloire  doit  re- 
venir à  cette  vierge  ,  de  l'un  et  de  l'autre  ,  et  quelles 
grandeurs  y  sont  renfermées. 

Marie  ,  mère  de  Dieu.  Ecoute ,  6  homme  î  s'écrie 
là-dessus  saint  Anselme  ,  contemple  et  admire  :  In- 
tendat  mens  humana  ,  contempletur  et  stupeat. 
Le  père  céleste  avoit  un  Fils  unique  et  consubs- 
tantiel  :  mais  il  n'a  pas  voulu  que  ce  Fils  u'appar- 
tînt  qu'à  lui  seul;  il  en  a  fait  part  à  Marie,  et  elle 
est  véritablement  sa  mère  sur  la  terre ,  comme  il 
est  son  Père  dans  le  ciel  :  Non  est  passas  manere 
suum  ;  sed  eum  ipsum  voluit  esse  Mariœ  uni- 
cum.  Pensée  sublime ,  mais  qui ,  dans  sa  sublimité 
n'exprime  rien  dont  notre  mystère  ne  nous  fasse 
voir  l'entier  accomplissement.  Ah  !  mes  frères,  di- 
soit  saint  Paul,  je  fléchis  le  genou  devant  le  Père 
de  Jésus-^Christ  mon  maître  ,  parce  que  c'est  de  lui 
que  procède  toute  paternité  ,  soit  dans  le  ciel,  soit 
sur  la  terre.  Ainsi  parloit  le  grand  Apôtre  ;  et  ne 
puis-je  pas  ajouter ,  que  je  me  prosterne  en  la  pré- 


io4  SUR    L'ANNONCIATION 

sence  de  ce  Père  tout  puissant,  pour  le  recon- 
noître ,  non  plus  seulement  comme  auteur  de  toute 
paternité ,  mais  comme  princirTe  de  cette  maternité 
divine  que  j'honore  dans  Marie  !  Car  quel  prodige  , 
chrétiens  !  et  quel  autre  que  Dieu  même  a  pu  opé- 
rer ce  miracle?  La  virginité  et  la  fécondité  jointes 
ensemble;  une  vierge  qui  conçoit  dans  le  temps  le 
même  Fils  ,  que  Dieu ,  avant  tous  les  siècles ,  a  pro- 
duit dans  l'éternité;  une  mère,  dit  saint  Augustin, 
devenue  mère  par  la  seule  obéissance  de  son  es- 
prit ,  de  même  que  le  Père ,  dans  l'adorable  trinité  , 
est  Père  par  la  seule  connoissance  de  ses  infinies 
perfections.  Qui  jamais,  avant  Marie,  entendit  rien 
de  pareil,  et  si  la  foi  ne  nous  l'apprenoit  pas  ,  qui 
jamais  l'eût  cru  ,  qu'une  créature  dût  un  jour  donner 
en  quelque  manière  l'être  à  son  créateur;  et  que  le 
Créateur  pût  devenir  en  quelque  sorte  l'ouvrage  et 
la  production  de  sa  créature  ?  Qui  l'eût  cru ,  que 
Marie  dût  donner  à  un  Dieu  ce  qu'il  n'avoit  pas  au- 
paravant ,  et  qu'un  Dieu  en  dût  recevoir  une  vie 
toute  nouvelle  !  Qui  l'eût  cru ,  que  le  Verbe  par  qui 
tout  a  été  fait,  dût  être  formé  lui-même  par  une 
vierge,  et  que  par  là  cette  vierge  s'acquittât,  pour 
ainsi  dire,  envers  lui,  du  bienfait  de  la  création? 
Permettez-moi  ,  chrétiens  ,  d'user  de  toutes  ces 
expressions.  Les  Pères  avant  moi  s'en  sont  servis, 
et  ce  seroit  une  délicatesse  mal  entendue,  d'avoir 
peine  à  parler  comme  eux ,  et  d'omettre  ces  magni- 
liques  éloges  que  la  piété  leur  iuspiroit,  et  que  la 
même  piété  nous  doit  rendre  vénérables. 

Ce  qui  me  paroît  plus  surprenant ,  reprend  l'ar- 


DE    LA    VIERGE.  lo5 

ehevêque  de  Ravenne,  c'est  que  le  Verbe  divin, 
qui  dans  le  ciel  ne  dépend  point  du  Père  dont  il 
est  produit,  ait  voulu  dépendre  sur  la  terre  de  la 
mère  en  qui  il  s'est  incarné.  Que  dis  je ,  mes  chers 
auditeurs?  le  Verbe  dépendant,  cela  peut-il  s'ac- 
corder avec  la  majesté  de  Dieu  ?  il  faut  bien  le  dire  , 
puisque  c'est  une  suite  de  la  maternité  de  Marie. 
Dès  là  que  je  la  reconnois  pour  mère  de  Dieu ,  non- 
seulement  je  puis ,  mais  je  dois  reconnoître  que  ce 
Dieu-homme  a  voulu  dépendre  d'elle;  qu'il  lui  a 
rendu  des  honneurs  et  une  obéissance  légitime  ; 
qu'il  s'est  soumis  à  son  pouvoir  ;  et  c'est  aussi  ce 
que  l'évangile  nous  a  expressément  marqué  par  ces 
courtes  paroles  :  Et  erat  subditus  il  lis  (1).  Pa- 
roles à  quoi  se  réduit  presque  tout  ce  que  nous  sa- 
vons de  la  vie  mortelle  du  Sauveur  juSques  au  temps 
de  sa  prédication.  Mais  encore  ,  demande  saint  Ber- 
nard ,  de  qui  parloit  l'Evangéliste  ?  est-ce  Dieu , 
est-ce  l'homme  qui  obéissoit  à  Marie  ?  Dieu  et 
l'homme  tout  ensemble ,  répond  ce  Père.  Or  voyez, 
poursuit-il ,  lequel  des  deux  est  plus  digne  de  votre 
admiration  ,  ou  la  soumission  du  Fils,  ou  l'empire 
de  la  mère?  Elige  utrum  mireris .  aut  Filii  be- 
neficentissimam  di  gnationem ,  aut  Matris  excel- 
lentissimam  dignitatem.  Car  voici  tout  à  la  fois 
deux  grands  prodiges  :  prodige  d'humilité,  que  Dieu 
soit  dépendaut  d'une  femme;  et  prodige  de  gran- 
deur ,  qu'une  femme  commande  à  Dieu  :  JJ trinque 
miraculuni)  et  quod  Deus  feminœ  obtemperet  9 

(l)  Luc,  2. 


IûG  SUR     L'ANNONCIATION 

humilifas  sine  eocemplo  ;  et  quod  Deo  femina 
prœcipiat,  sublimitas  sine  socio. 

De  là  ne  nous  étonnons  plus  qu'un  ange  descende 
aujourd'hui  du  ciel  pour  saluer  Marie  ,  qu'il  s'hu- 
milie en  sa  présence  ,  qu'il  l'appelle  pleine  de  grâce, 
qu'il  l'élève  au-dessus  de  toutes  les  femmes.  Ne 
nous  étonnons  plus  d'entendre  dire  à  saint  Au- 
gustin,  que  rien  après  Dieu  et  parmi  tous  les  êtres 
créés  n'est  égal  à  Marie  ,  et  n'est  même  comparable 
à  Marie.  Mais  surtout  ne  doutons  plus  du  pouvoir 
de  Marie  ni  de  sa  tendre  affection  pour  nous  ;  et 
sans  considérer  davantage  son  auguste  maternité 
par  rapport  à  Dieu  ,  regardons-la  maintenant  par 
rapport  aux  hommes  ,  et  tâchons  d'en  tirer  tous  les 
avantages  qu'elle  nous  promet. 

Car  je  dis  que  Marie  devenue  mère  de  Dieu  ,  de- 
vient par  là  même  la  mère  des  hommes  ,  la  pro- 
tectrice des  hommes,  la  coopératrice  du  salut  des 
hommes;  et  une  mère,  une  protectrice  ,  une  coo- 
pératrice toute  puissante  pour  les  hommes.  Prenez 
garde,  s'il  vous  plaît.  Mère  des  hommes,  puisque 
tous  les  hommes  sont  non-seulement  les  frères  , 
mais  les  membres  de  ce  Dieu-homme  qu'elle  porte 
dans  son  sein.  Protectrice  des  hommes ,  puisque 
c'est  en  faveur  des  hommes  qu'elle  est  choisie  ,  et 
qu'en  ce  sens  elle  doit  aux  hommes  son  élévation. 
Coopératrice  du  salut  des  hommes,  puisqu'elle  sert 
à  former  le  Sauveur  qui  vient  racheter  les  hommes, 
et  qu'elle  donne  le  sang  qui  doit  être  le  prix  de 
cette  rédemption  et  de  ce  salut.  Mais  j'ajoute  , 
mère  toute  puissante  ,  protectrice  toute  puissante, 


DE    LA    VIERGE.  IO7 

coopératrice  toute  puissante  :  pourquoi  ?  parce 
qu'en  qualité  de  mère  de  Dieu ,  elle  a  singulière- 
ment trouvé  grâce  auprès  de  Dieu. 

C'est  donc  aujourd'hui  que  Marie  nous  tend  les 
bras ,  pour  nous  admettre  au  nombre  de  ses  enfans , 
et  c'est  dans  cette  pensée  que  nous  devons  imiter 
le  zèle  et  la  piété  que  témoignèrent  les  chrétiens 
d'Ephèse  ,  lorsqu'ils  reçurent  le  jugement  de  l'E- 
glise universelle  à  la  gloire  de  cette  vierge  en  qui 
ils  avoient  mis  leur  confiance.  Le  fait  est  remar- 
quable ?  et  je  voudrois  que  les  hérétiques  de  notre 
siècle  y  fissent  toute  l'attention  nécessaire  ,  et  qu'ils 
apprissent  quels  étoient ,  il  y  a  plus  de  douze  cents 
ans  ,  les  sentimensdes  fidèles,  à  l'égard  de  Marie  , 
et  quels  doivent  être  encore  les  nôtres.  L'histoire 
nous  apprend  que  le  jour  où  l'on  devoit  conclure 
sur  la  divine  maternité  de  Marie  ,  tout  le  peuple 
parut  dans  les  rues  ,  remplit  les  places  publiques  , 
se  tint  autour  de  ce  fameux  temple  dédié  au  culte 
de  la  Vierge  ,  et  où  les  Pères  du  concile  étoient 
assemblés  ;  qu'au  moment  que  la  décision  fut  pu- 
bliée,  et  qu'on  entendit  que  Marie  étoit  maintenue 
dans  la  juste  possession  du  titre  de  mère  de  Dieu  , 
toute  la  ville  retentit  d'acclamations  et  de  cris  de 
joie  ;  que  les  Pères  sortant  pour  se  séparer,  furent 
comblés  de  bénédictions  ,  et  conduits  en  triom- 
phe; que  l'air  fut  éclairé  de  feux,  enfin  ,  que  rien 
ne  manqua  à  la  pompe  de  cette  réjouissance  com- 
mune ,  ni  à  l'éclat  de  la  glorieuse  victoire  que 
Marie  avoit  remportée.  Ah  !  chrétiens,  il  est  vrai , 
ce  peuple  fidèle  étoit  sensible  aux  intérêts  de  Marie , 


I08  SUR    L'ANNONCIATION 

et  agissoit  en  cela  par  un  esprit  de  religion  ,  mais 
en  s'intéressant  pour  Marie  ,  il  s'intéressoit  pour 
lui-même  ;  car  il  comptait  sur  le  secours  de  cette 
mère  de  Dieu  ,  et  il  savoit  ce  qu'il  en  devoit  atten- 
dre. Prenons  les  mêmes  sentimens  ,  et  tenons  la 
même  conduite.  Dans  ce  grand  jour  où  Marie  est 
déclarée  mère  de  Dieu,  rendons-lui  les  hommages 
qu'elle  mérite  ,  et  allons  au  pied  des  autels  lui  jurer 
une  fidélité  inviolable  ,  et  lui  renouveler  les  saintes 
protestations  du  plus  respectueux  et  du  plus  parfait 
dévouement.  Mais  ne  nous  oublions  pas  nous-mê- 
mes ;  et  pour  l'engagera  nous  faire  sentir  les  effets 
de  sa  médiation  ,  représentons-lui  l'étroite  alliance 
qui  l'unit  à  nous  et  qui  nous  unit  à  elle.  Disons-lui 
d'une  part,  comme  les  habitans  deBéthulie  disoient  à 
Judith  :  Tu  gloria  Jérusalem  ,  tu  lœtitia  Israël , 
tu  honorificenlia  popull  nostri  (i)  ;  Oui,  vierge 
sainte  ,  vous  êtes  l'ornement  de  Jérusalem,  le  bon- 
heur d'Israël ,  la  gloire  de  notre  peuple  ;  c'est-à- 
dire  ,  l'ornement,  la  gloire,  le  bonheur  de  l'Eglise. 
Quia  confortafum  est  cor  tuum  ,  eb  qubd  cas- 
tltateru  amaveris  (2)  :  parce  que  vous  étiez  pure 
dans  un  degré  de  perfection  qui  surpassoit  même 
la  pureté  des  anges,  vous  avez  eu  la  force  d'attirer 
du  ciel  le  Verbe  divin  ,  et  de  l'incorporer  à  notre 
chair.  Ideo  eris  benedicta  in  œternum  (5)  :  c'est 
pour  cela  que  nous  nous  humilions  devant  vous  , 
pour  cela  que  nous  vous  donnons  le  tribut  de  louan- 
ges qui  vous  est  dû,  pour  cela  que  nous  vous 
bénissons  ,  et  que  tous  les  siècles  après  nous  vous 

(1)  Judith.  i5.  —  (2)  lbid.  —  (3)  lbid. 


DE    LA    VIERGE.  1£)$ 

béniront.  Mais  d'autre  part,  reprenons,  chrétiens, 
et  ajoutons  ce  que  le  sage  et  zélé  Mardochée  dit  à 
la  reine  Esther  ,  lorsque  pour  l'exciter  à  prendre 
la  défense  des  Juifs,  menacée  d'une  ruine  pro- 
chaine ,  il  lui  remontra  que  si  Dieu  l'avoit  élevée 
sur  le  trône  ,  c'étoit  plus  pour  sa  nation  que  pour 
elle-même  :  Et  cuis  novit  ,utràm  idcircô  ad  ré- 
gnant veneris  ,  ut  in  tali  tempore  parareris  (i)  / 
Non  ,  ô  glorieuse  mère  de  Dieu  î  nous  ne  crain- 
drons point  de  le  dire  ,  car  nous  le  savons  ,  que  si  le 
Seigneur  vous  a  distinguée  entre  toutes  les  femmes  ; 
que  s'il  vous  a  honorée  de  la  plus  éclatante  dignité  , 
c'est  pour  nous  ;  et  voilà  ce  qui ,  dans  tous  les  états 
de  la  vie  ,  dans  toutes  les  conjonctures  et  tous  les 
temps  ,  nous  fera  recourir  à  vous  avec  confiance. 
ÎNous  vous  exposerons  nos  besoins,  nous  implo- 
rerons votre  intercession  :  et  vous  écouterez  nos 
vœux  ,  et  vous  les  présenterez  à  votre  Fils  ,  et  vous 
y  joindrez  les  vôtres ,  et  vous  ferez  descendre  sur 
nous  toutes  les  grâces  divines. 

N'en  doutons  point,  mes  chers  auditeurs ,  et 
puisque  nous  avons  une  telle  ressource  auprès  de 
Dieu  ,  apprenons  à  en  profiter.  On  vous  prêche  sans 
cesse  dans  la  chaire  la  sévérité  des  jugemens  de 
Dieu  ;  on  vous  dit  tout  ce  qui  peut  vous  intimider 
et  vous  effrayer:  ce  sentiment  est  bon  ,  et  je  dois 
travailler  moi-même  à  vous  imprimer  profondé- 
ment dans  l'ame  une  crainte  chrétienne  et  salutaire. 
Mais  de  s'en  tenir  là;  de  ne  vous  faire  entendre 
que  les  menaces  du  Seigneur;  de  ne  vous  faire 

(l)  Esther.  4. 


IIO  SUR    L'ANNONCIATION 

voir  que  les  difficultés  et  les  obstacles  qui  se  ren- 
contrent dans  la  voie  du  salut  ;  de  ne  vous  la  re- 
présenter ,   cette   voie ,    que  comme   un    chemin 
semé  d'épines   et  presque  impraticable  ,  c'est  un 
excès  qui  ne  corrige  rien  ,  et  qui  ne  va  qu'à  décou- 
rager et  à  désespérer.  Je  dois  donc  en  vous  faisant 
craindre,  vous  faire  espérer  ;  en  réprimant  voire 
présomption  ,  soutenir  votre  confiance  ;  je  dois  vous 
faire  connoître  les  moyens  que  la  miséricorde  dH> 
vine   vous  a  fournis  et  les  secours  qu'elle   vous  a 
ménagés;  je  dois  vous  consoler,  vous  animer,  vous 
fortifier.  Or  s'il  y  a  un  mystère  capable  de  produire 
ces  heureux*  effets ,  n'est-ce  pas  celui-ci  ?  Pourquoi  ? 
non-seulement  parce  que  c'est  le  mystère  d'un  Dieu 
fait  homme  ,  mais  d'une   vierge  devenue  mère  de 
Dieu  ;  et  en  qualité  de  mère  de  Dieu  ,  spécialement 
engagée  à  veiller  sur  les  hommes  ,  à    s'intéresser 
pour  les  hommes,  à  les  aider  de  tout  son  pouvoir, 
et  à  leur  servir  d'avocate  et  d'asile.  Vous  me  direz 
que  cette  confiance  dans  la  protection  de  Marie  , 
peut  autoriser  nos  désordres  ,  et  diminuer  en  nous 
le  zèle  de  la  pénitence  ;  mais  je  réponds  ,  moi ,  que 
si  c'est  une  vraie  confiance,  bien  loin  de  refroidir  ce 
zèle ,  elle  l'allumera. Faites-en  vous-même  l'épreuve , 
et  vous  le  verrez.  Vous  verrez,  dis-je ,  si  dévoué  à  la 
plus  sainte  des   vierges ,  vous  n'apprendrez  pas  à 
haïr  le  péché ,  si  vous  ne  vous  sentirez  pas  porté 
à  le  fuir  par  une  exacte  vigilance ,  et  à  l'expier  par 
une  sévère  pénitence;  si  de  vives  lumières  ne  vous 
éclaireront  pas,  pour  vous  en  faire  concevoir  i'énor- 
rnité  ;   si  de  solides  réflexions  ne  vous  toucheront 


DE  LA    VIERGE.  I  n 

pas,  pour  vous  en  faire  craindre  les  suites  affreuses  , 
et  pour  vous  les  faire  éviter  ;  si  mille  attraits  par- 
ticuliers ,  mille  grâces  intérieures  ne  vous  appel- 
leront pas  à  la  sainteté.  Car  voilà  les  fruits  ordi- 
naires d'une  solide  et  religieuse  confiance  dans  la 
protection  de  la  mère  de  Dieu.  Combien  de  justes 
ont  été  par  là  maintenus  ,  et  ont  persévéré  ?  com- 
bien de  pécheurs  ont  été  convertis ,  et  se  sont  sauvés  ? 
Je  le  répète  ,  combien  de  justes  ont  été  maintenus  , 
et  ont  persévéré?  c'étoient  des  justes  ,  mais  des 
justes  chancelans  dans  leur  état  d'innocence  et  de 
justice,  des  justes  assaillis  de  la  tentation,  com- 
battus par  leurs  passions  ,  presque  vaincus  par  le 
monde ,  et  sur  le  point  de  céder  enfin  et  de  tomber  , 
si  Marie ,  dans  des  conjonctures  si  périlleuses ,  n'eût 
été  leur  soutien;  et  comment?  non  par  elle-même , 
mais  par  une  grâce  victorieuse  que  son  intercession 
leur  a  obtenue  ,  et  qui  les  a  préservés.  Combien 
de  pécheurs  ont  été  convertis,  et  se  sont  sauvés  ? 
c'étoient  des  pécheurs ,  et  des  pécheurs  de  longues 
années  ,  des  pécheurs  d'habitude  :  il  n'y  avoit  plus  , 
ce  semble ,  de  salut  pour  eux  ;  et  chargés  de  dettes  , 
ils  commençoient  à  désespérer  de  la  miséricorde 
divine.  Mais  ils  se  sont  souvenus  que  Marie  étoit 
la  mère  des  pécheurs  ;  ce  qu'ils  ne  croyoient  pas 
pouvoir  demander  par  eux-mêmes ,  ils  l'ont  de- 
mandé par  elle,  et  ils  ont  été  exaucés;  dans  un 
heureux  moment  la  grâce  les  a  changés  ,  et  de  pé- 
cheurs qu'ils  étoient ,  en  a  fait  des  saints.  Miracles 
dont  ils  ont  rendu  raille  témoignages,  et  c'est  à  ces 
exemples  qu'il  faudrait  s'attacher  ,  et  non  point  à 


112  SUR    L'ANNONCIATION 

d'autres  plus  rares  ,  dont  on  voudroit  quelquefois 
tirer  de  si   injustes  conséquences.  Car  telle  est  en 
effet  notre  injustice:  parce  qu'il  s'en  trouve  peut- 
être  quelques-uns,  qui,  consacrés  en  apparence  au 
service  de  la  mère  de  Dieu ,  n'en  mènent  pas  dans 
la  pratique  une  vie  plus  réglée  ,   de  ces  exemples 
particuliers  ,  on  pense  avoir  droit  de  tirer  des  con- 
séquences générales  contre  le  culte  de  la  vierge, 
et  l'on  ne  considère  pas  que  c'a  a  été  ,  et  que  c'est 
tous  les  jours  pour  des  millions  d'autres  un  principe 
de  conversion  et  de  sanctification.  Ah  !  mes  chers 
auditeurs,  dans  un    siècle  où  les  dangers  sont  si 
fréquens ,  et  les  besoins  si  pressans  ,  ne  nous  pri- 
vons pas  du  secours  qui  nous  est  offert.  De  cet 
autel,  si  je  l'ose  dire,  et  de  ce  tabernacle  où  Jésus- 
Christ  repose ,  il  fait  encore  aujourd'hui  par  pro- 
portion et  pour  nous  ,  ce  qu'il  fit  sur  la  croix  pour 
son  bien-aimé  disciple.  Voilà  votre  mère  ,  lui  dit-il , 
en  lui  montrant  Marie  :  Ecce  mater  tua  (i)  ;   et 
dès  cette  heure ,  ce  disciple  que  Jésus-Christ  aimoit, 
commença  à  regarder  Marie  et  à  l'honorer  comme 
sa  mère   :  Et  ex  Ma  hord  accepit    eam  disci- 
pulus  in  sud  (2).  C'est  ainsi  que  nous  la  pouvons 
regarder  nous-mêmes»  Heureux  qu'elle  daigne  bien 
nous   recevoir   au  nombre    de    ses  enfans  !  Nous 
reconnoîtrons  bientôt  que  ce  n'est  pas  en  vain  qu'elle 
porte  le  titre  de  mère  des  hommes  ,  si  de  notre  part 
ce  n'est  pas  en  vain  que  nous   portons  la  qualité 
d'enfans  de  Marie.  Mais  achevons,  et  voyons  com- 
ment ce  mystère  nous   élève  à  la   dignité   même 

(1)  Joan,  10.  —  (2)  Ibid. 


DE    LA    VIERGE.  IlS 

d'enfans  de  Dieu  :  c'est  le  troisième  avantage  qui 
nous  revient  de  l'alliance  du  Verbe  avec  la  chair, 
et  le  sujet  de  la  dernière  partie. 

TROISIÈME     PARTIE. 

C'étoit  une  erreur  des  païens  ,  et  une  erreur  aussi 
grossière  que  présomptueuse,  de  se  figurer  qu'ils 
étaient  les  enfans  des  dieux ,  parce  qu'ils  mettoient 
en    effet   au   nombre  des  dieux  ,  leurs    ancêtres. 
Mais  cette  erreur,  quoique  grossière,   comme  re- 
marque saint  Augustin,  ne  laissoit  pas  de  leur  ins- 
pirer de  hauts  sentimens  ;  parce  qu'il  arrivait  de  là 
que,  se  confiant  dans  la  grandeur  ou  dans  la  pré- 
tendue divinité  de  leur  origine,  ils  entreprenoient 
des  choses  difficiles  et  héroïques  avec  plus  de  har- 
diesse ,  ils  les  exécutaient  avec  plus  de  résolution  , 
et  en  venoient  à  bout  avec  plus    de  bonheur:  Et 
sic   animus   divinœ  stirpis  fiduciam   gerens , 
res    magnas   prœsumebat    audaciàs  ,  agebat 
vehementiàs ,  et  implebat  ipsd  felicitate  secu- 
riùs.  Ne  diroit-on  pas  que  parmi  ces  ténèbres  du 
paganisme  ,  il  y  avoit  dès-lors  quelque  rayon  ou 
quelque   commencement  du    christianisme  ;   et  ne 
semble-t-il  pas  que  la  Providence  ,  qui  sait  profiter 
du  mal  même  ,   se  servoit  des  erreurs  des  hommes 
pour  préparer  déjà  le  monde  à  la  vraie  religion  ? 
Oui ,  répond  excellemment  saint  Augustin  ,  il  étoit 
de   l'ordre    de    la  prédestination  et   du   salut   de 
l'homme ,  que  l'homme  fût  un  jour  persuadé  qu'il 
étoit  d'une  extraction  divine  ;  et  voilà  pourquoi 
Dieu  ,  par  un  effet  de  sa  grâce  toute-puissante  , 
tome  xi.  8 


Ïl4  sur    i/annqnciàtion 

a  voulu  que  cette  persuasion  ne  fût  ni  fausse  ni 
te'méraire.  C'était  dans  les  païens  une  vanité  ,  mais 
Je  mystère  que  nous  célébrons,  nous  a  fait  de 
cette  vanité  une  sainte  et  adorable  vérité.  Ceux-là 
se  flattoient  en  se  donnant  une  si  haute  origine  ,  et 
nous ,  si  nous  avons  une  moindre  idée  de  nous- 
mêmes  ,  nous  nous  méconnoissons  ,  nous  nous 
déshonorons  ,  nous  nous  dégradons.  Car  écoutons 
le  disciple  bien-aimé  ;  et  quoique  dans  un  autre 
discours,  j'aie  déjà  employé  le  même  témoignage 
pour  établir  la  même  vérité,  souffrez  que  je  le  re- 
prenne ,  et  que  je  vous  le  propose  dans  un  nouveau 
jour.  Ecoutons ,  dis-je ,  le  disciple  bien-aimé,  et 
sans  rien  perdre  de  l'humilité  chrétienne  ,  appre- 
nons de  lui  h  connoître  notre  véritable  noblesse. 
Voyez ,  mes  frères  ,  nous  dit-il  ,  dans  sa  première 
épître  canonique  ,  voyez  quel  amour  le  Père  céleste 
nous  a  marqué  ,  de  vouloir  que  l'on  nous  appelle, 
et  que  nous  soyons  en  effet ,  enfans  de  Dieu  :  Vi~ 
dete  qualem  charitatem  dédit  nobis  Pater , 
ut  fdil  Dei  nominemur  et  simu's  (i).  Il  est  vrai 
que  saint  Jean  parloit  en  particulier  aux  fidèles  qui 
ont  cru  en  Jésus-Christ,  et  qui  l'ont  reçu  :  mais  ce 
qu'il  disoiten  particulier  aux  fidèles, et  ce  qui  leur 
convient  spécialement ,  je  puis  en  général ,  et  dans 
un  sens  plus  étendu  ,  l'appliquer  à  tous  les  hommes. 
Car  c'est  à  tous  les  hommes ,  selon  l'expression  de 
ce  bien-aimé  disciple  ,  que  le  pouvoir  d'être  en/ans 
de  Dieu  a  été  donné  sans  différence  de  mérites  , 
sans  distinction  de  qualités  et  de  sexe  ,  aux  petits 

(i)  Joao.  3. 


DE    LA   VIERGE.  1 1 5 

aussi  bien  qu'aux  grands  ,  aux  pauvres  aussi  bien 
qu'aux  riches ,  aux  sujets  aussi  bien  qu'aux  rois  : 
Dédit  eis  potestatem  filios  Dei  fieri  (i). 

Or  je  prétends  que  cette  filiation  ainsi  établie 
est  une  suite  naturelle  de  l'incarnation,  et  le  troi- 
sième effet  de  l'alliance  du  Verbe  avec  notre  chair  : 
Et  Verbum  caro  factum  est  (2).  Car  le  Verbe 
divin  n'a  pu  se  revêtir  de  la  chair  de  l'homme  , 
sans  contracter  avec  les  hommes  la  plus  étroite  affi- 
nité :  et  du  moment  qu'il  nous  a  ainsi  unis  à  lui,  en 
sorte  que  nous  ne  faisons  plus  avec  lui  qu'un  même 
corps ,  ce  n'est  point  une  usurpation  pour  nous 
de  dire  à  Dieu  dans  un  sens  propre  et  réel ,  que 
nous  sommes  ses  en  fans  :  Ut  filii  Dei  nomi- 
nemur  et  simus  (3).  C'est  en  ce  sens  que  Clément 
Alexandrin  ,  parlant  du  nrystère  d'un  Dieu  fait 
homme  ,  et  relevant  les  avantages  infinis  que  nous 
en  retirons,  s'est  servi  d'uue  expression  bien  forte  , 
lorsqu'il  a  dit  que  Dieu  se  faisant  homme  ,  a  fait 
des  hommes  comme  autant  de  dieux  :  non  pas  après 
tout  que  nous  soyons  enfans  de  Dieu  dans  la  même 
perfection  que  l'homme-Dieu  ;  il  l'est  par  nature , 
et  nous  le  sommes  par  adoption  :  mais  cette  adop- 
tion divine  ne  nous  ennoblit-elle  pas  assez  ?  Dieu  , 
tout  Dieu  qu'il  est ,  pouvoit-il  nous  élever  plus 
haut ,  et  y  avoit-il  pour  nous  une  distinction  plus 
glorieuse  à  espérer?  Ce  n'est  ni  par  le  sang  ,  ni  par 
le  ministère  d'aucun  homme  ,  que  nous  sommes 
montés  à  ce  point  de  grandeur  :  le  penser  de  la 
sorte,  ce  seroit  ne  pas  connoître  et  la  bassesse  na- 

(1)  Joan.    i.  —  (2)  Ibid.  —  (3)  ïbid. 


Il6  SUR    L'ANNONCIATION 

turelle  de  l'homme,  et  l'excellence  de  la  dignité 
dont  nous  avons  été  honorés  :  Non  ex  sanguini- 
bus,  neque  ex  voluntate  carnis  (i).  Mais  toute 
la  gloire  de  cette  naissance  spirituelle  nous  vient  de 
Ja  volonté  de  Dieu  ,  de  la  prédestination  de  Dieu  , 
du  choix  et  de  la  grâce  de  Dieu.  Car  pour  m'en 
tenir  toujours  à  notre  mystère,  si  nous  sommes 
enfans  de  Dieu  ,  c'est  par  ce  même  Dieu-homme  , 
qui  dans  un  même  homme  a  su  si  bien  réunir  et 
allier  ensemble  sa  divinité  et  notre  humanité  :  Et 
Verbum  caro  factum  est.  Ainsi ,  dit  saint  Chry- 
sostôme ,  le  Fils  unique  de  Dieu  est  devenu  fils  de 
l'homme  ,  afin  que  les  enfans  des  hommes  devins- 
sent enfans  de  Dieu.  Et  ne  demandez  pas ,  ajoute 
saint  Augustin  ,  comment  les  hommes  ont  pu  naître 
de  Dieu  ,  puisqu'un  Dieu  lui-même  a  pu  et  voulu 
naître  des  hommes. 

Voyez  donc,  encore  une  fois,  jusqu'à  quel  excès 
s'est  portée  la  charité  de  votre  Dieu  :  Videte  qua- 
lem  charitatem  ;  mais  voyez  ensuite  quelles  con- 
séquences s'ensuivent  de  là  ;  voyez  ce  que  vous 
devez  à  Dieu  comme  enfans  de  Dieu,  et  ce  que 
vous  vous  devez  à  vous-mêmes  :  ce  que  vous  devez 
à  Dieu  ,  qui  vous  permet  de  l'appeler  votre  Père  , 
et  qui  l'est  en  effet  ;  ce  que  vous  vous  devez  à 
vous-mêmes  ,  qui  pouvez  vous  dire  enfans  de  Dieu, 
et  qui  avez  à  soutenir  une  si  noble  qualité  et  à  n'en 
pas  dégénérer.  Deux  points  qui  me  fournissent  une 
morale  bien  solide  et  bien  importante. 

Ce  que  vous  devez  à  Dieu  :  car  puisqu'on  vertu 

(i)  Joan.  i. 


DE    LA    VIERGE,  nj 

de  ce  mystère  et  par  l'alliance  du  Verbe  avec  notre 
chair,  nous  avons  le  même  Père  que  le  Verbe 
incarné ,  je  dis  aussi  que  nous  devons ,  à  l'égard 
de  ce  Père  tout  puissant,  tenir  par  proportion  la 
même  conduite  que  l'homme-Dieu  ,  et  prendre  les 
mêmes  sentimens  ;  c'est-à-dire ,  que  nous  devons 
avoir  la  même  obéissance  aux  ordres  de  Dieu  et 
le  même  zèle  pour  la  gloire  de  Dieu.  En  effet  ,  si 
le  Fils  de  Dieu  prend  aujourd'hui  dans  les  chastes 
entrailles  de  Marie  une  chair  semblable  à  la  nôtre  , 
c'est,  dit  l'Apôtre,  pour  obéir  à  son  Père,  pour  se 
conformer  aux  volontés  de  son  Père,  et  pour  ac- 
complir ses  adorables  desseins  ;  et  s'il  s'humilie 
jusqu'à  s'anéantir  lui-même  ,  c'est  pour  l'honneur 
de  son  Père  ,  et  pour  lui  rendre  toute  la  gloire  qui 
lui  avoit  été  ravie.  Or  voilà  notre  modèle.  Etre 
soumis  à  Dieu  ,  garder  fidèlement  et  constamment 
la  loi  de  Dieu  ,  glorifier  Dieu  par  une  vie  digne  de 
Dieu  ,  c'est  ainsi  que  nous  le  reconnoîtrons  pour 
Père.  Sans  cela  que  sert-il  de  lui  dire  ce  que  nous 
lui  disons  néanmoins  tous  les  jours  :  Notre  Père 
qui  êtes  dans  les  cieux  ;  si  nous  nous  révoltons 
contre  lui  sur  la  terre,  si  nous  le  renonçons  dans 
la  pratique  et  le  traitons  en  ennemi ,  que  sert-il  de 
lui  dire  :  Que  votre  nom  soit  sanctifié  ,  qu'il  soit 
connu  et  honoré  dans  tout  l'univers;  si  nous  le 
blasphémons  et  le  faisons  blasphémer  aux  autres  ? 
Car  ce  que  j'appelle,  selon  le  langage  de  l'Ecriture  , 
blasphémer  le  nom  du  Seigneur ,  c'est  outrager  le 
Seigneur  même  par  nos  déréglemens  et  nos  désor- 
dres :  et  ce  que  j'appelle  le  faire  blasphémer  aux 


u8  SUR     L'ANNONCIATION 

autres,  comme  saint  Paul  le  reprochoit  aux  Juifs  : 
Per  vos  blasphematw  nomen  Dei  (i),  c'est  les 
séduire  par  nos  paroles ,  les  engager  par  nos  exem- 
ples dans  nos  habitudes  criminelles,  et  les  cor- 
rompre par  nos  scandales.  Que  sert-il  de  lui  dire  : 
Que  votre  volonté  soit  faite;  si  nous  ne  suivons 
rien  moins  en  toutes  choses  que  la  volonté  de  Dieu, 
toujours  violant  sa  loi,  toujours  murmurant  contre 
sa  providence  ,  toujours  disposés ,  malgré  ses  pro- 
messes et  ses  menaces  ,  malgré  ses  défenses  ef  ses 
commandemens  les  plus  exprès  ,  à  écouter  la  pas- 
sion et  à  la  satisfaire,  quoi  qu'elle  demande  ?  Je 
sais  que  pour  garder  inviolablement  la  loi  de  Dieu  ; 
que  pour  donner  à  Dieu  par  la  sainteté  de  nos 
mœurs  toute  la  gloire  qu'il  attend  de  nous ,  ii  faut 
qu'il  en  coûte.  Mais  ,  chrétiens  ,  vous  en  doit-il 
jamais  autant  coûter  qu'il  en  coûte  aujourd'hui  à 
un  Dieu  ;  à  un  Dieu  que  son  Père  envoie  ,  et  qui 
suivant  la  mission  qu'il  avoit  reçue  ,  descend  du 
trône  de  sa  majesté  ,  et  vient  demeurer  avec  nous  ; 
à  un  Dieu  qui  ,  pour  réparer  l'injure  faite  à  son 
Père,  se  réduit  jusques  à  la  forme  d'un  homme, 
jusques  à  la  forme  d'un  esclave,  jusques  à  la  forme 
d'un  pécheur  ?  Ah  !  mes  frères ,  comprenons ,  si  nous 
le  pouvons,  par  l'obéissance  de  cet  homme-Dieu , 
combien  sont  sacrés  les  droits  du  Père  qui  nous  a 
donné  l'être  ,  et  qui  nous  donne  encore  dans  ce 
saint  jour  comme  une  nouvelle  naissance  en  nous 
adoptant  au  nombre  de  ses  enfans.  Comprenons  , 
par  les  anéantissemens  de  cet  homme-Dieu ,  de  quel 

(1)  Rom.  i2t 


DE    LA    VIERGE.  I  ïg 

prix  est  la  gloire  de  Dieu  ,  le  souverain  auteur  de 
tous  les  êtres,  et  doublement  notre  Créateur,  soi£ 
selon  la  nature ,  soit  selon  la  grâce.  Mais  de  là  même 
jugeons  ce  que  c'est  pour  un  homme  ,  surtout  pour 
un  chrétien,  que  de  refuser  à  ce  premier  maître  la 
soumission  et  les  services  que  nous  lui  devons  par 
tant  de  titres  ;  jugeons  ce  que  c'est  que  de  s'attacher  à 
lui  et  de  l'insulter ,  en  voulant  secouer  le  joug  d'une 
dépendance  si  incontestable  et  si  légitime;  jugeons 
ce  que  c'est  que  d'abandonner  ses  intérêts  ,  que  de 
s'opposer  à  ses  vues ,  que  de  s'obstiner  contre  ses 
ordres;  et  cela  tandis  qu'on  est  adorateur  du  monde  , 
tandis  qu'on  ne  manque  à  rien  de  tout  ce  qu'exige 
le  monde ,  tandis  qu'on  entreprend  tout  et  qu'on 
supporte  tout  pour  le  monde.  Si  je  suis  le  Seigneur 
et  votre  Père  ,  disoit-il  autrefois  à  son  peuple  , 
où  est  l'honneur  que  vous  me  rendez  ?  TJbï  est 
honor  meus  (i)?  où  est  le  respect  que  vous  me 
devez  ?  ubï  est  timor  meus  (2)  ?  Or  la  plainte  qu'il 
faisoit  à  son  peuple ,  il  peut  bien  nous  la  faire  à 
nous-mêmes  ;  mais  avec  cette  terrible  menace  , 
que  si  maintenant  nous  ne  l'honorons  pas  comme 
père  ,  nous  le  craindrons  un  jour  comme  juge  ; 
que  si  maintenant  nous  ne  sommes  pas  soumis  à 
sa  loi ,  nous  serons  un  jour  soumis  à  ses  châtimëns  ; 
que  si  maintenant  notre  vie  ne  sert  pas  à  le  glori- 
fier comme  Dieu  sanctificateur  ,  notre  éternelle 
réprobation  après  la  mort  servira  à  le  glorifier 
comme  Dieu  vengeur.Car  voilà ,  mes  chers  auditeurs, 
l'affreux  retour  à  quoi  il  faut  vous  attendre  de  la 

(»)  Malach.  1.  —  (2)  Ibid> 


I20  SUR    L'ANNONCIATION 

part  (l'un  père  si  indignement  méprisé,  et  si  juste- 
ment irrité. 

Je  dis  plus  ,  et  c'est  par  où  je  finis.  Outre  ce  que 
vous  devez   à  Dieu  ,  qui  vous  permet  de  l'appeler 
voire  père  ,  et  qui  l'est  en  effet  ,  voyez  encore  ce 
que  vous  vous  devez  à  vous-mêmes  ,  qui  pouvez 
vous  dire  enfans  de  Dieu  ,  et  qui  avez  à  soutenir 
une    si   noble   qualité  ,    et  à  n'en  pas  dégénérer. 
Comme  il   y  a   dans  le  monde  ,  et  selon  les  prin- 
cipes de  la  philosophie  humaine  ,  une  fierté  raison- 
nable et  sage,  qui ,  sans  vous  faire  dédaigner  per- 
sonne ,  vous  inspire  néanmoins  des  sentimens  gé- 
néreux ,  et  dignes   de  votre  naissance  et   de  votre 
rang;  je  puis  ajouter   que  ,  dans  la  religion  même 
que  nous  professons,  et  selon  les  règles  de  la  mo- 
rale évangélique  ,    il  y  a  une  fierté  sainte  et  toute 
chrétienne  ,  qui ,  sans  nous  enfler,  nous  remet  sans 
cesse  devant  les  yeux  le  caractère  dont  nous  som- 
mes revêtus  ,  et  nous  engage  à  y  conformer  nos 
œuvres.  C'est  ainsi  que  Je  prince  des  apôtres  repré- 
sentoit  aux  fidèles  ,  qu'ils  étoient  un  peuple  choisi 
et  distingué  :  Vos  aulem  genus  electum  (i)  ;  un 
peuple  conquis  :  populus  acquisitionis  (n);  une 
nation  sainte,  élevée  à  l'honneur  du  sacerdoce  et 
d'un  sacerdoce  royal  :  regale  sacerdolium  ,  gens 
sancta  (3).  C'est  ainsi  que  le  Docteur  des  gentils 
faisoit  souvenir  les  Ephésiens  qu'ils  étoient  les  en- 
fans  de  la  lumière  ;  d'où  il  concluoit  qu'ils  dévoient 
donc  se  comporter  et  vivre  en  enfans  de   lumière  : 
Ut  filil  lacis  ambulate  (4)  ;  et  c'est ,  chrétiens  , 
(0  i.  Petr.  2.  —  (a)  lbid.  —  (3)  lbid.  —  (/,)  Ephes.  5. 


DE    LA    VIERGE.  I2t 

ce  que  je  veux  conclure  moi-même  ,  en  vous  di- 
sant que  vous  êtes  enfans  de  Dieu.  Car  des  enfans 
de  Dieu  doivent-ils  penser  ou  agir  comme  des 
enfans  du  siècle  ?  est-il  une  contradiction  plus  sen- 
sible ?  en  est-il  une  plus  criminelle  et  plus  dam- 
nable  ?  des  enfans  de  Dieu  prévenus  de  toutes  les 
idées  du  siècle ,  et  du  siècle  le  plus  profane  ,  n'es- 
timant que  ce  que  l'esprit  du  siècle  leur  fait  estimer , 
n'aimant  que  ce  que  l'esprit  du  siècle  leur  fait 
aimer ,  ne  craignant  et  ne  fuyant  que  ce  que  l'es- 
prit du  siècle  leur  fait  craindre  et  haïr;  des  enfans 
de  Dieu  sujets  à  tous  les  vices  du  siècle,  et 
du  siècle  le  plus  corrompu  ,  aux  ressentimens  et 
aux  envies,  aux  colères  et  aux  emportemens,  aux 
impostures  et  aux  trahisons  ,  aux  désirs  ambitieux  et 
à  l'orgueil,  à  l'avarice,  à  la  mollesse, aux  débauches 
et  aux  plaisirs  les  plus  infâmes  :  est-ce  là  ce  qui  leur 
convient?  est-Ge  à  cela  qu'on  les  doit  reconnoître , 
ou  plutôt ,  n'est-ce  pas  lu  leur  honte?  n'est-ce  pas  pour 
eux  un  opprobre  ?  Qu'un  homme  d'une  certaine 
distinction  dans  le  monde  ,  soit  par  la  place  qu'il 
occupe ,  soit  par  le  sang  dont  il  est  sorti,  ait  commis 
une  action  lâche  ,  c'est  une  tache  que  rien  presque 
ne  peut  effacer.  De  quel  oeil  le  regarde-t-on  ,  et 
de  quel  œil  se  regarde-t-il  lui-même  ,  quand  il  vient 
à  considérer  d'un  sens  rassis  la  faute  qu'il  a  faite  , 
et  qui  le  couvre  de  confusion  ?  Or  est-il  moins 
houteux  à  des  hommes  nés  de  Dieu  ,  adoptés  de 
Dieu  ,  enfans  de  Dieu  ,  de  s'asservir  à  leurs  sens  , 
de  se  rendre  esclaves  de  leurs  passions, de  se  laisser 
dominer  par  les  brutales  cupidités  de  leur  chair, 


122  SUR    L'ANNONCIATION 

de  se  porter  à  toutes  les  injustices  qu'inspire  une 
avare  et  insatiable  convoitise  ,  de  nourrir  dans  leur 
cœur  des  haines  secrètes  et  invétérées,  d'y  con- 
cevoir les  plus  noirs  desseins  pour  se  tromper  e  t 
pour  se  vendre  les  uns  les  autres;  de  n'écouter 
jamais,  je  ne  dis  pas  la  religion  ,  mais  même  l'équité 
naturelle ,  la  bonne  foi  ,  la  raison  ?  Est-ce  pour 
former  un  tel  peuple  que  le  Fils  unique  de  Dieu 
est  venu  sur  la  terre  ,  et  qu'il  a  voulu  demeurer 
parmi  les  hommes  ?  ou  n'est-ce  pas  pour  former 
Un  peuple  parfait,  un  peuple  exempt  de  la  corrup- 
tion du  monde,  un  peuple  affranchi  de  ces  malheu- 
reuses concupiscences  par  où  le  péché  s'est  introduit 
dans  le  monde  et  s'y  établit  tous  les  jours  :  un 
peuple  chrétien  ,  non-seulement  de  nom  ,  mais  de 
pratique  et  d'action  :  Parare  Domino  plebem 
perfectam  (i)  ?  Ouvrons  donc  ,  mes  frères,  ou- 
vrons les  yeux  de  la  foi  ;  et  découvrant  avec  les 
yeux  de  la  foi  notre  dignité ,  sanctifiés  comme  nous 
le  sommes  par  l'alliance  d'un  Dieu ,  ne  retombons 
pas  dans  nos  premiers  égaremens  ,  ne  faisons  pas 
de  la  glorieuse  qualité  que  nous  portons  ,  un  vain 
titre  qui  nous  déshonore  lorsque  notre  conduite  le 
dément.  Si ,  m'adressant  ici  à  tant  de  grands  qui 
m'écoutent ,  j'avois  la  témérité  de  leur  dire  que 
leur  conduite  dément  leur  grandeur ,  leur  naissance  , 
leurs  ancêtres,  leur  rang,  ils  prendroient  ce  que 
je  dirois  pour  un  outrage,  et  combien  y  seroient-ils 
sensibles  !  Ne  le  soyons  pas  moins  au  juste  reproche 
qu'on  peut  nous  faire ,  que  nous  nous  rendons  in- 

(1)  Luc.  1. 


DE    LA    VIERGE.  125 

dignes  du  plus  beau  de  tous  les  noms,  qui  est  celui 
d'enfans  de  Dieu.  Verbe  éternel  et  consubstantiel 
à  votre  père ,  Dieu  comme  lui  ,  mais  homme 
comme  nous  ,  c'est  vous  qui  nous  l'avez  acquis  ? 
ce  beau  nom ,  et  c'est  par  vous  que  nous  sommes 
parvenus  à  ce  point  d'élévation.  Ne  permettez  pas 
que  nous  venions  jamais  à  en  déchoir  :  surtout  ne 
permettez  pas  que  nous  perdions  le  fruit  de  cette 
rédemption  surabondante  dont  vous  voulez  être 
vous-mêmes  le  prix.  Et  vous  ,  Vierge  sainte  ,  puis- 
que c'est  dans  votre  sein  que  ce  grand  ouvrage  est 
aujourd'hui  commencé ,  aidez-nous  à  le  soutenir 
et  à  y  mettre  toute  la  perfection  qui  doit  dépendre 
de  notre  fidélité  et  de  nos  soins.  C'est  ainsi  qu'après 
avoir  vécu  comme  de  dignes  enfans  de  Dieu  ,  nous 
aurons  part  à  la  gloire  des  élus  de  Dieu  ,  où  nous 
conduise ,  etc. 


PREMIER  SERMON 

SUR 

LA  PURIFICATION  DE  LA  VIERGE. 


Postquàm  impleti  sunt  dies  purgationis  ejas  secundùm 
legem  Moysi ,  taleruut  illam  ia  Jérusalem  ,  ut  sisterent 
eum  Domino. 

Le  temps  de  la  purification  de  Marie  étant  accompli 
selon  la  loi  de  Moïse  ,  ils  portèrent  V enfant  à  Jérusa- 
lem ,  pour  le  présenter  au  Seigneur.  Eu  saint  Luc  > 
chap.  2. 

Sire, 

Cet  enfant  qui  est  aujourd'hui  porté  à  Jérusalem, 
c'est  le  Fils  unique  de  Dieu  ,  égal  à  son  Père ,  éter- 
nel comme  lui,  et  Dieu  comme  lui.  Celle  qui  le 
porte ,  c'est  Marie  ,  mère  de  Dieu  ,  la  plus  sainte  de 
toutes  les  femmes,  et  la  plus  remplie  de  grâce.  Le 
sujet  pourquoi  elle  le  porte,  c'est  afin  de  le  présenter 
à  Dieu;  et  l'Evangéliste  s'arrètant  à  une  circons- 
tance bien  remarquable,  ajoute  que  tout  cela  se 
fait  selon  la  loi  :  Sicut  scriptum  est  in  lege  Do- 
mini  (i).  Comme  si,  ni  Marie,  ni  Jésus-Christ 
même,  ne  pouvoient  avec  bienséance  paroître  de- 
vant Dieu  qu'en  observant  la  loi  ;  comme  si  leur  sa- 
crifice ,  tout  divin  qu'il  est,  ne  devoit  être  agréé 

(l)   Luc.  2. 


SUR    LA    PURIFICATION     DE    LA   VIERGE.       125 
<îe  Dieu  qu'autant  qu'il  se  trouveroit  conforme  à  sa 
loi  ;  comme  si  l'ouvrage  du  salut  et  de  la  rédemp- 
tion des  hommes  dépendoit  de   l'accomplissement 
delà  loi.  Que   signifie  cela?  c'est,  chrétiens,   le 
mystère  que  j'entreprends  de  développer,  et  le  point 
auquel  je  m'attache  pour  votre  instruction  et  votre 
édification.  Cette  obéissance  à  la  loi  du  Seigneur , 
cette  obéissance  que  la  présentation  d'un  Dieu  sau- 
veur et  la  purification  d'une  mère  vierge  nous  prê- 
chent si  hautement ,  cette  vertu  si  inconnue ,  et 
néanmoins  si  nécessaire ,  voilà  l'importante  matière 
que  me  fournit  la  solennité  de  ce  jour.  Divin  esprit, 
vous  qui  sanctifiâtes  Marie  par  la  pratique  et  l'ob- 
servation de  la  loi ,  et  qui  la  conduisîtes  dans  le 
temple  pour  y  offrir  son  sacrifice  comme  il  étoit  or- 
donné dans  la  loi ,  remplissez-nous  des  mêmes  sen- 
timens  dont  son  ame  bienheureuse  fut  alors  péné- 
trée ;  donnez-nous  comme  à  elle  une  haute  idée  de 
cette  sainte  et  adorable  loi  du  Seigneur;  faites-nous 
bien  comprendre  que  sans  cette   loi  il  n'y  a  dans 
nous  que  corruption  et  que  désordre  ;  en  sorte  que 
du  moment  que  nous  sortons  hors  des  bornes  de 
cette  loi ,  nous  devenons  incapables  de  tout  bien  et 
déterminés  à  tout  mal.  Tant  de  crimes  qui  se  com- 
mettent tous  les  jours ,  et  que  je  puis  appeler   les 
abominations  et  les  horreurs  de  notre  siècle ,   en 
sont  une  preuve  visible  :  mais  peut-êfre  l'endur- 
cissement de  nos   cœurs  feroit-il   perdre  à  cette 
preuve  toute  sa  force ,  si  les  lumières  de  votre  grâce 
ne  venoient  au  secours  de  nos  réflexions.  Je  parle 
devant  le  plus  grand  roi  du  monde  ;  et  sûr  que  je 


126  SUR   LA  PURIFICATION 

suis  de  sa  religion  ,  je  ne  crains  point  de  parler  avec 
trop  de  liberté,  tandis  que  je  parle  pour  les  inté- 
rêts de  la  loi  de  Dieu.  Je  ne  vous  demande  pas 
même ,  ô  mon  Dieu  !  comme  la  vertueuse  Esther , 
que  mes  paroles  lui  plaisent;  parce  que  je  me  pro- 
mets de  sa  piété ,  qu'en  lui  parlant  de  l'excellence 
et  de  la  prééminence  de  votre  loi ,  non-seulement 
je  lui  plairai,  mais  je  le  persuaderai  et  le  toucherai. 
J'ai  besoin  néanmoins,  Seigneur,  de  votre  secours  ; 
et  pour  l'obtenir,  je  m'adresse  à  Marie,  en  lui  di- 
sant :  Ave ,  Maria. 

C'est  le  propre  de  l'esprit  de  l'homme  ,  de  n'avoir 
rien  d'uniforme  dans  ses  sentimens  ,  d'être  souvent 
contraire  à  lui-même  ,  et  de  donner ,  selon  les  si- 
tuations diverses  où  il  se  trouve ,  dans  des  extré- 
mités tout  opposées.  Cela  se  vérifie  en  mille  sujets, 
mais  particulièrement  en  celui  que  j'ai  entrepris  de 
traiter,  qui  est  l'obéissance  et  la  soumission  due  à 
la  loi  de  Dieu.  Car  je  découvre  deux  principes  dif- 
férens  ,  qui  forment  dans  l'homme  une  double  op- 
position à  cette  obéissance  :  tellement  que  nous 
pouvons  dire  aussi  bien  que  l'Apôtre  :  Je  sens  dans 
moi-même  une  loi  secrète  qui  répugne  à  la  loi  de 
mon  Dieu,  et  qui  me  captive  sous  la  loi  du  péché. 
Ces  deux  principes  ,  suivant  la  belle  réflexion  de 
saint  Ambroise ,  sont  l'orgueil  de  l'homme  et  sa 
lâcheté:  l'orgueil  de  l'homme,  qui  lui  fait  oublier 
ce  qu'il  doit  à  Dieu  ;  et  sa  lâcheté ,  qui  l'empêche 
de  voir  ce  qu'il  peut,  et  de  quoi  il  est  capable  avec 
le  secours  de  Dieu  :  l'orgueil  de  l'homme ,  qui  le 


DE    LA   VIERGE.  127 

rend  insolent  et  libertin  ;  et  sa  lâcheté  qui  le  rend 
foible  et  pusillanime.  L'orgueil  de  l'homme  qui,  à 
l'égard  de  Dieu  même ,  lui  inspire  de  la  hauteur;  et 
sa  lâcheté  qui ,  à  l'égard  de  ses  devoirs ,  le  jette 
dans  l'abattement  :  l'un  et  l'autre,  pour  lui  faire 
violer  cette  souveraine  et  divine  loi  que  Dieu  lui  a 
imposée,  mais  dont  la  servitude,  quoiqu'aimable, 
du  moment  qu'il  se  pervertit,  commence  à  lui  dé- 
plaire et  à  lui  devenir  odieuse.  Or  je  veux ,  chré- 
tiens, combattre  aujourd'hui  ces  deux  désordres; 
et  parce  que  l'accomplissement  de  la  loi  consiste 
à  éviter  également  ces  deux  extrémités  dangereuses, 
soit  en  se  soumettant  avec  humilité  à  ce  que  la  loi 
commande ,  soit  en  s'elForçant  avec  courage  de  sur- 
monter ce  qu'il  y  a  dans  la  loi  de  difficile ,  mon  des- 
sein est  de  graver  bien  avant  dans  vos  esprits  et 
dans  vos  cœurs  ces  deux  obligations ,  et  de  vous 
mettre  pour  cela  devant  les  yeux  l'obéissance  que 
pratique  aujourd'hui  Marie  :  car ,  sans  sortir  de  mon 
mystère,  vous  verrez  dans  la  personne   de   cette 
vierge  offrant  son  Fils  en  sacrifice  ,  le  modèle  d'une 
obéissance  solidement  humble  ,  et  d'une  obéissance 
courageuse  et  héroïque  :  d'une  obéissance  solide- 
ment humble  ,  qui  confond  notre  orgueil;  et  d'une 
obéissance  héroïque ,  qui  condamne  notre  lâcheté. 
Prenez  garde  :  Marie,   dans  la   cérémonie  de  ce 
jour,  accomplit  la  loi  du  Seigneur;  et  cette  loi, 
comme  l'évangile  nous  le  fait  assez  entendre,  est 
infiniment  rigoureuse  pour  elle.  En  ce  qu'elle  obéit 
a  la  loi ,  je  trouve  la  confusion  de  notre  orgueil  ; 
ce  sera  la  première  partie  :  en  ce  qu'elle  surmonte 


123  SUR    LA    PURIFICATION 

toutes  les  difficultés  de  la  loi,  je  trouve  la  condam- 
nation de  notre  lâcheté;  ce  sera  la  seconde  partie  : 
deux  points  que  j'ai  à  développer,  et  qui  vont 
faire  le  partage  de  ce  discours  et  le  sujet  de  votre 
attention. 

PREMIÈRE    PARTIE. 

Nous  nous  élevons  au-dessus  de  la  loi  de  Dieu  ; 
et  cela  ,  chrétiens  ,  nous  arrive  en  deux  manières  : 
l'une ,  que  j'appelle  révolte  du  cœur  ,  lorsque,  sans 
nous  expliquer  autrement  que  par  nos  œuvres  , 
nous  disons  intérieurement  comme  l'ange  rebelle  : 
Non  serviam  (i);  Il  m'en  coûteroit  trop  pour 
vivre  dans  cette  servitude  :  que  Dieu  ordonne  tout 
ce  qu'il  lui  plaira,  je  ne  me  soumettrai  point  à  sa 
loi;  l'autre,  que  je  considère  comme  la  plus  perni- 
cieuse erreur  de  notre  esprit,  lorsque  nous  trom- 
pant nous-mêmes  ,  nous  cherchons  des  prétextes  et 
nous  nous  formons  des  consciences  pour  nous  dis- 
penser des  obligations  de  la  loi.  Or  le  mystère  que 
nous  célébrons  confond  hautement  ces  deux  entre- 
prises de  notre  orgueil;  et  c'est,  comme  vous 
allez  voir,  ce  qui  paroît  d'abord  dans  la  pré- 
sentation de  Jésus-Christ  et  dans  la  purification  de 
Marie. 

Quoique  nés  dépendans  et  sujets  de  Dieu  ,  nous 
avons,  mes  frères,  un  penchant  à  nous  révolter 
contre  la  loi  de  Dieu  qui  nous  domine  :  voilà  l'ori- 
gine de  toute  la  corruption  de  l'homme.  Prenant 
l'homme  en  particulier ,  et  selon  la  différence  des 

(i)   Jcrem.  2. 


DE   LA    VIERGE.  1 29 

conditions  qui  partagent  le  monde  ,  voilà  le  péché 
capital  des  grands  du  siècle,  qui,  de  leur  état,  se 
font  un  principe  d'indépendance,  comme  si  la  loi 
de  Dieu  n'étoit  pas  faite  pour  eux  ;  comme  si  Dieu 
en  la  portant  avoit  dû  les  excepter;  comme  s'il  n'é- 
toit pas  au  contraire  de  l'empire  de  Dieu  qu'il  y 
eût  pour  eux  un  législateur  et  une  loi  ;  afin  ,  disoit 
le  Prophète  royal,   de  leur  apprendre  qu'ils  sont 
hommes  :  Constitue  legislatorem  super  eos ,  ut 
sciant  quoniam    homines  sunt  (1).  Donnons  à 
cette  morale  toute  son  étendue.  Voilà ,  dis-je  ,  en 
général ,  le  péché  des  impies  et  des  libertins ,  qui , 
jusque  dans  l'obscurité   des  plus  médiocres  for- 
tunes ,  ont  souvent  à  l'égard  de  Dieu  des  cœurs 
aussi  indociles  que  ceux  qui  tiennent  dans  le  monde 
les  premiers  rangs  ;  la  licence  et  l'impiété  faisant 
dans  les  uns  ce  que   l'abus  de  la  grandeur  et  de 
l'élévation  fait  dans  les  autres.  Mais  Marie  obéissant 
à  la  loi  de  Moïse ,  et  se  purifiant  dans  le  temple , 
confond  bien  là-dessus ,  malgré  nous  ,  notre  con- 
duite. Car  enfin  elle  étoit  reine,  elle  étoit  mère  de 
Dieu  ,  elle  étoit ,  comme  mère  de  Dieu  ,  en  posses- 
sion d'une  autorité  légitime  sur  l'auteur  même  de 
la  loi;   et  par  conséquent  elle  avoit  tous  les  titres 
d'indépendance  que  peut  avoir  au-dessous  de  Dieu 
une  pure  créature.  Il  est  vrai  :  mais  c'est  justement 
pour  cela  que  Dieu  veut  qu'elle  s'assujettisse  à  la 
loi,  afin  de   détruire   par  son  exemple  l'indépen- 
dance criminelle  que  nous  affectons  ;  afin  de  con- 
damner notre  libertinage  par  une  preuve  convain- 

(1)  Psalm.  9. 

TOME  XI.  9 


l3o  SUR  LA  PURIFICATION 

cante  et  sans  réplique.  Car  si  dans  l'ordre  de  la  ré- 
demption ,  dont  le  secret  adorable  se  développe  au- 
jourd'hui à  nos  yeux ,  une  mère  de  Dieu  ,  toute  mère 
de  Dieu  qu'elle  est,  n'est  pas  exempte  d'obéir;  de 
quel  front  pouvons-nous  soutenir  devant  Dieu  Tin- 
justice  et  la  témérité  de  nos  désobéissances?  Marie 
fait  quelque  chose  encore  de  plus  ;  et  quoi  ?  non- 
seulement  elle  se  soumet  à  la  loi,  mais  elle  y  sou- 
met son  Fils,  ce  Fils  qui  plus  grand,  plus  libre, 
plus  absolu  qu'elle ,  et  néanmoins  voulant  bien  être 
soumis  par  elle  ,  fournit  encore  à  Dieu  contre  nous 
une  raison  mille  fois  plus  touchante  pour  réprouver 
et  pour  confondre  cet  esprit  d'orgueil  qui  nous  rend 
prévaricateurs.  C'est-à-dire,  Marie  soumet  à  la  loi 
Ja  grandeur  même ,  à  la  loi  la  puissance  même ,  à 
la  loi  l'indépendance  et  la  souveraineté  même.  Car 
voilà  le  double  miracle  que  le  ciel  nous  découvre 
dans  cette  fête,  une  reine  sujette ,  et  assujettissant 
un  Dieu  ;  un  Dieu  obéissant ,  et  présenté  par  une 
mère  obéissante  :  pourquoi  ?  ah  !  mes  chers  audi- 
teurs ,  comprenez-le  bien.  Vous  qui  tenez  dans  le 
monde  les  premiers  rangs ,  et  vous  qui  vous  trouvez 
réduits  aux  derniers;  vous  que  vos  conditions  dis- 
tinguent, et  vous  qu'elles  ne  distinguent  pas  ;  grands 
et  petits,  riches  et  pauvres,  car  je  suis  redevable  à 
tous,  écoutez-moi  :  c'est  ici  que  l'intelligence  d'une 
des  plus  importantes  vérités  vous  est  donnée ,  et 
c'est  par  la  comparaison  même  de  vos  états  que  je 
vais  vous  la  rendre  sensible. 

Pourquoi  un  homme-Dieu  sujet  à  la  loi  ?  pour 
vous  faire  entendre ,  grands  du  monde  ,  l'obligation 


DE    LA    VIERGE.  ï3î 

spéciale  où  vous  êtes  de  vivre  dans  un  parfait  assu- 
jettissement aux  lois  de  Dieu.  Vous  ne  l'avez  peut- 
être  jamais  bien  conçue;  et,  par  un  renversement 
de  raison  et  de  religion  ,  vous  vous  flattez  que  la  ri- 
gueur des  lois  divines  n'est  pas  pour  vous  comme 
pour  le  reste  des  hommes  :  mais  détrompez-vous 
aujourd'hui  de  cette  fausse  prévention ,  et  pour 
cela  entrez  en  esprit  dans  le  temple  de  Jérusalem  : 
car  vous  y  verrez  la  maxime  contraire  solidement 
établie;  et  pour  peu  que  vous  vous  appliquiez  à 
considérer  le  mystère  de  ce  jour ,  vous  conclurez 
que  les  lois  divines  vous  regardent  encore  plus  par- 
ticulièrement que  le  reste  des  hommes ,  quoiqu'elles 
soient  pour  tous  sans  exception.  Vous  me  demandez 
sur  quoi  est  fondée  cette  conséquence  :  sur  trois 
raisons  que  vous  devez  méditer  tous  les  jours  de 
votre  vie.  Première  raison  ,  c'est  que  plus  vous  avez 
dans  le  monde  ou  de  naissance  ou  de  pouvoir, 
plus  vous  êtes  capables  de  rendre  à  Dieu  l'hommage 
qui  lui  est  dû  en  qualité  de  souverain  législateur; 
comme  il  est  vrai  de  dire  que  Jésus-Christ ,  en  se 
réduisant  sous  la  loi ,  a  eu  seul  l'avantage  d'honorer 
la  souveraineté  de  Dieu  autant  qu'elle  mérite  de 
l'être.  Motif  admirable  pour  vous  engager ,  tout 
élevés  et  tout  puissans  que  vous  êtes,  à  une  obéis- 
sance exacte.  Dieu  trouve  en  vous ,  quand  vous 
accomplissez  sa  loi ,  une  gloire  particulière  ;  et  il 
ne  tient  qu'à  vous  de  la  lui  procurer  ,  cette  gloire  , 
qui  plus  que  tout  autre  contribue  à  sanctifier  son 
nom  ,  et  dont  par  là  même  il  est  si  jaloux.  Seconde 
raison ,  c'est  que  Dieu  ne  vous  a  distingués  dans 


l3z  SUR.   LA   PURIFICATION 

le  monde ,  que  pour  le  glorifier  de  la  sorte  :  car  ne 
croyez  pas  ,  chrétiens ,  qu'il  y  ait  des  hommes  ,  ou 
revêtus  d'honneurs ,  ou  pourvus  de  biens ,  pour  être 
plus  en  droit  que  les  autres  de  faire  leurs  volontés, 
et  de  vivre  selon  leurs  lois.  Cela  ne  peut  être  ,  et 
Dieu,  dont  la  toute-puissance  est  inséparable  de 
sa  sagesse  et  de  sa  sainteté,  n'a  pu,  dans  l'inéga- 
lité des  conditions  humaines,  se  proposer  une  telle 
fin  ;  les  rois  mêmes ,  qui,  selon  l'expression  du  Saint- 
Esprit,  sont  comme  les  divinités  de  la  terre,  ne 
régnent  que  pour  servir  le  Seigneur  :  Et  reges  ut 
serviant  Domino  (i).  Voilà  l'ordre  de  la  Provi- 
dence et  même  de  la  création  ,  selon  lequel  ce  qui 
approche  le  plus  de  Dieu  n'est  défini  que  par  une 
servitude  plus  immédiate,  et  une  plus  grande  dé- 
pendance de  Dieu.  Et  pourquoi  cet  ordre  ne  subsis- 
teroit-il  pas ,  puisque  Jésus-Christ ,  qui  est  le  chef 
des  prédestinés ,  n'a  été  prédestiné  lui-même  que 
pour  y  être  soumis  ?  En  quoi  consiste  tout  le  mys- 
tère de  son  humanité  ?  Saint  Paul  nous  l'enseigne  en 
deux  mots  ,  dont  nous  voyons  aujourd'hui  l'accom- 
plissement :  Misit  Deus  Filium  suum  factum  eoc 
muliere ,  factum  sub  lege  (2);   un  Dieu  formé 
d'une  femme  pour  être  assujetti  à  la  loi.  Voilà  l'idée 
que   nous  en  donne  l'Apôtre  ;  voilà  pourquoi  ce 
Fils  de  Dieu  a  été  envoyé  :  hors  de  là  ce  Verbe  di- 
vin ne  se  seroit  jamais  fait  chair,  et  sans  cela  il 
n'y  auroit  point  eu   de  Dieu-homme.  Serez-vous 
donc  surpris,  ou  devez-vous  l'être,  quand  j'ajoute 
que  sans  cela  il  n'y  auroit  dans  le  inonde  ni  qua- 

(1)  Va.  101.  —  (a)  Galat.  4. 


DE    LA    VIERGE.  1 3o 

Jite,  ni  dignité,  ni  rang,  ni  fortune,  mais  que  Dieu 
vous  auroit  laissés  dans  le  néant;  et  que,  s'il  vous 
en  a  tirés, c'est  afin  que  sa  loi  eût  en  vous  des  ob- 
servateurs fidèles  et  de  zélés  défenseurs.  Je  dis  plus, 
et  c'est  la  troisième  et  dernière  raison  :  Dieu ,  en 
vous  plaçant  au-dessus  du  commun  des  hommes , 
a  prétendu  vous  proposer  au  monde  comme  des 
modèles  de  la  sainte  dépendance  que  je  vous  prêche; 
de  même  que  Jésus-Christ  et  Marie  n'ont  paru  dans 
Je  temple  du  Seigneur  que  pour  être  l'exemple  d'une 
inviolable  fidélité  et  d'une  parfaite  soumission  à  sa 
loi.  C'est-à-dire,  selon  saint  Grégoire  pape,  que 
Dieu  prétend  que  les  petits  apprennent  des  grands 
à  lui  obéir,  et  que  les  grands  se  considèrent  sur  ce 
point  comme  la  règle ,  à  quoi  les  petits  ne  manquent 
jamais  de  se  conformer. 

Ceci  me  donne  lieu  de  parler  maintenant  à  vous , 
mes  frères ,  à  vous  dont  le  salut  me  doit  être  d'au- 
tant plus  cher ,  et  les  âmes  plus  précieuses,  qu'ayant 
moins  de  part  aux  avantages  du  siècle  ,  vous  par- 
ticipez moins  à  ses  désordres  et  à  sa  corruption  ;  à 
vous  que  Dieu  a  fait  naître  dans  des  conditions 
plus  obscures,  et  dont  il  semble  que  la  destinée, 
ou ,  pour  mieux  dire  ,  la  vocation  se  termine  à  dé- 
pendre et  à  obéir.  Pourquoi  une  mère  de  Dieu ,  et 
par  son  ministère  un  homme-Dieu  soumis  à  la  loi  ? 
pour  trois  autres  raisons  qui  vous  regardent,  et  que 
je  vous  prie  de  n'oublier  jamais.  Pour  vous  consoler , 
pour  vous  instruire  ,  et  pour  vous  confondre.  Pour 
vous  consoler  de  l'état  où  vous  êtes,  et  qui  vous 
réduit  à  n'avoir  pour  partage  que  l'obéissance  :  c'est 


l34  SUR    LA    PURIFICATION 

l'état  que  Jésus-Christ  a  choisi ,  ayant  mieux  aimé 
prendre  la  forme  de  serviteur  que  celle  de  maître , 
et  se  soumettre  à  la  loi,  que  de  donner  la  loi;  pour 
vous  fortifier  par  cette  pensée,  que  ceux  qui  sont 
plus  élevés  que  vous  dans  le  monde ,  sont  sujets 
comme  vous  à  la  loi  de  Dieu  ,  seront  jugés  aussi 
bien  que  vous  selon  la  loi  de  Dieu  ,  n'éviteront  pas 
plus  que  vous  le  tribunal  où  tout  doit  être  décidé 
par  la  loi  de  Dieu  :  voilà  votre  consolation.  Pour 
vous  instruire  de  la  manière  dont  vous  devez  obéir  , 
je  veux  dire  aux  hommes  pour  Dieu,  et  à  Dieu  dans 
les  hommes  ;  en  sorte  que  votre  obéissance  ne  s'ar- 
rête pas  à  l'homme  ,  mais  qu'elle  s'élève  à  Dieu 
comme  à  sa  fin  et  à  son  principal  objet  :  Sicut 
Domino  ,  et  non  hominibus  (  i  )  ;  que  vous  re- 
gardiez ces  hommes  de  qui  vous  dépendez ,  comme 
les  images  de  Dieu  ;  que  vous  respectiez  leurs  lois, 
comme  des  écoulemens  de  la  loi  de  Dieu  ;  que  vous 
receviez  leurs  commandemens,  comme  des  décla- 
rations expresses  de  la  volonté  de  Dieu  :  vous  souve- 
nant que  sans  cela  l'obéissance  que  vous  leur  ren- 
dez n'est  qu'une  obéissance  servile,  qu'une  obéis- 
sance païenne,  qu'une  obéissance  réprouvée  dont 
Dieu  ne  vous  tiendra  jamais  nul  compte ,  et  dont 
vous  perdez  tout  le  fruit,  parce  que  vous  ne  la  pra- 
tiquez pas  selon  ce  divin  exemplaire  qui  nous  est 
aujourd'hui  proposé  dans  la  présentation  d'un  Dieu 
sauveur ,  et  dans  la  purification  d'une  mère  vierge  : 
voilà  votre  instruction.  Mais  surtout,  pour  vous 
confondre  de  l'extrême  et  de  l'injuste  opposition 

(1)  Coloss.  3. 


DE   LA  VIERGE.  i35 

que  vous  avez  à  dépendre  de  Dieu  et  à  porter  le 
joug  de  sa  loi,  lorsqu'avec  tant  de  docilité  vous 
vous  faites  un  mérite,  du  moins  une  politique,  de 
dépendre  des  hommes.  Car  en  vous  comparant  vous- 
mêmes  avec  vous-mêmes,  voici,  mes  frères,  le 
sujet  de  ma  douleur,  et  ce  qui  me  fait  gémir.  Vous 
n'osez  désobéir  aux  hommes  ,  et  vous  désobéissez  à 
Dieu  ;  vous  êtes  souples  devant  les  hommes  ,  et  or- 
gueilleux devant  Dieu  ;  les  lois  des  hommes  vous 
contiennent  dans  le  devoir,  et  vous  violez  impu- 
nément celles  de  Dieu.  Saint  Paul  disoit  aux  Ephé- 
siens  :  Obedlte  dominis  carnalibus-,  sicut  Chris- 
to  (i);  Obéissez  à  vos  maîtres  selon  la  chair,  avec 
crainte  et  avec  respect ,  comme  à  'Dieu  même  : 
mais  s'il  m'étoit  permis  de  changer  la  proposition 
de  saint  Paul ,  peut-être  vous  dirois-je  volontiers  : 
Obéissez  à  votre  Dieu  comme  vous  obéissez  à  vos 
maîtres  selon  la  chair  :  et  c'est  là  ce  que  j'appelle 
votre  confusion.  Car  quelle  indignité  ,  que  je  me 
trouve  obligé  de  souhaiter  pour  vous  ,  qu'au  moins 
les  choses  ici  fussent  égales ,  et  de  me  contenter 
que  vous  eussiez  pour  votre  Dieu  une  obéissance 
aussi  prompte ,  aussi  humble ,  aussi  fidèle  que  celle 
qu'exigent  de  vous  les  hommes,  et  que  vous  .leur 
rendez  si  exactement  ! 

Je  sais,  mon  cher  auditeur,  que  cet  assujettis- 
sement aux  lois  de  Dieu  vous  paroît  gênant  et  hu- 
miliant; je  sais  que  vous  vous  aveuglez  jusqu'à  croire 
qu'il  répugne  à  cette  liberté  naturelle  dont  vous  êtes 
jaloux,  et  que  vous  ne  distinguez  pas  d'un  amour 

(i)  Ephes.  6. 


l36  SUR  LA    PURIFICATION 

déréglé  de  l'indépendance  et  d'un  esprit  de  liber- 
tinage. Mais  votre  ignorance  là-dessus  vient  encore 
de  n'avoir  pas  bien  pénétré  le  mystère  de  Jésus- 
Christ  et  de  Marie  obéissans  à  la  loi  du  Seigneur. 
Car ,  si  je  vous  disois  que  l'obéissance  à  cette  sainte 
loi,  bien  loin  d'humilier  l'homme,  fait  sa  véritable 
gloire  :  crue. plus  on  est  sujet  à  cette  loi,  plus  on 
est  heureux,  plus  on  est  libre,  plus  on  est  maître 
de  soi-même,  qu'en  cela  consiste  la  différence  de 
cette  loi  et  des  lois  humaines;  qu'au  lieu  que  l'af- 
franchissement des  lois  humaines  passe  pour  un  pri- 
vilège, le  grand  privilège  de  la  grâce,  selon  saint 
Augustin  ,  est  d'être  incapable  de  s'émanciper  de 
cette  loi;  que  David,  tout  roi  qu'il  étoit,  instruit 
d'un  secret  si  important,  envisageoit  comme  une 
béatitude  l'attachement  à  cette  loi,  faisoit  son  occu- 
pation la  plus  ordinaire  de  méditer  cette  loi,  ne 
trouvoit  point  de  repos  que  dans  l'observation  de 
cette  loi  :  Paoc  multa  diligentibuslegem  tuam(i)9 
ce  sont  autant  de  vérités  dont  la  raison  et  la  foi 
vous feroient , malgré  vous,  convenir. Mais  ne  fais-je 
pas,  pour  vous  en  convaincre,  quelque  chose  de 
plus,  quand  je  vous  propose  le  Saint  des   saints 
sanctifié  par  l'obéissance  qu'il  rend  à  cette  loi ,  ce 
premier-né  de  toutes  les  créatures  qui  s'assujettit 
à  cette  loi,  ce  Rédempteur  par  excellence,  qui 
veut  être  lui-même  racheté  selon  les  termes  de  cette 
loi  ;  quand  je  vous  représente  Marie  avec  toute  sa 
grandeur  et  son  auguste  maternité,  remplie  d'une 
sainte  joie,  parce  qu'à  l'exemple  de  son  Fils  elle  se 

(i)  Psalm.  iiô. 


BE   LA    VIERGE.  l3y 

conforme  à  cette  loi  ?  n'est-ce  pas  ,  dis— je ,  ce  qui 
doit  faire  plus  d'impression  sur  vos  esprits  et  sur 
vos  cœurs  ,  que  si  je  rapportois  tous  les  raisonne- 
mens  de  la  théologie  ? 

Après  cela  ,  chrétiens  ,  laissez-vous   encore  sé- 
duire par  les  fausses  maximes  du  siècle,  et  mettez 
le  bonheur  de   la  vie  dans  une  malheureuse  pos- 
session de  ne  dépendre   d'aucune  loi  ,  dans  une 
licence  criminelle  de  tout  entreprendre  au  préjudice 
de  la  loi ,  dans  un  oubli  de  vos    devoirs  qui  aille 
ou  à  méconnoître  votre  Dieu  ,  ou  à  vous  le  figurer 
comme  un  Dieu   fauteur  de    vos    désordres.  A  le 
méconnoître  ,    en  disant   avec  l'impie    Pharaon  : 
Quis  est  Dominas,  ut  audiam  vocem  ejus  (i)  ? 
Et  qui  est-il  ce  Dieu  dont  on  me  menace  sans  cesse , 
et  dont  on  m'oppose  la  loi ,  qui  est-il  pour  m'obliger 
à  me    contraindre  dans   mes  passions ,  dans  mes 
désirs  ,  dans  mes  desseins  ?  A  vous  le  figurer  comme 
un  Dieu  fauteur  de  vos  désordres  ,  en  disant  avec 
l'insensé  :  S'il  y  a  un  Dieu  ,  est-il  tel  qu'on  nous 
le  dépeint  ?  connoît-il  toutes  choses  ?  y  prend-il 
un  si  grand  intérêt  ?   s'ofïense-t-il  si  aisément  ?  a- 
t-il  une  justice  si  sévère  ?  est-il  si  terrible  dans  ses 
vengeances  ?  Et  dixerunt  :  Quomodô  scit  Deus  , 
et  si  est  s  tient  i  a  in  excelso  (2)  ?   Car  voilà  le 
langage  du  pécheur  ennemi  de  la  loi,  et  c'est  où 
conduit  enfin  l'esprit  du  monde.  On  n'en  vient  pas 
là  d'abord  ;  mais  par  un  progrès  infaillible  de  l'ha- 
bitude du  péché ,  on  s'accoutume ,  sinon  à  parler , 
du  moins  à  penser  et  à  vivre  ainsi.  A  force  de 

(1)  Exod.  5.  —  (a)  Ps.  72, 


ï38  SUR   LA    PURIFICATION 

violer  la  loi ,  la  crainte  de  Dieu  s'afToiblit ,  le  liber- 
tinage se  fortifie  et  prend  le  dessus.  Après  bien  des 
péchés  commis  et  bien  des  transgressions  réitérées  , 
on  se  trouve  dans  l'abominable  état  de  celui  qui  di- 
soit  en  insultant  à  Dieu:  Peccavi,  et  quid  mihi 
triste  accidit  (i)  !  J'ai  péché,  et  que  m'est-il 
arrivé  de  mal  ?  De  là  cette  tranquillité  que  l'on  con- 
serve même  en  péchant  ;  de  là  cette  hauteur  et 
cette  fierté  avec  laquelle  on  soutient  le  vice:  de  là 
cet  endurcissement  qui  y  met  le  comble.  On  re- 
jette sans  distinction  toute  loi  de  Dieu  qui  est  incom- 
mode :  si  l'on  en  respecte  quelqu'une ,  ce  n'est  pas 
parce  qu'elle  est  la  loi  de  Dieu  ;  mais  parce  qu'elle 
est  autorisée  des  lois  du  monde  ,  et  que  les  lois  du 
monde  forcent  à  la  garder.  Au  commencement  on 
sauve  les  dehors  ;  mais  à  la  fin  on  lève  le  masque , 
on  ne  se  contraint  plus  en  rien ,  on  ne  ménage  plus 
rien ,  et  Dieu  veuille  qu'on  ne  fasse  pas  même  gloire 
de  son  impiété  et  de  ses  excès  ?  Voilà  ce  que  les 
saints  et  les  serviteurs  de  Dieu  ont  tant  déploré, 
et  ce  qu'ils  déplorent  tant  tous  les  jours  ;  voilà  ce 
qui  leur  a  fait  répandre  des  larmes.  Defectio  te- 
nuit  me  pro  peccatoribus  derelinquentibus  le- 
gem  tuam  (2)  ;  Je  suis  tombé ,  disoit  le  Prophète 
royal  ,  dans  une  espèce  de  défaillance ,  quand  j'ai 
vu,  Seigneur,  jusqu'à  quel  point  votre  loi  étoit 
profanée  ;  quand  j'ai  vu  les  pécheurs  de  la  terre  la 
mépriser  avec  insolence  et  la  rejeter.  Voilà  ce  qui 
obligeoit  les  prophètes  à  paroîtrc  dans  lescoursdes 
princes  ,  pour  opposer  au  torrent  de  l'impiété  le 

(i)  Eccles.  5.  —  (a)  Ps.  118. 


DE  LA    VIERGE.  l3$ 

zèle  de  la  loi  qui  les  animoit  ;  et  me  voici  ,  chré- 
tiens, chargé  du  même  ministère,  et  envoyé  pour 
la  même  fin.  Quand  je  prêche  ailleurs  la  parole  de 
Dieu  ,  il  me  suffît  de  dire  à  ceux  qui  m'écoutent  , 
s'ils  ne  vivent  pas  en  chrétiens  :  Infortunés  que 
vous  êtes  ,  vous  avez  abandonné  la  loi  de  votre 
Dieu  ,  et  c'est  ce  qui  vous  a  perdus.  Mais  parlant 
aujourd'hui  à  des  grands  du  monde,  je  leur  fais  un 
reproche  encore  plus  terrible  ;  je  leur  dis  avec  le 
prophète  Malachie  :  Vos  autem  scandalizastis 
plurimos  in  lege  (i)  ;  Non-seulement  vous  avez 
abandonné  la  loi  de  votre  Dieu  ,  mais  vous  la  faites 
abandonner  à  je  ne  sais  combien  d'autres  que  vous 
scandalisez,  et  qui  ne  sont  pas  à  l'épreuve  de  votre 
exemple.  Mais  cette  pensée  m'emporteroit  trop 
loin  :  revenons  à  notre  sujet. 

Outre  que  nous  nous  élevons  au-dessus  de  la  loi 
de  Dieu  par  une  révolte  de  cœur  ,  nous  tombons 
encore  dans  ce  désordre  par  un  aveuglement  d'es- 
prit ;  c'est-à-dire  ,  que  nous  nous  laissons  préoc- 
cuper de  certaines  erreurs  ,  que  nous  cherchons 
des  excuses  et  des  prétextes  pour  nous  décharger 
du  fardeau  de  la  loi  de  Dieu ,  que ,  raisonnant  selon 
notre  sens  ,  et  nous  faisant  des  principes  à  notre 
gré,  nous  adoucissons  la  sévérité  de  la  loi  de  Dieu; 
que  pour  parvenir  à  nos  fins  ,  nous  interprétons 
comme  il  nous  plaît  les  obligations  de  la  loi  de  Dieu; 
et  que  ,  séduits  par  les  artifices  de  l'amour  de  nous- 
mêmes  dont  nous  sommes  prévenus  ,  nous  accom- 
modons la  loi  de  Dieu  à  nos  intérêts ,  à  nos  vues ,  à  nos 

(1)  Malach.  2. 


l4o  SUR    LA.  PURIFICATION 

inclinations  et  à  nos  passions ,  au  lieu  d'accommoder 
nos  intérêts  et  nos  passions  ,  nos  inclinations  et  nos 
vues  à  la  rigueur  de  la  loi  de  Dieu.  Or  voici  encore 
Marie  et  Jésus-Christ  même,  qui  ,  par  la  sainteté 
de  leur  exemple  ,  nous  font  évidemment  connoître 
le  danger  et  le  dérèglement  d'une  conduite  si  per- 
nicieuse :  comment  cela  ?  en  se  soumettant  l'un  et 
l'autre  à  une  loi  dont  ils  étoient  incontestablement 
exceptés  ;  à  une  loi  qui  s'expliquoit  d'elle-même 
en  leur  faveur ,  et  qui,  dans  les  termes  où  elle 
étoit  conçue ,  ne  portoit  rien  qui  les  obligeât. 

Non ,  mes  frères  ,  disoit  saint  Augustin ,  soit 
qu'on  eût  égard  à  l'esprit  de  la  loi ,  soit  qu'on  la 
prît  à  la  lettre  ,  ni  Marie  ,  ni  le  Sauveur  du  monde 
ne  pouvoient  y  être  compris.  Car  il  n'y  avoit  rien  à 
purifier  dans  Marie,  et  le  Sauveur  des  hommes 
étoit  par  lui-même  consacré  à  Dieu  d'une  manière 
plus  excellente  qu'il  ne  pouvoit  l'être  par  toutes 
les  cérémonies  du  judaïsme.  Ils  n'avoient  donc  l'un 
et  l'autre  qu'à  user  de  leurs  droits  ,  puisqu'ils 
étoient  dispensés  de  la  loi  de  Moïse.  Mais  Dieu  , 
ajoute  saint  Augustin  ,  par  une  disposition  mer- 
veilleuse de  sa  providence ,  ne  voulut  pas  que 
notre  religion  ,  dont  Jésus  et  Marie  jetoient  alors  , 
pour  ainsi  dire ,  les  premiers  fondemens  ,  com- 
mençât par  une  dispense  quoique  légitime  ;  cette 
dispense  ,  quelque  autorisée  qu'elle  eût  été  ,  auroit 
pu  ,  par  les  fausses  conséquences  que  nous  en  au- 
rions tirées  ,  servir  à  nos  relûcliemens;  et  notre 
amour-propre  n'eût  pas  manqué  à  s'en  prévaloir. 
Ainsi  pour  nousôter  ce  prétexte,  le  christianisme  , 


DE   LA   VIERGE.  1^1 

qui  devoit  être  l'idée  de  la  plus  irrépréhensible 
sainteté ,  a-t-il  commencé  par  une  obéissance  vo- 
lontaire ,  par  une  obéissance  gratuite,  par  une 
obéissance  qui  anéantit  tout  ce  qu'une  vaine  subti- 
lité peut  nous  suggérer  contre  les  saintes  lois  que 
la  religion  nous  impose  ;  par  une  obéissance  qui 
condamne  sans  réserve  tant  de  dispenses  abusives 
que  nous  nous  accordons  ,  tant  de  singularités 
odieuses  que  nous  affectons ,  tant  d'exceptions  du 
droit  commun  que  nous  couvrons  du  voile  d'une 
prétendue  nécessité  ,  tant  de  raisonnemens  frivoles 
et  mal  fondés  ,  tant  d'opinions  hardies  et  trop  larges , 
tant  de  probabilités  chimériques  ,  tant  de  détours  et 
de  rafïinemens  où  nous  altérons  la  pureté  de  la  loi; 
en  sorte  que  toute  étroite  qu'elle  est ,  elle  ne  nous 
oblige  plus  qu'autant  que  nous  le  voulons  ,  et  de  la 
manière  que  nous  le  voulons.  Car  quelle  vertu 
l'exemple  de  l'homme-Dieu  et  de  sa  bienheureuse 
mère  n'a-t-il  pas  pour  nous  détromper  de  tout  cela , 
et  pour  en  découvrir  l'illusion  ? 

De  là  vient  qu'en  conséquence  de  ce  mystère  , 
notre  divin  Maître  instruisant  ses  disciples  ,  leur 
déclaroitsi  souvent  ce  que  son  humilité  nous  prêche 
aujourd'hui  d'une  voix  bien  plus  forte  et  plus  intelligi- 
ble :  Non  veni  solvere  legem ,  sed  adimplere  (i)  ; 
Ne  croyez  pas  que  je  sois  venu  pour  abolir  la  loi  , 
ni  pour  l'enfreindre.  Comme  s'il  eût  craint  ,  re- 
marque saint  Chrysostôrrîe ,  que  sa  qualité  de  Messie 
et  d'auteur  de  la  nouvelle  alliance,  ne  leur  donnât 
lieu  de  former  cette  pensée ,   qu'il  savoit  ne  leur 

(0  Matth.  5. 


1^2  SUR  LA  PURIFICATION 

pouvoir  être  que  préjudiciable.  Non  veni  solvere  t 
sed  adimplere  :  Non ,  je  ne  suis  pas  venu  pour  la 
destruction ,  mais  pour  l'accomplissement  de  la  loi  : 
parole  divine  ,  et  qui  doit  pour  jamais  nous  fermer 
la  bouche.  C'est  pour  cela  même  que  ce  Sauveur 
adorable  étoit  si  fidèle   et  si  attaché  à  toutes  les 
observances  de  la  loi  écrite  ;  qu'il  se  rendoit  si  ré- 
gulièrement à  Jérusalem  pour  célébrer  la  Pâque  , 
et  que  jusqu'à  un  seul   point,  il  ne   laissoit  rien 
passer  des  moindres  devoirs  sans  y  satisfaire  :  Iota 
unum    mit  unus  apeoc  non  prœteribit  à  lege  , 
donec  omnia  fiant  (  i  ).  Par  où  il  prétendoit  com- 
battre en  nous  cette  disposition  criminelle  que  nous 
avons  à  disputer  avec  Dieu  ,  quand  il  s'agit  de  sa 
loi  ;  par  où  il  prétendoit  nous  faire  sentir  l'injus- 
tice de  notre  procédé  ,  lorsque  nous  ne  rendons  à 
la  loi  de    Dieu  qu'une  obéissance  forcée ,   qu'une 
obéissance  intéressée,  qu'une  obéissance  imparfaite, 
et  qui  se  réduit  toute  à  cette  règle  :  y  suis-je  obligé 
dans  la  rigueur?  est-ce  un  commandement  absolu? 
y  va-t-il    du  salut   éternel  ?  règle  trompeuse ,  et 
qui  nous  expose  à  une  réprobation  éternelle ,  puis- 
qu'il est  certain  qu'entre   l'obligation  de  la  loi  et 
le  conseil  ,  il  n'y  a  souvent  qu'un  pas  à  franchir  , 
et  que  nous  conduisant  de  la  sorte  nous  marchons 
toujours  sur  le  bord  du  précipice.  Par  où  il  préten- 
doit nous  confirmer  dans  cette  importante  maxime  , 
que  nous   devons   toujours  prendre  contre   nous- 
mêmes  le  parti  de  la  loi  de  Dieu  ;  que  sur  le  sujet 
de  la  loi  de  Dieu  nous    devons  toujours  craindre 
de   nous   tromper  et   de  nous  former  de  fausses 

(i)  Matth.  5. 


DE    LA    VIERGE.  1^3 

consciences  ;  que  pour  décider  en  mille  occasions 
jusqu'où  la  loi  de  Dieu  s'étend  ,  nous  ne  devons 
point  consulter  les  lois  du  monde  ;  qu'en  ce  qui 
regarde  la  loi  de  Dieu  ,  le  seul  nom  de  dispense 
nous  doit  faire  trembler  ,  et  que  nous  devons  nous 
en  défendre  avec  tout  le  zèle  que  peut  inspirer  une 
ferme  et  solide  religion.  Car  voilà  ,  chrétiens  ,  les 
saintes  leçons  que  nous  font  dans  ce  mystère  la 
présentation  d'un  Dieu  fils  de  Dieu  ,  et  la  puri- 
fication de  la  reine  des  vierges. 

Je  sais  encore  une  fois  que  si  chacun  de  nous 
veut  s'écouter ,  il  n'y  aura  personne  qui  ne  se  croie 
fondé  en  raison  pour  se  dispenser  des  lois  de  Dieu 
les  plus  indispensables.  Et  pour  en  venir  aux  es- 
pèces particulières  ,  je  sais  ,  par  exemple ,  que  la 
loi  qui  défend  l'usurpation  du  bien  d'autrui ,  et 
qui  en  ordonne  la  restitution ,  se  trouvera  anéantie  , 
si  l'on  veut  consulter  la  politique ,  qui  ne  man- 
quera pas  de  décider  en  faveur  de  l'ambition  et  de 
la  cupidité.  Je  sais  que  la  loi  qui  défend  de  se  ven- 
ger ,  n'aura  plus  de  lieu ,  si  l'on  se  met  en  posses- 
sion de  donner  aux  vengeances  les  plus  déclarées 
le  nom  de  justice,  et  si  chacun  se  faisant  droit  sur 
ses  propres  injures  ,  s'opiniâtre  à  ne  rien  rabattre 
de  la  satisfaction  qu'il  se  croit  due.  Je  sais  que  la 
loi  qui  fait  de  l'occasion  prochaine  du  péché  recher- 
chée ou  entretenue ,  un  péché  déjà  consommé ,  ne 
sera  plus  qu'un  fantôme  de  loi  ,  si  chacun  en  veut 
être  cru ,  ou  sur  ses  prétendus  engagemens  qu'il 
proteste  ne  pouvoir  rompre  ,  ou  sur  la  confiance 


1^3  SUR    LA    PURIFICATION 

qu'il  a  dans  ses  forces  et  dans  sa  disposition  pré- 
sente. Je  sais  que  cette  loi  de  l'abstinence  et  du 
jeûne  du  carême  que  l'Eglise  va  bientôt  publier, 
deviendra  une  loi  chimérique  ,  si  chacun ,  idolâtre 
de  sa  santé  ,  ne  veut  avoir  égard  qu'à  sa  délica- 
tesse ,  ou  pour  mieux  dire  ,  qu'à  sa  mollesse.  En 
un  mot ,  je  sais  qu'en  suivant  l'esprit  du  monde  , 
qui  est  un  esprit  de  licence ,  nous  secouerons  le 
joug  des  plus  rigoureuses  obligations,  et  de  nos 
devoirs  les  plus  essentiels.  Mais  où  va  une  telle 
conduite ,  et  qu'en  pouvons-nous  attendre  ?  avons- 
nous  affaire  à  un  Dieu  qui  puisse  être  surpris  ,  et 
à  qui  nous  puissions  en  imposer  ?  lui  qui  a  fait 
la  loi  selon  les  vues  de  sa  sagesse  infinie,  et  qui  ne 
ne  nous  a  pas  appelés  à  son  conseil  quand  il  a  voulu 
l'établir,  s'en  rapportera-t-il  à  nous  ?  en  passera-t-il 
par  nos  avis  ?  s'en  tiendra-t-il  à  nos  décisions  ,  quand 
il  viendra  pour  nous  juger?  Si  Jésus-Christ  et 
Marie  avoient  raisonné  comme  nous,  ce  mystère 
de  leur  obéissance  que  je  viens  de  vous  représenter, 
et  qui  a  tant  contribué  à  notre  salut ,  auroit-il  eu 
son  accomplissement. 

Ah  !  Seigneur ,  s'écrioit  le  Prophète  royal  ,  et 
c'est  la  conclusion  que  nous  devons  tirer  avec  lui , 
heureux  ceux  qui  ,  purs  et  innocens ,  marchent 
avec  humilité  dans  la  voie  de  votre  sainte  loi  ! 
Beati  immaculati  in  via  ,  qui  ambulant  in  lege 
Domini  (i);  heureux  ceux  qui  cherchent  cette 
voie  avec  un  cœur  droit  ;  et  qui ,  l'ayant  une  fois 
trouvée  ,  la  suivent  avec  une  invincible  persévé- 

(1)  Pualm.  118. 


DELA    VIERGE.  1^5 

rance!  car  vous  l'avez  ordonné  ,  mon  Dieu,  et  il 
étoit  juste  que  vos  lois  fussent  exactement  gardées, 
autrement  elles  ne  seroient  plus  vos  lois  ,  et  elles 
n'auroient  plus  ce  caractère  de  souveraineté  qui 
leur  est  propre,  s'il  nous  étoit  permis  d'attenter  sur 
elles,  et  de  les  interpréter  au  gré  de  nos  passions. 
Voulez-vous  ,  chrétiens  ,  un  abrégé  de  tout  ce  que 
je  viens  de  vous  dire  ?  le  voici  dans  ces  deux  pa- 
roles de  saint  Augustin  qui  exprime  ma  pensée 
bien  plus  noblement  et  plus  fortement  que  moi  : 
Mariant  supra  legemfecerat  gratia  ,  sub  lege 
fecit  humilitas  :  La  grâce,  dit  ce  saint  docteur  , 
avoit  élevé  Marie  au-dessus  de  la  loi ,  et  l'humi- 
lité l'a  assujettie  à  la  loi  ;  la  grâce  de  son  innocence  , 
et  de  sa  maternité  demandoit  qu'elle  fût  libre  ,  et 
l'humilité  de  son  cœur  lui  a  fait  préférer  d'être 
obéissante  et  dépendante.  Au  contraire ,  et  la  grâce 
et  l'humilité  nous  inspirent  également  la  soumis- 
sion :  pourquoi  ?  parce  que  la  grâce  qui  est  en 
nous,  n'est  autre  que  la  grâce  de  la  pénitence, 
et  par  conséquent  de  l'humilité  même.  Mais  notre 
orgueil  s'oppose  à  l'une  et  à  l'autre;  et  tout  sujets 
que  nous  sommes  à  la  loi,  je  dis  doublement  sujets 
et  comme  hommes  et  comme  pécheurs  ,  il  nous  ré- 
volte contre  Dieu.  De  ce  que  Marie  s'est  soumise 
à  la  loi  par  une  humble  obéissance ,  c'est  la  con- 
fusion de  notre  orgueil  ;  et  de  ce  qu'elle  a  surmonté 
toutes  les  difficultés  de  la  loi  par  une  obéissance 
généreuse,  c'est  la  condamnation  de  notre  lâcheté  , 
comme  nous  Talions  voir  dans  la  seconde  partie. 
tome  xi.  io 


î^6  SUR    LA   PURIFICATION 

DEUXIÈME     PARTIE. 

C'est  un  principe  de  foi,  que  la  loi  de  Dieu, 
quelque  parfaite  qu'elle  puisse  être ,  non-seule- 
ment n'est  point  impossible ,  mais  qu'elle  n'est  pas 
même  tellement  élevée  au-dessus  de  nous ,  que 
nous  avons  droit  de  nous  plaindre  de  sa  difficulté, 
et  de  nous  en  faire  un  prétexte  pour  justifier  nos 
lâchetés  et  nos  infidélités.  Mandatum  hoc  ,  quod 
ego  prœcipio  tibi  hodiè ,  non  siiprà  te  est , 
nec  procul  positum  ,  nec  in  cœlo  situm  ,  ut 
possis  dicere  :  Oui?  nostrûm  valet  in  cœlum 
ascendere ,  ut  déférât  illud  ad  nos  (  i  )  î  Le 
commandement  que  je  vous  fais  ,  disoit  Dieu  aux 
Israélites  ,  n'est  ni  au-dessus  de  vos  forces ,  ni  de 
l'étendue  de  vos  conditions  ;  en  sorte  que  vous 
puissiez  dire  :  Qui  de  nous  arrivera  là  ?  et  pour  le 
garder ,  il  ne  faut  ni  passer  les  mers ,  ni  se  retirer 
dans  les  déserts  et  dans  les  solitudes  ,  comme  s'il 
étoit  bien  éloigné  de  vous  :  Nec  trans  mare  po- 
situm  ,  ut  causeris  et  diras  :  Quis  nostrûm 
poterit  transfretare  (2)  /  Car  c'est  un  comman- 
dement, ajoutoit  le  Seigneur,  que  j'ai  mis  dans 
vos  mains  ,  dans  votre  bouche  et  dans  votre  cœur  : 
dnns  votre  cœur,  en  vous  le  rendant  aimable;  dans 
votre  bouche  ,  en  vous  faisant  avouer  qu'il  est  sou- 
verainement juste  ;  et  dans  vos  mains  ,  en  vous 
donnant  de  puissans  secours  pour  l'accomplir  avec 
facilité  :Sed  hixta  te  est ,  inoretuor  et  in  corde 
iw        '  facias   illud  (o).    Ainsi  parloit  le  Dieu 

(i;  Dent.  3o.  —  (2)  Ibid.  —  (3)  Ibid. 


DE    LA    VIERGE.  i£j 

d'Israël  par  l'organe  de  Moïse  ,  en  publiant  une 
loi  qui  néanmoins  ,  comme  nous  le  savons  ,  étoit 
une  loi  de  crainte  ,  une  loi  de  rigueur  et  de  ser- 
vitude. Ou'auroit-il  dit  ,  c'est  l'excellente  réflexion 
de  saint  Augustin  ,  et  que  n'auroit-il  pas  pu  dire, 
s'il  avoit  été  question  de  publier  la  loi  évangélique 
qui  est  une  loi  de  grâce ,  une  loi  d'amour  et  de 
liberté  ? 

Cependant,  chrétiens,  nous  établissons  un  prin- 
cipe tout  contraire  ;  et  pour  avoir  de  quoi  nous 
défendre  de  toutes  les  accusations  que  cette  sainte 
et  adorable  loi  formera  contre  nous  un  jour  ,  ou 
qu'elle  forme  déjà  devant  Dieu  ,  nous  l'accusons 
elle-même  de  n'être  pas  assez  proportionnée  à 
notre  foiblesse;  nous  nous  la  figurons  dans  un  degré 
de  sévérité  où  nous  prétendons  que  nul  de  nous 
ne  peut  atteindre  ;  et  par  une  pusillanimité  dont 
nous  voudrions  la  rendre  responsable ,  nous  disons 
sans  cesse  comme  l'Israélite  prévaricateur.:  Quis 
in  cœlum  ascendet  l  Et  qui  est  l'homme  qui 
pourra  jamais  parvenir  à  un  point  de  sainteté  si 
sublime  ?  en  un  mot ,  nous  nous  persuadons  que 
cette  loi,  pour  exiger  trop  de  nous,  est  absolument 
au-dessus  de  nous.  Et  pourquoi  ?  appliquez-vous 
à  ceci  :  parce  qu'elle  nous  engage  ,  disons-nous  ,  à 
nous  dépouiller  en  miile  occasions  de  ce  que  nous 
avons  de  plus  cher  ;  parce  qu'elle  contredit  cer- 
taines affections  tendres  de  notre  cœur  ,  et  qu'elle 
nous  oblige  à  les  étouffer;  parce  qu'elle  nous  prive 
de  certaines  joies,  et  de  certaines  douceurs  de  la 
vie  à  quoi    nous    sommes  attachés  ;   parce  qu'elle 


1^8  SUR    LA   PURIFICATION 

nous  ordonne  de  renoncer  à  un  certain  honneur 
mondain  dont  nous  nous  piquons  ,  et  que  souvent 
elle  nous  réduit  à  paroître  devant  les  hommes  dans 
des  états  très-humilians.  Car  voilà  ce  que  nous  con- 
cevons de  plus  rigoureux  dans  la  loi  chrétienne , 
et  où  volontiers  nous  supposerions  que  notre  fai- 
blesse ,  secourue  même  de  la  grâce,  ne  peut  s'éle- 
ver. Mais  envisageons  aujourd'hui  Marie;  ettémoins 
de  sa  fermeté  et  de  sa  constance  ,  instruisons-nous 
et  confondons-nous.  Car  voici  les  importantes  leçons 
que  nous  pouvons  tirer  de  la  conduite  de  cette 
Vierge  ,  et  que  nous  devons  opposer  aux  senti- 
mens  lâches  qui  nous  arrêtent  :  leçons  qui  nous 
rendent  sensibles  les  trois  principales  circonstances 
de  ce  mystère  ,  c'est-à-dire,  le  sacrifice  que  fait 
Marie  du  bien  le  plus  précieux  pour  elle  ,  et  le  plus 
cher  ,  qui  est  son  Fils  ;  le  sacrifice  qu'elle  fait  de 
tontes  les  douceurs  de  la  vie,  en  acceptant  le  glaive 
de  douleur  dont  Siméon  lui  prédit  que  son  ame 
sera  percée;  surtout  le  sacrifice  qu'elle  fait  de  son 
honneur  ,  en  voulant  paroître  ,  comme  les  autres 
femmes  ,  impure  et  pécheresse  ,  elle  qui  étoit  l'in- 
nocence et  la  pureté  même.  Ah  !  chrétiens  ,  que 
n'ai-je  le  zèle  des  apôtres  pour  vous  faire  sentir  , 
mais  efficacement  ,  mais  vivement  ,  toute  la  force 
d'un  si  grand  exemple  ! 

Première  leçon  :  Marie  n'a  qu'un  fils  ,  et  pour 
obéir  à  la  loi  ,  elle  se  résout  à  le  sacrifier.  Ce  fils 
qu'elle  aimoit  de  l'amour  le  plus  tendre,  ce  fils 
qu'elle  avoit  conçu  par  miracles,  ce  fils  en  qui  elle 
possédoittous  les  trésors  ,  elle  l'offre  dans  le  temple 


DE    LA    VIERGE.  îfa 

de  Jérusalem  ;  mais  elle  l'offre  de  la  manière  la 
plus  héroïque  ,  sans  condition  et  sans  réserve  ; 
sachant  les  ordres  rigoureux  que  le  ciel  a  portés  , 
et  qui  doivent  un  jour  s'exécuter  dans  la  personne, 
de  ce  divin  enfant;  consentant  déjà  qu'il  soit  la  vic- 
time et  le  prix  de  la  rédemption  des  hommes  ; 
renonçant  pour  cela  à  tous  les  sentiinens  de  son 
cœur;  et  par  un  dernier  effort  de  la  pins  généreuse 
et  de  la  plus  rigoureuse  obéissance  ,  voulant  bien  que 
ce  fils  ne  soit  plus  à  elle  ,  qu'avec  le  triste  ,  mais 
l'indispensable  engagement  de  le  voir  dans  la  suite 
des  années  immolé  sur  la  croix  :  voilà  ce  qu'il  en  a 
coûté  à  Marie  pour  accomplir  la  loi.  Or  est-ce  là , 
mes  chers  auditeurs  ,  ce  qu'il  nous  en  doit  coûter 
à  nous-mêmes  ?  Il  est  vrai,  pour  obéir  à  la  loi  de 
Dieu  ,  il  nous  en  doit  quelquefois  coûter  le  sacri- 
fice de  ce  que  nous  avons  de  plus  cher;  mais  con- 
fessons-le de  bonne  foi  ,  et  ne  nous  déguisons  rien 
à  nous-mêmes  :  ce  que  nous  avons  alors  de  plus 
cher  ,  est-il  assez  considérable  pour  le  faire  tant 
valoir  à  Dieu  ?  quelque  cher  qu'il  nous  soit  ,  du 
moment  qu'il  répugne  à  la  loi  de  Dieu  7  n'est-ce 
pas  ce  qui  nous  trouble  ?  n'est-ce  pas  ce  qui  nous 
dérègle  ?  n'est-ce  pas  ce  qui  nous  corrompt  ?  n'est- 
ce  pas  ce  qui  nous  décrie?  et  enfin  n'est-ce  pas 
ce  qui  nous  damne?  Si  la  loi  de  Dieu  nous  retran- 
che un  mal  aussi  pernicieux  que  celui-là  ,  avons- 
nous  sujet  de  nous  en  plaindre  ;  et  la  sainte  violence 
qu'elle  nous  fait  en  nous  obligeant  à  un  renonce- 
ment si  salutaire  ,  doit-elle  passer  pour  un  excès 
de  rigueur  ?  Prenez  garde ,  s'il  vous  plaît  ;  ceci 


l5o  SUR    LA    PURIFICATION 

mérite  «ne  réflexion  particulière.  Dans  cette  sainte 
solennité  ,  Dieu  nous  dit  comme  à  Marie,  ou  ,  si 
vous  voulez  ,  comme  à  Abraham  :  Toile  unige- 
nituin  tuuni  que.m  diligis ,  et  offer  illum  mihi 
in  holocausîum  (i)  ;  Sacrifie-moi  ce  premier  né, 
c'est-à-dire,  cette  passion  dominante  qui  est  dans 
ton  cœur.  Cela  nous  semble  dur  ;  mais  en  même 
temps,  faisant  un  retour  sur  nous,  nous  sommes 
contraints  d'avouer  que  cette  passion  dominante 
est ,  par  exemple  ,  un  attachement  honteux  qui  nous 
déshonore  ,  un  esclavage  des  sens  qui  nous  abrutit  , 
une  loi  de  péché  qui  nous  captive  et  qui  nous  ty- 
rannise ;  mais  en  même  temps  nous  sommes  forcés 
de  reconnoître  que  cet  attachement  dont  nous  nous 
faisons  une  passion  ,  n'est  qu'une  fascination  d'es- 
prit, qu'un  ensorcellement  de  cœur,  qu'une  source 
d'égaremensdans  notre  conduite,  etdedéréglemens 
dans  nos  affections  et  dans  nos  actions  ;  mais  en 
même  temps  l'expérience  nous  montre  que  cette 
passion  dont  nous  sommes  possédés  ,  n'a  point 
d'effet  plus  présent  ni  plus  ordinaire  que  de  rem- 
plir notre  ame  de  chagrins,  de  jalousies  ,  de  re- 
mords, de  désespoirs;  que  tandis  que  cette  passion 
nous  dominera  ,  nous  n'aurons  jamais  de  paix ,  ni 
avec  Dieu  ,  ni  avec  nous-mêmes  ;  que  notre  cons- 
cience ,  notre  raison  ,  notre  foi  s'élèveront  toujours 
contre  elle;  qu'elle  nous  exposera  même  à  la  cen- 
sure du  monde  ,  et  qu'ainsi  le  monde ,  tout  cor- 
rompu qu'il  est  ,  préviendra  par  son  jugement,  le 
jugement  terrible  de  Dieu  que  nous  avons  à  craindre  ; 

(i)  Gcncs.  22. 


DE    LA    VIERGE.  l5l 

en  un  mot,  nous  sentons  bien  que  cette  passion  , 
avec  ses  prétendus  charmes  ,  du  moment  que  nous 
nous  y  sommes  livrés,  est  comme  un  démon  qui 
s'est  emparé  de  nous  ,  et  qui ,  malgré  nous  ,  nous 
fait  trouver  dans  nous-mêmes  une  espèce  d'enfer. 
Or  cela  étant  ,  quelle  plainte  avons-nous  droit  de 
former  contre  la  loi  de  Dieu  ?  et  quand  il  nous  dit  : 
Toile  ;  Délivre-toi,  chrétien,  de  cet  enfer,  sors 
de  cet  esclavage ,  arrache  cette  passion  de  ton  cœur  ; 
pouvons-nous  lui  répondre  :  Seigneur  ,  vous  m'en 
demandez  trop  ? 

Ah  !  mes  frères,  reprend  saint  Ghrysostôme  ,  si 
Dieu  en  usoit  avec  nous  dans  toute  l'étendue  de 
sa  puissance  ,  et  que  ,  sans  nul  égard  au  plus 
et  au  moins  de  ce  qu'il  nous  en  peut  coûter,  mesu- 
rant les  choses  par  la  seule  règle  de  ce  qui  lui  est 
du  ,  il  nous  commandât  de  lui  sacrifier  nos  incli- 
nations même  les  plus  innocentes  et  les  plus  légi- 
times. S'il  disoit  à  l'un  :  Descends  de  cet  état  de 
grandeur  qui  te  distingue  dans  le  monde  ;  à  l'autre: 
Dépouille-toi  de  ces  biens  que  tu  as  si  justement 
acquis;  à  celui-ci:  Oublie  cet  enfant  qui  est  l'espé- 
rance de  ta  maison  ;  à  celui-là  :  Romps  ce  com- 
merce,  quoiqu'honnête,  que  tu  entretiens  avec  cet 
ami,  et  qui  fait  la  douceur  de  ta  vie  :  si  Dieu  , 
dis-je,  nousparloit  de  la  sorte,  nous  n'aurions  rien 
à  répliquer;  et  pour  le  seul  respect  de  sa  loi ,  nous 
devrions  être  disposés  à  tout.  Amitié ,  grandeur  , 
intérêts  ,  famille  ,  il  faudroit  abandonner  tout  : 
pourquoi?  parce  qu'en  matière  de  loi  ,  dit  Ter- 
tullien  ,  mais  particulièrement  de  loi  divine,  l'an- 


l5-2  SUR    LA   PURIFICATION 

torité  de  celui  qui  commande,  ne  doit  point  être 
mise  en  comparaison  avec  l'utilité  de  celui  qui 
obéit.  Mais  Dieu ,  mes  chers  auditeurs  ,  tient  à  notre 
égard  une  conduite  bien  différente  ,  et  par  une 
condescendance  digne  de  lui ,  il  ne  nous  fait  point 
de  loi  qui  ne  nous  soit  avantageuse.  Que  nous  dit-il? 
Sacrifie-moi  ,  chrétien  ,  ce  qui  te  nuit,  ce  qui  te 
perd ,  ce  qui  te  damne  ;  car  tout  le  reste ,  je  le 
laisse  à  ton  pouvoir  ;  possède  ces  biens  dont  je  t'ai 
pourvus ,  mais  défais-toi  de  cet  amour  criminel  , 
qui  seroit  le  principe  de  ta  réprobation  ;  mets-moi 
au-dessus  de  cet  ennemi  que  tu  nourris  dans  ton 
sein,  et  qui  t'éloigneroit  de  la  voie  du  salut;  quitte 
ce  péché  dont  tu  t'es  fait  une  habitude,  et  qui, 
par  les  dégoûts  et  les  amertumes  dont  il  est  mêlé , 
te  fait  bien  payer  par  avance  les  faux  plaisirs  que  tu 
y  goûtes.  \oilà  comment  Dieu  nous  traite  plutôt  en 
père  qu'en  souverain  et  en  législateur  :  et  ne  som- 
mes-nous pas  inexcusables  si ,  pour  autoriser  nos 
lâchetés  ,  nous  osons  encore  alléguer  que  le  joug  de 
sa  loi  est  dur  et  pesant  ? 

Il  est  dur  de  renoncer  à  ce  qu'on  a  de  plus  cher; 
mais  moi  je  soutiens  que  cela  n'est  dur  ,  que  parce 
qu'il  ne  nous  plaît  pas  de  nous  l'adoucir  par  les 
grands  et  puissans  motifs  que  Marie  se  proposa 
dans  la  présentation  du  Sauveur.  Car,  comme  re- 
marque saint  Bernard  ,  ce  qui  rendit  à  Marie  l'ac- 
complissement de  cette  loi ,  je  ne  dis  pas  suppor- 
table ,  mais  aimable  ,  ce  fut  la  vue  qu'elle  eut  , 
qu'en  présentant  son  fils ,  elle  le  sacrifioit  à  Dieu  , 
elle  fléchissoit  la  colère  et  la  justice  de  Dieu,  elïe 


DE    LA    VIERGE.  l53 

s'acquittoit  elle-même  des  obligations  infinies  qu'elle 
avoit  à  Dieu  ,  elle  attiroit  sut  elle  et  sur  nous  les 
faveurs  de  Dieu  ;  voilà  ce  qui  l'anima  ,  et  ce  qui 
lui  fit  surmonter  cette  tendresse  maternelle  qui  s'op- 
posoit  à  son  sacrifice.  Or  à  qui  tient-il  que  nous 
n'agissions  dans  les  mêmes  vues  ;  et  que  dans  la  né- 
cessité où  nous  nous  trouvons  quelquefois  d'accom- 
plir un  précepte  qui  combat  la  nature  et  à  quoi 
elle  répugne  ,  nous  ne  nous  soutenions  par  ces 
pensées  :  Ii  est  vrai  que  ce  qu'on  me  demande  et 
ce  qu'il  faut  que  je  sacrifie,  c'est  ce  que  j'aime 
uniquement  ;  mais  par  là  je  donnerai  à  Dieu  ce 
qu'il  attend  de  moi  ;  mais  par  là  je  montrerai  à 
Dieu  que  je  veux  reconnoître  ses  dons  et  les  grâces 
qu'il  a  répandues  sur  moi  ;  mais  par  là  j'apaiserai 
Dieu  justement  courroucé  contre  moi  ;  mais  parla  , 
tout  pécheur  que  je  suis  ,  j'engagerai  Dieu  à  avoir 
compassion  de  moi;  mais  par  là  je  me  rendrai  Dieu 
propice  ,  je  le  mettrai  dans  mes  intérêts  ,  je  le  por- 
terai à  user  de  miséricorde  envers  moi.  Au  lieu  que 
cette  passion  a  fait  jusques  à  présent  tout  mon  dé- 
sordre ,  du  moment  que  je  la  sacrifierai ,  elle  fera 
devant  Dieu  tout  mon  mérite  ?  Si  nous  avions  ces 
motifs  présens  à  l'esprit ,  quel  précepte  nous  pa- 
roîtroit  rigoureux  ?  et  si  pour  ne  nous  pas  aider  de 
ces  motifs ,  la  loi  nous  devient  pénible  ,  devons-nous 
nous  en  prendre  à  d'autres  qu'à  nous-mêmes  ?  Il 
est  dur  de  sacrifier  sans  condition  et  sans  réserve 
ce  que  l'on  aime  :  mais  moi  je  prétends  qu'on  le 
fait  bien  tous  les  jours  pour  obéir  aux  lois  du  monde» 
Car  pour  satisfaire  à  certaines  lois  du  monde ,  que 


|54  SUR    LA    PURIFICATION 

n'abandonne-t-on  pas,  et  de  quoi  ne  se  prive-ton 
pas  ?  Vous  me  direz  que  les  lois  du  monde  ne  vont 
pas  jusqu'au  sacrifice  du  coeur:  et  n'est  ce  pas  pour 
cela  même  ,  répond  saint  Ambroise ,  qu'elles  sont 
plus  dures,  en  nous  obligeant  à  sacrifier  tout, 
tandis  que  le  cœur  n'y  consent  pas  et  qu'il  y  con- 
tredit ;  au  lieu  que  la  loi  de  Dieu  ne  nous  oblige  à 
rien  à  quoi  elle  ne  dispose  notre  cœur  ,  jusqu'à 
nous  en  faire  aimer  la  difficulté  ? 

Seconde  leçon:  Pour  garder  la  loi  de  Dieu  ,  il 
y  a  des  douceurs  dans  la  vie,  dont  il  faut  se  passer  ; 
et  c'est  encore  ce  qui  effraie  notre  amour-propre. 
Car  quelque  disposition  que  l'on  ait  à  vivre  dans 
l'ordre  ,  on  se  propose  toujours,  en  vivant  ainsi, 
tin  certain  état  de  douceur;  et  souvent  même  c'est 
cette  douceur  que  l'on  cherche  ,  en  se  réduisant  à 
l'or  ire  :  et  un  des  foibles  les  plus  ordinaires  delà 
piété  ,  est  de  se  rebuter  de  l'ordre  ,  dès  qu'on  n'y 
trouve  pas  cette  douceur.  Mais  Marie  nous  apprend 
bien  aujourd'hui  à  nous  préserver  de  cet  écueil  : 
pour  accomplir  la  loi  du  Seigneur,  cette  Vierge 
incomparable  sacrifie  toutes  les  joies  de  son  ame. 
Je  m'explique. Elle  sait  bien  que  ce  qu'elle  va  faire, 
en  présentant  Jésus-Christ,  doit  être  pour  elle  une 
source  de  douleur  ;  elle  voit  déjà  Siméon  qui  lui 
montre  le  glaive  dont  elle  sera  per<  ée  ;  elle  entend 
l'oracle  du  ciel  qui  lui  est  annoncé  par  ce  saint 
vieillard,  et  elle  n'ignore  pa^  que  la  prédiction 
qu'il  lui  fait  est  le  commencemi  ntde  son  martyre. 
Il  n'importe  :  le  zèle  delà  loi  presse,  elle  entre  dans 
le  temple  ,  elle  paroît  devant  Siméon  ,  elle  lui  met 


DE     LA     VIERGE.  1 55 

son  fils  entre  les  bras  ;  et  par  ces  paroles  prophé- 
tiques :  Tuam  ipsius  animam  pertransibit  gla- 
dius  (i)  ,  elle  reçoit  de  lui  le  coup  mortel.  Car 
ne  pensez  pas  qu'elle  n'en  ait  senti  l'effet  qu'au 
Calvaire  ,  lorsqu'elle  assista  au  crucifiement  de 
son  fils.  Tout  ce  qu'elle  doit  souffrir  alors  ,  elle  le 
souffre  dès  aujourd'hui ,  et  dès  aujourd'hui  elle  peut 
dire  qu'elle  est  attachée  à  la  croix.  Mais  pourquoi 
faut-il  qu'en  obéissant  à  la  loi ,  elle  endure  ce 
martyre  douloureux  ?  Ah  !  chrétiens ,  parce  qu'elle 
étoit  prédestinée  pour  nous  enseigner  cette  grande 
vérité  ,  que  là  où  il  s'agit  de  la  loi  de  Dieu  ,  il  n'y 
a  ni  plaisir,  ni  douceur  de  la  vie  à  ménager.  Or 
en  voici  la  preuve  authentique  ;  car  si  des  joies 
aussi  saintes  et  aussi  pures  que  les  siennes  ,  ont  dû 
être  sacrifiées,  il  n'est  pas  juste,  dit  saint  Bernard , 
que  nous  épargnions  les  nôtres  ,  qui  sent  vaines  , 
qui  sont  toutes  profanes,  qui  nous  dissipent,  et 
qui  nous  font  perdre  l'esprit  de  Dieu.  Et  si  la  mère 
de  Dieu,  qui,  par  excellence  entre  toutes  les 
femmes  ,  étoit  bienheureuse ,  a  néanmoins  consenti , 
en  se  soumettant  à  la  loi ,  d'être  la  plus  affligée , 
nous  ne  devons  pas  si  aisément  nous  rebuter  de 
cette  divine  loi ,  pour  quelques  peines  qu'il  y  a  à 
supporter  en  l'observant.  Mais  le  moyen  ,  direz- 
vous  ,  de  mener  une  vie  insipide  et  ennuyeuse  ?  car 
voilà  le  spécieux  prétexte,  dont  se  couvre  la  lâcheté 
de  tant  d'ames  mondaines  ,  quand  on  leur  parle 
d'une  soumission  parfaite  à  la  loi  de  Dieu  ;  le  moyen 
de  soutenir  cet  état  ?  Mais  ,   mon  cher  auditeur  , 

(0  Luc.  2. 


l56  SUR    LA    PURIFICATION 

comment  le  soutenez-vous  tous  les  jours ,  dans  les 
engagemens  malheureux  que  vous  avez  avec  le 
monde  ?  comment  le  soutenez-vous  dans  la  dépen- 
dance servile  où  vous  vous  réduisez  pour  suivre 
toutes  les  volontés  et  tous  les  caprices  d'un  homme 
dont  vous  cherchez  la  faveur  ?  comment  le  soute- 
nez-vous ,  quand  votre  ambition  ou  votre  cupidité 
vous  le  commande  ?  Si  vous  agissiez  par  l'esprit 
de  lafoi,  je  vous  dirois  que  la  grâce,  qui  est  toute 
puissante ,  saura  bien  vous  adoucir  cet  ennui  que 
vous  craignez.  Si  vous  connoissiez  le  don  de  Dieu, 
vous  confesseriez  que  ces  joies  courtes  et  passagères 
auxquelles  on  renonce  pour  Dieu  ,  sont  abondam- 
ment compensées  par  des  consolations  bien  plus 
solides  et  bien  plus  propres  à  remplir  la  capacité 
de  votre  cœur.  Et  si  au  défaut  de  toute  autre  con- 
sidération ,  vous  vouliez  vous  souvenir  des  désordres 
où  vous  avez  vécu  ,  vous  vous  estimeriez  heureux 
de  trouver  dans  cet  ennui  et  dans  cet  éloignement 
des  fausses  joies  du  monde ,  de  quoi  faire  péni- 
tence ;  et  cette  pénitence  ,  quoique  secrète  et  ca- 
chée ,  surpasseroit  en  mérite  toutes  ces  pénitences 
et  ces  réformes  d'éclat,  que  la  vanité  quelquefois 
soutient  plus  que  la  religion.  Quoi  qu'il  en  soit  , 
je  vous  dis  qu'il  est  indigne  que  ,  sur  un  devoir 
aussi  important  que  l'observation  de  la  loi  de  Dieu  , 
vous  apportiez  une  excuse  aussi  frivole  que  l'est 
cet  ennui  prétendu  qui  vous  y  paroît  attaché. 
-  Troisième  et  dernière  leçon  :  Marie  ,  pour  obéir 
à  la  loi ,  sacrifie  jusqu'à  son  propre  honneur,  puis- 
qu'en  se  purifiant  elle  paroît  de  môme  condition 


DE    LA    VIERGE.  iSj 

que  les  autres  femmes.  Ainsi  l'éclat  de  sa  virginité 
est  obscurci  ;  de  cette  virginité  dont  elle  avoitété 
si  jalouse  dans  le  mystère  de  l'incarnation  ;  de  cette 
virginité  dont  la  gloire  est  de  briller  au  dehors  ,  et 
de  ne  pas  laisser  voir  la  moindre  tache.  Elle  con- 
sent à  en  perdre  la  réputation  et  le  nom  ;  et  de 
toutes  les  humiliations,  voilà ,  j'ose  le  dire  ,  la  plus 
difficile  à  soutenir  :  d'être  pure  devant  Dieu  comme 
le  soleil  ,  et  de  paroître  impure  aux  yeux  des 
hommes  ;  tel  est  néanmoins  le  sacrifice  que  fait  la 
plus  sainte  de  toutes  les  vierges  :  pourquoi  ?  afin 
de  ne  pas  manquer  à  la  loi.  Or  cette  loi  de  Dieu , 
mes  chers  auditeurs ,  ne  nous  oblige  à  rien  de  si 
humiliant.  Elle  veut  que  nous  paroissions  ce  que 
nous  sommes  ;  qu'étant  essentiellement  soumis  au 
souverain  domaine  de  Dieu ,  nous  ne  rougissions 
point  des  services  qu'il  exige  de  nous  etdes  hommages 
que  nous  devons  lui  rendre;  surtout,  qu'étant  vé- 
ritablement impurs  et  pécheurs,  nous  n'ayons  pas 
honte  des  pratiques  de  la  pénitence,  qui  doivent 
servir  à  nous  laver  ,  à  nous  réconcilier ,  à  nous 
acquitter  auprès  de  la  justice  divine.  Mais  que 
faisons-nous  ?  par  le  plus  étrange  renversement  , 
nous  voulons  être  pécheurs  et  paroître  justes.  Marie 
abandonne  les  apparences ,  pourvu  qu'elle  stit  du 
reste  assurée  de  conserver  le  trésor  de  sa  virginité  : 
et  vous  ,  souvent  peu  en  peine  de  la  chose  même , 
vous  ne  cherchez  qu'à  sauver  les  apparences.  Du 
moins ,  n'est-ce  pas  précisément  alors  le  faux  hon- 
neur du  monde  qui  vous  fait  garder  la  loi  de  Dieu  ? 
Mais  en  combien  d'autres  occasions  cette  adorable 


î58  SUR    LA    PURIFICATION 

loi  est-elle  sacrifiée  ?  parce  qu'on  vent  s'élever  et 
tenir  un  certain  rang ,  on  viole  toutes  les  lois  de 
l'équité  et  de  la  justice  ,  on  opprime  le  foible  ,  on 
trompe  le  simple ,  on  forme  mille  intrigues  contre  des 
égaux  et  des  concurrens  :  on  emploie  contre  eux  le 
crédit,  l'artifice,  la  médisance, la  calomnie,  et  sur 
leur  ruine  on  établit  sa  fortune  et  les  fonde  mens  de  sa 
grandeur.  Parce  qu'on  est  prévenu  de  cette damnable 
maxime,  qu'en  matière  d'injure  ,  il  faut  avoir  raison 
de  tout  ,  et  qu'autrement  on  est  sans  honneur  ; 
malgré  la  loi  la  plus  authentique  et  la  plus  expresse  , 
qui  nous  ordonne  de  pardonner,  quels  ressenti- 
mens  ne  conserve-t-on  pas  ?  quels  desseins  ne  con- 
çoit-on pas  ?  à  quelles  extrémités  et  à  quelles  ven- 
geances ne  se  porte- t-on  pas  ?  On  ne  veut  point 
entendre  parler  d'accommodement,  on  exige  pour 
une  offense  assez  légère,  dont  on  se  fait  un  monstre, 
des  satisfactions  infinies  ;  ou  ,  pour  mieux  dire  , 
on  ne  sera  jamais  satisfait  qu'on  n'ait  vu  périr  cet 
homme  de  qui  l'on  se  croit  ofîénsé ,  et  que  l'on  ne 
Tait  perdu.  Parce  qu'on  craint  la  raillerie,  et  qu'on 
s'y  exposeroit  en  se  distinguant  des  autres  ,  tout 
instruit  qu'on  est  de  la  loi  ,  tout  disposé  qu'on 
est  à  l'observer,  on  se  laisse  aller  au  torrent, 
engager  par  l'exemple  ,  dominer  par  le  respect 
humain  ;  et  au  lieu  de  mettre  sa  gloire  à  servir 
Dieu  ,  on  la  met  à  le  déshonorer  et  à  l'outrager. 
Ah  !  mon  Dieu,  faudra-t-il  donc  que  pour  un  fan- 
tome  d'honneur  qui  nous  séduit,  tous  vos  droits 
vous  soient  refusés,  qu'on  trahisse  tous  vos  intérêts, 
qu'on  renverse  tous  vos  desseins ,   qu'on  s'oppose 


DE    LA    VIERGE,  1 59 

à  tontes  vos  volontés ,  qu'on  méprise  et  qu'on, 
foule  aux  pieds  toutes  vos  lois  ?  Et  vous,  ô  hommes  ! 
ne  comprendrez-vous  jamais  en  quoi  consiste  votre 
véritable  grandeur  ?  que  c'est  à  dépendre  du  pre- 
mier de  tous  les  maîtres  ,  à  vous  attacher  inviola- 
blement  à  lui,  à  vous  approcher  continuellement 
de  lui ,  à  combattre  généreusement  pour  lui ,  à  vous 
rendre  grands  devant  lui ,  à  vous  attirer  son  estime  , 
et  à  mériter  ses  faveurs:  tout  cela  par  où  ?  par  l'ac- 
complissement de  sa  loi  ? 

C'est ,  Sire  ,  ce  que  votre  majesté  a  si  bien  com- 
pris ;  c'est  de  cette  loi  de  Dieu  que  vous  faites 
gloire  d'être  le  défenseur  et  le  vengeur.  Avoir  fait 
des  prodiges  dans  la  guerre ,  vous  être  rendu  l'ar- 
bitre de  la  paix  ,  l'avoir  donnée  à  toute  l'Europe 
aux  conditions  qu'il  vous  a  plu,  avoir  forcé ,  par  la 
seule  crainte  de  votre  nom,  toutes  les  puissances 
à  la  recevoir ,  vous  être  surmonté  vous-même ,  en 
arrêtant  le  cours  de  vos  conquêtes,  ce  sont ,  Sire , 
des  éloges  à  quoi  la  flatterie  n'a  point  de  part,  que 
l'envie  même  ne  peut  vous  disputer ,  que  vos  en- 
nemis ,  malgré  eux ,  ont  publiés  aussi  hautement 
que  nous  ,  et  dont  votre  modestie  commence  à  être 
fatiguée.  Il  y  a,  Sire  ,  une  autre  gloire  d'autant  plus 
solide ,  que  l'objet  en  est  plus  saint  ;  une  gloire 
qu'un  roi  très-chrétien  ne  peut  acquérir  que  par 
son  zèle  pour  la  loi  du  Seigneur,  et  c'est  ce  que 
Dieu  vous  réservoit  pour  mettre  le  comble  à  votre 
auguste  destinée.  Ces  saintes  ordonnances  contre 
le  duel,  que  votre  majesté  vient  de  renouveler,  et 
pour  l'exécution  desquelles  vous  vous  êtes  fait  une 


j€o  sur  la  purification 

religion  ,  si  j'ose  ainsi  m'exprimer  ,  de  n'être  presque 
plus  maître  de  vos  grâces  ;  ces  déclarations  qui 
sortent  chaque  jour  de  votre  conseil ,  si  avanta- 
geuses à  l'Eglise,  et  si  sages  pour  contenir  l'hérésie 
dans  les  bornes  que  les  édits  de  vos  ancêtres  lui 
ont  prescrites;  ces  tribunaux  érigés  pour  exter- 
miner le  libertinage  et  le  vice ,  ce  sont  autant  de 
preuves,  et  de  preuves  authentiques  du  zèle  qui 
vous  anime.  Il  y  avoit  dans  la  France  des  monstres 
cachés ,  et  votre  majesté  est  le  héros  que  Dieu  a 
suscité  pour  les  étouffer  et  les  écraser.  Le  sacrilège, 
l'impiété  ,  l'homicide ,  suites  funestes ,  mais  infail- 
libles de  la  débauche  et  de  la  licence  des  mœurs, 
se  répandoient  dans  le  monde;  et  c'est  à  vous, 
Sire,  que  le  monde  sera  redevable  d'en  être  purgé. 
Il  falloit  un  monarque  aussi  puissant,  aussi  éclairé, 
aussi  religieux  que  vous ,  pour  prendre  ainsi  la 
cause  de  Dieu  en  main;  pour  faire  de  la  loi  de 
Dieu  votre  propre  loi,  et  pour  être  le  restaurateur 
du  bon  ordre  et  de  la  sûreté  publique.  Vous  sou- 
tiendrez ,  Sire ,  votre  ouvrage  ;  vous  y  emploierez 
toute  votre  autorité  ;  et  par  votre  autorité  royale  , 
vous  y  mettrez  la  dernière  perfection.  Autrefois 
l'irréligion ,  la  profanation  des  choses  saintes ,  les 
juremens,  les  blasphèmes  régnoient  à  la  cour;  mais 
ils  y  sont  devenus  des  noms  odieux ,  parce  que 
votre  majesté  les  a  proscrits.  Que  ne  peut-elle  point 
encore  contre  d'autres  désordres  ?  et  que  doit-elle 
omettre  de  tout  ce  qu'elle  peut  pour  les  abolir? 
Yoilà ,  Sire  ,  comment  vous  serez  fidèle  à  la  loi  du 
souverain  Maître  qui  vous  a  placé  sur  le  trône ,  et 


DE    LA    VIERGE.  l6t 

fait  part  de  son  pouvoir  pour  la  défendre  :  voilà 
ce  qu'elle  attend  de  vous.  Mais  autant  que  vous  se- 
rez fidèle  à  la  loi  de  Dieu ,  autant  cette  sainte  loi 
vous  sera-t-elle  ,  selon  l'expression  du  Sage, fidèle 
elle-même  :  Et  leoc  illi  fidelis  (i).  Elle  conduira 
vos  pas  ,  elle  dirigera  vos  conseils,  elle  réglera  vos 
entreprises ,  elle  attirera  sur  votre  personne  sacrée 
toutes  les  bénédictions  du  ciel,  et  elle  vous  fera 
enfin  mériter  la  couronne  immortelle  que  je  vous 
souhaite ,  etc. 

(1)  Eccli.  53. 


TOME    Xï.  II 


•?<r* 


DEUXIEME  SERMON 

SUR 

LA  PURIFICATION  DE  LA  VIERGE. 


Postquàrn  împleti  sunt  dies  pargationis  ejas  secundùni 
îegem  Moysi,  tuleraut  illum  in  Jérusalem,  ut  sislerenS 
euni  Domino. 

Le  temps  de  la  purification  de  Marie  étant  accompli 
selon  la  loi  de  Moïse  ,  ils  portèrent  l'enfant  à  Jérusa- 
lem ,  pour  le  présenter  au  Seigneur.  En  saint  Lue  , 
chap.  2. 


Sire 


Ce  sont  les  deux  mystères  que  célèbre  l'Eglise,  et 
qui  partagent,  pour  ainsi  dire,  cette  auguste  so- 
lennité ,  la  purification  de  Marie  et  la  présentation 
de  Jésus-Christ  ;  mystères  vénérables  où  nous  dé- 
couvrons ce  qu'il  y  a  dans  notre  religion  ,  non- 
seulement  de  plus  sublime  et  de  plus  divin,  mais 
de  plus  édifiant  et  de  plus  touchant.  Un  homme- 
Dieu  offert  à  Dieu ,  le  Saint  des  saints  consacré  au 
Seigneur  ,  le  souverain  Prêtre  de  la  nouvelle  alliance 
dans  un  état  de  victime,  le  Rédempteur  du  inonde 
racheté  lui-même  ,  une  vierge  purifiée  et  une  mère 
enfin  immolant  son  fils;  quels  prodiges  dans  l'ordre 
de  la  grâce  !  Yoilà  ce  que  le  Prophète  avoit  prédit, 
©u  plutôt,  voilà  ce  que  le  Dieu  d'Israël,  par  la 


SUR  LA  PURIFICATION  DE  LA  VIERGE.  l63 
bouche  de  son  Prophète  ,  avoit  promis  aux  Juifs  , 
lorsqu'il  leur  disoit  :  J'enverrai  devant  moi  mon 
ambassadeur  (c'étoit  Jean-Baptiste,  le  précurseur 
de  Jésus-Christ;)  il  me  préparera  la  voie,  il  vous 
annoncera  ma  venue  ;  aussitôt  le  Messie  que  vous 
attendez,  cet  Ange  du  nouveau  testament,  et  ce 
Sauveur  que  vous  demandez  depuis  si  long-temps 
et  avec  tant  d'instance  ,  entrera  dans  son  temple  , 
et  y  sera  présenté  comme  le  prix  et  le  gage  de  votre 
rédemption  :  Et  staùm  venlet  in  templum  suum 
Dominator  quem  vos  quœritis ,  et  Angélus  tes- 
tamenti  quem  vos  vultis  (i).Il  y  entre  en  effet, 
chrétiens  ,  il  y  est  aujourd'hui  porté  ,  il  y  est  sacri- 
fié ,  et  c'est  à  nous  à  profiter  de  son  exemple  pour 
notre  instruction  et  pour  la  réformation  de  nos 
mœurs.  Car  ce  n'est  point  seulement  à  la  lettre  que 
nous  devons  nous  en  tenir,  comme  les  Juifs,  mais 
il  faut  passer  jusqu'à  l'esprit;  ce  n'est  point  inutile- 
ment ni  dans  une  vide  spéculation  que  nous  devons 
considérer  ces  grands  mystères,  mais  en  chrétiens, 
et  avejc  tous  les  fruits  de  sainteté  qu'ils  peuvent 
produire  dans  nos  cœurs.  Implorons  pour  cela  le 
secours  du  ciel  par  l'intercession  de  Marie.  Ave  , 
Maria. 

Ce  n'est  pas  sans  sujet ,  chrétiens  ,  que  le  saint 
pontife  Siméon  ,  prenant  aujourd'hui  le  Sauveur 
entre  ses  bras ,  l'appelle  la  lumière  du  monde , 
et  l'adore  comme  le  Messie  destiné  à  éclairer  toutes 
les  nations  de  la  terre  :  Lumen  ad  revelationem 

(1)  Malach.  S. 


l64  SUR   LA  FTJRIFICATION 

gentium(\).  Car  je  puis  dire  qu'une  des  grâces 
particulières  du  mystère  de  ce  jour,  est  de  répandre 
la  lumière  dans  nos  esprits,  et  de  nous  donner  deux 
connoissances  qui  font  l'une  et  l'autre  toute  la  science 
des  saints.  Je  m'explique,  et  je  prétends  que  dans 
la  présentation  de  Jésus-Christ,  nous  apprenons 
tout  à  la  fois  ,  et  à  connoître  Dieu,  et  à  nous  con- 
ïioître  nous-mêmes  :  deux  choses  souverainement 
nécessaires  ,  deux  choses  dans  l'ignorance  desquelles 
le  monde  avoit  toujours  vécu,  deux  choses  d'où 
dépendoit  la  perfection  ,  le  salut  et  le  bonheur  des 
hommes;  mais  deux  choses  que  l'homme-Dieu  pou- 
voit  seul  parfaitement  nous  enseigner.  Que  je  me 
connoisse  ,  Seigneur,  disoit  saint  Augustin  ,  et  que 
je  vousconnoisse  :  que  je  vous  connoisse  pour  vous 
aimer,  et  que  je  me  connoisse  pour  me  haïr  :  avec 
cela  je  renonce  à  toute  autre  connoissance  ,  et  sans 
rien  savoir  de  plus  ,  je  crois  tout  savoir  :  Domine, 
noverim  te ,  noverim  me.  Or  il  me  semble ,  chré- 
tiens, que  c'est  surtout  au  mystère  que  nous  cé- 
lébrons ,  qu'étoient  attachées  ces  deux  connois- 
sances. Car  pour  vous  expliquer  mon  dessein  ,  je 
vais  vous  montrer  dans  les  deux  parties  de  ce  dis- 
cours, que  nul  autre  mystère  n'est  plus  propre  à 
nous  faire  comprendre  tout  à  la  fois,  et  ce  que 
c'est  que  Dieu,  et  ce  que  c'est  que  l'homme;  ce 
que  c'est  que  Dieu,  et  ce  qui  lui  est  dû;  ce  que 
c'est  que  l'homme,  et  ce  qu'il  se  doit  à  lui-même. 
Cet  enfant  que  Marie  oflre  dans  le  temple  ,  et  dont 
Siméon  fait  l'éloge ,  nous  apprend  également  l'un 

(1)  Luc.  a. 


DE    LA    VIERGE.  lG5 

et  l'autre  ;  et  s'il  est  exposé  à  la  vue  de  tous  les 
peuples  :  Ante  facitm  omnium  popidorum  (i), 
ce  n'est  que  pour  instruire  tous  les  peuples  de  ces 
deux  points  essentiels  ,  et  sur  quoi  roule  toute  la 
religion.  Tachons  à  les  bien  concevoir  ;  et  fortifiés 
des  lumières  abondantes  dont  le  bienheureux  Si- 
méon  se  trouva  comme  investi,  quand  il  vit  l'au- 
teur et  le  réparateur  de  son  salut,  remplissons- 
nous  de  la  science  de  Dieu  et  de  la  science  de  nous- 
mêmes.  Jésus-Christ  dévoué  et  consacré  au  Sei- 
gneur, nous  donnera  la  science  de  Dieu  ;  ce  sera 
la  première  partie.  Jésus-Christ  offert  et  immolé 
pour  nous ,  nous  donnera  la  science  de  nous- 
mêmes  ;  et  ce  sera  la  seconde  partie.  Vous  voyez 
l'importance  du  sujet  ;  commençons. 

PREMIÈRE    PARTIE. 

Connoître  Dieu  dans  lui-même,  c'est  le  privilège 
de  la  gloire  et  de  l'état  des  bienheureux  :  le  con- 
noître dans  ses  oeuvres  et  par  rapport  à  nous,  c'est 
l'avantage  de  la  foi,  et  ce  qui  sanctifie  les  hommes 
sur  la  terre.  Connoître  Dieu  comme  souverain  Sei- 
gneur ,  comme  premier  principe  et  dernière  fin  , 
comme  l'être  par  excellence  de  qui  relèvent  tous  les 
êtres,  et  de  qui  ils  dépendent  essentiellement;  le 
connoître  comme  source  de  tous  les  biens;  comme 
celui  ,  dit  l'Ecriture,  qui  protège  ,  qui  sauve,  qui 
vivifie  ,  et  d'où  procède  toute  grâce  et  tout  don 
parfait;  le  connoître  comme  vengeur  du  péché, 
comme  Saint  des  saints,  qui  sait  punir  le  péché 

(i)  Luc.  2. 


l66  SUR   LA  PURIFICATION 

autant  que  le  péché  est  punissable  ;  en  un  mot ,  le 
connoître  dans  l'étendue  de  ces  trois  divins  attri- 
buts que  nous  distinguons,  mais  qui  sont  en  eux- 
mêmes  indivisibles,  savoir,  dans  l'étendue  de  sa 
grandeur,  de  sa  bonté  et  de  sa  justice  :  voilà ,  dit 
l'ange  de  l'école,  saint  Thomas,  ce  qui  s'appelle 
pour  nous  dans  la  vie  ,  la  science  de  Dieu ,  et  ce 
que  Thomme  chrétien  doit  continuellement  étudier, 
s'il  veut  s'acquitter  envers  Dieu  des  trois  plus  im- 
portans  devoirs  que  la  religion  lui  impose.  Devoir 
de  dépendance,  devoir  de  reconnoissance  ,  et  sup- 
posé que  Dieu  soit  offensé,  devoir  de  pénitence. 
Or  ce  sont  justement,  mes  chers  auditeurs,  les 
trois  idées  que  le  Sauveur  du  monde  a  voulu  im- 
primer dans  nos  esprits  ,  en  nous  mettant  devant 
les  3'eux ,  l'oblation  adorable  de  sa  personne  dans 
le  temple  de  Jérusalem.  Ceci  mérite  toute  votre 
attention. 

C'est  Jésus-Christ,  fils  de  Marie  ,  qui  est  pré- 
senté à  Dieu  :  et  pourquoi?  pour  honorer  la  souve- 
raineté infinie  de  Dieu  :  Sanctifica  tnihi  omne 
primo genitum  tain  de  hùminibus  ,  qiiam  de  ju- 
ment is  ;  mea  en'un  sunt  omnia  (i);  Que  chaque 
premier  né  me  soit  offert ,  disoit  Dieu  au  législateur 
Moïse  j  dans  le  chapitre  treizième  de  1  Exode.  Pesez , 
s'il  vous  plaît,  ces  paroles,  qui  font  le  sujet  prin- 
cipal de  cette  fête,  et  qui  contiennent  en  substance 
l'instruction  solide  et  touchante  que  j'en  vais  tirer: 
Que  chaque  premier  né  me  soit  offert,  parce  que 
toutes  choses  m'appartiennent ,  et  que  ,  sans  excep- 

(i)  Exod.  i3. 


DE    LA   VIERGE.  167 

tion,  je  suis  le  Seigneur  absolu  de  toutes  les  créa- 
tures. Ainsi  Dieu  usant  de  ses  droits ,  et  se  faisant 
connoître  pour  ce  qu'il  étoit,  l'ordonnoit  aux  Is- 
raélites. Telle  étoit  la  fin  de  la  loi.  C'étoit  pour 
cela  que  les  mères  portoient  à  l'autel  ce  qu'elles 
avoient  de  plus  cher,  leurs  aînés  et  le  premier  fruit 
de  leur  fécondité.  C'étoit  par  là  qu'elles  rendoient 
hommage  à  ce  suprême  empire  que  Dieu  exerce „ 
et  qu'il  ne  convient  qu'à  lui  seul  d'exercer  dans  l'uni- 
vers :  Ego  Dominus  ,  et  non  est  alius  (1)  ;  C'est 
moi  qui  suis  le  Seigneur  ,  et  il  n'y  en  a  point  d'autre 
que  moi.  Tel  étoit,  dis-je ,  l'esprit  de  cette  sainte 
et  divine  loi  que  Moïse  avoit  publiée  ,  et  qui  se  ter- 
minoit  à  protester  par  une  cérémonie  solennelle , 
que  tout  étoit  à  Dieu  ,  de  Dieu  ,  et  pour  Dieu  ;  à 
Dieu  ,  en  qualité  de  souverain  ;  de  Dieu  ,  en  qualité 
de  principe;  et  pour  Dieu,  en  qualité  de  fin  der- 
nière :  Me  a  enim  sunt  omnia.  Mais  il  falloit  que 
la  loi  de  grâce  relevât  encore  cette  cérémonie,  et 
lui  donnât  toute  sa  perfection  :  il  falloit  pour  ho- 
norer cet  empire  de  Dieu  autant  qu'il  devoit  l'être, 
un  premier  né  d'un  ordre  et  d'un  mérite  supérieur 
à  tous  ceux  qui  jusqu'alors  avoient  été  présentés. 
Il  n'y  avoit  que  Jésus-Christ ,  qui,  offert  par  Marie, 
et  s'ofïrant  lui-même ,  pût  dignement  et  parfaite- 
ment remplir  la  mesure  de  ce  devoir  :  pourquoi  ? 
saint  Jean  Chrysostôme  en  apporte  deux  excellentes 
raisons.  Premièrement ,  parce  qu'en  conséquence 
de  sa  prédestination  éternelle,  il  étoit  le  premier 
né  de  toutes  les  créatures;  auguste  et  éminente  pré- 

(1)  Isaïe.  45. 


jG8  sur  la  purification 

rogative  que  lui  attribue  saint  Paul  :  Primo  genitus 
omnis creaturœ  (i).  Secondement,  parce  qu'étant 
Dieu  et  homme  tout  à  la  fois ,  la  présentation  de 
sa  personne  étoit  un  hommage,  non -seulement 
cligne  de  Dieu,  mais  proportionné  et  égal  à  la  ma- 
jesté de  Dieu  :  Non  rapinam  arbitratus  est  esse 
se  œqualem  Deo  (2).  Je  m'explique.  Dieu  vouloit 
que  dans  chaque  famille  le  premier  né  lui  fût  voué, 
pour  lui  répondre  de  tous  les  autres ,  et  pour  être 
comme  un  otage  de  la  dépendance  où  dévoient 
vivre  tous  les  autres ,  représentés  par  celui-ci  qui 
étoit  leur  chef.  Mais  chacun  de  ces  premiers  nés 
n'étant  chef  que  de  sa  maison  ,   et  la  loi  dont  je 
parle  n'obligeant  que  les  enfans  d'Israël ,  il  n'en 
pouvoit  revenir  à  Dieu  qu'un  honneur  borné  et  li- 
mité. Que  fait  Dieu  ?  il  choisit  dans  la  plénitude  des 
temps  un  homme ,  chef  de  tous  les  hommes ,  dont 
l'oblation  lui  est  comme  un  tribut  universel  pour 
toutes  les  nations  et  pour  tous  les  peuples  ;  un 
liomme  qui  nous  représente  tous  ,  et  qui ,  faisant  à 
notre  égard  l'office  d'aîné,  répond  à  Dieu  de  lui  et 
de  nous ,  à  moins  que  nous  n'ayons  l'audace  de  le 
désavouer ,  et  que  nous  ne  soyons  assez  aveugles 
pour  nous  détacher  de  lui  ;  un  homme  ,  dit  le  grand 
Apôtre,  dans  qui  tous  les  êtres  réunis,  rendent  au- 
jourd'hui à  Dieu  le  devoir  de  leur  soumission ,  et 
qui ,  par  son  obéissance ,  remet   sous   l'empire   de 
Dieu  tout  ce  que  le  péché  en  avoit  soustrait.  Car 
c'est  ce  que  le  Saint-Esprit  a  voulu  nous  exprimer 
dans  ces  admirables  paroles  de  l'épître  aux  Ephé- 

(1)  Colos.  1,  —  (2)  Philip.  2. 


DE    LA    VIERGE.  lGg 

siens  :  Jnstaurare  omnia  in  Christo  (i);  et  c'est 
aussi  sur  quoi  est  fondé  ce  droit  d'aînesse  que  Jé- 
sus-Christ devoit  avoir  au-dessus  de  toute  créature  : 
Primo genitus  omnis  créatures  (2). 

Je  dis  plus;  toutes  les  créatures,  prises  même 
ensemble ,  n'ayant  nulle  proportion  avec  l'être  de 
Dieu  ,  et ,  comme  parle  Isaïe ,  toutes  les  nations  n'é- 
tant devant  Dieu  qu'une  goutte  d'eau  ,  ou  qu'un 
atome  et  qu'un  néant ,  quelque  effort  qu'elles  fissent 
pour  témoigner  à  Dieu  leur  dépendance ,  Dieu  ne 
pouvoit  être  pleinement  honoré  par  elles;  et  dans 
le  culte  qu'il  en  recevoit,  il  restoit  toujours  un  vide 
infini ,  que  tous  les  sacrifices  du  monde  n'étoient 
pas  capables  de  remplir.  Il  falloit  un  sujet  aussi 
grand  que  Dieu ,  et  qui,  par  le  plus  étonnant  de 
tous  les  miracles,  possédant  d'un  côté  la  souve- 
raineté de  l'être  ,  et  de  l'autre  se  mettant  en  état 
d'être  immolé ,  pût  dire ,  mais  dans  la  rigueur  ,  qu'il 
offroit  à  Dieu  un  sacrifice  aussi  excellent  que  Dieu 
même,  et  qu'il  soumettoit  dans  sa  personne  ,  non 
point  de  viles  créatures,  non  point  des  esclaves  , 
mais  le  Créateur  et  le  Seigneur  même.  Or  c'est  ce 
que  fait  aujourd'hui  le  Fils  de  Dieu.  Sacrificium 
et  oblationem  noluisti  ,  holocaustum  et  propec- 
cato  non  postula  vti  ;  tune  dioci  :  Ecce  venio  (ô)  ; 
Vous  n'avez  plus  voulu ,  ô  mon  Dieu  !  d'oblation 
ni  d'hostie  ;  les  sacrifices  de  l'ancienne  loi  ont  cessé 
de  vous  agréer  :  c'est  pourquoi  j'ai  dit  :  Me  voici , 
je  viens,  je  me  présente  à  vous.  Car  c'est  à  la  per- 
sonne du  Sauveur  que  conviennent  littéralement 

(1)  Ephès.  1.  —  (2)  Colos.  1.  —  (3)  Psalm.  3g. 


170  SUR   LA    PURIFICATION 

ces  paroles  du  Prophète  royal,  et  c'est  dans  le 
temple  de  Jérusalem  qu'elles  furent  authentique- 
ment  vérifiées,  puisque  ce  fut  là  que  cet  homme- 
Dieu,  abolissant  les  anciens  holocaustes  pour  en 
établir  un  nouveau ,  vint  lui-même  s'offrir  à  son 
Père  ,  se  consacra  ,  se  dévoua  solennellement,  entra 
dans  le  sanctuaire,  non  plus,  dit  l'Apôtre ,  avec  le 
sang  des  boucs  et  des  taureaux,  mais  avec  son 
propre  sang  :  c'est-à-dire ,  honora  Dieu ,  non  plus 
par  des  sujets  étrangers ,  mais  par  lui-même  et  aux 
dépens  de  lui-même  ;  et  par  cette  unique  oblation  , 
donna  pour  jamais  à  ceux  qui  dévoient  être  sancti- 
fiés ,  une  idée  parfaite  du  vrai  culte  qui  est  dû  au 
Dieu  vivant  :  Uiid  oblatione  consummavit  in 
sempiternum  sanctificatos  (i).  Yoilà  donc,  mes 
chers  auditeurs ,  ce  que  nous  inspire  le  mystère  de 
ce  jour;  un  sentiment  profond  et  respectueux  de 
la  souveraineté  de  Dieu  ;  un  attachement  inviolable 
à  ce  premier  devoir  de  religion  ,  qui  est  l'obéissance 
et  la  soumission  à  Dieu  ;  une  disposition  à  se  sa- 
crifier, et,  s'il  étoit  possible,  à  s'anéantir  pour 
reconnoitre  ,  comme  Jésus-Christ  ,  l'empire  de 
Dieu. 

Or,  de  là  même  concluez  et  jugez  quel  est  le  dé- 
sordre de  l'homme,  qui,  par  une  propriété  insé- 
parable de  son  être  ,  de  quelque  condition  d'ailleurs 
qu'il  soit,  étant  né  sujet  de  Dieu,  vit  néanmoins  , 
à  l'égard  de  Dieu ,  dans  une  espèce  d'indépen- 
dance d'autant  plus  criminelle  que ,  bien  loin  d'en 
rougir  ,  il  semble  encore  souvent  s'en  glorilier.  In- 

(1)  Hebr.  10. 


DE    LA  VIERGE.  I71 

dépendance  de  Dieu,  péché  capital  des  grands  du 
monde  ,  dont  le  caractère  le  plus  commun  est  de 
vivre  comme  s'ils  n'étoient  nés  que  pour  eux-mêmes, 
et  qui  ,  par  un  renversement  de  principes ,  usant 
du  monde,  ou  plutôt  en  jouissant,  comme  si  le 
monde  ne  subsistoit  que  pour  eux  ,  rapportent  tout 
à  eux  ,  au  lieu  que  tout  doit  être  rapporté  à  Dieu. 
Indépendance  de  Dieu  ,  d'où  il  arrive  que  dans 
leurs  entreprises ,  Dieu  n'est  pas  même  consulté  ; 
que  sa  loi  n'est  jamais  un  obstacle  à  leurs  injustes 
desseins  ;  que  leur  politique  est  la  seule  règle  de 
leurs  plus  importantes  actions ,  pendant  que  la  cons- 
cience n'est  écoutée  et  ne  décide  que  sur  les  moin- 
dres ;  que  ce  qui  s'appelle  leur  intérêt,  n'est  jamais 
pesé  dans  la  balance  de  ce  jugement  redoutable  , 
où  eux-mêmes  néanmoins  doivent  l'être  un  jour , 
comme  si  leurs  intérêts  étoient  quelque  chose  de 
plus  privilégié  qu'eux-mêmes ,  comme  si  leur  poli- 
tique pouvoit  prescrire  contre  la  loi  de  Dieu,  qui 
est  éternelle  ,  comme  si  la  conscience  n'étoit  un  lien 
que  pour  les  âmes  vulgaires  ,  comme  s'il  y  avoit  des 
hommes  affranchis  par  leur  état,  de  la  suprême  do- 
mination du  Seigneur  de  toutes  choses.  Indépen- 
dance de  Dieu,  souvent  accompagnée  d'illusion  et 
d'erreur;  en  sorte  que  ces  esprits  mondains  pro- 
fessant au  dehors  la  religion ,  ne  laissent  pas  d'en 
être  secrètement  les  déserteurs;  ne  s'y  assujettissent 
qu'autant  qu'il  leur  plaît,  l'interprètent  selon  leur 
sens,  l'accommodent  à  leurs  passions  ;  et  au  lieu  de 
régler  par  elle  leur  ambition  ,  leurs  désirs  ,  leurs 
vues ,  la  font  toujours  servir  à  leurs  vues  ,  à  leurs 


172  SUR    LA   PURIFICATION 

désirs  ,  à  leur  ambition.  Indépendance  de  Dieu  qui 
vient,  dans  les   uns,  d'un  oubli  général  de  leurs 
devoirs  ,  dans  les  autres  d'un  excès  d'amour-propre  ; 
dans  ceux-ci ,  d'un  esprit  d'orgueil ,  dans  ceux-là  , 
d'un  fonds  de  libertinage  et  d'impiété  :  quatre  sources 
du  désordre  que  je  combats.  Oubli  général  de  leurs 
devoirs ,  lorsque  dissipés  et  emportés  par  le  torrent 
du  siècle ,  enflés  de  leurs  succès  et  plongés  dans  le 
plaisir ,  ils  ne  se  souviennent  plus  enfin  qu'ils   ont 
un  maître  ,  un  législateur  ,  un  juge  ,  tellement  que 
le  respect  et  la  crainte  de  Dieu  s'effacent  à  mesure 
que  le  monde  les  possède ,  et  qu'il  ne  leur  reste  plus 
qu'une  foi  morte  ,  incapable  de  les  toucher,  beau- 
coup moins  de  les  contenir  dans  l'ordre  d'une  obéis- 
sance exacte  et  fidèle.  Excès  d'amour-propre  lors- 
qu'à force  de  s'aimer ,  de  se  flatter ,  de  se  recher- 
cher et  de  se  satisfaire  ,  ils   se   font  d'eux-mêmes 
leurs  idoles  ;  qu'ils  se  regardent  eux-mêmes  comme 
leur  lin,  et  que  dans  l'usage  de  la  vie,  toujours  oc- 
cupés d'eux-mêmes,  toujours  pleins  d'eux-mêmes, 
toujours  attachés  et  bornés  à  eux-mêmes,   ils  de- 
viennent insensibles  ,  non-seulement  pour  tout  ce 
qui  est  hors  d'eux-mêmes ,  mais  pour  le  Dieu  qui 
les  a  créés ,  et  dont  la  supériorité  leur  paroît  gê- 
nante  et  incommode.  Esprit    d'orgueil  ,  lorsqu'à 
l'exemple  de  ce  roi  infidèle  dont  parle  l'Ecriture, 
ils  disent  au  moins  dans  leur  coeur  :  Qui  s  est  Do- 
minus  ut  audiam  vocem  rjus  («)•''  Et  quel  est 
ce  Seigneur  dont  on  me  menace  sans  cesse?  qu'ils 
méprisent  sa  voix  ,  qu'ils  rejettent  ses  grâces  et  ses 

(1)  Ejod.  5. 


DE    LA    VIERGE.  1^5 

inspirations ,  qu'ils  violent  avec  impunité  ses  eom- 
mandemens  et  ses  lois ,  qu'ils  lui  résistent  en  face  , 
et  qu'ils  portent  l'obstination  et  l'endurcissement  jus- 
qu'à lui  pouvoir  être  rebelles  sans  cesser  d'être  tran- 
quilles. Fonds  de  libertinage  et  d'impiété ,  lorsque 
livrés  à  leurs  erreurs,  et  au  sens  réprouvé  qui  les 
aveugle ,  ils  passent  jusqu'au  raisonnement  de  l'in- 
sensé :  Y  a-t-il  un  Dieu  ?  s'il  y  en  a  un  ,  est-il  tel 
qu'on  nous  le  figure  ?  connoît-il  toutes  choses?  y 
prend-il  un  intérêt  si  grand?  a-t-il  une  providence 
aussi  exacte  et  aussi  sévère  que  celle  dont  on  veut 
que  nous  dépendions  ?  Et  dixerunt  :  Quomodô 
scit  Deus ,  et  si  est  scientia  in  Excelso  (i)/ 
Car  voilà ,  chrétiens ,  où  conduit  peu  à  peu  l'esprit 
du  monde. 

Or  à  tout  cela  ,  Dieu  a  voulu  par  son  infinie  mi- 
séricorde opposer  dans  la  personne  de  son  Fils, un 
exemple  sensible,  un  exemple  convaincant ,  et  à 
quoi  nous  n'eussions  rien  à  répliquer.  Car  si  dans 
l'ordre  des  décrets  divins  qui  se  développent  au- 
jourd'hui à  nos  yeux,  un  homme-Dieu  ne  paroît 
devant  Dieu  que  sous  la  forme  et  dans  la  posture 
de  serviteur,  avec  quel  front  pouvons-nous  sou- 
tenir l'indépendance  chimérique  et  prétendue  que 
nous  affectons?  Je  le  répète,  chrétiens  ,  ce  que 
nous  prêche  cette  auguste  solennité,  et  le  premier 
fruit  que  nous  en  devons  retirer,  c'est  une  dépen- 
dance entière  de  Dieu.  Je  ne  suis  pas  à  moi ,  mais  à 
Dieu ,  donc  je  ne  dois  pas  vivre  pour  moi ,  mais 
pour  Dieu  ;  donc  toutes  mes  vues  doivent  avoir  Dieu 

(0  Psalm.  72, 


174  SUR    LA    PURIFICATION 

pour  terme  ;  donc  je  dois  mettre  Dieu  à  la  tête  de 
tous  mes  conseils;  donc  il  faut  que  Dieu  soit  la 
règle  de  toutes  mes  entreprises;  donc  je  ne  dois 
rien  désirer  que  dans  les  bornes  ,  quoique  étroites , 
de  l'inflexible  équité  de  Dieu  ;  donc  je  ne  dois  rien 
résoudre,  ni  former  aucun  projet ,  qu'après  l'avoir 
mis  à  l'épreuve  de  la  loi  de  Dieu  ;  donc  je  dois  être 
prêt  à  me  départir  de  tout  ce  qu'une  licence  crimi- 
nelle, ou  une  prudence  humaine  m'auroit  engagé 
à  faire  contre  les  ordres  de  Dieu  :  car  c'est  là  dans 
la  pratique  ce  que  nous  appelons  dépendre  de  Dieu. 
Je  dois  vivre  pour  Dieu;  donc  il  ne  m'est  pas  per- 
mis d'avoir  d'établissement ,  de  fortune  ,  de  dignité , 
de  rang ,  de  grandeur  que  pour  Dieu.  Une  gran- 
deur pour  moi-même  ,  un  établissement  pour  moi- 
même  ,  une  élévation ,  une  fortune  pour  moi-même 
seroit  un  monstre  dans  la  nature,  et  comme  une 
idolâtrie  subsistante  au  milieu  de  moi-même  ,  dont 
la  jalousie  de  mon  Dieu  se  trouveroit  piquée ,  et 
qui  m'attireroit  infailliblement  ses  vengeances.  J'ap- 
partiens à  Dieu  ,  et  je  ne  suis  ce  que  je  suis  que 
pour  dépendre  de  lui  ;  donc  je  dois  être  sincère- 
ment, efficacement,  continuellementdisposé  à  m'im- 
moler  pour  lui  ;  donc  en  mille  occasions  qui  se  pré- 
sentent ,  je  dois  me  renoncer ,  et ,  selon  l'expression 
de  l'évangile ,  me  perdre  moi-même  pour  lui  ;  donc 
je  ne  dois  ménager,  ni  réputation  ,  ni  crédit ,  ni  fa- 
veur ,  ni  biens ,  quand  il  s'agit  de  me  déclarer  pour 
lui  ;  car  voilà  ce  que  c'est  que  sacrifice  ,  et  je  ne  puis 
autrement  témoigner  à  Dieu  que  je  suis  sa  créature. 
Malheur  à  moi,  si,  pour  tout  autre  que  pour  Dieu, 


Î)E    LA    YIERGE.  1^5 

j'étoîs  disposé  de  la  sorte  :  pourquoi?  parce  qu'il 
ne  peut  y  avoir  que  Dieu  de  qui  je  dépende  de 
cette  dépendance  absolue ,  dont  le  sacrifice  est  la 
marque.  Malheur  à  quiconque  voudroit  être  ainsi 
dévoué  à  un  homme  mortel,  parce  qu'il  n'y  a  point 
d'homme  mortel  à  qui  ce  dévouement  puisse  être 
dû  ,  ou  plutôt  à  l'égard  de  qui  ce  dévouement  ne 
fût  un  crime.  Aux  hommes,  dit  le  Saint-Esprit,  le 
tribut,  l'honneur,  le  service;  mais  à  Dieu  seul  le 
sacrifice  de  tout  ce  qui  est  en  nous  et  de  nous- 
mêmes  ,  puisqu'il  est  le  Seigneur  par  essence  et  que 
nous  dépendons  de  lui  jusque  dans  le  fond  de  notre 
être. 

C'est  dans  cet  esprit,  que  tout  chrétien  a  dû  se 
présenter  aujourd'hui  devant  les  autels.  Si  dans 
l'oblation  que  nous  avons  faite  à  Dieu  de  nos  per- 
sonnes ,  il  y  a  eu  quelque  chose  d'excepté  ,  Dieu  ne 
s'est  point  tenu  honoré  de  notre  culte,  et  nous  ne 
l'avons  point  connu  pour  ce  qu'il  est.  Car  autant 
que  nous  le  pouvions ,  nous  avons  osé  limiter  ce 
droit  d'empire  universel  et  inaliénable,  sur  quoi 
étoit  appuyée  la  loi  de  la  présentation  ,  Mea  enim 
sunt  omnia  (i);  et,  démentant  sa  parole  ,  nous  lui 
avons  dit,  non  de  bouche,  mais  par  l'effet,  que 
toutes  choses  ne  lui  appartenoient  pas.  Un  seul  in- 
térêt réservé,  une  seule  passion  épargnée,  une  seule 
attache  que  le  cœur  n'a  pas  encore  rompue  ,  c'est 
assez  pour  faire  à  notre  Dieu  un  tel  outrage;  par  lu, 
notre  oblation,  quelque  fervente  qu'elle  nous  ait 
paru  d'ailleurs ,   a  été  non-seulement  vicieuse  et 

(0  Exod.  i3. 


ï^6  SUR    LA   PURIFICATION 

imparfaite,  mais  odieuse  ;  par  là  nous  avons  commis 
ce  larcin  si  détesté  de  Dieu  ,  et  si  distinctement 
marqué  dans  l'Ecriture:  Quia  ego  Dominus  cli- 
ligens  judicium,  et  odio  habens  r opinant  in 
holocausto  (i  ).  Oui,  mes  chers  auditeurs  ,  ce  larcin 
dans  l'holocauste,  c'est  l'exception  dont  je  parle, 
c'est  l'injuste  réserve  que  nous  faisons  d'une  chose 
que  Dieu  nous  demande  comme  Seigneur ,  et  qui 
devroit  être  la  matière  du  sacrifice  qu'il  attend  de 
nous  ;  d'une  chose  que  nous  mettons  à  part ,  et  que 
nous  retranchons  du  nombre  de  celles  dont  nous 
voulons  bien  qu'il  soit  maître.  Désordre  dont  nous 
avons  dû,  vous  et  moi ,  nous  garantir ,  en  présentant 
à  Dieu  ,  comme  Marie  ,  ce  véritable  ,  quoique  mys- 
térieux ,  premier  né  ,  figuré  dans  la  loi  ancienne  , 
je  veux  dire,  ce  que  nous  aimons  plus  fortement  et 
plus  tendrement,  cette  passion  dominante;  cet  objet 
à  qui  nous  sommes  si  étroitement  liés  ,  et  que  je  puis 
bien  nommer  le  premier  né  de  notre  cœur  ,  puisqu'il 
en  a  tous  les  premiers  mouvemens.  En  le  sacrifiant 
à  Dieu ,  nous  pourrions  dire  que  nous  lui  avons 
tout  sacrifié  ,  et  qu'il  ne  tient  plus  à  nous  que  Dieu 
ne  soit  en  possession  de  toute  la  gloire  dont  il  étoit 
si  jaloux  ,  quand  il  disoit  à  son  peuple  :  Sanctijica 
mihi  onuie  primo genilum  ,  mea  enint  sunt  ont- 
nia  (2).  Et  c'est  ainsi,  hommes  du  monde,  que 
vous  entrerez  dans  les  sentimens  de  Jésus-Christ, 
et  que  vous  conformant  à  son  exemple  ,  vous  con- 
noitrez  Dieu  comme  votre  souverain. 

Mais  voici  une  seconde  qualité  dont  il  ne  se  glo- 

)Isaï.  iG.  —  (2)  Exocl.  i5. 


DE   LA    VIERGE.  177 

nfie  pas  moins ,  et  qu'il  vous  importe  encore  plus 
de  bien  connoître.  Les  Juifs  oflfroient  à  Dieu  leurs 
premiers  nés  en  mémoire  du  bienfait  signalé  qu'ils 
avoient  reçu ,  lorsque  Dieu  ,  pour  les  délivrer  de 
l'esclavage  de  Pharaon ,  avoit  fait  périr  dans  une 
seule  nuit  tous  les  premiers  nés  d'Egypte  :  Ex  quo 
percussi  primoganitos  in  terra  JEgypti ,  sanc- 
tificavi  mihi  quidquid  primàni  nascitur  in  Is~ 
rael  (1).  Ce  fut  selon  le  témoignage  de  Dieu  même, 
le  motif  principal ,  pourquoi  cette  cérémonie  fut 
instituée,  et  Jésus-Christ  qui  étoit  la  fin  et  le  con- 
sommateur de  la  loi,  est  aujourd'hui  offert  comme 
premier  né  de  tout  le  genre  humain,  en  action  de 
grâces  des  obligations  infinies  ,  personnelles  et  sin- 
gulières que  nous  avons  à  Dieu  ;  mais  que  nul  de 
nous  n'étoit  en  pouvoir  de  reconnoître  ,  si  par  son 
adorable  présentation ,  cet  homme-Dieu  ne  nous  en 
eût  fourni  le  moyen.  Prenez  garde ,  s'il  vous  plaît , 
chrétiens  :  Dieu  vouloit  être  connu  de  son  peuple, 
non-seulement  comme  auteur  des  biens  spirituels 
et  surnaturels  qui  regardent  le  salut;  mais  comme 
auteur  des  prospérités  et  des  grâces  temporelles  qiû 
ne  laissent  pas ,  quoique  d'un  ordre  inférieur ,  d'être 
du  ressort  de  sa  providence.  Il  vouloit  que  son  peuple 
les  tînt  de  lui ,  en  usât  comme  venant  de  lui,  ne  les 
regardât  que  comme  des  grâces  d'en-haut  et  des 
dons  qui  partoient  de  lui.  Car  de  là  vient ,  dit  saint 
Jérôme  ,  que  presqu'autant  de  fois  que  Dieu  donnoit 
aux  Hébreux  quelque  marque  éclatante  de  sa  pro- 
tection, soit  en  les  tirant  de  captivité,  soit  en  les 

(1)  Numer  3. 

TOME  XI,  13, 


I78  SUR   LA    PURIFICATION 

faisant  triompher  de  leurs   ennemis,  il  ordonnent 
une  fête  pour  en  conserver  le  souvenir  :  afin,  dit 
ce  saint  docteur,  qu'à  proportion  qu'ils  devenoient 
heureux  ,  ils  se  vissent  dans  la  nécessité  d'être  reli- 
gieux ;  et  que  de  siècle  en  siècle,  de  génération  en 
génération,  les  pères  apprissent  à  leurs  enfans  que 
c'étoit  le  Dieu  d'Israël  qui  les  avoit  sauvés  ;  qu'il  les 
avoit  protégés ,  qu'il  les  avoit  élevés  ;  et  que  comme 
une  source  de  bonheur  pour  eux  étoit  de  le  pu- 
blier et  d'en  convenir,  aussi  le  plus  grand  de  tous 
les  malheurs   qu'ils    avoient  à  craindre,  étoit   de 
l'ignorer  ou  de  l'oublier.  Pourquoi  ce  soin  d'entre- 
tenir cette  pensée  dans  leurs  esprits  ?  Ne  vous  ima- 
ginez- pas ,  mes  chers  auditeurs ,  qu'en  cela  Dieu 
agit  par  intérêt,  ou  comme  un  maître,  sévère  exac- 
teur de  ses  droits,  et  déterminé  à  ne  rien  perdre 
de  ce  qui  lui  est  dû.  Mais  ,  reprend  saint  Jérôme  , 
il  exigeoit  d'eux  ce  devoir,  parce  qu'il  prévoyoit 
que  sans  cela  les  biens  mêmes  qu'ils  recevoient  de 
lui ,  leur  seroîent  préjudiciables  ;  que  sans  cela  les 
prospérités  dont  il  les  combloit,  ne  serviroientqu'à 
les  pervertir  ;  qu'il  n'y  auroit  que  ce  devoir  de  re- 
connoissance  qui  pût  les  préserver  d'une  entière 
corruption  ;  que  du  moment  qu'ils  le  négligeroient, 
leurs  moeurs  aussi  bien  que  leur  foi  commenceroient 
à  se  dérégler;  et  qu'ils  ne  seroient  jamais  ingrats  , 
sans  être  ,  par  une   suite  nécessaire,  insolens  ,  im- 
pies ,  réprouvés.   Dans  cette  vue ,  poursuit  saint 
Jérôme,  Dieu  leur  fit  observer  des  solennités,  leur 
ordonna  des  sacrifices,  leur  prescrivit  des  céré- 
monies et  des  lois  ;  et  c'est  dons  cette  même  vue 


DE   LA    VIERGE.  179 

qu'il  nous  propose  à  nous-mêmes  le  médiateur  et 
le  sauveur  des  hommes  ,  comme  le  modèle ,  comme 
le  supplément,  comme  la  perfection  de  notre  re- 
connoissance.  Trois  choses  que  je  vous  prie  de  bien 
observer.  Comme  le  modèle  de  notre  reconnois- 
sance;  car  c'est  ici  que  Jésus-Christ  nous  dit  :  lus- 
pi  ce  et  fac  secundàm  exemplar  (1);  Veux- tu 
chrétien,  n'être  pas  ingrat  envers  Dieu,  regarde- 
moi  et  imite-moi.  Offre-toi  de  même  que  je  me  suis 
offert,  et  sacri(ie-toi  dans  le  même  esprit  que  je  me 
suis  sacrifié.  Comme  le  supplément  de  notre  re- 
connoissance  ;  car  tout  ce  qu'il  y  a  de  défectueux 
dans  les  actions  de  grâces  que  nous  rendons  à  Dieu, 
est  amplement  et  abondamment  suppléé  par  l'obla- 
tion  d'un  Dieu.  Comme  la  perfection  de  notre  re- 
connoissanee  ,  puisqu'un  Dieu  a  pu  seul  rendre  suffi- 
samment, et,  pour  ainsi  dire,  avec  une  juste  pro- 
portion ,  tout  ce  que  nous  devions  à  Dieu.  Arrêtons- 
nous  là ,  mes  chers  auditeurs ,  et  tâchons  à  profiter 
de  ces  divines  leçons. 

A  quoi  se  réduisent-elles  ?  à  confondre  en  nous 
cet  esprit  d'ingratitude,  qui  fait  que  bien  loin  de 
reconnoître  les  bienfaits  de  Dieu ,  on  ne  convient 
pas  même  avec  Dieu  que  ce  soient  ses  bienfaits; 
que  bien  loin  de  lui  en  rapporter  la  gloire ,  on  ne 
veut  pas  lui  en  tenir  compte  ,  qu'on  se  les  attribue 
à  soi-même  ;  qu'on  s'en  fait  des  armes  contre  lui  ; 
qu'on  en  devient  plus  fier  ,  plus  vain  ,  plus  orgueil- 
leux ,  et  par  conséquent  plus  emporté  dans  ses  pas- 
sions et  plus  vicieux  ;  car  que  voyons-nous  dans  le 
(1)  Exod.  25. 


ï8o  SUR   LA.  PURIFICATION 

monde  de  plus  ordinaire,  que  des  hommes  ainsi 
dénaturés ,  sans  néanmoins  passer  pour  l'être  ,  et 
sans  faire  réflexion  qu'ils  le  sont;  des  hommes  non- 
seulement  enflés,  mais  corrompus  par  les  prospé- 
rités dont  Dieu  les  comble  ;  des  hommes  qui  sem- 
blent ne  mépriser  Dieu  ,  que  parce  que  Dieu  les  a 
distingués  ,  et  dont  on  peut  bien  dire  qu'ils  ne  sont 
médians  que  parce  qu'ils  sont  heureux?  Combien 
en  voyons-nous  qui ,  au  lieu  d'aller  au  principe 
des  succès  et  des  avantages  qu'ils  ont  dans  la  vie , 
croient  avoir  droit  de  s'en  applaudir,  et  se  disent 
secrètement  à  eux-mêmes  :  Manus  nostra  ejccelsay 
et  non  Dominus  fecit  hœc  omnia  (i).  C'est  moi 
qui  me  suis  fait  ce  que  je  suis  ,  c'est  moi  qui  ai  éta- 
bli ma  maison  ,  c'est  par  mon  industrie  et  mon  tra- 
vail que  je  suis  parvenu  là;  tout  cela  est  l'ouvrage 
de  mes  mains.  Où  est  aujourd'hui  le  riche  mondain  , 
à  qui  l'on  ne  puisse  faire  avec  douleur  et  avec  indi- 
gnation le  même  reproche  que  Moïse  faisoit  aux 
Juifs  :  Incrassatus  est  dilectus,  et  recalcitravit  ; 
incrassatus-,  impinguatus ,  dilatatus ,  dereli- 
quit  Deam  factorem  suum ,  et  recessit  à  Deo 
salutari  suo  (2)  ;  Il  s'est  engraissé  des  biens  de 
Dieu  ,  et  c'est  pour  cela  qu'il  a  été  rebelle  à  Dieu  , 
qu'il  a  quitté  Dieu,  l'auteur  de  son  être  et  le  répa- 
rateur de  son  salut.  Abus  que  Dieu  déteste  souve- 
rainement ,  et  que  nous  ne  pouvons  assez  détester 
nous-mêmes.  Selon  toutes  les  lois  de  la  justice, 
plus  un  homme  est  comblé  de  biens  ,  plus  il  devroit 
être  fidèle,  fervent,  attaché  au  culte  de  Dieu;  et, 

(  1)  Dent.  52.  —  (2)  ll>id. 


DE    LA   VIERGE.  l8l 

par  un  effet  tout  contraire,  plus  on  est  comblé  de 
biens  ,  plus  on  est  froid  et  indifférent  pour  Dieu: 
disons  mieux  ,  plus  on  est  impie  et  ennemi  de 
Dieu. 

Ah  !  mes  frères ,  s'écrioit  saint  Bernard ,  heureux 
l'homme  qui  est  toujours  en  crainte  ,  et  qui  n'appré- 
hende pas  moins  d'être  accablé  des  bienfaits  et  des 
grâces  qu'il  reçoit,  que  des  péchés  qu'il  commet  ! 
BeaUis  homo  qui  semper  est  pavidus ,  nec  mi- 
nori  angitar  sollicitudine  ,  ne  obruatur  bene- 
ficiis  quàm  peccatis  !  Pourquoi  cette  crainte  et 
cette  inquiétude  touchant  les  bienfaits  de  Dieu  ? 
Apprenez-le  :  parce  qu'il  est  certain  que  les  bien- 
faits reçus  de  Dieu,  seront  aussi  bien  pour  nous 
un  sujet  de  damnation  au  dernier  jugement,  que 
les  péchés  commis  contre  Dieu  ;  et  parce  qu'il  est 
vrai ,  qu'au  lieu  que  les  péchés  commis  peuvent  au 
moins  nous  humilier  et  par  là  servir  à  notre  conver- 
sion et  à  notre  prédestination  ,  les  bienfaits  de  Dieu 
méconnus  ne  servent  qu'à  nous  aveugler ,  qu'à  nous 
endurcir ,  qu'à  fomenter  notre  impénitence.  Ne 
vous  étonnez  donc  pas  si  j'insiste  sur  cette  morale  : 
peut-être  Dieu  me  l'a-t-il  inspirée  ,  comme  la  plus 
propre  à  vous  toucher;  et  peut-être  a-t-il  prévu 
que  ce  seroit  celle  à  quoi  vous  résisteriez  moins. 
Combien  a-t-on  vu  de  pécheurs  insensibles  à  tous 
les  châtimens  divins  dont  on  les  menaçoit ,  se  laisser 
attendrir  par  le  motif  de  la  reconnoissance  ?  Ainsi 
Dieu  en  usa-t-il  à  l'égard  de  David  :  au  lieu  de  lui 
représenter  l'énormité  de  son  crime,  il  lui  remit 
devant  les  yeux  le  nombre  de  grâces  dont  il  l'avoit 


ï82  SUR  LA    PURIFICATION 

prévenu  :  C'est  moi ,  lui  dit-il  par  la  bouche  de  son 
Prophète  ,  qui  vous  ai  sacré  roi  d'Israël ,  c'est  moi 
qui  ai  affermi  votre  trône  ,  c'est  moi  qui  vous  ai  dé- 
livré des  mains  de  Saiil  ;  et  si  tous  ces  bienfaits  vous 
paroissent  peu  de  chose,  j'y  en  ajouterai  encore  de 
plus  grands  :  Et  si  parva  sunt  ista  ,  acljiciam 
tibi  multo  majora  (i).  David  fut  ému  de  ces  pa- 
roles; il  ne  put  soutenir  l'aimable  reproche  que 
Dieu  lui  faisoit  :  de  pécheur  qu'il  étoit,  il  devint 
en  ce  moment  un  juste  ,  un  saint ,  un  homme  selon 
le  coeur  de  Dieu.  Je  ne  vous  en  dis  pas  davantage, 
chrétiens  :  Dieu  vous  a  donné,  aussi  bien  qu'à  Da- 
vid ,  des  âmes  nobles  ;  et  pourquoi  le  souvenir  de 
tant  de  biens  dont  le  Seigneur  vous  a  comblés,  ne 
feroit-il  pas  sur  vous  les  mêmes  impressions  ? 

Enfin  ,  Dieu  se  fait  aujourd'hui  connoître  comme 
vengeur  du  péché  ,  puisque  Jésus-Christ  paroît  dans 
le  temple  de  Jérusalem  ,  comme  la  victime  destinée 
pour  l'expiation  du  péché ,  et  pour  la  réparation 
qui  en  étoit  due  à  la  justice  et  à  la  sainteté  de  Dieu. 
Réparation  que  Dieu  attendoit  depuis  tant  de  siè- 
cles ,  et  que  Jésus-Christ  seul  devoit  commencer 
dans  la  solennité  présente.  Dieu  ,  dis-je  ,  l'attendoit, 
cette  réparation.  Car  il  falloit  qu'il  fût  vengé;  et 
tout  miséricordieux  qu'il  est,  il  ne  devoit  jamais 
pardonner  à  l'homme  pécheur,  si  sa  colère  n'étoit 
apaisée  par  une  hostie,  qui  du  moins  pût  autant 
le  glorifier  que  le  péché  l'avoit  déshonoré.  Or  nul 
autre  que  Jésus-Christ  ne  pouvoit  ainsi  réparer  la 
gloire  de  son  Père  ;  et  voilà  pourquoi  il  s'est  oilert. 

(1)  Reg.  12. 


DE    LA    VIERGE.  l83 

En  effet,  c'est  ici ,  aussi  bien  que  dans  sa  circon- 
cision, qu'il  paroît  sous  la  forme  de  pécheur,  ou 
qu'il  se  substitue  en  la  place  des  pécheurs.  Marie 
et  Siméon  en  le  présentant,  le  livrent,  pour  parler 
de  la  sorte ,  à  la  justice  divine.  Comme  s'ils  disoient 
à  Dieu  :  Vengez-vous ,  Seigneur  ;  votre  gloire  le 
demande,  et  voici  de  quoi  vous  rendre  toute  celle 
qui  vous  a  été  ravie.  Frappez ,  et  lavez  dans  le  sang 
d'un  Dieu  tous  les  outrages  que  vous  avez  reçus. 
Si  le  temps  n'est  pas  encore  venu  de  porter  le  coup , 
la  victime  est  toujours  entre  vos  mains,  et  ce  sera 
pour  le  moment  que  votre  sagesse  a  marqué  et  qu'il 
vous  plaira  de  faire  éclater  vos   vengeances.  Or, 
chrétiens ,  on  vous  l'a  dit  cent  fois  ,  et  moi-même 
je  ne  puis  trop  de  fois  vous  le  redire,  ni  vous  im- 
primer trop  avant  dans  l'esprit  une  si  importante 
vérité  :  quoique  cette  oblation  de  Jésus-Christ  ait 
suffi  pour  effacer  tous  les  péchés  du  monde ,  elle 
ne  vous  dispense  pas  du  devoir  de  la  pénitence.  Au 
contraire,  elle  doit  vous  y  exciter  et  vous  y  engager 
plus  fortement,  en  vous  faisant  voir  jusques  à  quel 
point  Dieu  hait  le  péché,  et  jusques  à  quel  point  il 
doit  être  haï  et  puni.  Je  dis  haï  par  nous-mêmes  , 
et  puni  par  nous-mêmes.  Car  ne  nous  y  trompons 
pas  :  il  est  vrai  que  le  Fils  de  Dieu  ,  en  se  présen- 
tant pour  nous  à  son  Père  ,  lui  a  présenté  dans  son 
adorable  personne  des  mérites  infinis;  mais  pour- 
quoi? afin  que  l'excellence  de  ses  mérites  relevât 
les  nôtres,  et  non  point  afin  d'exclure  absolument 
les  nôtres,  et  de  nous  décharger  du  soin  de  les 
acquérir.  Les  nôtres  sans  les  siens  ne  seraient  rien  5 


,84  SUR    LA    PURIFICATION 

nos  satisfactions  sans  celles  de  cet  homme-Dieu , 
offert  à   Dieu,  seroient   inutiles  :  mais  aussi  les 
siennes  ,  quoiqu 'abondantes  et  surabondantes,  man" 
qneroient ,  sans  les  nôtres  ,  d'un  accompagnement 
nécessaire,  pour   nous   les   rendre  profitables,  et 
pour  nous  les  appliquer.  Il  faut  donc  que  les  nôtres 
soient  jointes  aux  siennes.  Car  c'est  ainsi  que  Dieu 
l'a  ordonné;  et  il  est  bien  juste  que,  comme  Dieu 
juge  et  vengeur  ,  il  exige  de  l'homme  criminel  toute 
la  réparation  dont  l'homme  est  capable.  Mais  nous, 
mes  chers  auditeurs,  nous  en  jugeons  et  nous  en 
voulons  juger  tout  autrement.  Sans  être  hérétiques 
de  profession  ,  nous  le  sommes  de  pratique  et  d'effet. 
Je  m'explique.  Une  des  erreurs   de  l'hérésie  des 
derniers   siècles,  est  de   ne  vouloir  point  recon- 
noître  la  nécessité  des  bonnes  œuvres,  surtout  des 
œuvres  pénales  et  satisfactoires  ;  et  si  nous  renon- 
çons à  ce  dogme  dans  la  spéculation  ,  du  reste  nous 
le  suivons  dans  toute  la  conduite  de   la  vie.  Nous 
exaltons  volontiers  le  prix  de  cette  divine  offrande  , 
qui  a  été  faite  à  Dieu  dans  le  temple  de  Jérusalem 
par  les  mains  de  Marie  ,  et  nous  nous  en  tenons-là  , 
comme  si  nous  étions  persuadés  que  tout  ce   que 
nous  y   pouvons  ajouter,  n'est  qu'une  pure  sub- 
rogation. Noo-seulement   on  vit   sans  pénitence, 
mais  on  cherche  en  tout  ses   aises  et  ses  commo- 
dités; mais  on  veut  être  de  toutes   les  parties  de 
plaisir ,  et  entrer  dans  tous  les  jeux  et  tous  les  di- 
vertissemens  du  monde  ;  mais  on  se  rend  idolâtre 
de  son  corps,  et  l'on  ne  refuse  rien  à  ses  sens  de 
tout  ce  qui  peut  les  flatter.  Est-ce  là  l'exemple  que 


DE    LA    VIERGE.  l85 

Jésus-Christ  nous  donne  dans  sa  présentation  ? 
sont-ce  là  les  leçons  qu'il  nous  fait;  et  par  quel 
injuste  partage  prétendons-nous  lui  laisser  toute  la 
peine  de  notre  rédemption ,  et  en  retenir  tous  les 
avantages  pour  nous  ?  Non ,  non  ,  chrétiens  ,  c'est 
ne  pas  connoître  Dieu ,  ce  Dieu  des  vengeances , 
que  d'espérer  en  être  quittes  auprès  de  lui  à  si  peu 
de  frais ,  et  sans  qu'il  nous  en  coûte.  Or  il  ne  tient 
néanmoins  qu'à  nous  de  le  connoître  dans  ce  mys- 
tère, comme  il  ne  tient  encore  qu'à  nous  d'ap- 
prendre à  nous  connoître  nous-mêmes,  et  ce  que 
nous  noiïs  devons  à  nous-mêmes  ,  vous  l'aliez  voir 
dans  la  seconde  partie. 

DEUXIÈME    PARTIE. 

C'étoit  un  principe  établi  même  parmi  les  païens, 
et  dont  ils  ont  fait  comme  le  point  capital  de  leur 
morale,  que  de  se  connoître  est  l'abrégé  de  toute 
la  sagesse  et  de  toute  la  perfection.  Connoissez- 
vous  vous-mêmes ,  disoient  ces  sages  du  monde  , 
dépourvus  du  don  de  la  foi,  mais  dont  les  maximes 
ne  laisseront  pas  de  servir  un  jour  à  la  condamna- 
tion des  chrétiens  :  connoissez-vous  vous-mêmes  , 
et  vous  serez  humbles.  Or  étant  humbles,  nous  vous 
répondons  de  vous  ;  et  sûrs  de  cette  seule  vertu , 
nous  vous  garantissons  toutes  les  autres.  Connois- 
sez-vous vous-mêmes  ,  ajoutoient-ils;  et  quelque  fi- 
gure que  vous  fassiez  dans  le  monde ,  vous  avouerez 
que  vous  êtes  peu  de  chose  ;  que  peu  de  chose  vous 
enfle ,  et  que  peu  de  chose  vous  abat;  connoissez- 
vous,  et  vous  découvrirez  dans  vous  des  misères 


l86  SUR   LA   PURIFICATION 

qui  vous  confondront ,  des  vices  qui  vous  effrayeront^ 
des  foiblesses  d'esprit  dont  vous  rougirez,  des  bas- 
sesses de  cœur  dont  la  seule  vue  réprimera  tout 
votre  orgueil  et  tout  votre  amour-propre  ;  connois- 
sez-vous ,  et  vous  trouverez  dans  vous  une  raison 
pleine  d'erreurs ,  une  volonté  fragile  et  incons- 
tante ,  des  passions  insensées ,  et  souvent  les  plus 
lâches  et  les  plus  honteux  désirs.  Tout  cela  vous 
humiliera,  tout  cela  vous  détrompera  des  vaines 
idées  que  vous  avez  de  vous-mêmes  :  mais  c'est 
par  là  que  vous  parviendrez  au  mérite  des  vertus 
solides;  c'est  par  là  que  vous  serez  justes,  modé- 
rés ,  doux ,  charitables  ;  en  un  mot ,  connoissez 
votre  néant,  et  vous  deviendrez  des  hommes  par- 
faits. Ainsi  raisonnoient  ces  infidèles,  et  c'étoitsur 
ce  fondement  que  le  savant  Gassiodore ,  chrétien 
de  profession  et  de  religion ,  croyoit  avoir  droit  de 
conclure  que  la  véritable  grandeur  est  de  bien  com- 
prendre sa  petitesse  :  Nimia  magnitudo  est  sut 
intelligere  parvitatem.  Et  moi ,  mes  chers  audi- 
teurs ,  prenant  la  chose  dans  un  sentiment,  ce 
semble,  opposé,  mais  également  propre  à  nous 
instruire  et  à  nous  édifier,  je  prétends  que  la  pe- 
titesse dont  nous  avons  plus  à  nous  confondre ,  et 
que  nous  devons  plus  souvent  nous  reprocher, 
c'est  de  ne  pas  connoître  assez  notre  véritable  gran- 
deur. Je  soutiens  que  l'homme  étant  aussi  grand 
dans  les  idées  de  Dieu,  qu'il  est  petit  dans  lui- 
même  ,  sa  perfection  et  son  bonheur  est  de  se  re- 
garder toujours  dans  Dieu  ,  et  jamais  dans  lui-même  , 
de  s'élever  continuellement  a  Dieu ,  et  de  ne  faire 


DE   LA   VIERGE.  187 

nul  retour  sur  lui-même;  de  se  confier,  de  se  glo- 
rifier en  Dieu ,  et ,  s'il  étoit  possible  ,  de  s'oublier 
éternellement  lui-même  :  pourquoi?  parce  que  la 
vue  de  lui-même  ,  détachée  de  celle  de  Dieu ,  ne 
peut  que  le  désespérer  et  le  désoler,  et  qu'il  est 
question  de  le  fortifier  et  de  l'encourager. 

Mon  dessein  n'est  donc  pas  maintenant  de  vous 
inspirer  ces  pensées  basses  de  vous-mêmes ,  ni  de 
vous  représenter  ce  fonds  d'humiliation ,  qui ,  comme 
parle  un  prophète,  est  au  milieu  de  vous  :  mais  je 
veux  au  contraire  ,  sans  préjudice  de  l'humilité 
chrétienne,  et  pour  vous  attacher  à  vos  plus  impor- 
tons devoirs  ,  vous  mettre  devant  les  yeux  votre 
excellence  et  votre  dignité  :  excellence  que  vous 
avez  jusqu'à  présent  ignorée,  dignité  dont  vous 
avez  été  mille  fois  les  profanateurs.  Je  veux  vous 
rendre  l'une  et  l'autre  sensible,  et  à  l'exemple  du 
grand  saint  Léon ,  réveiller  par  là  votre  foi ,  en  vous 
disant  :  Connoissez ,  ô  hommes  !  ce  que  vous  valez, 
et  connoissez  ce  que  vous  êtes.  Deux  choses  à  quoi 
se  réduit  toute  la  science  ,  je  dis  la  science  pratique 
et  salutaire  de  nous-mêmes  ;  deux  choses  qu'il  fau- 
droit  étudier  tous  les  jours  de  notre  vie;  ce  que 
nous  valons,  et  ce  que  nous  sommes.  Ce  que  nous 
valons  dans  l'estime  de  Dieu,  et  ce  que  nous  sommes 
par  la  vocation  et  la  prédestination  de  Dieu  :  ce  que 
nous  valons,  quoique  pécheurs;  et  ce  que  nous 
sommes,  comme  chrétiens.  Or ,  pour  l'apprendre  , 
il  suffit  de  considérer  ce  qui  se  passe  aujourd'hui 
dans  le  temple  de  Jérusalem,  et  c'est  ici  que  j'ai 
encore  besoin  de  toute  votre  attention. 


l8$  SUR    LA    PURIFICATION 

Ce  que  nous  valons  dans  l'estime  de  Dieu  :  pou- 
vons-nous l'ignorer,  chrétiens,  en  voyant  Jésus- 
Christ  offert  pour  nous,  Jésus-Christ  livré  pour 
nous,  Jésus-Christ  accepté  pour  nous  ;  c'est-à-dire» 
Jésus-Christ  offert,  livré,  accepté  comme  le  prix 
de  notre  rédemption  ?  Dans  l'estime  des  hommes  , 
cette  règle  pourroit  n'être  pas  sûre,  parce  que  les 
hommes  ne  connoissent  pas  toujours  la  valeur  des 
choses,  et  qu'ils  se  trompent  souvent  en  donnant 
beaucoup  pour  avoir  peu  ;  mais  dans  celle  de  Dieu , 
qui  est  infaillible  ,  le  raisonnement  de  saint  Augus- 
tin est  vrai  et  convaincant,  lorsqu'il  nous  dit  : 
Voulez-vous  savoir  l'excellence  et  le  mérite  de  ce 
que  Jésus-Christ  a  racheté  ?  voyez  à  quel  prix  et 
à  quelle  condition  il  l'a  racheté  :  or  ce  qu'il  a  ra- 
cheté ,  c'est  votre  ame  ,  c'est  votre  saint ,  c'est  vous- 
même  ,  et  il  l'a  racheté  au  prix  de  son  sang,  au  prix 
de  sa  vie ,  au  prix  de  sa  personne  même.  Il  y  a  donc 
de  la  proportion  entre  votre  salut  et  le  sang  d'un 
Dieu ,  entre  votre  ame  et  la  vie  d'un  Dieu ,  entre 
vous-même  et  la  personne  d'un  Dieu.  Peut-être  ne 
J'aviez-vous  jamais  compris;  mais  voilà  la  grande 
leçon  que  vous  fait  le  Piédempteur  des  hommes , 
en  se  présentant  dans  le  temple.  Qu'est-ce  que  le 
salut  de  l'homme?  un  bien  pour  lequel  Dieu,  agis- 
sant selon  les  lois  de  sa  sagesse,  n'a  pas  épargné 
son  propre  Fils;  un  bien  qui ,  mis  dans  la  balance, 
mais  la  balance  du  sanctuaire,  l'a  emporté  par- 
dessus tous  les  mérites  d'une  vie  divine  ,  puisqu'il 
est  vrai  qu'une  vie  divine,  avec  toutes  ses  perfections 
et  tous  ses  mérites ,  lui  est  aujourd'hui  sacriliée. 


DE    LA    VIERGE,  1 89 

Voilà ,  homme  du  monde  ,  ce  que  vous  avez 
coûté  à  Dieu  ,  et  ce  que  vaut ,  dans  l'idée  de  votre 
Dieu ,  votre  salut.  Prenez  garde  ,  s'il  vous  plaît  : 
quand  on  nous  dit  qu'en  comparaison  de  ce  sa- 
lut, tous  les  biens  de  la  terre,  que  nous  prisons 
tant ,  ne  sont  que  des  ombres  et  des  fantômes  ; 
que  ce  salut  est  l'unique  nécessaire  dont  nous 
puissions  compter  l'acquisition  et  la  possession 
pour  un  gain  ,  et  que  tout  ce  qui  ne  s  y  rapporte 
pas  ,  doit  être  censé  comme  une  perte  selon 
l'Apôtre  :  Verwntamen  hœc  omnla  detrimen- 
tum  fecit(i)  /qu'il  n'y  a  que  ce  salut  qui  subsiste 
et  qui  soit  éternel  ,  au  lieu  que  tout  le  reste  est 
passager;  que  notre  cœur  inquiet  et  volage  ne  peut 
trouver  de  repos  que  dans  ce  salut,  et  que  rien 
de  visible  ne  le  peut  fixer ,  beaucoup  -moins  le 
remplir  ni  le  rassasier.  Quand  on  nous  prêche  ces 
vérités ,  nous  en  convenons  malgré  nous  :  et  quel- 
que préoccupés  que  nous  soyons  en  faveur  du 
monde  ,  nous  nous  disons  intérieurement ,  qu'il  n'y 
a  en  effet  que  le  salut  qui  soit  digne  de  notre  es- 
time, et  qui  mérite  absolument  nos  soins.  Or  tout 
cela  ,  pour  parler  avec  Tertullien  ,  ce  sont  les  té- 
moignages d'une  ame  naturellement  chrétienne;  et 
c'est  assez  pour  en  juger  de  la  sorte ,  de  n'être  pas 
déraisonnable ,  puisque  les  philosophes  ,  prévenus 
du  sentiment  de  leur  immortalité,  en  ont  ainsi  jugé 
eux-mêmes ,  et  qu'ils  s'en  sont  fait  honneur.  Mais 
quand  à  ces  témoignages  de  la  nature  ,  la  foi  ajoute 
les  siens;  et  que  nous  proposant  un  Dieu  offert 
(0  Philip,  5. 


190  SUR    LA   PURIFICATION 

pour  nous  en  sacrifice ,  elle  nous  fait  comprendre 
que  notre  salut  n'a  pu  être  mis  à  un  moindre  prix 
que  celui-là,  que  tout  autre  que  ce  Dieu  de  gloire, 
reçu,  si  j'ose  user  de  ces  expressions,  en  paiement 
et  consigné  sur  l'autel  comme  notre  rançon,  n'au- 
roit  pas  suffi  pour  racheter  le  plus  vil  de  tous  les 
pécheurs  ;  qu'il  a  fallu  qu'il  s'y  employât  tout  entier; 
que  c'est  en  considération  de  ce  mystère ,  que  Da- 
vid ,  par  un  esprit  de  prophétie,  appeloit  ce  Dieu 
qui  le  devoit  sauver  ,  non  plus  le  Dieu  du  ciel  et  de 
la  terre  ,  mais  le  Dieu  de  son  salut  :  Domine  Deus 
salatis  meœ  (1)  :  comme  si  l'on  pouvoit  dire  sans 
blasphème,  que  toute  la  divinité  est  aujourd'hui 
restreinte  à  l'ouvrage  de  la  rédemption  de  l'homme; 
et  que  ce  Dieu  de  majesté  n'est  plus  ce  qu'il  est 
que  pour  l'homme  et  pour  son  salut ,  puisque  c'est 
pour  le  salut  de  l'homme  qu'il  est  non-seulement 
donné,  mais  donné,  reprend  saint  Augustin ,  jus- 
qu'à devoir  être  un  jour  détruit,  et  en  quelque 
sorte  anéanti  (tellement  que  cet  incomparable  doc- 
teur, pénétré  de  la  pensée  du  Prophète,  s'écrie 
encore  avec  lui  :  Etfactus  es  mihi  in  salutem  (2); 
Oui,  mon  Dieu,  je  suis  votre  créature ,  et  en  cette 
qualité ,  j'ai  été  fait  pour  vous  ;  mais  lorsque  je  vous 
vois  revêtu  d'un  corps  ,  et  entre  les  bras  de  Marie  , 
dans  votre   adorable   présentation ,  il  me  semble 
que  tout  Dieu  que  vous  êtes,  vous  avez  été  fait 
pour  moi,  et  je  ne  me  trompe  pas  :  Et  fadas  es 
mihi  in  salutem  :  )  quand  la  foi ,  dis-je ,  venant 
au  secours  de  notre  raison ,  remplit  nos  esprits  de 
(0  Ps.  37.  -  <*)  Ps.  117. 


DE    LA    VIERGE.  191 

ces  vérités  importantes  et  convaincantes ,  ah  !  chré- 
tiens ,  pour  peu  que  nous  ayons  de  christianisme  , 
que  devons-nous  penser  de  ce  salut ,  dont  l'excel  • 
lence  et  la  prééminence  au-dessus  de  tous  les  autres 
biens  ,  nous  est  si  authentiquement  révélée? 

Mais  si  cela  est ,  comme  nous  n'en  pouvons  dou» 
ter ,  où  en  sommes-nous ,  et  que  devons-nous  pen-i 
ser  de  nous-mêmes ,  en  voyant  l'affreuse  contradic- 
tion qu'il  y  a  sur  ce  point,  entre  notre  vie  et  notre 
foi  ?  Car  enfin  ,  comment  accorder  une  telle  foi  avec 
cette  indifférence  pour  le  salut,  avec  cet  oubli  du 
salut,  avec  ce  mépris  du  salut,  avec  cet  abandon 
volontaire  du  saJut  où  nous  vivons;  est-il  rien  de 
plus  négligé  dans  le  inonde?  Vous  demandiez  au- 
trefois ,  Seigneur,  ce  que  l'homme  pourroit  donner 
en  échange  pour  son  ame,  et  par  où  il  pourroit  se 
racheter  ,  s'il  venoit  jamais  à  se  perdre  :  Aut  quant 
dabit  homo  commutationem  pro  anima  sud  (1)  / 
et  je  ne  suis  point  surpris  que  vous  en  ayez  ainsi 
parlé  ;  car  après  vous  être  donné  pour  l'homme  , 
ne  Favïez-vous  pas  réduit  dans  l'impossibilité  d'ima- 
giner jamais  un  échange  qui  le  dédommageât  de 
la  perte  de  son  salut  ?  ne  devoit-il  pas  être  le  pre- 
mier à  se  dire  un  million  de  fois  :  Quam  dabit 
homo  commutationem  pro  anima  sua?  Depuis 
que  ton  Dieu  t'a  racheté  à  ses  propres  déjiens ,  pour 
quel  avantage  et  quelle  espérance  du  siècle,  mal- 
heureux, te  commettras-tu  désormais,  et  t'expose- 
ras-tu à  périr  ?  Mais,  hélas  î  ne  faut-il  pas  ici  chan- 
ger la  proposition  ;  et  saisi  d'un  prodige  aussi  ou- 

(1)  Matth.  16. 


192  SUR   LA    PURIFICATION 

trageux  pour  vous  ,  Seigneur ,  qu'il  nous  est  Funeste , 
ne  puis-je  pas  demander  pour  quel  sujet,  fût-ce  le 
plus  frivole,  l'homme  mondain  n'est-il  pas  prêt  à 
tout  moment  de  donner  son  ame,  de  la  vendre  ,  de 
la  prostituer?  Est-il  un  intérêt  qui  ne  l'aveugle? 
est-il  un  caprice  qui  ne  l'emporte  ?  est-il  une  chi- 
mère d'honneur  dont  il  ne  s'entête?  est-il  un  attrait 
de  volupté  qui  ne  le  charme ,  et  ne  le  corrompe 
jusqu'à  vouloir  bien  se  damner?  A  en  juger  par  ses 
actions  et  sa  conduite ,  ce  salut  si  prisé  de  Dieu  ne 
paroît-il  pas  avoir  dans  son  estime  le  dernier  rang; 
et  tous  les  jours ,  par  la  plus  insigne  folie  et  le  ren- 
versement le  plus  monstrueux ,  à  quoi  ne  le  sacri- 
fie-t-il  pas  ?  comme  s'il  avoit  entrepris  de  vérifier 
la  proposition  contradictoire  à  celle  de  Jésus-Christ  : 
Quam  non  dabit  commutationem  pro  animd 
sua  i  Combien  de  chrétiens ,  plus  maudits  et  plus 
réprouvés  qu'Esaii,  vivent  tranquilles  ,  après  avoir 
renoncé  pour  un  vain  plaisir  à  leur  droit  d'aînesse 
et  à  l'héritage  des  enfans  de  Dieu?  combien  de  pé- 
cheurs ,  aussi  sacrilèges  que  Judas ,  font  encore  sans 
frémir  ,  le  pacte  exécrable  que  fit  cet  infortuné  dis- 
ciple ,  et  vendent  comme  lui  à  un  vil  prix  le  sang 
du  juste  ,  c'est-à-dire  leur  salut,  qui  a  coûté  le  sang 
d'un  Dieu  ?  En  cela  même  d'autant  plus  sacrilèges 
que  Judas,  qu'au  moins  ce  traître  se  reconnut,  dé- 
testa son  crime ,  en  témoigna  de  l'horreur  ;  au  lien 
que  ceux-ci  sont  insensibles.  Or  c'est  ce  prodigieux 
aveuglemerft  que  Jésus-Christ,  comme  la  lumière 
du  monde  ,  est  venu  guérir ,  et  voici  l'excellent 
remède  qu'il  y  a  apporté.  Car  pour  ne  point  sortir 


DE   LA    VIERGE.  Iq3 

de  notre  mystère ,  et  pour  faire  toujours  rouler 
cette  divine  morale  sur  la  présentation  du  Sauveur , 
voici  par  où  mon  salut  m'est  devenu  précieux.  Je 
l'abandonnois  ,  ce  salut;  et  l'abandonnant ,  je  m'avi- 
lissois  moi-même  ,  je  me  livrais  à  ma  passion,  je 
servois  en  esclave  la  créature,  j'obéissois  aux  sens 
et  à  la  chair,  et  par  là,  selon  la  parole  sainte,  je 
me  dégradois  jusques  à  me  rendre  semblable  aux 
bêtes.  Mais  viens,  me  dit  aujourd'hui  cet  homme- 
Dieu  ,  viens ,  et  à  la  faveur  des  lumières  dont  le 
temple  est  éclairé,  profitant  de  l'état  où  tu  me  vois 
et  du  sacrifice,  quoique  non  sanglant,  que  je  pré- 
sente pour  toi ,  commence  enfin  à  te  connoître.  Me 
voilà  sur  l'autel  comme  la  victime  et  le  prix  de  ton 
ame  :  regarde,  et  par  le  prix  auquel  je  l'achète, 
comprends  ce  que  tu  perds  en  la  perdant.  C'est  là , 
dis-je ,  ce  qu'il  nous  fait  entendre ,  et  malheur  à 
nous,  si,  par  l'endurcissement  de  notre  cœur,  et 
par  une  indocilité  criminelle,  nous  n'écoutons  pas 
sa  voix  ;  si  jamais  nous  perdons  le  souvenir  de  notre 
excellence,  et  de  ce  que  nous  valons;  et  de  plus  , 
si  nous  ne  soutenons  pas  encore ,  par  la  sainteté  de 
nos  mœurs ,  notre  dignité  et  ce  que  nous  sommes. 
Car,  en  conséquence  de  cette  rédemption  que  le 
Sauveur  des  hommes  vient  de  commencer  en  se  pré- 
sentant pour  nous  à  Dieu ,  nous  sommes  spécialement 
l'héritage  de  Dieu  ,  la  conquête  de  Dieu  ,  le  peuple 
de  Dieu.  11  est  vrai  comme  créatures  formées  de  la 
main  de  Dieu ,  nous  appartenions  déjà  à  Dieu  ; 
mais  comme  rachetés  d'un  Dieu  ,  nous  lui  appar- 
tenons encore  par  un  droit  tout  nouveau ,  et  nous 
tome  xj.  i3 


îg4  SUR    LA   PURIFICATION 

'lui  sommes  consacrés  d'une  façon  toute  spéciale  : 
or  voilà  ce  que  j'appelle  notre  dignité.  Car  remar- 
quez ici  une  différence  essentielle  entre  Dieu  et 
les  hommes  ;  appartenir  aux  hommes ,  c'est  un 
esclavage  qui  nous  humilie  et  nous  rabaisse  ;  mais 
appartenir  à  Dieu  et  être  à  Dieu ,  c'est,  selon 
l'Ecriture  ,  un  état  de  liberté  qui  nous  relève  et 
qui  nous  honore ,  en  nous  dégageant  de  la  plus 
honteuse  servitude ,  qui  est  celle  du  monde  et  de 
l'enfer.  C'étoit  la  belle  leçon  que  faisoit  saint  Paul 
aux  premiers  fidèles  ,  quand  il  leur  disoit  :  Mes 
frères  ,  vous  n'êtes  plus  à  vous  :  Non  estis 
vestrl  (i)  ;  mais  vous  êtes  à  Dieu;  et  appartenir 
à  un  si  grand  maître  ,  c'est  votre  gloire.  Et  sur 
quel  principe  l'Apôtre  appuyoit-il  cette  consolante 
vérité ,  qu'ils  n'étoient  plus  à  eux  ,  mais  à  Dieu  ? 
sur  ce  qu'ils  avoient  été  rachetés  de  Jésus-Christ  , 
et  rachetés  à  un  très-grand  prix  :  Empti  enim 
estis  pretio  magno  (2).  Ce  n'est  pas  assez  :  mais 
parce  qu'en  qualité  de  chrétien  ,  nous  avons  beau- 
coup plus  de  part  à  cette  rédemption  ,  d'ailleurs 
universelle  et  commune  ;  c'est  surtout  comme  chré- 
tiens ,  que  nous  sommes  à  Dieu  ,  surtout  comme 
chrétiens ,  que  nous  appartenons  à  Dieu  ;  et  par 
conséquent ,  surtout  comme  chrétiens  ,  que  nous 
avons  été  honorés  du  saint  et  glorieux  caractère 
d'enfans  de  Dieu. 

D'où  le  même  apôtre  ,  instruisant  toujours  les 
mêmes  fidèles  ,  concluent  deux  choses  que  je 
vous  prie  ,  mes  chers  auditeurs,  de  n'oublier  jamais 

(ij  1.  Car.  G.  —  (a)  Ibid. 


DE    LA    VIERGE.  iq,5 

et  qui  vous  doivent  servir  de  règles  dans  toute 
la  conduite  de  votre  vie.  Empti  estis  pretio  ma- 
gno  ;  Vous  avez  été  achetés  à  un  grand  prix  ; 
glorifiez  donc  Dieu  ,  et  portez-le  dans  vos  corps  : 
première  conséquence  :  Glorificate  et  portate 
Deum  in  cor  pore  vestro  (1).  C'est-à-dire,  qu'il 
ne  suffit  pas  qu'en  vertu  de  cette  rédemption  , 
Dieu  règne  dans  nos  esprits,  mais  qu'il  faut  que 
nos  corps  participent  à  la  grâce  de  ce  mystère  ,  et 
que  par  l'exercice  d'une  continence  exacte,  ils 
paroissent  ,  aussi  bien  que  nos  âmes ,  rachetés  de 
Jésus-Christ  et  purifiés  de  tout  ce  qui  les  pourrait 
souiller.  Or,  pour  cela  ,  ils  doivent  être  revêtus 
de  la  mortification  du  Seigneur  Jésus  ,  et  c'est  ce 
que  l'apôtre  entend  ,  quand  il  nous  exhorte  à 
porter  Dieu  dans  nos  corps  :  Empli  estis  pretio 
magno  ;  Vous  avez  été  achetés  à  un  grand  prix  ; 
ne  vous  engagez  donc  pas  dans  la  servitude  des 
hommes.  Seconde  conséquence  ;  Nolite  fieri  servi 
hominum  (2).  Car  il  y  a  une  servitude  des  hommes 
incompatible  avec  le  bienheureux  état  de  cette 
rédemption  parfaite  où  nous  entrons  aujourd'hui  , 
une  servitude  des  hommes  essentiellement  opposée 
à  la  liberté  que  Jésus- Christ  nous  a  acquise  ,  une 
servitude  des  hommes  redoutable  à  tous  les  servi- 
teurs de  Dieu.  Mais  à  qui  le  prédicateur  de  l'évan- 
gile en  doit-il  donner  plus  d'horreur ,  qu'à  ceux 
qui  mènent  la  vie  de  la  cour  ?  où  les  effets  que 
produit  cette  damnable  servitude  sont-ils  plus  fu- 
nestes et  plus  pernicieux  qu'à  la  cour  ?  Servitude 

(1)1.  Cor.  6.  —  (a)  1.  Cor.  7. 


196  SUR   LA  PURIFICATION 

des  hommes  ,  engagement  comme  nécessaire  à 
l'iniquité,  disposition  prochaine  à  l'injustice,  assu- 
jettissement aux  erreurs  d'autrui  ,  aux  caprices 
d'autrui ,  aux  passions  d'autrui  ;  servitude  des 
hommes  dont  on  sent  tout  le  poids ,  dont  on  voit 
toute  l'indignité  ,  dont  on  connoît  les  dangereuses 
suites  ;  dont  on  gémit  dans  le  cœur  ,  dont  on  vou- 
droit  être  délivré  ,  et  dont  on  n'a  pas  le  courage 
de  secouer  le  joug  ;  servitude  des  hommes  qui 
vous  fait  entrer  dans  toutes  leurs  intrigues  et  tous 
leurs  desseins,  quelque  criminels  qu'ils  soient  ; 
qui  vous  fait  acheter  leur  faveur  aux  dépens  de 
tous  les  intérêts  de  Dieu  ,  aux  dépens  de  tous  les 
intérêts  de  la  conscience  et  du  salut,  aux  dépens 
de  vous-mêmes  et  de  votre  ame.  Ah  î  mes  frères  , 
êtes-vous  hommes,  et  surtout  êtes-vous  chrétiens, 
pour  servir  de  la  sorte  ?  Prenez  garde  :  je  dis  pour 
servir  de  la  sorte.  Car  à  Dieu  ne  plaise  que  je 
fasse  d'ailleurs  consister  la  liberté  chrétienne  à 
s'affranchir  du  juste  devoir  qui  nous  soumet  aux 
puissances  légitimes.  Je  reconnois  avec  l'Apôtre  , 
et  selon  l'ordre  sagement  établi  de  Dieu  ,  qu'il  y 
a  des  hommes  qui  doivent  être  obéis  par  d'autres 
hommes  et  servis  par  d'autres  hommes.  Je  puis 
même  ajouter  que  jamais  ils  ne  sont  mieux  obéis  ,  ni 
mieux  servis  que  par  des  hommes  vraiment  chré- 
tiens ,  parce  que  l'esprit  du  christianisme  est  un 
esprit  de  subordination  et  de  soumission.  Mais 
du  reste  cette  dépendance  que  nous  inspire  la  re- 
ligion a  ses  bornes  ,  et  j'en  reviens  toujours  à  la 
maxime  de   saint  Paul  :  Nolite  fierl  servi  homi- 


DE    LA  VIERGE.  197 

num.  Non  ,  vous  ne  devez  point  servir  les  hommes 
jnsques  à  en  faire  vos  divinités,  jusques  aies  subs- 
tituer en  la  place  du  premier  et  souverain  maître 
à  qui  vous  appartenez  ,  jnsques  à  leur  vendre  sa 
loi ,  à  leur  vendre  votre  innocence  ,  à  leur  vendre 
votre  éternité,  en  vous  rendant  fauteurs  de  leurs 
vices ,  complices  de  leurs  désordres  ,  compagnons 
de  leurs  débauches  ,  approbateurs  perpétuels  de 
tout  ce  que  leur  suggère  la  cupidité  ,  le  plaisir  , 
l'ambition  ,  l'envie  ,  la  haine  ,  la  vengeance  ,  le 
libertinage  et  l'impiété.  Voilà  ce  que  j'appelle,  non 
plus  une  obéissance  raisonnable ,  mais  une  servi- 
tude ,  et  la  plus  vile  servitude  :  voilà  de  quoi  un 
Dieu  sauveur  a  prétendu  nous  dégager. 

Prenons  donc  des  sentimens  dignes  de  lui,  et 
dignes  de  nous.  Piespectons  dans  nous-mêmes  le 
droit  de  Dieu,  et  ne  profanons  pas  ce  qui  lui  vient 
d'être  solennellement  dévoué  par  l'oblation  de 
l'homme-Dieu.  Car  je  puis  bien  vous  appliquer 
cette  parole  que  nous  avons  lue  dans  l'évangile  de 
ce  jour  ;  et  selon  le  sens  qu'elle  exprime  ,  dire  de 
chacun  de  vous  qu'il  est  le  saint  du  Seigneur  :  Sanc 
tum  Domino  vocabitur  (1)  ;  le  saint  du  Seigneur, 
parce  que  dans  la  personne  de  Jésus-Christ  il  a  été 
offert  au  Seigneur  ;  le  saint  du  Seigneur ,  parce 
qu'il  ne  doit  servir  et  qu'il  n'est  destiné  qu'à  pro- 
curer la  gloire  du  Seigneur;  le  saint  du  Seigneur, 
parce  qu'il  en  est  la  demeure  ,  qu'il  en  est  le  temple 
vivant ,  et  que  c'est  en  lui  que  l'esprit  du  Sei- 
gneur est  venu  habiter  pour  en  prendre  possession: 

(1)  Luc.  2. 


iqB  sur  la  purification 

Sanctum  Domino  vocabitur.  Tellement  que  sans 
rien  diminuer  en  nous  des  sentimens  de  l'humilité 
chrétienne ,  nous  pouvons  nous  regarder  devant 
Dieu  comme  quelque  chose  de  sacré  ;  et  que  dans 
cette  vue  nous  devons  en  tout  nous  comporter 
avec  la  même  attention  et  la  même  circonspection 
qu'on  traite  les  choses  saintes.  Or  ce  qui  est  saint 
ne  doit  être  employé  que  pour  Dieu  ,  ne  doit  être 
rapporté  qu'à  Dieu  :  autrement  ce  seroit  le  mé- 
connoîtreet  nous  méconnoître  nous-mêmes  ;  Sanc- 
tum Domino  vocabitur. 

C'est,  Sire,  cette  intention  droite,  cette  vue  de 
Dieu  ,  qui  consacre  et  qui  relève  les  grandes  actions 
de  votre  majesté.  A  en  juger  seulement  selon  les 
principes  de  la  sagesse  humaine,  nous  y  trouvons 
tout  ce  qui  peut  faire  un  grand  roi  selon  le  monde» 
c'est-à-dire  ,  un  roi  puissant ,  absolu ,  régnant  par 
lui-même ,  magnifique  dans  la  paix  ,  invincible  dans 
la  guerre  ,  impénétrable  dans  ses  conseils  ,  infaillible 
dans  ses  entreprises  ,  vénérable  à  ses  sujets,  fidèle 
à  ses  alliés ,  redoutable  à  ses  ennemis  ,  donnant  la 
loi  aux  souverains  ,  tenant  dans  ses  mains  la  destinée 
et  le  sort  de  l'Europe,  au-dessus  de  la  flatterie  et 
de  l'envie  par  son  élévation  ,  et  au-dessus  de  sa 
propre  gloire  par  sa  modération.  Mais ,  Sire ,  votre 
majesté  est  trop  chrétienne  et  trop  instruite  des 
saintes  maximes  de  l'évangile ,  pour  ne  pas  voir  l'inu- 
tilité et  le  néant  de  tout  ce  qui  brille  aux  yeux  des 
hommes,  s'il  n'est  consacré  au  Seigneur,  et  si  l'on 
n'en  peut  dire  :  Sanctum  Domino  vocabitur.  De 
cet  éclat  qui  vous  environne ,  de  ce  nom  qui  a  re- 


DE    LA   VIERGE.  19$ 

lenti  dans  toutes  les  parties  de  la  terre  ,  de  cette 
réputation  qui  a  passé  jusques  aux  extrémités  du 
monde  ,  et  qui  vivra  dans  la  plus  longue  postérité; 
de  ces  batailles  gagnées  ,  de  ces  victoires  rempor- 
tées ,  de  tant  de  faits  mémorables  ,  rien  ne  restera 
devant  Dieu  ,  que  ce  qui  se  trouvera  marqué  de 
son  sceau  :  cela  seul  subsistera ,  cela  seul  sera  pour 
vous  le  fond  d'une  gloire  solide  et  d'un  mérite  éter- 
nel. Vous  vous  êtes  aujourd'hui  présenté  ,  Sire,  à 
ce  suprême  Seigneur  de  toutes  choses,  non-seule- 
ment comme  le  premier  né  de  la  plus  auguste  fa- 
mille qui  soit  sous  le  ciel,  mais  comme  le  fils  aîné 
de  l'Eglise.  De  tout  temps  nos  rois,  se  sont  glorifiés 
de  cette  qualité  ;  mais  votre  majesté  s'en  est  fait  un 
engagement  aux  plus  éclatantes  et  aux  plus  hé- 
roïques vertus.  Elle  ne  s'est  pas  contentée  du  titre 
de  fils  aîné  de  l'Eglise,  mais  elle  a  voulu  le  remplir 
et  le  soutenir  d'une  manière  dont  les  siècles  passés 
ont  vu  peu  d'exemples ,  et  qui  pourra  servir  de  mo- 
dèle aux  siècles  futurs.  Comme  fils  aîné  de  l'Eglise, 
elle  a  écouté  les  ministres  de  Jésus-Christ,  elle 
s'est  rendue  à  leurs  remontrances,  elle  a  secondé, 
ou  plutôt  prévenu,  excité,  fortifié  leur  zèle;  et 
puisque  c'est  ainsi  qu'elle-même  s'en  explique ,  elle 
a  consenti  à  la  diminution  de  ses  droits ,  pour  con- 
tribuer au  rétablissement  de  la  discipline ,  et  à  la 
conservation  de  la  pureté  de  la  foi  :  n'ayant  compté 
pour  rien  ses  intérêts ,  parce  qu'il  s'agissoit  des  in- 
térêts de  l'Eglise  ;  et  sans  consulter  une  fausse  pru- 
dence ,  ayant  fait  céder  à  sa  religion  ,  non-seulement 
ses  prétentions ,  mais  ce  qui  lui  étoit  déjà  tout  ac- 


200  SUR  LA  PURIFICATION 

quis  par  une  longue  possession.  C'est  de  quoi  cette 
déclaration  que  votre  majesté  vient  de  donner ,  si 
authentique  ,  si  sensée,  si  pleine  de  l'esprit  chrétien , 
si  propre  à  concilier  le  sacerdoce  et  la  royauté  ,  fera 
le  précieux  monument.  La  postérité  la  lira,  et  en  la 
lisant,  confessera  que  Louis  le  Grand  n'a  pas  été 
moins  grand  par  son  inviolable  attachement  à  l'Egli- 
se, que  par  toutes  les  vertus  politiques  et  militaires. 
Voilà ,  Sire  ,  ce  qui  est  marqué  dans  le  livre  de 
vie ,  avec  des  caractères  ineffaçables.  On  oubliera 
enfin  tout  le  reste  ;  et  quelque  immortalité  que  le 
monde  lui  promette  ,  le  monde  périra  lui-même ,  et 
toute  grandeur  humaine  périra  avec  le  monde.  Ce 
que  votre  majesté  fait  pour  l'Eglise,  ne  s'oubliera, 
ni  ne  mourra  jamais  :  l'Eglise  le  publiera;  et  comme 
elle  ne  doit  point  avoir  de  fin ,  sa  reconnoissance 
n'aura  point  de  terme  ,  non  plus  que  la  récompense 
qui  vous  est  réservée  dans  l'éternité  bienheureuse 
où  nous  conduise  ,  etc. 


TROISIÈME  SERMON 

SUR 

LA  PURIFICATION  DE  LA  VIERGE. 


Postquàm  impleti  sunt  dies  purgatioDis  ejus  secundùm 
legem  Moysi ,  tulerunt  illum  ia  Jérusalem  ,  ut  sislerent 
enm  Domino. 

Le  temps  de  la  purification  de  Marie  étant  accompli 
selon  la  loi  de  Moïse  ,  ils  portèrent  l'enfant  à  Jérusa- 
lem ,  pour  le  présenter  au  Seigneur.  En  saint  Luc  , 
chap.  2. 

Sire, 

C'étoit  une  figure  que  ce  qui  se  pratiquent  parmi 
les  Juifs  dans  la  cérémonie  de  ce  jour,  où  ils  pré- 
sentoient  à  Dieu  le  premier  né  de  chaque  famille  ;  et 
c'est  dans  la  personne  de  Jésus-Christ,  présenté 
par  Marie  au  Père  éternel,  que  cette  figure  a  trouvé 
son  entier  accomplissement,  puisque  ce  divin  Sau- 
veur, selon  l'expression  de  saint  Paul ,  est  par  excel- 
lence le  premier  né  de  toutes  les  créatures.  Mais 
en  ceci ,  chrétiens ,  il  est  arrivé  quelque  chose  de 
bien  singulier  et  de  bien  remarquable  pour  votre 
instruction.  Car  au  lieu  que  les  autres  figures  s'ac- 
complissant  en  Jésus-Christ,  ont  cessé  pour  nous, 
celle-ci  non-seulement  a  subsisté  ,  mais  a  reçu 
comme  un  nouvel  accroissement  d'obligation  qu'elle 


202  SUR   LA    PURIFICATION 

n'avoit  pas  du  temps  de  Moïse.  C'est-à-dire ,  que 
Dieu  veut  que  dans  la  loi  de    grâce ,  aussi  bien 
et  même  encore  plus  que  dans  la  loi  écrite,  nous 
nous  présentions  à  lui  pour  lui  être  consacrés  ;  et 
voilà  ce  que  l'Eglise  a  prétendu  nous  déclarer  en 
nous  mettant  des  cierges  dans  les  mains,  comme 
les  symboles  du  sacrifice  que  nous  devons  faire  de 
nos  personnes  au  souverain  auteur  de  notre  être. 
Car  si  nous  l'avons  bien  compris ,  telle  est  la  pensée 
qu'a  dû  nous  inspirer  ce  mystère.  Nous  avons  re- 
connu que  nos  vies ,   comme  cette  cire  sanctifiée 
parla  bénédiction  des  prêtres,  dévoient  être  em- 
ployées au  service  du  Dieu  que  nous  adorons,  et 
consumées  pour  sa  gloire.  INous  avons  hautement 
protesté  que  nous  appartenions  à  Dieu  ,  et  que  nous 
ne  voulions  plus  être  désormais  qu'à  Dieu  :  ou  si 
ce  n'est  pas  ainsi  que  vous  l'avez  conçu ,  il  est  du 
devoir  de  mon  ministère  de  vous  le  faire  comprendre, 
et  de  vous  instruire  à  fond  d'un  point  aussi  impor- 
tant que  celui-là.  Vierge  sainte ,  c'est  vous  qui ,  dans 
la  présentation  de  votre  Fils  ,  nous  mettez  devant 
les  yeux  le  grand  modèle  que  nous  devons  imiter, 
obtenez-nous  encore  les  grâces  nécessaires  pour  ap- 
prendre à  profiter  de  son  exemple,  et  daignez  écou- 
ter la  prière  que  nous  vous  faisons  en  vous  saluant. 
Ave^  Maria. 

Peut-être ,  chrétiens, n'avez-vous  jamais  fait  toute 
la  réflexion  qu'il  faut ,  au  mystère  que  célèbre  au- 
jourd'hui l'Eglise;  et  peut-être,  ne  vous  attachant 
qu'à  l'extérieur  de  cette  cérémonie,  ne  vous  êtes- 


DE     LA    VIERGE.  2o3 

vous  jamais  appliqués  à  en  pénétrer  le  fond.  C'est 
donc  à  moi  de  vous  en  donner  toute  l'intelligence 
nécessaire ,  et  voici  sans  doute  un  des  sujets  les 
plus  importans  que  j'aie  jusques  à  présent  traités 
dans  cette  chaire ,  et  que  j'y  puisse  traiter  :  car  il 
s'agit  d'étudier  le  christianisme  dans  ses. premiers 
élémens  ,  selon  le  langage  de  l'Apôtre  ;  il  s'agit  d'étu- 
dier Jésus-Christ  même  ,  et  de  l'imiter  dans  une  des 
plus  grandes  et  des  plus  saintes  actions  de  sa  vie, 
qui  est  la  présentation.  Nous  avons  paru  comme  lui 
dans  le  temple  du  Seigneur,  et  cette  fête,  qui  étoit 
la  fête  des  Juifs,  est  encore  plus  la  nôtre;  mais  il 
est  question  de  voir  comment  nous  la  solennisons , 
et  si  nous  en  avons  bien  pris  l'esprit  :  de  là  dépend 
votre  édiiîcation  et  la  mienne ,  et  sans  cela  je  ne 
satisferois  qu'imparfaitement  à  ce  que  demande  ici 
de  moi  mon  ministère.  Comprenez ,  s'il  vous  plaît, 
le  dessein  de  ce  discours.  Jésus-Christ  dans  le  temple 
se  présente  à  Dieu  :  pourquoi?  pour  reconnoîlre  et 
pour  honorer  le  domaine  de  Dieu  :  car  voilà  ce  qui 
nous  est  expressément  marqué  dans  ces  paroles  de 
mon  texte  :  Ut  slsterent  eum  Domino  ;  pour  l'of- 
frir au  Seigneur ,  c'est-à-dire  ,  au  souverain  Maître 
de  toutes  choses.  Or,  c'est  ainsi,  mes  chers  audi- 
teurs ,  que  nous  avons  dû  ou  que  nous  devons  nous 
offrir  nous-mêmes  ;  et  pour  vous  expliquer  en  trois 
mots  toute  ma  pensée ,  je  trouve  que  ce  suprême 
domaine  de  Dieu  a  trois  qualités  principales  et  trois 
caractères  qui  le  distinguent  :  c'est  un  domaine  es- 
sentiel, c'est  un  domaine  universel,  et  c'est  un  do- 
maine éternel.  Domaine  essentiel,  fondé  sur  lana- 


204  SUR    LA    PURIFICATION 

ture  même  de  Dieu;  domaine  universel  qui,  sans 
exception  et  sans  bornes  ,  s'étend  à  tout  ;  enfin  ,  do- 
maine étemel ,  qui  n'eut  jamais  de  commencement 
et  qui  ne  doit  jamais  avoir  de  fin.  Sur  cela  je  re- 
prends, et  je  dis  :  Domaine  essentiel  que  nous  de- 
vons reconnoître,  comme  Jésus-Christ,  par  une 
sincère  oblation  de  nous-mêmes  :  ce  sera  la  pre- 
mière partie;  domaine  universel  que  nous  devons 
reconnoître ,  comme  Jésus-Christ ,  par  une  entière 
oblation  de  nous-mêmes  :  ce  sera  la  seconde  partie; 
domaine  éternel  que  nous  devons  reconnoître  , 
comme  Jésus-Christ ,  par  une  prompte  oblation  de 
nous-mêmes  :  ce  sera  la  conclusion.  Trois  points  de 
morale  d'une  conséquence  infinie ,  et  que  je  vais  dé- 
velopper. 

PREMIÈRE    PARTIE. 

Il  n'y  a  qu'un  Seigneur,  dit  saint  Paul  :  Unus 
Dominas  (i);  et  Dieu  seul  a  droit  de  prendre  ab- 
solument cette  qualité  à  l'égard  de  l'homme.  Quand 
on  dit,  en  parlant  des  grands  de  la  terre,  que  les 
hommes  qu'ils  ont  élevés  et  dont  ils  ont  fait  la  for- 
tune,  sont  leurs  créatures,  c'est  une  flatterie  que 
l'usage  a  introduite  ,  mais  que  la  religion,  bien  loin 
de  l'approuver,  contredira  toujours.  En  effet ,  les 
grands  peuvent  bien  avoir  des  serviteurs,  ils  peu- 
vent bien  avoir  des  sujets,  ils  peuvent  bien  même 
avoir  des  esclaves  :  mais  il  ne  convient  qu'à  Dieu 
d'avoir  des  créatures  qui ,  dans  le  fond  de  leur 
être,  soient  à  lui  et  dépendent  de  lui ,  et  c'est  en 

(1)  Ephes.  4> 


DE    LA     VIERGE.  2o5 

«quoi  je  fats  consister  l'essence  de  ce  souverain  do- 
maine qu'il  a  sur  nous.  Or  de  là,  chrétiens  ,  il  s'en- 
suit d'abord  ,  que  de  tous  les  tributs  que  nous  de- 
vons à  Dieu ,  celui  par  où  nous  distinguons  Dieu 
comme  Dieu,  et  l'unique  même  par  où  Dieu  pré- 
tend être  reconnu  de  nous  pour  ce  qu'il  est ,  c'est 
cette  oblation  de  nous-mêmes  dont  j'ai  entrepris  de 
vous  instruire  ici.  Car  de  tout  le  reste  ,  dit  excel- 
lemment saint  Augustin  ,  nous  en  pouvons  être  re- 
devables aux  hommes  ;  nous  pouvons  leur  devoir 
nos  assiduités  et  nos  soins  :  nous  pouvons  leur  de- 
voir nos  biens  ,  et  quelquefois  leur  devoir  nos  vies; 
mais  jamais  nous  ne  pouvons  nous  devoir  nous- 
mêmes  à  eux.  Ce  fond  de  nous-mêmes  est  quelque 
chose  que  Dieu  s'est  réservé  singulièrement,  et  dont 
il  exige  que  nous  lui  fassions  honneur.  Telle  est , 
reprend  saint  Augustin ,  la  nature  de  l'homme  :  et 
voilà  ,  mes  chers  auditeurs ,  le  grand  mystère  que 
Jésus-Christ,  cet  homme  par  excellence ,  cet  homme 
prédestiné  pour  être  l'exemplaire  et  le  modèle  de 
ious  les  autres  hommes  ,  cet  homme  choisi  et  en- 
voyé au  monde  pour  y  faire  connoître  la  supériorité 
infinie  du  domaine  de  Dieu,  voilà,  dis-je,  le  grand 
mystère  qu'il  nous  découvre  dans  la  solennité  de 
ce  jour. 

Il  sait  que  le  domaine  de  Dieu  son  Père  a  été 
violé  :  il  s'est  chargé  d'en  réparer  la  gloire,  et  il 
entreprend  de  la  rétablir  parmi  les  hommes.  Mais 
comment?  sera-ce  par  le  sacrifice  des  animaux  et 
par  le  sang  des  victimes  ?  sera-ce  par  l'encens  qu'il 
fera  brûler  sur  les  autels  du  Seigneur,  ou  en  lui 


2o6  SUR   LA  PURIFICATION 

présentant  des  fruits  de  la  terre?  non,  mes  chers 
auditeurs,  ce  ne  seroit  point  là  s'offrir  lui-même, 
et  toute  autre  victime  que  lui-même  ne  pourroit 
dignement  honorer  ce  suprême  domaine  ,  dont  il 
veut  rehausser  l'éclat,  et  auquel  il  vient  rendre 
l'hommage  qui  lui  est  dû.  C'est  dans  cet  esprit  qu'il 
paroît  aujourd'hui  devant  la  majesté  divine,  pour 
lui  rendre  un  culte  qu'il  pouvoit  seul  lui  rendre. 
Car  ne  confondons  point  cet  enfant  et  ce  premier 
né  avec  les  autres  aînés  d'Israël.  Sous  le  voile  de 
cette  humanité  dont  il  est  revêtu,  ce  n'est  pas  seu- 
lement un  homme  qu'il  offre  à  Dieu  en  s'offrant 
lui-même  ;  mais  un  Dieu  ,  puisqu'en  effet  il  est  Dieu 
lui-même  ,  et  que  ,  tout  Dieu  qu'il  est ,  il  se  soumet; 
que  tout  Dieu  qu'il  est,  il  s'anéantit;  que  tout  Dieu 
qu'il  est,  et  même  parce  qu'il  est  Dieu,  il  se  pré- 
sente, afin  que  le  mérite  de  sa  personne  relève  le 
mérite  et  le  prix  de  son  sacrifice. 

Arrêtons-nous  là  ,  chrétien  ;  il  n'en  faut  pas 
davantage  pour  notre  instruction.  Voilà  le  précis 
de  cette  oblation  essentielle  à  quoi  se  réduit  non- 
seulement  le  principal  devoir  de  l'homme,  mais, 
pour  parler  avec  le  Sage ,  tout  l'homme  :  Hoc 
est  enim  omnis  honio  (i).  Voilà  l'importante 
leçon  que  nous  fait  le  Sauveur  du  monde  ,  et 
l'exemple  qu'il  nous  propose  pour  nous  servir  de 
modèle.  Nous  n'avons  rien  qui  soit  plus  à  nous  , 
ni  tout  ensemble  qui  soit  plus  à  Dieu ,  que  nous- 
mêmes  :  c'est  donc  de  nous-mêmes  que  nous  de- 
vons tirer  ce  tribut  qu'il  exige  de  nous  et  qui  lui 

(l)  Eccl.  12. 


DE   LA    VIERGE,  207 

es'fc  incontestablement  et  nécessairement  affecté, 
comme  au  premier  maître.  Pour  mieux  entendre 
ma  pensée  ,  prenez  garde  à  deux  propositions  que 
j'avance  ,  et  dont  l'apparente  contradiction  va 
mettre  dans  tout  son  jour  ce  point  fondamental 
que  je  traite.  En  qualité  de  créatures,  nous  appar- 
tenons essentiellement  à  Dieu  :  c'est  le  premier 
principe  que  je  pose  ,  principe  que  toute  la  théo- 
logie reconnoît,  et  que  la  nature  même  et  la  raison 
nous  enseignent.  Car  à  qui  l'ouvrage  peut-il  plus 
justement  appartenir  qu'à  l'ouvrier  qui  l'a  formé  ? 
Je  dis  néanmoins  d'ailleurs ,  et  c'est  une  vérité 
qui  nous  est  marquée  en  mille  endroits  de  l'Écri- 
ture ,  qu'il  dépend  de  nous  ou  d'appartenir  à 
Dieu  ,  ou  de  ne  lui  pas  appartenir  ;  et  qu'il  y  a 
certains  temps  et  certains  états  où  en  effet  nous 
ne  lui  appartenons  plus.  Ainsi  Dieu  le  déclaroit-il 
lui-même  aux  Israélites  par  le  prophète  Osée, 
quand  il  leur  disoit  :  Je  ne  suis  plus  votre  Dieu, 
et  vous  n'êtes  plus  mon  peuple  :  et  quoique 
l'Apôtre  ,  en  conséquence  du  bienfait  de  la  rédemp- 
tion ,  nous  ait  dit  :  Yous  n'êtes  plus  à  vous  :  l'ex- 
périence toutefois  nous  apprend ,  qu'il  faut  bien 
que  nous  soyons  encore  à  nous  ,  puisque  nous 
disposons  tous  les  jours  de  nous-mêmes  ,  non-seu- 
lement au  préjudice  de  Dieu ,  mais  de  nous-mêmes, 
jusqu'à  nous  perdre  et  à  nous  damner.  Comment 
accorder  cela  ?  Un  peu  d'attention  ,  chrétiens  ,  et 
vous  l'allez  voir ,  c'est  tout  le  secret  de  l'alliance 
du  domaine  de  Dieu  avec  la  liberté  de  l'homme. 
U  est   vrai ,  nous    pouvons    ne  pas  appartenir 


208  SUR    LA   PURIFICATION 

à  Dieu  par  le  choix  injuste  et  criminel  de  notre 
volonté  ,  cjiioiqu'au  même  temps  nous  lui  appar- 
tenions ,  sans  le  vouloir  ,  par  la  nécessité  insé- 
parable de  notre  être  ;  et  il  est  vrai  que  nous 
sommes  encore  à  nous-mêmes  par  l'exercice  de 
ce  franc  arbitre  dont  Dieu  nous  a  laissé  la  dispo- 
sition, quoique  nous  n'y  soyons  plus  par  cet  enga- 
gement de  justice  qui  nous  assujettit  à  lui  en  vertu 
de  notre  création.  Or  voilà  ,  mes  frères  ,  dit  saint 
Chrysostôme  ,  sur  quoi  est  fondé  ce  précepte  na- 
turel et  divin  qui  nous  oblige  à  nous  consacrer  et 
à  nous  dévouer  à  Dieu.  Car  si  nous  appartenions 
tellement  à  Dieu  que  nous  n'eussions  plus  aucun 
domaine  sur  nous-mêmes  ,  nous  serions  incapables 
de  faire  cette  excellente  oblation  de  nous-mêmes, 
en  quoi  consiste  le  principal  mérite  de  notre  reli- 
gion ;  et  si  nous  étions  tellement  à  nous-mêmes 
que  Dieu  n'eût  plus  aucun  domaine  sur  nous  ,  Dieu 
ne  pourroit  plus  exiger  de  nous  que  nous  nous 
donnassions  à  lui.  Mais  étant  nécessairement  à  lui 
d'une  façon,  et  ne  pouvant  n'y  être  pas  de  l'autre  , 
en  conséquence  de  l'un  ,  Dieu  est  en  droit  de 
prétendre  l'autre  ;  et  parce  que  nous  sommes  à  lui 
par  nécessité  ,  il  nous  fait  ce  commandement  si 
légitime  d'être  encore  à  lui  par  élection  et  par 
volonté.  Peut-on  rien  concevoir  de  plus  juste! 

Quelle  étoitdonc  l'intention  de  Dieu  dans  cette 
loi  de  la  présentation  des  enfans  ,  et  quelle  est 
encore  sur  nous  le  dessein  de  sa  providence  dans  le 
mystère  que  célèbre  aujourd'hui  l'Eglise  ?  le  voici, 
chrétiens  ,    il   veut  que  par  une  oblation  libre  et 


DE    LA    VIERGE.  209 

volontaire  de  nos  personnes,  nous  lui  cédions  ce  do- 
maine que  nous  avons  sur  nous-mêmes  :  domaine  , 
remarquez  ceci  ,  je  vous  prie  ,  domaine  qui  ne  peut 
être  avantageux  que  par  la  cession  que  nous  lui  en 
faisons;  domaine  pour  nous  le  plus  préjudiciable  et 
le  plus  funeste ,  si  nous  nous  le  réservons.  Dieu  , 
dis-je  ,  veut  que  nous  lui  cédions  ce  domaine, pour 
en  rehausser  ,  et  s'il  m'est  permis  de  parler  ainsi , 
pour  accroître  le  sien  :  afin  qu'il  soit  vrai  que  nous 
lui  appartenons  dans  toutes  les  manières  dont  nous 
pouvons  lui  appartenir.  Jusque-là  pardonnez-moi, 
mon  Dieu,  si  je  me  sers  de  cette  expression,  jus- 
que-là il  n'est  notre  Dieu  qu'à  demi  ;  et  pourquoi  ne 
parlerois-je  pas  de  la  sorte  ,  puisque,  selon  le  texte 
sacré  ,  sans  cela  on  diroit  même  qu'il  ne  l'est  point 
du  tout  :  Vos  non  populus  meus  :  et  ego  non 
erovester  (1).  Mais  par  là  il  le  devient  pleinement, 
et  son  domaine  reçoit  comme  sa  dernière  perfec- 
tion. En  un  mot ,  chrétiens  ,  Dieu  veut  nous  avoir  ; 
mais  il  ne  veut  point  de  nous  malgré  nous  :  et 
c'est  là  ,  dit  saint  Augustin,  ce  qui  fait  sa  gloire 
et  la  nôtre.  Sa  gloire,  parce  qu'il  n'y  a  rien  pour 
lui  de  plus  honorable  que  d'avoir  des  créatures  qui 
veulent  bien  être  à  lui  ,  qui  aiment  à  dépendre  de 
lui ,  qui  se  fassent  une  béatitude  de  s'attacher  à 
lui  :  et  la  nôtre  ,  parce  qu'à  proportion  que  nous 
sommes  à  Dieu ,  nous  nous  élevons  au-dessus  de 
notre  bassesse  naturelle.  Doù  vient  que  les  grands , 
les  souverains ,  les  rois  de  la  terre ,  sont  ceux  qui 
par  leur  état  ont  une   dépendance  plus  prochaine 

(1)  Osée.  1. 

TOMJ£    XI.  l4 


2lt)  SUR   LA  PURIFICATION 

de  Dieu  ;  en  sorte  que  cette  dépendance  fait  leur 
véritable  grandeur ,  et  que  l'obligation  spéciale 
qu'ils  ont  d'être  soumis  à  Dieu  plus  que  le  commun 
des  hommes  ,  est  justement  ce  qui  les  relève  au- 
dessus  de  tous  les  hommes. 

Mais  revenons.  Il  est  donc  question  d'obéir  à 
ce  premier  précepte  de  la  loi  de  grâce  ,  en  nous 
offrant  nous-mêmes  à  Dieu  :  et  qu'est-ce  que  nous- 
mêmes  ?  qu'entendons-nous  par  nous  offrir  nous- 
mêmes  ?  ah  !  chrétiens  ,  voilà  le  mystère  que  nous  n'a- 
vons peut-être  jamais  bien  compris  ,  et  où  nous  nous 
sommes  laissés  si  souvent  tromper  par  notre  amour- 
propre.  Il  n'est  rien  de  plus  aisé  que  de  dire  à 
Dieu  :  Je  m'offre  à  vous ,  je  me  consacre  à  vous  , 
je  veux  être  à  vous;  mais  il  faut  enfin  s'expliquer, 
et  développer,  en  la  présence  de  Dieu,  ce  mystère 
de  nous-mêmes.  Or  nous  avons  une  règle  infail- 
lible pour  le  reconnoître  :  car  il  y  a  dans  nous  un 
premier  né  ,  qui  est  notre  cœur  ,  à  quoi  tout  le 
reste  se  réduit  ;  et  c'est  ce  premier  né  qui  doit 
être  présenté  par  l'homme  chrétien  dans  la  loi 
évangélique  ,  comme  les  premiers  nés  d'Israël 
l'étoient  dans  la  loi  de  Moïse.  Ce  cœur  a  ses 
passions .  ses  altachemens ,  ses  intérêts ,  ses  plaisirs  , 
ses  cupidités  ;  et  tout  cela  c'est  ce  qui  s'appelle 
nous-mêmes  :  mais  nous  sommes  sûrs  de  tout  cela 
et  de  nous-mêmes  ,  quand  ce  coeur  est  une  fois  à 
Dieu.  Il  est  vrai  que  ce  cœur  est  un  abîme  impéné- 
trable ;  mais  enfin  ,  tout  impénétrable  qu'il  peut 
être  ,  nous  savons  bien  à  qui  il  est  et  à  qui  nous 
î'avons  donné  :  si  c'est  Dieu  qui  en  est  le  maître, 


DE    LA    VIERGE.  211 

ou  la  créature.  Car  c'est  un    oracle  de    la    vérité 
éternelle,  qu'il  ne  peut  être  à  l'un  et  à  l'autre  tout 
à  la  fois-,  et  Terreur  du  monde  la  plus  pernicieuse, 
est  de  croire  que  nous  pouvons  partager  ce  cœur 
entre  la  créature    et  Dieu,   entre    nos  passions   et 
Dieu  ,   puisque  à  peine   le  pouvons-nous  partager 
entre  deux  passions  et  deux  objets  créés.  Disons  à 
Dieu    que  nous  ne  voulons  pas  être  à   lui,  et  que 
nous  avons  disposé   de  ce   cœur    en    faveur  d'un 
autre,  c'est  un  outrage  que  nous  lui  ferons;  mais 
au  moins  y  aura-t  il  dans  cet  outrage   une  espèce 
de  bonne   foi  ,  et  peut-être  la   honte    que   nous 
aurons  de  lui  faire  cette  confession  ,  nous  rappel- 
lera-t-elle   à  nous.   Mais  de  dire  à  Dieu   que  nous 
sommes   à    lui  ,    pendant   qu'lm  autre   objet  nous 
possède  et  qu'il  occupe  notre  cœur  ,  c'est  ajouter 
crime  sur  crime,  et   mentir    au  Saint-Esprit.  Ce 
cœur  ,  qui   est   la   plus  délicate  portion  de  nous- 
mêmes  ,  et ,  comme  parle  saint  Augustin  ,  l'abrégé 
et  le  centre  de    nous-mêmes  ,   voilà  ce  que   Dieu 
s'est  réservé    dans   nous.  Sans    cela    nous  aurions 
beau  lui  offrir  nos  biens  :  il  n'a  que  faire  de   nos 
biens,  dit  le  Prophète  royal,  ets'il  se  tient  honoré 
de  l'offre  que  nous  lui  en  faisons,  ce  n'est  que  par 
le  rapport  qu'ils  ont  à   notre   cœur  ;    mais    si  en 
lui  donnant    ces  biens    nous    retenons  ce  cœur, 
notre  sacrifice  est  le  sacrifice  de  Caïn.  Sans   cela 
nous  avons  beau  lui   protester  que  nos  vies,  que 
nos  fortunes  sont  entre  ses  mains  ;  il  faut  bien  que 
nous  parlions  ainsi  :  mais  toutes  ces  protestations 
£ont  des  paroles  dont  il  appellera  toujours  à  notre 


212  SUR  "LA   PURIFICATION 

cœur  ,    et  contre   lesquelles    ce   cœur   réclamera 

toujours  ,   tant    qu'il    se    sentira   dominé    par  la 

•créature. 

Dieu  veut  donc  notre  coeur  ,  chrétiens ,  et  il  le 
veut  de  telle  sorte  qu'il  en  est  jaloux  ;  et  cette  jalousie 
est  si  peu   indigne  de   lui  ,    qu'il   s'en    fait  même 
honneur  dans  l'Ecriture  ,    puisqu'une  des  qualités 
dont  il  se  glorifie   davantage  ,  est  celle  d'un  Dieu 
jaloux  :  Dominus  zelotes  nomen  ejus  (i).  Il  n'est 
point  jaloux  de  nos  grandeurs,  il  n'est  point  jaloux 
de  nos  prospérités  :  outre  que  nos  prospérités  et 
nos  grandeurs  sont  trop  peu  de  chose  pour  exciter 
sa   jalousie  ,  il  n'a  garde  de  nous   les  envier ,  lui 
qui  en  est  l'auteur.  Il  veut  bien    que  nous  soyons 
riches  ,  que  nous  soyons  grands,  que  nous  soyons 
puissans  dans  le  monde  ,  pourvu  que  notre  cœur 
soit  à  lui.  C'est  pour  cela  qu'il  a  fait  des  prodi- 
ges d'amour  ,  qu'il  a  tout  entrepris ,  qu'il  a  tout 
souffert;  et   saint   Ambroise  ,   surpris  avec   raison 
qu'il  ait  voulu    tout  soull'rir  de   la  sorte   et    tout 
faire  ,   ne  croit  point  manquer  au  respect  qui  lui 
est  dû ,  en  s'écriant  :  O  Deum  ,  si  fas    est    di- 
cere ,  prodigum  tut  prœ   desiderio  homitiis  ! 
O  Dieu  !  si  je  l'ose  dire  ,  prodigue  de  vous-même 
et  de  votre  divinité  par  un  désir  excessif  du  cœur 
de  l'homme  ! 

Après  cela  serons -nous  encore  assez  injustes 
pour  lui  refuser  un  cœur  qui  lui  appartient  par 
tant  de  titres,  ou  plutôt,  serons-nous  encore  assez 
infidèles  pour  lui  ôter  la  possession  d'un  cœur  que 

(1)  Exod.  ô4. 


DE    LA     VIERGE.  2lS 

nous  lui  avons  offert  tant  de  fois  ?  Car  enfin  ,  chré- 
tiens auditeurs  ,  cent  fois  nous  l'avons  dit  ;  et  le 
langage  le  plus  ordinaire  que  nous  avons  tenu  à 
Dieu ,  lorsque  nous  étions  aux  pieds  de  ses  autels , 
c'étoit  que  nous  lui  donnions  notre  cœur  :  et  si  nous 
ne  voulons  prononcer  ce  jugement  contre  nous- 
mêmes  ,  que  nous  parlions  alors  en  hypocrites  et 
même  en  impies ,  nous  sommes  obligés  de  convenir 
que  de  notre  propre  consentement,  ce  cœur  n'est 
plus  à  nous.  Et  voilà  ,  dit  saint  Grégoire ,  pape  , 
ce  qui  fait  la  malice  du  péché  ;  mais  surtout  de  ce 
péché  par  où  notre  cœur  s'attache  et  se  livre  à  une 
créature  mortelle.  Car  c'est  attenter  sur  le  domaine 
de  Dieu  ,  ou  ,  pour  mieux  dire  ,  c'est  ruiner  dans 
nous  ce  domaine  volontaire  que  Dieu  s'étoit  acquis 
sur  nous  ;  c'est  révoquer  la  donation  que  nous  lui 
avons  faite  de  nous-mêmes  ,  et  par  une  usurpation 
sacrilège  ,  lui  arracher  ce  cœur  qui  s'étoit  consacré 
à  lui  :  c'est  commettre  dans  l'holocauste  un  larcin  ; 
ce  qu'il  a  toujours  eu  en  horreur,  comme  il  le 
témoigne  si  expressément  par  son  Prophète  :  c'est 
nous  dérober  nous-mêmes  à  lui ,  après  nous  être 
présentés,  et  piquer  sa  jalousie,  non  plus  en 
adorant ,  à  l'exemple  des  Israélites  ,  et  en  lui  susci- 
tant pour  rivaux  des  dieux  de  bois  et  de  pierre  , 
mais  des  idoles  de  chair  :  Et  in  sculptitibus  suis 
ad  œmulationem  ewn  provocaverunt  (i).  Pro- 
fanes idoles,  objets  corrupteurs  et  indignes  de  nous, 
qui  nous  perdent,  qui  nous  damnent,  et  dont  nous 
nous  faisons  néanmoins  de  prétendues    divinités  9 

(1)  P*alm,  77. 


2i4  SUR    LA   PURIFICATION 

ou  qui  nous  réduisent  à  n'avoir  plus  ,  et  à  ne  plus 
reconnoître  de  divinité.  Ali!  mon  Dieu,  est-il  pos- 
sible que  mon  iniquité  soit  allée  jusque-là  :  et  moi 
qui  ne  voudrois  pas  qu'on  entreprit  sur  le  moindre 
de  mes  droits;  moi  qui  ne  pourrois  souffrir  qu'on 
violât  à  mon  égard  certains  devoirs  ;  moi  ,  Sei- 
gneur ,  qui  crois  pouvoir  exiger  de  vous  ,  parce 
que  vous  êtes  mon  Dieu  ,  que  vous  étendiez  sur 
moi  les  soins  de  votre  providence  ,  comment  vous 
ai-je  rendu  jusques  à  présent  si  peu  de  justice  ,  et 
comment  ai-je  pu  vivre  ainsi  ,  dans  un  désordre 
continuel  ,  par  rapport  à  vous  et  à  la  plus  essen- 
tielle de  mes  obligations  ?  Mais  enfin  jusqu'à  quand 
ce  désordre  durera-t-il?  jusqu'à  quand  cette  passion 
régnera-t-elle  dans  mon  cœur  ?  en  serai-je  toujours 
esclave  ,  et  ne  romprai-je  jamais  mes  liens  ,  pour 
vous  offrir  ce  beau  sacrifice  de  louanges  dont  a 
parlé  votre  Prophète  et  qui  consiste  à  m'immoler 
moi-même,  et  à  vous  honorer  par  là  7  selon  la 
parole  du  Saint-Esprit ,  de  ma  propre  substance  ? 
Si  nous  le  faisons ,  chrétiens  ,  ce  sacrifice  ,  non- 
seulement  nous  nous  acquitterons  de  ce  que  nous 
devons  au  souverain  domaine  de  Dieu  ,  mais  nous 
engagerons  Dieu  à  nous  combler  de  ses  grâces  ; 
il  nous  accordera  les  secours  les  plus  puissans  , 
pour  seconder  une  si  généreuse  entreprise,  et  pour 
nous  soutenir  dans  l'exécution  ;  il  nous  affermira 
le  bras  pour  porter  le  coup  avec  plus  d'assurance , 
et  pour  lui  sacrifier  cette  victime  qu'il  nous  de- 
mande ;  il  versera  sur  nous  ses  plus  abondantes 
bénédictions  ,  et  même  ses  plus  douces  consola- 


DE    LA    VIERGE.  2I& 

tions  ;  et  nous  serons  surpris  de  trouver  tout  aisé , 
Jà  où  tout  devoit,  ce  semble  ,  nous  coûter  si  cher. 
Mais  vous  me  direz  :  Ce  qu'il  y  a  dans  mon 
cœur  de  plus  précieux  pour  moi,  ce  qu'il  y  a  de 
plus  intime,  est  souvent  ce  qui  me  rend  plus  cri- 
minel :  car  c'est  un  engagement  tendre ,  un  amour 
illégitime  et  corrompu  ;  or  ce  qui  me  rend  crimi- 
nel ,  et  ce  qui  est  criminel  en  soi ,  comment  peut-il 
être  offert  à  Dieu  ,  et  comment  peut-il  entrer  dans 
ce  sacrifice  de  moi-même  par  où  je  dois  honorer 
Dieu  ?  Appliquez-vous,  chrétiens  ,  à  ma  pensée;  je 
vais  dans  une  espèce  de  paradoxe  vous  découvrir 
une  des  plus  grandes  et  des  plus  consolantes  vé- 
TÎtés  du  christianisme.  En  effet,  voilà  le  miracle  de 
la  grâce,  que  ce  qui  nous  rendoit  criminels,  serve 
à  nous  sanctifier  par  le  sacrifice  que  nous  en  faisons 
à  Dieu  ;  et  que  ce  qu'il  y  avoit  dans  nous  de  plus 
abominable  aux  yeux  de  Dieu ,  par  un  changement 
merveilleux  ,  soit  ce  que  nous  avons  à  lui  présenter 
déplus  digne  de  lui;  c'est-à-dire,  que  notre  Dieu 
veuille  bien  se  tenir  honoré  de  notre  péché  même, 
et  que  non-seulement  il  ne  refuse  pas  de  recevoir 
ce  péché  en  holocauste  ,  mais  que  de  tous  les  holo- 
caustes qu'il  attend  de  nous ,  il  n'y  en  ait  pas  un  qu'il 
estime  davantage  ,  et  qui  lui  plaise  plus  que  celui- 
là.  Or ,  c'est  de  quoi  nous  ne  pouvons  douter ,  après 
la  déclaration  expresse  que  nous  en  fait  saint  Paul, 
en  nous  obligeant  à  faire  servir  nos  propres  dé- 
sordres à  la  piété  et  à  la  justice.  Et  voilà ,  cliré-r 
tiens ,  le  moyen  de  concilier  deux  choses  infini- 
ment utiles  pour  notre  instruction  et  pour  notre  édi- 


3l6  SUR    LA    PURIFICATION 

fication.  Plaise  au  ciel  que  vous  les  goûtiez,  et  que 
vous  en  profitiez  !  Car  la  foi  nous  apprend  d'une 
part,  que  nous  devons  nous  offrir  à  Dieu  dans  un 
état  où  nous  puissions  lui  être   agréables  ,  c'est-à- 
dire  ,  dans  un  état  de  sainteté  conforme  à  ce  que 
nous  sommes  ,  et  à  ce   qu'il   est  :  et  cependant  la 
môme  foi  nous  enseigne  d'ailleurs,  que  Dieu, tout 
juste  et  tout  saint  qu'il  est ,  ne  dédaigne  pas  les 
pécheurs.   Nous   savons  que   comme  Jésus-Christ 
présente  aujourd'hui  dans  sa  personne  une  victime 
pure  ,  innocente,   exempte  de   tache,  il  faut  que 
nous  paroissions,  autant  qu'il  est  possible  ,  devant 
Dieu  dans  les  mêmes  dispositions  ;  que  nous  avons 
un  corps  ,  et  qu'il  faut  que  nous  lui  présentions  ce 
corps  comme  une  hostie  vivante,  sainte,  capable 
de  lui  plaire  :  Ut  exhibeatis  corpora  vestra  hos- 
tiam  viveritem ,  sanctam,  Deo  placentem  (i); 
qu'il  nous  a  donné  une  ame ,  et  qu'il  faut  que  cette 
ame  soit  sanctifiée  par  la  charité  et  par  toutes  les 
vertus  chrétiennes  ,  pour  mériter  de  lui  être  offerte; 
en  un  mot,  qu'il  faut,    parce    qu'il  est  saint,  que 
nous   le   soyons  aussi  :  Sancti  estote ,  quia  ego 
sanctus  swn  (2).  Voilà  ce  que  nous  savons  ;  mais 
nous  savons   en    même  temps   que  les  publicains 
n'ont  pas  laissé  d'entrer  dans  le  temple  de  ce  Dieu 
de  sainteté  ,  pour  se  présenter  à  lui ,  et  que,  n'ayant 
lien  qui  fût  digne  de  lui,  ils  ont  cru  devoir  au  moins 
lui  offrir  leur  indignité.  Quoi  donc  !-veux-je  par-là 
vous   engager  à  offrir  à  Dieu  des  corps  impurs  , 
des  esprits  superbes  et  orgueilleux,  des  aines  atta- 

(1)  Rom.  12.  —  (2)  Levit.  11. 


DE    LA    VIERGE.  217 

cliées  à  la  terre ,  des  cœurs  infectés  de  la  conta- 
gion du  péché  ?  A  Dieu  ne  plaise ,  mes  chers  au- 
diteurs, que  je  sois  dans  ce  sentiment,  et  que  je  ne 
l'aie  pas  en  horreur.  Mais  pour  n'être  pas  encore 
saints  et  irrépréhensibles  devant  Dieu  ,  ne  pourrez- 
vous  puis  aussi  jamais  vous  présenter  à  Dieu  ?  En 
parlant  de  la  sorte,  je* vous  réduirois  à  un  funeste 
désespoir  ,  et  peut-être   donnerois-je  à  l'impiété 
tout  l'avantage  qu'elle  désire.  Non  ,  non  ,  chrétiens  , 
je  ne  dis  ni  l'un  ni  l'autre  :  mais  réunissant  ces  deux 
vérités  ,  je  dis ,  pour  détruire  tous  les  prétextes  qui 
pourroient  vous  éloigner  de  Dieu,  qu'il  faut,  ou 
que  vous  soyez  saints  pour  vous  offrir  à  Dieu,  ou 
qu'en  vous  offrant  à  Dieu  vous  commenciez  à  être 
saints.   Je   dis   qu'il  faut  que  vous  trouviez   dans 
vous-mêmes  cette  victime  innocente  que  demande 
l'Apôtre  ;  ou  ,  si  vous  ne  l'y  trouvez  pas ,  que  vous 
l'y  formiez  :  et  comment  ?  par  l'oblation  même  de 
vos  personnes;  car   quelque    corrompus  que  vous 
puissiez  être  par  le  péché  ,  je  prétends   que  cette 
oblation  seule  ,  de  la  manière  que  je  l'entends,  vous 
sanctifiera,  et  que  comme  notre  divin  Sauveur,  en 
se  présentant  à  son  Père  ,  a  sanctifié  par  cette  seule 
action  tous  les  justes  qui  sont  et  qui  seront  jamais  : 
JJnd  oblatione   consummavit   in    sempiternum 
sanctificatos  (1)  ,   ainsi  vous  qui  m'écoutez  ,   par 
cette  oblation  particulière  que  vous  ferez  de  vous- 
mêmes  ,  pourvu  qu'elle  soit  sincère ,  de  pécheurs , 
de  mondains  ,  d'indignes  de  Dieu  que  vous  êtes , 
vous  deviendrez  saints  ,  parfaits ,  dignes  de  Dieu  : 

(1)  Hebr.  10. 


2lS  SUR    LA  PURIFICATION 

pourquoi  ?  parce   que ,   selon   les  principes  de  la 
théologie  et  des  Pères,  s'offrir  à  Dieu  sincèrement 
et  de  bonne  foi,  c'est  se  sanctifier  :  Sanctum  Do- 
mino vocabitur  (i).  Car  s'offrir  à  Dieu  sincère- 
ment et  de  bonne  foi ,  c'est  sincèrement  et  de  bonne 
foi  vouloir  être  à  Dieu  :  or ,  vouloir  être   ainsi  à 
Dieu,  c'est  renoncer  de  bonne  foi  et  sincèrement 
à  tout  ce  qui  nous  éloigne  de  Dieu,  et  voilà  la  dé- 
testation  du  péché  et  la  conversion  du  cœur.  Vou- 
loir être  à  Dieu ,  et  le  vouloir  bien  ,   c'est  vouloir 
détruire  dans  nous  tout  ce  qui  nous  a  séparés  de 
Dieu,  et  qui  pourroit  encore  nous  en  séparer;  et 
voilà  l'expiation  du  péché  et  la  satisfaction  de  la 
pénitence.  Vouloir  être  à  Dieu,  c'est  vouloir  être 
ami  de  Dieu  ,  lui  obéir  et  le  servir;  et  voilà  l'exer- 
cice des  vertus  chrétiennes,  et  la  pratique  de  toutes 
les  bonnes  œuvres  :  Sanctum  Domino  vocabitur. 
Une  oblation  de  nous-mêmes,  véritable,  solide  ,  effi- 
cace, comprend  tout  cela,  sinon  dans  l'exécution 
actuelle ,  au  moins  dans  le  désir ,  dans  le  sentiment, 
dans  la  résolution;  et  que  faut-il  davantage  pour 
nous  réconcilier  avec  Dieu  et  pour  nous  remettre 
dans  sa  grâce  ?  Sanctum  Domino  vocabitur. 

Grande  et  essentielle  différence  que  vous  devez 
ici  remarquer  entre  les  devoirs  de  la  religion  que 
nous  rendons  à  Dieu,  et  les  offres  même  sincères 
de  service  que  nous  faisons  aux  hommes  :  car  quand 
je  me  donne,  par  exemple,  quand  je  m'offre  à  un 
grand  de  la  terre,  je  ne  deviens  pas  pour  cela  digne 
de  lui;  je  puis  être  à  lui,  et  retenir  toute  mon  in- 

(i)  Luc.  2. 


DE    LA    VIERGE.  2  T  9 

dignité,  parce  que  je  puis  être  à  lui  et  n'en  être 
pas  meilleur;  il  ne  dépend  pas  de  moi  de  lui  plaire, 
et  il  peut  arriver  que  l'empressement  même  et  l'ar- 
deur que  je  témoignerai  pour  lui  plaire  ,  fera  que 
je  lui  déplairai.  Mais  il  en  va  tout   au  contraire  à 
l'égard  de  Dieu  :  si  je  veux   être  à  lui,  je  suis  à 
lui  ;  si  je  veux  lui  plaire  ,  je  lui  plais  ;  si  je  veux  mé- 
riter son  amour,  je  commence  à  le  mériter;  et  si 
je  veux  devenir  saint,  dès  là  je  commence  à  le  de- 
venir :  Sanctum  Domino  vocabitur.  A  quel  autre 
maître  dois-je  donc  plutôt  me  consacrer?  et  dans 
la  consécration  que  je  ferai  de  moi-même  à  mon 
Dieu,  quel  regret  plus  vif  dois-je  ressentir,  que 
d'avoir  quelque  temps  délibéré  sur  une  obligation 
si  indispensable  ?  car  puisque  vous  êtes  mon  Dieu, 
Seigneur,  puisque  vous  êtes  le  Dieu  de  mon  cœur, 
il  est  bien  juste  que  vous  le  possédiez;  et  que  ne 
puis-je  vous  le  rendre  tel  que  vous  l'avez  formé  ! 
Mais    tout   corrompu  qu'il  est  ,   vous  l'agréerez , 
quand  je  vous  l'offrirai;  de  cette  victime  d'iniquité, 
vous  ferez  une  victime  de  propitiation  et  de  sanc- 
tification ;  vous  la   purifierez  par  le  feu   de  votre 
amour;  et,  purifiée  de  la  sorte,  elle  servira  à  votre 
gloire.  Les  maîtres  du  siècle ,  si  j'allois  me  présen- 
ter à  eux ,  après  leur  avoir  été  aussi  infidèle  qu'à 
vous,  me  rebuteroientetrefuseroientden  "entendre; 
mais ,  Seigneur ,  vous  voulez  bien  encore  vous  te- 
nir honoré  de  l'olTrande  que  je  viens  vous  faire,  et 
c'est  ce  qui  m'encourage  à  la  faire.  Domaine  de 
Dieu ,  domaine  essentiel  que  nous  devons  recon- 
noître  ,  comme  Jésus-Christ ,  par  une  oblation  sm- 


220  SUR    LA    PURIFICATION 

cère  de  nous-mêmes;  et  domaine  universel  que 
nous  devons  reconnoître,  comme  Je'sus-Christ,  par 
une  entière  oblation  de  nous-mêmes  :  c'est  la  se- 
conde partie. 

DEUXIÈME    PARTIE. 

C'est  une  réflexion  bien  judicieuse  que  fait  saint 
Ambroise ,  lorsque  parlant  de  la  vertu  de  religion, 
qui  est  le  lien  de  la  dépendance  et  de  la  subordi- 
nation parfaite   qu'il   doit  y   avoir   entre  Dieu  et 
l'homme ,  il  dit  que  le  devoir  et  le  mérite  de  cette 
vertu  ne  consistent  pas  à  s'offrir  simplement  à  Dieu  ; 
et  la  raison  qu'il  en  apporte  est  convaincante  ;  car 
il  n'y  a  point  d'homme,  ajoute-t-il ,  pour  lâche  ou 
pour  pécheur  qu'il  puisse  être ,  qui ,  dans  le  relâ- 
chement même ,   ou  dans  le  désordre   de  sa    con- 
duite ,  ne  voulût  être  à  Dieu  à  certaines  conditions, 
ne  fût  près  de  se  donner  à  lui  jusqu'à  un  certain 
point  d'engagement,  et  ne  lui  fit  sans  peine  le  sa- 
crifice de  sa  personne  avec  certaines  réserves.  Le 
mérite  donc  de  la  religion ,  conclut  ce  saint  docteur  , 
est  de  faire  à  Dieu  l'oblation  de  soi-même  dans  une 
étendue  proportionnée  à  celle  du  domaine  de  Dieu. 
Or,   pour  bien  reconnoître  l'étendue  du  domaine 
de  Dieu,  la  condition  indispensable  doit  être  de 
s'offrir  à  Dieu  sans  condition  ;   le    terme  de   notre 
engagement,  de  s'engager  sans  aucun  terme;  et  la 
juste  mesure  de  notre  sacrifice  ,  de  se  sacrifier  sans 
mesure  :  pourquoi?   je   vous  l'ai   dit  ,   chrétiens; 
parce   que  Dieu  étant  absolument  ce  qu'il  est,  et 
son  domaine  étant  infini  aussi  bien  que  son  être , 


DE    LA    VIERGE.  221 

tout  ce  qui  est  borné  du  côté  de  la  créature  ne 
peut  plus  avoir ,  en  qualité  d'hommage  et  de  tribut, 
la  proportion  requise  pour  l'honorer.  Il  faut  dans  le 
cœur  de  rhomme ,  si  j'ose  m'exprimer  ainsi,  quelque 
chose  d'aussi  vaste  et  d'aussi  immense  que  ce  do- 
maine même  qui  est  en  Dieu ,  afin  que  Dieu  puisse 
être  content,  c'est-à-dire,  il  faut  que  l'homme 
veuille  être  aussi  universellement  à  Dieu  ,  que  l'em- 
pire de  Dieu  s'étend  universellement  sur  lui.  Or 
ce  caractère  d'universalité  dans  l'acte  de  religion 
dont  nous  parlons  ,  c'est  ce  qui  en  fait  le  difficile 
et  l'héroïque  ;  et  voilà  néanmoins  la  seconde  leçon 
que  nous  devons  tirer  de  notre  mystère. 

Car  prenez  garde,  chrétiens,  Jésus-Christ  ne 
se  contente  pas  d'être  présenté  dans  le  temple  ; 
mais  il  se  présente  lui-même  avec  une  connois- 
sance  distincte  de  tout  ce  qui  lui  arrivera  en  consé- 
quence de  cette  présentation  :  je  veux  dire,  avec 
une  vue  actuelle  de  tous  les  ordres  rigoureux  qui 
seront  un  jour  exécutés  sur  sa  chair  innocente  et  sur 
sa  divine  personne  :  il  s'offre  à  Dieu  pour  être  la 
victime  du  genre  humain  :  il  s'engage  jusqu'à  vou- 
loir bien  accomplir  tout  ce  qui  est  prédit  de  lui  s 
jusqu'à  vouloir  bien  renoncer  aux  droits  les  plus 
inaliénables  de  sa  gloire ,  jusqu'à  vouloir  bien  se  dé- 
pouiller de  sa  liberté,  en  prenant  la  formed'un  escla- 
ve; jusqu'à  vouloir  être  rassasié  d'opprobres,  être  un 
homme  de  douleurs ,  être  regardé  comme  un  ver 
de  terre ,  être  anathème  et  malédiction ,  être  cou- 
vert de  la  tache  du  péché  et  traité  comme  pécheur; 
en  un  mot ,  jusqu'à    cette  affreuse  extrémité  de 


2.22  SUR    LA     PURIFICATION 

mourir  ,  et  de  mourir  par  les  mains  des  hommes  , 
et  de  mourir  entre  deux  criminels  ,  et  de  mourir 
sur  la  croix  :  TJsque  ad  mortem  ,  mortem  autem 
crucis  (i).  Car  sans  cela,  tout  Sauveur  et  tout 
Dieu  qu'il  est ,  il  ne  s'acquitteroit  pas  envers  Dieu 
de  ce  qu'il  lui  doit  ;  et  si  de  toutes  ses  épreuves  il 
en  eût  excepté  une  seule  ,  Dieu  n'auroit  pas  été 
pleinement  satisfait  de  lui.  Il  falloit  tout  cela 
pour  honorer  Dieu  selon  toute  Fé tendue  de  son 
domaine. 

Ah!  mes  frères,  s'écrie  saint  Bernard,  à  con- 
sidérer cette  oblation  telle  qu'elle  se  fait  dans  le 
temple  ,  et  par  rapport  à  l'heure  présente  ;  à 
l'examiner  seulement  en  elle-même,  et  sans  égard 
à  ses  suites  ,  elle  paroît  assez  douce  et  bien  facile. 
On  porte  Jésus-Christ  à  l'autel ,  on  le  consacre  au 
Seigneur  de  toutes  choses ,  on  le  met  pour  cela 
dans  les  mains  du  prêtre  ,  on  le  rachète  avec  deux 
tourterelles ,  et  aussitôt  on  le  rapporte  dans  la  maison 
de  Joseph  :  Oblalio  ista  salis  delicata  vîdetur  , 
ubi  tantùm  sislitnr  Domino ,  redimitur  avibiis 
et  illico  report  a  tur.  Mais  n'en  jugez  pas  par  la 
simplicité  de  cette  cérémonie  ;  car  le  jour  viendra 
où  ce  divin  enfant  sera  otlert ,  non  plus  dans  le 
temple  ,  mais  au  Calvaire;  non  plus  entre  les  bras 
de  Siinéon  ,  mais  entre  les  bras  delà  croix;  non 
plus  par  le  ministère  de  Marie,  mais  par  le  minis- 
tère des  bourreaux  :  Veniet  quando  non  in  tem- 
plo  offeretur ,  nec  inter  brachia  Simeonis  , 
sed   extra  civitatem  inter  brachia   crucis.  Ce 

(1)  Philip.  2. 


DE     LA    VIERGE.  223 

cru'il  fait  aujourd'hui  n'est  que  le  prélude  de  ce 
qu'il  fera  alors  ;  on  plutôt ,  ce  qui  se  fera  alors  ne 
sera  que  la  consommation  et  l'accomplissement 
de  ce  qui  se  fait  aujourd'hui.  Car  cet  homme-Dieu 
ne  sera  persécuté  ,  ne  sera  moqué  et  insulté  , 
ne  sera  meurtri  de  coups  et  déchiré  de  fouets  ,  ne 
sera  crucifié  que  parce  qu'il  l'aura  voulu.  Or  c'est 
aujourd'hui  qu'il  se  déclare  solennellement  vouloir 
tout  cela  :  et  il  se  tient  obligé  de  le  vouloir,  parce 
qu'il  se  présente  à  Dieu  ;  nous  apprenant  par  son 
exemple  ,  qu'à  proportion  de  ce  que  nous  sommes  , 
il  nous  eu  doit  autant  coûter  pour  nous  mettre  dans 
l'ordre  de  cette  dépendance  entière  et  parfaite  où 
nous  devons  vivre  à  l'égard  de  Dieu,  et  que  pour 
peu  que  nous  prétendions  composer  avec  Dieu  , 
l'oblation  que  nous  lui  faisons  de  nous-mêmes  n'est 
ni  complète  ni  recevable. 

Voilà,  mes  frères,  dit  saint  Léon  ,  ce  qui  nous 
justifie  sensiblement  l'excellence  de  cette  loi  divine 
que  nous  avons  embrassée  ,  et  qu'une  infidélité 
secrète  qui  nous  aveugle  ose  quelquefois  condam- 
ner d'excès.  Quand  on  nous  dit  que  la  loi  chrétienne 
porte  l'assujettissement  et  le  dévouement  de  la 
créature  à  Dieu,  jusqu'à  la  haine  de  soi-même, 
jusqu'au  crucifiement  de  la  chair,  jusqu'à  l'humi- 
liation de  l'esprit  ,  jusqu'à  la  mort  des  plus  vives 
et  des  plus  dominantes  passions,  jusqu'au  retran- 
chement des  simples  désirs,  jusqu'au  pardon  des 
injures,  jusqu'à  l'oubli  de  l'intérêt,  jusqu'au  sacri- 
fice de  l'homme  et  de  tout  l'homme  ,  et  que,  sans 
une  disposition  de  cœur  qui  comprenne  tout  cela  s 


224  SUR    LA    PURIFICATION 

il  est  inutile   de  nous  offrir  à   Dieu  ,  le   dirai-je  ? 
tout  fidèles  que   nous    sommes  ,  nous  ne  pouvons 
goûter  cette  morale  ;   elle  nous   paroît   outrée  ,  et 
nous   la  traitons   d'exagération.    Mais   d'où    vient 
notre  erreur  sur  ce  point?  de  ne  nous  pas  appliquer 
assez  à  bien  connoître  ,  et  le  domaine  de  Dieu  d'une 
part ,  et  de  l'autre  la  tyrannie  du  monde.  JNe  perdez 
pas  ceci,   je  vous  prie,  je  dis   d'une  part   le  do- 
maine de  Di'eu  ;  car  si  j'avois  une  fois  bien  compris 
ce  que  c'est  que  Dieu  ,   et  par  combien  de  titres 
je  lui  appartiens  ,  quelque   épreuve   qu'il   voulut 
faire  de  moi  et  de  ma  fidélité  ,  ma  raison  n'auroit 
rien  à  répliquer.  Ce  seul  nom  d'un  Dieu  maître  de 
l'univers  ,   s'autorisant    de    ce   suprême    domaine 
pour  porter  ses  lois  ,  ne  les  fondant  sur  rien  autre 
chose  ,  sinon  qu'il  est  le  Seigneur,  Ego  Domi- 
nus  (i)  ;  d'un  Dieu  à  qui  nous  sommes  redevables 
de  tout ,  parce  que  nous  avons  tout  reçu  de  lui  , 
d'un  Dieu  de  qui  nous  avons  une  dépendance  si 
universelle  ,  que  nous  ne   pouvons  rien  sans  lui 
et  que   par  lui;  ce  nom  seul,  je   le  repète  ,    pris 
dans  toute  l'étendue  de  sa  signification  ,  répondroit 
à  toutes  les  difficultés   que  la  prudence   humaine 
pourroit  former  au  préjudice  de  ses  droits.  A  quoi 
que  ce  soit  qu'il  lui  plût  de    les  étendre ,   je  con- 
clurois  qu'ils   vont  bien   au-delà  ,  et  que  tous  les 
hommages  que  je   lui    rends  ne   sont  encore  que 
comme  de  foibles  essais   de  ceux  que  je  lui  dois. 
Surtout  je  le  conclurois  de  la  sorte,  en   considé- 
rant  d'autre  part  la  tyrannie  du  monde;  car  j& 

(i)  Lcvit.  19. 


DE    LA   VIERGE.  $2$ 

n'ai  qu'à  me  souvenir  comment  le  monde  veut 
être  servi  ,  comment  il  veut  qu'on  soit  à  lui  pour 
apprendre  ce  que  Dieu  demande  de  moi ,  et  ce 
que  je  ne  puis  sans  injustice  lui  refuser.  En  effet, 
le  monde  est-il  content  qu'on  ne  se  donne  à  lui 
qu'à  demi?  et  que  réservez- vous,  que  croyez-vous 
pouvoir  réserver,  quand  il  s'agit  de  marquer  votre 
attachement  à  ces  maîtres  mortels  dont  la  nécessité 
ou  le  devoir  vous  font  dépendre  ?  Voilà  ,  chrétiens 
une  conviction  sensible  ,  palpable  ,  et  à  laquelle 
je  ne  vois  pas  que  vous  puissiez  jamais  répondre  ; 
voilà  le  sujet  de  votre  confusion  :  si  vous  n'y  pen- 
sez pas  ,  il  est  bon  de  vous  y  faire  penser. 

Vous  le  savez  jusqu'où  le  monde  souvent  fait 
aller  ses  prétentions  à  l'égard  de  ceux  qu'il  tient 
sous  son  empire.  Délibérer  et  balancer  quand  il 
est  question  de  son  service  ,  ne  se  pas  livrer  en 
aveugle  à  toutes  ses  volontés  ,  se  prescrire  là- 
dessus  certaines  bornes  ,  et  ne  pas  vouloir,  passer 
plus  avant ,  c'est  assez  pour  le  refroidir  ,  assez 
pour  le  piquer  contre  vous  ,  assez  pour  lui  rendre 
votre  fidélité  suspecte  ,  et  pour  vous  attirer  sa 
disgrâce.  Vous  vous  êtes  mille  fois  sacrifié  pour 
lui;  vous  avez  eu  pour  lui  toutes  les  déférences; 
vous  lui  avez  rendu  toutes  les  assiduités  qui  pou- 
voient  lui  faire  voir  votre  zèle  ;  vous  lui  en  avez 
donné  mille  preuves ,  et  tous  les  jours  vous  lui  en 
donnez  encore  de  nouvelles  :  cela  est  vrai;  mais 
parce  que  dans  une  occasion  vous  n'avez  pas  fait 
paroitre  la  même  ardeur  ;  parce  qu'il  ne  vous  a 
pas    trouvé   également   vif  ,   également    prompt  , 

TOME  XI.  jS 


226  SUR    LA    TU  RI  FI  CATION 

également  déterminé  à  seconder  tous  ses  désirs , 
il  n'en  faut  pas  davantage  pour  vous  détruire  dan 
son  esprit ,  et  pour  répandre  un  nuage  sur  tous 
vos  mérites  passés.  Dieu  dit  autrefois  à  Abraham  , 
lorsque  ce  saint  patriarche  consentit  à  immoler 
Isaac  ,  son  fils  unique  et  son  bien-aimé  :  Quia 
fecisti  liane  rem  (i).  Parce  que  vous  m'avez  obéi 
en  telle  rencontre  ,  pour  celte  seule  chose  que 
vous  avez  faite  ,  je  vous  bénirai ,  je  vous  comble- 
rai de  gloire  ,  je  vous  donnerai  une  longue  et  heu- 
reuse postérité ,  je  verserai  sur  vous  mes  grâces 
les  plus  abondantes.  Mais  s'il  m'est  permis  de  faire 
cette  opposition  ,  je  puis  bien  dire ,  au  contraire  : 
parce  qu'il  y  a  eu  un  point  et  tel  point  où  le 
monde  attendoit  de  vous  un  plein  dévouement  de 
vous-même ,  et  où  vous  vous  êtes  épargné  ,  cela 
suffit  ;  sans  égard  à  tout  ce  qu'il  a  d'ailleurs  reçu 
de  vous,  le  monde  vous  méprisera,  le  monde  vous 
oubliera  ,  le  monde  vous  frappera  de  ses  anathèmes 
et  vous  réprouvera  :  telle  est  la  conduite  du  monde  , 
telle  en  est  la  loi;  et  ce  qui  m'étonne  encore  plus  , 
c'est  de  vous  voir  si  soumis  à  cette  loi.  Quels  sacri- 
fices ne  fait-on  pas  aux  hommes  pour  mériter  leurs 
bonnes  grâces,  et  pour  s'insinuer  dans  leur  faveur  ? 
le  sacrifice  de  ses  biens  :  on  s'épuise  pour  eux  en 
frais  et  en  dépenses  excessives  ,  rien  ne  coûte , 
pourvu  qu'on  parvienne  à  leur  plaire,  et  l'on  ne 
compte  pour  rien  le  désordre  de  ses  affaires  et  la 
ruine  entière  de  sa  famille  ;  le  sacrifice  de  son  re- 
pos :  que  de  réflexions  ,  que  d'assiduités ,  que  de 

(i)  Gaies.  22. 


DE    LA    VIERGE.  227 

veilles ,  que  de  courses  ,  que  de  fatigues  !  le  sacri- 
fice de  sa  santé  :  on  se  consume  de  travaux ,  et 
encore  plus  de  chagrins  qui  en  sont  inséparables  ;  . 
le  sacrilice  de  sa  vie  :  on  s'expose  à  tous  les  orages 
de  la  mer ,  à  tous  les  périls  des  armes ,  et  l'on  de- 
vient prodigue  de  son  propre  sang  ;  le  sacrifice 
même  de  son  ame  :  on  se  rend  complice  des  injustes 
entreprises  d'un  grand ,  ou  compagnon  de  ses  dé- 
bauches. Dis-je  rien  dont  vous  ne  soyez  témoins , 
et  dont  nous  ne  devions  gémir?  Prenez  garde  ,  s'il  . 
vous  plaît  :  je  ne  prétends  point  ralentir  l'ardeur 
qu'on  a  et  que  nous  devons  avoir  pour  ces  maîtres 
que  le  ciel  a  placés  sur  nos  têtes  ,  et  qu'il  a  revêtus 
de  son  autorité.  Soyons  dévoués  à  leurs  personnes  , 
dévoués  à  leurs  intérêts;  et  hors  l'intérêt  de  Dieu 
et  celui  de  notre  conscience  ,  ne  ménageons  rien 
de  tout  le  reste,  et  soyons-leur  fidèles  jusques  à  la 
mort:  non-seulement  j'y  consens,  mais  c'est  un' 
devoir  que  je  vous  prêche ,  et  à  quoi  je  ne  puis 
trop  fortement  vous  porter.  L'unique  chose  que  je 
veux  vous  faire  comprendre,  et  que  je  déplore  , 
c'est  votre  injustice,  lorsque  vous  usez  de  tant  de 
réserve  à  l'égard  du  plus  grand  de  tous  les  mai!; es, 
et  que  vous  faites  gloire  de  vous  immoler  pour  les 
autres. 

Car  voici  le  désordre  ,  chrétiens  ,  et  pour  peu 
que  vous  vous  appliquiez  à  découvrir  les  sentimens 
de  votre  cœur,  vous  aurez  bientôt  reconnu  que 
c'est  le  votre.  On  veut  être  à  Dieu  ,  mais  toujours 
avec  certaines  exceptions.  Qu'il  demande  tout  ce 
qu'il  lui  plaira  ,  tout  lui  est  présenté ,  pourvu  qu'il 


228  SUR   LA    PURIFICATION 

fasse  grâce  à  cette  passion ,  pourvu  qu'il  ne  con- 
damne pas  cette  inclination  ,  pourvu  que  ce  point 
d'honneur  soit  à  couvert ,  pourvu  qu'on  ne  soit 
pas  obligé  de  renoncer  à  ce  jeu,  pourvu  qu'on 
puisse  toujours  entretenir  cette  société  et  se  trouver 
à  ces  assemblées.  Voilà  le  plan  qu'on  se  forme  d'une 
conduite  chrétienne  ;  voilà  le  traité  qu'on  voudroit 
faire  avec  Dieu  :  et  moi  je  dis  que  ce  plan  est  chi- 
mérique ,  et  que  ce  traité  ne  peut  subsister  :  pour- 
quoi ?  parce  que  c'est  vouloir  vous  partager  entre 
Dieu  et  le  monde  ,  entre  Dieu  et  vous-même  ,  et 
que  Dieu  ne  peut  souffrir  de  partage  ;  parce  que 
c'est  vouloir  limiter  le  domaine  de  Dieu,  et  que 
son  domaine  n'a  point  de  limites. 

En  effet ,  chrétiens  ,  avez-vous  jamais  bien  pé- 
nétré le  sens  de  ces  paroles  que  Dieu  dit  à  Moïse  , 
et  sur  quoi  est  fondée  la  cérémonie  de  ce  jour  : 
Mea  sunt  omnia;  Toutes  choses  sont  à  moi?  Pa- 
roles courtes  ,  mais  qui ,  dans  leur  brièveté  ,  com- 
prennent les  devoirs  les  plus  essentiels  de  l'homme 
envers  Dieu  ,  en  nous  donnant  la  plus  juste  idée  du 
domaine  de  Dieu  sur  l'homme.  Mea  sunt  omnia  (  i  )/ 
Tout  est  à  moi  :  c'est-à-dire ,  comme  nous  l'enseigne 
le  Disciple  bien-aimé  ,  que  tout  dans  ce  vaste  uni- 
vers a  été  fait  par  lui,  et  que  rien  de  tout  ce  qui 
a  été  fait  ne  l'a  été  sans  lui  :  par  conséquent  que 
l'homme  en  particulier  n'a  rien  qu'il  n'ait  reçu  de 
lui;  et  par  une  conséquence  non  moins  nécessaire, 
que  l'homme  n'a  rien  qui  ne  doive  remonter  vers 
lui  comme  à.  sa  source ,  et  lui  être  rapporté.  Mea 

(i)  Exoil.  i3. 


DE    LA    VIERGE.  2.1$ 

sunt  omnla  ;  Tout  est  à  moi  :  c'est-à-dire  ,  que 
comme  il  est  l'auteur  de  tout,  il  en  est  le  conserva- 
teur; en  sorte,  dit  l'Apôtre  ,  que  nous  n'agissons 
que  par  lui,  et  qu'il  n'y  a  pas  une  pensée  de  notre 
esprit,  pas  un  sentiment  de  notre  cœur,  pas  une 
action  qui  ne  dépende  actuellement  de  lui  :  d'où 
il  s'ensuit  que  toutes  les  pensées  de  notre  esprit, 
que  tous  les  sentimens  de  notre  cœur,  que  toutes 
nos  actions  doivent  être  pour  lui.  Mea  sunt  omnia; 
Tout  est  à  moi  :  c'est-à-dire  ,  selon  la  parole  du 
Saint-Esprit ,  qu'il  peut  disposer  de  tout  à  son  gré, 
et  suivant  les  absolus  et  sages  conseils  de  sa  provi- 
dence ;  qu'il  a  dans  ses  mains  les  biens  et  les  maux , 
les  richesses  et  la  pauvreté  ,  la  fortune  et  l'adver- 
sité ,  la  maladie  et  la  santé;  qu'il  les  distribue 
comme  il  lui  plaît,  et  partout  où  il  lui  plaît;  que 
c'est  lui  qui  blesse  et  lui  qui  guérit ,  lui  qui  dépouille 
et  lui  qui  enrichit,  lui  qui  abaisse  et  lui  qui  élève  , 
lui  qui  afflige  et  lui  qui  console  :  car  toutes  les  Ecri- 
tures sont  pleines  de  ces  expressions  ;  et  de  là  que 
faut-il  conclure?  que  quelque  disposition  qu'il  fasse 
de  nous,  qu'en  quelque  état  qu'il  nous  place,  nous 
n'avons  donc  ni  ne  pouvons  avoir  aucun  droit  de 
nous  détacher  de  lui. 

Ah  !  chrétiens  ,  quels  fonds  de  morale  !  repre- 
nons-le ,  et  tâchons  à  nous  instruire.  Piien  de  nous 
qui  n'appartienne  à  Dieu;  et  cependant  que  lui 
donnons-nous  de  tout  ce  que  nous  sommes  ?  Dans 
ce  partage  que  nous  faisons  de  nous-mêmes,  si 
Dieu  n'est  pas  absolument  oublié  ,  du  reste  que  ne 
réservons-nous  pas  pour  notre  vanité  ?  pour  notre 


23o  SUR    LA    PURIFICATION 

ambition,  pour  notre  plaisir,  pour  nos  commodi- 
tés et  nos  aises,  pour  notre  intérêt  et  notre  avare 
cupidité  ?  Ce  qu'il  y  a  de  plus  déplorable  et  ce  qui 
rend  notre  erreur  plus  dangereuse  ,  c'est  que  nous 
nous  conduisons  en  cela  même  par  principes ,  mais 
principes  qui  nous  trompent,  ou  parce  que  notre 
amour-propre  nous  les  a  fait  porter  trop  loin ,  ou 
parce  qu'il  nous  les  fait  mal  entendre.  Car  il  faut 
être  à  Dieu,  disons-nous,  mais  y  être  d'une  ma- 
nière convenable  à  notre  état;  il  faut  être  à  Dieu, 
mais  aussi,  dans  mon  état,  ne  dois-je  pas  aban- 
donner tout  le  soin  de  mon  établissement  selon  le 
monde;  il  faut  être  à  Dieu>  mais  aussi,  dans  mon 
état,  ne  dois-je  pas  me  distinguer  par  des  singu- 
larités ,  ni  manquer  à  toutes  les   bienséances   du 
monde  ;  il  faut  être  à  Dieu,  mais  aussi,  dans  mon 
état,  ne  dois-je    pas  me  priver  de   tout  divertis- 
sement et  de   tout  relâche  ;  il   faut    être  à  Dieu  , 
mais  aussi,    dans    mon  état,   faut-il   me  mainte- 
nir, et  si  je  ne  pense  pas   à  moi-même  et   à  mes 
affaires  temporelles,  qui  y  pensera  et  qui  y  pour- 
voira? Spécieux  raisonnemens ,  qui,  pris  dans  un 
sens  chrétien,  peuvent  être  vrais,  et  alors  ne  nous 
font  rien  dérober  à  Dieu  de  tout  ce  que  nous  lui 
devons;  mais  qui,  de  la  manière  que  nous  les  en- 
tendons, n'aboutissent  qu'à  nous  faire  entièrement 
quitter   Dieu   pour  le  monde,  ou   du   moins   qu'à 
nous  justifier  l'indigne  réserve  que  nous  faisons  de 
la  meilleure  part  de  nous-mêmes,  pour  la  donner 
au  monde.  Allons  plus  avant  :  rien  dans  nous  ,  non- 
seulement  qui  n'appartienne  à  Dieu,  mais  qui  n'ait 


DE    LA    VIERGE.  s3l 

nne  dépendance  actuelle  de  Dieu  pour  subsister , 
ni  qui  puisse  agir  sans  Dieu.  Mais  voici  l'injure  la 
plus  sensible  que  puisse  recevoir  de  nous  ce  pre- 
mier moteur  qui  concourt  à  toutes  nos  pensées ,  à 
tous  nos  sentimens,  à  toutes  nos  actions,  par  un 
secours  continuel  et  toujours  présent  :  c'est  qu'à 
peine  nous  occupons-nous  quelques  momens  de 
lui,  qu'à  peine  tournons-nous  quelquefois  notre 
coeur  vers  lui;  que  de  tant  d'actions  qui  compo- 
sent notre  vie,  à  peine  en  peut-il  compter  quel- 
ques-unes qui  soient  pour  lui.  Je  dis  plus  encore  : 
comme  Dieu  est  le  souverain  auteur  de  nos  êtres  , 
il  est  maître  de  nos  destinées  :  car ,  selon  le  raison- 
nement de  l'Apôtre,  l'ouvrier  ne  peut-il  pas  faire 
tout  ce  qu'il  veut  de  son  ouvrage?  le  placer  comme 
un  vase  d'honneur  sur  le  buffet ,  ou  l'employer  aux 
plus  vils  ministères?  le  conserver  ou  le  briser?  et, 
quoi  qu'il  en  fasse,  n'est-ce  pas  toujours  son  ou- 
vrage? C'est-à-dire,  Dieu  qui  nous  a  créés  indé- 
pendamment de  nous  et  sans  nous  ,  ne  peut-il  pas, 
sans  nous  et  indépendamment  de  nous  ,  décider  de 
notre  sort?  et  de  quelque  manière  que  sa  provi- 
dence en  décide ,  soit  pour  nous  faire  briller  dans 
l'éclat,  ou  pour  nous  laisser  dans  l'obscurité;  soit 
pour  nous  combler  des  biens  de  la  vie ,  ou  pour 
nous  en  priver  ;  soit  pour  nous  rendre  heureux  se- 
lon le  monde ,  ou  pour  nous  refuser  ce  prétendu 
bonheur  ;  riches  ou  pauvres ,  grands  ou  petits  ,  sains 
ou  malades ,  consolés  ou  affligés ,  ne  sommes-nous 
pas  toujours  des  créatures  formées  de  sa  main?  et 
la  différence  de  nos  conditions,  qui  ne  change  rien 


232  SUR    LA    PURIFICATION 

à  ce  caractère  ineffaçable  de  créatures  que  nous 
portons ,  change-t-elle   quelque  chose  à  ce  droit 
inviolable  qu'il  a  sur  nous ,  et  à  ce  caractère   de 
maître  qui  lui  est  propre?  Si  donc  nous  voulons 
être  à  Dieu  comme  nous  le  devons  ,  si  nous  voulons 
rendre  à  son  domaine  l'hommage  qui  lui  est  dû,  il 
faut  que  ce  soit  par  une  soumission  sans  bornes  et 
par  un  plein  abandon  de  nous-mêmes  à  toutes  ses 
volontés.  Qu'il  nous  fasse  monter  aux   plus  hauts 
rangs  ,  ou  qu'il  nous  en  fasse  descendre  ;  qu'il  nous 
appelle  à  ces  emplois  éclatans,  ou  qu'il  nous  des- 
tine à  ce  qu'il  y  a  de  plus  commun  ou  même  de 
plus  méprisable  ;  qu'il  seconde  nos  desseins,  et  que 
par  une  conduite  particulière  de  sa  sagesse  nos  des- 
seins échouent;  dans  la  paix  ou  dans   la  guerre, 
dans  la  gloire  du  triomphe  ou  dans  l'humiliation  de 
la  défaite,  dans  l'autorité  ou  dans  la  sujétion,  dans 
la  faveur  ou  dans  la  disgrâce  ,  dans  le  repos  ou  dans 
le  travail ,  dans  l'opulence  ou  dans  la  disette,  par- 
tout il  faut  nous  souvenir  ,  comme  le  grand  prêtre 
Héli,  qu'il  est  le  maître  :  Dominas  est  (i);  que 
c'est  à  lui  d'ordonner  sans  nous  rendre  raison  de 
ses  ordres  ,  et  à  nous  d'obéir  sans  murmurer  et  sans 
nous  plaindre  ;  que  c'est  attenter  à  ses  droits  que 
de  prétendre  nous  marquer  nous-mêmes  la  route 
que  nous  devons   prendre  ,   et  choisir  l'état  où  il 
nous  plaît  de  nous  pousser  ;    que  lui  appartenant 
dans  tous  les  états ,   il  n'y  en  a  point ,  quel   qu'il 
soit,  qui  puisse  nous  dispenser  de  lui  être  sincère- 
ment et  totalement  dévoués. 
(i)i.Reg.3. 


DE    LA    VIERGE.  233 

C'est  là,  dis-je,  de  quoi  je  dois  me  souvenir. 
Ansi,  tant  que  je  voudrai  mettre  à  ce  devoir  capi- 
tal et  général  des  exceptions  ;  tant  que  je  ne  serai 
pas  disposé  à  bénir  Dieu  ,  ou  ,  comme  le  grand 
prêtre  Héli,  lorsqu'on   m'annoncera  de  la  part  de 
Dieu  les  ordres  les  plus  rigoureux  ;  ou  ,  comme  Ma- 
rie, lorsqu'on  me  dira  au  nom  de  Dieu  que  j'aurai 
l'ame  percée  d'un  glaive  de  douleur  ;  ou ,   comme 
Jésus-Christ,  lorsque  par  l'arrêt  de  Dieu  je   me 
verrai  condamné  à  la  croix  ,  c'est-à-dire ,  aux  ad- 
versités et  aux  souffrances  de  la  vie ,  tant  que  j'en- 
treprendrai de  me  conduire  moi-même  et  de  m'in- 
gérer  où  il  me  plaira,  où  mon  ambition  me  por- 
tera ,  où  mon  intérêt  m'engagera ,  où  mon  plaisir 
m'attirera  ,  sans  égard  aux  vues  de  Dieu ,  et  sans 
examiner  quels  desseins  il   aura  formés  sur  moi  ; 
tant  que  je  m'élèverai   contre  Dieu ,   dès  qu'il  ne 
condescendra  pas  à  mes  désirs ,  et  qu'il  permettra 
que  je  sois  humilié,  délaissé,  persécuté,  ruiné; 
tant  que  je  dirai  :  Si  j'étois  en  telle  ou  telle  situa- 
tion ,  je  servirois  Dieu ,  je  me  donnerois  à  Dieu  ; 
mais  présentement  je  ne  puis  rien  faire  pour  Dieu  : 
enfin  ,  tant  que  j'oserai  compter  avec  Dieu  ,  et  que 
je  ne  lui  ferai  pas,  sans  restriction,  comme  un  trans- 
port universel  de  tout  ce  que  j'ai  et  de  tout  ce  que 
je  puis  avoir,  de  tout  ce  que  je  suis  et  de  tout  ce 
que  je  puis  devenir ,  il  ne  se  tiendra  jamais   suffi- 
samment honoré  de  moi,  ni  jamais  je  n'aurai  rien 
à  attendre  de  lui.  Car  pour  aller  jusques  aux  prin- 
cipes, vouloir  retenir  quelque  chose  et  le  refuser  à 
Dieu  ,  c'est  préférer  à  Dieu  même  ce  que  vous  re- 


■3/  SUR   LA   PURIFICATION 


2J4 

tenez ,  et  ce  que  vous  lui  refusez  :  par  conséquent 
ce  n'est  plus  avoir  pour  Dieu  cet  amour  de  préfé- 
rence qui  le  met  à  la  tête  de  tout;  et  ne  le  pas  ai- 
mer de  la  sorte,  c'est  se  rendre  indigne  de  sa 
grâce,  c'est  mériter  sa  haine,  et  s'attirer  ses  plus 
rigoureux  chutimens. 

Et  voilà  ,  mes  chers  auditeurs ,  comprenez  bien 
ceci ,  c'est  une  remarque  bien  vraie  et  bien  impor- 
tante :  voilà  ce  qui   arrête  tous  les  jours   tant  de 
conversions,  ce  qui  fait  évanouir  tant  de  bons  des- 
seins, ce  qui  retient  jusques  à  la  mort  tant  de  pé- 
cheurs dans  un  affreux  éloignement  de  Dieu  ,  et  ce 
qui  les  damne.  Je  ne  veux  que  vous-mêmes  pour 
vous   convaincre   de   ce    que   je  vais  vous   dire  , 
et  votre  seule  expérience  en  sera  la  preuve  la  plus 
sensible.  Combien  de  mondains  se   sentent  quel- 
quefois touchés  de   la  grâce?  Pécheurs  d'habitude 
et  plongés  depuis  de  longues  années  dans  tous  les 
désordres,  ils  voient  l'horreur  de  leur  état:  la  rai- 
son qui  les  éclaire,  la  foi  qu'ils  n'ont  pas  encore 
perdue ,  la  conscience  qui  les  pique  au  fond  de 
l'ame,  tout  leur  fait  connoître  le  dérèglement  de 
leur  conduite ,  la  nécessité  de  revenir  à  Dieu ,  les 
conséquences  de  ce  retour  ,  le  prix  infini  du  salut  : 
ils  voudroient  y  penser,  que  dis-je?  ils  semblent 
même  en  effet  le  vouloir.  Mais  dès  qu'il  en  faut 
venir  à  l'exécution,  ce  qui  déconcerte  le  projet 
qu'ils  ont  formé  ,  ce  n'est  souvent  qu'un  seul  point  : 
à  cet  écueil  toutes  leurs  résolutions  échouent.  Que 
Dieu  voulût  leur  passer  cet  article,  ils  seroient 
prêts  à  lui  sacrifier  tout  le  reste  :  que  sur  cela  seul 


DE    LA    VIERGE.  235 


le  confesseur,  ministre  de  Dieu  et  vengeur  de  ses 
droits,  se  relâchât  et  leur  fît  grâce  ,  il  n'y  a  rien 
d'ailleurs  à  quoi  ils  ne  fussent  en  disposition  de  se 
soumettre.  Mais  au  moment  qu'on  leur  parle  d'im- 
moler cet  Isaac,  au  moment  qu'on  veut  appliquer 
ce  ciseau  sur  cet  endroit  vif ,  toute  la  nature  se  ré- 
volte ,  toute  leur  constance  se  dément.  Ils  étoient 
en  voie  de  devenir  des  saints,  sans  cet  obstacle 
qui  s'est  présenté  et  qu'ils  n'ont  pas  le  courage  de 
lever;  et  parce  qu'ils  ne  veulent  pas  faire  ce  der- 
nier effort,  parce  qu'ils  craignent  de  rompre  ce  lien 
qui  les  attache,  au  lieu  de  se  rapprocher  de  Dieu 
et  de  rentrer  en  grâce  avec  lui,  ils  s'en  éloignent 
plus  que  jamais  ,  ils  se  rengagent  dans  leurs  habi- 
tudes criminelles  ,  ils  ne  gardent  nulles  mesures,  et 
se  laissent  emporter  à  tout  ce  que  leur  cœur  cor- 
rompu leur  inspire.  Car  ils  sentent  bien  qu'ils  ne 
peuvent  être  à  Dieu,  s'ils  n'y  sont  pleinement,  et 
qu'après  lui   avoir   immolé  mille  autres  victimes  , 
s'ils  épargnent  celle  qu'il  leur  demande  ,  il  ne  peut 
être  content.  D'où  ils  concluent  que  ne  voulant  pas 
faire  à  Dieu  ce  sacrilice,  ils  n'ont  donc  plus  rien 
à  ménager  sur  tout  le  reste  ,  et  qu'autant  vaut  se 
perdre  en  satisfaisant  toutes  leurs  passions  ,  qu'en 
n'en  satisfaisant  qu'une  seule.  Damnable  raisonne- 
ment ,  dont  les  suites  sont  affreuses.  De  là  plus  de 
frein  qui  les  arrête,  plus  de  crainte  de  Dieu,  plus 
de  soin  du  salut;  et  ce  qui  met  le  comble  à  leur 
malheur ,  c'est  que  les  années  ,  bien  loin   de    dé- 
prendre leur  coeur,  de  ce  qu'ils  ont  aimé  jusqu'à 
ne  pouvoir  se  résoudre  d'y  renoncer  pour  Dieu , 


SoG  SUR    LA     PURIFICATION 

ne  servent  au  contraire  qu'à  les  y  attacher  davan- 
tage. Jusques  à  la  mort  ils  en  sont  idolâtres;  ils  em- 
portent avec  eux  celte  victime  d'iniquité  ,  ou  ils  ne 
la  laissent  que  pour  passer  en  la  quittant  dans  les 
mains  de  la  justice  divine,  et  pour  en  ressentir  les 
plus  redoutables  vengeances.  Combien  de  réprouvés 
souffrent  dans  l'enfer,  et  y  souffriront  éternelle- 
ment :  pourquoi  ?  une  seule  attache  les  a  perdus. 
Sur  toute  autre  chose  ils  étoient  les  mieux  disposés 
du  monde;  ils  avoient  des  principes  de  probité  et 
d'honneur,  ils  avoient  un  fonds  de  christianisme  et 
de  religion;  mais  la  religion  s'étend  à  tout,  et  ils 
ont  voulu  la  restreindre  ,  ils  ont  voulu  composer 
avec  Dieu ,  et  Dieu  ne  veut  point  de  composition  : 
il  les  a  abandonnés  ,  et  ils  se  sont  abandonnés  eux- 
mêmes. 

Si  donc,  chrétiens,  nous  nous   sentons  aujour- 
d'hui touchés  de  quelque  désir  d'être  à  Dieu ,  sui- 
vons-le; mais  entrons  dans  le  sentiment  du  Pro- 
phète. Cet  exemple  est  d'autant  plus  propre  pour 
vous  et  pour  cette  cour,  que  c'est  l'exemple   d'un 
grand  roi  et  d'un  saint  roi.  David  ,  humilié  devant 
Dieu  ,  lui   disoit  :  Seigneur ,   tout  est  à  vous ,   et 
tout  vient  de  vous ,  la  grandeur ,  la  puissance  ,  la 
gloire  :    Tua  est ,    Domine  ,  magnificenlia  ,    et 
potentia,  et  gloria  (i);  Rien  dans  le  ciel  et  sur 
la  terre  qui  ne  vous  appartienne ,  et  qui  ne  soit  sou- 
mis à  votre  empire  :  Cuiicta    quœ  in  cœlo  sunt 
et  in  terra ,  tua  sunt  ;  tu  dominaris  omnium  (2). 
De  là  que  concluoit-il?  Ah!  Seigneur,  c'est  donc 

(1)  1.  Parai.  29.    —  (2)  Ibid, 


DE    LA    VIERGE.  287 

avec  joie,  et  dans  la  simplicité  de  mon  cœur,  que 
je  vous  offrirai  toutes  choses  :  avec  joie,  parce  que 
je  sais  que  je  n'en   puis  faire  un  usage,   ni  plus 
glorieux  pour  vous ,  ni  plus  salutaire  pour  moi  ; 
dans  la  simplicité  de  mon  cœur,  sans  user  d'aucun 
détour  et  sans  vous  en  dérober  la  moindre  partie  : 
TJnde  et  ego  in  simplicitate  cordis  mei  lœlus  ob- 
tuti  unîversa  (r).  Voyez-vous,  mes  r.hers  audi- 
teurs, comment  de  l'universalité  du  domaine  de 
Dieu  ,  si  je  puis  encore  user  de  ce  terme  ,  il  tiroit 
comme  une  conséquence  nécessaire ,  l'universalité 
de  l'oblation  que  nous  devons  faire  de  nous-mêmes 
à  Dieu  ?Et  bien  loin  qu'il  comptât  pour  beaucoup 
un  tel  sacrifice,   et  qu'il  crût  faire  par  là  quelque 
chose  de  grand ,  il  s'étonnoit  au  contraire  que  Dieu 
voulût  bien  l'accepter  de  sa  main.  Car  qui  suis-je 
Seigneur,  ajoutoit-il ,  et  qu'est-ce  que  ce  peuple 
dont  vous  m'avez  donné  la  conduite ,  pour  que  nous 
osions  vous  offrir  cela,  et  que  vous  daigniez  le  rece- 
voir de  nous?  ne  sont-ce  pas  vos  dons  que  je  vous 
rends ,  et  ne  sont-ce  pas  vos  biens  que  je  vous  pré- 
sente ?  Quis  ego  ,  et  quis  populus  meus ,  utpos- 
simus  hœc  tibi  universa  promittere  ?  tiia  sunt 
omnia  ;  et  quce  de  manu  tua  accepimus,  dedi- 
mus  tibi  (2).  Ainsi  parloit  un  roi,   un    roi  victo- 
rieux et  conquérant;  ainsi,  dans  l'éclat  qui  l'envi- 
ronnoit,  et  au  milieu  de  toute  la  pompe  du  siècle, 
se  souvenoif-il  qu'il  y  a  au-dessus  de  tous  les  rois 
et  par  conséquent  au-dessus  de  tous  les  hommes  , 
un  souverain  maître  ,  dont  le  domaine  essentiel  de^ 

(1)  1.  Parai.  29  —  (3)  llid. 


238  SUR  LA  PURIFICATION 

mande  une  sincère  oblation  de  nous-mêmes,  dont 
le  domaine  universel  demande  une  entière  oblation 
de  nous-mêmes,  et  dont  le  domaine  éternel  demande 
enfin  une  prompte  oblation  de  nous-mêmes  :  c'est  la 
troisième  partie. 

TROISIÈME    PARTIE. 

Il  ne  faut  pas  s'étonner  si  l'Apôtre  ,  instruisant 
les  premiers  fidèles,  entre  les  autres  maximes  de 
religion  qu'il  leur  proposoit ,  s'attachoit  particu- 
lièrement à  celle-ci,  que  nul  de  nous  ne  vit  pour 
soi-même;  et  que  nul  de  nous  ne  meurt  pour 
soi-même;  mais  que,  soit  que  nous  vivions,  soit 
que  nous  mourions  ,  c'est  pour  le  Seigneur  que 
nous  devons  vivre  et  mourir,  puisque  vivant  et 
mourant  nous  sommes  à  lui  :  Sive  ergo  vivimus , 
$ive morimur .,  Domini  sumiis  (1).  Il  parloit  ainsi , 
dit  S.  Chrysostome  ,  parce  qu'il  savoit  que  le  do- 
maine de  Dieu  est  un  domaine  éternel  ;  et  qu'en 
conséquence  de  cette  éternité  de  domaine  ,  il  n'y 
a  pas  un  moment  de  notre  vie  qui  lui  puisse  être 
disputé.  En  sorte  que  dès  que  nous  commençons 
d'être  ,  nous  commençons  à  dépendre ,  ne  sortant 
du  néant  que  pour  entrer  dans  la  possession  de 
Dieu,  c'est-à-dire,  dans  un  état  où  nous  appar- 
tenons à  Dieu,  et  où  nous  ne  pouvons  être  juste- 
ment possédés  d'aucun  autre  que  de  Dieu.  C'est  sili- 
ce principe  que  l'ange  de  l'école  ,  saint  Thomas  ,  a 
établi  cette  opinion  si  raisonnable ,  que  l'homme  , 
dès  le  premier  instant  qu'il  connoît  Dieu  ,  est  obli- 

(i)  Rom.  i  |. 


DE    LA    VIERGE.  z3$ 

gé  de  l'aimer  et  de  s'élever  vers  lui;  et  que  le  pre- 
mier péché  que  nous  commettons  dans  le  moment 
que  notre  raison  se  développe  ,  et  que  nous  pouvons 
user  de  notre  liberté,  est  de  ne  pas  faire  à  Dieu  ce 
sacrifice  de  nous-mêmes  que  l'Ecriture  appelle  le 
sacrifice  du  matin  :  Holocaustum  matutinum  (1). 
Opinion,  dis-je,  quelque  apparence  qu'elle  ait  de 
sévérité,  la  plus  conforme  à  la  lumière  même  na- 
turelle. Car  selon  le  raisonnement  d'un  savant  car- 
dinal,  expliquant  là-dessus  la  pensée  et  la  doctrine 
de  saint  Thomas,  pourquoi  l'homme,  au  sortir  de 
l'enfance  ,  et  lorsqu'il  commence  à  ouvrir  les  yeux, 
ne  les  tournera-t-il  pas  vers  son  souverain  auteur  ? 
pourquoi  différera- t-il  un  moment  à  le  reconnoître, 
et  pourquoi  auroit-il  droit  de  ne  lui  pas  offrir  les 
prémices  de  cet  être  qu'il  n'a  reçu  et  qu'il  n'a  pu  re- 
cevoir que  pour  lui  en  faire  hommage  ? 

C'est  dans  cette  vue  que  saint  Augustin,  touché 
d'une  douleur  amère  et  repassant  devant  Dieu  les 
années  de  sa  vie ,  s'écrioit  :  Beauté  plus  ancienne 
que  le  monde  ,  c'est  trop  tard  que  je  vous  ai  aimée  : 
Sera  te  amavi ,  pulchritudo  tain  antiqua.  Prenez 
garde  :  il  ne  s'arrêtoit  point  à  tous  les  autres  mo- 
tifs que  la  pénitence  chrétienne  auroit  pu  lui  four- 
nir, pour  pleurer  ces  délais  criminels  qu'il  avoit  ap- 
portés à  sa  conversion  :  mais  il  mesuroit  le  temps 
de  sa  conversion  à  celui  de  ses  obligations;  et, 
comparant  l'un  à  l'autre  ,  il  se  confondoit  d'avoir 
si  mal  rempli  celui-ci,  par  l'abus  qu'il  avoit  fait  de 
celui-là;  car  quelle  honte  pour  moi,  disoit  ce  saint 


2^0  SUR    LA   PURIFICATION 

pénitent,  que  Dieu  m'ait  aimé  pendant  des  siècles 
infinis,  et  que  le  monde,  ma  passion,  d'indignes 
objets  et  une  aveugle  cupidité  lui  aient  enlevé  la 
meilleure  partie  de  ce  petit  nombre  de  jours  que 
j'avois  pour  répondre  à  son  amour  !  quel  désordre 
que  Dieu  ayant  toujours  été  mon  Dieu ,  je  me  sois 
soumis  et  donné  si  tard  à  lui,  comme  sa  créa- 
ture !  Voilà  quel  étoit  le  sujet  de  son  repentir  et 
de  ses  regrets  :  Sera  te  amaviy  pulchritudo  tam 
antiqua. 

Aussi  est-ce  par  cette  règle  que  les  prophètes  , 
qui  furent  les  oracles  de  l'ancienne  loi,  ne  deman- 
doient  pas  moins  à  l'homme  qu'une  éternité  de 
culte  et  d'adoration ,  pour  honorer  cette  éternité 
de  domaine  qui  est  l'un  des  plus  nobles  attributs 
de  Dieu.  Et  comme  la  vie  de  l'homme,  prise  dans 
toute  sa  durée,  est  une  espèce  d'éternité  pour  lui  ; 
comme  Moïse,  en  parlant  de  Dieu  ,  et  usant  d'une 
expression  divine  et  mystérieuse ,  assuroit  que  le 
Seigneur  régneroit  éternellement  et  au-delà  de  l'é- 
ternité même  :  Dominus  regnabit  in  œternum 
et  ultra  (i);  ainsi  le  prophète  Miellée  ne  craignoit 
point  de  s'engager  trop  ,  quand  il  promettoit  à  Dieu 
de  lui  rendre  un  hommage  éternel  et  plus  qu'éter- 
nel :  Ambulahimus  in  nomine  Domini  Dei  nos- 
tri  in  œternum  et  ultra  (2)  ;  comme  s'il  n'eût 
pas  voulu,  remarque  saint  Jérôme  ,  que  le  domaine 
de  Dieu  sur  sa  personne,  l'emportât  sur  le  zèle  de 
sa  piété,  et  que,  par  une  sainte  émulation,  il  eût 

(1)  Exod.  i5.  —  (2)  Micb.  4. 


DÉ    LA   VIERGE.  241 

ambitionné  d'être  aussi  long-temps  et  aussitôt  à  Dieu 
que  Dieu  avoit  été  à  lui. 

Mais ,  chrétiens ,  sans  chercher  d'autres  exemples , 
arrêtons-nous  à   celui  que  nous  présente   dans  ce 
mystère  le  Sauveur  de  nos  âmes.  Car  voilà  l'im- 
portant devoir   qu'il    prétend  encore   aujourd'hui 
nous  enseigner.  C'est  un  Dieu  enfant ,  un  Dieu  qui 
vient  de  naître;  et  quarante  jours  à  peine  se  sont 
écoulés  depuis  sa  naissance ,  que  déjà  il  vent  être 
porté  à  l'autel  du  Seigneur  ,  et  là  se  sacrifier  à  son 
Père.  D'une   si  belle  vie   qu'il  doit  mener  sur  la 
terre  ,  il  ne  veut  pas  qu'il  y  ait  un  âge  qui  ne  serve 
à  la  gloire  de  Dieu  ;  et  l'engagement  qu'il  contracte 
par   cette  oblation  de   lui-même,  ne  regarde  pas 
seulement  ses  premières  années  et  le  temps  pré- 
sent ,  mais  toute  la  suite  de   ses  années ,   et  tout 
l'avenir;  tellement  que  le  sacrifice  de  sa  croix  et  de 
sa  mort  ne  sera  point  un  autre  sacrifice  que  celui- 
ci,  mais  le  dernier  acte  de  celui-ci  ,  la  perfection  et 
la  consommation  de  celui-ci.  Et  quand  la  veille  de 
sa  passion  ,  il  dira   à  son   Père  :  J'ai  achevé  l'ou- 
vrage pour  lequel  vous  m'avez  envoyé  ,  et  que  vous 
m'avez  confié  :  Opus  consummavi  quod  dédis ti 
fnihi  (1);  quand  sur  la  croix,  prêt  à  remettre  son 
ame  entre  les  mains  de  son  Père,  il  s'écriera  :  Tout 
est  consommé  :  Consummatum  est  (2);  il  ne  par- 
lera point  d'un  autre  ouvrage  que  de  celui  même 
qu'il  commence  dans  le  temple  et  dans  sa  sainte 
présentation. 

Figurons-nous  donc  ,  mes  chers  auditeurs  ,  que 

(1)  Joan.  17.  —  (2)  Joan.  19. 

TOME  XI.  16 


2^2  SUR    LA   PURIFICATION 

Jésus-Christ  dans  cette  fête  que  nous  solennisons* 
s'adressantà  nous,  et  nous  animant  par  son  exemple, 
nous  dit  à  cliacun  en  particulier  ce  qu'il  dit  depuis 
à  ses  apôtres  :  Ecce  ascendimus  Jerosolymam  , 
et  Filius  hominis  tradetur  (i);  Nous  voici  enfin 
à  Jérusalem,  et  l'heure  est  venue  où  le  Fils  de 
l'homme  doit  être  livré;  ne  difïérons  point,  et  ne 
faisons  pas  perdre  à  Dieu  un  moment  de  cette 
gloire  qu'il  attend  de  moi  et  de  vous,  et  que  nous 
pouvons  lui  procurer  par  une  oblation  prompte  de 
nous-mêmes.  Quand  le  Fils  de  Dieu  tint  ce  lan- 
gage à  ses  disciples ,  l'Evangéliste  remarque  qu'ils 
n'y  comprirent  rien ,  quoique  ces  paroles  fussent 
néanmoins  très-intelligibles  :  Et  ipsi  nihilhorum 
inlellexerunt  (2).  Voilà  ,  chrétiens  ,  l'état  de  notre 
misère  ,  et  à  quoi  nous  en  sommes  réduits.  Notre 
divin  maître  nous  prêche  aujourd'hui ,  par  son 
exemple,  qu'il  faut  nous  donner  promptement  à 
Dieu,  et  qu'autrement  nous  ne  pouvons  bien  re- 
connoître  le  domaine  éternel  que  Dieu  a  sur  nous  : 
vérité  incontestable  ;  mais  malgré  toute  son  évi- 
dence ,  vérité  que  l'esprit  du  siècle  ,  cet  esprit 
aveugle  et  grossier  nous  rend  obscure  ;  en  sorte 
que  nous  ne  la  comprenons  jamais,  parce  que  nous 
ne  voulons  jamais  la  comprendre  :  Et  erat  verbuni 
îstiul  absconditum  ab  dis  (3).  Car  nous  voulons 
être  à  Dieu;  mais  quand?  toujours  pour  l'avenir  , 
et  jamais  pour  le  jour  présent.  Ecoutez-moi  ,  et  ta- 
chez à  découvrir  sur  cela  toute  la  perversité  du 
coeur  de  l'homme  pour  en  concevoir  toute  l'horreur 
(1)  Matth.  10.  —  (>)  Luc.  t8.  —  (5)  lUdm 


DE     LA    VIERGE.  2^3 

qu'elle  mérite,  et,  s'il  etoit  possible,  toute  l'hor- 
reur que  Dieu  en  conçoit.  Nous  voulons  être  à  Dieu , 
quand  nous  n'aurons  plus  rien  qui  nous  attire  ail- 
leurs, ni  qui  puisse  nous  y  retenir  :  être  à  Dieu 
quand  il  ne  nous  restera  rien  autre  chose  dans  la 
vie,  ni  engagement  à  former,  ni  ambition  à  con- 
tenter, ni  rang  où  aspirer,  ni  prétentions  à  soute- 
nir, ni  fortune,  ni  figure  à  faire;  que  nous  nous 
trouverons ,  pour  ainsi  dire ,  abandonnés  à  nous- 
mêmes  ,  et  qu'en  nous  présentant  au  Seigneur, 
nous  ne  lui  présenterons  qu'une  vie  désormais  usée, 
caduque  et  inutile  :  être  à  Dieu  quand  nous  aurons 
donné  à  nos  passions  tout  le  loisir  et  tous  les  mo)  ens 
de  se  satisfaire  ;  que  nous  leur  aurons  mille  fois  sa- 
crifié tous  ses  intérêts;  qu'aux  dépens  de  sa  gloire 
et  de  sa  loi ,  nous  aurons  aveuglément  suivi  tous 
nos  désirs,  et  brutalement  assouvi  toutes  nos  cupi- 
dités :  être  à  Dieu  quand  il  nous  plaira ,  et  non 
point  quand  il  lui  plaît;  quand  la  seule  raison  nous 
y  engagera,  et  non  point  quand  la  religion  nous  y 
appelle  ;  quand  ce  sera  la  dernière  et  l'unique  res- 
source que  nous  aurons ,  ou  pour  fiiire  parler  de 
nous  dans  le  monde ,  ou  pour  charmer  l'ennui  de 
la  vie,  et  non  point  quand  le  devoir  nous  y  oblige 
et  que  la  piété  nous  l'inspire;  enfin,  être  à  Dieu 
quand  il  n'y  aura  plus  à  reculer,  plus  à  remettre > 
et  que  surchargés ,  accablés  de  dettes ,  il  faudra  9 
par  une  pénitence  précipitée,  apaiser  sa  justice, 
ou,  par  un  affreux  désespoir,  consentir  à  notre 
éternelle  réprobation.  Tel  est  le  plan  de  conduite 
que  nous  nous  traçons  à  l'égard  de  Dieu;  tel  est 


244  SUR    LA    PURIFICATION 

dans  le  partage  de  nos  années  le  temps  que  nous  lui 
assignons. 

Mais  est-ce  là ,  mon  cher  auditeur  ,  honorer  Dieu , 
ou  n'est-ce  pas  l'outrager?  est-ce  reconnoître  sa  sou- 
veraineté, que  de  lui  prescrire  ainsi  le  temps  qu'il 
nous  plaît?  est-ce  rendre  hommage  à  son  domaine, 
que  de  lui  assigner  dans  ce  temps  les  dernières 
années  de  la  vie  ;  des  années  sur  quoi  nous  ne  pou- 
vons compter  ,  et  qui  ne  viendront  peut-être  jamais 
pour  nous ,  parce  que  la  mort  nous  enlèvera  avant 
qu'elles  viennent  ?  Quoi  !  Dieu  traité  de  la  sorte 
nous  attendra  ?  il  se  contentera  de  ce  partage  ? 
c'est-à-dire ,  il  se  contentera  que  nous  lui  pré- 
sentions ce  que  le  monde  avant  lui  aura  long- temps 
possédé  et  mille  fois  profané?  que  nous  lui  présen- 
tions ce  que  le  monde  méprisera  et  rebutera;  et 
que  nous  le  lui  présentions,  parce  que  le  monde 
commencera  à  le  mépriser  et  à  le  rebuter?  que  nous 
lui  présentions  ce  que  nous  ne  pourrons  plus  lui 
refuser ,  sans  attirer  sur  nous  un  arrêt  de  condam- 
nation d'autant  plus  inévitable ,  qu'il  sera  prêt  à  le 
lancer  sur  nos  têtes?  Ah  !  mon  Dieu,  seriez-vous 
ce  que  vous  êtes ,  si  vous  étiez  obligé  de  nous  re- 
cevoir à  de  telles  conditions  ,  et  serions-nous  ce  que 
nous  sommes ,  s'il  nous  étoit  permis  de  vous  les 
imposer  ?  Non  ,  non ,  chrétiens ,  il  n'en  ira  pas  ainsi , 
et  Dieu  ,  pour  ce  qu'il  se  doit  à  lui-même  ,  a  bien  su 
établir  dans  l'ordre  de  la  prédestination  des  hommes, 
des  lois  rigoureuses  qui  le  garantissent  de  cet  ou- 
trage. Car  si  nous  l'en  croyons  (et  qui  en  croirons- 
nous  mieux  que  lui,  puisque  toutes  ses  paroles  sont 


DE    LA    VIERGE.  2^5 

infaillibles  ,  et  qu'il  est  la  vérité  même?)  si,  dis-je, 
nous  l'en  croyons,  après  que  nous  l'aurons  si  indi- 
gnement traité  ,  il  nous  frappera  de  son  mépris  :  et 
quels  seront  les  terribles  effets  de  ce  mépris  de 
Dieu  ?  comprenez-le.  Ce  ne  sera  point  d'être  insen- 
sible à  nos  vœux ,  si  nos  vœux  sont  sincères  et  qu'ils 
partent  du  cœur  ;  ce  ne  sera  point  de  se  tenir  éloigné 
de  nous  ,  si  c'est  de  bonne  foi  que  nous  nous  tour- 
nons vers  lui,  et  que  nous  le  cherchons;  ce  ne  sera 
point  de  nous  rejeter,  si,  par  une  vraie  et  solide 
oblation  de  nous-mêmes ,  nous  nous  présentons  à 
lui.  Il  a  dit  qu'à  quelque  temps  que  le  pécheur 
voulût  revenir  à  lui,  il  le  recevroit;  qu'à  quelque 
temps  que  nous  fussions  bien  résolus  d'être  à  lui , 
il  agréeroit  le  don  que  nous  lui  ferions.  Mais  pre- 
nez garde  :  ce  retour  véritable  ,  cette  résolution 
ferme ,  cette  bonne  volonté  dépend  de  Dieu  et  de 
sa  grâce  ,  et  que  fera  Dieu  en  vous  méprisant ,  après 
que  vous  l'aurez  méprisé?  c'est  qu'il  vous  privera 
de  cette  grâce ,  je  dis  de  cette  grâce  efficace  et 
forte  ,  de  cette  grâce  d'autant  plus  nécessaire  que 
vous  serez  plus  foible  ,  et  que  vous  aurez  plus  d'ef- 
forts et  plus  de  chemin  à  faire  ,  après  de  longs  éga- 
remens ,  pour  le  retrouver  ;  il  la  retirera ,  et  alors 
vous  ne  voudrez  plus  être  à  lui  ;  vous  ne  serez  plus 
même  guère  en  état  de  le  vouloir,  parce  que  vous 
ne  l'aurez  pas  voulu  lorsque  vous  en  aviez  le  pou- 
voir. Ces  années  que  vous  lui  destiniez ,  vous  vou- 
drez encore  les  donner  au  monde  ;  du  jour  présent, 
vous  remettrez  toujours  au  lendemain  ,  et  de  ce  len- 
demain à  un  autre  ,  jusqu'à  ce  que  vous  soyez  enfin 


246  SUR    LÀ     PURIFICATION 

arrivé  à  ce  dernier  jour,  qui  n'aura  pas  de  lende- 
main pour  vous.  Ou  s'il  vient  un  âge  avancé,  et 
un  temps  auquel  il  semble  que  vous  vouliez  vous 
donner  à  Dieu  ,  vous  ne  le  voudrez  qu'imparfaite- 
ment, vous  ne  le  voudrez  qu'à  demi ,  vous  croirez 
le  vouloir,  et  vous  ne  le  voudrez  pas.  Et  c'est  en 
ce  sens  qu'il  faut  entendre  cette  menace  qu'il  a  si 
souvent  réitérée  dans  l'Ecriture  et  exprimée  en 
tant  de  manières  différentes  :  Alors  ils  m'invoque- 
ront, et  je  serai  sourd  et  insensible  à  leurs  prières; 
ils  me  chercheront,  et  je  me  déroberai  à  leur  vue, 
en  sorte  qu'ils  ne  me  trouveront  pas  :  ils  frapperont 
a  la  porte,  et  ils  me  crieront  :  Seigneur,  Seigneur  ; 
mais  moi ,  sans  leur  ouvrir  ,  je  répondrai  que  je  ne 
les  connois  point  ;  je  les  renverrai  à  ces  faux  dieux 
qu'ils  m'auront  préférés,  et  à  qui  ils  auront  consa- 
cré leurs  plus  beaux  jours. 

Terrible,  mais  juste  châtiment  à  quoi  vous  vous 
exposez,  mon  cher  auditeur  ,  et  dont  vous  n'aurez 
pas  lieu  de  vous  plaindre  ,  puisqu'il  n'aura  rien  de 
si  rigoureux  que  vous  n'ayez  sans  doute  bien  mé- 
rité. Vous  me  direz  que  cela  doit  donc  désespérer 
ceux  de  mes  auditeurs,  qui ,  jusqu'à  présent,  en- 
gagés dans  le  monde  et  dans  les  intrigues  crimi- 
nelles du  monde  ,  ont  passé  de  longues  années 
sans  se  donner  à  Dieu,  et  voudroient  maintenant 
rentrer  dans  le  devoir  et  le  servir.  N'y  a-t-il  plus 
de  retour  pour  eux  ,  et  ne  peuvent-ils  plus  faire  à 
Dieu  un  sacrifice  d'eux-mêmes  qui  lui  soit  agréable  ? 
Je  n'ai  garde,  chrétiens,  de  le  penser  et  de  le 
dire  de  la  sorte  :  il  ne  m'appartient  pas  de  mar- 


DE    LA    VIERGE.  2^7 

quer  ainsi  des  bornes  à  la  miséricorde  de  notre 
Dieu.  Je  sais  qu'il  y  a  eu  des  pénitens  de  tous  les 
âges,  c'est-à-dire  ,  des  hommes  qui ,  rebelles  à  Dieu 
et  à  ses  grâces,  avoient  consumé  presque  toute 
leur  vie  dans  une  révolte  et  dans  un  désordre  con- 
tinuel, et  qui  néanmoins  ont  enfin  ouvert  les  yeux, 
ont  reconnu  leur  injustice  ,  et  l'ont  réparée  ,  en 
se  soumettant  au  légitime  empire  du  maître  dont 
rien  n'eût  dû  jamais  les  séparer;  des  femmes  qui, 
idolâtres  du  siècle  ,  et  plus  idolâtres  encore  d'elles- 
mêmes,  s'étoient  fait  une  divinité  de  leur  corps  , 
et  avoient  consacré  à  cette  divinité  prétendue  , 
non-seulement  tout  le  cours  d'une  florissante  jeu- 
nesse, mais  tout  ce  qu'elles  avoient  reçu  de  jours 
au-delà  ,  et  qui  tout  à  coup  ont  renoncé  à  leurs 
anciennes  habitudes ,  ont  pris  le  parti  de  la  piété 
et  d'une  piété  solide  ,  se  sont  enfin  rendues ,  si  je 
puis  ainsi  parler,  au  souverain  Seigneur  à  qui  elles 
s'étoient  dérobées  ,  et  lui  ont  offert  dans  leurs  per- 
sonnes autant  de  victimes  qu'il  a  bien  voulu  accep- 
ter :  voilà  ce  que  je  sais  et  de  quoi  je  suis  obligé 
de  convenir.  Mais  aussi  convenez  avec  moi  que  ces 
exemples  où  notre  Dieu  fait  paroître  les  richesses 
de  sa  miséricorde,  sont  moins  communs  que  nous 
le  pouvons  penser  ,  et  qu'il  y  en  a  mille  autres 
contraires  où  il  exerce  toute  la  sévérité  de  sa  jus- 
tice :  et  de  là  concluez  deux  choses  très-importantes 
et  dignes  de  toute  votre  réflexion.  Car  de  ces  deux 
sortes  d'exemples ,  les  uns  de  miséricorde ,  et  les  au- 
tres de  justice,  je  vous  propose  les  premiers  pour  sou- 
tenir encore  votre  confiance,  si  vous  êtes  de  ceux 


^8  SUR   LA  TURIFICATION 

a  qui  la  conscience  reproche  de  s'être  depuis  long- 
temps soustraits  au  domaine  de  Dieu  ,  et  d'avoir 
vieilli  dans  le  service  du  monde  et  dans  l'esclavage 
de  leurs  passions  :  et  je  vous  propose  les  seconds 
pour  vous  inspirer  une  crainte  salutaire  et  bien  fon- 
dée ,  et  pour  vous  engager  fortement  à  Gonsacrer  à 
Dieu  les  prémices  de  votre  vie,  si  vous  êtes  de  ceux 
qui  se  trouvent  dans  l'heureux  état  de  le  pouvoir 
faire.  Développons  ceci ,  et  expliquons-nous. 

Je  parle  d'abord  à  vous  ,  mon   cher  auditeur  ; 
à  vous  ,  dis-je ,  qui  ,  sur  le  retour  de  l'âge  ,  com- 
mencez à  comprendre  le  devoir  capital  de  la  reli- 
gion que  nous  professons  ,  qui  est  de  nous  donner 
à  Dieu  de  bonne  heure  ,   d'honorer  ,  par    cette 
prompte  oblation  de  nous-mêmes  ,  l'éternité  de  son 
domaine  :  vérité  fondamentale  que  vous  reconnois- 
sez,  mais  que  vous  craignez  de  reconnoltre  trop  tard» 
Justement  effrayé  des  menaces  du  Seigneur  que  je 
viens  de  vous  faire  entendre,  et  pressé  par  le  remords 
de  votre  coeur  ,  il  vous  semble  qu'elles  doivent  s'ac- 
complir en  vous  ;  et  cette  pensée  vous  décourage , 
comme  s'il  n'étoit  plus  temps  de  vous  réduire  sous 
la  loi  de  Dieu ,  et  de  lui  offrir  une  victime  qu'il  re- 
buteroit.  Mais  à  Dieu  ne  plaise  que  ee  discours  serve 
à  ralentir  la  ferveur  de  vos  résolutions  ,  et  à  rendre 
inutiles  les  efforts  de  la  grâce.  Non ,  mon  cher  frère, 
ces  menaces  divines  qui  vous  troublent  ,  ne  sont 
point   si  générales    qu'elles  ne    puissent  avoir  et    v 
qu'elles  n'aient  eu  leurs  exceptions  ;  elles  ne  sont 
point  si  décisives  ni  si  précises,  que  d'autres  que 
vous  n'en  aient  appelé  ,  et  que  vous  ne  puissiez  en 


DE    LA    VIERGE.  2^9 

appeler  comme  eux  à  la  miséricorde  du  maître  qui 
les  a  prononcées.  Or  pourquoi  ne  serez-vous  pas  de 
ce  nombre,  et  pourquoi  ne  prendrez-vous  pas  tou- 
tes les  mesures  nécessaires  pour  en  être  ?  vous  le 
pouvez  ,  et  c'est  à  vous  en  particulier  que  je  l'an- 
nonce ;  à  vous  qui  m'écoutez  ,  et  que  Dieu  appelle 
tout  de  nouveau  par  ma  voix  ;  à  vous  en  qui  ce 
discours  excite  certains  sentimens  qui  sont  les  effets 
d'une  grâce  spéciale  ;  à  vous  à  qui  Dieu  ouvre  les 
voies  du  retour  par  ces  pensées ,  et  ces  désirs  se- 
crets qu'il  vous  inspire  ,  à  vous  qu'il  a  conservé 
pour  cela  jusqu'à  ce  précieux  moment ,  qui  peut- 
être  est  le  dernier,  mais  qui  peut  devenir  le  prin- 
cipe de  votre  éternelle  prédestination.  Il  est  vrai  : 
vous  n'aurez  plus  l'avantage  de  vous  être  donné 
au  Seigneur  de  bonne  heure,  et  c'est  de  quoi  vous 
gémirez  en  sa  présence  ;  mais  du  moins  aurez-vous 
désormais  l'avantage  d'être  à  lui  constamment  , 
d'être  à  lui  jusqu'au  dernier  soupir  de  votre  vie  , 
et  de  réparer  ,  par  votre  persévérance  ,  vos  ré- 
voltes passées  :  c'est  ainsi  ,  dis-je  ,  que  je  vous 
parle;  mais  voici  ce  que  j'ajoute  pour  les  autres. 

Car  de  compter  aussi,  mon  cher  auditeur,  qu'il 
sera  toujours  temps  de  reprendre  le  joug  du  Sei- 
gneur ,  après  l'avoir  secoué ,  et  sur  ce  principe 
vous  livrer  au  monde  dès  vos  premières  années, 
et  ne  réserver  à  Dieu  qu'un  reste  de  vie  ;  de  se 
promettre  que  Dieu  sera  toujours  également  prêt 
a  vous  prévenir ,  et  à  faire  toutes  les  avances  pour 
vous  rechercher;  de  s'attendre  que  le  trésor  de  ses 
miséricordes  vous  sera  toujours   ouvert ,  et  que 


25o  SUR   LA  PURIFICATION 

vous  y  trouverez  au  besoin  tous  les  secours  et  tous 
les  moyens  sur  quoi  vous  faites  fonds ,  c'est  une- 
confiance  présomptueuse    à  laquelle  j'oppose   les 
exemples  de  tant  de  mondains  et  de  mondaines  ,. 
qui  y  ont  été  trompés  avant  vous,  et  après  qui  je 
n'ai  que  trop  lieu  de  craindre  que  vous  le  soyez 
vous-mêmes.  Quelle  raison  avez-vous  d'espérer  , 
qu'ils  n'eussent  pas  comme  vous  ?  et  si  d'affreuses 
suites  leur  ont  fait  voir  combien  leurs  espérances 
étoient  fausses,  qui  vous  assure  que  de  semblables 
épreuves  ne  vous  convaincront  pas  un  jour  ,  mais 
à  votre  ruine  éternelle  ,  que  vos  prétentions  n'é- 
toient  pas  mieux  établies?  Ah!  chrétiens,  ne  nous 
exposons  pas  à  un  danger  dont  les  conséquences 
sont  si  terribles.  Ne  remettons  point  à  une  autre  occa- 
sion ce  que  nous  pouvons  faire  dans  les  conjonctu- 
res présentes  ;  elles  ne  seront  jamais  plus  glorieuses 
pour  Dieu  ,  ni  plus  salutaires  pour  nous.  Autant  de 
momens  que  nous  refusons  à  Dieu ,  ce  sont  autant 
de  momens  perdus  ,  non-seulement  pour  lui ,  mais 
pour  nous-mêmes  :  encore  s'ils  étoient  seulement 
perdus  :  mais  parce  qu'ils  auront  été  perdus ,  ce 
seront  contre  nous  autant  de  sujets  de  condamna- 
tion. Offrons-nous,  comme  Jésus-Christ,  dès  que 
nous  le  pouvons  ,  dès    que  nous  nous  y  sentons 
attirés ,  dès  que  Dieu  nous  y   invite  ,  et  par  lui- 
même  et  par  ses  ministres  ;  mais  sur-tout  offrons- 
nous  comme  Jésus-Christ  :  par  qui  ?  par  Marie  : 
car  c'est  par  Marie  qu'il  veut  être  offert ,  par  Marie 
qu'il  veut  être  porté   dans  le   temple,   par  Marie 
qu'il  veut  être  mis  entre  les  mains  du  grand  prêtre  , 


DE    LA    VIERGE.  s5l 

et  si  nous  pensons  à  faire  à  Dieu  le  sacrifice  de 
nous-mêmes  ,  faisons-le  par  la  mère  de  Dieu;  que 
ce  sacrifice  de  nous-mêmes  soit  comme  la  consom- 
mation du  sacrifice  qu'elle  fait  aujourd'hui  de  son 
fils.  Avec  la  médiation  de  cette  Vierge  toute-puis- 
sante ,  il  n'est  rien  que  le  ciel  n'agrée;  et  c'est  ainsi 
que  nous  honorerons  le  domaine  de  Dieu  ,  ce  do- 
maine essentiel,  ce  domaine  universel ,  ce  domaine 
éternel. 

Cette  morale  ,  Sire  ,  est  pour  les  rois  aussi  bien 
que  pour  les  autres  hommes;  et  je  le  dis  avec  d'au- 
tant plus  d'assurance  et  plus  de  consolation  en 
présence  de  votre  majesté  ,  qu'entre  tous  les  autres 
monarques  ,  il  n'en  est  point  qui  rende  au  souve- 
rain Maître  du  monde  ,  de  plus  éclatans  témoigna- 
ges d'une  soumission  vraiment  chrétienne.  Nous  vous 
voyons  ,  Sire  ,  au  comble  de  la  grandeur  humaine  ; 
tout  ce  qui  peut  relever  un  roi ,  et  lui  donner  dans 
le  monde  un  grand  nom  ,  le  ciel  l'a  réuni  dans 
votre  personne  sacrée;  l'éclat  de  la  majesté ,  l'éten- 
due de  la  puissance ,  la  sagesse  des  conseils ,  le  suc- 
cès des  entreprises  ,  la  gloire  des  armes.  Voilà  ce 
que  nous  admirons;  voilà  ce  que  toute  l'Europe  , 
attentive  à  vous  considérer ,  est  forcée  de  recon- 
noître  elle-même  ,  et  à  quoi  elle  ne  peut  refuser 
des  éloges  d'autant  plus  glorieux  ,  qu'elle  auroit 
plus  d'intérêts  à  les  diminuer  et  à  les  obscurcir. 
Mais ,  Sire  ,  dans  ce  haut  degré  d'élévation  ,  ce 
qu'il  y  a  de  plus  digne  de  nos  admirations  et  de 
plus  grand ,  c'est  que  votre  majesté  ne  se  laisse 
point  éblouir  par  sa  grandeur  même;  c'est  que  dans 


252  SUR  LA  PURIFICATION 

la  splendeur  de  sa  puissance,  elle  n'oublie  point 
qu'il  y  a  au-dessus  de  toutes  les  puissances  mortelles 
un  Tout-puissant;  c'est  que,  prévenue  des  sentimens 
d'une  religion  pure  et   sincère,  elle  se  souvient, 
comme  Salomon  ,  ce  prince  si  sage  et  le  sage  même 
par  excellence  ,  qu'il  y  a  au  plus  haut  des  cieux  un 
plus  grand  qu'elle  ,  le  Créateur  de  tous  les  hommes 
et  le  Roi  des  rois.  C'est  dans  cet  esprit ,  Sire  ,  que 
vous  vous  êtes  aujourd'hui  prosterné  devant  l'au- 
tel de  ce  Dieu  de  gloire  et  de  ce  suprême  domina- 
teur  de   l'univers.   Nous  avons  vu  votre  majesté 
humiliée  en  sa  présence  ,  lui  faire   hommage   de 
tout  ce   que   vous  êtes  ;   nous  vous   avons   vu  au 
milieu  de  la  plus  florissante  cour ,  lui    présenter , 
en  vous  présentant  à  lui ,  ce  qu'il  y  a  sur  la  terre  , 
et  selon  le   monde ,  de  plus  vénérable  et  de  plus 
auguste.  Qu'il  est  beau,  Sire,  après  avoir  paru  sur 
le  troue  en  souverain  ,  pour  imposer  aux  peuples 
la  loi  ;   après  avoir  tant  de  fois  paru  à  la  tête  des 
armées  en  conquérant  ,  pour  soutenir  les  droits  de 
votre  empire  ,  et  pour  abattre  l'orgueil  et  confon- 
dre les  projets   de  tant  de  nations  ennemies  ,  de 
paroître   ensuite  aux  pieds  du  Seigneur  en  sup- 
pliant ,  pour   honorer   son   domaine,  supérieur  à 
toute  domination ,  ou  plutôt  le  principe  et  l'appui 
de  toute  domination  ;  pour  lui  faire  une  protesta- 
tion solennelle  de  la  plus  religieuse  et  de  la  plus 
humble  dépendance;  pour  lui  soumettre  ,  par  l'obla- 
tion  la  plus  parfaite  ,  tout  ce  qu'il  vous  a  soumis  ! 
Qu'il  y  a  là  de  fermeté  d'ame  et  de  noblesse  ,  qu'il 
y  a  d'équité  et  de  droiture ,  qu'il  y  a  de  solide  piété  , 


DE    LA  VIERGE.  253 

et  par  conséquent  de  véritable  grandeur!  Il  est, 
si  je  l'ose  dire  ,  de  l'intérêt  et  de  l'honneur  de 
Dieu  ,  de  maintenir  votre  majesté  dans  ce  même 
lustre  qui  lui  attire  les  regards  du  monde  en- 
tier ,  puisque  plus  vous  serez  grand  ,  plus  Dieu 
tirera  de  gloire  des  hommages  que  vous  lui  rendez. 
Il  aura ,  Sire  ,  dans  votre  personne  royale ,  aussi 
bien  que  dans  la  personne  de  David  ,  un  roi  se- 
lon son  cœur  ,  fidèle  à  sa  loi ,  zélé  pour  sa  loi 
protecteur  et  vengeur  de  sa  loi.  Mais  ce  ne  sera 
pas  sans  retour  de  sa  part  ,  ni  sans  récompense  : 
après  vous  avoir  couronné  si  glorieusement  sur  la 
terre ,  il  vous  prépare  dans  le  ciel  une  couronne 
immortelle ,  que  je  vous  souhaite  au  nom  du  Père, 
du  Fils  ,  du  Saint-Esprit. 


SERMON 

SUR 

L'ASSOMPTION  DE  LA  VIERGE. 


Maria   optiniam  partem  elegit  ,   qaœ    nou    auferetur 
ab  eâ. 

Marie  a  choisi  la  meilleure  part ,  qui  ne  lui  sera  point 
Siée.  En  saint  Luc ,  cliap.  10. 

Ce  fiit  à  Marie  <,  sœur  de  Marthe,  que  le  Fils  de 
Dieu  rendit  ce  témoigrllge  avantageux  :  c'est  ainsi 
qu'il  se  déclara  pour  elle  ,  et  qu'il  la  félicita  de  ce 
qu'elle  s'attachoit  à  l'écouter,  pendant  que  Marthe 
se  fatiguoit  et  s'empressoit  à  le  servir.  Il  faut 
néanmoins  convenir  que  ces  paroles  de  notre  évan- 
gile ,  appliquées  à  la  fête  que  nous  célébrons  , 
expriment  parfaitement  le  caractère  de  Marie  , 
mère  de  Jésus,  puisqu'elle  a  eu  sans  contredit  en 
toutes  choses  la  meilleure  part.  Je  n'aurois,  pour 
vous  en  convaincre  ,  qu'à  parcourir  tous  les  mys- 
tères qui  se  sont  accomplis  dans  la  personne  de 
cette  incomparable  vierge ,  et  qu'à  vous  y  faire  re- 
marquer les  privilèges  infinis  de  grâce  et  de  gloire 
qui  l'ont  élevée  au-dessus  de  tous  les  justes  et  de 
tous  les  élus  de  Dieu.  Mais  je  m'arrête  uniquement 
à  l'auguste  mystère  de  son  assomption,  car  ce  de- 
gré de  gloire  si  sublime  où  elle  paroit  aujourd'hui  , 
cette    couronne   d'immortalité    qu'elle    reçoit   des 


SUR    L'ASSOMPTION    DE    LA    VIERGE.         s55 

mains  de  son  fils  ,  cette  béatitude  qu'elle  possède  , 
et  qui  doit  être  la  récompense  éternelle  de  ses  émi- 
«en tes  vertus,  c'est  la  consommation  ,  non-seule- 
ment de  toutes  les  grâces  dont  elle  a  été  co*nblée 
mais  de  tous  les  mérites  qu'elle  a  acquis  et  par 
conséquent  ce  que  nous  pouvons  dire  être  pour 
eile  souverainement  et  par  excellence,  la  meilleure 
part,  qui  ne  lui  sera  point  enlevée  :  optimam  par- 
tent elegit,  quœ  non  auferetur  ab  éd.  Heureux 
partage  de  Marie  ,  qui  doit  être  le  sujet  de  nos 
réflexions ,  et  auquel  nous  devons  tous  nous  inté- 
resser ,  si  nous  avons,  comme  chrétiens,  les  sen- 
timens  de  religion  que  la  vue  du  triomphe  de  cette 
mère  de  Dieu  doit  produire  dans  nos  cœurs.  Ce 
que  nous  appelons  son  assomption  ,  est  par  excel- 
lence le  mystère  de  sa  gloire  ;  mais  si  nous  savons 
bien  nous  l'appliquer  et  en  profiter ,  il  n'est  pas 
moins  le  mystère  de  notre  espérance  ;  et  voilà  ce 
que  j'entreprendrai  de  vous  faire  voir,  après  que 
j'aurai  demandé  les  lumières  du  Saint-Esprit  par 
l'intercession  de  sa  bienheureuse  épouse.  Ave  v 
Maria. 

C  est  de  l'espérance  que  le  juste  vit,  aussi  bien, 
que  de  la  foi  ;  c'est  sur  l'espérance  aussi  bien  que 
sur  la  foi ,  qu'est  fondé  tout  l'édifice  de  cette  per- 
fection chrétienne  dont  la  charité  est  le  comble  ; 
c'est  par  l'espérance  aussi  bien  que  par  la  foi  que 
nous  nous  élevons  à  Dieu  ,  que  nous  cherchons 
Dieu  ,  et  que  nous  trouvons  le  royaume  de  Dieu. 
Ainsi,  chrétiens  ?  quand  j'ai  dit  que  le  mystère  de 


i>56  SUR   L'ASSOMPTION 

ce  jour  étoit  un  des  mystères  de  notre  espérance  ] 
j'ai  prétendu  vous  en  donner  l'idée  la  plus  haute, 
et  tout  ensemble  la  plus  consolante  et  la  plus  édi- 
fiante que  vous  en  ayez  jamais  conçue.  Ecoutez- 
moi  5  et  vous  en  allez  convenir.  Pour  y  procéder 
avec  ordre  ,  je  ne  prétends  point  pénétrer  le  fond 
de  la  béatitude  et  de  la  gloire  dont  la  reine  des 
anges  jouit  dans  le  ciel  ;  car ,  comme  remarque 
saint  Bernard  ,  si  l'œil  n'a  point  vu  ,  et  si  le  cœur 
de  l'homme  n'a  jamais  compris  ce  que  Dieu  pré- 
pare au  moindre  de  ses  élus ,  qui  pourra  compren- 
dre ,  et  encore  moins  expliquer  ce  qu'il  a  préparé 
pour  la  plus  parfaite  et  la  plus  sainte  de  toutes  les 
vierges  ?  sans  vouloir  donc  connoîtrela  gloire  de 
Marie  en  elle-même  ,  il  me  suffit  d'en  examiner  le 
principe  et  les  effets  :  le  principe  ,  par  rapport  à 
Marie  qui  la  possède  ;  et  les  effets  par  rapport  à 
nous ,  qui ,  comme  enfans  et  serviteurs  de  Marie  , 
devons  y  participer  :  car ,  envisageant  cette  gloire 
dans  son  principe ,  et  par  rapport  ù  Marie,  j'y  dé- 
couvre un  des  plus  puissans  motifs  de  notre  espé- 
rance ;  et  la  considérant  dans  ses  efi'ets  et  par  rap- 
port à  nous ,  j'y  trouve  un  des  plus  solides  appuis 
de  notre  espérance.  Appliquez-vous  à  ma  pensée.  Il 
est  certain  que  Marie,  dans  son  assomption  ,  a  reçu 
de  Dieu  comme  une  double  plénitude,  je  veux  dire , 
une  plénitude  de  bonheur  ,  et  une  plénitude  de 
pouvoir  :  une  plénitude  de  bonheur  pour  elle— 
même  ,  et  une  plénitude  de  pouvoir  pour  ceux  qui 
l'invoquent.  Or  la  vue  de  son  bonheur  ,  ou  plutôt 
de  ce  qui  a  été  la  cause  et  la  source  de  son  bonheur 


DE    LA    VIERGE.  2$j 

c5ëst  ce  qui  doit  exciter  notre  espérance  ;  et  la  vue 
de  son  pouvoir  auprès  de  Dieu  ,  c'est  ce  qui  doit 
affermir  notre  espérance.  Je  pourrois  m'en  tenir  là  ; 
mais  parce  que  rien  n'est  plus  sujet  à  l'illusion 
que  l'espérance  même  chrétienne  ,  et  que  rien  n'est 
plus  dangereux  dans  la  voie  de  Dieu  que  l'abus 
de  cette  vertu  ,  j'ajoute  à  ces  deux  vérités  une  ré- 
flexion qui  m'a  paru  bien  importante  ,  et  que  je 
vous  prie  de  faire  avec  moi  :  c'est  qu'en  même 
temps  que  le  mystère  de  ce  jour  excite  et  affermit 
notre  espérance ,  il  nous  apprend  encore  à  la  ré- 
gler ,  et  à  n'en  pas  abuser  ;  instruction  à  laquelle 
je  réduis  tout  ce  discours  ,  pour  combattre  deux: 
erreurs  grossières  où  nous  tombons  communément 
sur  le  sujet  de  la  gloire  de  Marie  ;  l'une  qui  regarde 
les  moyens  par  où  elle  y  est  parvenue  ,  et  l'autre 
les  avantages  qui  nous  en  doivent  revenir.  Car  ces 
moyens  par  où  Marie  est  parvenue  au  comble  de 
la  gloire ,  nous  nous  les  figurons  tout  différens 
de  ce  qu'ils  ont  été  ;  et  ces  avantages  qui  nous 
doivent  revenir  de  la  gloire  de  Marie  ,  nous  nous 
les  promettons  tout  autres  qu'ils  ne  sont  en  effet  : 
deux  erreurs  ,  dis-je  ,  infiniment  préjudiciables. 
Tâchons  à  nous  en  préserver ,  et  pour  cela  recon- 
noissons  premièrement  quel  a  été  le  vrai  principe 
de  la  béatitude  de  Marie  ,  et  voyons  ensuite  quel 
est  le  pouvoir  que  Dieu  lui  a  donné  pour  nous  se- 
courir :  le  principe  de  sa  béatitude  bien  expliqué, 
nous  garantira  de  la  première  erreur;  et  la  mesure 
de  son  pouvoir  bien  entendue,  nous  mettra  à  cou- 
tome  xi,  17 


358  SUR    L'ASSOMPTION 

vert  de  la  seconde.  Voilà  tout  mon  dessein  ,  et  ce 
qui  demande  une  favorable  attention. 

PREMIÈRE    PARTIE. 

Considérer  dans  l'assomption  de  Marie  une  vierge 
triomphante  ,  une  reine  couronnée ,  une  créature 
élevée  au-dessus  de  tous  les  ordres  des  esprits 
bienheureux  ,  et  placée  dans  le  rang  de  la  gloire 
le  plus  éminent  -,  en  un  mot ,  une  mère  de  Dieu 
béatifiée  par  le  Dieu  même  qu'elle  a  conçu  ,  et 
qu'elle  a  eu  l'honneur  de  porter  dans  ses  chastes 
entrailles  :  je  l'avoue ,  chrétiens ,  c'est  quelque  chose 
de  grand  ,  quelque  chose  qui  surpasse  toute  ex- 
pression humaine  ,  et  sur  quoi  l'on  pourroifc 
bien  s'écrier  :  O  altitudo  divitiarum  (i)  /  O 
abîme  des  trésors  de  Dieu  !  C'est  ce  que  l'Eglise 
semble  nous  proposer  d'abord  dans  cette  solennité, 
et  c'est  là  que  nos  réflexions  sur  ce  mystère  se  sont 
peut-être  jusques  à  présent  terminées  ;  mais  si  cela 
est  ,  et  si  nous  en  sommes  demeurés  là  ,  quelque 
auguste  que  nous  ait  paru  ce  mystère  ,  j'ose  dire 
que  ni  vous  ni  moi  ne  l'avons  jamais  bien  pénétré  , 
car  il  est  vrai  :  voilà,  mes  chers  auditeurs,  ce  qu'il 
y  a  dans  l'assomption  de  Marie  d'éclatant  et  de  ma- 
gnifique ;  mais  l'esprit  de  la  foi  qui  perce  ,  comme 
dit  saint  Paul ,  jusques  dans  les  secrets  les  plus  in- 
times ,  et,  pour  user  du  terme  de  cet  apôtre  ,  jusques 
dans  les  profondeurs  de  Dieu  :  Etiam  profunda 
Dei  (2)  ,  nous  y  découvre  bien  d'autres  sujets  d'ad- 
miration. En  voici  un  ,   chrétiens ,  qui  vous  sur- 

(1)  R.om.  11.  —  (2)  1.  Cor.  a. 


DE    LA    VIERGE.  209 

prendra,  mais  qui  vous  édifiera  ;  et  qui,  détrom- 
pant  vos  esprits ,  excitera  dans  vos  cœurs  les  sen- 
timens  les  plus  vifs  de  l'espérance  des  justes.  Ap- 
pliquez-vous ,  s'il  vous  plaît. 

Qu'est-ce  donc  que  je  conçois, ou  qu'est-ce  que 
je  dois  concevoir  dans  le  mystère  que  nous  célé- 
brons ?  une  mère  de  Dieu  glorifiée ,  non  point  ab- 
solument et  précisément  parce  qu'elle  a  été  mère 
de  Dieu ,  mais  parce  qu'elle  a  été  obéissante  et  fidèle 
à  Dieu  ,  mais  parce  qu'elle  a  été  humble  devant 
Dieu  ,  mais  parce  qu'en  vertu  de  ces  deux  qua- 
lités ,  elle  a  été  singulièrement  et  par  excellence 
la  servante  de  Dieu.  Voilà  ce  que  je  considère  dans 
son  assomption ,  comme  l'essentiel  et  le  capital  à 
quoi  nous  devons  nous  attacher ,  et  c'est  le  précis 
et  le  fond  de  toute  cette  première  partie.  La  pro- 
position vous  étonne  ,  et  vous  avez  peine  à  vous 
persuader  que  ce  qui  a  élevé  Marie  à  cette  gloire 
incompréhensible  dont  elle  prend  possession  dans 
le  ciel ,  ne  Soit  pas  l'excellente  prérogative  qu'elle 
a  eue  sur  la  terre,  d'être  la  mère  d'un  Dieu.  Car 
quel  titre  en  apparence  plus  légitime  pouvoit-elle 
avoir  ,  pour  être  reçue  en  souveraine  dans  le 
royaume  de  son  Fils,  que  d'avoir  été  sa  mère;  et 
si  elle  avoit  à  se  promettre  devant  Dieu  quelque 
distinction  ,  d'où  devoit-elîe  plutôt  l'attendre  que 
de  cette  divine  maternité  ?  Cependant ,  chrétiens  , 
il  est  de  la  foi  que  cette  maternité ,  toute  divine 
qu'elle  est ,  n'est  point  proprement  et  dans  la  ri- 
gueur ce  qui  fait  aujourd'hui  l'élévation  de  Marie  : 
car  c'est  ainsi  que  le  Sauveur  lui-même  s'en  est 


260  SUR   L'ASSOMPTION 

expliqué  dans  l'évangile  ,  et  la  déclaration  expresse 
qu'il  nous  en  a  faite ,  est  une  preuve  sans  réplique 
Vous  l'avez  cent  fois  entendue  ;  mais  peut-être 
ne  l'avez-vous  jamais  méditée  autant  qu'il  étoit  né- 
cessaire :  écoutez-la  donc  ,  et  ne  l'oubliez  jamais. 
Vous  savez  en  quels  termes  cette  femme  dont  parle 
saint  Luc ,  se  sentit  un  jour  inspirée  de  féliciter 
Jésus-Christ ,  lorsqu'elle  s'écria  ,  que  bienheureux 
étoit  le  sein  qui  Pavoit  porté,  et  les  mamelles  qui 
l'avoient  nourri  :  Beatus  venter  qui  te  -portavit  , 
et  ubera  quœ  suxisti  (i).  Elle  crut  aussi  bien 
que  nous  que  la  béatitude  de  Marie  consistoit  à  être 
la  mère  de  ce  Dieu  incarné  et  fait  homme  :  Beatus 
venter.  Mais  vous  savez  aussi  de  quelle  manière 
Jésus-Christ  la  détrompa ,  et  l'étonnante  réponse 
qu'il  lui  fit.  Non,  non,  reprit  cet  homme-Dieu  , 
vous  l'entendez  mal .  et  i)  n'en  est  pas  comme  vous 
le  pensez  :  Quinimo  ;  celle  que  je  reconnois  pour 
mère  ,  et  dans  le  sein  de  laquelle  j'ai  été  formé  , 
n'est  point  heureuse  pour  cela.  Ce  n'est  point  là  ni 
la  mesure  ,  ni  la  cause  immédiate  de  son  bonheur; 
mais  les  bénédictions  abondantes  dont  Dieu  l'a  déjà 
prévenue  ,  et  dont  il  achèvera  un  jour  de  la  com- 
bler, procèdent  de  toute  une  autre  source.  Or 
prenez  garde  ,  chrétiens,  que  ce  qui  faisoit  alors  , 
dans  le  sens  du  Fils  de  Dieu  la  béatitude  de  Marie, 
c'est  ce  qui  a  fait  depuis  et  ce  qui  fait  encore  mainte- 
nant sa  gloire  dans  le  ciel  ,  car  la  gloire  d'une  créa- 
ture et  sa  béatitude  devant  Dieu  ,  ne  sont  qu'une 
même  chose.  Marie  ,  dans  la  pensée  de  Jésus-Christ , 

(i)  Luc.  ii. 


DE    LA    VIERGE.  26* 

n'étoit  point  heureuse  précisément  par  la  raison 
qu'elle  étoit  sa  mère  ;  ce  n'est  donc  point  précisé- 
ment en  vue  de  sa  maternité  qu'elle  a  été  glorifiée. 
La  conséquence  est  évidente  selon  tous  les  principes 
de  la  théologie  et  même  de  la  foi.  Pourquoi  donc 
Marie  se  trouve-t-elle  si  hautement  et  si  honorable- 
ment placée  dans  le  royaume  céleste  ?  apprenez-le 
de  Jésus-Christ,  qui  seul  a  pu  nous  le  révéler  ;  ap- 
prenez-le de  Marie  même ,  qui  en  a  senti  l'effet  et 
l'accomplissement  dans  sa  personne  :  joignez  ensem- 
ble ces  deux  témoignages ,  et  faites-vous-en  deux 
leçons  pour  la  conduite  de  votre  vie.  Rien  ne  vous 
fera  mieux  goûter  ce  que  j'appelle  le  don  de  l'espé- 
rance chrétienne,  et  ne  sera  plus  propre  à  vous 
inspirer  un  zèle  ardent  pour  votre  sanctification. 

Voici  le  témoignage  de  Jésus-Christ.  Il  déclare, 
en  comprenant  Marie  dans  la  réponse  générale  que 
je  viens  de  vous  rapporter  ,  et  l'y  comprenant 
d'autant  plus  qu'elle  en  étoit  personnellement  le 
sujet  :  il  déclare  ,  dis-je,  que  la  béatitude  de  Marie 
vient  uniquement  de  ce  qu'elle  a  été  fidèle  à  Dieu 
et  obéissante  à  sa  parole  :  Quinimo  beati  qui 
audiunt  verbum  Dei  et  custodîunt  illud  (i). 
Voilà  l'oracle  de  la  sagesse  incréée ,  trop  clair  pour 
n'être  pas  pris  à  la  lettre ,  et  trop  avantageux  à  la 
vierge  que  nous  honorons  pour  n'en  pas  faire  le 
fonds  de  son  éloge.  Avoir  écouté  et  inviolablement 
pratiqué  tout  ce  qui  étoit  pour  elle  parole  de  Dieu, 
ordre  de  Dieu ,  bon  plaisir  de  Dieu  :  c'est-à-dire , 
avoir  suivi  tous  les  mouvemens  de  la  grâce  qui  agis- 

(z)  Luc.  11. 


262  SUR  L'ASSOMPTION 

soit  en  elle ,  sans  y  apporter  jamais  la  moindre  ré- 
sistance ;  avoir  répondu  exactement  et  constamment 
à  toutes  les  inspirations  qu'elle  recevoit  de  Dieu, 
avoir  accompli ,  avec  la  dernière  fidélité ,  tous  les 
desseins  que  Dieu  avoit  formés  sur  elle;  n'être  ja- 
mais sortie  des  voies  de  cette  providence  supérieure 
qui  la  gouvei'noit;  s'être  fait  une  loi  des  volontés 
de  Dieu  les  plus  parfaites  ;  s'être  dévouée  sans 
exception  à  Dieu  ,  dans  les  plus  rigoureux  sacri- 
fices qui  dévoient  être  ,  et  qui  ont  été  les  épreuves 
de  sa  vertu;  avoir  sanctifié  sa  vie  par  un  continuel 
exercice  de  cette  obéissance,  avoir  rendu  toutes 
ses  actions,  jusques  aux  plus  petites,  précieuses 
devant  Dieu  par  le  mérite  de  cette  soumission  ;  et  ne 
s'être  jamais  ralentie  un  seul  moment,  jamais  relâ- 
chée de  sa  première  ferveur,  toujours  attentive  à 
ce  que  l'esprit  de  Dieu  lui  suggéroit,  toujours  agis- 
sante pour  Dieu,  toujours  unie  de  cœur  à  Dieu  , 
toujours  dépendante  de  Dieu  :  voilà,  dit  saint  Au- 
gustin ,  ce  que  Dieu  a  couronné  et  glorifié  en  elle  : 
Hoc  in  ed  magnificdvit  Dominus ,  quia  fecit 
volùntatèm  Palris ,  non  quia  caro  carnem  ge- 
nuit.  C'est  ainsi  qu'en  parloit  ce  saint  docteur. 
Comme  s'il  eût  dit  :  Ne  vous  y  trompez  pas,  mes 
frères  ,  et  ne  confondez  pas  les  dons  de  Dieu.  Avoir 
engendré  selon  la  chair  le  Verbe  éternel,  et  par  le 
plus  inoui  de  tous  les  miracles  être  devenue  la  mère 
de  son  Créateur,  c'est  un  honneur  que  Marie  a  reçu 
de  Dieu;  mais  ce  n'est  point,  à  le  bien  prendre, 
un  mérite  que  Dieu  ait  dû  ni  qu'il  ait  pu  même, 
selon  les  lois  de  sa  justice,  récompenser  dans  Ma- 


DE    LA    VIERGE.  2Ô3 

rie.  Il  n'a  loué  dans  elle  que  ce  qu'elle  a  fait  pour 
lui.  Or ,  ce  qu'il  a  trouvé  dans  elle  de  louable ,  est 
uniquement  ce  qui  a  fait  sa  gloire  devant  lui  :  Hoc- 
in  ed  magnfficdvit,  quia  fecit  voluntatem  Pa~ 
tris,  non  quia  caro  carnem  genuit. 

Je  me  trompe,  chrétiens;  la  fidélité  de  Marie 
n'est  pas  le  seul  titre  de  la  béatitude  et  de  la  gloire 
dont  Dieu  ,  comme  juge  équitable,  la  combla  dans 
son  assomption.  Une  autre  de  ses  vertus  y  eut  en^ 
core  part ,  et  la  foi  nous  enseigne  que  ce  fut  son 
humilité.  Humilité  de  Marie  ,  s'écrie  saint  Am- 
broise,  qui,  dans  l'incarnation  divine,  ayant  eu 
la  force  d'attirer  un  Dieu  sur  la  terre,  eut  encore 
le  pouvoir  d'élever  une  pure  créature  au  plus  haut 
des  cieux.  En  effet,  avoir  été  fidèle  à  Dieu,  et 
obéissante  à  sa  parole ,  autant  que  l'avoit  été  Marie , 
c'étoit  beaucoup;  mais  ce  n'étoit  rien  si  elle  n'eût 
été  humble  ;  et  si  faisant  pour  Dieu  tout  ce  qu'elle 
faisoit ,  elle  n'y  avoit  ajouté,  pour  surcroît  de  mé- 
rite, de  n'avoir  jamais  eu  la  moindre  vue  de  s'en 
rien  attribuer  à  elle-même.  Car  voilà  le  fonds  que 
Dieu,  juste  et  suprême  rémunérateur,  crut  devoir 
enrichir  dans  la  personne  de  cette  vierge  incompa- 
rable, non-seulement  des  dons  de  la  grâce,  mais 
des  trésors  immenses  de  la  gloire  dont  il  la  mit  en 
possession.  Qui  le  dit  ?  Marie  elle-même  ,  qui , 
pleine  de  l'esprit  de  Dieu  ,  s'en  rendit  authenti- 
quement  le  témoignage  :  Quia  respexit  humili- 
taleni  anciliœ  suce  ;  ecce  enim  ex  hoc  beatam 
me  dicent  omnes  generationes  (i).  Oui, dit-elle 

(t)  Luc.  1. 


264  SUR    L'ASSOMPTION 

dans  ce  sacré  cantique,  qui,  selon  saint  Ambroisey 
fut  comme  l'extase  de  son  humilité  ,  aussi  bien  que 
de  sa  reconnoissance ,  voilà  pourquoi  on  m'appel- 
lera bienheureuse,  et  pourquoi,  en  effet,  je  le  serai, 
parce  que  le  Seigneur  a  jeté  les  jeux  sur  ma  bas- 
sesse. Or,  elle  parloit  ainsi,  reprend  saint  Ambroise, 
ayant  déjà  été  saluée  par  l'ange  comme  mère  de 
Dieu,  ayant  déjà  été  déclarée  reine  du  ciel  et  de 
la  terre,  ayant  déjà  été  remplie  de  la  divinité  du 
Verbe  qui  habjtoit  en  elle  corporellement  ;  et  l'aveu 
qu'elle  faisoit  de  sa  bassesse  n'étoit  qu'une  expres-p 
sion  vive  et  affectueuse  de  l'humilité  de  son  cœur  : 
Quia  respexit  humilitatem  ancillœ  sucs  ;  Parce 
que  le  Seigneur  a  été  touché  de  l'humilité  de  sa  ser- 
vante, c'est  pour  cela,  et  pour  cela  spécialement, 
que  je  serai  béatifiée:  Ecceenîm  ex  hoc  beatamme 
dicent ;  pour  cela  que  le  Tout-puissant  fera  éclater 
en  moi  toute  sa  magnificence  ;  que  celui  qui  abaisse 
l'orgueil  des  superbes ,  prendra  plaisir  à  m'exalter  :  et 
je  veux  bien  le  publier  et  le  faire  connoître,  afin  que 
toutes  les  âmes  justes ,  profitant  de  cette  confession , 
sachent  qu'il  n'y  a  que  l'humilité  qui  puisse  préten- 
dre à  la  véritable  gloire.  Qu'est-ce  donc,  à  propre- 
ment parler,  que  l'assomption  de  Marie?  Ne  nous 
contentons  plus  de  dire  que  c'est  le  jour  de  son  cou- 
ronnement et  de  son  triomphe  :  disons  que  c'est  le 
couronnement  et  le  triomphe  de  son  humilité;  par 
là  nous  exprimerons  mieux  l'intérieur  du  mystère 
que  nous  célébrons ,  et  par  là  nous  répondrons  mieux 
à  la  question  qu'auroient  pu  nous  faire  aujourd'hui, 
non-seulement  les  hommes  grossiers  et  terrestres  > 


DE    LA   VIERGE.  265 

mais  les  esprits  même  célestes ,  à  qui  l'assomption 
de  Marie  fut  un  sujet  de  surprise  et  d'admiration. 
Car  les  anges  mêmes,  disoit  saint  Bernard,  furent 
dans  une  espèce  de  ravissement ,  en  voyant  Marie 
monter  au  ciel  avec  tant  de  pompe;  et  charmés  de 
la  nouveauté  de  ce  spectacle,  ils  eurent  lieu  de 
s'écrier,  aussi  bien  que  les  compagnes  de  l'Epouse  : 
Quœ  est  ista  quœ  ascendit  de  deserto  deliciis 
affiuens  l  Oui  est  celle-ci  qui  s'élève  de  la  terre 
avec  cette  affluence  de  délices  et  cet  éclat  de  gloire 
qui  l'environne  ?  Mais  on  eût  bien  pu  leur  répondre 
ce  que  saint  Paul  répondoit  dans  un  sujet  pareil , 
en  parlant  de  l'ascension  du  Fils  de  Dieu  :  Quod 
autem  ascendit ,  quid  est,  nlsi  quia  et  descen- 
dit primùm  (i)/  Vous  êtes  en  peine  de  savoir  qui 
elle  est ,  et  pourquoi  elle  monte;  mais  souvenez-vous 
que  c'est  elle  qui,  étant  la  plus  sainte  et  la  plus  part 
faite  de  toutes  les  créatures,  ne  s'est  jamais  consi- 
dérée que  comme  la  dernière  des  servantes  de  Dieu; 
et  sachez  qu'elle  ne  s'élève  au-dessus  de  tous  les 
êtres  ,  que  parce  qu'elle  est  descendue  par  son  hu- 
milité profonde  jusque  dans  le  centre  de  son  néant. 
Quod  autem  ascendit ,  quid  est ,  nisi  quia  et 
descendit  !  N'en  cherchez  point  d'antre  raison  que 
celle-là.  Cette  humilité  héroïque  qui  a  été  la  vertu 
prédominante  de  Marie  ;  ce  détachement  d'elle- 
même,  sur  lequel  elle  a  fondé  tout  l'édifice  de  sa 
sainteté;  ce  renoncement  à  toutes  les  vanités  du 
siècle,  dont  elle  a  fait,  dès  ses  plus  tendres  années, 
une  si  solennelle  profession  ;  cette  vie  cachée  dans 

(i)  Epbcs.  /,. 


2$6  SUR    L'ASSOMPTION 

laquelle  elle  a  su  se  renfermer  ;  cette  horreur  sin- 
cère qu'elle  a  eue  des  louanges  même  les  plus  vé- 
ritables ;  ce  trouble  dont  elle  fut  saisie,  entendant 
celles  que  lui  donnoit  un  ange  de  la  part  de  Dieu  ; 
cette  disposition  si  admirable  qu'elle  a  témoignée 
à  rechercher  en  toutes  choses  son  propre  abaisse- 
ment; à  vouloir  bien  paroître  pécheresse,  quoi- 
qu'elle fût  toute  sainte;  à  vivre  dans  les  rigueurs  de 
la  pénitence,  quoiqu'elle  n'eût  jamais  perdu  l'inno- 
cence ;   à  se  purifier  comme   les   autres  femmes  , 
quoiqu'elle  fût  la  pureté  même  ;   à  se  soumettre  à 
la  loi 'quoiqu'elle  fût  au-dessus  de  toute  loi  :  cette 
vue  de  son  néant,  qui,  dans  les  hautes  communi- 
cations  qu'elle  avoit   avec  Dieu,   étoit  comme  le 
contre-poids  des  faveurs  qu'elle  recevoit  de  lui;  ce 
soin  de  glorifier  le  Seigneur  à  mesure  que  le  Sei- 
gneur opéroit  en  elle  de  plus  grandes  merveilles; 
cette  humilité  enfin  ,  qui  n'avoit  jamais  été  vue  sur 
la  terre,  et   dont  Marie   étoit  l'unique  exemple  , 
c'est-à-dire  ,  cette  humilité  jointe  à  la  plénitude  de 
la  grâce  ,  jointe  à  la  plénitude  du  mérite  ,  jointe 
à  la  plénitude  des  honneurs,  voilà  ce  que  Dieu  a 
estimé  ,  et  ce  qui  l'a  déterminé  à  placer  Marie  dans 
un  rang  sublime  :  Quia  respexit  humilitatem  an- 
cillœ  suce  ;  ecce  enini  eoc  hoc  beatam  me  dlcent 
omnes  generationes. 

Mais  encore ,  me  direz-vous  ,  le  Sauveur  du 
monde  ,  qui ,  comme  parle  l'évangile  ,  avoit  reçu 
de  son  Père  le  pouvoir  de  juger,  et  par  conséquent 
de  récompenser ,  en  béatifiant  et  en  couronnant 
Marie,  ne    considéra-t-il  en  aucune  sorte  qu'elle 


DE    LA    VIERGE.  267 

étoit  sa  mère  ?  ne  donna-t-il  rien  à  la  tendresse 
qu'il  avoit  eue  et  qu'il  conserva  toujours  pour  elle  ? 
Non,  répondent  les  Pères,    et  la  raison  qu'ils  en 
apportent ,  est  convaincante  :  parce  qu'il  est  certain 
que  le  Sauveur  du  monde  ,  en  béatifiant  et  en  cou- 
ronnant Marie ,  n'agissoit  pas  en  fils  et  en  homme , 
mais  en  Dieu  et  en  juge  souverain.  Or,  en  tout  ce 
qui  étoit  immédiatement  de  la  juridiction  et  du  res- 
sort de  la  divinité  ,  le  grand  principe  de  cet  homme- 
Dieu  fut  de  n'avoir  jamais  d'égard  à  la  chair  et  au 
sang.  De  là  vient  que  quand  Marie  le  pria  de  faire 
un  miracle  aux  noces  de  Cana,  bien  loin  de  mar- 
quer qu'il  eût  en  cela  pour  elle  de  la  déférence ,  il 
parut  la  traiter  avec  une  espèce  de  rigueur,  en  lui 
répondant  que,  pour  ces  sortes  d'actions  ,  absolu- 
ment et  essentiellement  divines ,  comme  celle-là  , 
il  n'y  avoit  rien  de  commun  entre  lui  et  elle  :  Quid 
mïhi  et  tibi  est,  mulier  (1)  ?  De  là  vient  qu'à  l'âge 
de  douze  ans,  s'étant  séparé  d'elle  dans  le  temple, 
où  elle  le  retrouva ,  trois  jours  après  ,  au  milieu 
des  docteurs,  bien  loin  de  se  montrer  sensible  à  la 
douleur  qu'elle  avoit  eue  de  cette  séparation ,  il  la 
reprit  en  quelque  sorte  du  reproche  qu'elle  lui  en 
faisoit ,  et  sembla  même  s'en  offenser,  parce  qu'elle 
devoit  savoir,  lui  dit-il,  qu'il  étoit  alors  occupé  à 
ce  qui  étoit  du  service  de  son  Père  :  Quid  est  quod 
me  quœrebatis  î  nesciebatis  quia  in  Jus  quœ 
Patris  mei  sunt  ,  oportet  me  esse   (2)  /  De  là 
vient  que  Marie  elle-même  s'étant  un  jour  présentée 
pour  lui  parler ,  pendant  qu'il  annonçoit  au  peuple 

(1)  Joan.  2.  —  (2)  Luc.  2. 


sC>8  SUR  i/assomption 

le  royaume  de  Dieu  ;  et  un  des  assistans  lui  ayant 
dit:  Voilà  votre  mère;  il  déclara  qu'il  ne  recon- 
noissoit  pour  mère  et  pour  frère,  que  ceux  quifai- 
soient  la  volonté  de  son  Père  céleste  :  Quœ  est 
mater  me  a ,  et  qui  sunt  fratres  mei  /  quicumque 
frcerit  voluntatem  Patrîs  mei  qui  in  cœlis  est , 
ipse  meus  f rater  et  mater  est  (i).  De  là  vient 
que  sur  la  croix ,  où  comme  souverain  pontife ,  il 
ofïroit  à  Dieu  le  sacrifice  de  la  rédemption  des 
hommes,  voulant  recommander  à  Marie  un  de  ses 
disciples  ,  il  ne  l'honora  pas  du  nom  de  mère,  mais 
il  l'appela  simplement  femme  :  Mulier  ,  ecce 
filius  tuas  (2).  Or ,  s'il  en  usa  de  la  sorte ,  même 
durant  sa  vie  mortelle,  et  pendant  qu'il  étoit  encore 
soumis  à  Marie  ;  beaucoup  plus  ,  reprend  saint 
Chrysostôme ,  en  dut-il  ainsi  user ,  lorsqu'assis  à  la 
droite  de  son  Père,  il  rendit  justice  à  Marie  ,  et  la 
mit  en  possession  de  la  gloire  qui  lui  étoit  réservée. 
Car  ce  fut  là ,  je  le  répète  ,  qu'il  décida  en  souverain 
et  en  Dieu ,  et  non  pas  en  homme  ;  et  lui-même  il 
s'étoit  expliqué  que  comme  homme  il  ne  pouvoit 
rien  à  ce  tribunal  en  faveur  des  siens  :  Sedere  au- 
tem  ad  dexteram  meam  uel  sinistram  ,  non  est 
meum  dure  vobis  (3).  Il  eut  donc  encore  égard 
aux  mérites  que  Marie  avoit  acquis  ,  et  non  pas  aux 
titres  d'honneur  qu'elle  avoit  possédés  ;  et  jusque 
dans  la  sentence  qu'il  prononça  à  cette  reine  des 
Vierges  ,  au  moment  qu'il  la  couronna  ,  il  soutint 
le  glorieux  caractère  que  l'Ecriture  lui  attribue,  de 
n'avoir  fait  acception  de  personne,  mais  de  rendre 

(1)  Mallh.  12.  —  (2)  Joan.  19.  —  (3)  Matlh.  20. 


DE    LA     VIERGE.  2&Q 

à  chacun  selon  ses  œuvres  :  Non  est  personarum 
accepter  Deus  (  £  ).  Tel  est  le  raisonnement  de  saint 
Chrysostôme  ,  fondé  sur  les  maximes  éternelles  de 
la  prédestination  de  Dieu. 

Mais  voici  du  reste ,  mes  chers  auditeurs ,  ce  qui 
l'adoucit,  et  ce  qui  servira  en  même  temps  à  con- 
firmer la  vérité  que  je  vous  prêche.  Car  j'ajoute 
que,  sans  déroger  aux  lois  de  cette  justice  rigou- 
reuse ,  le  Fils  de  Dieu ,  agissant  comme  souverain 
et  comme  Dieu,  a  néanmoins,  dans  un  autre  sens, 
traité  Marie  avec  toute  la  distinction  qu'elle  pouvoit 
attendre  de  lui  en  qualité  de  mère  ;  et  je  dis  que, 
sans  préjudice  des  divins  décrets  auxquels  la  pré- 
destination de  l'homme  est  attachée,  l'avantage  qu'a 
eu  Marie  d'être  mère  de  cet  homme-Dieu  n'a  pas 
laissé  de  contribuer  à  sa  béatitude.  Je  m'explique. 
En  quoi  le  fils  de  Dieu  agissant  comme  souverain  et 
comme  Dieu  ,  a-t-il  considéré  Marie ,  et  l'a-t-il  dis- 
tinguée comme  sa  mère  ?  en  ce  qu'il  lui  a  préparé 
dans  cette  vue  des  grâces  spéciales  ,  des  grâces  ex- 
traordinaires et  abondantes ,  dont  elle  a  rempli  la 
mesure  par  sa  fidélité,  et  qui  lui  ont  fait  acquérir 
tant  de  mérites  dont  elle  a  reçu  la  récompense.  Et 
en  quoi  l'avantage  qu'a  eu  Marie  d'être  la  mère  de 
Dieu  ,  a-t-il  contribué  à  sa  béatitude  ?  en  ce  que  sa 
maternité  a  rehaussé  le  prix  de  son  humilité  ,  et  que 
son  humilité  devoit  être  le  fondement  de  son  éléva- 
tion. Cependant  la  proposition  que  j'ai  avancée 
subsiste  toujours,  savoir,  que  la  cause  prochaine 
de  la  béatitude  de  Marie  n'a  point  été  précisément 

(i)  Act.  10. 


270  SUR  L'ASSOMPTION 

sa  qualité  de  mère  de  Dieu,  mais  sa  fidélité  d'une 
part,  et  son  humilité  de  l'autre.  Vérité  si  constante, 
(  permettez-moi ,  Vierge  sainte,  de  faire  ici  une 
supposition,  qui  ne  peut  tourner  qu'à  votre  gloire, 
puisqu'elle  marquera  encore  mieux,  et  la  souveraine 
équité  du  jugement  de  Dieu,  en  vous  plaçant  sur 
le  trône  au  moment  de  votre  assomption,  et  le 
mérite  inestimable  de  votre  parfaite  coopération  à 
la  grâce  )  ;  vérité  si  constante,  que  si  Marie,  après 
avoir  conçu  le  Verbe  de  Dieu  ,  n'eût  pas  été  obéis- 
sante à  sa  parole,  et  se  fût  oubliée  jusqu'à  se  com- 
plaire en  elle-même  et  à  présumer  d'elle-même , 
quoique  mère  de  Dieu,  elle  ne  jouiroit  pas  de  la 
félicité  et  de  la  gloire  où  elle  est  parvenue  :  pour- 
quoi ?  parce  qu'avec  cette  auguste  maternité  ,  Dieu 
n'eût  pas  trouvé  dans  elle  le  caractère  de  ses  élus, 
qui  est  la  justice  et  la  sainteté.  Comme  au  contraire, 
si  Marie  ,  sans  avoir  conçu  le  Verbe  de  Dieu  ,  eût 
été  ou  eût  pu  être  aussi  obéissante  et  aussi  humble 
qu'elle  le  fut,  aussi  sainte  et  aussi  fidèle,  aussi 
consommée  en  vertu  et  aussi  pleine  de  mérites ,  j'ose 
dire  ,  que  sans  être  mère  de  Dieu,  elle  seroit  aussi 
élevée  qu'elle  l'est  dans  la  gloire ,  et  aussi  proche 
du  troue  de  Dieu. 

Or  voilà,  chrétiens  ,  ce  que  j'appelle  le  motif  et 
l'attrait  de  notre  espérance.  Car  si  Marie  n'étoit 
dans  la  gloire  que  parce  qu'elle  a  été  la  mère  du 
Rédempteur,  ce  seroit  pour  nous  une  raison  de 
l'honorer,  de  la  révérer,  et  de  célébrer  avec  des 
sentimens  de  respect  et  de  religion  le  jour  solennel 
de  son  triomphe  :  mais  en  tout  cela  il  n'y  auroit 


DE    LA    VIERGE,  27  ï 

ïiqïï  par  où  notre  espérance  pût  être  excitée.  Quel- 
que admiration  que  nous  eussions  pour  cette  Vierge , 
la  voyant  monter  au  ciel ,  il  ne  nous  seroit  pas  per- 
mis de  prétendre  y  monter  après  elle  ;  et  les  désirs 
même  que  nous  en  formerions  seroient  aussi  chimé- 
riques et  aussi  vains  que  téméraires  et  présomptueux. 
Mais  quand  je  considère  qu'elle  n'y  monte  que  par 
un  chemin   qui  m'est  ouvert  aussi  bien  qu'à  elle; 
quand  je  fais  réflexion  que  les  mêmes  voies  qui  l'ont 
conduite  à  ce  souverain  bonheur  sont  celles  que 
Dieu  m'a  marquées  pour  y  arriver;  quand  je  me 
représente  que  Marie  n'est  entrée  dans  la  joie  de 
son  Seigneur  qu'en  vertu  de  cette  parole ,  qui  ne 
me  regarde  pas  moins  qu'elle  :  Courage,  bon  servi- 
teur et  fidèle  :  Euge  ,  serve  bone  etficlelis,  intra 
in  gaudium  Domini  tui  (1);  quand  je  pense  que 
la  loi ,  selon  laquelle  Dieu ,  faisant  justice  à  Marie, 
a  relevé  les  abaissemens  volontaires  de  son  humilité , 
n'a  point  été  une  loi  particulière  pour  cette  Vierge, 
mais  une  loi  universelle  pour  tous  les   hommes  : 
Quiconque   s'humilie  sera  exalté  :  Omnis  qui  se 
humiliât ,  eocaltabitur  (2)  ;  quand  je  me  dis  à  moi- 
même  que  tous  les  droits  qu'eut  Marie  à  cette  gloire 
dont  elle  est  comblée ,  peuvent  ,  par  proportion  , 
et  doivent  me  convenir,  si  je  veux  profiter  de  son 
exemple  :  ah  !  chrétiens  ,  je  sens  alors  mon  coeur 
s'élever  au-dessus  des  choses  terrestres ,  et  je  com- 
mence à  découvrir,  mais  d'une  manière  sensible, 
non-seulement  la  vanité  de  toute  la  gloire  du  monde, 
non-seulement  l'inutilité  des  vertus  purement  hu- 

(i)Mutth.  «5,  —  (*)  Luc.  14. 


2J2  SUR   L'ASSOMPTION 

mairies  ,  qui  font  le  mérite  et  la  perfection  des  sages 
du  monde;  mais  ce  qu'il  m'importoit  bien  plus  de 
savoir,  l'insuffisance  même  de  certains  dons  ,  quoi- 
que d'un  ordre  surnaturel ,  dont  je  pourrois  peut- 
être  me  flatter  devant  Dieu  ,  et  sur  lesquels  j'éta- 
blirois  une  fausse  confiance  en  Dieu.  Or ,  en  décou- 
vrant de  la  sorte  mon  aveuglement  et  mes  erreurs , 
dans  un  mystère  où  toutes  les  lumières  de  la  foi  se 
présentent  pourm'éclairer,  je  m'instruis  moi-même, 
je  me  redresse  moi-même,  je  m'encourage  moi- 
même,  je  me  reproche  mes  tiédeurs,  je  déplore 
mes  relâcliemens ,  je  renonce  à  mon  orgueil ,  je 
m'attache  à  l'humilité,  qui  est  la  vertu  des  âmes 
prédestinées,  tout  cela  par  le  mouvement  de  cette 
espérance  chrétienne  que  m'inspire  la  solennité  de 
ce  jour;  et  voilà  les  fruits  de  bénédiction  et  de 
sanctification  que  l'esprit  de  Dieu  y  a  renfermés 
pour  nous. 

Oui,  mes  chers  auditeurs,  animé  de  cette  espé- 
rance dont  le  juste  vit,  et  qui  est  la  ressource  du 
pécheur,  j'oublie,  selon  la  maxime  de  l'Apôtre,  les 
choses  de  la  terre,  pour  chercher  uniquement  les 
choses  du  ciel  où  la  reine  des  vierges  est  assise , 
non  pas  comme  Jésus-Christ  à  la  droite  de  Dieu  , 
mais  immédiatement  au-dessous  de  Dieu,  et  abso- 
lument au-dessus  de  tout  ce  qui  n'est  pas  Dieu. 
Animé  de  cette  espérance,  je  goûte  les  biens  éter- 
nels ,  je  les  désire,  je  soupire  après  eux;  et  piqué 
d'une  sainte  émulation  ,  je  redouble  mes  efforts  pour 
suivre  les  tracesde  Marie,  et  pour  atteindre  au  même 
terme.  Car  voici  les  leçons  que  je  me  fais,  en  me 


DE     LA    VIERGE.  2?3 

la  proposant  comme  le  modèle  sur  lequel  je  me 
dois  former  :  Je  puis,  selon  la  mesure  des  grâces 
que  je  reçois ,  être  fidèle  à  mon  Dieu  comme  l'a 
été  Marie;  je  puis,  selon  l'étendue  des  desseins  que 
Dieu  a  sur  moi,  accomplir  ses  ordres  comme  les  a 
accomplis  Marie;  je  puis  écouter  la  parole  de  Dieu 
qui  m'est  annoncée ,  avec  le  même  esprit  et  la  même 
docilité  que  l'a  écoutée  Marie  ;  je  puis  obéir  à  la 
voix  intérieure  qui  me  parle ,  avec  la  même  promp- 
titude que  Marie.  Quoique  je  ne  sois  pas  destiné 
à  de  si  grandes  choses  que  Marie ,  je  puis ,  en  l'i- 
mitant, sanctifier  mes  actions  ,  mes  occupations, 
mes  affections  ;  en  sorte  que  j'aie  droit  comme 
elle  de  dire  au  moment  de  la  mort  :  Bonum  cer- 
tamen  certain  (i);  J'ai  combattu  ,  j'ai  rempli  ma 
course,  j'ai  gardé  la  foi,  et  il  ne  me  reste  plus  que 
d'attendre  la  couronne  de  justice  qui  m'est  réservée  : 
In  reliquoreposita  est  mihi  coronajustitice  (2). 
Dieu  ne  m'a  pas  confié  autant  de  talens  qu'à  Marie  ; 
mais  il  m'a  assuré  dans  son  évangile,  qu'il  me  suf- 
firoit  d'avoir  été  fidèle  en  peu  de  choses,  pour  re- 
cevoir beaucoup  :  Quia  super  pauca  fuistifide- 
lis  ,  super  multa  te  constituant  (3).  Je  ne  puis 
égaler  Marie  ,  ni  être  aussi  riche  en  mérite  :  mais  je 
puis  m'humilier  comme  elle,  et  même  en  me  com- 
parant à  elle ,  mon  indignité  peut  et  doit  être  en 
moi  le  fonds  d'une  plus  grande  humilité.  Je  suis 
pécheur,  mais  je  puis  réparer,  par  la  pénitence 
les  pertes  que  j'ai  faites  en  perdant  l'innocence.  Si 
je  ne  suis  rien  dans  le  monde  ,  je  puis  aimer,  comme 

(0  2.  Tim.  4.  —  (2)  ibid.  —  (3)  Matth.  a5. 

TOME  XI.  I  S 


274  SUR    L'ASSOMPTION 

Marie,  une  vie  obscure  et  cachée  en  Dieu;  et  si 
j'ai  dans  le  monde  quelque  avantage  ,  je  puis,  à 
l'exemple  de  Marie,  ne  m'en  servir  que  pour  en 
faire  hommage  à  Dieu  :  voilà,  dis-je  ,  ce  qui  sou- 
tient mon  espérance  ;  mais  ce  n'est  pas  tout. 

Car  cette  même  gloire  de  Marie,  fondée  sur  son 
humilité  et  sur  sa  fidélité  à  la  grâce  de  Jésus-Christ, 
m'apprend  ,  par  une  règle  toute  contraire,  ce  que 
je  dois  penser  et  espérer  de  tout  le  reste.  Et  en 
effet,  c'est  par  là  que  je  conçois  un  saiut  mépris 
pour  tout  ce  qui  s'appelle  distinction  ,  élévation 
selon  le  monde  :  fausse  grandeur  que  Dieu  réprouve, 
et  qu'il  confond  tous  les  jours ,  parce  qu'elle  est 
presque  toujours  ou  le  fruit  ,  ou  la  cause  de  l'ini- 
quité ,  au  lieu  que  celle  de  Marie  a  été  purement 
et  uniquement  la  récompense  de  la  sainteté.  C'est 
par  là  que  je  reconnois  le  foible,  ou  plutôt  le  néant 
de  je  ne  sais  combien  de  vertus  mondaines  dont 
les  enfans  du  siècle  se  glorifient,  et  qui  font  la  ma- 
tière de  leurs  éloges  ,  mais  qui  ne  seront  jamais  de 
nul  prix  pour  le  salut  éternel.  C'est  par  là  même 
que  je  me  détrompe  de  cette  erreur  si  pernicieuse 
et  si  commune  ,  de  croire  que  Dieu  ,  dans  le  dis- 
cernement et  le  jugement  qu'il  fait  de  ses  élus,  ait 
égard  à  certaines  grâces,  qui  semblent  néanmoins 
d'ailleurs  nous  devoir  être  favorables;  par  exemple, 
à  l'honneur  que  j'ai  d'être  chrétien  ,  et  en  qualité 
de  chrétien  ,  d'être  enfant  de  Dieu.  Car  comme 
raisonne  saint  Chrysostôuie  ,  si  Dieu,  pour  glorifier 
Marie,  n'a  point  considéré  qu'elle  étoit  la  mère  de 
son  Fils ,  quel  fond?  dois-je  faire  sur  ce  qu'il  est 


DE    LA    VIERGE.  2y$ 

mon  Père  par  adoption ,  et  que  je  suis  du  nombre 
de  ses  en  fans  ?  Ce  caractère  d'enfant  de  Dieu  que 
j'ai  reçu  dans  le  baptême,  s'il  n'est  accompagné  et 
soutenu  d'une  sainte  vie  ,  engagera-t-il  Dieu  à  se 
relâcher  en  ma  faveur  des  droits  de  sa  justice,  après 
même  que  le  caractère  vénérable  de  mère  de  Dieu 
n'a  pas  eu  ce  pouvoir  ;  et  le  bonheur  que  j'ai , 
comme  chrétien  ,  de  recevoir  Jésus  Christ  dans  les 
sacrés  mystères,  sera-t-il  un  titre  sûr  pour  lui  de- 
mander qu'il  me  donne  part  à  sa  gloire ,  après  que 
l'avantage  singulier  et  le  privilège  qu'a  eu  Marie 
de  le  recevoir  comme  mère  dans  ses  chastes  en- 
trailles, n'a  pu  suffire  pour  la  mettre  au  rang  des 
prédestinés  ? 

INon  ,  non,  mes  frères  ,  dit  S.  Chrysostome  ,  Dieu 
n'aura  nul  égard  à  tout  cela.  Car  tout  cela  ,  ce  sont 
des  faveurs  divines  dont  il  nous  demandera  compte; 
tout  cela  ,  ce  sont  des  dons  et  des  grâces  dont  il 
nous  reprochera  le  mauvais  usage  ;  tout  cela  ,  ce 
sont  des  fonds  d'obligation  que  nous  avons  à  rem- 
plir :  mais  tout  cela  précisément,  ce  ne  sont  point 
devant  Dieu  des  mérites  dont  nous  devions  nous 
promettre  une  récompense.  La  fidélité  et  l'humi- 
lité ,  voilà  ce  qui  doit  être  mis  dans  la  balance  où 
nous  serons  un  jour  pesés  :  et  il  étoit  juste  ,  ô"  mon 
Dieu!  que  cela  fût  ainsi  ;  il  étoit  juste  que  nous  ne 
fussions  heureux  qu'à  proportion  que  nous  vous 
sommes  fidèles  ,  et  que  nous  ne  fussions  grands 
devant  vous  qu'autant  que  nous  sommes  humbles. 
Depuis  que  vous  avez  établi  deux  trônes  dans  le 
ciel ,  l'un  pour  l'humilité  d'un  homme-Dieu,  l'autre 


2y6  sur   l'assomttion 

pour  l'humilité  d'une  vierge  mère  de  Dieu  ,  il  étoit 
de  l'ordre  que  tous  les  autres  trônes  où  doivent 
être  assis  vos  prédestinés  ,  eussent  le  même  fonde- 
ment ;  et  qu'il  n'y  en  eût  aucun  dont  la  base  prin- 
cipale ne  fût  une  solide  ,  une  profonde  ,  une  sin- 
cère humilité  de  cœur.  Je  suis  chrétien  ,  doit  dire 
aujourd'hui  un  homme  du  monde, persuadé  et  tou- 
ché de  cette  sainte  morale  :  je  suis  chrétien  ;  mais 
c'est  pour  cela  même  que  Dieu  me  jugera  plus 
exactement,  qu'il  me  condamnera  plus  sévèrement, 
qu'il  me  punira  plus  rigoureusement ,  si  déshono- 
rant ma  profession  et  le  nom  que  je  porte  ,  je  suis 
un  indigne  chrétien  ;  je  suis  l'épouse  de  Jésus- 
Christ  ,  doit  dire  une  ame  religieuse  ;  mais  je  ne 
«lois  point  compter  pour  cela  de  régner  un  jour 
avec  celui  que  j'ai  choisi  pour  mon  époux  ,  si  je 
ne  joins  à  cette  qualité  d'épouse  celle  d'humble 
et  de  fidèle  servante.  Domine ,  quis  habitabit  in 
tabernaculo  tuo ,  aut  quis  requiescet  in  monte 
sancto  tuo  (  i  )  ?  Seigneur  ,  disoit  le  Prophète 
royal  ,  quel  est  celui  qui  demeurera  dans  votre 
maison ,  et  qui  reposera  dans  votre  sanctuaire  ? 
Oui  ingreditur  sine  macula  ,  et  operalur  jus- 
titiam  (2)  :  ce  sera  le  juste  dont  la  vie  est  pure  et 
sans  tache  ;  le  juste  qui ,  soumis  à  votre  loi  ,  est 
irrépréhensible  dans  sa  conduite;  le  juste  qui,  dé- 
taché du  monde  ,  marche  dans  la  voie  de  vos  com- 
mandemens  ;  le  juste  qui ,  fidèle  à  votre  grâce  , 
s'acquitte  constamment  de  ses  devoirs  et  accomplit 
toute  justice.  Nulle  exception  à  cette  règle.  Nous 

(1)  Psalm.  i.\.  —  (2)  Ibid. 


DE    LÀ    VIERGE.  S77 

avons  vu  quel  a  été  le  principe  de  la  béatitude  de 
Marie  ;  voyons  maintenant  quel  est  le  pouvoir  que 
Dieu  lui  a  donné  pour  nous  secourir  :  c'est  le  sujet 
de  la  seconde  partie. 

DEUXIÈME    PARTIE. 

Il  est  certain  que  Marie  ,  entre  tous  les  élus  ,  a 
reçu  une  grâce  suréminente ,  en  vertu  de  laquelle 
elle  peut  intercéder  pour  nous  auprès  de  Dieu  ;  et 
par  une  conséquence  nécessaire  ,  i!  est  certain  que 
nous  pouvons  saintement  et  utilement  recourir  à 
elle,  et  implorer  dans  nos  besoins  le  secours  de  sa 
protection.  Cette  vérité  qui  nous  est  plus  que  suffi- 
samment révélée  de  Dieu,  et  dont  toute  la  tradition 
est  un  authentique  témoignage,  se  trouve  d'ailleurs 
si  conforme  à  tous  les  principes  du  bon  sens  et  de 
la  raison  ,  que  cela  seul  suffiroit  pour  confondre 
l'obstination  de  l'hérésie ,  qui  la  rejette   et  qui  la 
combat.  Car  si  les  anges  bienheureux  qui  sont  de- 
vant le  trône  de  Dieu  offrent  continuellement  nos 
prières  à  Dieu  ,  comme  nous  l'apprenons  du  texte 
sacré  ,   pourquoi  Marie ,  la  reine  des  anges ,  ne 
seroit-elle  pas  en  état  de  nous  rendre  encore  avec 
plus  d'effet  et  plus  de  dignité  le  même  office?  Et 
si  Marie  elle-même  ,  lorsqu'elle  étoit  sur  la  terre  , 
pouvoitêtre  invoquée, c'est-à-dire,  si  l'on  pouvoifc 
s'adresser  à  elle  ,  employer  sa  médiation  auprès  de 
Jésus-Christ,  la  prier  de  demander  à  cet  homme- 
Dieu  des  grâces ,  maintenant  qu'elle  est  dans  le 
ciel ,  pourquoi  le  pourroit-on  moins  ?  est-ce  qu'elle 
ne  voudroit  plus  désormais  s'intéresser  pour  nous!' 


278  SUR    L'ASSOMPTION 

est-ce  qu'elle  n'en  auroit  plus  le  pouvoir  ?  est-ce 
qu'elle  ne  connoîtroit  plus  nos  besoins  ?  est-ce  que 
son  invocation  blesseroit  le  culte  suprême  qui  n'est 
dû  qu'à  Dieu  seul  et  à  Jésus-Christ  ?  quatre  points 
auxquels  se  réduisent  toutes  les  préventions  et  tous 
les  prétestes  de  l'hérésie  :  écoutez-moi ,  et  je  vais 
les  détruire  en  quatre  mots. 

Que  Marie ,  dans  l'état  de  sa  gloire  ,  ne  voulût 
plus  s'intéresser  pour  nous  ,  la  seule  pensée  nous 
en  peut-elle  venir  à  l'esprit?  Car  pourquoi  sa  cha- 
rité ,  qui  dans  le  ciel  est  beaucoup  plus  parfaite  , 
et  par  conséquent  beaucoup  plus  ardente  ,  se  seroit- 
elle  refroidie  ?  et  pourquoi  cette  vierge  ,  qui ,  pour 
les  intérêts  de  Dieu  ,  n'a  jamais  rien  eu  plus  à 
cœur  que  le  salut  des  hommes ,  y  seroit-elle  deve- 
nue insensible;  depuis,  si  je  l'ose  dire,  que,  trans- 
formée en  Dieu  ,  et  intimement  unie  à  l'essence  de 
Dieu  ,  elle  voit  encore  plus  clairement  combien  ce 
salut  des  hommes  est  précieux  à  Dieu?  Non  ,  non  , 
disoit  saint  Cyprien  ,  parlant  en  général  des  saints 
glorifiés  (et  ce  qu'il  disoit  des  saints  en  général, 
je  le  dis  en  particulier  de  Marie)  ,  ils  n'ont  jamais 
eu  tant  de  zèle  qu'ils  en  ont  à  présent  pour  nous. 
Autant  qu'ils  sont  surs  de  leur  propre  bonheur  , 
autant  désirent-ils  notre  salut  :  Quantum  de  sud 
felicitate  securi ,  tantùm  de  noslrâ  salute  sol- 
liciti  ;  et  ce  seroit ,  ajoute  S.  Bernard  ,  mécon- 
noître  Marie  >  que  de  se  persuader  que  celle  qui , 
à  l'exemple  de  Dieu  même ,  a  aimé  les  hommes 
jusqu'à  donner  pour  eux  son  propre  Fils  ,  depuis 
qu'elle  est  en  possession  de  sa  béatitude  ,  les  eâi> 


DE    LA    VIERGE.  379 

oubliés  et  absolument  délaissés.  Que  ,  malgré  toute 
sa  charité, Marie  n'eût  plus  le  pouvoir  de  nous  se- 
courir, autre  sentiment  encore  moins  soutenable. 
Car  pourquoi  seroit-elle  moins  puissante  dans  ce 
royaume  céleste  ,  où  elle  tient ,  après  Dieu ,  un  si 
haut  rang, que  lorsqu'elle  étoit  parmi  nous  dans  ce 
lieu  d'exil  ?  Elle  pouvoit  bien  alors  engager  son 
Fils  à  faire  des  miracles  ;  elle  obtenoit  bien  de  lui 
qu'il  changeât  les  lois  de  la  nature  ,  qu'il  forçât  en 
quelque  sorte  celles  de  la  Providence ,  qu'il  con- 
vertît l'eau  en  vin.  Depuis  qu'elle  a  reçu  la  couronne 
d'immortalité,  seroit-elle  déchue  de  son  crédit,  et 
le  pouvoir  dont  elle  usoit,  auroit-il  cessé?  Qu'elle 
n'entendît  plus  nos  prières,  et  qu'elle  ne  sût  plus 
ni  quand  ,  ni  pourquoi  nous  l'invoquons,  c'est  ce 
que  l'hérésie  a  prétendu ,  mais  ce  qu'elle  ne  per- 
suadera qu'à  des  esprits  ou  entêtés  ou  peu  éclairés. 
Car  pourquoi  nos  besoins  ne  seroient-ils  pas  connus 
de  cette  vierge  ?  les  anges  les  connoissent  bien. 
Dieu  qui  leur  a  confié  le  soin  de  nos  personnes  , 
leur  révèle  bien  nos  dispositions  intérieures  ;  char- 
gés de  veiller  sur  notre  conduite ,  ils  savent  bien 
ce  qui  se  passe  dans  le  secret  de  nos  coeurs  ;  ils  se 
réjouissent  bien  de  notre  conversion  ;  ils  font  bien  , 
selon  l'évangile  ,  une  fête  dans  le  ciel ,  quand  un 
pécheur  touché  de  Dieu  fait  pénitence  sur  la  terre. 
Pourquoi  donc  Marie ,  plus  élevée  qu'eux  dans  le 
séjour  de  la  gloire  ,  ne  verroit-elle  pas  en  Dieu  ce 
qu'ils  y  voient?  Enfin  ,  que  l'usage  de  l'invoquer 
blessât  le  culte  souverain  qui  n'est  dû  qu'à  Dieu 
seul  et  à  Jésus-Christ ,  erreur  pitoyable  ,  et  qui  se 


s8o  SUR    L'ASSOMPTION 

détrait  par  elle-même.  Car,  disent  les  théologiens , 
nous  n'invoquons  pas  Marie  comme  celle  de  qui 
dépend  la  grâce ,  ni  comme  celle  qui  en  est  l'arbi- 
tre ,  ni  comme  celle  à  qui  il  appartient  de  nous  la 
donner  ,  mais  comme  celle  qui  peut  la  demander 
pour  nous  l'obtenir.  Nous  ne  l'invoquons  pas  même 
afin  qu'elle  nous  obtienne  cette  grâce  par  ses  pro- 
pres mérites  ,  mais  par  les  mérites  du  Sauveur. 
Instruits  de  la  parole  du  Fils  de  Dieu  qui  nous  a 
dit  :  Venez  à  moi ,  nous  n'allons  pas  à  elle  comme 
à  lui  ;  mais  nous  allons  à  Jui  par  elle  ,  comme  par 
elle  la  foi  nous  apprend  qu'il  est  venu  à  nous  :  nous 
allons  à  lui  comme  à  l'unique  médiateur  ;  mais 
nous  allons  à  elle  comme  à  la  première  et  à  la  plus 
accréditée  de  tous  nos  intercesseurs. 

Or,  cette  intercession  de  Marie  ,  ce  droit  que 
nous  avons  d'invoquer  Marie  ,  cette  possession  où 
nous  sommes  de  recourir  à  Marie  ,  c'est  ce  que 
l'Eglise  veut  que  nous  envisagions  comme  un  des 
soutiens  et  des  plus  solides  appuis  de  notre  espé- 
rance. Car  dites-moi ,  chrétiens  ,  quelles  sont  les 
deux  choses  qui  affoiblissent  communément  et  qui 
ébranlent  notre  espérance?  la  crainte  des  jugernens 
de  Dieu,  et  la  vue  de  nos  péchés.  Or,  que  trou- 
vons-nous aujourd'hui  dans  la  personne  de  Marie  ? 
une  avocate  toute  puissante  auprès  de  notre  juge , 
et  une  mère  de  miséricorde  pour  les  pécheurs. 
Souffrez  que  pour  votre  édification ,  aussi  bien  que 
pour  votre  consolation  ,  je  vous  fasse  goûter  ces 
pensées.  Oui,  mes  frères,  disoit  S.  Bernard  ,  nous 
avons  Marie  dans  le  ciel  pour  avocate  auprès  du 


DE   LA   VIERGE.  281 

Fiîs ,  comme  nous  avons  Jésus-Christ  pour  avocat 
auprès  du  Père  ;  et  qui  doute  que  Marie  étant  la 
mère  de  celui  qui  ,  comme  juge  ,  doit  prononcer 
des  arrêts  de  vie  et  de  mort,  je  dis  une  mère  bien- 
aimée ,  une  mère  sainte  ,  une  mère  couronnée  de 
gloire  ,  elle  ne  soit  écoutée  favorablement  ?  qui 
doute  que  ,  plaidant  la  cause  des  hommes  ,  elle  ne 
soit  exaucée  pour  le  respect  de  sa  maternité  ?  tl  ne 
s'ensuit  pas  de  là  que  nous  relevions  au-dessus  de 
son  fds  ,  comme  si  sa  maternité  lui  donnoit  droit 
d'exiger  de  lui  qu'il  nous  accordât  le  pardon  de  nos 
crimes.  A  Dieu  ne  plaise  que  nous  le  concevions 
de  la  sorte.  Quand  par  un  excès  de  confiance  il 
nous  échapperoit  certains  termes  moins  justes  ;  et 
quand  nous  dirions,  ce  que  je  n'ai  garde  d'avancer, 
que  Jésus-Christ ,  exauçant  Marie  ,  se  plaît  à  lui 
rendre  encore  dans  le  ciel  une  espèce  d'obéissance, 
se  regardant  toujours  comme  son  fils  ,  et  l'honorant 
toujours  comme  sa  mère  ;  quand ,  dis-je ,  nous  par- 
lerions ainsi ,  les  partisans  de  l'hérésie  ne  devroient 
pas  plus  s'en  scandaliser,  que  d'autres  expressions 
toutes  semblables  dont  se  sert  l'Ecriture ,  lorsqu'elle 
dit  que  Dieu  ,  arrêtant  le  cours  du  soleil ,  voulut 
bien  obéir  à  la  voix  d'un  homme  :  Obediente  Do- 
mino voci  hominis  (1)  ;  et  lorsqu'elle  ajoute  ,  que 
Dieu  s'est  engagé  ,  tout  Dieu  qu'il  est,  k  faire  la 
volonté  de  ceux  qui  le  craignent  :  Voluntatem 
timentium  se  faciet  (2).  Mais  nous  n'avons  pas 
même  besoin  de  cette  défense ,  puisque  les  termes 
dont  nous  usons  en  parlant  du  pouvoir  de  Marie , 

(0  Josué.  10,  •—  (2)  Psalm.  i^4« 


282  SUR    L'ASSOMPTION 

portent  avec  eux  leur  justification  ,  et  sont  à  l'é- 
preuve  de  toute  censure.  Car  nous  disons  que  Marie 
prie  Jésus-Christ ,  et  non  point  qu'elle  commande 
à  Jésus-Christ  :  mais  du  reste ,  nous  ajoutons  que 
Jésus-Christ  ,  après  avoir  autrefois  obéi  à  Marie  , 
l'écoute  encore  présentement  avec  tous  les  égards 
qu'il  a  conservés  et  qu'il  conservera  éternellement 
pour  elle  :  égards  de  distinction ,  fondés  sur  la 
prééminence  de  sa  dignité  et  sur  le  mérite  de  sa 
personne.  Or  il  n'y  a  ,  encore  une  fois ,  que  des 
esprits  obstinés  dans  leur  erreur,  qui  puissent  con- 
tredire cette  vérité.  Car  si  Dieu,  dans  l'Ecriture  , 
disoit  aux  amis  de  Job  :  Allez  à  mon  serviteur 
Job  ,  et  il  priera  pour  vous ,  en  sorte  que  votre  ini- 
quité ne  vous  sera  point  imputée  :  Ite  ad  servwn 
meum  Job  ,  et  ipse  orabit  pro  vobis  (1)  ;  si 
Moïse  ,  par  son  intercession  ,  pouvoit  suspendre  les 
foudres  de  la  colère  de  Dieu ,  prêts  à  éclater  sur 
les  Israélites  :  Dimitte  me  ut  irascatur  furor 
meus  (2)  ;  si  Dieu,  dans  le  chapitre  quinzième  de 
Jérémie ,  parloit  de  Moïse  et  de  Samuel ,  comme 
de  deux  puissans  intercesseurs  auprès  de  lui  ;  et  si 
Judas  Macchabée  vit  le  grand  prêtre  Onias  ,  plu- 
sieurs années  après  sa  mort ,  apaisant  le  ciel  par 
ses  prières  en  faveur  de  toute  la  nation  des  Juifs , 
pouvons-nous  douter  que  la  médiation  de  Marie 
ne  soit  un  titre  solide  pour  approcher  avec  con- 
fiance du  trône  de  la  grâce  et  de  la  miséricorde 
de  notre  Dieu  ?  Mes  crimes  m'en  éloignent,  dites- 
vous  ;  et  parce  que  je  suis  pécheur  ,  je  ne  puis  y 

(1)  Job.  /\i.  —  (2)  Exocl.  52. 


DE    LA  VIERGE.  283 

avoir  accès,  et  je  n'ose  l'espérer.  Mais  ne  savons- 
nous  pas ,  répond  saint  Bernard  ,  que  la  grande 
qualité  de  Marie  est  d'être  singulièrement  la  mère 
des  pécheurs  ?  ne  savons-nous  pas  que  c'est  aux 
pécheurs  qu'elle  est  en  quelque  manière  redevable 
de  toute  sa  gloire  ,  puisqu'il  est  vrai  que  s'il  n'y 
avoit  eu  des  pécheurs  ,  elle  n'eût  jamais  été  mère 
de  Dieu  ?  qu'ainsi  tout  le  bonheur  de  sa  destinée , 
ou  ,  pour  mieux  dire  ,  de  sa  prédestination  éter- 
nelle, a  roulé  sur  le  malheur  des  hommes  comme 
pécheurs  ;  et  que  par  une  reconnoissance  digne 
d'elle  ,  et  qui  n'a  rien  dans  sa  personne  que  de 
saint  ,  puisqu'elle  l'accorde  parfaitement  avec  la 
haine  et  l'horreur  du  péché  ,  elle  se  tient  comme 
obligée  à  secourir  les  pécheurs ,  à  être  le  refuge 
des  pécheurs ,  à  employer  son  crédit  pour  la  con- 
version des  plus  indignes  et  des  plus  endurcis  pé- 
cheurs ,  parce  qu'elle  sait  bien  que  tout  pécheurs 
et  tout  endurcis  qu'ils  sont,  c'est  pour  eux  et  pour 
eux  spécialement  que  Dieu  l'a  faite  ce  qu'elle  est  ; 
et  qu'en  cela  même  elle  se  conforme  aux  inclina- 
tions de  son  fils ,  qui  ,  sans  confondre  l'ordre  des 
choses  ,  a  toujours  aimé  les  pécheurs ,  quoiqu'il  fût 
venu  pour  détruire  et  pour  abolir  le  péché. 

Yoilà  ce  que  j'appelle  notre  espérance;  mais  en 
voulez-vous  voir  l'abus  ?  c'est  ici ,  mes  chers  audi- 
teurs ,  que  j'ai  besoin  de  toute  votre  application  ,  en 
finissant  ce  discours.  L'abus  de  cette  invocation  de 
Marie  ,  et  ce  qui  nous  rend  tous  les  jours  son  crédit 
inutile  auprès  de  Dieu  ,  c'est  qu'au  lieu  d'envisager 
Marie  comme  la  médiatrice  qui  peut ,  par  son  inter- 


284  SUR    L'ASSOMPTION 

cession  ,  nous  procurer  les  véritables  grâces  du 
salut ,  je  veux  dire  ,  les  grâces  réelles  et  possibles, 
les  grâces  solides  et  nécessaires ,  les  grâces  réglées 
et  mesurées  selon  l'ordre  de  Dieu,  les  grâces  victo- 
rieuses qui  doivent  combattre  en  nous  nos  passions, 
et  triompher  de  la  chair  et  du  monde  ;  par  de  se- 
crètes et  de  funestes  erreurs  qui  nous  trompent, 
nous  nous  formons  de  Marie  une  fausse  idée,  jus- 
qu'à nous  promettre  de  sa  protection  des  grâces 
chimériques  et  impossibles  ;  des  grâces  selon  notre 
goût,  et  selon  les  désirs  corrompus  de  notre  cœur; 
des  grâces,  s'il  y  en  avoit  de  telles  ,  incapables  de 
nous  sanctifier,  et  beaucoup  plus  capables  de  nous 
pervertir  ;  des  grâces  miraculeuses  et  sur  lesquelles 
notre  présomption  seule  peut  faire  fonds.  Je  m'ex- 
plique :  nous  invoquons  Marie ,  mais  par  une  con- 
fiance aveugle  ,  nous  reposant  sur  elle  de  notre 
salut,  nous  en  négligeons  et  nous  en  abandonnons 
tout  le  soin;  comme  si  Marie  ,  par  son  crédit  auprès 
de  Dieu,  devoit  nous  garantir  ce  salut  sans  con- 
version, ce  salut  sans  changement  de  vie,  ce  salut 
sans  renoncement  à  nous-mêmes,  ce  salut  sans  fruits 
de  pénitence  et  sans  mortification  des  sens;  comme 
si  par  la  faveur  de  Marie,  il  devoit  y  avoir  pour 
nous  des  victoires  sans  combat,  des  récompenses 
sans  mérite  ,  des  mérites  sans  travail ,  des  vertus 
dont  la  pratique  ne  nous  coûtât  rien  :  grâces  chi- 
mériques et  impossibles.  Nous  invoquons  Marie  ; 
mais  par  une  témérité,  qui,  bien  loin  de  l'honorer, 
lui  est  injurieuse ,  nous  espérons  obtenir  par  elle 
une  bonne  mort  après  une  vie  toute  mondaine,  une 


DE    LA    VIERGE.  285 

heureuse  fin  après  un  continuel  oubli  de  Dieu, 
une  sainte  et  finale  persévérance ,  après  une  opi- 
niâtre résistance  à  toutes  les  lumières  du  ciel,  un 
port  assuré  après  une  suite  infinie  d'égaremens  et 
de  naufrages  volontaires  :  grâces  possibles ,  mais 
miraculeuses.  Nous  invoquons  Marie  ;  mais  par 
une  ignorance  grossière  de  ce  qu'elle  peut,  per- 
suadés qu'elle  peut  tout,  nous  nous  flattons  de 
trouver  en  Dieu,  par  sa  médiation,  une  patience 
sans  bornes  pour  nous  supporter,  une  disposition 
sans  mesure  à  nous  pardonner ,  une  miséricorde 
inépuisable  qui  sera  toujours  en  notre  pouvoir,  une 
protection  sûre  et  immanquable,  malgré  nos  délais 
criminels  et  nos  retardernens  affectés  :  grâces  ,  s'il 
y  en  avoit  de  telles  ,  incapables  de  nous  sanctifier, 
et  beaucoup  plus  capables  de  nous  pervertir.  Nous 
invoquons  Marie  ;  mais  par  une  daninable  sécurité, 
fondée  sur  son  pouvoir,  nous  nous  assurons  que,  sans 
sortir  de  l'occasion  du  péché,  elle  nous  préservera 
du  péché;  qu'au  milieu  des  flammes,  elle  nous  con- 
servera aussi  purs  et  aussi  sains  que  les  trois  en  fans 
dans  la  fournaise  de  Babylone  :  grâces  selon  notre 
goût  et  selon  notre  sens  réprouvé;  mais  grâces  que 
par  cette  raison-là  même  nous  ne  pouvons  attendre 
de  Marie ,  et  qui ,  bien  loin  d'être  l'objet  de  l'espé- 
rance chrétienne  ,  en  ont  été  de  tout  temps  le  mal- 
heureux écueil.  Car  Marie  n'a  point  le  crédit  qui 
la  rend  si  puissante  auprès  de  Dieu  ,  pour  porter 
nos  intérêts  contre  les  intérêts  de  Dieu  ;  elle  n'est 
point,  comme  reine  du  ciel,  placée  sur  le  trône, 
pour  faire  régner  dans  nous  le  péché;  elle  n'est  point 


286  SUR     L'ASSOMPTION 

notre  avocate,  pour  nous  entretenir  dans  l'impéni- 
tenc<  ;  elle  est  toute  puissante  auprès  de  son  fils  ; 
mais  elle  l'est ,  disent  les  Pères ,  dans  l'ordre  des 
divins  décrets  ,  dans  l'étendue  des  saintes  lois  que 
la  sagesse  de  Dieu  a  établies,  sans  préjudice  des 
maximes  évangéliques  et  de  leur  inflexible  sévérité: 
c'est-à-dire,  elle  est  toute  puissante  pour  nous  at- 
tirer à  Dieu  et  pour  rapprocher  Dieu  de  nous,  toute 
puissante  pour  disposer  Dieu  à  être  touché  de  nos 
larmes,  toute  puissante  pour  lui  faire  agréer  nos 
vœux,  nos  satisfactions,  nos  sacrifices;  mais  non 
pas  toute  puissante  pour  anéantir  l'obligation  de 
tout  cela,  ni  pour  faire  que  Dieu,  oubliant  ses  plus 
essentiels  attributs,  devienne,  si  j'ose  ainsi  parler, 
prévaricateur  de  sa  sainteté ,  et  fauteur  de  notre 
iniquité. 

Nous  vous  invoquons  aujourd'hui,  vierge  sainte  , 
mais  c'est  dans  des  dispositions  plus  conformes  à 
nos  devoirs  ,  plus  conformes  aux  règles  que  la  reli- 
gion nous  prescrit,  plus  conformes  au  mystère  même 
de  votre  glorieuse  assomption.  Mieux  instruits  de 
nos  intérêts  et  des  desseins  de  Dieu  sur  nous  ,  nous 
n'attendons  point  de  vous  ces  grâces  purement  tem- 
porelles, qui  ne  nous  donneroient  que  de  vaines 
joies ,  ni  ces  prospérités  du  monde  qui  ne  servi- 
roient  qu'à  entretenir  notre  orgueil  et  à  satisfaire 
notre  amour-propre.  Si  nous  avons  recours  à  vous  , 
c'est  pour  des  besoins  plus  pressans  et  plus  im- 
portons ,  c'est  pour  des  biens  plus  nécessaires  ,  quoi- 
que peut-être  moins  de  notre  goût,  c'est  dans  des 
vues  plus  relevées  et  plus  convenables  au  christia- 


DE   LA    VIERGE.  28/ 

îiisme  que  nous  professons.  Accablés  sous  le  poids 
de  nos  misères  ,  et  persuadés  que  vous  pouvez  nous 
secourir,  nous  vous  réclamons  dans  cette  auguste 
solennité;  mais  voici  le  sujet  de  nos  demandes  : 
obtenez-nous  par  votre  toute  puissante  intercession, 
ces  grâces  du  premier  ordre  à  quoi  notre  salut  et 
notre  perfection  sont  attachés  ;  obtenez-nous  une 
haine  efficace  du  péché  ,  une  crainte  respectueuse 
des  jugemens  de  Dieu,  une  soumission  sans  réserve 
à  sa  sainte  loi;  obtenez-nous  cette  force  chrétienne, 
si  nécessaire  pour  nous  préserver  de  la  corruption 
du  monde  ,  pour  ne  nous  laisser  pas  emporter  "au 
torrent  de  la  coutume  ,  pour  résisterait  scandale  du 
mauvais  exemple ,  pour  nous  mettre  au-dessus  du 
respect  humain  ,  pour  nous  affranchir  de  la  tyran- 
nie de  nos  passions  ,  pour  renoncer  à  l'ambition  , 
pour  n'être  pas  esclaves  de  l'avarice,  pour  surmonter 
la  concupiscence  de  la  chair,  et  pour  la  tenir  sou- 
mise à  l'esprit;  obtenez-nous  ces  excellentes  vertus 
qui  vous  ont  distinguée  entre  tous  les  justes  ;  cette 
foi  héroïque  qui  vous  a  rendue  si  heureuse  ,  en  vous 
faisant  croire  ce  qui  vous  étoit  révélé;  cette  pro- 
fonde humilité  qui  vous  a  élevée  si  haut,  et  qui 
engagea  le  Verbe  de  Dieu  à  s'abaisser  jusqu'à  vous; 
cette  pureté  angélique  qui  vous  fut  si  chère,  et 
que  vous  préférâtes  à  toutes  les  grandeurs  qu'on 
vous  promettait;  cette  obéissance  que  Jésus-Christ 
trouva  plus  digne  de  ses  éloges,  et  plus  recom- 
mandable  en  vous  que  votre  maternité  même  ;  ce 
zèle  pour  les  intérêts  de  Dieu  et  pour  le  salut  des 
hommes,  qui,  malgré  la  tendresse  de  votre  cœur, 


2gg  sur.  l'assomption 

vous  fit  consentir  au  sacrifice  et  à  Ja  mort  de  votre 
fils  ,   quand   vous  le   présentâtes  dans  le    temple 
comme  la  victime  qui   devoit  être  immolée  pour 
nos  péchés.  Sans  prétendre  au  degré  sublime  où 
vous  avez  possédé  ces  vertus  ,  obtenez-les-nous  au 
moins  dans  le  degré  convenable  à  nos  obligations  : 
c'est-à-dire,  obtenez-nous  une  foi  vive   qui   nous 
fasse  agir,   et  qui,  pour  la  cause  de  Dieu,   nous 
détermine  à  tout  souffrir;  une  confiance  en  Dieu 
inébranlable  ,    qui  ne  soit  jamais   confondue  ;  un 
amour  de  Dieu  que  toutes  les  eaux  des  tribulations 
et  des  adversités  de  cette  vie  ne  puissent  éteindre; 
une  charité    envers    le  prochain  qui    nous   tienne 
tous  étroitement  et  saintement  unis  en  Jésus-Christ, 
obtenez-nous  une  victoire  entière  sur    le  monde  , 
un  détachement  parfait  de  nous-mêmes  ,  un  esprit 
humble  et  un  cœur  pur.  Voilà  les  grâces,  6  Vierge 
mainte,  que  nous  vous   demandons,    et  pour  les- 
quelles nous  ne  craignons  pas  que  vous  nous  refusiez 
votre  intercession.  Nous  vous  saluons  avec  l'Eglise 
en  qualité  de  reine,  Salve,  regina  ;  mais  à  Dieu 
ne   plaise  que    nous   présumions  d'entrer  dans  la 
gloire  par  une  autre  voie  que  par  celle  de  vos  ver- 
tus.  Comme  reine  ,  nous  vous  réclamons  :  Ad  te 
clamamus  ;  mais  nous  n'implorons  votre  secours 
que  pour  pouvoir  inarcher  sur  vos  pas  en  imitant 
vos  exemples  :  comme  reine ,  nous  vous  prenons 
pour  notre  protectrice,  et  nous  vous  faisons  entendre 
nos  gémissemens  :  Ad  te  susjtiramus ;  mais  nous 
ne  nous  mettons  sous  votre  protection,  que  pour 
obtenir  par  vous  la  grâce  de  notre  conversion.  Sans 


sur  l'assomption  de  la  vierge.  289 
craindre  d'être  du  nombre  de  vos  dévots  indiscrets, 
nous  vous  appelons  mère  de  miséricorde,  source 
de  vie  ,  consolation  de  nos  âmes  :  Mater  miserî- 
cordiœ  ,  vita  ,  dulcedo  ;  mais  nous  ne  prétendons 
point  que  ces  titres  nous  autorisent  dans  nos  foi- 
blesses,  ni  qu'ils  nous  rassurent  dans  nos  désordres» 
Malgré  les  critiques  censeurs  de  notre  culte,  nous 
nous  confions  en  vous;  mais  notre  confiance  ne 
nous  fait  point  oublier  que  ,  pour  être  récompensé 
comme  vous ,  il  faut ,  par  proportion  ,  le  mériter 
comme  vous,  et  que  jamais  nous  ne  parviendrons 
autrement  à  ce  royaume  éternel,  où.  nous  con- 
duise ,  etc. 


TOME  XI. 


J9 


AUTRE  SERMON 

POUR    LA    FÊTE 

DE  L'ASSOMPTION  DE  LA  VIERGE. 


SUR  LA  DEVOTION  A  LA  VIERGE. 

Intravit  Jésus  in  qaoddam  castellum  ,  et  ninlier  quae- 
clani  excepit  illum  in  domuni  suam. 

Jésus    entra  dans  une  bourgade ,   et  une  femme   le 
reçut  dans  sa  maison.  En  saint  Luc,  chap.    10. 

Cette  femme  ainsi  honorée  de  la  présence  de  Jé- 
sus-Christ, ce  fut,  chrétiens,  dans  le  sens  littéral 
de  notre  évangile  ,  Marthe  ,  sœur  de  Magdeleine  ; 
mais  selon  l'application  de  l'Eglise ,  c'est  Marie  ,  la 
mère  du  Rédempteur,  la  reine  des  vierges,  et  la 
souveraine  du  ciel  et  de  la  terre.  C'est  elle  qui  re- 
çut dans  ses  chastes  entrailles  le  Fils  de  Dieu  ;  et 
c'est  elle  qui  est  aujourd'hui  reçue  par  cet  homme- 
Dieu  dans  le  séjour  de  la  gloire.  Heureuse ,  mes 
frères  ,  s'écrie  saint  Bernard  ,  heureuse  réception  de 
l'une  et  de  l'autre  part  !  Felioc  utraque  suscep- 
iio  !  soit  celle  que  Marie  fit  à  Jésus-Christ  dans 
le  mystère  de  son  incarnation ,  soit  celle  que  Jé- 
sus-Christ fait  à  Marie  dans  le  mystère  de  son  as- 
somption.  Mais  pourquoi  parler  maintenant  de  la 
première,  demande  le  même  saint  Bernard?  pour 
mieux  juger  de  la  seconde  ,  répond  ce  saint  docteur; 


SUR   LA    DÉVOTION  A  LA  VîERGE.  29 1 

pour  en  former  une  juste  idée  ;  pour  en  concevoir 
toute  la  gloire  et  toute  l'excellence  ;  ou  plutôt ,  pour 
reconnoître  que  comme  la  première  est  absolument 
inconcevable  à  nos  esprits ,  la  seconde  est  au-dessus 
de  toutes  nos  vues  et  de  toutes  nos  expressions  : 
Ut  juxta  inœstimabilem  illius  gloriam ,  inces- 
timabilis  cognoscatur  et  ista.  En  effet,  quel  lan- 
gage pourroit  jamais  expliquer  comment  ce  Dieu 
de  majesté ,  qui  ne  peut  être  compris  dans  la  vaste 
étendue  de  l'univers,  se  renferma  dans  le  sein  d'une 
vierge;  et  qui  pourroit  dire  aussi  avec  quelle  pompe 
cette  vierge  entre  dans  le  ciel  pour  y  être  couron- 
née, et  pour  y  régner  pendant  toute  l'éternité? 
Christi  generationem  et  Mariée  asswnptionem 
quis  enarrabit ?  J'ai  donc  cru,  mes  chers  audi- 
teurs, devoir  prendre  un  sujet  plus  proportionné  à 
notre  foiblesse ,  et  même  plus  utile  pour  vous.  J'ai 
cru  que  le  grand  et  ineffable  mystère  de  l'assomp- 
tion  de  Marie  me  donnoit  une  occasion  favorable 
de  vous  entretenir  de  la  dévotion  envers  cette  mère 
de  Dieu.  C'est  ce  que  je  me  propose ,  et  c'est  pour 
cela  même ,  Vierge  sainte  ,  que  j'ai  besoin  de  votre 
secours.  Daignez  agréer  le  zèle  qui  m'anime  pour 
vous  ,  et  le  seconder  ;  daignez  écouter  la  prière  que 
je  vous  fais  en  vous  saluant,  et  vous  disant  :  Ave  t 
Maria» 

Si  j'entreprends  aujourd'hui  de  vous  parler  de  la 
dévotion  à  la  Vierge ,  ce  n'est  point  précisément 
pour  vous  l'inspirer,  puisque  je  vous  suppose  trop 
chrétiens  pour  n'avoir  pas  envers  la  mère  de  Dieu 


292  SUR    LA    DÉVOTION 

tous  les  sentimens  de  zèle  et  de  respect  qui  lui  sont 
dus.  C'est  donc  seulement  pour  vous  donner  sur 
cette  importante  matière  toute  l'instruction  que  des 
chrétiens  parfaits  et  spirituels  doivent  avoir ,  s'ils 
veulent  parvenir  à  la  pratique  de  ce  culte  raison- 
nable, que  le  grand  Apôtre  nous  a  si  fortement  re- 
commandé :  Ralionabile  obsequium  vestrum  (1). 
Ainsi ,  mes  chers  auditeurs,  au  lieu  de  vous  exhor- 
ter à  la  dévotion  envers  Marie,  je  veux  vous  ap- 
prendre à  régler  cette  dévotion  ,  à  profiter  de  cette 
dévotion ,  et  à  vous  sanctifier  vous-mêmes  par 
cette  dévotion  ;  je  veux  vous  en  faire  connoître  les 
véritables  caractères ,  vous  en  marquer  les  défauts , 
vous  en  découvrir  les  abus  ,  et  par  là  vous  engager 
à  en  faire  un  saint  usage  :  pouvois-je  choisir  un  des- 
sein plus  convenable  à  votre  piété  ,  et  plus  avanta- 
geux à  la  dévotion  même  dont  il  s'agit?  Elle  con- 
siste, selon  saint  Bernard,  en  trois  principaux  de- 
voirs ,  à  honorer  Marie ,  à  l'invoquer ,  à  l'imiter. 
Or  c'est  à  ces  trois  devoirs  que  je  m'attache  ,  et 
voici  en  trois  mots  le  partage  de  ce  discours.  Il 
faut  honorer  Marie  ,  mais  l'honorer  judicieusement  : 
c'est  la  première  proposition;  il  faut  invoquer  Ma- 
rie, mais  l'invoquer  efficacement:  c'est  la  seconde 
proposition;  enfin  ,  il  faut  imiter  Marie,  et  l'imiter 
religieusement  :  c'est  la  dernière  proposition.  Il  faut 
honorer  cette  Vierge  judicieusement  :  car  l'honneur 
de  la  reine  du  ciel  aussi  bien  que  celui  de  Jésus- 
Christ  le  roi  des  rois ,  demande  sur  toutes  choses 
cette  condition  :  Nain  et  honor  regiiuu  judiciuin 

(1)  Rom.    12. 


A    LA   VIERGE.  2q3 

diligit  v  dit  saint  Bernard  ,  appliquant  à  la  mère 
ce  qui  est  écrit  du  Fils  ,  Et  honor  régis  judicium 
diligit  (i)  ;  ce  sera  le  sujet  de  la  première  partie. 
Il  faut  invoquer  cette  vierge  efficacement  :  car  eu 
vain  Marie  a-t-elle  pour  nous  du  crédit  auprès  de. 
Dieu ,  si  par  l'indignité  de  nos  prières  ,  ou  par  l'im- 
pénitence  de  notre  vie,  nous  nous  rendons  son 
crédit  inutile;  ce  sera  la  seconde  partie.  Il  faut, 
autant  qu'il  est  en  notre  pouvoir ,  imiler  cette  vierge 
religieusement;  car  la  sainteté  de  Marie  est  un  rao- 
dèle  sur  lequelDieu  prétend  que  nous  nous  formions; 
et  si  nous  ne  le  faisons  pas,  sur  lequel  il  nous  ju- 
gera :  ce  sera  la  dernière  partie.  Trois  vérités  éga- 
lement capables  de  contribuer  à  la  conversion  des 
pécheurs  ,  et  à  la  sanctification  des  justes.  Com- 
mençons. 

PREMIÈRE    PARTIE. 

Pour  honorer  saintement  la  mère  de  Dieu  ,  il  faut 
l'honorer  judicieusement.  C'est  un  principe  qui  ne 
peut  être  contesté ,  et  dont  il  n'y  a  sans  doute  per- 
sonne qui  ne  convienne  avec  moi.  Mais  on  doit  en 
même  temps  convenir  d'une  autre  vérité  qui  me 
paroît  également  incontestable ,  savoir  ,  que  s'il 
faut  du  discernement  et  de  la  prudence  pour  ho- 
norer la  mère  de  Dieu  ,  il  n'en  faut  pas  moins,  que 
dis-je?  il  en  faut  même  encore  plus  pour  censurer 
ceux  qui  l'honorent,  et  pour  s'ériger  en  juge  du 
culte  et  des  honneurs  qu'ils  lui  rendent.  J'ai  droit , 
ce  me  semble,  d'exiger  d'abord  de  votre  piété  p 

(1)  Psalm.  98. 


2g4  SUR    LA  DEVOTION 

que  vous  ne  sépariez  jamais  ces  deux  principes , 
quand  il  s'agit  de  décider  sur  un  sujet  aussi  impor- 
tant que  celui-ci  ;  et  vous  avez  trop  de  pénétration , 
chrétiens,  pour  n'entrer  pas  dans  ma  pensée,  et 
trop  d'équité  pour  n'avouer  pas  que  la  raison  ,  aussi 
bien  que  la  droite  et  sincère  religion ,  le  demandent 
ainsi  :  je  m'explique.  Il  peut  y  avoir  dans  le  monde  , 
parmi  les  personnes  adonnées  au  service  de  la 
Yierge  ,  des  dévots  indiscrets,  j'en  veux  bien  tomber 
d'accord  avec  vous  ;  et  s'il  y  en  a  de  tels  ,  à  Dieu 
ne  plaise  que  je  prétende  ici  les  excuser  ,  ni  les 
autoriser.  Mais  aussi  peut-il  y  avoir  des  censeurs 
indiscrets  de  la  dévotion  envers  cette  même  Yierge; 
et  c'est  à  quoi  l'on  ne  pense  point  assez.  De  ces 
deux  désordres ,  on  se  pique  d'éviter  le  premier , 
et  il  arrive  tous  les  jours  qu'on  se  fait  un  faux  mé- 
rite ou  une  vanité  bizarre  du  second.  Cependant 
le  second  n'est  pas  moins  dangereux  que  le  premier  ; 
et  l'homme  chrétien  ne  court  pas  moins  de  risque 
devant  Dieu,  en  condamnant  avec  témérité  un 
culte  légitime  et  saint ,  qu'en  pratiquant  par  igno- 
rance un  culte  outré  et  superstitieux.  C'est  donc  à 
nous ,  mes  chers  auditeurs ,  à  nous  préserver  de 
l'un  et  de  l'autre;  c'est  à  moi,  comme  prédicateur 
de  l'évangile  ,  à  vous  conduire  entre  ces  deux 
écueils,  et  par  quelle  voie  ?  en  vous  donnant  des 
règles  sûres  pour  honorer  discrètement  la  reine  du 
ciel  ,  et  vous  proposant  les  mêmes  règles  pour  ne 
pas  critiquer  légèrement  les  honneurs  même  popu- 
laires qu'elle  reçoit  sur  la  terre.  Ne  disons  rien  de 
vague ,  et  dans  le  dessein  que  j'ai  formé  d'éclaircir 


A    LA    VIERGE.  2(j5 

ces  vérités ,  ne  combattons   point  des  fantômes  , 
mais  venons  au  détail  des  choses. 

On  a  prétendu  que ,  malgré  le  soin  qu'ont  eu 
les  pasteurs  d'instruire  les  peuples,  et  d'épurer  , 
dans  notre  siècle ,  la  religion  ou  la  dévotion  des 
fidèles ,  il  y  avoit  encore  de  l'excès ,  et  par  con- 
séquent de  l'abus  dans  le  culte  qu'on  rend  à  la 
sainte  Vierge;  et  ce  que  je  vous  prie  de  bien  re- 
marquer, ce  ne  sont  pas  seulement  les  ennemis 
déclarés  de  l'Eglise  qui  en  ont  jugé  de  la  sorte. 
Quelques-uns  même  de  ses  propres  enfans  ont  dé- 
ploré cet  abus  :  des  catholiques  prétendus  zélés , 
mais  dont  le  zèle  sans  doute  n'a  pas  eu  toutes  les 
qualités  requises  pour  être  ce  zèle  selon  la  science 
que  demandoit  l'Apôtre  ;  quoi  qu'il  en  soit ,  des 
catholiques  même  ont  cru  devoir  prendre  sur  ce 
point  la  cause  de  Dieu  :  et  de  la  manière  qu'ils 
s'en  sont  expliqués ,  voici  les  trois  chefs  où  la  vé- 
nération du  commun  des  fidèles  pour  la  mère  de 
Dieu,  leur  a  paru  aller  jusqu'à  l'indiscrétion.  Car 
c'est  le  terme  dont  ils  se  sont  servis  ,  et  il  nous  im 
porte  une  fois  de  bien  comprendre  à  quoi  ils  l'ont 
appliqué.  Touchés  des  intérêts  de  Dieu ,  ils  se  sont 
plaints  qu'on  rendoitdes  hommages  à  Marie  comme 
à  une  divinité  ;  ils  se  sont  plaints  qu'on  lui  donnoifc 
des  titres  d'honneur  qui  ne  lui  appartenoient  pas, 
surtout  ceux  de  médiatrice  et  de  réparatrice  du 
monde  perdu  ;  ils  se  sont  plaints  qu'on  lui  attri- 
buoit  de  nouveaux  privilèges,  qui  ne  nous  étoient 
révélés  ni  dans  l'Ecriture,  ni  dans  la  tradition. 
Examinons  leurs  plaintes  sans  préjugé ,  et  puisqu'ils 


296  SUR    LA  DEVOTION 

les  ont  publiées  dans  le  monde  chrétien  en  forme 
d'avertissemens  donnés  par  Marie  elle-même  à  ses 
dévots  indiscrets ,  nous  qui  voulons  de  bonne  foi 
que  notre  dévotion  soit  prudente  ,  qu'elle  soit  so- 
lide ,  qu'elle  soit  sans  reproche ,  profitons  de  ces 
avis  :  pour  peu  qu'ils  soient  fondés,  édifions-nous- 
en  ,  du  moins  servons-nous  de  l'examen  que  nous 
en  allons  faire,  pour  nous  rendre  encore  plus  exacts 
et  plus  irrépréhensibles  dans  le  culte  de  la  vierge 
que  nous  honorons.  Ecoutez-moi  :  ceci  n'aura  rien 
de  trop  abstrait,  ni  d'ennuyeux. 

Il  est  donc  vrai,  chrétiens,  et  je  le  dis  haute- 
ment, que  d'honorer  Marie  comme  une  divinité, 
quoique  subalterne  ,  ce  seroit,  non  pas  un  simple 
abus  ,  ni  une  simple  indiscrétion ,  mais  un  crime 
et  une  impiété.  Car  Marie,  toute  mère  de  Dieu 
qu'elle  est,  n'est  qu'une  pure  créature,  l'humble 
servante  du  Seigneur,  dont  tout  le  bonheur  est  fondé 
sur  l'aveu  authentique  qu'elle  a  fait  elle-même  de 
sa  bassesse  et  de  son  néant  :  Quia  respeocit  hu- 
militatem  ancillœ  suce  :  ecce  enim  eoc  hoc  bea- 
tam  me  dicent  omnes  generatioues  (i).  C'est 
ainsi  qu'elle  nous  Ta  appris  ;  et  nous  le  savons  si 
bien  ,  que  ,  pour  ne  l'oublier  jamais ,  nous  nous  fai- 
sons un  devoir  de  la  saluer  chaque  jour  en  celte 
qualité  de  servante  du  Seigneur  :  Ecce  ancilla 
Domini  (2).  Ainsi,  grâce  à  la  Providence  et  à 
l'esprit  qui  gouverne  le  christianisme  ,  je  prétends 
que  l'Eglise  de  Jésus-Christ,  surtout  dans  un  siècle 
aussi  éclairé  que  le  nôtre ,  n'avoit  nul  besoin  de 

(1)  Luc.  1.  —  (2)  Ibid. 


A    LA   VIERGE.  297 

l'avis  prétendu  salutaire  qu'on  a  voulu  nous  donner 
là-dessus.  Car,  comme  je  vous  l'ai  fait  déjà  remar- 
quer d'autres  fois ,  ce  que  disoit  saint  Augustin  dans 
un  sujet  à  peu  près  semblable ,  pour  répondre  aux 
manichéens,  qui,  malicieusement  et  sans  raison, 
accusoient  de  son  temps  les  catholiques  de  rendre 
aux  martyrs   un  culte  idolâtre  :  ce  que   disoit  ce 
Père  touchant  les  martyrs,  qui  de  nous  ne  le  dit 
pas  de  la  mère  de  Dieu ,  que  ce  n'est  point  à  elle 
que  nous  dédions  des  autels ,  ni  à  elle  que  nous 
offrons  le  sacrifice,  mais  à  Dieu  qui  l'a  choisie  ,  à 
Dieu  qui  l'a  sanctifiée  ,  à  Dieu  qui  l'a  glorifiée  ? 
ÎSTons   sommes  donc  bien  éloignés  de   cette   gros- 
sière erreur ,  ou  de  cette  énorme  indiscrétion  qui 
consisteroit  à  faire  de  Marie  une  déesse;  et  l'indis- 
crétion,  s'il  y  en  avoit  ici ,  seroit  plutôt  de  la  part 
de  ceux  qui  dans  leurs  avis  auroient  supposé  qu'un 
grand  nombre  de  fidèles,  à  la  vue  de  leurs  pasteurs, 
avoient  pu  tomber  ,  et  étoient  en  effet  tombés  dans 
une  telle  corruption  de  foi;  l'indiscrétion   seroit, 
non-seulement  d'avoir  par  là  renouvelé  les  accusa- 
tions vaines  et  frivoles  des  anciens  hérétiques  contre 
l'Eglise ,  mais  d'avoir  donné  l'avantage  à  l'hérétique 
protestant,  de  voir  des  catholiques  même  persuadés 
que  notre  foi  s'étoit  ainsi  corrompue  dans  ces  der- 
niers siècles.  Non ,  mes  chers  auditeurs  ,  je  le  ré- 
pète, l'Eglise  de  Jésus-Christ  n'a  point  été  aban- 
donnée de  la  sorte.   Car  qu'est-ce  selon  nous  que 
d'honorer  judicieusement  la  mère  de  Dieu?  c'est 
l'honorer  d'un  culte  inférieur  à  celui  de  Dieu,  mais 
supérieur  à  tout  autre  que  celui  de  Dieu.  Or  voilà 


2gS  SUR.    LA    DÉVOTION 

comment  nous  l'honorons,  voilà  comment  tous  les 
siècles  du  christianisme  l'ont  honorée  :  malheur  à 
celui  qui  la  confondroit  avec  Dieu  ;  mais  aussi  mal- 
heur à  celui  qui  ne  lui  rendroit  pas  des  hommages 
particuliers,  et  qui  dans  son  estime  ne  la  mettroit 
pas  au-dessus  de  tout  ce  qui  n'est  point  Dieu.  Il 
a  été  de  mon  devoir  d'appuyer  d'abord  sur  cet 
article  ,  et  de  vous  le  faire  sentir  ;  mais  allons  plus 
loin. 

On  a  blâmé  comme  indiscret  le  zèle  des  fidèles 
qui  attribuoient  à  Marie  des  titres  d'honneur  qu'on 
prétend  ne  lui  pas  convenir  :  et  moi  j'avance  et  je 
soutiens  ,  que  depuis  que  l'Eglise  universelle ,  par 
le  plus  solennel  de  ses  décrets  ,  qui  fut  celui  du 
concile  d'Ephèse ,  a  maintenu  la  Vierge  dont  je 
défends  ici  la  gloire ,  dans  la  possession  du  titre 
de  mère  de  Dieu ,  que  l'hérésiarque  Nestorius  lui 
disputoit ,  il  n'y  a  point  de  titre  d'honneur  qui  ne 
lui  convienne,  ni  de  qualité  éminente  qu'on  puisse 
sans  indiscrétion  lui  contester.  Appliquez-vous  ,  et 
vous  en  allez  être  convaincus.  Car  puisqu'il  s'agit 
surtout  de  la  qualité  de  médiatrice  et  de  répara- 
trice du  monde ,  que  les  réformateurs  de  son  culte 
voudroient  lui  oter,  voyons  comment  en  a  parlé 
saint  Bernard  :  non  point  dans  ces  occasions  et 
dans  ces  discours  où  il  n'a  pensé  qu'à  exalter  Ma- 
rie par  les  magnifiques  éloges  qu'il  en  a  faits  ,  mais 
dans  cette  célèbre  épître  aux  chanoines  de  Lyon, 
où,  raisonnant  en  théologien,  et  décidant  à  la  ri- 
gueur, il  a  voulu  nous  marquer  les  bornes  que 
doit  avoir  le  culte  que  nous  rendons  ù  la  mère  de 


A    LA    VIERGE.  299 

Dieu.  Je  me  contenterai  de  traduire  ses  paroles  , 
et  je  ne  puis  douter  que  vous  n'en  soyez  touchés. 
Donnez ,  disoit-il ,  donnez  à  Marie  les  justes  louanges 
qui  lui  appartiennent  ,  et  souvenez-vous  que  la 
sainteté ,  pour  être  honorée ,  n'a  besoin  que  de  la 
vérité.  Dites ,  par  exemple  ,  que  Marie  a  trouvé 
pour  elle  et  pour  nous  la  source  de  la  grâce;  dites 
qu'elle  est  la  médiatrice  du  salut  et  la  restauratrice 
des  siècles  :  vous  le  direz  avec  raison  ;  car  c'est  ce 
que  toute  l'Eglise  publie,  et  ce  qu'elle  chante  tous 
les  jours  dans  ses  divins  offices  :  Magnifica  gra- 
tiœ  înventricem  Mariam  ,  mediatricem  salutis , 
restauratricem  seculorum  :  hœc  mihi  de  illd 
cantat  Ecclesia.  Ceux  à  qui  ces  titres  déplaisent, 
oseront-ils  s'inscrire  en  faux  contre  le  témoignage 
de  saint  Bernard ,  et  récuser  un  homme  d'une  si 
grande  autorité  parmi  les  Pères,  et  qui  rapporte 
en  fidèle  historien  ce  que  l'Eglise  croyoit  de  son 
temps ,  et  ce  qu'elle  pratiquoit  ?  Or  voilà  ce  que 
j'appelle  honorer  judicieusement  la  Vierge ,  lui  at- 
tribuer les  qualités  que  toute  l'Eglise  lui  attribue. 
On  sait  bien  qu'il  n'y  a ,  pour  parler  ainsi ,  qu'un 
médiateur  de  rédemption  :  mais  on  est  certain  de 
ne  point  déroger  à  ses  droits  ,  quand  on  recon- 
noît  avec  l'Ecriture ,  outre  cet  unique  médiateur 
de  rédemption  qui  est  Jésus-Christ, d'autres  média- 
teurs d'intercession  ;  et  Marie  entre  ceux-ci  ne  doit- 
elle  pas  avoir  la  première  place?  On  sait  que  Jé- 
sus-Christ seul  a  racheté  le  monde  par  son  sang , 
mais  on  ne  peut  ignorer  que  ce  sang  qu'il  a  ré- 
pandu ,  a  été  formé  de  la  substance  même  de  Marie , 


3oO  SUR  LA    DÉVOTION 

et  par  conséquent  que  Marie  a  fourni,  a  offert,  a 
livré  pour  nous  le  sang  qui  nous  a  servi  de  rançon. 
Car  c'est  sur  quoi  toute  l'Eglise  s'est  fondée  pour 
la  qualifier  de  médiatrice  et  de  réparatrice  des 
hommes.  Ce  seroit  donc  encore  par  là  u  le  indis- 
crétion (je  devrois  peut-être  user  d'un  terme  plus 
propre  et  plus  fort)  ,  ce  seroit,  dis-je,  une  indis- 
crétion ,  de  lui  refuser  ces  titres  glorieux  et  si  soli- 
dement établis.  Mais  sans  raisonner  davantage,  il 
me  suffit,  reprend  saint  Bernard,  que  l'Eglise  m'ait 
appris  à  honorer  de  cette  manière  la  mère  de  Dieu  : 
car  ce  que  m'enseigne  l'Eglise  ,  ajoutait  ce  saint 
docteur,  c'est  à  quoi  je  m'attache  inviolablement , 
et  de  quoi  je  ne  me  départirai  jamais.  Tout  ce 
qu'elle  croit,  je  le  crois;  et  tout  ce  qu'elle  pra- 
tique ,  je  le  veux  pratiquer  :  en  le  croyant  ,  en  le 
pratiquant  sans  distinction  et  sans  restriction ,  je 
me  tiens  en  assurance,  puisqu'elle  est  l'oracle  que 
je  dois  écouter  sur  tout,  et  le  guide  infaillible  que 
je  dois  suivre  :  Quod  ab  illd  accepi ,  securus 
teneo. 

Or,  selon  cette  règle  ,  mes  chers  auditeurs  ,  nous 
ne  craignons  point  d'être  des  dévots  indiscrets  de 
Marie  ,  quand  nous  l'appelons  notre  médiatrice  et 
notre  réparatrice  ;  quand  nous  disons  qu'elle  est 
pour  nous  une  source  de  vie ,  qu'elle  est  dans  cette 
terre  d'exil  notre  consolation  ,  qu'elle  est  au  milieu 
de  tous  les  dangers  notre  espérance  :  pourquoi  ? 
parce  que  jusqu'à  la  fin  des  siècles ,  malgré  le  cha- 
grin de  l'hérésie  ,  l'Eglise  la  réclamera  et  la  saluera 
sous  toutes  ces  qualités  :  Vila ,  dulcedo  ,  et  spes 


A    LA    VIERGE.  3ot 

nostra,  salve.  Notre  vie,  comment?  après  Dieu 
et  après  Jésus-Christ  ;  notre  consolation ,  comment  ? 
après  Dieu  et  après  Jésus-Christ  ;  notre  espérance 
comment  ?  après  Dieu  et  après  Jésus-Christ.  Peut- 
on  ,  sans  indiscrétion  et  même  sans  malignité ,  nous 
soupçonner  ,  ou  plutôt  soupçonner  l'Eglise  de  l'en- 
tendre dans  un  autre  sens  ?  Et  parce  qu'il  est  évident 
et  incontestable  que  c'est  là  le  sens  de  l'Eglise,  et 
que  nous  n'en  avons  point  d'autre,  malgré  la  fausse 
délicatesse  des  censeurs  de  notre  dévotion  envers 
la  mère  de  Dieu  ,  nous  ne  faisons  point  difficulté 
de  l'appeler  absolument  notre  vie ,  absolument 
notre  consolation  ,  absolument  notre  espérance  : 
Vita ,  dulcedo ,  et  spes  nostra.  Oui ,  c'est  ainsi 
que  nous  le  chantons  avec  l'Eglise  ,  et  qu'on  le 
chantera  jusqu'à  la  dernière  consommation  des 
temps.  Les  ennemis  de  Marie  passeront;  mais  l'E- 
glise leur  survivra  ,  l'Eglise  après  eux  subsistera  , 
et  touchée  des  mêmes  sentimens,  elle  dira  toujours, 
en  s'adressant  à  la  mère  de  son  Epoux  et  de  son 
Sauveur  :  Vita  ,  dulcedo ,  et  spes  nostra. 

Enfin,  on  a  traité  de  zèle  indiscret,  celui  que 
fait  paroître  le  peuple  chrétien  à  défendre  certains 
privilèges  de  Marie.  Privilèges  de  grâce  dans  son 
immaculée  conception,  privilèges  de  gloire  dans  sa 
triomphante  assomption  ;  bien  d'autres  dont  je 
n'entreprends  point  de  faire  ici  le  dénombrement, 
et  qu'on  s'est  aussi  contenté  de  nous  marquer  sous 
des  termes  généraux  ,  en  les  rejetant.  Mais  moi , 
voici  encore ,  et  sur  le  même  principe ,  comment 
je  raisonne  :  car ,  puisque  nous  reconnoissons  Marie 


3o2  SUR    LA   DÉVOTION 

pour  mère  de  Dieu  ,  de  tous  les  privilèges  propres 
à  rehausser  l'éclat  de  cette  maternité  divine ,  y  en 
a-t-il  un  seul  que  nous  ne  devions  être  disposés  à 
lui  accorder,  ou,  pour  mieux  dire  ,  y  en  a-t-il  un 
seul  que  Dieu  lui-même  ne  lui  ait  pas  accordé  ?  Si 
Dieu  ne  nous  les  a  pas  tous  également  révélés  ;  si 
nous  n'avons  pas  sur  tous  la  même  certitude,  et  si 
tous  ne  sont  pas  dans  le  christianisme  des  points 
de  foi,  n'est-ce  pas  assez  pour  les  attribuer  à  cette 
Vierge  que,  sans  préjudicier  aux  droits  de  Dieu  , 
ce  soient  des  privilèges  convenables  à  la  dignité  de 
mère  de  Dieu  ?  n'est-ce  pas  assez  que  ce  soient  des 
privilèges  reconnus  par  les  plus  savans  hommes  de 
l'Eglise ,  autorisés   par   la  créance  commune  des 
fidèles,  appuyés,  sinon  sur  des  preuves  évidentes 
et  des  démonstrations ,  au  moins  sur  les  plus  fortes 
conjectures  et  les  témoignages  les  plus  solides  et  les 
plus  irréprochables?  Or  tels  sont  les  privilèges  que 
nous  honorons  dans  Marie  ,  et  c'est  par  là  que  nous 
les  honorons  prudemment.  Un  esprit  raisonnable  et 
sage ,  surtout  un  esprit  bien  prévenu  à  l'égard  de 
Marie,  et  affectionné  à  son  culte  (car  voilà  le  point), 
un   esprit,  dis-je ,  guéri  de  certains  préjugés,  ou 
dégagé  de  certains  intérêts ,  dans  le  choix  de  deux 
partis ,  s'il  y  en  avoit  deux  à  prendre ,  ne  penchera- 
t-il  pas  toujours  vers  le  plus  favorable  à  la  sainte 
Mère  que  nous  révérons  ?  ne  le  préférera-t-il  pas , 
et  ne  l'embrassera-t-il  pas ,   quand  c'est  d'ailleurs 
le  mieux  établi  et  le  mieux  fondé?  Mais  que  devroit- 
on  penser  d'un  esprit  toujours  prêt  à  faire  naître 
des  doutes  sur  les  grandeurs  de  Marie ,  et  sur  ses 


A    LA    VIERGE.  3o3 

plus  illustres  prérogatives  ?  toujours  appliqué  à  ima- 
giner de  nouveaux  tours  pour  nous  les  rendre  sus- 
pectes ;  mettant  toute  son  étude  à  troubler  la  piété 
des  peuples,  et  par  tontes  ses  subtilités,  ne  cher- 
chant qu'à  la  resserrer  ,  qu'à  en  décréditer  les  plus 
anciennes  pratiques  ,  peut-être  qu'à  l'anéantir ,  au 
lieu  de  travailler  à  la  maintenir  et  à  l'étendre  ?  Ah  ! 
mon  Dieu  ,  falloit-il  donc  que  le  ministère  de  votre 
parole  fût  aujourd'hui  nécessaire  pour  défendre 
l'honneur  et  le  culte  que  le  monde  chrétien  est  en 
possession  de  rendre  à  la  plus  sainte  des  vierges  ? 
Après  que  les  premiers  hommes  de  notre  religion 
se  sont  épuisés  à  célébrer  les  grandeurs  de  Marie  ; 
après  qu'ils  ont  désespéré  de  trouver  des  termes 
proportionnés  à  la  sublimité  de  son  état;  après  qu'au 
nom  de  tous  saint  Augustin  a  confessé  son  insuffi- 
sance ,  et  protesté  hautement  qu'il  manquoit  d'ex- 
pressions pour  donner  à  la  mère  de  Dieu  les  louan- 
ges qui  lui  étoient  dues  ?  Quibus  te  laudibus 
efferam  nescio  ;  falloit-il  que  je  fusse  obligé  de 
combattre  les  fausses  réserves  de  ceux  qui  craignent 
de  la  louer  avec  excès,  et  qui  osent  se  plaindre 
qu'on  l'honore  trop  ?  Voilà  toutefois  un  des  désor- 
dres de  notre  siècle.  A  mesure  que  les  mœurs  se 
sont  perverties,  par  une  apparence  de  réforme,  on 
a  raffiné  sur  la  simplicité  du  culte.  A  mesure  que 
la  foi  est  devenue  tiède  et  languissante,  on  a  affecté 
de  la  faire  paroître  vive  et  ardente,  sur  je  ne  sais 
combien  d'articles  qui  n'ont  servi  qu'à  exciter  des 
disputes,  et  à  diviser  les  esprits  sans  les  édifier. 
Si  ces  prétendus  zélés  et  ces  censeurs  indiscrets  du 


3o4  SUR    LA  DÉVOTION 

culte  de  la  Vierge  avoient  été  appelés  au  conseil  , 
et  qu'on  eût  pris  leur  avis ,  jamais  ils  n'auroient 
consenti  à  cette  multiplicité  de  fêtes  instituées  en 
son  honneur.  Ce  nombre  infini  de  temples  et  d'au- 
tels consacrés  à  Dieu  sous  son  nom ,  n'eût  pas  été 
de  leur  goût.  Tant  de  pratiques  établies  par  l'Eglise 
pour  entretenir  notre  piété  envers  la  mère  de  Dieu, 
les  auroient  choqués  ;  et  pour  peu  qu'on  les  écoutât, 
ils  concluroient  à  les  abolir.  Il  n'a  pas  tenu  à  eux, 
et  il  n'y  tiendroit  pas  encore  ,  que  sous  le  vain 
prétexte  de  ce  culte  judicieux ,  mais  judicieux  selon 
leur  sens ,  qu'ils  voudroient  introduire  dans  le  chris- 
tianisme ,  la  religion  ne  fût  réduite  à  une  sèche 
spéculation  ,  qui  bientôt  dégénéreroit ,  et  qui,  de 
nos  jours,  en  effet,  ne  dégénère  que  trop  visible- 
ment dans  une  véritable  indévotion.  Mais  malgré 
toutes  les  entreprises  que  l'hérésie,  depuis  tant  de 
siècles ,  a  formées  contre  vous ,  Yierge  sainte , 
votre  culte  a  subsisté,  et  il  subsistera;  jamais  les 
portes  de  l'enfer  ne  prévaudront  contre  le  zèle  des 
vrais  chrétiens ,  et  contre  leur  fidélité  à  vous  rendre 
les  justes  hommages  qui  vous  appartiennent.  De 
quelque  artifice  qu'on  use,  et  quelque  effort  qu'on 
fasse  pour  arracher  de  leurs  cœurs  les  sentimens 
tendres  et  respectueux  qui  les  lient  étroitement  à 
vos  intérêts  ,  ils  les  conserveront ,  ils  les  publieront, 
ils  en  feront  gloire.  Leur  piété  l'emportera,  et  rien 
ne  sera  capable  de  les  séduire  et  de  les  ébranler. 
Vous  êtes,  ô  sainte  mère  de  Dieu  !  vous  êtes  recueil 
contre  lequel  ont  échoué  toutes  les  erreurs  ,  et  vous 
le  serez  toujours.  Vous  seule  avez  triomphé  de  toute» 


A     LA    VIERGE.  3o5 

les  hérésies  :  à  peine  s'en  est-il  formé  une  dans  le 
christianisme,  qui  ne  vous  ait  attaquée  ,  et  il  n'y  en 
a  point  que  vous  n'ayez  confondue  :  Cunctas  hœ- 
reses  sola  interemisti  in  universo  mundo.  La 
victoire  que  vous  remporterez,  et  que  vous  rem- 
portez déjà  sur  les  téméraires  censeurs  de  votre 
culte ,  achèvera  votre  triomphe  :  s'il  y  faut  contribuer 
par  nos  soins ,  nous  n'y  épargnerons  rien  ;  s'il  fautpar- 
ler, nous  parlerons;  dansla  chaire  de  vérité,  nous  élè- 
verons la  voix,  nous  nous  ferons  entendre  ;  et ,  après 
avoir  appris  au  peuple  chrétien  à  vous  honorer  judi- 
cieusement, nous  lui  apprendrons  à  vous  invoquer 
efficacement:  c'est  le  sujet  de  la  seconde  partie. 

DEUXIÈME    PARTIE. 

Que  nous  puissions  invoquer  Marie ,  et  qu'elle 
soit  pour  nous  dans  nos  besoins  une  protectrice 
toute  puissante  et  toute  miséricordieuse,  c'est  une 
vérité ,  chrétiens ,  sur  laquelle  nous  ne  pouvons 
former  le  moindre  doute  ,  si  nous  sommes  de  fidèles 
enfans  de  l'Eglise  ,  et  si  nous  sommes  bien  instruits 
des  principes  de  notre  foi.  Car  puisque  l'Eglise  a 
défini  en  général,  que  nous  pouvons  invoquer  les 
saints  que  Dieu  a  retirés  de  cette  terre  d'exil  où 
nous  vivons ,  et  qu'il  a  placés  auprès  de  lui  dans 
son  royaume,  à  combien  plus  forte  raison  pouvons- 
nous  ,  dans  toutes  les  nécessités  de  cette  vie  ,  nous 
adresser  à  la  reine,  non-seulement  des  saints,  mais 
des  anges  bienheureux,  et  lui  présenter  nos  prières  ? 
Que  lui  manque-t-il  de  tout  ce  qui  peut  affermir 
notre  confiance  ?    Croirons -nous    qu'uniquement 

TOME    XI.  20 


5o6  SUR   LA  DÉVOTION 

touchée  de  son  bonheur,  et  toute  occupée,  pour 
ainsi  dire  ,  de  sa  propre  gloire  ,  elle  soit  devenue 
insensible  à  nos  intérêts?  mais  n'est-elle  pas  toujours 
la  mère  de  miséricorde  ?  Nous  persuaderons-nous 
que  Dieu  ,  en  la  glorifiant ,  ait  tellement  borné  son 
pouvoir,  qu'elle  ne  soit  plus  en  état  de  nous  en 
faire  sentir  les  salutaires  effets  ?  mais  n'est-elle  pas 
toujours  lanière  de  ce  Dieu  sauveur  qu'elle  a  donné 
au  monde  et  qui  lui  fut  si  soumis  ?  est-ce  en  re- 
cevante récompense  de  ses  mérites  qu'elle  a  perdu 
ses  plus  beaux  droits  ;  et  si  ce  Fils  adorable  qu'elle 
porta  dans  son  sein ,  a  fait  pour  elle  des  miracles 
sur  la  terre  ,  que  lui  refusera-t-il  dans  le  ciel  ?  C'est 
ainsi  que  les  Pères  ont  raisonné  ,  et  c'est  là-dessus 
qu'ils  se  sont  fondés  pour  nous  exhorter  dans  des 
termes  si  énergiques  et  si  forts ,  à  réclamer  sans 
cesse  la  mère  de  Dieu.  Que  ne  puis-je  les  faire  tous 
ici  parler,  ou  plutôt,  que  ne  puis-je  rapporter  ici 
dans  un  recueil  abrégé,  tout  ce  qu'ils  ont  dit  de 
l'invocation  de  Marie  et  des  avantages  qui  y  sont 
attachés  !  que  ne  puis-je  vous  faire  entendre  ces 
grands  maîtres ,  et ,  selon  l'expression  de  saint  Paul, 
vous  convaincre  par  cette  nuée  de  témoins  !  Car 
quand  nous  n'aurions  point  d'autres  preuves,  en 
faudroit-il  davantage ,  et  ne  seroit-ce  pas  une  té- 
mérité, que  dis-je  ?  ne  seroit-ce  pas  l'obstination  la 
plus  outrée  ,  que  de  vouloir  tenir  contre  l'autorité 
de  tout  ce  qu'il  y  a  eu  depuis  tant  de  siècles  d'oracles 
et  de  docteurs  dans  l'Eglise  de  Jésus-Christ  ? 

Je  vais  plus  loin,  et  je  ne  dis  pas  seulement  que 
nous  pouvons  invoquer  Marie  ,  mais  j'ajoute  que 
3ious  le  devons  :  et  pourquoi  ?  pour  nous  confor- 


A    LA    VIERGE  3oy 

mer  à  l'Eglise  ,  pournous  attirer  la  grâce  ,  pour 
nous  procurer  contre  les  dangers  du  monde  ,  un 
secours  puissant  et  un  ferme  soutien  ,  pour  assurer 
notre  salut.  En  effet,  chrétiens  ,  si  nous  sommes 
obligés  de  croire  ce  que  croit  l'Eglise  ,  comme  la 
règle  de  notre  foi ,  ne  sommes-nous   pas  obligés 
de  faire  ce  que  fait  l'Eglise  ,  comme  la  règle  de 
nos  mœurs  ?  Or,  combien  de  prières  solennelles 
l'Eglise,  tous  les  jours,  adresse-t-elle  à  la  mère 
de  Dieu ,  pour  implorer  son  assistance  ;  et  n'est-ce 
pas  une  espèce  d'infidélité  de  ne  pratiquer  pas  ce 
qu'elle  pratique  avec  tant  de  soin, et  de  ne  deman- 
der pas  ce  qu'elle  demande ,  ni  à  qui ,  ou  plutôt , 
par  qui  elle  le  demande?  Si  la  grâce  nous  est  né- 
cessaire ,  et  si  nous  ne  pouvons  surtout  ignorer 
combien  il  nous  est  important  d'avoir   certaines 
grâces  particulières  et  en  certaines  conjonctures, 
nous  est-il  permis  de   négliger  un  des   plus  sûrs 
moyens  de  les  obtenir  ?  Or  ce  moyen  ,  c'est  l'in- 
tercession de  Marie  ;  et  mille  fois  ne  vous  a-t-on 
pas  avertis  que  c'est  par  elle  que  Dieu  dispense  ses 
dons ,  et  par  les  mains  de  cette  Vierge  qu'il  les  fait 
passer  en  nous  les  communiquant?  Si  nous  sentons 
notre  foiblesse  ,  et  si  nous  gémissons  de  nous  voie 
exposés  à  tant  de  périls,  dans  l'obligation  où  nous 
sommes  d'ailleurs  de  nous  conserver  ,  ne  devons- 
nous  pas  pour  cela  mettre  tout  en  œuvre?  Or,  de 
tout  ce  que  nous  pouvons  mettre  en  œuvre  ,  rien 
de  plus  efficace ,  de  plus  présent ,  que  la  média- 
tion de  Marie  ;  et  puisque  tant  d'autres  qui  l'ont 
éprouvé, nous  en  instruisent,  n'est-ce  pas  consentir 


3o8  SUR    LA  DÉVOTION 

à  notre  perte  ,  que  de  ne  vouloir  pas  nous  servir 
d'une  telle  défense  ?  Enfin  ,  si  le  salut  est  notre 
affaire  ,  et  par  ses  conséquences  infinies  ,  notre 
grande  aflaire ,  notre  essentielle  affaire ,  notre  uni- 
que affaire ,  nous  peut-il  être  pardonnable  de  n'y 
pas  employer  tout  ce  que  la  religion  nous  fournit 
de  plus  propre  à  en  garantir  le  succès  ?  Or  ,  la 
coadjutrice  de  Dieu,  dans  l'accomplissement  de  ce 
salut ,  c'est  Marie  ;  et  comme  ce  salut  a  commencé 
par  elle  et  par  son  consentement  à  la  parole  de 
Dieu,  c'est  par  elle  et  par  sa  coopération  qu'il  doit 
être  consommé.  D'où  il  s'ensuit  que  nous  ne  pou- 
vons donc  trop  ,  dans  cette  vie  mortelle  ,  la  solli- 
citer ,  la  presser  ,  l'intéresser  en  notre  faveur  par 
nos  supplications  et  par  nos  vœux.  Avançons. 

On  peut  invoquer  Marie,  on  doit  invoquer  Ma- 
rie :  vérités  incontestables  ,  mais  le  point  est  de 
l'invoquer  efficacement ,  c'est-à-dire,  de  l'invoquer 
de  telle  sorte  qu'elle  puisse  agréer  nos  prières  , 
qu'elle  puisse  les  trouver  dignes  d'elle  et  y  prendre 
part.  Car  selon  l'oracle  de  Jésus-Christ,  tous  ceux 
qui  disent  à  Dieu  :  Seigneur  ,  Seigneur  ,  ne  seront 
pas  écoutés  pour  cela  de  Dieu  ,  ni  n'entreront  pas 
dans  le  royaume  de  Dieu  :  et  suivant  la  même 
règle  ,  j'ajoute  que  ,de  ceux  qui  se  mettent,  ou  qui 
prétendent  se  mettre  sous  la  protection  de  la  mère 
de  Dieu  ,  plusieurs  l'invoquent  en  vain  :  pourquoi  ? 
parce  qu'ils  ne  le  font  pas  dans  un  esprit  chrétien  , 
ni  avec  les  sentimens  convenables  pour  l'engager 
dans  leurs  intérêts ,  et  pour  la  toucher.  11  y  a  donc 
ici  deux  éctieils  à  craindre  ,  et  deux  extrémités  à 


A    LA  VIERGE.  3o$ 

éviter  ;  et  comme  la  vertu  tient  le  milieu  entre  deux 
vices  opposés ,  la  vérité  se  trouve  toujours  entre 
deux  erreurs  contraires.   Je  veux  dire  ,  que  les  uns 
comptent  trop  sur  la  protection  de  Marie  ;  mais 
que  les  autres  aussi  ne  connoissent  point  assez  ,  ou 
semblent  ne  point  assez  connoître   tout  le  fonds 
qu'on  y  doit  faire  ;  que  les  uns  ,  selon  leurs  désirs 
et  le  gré  de  leurs  passions, lui  donnent  trop  d'éten- 
due ,  et  c'est  l'erreur  des  chrétiens  présomptueux; 
mais  que  les  autres  aussi,  selon  leurs  fausses  maxi- 
mes, la  resserrent  dans  des  bornes  trop  étroites, et 
c'est  l'erreur  de  nos  réformateurs  ,  je  dis  de  ceux 
à  qui  je  parle  dans  ce  discours  ,  et  qui  ,  par  une 
autre  prudence  que  celle  de  l'évangile  ,  se  sont  in- 
gérés à  nous  donner  des  avis  dont  le  peuple  fidèle 
n'a  pu  tirer  qu'un  scandale  à  quoi  je  me  sens  obli- 
gé ,  par  le  devoir  de   mon  ministère  ,  d'opposer 
toute  la  force  de  la  divine  parole.  Appliquez-vous , 
s'il  vous  plaît. 

Car  pour  combattre  d'abord  ce  que  j'ai  marqué 
comme  la  première  erreur  ,  il  faut  convenir  ,  chré- 
tiens ,  que  nous  portons  quelquefois  trop  loin  notre 
confiance ,  et  que  nous  faisons  à  Marie  des  prières 
qu'elle  ne  peut  écouter  :  comment  cela  ?  parce  que 
ce  sont  des  prières  injurieuses  à  Dieu,  parce  que  ce 
sont  des  prières  indignes  de  la  mère  de  Dieu  ,  parce 
que  ce  sont  des  prières  pernicieuses  pour  nous- 
mêmes.  Prières  injurieuses  à  Dieu  :  pourquoi  ? 
c'est  qu'elles  sont  directement  opposées  à  l'ordre 
de  sa  providence  ,  et  qu'elles  vont  à  renverser  toute 
l'économie  de  notre  salut.  En  effet,  tel  est  l'ordre 


3iO  SUR    LA    DÉVOTION 

de  la  Providence,  que  le  salut  dépende  première- 
ment de  Dieu  ,  et  ensuite  de  nous-mêmes  ;  qu'aidés 
de  la  grâce  de  Dieu  ,  nous    y  travaillions    nous- 
mêmes;  que  nous  obtenions  cette  grâce  par  la  mère 
de  Dieu  ,  mais  pour  la  faire  valoir  par  nos  soins  , 
mais  pour  la  rendre  féconde  par  nos  œuvres  ,  mais 
pour  la   conserver  par   notre  vigilance  :  voilà  le 
plan  que  Dieu  s'est  tracé  ,  et  qu'il  nous  a  proposé. 
Et  nous,  sans  égard  aux  vues  de  Dieu  et  nous  pro- 
mettant tout  de  la  mère  de  Dieu  ,  nous  nous  en 
formons  un  autre   selon   nos  idées   particulières  , 
c'est-à-dire,  selon  notre  sens  réprouvé  et  nos  in- 
clinations corrompues.  Car  si  nous  prétendons  que 
sons  la  protection  de  Marie  ,  le  salut  ne  nous  coû- 
tera plus  rien  ;  qu'après  avoir  satisfait  à  certaines 
pratiques  d'une  fausse  piété  envers  Marie  ,  nous 
pourrons  devant  Dieu  nous  tenir  quittes  de  tout  le 
reste  ;  que,  revêtus  des  livrées  de  Marie,  nous  se- 
rons à  couvert  de  tous  les  dangers  du  monde  ,  à 
couvert  de  toutes  les  tentations  de  la  vie,  à  couvert 
de  toutes  les  surprises  de  la  mort,  à  couvert  de 
tous  les  arrêts  de  la  justice  divine  et  de  tous  les 
foudres  du  ciel  ;  et  qu'ainsi  nous  n'aurons  rien  à 
craindre  ,  en  nous  exposant  aux  occasions  ,  en  de- 
meurant dans  nos  habitudes  ,  en  vivant  dans  l'état 
du  péché  ,  en  remettant  notre  pénitence    :    ah  ! 
chrétiens,  si  c'est  de  la  sorte  que  nous  l'entendons, 
ce  n'est  pas  de  la  sorte  que  Dieu  l'entend  ;  ni  jamais 
ce  ne  sera  de  la  sorte  qu'il  l'entendra.  Autrement 
il  se  démentiroit  bien  lui-même  :  et  quel  lieu  au- 
ricz-vous  d'espérer,  surtout  en  de  pareilles  dispo- 


A  LA    VIERGE.  3l  L 

sitions,  qu'il  changeât  pour  vous  les  immuables 
décrets  de  sa  sagesse  éternelle  ?  Prières  indignes 
dé  la  mère  de  Dieu ,  puisque  c'est  attendre  d'elle 
qu'elle  nous  autorise  contre  Dieu  même  ,  qu'elle 
nous  rassure  contre  la  crainte  de  ses  jugemens  Jus- 
qu'à ne  nous  plus  mettre  en  peine  de  les  prévenir  ; 
qu'elle  nous  serve  de  prétexte  pour  persévérer  dans 
nos  désordres  ,  et  pour  mourir  dans  l'impénitence. 
Et  de  là  enfin  ,  prières  qui ,  bien  loin  de  nous 
sanctifier,  ne  peuvent  servir  qu'à  nous  corrompre  ; 
qui,  bien  loin  de  nous  approcher  de  Dieu,  ne  peu- 
vent servir  qu'à  nous  en  éloigner  saus  retour;  qui, 
bien  loin  de  nous  sauver,  ne  peuvent  servir  qu'à 
nous  perdre  ;  par  conséquent ,  prières  infiniment 
pernicieuses  pour  nous-mêmes.  Or  ,  de  penser  que 
de  telles  prières  fussent  assez  efficaces  pour  toucher 
le  cœur  de  la  plus  sainte  de  toutes  les  vierges ,  de 
la  plus  fidèle  à  la  loi  de  Dieu ,  de  la  plus  soumise 
aux  desseins  et  aux  volontés  de  Dieu ,  de  la  plus 
zélée  pour  la  gloire  de  Dieu  et  pour  la  sanctifica- 
tion du  peuple  de  Dieu  ,  ne  seroit-ce  pas  la  plus 
sensible  et  la  plus  évidente  contradiction  ? 

Vous  me  direz  qu'il  faut  donc  conclure  de  là 
qu'un  pécheur ,  dans  l'état  de  son  péché ,  ne  peut 
invoquer  efficacement  la  mère  de  Dieu;  que  n'ayant 
pas  alors  l'amour  de  Dieu,  que  vivant  actuellement 
sans  pénitence ,  il  a  beau  ,  du  reste ,  se  confier  en 
Marie  et  la  prier  ;  tous  ses  vœux  sont  inutiles ,  et 
que  toute  sa  dévotion  envers  la  Vierge  ne  le  sau- 
vera pas  :  autre  erreur  dont  nous  avons  à  nous 
préserver  ;  mais  qui  ,  déguisée  sous  des  termes 


QI2  SUR    LA    DÉVOTION 

captieux  et  pleins  d'artifice ,  proposée  sous  la  forme 
trompeuse  d'avertissemens  utiles  et  clire'tiens  ,  ca- 
chée sous  un  air  de  vérité  qui  en  impose  et  qui 
empêche  d'en  voir  le  danger  ,  demande  toute  la 
précision  nécessaire  pour  la  découvrir.  Pùen  de 
plus  spécieux  que  les  propositions  qu'on  nous  fait: 
propositions  équivoques  ,  vraies  dans  un  sens  , 
fausses  dans  l'autre ,  toujours  dangereuses  ,  parce 
qu'elles  ne  tendent  qu'à  détruire  toute  notre  con- 
iiance  en  cette  mère  de  miséricorde ,  qui  doit  être 
l'asile  des  pécheurs.  On  nous  dit  qu'il  ne  faut  pas 
jeter  les  simples  dans  l'illusion, en  leur  faisant  plus 
espérer  de  Marie  qu'il  ne  convient;  je  l'avoue  : 
mais  je  dis  aussi  qu'il  ne  faut  pas  jeter  les  simples 
dans  l'illusion  ,  en  ruinant  toute  leur  espérance  ; 
et  pour  donner  plus  de  jour  à  ma  pensée,  et  vous 
faire  prendre  là-dessus  le  point  juste  à  quoi  tout 
fidèle  doit  s'en  tenir  ,  je  m'explique ,  mes  chers 
auditeurs  ,  et  je  vous  prie  de  me  suivre. 

Il  est  vrai,  dire  à  un  pécheur  que  sans  pénitence 
et  par  la  seule  intercession  de  Marie  ,  il  peut  être 
réconcilié  et  sauvé,  c'est  le  jeter  dans  l'illusion  et 
dans  la  plus  grossière  de  toutes  les  illusions  :  car 
sans  la  pénitence  ,  il  n'y  a  ni  justification  ni  salut. 
Mais  aussi  lui  faire  entendre  que  s'il  ne  renonce 
actuellement  à  son  péché  ;  que  s'il  n'est  actuelle- 
ment dans  la  résolution  de  rompre  ses  engagemens 
criminels  ;  que  s'il  n'est  actuellement  touché  d'un 
sentiment  de  pénitence  ,  il  ne  lui  sert  à  rien  d'in- 
voquer Marie ,  et  que  sa  confiance  ne  lui  peut  être 
de  nul  avantage  ;  c'est  le  séduire  et  le  tromper  ; 


A   LA   VIERGE.  3i3 

car  sans  être  encore  pénitent  ,  ne  peut-il  pas ,  par 
l'intercession  de    la  mère   de  Dieu  ,  le  devenir  ? 
Sans  avoir  encore  le  courage  de  s'arracher  au  monde 
et  à  ses  honteux  attachemens  ,  ne  peut-il  pas,  par 
l'intercession  de  la  mère  de  Dieu  ,  le  demander  et 
l'obtenir  ?  Sans  être  encore  assez  vivement  touché 
de  Dieu,  sentant  la  foiblesse  de  son  cœur,  et  se 
défiant  de  lui-même  ,  ne  peut-il  pas  ,  par  l'inter- 
cession de  Marie  ,  engager  Dieu  à  lui  accorder  une 
grâce  qui  le  touche ,  une  grâce  qui  l'éclairé  et  le 
fortifie  ?  Ne  peut-il  pas  ,  du   fond  de   l'abîme  où 
il  est  plongé  ,  lever  les  mains  vers  cette  Vierge  ,  et 
s'écrier  en  l'appelant  à  son  secours  :  Reine  du  ciel 
et  toute   puissante   médiatrice   des   hommes  ,   ne 
m'abandonnez  pas ,  moi  pécheur ,  moi  aveugle  et 
endurci ,  moi  foible  et  affaissé  sous  le  poids  de 
mes  iniquités  ,  incapable  par  moi-même  de  me  re- 
lever ,  et  n'ayant  point  d'autre  avocate  que  vous 
pour  prendre  mes  intérêts  auprès  de  mon  juge  ,  et 
pour  le  porter  à  me  rendre  les  forces  que  j'ai  per- 
dues et  qui  me  manquent  :  Ora  pro  nobis  pecca- 
îoribus  ?  Ne  peut-il  pas ,  dis-je  ,  l'invoquer  de  la 
sorte,  et  pouvons-nous  croire  qu'elle  soit  insensible 
à  ses  gémissemens,  et  qu'elle  ne  s'emploie  pas  à 
lui  ménager  la  grâce  de  sa  conversion  ? 

Il  est  vrai  ,  dije  à  un  pécheur  que  sans  amour 
pour  Dieu  ,  par  la  seule  médiation  de  Marie  ,  il 
peut  parvenir  à  l'héritage  de  Dieu  ,  ce  seroit ,  non 
plus  seulement  une  illusion ,  mais  une  impiété.  Car, 
sans  la  charité  de  Dieu  ,  l'on  ne  peut  être  ami  de 
Dieu  ;  et  Dieu  ne  recevra  jamais  au  nombre  de  ses 


3l4  S^R   LA    DÉVOTION 

élus  et  dans  son  royaume ,  que  ses  amis.  Mais  aussi , 
faire  entendre  à  ce  pécheur  que  n'ayant  pas  actuel- 
lement l'amour  de  Dieu,  il  ne  peut  rien  prétendre 
de  Marie  ,  et  qu'inutilement  il  s'efïbrce  de  se  la 
rendre  propice  ,  c'est  abuser  de  sa  crédulité ,  et 
lui  ôter  ,  dans  son  malheur ,  une  des  plus  certaines 
et  des  plus  solides  ressources.  Car  cet  amour  de 
Dieu  qu'il  n'a  pas  ,  ne  peut-il  plus  l'avoir  dans  la 
suite  ;  et ,  pour  l'avoir ,  ne  peut-il  plus ,  selon  le 
langage  de  l'Ecriture  ,  recourir  à  la  mère  du  bel 
amour  ,  Ego  Mater  pulchrœ  dilectionis  (  i  )  ? 
Comme  sans  un  amour  actuel  de  Dieu  ,  il  peut 
néanmoins  croire  en  Dieu  ,  et  de  cette  foi  passer 
à  l'espérance ,  pour  s'élever  enfin  à  la  charité  de 
Dieu,  ne  peut-il  pas,  sans  un  amour  actuel  de  Dieu, 
former  dans  son  cœur  un  sentiment  de  confiance 
en  Marie;  et  animé  de  ce  sentiment,  ne  peut-il  pas 
se  prosterner  devant  elle,  lui  exposer  sa  misère, 
et  par  là  réveiller  toute  la  tendresse  d'une  vierge 
déjà  si  favorablement  prévenue  pour  nous  ;  par  là 
trouver  accès  auprès  d'elle  ,  et  par  elle  se  mettre 
en  grûce  avec  Dieu  ,  et  recouvrer  le  don  précieux: 
de  l'amour  de  Dieu  ?  Et  il  ne  faut  point  m'opposer 
que  sans  l'amour  de  Dieu  l'on  ne  peut  être  prédes- 
tiné j  et  par  une  conséquence  qui  paroît  nécessaire, 
que  sans  l'amour  de  Dieu  l'on  ne  peut  se  promettre 
aucun  fruit  du  culte  et  de  l'invocation  de  la  mère 
de  Dieu.  Raisonnement  dont  il  ne  faut  qu'éclaircir 
l'ambiguïté ,  pour  en  faire  connoître  la  fausseté, 
et  j'ose  dire  ,  la  malignité.  Je  le  sais  :  sans  l'amour 

(x)  Eccli.  24. 


A  LA  VIERGE.  3  I  5 

de  Dieu ,  l'on  ne  peut  être  prédestiné  d'une  prédes- 
tination parfaite  et  consommée  ;  ou  ,  pour  m'ex- 
prïmer  encore  plus  clairement  ,  sans  l'amour  de 
Dieu  l'on  ne  peut  arriver  au  terme  de  la  prédesti- 
nation ,  qui  est  la  gloire  :  mais  avant  que  d'y  arri- 
ver ,  et  dans  le  temps  même  qu'on  est  pécheur  et 
sans  amour  de  Dieu,  on  peut  être  prédestiné  pour 
parvenir  un  jour  à  cette  gloire  :  comment  cela  ? 
parce  qu'on  peut  être  prédestiné  pour  sortir  de 
l'état  du  péché  ,  pour  rentrer  dans  les  voies  de  la 
justice  ,  pour  rallumer  dans  son  cœur  le  feu  de  la 
charité  ;  et  par  où  ?  par  les  moyens  que  Dieu  nous 
fournira.  Ainsi  Magdeleine  ,  au  milieu  même  de 
ses  désordres  ,  étoit  prédestinée  ;  ainsi  l'apôtre  des 
nations  ,  saint  Paul  ,  lors  même  qu'il  persécutoit 
l'Eglise  de  Dieu,  étoit  prédestiné;  ainsi  des  mil- 
lions de  libertins,  jusque  dans  leur  libertinage  même, 
ont  été  prédestinés.  Or  ,  ces  moyens  de  prédesti- 
nation ,  par  qui  pourrons-nous  plus  sûrement  et 
plus  infailliblement  les  obtenir  que  par  Marie  ? 

Disons-le  même  de  bien  d'autres  avis  par  ou 
l'on  a  prétendu  régler  notre  confiance  en  la  mère 
de  Dieu  ,  et  nous  précautionner  contre  des  abus 
imaginaires.  Je  dis  contre  des  abus  imaginaires.  Car 
quand  on  nous  avertit  de  ne  pas  croire  qu'il  ne 
soit  plus  au  pouvoir  de  Dieu  de  damner  un  pécheur 
dès  qu'il  porte  quelque  marque  d'une  dévotion  ex- 
térieure à  la  bienheureuse  Vierge  ;  de  ne  nous  pas 
persuader  qu'elle  ait  plus  de  bonté  ,  plus  de  zèle 
pour  nous  que  Jésus-Christ  même  ,  et  de  ne  pas 
plus  compter  sur  ses  prières  que  sur  les  mérites 


5l6  SUR   LA    DÉVOTION 

de  son  fils,  de  ne  penser  pas  que  sans  elle  on  ne 
puisse  approcher  de  Dieu  par  le  Sauveur  même 
des  hommes  ,  et  de  ne  la  point  mettre  en  parallèle 
ni  avec  Dieu  ,  ni  avec  Fhomme-Dieu  ;  de  ne  pas 
ôter  à  cet  homme-Dieu  la  miséricorde  pour  la  don- 
ner tonte  à  sa  mère,  et  de  ne  pas  préférer  le  culte 
de  cette  divine  mère  à  l'amour  de  Dieu  ,  et  à  la 
confiance  que  nous  devons  avoir  en  lui  :  quand  , 
dis-je  ,  on  s'arrête  vainement  à  nous  étaler  ces 
pompeuses  maximes,  n'est-ce  pas  attribuer  au  peu- 
ple chrétien  des  abus  que  l'on  imagine  ,  pour  dé- 
crier les  dévots  de  Marie  ?  n'est-ce  pas  sans  sujet 
vouloir  les  représenter  comme  des  esprits  outrés  , 
comme  des  esprits  frivoles  et  superstitieux  ?  Et  qui 
de  nous  eut  jamais  de  telles  idées  ?  qui  de  nous 
porta  jamais  les  choses  à  de  tels  excès  ;  et  pour 
user  d'une  expression  plus  forte ,  mais  plus  propre, 
à  de  telles  extravagances  ?  Ah  !  mes  frères  (  je  parle 
à  vous ,  ministres  des  autels  ;  à  vous  que  Dieu  a 
choisis  pour  être  les  conducteurs  et  comme  les  sau- 
veurs de  son  peuple)  ,  dans  un  siècle  où  la  corrup- 
tion est  si  générale ,  et  où  nous  voyons  tant  d'ames 
rachetées  du  sang  de  Jésus-Christ  ,  s'égarer  et  se 
pervertir  ,  ne  leur  fermons  pas  les  voies  du  retour 
du  salut  :  or  une  de  ces  voies  les  plus  assurées  y 
c'est  une  sincère  dévotion  envers  la  mère  de 
Dieu.  Disons  aux  fidèles  que  pour  invoquer  ellica- 
cement  Marie  ,  il  faut  l'invoquer  chrétiennement , 
c'est-à-dire  ,  l'invoquer  en  vue  de  pouvoir ,  par  son 
crédit  auprès  de  Dieu  ,  changer  de  vie  et  réformer 
leur  conduite  ,  abandonner  le  vice  et  réprimer  leurs 


A   LA    VIERGE.  3lJ 

passions,  vaincre  la  chair  et  résister  à  ses  attaques, 
se  préserver  des  pièges  du  démon  et  du  monde  , 
plus  dangereux  encore  mille  fois  pour  eux  que 
toutes  les  puissances  de  l'enfer ,  s'adonner  aux  exer- 
cices de  la  religion  et  en  soutenir  la  pratique ,  se 
sanctifier  et  mériter  l'éternité  bienheureuse.  Mais 
en  même  temps ,  disons-leur  qu'en  quelques  déré- 
glemens  qu'ils  aient  vécu  ,  que  quelque  pécheurs 
qu'ils  aient  été  ,  et  qu'ils  soient  même  à  présent , 
ils  peuvent  être  favorablement  écoutés  de  Marie, 
en  s'adressant  à  elle  avec  une  confiance  humble  et 
filiale  ;  que  bien  loin  de  les  rejeter  ,  elle  leur  tend 
les  bras ,  elle  leur  ouvre  son  sein ,  elle  les  invite  et 
leur  offre  son  secours.  Voilà  ce  que  nous  leur  de- 
vons dire,  et  ce  que  je  leur  dis  ,  Vierge  sainte,  de 
votre  part  et  en  votre  nom.  Vous  ne  m'en  désa- 
vouerez point,  et  vous  confirmerez  toutes  mes  pa- 
roles. Je  parle  dans  un  auditoire  chrétien  ;  mais 
dans  cet  auditoire,  tout  chrétien  qu'il  est,  combien 
y  a-t-il  d'ames  chancelantes  et  sur  le  point  d'une 
ruine  prochaine?  combien  d'ames  tièdes  et  languis- 
santes dans  le  service  de  Dieu  ,  et  dans  l'observation 
de  leurs  devoirs  ?  combien  d'ames  aveugles  et  trom- 
pées ,  qui  se  flattent  d'une  prétendue  innocence, 
et  qui  vivent  dans  l'état  d'une  fausse  conscience  ? 
combien  d'ames  criminelles  ,  ennemies  de  Dieu  , 
haïes  de  Dieu,  exposées  à  toutes  les  vengeances  de 
Dieu  ?  c'est  pour  ces  âmes  et  pour  moi-même  que 
je  vous  fais  entendre  ma  voix  et  que  je  pousse  des 
cris  vers  vous,  ou  plutôt,  c'est  à  vous  que  je  les 
envoie  ces  tièdes  et  ces  lâches,  ces  aveugles  et  ces 


3i8  SUR    LA   DÉVOTION 

ignorans ,  ces  mondains  et  ces  pécheurs.  Vous  les 
recevrez  ,  vous  les  ranimerez,  vous  les  éclairerez, 
vous  les  réconcilierez  ,  vous  ferez  agir  pour  eux 
tout  le  ciel ,  et  vous  agirez  vous-même.  Ainsi ,  chré- 
tiens ,  devons-nous  invoquer  efficacement  Marie  , 
l'imiter  enfin  religieusement  :  c'est  la  dernière 
partie. 

TROISIÈME    PARTIE. 

C'est  une  belle  pensée  de  saint  Augustin,  lorsque, 
parlant  des  martyrs  et  des  honneurs  que  nous  leur 
rendons,  il  nous  avertit  de  célébrer  tellement  leurs 
fêtes  ,  que  nous  travaillions  au  même  temps  à  imiter 
leur  constance.  Car,  dit  ce  grand  docteur,  les  saints 
ne  sont  bien  honorés  sur  la  terre  que  par  ceux  qui 
s'efforcent  de  suivre  leurs  exemples;  et  les  solennités 
qu'a  instituées  l'Eglise  en  mémoire  des  martyrs , 
doivent  être  pour  nous  comme  autant  d'exhortations 
au  martyre  :  Solemnitates  enirn  martyrwn  exîior- 
tationes  sunt  martyriorum.  Or,  chrétiens,  j'ap- 
plique ces  paroles  à  mon  sujet;  et  dans  ce  jour  où 
nous  célébrons  le  triomphe  de  Marie  et  sa  bien- 
heureuse assomption  au  ciel ,  je  prétends  que  nous 
ne  pouvons  mieux  renouveler  notre  dévotion  envers 
cette  mère  de  Dieu  ,  ni  la  rendre  plus  solide  ,  que 
par  une  fidèle  et  constante  imitation  de  ses  vertus. 
Sur  quoi  j'ai  deux  chosesà  vous  dire  :  premièrement , 
ce  que  nous  devons  imiter  dans  Marie;  et  secon- 
dement, pourquoi  nous  le  devons  imiter.  Ce  que 
nous  devons  imiter  ,  c'est  la  sainteté  de  sa  vie;  et 
voilà  le  modèle  que  nous  avons  à  nous  proposer  : 


A    LA    VIERGE,  3ig 

pourquoi  nous  le  devons  imiter ,  c'est  pour  avoir 
part  à  sa  gloire;  et  voilà  le  motif  qui  doit  nous  ani- 
mer. Ceci  suffiroit  pour  faire  la  matière  de  tout  un 
discours  :  j'abrège,  et  je  vous  demande  encore  un 
moment  de  votre  attention. 

Ce  que  nous  devons  imiter  dans  la  Vierge  que 
nous   honorons  et   que  nous   invoquons ,  c'est  la 
sainteté  de  sa  vie,  et  voilà  en  quoi  nous  pouvons 
nous  la  proposer  comme  notre   modèle.  Ce  n'est 
point  dans  les  grâces  singulières  et  extraordinaires 
qu'elle  a  reçues  du  ciel  :  dès  que  ce  sont  des  grâces 
extraordinaires  et  singulières  à  Marie ,  Dieu  n'a 
point  voulu  nous  les  communiquer ,  et  ce  seroit 
une  présomption  que  d'y  prétendre  ;  ce  n'est  point 
dans  l'éclatante  dignité  dont  elle  a  été  revêtue ,  ni 
dans  les  glorieux  privilèges  qui  lui  furent  accordés 
en  conséquence  du  choix  que  Dieu  fit  d'elle.  Ad- 
mirons toutes  ces  merveilles ,  reconnoissons-y   la 
souveraine   grandeur  du  Tout-puissant  qui  les  a 
opérées  ;  concevons  pour  le  digne  sujet  sur  qui  le 
Très-haut  jeta  les  yeux,  et  en  qui  il  exerça  toute 
sa  vertu,  les  sentimens  de  zèle,  de  respect,   de 
vénération  qui  lui  sont  dus;  mais  ce  ne  sont  point 
de  tels  miracles  qui  nous  doivent  servir  de  règles , 
puisque  Dieu  ne  les  a  point  mis  en  notre  pouvoir , 
et  qu'ils  sont  si  fort  au-dessus  de  nous.  En  quoi 
donc  ,  je  le  répète  ,  nous  devons  imiter  la  mère  de 
Dieu,  c'est  dans  la  sainteté  de  sa  vie;  c'est,  dis-je, 
dans  la  plénitude  de  sa  sainteté  ,  dans  la  perfection 
de  sa  sainteté ,  dans  la  persévérance  et  la  fermeté 
inviolable  de  sa  sainteté.  Onel  fonds  d'instruction 


320  SUR    LA   DÉVOTION 

pour  nous,  mes  chers  auditeurs,  et  quel  champ  a 

nos  réflexions  ? 

Je  dis  dans  la  plénitude  de  sa  sainteté.  Car  ,  selon 
que  l'a  remarqué  saint  Ambroise,  il  n'en  est  pas  de 
Marie  comme  de  certaines  âmes ,  en  qui  nous  voyons 
reluire  quelques  vertus,  à  quoi  elles  se  bornent, 
et  où  elles  font  consister  tout  leur  mérite.  Etudions 
la  vie  de  cette  mère  de  Dieu  ;  c'est  une  leçon  uni- 
verselle de  toute  vertu  et  pour  tout  état  :  Talis 
fuit  Maria ,  ut  ejus  unius  vit  a  omnium  sit  dis- 
ciplina ;  en  formant  notre  conduite  sur  la  sienne, 
nous  apprendrons  à  être  fidèles  à  Dieu  ,  à  être 
équitables  et  charitables  envers  le  prochain  ,  à  être 
détachés  de  nous-mêmes  et  attentifssur  nous-mêmes; 
vous  apprendrez,  jeunes  personnes,  ce  que  vous 
êtes  si  peu  en  peine  de  savoir,  et  ce  qu'il  vous  est 
néanmoins  si  important  de  ne  pas  ignorer ,  à  mettre 
en  sûreté  l'innocence  de  votre  ame ,  et  le  précieux 
et  inestimable  trésor  d'une  virginité  sans  tache;  à 
fuir  pour  cela  le  monde,  et  surtout  certaines  sociétés 
du  monde;  à  vous  tenir  dans  une  défiance  conti- 
nuelle de  votre  cœur,  et  à  ne  lui  permettre  pas  de 
s'échapper  jusque  dans  les  moindres  rencontres;  à 
réprimer  vos  sens  et  à  leur  interdire  toute  liberté, 
non  -  seulement  criminelle  ,  mais  dangereuse;  à 
garder  en  toutes  choses  la  retenue,  la  modestie,  la 
sagesse  qui  convient  à  votre  sexe,  et  qui  en  fait  le 
plus  bel  ornement.  Pères  et  mères  ,  vous  apprendrez 
à  régler  vos  familles,  et  à  y  maintenir  l'ordre  et  la 
piété;  à  élever  vos  enfans,  non  selon  vos  vues, 
mais  selon  les  vues  de  Dieu;  non  pour  vous-mêmes 


A    LA   VIERGE.  32  1 

et  pour  votre  consolation,  mais  pour  Dieu  et  pour 
la  gloire  de  Dieu  ;  à  les  lui  dévouer  et  à  lui  en  faire 
le  sacrifice.  Je  m'engage  insensiblement  dans  un 
détail  qui  me  conduirait  trop  loin  ;  et  sans  qu'il 
soit  nécessaire  que  je  descende  à  tant  de  points 
particuliers  ,  qui  ne  sait  pas  que  dans  la  prospérité 
ou  dans  l'adversité  ,  dans  la  grandeur  ou  dans  l'hu- 
miliation ,  soit  qu'il  faille  agir  ou  souffrir,  ordonner 
ou  obéir ,  prier  ou  vaquer  aux  affaires  même  hu- 
maines,  satisfaire  aux  devoirs  de  la  vie  civile  ou  à 
ceux  de  la  vie  chrétienne  et  dévote ,  aux  lois  de 
Dieu  ou  aux  lois  des  hommes  ,  en  quelque  conjonc- 
ture que  ce  puisse  être,  partout  Marie  se  présente 
à  nous  pour  nous  instruire  et  pour  nous  servir 
d'exemplaire  et  de  guide  ?  Talis fuit  Maria,  ut 
ejus  unius  vita  omnium  sic  disciplina. 

Je  dis  dans  la  perfection  de  sa  sainteté ,  de  cette 
sainteté  éminente  et  au-dessus  de  toute  autre  sain- 
teté que  celle  de  Dieu  :  car  voilà  où  sa  fidélité  à  la 
grâce  l'a  élevée.  Mais  ne  semble-t-il  pas  que  plus 
la  sainteté  de  Marie  a  été  sublime  et  parfaite , 
moins  nous  pouvons  l'imiter  ?  à  cela  je  réponds  que 
Jésus  -  Christ  veut  bien  que  nous  l'imitions  lui- 
même  tout  Dieu  qu'il  est  ,  et  comme  Dieu ,  infi- 
niment encore  plus  saint  que  Marie;  qu'il  veut  bien 
que  nous  imitions  son  père,  et  que  nous  soyons  par- 
faits comme  son  père  :  Estote  ergo  vos  perfecti , 
sicut  pater  vester  cœlestis  perfectus  est  (i). 
Il  est  vrai,  nous  n'avons  pas  été  prévenus  des 
mêmes  grâces  que  la  mère  de  Dieu  ,  et  par  consé- 

(i)  Matth.  5. 

TOME  XI.  21 


322  SUR   LA   DÉVOTION 

qnent  nous  ne  devons  pas  espérer  d'atteindre  jamais 
à  la  même  perfection  que  la  mère  de  Dieu.  Mais 
nous  pouvons  plus  ou  moins  en  approcher;  mais 
nous  pouvons,  en  nous  proposant  Marie  et  la  fer- 
veur de  sa  piété ,  nous  réveiller  de  cette  langueur 
qui  nous  rend  si  tièdes  et  si  négligens  dans  la  pra- 
tique des  devoirs  les  plus  ordinaires  de  la  religion  ; 
mais  nous  pouvons,  en  nous  proposant  Marie  et 
son  amour  pour  Dieu  ,  nous  reprocher  notre  indif- 
férence pour  un  maître  si  digne  de  tout  notre  zèle, 
et  rallumer  dans  nos  âmes  un  feu  tout  nouveau  ; 
mais  nous  pouvons,  en  nous  proposant  Maiie  et  le 
recueillement  de  son  cœur,  nous  confondre  de  ces 
dissipations  volontaires  et  si  fréquentes  dans  les  pins 
saints  exercices,  et  nous  former  à  l'usage^e  ^a 
prière  ;  mais  nous  pouvons ,  en  nous  proposant 
Marie  et  l'ardeur  de  son  courage ,  et  la  force  de  sa 
patience  ,  et  la  droiture  de  ses  vues ,  et  la  profondeur 
de  son  humilité ,  reconnoître  devant  Dieu  nos  fai- 
blesses, nos  délicatesses ,  la  vanité  de  nos  intentions, 
les  folles  complaisances  de  notre  orgueil ,  et  nous 
exciter  à  les  combattre  et  à  les  corriger.  Nous  ne 
monterons  pas  au  même  degré  qu'elle,  mais  suivant 
d'aussi  près  que  nous  le  pouvons  ses  vestiges,  nous 
tiendrons  après  elle  les  premiers  rangs. 

Enfin,  je  dis  dans  la  persévérance  et  la  fermeté 
invariable  de  sa  sainteté.  Ah  !  chrétiens,  en  célébrant 
aujourd'hui  la  fête  de  sa  bienheureuse  assomption  , 
nous  célébrons  pareillement  la  mémoire  de  sa  pré- 
cieuse mort  :  et  par  où  cette  mort  fut-elle  si  pré- 
cieuse devant  Dieu?  parce  qu'elle  avoit  été  précé- 


A     LA     VIERGE-  oïo 

dée  d'une  vie  toujours  sainte  ,  ou  plutôt  d'une  vie 
toujours  plus  sainte  d'un  jour  à  un  autre,  par  de 
continuels  et  de  nouveaux  accroissemens  démérites. 
Imitons  Marie  dans   tout  le  reste,    et  ne  l'imitons 
pas  dans  cette  persévérance;  tout  le  reste  ,  quelque 
grand,  quelque  héroïque  qu'il  soit,  ne  vous  peut 
être  de  nul  avantage  ,  puisque  dans  les  chrétiens  , 
ce  ne  sont  pas  tant  les  commencemens  que  Dieu 
couronne  ,   dit  saint  Jérôme ,  que  la   fin.  Tel  est 
donc ,  je  le  répète  ,  l'excellent  modèle  que  nous 
devons  avoir  sans  cesse  devant  les  yeux,  la  sainteté 
de  Marie  ,  cette   sainteté  pleine  et  entière  ,    cette 
sainteté  sublime  et  relevée,  cette  sainteté  durable 
et  constante  :  voilà  ce  que  nous  devons  étudier,  ce 
que  nous  devons  méditer,  ce  que  nous  devons  nous 
appliquer  ,  si  nous  voulons  être  solidement  dévoués 
à  cette  mère  de  Dieu.  Mais  voilà ,  mes  chers  audi- 
teurs ,  avouons-le  de  bonne  foi ,  voilà  le  point  essen- 
tiel où  notre  dévotion  se  dément  et  où  notre  zèle   se 
refroidit.  Nous  ne  manquons  pas  de  zèle  pour  publier 
les  grandeurs  de  Marie;  nous  ne  manquons  pas  de 
zèle  pour  défendre  ses  prérogatives  et  ses  privilèges, 
nous  ne  manquons  pas  même  de  zèle  pour  lui  ren- 
dre certains  honneurs  ,  et  pour  nous  acquitter  de 
certaines  pratiques  :  tout  cela  est  bon  et  louable  ,  et 
nous  y  sommes  assez  fidèles,  parce  que  tout  cela 
coûte  peu  ;  mais  imiter  cette  vierge  dans  son  invio- 
lable pureté,  et  dans  le  soin  qu'elle  eut  de  la  con- 
server; l'imiter  dans  son  éloignement  du   monde, 
dans  son  amour  pour  la  retraite  ,  dans  son  détache- 
ment d'elle-même  et  de  tous  les  biens  temporels  * 


324  SUR    LA   DÉVOTION 

dans  son  obéissance  aveugle  à  toutes  les  volontés 
de  Dieu  ,  dans  sa  générosité  à  tout  faire  et  à  tout 
souffrir  pour  Dieu ,  dans  la  mortification  de  ses 
sens  ,  dans  son  assiduité  à  la  prière  ,  en  tout  ce  qui 
l'a  sanctifiée,  c'est  ce  qui  effraie  la  nature  ,  parce 
que  c'est  ce  qui  la  combat  et  ce  qui  la  gêne.  Tou- 
tefois ne  nous  trompons  pas  ;  et  comme  nous  savons 
ce  qu'il  faut  imiter  dans  Marie,  apprenons  encore 
pourquoi  il  le  faut  imiter;  je  dis  que  c'est  pour  avoir 
part  à  la  gloire  dont  cette  reine  du  ciel  va  prendre 
possession  :  ceci  est  d'une  extrême  importance,  ne 
le  perdez  pas. 

Car  prenez  garde  ,  chrétiens  ,  Marie  est  aujour- 
d'hui portée  dans  le  sein  de  Dieu  pour  y  goûter  une 
éternelle  et  souveraine  béatitude  ;  mais  ce  suprême 
bonheur  n'est  point  pour  elle  comme  bien  d'autres 
dons  qu'elle  avoit  reçus  ,  une  pure  grâce  ;  c'est  une 
récompense  ;  et  selon   l'ordre  de  la  prédestination 
de  Dieu,  il  falloit  que  ce  fût  le  fruit  de  ses  mérites 
•et  de  sa  sainteté.  Tout  autre  titre  n'eût  point  suili 
pour  lui  donner  droit  à  ce  bienheureux  héritage; 
et  de  là  n'ai-je  pas  raison  de  conclure  que,  si  nous 
voulons  entrer  en  participation  de  sa  gloire,  nous 
devons  nous  y  disposer  par  une  fidèle  imitation  de 
sa  vie  ?  Oui ,  mes  chers  auditeurs ,  je  puis  bien  vous 
dire  ici ,  en  vous  montrant  la  mère  de  Dieu,  ce  que 
saint  Paul  disoit  aux  premiers  fidèles,  en  leur  pro- 
posant Jésus-Christ  même  :  Si   compatimur ,  et 
conglorificabimur  ;  Si  vous  agissez  comme  Marie , 
vous  serez  couronnés  comme  Marie;  si  vous  souffrez 
comme  elle ,  vous  serez  glorifiés  comme  elle  :  voilà 


A  LA   VIERGE.  No- 

tant à  la  fois  et  le  terme  où  vous  devez  aspirer ,  et 
la  route  par  où  vous  y  devez  arriver.  Ne  séparons 
jamais  ces  deux  choses  ,  puisque  c'est  en  les  sépa- 
rant que  nous  tombons,  ou  dans  une  présomption 
criminelle,  ou  dans  une  pusillanimité  lâche.  Pré- 
somption criminelle  si,  ne  considérant  que  le  triom- 
phe de  Marie  et  l'éclat  de  sa  gloire  ,  vous  prétendez 
y  parvenir  sans  marcher  par  la  même  voie  ,  et  sans 
user  des  mêmes  moyens  :  car  ne  seroit-il  pas  bien 
étonnant  que  Dieu  fut  plus  libéral  pour  vous  que 
pour  sa  mère  ;  et  que  ,  par  une  faveur  toute  gratuite  > 
il  vous  donnât,  sans  rien  exiger  de  vous  ,  ce  qu'il  a 
voulu  lui  vendre  et  ce  qu'elle  a  dû  acheter  si  cher  ? 
Pusillanimité  lâche  si ,  n'ayant  égard  qu'aux  diffi- 
cultés du  chemin  où  Marie  vous  a  précédés, vous 
désespérez  d'atteindre  au  terme  où  elle  est  parve- 
nue :  au  lieu  de  vous  animer  par  la  vue  du  terme, 
à  soutenir  toutes  les  difficultés  du  chemin,  et  à 
vaincre  tous  les  obstacles  qui  s'y  rencontrent.  Ayons 
donc  toujours  ces  deux  grands  objets  devant  les 
yeux ,  Marie  sur  la  terre ,  et  Marie  dans  le  ciel  :  si 
l'état  de  sa  vie  pénible  et  laborieuse  sur  la  terre 
étonne  notre  foiblesse  ,  l'état  de  sa  vie  glorieuse  dans 
le  ciel  nous  rassurera  et  nous  consolera. 

D'autant  plus  (  remarquez  bien  ce  que  je  dis  , 
c'est  avec  cette  pensée  que  je  vous  renvoie) ,  d'au- 
tant plus  que  l'état  de  cette  reine  triomphante  dans 
le  ciel ,  doit  spécialement  servir  à  nous  procurer 
les  plus  puissans  secours,  pour  imiter  l'état  de  sa 
vie  laborieuse  sur  la  terre.  Je  m'explique,  et  c'est 
là  que  j'en  reviens,  pour  votre  consolation  et  pour 


D2G  SUR    LA   DÉVOTION 

conclusion  de  ce  discours.  En  eiï'et,  chrétiens,  Ma- 
rie va  prendre  place  auprès  du  trône  de  Dieu,  et 
s'asseoir  elle-même  sur  le  trône  que  Dieu  lui  a  pré- 
paré :  pourquoi?  afin  que  de  là  elle  parle  et  agisse 
plus  efficacement  en  notre  faveur  ,  afin  que  de  là 
elle  fasse  couler  abondamment  sur  nous  les  trésors 
célestes,  afin  que  de  là  elle  se  rende  attentive  à 
nos  vœux ,  que  de  là  elle  pourvoie  à  tous  nos  be- 
soins, que  de  ce  trône  de  gloire  où  elle  domine, 
elle  fasse  pour  nous  un  trône  de  miséricorde  et  de 
grâce.  Voilà  ce  qui  a  rendu  la  dévotion  à  la  Vierge 
si  générale  et  si  commune  dans  tous  les  siècles  de 
l'Eglise;  voilà  ce  qui  lui  a  attiré  la  confiance  et  la 
vénération  de  tous  les  peuples  et  de  tous  les  Etats 
du  monde  ;  voilà  pourquoi  il  n'y  a  pas  une  ville  , 
pas  même  une  bourgade  dans  toute  la  chrétienté, 
où  l'on  ne  voie  de  sensibles  monumens  de  la  piété 
des  fidèles  envers  cette  mère  de  Dieu  ;  voilà  ce  qui 
a  porté  les  princes  et  les  monarques  à  mettre  leur 
sceptre  et  leur  couronne  sous  sa  protection ,  per- 
suadés qu'ils  ne  pouvoient  avoir  un  appui  plus  so- 
lide ni  plus  inébranlable  ,  que  dans  une  vierge  dont 
le  crédit  auprès  de  Dieu  ,  selon  l'expression  de  saint 
lîdefonse  ,'  tient  quelque  chose  de  l'empire  et  de 
l'autorité  ;  voilà  ce  qui  a  engagé  un  de  nos  rois  , 
Louis  XÏJI,  de  glorieuse  mémoire,  à  lui  consacrer 
et  sa  personne  et  son  royaume;  non  point  par  un 
vœu  secret,  seulement  formé  dans  son  cœur,  mais 
par  ie  vœu  le  plus  authentique  qu'ait  jamais  fait  un 
roi  chrétien  ,  puisqu'il  le  fit ,  aussi  bien  que  David, 
en  présence  de  tout  son   peuple  :  In  conspçctu 


A    LA    VIERGE.  Ctl'] 

omnis  popidi  ejus  (i);  puisqu'il  en  ordonna  la 
publication  dans  tous  les  lieux  de  son  obéissance  ; 
puisqu'il  y  intéressa  tous  ses  sujets,  et  qu'il  voulut 
que  le  souvenir  en  fût  éternel.  Voilà  l'origine  et  la 
fin  de  ces  saintes  et  solennelles  processions  qui  se 
font  aujourd'hui  par  toute  la  France,  et  qui  sont  au- 
tant de  témoignages  publics  par  où  nos  rois  pro- 
testent qu'ils  veulent  dépendre  de  Marie,  et  qu'ils 
la  reconnoissent pour  leur  souveraine.  Voulez-vous, 
mes  chers  auditeurs ,  que  je  vous  donne  une  pra- 
tique digne  de  votre  piété?  elle  est  aisée,  il  n'y  a 
point   de   prétexte  qui  vous   en  puisse  dispenser. 
Faites,  chacun  dans  votre  condition,  ce  que  fit  ce 
prince  très-chrétien  et  très-religieux  dont  nous  ac- 
complissons le  vœu.  \\  consacra  son  royaume  à  la 
reine  des  vierges,  consacrez-lui  vos  familles  et  vos 
maisons  ;  il  lui  dévoua  sa  personne  et  celle  de  ses 
peuples,  dévouez-lui  la  vôtre  et  celle  de  vos  en- 
fans.  Ce  n'est  pas  assez  :  mais  comme  ce  grand  mo- 
narque ,  par  une  conduite  solidement  pieuse ,  qui 
ne  lui  acquit  pas  moins  devant  Dieu  que  devant  les 
hommes  la  qualité  de  juste ,  voulut  que  son  dévoue- 
ment fût  public ,  ne  rougissons  point  de  faire  con- 
noître  le  nôtre  ;  confessons  librement  ce  que  nous 
sommes  ,  puisque  c'est  la  profession  de  ce  que  nous 
sommes  qui  nous  doit  sauver.  Ne  souffrons  pas  que 
les  libertins  du  siècle  soient  plus  hardis  à  railler  du 
culte  que  nous  rendons  à  la  mère  de  Dieu ,  que  nous 
à  le  défendre.  Si  nous  sommes  employés  au  soin  et 
à  la  direction  des  âmes ,  inspirons-leur  la  même  ar- 
(1)  Ps.  n5. 


3n8  SUR    LA    DEVOTION 

(leur  et  le  même  esprit.  Surtout ,  chrétiens,  souve- 
nez-vous de  cette  parole  de  saint  Anselme ,  que  , 
comme  toute  famille  solidement  et  saintement  dé- 
vouée à  la  glorieuse  Vierge,  ne  périt  point,  aussi 
ne  devons-nous  pas  compter  que  la  bénédiction  de 
Dieu  se  trouve  dans  une  famille  où  la  glorieuse 
Vierge  n'est  pas  honorée. 

C'est  dans  ce  sentiment ,  6  reine  toute  puissante  ! 
que  nous  nous  présentons  à  vous  :  et  quel  comble 
de  joie  pour  vos  zélés  serviteurs,  de  voir  en  ce 
jour  les  puissances  de  la  terre  humiliées  à  vos  pieds  ! 
Car  c'est  en  ce  jour  que  tous  les  grands  et  tous  les 
riches  du  peuple  implorent  votre  assistance ,  selon 
la  prophétie  de  David  :  Vullum  tuum  depreca- 
bimtur  omnes  divites  plebis  (i).  C'est  en  ce  jour, 
qu'à  l'exemple  de  nos  rois  ,  et  en  exécution  du  traité 
qu'ils  ont  fait  avec  vous,  on  voit  les  juges  ,  les  ma- 
gistrats ,  ceux  ferai  tiennent  parmi  nous  les  premières 
places  et  qui  occupent  les  premières  dignités,  pa^ 
roître  devant  vos  autels  et  vous  rendre  hommage. 
Mais  si  les  riches  du  peuple  vous  honorent  de  la 
sorte ,  que  ne  font  pas  les  pauvres  du  peuple ,  les 
simples  du  peuple,  les  petits  et  les  humbles  du 
peuple,  dont  la  foi  est  communément  plus  vive, 
et  la  dévotion  plus  ardente  et  plus  tendre?  Quoi 
qu  il  en  soit ,  il  est  de  mon  ministère  et  de  mon  de- 
voir ,  ô  sainte  mère  de  Dieu  !  de  ramasser  les  vœux 
de  tout  ce  peuple  qui  m'écoute,  ceux  des  riches  et 
ceux  des  pauvres,  et  de  vous  les  offrir.  Souffrez 
que  j'y  joigne  les  miens,  ou  plutôt  souffrez  qu'au 

(i)  Psahn.  44* 


A    LA   VIERGE.  02C) 

nom  de  tout  cet  auditoire ,  je  vous  demande  les  grâces 
que  vous  savez  nous  être  nécessaires ,  et  que  vous 
pouvez  faire   descendre  sur   nous.  Répandez-îes , 
ces  grâces  divines  dont  vous  êtes  comme  la  dépo- 
sitaire et  l'économe  ,  répandez-les  sur  la  personne 
sacrée  de  l'incomparable  monarque  qui  nous  gou- 
verne,  répandez- les  sur  ce  royaume  spécialement 
dévoué  à  votre  culte ,  répandez-les  sur  tous  en  gé- 
néral et  sur  chacun  en  particulier.  Quoique   vous 
soyez  en  toutes  choses  notre  ressource,   nous  ne 
vous  demandons  point  tant,  après  tout,  des  grâces 
temporelles ,  que  des  grâces  spirituelles.  Eteignez 
le  feu  d'une  guerre  allumée  dans  toute  l'Europe , 
et  qui  divise  les  princes  chrétiens  ;  mais  aidez-nous 
encore  plus   à  éteindre  le  feu  de  nos  passions,  et 
cette  guerre  intestine  qu'elles  excitent  au  fond  de 
notre  cœur.  Donnez-nous  la  paix  avec  les  ennemis 
de  cet  Etat  ;  mais  préférablement  à  cette  paix  ,  ai- 
dez*nous  à  recouvrer  la  paix  de  Dieu ,  si  nous  l'avons 
perdue  ,  et  à  nous  y  maintenir ,   si  nous  sommes 
assez  heureux  pour  y  rentrer.  Et  puisque  toutes  Pes 
grâces   du  salut  peuvent  se  réduire  à  une  seule, 
obtenez-nous ,  o  parfait  modèle  des  vertus  chré- 
tiennes !  obtenez-nous  la  grâce  d'être  vos  imita- 
teurs,  comme  vous  l'avez  été  de  Jésus-Christ;  afin 
que  nous  régnions  avec  Jésus-Christ  et  avec  vous- 
même  dans  l'éternité  bienheureuse ,  où  nous  con- 
duise ,  etc. 


SERMON 

POUR  LA  FÊTE 

DE  TOUS   LES  SAINTS. 


Mirabilis  Deus  in  Sauctis  sais. 

Dieu  est  admirable  dans  ses  Saints.  Au  Psaume  67. 

Sire, 

Dteu  dans  tous  ses  ouvrages  est  admirable  ;  mais 
il  l'est  particulièrement  dans  ses  saints,  puisque  de 
tous  les  ouvrages  de  Dieu  ,  un  des  plus  merveilleux 
et  des  plus  grands ,  ce  sont  les  saints.  Il  est  admi- 
rable dans  leur  prédestination  ,  il  est  admirable 
dans  leur  vocation,  il  est  admirable  dans  toute  l'é- 
conomie de  leur  salut,  il  est  admirable  dans  leur 
béatitude  et  dans  leur  gloire.  Je  dis  admirable  ,  de 
les  avoir  prédestinés  à  son  royaume  éternel  ,admi- 
mirable  de  les  avoir  appelés  à  la  foi,  admirable  de 
les  avoir  sanctifiés  par  la  grâce,  admirable  de  les 
avoir  éprouvés  et  purifiés  par  les  souffrances  ;  en- 
fin, admirable  d'en  avoir  fait  des  saints  et  des  bien- 
heureux :  Mirabilis  in  sauctis  suis.  Yoilà ,  chré- 
tiens ,  ce  que  Dieu  a  fait  pour  ses  élus ,  et  ce  que 
je  devrois  ,  ce  me  semble,  développer  dans  ce  dis- 
cours; mais  j'ai  des  choses  à  vous  dire  encore  plus 
importantes  pour  votre  édification  ;  des  choses  , 


POUR  LA  FETE   DE  TOUS  LES   SAINTS.        35 1 

qui ,  dans  la  vue  de  ces  bienheureux  prédestines , 
vous  rempliront ,  aussi  bien  que  le  Prophète  royal , 
non  pas  d'une  admiration  stérile  et  sèche  ,  mais 
d'une  admiration  affectueuse  ,  solide  ,  efficace  ,  qui 
fortifiera  votre  foi ,  qui  excitera  votre  espérance  , 
qui  animera  votre  charité  ;  en  deux  mots ,  qui  élè- 
vera vos  esprits  et  qui  touchera  vos  cœurs  :  Mira- 
bilis Deus  in  sanctis  suis.  Vierge  sainte  ,  vous 
qui  dans  le  ciel  régnez  au-dessus  de  tous  les  saints, 
obtenez-moi  les  lumières  dont  j'ai  besoin  ,  et  que 
je  demande  par  votre  intercession  :  faites ,  ô  glo- 
rieuse mère  de  Dieu,  que  je  sois  animé  et  rempli 
de  cet  esprit  de  sainteté  dont  vous  reçûtes  la  plé- 
nitude en  concevant  le  Verbe  éternel  ;  faites  que 
servant  d'organe  à  ce  divin  esprit,  j'annonce  à  cette 
cour  des  vérités  capables  d'en  faire,  selon  l'expres- 
sion de  saint  Paul ,  un  peuple  fervent  et  un  peuple 
saint  :  c'est  pour  cela  que  je  vous  adresse  la  prière 
ordinaire  :  Ave ,  Maria. 

Il  n'appartient  qu'aux  saints  de  bien  comprendre 
ce  qu'opère  en  eux  celui  qui  est  l'auteur  de  la  sain- 
teté ;  et  je  serois  téméraire  ,  si  je  voulois ,  dans  un 
sujet  tel  que  celui-ci  ,  m'en  tenir  à  mes  propres 
pensées,  pour  vous  donner  l'intelligence  de  ce  qui 
fait  le  mystère  de  ce  jour,  c'est-à-dire  ,  de  ce  qui 
rend  Dieu  si  admirable  dans  la  personne  de  ses 
élus.  Ainsi ,  renonçant  à  mes  vues  particulières  ,  et 
profitant  de  celles  qu'ont  eues  les  saints,  je  m'attache 
à  cette  réflexion  de  saint  Léon  ,  pape  ,  que  je  vous 
prie  bien  de  comprendre  ,  parce  qu'elle  renferme 


532  POUR    LA    FÊTE 

tout  mon  dessein.  Ce  Père  explique  les  paroles  de 
David  que  j'ai  choisies  pour  mon  texte  :  Mirabilis 
Deus  in  sanctis  suis  ;  et  considérant,  par  rapport 
à  nous ,  l'excellence  de  cet   état  de  gloire  où  les 
bienheureux  sont  élevés ,  il  dit  que  deux  choses  y 
doivent  être  comme  les  deux  principaux  objets  de 
notre  admiration  :  l'une  ,  de  ce  que  Dieu  nous  a 
donné  dans  les  saints  de  si  puissans  protecteurs  ; 
et  l'autre  ,  de  ce  qu'il  nous  a   proposé    dans  ces 
mêmes  saints  un  si  parfait  modèle  de  sainteté  :  Mi- 
rabilis in  sanctis  suis,  in  auibus  et  prœsidium 
nobis  constitua  et  exemplum.  Yoilà  tout  le  par- 
tage de  cet  entretien  :  dans  la  première  partie  ,  je 
vous  montrerai   combien  Dieu   est  admirable  de 
nous  avoir  donné  les  saints  pour  intercesseurs  et 
pour  patrons  ;  et  dans  la   seconde  ,  je  vous  ferai 
voir  combien  il  est  admirable  de  nous  les  avoir 
proposés  pour  exemples.  Deux  vérités  d'une  éten- 
due infinie  dans  notre  religion,  et  d'où  s'ensuivent 
des  conséquences  à  quoi  nous  devons  bien  ,  vous 
et  moi ,  nous  intéresser.  Car  voici  d'abord  les  deux, 
raisonnemens  qui  se  présentent  à  nos  esprits  :  les 
saints  sont   nos  intercesseurs  et  nos  protecteurs  ; 
nous  avons  donc  une  obligation  indispensable  de 
les  honorer  et  de  les  invoquer   :  c'est  le  premier 
point  ;   les  saints  sont  nos  exemplaires  et  nos  mo- 
dèles ;  nous  avons  donc  un  engagement  essentiel  à 
nous  former  sur  eux ,  et  à  les  imiter  :  c'est  le  second 
point.  Le  premier  nous  apprendra  ce  que  les  saints 
font  pour  nous  ,  et  le  second  nous  instruira  de  ce 
que  nous  devons  faire  nous-mêmes  pour  être  saints. 


DE   TOUS   LES  SAINTS.  333 

L'un  et  l'autre,  preuve  invincible  de  la  proposition 
que  j'ai  avancée ,  que  si  le  Dieu  d'Israël  est  admi- 
rable ,  c'est  particulièrement  dans  ses  saints  :  Mi- 
rabilis in  sanctis  suis.  Yoilà  tout  le  sujet  de  votre 
attention. 

PREMIÈRE    PARTIE. 

Non  ,  chrétiens ,  rien  n'est  plus  digne  de  nos 
admirations  que  ce  que  la  foi  nous  révèle  dans  la 
solennité  de  ce  jour,  quand  elle  nous  apprend  que 
les  saints  sont  devant  le  trône  de  Dieu  nos  protec- 
teurs et  nos  intercesseurs  ;  et  l'ange  de  l'école, 
saint  Thomas  ,  en  donne  trois  excellentes  raisons  ; 
la  première  regarde  Dieu  même  ;  la  seconde  est 
prise  des  saints  bienheureux  ;  et  la  troisième  se 
rapporte  à  nous.  Celle  qui  regarde  Dieu  même,  est 
qu'en  ceci  il  nous  découvre  visiblement  les  trésors 
de  sa  sagesse  et  de  sa  providence  ;  l'autre  ,  qui  se 
tire  des  saints  bienheureux ,  est  que  la  gloire  dont 
ils  jouissent,  en  est  infiniment  relevée;  et  la  der- 
nière ,  qui  se  rapporte  à  nous  ,  est  que  nous  y 
trouvons  de  très-grands  avantages  pour  l'intérêt  de 
notre  salut.  Appliquez-vous,  s'il  vous  plaît,  à  ces 
trois  vérités. 

Dieu  fait  éclater  sa  providence  en  nous  donnant 
les  saints  pour  protecteurs  et  pour  intercesseurs. 
Comment  cela  ?  parce  qu'il  établit  par  là  le  plus 
bel  ordre,  et  la  subordination  la  plus  parfaite  qu'il 
puisse  y  avoir  entre  les  hommes.  Je  m'explique  : 
sur  la  terre,  les  hommes  dépendent  les  uns  des  au- 
tres ;  et  cette  dépendance  mutuelle  les  tient  dans 


334  POUR  LA  FÊTE 

la  subordination.  Les  sociétés  ,  les  familles ,  les  ré- 
publiques ,  les  Etats  ,  l'Eglise  même  ,  et  les  divers 
corps  de  la  hiérarchie  qui  la  composent,  sont  au- 
tant d'ordres  que  Dieu  a  établis  dans  le  monde  ; 
mais  après  tout,  quoique  Dieu  en  soit  l'auteur,  ces 
ordres  sont  sujets  à  être  troublés  par  la  malice  des 
hommes  ;  ceux  qui  tiennent  les  premiers  rangs,  ne 
sont  pas  toujours  les  plus  dignes  de  les  occuper  ; 
ceux  qui  y  commandent  devroient  souvent  y  obéir  : 
on  y  voit  des  grands  et  des  petits  ,  des  pauvres  et 
des  riches,  des  heureux  et  des  misérables,  et  cela 
est  de  la  providence  de  Dieu  ;  mais  les  petits  y 
sont  opprimés  par  les  grands ,  et  les  grands  enviés 
par  les  petits;  et  c'est  comme  une  suite  infaillible 
de  la  corruption  de  l'homme.  Il  n'y  a  qu'un  seul 
ordre  exempt  de  ces  imperfections  ;  c'est  celui  que 
Dieu  a  formé  ,  par  sa  providence  ,  entre  nous  et 
les  saints  :  car  outre  que  la  grâce  est  le  fondement 
de  cet  ordre, outre  que  le  mérite  en  est  la  mesure, 
et  que  toute  prééminence  n'y  est  accordée  qu'à  la 
sainteté  ,  j'y  trouve  encore  une  chose  bien  singu- 
lière :  et  quoi  ?  c'est  que  dans  cette  subordination  > 
la  dépendance  même  est  aimable.  Nous  n'envions 
point  la  condition  des  saints  qui  sont  au-dessus  de 
nous  ,  parce  que  nous  savons  qu'ils  travaillent  au- 
près de  Dieu  pour  nous  procurer  le  même  bonheur; 
l'élévation  de  leur  état  n'a  rien  qui  nous  choque  , 
parce  que  nous  n'ignorons  pas  qu'ils  ne  souhaitent 
rien  plus  ardemment  que  de  nous  rendre  aussi 
grands  et  aussi  puissans  qu'eux  ;  enfin  la  gloire  qui 
fait  naître  communément  l'orgueil  dans  ceux  qui  ta 


DE    TOUS    LES    SAINTS.  335 

possèdent,  et  la  jalousie  dans  ceux  qui  y  préten- 
dent ,  a  ici  deux  effets  tout  contraires  :  car  elle 
donne  aux  saints  des  inclinations  bienfaisantes  pour 
nous ,  et  elle  nous  inspire  une  reconnoissance  affec- 
tueuse pour  eux  ;  en  sorte  que  nous  avons  bien 
droit  de  nous  écrier  :  Mirabilis  Deus  in  sanc(fs 
suis.  Ce  n'est  pas  tout;  mais  voici  une  pensée  qui 
vous  paroîtra  encore  plus  solide  et  plus  touchante  : 
c'est  le  vénérable  Pierre  ,  abbé  de  Clugny ,  qui  me 
la  fournit  dans  une  épître  contre  certains  hérétiques 
de  son  siècle  ;  elle  est  digne  de  votre  attention. 
Dieu  ,  dit  ce  savant  prélat ,  avoit  un  important  des- 
sein :  il  vouloit  qu'entre  les  membres  de  son  Eglise, 
qui  sont  les  fidèles  ,  quelque  éloignés  qu'ils  pussent 
être  les  uns  des  autres,  il  y  eût  jusqu'à  la  fin  du 
monde  un  lien  de  communication  ;et  qu'étant  tous, 
comme  ils  sont,  les  membres  vivans  du  même 
corps,  unis  au  même  chef,  qui  est  Jésus-Christ  , 
et  animés  du  même  esprit,  qui  est  l'Esprit  saint, 
ils  eussent  en  eux  une  correspondance  qui  ne  pût 
être  jamais  interrompue.  La  difficulté  étoit  de  choi- 
sir un  moyen  pour  cela  :  car  l'Eglise  se  trouvant 
partagée  en  trois  différens  états  ,  c'est-à-dire ,  glo- 
rieuse et  triomphante  dans  le  ciel  ,  militante  sur  la 
terre  ,  et  souffrante  dans  le  purgatoire,  comment 
pouvoit-elle  entretenir  une  si  parfaite  société  ?  ce 
ne  pouvoit  être  par  la  foi ,  parce  que  la  foi ,  avec 
ses  obscurités  et  ses  nuages ,  n'est  plus  d'usage 
dans  Ieciel;nipar  l'espérance,  parce  que  les  saints 
possédant  tout  dans  Dieu  ,  n'espèrent  plus  rien. 
Qu'a  fait  Dieu  ?  afin  que  ces  trois  Eglises  eussent 


336  POUR     LA   FETE 

entre  elles  le  commerce  qu'elles  dévoient  avoir ,  il 
les  a  unies  par  la  charité,  qui  est  une  vertu  com- 
mune. Et  comment  s'en  est-il  servi  ?  ah  !  chré- 
tiens ,  c'est  ici  la  merveille  :  il  a  ordonné  que  les 
saints  qui  sont  dans  le  ciel ,  prieroient   pour  les 
fidèles  qui  sont  sur  la  terre  ,  et  que  les  fidèles  qui 
sont  sur  la  terre  ,  intercéderoient  pour  ceux  qui 
souffrent  dans  le  purgatoire.  Ces   âmes  captives  , 
quoique  justes  ,  ne  sont  plus  capables  de  satisfaire 
à  Dieu  par  elles-mêmes  :  Dieu  veut  que  nous  le 
fassions  pour  elles  ;  et  parce  que  nous  employant 
pour  elles ,  nous  sommes  souvent  indignes  d'être 
exaucés ,  Dieu  veut  que  les  saints  ,  qui  ont  tout 
crédit  auprès  de  lui ,  sollicitent  pour  nous.   Nous 
offrons  à  Dieu  ,  pour  le  soulagement  de  nos  frères, 
des  sacrifices  et  des  satisfactions  ;  et  les  bienheu- 
reux font  pour  nous  des  vœux  et  des  prières.  Ainsi 
l'Eglise  triomphante  s'intéressant  pour  la  militante, 
et  la  militante  compatissant  aux  peines  de  l'Eglise 
souffrante,  de  là  résulte  cette  harmonie  divine  du 
corps  mystique  de  l'Eglise,  je  veux  dire,  la  com- 
munion des  saints ,  qui  est  un  des  principaux  arti- 
cles de  notre  religion  :  Communionem  sanctorum. 
Or  dans  cette  communion ,  la  providence  de  notre 
Dieu  n'est-elle  pas  souverainement  adorable  :  Mi- 
rabilis Deus  in  sanclis  suis. 

Mais  tout  cela  est  trop  relevé  pour  la  fin  que 
je  me  suis  proposée  ,  qui  est  la  réformation  de  nos 
mœurs  :  venons  à  la  gloire  des  bienheureux  mêmes. 
Car  je  prétends  en  second  lieu  ,  que  c'est  pour  en 
rehausser  l'éclat ,  que  Dieu  les  a  établis  nos  patrons 


DE    TOUS   LES   SAINTS.  33j 

et  nos  protecteurs.  Le  Prophète  royal  estimoit  qu'il 
étoit  nécessaire  de  publier  à  toute  la  terre  l'hon- 
neur  que  Dieu  fait  à  ses  saints  ;  et  il  étoit  per- 
suadé qu'il  n'y  avoit  point  de  motif  plus  efficace 
pour  exciter  dans  nos  coeurs  le  zèle  de  sa  sainteté  : 
Filii  hominwn  usquequb  gravi  corde  !  ut  quid 
diligitis  vanitatem  ,  et  quœritis  mendacium  / 
Et  scitote  qiiotiiam  mirijïcavit  Dominas  sanc- 
tum  suum  (i).  Enfans  des  hommes  (c'est  à  nous 
qu'il  parloit,  mes   chers  auditeurs  )  ,  enfans  des 
hommes ,  qui  n'aimez  que  la  vanité ,  et  qui  ne  cher- 
chez que  le  mensonge  ,  jusqu'à  quand  demeurerez- 
vous  dans  cet  aveuglement,  et  dans  cet  assoupisse- 
ment ?  Sachez  qu'il  y  a  d'autres  biens  à  rechercher 
que  les  biens  du  monde  ;  sachez  que  le  monde  nV 
rien  que  de  vil  et  de  méprisable ,  en  comparaison 
de  ces  biens  célestes  où  vous  devez  aspirer  ;  et 
pour  vous  en  convaincre ,  envisagez  la  gloire  dont 
Dieu  se  plaît  à  combler  ses  prédestinés.  Cette  vue 
seule  vous  détachera  et  vous  détrompera  de  tout 
le  reste.  En  eifet ,  chrétiens  ,  si  nous  savions  jusqu'à 
quel  point  Dieu  honore  ses  élus  dans  ce  royaume 
qu'il  leur  a  préparé  ,  nous  n'aurions  plus  que  du 
dégoût  pour  tout  ce  qui  s'appelle  honneurs  du  siè- 
cle ,   et  nous   dirions   sans  peine  avec    l'Apôtre  : 
Verumtamen  omnia  détriment 'um  feci,  et  arbi- 
tror  ut  stercora  (2).  Mais  le  moyen  de  le  savoir? 
car  saint  Paul  déclare  que  jamais  l'œil  n'a  vu  ,  ni 
l'oreille  n'a  entendu  ,  ni  le  cœur  de  l'homme  n'a 
compris  ce  que  Dieu  réserve  à  ceux  qui  l'aiment. 

(1)  Psal.  4.  —  (3)  Phil.  3. 

TOME  XI.  22 


338  rol'R   LA  FÊTE 

Il  est  vrai;  mais  le  Saint-Esprit,  dont  les  révélations 
et  les  oracles  sont ,  comme  parle  Vincent  de  Lé- 
rins  ,  le  supplément  de  notre  intelligence,  nous  en 
a  dit  assez.  Et  quelle  conjecture  nous  donne- t-il 
de  la  gloire  des  bienheureux  ?  celle-ci,  que  je  vous 
prie  de  bien  méditer  :  c'est  que  Dieu  a  voulu  que 
les  saints  fussent  après  Jésus-Christ,  ne  vous  offen- 
sez pas  de  ce  terme  ,  comme  nos  médiateurs;  c'est 
qu'il  a  choisi  les  saints  pour  être  les  canaux  par 
où  ses  grâces  découlent  sur  nous  ;  c'est  qu'il  leur  a 
donné  an  plein  pouvoir  pour  nous  protéger  ;  c'est 
qu'il  accorde  tout  à  leur  intercession  ;  c'est  qu'il 
ne  peut ,  ce  semble ,  leur  résister  quand  ils  lui  par- 
lent en  notre  faveur;  c'est  qu'il  se  laisse  fléchir  par 
eux  ,  jusqu'à  suspendre  et  même ,  selon  le  langage 
du  texte  sacré  ,  jusqu'à  révoquer  les  arrêts  de  sa 
justice.  Combien  de  fois  en  a-t-il  usé  de  la  sorte , 
et  combien  de  fois  ,  en  considération  de  David  , 
a-t-il  calmé  sa  colère  et  retenu  son  bras ,  lorsqu'il 
étoit  prêt  à  se  venger  des  rois  d'Israël  et  de  Juda , 
n'apportant  point  d'autre  raison  pourquoi  il  arretoit 
ses  coups ,  que  celle-ci  :  Propter  David  servwn 
meum  (i)  ?  Si  les  saints  de  l'ancienne  loi  étoient 
si  puissans,  ceux  de  la  loi  de  grâce  le  sont-ils 
moins?  et  si  Dieu  eut  tant  d'égard  pour  la  personne 
de  David  et  des  prophètes ,  que  refusera-t-il  aux 
martyrs  qui  ont  été  les  confesseurs  de  son  nom  , 
aux  apôtres  qui  ont  été  les  colonnes  de  son  Eglise  , 
aux  vierges  qui  sont  ses  épouses  ,  et  surtout  à  la 
reine  des  saints,  qu'il  a  choisie  pour  sa  mère?  Or 

(1)  Isaïe.  37. 


DE    TOUS    LES    SAINTS.  339 

je  dis ,  mes  chers  auditeurs ,  que  c'est  là  uue  des 
plus  illustres  prérogatives  de  la  gloire  des  saints,, 
Ces  rayons  lumineux  qui  les  environnent,  cet  éclat  , 
cette  beauté  ,  cette  agilité  de  leurs  corps  ;  cette 
magnificence  du  palais  où  ils  habitent,  ces  trônes 
où  ils  sont  assis  5  ce  ne  sont  que  de  foibles  accidens 
et  de  légères  marques  de  leur  grandeur  :  mais  cette 
vertu  qu'ils  ont  de  nous  attirer  les  secours  d'en- 
haut,  cette  fonction  d'offrir  à  Dieu  nos  prières,  de 
lui  faire  agréer  nos  vœux  ,  de  plaider  devant  lui 
notre  cause  :  fonction  qui  les  rend  comme  les  agens 
et  comme  les  coopérateurs  de  notre  salut  éternel  : 
ah  !  chrétiens,  voilà  ce  qui  me  fait  comprendre 
l'excellence  de  leur  état.  Car  je  tire  la  conséquence  , 
et  je  dis  :  Si  ces  bienheureux  ont  tant  de  pouvoir 
pour  les  autres  ,  quels  trésors  de  gloire  ne  possè- 
dent-ils pas  pour  eux-mêmes,  et  quel  est  le  fond 
de  leur  béatitude  ,  puisqu'ils  le  répandent  si  abon- 
damment sur  tous  ceux  qui  les  prient  et  qui  les 
invoquent  ?  Gela  seul,  encore  une  fois,  me  donne 
une  haute  Mée  de  leur  félicité  ;  et  c'est  pourquoi 
David,  parfaitement  instruit  de  ce  mystère,  le  ré- 
duisoit  toujours  à  ce  point  :  Nimis  honorifwati 
sunt  amici  tui  ,  Deus  :  n'unis  confortatus  est 
principatus  eorurn  (i).  Seigneur,  disoit-il  à  Dieu, 
vos  amis  et  vos  saints  sont  honorés  jusqu'à  1  excès, 
comment  ?  parce  qne  leur  principauté  $  c'est-à- 
dire  ,  selon  la  version  hébraïque  ,  la  commission 
qu'ils  ont  de  nous  secourir  est  d'une  étendue  in^ 
iinie. 

(i)  Psaho. i38. 


3^0  POUR  LA    FETE 

Au  reste,  chrétiens,  c'est  en  cela  môme  que 
Dieu  nous  doit  toujours  paroître  admirable.  Car 
prenez  garde ,  s'il  vous  plaît ,  à  la  belle  réflexion 
de  Guillaume  de  Paris  :  il  étoit ,  dit  ce  Père ,  de  la 
justice  que  les  saints  fussent  honorés  sur  la  terre; 
il  ne  sulîisoit  pas  que  leur  béatitude  nous  fût  con- 
nue ,  si  nous  ne  rendions  à  leur  sainteté  un  culte 
de  religion  ;  c'étoit  le  tribut  qu'ils  avoient  droit 
d'exiger  de  nous  :  mais  parce  que  nous  sommes  in- 
téressés, et  que  nous  recherchant  en  tout,  nous  au- 
rions peu  pensé  aux  saints  ,  si  nous  n'avions  su  que 
les  saints  pensoient  à  nous  ,  Dieu  s'est  servi  de  notre 
intérêt  pour  leur  gloire;  et  il  nous  a  mis  dans  la 
nécessité  d'avoir  recours  à  eux ,  et  de  leur  rendre 
des  devoirs  de  piété,  pour  mériter  la  grâce  de  leur 
assistance.  C'est  pour  cela  qu'il  a  donné  à  chaque 
saint  un  pouvoir  spécial  que  les  autres  n'ont  pas , 
afin  de  nous  engager  à  les  invoquer  tous  ;  c'est 
pour  cela  qu'il  nous  inspire  quelquefois  plus  de  dé- 
votion pour  un  saint  moins  glorieux  dans  le  ciel , 
et  qu'il  nous  accorde  par  lui  ce  que  nous  n'obtien- 
drons pas  par  un  autre;  c'est  pour  cela  qu'aujour- 
d'hui l'Eglise  leur  rend  à  tous  un  honneur  commun. 
Et  voyez ,  chrétiens  ,  jusqu'à  quel  point  ce  dessein 
de  Dieu  a  réussi  :  de  là  vient  le  zèle  que  tous  les 
peuples  dans  le  christianisme  ont  pour  le  culte  des 
saints;  de  là  vient  que  les  saints  sont  les  patrons  des 
villes,  les  protecteurs  des  royaumes,  les  anges  tu- 
télaires  des  Etats  ;  qu'on  consacre  des  temples  à  leur 
mémoire ,  qu'on  oll're  des  sacrifices  en  leur  nom  , 
qu'on  se  prosterne  devant  leurs  tombeaux ,  que  leurs 


DE   TOUS   LES    SAINTS.  3z£r 

ossemens  et  leurs  cendres  sont  en  vénération  par 
toute  la  terre.  Qui  fait  tout  cela  ?  ce  besoin  que 
nous  avons  des  saints  et  de  leur  secours  auprès  de 
Dieu  ,  ou  plutôt  la  sage  disposition  de  Dieu  qui  a 
voulu  leur  faire  trouvei  dans  notre  dépendance 
leur  élévation  :  Mirabilis  Deus  in  sanctis  suis. 
Mais  après  tout,  mes  frères,  dit  saint  Bernard  , 
et  voici  le  point  qui  nous  touche ,  ce  pouvoir  si 
ample  que  Dieu  a  donné  aux  saints,  n'est  point 
aussi  honorable  pour  eux  qu'il  est  avantageux  pour 
nous  ;  et  quand  nous  célébrons  leurs  fêtes ,  c'est 
plus  pour  nous-mêmes  que  pour  la  gloire  qui  leur 
en  revient  :  Prorsùs  ita  est ,  fratres  ,  quod  eo- 
rum  memoriam  veneremur ,  nostrd  interest  , 
non  ipsorum.  Appliquez-vous  à  cette  dernière  con- 
sidération. Les  saints  prient  pour  nous  :  c'est  un  des 
dogmes  de  notre  foi ,  que  l'hérésiarque  Vigilantius 
osa  contester,  prétendant  que  ces  bienheureux  ne 
prenoient  aucun  soin  de  tout  ce  qui  se  passe  en  ce 
monde,  et  qu'ils  n'en  avoientmême  nulle  connois- 
sance.  Car  voilà  la  source  où  nos  religionnaires  ont 
puisé;  mais  dès  ces  premiers  temps  l'erreur  fut 
confondue,  et  la  vérité  triompha.  L/épître  67  de 
saint  Jérôme  en  est  un  monument  authentique.  Or 
cela  présupposé ,  qui  doute  que  les  prières  des 
saints  pour  nous  ne  contribuent  à  notre  salut  plus 
que  nos  propres  prières?  Car,  hélas  !  chrétiens, 
quelles  prières  faisons-nous,  et  ne  sont-elles  pas 
presque  toujours  le  sujet  de  notre  condamnation 
devant  Dieu?  pourquoi?  parce  que  nous  prions  se- 
lon les  désirs  de  notre  cœur,  qui  sont  injustes  et 


3/{2  POUR  LA    FÊTE 

déréglés  ;  nous  ne  savons  ce  que  nous  demandons, 
ou  plutôt  nous  demandons  ce  que  nous  savons  nous 
être  pernicieux ,  et  nous  ne  demandons  pas  ce  qui 
doit  nous  procurer  le  souverain  bien.  Mais  les  saints, 
qui  voient  dans  Dieu  nos  véritables  besoins,  ne  de- 
mandent pour  nous  que  ce  qui  nous  est  salutaire , 
et  ce  qui  sert  à  nous  sanctifier  et  à  nous  sauver  ; 
leurs  prières  sont  efficaces ,  parce  qu'il  n'y  en  a  pas 
une  qui  ne  soit  dans  l'ordre  des  décrets  de  Dieu  , 
et  conforme  à  ses  desseins.  En  quoi  je  vous  prie  de 
remarquer,  avec  l'abbé  Rupert,un  trait  merveilleux 
de  la  miséricorde  du  Seigneur,  qui,  s'étant engagé 
dans  l'évangile  à  nous  accorder  tout  ce  que  nous 
lui  demanderons  :  Quodcumque  voluerttls  ,  pe- 
telisv  etjiet  vobis  (i);  prévoyant  d'ailleurs  que 
nous  abuserions  souvent  de  cette  promesse ,  en  lui 
demandant  de  faux  avantages  qui  nous  perdroient, 
a  fait  intervenir  les  saints  qui  prient  pour  nous 
contre  nous-mêmes ,  quand  l'objet  de  nos  prières 
n'est  pas  tel  qu'il  doit  être;  de  sorte  que,  sans 
manquer  à  sa  parole,  il  a  droit  de  ne  nous  pas 
exaucer ,  parce  qu'il  exauce  ceux  que  nous  em- 
ployons auprès  de  lui  pour  lui  recommander  nos 
intérêts. 

Ajoutez  que  la  prière  d'un  saint  est  par  elle- 
même  bien  plus  puissante  que  toutes  les  nôtres, 
puisque  la  dignité  de  la  personne  qui  prie  relève  le 
mérite  de  la  prière.  Ajoutez  que  les  saints ,  dans 
un  parfait  désintéressement,  prient  pour  nous  avec 
une  charité  bien  plus  épurée;  ajoutez  que  la  pré- 
(1)  Joan.  i5. 


DE  TOUS   LES  SAINTS.  345 

sence  et  la  vue  de  Dieu  rend  leurs  prières  beaucoup 
plus  attentives,  comme  l'exercice  de  son  amour 
les  rend  beaucoup  plus  ferventes.  Et  voilà  ce  qui 
me  ravit  et  ce  qui  me  donne  tout  ensemble  de  la 
confusion  :  de  voir  que  ces  élus  de  Dieu  prient 
pour  nous  avec  plus  de  zèle  et  plus  d'empressement 
que  nous-mêmes  ;  que  leur  état  les  exemptant  de 
toute  inquiétude  pour  leurs  propres  personnes  ,  ils 
ne  laissent  pas,  en  quelque  manière,  de  s'inquiéter 
pour  nous  ;  qu'autant  qu'ils  sont  tranquilles  sur  ce 
qui  regarde  leur  béatitude  éternelle,  autant  sont-ils 
en  peine  de  notre  salut  :  Jam  de  sud  immorta- 
litate  securi  ,  et  de  nostrâ  salute  sollicitl. 

Ce  sont  là,  chrétiens,  les  obligations  essentielles 
que  nous  avons  à  ces  glorieux  protecteurs.  Comp- 
tons les  grâces  que  nous  avons  reçues ,  les  malheurs 
dont  nous  avons  été  préservés,  les  périls  d'où  nous 
sommes  heureusement  sortis  ,  c'est  de  quoi  nous 
devons  aux  saints  une  éternelle  reconnoissance. 
Combien  de  fois  se  sont-ils  présentés  pour  nous 
devant  le  trône  de  Dieu,  et  combien  de  fois  ont-ils 
détourné  les  foudres  du  ciel  prêts  à  tomber  sur  nos 
têtes?  Voilà  ce  qui  les  occupe  :  au  milieu  de  leurs 
triomphes,  ils  pensent  à  nos  misères;  ils  ne  sont 
pas  comme  ces  bienheureux  du  siècle  que  la  fortune 
a  élevés,  et  qui  ne  connoissent  plus  ceux  qu'ils  ont 
laissés  derrière  eux  :  leur  gloire  les  unit  à  Dieu  ; 
mais  elle  ne  les  détache  pas  de  nous  ,  au  contraire, 
elle  ne  les  rend  encore  que  plus  charitables  envers 
nous,  que  plus  vigilans  et  que  plus  ardens  ;  Mira- 


344  POUR    LA    FÊTE 

bilis  Deus  in  sanctis  suis-,  in  quibus praesidium 
nobis  constituit. 

Cependant ,  mes  chers  auditeurs ,  comment  ré- 
pondons-nous à  leurs   soins;  que  dis-je,  et  que! 
abus  ne  faisons-nous  pas  du  culte  et  de  l'invocation 
des  saints?  De  leur  culte  (ne  perdez  rien  de  cette 
morale  ;  peut-être  en  vous  découvrant  un  désordre 
que  le  libertinage  du  monde  vous  a  caché  jusqu'à 
présent ,  vous  obligera-t-elle  à  prendre  des  mesures 
pour  le  corriger),  de   leur  culte  :  car  les  devoirs 
sont  réciproques  ;  et  il  est  juste  qu'une  dévotion 
sincère  et  respectueuse  de  notre  part,  soit  au  moins 
le  fruit  d'une  protection  si  avantageuse  et  si  puis- 
sante. Et  en  eftet ,  quand  un  grand  nous  appuie  de 
son  crédit,  que  ne  faisons-nous  pas  pour  lui  mar- 
quer notre  attachement?  le  monde  nous  apprend 
cette  leçon  :  or  il  est  question  de  savoir  si  nous  la 
pratiquons  à  l'égard  des  saints-  Ah  î  chrétiens  ,  per- 
mettez-moi de  vous  en  faire  le  reproche,  après  me 
l'être  fait  à   moi-même ,  c'est  là  que  paroît  non- 
seulement  notre  ingratitude,  mais  notre   impiété. 
Les  saints  sont  nos  intercesseurs  auprès  de  Dieu  , 
et  nous  leur  faisons  tous  les  jours  mille  outrages  ; 
ils  prient  pour  nous  dans  le  ciel ,  et  nous  les  désho- 
norons sur  la  terre.  L'Eglise,  sous  leur  nom ,  érige 
des   temples,  et  nous  les  violons;  elle  leur  con- 
sacre des  fêtes,  et  nous  les  profanons;  elle  célèbre 
leurs  offices,  et  nous  y  assistons ,  je  ne  dis  pas  sans 
religion,  mais  avec  un  esprit  d'irréligion.  Tout  ce 
qui  a  rapport  aux  saints  ,  nous  devient  une  ma- 
tière de  péché.  Ces  temples,   dis-je,  qui   sont  les 


DE  TOUS  LES    SAINTS.  345 

monumens  publics  de  leur  sainteté,  et  qui,  pour 
cela  même  ,  étoient  autrefois  appelés  les  mémoires 
des  martyrs  :  Memoriœ  martyrum  ;  comment  les 
fréquentons-nous  ;  comment  nous  y  comportons- 
nous  ,  quels  scandales  y  commettons-nous?  ce  sont 
des  maisons  de  prière ,  et  l'on  en  fait  des  lieux  de 
commerce  et  des  rendez-vous  ;  ils  sont  destinés  au 
sacrifice  du  vrai  Dieu,  et  l'on  s'y  entretient  des  in- 
trigues et  des  affaires  du  siècle  ;  au  lieu  que  le  Sei- 
gneur y  devroit  être  glorifié  dans  ses  saints,  c'est 
là  que  les  saints  et  le  Seigneur  sont  plus  exposés 
aux  insultes  et  aux  mépris  des  hommes.  Ce  que  je 
dis  n'est-il  pas  encore  au-dessous  de  la  vérité? Mais 
ce  n'est  pas  assez  :  leurs  fêtes ,  que  l'Eglise  nous 
ordonne  de  sanctifier,  et  à  quoi  les  premiers  fidèles 
se  préparoient  *si  religieusement  par  des  veilles  et 
par  des  jeûnes,   comment  les  solemiisons-nous  ? 
puis-je  le  dire,  et  pouvez-vous  l'entendre  sans  rou- 
gir ?  C'étoient  pour  ces  fervens  chrétiens  de  la  pri- 
mitive Eglise  des  jours  de  piété  ,  et  ce  ne  sont  pour 
nous  que  des  jours  de  licence ,  que  des  jours  de 
divertissement  et  de  jeux,  que  des  jours  de  parties 
et  de  débauches,  que  des  jours  au  moins  de  paresse 
et  d'oisiveté  ;  en  sorte  que ,  pour  l'honneur  même 
des  saints,  on  a  jugé  nécessaire  d'en  retrancher  et 
d'en  abolir.  Car,  reconnoissons-le  à  notre  honte  , 
un  des  motifs  de  cette  suppression,  c'a  été  le  relâ- 
chement et  l'indévotion  des  peuples.  La  fête  d'un 
martyr,  disoit  saint  Bernard,  est  devenue,  par  la 
corruption  de  nos  mœurs ,  une  fête  toute  mondaine. 
On  honore  le  précurseur  de  Jésus-Christ ,  c'est-à» 


3^6  POUR  LA  FÊTE 

dire  ,  le  plus  austère  et  le  plus  abstinent  des  hommes, 

par  des  intempérances  et  des  excès. 

Après  cela,  aurions-nous  bonne  grâce  de  repro- 
cher anx  hérétiques  de  notre  siècle  le  mépris  qu'ils 
ont  fait  du  culte  des  saints  ,  et  ne  pourroient-ils  pas 
bien  nous  répondre  ce  que  Tertullien  répondoit 
aux  païens  de  Rome,  qui  se  plaignoient  que  les 
chrétiens  méprisoient  leurs  dieux?  il  leur  faisoit 
voir  que  leurs  dieux  dévoient  plus  se  tenir  offensés 
d'eux-mêmes  et  de  leur  conduite,  que  des  chré- 
tiens :  IVescio  plusne  dit  vestri  de  Jiobis,  quant 
de  vobis  querantur.  Car  en  effet,  si  les  chrétiens 
méprisoient  les  dieux  de  Rome  ,  c'étoit  par  raison 
et  par  principe,  comme  ne  les  connoissant  pas; 
au  lieu  que  ces  païens  les  méprisoient  par  liberti- 
nage et  par  le  dérèglement  de  leurs  passions.  Nos 
hérétiques,  dis-je ,  n'auroient-ils  pas  sujet  de  nous 
faire  la  même  réponse  ?  IVescio  plusne  sancti  ves- 
tri de  nobis ,  quam  de  vobis  querantur.  Voilà 
ce  que  j'appelle  l'abus  du  culte  des  saints,  et  voici 
l'abus  de  leur  invocation.  Car  pourquoi  prions-nous 
les  saints,  et  pourquoi  avons-nous  recours  a  eux  ? 
ne  parlons  point  de  ces  prières  abominables  ,  et , 
selon  le  terme  de  l'Ecriture,  exécrables,  qui  fe- 
roient  des  saints,  s'ils  les  écoutoient,  les  fauteurs 
de  nos  vices  ;  de  ces  prières  où  l'on  ose  invoquer  un 
saint  pour  le  succès  d'une  entreprise  injuste,  pour 
le  maintien  d'une  fortune  bâtie  sur  l'iniquité;  pour 
l'heureuse  issue  d'une  affaire  ,  dont  l'artifice ,  la  ruse , 
la  mauvaise  foi  sont  les  ressorts ,  pour  la  satisfac- 
tion, ou  d'une  aveugle   cupidité,  ou  d'une  ven- 


DE   TOUS    LES  SAINTS.  3^7 

geance  secrète  et  raffinée.  Que  des  infidèles,  dit 
saint  Augustin  ,  qui  n'adoroient  que  des  divinités 
chimériques,  et  qui  même  se  figuroient  ces  faux 
dieux  encore  plus  corrompus  qu'eux  ,  leur  aient  au- 
trefois adressé  de  semblables  prières ,  je  ne  m'en 
étonne  pas  ;  mais  l'opprobre  de  notre  religion  est 
qu'invoquant  les  saints  glorifiés  par  les  vertus  chré- 
tiennes ,  nous  ne  rougissons  pas  de  leur  demander 
ce  qui  va  à  la  destruction  et  à  l'anéantissement  de 
toutes  les  vertus  :  je  serois  infini ,  si  je  voulois  m'é- 
tendre  sur  ce  point  :  ne  parlons  pas  même  de  ces 
prières  mondaines  et  intéressées  qu'on  fait  aux 
saints  pour  des  biens  tout  profanes ,  tels  que  sont 
les  richesses  et  les  honneurs  du  siècle  ,  sans  leur  de- 
mander jamais  d'autres  biens  qui  regardent  notre 
avancement  dans  les  vertus  chrétiennes,  et  la  sanc- 
tification de  nos  âmes.  Comme  si  ces  élus  de  Dieu  , 
si  je  puis  ainsi  m'exprimer ,  ne  nous  éloient  bons 
que  quand  il  s'agit  des  prospérités  temporelles,  que 
quand  il  s'agit  d'obtenir  un  temps  favorable  pour 
rendre  nos  campagnes  fertiles  et  nos  moissons  abon- 
dantes ,  que  quand  il  s'agit  de  détourner  le  fléau 
d'une  maladie  contagieuse  ou  d'une  calamité  pu- 
blique,  que  quand  il  s'agit  d'éloignerçde  nos  terres 
des  puissances  ennemies  et  de  repousser  leurs  ef- 
forts ,  que  quand  il  s'agit  de  relever  une  famille 
ruinée,  de  rétablir  une  santé  aiToiblie ,  de  se  tirer 
d'un  mauvais  pas  où  l'on  se  trouve  engagé,  et  où 
l'on  craint  de  se  perdre  selon  le  monde  ;  de  par- 
venir à  un  rang  ,  à  une  dignité  ,  et  d'avoir  de  quoi 
en  soutenir  l'éclat.  Car  c'est  sur  de  pareils  sujets 


34$  POUR   LA    FÊTE 

et  en  de  semblables  occasions  qu'on  reconnoit  vo- 
lontiers le  pouvoir  des  saints  ,  et  qu'on  tâche  à  l'em- 
ployer auprès  de  Dieu.  Mais  s'agit-il  du  salut  et  de 
tout  ce  qui  peut  y  contribuer  ;  s'agit-il  de  détruire 
une  habitude  vicieuse ,  et  de  renoncer  à  un  enga- 
gement criminel  ;  s'agit-il  de  se  préserver  des  pièges 
du  monde  et  de  sa  corruption  ;  s'agit-il  de  vaincre 
une  passion  qui  nous  domine ,  de  dompter  la  chair 
qui  se  révolte,  de  surmonter  une  tentation  à  laquelle 
nous  n'avons  que  trop    de  fois   succombé  ;   c'est 
alors  que  le  crédit  des  saints  nous  est  absolument 
inconnu,  ou  que  nous  agissons  au  moins  comme 
s'il  nous  étoit  absolument  inconnu,  parce  que  nous 
craignons  qu'il  ne   fût  trop  efficace.  Tout    cela  , 
chrétiens  ,  est  sensible  ,  et  se  fait  voir  par  soi-même. 
Mais  voici  quelque  chose  de  plus  intérieur  ,  que  le 
devoir  de  mon  ministère  m'oblige  à  vous  dévelop- 
per :  malheur  à  moi  si  j'omettois  une  si  salutaire 
instruction  ,  et  malheur  à  vous-mêmes  si  vous  n'en 
profitez  pas. 

Le  grand  abus  de  l'invocation  des  saints  dans 
les  prières  même  en  apparence  les  plus  religieuses, 
c'est  que  nous  voulons  qu'ils  demandent  à  Dieu 
pour  nous  ce  que  Dieu,  en  conséquence  de  ses  dé- 
crets éternels,  qu'il  ne  changera  jamais,  ne  peut 
nous  accorder;  ce  que  Dieu,  suivant  les  règles  de 
sa  sagesse,  ne  veut  pas  nous  accorder,  et  ce  qu'en 
effet  il  n'est  pas  à  propos  qu'il  nous  accorde.  Nous 
invoquons  les  saints  ;  et  abusant  de  l'avantage  que 
nous  avons  d'être,  pour  ainsi  dire,  sous  leur  sauve- 
garde ,  nous  prétendons  vivre  sans  soin ,  sans  vigi- 


DE   TOUS  LES  SAINTS.  54q 

lance ,  sans  attention  sur  nous-mêmes.  Nous  invo- 
quons les  saints ,  et  par  une  fausse  confiance  en 
leur  secours  ,  nous  prétendons  que  ,  pour  l'accom- 
plissement de  nos  vœux  et  pour  le  succès  de  notre 
prière ,  il  suffise  de  les  avoir  invoqués.  Nous  invo- 
quons les  saints ,  et  en  leur  demandant  l'esprit  de 
pénitence  ,  nous  prétendons  qu'il  ne  nous  porte  à 
rien  qui  nous  gêne ,  à  rien  qui  nous  coûte  ,  à  rien 
qui  nous  mortifie.  Nous  invoquons  les  saints,  et  en 
leur  demandant  la  grâce  de  notre  conversion  ,  nous 
prétendons   que   cette  conversion  chimérique  ne 
nous  engage  à  nulle  avance  de  notre  part,  ni  à  nulle 
violence;  que  nos  liens  se  rompent  d'eux-mêmes; 
que    notre    cœur  se  trouve  tout  à  coup  dégagé  , 
libre  ,  tranquille ,  et  qu'il  jouisse  des  douceurs  du 
triomphe  ,  sans  avoir  éprouvé  les  peines  du  combat. 
Nous  invoquons  les  saints  ,  et  en  leur  demandant 
certaines  vertus,   nous  prétendons  n'avoir  nulles 
mesures  à  prendre  pour  les  acquérir  :  souventmême 
ne  craignons-nous  pas  de  les  obtenir  ,  comme  saint 
Augustin  ,  avant  qu'il  se  fût  détaché  de  ses  profanes 
engagemens  ,  demandoit  la  continence ,  etsouhaitoit 
secrètement  et  au  fond  de   l'ame ,   de  n'être   pas 
exaucé?  Nous  invoquons  les  saints;  et  selon  notre 
gré,  selon  nos  vues  qui  nous  trompent,  nous  leur 
marquons  les  grâces  que  nous  attendons  du  ciel  par 
leur  médiation,  et  que  nous  voulons  avoir ,  quoique 
ce  soient  des  grâces  qui  ne  nous  conviennent  pas, 
et  qui  quelquefois  serviroient  plutôt  à  notre  perte 
qu'à  notre  salut.  Ah  !  chrétiens,  souvenons-nous 
que  si  les  saints  sont  puissans  auprès  de  Dieu,  ils 


35o  POUR    LA  FÊTE 

ne  le  sont  pas  au  préjudice  de  Dieu  même,  et  de- 
ce  que  nous  lui  devons  ;  qu'ils  sont  puissans,  mais 
d'une  puissance  réglée  et  ordonnée ,  d'une  puis- 
sance toujours  renfermée  dans  l'étendue  de  la  loi 
éternelle;  c'est-à-dire,  qu'ils  sont  puissans  pour 
nous  aider  ,  et  non  pas  pour  nous  décharger  de  tout 
le  travail,  puissans  pour  nous  faire  agir,  et  non  pas 
pour  nous  entretenir  dans  une  indolence  paresseuse 
et  lâche,  puissans  selon  les  desseins  de  Dieu  ,  et  non 
pas  selon  nos  désirs  aveugles  et  nos  caprices.  Invo- 
cmons-les  :  c'est  pour  cela  que  Dieu  les  a  fait  nos 
protecteurs;  mais  puisque  ce  sont  des  saints  ,  invo- 
quons-les chrétiennement  et  sainement.  Car  si  nous 
les  invoquons  en  mondains ,  de  protecteurs  qu'ils 
doivent  être  pour  nous  défendre  et  pour  nous  se- 
courir,  nous  invoquons  nos  témoins  et  nos  juges  , 
pour  nous  accuser  et  pour  nous  condamner.  Invo- 
quons-les, mais  dans  des  sentimens  et  des  vues  qui 
les  honorent.  Autrement,  mes  chers  auditeurs, 
savez-vous  comment  ils  paroîtront  devant  le  trône 
de  Dieu?  apprenez-le  de  cette  terrible  vision  qu'en 
eut  saint  Jean ,  et  dont  il  parle  dans  son  Apocalypse. 
Car  il  les  vit  en  la  présence  du  Seigneur  ;  et  il  les 
entendit,  non  point  priant  pour  les  hommes,  mais 
demandant  justice  contre  les  hommes  :  Usquequô 
non  vindicas  sanguincm  nostrum  de  Us  qui 
habitant  in  terra  (i)  /  Justice,  non-seulement 
contre  les  hommes  qui  les  ont  méprisés  pendant 
leur  vie,  qui  les  ont  persécutés  ,  accusés  ,  con- 
damnés ;  non-seulement  contre  ces  hommes  liber- 
Ci)  Ajtoc.  G.  * 


DE  TOUS    LES   SAINTS.  35l 

tins  et  impies  ,  qui  profanent  leurs  fêtes,  et  qui 
raillent  du  culte  que  nous  leur  rendons  ;  mais  contre 
nous-mêmes ,  qui  faisons  et  qui  voulons  faire  de 
leur  protection  un  usage  si  contraire  aux  desseins 
de  Dieu  et  si  indigne  d'eux  :  Usquequo  non  vin- 
dicas  sanguinem  nostrum  de  ils  qui  habitant 
in  terra  t  Quoiqu'il  en  soit,  Dieu  n'en  est  pas 
moins  admirable  dans  ses  saints  ,  admirable  de  nous 
les  avoir  donnés  pour  protecteurs,  et  admirable  de 
nous  les  proposer  comme  modèles  :  vous  i'allez  voir 
dans  la  seconde  partie. 

DEUXIÈME    PARTIE. 

Une  des  tentations  les  plus  dangereuses  à  quoi 
l'homme  sur  la  terre  soit  exposé,  c'est  le  scandale; 
mais  aussi,  par  une  règle  toute  contraire,  puis- je 
ajouter  qu'une  des  grâces  les  plus  fortes  et  les  plus 
efficaces  que  Dieu  emploie  pour  ménager  notre 
conversion  et  notre  salut,  c'est  le  bon  exemple. 
En  quelque  dérèglement  de  vie  que  nous  puissions 
être ,  et  quelque  opposition  que  nous  ayons  à  rentrer 
dans  l'ordre  et  dans  la  soumission  que  nous  devons 
à  Dieu,  si  nous  considérons  bien  l'exemple  des 
saints  ,  il  n'est  presque  pas  possible  qu'il  n'opère 
en  nous  trois  merveilleux  effets;  je  veux  dire,  qu'il 
rie  nous  persuade  la  sainteté  ,  qu'il  ne  nous  adou- 
cisse la  pratique  de  la  sainteté,  et  qu'il  ne  nous  ôte 
tout  prétexte  pour  nous  défendre  d'embrasser  la 
sainteté.  D'où  je  conclus  qu'il  nous  réduit  à  une 
heureuse  nécessitéd'être  saints  par  imitation,  comme 
les  saints  l'ont  été  par  devoir  et  par  esprit  de  reli- 


352  TOUR    LA   FÊTE 

gion.  Et  voilà  en  quoi  je  dis  que  Dieu  est  admi- 
rable de  nous  avoir  donné  les  saints  pour  modèles  : 
Mirabilis  Deus  in  sanctis  suis. 

Oui ,  chrétiens ,  les  saints  sont  des  modèles  qui 
nous  persuadent  la  sainteté  ;  et  il  y  a  dans  cette 
persuasion  un  certain  charme  qui  gagne  également 
le  cœur  et  l'esprit.  Ce  n'est  ni  raisonnement  ni  au- 
torité ;  c'est  quelque  chose  qui  tient  de  l'un  et  de 
l'autre,  qui  atout  le  poids  de  l'autorité,  qui  a  toute 
la  force  du  raisonnement ,  mais  qui  de  plus  a  je  ne 
sais  quoi  que  tous  les  raisonnemens  et  toutes  les 
autorités  n'ont  pas  ni  ne  peuvent  avoir.  Comment 
donc  la  vie  d'un  saint   nous  persuade-t-elle  £  en 
nous  faisant  comprendre  d'une  simple  vue,  toute  la 
perfection  et  tout  le  mérite  de  la  sainteté.  Qu'est- 
ce  qu'un  saint  ?  un  saint,  répond  Guillaume   de 
Paris,  c'est  une  idée  réelle,  visible,  palpable  et 
substantielle  de  toute  la  perfection  évangélique;  et 
quand  Dieu  nous  met  un  saint  devant  les  yeux  , 
que  nous  dit-il  ?  ce  qu'il  dit  autrefois  à  Moïse ,  en 
lui  faisant  voir  la  figure  du  tabernacle  :  Inspice , 
etfac  secundàm  exemplar  (  i );  Regarde ,  chrétien, 
ce  portrait  vivant  et  animé,  voilà  ce  que  tu  dois 
être,  et  sur  quoi  je  veux  que  tu  te  formes;  c'est 
dans  l'exemple  de  ce  prédestiné  et  de  ce  saint  que 
tu  apprendras  à  observer  ma  loi ,  à  accomplir  la 
justice,  à  garder  la  charité,  à  satisfaire  aux  devoirs 
de  la  religion,  à  régler  toute  la  conduite  de  ta  vie  . 
Inspice  ;  cet  exemple  t'instruira  de  ce  que  tu  dois  à 
ton  Dieu ,  et  de  ce  que  tu  dois  à   ton  prochain  ; 

(i)  Exod.  25. 


DE    TOUS  LES    SAINTS  553 

comment  il  faut  user  des  biens  de  la  terre ,  et  com- 
ment il  faut  s'en  abstenir  ;  quelle  doit  être  la  mesure 
de  tes  occupations  ,  et  quelle  doit  être  celie  de  tes 
divertissemens  ;  en  un  mot ,  ce  que  tu  as  à  faire ,  et 
ce  que  tu  as  à  éviter  pour  vivre  en  chrétien  :  Ins- 
pice.  Ainsi  Dieu  nous  donne-t-il  dans  les  saints  de 
quoi  nous  instruire  et  nous  toucher.  Il  ne  faut  pour 
cela,  ni  discours,  ni  préceptes:  la  vue  d'un  saint 
est  une  leçon  intelligible  à  tout  le  monde  ;  les  grands 
esprits  et  les  simples ,  les  spirituels  et  les  ignorans 
sont  également  capables  de  la  comprendre.  Car  on 
peut  bien  appliquer  ici  ce  que  saint  Chrysostôme 
disoit  du  firmament.  Vous  me  demandez  comment 
le  ciel  parle,  et  comment  il  nous  annonce  les  gran- 
deurs de  Dieu?  C'est,  répondoit  ce  Père,  par  sa 
splendeur  et  par  la  variété  de  ses  étoiles  ;  il  n'a  point 
d'autre  langage  que  celui-là,  ni  d'autre  voix;  mais 
cette  voix  ,  toute  muette  qu'elle  est,  a  retenti  dans 
toutes  les  parties  du  monde  :  le  scythe ,  l'indien  ,  le 
grec,  le  barbare  ,  tous  l'entendent:  Et  scytha  et 
barbarus  et  indus  hanc  vocem  audiunt.  Disons- 
le  même  des  saints;  leur  vie  nous  parle  et  nous  ex- 
plique toute  la  loi  de  Dieu  :  comment  ?  par  les  ver- 
tus dont  elle  a  été  ornée;  et  ce  que  nous  aurions 
peine  à  concevoir  dans  la  loi  même ,  ce  qui  nous 
paroîtroit  obscur  dans  les  livres  ,  ce  que  toutes  les 
paroles  des  hommes  ne  nous  développeroient  qu'im- 
parfaitement, nous  est  mis  sous  les  yeux  et  claire- 
ment exprimé  dans  l'exemple  de  ces  élus  de  Dieu  ; 
de  sorte  que  les  plus  grossiers  en  sont  plus  instruits: 
Barbarus  et  indus  hanc  vocem  audiunt.  Or  il 

TOME    XI.  33 


354  POUR    LA    FÊTE 

n'est  pas  possible  de  voir  la  sainteté  ,  je  dis  la  vraie 
sainteté  telle  qu'elle  a  été  dans  les  saints  ,  sans  en 
reconnoître  d'abord  tout  le  mérite  ,  et  sans  lui  don- 
ner notre  estime.  Ces  excellens  caractères  qui   lui 
sont   propres ,  et  en  quoi  consiste  sa  perfection  , 
cette  piété,  cette  humilité  ,  ce  désintéressement,  ce 
détachement  de  soi-même,  cet  esprit  de  justice  et 
de  charité,  cette  droiture  et  cette  bonne  foi ,  cette 
règle  et  cette  sagesse  ,  cette  constance  et  cette  force 
héroïque,  tout  cela  nous  convaincra  malgré  nous 
qu'il  n'y  a  rien  de  plus  respectable,  rien  de  plus 
aimable ,  et  par  conséquent  rien  de  plus  désirable  : 
or,  nous  remplir  de  ces  sentimens  à  l'égard  de  la 
sainteté,  n'est-ce  pas  nous  la  persuader?  Tout  ce 
que  nous  pourrions  lui  opposer  ,  ce  seroit  d'être, 
ce  semble  ,  trop  parfaite  ,  et  d'exiger  trop  de  nous  , 
puisque  pour  nous  faire  saints  ,  elle  nous  engage  à 
être  ennemis  de  nous-mêmes  ,  jusqu'à  faire  à  Dieu 
le  sacrifice  de  notre  vie.  Mais  cela  même ,  reprend 
saint  Augustin  ,  est  encore  bien  justifié  par  l'exem- 
ple de  ces  glorieux  athlètes   que  le  christianisme 
honore  sous  le  nom  de  martyrs.  Car  leur  exemple , 
tout  admirable  qu'il  est,  nous  apprend  qu'ils  n'ont 
rien  fait  pour  Dieu  que  ce  que  font  tous  les  jours 
des  sujets  fidèles  pour  le  service  de  leur  prince  ;  et 
que  ce  devoir  si  éminent  de  sainteté  ,   n'est  après 
tout  qu'un  devoir  commun  ,  fondé  sur  la  première 
loi  de  la  nature,  qui  oblige  l'homme  à  mourir  plutôt 
que  de  trahir  son  Dieu  et  sa  religion. 

Voilà,  dis-je,  ce  que  l'exemple  des  saints  nous 
persuade  ;   celui  de  Dieu  ,  quoique  infiniment  plus 


DE    TOUS    LES    SAINTS.  355 

relevé ,  ne  pouvoit  sur  tout  cela  nous  donner  les 
mêmes  lumières  :  pourquoi?  saint  Grégoire  ,  pape  , 
en  apporte  une  belle  raison  :  non-seulement,  dit-il, 
parce  que  la  sainteté  de  Dieu  est  une  sainteté  in- 
visible ,  inaccessible,  incompréhensible,  et  parla, 
si  j'ose  ainsi  m'exprimer  ,  incapable  de  nous  servir 
d'exemple;  mais  beaucoup  plus  ,  écoutez  ceci, 
parce  qu'à  le  bien  prendre,  Dieu  n'est  pas  saint  de 
la  manière  que  nous  devons  l'être  ,  et  que  la  sain- 
teté n'est  point  dans  lui  ce  qu'elle  doit  être  dans 
nous.  Car  dans  nous  la  sainteté  est  inséparable  de 
la  pénitence  :  or  la  pénitence  ne  peut  non  plus 
convenir  à  Dieu  que  le  péché;  dans  nous  une  partie 
delà  sainteté  est  de  nous  soumettre,  de  dépendre, 
d'obéir  :  voilà  ce  qui  nous  sanctifie  ;  et  en  Dieu 
c'est  tout  le  contraire  ;  nous  sommes  saints  par  le 
mépris  que  nous  faisons  de  nous-mêmes ,  et  Dieu 
est  saint  par  la  gloire  qu'il  se  donne  à  soi-même  ; 
il  est  saint  dans  une  possession  entière  et  parfaite  de 
sa  béatitude,  et  nous  sommes  saints  parla  patience 
dans  nos  misères,  et  ainsi  du  reste.  Dieu  pouvoit 
donc  bien  ,  conclut  saint  Grégoire ,  nous  comman- 
der la  sainteté  ;  mais  il  ne  pouvoit  nous  persuader 
par  son  exemple  la  sainleté  ,  parce  qu'il  ne  pouvoit 
pas  être  notre  modèle  sur  la  plupart  des  vertus 
dont  il  faut  que  notre  sainteté  soit  composée  ,  et 
qui  en  sont  les  principales  parties.  Mais  qu'a-t-il 
fait?  il  nous  a  donné  des  hommes  comme  nous,  et 
de  même  nature  que  nous  ,  qui  se  sont  sanctifiés 
par  toutes  ces  vertus  ;  et  en  nous  les  mettant  de- 
vant les  yeux  ,  il  a  suppléé  ,  pour  ainsi  dire ,  par 


356  POUR  LA  FÊTE 

leur  exemple,  ce  qui  manquoit  au  sien.  Car  il  nous 
falloit  des  modèles  de  sainteté  qui  nous  touchassent 
et  qui  eussent  une  certaine  proportion  avec  nous  , 
pour  pouvoir  remuer  les  ressorts  les  plus  intimes 
de  notre  cœur  :  or  il  n'y  avoit  que  les  saints  propres 
pour  cela ,  et  capables  de  faire  cette  impression  sur 
nous.  Et  en  effet,  chrétiens  ,  c'est  ainsi  que  l'esprit 
de  Dieu  a  de  tout  temps  excité  les  hommes  ,  et 
qu'il  leur  a  inspiré  les  désirs  ardens  de  la  sainteté. 
C'est  par  là  que  ce  généreux  prince  des  Macha- 
bées ,  l'illustre  Matathias  étant  proche  de  la  mort, 
confirma  ses  enfans  dans  le  culte  du  Seigneur  et 
dans  la  vraie  religion.  Tout  ce  que  je  vous  demande, 
leur  dit-il  ,  mes  chers  enfans  ,  c'est  que  vous  ne 
perdiez  jamais  le  souvenir  de  ce  qu'ont  fait  vos 
ancêtres  pour  le  Dieu  d'Israël  ;  car  avec  cela  je  me 
promets  tout  de  vous.  Représentez-vous  souvent 
l'obéissance  d'un  Abraham,  jusqu'à  ne  pas  épargner 
son  fils  unique  ;  la  fidélité  d'un  Joseph  envers  son 
maître,  aux  dépens  de  sa  fortune  et  de  sa  liberté; 
la  modération  d'un  David  envers  ses  ennemis ,  au 
préjudice  des  intérêts  les  plus  délicats  de  sa  cou- 
ronne ;  le  zèle  d'un  Elie  dans  la  cour  des  rois ,  au 
péril  même  de  sa  vie  :  et  ainsi  parcourant  de  siècle 
en  siècle  et  de  génération  en  génération ,  vous 
trouverez  qu'il  n'y  a  point  de  parti  dans  le  monde 
plus  honorable  ni  plus  solide  ,  que  celui  de  servir 
Dieu.  Ce  furent  les  paroles  de  ce  saint  vieillard  que 
je  puis  bien  appeler  avec  saint  Jérôme  ,  un  homme 
évangélique  avant  l'évangile  même  :  Virum  ante 
Christi  evangelia  evangelicum  ;  et  ces  paroles 


DE   TOUS  LES   SAINTS.  357 

produisirent  dans  la  personne  des  jeunes  Macha- 
bées  ,  non  pas  les  effets,  mais  les  miracles  de  vertu 
dont  vous  avez  entendu  le  récit.  C'est  pour  cela 
môme  que  le  second  concile  de  Nicée  autorisa  si 
fortement  et  si  constamment  l'ancienne  tradition 
d'exposer  les  images  des  saints  à  la  vénération  des 
peuples  ;  et  nous  savons  ,  par  le  rapport  de  saint 
Damascène ,  qu'une  des  raisons  qui  détermina  les 
Pères  du  concile  ,  fut  celle-ci  :  savoir ,  que  les  fi- 
dèles ,  voyant  ces  images  ,  seroient  excités  à  imiter 
dans  la  pratique  ce  qu'ils  honoroient  dans  la  figure 
et  dans  la  représentation.  Enfin ,  c'est  pour  cela 
que  l'Eglise ,  après  nous  avoir  présenté  l'exemple 
de  chaque  saint  en  particulier  dans  les  autres  fêtes 
de  l'année,  tire  aujourd'hui  le  rideau,  et,  s'il  m'est 
permis  d'user  de  cette  expression  ,  nous  les  montre 
tous  ,  espérant  que  la  vue  de  tant  d'exemples  nous 
convaincra  et  nous  convertira.  Comme  si  elle  nous 
disoit  :  Voyez,  chrétiens,  voilà  les  héros  de  votre 
foi  ;  voilà  ces  hommes  dont  le  monde  n'étoit  pas 
digne,  et  qui,  en  méprisant  le  monde  ,  se  sont 
rendus  dignes  de  Dieu;  voilà  ceux  qui  remplissent 
le  ciel.  Comparez-vous  à  eux,  et  dans  Téloigne- 
ment  infini  que  cette  comparaison  vous  fera  décou- 
vrir entre  eux  et  vous ,  confondez-vous  de  ce  que 
vous  êtes ,  et  aspirez  à  ce  que  vous  n'êtes  pas.  Au 
lieu  de  ces  vertus  mondaines  que  vous  affectez,  et 
qui  n'ont  ni  vérité  ni  solidité;  au  lieu  de  cette 
prudence  de  la  chair  qui  vous  aveugle ,  et  qui  est 
ennemie  de  Dieu  ;  au  lieu  de  cette  politique  dont 
vous  vous  faites  une  conscience  ,  et  qui  vous  jette 


358  POUR    LA  FÊTE 

dans  un  abîme  de  péchés;  au  lieu  de  cette  science 
du  monde  que  vous  vantez  tant ,  et  dont  tout  le 
fruit  est  de  vous  bâtir  sur  la  terre  des  fortunes  pé- 
rissables que  la  mort  détruira  bientôt  :  au  lieu  de 
tout  cela ,  attachez-vous  aux  vertus  chrétiennes  , 
qui  font  les  élus  et  les  prédestinés.  Il  n'y  a  pas  un 
saint  dans  le  ciel,  dont  l'exemple  ne  soit  pour  vous 
une  leçon  :  étudiez-les  tous,  et  si  vous  voulez  sanc- 
tifier votre  ambition  jusqu'à  en  faire  une  vertu  , 
tachez  même  à  l'emporter  sur  eux  :  JEmulaminl 
charismata  meliora  (i).  C'est  ce  que  l'Eglise 
nous  dit,  et  à  quoi  il  faut  que  nous  répondions. 

Mais  ce  que  l'Eglise,  ou  plutôt  ce  que  Dieu  de- 
mande de  nous,  le  pouvons-nous  dans  l'extrême 
foiblesse  où  nous  sommes  ,  et  au  milieu  de  tant 
d'obstacles  que  nous  rencontrons  dans  le  monde  ? 
Ah  !  chrétiens,  c'est  ici  le  grand  point  de  notre 
instruction ,  et  le  second  effet  de  l'exemple  des 
saints.  Oui  ,  nous  le  pouvons,  et  quoique  l'esprit 
d'impénitence  et  de  libertinage  qui  règne  dans  nous, 
puisse  nous  faire  penser  le  contraire ,  ces  élus  de 
Dieu  seront  des  preuves  éternelles  que  la  sainteté 
n'a  rien  d'impossible  ;  qu'elle  n'a  rien  même  de  fâ- 
cheux ni  de  difficile  pour  ceux  qui  aiment  Dieu  ; 
qu'elle  a  ses  douceurs,  ses  consolations,  aussi  bien 
que  le  monde  ,  et  des  consolations  ,  des  douceurs 
infiniment  plus  pures  que  celles  du  monde.  \  érités, 
mes  chers  auditeurs,  dont  les  saints  rendront  témoi- 
gnage contre  nous  au  jugement  de  Dieu,  et  le  té- 
moignage le  plus  convaincant.  Appliquez-vous.  Nous 

(ï)  i.  Cor.  12, 


DE   TOUS  LES    SAINTS.  35g 

mettons  la  sainteté  au  rang  des  choses  impossibles; 
c'est  par  où  notre  libertinage  voudroit  se  mainte- 
nir. Mais  Dieu  nous  empêche  bien  aujourd'hui  de 
nous  prévaloir  de  celte  pensée.  Il  est  vrai  que  pour 
être  saint ,  il  faut  faire  effort,  prendre  sur  soi ,  re- 
noncer aux  sentimens  naturels  ,  fuir  les  plaisirs , 
dompter  ses  passions,  mortifier  ses  sens,;  et  le 
moyen  ,  dit-on  ,  d'en  venir  là  ,  et  de  s'y  soutenir? 
Ah  !  chrétiens  .,  autre  merveille  de  la  sagesse  de 
Dieu  :  Mirabilis  Deus  in  sanctis  suis.  Car  je 
conviens  que  cela  surpasse  les  forces  de  la  nature , 
je  conviens  qu'il  n'y  a  rien  la  que  de  grand  ;  mais 
Dieu  n'est-il  pas  admirable  de  nous  avoir  facilité 
tout  cela ,  de  nous  l'avoir  adouci  jusqu'à  pouvoir 
dire  que  si  la  loi  est  un  joug  ,  c'est  un  joug  léger 
et  un  fardeau  aisé  à  porter  :  Jugum  meum  suave  , 
et  omis  meum  levé  (i).  Or  il  l'a  fait  ,  en  nous 
donnant  les  saints  pour  exemple.  Avant  cet  exemple 
des  saints,  nous  pouvions  trembler,  et  notre  crainte 
sembloit  raisonnable  ;  mais  maintenant  qu'on  nous 
montre  tant  de  martyrs  ,  tant  de  vierges  ,  tant  de 
glorieux  confesseurs  qui  ont  marché  devant  nous, 
et  qui  nous  ont  tracé  le  chemin,  que  pouvons-nous 
trouver  d'impossible  ?  Hé  quoi  !  ils  ont  pu  vivre 
dans  les  déserts  et  sur  des  rochers  escarpés^  ils  ont 
pu  s'ensevelir  dans  l'obscurité  du  cloître  ,  et  en 
supporter  toutes  les  austérités  ;  ils  ont  pu  joindre 
ensemble  les  prières  presque  continuelles,  les  lon- 
gues et  fréquentes  veilles  ,  les  jeûnes  rigoureux  , 
les  sanglantes  macérations,  tout  ce  qu'inspire  l'es- 

(î)Matth.  ii. 


36o  POUR    LA  TÈTE 

prit  de  pénitence  et  l'abnégation  évangélique  ;  ils 
ont  pu  se  laisser  condamner  aux  tourmens  les  plus 
affreux  ,  et  les  endurer.  Voilà ,  disoit  l'Apôtre  ,  ce 
qu'ont  fait  et  ce  qu'ont  souffert  tant  de  saints  ;  ils 
ont  bien  voulu  servir  de  sujets  à  la  cruauté  des 
hommes  ;  ils  se  sont  exposés  aux  outrages  ,  aux 
fouets ,  aux  chaînes  ,  aux  prisons  ;  les  uns  ont 
éprouvé  toute  la  violence  du  feu  ,  les  autres  ont 
passé  par  le  tranchant  des  épées,  plusieurs  ont  été 
dévorés  des  bêtes  féroces ,  ont  été  lapidés  ,  ont 
été  sciés  :  Lapidati  sunt ,  secti  sunt  (i).  Après 
cela ,  mes  chers  auditeurs ,  retranchez-vous  sur  votre 
foiblesse  et  sur  une  impossibilité  prétendue.  Avez- 
vous  les  mêmes  combats  à  livrer?  vous  trouvez-vous 
dans  les  mêmes  occasions  de  signaler  votre  courage 
et  d'exercer  votre  patience  ?  ce  qu'on  vous  demande 
esl-il  comparable  aux  victoires  que  les  saints  ont 
remportées  et  aux  obstacles  qu'ils  ont  surmontés  ? 
Mais ,  dites-vous  ,  si  la  sainteté  n'est  pas  impossi- 
ble ,  du  moins  est-elle  bien  difficile.  Non  ,  mes 
frères  ,  rien  n'est  difficile  à  ceux  qui  aiment  Dieu 
comme  les  saints.  L'ardeur  de  leur  zèle,  la  ferveur 
de  leur  amour  ,  leur  générosité  et  leur  résolution 
leur  ont  aplani  toutes  les  voies.  Quand  ont-ils  senti 
les  difficultés  ?  ou  s'ils  les  ont  senties  ,  quand  s'en 
sont-ils  plaints  ?  quand  ont-ils  été  étonnés  ?  quand 
ont-ils  balancé  et  délibéré  ?  Dès  que  vous  serez 
animés  du  même  zèle  ,  que  vous  serez  brûlés  du 
même  amour ,  que  vous  aurez  pris  les  mêmes  ré- 
solutions et  avec  la  même  générosité ,  ces  peines 
KO  Hcb.  ». 


DE    TOUS    LES    SAINTS.  36l 

que  vous  vous  figurez  comme  des  monstres  dispa- 
roîtront  et  s'évanouiront.  Tout  vous  deviendra  fa- 
cile et  même  agréable.  Je  dis  agréable  :  car  nous 
voulons  trouver  du  plaisir  jusque  dans  la  sainteté: 
sentiment  bien  indigne  d'un  chrétien  ;  mais  tout  in- 
digne qu'il  est ,  reprend  saint  Chrysostôme  ,  Dieu 
s'est  accommodé  en  cela  même  à  notre  délicatesse, 
et  l'exemple  des  saints  en  est  la  preuve.  Dès  cette 
vie  ils  ont  goûté  des  douceurs  et  des  consolations 
infiniment  au-dessus  de  toutes  les  douceurs  et  de 
toutes  les  consolations  du  siècle.  Au  lieu  de  ces 
plaisirs  infâmes  et  criminels  que  leur  présentoit  le 
monde  ,  et  dont  ils  ont  eu  tant  d'horreur  ,  Dieu 
leur  en  a  préparé  d'autres  tout  célestes  et  tout  di- 
vins. Peut-être  ne  les  concevons-nous  pas,  parce 
que  plongés  dans  les  sens  ,  nous  ne  voulons  pas 
comme  eux  nous  mettre  en  état  de  les  comprendre. 
Mais  les  fréquentes  épreuves  qu'ils  en  ont  faites , 
et  que  nous  ne  pouvons  désavouer  ,  doivent  bien 
nous  convaincre  là -dessus,  et  nous  confondre. 
Tandis  qu'au  milieu  des  flammes  ,  ainsi  que  nous 
l'apprend  l'Ecriture,  les  réprouvés  protestent  qu'ils 
se  sont  lassés  dans  le  chemin  de  l'iniquité  •:  Lassait 
sumus  in  via.  iniquitatis  (i)  ;  tandis  que  les  es- 
claves du  monde  nous  rendent  eux-mêmes  témoi- 
gnage ,  qu'il  n'y  a  pour  eux  dans  la  vie  qu'amertume , 
que  trouble  ,  qu'affliction  d'esprit  :  Eocpectavimus 
pacem  ,  et  ecce  turbatio  (2)  ;  ces  élus  de  Dieu 
nous  assurent  tout  au  contraire,  qu'ils  n'ont  jamais 
trouvé  qu'en  Dieu  la  source  des  vraies  consola- 

(1)  Sap.  5.  —  (2)  Jerem.  14. 


362  TOUR  LA  FÊTE 

tiens  ;  que  plus  ils  ont  eu  soin  de  se  mortifier  pour 
lui ,  plus  il  leur  a  fait  sentir  l'onction  intérieure  de 
la  grâce  ;  et  que  cette  vie  ,  qu'ils  ont  passée  dans 
les  pratiques  les  plus  sévères  du  christianisme,  bien 
loin  de  leur  avoir  paru  dure  et  fâcheuse  ,  étoit  pour 
eux  comme  une  béatitude  anticipée.  Pourquoi  nous 
obstinerions-nous  à  ne  les  en  pas  croire  ,  et  quel 
intérêt  auroient-ils  eu  à  nous  tromper  ?  Mais  si 
nous  les  en  croyons,  pourquoi  nous  opiniâtrerions- 
nous  à  être  plutôt  malheureux  avec  le  monde  ,  qu'à 
chercher  dans  Dieu  notre  véritable  bonheur  ? 

Ce  n'est  pas  que  j'ignore  de  combien  de  prétextes 
la  nature  corrompue  tâche  à  se  prévaloir,  pour 
nous  éloigner  de  la  sainteté.  On  dit  :  Le  moyen  de 
vivre  en  tel  ou  en  tel  état ,  et  de  s'y  sanctifier  ? 
prétexte  de  la  condition  ;  on  dit  :  Je  suis  détourné 
par  mille  autres  soins  qui  m'occupent,  et  qui  ne  me 
donnent  point  de  relâche  :  prétexte  des  affaires;  on 
dit  :  J'ai  un  tempérament  délicat  que  le  moindre 
effort  altère ,  et  que  je  dois  ménager  :  prétexte  de 
la  santé;  on  dit  :  J'ai  des  passions  vives  qui  m'entraî- 
nent, et  auxquelles  je  ne  puis  presque  résister  :  pré- 
texte des  dispositions  intérieures;  on  dit  :  J'ai  des 
engagemens  qui  m'attachent ,  et  mon  coeur  est  pris  : 
prétexte  de  l'habitude;  enfin,  que  ne  dit-on  pas? 
mais  quoi  qu'on  dise,  je  prétends  qu'un  troisième 
effet  de  l'exemple  des  saints,  est  de  nous  ôter  tout 
prétexte  dont  notre  lâcheté  cherche  à  se  couvrir  et 
à  s'autoriser.  Car  je  le  veux  ,  mon  cher  auditeur , 
vous  êtes  dans  des  conditions  dangereuses  ;  mais 
dans  ces  mêmes  conditions  n'y  a-t-il  pas  eu  des 


DE    TOUS  LES  SAINTS.  363 

saints ,  et  même  n'y  en  a-t-il  pas  en  dans  des  con- 
ditions qui  lesexposoient  encore  à  de  pins  fréquens 
et  à  de  pins  grands  dangers  ?  Vous  êtes  obligé  de 
vaquer  à  des  emplois  fatigans  et  embarrassans;  mais 
dans  ces  mêmes  emplois  tant  d'autres  avant  vous 
ne  se  sont-ils  pas  sanctifiés  ?  Avez-vous  moins  de 
loisir  pour  penser  à  vous-même,  que  saint  Louis 
sur  le  trône;  et  lorsqu'il  gouvernoit  un  royaume, 
qu'il  passoit  les  mers,  qu'il  commandoit  les  armées, 
qu'il  donnoit  des  batailles ,  lui  étoit-il  plus  libre 
qu'à  vous  de  se  recueillir  et  de  se  défendre  des  dis- 
tractions du  monde?  Vous  êtesfoible  et  d'une  com- 
plexion  qui  vous  engage  à  bien  des  ménagemens,  et 
qui  vous  met  bors  d'état  d'agir  :  mais  combien  de 
saints,  surtout  combien  de  vierges  déjà  foibles  par 
elles-mêmes,  encore  plus  afFoiblies  par  les  absti- 
nences, par  les  jeûnes,  par  de  longues  veilles,  par 
de  continuelles  austérités,  par  tous  les  exercices  de 
la  pénitence  et  de  l'abnégation  chrétienne  ,  n'ont 
pris  néanmoins  jamais  aucun  relâche  ,  et ,  selon  la 
parole  de  l'Apôtre  ,  ont  fait  de  leurs  corps  des  hos- 
ties vivantes  ?  Vous  avez  des  passions  à  vaincre  ; 
mais  en  avez-vous  de  plus  difficiles  à  surmonter 
que  des  millions  de  pécheurs  et  de  pécheresses , 
qui  par  de  salutaires  violences,  aidés  de  la  grâce, 
ont  triomphé  de  leur  cœur  ,  et  en  ont  réprimé  tous 
les  mouvemens  ?  Enfin,  vous  êtes  dominé  par  l'ha- 
bitude, vous  êtes  endurci  dans  le  péché,  vous  êtes 
surchargé  de  dettes  devant  Dieu  ,  vous  êtes  cou- 
pable à  ses  yeux  d'un  nombre  infini  d'offenses  ,  et 
d'offenses  très-grièves ,  vous  n'osez  plus  rienatten- 


364  POUR  LA    FETE 

dre  de  sa  miséricorde.  Àh  !  mon  cher  frère ,  souve- 
nez-vous des  saints,  et  vous  apprendrez  qu'il  n'y  a 
point  d'habitude  si  invétérée  que  vous  ne  puissiez 
détruire,  qu'il  n'y  a  point  d'attachement  si  étroit 
que  vous  ne  puissiez  rompre  ,  qu'il  n'y  a  point  d'état 
de  péché  d'où  il  ne  soit  en  votre  pouvoir  de  sortir  , 
et  qu'en  quelques  désordres  que  vous  soyez  tombé , 
vous  n'avez  point  encore  tellement  éloigné  Dieu  de 
vous,  que  vous  n'ayez  des  moyens  prompts  et  sûrs 
pour  le  retrouver  et  pour  vous  réconcilier  avec  lui. 
Car  combien  y  a-t-il  eu  de  saints  pénitens,  qui,  à 
certains  temps  de  leur  vie ,  ont  été  dans  les  mêmes 
habitudes  que  vous  ,  ont  été  aussi  redevables  à  la 
justice  de  Dieu  que  vous ,  ont  eu  autant  de  sujet,  et 
peut-être  même  plus  de  sujet  que  vous  de  se  défier 
de  sa  miséricorde  et  de  désespérer  de  leur  retour  ? 
Cependant  ils  sont  revenus,  ils  se  sont  convertis, 
ils  se  sont  remis  dans  leur  devoir ,  ils  s'y  sont  per- 
fectionnés ,  ils  se  sont  élevés  à  la  plus  sublime 
sainteté.  Est-ce  que  la  grâce  étoit  plus  puissante 
pour  eux  qu'elle  ne  Test  pour  vous  ?  est-ce  que  les 
trésors  de  la  divine  miséricorde,  si  abondans  pour 
eux,  sont  épuisés  pour  vous?  non  sans  doute,  et 
dès  que  vous  voudrez  en  faire  l'épreuve  comme  les 
saints,  vous  trouverez  toujours  un  Dieu  patient 
pour  vous  attendre  ,  un  Dieu  prévenant  pour  vous 
rechercher,  un  Dieu  bienfaisant  pour  vous  combler 
de  ses  grâces ,  un  Dieu  tout-puissant  pour  opérer 
en  vous  des  miracles  de  conversion  et  de  sanctifi- 
cation. C'est  ainsi  qu'il  renverse  tous  vos  prétextes 
par  l'exemple  des  saints,  et  c'est  en  cela  toujours 


DE    TOUS  LES    SAINTS.  365 

qu'il  est  admirable  :  Mirabilis  Deus  in  sanctis 
suis.  Mais  en  quoi  vous  êtes  condamnables,  chré- 
tiens ,    c'est  de   ne  pas  profiter  de   cet   exemple. 
Qu'aurez-vous  à  répondre ,  quand  Dieu,  dans  son 
jugement  dernier ,  produira  contre  vous  ces  glo- 
rieux prédestinés,  et  qu'il  vous  demandera  compte 
de  l'affreuse  différence  qui  paroi tra  entre  eux  et 
vous  ;  entre   leur  pénitence   et  votre   obstination  , 
entre  leur  courage  et  votre  lâcheté;  entre  leur  zèle, 
leur  activité ,  leur  ferveur  et  votre  mollesse ,  votre 
indolence,  vos  froideurs;  entre  leur  sainteté  et  les 
abominations  de  votre  vie  libertine  et  corrompue  ? 
car  voilà  le  jugement  de  comparaison  que  vous  au- 
rez à  soutenir ,  et  qui  vous  convaincra  ,    qui  vous 
confondra  ,    qui  vous  réprouvera.  Prévenons-le  , 
mes  chers  auditeurs  ;   et  comprenant  qu'il  ne  tient 
qu'à  nous  de  détourner  ce  triste  malheur  dont  nous 
sommes  menacés,  aimons-nous  assez  nous-mêmes, 
pour  ne  nous  l'attirer  pas  volontairement.  Si  nous 
ne  sommes  pas  encore  saints ,  et  si  même  nous  ne 
sommes  rien  moins  que  saints,  souhaitons  de  l'être , 
demandons  à  l'être  ,    prenons  toutes  les  mesures 
nécessaires  pour  l'être.  Car,  dit  le  Fils  de  Dieu, 
bienheureux  ceux  qui  sont  affamés  et  altérés  de  la 
sainteté  et  de  la  justice  :  Beati  qui   esuriunt  et 
sitiunt  justitiam  (i)  :  pourquoi?  parce  que  cette 
faim  et  cette  soif,  parce  que  ce  désir  sincère  ,  ar- 
dent, efficace  ,  les  fera  travailler  fortement  et  soli- 
dement à  acquérir  le  bien  qu'ils  souhaitent,  et  qui,, 

(i)  Matth.  5. 


3G6  POUR   LA    FÊTE 

sans  contestation  ,  est  le  plus  pre'cieux  de  tous  ies 

biens. 

C'est  ,  Sire,  le  soin  important,  le  premier  soin 
qui  doit  occuper  les  rois  aussi  bien  que  les  autres 
hommes,  et  même  en  quelque  sorte  plus  que  les 
autres  hommes.  Qui  que  nous  soyons ,  nous  avons 
tous  une  obligation  générale  de  nous  sanctifier  ; 
mais  il  est  vrai  que  les  grands  en  ont  une  particu- 
lière ;  et  je  ne  craindrai  point  d'ajouter  que  cette 
obligation  particulière  pour  les  grands ,  est  encore 
plus  étroite  pour  votre  Majesté.  Ce  n'est  point  assez; 
et  pourquoi  ne  dirois-je  pas  que  vous  avez  sur  cela 
une  obligation  qui  vous  est  personnelle  ,  et  qui  ne 
peut  convenir  à  nul  autre  qu'à  vous  ?  Cette  obliga- 
tion, Sire,  qui  vous  est  si  propre,  cette  raison 
d'aspirer  à  la  sainteté  et  à  la  plus  sublime  sainteté, 
c'est  votre  grandeur  même  ,  et  le  haut  point  d'élé- 
vation où  nous  vous  voyons.  Car,  puisque  le  ciel  a 
mis  votre  Majesté  au-dessus  de  tous  les  monarques 
de  l'univers ,  et  puisque  entre  toutes  les  puissances 
humaines,  il  n'y  a  rien  qui  l'égale,  elle  se  trouve 
spécialement  obligée  par  là  ,  pour  ne  pas  descendre, 
de  se  porter  vers  Dieu  ,  de  ne  rechercher  que  Dieu  , 
de  ne  s'attacher  qu'à  Dieu.  C'est  pour  cela  que  Dieu 
vous  a  donné  ces  qualités  éminentes  ,  qui  font  l'ad- 
miration de  tons  les  peuples  :  c'est  pour  cela  ,  et 
pour  cela  seul  qu'il  vous  a  fait  naître.  Non  ,  Sire, 
il  ne  vous  a  point  fait  naître  précisément  pour  être 
grand  dans  le  monde,  ni  pour  être  roi  ;  mais  il  vous 
a  fait  roi,  et  le  plus  grand  des  rois,  pour  être  saint. 
Sans  la  sainteté,  tout  l'éclat  de  votre  couronne, 


DE  TOUS  LES   SAINTS.  36j 

tonte  la  splendeur  de  votre  règne,  tous  ces  titres 
qui  vous  sont  si  justement  dus,  de  roi  puissant,  de 
roi  sage  ,  de  roi  magnifique ,  de  roi  conquérant ,  ne 
sont  rien  ,  ou  ne  sont,  selon  le  langage  de  l'Ecriture, 
qu'illusion  et  que  vanité  :  Vanitas  vanitatum. 
Voilà ,  Sire ,  ce  qu'ose  représenter  à  votre  Majesté 
le  dernier  de  vos  sujets  qui,  jugeant  des  choses  par 
les  lumières  de  l'évangile  qu'il  a  l'honneur  de  vous 
prêcher ,  s'estimeroit  mille  fois  plus  heureux  de 
donner  sa  vie  pour  le  salut  de  votre  ame  ,  que  pour 
l'accroissement  de  vos  Etats.  Non  point  qu'en  fidèle 
et  zélé  sujet,  je  ne  puisse  et  ne  doive  prendre  part 
à  ces  succès  éclatans  qui  font  de  votre  royaume  le 
plus  florissant  empire  du  monde;  mais  après  tout, 
ce  royaume  de  la  terre  passera,  et  le  royaume  du 
ciel  ne  finira  jamais  :  l'un  aura  son  temps,  et  l'autre 
que  Dieu  réserve  à  ses  saints  ,  n'aura  pour  terme 
que  l'éternité  bienheureuse,  où  nous  conduise,  etc. 


* 


AUTRE  SERMON 

POUR  LA  FÊTE 

DE  TOUS   LES  SAINTS. 


Accesserunt  ad  eum  discipuli  ejus ,  et  aperieus  os  suum9 

Jocebat  eos. 

Les  disciples  de  Jésus-Christ  s'étant  approchés  de 
lui ,  il  se  mit  à  les  enseigner.  Eu  saiut  Matthieu  , 
chap.  5. 

Sire, 

C'est  pour  cela  que  la  sagesse  de  Dieu  s'e'toit  in- 
carnée, et  que  le  Fils  unique  du  Père  étoit  des- 
cendu du  ciel;  c'est,  dis-je,  pour  enseigner  les 
hommes  sur  la  terre.  C'est  ainsi  que  ce  Dieu-hom- 
me ,  après  avoir  long-temps  parlé  par  la  bouche 
des  prophètes ,  qui  avoient  été  ses  précurseurs^et 
ses  organes,  ouvroit  enfin  lui-même  sa  bouche  sa- 
crée ,  et  formoit  des  disciples  dignes  de  lui ,  en 
leur  servant  de  maître  et  de  docteur  :  dperiens  os 
suum ,  docebat  eos.  Mais  que  leur  enseignoit-il , 
et  quel  étoit  le  sujet  de  ses  adorables  instructions  ? 
une  seule  chose  dont  ils  avoient  besoin ,  et  qu'il 
n'appartenoit  qu'à  lui  de  leur  apprendre,  je  veux 
dire  la  science  des  saints.  Cette  science  si  inconnue 
au  monde,  et  néanmoins  si  nécessaire  pour  le  sa- 
lut; cette   science  que  Dieu  vouloit  révéler  aux 


POUR  LA  FÊTE  DE  TOUS  LES  SAINTS.  36o, 
humbles  et  aux  petits,  mais  cacher  aux  sages  et 
aux  prudens  du  siècle;  cette  science  aussi  solide 
que  sublime,  qui  rend  les  hommes,  parfaits,  et  qui 
les  conduit  au  véritable  bonheur;  en  un  mot, cette 
science  qui  fait  les  saints ,  les  prédestinés ,  les  élus  : 
voilà  ce  que  Jésus-Christ  enseignoit  à  ses  apôtres  , 
et  ce  qu'il  prétendoit  nous  enseigner  à  nous-mêmes 
dans  leurs  personnes  :  Aperiens  os  suum ,  Jo- 
cebat  eos.  Car  il  n'instruisoit  ses  apôtres  ,  dit  saint 
Augustin ,  que  pour  instruire  dans  eux  toute  son 
Eglise;  et  il  ne  les  remplissoit  de  cette  science, 
qui  devoit  sanctifier  le  christianisme,  qu'afm  que, 
par  leur  ministère,  cette  science  fût  communiquée 
à  tous  ceux  qui  feroient  profession  de  la  loi  chré- 
tienne. Heureux,  mes  chers  auditeurs,  si  nous  l'a- 
vons reçue ,  ou  du  moins  si  nous  la  recevons  au- 
jourd'hui, cette  science,  en  comparaison  de  laquelle 
toute  autre  science  n'est  que  vanité.  Vous  me  de- 
mandez en  quoi  elle  consiste  ,  et  comment  elle  peut 
vous  convenir  dans  le  monde  ,  surtout  en  certains 
états  du  monde  :  c'est  ce  que  j'entreprendrai  de 
vous  expliquer ,  après  que  nous  aurons  salué  la  reine 
des  saints,  en  lui  disant  :  As>e ,  Maria» 

Il  y  a  une  science  des  saints  :  on  n'en  peut  dou- 
ter, puisqu'il  est  écrit  que  Dieu  la  donna  au  pa- 
triarche Jacob  :  Dédit  illi  scient iam  sancto- 
rum  (1);  et  ce  que  l'Ecriture  appelle  la  science 
des  saints ,  selon  le  sentiment  de  tous  les  Pères , 
n'est  rien  autre  chose  que  la  science  du  salut.  Il 

(1)  Sap.  10. 

TOME  XI.  24 


3yo  POUR     LA    FÊTE 

faut  donc  conclure  d'abord ,  que  cette  science  est 
aussi  nécessaire  aux  hommes  que  le  salut  même  : 
je  m'explique.  IJpur  parvenir  au  royaume  de  Dieu, 
et  y  mériter  une  place,  fût-ce  la  dernière,  il  faut 
être  saint;  mais  il  ne  suflit  pas,  dit  saint  Jérôme  , 
pour  être  saint,  de  le  vouloir  être,  il  faut  savoir 
l'être  et  apprendre  à  l'être.  Combien  en  a-t-on  vu 
tjui  s'y  sont  trompés,  et  combien  en  voit-on  en- 
core tous  les  jours,  qui,   pensant  avoir  trouvé  la 
science  des  saints,  n'ont  trouvé  que  leurs  propres 
erreurs.  C'est  à  moi ,  comme  prédicateur  de  l'évan- 
gile, de  vous  découvrir  aujourd'hui  le  fond  de  cette 
science.  Car,  tout  mondains  que  vous  êtes,  peut- 
être  ce  qui  vous  a  jusqu'à  présent  éloignés  de  la 
sainteté,  n'est  pas  tant  l'opposition  que  vous  y  sen- 
tez ,  que  les  vaines  et   fausses  idées  que  vous  en 
avez  conçues.  Peut-être  si  vous  la  connoissiez,  ne 
pourriez-vous  vous  défendre  de  l'estimer  et  de  l'ai- 
mer. Or  cet  amour,  joint  à  l'estime  et  fondé  sur  l'es- 
time, seroit  déjà  dans  vous  le  commencement  de  la 
sainteté  :  et  comme  le  bras  du  Seigneur  n'est  pas 
Taccourci, peut-être  malgré  la  corruption  du  siècle, 
verroit-on  parmi  vous  des  saints  ,  si  l'on  vous  faisoit 
bien  entendre  ce  que  c'est  que  d'être  saint.  Il  est 
donc  encore  une  fois  de  mon  devoir  de  seconder 
au  moins  vos  foibles  dispositions,  en  vous  donnant 
une  idée  juste  de  la  science  des  saints.  La  voici, 
tirée  de  l'exemple  de  ces  glorieux  prédestinés ,  et 
renfermée  en  trois  importantes  maximes  qu'ils  ont 
suivies  ,  et  qui  doivent  être  pour  nous  autant  de 
leçons.  Ecoutez-les  .elles  vont  partager  ce  discours  ; 


DE  TOUS   LES  SAINTS.  371 

et  l'exposition  seule  que  j'en  vais  faire,  vous  con- 
vaincra de  leur  solidité.  Les  saints  ont  trouvé  le 
secret  d'accorder  dans  le  monde  leur  condition  avec 
leur  religion  :  c'est  la  première;  les  saints  se  sont 
servis  de  leur  religion  pour  sanctifier  leur  condi- 
tion :  c'est  la  seconde;  et  par  un  heureux  retour  , 
les  saints  ont  profité  de  leur  condition ,  pour  se 
rendre  parfaits  dans  leur  religion  :  c'est  la  troisième. 
Maximes  simples ,  mais  à  quoi  Dieu  attache  des 
grâces  infinies  ,  et  qui  ont  produit  dans  la  personne 
de  ses  élus  les  fruits  de  sainteté  les  plus  abondans. 
Concevez-en  bien  l'ordre  et  le  progrès.  Les  saints 
ont  su  faire  l'alliance  de  leur  condition  et  de  leur 
religion  ;  c'est  par  où  ils  ont  commencé ,  et  ce  sera 
le  sujet  de  la  première  partie.  Les  saints  ont  su 
mettre  en  œuvre  leur  religion ,  pour  corriger  les 
désordres  et  pour  accomplir  saintement  les  devoirs 
de  leur  condition  ;  c'est  en  quoi  ils  ont  excellé ,  et 
ce  sera  la  seconde  partie.  Les  saints  ont  su  de  leur 
condition,  quoique  mondaine,  tirer  des  motifs  et 
des  secours  pour  se  perfectionner  dans  leur  reli- 
gion, c'est  ce  qui  a  mis  le  comble  à  leur  sain- 
teté, et  ce  sera  la  troisième  partie.  Voilà  ce  que 
nous  devons  apprendre  d'eux  ,  et  ce  que  j'ai  à  vous 
expliquer. 

PREMIÈRE    PARTIE. 

Quelque  impénétrable  que  soit  le  mystère  de  la 
prédestination  des  saints ,  Dieu  nous  a  révélé  , 
chrétiens  ,  et  il  nous  est  aisé  de  connpître  les  voies 
qu'il  leur  a  marquées  et  qu'ils  ont  suivies  pour  ar- 


372  POUR    LA  FETE 

river  à  l'heureux  terme  de  leur  prédestination.  Or, 
une  des  premières  règles  qu'ils  crurent  pour  cela 
devoir  observer ,  ce  fut  de  ne  point  chercher  la 
sainteté  hors  de   leur  condition  ;   et  cette  règle  a 
été  si  sûre  pour  eux  ,  qu'il  n'y  a  point  eu  de  condi- 
tion dans  le  monde  ,  où ,  avec  le  secours  des  grâces 
communes  ,  ils  n'aient   en  effet  pratiqué  toute  la 
sainteté  du  christianisme.  Ils  y  ont  si  bien  réussi, 
qu'éclairés  et  conduits  par  l'esprit  de  Dieu,  ils  sont 
parvenus  à  cette  sainteté  du  christianisme  dans  les 
conditions  du  monde  qui  y  sembloient  les  plus  op- 
posées. Je  dis  plus  :  ils  ont  eu  même  le  bonheur 
d'acquérir, par  la  pénitence,  cette  sainteté  du  chris- 
tianisme dans  les  conditions  où  l'esprit  corrompu 
du  monde  les  avoit  malheureusement  engagés,  mais 
dont  l'engagement,  quoique  malheureux,  étoit  un. 
lien  que  la  loi  de  Dieu  ne  leur  permettait  plus  dé- 
sormais de  rompre.  Parlons  encore  plus  clairement: 
en  observant  cette  règle,  ils  ont  été  saints  chacun 
dans  leur  condition  ;   ils  ont  été  saints  dans  toutes 
sortes  de    conditions  ;  ils  ont  été  non-seulement 
saints,  mais  héroïquement  saints  dans  les  plus  dan- 
gereuses conditions  ;   et  ce  qui  fait  voir  toute  la 
force  de  la  grâce,  par  le  moyen  de  la  pénitence, 
ils  ont  été  saints  jusque  dans  des  conditions   où, 
sans  avoir  consulté  Dieu  ,  ils  étoient  entrés  par  le 
seul    mouvement    de  leurs   passions.    Quel   fonds 
d'instruction  pour  vous  et  pour  moi,  et  quel  fonds 
même  de  consolation  pour  ceux  de  mes  auditeurs, 
qui  ,  touchés  aujourd'hui  d'un  saint  remords ,  au- 
raient devant  Dieu  à  se  reprocher  de  n'avoir  point 


DE   TOUS   LES  SAINTS.  3;3 

eu  d'autres  vues  que  celle  du  monde  ,  dans  le  choix, 
qu'ils  ont  fait  de  leur  état  !  Voilà  en  quoi  je  pré- 
tends qu'a  consisté  une  partie  de  la  science  des 
prédestinés  et  des  élus  de  Dieu.  Eu  voilà  le  principe 
général  que  je  vais  développer  ,  et  où  nous  décou- 
vrirons la  première  source  de  leur  sanctification  , 
qui  doit  être  le  modèle  de  la  nôtre.  Ecoutez-moi. 

Ces  saints,  dont  nous  honorons  la  mémoire ,  n'ont 
point  cherché  la  sainteté  ailleurs  que  dans  la  con- 
dition où  l'ordre  de  la  Providence  les  attachoit  : 
c'est  sur  quoi  a  roulé  toute  leur  conduite;  et  c'est 
l'excellente  morale  que  le  grand  Apôtre  leur  avoit 
enseignée,  quand  il  disoit  aux  Corinthiens  :  Unus- 
quisque  in  quci  vocatione  vocalus  est ,  in  e4 
permaneat  apud  Dewn  (i).  Que  chacun  travaille 
à  se  sanctifier  dans  l'état  ,  et  selon  l'état  où  il  se 
trouvoit  lorsqu'il  a  reçu  la  lumière  de  l'évangile  et 
qu'il  a  embrassé  la  foi.  Prenez  garde  ,  s'il  vous 
plaît  :  saint  Paul  parloit  à  de  nouveaux  chrétiens  ;. 
et  ces  nouveaux  chrétiens,  avant  que  de  l'être, 
avoient  eu  dans  le  monde  leurs  qualités,  leurs  rangs, 
leurs  emplois.  Or  il  n'exigeoit  point  d'eux ,  qu'en 
conséquence  de  ce  qu'ils  étoient  chrétiens,  ils  se 
dépouillassent  de  tout  cela  ;  mais  il  leur  déclaroit 
l'obligation  qu'ils  s'étoient  eux-mêmes  imposée  , 
d'allier  tout  cela  avec  la  profession  du  christia- 
nisme. Pour  montrer ,  dit  saint  Chrysostôme  ,  que 
le  christianisme  n'étoit  point  une  secte  dont  les 
maximes  allassent  à  troubler, ni  à  confondre  l'ordre 
des  états  et  des  conditions  ;  il  vouloit  que  ceux  qui 

(i)  i.  Cor.  7. 


3;4  POUR  LA  FÊTE 

se  convertissoient  au  christianisme  ,  sans  changer 
de  conditions  et  d'états ,  fussent  toujours  ce  qu'ils 
étoient,  et  fissent  dans  le  monde  la  même  figure 
qu'ils  y  faisoient  avant  leur  conversion.  Mais  du 
reste  ,  il  vouloit  qu'ils  fussent  pour  Dieu  et  selon 
Dieu  ,  ce  qu'ils  n'avoient  été  jusqu'alors  que  pour 
le  monde  et  selon  le  monde.  Car  c'est  ainsi  que 
ce  passage  doit  être  entendu  :  Llnusquisque  in  quâ 
ojocatione  vocatus  est  ,  in  eâ  permaneat  apud 
Deum  ;  Que  chacun  de  vous  serve  Dieu  dans  la 
place  où  il  étoit  quand  Dieu  ,  par  sa  miséricorde  , 
l'a  appelé.  Par  où  l'Apôtre  corrigeoit  les  fausses 
idées  que  les  Juifs  et  les  Gentils  se  formoient  de 
notre  religion  ;  par  où  il  leur  faisoit  comprendre 
que  la  loi  chrétienne  étoit  non-seulement  une  loi 
sainte  et  divine, mais  dans  sa  police  extérieure  par- 
faitement conforme  au  bon  sens  et  à  la  raison  ; 
par  où,  selon  la  remarque  de  saint  Chrysostôme, 
il  faisoit  goûter  aux  fidèles  les  avantages  et  la  dou- 
ceur de  leur  vocation  ,  qui  consistoit  ,  non  pas  à 
détruire  ,  mais  à  perfectionner  le  monde  :  Unus- 
quisque  in  qud  vocatione  vocatus  est  ;  que  cha- 
cun ,  dans  l'état  où  Dieu  l'a  pris ,  s'étudie  à  être 
chrétien.  Et  voilà  justement,  mes  chers  auditeurs, 
ce  qu'ont  fait  les  saints  :  disons  mieux  ,  voilà  ce  qui 
a  fait  les  saints  ,  et  en  particulier  ces  premiers 
saints  de  l'Eglise  de  Jésus-Christ.  C'étoient  des 
hommes  comme  nous  ;  mais  selon  le  plan  que  nous 
en  a  tracé  l'Apôtre ,  des  hommes  qui ,  sans  se  dé- 
grader ,  sans  se  déplacer  ,  sans  se  déranger ,  ont 
trouvé  le  moyen  de  se  sanctifier;  des  hommes  qui , 


DE   TOUS    LES  SAINTS.  3-)5 

pour  ainsi  parler,  ont  enté  le  christianisme  sur. le 
monde  ;  des  hommes  qui  ,  selon  la  diversité  des 
conditions  où  il  a  plu  à  Dieu  de  les  choisir,  ont 
accordé  la  sainteté  chrétienne,  les  uns  avec  la  gran- 
deur, et  les  autres  avec  L'humiliation  ;  les  uns  avec 
l'opulence  ,  et  les  autres  avec  la  misère  ;  ceux-là 
avec  la  sagesse  ,  et  ceux-ci  avec  l'ignorance  :  car 
il  y  en  a  eu  d'autant  de  caractères  différens  que  je 
vous  en  marque  et  que  vous  en  pouvez  concevoir  : 
pourquoi  ?  parce  que  Dieu  qui  les  disposoit  pour 
la  construction  et  l'édification  du  corps  mystique  de 
Jésus-Christ  ,  dont  ils  dévoient  être  les  membres, 
leur  inspiroit  à  tous  une  sainteté  proportionnée  à 
leur  état  ;  et  parce  qu'en  effet  le  premier  mouve- 
ment de  la  grâce  qui  agissoit  en  eux ,  étoit  de  les 
porter  à  être  saints  ,  chacun  de  la  manière  qui  leur 
convenoit  dans  leur  état.  Voilà,  dis-je  ,  ce  qui  a 
formé  les  saints ,  et  ce  que  je  dois  m'appliquer  à 
moi-même  ,  si  je  veux  être  saint  comme  eux.  Or 
comment  pourrois-je  ne  le  pas  vouloir  ?  Quand  je 
n'aurois  point  d'autre  vue  que  celle  de  mon  intérêt 
propre  ,  la  foi  ne  m'apprend-elle  pas  qu'il  est  pour 
moi  d'une  nécessité  indispensable  que  je  sois  saint, 
si  je  prétends  être  sauvé  ,  et  ne  me  dit-elle  pas 
qu'il  n'y  a  de  prédestinés  dans  le  ciel  que  ceux  qui 
ont  été  saints  sur  la  terre?  Ordre  divin  que  je  dois 
adorer,  et  dont  rien  ne  me  peut  dispenser. 

Mais  donnons  plus  d'étendue  et  plus  de  jour  à 
cette  vérité.  Il  y  a  eu  des  saints  dans  toutes  les 
conditions  du  monde,  et  malgré  l'iniquité  du  siècle 
qui  ne  prévaudra  jamais  contre  les  desseins  de  Dieu, 


3y6  POUR  LA   FÊTE 

c'est  dans  les  conditions  du  monde  qui  sembloient 
]es  plus  opposées  à  la  sainteté  ,  que  Dieu  ,  par  une 
providence  singulière  ,  a  suscité  les  plus   grands 
saints  ;    entre  ceux  que  nous  invoquons  ,  et  dont 
l'Eglise  célèbre  aujourd'hui  la  fête  ,  combien  nous 
en  propose-t-elle  ,  qui  se  sont  sanctifiés  à  la  cour, 
c'est-à-dire ,  au  milieu  des  plus  dangereux  écueils, 
et,  si  j'ose  le  dire  ,  comme   dans  le   centre  de  la 
corruption  du  monde?  combien  qui,  dans  la  pro- 
fession des  armes  ,  ont  été  des  modèles  de  piété  , 
et  qui  dans  la  licence  de  la  guerre  ont  conservé  et 
même  acquis  toute  la  perfection  de  l'esprit  chré- 
tien ?  combien  qui  ont  allié  la  sainteté  et  la  royauté  , 
et  qui  sur  le  trône  où  tant  d'autres  se  sont  perdus , 
ont  fait  éclater  les  vertus  les  plus  consommées,  sans 
excepter  l'inimilité  la  plus  profonde,  et  la  plus  ri- 
goureuse austérité  ?   Être  saint  dans  la  vie  licen- 
cieuse et  tumultueuse  d'une  milice  profane  ,  être 
saint  parmi  les  dangers  et  les  tentations  de  la  cour, 
être  saint  et  être  roi ,  ce  sont  des  miracles  que  la 
grâce  de  Jésus-Christ  a  rendus  possibles,  et  même 
qu'elle  a  rendus  communs;  je  n'ai  donc  pas  raison, 
qui  que  je  sois ,  et  quelque  risque  que  je   puisse 
courir  dans  le  monde  ,  si  j'y  suis  par  l'ordre  de 
Dieu,  de  prétendre  qu'il  ne  m'est  pas  possible  d'ac- 
corder ma  condition  avec  la  sainteté  de  ma  reli- 
gion ;  erreur  :  parler  ainsi ,  c'est  imputer  à  Dieu 
les  désordres  de  ma  vie,  puisque  Dieu  est  l'auteur 
de  ma  condition  ;  c'est  vouloir  rendre  sa  providence 
responsable  ,  non-seulement  des  périls  à  quoi  je 
me  trouve  exposé,  mais  des  crimes  que  je  commets. 


DE  TOUS    LES   SAINTS.  877 

et  dont  je  dois  répondre  à  sa  justice;  c'est  lui  attri- 
buer malignement  et  présomptueusement  ce  que  je 
dois  me  reprocher  continuellement  et  humblement  : 
erreur  vaine  ,  que  l'exemple  des  saints  confond  , 
puisque  entre  ces  bienheureux  qui  jouissent  main- 
tenant de  la  gloire  ,  il  y  en  a  ,  et  même  un  grand 
nombre ,  qui  ont  été  dans  le  monde  de  même  con- 
dition que  moi ,  qui  ont  vécu  dans  les  mêmes  en- 
gagemens  que  moi  ,  qui  ont  eu  les  mêmes  écueils 
à  éviter,  les  mêmes  tentations  à  combattre,  les 
mêmes  difficultés  à  surmonter  que  moi  ;  mais  qui  , 
raisonnant  mieux  que  moi,  ont  au  milieu  de  tout 
cela  trouvé  heureusement  la  sainteté.  Or  pourquoi 
ne  pourrois-je  pas  ce  qu'ils  ont  pu,  et  pourquoi  ne 
ferois-je  pas  ce  qu'ils  ont  fait  ?  ce  fut  l'argument 
invincible  qui  convertit  saint  Augustin  :  argument 
plein  de  consolation  pour  les  âmes  droites  qui  cher- 
chent sincèrement  Dieu  ;  mais  affligeant  et  désolant 
pour  les  âmes  lâches  ,  beaucoup  plus  pour  les  âmes 
libertines ,  qui  cherchent  des  excuses  dans  leurs 
péchés  ,  et  qui  voudroient  les  rejeter  sur  leur  con- 
dition et  sur  Dieu  même. 

De  là  que  s'ensuit-il  ?  qu'il  faut  donc  imiter  les 
saints,  et  m'en  tenir  comme  les  saints  à  la  maxime 
contraire  ;  qu'il  faut,  convaincu  par  leur  exemple  , 
me  dire  à  moi-même  :  Non  ,  ma  condition  et  ma 
religion  n'ont  rien  d'incompatible  ;  je  puis  être  dans 
le  monde  tout  ce  que  j'y  suis  ,  et  être  solidement 
chrétien  :  c'est  le  fondement  que  je  dois  poser,  et 
sur  lequel  je  dois  régler  toute  ma  conduite  ;  car 
tandis  qu'il  me  reste  sur  cela  le  moindre  doute  , 


378  POUR   LA  FÊTE 

semblable  au  roseau  agité  du  vent,  je  né  me  dé- 
termine à  rien  ;  tandis  que  je  me  figure  dans  ma 
condition  des  impossibilités  ,  ou  morales  ou  abso- 
lues ,  de  pratiquer  ma  religion  ,  je  ne  prends  nulle 
mesure,  et  je  ne  fais  nul  effort  pour  vaincre  ma  lâ- 
cheté :  au  contraire,  la  pensée  que  je  le  puis,  et 
que  ma  condition  n'y  est  point  un  obstacle ,  c'est 
ce  qui  m'encourage  et  qui  m'anime  ,  ce  qui  me 
donne  de  la  confiance  ,  ce  qui  me  fait  prendre  des 
résolutions  généreuses,  ce  qui  me  rend  capable  de 
les  soutenir  et  de  les  exécuter  ,  ce  qui  m'affermit 
dans  les  dispositions  chrétiennes  où  je  dois  vivre 
pour  opérer  mon  salut  avec  zèle  et  avec  ferveur  : 
je  le  puis ,  et  si  j'y  manque,  ma  condition  ne  sera 
jamais  une  légitime  excuse  ,  ni  même  un  prétexte 
apparent  pour  me  justifier  devant  Dieu  :  voilà  ce 
qui  me  fait  agir.  La  vue  que  Dieu  réprouvera  ce 
prétexte ,  et  qu'il  tournera  contre  moi  cette  excuse 
frivole,  quand  il  m'opposera  dans  son  jugement 
cette  nuée  de  témoins  dont  parle  saint  Paul ,  cette 
multitude  de  saints  qui  se  sont  trouvés  en  ma  place, 
et  qui  ont  fait  dans  le  monde  ce  que  sans  sujet  et 
en  vain  je  m'imagine  n'y  pouvoir  faire  :  voilà  ce 
qui  réveille  ma  foi  ;  sans  cela  je  demeure  comme 
assoupi  ;  me  plaignant  inutilement  de  ma  condi- 
tion ,  et  toujours  infidèle  à  ma  religion ,  que  je  me 
représente  comme  impraticable ,  afin  de  pouvoir 
plus  impunément  la  négliger  :  par  conséquent,  il 
faut  avant  toutes  choses,  que  je  croie  l'alliance  des 
deux  aussi  évidemment  possible  qu'elle  est  essen- 
tiellement nécessaire  pour  mon  salut  éternel  ;  or 


DE    TOUS    LES    SAINTS.  3j() 

c'est  ce  que  l'exemple  des  saints  me  fait  sensible- 
ment connoître  ;  mais  n'en  demeurons  pas  là. 

On  se  prévient  d'une  autre  erreur,  et  c'est  l'il- 
lusion où  donnent  la  plupart  des  hommes  et  qui  n'est 
propre  qu'à  entretenir  leur  relâchement  et  qu'à  fo- 
menter leur  impénitence  ,  savoir,  qu'on  seroitbien 
plus  à  Dieu  ,  qu'on  y  pourroit  plus  être ,  si  l'on  étoit 
dans  une  condition  moins  exposée  et  plus  dégagée 
des  embarras  du  monde:  illusion  dont  la  sage  con- 
duite des  élus  de  Dieu  doit  encore  nous  détromper. 
Car,  comme  raisonne  saint  Bernard,  cette  condi- 
tion dont  je  me  fais  un  plan  chimérique ,  et  qui  me 
paroît  plus  avantageuse  pour  le  salut  que  la  mienne , 
n'étant  point  celle  où  Dieu  m'a  destiné ,  elle  ne  peut 
avoir  pour  moi  les  avantages  que  je  m'y  propose  ; 
quelque  sainte  qu'elle  soit  en  elle-même ,  Dieu  a 
eu  d'autres  vues  sur  moi ,  et  la  condition  où  je  suis, 
quoique  moins  retirée  et  plus  dissipée,  est  celle 
qu'il  a  plu  à  la  Providence  de  me  marquer.  C'est 
donc  dans  celle-ci  et  pour  celle-ci  que  Dieu  m'a 
préparé  des  grâces ,  et  par  conséquent  c'est  uni- 
quement dans  celle-ci  que  je  puis  espérer  d'être 
plus  à  Dieu,  plus  occupé  de  mon  salut,  plus  dé- 
taché du  monde  et  de  moi-même ,  plus  chrétien  et 
plus  parfait ,  puisqu'il  m'est  évident,  que  je  ne  puis 
rien  être  de  tout  cela  qu'en  vertu  des  grâces  qui 
m'ont  été  préparées  ,  et  dans  l'état  pour  lequel  elles 
m'ont  été  préparées.  Ainsi  l'estimoient  les  saints , 
et  par  là  ils  sont  parvenus  à  ces  divers  degrés  de 
sainteté  qui  les  distinguent  dans  la  hiérarchie  cé- 
leste. Leur  grande  science,  dit  saint  Chrysostôme , 


38o  POUR    LA    FETE 

a  été  de  ne  point  séparer  leur  condition  de  leur  re- 
ligion :  voilà  ce  qui  les  a  fixés  ,  ce  qui  a  produit  dans 
l'Eglise  des  saints  de  tous  genres  et  de  tous  états  ; 
de  saints  rois  aussi  bien  que  de  saints  religieux,  de 
saints  magistrats  aussi  bien  que  de  saints  évêques, 
des  saints  dans  le  mariage  aussi  bien  que  dans   lç 
célibat.  Je  ne  dis  point  ceci  pour  condamner   ces 
changemens  de  condition  que  Dieu,  par  sa  misé- 
ricorde, inspire  quelquefois  à  ses  élus,  quand   il 
veut  les  attirer  à  lui  et  les  séparer  du  monde:  mal- 
heur à  moi  si  je  combattois  en  eux  l'œuvre  de  Dieu  : 
ils  renoncent  alors  à  des  conditions  auxquelles   il 
leur  est  libre  de  renoncer,  et  ils  n'y  renoncent 
que  pour  renoncer  plus  parfaitement  à  eux-mêmes. 
Mais  ce  que  je  condamne,  ce  sont  les  inquiétudes  , 
les  inconstances  de  certains  chrétiens  ,  qui,  séduits 
par  leur  propre  sens,  semblent  ne  désirer  une  con- 
dition meilleure  pour  le  salut,  que  pour  se  dégoûter 
de  celle  où  est  attaché  leur  salut;  qui,  sous  appa- 
rence d'un  prétendu  bien,  voudroient  toujours  être 
ce  qu'ils  ne  sont  pas,  et  ne  s'appliquent  jamais  à 
être  chrétiennement  ce  qu'ils  sont;  dont  toutes  les 
bonnes   intentions  se  réduisent  à  de  vains  projets 
qu'ils  font  d'une  vie  plus  régulière  ,  s'ils   étoient 
dans  des  états  où  ils  ne  peuvent  être,  et  où  jamais 
ils  ne  seront,  pendant  qu'ils  oublient  ce  que  Dieu 
leur  demande  actuellement   dans  celui  où  il  les  a 
placés  :  conduite  pitoyable ,  et  bien  opposée  ù  la 
conduite  et  à  la  science  des  saints. 

Car  j'ai  ajouté,  ce  qui  d'abord  a  pu  vous   sur- 
prendre ,  mais  ce  qui  doit  être  pour  vous  une  ira- 


DE    TOUS   LES  SAINTS.  38l 

portante  leçon  et  une  solide  consolation  :  j'ai  ajouté 
et  j'ajoute  que  les  saints,  par  le  secours  de  la  pé- 
nitence, avoient  su  môme   accorder  leur  religion 
avec;  des  conditions  où  Dieu  ne  les  avoit  point  ap- 
pelés ,  et  où  l'esprit  du  monde  les  avoit  malheureu- 
sement engagés.  Et  en  effet,  après  avoir  eu  le  mal- 
heur d'y  être  entrés  témérairement  et  contre  l'ordre 
de  Dieu ,  ils  ne  se  sont  pas  pour  cela  abandonnés 
à  de  funestes  désespoirs.  Ou'ont-ils  fait?  supposé 
l'engagement  qui  leur  rendoit  ces  conditions  désor- 
mais nécessaires  ,  se  confiant  en  Dieu,  ils  ont  cherché 
dans  leur  religion  une  ressource  à  leur  malheur; 
ils  ont  réparé   par  la  pénitence  le  crime  de  leur 
imprudence  :  c'est-à-dire  ,  engagés  sans  la  vocation 
de  Dieu  dans  des  mariages  d'intérêt,  de  passion  , 
d'ambition  ,  ils  en  ont  fait  de  saints  mariages  par 
la  grâce  de  leur  conversion  ;  engagés  dans  le  sa- 
cerdoce par  des  vues  purement  humaines,  à  force 
de  gémir  et  de  pleurer  ,  ils  n'ont  pas   laissé  d'ho- 
norer leur  profession  par  la  douleur  qu'ils  ont  eue 
de  l'avoir  une  fois  déshonorée,  et  par  l'obligation 
encore  plus  étroite  qu'ils  se  sont  imposée  d'y  vivre 
pour  cela  même  plus  saintement,  plus  exemplaire- 
ment, plus  austèrement.  Combien  d'illustres  exem- 
ples ces  bienheureux   ne  pourroient-ils  pas  m'en 
fournir,  et  combien  de  ceux  qui  m'écouteut pour- 
roient  profiter  de  ces  exemples  ?  Les  saints  ont  fait 
pénitence  de  leurs  conditions,  mais  dans  leurs  con- 
ditions mêmes  :  voilà  ce  que  leur  a  appris  la  science 
des  saints;  et  à  quoi  tient-il,  mes  chers  auditeurs , 
que  nous  ne  le  sachions  comme  eux  !  Il  est  vrai ,  ce 


382  POUR   LA  FÊTE 

merveilleux  accord  de  leur  condition  avec  leur  re- 
ligion leur  a  coûté;  il  a  fallu  pour  cela  s'assujettir 
et  se  contraindre  ;  mais  en  peut-il  trop  coûter  pour 
acquérir  une  science  si  salutaire ,  et  ne  sommes-nous 
pas  assez  heureux  si ,  marchant  sur  leurs  pas  et 
suivant  leurs  voies ,  nous  trouvons  le  secret  de  con- 
server dans  le  monde  l'esprit  de  Dieu?  Cependant 
voyons  le  fruit  que  les  saints  ont  tiré  de  cette  al- 
liance :  car  après  vous  avoir  montré  qu'ils  ont  su 
accorder  leur  condition  avec  leur  religion ,  j'ai  à 
vous  faire  voir  comment  ils  se  sont  servis  de  leur  re- 
ligion pour  sanctifier  leur  condition  :  c'est  le  sujet 
de  la  seconde  partie. 

DEUXIÈME    PARTIE. 

Une  des  choses  que  Salomon  demandoit  autre- 
fois à  Dieu ,  et  qu'il  envisageoit  comme  le  comble 
de  ses  désirs ,  étoit  que  la  sagesse,  dont  il  se  formoit 
de  si  magnifiques  idées ,  l'accompagnât,  l'éclairât, 
l'assistât  et  le  dirigeât  dans  les  importantes  fonctions 
du  ministère  dont  la  Providence  l'avoit  chargé  ,  en 
l'élevant  sur  le  trône  :  Da  mihi,  Domine ,  sedium 
tuarum  assistricem  sapientiam  (i);  Donnez-la- 
moi  ,  Seigneur ,  disoit-il  à  Dieu  ,  cette  sagesse  qui 
est  assise  avec  vous,  et  qui  ne  vous  quitte  jamais  ; 
comme  vous  l'avez  employée  dans  tous  vos  ouvrages, 
qu'elle  me  conduise  dans  toutes  mes  entreprises  ; 
comme  vous  l'appelez  à  tous  vos  conseils,  qu'elle 
soit  la  règle  des  miens  ;  comme  par  elle  vous  gou- 
vernez le  monde ,  que  je  gouverne  par  elle  votre 

(i)  Sap.  9. 


DE  TOUS  LES  SAINTS.  383 

peuple.  Mitte  ilîam  de  cœlis  sanctis  tuis  (i). 
Envoyez-la  de  votre  sanctuaire  qui  est  le  ciel  :  et 
pourquoi?  Ut  mecum  sit  et  mecum  laboret  (2); 
afin  quelle  soit  avec  moi,  et  qu'elle  travaille  avec 
moi  ;  afin  que  je  me  serve  d'elle  pour  m'acquitter 
fidèlement,  exactement ,  irréprochablement  de  mes 
devoirs  :  car  elle  a  ,  poursuivoit-il ,  l'intelligence 
et  la  science  de  toutes  choses  ;  et  si  je  puis  l'obtenir 
de  vous,  elle  réglera  tout  le  cours  de  ma  vie ,  elle 
rendra  mes  œuvres  parfaites,  et  je  serai  digne  du 
trône  de  mon  père.  Ainsi  ce  grand  roi  parloit-il  de 
la  sagesse;  or,  ce  qu'il  disoit  de  la  sagesse,  les 
saints  l'ont  pensé  de  la  religion  ,  qui  leur  a  tenu 
lieu  de  sagesse ,  et  qui  est  en  effet  la  véritable  et 
l'éminente  sagesse  des  élus  de  Dieu.  Chacun  d'eux  , 
dans  son  état ,  a  regardé  sa  religion  comme  la 
source  pure  des  vraies  lumières  d'où  dépendoit  selon 
le  monde  même  sa  perfection  ;  chacun  d'eux  a  été 
persuadé  que  ,  par  rapport  au  monde  même ,  il  ne 
réussiroit  jamais  dans  sa  conduite  ,  et  n'arriveroit 
jamais  à  cette  perfection  qu'autant  qu'il  s'attacheroit 
aux  inviolables  maximes  de  sa  religion  ;  chacun 
d'eux ,  comme  Salomon ,  a  dit  mille  fois  à  Dieu 
dans  le  secret  de  son  cœur  :  Donnez-la-moi ,  Sei- 
gneur ,  cette  religion  ,  afin  qu'elle  travaille  avec 
moi,  qu'elle  converse  avec  moi,  qu'elle  01  donne 
avec  moi,  qu'elle  juge  avec  moi,  qu'elle  fasse  tout 
avec  moi,  et  que  je  ne  fasse  rien  sans  elle;  parce 
que  je  sais  qu'agissant  par  elle ,  je  serai ,  selon  vous 
et  selon  le  monde  ,  un  homme  accompli  :  Ut  me- 

(1)  Sap.  9.  —  (2)  Ibid. 


384  POUR  LA   FÊTE 

cuni  sit  et  mecum  laboret.  Ainsi  tous,  par  une 
heureuse  expérience,  ont-ils  reconnu  que  la  pro- 
fession qu'ils  faisoient  de  pratiquer  la  loi  de  Dieu 
leur  étoit  encore  un  puissant  moyen  pour  marcher 
sûrement  dans  les  voies  du  monde ,  pour  ne  pas 
craindre  la  censure  du  monde  ,  pour  mériter  l'ap- 
probation et  l'estime  du  monde,  pour  arriver  à  cette 
exacte  et  irrépréhensible  probité  qu'exige  le  monde; 
ainsi  se  sont-ils  servis  de  leur  religion  pour  sanc- 
tifier leur  condition  ,  c'est-à-dire ,  pour  éviter  les 
désordres  à  quoi  leur  condition  étoit  sujette ,  et 
pour  accomplir  les  devoirs  dont  leur  condition  étoit 
chargée  :  deux  choses  qui ,  selon  le  Prophète  ,  corn» 
prennent  toute  la  justice  ;  deux  choses  qui  vous 
justifieront,  non-seulement  l'utilité,  mais  la  néces- 
sité de  la  religion  :  seconde  idée  que  je  vais  vous 
donner  de  la  sainteté  et  de  la  science  des  élus  de 
Dieu. 

Ils  se  sont  servis  de  leur  religion  pour  éviter  les 
désordres  de  leur  condition  :  règle  divine  qu'ils  se 
sont  d'abord  proposée,  et  qu'ils  ont  toujours  eue 
devant  les  3reux.  Car  la  science  du  monde  leur 
avoit  appris,  excellente  remarque  de  saint  Bernard , 
la  science  du  monde  leur  avoit  appris  qu'il  y  a  dans 
chaque  condition  certains  désordres  essentiels  que 
la  religion  seule  peut  corriger,  certains  péchés 
dominans  dont  la  religion  seule  peut  préserver, 
certaines  tentations  délicates  que  la  religion  seule 
est  capable  de  surmonter,  certains  abus  autorisés, 
certains  scandales  au-dessus  desquels  la  religion 
seule  a  la  force  de  s'élever  :  voilà  ce  que  savoient 


DE   TOUS    LES    SAINTS.  385 

les  saints  ;  mais  aussi  étoient-ils  bien  assurés  qu'avec 
le  secours  de  la  religion  ,  il  n'y  avoit  dans  leur  con- 
dition ,  ni  désordre ,  ni  péché  ,   ni  tentation ,  ni 
scandale  ,   ni  abus  dont  il   ne  leur  fût  aisé  de  se 
garantir;  et  c'est,  dit  saint  Bernard,   l'avantage 
inestimable  que  ces  glorieux   prédestinés   ont  tiré 
de  la  religion  chrétienne.  De  là  vient  que  les  hon- 
neurs du  siècle  ne  les  ont  point  enflés  ni  éblouis , 
que  l'abondance  des  biens  de  la  terre  ne  les  a  point 
corrompus,  qu'ils  n'ont  point  abusé  de  l'autorité, 
qu'ils  ne  se  sont  point  méconnus  dans  la  prospérité, 
qu'ils  ont  été   grands  sans  orgueil,  puissans  sans 
violence  ,  riches  sans   injustice  ,  sans  dureté  ,  sans 
luxe  ,    sans  prodigalité  :   pourquoi  ?  parce  qu'en 
toutes  choses  ils  conformoient  leur  condition  à  leur 
religion  ,  et  faisoient  de  leur  religion  la  mesure  et 
la  règle  de  leur  condition  :   or  cette  unique  règle 
leur  suffisoit  pour  en  exclure  tous  les  vices  et  tout 
ce  qui  pouvoit  s'jr  glisser  de  corruption  et  de  licence. 
S'ils  s'étoient  livrés  indépendamment  de  cette  règle 
à  leur  condition ,  dans  quels  abîmes  ne  seroient-ils 
pas  tombés  ?  à  quels  excès  , l'ambition  n'auroit-elle 
pas  porté  les  uns,  et  jusqu'à  quel  point  la  cupidité 
n'auroit-elle  pas  aveuglé  les  autres  ?  pour  soutenir 
ces  conditions  où  ils  se  voyoient  élevés ,  que  ne  se 
seroient-ils  pas  cru  permis ,  et  dans  le  pouvoir  de 
tout  faire  ?  quels  maux  impunément  et  sans  scrupule 
n'auroient-ils  pas  faits?  par  combien  d'usurpations 
et  d'attentats  les  forts  n'auroient-ils  pas  opprimé 
les  foibles?  c'est  ce  que  la  politique  du  monde  leur 
conseilloit,  mais  de  quoi  la  religion  de  Jésus-Christ 

TOME  XI.  25 


386  POUR    LA  FÊTE 

Jeur  a  donné  une  sainte  horreur.  Instruits  et  con- 
duits par  cette  religion  ,  plus  ils  ont  été  forts  selon 
le  monde,  plus  ils  ont  tremblé  dans  la  vue  des  juge- 
mens  de  Dieu.  N'ignorant  pas  que  le  plus  fort, 
dans  le  cours  des  choses  humaines ,  est  ordinaire- 
ment le  plus  injuste ,  ou  du  moins  le  plus  exposé  au 
danger  de  l'être;  plus  ils  ont  été  forts  ,  plus  ils  ont 
conçu  qu'ils  dévoient  être  modérés  ,  humains  , 
charitables  ,  plus  ils  se  sont  tenus  obligés  à  être  en 
garde  contre  eux-mêmes.  Or  dans  cet  esprit,  pour- 
suit saint  Bernard,  ils  ont  maintenu  leurs  rangs 
avec  modestie,  leurs  droits  avec  désintéressement, 
leur  réputation  et  leur  gloire  avec  humilité.  C'est 
ainsi  que  la  religion  a  été  pour  eux  un  préservatif 
souverain  contre  tous  les  désordres  de  leur  condition. 
Sans  cela  les  grands  ,  à  l'exemple  des  nations,  selon 
la  parole  du  Sauveur  du  monde,  auroient  prétendu 
dominer  avec  fierté  et  avec  hauteur;  mais  parce  que 
leur  religion  réprimoit  cet  esprit  de  domination, 
bien  loin  d'être  fiers  et  hautains,  ils  ne  se  sont  re- 
gardés en  qualité  de  maîtres,  que  comme  des  hom- 
mes établis  pour  servir  les  autres  ,  que  comme  des 
sujets  attachés  à  des  ministères  qui  les  engageoient, 
non-seulement  à  travailler,  mais  à  s'immoler  pour 
les  autres  :  sans  cela  les  riches  n 'auroient  cherché 
à  jouir  de  leurs  biens  que  pour  satisfaire  leurs  pas- 
sions, que  pour  contenter  leurs  désirs,  que  pour 
mener  une  vie  molle  et  voluptueuse,  qui  bientôt  les 
eût  portés  à  une  vie  libertine  et  dissolue  ;  mais  leur 
religion  les  a  réduits  à  n'user  point  autrement  de 
ces  biens  que  selon  les  maximes  de  l'esprit  de  Dieu  ; 


DE   TOUS  LES  SAINTS.  387 

je  veux  dire ,  à  en  user  comme  n'en  usant  pas  ,  à 
les  posséder  comme  ne  les  possédant  pas,  à  se  sou- 
venir toujours  qu'ils  n'en  étoient  que  les  simples 
économes,  dispensateurs  du  superflu,  et  comptables 
à  Dieu  du  nécessaire.  Maximes  que  les  saints  ont 
inviolablement  suivies  ;  et  c'est  ce  qui  a  rempli  le 
ciel  de  ces  riches  pauvres  de  cœur ,  que  le  Fils  de 
Dieu  canonise  aujourd'hui  si  hautement:  Beat/  pau- 
peres  spiritu  (i);  de  ces  riches  qui  dans  l'opu- 
lence ont  eu  tout  le  mérite  de  l'indigence  ;  de  ces 
riches  miséricordieux  qui  sont  dans  le  sein  d'Abra- 
ham aussi  comblés  de  gloire  que  Lazare  :  ils  ont 
fait  de  la  religion  qu'ils  professoient  le  correctif  de 
leur  condition. 

De  là  vient  que  les  plus  dangereuses  tentations  ne 
les  ont  point  ébranlés  ,  et  qu'ils  ont  été  à  l'épreuve 
de  tout  ce  que  l'enfer  et  le  monde  ont  eu  pour  eux 
de  plus  à  craindre  ;  de  la  vient,  disoit  l'Apôtre  ,  en 
parlant  des  saints  de  l'ancienne  loi ,  qu'ils  n'ont 
cédé  ,  ni  à  la  rigueur  des  prisons,  ni  à  la  violence 
du  feu  ,  ni  au  tranchant  des  épées  :  et  moi  je  dis  , 
en  parlant  des  saints  de  la  loi  de  grâce,  qui  sont 
vos  modèles,  et  qui  ont  tenu  dans  le  monde  les  pla- 
ces que  vous  y  occupez  :  de  là  vient  que  ni  l'envie 
de  s'enrichir ,  ni  le  désir  de  se  pousser ,  ni  la  vue 
de  se  conserver,  ni  la  crainte  de  se  perdre,  ni  la 
faveur  des  hommes  ,  ni  leur  disgrâce,  ni  leurs  me- 
naces ,  ni  leurs  promesses,  ni  leur  mépris  ,  ni  leur 
estime  ,  qui  sont  proprement  ces  tentations  délica- 
tes auxquelles  vos  conditions  sont  exposées ,  que 

(i)  Matth.  5. 


-388  TOUR  LA  FÊTE 

rien,  dis-je,  de  tout  cela  n'a  jamais  eu  la  force  de 
les  pervertir  :  pourquoi  ?  parce  qu'ils  ont   opposé 
à  tout  cela  ces  saintes  armes  :  Armaturam  Dei  (i), 
ces  armes  de  justice  que  leur  fournissoit  leur  religion, 
et  qui  lesrendoient  invincibles.  En  effet,  sans  reli- 
gion ils  auroient  succombé  en  mille  rencontres  aux 
plus  déréglées  et  aux  plus  honteuses  passions;  leur 
raison ,  en  je  ne  sais  combien  de  pas  glissans ,  auroit 
été  trop  foible  pour  les  retenir  ;  combattus  par  ces 
tentations,  d'autant  plus  dangereuses  qu'elles  sont 
plus  humaines  ,  ils  auroient  été  hommes  comme  les 
autres  ,  emportés,  intéressés,  vicieux  ,  scandaleux 
comme  les  autres.  Qui   les  a   fait  triompher   du 
monde  ?  je  vous  l'ai  dit ,  les  armes  de  la  foi  dont  ils 
se  sont  servis  :  car  dans  les  engagemens  où  ils  étoient, 
il  n'y  avoit,  dit  le  bien-aimé  disciple ,  que  la  foi  et 
la  religion  qui  leur  pût  faire  remporter  de  telles 
victoires  sur  le  monde  :  Et  hcec  est  Victoria  quœ 
vincit  mundum,fides  nostra  (2).  Leurs  conditions 
étoient  rectifiées,  purifiées  ,  sanctifiées  par  leur  re- 
ligion :  voilà,  dit   saint  Chrysostôme,  ce  que  les 
païens  même  ont  admiré  et  révéré  dans  eux  ;  voilà 
par  où  le  christianisme  s'est  acquis  tant  d'honneur 
et  tant  de  crédit;  et  voilà  par  où  sa   sainteté  s'est 
répandue,  non-seulement  dans  les  cloîtres  et  les 
monastères,  mais  dans  les  professions  les  plus  pro- 
fanes par  elles-mêmes  et  les  plus  mondaines  :  par- 
tout les  chrétiens  étoient  distingués,  et  dans  tous  les 
états  de  la  vie  on  les  discernoit  par  l'innocence  de 
leurs  mœurs  et  par  l'intégrité  de  leur  conduite;  on 

(».)  Eplics.  6.  —  (2)  Joan.  5. 


DE  TOUS  LES    SAINTS.  38$ 

ne  voyoit  point  parmi  eux  de  scélérats ,  de  fourbes  , 
de  traîtres  :  c'est  ce  qu'avançoit  hardiment  Tertui- 
lien  dans  son  apologétique  :  s'ils  étoient  cités  de- 
vant les  tribunaux  des  juges,  on  ne  les  accusoit  que 
d'être  chrétiens  :  leur  seule  religion  faisoit  leur 
crime,  et  ce  prétendu  crime  dont  ils  se  glorifioient, 
les  affranchissoit  de  tous  les  autres  :  qui  m'empêche 
de  les  imiter  ?  ne  fais-je  pas  profession  de  la  même 
religion  qu'eux  ?  pourquoi  n'en  ferois-je  pas  le 
même  usage  ?  pourvu  du  même  remède ,  savoir ,  des 
lumières  et  des  grâces  de  ma  religion ,  quelle  excuse 
puis-je  avoir  quand  je  me  laisse  aller  aux  désordres 
de  ma  condition  ?  ayant  en  main  les  mêmes  armes  , 
et  de  plus  leur  exemple  devant  les  yeux  ,  à  qui 
m'en  dois-je  prendre  qu'à  moi-même  ,  si  je  suis 
vaincu  ? 

Mais  ces  bienheureux  ont  encore  passé  plus 
avant.  Dans  le  dessein  de  se  sanctifier  par  leur  re- 
ligion ,  ils  s'en  sont  servis ,  non-seulement  pour  se 
préserver  des  déréglemens  de  leur  condition  ,  mais 
pour  en  remplir  toutes  les  obligations  :  autre  effet 
de  leur  sagesse  ,  et  de  cette  science  des  saints  que 
Dieu  leur  avoit  donnée  :  Dédit  illl  scientiam 
sanctorum  :  car  il  y  a  dans  chaque  condition  cer- 
tains devoirs  fâcheux  ,  onéreux  ,  mortifians  ,  con- 
traires à  la  nature,  dont  il  est  presque  impossible 
de  s'acquitter  sans  le  secours  de  la  religion  ;  et  les 
saints  tenoient  pour  constant  que  la  religion  seule 
pouvoit  être  en  eux  une  disposition  générale  et  effi- 
cace à  l'accomplissement  de  ces  devoirs.  En  effet, 
sans  la  religion  ,  les  saints,  pour  n'être  pas  esclaves 


090  POUR   LA    FÊTE 

des  devoirs  de  leur  condition  ,  auroient  su  ,  aussi 
bien  que  les  autres  ,  n'en  prendre  que  l'honorable 
et  le  commode  ,  et  en  laisser  le  difficile  et  le  péni- 
ble :  le  monde  accoutumé  à  ce  partage  ,  quoique 
scandaleux  et  injuste,  à  peine  s'en  seroit-il  scanda- 
lisé. Sans  la  religion  ,  les  saints  n 'auroient  pas  man- 
qué de  prétextes  pour  secouer  le  joug  de  tout  ce 
qui  eût  gêné  leur  liberté ,  de  tout  ce  qui  eût  blessé 
leur  amour-propre ,  de  tout  ce  qu'il  y  eût  eu  dans 
leur  condition  de  dégoûtant,  de  rebutant,  d'humi- 
liant ,  d'assujettissant  :  le  monde  sur  tout  cela  leur 
eût  fait  grâce  ;  et  quand  ils  auroient  eu  le  cœur 
assez  droit  pour  compter  tout  cela  parmi  leurs  obli- 
gations, jamais  leur  attention  et  leur  exactitude  n'eût 
répondu  à  cette  multiplicité  de  devoirs  attachés  à 
leur  état.  Mais  parce  qu'ils  agissoient  par  le  mou- 
vement et  par  l'esprit  de  leur  religion  ,  ils  les  ont 
embrassés  et  accomplis  tous.  C'est-à-dire  ,  écoutez 
le  dénombrement  qu'en  faisoit  saint  Ambroise  dans 
ses  offices ,  et  reconnoissez  ce  que  c'est  que  la  sain- 
teté :  c'est-à-dire  ,  parce  que  les  saints  agissoient 
par  l'esprit  de  leur  religion  ,  ils  ont  rendu  à  chacun 
ce  qui  lui  appartenoit  ;  ils  ont  honoré  les  grands , 
supporté  les  foibles  ,  servi  leurs  amis ,  pardonné  à 
leurs  ennemis ,  assisté  ceux  qui  se  trouvoient  dans 
le  besoin ,  veillé  sur  ceux  que  Dieu  avoit  confiés  à 
leurs  soins,  entretenu  la  paix  et  la  société  parmi 
ceux  avec  qui  ils  étoient  obligés  de  vivre  ,  exercé 
la  charité  envers  tous  ,  parce  qu'ils  la  dévoient  à 
tous  ;  soutenus  de  leur  religion  ,  ils  ont  sacrifié  leur 
repos ,  leur  santé  ,  leur  vie  7  aux  ministères  dont  ils 


DE  TOUS  LES   SAINTS.  3c)l 

étoient  chargés  ,  aux  emplois  contraignans  et  fati— 
gans  où  ils  se  trouvoieut  engagés  ,  aux  travaux 
qu'ils  ont  eus  à  porter ,  aux  dangers  qu'ils  ont  dû 
courir;  mus  par  ce  principe  de  religion,  ils  n'ont 
eu  égard  ni  à  leur  agrandissement  selon  le  monde  , 
ni  à  leur  établissement ,  ni  au  désir  de  plaire ,  dès 
que  la  conscience,  la  probité ,  la  vérité  y  pouvoient 
être  en  quelque  sorte  intéressées  :  avec  cela  ils  ont 
eu  aux  dépens  d'eux-mêmes  une  fermeté  inflexible, 
une  constance  inébranlable ,  une  bonne  foi  hors  de 
tout  soupçon  ,  une  équité  que  rien  n'a  jamais  pu 
corrompre.  Parce  qu'ils  faisoient  entrer  leur  religion 
dans  tout  ce  qui  étoit  de  leur  condition  ,  souples 
et  dociles  sous  la  main  de  Dieu ,  contens  d'être  ce 
que  Dieu  vouloit  qu'ils  fussent,  et  rien  davantage, 
ils  sont  demeurés  dans  l'état  que  la  Providence 
leur  avoit  marqué,  sans  former  de  nouveaux  projets 
pour  se  pousser ,  pour  s'avancer  ,  pour  s'enrichir  ; 
sans  entreprendre  de  supplanter  personne  ,  ni  de 
s'élever  sur  la  ruine  de  personne  ;  prévenans ,  offi- 
cieux ,  libéraux,  toujours  prêts  à  rendre  le  bien 
pour  le  mal.  Car  voilà  ce  qu'il  leur  falloit  pour  être 
dans  leurs  conditions  des  hommes  parfaits  :  or  , 
dites-moi,  pouvoient-ils  l'être  de  la  sorte  sans  leur 
religion  ?  Ce  n'est  pas  encore  assez:  le  grand  usage 
qu'ils  ont  fait  de  cette  religion  a  été  de  s'en  servir 
pour  sanctifier  tous  ces  devoirs,  pour  les  rapporter 
à  Dieu  ,  pour  les  remplir  d'une  manière  digne  de 
Dieu  ,  pour  s'en  acquitter  en  chrétiens  ,  et  par  là 
se  distinguer  des  mondains  qui  en  accomplissent 


3ç)2  POUR   LA    FÊTE 

peut-être  une  partie ,  mais  souvent  par  vanité  ,  et 
toujours  inutilement  pour  le  salut. 

Ali  !  mon  Dieu ,  que  vous  êtes  admirable  dans 
vos  saints ,  et  que  la  science  de  vos  saints  est  pro- 
fonde et  sublime  !  Que  David  avoit  bien  raison  de 
s'écrier  :  Mirabilis  facta    est  scientia   tua  ex 
me;  confortata  est ,  et  non  potero  ad  eam  (i)  ; 
Cette  science  ,  Seigneur,  que  vous  avez  enseignée 
à  vos  élus  ,  et  qui  les  a  fait  ce  qu'ils  sont,  me  paroît 
plus  merveilleuse   que  tous  les  ouvrages  de  votre 
puissance  ;  elle  est  infiniment  au-dessus  de  moi ,  et 
sans  votre  grâce  je  n'y  pourrois  jamais  atteindre  î 
Quelle  perfection  ne  verroit-on  pas  dans  le  monde, 
si  le  monde  étoit  gouverné  selon  cette  science  des 
saints  ?  A   quoi  pensent   les   enfans  des   hommes 
quand  ils  la  négligent  ,    et  à  quoi   s'occupent-ils 
quand,  au  mépris  de  cette  science,  ils  cherchent  le 
mensonge  et  la  vanité?  que  peuvent-ils  espérer  de 
Dieu,  et  à  quoi  toutes  les  autres  sciences  sans  celle- 
là  les  conduiroient-elles?  Mais  achevons  ,  et  voici 
le  dernier  caractère  de  la  science  des  saints  ;  c'est 
que  par  le  retour  le  plus  heureux,  en  se  servant  de 
leur  religion  ,  pour  sanctifier  leur  condition  ,  ils  ont 
profité  de  leur  condition  pour  se  perfectionner  dans 
leur  religion  :  encore  un  moment  d'attention  pour 
cette  troisième  partie. 

TROISIÈME    PARTIE. 

Quelque  diversité  d'événemens  qu'il  y  ait  dans 
le  cours  de  la  vie  des  hommes ,  c'est  une   vérité 

(1)  Psalm.  i38. 


DE   TOUS   LES    SAINTS.  098 

indubitable  ,  que  tout  contribue  au  bien  de  ceux 
qui  aiment  Dieu;  et  nous  savons,  disoit  l'Apôtre  , 
que  cela  même  est  une  marque  du  choix  que  Dieu 
a  fait  de  leurs  personnes  ,  en  les  prédestinant  pour 
être  saints  :  Scimus  quoniam  diligentibus  Deum 
omnia  cooperantur  in  bonum,  iis  qui  secundiim 
■proposition  vocati  sunt  sancti  (i).  Or  voilà,  mes 
chers  auditeurs,  ce  qu'ont  éprouvé  ces  bienheureux 
dont  nous  honorons  la  mémoire  ;  tout  a  contribué 
à  leur  avancement  et  à  leur  salut  éternel.  Car  le 
monde  ,  par  un  merveilleux  effet  de  la  grâce  de 
Jésus-Christ,  a  visiblement  contribué  à  leur  sancti- 
fication ;  et  ce  qu'ils  étoient  selon  le  monde,  j'en- 
tends leur  condition  ,  sans  être  en  soi  différente  de 
celle  des  païens  ,  par  l'usage  qu'ils  en  ont  fait ,  n'a 
pas  laissé  de  servir  à  les  rendre  de  parfaits  chré- 
tiens :  pourquoi  ?  appliquez-vous  à  cette  excellente 
morale  de  saint  Paul  :  parce  qu'il  est  constant  que 
les  saints  ont  trouvé  dans  leur  condition  de  puissans 
motifs  pour  s'exciter  et  s'animer  à  la  pratique  de 
leur  religion  ;  parce  qu'il  est  vrai  que  leur  condi- 
tion leur  a  fourni  les  moyens  de  glorifier  Dieu  , 
dont  ils  ont  su  admirablement  profiler  à  l'avantage 
de  leur  religion  ;  parce  qu'un  de  leurs  premiers 
soins  a  été  de  bien  ménager  les  croix  et  les  peines 
inséparables  de  leur  condition  ,  pour  en  faire  la  ma- 
tière de  leur  patience  et  des  sacrifices  qu'ils  ont  eu 
le  bonheur  d'offrir  à  Dieu  dans  l'esprit  de  leur  re- 
ligion :  pensées  touchantes  que  je  ne  fais  que  vous 

(i)  Rom.  s. 


3g4  POUR,  LA    FÊTE 

proposer  ,  et  à  quoi  je  réduis  la  dernière  idée  que 
j'di  prétendu  vous  donner  de  la  science  des  saints. 

Ces  prédestinés  et  ces  élus  de  Dieu  ont  trouvé 
dans  le  monde  même  et  dans  leur  condition ,  quoi- 
que mondaine  ,  de  puissans  motifs  pour  s'exciter  à 
la  pratique  de  leur  religion  :  c'est-à-dire  ,  ce  que 
leur  condition  les  obligeoit  à  faire  pour  le  monde, 
leur  a  appris,  mais  vivement  et  sensiblement  ,   ce 
qu'ils  dévoient  à  Dieu ,  leur  a  fait  porter  avec  joie 
et  avec  douceur  le  joug  de  Dieu ,  leur  a  fait  aimer 
tendrement  la  loi  de  Dieu  ,  leur  a  fait  embrasser 
généreusement  ce  qui  leur  a  paru  de  plus  sévère 
dans  l'accomplissement  des  ordres  de  Dieu ,  leur  a 
fait  sentir  et  goûter  délicieusement  le  bonheur  qu'il 
y  a  d'être  à   Dieu.   En  falloit-il  davantage  à  ces 
saints  de  la  terre  ?    car  c'est  ainsi  que  les  appelle 
l'Ecriture  :  Sanctis  qui  in  terra  surit  ejus  (1).  En 
efïet ,  dit  saint  Augustin  ,  ils  ont  été  les  saints  de 
la  terre,  avant  que  d'être  les  citoyens  du  ciel.  Arrê- 
tons-nous encore  à  ceux  qui ,  après   avoir  passé 
dans  le  monde  par  les  mêmes  états  que  vous,  doi- 
vent être  les  modèles  de  votre  conduite.  Leur  en 
falloit-il ,  dis-je  ,  davantage  pour  leur  inspirer  tout 
le  zèle  qu'ils  ont  eu  dans  le  service  de  Dieu  ,  que 
la  réflexion  qu'ils  faisoient  sur  la  manière  dont  on 
sert  les  grands  de  la  terre  ,  et  dont  ils  les  servoient 
eux-mêmes  ?  On  s'étonne  qu'il  y  ait  eu  des  saints 
ù  la  cour  ;   et  moi   je  prétends   que  c'est  la  cour 
même  ,  où,  par  l'ordre  de  Dieu  ,  ils  se  trouvoient 
attachés, qui  les  faisoit  saints.  Oui,  la  cour  les  for- 
Ci)  Psal.  i3. 


DE  TOUS  LES    SAINTS.  3g5 

moit  à  la  religion  ;  la  cour ,  qui  pour  tant  d'autres 
a  été  et  est  si  souvent  une  école  d'impiété,  par  un 
don  singulier  de  Dieu ,  apprenoit  à  ceux-ci  le  chris- 
tianisme ,  et  les  élevoit  à  la  sainteté.  Comment  cela  ? 
rien  de  plus  naturel  ni  de  plus  simple.  Attachés  à 
la  cour  par  leur  condition  ,  ils  avoient  honte  de 
n'avoir  pas  pour  Dieu  une  obéissance  aussi  prompte 
et  une  fidélité  aussi  inviolable  que  celle  dont  ils  se 
piquoient  à  l'égard  de  leur  prince  ;  et  cette  compa- 
raison les  portoit  à  tout  entreprendre  ;  ils  se  repro- 
choient  avec  douleur  d'être  moins  vifs  et  moins 
empressés  pour  le  Dieu  de  leur  salut,  que  pour  le 
maître  de  qui  dépendait  leur  fortune  temporelle  ; 
et  à  force  de  se  le  reprocher ,  ils  parvenoient  enfin 
à  pouvoir  se  rendre  le  témoignage  favorable  que 
leur  conscience  sur  ce  point  exigeoit  d'eux  ,  et  où 
consistoit  pour  eux  le  capital  et  l'essentiel  de  la  re- 
ligion. Je  veux  dire  ,  ils  parvenoient  enfin  à  avoir 
pour  Dieu  cet  amour  de  préférence  si  nécessaire 
au  salut ,  et  néanmoins  si  rare  à  la  cour  ;  mais  Dieu 
qui  les  avoit  choisis ,  vouloit  que  la  cour  même  le 
leur  enseignât ,  et  leur  en  fournît  un  motif  auquel 
ni  leur  raison  ,  ni  leur  foi  ne  pussent  résister  ;  et 
quel  étoit  ce  motif?  je  le  répète  :  l'application  sans 
relâche  avec  laquelle  ils  faisoient  leur  cour  à  un 
homme  mortel ,  la  disposition  sans  réserve  à  n'épar- 
gner rien  pour  lui  plaire,  le  parfait  dévouement  à 
ses  intérêts,  la  soumission  aveugle  à  ses  volontés , 
l'infatigable  assiduité  auprès  de  sa  personne ,  l'at- 
tention à  mériter  ses  bonnes  grâces, l'ambition  d'être 
à  lui  ;  la  crainte  d'être  oubliés  de  lui ,  beaucoup 


396  POUR    LA    FÊTE 

plus  d'en  être  disgraciés  et  réprouvés  ,  tout  cela 
c'étoit  pour  les  saints  autant  de  leçons  du  culte  su- 
prême et  de  l'amour   souverain  qu'ils  dévoient  à 
Dieu  ;  et  ces  leçons ,  bien  étudiées  ,  bien  méditées  , 
bien  appliquées ,  faisoient  sur  eux  des  impressions 
qui  les  sanctifioient.  De  même ,  on  est  surpris  qu'il 
y  ait  eu  des  hommes  qui ,  dans  la  profession  des 
armes,  soient  arrivés  à  la  sainteté  ;  et  moi  je  dis 
que  rien  ne  pouvoit  mieux  les  disposer  à  la  sainteté, 
que  la  profession  des  armes.  Comment  les  Maurice, 
les  Sébastien  ,  les  Eustache  l'y  ont-ils  trouvée  ?  Ils 
devenoient  sans  peine  les  martyrs  de  Jésus-Christ 
et  de  leur  religion  ,  en  se  souvenant  combien  de 
fois  ils  avoient  été  les  martyrs  de  leur  condition  , 
lorsque  tant  de  fois  dans  les  combats  ils  s'étoient 
exposés  à  la  mort ,  pour  ne  rien  faire  d'indigne  de 
leur  naissance  et  qui  intéressât  leur  honneur.  Ainsi 
leur  condition  leur  enseignoit-elie  ,  les  engageoit- 
elle  ,  les  forçoit-elle  malgré  eux  ,  non-seulement  à 
avoir  de  la  religion,  mais  à  pratiquer  tout  l'héroïque 
de  la  religion.  Car  pour  avoir  une  parfaite  religion, 
il  faut  savoir  parfaitement  obéir ,  il  faut  savoir  se 
sacrifier ,  il  faut  savoir   se   renoncer.  Or  c'est  ce 
qu'on  ignore  partout  ailleurs  ;  mais  ce  qu'un  mon- 
dain brave  dans  la  guerre  ne  pourra  jamais  dire  à 
Dieu  qu'il  ait  ignoré.  Il  est  donc  certain  que  sa  con- 
dition lui  apprend  malgré  lui  la  science  des  saints  ; 
et  ceci  par  proportion  ,  convient  à  tous  les  états  qui 
partagent  la  société  des  hommes ,  puisque  chaque 
condition,  quand  on  en  sait  user  comme  les  saints, 
a  une  grâce  particulière  pour  coopérer ,  par  de  sem- 


DE    TOUS   LES  SAINTS.  3o,7 

blables  motifs ,  à  la  sainteté  de  ceux  que  Dieu  , 
selon  les  vues  de  sa  sagesse ,  y  a  destinés. 

Ce  n'est  pas  tout  :  indépendamment  des  motifs, 
{'ai  dit  que  les  saints  ont  trouvé  dans  leur  condition 
des  moyens  de  glorifier  Dieu ,  dont  ils  ont  su  avan- 
tageusement se  prévaloir  pour  acquérir  tout  le  mé- 
rite de  leur  religion  ;  et  je  n'en  veux  point  d'autre 
preuve  que  l'histoire  de  leur  vie  :  combien  y  en  a-t-il 
dont  la  sainteté  n'a  été  si  éminente  ni  si  éclatante, 
'  que  parce  qu'ils  ont  eu  dans  leur  condition  des  oc- 
casions de  faire  pour  Dieu  de  grandes  choses  ?  Ils 
avoient  dans  le  monde  de  la  qualité  (  ne  quittons 
point  ce  qui  vous  est  propre ,  et  qu'il  n'y  ait  rien 
de  vague  dans  cette  morale);  ils  avoient  dans  le 
monde  de  la  qualité,  de  la  dignité,  de  l'autorité  : 
comme  élus  de  Dieu  ,  ils  ont  fait  servir  tout  cela  à 
la  piété  ,  à  la  charité,  à  l'humilité.  Si  saint  Louis 
n'eût  été  roi ,  auroit-il  fait  pour  Dieu  ce  qu'il  a  fait; 
auroit-il  réprimé  l'impiété  ,  auroit-il  puni  le  blas- 
phème, auroit-il  dompté  l'hérésie,  auroit-il  établi 
tant  de  saintes  lois  ?  la  royauté  donnoit  de  la  force 
à  son  zèle  ,  et  son  zèle  pour  Dieu  n'avoit  du  succès 
que  parce  que  la  royauté  en  étoit  le  soutien.  S'il 
n'eût  été  roi ,  auroit-il  laissé  à  la  postérité  tant  de 
somptueux  monumens  de  sa  tendresse  paternelle 
envers  les  pauvres;  en  auroit-il  rempli  la  France  , 
et  y  verrions-nous  tant  de  maisons  consacrées  par 
lui  à  la  charité  publique  ?  sa  charité  ne  subsistoif: 
que  sur  le  fonds  de  sa  magnificence  royale ,  et  il 
n'a  été  le  père  des  pauvres  que  parce  qu'en  qualité 
de  roi  il  a  eu  le  pouvoir  de  l'être  :  en  un  mot,   le 


3q8  pour  la  fête 

mérite  de  ce  monarque,  et  ce  que  j'appelle  en  lui 
la  science  des  saints,  c'est  qu'il  a  profité  de  sa  con- 
dition pour  être  le  héros  de  sa  religion.  Or  il  n'y  a 
point  de  condition  dans  le  monde,  qui  selon  la 
mesure  et  l'étendue  du  pouvoir  qu'elle  nous  donne, 
n'ait  par  rapport  à  Dieu  le  même  avantage;  et  si  je 
suis  comme  les  saints  ,  fidèle  à  la  grâce  et  aux  des- 
seins de  Dieu  sur  moi,  sans  être  ce  qu'a  été  saint 
Louis,  je  trouverai  dans  ma  condition  de  quoi  sans 
cesse  honorer  Dieu  par  ma  condition  même;  je  ne 
ferai  pas  des  actions  d'un  si  grand  éclat  que  saint 
Louis  ;  mais  en  faisant  tout  le  bien  dont  je  suis 
capable  ,  je  glorifierai  Dieu  par  mon  obscurité , 
comme  saint  Louis  l'a  glorifié  par  son  élévation  : 
car  élévation  et  obscurité ,  à  qui  sait  et  veut  s'en 
servir,  ce  sont  également,  quoique  différemment, 
des  sujets  de  sanctification  :  dans  la  médiocrité  de 
mon  état,  je  n'aurai  pas  les  importantes  occasions 
qu'a  eues  saint  Louis  ,  pour  me  signaler  comme  lui 
par  une  piété  héroïque  ;  mais  en  pratiquant  les 
vertus  communes  de  mon  état,  sans  être  héroïque- 
ment saint,  je  pourrai  l'être  solidement;  sans  l'être 
avec  éclat  aux  yeux  des  hommes ,  je  pourrai  l'être 
avec  mérite  devant  Dieu  et  dans  l'idée  de  Dieu  : 
or  c'est  uniquement  ce  que  les  saints  ont  cherché, 
et  à  quoi  ils  ont  rapporté  cette  science  qu'ils  avoient 
reçue  d'en-haut  :  Dédit  illi  scient iam  sanc- 
torum  (i). 

Enfin  les  saints  ont  trouvé  des  croix   dans  leur 
condition ,  et  ils  en  ont  fait  la  matière  de  leur  pa- 

(1)  Sap.   10. 


DE   TOUS  LES  SAINTS.  5<Jf) 

tierce ,  de  leur  résignation ,  de  tous  les  sacrifices 
qu'ils  ont  offerts  à  Dieu  dans  l'esprit  de  leur  reli- 
gion; encore  une  fois,  suivant  ce  principe ,  faut- 
il  s'étonner  qu'il  y  ait  eu  des  saints  à  la  cour,  et  ne 
faut-  il  pas  s'étonner  plutôt  qu'il  y  en  ait  eu ,  et 
qu'il  y  en  ait  si  peu  ?  La  condition  de  ceux  qui 
vivent  à  la  cour  ,  et  que  leur  devoir  y  retient,  étant, 
de  leur  propre  aveu  ,  celle  où  les  mortifications  sont 
plus  fréquentes  et  plus  inévitables,  celle  où  il  y  a 
plus  de  dégoûts  et  de  chagrins  à  essuyer ,  celle  où 
l'on  est  plus  obligé  à  prendre  sur  soi  et  à  se  con- 
traindre ,  devroit-il  y  en  avoir  une  dans  le  monde 
plus  propre  à  faire  des  saints  ?  trouver  tout  cela  dans 
sa  condition  et  n'être  pas  saint,  et  ne  penser  à  rien 
moins  qu'à  l'être ,  n'est-ce  pas  le  comble  de  la 
malédiction  ?  j'en  appelle  à  vous-mêmes  ,  mes  chers 
auditeurs,  et  je  suis  sûr  que  ,  malgré  votre  peu  de 
foi ,  vous  en  convenez.  Quoi  qu'il  en  soit ,  voilà  le 
secret  adorable  que  l'esprit  de  Dieu  a  révélé  à  ces 
glorieux  prédestinés  ,  qui  se  sont  sanctifiés  à  la  cour. 
Des  mortifications  et  des  chagrins  que  leur  attiroit 
leur  condition ,  ils  se  sont  fait  un  état  de  pénitence , 
non  pas  comme  les  mondains ,  d'une  pénitence 
forcée ,  mais  d'une  pénitence  volontaire  ,  méritoire , 
sanctitîcatoire  ;  les  revers  de  fortune  et  les  disgrâces 
qu'ils  ont  eu  à  soutenir,  leur  ont  inspiré  ,  non  pas 
d'inutiles  et  de  vains  dégoûts ,  mais  un  généreux 
et  sincère  détachement  du  monde  ;  les  injustices 
même  du  monde  ont  été  pour  eux  un  exercice  de  ce 
parfait  christianisme  qui  les  obligeoit  de  mourir  à 
eux-mêmes;  voilà  ce  que  la  science  des  saints  leur 


4oO  POUR    LA  FETE 

a  appris  :  au  lieu  que  les  enfans  du  siècle  font  df 
tout  cela  le  sujet  de  leurs  plaintes  et  de  leurs  mur- 
mures, les  justes  et  les  amis  de  Dieu  s'en  sont  fait 
des  sujets  de  consolation  et  d'actions  de  grâces, 
parce  qu'ils  savoient  bien  que  c'étoit  là  le  partage 
des  élus  ,  et  que  la  voie  la  plus  certaine  de  leur 
prédestination  étoit  de  passer  par  les  souffrances  , 
et  d'en  être  réputés  dignes.  Comme  il  n'y  a  point 
de  justes  dans  la  gloire  ,  que  Dieu  n'ait  voulu  y 
conduire  par  là  ;  aussi  n'y  en  a-t-il  point  qui  dans 
leur  condition  n'aient  trouvé  des  peines  et  des  afflic- 
tions :  et  c'est ,  dit  saint  Paul ,  ce  qui  a  le  plus 
contribué  à  leur  sainteté.  Contemplons  -  les  donc 
aujourd'hui  comme  nos  modèles.  Quoi  qu'il  nous 
arrive  de  fâcheux  et  de  chagrinant  dans  notre  état, 
disons-nous  à  nous-mêmes  :  Qu'ont  fait  les  saints, 
lorsqu'ils  se  sont  vus  traités  comme  moi  ?  s'en  sont- 
ils  pris  à  la  Providence  ?  leur  courage  en  a-t-il  été 
abattu  ,  leur  foi  en  a-t-elle  paru  ébranlée,  et  ne  se 
sont  ils  pas  au  contraire  estimés  heureux  d'être 
éprouvés  sur  la  terre  ,  afin  d'être  éternellement  glo- 
rifiés dans  le  ciel  ? 

Telle  est  pour  nous  tous,  mes  chers  auditeurs,  la 
science  des  saints.  Mais  c'est  à  vous ,  Sire ,  de  possé- 
der éminemment  cette  divine  science  :  car  la  science 
des  saints  ,  pour  un  roi ,  doit  bien  être  d'une  autre 
étendue,  et  même  d'une  autre  perfection  que  pour 
le  commun  des  hommes.  Comme  les  rois  sont  les 
images  de  Dieu  ,  un  roi ,  pour  être  saintement  roi , 
doit  être ,  à  l'exemple  de  Dieu,  non-seulement  saint, 
mais  grand  et  magnifique  jusque  dans  la  sainteté: 


Î)E   TOUS  LES   SAINTS.  /jOî 

Magnificus  in  sanctitate  (i).  Il  suffit  aux  autres 
d'être  humbles  dans  la  sainteté ,  d'être  patiens,  d'être 
fervens ,  d'être  constans  dans  la  sainteté;  mais  il 
faut  à  un  roi  de  la  grandeur  dans  la  sainteté  même, 
puisqu'avec  une  sainteté  vulgaire  et  commune  ,  il 
est  impossible  qu'il  satisfasse  aux  importans  devoirs 
dont  il  est  chargé  comme  roi.  En  effet,  si,  selon 
l'évangile  de  ce  jour,  une  partie  de  la  science  des 
saints  est  d'être  pacifiques ,  la  science  d'un  saint  roi, 
et  d'un  roi  chrétien  ,  doit  être  ,  dit  saint  Augustin  , 
de  mettre  sa  gloire  à  donner  la  paix;  doit  être  d'em- 
ployer sa  puissance  et  de  n'épargner  rien  pour  éta- 
blir ,  pour  affermir,  pour  faire  fleurir  et  régner  la 
paix.  Aussi  est-ce  particulièrement  aux  princes  et 
aux  rois  de  ce  caractère  qu'il  est  dit  aujourd'hui  : 
Btati  pacifici  (2).  Or,  suivant  cette  règle,  Sire, 
si  jamais  prince  sur  la  terre  a  eu  droit  de  prétendre 
au  mérite  de  cette  béatitude,  on  ne  peut  douter 
que  ce  ne  soit  votre  majesté  :  car  elle  vient  de  don- 
ner la  paix  à  toute  l'Europe,  de  la  manière  la  plus 
chrétienne  dont  jamais  monarque  chrétien  l'ait  don- 
née et  l'ait  pu  donner  :  je  veux  dire,  au  milieu  de 
ses  conquêtes ,  dans  le  comble  des  prospérités  et 
des  succès  dont  Dieu  jusqu'à  la  fin  a  béni  ses  armes; 
dans  le  désespoir  où  étoient  ses  ennemis ,  malgré 
leur  formidable  ligue,  de  pouvoir  lui  résister,  et 
lorsqu'ils  étoient  forcés  de  reconnoître  et  de  con- 
fesser que  vous  étiez  ,  Sire  ,  le  seul  victorieux  et  le 
seul  invincible.  C'est  en  de  si  favorables  conjonctures 
que  vous  avez  voulu  être  le  pacificateur  du  monde 

(1)  Exod.  11.  —  (2)  Matth.  5. 

TOME    XI.  2.6 


4o2  POUR  LA   FÊTE 

chrétien  ,  et  c'est  ainsi  que  toute  l'Europe  vous  est 
redevable  de  son  bonheur.  C'est  par  vous  que  tant 
de  nations  ,  après  une  sanglante  guerre  vont  com- 
mencer à  respirer  ;  par  vous  que  tant  d'églises  dé- 
solées vont  offrir  librement  et  sûrement  leurs  sacri- 
fices, dans  le  tranquille  exercice  du  culte  de  Dieu; 
par  vous  que  tant  d'états  et  de  royaumes  vont  jouir 
d'un  profond  repos  :  fut-il  jamais  un  meilleur  titre 
pour  avoir  part  à  la  béatitude  évangélique:  Beati 
paclfici  !  Mais  j'ose  encore  ,  Sire,  pour  ma  propre 
consolation  et  pour  celle  de  mes  auditeurs,  ajouter 
ici  le  motif  qui  vous  a  déterminé  à  la  conclusion 
de  ce  grand  ouvrage.  Car  puisqu'il  m'est  permis 
d'entrer  dans  les  intentions  de  votre  majesté  ,  et 
puisqu'elle-même  s'en  est  hautement  expliquée  , 
elle  n'a  consenti  à  la  paix  que  par  amour  pour  son 
peuple ,  que  dans  un  sincère  désir  de  faire  goûter 
à  ses  sujets  la  douceur  de  son  règne  ,  que  dans  la 
vue  de  les  soulager  ;  elle  s'est  relâchée  de  ses  droits 
pour  nous  rendre  heureux  ;  et  ce  qu'elle  a  sacrifié 
à  la  paix  ,  nous  est  une  preuve  authentique  de  ses 
soins  bienfaisans  et  de  son  attention  à  nos  intérêts. 
Or  voilà  ce  que  j'ai  appelé  pour  un  roi  chrétien  , 
le  mérite  de  cette  béatitude  dont  nous  parle  le 
Sauveur  du  monde  :  Beati  pacifici  ;  et  c'est  de 
quoi  j'ai  cru  devoir  féliciter  aujourd'hui  votre  ma- 
jesté. Non  content  d'avoir  été  jusqu'à  présent  le 
plus  glorieux  et  le  plus  puissant  des  rois  ,  vous 
voulez  encore  ,  Sire  ,  être  le  meilleur  de  tous  les 
rois  ;  après  avoir  été  ,  comme  conquérant,  l'admi- 
ration de  tous  les  peuples  ,  vous  voulez  ,  pour  cou-i 


DE    TOUS    LES    SAINTS.  ^o3 

ronner  votre  règne  ,  être  le  père  de  votre  peuple. 
Le  dirai-je ,  Sire ,  avec  la  respectueuse  liberté  que 
me  fait  prendre  mon  ministère  ?  votre  peuple  n'en 
est  pas  indigne  :  car  jamais  peuple  sous  le  ciel  n'a 
tant  aimé  son  roi ,  n'a  été  si  passionné  pour  la 
gloire  de  son  roi,  ne  s'est  épuisé  pour  son  roi  avec 
tant  de  zèle ,  n'a  fait  pour  la  conservation  de  son 
roi  tant  de  vœux  à  Dieu.  Votre  maj-esté  l'a  senti, 
et  elle  ne  l'oubliera  jamais  :  tous  les  cœurs  sur  cela 
se  sont  ouverts  ,  et  le  votre,  Sire,  en  a  été  touché. 
Ce  peuple,  encore  une  fois,  n'est  donc  pas  indigne 
de  vos  bontés  ;  et  si  l'on  pouvoit  les  mériter,  je  di- 
rois  qu'il  les  a  méritées  par  son  attachement  sans 
exemple,  par  sa  fidélité  à  toute  épreuve,  par  son 
obéissance  sans  bornes  ,  par  son  amour  tendre  pour 
votre  majesté.  Beatl  pacifici  :  Heureux  les  paci- 
fiques, et  encore  plus  les  pacificateurs,  puisque  , 
malgré  les  faux  raisonnemens  de  la  politique  mon- 
daine, c'est  ce  qui  fait  les  saints  rois,  les  rois  selon 
le  cœur  de  Dieu ,  les  rois  dignes  de  posséder  le 
royaume  de  Dieu.  A  quoi  tout  le  reste  sans  cela 
leur  servira-t-il  ?  J'ai  été  roi ,  disoit  Salomon  ,  et 
j'ai  surpassé  tous  les  autres  rois  en  grandeur  ,  en 
puissance  ,  en  richesses  ,  en  magnificence  ;  mais 
j'ai  reconnu  par  une  longue  expérience  que  tout 
cela,  séparé  de  la  sagesse,  n'étoit  que  vanité  ,  que 
peine  ,  qu'affliction  d'esprit,  \otre  majesté,  Sire, 
a  trop  de  lumières  pour  ne  pas  penser  aujourd'hui 
ce  que  Salomon  pensoit  alors  ;  et  convaincue  aussi 
bien  que  lui  du  néant  du  monde ,  elle  a  trop  de  re- 
ligion pour  ne  se  pas  dire  à  elle-même  ,  qu'elle 


4©4         POUR  LA  FÊTE   DE  TOUS  LES  SAINTS. 

doit  donc  chercher  hors  du  monde  son  véritable 
bonheur.  La  science  de  gouverner  les  peuples,  la 
science  de  se  faire  obéir  ,  la  science  d'accroître  ses 
états  par  le  nombre  de  ses  conquêtes,  voilà  ce  que 
votre  majesté  possède  dans  un  suprême  degré  ,  et 
ce  qui  a  fait  la  matière  de  tant  d'éloges.  Mais  comme 
prédicateur  de  l'évangile  ,  je  lui  dis  aujourd'hui 
quelque  chose  de  plus  grand  ,  de  plus  solide  ,  de 
plus  digne  d'elle  :  et  quoi  ?  c'est  qu'il  n'y  a  rien 
de  grand  ,  rien  de  solide ,  rien  qui  soit  ni  puisse 
être  digne  d'elle  ,  que  la  science  des  saints ,  qui 
est  la  science  des  élus  de  Dieu,  et  qui  la  conduira 
à  ce  royaume  éternel  que  je  lui  souhaite,  au  nom 
du  Père ,  du  Fils  ,  et  du  Saint-Esprit. 


SERMON 


POUR  LE   JOUR 

DE  LA  COMMÉMORATION  DES  MORTS. 


Amen  ,  amen  dico  vobis  ,  quia  venit  hora,  et  nnnc  est, 
quandô  mortui  audient  vocem  Filii  Dei  :  etquiaudiei-iut , 
vivent. 

Je  vous  dis  en  vérité  que  l'heure  est  venue ,  et  c'est 
celle-ci  où  les  morts  entendront  la  voix  du  Fils  de 
Dieu ,  et  où  ceux  qui  l'entendront  vivront.  En  saint  Jean , 
chap.  5. 

C'est  un  mystère  que  Jésus- Christ  nous  propose 
aujourd'hui  dans  l'évangile,  mais  un  mystère  qui, 
même  après  la  déclaration  que  Jésus-Christ  nous  en 
a  faite ,  a  encore  son  obscurité ,  puisque  les  Pères 
de  l'Eglise  ne  s'accordent  pas  sur  le  sens  de 
ce  passage  :  les  uns  ont  cru,  et  c'est  la  pensée 
d'Origène  ,  qu'il  falloit  l'entendre  de  la  résurrection 
générale ,  où  en  effet  les  morts ,  pour  comparoître 
devant  le  tribunal  du  Fils  de  Dieu ,  et  pour  re- 
cevoir leur  dernier  arrêt ,  sortiront  de  leurs  sépul- 
cres; d'autres  ,  comme  saint  Cyrille  ,  l'ont  expliqué 
des  résurrections  particulières  ,  c'est-à-dire  ,  des 
miracles  qu'opéroit  le  Fils  de  Dieu  ,  lorsqu'en  vertu 
d'une  seule  parole  il  ressuscitoit  les  morts;  saint 
Augustin  l'a  pris  dans  le  sens  moral  de  la  résur- 
rection  spirituelle ,  et  de  la  justification  des  pé- 


4oG  POUR    LA    COMMÉMORATION 

cheurs,  qui,  de  morts  qu'ils  étoient  par  le  péché, 
se  sont  vivifiés  par  la  grâce  intérieure  de  Jésus- 
Clirist,  et  par  la  vertu  de  son  sacrement.  Trouvez 
bon  ,  chrétiens  ,  que  dans  un  tel  partage  de  senti- 
mens,  je  m'attache  à  ce  qui  me  paroît  le  plus  con- 
forme à  l'esprit  de  l'Eglise  ;  et  que,  sans  entrer  plus 
avant  dans  la  discussion  de  ce  mystère  ,  je  me  con- 
tente de  l'appliquer  à  la  fête  que  nous  célébrons. 
Venit  hora  ,  et  mine  est,qaandb  mortui audient 
vocem  Filii  Dei-  :  c'est  en  ce  jour  que  les  morts 
ont  entendu  la  voix  du  Fils  de  Dieu,  parce  que 
c'est  en  ce  jour  qu'on  a  offert  pour  les  morts  dans 
toutes  les  parties  du  monde  le  sacrifice  du  corps 
et  du  sang  de  Jésus-Christ.  Or  le  sang  de  Jésus- 
Christ  a  une  voix  aussi  bien  que  le  sang  d'Abel  ; 
mais  une  voix  bien  pins  forte  que  le  sang  d'Abel, 
une  voix  qui  pénètre  jusque  dans  les  cieux,  et  qui 
se  fait  obéir  jusque  dans  le  centre  des  abîmes  de  la 
terre.  Oui ,  mes  frères  ,  le  sang  de  cet  agneau  sans 
tache  a  crié  aujourd'hui  sur  nos  autels  :  et  qu'a-t-il 
demandé  à  Dieu?  le  soulagement  de  ces  âmes  fi- 
dèles ,  qui ,  quoique  séparées  de  leurs  corps  et  pré- 
destinées, ne  laissent  pas  de  souffrir  et  de  gémir 
dans  l'attente  de  leur  béatitude  ,  parce  qu'elles  ont 
encore  des  restes  de  péchés  à  expier  :  c'est  pour 
cela  que  ce  sang  divin  a  été  immolé  ;  c'est  pour 
cela  qu'il  a  poussé  sa  voix ,  premièrement  vers  le 
ciel,  pour  y  solliciter  Dieu  en  faveur  de  ces  âmes 
souffrantes;  et  ensuite  jusques  au  lieu  où  ces  aines 
sont  arrêtées,  pour  leur  annoncer  l'heureuse  nou- 
velle de  leur  liberté ,  et  pour  leur  dire  que  l'heure 


DES  MORTS.  407 

est  venue  de  sortir  de  leur  prison  :  car  c'est  ce  qui 
se  fait  dans  cette  solennité  plus  authentiquement 
et  plus  généralement  qu'à  nul  autre  jour  de  l'année , 
puisque  celui-ci  est  uniquement  consacré  à  la  mé- 
moire de  ces  saintes  âmes ,  et  au  devoir  public  que 
nous  leur  rendons ,  en  offrant  pour  elles  le  sacri- 
fice de  notre  religion  :  Venit  hora ,  et  nunc  est, 
quando  mortui  audient  vocem  Filii  Dei.  Au 
reste ,  chrétiens ,  quiconque  des  morts  entendra 
cette  voix  favorable  du  sang  de  Jésus-Christ,  il 
jouira  d'une  vie  bienheureuse  :  pourquoi?  parce 
qu'en  même  temps  délivré  des  liens  du  péché ,  il 
entrera  en  possession  de  l'héritage  des  enfans  de 
Dieu ,  où  il  trouvera  une  source  de  vie  qui  ne  finira 
jamais  :  Et  qui  audierint,  vivent.  Voilà  de  quoi 
j'ai  à  vous  entretenir,  après  que  nous  aurons  im- 
ploré le  secours  du  Saint-Esprit,  par  l'intercession 
de  Marie.  Ave ,  Maria. 

Trois  choses ,  selon  saint  Bernard  ,  font  la  per- 
fection d'un  devoir  chrétien,  et  doivent  nécessaire- 
ment y  concourir  ;  une  foi  pure  pour  leconnoître  , 
une  dévotion  tendre  pour  l'aimer ,  et  des  œuvres 
solides  pour  l'accomplir;  et  trois  choses,  selon  le 
même  Père  ,  y  sont  essentiellement  opposées  :  l'a- 
veuglement de  l'esprit,  l'indifférence  du  cœur,  et 
l'inutilité  des  œuvres  :  l'aveuglement  de  l'esprit,  qui 
fait  qu'on  ignore  ce  devoir;  l'indifférence  du  cœur, 
qui  fait  qu'on  y  est  insensible  ;  et  l'inutilité  des  œu- 
vres, qui  fait  qu'on  s'en  acquitte  mal  :  or,  c'est  sur 
ce  principe  ,  mes  chers  auditeurs ,  que  je  fonde  ce 


'4o8  POUR   LA  COMMÉMORATION 

discours,  où  j'entreprends  de  vous  engager  à  se- 
courir les  âmes  de  vos  frères ,  que  la  mort  a  séparés 
de  vous ,  et  à  leur  donner  des  marques  de  votre 
charité ,  dans  l'état  malheureux  où  je  vais  vous  les 
représenter;  car  voici  tout  mon  dessein.  Je  trouve 
dans  le  christianisme  trois  sortes  de  personnes  qui, 
par  différentes  raisons,  ne  contribuent  en  rien  au 
soulagement  des  âmes  du  purgatoire  :  les  premiers 
sont  ceux  qui  ne  croient  pas  leurs  peines  ;  les  se- 
conds ,  ceux   qui  les    croient,  mais  qui  n'en  sont 
pas  touchés;   et   les   derniers,   ceux  même  qui  en 
sont  touchés,  mais  qui  n'emploient  pas  les  moyens 
efficaces  pour  les  soulager  :  dans  le  premier  rang , 
je  comprends  les  libertins  et  les  hérétiques,  qui, 
par  un  esprit  d'incrédulité  rejettent  la  foi  du  pur- 
gatoire; dans  le  second,  certains  catholiques  in- 
diflérens  et  sans  compassion  ,  qui ,  confessant  la  foi 
du  purgatoire,  ne  se  sentent  émus  d'aucun   zèle 
pour  la  délivrance  des  âmes  que  la  justice  de  Dieu 
y  a  condamnées  ;  et  dans  le  troisième  ,  un  nombre 
de  chrétiens  presqu'infini,  qui,  se  flattant    d'avoir 
là-dessus  tout  le  zèle  nécessaire,  n'en  ont  que  les 
apparences,  parce  qu'ils  ne  l'exercent  que  par  des 
oeuvres  stériles  et  vaines  ,  qui  ne  sont  devant  Dieu 
de  nul  effet.  Or  pour  vous  inspirer,  autant  qu'il 
m'est  possible,  la  dévotion  qui  occupe  aujourd'hui 
toute  l'Eglise  ,  et  dont  les  âmes  du  purgatoire  font 
l'unique  objet,  j'établirai  contre  les  premiers  la  vé- 
rité de  cette   dévotion ,  j'exciterai   les   seconds   à 
cette  dévotion  ,  et  je  réglerai  les  derniers  dans  l'exer- 
cice et  l'usage  de  cette  dévotion.  Permettez-moi  de 


DES   MORTS.  ^09 

vous  développer  encore  ma  pensée  :  ne  pas  secou- 
rir les  âmes  du  purgatoire ,  parce  qu'on  n'est  pas 
persuadé  des  peines  qu'elles  souffrent,  c'est  une 
conduite  aussi  déraisonnable  qu'elle  est  pleine  d'er- 
reur :  voilà  la  première  partie  ;  être  persuadé  des 
peines  que  souffrent  les  âmes  du  purgatoire,  et  ne 
pas  s'intéresser  à  les  secourir,  c'est  une  dureté  aussi 
criminelle  qu'elle  est  contraire  à  la  piété  et  aux 
lois  même  de  l'humilité  :  voilà  la  seconde  partie  ; 
être  disposé  à  les  secourir  et  ne  se  servir  pour  cela 
que  de  moyens  inefficaces,  c'est  un  désordre  aussi 
commun  qu'il  est  déplorable  dans  le  christianisme  : 
voilà  'la  troisième  partie.  La  première  tient  lieu 
d'une  controverse  ,  mais  d'une  controverse  aisée , 
qui  ne  fera  que  vous  affermir  dans  les  sentimens 
orthodoxes  touchant  la  charité  qui  est  due  aux 
morts;  la  seconde  sera  une  exhortation  pressante 
pour  vous  porter  à  accomplir  fidèlement  le  devoir 
de  cette  charité  ;  et  la  dernière ,  une  instruction  pra- 
tique ,  pour  vous  apprendre  en  quoi  doit  con- 
sister cette  charité  :  c'est  tout  le  sujet  de  votre  at- 
tention. 

PREMIÈRE    PARTIE. 

C'est  un  des  caractères  de  l'erreur,  d'agir  in- 
considérément ;  et  saint  Jérôme  remarque  fort  bien 
qu'il  suffit,  pour  se  préserver  de  l'hérésie  ,  et  pour 
ne  pas  suivre  le  torrent  du  libertinage ,  d'observer 
les  fausses  démarches,  et  les  égaremens  visibles 
de  l'un  et  de  l'autre  :  or  voilà  ce  qui  paroît  d'abord 
dans  le  procédé  de  ceux  qui ,  n'étant  pas  persuadés 


4lO  POUR  LA.  COMMÉMORATION 

de  la  vérité  du  purgatoire,  fout  profession  de  ne 
pas  prier  pour  les  morts.  Car  dans  cette  erreur, 
sans  même  en  pénétrer  le  fond,  et  à  n'en  juger 
que  par  les  simples  lumières  du  bon  sens,  je  dé- 
couvre trois  grands  défauts  de  conduite;  mais  ne 
pensez  pas ,  mes  chers  auditeurs  ,  que  pour  vous 
en  convaincre  ,  j'entreprenne  ici  une  controverse 
réglée,  ni  qu'à  force  de  preuves,  je  veuille  établir 
la  foi  du  purgatoire  ,  contre  l'hérétique  et  le  libertin 
qui  la  combattent  :  ce  que  j'ai  en  vue  est  plus  court 
et  plus  édifiant  pour  vous  :  car  je  veux  seulement 
vous  montrer  combien  l'hérétique  et  le  libertin  rai- 
sonnent mal  (je  dis,  supposé  même  leurs  prin- 
cipes), lorsqu'ils  refusent  de  prier  pour  les  morts  . 
appliquez-vous. 

Voici  leur  premier  égarement  :*  ils  n'ont  point 
d'assurance ,  disent-ils  ,  qu'il  y  ait  un  purgatoire 
après  cette  vie;  et  n'en  ayant  nulle  assurance,  ils 
ne  travaillent  point  au  soulagement  des  âmes  qui 
y  sont  condamnées.  Je  soutiens  que  cette  conduite 
est  au  moins  téméraire  et  imprudente  :  pourquoi? 
parce  que  d'une  erreur  de  spéculation,  ils  tombent 
par  là  dans  un  désordre  pratique,  en  renonçant  à 
l'usage  de  l'Eglise,  et  comptant  pour  rien  le  ha- 
sard où  ils  se  mettent  de  manquer  à  un  des  plus 
importans  devoirs  de  la  justice  et  de  la  charité  chré- 
tienne. Comprenez  ceci,  s'il  vous  plaît  :  car  enfin, 
et  les  hérétiques ,  et  ceux  qui  par  libertinage  de 
créance  entrent  sur  ce  point  dans  leurs  sentimens  , 
sont  forcés  malgré  eux  de  reconnoître  ,  que  comme 
ils  n'ont  point  l'assurance  qu'il  y  ait  un  purgatoire, 


DES    MORTS.  4il 

aussi  n'ont-ils  nulle  assurance  qu'il  n'y  en  ait  pas  : 
ils  prétendent  que  l'Ecriture  ne  leur  a  point  révélé 
l'un  ;  mais  ils  conviennent  en  même  temps  qu'elle 
ne  leur  a  point  non  plus  révélé  l'autre  :  cela  étant , 
le  témoignage  que  nous  leur  rendons  de  cette  vé- 
rité catholique;  les  preuves  non-seulement  solides  , 
mais  plausibles  ,  sur  lesquelles  nous  la  fondons;  la 
possession  immémoriale  où  nous  sommes  de  la 
croire ,  doivent  au  moins  les  tenir  dans  le  doute  ; 
et  comme  de  leur  propre  aveu  ,  ils  n'ont  point  d'é- 
vidence du  contraire ,  ils  ne  peuvent  tout  au  plus 
se  retrancher  que  sur  l'incertitude.  Or  dites-moi , 
si  dans  l'incertitude  prétendue  de  cette  vérité,  ils 
sont  excusables  d'abandonner  la  pratique  et  l'usage 
de  toute  l'Eglise  ,  en  cessant  de  prier  pour  les  morts  ? 
étant  incertains  si  les  âmes  de  leurs  frères  sont  dans 
un  état  de  souffrance  ou  non,  qu'y  a-t-il  de  plus 
juste  que  de  prier  pour  eux  ?  le  seul  doute  ne  de- 
vroit-il  pas  les  déterminer,  et  en  faudroit-il  davan- 
tage pour  les  rendre  inexcusables,  quand  ils  né- 
gligent de  satisfaire  à  ce  devoir  ?  Il  me  semble 
que  je  ne  dis  rien  que  la  droite  raison  ne  fasse 
d'abord  sentir. 

Mais  voyez  combien  cette  raison  a  de  force ,  sur- 
tout dans  le  sujet  que  je  traite  :  je  demande  aux 
partisans  de  l'hérésie,  me  servant  contre  eux  de 
leurs  propres  dispositions  :  Si  vous  étiez  certains 
comme  nous  le  sommes ,  qu'il  y  a  un  purgatoire , 
ne  vous  croiriez-vous  pas  obligés  aussi  bien  que 
nous  ,  à  prier  pour  vos  frères  dont  vous  pleurez  la 
mort;  et  dans  l'intention  de  les  soulager ,  vous  con- 


4ï2  POUR   LA    COMMÉMORATION 

formant  à  notre  exemple  ,  ne  feriez- vous  pas  pour 
eux  tout  ce  que  nous  faisons  nous-mêmes?  ils  en 
conviennent  avec  moi  :  sur  cela  j'ajoute ,  et  je  leur 
dis  :  Vous  ne  seriez  pas  néanmoins  sûrs  alors  que 
les  âmes  de  vos  frères  fussent  du  nombre  de  celles 
pour  qui  l'on  peut  prier  utilement  :  car  elles  pour- 
roient  être,  ou  déjà  bienheureuses,  sans  avoir  be- 
soin de  ce  secours  ,  ou  éternellement  réprouvées  et 
incapables  d'en  profiter  :  cesseriez-vous  pour  cela 
de  solliciter  Dieu  en  leur  faveur?  non;  mais  dans 
le  doute  où  vous  seriez  de  leur  sort ,  vous  pren- 
driez le  parti  le  plus  favorable  :  ainsi,  pourquoi 
nous  qui  croyons  le  purgatoire,  et  qui  nous  en 
faisons  un  point  de  foi,  prions-nous  pour  ces  âmes 
fidèles,  parce  qu'il  se  peut  faire,  disons-nous,  que 
ces  âmes,  quoique  fidèles,  n'ayant  pas  achevé  de 
payer  à  Dieu  ce  qu'elles  doivent  à  sa  justice, souf- 
frent au  milieu  des  flammes  qui  les  purifient  :  nous 
ne  savons  pas  précisément  si  cela  est  ;  mais  il  nous 
suffit  de  ne  savoir  pas  non  plus  précisément  si  cela 
n'est  point,  et  de  savoir  que  cela  peut  être  :  bien 
loin  que  cette  incertitude  refroidisse  notre  charité 
pour  les  morts,  c'est  au  contraire  ce  qui  l'excite; 
et  comme  dit  excellemment  saint  Augustin  ,  nous 
aimons  bien  mieux  nous  exposer  à  faire  pour  ces 
saintes  âmes  des  prières  superflues,  que  de  nous 
mettre  en  danger  de  manquer  à  celles  qui  leur  sont 
nécessaires.  Remarquez  ces  paroles  qui  sont  déci- 
sives ,  et  qui  semblent  faites  pour  mon  sujet:  Me- 
lilis  enim  isla  vivent ium  siiffragia  iis  supere- 
runt  animabus ,  quibus  nec  prosunt  nec  obsunt  , 


DES   MORTS.  4*3 

quam  deerunt  Us  qui  bus  prosunt.  Voilà  comme 
nous  raisonnons  ,  et  nos  adversaires  sont  obligés  de 
confesser  que  selon  nos  maximes  nous  raisonnons 
bien  :  or  je  me  sers  contre  eux  de  cette  règle,  et 
je  reprends  de  la  sorte  :  Vous  ne  savez  pas  s'il  y 
a  un  purgatoire;  priez  donc  toujours  pour  vos 
frères,  afin  que  s'il  y  en  a  un  ,  ils  n'y  soient  pas 
abandonnés  à  la  rigueur  des  jugemens  de  Dieu  : 
car  la  vérité  du  purgatoire  ne  dépend  ni  de  votre 
opinion  ,  nide  la  mienne;  et  quoi  que  vous  et  moi 
nous  en  croyions ,  il  est  où  il  n'est  pas  :  s'il  n'étoit 
pas,  comme  il  vous  plaît  de  le  penser,  ma  prière 
seroit  inutile  à  ces  âmes;  mais  s'il  est,  comme  je 
le  crois ,  vous  ne  pouvez  disconvenir  que  vous  ne 
soyez  coupables  envers  ces  âmes  souffrantes  :  moi 
qui  m'intéresse  pour  elles ,  je  ne  cours  aucun  risque; 
mais  vous  qui  les  délaissez,  vous  risquez  et  pour 
elles  et  pour  vous-mêmes.  Quand  vous  me  dites  : 
A  quoi  bon  prier  pour  les  morts,  s'il  n'y  a  point 
de  purgatoire?  il  m'est  aisé  de  vous  répondre, 
que  quand  mes  prières  seroient  inutiles  pour  les 
morts,  elles  seront  toujours  méritoires  pour  moi  , 
parce  qu'elles  procèdent  toujours  de  la  charité  qui 
en  est  le  principe  et  la  fin  :  mais  quand  je  vous  dis 
que  s'il  y  a  un  purgatoire  ,  en  ne  priant  pas  pour 
les  morts  ,  vous  manquez  à  un  des  devoirs  les  plus 
indispensables  de  la  charité  ,  vous  n'avez  rien  qui 
vous  défende  ni  qui  vous  mette  à  couvert  de  re- 
proche. 

En  effet, chrétiens, que  diriez-vous  (  la  compa- 
raison est  sensible  ,  mais  elle  en  est  d'autant  pins 


4  l4  PO  Ull    LA    COMMÉMORATION 

propre  pour  donner  jour  à  ma  pensée)  ,  que  diriez- 
vous  d'une  mère  affligée  et  désolée  qui,  ne  sachant, 
après  une  sanglante  bataille  ,  quel  a  été  le  sort  de 
son  fils,  ni  ce  qu'il  est  devenu,  se  contenteroit  de  le 
pleurer  ,  sans  lui  donner  nulle  autre  marque  de 
son  zèle  ?  elle  est  en  doute  s'il  n'a  point  été  pris 
dans  le  combat,  et  s'il  n'est  point  réduit  actuelle- 
ment dans  une  dure  captivité;  mais  on  lui  fait  en- 
tendre qu'en  ce  cas-là  même,  elle  a  une  ressource 
aisée,  parce  que  la  liberté  de  son  fils  ne  dépendra 
que  de  ses  soins  et  des  poursuites  qu'elle  fera  pour 
le  racheter  :  que  diriez-vous  ,  encore  une  fois ,  si 
cette  mère,  au  lieu  de  prendre  pour  cela  les  mesures 
convenables,  s'arrêtoit  à  contester  et  à  répondre 
qu'il  n'y  a  nulle  apparence  que  son  fils  soit  tombé 
dans  cette  disgrâce  ;  si  toute  son  application  étoit 
à  chercher  des  raisons,  pour  se  persuader  que  cela 
n'est  pas,  et  qu'elle  protestât  qu'à  moins  d'une  évi- 
dence entière  de  la  chose ,  elle  ne  veut  pas  faire  la 
moindre  démarche  pour  lui?  ne  la  traiteroit-on  pas 
d'insensée  ou  de  dénaturée?  Or  voilà  justement  le 
procédé  des  hérétiques  que  je  combats  ;  on  leur 
dit  que  des  âmes  qui  leur  soûl:  chères,  et  dont  ils 
avouent  qu'ils  doivent  avoir  à  cœur  les  intérêts  , 
sont  peut-être  dans  un  lieu  de  souliYance  ,  que  nous 
appelons  purgatoire;  et  que  si  elles  y  sont,  ils 
peuvent  par  des  moyens  faciles  les  en  tirer  :  que 
font-ils?  ils  s'opiniâtrent  à  soutenir  qu'elles  n'y  sont 
pas  :  ils  argumentent ,  ils  disputent  contre  la  vérité 
de  ce  purgatoire  ;  ils  prennent  à  partie  ceux  qui  le 
croient,  et  ils  se  fatiguent  à  inventer  des  preuves 


DES  MORTS.  4l5 

pour  montrer  que  c'est  une  chimère.  Mais  si  indé- 
pendamment de  leurs  preuves  ,  ce  purgatoire  est 
quelque  chose  de  réel ,  et  si  ces  âmes  dont  ils  con- 
noissent  que  les  intérêts  ne  doivent  pas  leur  être 
indifférées ,  y  souffrent  des  peines  extrêmes,  c'est 
à  quoi  ils  ne  veulent  pas  penser;  qu'elles  y  souf- 
frent et  qu'elles  y  gémissent  dans  l'attente  de  leur 
bonheur  ,  ils  vivent  tranquilles  ;  et  pourvu  qu'ils 
n'en  croient  rien, ils  se  tiennent  quittes  envers  elles 
de  tous  les  devoirs  de  la  piété  :  raisonner  et  agir 
ainsi ,  est-ce  une  conduite  prudente  et  sage  ? 

Mais  en  voici  une  autre  qui  ne  l'est  pas  plus,  et 
qui  ne  vous  surprendra  pas  moins.  En  quoi  consiste 
l'erreur  pratique  des  partisans  de  l'hérésie  sur  le 
sujet  dont  il  est  question  ?  a  ne  pas  prier  pour  les 
morts,  parce  qu'ils  ne  croient  pas  la  vérité  du  pur- 
gatoire ,  et  c'est  ce  que  j'appelle  leur  second  éga- 
rement. Car  ils  devroient  renverser  la  proposition  , 
et  croire  la  vérité  du  purgatoire  ,  parce  qn  il  est 
évident  et  incontestable  qu'il  faut  prier  pour  les 
morts.  Comment  ceci  doit-il  s'entendre?  Je  m'ex- 
plique :  c'est  qu'à  comparer  ces  deux  articles,  dont 
l'un  n'est,  ce  semble,  que  la  suite  de  l'autre,  il 
faut  néanmoins  tomber  d'accord  que  celui  qui  éta- 
blit la  prière  pour  les  morts,  nous  est  bien  plus  ex- 
pressément et  plus  distinctement  marqué  dans  toutes 
les  règles  de  la  foi ,  que  celui  qui  regarde  le  pur- 
gatoire. Pour  le  purgatoire,  peut-être  ponrroit-il  y 
avoir  de  l'obscurité  ;  mais  tous  les  oracles  de  la 
religion  nous  parlent  clairement  et  hautement  de 
la  prière  pour  les  morts  ;  car  l'Ecriture  nous  la  re- 


4i6  POUR  LA    COMMÉMORATION 

commande  en  termes  formels  ,  toute  la  tradition 
nous  l'enseigne ,  les  plus  anciens  conciles  l'ont  au- 
torisée ,  c'a  toujours  été  la  pratique  de  l'Eglise ,  et 
les  Juifs  eux-mêmes  l'ont  observée  et  l'observent 
encore  aujourd'hui  dans  leurs  synagogues.  Or  ,  se- 
lon saint  Thomas,  ce  consentement  du  christianisme 
et  du  judaïsme  est  une  espèce  de  démonstration. 
Judas ,  l'un  des  princes  Machabées  ,  ordonna  des 
sacrifices  pour  ceux  qui  ,  défendant  la  loi  du  Sei- 
gneur ,  avoient  été  tués  dans  le  combat ,  et  l'on  ne 
doutoit  point  alors  que  la  pensée  de  prier  pour  les 
morts  ne  fût  salutaire  et  inspirée  de  Dieu  iSancta 
ergo  et  salubris  est  cogitatio  (i).  Or  l'histoire, 
qui  rapporte  ce  fait  ,  est  tenue  parmi  nous  pour 
canonique ,  disoit  le  grand  Augustin  :  Machabeceo- 
rwn  libros  pro  canonicis  habemus  ;  et  quand 
nous  n'aurions  pas,  ajoutoit-il,  ce  témoignage  des 
livres  sacrés,  il  nous  suiîiroit  d'avoir  celui  de  l'E- 
glise universelle  ,  qui  est  encore  plus  authentique , 
puisque  nous  voyons  qu'à  l'autel  et  dans  les  saints 
mystères  on  n'a  jamais  oublié  de  prier  pour  les 
morts  :  Sed  et  si  nusquàm  in  scriptnris  veteri- 
bus  legeretur,  in  hoc  unwersœ  Ecclesiœ  claret 
auctorilas,  ubi  in  precibus  quœ  ad  aitarefun- 
cïuntur,  locum  habet  commendatio  mortuorum. 
Sur  quoi  vous  remarquerez  que  saint  Augustin  ne 
parloit  point  en  simple  docteur,  mais  en  historien 
de  l'Eglise,  dont  il  rapportait  l'usage. Nous  faisons, 
avoit  ditTertullien  deux  siècles  avant  ce  Père,  nous 
faisons  des  oll'randes  pour  les  morts  ;  et  si  vous 

(1)  t,  Mac.  12. 


DES    MORTS.  417 

iious  en  demandez  la  raison,  nous  nous  contentons 
de  vous  alléguer  la  tradition  et  la  coutume  :  Obla- 
liones  pro   defunctis  facimus  ;    h  ara  m  si  ra- 
tionem  expostules  ,  traditio  tibi  prœtenditur 
auctrix^confirmatrix  consuetudo ,  fides  serva- 
trix  ;  paroles   qui  font  voir  que  dès    la  naissance 
du  christianisme,  la  prière  pour  les  morts  étoit  re- 
gardée comme  une  tradition  divine  et  un  dépôt  de 
la  foi  :  fides  servatrijc.  Que  peut-on  dire  de  plus 
fort?  S'il  étoit  donc  vrai  que  les  hérétiques  fus  enfc 
aussi  éclairés  qu'ils  se  flattent  de  l'être ,  voici  <  ora- 
ment  ils  raison neroient  :  Il  faut  prier  pour  les  morts, 
toutes  les  lumières  de  la  religion   le  démontrent  ; 
donc  je  dois  être*  convaincu  qu'il  y  a  un  purga- 
toire :  car  qu'est-ce   que  le  purgatoire  ,  sinon  un 
état  de  souffrances  et  de  peines  ,  où  les  morts  sont 
soulagés  par  les  prières  des  vivans  ?  Je  ne  puis  ad- 
mettre l'un  sans  convenir  de  l'autre  ;  et  puisque  la 
foi  me  révèle  évidemment  l'un  ,  il  est  juste  que  je 
me  soumette  à  l'autre,  quoiqu'il  me  paroisse  obscur 
et  que  je  croie  le  purgatoire  ,  parce  que  je  ne  puis 
me  défendre  de  reconnoître  qu'il  faut  prier  pour  les 
morts.  Voilà  ,  dis-je  ,  la  conséquence   qu'ils  tire— 
roient ,  et  cette  conséquence  seroit  légitime.  Mais 
que  font-ils?  tout  le  contraire  ;  car  ils  renversent 
l'ordre,  et  ils  disent  :  La  révélation  du  purgatoire 
m'est  obscure  ,  donc  je  ne  m'y   soumettrai  pas  ;  et 
parce  que  ne  croyant  pas  le  purgatoire  ,  je  détruis 
le  fondement  de  la  prière  pour  les  morts  ,  quelque 
sainte  qu'elle  puisse  être,  je  renoncerai  à  la  prière 
pour  les  morts  ;  et  parce  que  l'usage  de  cette  prière 

TOME  XI.  27 


4ï8  POUR    LA    COMMÉMORATION 

est  ce  qu'il  y  a  de  plus  ancien  dans  la  tradition , 
je  compterai  pour  rien  la  tradition;  et  parce  que  le 
livre  desMachabées  parle  ouvert  ement  à  l'avantage 
de  cette  prière,  je  rejetterai  le  livre  des  Machabées; 
et  parce  que  cette  prière  est  autorisée  par  tous  les 
Pères  et  par  tous  les  conciles  ,  je  n'en  croirai  ni  les 
Pères  ni  les  conciles  ;  et  parce  que  dès  les  premiers 
siècles  cette  prière  étoit  solennellement  établie  dans 
l'Eglise  de  Dieu,  je  dirai  que  dès  les  premiers  siè- 
cles l'Eglise  de  Dieu  est  tombée  dans  la  corruption; 
et  parce  que  saint  Augustin  s'est  fait  un  devoir,  et 
un  devoir  de  religion  de  prier  pour  l'ame  de  sa 
mère,  je  répondrai  que  saint  Augustin  a  donné  sur 
ce  point  dans  les  rêveries  et  lesifuisions  populaires. 
Car  voilà  ,  mes  chers  auditeurs,  jusqu'où  va  l'opi- 
niâtreté des  hérétiques  ;  je  ne  leur  attribue  que  ce 
qu'ils  soutiennent  eux-mêmes,  et  que  ce  qu'ils  ont 
cent  feus  écrit  :  or  qu'y  a-t-il  de  moins  soutenable 
et  de  plus  opposé  à  la  raison  ? 

Enfin  ,  leur  troisième  et  dernier  égarement ,  est 
que  des  choses  qui  ne  sont  ni  certaines  ni  révélées 
touchant  le  purgatoire  ,  ils  se  font  des  préjugés 
contre  la  foi  du  purgatoire  ;  au  lieu  qu'ils  devroient 
se  servir  de  la  foi  du  purgatoire ,  qui  est  solide  et 
raisonnable  ,  pour  combattre  en  eux-mêmes  ces 
préventions,  qui  ne  sont  que  l'eliét  deleurfoiblesse  : 
car  qu'est-ce  qui  les  choque  sur  le  sujet  du  purga- 
toire ?  les  images  ou  les  peintures  affreuses  sous 
lesquelles ,  selon  eux  ,  nous  le  concevons  ;  diverses 
circonstances  non  révélées  ,  à  quoi  ils  prétendent 
que  nous  nous  attachons  :  voilà  ce  qui  les  révolte. 


DES    MORTS.  419 

Et  moi  ,  si  je  me  tronvois  à  leur  place ,  je  me  dé- 
livrerons sans  peine  de  ces  préventions,  en  opposant 
à  tout  cela  la  substance  de  la  foi  du  purgatoire  ? 
qui  est  la  chose  du  monde  la  plus  simple ,  mais  la 
plus  sensée  ;  car  je  me  dirois  à  moi-même  :  L'état 
de  ces  âmes  qui  ont  besoin  ,  après  cette  vie  ,  d'être 
purifiées,  ne  m'est  pas  connu,  c'est-à-dire  ,  je  ne 
sais  où  elles  souffrent,  ni  ce  qu'elles  souffrent,  ni 
comment  elles  souffrent  ;  ce  sont  autant  de  secrets 
que  Dieu  a  voulu  me  tenir  cachés,  et  qu'il  ne  sert 
à  rien  de  vouloir  approfondir;  mais  c'est  assez  pour 
moi  de  savoir  qu'elles  souffrent,  par  la  justice  de 
Dieu  ,  de  véritables  peines  ,  et  qu'il  est  de  l'ordre 
de  la  Providence  qu'elles  souffrent  :  car  seroit-il 
juste  que  des  âmes  criminelles  ,  et  souillées  de  pé- 
chés ,  quoique   véniels  ,  sortant  de  leurs  corps  , 
fussent  aussitôt  glorifiées  que  celles  qui  sont  pures 
et  sans  tache  ?  sevoit-il  juste  que  des  péchés  qui 
n'ont  jamais  été  expiés  par  la  pénitence  ,  ou  qui  ne 
l'ont  pas  été  suffisamment,  entrassent  clans  le  séjour 
de  la  béatitude  ,  où  il  n'y  a  que  la  sainteté  qui  soit 
admise  ?  seroit-il  juste   qu'un  chrétien  lâche  ,  qui 
n'a  fait  à  Dieu  nulle  réparation  de  ses  lâchetés,  re- 
çût le  prix  et  la  couronne   aussi  promptement  et 
aussi  aisément  que  celui  dont  la  vie  ,  d'ailleurs  in- 
nocente ,  a  été  toute  fervente  ?  cela  répugneroit  à 
tous  les  droits  de  la  justice  de  Dieu.  Il  faut  donc 
qu'après  cette  vie  il  y  ait  un  état  où  ,  comme  parle 
saint  Augustin,  Dieu  rappelle  les  choses  à  l'oidre, 
où  il  achève  de  punir  véritablement  ce  qui  est  pu- 
nissable ,  où  ces  âmes  qu'il  a  prédestinées  comme 


42©  "POUR    LA    COMMÉMORATION 

ses  épouses  ,  soient  mises  à  leur  dernière  épreuve  , 
où  leurs  taches  soient  effacées  ,  où ,  passant  par  le 
feu,  selon  l'expression  de  saint  Paul,  elles  acquiè- 
rent ce  degré  de  pureté  ,  mais  de  pureté  consom- 
mée ,  qui  leur  est  nécessaire  pour  voir  Dieu  :  or  , 
cet  état  n'est  rien  autre  chose  que  le  purgatoire  ; 
tout  le  reste  m'est  incertain  ,  et  par  conséquent  ne 
doit  point  être  pour  moi  un  sujet  de  trouble ,  puis- 
que peut-être  je  me  troublerois  de  ce  qui  n'est  pas. 
Quoi  qu'il  en  soit,  je  ne  puis  concevoir  le  purga- 
toire comme  l'Eglise  me  le  propose,  que  je  ne  sente 
ma  raison  s'accorder  avec  moi.  Voilà  comment  j'é- 
vite l'écueil  de  la  prévention  ;  mais  l'hérétique  ,  au 
lieu  d'y  procéder  de  la  sorte ,  donne  dans  cet  écueil  ; 
et  des  circonstances  douteuses  du  purgatoire ,  qui 
ne  reviennent  pas  à  son  sens  ,  il  se  préoccupe  in- 
justement contre  le  purgatoire  même. 

Ah  !  chrétiens,  bénissons  Dieu  de  ce  qu'il  nous 
a  donné  une  foi ,  non-seulement  plus  sainte  et  plus 
soumise, mais  plus  édifiante  pour  nous  et  plus  con- 
solante ;  remercions-le  de  nous  avoir  appelés  à  une 
religion  où  le  zèle  et  la  charité  s'étendent  au-delà 
des  bornes  de  notre  mortalité;  estimons-nous  heu- 
reux d'être  les  enfans  d'une  Eglise  qui,  après  nous 
avoir  fermé  les  yeux  ,  prend  encore  soin  de  nous 
assister.  Celle  des  hérétiques  les  abandonne  à  la 
mort,  et  dès  qu'elle  cesse  de  les  voir,  rlle  cesse  de 
penser  à  eux  :  comme  il  n'y  a  point  pour  eux  de 
purgatoire ,  et  qu'étant  d;ms  la  voie  du  schisme,  ils 
sont  hors  de  la  voie  du  salut, c'est  une  conséquence 
de  leur  erreur  ,  qu'elle  les  traite  ainsi.  Mais  l'Eglise 


DES   MORTS.  421 

de  Jésus-Christ  ayant  pour  nous  d'autres  espérances 
et  d'autres  vues,  tient  aussi  une  conduite  toute  dif- 
férente ;  elle  ne  cesse  point  de  s'intéresser  en  notre 
faveur ,  qu'elle  ne  nous  ait  porté  dans  le  sein  de 
notre  béatitude  ;  jusque-là  elle  est  en  peine  de  notre 
état  :  preuve  évidente  qu'elle  est  notre  véritable 
mère.  Or  quelle  consolation  de  savoir  que  ,  quand 
nous  serons  dans  cet  affreux  passage  du  jugement 
de  Dieu  à  l'éternité  bienheureuse  ,  toute  l'Eglise 
sera  pour  nous  en  prière ,  comme  elle  y  étoit  pour 
saint  Pierre  ,  selon  le  rapport  de  l'Ecriture  ,  tandis 
que  saint  Pierre  fut  dans  la  prison!  quel  avantage, 
de  pouvoir  se  promettre  que  tout  ce  qu'il  y  a  de 
fidèles  au  monde  ,  s'emploiera  pour  notre  déli- 
vrance ;  que,  sans  qu'ils  y  pensent  eux-mêmes , 
nous  aurons  part  à  leurs  bonnes  œuvres  et  à  leurs 
sacrifices  ;  que  ,  comme  nous  rendons  aujourd'hui 
à  nos  amis  et  à  nos  proches ,  ce  tribut  que  notre 
religion  prescrit ,  on  nous  rendra  un  jour  le  même 
office  ;  que  notre  mémoire  ne  périra  pas  comme 
celle  de  l'impie ,  mais  qu'elle  sera ,  selon  la  parole 
du  Saint-Esprit  même,  dans  une  éternelle  bénédic- 
tion, puisque  ,  jusqu'à  la  fin  des  siècles ,  on  se  sou- 
viendra de  nous  dans  les  mystères  divins.  Voilà  , 
mon  Dieu ,  ce  que  j'espère  et  ce  que  j'attends  ,  et 
voilà  ce  qui  me  soutient  et  ce  qui  me  fortifie  ;  sans 
cette  espérance  ,  je  tomberois  dans  l'abattement , 
et  vos  jugemens,  déjà  pour  moi  trop  redoutables, 
achèveroient  sans  ressource  de  me  consterner  ; 
quelque  témoignage  que  je  pusse  me  rendre  de 
m'être  justifié  auprès  de  vous ,  et  d'avoir  recouvré 


^22  POUR   LA    COMMÉMORATION 

par  vos  sacremens  la  grâce  que  j'avois  perdue  ,  les 
dettes  de  mes  péchés  ,  multipliées  à  l'infini  ,   me 
rempliroient  de  terreur  :  car  je  sais  ,  ô  mon  Dieu  ! 
que  rien  de  souillé  ne  sera  reçu  dans  votre  royaume  ; 
e  sais  qu'on   ne  sortira  point  des  mains  de  votre 
ustice  ,  qu'on  n'ait  payé  jusqu'à  la  dernière  obole  ; 
e  sais  que  par  cette  règle,  la  plus  exacte  sainteté 
ne  doit  point  faire  de  fonds  sur  elle-même  ,  et  c'est 
ce  qui  me  jetteroit  dans  un  secret  désespoir.  Mais 
quand  je  fais  réflexion  ,  Seigneur ,  aux  miséricordes 
que  la  foi  me  découvre  en  vous  ;  quand  je  viens  à 
considérer  que  si  je  suis  assez  heureux  pour  mourir 
dans  votre  grâce  ,  quelque  redevable  que  je  sois  à 
votre  justice  ,  j'aurai  de  quoi  m'acquitter;  que  toute 
votre  Eglise,  par  ses  prières,  viendra  à  mon  secours; 
que  le  trésor  des  satisfactions  de  votre  Fils  me  sera 
ouvert;  que  les  mérites  de  sa  passion  et  de  sa  mort 
me  suivront,  même  après  le  trépas,  et  que  je  pour- 
rai encore  alors  puiser  avec  joie  dans  les  précieuses 
sources  de  mon  Sauveur  :  ah!  Seigneur  ,  si  je  ne 
cesse  pas  absolument  de  craindre  ,    au  moins    je 
commence  à  espérer  ;  cette  espérance  me  console, 
elle  me  rassure ,   elle  me  ranime  ;  ne  la  séparant 
point  d'une  sincère  et  véritable  pénitence,  j'y  trouve 
un  ferme  et  solide  appui  ;    et  voilà  pourquoi  ,  à 
l'exemple  de  votre  serviteur  Job  ,  je  conserve  chè- 
rement cette  espérance  dans  mon  cœur  :  Pieposita 
est  Jiœc  spes  mea  in  siriu  meo(i). Poursuivons , 
chrétiens  ;  et  après  avoir  établi  la  dévotion  pour  le 
soulagement  des  âmes  du  purgatoire ,  contre  ceux 

(i)  Job.  19. 


DES    MORTS.  423 

qui  ne  croient  pas  leurs  peines ,  inspirons-la ,  s'il 
est  possible  ,  à  ceux  qui  les  croient ,  mais  qui  n'en 
sont  point  touchés  :  c'est  le  sujet  de  la  seconde 
partie. 

DEUXIÈME    PARTIE. 

Croire  qu'il  y  a  un  purgatoire ,  et  n'être  point 
touché  des  peines  que  souffrent  les  âmes  qui  y  sont 
condamnées,  c'est  une  espèce  d'insensibilité  d'autant 
plus  étonnante  ,  qu'elle  est  opposée ,  non-seulement 
à  la  piété  et  à  la  charité,  mais  à  tous  les  principes 
de  l'humanité.  Or  c'est  néanmoins  le  second  dé- 
sordre que  j'ai  entrepris  de  combattre;  et  je  ne  puis 
mieux  vous  en  donner  l'idée  qu'en  vous  disant  qu'il 
attaque  et  qu'il  blesse  également  trois  différens  in- 
térêts auxquels  nous  ne  pouvons  sans  crime  être 
insensibles  :  l'intérêt  de  Dieu,  l'intérêt  de  nos  frè- 
res, notre  intérêt  propre.  Car  eu  user  ainsi,  c'est 
n'avoir  nul  zèle  pour  Dieu  qui ,  trouvant  sa  gloire 
dans  la  délivrance  de  ces  âmes  justes ,  veut  se  la 
procurer  par  nous ,  et  a  droit  de  s'en  prendre  à  nous 
quand  il  en  est  frustré  ;  c'est  avoir  un  cœur  de 
bronze  pour  ces  mêmes  âmes  ,  qui ,  nous  regardant 
comme  leurs  libérateurs,  et  qui,  sachant  que  Dieu 
a  mis  leur  grâce  entre  nos  mains,  et  que  l'accom- 
plissement de  leur  félicité  dépend  en  quelque  ma- 
nière de  nous,  attendent  avec  de  saints  empresse- 
mens  que  nous  leur  rendions  cet  important  office; 
mais  surtout ,  c'est  renoncer  à  nos  propres  avan- 
tages ,  et  perdre  des  biens  infinis  qui  nous  revien- 
droient  de  là;  biens  qui  nous  coûteroient  peu ,  dont 


^24  TOUR    LA    COMMÉMORATION 

nous  serio  us  sûrs ,  et  que  nous  produiroit  sans  peine 
cet  exercice  de  charité  envers  les  morts.  Seroit-il 
possible  que  notre  dureté  allât  jusque-là,  et  qu'é- 
tant excités  par  ces  trois  motifs  ,  nous  ne  fissions 
sur  nous  aucun  effort  pour  remédier  à  ce  désordre  ? 
Il  s'agit  de  procurer  à  Dieu  un  accroissement  de 
gloire,  et  peut-être  un  des  plus  grands  qu'il  soit 
capable  de  recevoir.  En  faut-il  davantage  pour  nous 
faire  embrasser  avec  ardeur  la  dévotion  dont  je  vous 
parle?  Ali!  chrétiens,  permettez-moi  de  faire  ici 
avec  vous  une  réflexion  dont  je  confesse  que  je  me 
suis  senti  pénétré  :  j'ai  droit  d'espérer  que  vous  ne 
le  serez  pas  moins.  Nous  avons  quelquefois  du  zèle 
pour  Dieu;  mais  notre  ignorance  aussi  grossière 
qu'inexcusable  dans  les  choses  de  Dieu  ,  fait  que 
nous  n'appliquons  pas  ce  zèle  aux  véritables  sujets 
où  l'intérêt  de  Dieu  est  engagé.  Par  exemple,  nous 
admirons  ces  hommes  apostoliques  qui ,  poussés  de 
l'esprit  de  Dieu,  passent  les  mers,  et  vont  dans  des 
pays  barbares  ,  pour  y  gagner  à  Dieu  des  infidèles  : 
aussi  est-ce  quelque  chose  d'héroïque  dans  notre 
religion.  Mais  savons-nous  bien  ce  qu'enseigne 
Pierre  de  Blois  ,  fondé  sur  la  plus  solide  théologie  , 
que  la  dévotion  pour  le  soulagement  des  aines  du 
purgatoire  et  pour  leur  délivrance  ,  est  une  espèce 
de  zèle  qui ,  par  rapport  à  son  objet ,  ne  le  cède  pas 
à  celui  delà  conversion  des  païens,  et  le  surpasse 
même  en  quelque  sorte  :  pourquoi  ?  parce  que  les 
âmes  du  purgatoire  étant  des  âmes  saintes  et  pré- 
destinées, des  âmes  confirmées  en  grâce,  elles  sont 
incomparablement  plus  nobles   devant  Dieu   que 


DES   MORTS.  4^ 

celles  des  païens,  elles  sont  plus  aimées  et  plus 
chéries  de  Dieu  que  celles  des  païens ,  elles  sont 
actuellement  dans  un  état  bien  plus  propre  à  glo- 
rifier Dieu  que  celles  des  païens.  Savons-nous  bien 
que  c'est  Jésus-Christ  lui-même  qui  a  voulu  nous 
servir  de  modèle,  et  qui  nous  a  donné  dans  sa 
personne  l'idée  de  cette  dévotion  ,  ou  de  ce  zèle 
pour  les  âmes  du  purgatoire  :  et  cela,  ajoute  Pierre 
de  Blois,  lorsqu'il  descendit  aux  enfers,  c'est-à- 
dire  ,  dans  cette  prison  ,  où  ,  selon  l'Ecriture  ,  les 
âmes  des  anciens  patriarches  étoient  retenues  ,  et 
qu'il  y  descendit  pour  les  y  consoler  par  sa  pré- 
sence ,  et  pour  les  en  tirer  par  sa  puissance  ?  D'où 
vient  que  saint  Pierre ,  dans  sa  première  épître 
canonique,  ne  nous  parle  de  cette  descente  aux  en- 
fers ,  que  comme  d'une  mission  divine  qu'y  fit  le 
Sauveur  du  monde  :  In  quo  et  his  qui  in  carcere 
erant  spiritibus  veniens  prœdicavit  (  i  ).  Savons- 
nous  ,  dis-je  ,  qu'il  ne  tient  qu'à  nous  d  irriter  ainsi 
Jésus-Christ;  et  que,  sans  descendre  comme  lui 
dans  ces  prisons  souterraines ,  où  sa  charité  et  son 
zèle  le  firent  entrer,  nous  pouvons  ,  à  son  exemple, 
délivrer  des  âmes  aussi  parfaites  et  aussi  saintes  ; 
et  qu'en  le  faisant  comme  lui ,  et  le  faisant  en  vue 
de  la  gloire  qui  doit  en  revenir  à  Dieu  ,  de  quelque 
condition  que  nous  soyons,  nous  participons  à  cet 
esprit  apostolique  dont  il  a  été  la  source,  et  que  je 
voudrois  aujourd'hui  vous  inspirer  ?  Si  mus  ne  le 
savons  pas  ,  malheur  à  nous  d'avoir  négligé  une  si 
salutaire  instruction  ;  et  si  le  sachant ,  nous  ne  pen» 

(i)  i.  Petr.  5, 


4.26  POUR   LA    COMMÉMORATION 

sons  pas  à  prier  pour  ces  saintes  âmes ,  autre  mal- 
heur pour  nous  encore  plus  grand  ,  d'être  si  peu 
sensibles  aux  intérêts  de  Dieu. 

J'ajoute  à  ceci  une  pensée  de  l'abbé  Rupert,  en- 
core plus  touchante.  On  vous  a  dit  cent  fois  que  les 
âmes  qui  souffrent  dans  le  purgatoire  y  sont  dans 
un  état  de  violence ,  parce  qu'elles  y  sont  privées 
de  la  vue  de  Dieu  :  la  chose  est  évidente;  mais 
peut-être  n'avez-vous  jamais  compris  que  le  pur- 
gatoire fut  un  état  de  violence  pour  Dieu  même, 
et  c'est  ce  que  je  vous  déclare  de  sa  part.  Que  la 
privation  ou  la  séparation  de  Dieu  soit  un  état  vio- 
lent pour  une  ame  juste,  je  ne  m'en  étonne  pas  ; 
mais  que,  par  un  effet  réciproque,  ce  soit  un  état 
violent  pour  Dieu,  c'est  ce  qui  doit  nous  surprendre, 
et  ce  que  l'intérêt  de  Dieu  ne  nous  permet  pas  de 
regarder   avec  indifférence.  Or,  en  quoi  consiste 
cet  état  de  violence  par  rapport  à  Dieu  ?  le  voici  : 
c'est  que   dans  le  purgatoire ,  Dieu  voit  des  âmes 
qu'il  aime  d'un  amour  sincère,  d'un  amour  tendre 
et  paternel,   et  auxquelles  néanmoins  il  ne  peut 
faire  aucun  bien;  des  âmes  remplies  de  mérite,  de 
sainteté ,  de  vertu  ,  et  qu'il  ne  peut  toutefois  encore 
récompenser;  des  âmes  qui  sont  ses  élues  et  ses 
épouses,  et  qu'il  est  forcé  de  frapper  et  de  punir. 
Est-il  rien  de  plus  opposé  aux  inclinations  d'un 
Dieu  si  miséricordieux  et  si  charitable?  Mais  c'est 
à  nous  ,  dit  l'abbé  Hupert,  de  faire  cesser  cette  vio- 
lence :  et  comment?  en  délivrant  ces  âmes  de  leur 
prison ,  et  leur  ouvrant  par  nos  prières  le  ciel  qui 
leur  est  fermé.  Car  c'est  là  qu'elles  se  réuniront  à 


DES    MORTS.  4^7 

Dieu  ,  et  où  Dieu  ,  pour  jamais ,  s'unira  à  elles;  là 
qu'il  répandra  sur  elles  tous  les  trésors  de  sa  magni- 
ficence;  là  que  son  amour  pour  elles  agira  dans 
toute  son  étendue.  Tandis  qu'elles  sont  dans  le  pur- 
gatoire ,  cet  amour  de  Dieu  est  comme  un  torrent 
de  délices  prêt  à  les  inonder,  mais  arrêté  par  l'obs- 
tacle d'un  péché  dont  la  dette  n'est  pas  encore  ac- 
quittée. Que  ferons-nous  ?  nous  lèverons  l'obstacle, 
en  satisfaisant  pour  elles.  Prenez  garde  ,  chrétiens: 
Dieu  s'est  lié  les  mains,  pour  ainsi  dire,  nous  les 
lui  délierons;  il  s'est  mis  dans  une  espèce  d'impuis- 
sance de  faire  du  bien  à  des  créatures  qui  lui  sont 
chères  ,  nous  lui  en   fournirons  le  moyen.  Je  dis 
qu'il  s'est  mis   dans  une  espèce  d'impuissance  de 
leur  faire  du  bien  :  car  Dieu ,  dans  l'ordre  surnatu- 
rel ,  n'a  que  deux  sortes  de  biens ,  les  biens  de  la 
grâce  et  les  biens  de  la  gloire.  Or  du  moment  que 
ces  âmes  prédestinées  sont  sorties  de  ce  monde,  il 
n'y  a  plus  de  grâce  pour  elles ,  parce  qu'elles  ne 
sont  plus  en  état  de  mériter;  et  il  ne  peut  pas  en- 
core leur  donner  la  gloire  ,  parce  qu'elles  ne  sont 
pas  suffisamment  épurées  pour  la  posséder.  Il  est 
donc   réduit  à   la  nécessité   de  les  aimer,  parce 
qu'elles  sont  justes,  et  cependant  de  ne  leur  faire 
nul  bien  ,  parce  qu'elles  ne  sont  pas  encore  capables 
de  jouir  du  souverain  bien  ,  et  qu'étant  séparées  de 
lui,  elles  sont  incapables  de  tout  autre  bien.  Je  dis 
plus  :  toutes  prédestinées  qu'elles  sont,  il  est  comme 
obligé  de  les  traiter  avec  plus  de  rigueur  ,  qu'il  ne 
traiie  les  pécheurs  de  la  terre  ,  ses  plus  déclarés 
ennemis  :  pourquoi  ?  parce  qu'il  n'y  a  point  de  pé- 


428  POUR    LA    COMMÉMORATION 

clieur  sur  la  terre  à  qui ,  dans  ses  désordres  même, 
Dieu  ne  fasse  encore  des  grâces  pour  mériter  et 
pour  satisfaire;  au  lieu  que  dans  le  purgatoire, 
quelque  sainte  que  soit  une  arae,  elle  est  exclue  de 
ces  sortes  de  grâces,  et  voilà  par  où  son  état  est 
violent  pour  Dieu. 

Mais  Dieu   cependant,   chrétiens,  y  a  pourvu 
d'ailleurs  ;   et  par  où?  par  le  pouvoir  qu'il  nous  a 
donné  d'intercéder  pour  ces  âmes.  Comme  s'il  nous 
avoit  dit:  C'est  par  vous  que  ces  âmes  affligées  re- 
cevront du   soulagement  dans  leurs  souffrances; 
c'est  par  vous  que,   malgré  les  lois  de   ma  justice 
rigoureuse ,    elles  éprouveront  les    effets    de   ma 
miséricorde;  c'est  vous  qui  serez  les  négociateurs 
et  les  solliciteurs  de  leur  liberté,  et  votre  charité  à 
les  secourir  sera  un  motif  de  la  mienne  :  ainsi  Dieu 
semble-t-il  nous  avoir  parlé.  Quand  donc  ,  en  effet, 
usant  de  ce  pouvoir ,  nous  délivrons  par  nos  prières 
une  de  ces  âmes  ,  non-seulement  nous  procurons 
à  Dieu  une  gloire  très-pure,  mais  nous  lui  donnons 
une  joie  très-sensible;  non-seulement  nous  faisons 
triompher  sa  bonté,  mais   nous  nous  conformons 
aux  dispositions  secrètes  de  sa  justice,  et  la  raison 
en  est  bien  claire;  parce  que  la  justice  que  Dieu 
exerce  envers  les  âmes  du  purgatoire  ,  n'est  qu'une 
justice  ,  pour  ainsi  dire  forcée  ,  une  justice  aisée  à 
fléchir,  et  qui  ne  demande  qu'un  intercesseur  pour 
l'apaiser.    Quand  Dieu  vouloit  autrefois  punir  les 
Israélites,  il  défendoit    à  Moïse  de  s'y   opposer. 
Dimitie  me ,  ut  irascatur  furor  meus  contra 


DES    MORTS.  429 

eos  (1)  :  Laissez-moi  faire,  Moïse  ,  lui  disoit-il ,  et 
ne  m'empêchez  pas  d'exterminer  ces  rebelles;  livrez- 
les-moi,  afin  que  ma  colère  s'allume  contre  eux. 
Mais  Dieu  en  use  ici  tout  autrement:  car  quoique 
ces  âmes  souffrantes  soient  actuellement  les  victimes 
de  sa  justice,  il  souhaite  que  nous  agissions  pour 
elles  ;  et  tandis  qu'il  leur  fait  sentir  le  poids  de  ses 
jugemens,  c'est  alors  qu'il  se  plaît  davantage  à  être 
prié  en  leur  faveur.  Au  lieu  de  nous  dire  comme  à 
Moïse  :  Dimitte  me  ,   ut  irascatur  furor  meus  ; 
il  nous  dit  au  contraire:  Opposez-vous,  chrétiens, 
à  ma  vengeance,  et  n'abandonnez  pas  à  ma  colère 
ces  âmes  que  j'aime  et  que  vous  devez  aimer;  ne 
souffrez  pas  que  ma  justice  exige  d'elles ,  sans  ré- 
mission, tout  ce  qui  lui  est  dû  :  tout  inexorable 
qu'elle  est ,  vous  l'adoucirez  ,  vos  prières  la  désar- 
meront ,  elle  cédera  à  vos  bonnes  œuvres.  Serions- 
nous  assez  durs  pour  résister  aune  telle  invitation? 
Je  ne  vous  dis  rien,  mes  chers  auditeurs,  de  l'in- 
térêt des  âmes  mêmes  pour  qui  je  tâche  aujourd'hui 
d'émouvoir  votre  piété;  les  peines  qu'elles  endurent 
parlent  assez  hautement  pour  elles.  Vous  me  de- 
mandez ce  que  souffre  une  ame  dans  le  purgatoire, 
et  moi  je  réponds  qu'il  seroit  bien  plus  court  de 
demander  ce  qu'elle  n'y  souffre  pas. Elle  y  souffre, 
dit  le  concile  de  Florence  ,  le  plus  insupportable  de 
tous  les  maux,  qui  est  la  privation  de  Dieu  ;  et  cela 
seul  lui  feroit  du  purgatoire  un  enfer ,  si  l'espérance 
ne  la  soutenoit.  Elle  y  souffre,  dit  saint  Augustin  , 
les  impressions  miraculeuses ,  mais  véritables,  d'un 

(1)  Exod.  3a. 


43o  POUR  LA    COMMEMORATION 

feu  qui  lui  tient  lieu  d'un  second  supplice  :  Toi'" 
quetur  miris ,  sed  veris  ,  modis  ;  d'un  feu  d'au- 
tant plus  vif  dans  son  action  ,  qu'il  sert  d'instrument 
à  un  Dieu  vengeur,  et  vengeur  du  péché  ;  d'un  feu , 
ajoute  ce  saint  docteur,  en  comparaison  duquel  ce 
feu  que  nous  voyons  sur  la  terre ,  n'est  rien  ;  d'un 
feu  dont  l'ame  pénétrée ,  de  quelque  manière  qu'elle 
le  soit,  souffre  plus  elle  seule  que  tous  les  martyrs 
n'ont  jamais  souffert,  ressent  des  douleurs  plus  ai- 
guës que  celles  de  toutes  les  maladies  compliquées 
dans  un  même  corps  :  c'est  de  quoi  les  théologiens 
conviennent.  Or,  il  n'y  a  point  de  barbare  qui  ne 
fût  touché  de  ce  que  je  dis,  s'il  le  comprenoit,  et 
s'il  en  étoit  persuadé  comme  nous.  En  effet ,  que 
seroit-ce  si  Dieu  ,  au  moment  que  je  vous  parle  , 
faisoit  paroître  devant  vous  ces  âmes  affligées ,  et 
que  vous  fussiez  témoins  de  leurs  tourmens  ?  que 
seroit-ce  si  vous  entendiez  leurs  gémissemens  et 
leurs  plaintes  ,  et  si  du  fond  de  leurs  cachots,  elles 
poussoient  jusqu'à  vous  ce  cri  lamentable  :  Mise- 
remini  meî  (  i)?  Vous,  mon  cher  auditeur,  si  tendre 
à  la  compassion  ,  vous  qui ,  sans  frémir  ,  ne  pour- 
riez voir  un  criminel  à  la  torture  ,  verriez-vous  sans 
pitié  tant  d'ames  justes  dans  le  triste  état  où  elles 
sont  réduites?  Vous  êtes  en  peine  de  savoir  qui  sont 
ces  âmes;  mais  pouvez-vous  l'ignorer  ?  Approchez- 
vous  ,  dirois-je ,  reconnoissez-les  :  voilà  l'ame  de 
votre  père ,  de  ce  père  dont  vous  possédez  les 
biens ,  de  ce  père  qui  s'est  épuisé  pour  vous ,  de  ce 
père  à  qui  vous  devez  tout  ce  que  vous  êtes  ;  il 

(i)   Job.  1Q. 


DÉS    MORTS.  43t 

souffre,  peut-être,  de  vous  avoir  trop  élevé,  et  il 
attend  de  voire  reconnoissance  que  vous  preniez 
au  moins  maintenant  ses  intérêts  auprès  de  Dieu. 
Passez  plus  avant  :  voilà  cet  ami  dont  Ja  mémoire 
vous  devroit  être  si  précieuse ,  et  à  qui  peut-être 
vous  ne  pensez  plus  ;  il  est  présentement  en  état 
d'éprouver  si  votre  amitié  étoit  sincère  ;  il  languit, 
et  il  ne  peut  être  soulagé  que  par  vous  ;  priez ,  et 
Dieu  mettra  fin  à  ses  peines  :  dans  un  besoin  si 
pressant  lui  refuseriez-vous  un  secours  qui  lui  est 
nécessaire,  et  qui  vous  doit  coûter  si  peu  ? 

Mais  peut-être  êtes-vous  de  ces  hommes  qui 
n'aiment  qu'eux-mêmes ,  et  qui  n'ont  d'égard  qu'à 
leur  intérêt  propre.  Hé  bien  ,  mon  cher  auditeur  , 
si  vous  êtes  de  ce  caractère  ,  quoique  cet  esprit 
d'intérêt  soit  bien  éloigné  de  la  pure  et  parfaite  cha- 
rité ,  cherchez  votre  intérêt,  j'y  consens  ,  pourvu 
que  vous  le  cherchiez  par  les  voies  droites ,  et  par 
les  moyens  légitimes  que  vous  présente  la  religion. 
Or  je  vous  demande  quel  intérêt  plus  grand  pour 
vous  que  de  contribuer  à  la  délivrance  d'une  ame 
du  purgatoire?  quel  avantage  que  de  pouvoir  dire  : 
Il  y  a  une  ame  dans  le  ciel  qui  m'est  en  partie  re- 
devable de  son  bonheur  ,  une  ame  que  j'ai  mise  en 
possession  de  sa  béatitude  ,  une  ame  spécialement 
engagée  à  prier  pour  moi  :  ne  peut-on  pas  compter 
cet  avantage  parmi  les  grâces  du  salut,  et  peut-être 
parmi  les  marques  de  la  prédestination  future  ? 
Ah  !  chrétiens ,  si  Dieu ,  par  une  révélation  expresse 
me  faisoit  aujourd'hui  connoître  dans  le  séjour  bien- 
heureux une  ame  que  j'eusse  tirée  du  purgatoire  , 


432  POUR    LA    COMMÉMORATION 

et  qu'il  me  la  marquât  en  particulier ,  avec  queîîe 
foi  ne  l'iuvoquerois-  je  pas  ?  avec  quelle  confiance 
n'aurois-je  pas  recours  à  elle  ?  avec  quelle  ferveur 
ne  Lui  recommanderois-je  pas  mon  salut  éternel  ? 
Or ,  il  ne  tient  qu'à  vous  et  à  moi  d'avoir  cette  con- 
solation :  car  s'il  y  a  en  effet  quelqu'une  de  ces 
aines  fidèles  dont  nous  ayons  avancé  le  bonheur, 
quoique  nous  ne  la  connoissious  pas,  elle  nous  con- 
noîtbien,  et  nous  pouvons  toujours  faire  fonds  sur 
elle  ,  comme  sur  une  aine  qui  nous  est  acquise  , 
dont  nous  avons  été  en  quelque  sorte  les  libéra- 
teurs ,  et  par  conséquent  qui  ne  nous  oubliera  ja- 
mais. Non  ,  elle  ne  fera  pas  comme  cet  officier  de 
Pharaon  ,  qui  ,  dès  qu'il  fut  sorti  de  sa  captivité , 
ne  se  souvint  plus  de  Joseph  ,  ni  des  étroites  obli- 
gations qu'il  lui  avoit.  Il  n'est  pas  nécessaire  que 
nous  disions  à  cette  ame  glorieuse  ce  que  Joseph 
dit  à  cet  homme  ingrat  et  méçonnoissant  :  Mé- 
mento met  ,  diim  benè  tibi  fuerit ,  et  facias 
mecum  misericordiam  (i)  ;  Ame  sainte,  à  qui, 
tout  pécheur  que  je  suis,  j'ai  pu  procurer  la  liberté 
et  la  félicité  dont  vous  jouissez,  souvenez-vous  de 
moi  dans  le  lieu  de  votre  repos,  et  usez  envers  moi 
de  miséricorde  ,  comme  j'en  ai  usé  envers  vous  ; 
soyez  touchée  de  mon  état  ,  comme  je  l'ai  été  du 
vôtre  ,  et  engagez  Dieu  par  vos  prières  à  me  tirer 
de  l'esclavage  de  mon  péché  ,  comme  je  l'ai  engagé 
par  les  miennes  à  vous  tirer  du  lieu  de  vos  souf- 
frances. 11  ne  fuit  point,  dis-je,que  nous  lui  lenions 
ce  langage  .  puisqu'étant  sainte   et  bienheureuse  ; 

(t)  Gencs.  yj, 


DES    MORTS.  433 

elle  est  désormais  incapable  de  manquer  à  aucun 
devoir.  Mais  savez-vous  ,  chrétiens  ,  ce  qui  nous 
arrivera,  si  nous  n'avons  pas  ce  zèle  pour  les  âmes 
du  purgatoire  ?  c'est  qu'on  nous  traitera  un  jour 
comme  nous  aurons  traité  les  autres  ;  c'est  que  Dieu 
permettra  qu'on  nous  abandonne  comme  nous  au- 
rons abandonné  les  autres.  Vérité  si  constante,  que, 
dans  la  pensée  d'un  savant  théologien,  un  chrétien 
qui  n'auroit  jamais  prié  avec  l'Eglise  pour  les  âmes 
du  purgatoire  ,  par  une  juste  punition  de  Dieu  , 
seroit  lui-même  incapable  de  profiter,  dans  le  pur- 
gatoire ,  des  prières  que  l'Eglise  ofïriroit  pour  lui; 
et  quoique  cette  opinion  ne  soit  pas  absolument 
reçue  ,  au  moins  est-elle  plus  que  probable  en  ce 
sens ,  que  si ,  par  la  vertu  des  prières  de  l'Eglise  , 
il  y  a  des  grâces  pour  les  âmes  du  purgatoire  ,  nul 
n'y  doit  moins  prétendre  ni  n'en  sera  exclus  avec 
plus  de  raison  ,  que  celui  qui ,  pendant  sa  vie ,  aura 
négligé  de  prier  pour  les  âmes  de  ses  frères.  II  est 
donc  sûr  que  toutes  sortes  d'intérêts  nous  portent 
à  cette  dévotion.  Mais  voici  un  dernier  désordre  : 
on  croit  les  peines  du  purgatoire,  on  est  touché  de 
compassion  pour  les  aines  qui  sourirent  dans  le 
purgatoire,  et  l'on  voudroitîes  soulager;  cependant 
on  ne  les  soulage  pas  ,  parce  qu'on  n'emploie  pas 
pour  cela  les  moyens  convenables  et  efficaces  :  c'est 
de  quoi  j'ai  à  vous  parler  dans  la  troisième  partie. 

TROISIÈME    TARTIE. 

Ce  n'est  pas  sans  raison  qu'un  grand  évêque  , 
qui  fut  autrefois  une  des  lumières  de  l'Eglise  de 
tome  xi.  28 


454  POUR    LA    COMMÉMORATION 

France  ,  disoit  que  dans  le  monde  même  chrétien  , 
il  y  avoit  peu  de  personnes  qui ,  selon  les  principes 
et  les  règles  de  la  religion ,  eussent  pour  les  morts 
une  solide  et  vraie  charité  :  Non  prceter  cequum 
opinabere ,  ce  sont  ses  paroles ,  si  perpaucos  esse 
conjicias ,  qui  mortuos  verè  diligant.   Sans  en 
apporter   d'autres  preuves  ,  l'expérience  seule  ne 
justifie  que  trop  ce  sentiment  de  Sidoine  Apolli- 
naire :  car  à  en  juger  par  ce  que  nous  voyons  et 
par  divers  abus  qu'il  est  impossible  que  nous  n'ayons 
nous-mêmes  remarqués, quoiqu'il  y  ait  aujourd'hui 
beaucoup  de  chrétiens  persuadés  de  la  vérité  du 
purgatoire  ;  quoiqu'il  y  en  ait  d'assez  humains  ,  et, 
si  vous  voulez  ,  d'assez  tendres ,  pour  être  touchés 
de  l'état  où  se  trouvent  peut-être  les  âmes  de  leurs 
amis  et  de  leurs  parens;  quoiqu'on  voie  des  enfans 
qui  s'intéressent  pour  le  repos  de  leurs  pères  ,  des 
femmes  zélées  pour  celui  de  leurs  maris,  après  tout 
on  peut  dire  ,  et  il  est  constant ,  qu'on  en  voit  peu 
qui  aient  pour  ces  âmes  souffrantes  une  charité  eû\~ 
cace  :  pourquoi  ?  parce  qu'on  en  voit  peu  qui  réel- 
lement contribuent  à  soulager  leurs  peines;  peu  qui, 
se  servant  des  moyens  que  nous  fournit  pour  cela 
le  christianisme ,  leur  procurent  les  secours  dont 
elles  ont  besoin  et  dont  elles  pourroient  profiter. 
J'avoue  encore  une  fois  qu'on  ne  laisse  pas  d'avoir 
pour  les  morts  de  la  piété  ;  mais  il  arrive  que   ce 
qu'on  appelle  piété  pour  les  morts,  est  dans  les  uns 
une  piété  stérile  et  infructueuse  ;  dans  les  autres  une 
piété  d'ostentation  et  de  faste  ;  dans  ceux-là  une 


DES  MORTS.  435 

piété  mondaine  et  païenne  ,  qui  n'agit  point  par  les 
vues  de  la  foi  ;  dans  ceux-ci  une  piété  qui ,  toute 
chrétienne  qu'elle  est,  ne  produit  que  des  œuvres 
mortes,  c'est-à-dire,  des  œuvres  sans  mérite,  parce 
qu'elles  sont  faites  hors  de  l'état  de  la  grâce  :  voilà, 
dis-je  ,  ce  que  l'expérience  nous  fait  connoître  ,  et 
ce  qui  pourra  nous  confondre  au  même  temps  que 
je  m'en  servirai  pour  vous  instruire  et  pour  vous 
édifier. 

Car  j'appelle  piété  stérile  et  infructueuse  pour 
les  morts ,  celle  qui  ne  consiste  qu'en  de  vains  re- 
grets ,  qu'en  d'inutiles  lamentations,  qu'eu  des  cris 
lugubres ,  qu'en  des  transports  de  douleur  ,  qu'en 
des  torrens  de  larmes  ,  qu'en  des  emportemens  et 
des  désespoirs  :  or  il  n'est  pourtant  rien  de  plus 
commun.  Videmus ,  disoit  saint  Bernard,  dans  le 
discours  funèbre  qu'ii  fit  sur  la  mort  de  son  frère  : 
Pidemus  quotidiè  mortuos  plangere  mortuos 
suos  ,  JLetum  multum  et  fructum  nullum  ;  et 
verè  plorandi  qui  ita  plorant ;  Nous  voyons  tous 
les  jours  des  morts  pleurer  d'autres  morts  ;  nous 
voyons  des  hommes  vivans  ,  mais  tout  mondains  et 
par  là  morts  devant  Dieu  ,  pleurer  sincèrement 
et  amèrement  la  mort  de  ceux  qui  leur  ont  été  chers 
pendant  la  vie.  Mais  que  nous  paroît-il  en  tout 
cela?  beaucoup  de  pleurs  et  peu  de  prières  ,  peu 
de  charité ,  peu  de  bonnes  œuvres  :  Fletum  mul- 
tum et  fructum  nullum  ;  des  gémissemens  pi- 
toyables ,  mais  de  nul  effet  ;  des  excès  de  désola- 
tion sans  aucun  fruit.  Or ,  en  vérité  ,  ajoutoit  le 
même  Père  ,  ceux  qui  pleurent  de  la  sorte ,  méritent 


436  FOUR  LA  COMMÉMORATION 

bien  eux-mêmes  d'être  pleures  :  Et  verè  plorandi 
qui  ita  plorant.  Cependant ,  chrétiens  ,  cet  abus 
que  condamnent  saint  Bernard  ,  semble  avoir  passé 
parmi  nous  ,  non-seulement  en  coutume ,  mais  ,  ce 
qui  me  paroît  bien  plus  étrange ,  en  bienséance  et 
en  devoir  ;  puisqu'aujourd'hui  ceux  qui  se  piquent 
de  vivre  selon  les  lois  du  monde,  à  force  de  pleurer 
leurs  morts ,  se  tiennent  comme  dispensés  de  prier 
pour  eux.  A  peine  verrez-vous  maintenant  une 
femme  de  quelque  condition  dans  le  monde  ,  au 
jour  ou  de  la  mort  ou  des  funérailles  de  son  mari, 
approcher  des  autels ,  et  s'acquitter  du  devoir  es- 
sentiel de  la  religion  :  vous  diriez  que  d'y  manquer 
soit  une  marque  de  sa  tendresse.  Pendant  que  des 
étrangers  plus  officieux  qu'elle ,  accompagnent  le 
corps  et  recommandent  l'ame  à  Dieu,  celle-ci  dans 
sa  maison  fait  l'inconsolable  et  la  désespérée.  Et 
au  lieu  qu'autrefois  les  païens,  ne  perdez  point  cette 
Temarque  ,  gageoient  des  hommes  pour  pleurer  aux 
obsèques  de  leurs  parens ,  pendant  qu'eux-mêmes 
ils  étoient  occupés  à  faire  les  sacrifices  ordinaires 
pour  apaiser  leurs  mânes  ;  croyant,  dit  Sénèque  , 
qu'ils  remplissoient  beaucoup  mieux  le  devoir  de  la 
piété  filiale  par  leur  dévotion  que  par  leurs  larmes, 
et  qu'il  étoit  beaucoup  plus  juste  de  se  décharger 
sur  d'autres  de  l'office  de  pleurer,  que  de  celui  de 
prier  :  nous ,  par  une  opposition  bien  bizarre ,  et 
par  un  aveuglement  encore  plus  déplorable  ,  nous 
gageons  au  contraire  des  hommes  pour  prier  ,  et 
nous  nous  contentons  du  soin  de  pleurer.  Quel  abus 
pour  un  siècle  aussi  éclairé  et  aussi  spirituel  que  le 


DES  MORTS.  43j 

nôtre  !  Zenon ,  évêque  de  Vérone,  ne  put  souffrir 
qu'une  femme  chrétienne  assistant  aux  divins  offices 
qu'on  célébroit  pour  l'ame  de  son  père ,  interrom- 
pît les  ministres  de  l'autel  par  des  cris  et  par  des 
sanglots  qu'il  traita  de  profanes  :  Quod  solemnia 
divina  quibus  quiescentes  animée  commendan- 
tur ,  profanis  interrumper  et  ululatibus.  Mais 
est-il  moins  indigne  de  s'interdire  ,  selon  qu'il  se 
pratique  aujourd'hui,  les  saints  offices,  et  de  se  dis- 
penser des  prières  solennelles  de  l'Eglise  ,  pour 
payer  aux  morts  un  tribut  de  larmes  qu'ils  ne  nous 
demandent  point,  et  qui  ne  leur  sera  jamais  utile  ? 
Car  enfin ,  mes  chers  auditeurs ,  de  quel  secours 
peut  être  à  une  aine  l'excès  de  votre  douleur?  tous 
ces  témoignages  d'une  affliction  outrée  et  sans  me- 
sure ,  seront-ils  capables  d'adoucir  sa  peine  ;  et 
pensez-vous  que  ce  feu  purifiant  dont  elle  ressent 
les  vives  atteintes  ,  puisse  s'éteindre  par  les  larmes 
qui  coulent  de  vos  yeux  ?  Ah!  mon  frère,  écrivoit 
saint  Ambroise  à  un  seigneur  de  marque ,  pour  le 
consoler  sur  la  perte  qu'il  avoit  faite  d'une  sœur 
qu'il  aimoit  uniquement ,  réglez-vous  jusque  dans 
votre  douleur;  toute  violente  qu'elle  est,  soyez 
équitable  et  chrétien.  Dieu  vous  a  ôté  une  sœur 
qui  vous  étoit  plus  chère  que  vous-même  ,  priez 
pour  elle  et  pleurez  sur  vous  :  pleurez  sur  vous , 
parce  que  vous  êtes  un  pécheur  encore  exposé  aux 
tentations  et  aux  dangers  de  cette  vie  ;  et  priez  pour 
elle  ,  afin  de  la  délivrer  des  souffrances  de  l'autre. 
Yoilà  le  zèle  que  vous  devez  avoir  ;  car  voilà  ce 
qui  lui  peut  servir,  et  de  quoi  elle  vous  sera  éter- 


438  TOUR    LA    COMMÉMORATION 

nellement  redevable  :  ainsi  parloit  ce  saint  évêque. 
Mais  qu'arrive-t-il  ?  au  préjudice  d'une  si  salutaire 
remontrance  qu'il  faudroit  nous  appliquer  à  nous- 
mêmes  ,  on  croit  bien  s'acquitter  envers  les  morts 
de  la  reconnoissance  qui  leur  est  due  ,  en  se  faisant 
de  sa  propre  douleur  une  passion  :  passion  que 
souvent  on  pousse  jusqu'à  l'indiscrétion  ;  passion 
par  où  une  veuve  désolée  veut  quelquefois  se  dis- 
tinguer ,  et  dont  elle  fait  gloire  d'être  un  exemple 
et  un  modèle  ;  passion  qu'on  s'engage  à  soutenir  , 
dont  on  est  résolu  de  ne  rien  rabattre  ,  et  qui ,  peut- 
être  par  là  même  ,  a  plus  d'affectation  que  de  vé- 
rité ;  passion  que  les  hommes  interprètent  maligne- 
ment ,  dont  la  singularité  sert  déjà  de  matière  à 
leur  censure  ,  comme  son  relâchement  et  son  retour 
en  pourra  bien  servir  dans  la  suite  à  leur  raillerie. 
Car  n'est-ce  pas  ainsi  que  le  monde  même  se  moque 
de  ses  propres  abus  ? 

J'appelle  piété  pour  les  morts  d'ostentation  et  de 
faste ,  celle  qui  se  borne  à  l'extérieur  des  devoirs 
funèbres,  aux  cérémonies  d'un  deuil,  à  l'appareil 
d'un  convoi,  à  tout  ce  qui  peut  éclater  aux  yeux  des 
hommes;  recherchant  ce  faux  éclat  jusque  dans  les 
choses  les  plus  saintes,  tels  que  sont  les  services  de 
l'Eglise ,  où  souvent  il  y  a  plus  de  pompe  que  de 
religion,  étalant  cette  vanité  jusque  sur  les  autels, 
plus  chargés  des  marques  de  la  noblesse  du  défunt 
que  des  signes  augustes  du  christianisme  ;  érigeant 
pour  un  cadavre  des  tombeaux  plus  magnifiques 
que  ne  sont  les  sanctuaires  et  les  tabernacles  où  re- 
pose le  corps  de  Jésus-Christ;  s'étudiant  beaucoup 


DES    MORTS.  ^3() 

plus  à  observer  tout  ce  que  l'ambition  humaine  a  in- 
troduit qu'à  pourvoir  au  solide  et  au  nécessaire,  qui 
est  de  secourir  les  âmes  fidèles  par  nos  sacrifices  et 
par  nos  vœux.  Non  pas  ,  chrétiens ,  que  Je  prétende 
absolument  condamner  tout  ce  qui  se  pratique  ex- 
térieurement dans  les  funérailles  ;  l'abus  que  nous 
en  faisons  n'empêche  pas  que  ce  ne  soient  de  saints 
devoirs  dans  leur  origine ,  et  dans  l'intention  de 
l'Eglise  qui  les  a  institués  ;  mais  je  veux  seulement 
vous  dire  que  ce  n'est  pas  en  cela  que  doit  être 
renfermée  toute  notre  piété  envers  les  morts;  que 
si  nous  en  demeurons  là,  nous  ne  faisons  rien  pour 
eux;  que  comme,  a  très-bien  remarqué  saint  Au- 
gustin ,  tout  ce  soin  d'une  honorable  sépulture  est 
plutôt  une  consolation  pour  les  vivans ,  qu'un  soula- 
gement pour  les  morts  :  Solatia  vivorum  ,  non 
subsidia  mortuorum  ;  qu'une  aine  dans  le  pur- 
gatoire nous  est  incomparablement  plus  obligée  des 
bonnes  œuvres  et  des  aumônes  dont  nous  lui  appli- 
quons le  fruit,  que  de  toute  la  dépense,  et  si  vous 
voulez ,  de  toute  la  magnificence  de  ses  obsèques  ; 
qu'une  communion  faite  pour  elle  lui  marque  bien 
mieux  notre  reconnoissance ,  que  les  plus  riches  et 
les  plus  superbes  monumens  ;  et  qu'il  y  a  au  reste 
une  espèce  d'iniquité  ou  même  d'infidélité,  à  n'é- 
pargner rien  quand  il  s'agit  de  l'inhumation  d'un 
corps  qui  n'est  dans  le  tombeau  que  pourriture, 
pendant  qu'on  néglige  de  secourir  une  ame  qui  est 
l'épouse  de  Jésus-Christ  et  l'héritière  du  ciel. 

J'appelle   piété   pour  les   morts  toute  païenne, 
celle  qui ,  n'ayant  pour  objet  que  la  chair  et  le  sang,. 


440  POUR    LA     COMMÉMORATION 

n'agit  pas  dans  les  vues  de  la  foi  ;  celle  qui  n'inspire 
pour  les  morts  que  des  sentimens  naturels  ,  que  des 
sentimens  peu  soumis  à  Dieu,  que  des  sentimens 
opposés  au  grand  précepte  de  l'amour  de  Dieu,  je 
dis  de  cet  amour  de  préférence  par  où  Dieu  veut 
être  singulièrement  honoré  ;  que  des  sentimens  qui 
montrent  bien  qu'au  lieu  d'aimer  la  créature  pour 
Dieu ,  l'on  n'aime  Dieu ,  ou  plutôt  l'on  n'a  recours 
à  Dieu  que  pour  la  créature.  Ah  !  mes  frères,   di- 
soit  saint  Paul  aux  Corinthiens  ,  à  Dieu  ne  plaise 
que  je  vous  laisse  ignorer  ce  qui  concerne  les  morts, 
et  la  conduite  que  vous  devez  tenir  à  leur  égard. 
Je  veux  que  vous  le  sachiez  ,  afin  que  vous  ne  vous 
attristiez  pas,  comme  les  nations  infidèles ,  qui  n'ont 
nulle  espérance  dans  l'avenir  :  Nolumus  vos  igno- 
rare   de    dormîentibus ,   ut  non    contristemini 
sicut  et  cœteri ,  qui  spem  non  habent  (i).  Pre- 
nez garde  ,  reprend  saint  Chrysostôme,  expliquant 
ce  passage  :  il  ne  leur  défendait  pas  de  pleurer  la 
mort  de  ceux  qu'ils  avoient  aimés  et  dû  aimer  pen- 
dant la  vie;  mais  il  leur  défendoit  de  pleurer  comme 
les  païens,  qui,   n'étant  pas  éclairés  des  lumières 
de  la  vraie  religion  ,  confondent  là-dessus  la  piété 
avec  la  sensibilité ,  le  devoir  avec  la  tendresse  ,  ce 
qui  doit  être  de  Dieu  avec  ce  qui  est  purement  de 
1  homme.  La  foi  seule  nous  apprend  à  en  faire  le 
discernement;  et  réglant  en  nous  l'un  par  l'autre, 
elle  nous  fait  concevoir  pour  les  morts  des  senti- 
mens chrétiens  et  raisonnables. 

Mais  enfin  ne  peut-on  pas  avoir  pour  les  morts 

(i)  l.  Thcss.  4. 


DES    MORTS.  44* 

une  piété  stérile  et  inutile  ,  quoique  chrétienne  dans 
le  fond  ?  Je  conclus ,  mes  chers  auditeurs ,  par  ce 
dernier  article;  mais  appliquez-vous  à  cette  instruc- 
tion ,  et  qu'elle  demeure  pour  jamais  profondément 
gravée  dans  vos  esprits.  Oui,  l'on  peut  avoir  pour 
les  morts  une  telle  piété,  et  c'est  le  désordre  capital 
auquel  je  vous  conjure,  en  finissant,  d'apporter  le 
remède  nécessaire.  Vous  me  demandez  qui  sont 
ceux  que  j'entends  par  là,  et  en  qui  je  trouve  ces 
deux  caractères  si  difficiles  en  apparence  à  accorder, 
piété  chrétienne  dans  le  fond,  et  néanmoins  inutile 
devant  Dieu  ?  je  réponds  que  ce  sont  ceux  qui 
prient  ponr  les  morts ,  étant  eux-mêmes  dans  un 
état  de  mort ,  je  veux  dire ,  dans  la  disgrâce  et  dans 
la  haine  de  Dieu.  Car  dans  ce  funeste  et  malheureux 
état,  pécheur  qui  m'écoutez,  en  vain  rendez-vous 
aux  âmes  du  purgatoire  des  devoirs  chrétiens ,  en 
vain  priez-vous  et  intercédez-vous  pour  elles ,  en 
vain  pour  elles  faites-vous  des  largesses  aux  pau- 
vres, en  vain  pratiquez-vous  tout  ce  que  le  zèle 
d'une  dévotion  particulière  vous  peut  suggérer ,  ces 
âmes  souffrantes  ne  tireront  jamais  de  vous  aucun 
secours.  Tandis  que  Dieu  vous  regarde  comme  son 
ennemi,  vous  êtes  incapable  de  les  soulager  ,  toutes 
vos  prières  sont  réprouvées,  toutes  vos  aumônes 
perdues,  tous  vos  jeûnes,  toutes  vos  pénitences  de 
nul  effet  :  pourquoi  ?  parce  que  le  péché  dont  votre 
conscience  est  chargée  ,  anéantit  la  vertu  de  toutes 
vos  œuvres  :  et  comment  seroit-il  possible  que  ce 
que  vous  faites  fût  de  quelque  valeur  pour  ces  saintes 
âmes ,  puisqu'il  n'est  de  nul  prix  pour  vous-même  ? 


44^  TOUR   LA  COMMEMORATION 

le  moyen  que  vous  fussiez  en  état  de  les  acquitter 
auprès  de  la  justice  divine  ,  puisqu'il  est  certain 
que  pour  vous-même ,  Dieu ,  sans  déroger  à  sa 
miséricorde ,  ne  reçoit  rien  alors  de  vous  en  paie- 
ment? Secourir  une  ame  dans  le  purgatoire,  c'est 
lui  transporter  le  fruit  des  bonnes  œuvres  que  vous 
pratiquez ,  et  le  lui  céder.  Si  donc  dans  l'état  du 
péché  vous  pouviez  la  soulager,  il  faudroit  que  dans 
cet  état  vos  bonnes  œuvres  eussent  devant  Dieu 
quelque  mérite  :  or  il  est  de  la  foi  qu'elles  n'en  ont 
aucun  ,  parce  que  sans  la  grâce  et  la  charité  ,  ce 
sont  des  œuvres  mortes,  et  qui  n'ont  pas  le  principe 
de  la  vie;  et  étant  mortes  pour  vous  qui  les  pratiquez  5 
faut-il  s'étonner  qu'elles  le  soient  encore  plus  pour 
les  autres  ,  à  qui  vous  prétendez  les  appliquer? 

J'excepte  toutefois,  remarquez  ceci ,  j'excepte 
de  cette  règle  le  sacrifice  de  la  messe  ,  dont  le  mé- 
rite ne  dépend  point  de  la  sainteté  de  celui  qui 
l'offre ,  beaucoup  moins  de  celui  qui  le  fait  oflfrir , 
mais  est  uniquement  attaché  à  la  personne  de  Jésus- 
Christ  et  au  prix  de  son  sang.  D'où  il  s'ensuit  qu'un 
pécheur,  dans  l'état  même  de  son  désordre,  peut 
contribuer  au  repos  des  âmes  du  purgatoire  :  et 
comment?  en  faisant  offrir  pour  elles  ce  sacrifice, 
dont  une  des  principales  qualités  est  d'être  souve- 
rainement propitiatoire  pour  les  vivans  et  pour  les 
morts.  Il  le  peut,  dis-je,  et  il  le  doit  avec  d'autant 
plus  de  raison  ,  que  ce  sacrifice  est  le  seul  moyen 
que  Dieu  lui  laisse  pour  suppléer  à  l'impuissance  où 
il  se  trouve  de  secourir  autrement  ces  âmes  prédes- 
tinées :  car  Dieu  alors  regarde  l'hostie  qu'on  lui  | 


DES    MORTS.  443 

présente ,  qui  est  Jésus-Christ  ,  et  non  point  celui 
par  le  ministère  ou  les  soins  duquel  on  la  lui  pré- 
sente, qui  est  le  pécheur.  Mais  du  reste,  il  est  tou- 
jours vrai  que  le  pécheur  agissant  par  lui-même , 
ne  peut  rien  faire  qui  soit  profitable  aux  morts.  Et 
voilà ,  Chrétiens  ,  le  fondement  de  cette  dévotion 
aujourd'hui  si  autorisée  et  si  solennelle  dans  l'Eglise 
de  Dieu ,  qui  consiste  à  se  purifier  par  le  sacrement 
de  la  pénitence ,  et  par  la  participation  du  corps 
de  Jésus-Christ ,  pour  se  mettre  en  disposition  de 
secourir  utilement  et  infailliblement  les  âmes  du 
purgatoire.  De  tout  temps ,  dans  le  christianisme , 
on  a  prié  pour  les  morts ,  mais  Dieu  réservoit  à  notre 
siècle  cette  excellente  pratique  de  se  sanctifier  pour 
les  morts.  Autrefois  dans  l'ancienne  loi ,  l'on  obser- 
voit  quelque   chose  de  semblable  ;  et   saint  Paul 
écrivant  aux  Corinthiens,  fait  mention  d'une  espèce 
de  baptême  dont  les  Juifs  avoient  coutume  d'user 
pour  le   soulagement  des  morts  :  Alioquin   quid 
facient  qui  baptizantur  pro  mortuis  (1)  /  C'est 
ainsi  que  de  savans  interprètes  ont  expliqué  ce  pas- 
sage ,  et  c'est  le  sens  qui  m'a  paru  le  plus  vrai  et  le 
plus  littéral.  Mais  ce  que  pratiquoient  les  Juifs  n'é- 
toit  que  la  figure  ,  et  la  vérité  devoit  s'accomplir 
en  nous  :  Sed  hœc  omnia  in  figura  contingebant 
illis  (2).  Voyez  donc  ,  mes  chers  auditeurs  ,  ce  que 
Dieu  vous  demande  aujourd'hui ,  et  à  quoi  il  vous 
exhorte  lui-même  par  son  Prophète:  Mundi  eslote, 
auferte  malum  cogitationum  vestrarum,  quies- 
cite   a  gère  perverse ,   discite  benefacere   (3)  ; 

(i)  1.  Cor.  i5.  —  (*î)  1.  Cor.  xo.  -—  (5)  Isaï.  i. 


444  POUR  LA  COMMÉMORATION^  DES  MORTS. 
Lavez-vous,  nous  dit-il,  et  purifiez-vous;  lavez- 
vous  dans  les  eaux  de  la  pénitence ,  et  purifiez-vous 
dans  le  sang  de  l'agneau.  Appliquez-vous,  par  une 
véritable  contrition ,  ce  second  baptême ,  aussi  sa- 
lutaire que  le  premier,  savoir,  le  baptême  du  cœur, 
mais  d'un  cœur  contrit  et  humilié  :  Auferlefnalum 
cogîtationum  vestrarum  :  Otez  de  devant  mes 
yeux  toutce  qu'il  y  a  de  corrompu,  non-seulement 
dans  vos  actions  ,mais  dans  vos  pensées;  renoncez 
à  vos  commerces  criminels  ,  cessez  de  faire  le  mal  , 
apprenez  à  faire  le  bien,  et  ne  vous  contentez  pas 
de  le  faire ,  mais  commencez  à  le  bien  faire  :  Et 
venite  ,  et  arguite  me  ,  dicit  Dominus  (i)  : 
Venez  ensuite  ,  et  soutenez  devant  moi  la  cause  de 
ces  âmes  pour  qui  vous  vous  intéressez  :  c'est  alors 
que  je  vous  écouterai ,  que  j'accepterai  vos  obla- 
tions  ,  que  je  me  laisserai  fléchir  par  vos  prières. 
Profitons,  chrétiens,  de  cet  avertissement,  et  nous 
éprouverons  la  vérité  des  promesses  du  Seigneur  : 
par  là  nous  le  glorifierons ,  par  là  nous  consolerons 
nos  frères  dans  leur  affliction ,  par  là  nous  attirerons 
sur  nous  les  grâces  du  salut  les  plus  abondantes, 
et  ces  grâces  nous  conduiront  à  la  vie  éternelle , 
que  je  vous  souhaite ,  etc. 

(i)  Isaï.  i. 


SE..RMON 

POUR 

L'OUVERTURE  DU  JUBILÉ. 


Exhortamur  vos,  ne  ia  vacuum  gratiam  Dei  recipîatis. 
Ait  enim:  Tempore  accepto  exaudivi  te  ,  et  in  die  salutis 
adjavi  te.  Ecce  nunc  tempus  acceptabile,  ecce  nunc  dies 
salutis. 

Nous  vous  exhortons  à  ne  pas  recevoir  en  vain  la  grâce 
de  Dieu.  Car  Dieu  nous  dit  lui-même  dans  V Ecriture  : 
Je  vous  ai  exaucé  au  temps  favorable ,  et  je  vous  ai  aidé 
au  jour  du  salut.  Or  voici  maintenant  ce  temps  favorable  : 
voici  ces  jours  de  salut.  Dans  la  seconde  Epître  aux  Co- 
rinthiens ,  chap.  5. 

C'est  ainsi  que  l'apôtre  saint  Paul  parloit  aux  pre- 
miers chrétiens  de  la  grâce  générale  de  leur  con- 
version ,  et  je  me  sers  aujourd'hui  de  ces  paroles  , 
pour  vous  exhorter  vous-mêmes,  mes  frères,  à  re- 
cevoir efficacement  et  utilement  la  grâce  particu- 
lière que  l'Eglise  vous  présente,  en  vous  accordant 
la  plus  authentique  de  toutes  les  indulgences,  qui 
est  celle  du  jubilé.  Car  je  puis  bien  vous  dire ,  comme 
le  Docteur  des  nations  le  disoit  aux  Corinthiens, 
que  voici  maintenant  le  temps  favorable  ,  que  voici 
les  jours  de  salut,  où  le  Père  des  miséricordes  se 
dispose  à  répandre  sur  nous  les  bénédictions  les 
plus  abondantes  :  c'est  pour  cela  qu'il  ordonne  à 


446  rouR  l'ouverture 

ses  ministres  de  vous  annoncer  ce  jubilé  ,  et  de  vous 
l'annoncer  à  tous ,  puisque  tous,  justes  et  pécheurs  , 
y  peuvent  et  y  doivent  participer.  C'est  pour  cela 
que  l'Eglise  redouble  ses  prières ,  et  qu'elle   vient 
d'offrir   solennellement   le    sacrifice   de   l'agneau  : 
heureux  si  nous  connoissons  le  don  de  Dieu  ,  et  plus 
heureux  encore,  si,  pour  nos  propres  intérêts  et 
pour  la  satisfaction  de  nos  âmes ,  nous  en  savons 
faire  l'usage  que   Dieu   prétend  !  L'Apôtre,  après 
avoir  représenté  à  ceux  de  Corinthe  la  sainteté  du 
temps  où  ils  vivoient ,  et  où  la  lumière  de  l'évangile 
commençoit  à  les  éclairer  ,  concluoit  par  cette  im- 
portante leçon  :  Ayons  donc  soin  de  nous  compor- 
ter comme  de  dignes  disciples  de  Jésus-Christ,  et 
de  nous  rendre  recommandables  en  toutes  choses  , 
par  les  jeûnes  ,  par  les  veilles ,  par  les  travaux  : 
Eochibeamus  nosmelipsos  sicut  Del  ministros, 
in  laboribas ,  in  jejuniis,  in  vigiliis  (i).  Voilà, 
mes  chers  auditeurs,  ce  que  je  vous  dis  moi-même. 
Prenons  bien  garde  à  consacrer  ce  saint  temps  où 
nous  entrons,  ce  temps  d'indulgence  et  de  grâce  , 
par  les  exercices  de  notre  pénitence  ,  par  les  exer- 
cices de  nos  oraisons ,  par  toutes  les  pratiques  de 
la  religion  et  d'une  piété  vraiment  chrétienne  :  c'est 
à  quoi  je   veux  vous  porter  dans  ce  discours,  qui 
sera  moins  une  prédication  qu'une  instruction  sim- 
ple ,  mais  solide.  Or ,  pour  vous  proposer  d'abord 
tout  mon  dessein ,  il  y  a  dans  le  jubilé  surtout,  trois 
choses  dignes  d'être   considérées,  et  que  j'entre- 
prends de  vous  expliquer  :  premièrement,  ce  que 

(i)  2.  Cor.  4. 


DU    JUBILÉ.  44j 

c'est  que  la  grâce  du  jubilé  ;  secondement,  ce  qui 
est  nécessaire  pour  avoir  part  à  la  grâce  du  jubilé; 
et  en  troisième  lieu  ,  ce  que  doit  opérer  dans  nous 
la  grâce  du  jubilé.  C'est  une  indulgence,  et  je  vais 
vous  montrer  en  quoi  consiste  cette  indulgence  et 
quel  en  est  l'esprit  :  ce  sera  la  première  partie  ;  ce 
qu'il  faut  faire  pour  gagner  cette  indulgence  ,  et 
quelles  dispositions  nous  y  devons  apporter  :  ce 
sera  la  seconde  partie  ;  enfin  ,  quels  effets  salutaires 
doit  produire  en  nous  cette  indulgence ,  et  quels 
fruits  nous  en  devons  retirer  :  ce  sera  la  conclusion. 
Daigne  le  ciel  seconder  le  zèle  qui  m'anime  ,  et  puis- 
siez-vous  bien  apprendre  à  ne  pas  perdre  un  avan- 
tage si  précieux  î  Adressons-nous  pour  cela  à  Ma- 
rie ,  et  disons-lui  :  Ave ,  Maria, 

PREMIÈRE     PARTIE. 

Qu'est-ce,  chrétiens,  que  l'indulgence  du  jubilé? 
Le  jubilé,  dans  l'ancienne  loi,  éloit  une  année  de 
rémission  et  de  grâce  pour  le  peuple  de  Dieu  ;  nous 
en  voyons  l'origine  et  l'institution  dans  le  vingt- 
cinquième  chapitre  du  Lévitique ,  où  Dieu  ordonna 
à  Moïse ,  qu'en  même  temps  que  les  prêtres ,  qui 
dévoient  lui  succéder  dans  le  ministère ,  auroient 
fait  l'ouverture  de  cette  année  sainte  ,  on  publieroit 
une  rémission  générale  pour  tous  les  enfans  d'Is- 
raël; c'est-à-dire  ,  que  les  esclaves  seroient  mis  en 
liberté,  que  tous  les  propriétaires  rentreroientdans 
la  possession  des  biens  qu'ils  avoient  aliénés ,  que 
tous  ceux  qui  avoient  contracté  des  dettes,  en  se- 
roient déchargés;  et  cela,  dit  l'Ecriture  ,  parce  que 


'448  pour  l'ouverture 

c'était  l'année  du  jubilé  :  Ipse  est  enim  jubi- 
lœus  (i).  Mais  ce  n'était  là,  après  tout,  pour  me 
servir  du  terme  de  saint  Paul,  que  l'ombre  des 
biens  à  venir.  Ce  jubilé,  si  mémorable  parmi  les 
hébreux  ,  n'était  que  pour  servir  de  figure  ,  et  que 
pour  nous  préparer  au  jubilé  de  la  loi  nouvelle  ; 
car  ce  jubilé  de  la  loi  nouvelle  est  proprement  celui 
où  les  véritables  esclaves ,  je  veux  dire ,  ceux  que 
le  démon  tenoit  dans  la  servitude  du  péché,  sont 
remis  dans  la  pleine  et  entière  liberté  des  enfans 
de  Dieu  ;  celui  où  les  pécheurs  réconciliés  rentrent 
dans  la  parfaite  jouissance  des  véritables  biens  , 
en  recouvrant  les  mérites  qu'ils  avoient  acquis  de- 
vant Dieu ,  et  que  le  péché  leur  avoit  fait  perdre  ; 
celui  où  les  véritables  dettes ,  j'entends  les  peines 
dues  au  péché,  demeurent  éteintes,  et  sont  univer- 
sellement abolies. 

Or  c'est  ce  jubilé,  mes  frères,  que  je  vous  an- 
nonce ,  et  dont  nous  commençons  aujourd'hui  à 
célébrer  la  solennité  :  heureux  si  nous  la  célébrons 
dans  un  esprit  chrétien;  heureux,  si  tout  ce  qui 
étoit  figuré  dans  le  jubilé  autrefois  publié  par 
Moïse  ,  s'accomplit  en  nous  !  Il  s'agit  de  vous  expli- 
quer en  quoi  consiste  précisément  ce  jubilé  de  la 
loi  de  grâce,  et  ce  qu'il  a  de  plus  essentiel  ;  le 
voici:  le  jubilé  de  la  loi  de  grâce  est  proprement  la 
rémission  de  la  peine  temporelle  qui  reste  à  subir 
au  pécheur,  après  que  son  péché  lui  est  pardonné. 
L'Eglise,  à  qui  Jésus-Christ  a  donné  le  pouvoir  de 
lier  et  de   délier,  avec   assurance  que  ce  qu'elle 

(i)  Levit.  sS, 


DU    JUBILÉ.  44g 

déliera  sur  la  terre  sera  délié  dans  le  ciel;  l'Eglise, 
qui  est  la  dispensatrice  du  trésor  infini  des  satis- 
factions de  Jésus^Christ ,  en  vertu  du  jubilé  ,  remet 
par  grâce  au  pécheur  ,  ce  que  le  pécheur,  quoique 
déjà  réconcilié  avec  Dieu ,  auroit  encore  du  souf- 
frir ,  dans  la  rigueur  de  la  justice  ,  pour  expier  par- 
faitement son  péché.  Yoilà ,  en  deux  mots ,  ce  qu'il 
y  a  de  plus  important  et  de  capital  dans  le  jubilé, 
ou  dans  la  grâce  qui  nous  est  offerte  quand  l'Eglise 
nous  accorde  le  jubilé  :  grâce  complète,  puisqu'elle 
met  le  comble  à  la  justification  de  l'homme  criminel 
et  pénitent. 

Pour  vous  rendre  ceci  plus  intelligible,  il  faut 
distinguer  <]enx  choses  dans  le  péché;  ce  que  nous 
appelons  ia  coulpe,  et  ce  que  nous  appelons  la 
peine  :  ce  que  nous  appelons  la  coulpe  ou  l'offense  , 
c'est  l'injure  faite  à  Dieu;  et  ce  que  nous  appelons 
la  peine,  c'est  le  droit  que  Dieu  se  réserve,  en 
pardonnant  même  le  péché,  de  punir  le  pécheur; 
je  dis  de  le  punir  temporellement ,  au  lieu  que  par 
son  péché,  s'il  est  mortel,  il  auroit  mérité  d'être 
puni  éternellement.  Cette  coulpe  ou  cette  offense 
ne  peut  jamais  être  remise  que  par  le  sacrement 
de  la  pénitence ,  ou  par  la  contrition  parfaite  :  cette 
peine  temporelle,  que  Dieu  se  réserve,  devroit, 
dans  l'ordre  de  la  justice  rigoureuse  ,  être  acquittée, 
ou  par  les  œuvres  satisfactoires  dans  cette  vie ,  ou 
par  le  purgatoire  dans  l'autre;  mais  par  une  grâce 
spéciale ,  Dieu  la  remet  en  vertu  de  l'indulgence  et 
du  jubilé  ;  et  le  jubilé  ,  encore  une  fois,  n'est  autre 
chose  que  cette  rémission. 

TOME    XI.  2Ç) 


45o  pour  l'ouverture 

En  vain  les  ennemis  de  l'Eglise  et  des  indul- 
gences combattent-ils  ce  principe  par  deux  diffi- 
cultés qu'ils  nous  opposent  ;  l'une ,  que  Dieu  ,  dont 
les  œuvres  sont  parfaites,  ne  remet  jamais  le  péché 
à  demi,  et  que  la  rémission  de  la  peine  même  tem- 
porelle est  toujours  inséparable  de  la  rémission  de 
l'offense  ;  l'autre  ,  que  Jésus-Christ  par  sa  mort 
ayant  pleinement  et  abondamment  satisfait  pour 
hous ,  toute  autre  peine  que  Dieu  exigeroit  encore 
du  pécheur,  son  péché  lui  étant  remis  ,  diminueroit 
le  mérite  du  sacrifice  de  la  croix  ,  qui  a  été  une 
satisfaction  plus  que  suffisante  pour  tous  les  péchés 
du  monde.  Deux  objections ,  quoique  spécieuses , 
qui  n'ont  dans  le  fond  nulle  solidité  ,  et  qui  sont 
même  dans  les  maximes  de  notre  religion  ,  deux 
erreurs  grossières  et  absolument  insoutenables.  Car 
pour  répondre  à  la  première ,  il  est  non-seulement 
indubitable ,  mais  de  la  foi  ,  que  Dieu  ,  selon  les 
lois  communes  de  sa  justice,  pardonnant  même  le 
péché  ,  se  réserve  encore  le  droit  de  punir  tempo- 
rellement  le  pécheur.  Piien  de  plus  évident  dans 
l'Ecriture.  Moïse  obtient  le  pardon  de  son  incrédu- 
lité; cependant,  pour  punition  de  cette  incrédulité 
même  ,  quoique  pardonnée  ,  il  n'entrera  point  dans 
la  terre  promise.  Nathan  déclare  à  David  que  Dieu 
lui  a  remis  son  crime  ;  mais  il  ajoute  que  pour  l'en 
punir, Dieu  lui  prépare  des  afflictions  et  des  cala- 
mités :  conduite  adorable  ,  où  Dieu  fait  éclater  sa 
sagesse ,  au  même  temps  qu'il  exerce  sa  miséri- 
corde. Et  pour  réponse  à  la  seconde  difficulté  ,  il 
est  vrai  que  Jésus-Christ  par  sa  mort  a  pleinement 


DU    JUBILÉ.  45l 

et  abondamment  satisfait  pour  nous  :  mais   il  est 
pareillement  vrai  et  de  la  foi ,  que  l'intention  de 
Jésus-Christ ,  en  satisfaisant  pour  nous  ,  n'a  point 
été  de   nous  dispenser  par  là   de  satisfaire  nous- 
mêmes  ,  et  de  faire  pénitence   pour  nous-mêmes  ; 
qu'au  contraire,  il  a  prétendu  nous  en  imposer  par 
là  même  l'obligation  indispensable,  c'est-à-dire ,  la 
nécessité  de  joindre  notre  pénitence  à  sa  pénitence, 
et  nos  satisfactions  à  ses  satisfactions  :  car  en  qua- 
lité de  Sauveur  il   n'a  offert  à  Dieu  sa  mort  pour 
nous  qu'à   cette   condition.  Mystère  que   le  grand 
Apôtre  concevoit  admirablement ,  quand  il  disoit  : 
Adimpleo  ea   quœ  desunt  passionum  Christi 
in  carne  med  (i).  Il  est  vrai  que  dans  l'ordre  du 
salut  nos  satisfactions  doivent  être  jointes  à  celles 
de  Jésus-Christ  ;  mais  par  l'étroite  liaison  qui  est 
entre  Jésus-Christ  et  nous  ,  nos  satisfactions  com- 
parées aux  siennes ,  sont  tellement  différentes  des 
siennes,  qu'elles  en  sont  néanmoins  essentiellement 
dépendantes  ;  qu'elles  sont ,  dis-je  ,  fondées  sur  les 
siennes  ,  de  nulle  valeur  sans  les  siennes  ;   qu'elles 
tirent  toute  leur  efficace  et  toute  leur  vertu  des 
siennes ,  et  par  conséquent  qu'elles  ne  peuvent  pré- 
judicier   au  mérite   des   siennes.  Tenons-- nous-en 
donc  toujours  à  la  même  proposition,  que  Dieu  par 
l'indulgence  et  le  jubilé  nous  remet  la  peine  tem- 
porelle qui  étoit  due  à  nos  péchés,  et  dont  l'exacte 
mesure  n'eût  pu  sans  cela  être  remplie  que  par  nos 
satisfactions. 

Ainsi  l'Eglise  catholique  , seule  et  infaillible  dé- 

(i)  Coloss.  i. 


4$2  POUR   LsOUVERTURE 

positaire  du  vrai  sens  de  l'Ecriture,  l'a-t-elle  entendu 
en  expliquant  cette  promesse  faite  à  saint  Pierre  , 
comme  au  chef  du  troupeau  de  Jésus-Christ  :  Quod- 
cumc/ue  solverîs  super  terram  ,  erit  solutum  et 
in  cœlis  (i).  Et  ainsi  la  même  Eglise  gouvernée 
et  conduite  par  le  Saint-Esprit,  l'a-t-elle  toujours 
pratiqué  ,  puisque  l'usage  des  indulgences  et  le 
pouvoir  de  les  accorder  dont  elle  est  en  possession, 
est  d'une  tradition  immémoriale  dans  le  christia- 
nisme. C'est  en  vertu  de  ce  pouvoir  que  S.  Paul , 
au  nom  de  Jésus-Christ ,  accorda  par  indulgence  à 
l'incestueux  pénitent  de  Corinthe  la  grâce  la  plus 
complète.  Je  dis  l'incestueux  pénitent ,  et  déjà  sû- 
rement converti  à  Dieu  par  la  fervente  contrition 
dont  il  avoit  donné  des  marques  si  édifiantes  ,  que 
l'Apôtre  vouloit  même  qu'on  le  consolât,  en  lui 
remettant  le  reste  de  la  peine  que  méritoit  son  pé- 
ché, et  en  le  rétablissant  dans  la  société  des  fidèles. 
C'est  en  vertu  de  ce  pouvoir  que  les  évêques  des 
premiers  siècles  usoient  d'indulgence  envers  ceux 
qui,  dans  les  persécutions,  vaincus  par  la  rigueur 
des  supplices,  avoient  abjuré  ,  ou  paru  abjurer  la 
foi  ,  en  les  tenant  quittes  ,  à  la  prière  des  martyrs , 
des  peines  qu'ils  avoient  encourues  par  leur  apos- 
tasie, lorsque  touchés  d'un  repentir  sincère  et  vif, 
ils  dcmandoient  avec  gémissemens  et  avec  larmes 
cette  rémission. 

Vous  me  direz  qu'il  ne  s'agissoit  alors  que  des 
peines  canoniques,  de  ces  peines  qu'il  talloit  subir 
dans  le  gouvernement  extérieur  de  l'Eglise  ;  mais 

(i)  Matth.  16. 


DU   JUBILÉ,  453 

il  suffit  de  lire  saint  Cyprien ,  pour  être  convaincu 
qu'il  s'agissoit  même  des  peines  dues  à  la  justice 
divine.  Car,  selon  la  doctrine  de  ce  Père,  les  peines 
canoniques  n'étoient  pas  seulement  imposées  pour 
satisfaire  à  l'Eglise  ,  mais  pour  satisfaire  à  Dieu  ; 
et  quiconque  en  esprit  de  pénitence  accomplissoit 
les  peines  canoniques,  autant  et  selon  qu'il  les  ac- 
complissoit,  étoit  autant  et  à  proportion  déchargé 
de  celles  dont  il  se  trouvoit  redevable  au  tribunal 
de  Dieu.  Il  s'ensuit  donc  que  l'indulgence  qui  tenoit 
lieu  de  la  peine  canonique,  devoit  produire  le  même 
effet  que  la  peine  canonique  ,  et  procurer  aux  pé- 
nitens  le  même  avantage  que  la  peine  canonique  ; 
autrement  ,  bien  loin  de  leur  être  favorable  ,  elle 
leur  eût  été  nuisible, puisqu'en  les  déchargeant  de- 
vant les  hommes  sans  les  décharger  devant  Dieu , 
elle  les  eût  encore  privés   d'un  des  plus  efficaces 
moyens  de  satisfaire  à  Dieu  ,  qui  étoit  la  peine  ca- 
nonique même.  C'est  conformément  à  cette  doc- 
trine ,  et  sur  le  fondement  de  ce  pouvoir  donné  à 
saint  Pierre  ,  que  les  indulgences  se  sont  établies 
dans  le  monde  chrétien  ;  que  de  siècle  en  siècle 
l'usage  s'en  est  répandu  ,  affermi  ,  perfectionné  ; 
que  les  plus  distingués  d'entre  les  Pères  les  ont  re- 
connues ,  que   les  conciles   oecuméniques  les  ont 
autorisées,  que  les  plus  graves  théologiens  les  ont 
éclaircies  ,  que  saint  Grégoire  ,  pape ,  les  a  accor- 
dées ,  que  saint  Bernard  les  a  prêchées  ,   que  les 
peuples  les  ont  reçues  avec  joie  ;  que  les  jubilés 
parmi  les  fidèles  ont  été  dans  une  si  grande  véné- 
ration, qu'ils  ont  produit  dans  l'Eglise  de  Dieu  des 


454  pour  l'ouverture 

fruits  de  grâce  si  abondans ,  des  conversions  si  écla- 
tantes, des  renoiivellemens  de  ferveur  si  exemplaires: 
marque  visible  que  ce  n'étoit  pas  l'ouvrage  des 
hommes  ,  mais  que  Dieu  en  étoit  l'auteur. 

J'avoue  néanmoins  qu'il  a  pu  se  glisser  sur  cela 
des  abus  dans  le  christianisme  :  car  de  quoi  n'abuse- 
t-on  pas,  et  qu'y  a-t-il  de  saint  et  de  sacré  que  l'on 
ne  profane  pas  ?  Mais  outre  que  l'Eglise  ,  par  sa 
sagesse,  a  bien  su  corriger  tous  ces  abus;  outre 
qu'elle  les  a  retranchés  avec  un  zèle  digne  de  sa 
piété;  outre  qu'elle  s'est  particulièrement  appliquée 
à  bannir  ce  qui  servoit  de  prétexte  à  l'hérésie  pour 
décrier  les  indulgences  ,  savoir,  l'esprit  d'intérêt; 
outre  que  les  règles  qu'elle  s'est  prescrites  à  ce 
dessein  ,  ont  été  inviolablement  et  saintement  ob- 
servées; outre  qu'elle  a  réduit  par  là  les  indulgences 
à  un  usage  tout  spirituel ,  et  à  un  désintéressement 
dont  ses  plus  critiques  censeurs  sont  forcés  de  con- 
venir, l'abus  même  des  indulgences  nous  doit  être 
une  preuve  de  leur  vérité  et  de  leur  sainteté  :  car, 
selon  la  maxime  de  Tertullien  ,  on  n'abuse  que  de 
ce  qui  est  bon  ,  et  on  ne  profane  que  ce  qui  est 
saint.  De  là  jugeons  avec  quelle  raison  les  Pères  du 
concile  de  Trente  ont  défini  que  les  indulgences 
étoient  salutaires  au  peuple  chrétien  ,  et  ont  pro- 
noncé anathème  contre  tous  ceux  qui  oseroient 
dire,  ou  qu'elles  sont  vaines  et  inutiles ,  ou  que  l'E- 
glise n'a  pas  le  pouvoir  de  les  accorder.  Tellement 
que  la  vérité  des  indulgences  ,  aussi  bien  que  leur 
sainteté, est  désormais  un  dogme  de  foi  dont  il  n'y 


DU    JUBILÉ.  455 

a  point  de  catholique  qui  ne  doive  se  faire  un  point 
de  créance  et  de  religion. 

Cependant  on  demande  par  où  le  Jubilé  est  dif- 
férent des  autres  indulgences  ,  et  surtout  de  ces 
indulgences  qu'on  appelle  plénières,  puisqu'on  ne 
peut,  ce  semble,  rien  ajouter  à  leur  plénitude.  Il 
est  vrai  qu'on  n'y  peut  rien  ajouter  quant  à  la  ré- 
mission de  la  peine  due  au  péché  ,  en  quoi  j'ai  dit 
que  consistoit  l'essentiel  de  l'indulgence;  mais  il  y 
a  du  reste  dans  le  jubilé  trois  circonstances  qui  lui 
sont  propres  ,  et  qui  le  distinguent  des  indulgences 
communes.  Car  je  dis  que  c'est  une  indulgence 
beaucoup  plus  solennelle,  une  indulgence  beaucoup 
plus  privilégiée ,  enfin  une  indulgence  beaucoup 
plus  sûre.  Ecoutez-moi  et  instruisez-vous.  C'est  une 
indulgence  plus  solennelle  :  pourquoi  ?  parce  qu'elle 
est  plus  universelle  ,  et  qu'elle  s'étend  à  tout  le 
inonde  chrétien  ;  parce  qu'on  y  observe  des  céré- 
monies et  plus  augustes  et  plus  saintes  ;  parce  que 
la  publication,  la  célébration ,  la  clôture  de  cette 
indulgence ,  se  font  avec  un  appareil  plus  capable 
d'exciter  les  coeurs ,  et  de  leur  inspirer  des  senti* 
mens  de  piété  ;  parce  qu'en  effet  la  dévotion  alors 
est  plus  fervente  et  plus  unanime  :  tout  y  concourt, 
et  tous  les  fidèles  réunis  s'assemblent  devant  les 
autels,  et  de  concert  viennent  solliciter  le  ciel  et 
présenter  à  Dieu  leurs  prières.  C'est  une  indulgence 
plus  privilégiée  :  pourquoi  ?  parce  qu'elle  est  accom- 
pagnée de  plusieurs  grâces,  que  l'Eglise,  comme 
une  charitable  mère  ,  veut  bien  accorder  à  ses  en- 
fans  ;  mais  qu'elle  ne  leur  accorde  que  pour  ce 


456  pour  l'ouverture 

saint  temps,  et  qu'en  faveur  du  jubilé.  Tel  est,  par 
exemple  ,  le  pouvoir  qu'elle  donne  à  chaque  fidèle 
de  se  faire  absoudre  de  toute  sorte  de  crimes  sans 
restriction  et  sans  réserve  ;  de  se  faire  relever  de 
tonte  sorte  de  censures  ;  de  se  faire  dispenser  ,  au 
moins  par  échange,  de  certains  vœux  ,  à  l'accom- 
plissement desquels  il  est  survenu  des  bbstacles  : 
grâces  encore  une  fois  dépendantes  du  jubilé  ,  et 
spécialement  attachées  à  ces  jours  de  bénédiction 
et  de  salut.  C'est  une  indulgence  plus  sure  :  et  com- 
ment ?  parce  qu'elle  est  donnée  pour  des  raisons 
et  des  fins  plus  importantes  ;  d'où  il  s'ensuit  qu'on 
peut  moins  douter  de  sa  validité.  Or  par  cette  règle, 
dont  tous  les  théologiens  conviennent ,  ne  puis-je 
pas  dire  qu'il  n'y  eut  jamais  d'indulgence  plus  assu- 
rée que  celle  qui  nous  est  maintenant  offerte  ?  car, 
outre  la  raison  générale  de  l'année  sainte  et  du 
siècle  révolu  ,  il  s'agit  dans  ce  jubilé  des  plus  pres- 
sans  intérêts  de  la  religion  ;  d'obtenir  de  Dieu  une 
paix  si  nécessaire  à  toute  l'Eglise,  de  détourner  le 
fléau  de  la  plus  funeste  guerre  dont  le  monde  chré- 
tien ait  jamais  été  menacé.  Ah  !  mes  frères  ,  nous 
sommes  si  sensibles  aux  maux  qui  nous  affligent; 
nous  nous  épanchons  si  volontiers  en  des  plaintes 
et  en  des  murmures  qui  outragent  la  Providence  , 
et  qui  bien  loin  de  nous  soulager,  ne  font  qu'aug- 
menter et  que  perpétuer  nos  peines,  puisque  la 
Providence  outragée ,  au  lieu  de  retirer  son  bras  , 
s'appesantit  encore  sur  nous  plus  rudtint  nt.  Mais 
voici  le  remède  ,  et  le  remède  le  plus  prompt  et  le 
plus  certain  :  Dieu  veut  être  fléchi ,  et  il  nous  en 


DU    JUBILÉ.  4^7 

fournit  lui-même  le  moyen  le  plus  efficace  ;  il  veut 
être  désarmé  ,  et  il  ne  tient  qu'à  nous  d'arrêter  le 
coup  qu'il  est  prêt  à  lancer  sur  nos  têtes.  Si  nous 
ne  profitons  pas  de  cette  heureuse  conjoncture 
pour  attirer  sur  nous  ses  miséricordes, ne  nous  éton- 
nons plus  qu'il  nous  frappe  ,  et  qu'il  nous  fasse 
éprouver  toute  la  rigueur  de  sa  justice.  Quoi  qu'il 
en  soit,  pour  quelles  causes  plus  essentielles  le  vi- 
caire de  Jésus-Christ  peut-il  user  du  pouvoir  qu'il 
a  d'ouvrir  le  trésor  des  indulgences,  et  quand  en 
use-t-il  plus  sagement  et  plus  sûrement  qu'en  de 
pareilles  occasions? 

Recevons-la  donc  cette  indulgence  avec  res- 
pect, avec  reconnoissance  et  actions  de  grâces, 
avec  toute  l'obéissance  de  la  foi.  Prenez  garde  : 
avec  respect ,  comme  chrétiens  ;  avec  reconnoissance 
et  actions  de  grâces ,  comme  pécheurs  ;  avec  toute 
l'obéissance  de  la  foi,  comme  catholiques.  Rece- 
vons-la ,  dis-je ,  comme  chrétiens  ,  avec  un  profond 
respect  :  c'est  l'application  qui  nous  est  faite  des 
satisfactions  surabondantes  de  Jésus-Christ,  c'est 
un  précieux  écoulement  de  ces  divines  sources  du 
Sauveur,  dont  parle  le  Prophète,  et  que  nous 
n'épuiserons  jamais  ;  c'est  un  surcroît  de  l'efficace 
et  de  la  vertu  de  son  sang ,  dont  la  moindre  goutte 
auroit  suffi  pour  racheter  mille  mondes.  Avec  quel 
sentiment  de  vénération  n'aurois-je  pas  recueilli  les 
gouttes  de  ce  sang  adorable,  lorsqu'il  le  répandoit 
pour  moi  sur  la  croix?  Serois-je  assez  insensible 
et  assez  endurci  pour  négliger  les  moyens  dont  il 
se  sert  pour  me  l'appliquer  ?  Lecevons-la ,  comme 


458  pour  l'ouverture 

pécheurs,  avec  actions  de  grâces  :  c'est  ce  qui  doit 
mettre  le  comble  aux  miséricordes  divines  ;  c'est 
ce  qui  doit  rendre  notre  justification  complète  ;  c'est 
le  supplément  de  notre  pénitence;  c'est  un  secours 
dont  Dieu  nous  a  pourvus  ,  pour  nous  acquitter  au- 
près de  lui.  Si,  de  sa  part,  un  ange  alloit  annon- 
cer à   un  réprouvé   dans  l'enfer   qu'une  telle  ré- 
mission lui  est  accordée,  quels  seroient  les  trans- 
ports de   sa  reconnoissance  et  de  sa  joie  ?  Nous 
sommes  pécheurs  ,  et  peut-être  plus  pécheurs   que 
bien   des  réprouvés   que   Dieu   n'a   pas  prévenus 
comme  nous,  qu'il  n'a  pas  attendus  comme  nous  , 
pour  qui  il  n'a  pas  eu  la  même  prédilection  que 
pour  nous.  Quel  avantage  de  pouvoir  payer  si  aisé- 
ment tant  de  dettes  !  par  où  l'avons-nous  mérité  ? 
et  moins  nous  l'avons  mérité ,  plus  nous  doit-il  être 
un  motif  puissant  pour  redoubler  notre  gratitude 
et  notre  amour.  Recevons-la  ,  comme  catholiques, 
avec  toute  l'obéissance  de  la  foi  :  c'est  par  le  mé- 
pris des  indulgences  qu'a  commencé  le  schisme  de 
l'hérésie;  c'est  par  l'estime  que  nous  en  ferons  que 
doit  paroître  notre  attachement  inviolable  à  l'Eglise 
et  notre  zèle  pour  son  unité.  La  censure  maligne 
et  présomptueuse  des  indulgences  fut  le  principe 
de  tous  les  malheurs  de  Luther  :  son  exemple  est 
une  leçon  pour  nous  ;  et  afin  de  nous  la  rendre  sa- 
lutaire, autant  sur  l'article  des  indulgences  que  sur 
les  autres ,  croyons  ce  que  croit  l'Eglise,  pratiquons 
ce  qu'elle  pratique,  honorons  ce  qu'elle  autorise. 
Quel  risque  courons-nous  en  nous  attachant  à  elle  ; 
et  quel  risque  ne  courons-nous  pas ,  pour  peu  que 


DU    JUBILÉ.  4% 

nous  nous  écartions  de  la  soumission  qu'elle  exige 
de  nous  ?  Mais  vous  voulez  maintenant  savoir  ce  que 
nous  avons  à  faire  pour  participer  à  la  grâce  du  ju- 
bilé, et  quelles  dispositions  y  sont  nécessaires: 
c'est  de  quoi  je  vais  vous  instruire  dans  la  seconde 
partie. 

DEUXIÈME    PARTIE. 

Deux  choses ,  chrétiens ,  sont  indispensablement 
nécessaires  pour  avoir  part  à  l'indulgence  du  ju- 
bilé :  être  en  état  de  grâce  avec  Dieu  ,  voilà  la  dis- 
position habituelle  ;  et  accomplir  les  oeuvres  pres- 
crites par  le  vicaire  de  Jésus-Christ,  voilà  la  dis- 
position actuelle.  Mettons  l'une  et  l'autre  dans  tout 
son  jour ,  et  donnez  à  ceci ,  s'il  vous  plaît ,  une  at- 
tention particulière. 

Je  dis  d'abord  qu'il  faut  être  en  état  de  grâce 
avec  Dieu  ;  car  l'indulgence ,  et  surtout  la  plus  si- 
gnalée de  toutes  les  indulgences ,  est  une  faveur  qui 
ne  s'accorde  qu'aux  justes  et  aux  amis  de  Dieu. 
L'Eglise  invite  les  pécheurs  à  y  participer,  mais 
elle  n'y  admet  que  les  pécheurs  convertis  et  récon- 
ciliés ;  elle  en  exclut  les  endurcis  et  les  impénitens. 
Si  vous  êtes  de  ce  nombre ,  ce  n'est  point  pour  vous 
qu'elle  ouvre  ses  trésors.  Tandis  que  vous  vivez 
dans  ce  triste  état,  tandis  que  vous  êtes  ennemi 
de  Dieu  et  enfant  de  colère ,  il  n'y  a  point  de  jubilé 
pour  vous.  Dieu  est  le  maître  de  ses  dons ,  pour 
les  répandre  sur  qui  il  veut  et  aux  conditions  qu'il 
veut  :  or ,  la  première  condition  pour  profiter  de 
celui-ci ,  est  que  vous  soyez  revêtu  de  la  grâce 


46o  POUR  l'ouverture 

sanctifiante  ,  et  du  caractère  de  ses  enfans  bien- 
aimés.  De  là  je  tire  trois  conséquences  que  vous 
devez  bien  remarquer,  parce  qu'elles  sont  essen- 
tielles. Première  conséquence  :  puisqu'il  faut  être 
en  état  de  grâce,  il  faut  donc  renoncer  à  tout  péché: 
car  la  grâce  et  le  péché  ne  peuvent  convenir.  Re- 
noncement absolu,  sincère,  efficace,  et  tel  qu'il 
doit  être  pour  mettre  le  pécheur  en  disposition  de 
trouver  grâce  devant  Dieu  ;  sans  cela  rien  de  plus 
inutile  que  l'indulgence,  ou  plutôt  sans  cela  nulle 
indulgence.  Dieu  peut  bien  remettre  le  péché  ,  sans 
en  remettre  toute  la  peine  ;  mais  il  ne  remet  jamais 
la  peine  du  péché ,  tandis  que  le  péché  subsiste  : 
or,  il  subsiste  tandis  que  le  pécheur  n'y  renonce 
pas ,  ou  n'y  a  pas  renoncé.  Seconde  conséquence  : 
puisqu'il  faut  reuoncer  à  tout  péché ,  il  suffit  donc 
d'avoir  la  conscience  chargée  d'un  seul  péché  mor- 
tel, pour  être  incapable  de  gagner  l'indulgence  du 
jubilé  :  je  dis  plus  ,  et  j'ajoute  qu'il  suffit  d'être 
devant  Dieu  coupable  d'un  seul  péché  véniel  à  quoi 
l'on  est  encore  secrètement  attaché  ,  pour  ne  la  pou- 
voir gagner  dans  toute  son  étendue  ;  car  au  moins 
ne  la  peut-on  gagner  par  rapport  à  ce  péché  vé- 
niel, dont  la  tache  n'est  pas  effacée.  Tel  est  l'ordre 
de  Dieu  plein  d'équité,  il  ne  se  relâche  de  ses 
droits ,  quant  à  la  peine  du  péché ,  qu'à  mesure 
et  à  proportion  que  nous  en  détestons  l'offense. 
Troisième  conséquence  :  il  faut  donc  être  vraiment 
contrit  et  pénitent,  car  c'est  en  termes  exprès  ce 
que  porte  la  bulle  :  Verè  contritis  et  pœniten- 
tibus,  mais  indépendamment  de  la  bulle,  la  chose 


DU  JUBILÉ.  46r 

est  évidente  par  toutes  les  règles  du  bon  sens  et  de 
la  raison  ,  beaucoup  plus  de  la  religion  et  du  droit 
divin.  Or ,  sur  cela  chacun  doit  s'éprouver  soi- 
même  ,  pour  reconnoître  s'il  est  en  état  de  pré- 
tendre à  la  grâce  du  jubilé;  et  par  là  l'on  doit  faire 
le  discernement  de  ceux  qui  le  gagnent,  d'avec  ceux 
qui  ne  le  gagnent  pas. 

En  effet,  on  verra  pendant  ce  saint  temps  un 
nombre  infini  de  chrétiens  qui,  pour  avoir  part  à 
l'indulgence  du  jubilé  ,  paroîtront  touchés  de  con- 
trition, en  donneront  des  marques  publiques,  pra- 
tiqueront les  œuvres  de  la  pénitence  jusqu'à  certain 
point,  assiégeront  en  foule  les  tribunaux,  confes- 
seront leurs  péchés  ,  se  frapperont  la  poitrine,  ver- 
seront même  des  larmes;  mais  dans  cette  foule  et 
sous  ces  dehors  spécieux  ,  y  aura-t-il  beaucoup  de 
vrais  pénitens  ?  Vous  le  savez ,  mon  Dieu ,  vous  à 
qui  rien  n'est  caché  ,  et  qui  pénétrez  jusque  dans 
le  fond  des  cœurs;  vous  savez  si  le  nombre  des 
vrais  pénitens  répondra  à  l'abondance  de  vos  mi- 
séricordes. Ce  que  je  sais,  c'est  que  vos  miséri- 
cordes, quoiqu'abondantes ,  sont,  même  dans  ce 
temps  de  salut ,  limitées  et  uniquement  réservées 
à  ceux  dont  la  contrition  est  sincère  et  solide  ;  ce 
que  je  sais,  c'est  que  la  fausse  pénitence  ne  doit 
espérer  de  vous  dans  aucun  temps  ni  grâce ,  ni 
rémission  :  les  vrais  pénitens  ,  ce  sont  ceux  qui  ne 
se  contentent  pas  de  pleurer  le  péché  ,  mais  qui  en 
retranchent  la  cause,  mais  qui  en  quittent  l'occa- 
sion, mais  qui  en  réparent  les  pernicieux  effets, 
mais  qui  en  font  cesser  le  scandale ,  mais  qui  en 


/h£2  POUR    L'OUVERTURE 

cherchent  les  remèdes ,  mais  qui  s'y  assujettissent 
de  bonne  foi  :  voilà  les  preuves  d'une  contrition 
non  suspecte,  et  voila,  sans  en  rien  excepter,  les 
dispositions  absolument  requises  pour  l'indulgence 
dont  je  parle.  Or,  combien  peu  s'acquitteront  fi- 
dèlement, pleinement,  exactement  de  tous  ces  de- 
voirs, et  par  une  suite  nécessaire,  combien  seront 
trompés  et  se  tromperont  eux-mêmes ,  dans  la 
vaine  confiance  dont  ils  se  laisseront  flatter  ,  d'avoir 
reçu  le  bienfait  du  Seigneur ,  et  d'avoir  pris  pour 
cela  toutes  les  mesures  convenables  ? 

De  là  même  concluons  encore  ,  mes  chers  audi- 
teurs, qu'il  n'est  donc  pas  vrai  que  l'indulgence, 
ni  par  conséquent  le  jubilé  ,  anéantisse  la  péni- 
tence ,  ainsi  que  les  hérétiques  nous  l'ont  reproché  : 
car,  bien  loin  d'anéantir  la  pénitence,  le  jubilé  la 
suppose  comme  la  première  et  la  plus  essentielle 
de  toutes  les  conditions;  et  l'on  ne  peut  dire  non 
plus  que  le  jubilé  soit  un  relâchement  de  la  péni- 
tence ,  puisque  c'est  au  contraire  le  plus  engageant 
et  le  plus  pressant  de  tous  les  motifs  dont  se  sert 
l'Eglise  pour  exciter  les  pécheurs  à  faire  de  dignes 
fruits  de  pénitence;  et  certes,  à  quiconque  raison- 
nera juste  dans  les  principes  de  la  doctrine  catho- 
lique, le  jubilé  bien  entendu  et  l'indulgence   bien 
conçue,  ne  peut  inspirer  que  l'esprit  de  pénitence  : 
car  qu'y  a-t-il  de  plus  propre  à  me  faire  prendre 
les  voies  de  la  pénitence,  et  de  la  parfaite  péni- 
tence, que  d'envisager  ce  que  l'Eglise  me  propose, 
et  ce  que  Dieu  me  promet ,  si  je  suis  assez  heureux 
pour  y  entrer ,  savoir ,  l'entière  rémission  des  pein?s 


DU    JUBILÉ.  463 

dues  à  mes  péchés,  si  je  les  déteste ,  si  j'en  détache 
mon  cœur,  en  un  mot,  si  ma  pénitence  a  toutes 
les  qualités  qu'elle  doit  avoir,  pour  me  remettre  en 
grâce  avec  mon  Dieu?  Persuadé  qu'une  telle  péni- 
tence est  le  seul  moyen  pour  obtenir  cette  rémis- 
sion ,  quels  efforts  ne  fais-je  pas  et  quelles  victoires 
ne  suis-je  pas  déterminé  à  remporter  sur  moi- 
même  ,  pour  surmonter  toutes  les  difficultés  qui 
pourroient  s'opposer  à  ma  conversion?  On  dit: 
J'en  serai  quitte  pour  peu  de  chose,  et  il  ne  m'en 
coûtera  que  de  faire  ce  qui  est  prescrit  par  la  bulle  . 
ainsi  parle  une  ame  peu  éclairée ,  qui  ne  connoît 
pas  la  grâce  de  Dieu;  ainsi  pense  une  ame  mon- 
daine ,  qui  cherche  à  se  consoler  dans  le  désordre 
de  sa  vie  tiède  et  lâche ,  qu'elle  veut  toujours  sou- 
tenir. L'une  et  l'autre  se  fait  de  l'indulgence  un 
prétexte  à  son  impénitence  ;  mais  d'où  vient  l'impé- 
nitence  del'une  et  de  l'autre?  est-ce  du  jubilé  même? 
non  sans  doute;  mais  des  fausses  conséquences 
qu'elles  tirent  l'une  et  l'autre,  de  l'indulgence  et  du 
jubilé. 

En  suivant  les  maximes  catholiques ,  je  n'ai  garde 
de  tomber  en  de  pareilles  erreurs  :  car ,  m'attachant 
à  ces  paroles  qui  en  sont  le  solide  préservatif: 
Verè  penitentibus  et  contritis ,  je  veux  dire  à 
la  nécessité  d'être  vraiment  contrit  et  pénitent,  bien 
loin  de  croire  que  j'en  serai  quitte  pour  peu  de 
chose  ,  en  faisant  ce  qui  est  ordonné,  je  comprends 
que  le  jubilé  m'engage  à  ce  qu'il  y  a  dans  la  reli- 
gion de  plus  difficile  ,  de  plus  héroïque  et  de  plus 
grand ,  qui  est  une  vraie  conversion;  je  comprends 


464  pour  l'ouverture 

que,  pour  me  disposer  à  la  grâce  du  jubilé,  iin'y 
a  point  de  violence  que  je  ne  doive  me  faire,  point 
de  passion  que  je  ne  doive  sacrifier,  point  d'attache 
que  je  ne  doive  rompre,  point  de  commerce  dange- 
reux que  je  ne  doive  m'interdire  :  pourquoi  ?  parce 
que  tout  cela  est  de  l'essence  d'une  conversion  vé- 
ritable et  chrétienne.  En  suivant  les  maximes  ca- 
tholiques, comme  je  dois  compter  pour  rien  tout 
ce  qui  est  d'ailleurs  ordonné,  si  Ton  en  sépare  cette 
vraie  conversion  :  aussi  puis-je ,  sans  présomption  , 
me  promettre  de  la  bonté  de  Dieu  ,  que  tout  le 
reste  ,  quoique  peu  de  chose  ,  ne  laissera  pas  de  lui 
être  agréable  ,  et  de  m'aider  à  apaiser  sa  justice  , 
si  cette  vraie  conversion  en  est  le  fondement.  A 
quoi  sert  le  jubilé  ,  dit  un  chrétien  lâche  ,  si  l'on 
n'en  est  pas  moins  obligé  à  faire  pénitence?  et  moi 
je  réponds  :  Il  me  sert  à  m'acquitter  pleinement  en- 
vers Dieu  des  dettes  dont ,  malgré  toute  ma  péni- 
tence ,  je  pourrois  encore  lui  être  redevable  ;  car 
par  la  même  raison  qu'après  avoir  fait  tout  ce  qui 
m'est  commandé  ,  je  dois  toujours  me  regarder 
comme  un  serviteur  inutile;  aussi,  quelque  exacte 
et  quelque  fervente  que  puisse  être  ma  pénitence, 
je  dois  encore  me  considérer  comme  un  pécheur 
qui  est  en  reste  avec  Dieu  ;  et  c'est  alors  que  l'in- 
dulgence m'est  profitable,  c'est  alors  que  le  jubilé 
supplée  à  mon  impuissance,  et  met  le  comble  à  ma 
justification.  En  suivant  les  maximes  catholiques , 
je  ne  me  sens  point  porté  au  relâchement  de  la  pé- 
nitence :  car  ne  pouvant  jamais  être  assuré  si  ma 
pénitence  a  été  véritable ,   et  si   j'ai  participé   à 


DU    JUBILÉ.  465 

l'indulgence  du  jubilé,  parce  que  je  ne  puis  jamais 
savoir  si  je  suis  digne  d'amour  ou  de  haine,  ma  seule 
ressource,  dans  cette  affligeante  incertitude  ,est  de 
continuer  toujours  à  faire  pénitence  ,  comme  s'il 
n'y  avoit  point  eu  pour  moi  d'indulgence. 

C'est  bien  plutôt  dans  les  principes  des  héré- 
siarques et  dans  leurs  dogmes  scandaleux  ,  que  l'on 
découvre  le  relâchement  visible  ,  et  même  l'anéan- 
tissement total  de  la  pénitence  :  car  n'est-ce  pas 
la  détruire  et  l'anéantir,  que  de  la  faire  consister, 
comme  ils  ont  prétendu ,  dans  un  simple  acte  de 
foi  par  où  le  pécheur  se  croit  justifié,  et  s'assure  en 
effet  de  l'être ,  sans  en  avoir  d'autre  témoignage 
que  celui  qu'il  s'en  rend  au  fond  de  son  cœur  ? 
IN'est-ce  pas  anéantir  la  pénitence,  que  de  la  réduire 
par  là  à  l'exercice  le  plus  aisé  et  le  plus  commode , 
à  un  exercice  qui  ne  mortifie  en  rien ,  qui  n'assu- 
jettit à  rien  ,  et  qui  ne  coûte  rien  davantage  que  de 
se  consoler  dans  la  créance  bien  ou  mal  fondée 
que  nos  péchés  nous  sont  remis  ?  n'est-ce  pas  anéan- 
tir la  pénitence,  que  de  la  dépouiller,  comme  ont 
fait  les  auteurs  du  schisme  ,  de  toutes  les  œuvres 
humiliantes  ,  laborieuses  et  pénibles  ,  en  abolissant 
la  confession,  en  supprimant  toute  l'austérité  de  la 
satisfaction,  en  décriant  les  macérations  du  corps, 
en  faisant  cesser  l'obligation  du  jeûne,  en  déchar- 
geant le  pécheur  de  tout  ceîa,  en  lui  rendant  tout 
cela  odieux,  en  n'exigeant  autre  chose  de  lui,  sinon 
qu'il  croie  ,  sans  hésiter  ,  que  malgré  ses  péchés  ,  il 
est  revêtu  de  la  justice  de  Jésus-Christ ,  et  parla, 
lui  accordant  plus  qu'il  ne  pourroit,  selon  nous, 
TOME   xi.  3o 


£G6  POUR  l'ouverture 

espérer  de  l'indulgence  et  de  la  pénitence  jointes 
ensemble  ,  puisqu'indépendamment  de  l'une  et  de 
l'autre  ,  on  l'assure  qu'il  ne  doit  plus  rien  à  la  jus- 
tice de  Dieu?  Mais  surtout  n'est-ce  pas  anéantir  la 
pénitence  ,  et  renverser  toutes  les  idées  que  l'Ecri- 
ture nous  en  donne,  de  dire,  comme  les  hérésiarques, 
que  quand  le  pécheur  est  une  fois  justifié  ,  il  ne 
peut  plus  perdre  la  grâce  ;  que  quelque  crime  en- 
suite qu'il  commette ,  ses  crimes  ne  lui  sont  plus 
imputés  ?  La  rémission  des  peines  ,  que  Dieu  ac- 
corde par  l'indulgence  à  un  pécheur  contrit  et  hu- 
milié ,  a-t-elle  rien  qui  approche  de  ce  relâchement, 
et  fut-il  jamais  une  indulgence,  si  je  puis  ainsi  par- 
ler, plus  monstrueuse  que  celle-là,  et  plus  chimé- 
rique ? 

Cependant,  pour  recevoir  l'indulgence  du  jubilé, 
suffit-il  d'être  en  état  de  grâce  ?  non,  chrétiens  ;  mais 
je  dis  qu'il  faut  encore  accomplir  les  œuvres  ordon- 
nées par  la  bulle  ;  les  accomplir  réellement  :  l'in- 
tention et  la  volonté ,  quoique  sincère  ,  ne  suffiroit 
pas  ;•  les  accomplir  toutes  ,  une  seule  omise  ,  c'est 
assez  pour  nous  priver  de  tout  droit  à  l'indulgence  ; 
les  accomplir  au  temps  marqué  ,  afin  que  ,  jointes 
ensemble  ,  elles  en  aient  plus  de  force  et  plus  de 
vertu  ;  les  accomplir  en  esprit  de  pénitence ,  puis- 
que ,  par  une  espèce  de  compensation  ,  elles  nous 
doivent  tenir  lieu  d'une  plus  ample  et  plus  sévère 
pénitence. 

Mais  quelles  sont  ces  œuvres  ?  souffrez  ,  mes 
frères,  que,  pour  votre  instruction  ,  j'en  fasse  ici  un 
détail  abrégé  :  elles  se  réduisent  à  six. 


DU    JUBILÉ.  467 

En  premier  lieu  ,  commencer  les  œuvres  pres- 
crites par  la  confession ,  afin  que  tout  le  reste  étant 
fait  en  état  de  grâce,  en  soit  plus  méritoire  ,  plus 
satisfactoire  ,  plus  saint ,  plus  digne  de  Dieu  ;  et 
faire  cette  confession  avec  le  même  soin ,  la  même 
ferveur,  que  si  c'étoit  la  dernière  de  la  vie,  puisque 
l'effet  du  jubilé  doit  être  de  nous  mettre  en  état 
d'aller  jouir  sans  délai  de  la  possession  de  Dieu  ,  si 
la  mort  tout  à  coup  nous  enlevoit. 

En  second  lieu,  faire  des  aumônes,  pour  répandre 
sur  les  membres  vivans  de  Jésus-Christ  les  tributs 
que  la  pénitence  impose  à  la  charité.  La  bulle  ne 
détermine  point  la  quantité  de  ces  aumônes,  parce 
qu'elle  suppose  que  vous  les  ferez  chacun  à  pro- 
portion de  votre  pouvoir  ;  mais  encore  plus  chacun 
à  proportion  du  nombre  de  vos  péchés  dont  vous 
attendez  la  rémission.  Car,  selon  la  parole  du  Sau- 
veur ,  celui  à  qui  on  remet  plus ,  doit  plus  aimer , 
et  par  conséquent  plus  donner. 

En  troisième  lieu  ,  jeûner  si  la  bulle  l'ordonne; 
et  quand  elle  ne  l'ordonneroit  pas  ,  jeûner  pour  être 
plus  en  disposition  de  fléchir  Dieu.  Qui  sait,  dit  le 
Prophète ,  exhortant  le  peuple  de  Dieu  à  l'abstinence 
et  au  jeûne ,  qui  sait  si  le  Seigneur  ne  se  tournera 
pas  vers  vous,  et  si  ,  touché  de  vos  jeûnts  ,  il  ne 
vous  pardonnera  pas  ? 

En  quatrième  lieu  ,  visiter  les  Eglises  assignées , 
pour  honorer  les  martyrs  dont  les  reliques  y  sont 
en  dépôt.  Ces  glorieux  martyrs  ont  satisfait  à  Dieu, 
et  le  surplus  de  leurs  satisfactions  ,  qui  ne  leur  a 
pas  été  nécessaire  pour  eux-mêmes  ,  fait  encore 


468  POUR  l'ouverture 

une  partie  du  trésor  qui  nous  est  appliqué  par  lé 

jubilé. 

En  cinquième  lieu,  prier  avec  toute  l'Eglise,  et 
conformément  aux  intentions  du  vicaire  de  Jésus- 
Christ.  L'union  des  fidèles  avec  leur  chef ,  est  un 
des  plus  eiheaces  et  des  plus  excellens  moyens  pour 
obtenir  de  Dieu  miséricorde. 

Enfin,  conclure  par  la  communion,  en  vertu  de 
laquelle  Jésus-Christ  lui-même  vient  dans  nous , 
demeure  eu  nous,  demande  grâce  pour  nous.  Quel 
sujet  n'avons-nous  pas  de  l'espérer,  aidés  d'un  si 
puissant  intercesseur? 

Ah  !  chrétiens ,  admirons  la  bonté  de  notre  Dieu , 
qui  veut  bien  ,  à  de  telles  conditions  ,  se  relâcher 
de  tous  ses  droits  ;  et  reconnoissons  qu'il  n'appar- 
tient qu'au  Père  des  miséricordes  d'en  user  de  la 
sorte  envers  des  criminels  qu'il  pourroit  abandonner 
à  toute  la  rigueur  de  sa  justice.  Non  ,  il  n'appartient 
qu'à  lui  :  les  hommes  ,  pour  de  légères  offenses  , 
exigent  les  plus  rigoureuses  et  les  plus  longues 
satisfactions  ;  et  le  monde  même  y  est  tellement 
accoutumé,  qu'on  ne  s'en  étonne  point,  qu'on  se 
soumet  sans  hésiter  à  toutes  les  réparations  que 
peut  demander  un  maître  dont  on  a  encouru  la 
disgrâce ,  qu'on  s'estime  encore  heureux  de  s'insi- 
nuer tout  de  nouveau,  de  se  rapprocher  et  de  rentrer 
en  faveur  auprès  de  lui.  Combien  y  a-t-il  pour  cela 
de  temps  à  attendre  ?  combien  y  a-t-il  d'intrigues 
à  former  ,  et  d'intercesseurs  à  employer  ?  et  toute- 
fois ,  de  quoi  souvent  s'agit  il  ,  et  quelle  est  cette 
faute  qui  coûte   tant  de  repentirs  et  de   peines  ? 


DU    JUBILÉ.  469 

peut-être  une  parole  indiscrète  et  peu  respectueuse , 
peut-être  un  service  mal  rendu  et  une  négligence. 
Voilà,  pécheurs,  par  une  utile  comparaison,  ce  qui 
vous  doit  faire  goûter   votre  bonheur,  d'avoir  à 
traiter  maintenant  avec  un  Dieu   qui  vous  remet 
tout ,  et  qui  demande  si  peu  pour  une  abolition  si 
parfaite.  Tel  m'écoute,  qui  ,  depuis  des  dix  et  des 
vingt  années,  a  vécu  dans  le  crime;  c'est  un  libertin 
qui,  par  état  et  par  profession  ,  s'est  porté  à  toutes 
les  impiétés  ;  c'est  un  voluptueux  cpii,  dominé  par 
la  plus  honteuse  passion  ,  a  vieilli  dans  la  débauche  : 
quel  comble   de  dettes  ,  et  que  fera-t-il  pour  les 
acquitter?  A  tout  autre  tribunal  que  celui  de  Dieu  , 
il  n'y  auroit  plus  d'espérance ,  plus  de  retour  ,  plus 
de  rémission  ;  mais  au  tribunal  de  la  divine  miséri- 
corde, il  peut,  s'il  le  veut,  se  décharger  du  fardeau 
et  de  tout  le  fardeau  qui  l'accable.  Oui  ,  mon  cher 
auditeur,  eussiez-vous  été  jusqu'à  présent  l'homme 
le  plus  abandonné  à  vos  passions,  et  le  nombre  de 
vos  péchés ,  pour  me  servir  de  cette  figure  du  Pro- 
phète ,  passât-il  le  nombre  des  cheveux  de  votre 
tête  ,  ou  celui  des  grains  de  sable  qu'étale  la  mer 
sur  ses  rivages,  il  ne   s'agit  maintenant  ,  pour  en 
être  quitte  devant  Dieu  ,  et  vraiment  quitte  ,  et  plei- 
nement quitte  ,  et  irrévocablement  quitte  ,  il  n'est , 
dis-je  ,  question  ,  supposé  le   repentir  sincère  de 
votre  cœur ,   que  de  quelques  jours  consacrés  au 
jeûne  ,  que  de  quelques  heures    employées   à  la 
prière,  que  de  quelques  oeuvres  de  la  charité  et  de 
la  piété  chrétienne.  Êtes-vous  assez  ennemi  de  vous- 
même  pour  perdre  volontairement  la  plus  grande 


470  POUR  l'ouverture 

de  toutes  les  grâces  ,  lorsqu'elle  vous  est  si  libéra- 
lement accordée  ,  lorsqu'elle  vous  est  plutôt  donnée 
que  vendue  ,    lorsque   vous  avez  tant   à  craindre 
qu'elle  ne  vous  soit  enlevée  pour  jamais  ,  et  que 
n'ayant  pas  été  pour  vous ,  par  votre  endurcisse- 
ment ,  une  grâce  de  rémission  ,  elle  ne  devienne 
contre  vous  un  titre  de  condamnation?  êtes-vous, 
ou  assez  peu  instruit,  ou  assez  peu  touché  du  mai- 
heur  d'un  homme  livré  à  la  justice  divine  et  à  ses 
redoutables  châtimens  ,  pour  ne  travailler  pas  à  les 
prévenir  et  à  vous  en  préserver  ?  Mais  saint  Paul, 
saisi  lui-même  de  frayeur  ,  tout  apôtre  qu'il  étoit, 
ne  vous  dit-il  pas  que  c'est  une  chose  terrible  que 
de  tomber  dans  les  mains  du  Dieu  vivant?  Horreii- 
dum  est  incidere  in  manus  Dei  vivenlis  (i). 
Achevons,  et  pour  dernière  instruction,  voyons  ce 
que  doit  opérer  dans  nous  l'indulgence  du  jubilé , 
et  quels  fruits  nous  en  devons  retirer  :  c'est  la  troi- 
sième partie. 

TROISIÈME    TARTIE. 

Vous  me  demandez,  chrétiens,  ce  que  doit  pro- 
duire en  nous  la  grâce  du  jubilé  :  il  est  aisé  de 
vous  répondre.  Car  je  dis  que  dans  le  dessein  de 
Dieu  et  de  l'Eglise  ,  la  fin  du  jubilé  est  le  renou- 
vellement intérieur  de  nos  personnes  ;  celui  que 
saint  Paul  recommandoit  si  souvent  aux  fidèles  , 
quand  il  leur  disoit  :  Renovamini  spiritu  mentis 
vestrce  (2)  ;  Renouvelez-vous  en  esprit  et  dans 
l'intérieur  de  vos  âmes  :  celui  que  chacun  de  nous 

(1)  Hebr.  10.  —  (2)  Ephes.  4« 


DU   JUBILÉ.  47  t 

doit  éprouver  et  sentir  dans  soi-même  ;  en  sorte 
que  par  le  jubilé  nous  devenions  en  Jésus-Christ 
de  nouvelles  créatures  ,  des  hommes  intérieurement 
sanctifiés  ;  et  que  nous  puissions  nous  écrier  comme 
David:  Dioci  :  Nanc  cœpi  (i);  C'est  maintenant 
que  je  commence  à  connoître  et  à  servir  Dieu. 
Tout  le  reste  de  ma  vie  s'est  passé  dans  l'oisiveté, 
dans  la  dissipation  ,  dans  le  désordre  ,  dans  l'oubli 
de  mes  devoirs  ,  dans  le  dérèglement  de  mes  pas- 
sions :  c'est  maintenant  que  je  veux  commencer  à 
vivre  en  chrétien  :  Dixi  :  Nu  ne  cœpi. 

Renouvellement  qui  ne  doit  consister,  ni  en  de 
vains  projets ,  ni  en  des  idées  vagues  et  générales  ; 
mais  qui  doit  paroi tre  dans  la  réforme  de  nos  ac- 
tions,  de  nos  conversations,  de  nos  occupations, 
de  nos  dévotions  ;  dans  un  plus  grand  attachement 
à  nos  obligations ,  dans  une  plus  fervente  applica- 
tion à  tout  ce  qui  regarde  le  service  et  le  culte  de 
Dieu  ,  dans  une  plus  exacte  préparation  aux  sacre- 
mens,  dans  une  plus  vive  et  plus  respectueuse  atten- 
tion à  la  prière,  dans  une  conduite  plus  charitable 
envers  le  prochain ,  dans  une  plus  exacte  vigilance 
sur  nous-mêmes  ;  tellement  qu'en  tout  cela  l'on 
aperçoive  le  changement  exemplaire  et  visible  qui 
s'est  fait  en  nous,  et  qu'à  notre  égard  la  parole  de 
l'Apôtre  se  vérifie:  Vetera  transierunt,  eccefacta 
sunt  omnia  nova  (2)  ;  Ce  qui  restoit  de  vieux  et 
de  corrompu  est  passé  ,  tout  est  devenu  nouveau. 
Voilà, dis-je ,  quel  doit  être  le  fruit  du  jubilé;  voilà 
pourquoi  il  est  institué.  Car  de  prétendre  avoir  eu 

(1,  Psalra,  76.  —  (2)  2.  Cor.  5. 


472  tour  l'ouverture 

part  à  cette  grâce,  de  se  flatter  d'avoir  gagné  cette 
indulgence,  et  se  trouver  toujours  le  même  homme, 
c'est-à-dire  ,  toujours  rempli  des  mêmes  imperfec- 
tions, sujet  aux  mêmes  foiblesses ,  engagé  dans  les 
mêmes  vices ,  aussi  esclave  de  ses  sens ,  aussi  dominé 
par  son  humeur  ,  aussi  déréglé  et  aussi  dissipé  , 
aussi  lâche  et  aussi  mondain  ,  abus ,  mes  chers  audi- 
teurs ,  et  illusion.  Si  cela  étoit ,  que  seroit-ce  que 
le  jubilé,  si  vénérable  néanmoins  et  si  saint?  une 
pure  cérémonie,  et  rien  davantage.  Et  qu'est-ce ,  en 
effet,  autre  chose  pour  tant  de  chrétiens?  l'exemple 
qu'ils  doivent  à  une  famille  qui  les  observe,  à  toute 
une  maison  qui  a  les  yeux  sur  eux  ,  au  public  dont 
ils  craignent  la  censure  ;  certaines  considérations 
tout  humaines,  et  si  vous  voulez  même  ,  je  ne  sais 
quel  reste  de  religion  ;  tout  cela  les  engage  à  suivre 
la  multitude ,  et  à  faire  ce  que  font  les  autres.  Ils 
pratiquent  le  jeûne,  ils  visitent  les  autels,  ils  récitent 
des  prières  ,  ils  donnent  l'aumône  ,  ils  approchent 
du  tribunal  de  la  pénitence  ,  ils  paroissent  à  la  table 
de  Jésus-Christ,  ils  ne  manquent  à  rien  de  tout  ce 
que  nous  pouvons  appeler  l'extérieur  et  comme 
l'appareil  du  jubilé.  Mais  dehors  spécieux  et  belles 
apparences  ,  dont  la  suite  fera  bientôt  connoître  le 
déguisement  et  l'erreur  :  car  après  ces  saints  jours 
on  les  verra  tels  qu'ils  étoient  :  on  verra  cette  femme 
ne  rien  retrancher  de  ses  parures  et  de  ses  ajuste— 
mens ,  de  son  luxe  et  de  ses  dépenses  ;  on  verra 
cet  homme  toujours  dans  les  mêmes  jeux,  les  mêmes 
compagnies ,  les  mêmes  spectacles  ;  ce  père  n'en 
sera  pas  plus  attentif  à  l'éducation  de  ses  enfans; 


DU    JUBILÉ.  473 

cette  mère  n'en  sera  pas  plus  appliquée  à  établir 
l'ordre  dans  son  domestique;  ce  magistrat  n'en  sera 
pas  plus  assidu  aux  fonctions  de  sa  charge  ;  ce  mé- 
disant n'en  parlera  pas  avec  moins  de  liberté  ;  cet 
ambitieux  n'en  formera  pas  moins  de  projets  pour 
l'avancement  de  sa  fortune  ;  ce  riche  n'en  aura 
pas  moins  d'ardeur  pour  entasser  biens  sur  biens  ; 
enfin,  nul  changement,  nulle  réformation  de  mœurs; 
et  alors  le  mystère  se  découvrira  :  je  veux  dire 
qu'alors  il  ne  sera  pas  difficile  de  connoître  s'ils  ont 
reçu  la  grâce  du  jubilé  ;  ou  plutôt  qu'il  sera  aisé 
de  conclure  absolument  que  c'a  été  une  grâce  perdue 
pour  eux.  Et  en  effet ,  j'examine  la  chose  dans  son 
fond  ,  et  je  remonte  au  principe  :  avoir  gagné  l'in- 
dulgence du  jubilé,  c'est  de  bonne  foi  s'être  récon- 
cilié avec  Dieu;  pour  s'être  de  bonne  foi  réconcilié 
avec  Dieu  ,  il  faut  de  bonne  foi  être  retourné  à 
Dieu  ;  et  pour  y  être  retourné  delà  sorte,  avoir  de 
bonne  foi  détesté  le  péché ,  de  bonne  foi  renoncé 
au  péché ,  de  bonne  foi  résolu  et  promis  de  se  pré- 
server du  péché,  et  de  prendre  une  conduite  toute 
opposée  à  ses  premiers  égaremens.  Or  peut-on 
croire  avec  quelque  vraisemblance,  qu'une  telle  con- 
version ,  que  de  telles  résolutions  et  de  telles  pro- 
messes se  fussent  sitôt  démenties,  si  elles  avoient 
été  sincères?  Je  vous  le  donne  à  juger,  chrétiens; 
et  quoi  que  vous  en  puissiez  penser ,  je  m'en  tiens 
toujours  à  ma  proposition  ,  qu'un  des  principaux 
effets  de  cette  indulgence  que  je  vous  prêche, doit 
être  le  renouvellement  de  votre  vie  :  Ecce  facta 
sunt  omnia  nova. 


4y4  pour  l'ouverture 

Mais,  dites- vous  ,  sans  attendre  le  jubile',  si  nous 
sommes  fidèles  à  la  grâce ,  tous  les  temps  ne  sont-ils 
pas  bons  pour  travailler  à  ce  renouvellement  de 
nous-mêmes  ,  et  ne  doivent-ils  pas  être  pour  nous 
des  temps  de  conversion?  Je  l'avoue,  mes  chers  au- 
diteurs ,  ils  le  doivent  être  ;  et  par  cette  raison  ils 
le  sont  tous,  quant  à  l'obligation ,  puisqu'il  n'y  en 
a  aucun ,  où  Dieu  ,  si  nous  sommes  dans  le  désordre, 
ne  nous  commande  d'en  sortir  et  de  nous  conver- 
tir ;  mais  ils  ne  le  sont  pas  tous  ,  ou  du  moins  ils 
ne  le  sont  pas  également  quant  à  la  disposition  de 
nos  cœurs  ;  ni  même  du  côté  de  Dieu ,  quant  à  la 
préparation  des  grâces  auxquelles  notre  conversion 
est  attachée.  Car  il  est  de  la  foi  qu'il  y  a  des  temps 
dans  la  vie  plus  propres  que  les  autres  et  plus  favo- 
rables pour  le  salut  ;  des  temps  où  il  est  plus  pos- 
sible et  plus  facile  de  trouver  Dieu  :  Quœrite  Do- 
minam  dum  inveniri  potest  (i)  ;  des  temps  où  il 
est  plus  utile  et  plus  nécessaire  de  l'invoquer,  parce 
qu'il  est  plus  proche  de  nous  :  J avocate  eum  dàm 
pro>è  est  (2)  ;  des  temps  choisis  par  la  Provi- 
dence ,  pour  opérer  dans  nous  ce  changement  de 
la  main  du  Très- haut  ,dont  David  se  rendoit  à  lui- 
même  le  témoignage  ,  quand  il  disoit  avec  une 
humble  confiance  et  avec  action  de  grâces  :  Dixl: 
Nunc  cœjn  ;  hœc  mutatio  deocterœ  excelsi  (.'■). 

Or  un  de  ces  temps  choisis  spécialement  de  Dieu, 
un  de  ces  temps  favorables ,  un  de  ces  temps  de 
salut  et  de  conversion  ,  c'est  le  jubilé  ;  et  je  puis 
bien  1  ii  appliquer  ce  que  saint  Paul  disoit  aux  Co- 

(1)  Psal.  55.  —  (2)  Ibid,  —  (5)  Psalm.  76. 


DU    JUBILÉ,  47^ 

rinthiens  :  Ecce  nunc  tempus  acceptabile  ;  ecce 
nunc  dies  salutis  (i)  ;  Temps  de  crise,  si  j'ose 
ainsi  m'exprimer  ,  temps  de  crise  et  pour  les  pé- 
cheurs ,  et  pour  les  justes  :  pour  les  pécheurs ,  parce 
que  la  grâce  dont  Dieu  les  prévient ,  fait  en  eux  les 
derniers  efforts  pour  les  tirer  du  dangereux  état  où 
le  péché  les  a  réduits  ;  pour  les  justes  ,  puisqu'ils 
ont  besoin  de  ce  secours  extraordinaire  ,  pour  sortir 
de  l'état  de  tiédeur  dont  ils  auraient  à  craindre  sans 
cela  les  suites  funestes  :  Ecce  nunc  tempus  accep- 
tabile ;  ecce  nunc  dies  salutis. 

Aussi,  chrétiens,  le  jubilé  est-il  l'engagement  le 
plus  naturel  à  ce  renouvellement  de  vie  ,  le  moyen 
ie  plus  efficace  de  ce  renouvellement  de  vie ,  l'oc- 
casion la  plus  avantageuse  pour  ce  renouvellement 
de  vie  :  prenez  garde  à  ces  trois  pensées.  L'enga- 
gementle  plus  naturel  à  ce  renouvellement  de  vie  : 
car  comment  puis-je,  sans  cela,  reconnoître  le  don 
de  Dieu ,  et  comment  puis-je  l'honorer  dans  ma 
personne ,  si  je  ne  suis  intérieurement  et  parfaite- 
ment renouvelé  selon  Dieu  ?  Dieu ,  en  m'accordant 
la  grâce  du  jubilé  ,  me  remet  en  quelque  façon  tous 
les  intérêts  de  sa  justice  ,  et  répand  sur  mûi ,  sans 
réserve,  tous  les  trésors  de  sa  miséricorde  :  n'est-il 
pas  juste  que  je  réponde  à  ce  bienfait  inestimable 
par  un  redoublement  de  zèle ,  et  qu'en  reconnois- 
sance  de  ce  que  Dieu  a  fait  pour  moi ,  après  m'être 
reproché  d'avoir  fait  jusqu'à  maintenant  si  peu  pour 
lui ,  je  commence  à  le  servir  avec  un  cœur  nouveau 
et  comme  un  homme  nouveau  ?  Le  moyen  le  plus 

(1)  i.  Cor.  6. 


476  POUR  l'ouverture 

efficace  de  ce  renouvellement  de  vie  :  pourquoi  ? 
c'est  que  le  jubilé,  par  la  plénitude  des  grâces  qu'il 
renferme  ,  en  ôte  le  principal  et  l'unique  obstacle. 
Ce  qui  nous  empêche  de  nous  élever  à  Dieu  et  de 
marcher  dans  la  pratique  de  cette  vie  nouvelle  dont 
parle  saint  Paul ,  c'est  le  poids  du  péché  qui  nous 
accable  :  or  nous  en  sommes  pleinement  déchargés 
par  le  jubilé;  c'est  donc  alors  que  nous  avons  droit 
de  dire  :  Déponentes  omne  pondus  et  circumstans 
nos  peccatum  ,  curramus  ad  propositum  nobis 
cerlamen  (1).  Dégagés  de  tout  ce  qui  nous  appe- 
santissoit ,  et  absolument  délivrés  des  liens  du  pé- 
ché, qui  nous  serroient  si  étroitement,  courons  avec 
joie  dans  la  carrière  du  salut  qui  nous  est  ouverte» 
L'occasion  la  plus  avantageuse  pour  ce  renouvelle- 
ment de  vie  :  et  en  effet ,  si  dans  le  dessein  que  nous 
avons  de  retourner  à  Dieu ,  nous  étions  encore  re- 
tenus par  les  considérations  du  monde  ;  si  par  un 
respect  humain  ,  nous  avions  encore  de  la  peine  à 
nous  déclarer ,  non-seulement  le  jubilé  nous  y  in- 
vite, mais  il  nous  en  facilite  l'exécution.  A  combien 
de  pécheurs  et  de  pécheresses,  à  combien  de  mon- 
dains et  de  mondaines  ce  saint  temps  n'a-t-il  pas 
été,  pour  user  de  ce  terme,  l'époque  de  leur  con- 
version ,  jusqu'à  leur  avoir  attiré  l'estime  et  les 
éloges  du  monde  même  ? 

Ne  différons  donc  pas  davantage  une  affaire  aussi 
importante  que  celle  du  parfait  renouvellement  et 
du  changement  intérieur  de  nos  âmes  ,  à  quoi  nous 

(1)  Hebr.  13. 


DU    JUBILÉ.  477 

devons  rapporter  la  grûce  du  jubilé.  Pour  ne  pas 
recevoir  cette  grâce  en  vain ,  faisons  voir  par  nos 
oeuvres  quelle  est  sa  vertu  ,  et  justifions-la  par  les 
salutaires  effets  dont  elle  va  être  suivie.  Voici  peut- 
être  le  dernier  temps,  dont  nous  serons  en  état  et 
en  pouvoir  de  profiter:  écoutons  Dieu,  et  n'endur- 
cissons pas  nos  cœurs  ;  peut-être  sa  patience  qui 
a  des  bornes,  se  lassera- t-elle  enfin  de  nous  sup- 
porter ;  peut-être  sommes-nous  à  la  veille  de  tomber 
entre  les  mains  de  sa  justice  ;  peut-être  la  coignée 
est-elle  déjà  à  la  racine  de  l'arbre  ;  hâtons-nous 
d'accomplir  le  dessein  de  Dieu  ,  qui  ne  peut-être 
que  notre  sanctification.  Àh  !  qu'il  ne  nous  arrive 
pas  ,  comme  à  l'infortunée  Jérusalem  ,  d'ajouter  à 
nos  autres  désordres  celui  de  ne  pas  connoître  le 
temps  où  Dieu  nous  visite ,  et  par  là  de  mettre  le 
comble  à  notre  réprobation.  Dieu  nous  visite  par 
ses  châtimens  dans  les  temps  de  calamité  et  de  mi- 
sère ,  et  il  nous  visite  par  ses  consolations  dans  le 
temps  du  jubilé.  Malheur  à  nous  ,  si  nous  ne  con- 
noissons  pas  un  si  saint  temps;  et  encore  plus  mal- 
heureux ,  si  le  connoissant,  nous  ne  nous  en  ser- 
vons pas.  Car  voilà  ce  qui  acheva  la  ruine  de  cette 
ville  criminelle  ,   lorsque  Jésus-Christ  lui  dit  ,  en 
pleurant  :  Eo  qnod  non  cognoueris  tempu?  visi- 
tationis  tuœ  (i).  Il  n'attribua  pas   sa  destruction 
future  à  tous  les  autres  crimes  qu'elle  avoit  commis, 
ni  même  à  celui  qu'elle  alloit  commettre  en  le  cru- 
cifiant ;  mais  à  celui  dont  elle  s'étoit  rendue  cou-  x 
pable,  en  ne  discernant  pas  le  temps  où  Dieu  l'avoit 
(1)  Luc.  ig. 


4"?  8  pour  l'ouverture  du  jubilé. 
recherchée  et  appelée.  Détournez  de  nous ,  Sei- 
gneur, une  malédiction  si  terrible;  éclairez-nous, 
touchez-nous ,  aidez-nous  vous-même  à  faire  un 
saint  usage  d'un  temps  si  précieux  ;  préparez-y 
nos  cœurs  par  votre  grâce  ,  et  que  ce  jubilé  soit 
vraiment  pour  nous  le  temps  du  salut  ,  où  nous 
conduise  ,  etc. 


TABLE  DES  SERMONS, 

AVEC  L'ABRÉGÉ  DE  CHAQUE  SERMON. 


Nota.  Le  premier  chiffre  marque  la  page   où  commence  l'article 
que  l'on  abrège  ,  et  le  second,  la  page  où  ce  même  article  finit. 


Sermon  sur  la  Conception  de  la  Vierge ,  pag.  i. 

Sujet.  Jacob  fut  père  de  Joseph  ,  l'époux  de  Marie  , 
de  laquelle  est  né  Jésus ,  qu'on  appelle  Christ.  Voilà  le 
plus  bel  éloge  de  Marie  j  voilà  ce  qui  rend  sa  conception  , 
non-seulement  si  glorieuse  ,  mais  si  sainte.  L'Eglise  pré- 
tend honorer  aujourd'hui  la  grâce  qui  la  sanctifia  dès  le 
moment  qu'elle  fut  conçue,  et  c'est  de  laque  nous  devons 
tirer  de  solides  instructions  pour  nous.  P.  i — 5. 

Division.  Marie  ,  par  le  privilège  de  sa  conception  , 
pleinement  victorienne  du  péché,  nous  fait  connoître  par 
une  règle  toute  contraire  l'état  malheureux  où  nous  a 
réduits  le  péché  :  i."  partie.  Marie  sanctifiée  par  la  grâce 
de  sa  conception  ,  nous  fait  connoître  l'heureux  état  où 
nous  sommes  élevés  par  la  grâce  de  notre  baptême  : 
2.e  partie.  Marie  fidèle  à  la  grâce  de  sa  conception  ,  nous 
fait  connoître  par  son  exemple  ,  l'obligation  indispensa- 
ble que  nous  avons  de  ménager  et  de  conserver  la  grâce 
en  vertu  de  laquelle  nous  sommes  tout  ce  que  nous 
sommes  :  3.c  partie.  P.  5 — 5. 

I.re  Partie.  Marie  ,  par  le  privilège  de  sa  conception  , 
pleinement  victorieuse  du  péché  ,  nous  fait  connoître 
par  une  règle  toute  contraire  ,  l'état  malheureux  où 
nous  a  réduits  le  péché.  Tous  les  autres  avantages  que 
pouvoit  avoir  Marie  dans  sa  conception  ,  n'eussent  rien 
été  aux  yeux  de  Dieu  sans  la  grâce,  et  Dieu  à  ce  moment 
ne  la  considéra  ,  ni  ne  l'estima  que  parce  qu'elle  lui  pa- 
rut dès-lors  revêtue  de  la  grâce.   De  là  comprenons , 


48o  TABLE  ET  ABRÉGÉ 

i.  quel  est  le  fond  de  notre  misère  ,  d'avoir  été  conçus 
hors  de  la  grâce;  2.  quels  en  sont  les  effets  ,  puisque  par 
là  nous  nous  trouvons  malheureusement  sujets  à  tous 
les  de'sordres  que  traîne  après  soi  le  pe'che'  d'origine. 
P.  5— 10. 

Ce  n'est  pas  assez  :  mais  1.  le  comble  de  notre  misère  , 
c'est  que,  toute  humiliante  qu'elle  est, elle  ne  nous  hu- 
milie pas  ;  2.  l'excès  de  notre  misère  ,  c'est  que  ,  toute 
déplorable  qu'elle  est,  nous  ne  la  déplorons  pas  ;  3.  le 
prodige  de  notre  misère  ,  c'est  qu'au  lieu  de  la  déplorer  , 
nous  nous  aveuglons  tous   les  jours  jusques  à  nous  ea 
féliciter  et  à  nous  en  glorifier  ;  4-  l'abus  de  notre  misère  , 
c'est  que  nous  en  tirons  même  avantage,  jusques  à  nous 
en  servir  comme  d'une  excuse  dans  nos  péchés  ,  et  jus- 
qu'à nous  en  prévaloir  contre  Dieu  ;  5.  la  malignité  de 
notre  misère  ,  c'est  que  le  péché  où  nous  avons  été  con- 
çus ,  infecte  dans  nous  tout  ce  qui  vient  de  Dieu  et  tout 
ce  que  nous  avons  reçu  de  Dieu  ;  6.  l'abomination  de 
notre  misère, c'est  que,  non  contens  d'être  enfans  de  co- 
lère par  nature,  nous  le   sommes  et  nous   voulons  bien 
l'être  par  notre  choix  ;  7.   l'abomination    de  désolation 
dans  notre  misère, c'est  qu'outre  le  pécbé  de  nos  premiers 
parens,  qui  est  retombé  sur  nous,  nous  suscitons  encore 
tous  les  jours  dans  le  christianisme  de  nouveaux  péchés 
originels,  pires  que  celui-là,  et  d'une  conséquence  pour 
nous  plus  pernicieuse.  P.  10 — 20. 

II.e  Partie.  Marie  sanctifiée  par  la  grâce  de  sa  concep- 
tion ,  nous  fait  connoître  l'heureux  état  où  nous  sommes 
élevés  par  la  grâce  de  notre  baptême.  Cette  grâce  que 
reçut  Marie  dans  sa  conception  ,  1.  sanctifia  sa  personne  ; 
2.  releva  le  mérite  de  toutes  les  actions  de  sa  vie.  Grâce 
qui  sanctifia  la  personne  de  Marie  ,  et  qui  par  là  même 
la  disposa  à  être  la  mère  de  Dieu  ,  en  la  rendant  digne 
de  Dieu  ;  grâce  qui  releva  le  mérite  de  toutes  les  actions 
de  Mario  ,  puisque  la  mère  de  Dieu,  dans  tout  le  cours  de 
sa  vie  ,  n'a  pas  fait  une  seule  action  qui  n'ait  tiré  son 
prix  et  sa  valeur  de  cette  première  grâce.  P.  20 — 25. 


DES    SERMONS.  48 1 

Âinsî ,  par  proportion  ,  la  grâce  de  notre  baptême  i. 
sanctifie  nos  personnes  j  2.  répand  sur  nos  actions  un 
mérite  qui  les  rend  dignes  de  la  vie  éternelle  qne  nous 
devons  posséder  en  Dieu.  Elle  sanctifie  nos  personnes  , 
en  nous  élevant  jusqu'à  la  dignité  d'enfans  de  Dieu.  Quel 
avantage  !  voilà  le  titre  qui  fait  notre  véritable  grandeur. 
Elle  répand  sur  nos  actions  un  mérite  qui  les  rend  dignes 
de  la  vie  éternelle  :  car  en  vertu  de  cette  grâce  nous 
devenons  les  héritiers  de  Dieu  et  les  cohéritiers  de  Jésus- 
Christ  ;  et  toutes  nos  bonnes  œuvres ,  consacrées  par 
cette  grâce  ,  nous  donnent  un  droit  certain  à  la  gloire 
céleste.  P.  25 — 3i. 

III. e  Partir.  Marie  fidèle  à  la  grâce  de  sa  conception 
nous  fait  connoître  ,par  son  exemple,  l'obligation  indis- 
pensable que  nous  avons  de  ménager  et  de  consprver  la 
grâce  par  où  nous  sommes  tout  ce  que  nous  sommes, 
i.  Marie  ,  quoique  exempte  de  toute  foiblesse  et  confir- 
mée eu  grâce  dans  sa  conception  ,  n'a  pas  laissé  de  fuir 
le  monde  et  la  corruption  du  monde  j  2.  Marie  ,  quoique 
conçue  avec  tous  les  privilèges  de  l'innocence  ,  n'a  pas 
laissé  de  vivre  dans  l'austérité  et  dans  les  rigueurs  de  la 
pénitence  ;  5.  Marie  ,  quoique  remplie  du  Saint-Esprit 
dès  l'instant  de  son  origine  ,  n'a  pas  laissé  de  travailler  ; 
et  sans  mettre  jamais  de  bornes  à  sa  sainteté,  elle  a  tou- 
jours été  croissant  en  vertus  et  en  mérites.  P.  3i ,  32. 

1.  Marie  a  fui  le  monde  ,  quoique  le  monde  n'eût  rien 
pour  elle  de  dangereux;  et  nous  pour  qui  il  est  si  conta- 
gieux ,  nous  le  recherchons  ,  et  nous  prétendons  que 
Dieu,  pour  nous  y  soutenir  malgré  notre  foiblesse,  fasse 
des  miracles.  P.  32 — 4°- 

2.  Marie  a  vécu  dans  la  pénitence,  quoiqu'elle  eût  été 
conçue  avec  tous  les  privilèges  de  l'innocence  ;  et  nous  , 
pécheurs  ,  nous  voulons  goûter  toutes  les  douceurs  de  la 
vie.  P.  4o — 42- 

5.  Marie ,  quoique  pourvue  d'une  grâce  surabondante  9 

TOME  XI.  3i 


4.82  TABLE  ET   ABRÉGÉ 

s'est  néanmoins  toujours  appliquée  à  croître  en  yertus 
et  en  mérites  ;  et  nous  en  qui  la  grâce  laisse  toujours  un 
si  grand  vide  ,  quelque  peu  de  bien  que  nous  fassions  , 
nous  nous  en  tenons-là.  F.  4'* — 44- 
Compliment  au  roi.  P.  44 — 47- 


Sermon  sur  V Annonciation  de   la  Vierge  5 
page  48. 

Sujet.  Alors  Marie  dit  à  l'ange  :  Je  suis  la  servante 
du  Seigneur  ,  qu'il  me  soit  fait  selon  votre  parole.  C'est 
en  conséquence  de  cette  réponse  et  tle  ce  consentement 
de  Marie  ,  que  le  fils  de  Dieu  descendit  de  sa  gloire  ,  et 
s'incarna    dans    les  chastes   entrailles  de  cette   vierge. 

P.  48  ,  4<> 

Division.  Marie  conçut  le  Verbe  de  Dieu,  et  par  l'hu- 
milité de  son  coeur  ,  i.re  partie  ;  et  par  la  pureté  de  son 
corps  ,  2.e  partie.  P.  49 — 5i-. 

I.re  Partie.  Marie  conçut  le  Verbe  de  Dieu  par  l'humi- 
lité de  son  cœur.  C'est  l'humilité  ,  dit  saint  Augustin  ,  qui 
de  la  part  de  l'homme  ,  doit  être  la  première  et  l'essen- 
tielle disposition  aux  communications  de  Dieu  :  si  donc 
Dieu  choisit  Marie  pour  sa  mère,  préférablement  à  toute 
autre  femme  ,  c'est  qu'elle  lui  parut  seule  dans  l'état  de 
cette  humilité  parfaite  qu'il  demandoit.  P.  5i — 55. 

Et  en  effet,  remarque  saint  Bernard  ,  un  Dieu  qui  lui- 
même  étoit  sur  le  point  de  s'humilier  jusqu'à  l'excès  en 
se  revêtant  de  notre  chair,  devoit  avoir  des  complaisances 
infinies  pour  l'humilité.  Mais  qu'y  eut-il  donc  de  si  sin- 
gulier dans  l'humilité  de  Marie  ?  i.  Ce  fut  une  humilité 
jointe  à  la  plénitude  du  mérite.  On  la  salue  comme  pleine 
de  grâce  :  Gratid  plena  ;  et  elle  répond  qu'elle  est  la 
servante  du  Seigneur  :  Ecce  ancilla  Domini.  i.  Ce  fut 
une  humilité  dans  le  comble  de  l'honneur.   Un  ange  lui 


DES    SERMONS.  /{83 

Vient  annoncer  qu'elle  sera  mère  de  Dieu  :  Ecce  conci- 
pies  ;  et  elle  ne  se  donne  que  le  titre  de  servante  de 
Dieu  :  Ecce  ancilla  Domini.  Or  ,  voilà  ce  qui  ravit  le 
ciel  ;  voilà  ce  qui  achève  de  déterminer  le  Verbe  de  Dieu 
à  sortir  du  sein  de  son  Père  pour  se  renfermer  dans  le 
sein  de  Marie.  Tandis  qu'elle  s'humilie  devant  Dieu  ,  le 
fils  de  Dieu  s'anéantit  en  elle  :  Exinanivit  semetipsum. 
P.  55-59. 

De  là  apprenons  l'humilité.  Une  mère  de  Dieu  humble, 
tin  Dieu  anéanti  ,  quelles  leçons  pour  nous  !  Sans  l'hu- 
milité ,  il  n'y  a  ni  christianisme  ,  ni  religion  ,  puisque 
sans  l'humilité  il  n'y  auroit  pas  même  d'incarnation  ni 
d'homme-Dieu.  Il  est  vrai  que  l'humilité  est  une  vertu 
assez  inconnue  à  la  cour  ;  mais  c'est  pour  cela  même  qu'il 
faut  l'y  prêcher  ,  afin  de  l'y  faire  connoître.  Cependant, 
peut-on  être  humble  et  grand  tout  à  la  fois  ?  En  pouvons- 
nous  douter  depuis  que  le  Fils  même  de  Dieu  a  pu  de- 
venir humble  en  demeurant  Dieu ,  et  depuis  que  Marie  a 
pu  être  la  plus  humble  de  toutes  les  créatures  ,  en  deve- 
nant la  mère  de  Dieu.  Oui ,  on  peut  être  humble  et  être 
grand  ;  et  l'avantage  même  des  grands  est  de  trouver 
dans  l'humilité  de  quoi  sanctifier  leur  condition  ,  et  de 
trouver  dans  leur  condition  de  quoi  rendre  leur  humilité 
plus  sainte  et  plus  précieuse  devant  Dieu.  P.  59 — 68. 

II. e  Partie.  Marie  conçut  le  Verbe  de  Dieu  par  la  pureté 
de  son  corps  et  par  sa  virginité.  Le  Prophète  avoit  prédit 
que  le  Messie  naîtrait  d'une  vierge  ;  et  il  étoit,  dit  saint 
Bernard  ,  de  la  dignité  d'un  Dieu  ,  en  se  faisant  homme  , 
d'avoir  une  mère  vierge  ,  puisque  toute  autre  conception 
que  celle-là  eût  obscurci  l'éclat  et  la  gloire  de  sa  divi- 
nité. Aussi ,  selon  la  belle  réflexion  du  même  saint  Ber- 
nard,  tout  ce  mystère  se  passe  entre  Dieu  ,  un  ange  et 
Marie,  qui  nous  marquent  autant  de  caractères  difFérens 
de  la  plus  parfaite  pureté.  Que  devons-nous  conclure  de 
Va  l  que  Dieu  étant  par  lui-même  la  pureté  essentielle  , 


r£$£  TABLE    ET    ABRÉGÉ 

il  falloit  et  une  pureté'  angélique  ,  et  une  pureté'  virgi- 
nale ,  pour  concerter  eutre  Dieu  et  l'homme  cette  inef- 
fable union  qui  s'est  accomplie  dans  le  Verbe  fait  chair. 
P.  69  ,  70. 

Dieu  même  ,  dans  ce  m\  stère  ,  donne  la  préférence 
à  la  pureté  virginale  ,  en  cboisissant  une  mère  vierge  , 
et  lui  députant  un  ange  qui  n'est  auprès  d'elle  que  son 
ambassadeur.  Ne  nous  en  étonnons  pas  ,  poursuit  saint 
Bernard  ,  puisque  la  pureté  de  cette  vierge  étoit  d'un 
mérite  qui  l'élevoit  au-dessus  de  celle  des  anges  :  car  les 
anges  sont  purs  par  nature  et  par  un  privilège  de  béati- 
tude et  de  gloire  ;  mais  Marie  l'étoit  par  choix  et  par 
vertu.  Et  jusqu'à  quel  point  l'étoit-elle  l  1.  jusqu'à  se 
troubler  à  la  vue  d'un  ange  :  effet  de  sa  vigilance  pour 
conserver  le  trésor  de  sa  virginité;  2.  jusqu'à  être  prête 
à  renoncer  à  la  maternité  divine  ,  plutôt  que  de  cesser 
d'être  vierge  :  effet  de  sa  constance  pour  ne  pas  perdre 
le  trésor  de  sa  virginité.  Or  c'est  cela  même  qui  engage 
Dieu  à  lui  donner  son  esprit  :  Spiritus  Sanctus  superveniet 
in  te  ;  et  à  venir  lui-même  dans  elle  pour  s'y  faire  chair  : 
ferbum  caro Jactum  est.  P.  70 — 76. 

Après  cette  alliance  merveilleuse  qu'un  Dieu  a  con- 
tractée avec  notre  chair  ,  quel  soin  ne  devons-nous  pas 
avoir  de  maintenir  nos  corps  dans  une  pureté  inviolable  ; 
et  pouvons-nous  trouver  étrange  que  saint  Paul  et  les 
Pères  aient  témoigué  une  horreur  spéciale  pour  l'impu- 
reté l  Le  mvstère  de  l'incarnation  donne  à  ce  péché  un 
caractère  de  malice  tout  particulier.  P.  76 — 85. 


Autre  Sermon  sur  V Annonciation  de  la 
Vierge,  pag.  84. 

Suir.T.  Le  Verbe  s'est  fait  chair,  et  il  a  demeuré  parmi 
nous.  C'est  le  grand  mystère  que  célèbre  l'Eglise.  Mystère 


DES   SERMONS.  4^ 

de  la  bonté  et  de  la  charité  de  Dieu  envers  les  hommes  ; 
mystère  qui ,  tout  incroyable  qu'il  paroît ,  a  été  cru  dans 
tout  le  monde.  Il  s'agit  dans  ce  discours  d'en  donner  une 
connoissance  aussi  parfaite  que  nous  pouvons  l'avoir. 
P.  84 ,  85. 

Division.  Trois  alliances  merveilleuses.  Alliance  du 
Verbe  avec  la  chair  par  rapport  a  Jésus-Christ  qui  de- 
vient homme-Dieu  :  i.re  partie.  Alliance  du  Verbe  avec 
la  chair  par  rapport  à  Marie  qui  devient  mère  de  Dieu  : 
2.e  partie.  Alliance  du  Verbe  avec  la  chair  par  rapport  à 
bous  qui  devenons  enfans  de  Dieu  :  5.e  partie.  P.  85 — 87. 

I.re  Partie.  Alliance  du  Verbe  avec  la  chair  par  rapport 
à  Jésus-Christ  qui  devient  homme-Dieu.  Miracle  que  la 
foi  nous  révèle,  et  d'où  il  s'ensuit  que  la  chair  de  l'homme, 
considérée  dans  la  personne  du  Rédempteur ,  est  vrai- 
ment la  chair  d'un  Dieu,  et  qu'elle  est  entrée  en  posses- 
sion de  toute  la  gloire  de  Dieu.  De  là  vient  encore  que 
dans  Jésus-Christ ,  entre  la  chair  et  le  Verbe  ,  il  n'y  a 
rien  eu  de  divisé;  et  que  ce  qui  étoit  vrai  de  l'un  ,  par 
une  communication  d'attributs  ,  l'est  aussi  de  l'autre. 
Parce  que  la  chair  de  Jésus  Cbrist  a  été  passible  ,  nous 
disons  que  le  Verbe  de  Dieu  a  souffert  ;  et  parce  que  le 
Verbe  est  e^al  à  Dieu  ,  nous  ne  craignons  point  de  dire 
que  la  chair  de  Jésus-Christ  est  assise  à  la  droite  de  Dieu» 
P.  87— 91. 

Trois  hérésies  :  1.  de  ceux  qui  ont  combattu  la  divinité 
de  Jésus-Christ  j  2.  de  ceux  qui  n'ont  pas  voulu  recon- 
moître  l'humanité  de  Jésus-Christ  ;  5.  de  ceux  qui  ,  re- 
connoissant  la  divinité  et  l'humanité  de  Jésus-Cbrist  , 
ont  seulement  nié  l'union  de  l'une  et  de  l'autre  ,  telle 
que  le  Saint-Fisprit  l'a  faite  ,  et  telle  qu'elle  subsistera 
toujours.  Dogmes  impies  que  l'Eylise  a  frappés  de  ses 
anathèmes.  P  91—94. 

Il  est  donc  vrai  que  le  Verbe  de  Dieu  s'est  réellement 
fait  chair  ;  et  puisque  la  chair  de  ce  Verbe  fait  homme 


486  TABLE    ET   ABRÉGÉ 

est  la  chair  d'un  Dieu  ,  jugeons  avec  quel  sujet  saint  Pau? 
a  prononcé  un  si  terrible  arrêt  contre  ceux  qui  la  reçoi- 
vent indignement  dans  la  communion.  Quelle  épreuve 
Marie  fit-elle  d'elle-même  avant  que  de  consentir  a  l'in- 
carnation de  ce  Dieu-homme  dans  son  sein  !  Faispns  de 
nous  la  même  épreuve  pour  nous  disposer  à  la  commu- 
nion pascale.  P    94 — 99- 

II. e  Pabtie.  Alliance  du  Verbe  avec  la  chair  par  rapport 
à  Marie  qui  devient  mère  de  Dieu.  Alliance  que  1  héré- 
siarque Nestorius  ne  voulnt  pas  reconnoître,  refusant  à 
Marie  le  titre  de  Mère  de  Dieu.  Mais  on  sait  avec  quel 
zèle  l'Eglise  prit  les  intérêts  de  cette  vierge  ;  et  comment 
elle  arrêta  dans  le  concile  d'Ephèse  que  le  titre  de  Mère 
de  Dieu  seroit  un  terme  consacré  contre  1  hérésie  nesto- 
rienne  ,  comme  celui  de  consubstantiel  l'avoit  été  dans  le 
concile  de  Nicée  contre  l'hérésie  arienne.  P.  99 — loi. 

Ainsi,  nous  croyons  que  Marie  est  véritablement  mère 
de  Dieu  î  et  c'est  sur  cette  maternité  divine  que  sont 
fondés  tous  les  honnenrs  que  nous  lui  rendons.  Noua 
n'en  faisons  pas  une  divinité  ;  mais  sans  l'élever  jusqu'à 
Dieu  ,  est-il  du  reste  une  grandeur  comparable  à  celle 
de  cette  mère  de  Dieu  î  Considérons-la  sous  deux  rap- 
ports ,  l'un  h  Dieu ,  l'autre  aux  hommes.  1.  Marie  ,  mère 
de  Dieu  :  c'est  le  premier  rapport  ;  2.  Marie  ,  mère  de 
Dieu  ,  devenue  par  là  même  la  médiatrice  et  comme  la 
mère  des  hommes  :  c'est  le  second.  Or  quelle  gloire  lui 
doit  revenir  de  l'un  et  de  l'autre  l  P.  101  —  io5. 

1.  Marie,  mère  de  Dieu.  La  virginité  et  la  maternité 
jointes  ensemble  ,  quel  prodige  !  Un  Dieu  dépendant 
d'une  vierge  en  qualité  de  fils,  quel  honneur  pour  cette 
vierge  !  P.  io5 — iofi. 

2.  Marie  ,  mère  des  hommes,  puisque  tous  les  hommes 
sont  non-seulement  les  frères,  mais  les  membres  de  ce 
Dieu-homme  qu'elle  a  porté  dans  son  sein.  De  là,  mé- 
diatrice et  protectrice  des  hommes.  Adressons-nous  donc 


DES    SERMONS.  4$j 

à  elle  arec  confiance  :  ce  ne  sera  pas  en  vain  ;  mais  nous 
en  recevrons  ce  que  tant  d'autres  en  ont  reçu.  P.  106 
~n3. 

III. e  Partie.  Alliance  du  Verbe  avec  la  chair  par  rap- 
port à  nous  qai  devenons  enfans  de  Dieu.  Car  le  Verbe 
divin  n'a  pu  se  revêtir  de  la  chair  de  l'homme  ,  sans  con- 
tracter avec  les  hommes  la  plus  e'troite  affinité  ;  et  du 
moment  qu'il  nous  a  ainsi  unis  à  lui  ,  en  sorte  que  nous 
ne  faisons  avec  lui  qu'un  même  corps  ,  nous  pouvons 
dire  dans  un  sens  propre  et  réel ,  que  nous  sommes  en- 
fans  de  Dieu.  Sur  cela  voyous  1.  ce  que  nous  devons  à 
Dieu  ;  2.  ce  que  nous  nous  devons  à  nous-mêmes.  P.  1 15 
—116. 

1.  Ce  qne  nous  devons  à  Dieu  comme  enfans  de  Dieu; 
l'obéissance  à  ses  ordres  ,  et  le  zèle  pour  sa  gloire.  Sans 
cela  que  sert-il  de  l'appeler  notre  Père  ?  Si  cette  obéis- 
sance et  ce  zèle  nous  doivent  coûter ,  ils  ont  encore  plus 
coûté  à  Jésus-Christ.  P.  116 — 120. 

2.  Ce  que  nous  nous  devons  à  nous-mêmes  comme  en- 
fans de  Dieu  :  ne  pas  dégénérer  de  cette  glorieuse  qualité 
par  une  conduite   qui  nous  en  rende  indignes.    P.  120 

123. 


Premier  Sermon   sur  la  Purification  de  la 
Vierge ,  pag.  124. 

Sujet.  Le  temps  de  la  purification  de  Marie  étant 
accompli,  selon  la  loi  de  Moïse,  ils  portèrent  l'enfant  à 
Jérusalem  ,  pour  le  présenter  au  Seigneur.  Tout  cela  se 
fait  selon  la  loi ,  et  nous  apprend  comment  n^us  devons 
nous-mêmes  observer  la  loi  de  Dieu.  P.  124 — *  i2f>. 

Division.  En  ce  que  Marie  obéit  à  la  loi,  nous  trouvons 
la  confusion  de  notre  orgueil  qui  s'élève  contre  la  loi  de 
Dieu  ;  i.re  partie.  En  ce  que  Marie  surmonte  toutes  les 


'488  TABLE    ET   ABRÉGÉ 

difficultés  de  la  loi ,  nous  trouvons  la  condamnation  de 
notre  lâcheté  qui  se  décourage  au  moindre  effort  qu'il 
faut  faire  pour  garder  la  loi  de  Dieu  :  2.e  partie.  P.  126 
—  128. 

I.rc  PAr.TiE.  En  ce  que  Marie  obéit  à  la  loi  ,  nous  trou- 
vons la  confusion  de  notre  orgueil  qui  s'élève  contre  la 
loi  de  Dieu.  Nous  nous  élevons  contre  cette  loi  divine  , 
j.  par  une  révolte  de  cœur;  2.  par  un  aveuglement  d'es- 
prit :  or  ,  l'obéissance  de  Marie  confond  aujourd  hui  l'un 
et  l'autre.  P    128. 

1.  Révolte  de  coeur,  lorsque  nous  disons  comme  l'Ange 
rebelle  :  Non  serviam  ;  Je  ne  veux  point  me  soumettre. 
C'est  surtout  le  péché  des  grands.  Mais  sont-ils  plus 
grands  que  nel'étoit  la  mère  de  Dieu?  Non-seulement  elle 
se  soumet  à  la  loi ,  mais  elle  y  soumet  son  fils  ,  c'est-à- 
dire  ,  un  Dieu.  Belle  leçon  et  pour  les  grands  et  pour 
les  petits.  Pourquoi  un  Dieu-homme  sujet  à  la  loi  ?  pour 
vous  faire  entendre  ,  grands  du  monde  ,  l'obligation  où 
vous  êtes  de  vivre  dans  un  parfait  assujettissement  aux 
lois  de  Dieu.  Obligation  spéciale  pour  trois  raisons  :  1. 
parce  que  plus  vous  êtes  grands  ,  plus  vous  êtes  capables 
de  rendre  à  Dieu  l'hommage  qui  lui  est 'dû  en  qualité  de 
souverain  législateur  ;  2.  parce  que  Dieu  ne  vous  a  dis- 
tingués dans  le  monde  que  pour  le  glorifier  de  la  sorte  ; 
5.  parce  que  Dieu  ,  en  vous  plaçant  au-dessus  du  cimmun 
des  hommes,  a  prétendu  vous  proposer  au  monde  comme 
des  modèles  de  l'obéissance  que  nous  lui  devons.  Je  dis 
plus  :  pourquoi  une  mère  de  Dieu  ,  et  par  son  ministère 
tin  homme-Dieu  soumis  à  la  loi  ?  pour  trois  autres  rai- 
sons qui  vous  regardent,  vous  que  le  Seigneur  a  réduits 
au  rang  des  petits  :  1.  pour  vous  consob  r  de  l'état  où. 
vous  êtes;  2.  pour  vous  instruire  de  la  manière  dont  vous 
devez  obéir  aux  hommes  pour  Dieu  ,  et  à  Dieu  dans  les 
hommes  ;  5.  pour  confondre  vos  désobéissances  à  la  loi 
de  Dieu  ,  lorsque  vous  avez  tint  de  soumission  aux  lois 


DES    SERMONS.  4$9 

des  hommes.  Il  est  vrai  que  l'assujettissement  où  nous 
tient  la  loi  de  Dieu,  nous  paroît  gênant  et  humiliant  : 
mais  Je'sus-Christ  et  Marie  s'en  sont  fait  une  gloire.  Après 
cela  laissons-nous  entraîner  à  l'esprit  du  monde,  ennemi 
de  toute  loi  de  Dieu.  P.  128 — 15<). 

2.  Aveuglement  d'esprit ,  quand  nous  cherchons  des 
prétextes  pour  nous  de'charger  du  fardeau  de  la  loi  de 
Dieu.  Je'sus-Christ  et  Marie  s'y  soumettent ,  quoiqu'ils 
eussent  un  droit  incontestable  de  s'en  dispenser  :  Dieu  , 
dit  saint  Augustin  ,  n'ayant  pas  voulu  que  notre  religion  , 
dont  Jésus-Christ  et  Marie  jetoient  alors  les  premiers 
fondemens,  commençât  par  une  dispense.  C'étoit  néan- 
moins une  dispense  légitime,  et  presque  toutes  les  nôtres 
sont  fausses  et  ahusives.  Suis-je  obligé  à  cela ,  dit  on  î 
est-ce  un  commandement  absolu  pour  moi  l  Ce  n'est 
point  ainsi  que  le  Sauveur  du  monde  et  sa  sainte  mère  se 
sont  retranchés  sur  l'obligation  ;  et  c'est  une  règle  qui 
va  à  nous  faire  violer  les  lois  les  plus  indispensables. 
Mais  ne  nous  y  trompons  pas ,  car  Dieu  en  jugera  tout 
autrement  que  nous.  P.  109 — 1 4^. 

II. c  Partie.  En  ce  que  Marie  surmonte  toutes  les  diffi- 
cultés de  la  loi ,  nous  trouvons  la  condamnation  de  notre 
lâcheté  qui  se  décourage  au  moindre  effort  qu'il  faut  faire 
pour  garder  la  loi  de  Dieu.  Nous  nous  figurons  que  cette 
loi  exige  trop  de  nous,  1.  parce  qu'elle  nous  engage  à 
nous  dépouiller  en  mille  occasions  de  ce  que  nous  avons 
de  plus  cher  ;  2.  parce  qu'elle  nous  prive  de  certaines 
joies  et  de  certaines  douceurs  de  la  vie  à  quoi  nous 
sommes  attachés  ;  5.  parce  qu'elle  nous  ordonne  en  bien 
des  rencontres  de  renoncer  à  un  certain  honneur  mon- 
dain dont  nous  nous  piquons.  Mais  à  cela  j'oppose  trois 
leçons  que  nous  fait  aujourd'hui  Marie.  P.  146 — 148. 

Première  leçon  :  Marie  n'a  qu'un  Fils  ;  et  pour  se  sou- 
mettre à  la  loi,  elle  se  résout  à  le  sacrifier.  Ce  que  nous 
avons  de  plus  cher ,  est- il  comparable  à  ce  Dieu-homme  ? 


490  TABLE  ET    ABRÉGÉ 

Souvent  même  ce  que  nous  avons  de  plus  cher  n'est-iï 
pas  pour  nous  la  source  de  mille  peines  ?  Quels  motifs 
se  proposa  Marie  en  présentant  son  Fils  l  qu'elle  le  sa- 
crifioit  à  Dieu,  qu'elle  fléchissoit  la  colère  et  la  justice 
de  Dieu  ,  qu'elle  attiroit  sur  elle  les  faveurs  de  Dieu. 
Entrons  dans  les  mêmes  sentimens  ,  et  rien  ne  nous  coû- 
tera. P.  148—154. 

Seconde  leçon  :  Marie  ,  pour  garder  la  loi ,  sacrifie 
toutes  les  joies  de  son  ame.  Sime'on  lui  prédit  qu'en  con- 
séquence de  l'oblation  qu'elle  fait  de  son  Fils  pour  être 
immolé  sur  la  croix,  elle  sera  percée  d'un  glaive  de  dou- 
leur, et  déjà  elle  ressent  tout  ce  qu'elle  ressentira  alors. 
Devons-nous  refuser  après  cela  de  sacrifier  à  la  loi  de 
Dieu  des  joies  aussi  vaines  que  les  nôtres ,  des  joies  que 
nous  sacrifions  tous  les  jours  au  monde ,  et  à  quoi  l'esprit 
de  pénitence  nous  oblige  de  renoncer.  P.  1 54 — *56. 

Troisième  leçon  :  Marie  ,  pour  accomplir  la  loi ,  sacrifie 
jusqu'à  son  honneur,  puisqu'en  se  purifiant  elle  paroît 
de  même  condition  que  les  autres  femmes.  Or,  la  loi  de 
Dieu  ne  nous  engage  à  rien  de  si  humiliant  ;  mais  tous 
les  jours  néanmoins  nous  l'abandonnons  pour  un  faux 
honneur,  et  pour  contenter  une  folle  ambition.  P.  i56 
—i5g. 

Compliment  au  roi.  P,  'i5g — 161. 


Deuxième  Sermon  sur   la  Purification  de  la 
Vierge,  pag.   162. 

Sujet.  Le  temps  de  la  purification  de  Marie  étant 
accompli  ,  selon  la  loi  de  Moïse  ,  ils  portèrent  l'enfant 
à  Jérusalem  pour  le  présenter  au  Seigneur.  Deux  mys- 
tères exprimés  dans  ces  paroles,  la  purification  de  Marie, 
et  la  présentation  de  Jésus-Christ.  Tirons-en  les  fruits 


DES    SERMONS.  4<)£ 

de   sainteté    qu'ils   peuvent  produire  dans  nos   coeurs. 
P.  162,  i63. 

Division.  Jésus-Christ  dévoué  et  consacré  à  Dieu,  nous 
apprend  à  connoître  Dieu  :  i.re  partie.  Jésus-Christ  offert 
et  immolé  pour  nous  ,  nous  apprend  a  nous  connoître 
nous-mêmes  :  2.e  partie.  P.  i65 — i65. 

I.re  Partie.  Jésus-Christ  dévoué  et  consacré  à  Dieu  , 
nous  apprend  à  connoître  Dieu,  1.  comme  souverain  Sei- 
gneur; 2.  comme  source  de  tous  les  biens;  3.  comme 
vengeur  du  péché.  P.  i65,  166. 

1.  Comme  souverain  Seigneur.  Si  Marie  présente 
Jésus-Christ,  c'est  pour  honorer  la  souveraineté  de  Dieu, 
selon  qu'il  étoit  porté  dans  la  loi  :  Consacrez-moi  chaque 
premier  né  ;  car  toutes  choses  m'appartiennent.  Il  falloit 
que  la  loi  de  grâce  donnât  à  cette  cérémonie  toute  sa 
perfection  :  comment  ?  en  offrant  à  Dieu,  dans  la  per- 
sonne de  Jésus-Christ,  un  premier  né  au-dessus  de  tous 
les  autres;  c'est-à-dire,  1.  un  premier  né  qui  représentât 
tous  les  hommes  dont  il  est  le  chef;  2.  un  premier  né 
égal  à  Dieu  ,  et  vrai  Dieu.  De  là  comprenons  quel  est  le 
souverain  empire  de  Dieu  ,  et  de  là  même  jugeons  quel 
est  le  désordre  de  l'homme  qui  veut  vivre  à  l'égard  de 
Dieu  dans  l'indépeudance  :  indépendance  qu'affectent 
surtout  les  grands;  indépendance  qui  vient  dans  les  uns 
d'un  oubli  général  de  leurs  devoirs,  dans  les  autres  d'un 
excès  d'amour-propre  ;  dans  ceux-ci  d'un  esprit  d'or- 
gueil ,  dans  ceux-là  d'un  fonds  de  libertinage.  Que  nous 
prêche  au  contraire  l'exemple  de  Jésus-Christ  ?  une  dé- 
pendance entière  de  Dieu  :  tel  est  le  premier  fruit  que 
nous  devons  retirer  de  cette  solennité.  Je  ne  suis  pas  à 
moi,  mais  à  Dieu;  donc  je  ne  dois  vivre  que  pour  Dieu  : 
c'est  dans  cet  esprit  que  tout  chrétien  a  dû  se  présenter 
aujourd'hui  devant  les  autels  pour  faire  à  Dieu  un  sacri- 
fice parfait  de  lui-même.   P.  166 — 176. 

2.  Comme  source  de  tous  les  biens.  Les  Juifs  offroient 


492  TABLE  ET    ABRÉGÉ 

à  Dieu  leurs  premiers  ne's  en  mémoire  du  bienfait  signalé 
qu'ils  avoïent  reçu,  lorsque  Oieu  ,  pour  les  délivrer  de 
l'esclavage  de  Pharaon,  a-voit  fait  périr  dans  une  seule 
nuit  tous  les  premiers  nés  d'Egypte  ;  et  Jésus-Christ  ,  qui 
cl  ut  la  fin  et  le  consommateur  de  la  loi ,  est  aujourd'hui 
offert  comme  premier  né  de  lout  le  genre  humain  ,  en 
action  de  grâces  des  obligations  infinies  que  nous  avons 
à  Dieu.  De  sorte  que  ce  Sauveur  des  hommes  est  i.  le 
modèle  de  notre  reconnoissance  envers  Dieu  j  2.  le  sup- 
plément de  notre  reconnoissance  envers  Dieu  ;  3.  la  per- 
fection de  notre  reconnoissance  envers  Dieu.  Mais  au 
lieu  de  cette  reconnoissance  ,  quelle  est  notre  ingrati- 
tude l  nous  méconnoissons  les  bienfaits  de  Dieu  ,  et  nous 
en  abusons.  Cependant  nous  lui  en  rendrons  compte  ;  et, 
s'ils  ne  servent  pas  à  notre  sanctification ,  ils  serviront 
à  notre  damnation.  P.  177 — 182. 

5.  Comme  vengeur  du  péché.  Jésus-Christ  est  offert  à 
Dieu  comme  la  victime  du  péché  ,  et  c'est  ici ,  aussi  bien 
que  dans  sa  circoncision  ,  qu'il  paroît  sous  la  forme  de 
pécheur  ,  ou  qu'il  se  substitue  en  la  place  des  pécheurs  : 
du  reste»  cette  oblation  de  Jésus  Christ  ne  nous  dispense 
pas  du  devoir  de  la  pénitence  :  au  contraire  ,  elle  doit 
nous  y  exciter  en  nous  faisant  voir  combien  Dieu  hait  le 
péché  ,  et  jusqu'à  quel  point  il  doit  être  haï  et  puni  par 
nous-mêmes  :  mais  c'est  ce  que  nous  ne  voulons  point 
comprendre.  P.  182 — 185. 

II.e  Partie.  Jésus-Christ  offert  et  immolé  pour  nous, 
nous  apprend  à  nous  connoître  nous-mêmes.  Rien  de 
plus  nécessaire  que  cette  connoissance  de  nous-mêmes  ; 
et  en  particulier,  rien  de  plus  utile  que  la  connoissance 
de  notre  vraie  grandeur.  Or  ,  ce  mystère  nous  découvre 
i.  notre  excellence  ,  2.  notre  dignité.  P.  i85 — 187. 

1.  Notre  excellence  ,  c'est-à-dire  ce  que  nous  valons 
dans  l'estime  de  Dieu.  Pouvons-nous  l'ignorer  en  voyant 
Jésus  Christ  livré  pour  nous  ?  Voilà  ,  homme  ,  ce  que 


DES    SERMONS.  4g3 

votre  ame  et  votre  salât  ont  coûté  à  Dieu.  Tellement 
qu'il  y  a  de  la  proportion  entre  votre  salut  et  le  sang 
d'un  Dieu  ,  entre  votre  ame  et  la  vie  d'un  Dieu  ,  entre 
vous-même  et  la  personne  d'un  Dieu.  Cela  supposé,  quel 
est  notre  aveuglement ,  d'abandonner  le  soin  de  cette 
ame  et  de  ce  salut  !  Le  Fils  de  Dieu  disoit  autrefois: 
Quel  échange  l'homme  donnera-t-il  pour  son  ame  ?  mais 
nous  pouvons  bien  dire  à  présent  :  Pour  quel  échange 
l'homme  ne  donneroit-il  pas  son  ame  ,  et  ne  la  donne-t-il 
pas  tous  les  pjurs  ?  Or  ,  c'est  ce  prodigieux  aveuglement 
que  Jésus-Christ  est  venu  guérir.  P.  ibS — Jg4» 

2.  Notre  dignité,  c'est-à-dire  ce  que  nous  sommes  par 
la  vocation  et  par  la  prédestination  de  Dieu  j  car  ,  en 
conséquence  de  cette  rédemption  que  le  Sauveur  des 
hommes  vient  de  commencer  en  se  présentant  pour  nous, 
nous  appartenons  spécialement  à  Dieu.  Appartenir  aux 
hommes,  c'est  un  esclavage  qui  nous  humilie  ;  mais  ap- 
partenir à  Dieu,  c'est  un  état  de  liberté  qui  nous  relève 
en  nous  dégageant  de  la  servitude  du  monde  et  de  l'enfer  : 
deux  conséquences  que  tiroit  l'Apôtre  de  ce  principe  : 
Empli  estis  pretio  magno  ;  Vous  avez  été  achetés  à  un 
grand  prix.  i.  Glorifiez  donc  Dieu,  et  portez-le  dans  vos 
corps  en  vous  revêtant  de  la  mortification  de  Jésus-Christ; 
2.  ne  vous  engagez  donc  plus  dans  la  servitude  des 
hommes  :  servitude  si  pernicieuse  pour  le  salut,  et  même 
si  dure  pour  la  vie  présente.  Appliquons-nous  à  nous- 
mêmes  cette  parole  de  l'évangile  de  ce  jour  :  Sanctuni 
Domino  vocabitur  :  car  ,  selon  le  sens  qu'elle  exprime  , 
nous  sommes  chacun  le  saint  du  Seigneur  ,  c'est-à-dire  , 
que  nous  sommes  totalement  dévoués  au  Seigneur.  P.  194 
—198. 

Compliment  au  roi.  P.  198 — 200. 


49+  TABLE   ET    ABRÉGÉ 

Troisième  Sermon  sur  la  Purification   de    la 
Vierge ,  pag.  201. 

Sujet.  Le  temps  de  la  purification  de  Marie  étant 
accompli ,  selon  la  loi  de  Moïse  ,  ils  portèrent  V enfant 
à  Jérusalem  pour  le  présenter  au  Seigneur.  C'est  ainsi 
que   nous  devons  nous  présenter  nous-mêmes  à  Dieu. 

r.  201 ,  202. 

Division.  Jésus-Christ  se  présente  à  Dieu  pour  recon- 
noître  et  pour  honorer  le  domaine  de  Dieu  :  domaine 
essentiel  que  nous  devons  reconnoître  ,  comme  Jésus- 
Christ  ,  par  une  sincère  ohlation  de  nous-mêmes  :  i.,e 
partie  ;  domaine  universel  que  nous  devons  reconnoître  , 
comme  Jésus-Christ,  par  une  entière  oblation  de  nous- 
mêmes  :  2.e  partie  ;  domaine  éternel  que  nous  devons 
reconnoître,  comme  Jésus-Christ,  par  une  prompte  obla- 
tion de  nous-mêmes  :  5.e  partie.  P.  202 — 20/f 

I.re  Partie.  Domaine  essentiel  que  nous  devons  recon- 
noître, comme  Jésus-Christ ,  par  une  sincère  oblation  de 
nous-mêmes.  De  tous  les  tributs  que  nous  devons  à 
Dieu  comme  au  souverain  Seigneur,  celui  par  où  nous 
distinguons  Dieu  comme  Dieu  ,  c'est  cette  oblation  de 
nous-mêmes  ;  car  nous  ne  nous  devons  nous-mêmes  qu'à 
Diett  :  voilà  l'important  devoir  que  Jésus-Christ  nous 
enseigne  dans  ce  mystère.  Il  sait  que  le  domaine  de  Dieu 
son  Père  a  été  violé  ,  et  il  en  vient  réparer  la  gloire  : 
comment  l  en  s'offrant  lui-même.  Mais  que  sert  de  nous 
offrir  ainsi  nous-mêmes,  puisque  nous  appartenons  déjà 
essentiellement  à  Dieu  en  qualité  de  créatures  l  11  est 
vrai  ,  nous  appartenons  d'une  façon  à  Dieu  par  la  néces- 
sité inséparable  de  notre  être  :  mais  comme  il  nous  a 
faits  libres,  nous  pouvons  d'ailleurs  ne  lui  pas  appartenir 
par  le  choix  injuste  et  criminel  de  notre  volonté.  Or  il 


DES    SERMONS.  4.9^ 

veut  qu'en  nous  présentant  nous-mêmes  à  lui,  nous  lui 
appartenions  volontairement ,  comme  nous  lui  apparte- 
nons déjà  nécessairement  :  voilà  ce  qui  fait  en  quelque 
sorte  la  perfection  de  son  domaine  ,  ce  qui  fait  sa  gloire 
et  la  nôtre.  P.  204 — 210. 

Qu'est-ce  proprement  que  nous-mêmes  ,  et  qu'enten- 
dons-nous par  nous  offrir  nous-mêmes?  c'est  offrir  notre 
cœur,  qui  est  comme  notre  premier  né.  Dieu  veut  l'avoir; 
il  en  est  jaloux,  et  il  le  mérite  bien  :  serons-nous  assez 
injustes  pour  le  lui  refuser  ?  Nous  lui  avons  dit  cent  fois 
que  nous  lui  donnions  ce  cœur  j  mais  par  le  péché  nous 
le  lui  avons  ravi  :  et  pourquoi  ?  pour  une  passion  qui 
nous  dominoit.  Faisons-lui  le  sacrifice  de  cette  passion  , 
et  il  nous  comblera  de  ses  grâces.  P.  210 — 2i5. 

Vous  me  direz  :  Mais  cette  passion  est  criminelle  5 
comment  donc  l'offrir  à  Dieu  l  Voici  le  miracle  de  la 
grâce  :  c'est  que  ce  qui  nous  rend  criminels  sert  à  nous 
sanctifier  par  le  sacrifice  que  nous  en  faisons.  Ainsi  ,  il 
faut,  ou  que  nous  soyons  saints  pour  nous  offrir  à  Dieu, 
ou  qu'en  uous  offrant  à  Dieu  nous  devenions  saints  j  car 
nous  le  devenons  en  effet,  puisque  s'offrir  à  Dieu  sincè- 
rement et  de  bonne  foi ,  c'est  se  sanctifier.  Il  n'en  est 
pas  ainsi  à  l'égard  des  grands  :  on  peut  se  donner  à  eux  , 
et  n'en  être  pas  meilleur  :  à  quel  autre  maître  dois-je 
donc  plutôt  me  consacrer  qu'à  Dieu  ?  P.  21 5— 220. 

II. e  Pahtie.  Domaine  universel  que  nous  devons  recon- 
noître  ,  comme  Jésus-Cbrist,  par  une  entière  oblation  de 
nous-mêmes  :  car  le  mérite  de  la  religion,  dit  saint  Am- 
broise  ,  est  de  faire  à  Dieu  l'oblation  de  soi-même  dans 
une  étendue  proportionnée  à  celle  du  domaine  de  Dieu. 
Jésus-Christ  s'offre  à  son  Père  sans  réserve  ,  et  jusqu'à 
s'engager  même  à  lui  sacrifier  tout  son  sang  et  sa  vie. 
Et  si  nous  voulons  user  de  réserve  avec  Dieu,  c'est  que 
nous  ne  connoissons  point  encore  assez  bien  le  domaine 
de  Dieu  d'une  part,  et  de  l'autre  la  tyrannie  du  monde  : 


4c)6       •  TABLE  ET  ABRÉGÉ 

le  domaine  de  Dieu  de  qui  tout  de'pend  ;  la  tyrannie  du 
inonde  ,  qai  pre'tend  qu'on  lai  sacrifie  tout ,  et  pour  qui 
en  effet  nous  n'e'pargnons  rien.   P.  220 — 1^. 

Avons-nous  jamais  bien  péne'tré  le  sens  de  ces  paroles 
que  Dieu  dit  à  Moïse ,  et  sur  quoi  est  foude'e  la  céré- 
monie de  ce  jour  :  Mea  sunt  omnia  ;  Tout  est  à  moi  l 
Tout  est  à  Dieu  ,  parce  qu'il  est  l'auteur  de  tout ,  parce 
qu'il  est  le  conservateur  de  tout  ,  parce  qu'il  dispose  de 
tout.  De  là  apprenons  comment  nous  devons  être  à  Dieu  j 
et  toutefois  ,  comment  y  sommes-nous  ?  nous  occupons- 
nous  de  lui  ?  agissons-nous  pour  lui  ?  nous  soumettons- 
nous  à  lui  et  à  ses  ordres  i  P.  227 — 232. 

Vouloir  retenir  quelque  chose  et  le  refuser  à  Dieu  , 
c'est  u'avoir  plus  pour  Dieu  cet  amour  de  préférence  qui 
le  met  a  la  tête  de  tout;  et  ne  le  pas  aimer  de  cet  amour 
de  préférence  ,  c'est  se  rendre  indigne  de  sa  grâce  : 
Yoilà  ce  qui  arrête  tant  de  conversions.  Un  pécheur  vou- 
droit  se  donner  à  Dieu  ;  mais  ce  qui  le  retient ,  et  ce 
qui  fait  évanouir  tous  ses  projets  ,  ce  n'est  souvent  qu'un 
seul  point.  Disons  à  Dieu  comme  David  :  Lœtus  obtuli 
imiversa  ;  C'est  avec  joie  ,  Seigneur ,  que  je  vous  offrirai 
toutes  choses  :  pourquoi  ?  Tu  dominaris  omnium  ;  C'est 
que  toutes  choses  vous  appartiennent.  P.  255 — 258. 

III. e  Partie.  Domaine  éternel  que  nous  devons  recon- 
noître  ,  comme  Jésus-Christ  ,  par  une  prompte  oblation 
de  nous-mêmes.  En  couséquence  de  cette  éternité  de  do- 
maine ,  il  n'y  a  pas  un  moment  où  nous  ne  devions  être 
à  Dieu,  puisqu'il  n'y  a  pas  un  moment  où  nous  ne  dé- 
pendions de  Dieu.  D'où  S.  Thomas  conclut  que  l'homme  , 
dès  le  premier  instant  qu'il  connoît  Dieu,  est  obligé  de 
l'aimer  et  de  s'élever  vers  lui  ;  et  c'est  en  ce  sens  que 
saint  Augustin  disoit  à  Dieu  :  Beauté  si  ancienne,  je  vous 
ai  aimée  trop  tard.  C'est  encore  par  cette  règle  que  les 
prophètes  ne  demandoient  pas  moins  à  l'homme  qu'une 


DES    SERMONS.  497 

éternité  de  culte  et  d'adoration  ;  c'est-à-dire  ,  un  culte 
de  toute  la  vie.  P.  258 — 24'. 

Jésus-Clirist  nous  donne  là-dessus  un  grand  exemple. 
Dès  sa  plus  tendre  enfance  il  se  présente  à  son  Père  ; 
mais  nous  ,  nous  voulons  être  à  Dieu  :  quand  l  toujours 
pour  l'avenir  ,  et  jamais  pour  l'heure  présente.  Est-ce  là 
honorer  D  eu  ,  ou  n'est-ce  pas  l'outrager  ?  Mais  que 
fera-t-il?  il  nous  méprisera  à  son  tour,  et  il  nous  privera 
de  sa  grâce  ;  en  sorte  que  nous  ne  reviendrons  jamais  à 
lui  Gela  néanmoins  ne  doit  pas  désespérer  ceux  qui 
jusques  à  présent  ont  passé  de  longues  années  sans  se 
donner  à  Dieu  ;  car  il  y  en  a  eu  ,  après  tout,  qui ,  malgré 
d'aussi  lon^rs  retardemens  ,  ont  été  appelés  et  reçus  de 
Dieu  ;  mais  aussi  ,  comme  il  y  en  a  plusieurs  à  qui  Dieu 
n'a  pas  fait  la  même  miséricorde  ,  c'est  ce  qui  doit  ins- 
truire et  saisir  de  frayeur  ceux  qui  ,  dans  un  âge  moins 
avancé  ,  sont  en  état  de  consacrer  à  Dieu  les  prémices 
de  leurs  années.  Ne  différons  donc  pas  ;  mais  offrons- 
nous,  comme  Jésus  Christ,  de  bonne  heure,  et  par  Marie. 
P.  241 — 25l. 

Compliment  au  roi.  P.  25 1 — 255. 


Sermon  sur  l'Assomption  de   la   Vierge , 
pag.  254. 

Sujet.  Marie  a  choisi  la  meilleure  part  ,  qui  ne  lui 
sera  point  ôtée.  Ce  mystère  de  l'assomption  de  Marie 
est  par  excellence  le  mystère  de  sa  gloire  ;  mais  si  nous 
savons  bien  nous  l'appliquer  et  en  profiter  ,  il  n'est  pas 
moins  le  mystère  de  notre  espérance.  P.  254»  255. 

Division.  Nous  donnons  communément  dans  deux  er- 
reurs sur  le  sujet  de  la  gloire  de  Marie  :  l'une  regarde 
les  moyens  par  où  elle  y  est  parvenue, et  l'autre  les  avan- 
tages qui  nous  en  doivent  revenir.   Or,  voyons,  pour 

TOME   XII.  02 


498  TABLE   ET    ABRÉGÉ 

nous  garantir  de  la  première  erreur,  quel  a  été  le  vrai 
principe  de  la  béatitude  de  Marie  :  i.re  partie  ;  voyons  , 
pour  nous  préserver  de  la  seconde,  quelle  est  la  mesure 
t\u  pouvoir  de  Marie  :  2.e  partie.  Voilà  de  quoi  exciter 
tout  à  la  fois  et  régler  notre  espérance.  P.  ?55 — ?58. 

I.re  Partie.  Quel  a  été  le  vrai  principe  de  la  béatitude 
de  Marie  ,  c'est-à-dire  ,  pourquoi  Marie  est-elle  aujour- 
d'bui  glorifiée  dans  le  ciel  ?  est-ce  parce  qu'elle  a  été 
mère  de  Dieu?  non;  mais,  1.  parce  qu'elle  a  été  obéis- 
sante et  fidèle  à  Dieu;  2.  parce  qu'elle  a  été  humble  de- 
vant Dieu.  P.  258,  ?5g. 

1.  Parce  qu'elle  a  été  obéissante  et  fidèle  à  Dieu.  C'est 
ainsi  que  le  Sauveur  du  monde  s'en  déclara,  lorsque 
cette  femme  de  l'évangile  lui  ayant  dit  :  Bienheureux  le 
sein'qui  vous  a  porté ,  il  lui  fit  cette  réponse  :  Mais  plu- 
tôt ,  heureux  ceux  qui  écoutent  la  parole  de  Dieu  et  qui 
la  mettent  en  pratique.  Par  où  il  donnoit  à  entendre,  re- 
prend saint  Augustin  ,  que  c'étoit  l'obéissance  et  la  fidé- 
lité de  Marie  qui  faisoit  son  bonheur ,  et  non  pas  la  ma- 
ternité divine.  Or,  ce  qui  faisoit  alors  le  bonheur  de  Ma- 
rie,  c'est  ce  qui  a  fait  depuis  sa  gloire  dans  le  ciel.  Avoir 
été  mère  de  Dieu,  c'est  un  honheur  qu'a  reça  Marie  ; 
mais  avoir  été  fidèle  à  Dieu,  c'est  un  mérite;  et  Dieu, 
dans  sa  mère  même ,  ne  couronne  que  le  mérite.  P. 
259 — 26  5. 

2.  Parce  qu'elle  a  été  humble.  C'est  en  ce  sens  que 
saint  Ambroise  prend  ces  paroles  de  Marie  :  Quia  res~ 
pexit  humilitatem  ancillœ  suœ  ;  ecce  enim  ex  hoc  bea- 
tam  medicent  omnes  generationes ;  Parce  que  le  Seigneur 
a  jeté  les  veux  sur  la  bassesse  de  sa  servante  ,  et  qu'il  a 
été  touché  de  l'aveu  qu'elle  en  faisoit  ;  pour  cela  ,  et  pour 
cela  spécialement ,  elle  sera  béatifiée.  Les  anges  ,  dit  saint 
Bernard,  voyant  Marie  monter  au  ciel  avpc  tant  do  pompe, 
eurent  bien  lieu  de  s  écrier  comme  les  compagnes  de 
l'Epouse  :  Quœ  est  istal  Qui  est  celle-ci?  mais  on  eût 
bien  pu  leur  répondre  ce   que  saint  Paul  tlisoit  du  Fils 


DES    SERMONS.  499 

de  Dieu  :  Quôd  autem  ascendit,  quid  est ,  nisi  quia  et 
descendit  !  Elle  est  élevée,  parce  qu'elle  s'est  abaissée. 
P.  265 — 266. 

Voilà  ,  encore  une  fois  ,  ce  que  le  Sauveur  du  monde 
a  couronné  dans  Marie,  sans  considérer  en  aucune  sorte 
qu'elle  étoit  sa  mère  :  pourquoi?  parce  qu'en  la  couron- 
nant il  n'agissoit  ni  en  fils,  ni  en  homme,  mais  en  Dieu 
et  en  juge   souverain.  Ainsi    l'avoit-il   déjà   traitée  par 
avance  aux  noces  de   Cana  et  en  d'autres  occasions.    On 
peut  dire  néanmoins  d'ailleurs  que  sa  maternité  a  contri- 
bué à  sa  béatitude  :  comment?  en  ce  qu'elle  a  eu,  comme 
mère  de  Dieu,  de  plus  grandes  grâces  dont  elle  a  rempli 
la  mesure  par  sa   fidélité;  en  ce   que  sa  maternité  a  re- 
haussé le  prix  de  son  humilité  ;  mais  toujours  est-il  vrai 
que  la  cause  prochaine  de  la  béatitude  de  Marie  n'a  point 
été   sa    maternité   diviue  ,    et  que  c'a  été  seulement  sa 
fidélité  d'une  part  ,  et  de  l'autre   son  humilité.  P.    266 
— 270. 

Puissans  motifs,  1.  pour  exciter  notre  espérance;  Ma- 
rie ne  parvient  à  la  gloire  que  par  le  même  chemin  qui 
nous  est  ouvert  à  tous;  2.  pour  nous  inspirer  un  saint 
mépris  de  tout  ce  qui  s'appelle  distinction  et  grandeur 
dans  le  monde  ;  ce  n'est  point  par  là  que  nous  mériterons 
la  gloire  du  ciel;  5.  pour  nous  faire  même  peu  compter 
sur  certaines  grâces,  quoique  d'un  ordre  surnaturel,  à 
moins  qu'elles  ne  soient  soutenues  par  la  sainteté  de  notre 
vie.  P.  270 — 277. 

II. e  Partie.  Quel  est  dans  le  ciel  le  pouvoir  de  Marie 
pour  nous  secourir  ?  Il  est  certain  que  nous  pouvons 
saintement  et  utilement  invoquer  la  mère  de  Dieu;  car 
on  s'adressoit  bien  à  elle  lorsqu'elle  étoit  sur  la  terre,  et 
l'on  employoit  bien  sa  médiation  auprès  de  Jésus-Cbrist 
pour  obtenir  de  lui  des  grâces  :  maintenant  qu'elle  est 
dans  le  ciet,  pourquoi  le  pourroit-on  moins?  1.  Est-ce 
qu'elle  ne  voudroit  plus  s'intéresser  pour  nous  ?  mais 
dans  le   ciel  sa  charité  est  plus  ardente  que  jamais;.? 


5oO  TABLE    ET   ABRÉGÉ 

est-ce  qu'elle  ne  pent  pins  nous  secourir  ?  mais  dans  l'é'-* 
tat  de  sa  gloire,  seroit-elle  moins  puissante  qu'elle  ne 
l'étoit parmi  nous,  et  dans  ce  lieu  d'exil  ?  3.  est-ce  qu'elle 
ne  connoît  plus  nos  besoins  ,  et  qu'elle  n'entend  plus  nos 
prières  ?  mais  les  anges,  à  qui  Dieu  a  confié  nos  per- 
sonnes,  nous  entendent  bien;  4-  est-ce  que  l'usage  de 
l'invoquer  blesse  l'honneur  de  Dieu  ?  erreur  pitoyable  ,• 
car  nous  l'invoquons ,  non  comme  celle  à  qui  il  appartient 
de  donner  la  grâce,  mais  comme  celle  qui  peut  nous 
l'obtenir.  Nous  pouvons  donc  invoquer  Marie,  et  ce  droit 
de  recourir  à  elle  est  un  des  plus  fermes  appuis  de  notre 
espérance.  Nous  avons  dans  cette  vierge,  i.  une  avocate 
toute-puissante  auprès  de  son  Fils  ,  qui  est  notre  juge  ; 
et  quand  nous  l'appelons  toute-puissante,  ce  n'est  pas 
à  dire  qu'elle  soit  au-dessus  de  son  Fils  ,  mais  qu'elle 
peut  tout  obtenir  de  lui ,  et  par  la  prééminence  de  sa  di- 
gnité ,  et  par  le  mérite  de  sa  personne;  2.  une  mère  de 
miséricorde  pour  les  pécheurs  ,  puisque  c'est  aux  pé- 
cheurs même  qu'elle  est  en  quelque  manière  redevable 
de  toute  sa  gloire.  P.  277 — 285. 

Voilà  notre  espérance  :  mais  quel  en  est  l'abus  ?  c'est 
que  nous  osons  nous  promettre  de  la  protection  de  Ma- 
rie ,  1.  des  grâces  chimériques  et  impossibles  j  2.  des 
grâces  possibles,  mais  miraculeuses;  5.  des  grâces,  s'il 
y  en  avoit  de  telles,  incapables  de  nous  sanctifier,  et 
beaucoup  plus  capables  de  nous  pervertir  ;  4-  des  grâces 
selon  notre  goût  et  les  désirs  corrompus  de  notre  coeur. 
Or  ce  n'est  point  pour  cela  que  la  mère  de  Dieu  est  puis- 
sante. Espérons  en  elle ,  mais  que  notre  espérance  soit 
juste  et  réglée.  P.  285 — 286. 
Prière  à  la  Vierge.  P.  286 — 289. 


DES    SERMONS. 


5o 


Autre  Sermon  pour  la  fête  de  l'Assomption 
de  la  Vierge ,  sur  la  dévotion  à  la  Vierge , 
pag.  290. 

Sujet.  Jésus  entra  dans  une  bourgade  ,  et  unejemme 
le  reçut  dans  sa  maison.  Cette  femme,  selon  le  sens  que 
l'Eglise  donne  à  l'évangile  de  ce  jour,  c'est  Marie  qui 
reçut  dans  ses  chastes  entrailles  le  Fils  de  Dieu  :  et  c'est 
elle-même  aussi  qui  est  aujourd'hui  reçue  par  cet  homme» 
ï)ïeu  dans  le  séjour  de  la  gloire.  N'entreprenons  point 
d'expliquer  avec  quelle  pompe  elle  entre  dans  le  ciel  : 
mais  voyons  quelle  doit  être  sur  la  terre  notre  dévotion 
envers  cette  glorieuse  mère.  P.  290  ,  291. 

Division.  Trois  devoirs  en  quoi  consiste  la  dévotion  à 
la  Vierge  :  l'honorer  ,  mais  l'honorer  judicieusement: 
i.re  partie  ;  l'invoquer,  mais  l'invoquer  efficacement  : 
2.e  partie  j  limiter,  et  l'imiter  religieusement:  5.e  partie. 
P.  291 — 295. 

I.re  Partie.  Honorer  Marie,  mais  l'honorer  judicieu- 
sement. S'il  peut  y  avoir  parmi  les  personnes  adonnées 
au  service  de  la  Vierge  quelques  dévots  indiscrets  ,  il 
faut  aussi  convenir  qu'il  peut  y  avoir  parmi  ceux  qui  cen- 
surent les  dévots  de  la  Vierge  des  censeurs  indiscrets. 
Ils  se  sont  plaints,  1.  qu'on  rendoit  des  hommages  à  Ma- 
rie comme  à  une  divinité;  2.  qu'on  lui  donnoit  des  titres 
d'honneur  qui  ne  lui  appartenoient  pas  ,  surtout  ceux  de 
médiatrice  et  de  réparatrice  ;  5.  qu'on  lui  attribuoit  de 
nouveaux  privilèges  qui  ne  nous  étoient  révélés  ni  dans 
l'Ecriture  ni  dans  la  tradition.  Examinons  ces  plaintes  ; 
et  de  là  même  tirons  des  règles  sûres  pour  honorer  dis- 
crètement la  reine  du  ciel.  P.  295 — 295. 

1.  On  s'est  plaint  que  les  dévots  de  Marie  l'honoroient 
comme  une  divinité.  Mais  grâces  à  la  Providence ,  1  Eglise 


5û2  TABLE    ET   ABRÉGÉ 

de  Jésus-Christ  n'avoit  pas  besoin  de  l'avis  prétendu  sa- 
lutaire qu'on  a  voulu  nous  donner  là-dessus  ;car  ce  n'est 
point  à  Marie  que  nous  offrons,  comme  à  Dieu,  des  sa- 
crifices; nous  l'honorons  d'un  culte  inférieur  à  celui  de 
Dieu  ,  mais  supérieur  à  tout  autre  que  celui  de  Dieu;  et 
c'est  l'honorer  judicieusement.  P.  293 — 298. 

2.  On  s'est  plaint  que  les  dévots  de  Marie  lui  donnoient 
des  titres  d'honneur  qui  ne  lui  appartenoientpas  ,  surtout 
ceux  de  médiatrice  et  de  réparatrice.  Mais  puisqu'elle  est 
mère  de  Dieu,  y  a-t-il  un  titre  d'honneur  quineluicon- 
vienne  ,  et,  en  particulier,  saint  Bernard  ne  l'appelle- t-il 
pas  expressément  médiatrice  et  réparatrice  ,  et  ne  té- 
moignc-t-il  pas  que  de  son  temps  c'étoit  ainsi  que  toute 
l'Eglise  l'appeloit?  Or,  c'est  encore  honorer  judicieuse- 
ment la  Vierge  que  de  lui  attribuer  les  qualités  que  toute 
l'Eglise  lui  attribue.  Il  n'y  a  qu'un  médiateur  de  rédemp- 
tion ,  qui  est  Jésus-Christ;  mais  il  y  a  d'autres  médiateurs 
d'intercession,  et  Marie,  entre  ceux-ci,  ne  doit-elle  pas 
avoir  la  première  place  ?  P.  298 — 5oi. 

5.  On  s'est  plaint  du  zèle  que  font  paroîtrc  les  dévots 
de  Marie  à  défendre  certains  privilèges  qu'ils  recon- 
uoissent  en  elle  :  privilège  de  grâce  dans  son  immaculée 
conception ,  privilège  de  gloire  dans  sa  triomphante  as- 
somption.  Mais  raisonnons  toujours  sur  le  même  prin- 
cipe :  de  tous  les  privilèges  qui ,  sans  préjudiciel'  aux 
droits  de  Dieu,  servent  à  rehausser  l'éclat  de  la  mater- 
nité divine  ,  y  en  a-t-il  un  seul  que  nous  puissions  rai- 
sonnablement lui  contester  ï  n'est-ce  pas  assez  que  ce 
soient  des  privilèges  reconnus  par  les  plus  savans  hommes 
de  l'Eglise  ,  autorisés  par  la  créance  commune  des  fidèles, 
appuyés  au  moins  sur  les  plus  fortes  conjectures  et  les 
témoignages  les  plus  solides  ?  Or  ,  tels  sont  les  privilèges 
que  nous  honorons  dans  Marie  ,  et  c'est  par  là  que  nous 
les  honorons  prudemment.  Faut-il  donc  que  le  ministère 
de  la  parole  de  Dieu  soit  aujourd'hui  nécessaire  pour 
maintenir  le  culte  que  nous  rendons  à  la  plus  sainte  des 


DES    SERMONS.  5o5 

vierges  ?  mais ,  malgré  tous  les  efforts  de  l'hérésie ,  le 
culte  de  Marie  a  subsisté  .  et  il  subsistera.  P.  5oi — 5o5. 
ILe  Partie.  Invoquer  Marie  ,  mais  l'invoquer  efficace- 
ment. Nous  pouvons  invoquer  Marie  ,  puisque  l'Eglise  a 
défini  que  nous  pouvons  invoquer  les  saints  ;  et  que  d'ail- 
leurs il  est  certain  que  cette  mère  de  Dieu  a  toute  la  mi- 
séricorde et  tout  le  pouvoir  nécessaire  pour  nous  aider 
de  son  secours  :  c'est  ainsi  que  les  Pères  ont  raisonné. 
Non-seulement  nous  pouvons  invoquer  Marie  ,  mais  nous 
îe  devons  :  pourquoi  ?  pour  nous  conformer  à  l'Eglise  , 
pour  nous  attirer  la  grâce  ,  pour  nous  procurer  contre 
les  dangers  du  monde  une  puissante  protection  ,  pour 
assurer  notre  salut.  Mais  le  point  est  d'invoquer  cette 
vierge  efficacement ,  c'est-à-dire ,  de  telle  sorte  qu'elle 
puisse  agréer  nos  prières ,  et  que  nous  ne  l'iuvoquions 
pas  en  vain  ;  sur  quoi  il  y  a  deux  extrémités  à  éviter  : 
i.  trop  de  confiance  dans  la  protection  de  Marie  j  2. 
trop  peu  de  confiance  dans  cette  même  protection.  P.  5o5 
—309. 

1.  Trop  de  confiance.  Car  nous  lui  faisons  quelquefois 
des  prières  présomptueuses,  et  par  là  injurieuses  à  Dieu, 
indignes  de  la  mère  de  Dieu  et  pernicieuses  pour  nous- 
mêmes  ;  or,  de  telles  prières  ne  peuvent  être  efficaces. 
P.  509 — 5i  1. 

2.  Trop  peu  de  confiance.  Il  semble  ,  à  entendre  parler 
les  censeurs  du  culte  de  la  Vierge,  qu'un  pécheur,  dans 
l'état  de  son  péché  ,  ne  peut  avoir  recours  à  elle  ,  parce 
qu  il  n'est  pas  actuellement  contrit  et  pénitent ,  et  parce 
qu'il  n'a  pas  l'amour  de  Dieu.  Mais  ,  sans  être  actuelle- 
ment contrit  et  pénitent  ,  ne  peut  il  pas  demander,  par 
l'intercession  de  Marie  ,  la  grâce  de  la  pénitence  l  et , 
sans  avoir  actuellement  l'amour  de  Dieu,  ne  peut-il  pas 
le  désirer  et  l'obtenir  par  Marie  !  Dans  un  siècle  où  nous 
voyons  tant  d'ames  s'égarer  et  se  pervertir,  ne  leur  fer- 
mons pas  les  voies  du  retour  et  du  salut.  Or,  une  de  ces 


5o4  •  TABLE  ET    ABRÉGÉ 

voies   les  plus  assurées,  c'est  une  sincère  confiance  en 

Marie.  P.  5n — 3 1 8 

111. e  Partie.  Imiter  Marie  :  i.  ce  que  nous  devons 
imiter  dans  Marie  j  2.  pourquoi  nous  le  devons  imiter. 
P.  3i8,  319. 

1.  Ce  que  nous  devons  imiter  dans  Marie  ,  c'est  sa  sain- 
teté :  1.  la  plénitude  de  sa  sainteté;  2.  la  perfection  de  sa 
sainteté  ;  5.  la  persévérance  et  la  fermeté  invariable  de  sa 
sainteté.  P.  5ig — 322. 

2.  Pourquoi  nous  la  devons  imiter  :  pour  avoir  part  à 
la  gloire  dont  elle  prend  aujourd'hui  possession  ;  c'est 
par  le  secours  de  cette  Vierge  que  nous  pouvons  imiter 
sos  exemples.  Adressons-nous  à  elle  pour  cela;  dévouons- 
nous  à  elle  comme  un  de  nos  rois,  et  faisons  une  profes- 
sion publique  de  notre  dévouement.  P.  322 — 328° 

Prière  à  la  Vierge.  P.  528  ,  029. 


Sermon  pour   la  fête  de  tous   les  Saints , 
pag.    33o. 

Sujet.  Dieu  est  admirable  dans  ses  saints  ;  admirable 
dans  leur  prédestination  ,  dans  leur  vocation,  dans  toute 
l'économie  de  leur  salut,  dans  leur  béatitude  et  dans 
1  or  gloire.  Mais  n'en  demeurons  pas  là  ;  car  il  y  a 
des  choses  qui  doivent  encore  plus  nous  toucher.  P.  55o , 
53 1. 

Division.  Dieu  est  admirable  de  nous  avoir  donné  les 
saints  pour  intercesseurs  et  pour  patrons  :  l.re  partie  ; 
admirable  de  nous  avoir  proposé  les  saints  pour  modèles 
et  pour  exemples  :  2.'-  partie.  P.  35 x — 553. 

I.r,:  Paiutie.  Admirable  de  nous  avoir  donné  les  saints 
pour  intercesseurs  et  pour  patrons:  pourquoi?  1-  parce 
qu'en  cela  Dieu  nous  découvre  visiblement  les  trésors 
de  sa  sagesse  et  de  sa  providence;  2.  parce  que  la  gloira 
des  saints  eu  est  iniiuiment  relevée  ;  3.  parce  que  nous  y 


DES   SERMONS.  5o5 

trouvons    de   très-grands    avantages   pour  notre   saint. 
P.  353. 

i.  Dien  ,  en  nous  donnant  les  saints  pour  patrons,  nons 
découvre  visiblement  les  trésors  de  sa  sagesse  et  de  sa 
providence  :  car  c'est  ainsi  qu'il  établît  le  plus  bel  ordre 
et  la  subordination  la  plus  parfaite  qu'il  puisse  y  avo;r 
entre  les  hommes.  Nous  dépendons  des  saints,  et  notre 
dépendance  nous  est  aimable  ,  parce  que  nous  savons  que 
les  saints  s'intéressent  en  notre  faveur.  Leur  élévation, 
an  lieu  de  les  enfler,  leur  donne  des  inclinations  bienfai- 
santes pour  nous;  et,  au  lieu  d'exciter  notre  jalousie  , 
elle  nous  inspire  une  reconnoissance  affectueuse  pour 
eux.  De  plus  ,  c'est  ainsi  que  Dieu  a  trouvé  le  moyen  d'en- 
tretenir une  sainte  correspondance  entre  l'Eglise  triom- 
phante dans  le  ciel  ,  l'Eglise  militante  sur  la  terre  ,  et 
l'Eglise   souffrante    dans    le  purgatoire.  P.    355 — 536. 

2.  La  gloire  des  saints  en  est  infiniment  relevée.  En  ef- 
fet ,  nous  apprenons  de  là  quel  est  le  pouvoir  des  saints  : 
et  s'ils  sout  si  puissans  pour  les  autres ,  quels  trésors  de 
gloire  nepossèdent-ils  pas  pour  eux-mêmes  ?  quelle  gloire 
d'être  nos  médiateurs  auprès  de  Dieu,  et  des  médiateurs 
a.  qui  Dieu  accorde  tout  !  C'est  par  là  même  encore  que 
Dieu  nous  engage  à  les  honorer  nous-mêmes  :  en  sorte 
qu'ils  ont  tout  à  la  fois  et  les  honneurs  du  ciel  ,  et  les 
honneurs  de  la  terre.  P.  556 — 54 1- 

5.  Nous  y  trouvons  de  très-grands  avantages  pour  notre 
salut.  Les  saints  prient  pour  nous  ;  et  comme  leurs  prières 
sont  plus  efficaces  que  les  nôtres,  elles  contribuent  dans 
un  sens  à  notre  salut  plus  que  les  nôtres  :  plus  efficaces, 
dis-je,  que  les  nôtres,  soit  par  la  dignité  des  saints  plus 
relevée  ,  soit  par  leur  charité  plus  épurée ,  soit  par  leur 
attention  beaucoup  plus  constante  et  plus  fixe;  enfin 
parleur  ferveur  beaucoup  plus  ardente  :  aussi  combien 
de  fois  les  hommes  ont-ils  éprouvé  les  salutaires  effets  de 
leur  protection  ?  P.  541 — 544. 

Mais  comment  répondons-nous  h  leurs  soins  ?  Nous  les 


5o6  TABLE    ET    ABRÉGÉ 

déshonorous  sur  la  terre,  nous  violons  les  temples  que 
l'Eglise  a  e'rige's  sons  leur  nom,  nous  profanons  leurs 
fêtes,  aurons-nous  après  cela  bonne  grâce  de  reprocher 
aux  hérétiques  de  notre  siècle  le  me'pris  qu'ils  ont  fait  du 
culte  des  saints  ?  A  cet  abus  qui  regarde  leur  culte  ,  nous 
en  ajoutons  un  autre  qui  est  l'abus  de  leur  invocation. 
Ne  parlons  point  de  ces  prières  abominab  es  qui  feroient 
des  saints  ,  s'ils  les  e'coutoient,  les  fauteurs  de  nos  vices  j 
ne  parlons  point  de  ces  prières  mondaines  et  intéresse'es 
qu'on  fait  aux  saints,  pour  des  biens  temporels  ,  sans 
jamais  leur  demander  des  biens  spirituels.  Le  grand  abus 
de  l'invocation  des  saints  dans  les  prières  même  en  ap- 
parence les  plus  religieuses  ,  c'est  que  nous  voulons  qu'ils 
demandent  à  Dieu  pour  nous  ce  que  Dieu  ,  selon  les 
règles  de  sa  sagesse,  ne  veut  pas  nous  accorder,  et  ce 
qu'il  n'est  pas  à  propos  qu'il  nous  accorde.  Nous  les  in- 
voquons ;  et  du  reste,  comptant  sur  leur  intercession, 
nous  prétendons  vivre  sans  vigilance,  sans  pénitence, 
sans  gêne.  Souvenons-nous  que  si  les  saints  sont  puis- 
sans  auprès  de  Dieu,  ils  ne  le  sont  pas  au  préjudice  de 
Dieu  même,  et  de  ce  que  nous  lui  devons;  et  prenons 
garde  qu'au  lieu  d'être  nos  protecteurs,  ils  ne  deviennent 
nos  accusateurs  et  nos  jnges.  P.  544 — 55i . 

IL*  Partie.  Admirable  de  nous  avoir  proposé  les  saints 
pour  modèles  et  pour  exemples  ;  car  cet  exemple  des 
saints  opère  en  nous  trois  merveilieux  effets  :  i.  il  nous 
persuade  la  sainteté;  ?..  il  nous  adoucit  la  pratique  de 
la  sainteté  ;  5.  il  nous  ôte  tout  prétexte  par  où  nous 
pourrions  nous  défendre  d'embrasser  la  sainteté.  P.  55i } 
552. 

i.  L'exemple  des  saints  nous  persuade  la  sainteté  : 
comment  ?  en  nous  faisant  comprendre  d'une  simple  vue 
toute  la  perfection  et  tout  le  mérite  de  sa  sainteté  :  car 
qu'est-ce  qu'un  saint?  c'est  une  idée  réelle,  visible,  pal- 
pable et  substantielle  de  toute  la  sainteté  évangélique  ; 
et  Dieu  ,  en  nous  le  montrant ,  uous  dit  :  Inspice  ,  et  fac 


DES    SERMONS.  5o7 

secundàm  exemplar  ;  Regarde  et  conforme-toi  à  ce  mo- 
dèle. Or  il  n'est  pas  possible  de  voir  la  sainteté,  je  dis 
la  vraie  sainteté",  telle  qu'elle  a  été  dans  les  saints,  sans 
l'estimer  :  cette  estime  en  fait  naître  l'amour  et  le  désir; 
et  nous  inspirer  ces  sentimens  à  l'égard  de  la  sainteté, 
n'est-ce  pas  nous  la  persuader  ?  L'exemple  de  Dieu  n'é- 
toit  pas  propre  à  faire  sur  nous  le  même  effet  :  car  outre 
que  Dieu  est  invisible  ,  il  n'est  pas  saint  de  la  manière 
que  nous  devons  l'être  ;  notre  sainteté  doit  consister  dans 
la  pénitence,  dans  la  soumission,  etc.  ,  et  tout  cela  ne 
peut  convenir  à  Dieu.  Il  falloit  donc  qu'il  nous  proposât 
des  bommes  comme  nous  et  de  même  nature  que  nous  : 
or  c'est  ce  qu'il  a  fait.  G  est  par  de  semblables  exemples 
que  l'illustre  Matatbias  confirma  ses  enfans  dans  le  culte 
du  Seigneur  ,  et  c'est  dans  le  même  dessein  que  l'Eglise 
a  ordonné  qu'on  exposât  à  nos  jeux  les  images  des  saints. 
P.  552—558. 

■  2.  L'exemple  des  saints  nous  adoucit  la  pratique  de  la 
sainteté  :  car  il  nous  apprend  ,  i.  qu'il  n'y  a  rien  d'impos- 
sible dans  la  sainteté,  puisqu'il  n'y  a  rien  que  les  saints 
n'aient  pu  et  qu'ils  n'aient  soutenu  ;  2.  qu'il  n'y  a  rien 
même  de  si  difficile  qui  ne  puisse  nous  devenir  agréable, 
puisque  les  saints  y  ont  trouvé  et  goûté  les  plus  pures 
douceurs.  Ces  pensées  réveillent  notre  courage ,  et  le 
courage  facilite  tout.  P.  558 — 5Ô2. 

5.  L'exemple  des  saints  nous  ôte  tout  prétexte  par  où 
nous  pourrions  nous  défendre  d'embrasser  la  sainteté. 
Détail  des  divers  prétextes  que  l'exemple  des  saints  dé- 
truit :  ils  pouvoient  les  alléguer  aussi  bien  que  nous. 
Qu'aurous-nons  donc  à  répondre,  quand  Dieu  ,  dans  son 
jugement  dernier,  nous  demandera  compte  de  l'affreuse 
différence  qui  paroîtra  entre  leur  vie  et  la  nôtre.  P.  56a 
—566. 

Compliment  au  roi.  P.  566  ,  56y. 


5o8  TABLE  ET  ABRÉGÉ 


Autre  Sermon  pour  la  fête  de  tous  les  Saints , 
pag.  368. 

Sujet.  Les  disciples  de  Jésus-Christ  s'étant  approchés 
de  lui ,  il  se  mit  à  les  enseigner.  Que  leur  enseignent  ce 
divin  Maître  ?  la  science  des  saints.  P.  568,  56q. 

Division.  Les  saints  ont  trouve'  le  secret  d'accorder  dans 
le  monde  leur  condition  avec  leur  religion  :  i.re  partie. 
Les  saints  se  sont  servis  de  leur  religion  pour  sanctifier 
leur  condition  :  2. e  partie.  Les  saints,  par  un  heureux 
retour,  ont  profité  de  leur  condition  pour  se  rendre  par- 
faits dans  leur  religion  :  5.e  partie.  Telle  a  été  la  science 
des  saints  ,  et  telle  doit  être  la  nôtre.  P.  569 — 571. 

ï.re  Pat.tif.  Les  saints  ont  accordé  dans  le  monde  leur 
condition  avec  leur  religion  :  1.  ils  n'ont  point  cherché  la 
sainteté  hors  de  leur  condition;  2  ils  se  sont  sanctifiés 
jusque  dans  les  conditions  qui  semblent  les  plus  opposées 
à  la  sainteté;  3.  par  le  moyen  même  de  la  pénitence  ,  ils 
ont  acquis  la  sainteté  dans  les  conditions  où  ils  s'étoient 
engagés  sans  avoir  consulté  Dieu,  et  où  le  seul  mou- 
vement de  leurs  passions  les  avoit  fait  entrer.  P.  371 
— 373. 

1.  Ils  n'ont  point  cherché  la  sainteté  hors  de  leur  con- 
dition; mais  ils  s'en  sont  tenus  à  la  maxime  de  saint  Paul  , 
quand  il  di.toit  aux  Corinthiens  :  Que  chacun  travaille 
à  se  sanctifier  dans  l'état  et  selon  l'état  où  il  se  trouvoit 
lorsqu'il  a  embrassé  la  foi;  car  voilà  le  sens  de  ce  pas- 
sage :  Unusquique  in  auâ  vocatione  vocatus  es  ,  in  eâper- 
maneat  apud  Deum.  Ainsi  les  saints,  sans  se  déranger 
et  sans  se  déplacer,  ont  accordé  la  sainteté  ,  les  uns  avec 
la  grandeur,  et  les  autres  avec  l'humiliation  ;  les  uns  avec 
l'opulence,  et  les  autres  avec  la  pauvreté,  etc.  Or,  ce 
qu'ils  ont  fait  lorsqu'ils  étoieutà  ma  place  ,  pourquoi  ne 


DES    SERMONS.  5og 

le  ferois-je  pas  comme  eux  l  n'y  va-t-il  pas  de  tout  mon 
intérêt    P.  5y5 — 375. 

2.  Ils  se  sont  sanctifiés  jusque  dans  les  conditions  qui 
semblent  les  plus  opposées  à  la  sainteté  :  combien  se  sont 
sanctifiés  au  milieu  de  la  cour?  combien  se  sont  sancti- 
fiés dans  la  profession  des  armes  ?  C'est  donc  une  erreur 
de  croire  que  ma  condition  m'empêche  d'ê're  saint  :  er- 
reur qui  ne  sert  qu'à  nous  décourager  j  au  lieu  que  la 
pensée  qu'on  peut  se  sanctifier  dans  son  état,  donne  de 
la  confiance  et  anime.  C'est  encore  une  autre  erreur  de 
se  persuader  qu'on  seroitplusà  Dieu,  et  qu'on  y  pourroit 
plus  être  dans  une  condition  moins  exposée  ;  car  celle 
où  Dieu  vous  a  appelé  est  celle  où  il  vous  a  préparé  plus 
de  grâces,  et  par  conséquent  la  plus  sûre  pour  vous  i 
voilà  ce  qui  a  fixé  les  saints.  P.  5j5 — 58o. 

5.  Ils  se  sont  sanctifiés,  parle  moyen  de  la  pénitence, 
dans  les  conditions  même  où  ils  s'étoient  engagés  sans 
avoir  consulté  Dieu  ,  et  où  le  seul  mouvement  de  leurs 
passions  les  avoit  fait  entrer.  Ne  pouvant  plus  sortir  de 
ces  conditions  ,  ils  ont  cherché  dans  leur  religion  une 
ressource  à  leur  malheur  ;  et  c'a  été  de  pleurer  devant 
Dieu,  et  de  réparer,  par  une  vie  plus  austère,  plus 
exemplaire  ,  plus  régulière  ,  le  crime  de  leur  impru- 
dence :  c'est  ainsi  que  les  saints  ont  su  accorder  leur  con- 
dition et  leur  religion.  Ce  merveilleux  accord  leur  a  coûté  ; 
maïs  en  peut-il  trop  coûter  pour  acquérir  une  science  si 
salutaire  ?  P.  58o — 382. 

II. e  Paiitie.  Les  saints  se  sont  servis  de  leur  religion 
pour  sanctifier  leur  condition.  Ce  que  Salomon  disoit  de 
la  sagesse,  en  demandant  à  Dieu  qu'elle  travaillât  tou- 
jours avec  lui,  les  saints  l'ont  pensé  de  la  religion  Elie 
leur  a  servi  ,  1.  pour  éviter  Ips  désordres  à  quoi  leur 
condition  étoit  sujette;  2.  pour  accomplir  les  devoirs 
dont   leur  condition    étoit   chargée.  P.    582 — 584- 

1.  Us  se  sont  servis  de  leur  religion  pour  éviter  les  dé- 
sordres  à  quoi  leur  condition  étoit  sujette.  Il  y  a  dan? 


5lO  TABLE   ET    ABRÉ  GÉ 

chaque  condition  certains  désordres  essentiels  qne  la  re* 
ligion  seule  peut  corriger;  mais  les  saints,  en  confor- 
mant leur  condition  h  leur  religion  ,  s'en  sont  préservés; 
sans  cela  la  prospérité  les  eût  éblouis ,  l'abondance  les 
eût  corrompus  :  mais  parce  qu'ils  s'étoient  fait  de  leur 
religion  comme  une  armure  divine  pour  se  défendre  de 
toutes  les  tentations,  rien  ne  les  a  pu  pervertir  :  et  voilà 
ce  que  les  païens  même  ont  révéré.  Or  ,  puisque  je  pro- 
fesse la  même  religion  ,  pourquoi  n'en  fais-je  pas  le  même 
usage  ?  P.  584 — SSg. 

2.  Ils  se  sont  servis  de  leur  religion  pour  accomplir 
les  devoirs  dont  leur  condition  étoit  chargée.  11  y  a  dans 
toutes  les  conditions  certains  devoirs  pénibles  et  morti- 
fia ns  ,  et  sans  la  religion,  les  saints  auroient  pris  seule- 
ment de  leurs  conditions  ce  qu'il  y  avoit  d'utile  et  de 
commode,  et  se  seroient  déchargés  du  reste  ;  mais  parce 
qu'ils  agissoient  par  principe  de  religion,  ils  ont  satisfait 
à  tout  ;  et  en  y  satisfaisant,  leur  religion  leur  a  tout  fait 
rapporter  à  Dieu. Quevous  êtes  admirable  dans  vos  saints, 
ô  mon  Dieu  !  et  que  la  science  de  vos  saints  est  profonde 
et  sublime  !  P.  589 — 092. 

IIT.e  Partik.  Les  saints,  par  un  heureux  retour,  ont 
profité  de  leur  condition  pour  se  rendre  parfaits  dans 
leur  religion.  Ils  ont  trouvé  dans  leur  condition  ,  1.  de 
puissans  motifs  pour  s'exciter  à  la  pratique  de  leur  reli- 
gion ;  2.  des  moyens  de  glorifier  Dieu  et  d'honorer  leur 
religion;  5.  des  croix  dont  ils  ont  fait  la  matière  de  leur 
pénitence  et  des  sacrifices  qu'ils  ont  eu  le  bonheur 
d'offrir   à  Dieu  daus   l'esprit  de   leur    religion.   P.    392. 

1.  Des  motifs  pour  s'exciter  à  la  pratique  de  leur  re- 
ligion. Ce  qne  leur  condition  les  obligeoit  à  faire  pour  le 
monde,  ne  snfïïsoit-il  pas  pour  leur  apprendre  ce  qu'ils 
dévoient  faire  à  plus  forte  raison  pour  Dieu?  P.  592 
—397. 

2.  Des  moyens  pour  glorifier  Dieu  et  pour  honorer 


DES    SERMONS.  5ll 

leur  religion.  Combien  ont  fait  pour  Dieu  de  grandes 
choses  ,  parce  que  leur  condition  les  raettoit  en  état  de 
les  faire?  Si  saint  Louis  n'eût  pas  e'téroi,  auroit-il  porté 
tant  de  saintes  lois?  auroit-il  bâti  tant  d'hôpitaux  ?  Cepen- 
dant, sans  faire  ce  que  saint  Louis  a  fait,  je  trouverai 
toujours  dans  la  médiocrité  de  ma  condition  de  quoi 
marquer  à  Dieu  mon  zèle  et  de  quoi  l'honorer.  P.  5ijj  9 
398. 

5  Des  croix  dont  ils  ont  fait  la  matière  de  leur  péni- 
tence et  des  sacrifices  qu  ils  ont  eu  le  bonheur  d'offrir  à 
Dieu  dans  l'esprit  de  leur  religion.  Par  là  ils  ont  eu  dans 
les  conditions  les  plus  relevées  ,  et  jusque  dans  les  cours 
des  princes,  plus  d'occasions  de  se  sanctifier  qu'on  n'en  a 
partout  ailleurs.  Soyons  soumis  et  patiens  comme  eux  : 
c'est  par  la  patience  qu'on  parvient  à  la  même  gloire 
qu'eux.  P.  598 — 4°°' 

Compliment  au  Roi.  P.  4°o — 4°1« 


Sermon  pour  le  jour  de  la  Commémoration  des 
Morts  ,  pag.  4° 5. 

Sujet.  Je  vous  dis  en  vérité  que  l'heure  est  venue  ,  et 
c'est  celle-ci,  où  les  morts  entendront  la  voix  du  Fils 
de  Dieu,  et  où  ceux  qui  V entendront  ,  vivront.  Cette 
voix  du  Fils  d».-.  Dieu  ,  c'est  la  voix  de  son  sang  ,  qui  , 
dans  le  sacrifice  de  l'autel  ,  a  été  aujourd'hui  offert  à 
Dieu  pour  les  morts  ;  il  s'est  fait  entendre  à  ces  âmes 
que  la  justice  de  Dieu  retient  dans  le  purgatoire, et  il  leur 
a  annoncé  l'heureuse  nouvelle  de  leur  délivrance.  P.  4o5 

—407. 

Division.  Ne  pas  secourir  les  âmes  du  purgatoire, parce 
qu'on  n'est  pas  persuadé  des  peines  qu'elles  y  souffrent, 
ni  qu'il  y  ait  un  purgatoire  ,  c'est  une  conduite  aussi  dé- 
raisonnable qu'elle  est  pleine  d'erreur  :  i.re  partie.  Etre 
persuadé  des  peines  que  souffrent  les  âmes  du  purgatoire, 


5l2  TABLE  ET   ABRÉGÉ 

et  ne  pas  travailler  à  les  secourir,  c'est  une  dureté  aussi 
criminelle  qu'elle  est  contraire  à  la  piété  et  aux  lois 
même  de  l'humanité  :  2.e  partie  Etre  disposé  à  secourir 
les  âmes  du  purgatoire  ,  et  ne  se  servir  pour  cela  que 
de  moyens  inefficaces,  c'est  un  désordre  aussi  commun 
qu'il  est  déplorable  dans  le  christianisme  :  5.e  partie. 
P.  407— 4" 9- 

I  re  Partie.  Ne  pas  secourir  les  âmes  du  purgatoire  , 
parce  qu'on  n'est  pas  persuadé  des  peines  qu'elles  y  souf- 
frent ,  ni  qu'il  y  ait  un  purgatoire  ,  c'est  une  conduite 
aussi  déraisonnable  qu'elle  est  pleine  d'erreur.  Telle  est 
néanmoins  la  conduite  des  hérétiques  et  de  ceux  qui  par 
libertinage  entrent  sur  ce  point  dans  leurs  sentimens  : 
conduite  où  il  est  aisé  de  découvrir  trois  grands  défauts. 
P.  409  ,  410- 

1.  Dans  un  doute  de  spéculation  ,  ils  se  mettent  au  ha- 
sard de  manquer  à  un  des  plus  importans  devoirs  de  la 
justice  et  de  la  charité  chrétienne.  Car  enfin  les  héré- 
tiques, malgré  eux,  sont  forcés  de  reconnoître  que 
comme  ils  n'ont  point  d'assurance  qu'il  y  ait  un  purga- 
toire ,  aussi  n'ont-ils  point  d'assurance  qu'il  n  y  en  ait 
pas.  Or,  dans  un  tel  doute,  conclure  à  ne  point  prier 
pour  les  morts  ,  est-ce  une  conduite  sage  ?  Nous  qui 
crovons  le  purgatoire,  uous  ne  sommes  pas  pour  cela 
certains  que  ceux  d'entre  les  morts  pour  qui  nous  prions 
en  particulier,  y  soient  actuellement;  car  ils  peuvent 
être,  ou  dans  le  ciel,  on  dans  l'enfer.  Cependant  nous 
prions  toujours  :  pourquoi  ?  parce  que  ,  comme  dit  saint 
Augustin,  il  vaut  mieux  s'exposera  faire  pour  ces  âmes 
des  prières  superflues,  que  de  se  mettre  eu  danger  de 
ne  pas  faire  pour  elles  des  prières  nécessaires.  Ainsi  de- 
vroient  raisonner  les  hérétiques.  P.  410 — 4'^* 

2.  Ils  ne  prient  pas  pour  les  morts,  parce  qu'ils  ne 
croient  pas  le  purgatoire  :  mais  ,  tout  au  contraire  ,  ils 
devroieut  croire  le  purgatoire  ,  parce  qu'il  est  évident  et 
incontestable  qu'il  faut  prier  pour  les  morts.  Rien  de  plus 


DES    SERMONS.  5l3 

Solidement  établi  par  l'autorité  de  l'Ecritare  ,  par  celle 
des  anciens  conciles  et  des  Pères  ,  par  toute  la  tradition, 
que  la  prière  pour  les  morts.  Or  s'il  faut  prier  pour  les 
morts,  il  y  a  donc  un  purgatoire.  Mais  pour  ne  vouloir 
pas  tirer  cette  conséquence ,  les  hérétiques  nient  le 
principe  j  et  pour  le  nier  ,  ils  rejettent  des  livres  de 
l'Ecriture  très-authentiques  ,  et  ne  défèrent  ni  aux  con» 
ciles  ,  ni  aux   Pères  ,  ni  à  la  tradition.  P.  4» 5 — 4i8. 

3.  De  ce  qui  est  incertain  touchant  le  purgatoire,  ils 
se  font  un  préjugé  contre  le  purgatoire  même.  Par 
exemple ,  ce  qui  les  choque  ,  ce  sont  certaines  peintures 
sensibles  et  affreuses  qu'on  nous  en  fait.  Mais  moi ,  si 
j'étois  à  leur  place  ,  je  me  dirois  à  moi-même  :  Je  ne  sais 
point  expressément  ni  où  souffrent  1rs  âmes  des  morts 
que  Dieu  purifie  ,  ni  ce  qu'elles  souffrent,  ni  comment 
elles  souffrent;  mais  sans  examiner  toutes  ces  circons- 
tances, qui  ne  sont  point  essentielles,  il  me  suffit  de 
savoir  qu'elles  souffrent,  qu'il  est  juste  qu'elles  souffrent, 
et  que  je  puis  les  soulager  dans  leurs  souffrances  Quel 
bonheur  pour  nous,  fidèles  catholiques,  d'être  les  en- 
fans  d'une  Eglise  qui  ne  nous  abandonne  ,  ni  pendant 
notre  vie  ,  ni  après  notre  mort  !  P.  418 — 42^. 

II.e  Partie.  Etre  persuadé  des  peines  que  souffrent  les 
âmes  du  purgatoire  ,  et  ne  pas  travailler  à  les  secourir, 
c'est  une  dureté  aussi  criminelle  qu'elle  est  contraire 
à  la  piété  et  aux  lois  même  de  l'humanité;  elle  blesse 
trois  intérêts  différens  :  1.  l'intérêt  de  Dieu,  2.  l'in- 
térêt de   nos  frères ,   5.  notre  propre  intérêt.   P.  42^  , 

424 

1.  L'intérêt  de  Dieu.  Car  ,    délivrer  une  anse  dix  pur- 
gatoire ,  c'est  procurer  un  accroissement  de  gloire  à  Dieu  » 
-.uitii'U  glorifier  Dieu  qu'on  le  glorifie  par  la  conver- 
i  'leb  infidèles  j  c'est  le  glorifier  comme  Jésus-Christ 
lorifia  lorsqu'il   descendit  dans  les    limbes  pour  en 
tirer  les  âmes  des  puciens  patriarches;  c'est,  pour  ainsi 
dire  ,  tirer  Dieu  lui-même  d'un   état  violent  où   il  se 
TOME    XI.  33 


^^  TABLE  ET  ABRÉGÉ 

trouve,  obligé  qu'il  est  de   punir  des  âmes  qui  lui  sont 

chères  ,  et  qu'il  voudroit  rassembler  dans  sou  sein.  P.  424 

2:  L'inte'rêt  de  nos  frères.  Ils  souffrent,  et  ce  sont 
uos   proches,   nos  parens,   nos   amis.  P.  429—451. 

5.  Notre  propre  intéié'  '.utant  dames  que  nous  dé- 
livrons ,  ce  sont  autant  de  piuUi  leurs  que  nous  avons 
dans  le  ciel.  Mais  si  nous  abandonnons  ces  âmes, Dieu  per- 
mettra que  nous  soyons  nous-mêmes  un  jour  délaissés. 
P.  45i—455. 

111. e  Partie.  Etre  disposé  à  secourir  les  âmes  du  pur- 
gatoire, et  ne  se  servir  pour  cela  que  de  moyens  ineffi- 
caces, c'est  un  désordre  aussi  commun  qu'il  est  déplo- 
rable dans  le  christianisme.  0.»  ne  laisse  pas  d'avoir  pour 
les  morts  quelque  piété;  mais,  1.  piété  stérile  et  infruc- 
tueuse j  2  piété  d'ostentatiou  et  de  faste;  5.  piété  toute 
païenne;  4.  piété  qui,  quoique  chrétienne,  ne  produit 
que  des  œuvres  mortes  et  sans  mérite.  P.  455 — 455. 

i.  Piété  stérile  et  infructueuse  :  beaucoup  de  larmes 
et  peu  de  prières  :  c'est  même  sur  d'autres  qu'on  se 
décharge  absolument  du  soin  de  prier.  P.  435—458. 

2.  Piété  d'ostentation  et  de  faste.  Ou  ne  pense  qu'à 
l'extérieur  des   devoirs  funèbres  ,   aux  cérémonies  d'un 

deuil,  etc.  P.  45»»  439- 

3.  Piété  toute  païenne.  Elle  n'a  que  la  chair  et  le 
sang  pour  objet ,  sans  a^ir  dans  les  vues  de  la  foi.  F.  ^5gv 

44o. 

4.  Piété  qui,  quoique  chrétienne,  ne  produit  que  des 
oeuvres  mortes  et  sans  mérite.  Ou  prie,  mais  sans  être 
en  grâce  avec  Dieu.  Tout  ce  que  nous  faisons  ?lors  sont 
des  œuvres  mortes  pour  nous-mêmes;  faut  il  s'étonner 
qu'elles  le  soient  encore  plus  pour  les  autres  ?  Exceptons 
néanmoins  de  cette  règle  le  sacrifice  de  la  messe  Indul- 
gence pour  les  morts  qu'on  peut  gagner  par  lu  commu- 
nion ,  après  s'être  purifié  par  le  sacrement  de  Lx  pénitence. 
P.  440—444. 


DES   SERMONS.  Sl5 


Sermon  pour  l'Ouverture  du  Jubilé ,  pag.  445» 

Sujet.  Nous  vous  exhortons  à  ne  pas  recevoir  en  vain 
la  grâce  de  Dieu  j  car  Dieu  nous  dit  lui-même  dans  VE- 
criture ,  je  vous  ai  exaucé  au  temps  favorable  ,  et  je 
vous  ai  aidé  au  jour  du  salut.  Or  voici  maintenant  ce 
temps  favorable  ,  voici  ces  jours  de  salut.  Ce  temps  fa- 
vorable pour  nous  ,  c'est  ce  temps  d'indulgence  et  de  ju- 
bile'. P.  445  ,  446, 

Division.  Ce  que  c'est  que  la  grâce  du  jubilé  :  i.rc  par- 
tie ;  ce  qui  est  nécessaire  pour  avoir  part  à  la  grâce  du 
jubilé  ;  2.e  partie  ;  ce  que  doit  opérer  dans  nous  la  grâce 
du  jubilé  :  3.e  partie.  P.  44^>  447- 

I.re  Partie.  Qu'est-ce  que  la  grâce  du  jubilé?  c'est  pro- 
prement la  rémission  de  la  peine  temporelle  qui  reste  à 
subir  au  pécheur  après  que  son  péché  lui  est  pardonné. 
Il  faut  distinguer  deux  choses  dans  le  péché,  la  coulpe 
et  la  peine.  La  coulpe  ne  peut  être  remise  que  par  le 
sacrement  de  pénitence,  ou  par  la  contrition  parfaite  ; 
mais  par  une  grâce  spéciale ,  Dieu  remet  la  peine  en 
vertu  de  l'indulgence  et  du  jubilé.  P.  447 — 449* 

En  vain  les  hérétiques  prétendent  qae  Dieu  ne  remet 
jamais  la  coulpe  ou  l'offense  ,  sans  remettre  la  peine  j  et 
que  Jésus-Christ  ayant  satisfait  pleinement  pour  nous  , 
toute  aatre  satisfaction  seroit  inutile  et  diininueroit  même 
le  mérite  du  sacrifice  de  la  croix  j  car,  1.  il  ne  faut  que 
l'exemple  de  Moïse  et  de  David  pour  nous  convaincre 
que  Dieu  ,  en  pardonnant  même  le  péché  ,  se  réserve 
encore  le  droit  de  punir  temporellement  le  pécheur  j  2.  il 
est  évident,  par  le  témoignage  de  saint  Paul  ,  que  nos 
satisfactions  doiveut  être  jointes  à  celles  de  Jésus-Christ  : 
Adimpleo  ea  quœ  desunt  passionum  Chris ti  ,  in  carne 
med.V.  45o,45x. 

Tenons-nous-en  donc  toujours  à  la  même  proposition  » 


5l  G  TABLE    ET   ABRÉGÉ 

que  Dieu,  par  l'indulgence  et  le  jubile',  nous  remet  la 
peine  temporelle  qui  ëtoit  due  à  nos  pe'ehe's  ,  et  dont 
l'exacte  mesure  n'eût  pu  sans  cela  être  remplie  que  par 
nos  satisfactions.  Ainsi  l'Eglise  catholique  l'a-t-elle  en- 
tendu ,  expliquant  cette  promesse  faite  à  saint  Pierre  : 
Tout  ce  que  vous  délierez  sur  la  terre  ,  sera  délié  dans 
le  ciel.  Pouvoir  dont  saint  Paul  et  les  évêques  des  pre- 
miers siècles  ont  use';  pouvoir  par  où  les  indulgences  se 
sont  établies  et  perpétuées  dans  le  monde  chrétien.  Il  est 
vrai  qu'il  a  pu  se  glisser  sur  cela  des  abus  dans  le  chris- 
tianisme :  mais  outre  que  l'Eglise  les  a  corrigés  ,  l'abus 
même  des  indulgences  est  une  preuve  de  leur  vérité  et 
de  leur  sainteté  ;  car  ,  selon  Tertullien  ,  on  n'abuse  que 
de  ce  qui  est  boa  ,  et  on  ne  profane  que  ce  qui  est  saint. 
P.  45i—455. 

Mais  en  quoi  le  jubilé  est-il  différent  de  ces  autres  in- 
dulgences que  nous  appelons  plénières  l  1.  c'est  une  in- 
duIgencebeaucoupplussolennelle;2.  c'est  une  indulgence 
beaucoup  plus  privilégiée  ;  3.  c'est  une  indulgence  beau- 
coup plus  sûre.  Recevons-la  donc  avec  respect ,  avec  re- 
conuoissance  et  action  de  grâces,  et  avec  toute  l'obéis- 
sance de  la  foi.  P.  455 — 459- 

II.e  Pahtie.  Quelles  dispositions  sont  nécessaires  pour 
avoir  part  a  l'indulgence  du  jubilé?  1.  Etre  en  état  de 
grâce,  voilà  la  disposition  habituelle;  ?..  accomplir  les 
œuvres  prescrites  par  la  bulle ,  voilà  la  disposition  ac- 
tuelle. P.  459. 

1.  Etre  en  état  de  grâce  :  car  l'indulgence  est  une 
faveur  qui  ne  s'accorde  qu'aux  justes  et  aux  amis  de 
Dieu:  d'où  suivent  trois  conséquences  :  la  première , 
qu'il  faut  donc  renoncer  à  tout  péché;  la  seconde,  qu'il 
suffit  donc  d'avoir  la  conscience  chargée  d'un  seul  péché 
mortel  pour  être  incapable  de  gagner  l'indulgence  du 
jubilé,  et  qu'il  suffit  même  d'être  coupable  d'un  seul  pé- 
ché véniel  qu'on  ne  déteste  pas  ,  pour  ne  la  pouvoir  ga- 
gner dans  toute  sou  étendue  j  la  troisième,  qu'il  faut  donc 


DES    SERMONS.  Blj 

être  vraiment  contrit  et  pénitent.  De  là  jugeons  combien 
il  y  en  aura  peu  qui  participeront  à  cette  grâce  du  jubilé. 
P.  459—462. 

De  là  même  concluons  encore  qu'il  n'est  donc  pas 
vrai  que  l'indulgence,  et  par  conséquent  le  jubilé, 
anéantisse  la  pénitence  ,  ainsi  que  les  hérétiques  nous 
l'ont  reproché  ,  ni  que  ce  soit  même  un  relâchement  de 
la  pénitence  ;  puisque  le  jubilé  suppose  la  pénitence  et 
ce  qu'il  y  a  de  plus  difficile  dans  la  pénitence,  qui  est 
la  conversion  du  cœur  :  et  puisque  c'est  au  même  temps 
le  motifle  plus  engageant  pour  exciter  les  pécheurs  à 
faire  de  dignes  fruits  de  pénitence ,  c'est  au  contraire 
dans  la  doctrine  des  hérétiques  que  l'on  découvre  le  re- 
lâchement visible  et  l'anéantissement  de  la  pénitence  : 
car  n'est  ce  pas  l'anéantir  que  de  la  réduire  à  un  simple 
acte  de  foi ,  et  de  la  dépouiller ,  comme  ont  fait  les  au- 
teurs du  schisme  ,  de  toutes  les  oeuvres  humiliantes,  la- 
borieuses et  pénibles  i  P.  462 — 466. 

2.  Accomplir  les  oeuvres  prescrites  par  la  bulle  ,  qui 
sont,  1.  la  confession,  2.  l'aumône,  5.  le  jeûne  ,  4- la 
visite  des  Eglises  ,  5.  les  prières  ordonnées ,  6.  la  com- 
munion. Admirons  la  bonté  de  notre  Dieu ,  qui  veut  bien  , 
à  de  telles  conditions  ,  se  relâcher  de  tous  ses  droits. 
P.  466—470. 

III. e  Partie.  Que  doit  opérer  en  nous  la  grâce  du  ju- 
bilé ?  le  renouvellement  intérieur  de  nos  personnes  :  re- 
nouvellement qui  ne  doit  consister  ni  en  de  vains  pro- 
jets, ni  en  des  idées  vagues  ,  mais  dans  une  réformation 
entière  de  nos  moeurs.  Sans  cela  le  jubilé  n'est  qu'une 
pure  cérémonie  :  et  que  sera-ce  en  effet  autre  chose  pour 
tant  de  chrétiens  l  on  les  verra  tels  après  le  jubilé  qu'ils 
étoient  auparavant.  P.  470 — 47^. 

Mais  tous  les  temps  ne  sont-ils  pas  bons  pour  travailler 
à  ce  renouvellement  de  nous-mêmes  ?  oui;  mais  le  temps 
du  jubilé  y  est  spécialement  propre;  car  1.  le  jubilé 
est  l'engagement  le  plus  naturel  à  ce  renouvellement  de 


5l8  TABLE   ET  ABRÉGÉ  I>ES  SERMONS. 

de  vie;  2.  le  jubilé  est  le  moyen  ie  plus  efficace  de  ce 

renouvellement   de   vie  j  5.  le   jubilé  est  l'occasion  la 

plus  avautageuse  pour  ce  renouvellement  de  vie.  P.  474- 

—476. 

Travaillons  donc  sans  différer  au  parfait  renouvelle*- 
ment  et  au  changement  intérieur  de  nos  âmes  j  et  qu'il 
ne  nous  arrive  pas  comme  à  l'infortunée  Jérusalem  , 
d'ajouter  à  nos  autres  désordres  celui  de  ne  pas  connoîtra 
le  temps  où  Dieu  nous  visite,  et  par  là  de  mettre  le  comble 
à  notre  réprobation.  P.  4?6 — 47& 


FIN  DU  TOME   ONZIEME, 


nK  l'imprimerie  de  fr.  mistral. 


SERMONS 

CONTENUS  DANS  CE  VOLUME. 


Sermon  sur  la  Conception  de  la  Vierge.  Pag.  i 
Sermon  sur  l'Annonciation  de  la  Vierge.  48 
Autre  sermon  sur  V Annonciation  de  la  Vierge. 

u 

Premier  sermon  sur  la  Purification  de  la  Vierge. 

124 
Deuxième   sermon   sur   la    Purification   de  la 

Vierge.  1 62 

Troisième    sermon   sur  la    Purification  de   la 

Vierge.  201 

Sermon  sur  V Assomption  de  la  Vierge.  2S4. 
Sermon  sur  la  Dévotion  à  la   Vierge.  290 

Sermon  sur  la  Fête  de  tous  les  Saints.  33o 

Autre  sermon  sur  la  Fête  de  tous  les  Saints.  368 
Sermon  sur  la  Commémoration  des  Morts.  4o5 
Sermon  sur  V Ouverture  du  Jubilé.  44^ 


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UNIVERSITY  OF  TORONTO  LIBRARY 


BX  Bourduloue,  Louis 

890  Oeuvres  complètes  de 

B74.  Bourduloue 

1821 

T. 11