*H
OEUVRES
COMPLETES
DE BOURDALOUE,
DE LA COMPAGNIE DE JÉSUS.
DEUXIEME PARTIE DES MYSTÈRES.
TOME ONZIEME.
DE L'IMPRIMERIE DE J. B. KINDELEM.
OEUVRES
COMPLETES
DE BOURDALOUE,
DE LA COMPAGNIE DE JÉSUS;
NOUVELLE ÉDITION,
AUGMENTÉE D'UNE NOTICE SUR SA VIE ET SES OUVRAGES,
ET D'UNE TABLE GÉNÉRALE DES MATIÈRES.
TOME ONZIEME.
A LYON,
CHEZ F.0,s GUYOT, LIBRAIRE -EDITEUR,
R-UE MERCIÈRE, IV.0 5g , AUX TROIS VERTUS THEOLOGALES.
I82I.
T. Il
SERMON
SUR
LA CONCEPTION DE LA VIERGE.
Jacob autem genuit Joseph virum Maria?, de quâ
natus est Jésus, qui vocatar Christus.
Jacob fut père de Joseph , l'époux de Marie , de
laquelle est né Jésus, qu'on appelle Christ. Ea saint
Matthieu, chap. i.
Sire,
Jun peu de paroles , voilà l'éloge le plus accompli
de l'illustre Vierge dont nous célébrons aujourd'hui
la fête : c'est celle de qui est né le Sauveur : De
quâ natus est Jésus. Voilà ce qui rend la concep-
tion de Marie, non-seulement si glorieuse, mais
si sainte; et sur quoi saint Augustin s'est fondé ,
quand il a dit que, pour l'honneur de Jésus-Christ,
il exceptoit toujours Marie lorsqu'il s'agissoit du
péché , et qu'il ne pouvoitpas même souffrir qu'on
mît en question si elle y avoit été sujette. Excepta
Virgine Maria, de quâ , propter honorem Do-
mini , nullam prorsùs , cùm de peccato agitur,
haberi volo quœstionem. La raison qu'il en ap-
porte marque encore mieux sa pensée. Car nous
savons, ajoute ce saint docteur, que cette Vierge
incomparable a reçu d'autant plus de grâces pour
tome xi. i
fe SUR LA CONCEPTION
triompher entièrement du péché , que c'est elle
qui a mérité de concevoir et de porter dans ses
chastes entrailles celui que la foi nous assure avoir
été exempt de tout péché , et absolument incapable
d'avoir rien de commun avec le péché : Inde enim
scimus , quod ei tantô plus gratiœ collatum fuit
ad vincendum ornni ex parle peccatum , quia
concipere et parère meruit eum , quem constat
nullum habuisse peccatum. Témoignage bien au-
thentique en faveur de la sainte Vierge; règle sûre,
que tout prédicateur de l'Evangile peut suivre en-
core aujourd'hui, puisqu'il y a tant de siècles que
saint Augustin , le plus grand docteur de l'Eglise ,
se la prescrivoit lui-même : Excepta Virgine
Maria. C'est ce qui détermina les Pères du concile
de Trente à déclarer que leur intention n'étoit pas
de comprendre l'immaculée et bienheureuse Mère
de Dieu (car ainsi l'appellent- ils) dans le décret
où il s'agissoit du péché d'origine : Déclarât hœc
sancta sjnodus , non esse intentionis suœ ,
comprehendere in hoc decreto, ubï de peccato
originali agitur , beatam et immaculatam Dei
genitricem. Or, le saint concile n'ayant pas voulu
la confondre avec le reste des hommes dans la loi
générale du péché, qui seroit assez téméraire pour
l'y envelopper? Tel est aussi le motif pourquoi
l'Eglise, conduite par l'esprit de Dieu, a institué
cette fête particulière sous le titre de la Concep-
tion de Marie. Elle prétend honorer la grâce pri-
vilégiée et miraculeuse qui sanctifia la Mère de
Dieu dès le moment qu'elle fut conçue; et c'est à
DE LA VIERGE. 3
moi, mes chers auditeurs, de contribuer à ce des-
sein de l'Eglise, et de vous faire trouver dans ce
mystère , tout stérile qu'il paroit pour l'édification
des mœurs, un fonds également avantageux, et
pour la gloire de Marie , et pour notre propre uti-
lité. Or c'est, comme vous l'allez voir, à quoi je
me suis attaché. Mais il me faut, Vierge sainte,
un secours puissant; il me faut des lumières pour
m'éclairer, des grâces pour me soutenir, et c'est
par vous que je les obtiendrai, en implorant auprès
de Dieu votre intercession, et vous disant : Ave ,
Maria,
J'entre dans mon sujet par une pensée qui m'a
paru digne de toutes vos réflexions, et à laquelle
j'ai cru devoir m'arrêter, parce qu'elle me fournit
une ample matière d'instruction et de morale tou-
chant le mystère que nous solennisons. Car je pré-
tends que ce mystère , par la comparaison que nous
devons faire, et qu'il nous donne lieu de faire entre
Marie et nous, ou plutôt entre la conception de
Marie et la nôtre , nous découvre aujourd'hui trois
choses , en quoi consiste la science la plus solide
et la plus salutaire de l'homme chrétien , qui est
la connoissance de nous-mêmes; trois choses qu'il
nous est surtout important de bien pénétrer, et que
nous ne pouvons ignorer, sans ignorer le fend de
notre religion : savoir , ce que nous sommes sans la
grâce , ce que nous sommes par la grâce, et ce que
nous devons à la grâce. Quand je dis la grâce ,
j'entends celle que les théologiens appellent grâce
sanctifiante , et qui est en nous le plus précieux de
4 SUR LA CONCEPTION
tous les dons de Dieu , puisque c'est par elle que
de pécheurs nous devenons justes, et d'ennemis de
Dieu enfans de Dieu. J'entends cette grâce habi-
tuelle que Dieu répand dans nos âmes , et qui est
l'effet , ou du baptême , que je puis pour cela dé-
finir , après saint Jérôme , le sacrement de notre
conception spirituelle et de notre régénération ; ou
de la pénitence , qui , nous tenant lieu d'un second
baptême, est le sacrement de notre justification.
Je prétends , dis-je , que le mystère de la concep-
tion de Marie , bien médité et bien approfondi ,
nous fait parfaitement connoître ces trois choses :
ce que nous sommes sans la grâce, c'est-à-dire,
la corruption de notre nature par le péché; ce que
nous sommes par la grâce, c'est-à-dire, l'excel-
lence de notre sanctification par le baptême ; ce
que nous devons à la grâce , c'est-à-dire , la vigi-
lance et le soin avec lequel nous devons la con-
server en nous et l'honorer. Comprenez , s'il vous
plaît, mon dessein. Marie, par le privilège de sa
conception, pleinement victorieuse du péché, nous
fait connoître, par une règle toute contraire , l'état
malheureux où nous a réduits le péché : ce sera la
première partie. Marie, sanctifiée par la grâce de
sa conception , nous fait connoître , avec toute la
proportion qu'il peut y avoir , l'heureux état où.
nous sommes élevés parla grâce de notre adoption :
ce sera la seconde partie. Marie , fidèle à la grâce
de sa conception , nous fait connoître par sou
exemple l'obligation indispensable que nous avons
île ménager et d'honorer la grâce en vertu de la-
DE LA VIERGE, S
quelle nous sommes devant Dieu tout ce que nous
sommes : ce sera la dernière partie. Or , être ins-
truit de tout cela, c'est avoir une connoissance
entière et parfaite de nous-mêmes; car c'est con-
noître tout à la fois, et notre véritable misère, et
notre solide bonheur , et notre plus important
devoir: voilà ce que j'appelle l'homme, et, selon
l'expression de la Sagesse , tout l'homme : Hoc est
enim omnis homo (i). Notre véritable misère ,
pour en gémir devant Dieu dans l'esprit d'une
sainte componction ; notre solide bonheur , pour en
bénir Dieu , et lui en rendre grâce dans l'esprit
d'une humble confiance ; et notre plus important
devoir , pour l'accomplir , en marchant dans la voie
de Dieu , selon l'esprit et les règles de la pru-
dence chrétienne : c'est tout le partage de ce
discours, et ce qui demande une attention parti-
culière.
PREMIÈRE PARTIE.
Ce n'est point un paradoxe que j'ai avancé , mais
un principe certain que j'ai établi , quand j'ai dit
que le privilège de la conception de Marie , par où
elle a triomphé du péché, nous fait clairement
connoître l'état malheureux où le péché nous a
réduits ; et que , pour nous bien convaincre de ce
que nous sommes sans la grâce , nous n'avons qu'à
nous appliquer le mystère de ce jour. En voici la
preuve. Marie , au moment que Dieu la forma dans
le sein de sa mère , se trouva , par l'avantage sin-
(0 Eccl» 13.
6 SUR LA CONCEPTION
gulier de sa conception, et la plus illustre , et la
plus accomplie , et la plus heureuse de toutes les
créatures. La plus illustre : elle étoit de la maison
royale de Juda ; et , comme petite-fille de David ,
combien pouvoit-elle compter parmi ses ancêtres
de monarques et de souverains ? La plus accom-
plie : elle étoit dès-lors le chef-d'œuvre de la
toute-puissance du Créateur; et, par les qualités
ëminentes qui la distinguoient , et qui dévoient
faire de sa personne le miracle de son sexe , rien
dans l'ordre de la nature ne lui pouvoit être com-
paré. La plus heureuse : elle étoit conçue pour être
la mère d'un Dieu , et pour donner au monde un
Rédempteur. Rien de plus vrai , Chrétiens. Mais ,
o profondeur et abîme des conseils de Dieu ! tout
cela sans la grâce , et hors de la grâce dont Marie ,
dans sa conception, reçut les prémices, non-seu-
lement n'eût été de nul mérite devant Dieu , mais
n'eût pas empêché que Marie même , malgré tous
ces avantages, ne fût personnellement l'objet de la
haine de Dieu : c'est ce que la foi nous oblige de
croire. Or , quelle conséquence ne devons-nous
donc pas tirer de là , pour comprendre ce que c'est,
par rapport à nous , que la malédiction du péché ,
et jusqu'où s'étend la fatale disgrâce de notre ori-
gine ? Non , mes chers auditeurs , Dieu , dont le
discernement est infaillible, et qui, seul juge équi-
table du mérite de sa créature, sait l'estimer par
ce qu'elle vaut, ne considéra Marie dans sa con-
ception , ni par la noblesse de sa naissance , ni par
les grâces naturelles dont le ciel commençoit déjà
BE LA VIERGE. f
et si libéralement à la pourvoir, ni même absolu-
ment parce que le Saint des saints devoit naître-
d'elle. Cela pouvoit suffire pour rendre sa concep-
tion glorieuse , mais cela ne suffisoit pas pour faire
de cette Yierge une créature selon le cœur de Dieu*
Ainsi Dieu ne l'estima, Dieu ne la regarda comme
sa fille bien-aimée , que parce qu'elle lui parut dès-
lors revêtue de sa grâce , et affranchie de la cor-
ruption du péché. Vérité si constante (ne perdez
pas cette remarque de saint Chrysostôme , aussi
édifiante pour vous qu'elle est essentielle au sujet
que je traite), vérité si constante, que parce qu'il
y a eu des ancêtres de Marie prévaricateurs, im-
pies, idolâtres : quoiqu'ancêtres de Marie et de
Jésus-Christ même, ils ont néanmoins été réprouvés
de Dieu. Par où Dieu, ajoute saint Chrysostôme , a
voulu montrer, jusque dans les ancêtres de son
Fils , que tout ce qui ne porte pas le caractère de
la sainteté est indigne de lui; que tout ce qui esb
infecté de la contagion du péché, quelque grand
d'ailleurs qu'il puisse être selon le monde , n'est à
ses yeux qu'un sujet de réprobation. Arrêtons-nous,
là , chrétiens ; et , sans perdre Marie de vue , com-
mençons par là à découvrir ce que nous sommes-
Nous avons tous été conçus dans le péché ; la
foi nous l'apprend, et l'expérience même nous le-
fait sentir. Voilà le fond de notre misère , que nous
prétendons bien connoître ; et moi, je vais vous
faire voir combien il s'en faut que nous ne l'ayons
jusques à présent connu. Ecoutez-moi, et vous en
allez convenir. Il est vrai , éclairés des lumières de
8 SUR LA CONCEPTION
la foi , nous confessons avec l'Apôtre, qu'an mo-
ment de notre conception , nous sommes tous en-
fans de colère : Naturel filii irœ (i); et il n'y a
personne qui ne soit prêt aujourd'hui à dire àDieu
comme David : Ecce in iniquitatibus conceptus
swn , et in peccatis concepit me mater mea (2).
Vous voyez , Seigneur , que j'ai été formé dans
l'iniquité , et que la mère qui m'a conçu, m'a conçu
dans le péché. Ainsi parlons-nous , quand, touchés
de l'esprit de pénitence, nous entrons dans les
sentimens de ce saint roi. Nous n'en demeurons pas
là : parce que nous avons été conçus dans le péché,
nous nous reconnoissons de bonne foi sujets aux
désordres qu'il produit, et qui en sont les tristes
effets; c'est-à-dire, nous savons que ce premier
péché nous a attiré un déluge de maux , et que,
par les deux plaies mortelles qu'il nous a faites ,
l'ignorance et la concupiscence , il a répandu le
venin de sa malignité dans toutes les puissances de
notre ame; que c'est pour cela qu'il n'y a plus rien
en nous de sain ; que notre esprit est susceptible
des plus grossières erreurs ; que notre volonté est
comme livrée aux plus honteuses passions ; que
notre imagination est le siège et la source de l illu-
sion ; que nos sens sont les portes et les organes
de l'incontinence ; que nous naissons remplis de
foiblesses, assujettis à l'inconstance et à la vanité
de nos pensées , esclaves de nos tempéramens et de
nos humeurs, dominés par nos propres désirs.
INous n'ignorons pas que de là nous vient cette
(1) Ephes. 2. — (2) Psal. 5o.
DE LA VIERGE. g
difficulté de faire le bien , cette pente et cette in-
clination au mal, cette répugnance à nos devoirs,
cette disposition à secouer le joug de nos plus lé-
gitimes obligations, cette haine de la vérité qui
nous corrige et qui nous redresse, cet amour de la
flatterie qui nous trompe et qui nous corrompt, ce
dégoût de la vertu , ce charme empoisonné du
vice : de là cette guerre intestine que nous sentons
dans nous-mêmes , ces combats de la chair contre
la raison, ces révoltes secrètes de la raison même
contre Dieu , cette bizarre obstination à vouloir tou-
jours ce que la loi nous défend, parce qu'elle nous
le défend , et à ne vouloir point ce qu'elle nous
commande , parce qu'elle nous le commande ; à
aimer par entêtement ce qui souvent en soi n'est
point aimable , et à rejeter injustement et opiniâtre-
ment ce qu'on nous ordonne d'aimer, et ce qui
mériteroit de l'être. Renversement monstrueux, dit
saint Augustin , mais qui , par là même qu'il est
monstrueux, devient la preuve sensible du péché
que nous contractons dans notre origine, et que
nous apportons en naissant. Voilà , encore une
fois , ce que nous éprouvons , et ce que nous re-
gardons comme les suites malheureuses de notre
conception. Or, convenir de tout cela , me direz-
vous, n'est-ce pas suffisamment nous connoître ?
Non , mes chers auditeurs , entre les effets de ce
premier péché dont je parle, il y en a encore de plus
aftligeans , et à la connoissance desquels le mystère
que nous célébrons nous conduit. Ce n'est là que
le fonds de notre misère : mais prenez garde ; en
10 SUR LA CONCEPTION
voici le comble, en voici l'excès, en voici le pro-
dige, en voici l'abus, en voici la malignité, en
voici l'abomination , et si ce terme ne suffit pas , en
voici , pour m'exprimer avec le Prophète, l'abomi-
nation de désolation. Autant de points que je vous
prie de bien suivre , parce qu'étant ainsi distingués,
et l'un enchérissant toujours sur l'autre, c'est de
quoi vous donner par degrés une idée juste de ce
fonds de corruption que nous avons à combattre ,
et que la grâce de Jésus-Christ doit détruire en nous.
Je reprends et je m'explique.
Le comble -de notre misère , c'est que notre mi-
sère même, quoique humiliante, ne nous humilie
pas; et que, malgré tant de sujets qu'elle nous
donne de nous confondre , nous ne laissons pas
d'être encore remplis d'orgueil. Pour être aveugles ,
foibles , pauvres , misérables (car fussions-nous
d'ailleurs les dieux de la terre , tel est, en qualité
d'enfans d'Adam, notre apanage et notre sort),
nous n'en sommes pas moins prévenus d'estime
pour nous-mêmes. Pour être dégradés et dépouillés
de tous les privilèges de l'innocence , nous n'en
sommes pas moins contens de nous-mêmes ; pas
moins occupés de nous-mêmes , pas moins ama-
teurs ni moins idolâtres de nous-mêmes. Marie ,
avec la plénitude de la grâce, a été humble; et
nous , avec le néant du péché , nous sommes su-
perbes. Oui , mes frères, voilà le désordre que
nous avons tous a nous reprocher. Beaucoup d'igno-
rance, jointe à beaucoup de présomption; foiblesses
extrêmes , soutenues d'une pitoyable vanité ; indi-
DE LA VIERGE. lï
gence affreuse des vrais et solides mérites , accom -
pagnée d'une enflure de cœur, qui seule, selon
l'Ecriture, suffiroit pour nous attirer l'indignation
de Dieu : car qu'y a-t-il de plus propre à irriter la
colère de Dieu , qu'un pauvre orgueilleux ? Or, qui
de nous , s'il se connoît bien , n'avouera pas qu'il
a part , comme pécheur , à cette malédiction»?
Pauperem superbum odivit anima mea (i). Il
y a plus.
L'excès de notre misère, c'est qu'étant aussi dé-
plorable que je vous l'ai représentée , toute déplo-
rable qu'elle est , nous ne la déplorons pas. Les
Saints et les élus de Dieu en ont gémi, et nous n'en
sommes pas touchés. Saint Paul , dans l'amertume
de son ame , s'en est affligé , et nous nous en con-
solons. Ah ! Seigneur , s'écrioit le saint homme Job,
pourquoi m'avez-vous mis dans une disposition qui
me rend si contraire à vous , et pourquoi par là me
suis-je devenu insupportable à moi-même ? Quare
posuisti me contrarium tibi , etfactus sum mihi-
metipsi gravis (2) 1 Est-ce ainsi que parle un mon-
dain; est-ce ainsi qu'il pense ? non : insensible à ses
maux , il souffre tranquillement cet état de contra-
riété entre Dieu et lui. S'il gémit sous le joug de
ses passions , ce n'est point parce que ses passions
le rendent contraire à Dieu , mais parce qu'elles
troublent son repos , mais parce qu'elles lui causent
de mortels chagrins , mais parce qu'il se voit sou-
vent dans l'impuissance de les satisfaire. De ce
qu'elles le tiennent captif sous la loi du péché >
(i) Eccli; a5. — (2) Jojj. 7.
12 DE LA CONCEPTION
c'est à quoi il ne fait nulle attention. Il est esclave
de la concupiscence qui le domine , maïs esclave
volontaire , parce qu'il en veut bien être domine.
Il sent dans son cœur mille révoltes intérieures
contre Dieu : et ces révoltes continuelles et si dan-
gereuses, bien loin de l'étonner, ne lui donnent
pas la moindre inquiétude. Pourvu qu'il arrive à
ses fins, il consent à vivre sous l'empire de la chair,
et à être vendu au péché. A combien de pécheurs
du siècle ce tableau n'expose-t-il pas leurs véri-
tables , mais damnables sentimens ? Allons plus
avant.
Le prodige de notre misère, c'est qu'au lieu de
la déplorer, nous nous aveuglons tous les jours
jusqu'à nous en féliciter, jusqu'à nous en glorifier.
Car où est l'ambitieux qui ne s'applaudit pas inté-
rieurement des idées , des projets , des succès de
son ambition ? où est le riche avare qui ne se sait pas
bon gré de ses sordides épargnes et de son avarice?
où est l'impudique qui ne met pas son bonheur
dans ses infâmes voluptés ? où est le vindicatif qui
ne se fait pas un triomphe de sa vengeance? Ces
passions , dont l'Apôtre de Jésus-Christ faisoit le
sujet de sa douleur , à mesure que nous oublions
Dieu, deviennent le sujet de notre joie. Par un ren-
versement de religion et même de raison , ces pas-
sions deviennent nos divinités ; nous leur faisons
sans cesse des sacrifices, nous leur obéissons aveu-
glément : non contens de leur être soumis nous-
mêmes , nous exigeons des autres qu'ils s'y sou-
mettent ; nous voulons qu'ils en soient les appro-
DE LA VIERGE. l3
foateurs : entrer dans nos passions, c'est savoir
nous plaire ; les contredire , c'est nous offenser :
plus ces passions sont vives et ardentes , moins nous
souffrons qu'on y résiste ; plus elles sont honteuses ,
plus nous sommes jaloux qu'on les respecte , et
qu'on ne les choque pas. Ce que je dis, n'est-ce
pas le monde tel qu'il est ; et cela même , si nous
avons une étincelle de christianisme, ne doit-il pas
nous faire horreur? Yoici néanmoins quelque chose
encore au-delà.
L'abus de notre misère , c'est que nous en ti-
rons même avantage, jusqu'à nous enservir comme
d'une excuse dans nos péchés , et jusqu'à nous en
prévaloir contre Dieu. Au lieu que David deman-
doit humblement à Dieu d'êfre guéri de sa foi-
blesse , s'en accusant comme d'un mal : Miserere
met , Domine , quoniam infirrnus sum ; sana
me (i), nous alléguons la notre comme une raison
que nous supposons devoir couvrir nos dérégle-
mens , et nous tenir lieu de justification , c'est-à-
dire, parce que nous sommes foibles, et que nous
avons été conçus dans le péché , nous voulons que
Dieu dissimule nos crimes, qu'il les tolère, et
qu'il ne les recherche pas dans toute la rigueur
de sa justice. Mieux instruits que lui-même de
l'équité de ses jugemens, nous prétendons que,
parce qu'il connoît notre fragilité , il soit moins
en droit de nous condamner et de nous punir ; et
à force de le prétendre , nous nous accoutumons
à le penser et à le croire. Dieu , qui selon les
(i) Psalm. G.
l4 DE LA CONCEPTION
oracles de l'Ecriture , est le vengeur inexorable
du péché , nous paroît , pour des créatures aussi
fragiles que nous le sommes, un Dieu trop sévère
et trop rigide : ou plutôt , selon notre caprice
et notre sens , nous nous en faisons un Dieu plus
humain , un Dieu plus condescendant à nos incli-
nations , un Dieu moins ennemi de nos désordres ;
parce qu'étant, disons-nous, l'auteur de notre être,
il sait de quelle masse il nous a tirés , et qu'il
n'exige pas de nous une sainteté si parfaite. Car
ne sont-ce pas là les téméraires et pernicieux rai-
sonnemens que forme tous les jours l'impiété? Et
voilà ce que j'appelle abuser de notre misère même.
La malignité de notre misère, c'est que le péché
dans lequel nous sommes conçus , par une funeste
qualité qui lui est propre , infecte en nous tout ce
qui vient de Dieu , et tout ce que nous avons re-
çu de Dieu : talens de l'esprit , forces du corps ,
capacité , santé , noblesse , beauté , dons de la na-
ture , et par conséquent du Créateur; prospérités,
honneurs , dignités , richesses , dons de fortune,
c'est-à-dire , de la Providence ; mais tout cela ,
par le malheur de notre conception , occasion de
péché , instrument de péché , source de péché.
Yoilà ce qui perd l'homme chrétien , mais ce que
l'homme charnel et mondain ne sent pas et ne
comprend pas. Permettez-moi de vous le faire
comprendre , et d'en tirer la preuve de vous-
mêmes. Dans l'ordre naturel des choses , plus
vous êtes heureux selon le monde , plus vous
devriez être soumis à Dieu et reconnoissans envers
DE LA VIERGE. l5
Dieu. Mais parce que le péché a renversé dans
vous ce bel ordre, plus Dieu vous comble de ses
biens , plus il semble que vous soyez nés pour lui
être ingrats et rebelles. Jusques à ses grâces et à ses
faveurs , tout vous pervertit ; la prospérité vous
corrompt , les honneurs vous enflent, les richesses
entretiennent votre luxe, la santé vous fait oublier
le soin du salut. Si Dieu , par des moyens tout
contraires, veut vous forcer de retourner à lui,
les remèdes qu'il y emploie se tournent pour vous
en poison : l'adversité vous irrite , l'humiliation
vous désespère , la disette , ( car où n'est-elle pas ,
et quelles conditions en sont exemptes? ) la disette
vous fait tomber dans l'injustice, et l'infirmité dans
le relâchement et la tiédeur. Ce qui devroit vous
sanctifier, vous endurcit ; et ce qui devroit vous
convertir et vous rapprocher de Dieu , vous en
éloigne. Tant il est vrai que le péché a comme
anéanti , ou plutôt a corrompu dans vous tous les
dons de Dieu, et ruiné pleinement et absolument
l'œuvre de Dieu. Peut- on rien ajouter à ceci?
oui , mes chers auditeurs , et ce que j'y ajoute est
encore infiniment plus digne de nos larmes.
L'abomination de notre misère , c'est que , non
contens d'être enfans de colère par nature , nous le
sommes , et nous voulons bien l'être par notre
choix. Avoir péché dans autrui , et naître ennemi
de Dieu par la nécessité inévitable de notre ori-
gine , c'est la malédiction commune où nous nous
plaignons d'avoir été enveloppés : mais nous en
plaignons-nous de bonne foi , tandis que nous y
16 SUR LA CONCEPTION
joignons celle d'être encore ennemis de Dieu par
un libre consentement de notre volonté ? Or ,
vous le savez , hommes mondains à qui je parle;
vous savez jusqu'où sur ce point va le liberti-
nage du siècle , et souvent jusqu'à quel excès vous
l'avez vous-même porté. Avoir été conçus dans le
péché, c'est le sort de toute la postérité d'Adam ;
mais vivre impunément dans le péché , mais se
plaire dans le péché , mais faire gloire du péché ,
mais s'endurcir dans le péché , mais persévérer
avec obstination dans le péché , mais s'exposer sans
crainte au danger prochain de mourir dans l'état du
péché, mais vouloir bien actuellement mourir dans
son péché , c'est le sort particulier, mais le sort
affreux , de je ne sais combien d'ames perverties ,
que le torrent du monde entraîne : et Dieu veuille
qu'entre ceux qui m'écoutent, il n'y en ait point de
ce nombre. Job demandoit à Dieu , que le jour
pérît, où il avoit été conçu. Il souhaitoit que ce
jour eût été changé en ténèbres, que jamais le so-
leil ne l'eût éclairé, et qu'il eût pu être effacé du
nombre des jours ; et il avoit raison, dit saint Au-
gustin , puisque c'étoit le jour malheureux où il
avoit commencé d'être pécheur, et, sans le vouloir
même , ennemi de Dieu. Que fait le libertin ? par
un sentiment bien contraire , il compte parmi les
beaux jours de sa vie, certains jours, où, librement
et sans remords , il s'est livré à l'esprit impur: ces
jours infortunés qu'il a passés dans le crime ; ces
jours où, pour se satisfaire , il a renoncé à son Dieu;
ces jours , en eux-mêmes pleins d'horreur , ne lais-
DE LA VIERGE. iy
sent pas, parce qu'il est sensuel et voluptueux,
de se représenter à lui comme des jours agréables:
il en conserve le souvenir; il en souhaiteroit le re-
tour ; bien loin de pleurer parce qu'ils ont été,
son chagrin est qu'ils ne sont plus. Mais , sans par-
ler précisément du libertin, et sans l'être, mes chers
auditeurs , le honteux reproche que nous avons au-
jourd'hui à nous faire , c'est qu'à ce péché d'ori-
gine contracté par une autre volonté que la nôtre ,
nous ajoutons de notre chef mille autres péchés per-
sonnels, d'autantplus punissables devant Dieu, que
nous les commettons souvent de dessein formé , et
que nous ne pouvons les imputer qu'à nous-mêmes.
Péchés qui ne sont ni d'ignorance, ni de surprise:
mais qui, procédant d'une malice pure, ont encore
plus d'opposition à la sainteté de Dieu , et par là
doivent beaucoup plus outrager Dieu; péchés qu'il
nous seroit facile d'éviter , et auxquels nous ne suc-
combons que parce que nous ne comptons pour rien
d'y succomber ; péchés dont nous recherchons l'oc-
casion , dont nous attirons la tentation , dont nous ne
craignons point de courir le risque, et qui , par tou-
tes ces circonstances, portent avec eux un caractère
particulier de réprobation , puisqu'il est vrai alors
que nous sommes enfans de colère, non plus par
nature et par nécessité, mais par notre propre vo-
lonté. Ai-je pu mieux vous exprime! l'abomination
de notre misère l Ne nous lassons point d'en sonder
l'abîme profond , et sur cela écoutez ce qui me
reste à vous dire.
L'abomination de désolation dans notre misère ,
TOME xi. a
î8 SUR LA CONCEPTION
c'est qu'au lieu que la grâce qui sanctifia la con-^
ception de Marie, a parfaitement et absolument
triomphé dans sa personne du péché originel , nous ,
au contraire, malgré la grâce du baptême, qui ef-
face en nous ce péché, par un dernier désordre qui
ne peut être attribué qu'à la dépravation de notre
cœur , nous suscitons encore tous les jours dans le
christianisme , si j'ose ainsi m'exprimer , de nou-
veaux péchés originels , pires que le premier , et
d'une conséquence pour nous plus pernicieuse»
Qu'est-ce à dire, nouveaux péchés originels? c'est-
à-dire , certains péchés dont nous sommes les au-
teurs, et qui, par une fatale propagation, se com-
muniquant et se répandant , passent de nos per-
sonnes dans celle des autres. J'appelle péchés ori-
ginels, ces péchés de scandale contre lesquels le
Fiis de Dieu a prononcé dans l'Evangile de si fou-
droyans anathêmes : j'appelle péchés originels , cer-
tains péchés des pères et des mères à l'égard de leurs
enfans; d'un père, qui par succession, inspire à son
fds ses inimitiés et ses vengeances; d'une mère qui,
oubliant qu'elle est chrétienne , pervertit sa fille en
lui inspirant la vanité et l'amour du monde : j'ap-
pelle péchés originels , certains péchés des chefs
de famille à l'égard de leurs domestiques ; d'un
maître , qui , pire qu'un infidèle , fait des siens les
ministres de ses débauches ; d'une femme qui ,
abusant de son autorité , engage la conscience
d'une jeune personne que Dieu lui a confiée ,
et la perd en l'obligeant à être la confidente de
ses intrigues : j'appelle péchés originels „ cer-
DE LA VIERCE. . j§
tains péciiés des grands à l'égard des peuples , des
prêtres à l'égard des laïques , des supérieurs à l'é-
gard de leurs inférieurs. En quoi le péché d'Adam
fut - il si énorme devant Dieu ? en ce qu'il ne fut
pas le péché d'un seul , mais de plusieurs ; en ce
qu'Adam violant le précepte , nous comprit tous
dans le malheur de sa désobéissance ; en ce qu'é-
tant notre chef, il ne put commettre ce péché sans
nous en rendre coupables. C'est un mystère de foi
que nous révérons : mais ce qui nous paroît mys-
tère dans le péché d'Adam, est évident et sensible
dans les espèces de péché que je viens de vous mar-
quer. Car je dis toujours que la désolation de notre
misère est de répandre sur autrui notre iniquité ;
est de ne nous pas contenter d'être pécheurs, mais
de pervertir avec nous des âmes innocentes , de les
rendre complices de nos désordres, et de les en
charger; et d'être, aussi bien qu'Adam , le prin-
cipe et la source de leur damnation. Ah ! chrétiens
n'est-ce pas ici que je pourrois m'écrier avec le pro-
phète Jérémie, et conclure avec lui : Quis dabit
capitimeo aquam, et oculis meis fontem lacry-
marum (1) l Qui donnera à mes yeux une fontaine
de larmes pour pleurer jour et nuit de pareils mal-
heurs? malheurs qui sont les suites du premier péché;
mais malheurs infiniment plus déplorables que ce pé-
ché là même dont nous ressentons les tristes effets.
Vous seule , ô glorieuse Vierge , avez été pré-
servée de cette corruption et de cette malédiction
originelle ; vous seule dans votre conception ave?
(0 Jcreia. 9,
20 SUR LA CONCEPTION
paru devant Dieu pure et sans tache ; mais c'est
pour cela même que nous recourons à vous, et que
nous implorons votre protection toute -puissante.
Car le privilège que vous avez reçu de Dieu pour
être exempte de nos misères , ne peut vous inspirer
pour nous que de la compassion. Vous êtes la mère
de miséricorde; mais vous ne pouvez l'être que pour
nous , et pour nous comme pécheurs. Votre gloire
dépendoit en quelque façon de notre disgrâce, et
s'il n'y avoit eu des pécheurs , vous n'auriez jamais
mis au monde celui qui les a sauvés , et par con-
séquent jamais vous n'auriez été Mère de Dieu.
C'est donc avec une ferme confiance que nous nous
prosternons devant vous. Malheureuse postérité
d'une mère pécheresse, mais trouvant en vous une
mère sainte et une mère charitable , nous vous
adressons nos prières et nos vœux , nous poussons
vers vous des soupirs ; et les secours que nous vous
demandons , c'est pour apprendre à nous humilier
dans la vue de notre misère , à la déplorer , à n'en
pas tirer an moins une vaine gloire , à n'en pas abu-
ser , à ne la pas augmenter ; enfin , à connoître non-
seulement ce que nous sommes sans la grâce , mais
aussi ce que vous avez été et ce que nous sommes
par la grâce. Nous Talions voir dans la seconde
partie.
DEUXIÈME PARTIE.
C'est le sentiment de toute l'Eglise, qui nous
doit ici tenir lieu de règle , que Marie après Jésus-
Christ a été la première des élus de Dieu ; et il
est d'ailleurs évident que le premier effet de son
DE LA VIERGE. ^ï
élection ou de sa prédestination, a été la grâce sin-
gulière en quoi j'ai fait consister le privilège de sa
conception. Grâce souveraine, dont elle put bien
dire dès-lors : Tout ce que je suis, et tout ce que
je serai jamais , je le suis en vertu de cette grâce ,
dont Dieu me prévient aujourd'hui : Gratid Del
sum id quod sum (i). Grâce féconde, qui dès ce
moment là lui donna lieu de pouvoir ajouter avec
l'Apôtre , mais bien plus justement que l'Apôtre :
Et gratia ejus in me vacua non fuit (u) ; Et
cette grâce de mon Dieu n'a point été stérile en
moi. Car il est vrai , chrétiens, que cette grâce fut,
à l'égard de Marie , comme une onction céleste
dont Dieu la remplit dans l'instant même qu'elle fut
conçue. Mais pourquoi? pour sanctifier sa personne,
et pour relever le mérite de toutes les actions de
sa vie. Ne perdez rien de ces deux pensées. Pour
sanctifier sa personne de la manière la plus par-
faite et la plus avantageuse, dont une pure créature
peut être sanctifiée au-dessous de Dieu , et pour re-
lever le mérite de toutes les actions de sa vie , c'est-
à-dire , pour rendre toutes ses actions précieuses
devant Dieu , et digues de Dieu. Deux merveilleux
effets que je distinguent qui, par les deux consé-
quences que j'en tirerai, en comparant toujours la
conception de Marie avec la nôtre, nous feront
connoître à nous-mêmes l'heureux état où nous
élève par le baptême la grâce de notre adoption.
Grâce qui sanctifia la personne de Marie, et qui
la sanctifia de la manière qui convenoit à une
(»)i.Cor. i5. — (2) Ibid.
$Z SUR. LA CONCEPTION
créature que Dieu formoit actuellement , et qu'il
destinoit pour être la mère de son Fils. Car dans
ee bienheureux moment, Marie déjà pleine de
grâce , et pleine de l'esprit de Dieu , eut droit de-
dire bien mieux qu'Isaïe : Dominas ab utero vo-
cavit me (i) ; Avant que je visse le jour, le Sei-
gneur m'a appelée : De ventre matris meœ re-
corda tus est nominis met (2) ; Dès le sein de ma
mère il m'a fait sentir l'impression de sa grâce , et
s'est souvenu de mon nom. Oui , dès cet instant
le Verbe de Dieu se souvint de l'auguste nom , du
sacré nom , du nom vénérable que Marie devoit un-
jour porter, et parce que c'étoit d'elle qu'il vouloit
naître : au lieu qu'il dit à. Isaïe : Servus meus es
tu , quia in te gloriabor (3) ; Vous êtes mon ser-
viteur, et c'est en vous que je me glorifierai : il- dit
à Marie , quoiqu'elle fut son humble servante : Vous
êtes celle que j'ai choisie pour être ma mère; car
c'est en cette qualité que vous êtes aujourd'hui
conçue ; et voilà pourquoi non-seulement je me
glorifierai, mais dès maintenant je me glorifie en
vous. Dès cet instant là , dis-je , le Verbe de Dieu ,
en vue de son incarnation prochaine , se fit comme
une gloire particulière , et crut se devoir à lui-»
même de sanctifier cette Vierge, de l'enrichir de
ses dons , et de la combler de ses faveurs les plus
exquises. Le souvenir que c'étoit celle dont il de-?
voit être bientôt le Fils , sa tendresse lui fit oublie?
les lois générales de sa justice rigoureuse , pour la
séparer de la masse commune des enfans d'Adam ;
'.-) Isaïc. 4g. — (2) IbiJ. — (3) Ibiàà,
DE LA VIERGE. si
pour la privilégier , pour la distinguer, pour l'ho-
norer, en consacrant les prémices de son être par
cette onction de sainteté dont elle fut remplie; et
comme son Fils présomptif, rendant par avance,
si je puis ainsi parler, cette espèce de respect à sa
maternité future : De ventre matris mece recor-
datus est nominis met. Ce n'est pas tout.
J'ai dit que la grâce de la conception de Marie,
au même temps qu'elle sanctifia sa personne , fut
en elle comme une source intarissable de mérites ,
pour consacrer et pour relever toutes les actions
de sa vie. Ceci n'est pas moins digne de votre at-
tention. Car selon les règles et les principes de la
théologie , il est encore vrai que la Mère de Dieu
durant tout le cours de sa vie , n'a pas fait une
seule action qui n'ait tiré son mérite et sa valeur
de cette première grâce. Autre abîme des trésors
infinis de la miséricorde divine : O altitude» àivi-
tiarum (i) / Pour vous faire mieux entendre co
que je veux dire, je vais vous en donner une fi-
gure sensible , et la voici. Imaginez-vous , mes
chers auditeurs , ce petit grain de l'évangile, qui,
semé dans le champ , et y ayant germé , croît peu
h peu jusqu'à devenir un grand arbre. Rien de plus
juste pour exprimer ma pensée. Dès que ce grain
a pris racine, il pousse son germe, il sort de la
terre ; à force de s'élever il jette des branches , il
se couvre de feuilles , il se pare de fleurs, il porte
des fruits ; mais en sorte que tout cela n'a de subsis-
tance et de vie que par lui. Car c'est de la racine*
(i) Rom. ii.
24 SUR LA CONCEPTION
et de ce grain que les plus hautes branches de l'arbre
tirent la sève qui les nourrit; et cette sève ainsi
répandue entretient la fraîcheur des feuilles , fait
la beauté des fleurs , donne aux fruits leur goût et
leur saveur. Voilà le symbole de la grâce que reçut
Marie dans sa conception. Ce fut comme un germe
divin qui se forma dans son cœur, mais dont la
vertu se répandit ensuite dans tout le corps de ses
actions. Tout ce qu'a jamais fait Marie a été saint ,
et d'un mérite inestimable devant Dieu : pourquoi?
parce que tout ce qu'elle a fait partoit d'un prin-
cipe de sanctification qui étoit en elle et qui don-
noit le prix à tout. Or , quel étoit ce principe
de sanctification? la grâce de sa conception. Cette
grâce, je l'avoue, n'étoit que la racine des dons
sublimes dont le ciel ensuite la combla, et qui rele-
vèrent à une perfection si éminente. Mais parce que
la racine étoit sainte, les branches le furent aussi :
Si raclix sancta , et rami (i). Qu'est-ce que j'en-
tends par les branches? ce sont les vertus que cette
incomparable Yierge pratiquoit, les bonnes œuvres
qu'elle faisoit, les devoirs qu'elle accomplissoit, le
culte qu'elle rendoit à Dieu, les oflices de charité
dont elle s'acquittoit envers le prochain , les exer-
cices d'humilité qui la rendoient si attentive sur
elle-même. Car ce n'est point une vaine conjec-
ture , mais une vérité solide , que tout cela fut sanc-
tifié par la même grâce qui sanctifia son ame au mo-
ment de sa conception ; et que cette grâce qu'elle
ne perdit jamais , fut, pour me servir du terme de
(1) Rom. 11.
DE LA VIERGE. o5
l'évangile , le levain sacré dont la bénédiction et
l'efficace se communiqua à tous les temps de sa vie.
Or de là , chrétiens , faisant un retour sur nous-
mêmes, il nous est aisé de conclure ce que nous
sommes par la grâce et avec la grâce. Car le bap-
tême, qui, selon les Pères , est, comme j'ai dit, le
sacrement de notre conception spirituelle , et même
la pénitence , qui est celui de notre justification,
nous donnent une grâce , qui , pour être d'un ordre
bien inférieur à celle de Marie , ne laisse pas d'opé-
rer en nous par proportion les mêmes effets. Je
veux dire que nous recevons une grâce qui sancti-
fie nos personnes, en nous élevant jusqu'à la dignité
d'enfans de Dieu, et qui répand sur toutes nos ac-
tions un mérite par où elles deviennent dignes de
Dieu , et de la vie éternelle que nous devons pos-
séder en Dieu. A quoi sommes-nous sensibles , si
nous ne le sommes pas à ces deux avantages si pré-
cieux? En vertu de la grâce qui nous sanctifie, nous
sommes les enfans de Dieu. C'est ce que nous a
expressément déclaré celui d'entre les apôtres qui
pouvoit mieux nous en instruire , et à qui ce secret
fut révélé , quand il reposa, comme bien aimé dis-
ciple , sur le sein de son maître. C'est lui qui nous
a mis en main ce titre authentique de notre adop-
tion; et qui, nous apprenant ce que nous sommes,
pose pour fondement de son évangile , que le pou-
voir d'être enfans de Dieu , nous a été donné à tous :
Quotquot autcm receperunt eum dédit eis po-
testatem fdios Dei fieri (1). Or, il est de la foi
(i) Joan. î.
:2D SUR LA CONCEPTION
que ce pouvoir est essentiellement attaché à la grâce
habituelle dont je parle. Si nous savions priser le
don de Dieu; si le péché ne nous aveugloit pas 9
jusqu'à nous ôter le sentiment de notre propre gran-
deur , c'est de cette grâce que nous ferions toute
notre gloire : l'unique pensée qui nous occuperoit,
et dont nous serions vivement touchés , ce seroit
de respecter dans nous cette qualité d'enfans de
Dieu , de la soutenir par notre conduite , de la pré-
férer à tous les honneurs du siècle, et de rentrer
souvent dans nous-mêmes pour faire cette sainte
réflexion : Qui suis-je devant Dieu et auprès de
Dieu? tandis que je suis dans l'état de sa grâce,
j'ai droit de l'appeler mon père, et il veut bien,
tout Dieu qu'il est, me reconnoître parmi ses en-^
fans. Voilà ce qu'il estime en moi , et sur quoi je
dois faire fonds pour me glorifier et pour me confier
en lui. Tous les autres titres ou de naissance ou de
fortune, qui pourroient dans le monde me distin-
guer, sont titres vains, titres périssables, titres
dangereux : titres vains , puisqu'ils ne sont pas ca-
pables par eux-mêmes de me rendre agréable à
Dieu : titres périssables , puisque la mort les efface
si tôt et les fait évanouir : titres dangereux pour le
salut, puisqu'il est si facile d'en abuser, et si diffi-
cile de n'en abuser pas, et qu'on n'en peut attendre
autre chose que d'être jugé de Dieu plus exacte-
ment et plus rigoureusement. Toute ma confiance
doit donc être dans ce titre honorable d'enfant de
Dieu : et malheur à vous , mes chers auditeurs , si
jamais il vous arrivoit de faire consister la votre
DE LA VIERGE. 2J
dans une grandeur seulement humaine. Je ne pré-*
tends point pour cela diminuer les avantages, même
extérieurs et temporels , que vous avez reçus de
Dieu dans votre naissance. Ce que nous voyons dans
la conception de Marie , je dis la grandeur du monde
sanctifiée par la grâce du Créateur, doit m'inspirer
un autre sentiment. Car Dieu n'a point méprisé dans
Marie cette grandeur de la naissance , dont l'Eglise
même semble aujourd'hui lui faire honneur. Au
contraire, il a voulu que Marie fut d'un sang noble
et royal : pourquoi ? pour faire éclater , dit saint
Chrysostome, la vertu de sa grâce , et pour donner
aux grands du monde cette consolation dans leur
état, non-seulement que la grandeur peut servir de
fond à la plus éminente sainteté , mais que la sain-
teté , pour être éminente , ne trouve point de fond
qui lui soit plus propre que la grandeur : pour leur
marquer que , selon le dessein de la Providence ,
ils peuvent , sans rien confondre , être grands et être
saints ; mais qu'ils ne sont grands que pour être
saints , et que plus ils sont grands, plus ils sont
capables d'honorer Dieu , quand ils sont saints.
Divine leçon que leur fait aujourd'hui le Saint-
Esprit, en leur proposant la généalogie de la mère
de Dieu , comme la plus auguste de l'univers. Mais
cette leçon , qui ne regarde que les grands , n'aurait
pas assez d'étendue. Je parle donc à tous sans excep-
tion , puisqu'il n'y a point de juste sur la terre , de-
quelque condition qu'il soit, qui n'ait droit de dire
comme chrétien : Je suis né de Dieu , et cette grâce
qui me sanctifie , n'est rien moins dans moi, qu'une
28 SUR LA CONCEPTION
participation de la nature de Dieu. C'est l'idée
que chacun de nous sans présomption peut et doit
avoir de soi-même, s'il est en grâce avec Dieu,
puisque Dieu, en termes exprès, nous le témoigne
par le premier de ses apôtres : Ut per hœc effi-
ciamini divince consorles natures (i). Quelque
languissante que soit notre foi , si nous raisonnions
et si nous agissions suivant ce principe , en fau-
droit-il davantage pour la ranimer ? Voyez , mes
frères, disoit saint Jean, exhortant les premiers fi-
dèles, (et pourquoi dans le même sens ne vous le
dirois-je pas aujourd'hui?) voyez quel amour le
Père qui est notre Dieu, nous a marqué en voulant
qu'on nous appelât ses enfans , et que nous le fus-
sions en effet : Videte qualem charitatem dédit
Pater nobis , utfilii Dei nominemur et simus (2).
Mais voyez aussi, ajoutoit-il, et dois- je ajouter,
quel retour de zèle , de ferveur , de reconnoissance ,
demande cette charité d'un Dieu; voyez à quelle
pureté de mœurs elle vous engage ; voyez l'obli-
gation qu'elle vous impose de vous sanctifier en
esprit et en vérité, pour n'être pas indigues de
cette adoption , qui vous donne un Dieu pour père ;
voyez si c'est trop exiger de vous, quand Dieu
prétend que pour cela vous cessiez d'être des hom-
mes charnels, et que vous commenciez à vivre eu
hommes raisonnables ; voyez si toute la perfection
contenue dans la loi chrétienne , est trop pour des
enfans de Dieu : Videte. Ah ! Seigneur , s écrioit
saint Léon, pape, méritons-nous de porter un si
(1) 2. Pctr. 1. — (2) ii Joau. 3.
DE LA VIERGE. 29
beau nom, si nous venons à le flétrir, oubliant la
noblesse de son origine , pour nous laisser dominer
par des vices honteux; et ne faut-il pas que nous
renoncions pour jamais à l'honneur de vous appar-
tenir, si nous marchons encore dans les voies cor-
rompues du siècle ? Etre enfans de Dieu , et suc-
comber à toutes les passions de l'homme , et être
sujets à toutes les foiblesses de l'homme, et s'aban-
donner aux désirs déréglés de l'homme , ne se-
roit-ce pas un monstre dans l'ordre de la grâce ?
C'est néanmoins, mes chers auditeurs, ce qui doit
confondre tant d'ames mondaines, et sur quoi je
veux bien me promettre que dans l'esprit d'une
sainte componction , chacun s'appliquera de bonne
foi à reconnoître devant Dieu son injustice et à la
pleurer. Poursuivons.
En vertu de la grâce qui nous sanctifie comme
enfans de Dieu , nous sommes les héritiers de Dieu,
et les cohéritiers de Jésus-Christ dans le royaume de
Dieu : Si autemjtlii , et hœredes ; hceredes qui-
dem Dei , cohœredes autem Christi (1). Héritiers
de Dieu , parce que Dieu , dit saint Augustin , ne
nous a point promis d'autre héritage que la pos-
session de lui-même. Or c'est la grâce sanctifiante
qui nous assure cet héritage céleste , et Dieu , le
meilleur et le plus libéral de tous les pères, ne peut
nous le refuser , tandis que sa grâce est en nous ,
et que nous sommes en grâce avec lui. Cohéritiers
de Jésus-Christ; car nous devenons capables , non-
seulement de posséder } mais de mériter le royaume
(1) Rom. S,
5o SUR LA CONCEPTION
de Dieu, et de le me'riter par autant de titres que
nous pratiquons de bonnes œuvres , et que nous
faisons d'actions chre'tiennes : puisqu'il est encore
de la foi , que toutes nos œuvres élevées , sancti-
fiées , et comme divinisées par la grâce , nous ser-
vent de mérites pour la gloire; que chacune, en
particulier , est pour nous comme un droit acquis à
cette gloire; que les plus viles et les plus basses en
apparence ont une sainteté proportionnée à cette
gloire ; qu'à un verre d'eau donné pour Dieu , est
dû, par justice et par récompense, un degré de
cette gloire ; et qu'ainsi la vie du juste sur la terre
devient un mérite continuel , dont Dieu, selon saint
Paul , veut bien être dès maintenant le dépositaire,
pour en être éternellement le rémunérateur. Il est
vrai : mais aussi, renversant la proposition , con-
cluez de là quelle perte fait un pécheur qui vient
à déchoir de l'état de grâce, puisqu'il n'est pas
moins de la foi , que hors de cet état toutes nos
œuvres sont des œuvres mortes , de nul prix devant
Dieu , et incapables de nous obtenir la récompense
des élus de Dieu. Ce n'est pas que , dans l'état du
péché, quoique privés de la grâce habituelle, nous
ne puissions faire des actions louables et vertueuses ,
des actions saintes et surnaturelles , des actions
même utiles pour le salut, puisqu'au moins elles
peuvent nous servir de dispositions pour nous con-
vertir à Dieu. Mais je ne vous instruirois pas à fond
de votre religion , si je ne vous avertissois que toutes
ces actions , quoique saintes , quoique surnaturelles,
quoiqu'utiles, hors de l'état de la grâce , ne méritent
DE LA VIERGE. 3l
ïien pour le ciel ; que Dieu ne nous eu tiendra
jamais compte dans l'éternité , et qu'au lieu qu'étant
consacrées par la grâce , elles nous auroient acquis
des trésors de gloire : du moment qu'elles n'ont pas
cet avantage , elles ne peuvent nous conduire à ce
royaume , que Dieu, comme juge équitable 5 réserve
à ses amis. Or, ma douleur est de voir des chré-
tiens insensibles à de si importantes vérités; des
chrétiens qni perdent la grâce tranquillement, qui
la perdent sans chagrin et sans trouble , et qui par
là ne montrent que trop leur peu de foi et même
leur secrète irréligion. O homme ! concluoit le grand
saint Léon, indigné du scandale que je déplore,
et touché d'un si prodigieux aveuglement; 6 homme!
qui que vous soyez, reconnoissez donc aujourd'hui
votre dignité ; et, sanctifié comme vous l'êtes par la
grâce qui vous associe à la nature divine , ne re-
tombez pas dans votre première bassesse : Ag~
nosce , 6 homo , digtiilatem tuam ; et divinœ
consors factus naturœ , noli in veterem vilita-
tem degeneri conversalione redire. Mais il faut
pour cela . mes chers auditeurs , que nous appliquant
l'exemple de Marie, nous apprenions ce que nous
devons à la grâce : c'est la dernière partie.
TROISIÈME PARTIE.
C'est une vérité , chrétiens , qui ne peut être con-
testée, qu'après Jésus-Christ, l'exemple de Marie,
sa mère, est l'idée la plus excellente que nous puis-
sions nous proposer pour la conduite de notre vie.
A quoi j'ajoute en particulier, que l'usage qu'a fait
5u SUR LA CONCEPTION
Marie de la grâce de sa conception , est le modèle
le plus parfait que Dieu pût nous mettre devant les
yeux pour nous apprendre l'usage que nous devons
faire de la grâce de notre sanctification. C'est, mes
chers auditeurs , ce qui va vous paroître évident ,
par la comparaison de ces deux grâces , ou plu-
tôt par l'opposition que je remarque entre Marie et
nous, touchant la correspondance et la fidélité due
à ces deux grâces. Opposition qui d'une part nous
confondra ; mais qui de l'autre nous instruira , et
dont il ne tiendra qu'à nous de tirer les règles les
plus solides et les plus sûres d'une vie chrétienne.
Car , prenez garde , s'il vous plaît : Marie ,
quoique exempte de toutes foiblesses , et confirmée
en grâce dans sa conception, n'a pas laissé de fuir
le monde et la corruption du monde. Marie, quoi-
que conçue avec tous les privilèges de l'innocence,
n'a pas laissé de vivre dans l'austérité et dans les
rigueurs de la pénitence. Marie , quoique remplie
du Saint-Esprit dès l'instant de son origine, n'a pas
laissé de travailler; et sans mettre jamais de bornes
à sa sainteté , elle a toujours été croissant en ver-
tus et en mérites. Quelles conséquences pour nous ,
qui sommes , il est vrai, soit dans le baptême , soit
dans la pénitence , régénérés et justifiés par la
grâce; mais par une grâce qui n'a ni la stabilité
de celle de Marie , ni son intégrité , ni sa pléni-
tude ; ou plutôt, par une grâce dont les caractères
sont tout diiférens de celle de Marie. Je veux dire
par une grâce qui, toute puissante qu'elle est, se
trouve exposée à nos inconstances et à nos fragi--
DE LA VIERGE. 33
îités ; qui, toute sanctifiante qu'elle est, n'e'tant pas
une grâce d'innocence , ne nous dispense pas de l'o-
bligation de pleurer et de nous mortifier; qui, toute
abondante qu'elle est, n'empêche pas qu'il ne reste
encore dans nous un vide , je dis un vide de mérites
que Dieu veut que nous remplissions par nos actions
et par nos œuvres ! Cependant, malgré la différence
de ces caractères, nous nous obstinons à n'en croire
que notre propre sens ; et suivant des maximes et des
voies contradictoirement opposées à celles de Marie,
quoique fragiles et sujets à tous les désordres d'une
nature corrompue , nous nous exposons téméraire-
ment aux plus dangereuses tentations du monde.
Quoique conçus dans le péché et dans l'iniquité ,
nous prétendons vivre dans la mollesse et dans le
plaisir ; quoique dénués de mérites et de vertus ,
nous arrêtons le don de Dieu , et nous retenons sa
grâce dans l'oisiveté d'une vie mondaine et inutile.
IN'apprendrons-nous jamais à nous conduire selon
les lois de cette parfaite sagesse , qui , comme parle
l'évangile, doit nous rappeler, tout pécheurs que
nous sommes , à la prudence des justes ; et Dieu
pouvoit-il nous y engager par des raisons plus fortes
et plus pressantes que celles-ci , qui sont les suites
naturelles du mystère que nous célébrons ?
Marie, sanctifiée dès sa conception, n'a jamais per-
du la grâce qu'elle avoit reçue de Dieu : je ne m'en
étonne pas. Non-seulement elle ne l'a jamais per-
due , mais elle n'en a jamais terni le lustre par le
moindre péché. Ainsi , selon le témoignage et la
décision du concile de Trente, l'a toujours cru toute
tome xi. 3
34 SUR LA CONCEPTION
l'Eglise : Quemadinodùm de beatd Virgine tenet
Ecclesia. Ce n'est point encore ce qui me surprend;
mais ce que j'admire et ce qui fait le sujet de mon
étonnement, c'est de voir la circonspection, l'at-
tention , la vigilance avec laquelle Marie a conservé
cette grâce, qu'elle ne devoit jamais perdre, et
même qu'elle ne pouvoit perdre; l'ayant ménagée
avec autant de précaution , que si elle eût couru
tous les risques ; s'étant pour cela dès sa plus tendre
enfance séparée du monde ; ayant renoncé pour
cela à tout commerce et à tout engagement avec
le monde ; ayant consacré pour cela les prémices
de sa vie par un divorce solennel et éternel avec
le monde ; ayant vécu pour cela dans un si par-
fait éloignement du monde , que la vue même
d'un ange la troubla, parce qu'il étoit transfiguré en
homme : voilà , dis-je , ce qui me jette dans l'admi-
ration. Car enfin, la grâce de la conception de Marie
étoit à l'épreuve de la corruption du monde; c'étoit
une grâce solide que toute l'iniquité du monde ne
pouvoit altérer ni ébranler; et la même théologie qui
nous enseigne que la mère de Dieu ne pécha jamais,
nous apprend qu'elle étoit impeccable par la grâce,
comme Jésus-Christ l'étoit par nature ; parce qu'à
l'instant même qu'elle fut conçue , Dieu la confir-
ma et la fixa dans l'état de la sainteté. Le monde,
tout perverti qu'il est , n'avoit donc rien de dange-
reux pour elle. En quelque occasion qu'elle se fût
trouvée, elle auroit donc pu marcher sûrement; et la
grâce qu'elle portoit dans son cœur, n'auroit pas plus
été souillée de tous les désordres et de tous les scan-
DE LA VIERGE. 3^
daîes du monde , que le rayon du soleil de la boue
qu'il éclaire et qu'il pénètre sans en contracter l'im-
pureté. Mais c'est en cela même que la conduite de
cette reine des vierges devient aujourd'hui notre
exemple , et que son exemple, par l'énorme con-
trariété qui se rencontre entre elle et nous , est
une conviction seule capable de nous confondre de-
vant Dieu. Car voici , chrétiens , en quoi je la fais
consister. Marie, en vertu de sa conception, pos-
sédoit une grâce inaltérable, et, comme parlent les
théologiens , inamissible ; cependant elle marcha
toujours dans l'étroite voie de la crainte du Sei-
gneur ; et nous , tout foibles que nous sommes , nous
nous exposons témérairement à tous les dangers.
Nous portons, comme dit l'Apôtre, le trésor delà
grâce dans des vases de terre, c'est-à-dire , dans des
corps mortels et corruptibles : Habemus thesau-
rum istum in vasis fictilibus (i); et nous ne crai-
gnons rien. Nous Je portons , ce riche et précieux
trésor, dans un chemin glissant, parmi des ténèbres
épaisses, au milieu des écueils et des précipices,
poursuivis d'autant de démons qu'il y a d'ennemis
de notre salut qui cherchent à nous l'enlever; et rien
de tout cela ne nous rend plus attentifs et plus vi-
gilans. Je ne sais si je m'explique assez , Pt je ne
puis trop insister sur ce parallèle. Marie, qui, par
la grâce de son origine , éloit exempte des foiblesses
du péché , s'est néanmoins , par zèle et par amour
de ses devoirs , éloignée des occasions du péché ; et
nous, à qui notre foiblesse fait souvent de ces occa-
(1) 2. Cor. 4.
36 SUR LA CONCEPTION
sions autant de péchés, nous nous y jetons présomp-
îueusement , et nous y demeurons opiniâtrement.
Marie, à qui Dieu dans sa conception avoit donné
un préservatif infaillible contre le monde , se tint
néanmoins dans une entière séparation du monde;
et nous, qui savons par tant d'épreuves combien
le monde est contagieux pour nous , bien loin de le
fuir, nous l'aimons, nous nous y plaisons, nous
nous y intriguons , nous nous y poussons ; outre
les engagemens légitimes que nous y avons par la
nécessité de notre état, nous nous en faisons tous
les jours de volontaires et de criminels.
Or c'est en quoi paroît notre présomption , de
vouloir que Dieu fasse continuellement pour nous
des miracles. Il n'en a fait qu'un pour sanctifier
Marie, et nous voudrions qu'il en fit sans cesse de
nouveaux pour nous conserver. Comme ces trois
jeunes hommes dans la fournaise deBabylone, au
milieu des flammes qu'allume partout l'esprit im-
pur, nous voudrions qu'il nous soutînt en mille
occasions où la curiosité nous porte , où la vanité
nous conduit , où la passion nous attache , où nous
nous trouvons contre l'ordre du ciel, et où la grâce
même des anges ne seroit pas en sûreté. Nous vou-
drions, avec une grâce aussi peu stable que la nôtre,
être aussi forts et avoir les mêmes droits que Marie
avec la grâce saine et entière de sa conception; et
ce que Marie n'a pas osé dans l'état de cette grâce
privilégiée , nous l'osons dans le triste état où le
péché nous a réduits. Mais abus, chrétiens; le pré-
tendre ainsi, c'est nous aveugler et nous tromper
DE LA VIERGE. 3/
nous-mêmes. Si cela étoit , les saints auroient pris,
pour ne pas risquer la grâce de leur innocence, des
mesures bien peu nécessaires. Eu vain l'esprit de
Dieu qui les gouvernoit, leur auroit-il inspiré tant
de haine pour le monde : et en vain ce même es-
prit nous proposeroit-il la sainteté de Marie comme
une sainteté exemplaire , puisque sans nous séparer
du monde, et sans le combattre, il nous seroitaisé,
au milieu du monde même, de nous maintenir dans
la grâce. Non, non, il n'en va pas de la sorte. La
grâce qui nous rend amis et enfans de Dieu, est
une grâce que nous pouvons perdre; et par consé-
quent nous devons veiller avec soin sur cette grâce :
prêts à exposer tout le reste pour elle , parce qu'elle
est la vie de notre arae ; et déterminés à ne l'exposer
jamais, parce qu'en la perdant nous perdons tout»
Elle nous est enviée par le démon, et c'est ce qui nous
doit rendre plus circonspects: de puissans ennemis
l'attaquent dans nous , et c'est à nous de nous en
défendre ; et puisqu'il a plu au Seigneur de nous
soumettre à cette nécessité d'avoir toujours les armes
à la main, il faut de cette nécessité, quelque gênante
qu'elle puisse être , nous faire un mérite et une vertu.
Cela nous obligera à opérer notre salut avec crainte
et avec tremblement; ainsi le prétendoit saint Paul.
Il faudra renoncer à un certain monde : heureux
si par là nous assurons le talent que Dieu nous a
confié ! On ne nous dit pas qu'il faille renoncer à
tous les engagemens du monde : car il y en a qui
sont d'un devoir indispensable , et ceux-là n'ont rien
d'incompatible avec la grâce ; mais on nous dit qu'il
38 SUR LA CONCEPTION
faut renoncer à ceux qui n'ont point d'autre fonde-
ment que la passion , que le plaisir , que la sen-
sualité; parce que la grâce, toute sanctifiante qu'elle
est, ne peut subsister avec eux. On ne nous oblige
pas à fuir le monde en général , mais on nous oblige
à fuir un monde particulier qui nous pervertit et qui
nous pervertira toujours, parce que c'est un monde
où règne le péché , un monde d'où la charité est
bannie , un inonde dont la médisance fait presque
tous les entretiens, un monde où le libertinage passe
non-seulement pour agréable , mais pour honnête;
un monde d'où nous ne sortons jamais qu'avec des
consciences, ou troublées de remords , ou chargées
de crimes ; un monde au torrent duquel nous sen-
tons bien que nous ne pouvons résister.
Voilà l'essentielle et importante vérité que nous
prêche Marie par son exemple; et c'est à vous , aines
fidèles, dont elle a honoré le sexe, de vous l'appli-
quer personnellement. Car l'exemple de Marie est
fait pour vous ; et quand saint Ambroiseparloit aux
femmes chrétiennes de son siècle , c'étoit la règle
qu'il leur proposoit. Considérez Marie, leur disoit-
il ; il n'y a rien dans sa conduite qui ne vous instruise.
Voyez avec quelle réserve et avec quelle modestie elle
reçut la visite d'un ange ; et vous apprendrez com-
ment vous devez traiter avec des hommes pécheurs.
C'étoit un ange, mais sous une figure humaine; et
voilà pourquoi elle prétendit avoir raison et même
obligation de se troubler. C'étoit le ministre de Dieu,
l'ambassadeur de Dieu ; mais elle savoit qu'une
épouse de Dieu doit se défier des serviteurs de Dieu
DE LA VIERGE. 3g
même. Elle étoit confirmée en grâce , et le Seigneur
étoit avec elle ; mais il n'étoit avec elle , reprend
saint Ambroise , que parce qu'elle ne pouvoit être
sans peine avec tout autre qu'avec lui ; et elle n'é-
toit confirmée en grâce , que parce qu'elle étoit con-
firmée dans la défiance d'elle-même. Voilà le mo-
dèle et le grand modèle sur lequel Dieu vous jugera;,
mais sur lequel j'aime bien mieux que vous vous ju-
giez dès aujourd'hui vous-mêmes. Par là, je dis
par votre conformité à ce modèle , et par le soin que
vous aurez d'imiter cet exemple , votre conduite sera
telle que la veut saint Paul , irrépréhensible et sans
tache ; parla votre réputation, dont vous êtes res-
ponsables à Dieu et aux hommes , se trouvera à
couvert de la médisance; par là vous serez au-dessus
delà censure, et le monde même vous respectera;
par là cesseront tant d'imprudences malheureuses
qui sont le scandale de votre vie ; tant de libertés
que le monde même, tout corrompu qu'il est, ne
vous permet , ni ne vous pardonne pas ; tant de con-
versations dont la licence n'aboutit qu'à l'iniquité;
par là les bienséances les plus exactes et les plus
sévères vous deviendront dans la pratique aussi
douces qu'elles vous sembloient importunes et fa-
tigantes; par là votre régularité confondra le liber-
tinage , et votre piété sera une piété solide : car ,
qu'est-ce que votre piété sans cette régularité , si-
non un fantôme que Dieu réprouve , et dont les
hommes font le sujet de leurs railleries? En un mot,
vous réglant sur l'exemple de Marie, vous sancti-
fierez le christianisme dans vos personnes : car je
4o SUR LA CONCEPTION
vous l'ai déjà dit plus d'une fois, mesdames , et
j'ose encore une fois vous le redire, c'est de vous,
et presqu'uniquement de vous que dépend le bon
ordre et la sanctification du christianisme : j'en ap-
pelle ià-dessus à vos propres connoissances ; et pour
vous convaincre de cette vérité , je ne veux point
d'autres témoins que vous-mêmes.
Cependant Marie n'ayant jamais perdu , ni même
souillé par le moindre péché , la grâce de sa con-
ception , selon les lois communes , ne devoit-elle
pas être exempte des rigueurs de la pénitence? Tel
étoit sans doute le privilège de son état ; mais pré-
tendit-elle en jouir ? non , mes chers auditeurs. Mère
d'un fils qui, sans avoir connu le péché, venoit au
monde pour être la victime publique du péché, elle
voulut avoir part à son sacrifice. Mère d'un Dieu
qui, étant l'innocence même, venoit par sa mort
faire pénitence pour nous, elle se fit un devoir et
un mérite d'entrer dans ses sentimens: elle ressentit
comme lui les péchés des hommes, elle les pleura ;
et la douleur qu'elle en conçut, selon l'oracle de
Siméon, fut comme une épée qui perça son ame et
qui déchira son cœur. Quoique sainte et remplie de
grâce, elle passa ses jours dans la pénitence la plus
austère : et c'est ce que nous avons de la peine à
comprendre. Mais ce que je comprends encore
moins, c'est que des pécheurs , et des pécheurs
chargés de crimes , par une conduite directement
opposée, veuillent goûter toutes les douceurs de la
vie. Car voilà notre désordre: déchus de la grâce de
l'innocence , nous en voulons avoir tous les avan-
DE LA VIERGE. ^l
tages ; conçus dans le péché , nous n'en voulons
pas subir les châtimens , ni prendre les remèdes.
Les avantages de l'innocence sont le repos , la tran-
quillité , le plaisir , la joie ; je dis une joie pure , sans
disgrâce et sans amertume. Or n'est-ce pas là ce que
nous cherchons avec tant d'empressement et tant de
passion ; et à nous entendre parler , à nous voir agir ,
ne diroit-on pas que nous y avons droit ? Au con-
traire , l'assujettissement, le travail, l'humiliation ,
la souffrance , les larmes , selon l'Apôtre , sont le
juste payement et la solde du péché : Stipendia
peccati (i); mais qu'avons-nous plus en horreur?
de quoi cherchons-nous plus à nous préserver? et
nous prêcher une telle morale , n'est-ce pas , à ce
qu'il paroît, nous offenser? La pénitence, disent
les conciles , est comme le supplément et comme
le recouvrement de la grâce de l'innocence ; et mal-
gré la perte de notre innocence, nous ne voulons
point de pénitence. Si Dieu nous la fait faire par lui-
même , nous en murmurons : si cette pénitence se
trouve attachée à nos conditions , nous nous la ren-
dons inutile; d'une pénitence salutaire qu'elle pou-
voit être , nous nous en faisons une pénitence forcée ;
et voilà , mes chers auditeurs , votre malheureux
état. Car où voit-on plus de sujets et de matière de
pénitence qu'à la cour; et en même temps où voit-
on dans la pratique moins de pénitence chrétienne
qu'à la cour? Là où le péché abonde, c'est là, par
un renversement bien déplorable , que je trouve
moins la vraie pénitence , et que règne avec plus
(i) Rom. G.
+1 SUR LA CONCEPTION
d'empire l'orgueil de l'esprit , la mollesse des sens r
et l'amour de soi-même.
Enfin , par une dernière opposition entre Marie
et nous , quoique la grâce de sa conception fût une
grâce surabondante et presque sans mesure, Marie
néanmoins n'en est pas demeurée là : mais toute son
application, tandis qu'elle vécut, fut d'augmenter
cette grâce , croissant tons les jours de mérite en
mérite , de sainteté en sainteté; et nous, en qui la
grâce même laisse un si grand vide, nous n'avons
nul zèle pour le remplir; nous nous contentons de
ce que nous sommes: pour un homme du monde,
dit-on , pour un courtisan , il n'en faut pas davan-
tage. Et qui sommes-nous pour borner ainsi la grâce
de notre Dieu : Qui estis vos (i) / Si Dieu veut
se servir de nous , et s'il demande de nous plus de
perfection, pourquoi ne lui obéirons-nous pas, et
pourquoi faudra-t-il que sa main et sa miséricorde
soient raccourcies par notre infidélité? Ali! chré-
tiens, la consistance dans la grâce n'est que pour la
gloire. Dans cette vie , ou il faut croître , ou il faut
déchoir. C'est ce que saint Paul enseignoit aux pre-
miers fidèles. Croissez , mes frères, leur disoit-il,
dansla science de Dieu; croissez dans son amour et
dans sa grâce ; croissez dans la foi et dans toutes
les vertus ; sans cela vous êtes dans la voie de per-
dition. Or, pour croître de la sorte, il faut agir; et
c'est ce qu'a fait Marie. Sans laisser jamais la grâce
oisive, elle l'a rendue agissante, fervente, appliquée
à de continuelles pratiques de piété et de charité.
(i) Juclilh. 8.
DE LA VIERGE. 43
Mais quelles bonnes œuvres pratiquez-vous , et à
quels devoirs de charité envers les pauvres vous
adonnez-vous? S'il y a pour vous un moyen sûr
et infaillible de persévérer dans la grâce , au mi-
lieu du monde où vous vivez , c'est celui-là. Car
au lieu que saint Bernard vous déclare, et avec
raison , que quoi que vous fassiez , vous ne con-
serverez jamais l'humilité dans le luxe, la chasteté
dans les délices, la piété dans les intrigues et dans
les vaines occupations du siècle, je vous dis pour
votre consolation , qu'en donnant vos soins aux
pauvres de Jésus-Christ, et en vous employant
pour eux, vous corrigerez votre délicatesse par la
vue de leurs misères, votre vanité par les services
que vous leur rendrez, votre froideur et votre in-
dévotion par la sainteté de cet exercice , et qu'ainsi ,
malgré les périls même de votre état, mettant cette
grâce en œuvre et la faisant agir pour Dieu, vous
la sauverez pour vous-mêmes. Et de quoi nous
sert-il , mes chers auditeurs , de posséder cette grâce
si précieuse , et de n'en faire aucun usage ?
C'est donc ainsi que Marie a honoré la grâce ,
et que nous devons l'honorer. Quand Tertullien
parle de la défiance salutaire que nous devons avoir
de nous-mêmes pour nous préserver du péché , il
dit un beau mot , savoir , que la crainte de 1 homme
est alors un respect et un honneur que l'homme ,
en vue de sa foiblesse et par esprit de religion ,
rend humblement à Dieu : Timor hominis honor
Dei; parce qu'en effet rien n'est plus honorable à
Dieu que cette circonspection de l'homme , et cette
44 SUR LA CONCEPTION
attention non-seulement à ne point offenser son
Dieu , mais à ne courir pas même volontairement
le moindre risque de perdre sa grâce. Et le même
Tertullien. expliquant davantage sa pensée , dans
l'exemple de certains pécheurs , qui, sortis de leurs
désordres et des occasions malheureuses où ils
s'étoient engagés , y renoncent pour jamais et de
bonne foi , semblables à ceux qui , s'étant sauvés
d'un naufrage , disent un éternel adieu à la mer : il
ajoute que ces pécheurs honorent le bienfait de
Dieu et la grâce de leur conversion , par le souvenir
efficace du danger qu'ils ont couru : Et benefi-
cium Del , salutem suam scillcet , memoricl
■pericull honorant. Faisons encore pins : comme
Marie , ne nous contentons pas d'honorer la grâce
en la conservant, mais honorons-la en lui laissant
toute son action -, honorons-la en lui faisant prendre
tous les jours de nouveaux accroissemens , et en lui
disposant pour cela nos cœurs.
C'est dans cette sainte résolution, ô glorieuse
mère de mon Dieu ! que nous vous présentons nos
vœux; et que, touché d'un zèle particulier comme
prédicateur de l'évangile, j'ose vous présenter les
miens, non-seulement pour attirer sur tous mes
auditeurs les effets de votre protection , mais afin
que Dieu, par votre intercession toute-puissante,
sanctifie l'auguste mariage qui fait maintenant le
sujet de notre joie (i). C'est votre ouvrage , Sire ,
et par l'intérêt que l'Eglise et la religion , aussi bien
(1) Le P. Hourdaloue (it ce compliment au roi deux jours après le
vnariage de monseigneur le duc de Bourgogne.
DÉ LA VIERGE. 45
que l'Etat, y doivent prendre , le devoir de mon
ministère m'oblige ici à vous en féliciter. Le jeune
prince que vous éleviez , et que la Providence a
destiné pour être dans la suite des temps assis sur
le trône , formé par vous , étoit déjà le prodige
de son âge et l'admiration de la cour. Dans la pre-
mière fleur de ses années , capable de juger de
tout, intelligent , savant , pénétrant, plein d'une
solide raison , et ce qui est encore plus , d'une so-
lide religion , aimant le bien , ayant en horreur l'in-
justice et l'impiété , né avec des inclinations toutes
royales, équitable, humain, généreux, ce prince
étoit déjà parvenu à être, non plus l'espérance ,
mais la consolation de votre majesté. Il lui falloit
une princesse digne de lui : votre majesté l'a trou-
vée. Nous la voyons, et j'ai l'honneur d'être le pre-
mier qui , dans le haut rang où elle nous paroît au-
jourd'hui, lui annonce les vérités du salut. Il me
suffiroit , pour faire en deux mots l'éloge de cette
princesse , de dire que votre majesté l'a préférée
à toutes les princesses de l'Europe ; et que , toute
jeune qu'elle est, elle a su gagner votre estime.
Mais il n'est pas ici question de faire l'éloge de
la princesse , il s'agit de rendre grâce à Dieu de
nous l'avoir donnée, et de lui faire connoltre à
elle-même les desseins de Dieu sur elle. Elle nous
a apporté la paix , et par là sa personne nous doit
être chère ; mais nous nous promettons encore
quelque chose de plus important. On admire en
elle des qualités qui la rendent parfaite selon le
monde ; on est charmé de ses manières , de la viva-
46 SUR LA CONCEPTION
cité de son esprit , de la maturité de son jugement,
de cette science du monde si avancée, de ce talent
qu'elle a de savoir plaire à qui elle doit plaire : mais
pour moi qui ne dois avoir égard qu'à ce qui la
rend parfaite selon Dieu , je bénis le ciel de nous
avoir donné dans sa personne une princesse chré-
tienne ; une princesse qui , instruite de la religion
qu'elle professe , fera son capital de la pratiquer ;
qui , occupée de ses devoirs , n'aura rien , Sire ,
plus à cœur que de seconder le zèle de votre ma-
jesté , que de se conformer en toutes choses à ses
intentions , que de mériter les bonnes grâces de
monseigneur, que d'édifier le prince son époux ,
que de servir de modèle à toutes les princesses de
la cour, que de leur inspirer, par sa conduite ,
l'amour de la vraie piété , que de leur en donner
le goût ; une princesse , qui , s'élevant au-dessus de
la vanité, emploiera le discernement et les lumières
dont Dieu l'a pourvue , à démêler la vérité d'avec
le mensonge , à éloigner de soi la flatterie , à se pré-
server de l'erreur, à ne pas donner dans le piège
des passions d'autrui, à être en garde contre l'in-
trigue , à ne se pas laisser séduire par la médi-
sance , à bannir le libertinage de sa maison , à en
exterminer le vice, à y maintenir la probité, à y
faire craindre et honorer Dieu ; une princesse dont
bientôt les exemples seront plus puissans que toutes
mes paroles , pour établir dans cette cour le règne
des vertus ; et qui, marchant sur les pas de ces
grandes reines et de ces vertueuses princesses dont
la mémoire toute récente est encore parmi nous en
DE LA VIERGE. 47
bénédiction , sera comme elles , la protectrice dé-
clarée des intérêts de Dieu, la mère des pauvres,
le refuge et l'asile des malheureux. Voilà , plus que
son rang, ce qui me la rend vénérable , et ce qul
me fait dire comme le serviteur d'Abraham , lorsque ,
voyant pour la première fois l'épouse du fils de son
maître, il s'écria dans un transport d'admiration et
d'action de grâces : Ipsa est midier , qnam prœ-
■pavavit Dominus fdio domini mei (i); Oui, la
voici celle que Dieu , par son aimable providence ,
a choisie pour être l'épouse du fils de mon sei-
gneur : Filio domini mei. Ces paroles d'Eliézer
furent une espèce de prédiction, qui s'accomplit
dans la suite par l'abondance des grâces que Dieu
répandit sur la maison d'Abraham , et sur le ma-
riage dlsaac. Faites , ô mon Dieu ! que ces mêmes
paroles, appliquées à notre invincible monarque et
à son auguste famille , soient suivies des mêmes
effets; et puisque vous êtes l'auteur de cette glo-
rieuse alliance qui vient de mettre le comble à
i notre bonheur, versez sur les deux royales per-
sonnes qu'elle a unies d'un lien si sacré , vos plus
singulières faveurs; non-seulement parles prospé-
rités temporelles dont ils méritent d'être comblés ,
mais encore plus abondamment par les grâces du
salut qui feront pour l'un et pour l'autre le prin-
cipe d'une éternité bienheureuse que je leur sou-
haite , au nom du Père , etc,
(*) Gènes, %\.
SERMON
SUR
L'ANNONCIATION DE LA VIERGE.
Dixit autem Maria ad Angelum : Ecce ancilla Domini ,
fiât mihi secundum verbum taum.
Alors Marie dit à l'Ange : Je suis la servante du
Seigneur , c/uil me soit j ait selon votre parole. Eu saint
Lac , chap. i.
Sire,
*-<'est de cette réponse de Marie que dépendoit
l'accomplissement du glorieux mystère que nous
célébrons. Ce consentement étoit , dans l'ordre des
décrets éternels de Dieu, une des conditions re-
quises pour l'incarnation du Verbe , et voilà , mes
chers auditeurs , l'essentielle obligation que nous
avons à cette reine des vierges , puisqu'il est de la
foi , que c'est par elle que Jésus-Christ nous a été
donné , et à elle que nous sommes redevables de
ce Dieu sauveur. Car si le Fils même de Dieu des-
cend de sa gloire, si, dans les chastes entrailles
de Marie, il vient, pour le salut des hommes, se
faire homme, c'est au moment qu'elle a dit, et
parce qu'elle a dit : Je suis la servante du Seigneur,
qu'il me soit fait selon votre parole : Ecce ancilla
Domini , fuit mihi secundùm verbum tuum. JNe
SUR L'ANNONCIATION DE LA VIERGE. 49
séparons donc point dans ce discours la mère du
fils et le fds de la mère : ne séparons point l'éloge
de Marie du mystère adorable et incompréhensible
de l'homme-Dieu ; mais tâchons à tirer de l'un et
de l'autre de quoi nous instruire et de quoi nous
édifier. Saint Augustin disoit que , pour parler di-
gnement et utilement du Verbe incarné dans le
sein de la Vierge , il falloit que la parole de Dieu
s'incarnât en quelque sorte tout de nouveau dans la
bouche des prédicateurs , et que le ministre de
l'évangile devoit avoir le même zèle que saint Paul ,
pour pouvoir dire à ses auditeurs comme cet apôtre :
Filioll mei, quos iteriim parturio, donec for~
metur in vobis Chris tus (1); Mes chers enfans ,
pour qui je me sens pressé des mouvemens les plus
vifs d'une tendresse paternelle, jusqu'à ce que Jé-
sus-Christ soit formé en vous. C'est la grâce qui
m'est aujourd'hui nécessaire. Il faut qu'à l'exemple
du Docteur des nations , je travaille à former Jé-
sus-Christ dans vos aines, et que vous conceviez
spirituellement le Verbe de Dieu, tandis que je
vais vous annoncer sa conception substantielle et
véritable. Nous avons besoin pour cela des lumières
du Saint-Esprit, qui suryint dans Marie; et c'est
par l'intercession de cette vierge toute-puissante
que nous les devons demander : Ave Maria,
C'est le sentiment de tous les Pères de l'Eglise ,
que Marie, sans avoir pu proprement mériter que
le Verbe divin s'incarnât, a pu néanmoins , par sa
(1) Gaiat. 4.
TOME XI. 4
5o SUR L'ANNONCIATION
correspondance aux desseins de Dieu , servir à l'ac-
complissement de ce mystère iueflable. Car, au
moment qu'il fut sur Je point de s'accomplir, elle
s'y trouva préparée par des sentimens intérieurs et
par des vertus qui la rendirent non-seulement digne,
mais la plus digne et la seule digne d'être la mère
du Rédempteur. C'est pour cela que Dieu l'avoit
comblée de tant de grâces, pour cela qu'il l'avoit
préservée de tout péché , pour cela que, dès ses
plus tendres années , elle s'étoit séparée du monde;
pour cela qu'en se présentant dans le temple, elle
s'étoit elle-même consacrée à Dieu , parce qu'elle
-étoit dès-lors destinée à être le temple vivant et le
sanctuaire de Dieu. Le point est de savoir quelles
furent en particulier ces dispositions de Marie, et à
quoi Dieu eut surtout égard pour la faire entrer en
participation de ce mystère , et pour l'élever à la
maternité divine. Les uns prétendent que ce fut par
son humilité profonde , par son obéissance héroïque,
par sa parfaite soumissionaux ordres de Dieu , qu'elle
trouva grâce devant Dieu. Les autres attribuent
cette grâce, ou, pour mieux dire, cette gloire
qu'elle reçut de Dieu , à sa pureté angélique , par
où elle étoit déjà , comme vierge , l'épouse de Dieu.
Joignons, chrétiens, l'un et l'autre ensemble ; et
disons avec saint Bernard, que cette vierge incom-
parable conçut le Verbe de Dieu, et par son hu-
milité , et par sa virginité : Virginitate plaçait ,
humilitate concepit. C'est à cette pensée que je
m'attache avec d'autant plus de raison , qu'elle me
paroît fondée sur les paroles de mon texte , puisqu'il
DE LA VIERGE. 5r
est constant que la disposition la plus prochaine
qu'apporta Marie à l'incarnation de Jésus-Christ ,
fut le consentement qu'elle donna à la parole de
l'ange , en lui disant : Je suis la servante du Sei-
gneur, qu'il me soit fait selon votre parole. Or, ce
consentement fut tout à la fois, et une protestation
sincère de son humilité , et une solennelle profession
île sa virginité. Car, en se reconnoissant la ser-
vante du Seigneur , elle s'humilia; et, en ne voulant
accepter l'honneur de la maternité divine , qu'à
condition que tout s'accompliroit selon la parole
de l'ange , c'est-à-dire , par l'opération du Saint-
Esprit , elle déclara non-seulement qu'elle étoit
vierge, mais qu'elle vouloit toujours l'être. Ainsi,
il est vrai de dire qu'elle conçut ce Dieu de gloire ,
et par l'humilité de son cœur , et par la pureté de
son corps : par l'humilité de son cœur, qui , de la
condition d'une simple fille, l'éleva jusqu'à la di-
gnité de mère de Dieu : ce sera la première partie ;
par la pureté de son corps, qui, comme parle
S. Àmbroise , eut le bonheur d'attirer sur la terre
le Verbe de Dieu : ce sera la seconde partie. Don-
nez-moi, s'il vous plaît , une favorable attention.
PREMIÈRE PARTIE.
Quelque parfaites en elles-mêmes que soient les
autres vertus, et quelque mérite d'ailleurs qu'elles
puissent avoir, c'est l'humilité , dit saint Augustin,
qui, de la part de l'homme, doit être la première
et essentielle disposition aux communications de
Dieu. Et la raison qu'en apporte ce saint docteur ,
52 SUR L'ANNONCIATION
meparoît aussi convaincante qu'elle est naturelle :
parce qu'il est évident , ajoute-t-il , que , pour re-
cevoir les grâces et les faveurs de Dieu , il faut au
moins être vide de soi-même : Dieu , tout Dieu
qu'il est, si j'ose m'exprimer de la sorte, ne trou-
vant plus de place dans un cœur plein de lui-même ,
c'est-à-dire , dans un cœur infecté de l'amour et
de la vaine estime de soi-même. Or, l'effet propre
de l'humilité est de faire en nous ce vide mysté-
rieux et salutaire ,qui consiste dans l'oubli de nous-
mêmes , dans le détachement de nous-mêmes , dans
le renoncement à nous-mêmes; par conséquent ,
c'est l'humilité qui nous rend capables de posséder
Dieu , d'être des vases d'élection propres à contenir
les dons de Dieu, en un mot, de servir de sujets
aux épanchemens ineffables des grâces et de l'esprit
de Dieu : principe sur lequel est fondé le mystère
de ce jour. Car voici, mes chers auditeurs , l'appli-
cation que j'en fais. Dieu vouloit se communiquer
à l'homme, mais d'une manière étonnante, et qui
devoit même surpasser l'intelligence de l'homme;
savoir, par la voie incompréhensible de l'incarna-
iion de son Verbe. Parlons plus simplement et plus
clairement. Dieu vouloit que ce Verbe , que ce Fils
du Très-haut vînt au monde revêtu de notre chair;
qu'il fut homme comme nous, et, à l'exclusion du
péché , parfaitement semblable à nous. Pour cela il
cherchoit une vierge qui pût, en qualité de mère,
coopérer à l'accomplissement de ce grand dessein ;
une vierge selon son cœur, et en qui il trouvât
ce fonds d'humilité indispensablement requis pour
DE LA VIERGE. 53
en faire ïe temple vivant où devoit habiter neuf
mois entiers la plénitude de la divinité. Au mo-
ment qu'il fallut venir à l'exécution de l'ouvrage
qu'il s'étoit proposé , il jeta les jeux sur Marie ; et
Marie seule, entre les femmes, lui parut dans l'état
de cette humilité parfaite qu'il demandoit. C'est
pour cela, dit saint Augustin, qu'il la choisit pré-
férablement à toutes les autres , et qu'il l'honora de
la plus éminente de toutes les grâces, qui étoit
celle de concevoir un Dieu , parce qu'elle étoit ,
sans contestation et sans exception, la plus humble
des servantes de Dieu. Voilà , dis-je , en deux mots ,
le mystère que nous célébrons. Mais, pour votre édi-
fication et pour la mienne, permettez- moi de vous
le développer.
Non , chrétiens , quand Dieu choisit Marie pour
l'élever à la maternité divine , il ne considéra en
elle, ni la grandeur de sa naissance, ni les talens
de son esprit y ni les perfections de son corps , ni
tous les autres avantages dont il l'avoit, comme
créateur, si libéralement pourvue. Il est vrai, Ma-
rie , même selon le monde , étoit la plus accomplie
de toutes les créatures. Issue de David et de tant
d'autres rois qu'elle comptoit parmi ses ancêtres ,
elle avoit hérité de toute leur gloire : douée des
qualités naturelles qu'elle avoit reçues de Dieu ,
elle étoit, comme parle saint Bernard, le chef-
d'œuvre de tous les siècles, et nulle des filles d'Is-
raël ne lui fut jamais comparable dans le merveilleux
assemblage de ces grâces extérieures et éclatantes
dont elle se trouvoit enrichie ; car c'est d'elle , à la
54 SUR L'ANNONCIATION
lettre , qu'on pouvoitbien dire : Multœ fili.ce con-
gregaverunt divitias , lu supergressa es uni-
versels (i). Mais rien de tout cela précisément
n'engagea Dieu au choix qu'il fit d'elle pour être
la mère du Messie , et pour donner au monde le
Rédempteur. Je dis plus „ et ceci est encore plus
digne de vos réflexions. Ce qui décida en faveur
de Marie , ce qui détermina Dieu à lui donner la
préférence de cette auguste maternité , ce ne fut
pas même absolument ni en général les mérites de
sa sainteté. Je m'explique , Marie , pour être mère
de Dieu j devoit être sainte; mais toute espèce de
sainteté n'auroit pas suffi : il falloit pour cela une
sainteté d'un caractère particulier, qui disposât Ma-
rie à être la mère d'un Dieu incarné, c'est-à-dire,
la mère d'un Dieu qui s'anéantissoit en devenant
son fils et se faisant homme. Or, ce caractère ne
pouvoit être que l'humilité ; et si 1 humilité n'avoit
pas été la vertu prédominante de cette vierge ,
quand elle eût eu d'ailleurs tous les mérites et toute
la sainteté des anges , Dieu ne l'aurait pas choisie.
Par où donc, entre toutes les vierges, se distin-
gua-t-elle devant ce Dieu de majesté ? C'est elle-
même qui nous l'apprend : par la connoissance
qu'elle eut de sa bassesse , et par l'aveu qu'elle en
fit. Or , cet aveu de sa bassesse ne fut qu'une expres-
sion vive et affectueuse de rinunilité de son cœur.
Quia respexit huntili talent ancillœ suce (2) :
Oui , dit-elle dans ce sacré cantique , qui , selon la
pensée de saint Ambroise , fut comme l'extase de
(1) Proy. 39. — (s) Luc. 1.
DE LA VIERGE. 55
son humilité , mais de son humilité glorifiée ; on
m'appellera bienheureuse , et je le suis en effet ;
car le Tout-puissant a fait en moi de grandes choses :
et pourquoi les a-t-il faites ? parce qu'il n'a pas dé-
daigné la bassesse de sa servante, et qu'il a eu
égard au sentiment qu'elle en avoit : Ecce enim
ex hoc (i). Gela seul m'a attiré non-seulement
ses bénédictions et ses grâces, mais sa personne
et sa divinité même ; et je veux bien le publier
hautement , afin que toutes les âmes justes , profi-
tant de la confession que j'en fais , sachent qu'il
n'y a que l'humilité à qui Dieu se communique ,
ni qui puisse l'approcher de nous et nous appro-
cher de lui. Il ne faut pas s'étonner, chrétiens,
que Dieu en use de la sorte à l'égard de Marie»
Car, comme raisonne saint Bernard, un Dieu qui
lui-même étoit sur le point de s'humilier jusqu'à
l'excès , en se revêtant de notre chair, devoit avoir
des complaisances infinies pour l'humilité. Puisque
dans l'état même de sa gloire, il a tant d'égards
pour cette vertu , et que , par la seule raison qu'il
est grand , toutes ses inclinations sont pour les pe-
tits et pour les humbles : Quoniam excelsus Do-
minus , et humilia respicit (2) ; que falloit-ii at-
tendre de lui dans la disposition prochaine où il se
trouvoit de devenir un Dieu humble , sinon qu'il se
fît encore un honneur d'être conçu par la plus
humble de toutes les créatures ; et qu'agissant con-
séquemment, il voulût entrer dans le monde par l'hu-
milité , qui fut son principal et son souverain attrait ?
(1) Luc. 1. — (2) Psalm. 137.
56 sur l'annonciation
Mais enfin qu'y eut- il donc de si singulier et de
si rare dans l'humilité de Marie, et en quoi l'hu-
milité de Marie lui parut-elle alors si digne de lui?
Ah ! chrétiens , Dieu trouva dans Marie une humi-
lité qui ne s'étoit jamais vue sur la terre , et qui ne
s'y verra jamais ; je veux dire , une humilité jointe
à la plénitude du mérite ; première circonstance :
car être humble sans mérite , dit saint Chrysostôme ,
c'est une nécessité : être humble avec quelque mé-
rite, c'est une louange : mais être humble dans l'ac-
tuelle possession de tous les mérites , c'est un mi-
racle , et il falloit ce miracle pour l'incarnation. Or,
c'est ce miracle qui paroît visiblement dans la per-
sonne de Marie. Car prenez garde , s'il vous plaît :
on la salue comme pleine de grâce : Ave , gratid
■plena (i); et elle proteste qu'elle est la servante
du Seigneur : Ecce ancilla Domini (2). Si elle
n'eût été que servante, ou si elle n'eût été que
pleine de grâce, elle n'auroit jamais été mère de
Dieu; c'est l'excellente réflexion de saint Chrysos-
tôme : mais parce qu'elle est l'un et l'autre tout
ensemble ; parce qu'étant pleine de grâce , elle ne
laisse pas de s'appeler humble servante du Seigneur ,
parmi eflet de l'opération divine , de servante elle
devient mère. Voici quelque chose de plus : une
humilité dans le comble de l'honneur; autre cir-
constance. Etre humble, poursuit saint Chrysos-
tôme , dans l'humiliation , être humble dans l'obs-
curité d'une condition vile et abjecte , ce n'est tout
au plus qu'une vertu commune et populaire ; mais
(l) Luc. 1. — (2) Ibid.
DE LA VIERGE. 5j
être humble , comme l'a été Marie , dans le plus
haut degré d'élévation , c'est une vertu héroïque ,
et par où Marie mérita l'admiration , non pas sim-
plement des hommes et des anges, mais pour ainsi
dire de Dieu même. Car pourquoi ne parlerois-je
pas ainsi, et pourquoi craindrois-je de dire, que
celui qui admira la foi du centenier et de la femme
chananéenne , dut encore bien plus admirer l'hu-
milité de cette vierge ? Entrons dans le détail. Un
ange est député à Marie : tout ange qu'il est, il ne
lui parle qu'avec respect. Il lui déclare qu'elle est
bénie entre toutes les femmes , qu'elle a trouvé
grâce aux yeux du Seigneur , qu'elle concevra un
Fils à qui elle donnera le nom de Jésus , qu'elle
sera remplie du Saint-Esprit , que le fruit qui naîtra
d'elle sera saint par excellence , qu'il sera Fils de
Dieu, qu'il rétablira le trône de David, qu'il ré-
gnera éternellement, et que c'est par elle enfin que
tout cela doit être fait. Que pouvoit-on lui annoncer
de plus grand ? quel droit ne sembloit-elle pas alors
avoir de se former de hautes idées d'elle-même ,
surtout lorsqu'elle savoit que ce n'étoient point là
des flatteries , puisqu'elle recevoit tous ces éloges
et de la bouche d'un ange , et de la part de Dieu ?
Cependant , chrétiens , à tous ces éloges elle ne fait
qu'une seule réponse : mais elle la fait avec autant
de sincérité , qu'une ame vaine et peu solide auroit
pu la faire avec dissimulation et avec affectation.
Ecce ancilla Domini : Je suis , dit-elle , la ser-
vante du Seigneur. Vous me parlez d'être sa mère ,
et ce seroit pour moi un titre de supériorité : mais
58 SUR L'ANNONCIATION
je m'en tiens à celui de ma dépendance , à celui de
l'entière soumission et de la servitude que je lui ai
vouée , et dont je ne me départirai jamais : Ecce
ancilla.
Or voilà , mes chers auditeurs > encore une foi?,
ce qui ravit le ciel. Voilà , souffrez que je m'explique
ainsi , ce qui achève de déterminer le Verbe de
Dieu à sortir du sein de son Père, et à descendre
du trône de sa gloire jusque dans la profondeur de
notre néant. Car , c'est bien ici que s'est vérifiée
la parole du Prophète royal , qu'un abîme attire
un 'autre abîme : Abyssus abyssum invocat(i)*
Tandis que Marie s'humilie devant Dieu, le Verbe
de Dieu s'anéantit en elle : cet abîme de l'humilité
d'une vierge attire un second abîme encore plus
grand , qui est celui de l'anéantissement d'un Dieu.
Car c'est le terme , et le terme unique par où saint
Paul a cru pouvoir dignement exprimer le mystère
d'un Dieu-homme : Qui càm in forma Deiesset,
exinanivit semetipsum formam servi acci-
pieus (2) ; ce Jésus-Christ que j-e vous prêche ,
disoit-il aux Corinthiens, est celui qui étant Dieu ,
et n'estimant point que ce fut pour lui une usurpa-
tion d'être égal à Dieu , s'est anéanti lui-même, pre-
nant la forme de serviteur et se rendant semblable
aux hommes. En effet , qu'un Dieu se fasse homme,
c'est, par rapport à Dieu, ce qui surpasse tous les
degrés d'abaissement que notre imagination se fi-
gure , et qu'elle peut se figurer. Il faut pour aller
jusque-là, que la révélation divine vienne à son
(1) Psalm. 41. — (2) Philip. 2.
DE LA VIERGE. 5g
secours ; et que , fortifiée des plus vives lumières
de la foi , elle nous élève au-dessus de nous-mêmes ,
pour nous faire comprendre ce que c'est qu'un Dieu
dans cet état. Or comment le comprenons-nous ?
par ce seul mot , qui signifie plus que tout ce que
les théologiens et les Pères se sont efforcés de nous
en dire ; aussi est-ce le Saint-Esprit qui l'a dicté.
11 s'est fait homme, c'est-à-dire, de Dieu qu'il
étoit, sans préjudice delà souveraineté de son être,
il s'est réduit à une espèce de néant : Exinanivit
semetipsum (i).
G'estdonc de cenéantdivin,pourparlerainsi,que
nous avons été formés ; et c'est par la vertu mira-
culeuse de cet anéantissement d'un Dieu, que nous
sommes, vous et moi, tout ce que nous sommes
dans l'ordre de la grâce. Comme le premier néant que
j'appelle le néant de la création , a été le principe et
l'origine de tous les êtres qui sont dans la nature , il a
fallu que de ce second néant , qui est le néant de l'hu-
miliation et de l'incarnation du Verbe , Dieu tirât tous
les êtres qui sont de l'ordre surnaturel , c'est-à-dire ,
toutes les grâces, toutes les vertus , tous les mérites 9
toutes les lumières, toutes les inspirations, tous les
dons célestes qui doivent contribuer au salut et à la
justification des hommes. C'est sur ce néant d'un
Dieu fait chair , que la miséricorde a travaillé pour
faire des saints, des prédestinés , des élus; comme
la toute - puissance avoit travaillé sur le premier
néant, pour créer des cieux et des astres. Sans cela
nous serions demeurés dans le néant éternel de notre
(l) Philip. 2.
60 SUR L'ANNONCIATION
misère et de notre péché : il n'y avoit qu'un Dieu
qui pût nous en faire sortir, et il n'a point trouvé
d'autre moyen que l'anéantissement de son adorable
personne : Eocinanivit semetipswn. Anéantisse-
ment de mon Dieu , s'écrie S. Bernard , plus avanta-
geux pour moi que sa grandeur même, et que sa
puissance même; ou plutôt, anéantissement de mon
Dieu , sans lequel sa puissance et sa grandeur même
n'auroient eu rien d'avantageux pour moi ; anéan-
tissement plus fécond , plus riche, plus abondant
que les trésors mêmes de Dieu , puisque tous les
trésors de la bonté et de la charité de Dieu y sont
renfermés , et que de là me sont venus tous les biens
que j'ai reçus de Dieu et que j'en recevrai jamais ;
anéantissement en vertu duquel je subsiste, et au-
quel je suis redevable de tout mon bonheur ; anéan-
tissement qui , me représentant mon Dieu dans cet
abîme d'humiliation où je le contemple aujourd'hui,
me le rend encore plus admirable et plus aimable
que lorsque je le considérois dans la splendeur des
saints , et dans le centre glorieux de sa pure divi-
nité : Quanta pro me vilior , tanto mihi carior.
Telles étoient les pensées de saint tèernard en vue
de ce mystère , qu'il méditoit et dont il étoit pé-
nétré.
Mais allons plus avant, et pour nous rendre ce
mystère encore plus utile , faisons un relour sur
nous-mêmes. Entrons dans les sentiinens de Jésus-
Christ , entrons dans ceux de Marie : je veux dire,
mettons- nous, selon la maxime du grand Apôtre,
dans les mêmes dispositions où se trouvèrent Jésus-
DE LA VIERGE. 6l
Christ et Marie au moment de l'incarnation : Hoc
enim sentite in vobis , quod et in Christo Je-
su (i). Car voici , mes chers auditeurs, ce que le
mystère de l'incarnation nous prêche, l'esprit d'hu-
milité , la pratique de l'humilité , l'étude et la science
éminente de l'humilité , le mérite de l'humilité. Les
païens , disoit saint Jérôme , n'ont été humbles , et
n'ont pu l'être que par raison : mais pour nous qui
sommes fidèles, nous devons l'être et par raison, et
par religion. Les Juifs n'avoient besoin d'humilité ,
que pour obéir à un Dieu qui leur paroissoit tou-
jours grand , et devant qui ils dévoient trembler ;
mais en qualité de chrétiens , nous avons besoin
d'humilité pour servir un Dieu qui s'est fait petit et
à qui nous devons nous conformer. Comme l'abîme
de l'humilité de Marie a attiré un second abîme ,
qui-est celui des humiliations du Fils de Dieu , il
faut que celui tles-4mmiliations du Fils de Dieu en
attire un troisième dans nous ; et qu'en nous sanc-
tifiant par l'exercice de l'humilité chrétienne , nous
joignions l'anéantissement volontaire de nous-mê-
mes à cet anéantissement prodigieux du Verbe ;
afin que de l'un et de l'autre il se fasse un tout sans
lequel la foi nous enseigne qu'il n'y a point de sa-
lut pour nous , puisqu'il est de la foi que l'anéan-
tissement du Verbe incarné relève le mérite du
nôtre , et que le nôtre doit être l'effet et comme le
supplément et la consommation de celui du Verbe
incarné. Parlons sans figure , et réduisons ceci à des
termes plus simples.
(1) Philip. a.
62 SUR L'ANNONCIATION
On vous a cent fois entretenus des désordres de
l'orgueil , de cette passion malheureuse que l'on peut
bien appeler le péché originel de l'homme , puis-
qu'au moins en a-t-elle été la cause, et qu'elle est
encore aujourd'hui le principe le plus général de
tous les déréglemens du monde. On vous en a fait
des discours entiers , et peut-être plus d'une fois
avez-vous été convaincus , que de s'y laisser domi-
ner, c'étoit une des marques les plus visibles d'un
sens réprouvé. Mais , chrétiens , on ne vous en a
rien dit d'essentiel , si vous le comparez à ce que je
vous en dis aujourd'hui. Oubliez donc tous les au-
tres motifs dont on s'est servi pour vous donner
horreur de ce péché : comptez pour rien tout ce
qu'on vous a fait entendre de l'injustice de l'orgueil,
de son indignité , de sa vanité , de ses extrava-
gances pitoyables , de ses honteux emportemens ,
de ses aveuglemens grossiers, de ses insupportables
présomptions , de ses ridicules fiertés, de ses basses
et odieuses jalousies. C'étaient des raisons fortes et
pressantes, mais encore trop humaines: il en falloit
une prise de la sainteté même du christianisme, et
dont nous ne pussions nous défendre sans renoncer
à notre foi. Or cette raison étoit attachée à l'auguste
mystère de l'incarnation. Car un Dieu tel qu'on
nous le propose dans le mystère de ce jour ; un.
Dieu volontairement et par choix revêtu de la forme
de serviteur; un Dieu , pour sauver et pour réfor-
mer l'homme , couvert des misères de l'homme ; un
Dieu fait chair , pour guérir , dit saint Augustin ,
les enflures criminelles de notre esprit, c'est ce qui
DE LA VIERGE. 63
confondra éternellement le vice que je combats, ce
qui le confondra sans réplique , ce qui le confondra
dans tous les états du christianisme , ce qui le con-
fondra en nous convaincant d'une contradiction
presque aussi incompréhensible que le mystère
même qui la fait naître. Car la plus monstrueuse
contradiction, n'est-ce pas d'invoquer ce Dieu
sauveur, que nous savons ne nous appartenir comme
Sauveur que par son humilité, et en l'invoquant,
d'être actuellement possédés d'un secret orgueil ;
de lui rendre grâce de s'être abaissé pour nous, et
de ne penser qu'à nous élever nous-mêmes ; d'éta-
blir toute notre confiance sur ce qu'il s'est anéanti
pour nous racheter, et de ne travailler qu'à devenir
quelque chose , et, s'il étoit possible , toutes choses
selon le monde ? N'est-ce pas là, dis-je , insulter
en quelque manière à son incarnation divine ?
Il faut être humble, chrétiens. Je ne vous dis
point que sans cela il ne peut y avoir de solide ver-
tu; je ne vous dis point que l'humilité est, de l'a-
veu du monde même, le fondement du véritable
mérite ; je ne vous dis point ?que si vous n'êtes
humbles , c'est en vain même que vous espérez de
parvenir à cette prétendue gloire mondaine que
vous cherchez; je ne vous dis point que sans l'hu-
milité vous ne trouverez jamais la paix ni le repos
de vos âmes. Autant vous en diroit un philosophe;
et quelque convaincante sur ce point que fut sa
morale , je doute qu'on y déférât beaucoup. Mais je
vous dis qu'il faut être humble pour être chrétien •
et que sans l'humilité, il n'y a ni religion , ni chris-
64 SUR L5 ANNONCIATION
tianisme, puisque, sans l'humilité, il n'y auroitpas
même eu d'incarnation , ni d'homme-Dieu. S'il vous
reste encore de la foi , pouvez-vous n'être pas tou-
chés de cette vérité ? Je sais néanmoins que cette
vérité, toute édifiante qu'elle est, ne sera pas du
goût de ceux qui m'écoutent; et je sais, quoique
avec douleur, que l'humilité que je prêche ici, est
cette sagesse cachée que saint Paul a cru bien dé-
finir quand il a dit que c'étoit celle que nul des
princes de ce monde n'avoit connue : Sapienliam
in mysterio , quœ abscondlta est , quam nemo
-principiam hujus secull cognovit (i), Mais c'est
pour cela même que je vous la prêche, afin que,
malgré le Dieu du siècle, elle soit hautement ré-
vélée , là où elle est plus grossièrement ignorée et
plus ouvertement combattue; afin qu'il ne soit plus
vrai que nul des princes du monde ne l'a connue;
afin que, jusque dans la cour, elle reçoive un té-
moignage, ou qui sanctifie ceux qui la croient , ou
qui serve à justifier Dieu contre ceux qui ne la
croient pas. Car , de l'une ou de l'autre manière,
il faut, chrétiens, que cette sagesse triomphe de
vos erreurs. Et je vous rends grâce , ô mon Dieu !
de ce qu'il y a encore des âmes dans qui elle
triomphe pleinement; de ce que votre main n'est pas
raccourcie ; de ce que parmi les grands à qui je
parle, il se trouve encore des humbles de cœur à
qui vous découvrez vos voies : ce sont vos élus y
Seigneur, et à vous seul en appartient le discerne-
ment. S'ils sont en petit nombre , c'est cette profon-
(i) t. Cor. 2.
DE LA VIERGE, 65
deur de vos conseils que nous révérons : mais ,
quoi qu'il en soit, j'ai toujours droit de me conso-
ler aujourd'hui de ce que la proposition de votre
apôtre n'est plus si absolue ni si générale ; et tout
indigne que je suis de mon ministère, j'ai le bon-
heur de prêcher avec plus d'avantage que lui cette
sagesse de vos humiliations , puisque je la prêche
devant des puissans du siècle , non-seulement qui
la connoissent , mais qui l'adorent , et qui con-
viennent avec moi de l'obligation indispensable ou
ils sont de la pratiquer.
Vous me direz , chrétiens : Mais peut-on être
humble et grand tout à la fois ? car voilà le prétexte
que l'esprit du monde a opposé de tout temps à cette
vérité. Et moi je vous réponds : En peut-on dou-
ter après la preuve authentique et le modèle ad-
mirable que Dieu nous en a donné dans l'incar-
nation de son Fils ? Vous me demandez si l'on peut
être humble et grand tout à la fois : et le Fils de
Dieu a bien pu devenir humble en demeurant Dieu ;
et Marie a bien pu être la plus humble de toutes les
créatures , en devenant la mère d'un Dieu. Quoi
donc ! reprend saint Chrysostôme , les grandeurs
humaines ont-elles quelque chose de plus éclatant
que la maternité de Dieu , et que la divinité même;
et puisque la divinité et la maternité de Dieu se sont
si bien accordées avec l'humilité dans Jésus-Christ
et dans Marie , oserons-nous dire qu'il n'y ait rien
de grand sur la terre avec quoi l'humilité puisse
être incompatible ? Oui , chrétiens , on peut être
grand et humble tout ensemble ; c'est-à-dire , on
tome xi. 5 '
£6 sur l'annonciation
peut être humble dans la grandeur, comme on peut
être superbe dans la bassesse. On ne peut pas être
humble, et ambitionner d'être grand, et se plaire à
être grand, et faire toutes choses pour être grand;
mais on peut être humble et être grand, parce qu'on
peut être grand , par l'ordre de Dieu , et que l'ordre
de Dieu n'a rien qui ne contribue à maintenir l'hu-
milité. Et voilà, mes chers auditeurs, ce que j'ap-
pelle la grâce de votre état. Vous qui tenez dans le
monde des rangs honorables, et que la Providence
a élevés au-dessus du commun des hommes , voilà,
si vous voulez le reconnoître , l'avantage que vous
possédez, de trouver dans l'humilité que ce mys-
tère vous inspire , de quoi sanctifier votre condi-
tion, et de trouver dans votre condition de quoi
rendre votre humilité plus sainte et plus précieuse
devant Dieu ; voilà en quoi Dieu vous a privilégiés,
de vous avoir donné le moyen d'être humbles avec
mérite , et d'être grands sans risque et sans péril.
Concevez bien , s'il vous plaît, ce secret de sa mi-
séricorde. Si Dieu vous avoit laissés dans la corrup-
tion du péché , livrés à vos propres désirs , cette
grandeur dont vous êtes revêtus seroit une gran-
deur funeste qui vous perdroit , qui vous aveugle-
roit, qui seroit pour vous une source de crimes , et
qui n'aboutiroit enfin qu'à votre damnation : ou si ,
par un changement d'état, Dieu, au contraire,
vous avoit fait naître dans la poussière et dans les
plus viles conditions du monde , l'humilité dont
vous auriez fait profession, n'eut été'souvent qu'une
humilité naturelle, qu'une impuissance de vous éle-
DE LA VIERGE. 67
ver plus haut, ou même qu'une bassesse fie cœur
indigne du nom d'humilité. Qu'a fait Dieu ? par une
providence toute singulière, il vous a préservés de
ces deux écueils : il vous a donné de la naissance ,
des emplois , des rangs , afin que si vous étiez hum-
bles et chrétiens, vous le fussiez par vertu; et il
vous a pourvus de l'humilité chrétienne , afin que
cette naissance, ces emplois , ces rangs ne dégéné-
rassent point dans une grandeur profane et abomi-
nable à ses yeux; La grandeur toute seule auroit
dû vous faire trembler : l'humilité toute seule , dans
le sens que je viens de le dire, n'auroit pas pu vous
assurer : l'une vous auroit exposés à des tentations
presque invincibles ; l'autre , sous l'apparence même
du bien , auroit été douteuse et équivoque. L'al-
liance des deux est ce qui doit faire votre consola-
tion : car l'humilité , à l'épreuve de la grandeur ,
est le plus infaillible ouvrage de la grâce , et le mé-
rite le plus pur sur lequel vous puissiez compter :
et la grandeur , sanctifiée par l'humilité , non-seu-
lement n'est plus un piège, mais devient elle-même
salutaire. Quel hommage , chrétiens , n'en pouvez-
vous pas faire à Dieu ? à combien de saintes œuvres
ne peut-elle pas vous servir pour les intérêts de
Dieu ? dans quelle nécessité ne vous met-elle pas
d'être sur la terre , chacun à proportion de votre
pouvoir , les ministres et les hommes de Dieu ? Cette
grandeur soumise à Dieu, employée pour Dieu ,
anéantie pour l'humilité de la religion en présence
de Dieu : quel tribut de gloire ne lui rapporte-
fc-elle pas, et quelle facilité ne vous donne-t-elle
£8 SUR L'ANNONCIATION
pas à vous-mêmes , sans cesser d'être tout ce que
vous êtes, d'être encore des saints? Il est vrai,
disoit saint Pierre, notre Dieu est un juge équi-
table , qui ne regarde point la qualité, et qui ne fait
nulle différence des conditions des hommes : Non
est personarum -accepter Deus (i). Mais il faut
pourtant convenir, qu'agissant même en juge équi-
table , Dieu se tient en quelque sorte plus honoré
de la piété des grands , que de celle des hommes
du commun : pourquoi ? parce que la piété dans les
grands , pour être sincère et véritable , supposeun
plus grand fonds d'humilité. Or Dieu, à proprement
parler , ne nous considère que par le plus ou le
moins d'humilité qui est en nous ; et si nos vertus,
par rapport à nous, ont devant lui quelque dis-
tinction , c'est uniquement par là qu'il les mesure.
C'est pour cela même aussi , vous disois-je il y a
quelque temps , que Dieu vous a faits ce que vous
êtes , et c'est enfin ce qui vous doit faire aimer l'hu-
milité* Non , vous ne la devez point regarder comme
une vertu odieuse qui vous dispute vos droits et
vos rangs, mais comme une vertu précieuse qui
sanctifie la grandeur même, et qui la rend méri-
toire devant Dieu , et plus vénérable devant les
hommes. Sainte humilité , c'est vous qui avez conçu
le Verbe de Dieu ; ou plutôt , c'est par vous que
Marie l'a conçu dans son sein , et que nous le devons
concevoir dans nous-mêmes. Voyons encore com-
ment Marie contribue par sa virginité à cette divine
conception ; c'est la seconde partie.
(0 Act. 10.
DE LA VIERGE. 69
DEUXIÈME PARTIE.
Dieu l'avoit dit, chrétiens, et le plus authen-
tique de tous les signes qu'il avoit promis au monde ,
pour marquer l'accomplissement du grand mystère
de notre rédemption , c'étoir, selon le rapport
d'Isaïe , qu'une Vierge demeurant vierge conce-
vroit un fds , et que ce fils seroitDieu ; non pas un
Dieu séparé de nous , ni élevé comme Dieu au-
dessus de nous 9 mais un Dieu abaissé jusqu'à nous ,
et entretenant , quoique Dieu , un commerce in-
time avec nous. Car voilà, ajoute l'Evangéliste,
ce que signifioit l'auguste nom d'Emmanuel : Ecce
virgo in utero habebit , et pariet fdium; et vo-
cabunt nomen ejus Emmanuel , quod est inter-
pretatum , nobiscum Deus (1). Ce prodige, je
l'avoue , surpassoit toutes les lois de la nature ; mais
après tout , il ne laissoit pas d'être dans un sens
parfaitement naturel. Car , comme raisonne saint
Bernard , si un Dieu se faisant homme , devoit avoir
une mère , il étoit de sa dignité , et par là d'une
espèce de nécessité, que cette mère fut vierge; et
si une vierge, par le plus inoui de tous les miracles ,
devoit, sans cesser d'être vierge, avoir un fils, il
étoit pour elle d'une bienséance absolue et comme
indispensable , que ce fils fût Dieu : Neque enim
mit partit s alius virginem y aut Deum decuit
partus alter. Il falloit que le Verbe de Dieu, par
un excès de son amour et de sa charité , sortît hors
du sein de Dieu, et, si je puis ainsi dire, hors de
(1) Matth. 1.
70 SUR L'ANNONCIATION
lui-même , pour se mettre en état d'être conçu selon
la chair : mais supposé cette sortie, qui est propre-
ment ce que nous appelons incarnation, le Verbe
de Dieu ne pouvoit être autrement conçu selon la
chair , que par la voie miraculeuse de la virginité :
pourquoi? parce que toute autre conception que
celle-là auroit obscurci l'éclat et la gloire de sa di-
vinité. Cette pensée de saint Bernard a je ne sais
quoi de sublime, et pour peu d'étendue qu'on lui
donnât , elle remplirait vos esprits des plus hautes
idées de la religion. Mais sans rien rabattre de la
sublimité de cette pensée , il faut encore quelque
chose de plus sensible , et de plus propre à l'édifi-
cation de vos mœurs. Or c'est à quoi le Saint-Es-
prit me paraît avoir admirablement pourvu par la
conduite qu'il a tenue dans l'exécution de ce mys-
tère : conduite , si vous l'examinez bien , capable
de vous inspirer toute la vénération , tout le respect,
tout l'amour dus à l'excellente vertu dont je dois
présentement vous parler, et qui est la pureté chré-
tienne. Car en voici , mes chers auditeurs , la plus
solide et la plus touchante leçon ; étudiez-la dans la
suite de notre évangile.
Dieu, par un mouvement de son infinie miséri-
corde, envoie un ange sur la terre, non-seulement
pour annoncer , mais pour négocier la nouvelle al-
liance qu'il est sur le point de faire avec les hom-
mes. Et à qui envoie-t-il cet ange ? à une vierge :
M issus est angélus a Deo ad virginem ( i ). Or
vous savez (belle réflexion de saint Bernard sur ces
(1) Luc. î.
DE LA VIERGE. 71
trois noms, ou plutôt sur ces trois personnes, uii
ange , un Dieu , une vierge) ; vous savez que Dieu „
qui est le plus pur de tous les esprits et la source
de toute pureté , engendre éternellement son fils
par la plus pure et la plus sainte de toutes les géné-
rations. D'on vient que saint Grégoire de INazianze ,
en parlant du Père céleste, l'appelle vierge par
excellence et le premier des vierges. Vous savez
que les anges sont de purs esprits dégagés de la ma-
tière , et que ceux qui ont persévéré dans la jus-
tice et dans la sainteté originelle où Dieu les avoit
créés, j'entends les anges bienheureux , ont encore
l'avantage d'être spécialement purs et sans tache
devant Dieu. Et vous savez, enfin, que les vierges,
quoique dans un corps mortel , par la profession
qu'elles font d'une sainte virginité , sont comme
les anges de la terre : Erunt sicut angeli Del (1).
Dieu qui députe, l'ange qui est député , Marie à
qui la députation est faite , autant de caractères
différens de la plus parfaite pureté , selon la diffé-
rence des sujets qui concourent à ce mystère : An-
gélus à Deo ad vlrglnem. Que veux-je conclure
de là ? ce que le Saint-Esprit semble avoir prétendu
par là nous déclarer; savoir, que Dieu étant par
lui-même la pureté essentielle .il falloit ou une
pureté angélique, ou une pureté virginale; disons
mieux, qu'il falloit l'un et l'autre ensemble, pour
concerter entre Dieu et l'homme cette ineffable et
adorable union qui s'est accomplie dans le Verbe
fait chair. Mais encore, reprend saint Bernard?
(») Matth. 22.
wj2. SUR L'ANNONCIATION
laquelle de ces deux sortes de pureté , l'angélique
et la virginale , a eu plus de part à ce mystère ? et
pour laquelle Dieu paroît-il avoir eu plus de consi-
dération? Ah ! répond ce saint docteur , en peut-on
douter , après l'exemple que ce Dieu de gloire nous
en donne aujourd'hui lui-même , c'est-à-dire , après
la haute préférence qu'il donne aujourd'hui à la
pureté virginale sur la pureté angélique ? Vous me
demandez en quoi consiste cette préférence : le
voici : Le Verbe de Dieu , dans le dessein de s'in-
carner, choisit une vierge pour mère, et il lui dé-
pute un ange qui n'est auprès d'elle que son am-
bassadeur. Elle est donc , en vertu de ce mystère ,
aussi élevée comme vierge au-dessus de l'ange ,
que*' le nom de mère qu'elle reçoit surpasse celui
de ministre et de serviteur. Tanto melior angelis,
pourrois-je dire , en me servant des termes de saint
Paul , quanta differentiàs prœ Mis nomen hœ-
reditavit (i).
Dieu prêt à se faire homme , obligea l'ange à
s'humilier devant cette vierge ; et lui-même , tout
Dieu qu'il est , par un honneur anticipé qu'il veut
bien lui faire comme à sa future mère , il commence
en quelque sorte à dépendre d'elle , puisque dans
la plus importante négociation , il demande son
consentement. Ne vous en étonnez pas , poursuit
saint Bernard : c'est qu'en effet la pureté de cette
vierge étoit d'un mérite qui la rendoit bien plus
précieuse et plus estimable devant Dieu, que celle
des Anges. L'ange qui saluoit Marie étoit pur, il
(i) Hcbr. i.
DE LA VIERGE. 78
est vrai ; mais comment ? par nature et par un pri-
vilège de béatitude et de gloire : mais Marie étoit
vierge par choix , par vœu , par esprit de religion»
La virginité de Marie étoit donc comme un sacri-
fice continuel qu'elle faisoit à Dieu , une oblation
de son corps qu'elle immoloit comme une hostie
vivante et agréable aux yeux de Dieu , une consé-
cration de sa personne qui devoit être le sanctuaire
et la demeure de son Dieu. Voyez avec quelle pru-
dence et quelle circonspection elle conserve le tré-
sor de sa virginité. Admirez la constance et la fer-
meté qu'elle témoigne pour ne le pas perdre. Deux
devoirs des vierges chrétiennes , dont Dieu veut que
Marie soit aujourd'hui le modèle. Ecoutez-moi, et
instruisez-vous. Un ange se présente à elle, et elle
se trouble. A peine a-t-il commencé à lui parler, que
la crainte la saisit , qu'elle se sent intérieuremen t
combattue de mille pensées : Turbata est , et co-
gitabat qualis esset isla salutatio (1). Si Marie
eût été de ces personnes mondaines , qui ne sont
vierges que de corps sans l'être d'esprit, cette vi-
site qu'elle recevoit, n'auroit eu rien pour elle de si
surprenant; et les louanges qu'on lui donnoit, au
lieu de l'étonner, l'auroient agréablement flattée.
Mais la profession qu'elle a toujours faite , de n'avoir
comme vierge , d'entretien particulier qu'avec Dieu ,
la loi qu'elle s'est prescrite , et qu'elle a gardée , de
fuir tout autre commerce , et de renoncer aux
mœurs et aux usages du siècle profane; son exacte
et sévère régularité , son attention à ne se relâcher
(1) Luc. 1.
74 SUR L'ANNONCIATION
jamais sur les moindres bienséances , la possession
où elle est , d'une conduite irrépréhensible et à l'é-
preuve de la plus rigide censure , la pudeur et la
modestie qui lui sont plus que naturelles ; l'opinion
dont elle est prévenue, que les louanges données à
son sexe et favorablement reçues , que les louanges
mêmes souffertes et écoutées tranquillement , sont
le poison le plus contagieux et le plus mortel : tout
cela lui cause un trouble qu'elle n'a pas honte de
faire paroître , parce qu'être troublée de la sorte ,
c'est le véritable caractère d'une vierge fidèle à Dieu.
Voilà sa prudence et sa vigilance : ajoutez-y sa
constance et sa fermeté. On déclare à Marie qu'elle
doit être la mère d'un fils qui sera éternellement
roi , qui sera le Saint des saints, qui sera le Fils du
Très-haut , qui sera le Sauveur de tout le monde ;
et elle demande comment cela se pourra faire ,
parce qu'elle est vierge , et vierge par un engage-
ment , auquel ni la qualité de mère de Dieu , ni
celle de reine du ciel et de la terre , ne la feront
jamais renoncer : Quomodo fiet îstud , quoniam
virum non cognosco (i) / Ah ! Marie, s'écrie là-
dessus saint Augustin , c'est pour cela même que la
chose se pourra faire, et qu'elle se fera, parce que
vous ne comprenez pas comment elle est possible.
Car si vous le compreniez de la manière que toute
autre l'auroit compris, dès-là vous seriez incapable
d'être à Dieu ce que Dieu veut que vous lui soyez.
Il a fallu que votre virginité parut en ce moment
là vous rendre comme incrédule ; il a fallu que la
(î) Luc. 1.
DE LA VIERGE. 7^
proposition qu'on vous faisoit d'être la mère de
votre Dieu , vous alarmât d'abord et vous troublât,
afin que vous fussiez digne de l'être.
En effet, ce refus de la maternité divine, plutôt
que de cesser d'être vierge , ce vœu de virginité
dans lequel elle demeura ferme et immobile jusqu'à
n'être pas ébranlée par la parole même d'un ange
qui lui promettoit un Dieu pour fils : Immobile
virginitatis propos itum, quodnec angelofilium
Deum promittente , aliquatenùs litubavit ; voilà,
dit saint Jérôme , ce que Dieu a considéré dans
Marie, et par où Marie , entre toutes les autres vier-
ges , a eu la préférence de l'estime et du choix de
Dieu. Or, qu'est-iî arrivé de là? une chose, chré-
tiens , aussi consolante pour vous qu'elle vous paroî-
tra merveilleuse. Yous savez quelle fut la cause de
ce déluge universel qui inonda toute la terre. Dieu,
dans sa colère, voyant la corruption du genre hu-
main , avoit juré que son esprit ne demeureroifc
jamais dans l'homme, parce que l'homme étoit de-
venu tout charnel : Non permanebit spiritus meus
in œternum in homine^ quia caro est (i). Mais
aujourd'hui, réflexion admirable de saint Augus-
tin , Dieu révoque , pour ainsi dire , cet arrêt; et,
par un autre serment tout contraire en apparence,
mais qui néanmoins s'accorde parfaitement avec le
premier, il assure que son esprit demeurera dans
Marie , et que de Marie il se répandra dans tous les
hommes : pourquoi ? parce que , dans la personne
de Marie, l'homme a cessé d'être charnel; c'est-à-
(i) Geaes. 6.
76 SUR L'ANNONCIATION
dirç , parce que Marie est vierge , et vierge par une
profession qui, l'élevant au-dessus de l'homme , la
rend capable des plus hautes faveurs de Dieu , et de
la plénitude même de l'esprit de Dieu : Spiritus
sanctus superveniet in te (1). Au lieu que , dans la
création, l'esprit de Dieu étoit simplement venu
pour se communiquer à l'homme en vue de son
innocence, et parce que l'homme n'avoit point en-
core péché; au moment de l'incarnation , ce même
esprit, selon la parole sacrée, survint dans Marie;
et comment? avec un surcroit, avec une surabon-
dance , avec un épanchement de dons et de grâces
sans mesure , en vue de sa pureté et parce qu'elle
étoit vierge : Superveniet in te.
Ce n'est pas assez : non-seulement Dieu veut que
Marie , en conséquence de ce qu'elle est vierge ,
soit remplie de son esprit ; mais parce qu'elle a fait,
comme vierge , un éternel divorce avec la chair et
le sang , c'est par elle que lui-même, qui est un pur
esprit, veut faire une éternelle alliance avec notre
chair ; disons mieux , c'est par elle que lui-même
veut être fait chair. Car voilà le terme qu'a employé
l'Evangéliste , pour exprimer le miracle de ce Verbe
de Dieu incarné et fait homme : Et verbum caro
factwn est (2). Saint Jean n'a pas cru qu'il suffît
de dire que le Verbe de Dieu s'étoit fait homme ,
de dire qu'il s'étoit allié à une nature raisonnable ,
de dire qu'il avoit pris une ame immortelle et spiri-
tuelle ; mais il a réduit en quelque sorte tout ce
mystère à la bienheureuse adoption que le Verbe a
(1) Luc. 1. — (2) Joan. 1.
BE LA VIERGE. 77
faite de notre chair dans le sein de Marie : Et Ver-
bum caro faction est. O mon Dieu ! est-il possible
que la virginité ait eu ce pouvoir sur vous; et
qu'un Dieu aussi grand , aussi saint , aussi parfait
que vous, en soit venu jusqu'à se faire chair! Oui,
chrétiens , c'est ce que la foi nous révèle : ce Dieu-
homme , par son incarnation , a ennobli dans sa
personne tout l'homme , mais il a particulièrement
ennobli la chair de l'homme par les merveilleux
rapports que son incarnation a fondés entre lui et
nous. Car c'est selon la chair que cet homme-Dieu
est notre frère , c'est selon la chair que nous ne
faisons qu'un corps avec lui, c'est selon la chair
qu'il est notre chef, et que nous sommes ses mem-
bres : Nescitis quoniam corpora vestra membra
sunt Christi ( 1 ) ? Ne savez-vous pas , mes frères ,
disoit saint Paul, et pouvez-vous l'ignorer, que,
depuis qu'un Dieu a bien daigné prendre un corps
semblable au nôtre, nos corps , par un merveilleux
changement, ont cessé, pour ainsi dire, d'être
nos corps; et qu'ils sont devenus le corps de Jésus-
Christ? N'est-ce pas une des premières leçons qu'on
i vous a faites dans le christianisme , que vous êtes
i incorporés à Jésus-Christ , ou plutôt que vous êtes
; le corps de Jésus-Christ même ? Vos estis corpus
Christi , et membra de membro (2). Après cela,
faut-il s'étonner que le même apôtre ait cru avoir
! droit d'exiger des chrétiens, comme chrétiens , une
pureté de mœurs si inviolable ; et que , de toutes
les choses qu'il leur recommandoit , celle qu'il a
(1) 1. Cor. 6. — (a) », Cor. 12,
78 SUR L'ANNONCIATION
paru avoir plus à cœur, ait été qu'ils sanctifiassent
leurs corps? Supposé ces principes de la foi, que je
viens de vous expliquer, pouvoit-il trop insister
sur ce devoir ! Ayant les liaisons que nous avons
avec Jésus-Christ , serons-nous jamais aussi purs
et aussi saints que nous devons l'être ? Notre chair
étant la chair de Jésus-Christ, oserons-nous nous
plaindre des soins et de l'exacte régularité à quoi
nous assujettit ce point de notre religion , comme
si c'étoit un excès de perfection ? Voulons-nous
qu'il ne nous en coûte rien , d'être non-seulement
les frères, mais les membres et le corps d'un homme-
Dieu ? et cette allianee sacrée que nous avons con-
tractée avec lui , n'aurait-elle en nous point d'autre
effet que de nous avoir élevés à un si haut rang
d'honneur , pour en être éternellement indignes ?
Après cela même, devons-nous trouver étrange que
les Pères de l'Eglise , parlant de l'impureté qui
corrompt aujourd'hui tout le christianisme, en aient
témoigné tant d'horreur, puisqu'il est certain que
ce péché , déshonorant nos corps, déshonore le corps
de Jésus-Christ ? Devons-nous être surpris que ce
péché, par la seule raison que le Verbe s'est fait
chair, leur ait paru d'une toute autre grièveté , que
s'il violoit simplement la loi de Dieu , et que l'Eglise
des premiers siècles ait été pour cela si rigoureuse et
si sévère à le punir, persuadée qu'elle étoit qu'en le
punissant, elle vengeoit l'a liront personnel qu'en
recevoit son époux? Que la chair de l'homme,
disoit éloquemment Tertullien , que la chair de
de l'homme, avant l'incarnation de Jésus-Christ.
DÉ LA VIERGE. 79
ait été corrompue et souillée de crimes, ses déré-
glemens pouvoient être alors plus pardonnables.
Elle n'avoit pas encore la gloire d'être entrée dans
l'alliance d'un Dieu ; elle n'étoit pas encore incor-
porée au Yerbe de Dieu ; elle n'avoit pas encore
reçu cette onction de grâce , en vertu de laquelle
elle devoit être hypostatiquement unie à Dieu. Mais
depuis que le Fils de Dieu l'a ennoblie, et que,
par le plus grand de tous les miracles , il en a fait
sa propre chair; depuis que cette chair a commencé
à lui appartenir ; depuis qu'elle a changé dans sa
personne de condition et d'état, ah ! mes frères ,
concluoit-il , ne traitons plus ses désordres de simple
foiblesse ; et tonte chair qu'elle est, ne l'excusons
plus par sa fragilité , puisque sa foiblesse et sa fra-
gilité est l'opprobre de l'incarnation de notre Dieu.
Non , chrétiens , je n'ai pas de peine à comprendre
pourquoi Tertullien parloit ainsi. Il outroit quel-
quefois la morale du christianisme , et il abondoit
en son sens ; mais sur le point que nous traitons ,
il n'a rien dit qui ne soit encore au-dessous de la
vérité , puisqu'il n'a rien dit qui approche de la
parole de saint Paul. Car ce grand apôtre, après
avoir supposé que , par le mystère de l'incarnation ,
tous les hommes, sans en excepter aucun, sont de-
venus les membres de Jésus-Christ, n'a plus hé-
sité à tirer de là cette affreuse conséquence , dont
il n'y a point d'impudique qui ne doive trembler :
Tollens ergd membra Christi ^faciam membra
meretricis (i) / Si c'étoit un autre que saint Paul
(i) i. Cor. 0.
80 SUR L'ANNONCIATION
qui se fût expliqué de la sorte , nous ne pourrions
entendre ces termes; et la pudeur que nous affec-
tons , malgré la licence et le débordement des
mœurs où nous vivons, nous feroit rebuter une
instruction si nécessaire et si essentielle : mais si
c'est l'esprit de la foi qui nous anime et qui nous
conduit, quel effet cette conséquence ne doit-elle
pas produire en nous ? quelle horreur ne doit-elle
pas nous inspirer pour le péché que je combats ?
et si nous en sommes esclaves , quelle indignation
ne doit-elle pas nous faire concevoir contre nous-
mêmes ? Tollens ergô membra Christi , faciam
membra meretricis ï Cela seul bien médité ne
doit-il pas être pour nous plus convaincant que
toutes les prédications; et pour peu qu'il nous reste
de religion , en faut-il davantage pour nous préser-
ver de l'emportement des passions impures ?
Vous me direz : Mais il s'ensuit donc que le Fils
de Dieu, s'incarnant et se faisant homme , a rendu
le péché de l'homme plus abominable et plus irré-
missible qu'il ne le seroit de lui-même? Oui, re-
prend saint Chrysostôme , cela s'ensuit et doit s'en-
suivre nécessairement. Mais nous sommes donc, en
conséquence de ce mystère , plus criminels que
nous ne l'aurions été si nous étions demeurés dans
l'état de notre première corruption ? rien de plus
incontestable et de plus vrai. Mais l'incarnation de
Jésus-Christ nous devientdonc préjudiciable, quand
nous nous abandonnons à notre incontinence ?
c'est ce que toutes les Ecritures vous prêchent. Ah !
chrétiens , peut-être y en a-t-il parmi vous d'assez
DE LA VIERGE. 8l
ingrats et d'assez insensibles aux bienfaits de Dieu ,
pour souhaiter que Dieu ne les eût point tant ho-
norés ; peut-être leur infidélité va-t-elle jusque-là ;
et, s'il étoit dans leur choix de prendre l'un ou
l'autre des deux partis , peut-être renonceroient-ils
à la gloire d'appartenir à Jésus-Christ , pourvu qu'il
leur fût permis de satisfaire impunément leurs désirs
déréglés , et qu'ils se trouvassent par là déchargés
de l'obligation que ce mystère leur impose , de vivre
dans l'ordre. Mais il ne dépend plus d'eux -, ni de
nous , que cela soit ainsi ; et il ne dépend plus de
Jésus-Christ même qu'il cesse d'être ce qu'il nous
est. Soyons libertins tant que nous voudrons, nous
serons toujours ses frères selon la chair : jusque dans
les enfers , si nous sommes jamais réprouvés de Dieu ,
nous en porterons le caractère ; et ces désordres de
la chair tireront éternellement de lui , malgré que
nous en ayons, un sujet particulier , ou un surcroît
de condamnation.
Peut-être , mes chers auditeurs , ces désordres
ont-ils déjà éteint les plus vives lumières de votre
foi, et peut-être ceux à qui je parle ne croient-ils
plus que foiblement le mystère de l'incarnation d'un,
Dieu : car le moyen de le croire et de vivre dans
l'habitude de ce péché ? Mais croyons-le , ou ne le
croyons pas ; si nous vivons dans le désordre de
ce péché, nous nous faisons de ce mystère, qui
par excellence est le mystère du salut , un mystère
fie réprobation. Si nous ne le croyons pas , notre
TOME xi. 6
32 SUR L'ANNONCIATION
arrêt est déjà porté , et dès-là nous voilà jugés :
Qui non crédit , jam judicatus est (i); si nous
le croyons, nous nous jugeons et nous nous con-
damnons nous-mêmes. Si nous ne le crovons pas,
il n'y a point de Sauveur pour nous ; et si nous le
croyons , il y en a un , mais pour notre confusion.
Car souvenons-nous, chrétiens, que ce Dieu fait
homme est en même temps , selon l'oracle du saint
pontife Siméon , pour la ruine des uns et pour la
résurrection des autres : Positus est in ruinant et
in resurrectionem multorum (2). 11 s'est incarné
pour nous sauver; mais il pourra bien arriver, par
l'abus que nous faisons de ses grâces , qu'il se soit
incarné pour nous perdre. Or , s'il doit jamais con-
tribuer à la perte de quelques pécheurs , comme
l'évangile nous l'assure , sur qui doit-on présumer
que tomberont ses anathèmes , si ce n'est pas en
particulier sur ces chrétiens sensuels , sur ces volup-
tueux impénitens et obstinés dans leur péché ? Ah !
Seigneur , ne permettez pas qu'une si funeste pré-
diction se vérifie jamais en nous , et que les mérites
de votre vie mortelle , qui , dans les vues de votre
infinie miséricorde, doivent servir à notre salut,
par un châtiment de votre redoutable justice , ser-
vent à notre malheur éternel. Et vous , Vierge sainte
et toute pure , puissante médiatrice des hommes ,
et leur mère , puisque vous êtes la rnère d'un Dieu-
homme , en nous donnant ce Sauveur que vous por-
tez dans votre sein virginal, et qui vient nous ra-
(1) Joan. 3. — (3) Luc. 2.
DE LA VIERGE. 83
cheter , aidez-nous à recueillir les fruits d'une si
abondante rédemption, afin que, parles grâces
dont votre Fils adorable est la source , et dont
vous êtes la dispensatrice, nous puissions par-
venir à la bienheureuse éternité, où nous con-
duise , etc.
sztrrr;
AUTRE SERMON
SUR
/ANNONCIATION DE LA VIERGE,
Verbum caro factnm est, et habîtavit ia nobis.
Le Verbe s'est fuit chair , et il a demeuré parmi nous.
"En saint Jean , chap. z.
Sjre,
Cj'est le grand mystère que nous célébrons au-
jourd'hui, et sur quoi est fondée toute la religion
chrétienne. Mystère que l'apôtre saint Paul expri-
moit en des termes si relevés , et qu'il appeloit le
mystère par excellence de la bouté et de la charité
de Dieu envers les hommes : Magnum pielatis
sacramentum , manifestatum in carne (i). Le
Verbe s'est fait chair: voilà, dit saint Augustin, ce
qui paroissoit incroyable. Mais il y avoit encore ,
ajoute-t-il , quelque chose de plus incroyable , sa-
voir , que ce mystère , tout incroyable qu'il étoit ,
fût cru néanmoins dans le monde; et c'est ce qui
est arrivé. De ces deux choses incroyables , celle
qui l'étoit le plus, a cessé de l'être , et est devenue
non-seulement croyable, mais évidente. Car il est
évident que le mystère d'un Dieu incarné a été
prêché aux nations , et que le monde s'est soumis
(i) i. Tim. 5.
SUR L'ANNONCIATION DE LA VIERGE. 85
à ce point de foi : Magnum pietatis sacramen-
tum , prœdicatum gentibus , creditum in mun-
do(i). Quand saint Paul en parloit ainsi , ce n'étoit
qu'une prédiction qui dès-lors coramençoit à se
vérifier; mais nous voyons la prédiction pleinement
accomplie. Le monde devenu chrétien croit un Dieu
fait chair; et voilà le miracle qu'a opéré le Seigneur ,
et qui paroît à nos yeux : A Domino factura est
istud , et est mirabile in oculis nostris (2). Or
convaincus , comme nous le sommes , du plus in-
croyable , pourquoi aurions- nous de la peine à croire
ce qui l'est moins? c'étoit le raisonnement de saint
Augustin. Mais ce n'est pas assez : le Verbe fait
chair a demeuré parmi nous : Et habitavit in no-
bis (3); pourquoi cela? pour nous instruire par ses
exemples et pour nous sanctifier par sa doctrine.
Voilà, dit saint Paul, par rapport à nous une des
principales fins de l'incarnation : Apparuit eru-
diens nos (4). Ecoutez-le donc , mes chers audi-
teurs , ce Verbe incréé , mais incarné : c'est par moi
qu'il vous doit aujourd'hui parler , c'est moi qui lui
dois servir d'organe ; et , pour m'acquitter dignement
d'un si saint ministère , j'ai besoin des lumières et
des grâces du même esprit dont Marie reçut la plé-
nitude. Demandons-les par l'intercession de cette
mère de Dieu , et disons-lui avec l'Ange : Ave ,
Maria»
Ce n'est pas sans un dessein particulier que l'Evan-
géliste , pour nous donner une idée juste du mystère
(1) 1. Tim. 3. — (2) Psalm. 117. — (3) Joaa. 1. — (4) Tit. 2
*86 SUR L'ANNONCIATION
de ce jour, l'a renfermé dans ces trois divines pa-
roles , que nous ne devons jamais prononcer qu'avec
respect : le Verbe s'est fait chair : Verbum caro
factum est. (i). Autrefois saint Paul défendoit aux
ministres de l'église chargés de l'instruction des fi-
dèles , d'entretenir leurs auditeurs de ce qui regar-
doit les généalogies et les alliances , prétendant que
c'étoient des questions inutiles qui ne servoient qu'à
exciter des disputes, et qui ne contribuoient en rien
à l'édification des mœurs. Ainsi l'ordonnoit-il à
Timothée. Il n'en est pas de même , chrétiens , des
alliances du Yerbe avec la chair ; et de la chair avec
le Verbe , dont j'entreprends ici de vous parler ,
car ce sont des alliances toutes saintes qu'il vous
est important de bien connoître , et qu'il ne vous
est pas permis d'ignorer ; des alliances qui doivent
être le sujet de vos réflexions , comme elles sont
l'objet de votre foi ; des alliances qui vous découvrent
les plus admirables principes que vous puissiez vous
appliquer pour la réformation de votre vie. Or j'en
trouve trois de ce caractère dans le mystère ado-
rable de l'incarnation, et les voici. Alliance du
Verbe avec la chair, par rapport à Jésus-Christ;
alliance du Verbe avec la chair, par rapport à Ma-
rie , sa mère ; alliance du Verbe avec la chair , par
rapport à nous qui sommes ses frères; alliances,
dis-je, que je vous propose comme infiniment pro-
pres à vous toucher , à vous convertir , à vous sanc-
tifier, à vous rendre de parfaits chrétiens, si vous
en savez profiter. Et afin que vous en puissiez mieux
(1) Joan. 1.
DE LA VIERGE. 87
faire le discernement, je distingue dans ces trois
alliances autant de degrés qui élèvent la chair de
l'homme, dans la personne de Jésus-Christ jusqu'à
la souveraineté de l'être de Dieu; dans la personne
de Marie, jusqu'au rang sublime de la maternité
de Dieu; et, dans nos personnes, jusqu'à la di-
gnité d'enfant de Dieu. Ainsi, gardant les propor-
tions convenables entre Jésus-Christ et Marie , et
entre Marie et nous , ce seul mystère du Verbe in-
carné nous fait voir aujourd'hui trois grands mi-
racles. Dans Jésus-Christ un homme-Dieu : ce sera
la première partie ; dans Marie une mère de Dieu :
ce sera la seconde ; dans nous , qui que nous soyons ,
mais surtout si nous sommes en état de grâce , de
légitimes enfans de Dieu : c'est la troisième. Vous
verrez, chrétiens, les trois conséquences pratiques
que je tirerai de là, non-seulement pour vous af-
fermir dans la foi , mais pour vous apprendre à
remplir dignement les plus saints devoirs du chris-
tianisme.
PREMIÈRE PARTIE.
Il est donc vrai , chrétiens , que la chair de
l'homme a été élevée dans Jésus-Christ jusqu'à la
souveraineté de l'être de Dieu; et c'est ce que le
Saint-Esprit a prétendu d'abord nous marquer par
ces paroles : Verbum caro factum est; Le Verbe
s'est fait chair. Demander comment et pourquoi
s'est accompli ce prodige, ce seroit le détruire , dit
saint Augustin, en voulant le connoître , puisqu'il
est certain que ce mystère de l'incarnation du Verbe
$8 SUR L'ANNONCIATION
ne seroit plus par excellence l'œuvre de Dieu , si
l'on en ponvoit rendre raison , et qu'il n'auroit plus
l'avantage de se distinguer par sa singularité , si ,
dans l'ordre de la nature ou de la grâce , on en pou-
voit trouver un seul exemple : Hic si ratio quœ-
ritur , non erit mirabile ; si exemplum , non erit
singulare. J'avoue que Marie, au moment que
l'Ange lui en fit la déclaration, ne laissa pas de dire:
Quomodo fiet îstud t Comment cela se fera-t-il f
Mais saint Chrysostôme remarque très-bien que
cette demande fut alors l'effet d'une profonde et
respectueuse admiration , et non pas d'une présomp-
tueuse et vaine curiosité ; et, que si Marie voulut
savoir de quelle manière se vérifieroit ce qui lui
étoit annoncé de la part du ciel , ce ne fut point
par incrédulité, mais par un pur zèle, et par un
sincère amour de la virginité qu'elle avoit vouée.
Quoi qu'il en soit, chrétiens , voilà le miracle
qui nous est proposé dans cette fête , et que je
dois vous expliquer. Car je serois prévaricateur, et
je ne m'acquitterois pas de mon ministère, si,pré-
férablement à tout le reste , je ne m'attachois au-
jourd'hui à vous développer cet article essentiel de
votre foi. Voilà, dis-je, le miracle que la foi nous
révèle , un Dieu incarné, un Dieu-homme, jusqu'à
pouvoir dire, dans le sens propre et naturel, qu'il
s'est fait chair : Verbum caro fastum est. D'où
il s'ensuit , par une conséquence nécessaire , que
la chair de l'homme , considérée dans la personne
du Rédempteur, est donc véritablement la chair
d'un Dieu ; que dans l'instant bienheureux où fut
DE LA VIERGE. 8$
conçue cette chair virginale, elle se trouva donc»
toute chair qu'elle étoit , pénétrée , comme dit saint
Paul , de l'onction de Dieu , inséparablement unie
au Verbe de Dieu; n'ayant, selon le langage des
théologiens , point d'autre substance que celle du
Verbe de Dieu ; qu'en recevant l'être , elle entra
donc d'abord en possession de toute la gloire qui
appartient à Dieu , et que le Fils de Dieu la recon-
noîtra dans toute l'éternité, pour une chair qu'il
s'est appropriée, qu'il a consacrée, qu'il a déifiée;
car c'est ainsi qu'en ont parlé tous les Pères , dans
des termes que la tradition même de l'Eglise au-
roiteu peine à autoriser , s'ils n'étoient encore au-
dessous de l'énergie et de la force de ceux-ci : le
Verbe s'est fait chair. Tune in utero virgo con-
cepit , et Verbum caro factura est, ut caro fier et
Deus : Ce fut alors, dit saint Ambroise , qu'une
vierge conçut miraculeusement , et que le Verbe
fut fait chair , afin que la chair devînt Dieu. Ce
père pouvoit-il s'en expliquer d'une manière plus
expresse ? et parce qu'une vérité aussi importante
que celle-là ne peut être appuyée sur trop de té-
moignages , ajoutons celui de saint Augustin : Talis
fuit ista suscepfio , auœ Deum hominem face-
ret et hominem Deum. Oui , mes frères , disoit ce
saint docteur, l'effet de cette incarnation a été tel ,
que l'homme s'est vu dans Jésus-Christ élevé jus-
qu'à Dieu , et que Dieu , dans ce même Jésus-Christ,
s'est vu réduit à la forme d'un homme. Expres-
sions , je le répète , qui demandent toute la sou-
mission de la foi , et qui nous paroîtroient avoir je
go SUR L ANNONCIATION
ne sais quoi de dur, si elles n'étoient évidemment
fondées sur ce principe incontestable : Verbum
caro f actu m est.
Delà vient , mes chers auditeurs (appliquez-vous
à ceci, et ne pensez pas que la grandeur de mon
sujet m'emporte trop loin , puisqu'autant qu'il est
relevé , autant me suis-je étudié à le traiter exac-
tement) : de là vient que dans Jésus-Christ, entre
la chair et le Verbe, il n'y a rien de divisé; et que
ce qui étoit vrai de l'un , par une communication
d'attributs , l'est encore de l'autre. Ainsi parce que
la chair de Jésus-Christ a été passible et mortelle ,
nous disons, sans craindre d'être accusés de blas-
phème , que le Verbe de Dieu a souffert et est mort
pour nous : et d'ailleurs parce que le Verbe de Dieu
est égal à Dieu , nous ne craignons point la censure,
en disant que la chair de Jésus-Christ est assise à
la droite de Dieu. Et quoiqu'il n'y ait point d'extré-
mités plus opposées , que la croix et le trône de
Dieu, nous ne faisons pas plus de difficulté d'attri-
buer à cette chair du Fils de l'homme , qui a été
crucifiée , la prééminence du trône de Dieu , que
d'attribuer au Verbe de Dieu , qui est la splendeur
de la gloire du Père, l'humiliation et l'ignominie
de la croix. Pourquoi ? parce que tout cela n'est
qu'une suite de ce que nous professons par ces pa-
roles : Verbum caro j act uni est.
Il est vrai, et je suis toujours obligé de le re-
connoître , ce mystère est difficile à croire , et c'est
là que nous devons captiver nos esprits. Mais puis-
qu'un Dieu veut bien anéantir pour nous dans ce
DE LA VIERGE. 91
mystère sa souveraine majesté, ne refusons pas au
moins de lui soumettre notre raison. Soumission
nécessaire : car, comme disoit saint Àthanase, je
ne puis savoir comment le Verbe s'est incarné ;
mais il ne m'est pas permis d'ignorer qu'il se soit
incarné , et qu'il ait pris une chair semblable à la
mienne. Au lieu donc de m'engager dans une re-
cherche inutile , et qui passe toutes mes vues ; au
lieu de vouloir pénétrer dans ces ineffables secrets
de l'incarnation divine, lorsque je ne me connois
pas moi-même; ce que j'ai surtout à faire, c'est de
bénir mille fois la miséricorde infinie de mon Dieu,
non-seulement parce qu'il est descendu de sa gloire
pour moi, et qu'il s'est fait homme comme moi,
mais parce qu'il m'a révélé , et qu'il m'a fait an-
noncer ce mystère de mon salut. Car si je puis être
sauvé sans la science de l'incarnation , je ne puis
l'être sans la foi de l'incarnation ; c'est-à-dire , si
je puis être sauvé sans savoir par quelle vertu et
de quelle manière le Verbe de Dieu a élevé la chair
de l'homme à une si noble alliance , je ne puis l'être
sans savoir que cette merveilleuse alliance s'est faite
dans la personne de Jésus-Christ , en sorte que
dans la personne de Jésus-Christ il y a eu tout à la
fois et un vrai Dieu et un vrai homme : Verbum
caro factura est.
C'est de quoi tant d'hérétiques n'ont pas voulu
convenir , et c'est pour mieux affermir la créance
de ce mystère, que Dieu a permis qu'elle fut atta-
quée par tant d'endroits. Les uns ont combattu la
divinité de Jésus-Christ , ne considérant pas qu'il
92 SUR L'ANNONCIATION
est aujourd'hui formé dans le sein de Marie par lai
seule opération de l'esprit divin : Spiritus scindas
superveniet in te (i); que l'ange l'appelle absolu-
ment saint et la sainteté même : Sanctum vocabi-
tur (u) ; qu'il est conçu par une mère vierge , et
demeurant toujours vierge , quoique mère ; enfin
qu'il vient dans le inonde pour être le Sauveur du
monde : principes d'où il s'ensuit incontestable-
ment qu'il est Dieu. Car, comme raisonnent saint
Ambroise , saint Augustin , saint Cyrille et saint
Bernard , il n'appartient qu'à un Dieu d'être saint
par lui-même et la source de toute sainteté ; qu'à
un Dieu d'être fils d'une vierge , sans que cette vierge
y perde rien de sa virginité ; qu'à un Dieu de sau-
ver le monde après qu'il l'a créé.
D'autres ont refusé , par une erreur toute con-
traire, de reconnoître l'humanité de Jésus-Christ;
tantôt ne lui attribuant qu'un corps imaginaire et
fantastique ; tantôt lui accordant un vrai corps ,
mais sans ame et sans intelligence ; tantôt lui don-
nant un corps parfait , mais formé d'une matière
toute céleste et non de la substance de Marie :
dogmes insoutenables , à quoi les docteurs de
l'Eglise, et entre autres Tertullieu , saint Athanase
et saint Léon pape , ont opposé toutes les Ecri-
tures et les plus solides raisons. Car, disoient-ils,
si Jésus-Christ n'a eu qu'un corps imaginaire ,
comment nous a-t-il rachetés de son sang ? S'il n'a
eu qu'un corps sans ame , comment a-t-on pu
l'appeler homme; et s'il n'étoit pas homme, com-
(1) Luc. 1. — (2) Ibid.
DE LA VI ERE E. 93
ment a-t-il satisfait pour les hommes ? Si son corps
a seulement été formé dans le sein de Marie , et
non de la substance de Marie, comment Elisabeth
l'appela-t elle la mère de son Seigneur, Mater Do-
mini mei (1); et comment l'ange lui dit-il que
l'homme-Dieu qu'elle devoit porter dans ses chastes
flancs , naîtroit d'elle : Nascetur ex te (2)?
Enfin , conclut S. Augustin , plusieurs se sont trom-
pés tout à la fois , à l'égard de la divinité de J. G., et
à l'égard de son humanité, non pas en niant ni l'une
ni l'autre , mais l'union de l'une et de l'autre , telle que
le Saint-Esprit l'a faite, et telle qu'elle subsistera tou-
jours. Car, ils reconnoissent en Jésus-Christ, etune
vraie divinité , et une vraie humanité. Mais comme
le propre de l'hérésie est de donner dans toutes les
extrémités, ou bien d'une part , ils prétendoient que
Dieu et l'homme dans l'incarnation avoient été
seulement unis de volonté, unis de sentimens et
d'intérêts, unis par adoption , par affection , par
communication de gloire , et non point d'une union
réelle et substantielle : ou bien d'autre part, ils
confondoient tellement ensemble la divinité et l'hu-
manité, qu'outre l'unité de personne, ils établis—
soient encore dans l'homme-Dieu unité de nature.
Erreurs foudroyées par l'Eglise dans ces fameux
conciles dont les célèbres décisions nous servent
de règles, et qui nous apprennent qu'en vertu de
l'incarnation, le Verbe divin s'est réellement et subs-
tantiellement uni à notre chair ; que par cette union
le Verbe incarné s'est rendu propres toutes les mi-
(1) Luc, 1,— (3) lia.
C)4 SUR L'ANNONCIATION
sères de l'homme, et que l'homme est entré en
participation de toutes les grandeurs de Dieu; qu'il
y a néanmoins entre les deux natures qui composent
cette adorable personne, la nature divine et la
nature humaine , une distinction essentielle , sans
qu'elles aient été confondues; et que l'une , comme
partaient quelques hérétiques , ait absorbé l'autre*
Tel est, chrétiens , le précis de la doctrine ortho-
doxe touchant le mystère d'un Dieu fait homme ;,
et c'est de quoi il falloit d'abord vous instruire r
Verbum caro faction est,
N'en demeurons pas là : mais réduisant à la pra-
tique et aux mœurs cette première vérité, profitons
de la fête de ce jour pour nous disposer à la solen-
nité de Pâques qui approche, et faisons-nous du
mystère de l'incarnation une préparation solide à.
l'accomplissement du grand précepte de la commu-
nion. Car voilà sur quoi est fondée cette loi si sainte,
qui nous oblige à nous éprouver nous-mêmes avant
que de recevoir le corps de Jésus-Christ , et à n'y
participer jamais qu'avec une conscience pure , et
dans un état où, sans être absolument assurés que
nous sommes dignes d'amour, nous puissions toute-
fois, quoique pécheurs, dire avee humilité , comme
saint Paul : Nihil rnihi conscius swn (i); Ma
conscience ne rat reproche rien , du moins rien de
capital et de grief. On demande pourquoi l'Apôtre
a fait un crime si atroce de ce qu'il appelle commu-
nion indigne ; et l'on s'étonne qu'animé du zèle
apostolique dont il étoit rempli, il ait fulminé de
{i) a. Cor. l\.
DE LA VIERGE. ^5
si terribles anathèmes contre ceux qui, dans un
état de mort, osent manger le pain de vie qu'il
leur ait déclaré que c'est alors leur jugement qu'ils
mangent, etleur condamnation; qu'il les ait traités
de profanateurs et de sacrilèges; et que sur sa pa-
role , malgré la corruption du siècle, la seule
pensée de communier indignement fasse encore
horreur aux chrétiens les plus imparfaits et même
les plus mondains. Non , non , mes chers auditeurs,
il ne faut point en être surpris. Supposé ce que je
viens de vous dire , et ce que la foi nous enseigne
de l'incarnation du Verbe , il n'y a rien en tout cela
qui ne soit facile à comprendre; et quand une fois
j'ai conçu que ce pain dont parle saint Paul, est
le corps du Seigneur et le Seigneur même , je sous-
cris sans peine à tous les anathèmes qu'il prononce
contre ceux qui prennent sans discernement cette
nourriture céleste. Quelque formidables qu'ils soient,
je n'ai , pour les trouver équitables , qu'à m'ap-
pliquer personnellement le mystère du Verbe fait
chair, en me disant à moi-même : Cette chair
que je mange dans le sacrement, est la chair d'un.
Dieu, et je la profane quand je la mange dans l'état
du péché. Par l'incarnation elle est unie à une per-
sonne divine ; et par l'indigne communion que je
fais, je l'unis, toute sainte qu'elle est, à une ame
criminelle et ennemie de Dieu. Gela seul me fait
sentir la raison qu'a eue saint Paul , de condamner
si sévèrement ces sacrilèges qui se présentent à la
table du Sauveu r sans avoir la robe de noce qui est
h grâce, et il n'y a point ensuite de châtiment qui
06 SUR L'ANNONCIATION
ne me paroisse encore au-dessous d'une telle pro-
fanation.
Que faudroit-il donc dire à un chrétien qui se
trouve sur le point de célébrer la Pâque , et de
prendre part au sacrement de Jésus-Christ ? Ecoutez-
moi , hommes du siècle , et n'oubliez jamais cette
instruction. Il faudroit lui dire à peu près , et avec
la proportion qui doit être ici gardée , ce que l'ange
dit à Marie : Ideoque et quod jiascetur ex te
sancttim , vocabltur Fllius Dei. Prenez garde ,
mon frère , ce qui est caché sous les symboles de
ce pain , c'est le Saint des saints et le Fils de Dieu ,
le même qui est né d'une vierge , le même dont
l'ange fit à cette vierge un si magnifique éloge.
Voilà celui que vous allez recevoir. Ainsi rentrez
en vous-même, et vous mesurant sur l'exemple de
Marie , puisque vous êtes destiné à porter dans
votre sein le même Dieu , voyez si vous êtes dans
les mêmes dispositions ; voyez si vous avez reçu
comme elle, l'esprit divin; voyez si l'esprit cor-
rompu du monde ne règne pas encore dans vous.
Car il ne s'agit pas moins pour vous que d'être ,
aussi bien que Marie , le temple vivant où un Dieu
fait chair, doit et veut faire sa demeure : Verbum
caro factum est , et habitavit in jiobis.
Ah ! chrétiens , quelle épreuve Marie ne fit-elle
pas d'elle-même , avant que de consentir à ce que
l'ange lui proposoit! Et quand elle apprit que l'heure
étoit venue où le Verbe , avec toute la plénitude
de sa divinité , devoit s'incarner en elle , avec quelle
foi et quelle humilité ne répondit-elle pas à l'hon-
DE LA VIERGE. gj
neur que Dieu lui faisoit , et aux miséricordes dont
il la combloit ! Avec quelle pureté , avec quelle
obéissance , avec quelle confiance , avec quel
amour ne conçut-elle pas ce Dieu-homme dans son
chaste sein ? Par combien de vertus héroïques ne
se mit-elle pas en état de coopérer à cet ineffable
mystère? Or tel est, mes chers auditeurs, l'excel-
lent modèle sur quoi nous devons aujourd'hui nous
former. Marie étoit sainte dès sa conception ; de-
puis sa conception , croissant en âge , elle avoit
toujours crû en sainteté. Avant que l'ange ne la
saluât , elle étoit déjà pleine de grâce : mais cela
ne suffisoit pas. Il fallut que le Saint-Esprit lui-
même , selon l'expression de l'évangile , survînt en
elle , et qu'il l'a sanctifiât tout de nouveau par
des grâces plus abondantes. Encore après cette
nouvelle sanctification , saint Ambroise ne croit
point offenser Marie , quand il dit au Sauveur du
monde : Tu ad liberandum siisçepturus honii-
nem , non horruisti virginis uterum. Ah ! Sei-
gneur , pour sauver l'homme , vous qui êtes la sain-
teté même , n'avez point eu horreur de vous ren-
fermer dans le sein d'une vierge ! Approchons, chré-
tiens , de la communion, prévenus de ce sentiment,
et nous n'en approcherons plus avec tant de lâcheté
et tant de négligence ; nous ne nous y présente-
rons plus avec une indévotion et une tiédeur dont
nous ne pouvons trop gémir ; nous n'en sortirons plus
aussi froids , aussi indifterens , et ce qui est encore
plus déplorable , aussi imparfaits , que si nous n'y
étions jamais venus. Nous préparer ace sacrement ^
tome xi. 7
g8 SUR L'ANNONCIATION
ce sera la plus grande et la plus sérieuse occupation
de notre vie : en profiter , ce sera le plus ardent
de nos désirs; en abuser, ce sera la plus mortelle
de nos craintes. Nous irons à la sainte table avec
des cœurs embrasés d'amour ; comme des lions »
dit saint Chrysostôme , respirant le feu de la cha-
rité ; comme des aigles , ajoute saint Augustin ,
élevés au-dessus de la terre par des pensées toutes
célestes : nous y recevrons ce Dieu de gloire, dans
le même esprit que Marie le conçut, et son exemple
nous servira de règle. Du reste , tirer de là des con-
séquences spécieuses , mais qui , sous une fausse
apparence de respect , nous éloigneroient pour
jamais du corps de Jésus-Christ; faire consister les
dispositions nécessaires dans des degrés de sain-
teté où personnelle peut atteindre; demander pour
ce sacrement un état aussi parfait que celui de
Marie ; en uïi mot, de l'obligation d'imiter Marie ,
se faire, contre l'intention de Jésus-Christ même ,
un obstacle insurmontable à la communion , c'est
a. quoi porte le raffinement du libertinage ; mais
c'est le piège grossier dont votre piété , aussi pru-
dente qu'éclairée , saura bien se garantir. Au con-
traire, delà nécessité de communier, conclure celle
de se sanctifier ; y travailler en effet et y donner
tous ses soins , c'est p:>i* là que nous honorons le
ni) 'stère du Dieu incarné. Alliance de notre chair
avec le Verbe , premier miracle que nous avons vu
dans un homme-Dieu. Passons an second , qui nous
fera voir dans une vierge nue mère de Dieu : c'est
le sujet de la seconde partie.
DE LA VIERGE. gg
DEUXIÈME PARTIE.
ïî Fallait, chrétiens, pour mettre au monde un
ï)ieu-homme et fait chair, qu'il y eût une créature
prédestinée en qualité de mère de Dieu selon la
chair, et voilà ce que j'appelle la seconde alliance
de la chair avec le Verbe dans la personne de Ma-
rie. Alliance que l'hérésie n'a pas voulu reconnoître
dans cette vierge, non plus que celle de la divinité
et de l'humanité dans Jésus-Christ. Mais alliance
que les vrais fidèles ont hautement et constamment
soutenue. Appliquez-vous d'abord , mes chers audi-
teurs , à en comprendre le dogme : nous verrons en-
suite la gloire qui en revient à Marie, et le fruit
que nous en pouvons retirer.
Une vierge mère de Dieu , et mère de Dieu selon
la chair, c'est ce qui choqua autrefois la fausse piété
des hérétiques , surtout de ce fameux Nestorius ,
patriarche de Constantinople. Cet homme emporté
par l'esprit d'orgueil , en abusant du pouvoir que
lui donnoit son caractère, osa disputer à Marie sa
qualité de mère de Dieu: et dans cette vue y eut-il
artifice qu'il n'employât, et déguisement dont il
n'usât, pour couvrir ou pour adoucir la malignité
de son erreur? Car, suivant le rapport des Pères ,
tout ce qu'on peut d'ailleurs imaginer de titres spé-
cieux et honorables , il les accorda u Marie , hors
celui dont il étoit uniquement question. Il confessa
qu'elle étoit la mère du Saint des saints, qu'elle
étoit la mère du Rédempteur des hommes; il con-
vint qu'elle avoit reçu et porté le Verbe de Dieu
JOO SUR L ANNONCIATION
dans ses chastes entrailles ; il se relâcha même jus-
ques à dire qu'elle étoit la mère d'un homme , qui,
dans un sens, avoit été Dieu , parce qu'il avoit été
spécialement uni à Dieu. Mais qu'elle fut absolu*»
ment et sans restriction mère de Dieu , c'est sur
quoi on ne put fléchir cet esprit incrédule et opi-
niâtre. Que lit l'Eglise? elle rejeta toutes ces subti-
lités -, et plus Nestorius s'obstinoit à combattre ce
titre de mère de Dieu , plus elle s'intéressa à le main-
tenir. Il ne s'agissoit en apparence que d'un seul mot,
et ce seul mot grec : ôcorôxo? , qui signifie mère de
Dieu , étoit le sujet de toutes les contestations. Mais
parce qu'il est vrai, comme l'a sagement remarqué
saint Léon pape, que le chemin qui conduit à la
vie, est un chemin étroit , non-seulement pour l'ob-
servation des préceptes , mais encore plus pour la
soumission aux vérités orthodoxes : Non in sold
mandatorum observantid , sed in recto tramite
fidei, arcta via estquœ ducit ad vitam , l'Eglise
prit la défense de ce seul mot avec toute la force
et toute l'ardeur de son zèle. Elle assembla des
conciles, elle fulmina des anathêmes, elle censura
des évêques , elle n'épargna pas ceux qui tenoient
les premiers rangs, elle les excommunia, elle les
dégrada : pourquoi ? parce que dans ce seul titre de
mère de Dieu, étoit renfermé tout le mystère de
rincarnation du Verbe, Car c'est pour cela qu'on
se fit comme un capital , et un point essentiel de
religion, de croire que Marie étoit, dans le sens
le plus naturel, mère de Dieu. Non pas que cette
créance fût nouvelle, puisque, selon saint Cyrille,
DE LA VIERGE. 101
toute la tradition L'àutorisoit, et que déjà depuis
long-temps Julien l'Apostat l'avoit reprochée aux
chre'tiens : Vos christiani , Mariam numquam
cessatis vocare Del genitricem ; mais on voulut
que cette créance , aussi ancienne que l'Eglise ,
fût désormais comme un symbole de foi ; et l'on
arrêta dans le concile d'Ephèse, que le titre de
mère de Dieu seroit un terme consacré conire l'hé-
résie nestorienne, comme celui de consubstantiel
l'avoit été dans le concile de Nicée contre l'hérésie
arienne.
Voilà , mes frères , ce que nous croyons ; et c'est
sur ce dogme ainsi établi que sont fondés tous les
honneurs que nous rendons à Marie : c'est, dis-je ,
sur sa maternité divine, qui, dans l'ordre des dé-
crets de Dieu , l'a élevée au-dessus de tout ce qui
n'est pas Dieu. Nous n'en faisons pas pour cela une
divinité. Ecoutez ceci, vous qui, réunis à l'Eglise,
avez besoin d'être instruits à fond de sa doctrine ,
et achevez de vous détromper des fausses idées
que vous aviez conçues du culte de la mère de Dieu.
Nous n'en faisons pas une divinité ; et je pourrois
appliquer ici ce que le grand saint Augustin , dans
un semblable sujet , répondoit aux manichéens , qui,
malicieusement et injustement , accusoient les ca-
tholiques de rendre aux martyrs un culte super-
stitieux et idolâtre. Voici ce qu'il leur disoit, en
s'adressant à Fauste : 11 est vrai que nous nous assem-
blons pour célébrer les fêtes des martyrs ; mais nous
n'avons jamais eu la pensée d'offrir, par exemple,
le sacrifice à aucun des martyrs. Nous savons que
102 SUR l'annonciation
cet honneur n'est dû qu'à Dieu seul, et c'est aussi
à Dieu seul que nous le rendons. Car où est l'évêque,
où est le prêtre qui ait jamais dit étant à l'autel :
C'est à vous , Pierre ; c'est à vous , Paul ; c'est à
vous , Cyprien , que nous o tirons et que nous immo-
lons l'agneau sans tache ? Nous l'immolons à Dieu,
qui a couronné les martyrs; et nous ne l'offrons en
mémoire des martyrs, que pour participer à leurs
mérites, pour obtenir le secours de leur intercession :
ainsi parloit saint Augustin , et je dis le même de
Marie. Nous célébrons avec solennité le jour bien-
heureux où l'ange lui annonça le choix que Dieu
faisoit d'elle ; mais à Dieu ne plaise , qu'en lui ren-
dant nos hommages , parce qu'elle a conçu le Yerbe
de Dieu, nous la confondions avec Dieu : c'est de
quoi nous ne craignons pas qu'on puisse soupçonner
notre foi. Car, pour me servir du même raisonne-
ment , où est le prêtre , qui dans les saints mystères
ait jamais dit : C'est à vous, Marie , que nous sa-
crifions? Nous sacrifions à celui qui a prédestiné
Marie , qui a sanctifié Marie , qui a glorifié Marie ;
mais quoiquelle soit incontestablement mère de
Dieu , nous ne la regardons et nous ne l'honorons
que comme une pure créature , dont tout le bonheur
est d'avoir été fidèle à Dieu, d'avoir été humble
devant Dieu, d'avoir été singulièrement élue de
Dieu.
Cependant, sans élever Marie jusqu'à Dieu, est-il,
du reste , une grandeur comparable à celle de cette
mère de Dieu? Tâchons, mes chers auditeurs , à
nous en former quelque idée ; mais souvenons- nous
DE LA VIERGE. lo3
d'abord de ce qu'a dit saint Bernard , que Marie
elle-même n'eût pu la comprendre dans toute son
étendue , ni l'expliquer : Audacter dico , quod nec
ipsa plané Maria potuit explicare. Après cela ,
vous ne serez pas surpris si ce que j'ai à vous dire
se trouve encore infiniment au-dessous de mon sujet.
Je considère Marie sous deux rapports : l'un à
Dieu , et l'autre aux hommes. Marie devient mère
de Dieu : c'est le premier rapport; et Marie, mère
de Dieu , devient par là même la médiatrice et comme
la mère des hommes : c'est le second. Or , voyons
autant qu'il nous est possible , quelle gloire doit re-
venir à cette vierge , de l'un et de l'autre , et quelles
grandeurs y sont renfermées.
Marie , mère de Dieu. Ecoute , 6 homme î s'écrie
là-dessus saint Anselme , contemple et admire : In-
tendat mens humana , contempletur et stupeat.
Le père céleste avoit un Fils unique et consubs-
tantiel : mais il n'a pas voulu que ce Fils u'appar-
tînt qu'à lui seul; il en a fait part à Marie, et elle
est véritablement sa mère sur la terre , comme il
est son Père dans le ciel : Non est passas manere
suum ; sed eum ipsum voluit esse Mariœ uni-
cum. Pensée sublime , mais qui , dans sa sublimité
n'exprime rien dont notre mystère ne nous fasse
voir l'entier accomplissement. Ah ! mes frères, di-
soit saint Paul, je fléchis le genou devant le Père
de Jésus-^Christ mon maître , parce que c'est de lui
que procède toute paternité , soit dans le ciel, soit
sur la terre. Ainsi parloit le grand Apôtre ; et ne
puis-je pas ajouter , que je me prosterne en la pré-
io4 SUR L'ANNONCIATION
sence de ce Père tout puissant, pour le recon-
noître , non plus seulement comme auteur de toute
paternité , mais comme princirTe de cette maternité
divine que j'honore dans Marie ! Car quel prodige ,
chrétiens ! et quel autre que Dieu même a pu opé-
rer ce miracle? La virginité et la fécondité jointes
ensemble; une vierge qui conçoit dans le temps le
même Fils , que Dieu , avant tous les siècles , a pro-
duit dans l'éternité; une mère, dit saint Augustin,
devenue mère par la seule obéissance de son es-
prit , de même que le Père , dans l'adorable trinité ,
est Père par la seule connoissance de ses infinies
perfections. Qui jamais, avant Marie, entendit rien
de pareil, et si la foi ne nous l'apprenoit pas , qui
jamais l'eût cru , qu'une créature dût un jour donner
en quelque manière l'être à son créateur; et que le
Créateur pût devenir en quelque sorte l'ouvrage et
la production de sa créature ? Qui l'eût cru , que
Marie dût donner à un Dieu ce qu'il n'avoit pas au-
paravant , et qu'un Dieu en dût recevoir une vie
toute nouvelle ! Qui l'eût cru , que le Verbe par qui
tout a été fait, dût être formé lui-même par une
vierge, et que par là cette vierge s'acquittât, pour
ainsi dire, envers lui, du bienfait de la création?
Permettez-moi , chrétiens , d'user de toutes ces
expressions. Les Pères avant moi s'en sont servis,
et ce seroit une délicatesse mal entendue, d'avoir
peine à parler comme eux , et d'omettre ces magni-
liques éloges que la piété leur iuspiroit, et que la
même piété nous doit rendre vénérables.
Ce qui me paroît plus surprenant , reprend l'ar-
DE LA VIERGE. lo5
ehevêque de Ravenne, c'est que le Verbe divin,
qui dans le ciel ne dépend point du Père dont il
est produit, ait voulu dépendre sur la terre de la
mère en qui il s'est incarné. Que dis je , mes chers
auditeurs? le Verbe dépendant, cela peut-il s'ac-
corder avec la majesté de Dieu ? il faut bien le dire ,
puisque c'est une suite de la maternité de Marie.
Dès là que je la reconnois pour mère de Dieu , non-
seulement je puis , mais je dois reconnoître que ce
Dieu-homme a voulu dépendre d'elle; qu'il lui a
rendu des honneurs et une obéissance légitime ;
qu'il s'est soumis à son pouvoir ; et c'est aussi ce
que l'évangile nous a expressément marqué par ces
courtes paroles : Et erat subditus il lis (1). Pa-
roles à quoi se réduit presque tout ce que nous sa-
vons de la vie mortelle du Sauveur juSques au temps
de sa prédication. Mais encore , demande saint Ber-
nard , de qui parloit l'Evangéliste ? est-ce Dieu ,
est-ce l'homme qui obéissoit à Marie ? Dieu et
l'homme tout ensemble , répond ce Père. Or voyez,
poursuit-il , lequel des deux est plus digne de votre
admiration , ou la soumission du Fils, ou l'empire
de la mère? Elige utrum mireris . aut Filii be-
neficentissimam di gnationem , aut Matris excel-
lentissimam dignitatem. Car voici tout à la fois
deux grands prodiges : prodige d'humilité, que Dieu
soit dépendaut d'une femme; et prodige de gran-
deur , qu'une femme commande à Dieu : JJ trinque
miraculuni) et quod Deus feminœ obtemperet 9
(l) Luc, 2.
IûG SUR L'ANNONCIATION
humilifas sine eocemplo ; et quod Deo femina
prœcipiat, sublimitas sine socio.
De là ne nous étonnons plus qu'un ange descende
aujourd'hui du ciel pour saluer Marie , qu'il s'hu-
milie en sa présence , qu'il l'appelle pleine de grâce,
qu'il l'élève au-dessus de toutes les femmes. Ne
nous étonnons plus d'entendre dire à saint Au-
gustin, que rien après Dieu et parmi tous les êtres
créés n'est égal à Marie , et n'est même comparable
à Marie. Mais surtout ne doutons plus du pouvoir
de Marie ni de sa tendre affection pour nous ; et
sans considérer davantage son auguste maternité
par rapport à Dieu , regardons-la maintenant par
rapport aux hommes , et tâchons d'en tirer tous les
avantages qu'elle nous promet.
Car je dis que Marie devenue mère de Dieu , de-
vient par là même la mère des hommes , la pro-
tectrice des hommes, la coopératrice du salut des
hommes; et une mère, une protectrice , une coo-
pératrice toute puissante pour les hommes. Prenez
garde, s'il vous plaît. Mère des hommes, puisque
tous les hommes sont non-seulement les frères ,
mais les membres de ce Dieu-homme qu'elle porte
dans son sein. Protectrice des hommes , puisque
c'est en faveur des hommes qu'elle est choisie , et
qu'en ce sens elle doit aux hommes son élévation.
Coopératrice du salut des hommes, puisqu'elle sert
à former le Sauveur qui vient racheter les hommes,
et qu'elle donne le sang qui doit être le prix de
cette rédemption et de ce salut. Mais j'ajoute ,
mère toute puissante , protectrice toute puissante,
DE LA VIERGE. IO7
coopératrice toute puissante : pourquoi ? parce
qu'en qualité de mère de Dieu , elle a singulière-
ment trouvé grâce auprès de Dieu.
C'est donc aujourd'hui que Marie nous tend les
bras , pour nous admettre au nombre de ses enfans ,
et c'est dans cette pensée que nous devons imiter
le zèle et la piété que témoignèrent les chrétiens
d'Ephèse , lorsqu'ils reçurent le jugement de l'E-
glise universelle à la gloire de cette vierge en qui
ils avoient mis leur confiance. Le fait est remar-
quable ? et je voudrois que les hérétiques de notre
siècle y fissent toute l'attention nécessaire , et qu'ils
apprissent quels étoient , il y a plus de douze cents
ans , les sentimensdes fidèles, à l'égard de Marie ,
et quels doivent être encore les nôtres. L'histoire
nous apprend que le jour où l'on devoit conclure
sur la divine maternité de Marie , tout le peuple
parut dans les rues , remplit les places publiques ,
se tint autour de ce fameux temple dédié au culte
de la Vierge , et où les Pères du concile étoient
assemblés ; qu'au moment que la décision fut pu-
bliée, et qu'on entendit que Marie étoit maintenue
dans la juste possession du titre de mère de Dieu ,
toute la ville retentit d'acclamations et de cris de
joie ; que les Pères sortant pour se séparer, furent
comblés de bénédictions , et conduits en triom-
phe; que l'air fut éclairé de feux, enfin , que rien
ne manqua à la pompe de cette réjouissance com-
mune , ni à l'éclat de la glorieuse victoire que
Marie avoit remportée. Ah ! chrétiens, il est vrai ,
ce peuple fidèle étoit sensible aux intérêts de Marie ,
I08 SUR L'ANNONCIATION
et agissoit en cela par un esprit de religion , mais
en s'intéressant pour Marie , il s'intéressoit pour
lui-même ; car il comptait sur le secours de cette
mère de Dieu , et il savoit ce qu'il en devoit atten-
dre. Prenons les mêmes sentimens , et tenons la
même conduite. Dans ce grand jour où Marie est
déclarée mère de Dieu, rendons-lui les hommages
qu'elle mérite , et allons au pied des autels lui jurer
une fidélité inviolable , et lui renouveler les saintes
protestations du plus respectueux et du plus parfait
dévouement. Mais ne nous oublions pas nous-mê-
mes ; et pour l'engagera nous faire sentir les effets
de sa médiation , représentons-lui l'étroite alliance
qui l'unit à nous et qui nous unit à elle. Disons-lui
d'une part, comme les habitans deBéthulie disoient à
Judith : Tu gloria Jérusalem , tu lœtitia Israël ,
tu honorificenlia popull nostri (i) ; Oui, vierge
sainte , vous êtes l'ornement de Jérusalem, le bon-
heur d'Israël , la gloire de notre peuple ; c'est-à-
dire , l'ornement, la gloire, le bonheur de l'Eglise.
Quia confortafum est cor tuum , eb qubd cas-
tltateru amaveris (2) : parce que vous étiez pure
dans un degré de perfection qui surpassoit même
la pureté des anges, vous avez eu la force d'attirer
du ciel le Verbe divin , et de l'incorporer à notre
chair. Ideo eris benedicta in œternum (5) : c'est
pour cela que nous nous humilions devant vous ,
pour cela que nous vous donnons le tribut de louan-
ges qui vous est dû, pour cela que nous vous
bénissons , et que tous les siècles après nous vous
(1) Judith. i5. — (2) lbid. — (3) lbid.
DE LA VIERGE. 1£)$
béniront. Mais d'autre part, reprenons, chrétiens,
et ajoutons ce que le sage et zélé Mardochée dit à
la reine Esther , lorsque pour l'exciter à prendre
la défense des Juifs, menacée d'une ruine pro-
chaine , il lui remontra que si Dieu l'avoit élevée
sur le trône , c'étoit plus pour sa nation que pour
elle-même : Et cuis novit ,utràm idcircô ad ré-
gnant veneris , ut in tali tempore parareris (i) /
Non , ô glorieuse mère de Dieu î nous ne crain-
drons point de le dire , car nous le savons , que si le
Seigneur vous a distinguée entre toutes les femmes ;
que s'il vous a honorée de la plus éclatante dignité ,
c'est pour nous ; et voilà ce qui , dans tous les états
de la vie , dans toutes les conjonctures et tous les
temps , nous fera recourir à vous avec confiance.
ÎNous vous exposerons nos besoins, nous implo-
rerons votre intercession : et vous écouterez nos
vœux , et vous les présenterez à votre Fils , et vous
y joindrez les vôtres , et vous ferez descendre sur
nous toutes les grâces divines.
N'en doutons point, mes chers auditeurs , et
puisque nous avons une telle ressource auprès de
Dieu , apprenons à en profiter. On vous prêche sans
cesse dans la chaire la sévérité des jugemens de
Dieu ; on vous dit tout ce qui peut vous intimider
et vous effrayer: ce sentiment est bon , et je dois
travailler moi-même à vous imprimer profondé-
ment dans l'ame une crainte chrétienne et salutaire.
Mais de s'en tenir là; de ne vous faire entendre
que les menaces du Seigneur; de ne vous faire
(l) Esther. 4.
IIO SUR L'ANNONCIATION
voir que les difficultés et les obstacles qui se ren-
contrent dans la voie du salut ; de ne vous la re-
présenter , cette voie , que comme un chemin
semé d'épines et presque impraticable , c'est un
excès qui ne corrige rien , et qui ne va qu'à décou-
rager et à désespérer. Je dois donc en vous faisant
craindre, vous faire espérer ; en réprimant voire
présomption , soutenir votre confiance ; je dois vous
faire connoître les moyens que la miséricorde dH>
vine vous a fournis et les secours qu'elle vous a
ménagés; je dois vous consoler, vous animer, vous
fortifier. Or s'il y a un mystère capable de produire
ces heureux* effets , n'est-ce pas celui-ci ? Pourquoi ?
non-seulement parce que c'est le mystère d'un Dieu
fait homme , mais d'une vierge devenue mère de
Dieu ; et en qualité de mère de Dieu , spécialement
engagée à veiller sur les hommes , à s'intéresser
pour les hommes, à les aider de tout son pouvoir,
et à leur servir d'avocate et d'asile. Vous me direz
que cette confiance dans la protection de Marie ,
peut autoriser nos désordres , et diminuer en nous
le zèle de la pénitence ; mais je réponds , moi , que
si c'est une vraie confiance, bien loin de refroidir ce
zèle , elle l'allumera. Faites-en vous-même l'épreuve ,
et vous le verrez. Vous verrez, dis-je , si dévoué à la
plus sainte des vierges , vous n'apprendrez pas à
haïr le péché , si vous ne vous sentirez pas porté
à le fuir par une exacte vigilance , et à l'expier par
une sévère pénitence; si de vives lumières ne vous
éclaireront pas, pour vous en faire concevoir i'énor-
rnité ; si de solides réflexions ne vous toucheront
DE LA VIERGE. I n
pas, pour vous en faire craindre les suites affreuses ,
et pour vous les faire éviter ; si mille attraits par-
ticuliers , mille grâces intérieures ne vous appel-
leront pas à la sainteté. Car voilà les fruits ordi-
naires d'une solide et religieuse confiance dans la
protection de la mère de Dieu. Combien de justes
ont été par là maintenus , et ont persévéré ? com-
bien de pécheurs ont été convertis , et se sont sauvés ?
Je le répète , combien de justes ont été maintenus ,
et ont persévéré? c'étoient des justes , mais des
justes chancelans dans leur état d'innocence et de
justice, des justes assaillis de la tentation, com-
battus par leurs passions , presque vaincus par le
monde , et sur le point de céder enfin et de tomber ,
si Marie , dans des conjonctures si périlleuses , n'eût
été leur soutien; et comment? non par elle-même ,
mais par une grâce victorieuse que son intercession
leur a obtenue , et qui les a préservés. Combien
de pécheurs ont été convertis, et se sont sauvés ?
c'étoient des pécheurs , et des pécheurs de longues
années , des pécheurs d'habitude : il n'y avoit plus ,
ce semble , de salut pour eux ; et chargés de dettes ,
ils commençoient à désespérer de la miséricorde
divine. Mais ils se sont souvenus que Marie étoit
la mère des pécheurs ; ce qu'ils ne croyoient pas
pouvoir demander par eux-mêmes , ils l'ont de-
mandé par elle, et ils ont été exaucés; dans un
heureux moment la grâce les a changés , et de pé-
cheurs qu'ils étoient , en a fait des saints. Miracles
dont ils ont rendu raille témoignages, et c'est à ces
exemples qu'il faudrait s'attacher , et non point à
112 SUR L'ANNONCIATION
d'autres plus rares , dont on voudroit quelquefois
tirer de si injustes conséquences. Car telle est en
effet notre injustice: parce qu'il s'en trouve peut-
être quelques-uns, qui, consacrés en apparence au
service de la mère de Dieu , n'en mènent pas dans
la pratique une vie plus réglée , de ces exemples
particuliers , on pense avoir droit de tirer des con-
séquences générales contre le culte de la vierge,
et l'on ne considère pas que c'a a été , et que c'est
tous les jours pour des millions d'autres un principe
de conversion et de sanctification. Ah ! mes chers
auditeurs, dans un siècle où les dangers sont si
fréquens , et les besoins si pressans , ne nous pri-
vons pas du secours qui nous est offert. De cet
autel, si je l'ose dire, et de ce tabernacle où Jésus-
Christ repose , il fait encore aujourd'hui par pro-
portion et pour nous , ce qu'il fit sur la croix pour
son bien-aimé disciple. Voilà votre mère , lui dit-il ,
en lui montrant Marie : Ecce mater tua (i) ; et
dès cette heure , ce disciple que Jésus-Christ aimoit,
commença à regarder Marie et à l'honorer comme
sa mère : Et ex Ma hord accepit eam disci-
pulus in sud (2). C'est ainsi que nous la pouvons
regarder nous-mêmes» Heureux qu'elle daigne bien
nous recevoir au nombre de ses enfans ! Nous
reconnoîtrons bientôt que ce n'est pas en vain qu'elle
porte le titre de mère des hommes , si de notre part
ce n'est pas en vain que nous portons la qualité
d'enfans de Marie. Mais achevons, et voyons com-
ment ce mystère nous élève à la dignité même
(1) Joan, 10. — (2) Ibid.
DE LA VIERGE. IlS
d'enfans de Dieu : c'est le troisième avantage qui
nous revient de l'alliance du Verbe avec la chair,
et le sujet de la dernière partie.
TROISIÈME PARTIE.
C'étoit une erreur des païens , et une erreur aussi
grossière que présomptueuse, de se figurer qu'ils
étaient les enfans des dieux , parce qu'ils mettoient
en effet au nombre des dieux , leurs ancêtres.
Mais cette erreur, quoique grossière, comme re-
marque saint Augustin, ne laissoit pas de leur ins-
pirer de hauts sentimens ; parce qu'il arrivait de là
que, se confiant dans la grandeur ou dans la pré-
tendue divinité de leur origine, ils entreprenoient
des choses difficiles et héroïques avec plus de har-
diesse , ils les exécutaient avec plus de résolution ,
et en venoient à bout avec plus de bonheur: Et
sic animus divinœ stirpis fiduciam gerens ,
res magnas prœsumebat audaciàs , agebat
vehementiàs , et implebat ipsd felicitate secu-
riùs. Ne diroit-on pas que parmi ces ténèbres du
paganisme , il y avoit dès-lors quelque rayon ou
quelque commencement du christianisme ; et ne
semble-t-il pas que la Providence , qui sait profiter
du mal même , se servoit des erreurs des hommes
pour préparer déjà le monde à la vraie religion ?
Oui , répond excellemment saint Augustin , il étoit
de l'ordre de la prédestination et du salut de
l'homme , que l'homme fût un jour persuadé qu'il
étoit d'une extraction divine ; et voilà pourquoi
Dieu , par un effet de sa grâce toute-puissante ,
tome xi. 8
Ïl4 sur i/annqnciàtion
a voulu que cette persuasion ne fût ni fausse ni
te'méraire. C'était dans les païens une vanité , mais
Je mystère que nous célébrons, nous a fait de
cette vanité une sainte et adorable vérité. Ceux-là
se flattoient en se donnant une si haute origine , et
nous , si nous avons une moindre idée de nous-
mêmes , nous nous méconnoissons , nous nous
déshonorons , nous nous dégradons. Car écoutons
le disciple bien-aimé ; et quoique dans un autre
discours, j'aie déjà employé le même témoignage
pour établir la même vérité, souffrez que je le re-
prenne , et que je vous le propose dans un nouveau
jour. Ecoutons , dis-je , le disciple bien-aimé, et
sans rien perdre de l'humilité chrétienne , appre-
nons de lui h connoître notre véritable noblesse.
Voyez , mes frères , nous dit-il , dans sa première
épître canonique , voyez quel amour le Père céleste
nous a marqué , de vouloir que l'on nous appelle,
et que nous soyons en effet , enfans de Dieu : Vi~
dete qualem charitatem dédit nobis Pater ,
ut fdil Dei nominemur et simu's (i). Il est vrai
que saint Jean parloit en particulier aux fidèles qui
ont cru en Jésus-Christ, et qui l'ont reçu : mais ce
qu'il disoiten particulier aux fidèles, et ce qui leur
convient spécialement , je puis en général , et dans
un sens plus étendu , l'appliquer à tous les hommes.
Car c'est à tous les hommes , selon l'expression de
ce bien-aimé disciple , que le pouvoir d'être en/ans
de Dieu a été donné sans différence de mérites ,
sans distinction de qualités et de sexe , aux petits
(i) Joao. 3.
DE LA VIERGE. 1 1 5
aussi bien qu'aux grands , aux pauvres aussi bien
qu'aux riches , aux sujets aussi bien qu'aux rois :
Dédit eis potestatem filios Dei fieri (i).
Or je prétends que cette filiation ainsi établie
est une suite naturelle de l'incarnation, et le troi-
sième effet de l'alliance du Verbe avec notre chair :
Et Verbum caro factum est (2). Car le Verbe
divin n'a pu se revêtir de la chair de l'homme ,
sans contracter avec les hommes la plus étroite affi-
nité : et du moment qu'il nous a ainsi unis à lui, en
sorte que nous ne faisons plus avec lui qu'un même
corps , ce n'est point une usurpation pour nous
de dire à Dieu dans un sens propre et réel , que
nous sommes ses en fans : Ut filii Dei nomi-
nemur et simus (3). C'est en ce sens que Clément
Alexandrin , parlant du nrystère d'un Dieu fait
homme , et relevant les avantages infinis que nous
en retirons, s'est servi d'uue expression bien forte ,
lorsqu'il a dit que Dieu se faisant homme , a fait
des hommes comme autant de dieux : non pas après
tout que nous soyons enfans de Dieu dans la même
perfection que l'homme-Dieu ; il l'est par nature ,
et nous le sommes par adoption : mais cette adop-
tion divine ne nous ennoblit-elle pas assez ? Dieu ,
tout Dieu qu'il est , pouvoit-il nous élever plus
haut , et y avoit-il pour nous une distinction plus
glorieuse à espérer? Ce n'est ni par le sang , ni par
le ministère d'aucun homme , que nous sommes
montés à ce point de grandeur : le penser de la
sorte, ce seroit ne pas connoître et la bassesse na-
(1) Joan. i. — (2) Ibid. — (3) ïbid.
Il6 SUR L'ANNONCIATION
turelle de l'homme, et l'excellence de la dignité
dont nous avons été honorés : Non ex sanguini-
bus, neque ex voluntate carnis (i). Mais toute
la gloire de cette naissance spirituelle nous vient de
Ja volonté de Dieu , de la prédestination de Dieu ,
du choix et de la grâce de Dieu. Car pour m'en
tenir toujours à notre mystère, si nous sommes
enfans de Dieu , c'est par ce même Dieu-homme ,
qui dans un même homme a su si bien réunir et
allier ensemble sa divinité et notre humanité : Et
Verbum caro factum est. Ainsi , dit saint Chry-
sostôme , le Fils unique de Dieu est devenu fils de
l'homme , afin que les enfans des hommes devins-
sent enfans de Dieu. Et ne demandez pas , ajoute
saint Augustin , comment les hommes ont pu naître
de Dieu , puisqu'un Dieu lui-même a pu et voulu
naître des hommes.
Voyez donc, encore une fois, jusqu'à quel excès
s'est portée la charité de votre Dieu : Videte qua-
lem charitatem ; mais voyez ensuite quelles con-
séquences s'ensuivent de là ; voyez ce que vous
devez à Dieu comme enfans de Dieu, et ce que
vous vous devez à vous-mêmes : ce que vous devez
à Dieu , qui vous permet de l'appeler votre Père ,
et qui l'est en effet ; ce que vous vous devez à
vous-mêmes , qui pouvez vous dire enfans de Dieu,
et qui avez à soutenir une si noble qualité et à n'en
pas dégénérer. Deux points qui me fournissent une
morale bien solide et bien importante.
Ce que vous devez à Dieu : car puisqu'on vertu
(i) Joan. i.
DE LA VIERGE, nj
de ce mystère et par l'alliance du Verbe avec notre
chair, nous avons le même Père que le Verbe
incarné , je dis aussi que nous devons , à l'égard
de ce Père tout puissant, tenir par proportion la
même conduite que l'homme-Dieu , et prendre les
mêmes sentimens ; c'est-à-dire , que nous devons
avoir la même obéissance aux ordres de Dieu et
le même zèle pour la gloire de Dieu. En effet , si
le Fils de Dieu prend aujourd'hui dans les chastes
entrailles de Marie une chair semblable à la nôtre ,
c'est, dit l'Apôtre, pour obéir à son Père, pour se
conformer aux volontés de son Père, et pour ac-
complir ses adorables desseins ; et s'il s'humilie
jusqu'à s'anéantir lui-même , c'est pour l'honneur
de son Père , et pour lui rendre toute la gloire qui
lui avoit été ravie. Or voilà notre modèle. Etre
soumis à Dieu , garder fidèlement et constamment
la loi de Dieu , glorifier Dieu par une vie digne de
Dieu , c'est ainsi que nous le reconnoîtrons pour
Père. Sans cela que sert-il de lui dire ce que nous
lui disons néanmoins tous les jours : Notre Père
qui êtes dans les cieux ; si nous nous révoltons
contre lui sur la terre, si nous le renonçons dans
la pratique et le traitons en ennemi , que sert-il de
lui dire : Que votre nom soit sanctifié , qu'il soit
connu et honoré dans tout l'univers; si nous le
blasphémons et le faisons blasphémer aux autres ?
Car ce que j'appelle, selon le langage de l'Ecriture ,
blasphémer le nom du Seigneur , c'est outrager le
Seigneur même par nos déréglemens et nos désor-
dres : et ce que j'appelle le faire blasphémer aux
u8 SUR L'ANNONCIATION
autres, comme saint Paul le reprochoit aux Juifs :
Per vos blasphematw nomen Dei (i), c'est les
séduire par nos paroles , les engager par nos exem-
ples dans nos habitudes criminelles, et les cor-
rompre par nos scandales. Que sert-il de lui dire :
Que votre volonté soit faite; si nous ne suivons
rien moins en toutes choses que la volonté de Dieu,
toujours violant sa loi, toujours murmurant contre
sa providence , toujours disposés , malgré ses pro-
messes et ses menaces , malgré ses défenses ef ses
commandemens les plus exprès , à écouter la pas-
sion et à la satisfaire, quoi qu'elle demande ? Je
sais que pour garder inviolablement la loi de Dieu ;
que pour donner à Dieu par la sainteté de nos
mœurs toute la gloire qu'il attend de nous , ii faut
qu'il en coûte. Mais , chrétiens , vous en doit-il
jamais autant coûter qu'il en coûte aujourd'hui à
un Dieu ; à un Dieu que son Père envoie , et qui
suivant la mission qu'il avoit reçue , descend du
trône de sa majesté , et vient demeurer avec nous ;
à un Dieu qui , pour réparer l'injure faite à son
Père, se réduit jusques à la forme d'un homme,
jusques à la forme d'un esclave, jusques à la forme
d'un pécheur ? Ah ! mes frères , comprenons , si nous
le pouvons, par l'obéissance de cet homme-Dieu ,
combien sont sacrés les droits du Père qui nous a
donné l'être , et qui nous donne encore dans ce
saint jour comme une nouvelle naissance en nous
adoptant au nombre de ses enfans. Comprenons ,
par les anéantissemens de cet homme-Dieu , de quel
(1) Rom. i2t
DE LA VIERGE. I ïg
prix est la gloire de Dieu , le souverain auteur de
tous les êtres, et doublement notre Créateur, soi£
selon la nature , soit selon la grâce. Mais de là même
jugeons ce que c'est pour un homme , surtout pour
un chrétien, que de refuser à ce premier maître la
soumission et les services que nous lui devons par
tant de titres ; jugeons ce que c'est que de s'attacher à
lui et de l'insulter , en voulant secouer le joug d'une
dépendance si incontestable et si légitime; jugeons
ce que c'est que d'abandonner ses intérêts , que de
s'opposer à ses vues , que de s'obstiner contre ses
ordres; et cela tandis qu'on est adorateur du monde ,
tandis qu'on ne manque à rien de tout ce qu'exige
le monde , tandis qu'on entreprend tout et qu'on
supporte tout pour le monde. Si je suis le Seigneur
et votre Père , disoit-il autrefois à son peuple ,
où est l'honneur que vous me rendez ? TJbï est
honor meus (i)? où est le respect que vous me
devez ? ubï est timor meus (2) ? Or la plainte qu'il
faisoit à son peuple , il peut bien nous la faire à
nous-mêmes ; mais avec cette terrible menace ,
que si maintenant nous ne l'honorons pas comme
père , nous le craindrons un jour comme juge ;
que si maintenant nous ne sommes pas soumis à
sa loi , nous serons un jour soumis à ses châtimëns ;
que si maintenant notre vie ne sert pas à le glori-
fier comme Dieu sanctificateur , notre éternelle
réprobation après la mort servira à le glorifier
comme Dieu vengeur.Car voilà , mes chers auditeurs,
l'affreux retour à quoi il faut vous attendre de la
(») Malach. 1. — (2) Ibid>
I20 SUR L'ANNONCIATION
part (l'un père si indignement méprisé, et si juste-
ment irrité.
Je dis plus , et c'est par où je finis. Outre ce que
vous devez à Dieu , qui vous permet de l'appeler
voire père , et qui l'est en effet , voyez encore ce
que vous vous devez à vous-mêmes , qui pouvez
vous dire enfans de Dieu , et qui avez à soutenir
une si noble qualité , et à n'en pas dégénérer.
Comme il y a dans le monde , et selon les prin-
cipes de la philosophie humaine , une fierté raison-
nable et sage, qui , sans vous faire dédaigner per-
sonne , vous inspire néanmoins des sentimens gé-
néreux , et dignes de votre naissance et de votre
rang; je puis ajouter que , dans la religion même
que nous professons, et selon les règles de la mo-
rale évangélique , il y a une fierté sainte et toute
chrétienne , qui , sans nous enfler, nous remet sans
cesse devant les yeux le caractère dont nous som-
mes revêtus , et nous engage à y conformer nos
œuvres. C'est ainsi que Je prince des apôtres repré-
sentoit aux fidèles , qu'ils étoient un peuple choisi
et distingué : Vos aulem genus electum (i) ; un
peuple conquis : populus acquisitionis (n); une
nation sainte, élevée à l'honneur du sacerdoce et
d'un sacerdoce royal : regale sacerdolium , gens
sancta (3). C'est ainsi que le Docteur des gentils
faisoit souvenir les Ephésiens qu'ils étoient les en-
fans de la lumière ; d'où il concluoit qu'ils dévoient
donc se comporter et vivre en enfans de lumière :
Ut filil lacis ambulate (4) ; et c'est , chrétiens ,
(0 i. Petr. 2. — (a) lbid. — (3) lbid. — (/,) Ephes. 5.
DE LA VIERGE. I2t
ce que je veux conclure moi-même , en vous di-
sant que vous êtes enfans de Dieu. Car des enfans
de Dieu doivent-ils penser ou agir comme des
enfans du siècle ? est-il une contradiction plus sen-
sible ? en est-il une plus criminelle et plus dam-
nable ? des enfans de Dieu prévenus de toutes les
idées du siècle , et du siècle le plus profane , n'es-
timant que ce que l'esprit du siècle leur fait estimer ,
n'aimant que ce que l'esprit du siècle leur fait
aimer , ne craignant et ne fuyant que ce que l'es-
prit du siècle leur fait craindre et haïr; des enfans
de Dieu sujets à tous les vices du siècle, et
du siècle le plus corrompu , aux ressentimens et
aux envies, aux colères et aux emportemens, aux
impostures et aux trahisons , aux désirs ambitieux et
à l'orgueil, à l'avarice, à la mollesse, aux débauches
et aux plaisirs les plus infâmes : est-ce là ce qui leur
convient? est-Ge à cela qu'on les doit reconnoître ,
ou plutôt , n'est-ce pas lu leur honte? n'est-ce pas pour
eux un opprobre ? Qu'un homme d'une certaine
distinction dans le monde , soit par la place qu'il
occupe , soit par le sang dont il est sorti, ait commis
une action lâche , c'est une tache que rien presque
ne peut effacer. De quel oeil le regarde-t-on , et
de quel œil se regarde-t-il lui-même , quand il vient
à considérer d'un sens rassis la faute qu'il a faite ,
et qui le couvre de confusion ? Or est-il moins
houteux à des hommes nés de Dieu , adoptés de
Dieu , enfans de Dieu , de s'asservir à leurs sens ,
de se rendre esclaves de leurs passions, de se laisser
dominer par les brutales cupidités de leur chair,
122 SUR L'ANNONCIATION
de se porter à toutes les injustices qu'inspire une
avare et insatiable convoitise , de nourrir dans leur
cœur des haines secrètes et invétérées, d'y con-
cevoir les plus noirs desseins pour se tromper e t
pour se vendre les uns les autres; de n'écouter
jamais, je ne dis pas la religion , mais même l'équité
naturelle , la bonne foi , la raison ? Est-ce pour
former un tel peuple que le Fils unique de Dieu
est venu sur la terre , et qu'il a voulu demeurer
parmi les hommes ? ou n'est-ce pas pour former
Un peuple parfait, un peuple exempt de la corrup-
tion du monde, un peuple affranchi de ces malheu-
reuses concupiscences par où le péché s'est introduit
dans le monde et s'y établit tous les jours : un
peuple chrétien , non-seulement de nom , mais de
pratique et d'action : Parare Domino plebem
perfectam (i) ? Ouvrons donc , mes frères, ou-
vrons les yeux de la foi ; et découvrant avec les
yeux de la foi notre dignité , sanctifiés comme nous
le sommes par l'alliance d'un Dieu , ne retombons
pas dans nos premiers égaremens , ne faisons pas
de la glorieuse qualité que nous portons , un vain
titre qui nous déshonore lorsque notre conduite le
dément. Si , m'adressant ici à tant de grands qui
m'écoutent , j'avois la témérité de leur dire que
leur conduite dément leur grandeur , leur naissance ,
leurs ancêtres, leur rang, ils prendroient ce que
je dirois pour un outrage, et combien y seroient-ils
sensibles ! Ne le soyons pas moins au juste reproche
qu'on peut nous faire , que nous nous rendons in-
(1) Luc. 1.
DE LA VIERGE. 125
dignes du plus beau de tous les noms, qui est celui
d'enfans de Dieu. Verbe éternel et consubstantiel
à votre père , Dieu comme lui , mais homme
comme nous , c'est vous qui nous l'avez acquis ?
ce beau nom , et c'est par vous que nous sommes
parvenus à ce point d'élévation. Ne permettez pas
que nous venions jamais à en déchoir : surtout ne
permettez pas que nous perdions le fruit de cette
rédemption surabondante dont vous voulez être
vous-mêmes le prix. Et vous , Vierge sainte , puis-
que c'est dans votre sein que ce grand ouvrage est
aujourd'hui commencé , aidez-nous à le soutenir
et à y mettre toute la perfection qui doit dépendre
de notre fidélité et de nos soins. C'est ainsi qu'après
avoir vécu comme de dignes enfans de Dieu , nous
aurons part à la gloire des élus de Dieu , où nous
conduise , etc.
PREMIER SERMON
SUR
LA PURIFICATION DE LA VIERGE.
Postquàm impleti sunt dies purgationis ejas secundùm
legem Moysi , taleruut illam ia Jérusalem , ut sisterent
eum Domino.
Le temps de la purification de Marie étant accompli
selon la loi de Moïse , ils portèrent V enfant à Jérusa-
lem , pour le présenter au Seigneur. Eu saint Luc >
chap. 2.
Sire,
Cet enfant qui est aujourd'hui porté à Jérusalem,
c'est le Fils unique de Dieu , égal à son Père , éter-
nel comme lui, et Dieu comme lui. Celle qui le
porte , c'est Marie , mère de Dieu , la plus sainte de
toutes les femmes, et la plus remplie de grâce. Le
sujet pourquoi elle le porte, c'est afin de le présenter
à Dieu; et l'Evangéliste s'arrètant à une circons-
tance bien remarquable, ajoute que tout cela se
fait selon la loi : Sicut scriptum est in lege Do-
mini (i). Comme si, ni Marie, ni Jésus-Christ
même, ne pouvoient avec bienséance paroître de-
vant Dieu qu'en observant la loi ; comme si leur sa-
crifice , tout divin qu'il est, ne devoit être agréé
(l) Luc. 2.
SUR LA PURIFICATION DE LA VIERGE. 125
<îe Dieu qu'autant qu'il se trouveroit conforme à sa
loi ; comme si l'ouvrage du salut et de la rédemp-
tion des hommes dépendoit de l'accomplissement
delà loi. Que signifie cela? c'est, chrétiens, le
mystère que j'entreprends de développer, et le point
auquel je m'attache pour votre instruction et votre
édification. Cette obéissance à la loi du Seigneur ,
cette obéissance que la présentation d'un Dieu sau-
veur et la purification d'une mère vierge nous prê-
chent si hautement , cette vertu si inconnue , et
néanmoins si nécessaire , voilà l'importante matière
que me fournit la solennité de ce jour. Divin esprit,
vous qui sanctifiâtes Marie par la pratique et l'ob-
servation de la loi , et qui la conduisîtes dans le
temple pour y offrir son sacrifice comme il étoit or-
donné dans la loi , remplissez-nous des mêmes sen-
timens dont son ame bienheureuse fut alors péné-
trée ; donnez-nous comme à elle une haute idée de
cette sainte et adorable loi du Seigneur; faites-nous
bien comprendre que sans cette loi il n'y a dans
nous que corruption et que désordre ; en sorte que
du moment que nous sortons hors des bornes de
cette loi , nous devenons incapables de tout bien et
déterminés à tout mal. Tant de crimes qui se com-
mettent tous les jours , et que je puis appeler les
abominations et les horreurs de notre siècle , en
sont une preuve visible : mais peut-êfre l'endur-
cissement de nos cœurs feroit-il perdre à cette
preuve toute sa force , si les lumières de votre grâce
ne venoient au secours de nos réflexions. Je parle
devant le plus grand roi du monde ; et sûr que je
126 SUR LA PURIFICATION
suis de sa religion , je ne crains point de parler avec
trop de liberté, tandis que je parle pour les inté-
rêts de la loi de Dieu. Je ne vous demande pas
même , ô mon Dieu ! comme la vertueuse Esther ,
que mes paroles lui plaisent; parce que je me pro-
mets de sa piété , qu'en lui parlant de l'excellence
et de la prééminence de votre loi , non-seulement
je lui plairai, mais je le persuaderai et le toucherai.
J'ai besoin néanmoins, Seigneur, de votre secours ;
et pour l'obtenir, je m'adresse à Marie, en lui di-
sant : Ave , Maria.
C'est le propre de l'esprit de l'homme , de n'avoir
rien d'uniforme dans ses sentimens , d'être souvent
contraire à lui-même , et de donner , selon les si-
tuations diverses où il se trouve , dans des extré-
mités tout opposées. Cela se vérifie en mille sujets,
mais particulièrement en celui que j'ai entrepris de
traiter, qui est l'obéissance et la soumission due à
la loi de Dieu. Car je découvre deux principes dif-
férens , qui forment dans l'homme une double op-
position à cette obéissance : tellement que nous
pouvons dire aussi bien que l'Apôtre : Je sens dans
moi-même une loi secrète qui répugne à la loi de
mon Dieu, et qui me captive sous la loi du péché.
Ces deux principes , suivant la belle réflexion de
saint Ambroise , sont l'orgueil de l'homme et sa
lâcheté: l'orgueil de l'homme, qui lui fait oublier
ce qu'il doit à Dieu ; et sa lâcheté , qui l'empêche
de voir ce qu'il peut, et de quoi il est capable avec
le secours de Dieu : l'orgueil de l'homme , qui le
DE LA VIERGE. 127
rend insolent et libertin ; et sa lâcheté qui le rend
foible et pusillanime. L'orgueil de l'homme qui, à
l'égard de Dieu même , lui inspire de la hauteur; et
sa lâcheté qui , à l'égard de ses devoirs , le jette
dans l'abattement : l'un et l'autre, pour lui faire
violer cette souveraine et divine loi que Dieu lui a
imposée, mais dont la servitude, quoiqu'aimable,
du moment qu'il se pervertit, commence à lui dé-
plaire et à lui devenir odieuse. Or je veux , chré-
tiens, combattre aujourd'hui ces deux désordres;
et parce que l'accomplissement de la loi consiste
à éviter également ces deux extrémités dangereuses,
soit en se soumettant avec humilité à ce que la loi
commande , soit en s'elForçant avec courage de sur-
monter ce qu'il y a dans la loi de difficile , mon des-
sein est de graver bien avant dans vos esprits et
dans vos cœurs ces deux obligations , et de vous
mettre pour cela devant les yeux l'obéissance que
pratique aujourd'hui Marie : car , sans sortir de mon
mystère, vous verrez dans la personne de cette
vierge offrant son Fils en sacrifice , le modèle d'une
obéissance solidement humble , et d'une obéissance
courageuse et héroïque : d'une obéissance solide-
ment humble , qui confond notre orgueil; et d'une
obéissance héroïque , qui condamne notre lâcheté.
Prenez garde : Marie, dans la cérémonie de ce
jour, accomplit la loi du Seigneur; et cette loi,
comme l'évangile nous le fait assez entendre, est
infiniment rigoureuse pour elle. En ce qu'elle obéit
a la loi , je trouve la confusion de notre orgueil ;
ce sera la première partie : en ce qu'elle surmonte
123 SUR LA PURIFICATION
toutes les difficultés de la loi, je trouve la condam-
nation de notre lâcheté; ce sera la seconde partie :
deux points que j'ai à développer, et qui vont
faire le partage de ce discours et le sujet de votre
attention.
PREMIÈRE PARTIE.
Nous nous élevons au-dessus de la loi de Dieu ;
et cela , chrétiens , nous arrive en deux manières :
l'une , que j'appelle révolte du cœur , lorsque, sans
nous expliquer autrement que par nos œuvres ,
nous disons intérieurement comme l'ange rebelle :
Non serviam (i); Il m'en coûteroit trop pour
vivre dans cette servitude : que Dieu ordonne tout
ce qu'il lui plaira, je ne me soumettrai point à sa
loi; l'autre, que je considère comme la plus perni-
cieuse erreur de notre esprit, lorsque nous trom-
pant nous-mêmes , nous cherchons des prétextes et
nous nous formons des consciences pour nous dis-
penser des obligations de la loi. Or le mystère que
nous célébrons confond hautement ces deux entre-
prises de notre orgueil; et c'est, comme vous
allez voir, ce qui paroît d'abord dans la pré-
sentation de Jésus-Christ et dans la purification de
Marie.
Quoique nés dépendans et sujets de Dieu , nous
avons, mes frères, un penchant à nous révolter
contre la loi de Dieu qui nous domine : voilà l'ori-
gine de toute la corruption de l'homme. Prenant
l'homme en particulier , et selon la différence des
(i) Jcrem. 2.
DE LA VIERGE. 1 29
conditions qui partagent le monde , voilà le péché
capital des grands du siècle, qui, de leur état, se
font un principe d'indépendance, comme si la loi
de Dieu n'étoit pas faite pour eux ; comme si Dieu
en la portant avoit dû les excepter; comme s'il n'é-
toit pas au contraire de l'empire de Dieu qu'il y
eût pour eux un législateur et une loi ; afin , disoit
le Prophète royal, de leur apprendre qu'ils sont
hommes : Constitue legislatorem super eos , ut
sciant quoniam homines sunt (1). Donnons à
cette morale toute son étendue. Voilà , dis-je , en
général , le péché des impies et des libertins , qui ,
jusque dans l'obscurité des plus médiocres for-
tunes , ont souvent à l'égard de Dieu des cœurs
aussi indociles que ceux qui tiennent dans le monde
les premiers rangs ; la licence et l'impiété faisant
dans les uns ce que l'abus de la grandeur et de
l'élévation fait dans les autres. Mais Marie obéissant
à la loi de Moïse , et se purifiant dans le temple ,
confond bien là-dessus , malgré nous , notre con-
duite. Car enfin elle étoit reine, elle étoit mère de
Dieu , elle étoit , comme mère de Dieu , en posses-
sion d'une autorité légitime sur l'auteur même de
la loi; et par conséquent elle avoit tous les titres
d'indépendance que peut avoir au-dessous de Dieu
une pure créature. Il est vrai : mais c'est justement
pour cela que Dieu veut qu'elle s'assujettisse à la
loi, afin de détruire par son exemple l'indépen-
dance criminelle que nous affectons ; afin de con-
damner notre libertinage par une preuve convain-
(1) Psalm. 9.
TOME XI. 9
l3o SUR LA PURIFICATION
cante et sans réplique. Car si dans l'ordre de la ré-
demption , dont le secret adorable se développe au-
jourd'hui à nos yeux , une mère de Dieu , toute mère
de Dieu qu'elle est, n'est pas exempte d'obéir; de
quel front pouvons-nous soutenir devant Dieu Tin-
justice et la témérité de nos désobéissances? Marie
fait quelque chose encore de plus ; et quoi ? non-
seulement elle se soumet à la loi, mais elle y sou-
met son Fils, ce Fils qui plus grand, plus libre,
plus absolu qu'elle , et néanmoins voulant bien être
soumis par elle , fournit encore à Dieu contre nous
une raison mille fois plus touchante pour réprouver
et pour confondre cet esprit d'orgueil qui nous rend
prévaricateurs. C'est-à-dire, Marie soumet à la loi
Ja grandeur même , à la loi la puissance même , à
la loi l'indépendance et la souveraineté même. Car
voilà le double miracle que le ciel nous découvre
dans cette fête, une reine sujette , et assujettissant
un Dieu ; un Dieu obéissant , et présenté par une
mère obéissante : pourquoi ? ah ! mes chers audi-
teurs , comprenez-le bien. Vous qui tenez dans le
monde les premiers rangs , et vous qui vous trouvez
réduits aux derniers; vous que vos conditions dis-
tinguent, et vous qu'elles ne distinguent pas ; grands
et petits, riches et pauvres, car je suis redevable à
tous, écoutez-moi : c'est ici que l'intelligence d'une
des plus importantes vérités vous est donnée , et
c'est par la comparaison même de vos états que je
vais vous la rendre sensible.
Pourquoi un homme-Dieu sujet à la loi ? pour
vous faire entendre , grands du monde , l'obligation
DE LA VIERGE. ï3î
spéciale où vous êtes de vivre dans un parfait assu-
jettissement aux lois de Dieu. Vous ne l'avez peut-
être jamais bien conçue; et, par un renversement
de raison et de religion , vous vous flattez que la ri-
gueur des lois divines n'est pas pour vous comme
pour le reste des hommes : mais détrompez-vous
aujourd'hui de cette fausse prévention , et pour
cela entrez en esprit dans le temple de Jérusalem :
car vous y verrez la maxime contraire solidement
établie; et pour peu que vous vous appliquiez à
considérer le mystère de ce jour , vous conclurez
que les lois divines vous regardent encore plus par-
ticulièrement que le reste des hommes , quoiqu'elles
soient pour tous sans exception. Vous me demandez
sur quoi est fondée cette conséquence : sur trois
raisons que vous devez méditer tous les jours de
votre vie. Première raison , c'est que plus vous avez
dans le monde ou de naissance ou de pouvoir,
plus vous êtes capables de rendre à Dieu l'hommage
qui lui est dû en qualité de souverain législateur;
comme il est vrai de dire que Jésus-Christ , en se
réduisant sous la loi , a eu seul l'avantage d'honorer
la souveraineté de Dieu autant qu'elle mérite de
l'être. Motif admirable pour vous engager , tout
élevés et tout puissans que vous êtes, à une obéis-
sance exacte. Dieu trouve en vous , quand vous
accomplissez sa loi , une gloire particulière ; et il
ne tient qu'à vous de la lui procurer , cette gloire ,
qui plus que tout autre contribue à sanctifier son
nom , et dont par là même il est si jaloux. Seconde
raison , c'est que Dieu ne vous a distingués dans
l3z SUR. LA PURIFICATION
le monde , que pour le glorifier de la sorte : car ne
croyez pas , chrétiens , qu'il y ait des hommes , ou
revêtus d'honneurs , ou pourvus de biens , pour être
plus en droit que les autres de faire leurs volontés,
et de vivre selon leurs lois. Cela ne peut être , et
Dieu, dont la toute-puissance est inséparable de
sa sagesse et de sa sainteté, n'a pu, dans l'inéga-
lité des conditions humaines, se proposer une telle
fin ; les rois mêmes , qui, selon l'expression du Saint-
Esprit, sont comme les divinités de la terre, ne
régnent que pour servir le Seigneur : Et reges ut
serviant Domino (i). Voilà l'ordre de la Provi-
dence et même de la création , selon lequel ce qui
approche le plus de Dieu n'est défini que par une
servitude plus immédiate, et une plus grande dé-
pendance de Dieu. Et pourquoi cet ordre ne subsis-
teroit-il pas , puisque Jésus-Christ , qui est le chef
des prédestinés , n'a été prédestiné lui-même que
pour y être soumis ? En quoi consiste tout le mys-
tère de son humanité ? Saint Paul nous l'enseigne en
deux mots , dont nous voyons aujourd'hui l'accom-
plissement : Misit Deus Filium suum factum eoc
muliere , factum sub lege (2); un Dieu formé
d'une femme pour être assujetti à la loi. Voilà l'idée
que nous en donne l'Apôtre ; voilà pourquoi ce
Fils de Dieu a été envoyé : hors de là ce Verbe di-
vin ne se seroit jamais fait chair, et sans cela il
n'y auroit point eu de Dieu-homme. Serez-vous
donc surpris, ou devez-vous l'être, quand j'ajoute
que sans cela il n'y auroit dans le inonde ni qua-
(1) Va. 101. — (a) Galat. 4.
DE LA VIERGE. 1 3o
Jite, ni dignité, ni rang, ni fortune, mais que Dieu
vous auroit laissés dans le néant; et que, s'il vous
en a tirés, c'est afin que sa loi eût en vous des ob-
servateurs fidèles et de zélés défenseurs. Je dis plus,
et c'est la troisième et dernière raison : Dieu , en
vous plaçant au-dessus du commun des hommes ,
a prétendu vous proposer au monde comme des
modèles de la sainte dépendance que je vous prêche;
de même que Jésus-Christ et Marie n'ont paru dans
Je temple du Seigneur que pour être l'exemple d'une
inviolable fidélité et d'une parfaite soumission à sa
loi. C'est-à-dire, selon saint Grégoire pape, que
Dieu prétend que les petits apprennent des grands
à lui obéir, et que les grands se considèrent sur ce
point comme la règle , à quoi les petits ne manquent
jamais de se conformer.
Ceci me donne lieu de parler maintenant à vous ,
mes frères , à vous dont le salut me doit être d'au-
tant plus cher , et les âmes plus précieuses, qu'ayant
moins de part aux avantages du siècle , vous par-
ticipez moins à ses désordres et à sa corruption ; à
vous que Dieu a fait naître dans des conditions
plus obscures, et dont il semble que la destinée,
ou , pour mieux dire , la vocation se termine à dé-
pendre et à obéir. Pourquoi une mère de Dieu , et
par son ministère un homme-Dieu soumis à la loi ?
pour trois autres raisons qui vous regardent, et que
je vous prie de n'oublier jamais. Pour vous consoler ,
pour vous instruire , et pour vous confondre. Pour
vous consoler de l'état où vous êtes, et qui vous
réduit à n'avoir pour partage que l'obéissance : c'est
l34 SUR LA PURIFICATION
l'état que Jésus-Christ a choisi , ayant mieux aimé
prendre la forme de serviteur que celle de maître ,
et se soumettre à la loi, que de donner la loi; pour
vous fortifier par cette pensée, que ceux qui sont
plus élevés que vous dans le monde , sont sujets
comme vous à la loi de Dieu , seront jugés aussi
bien que vous selon la loi de Dieu , n'éviteront pas
plus que vous le tribunal où tout doit être décidé
par la loi de Dieu : voilà votre consolation. Pour
vous instruire de la manière dont vous devez obéir ,
je veux dire aux hommes pour Dieu, et à Dieu dans
les hommes ; en sorte que votre obéissance ne s'ar-
rête pas à l'homme , mais qu'elle s'élève à Dieu
comme à sa fin et à son principal objet : Sicut
Domino , et non hominibus ( i ) ; que vous re-
gardiez ces hommes de qui vous dépendez , comme
les images de Dieu ; que vous respectiez leurs lois,
comme des écoulemens de la loi de Dieu ; que vous
receviez leurs commandemens, comme des décla-
rations expresses de la volonté de Dieu : vous souve-
nant que sans cela l'obéissance que vous leur ren-
dez n'est qu'une obéissance servile, qu'une obéis-
sance païenne, qu'une obéissance réprouvée dont
Dieu ne vous tiendra jamais nul compte , et dont
vous perdez tout le fruit, parce que vous ne la pra-
tiquez pas selon ce divin exemplaire qui nous est
aujourd'hui proposé dans la présentation d'un Dieu
sauveur , et dans la purification d'une mère vierge :
voilà votre instruction. Mais surtout, pour vous
confondre de l'extrême et de l'injuste opposition
(1) Coloss. 3.
DE LA VIERGE. i35
que vous avez à dépendre de Dieu et à porter le
joug de sa loi, lorsqu'avec tant de docilité vous
vous faites un mérite, du moins une politique, de
dépendre des hommes. Car en vous comparant vous-
mêmes avec vous-mêmes, voici, mes frères, le
sujet de ma douleur, et ce qui me fait gémir. Vous
n'osez désobéir aux hommes , et vous désobéissez à
Dieu ; vous êtes souples devant les hommes , et or-
gueilleux devant Dieu ; les lois des hommes vous
contiennent dans le devoir, et vous violez impu-
nément celles de Dieu. Saint Paul disoit aux Ephé-
siens : Obedlte dominis carnalibus-, sicut Chris-
to (i); Obéissez à vos maîtres selon la chair, avec
crainte et avec respect , comme à 'Dieu même :
mais s'il m'étoit permis de changer la proposition
de saint Paul , peut-être vous dirois-je volontiers :
Obéissez à votre Dieu comme vous obéissez à vos
maîtres selon la chair : et c'est là ce que j'appelle
votre confusion. Car quelle indignité , que je me
trouve obligé de souhaiter pour vous , qu'au moins
les choses ici fussent égales , et de me contenter
que vous eussiez pour votre Dieu une obéissance
aussi prompte , aussi humble , aussi fidèle que celle
qu'exigent de vous les hommes, et que vous .leur
rendez si exactement !
Je sais, mon cher auditeur, que cet assujettis-
sement aux lois de Dieu vous paroît gênant et hu-
miliant; je sais que vous vous aveuglez jusqu'à croire
qu'il répugne à cette liberté naturelle dont vous êtes
jaloux, et que vous ne distinguez pas d'un amour
(i) Ephes. 6.
l36 SUR LA PURIFICATION
déréglé de l'indépendance et d'un esprit de liber-
tinage. Mais votre ignorance là-dessus vient encore
de n'avoir pas bien pénétré le mystère de Jésus-
Christ et de Marie obéissans à la loi du Seigneur.
Car , si je vous disois que l'obéissance à cette sainte
loi, bien loin d'humilier l'homme, fait sa véritable
gloire : crue. plus on est sujet à cette loi, plus on
est heureux, plus on est libre, plus on est maître
de soi-même, qu'en cela consiste la différence de
cette loi et des lois humaines; qu'au lieu que l'af-
franchissement des lois humaines passe pour un pri-
vilège, le grand privilège de la grâce, selon saint
Augustin , est d'être incapable de s'émanciper de
cette loi; que David, tout roi qu'il étoit, instruit
d'un secret si important, envisageoit comme une
béatitude l'attachement à cette loi, faisoit son occu-
pation la plus ordinaire de méditer cette loi, ne
trouvoit point de repos que dans l'observation de
cette loi : Paoc multa diligentibuslegem tuam(i)9
ce sont autant de vérités dont la raison et la foi
vous feroient , malgré vous, convenir. Mais ne fais-je
pas, pour vous en convaincre, quelque chose de
plus, quand je vous propose le Saint des saints
sanctifié par l'obéissance qu'il rend à cette loi , ce
premier-né de toutes les créatures qui s'assujettit
à cette loi, ce Rédempteur par excellence, qui
veut être lui-même racheté selon les termes de cette
loi ; quand je vous représente Marie avec toute sa
grandeur et son auguste maternité, remplie d'une
sainte joie, parce qu'à l'exemple de son Fils elle se
(i) Psalm. iiô.
BE LA VIERGE. l3y
conforme à cette loi ? n'est-ce pas , dis— je , ce qui
doit faire plus d'impression sur vos esprits et sur
vos cœurs , que si je rapportois tous les raisonne-
mens de la théologie ?
Après cela , chrétiens , laissez-vous encore sé-
duire par les fausses maximes du siècle, et mettez
le bonheur de la vie dans une malheureuse pos-
session de ne dépendre d'aucune loi , dans une
licence criminelle de tout entreprendre au préjudice
de la loi , dans un oubli de vos devoirs qui aille
ou à méconnoître votre Dieu , ou à vous le figurer
comme un Dieu fauteur de vos désordres. A le
méconnoître , en disant avec l'impie Pharaon :
Quis est Dominas, ut audiam vocem ejus (i) ?
Et qui est-il ce Dieu dont on me menace sans cesse ,
et dont on m'oppose la loi , qui est-il pour m'obliger
à me contraindre dans mes passions , dans mes
désirs , dans mes desseins ? A vous le figurer comme
un Dieu fauteur de vos désordres , en disant avec
l'insensé : S'il y a un Dieu , est-il tel qu'on nous
le dépeint ? connoît-il toutes choses ? y prend-il
un si grand intérêt ? s'ofïense-t-il si aisément ? a-
t-il une justice si sévère ? est-il si terrible dans ses
vengeances ? Et dixerunt : Quomodô scit Deus ,
et si est s tient i a in excelso (2) ? Car voilà le
langage du pécheur ennemi de la loi, et c'est où
conduit enfin l'esprit du monde. On n'en vient pas
là d'abord ; mais par un progrès infaillible de l'ha-
bitude du péché , on s'accoutume , sinon à parler ,
du moins à penser et à vivre ainsi. A force de
(1) Exod. 5. — (a) Ps. 72,
ï38 SUR LA PURIFICATION
violer la loi , la crainte de Dieu s'afToiblit , le liber-
tinage se fortifie et prend le dessus. Après bien des
péchés commis et bien des transgressions réitérées ,
on se trouve dans l'abominable état de celui qui di-
soit en insultant à Dieu: Peccavi, et quid mihi
triste accidit (i) ! J'ai péché, et que m'est-il
arrivé de mal ? De là cette tranquillité que l'on con-
serve même en péchant ; de là cette hauteur et
cette fierté avec laquelle on soutient le vice: de là
cet endurcissement qui y met le comble. On re-
jette sans distinction toute loi de Dieu qui est incom-
mode : si l'on en respecte quelqu'une , ce n'est pas
parce qu'elle est la loi de Dieu ; mais parce qu'elle
est autorisée des lois du monde , et que les lois du
monde forcent à la garder. Au commencement on
sauve les dehors ; mais à la fin on lève le masque ,
on ne se contraint plus en rien , on ne ménage plus
rien , et Dieu veuille qu'on ne fasse pas même gloire
de son impiété et de ses excès ? Voilà ce que les
saints et les serviteurs de Dieu ont tant déploré,
et ce qu'ils déplorent tant tous les jours ; voilà ce
qui leur a fait répandre des larmes. Defectio te-
nuit me pro peccatoribus derelinquentibus le-
gem tuam (2) ; Je suis tombé , disoit le Prophète
royal , dans une espèce de défaillance , quand j'ai
vu, Seigneur, jusqu'à quel point votre loi étoit
profanée ; quand j'ai vu les pécheurs de la terre la
mépriser avec insolence et la rejeter. Voilà ce qui
obligeoit les prophètes à paroîtrc dans lescoursdes
princes , pour opposer au torrent de l'impiété le
(i) Eccles. 5. — (a) Ps. 118.
DE LA VIERGE. l3$
zèle de la loi qui les animoit ; et me voici , chré-
tiens, chargé du même ministère, et envoyé pour
la même fin. Quand je prêche ailleurs la parole de
Dieu , il me suffît de dire à ceux qui m'écoutent ,
s'ils ne vivent pas en chrétiens : Infortunés que
vous êtes , vous avez abandonné la loi de votre
Dieu , et c'est ce qui vous a perdus. Mais parlant
aujourd'hui à des grands du monde, je leur fais un
reproche encore plus terrible ; je leur dis avec le
prophète Malachie : Vos autem scandalizastis
plurimos in lege (i) ; Non-seulement vous avez
abandonné la loi de votre Dieu , mais vous la faites
abandonner à je ne sais combien d'autres que vous
scandalisez, et qui ne sont pas à l'épreuve de votre
exemple. Mais cette pensée m'emporteroit trop
loin : revenons à notre sujet.
Outre que nous nous élevons au-dessus de la loi
de Dieu par une révolte de cœur , nous tombons
encore dans ce désordre par un aveuglement d'es-
prit ; c'est-à-dire , que nous nous laissons préoc-
cuper de certaines erreurs , que nous cherchons
des excuses et des prétextes pour nous décharger
du fardeau de la loi de Dieu , que , raisonnant selon
notre sens , et nous faisant des principes à notre
gré, nous adoucissons la sévérité de la loi de Dieu;
que pour parvenir à nos fins , nous interprétons
comme il nous plaît les obligations de la loi de Dieu;
et que , séduits par les artifices de l'amour de nous-
mêmes dont nous sommes prévenus , nous accom-
modons la loi de Dieu à nos intérêts , à nos vues , à nos
(1) Malach. 2.
l4o SUR LA. PURIFICATION
inclinations et à nos passions , au lieu d'accommoder
nos intérêts et nos passions , nos inclinations et nos
vues à la rigueur de la loi de Dieu. Or voici encore
Marie et Jésus-Christ même, qui , par la sainteté
de leur exemple , nous font évidemment connoître
le danger et le dérèglement d'une conduite si per-
nicieuse : comment cela ? en se soumettant l'un et
l'autre à une loi dont ils étoient incontestablement
exceptés ; à une loi qui s'expliquoit d'elle-même
en leur faveur , et qui, dans les termes où elle
étoit conçue , ne portoit rien qui les obligeât.
Non , mes frères , disoit saint Augustin , soit
qu'on eût égard à l'esprit de la loi , soit qu'on la
prît à la lettre , ni Marie , ni le Sauveur du monde
ne pouvoient y être compris. Car il n'y avoit rien à
purifier dans Marie, et le Sauveur des hommes
étoit par lui-même consacré à Dieu d'une manière
plus excellente qu'il ne pouvoit l'être par toutes
les cérémonies du judaïsme. Ils n'avoient donc l'un
et l'autre qu'à user de leurs droits , puisqu'ils
étoient dispensés de la loi de Moïse. Mais Dieu ,
ajoute saint Augustin , par une disposition mer-
veilleuse de sa providence , ne voulut pas que
notre religion , dont Jésus et Marie jetoient alors ,
pour ainsi dire , les premiers fondemens , com-
mençât par une dispense quoique légitime ; cette
dispense , quelque autorisée qu'elle eût été , auroit
pu , par les fausses conséquences que nous en au-
rions tirées , servir à nos relûcliemens; et notre
amour-propre n'eût pas manqué à s'en prévaloir.
Ainsi pour nousôter ce prétexte, le christianisme ,
DE LA VIERGE. 1^1
qui devoit être l'idée de la plus irrépréhensible
sainteté , a-t-il commencé par une obéissance vo-
lontaire , par une obéissance gratuite, par une
obéissance qui anéantit tout ce qu'une vaine subti-
lité peut nous suggérer contre les saintes lois que
la religion nous impose ; par une obéissance qui
condamne sans réserve tant de dispenses abusives
que nous nous accordons , tant de singularités
odieuses que nous affectons , tant d'exceptions du
droit commun que nous couvrons du voile d'une
prétendue nécessité , tant de raisonnemens frivoles
et mal fondés , tant d'opinions hardies et trop larges ,
tant de probabilités chimériques , tant de détours et
de rafïinemens où nous altérons la pureté de la loi;
en sorte que toute étroite qu'elle est , elle ne nous
oblige plus qu'autant que nous le voulons , et de la
manière que nous le voulons. Car quelle vertu
l'exemple de l'homme-Dieu et de sa bienheureuse
mère n'a-t-il pas pour nous détromper de tout cela ,
et pour en découvrir l'illusion ?
De là vient qu'en conséquence de ce mystère ,
notre divin Maître instruisant ses disciples , leur
déclaroitsi souvent ce que son humilité nous prêche
aujourd'hui d'une voix bien plus forte et plus intelligi-
ble : Non veni solvere legem , sed adimplere (i) ;
Ne croyez pas que je sois venu pour abolir la loi ,
ni pour l'enfreindre. Comme s'il eût craint , re-
marque saint Chrysostôrrîe , que sa qualité de Messie
et d'auteur de la nouvelle alliance, ne leur donnât
lieu de former cette pensée , qu'il savoit ne leur
(0 Matth. 5.
1^2 SUR LA PURIFICATION
pouvoir être que préjudiciable. Non veni solvere t
sed adimplere : Non , je ne suis pas venu pour la
destruction , mais pour l'accomplissement de la loi :
parole divine , et qui doit pour jamais nous fermer
la bouche. C'est pour cela même que ce Sauveur
adorable étoit si fidèle et si attaché à toutes les
observances de la loi écrite ; qu'il se rendoit si ré-
gulièrement à Jérusalem pour célébrer la Pâque ,
et que jusqu'à un seul point, il ne laissoit rien
passer des moindres devoirs sans y satisfaire : Iota
unum mit unus apeoc non prœteribit à lege ,
donec omnia fiant ( i ). Par où il prétendoit com-
battre en nous cette disposition criminelle que nous
avons à disputer avec Dieu , quand il s'agit de sa
loi ; par où il prétendoit nous faire sentir l'injus-
tice de notre procédé , lorsque nous ne rendons à
la loi de Dieu qu'une obéissance forcée , qu'une
obéissance intéressée, qu'une obéissance imparfaite,
et qui se réduit toute à cette règle : y suis-je obligé
dans la rigueur? est-ce un commandement absolu?
y va-t-il du salut éternel ? règle trompeuse , et
qui nous expose à une réprobation éternelle , puis-
qu'il est certain qu'entre l'obligation de la loi et
le conseil , il n'y a souvent qu'un pas à franchir ,
et que nous conduisant de la sorte nous marchons
toujours sur le bord du précipice. Par où il préten-
doit nous confirmer dans cette importante maxime ,
que nous devons toujours prendre contre nous-
mêmes le parti de la loi de Dieu ; que sur le sujet
de la loi de Dieu nous devons toujours craindre
de nous tromper et de nous former de fausses
(i) Matth. 5.
DE LA VIERGE. 1^3
consciences ; que pour décider en mille occasions
jusqu'où la loi de Dieu s'étend , nous ne devons
point consulter les lois du monde ; qu'en ce qui
regarde la loi de Dieu , le seul nom de dispense
nous doit faire trembler , et que nous devons nous
en défendre avec tout le zèle que peut inspirer une
ferme et solide religion. Car voilà , chrétiens , les
saintes leçons que nous font dans ce mystère la
présentation d'un Dieu fils de Dieu , et la puri-
fication de la reine des vierges.
Je sais encore une fois que si chacun de nous
veut s'écouter , il n'y aura personne qui ne se croie
fondé en raison pour se dispenser des lois de Dieu
les plus indispensables. Et pour en venir aux es-
pèces particulières , je sais , par exemple , que la
loi qui défend l'usurpation du bien d'autrui , et
qui en ordonne la restitution , se trouvera anéantie ,
si l'on veut consulter la politique , qui ne man-
quera pas de décider en faveur de l'ambition et de
la cupidité. Je sais que la loi qui défend de se ven-
ger , n'aura plus de lieu , si l'on se met en posses-
sion de donner aux vengeances les plus déclarées
le nom de justice, et si chacun se faisant droit sur
ses propres injures , s'opiniâtre à ne rien rabattre
de la satisfaction qu'il se croit due. Je sais que la
loi qui fait de l'occasion prochaine du péché recher-
chée ou entretenue , un péché déjà consommé , ne
sera plus qu'un fantôme de loi , si chacun en veut
être cru , ou sur ses prétendus engagemens qu'il
proteste ne pouvoir rompre , ou sur la confiance
1^3 SUR LA PURIFICATION
qu'il a dans ses forces et dans sa disposition pré-
sente. Je sais que cette loi de l'abstinence et du
jeûne du carême que l'Eglise va bientôt publier,
deviendra une loi chimérique , si chacun , idolâtre
de sa santé , ne veut avoir égard qu'à sa délica-
tesse , ou pour mieux dire , qu'à sa mollesse. En
un mot , je sais qu'en suivant l'esprit du monde ,
qui est un esprit de licence , nous secouerons le
joug des plus rigoureuses obligations, et de nos
devoirs les plus essentiels. Mais où va une telle
conduite , et qu'en pouvons-nous attendre ? avons-
nous affaire à un Dieu qui puisse être surpris , et
à qui nous puissions en imposer ? lui qui a fait
la loi selon les vues de sa sagesse infinie, et qui ne
ne nous a pas appelés à son conseil quand il a voulu
l'établir, s'en rapportera-t-il à nous ? en passera-t-il
par nos avis ? s'en tiendra-t-il à nos décisions , quand
il viendra pour nous juger? Si Jésus-Christ et
Marie avoient raisonné comme nous, ce mystère
de leur obéissance que je viens de vous représenter,
et qui a tant contribué à notre salut , auroit-il eu
son accomplissement.
Ah ! Seigneur , s'écrioit le Prophète royal , et
c'est la conclusion que nous devons tirer avec lui ,
heureux ceux qui , purs et innocens , marchent
avec humilité dans la voie de votre sainte loi !
Beati immaculati in via , qui ambulant in lege
Domini (i); heureux ceux qui cherchent cette
voie avec un cœur droit ; et qui , l'ayant une fois
trouvée , la suivent avec une invincible persévé-
(1) Pualm. 118.
DELA VIERGE. 1^5
rance! car vous l'avez ordonné , mon Dieu, et il
étoit juste que vos lois fussent exactement gardées,
autrement elles ne seroient plus vos lois , et elles
n'auroient plus ce caractère de souveraineté qui
leur est propre, s'il nous étoit permis d'attenter sur
elles, et de les interpréter au gré de nos passions.
Voulez-vous , chrétiens , un abrégé de tout ce que
je viens de vous dire ? le voici dans ces deux pa-
roles de saint Augustin qui exprime ma pensée
bien plus noblement et plus fortement que moi :
Mariant supra legemfecerat gratia , sub lege
fecit humilitas : La grâce, dit ce saint docteur ,
avoit élevé Marie au-dessus de la loi , et l'humi-
lité l'a assujettie à la loi ; la grâce de son innocence ,
et de sa maternité demandoit qu'elle fût libre , et
l'humilité de son cœur lui a fait préférer d'être
obéissante et dépendante. Au contraire , et la grâce
et l'humilité nous inspirent également la soumis-
sion : pourquoi ? parce que la grâce qui est en
nous, n'est autre que la grâce de la pénitence,
et par conséquent de l'humilité même. Mais notre
orgueil s'oppose à l'une et à l'autre; et tout sujets
que nous sommes à la loi, je dis doublement sujets
et comme hommes et comme pécheurs , il nous ré-
volte contre Dieu. De ce que Marie s'est soumise
à la loi par une humble obéissance , c'est la con-
fusion de notre orgueil ; et de ce qu'elle a surmonté
toutes les difficultés de la loi par une obéissance
généreuse, c'est la condamnation de notre lâcheté ,
comme nous Talions voir dans la seconde partie.
tome xi. io
î^6 SUR LA PURIFICATION
DEUXIÈME PARTIE.
C'est un principe de foi, que la loi de Dieu,
quelque parfaite qu'elle puisse être , non-seule-
ment n'est point impossible , mais qu'elle n'est pas
même tellement élevée au-dessus de nous , que
nous avons droit de nous plaindre de sa difficulté,
et de nous en faire un prétexte pour justifier nos
lâchetés et nos infidélités. Mandatum hoc , quod
ego prœcipio tibi hodiè , non siiprà te est ,
nec procul positum , nec in cœlo situm , ut
possis dicere : Oui? nostrûm valet in cœlum
ascendere , ut déférât illud ad nos ( i ) î Le
commandement que je vous fais , disoit Dieu aux
Israélites , n'est ni au-dessus de vos forces , ni de
l'étendue de vos conditions ; en sorte que vous
puissiez dire : Qui de nous arrivera là ? et pour le
garder , il ne faut ni passer les mers , ni se retirer
dans les déserts et dans les solitudes , comme s'il
étoit bien éloigné de vous : Nec trans mare po-
situm , ut causeris et diras : Quis nostrûm
poterit transfretare (2) / Car c'est un comman-
dement, ajoutoit le Seigneur, que j'ai mis dans
vos mains , dans votre bouche et dans votre cœur :
dnns votre cœur, en vous le rendant aimable; dans
votre bouche , en vous faisant avouer qu'il est sou-
verainement juste ; et dans vos mains , en vous
donnant de puissans secours pour l'accomplir avec
facilité :Sed hixta te est , inoretuor et in corde
iw ' facias illud (o). Ainsi parloit le Dieu
(i; Dent. 3o. — (2) Ibid. — (3) Ibid.
DE LA VIERGE. i£j
d'Israël par l'organe de Moïse , en publiant une
loi qui néanmoins , comme nous le savons , étoit
une loi de crainte , une loi de rigueur et de ser-
vitude. Ou'auroit-il dit , c'est l'excellente réflexion
de saint Augustin , et que n'auroit-il pas pu dire,
s'il avoit été question de publier la loi évangélique
qui est une loi de grâce , une loi d'amour et de
liberté ?
Cependant, chrétiens, nous établissons un prin-
cipe tout contraire ; et pour avoir de quoi nous
défendre de toutes les accusations que cette sainte
et adorable loi formera contre nous un jour , ou
qu'elle forme déjà devant Dieu , nous l'accusons
elle-même de n'être pas assez proportionnée à
notre foiblesse; nous nous la figurons dans un degré
de sévérité où nous prétendons que nul de nous
ne peut atteindre ; et par une pusillanimité dont
nous voudrions la rendre responsable , nous disons
sans cesse comme l'Israélite prévaricateur.: Quis
in cœlum ascendet l Et qui est l'homme qui
pourra jamais parvenir à un point de sainteté si
sublime ? en un mot , nous nous persuadons que
cette loi, pour exiger trop de nous, est absolument
au-dessus de nous. Et pourquoi ? appliquez-vous
à ceci : parce qu'elle nous engage , disons-nous , à
nous dépouiller en miile occasions de ce que nous
avons de plus cher ; parce qu'elle contredit cer-
taines affections tendres de notre cœur , et qu'elle
nous oblige à les étouffer; parce qu'elle nous prive
de certaines joies, et de certaines douceurs de la
vie à quoi nous sommes attachés ; parce qu'elle
1^8 SUR LA PURIFICATION
nous ordonne de renoncer à un certain honneur
mondain dont nous nous piquons , et que souvent
elle nous réduit à paroître devant les hommes dans
des états très-humilians. Car voilà ce que nous con-
cevons de plus rigoureux dans la loi chrétienne ,
et où volontiers nous supposerions que notre fai-
blesse , secourue même de la grâce, ne peut s'éle-
ver. Mais envisageons aujourd'hui Marie; ettémoins
de sa fermeté et de sa constance , instruisons-nous
et confondons-nous. Car voici les importantes leçons
que nous pouvons tirer de la conduite de cette
Vierge , et que nous devons opposer aux senti-
mens lâches qui nous arrêtent : leçons qui nous
rendent sensibles les trois principales circonstances
de ce mystère , c'est-à-dire, le sacrifice que fait
Marie du bien le plus précieux pour elle , et le plus
cher , qui est son Fils ; le sacrifice qu'elle fait de
tontes les douceurs de la vie, en acceptant le glaive
de douleur dont Siméon lui prédit que son ame
sera percée; surtout le sacrifice qu'elle fait de son
honneur , en voulant paroître , comme les autres
femmes , impure et pécheresse , elle qui étoit l'in-
nocence et la pureté même. Ah ! chrétiens , que
n'ai-je le zèle des apôtres pour vous faire sentir ,
mais efficacement , mais vivement , toute la force
d'un si grand exemple !
Première leçon : Marie n'a qu'un fils , et pour
obéir à la loi , elle se résout à le sacrifier. Ce fils
qu'elle aimoit de l'amour le plus tendre, ce fils
qu'elle avoit conçu par miracles, ce fils en qui elle
possédoittous les trésors , elle l'offre dans le temple
DE LA VIERGE. îfa
de Jérusalem ; mais elle l'offre de la manière la
plus héroïque , sans condition et sans réserve ;
sachant les ordres rigoureux que le ciel a portés ,
et qui doivent un jour s'exécuter dans la personne,
de ce divin enfant; consentant déjà qu'il soit la vic-
time et le prix de la rédemption des hommes ;
renonçant pour cela à tous les sentiinens de son
cœur; et par un dernier effort de la pins généreuse
et de la plus rigoureuse obéissance , voulant bien que
ce fils ne soit plus à elle , qu'avec le triste , mais
l'indispensable engagement de le voir dans la suite
des années immolé sur la croix : voilà ce qu'il en a
coûté à Marie pour accomplir la loi. Or est-ce là ,
mes chers auditeurs , ce qu'il nous en doit coûter
à nous-mêmes ? Il est vrai, pour obéir à la loi de
Dieu , il nous en doit quelquefois coûter le sacri-
fice de ce que nous avons de plus cher; mais con-
fessons-le de bonne foi , et ne nous déguisons rien
à nous-mêmes : ce que nous avons alors de plus
cher , est-il assez considérable pour le faire tant
valoir à Dieu ? quelque cher qu'il nous soit , du
moment qu'il répugne à la loi de Dieu 7 n'est-ce
pas ce qui nous trouble ? n'est-ce pas ce qui nous
dérègle ? n'est-ce pas ce qui nous corrompt ? n'est-
ce pas ce qui nous décrie? et enfin n'est-ce pas
ce qui nous damne? Si la loi de Dieu nous retran-
che un mal aussi pernicieux que celui-là , avons-
nous sujet de nous en plaindre ; et la sainte violence
qu'elle nous fait en nous obligeant à un renonce-
ment si salutaire , doit-elle passer pour un excès
de rigueur ? Prenez garde , s'il vous plaît ; ceci
l5o SUR LA PURIFICATION
mérite «ne réflexion particulière. Dans cette sainte
solennité , Dieu nous dit comme à Marie, ou , si
vous voulez , comme à Abraham : Toile unige-
nituin tuuni que.m diligis , et offer illum mihi
in holocausîum (i) ; Sacrifie-moi ce premier né,
c'est-à-dire, cette passion dominante qui est dans
ton cœur. Cela nous semble dur ; mais en même
temps, faisant un retour sur nous, nous sommes
contraints d'avouer que cette passion dominante
est , par exemple , un attachement honteux qui nous
déshonore , un esclavage des sens qui nous abrutit ,
une loi de péché qui nous captive et qui nous ty-
rannise ; mais en même temps nous sommes forcés
de reconnoître que cet attachement dont nous nous
faisons une passion , n'est qu'une fascination d'es-
prit, qu'un ensorcellement de cœur, qu'une source
d'égaremensdans notre conduite, etdedéréglemens
dans nos affections et dans nos actions ; mais en
même temps l'expérience nous montre que cette
passion dont nous sommes possédés , n'a point
d'effet plus présent ni plus ordinaire que de rem-
plir notre ame de chagrins, de jalousies , de re-
mords, de désespoirs; que tandis que cette passion
nous dominera , nous n'aurons jamais de paix , ni
avec Dieu , ni avec nous-mêmes ; que notre cons-
cience , notre raison , notre foi s'élèveront toujours
contre elle; qu'elle nous exposera même à la cen-
sure du monde , et qu'ainsi le monde , tout cor-
rompu qu'il est , préviendra par son jugement, le
jugement terrible de Dieu que nous avons à craindre ;
(i) Gcncs. 22.
DE LA VIERGE. l5l
en un mot, nous sentons bien que cette passion ,
avec ses prétendus charmes , du moment que nous
nous y sommes livrés, est comme un démon qui
s'est emparé de nous , et qui , malgré nous , nous
fait trouver dans nous-mêmes une espèce d'enfer.
Or cela étant , quelle plainte avons-nous droit de
former contre la loi de Dieu ? et quand il nous dit :
Toile ; Délivre-toi, chrétien, de cet enfer, sors
de cet esclavage , arrache cette passion de ton cœur ;
pouvons-nous lui répondre : Seigneur , vous m'en
demandez trop ?
Ah ! mes frères, reprend saint Ghrysostôme , si
Dieu en usoit avec nous dans toute l'étendue de
sa puissance , et que , sans nul égard au plus
et au moins de ce qu'il nous en peut coûter, mesu-
rant les choses par la seule règle de ce qui lui est
du , il nous commandât de lui sacrifier nos incli-
nations même les plus innocentes et les plus légi-
times. S'il disoit à l'un : Descends de cet état de
grandeur qui te distingue dans le monde ; à l'autre:
Dépouille-toi de ces biens que tu as si justement
acquis; à celui-ci: Oublie cet enfant qui est l'espé-
rance de ta maison ; à celui-là : Romps ce com-
merce, quoiqu'honnête, que tu entretiens avec cet
ami, et qui fait la douceur de ta vie : si Dieu ,
dis-je, nousparloit de la sorte, nous n'aurions rien
à répliquer; et pour le seul respect de sa loi , nous
devrions être disposés à tout. Amitié , grandeur ,
intérêts , famille , il faudroit abandonner tout :
pourquoi? parce qu'en matière de loi , dit Ter-
tullien , mais particulièrement de loi divine, l'an-
l5-2 SUR LA PURIFICATION
torité de celui qui commande, ne doit point être
mise en comparaison avec l'utilité de celui qui
obéit. Mais Dieu , mes chers auditeurs , tient à notre
égard une conduite bien différente , et par une
condescendance digne de lui , il ne nous fait point
de loi qui ne nous soit avantageuse. Que nous dit-il?
Sacrifie-moi , chrétien , ce qui te nuit, ce qui te
perd , ce qui te damne ; car tout le reste , je le
laisse à ton pouvoir ; possède ces biens dont je t'ai
pourvus , mais défais-toi de cet amour criminel ,
qui seroit le principe de ta réprobation ; mets-moi
au-dessus de cet ennemi que tu nourris dans ton
sein, et qui t'éloigneroit de la voie du salut; quitte
ce péché dont tu t'es fait une habitude, et qui,
par les dégoûts et les amertumes dont il est mêlé ,
te fait bien payer par avance les faux plaisirs que tu
y goûtes. \oilà comment Dieu nous traite plutôt en
père qu'en souverain et en législateur : et ne som-
mes-nous pas inexcusables si , pour autoriser nos
lâchetés , nous osons encore alléguer que le joug de
sa loi est dur et pesant ?
Il est dur de renoncer à ce qu'on a de plus cher;
mais moi je soutiens que cela n'est dur , que parce
qu'il ne nous plaît pas de nous l'adoucir par les
grands et puissans motifs que Marie se proposa
dans la présentation du Sauveur. Car, comme re-
marque saint Bernard , ce qui rendit à Marie l'ac-
complissement de cette loi , je ne dis pas suppor-
table , mais aimable , ce fut la vue qu'elle eut ,
qu'en présentant son fils , elle le sacrifioit à Dieu ,
elle fléchissoit la colère et la justice de Dieu, elïe
DE LA VIERGE. l53
s'acquittoit elle-même des obligations infinies qu'elle
avoit à Dieu , elle attiroit sut elle et sur nous les
faveurs de Dieu ; voilà ce qui l'anima , et ce qui
lui fit surmonter cette tendresse maternelle qui s'op-
posoit à son sacrifice. Or à qui tient-il que nous
n'agissions dans les mêmes vues ; et que dans la né-
cessité où nous nous trouvons quelquefois d'accom-
plir un précepte qui combat la nature et à quoi
elle répugne , nous ne nous soutenions par ces
pensées : Ii est vrai que ce qu'on me demande et
ce qu'il faut que je sacrifie, c'est ce que j'aime
uniquement ; mais par là je donnerai à Dieu ce
qu'il attend de moi ; mais par là je montrerai à
Dieu que je veux reconnoître ses dons et les grâces
qu'il a répandues sur moi ; mais par là j'apaiserai
Dieu justement courroucé contre moi ; mais parla ,
tout pécheur que je suis , j'engagerai Dieu à avoir
compassion de moi; mais par là je me rendrai Dieu
propice , je le mettrai dans mes intérêts , je le por-
terai à user de miséricorde envers moi. Au lieu que
cette passion a fait jusques à présent tout mon dé-
sordre , du moment que je la sacrifierai , elle fera
devant Dieu tout mon mérite ? Si nous avions ces
motifs présens à l'esprit , quel précepte nous pa-
roîtroit rigoureux ? et si pour ne nous pas aider de
ces motifs , la loi nous devient pénible , devons-nous
nous en prendre à d'autres qu'à nous-mêmes ? Il
est dur de sacrifier sans condition et sans réserve
ce que l'on aime : mais moi je prétends qu'on le
fait bien tous les jours pour obéir aux lois du monde»
Car pour satisfaire à certaines lois du monde , que
|54 SUR LA PURIFICATION
n'abandonne-t-on pas, et de quoi ne se prive-ton
pas ? Vous me direz que les lois du monde ne vont
pas jusqu'au sacrifice du coeur: et n'est ce pas pour
cela même , répond saint Ambroise , qu'elles sont
plus dures, en nous obligeant à sacrifier tout,
tandis que le cœur n'y consent pas et qu'il y con-
tredit ; au lieu que la loi de Dieu ne nous oblige à
rien à quoi elle ne dispose notre cœur , jusqu'à
nous en faire aimer la difficulté ?
Seconde leçon: Pour garder la loi de Dieu , il
y a des douceurs dans la vie, dont il faut se passer ;
et c'est encore ce qui effraie notre amour-propre.
Car quelque disposition que l'on ait à vivre dans
l'ordre , on se propose toujours, en vivant ainsi,
tin certain état de douceur; et souvent même c'est
cette douceur que l'on cherche , en se réduisant à
l'or ire : et un des foibles les plus ordinaires delà
piété , est de se rebuter de l'ordre , dès qu'on n'y
trouve pas cette douceur. Mais Marie nous apprend
bien aujourd'hui à nous préserver de cet écueil :
pour accomplir la loi du Seigneur, cette Vierge
incomparable sacrifie toutes les joies de son ame.
Je m'explique. Elle sait bien que ce qu'elle va faire,
en présentant Jésus-Christ, doit être pour elle une
source de douleur ; elle voit déjà Siméon qui lui
montre le glaive dont elle sera per< ée ; elle entend
l'oracle du ciel qui lui est annoncé par ce saint
vieillard, et elle n'ignore pa^ que la prédiction
qu'il lui fait est le commencemi ntde son martyre.
Il n'importe : le zèle delà loi presse, elle entre dans
le temple , elle paroît devant Siméon , elle lui met
DE LA VIERGE. 1 55
son fils entre les bras ; et par ces paroles prophé-
tiques : Tuam ipsius animam pertransibit gla-
dius (i) , elle reçoit de lui le coup mortel. Car
ne pensez pas qu'elle n'en ait senti l'effet qu'au
Calvaire , lorsqu'elle assista au crucifiement de
son fils. Tout ce qu'elle doit souffrir alors , elle le
souffre dès aujourd'hui , et dès aujourd'hui elle peut
dire qu'elle est attachée à la croix. Mais pourquoi
faut-il qu'en obéissant à la loi , elle endure ce
martyre douloureux ? Ah ! chrétiens , parce qu'elle
étoit prédestinée pour nous enseigner cette grande
vérité , que là où il s'agit de la loi de Dieu , il n'y
a ni plaisir, ni douceur de la vie à ménager. Or
en voici la preuve authentique ; car si des joies
aussi saintes et aussi pures que les siennes , ont dû
être sacrifiées, il n'est pas juste, dit saint Bernard ,
que nous épargnions les nôtres , qui sent vaines ,
qui sont toutes profanes, qui nous dissipent, et
qui nous font perdre l'esprit de Dieu. Et si la mère
de Dieu, qui, par excellence entre toutes les
femmes , étoit bienheureuse , a néanmoins consenti ,
en se soumettant à la loi , d'être la plus affligée ,
nous ne devons pas si aisément nous rebuter de
cette divine loi , pour quelques peines qu'il y a à
supporter en l'observant. Mais le moyen , direz-
vous , de mener une vie insipide et ennuyeuse ? car
voilà le spécieux prétexte, dont se couvre la lâcheté
de tant d'ames mondaines , quand on leur parle
d'une soumission parfaite à la loi de Dieu ; le moyen
de soutenir cet état ? Mais , mon cher auditeur ,
(0 Luc. 2.
l56 SUR LA PURIFICATION
comment le soutenez-vous tous les jours , dans les
engagemens malheureux que vous avez avec le
monde ? comment le soutenez-vous dans la dépen-
dance servile où vous vous réduisez pour suivre
toutes les volontés et tous les caprices d'un homme
dont vous cherchez la faveur ? comment le soute-
nez-vous , quand votre ambition ou votre cupidité
vous le commande ? Si vous agissiez par l'esprit
de lafoi, je vous dirois que la grâce, qui est toute
puissante , saura bien vous adoucir cet ennui que
vous craignez. Si vous connoissiez le don de Dieu,
vous confesseriez que ces joies courtes et passagères
auxquelles on renonce pour Dieu , sont abondam-
ment compensées par des consolations bien plus
solides et bien plus propres à remplir la capacité
de votre cœur. Et si au défaut de toute autre con-
sidération , vous vouliez vous souvenir des désordres
où vous avez vécu , vous vous estimeriez heureux
de trouver dans cet ennui et dans cet éloignement
des fausses joies du monde , de quoi faire péni-
tence ; et cette pénitence , quoique secrète et ca-
chée , surpasseroit en mérite toutes ces pénitences
et ces réformes d'éclat, que la vanité quelquefois
soutient plus que la religion. Quoi qu'il en soit ,
je vous dis qu'il est indigne que , sur un devoir
aussi important que l'observation de la loi de Dieu ,
vous apportiez une excuse aussi frivole que l'est
cet ennui prétendu qui vous y paroît attaché.
- Troisième et dernière leçon : Marie , pour obéir
à la loi , sacrifie jusqu'à son propre honneur, puis-
qu'en se purifiant elle paroît de môme condition
DE LA VIERGE. iSj
que les autres femmes. Ainsi l'éclat de sa virginité
est obscurci ; de cette virginité dont elle avoitété
si jalouse dans le mystère de l'incarnation ; de cette
virginité dont la gloire est de briller au dehors , et
de ne pas laisser voir la moindre tache. Elle con-
sent à en perdre la réputation et le nom ; et de
toutes les humiliations, voilà , j'ose le dire , la plus
difficile à soutenir : d'être pure devant Dieu comme
le soleil , et de paroître impure aux yeux des
hommes ; tel est néanmoins le sacrifice que fait la
plus sainte de toutes les vierges : pourquoi ? afin
de ne pas manquer à la loi. Or cette loi de Dieu ,
mes chers auditeurs , ne nous oblige à rien de si
humiliant. Elle veut que nous paroissions ce que
nous sommes ; qu'étant essentiellement soumis au
souverain domaine de Dieu , nous ne rougissions
point des services qu'il exige de nous etdes hommages
que nous devons lui rendre; surtout, qu'étant vé-
ritablement impurs et pécheurs, nous n'ayons pas
honte des pratiques de la pénitence, qui doivent
servir à nous laver , à nous réconcilier , à nous
acquitter auprès de la justice divine. Mais que
faisons-nous ? par le plus étrange renversement ,
nous voulons être pécheurs et paroître justes. Marie
abandonne les apparences , pourvu qu'elle stit du
reste assurée de conserver le trésor de sa virginité :
et vous , souvent peu en peine de la chose même ,
vous ne cherchez qu'à sauver les apparences. Du
moins , n'est-ce pas précisément alors le faux hon-
neur du monde qui vous fait garder la loi de Dieu ?
Mais en combien d'autres occasions cette adorable
î58 SUR LA PURIFICATION
loi est-elle sacrifiée ? parce qu'on vent s'élever et
tenir un certain rang , on viole toutes les lois de
l'équité et de la justice , on opprime le foible , on
trompe le simple , on forme mille intrigues contre des
égaux et des concurrens : on emploie contre eux le
crédit, l'artifice, la médisance, la calomnie, et sur
leur ruine on établit sa fortune et les fonde mens de sa
grandeur. Parce qu'on est prévenu de cette damnable
maxime, qu'en matière d'injure , il faut avoir raison
de tout , et qu'autrement on est sans honneur ;
malgré la loi la plus authentique et la plus expresse ,
qui nous ordonne de pardonner, quels ressenti-
mens ne conserve-t-on pas ? quels desseins ne con-
çoit-on pas ? à quelles extrémités et à quelles ven-
geances ne se porte- t-on pas ? On ne veut point
entendre parler d'accommodement, on exige pour
une offense assez légère, dont on se fait un monstre,
des satisfactions infinies ; ou , pour mieux dire ,
on ne sera jamais satisfait qu'on n'ait vu périr cet
homme de qui l'on se croit ofîénsé , et que l'on ne
Tait perdu. Parce qu'on craint la raillerie, et qu'on
s'y exposeroit en se distinguant des autres , tout
instruit qu'on est de la loi , tout disposé qu'on
est à l'observer, on se laisse aller au torrent,
engager par l'exemple , dominer par le respect
humain ; et au lieu de mettre sa gloire à servir
Dieu , on la met à le déshonorer et à l'outrager.
Ah ! mon Dieu, faudra-t-il donc que pour un fan-
tome d'honneur qui nous séduit, tous vos droits
vous soient refusés, qu'on trahisse tous vos intérêts,
qu'on renverse tous vos desseins , qu'on s'oppose
DE LA VIERGE, 1 59
à tontes vos volontés , qu'on méprise et qu'on,
foule aux pieds toutes vos lois ? Et vous, ô hommes !
ne comprendrez-vous jamais en quoi consiste votre
véritable grandeur ? que c'est à dépendre du pre-
mier de tous les maîtres , à vous attacher inviola-
blement à lui, à vous approcher continuellement
de lui , à combattre généreusement pour lui , à vous
rendre grands devant lui , à vous attirer son estime ,
et à mériter ses faveurs: tout cela par où ? par l'ac-
complissement de sa loi ?
C'est , Sire , ce que votre majesté a si bien com-
pris ; c'est de cette loi de Dieu que vous faites
gloire d'être le défenseur et le vengeur. Avoir fait
des prodiges dans la guerre , vous être rendu l'ar-
bitre de la paix , l'avoir donnée à toute l'Europe
aux conditions qu'il vous a plu, avoir forcé , par la
seule crainte de votre nom, toutes les puissances
à la recevoir , vous être surmonté vous-même , en
arrêtant le cours de vos conquêtes, ce sont , Sire ,
des éloges à quoi la flatterie n'a point de part, que
l'envie même ne peut vous disputer , que vos en-
nemis , malgré eux , ont publiés aussi hautement
que nous , et dont votre modestie commence à être
fatiguée. Il y a, Sire , une autre gloire d'autant plus
solide , que l'objet en est plus saint ; une gloire
qu'un roi très-chrétien ne peut acquérir que par
son zèle pour la loi du Seigneur, et c'est ce que
Dieu vous réservoit pour mettre le comble à votre
auguste destinée. Ces saintes ordonnances contre
le duel, que votre majesté vient de renouveler, et
pour l'exécution desquelles vous vous êtes fait une
j€o sur la purification
religion , si j'ose ainsi m'exprimer , de n'être presque
plus maître de vos grâces ; ces déclarations qui
sortent chaque jour de votre conseil , si avanta-
geuses à l'Eglise, et si sages pour contenir l'hérésie
dans les bornes que les édits de vos ancêtres lui
ont prescrites; ces tribunaux érigés pour exter-
miner le libertinage et le vice , ce sont autant de
preuves, et de preuves authentiques du zèle qui
vous anime. Il y avoit dans la France des monstres
cachés , et votre majesté est le héros que Dieu a
suscité pour les étouffer et les écraser. Le sacrilège,
l'impiété , l'homicide , suites funestes , mais infail-
libles de la débauche et de la licence des mœurs,
se répandoient dans le monde; et c'est à vous,
Sire, que le monde sera redevable d'en être purgé.
Il falloit un monarque aussi puissant, aussi éclairé,
aussi religieux que vous , pour prendre ainsi la
cause de Dieu en main; pour faire de la loi de
Dieu votre propre loi, et pour être le restaurateur
du bon ordre et de la sûreté publique. Vous sou-
tiendrez , Sire , votre ouvrage ; vous y emploierez
toute votre autorité ; et par votre autorité royale ,
vous y mettrez la dernière perfection. Autrefois
l'irréligion , la profanation des choses saintes , les
juremens, les blasphèmes régnoient à la cour; mais
ils y sont devenus des noms odieux , parce que
votre majesté les a proscrits. Que ne peut-elle point
encore contre d'autres désordres ? et que doit-elle
omettre de tout ce qu'elle peut pour les abolir?
Yoilà , Sire , comment vous serez fidèle à la loi du
souverain Maître qui vous a placé sur le trône , et
DE LA VIERGE. l6t
fait part de son pouvoir pour la défendre : voilà
ce qu'elle attend de vous. Mais autant que vous se-
rez fidèle à la loi de Dieu , autant cette sainte loi
vous sera-t-elle , selon l'expression du Sage, fidèle
elle-même : Et leoc illi fidelis (i). Elle conduira
vos pas , elle dirigera vos conseils, elle réglera vos
entreprises , elle attirera sur votre personne sacrée
toutes les bénédictions du ciel, et elle vous fera
enfin mériter la couronne immortelle que je vous
souhaite , etc.
(1) Eccli. 53.
TOME Xï. II
•?<r*
DEUXIEME SERMON
SUR
LA PURIFICATION DE LA VIERGE.
Postquàrn împleti sunt dies pargationis ejas secundùni
îegem Moysi, tuleraut illum in Jérusalem, ut sislerenS
euni Domino.
Le temps de la purification de Marie étant accompli
selon la loi de Moïse , ils portèrent l'enfant à Jérusa-
lem , pour le présenter au Seigneur. En saint Lue ,
chap. 2.
Sire
Ce sont les deux mystères que célèbre l'Eglise, et
qui partagent, pour ainsi dire, cette auguste so-
lennité , la purification de Marie et la présentation
de Jésus-Christ ; mystères vénérables où nous dé-
couvrons ce qu'il y a dans notre religion , non-
seulement de plus sublime et de plus divin, mais
de plus édifiant et de plus touchant. Un homme-
Dieu offert à Dieu , le Saint des saints consacré au
Seigneur , le souverain Prêtre de la nouvelle alliance
dans un état de victime, le Rédempteur du inonde
racheté lui-même , une vierge purifiée et une mère
enfin immolant son fils; quels prodiges dans l'ordre
de la grâce ! Yoilà ce que le Prophète avoit prédit,
©u plutôt, voilà ce que le Dieu d'Israël, par la
SUR LA PURIFICATION DE LA VIERGE. l63
bouche de son Prophète , avoit promis aux Juifs ,
lorsqu'il leur disoit : J'enverrai devant moi mon
ambassadeur (c'étoit Jean-Baptiste, le précurseur
de Jésus-Christ;) il me préparera la voie, il vous
annoncera ma venue ; aussitôt le Messie que vous
attendez, cet Ange du nouveau testament, et ce
Sauveur que vous demandez depuis si long-temps
et avec tant d'instance , entrera dans son temple ,
et y sera présenté comme le prix et le gage de votre
rédemption : Et staùm venlet in templum suum
Dominator quem vos quœritis , et Angélus tes-
tamenti quem vos vultis (i).Il y entre en effet,
chrétiens , il y est aujourd'hui porté , il y est sacri-
fié , et c'est à nous à profiter de son exemple pour
notre instruction et pour la réformation de nos
mœurs. Car ce n'est point seulement à la lettre que
nous devons nous en tenir, comme les Juifs, mais
il faut passer jusqu'à l'esprit; ce n'est point inutile-
ment ni dans une vide spéculation que nous devons
considérer ces grands mystères, mais en chrétiens,
et avejc tous les fruits de sainteté qu'ils peuvent
produire dans nos cœurs. Implorons pour cela le
secours du ciel par l'intercession de Marie. Ave ,
Maria.
Ce n'est pas sans sujet , chrétiens , que le saint
pontife Siméon , prenant aujourd'hui le Sauveur
entre ses bras , l'appelle la lumière du monde ,
et l'adore comme le Messie destiné à éclairer toutes
les nations de la terre : Lumen ad revelationem
(1) Malach. S.
l64 SUR LA FTJRIFICATION
gentium(\). Car je puis dire qu'une des grâces
particulières du mystère de ce jour, est de répandre
la lumière dans nos esprits, et de nous donner deux
connoissances qui font l'une et l'autre toute la science
des saints. Je m'explique, et je prétends que dans
la présentation de Jésus-Christ, nous apprenons
tout à la fois , et à connoître Dieu, et à nous con-
ïioître nous-mêmes : deux choses souverainement
nécessaires , deux choses dans l'ignorance desquelles
le monde avoit toujours vécu, deux choses d'où
dépendoit la perfection , le salut et le bonheur des
hommes; mais deux choses que l'homme-Dieu pou-
voit seul parfaitement nous enseigner. Que je me
connoisse , Seigneur, disoit saint Augustin , et que
je vousconnoisse : que je vous connoisse pour vous
aimer, et que je me connoisse pour me haïr : avec
cela je renonce à toute autre connoissance , et sans
rien savoir de plus , je crois tout savoir : Domine,
noverim te , noverim me. Or il me semble , chré-
tiens, que c'est surtout au mystère que nous cé-
lébrons , qu'étoient attachées ces deux connois-
sances. Car pour vous expliquer mon dessein , je
vais vous montrer dans les deux parties de ce dis-
cours, que nul autre mystère n'est plus propre à
nous faire comprendre tout à la fois, et ce que
c'est que Dieu, et ce que c'est que l'homme; ce
que c'est que Dieu, et ce qui lui est dû; ce que
c'est que l'homme, et ce qu'il se doit à lui-même.
Cet enfant que Marie oflre dans le temple , et dont
Siméon fait l'éloge , nous apprend également l'un
(1) Luc. a.
DE LA VIERGE. lG5
et l'autre ; et s'il est exposé à la vue de tous les
peuples : Ante facitm omnium popidorum (i),
ce n'est que pour instruire tous les peuples de ces
deux points essentiels , et sur quoi roule toute la
religion. Tachons à les bien concevoir ; et fortifiés
des lumières abondantes dont le bienheureux Si-
méon se trouva comme investi, quand il vit l'au-
teur et le réparateur de son salut, remplissons-
nous de la science de Dieu et de la science de nous-
mêmes. Jésus-Christ dévoué et consacré au Sei-
gneur, nous donnera la science de Dieu ; ce sera
la première partie. Jésus-Christ offert et immolé
pour nous , nous donnera la science de nous-
mêmes ; et ce sera la seconde partie. Vous voyez
l'importance du sujet ; commençons.
PREMIÈRE PARTIE.
Connoître Dieu dans lui-même, c'est le privilège
de la gloire et de l'état des bienheureux : le con-
noître dans ses oeuvres et par rapport à nous, c'est
l'avantage de la foi, et ce qui sanctifie les hommes
sur la terre. Connoître Dieu comme souverain Sei-
gneur , comme premier principe et dernière fin ,
comme l'être par excellence de qui relèvent tous les
êtres, et de qui ils dépendent essentiellement; le
connoître comme source de tous les biens; comme
celui , dit l'Ecriture, qui protège , qui sauve, qui
vivifie , et d'où procède toute grâce et tout don
parfait; le connoître comme vengeur du péché,
comme Saint des saints, qui sait punir le péché
(i) Luc. 2.
l66 SUR LA PURIFICATION
autant que le péché est punissable ; en un mot , le
connoître dans l'étendue de ces trois divins attri-
buts que nous distinguons, mais qui sont en eux-
mêmes indivisibles, savoir, dans l'étendue de sa
grandeur, de sa bonté et de sa justice : voilà , dit
l'ange de l'école, saint Thomas, ce qui s'appelle
pour nous dans la vie , la science de Dieu , et ce
que Thomme chrétien doit continuellement étudier,
s'il veut s'acquitter envers Dieu des trois plus im-
portans devoirs que la religion lui impose. Devoir
de dépendance, devoir de reconnoissance , et sup-
posé que Dieu soit offensé, devoir de pénitence.
Or ce sont justement, mes chers auditeurs, les
trois idées que le Sauveur du monde a voulu im-
primer dans nos esprits , en nous mettant devant
les 3'eux , l'oblation adorable de sa personne dans
le temple de Jérusalem. Ceci mérite toute votre
attention.
C'est Jésus-Christ, fils de Marie , qui est pré-
senté à Dieu : et pourquoi? pour honorer la souve-
raineté infinie de Dieu : Sanctifica tnihi omne
primo genitum tain de hùminibus , qiiam de ju-
ment is ; mea en'un sunt omnia (i); Que chaque
premier né me soit offert , disoit Dieu au législateur
Moïse j dans le chapitre treizième de 1 Exode. Pesez ,
s'il vous plaît, ces paroles, qui font le sujet prin-
cipal de cette fête, et qui contiennent en substance
l'instruction solide et touchante que j'en vais tirer:
Que chaque premier né me soit offert, parce que
toutes choses m'appartiennent , et que , sans excep-
(i) Exod. i3.
DE LA VIERGE. 167
tion, je suis le Seigneur absolu de toutes les créa-
tures. Ainsi Dieu usant de ses droits , et se faisant
connoître pour ce qu'il étoit, l'ordonnoit aux Is-
raélites. Telle étoit la fin de la loi. C'étoit pour
cela que les mères portoient à l'autel ce qu'elles
avoient de plus cher, leurs aînés et le premier fruit
de leur fécondité. C'étoit par là qu'elles rendoient
hommage à ce suprême empire que Dieu exerce „
et qu'il ne convient qu'à lui seul d'exercer dans l'uni-
vers : Ego Dominus , et non est alius (1) ; C'est
moi qui suis le Seigneur , et il n'y en a point d'autre
que moi. Tel étoit, dis-je , l'esprit de cette sainte
et divine loi que Moïse avoit publiée , et qui se ter-
minoit à protester par une cérémonie solennelle ,
que tout étoit à Dieu , de Dieu , et pour Dieu ; à
Dieu , en qualité de souverain ; de Dieu , en qualité
de principe; et pour Dieu, en qualité de fin der-
nière : Me a enim sunt omnia. Mais il falloit que
la loi de grâce relevât encore cette cérémonie, et
lui donnât toute sa perfection : il falloit pour ho-
norer cet empire de Dieu autant qu'il devoit l'être,
un premier né d'un ordre et d'un mérite supérieur
à tous ceux qui jusqu'alors avoient été présentés.
Il n'y avoit que Jésus-Christ , qui, offert par Marie,
et s'ofïrant lui-même , pût dignement et parfaite-
ment remplir la mesure de ce devoir : pourquoi ?
saint Jean Chrysostôme en apporte deux excellentes
raisons. Premièrement , parce qu'en conséquence
de sa prédestination éternelle, il étoit le premier
né de toutes les créatures; auguste et éminente pré-
(1) Isaïe. 45.
jG8 sur la purification
rogative que lui attribue saint Paul : Primo genitus
omnis creaturœ (i). Secondement, parce qu'étant
Dieu et homme tout à la fois , la présentation de
sa personne étoit un hommage, non -seulement
cligne de Dieu, mais proportionné et égal à la ma-
jesté de Dieu : Non rapinam arbitratus est esse
se œqualem Deo (2). Je m'explique. Dieu vouloit
que dans chaque famille le premier né lui fût voué,
pour lui répondre de tous les autres , et pour être
comme un otage de la dépendance où dévoient
vivre tous les autres , représentés par celui-ci qui
étoit leur chef. Mais chacun de ces premiers nés
n'étant chef que de sa maison , et la loi dont je
parle n'obligeant que les enfans d'Israël , il n'en
pouvoit revenir à Dieu qu'un honneur borné et li-
mité. Que fait Dieu ? il choisit dans la plénitude des
temps un homme , chef de tous les hommes , dont
l'oblation lui est comme un tribut universel pour
toutes les nations et pour tous les peuples ; un
liomme qui nous représente tous , et qui , faisant à
notre égard l'office d'aîné, répond à Dieu de lui et
de nous , à moins que nous n'ayons l'audace de le
désavouer , et que nous ne soyons assez aveugles
pour nous détacher de lui ; un homme , dit le grand
Apôtre, dans qui tous les êtres réunis, rendent au-
jourd'hui à Dieu le devoir de leur soumission , et
qui , par son obéissance , remet sous l'empire de
Dieu tout ce que le péché en avoit soustrait. Car
c'est ce que le Saint-Esprit a voulu nous exprimer
dans ces admirables paroles de l'épître aux Ephé-
(1) Colos. 1, — (2) Philip. 2.
DE LA VIERGE. lGg
siens : Jnstaurare omnia in Christo (i); et c'est
aussi sur quoi est fondé ce droit d'aînesse que Jé-
sus-Christ devoit avoir au-dessus de toute créature :
Primo genitus omnis créatures (2).
Je dis plus; toutes les créatures, prises même
ensemble , n'ayant nulle proportion avec l'être de
Dieu , et , comme parle Isaïe , toutes les nations n'é-
tant devant Dieu qu'une goutte d'eau , ou qu'un
atome et qu'un néant , quelque effort qu'elles fissent
pour témoigner à Dieu leur dépendance , Dieu ne
pouvoit être pleinement honoré par elles; et dans
le culte qu'il en recevoit, il restoit toujours un vide
infini , que tous les sacrifices du monde n'étoient
pas capables de remplir. Il falloit un sujet aussi
grand que Dieu , et qui, par le plus étonnant de
tous les miracles, possédant d'un côté la souve-
raineté de l'être , et de l'autre se mettant en état
d'être immolé , pût dire , mais dans la rigueur , qu'il
offroit à Dieu un sacrifice aussi excellent que Dieu
même, et qu'il soumettoit dans sa personne , non
point de viles créatures, non point des esclaves ,
mais le Créateur et le Seigneur même. Or c'est ce
que fait aujourd'hui le Fils de Dieu. Sacrificium
et oblationem noluisti , holocaustum et propec-
cato non postula vti ; tune dioci : Ecce venio (ô) ;
Vous n'avez plus voulu , ô mon Dieu ! d'oblation
ni d'hostie ; les sacrifices de l'ancienne loi ont cessé
de vous agréer : c'est pourquoi j'ai dit : Me voici ,
je viens, je me présente à vous. Car c'est à la per-
sonne du Sauveur que conviennent littéralement
(1) Ephès. 1. — (2) Colos. 1. — (3) Psalm. 3g.
170 SUR LA PURIFICATION
ces paroles du Prophète royal, et c'est dans le
temple de Jérusalem qu'elles furent authentique-
ment vérifiées, puisque ce fut là que cet homme-
Dieu, abolissant les anciens holocaustes pour en
établir un nouveau , vint lui-même s'offrir à son
Père , se consacra , se dévoua solennellement, entra
dans le sanctuaire, non plus, dit l'Apôtre , avec le
sang des boucs et des taureaux, mais avec son
propre sang : c'est-à-dire , honora Dieu , non plus
par des sujets étrangers , mais par lui-même et aux
dépens de lui-même ; et par cette unique oblation ,
donna pour jamais à ceux qui dévoient être sancti-
fiés , une idée parfaite du vrai culte qui est dû au
Dieu vivant : Uiid oblatione consummavit in
sempiternum sanctificatos (i). Yoilà donc, mes
chers auditeurs , ce que nous inspire le mystère de
ce jour; un sentiment profond et respectueux de
la souveraineté de Dieu ; un attachement inviolable
à ce premier devoir de religion , qui est l'obéissance
et la soumission à Dieu ; une disposition à se sa-
crifier, et, s'il étoit possible, à s'anéantir pour
reconnoitre , comme Jésus-Christ , l'empire de
Dieu.
Or, de là même concluez et jugez quel est le dé-
sordre de l'homme, qui, par une propriété insé-
parable de son être , de quelque condition d'ailleurs
qu'il soit, étant né sujet de Dieu, vit néanmoins ,
à l'égard de Dieu , dans une espèce d'indépen-
dance d'autant plus criminelle que , bien loin d'en
rougir , il semble encore souvent s'en glorilier. In-
(1) Hebr. 10.
DE LA VIERGE. I71
dépendance de Dieu, péché capital des grands du
monde , dont le caractère le plus commun est de
vivre comme s'ils n'étoient nés que pour eux-mêmes,
et qui , par un renversement de principes , usant
du monde, ou plutôt en jouissant, comme si le
monde ne subsistoit que pour eux , rapportent tout
à eux , au lieu que tout doit être rapporté à Dieu.
Indépendance de Dieu , d'où il arrive que dans
leurs entreprises , Dieu n'est pas même consulté ;
que sa loi n'est jamais un obstacle à leurs injustes
desseins ; que leur politique est la seule règle de
leurs plus importantes actions , pendant que la cons-
cience n'est écoutée et ne décide que sur les moin-
dres ; que ce qui s'appelle leur intérêt, n'est jamais
pesé dans la balance de ce jugement redoutable ,
où eux-mêmes néanmoins doivent l'être un jour ,
comme si leurs intérêts étoient quelque chose de
plus privilégié qu'eux-mêmes , comme si leur poli-
tique pouvoit prescrire contre la loi de Dieu, qui
est éternelle , comme si la conscience n'étoit un lien
que pour les âmes vulgaires , comme s'il y avoit des
hommes affranchis par leur état, de la suprême do-
mination du Seigneur de toutes choses. Indépen-
dance de Dieu, souvent accompagnée d'illusion et
d'erreur; en sorte que ces esprits mondains pro-
fessant au dehors la religion , ne laissent pas d'en
être secrètement les déserteurs; ne s'y assujettissent
qu'autant qu'il leur plaît, l'interprètent selon leur
sens, l'accommodent à leurs passions ; et au lieu de
régler par elle leur ambition , leurs désirs , leurs
vues , la font toujours servir à leurs vues , à leurs
172 SUR LA PURIFICATION
désirs , à leur ambition. Indépendance de Dieu qui
vient, dans les uns, d'un oubli général de leurs
devoirs , dans les autres d'un excès d'amour-propre ;
dans ceux-ci , d'un esprit d'orgueil , dans ceux-là ,
d'un fonds de libertinage et d'impiété : quatre sources
du désordre que je combats. Oubli général de leurs
devoirs , lorsque dissipés et emportés par le torrent
du siècle , enflés de leurs succès et plongés dans le
plaisir , ils ne se souviennent plus enfin qu'ils ont
un maître , un législateur , un juge , tellement que
le respect et la crainte de Dieu s'effacent à mesure
que le monde les possède , et qu'il ne leur reste plus
qu'une foi morte , incapable de les toucher, beau-
coup moins de les contenir dans l'ordre d'une obéis-
sance exacte et fidèle. Excès d'amour-propre lors-
qu'à force de s'aimer , de se flatter , de se recher-
cher et de se satisfaire , ils se font d'eux-mêmes
leurs idoles ; qu'ils se regardent eux-mêmes comme
leur lin, et que dans l'usage de la vie, toujours oc-
cupés d'eux-mêmes, toujours pleins d'eux-mêmes,
toujours attachés et bornés à eux-mêmes, ils de-
viennent insensibles , non-seulement pour tout ce
qui est hors d'eux-mêmes , mais pour le Dieu qui
les a créés , et dont la supériorité leur paroît gê-
nante et incommode. Esprit d'orgueil , lorsqu'à
l'exemple de ce roi infidèle dont parle l'Ecriture,
ils disent au moins dans leur coeur : Qui s est Do-
minus ut audiam vocem rjus («)•'' Et quel est
ce Seigneur dont on me menace sans cesse? qu'ils
méprisent sa voix , qu'ils rejettent ses grâces et ses
(1) Ejod. 5.
DE LA VIERGE. 1^5
inspirations , qu'ils violent avec impunité ses eom-
mandemens et ses lois , qu'ils lui résistent en face ,
et qu'ils portent l'obstination et l'endurcissement jus-
qu'à lui pouvoir être rebelles sans cesser d'être tran-
quilles. Fonds de libertinage et d'impiété , lorsque
livrés à leurs erreurs, et au sens réprouvé qui les
aveugle , ils passent jusqu'au raisonnement de l'in-
sensé : Y a-t-il un Dieu ? s'il y en a un , est-il tel
qu'on nous le figure ? connoît-il toutes choses? y
prend-il un intérêt si grand? a-t-il une providence
aussi exacte et aussi sévère que celle dont on veut
que nous dépendions ? Et dixerunt : Quomodô
scit Deus , et si est scientia in Excelso (i)/
Car voilà , chrétiens , où conduit peu à peu l'esprit
du monde.
Or à tout cela , Dieu a voulu par son infinie mi-
séricorde opposer dans la personne de son Fils, un
exemple sensible, un exemple convaincant , et à
quoi nous n'eussions rien à répliquer. Car si dans
l'ordre des décrets divins qui se développent au-
jourd'hui à nos yeux, un homme-Dieu ne paroît
devant Dieu que sous la forme et dans la posture
de serviteur, avec quel front pouvons-nous sou-
tenir l'indépendance chimérique et prétendue que
nous affectons? Je le répète, chrétiens , ce que
nous prêche cette auguste solennité, et le premier
fruit que nous en devons retirer, c'est une dépen-
dance entière de Dieu. Je ne suis pas à moi , mais à
Dieu , donc je ne dois pas vivre pour moi , mais
pour Dieu ; donc toutes mes vues doivent avoir Dieu
(0 Psalm. 72,
174 SUR LA PURIFICATION
pour terme ; donc je dois mettre Dieu à la tête de
tous mes conseils; donc il faut que Dieu soit la
règle de toutes mes entreprises; donc je ne dois
rien désirer que dans les bornes , quoique étroites ,
de l'inflexible équité de Dieu ; donc je ne dois rien
résoudre, ni former aucun projet , qu'après l'avoir
mis à l'épreuve de la loi de Dieu ; donc je dois être
prêt à me départir de tout ce qu'une licence crimi-
nelle, ou une prudence humaine m'auroit engagé
à faire contre les ordres de Dieu : car c'est là dans
la pratique ce que nous appelons dépendre de Dieu.
Je dois vivre pour Dieu; donc il ne m'est pas per-
mis d'avoir d'établissement , de fortune , de dignité ,
de rang , de grandeur que pour Dieu. Une gran-
deur pour moi-même , un établissement pour moi-
même , une élévation , une fortune pour moi-même
seroit un monstre dans la nature, et comme une
idolâtrie subsistante au milieu de moi-même , dont
la jalousie de mon Dieu se trouveroit piquée , et
qui m'attireroit infailliblement ses vengeances. J'ap-
partiens à Dieu , et je ne suis ce que je suis que
pour dépendre de lui ; donc je dois être sincère-
ment, efficacement, continuellementdisposé à m'im-
moler pour lui ; donc en mille occasions qui se pré-
sentent , je dois me renoncer , et , selon l'expression
de l'évangile , me perdre moi-même pour lui ; donc
je ne dois ménager, ni réputation , ni crédit , ni fa-
veur , ni biens , quand il s'agit de me déclarer pour
lui ; car voilà ce que c'est que sacrifice , et je ne puis
autrement témoigner à Dieu que je suis sa créature.
Malheur à moi, si, pour tout autre que pour Dieu,
Î)E LA YIERGE. 1^5
j'étoîs disposé de la sorte : pourquoi? parce qu'il
ne peut y avoir que Dieu de qui je dépende de
cette dépendance absolue , dont le sacrifice est la
marque. Malheur à quiconque voudroit être ainsi
dévoué à un homme mortel, parce qu'il n'y a point
d'homme mortel à qui ce dévouement puisse être
dû , ou plutôt à l'égard de qui ce dévouement ne
fût un crime. Aux hommes, dit le Saint-Esprit, le
tribut, l'honneur, le service; mais à Dieu seul le
sacrifice de tout ce qui est en nous et de nous-
mêmes , puisqu'il est le Seigneur par essence et que
nous dépendons de lui jusque dans le fond de notre
être.
C'est dans cet esprit, que tout chrétien a dû se
présenter aujourd'hui devant les autels. Si dans
l'oblation que nous avons faite à Dieu de nos per-
sonnes , il y a eu quelque chose d'excepté , Dieu ne
s'est point tenu honoré de notre culte, et nous ne
l'avons point connu pour ce qu'il est. Car autant
que nous le pouvions , nous avons osé limiter ce
droit d'empire universel et inaliénable, sur quoi
étoit appuyée la loi de la présentation , Mea enim
sunt omnia (i); et, démentant sa parole , nous lui
avons dit, non de bouche, mais par l'effet, que
toutes choses ne lui appartenoient pas. Un seul in-
térêt réservé, une seule passion épargnée, une seule
attache que le cœur n'a pas encore rompue , c'est
assez pour faire à notre Dieu un tel outrage; par lu,
notre oblation, quelque fervente qu'elle nous ait
paru d'ailleurs , a été non-seulement vicieuse et
(0 Exod. i3.
ï^6 SUR LA PURIFICATION
imparfaite, mais odieuse ; par là nous avons commis
ce larcin si détesté de Dieu , et si distinctement
marqué dans l'Ecriture: Quia ego Dominus cli-
ligens judicium, et odio habens r opinant in
holocausto (i ). Oui, mes chers auditeurs , ce larcin
dans l'holocauste, c'est l'exception dont je parle,
c'est l'injuste réserve que nous faisons d'une chose
que Dieu nous demande comme Seigneur , et qui
devroit être la matière du sacrifice qu'il attend de
nous ; d'une chose que nous mettons à part , et que
nous retranchons du nombre de celles dont nous
voulons bien qu'il soit maître. Désordre dont nous
avons dû, vous et moi , nous garantir , en présentant
à Dieu , comme Marie , ce véritable , quoique mys-
térieux , premier né , figuré dans la loi ancienne ,
je veux dire, ce que nous aimons plus fortement et
plus tendrement, cette passion dominante; cet objet
à qui nous sommes si étroitement liés , et que je puis
bien nommer le premier né de notre cœur , puisqu'il
en a tous les premiers mouvemens. En le sacrifiant
à Dieu , nous pourrions dire que nous lui avons
tout sacrifié , et qu'il ne tient plus à nous que Dieu
ne soit en possession de toute la gloire dont il étoit
si jaloux , quand il disoit à son peuple : Sanctijica
mihi onuie primo genilum , mea enint sunt ont-
nia (2). Et c'est ainsi, hommes du monde, que
vous entrerez dans les sentimens de Jésus-Christ,
et que vous conformant à son exemple , vous con-
noitrez Dieu comme votre souverain.
Mais voici une seconde qualité dont il ne se glo-
)Isaï. iG. — (2) Exocl. i5.
DE LA VIERGE. 177
nfie pas moins , et qu'il vous importe encore plus
de bien connoître. Les Juifs oflfroient à Dieu leurs
premiers nés en mémoire du bienfait signalé qu'ils
avoient reçu , lorsque Dieu , pour les délivrer de
l'esclavage de Pharaon , avoit fait périr dans une
seule nuit tous les premiers nés d'Egypte : Ex quo
percussi primoganitos in terra JEgypti , sanc-
tificavi mihi quidquid primàni nascitur in Is~
rael (1). Ce fut selon le témoignage de Dieu même,
le motif principal , pourquoi cette cérémonie fut
instituée, et Jésus-Christ qui étoit la fin et le con-
sommateur de la loi, est aujourd'hui offert comme
premier né de tout le genre humain, en action de
grâces des obligations infinies , personnelles et sin-
gulières que nous avons à Dieu ; mais que nul de
nous n'étoit en pouvoir de reconnoître , si par son
adorable présentation , cet homme-Dieu ne nous en
eût fourni le moyen. Prenez garde , s'il vous plaît ,
chrétiens : Dieu vouloit être connu de son peuple,
non-seulement comme auteur des biens spirituels
et surnaturels qui regardent le salut; mais comme
auteur des prospérités et des grâces temporelles qiû
ne laissent pas , quoique d'un ordre inférieur , d'être
du ressort de sa providence. Il vouloit que son peuple
les tînt de lui , en usât comme venant de lui, ne les
regardât que comme des grâces d'en-haut et des
dons qui partoient de lui. Car de là vient , dit saint
Jérôme , que presqu'autant de fois que Dieu donnoit
aux Hébreux quelque marque éclatante de sa pro-
tection, soit en les tirant de captivité, soit en les
(1) Numer 3.
TOME XI, 13,
I78 SUR LA PURIFICATION
faisant triompher de leurs ennemis, il ordonnent
une fête pour en conserver le souvenir : afin, dit
ce saint docteur, qu'à proportion qu'ils devenoient
heureux , ils se vissent dans la nécessité d'être reli-
gieux ; et que de siècle en siècle, de génération en
génération, les pères apprissent à leurs enfans que
c'étoit le Dieu d'Israël qui les avoit sauvés ; qu'il les
avoit protégés , qu'il les avoit élevés ; et que comme
une source de bonheur pour eux étoit de le pu-
blier et d'en convenir, aussi le plus grand de tous
les malheurs qu'ils avoient à craindre, étoit de
l'ignorer ou de l'oublier. Pourquoi ce soin d'entre-
tenir cette pensée dans leurs esprits ? Ne vous ima-
ginez- pas , mes chers auditeurs , qu'en cela Dieu
agit par intérêt, ou comme un maître, sévère exac-
teur de ses droits, et déterminé à ne rien perdre
de ce qui lui est dû. Mais , reprend saint Jérôme ,
il exigeoit d'eux ce devoir, parce qu'il prévoyoit
que sans cela les biens mêmes qu'ils recevoient de
lui , leur seroîent préjudiciables ; que sans cela les
prospérités dont il les combloit, ne serviroientqu'à
les pervertir ; qu'il n'y auroit que ce devoir de re-
connoissance qui pût les préserver d'une entière
corruption ; que du moment qu'ils le négligeroient,
leurs moeurs aussi bien que leur foi commenceroient
à se dérégler; et qu'ils ne seroient jamais ingrats ,
sans être , par une suite nécessaire, insolens , im-
pies , réprouvés. Dans cette vue , poursuit saint
Jérôme, Dieu leur fit observer des solennités, leur
ordonna des sacrifices, leur prescrivit des céré-
monies et des lois ; et c'est dons cette même vue
DE LA VIERGE. 179
qu'il nous propose à nous-mêmes le médiateur et
le sauveur des hommes , comme le modèle , comme
le supplément, comme la perfection de notre re-
connoissance. Trois choses que je vous prie de bien
observer. Comme le modèle de notre reconnois-
sance; car c'est ici que Jésus-Christ nous dit : lus-
pi ce et fac secundàm exemplar (1); Veux- tu
chrétien, n'être pas ingrat envers Dieu, regarde-
moi et imite-moi. Offre-toi de même que je me suis
offert, et sacri(ie-toi dans le même esprit que je me
suis sacrifié. Comme le supplément de notre re-
connoissance ; car tout ce qu'il y a de défectueux
dans les actions de grâces que nous rendons à Dieu,
est amplement et abondamment suppléé par l'obla-
tion d'un Dieu. Comme la perfection de notre re-
connoissanee , puisqu'un Dieu a pu seul rendre suffi-
samment, et, pour ainsi dire, avec une juste pro-
portion , tout ce que nous devions à Dieu. Arrêtons-
nous là , mes chers auditeurs , et tâchons à profiter
de ces divines leçons.
A quoi se réduisent-elles ? à confondre en nous
cet esprit d'ingratitude, qui fait que bien loin de
reconnoître les bienfaits de Dieu , on ne convient
pas même avec Dieu que ce soient ses bienfaits;
que bien loin de lui en rapporter la gloire , on ne
veut pas lui en tenir compte , qu'on se les attribue
à soi-même ; qu'on s'en fait des armes contre lui ;
qu'on en devient plus fier , plus vain , plus orgueil-
leux , et par conséquent plus emporté dans ses pas-
sions et plus vicieux ; car que voyons-nous dans le
(1) Exod. 25.
ï8o SUR LA. PURIFICATION
monde de plus ordinaire, que des hommes ainsi
dénaturés , sans néanmoins passer pour l'être , et
sans faire réflexion qu'ils le sont; des hommes non-
seulement enflés, mais corrompus par les prospé-
rités dont Dieu les comble ; des hommes qui sem-
blent ne mépriser Dieu , que parce que Dieu les a
distingués , et dont on peut bien dire qu'ils ne sont
médians que parce qu'ils sont heureux? Combien
en voyons-nous qui , au lieu d'aller au principe
des succès et des avantages qu'ils ont dans la vie ,
croient avoir droit de s'en applaudir, et se disent
secrètement à eux-mêmes : Manus nostra ejccelsay
et non Dominus fecit hœc omnia (i). C'est moi
qui me suis fait ce que je suis , c'est moi qui ai éta-
bli ma maison , c'est par mon industrie et mon tra-
vail que je suis parvenu là; tout cela est l'ouvrage
de mes mains. Où est aujourd'hui le riche mondain ,
à qui l'on ne puisse faire avec douleur et avec indi-
gnation le même reproche que Moïse faisoit aux
Juifs : Incrassatus est dilectus, et recalcitravit ;
incrassatus-, impinguatus , dilatatus , dereli-
quit Deam factorem suum , et recessit à Deo
salutari suo (2) ; Il s'est engraissé des biens de
Dieu , et c'est pour cela qu'il a été rebelle à Dieu ,
qu'il a quitté Dieu, l'auteur de son être et le répa-
rateur de son salut. Abus que Dieu déteste souve-
rainement , et que nous ne pouvons assez détester
nous-mêmes. Selon toutes les lois de la justice,
plus un homme est comblé de biens , plus il devroit
être fidèle, fervent, attaché au culte de Dieu; et,
( 1) Dent. 52. — (2) ll>id.
DE LA VIERGE. l8l
par un effet tout contraire, plus on est comblé de
biens , plus on est froid et indifférent pour Dieu:
disons mieux , plus on est impie et ennemi de
Dieu.
Ah ! mes frères , s'écrioit saint Bernard , heureux
l'homme qui est toujours en crainte , et qui n'appré-
hende pas moins d'être accablé des bienfaits et des
grâces qu'il reçoit, que des péchés qu'il commet !
BeaUis homo qui semper est pavidus , nec mi-
nori angitar sollicitudine , ne obruatur bene-
ficiis quàm peccatis ! Pourquoi cette crainte et
cette inquiétude touchant les bienfaits de Dieu ?
Apprenez-le : parce qu'il est certain que les bien-
faits reçus de Dieu, seront aussi bien pour nous
un sujet de damnation au dernier jugement, que
les péchés commis contre Dieu ; et parce qu'il est
vrai , qu'au lieu que les péchés commis peuvent au
moins nous humilier et par là servir à notre conver-
sion et à notre prédestination , les bienfaits de Dieu
méconnus ne servent qu'à nous aveugler , qu'à nous
endurcir , qu'à fomenter notre impénitence. Ne
vous étonnez donc pas si j'insiste sur cette morale :
peut-être Dieu me l'a-t-il inspirée , comme la plus
propre à vous toucher; et peut-être a-t-il prévu
que ce seroit celle à quoi vous résisteriez moins.
Combien a-t-on vu de pécheurs insensibles à tous
les châtimens divins dont on les menaçoit , se laisser
attendrir par le motif de la reconnoissance ? Ainsi
Dieu en usa-t-il à l'égard de David : au lieu de lui
représenter l'énormité de son crime, il lui remit
devant les yeux le nombre de grâces dont il l'avoit
ï82 SUR LA PURIFICATION
prévenu : C'est moi , lui dit-il par la bouche de son
Prophète , qui vous ai sacré roi d'Israël , c'est moi
qui ai affermi votre trône , c'est moi qui vous ai dé-
livré des mains de Saiil ; et si tous ces bienfaits vous
paroissent peu de chose, j'y en ajouterai encore de
plus grands : Et si parva sunt ista , acljiciam
tibi multo majora (i). David fut ému de ces pa-
roles; il ne put soutenir l'aimable reproche que
Dieu lui faisoit : de pécheur qu'il étoit, il devint
en ce moment un juste , un saint , un homme selon
le coeur de Dieu. Je ne vous en dis pas davantage,
chrétiens : Dieu vous a donné, aussi bien qu'à Da-
vid , des âmes nobles ; et pourquoi le souvenir de
tant de biens dont le Seigneur vous a comblés, ne
feroit-il pas sur vous les mêmes impressions ?
Enfin , Dieu se fait aujourd'hui connoître comme
vengeur du péché , puisque Jésus-Christ paroît dans
le temple de Jérusalem , comme la victime destinée
pour l'expiation du péché , et pour la réparation
qui en étoit due à la justice et à la sainteté de Dieu.
Réparation que Dieu attendoit depuis tant de siè-
cles , et que Jésus-Christ seul devoit commencer
dans la solennité présente. Dieu , dis-je , l'attendoit,
cette réparation. Car il falloit qu'il fût vengé; et
tout miséricordieux qu'il est, il ne devoit jamais
pardonner à l'homme pécheur, si sa colère n'étoit
apaisée par une hostie, qui du moins pût autant
le glorifier que le péché l'avoit déshonoré. Or nul
autre que Jésus-Christ ne pouvoit ainsi réparer la
gloire de son Père ; et voilà pourquoi il s'est oilert.
(1) Reg. 12.
DE LA VIERGE. l83
En effet, c'est ici , aussi bien que dans sa circon-
cision, qu'il paroît sous la forme de pécheur, ou
qu'il se substitue en la place des pécheurs. Marie
et Siméon en le présentant, le livrent, pour parler
de la sorte , à la justice divine. Comme s'ils disoient
à Dieu : Vengez-vous , Seigneur ; votre gloire le
demande, et voici de quoi vous rendre toute celle
qui vous a été ravie. Frappez , et lavez dans le sang
d'un Dieu tous les outrages que vous avez reçus.
Si le temps n'est pas encore venu de porter le coup ,
la victime est toujours entre vos mains, et ce sera
pour le moment que votre sagesse a marqué et qu'il
vous plaira de faire éclater vos vengeances. Or,
chrétiens , on vous l'a dit cent fois , et moi-même
je ne puis trop de fois vous le redire, ni vous im-
primer trop avant dans l'esprit une si importante
vérité : quoique cette oblation de Jésus-Christ ait
suffi pour effacer tous les péchés du monde , elle
ne vous dispense pas du devoir de la pénitence. Au
contraire, elle doit vous y exciter et vous y engager
plus fortement, en vous faisant voir jusques à quel
point Dieu hait le péché, et jusques à quel point il
doit être haï et puni. Je dis haï par nous-mêmes ,
et puni par nous-mêmes. Car ne nous y trompons
pas : il est vrai que le Fils de Dieu , en se présen-
tant pour nous à son Père , lui a présenté dans son
adorable personne des mérites infinis; mais pour-
quoi? afin que l'excellence de ses mérites relevât
les nôtres, et non point afin d'exclure absolument
les nôtres, et de nous décharger du soin de les
acquérir. Les nôtres sans les siens ne seraient rien 5
,84 SUR LA PURIFICATION
nos satisfactions sans celles de cet homme-Dieu ,
offert à Dieu, seroient inutiles : mais aussi les
siennes , quoiqu 'abondantes et surabondantes, man"
qneroient , sans les nôtres , d'un accompagnement
nécessaire, pour nous les rendre profitables, et
pour nous les appliquer. Il faut donc que les nôtres
soient jointes aux siennes. Car c'est ainsi que Dieu
l'a ordonné; et il est bien juste que, comme Dieu
juge et vengeur , il exige de l'homme criminel toute
la réparation dont l'homme est capable. Mais nous,
mes chers auditeurs, nous en jugeons et nous en
voulons juger tout autrement. Sans être hérétiques
de profession , nous le sommes de pratique et d'effet.
Je m'explique. Une des erreurs de l'hérésie des
derniers siècles, est de ne vouloir point recon-
noître la nécessité des bonnes œuvres, surtout des
œuvres pénales et satisfactoires ; et si nous renon-
çons à ce dogme dans la spéculation , du reste nous
le suivons dans toute la conduite de la vie. Nous
exaltons volontiers le prix de cette divine offrande ,
qui a été faite à Dieu dans le temple de Jérusalem
par les mains de Marie , et nous nous en tenons-là ,
comme si nous étions persuadés que tout ce que
nous y pouvons ajouter, n'est qu'une pure sub-
rogation. Noo-seulement on vit sans pénitence,
mais on cherche en tout ses aises et ses commo-
dités; mais on veut être de toutes les parties de
plaisir , et entrer dans tous les jeux et tous les di-
vertissemens du monde ; mais on se rend idolâtre
de son corps, et l'on ne refuse rien à ses sens de
tout ce qui peut les flatter. Est-ce là l'exemple que
DE LA VIERGE. l85
Jésus-Christ nous donne dans sa présentation ?
sont-ce là les leçons qu'il nous fait; et par quel
injuste partage prétendons-nous lui laisser toute la
peine de notre rédemption , et en retenir tous les
avantages pour nous ? Non , non , chrétiens , c'est
ne pas connoître Dieu , ce Dieu des vengeances ,
que d'espérer en être quittes auprès de lui à si peu
de frais , et sans qu'il nous en coûte. Or il ne tient
néanmoins qu'à nous de le connoître dans ce mys-
tère, comme il ne tient encore qu'à nous d'ap-
prendre à nous connoître nous-mêmes, et ce que
nous noiïs devons à nous-mêmes , vous l'aliez voir
dans la seconde partie.
DEUXIÈME PARTIE.
C'étoit un principe établi même parmi les païens,
et dont ils ont fait comme le point capital de leur
morale, que de se connoître est l'abrégé de toute
la sagesse et de toute la perfection. Connoissez-
vous vous-mêmes , disoient ces sages du monde ,
dépourvus du don de la foi, mais dont les maximes
ne laisseront pas de servir un jour à la condamna-
tion des chrétiens : connoissez-vous vous-mêmes ,
et vous serez humbles. Or étant humbles, nous vous
répondons de vous ; et sûrs de cette seule vertu ,
nous vous garantissons toutes les autres. Connois-
sez-vous vous-mêmes , ajoutoient-ils; et quelque fi-
gure que vous fassiez dans le monde , vous avouerez
que vous êtes peu de chose ; que peu de chose vous
enfle , et que peu de chose vous abat; connoissez-
vous, et vous découvrirez dans vous des misères
l86 SUR LA PURIFICATION
qui vous confondront , des vices qui vous effrayeront^
des foiblesses d'esprit dont vous rougirez, des bas-
sesses de cœur dont la seule vue réprimera tout
votre orgueil et tout votre amour-propre ; connois-
sez-vous , et vous trouverez dans vous une raison
pleine d'erreurs , une volonté fragile et incons-
tante , des passions insensées , et souvent les plus
lâches et les plus honteux désirs. Tout cela vous
humiliera, tout cela vous détrompera des vaines
idées que vous avez de vous-mêmes : mais c'est
par là que vous parviendrez au mérite des vertus
solides; c'est par là que vous serez justes, modé-
rés , doux , charitables ; en un mot , connoissez
votre néant, et vous deviendrez des hommes par-
faits. Ainsi raisonnoient ces infidèles, et c'étoitsur
ce fondement que le savant Gassiodore , chrétien
de profession et de religion , croyoit avoir droit de
conclure que la véritable grandeur est de bien com-
prendre sa petitesse : Nimia magnitudo est sut
intelligere parvitatem. Et moi , mes chers audi-
teurs , prenant la chose dans un sentiment, ce
semble, opposé, mais également propre à nous
instruire et à nous édifier, je prétends que la pe-
titesse dont nous avons plus à nous confondre , et
que nous devons plus souvent nous reprocher,
c'est de ne pas connoître assez notre véritable gran-
deur. Je soutiens que l'homme étant aussi grand
dans les idées de Dieu, qu'il est petit dans lui-
même , sa perfection et son bonheur est de se re-
garder toujours dans Dieu , et jamais dans lui-même ,
de s'élever continuellement a Dieu , et de ne faire
DE LA VIERGE. 187
nul retour sur lui-même; de se confier, de se glo-
rifier en Dieu , et , s'il étoit possible , de s'oublier
éternellement lui-même : pourquoi? parce que la
vue de lui-même , détachée de celle de Dieu , ne
peut que le désespérer et le désoler, et qu'il est
question de le fortifier et de l'encourager.
Mon dessein n'est donc pas maintenant de vous
inspirer ces pensées basses de vous-mêmes , ni de
vous représenter ce fonds d'humiliation , qui , comme
parle un prophète, est au milieu de vous : mais je
veux au contraire , sans préjudice de l'humilité
chrétienne, et pour vous attacher à vos plus impor-
tons devoirs , vous mettre devant les yeux votre
excellence et votre dignité : excellence que vous
avez jusqu'à présent ignorée, dignité dont vous
avez été mille fois les profanateurs. Je veux vous
rendre l'une et l'autre sensible, et à l'exemple du
grand saint Léon , réveiller par là votre foi , en vous
disant : Connoissez , ô hommes ! ce que vous valez,
et connoissez ce que vous êtes. Deux choses à quoi
se réduit toute la science , je dis la science pratique
et salutaire de nous-mêmes ; deux choses qu'il fau-
droit étudier tous les jours de notre vie; ce que
nous valons, et ce que nous sommes. Ce que nous
valons dans l'estime de Dieu, et ce que nous sommes
par la vocation et la prédestination de Dieu : ce que
nous valons, quoique pécheurs; et ce que nous
sommes, comme chrétiens. Or , pour l'apprendre ,
il suffit de considérer ce qui se passe aujourd'hui
dans le temple de Jérusalem, et c'est ici que j'ai
encore besoin de toute votre attention.
l8$ SUR LA PURIFICATION
Ce que nous valons dans l'estime de Dieu : pou-
vons-nous l'ignorer, chrétiens, en voyant Jésus-
Christ offert pour nous, Jésus-Christ livré pour
nous, Jésus-Christ accepté pour nous ; c'est-à-dire»
Jésus-Christ offert, livré, accepté comme le prix
de notre rédemption ? Dans l'estime des hommes ,
cette règle pourroit n'être pas sûre, parce que les
hommes ne connoissent pas toujours la valeur des
choses, et qu'ils se trompent souvent en donnant
beaucoup pour avoir peu ; mais dans celle de Dieu ,
qui est infaillible , le raisonnement de saint Augus-
tin est vrai et convaincant, lorsqu'il nous dit :
Voulez-vous savoir l'excellence et le mérite de ce
que Jésus-Christ a racheté ? voyez à quel prix et
à quelle condition il l'a racheté : or ce qu'il a ra-
cheté , c'est votre ame , c'est votre saint , c'est vous-
même , et il l'a racheté au prix de son sang, au prix
de sa vie , au prix de sa personne même. Il y a donc
de la proportion entre votre salut et le sang d'un
Dieu , entre votre ame et la vie d'un Dieu , entre
vous-même et la personne d'un Dieu. Peut-être ne
J'aviez-vous jamais compris; mais voilà la grande
leçon que vous fait le Piédempteur des hommes ,
en se présentant dans le temple. Qu'est-ce que le
salut de l'homme? un bien pour lequel Dieu, agis-
sant selon les lois de sa sagesse, n'a pas épargné
son propre Fils; un bien qui , mis dans la balance,
mais la balance du sanctuaire, l'a emporté par-
dessus tous les mérites d'une vie divine , puisqu'il
est vrai qu'une vie divine, avec toutes ses perfections
et tous ses mérites , lui est aujourd'hui sacriliée.
DE LA VIERGE, 1 89
Voilà , homme du monde , ce que vous avez
coûté à Dieu , et ce que vaut , dans l'idée de votre
Dieu , votre salut. Prenez garde , s'il vous plaît :
quand on nous dit qu'en comparaison de ce sa-
lut, tous les biens de la terre, que nous prisons
tant , ne sont que des ombres et des fantômes ;
que ce salut est l'unique nécessaire dont nous
puissions compter l'acquisition et la possession
pour un gain , et que tout ce qui ne s y rapporte
pas , doit être censé comme une perte selon
l'Apôtre : Verwntamen hœc omnla detrimen-
tum fecit(i) /qu'il n'y a que ce salut qui subsiste
et qui soit éternel , au lieu que tout le reste est
passager; que notre cœur inquiet et volage ne peut
trouver de repos que dans ce salut, et que rien
de visible ne le peut fixer , beaucoup -moins le
remplir ni le rassasier. Quand on nous prêche ces
vérités , nous en convenons malgré nous : et quel-
que préoccupés que nous soyons en faveur du
monde , nous nous disons intérieurement , qu'il n'y
a en effet que le salut qui soit digne de notre es-
time, et qui mérite absolument nos soins. Or tout
cela , pour parler avec Tertullien , ce sont les té-
moignages d'une ame naturellement chrétienne; et
c'est assez pour en juger de la sorte , de n'être pas
déraisonnable , puisque les philosophes , prévenus
du sentiment de leur immortalité, en ont ainsi jugé
eux-mêmes , et qu'ils s'en sont fait honneur. Mais
quand à ces témoignages de la nature , la foi ajoute
les siens; et que nous proposant un Dieu offert
(0 Philip, 5.
190 SUR LA PURIFICATION
pour nous en sacrifice , elle nous fait comprendre
que notre salut n'a pu être mis à un moindre prix
que celui-là, que tout autre que ce Dieu de gloire,
reçu, si j'ose user de ces expressions, en paiement
et consigné sur l'autel comme notre rançon, n'au-
roit pas suffi pour racheter le plus vil de tous les
pécheurs ; qu'il a fallu qu'il s'y employât tout entier;
que c'est en considération de ce mystère , que Da-
vid , par un esprit de prophétie, appeloit ce Dieu
qui le devoit sauver , non plus le Dieu du ciel et de
la terre , mais le Dieu de son salut : Domine Deus
salatis meœ (1) : comme si l'on pouvoit dire sans
blasphème, que toute la divinité est aujourd'hui
restreinte à l'ouvrage de la rédemption de l'homme;
et que ce Dieu de majesté n'est plus ce qu'il est
que pour l'homme et pour son salut , puisque c'est
pour le salut de l'homme qu'il est non-seulement
donné, mais donné, reprend saint Augustin , jus-
qu'à devoir être un jour détruit, et en quelque
sorte anéanti (tellement que cet incomparable doc-
teur, pénétré de la pensée du Prophète, s'écrie
encore avec lui : Etfactus es mihi in salutem (2);
Oui, mon Dieu, je suis votre créature , et en cette
qualité , j'ai été fait pour vous ; mais lorsque je vous
vois revêtu d'un corps , et entre les bras de Marie ,
dans votre adorable présentation , il me semble
que tout Dieu que vous êtes, vous avez été fait
pour moi, et je ne me trompe pas : Et fadas es
mihi in salutem : ) quand la foi , dis-je , venant
au secours de notre raison , remplit nos esprits de
(0 Ps. 37. - <*) Ps. 117.
DE LA VIERGE. 191
ces vérités importantes et convaincantes , ah ! chré-
tiens , pour peu que nous ayons de christianisme ,
que devons-nous penser de ce salut , dont l'excel •
lence et la prééminence au-dessus de tous les autres
biens , nous est si authentiquement révélée?
Mais si cela est , comme nous n'en pouvons dou»
ter , où en sommes-nous , et que devons-nous pen-i
ser de nous-mêmes , en voyant l'affreuse contradic-
tion qu'il y a sur ce point, entre notre vie et notre
foi ? Car enfin , comment accorder une telle foi avec
cette indifférence pour le salut, avec cet oubli du
salut, avec ce mépris du salut, avec cet abandon
volontaire du saJut où nous vivons; est-il rien de
plus négligé dans le inonde? Vous demandiez au-
trefois , Seigneur, ce que l'homme pourroit donner
en échange pour son ame, et par où il pourroit se
racheter , s'il venoit jamais à se perdre : Aut quant
dabit homo commutationem pro anima sud (1) /
et je ne suis point surpris que vous en ayez ainsi
parlé ; car après vous être donné pour l'homme ,
ne Favïez-vous pas réduit dans l'impossibilité d'ima-
giner jamais un échange qui le dédommageât de
la perte de son salut ? ne devoit-il pas être le pre-
mier à se dire un million de fois : Quam dabit
homo commutationem pro anima sua? Depuis
que ton Dieu t'a racheté à ses propres déjiens , pour
quel avantage et quelle espérance du siècle, mal-
heureux, te commettras-tu désormais, et t'expose-
ras-tu à périr ? Mais, hélas î ne faut-il pas ici chan-
ger la proposition ; et saisi d'un prodige aussi ou-
(1) Matth. 16.
192 SUR LA PURIFICATION
trageux pour vous , Seigneur , qu'il nous est Funeste ,
ne puis-je pas demander pour quel sujet, fût-ce le
plus frivole, l'homme mondain n'est-il pas prêt à
tout moment de donner son ame, de la vendre , de
la prostituer? Est-il un intérêt qui ne l'aveugle?
est-il un caprice qui ne l'emporte ? est-il une chi-
mère d'honneur dont il ne s'entête? est-il un attrait
de volupté qui ne le charme , et ne le corrompe
jusqu'à vouloir bien se damner? A en juger par ses
actions et sa conduite , ce salut si prisé de Dieu ne
paroît-il pas avoir dans son estime le dernier rang;
et tous les jours , par la plus insigne folie et le ren-
versement le plus monstrueux , à quoi ne le sacri-
fie-t-il pas ? comme s'il avoit entrepris de vérifier
la proposition contradictoire à celle de Jésus-Christ :
Quam non dabit commutationem pro animd
sua i Combien de chrétiens , plus maudits et plus
réprouvés qu'Esaii, vivent tranquilles , après avoir
renoncé pour un vain plaisir à leur droit d'aînesse
et à l'héritage des enfans de Dieu? combien de pé-
cheurs , aussi sacrilèges que Judas , font encore sans
frémir , le pacte exécrable que fit cet infortuné dis-
ciple , et vendent comme lui à un vil prix le sang
du juste , c'est-à-dire leur salut, qui a coûté le sang
d'un Dieu ? En cela même d'autant plus sacrilèges
que Judas, qu'au moins ce traître se reconnut, dé-
testa son crime , en témoigna de l'horreur ; au lien
que ceux-ci sont insensibles. Or c'est ce prodigieux
aveuglemerft que Jésus-Christ, comme la lumière
du monde , est venu guérir , et voici l'excellent
remède qu'il y a apporté. Car pour ne point sortir
DE LA VIERGE. Iq3
de notre mystère , et pour faire toujours rouler
cette divine morale sur la présentation du Sauveur ,
voici par où mon salut m'est devenu précieux. Je
l'abandonnois , ce salut; et l'abandonnant , je m'avi-
lissois moi-même , je me livrais à ma passion, je
servois en esclave la créature, j'obéissois aux sens
et à la chair, et par là, selon la parole sainte, je
me dégradois jusques à me rendre semblable aux
bêtes. Mais viens, me dit aujourd'hui cet homme-
Dieu , viens , et à la faveur des lumières dont le
temple est éclairé, profitant de l'état où tu me vois
et du sacrifice, quoique non sanglant, que je pré-
sente pour toi , commence enfin à te connoître. Me
voilà sur l'autel comme la victime et le prix de ton
ame : regarde, et par le prix auquel je l'achète,
comprends ce que tu perds en la perdant. C'est là ,
dis-je , ce qu'il nous fait entendre , et malheur à
nous, si, par l'endurcissement de notre cœur, et
par une indocilité criminelle, nous n'écoutons pas
sa voix ; si jamais nous perdons le souvenir de notre
excellence, et de ce que nous valons; et de plus ,
si nous ne soutenons pas encore , par la sainteté de
nos mœurs , notre dignité et ce que nous sommes.
Car, en conséquence de cette rédemption que le
Sauveur des hommes vient de commencer en se pré-
sentant pour nous à Dieu , nous sommes spécialement
l'héritage de Dieu , la conquête de Dieu , le peuple
de Dieu. 11 est vrai comme créatures formées de la
main de Dieu , nous appartenions déjà à Dieu ;
mais comme rachetés d'un Dieu , nous lui appar-
tenons encore par un droit tout nouveau , et nous
tome xj. i3
îg4 SUR LA PURIFICATION
'lui sommes consacrés d'une façon toute spéciale :
or voilà ce que j'appelle notre dignité. Car remar-
quez ici une différence essentielle entre Dieu et
les hommes ; appartenir aux hommes , c'est un
esclavage qui nous humilie et nous rabaisse ; mais
appartenir à Dieu et être à Dieu , c'est, selon
l'Ecriture , un état de liberté qui nous relève et
qui nous honore , en nous dégageant de la plus
honteuse servitude , qui est celle du monde et de
l'enfer. C'étoit la belle leçon que faisoit saint Paul
aux premiers fidèles , quand il leur disoit : Mes
frères , vous n'êtes plus à vous : Non estis
vestrl (i) ; mais vous êtes à Dieu; et appartenir
à un si grand maître , c'est votre gloire. Et sur
quel principe l'Apôtre appuyoit-il cette consolante
vérité , qu'ils n'étoient plus à eux , mais à Dieu ?
sur ce qu'ils avoient été rachetés de Jésus-Christ ,
et rachetés à un très-grand prix : Empti enim
estis pretio magno (2). Ce n'est pas assez : mais
parce qu'en qualité de chrétien , nous avons beau-
coup plus de part à cette rédemption , d'ailleurs
universelle et commune ; c'est surtout comme chré-
tiens , que nous sommes à Dieu , surtout comme
chrétiens , que nous appartenons à Dieu ; et par
conséquent , surtout comme chrétiens , que nous
avons été honorés du saint et glorieux caractère
d'enfans de Dieu.
D'où le même apôtre , instruisant toujours les
mêmes fidèles , concluent deux choses que je
vous prie , mes chers auditeurs, de n'oublier jamais
(ij 1. Car. G. — (a) Ibid.
DE LA VIERGE. iq,5
et qui vous doivent servir de règles dans toute
la conduite de votre vie. Empti estis pretio ma-
gno ; Vous avez été achetés à un grand prix ;
glorifiez donc Dieu , et portez-le dans vos corps :
première conséquence : Glorificate et portate
Deum in cor pore vestro (1). C'est-à-dire, qu'il
ne suffit pas qu'en vertu de cette rédemption ,
Dieu règne dans nos esprits, mais qu'il faut que
nos corps participent à la grâce de ce mystère , et
que par l'exercice d'une continence exacte, ils
paroissent , aussi bien que nos âmes , rachetés de
Jésus-Christ et purifiés de tout ce qui les pourrait
souiller. Or, pour cela , ils doivent être revêtus
de la mortification du Seigneur Jésus , et c'est ce
que l'apôtre entend , quand il nous exhorte à
porter Dieu dans nos corps : Empli estis pretio
magno ; Vous avez été achetés à un grand prix ;
ne vous engagez donc pas dans la servitude des
hommes. Seconde conséquence ; Nolite fieri servi
hominum (2). Car il y a une servitude des hommes
incompatible avec le bienheureux état de cette
rédemption parfaite où nous entrons aujourd'hui ,
une servitude des hommes essentiellement opposée
à la liberté que Jésus- Christ nous a acquise , une
servitude des hommes redoutable à tous les servi-
teurs de Dieu. Mais à qui le prédicateur de l'évan-
gile en doit-il donner plus d'horreur , qu'à ceux
qui mènent la vie de la cour ? où les effets que
produit cette damnable servitude sont-ils plus fu-
nestes et plus pernicieux qu'à la cour ? Servitude
(1)1. Cor. 6. — (a) 1. Cor. 7.
196 SUR LA PURIFICATION
des hommes , engagement comme nécessaire à
l'iniquité, disposition prochaine à l'injustice, assu-
jettissement aux erreurs d'autrui , aux caprices
d'autrui , aux passions d'autrui ; servitude des
hommes dont on sent tout le poids , dont on voit
toute l'indignité , dont on connoît les dangereuses
suites ; dont on gémit dans le cœur , dont on vou-
droit être délivré , et dont on n'a pas le courage
de secouer le joug ; servitude des hommes qui
vous fait entrer dans toutes leurs intrigues et tous
leurs desseins, quelque criminels qu'ils soient ;
qui vous fait acheter leur faveur aux dépens de
tous les intérêts de Dieu , aux dépens de tous les
intérêts de la conscience et du salut, aux dépens
de vous-mêmes et de votre ame. Ah î mes frères ,
êtes-vous hommes, et surtout êtes-vous chrétiens,
pour servir de la sorte ? Prenez garde : je dis pour
servir de la sorte. Car à Dieu ne plaise que je
fasse d'ailleurs consister la liberté chrétienne à
s'affranchir du juste devoir qui nous soumet aux
puissances légitimes. Je reconnois avec l'Apôtre ,
et selon l'ordre sagement établi de Dieu , qu'il y
a des hommes qui doivent être obéis par d'autres
hommes et servis par d'autres hommes. Je puis
même ajouter que jamais ils ne sont mieux obéis , ni
mieux servis que par des hommes vraiment chré-
tiens , parce que l'esprit du christianisme est un
esprit de subordination et de soumission. Mais
du reste cette dépendance que nous inspire la re-
ligion a ses bornes , et j'en reviens toujours à la
maxime de saint Paul : Nolite fierl servi homi-
DE LA VIERGE. 197
num. Non , vous ne devez point servir les hommes
jnsques à en faire vos divinités, jusques aies subs-
tituer en la place du premier et souverain maître
à qui vous appartenez , jnsques à leur vendre sa
loi , à leur vendre votre innocence , à leur vendre
votre éternité, en vous rendant fauteurs de leurs
vices , complices de leurs désordres , compagnons
de leurs débauches , approbateurs perpétuels de
tout ce que leur suggère la cupidité , le plaisir ,
l'ambition , l'envie , la haine , la vengeance , le
libertinage et l'impiété. Voilà ce que j'appelle, non
plus une obéissance raisonnable , mais une servi-
tude , et la plus vile servitude : voilà de quoi un
Dieu sauveur a prétendu nous dégager.
Prenons donc des sentimens dignes de lui, et
dignes de nous. Piespectons dans nous-mêmes le
droit de Dieu, et ne profanons pas ce qui lui vient
d'être solennellement dévoué par l'oblation de
l'homme-Dieu. Car je puis bien vous appliquer
cette parole que nous avons lue dans l'évangile de
ce jour ; et selon le sens qu'elle exprime , dire de
chacun de vous qu'il est le saint du Seigneur : Sanc
tum Domino vocabitur (1) ; le saint du Seigneur,
parce que dans la personne de Jésus-Christ il a été
offert au Seigneur ; le saint du Seigneur , parce
qu'il ne doit servir et qu'il n'est destiné qu'à pro-
curer la gloire du Seigneur; le saint du Seigneur,
parce qu'il en est la demeure , qu'il en est le temple
vivant , et que c'est en lui que l'esprit du Sei-
gneur est venu habiter pour en prendre possession:
(1) Luc. 2.
iqB sur la purification
Sanctum Domino vocabitur. Tellement que sans
rien diminuer en nous des sentimens de l'humilité
chrétienne , nous pouvons nous regarder devant
Dieu comme quelque chose de sacré ; et que dans
cette vue nous devons en tout nous comporter
avec la même attention et la même circonspection
qu'on traite les choses saintes. Or ce qui est saint
ne doit être employé que pour Dieu , ne doit être
rapporté qu'à Dieu : autrement ce seroit le mé-
connoîtreet nous méconnoître nous-mêmes ; Sanc-
tum Domino vocabitur.
C'est, Sire, cette intention droite, cette vue de
Dieu , qui consacre et qui relève les grandes actions
de votre majesté. A en juger seulement selon les
principes de la sagesse humaine, nous y trouvons
tout ce qui peut faire un grand roi selon le monde»
c'est-à-dire , un roi puissant , absolu , régnant par
lui-même , magnifique dans la paix , invincible dans
la guerre , impénétrable dans ses conseils , infaillible
dans ses entreprises , vénérable à ses sujets, fidèle
à ses alliés , redoutable à ses ennemis , donnant la
loi aux souverains , tenant dans ses mains la destinée
et le sort de l'Europe, au-dessus de la flatterie et
de l'envie par son élévation , et au-dessus de sa
propre gloire par sa modération. Mais , Sire , votre
majesté est trop chrétienne et trop instruite des
saintes maximes de l'évangile , pour ne pas voir l'inu-
tilité et le néant de tout ce qui brille aux yeux des
hommes, s'il n'est consacré au Seigneur, et si l'on
n'en peut dire : Sanctum Domino vocabitur. De
cet éclat qui vous environne , de ce nom qui a re-
DE LA VIERGE. 19$
lenti dans toutes les parties de la terre , de cette
réputation qui a passé jusques aux extrémités du
monde , et qui vivra dans la plus longue postérité;
de ces batailles gagnées , de ces victoires rempor-
tées , de tant de faits mémorables , rien ne restera
devant Dieu , que ce qui se trouvera marqué de
son sceau : cela seul subsistera , cela seul sera pour
vous le fond d'une gloire solide et d'un mérite éter-
nel. Vous vous êtes aujourd'hui présenté , Sire, à
ce suprême Seigneur de toutes choses, non-seule-
ment comme le premier né de la plus auguste fa-
mille qui soit sous le ciel, mais comme le fils aîné
de l'Eglise. De tout temps nos rois, se sont glorifiés
de cette qualité ; mais votre majesté s'en est fait un
engagement aux plus éclatantes et aux plus hé-
roïques vertus. Elle ne s'est pas contentée du titre
de fils aîné de l'Eglise, mais elle a voulu le remplir
et le soutenir d'une manière dont les siècles passés
ont vu peu d'exemples , et qui pourra servir de mo-
dèle aux siècles futurs. Comme fils aîné de l'Eglise,
elle a écouté les ministres de Jésus-Christ, elle
s'est rendue à leurs remontrances, elle a secondé,
ou plutôt prévenu, excité, fortifié leur zèle; et
puisque c'est ainsi qu'elle-même s'en explique , elle
a consenti à la diminution de ses droits , pour con-
tribuer au rétablissement de la discipline , et à la
conservation de la pureté de la foi : n'ayant compté
pour rien ses intérêts , parce qu'il s'agissoit des in-
térêts de l'Eglise ; et sans consulter une fausse pru-
dence , ayant fait céder à sa religion , non-seulement
ses prétentions , mais ce qui lui étoit déjà tout ac-
200 SUR LA PURIFICATION
quis par une longue possession. C'est de quoi cette
déclaration que votre majesté vient de donner , si
authentique , si sensée, si pleine de l'esprit chrétien ,
si propre à concilier le sacerdoce et la royauté , fera
le précieux monument. La postérité la lira, et en la
lisant, confessera que Louis le Grand n'a pas été
moins grand par son inviolable attachement à l'Egli-
se, que par toutes les vertus politiques et militaires.
Voilà , Sire , ce qui est marqué dans le livre de
vie , avec des caractères ineffaçables. On oubliera
enfin tout le reste ; et quelque immortalité que le
monde lui promette , le monde périra lui-même , et
toute grandeur humaine périra avec le monde. Ce
que votre majesté fait pour l'Eglise, ne s'oubliera,
ni ne mourra jamais : l'Eglise le publiera; et comme
elle ne doit point avoir de fin , sa reconnoissance
n'aura point de terme , non plus que la récompense
qui vous est réservée dans l'éternité bienheureuse
où nous conduise , etc.
TROISIÈME SERMON
SUR
LA PURIFICATION DE LA VIERGE.
Postquàm impleti sunt dies purgatioDis ejus secundùm
legem Moysi , tulerunt illum ia Jérusalem , ut sislerent
enm Domino.
Le temps de la purification de Marie étant accompli
selon la loi de Moïse , ils portèrent l'enfant à Jérusa-
lem , pour le présenter au Seigneur. En saint Luc ,
chap. 2.
Sire,
C'étoit une figure que ce qui se pratiquent parmi
les Juifs dans la cérémonie de ce jour, où ils pré-
sentoient à Dieu le premier né de chaque famille ; et
c'est dans la personne de Jésus-Christ, présenté
par Marie au Père éternel, que cette figure a trouvé
son entier accomplissement, puisque ce divin Sau-
veur, selon l'expression de saint Paul , est par excel-
lence le premier né de toutes les créatures. Mais
en ceci , chrétiens , il est arrivé quelque chose de
bien singulier et de bien remarquable pour votre
instruction. Car au lieu que les autres figures s'ac-
complissant en Jésus-Christ, ont cessé pour nous,
celle-ci non-seulement a subsisté , mais a reçu
comme un nouvel accroissement d'obligation qu'elle
202 SUR LA PURIFICATION
n'avoit pas du temps de Moïse. C'est-à-dire , que
Dieu veut que dans la loi de grâce , aussi bien
et même encore plus que dans la loi écrite, nous
nous présentions à lui pour lui être consacrés ; et
voilà ce que l'Eglise a prétendu nous déclarer en
nous mettant des cierges dans les mains, comme
les symboles du sacrifice que nous devons faire de
nos personnes au souverain auteur de notre être.
Car si nous l'avons bien compris , telle est la pensée
qu'a dû nous inspirer ce mystère. Nous avons re-
connu que nos vies , comme cette cire sanctifiée
parla bénédiction des prêtres, dévoient être em-
ployées au service du Dieu que nous adorons, et
consumées pour sa gloire. INous avons hautement
protesté que nous appartenions à Dieu , et que nous
ne voulions plus être désormais qu'à Dieu : ou si
ce n'est pas ainsi que vous l'avez conçu , il est du
devoir de mon ministère de vous le faire comprendre,
et de vous instruire à fond d'un point aussi impor-
tant que celui-là. Vierge sainte , c'est vous qui , dans
la présentation de votre Fils , nous mettez devant
les yeux le grand modèle que nous devons imiter,
obtenez-nous encore les grâces nécessaires pour ap-
prendre à profiter de son exemple, et daignez écou-
ter la prière que nous vous faisons en vous saluant.
Ave^ Maria.
Peut-être , chrétiens, n'avez-vous jamais fait toute
la réflexion qu'il faut , au mystère que célèbre au-
jourd'hui l'Eglise; et peut-être, ne vous attachant
qu'à l'extérieur de cette cérémonie, ne vous êtes-
DE LA VIERGE. 2o3
vous jamais appliqués à en pénétrer le fond. C'est
donc à moi de vous en donner toute l'intelligence
nécessaire , et voici sans doute un des sujets les
plus importans que j'aie jusques à présent traités
dans cette chaire , et que j'y puisse traiter : car il
s'agit d'étudier le christianisme dans ses. premiers
élémens , selon le langage de l'Apôtre ; il s'agit d'étu-
dier Jésus-Christ même , et de l'imiter dans une des
plus grandes et des plus saintes actions de sa vie,
qui est la présentation. Nous avons paru comme lui
dans le temple du Seigneur, et cette fête, qui étoit
la fête des Juifs, est encore plus la nôtre; mais il
est question de voir comment nous la solennisons ,
et si nous en avons bien pris l'esprit : de là dépend
votre édiiîcation et la mienne , et sans cela je ne
satisferois qu'imparfaitement à ce que demande ici
de moi mon ministère. Comprenez , s'il vous plaît,
le dessein de ce discours. Jésus-Christ dans le temple
se présente à Dieu : pourquoi? pour reconnoîlre et
pour honorer le domaine de Dieu : car voilà ce qui
nous est expressément marqué dans ces paroles de
mon texte : Ut slsterent eum Domino ; pour l'of-
frir au Seigneur , c'est-à-dire , au souverain Maître
de toutes choses. Or, c'est ainsi, mes chers audi-
teurs , que nous avons dû ou que nous devons nous
offrir nous-mêmes ; et pour vous expliquer en trois
mots toute ma pensée , je trouve que ce suprême
domaine de Dieu a trois qualités principales et trois
caractères qui le distinguent : c'est un domaine es-
sentiel, c'est un domaine universel, et c'est un do-
maine éternel. Domaine essentiel, fondé sur lana-
204 SUR LA PURIFICATION
ture même de Dieu; domaine universel qui, sans
exception et sans bornes , s'étend à tout ; enfin , do-
maine étemel , qui n'eut jamais de commencement
et qui ne doit jamais avoir de fin. Sur cela je re-
prends, et je dis : Domaine essentiel que nous de-
vons reconnoître, comme Jésus-Christ, par une
sincère oblation de nous-mêmes : ce sera la pre-
mière partie; domaine universel que nous devons
reconnoître , comme Jésus-Christ , par une entière
oblation de nous-mêmes : ce sera la seconde partie;
domaine éternel que nous devons reconnoître ,
comme Jésus-Christ , par une prompte oblation de
nous-mêmes : ce sera la conclusion. Trois points de
morale d'une conséquence infinie , et que je vais dé-
velopper.
PREMIÈRE PARTIE.
Il n'y a qu'un Seigneur, dit saint Paul : Unus
Dominas (i); et Dieu seul a droit de prendre ab-
solument cette qualité à l'égard de l'homme. Quand
on dit, en parlant des grands de la terre, que les
hommes qu'ils ont élevés et dont ils ont fait la for-
tune, sont leurs créatures, c'est une flatterie que
l'usage a introduite , mais que la religion, bien loin
de l'approuver, contredira toujours. En effet , les
grands peuvent bien avoir des serviteurs, ils peu-
vent bien avoir des sujets, ils peuvent bien même
avoir des esclaves : mais il ne convient qu'à Dieu
d'avoir des créatures qui , dans le fond de leur
être, soient à lui et dépendent de lui , et c'est en
(1) Ephes. 4>
DE LA VIERGE. 2o5
«quoi je fats consister l'essence de ce souverain do-
maine qu'il a sur nous. Or de là, chrétiens , il s'en-
suit d'abord , que de tous les tributs que nous de-
vons à Dieu , celui par où nous distinguons Dieu
comme Dieu, et l'unique même par où Dieu pré-
tend être reconnu de nous pour ce qu'il est , c'est
cette oblation de nous-mêmes dont j'ai entrepris de
vous instruire ici. Car de tout le reste , dit excel-
lemment saint Augustin , nous en pouvons être re-
devables aux hommes ; nous pouvons leur devoir
nos assiduités et nos soins : nous pouvons leur de-
voir nos biens , et quelquefois leur devoir nos vies;
mais jamais nous ne pouvons nous devoir nous-
mêmes à eux. Ce fond de nous-mêmes est quelque
chose que Dieu s'est réservé singulièrement, et dont
il exige que nous lui fassions honneur. Telle est ,
reprend saint Augustin , la nature de l'homme : et
voilà , mes chers auditeurs , le grand mystère que
Jésus-Christ, cet homme par excellence , cet homme
prédestiné pour être l'exemplaire et le modèle de
ious les autres hommes , cet homme choisi et en-
voyé au monde pour y faire connoître la supériorité
infinie du domaine de Dieu, voilà, dis-je, le grand
mystère qu'il nous découvre dans la solennité de
ce jour.
Il sait que le domaine de Dieu son Père a été
violé : il s'est chargé d'en réparer la gloire, et il
entreprend de la rétablir parmi les hommes. Mais
comment? sera-ce par le sacrifice des animaux et
par le sang des victimes ? sera-ce par l'encens qu'il
fera brûler sur les autels du Seigneur, ou en lui
2o6 SUR LA PURIFICATION
présentant des fruits de la terre? non, mes chers
auditeurs, ce ne seroit point là s'offrir lui-même,
et toute autre victime que lui-même ne pourroit
dignement honorer ce suprême domaine , dont il
veut rehausser l'éclat, et auquel il vient rendre
l'hommage qui lui est dû. C'est dans cet esprit qu'il
paroît aujourd'hui devant la majesté divine, pour
lui rendre un culte qu'il pouvoit seul lui rendre.
Car ne confondons point cet enfant et ce premier
né avec les autres aînés d'Israël. Sous le voile de
cette humanité dont il est revêtu, ce n'est pas seu-
lement un homme qu'il offre à Dieu en s'offrant
lui-même ; mais un Dieu , puisqu'en effet il est Dieu
lui-même , et que , tout Dieu qu'il est , il se soumet;
que tout Dieu qu'il est, il s'anéantit; que tout Dieu
qu'il est, et même parce qu'il est Dieu, il se pré-
sente, afin que le mérite de sa personne relève le
mérite et le prix de son sacrifice.
Arrêtons-nous là , chrétien ; il n'en faut pas
davantage pour notre instruction. Voilà le précis
de cette oblation essentielle à quoi se réduit non-
seulement le principal devoir de l'homme, mais,
pour parler avec le Sage , tout l'homme : Hoc
est enim omnis honio (i). Voilà l'importante
leçon que nous fait le Sauveur du monde , et
l'exemple qu'il nous propose pour nous servir de
modèle. Nous n'avons rien qui soit plus à nous ,
ni tout ensemble qui soit plus à Dieu , que nous-
mêmes : c'est donc de nous-mêmes que nous de-
vons tirer ce tribut qu'il exige de nous et qui lui
(l) Eccl. 12.
DE LA VIERGE, 207
es'fc incontestablement et nécessairement affecté,
comme au premier maître. Pour mieux entendre
ma pensée , prenez garde à deux propositions que
j'avance , et dont l'apparente contradiction va
mettre dans tout son jour ce point fondamental
que je traite. En qualité de créatures, nous appar-
tenons essentiellement à Dieu : c'est le premier
principe que je pose , principe que toute la théo-
logie reconnoît, et que la nature même et la raison
nous enseignent. Car à qui l'ouvrage peut-il plus
justement appartenir qu'à l'ouvrier qui l'a formé ?
Je dis néanmoins d'ailleurs , et c'est une vérité
qui nous est marquée en mille endroits de l'Écri-
ture , qu'il dépend de nous ou d'appartenir à
Dieu , ou de ne lui pas appartenir ; et qu'il y a
certains temps et certains états où en effet nous
ne lui appartenons plus. Ainsi Dieu le déclaroit-il
lui-même aux Israélites par le prophète Osée,
quand il leur disoit : Je ne suis plus votre Dieu,
et vous n'êtes plus mon peuple : et quoique
l'Apôtre , en conséquence du bienfait de la rédemp-
tion , nous ait dit : Yous n'êtes plus à vous : l'ex-
périence toutefois nous apprend , qu'il faut bien
que nous soyons encore à nous , puisque nous
disposons tous les jours de nous-mêmes , non-seu-
lement au préjudice de Dieu , mais de nous-mêmes,
jusqu'à nous perdre et à nous damner. Comment
accorder cela ? Un peu d'attention , chrétiens , et
vous l'allez voir , c'est tout le secret de l'alliance
du domaine de Dieu avec la liberté de l'homme.
U est vrai , nous pouvons ne pas appartenir
208 SUR LA PURIFICATION
à Dieu par le choix injuste et criminel de notre
volonté , cjiioiqu'au même temps nous lui appar-
tenions , sans le vouloir , par la nécessité insé-
parable de notre être ; et il est vrai que nous
sommes encore à nous-mêmes par l'exercice de
ce franc arbitre dont Dieu nous a laissé la dispo-
sition, quoique nous n'y soyons plus par cet enga-
gement de justice qui nous assujettit à lui en vertu
de notre création. Or voilà , mes frères , dit saint
Chrysostôme , sur quoi est fondé ce précepte na-
turel et divin qui nous oblige à nous consacrer et
à nous dévouer à Dieu. Car si nous appartenions
tellement à Dieu que nous n'eussions plus aucun
domaine sur nous-mêmes , nous serions incapables
de faire cette excellente oblation de nous-mêmes,
en quoi consiste le principal mérite de notre reli-
gion ; et si nous étions tellement à nous-mêmes
que Dieu n'eût plus aucun domaine sur nous , Dieu
ne pourroit plus exiger de nous que nous nous
donnassions à lui. Mais étant nécessairement à lui
d'une façon, et ne pouvant n'y être pas de l'autre ,
en conséquence de l'un , Dieu est en droit de
prétendre l'autre ; et parce que nous sommes à lui
par nécessité , il nous fait ce commandement si
légitime d'être encore à lui par élection et par
volonté. Peut-on rien concevoir de plus juste!
Quelle étoitdonc l'intention de Dieu dans cette
loi de la présentation des enfans , et quelle est
encore sur nous le dessein de sa providence dans le
mystère que célèbre aujourd'hui l'Eglise ? le voici,
chrétiens , il veut que par une oblation libre et
DE LA VIERGE. 209
volontaire de nos personnes, nous lui cédions ce do-
maine que nous avons sur nous-mêmes : domaine ,
remarquez ceci , je vous prie , domaine qui ne peut
être avantageux que par la cession que nous lui en
faisons; domaine pour nous le plus préjudiciable et
le plus funeste , si nous nous le réservons. Dieu ,
dis-je , veut que nous lui cédions ce domaine, pour
en rehausser , et s'il m'est permis de parler ainsi ,
pour accroître le sien : afin qu'il soit vrai que nous
lui appartenons dans toutes les manières dont nous
pouvons lui appartenir. Jusque-là pardonnez-moi,
mon Dieu, si je me sers de cette expression, jus-
que-là il n'est notre Dieu qu'à demi ; et pourquoi ne
parlerois-je pas de la sorte , puisque, selon le texte
sacré , sans cela on diroit même qu'il ne l'est point
du tout : Vos non populus meus : et ego non
erovester (1). Mais par là il le devient pleinement,
et son domaine reçoit comme sa dernière perfec-
tion. En un mot , chrétiens , Dieu veut nous avoir ;
mais il ne veut point de nous malgré nous : et
c'est là , dit saint Augustin, ce qui fait sa gloire
et la nôtre. Sa gloire, parce qu'il n'y a rien pour
lui de plus honorable que d'avoir des créatures qui
veulent bien être à lui , qui aiment à dépendre de
lui , qui se fassent une béatitude de s'attacher à
lui : et la nôtre , parce qu'à proportion que nous
sommes à Dieu , nous nous élevons au-dessus de
notre bassesse naturelle. Doù vient que les grands ,
les souverains , les rois de la terre , sont ceux qui
par leur état ont une dépendance plus prochaine
(1) Osée. 1.
TOMJ£ XI. l4
2lt) SUR LA PURIFICATION
de Dieu ; en sorte que cette dépendance fait leur
véritable grandeur , et que l'obligation spéciale
qu'ils ont d'être soumis à Dieu plus que le commun
des hommes , est justement ce qui les relève au-
dessus de tous les hommes.
Mais revenons. Il est donc question d'obéir à
ce premier précepte de la loi de grâce , en nous
offrant nous-mêmes à Dieu : et qu'est-ce que nous-
mêmes ? qu'entendons-nous par nous offrir nous-
mêmes ? ah ! chrétiens , voilà le mystère que nous n'a-
vons peut-être jamais bien compris , et où nous nous
sommes laissés si souvent tromper par notre amour-
propre. Il n'est rien de plus aisé que de dire à
Dieu : Je m'offre à vous , je me consacre à vous ,
je veux être à vous; mais il faut enfin s'expliquer,
et développer, en la présence de Dieu, ce mystère
de nous-mêmes. Or nous avons une règle infail-
lible pour le reconnoître : car il y a dans nous un
premier né , qui est notre cœur , à quoi tout le
reste se réduit ; et c'est ce premier né qui doit
être présenté par l'homme chrétien dans la loi
évangélique , comme les premiers nés d'Israël
l'étoient dans la loi de Moïse. Ce cœur a ses
passions . ses altachemens , ses intérêts , ses plaisirs ,
ses cupidités ; et tout cela c'est ce qui s'appelle
nous-mêmes : mais nous sommes sûrs de tout cela
et de nous-mêmes , quand ce coeur est une fois à
Dieu. Il est vrai que ce cœur est un abîme impéné-
trable ; mais enfin , tout impénétrable qu'il peut
être , nous savons bien à qui il est et à qui nous
î'avons donné : si c'est Dieu qui en est le maître,
DE LA VIERGE. 211
ou la créature. Car c'est un oracle de la vérité
éternelle, qu'il ne peut être à l'un et à l'autre tout
à la fois-, et Terreur du monde la plus pernicieuse,
est de croire que nous pouvons partager ce cœur
entre la créature et Dieu, entre nos passions et
Dieu , puisque à peine le pouvons-nous partager
entre deux passions et deux objets créés. Disons à
Dieu que nous ne voulons pas être à lui, et que
nous avons disposé de ce cœur en faveur d'un
autre, c'est un outrage que nous lui ferons; mais
au moins y aura-t il dans cet outrage une espèce
de bonne foi , et peut-être la honte que nous
aurons de lui faire cette confession , nous rappel-
lera-t-elle à nous. Mais de dire à Dieu que nous
sommes à lui , pendant qu'lm autre objet nous
possède et qu'il occupe notre cœur , c'est ajouter
crime sur crime, et mentir au Saint-Esprit. Ce
cœur , qui est la plus délicate portion de nous-
mêmes , et , comme parle saint Augustin , l'abrégé
et le centre de nous-mêmes , voilà ce que Dieu
s'est réservé dans nous. Sans cela nous aurions
beau lui offrir nos biens : il n'a que faire de nos
biens, dit le Prophète royal, ets'il se tient honoré
de l'offre que nous lui en faisons, ce n'est que par
le rapport qu'ils ont à notre cœur ; mais si en
lui donnant ces biens nous retenons ce cœur,
notre sacrifice est le sacrifice de Caïn. Sans cela
nous avons beau lui protester que nos vies, que
nos fortunes sont entre ses mains ; il faut bien que
nous parlions ainsi : mais toutes ces protestations
£ont des paroles dont il appellera toujours à notre
212 SUR "LA PURIFICATION
cœur , et contre lesquelles ce cœur réclamera
toujours , tant qu'il se sentira dominé par la
•créature.
Dieu veut donc notre coeur , chrétiens , et il le
veut de telle sorte qu'il en est jaloux ; et cette jalousie
est si peu indigne de lui , qu'il s'en fait même
honneur dans l'Ecriture , puisqu'une des qualités
dont il se glorifie davantage , est celle d'un Dieu
jaloux : Dominus zelotes nomen ejus (i). Il n'est
point jaloux de nos grandeurs, il n'est point jaloux
de nos prospérités : outre que nos prospérités et
nos grandeurs sont trop peu de chose pour exciter
sa jalousie , il n'a garde de nous les envier , lui
qui en est l'auteur. Il veut bien que nous soyons
riches , que nous soyons grands, que nous soyons
puissans dans le monde , pourvu que notre cœur
soit à lui. C'est pour cela qu'il a fait des prodi-
ges d'amour , qu'il a tout entrepris , qu'il a tout
souffert; et saint Ambroise , surpris avec raison
qu'il ait voulu tout soull'rir de la sorte et tout
faire , ne croit point manquer au respect qui lui
est dû , en s'écriant : O Deum , si fas est di-
cere , prodigum tut prœ desiderio homitiis !
O Dieu ! si je l'ose dire , prodigue de vous-même
et de votre divinité par un désir excessif du cœur
de l'homme !
Après cela serons -nous encore assez injustes
pour lui refuser un cœur qui lui appartient par
tant de titres, ou plutôt, serons-nous encore assez
infidèles pour lui ôter la possession d'un cœur que
(1) Exod. ô4.
DE LA VIERGE. 2lS
nous lui avons offert tant de fois ? Car enfin , chré-
tiens auditeurs , cent fois nous l'avons dit ; et le
langage le plus ordinaire que nous avons tenu à
Dieu , lorsque nous étions aux pieds de ses autels ,
c'étoit que nous lui donnions notre cœur : et si nous
ne voulons prononcer ce jugement contre nous-
mêmes , que nous parlions alors en hypocrites et
même en impies , nous sommes obligés de convenir
que de notre propre consentement, ce cœur n'est
plus à nous. Et voilà , dit saint Grégoire , pape ,
ce qui fait la malice du péché ; mais surtout de ce
péché par où notre cœur s'attache et se livre à une
créature mortelle. Car c'est attenter sur le domaine
de Dieu , ou , pour mieux dire , c'est ruiner dans
nous ce domaine volontaire que Dieu s'étoit acquis
sur nous ; c'est révoquer la donation que nous lui
avons faite de nous-mêmes , et par une usurpation
sacrilège , lui arracher ce cœur qui s'étoit consacré
à lui : c'est commettre dans l'holocauste un larcin ;
ce qu'il a toujours eu en horreur, comme il le
témoigne si expressément par son Prophète : c'est
nous dérober nous-mêmes à lui , après nous être
présentés, et piquer sa jalousie, non plus en
adorant , à l'exemple des Israélites , et en lui susci-
tant pour rivaux des dieux de bois et de pierre ,
mais des idoles de chair : Et in sculptitibus suis
ad œmulationem ewn provocaverunt (i). Pro-
fanes idoles, objets corrupteurs et indignes de nous,
qui nous perdent, qui nous damnent, et dont nous
nous faisons néanmoins de prétendues divinités 9
(1) P*alm, 77.
2i4 SUR LA PURIFICATION
ou qui nous réduisent à n'avoir plus , et à ne plus
reconnoître de divinité. Ali! mon Dieu, est-il pos-
sible que mon iniquité soit allée jusque-là : et moi
qui ne voudrois pas qu'on entreprit sur le moindre
de mes droits; moi qui ne pourrois souffrir qu'on
violât à mon égard certains devoirs ; moi , Sei-
gneur , qui crois pouvoir exiger de vous , parce
que vous êtes mon Dieu , que vous étendiez sur
moi les soins de votre providence , comment vous
ai-je rendu jusques à présent si peu de justice , et
comment ai-je pu vivre ainsi , dans un désordre
continuel , par rapport à vous et à la plus essen-
tielle de mes obligations ? Mais enfin jusqu'à quand
ce désordre durera-t-il? jusqu'à quand cette passion
régnera-t-elle dans mon cœur ? en serai-je toujours
esclave , et ne romprai-je jamais mes liens , pour
vous offrir ce beau sacrifice de louanges dont a
parlé votre Prophète et qui consiste à m'immoler
moi-même, et à vous honorer par là 7 selon la
parole du Saint-Esprit , de ma propre substance ?
Si nous le faisons , chrétiens , ce sacrifice , non-
seulement nous nous acquitterons de ce que nous
devons au souverain domaine de Dieu , mais nous
engagerons Dieu à nous combler de ses grâces ;
il nous accordera les secours les plus puissans ,
pour seconder une si généreuse entreprise, et pour
nous soutenir dans l'exécution ; il nous affermira
le bras pour porter le coup avec plus d'assurance ,
et pour lui sacrifier cette victime qu'il nous de-
mande ; il versera sur nous ses plus abondantes
bénédictions , et même ses plus douces consola-
DE LA VIERGE. 2I&
tions ; et nous serons surpris de trouver tout aisé ,
Jà où tout devoit, ce semble , nous coûter si cher.
Mais vous me direz : Ce qu'il y a dans mon
cœur de plus précieux pour moi, ce qu'il y a de
plus intime, est souvent ce qui me rend plus cri-
minel : car c'est un engagement tendre , un amour
illégitime et corrompu ; or ce qui me rend crimi-
nel , et ce qui est criminel en soi , comment peut-il
être offert à Dieu , et comment peut-il entrer dans
ce sacrifice de moi-même par où je dois honorer
Dieu ? Appliquez-vous, chrétiens , à ma pensée; je
vais dans une espèce de paradoxe vous découvrir
une des plus grandes et des plus consolantes vé-
TÎtés du christianisme. En effet, voilà le miracle de
la grâce, que ce qui nous rendoit criminels, serve
à nous sanctifier par le sacrifice que nous en faisons
à Dieu ; et que ce qu'il y avoit dans nous de plus
abominable aux yeux de Dieu , par un changement
merveilleux , soit ce que nous avons à lui présenter
déplus digne de lui; c'est-à-dire, que notre Dieu
veuille bien se tenir honoré de notre péché même,
et que non-seulement il ne refuse pas de recevoir
ce péché en holocauste , mais que de tous les holo-
caustes qu'il attend de nous , il n'y en ait pas un qu'il
estime davantage , et qui lui plaise plus que celui-
là. Or , c'est de quoi nous ne pouvons douter , après
la déclaration expresse que nous en fait saint Paul,
en nous obligeant à faire servir nos propres dé-
sordres à la piété et à la justice. Et voilà , cliré-r
tiens , le moyen de concilier deux choses infini-
ment utiles pour notre instruction et pour notre édi-
3l6 SUR LA PURIFICATION
fication. Plaise au ciel que vous les goûtiez, et que
vous en profitiez ! Car la foi nous apprend d'une
part, que nous devons nous offrir à Dieu dans un
état où nous puissions lui être agréables , c'est-à-
dire , dans un état de sainteté conforme à ce que
nous sommes , et à ce qu'il est : et cependant la
môme foi nous enseigne d'ailleurs, que Dieu, tout
juste et tout saint qu'il est , ne dédaigne pas les
pécheurs. Nous savons que comme Jésus-Christ
présente aujourd'hui dans sa personne une victime
pure , innocente, exempte de tache, il faut que
nous paroissions, autant qu'il est possible , devant
Dieu dans les mêmes dispositions ; que nous avons
un corps , et qu'il faut que nous lui présentions ce
corps comme une hostie vivante, sainte, capable
de lui plaire : Ut exhibeatis corpora vestra hos-
tiam viveritem , sanctam, Deo placentem (i);
qu'il nous a donné une ame , et qu'il faut que cette
ame soit sanctifiée par la charité et par toutes les
vertus chrétiennes , pour mériter de lui être offerte;
en un mot, qu'il faut, parce qu'il est saint, que
nous le soyons aussi : Sancti estote , quia ego
sanctus swn (2). Voilà ce que nous savons ; mais
nous savons en même temps que les publicains
n'ont pas laissé d'entrer dans le temple de ce Dieu
de sainteté , pour se présenter à lui , et que, n'ayant
lien qui fût digne de lui, ils ont cru devoir au moins
lui offrir leur indignité. Quoi donc !-veux-je par-là
vous engager à offrir à Dieu des corps impurs ,
des esprits superbes et orgueilleux, des aines atta-
(1) Rom. 12. — (2) Levit. 11.
DE LA VIERGE. 217
cliées à la terre , des cœurs infectés de la conta-
gion du péché ? A Dieu ne plaise , mes chers au-
diteurs, que je sois dans ce sentiment, et que je ne
l'aie pas en horreur. Mais pour n'être pas encore
saints et irrépréhensibles devant Dieu , ne pourrez-
vous puis aussi jamais vous présenter à Dieu ? En
parlant de la sorte, je* vous réduirois à un funeste
désespoir , et peut-être donnerois-je à l'impiété
tout l'avantage qu'elle désire. Non , non , chrétiens ,
je ne dis ni l'un ni l'autre : mais réunissant ces deux
vérités , je dis , pour détruire tous les prétextes qui
pourroient vous éloigner de Dieu, qu'il faut, ou
que vous soyez saints pour vous offrir à Dieu, ou
qu'en vous offrant à Dieu vous commenciez à être
saints. Je dis qu'il faut que vous trouviez dans
vous-mêmes cette victime innocente que demande
l'Apôtre ; ou , si vous ne l'y trouvez pas , que vous
l'y formiez : et comment ? par l'oblation même de
vos personnes; car quelque corrompus que vous
puissiez être par le péché , je prétends que cette
oblation seule , de la manière que je l'entends, vous
sanctifiera, et que comme notre divin Sauveur, en
se présentant à son Père , a sanctifié par cette seule
action tous les justes qui sont et qui seront jamais :
JJnd oblatione consummavit in sempiternum
sanctificatos (1) , ainsi vous qui m'écoutez , par
cette oblation particulière que vous ferez de vous-
mêmes , pourvu qu'elle soit sincère , de pécheurs ,
de mondains , d'indignes de Dieu que vous êtes ,
vous deviendrez saints , parfaits , dignes de Dieu :
(1) Hebr. 10.
2lS SUR LA PURIFICATION
pourquoi ? parce que , selon les principes de la
théologie et des Pères, s'offrir à Dieu sincèrement
et de bonne foi, c'est se sanctifier : Sanctum Do-
mino vocabitur (i). Car s'offrir à Dieu sincère-
ment et de bonne foi , c'est sincèrement et de bonne
foi vouloir être à Dieu : or , vouloir être ainsi à
Dieu, c'est renoncer de bonne foi et sincèrement
à tout ce qui nous éloigne de Dieu, et voilà la dé-
testation du péché et la conversion du cœur. Vou-
loir être à Dieu , et le vouloir bien , c'est vouloir
détruire dans nous tout ce qui nous a séparés de
Dieu, et qui pourroit encore nous en séparer; et
voilà l'expiation du péché et la satisfaction de la
pénitence. Vouloir être à Dieu, c'est vouloir être
ami de Dieu , lui obéir et le servir; et voilà l'exer-
cice des vertus chrétiennes, et la pratique de toutes
les bonnes œuvres : Sanctum Domino vocabitur.
Une oblation de nous-mêmes, véritable, solide , effi-
cace, comprend tout cela, sinon dans l'exécution
actuelle , au moins dans le désir , dans le sentiment,
dans la résolution; et que faut-il davantage pour
nous réconcilier avec Dieu et pour nous remettre
dans sa grâce ? Sanctum Domino vocabitur.
Grande et essentielle différence que vous devez
ici remarquer entre les devoirs de la religion que
nous rendons à Dieu, et les offres même sincères
de service que nous faisons aux hommes : car quand
je me donne, par exemple, quand je m'offre à un
grand de la terre, je ne deviens pas pour cela digne
de lui; je puis être à lui, et retenir toute mon in-
(i) Luc. 2.
DE LA VIERGE. 2 T 9
dignité, parce que je puis être à lui et n'en être
pas meilleur; il ne dépend pas de moi de lui plaire,
et il peut arriver que l'empressement même et l'ar-
deur que je témoignerai pour lui plaire , fera que
je lui déplairai. Mais il en va tout au contraire à
l'égard de Dieu : si je veux être à lui, je suis à
lui ; si je veux lui plaire , je lui plais ; si je veux mé-
riter son amour, je commence à le mériter; et si
je veux devenir saint, dès là je commence à le de-
venir : Sanctum Domino vocabitur. A quel autre
maître dois-je donc plutôt me consacrer? et dans
la consécration que je ferai de moi-même à mon
Dieu, quel regret plus vif dois-je ressentir, que
d'avoir quelque temps délibéré sur une obligation
si indispensable ? car puisque vous êtes mon Dieu,
Seigneur, puisque vous êtes le Dieu de mon cœur,
il est bien juste que vous le possédiez; et que ne
puis-je vous le rendre tel que vous l'avez formé !
Mais tout corrompu qu'il est , vous l'agréerez ,
quand je vous l'offrirai; de cette victime d'iniquité,
vous ferez une victime de propitiation et de sanc-
tification ; vous la purifierez par le feu de votre
amour; et, purifiée de la sorte, elle servira à votre
gloire. Les maîtres du siècle , si j'allois me présen-
ter à eux , après leur avoir été aussi infidèle qu'à
vous, me rebuteroientetrefuseroientden "entendre;
mais , Seigneur , vous voulez bien encore vous te-
nir honoré de l'olTrande que je viens vous faire, et
c'est ce qui m'encourage à la faire. Domaine de
Dieu , domaine essentiel que nous devons recon-
noître , comme Jésus-Christ , par une oblation sm-
220 SUR LA PURIFICATION
cère de nous-mêmes; et domaine universel que
nous devons reconnoître, comme Je'sus-Christ, par
une entière oblation de nous-mêmes : c'est la se-
conde partie.
DEUXIÈME PARTIE.
C'est une réflexion bien judicieuse que fait saint
Ambroise , lorsque parlant de la vertu de religion,
qui est le lien de la dépendance et de la subordi-
nation parfaite qu'il doit y avoir entre Dieu et
l'homme , il dit que le devoir et le mérite de cette
vertu ne consistent pas à s'offrir simplement à Dieu ;
et la raison qu'il en apporte est convaincante ; car
il n'y a point d'homme, ajoute-t-il , pour lâche ou
pour pécheur qu'il puisse être , qui , dans le relâ-
chement même , ou dans le désordre de sa con-
duite , ne voulût être à Dieu à certaines conditions,
ne fût près de se donner à lui jusqu'à un certain
point d'engagement, et ne lui fit sans peine le sa-
crifice de sa personne avec certaines réserves. Le
mérite donc de la religion , conclut ce saint docteur ,
est de faire à Dieu l'oblation de soi-même dans une
étendue proportionnée à celle du domaine de Dieu.
Or, pour bien reconnoître l'étendue du domaine
de Dieu, la condition indispensable doit être de
s'offrir à Dieu sans condition ; le terme de notre
engagement, de s'engager sans aucun terme; et la
juste mesure de notre sacrifice , de se sacrifier sans
mesure : pourquoi? je vous l'ai dit , chrétiens;
parce que Dieu étant absolument ce qu'il est, et
son domaine étant infini aussi bien que son être ,
DE LA VIERGE. 221
tout ce qui est borné du côté de la créature ne
peut plus avoir , en qualité d'hommage et de tribut,
la proportion requise pour l'honorer. Il faut dans le
cœur de rhomme , si j'ose m'exprimer ainsi, quelque
chose d'aussi vaste et d'aussi immense que ce do-
maine même qui est en Dieu , afin que Dieu puisse
être content, c'est-à-dire, il faut que l'homme
veuille être aussi universellement à Dieu , que l'em-
pire de Dieu s'étend universellement sur lui. Or
ce caractère d'universalité dans l'acte de religion
dont nous parlons , c'est ce qui en fait le difficile
et l'héroïque ; et voilà néanmoins la seconde leçon
que nous devons tirer de notre mystère.
Car prenez garde, chrétiens, Jésus-Christ ne
se contente pas d'être présenté dans le temple ;
mais il se présente lui-même avec une connois-
sance distincte de tout ce qui lui arrivera en consé-
quence de cette présentation : je veux dire, avec
une vue actuelle de tous les ordres rigoureux qui
seront un jour exécutés sur sa chair innocente et sur
sa divine personne : il s'offre à Dieu pour être la
victime du genre humain : il s'engage jusqu'à vou-
loir bien accomplir tout ce qui est prédit de lui s
jusqu'à vouloir bien renoncer aux droits les plus
inaliénables de sa gloire , jusqu'à vouloir bien se dé-
pouiller de sa liberté, en prenant la formed'un escla-
ve; jusqu'à vouloir être rassasié d'opprobres, être un
homme de douleurs , être regardé comme un ver
de terre , être anathème et malédiction , être cou-
vert de la tache du péché et traité comme pécheur;
en un mot , jusqu'à cette affreuse extrémité de
2.22 SUR LA PURIFICATION
mourir , et de mourir par les mains des hommes ,
et de mourir entre deux criminels , et de mourir
sur la croix : TJsque ad mortem , mortem autem
crucis (i). Car sans cela, tout Sauveur et tout
Dieu qu'il est , il ne s'acquitteroit pas envers Dieu
de ce qu'il lui doit ; et si de toutes ses épreuves il
en eût excepté une seule , Dieu n'auroit pas été
pleinement satisfait de lui. Il falloit tout cela
pour honorer Dieu selon toute Fé tendue de son
domaine.
Ah! mes frères, s'écrie saint Bernard, à con-
sidérer cette oblation telle qu'elle se fait dans le
temple , et par rapport à l'heure présente ; à
l'examiner seulement en elle-même, et sans égard
à ses suites , elle paroît assez douce et bien facile.
On porte Jésus-Christ à l'autel , on le consacre au
Seigneur de toutes choses , on le met pour cela
dans les mains du prêtre , on le rachète avec deux
tourterelles , et aussitôt on le rapporte dans la maison
de Joseph : Oblalio ista salis delicata vîdetur ,
ubi tantùm sislitnr Domino , redimitur avibiis
et illico report a tur. Mais n'en jugez pas par la
simplicité de cette cérémonie ; car le jour viendra
où ce divin enfant sera otlert , non plus dans le
temple , mais au Calvaire; non plus entre les bras
de Siinéon , mais entre les bras delà croix; non
plus par le ministère de Marie, mais par le minis-
tère des bourreaux : Veniet quando non in tem-
plo offeretur , nec inter brachia Simeonis ,
sed extra civitatem inter brachia crucis. Ce
(1) Philip. 2.
DE LA VIERGE. 223
cru'il fait aujourd'hui n'est que le prélude de ce
qu'il fera alors ; on plutôt , ce qui se fera alors ne
sera que la consommation et l'accomplissement
de ce qui se fait aujourd'hui. Car cet homme-Dieu
ne sera persécuté , ne sera moqué et insulté ,
ne sera meurtri de coups et déchiré de fouets , ne
sera crucifié que parce qu'il l'aura voulu. Or c'est
aujourd'hui qu'il se déclare solennellement vouloir
tout cela : et il se tient obligé de le vouloir, parce
qu'il se présente à Dieu ; nous apprenant par son
exemple , qu'à proportion de ce que nous sommes ,
il nous eu doit autant coûter pour nous mettre dans
l'ordre de cette dépendance entière et parfaite où
nous devons vivre à l'égard de Dieu, et que pour
peu que nous prétendions composer avec Dieu ,
l'oblation que nous lui faisons de nous-mêmes n'est
ni complète ni recevable.
Voilà, mes frères, dit saint Léon , ce qui nous
justifie sensiblement l'excellence de cette loi divine
que nous avons embrassée , et qu'une infidélité
secrète qui nous aveugle ose quelquefois condam-
ner d'excès. Quand on nous dit que la loi chrétienne
porte l'assujettissement et le dévouement de la
créature à Dieu, jusqu'à la haine de soi-même,
jusqu'au crucifiement de la chair, jusqu'à l'humi-
liation de l'esprit , jusqu'à la mort des plus vives
et des plus dominantes passions, jusqu'au retran-
chement des simples désirs, jusqu'au pardon des
injures, jusqu'à l'oubli de l'intérêt, jusqu'au sacri-
fice de l'homme et de tout l'homme , et que, sans
une disposition de cœur qui comprenne tout cela s
224 SUR LA PURIFICATION
il est inutile de nous offrir à Dieu , le dirai-je ?
tout fidèles que nous sommes , nous ne pouvons
goûter cette morale ; elle nous paroît outrée , et
nous la traitons d'exagération. Mais d'où vient
notre erreur sur ce point? de ne nous pas appliquer
assez à bien connoître , et le domaine de Dieu d'une
part , et de l'autre la tyrannie du monde. JNe perdez
pas ceci, je vous prie, je dis d'une part le do-
maine de Di'eu ; car si j'avois une fois bien compris
ce que c'est que Dieu , et par combien de titres
je lui appartiens , quelque épreuve qu'il voulut
faire de moi et de ma fidélité , ma raison n'auroit
rien à répliquer. Ce seul nom d'un Dieu maître de
l'univers , s'autorisant de ce suprême domaine
pour porter ses lois , ne les fondant sur rien autre
chose , sinon qu'il est le Seigneur, Ego Domi-
nus (i) ; d'un Dieu à qui nous sommes redevables
de tout , parce que nous avons tout reçu de lui ,
d'un Dieu de qui nous avons une dépendance si
universelle , que nous ne pouvons rien sans lui
et que par lui; ce nom seul, je le repète , pris
dans toute l'étendue de sa signification , répondroit
à toutes les difficultés que la prudence humaine
pourroit former au préjudice de ses droits. A quoi
que ce soit qu'il lui plût de les étendre , je con-
clurois qu'ils vont bien au-delà , et que tous les
hommages que je lui rends ne sont encore que
comme de foibles essais de ceux que je lui dois.
Surtout je le conclurois de la sorte, en considé-
rant d'autre part la tyrannie du monde; car j&
(i) Lcvit. 19.
DE LA VIERGE. $2$
n'ai qu'à me souvenir comment le monde veut
être servi , comment il veut qu'on soit à lui pour
apprendre ce que Dieu demande de moi , et ce
que je ne puis sans injustice lui refuser. En effet,
le monde est-il content qu'on ne se donne à lui
qu'à demi? et que réservez- vous, que croyez-vous
pouvoir réserver, quand il s'agit de marquer votre
attachement à ces maîtres mortels dont la nécessité
ou le devoir vous font dépendre ? Voilà , chrétiens
une conviction sensible , palpable , et à laquelle
je ne vois pas que vous puissiez jamais répondre ;
voilà le sujet de votre confusion : si vous n'y pen-
sez pas , il est bon de vous y faire penser.
Vous le savez jusqu'où le monde souvent fait
aller ses prétentions à l'égard de ceux qu'il tient
sous son empire. Délibérer et balancer quand il
est question de son service , ne se pas livrer en
aveugle à toutes ses volontés , se prescrire là-
dessus certaines bornes , et ne pas vouloir, passer
plus avant , c'est assez pour le refroidir , assez
pour le piquer contre vous , assez pour lui rendre
votre fidélité suspecte , et pour vous attirer sa
disgrâce. Vous vous êtes mille fois sacrifié pour
lui; vous avez eu pour lui toutes les déférences;
vous lui avez rendu toutes les assiduités qui pou-
voient lui faire voir votre zèle ; vous lui en avez
donné mille preuves , et tous les jours vous lui en
donnez encore de nouvelles : cela est vrai; mais
parce que dans une occasion vous n'avez pas fait
paroitre la même ardeur ; parce qu'il ne vous a
pas trouvé également vif , également prompt ,
TOME XI. jS
226 SUR LA TU RI FI CATION
également déterminé à seconder tous ses désirs ,
il n'en faut pas davantage pour vous détruire dan
son esprit , et pour répandre un nuage sur tous
vos mérites passés. Dieu dit autrefois à Abraham ,
lorsque ce saint patriarche consentit à immoler
Isaac , son fils unique et son bien-aimé : Quia
fecisti liane rem (i). Parce que vous m'avez obéi
en telle rencontre , pour celte seule chose que
vous avez faite , je vous bénirai , je vous comble-
rai de gloire , je vous donnerai une longue et heu-
reuse postérité , je verserai sur vous mes grâces
les plus abondantes. Mais s'il m'est permis de faire
cette opposition , je puis bien dire , au contraire :
parce qu'il y a eu un point et tel point où le
monde attendoit de vous un plein dévouement de
vous-même , et où vous vous êtes épargné , cela
suffit ; sans égard à tout ce qu'il a d'ailleurs reçu
de vous, le monde vous méprisera, le monde vous
oubliera , le monde vous frappera de ses anathèmes
et vous réprouvera : telle est la conduite du monde ,
telle en est la loi; et ce qui m'étonne encore plus ,
c'est de vous voir si soumis à cette loi. Quels sacri-
fices ne fait-on pas aux hommes pour mériter leurs
bonnes grâces, et pour s'insinuer dans leur faveur ?
le sacrifice de ses biens : on s'épuise pour eux en
frais et en dépenses excessives , rien ne coûte ,
pourvu qu'on parvienne à leur plaire, et l'on ne
compte pour rien le désordre de ses affaires et la
ruine entière de sa famille ; le sacrifice de son re-
pos : que de réflexions , que d'assiduités , que de
(i) Gaies. 22.
DE LA VIERGE. 227
veilles , que de courses , que de fatigues ! le sacri-
fice de sa santé : on se consume de travaux , et
encore plus de chagrins qui en sont inséparables ; .
le sacrilice de sa vie : on s'expose à tous les orages
de la mer , à tous les périls des armes , et l'on de-
vient prodigue de son propre sang ; le sacrifice
même de son ame : on se rend complice des injustes
entreprises d'un grand , ou compagnon de ses dé-
bauches. Dis-je rien dont vous ne soyez témoins ,
et dont nous ne devions gémir? Prenez garde , s'il .
vous plaît : je ne prétends point ralentir l'ardeur
qu'on a et que nous devons avoir pour ces maîtres
que le ciel a placés sur nos têtes , et qu'il a revêtus
de son autorité. Soyons dévoués à leurs personnes ,
dévoués à leurs intérêts; et hors l'intérêt de Dieu
et celui de notre conscience , ne ménageons rien
de tout le reste, et soyons-leur fidèles jusques à la
mort: non-seulement j'y consens, mais c'est un'
devoir que je vous prêche , et à quoi je ne puis
trop fortement vous porter. L'unique chose que je
veux vous faire comprendre, et que je déplore ,
c'est votre injustice, lorsque vous usez de tant de
réserve à l'égard du plus grand de tous les mai!; es,
et que vous faites gloire de vous immoler pour les
autres.
Car voici le désordre , chrétiens , et pour peu
que vous vous appliquiez à découvrir les sentimens
de votre cœur, vous aurez bientôt reconnu que
c'est le votre. On veut être à Dieu , mais toujours
avec certaines exceptions. Qu'il demande tout ce
qu'il lui plaira , tout lui est présenté , pourvu qu'il
228 SUR LA PURIFICATION
fasse grâce à cette passion , pourvu qu'il ne con-
damne pas cette inclination , pourvu que ce point
d'honneur soit à couvert , pourvu qu'on ne soit
pas obligé de renoncer à ce jeu, pourvu qu'on
puisse toujours entretenir cette société et se trouver
à ces assemblées. Voilà le plan qu'on se forme d'une
conduite chrétienne ; voilà le traité qu'on voudroit
faire avec Dieu : et moi je dis que ce plan est chi-
mérique , et que ce traité ne peut subsister : pour-
quoi ? parce que c'est vouloir vous partager entre
Dieu et le monde , entre Dieu et vous-même , et
que Dieu ne peut souffrir de partage ; parce que
c'est vouloir limiter le domaine de Dieu, et que
son domaine n'a point de limites.
En effet , chrétiens , avez-vous jamais bien pé-
nétré le sens de ces paroles que Dieu dit à Moïse ,
et sur quoi est fondée la cérémonie de ce jour :
Mea sunt omnia; Toutes choses sont à moi? Pa-
roles courtes , mais qui , dans leur brièveté , com-
prennent les devoirs les plus essentiels de l'homme
envers Dieu , en nous donnant la plus juste idée du
domaine de Dieu sur l'homme. Mea sunt omnia ( i )/
Tout est à moi : c'est-à-dire , comme nous l'enseigne
le Disciple bien-aimé , que tout dans ce vaste uni-
vers a été fait par lui, et que rien de tout ce qui
a été fait ne l'a été sans lui : par conséquent que
l'homme en particulier n'a rien qu'il n'ait reçu de
lui; et par une conséquence non moins nécessaire,
que l'homme n'a rien qui ne doive remonter vers
lui comme à. sa source , et lui être rapporté. Mea
(i) Exoil. i3.
DE LA VIERGE. 2.1$
sunt omnla ; Tout est à moi : c'est-à-dire , que
comme il est l'auteur de tout, il en est le conserva-
teur; en sorte, dit l'Apôtre , que nous n'agissons
que par lui, et qu'il n'y a pas une pensée de notre
esprit, pas un sentiment de notre cœur, pas une
action qui ne dépende actuellement de lui : d'où
il s'ensuit que toutes les pensées de notre esprit,
que tous les sentimens de notre cœur, que toutes
nos actions doivent être pour lui. Mea sunt omnia;
Tout est à moi : c'est-à-dire , selon la parole du
Saint-Esprit , qu'il peut disposer de tout à son gré,
et suivant les absolus et sages conseils de sa provi-
dence ; qu'il a dans ses mains les biens et les maux ,
les richesses et la pauvreté , la fortune et l'adver-
sité , la maladie et la santé; qu'il les distribue
comme il lui plaît, et partout où il lui plaît; que
c'est lui qui blesse et lui qui guérit , lui qui dépouille
et lui qui enrichit, lui qui abaisse et lui qui élève ,
lui qui afflige et lui qui console : car toutes les Ecri-
tures sont pleines de ces expressions ; et de là que
faut-il conclure? que quelque disposition qu'il fasse
de nous, qu'en quelque état qu'il nous place, nous
n'avons donc ni ne pouvons avoir aucun droit de
nous détacher de lui.
Ah ! chrétiens , quels fonds de morale ! repre-
nons-le , et tâchons à nous instruire. Piien de nous
qui n'appartienne à Dieu; et cependant que lui
donnons-nous de tout ce que nous sommes ? Dans
ce partage que nous faisons de nous-mêmes, si
Dieu n'est pas absolument oublié , du reste que ne
réservons-nous pas pour notre vanité ? pour notre
23o SUR LA PURIFICATION
ambition, pour notre plaisir, pour nos commodi-
tés et nos aises, pour notre intérêt et notre avare
cupidité ? Ce qu'il y a de plus déplorable et ce qui
rend notre erreur plus dangereuse , c'est que nous
nous conduisons en cela même par principes , mais
principes qui nous trompent, ou parce que notre
amour-propre nous les a fait porter trop loin , ou
parce qu'il nous les fait mal entendre. Car il faut
être à Dieu, disons-nous, mais y être d'une ma-
nière convenable à notre état; il faut être à Dieu,
mais aussi, dans mon état, ne dois-je pas aban-
donner tout le soin de mon établissement selon le
monde; il faut être à Dieu> mais aussi, dans mon
état, ne dois-je pas me distinguer par des singu-
larités , ni manquer à toutes les bienséances du
monde ; il faut être à Dieu, mais aussi, dans mon
état, ne dois-je pas me priver de tout divertis-
sement et de tout relâche ; il faut être à Dieu ,
mais aussi, dans mon état, faut-il me mainte-
nir, et si je ne pense pas à moi-même et à mes
affaires temporelles, qui y pensera et qui y pour-
voira? Spécieux raisonnemens , qui, pris dans un
sens chrétien, peuvent être vrais, et alors ne nous
font rien dérober à Dieu de tout ce que nous lui
devons; mais qui, de la manière que nous les en-
tendons, n'aboutissent qu'à nous faire entièrement
quitter Dieu pour le monde, ou du moins qu'à
nous justifier l'indigne réserve que nous faisons de
la meilleure part de nous-mêmes, pour la donner
au monde. Allons plus avant : rien dans nous , non-
seulement qui n'appartienne à Dieu, mais qui n'ait
DE LA VIERGE. s3l
nne dépendance actuelle de Dieu pour subsister ,
ni qui puisse agir sans Dieu. Mais voici l'injure la
plus sensible que puisse recevoir de nous ce pre-
mier moteur qui concourt à toutes nos pensées , à
tous nos sentimens, à toutes nos actions, par un
secours continuel et toujours présent : c'est qu'à
peine nous occupons-nous quelques momens de
lui, qu'à peine tournons-nous quelquefois notre
coeur vers lui; que de tant d'actions qui compo-
sent notre vie, à peine en peut-il compter quel-
ques-unes qui soient pour lui. Je dis plus encore :
comme Dieu est le souverain auteur de nos êtres ,
il est maître de nos destinées : car , selon le raison-
nement de l'Apôtre, l'ouvrier ne peut-il pas faire
tout ce qu'il veut de son ouvrage? le placer comme
un vase d'honneur sur le buffet , ou l'employer aux
plus vils ministères? le conserver ou le briser? et,
quoi qu'il en fasse, n'est-ce pas toujours son ou-
vrage? C'est-à-dire, Dieu qui nous a créés indé-
pendamment de nous et sans nous , ne peut-il pas,
sans nous et indépendamment de nous , décider de
notre sort? et de quelque manière que sa provi-
dence en décide , soit pour nous faire briller dans
l'éclat, ou pour nous laisser dans l'obscurité; soit
pour nous combler des biens de la vie , ou pour
nous en priver ; soit pour nous rendre heureux se-
lon le monde , ou pour nous refuser ce prétendu
bonheur ; riches ou pauvres , grands ou petits , sains
ou malades , consolés ou affligés , ne sommes-nous
pas toujours des créatures formées de sa main? et
la différence de nos conditions, qui ne change rien
232 SUR LA PURIFICATION
à ce caractère ineffaçable de créatures que nous
portons , change-t-elle quelque chose à ce droit
inviolable qu'il a sur nous , et à ce caractère de
maître qui lui est propre? Si donc nous voulons
être à Dieu comme nous le devons , si nous voulons
rendre à son domaine l'hommage qui lui est dû, il
faut que ce soit par une soumission sans bornes et
par un plein abandon de nous-mêmes à toutes ses
volontés. Qu'il nous fasse monter aux plus hauts
rangs , ou qu'il nous en fasse descendre ; qu'il nous
appelle à ces emplois éclatans, ou qu'il nous des-
tine à ce qu'il y a de plus commun ou même de
plus méprisable ; qu'il seconde nos desseins, et que
par une conduite particulière de sa sagesse nos des-
seins échouent; dans la paix ou dans la guerre,
dans la gloire du triomphe ou dans l'humiliation de
la défaite, dans l'autorité ou dans la sujétion, dans
la faveur ou dans la disgrâce , dans le repos ou dans
le travail , dans l'opulence ou dans la disette, par-
tout il faut nous souvenir , comme le grand prêtre
Héli, qu'il est le maître : Dominas est (i); que
c'est à lui d'ordonner sans nous rendre raison de
ses ordres , et à nous d'obéir sans murmurer et sans
nous plaindre ; que c'est attenter à ses droits que
de prétendre nous marquer nous-mêmes la route
que nous devons prendre , et choisir l'état où il
nous plaît de nous pousser ; que lui appartenant
dans tous les états , il n'y en a point , quel qu'il
soit, qui puisse nous dispenser de lui être sincère-
ment et totalement dévoués.
(i)i.Reg.3.
DE LA VIERGE. 233
C'est là, dis-je, de quoi je dois me souvenir.
Ansi, tant que je voudrai mettre à ce devoir capi-
tal et général des exceptions ; tant que je ne serai
pas disposé à bénir Dieu , ou , comme le grand
prêtre Héli, lorsqu'on m'annoncera de la part de
Dieu les ordres les plus rigoureux ; ou , comme Ma-
rie, lorsqu'on me dira au nom de Dieu que j'aurai
l'ame percée d'un glaive de douleur ; ou , comme
Jésus-Christ, lorsque par l'arrêt de Dieu je me
verrai condamné à la croix , c'est-à-dire , aux ad-
versités et aux souffrances de la vie , tant que j'en-
treprendrai de me conduire moi-même et de m'in-
gérer où il me plaira, où mon ambition me por-
tera , où mon intérêt m'engagera , où mon plaisir
m'attirera , sans égard aux vues de Dieu , et sans
examiner quels desseins il aura formés sur moi ;
tant que je m'élèverai contre Dieu , dès qu'il ne
condescendra pas à mes désirs , et qu'il permettra
que je sois humilié, délaissé, persécuté, ruiné;
tant que je dirai : Si j'étois en telle ou telle situa-
tion , je servirois Dieu , je me donnerois à Dieu ;
mais présentement je ne puis rien faire pour Dieu :
enfin , tant que j'oserai compter avec Dieu , et que
je ne lui ferai pas, sans restriction, comme un trans-
port universel de tout ce que j'ai et de tout ce que
je puis avoir, de tout ce que je suis et de tout ce
que je puis devenir , il ne se tiendra jamais suffi-
samment honoré de moi, ni jamais je n'aurai rien
à attendre de lui. Car pour aller jusques aux prin-
cipes, vouloir retenir quelque chose et le refuser à
Dieu , c'est préférer à Dieu même ce que vous re-
■3/ SUR LA PURIFICATION
2J4
tenez , et ce que vous lui refusez : par conséquent
ce n'est plus avoir pour Dieu cet amour de préfé-
rence qui le met à la tête de tout; et ne le pas ai-
mer de la sorte, c'est se rendre indigne de sa
grâce, c'est mériter sa haine, et s'attirer ses plus
rigoureux chutimens.
Et voilà , mes chers auditeurs , comprenez bien
ceci , c'est une remarque bien vraie et bien impor-
tante : voilà ce qui arrête tous les jours tant de
conversions, ce qui fait évanouir tant de bons des-
seins, ce qui retient jusques à la mort tant de pé-
cheurs dans un affreux éloignement de Dieu , et ce
qui les damne. Je ne veux que vous-mêmes pour
vous convaincre de ce que je vais vous dire ,
et votre seule expérience en sera la preuve la plus
sensible. Combien de mondains se sentent quel-
quefois touchés de la grâce? Pécheurs d'habitude
et plongés depuis de longues années dans tous les
désordres, ils voient l'horreur de leur état: la rai-
son qui les éclaire, la foi qu'ils n'ont pas encore
perdue , la conscience qui les pique au fond de
l'ame, tout leur fait connoître le dérèglement de
leur conduite , la nécessité de revenir à Dieu , les
conséquences de ce retour , le prix infini du salut :
ils voudroient y penser, que dis-je? ils semblent
même en effet le vouloir. Mais dès qu'il en faut
venir à l'exécution, ce qui déconcerte le projet
qu'ils ont formé , ce n'est souvent qu'un seul point :
à cet écueil toutes leurs résolutions échouent. Que
Dieu voulût leur passer cet article, ils seroient
prêts à lui sacrifier tout le reste : que sur cela seul
DE LA VIERGE. 235
le confesseur, ministre de Dieu et vengeur de ses
droits, se relâchât et leur fît grâce , il n'y a rien
d'ailleurs à quoi ils ne fussent en disposition de se
soumettre. Mais au moment qu'on leur parle d'im-
moler cet Isaac, au moment qu'on veut appliquer
ce ciseau sur cet endroit vif , toute la nature se ré-
volte , toute leur constance se dément. Ils étoient
en voie de devenir des saints, sans cet obstacle
qui s'est présenté et qu'ils n'ont pas le courage de
lever; et parce qu'ils ne veulent pas faire ce der-
nier effort, parce qu'ils craignent de rompre ce lien
qui les attache, au lieu de se rapprocher de Dieu
et de rentrer en grâce avec lui, ils s'en éloignent
plus que jamais , ils se rengagent dans leurs habi-
tudes criminelles , ils ne gardent nulles mesures, et
se laissent emporter à tout ce que leur cœur cor-
rompu leur inspire. Car ils sentent bien qu'ils ne
peuvent être à Dieu, s'ils n'y sont pleinement, et
qu'après lui avoir immolé mille autres victimes ,
s'ils épargnent celle qu'il leur demande , il ne peut
être content. D'où ils concluent que ne voulant pas
faire à Dieu ce sacrilice, ils n'ont donc plus rien
à ménager sur tout le reste , et qu'autant vaut se
perdre en satisfaisant toutes leurs passions , qu'en
n'en satisfaisant qu'une seule. Damnable raisonne-
ment , dont les suites sont affreuses. De là plus de
frein qui les arrête, plus de crainte de Dieu, plus
de soin du salut; et ce qui met le comble à leur
malheur , c'est que les années , bien loin de dé-
prendre leur coeur, de ce qu'ils ont aimé jusqu'à
ne pouvoir se résoudre d'y renoncer pour Dieu ,
SoG SUR LA PURIFICATION
ne servent au contraire qu'à les y attacher davan-
tage. Jusques à la mort ils en sont idolâtres; ils em-
portent avec eux celte victime d'iniquité , ou ils ne
la laissent que pour passer en la quittant dans les
mains de la justice divine, et pour en ressentir les
plus redoutables vengeances. Combien de réprouvés
souffrent dans l'enfer, et y souffriront éternelle-
ment : pourquoi ? une seule attache les a perdus.
Sur toute autre chose ils étoient les mieux disposés
du monde; ils avoient des principes de probité et
d'honneur, ils avoient un fonds de christianisme et
de religion; mais la religion s'étend à tout, et ils
ont voulu la restreindre , ils ont voulu composer
avec Dieu , et Dieu ne veut point de composition :
il les a abandonnés , et ils se sont abandonnés eux-
mêmes.
Si donc, chrétiens, nous nous sentons aujour-
d'hui touchés de quelque désir d'être à Dieu , sui-
vons-le; mais entrons dans le sentiment du Pro-
phète. Cet exemple est d'autant plus propre pour
vous et pour cette cour, que c'est l'exemple d'un
grand roi et d'un saint roi. David , humilié devant
Dieu , lui disoit : Seigneur , tout est à vous , et
tout vient de vous , la grandeur , la puissance , la
gloire : Tua est , Domine , magnificenlia , et
potentia, et gloria (i); Rien dans le ciel et sur
la terre qui ne vous appartienne , et qui ne soit sou-
mis à votre empire : Cuiicta quœ in cœlo sunt
et in terra , tua sunt ; tu dominaris omnium (2).
De là que concluoit-il? Ah! Seigneur, c'est donc
(1) 1. Parai. 29. — (2) Ibid,
DE LA VIERGE. 287
avec joie, et dans la simplicité de mon cœur, que
je vous offrirai toutes choses : avec joie, parce que
je sais que je n'en puis faire un usage, ni plus
glorieux pour vous , ni plus salutaire pour moi ;
dans la simplicité de mon cœur, sans user d'aucun
détour et sans vous en dérober la moindre partie :
TJnde et ego in simplicitate cordis mei lœlus ob-
tuti unîversa (r). Voyez-vous, mes r.hers audi-
teurs, comment de l'universalité du domaine de
Dieu , si je puis encore user de ce terme , il tiroit
comme une conséquence nécessaire , l'universalité
de l'oblation que nous devons faire de nous-mêmes
à Dieu ?Et bien loin qu'il comptât pour beaucoup
un tel sacrifice, et qu'il crût faire par là quelque
chose de grand , il s'étonnoit au contraire que Dieu
voulût bien l'accepter de sa main. Car qui suis-je
Seigneur, ajoutoit-il , et qu'est-ce que ce peuple
dont vous m'avez donné la conduite , pour que nous
osions vous offrir cela, et que vous daigniez le rece-
voir de nous? ne sont-ce pas vos dons que je vous
rends , et ne sont-ce pas vos biens que je vous pré-
sente ? Quis ego , et quis populus meus , utpos-
simus hœc tibi universa promittere ? tiia sunt
omnia ; et quce de manu tua accepimus, dedi-
mus tibi (2). Ainsi parloit un roi, un roi victo-
rieux et conquérant; ainsi, dans l'éclat qui l'envi-
ronnoit, et au milieu de toute la pompe du siècle,
se souvenoif-il qu'il y a au-dessus de tous les rois
et par conséquent au-dessus de tous les hommes ,
un souverain maître , dont le domaine essentiel de^
(1) 1. Parai. 29 — (3) llid.
238 SUR LA PURIFICATION
mande une sincère oblation de nous-mêmes, dont
le domaine universel demande une entière oblation
de nous-mêmes, et dont le domaine éternel demande
enfin une prompte oblation de nous-mêmes : c'est la
troisième partie.
TROISIÈME PARTIE.
Il ne faut pas s'étonner si l'Apôtre , instruisant
les premiers fidèles, entre les autres maximes de
religion qu'il leur proposoit , s'attachoit particu-
lièrement à celle-ci, que nul de nous ne vit pour
soi-même; et que nul de nous ne meurt pour
soi-même; mais que, soit que nous vivions, soit
que nous mourions , c'est pour le Seigneur que
nous devons vivre et mourir, puisque vivant et
mourant nous sommes à lui : Sive ergo vivimus ,
$ive morimur ., Domini sumiis (1). Il parloit ainsi ,
dit S. Chrysostome , parce qu'il savoit que le do-
maine de Dieu est un domaine éternel ; et qu'en
conséquence de cette éternité de domaine , il n'y
a pas un moment de notre vie qui lui puisse être
disputé. En sorte que dès que nous commençons
d'être , nous commençons à dépendre , ne sortant
du néant que pour entrer dans la possession de
Dieu, c'est-à-dire, dans un état où nous appar-
tenons à Dieu, et où nous ne pouvons être juste-
ment possédés d'aucun autre que de Dieu. C'est sili-
ce principe que l'ange de l'école , saint Thomas , a
établi cette opinion si raisonnable , que l'homme ,
dès le premier instant qu'il connoît Dieu , est obli-
(i) Rom. i |.
DE LA VIERGE. z3$
gé de l'aimer et de s'élever vers lui; et que le pre-
mier péché que nous commettons dans le moment
que notre raison se développe , et que nous pouvons
user de notre liberté, est de ne pas faire à Dieu ce
sacrifice de nous-mêmes que l'Ecriture appelle le
sacrifice du matin : Holocaustum matutinum (1).
Opinion, dis-je, quelque apparence qu'elle ait de
sévérité, la plus conforme à la lumière même na-
turelle. Car selon le raisonnement d'un savant car-
dinal, expliquant là-dessus la pensée et la doctrine
de saint Thomas, pourquoi l'homme, au sortir de
l'enfance , et lorsqu'il commence à ouvrir les yeux,
ne les tournera-t-il pas vers son souverain auteur ?
pourquoi différera- t-il un moment à le reconnoître,
et pourquoi auroit-il droit de ne lui pas offrir les
prémices de cet être qu'il n'a reçu et qu'il n'a pu re-
cevoir que pour lui en faire hommage ?
C'est dans cette vue que saint Augustin, touché
d'une douleur amère et repassant devant Dieu les
années de sa vie , s'écrioit : Beauté plus ancienne
que le monde , c'est trop tard que je vous ai aimée :
Sera te amavi , pulchritudo tain antiqua. Prenez
garde : il ne s'arrêtoit point à tous les autres mo-
tifs que la pénitence chrétienne auroit pu lui four-
nir, pour pleurer ces délais criminels qu'il avoit ap-
portés à sa conversion : mais il mesuroit le temps
de sa conversion à celui de ses obligations; et,
comparant l'un à l'autre , il se confondoit d'avoir
si mal rempli celui-ci, par l'abus qu'il avoit fait de
celui-là; car quelle honte pour moi, disoit ce saint
2^0 SUR LA PURIFICATION
pénitent, que Dieu m'ait aimé pendant des siècles
infinis, et que le monde, ma passion, d'indignes
objets et une aveugle cupidité lui aient enlevé la
meilleure partie de ce petit nombre de jours que
j'avois pour répondre à son amour ! quel désordre
que Dieu ayant toujours été mon Dieu , je me sois
soumis et donné si tard à lui, comme sa créa-
ture ! Voilà quel étoit le sujet de son repentir et
de ses regrets : Sera te amaviy pulchritudo tam
antiqua.
Aussi est-ce par cette règle que les prophètes ,
qui furent les oracles de l'ancienne loi, ne deman-
doient pas moins à l'homme qu'une éternité de
culte et d'adoration , pour honorer cette éternité
de domaine qui est l'un des plus nobles attributs
de Dieu. Et comme la vie de l'homme, prise dans
toute sa durée, est une espèce d'éternité pour lui ;
comme Moïse, en parlant de Dieu , et usant d'une
expression divine et mystérieuse , assuroit que le
Seigneur régneroit éternellement et au-delà de l'é-
ternité même : Dominus regnabit in œternum
et ultra (i); ainsi le prophète Miellée ne craignoit
point de s'engager trop , quand il promettoit à Dieu
de lui rendre un hommage éternel et plus qu'éter-
nel : Ambulahimus in nomine Domini Dei nos-
tri in œternum et ultra (2) ; comme s'il n'eût
pas voulu, remarque saint Jérôme , que le domaine
de Dieu sur sa personne, l'emportât sur le zèle de
sa piété, et que, par une sainte émulation, il eût
(1) Exod. i5. — (2) Micb. 4.
DÉ LA VIERGE. 241
ambitionné d'être aussi long-temps et aussitôt à Dieu
que Dieu avoit été à lui.
Mais , chrétiens , sans chercher d'autres exemples ,
arrêtons-nous à celui que nous présente dans ce
mystère le Sauveur de nos âmes. Car voilà l'im-
portant devoir qu'il prétend encore aujourd'hui
nous enseigner. C'est un Dieu enfant , un Dieu qui
vient de naître; et quarante jours à peine se sont
écoulés depuis sa naissance , que déjà il vent être
porté à l'autel du Seigneur , et là se sacrifier à son
Père. D'une si belle vie qu'il doit mener sur la
terre , il ne veut pas qu'il y ait un âge qui ne serve
à la gloire de Dieu ; et l'engagement qu'il contracte
par cette oblation de lui-même, ne regarde pas
seulement ses premières années et le temps pré-
sent , mais toute la suite de ses années , et tout
l'avenir; tellement que le sacrifice de sa croix et de
sa mort ne sera point un autre sacrifice que celui-
ci, mais le dernier acte de celui-ci , la perfection et
la consommation de celui-ci. Et quand la veille de
sa passion , il dira à son Père : J'ai achevé l'ou-
vrage pour lequel vous m'avez envoyé , et que vous
m'avez confié : Opus consummavi quod dédis ti
fnihi (1); quand sur la croix, prêt à remettre son
ame entre les mains de son Père, il s'écriera : Tout
est consommé : Consummatum est (2); il ne par-
lera point d'un autre ouvrage que de celui même
qu'il commence dans le temple et dans sa sainte
présentation.
Figurons-nous donc , mes chers auditeurs , que
(1) Joan. 17. — (2) Joan. 19.
TOME XI. 16
2^2 SUR LA PURIFICATION
Jésus-Christ dans cette fête que nous solennisons*
s'adressantà nous, et nous animant par son exemple,
nous dit à cliacun en particulier ce qu'il dit depuis
à ses apôtres : Ecce ascendimus Jerosolymam ,
et Filius hominis tradetur (i); Nous voici enfin
à Jérusalem, et l'heure est venue où le Fils de
l'homme doit être livré; ne difïérons point, et ne
faisons pas perdre à Dieu un moment de cette
gloire qu'il attend de moi et de vous, et que nous
pouvons lui procurer par une oblation prompte de
nous-mêmes. Quand le Fils de Dieu tint ce lan-
gage à ses disciples , l'Evangéliste remarque qu'ils
n'y comprirent rien , quoique ces paroles fussent
néanmoins très-intelligibles : Et ipsi nihilhorum
inlellexerunt (2). Voilà , chrétiens , l'état de notre
misère , et à quoi nous en sommes réduits. Notre
divin maître nous prêche aujourd'hui , par son
exemple, qu'il faut nous donner promptement à
Dieu, et qu'autrement nous ne pouvons bien re-
connoître le domaine éternel que Dieu a sur nous :
vérité incontestable ; mais malgré toute son évi-
dence , vérité que l'esprit du siècle , cet esprit
aveugle et grossier nous rend obscure ; en sorte
que nous ne la comprenons jamais, parce que nous
ne voulons jamais la comprendre : Et erat verbuni
îstiul absconditum ab dis (3). Car nous voulons
être à Dieu; mais quand? toujours pour l'avenir ,
et jamais pour le jour présent. Ecoutez-moi , et ta-
chez à découvrir sur cela toute la perversité du
coeur de l'homme pour en concevoir toute l'horreur
(1) Matth. 10. — (>) Luc. t8. — (5) lUdm
DE LA VIERGE. 2^3
qu'elle mérite, et, s'il etoit possible, toute l'hor-
reur que Dieu en conçoit. Nous voulons être à Dieu ,
quand nous n'aurons plus rien qui nous attire ail-
leurs, ni qui puisse nous y retenir : être à Dieu
quand il ne nous restera rien autre chose dans la
vie, ni engagement à former, ni ambition à con-
tenter, ni rang où aspirer, ni prétentions à soute-
nir, ni fortune, ni figure à faire; que nous nous
trouverons , pour ainsi dire , abandonnés à nous-
mêmes , et qu'en nous présentant au Seigneur,
nous ne lui présenterons qu'une vie désormais usée,
caduque et inutile : être à Dieu quand nous aurons
donné à nos passions tout le loisir et tous les mo) ens
de se satisfaire ; que nous leur aurons mille fois sa-
crifié tous ses intérêts; qu'aux dépens de sa gloire
et de sa loi , nous aurons aveuglément suivi tous
nos désirs, et brutalement assouvi toutes nos cupi-
dités : être à Dieu quand il nous plaira , et non
point quand il lui plaît; quand la seule raison nous
y engagera, et non point quand la religion nous y
appelle ; quand ce sera la dernière et l'unique res-
source que nous aurons , ou pour fiiire parler de
nous dans le monde , ou pour charmer l'ennui de
la vie, et non point quand le devoir nous y oblige
et que la piété nous l'inspire; enfin, être à Dieu
quand il n'y aura plus à reculer, plus à remettre >
et que surchargés , accablés de dettes , il faudra 9
par une pénitence précipitée, apaiser sa justice,
ou, par un affreux désespoir, consentir à notre
éternelle réprobation. Tel est le plan de conduite
que nous nous traçons à l'égard de Dieu; tel est
244 SUR LA PURIFICATION
dans le partage de nos années le temps que nous lui
assignons.
Mais est-ce là , mon cher auditeur , honorer Dieu ,
ou n'est-ce pas l'outrager? est-ce reconnoître sa sou-
veraineté, que de lui prescrire ainsi le temps qu'il
nous plaît? est-ce rendre hommage à son domaine,
que de lui assigner dans ce temps les dernières
années de la vie ; des années sur quoi nous ne pou-
vons compter , et qui ne viendront peut-être jamais
pour nous , parce que la mort nous enlèvera avant
qu'elles viennent ? Quoi ! Dieu traité de la sorte
nous attendra ? il se contentera de ce partage ?
c'est-à-dire , il se contentera que nous lui pré-
sentions ce que le monde avant lui aura long- temps
possédé et mille fois profané? que nous lui présen-
tions ce que le monde méprisera et rebutera; et
que nous le lui présentions, parce que le monde
commencera à le mépriser et à le rebuter? que nous
lui présentions ce que nous ne pourrons plus lui
refuser , sans attirer sur nous un arrêt de condam-
nation d'autant plus inévitable , qu'il sera prêt à le
lancer sur nos têtes? Ah ! mon Dieu, seriez-vous
ce que vous êtes , si vous étiez obligé de nous re-
cevoir à de telles conditions , et serions-nous ce que
nous sommes , s'il nous étoit permis de vous les
imposer ? Non , non , chrétiens , il n'en ira pas ainsi ,
et Dieu , pour ce qu'il se doit à lui-même , a bien su
établir dans l'ordre de la prédestination des hommes,
des lois rigoureuses qui le garantissent de cet ou-
trage. Car si nous l'en croyons (et qui en croirons-
nous mieux que lui, puisque toutes ses paroles sont
DE LA VIERGE. 2^5
infaillibles , et qu'il est la vérité même?) si, dis-je,
nous l'en croyons, après que nous l'aurons si indi-
gnement traité , il nous frappera de son mépris : et
quels seront les terribles effets de ce mépris de
Dieu ? comprenez-le. Ce ne sera point d'être insen-
sible à nos vœux , si nos vœux sont sincères et qu'ils
partent du cœur ; ce ne sera point de se tenir éloigné
de nous , si c'est de bonne foi que nous nous tour-
nons vers lui, et que nous le cherchons; ce ne sera
point de nous rejeter, si, par une vraie et solide
oblation de nous-mêmes , nous nous présentons à
lui. Il a dit qu'à quelque temps que le pécheur
voulût revenir à lui, il le recevroit; qu'à quelque
temps que nous fussions bien résolus d'être à lui ,
il agréeroit le don que nous lui ferions. Mais pre-
nez garde : ce retour véritable , cette résolution
ferme , cette bonne volonté dépend de Dieu et de
sa grâce , et que fera Dieu en vous méprisant , après
que vous l'aurez méprisé? c'est qu'il vous privera
de cette grâce , je dis de cette grâce efficace et
forte , de cette grâce d'autant plus nécessaire que
vous serez plus foible , et que vous aurez plus d'ef-
forts et plus de chemin à faire , après de longs éga-
remens , pour le retrouver ; il la retirera , et alors
vous ne voudrez plus être à lui ; vous ne serez plus
même guère en état de le vouloir, parce que vous
ne l'aurez pas voulu lorsque vous en aviez le pou-
voir. Ces années que vous lui destiniez , vous vou-
drez encore les donner au monde ; du jour présent,
vous remettrez toujours au lendemain , et de ce len-
demain à un autre , jusqu'à ce que vous soyez enfin
246 SUR LÀ PURIFICATION
arrivé à ce dernier jour, qui n'aura pas de lende-
main pour vous. Ou s'il vient un âge avancé, et
un temps auquel il semble que vous vouliez vous
donner à Dieu , vous ne le voudrez qu'imparfaite-
ment, vous ne le voudrez qu'à demi , vous croirez
le vouloir, et vous ne le voudrez pas. Et c'est en
ce sens qu'il faut entendre cette menace qu'il a si
souvent réitérée dans l'Ecriture et exprimée en
tant de manières différentes : Alors ils m'invoque-
ront, et je serai sourd et insensible à leurs prières;
ils me chercheront, et je me déroberai à leur vue,
en sorte qu'ils ne me trouveront pas : ils frapperont
a la porte, et ils me crieront : Seigneur, Seigneur ;
mais moi , sans leur ouvrir , je répondrai que je ne
les connois point ; je les renverrai à ces faux dieux
qu'ils m'auront préférés, et à qui ils auront consa-
cré leurs plus beaux jours.
Terrible, mais juste châtiment à quoi vous vous
exposez, mon cher auditeur , et dont vous n'aurez
pas lieu de vous plaindre , puisqu'il n'aura rien de
si rigoureux que vous n'ayez sans doute bien mé-
rité. Vous me direz que cela doit donc désespérer
ceux de mes auditeurs, qui , jusqu'à présent, en-
gagés dans le monde et dans les intrigues crimi-
nelles du monde , ont passé de longues années
sans se donner à Dieu, et voudroient maintenant
rentrer dans le devoir et le servir. N'y a-t-il plus
de retour pour eux , et ne peuvent-ils plus faire à
Dieu un sacrifice d'eux-mêmes qui lui soit agréable ?
Je n'ai garde, chrétiens, de le penser et de le
dire de la sorte : il ne m'appartient pas de mar-
DE LA VIERGE. 2^7
quer ainsi des bornes à la miséricorde de notre
Dieu. Je sais qu'il y a eu des pénitens de tous les
âges, c'est-à-dire , des hommes qui , rebelles à Dieu
et à ses grâces, avoient consumé presque toute
leur vie dans une révolte et dans un désordre con-
tinuel, et qui néanmoins ont enfin ouvert les yeux,
ont reconnu leur injustice , et l'ont réparée , en
se soumettant au légitime empire du maître dont
rien n'eût dû jamais les séparer; des femmes qui,
idolâtres du siècle , et plus idolâtres encore d'elles-
mêmes, s'étoient fait une divinité de leur corps ,
et avoient consacré à cette divinité prétendue ,
non-seulement tout le cours d'une florissante jeu-
nesse, mais tout ce qu'elles avoient reçu de jours
au-delà , et qui tout à coup ont renoncé à leurs
anciennes habitudes , ont pris le parti de la piété
et d'une piété solide , se sont enfin rendues , si je
puis ainsi parler, au souverain Seigneur à qui elles
s'étoient dérobées , et lui ont offert dans leurs per-
sonnes autant de victimes qu'il a bien voulu accep-
ter : voilà ce que je sais et de quoi je suis obligé
de convenir. Mais aussi convenez avec moi que ces
exemples où notre Dieu fait paroître les richesses
de sa miséricorde, sont moins communs que nous
le pouvons penser , et qu'il y en a mille autres
contraires où il exerce toute la sévérité de sa jus-
tice : et de là concluez deux choses très-importantes
et dignes de toute votre réflexion. Car de ces deux
sortes d'exemples , les uns de miséricorde , et les au-
tres de justice, je vous propose les premiers pour sou-
tenir encore votre confiance, si vous êtes de ceux
^8 SUR LA TURIFICATION
a qui la conscience reproche de s'être depuis long-
temps soustraits au domaine de Dieu , et d'avoir
vieilli dans le service du monde et dans l'esclavage
de leurs passions : et je vous propose les seconds
pour vous inspirer une crainte salutaire et bien fon-
dée , et pour vous engager fortement à Gonsacrer à
Dieu les prémices de votre vie, si vous êtes de ceux
qui se trouvent dans l'heureux état de le pouvoir
faire. Développons ceci , et expliquons-nous.
Je parle d'abord à vous , mon cher auditeur ;
à vous , dis-je , qui , sur le retour de l'âge , com-
mencez à comprendre le devoir capital de la reli-
gion que nous professons , qui est de nous donner
à Dieu de bonne heure , d'honorer , par cette
prompte oblation de nous-mêmes , l'éternité de son
domaine : vérité fondamentale que vous reconnois-
sez, mais que vous craignez de reconnoltre trop tard»
Justement effrayé des menaces du Seigneur que je
viens de vous faire entendre, et pressé par le remords
de votre coeur , il vous semble qu'elles doivent s'ac-
complir en vous ; et cette pensée vous décourage ,
comme s'il n'étoit plus temps de vous réduire sous
la loi de Dieu , et de lui offrir une victime qu'il re-
buteroit. Mais à Dieu ne plaise que ee discours serve
à ralentir la ferveur de vos résolutions , et à rendre
inutiles les efforts de la grâce. Non , mon cher frère,
ces menaces divines qui vous troublent , ne sont
point si générales qu'elles ne puissent avoir et v
qu'elles n'aient eu leurs exceptions ; elles ne sont
point si décisives ni si précises, que d'autres que
vous n'en aient appelé , et que vous ne puissiez en
DE LA VIERGE. 2^9
appeler comme eux à la miséricorde du maître qui
les a prononcées. Or pourquoi ne serez-vous pas de
ce nombre, et pourquoi ne prendrez-vous pas tou-
tes les mesures nécessaires pour en être ? vous le
pouvez , et c'est à vous en particulier que je l'an-
nonce ; à vous qui m'écoutez , et que Dieu appelle
tout de nouveau par ma voix ; à vous en qui ce
discours excite certains sentimens qui sont les effets
d'une grâce spéciale ; à vous à qui Dieu ouvre les
voies du retour par ces pensées , et ces désirs se-
crets qu'il vous inspire , à vous qu'il a conservé
pour cela jusqu'à ce précieux moment , qui peut-
être est le dernier, mais qui peut devenir le prin-
cipe de votre éternelle prédestination. Il est vrai :
vous n'aurez plus l'avantage de vous être donné
au Seigneur de bonne heure, et c'est de quoi vous
gémirez en sa présence ; mais du moins aurez-vous
désormais l'avantage d'être à lui constamment ,
d'être à lui jusqu'au dernier soupir de votre vie ,
et de réparer , par votre persévérance , vos ré-
voltes passées : c'est ainsi , dis-je , que je vous
parle; mais voici ce que j'ajoute pour les autres.
Car de compter aussi, mon cher auditeur, qu'il
sera toujours temps de reprendre le joug du Sei-
gneur , après l'avoir secoué , et sur ce principe
vous livrer au monde dès vos premières années,
et ne réserver à Dieu qu'un reste de vie ; de se
promettre que Dieu sera toujours également prêt
a vous prévenir , et à faire toutes les avances pour
vous rechercher; de s'attendre que le trésor de ses
miséricordes vous sera toujours ouvert , et que
25o SUR LA PURIFICATION
vous y trouverez au besoin tous les secours et tous
les moyens sur quoi vous faites fonds , c'est une-
confiance présomptueuse à laquelle j'oppose les
exemples de tant de mondains et de mondaines ,.
qui y ont été trompés avant vous, et après qui je
n'ai que trop lieu de craindre que vous le soyez
vous-mêmes. Quelle raison avez-vous d'espérer ,
qu'ils n'eussent pas comme vous ? et si d'affreuses
suites leur ont fait voir combien leurs espérances
étoient fausses, qui vous assure que de semblables
épreuves ne vous convaincront pas un jour , mais
à votre ruine éternelle , que vos prétentions n'é-
toient pas mieux établies? Ah! chrétiens, ne nous
exposons pas à un danger dont les conséquences
sont si terribles. Ne remettons point à une autre occa-
sion ce que nous pouvons faire dans les conjonctu-
res présentes ; elles ne seront jamais plus glorieuses
pour Dieu , ni plus salutaires pour nous. Autant de
momens que nous refusons à Dieu , ce sont autant
de momens perdus , non-seulement pour lui , mais
pour nous-mêmes : encore s'ils étoient seulement
perdus : mais parce qu'ils auront été perdus , ce
seront contre nous autant de sujets de condamna-
tion. Offrons-nous, comme Jésus-Christ, dès que
nous le pouvons , dès que nous nous y sentons
attirés , dès que Dieu nous y invite , et par lui-
même et par ses ministres ; mais sur-tout offrons-
nous comme Jésus-Christ : par qui ? par Marie :
car c'est par Marie qu'il veut être offert , par Marie
qu'il veut être porté dans le temple, par Marie
qu'il veut être mis entre les mains du grand prêtre ,
DE LA VIERGE. s5l
et si nous pensons à faire à Dieu le sacrifice de
nous-mêmes , faisons-le par la mère de Dieu; que
ce sacrifice de nous-mêmes soit comme la consom-
mation du sacrifice qu'elle fait aujourd'hui de son
fils. Avec la médiation de cette Vierge toute-puis-
sante , il n'est rien que le ciel n'agrée; et c'est ainsi
que nous honorerons le domaine de Dieu , ce do-
maine essentiel, ce domaine universel , ce domaine
éternel.
Cette morale , Sire , est pour les rois aussi bien
que pour les autres hommes; et je le dis avec d'au-
tant plus d'assurance et plus de consolation en
présence de votre majesté , qu'entre tous les autres
monarques , il n'en est point qui rende au souve-
rain Maître du monde , de plus éclatans témoigna-
ges d'une soumission vraiment chrétienne. Nous vous
voyons , Sire , au comble de la grandeur humaine ;
tout ce qui peut relever un roi , et lui donner dans
le monde un grand nom , le ciel l'a réuni dans
votre personne sacrée; l'éclat de la majesté , l'éten-
due de la puissance , la sagesse des conseils , le suc-
cès des entreprises , la gloire des armes. Voilà ce
que nous admirons; voilà ce que toute l'Europe ,
attentive à vous considérer , est forcée de recon-
noître elle-même , et à quoi elle ne peut refuser
des éloges d'autant plus glorieux , qu'elle auroit
plus d'intérêts à les diminuer et à les obscurcir.
Mais , Sire , dans ce haut degré d'élévation , ce
qu'il y a de plus digne de nos admirations et de
plus grand , c'est que votre majesté ne se laisse
point éblouir par sa grandeur même; c'est que dans
252 SUR LA PURIFICATION
la splendeur de sa puissance, elle n'oublie point
qu'il y a au-dessus de toutes les puissances mortelles
un Tout-puissant; c'est que, prévenue des sentimens
d'une religion pure et sincère, elle se souvient,
comme Salomon , ce prince si sage et le sage même
par excellence , qu'il y a au plus haut des cieux un
plus grand qu'elle , le Créateur de tous les hommes
et le Roi des rois. C'est dans cet esprit , Sire , que
vous vous êtes aujourd'hui prosterné devant l'au-
tel de ce Dieu de gloire et de ce suprême domina-
teur de l'univers. Nous avons vu votre majesté
humiliée en sa présence , lui faire hommage de
tout ce que vous êtes ; nous vous avons vu au
milieu de la plus florissante cour , lui présenter ,
en vous présentant à lui , ce qu'il y a sur la terre ,
et selon le monde , de plus vénérable et de plus
auguste. Qu'il est beau, Sire, après avoir paru sur
le troue en souverain , pour imposer aux peuples
la loi ; après avoir tant de fois paru à la tête des
armées en conquérant , pour soutenir les droits de
votre empire , et pour abattre l'orgueil et confon-
dre les projets de tant de nations ennemies , de
paroître ensuite aux pieds du Seigneur en sup-
pliant , pour honorer son domaine, supérieur à
toute domination , ou plutôt le principe et l'appui
de toute domination ; pour lui faire une protesta-
tion solennelle de la plus religieuse et de la plus
humble dépendance; pour lui soumettre , par l'obla-
tion la plus parfaite , tout ce qu'il vous a soumis !
Qu'il y a là de fermeté d'ame et de noblesse , qu'il
y a d'équité et de droiture , qu'il y a de solide piété ,
DE LA VIERGE. 253
et par conséquent de véritable grandeur! Il est,
si je l'ose dire , de l'intérêt et de l'honneur de
Dieu , de maintenir votre majesté dans ce même
lustre qui lui attire les regards du monde en-
tier , puisque plus vous serez grand , plus Dieu
tirera de gloire des hommages que vous lui rendez.
Il aura , Sire , dans votre personne royale , aussi
bien que dans la personne de David , un roi se-
lon son cœur , fidèle à sa loi , zélé pour sa loi
protecteur et vengeur de sa loi. Mais ce ne sera
pas sans retour de sa part , ni sans récompense :
après vous avoir couronné si glorieusement sur la
terre , il vous prépare dans le ciel une couronne
immortelle , que je vous souhaite au nom du Père,
du Fils , du Saint-Esprit.
SERMON
SUR
L'ASSOMPTION DE LA VIERGE.
Maria optiniam partem elegit , qaœ nou auferetur
ab eâ.
Marie a choisi la meilleure part , qui ne lui sera point
Siée. En saint Luc , cliap. 10.
Ce fiit à Marie <, sœur de Marthe, que le Fils de
Dieu rendit ce témoigrllge avantageux : c'est ainsi
qu'il se déclara pour elle , et qu'il la félicita de ce
qu'elle s'attachoit à l'écouter, pendant que Marthe
se fatiguoit et s'empressoit à le servir. Il faut
néanmoins convenir que ces paroles de notre évan-
gile , appliquées à la fête que nous célébrons ,
expriment parfaitement le caractère de Marie ,
mère de Jésus, puisqu'elle a eu sans contredit en
toutes choses la meilleure part. Je n'aurois, pour
vous en convaincre , qu'à parcourir tous les mys-
tères qui se sont accomplis dans la personne de
cette incomparable vierge , et qu'à vous y faire re-
marquer les privilèges infinis de grâce et de gloire
qui l'ont élevée au-dessus de tous les justes et de
tous les élus de Dieu. Mais je m'arrête uniquement
à l'auguste mystère de son assomption, car ce de-
gré de gloire si sublime où elle paroit aujourd'hui ,
cette couronne d'immortalité qu'elle reçoit des
SUR L'ASSOMPTION DE LA VIERGE. s55
mains de son fils , cette béatitude qu'elle possède ,
et qui doit être la récompense éternelle de ses émi-
«en tes vertus, c'est la consommation , non-seule-
ment de toutes les grâces dont elle a été co*nblée
mais de tous les mérites qu'elle a acquis et par
conséquent ce que nous pouvons dire être pour
eile souverainement et par excellence, la meilleure
part, qui ne lui sera point enlevée : optimam par-
tent elegit, quœ non auferetur ab éd. Heureux
partage de Marie , qui doit être le sujet de nos
réflexions , et auquel nous devons tous nous inté-
resser , si nous avons, comme chrétiens, les sen-
timens de religion que la vue du triomphe de cette
mère de Dieu doit produire dans nos cœurs. Ce
que nous appelons son assomption , est par excel-
lence le mystère de sa gloire ; mais si nous savons
bien nous l'appliquer et en profiter , il n'est pas
moins le mystère de notre espérance ; et voilà ce
que j'entreprendrai de vous faire voir, après que
j'aurai demandé les lumières du Saint-Esprit par
l'intercession de sa bienheureuse épouse. Ave v
Maria.
C est de l'espérance que le juste vit, aussi bien,
que de la foi ; c'est sur l'espérance aussi bien que
sur la foi , qu'est fondé tout l'édifice de cette per-
fection chrétienne dont la charité est le comble ;
c'est par l'espérance aussi bien que par la foi que
nous nous élevons à Dieu , que nous cherchons
Dieu , et que nous trouvons le royaume de Dieu.
Ainsi, chrétiens ? quand j'ai dit que le mystère de
i>56 SUR L'ASSOMPTION
ce jour étoit un des mystères de notre espérance ]
j'ai prétendu vous en donner l'idée la plus haute,
et tout ensemble la plus consolante et la plus édi-
fiante que vous en ayez jamais conçue. Ecoutez-
moi 5 et vous en allez convenir. Pour y procéder
avec ordre , je ne prétends point pénétrer le fond
de la béatitude et de la gloire dont la reine des
anges jouit dans le ciel ; car , comme remarque
saint Bernard , si l'œil n'a point vu , et si le cœur
de l'homme n'a jamais compris ce que Dieu pré-
pare au moindre de ses élus , qui pourra compren-
dre , et encore moins expliquer ce qu'il a préparé
pour la plus parfaite et la plus sainte de toutes les
vierges ? sans vouloir donc connoîtrela gloire de
Marie en elle-même , il me suffit d'en examiner le
principe et les effets : le principe , par rapport à
Marie qui la possède ; et les effets par rapport à
nous , qui , comme enfans et serviteurs de Marie ,
devons y participer : car , envisageant cette gloire
dans son principe , et par rapport ù Marie, j'y dé-
couvre un des plus puissans motifs de notre espé-
rance ; et la considérant dans ses efi'ets et par rap-
port à nous , j'y trouve un des plus solides appuis
de notre espérance. Appliquez-vous à ma pensée. Il
est certain que Marie, dans son assomption , a reçu
de Dieu comme une double plénitude, je veux dire ,
une plénitude de bonheur , et une plénitude de
pouvoir : une plénitude de bonheur pour elle—
même , et une plénitude de pouvoir pour ceux qui
l'invoquent. Or la vue de son bonheur , ou plutôt
de ce qui a été la cause et la source de son bonheur
DE LA VIERGE. 2$j
c5ëst ce qui doit exciter notre espérance ; et la vue
de son pouvoir auprès de Dieu , c'est ce qui doit
affermir notre espérance. Je pourrois m'en tenir là ;
mais parce que rien n'est plus sujet à l'illusion
que l'espérance même chrétienne , et que rien n'est
plus dangereux dans la voie de Dieu que l'abus
de cette vertu , j'ajoute à ces deux vérités une ré-
flexion qui m'a paru bien importante , et que je
vous prie de faire avec moi : c'est qu'en même
temps que le mystère de ce jour excite et affermit
notre espérance , il nous apprend encore à la ré-
gler , et à n'en pas abuser ; instruction à laquelle
je réduis tout ce discours , pour combattre deux:
erreurs grossières où nous tombons communément
sur le sujet de la gloire de Marie ; l'une qui regarde
les moyens par où elle y est parvenue , et l'autre
les avantages qui nous en doivent revenir. Car ces
moyens par où Marie est parvenue au comble de
la gloire , nous nous les figurons tout différens
de ce qu'ils ont été ; et ces avantages qui nous
doivent revenir de la gloire de Marie , nous nous
les promettons tout autres qu'ils ne sont en effet :
deux erreurs , dis-je , infiniment préjudiciables.
Tâchons à nous en préserver , et pour cela recon-
noissons premièrement quel a été le vrai principe
de la béatitude de Marie , et voyons ensuite quel
est le pouvoir que Dieu lui a donné pour nous se-
courir : le principe de sa béatitude bien expliqué,
nous garantira de la première erreur; et la mesure
de son pouvoir bien entendue, nous mettra à cou-
tome xi, 17
358 SUR L'ASSOMPTION
vert de la seconde. Voilà tout mon dessein , et ce
qui demande une favorable attention.
PREMIÈRE PARTIE.
Considérer dans l'assomption de Marie une vierge
triomphante , une reine couronnée , une créature
élevée au-dessus de tous les ordres des esprits
bienheureux , et placée dans le rang de la gloire
le plus éminent -, en un mot , une mère de Dieu
béatifiée par le Dieu même qu'elle a conçu , et
qu'elle a eu l'honneur de porter dans ses chastes
entrailles : je l'avoue , chrétiens , c'est quelque chose
de grand , quelque chose qui surpasse toute ex-
pression humaine , et sur quoi l'on pourroifc
bien s'écrier : O altitudo divitiarum (i) / O
abîme des trésors de Dieu ! C'est ce que l'Eglise
semble nous proposer d'abord dans cette solennité,
et c'est là que nos réflexions sur ce mystère se sont
peut-être jusques à présent terminées ; mais si cela
est , et si nous en sommes demeurés là , quelque
auguste que nous ait paru ce mystère , j'ose dire
que ni vous ni moi ne l'avons jamais bien pénétré ,
car il est vrai : voilà, mes chers auditeurs, ce qu'il
y a dans l'assomption de Marie d'éclatant et de ma-
gnifique ; mais l'esprit de la foi qui perce , comme
dit saint Paul , jusques dans les secrets les plus in-
times , et, pour user du terme de cet apôtre , jusques
dans les profondeurs de Dieu : Etiam profunda
Dei (2) , nous y découvre bien d'autres sujets d'ad-
miration. En voici un , chrétiens , qui vous sur-
(1) R.om. 11. — (2) 1. Cor. a.
DE LA VIERGE. 209
prendra, mais qui vous édifiera ; et qui, détrom-
pant vos esprits , excitera dans vos cœurs les sen-
timens les plus vifs de l'espérance des justes. Ap-
pliquez-vous , s'il vous plaît.
Qu'est-ce donc que je conçois, ou qu'est-ce que
je dois concevoir dans le mystère que nous célé-
brons ? une mère de Dieu glorifiée , non point ab-
solument et précisément parce qu'elle a été mère
de Dieu , mais parce qu'elle a été obéissante et fidèle
à Dieu , mais parce qu'elle a été humble devant
Dieu , mais parce qu'en vertu de ces deux qua-
lités , elle a été singulièrement et par excellence
la servante de Dieu. Voilà ce que je considère dans
son assomption , comme l'essentiel et le capital à
quoi nous devons nous attacher , et c'est le précis
et le fond de toute cette première partie. La pro-
position vous étonne , et vous avez peine à vous
persuader que ce qui a élevé Marie à cette gloire
incompréhensible dont elle prend possession dans
le ciel , ne Soit pas l'excellente prérogative qu'elle
a eue sur la terre, d'être la mère d'un Dieu. Car
quel titre en apparence plus légitime pouvoit-elle
avoir , pour être reçue en souveraine dans le
royaume de son Fils, que d'avoir été sa mère; et
si elle avoit à se promettre devant Dieu quelque
distinction , d'où devoit-elîe plutôt l'attendre que
de cette divine maternité ? Cependant , chrétiens ,
il est de la foi que cette maternité , toute divine
qu'elle est , n'est point proprement et dans la ri-
gueur ce qui fait aujourd'hui l'élévation de Marie :
car c'est ainsi que le Sauveur lui-même s'en est
260 SUR L'ASSOMPTION
expliqué dans l'évangile , et la déclaration expresse
qu'il nous en a faite , est une preuve sans réplique
Vous l'avez cent fois entendue ; mais peut-être
ne l'avez-vous jamais méditée autant qu'il étoit né-
cessaire : écoutez-la donc , et ne l'oubliez jamais.
Vous savez en quels termes cette femme dont parle
saint Luc , se sentit un jour inspirée de féliciter
Jésus-Christ , lorsqu'elle s'écria , que bienheureux
étoit le sein qui Pavoit porté, et les mamelles qui
l'avoient nourri : Beatus venter qui te -portavit ,
et ubera quœ suxisti (i). Elle crut aussi bien
que nous que la béatitude de Marie consistoit à être
la mère de ce Dieu incarné et fait homme : Beatus
venter. Mais vous savez aussi de quelle manière
Jésus-Christ la détrompa , et l'étonnante réponse
qu'il lui fit. Non, non, reprit cet homme-Dieu ,
vous l'entendez mal . et i) n'en est pas comme vous
le pensez : Quinimo ; celle que je reconnois pour
mère , et dans le sein de laquelle j'ai été formé ,
n'est point heureuse pour cela. Ce n'est point là ni
la mesure , ni la cause immédiate de son bonheur;
mais les bénédictions abondantes dont Dieu l'a déjà
prévenue , et dont il achèvera un jour de la com-
bler, procèdent de toute une autre source. Or
prenez garde , chrétiens, que ce qui faisoit alors ,
dans le sens du Fils de Dieu la béatitude de Marie,
c'est ce qui a fait depuis et ce qui fait encore mainte-
nant sa gloire dans le ciel , car la gloire d'une créa-
ture et sa béatitude devant Dieu , ne sont qu'une
même chose. Marie , dans la pensée de Jésus-Christ ,
(i) Luc. ii.
DE LA VIERGE. 26*
n'étoit point heureuse précisément par la raison
qu'elle étoit sa mère ; ce n'est donc point précisé-
ment en vue de sa maternité qu'elle a été glorifiée.
La conséquence est évidente selon tous les principes
de la théologie et même de la foi. Pourquoi donc
Marie se trouve-t-elle si hautement et si honorable-
ment placée dans le royaume céleste ? apprenez-le
de Jésus-Christ, qui seul a pu nous le révéler ; ap-
prenez-le de Marie même , qui en a senti l'effet et
l'accomplissement dans sa personne : joignez ensem-
ble ces deux témoignages , et faites-vous-en deux
leçons pour la conduite de votre vie. Rien ne vous
fera mieux goûter ce que j'appelle le don de l'espé-
rance chrétienne, et ne sera plus propre à vous
inspirer un zèle ardent pour votre sanctification.
Voici le témoignage de Jésus-Christ. Il déclare,
en comprenant Marie dans la réponse générale que
je viens de vous rapporter , et l'y comprenant
d'autant plus qu'elle en étoit personnellement le
sujet : il déclare , dis-je, que la béatitude de Marie
vient uniquement de ce qu'elle a été fidèle à Dieu
et obéissante à sa parole : Quinimo beati qui
audiunt verbum Dei et custodîunt illud (i).
Voilà l'oracle de la sagesse incréée , trop clair pour
n'être pas pris à la lettre , et trop avantageux à la
vierge que nous honorons pour n'en pas faire le
fonds de son éloge. Avoir écouté et inviolablement
pratiqué tout ce qui étoit pour elle parole de Dieu,
ordre de Dieu , bon plaisir de Dieu : c'est-à-dire ,
avoir suivi tous les mouvemens de la grâce qui agis-
(z) Luc. 11.
262 SUR L'ASSOMPTION
soit en elle , sans y apporter jamais la moindre ré-
sistance ; avoir répondu exactement et constamment
à toutes les inspirations qu'elle recevoit de Dieu,
avoir accompli , avec la dernière fidélité , tous les
desseins que Dieu avoit formés sur elle; n'être ja-
mais sortie des voies de cette providence supérieure
qui la gouvei'noit; s'être fait une loi des volontés
de Dieu les plus parfaites ; s'être dévouée sans
exception à Dieu , dans les plus rigoureux sacri-
fices qui dévoient être , et qui ont été les épreuves
de sa vertu; avoir sanctifié sa vie par un continuel
exercice de cette obéissance, avoir rendu toutes
ses actions, jusques aux plus petites, précieuses
devant Dieu par le mérite de cette soumission ; et ne
s'être jamais ralentie un seul moment, jamais relâ-
chée de sa première ferveur, toujours attentive à
ce que l'esprit de Dieu lui suggéroit, toujours agis-
sante pour Dieu, toujours unie de cœur à Dieu ,
toujours dépendante de Dieu : voilà, dit saint Au-
gustin , ce que Dieu a couronné et glorifié en elle :
Hoc in ed magnificdvit Dominus , quia fecit
volùntatèm Palris , non quia caro carnem ge-
nuit. C'est ainsi qu'en parloit ce saint docteur.
Comme s'il eût dit : Ne vous y trompez pas, mes
frères , et ne confondez pas les dons de Dieu. Avoir
engendré selon la chair le Verbe éternel, et par le
plus inoui de tous les miracles être devenue la mère
de son Créateur, c'est un honneur que Marie a reçu
de Dieu; mais ce n'est point, à le bien prendre,
un mérite que Dieu ait dû ni qu'il ait pu même,
selon les lois de sa justice, récompenser dans Ma-
DE LA VIERGE. 2Ô3
rie. Il n'a loué dans elle que ce qu'elle a fait pour
lui. Or , ce qu'il a trouvé dans elle de louable , est
uniquement ce qui a fait sa gloire devant lui : Hoc-
in ed magnfficdvit, quia fecit voluntatem Pa~
tris, non quia caro carnem genuit.
Je me trompe, chrétiens; la fidélité de Marie
n'est pas le seul titre de la béatitude et de la gloire
dont Dieu , comme juge équitable, la combla dans
son assomption. Une autre de ses vertus y eut en^
core part , et la foi nous enseigne que ce fut son
humilité. Humilité de Marie , s'écrie saint Am-
broise, qui, dans l'incarnation divine, ayant eu
la force d'attirer un Dieu sur la terre, eut encore
le pouvoir d'élever une pure créature au plus haut
des cieux. En effet, avoir été fidèle à Dieu, et
obéissante à sa parole , autant que l'avoit été Marie ,
c'étoit beaucoup; mais ce n'étoit rien si elle n'eût
été humble ; et si faisant pour Dieu tout ce qu'elle
faisoit , elle n'y avoit ajouté, pour surcroît de mé-
rite, de n'avoir jamais eu la moindre vue de s'en
rien attribuer à elle-même. Car voilà le fonds que
Dieu, juste et suprême rémunérateur, crut devoir
enrichir dans la personne de cette vierge incompa-
rable, non-seulement des dons de la grâce, mais
des trésors immenses de la gloire dont il la mit en
possession. Qui le dit ? Marie elle-même , qui ,
pleine de l'esprit de Dieu , s'en rendit authenti-
quement le témoignage : Quia respexit humili-
taleni anciliœ suce ; ecce enim ex hoc beatam
me dicent omnes generationes (i). Oui, dit-elle
(t) Luc. 1.
264 SUR L'ASSOMPTION
dans ce sacré cantique, qui, selon saint Ambroisey
fut comme l'extase de son humilité , aussi bien que
de sa reconnoissance , voilà pourquoi on m'appel-
lera bienheureuse, et pourquoi, en effet, je le serai,
parce que le Seigneur a jeté les jeux sur ma bas-
sesse. Or, elle parloit ainsi, reprend saint Ambroise,
ayant déjà été saluée par l'ange comme mère de
Dieu, ayant déjà été déclarée reine du ciel et de
la terre, ayant déjà été remplie de la divinité du
Verbe qui habjtoit en elle corporellement ; et l'aveu
qu'elle faisoit de sa bassesse n'étoit qu'une expres-p
sion vive et affectueuse de l'humilité de son cœur :
Quia respexit humilitatem ancillœ sucs ; Parce
que le Seigneur a été touché de l'humilité de sa ser-
vante, c'est pour cela, et pour cela spécialement,
que je serai béatifiée: Ecceenîm ex hoc beatamme
dicent ; pour cela que le Tout-puissant fera éclater
en moi toute sa magnificence ; que celui qui abaisse
l'orgueil des superbes , prendra plaisir à m'exalter : et
je veux bien le publier et le faire connoître, afin que
toutes les âmes justes , profitant de cette confession ,
sachent qu'il n'y a que l'humilité qui puisse préten-
dre à la véritable gloire. Qu'est-ce donc, à propre-
ment parler, que l'assomption de Marie? Ne nous
contentons plus de dire que c'est le jour de son cou-
ronnement et de son triomphe : disons que c'est le
couronnement et le triomphe de son humilité; par
là nous exprimerons mieux l'intérieur du mystère
que nous célébrons , et par là nous répondrons mieux
à la question qu'auroient pu nous faire aujourd'hui,
non-seulement les hommes grossiers et terrestres >
DE LA VIERGE. 265
mais les esprits même célestes , à qui l'assomption
de Marie fut un sujet de surprise et d'admiration.
Car les anges mêmes, disoit saint Bernard, furent
dans une espèce de ravissement , en voyant Marie
monter au ciel avec tant de pompe; et charmés de
la nouveauté de ce spectacle, ils eurent lieu de
s'écrier, aussi bien que les compagnes de l'Epouse :
Quœ est ista quœ ascendit de deserto deliciis
affiuens l Oui est celle-ci qui s'élève de la terre
avec cette affluence de délices et cet éclat de gloire
qui l'environne ? Mais on eût bien pu leur répondre
ce que saint Paul répondoit dans un sujet pareil ,
en parlant de l'ascension du Fils de Dieu : Quod
autem ascendit , quid est, nlsi quia et descen-
dit primùm (i)/ Vous êtes en peine de savoir qui
elle est , et pourquoi elle monte; mais souvenez-vous
que c'est elle qui, étant la plus sainte et la plus part
faite de toutes les créatures, ne s'est jamais consi-
dérée que comme la dernière des servantes de Dieu;
et sachez qu'elle ne s'élève au-dessus de tous les
êtres , que parce qu'elle est descendue par son hu-
milité profonde jusque dans le centre de son néant.
Quod autem ascendit , quid est , nisi quia et
descendit ! N'en cherchez point d'antre raison que
celle-là. Cette humilité héroïque qui a été la vertu
prédominante de Marie ; ce détachement d'elle-
même, sur lequel elle a fondé tout l'édifice de sa
sainteté; ce renoncement à toutes les vanités du
siècle, dont elle a fait, dès ses plus tendres années,
une si solennelle profession ; cette vie cachée dans
(i) Epbcs. /,.
2$6 SUR L'ASSOMPTION
laquelle elle a su se renfermer ; cette horreur sin-
cère qu'elle a eue des louanges même les plus vé-
ritables ; ce trouble dont elle fut saisie, entendant
celles que lui donnoit un ange de la part de Dieu ;
cette disposition si admirable qu'elle a témoignée
à rechercher en toutes choses son propre abaisse-
ment; à vouloir bien paroître pécheresse, quoi-
qu'elle fût toute sainte; à vivre dans les rigueurs de
la pénitence, quoiqu'elle n'eût jamais perdu l'inno-
cence ; à se purifier comme les autres femmes ,
quoiqu'elle fût la pureté même ; à se soumettre à
la loi 'quoiqu'elle fût au-dessus de toute loi : cette
vue de son néant, qui, dans les hautes communi-
cations qu'elle avoit avec Dieu, étoit comme le
contre-poids des faveurs qu'elle recevoit de lui; ce
soin de glorifier le Seigneur à mesure que le Sei-
gneur opéroit en elle de plus grandes merveilles;
cette humilité enfin , qui n'avoit jamais été vue sur
la terre, et dont Marie étoit l'unique exemple ,
c'est-à-dire , cette humilité jointe à la plénitude de
la grâce , jointe à la plénitude du mérite , jointe
à la plénitude des honneurs, voilà ce que Dieu a
estimé , et ce qui l'a déterminé à placer Marie dans
un rang sublime : Quia respexit humilitatem an-
cillœ suce ; ecce enini eoc hoc beatam me dlcent
omnes generationes.
Mais encore , me direz-vous , le Sauveur du
monde , qui , comme parle l'évangile , avoit reçu
de son Père le pouvoir de juger, et par conséquent
de récompenser , en béatifiant et en couronnant
Marie, ne considéra-t-il en aucune sorte qu'elle
DE LA VIERGE. 267
étoit sa mère ? ne donna-t-il rien à la tendresse
qu'il avoit eue et qu'il conserva toujours pour elle ?
Non, répondent les Pères, et la raison qu'ils en
apportent , est convaincante : parce qu'il est certain
que le Sauveur du monde , en béatifiant et en cou-
ronnant Marie , n'agissoit pas en fils et en homme ,
mais en Dieu et en juge souverain. Or, en tout ce
qui étoit immédiatement de la juridiction et du res-
sort de la divinité , le grand principe de cet homme-
Dieu fut de n'avoir jamais d'égard à la chair et au
sang. De là vient que quand Marie le pria de faire
un miracle aux noces de Cana, bien loin de mar-
quer qu'il eût en cela pour elle de la déférence , il
parut la traiter avec une espèce de rigueur, en lui
répondant que, pour ces sortes d'actions , absolu-
ment et essentiellement divines , comme celle-là ,
il n'y avoit rien de commun entre lui et elle : Quid
mïhi et tibi est, mulier (1) ? De là vient qu'à l'âge
de douze ans, s'étant séparé d'elle dans le temple,
où elle le retrouva , trois jours après , au milieu
des docteurs, bien loin de se montrer sensible à la
douleur qu'elle avoit eue de cette séparation , il la
reprit en quelque sorte du reproche qu'elle lui en
faisoit , et sembla même s'en offenser, parce qu'elle
devoit savoir, lui dit-il, qu'il étoit alors occupé à
ce qui étoit du service de son Père : Quid est quod
me quœrebatis î nesciebatis quia in Jus quœ
Patris mei sunt , oportet me esse (2) / De là
vient que Marie elle-même s'étant un jour présentée
pour lui parler , pendant qu'il annonçoit au peuple
(1) Joan. 2. — (2) Luc. 2.
sC>8 SUR i/assomption
le royaume de Dieu ; et un des assistans lui ayant
dit: Voilà votre mère; il déclara qu'il ne recon-
noissoit pour mère et pour frère, que ceux quifai-
soient la volonté de son Père céleste : Quœ est
mater me a , et qui sunt fratres mei / quicumque
frcerit voluntatem Patrîs mei qui in cœlis est ,
ipse meus f rater et mater est (i). De là vient
que sur la croix , où comme souverain pontife , il
ofïroit à Dieu le sacrifice de la rédemption des
hommes, voulant recommander à Marie un de ses
disciples , il ne l'honora pas du nom de mère, mais
il l'appela simplement femme : Mulier , ecce
filius tuas (2). Or , s'il en usa de la sorte , même
durant sa vie mortelle, et pendant qu'il étoit encore
soumis à Marie ; beaucoup plus , reprend saint
Chrysostôme , en dut-il ainsi user , lorsqu'assis à la
droite de son Père, il rendit justice à Marie , et la
mit en possession de la gloire qui lui étoit réservée.
Car ce fut là , je le répète , qu'il décida en souverain
et en Dieu , et non pas en homme ; et lui-même il
s'étoit expliqué que comme homme il ne pouvoit
rien à ce tribunal en faveur des siens : Sedere au-
tem ad dexteram meam uel sinistram , non est
meum dure vobis (3). Il eut donc encore égard
aux mérites que Marie avoit acquis , et non pas aux
titres d'honneur qu'elle avoit possédés ; et jusque
dans la sentence qu'il prononça à cette reine des
Vierges , au moment qu'il la couronna , il soutint
le glorieux caractère que l'Ecriture lui attribue, de
n'avoir fait acception de personne, mais de rendre
(1) Mallh. 12. — (2) Joan. 19. — (3) Matlh. 20.
DE LA VIERGE. 2&Q
à chacun selon ses œuvres : Non est personarum
accepter Deus ( £ ). Tel est le raisonnement de saint
Chrysostôme , fondé sur les maximes éternelles de
la prédestination de Dieu.
Mais voici du reste , mes chers auditeurs , ce qui
l'adoucit, et ce qui servira en même temps à con-
firmer la vérité que je vous prêche. Car j'ajoute
que, sans déroger aux lois de cette justice rigou-
reuse , le Fils de Dieu , agissant comme souverain
et comme Dieu, a néanmoins, dans un autre sens,
traité Marie avec toute la distinction qu'elle pouvoit
attendre de lui en qualité de mère ; et je dis que,
sans préjudice des divins décrets auxquels la pré-
destination de l'homme est attachée, l'avantage qu'a
eu Marie d'être mère de cet homme-Dieu n'a pas
laissé de contribuer à sa béatitude. Je m'explique.
En quoi le fils de Dieu agissant comme souverain et
comme Dieu , a-t-il considéré Marie , et l'a-t-il dis-
tinguée comme sa mère ? en ce qu'il lui a préparé
dans cette vue des grâces spéciales , des grâces ex-
traordinaires et abondantes , dont elle a rempli la
mesure par sa fidélité, et qui lui ont fait acquérir
tant de mérites dont elle a reçu la récompense. Et
en quoi l'avantage qu'a eu Marie d'être la mère de
Dieu , a-t-il contribué à sa béatitude ? en ce que sa
maternité a rehaussé le prix de son humilité , et que
son humilité devoit être le fondement de son éléva-
tion. Cependant la proposition que j'ai avancée
subsiste toujours, savoir, que la cause prochaine
de la béatitude de Marie n'a point été précisément
(i) Act. 10.
270 SUR L'ASSOMPTION
sa qualité de mère de Dieu, mais sa fidélité d'une
part, et son humilité de l'autre. Vérité si constante,
( permettez-moi , Vierge sainte, de faire ici une
supposition, qui ne peut tourner qu'à votre gloire,
puisqu'elle marquera encore mieux, et la souveraine
équité du jugement de Dieu, en vous plaçant sur
le trône au moment de votre assomption, et le
mérite inestimable de votre parfaite coopération à
la grâce ) ; vérité si constante, que si Marie, après
avoir conçu le Verbe de Dieu , n'eût pas été obéis-
sante à sa parole, et se fût oubliée jusqu'à se com-
plaire en elle-même et à présumer d'elle-même ,
quoique mère de Dieu, elle ne jouiroit pas de la
félicité et de la gloire où elle est parvenue : pour-
quoi ? parce qu'avec cette auguste maternité , Dieu
n'eût pas trouvé dans elle le caractère de ses élus,
qui est la justice et la sainteté. Comme au contraire,
si Marie , sans avoir conçu le Verbe de Dieu , eût
été ou eût pu être aussi obéissante et aussi humble
qu'elle le fut, aussi sainte et aussi fidèle, aussi
consommée en vertu et aussi pleine de mérites , j'ose
dire , que sans être mère de Dieu, elle seroit aussi
élevée qu'elle l'est dans la gloire , et aussi proche
du troue de Dieu.
Or voilà, chrétiens , ce que j'appelle le motif et
l'attrait de notre espérance. Car si Marie n'étoit
dans la gloire que parce qu'elle a été la mère du
Rédempteur, ce seroit pour nous une raison de
l'honorer, de la révérer, et de célébrer avec des
sentimens de respect et de religion le jour solennel
de son triomphe : mais en tout cela il n'y auroit
DE LA VIERGE, 27 ï
ïiqïï par où notre espérance pût être excitée. Quel-
que admiration que nous eussions pour cette Vierge ,
la voyant monter au ciel , il ne nous seroit pas per-
mis de prétendre y monter après elle ; et les désirs
même que nous en formerions seroient aussi chimé-
riques et aussi vains que téméraires et présomptueux.
Mais quand je considère qu'elle n'y monte que par
un chemin qui m'est ouvert aussi bien qu'à elle;
quand je fais réflexion que les mêmes voies qui l'ont
conduite à ce souverain bonheur sont celles que
Dieu m'a marquées pour y arriver; quand je me
représente que Marie n'est entrée dans la joie de
son Seigneur qu'en vertu de cette parole , qui ne
me regarde pas moins qu'elle : Courage, bon servi-
teur et fidèle : Euge , serve bone etficlelis, intra
in gaudium Domini tui (1); quand je pense que
la loi , selon laquelle Dieu , faisant justice à Marie,
a relevé les abaissemens volontaires de son humilité ,
n'a point été une loi particulière pour cette Vierge,
mais une loi universelle pour tous les hommes :
Quiconque s'humilie sera exalté : Omnis qui se
humiliât , eocaltabitur (2) ; quand je me dis à moi-
même que tous les droits qu'eut Marie à cette gloire
dont elle est comblée , peuvent , par proportion ,
et doivent me convenir, si je veux profiter de son
exemple : ah ! chrétiens , je sens alors mon coeur
s'élever au-dessus des choses terrestres , et je com-
mence à découvrir, mais d'une manière sensible,
non-seulement la vanité de toute la gloire du monde,
non-seulement l'inutilité des vertus purement hu-
(i)Mutth. «5, — (*) Luc. 14.
2J2 SUR L'ASSOMPTION
mairies , qui font le mérite et la perfection des sages
du monde; mais ce qu'il m'importoit bien plus de
savoir, l'insuffisance même de certains dons , quoi-
que d'un ordre surnaturel , dont je pourrois peut-
être me flatter devant Dieu , et sur lesquels j'éta-
blirois une fausse confiance en Dieu. Or , en décou-
vrant de la sorte mon aveuglement et mes erreurs ,
dans un mystère où toutes les lumières de la foi se
présentent pourm'éclairer, je m'instruis moi-même,
je me redresse moi-même, je m'encourage moi-
même, je me reproche mes tiédeurs, je déplore
mes relâcliemens , je renonce à mon orgueil , je
m'attache à l'humilité, qui est la vertu des âmes
prédestinées, tout cela par le mouvement de cette
espérance chrétienne que m'inspire la solennité de
ce jour; et voilà les fruits de bénédiction et de
sanctification que l'esprit de Dieu y a renfermés
pour nous.
Oui, mes chers auditeurs, animé de cette espé-
rance dont le juste vit, et qui est la ressource du
pécheur, j'oublie, selon la maxime de l'Apôtre, les
choses de la terre, pour chercher uniquement les
choses du ciel où la reine des vierges est assise ,
non pas comme Jésus-Christ à la droite de Dieu ,
mais immédiatement au-dessous de Dieu, et abso-
lument au-dessus de tout ce qui n'est pas Dieu.
Animé de cette espérance, je goûte les biens éter-
nels , je les désire, je soupire après eux; et piqué
d'une sainte émulation , je redouble mes efforts pour
suivre les tracesde Marie, et pour atteindre au même
terme. Car voici les leçons que je me fais, en me
DE LA VIERGE. 2?3
la proposant comme le modèle sur lequel je me
dois former : Je puis, selon la mesure des grâces
que je reçois , être fidèle à mon Dieu comme l'a
été Marie; je puis, selon l'étendue des desseins que
Dieu a sur moi, accomplir ses ordres comme les a
accomplis Marie; je puis écouter la parole de Dieu
qui m'est annoncée , avec le même esprit et la même
docilité que l'a écoutée Marie ; je puis obéir à la
voix intérieure qui me parle , avec la même promp-
titude que Marie. Quoique je ne sois pas destiné
à de si grandes choses que Marie , je puis , en l'i-
mitant, sanctifier mes actions , mes occupations,
mes affections ; en sorte que j'aie droit comme
elle de dire au moment de la mort : Bonum cer-
tamen certain (i); J'ai combattu , j'ai rempli ma
course, j'ai gardé la foi, et il ne me reste plus que
d'attendre la couronne de justice qui m'est réservée :
In reliquoreposita est mihi coronajustitice (2).
Dieu ne m'a pas confié autant de talens qu'à Marie ;
mais il m'a assuré dans son évangile, qu'il me suf-
firoit d'avoir été fidèle en peu de choses, pour re-
cevoir beaucoup : Quia super pauca fuistifide-
lis , super multa te constituant (3). Je ne puis
égaler Marie , ni être aussi riche en mérite : mais je
puis m'humilier comme elle, et même en me com-
parant à elle , mon indignité peut et doit être en
moi le fonds d'une plus grande humilité. Je suis
pécheur, mais je puis réparer, par la pénitence
les pertes que j'ai faites en perdant l'innocence. Si
je ne suis rien dans le monde , je puis aimer, comme
(0 2. Tim. 4. — (2) ibid. — (3) Matth. a5.
TOME XI. I S
274 SUR L'ASSOMPTION
Marie, une vie obscure et cachée en Dieu; et si
j'ai dans le monde quelque avantage , je puis, à
l'exemple de Marie, ne m'en servir que pour en
faire hommage à Dieu : voilà, dis-je , ce qui sou-
tient mon espérance ; mais ce n'est pas tout.
Car cette même gloire de Marie, fondée sur son
humilité et sur sa fidélité à la grâce de Jésus-Christ,
m'apprend , par une règle toute contraire, ce que
je dois penser et espérer de tout le reste. Et en
effet, c'est par là que je conçois un saiut mépris
pour tout ce qui s'appelle distinction , élévation
selon le monde : fausse grandeur que Dieu réprouve,
et qu'il confond tous les jours , parce qu'elle est
presque toujours ou le fruit , ou la cause de l'ini-
quité , au lieu que celle de Marie a été purement
et uniquement la récompense de la sainteté. C'est
par là que je reconnois le foible, ou plutôt le néant
de je ne sais combien de vertus mondaines dont
les enfans du siècle se glorifient, et qui font la ma-
tière de leurs éloges , mais qui ne seront jamais de
nul prix pour le salut éternel. C'est par là même
que je me détrompe de cette erreur si pernicieuse
et si commune , de croire que Dieu , dans le dis-
cernement et le jugement qu'il fait de ses élus, ait
égard à certaines grâces, qui semblent néanmoins
d'ailleurs nous devoir être favorables; par exemple,
à l'honneur que j'ai d'être chrétien , et en qualité
de chrétien , d'être enfant de Dieu. Car comme
raisonne saint Chrysostôuie , si Dieu, pour glorifier
Marie, n'a point considéré qu'elle étoit la mère de
son Fils , quel fond? dois-je faire sur ce qu'il est
DE LA VIERGE. 2y$
mon Père par adoption , et que je suis du nombre
de ses en fans ? Ce caractère d'enfant de Dieu que
j'ai reçu dans le baptême, s'il n'est accompagné et
soutenu d'une sainte vie , engagera-t-il Dieu à se
relâcher en ma faveur des droits de sa justice, après
même que le caractère vénérable de mère de Dieu
n'a pas eu ce pouvoir ; et le bonheur que j'ai ,
comme chrétien , de recevoir Jésus Christ dans les
sacrés mystères, sera-t-il un titre sûr pour lui de-
mander qu'il me donne part à sa gloire , après que
l'avantage singulier et le privilège qu'a eu Marie
de le recevoir comme mère dans ses chastes en-
trailles, n'a pu suffire pour la mettre au rang des
prédestinés ?
INon , non, mes frères , dit S. Chrysostome , Dieu
n'aura nul égard à tout cela. Car tout cela , ce sont
des faveurs divines dont il nous demandera compte;
tout cela , ce sont des dons et des grâces dont il
nous reprochera le mauvais usage ; tout cela , ce
sont des fonds d'obligation que nous avons à rem-
plir : mais tout cela précisément, ce ne sont point
devant Dieu des mérites dont nous devions nous
promettre une récompense. La fidélité et l'humi-
lité , voilà ce qui doit être mis dans la balance où
nous serons un jour pesés : et il étoit juste , ô" mon
Dieu! que cela fût ainsi ; il étoit juste que nous ne
fussions heureux qu'à proportion que nous vous
sommes fidèles , et que nous ne fussions grands
devant vous qu'autant que nous sommes humbles.
Depuis que vous avez établi deux trônes dans le
ciel , l'un pour l'humilité d'un homme-Dieu, l'autre
2y6 sur l'assomttion
pour l'humilité d'une vierge mère de Dieu , il étoit
de l'ordre que tous les autres trônes où doivent
être assis vos prédestinés , eussent le même fonde-
ment ; et qu'il n'y en eût aucun dont la base prin-
cipale ne fût une solide , une profonde , une sin-
cère humilité de cœur. Je suis chrétien , doit dire
aujourd'hui un homme du monde, persuadé et tou-
ché de cette sainte morale : je suis chrétien ; mais
c'est pour cela même que Dieu me jugera plus
exactement, qu'il me condamnera plus sévèrement,
qu'il me punira plus rigoureusement , si déshono-
rant ma profession et le nom que je porte , je suis
un indigne chrétien ; je suis l'épouse de Jésus-
Christ , doit dire une ame religieuse ; mais je ne
«lois point compter pour cela de régner un jour
avec celui que j'ai choisi pour mon époux , si je
ne joins à cette qualité d'épouse celle d'humble
et de fidèle servante. Domine , quis habitabit in
tabernaculo tuo , aut quis requiescet in monte
sancto tuo ( i ) ? Seigneur , disoit le Prophète
royal , quel est celui qui demeurera dans votre
maison , et qui reposera dans votre sanctuaire ?
Oui ingreditur sine macula , et operalur jus-
titiam (2) : ce sera le juste dont la vie est pure et
sans tache ; le juste qui , soumis à votre loi , est
irrépréhensible dans sa conduite; le juste qui, dé-
taché du monde , marche dans la voie de vos com-
mandemens ; le juste qui , fidèle à votre grâce ,
s'acquitte constamment de ses devoirs et accomplit
toute justice. Nulle exception à cette règle. Nous
(1) Psalm. i.\. — (2) Ibid.
DE LÀ VIERGE. S77
avons vu quel a été le principe de la béatitude de
Marie ; voyons maintenant quel est le pouvoir que
Dieu lui a donné pour nous secourir : c'est le sujet
de la seconde partie.
DEUXIÈME PARTIE.
Il est certain que Marie , entre tous les élus , a
reçu une grâce suréminente , en vertu de laquelle
elle peut intercéder pour nous auprès de Dieu ; et
par une conséquence nécessaire , i! est certain que
nous pouvons saintement et utilement recourir à
elle, et implorer dans nos besoins le secours de sa
protection. Cette vérité qui nous est plus que suffi-
samment révélée de Dieu, et dont toute la tradition
est un authentique témoignage, se trouve d'ailleurs
si conforme à tous les principes du bon sens et de
la raison , que cela seul suffiroit pour confondre
l'obstination de l'hérésie , qui la rejette et qui la
combat. Car si les anges bienheureux qui sont de-
vant le trône de Dieu offrent continuellement nos
prières à Dieu , comme nous l'apprenons du texte
sacré , pourquoi Marie , la reine des anges , ne
seroit-elle pas en état de nous rendre encore avec
plus d'effet et plus de dignité le même office? Et
si Marie elle-même , lorsqu'elle étoit sur la terre ,
pouvoitêtre invoquée, c'est-à-dire, si l'on pouvoifc
s'adresser à elle , employer sa médiation auprès de
Jésus-Christ, la prier de demander à cet homme-
Dieu des grâces , maintenant qu'elle est dans le
ciel , pourquoi le pourroit-on moins ? est-ce qu'elle
ne voudroit plus désormais s'intéresser pour nous!'
278 SUR L'ASSOMPTION
est-ce qu'elle n'en auroit plus le pouvoir ? est-ce
qu'elle ne connoîtroit plus nos besoins ? est-ce que
son invocation blesseroit le culte suprême qui n'est
dû qu'à Dieu seul et à Jésus-Christ ? quatre points
auxquels se réduisent toutes les préventions et tous
les prétestes de l'hérésie : écoutez-moi , et je vais
les détruire en quatre mots.
Que Marie , dans l'état de sa gloire , ne voulût
plus s'intéresser pour nous , la seule pensée nous
en peut-elle venir à l'esprit? Car pourquoi sa cha-
rité , qui dans le ciel est beaucoup plus parfaite ,
et par conséquent beaucoup plus ardente , se seroit-
elle refroidie ? et pourquoi cette vierge , qui , pour
les intérêts de Dieu , n'a jamais rien eu plus à
cœur que le salut des hommes , y seroit-elle deve-
nue insensible; depuis, si je l'ose dire, que, trans-
formée en Dieu , et intimement unie à l'essence de
Dieu , elle voit encore plus clairement combien ce
salut des hommes est précieux à Dieu? Non , non ,
disoit saint Cyprien , parlant en général des saints
glorifiés (et ce qu'il disoit des saints en général,
je le dis en particulier de Marie) , ils n'ont jamais
eu tant de zèle qu'ils en ont à présent pour nous.
Autant qu'ils sont surs de leur propre bonheur ,
autant désirent-ils notre salut : Quantum de sud
felicitate securi , tantùm de noslrâ salute sol-
liciti ; et ce seroit , ajoute S. Bernard , mécon-
noître Marie > que de se persuader que celle qui ,
à l'exemple de Dieu même , a aimé les hommes
jusqu'à donner pour eux son propre Fils , depuis
qu'elle est en possession de sa béatitude , les eâi>
DE LA VIERGE. 379
oubliés et absolument délaissés. Que , malgré toute
sa charité, Marie n'eût plus le pouvoir de nous se-
courir, autre sentiment encore moins soutenable.
Car pourquoi seroit-elle moins puissante dans ce
royaume céleste , où elle tient , après Dieu , un si
haut rang, que lorsqu'elle étoit parmi nous dans ce
lieu d'exil ? Elle pouvoit bien alors engager son
Fils à faire des miracles ; elle obtenoit bien de lui
qu'il changeât les lois de la nature , qu'il forçât en
quelque sorte celles de la Providence , qu'il con-
vertît l'eau en vin. Depuis qu'elle a reçu la couronne
d'immortalité, seroit-elle déchue de son crédit, et
le pouvoir dont elle usoit, auroit-il cessé? Qu'elle
n'entendît plus nos prières, et qu'elle ne sût plus
ni quand , ni pourquoi nous l'invoquons, c'est ce
que l'hérésie a prétendu , mais ce qu'elle ne per-
suadera qu'à des esprits ou entêtés ou peu éclairés.
Car pourquoi nos besoins ne seroient-ils pas connus
de cette vierge ? les anges les connoissent bien.
Dieu qui leur a confié le soin de nos personnes ,
leur révèle bien nos dispositions intérieures ; char-
gés de veiller sur notre conduite , ils savent bien
ce qui se passe dans le secret de nos coeurs ; ils se
réjouissent bien de notre conversion ; ils font bien ,
selon l'évangile , une fête dans le ciel , quand un
pécheur touché de Dieu fait pénitence sur la terre.
Pourquoi donc Marie , plus élevée qu'eux dans le
séjour de la gloire , ne verroit-elle pas en Dieu ce
qu'ils y voient? Enfin , que l'usage de l'invoquer
blessât le culte souverain qui n'est dû qu'à Dieu
seul et à Jésus-Christ , erreur pitoyable , et qui se
s8o SUR L'ASSOMPTION
détrait par elle-même. Car, disent les théologiens ,
nous n'invoquons pas Marie comme celle de qui
dépend la grâce , ni comme celle qui en est l'arbi-
tre , ni comme celle à qui il appartient de nous la
donner , mais comme celle qui peut la demander
pour nous l'obtenir. Nous ne l'invoquons pas même
afin qu'elle nous obtienne cette grâce par ses pro-
pres mérites , mais par les mérites du Sauveur.
Instruits de la parole du Fils de Dieu qui nous a
dit : Venez à moi , nous n'allons pas à elle comme
à lui ; mais nous allons à Jui par elle , comme par
elle la foi nous apprend qu'il est venu à nous : nous
allons à lui comme à l'unique médiateur ; mais
nous allons à elle comme à la première et à la plus
accréditée de tous nos intercesseurs.
Or, cette intercession de Marie , ce droit que
nous avons d'invoquer Marie , cette possession où
nous sommes de recourir à Marie , c'est ce que
l'Eglise veut que nous envisagions comme un des
soutiens et des plus solides appuis de notre espé-
rance. Car dites-moi , chrétiens , quelles sont les
deux choses qui affoiblissent communément et qui
ébranlent notre espérance? la crainte des jugernens
de Dieu, et la vue de nos péchés. Or, que trou-
vons-nous aujourd'hui dans la personne de Marie ?
une avocate toute puissante auprès de notre juge ,
et une mère de miséricorde pour les pécheurs.
Souffrez que pour votre édification , aussi bien que
pour votre consolation , je vous fasse goûter ces
pensées. Oui, mes frères, disoit S. Bernard , nous
avons Marie dans le ciel pour avocate auprès du
DE LA VIERGE. 281
Fiîs , comme nous avons Jésus-Christ pour avocat
auprès du Père ; et qui doute que Marie étant la
mère de celui qui , comme juge , doit prononcer
des arrêts de vie et de mort, je dis une mère bien-
aimée , une mère sainte , une mère couronnée de
gloire , elle ne soit écoutée favorablement ? qui
doute que , plaidant la cause des hommes , elle ne
soit exaucée pour le respect de sa maternité ? tl ne
s'ensuit pas de là que nous relevions au-dessus de
son fds , comme si sa maternité lui donnoit droit
d'exiger de lui qu'il nous accordât le pardon de nos
crimes. A Dieu ne plaise que nous le concevions
de la sorte. Quand par un excès de confiance il
nous échapperoit certains termes moins justes ; et
quand nous dirions, ce que je n'ai garde d'avancer,
que Jésus-Christ , exauçant Marie , se plaît à lui
rendre encore dans le ciel une espèce d'obéissance,
se regardant toujours comme son fils , et l'honorant
toujours comme sa mère ; quand , dis-je , nous par-
lerions ainsi , les partisans de l'hérésie ne devroient
pas plus s'en scandaliser, que d'autres expressions
toutes semblables dont se sert l'Ecriture , lorsqu'elle
dit que Dieu , arrêtant le cours du soleil , voulut
bien obéir à la voix d'un homme : Obediente Do-
mino voci hominis (1) ; et lorsqu'elle ajoute , que
Dieu s'est engagé , tout Dieu qu'il est, k faire la
volonté de ceux qui le craignent : Voluntatem
timentium se faciet (2). Mais nous n'avons pas
même besoin de cette défense , puisque les termes
dont nous usons en parlant du pouvoir de Marie ,
(0 Josué. 10, •— (2) Psalm. i^4«
282 SUR L'ASSOMPTION
portent avec eux leur justification , et sont à l'é-
preuve de toute censure. Car nous disons que Marie
prie Jésus-Christ , et non point qu'elle commande
à Jésus-Christ : mais du reste , nous ajoutons que
Jésus-Christ , après avoir autrefois obéi à Marie ,
l'écoute encore présentement avec tous les égards
qu'il a conservés et qu'il conservera éternellement
pour elle : égards de distinction , fondés sur la
prééminence de sa dignité et sur le mérite de sa
personne. Or il n'y a , encore une fois , que des
esprits obstinés dans leur erreur, qui puissent con-
tredire cette vérité. Car si Dieu, dans l'Ecriture ,
disoit aux amis de Job : Allez à mon serviteur
Job , et il priera pour vous , en sorte que votre ini-
quité ne vous sera point imputée : Ite ad servwn
meum Job , et ipse orabit pro vobis (1) ; si
Moïse , par son intercession , pouvoit suspendre les
foudres de la colère de Dieu , prêts à éclater sur
les Israélites : Dimitte me ut irascatur furor
meus (2) ; si Dieu, dans le chapitre quinzième de
Jérémie , parloit de Moïse et de Samuel , comme
de deux puissans intercesseurs auprès de lui ; et si
Judas Macchabée vit le grand prêtre Onias , plu-
sieurs années après sa mort , apaisant le ciel par
ses prières en faveur de toute la nation des Juifs ,
pouvons-nous douter que la médiation de Marie
ne soit un titre solide pour approcher avec con-
fiance du trône de la grâce et de la miséricorde
de notre Dieu ? Mes crimes m'en éloignent, dites-
vous ; et parce que je suis pécheur , je ne puis y
(1) Job. /\i. — (2) Exocl. 52.
DE LA VIERGE. 283
avoir accès, et je n'ose l'espérer. Mais ne savons-
nous pas , répond saint Bernard , que la grande
qualité de Marie est d'être singulièrement la mère
des pécheurs ? ne savons-nous pas que c'est aux
pécheurs qu'elle est en quelque manière redevable
de toute sa gloire , puisqu'il est vrai que s'il n'y
avoit eu des pécheurs , elle n'eût jamais été mère
de Dieu ? qu'ainsi tout le bonheur de sa destinée ,
ou , pour mieux dire , de sa prédestination éter-
nelle, a roulé sur le malheur des hommes comme
pécheurs ; et que par une reconnoissance digne
d'elle , et qui n'a rien dans sa personne que de
saint , puisqu'elle l'accorde parfaitement avec la
haine et l'horreur du péché , elle se tient comme
obligée à secourir les pécheurs , à être le refuge
des pécheurs , à employer son crédit pour la con-
version des plus indignes et des plus endurcis pé-
cheurs , parce qu'elle sait bien que tout pécheurs
et tout endurcis qu'ils sont, c'est pour eux et pour
eux spécialement que Dieu l'a faite ce qu'elle est ;
et qu'en cela même elle se conforme aux inclina-
tions de son fils , qui , sans confondre l'ordre des
choses , a toujours aimé les pécheurs , quoiqu'il fût
venu pour détruire et pour abolir le péché.
Yoilà ce que j'appelle notre espérance; mais en
voulez-vous voir l'abus ? c'est ici , mes chers audi-
teurs , que j'ai besoin de toute votre application , en
finissant ce discours. L'abus de cette invocation de
Marie , et ce qui nous rend tous les jours son crédit
inutile auprès de Dieu , c'est qu'au lieu d'envisager
Marie comme la médiatrice qui peut , par son inter-
284 SUR L'ASSOMPTION
cession , nous procurer les véritables grâces du
salut , je veux dire , les grâces réelles et possibles,
les grâces solides et nécessaires , les grâces réglées
et mesurées selon l'ordre de Dieu, les grâces victo-
rieuses qui doivent combattre en nous nos passions,
et triompher de la chair et du monde ; par de se-
crètes et de funestes erreurs qui nous trompent,
nous nous formons de Marie une fausse idée, jus-
qu'à nous promettre de sa protection des grâces
chimériques et impossibles ; des grâces selon notre
goût, et selon les désirs corrompus de notre cœur;
des grâces, s'il y en avoit de telles , incapables de
nous sanctifier, et beaucoup plus capables de nous
pervertir ; des grâces miraculeuses et sur lesquelles
notre présomption seule peut faire fonds. Je m'ex-
plique : nous invoquons Marie , mais par une con-
fiance aveugle , nous reposant sur elle de notre
salut, nous en négligeons et nous en abandonnons
tout le soin; comme si Marie , par son crédit auprès
de Dieu, devoit nous garantir ce salut sans con-
version, ce salut sans changement de vie, ce salut
sans renoncement à nous-mêmes, ce salut sans fruits
de pénitence et sans mortification des sens; comme
si par la faveur de Marie, il devoit y avoir pour
nous des victoires sans combat, des récompenses
sans mérite , des mérites sans travail , des vertus
dont la pratique ne nous coûtât rien : grâces chi-
mériques et impossibles. Nous invoquons Marie ;
mais par une témérité, qui, bien loin de l'honorer,
lui est injurieuse , nous espérons obtenir par elle
une bonne mort après une vie toute mondaine, une
DE LA VIERGE. 285
heureuse fin après un continuel oubli de Dieu,
une sainte et finale persévérance , après une opi-
niâtre résistance à toutes les lumières du ciel, un
port assuré après une suite infinie d'égaremens et
de naufrages volontaires : grâces possibles , mais
miraculeuses. Nous invoquons Marie ; mais par
une ignorance grossière de ce qu'elle peut, per-
suadés qu'elle peut tout, nous nous flattons de
trouver en Dieu, par sa médiation, une patience
sans bornes pour nous supporter, une disposition
sans mesure à nous pardonner , une miséricorde
inépuisable qui sera toujours en notre pouvoir, une
protection sûre et immanquable, malgré nos délais
criminels et nos retardernens affectés : grâces , s'il
y en avoit de telles , incapables de nous sanctifier,
et beaucoup plus capables de nous pervertir. Nous
invoquons Marie ; mais par une daninable sécurité,
fondée sur son pouvoir, nous nous assurons que, sans
sortir de l'occasion du péché, elle nous préservera
du péché; qu'au milieu des flammes, elle nous con-
servera aussi purs et aussi sains que les trois en fans
dans la fournaise de Babylone : grâces selon notre
goût et selon notre sens réprouvé; mais grâces que
par cette raison-là même nous ne pouvons attendre
de Marie , et qui , bien loin d'être l'objet de l'espé-
rance chrétienne , en ont été de tout temps le mal-
heureux écueil. Car Marie n'a point le crédit qui
la rend si puissante auprès de Dieu , pour porter
nos intérêts contre les intérêts de Dieu ; elle n'est
point, comme reine du ciel, placée sur le trône,
pour faire régner dans nous le péché; elle n'est point
286 SUR L'ASSOMPTION
notre avocate, pour nous entretenir dans l'impéni-
tenc< ; elle est toute puissante auprès de son fils ;
mais elle l'est , disent les Pères , dans l'ordre des
divins décrets , dans l'étendue des saintes lois que
la sagesse de Dieu a établies, sans préjudice des
maximes évangéliques et de leur inflexible sévérité:
c'est-à-dire, elle est toute puissante pour nous at-
tirer à Dieu et pour rapprocher Dieu de nous, toute
puissante pour disposer Dieu à être touché de nos
larmes, toute puissante pour lui faire agréer nos
vœux, nos satisfactions, nos sacrifices; mais non
pas toute puissante pour anéantir l'obligation de
tout cela, ni pour faire que Dieu, oubliant ses plus
essentiels attributs, devienne, si j'ose ainsi parler,
prévaricateur de sa sainteté , et fauteur de notre
iniquité.
Nous vous invoquons aujourd'hui, vierge sainte ,
mais c'est dans des dispositions plus conformes à
nos devoirs , plus conformes aux règles que la reli-
gion nous prescrit, plus conformes au mystère même
de votre glorieuse assomption. Mieux instruits de
nos intérêts et des desseins de Dieu sur nous , nous
n'attendons point de vous ces grâces purement tem-
porelles, qui ne nous donneroient que de vaines
joies , ni ces prospérités du monde qui ne servi-
roient qu'à entretenir notre orgueil et à satisfaire
notre amour-propre. Si nous avons recours à vous ,
c'est pour des besoins plus pressans et plus im-
portons , c'est pour des biens plus nécessaires , quoi-
que peut-être moins de notre goût, c'est dans des
vues plus relevées et plus convenables au christia-
DE LA VIERGE. 28/
îiisme que nous professons. Accablés sous le poids
de nos misères , et persuadés que vous pouvez nous
secourir, nous vous réclamons dans cette auguste
solennité; mais voici le sujet de nos demandes :
obtenez-nous par votre toute puissante intercession,
ces grâces du premier ordre à quoi notre salut et
notre perfection sont attachés ; obtenez-nous une
haine efficace du péché , une crainte respectueuse
des jugemens de Dieu, une soumission sans réserve
à sa sainte loi; obtenez-nous cette force chrétienne,
si nécessaire pour nous préserver de la corruption
du monde , pour ne nous laisser pas emporter "au
torrent de la coutume , pour résisterait scandale du
mauvais exemple , pour nous mettre au-dessus du
respect humain , pour nous affranchir de la tyran-
nie de nos passions , pour renoncer à l'ambition ,
pour n'être pas esclaves de l'avarice, pour surmonter
la concupiscence de la chair, et pour la tenir sou-
mise à l'esprit; obtenez-nous ces excellentes vertus
qui vous ont distinguée entre tous les justes ; cette
foi héroïque qui vous a rendue si heureuse , en vous
faisant croire ce qui vous étoit révélé; cette pro-
fonde humilité qui vous a élevée si haut, et qui
engagea le Verbe de Dieu à s'abaisser jusqu'à vous;
cette pureté angélique qui vous fut si chère, et
que vous préférâtes à toutes les grandeurs qu'on
vous promettait; cette obéissance que Jésus-Christ
trouva plus digne de ses éloges, et plus recom-
mandable en vous que votre maternité même ; ce
zèle pour les intérêts de Dieu et pour le salut des
hommes, qui, malgré la tendresse de votre cœur,
2gg sur. l'assomption
vous fit consentir au sacrifice et à Ja mort de votre
fils , quand vous le présentâtes dans le temple
comme la victime qui devoit être immolée pour
nos péchés. Sans prétendre au degré sublime où
vous avez possédé ces vertus , obtenez-les-nous au
moins dans le degré convenable à nos obligations :
c'est-à-dire, obtenez-nous une foi vive qui nous
fasse agir, et qui, pour la cause de Dieu, nous
détermine à tout souffrir; une confiance en Dieu
inébranlable , qui ne soit jamais confondue ; un
amour de Dieu que toutes les eaux des tribulations
et des adversités de cette vie ne puissent éteindre;
une charité envers le prochain qui nous tienne
tous étroitement et saintement unis en Jésus-Christ,
obtenez-nous une victoire entière sur le monde ,
un détachement parfait de nous-mêmes , un esprit
humble et un cœur pur. Voilà les grâces, 6 Vierge
mainte, que nous vous demandons, et pour les-
quelles nous ne craignons pas que vous nous refusiez
votre intercession. Nous vous saluons avec l'Eglise
en qualité de reine, Salve, regina ; mais à Dieu
ne plaise que nous présumions d'entrer dans la
gloire par une autre voie que par celle de vos ver-
tus. Comme reine , nous vous réclamons : Ad te
clamamus ; mais nous n'implorons votre secours
que pour pouvoir inarcher sur vos pas en imitant
vos exemples : comme reine , nous vous prenons
pour notre protectrice, et nous vous faisons entendre
nos gémissemens : Ad te susjtiramus ; mais nous
ne nous mettons sous votre protection, que pour
obtenir par vous la grâce de notre conversion. Sans
sur l'assomption de la vierge. 289
craindre d'être du nombre de vos dévots indiscrets,
nous vous appelons mère de miséricorde, source
de vie , consolation de nos âmes : Mater miserî-
cordiœ , vita , dulcedo ; mais nous ne prétendons
point que ces titres nous autorisent dans nos foi-
blesses, ni qu'ils nous rassurent dans nos désordres»
Malgré les critiques censeurs de notre culte, nous
nous confions en vous; mais notre confiance ne
nous fait point oublier que , pour être récompensé
comme vous , il faut , par proportion , le mériter
comme vous, et que jamais nous ne parviendrons
autrement à ce royaume éternel, où. nous con-
duise , etc.
TOME XI.
J9
AUTRE SERMON
POUR LA FÊTE
DE L'ASSOMPTION DE LA VIERGE.
SUR LA DEVOTION A LA VIERGE.
Intravit Jésus in qaoddam castellum , et ninlier quae-
clani excepit illum in domuni suam.
Jésus entra dans une bourgade , et une femme le
reçut dans sa maison. En saint Luc, chap. 10.
Cette femme ainsi honorée de la présence de Jé-
sus-Christ, ce fut, chrétiens, dans le sens littéral
de notre évangile , Marthe , sœur de Magdeleine ;
mais selon l'application de l'Eglise , c'est Marie , la
mère du Rédempteur, la reine des vierges, et la
souveraine du ciel et de la terre. C'est elle qui re-
çut dans ses chastes entrailles le Fils de Dieu ; et
c'est elle qui est aujourd'hui reçue par cet homme-
Dieu dans le séjour de la gloire. Heureuse , mes
frères , s'écrie saint Bernard , heureuse réception de
l'une et de l'autre part ! Felioc utraque suscep-
iio ! soit celle que Marie fit à Jésus-Christ dans
le mystère de son incarnation , soit celle que Jé-
sus-Christ fait à Marie dans le mystère de son as-
somption. Mais pourquoi parler maintenant de la
première, demande le même saint Bernard? pour
mieux juger de la seconde , répond ce saint docteur;
SUR LA DÉVOTION A LA VîERGE. 29 1
pour en former une juste idée ; pour en concevoir
toute la gloire et toute l'excellence ; ou plutôt , pour
reconnoître que comme la première est absolument
inconcevable à nos esprits , la seconde est au-dessus
de toutes nos vues et de toutes nos expressions :
Ut juxta inœstimabilem illius gloriam , inces-
timabilis cognoscatur et ista. En effet, quel lan-
gage pourroit jamais expliquer comment ce Dieu
de majesté , qui ne peut être compris dans la vaste
étendue de l'univers, se renferma dans le sein d'une
vierge; et qui pourroit dire aussi avec quelle pompe
cette vierge entre dans le ciel pour y être couron-
née, et pour y régner pendant toute l'éternité?
Christi generationem et Mariée asswnptionem
quis enarrabit ? J'ai donc cru, mes chers audi-
teurs, devoir prendre un sujet plus proportionné à
notre foiblesse , et même plus utile pour vous. J'ai
cru que le grand et ineffable mystère de l'assomp-
tion de Marie me donnoit une occasion favorable
de vous entretenir de la dévotion envers cette mère
de Dieu. C'est ce que je me propose , et c'est pour
cela même , Vierge sainte , que j'ai besoin de votre
secours. Daignez agréer le zèle qui m'anime pour
vous , et le seconder ; daignez écouter la prière que
je vous fais en vous saluant, et vous disant : Ave t
Maria»
Si j'entreprends aujourd'hui de vous parler de la
dévotion à la Vierge , ce n'est point précisément
pour vous l'inspirer, puisque je vous suppose trop
chrétiens pour n'avoir pas envers la mère de Dieu
292 SUR LA DÉVOTION
tous les sentimens de zèle et de respect qui lui sont
dus. C'est donc seulement pour vous donner sur
cette importante matière toute l'instruction que des
chrétiens parfaits et spirituels doivent avoir , s'ils
veulent parvenir à la pratique de ce culte raison-
nable, que le grand Apôtre nous a si fortement re-
commandé : Ralionabile obsequium vestrum (1).
Ainsi , mes chers auditeurs, au lieu de vous exhor-
ter à la dévotion envers Marie, je veux vous ap-
prendre à régler cette dévotion , à profiter de cette
dévotion , et à vous sanctifier vous-mêmes par
cette dévotion ; je veux vous en faire connoître les
véritables caractères , vous en marquer les défauts ,
vous en découvrir les abus , et par là vous engager
à en faire un saint usage : pouvois-je choisir un des-
sein plus convenable à votre piété , et plus avanta-
geux à la dévotion même dont il s'agit? Elle con-
siste, selon saint Bernard, en trois principaux de-
voirs , à honorer Marie , à l'invoquer , à l'imiter.
Or c'est à ces trois devoirs que je m'attache , et
voici en trois mots le partage de ce discours. Il
faut honorer Marie , mais l'honorer judicieusement :
c'est la première proposition; il faut invoquer Ma-
rie, mais l'invoquer efficacement: c'est la seconde
proposition; enfin , il faut imiter Marie, et l'imiter
religieusement : c'est la dernière proposition. Il faut
honorer cette Vierge judicieusement : car l'honneur
de la reine du ciel aussi bien que celui de Jésus-
Christ le roi des rois , demande sur toutes choses
cette condition : Nain et honor regiiuu judiciuin
(1) Rom. 12.
A LA VIERGE. 2q3
diligit v dit saint Bernard , appliquant à la mère
ce qui est écrit du Fils , Et honor régis judicium
diligit (i) ; ce sera le sujet de la première partie.
Il faut invoquer cette vierge efficacement : car eu
vain Marie a-t-elle pour nous du crédit auprès de.
Dieu , si par l'indignité de nos prières , ou par l'im-
pénitence de notre vie, nous nous rendons son
crédit inutile; ce sera la seconde partie. Il faut,
autant qu'il est en notre pouvoir , imiler cette vierge
religieusement; car la sainteté de Marie est un rao-
dèle sur lequelDieu prétend que nous nous formions;
et si nous ne le faisons pas, sur lequel il nous ju-
gera : ce sera la dernière partie. Trois vérités éga-
lement capables de contribuer à la conversion des
pécheurs , et à la sanctification des justes. Com-
mençons.
PREMIÈRE PARTIE.
Pour honorer saintement la mère de Dieu , il faut
l'honorer judicieusement. C'est un principe qui ne
peut être contesté , et dont il n'y a sans doute per-
sonne qui ne convienne avec moi. Mais on doit en
même temps convenir d'une autre vérité qui me
paroît également incontestable , savoir , que s'il
faut du discernement et de la prudence pour ho-
norer la mère de Dieu , il n'en faut pas moins, que
dis-je? il en faut même encore plus pour censurer
ceux qui l'honorent, et pour s'ériger en juge du
culte et des honneurs qu'ils lui rendent. J'ai droit ,
ce me semble, d'exiger d'abord de votre piété p
(1) Psalm. 98.
2g4 SUR LA DEVOTION
que vous ne sépariez jamais ces deux principes ,
quand il s'agit de décider sur un sujet aussi impor-
tant que celui-ci ; et vous avez trop de pénétration ,
chrétiens, pour n'entrer pas dans ma pensée, et
trop d'équité pour n'avouer pas que la raison , aussi
bien que la droite et sincère religion , le demandent
ainsi : je m'explique. Il peut y avoir dans le monde ,
parmi les personnes adonnées au service de la
Yierge , des dévots indiscrets, j'en veux bien tomber
d'accord avec vous ; et s'il y en a de tels , à Dieu
ne plaise que je prétende ici les excuser , ni les
autoriser. Mais aussi peut-il y avoir des censeurs
indiscrets de la dévotion envers cette même Yierge;
et c'est à quoi l'on ne pense point assez. De ces
deux désordres , on se pique d'éviter le premier ,
et il arrive tous les jours qu'on se fait un faux mé-
rite ou une vanité bizarre du second. Cependant
le second n'est pas moins dangereux que le premier ;
et l'homme chrétien ne court pas moins de risque
devant Dieu, en condamnant avec témérité un
culte légitime et saint , qu'en pratiquant par igno-
rance un culte outré et superstitieux. C'est donc à
nous , mes chers auditeurs , à nous préserver de
l'un et de l'autre; c'est à moi, comme prédicateur
de l'évangile , à vous conduire entre ces deux
écueils, et par quelle voie ? en vous donnant des
règles sûres pour honorer discrètement la reine du
ciel , et vous proposant les mêmes règles pour ne
pas critiquer légèrement les honneurs même popu-
laires qu'elle reçoit sur la terre. Ne disons rien de
vague , et dans le dessein que j'ai formé d'éclaircir
A LA VIERGE. 2(j5
ces vérités , ne combattons point des fantômes ,
mais venons au détail des choses.
On a prétendu que , malgré le soin qu'ont eu
les pasteurs d'instruire les peuples, et d'épurer ,
dans notre siècle , la religion ou la dévotion des
fidèles , il y avoit encore de l'excès , et par con-
séquent de l'abus dans le culte qu'on rend à la
sainte Vierge; et ce que je vous prie de bien re-
marquer, ce ne sont pas seulement les ennemis
déclarés de l'Eglise qui en ont jugé de la sorte.
Quelques-uns même de ses propres enfans ont dé-
ploré cet abus : des catholiques prétendus zélés ,
mais dont le zèle sans doute n'a pas eu toutes les
qualités requises pour être ce zèle selon la science
que demandoit l'Apôtre ; quoi qu'il en soit , des
catholiques même ont cru devoir prendre sur ce
point la cause de Dieu : et de la manière qu'ils
s'en sont expliqués , voici les trois chefs où la vé-
nération du commun des fidèles pour la mère de
Dieu, leur a paru aller jusqu'à l'indiscrétion. Car
c'est le terme dont ils se sont servis , et il nous im
porte une fois de bien comprendre à quoi ils l'ont
appliqué. Touchés des intérêts de Dieu , ils se sont
plaints qu'on rendoitdes hommages à Marie comme
à une divinité ; ils se sont plaints qu'on lui donnoifc
des titres d'honneur qui ne lui appartenoient pas,
surtout ceux de médiatrice et de réparatrice du
monde perdu ; ils se sont plaints qu'on lui attri-
buoit de nouveaux privilèges, qui ne nous étoient
révélés ni dans l'Ecriture, ni dans la tradition.
Examinons leurs plaintes sans préjugé , et puisqu'ils
296 SUR LA DEVOTION
les ont publiées dans le monde chrétien en forme
d'avertissemens donnés par Marie elle-même à ses
dévots indiscrets , nous qui voulons de bonne foi
que notre dévotion soit prudente , qu'elle soit so-
lide , qu'elle soit sans reproche , profitons de ces
avis : pour peu qu'ils soient fondés, édifions-nous-
en , du moins servons-nous de l'examen que nous
en allons faire, pour nous rendre encore plus exacts
et plus irrépréhensibles dans le culte de la vierge
que nous honorons. Ecoutez-moi : ceci n'aura rien
de trop abstrait, ni d'ennuyeux.
Il est donc vrai, chrétiens, et je le dis haute-
ment, que d'honorer Marie comme une divinité,
quoique subalterne , ce seroit, non pas un simple
abus , ni une simple indiscrétion , mais un crime
et une impiété. Car Marie, toute mère de Dieu
qu'elle est, n'est qu'une pure créature, l'humble
servante du Seigneur, dont tout le bonheur est fondé
sur l'aveu authentique qu'elle a fait elle-même de
sa bassesse et de son néant : Quia respeocit hu-
militatem ancillœ suce : ecce enim eoc hoc bea-
tam me dicent omnes generatioues (i). C'est
ainsi qu'elle nous Ta appris ; et nous le savons si
bien , que , pour ne l'oublier jamais , nous nous fai-
sons un devoir de la saluer chaque jour en celte
qualité de servante du Seigneur : Ecce ancilla
Domini (2). Ainsi, grâce à la Providence et à
l'esprit qui gouverne le christianisme , je prétends
que l'Eglise de Jésus-Christ, surtout dans un siècle
aussi éclairé que le nôtre , n'avoit nul besoin de
(1) Luc. 1. — (2) Ibid.
A LA VIERGE. 297
l'avis prétendu salutaire qu'on a voulu nous donner
là-dessus. Car, comme je vous l'ai fait déjà remar-
quer d'autres fois , ce que disoit saint Augustin dans
un sujet à peu près semblable , pour répondre aux
manichéens, qui, malicieusement et sans raison,
accusoient de son temps les catholiques de rendre
aux martyrs un culte idolâtre : ce que disoit ce
Père touchant les martyrs, qui de nous ne le dit
pas de la mère de Dieu , que ce n'est point à elle
que nous dédions des autels , ni à elle que nous
offrons le sacrifice, mais à Dieu qui l'a choisie , à
Dieu qui l'a sanctifiée , à Dieu qui l'a glorifiée ?
ÎSTons sommes donc bien éloignés de cette gros-
sière erreur , ou de cette énorme indiscrétion qui
consisteroit à faire de Marie une déesse; et l'indis-
crétion, s'il y en avoit ici , seroit plutôt de la part
de ceux qui dans leurs avis auroient supposé qu'un
grand nombre de fidèles, à la vue de leurs pasteurs,
avoient pu tomber , et étoient en effet tombés dans
une telle corruption de foi; l'indiscrétion seroit,
non-seulement d'avoir par là renouvelé les accusa-
tions vaines et frivoles des anciens hérétiques contre
l'Eglise , mais d'avoir donné l'avantage à l'hérétique
protestant, de voir des catholiques même persuadés
que notre foi s'étoit ainsi corrompue dans ces der-
niers siècles. Non , mes chers auditeurs , je le ré-
pète, l'Eglise de Jésus-Christ n'a point été aban-
donnée de la sorte. Car qu'est-ce selon nous que
d'honorer judicieusement la mère de Dieu? c'est
l'honorer d'un culte inférieur à celui de Dieu, mais
supérieur à tout autre que celui de Dieu. Or voilà
2gS SUR. LA DÉVOTION
comment nous l'honorons, voilà comment tous les
siècles du christianisme l'ont honorée : malheur à
celui qui la confondroit avec Dieu ; mais aussi mal-
heur à celui qui ne lui rendroit pas des hommages
particuliers, et qui dans son estime ne la mettroit
pas au-dessus de tout ce qui n'est point Dieu. Il
a été de mon devoir d'appuyer d'abord sur cet
article , et de vous le faire sentir ; mais allons plus
loin.
On a blâmé comme indiscret le zèle des fidèles
qui attribuoient à Marie des titres d'honneur qu'on
prétend ne lui pas convenir : et moi j'avance et je
soutiens , que depuis que l'Eglise universelle , par
le plus solennel de ses décrets , qui fut celui du
concile d'Ephèse , a maintenu la Vierge dont je
défends ici la gloire , dans la possession du titre
de mère de Dieu , que l'hérésiarque Nestorius lui
disputoit , il n'y a point de titre d'honneur qui ne
lui convienne, ni de qualité éminente qu'on puisse
sans indiscrétion lui contester. Appliquez-vous , et
vous en allez être convaincus. Car puisqu'il s'agit
surtout de la qualité de médiatrice et de répara-
trice du monde , que les réformateurs de son culte
voudroient lui oter, voyons comment en a parlé
saint Bernard : non point dans ces occasions et
dans ces discours où il n'a pensé qu'à exalter Ma-
rie par les magnifiques éloges qu'il en a faits , mais
dans cette célèbre épître aux chanoines de Lyon,
où, raisonnant en théologien, et décidant à la ri-
gueur, il a voulu nous marquer les bornes que
doit avoir le culte que nous rendons ù la mère de
A LA VIERGE. 299
Dieu. Je me contenterai de traduire ses paroles ,
et je ne puis douter que vous n'en soyez touchés.
Donnez , disoit-il , donnez à Marie les justes louanges
qui lui appartiennent , et souvenez-vous que la
sainteté , pour être honorée , n'a besoin que de la
vérité. Dites , par exemple , que Marie a trouvé
pour elle et pour nous la source de la grâce; dites
qu'elle est la médiatrice du salut et la restauratrice
des siècles : vous le direz avec raison ; car c'est ce
que toute l'Eglise publie, et ce qu'elle chante tous
les jours dans ses divins offices : Magnifica gra-
tiœ înventricem Mariam , mediatricem salutis ,
restauratricem seculorum : hœc mihi de illd
cantat Ecclesia. Ceux à qui ces titres déplaisent,
oseront-ils s'inscrire en faux contre le témoignage
de saint Bernard , et récuser un homme d'une si
grande autorité parmi les Pères, et qui rapporte
en fidèle historien ce que l'Eglise croyoit de son
temps , et ce qu'elle pratiquoit ? Or voilà ce que
j'appelle honorer judicieusement la Vierge , lui at-
tribuer les qualités que toute l'Eglise lui attribue.
On sait bien qu'il n'y a , pour parler ainsi , qu'un
médiateur de rédemption : mais on est certain de
ne point déroger à ses droits , quand on recon-
noît avec l'Ecriture , outre cet unique médiateur
de rédemption qui est Jésus-Christ, d'autres média-
teurs d'intercession ; et Marie entre ceux-ci ne doit-
elle pas avoir la première place? On sait que Jé-
sus-Christ seul a racheté le monde par son sang ,
mais on ne peut ignorer que ce sang qu'il a ré-
pandu , a été formé de la substance même de Marie ,
3oO SUR LA DÉVOTION
et par conséquent que Marie a fourni, a offert, a
livré pour nous le sang qui nous a servi de rançon.
Car c'est sur quoi toute l'Eglise s'est fondée pour
la qualifier de médiatrice et de réparatrice des
hommes. Ce seroit donc encore par là u le indis-
crétion (je devrois peut-être user d'un terme plus
propre et plus fort) , ce seroit, dis-je, une indis-
crétion , de lui refuser ces titres glorieux et si soli-
dement établis. Mais sans raisonner davantage, il
me suffit, reprend saint Bernard, que l'Eglise m'ait
appris à honorer de cette manière la mère de Dieu :
car ce que m'enseigne l'Eglise , ajoutait ce saint
docteur, c'est à quoi je m'attache inviolablement ,
et de quoi je ne me départirai jamais. Tout ce
qu'elle croit, je le crois; et tout ce qu'elle pra-
tique , je le veux pratiquer : en le croyant , en le
pratiquant sans distinction et sans restriction , je
me tiens en assurance, puisqu'elle est l'oracle que
je dois écouter sur tout, et le guide infaillible que
je dois suivre : Quod ab illd accepi , securus
teneo.
Or, selon cette règle , mes chers auditeurs , nous
ne craignons point d'être des dévots indiscrets de
Marie , quand nous l'appelons notre médiatrice et
notre réparatrice ; quand nous disons qu'elle est
pour nous une source de vie , qu'elle est dans cette
terre d'exil notre consolation , qu'elle est au milieu
de tous les dangers notre espérance : pourquoi ?
parce que jusqu'à la fin des siècles , malgré le cha-
grin de l'hérésie , l'Eglise la réclamera et la saluera
sous toutes ces qualités : Vila , dulcedo , et spes
A LA VIERGE. 3ot
nostra, salve. Notre vie, comment? après Dieu
et après Jésus-Christ ; notre consolation , comment ?
après Dieu et après Jésus-Christ ; notre espérance
comment ? après Dieu et après Jésus-Christ. Peut-
on , sans indiscrétion et même sans malignité , nous
soupçonner , ou plutôt soupçonner l'Eglise de l'en-
tendre dans un autre sens ? Et parce qu'il est évident
et incontestable que c'est là le sens de l'Eglise, et
que nous n'en avons point d'autre, malgré la fausse
délicatesse des censeurs de notre dévotion envers
la mère de Dieu , nous ne faisons point difficulté
de l'appeler absolument notre vie , absolument
notre consolation , absolument notre espérance :
Vita , dulcedo , et spes nostra. Oui , c'est ainsi
que nous le chantons avec l'Eglise , et qu'on le
chantera jusqu'à la dernière consommation des
temps. Les ennemis de Marie passeront; mais l'E-
glise leur survivra , l'Eglise après eux subsistera ,
et touchée des mêmes sentimens, elle dira toujours,
en s'adressant à la mère de son Epoux et de son
Sauveur : Vita , dulcedo , et spes nostra.
Enfin, on a traité de zèle indiscret, celui que
fait paroître le peuple chrétien à défendre certains
privilèges de Marie. Privilèges de grâce dans son
immaculée conception, privilèges de gloire dans sa
triomphante assomption ; bien d'autres dont je
n'entreprends point de faire ici le dénombrement,
et qu'on s'est aussi contenté de nous marquer sous
des termes généraux , en les rejetant. Mais moi ,
voici encore , et sur le même principe , comment
je raisonne : car , puisque nous reconnoissons Marie
3o2 SUR LA DÉVOTION
pour mère de Dieu , de tous les privilèges propres
à rehausser l'éclat de cette maternité divine , y en
a-t-il un seul que nous ne devions être disposés à
lui accorder, ou, pour mieux dire , y en a-t-il un
seul que Dieu lui-même ne lui ait pas accordé ? Si
Dieu ne nous les a pas tous également révélés ; si
nous n'avons pas sur tous la même certitude, et si
tous ne sont pas dans le christianisme des points
de foi, n'est-ce pas assez pour les attribuer à cette
Vierge que, sans préjudicier aux droits de Dieu ,
ce soient des privilèges convenables à la dignité de
mère de Dieu ? n'est-ce pas assez que ce soient des
privilèges reconnus par les plus savans hommes de
l'Eglise , autorisés par la créance commune des
fidèles, appuyés, sinon sur des preuves évidentes
et des démonstrations , au moins sur les plus fortes
conjectures et les témoignages les plus solides et les
plus irréprochables? Or tels sont les privilèges que
nous honorons dans Marie , et c'est par là que nous
les honorons prudemment. Un esprit raisonnable et
sage , surtout un esprit bien prévenu à l'égard de
Marie, et affectionné à son culte (car voilà le point),
un esprit, dis-je , guéri de certains préjugés, ou
dégagé de certains intérêts , dans le choix de deux
partis , s'il y en avoit deux à prendre , ne penchera-
t-il pas toujours vers le plus favorable à la sainte
Mère que nous révérons ? ne le préférera-t-il pas ,
et ne l'embrassera-t-il pas , quand c'est d'ailleurs
le mieux établi et le mieux fondé? Mais que devroit-
on penser d'un esprit toujours prêt à faire naître
des doutes sur les grandeurs de Marie , et sur ses
A LA VIERGE. 3o3
plus illustres prérogatives ? toujours appliqué à ima-
giner de nouveaux tours pour nous les rendre sus-
pectes ; mettant toute son étude à troubler la piété
des peuples, et par tontes ses subtilités, ne cher-
chant qu'à la resserrer , qu'à en décréditer les plus
anciennes pratiques , peut-être qu'à l'anéantir , au
lieu de travailler à la maintenir et à l'étendre ? Ah !
mon Dieu , falloit-il donc que le ministère de votre
parole fût aujourd'hui nécessaire pour défendre
l'honneur et le culte que le monde chrétien est en
possession de rendre à la plus sainte des vierges ?
Après que les premiers hommes de notre religion
se sont épuisés à célébrer les grandeurs de Marie ;
après qu'ils ont désespéré de trouver des termes
proportionnés à la sublimité de son état; après qu'au
nom de tous saint Augustin a confessé son insuffi-
sance , et protesté hautement qu'il manquoit d'ex-
pressions pour donner à la mère de Dieu les louan-
ges qui lui étoient dues ? Quibus te laudibus
efferam nescio ; falloit-il que je fusse obligé de
combattre les fausses réserves de ceux qui craignent
de la louer avec excès, et qui osent se plaindre
qu'on l'honore trop ? Voilà toutefois un des désor-
dres de notre siècle. A mesure que les mœurs se
sont perverties, par une apparence de réforme, on
a raffiné sur la simplicité du culte. A mesure que
la foi est devenue tiède et languissante, on a affecté
de la faire paroître vive et ardente, sur je ne sais
combien d'articles qui n'ont servi qu'à exciter des
disputes, et à diviser les esprits sans les édifier.
Si ces prétendus zélés et ces censeurs indiscrets du
3o4 SUR LA DÉVOTION
culte de la Vierge avoient été appelés au conseil ,
et qu'on eût pris leur avis , jamais ils n'auroient
consenti à cette multiplicité de fêtes instituées en
son honneur. Ce nombre infini de temples et d'au-
tels consacrés à Dieu sous son nom , n'eût pas été
de leur goût. Tant de pratiques établies par l'Eglise
pour entretenir notre piété envers la mère de Dieu,
les auroient choqués ; et pour peu qu'on les écoutât,
ils concluroient à les abolir. Il n'a pas tenu à eux,
et il n'y tiendroit pas encore , que sous le vain
prétexte de ce culte judicieux , mais judicieux selon
leur sens , qu'ils voudroient introduire dans le chris-
tianisme , la religion ne fût réduite à une sèche
spéculation , qui bientôt dégénéreroit , et qui, de
nos jours, en effet, ne dégénère que trop visible-
ment dans une véritable indévotion. Mais malgré
toutes les entreprises que l'hérésie, depuis tant de
siècles , a formées contre vous , Yierge sainte ,
votre culte a subsisté, et il subsistera; jamais les
portes de l'enfer ne prévaudront contre le zèle des
vrais chrétiens , et contre leur fidélité à vous rendre
les justes hommages qui vous appartiennent. De
quelque artifice qu'on use, et quelque effort qu'on
fasse pour arracher de leurs cœurs les sentimens
tendres et respectueux qui les lient étroitement à
vos intérêts , ils les conserveront , ils les publieront,
ils en feront gloire. Leur piété l'emportera, et rien
ne sera capable de les séduire et de les ébranler.
Vous êtes, ô sainte mère de Dieu ! vous êtes recueil
contre lequel ont échoué toutes les erreurs , et vous
le serez toujours. Vous seule avez triomphé de toute»
A LA VIERGE. 3o5
les hérésies : à peine s'en est-il formé une dans le
christianisme, qui ne vous ait attaquée , et il n'y en
a point que vous n'ayez confondue : Cunctas hœ-
reses sola interemisti in universo mundo. La
victoire que vous remporterez, et que vous rem-
portez déjà sur les téméraires censeurs de votre
culte , achèvera votre triomphe : s'il y faut contribuer
par nos soins , nous n'y épargnerons rien ; s'il fautpar-
ler, nous parlerons; dansla chaire de vérité, nous élè-
verons la voix, nous nous ferons entendre ; et , après
avoir appris au peuple chrétien à vous honorer judi-
cieusement, nous lui apprendrons à vous invoquer
efficacement: c'est le sujet de la seconde partie.
DEUXIÈME PARTIE.
Que nous puissions invoquer Marie , et qu'elle
soit pour nous dans nos besoins une protectrice
toute puissante et toute miséricordieuse, c'est une
vérité , chrétiens , sur laquelle nous ne pouvons
former le moindre doute , si nous sommes de fidèles
enfans de l'Eglise , et si nous sommes bien instruits
des principes de notre foi. Car puisque l'Eglise a
défini en général, que nous pouvons invoquer les
saints que Dieu a retirés de cette terre d'exil où
nous vivons , et qu'il a placés auprès de lui dans
son royaume, à combien plus forte raison pouvons-
nous , dans toutes les nécessités de cette vie , nous
adresser à la reine, non-seulement des saints, mais
des anges bienheureux, et lui présenter nos prières ?
Que lui manque-t-il de tout ce qui peut affermir
notre confiance ? Croirons -nous qu'uniquement
TOME XI. 20
5o6 SUR LA DÉVOTION
touchée de son bonheur, et toute occupée, pour
ainsi dire , de sa propre gloire , elle soit devenue
insensible à nos intérêts? mais n'est-elle pas toujours
la mère de miséricorde ? Nous persuaderons-nous
que Dieu , en la glorifiant , ait tellement borné son
pouvoir, qu'elle ne soit plus en état de nous en
faire sentir les salutaires effets ? mais n'est-elle pas
toujours lanière de ce Dieu sauveur qu'elle a donné
au monde et qui lui fut si soumis ? est-ce en re-
cevante récompense de ses mérites qu'elle a perdu
ses plus beaux droits ; et si ce Fils adorable qu'elle
porta dans son sein , a fait pour elle des miracles
sur la terre , que lui refusera-t-il dans le ciel ? C'est
ainsi que les Pères ont raisonné , et c'est là-dessus
qu'ils se sont fondés pour nous exhorter dans des
termes si énergiques et si forts , à réclamer sans
cesse la mère de Dieu. Que ne puis-je les faire tous
ici parler, ou plutôt, que ne puis-je rapporter ici
dans un recueil abrégé, tout ce qu'ils ont dit de
l'invocation de Marie et des avantages qui y sont
attachés ! que ne puis-je vous faire entendre ces
grands maîtres , et , selon l'expression de saint Paul,
vous convaincre par cette nuée de témoins ! Car
quand nous n'aurions point d'autres preuves, en
faudroit-il davantage , et ne seroit-ce pas une té-
mérité, que dis-je ? ne seroit-ce pas l'obstination la
plus outrée , que de vouloir tenir contre l'autorité
de tout ce qu'il y a eu depuis tant de siècles d'oracles
et de docteurs dans l'Eglise de Jésus-Christ ?
Je vais plus loin, et je ne dis pas seulement que
nous pouvons invoquer Marie , mais j'ajoute que
3ious le devons : et pourquoi ? pour nous confor-
A LA VIERGE 3oy
mer à l'Eglise , pournous attirer la grâce , pour
nous procurer contre les dangers du monde , un
secours puissant et un ferme soutien , pour assurer
notre salut. En effet, chrétiens , si nous sommes
obligés de croire ce que croit l'Eglise , comme la
règle de notre foi , ne sommes-nous pas obligés
de faire ce que fait l'Eglise , comme la règle de
nos mœurs ? Or, combien de prières solennelles
l'Eglise, tous les jours, adresse-t-elle à la mère
de Dieu , pour implorer son assistance ; et n'est-ce
pas une espèce d'infidélité de ne pratiquer pas ce
qu'elle pratique avec tant de soin, et de ne deman-
der pas ce qu'elle demande , ni à qui , ou plutôt ,
par qui elle le demande? Si la grâce nous est né-
cessaire , et si nous ne pouvons surtout ignorer
combien il nous est important d'avoir certaines
grâces particulières et en certaines conjonctures,
nous est-il permis de négliger un des plus sûrs
moyens de les obtenir ? Or ce moyen , c'est l'in-
tercession de Marie ; et mille fois ne vous a-t-on
pas avertis que c'est par elle que Dieu dispense ses
dons , et par les mains de cette Vierge qu'il les fait
passer en nous les communiquant? Si nous sentons
notre foiblesse , et si nous gémissons de nous voie
exposés à tant de périls, dans l'obligation où nous
sommes d'ailleurs de nous conserver , ne devons-
nous pas pour cela mettre tout en œuvre? Or, de
tout ce que nous pouvons mettre en œuvre , rien
de plus efficace , de plus présent , que la média-
tion de Marie ; et puisque tant d'autres qui l'ont
éprouvé, nous en instruisent, n'est-ce pas consentir
3o8 SUR LA DÉVOTION
à notre perte , que de ne vouloir pas nous servir
d'une telle défense ? Enfin , si le salut est notre
affaire , et par ses conséquences infinies , notre
grande aflaire , notre essentielle affaire , notre uni-
que affaire , nous peut-il être pardonnable de n'y
pas employer tout ce que la religion nous fournit
de plus propre à en garantir le succès ? Or , la
coadjutrice de Dieu, dans l'accomplissement de ce
salut , c'est Marie ; et comme ce salut a commencé
par elle et par son consentement à la parole de
Dieu, c'est par elle et par sa coopération qu'il doit
être consommé. D'où il s'ensuit que nous ne pou-
vons donc trop , dans cette vie mortelle , la solli-
citer , la presser , l'intéresser en notre faveur par
nos supplications et par nos vœux. Avançons.
On peut invoquer Marie, on doit invoquer Ma-
rie : vérités incontestables , mais le point est de
l'invoquer efficacement , c'est-à-dire, de l'invoquer
de telle sorte qu'elle puisse agréer nos prières ,
qu'elle puisse les trouver dignes d'elle et y prendre
part. Car selon l'oracle de Jésus-Christ, tous ceux
qui disent à Dieu : Seigneur , Seigneur , ne seront
pas écoutés pour cela de Dieu , ni n'entreront pas
dans le royaume de Dieu : et suivant la même
règle , j'ajoute que ,de ceux qui se mettent, ou qui
prétendent se mettre sous la protection de la mère
de Dieu , plusieurs l'invoquent en vain : pourquoi ?
parce qu'ils ne le font pas dans un esprit chrétien ,
ni avec les sentimens convenables pour l'engager
dans leurs intérêts , et pour la toucher. 11 y a donc
ici deux éctieils à craindre , et deux extrémités à
A LA VIERGE. 3o$
éviter ; et comme la vertu tient le milieu entre deux
vices opposés , la vérité se trouve toujours entre
deux erreurs contraires. Je veux dire , que les uns
comptent trop sur la protection de Marie ; mais
que les autres aussi ne connoissent point assez , ou
semblent ne point assez connoître tout le fonds
qu'on y doit faire ; que les uns , selon leurs désirs
et le gré de leurs passions, lui donnent trop d'éten-
due , et c'est l'erreur des chrétiens présomptueux;
mais que les autres aussi, selon leurs fausses maxi-
mes, la resserrent dans des bornes trop étroites, et
c'est l'erreur de nos réformateurs , je dis de ceux
à qui je parle dans ce discours , et qui , par une
autre prudence que celle de l'évangile , se sont in-
gérés à nous donner des avis dont le peuple fidèle
n'a pu tirer qu'un scandale à quoi je me sens obli-
gé , par le devoir de mon ministère , d'opposer
toute la force de la divine parole. Appliquez-vous ,
s'il vous plaît.
Car pour combattre d'abord ce que j'ai marqué
comme la première erreur , il faut convenir , chré-
tiens , que nous portons quelquefois trop loin notre
confiance , et que nous faisons à Marie des prières
qu'elle ne peut écouter : comment cela ? parce que
ce sont des prières injurieuses à Dieu, parce que ce
sont des prières indignes de la mère de Dieu , parce
que ce sont des prières pernicieuses pour nous-
mêmes. Prières injurieuses à Dieu : pourquoi ?
c'est qu'elles sont directement opposées à l'ordre
de sa providence , et qu'elles vont à renverser toute
l'économie de notre salut. En effet, tel est l'ordre
3iO SUR LA DÉVOTION
de la Providence, que le salut dépende première-
ment de Dieu , et ensuite de nous-mêmes ; qu'aidés
de la grâce de Dieu , nous y travaillions nous-
mêmes; que nous obtenions cette grâce par la mère
de Dieu , mais pour la faire valoir par nos soins ,
mais pour la rendre féconde par nos œuvres , mais
pour la conserver par notre vigilance : voilà le
plan que Dieu s'est tracé , et qu'il nous a proposé.
Et nous, sans égard aux vues de Dieu et nous pro-
mettant tout de la mère de Dieu , nous nous en
formons un autre selon nos idées particulières ,
c'est-à-dire, selon notre sens réprouvé et nos in-
clinations corrompues. Car si nous prétendons que
sons la protection de Marie , le salut ne nous coû-
tera plus rien ; qu'après avoir satisfait à certaines
pratiques d'une fausse piété envers Marie , nous
pourrons devant Dieu nous tenir quittes de tout le
reste ; que, revêtus des livrées de Marie, nous se-
rons à couvert de tous les dangers du monde , à
couvert de toutes les tentations de la vie, à couvert
de toutes les surprises de la mort, à couvert de
tous les arrêts de la justice divine et de tous les
foudres du ciel ; et qu'ainsi nous n'aurons rien à
craindre , en nous exposant aux occasions , en de-
meurant dans nos habitudes , en vivant dans l'état
du péché , en remettant notre pénitence : ah !
chrétiens, si c'est de la sorte que nous l'entendons,
ce n'est pas de la sorte que Dieu l'entend ; ni jamais
ce ne sera de la sorte qu'il l'entendra. Autrement
il se démentiroit bien lui-même : et quel lieu au-
ricz-vous d'espérer, surtout en de pareilles dispo-
A LA VIERGE. 3l L
sitions, qu'il changeât pour vous les immuables
décrets de sa sagesse éternelle ? Prières indignes
dé la mère de Dieu , puisque c'est attendre d'elle
qu'elle nous autorise contre Dieu même , qu'elle
nous rassure contre la crainte de ses jugemens Jus-
qu'à ne nous plus mettre en peine de les prévenir ;
qu'elle nous serve de prétexte pour persévérer dans
nos désordres , et pour mourir dans l'impénitence.
Et de là enfin , prières qui , bien loin de nous
sanctifier, ne peuvent servir qu'à nous corrompre ;
qui, bien loin de nous approcher de Dieu, ne peu-
vent servir qu'à nous en éloigner saus retour; qui,
bien loin de nous sauver, ne peuvent servir qu'à
nous perdre ; par conséquent , prières infiniment
pernicieuses pour nous-mêmes. Or , de penser que
de telles prières fussent assez efficaces pour toucher
le cœur de la plus sainte de toutes les vierges , de
la plus fidèle à la loi de Dieu , de la plus soumise
aux desseins et aux volontés de Dieu , de la plus
zélée pour la gloire de Dieu et pour la sanctifica-
tion du peuple de Dieu , ne seroit-ce pas la plus
sensible et la plus évidente contradiction ?
Vous me direz qu'il faut donc conclure de là
qu'un pécheur , dans l'état de son péché , ne peut
invoquer efficacement la mère de Dieu; que n'ayant
pas alors l'amour de Dieu, que vivant actuellement
sans pénitence , il a beau , du reste , se confier en
Marie et la prier ; tous ses vœux sont inutiles , et
que toute sa dévotion envers la Vierge ne le sau-
vera pas : autre erreur dont nous avons à nous
préserver ; mais qui , déguisée sous des termes
QI2 SUR LA DÉVOTION
captieux et pleins d'artifice , proposée sous la forme
trompeuse d'avertissemens utiles et clire'tiens , ca-
chée sous un air de vérité qui en impose et qui
empêche d'en voir le danger , demande toute la
précision nécessaire pour la découvrir. Pùen de
plus spécieux que les propositions qu'on nous fait:
propositions équivoques , vraies dans un sens ,
fausses dans l'autre , toujours dangereuses , parce
qu'elles ne tendent qu'à détruire toute notre con-
iiance en cette mère de miséricorde , qui doit être
l'asile des pécheurs. On nous dit qu'il ne faut pas
jeter les simples dans l'illusion, en leur faisant plus
espérer de Marie qu'il ne convient; je l'avoue :
mais je dis aussi qu'il ne faut pas jeter les simples
dans l'illusion , en ruinant toute leur espérance ;
et pour donner plus de jour à ma pensée, et vous
faire prendre là-dessus le point juste à quoi tout
fidèle doit s'en tenir , je m'explique , mes chers
auditeurs , et je vous prie de me suivre.
Il est vrai, dire à un pécheur que sans pénitence
et par la seule intercession de Marie , il peut être
réconcilié et sauvé, c'est le jeter dans l'illusion et
dans la plus grossière de toutes les illusions : car
sans la pénitence , il n'y a ni justification ni salut.
Mais aussi lui faire entendre que s'il ne renonce
actuellement à son péché ; que s'il n'est actuelle-
ment dans la résolution de rompre ses engagemens
criminels ; que s'il n'est actuellement touché d'un
sentiment de pénitence , il ne lui sert à rien d'in-
voquer Marie , et que sa confiance ne lui peut être
de nul avantage ; c'est le séduire et le tromper ;
A LA VIERGE. 3i3
car sans être encore pénitent , ne peut-il pas , par
l'intercession de la mère de Dieu , le devenir ?
Sans avoir encore le courage de s'arracher au monde
et à ses honteux attachemens , ne peut-il pas, par
l'intercession de la mère de Dieu , le demander et
l'obtenir ? Sans être encore assez vivement touché
de Dieu, sentant la foiblesse de son cœur, et se
défiant de lui-même , ne peut-il pas , par l'inter-
cession de Marie , engager Dieu à lui accorder une
grâce qui le touche , une grâce qui l'éclairé et le
fortifie ? Ne peut-il pas , du fond de l'abîme où
il est plongé , lever les mains vers cette Vierge , et
s'écrier en l'appelant à son secours : Reine du ciel
et toute puissante médiatrice des hommes , ne
m'abandonnez pas , moi pécheur , moi aveugle et
endurci , moi foible et affaissé sous le poids de
mes iniquités , incapable par moi-même de me re-
lever , et n'ayant point d'autre avocate que vous
pour prendre mes intérêts auprès de mon juge , et
pour le porter à me rendre les forces que j'ai per-
dues et qui me manquent : Ora pro nobis pecca-
îoribus ? Ne peut-il pas , dis-je , l'invoquer de la
sorte, et pouvons-nous croire qu'elle soit insensible
à ses gémissemens, et qu'elle ne s'emploie pas à
lui ménager la grâce de sa conversion ?
Il est vrai , dije à un pécheur que sans amour
pour Dieu , par la seule médiation de Marie , il
peut parvenir à l'héritage de Dieu , ce seroit , non
plus seulement une illusion , mais une impiété. Car,
sans la charité de Dieu , l'on ne peut être ami de
Dieu ; et Dieu ne recevra jamais au nombre de ses
3l4 S^R LA DÉVOTION
élus et dans son royaume , que ses amis. Mais aussi ,
faire entendre à ce pécheur que n'ayant pas actuel-
lement l'amour de Dieu, il ne peut rien prétendre
de Marie , et qu'inutilement il s'efïbrce de se la
rendre propice , c'est abuser de sa crédulité , et
lui ôter , dans son malheur , une des plus certaines
et des plus solides ressources. Car cet amour de
Dieu qu'il n'a pas , ne peut-il plus l'avoir dans la
suite ; et , pour l'avoir , ne peut-il plus , selon le
langage de l'Ecriture , recourir à la mère du bel
amour , Ego Mater pulchrœ dilectionis ( i ) ?
Comme sans un amour actuel de Dieu , il peut
néanmoins croire en Dieu , et de cette foi passer
à l'espérance , pour s'élever enfin à la charité de
Dieu, ne peut-il pas, sans un amour actuel de Dieu,
former dans son cœur un sentiment de confiance
en Marie; et animé de ce sentiment, ne peut-il pas
se prosterner devant elle, lui exposer sa misère,
et par là réveiller toute la tendresse d'une vierge
déjà si favorablement prévenue pour nous ; par là
trouver accès auprès d'elle , et par elle se mettre
en grûce avec Dieu , et recouvrer le don précieux:
de l'amour de Dieu ? Et il ne faut point m'opposer
que sans l'amour de Dieu l'on ne peut être prédes-
tiné j et par une conséquence qui paroît nécessaire,
que sans l'amour de Dieu l'on ne peut se promettre
aucun fruit du culte et de l'invocation de la mère
de Dieu. Raisonnement dont il ne faut qu'éclaircir
l'ambiguïté , pour en faire connoître la fausseté,
et j'ose dire , la malignité. Je le sais : sans l'amour
(x) Eccli. 24.
A LA VIERGE. 3 I 5
de Dieu , l'on ne peut être prédestiné d'une prédes-
tination parfaite et consommée ; ou , pour m'ex-
prïmer encore plus clairement , sans l'amour de
Dieu l'on ne peut arriver au terme de la prédesti-
nation , qui est la gloire : mais avant que d'y arri-
ver , et dans le temps même qu'on est pécheur et
sans amour de Dieu, on peut être prédestiné pour
parvenir un jour à cette gloire : comment cela ?
parce qu'on peut être prédestiné pour sortir de
l'état du péché , pour rentrer dans les voies de la
justice , pour rallumer dans son cœur le feu de la
charité ; et par où ? par les moyens que Dieu nous
fournira. Ainsi Magdeleine , au milieu même de
ses désordres , étoit prédestinée ; ainsi l'apôtre des
nations , saint Paul , lors même qu'il persécutoit
l'Eglise de Dieu, étoit prédestiné; ainsi des mil-
lions de libertins, jusque dans leur libertinage même,
ont été prédestinés. Or , ces moyens de prédesti-
nation , par qui pourrons-nous plus sûrement et
plus infailliblement les obtenir que par Marie ?
Disons-le même de bien d'autres avis par ou
l'on a prétendu régler notre confiance en la mère
de Dieu , et nous précautionner contre des abus
imaginaires. Je dis contre des abus imaginaires. Car
quand on nous avertit de ne pas croire qu'il ne
soit plus au pouvoir de Dieu de damner un pécheur
dès qu'il porte quelque marque d'une dévotion ex-
térieure à la bienheureuse Vierge ; de ne nous pas
persuader qu'elle ait plus de bonté , plus de zèle
pour nous que Jésus-Christ même , et de ne pas
plus compter sur ses prières que sur les mérites
5l6 SUR LA DÉVOTION
de son fils, de ne penser pas que sans elle on ne
puisse approcher de Dieu par le Sauveur même
des hommes , et de ne la point mettre en parallèle
ni avec Dieu , ni avec Fhomme-Dieu ; de ne pas
ôter à cet homme-Dieu la miséricorde pour la don-
ner tonte à sa mère, et de ne pas préférer le culte
de cette divine mère à l'amour de Dieu , et à la
confiance que nous devons avoir en lui : quand ,
dis-je , on s'arrête vainement à nous étaler ces
pompeuses maximes, n'est-ce pas attribuer au peu-
ple chrétien des abus que l'on imagine , pour dé-
crier les dévots de Marie ? n'est-ce pas sans sujet
vouloir les représenter comme des esprits outrés ,
comme des esprits frivoles et superstitieux ? Et qui
de nous eut jamais de telles idées ? qui de nous
porta jamais les choses à de tels excès ; et pour
user d'une expression plus forte , mais plus propre,
à de telles extravagances ? Ah ! mes frères ( je parle
à vous , ministres des autels ; à vous que Dieu a
choisis pour être les conducteurs et comme les sau-
veurs de son peuple) , dans un siècle où la corrup-
tion est si générale , et où nous voyons tant d'ames
rachetées du sang de Jésus-Christ , s'égarer et se
pervertir , ne leur fermons pas les voies du retour
du salut : or une de ces voies les plus assurées y
c'est une sincère dévotion envers la mère de
Dieu. Disons aux fidèles que pour invoquer ellica-
cement Marie , il faut l'invoquer chrétiennement ,
c'est-à-dire , l'invoquer en vue de pouvoir , par son
crédit auprès de Dieu , changer de vie et réformer
leur conduite , abandonner le vice et réprimer leurs
A LA VIERGE. 3lJ
passions, vaincre la chair et résister à ses attaques,
se préserver des pièges du démon et du monde ,
plus dangereux encore mille fois pour eux que
toutes les puissances de l'enfer , s'adonner aux exer-
cices de la religion et en soutenir la pratique , se
sanctifier et mériter l'éternité bienheureuse. Mais
en même temps , disons-leur qu'en quelques déré-
glemens qu'ils aient vécu , que quelque pécheurs
qu'ils aient été , et qu'ils soient même à présent ,
ils peuvent être favorablement écoutés de Marie,
en s'adressant à elle avec une confiance humble et
filiale ; que bien loin de les rejeter , elle leur tend
les bras , elle leur ouvre son sein , elle les invite et
leur offre son secours. Voilà ce que nous leur de-
vons dire, et ce que je leur dis , Vierge sainte, de
votre part et en votre nom. Vous ne m'en désa-
vouerez point, et vous confirmerez toutes mes pa-
roles. Je parle dans un auditoire chrétien ; mais
dans cet auditoire, tout chrétien qu'il est, combien
y a-t-il d'ames chancelantes et sur le point d'une
ruine prochaine? combien d'ames tièdes et languis-
santes dans le service de Dieu , et dans l'observation
de leurs devoirs ? combien d'ames aveugles et trom-
pées , qui se flattent d'une prétendue innocence,
et qui vivent dans l'état d'une fausse conscience ?
combien d'ames criminelles , ennemies de Dieu ,
haïes de Dieu, exposées à toutes les vengeances de
Dieu ? c'est pour ces âmes et pour moi-même que
je vous fais entendre ma voix et que je pousse des
cris vers vous, ou plutôt, c'est à vous que je les
envoie ces tièdes et ces lâches, ces aveugles et ces
3i8 SUR LA DÉVOTION
ignorans , ces mondains et ces pécheurs. Vous les
recevrez , vous les ranimerez, vous les éclairerez,
vous les réconcilierez , vous ferez agir pour eux
tout le ciel , et vous agirez vous-même. Ainsi , chré-
tiens , devons-nous invoquer efficacement Marie ,
l'imiter enfin religieusement : c'est la dernière
partie.
TROISIÈME PARTIE.
C'est une belle pensée de saint Augustin, lorsque,
parlant des martyrs et des honneurs que nous leur
rendons, il nous avertit de célébrer tellement leurs
fêtes , que nous travaillions au même temps à imiter
leur constance. Car, dit ce grand docteur, les saints
ne sont bien honorés sur la terre que par ceux qui
s'efforcent de suivre leurs exemples; et les solennités
qu'a instituées l'Eglise en mémoire des martyrs ,
doivent être pour nous comme autant d'exhortations
au martyre : Solemnitates enirn martyrwn exîior-
tationes sunt martyriorum. Or, chrétiens, j'ap-
plique ces paroles à mon sujet; et dans ce jour où
nous célébrons le triomphe de Marie et sa bien-
heureuse assomption au ciel , je prétends que nous
ne pouvons mieux renouveler notre dévotion envers
cette mère de Dieu , ni la rendre plus solide , que
par une fidèle et constante imitation de ses vertus.
Sur quoi j'ai deux chosesà vous dire : premièrement ,
ce que nous devons imiter dans Marie; et secon-
dement, pourquoi nous le devons imiter. Ce que
nous devons imiter , c'est la sainteté de sa vie; et
voilà le modèle que nous avons à nous proposer :
A LA VIERGE, 3ig
pourquoi nous le devons imiter , c'est pour avoir
part à sa gloire; et voilà le motif qui doit nous ani-
mer. Ceci suffiroit pour faire la matière de tout un
discours : j'abrège, et je vous demande encore un
moment de votre attention.
Ce que nous devons imiter dans la Vierge que
nous honorons et que nous invoquons , c'est la
sainteté de sa vie, et voilà en quoi nous pouvons
nous la proposer comme notre modèle. Ce n'est
point dans les grâces singulières et extraordinaires
qu'elle a reçues du ciel : dès que ce sont des grâces
extraordinaires et singulières à Marie , Dieu n'a
point voulu nous les communiquer , et ce seroit
une présomption que d'y prétendre ; ce n'est point
dans l'éclatante dignité dont elle a été revêtue , ni
dans les glorieux privilèges qui lui furent accordés
en conséquence du choix que Dieu fit d'elle. Ad-
mirons toutes ces merveilles , reconnoissons-y la
souveraine grandeur du Tout-puissant qui les a
opérées ; concevons pour le digne sujet sur qui le
Très-haut jeta les yeux, et en qui il exerça toute
sa vertu, les sentimens de zèle, de respect, de
vénération qui lui sont dus; mais ce ne sont point
de tels miracles qui nous doivent servir de règles ,
puisque Dieu ne les a point mis en notre pouvoir ,
et qu'ils sont si fort au-dessus de nous. En quoi
donc , je le répète , nous devons imiter la mère de
Dieu, c'est dans la sainteté de sa vie; c'est, dis-je,
dans la plénitude de sa sainteté , dans la perfection
de sa sainteté , dans la persévérance et la fermeté
inviolable de sa sainteté. Onel fonds d'instruction
320 SUR LA DÉVOTION
pour nous, mes chers auditeurs, et quel champ a
nos réflexions ?
Je dis dans la plénitude de sa sainteté. Car , selon
que l'a remarqué saint Ambroise, il n'en est pas de
Marie comme de certaines âmes , en qui nous voyons
reluire quelques vertus, à quoi elles se bornent,
et où elles font consister tout leur mérite. Etudions
la vie de cette mère de Dieu ; c'est une leçon uni-
verselle de toute vertu et pour tout état : Talis
fuit Maria , ut ejus unius vit a omnium sit dis-
ciplina ; en formant notre conduite sur la sienne,
nous apprendrons à être fidèles à Dieu , à être
équitables et charitables envers le prochain , à être
détachés de nous-mêmes et attentifssur nous-mêmes;
vous apprendrez, jeunes personnes, ce que vous
êtes si peu en peine de savoir, et ce qu'il vous est
néanmoins si important de ne pas ignorer , à mettre
en sûreté l'innocence de votre ame , et le précieux
et inestimable trésor d'une virginité sans tache; à
fuir pour cela le monde, et surtout certaines sociétés
du monde; à vous tenir dans une défiance conti-
nuelle de votre cœur, et à ne lui permettre pas de
s'échapper jusque dans les moindres rencontres; à
réprimer vos sens et à leur interdire toute liberté,
non - seulement criminelle , mais dangereuse; à
garder en toutes choses la retenue, la modestie, la
sagesse qui convient à votre sexe, et qui en fait le
plus bel ornement. Pères et mères , vous apprendrez
à régler vos familles, et à y maintenir l'ordre et la
piété; à élever vos enfans, non selon vos vues,
mais selon les vues de Dieu; non pour vous-mêmes
A LA VIERGE. 32 1
et pour votre consolation, mais pour Dieu et pour
la gloire de Dieu ; à les lui dévouer et à lui en faire
le sacrifice. Je m'engage insensiblement dans un
détail qui me conduirait trop loin ; et sans qu'il
soit nécessaire que je descende à tant de points
particuliers , qui ne sait pas que dans la prospérité
ou dans l'adversité , dans la grandeur ou dans l'hu-
miliation , soit qu'il faille agir ou souffrir, ordonner
ou obéir , prier ou vaquer aux affaires même hu-
maines, satisfaire aux devoirs de la vie civile ou à
ceux de la vie chrétienne et dévote , aux lois de
Dieu ou aux lois des hommes , en quelque conjonc-
ture que ce puisse être, partout Marie se présente
à nous pour nous instruire et pour nous servir
d'exemplaire et de guide ? Talis fuit Maria, ut
ejus unius vita omnium sic disciplina.
Je dis dans la perfection de sa sainteté , de cette
sainteté éminente et au-dessus de toute autre sain-
teté que celle de Dieu : car voilà où sa fidélité à la
grâce l'a élevée. Mais ne semble-t-il pas que plus
la sainteté de Marie a été sublime et parfaite ,
moins nous pouvons l'imiter ? à cela je réponds que
Jésus - Christ veut bien que nous l'imitions lui-
même tout Dieu qu'il est , et comme Dieu , infi-
niment encore plus saint que Marie; qu'il veut bien
que nous imitions son père, et que nous soyons par-
faits comme son père : Estote ergo vos perfecti ,
sicut pater vester cœlestis perfectus est (i).
Il est vrai, nous n'avons pas été prévenus des
mêmes grâces que la mère de Dieu , et par consé-
(i) Matth. 5.
TOME XI. 21
322 SUR LA DÉVOTION
qnent nous ne devons pas espérer d'atteindre jamais
à la même perfection que la mère de Dieu. Mais
nous pouvons plus ou moins en approcher; mais
nous pouvons, en nous proposant Marie et la fer-
veur de sa piété , nous réveiller de cette langueur
qui nous rend si tièdes et si négligens dans la pra-
tique des devoirs les plus ordinaires de la religion ;
mais nous pouvons, en nous proposant Marie et
son amour pour Dieu , nous reprocher notre indif-
férence pour un maître si digne de tout notre zèle,
et rallumer dans nos âmes un feu tout nouveau ;
mais nous pouvons, en nous proposant Maiie et le
recueillement de son cœur, nous confondre de ces
dissipations volontaires et si fréquentes dans les pins
saints exercices, et nous former à l'usage^e ^a
prière ; mais nous pouvons , en nous proposant
Marie et l'ardeur de son courage , et la force de sa
patience , et la droiture de ses vues , et la profondeur
de son humilité , reconnoître devant Dieu nos fai-
blesses, nos délicatesses , la vanité de nos intentions,
les folles complaisances de notre orgueil , et nous
exciter à les combattre et à les corriger. Nous ne
monterons pas au même degré qu'elle, mais suivant
d'aussi près que nous le pouvons ses vestiges, nous
tiendrons après elle les premiers rangs.
Enfin, je dis dans la persévérance et la fermeté
invariable de sa sainteté. Ah ! chrétiens, en célébrant
aujourd'hui la fête de sa bienheureuse assomption ,
nous célébrons pareillement la mémoire de sa pré-
cieuse mort : et par où cette mort fut-elle si pré-
cieuse devant Dieu? parce qu'elle avoit été précé-
A LA VIERGE- oïo
dée d'une vie toujours sainte , ou plutôt d'une vie
toujours plus sainte d'un jour à un autre, par de
continuels et de nouveaux accroissemens démérites.
Imitons Marie dans tout le reste, et ne l'imitons
pas dans cette persévérance; tout le reste , quelque
grand, quelque héroïque qu'il soit, ne vous peut
être de nul avantage , puisque dans les chrétiens ,
ce ne sont pas tant les commencemens que Dieu
couronne , dit saint Jérôme , que la fin. Tel est
donc , je le répète , l'excellent modèle que nous
devons avoir sans cesse devant les yeux, la sainteté
de Marie , cette sainteté pleine et entière , cette
sainteté sublime et relevée, cette sainteté durable
et constante : voilà ce que nous devons étudier, ce
que nous devons méditer, ce que nous devons nous
appliquer , si nous voulons être solidement dévoués
à cette mère de Dieu. Mais voilà , mes chers audi-
teurs , avouons-le de bonne foi , voilà le point essen-
tiel où notre dévotion se dément et où notre zèle se
refroidit. Nous ne manquons pas de zèle pour publier
les grandeurs de Marie; nous ne manquons pas de
zèle pour défendre ses prérogatives et ses privilèges,
nous ne manquons pas même de zèle pour lui ren-
dre certains honneurs , et pour nous acquitter de
certaines pratiques : tout cela est bon et louable , et
nous y sommes assez fidèles, parce que tout cela
coûte peu ; mais imiter cette vierge dans son invio-
lable pureté, et dans le soin qu'elle eut de la con-
server; l'imiter dans son éloignement du monde,
dans son amour pour la retraite , dans son détache-
ment d'elle-même et de tous les biens temporels *
324 SUR LA DÉVOTION
dans son obéissance aveugle à toutes les volontés
de Dieu , dans sa générosité à tout faire et à tout
souffrir pour Dieu , dans la mortification de ses
sens , dans son assiduité à la prière , en tout ce qui
l'a sanctifiée, c'est ce qui effraie la nature , parce
que c'est ce qui la combat et ce qui la gêne. Tou-
tefois ne nous trompons pas ; et comme nous savons
ce qu'il faut imiter dans Marie, apprenons encore
pourquoi il le faut imiter; je dis que c'est pour avoir
part à la gloire dont cette reine du ciel va prendre
possession : ceci est d'une extrême importance, ne
le perdez pas.
Car prenez garde , chrétiens , Marie est aujour-
d'hui portée dans le sein de Dieu pour y goûter une
éternelle et souveraine béatitude ; mais ce suprême
bonheur n'est point pour elle comme bien d'autres
dons qu'elle avoit reçus , une pure grâce ; c'est une
récompense ; et selon l'ordre de la prédestination
de Dieu, il falloit que ce fût le fruit de ses mérites
•et de sa sainteté. Tout autre titre n'eût point suili
pour lui donner droit à ce bienheureux héritage;
et de là n'ai-je pas raison de conclure que, si nous
voulons entrer en participation de sa gloire, nous
devons nous y disposer par une fidèle imitation de
sa vie ? Oui , mes chers auditeurs , je puis bien vous
dire ici , en vous montrant la mère de Dieu, ce que
saint Paul disoit aux premiers fidèles, en leur pro-
posant Jésus-Christ même : Si compatimur , et
conglorificabimur ; Si vous agissez comme Marie ,
vous serez couronnés comme Marie; si vous souffrez
comme elle , vous serez glorifiés comme elle : voilà
A LA VIERGE. No-
tant à la fois et le terme où vous devez aspirer , et
la route par où vous y devez arriver. Ne séparons
jamais ces deux choses , puisque c'est en les sépa-
rant que nous tombons, ou dans une présomption
criminelle, ou dans une pusillanimité lâche. Pré-
somption criminelle si, ne considérant que le triom-
phe de Marie et l'éclat de sa gloire , vous prétendez
y parvenir sans marcher par la même voie , et sans
user des mêmes moyens : car ne seroit-il pas bien
étonnant que Dieu fut plus libéral pour vous que
pour sa mère ; et que , par une faveur toute gratuite >
il vous donnât, sans rien exiger de vous , ce qu'il a
voulu lui vendre et ce qu'elle a dû acheter si cher ?
Pusillanimité lâche si , n'ayant égard qu'aux diffi-
cultés du chemin où Marie vous a précédés, vous
désespérez d'atteindre au terme où elle est parve-
nue : au lieu de vous animer par la vue du terme,
à soutenir toutes les difficultés du chemin, et à
vaincre tous les obstacles qui s'y rencontrent. Ayons
donc toujours ces deux grands objets devant les
yeux , Marie sur la terre , et Marie dans le ciel : si
l'état de sa vie pénible et laborieuse sur la terre
étonne notre foiblesse , l'état de sa vie glorieuse dans
le ciel nous rassurera et nous consolera.
D'autant plus ( remarquez bien ce que je dis ,
c'est avec cette pensée que je vous renvoie) , d'au-
tant plus que l'état de cette reine triomphante dans
le ciel , doit spécialement servir à nous procurer
les plus puissans secours, pour imiter l'état de sa
vie laborieuse sur la terre. Je m'explique, et c'est
là que j'en reviens, pour votre consolation et pour
D2G SUR LA DÉVOTION
conclusion de ce discours. En eiï'et, chrétiens, Ma-
rie va prendre place auprès du trône de Dieu, et
s'asseoir elle-même sur le trône que Dieu lui a pré-
paré : pourquoi? afin que de là elle parle et agisse
plus efficacement en notre faveur , afin que de là
elle fasse couler abondamment sur nous les trésors
célestes, afin que de là elle se rende attentive à
nos vœux , que de là elle pourvoie à tous nos be-
soins, que de ce trône de gloire où elle domine,
elle fasse pour nous un trône de miséricorde et de
grâce. Voilà ce qui a rendu la dévotion à la Vierge
si générale et si commune dans tous les siècles de
l'Eglise; voilà ce qui lui a attiré la confiance et la
vénération de tous les peuples et de tous les Etats
du monde ; voilà pourquoi il n'y a pas une ville ,
pas même une bourgade dans toute la chrétienté,
où l'on ne voie de sensibles monumens de la piété
des fidèles envers cette mère de Dieu ; voilà ce qui
a porté les princes et les monarques à mettre leur
sceptre et leur couronne sous sa protection , per-
suadés qu'ils ne pouvoient avoir un appui plus so-
lide ni plus inébranlable , que dans une vierge dont
le crédit auprès de Dieu , selon l'expression de saint
lîdefonse ,' tient quelque chose de l'empire et de
l'autorité ; voilà ce qui a engagé un de nos rois ,
Louis XÏJI, de glorieuse mémoire, à lui consacrer
et sa personne et son royaume; non point par un
vœu secret, seulement formé dans son cœur, mais
par ie vœu le plus authentique qu'ait jamais fait un
roi chrétien , puisqu'il le fit , aussi bien que David,
en présence de tout son peuple : In conspçctu
A LA VIERGE. Ctl']
omnis popidi ejus (i); puisqu'il en ordonna la
publication dans tous les lieux de son obéissance ;
puisqu'il y intéressa tous ses sujets, et qu'il voulut
que le souvenir en fût éternel. Voilà l'origine et la
fin de ces saintes et solennelles processions qui se
font aujourd'hui par toute la France, et qui sont au-
tant de témoignages publics par où nos rois pro-
testent qu'ils veulent dépendre de Marie, et qu'ils
la reconnoissent pour leur souveraine. Voulez-vous,
mes chers auditeurs , que je vous donne une pra-
tique digne de votre piété? elle est aisée, il n'y a
point de prétexte qui vous en puisse dispenser.
Faites, chacun dans votre condition, ce que fit ce
prince très-chrétien et très-religieux dont nous ac-
complissons le vœu. \\ consacra son royaume à la
reine des vierges, consacrez-lui vos familles et vos
maisons ; il lui dévoua sa personne et celle de ses
peuples, dévouez-lui la vôtre et celle de vos en-
fans. Ce n'est pas assez : mais comme ce grand mo-
narque , par une conduite solidement pieuse , qui
ne lui acquit pas moins devant Dieu que devant les
hommes la qualité de juste , voulut que son dévoue-
ment fût public , ne rougissons point de faire con-
noître le nôtre ; confessons librement ce que nous
sommes , puisque c'est la profession de ce que nous
sommes qui nous doit sauver. Ne souffrons pas que
les libertins du siècle soient plus hardis à railler du
culte que nous rendons à la mère de Dieu , que nous
à le défendre. Si nous sommes employés au soin et
à la direction des âmes , inspirons-leur la même ar-
(1) Ps. n5.
3n8 SUR LA DEVOTION
(leur et le même esprit. Surtout , chrétiens, souve-
nez-vous de cette parole de saint Anselme , que ,
comme toute famille solidement et saintement dé-
vouée à la glorieuse Vierge, ne périt point, aussi
ne devons-nous pas compter que la bénédiction de
Dieu se trouve dans une famille où la glorieuse
Vierge n'est pas honorée.
C'est dans ce sentiment , 6 reine toute puissante !
que nous nous présentons à vous : et quel comble
de joie pour vos zélés serviteurs, de voir en ce
jour les puissances de la terre humiliées à vos pieds !
Car c'est en ce jour que tous les grands et tous les
riches du peuple implorent votre assistance , selon
la prophétie de David : Vullum tuum depreca-
bimtur omnes divites plebis (i). C'est en ce jour,
qu'à l'exemple de nos rois , et en exécution du traité
qu'ils ont fait avec vous, on voit les juges , les ma-
gistrats , ceux ferai tiennent parmi nous les premières
places et qui occupent les premières dignités, pa^
roître devant vos autels et vous rendre hommage.
Mais si les riches du peuple vous honorent de la
sorte , que ne font pas les pauvres du peuple , les
simples du peuple, les petits et les humbles du
peuple, dont la foi est communément plus vive,
et la dévotion plus ardente et plus tendre? Quoi
qu il en soit , il est de mon ministère et de mon de-
voir , ô sainte mère de Dieu ! de ramasser les vœux
de tout ce peuple qui m'écoute, ceux des riches et
ceux des pauvres, et de vous les offrir. Souffrez
que j'y joigne les miens, ou plutôt souffrez qu'au
(i) Psahn. 44*
A LA VIERGE. 02C)
nom de tout cet auditoire , je vous demande les grâces
que vous savez nous être nécessaires , et que vous
pouvez faire descendre sur nous. Répandez-îes ,
ces grâces divines dont vous êtes comme la dépo-
sitaire et l'économe , répandez-les sur la personne
sacrée de l'incomparable monarque qui nous gou-
verne, répandez- les sur ce royaume spécialement
dévoué à votre culte , répandez-les sur tous en gé-
néral et sur chacun en particulier. Quoique vous
soyez en toutes choses notre ressource, nous ne
vous demandons point tant, après tout, des grâces
temporelles , que des grâces spirituelles. Eteignez
le feu d'une guerre allumée dans toute l'Europe ,
et qui divise les princes chrétiens ; mais aidez-nous
encore plus à éteindre le feu de nos passions, et
cette guerre intestine qu'elles excitent au fond de
notre cœur. Donnez-nous la paix avec les ennemis
de cet Etat ; mais préférablement à cette paix , ai-
dez*nous à recouvrer la paix de Dieu , si nous l'avons
perdue , et à nous y maintenir , si nous sommes
assez heureux pour y rentrer. Et puisque toutes Pes
grâces du salut peuvent se réduire à une seule,
obtenez-nous , o parfait modèle des vertus chré-
tiennes ! obtenez-nous la grâce d'être vos imita-
teurs, comme vous l'avez été de Jésus-Christ; afin
que nous régnions avec Jésus-Christ et avec vous-
même dans l'éternité bienheureuse , où nous con-
duise , etc.
SERMON
POUR LA FÊTE
DE TOUS LES SAINTS.
Mirabilis Deus in Sauctis sais.
Dieu est admirable dans ses Saints. Au Psaume 67.
Sire,
Dteu dans tous ses ouvrages est admirable ; mais
il l'est particulièrement dans ses saints, puisque de
tous les ouvrages de Dieu , un des plus merveilleux
et des plus grands , ce sont les saints. Il est admi-
rable dans leur prédestination , il est admirable
dans leur vocation, il est admirable dans toute l'é-
conomie de leur salut, il est admirable dans leur
béatitude et dans leur gloire. Je dis admirable , de
les avoir prédestinés à son royaume éternel ,admi-
mirable de les avoir appelés à la foi, admirable de
les avoir sanctifiés par la grâce, admirable de les
avoir éprouvés et purifiés par les souffrances ; en-
fin, admirable d'en avoir fait des saints et des bien-
heureux : Mirabilis in sauctis suis. Yoilà , chré-
tiens , ce que Dieu a fait pour ses élus , et ce que
je devrois , ce me semble, développer dans ce dis-
cours; mais j'ai des choses à vous dire encore plus
importantes pour votre édification ; des choses ,
POUR LA FETE DE TOUS LES SAINTS. 35 1
qui , dans la vue de ces bienheureux prédestines ,
vous rempliront , aussi bien que le Prophète royal ,
non pas d'une admiration stérile et sèche , mais
d'une admiration affectueuse , solide , efficace , qui
fortifiera votre foi , qui excitera votre espérance ,
qui animera votre charité ; en deux mots , qui élè-
vera vos esprits et qui touchera vos cœurs : Mira-
bilis Deus in sanctis suis. Vierge sainte , vous
qui dans le ciel régnez au-dessus de tous les saints,
obtenez-moi les lumières dont j'ai besoin , et que
je demande par votre intercession : faites , ô glo-
rieuse mère de Dieu, que je sois animé et rempli
de cet esprit de sainteté dont vous reçûtes la plé-
nitude en concevant le Verbe éternel ; faites que
servant d'organe à ce divin esprit, j'annonce à cette
cour des vérités capables d'en faire, selon l'expres-
sion de saint Paul , un peuple fervent et un peuple
saint : c'est pour cela que je vous adresse la prière
ordinaire : Ave , Maria.
Il n'appartient qu'aux saints de bien comprendre
ce qu'opère en eux celui qui est l'auteur de la sain-
teté ; et je serois téméraire , si je voulois , dans un
sujet tel que celui-ci , m'en tenir à mes propres
pensées, pour vous donner l'intelligence de ce qui
fait le mystère de ce jour, c'est-à-dire , de ce qui
rend Dieu si admirable dans la personne de ses
élus. Ainsi , renonçant à mes vues particulières , et
profitant de celles qu'ont eues les saints, je m'attache
à cette réflexion de saint Léon , pape , que je vous
prie bien de comprendre , parce qu'elle renferme
532 POUR LA FÊTE
tout mon dessein. Ce Père explique les paroles de
David que j'ai choisies pour mon texte : Mirabilis
Deus in sanctis suis ; et considérant, par rapport
à nous , l'excellence de cet état de gloire où les
bienheureux sont élevés , il dit que deux choses y
doivent être comme les deux principaux objets de
notre admiration : l'une , de ce que Dieu nous a
donné dans les saints de si puissans protecteurs ;
et l'autre , de ce qu'il nous a proposé dans ces
mêmes saints un si parfait modèle de sainteté : Mi-
rabilis in sanctis suis, in auibus et prœsidium
nobis constitua et exemplum. Yoilà tout le par-
tage de cet entretien : dans la première partie , je
vous montrerai combien Dieu est admirable de
nous avoir donné les saints pour intercesseurs et
pour patrons ; et dans la seconde , je vous ferai
voir combien il est admirable de nous les avoir
proposés pour exemples. Deux vérités d'une éten-
due infinie dans notre religion, et d'où s'ensuivent
des conséquences à quoi nous devons bien , vous
et moi , nous intéresser. Car voici d'abord les deux,
raisonnemens qui se présentent à nos esprits : les
saints sont nos intercesseurs et nos protecteurs ;
nous avons donc une obligation indispensable de
les honorer et de les invoquer : c'est le premier
point ; les saints sont nos exemplaires et nos mo-
dèles ; nous avons donc un engagement essentiel à
nous former sur eux , et à les imiter : c'est le second
point. Le premier nous apprendra ce que les saints
font pour nous , et le second nous instruira de ce
que nous devons faire nous-mêmes pour être saints.
DE TOUS LES SAINTS. 333
L'un et l'autre, preuve invincible de la proposition
que j'ai avancée , que si le Dieu d'Israël est admi-
rable , c'est particulièrement dans ses saints : Mi-
rabilis in sanctis suis. Yoilà tout le sujet de votre
attention.
PREMIÈRE PARTIE.
Non , chrétiens , rien n'est plus digne de nos
admirations que ce que la foi nous révèle dans la
solennité de ce jour, quand elle nous apprend que
les saints sont devant le trône de Dieu nos protec-
teurs et nos intercesseurs ; et l'ange de l'école,
saint Thomas , en donne trois excellentes raisons ;
la première regarde Dieu même ; la seconde est
prise des saints bienheureux ; et la troisième se
rapporte à nous. Celle qui regarde Dieu même, est
qu'en ceci il nous découvre visiblement les trésors
de sa sagesse et de sa providence ; l'autre , qui se
tire des saints bienheureux , est que la gloire dont
ils jouissent, en est infiniment relevée; et la der-
nière , qui se rapporte à nous , est que nous y
trouvons de très-grands avantages pour l'intérêt de
notre salut. Appliquez-vous, s'il vous plaît, à ces
trois vérités.
Dieu fait éclater sa providence en nous donnant
les saints pour protecteurs et pour intercesseurs.
Comment cela ? parce qu'il établit par là le plus
bel ordre, et la subordination la plus parfaite qu'il
puisse y avoir entre les hommes. Je m'explique :
sur la terre, les hommes dépendent les uns des au-
tres ; et cette dépendance mutuelle les tient dans
334 POUR LA FÊTE
la subordination. Les sociétés , les familles , les ré-
publiques , les Etats , l'Eglise même , et les divers
corps de la hiérarchie qui la composent, sont au-
tant d'ordres que Dieu a établis dans le monde ;
mais après tout, quoique Dieu en soit l'auteur, ces
ordres sont sujets à être troublés par la malice des
hommes ; ceux qui tiennent les premiers rangs, ne
sont pas toujours les plus dignes de les occuper ;
ceux qui y commandent devroient souvent y obéir :
on y voit des grands et des petits , des pauvres et
des riches, des heureux et des misérables, et cela
est de la providence de Dieu ; mais les petits y
sont opprimés par les grands , et les grands enviés
par les petits; et c'est comme une suite infaillible
de la corruption de l'homme. Il n'y a qu'un seul
ordre exempt de ces imperfections ; c'est celui que
Dieu a formé , par sa providence , entre nous et
les saints : car outre que la grâce est le fondement
de cet ordre, outre que le mérite en est la mesure,
et que toute prééminence n'y est accordée qu'à la
sainteté , j'y trouve encore une chose bien singu-
lière : et quoi ? c'est que dans cette subordination >
la dépendance même est aimable. Nous n'envions
point la condition des saints qui sont au-dessus de
nous , parce que nous savons qu'ils travaillent au-
près de Dieu pour nous procurer le même bonheur;
l'élévation de leur état n'a rien qui nous choque ,
parce que nous n'ignorons pas qu'ils ne souhaitent
rien plus ardemment que de nous rendre aussi
grands et aussi puissans qu'eux ; enfin la gloire qui
fait naître communément l'orgueil dans ceux qui ta
DE TOUS LES SAINTS. 335
possèdent, et la jalousie dans ceux qui y préten-
dent , a ici deux effets tout contraires : car elle
donne aux saints des inclinations bienfaisantes pour
nous , et elle nous inspire une reconnoissance affec-
tueuse pour eux ; en sorte que nous avons bien
droit de nous écrier : Mirabilis Deus in sanc(fs
suis. Ce n'est pas tout; mais voici une pensée qui
vous paroîtra encore plus solide et plus touchante :
c'est le vénérable Pierre , abbé de Clugny , qui me
la fournit dans une épître contre certains hérétiques
de son siècle ; elle est digne de votre attention.
Dieu , dit ce savant prélat , avoit un important des-
sein : il vouloit qu'entre les membres de son Eglise,
qui sont les fidèles , quelque éloignés qu'ils pussent
être les uns des autres, il y eût jusqu'à la fin du
monde un lien de communication ;et qu'étant tous,
comme ils sont, les membres vivans du même
corps, unis au même chef, qui est Jésus-Christ ,
et animés du même esprit, qui est l'Esprit saint,
ils eussent en eux une correspondance qui ne pût
être jamais interrompue. La difficulté étoit de choi-
sir un moyen pour cela : car l'Eglise se trouvant
partagée en trois différens états , c'est-à-dire , glo-
rieuse et triomphante dans le ciel , militante sur la
terre , et souffrante dans le purgatoire, comment
pouvoit-elle entretenir une si parfaite société ? ce
ne pouvoit être par la foi , parce que la foi , avec
ses obscurités et ses nuages , n'est plus d'usage
dans Ieciel;nipar l'espérance, parce que les saints
possédant tout dans Dieu , n'espèrent plus rien.
Qu'a fait Dieu ? afin que ces trois Eglises eussent
336 POUR LA FETE
entre elles le commerce qu'elles dévoient avoir , il
les a unies par la charité, qui est une vertu com-
mune. Et comment s'en est-il servi ? ah ! chré-
tiens , c'est ici la merveille : il a ordonné que les
saints qui sont dans le ciel , prieroient pour les
fidèles qui sont sur la terre , et que les fidèles qui
sont sur la terre , intercéderoient pour ceux qui
souffrent dans le purgatoire. Ces âmes captives ,
quoique justes , ne sont plus capables de satisfaire
à Dieu par elles-mêmes : Dieu veut que nous le
fassions pour elles ; et parce que nous employant
pour elles , nous sommes souvent indignes d'être
exaucés , Dieu veut que les saints , qui ont tout
crédit auprès de lui , sollicitent pour nous. Nous
offrons à Dieu , pour le soulagement de nos frères,
des sacrifices et des satisfactions ; et les bienheu-
reux font pour nous des vœux et des prières. Ainsi
l'Eglise triomphante s'intéressant pour la militante,
et la militante compatissant aux peines de l'Eglise
souffrante, de là résulte cette harmonie divine du
corps mystique de l'Eglise, je veux dire, la com-
munion des saints , qui est un des principaux arti-
cles de notre religion : Communionem sanctorum.
Or dans cette communion , la providence de notre
Dieu n'est-elle pas souverainement adorable : Mi-
rabilis Deus in sanclis suis.
Mais tout cela est trop relevé pour la fin que
je me suis proposée , qui est la réformation de nos
mœurs : venons à la gloire des bienheureux mêmes.
Car je prétends en second lieu , que c'est pour en
rehausser l'éclat , que Dieu les a établis nos patrons
DE TOUS LES SAINTS. 33j
et nos protecteurs. Le Prophète royal estimoit qu'il
étoit nécessaire de publier à toute la terre l'hon-
neur que Dieu fait à ses saints ; et il étoit per-
suadé qu'il n'y avoit point de motif plus efficace
pour exciter dans nos coeurs le zèle de sa sainteté :
Filii hominwn usquequb gravi corde ! ut quid
diligitis vanitatem , et quœritis mendacium /
Et scitote qiiotiiam mirijïcavit Dominas sanc-
tum suum (i). Enfans des hommes (c'est à nous
qu'il parloit, mes chers auditeurs ) , enfans des
hommes , qui n'aimez que la vanité , et qui ne cher-
chez que le mensonge , jusqu'à quand demeurerez-
vous dans cet aveuglement, et dans cet assoupisse-
ment ? Sachez qu'il y a d'autres biens à rechercher
que les biens du monde ; sachez que le monde nV
rien que de vil et de méprisable , en comparaison
de ces biens célestes où vous devez aspirer ; et
pour vous en convaincre , envisagez la gloire dont
Dieu se plaît à combler ses prédestinés. Cette vue
seule vous détachera et vous détrompera de tout
le reste. En eifet , chrétiens , si nous savions jusqu'à
quel point Dieu honore ses élus dans ce royaume
qu'il leur a préparé , nous n'aurions plus que du
dégoût pour tout ce qui s'appelle honneurs du siè-
cle , et nous dirions sans peine avec l'Apôtre :
Verumtamen omnia détriment 'um feci, et arbi-
tror ut stercora (2). Mais le moyen de le savoir?
car saint Paul déclare que jamais l'œil n'a vu , ni
l'oreille n'a entendu , ni le cœur de l'homme n'a
compris ce que Dieu réserve à ceux qui l'aiment.
(1) Psal. 4. — (3) Phil. 3.
TOME XI. 22
338 rol'R LA FÊTE
Il est vrai; mais le Saint-Esprit, dont les révélations
et les oracles sont , comme parle Vincent de Lé-
rins , le supplément de notre intelligence, nous en
a dit assez. Et quelle conjecture nous donne- t-il
de la gloire des bienheureux ? celle-ci, que je vous
prie de bien méditer : c'est que Dieu a voulu que
les saints fussent après Jésus-Christ, ne vous offen-
sez pas de ce terme , comme nos médiateurs; c'est
qu'il a choisi les saints pour être les canaux par
où ses grâces découlent sur nous ; c'est qu'il leur a
donné an plein pouvoir pour nous protéger ; c'est
qu'il accorde tout à leur intercession ; c'est qu'il
ne peut , ce semble , leur résister quand ils lui par-
lent en notre faveur; c'est qu'il se laisse fléchir par
eux , jusqu'à suspendre et même , selon le langage
du texte sacré , jusqu'à révoquer les arrêts de sa
justice. Combien de fois en a-t-il usé de la sorte ,
et combien de fois , en considération de David ,
a-t-il calmé sa colère et retenu son bras , lorsqu'il
étoit prêt à se venger des rois d'Israël et de Juda ,
n'apportant point d'autre raison pourquoi il arretoit
ses coups , que celle-ci : Propter David servwn
meum (i) ? Si les saints de l'ancienne loi étoient
si puissans, ceux de la loi de grâce le sont-ils
moins? et si Dieu eut tant d'égard pour la personne
de David et des prophètes , que refusera-t-il aux
martyrs qui ont été les confesseurs de son nom ,
aux apôtres qui ont été les colonnes de son Eglise ,
aux vierges qui sont ses épouses , et surtout à la
reine des saints, qu'il a choisie pour sa mère? Or
(1) Isaïe. 37.
DE TOUS LES SAINTS. 339
je dis , mes chers auditeurs , que c'est là uue des
plus illustres prérogatives de la gloire des saints,,
Ces rayons lumineux qui les environnent, cet éclat ,
cette beauté , cette agilité de leurs corps ; cette
magnificence du palais où ils habitent, ces trônes
où ils sont assis 5 ce ne sont que de foibles accidens
et de légères marques de leur grandeur : mais cette
vertu qu'ils ont de nous attirer les secours d'en-
haut, cette fonction d'offrir à Dieu nos prières, de
lui faire agréer nos vœux , de plaider devant lui
notre cause : fonction qui les rend comme les agens
et comme les coopérateurs de notre salut éternel :
ah ! chrétiens, voilà ce qui me fait comprendre
l'excellence de leur état. Car je tire la conséquence ,
et je dis : Si ces bienheureux ont tant de pouvoir
pour les autres , quels trésors de gloire ne possè-
dent-ils pas pour eux-mêmes, et quel est le fond
de leur béatitude , puisqu'ils le répandent si abon-
damment sur tous ceux qui les prient et qui les
invoquent ? Gela seul, encore une fois, me donne
une haute Mée de leur félicité ; et c'est pourquoi
David, parfaitement instruit de ce mystère, le ré-
duisoit toujours à ce point : Nimis honorifwati
sunt amici tui , Deus : n'unis confortatus est
principatus eorurn (i). Seigneur, disoit-il à Dieu,
vos amis et vos saints sont honorés jusqu'à 1 excès,
comment ? parce qne leur principauté $ c'est-à-
dire , selon la version hébraïque , la commission
qu'ils ont de nous secourir est d'une étendue in^
iinie.
(i) Psaho. i38.
3^0 POUR LA FETE
Au reste, chrétiens, c'est en cela môme que
Dieu nous doit toujours paroître admirable. Car
prenez garde , s'il vous plaît , à la belle réflexion
de Guillaume de Paris : il étoit , dit ce Père , de la
justice que les saints fussent honorés sur la terre;
il ne sulîisoit pas que leur béatitude nous fût con-
nue , si nous ne rendions à leur sainteté un culte
de religion ; c'étoit le tribut qu'ils avoient droit
d'exiger de nous : mais parce que nous sommes in-
téressés, et que nous recherchant en tout, nous au-
rions peu pensé aux saints , si nous n'avions su que
les saints pensoient à nous , Dieu s'est servi de notre
intérêt pour leur gloire; et il nous a mis dans la
nécessité d'avoir recours à eux , et de leur rendre
des devoirs de piété, pour mériter la grâce de leur
assistance. C'est pour cela qu'il a donné à chaque
saint un pouvoir spécial que les autres n'ont pas ,
afin de nous engager à les invoquer tous ; c'est
pour cela qu'il nous inspire quelquefois plus de dé-
votion pour un saint moins glorieux dans le ciel ,
et qu'il nous accorde par lui ce que nous n'obtien-
drons pas par un autre; c'est pour cela qu'aujour-
d'hui l'Eglise leur rend à tous un honneur commun.
Et voyez , chrétiens , jusqu'à quel point ce dessein
de Dieu a réussi : de là vient le zèle que tous les
peuples dans le christianisme ont pour le culte des
saints; de là vient que les saints sont les patrons des
villes, les protecteurs des royaumes, les anges tu-
télaires des Etats ; qu'on consacre des temples à leur
mémoire , qu'on oll're des sacrifices en leur nom ,
qu'on se prosterne devant leurs tombeaux , que leurs
DE TOUS LES SAINTS. 3z£r
ossemens et leurs cendres sont en vénération par
toute la terre. Qui fait tout cela ? ce besoin que
nous avons des saints et de leur secours auprès de
Dieu , ou plutôt la sage disposition de Dieu qui a
voulu leur faire trouvei dans notre dépendance
leur élévation : Mirabilis Deus in sanctis suis.
Mais après tout, mes frères, dit saint Bernard ,
et voici le point qui nous touche , ce pouvoir si
ample que Dieu a donné aux saints, n'est point
aussi honorable pour eux qu'il est avantageux pour
nous ; et quand nous célébrons leurs fêtes , c'est
plus pour nous-mêmes que pour la gloire qui leur
en revient : Prorsùs ita est , fratres , quod eo-
rum memoriam veneremur , nostrd interest ,
non ipsorum. Appliquez-vous à cette dernière con-
sidération. Les saints prient pour nous : c'est un des
dogmes de notre foi , que l'hérésiarque Vigilantius
osa contester, prétendant que ces bienheureux ne
prenoient aucun soin de tout ce qui se passe en ce
monde, et qu'ils n'en avoientmême nulle connois-
sance. Car voilà la source où nos religionnaires ont
puisé; mais dès ces premiers temps l'erreur fut
confondue, et la vérité triompha. L/épître 67 de
saint Jérôme en est un monument authentique. Or
cela présupposé , qui doute que les prières des
saints pour nous ne contribuent à notre salut plus
que nos propres prières? Car, hélas ! chrétiens,
quelles prières faisons-nous, et ne sont-elles pas
presque toujours le sujet de notre condamnation
devant Dieu? pourquoi? parce que nous prions se-
lon les désirs de notre cœur, qui sont injustes et
3/{2 POUR LA FÊTE
déréglés ; nous ne savons ce que nous demandons,
ou plutôt nous demandons ce que nous savons nous
être pernicieux , et nous ne demandons pas ce qui
doit nous procurer le souverain bien. Mais les saints,
qui voient dans Dieu nos véritables besoins, ne de-
mandent pour nous que ce qui nous est salutaire ,
et ce qui sert à nous sanctifier et à nous sauver ;
leurs prières sont efficaces , parce qu'il n'y en a pas
une qui ne soit dans l'ordre des décrets de Dieu ,
et conforme à ses desseins. En quoi je vous prie de
remarquer, avec l'abbé Rupert,un trait merveilleux
de la miséricorde du Seigneur, qui, s'étant engagé
dans l'évangile à nous accorder tout ce que nous
lui demanderons : Quodcumque voluerttls , pe-
telisv etjiet vobis (i); prévoyant d'ailleurs que
nous abuserions souvent de cette promesse , en lui
demandant de faux avantages qui nous perdroient,
a fait intervenir les saints qui prient pour nous
contre nous-mêmes , quand l'objet de nos prières
n'est pas tel qu'il doit être; de sorte que, sans
manquer à sa parole, il a droit de ne nous pas
exaucer , parce qu'il exauce ceux que nous em-
ployons auprès de lui pour lui recommander nos
intérêts.
Ajoutez que la prière d'un saint est par elle-
même bien plus puissante que toutes les nôtres,
puisque la dignité de la personne qui prie relève le
mérite de la prière. Ajoutez que les saints , dans
un parfait désintéressement, prient pour nous avec
une charité bien plus épurée; ajoutez que la pré-
(1) Joan. i5.
DE TOUS LES SAINTS. 345
sence et la vue de Dieu rend leurs prières beaucoup
plus attentives, comme l'exercice de son amour
les rend beaucoup plus ferventes. Et voilà ce qui
me ravit et ce qui me donne tout ensemble de la
confusion : de voir que ces élus de Dieu prient
pour nous avec plus de zèle et plus d'empressement
que nous-mêmes ; que leur état les exemptant de
toute inquiétude pour leurs propres personnes , ils
ne laissent pas, en quelque manière, de s'inquiéter
pour nous ; qu'autant qu'ils sont tranquilles sur ce
qui regarde leur béatitude éternelle, autant sont-ils
en peine de notre salut : Jam de sud immorta-
litate securi , et de nostrâ salute sollicitl.
Ce sont là, chrétiens, les obligations essentielles
que nous avons à ces glorieux protecteurs. Comp-
tons les grâces que nous avons reçues , les malheurs
dont nous avons été préservés, les périls d'où nous
sommes heureusement sortis , c'est de quoi nous
devons aux saints une éternelle reconnoissance.
Combien de fois se sont-ils présentés pour nous
devant le trône de Dieu, et combien de fois ont-ils
détourné les foudres du ciel prêts à tomber sur nos
têtes? Voilà ce qui les occupe : au milieu de leurs
triomphes, ils pensent à nos misères; ils ne sont
pas comme ces bienheureux du siècle que la fortune
a élevés, et qui ne connoissent plus ceux qu'ils ont
laissés derrière eux : leur gloire les unit à Dieu ;
mais elle ne les détache pas de nous , au contraire,
elle ne les rend encore que plus charitables envers
nous, que plus vigilans et que plus ardens ; Mira-
344 POUR LA FÊTE
bilis Deus in sanctis suis-, in quibus praesidium
nobis constituit.
Cependant , mes chers auditeurs , comment ré-
pondons-nous à leurs soins; que dis-je, et que!
abus ne faisons-nous pas du culte et de l'invocation
des saints? De leur culte (ne perdez rien de cette
morale ; peut-être en vous découvrant un désordre
que le libertinage du monde vous a caché jusqu'à
présent , vous obligera-t-elle à prendre des mesures
pour le corriger), de leur culte : car les devoirs
sont réciproques ; et il est juste qu'une dévotion
sincère et respectueuse de notre part, soit au moins
le fruit d'une protection si avantageuse et si puis-
sante. Et en eftet , quand un grand nous appuie de
son crédit, que ne faisons-nous pas pour lui mar-
quer notre attachement? le monde nous apprend
cette leçon : or il est question de savoir si nous la
pratiquons à l'égard des saints- Ah î chrétiens , per-
mettez-moi de vous en faire le reproche, après me
l'être fait à moi-même , c'est là que paroît non-
seulement notre ingratitude, mais notre impiété.
Les saints sont nos intercesseurs auprès de Dieu ,
et nous leur faisons tous les jours mille outrages ;
ils prient pour nous dans le ciel , et nous les désho-
norons sur la terre. L'Eglise, sous leur nom , érige
des temples, et nous les violons; elle leur con-
sacre des fêtes, et nous les profanons; elle célèbre
leurs offices, et nous y assistons , je ne dis pas sans
religion, mais avec un esprit d'irréligion. Tout ce
qui a rapport aux saints , nous devient une ma-
tière de péché. Ces temples, dis-je, qui sont les
DE TOUS LES SAINTS. 345
monumens publics de leur sainteté, et qui, pour
cela même , étoient autrefois appelés les mémoires
des martyrs : Memoriœ martyrum ; comment les
fréquentons-nous ; comment nous y comportons-
nous , quels scandales y commettons-nous? ce sont
des maisons de prière , et l'on en fait des lieux de
commerce et des rendez-vous ; ils sont destinés au
sacrifice du vrai Dieu, et l'on s'y entretient des in-
trigues et des affaires du siècle ; au lieu que le Sei-
gneur y devroit être glorifié dans ses saints, c'est
là que les saints et le Seigneur sont plus exposés
aux insultes et aux mépris des hommes. Ce que je
dis n'est-il pas encore au-dessous de la vérité? Mais
ce n'est pas assez : leurs fêtes , que l'Eglise nous
ordonne de sanctifier, et à quoi les premiers fidèles
se préparoient *si religieusement par des veilles et
par des jeûnes, comment les solemiisons-nous ?
puis-je le dire, et pouvez-vous l'entendre sans rou-
gir ? C'étoient pour ces fervens chrétiens de la pri-
mitive Eglise des jours de piété , et ce ne sont pour
nous que des jours de licence , que des jours de
divertissement et de jeux, que des jours de parties
et de débauches, que des jours au moins de paresse
et d'oisiveté ; en sorte que , pour l'honneur même
des saints, on a jugé nécessaire d'en retrancher et
d'en abolir. Car, reconnoissons-le à notre honte ,
un des motifs de cette suppression, c'a été le relâ-
chement et l'indévotion des peuples. La fête d'un
martyr, disoit saint Bernard, est devenue, par la
corruption de nos mœurs , une fête toute mondaine.
On honore le précurseur de Jésus-Christ , c'est-à»
3^6 POUR LA FÊTE
dire , le plus austère et le plus abstinent des hommes,
par des intempérances et des excès.
Après cela, aurions-nous bonne grâce de repro-
cher anx hérétiques de notre siècle le mépris qu'ils
ont fait du culte des saints , et ne pourroient-ils pas
bien nous répondre ce que Tertullien répondoit
aux païens de Rome, qui se plaignoient que les
chrétiens méprisoient leurs dieux? il leur faisoit
voir que leurs dieux dévoient plus se tenir offensés
d'eux-mêmes et de leur conduite, que des chré-
tiens : IVescio plusne dit vestri de Jiobis, quant
de vobis querantur. Car en effet, si les chrétiens
méprisoient les dieux de Rome , c'étoit par raison
et par principe, comme ne les connoissant pas;
au lieu que ces païens les méprisoient par liberti-
nage et par le dérèglement de leurs passions. Nos
hérétiques, dis-je , n'auroient-ils pas sujet de nous
faire la même réponse ? IVescio plusne sancti ves-
tri de nobis , quam de vobis querantur. Voilà
ce que j'appelle l'abus du culte des saints, et voici
l'abus de leur invocation. Car pourquoi prions-nous
les saints, et pourquoi avons-nous recours a eux ?
ne parlons point de ces prières abominables , et ,
selon le terme de l'Ecriture, exécrables, qui fe-
roient des saints, s'ils les écoutoient, les fauteurs
de nos vices ; de ces prières où l'on ose invoquer un
saint pour le succès d'une entreprise injuste, pour
le maintien d'une fortune bâtie sur l'iniquité; pour
l'heureuse issue d'une affaire , dont l'artifice , la ruse ,
la mauvaise foi sont les ressorts , pour la satisfac-
tion, ou d'une aveugle cupidité, ou d'une ven-
DE TOUS LES SAINTS. 3^7
geance secrète et raffinée. Que des infidèles, dit
saint Augustin , qui n'adoroient que des divinités
chimériques, et qui même se figuroient ces faux
dieux encore plus corrompus qu'eux , leur aient au-
trefois adressé de semblables prières , je ne m'en
étonne pas ; mais l'opprobre de notre religion est
qu'invoquant les saints glorifiés par les vertus chré-
tiennes , nous ne rougissons pas de leur demander
ce qui va à la destruction et à l'anéantissement de
toutes les vertus : je serois infini , si je voulois m'é-
tendre sur ce point : ne parlons pas même de ces
prières mondaines et intéressées qu'on fait aux
saints pour des biens tout profanes , tels que sont
les richesses et les honneurs du siècle , sans leur de-
mander jamais d'autres biens qui regardent notre
avancement dans les vertus chrétiennes, et la sanc-
tification de nos âmes. Comme si ces élus de Dieu ,
si je puis ainsi m'exprimer , ne nous éloient bons
que quand il s'agit des prospérités temporelles, que
quand il s'agit d'obtenir un temps favorable pour
rendre nos campagnes fertiles et nos moissons abon-
dantes , que quand il s'agit de détourner le fléau
d'une maladie contagieuse ou d'une calamité pu-
blique, que quand il s'agit d'éloignerçde nos terres
des puissances ennemies et de repousser leurs ef-
forts , que quand il s'agit de relever une famille
ruinée, de rétablir une santé aiToiblie , de se tirer
d'un mauvais pas où l'on se trouve engagé, et où
l'on craint de se perdre selon le monde ; de par-
venir à un rang , à une dignité , et d'avoir de quoi
en soutenir l'éclat. Car c'est sur de pareils sujets
34$ POUR LA FÊTE
et en de semblables occasions qu'on reconnoit vo-
lontiers le pouvoir des saints , et qu'on tâche à l'em-
ployer auprès de Dieu. Mais s'agit-il du salut et de
tout ce qui peut y contribuer ; s'agit-il de détruire
une habitude vicieuse , et de renoncer à un enga-
gement criminel ; s'agit-il de se préserver des pièges
du monde et de sa corruption ; s'agit-il de vaincre
une passion qui nous domine , de dompter la chair
qui se révolte, de surmonter une tentation à laquelle
nous n'avons que trop de fois succombé ; c'est
alors que le crédit des saints nous est absolument
inconnu, ou que nous agissons au moins comme
s'il nous étoit absolument inconnu, parce que nous
craignons qu'il ne fût trop efficace. Tout cela ,
chrétiens , est sensible , et se fait voir par soi-même.
Mais voici quelque chose de plus intérieur , que le
devoir de mon ministère m'oblige à vous dévelop-
per : malheur à moi si j'omettois une si salutaire
instruction , et malheur à vous-mêmes si vous n'en
profitez pas.
Le grand abus de l'invocation des saints dans
les prières même en apparence les plus religieuses,
c'est que nous voulons qu'ils demandent à Dieu
pour nous ce que Dieu, en conséquence de ses dé-
crets éternels, qu'il ne changera jamais, ne peut
nous accorder; ce que Dieu, suivant les règles de
sa sagesse, ne veut pas nous accorder, et ce qu'en
effet il n'est pas à propos qu'il nous accorde. Nous
invoquons les saints ; et abusant de l'avantage que
nous avons d'être, pour ainsi dire, sous leur sauve-
garde , nous prétendons vivre sans soin , sans vigi-
DE TOUS LES SAINTS. 54q
lance , sans attention sur nous-mêmes. Nous invo-
quons les saints , et par une fausse confiance en
leur secours , nous prétendons que , pour l'accom-
plissement de nos vœux et pour le succès de notre
prière , il suffise de les avoir invoqués. Nous invo-
quons les saints , et en leur demandant l'esprit de
pénitence , nous prétendons qu'il ne nous porte à
rien qui nous gêne , à rien qui nous coûte , à rien
qui nous mortifie. Nous invoquons les saints, et en
leur demandant la grâce de notre conversion , nous
prétendons que cette conversion chimérique ne
nous engage à nulle avance de notre part, ni à nulle
violence; que nos liens se rompent d'eux-mêmes;
que notre cœur se trouve tout à coup dégagé ,
libre , tranquille , et qu'il jouisse des douceurs du
triomphe , sans avoir éprouvé les peines du combat.
Nous invoquons les saints , et en leur demandant
certaines vertus, nous prétendons n'avoir nulles
mesures à prendre pour les acquérir : souventmême
ne craignons-nous pas de les obtenir , comme saint
Augustin , avant qu'il se fût détaché de ses profanes
engagemens , demandoit la continence , etsouhaitoit
secrètement et au fond de l'ame , de n'être pas
exaucé? Nous invoquons les saints; et selon notre
gré, selon nos vues qui nous trompent, nous leur
marquons les grâces que nous attendons du ciel par
leur médiation, et que nous voulons avoir , quoique
ce soient des grâces qui ne nous conviennent pas,
et qui quelquefois serviroient plutôt à notre perte
qu'à notre salut. Ah ! chrétiens, souvenons-nous
que si les saints sont puissans auprès de Dieu, ils
35o POUR LA FÊTE
ne le sont pas au préjudice de Dieu même, et de-
ce que nous lui devons ; qu'ils sont puissans, mais
d'une puissance réglée et ordonnée , d'une puis-
sance toujours renfermée dans l'étendue de la loi
éternelle; c'est-à-dire, qu'ils sont puissans pour
nous aider , et non pas pour nous décharger de tout
le travail, puissans pour nous faire agir, et non pas
pour nous entretenir dans une indolence paresseuse
et lâche, puissans selon les desseins de Dieu , et non
pas selon nos désirs aveugles et nos caprices. Invo-
cmons-les : c'est pour cela que Dieu les a fait nos
protecteurs; mais puisque ce sont des saints , invo-
quons-les chrétiennement et sainement. Car si nous
les invoquons en mondains , de protecteurs qu'ils
doivent être pour nous défendre et pour nous se-
courir, nous invoquons nos témoins et nos juges ,
pour nous accuser et pour nous condamner. Invo-
quons-les, mais dans des sentimens et des vues qui
les honorent. Autrement, mes chers auditeurs,
savez-vous comment ils paroîtront devant le trône
de Dieu? apprenez-le de cette terrible vision qu'en
eut saint Jean , et dont il parle dans son Apocalypse.
Car il les vit en la présence du Seigneur ; et il les
entendit, non point priant pour les hommes, mais
demandant justice contre les hommes : Usquequô
non vindicas sanguincm nostrum de Us qui
habitant in terra (i) / Justice, non-seulement
contre les hommes qui les ont méprisés pendant
leur vie, qui les ont persécutés , accusés , con-
damnés ; non-seulement contre ces hommes liber-
Ci) Ajtoc. G. *
DE TOUS LES SAINTS. 35l
tins et impies , qui profanent leurs fêtes, et qui
raillent du culte que nous leur rendons ; mais contre
nous-mêmes , qui faisons et qui voulons faire de
leur protection un usage si contraire aux desseins
de Dieu et si indigne d'eux : Usquequo non vin-
dicas sanguinem nostrum de ils qui habitant
in terra t Quoiqu'il en soit, Dieu n'en est pas
moins admirable dans ses saints , admirable de nous
les avoir donnés pour protecteurs, et admirable de
nous les proposer comme modèles : vous i'allez voir
dans la seconde partie.
DEUXIÈME PARTIE.
Une des tentations les plus dangereuses à quoi
l'homme sur la terre soit exposé, c'est le scandale;
mais aussi, par une règle toute contraire, puis- je
ajouter qu'une des grâces les plus fortes et les plus
efficaces que Dieu emploie pour ménager notre
conversion et notre salut, c'est le bon exemple.
En quelque dérèglement de vie que nous puissions
être , et quelque opposition que nous ayons à rentrer
dans l'ordre et dans la soumission que nous devons
à Dieu, si nous considérons bien l'exemple des
saints , il n'est presque pas possible qu'il n'opère
en nous trois merveilleux effets; je veux dire, qu'il
rie nous persuade la sainteté , qu'il ne nous adou-
cisse la pratique de la sainteté, et qu'il ne nous ôte
tout prétexte pour nous défendre d'embrasser la
sainteté. D'où je conclus qu'il nous réduit à une
heureuse nécessitéd'être saints par imitation, comme
les saints l'ont été par devoir et par esprit de reli-
352 TOUR LA FÊTE
gion. Et voilà en quoi je dis que Dieu est admi-
rable de nous avoir donné les saints pour modèles :
Mirabilis Deus in sanctis suis.
Oui , chrétiens , les saints sont des modèles qui
nous persuadent la sainteté ; et il y a dans cette
persuasion un certain charme qui gagne également
le cœur et l'esprit. Ce n'est ni raisonnement ni au-
torité ; c'est quelque chose qui tient de l'un et de
l'autre, qui atout le poids de l'autorité, qui a toute
la force du raisonnement , mais qui de plus a je ne
sais quoi que tous les raisonnemens et toutes les
autorités n'ont pas ni ne peuvent avoir. Comment
donc la vie d'un saint nous persuade-t-elle £ en
nous faisant comprendre d'une simple vue, toute la
perfection et tout le mérite de la sainteté. Qu'est-
ce qu'un saint ? un saint, répond Guillaume de
Paris, c'est une idée réelle, visible, palpable et
substantielle de toute la perfection évangélique; et
quand Dieu nous met un saint devant les yeux ,
que nous dit-il ? ce qu'il dit autrefois à Moïse , en
lui faisant voir la figure du tabernacle : Inspice ,
etfac secundàm exemplar ( i ); Regarde , chrétien,
ce portrait vivant et animé, voilà ce que tu dois
être, et sur quoi je veux que tu te formes; c'est
dans l'exemple de ce prédestiné et de ce saint que
tu apprendras à observer ma loi , à accomplir la
justice, à garder la charité, à satisfaire aux devoirs
de la religion, à régler toute la conduite de ta vie .
Inspice ; cet exemple t'instruira de ce que tu dois à
ton Dieu , et de ce que tu dois à ton prochain ;
(i) Exod. 25.
DE TOUS LES SAINTS 553
comment il faut user des biens de la terre , et com-
ment il faut s'en abstenir ; quelle doit être la mesure
de tes occupations , et quelle doit être celie de tes
divertissemens ; en un mot , ce que tu as à faire , et
ce que tu as à éviter pour vivre en chrétien : Ins-
pice. Ainsi Dieu nous donne-t-il dans les saints de
quoi nous instruire et nous toucher. Il ne faut pour
cela, ni discours, ni préceptes: la vue d'un saint
est une leçon intelligible à tout le monde ; les grands
esprits et les simples , les spirituels et les ignorans
sont également capables de la comprendre. Car on
peut bien appliquer ici ce que saint Chrysostôme
disoit du firmament. Vous me demandez comment
le ciel parle, et comment il nous annonce les gran-
deurs de Dieu? C'est, répondoit ce Père, par sa
splendeur et par la variété de ses étoiles ; il n'a point
d'autre langage que celui-là, ni d'autre voix; mais
cette voix , toute muette qu'elle est, a retenti dans
toutes les parties du monde : le scythe , l'indien , le
grec, le barbare , tous l'entendent: Et scytha et
barbarus et indus hanc vocem audiunt. Disons-
le même des saints; leur vie nous parle et nous ex-
plique toute la loi de Dieu : comment ? par les ver-
tus dont elle a été ornée; et ce que nous aurions
peine à concevoir dans la loi même , ce qui nous
paroîtroit obscur dans les livres , ce que toutes les
paroles des hommes ne nous développeroient qu'im-
parfaitement, nous est mis sous les yeux et claire-
ment exprimé dans l'exemple de ces élus de Dieu ;
de sorte que les plus grossiers en sont plus instruits:
Barbarus et indus hanc vocem audiunt. Or il
TOME XI. 33
354 POUR LA FÊTE
n'est pas possible de voir la sainteté , je dis la vraie
sainteté telle qu'elle a été dans les saints , sans en
reconnoître d'abord tout le mérite , et sans lui don-
ner notre estime. Ces excellens caractères qui lui
sont propres , et en quoi consiste sa perfection ,
cette piété, cette humilité , ce désintéressement, ce
détachement de soi-même, cet esprit de justice et
de charité, cette droiture et cette bonne foi , cette
règle et cette sagesse , cette constance et cette force
héroïque, tout cela nous convaincra malgré nous
qu'il n'y a rien de plus respectable, rien de plus
aimable , et par conséquent rien de plus désirable :
or, nous remplir de ces sentimens à l'égard de la
sainteté, n'est-ce pas nous la persuader? Tout ce
que nous pourrions lui opposer , ce seroit d'être,
ce semble , trop parfaite , et d'exiger trop de nous ,
puisque pour nous faire saints , elle nous engage à
être ennemis de nous-mêmes , jusqu'à faire à Dieu
le sacrifice de notre vie. Mais cela même , reprend
saint Augustin , est encore bien justifié par l'exem-
ple de ces glorieux athlètes que le christianisme
honore sous le nom de martyrs. Car leur exemple ,
tout admirable qu'il est, nous apprend qu'ils n'ont
rien fait pour Dieu que ce que font tous les jours
des sujets fidèles pour le service de leur prince ; et
que ce devoir si éminent de sainteté , n'est après
tout qu'un devoir commun , fondé sur la première
loi de la nature, qui oblige l'homme à mourir plutôt
que de trahir son Dieu et sa religion.
Voilà, dis-je, ce que l'exemple des saints nous
persuade ; celui de Dieu , quoique infiniment plus
DE TOUS LES SAINTS. 355
relevé , ne pouvoit sur tout cela nous donner les
mêmes lumières : pourquoi? saint Grégoire , pape ,
en apporte une belle raison : non-seulement, dit-il,
parce que la sainteté de Dieu est une sainteté in-
visible , inaccessible, incompréhensible, et parla,
si j'ose ainsi m'exprimer , incapable de nous servir
d'exemple; mais beaucoup plus , écoutez ceci,
parce qu'à le bien prendre, Dieu n'est pas saint de
la manière que nous devons l'être , et que la sain-
teté n'est point dans lui ce qu'elle doit être dans
nous. Car dans nous la sainteté est inséparable de
la pénitence : or la pénitence ne peut non plus
convenir à Dieu que le péché; dans nous une partie
delà sainteté est de nous soumettre, de dépendre,
d'obéir : voilà ce qui nous sanctifie ; et en Dieu
c'est tout le contraire ; nous sommes saints par le
mépris que nous faisons de nous-mêmes , et Dieu
est saint par la gloire qu'il se donne à soi-même ;
il est saint dans une possession entière et parfaite de
sa béatitude, et nous sommes saints parla patience
dans nos misères, et ainsi du reste. Dieu pouvoit
donc bien , conclut saint Grégoire , nous comman-
der la sainteté ; mais il ne pouvoit nous persuader
par son exemple la sainleté , parce qu'il ne pouvoit
pas être notre modèle sur la plupart des vertus
dont il faut que notre sainteté soit composée , et
qui en sont les principales parties. Mais qu'a-t-il
fait? il nous a donné des hommes comme nous, et
de même nature que nous , qui se sont sanctifiés
par toutes ces vertus ; et en nous les mettant de-
vant les yeux , il a suppléé , pour ainsi dire , par
356 POUR LA FÊTE
leur exemple, ce qui manquoit au sien. Car il nous
falloit des modèles de sainteté qui nous touchassent
et qui eussent une certaine proportion avec nous ,
pour pouvoir remuer les ressorts les plus intimes
de notre cœur : or il n'y avoit que les saints propres
pour cela , et capables de faire cette impression sur
nous. Et en effet, chrétiens , c'est ainsi que l'esprit
de Dieu a de tout temps excité les hommes , et
qu'il leur a inspiré les désirs ardens de la sainteté.
C'est par là que ce généreux prince des Macha-
bées , l'illustre Matathias étant proche de la mort,
confirma ses enfans dans le culte du Seigneur et
dans la vraie religion. Tout ce que je vous demande,
leur dit-il , mes chers enfans , c'est que vous ne
perdiez jamais le souvenir de ce qu'ont fait vos
ancêtres pour le Dieu d'Israël ; car avec cela je me
promets tout de vous. Représentez-vous souvent
l'obéissance d'un Abraham, jusqu'à ne pas épargner
son fils unique ; la fidélité d'un Joseph envers son
maître, aux dépens de sa fortune et de sa liberté;
la modération d'un David envers ses ennemis , au
préjudice des intérêts les plus délicats de sa cou-
ronne ; le zèle d'un Elie dans la cour des rois , au
péril même de sa vie : et ainsi parcourant de siècle
en siècle et de génération en génération , vous
trouverez qu'il n'y a point de parti dans le monde
plus honorable ni plus solide , que celui de servir
Dieu. Ce furent les paroles de ce saint vieillard que
je puis bien appeler avec saint Jérôme , un homme
évangélique avant l'évangile même : Virum ante
Christi evangelia evangelicum ; et ces paroles
DE TOUS LES SAINTS. 357
produisirent dans la personne des jeunes Macha-
bées , non pas les effets, mais les miracles de vertu
dont vous avez entendu le récit. C'est pour cela
môme que le second concile de Nicée autorisa si
fortement et si constamment l'ancienne tradition
d'exposer les images des saints à la vénération des
peuples ; et nous savons , par le rapport de saint
Damascène , qu'une des raisons qui détermina les
Pères du concile , fut celle-ci : savoir , que les fi-
dèles , voyant ces images , seroient excités à imiter
dans la pratique ce qu'ils honoroient dans la figure
et dans la représentation. Enfin , c'est pour cela
que l'Eglise , après nous avoir présenté l'exemple
de chaque saint en particulier dans les autres fêtes
de l'année, tire aujourd'hui le rideau, et, s'il m'est
permis d'user de cette expression , nous les montre
tous , espérant que la vue de tant d'exemples nous
convaincra et nous convertira. Comme si elle nous
disoit : Voyez, chrétiens, voilà les héros de votre
foi ; voilà ces hommes dont le monde n'étoit pas
digne, et qui, en méprisant le monde , se sont
rendus dignes de Dieu; voilà ceux qui remplissent
le ciel. Comparez-vous à eux, et dans Téloigne-
ment infini que cette comparaison vous fera décou-
vrir entre eux et vous , confondez-vous de ce que
vous êtes , et aspirez à ce que vous n'êtes pas. Au
lieu de ces vertus mondaines que vous affectez, et
qui n'ont ni vérité ni solidité; au lieu de cette
prudence de la chair qui vous aveugle , et qui est
ennemie de Dieu ; au lieu de cette politique dont
vous vous faites une conscience , et qui vous jette
358 POUR LA FÊTE
dans un abîme de péchés; au lieu de cette science
du monde que vous vantez tant , et dont tout le
fruit est de vous bâtir sur la terre des fortunes pé-
rissables que la mort détruira bientôt : au lieu de
tout cela , attachez-vous aux vertus chrétiennes ,
qui font les élus et les prédestinés. Il n'y a pas un
saint dans le ciel, dont l'exemple ne soit pour vous
une leçon : étudiez-les tous, et si vous voulez sanc-
tifier votre ambition jusqu'à en faire une vertu ,
tachez même à l'emporter sur eux : JEmulaminl
charismata meliora (i). C'est ce que l'Eglise
nous dit, et à quoi il faut que nous répondions.
Mais ce que l'Eglise, ou plutôt ce que Dieu de-
mande de nous, le pouvons-nous dans l'extrême
foiblesse où nous sommes , et au milieu de tant
d'obstacles que nous rencontrons dans le monde ?
Ah ! chrétiens, c'est ici le grand point de notre
instruction , et le second effet de l'exemple des
saints. Oui , nous le pouvons, et quoique l'esprit
d'impénitence et de libertinage qui règne dans nous,
puisse nous faire penser le contraire , ces élus de
Dieu seront des preuves éternelles que la sainteté
n'a rien d'impossible ; qu'elle n'a rien même de fâ-
cheux ni de difficile pour ceux qui aiment Dieu ;
qu'elle a ses douceurs, ses consolations, aussi bien
que le monde , et des consolations , des douceurs
infiniment plus pures que celles du monde. \ érités,
mes chers auditeurs, dont les saints rendront témoi-
gnage contre nous au jugement de Dieu, et le té-
moignage le plus convaincant. Appliquez-vous. Nous
(ï) i. Cor. 12,
DE TOUS LES SAINTS. 35g
mettons la sainteté au rang des choses impossibles;
c'est par où notre libertinage voudroit se mainte-
nir. Mais Dieu nous empêche bien aujourd'hui de
nous prévaloir de celte pensée. Il est vrai que pour
être saint , il faut faire effort, prendre sur soi , re-
noncer aux sentimens naturels , fuir les plaisirs ,
dompter ses passions, mortifier ses sens,; et le
moyen , dit-on , d'en venir là , et de s'y soutenir?
Ah ! chrétiens ., autre merveille de la sagesse de
Dieu : Mirabilis Deus in sanctis suis. Car je
conviens que cela surpasse les forces de la nature ,
je conviens qu'il n'y a rien la que de grand ; mais
Dieu n'est-il pas admirable de nous avoir facilité
tout cela , de nous l'avoir adouci jusqu'à pouvoir
dire que si la loi est un joug , c'est un joug léger
et un fardeau aisé à porter : Jugum meum suave ,
et omis meum levé (i). Or il l'a fait , en nous
donnant les saints pour exemple. Avant cet exemple
des saints, nous pouvions trembler, et notre crainte
sembloit raisonnable ; mais maintenant qu'on nous
montre tant de martyrs , tant de vierges , tant de
glorieux confesseurs qui ont marché devant nous,
et qui nous ont tracé le chemin, que pouvons-nous
trouver d'impossible ? Hé quoi ! ils ont pu vivre
dans les déserts et sur des rochers escarpés^ ils ont
pu s'ensevelir dans l'obscurité du cloître , et en
supporter toutes les austérités ; ils ont pu joindre
ensemble les prières presque continuelles, les lon-
gues et fréquentes veilles , les jeûnes rigoureux ,
les sanglantes macérations, tout ce qu'inspire l'es-
(î)Matth. ii.
36o POUR LA TÈTE
prit de pénitence et l'abnégation évangélique ; ils
ont pu se laisser condamner aux tourmens les plus
affreux , et les endurer. Voilà , disoit l'Apôtre , ce
qu'ont fait et ce qu'ont souffert tant de saints ; ils
ont bien voulu servir de sujets à la cruauté des
hommes ; ils se sont exposés aux outrages , aux
fouets , aux chaînes , aux prisons ; les uns ont
éprouvé toute la violence du feu , les autres ont
passé par le tranchant des épées, plusieurs ont été
dévorés des bêtes féroces , ont été lapidés , ont
été sciés : Lapidati sunt , secti sunt (i). Après
cela , mes chers auditeurs , retranchez-vous sur votre
foiblesse et sur une impossibilité prétendue. Avez-
vous les mêmes combats à livrer? vous trouvez-vous
dans les mêmes occasions de signaler votre courage
et d'exercer votre patience ? ce qu'on vous demande
esl-il comparable aux victoires que les saints ont
remportées et aux obstacles qu'ils ont surmontés ?
Mais , dites-vous , si la sainteté n'est pas impossi-
ble , du moins est-elle bien difficile. Non , mes
frères , rien n'est difficile à ceux qui aiment Dieu
comme les saints. L'ardeur de leur zèle, la ferveur
de leur amour , leur générosité et leur résolution
leur ont aplani toutes les voies. Quand ont-ils senti
les difficultés ? ou s'ils les ont senties , quand s'en
sont-ils plaints ? quand ont-ils été étonnés ? quand
ont-ils balancé et délibéré ? Dès que vous serez
animés du même zèle , que vous serez brûlés du
même amour , que vous aurez pris les mêmes ré-
solutions et avec la même générosité , ces peines
KO Hcb. ».
DE TOUS LES SAINTS. 36l
que vous vous figurez comme des monstres dispa-
roîtront et s'évanouiront. Tout vous deviendra fa-
cile et même agréable. Je dis agréable : car nous
voulons trouver du plaisir jusque dans la sainteté:
sentiment bien indigne d'un chrétien ; mais tout in-
digne qu'il est , reprend saint Chrysostôme , Dieu
s'est accommodé en cela même à notre délicatesse,
et l'exemple des saints en est la preuve. Dès cette
vie ils ont goûté des douceurs et des consolations
infiniment au-dessus de toutes les douceurs et de
toutes les consolations du siècle. Au lieu de ces
plaisirs infâmes et criminels que leur présentoit le
monde , et dont ils ont eu tant d'horreur , Dieu
leur en a préparé d'autres tout célestes et tout di-
vins. Peut-être ne les concevons-nous pas, parce
que plongés dans les sens , nous ne voulons pas
comme eux nous mettre en état de les comprendre.
Mais les fréquentes épreuves qu'ils en ont faites ,
et que nous ne pouvons désavouer , doivent bien
nous convaincre là -dessus, et nous confondre.
Tandis qu'au milieu des flammes , ainsi que nous
l'apprend l'Ecriture, les réprouvés protestent qu'ils
se sont lassés dans le chemin de l'iniquité •: Lassait
sumus in via. iniquitatis (i) ; tandis que les es-
claves du monde nous rendent eux-mêmes témoi-
gnage , qu'il n'y a pour eux dans la vie qu'amertume ,
que trouble , qu'affliction d'esprit : Eocpectavimus
pacem , et ecce turbatio (2) ; ces élus de Dieu
nous assurent tout au contraire, qu'ils n'ont jamais
trouvé qu'en Dieu la source des vraies consola-
(1) Sap. 5. — (2) Jerem. 14.
362 TOUR LA FÊTE
tiens ; que plus ils ont eu soin de se mortifier pour
lui , plus il leur a fait sentir l'onction intérieure de
la grâce ; et que cette vie , qu'ils ont passée dans
les pratiques les plus sévères du christianisme, bien
loin de leur avoir paru dure et fâcheuse , étoit pour
eux comme une béatitude anticipée. Pourquoi nous
obstinerions-nous à ne les en pas croire , et quel
intérêt auroient-ils eu à nous tromper ? Mais si
nous les en croyons, pourquoi nous opiniâtrerions-
nous à être plutôt malheureux avec le monde , qu'à
chercher dans Dieu notre véritable bonheur ?
Ce n'est pas que j'ignore de combien de prétextes
la nature corrompue tâche à se prévaloir, pour
nous éloigner de la sainteté. On dit : Le moyen de
vivre en tel ou en tel état , et de s'y sanctifier ?
prétexte de la condition ; on dit : Je suis détourné
par mille autres soins qui m'occupent, et qui ne me
donnent point de relâche : prétexte des affaires; on
dit : J'ai un tempérament délicat que le moindre
effort altère , et que je dois ménager : prétexte de
la santé; on dit : J'ai des passions vives qui m'entraî-
nent, et auxquelles je ne puis presque résister : pré-
texte des dispositions intérieures; on dit : J'ai des
engagemens qui m'attachent , et mon coeur est pris :
prétexte de l'habitude; enfin, que ne dit-on pas?
mais quoi qu'on dise, je prétends qu'un troisième
effet de l'exemple des saints, est de nous ôter tout
prétexte dont notre lâcheté cherche à se couvrir et
à s'autoriser. Car je le veux , mon cher auditeur ,
vous êtes dans des conditions dangereuses ; mais
dans ces mêmes conditions n'y a-t-il pas eu des
DE TOUS LES SAINTS. 363
saints , et même n'y en a-t-il pas en dans des con-
ditions qui lesexposoient encore à de pins fréquens
et à de pins grands dangers ? Vous êtes obligé de
vaquer à des emplois fatigans et embarrassans; mais
dans ces mêmes emplois tant d'autres avant vous
ne se sont-ils pas sanctifiés ? Avez-vous moins de
loisir pour penser à vous-même, que saint Louis
sur le trône; et lorsqu'il gouvernoit un royaume,
qu'il passoit les mers, qu'il commandoit les armées,
qu'il donnoit des batailles , lui étoit-il plus libre
qu'à vous de se recueillir et de se défendre des dis-
tractions du monde? Vous êtesfoible et d'une com-
plexion qui vous engage à bien des ménagemens, et
qui vous met bors d'état d'agir : mais combien de
saints, surtout combien de vierges déjà foibles par
elles-mêmes, encore plus afFoiblies par les absti-
nences, par les jeûnes, par de longues veilles, par
de continuelles austérités, par tous les exercices de
la pénitence et de l'abnégation chrétienne , n'ont
pris néanmoins jamais aucun relâche , et , selon la
parole de l'Apôtre , ont fait de leurs corps des hos-
ties vivantes ? Vous avez des passions à vaincre ;
mais en avez-vous de plus difficiles à surmonter
que des millions de pécheurs et de pécheresses ,
qui par de salutaires violences, aidés de la grâce,
ont triomphé de leur cœur , et en ont réprimé tous
les mouvemens ? Enfin, vous êtes dominé par l'ha-
bitude, vous êtes endurci dans le péché, vous êtes
surchargé de dettes devant Dieu , vous êtes cou-
pable à ses yeux d'un nombre infini d'offenses , et
d'offenses très-grièves , vous n'osez plus rienatten-
364 POUR LA FETE
dre de sa miséricorde. Àh ! mon cher frère , souve-
nez-vous des saints, et vous apprendrez qu'il n'y a
point d'habitude si invétérée que vous ne puissiez
détruire, qu'il n'y a point d'attachement si étroit
que vous ne puissiez rompre , qu'il n'y a point d'état
de péché d'où il ne soit en votre pouvoir de sortir ,
et qu'en quelques désordres que vous soyez tombé ,
vous n'avez point encore tellement éloigné Dieu de
vous, que vous n'ayez des moyens prompts et sûrs
pour le retrouver et pour vous réconcilier avec lui.
Car combien y a-t-il eu de saints pénitens, qui, à
certains temps de leur vie , ont été dans les mêmes
habitudes que vous , ont été aussi redevables à la
justice de Dieu que vous , ont eu autant de sujet, et
peut-être même plus de sujet que vous de se défier
de sa miséricorde et de désespérer de leur retour ?
Cependant ils sont revenus, ils se sont convertis,
ils se sont remis dans leur devoir , ils s'y sont per-
fectionnés , ils se sont élevés à la plus sublime
sainteté. Est-ce que la grâce étoit plus puissante
pour eux qu'elle ne Test pour vous ? est-ce que les
trésors de la divine miséricorde, si abondans pour
eux, sont épuisés pour vous? non sans doute, et
dès que vous voudrez en faire l'épreuve comme les
saints, vous trouverez toujours un Dieu patient
pour vous attendre , un Dieu prévenant pour vous
rechercher, un Dieu bienfaisant pour vous combler
de ses grâces , un Dieu tout-puissant pour opérer
en vous des miracles de conversion et de sanctifi-
cation. C'est ainsi qu'il renverse tous vos prétextes
par l'exemple des saints, et c'est en cela toujours
DE TOUS LES SAINTS. 365
qu'il est admirable : Mirabilis Deus in sanctis
suis. Mais en quoi vous êtes condamnables, chré-
tiens , c'est de ne pas profiter de cet exemple.
Qu'aurez-vous à répondre , quand Dieu, dans son
jugement dernier , produira contre vous ces glo-
rieux prédestinés, et qu'il vous demandera compte
de l'affreuse différence qui paroi tra entre eux et
vous ; entre leur pénitence et votre obstination ,
entre leur courage et votre lâcheté; entre leur zèle,
leur activité , leur ferveur et votre mollesse , votre
indolence, vos froideurs; entre leur sainteté et les
abominations de votre vie libertine et corrompue ?
car voilà le jugement de comparaison que vous au-
rez à soutenir , et qui vous convaincra , qui vous
confondra , qui vous réprouvera. Prévenons-le ,
mes chers auditeurs ; et comprenant qu'il ne tient
qu'à nous de détourner ce triste malheur dont nous
sommes menacés, aimons-nous assez nous-mêmes,
pour ne nous l'attirer pas volontairement. Si nous
ne sommes pas encore saints , et si même nous ne
sommes rien moins que saints, souhaitons de l'être ,
demandons à l'être , prenons toutes les mesures
nécessaires pour l'être. Car, dit le Fils de Dieu,
bienheureux ceux qui sont affamés et altérés de la
sainteté et de la justice : Beati qui esuriunt et
sitiunt justitiam (i) : pourquoi? parce que cette
faim et cette soif, parce que ce désir sincère , ar-
dent, efficace , les fera travailler fortement et soli-
dement à acquérir le bien qu'ils souhaitent, et qui,,
(i) Matth. 5.
3G6 POUR LA FÊTE
sans contestation , est le plus pre'cieux de tous ies
biens.
C'est , Sire, le soin important, le premier soin
qui doit occuper les rois aussi bien que les autres
hommes, et même en quelque sorte plus que les
autres hommes. Qui que nous soyons , nous avons
tous une obligation générale de nous sanctifier ;
mais il est vrai que les grands en ont une particu-
lière ; et je ne craindrai point d'ajouter que cette
obligation particulière pour les grands , est encore
plus étroite pour votre Majesté. Ce n'est point assez;
et pourquoi ne dirois-je pas que vous avez sur cela
une obligation qui vous est personnelle , et qui ne
peut convenir à nul autre qu'à vous ? Cette obliga-
tion, Sire, qui vous est si propre, cette raison
d'aspirer à la sainteté et à la plus sublime sainteté,
c'est votre grandeur même , et le haut point d'élé-
vation où nous vous voyons. Car, puisque le ciel a
mis votre Majesté au-dessus de tous les monarques
de l'univers , et puisque entre toutes les puissances
humaines, il n'y a rien qui l'égale, elle se trouve
spécialement obligée par là , pour ne pas descendre,
de se porter vers Dieu , de ne rechercher que Dieu ,
de ne s'attacher qu'à Dieu. C'est pour cela que Dieu
vous a donné ces qualités éminentes , qui font l'ad-
miration de tons les peuples : c'est pour cela , et
pour cela seul qu'il vous a fait naître. Non , Sire,
il ne vous a point fait naître précisément pour être
grand dans le monde, ni pour être roi ; mais il vous
a fait roi, et le plus grand des rois, pour être saint.
Sans la sainteté, tout l'éclat de votre couronne,
DE TOUS LES SAINTS. 36j
tonte la splendeur de votre règne, tous ces titres
qui vous sont si justement dus, de roi puissant, de
roi sage , de roi magnifique , de roi conquérant , ne
sont rien , ou ne sont, selon le langage de l'Ecriture,
qu'illusion et que vanité : Vanitas vanitatum.
Voilà , Sire , ce qu'ose représenter à votre Majesté
le dernier de vos sujets qui, jugeant des choses par
les lumières de l'évangile qu'il a l'honneur de vous
prêcher , s'estimeroit mille fois plus heureux de
donner sa vie pour le salut de votre ame , que pour
l'accroissement de vos Etats. Non point qu'en fidèle
et zélé sujet, je ne puisse et ne doive prendre part
à ces succès éclatans qui font de votre royaume le
plus florissant empire du monde; mais après tout,
ce royaume de la terre passera, et le royaume du
ciel ne finira jamais : l'un aura son temps, et l'autre
que Dieu réserve à ses saints , n'aura pour terme
que l'éternité bienheureuse, où nous conduise, etc.
*
AUTRE SERMON
POUR LA FÊTE
DE TOUS LES SAINTS.
Accesserunt ad eum discipuli ejus , et aperieus os suum9
Jocebat eos.
Les disciples de Jésus-Christ s'étant approchés de
lui , il se mit à les enseigner. Eu saiut Matthieu ,
chap. 5.
Sire,
C'est pour cela que la sagesse de Dieu s'e'toit in-
carnée, et que le Fils unique du Père étoit des-
cendu du ciel; c'est, dis-je, pour enseigner les
hommes sur la terre. C'est ainsi que ce Dieu-hom-
me , après avoir long-temps parlé par la bouche
des prophètes , qui avoient été ses précurseurs^et
ses organes, ouvroit enfin lui-même sa bouche sa-
crée , et formoit des disciples dignes de lui , en
leur servant de maître et de docteur : dperiens os
suum , docebat eos. Mais que leur enseignoit-il ,
et quel étoit le sujet de ses adorables instructions ?
une seule chose dont ils avoient besoin , et qu'il
n'appartenoit qu'à lui de leur apprendre, je veux
dire la science des saints. Cette science si inconnue
au monde, et néanmoins si nécessaire pour le sa-
lut; cette science que Dieu vouloit révéler aux
POUR LA FÊTE DE TOUS LES SAINTS. 36o,
humbles et aux petits, mais cacher aux sages et
aux prudens du siècle; cette science aussi solide
que sublime, qui rend les hommes, parfaits, et qui
les conduit au véritable bonheur; en un mot, cette
science qui fait les saints , les prédestinés , les élus :
voilà ce que Jésus-Christ enseignoit à ses apôtres ,
et ce qu'il prétendoit nous enseigner à nous-mêmes
dans leurs personnes : Aperiens os suum , Jo-
cebat eos. Car il n'instruisoit ses apôtres , dit saint
Augustin , que pour instruire dans eux toute son
Eglise; et il ne les remplissoit de cette science,
qui devoit sanctifier le christianisme, qu'afm que,
par leur ministère, cette science fût communiquée
à tous ceux qui feroient profession de la loi chré-
tienne. Heureux, mes chers auditeurs, si nous l'a-
vons reçue , ou du moins si nous la recevons au-
jourd'hui, cette science, en comparaison de laquelle
toute autre science n'est que vanité. Vous me de-
mandez en quoi elle consiste , et comment elle peut
vous convenir dans le monde , surtout en certains
états du monde : c'est ce que j'entreprendrai de
vous expliquer , après que nous aurons salué la reine
des saints, en lui disant : As>e , Maria»
Il y a une science des saints : on n'en peut dou-
ter, puisqu'il est écrit que Dieu la donna au pa-
triarche Jacob : Dédit illi scient iam sancto-
rum (1); et ce que l'Ecriture appelle la science
des saints , selon le sentiment de tous les Pères ,
n'est rien autre chose que la science du salut. Il
(1) Sap. 10.
TOME XI. 24
3yo POUR LA FÊTE
faut donc conclure d'abord , que cette science est
aussi nécessaire aux hommes que le salut même :
je m'explique. IJpur parvenir au royaume de Dieu,
et y mériter une place, fût-ce la dernière, il faut
être saint; mais il ne suflit pas, dit saint Jérôme ,
pour être saint, de le vouloir être, il faut savoir
l'être et apprendre à l'être. Combien en a-t-on vu
tjui s'y sont trompés, et combien en voit-on en-
core tous les jours, qui, pensant avoir trouvé la
science des saints, n'ont trouvé que leurs propres
erreurs. C'est à moi , comme prédicateur de l'évan-
gile, de vous découvrir aujourd'hui le fond de cette
science. Car, tout mondains que vous êtes, peut-
être ce qui vous a jusqu'à présent éloignés de la
sainteté, n'est pas tant l'opposition que vous y sen-
tez , que les vaines et fausses idées que vous en
avez conçues. Peut-être si vous la connoissiez, ne
pourriez-vous vous défendre de l'estimer et de l'ai-
mer. Or cet amour, joint à l'estime et fondé sur l'es-
time, seroit déjà dans vous le commencement de la
sainteté : et comme le bras du Seigneur n'est pas
Taccourci, peut-être malgré la corruption du siècle,
verroit-on parmi vous des saints , si l'on vous faisoit
bien entendre ce que c'est que d'être saint. Il est
donc encore une fois de mon devoir de seconder
au moins vos foibles dispositions, en vous donnant
une idée juste de la science des saints. La voici,
tirée de l'exemple de ces glorieux prédestinés , et
renfermée en trois importantes maximes qu'ils ont
suivies , et qui doivent être pour nous autant de
leçons. Ecoutez-les .elles vont partager ce discours ;
DE TOUS LES SAINTS. 371
et l'exposition seule que j'en vais faire, vous con-
vaincra de leur solidité. Les saints ont trouvé le
secret d'accorder dans le monde leur condition avec
leur religion : c'est la première; les saints se sont
servis de leur religion pour sanctifier leur condi-
tion : c'est la seconde; et par un heureux retour ,
les saints ont profité de leur condition , pour se
rendre parfaits dans leur religion : c'est la troisième.
Maximes simples , mais à quoi Dieu attache des
grâces infinies , et qui ont produit dans la personne
de ses élus les fruits de sainteté les plus abondans.
Concevez-en bien l'ordre et le progrès. Les saints
ont su faire l'alliance de leur condition et de leur
religion ; c'est par où ils ont commencé , et ce sera
le sujet de la première partie. Les saints ont su
mettre en œuvre leur religion , pour corriger les
désordres et pour accomplir saintement les devoirs
de leur condition ; c'est en quoi ils ont excellé , et
ce sera la seconde partie. Les saints ont su de leur
condition, quoique mondaine, tirer des motifs et
des secours pour se perfectionner dans leur reli-
gion, c'est ce qui a mis le comble à leur sain-
teté, et ce sera la troisième partie. Voilà ce que
nous devons apprendre d'eux , et ce que j'ai à vous
expliquer.
PREMIÈRE PARTIE.
Quelque impénétrable que soit le mystère de la
prédestination des saints , Dieu nous a révélé ,
chrétiens , et il nous est aisé de connpître les voies
qu'il leur a marquées et qu'ils ont suivies pour ar-
372 POUR LA FETE
river à l'heureux terme de leur prédestination. Or,
une des premières règles qu'ils crurent pour cela
devoir observer , ce fut de ne point chercher la
sainteté hors de leur condition ; et cette règle a
été si sûre pour eux , qu'il n'y a point eu de condi-
tion dans le monde , où , avec le secours des grâces
communes , ils n'aient en effet pratiqué toute la
sainteté du christianisme. Ils y ont si bien réussi,
qu'éclairés et conduits par l'esprit de Dieu, ils sont
parvenus à cette sainteté du christianisme dans les
conditions du monde qui y sembloient les plus op-
posées. Je dis plus : ils ont eu même le bonheur
d'acquérir, par la pénitence, cette sainteté du chris-
tianisme dans les conditions où l'esprit corrompu
du monde les avoit malheureusement engagés, mais
dont l'engagement, quoique malheureux, étoit un.
lien que la loi de Dieu ne leur permettait plus dé-
sormais de rompre. Parlons encore plus clairement:
en observant cette règle, ils ont été saints chacun
dans leur condition ; ils ont été saints dans toutes
sortes de conditions ; ils ont été non-seulement
saints, mais héroïquement saints dans les plus dan-
gereuses conditions ; et ce qui fait voir toute la
force de la grâce, par le moyen de la pénitence,
ils ont été saints jusque dans des conditions où,
sans avoir consulté Dieu , ils étoient entrés par le
seul mouvement de leurs passions. Quel fonds
d'instruction pour vous et pour moi, et quel fonds
même de consolation pour ceux de mes auditeurs,
qui , touchés aujourd'hui d'un saint remords , au-
raient devant Dieu à se reprocher de n'avoir point
DE TOUS LES SAINTS. 3;3
eu d'autres vues que celle du monde , dans le choix,
qu'ils ont fait de leur état ! Voilà en quoi je pré-
tends qu'a consisté une partie de la science des
prédestinés et des élus de Dieu. Eu voilà le principe
général que je vais développer , et où nous décou-
vrirons la première source de leur sanctification ,
qui doit être le modèle de la nôtre. Ecoutez-moi.
Ces saints, dont nous honorons la mémoire , n'ont
point cherché la sainteté ailleurs que dans la con-
dition où l'ordre de la Providence les attachoit :
c'est sur quoi a roulé toute leur conduite; et c'est
l'excellente morale que le grand Apôtre leur avoit
enseignée, quand il disoit aux Corinthiens : Unus-
quisque in quci vocatione vocalus est , in e4
permaneat apud Dewn (i). Que chacun travaille
à se sanctifier dans l'état , et selon l'état où il se
trouvoit lorsqu'il a reçu la lumière de l'évangile et
qu'il a embrassé la foi. Prenez garde , s'il vous
plaît : saint Paul parloit à de nouveaux chrétiens ;.
et ces nouveaux chrétiens, avant que de l'être,
avoient eu dans le monde leurs qualités, leurs rangs,
leurs emplois. Or il n'exigeoit point d'eux , qu'en
conséquence de ce qu'ils étoient chrétiens, ils se
dépouillassent de tout cela ; mais il leur déclaroit
l'obligation qu'ils s'étoient eux-mêmes imposée ,
d'allier tout cela avec la profession du christia-
nisme. Pour montrer , dit saint Chrysostôme , que
le christianisme n'étoit point une secte dont les
maximes allassent à troubler, ni à confondre l'ordre
des états et des conditions ; il vouloit que ceux qui
(i) i. Cor. 7.
3;4 POUR LA FÊTE
se convertissoient au christianisme , sans changer
de conditions et d'états , fussent toujours ce qu'ils
étoient, et fissent dans le monde la même figure
qu'ils y faisoient avant leur conversion. Mais du
reste , il vouloit qu'ils fussent pour Dieu et selon
Dieu , ce qu'ils n'avoient été jusqu'alors que pour
le monde et selon le monde. Car c'est ainsi que
ce passage doit être entendu : Llnusquisque in quâ
ojocatione vocatus est , in eâ permaneat apud
Deum ; Que chacun de vous serve Dieu dans la
place où il étoit quand Dieu , par sa miséricorde ,
l'a appelé. Par où l'Apôtre corrigeoit les fausses
idées que les Juifs et les Gentils se formoient de
notre religion ; par où il leur faisoit comprendre
que la loi chrétienne étoit non-seulement une loi
sainte et divine, mais dans sa police extérieure par-
faitement conforme au bon sens et à la raison ;
par où, selon la remarque de saint Chrysostôme,
il faisoit goûter aux fidèles les avantages et la dou-
ceur de leur vocation , qui consistoit , non pas à
détruire , mais à perfectionner le monde : Unus-
quisque in qud vocatione vocatus est ; que cha-
cun , dans l'état où Dieu l'a pris , s'étudie à être
chrétien. Et voilà justement, mes chers auditeurs,
ce qu'ont fait les saints : disons mieux , voilà ce qui
a fait les saints , et en particulier ces premiers
saints de l'Eglise de Jésus-Christ. C'étoient des
hommes comme nous ; mais selon le plan que nous
en a tracé l'Apôtre , des hommes qui , sans se dé-
grader , sans se déplacer , sans se déranger , ont
trouvé le moyen de se sanctifier; des hommes qui ,
DE TOUS LES SAINTS. 3-)5
pour ainsi parler, ont enté le christianisme sur. le
monde ; des hommes qui , selon la diversité des
conditions où il a plu à Dieu de les choisir, ont
accordé la sainteté chrétienne, les uns avec la gran-
deur, et les autres avec L'humiliation ; les uns avec
l'opulence , et les autres avec la misère ; ceux-là
avec la sagesse , et ceux-ci avec l'ignorance : car
il y en a eu d'autant de caractères différens que je
vous en marque et que vous en pouvez concevoir :
pourquoi ? parce que Dieu qui les disposoit pour
la construction et l'édification du corps mystique de
Jésus-Christ , dont ils dévoient être les membres,
leur inspiroit à tous une sainteté proportionnée à
leur état ; et parce qu'en effet le premier mouve-
ment de la grâce qui agissoit en eux , étoit de les
porter à être saints , chacun de la manière qui leur
convenoit dans leur état. Voilà, dis-je , ce qui a
formé les saints , et ce que je dois m'appliquer à
moi-même , si je veux être saint comme eux. Or
comment pourrois-je ne le pas vouloir ? Quand je
n'aurois point d'autre vue que celle de mon intérêt
propre , la foi ne m'apprend-elle pas qu'il est pour
moi d'une nécessité indispensable que je sois saint,
si je prétends être sauvé , et ne me dit-elle pas
qu'il n'y a de prédestinés dans le ciel que ceux qui
ont été saints sur la terre? Ordre divin que je dois
adorer, et dont rien ne me peut dispenser.
Mais donnons plus d'étendue et plus de jour à
cette vérité. Il y a eu des saints dans toutes les
conditions du monde, et malgré l'iniquité du siècle
qui ne prévaudra jamais contre les desseins de Dieu,
3y6 POUR LA FÊTE
c'est dans les conditions du monde qui sembloient
]es plus opposées à la sainteté , que Dieu , par une
providence singulière , a suscité les plus grands
saints ; entre ceux que nous invoquons , et dont
l'Eglise célèbre aujourd'hui la fête , combien nous
en propose-t-elle , qui se sont sanctifiés à la cour,
c'est-à-dire , au milieu des plus dangereux écueils,
et, si j'ose le dire , comme dans le centre de la
corruption du monde? combien qui, dans la pro-
fession des armes , ont été des modèles de piété ,
et qui dans la licence de la guerre ont conservé et
même acquis toute la perfection de l'esprit chré-
tien ? combien qui ont allié la sainteté et la royauté ,
et qui sur le trône où tant d'autres se sont perdus ,
ont fait éclater les vertus les plus consommées, sans
excepter l'inimilité la plus profonde, et la plus ri-
goureuse austérité ? Être saint dans la vie licen-
cieuse et tumultueuse d'une milice profane , être
saint parmi les dangers et les tentations de la cour,
être saint et être roi , ce sont des miracles que la
grâce de Jésus-Christ a rendus possibles, et même
qu'elle a rendus communs; je n'ai donc pas raison,
qui que je sois , et quelque risque que je puisse
courir dans le monde , si j'y suis par l'ordre de
Dieu, de prétendre qu'il ne m'est pas possible d'ac-
corder ma condition avec la sainteté de ma reli-
gion ; erreur : parler ainsi , c'est imputer à Dieu
les désordres de ma vie, puisque Dieu est l'auteur
de ma condition ; c'est vouloir rendre sa providence
responsable , non-seulement des périls à quoi je
me trouve exposé, mais des crimes que je commets.
DE TOUS LES SAINTS. 877
et dont je dois répondre à sa justice; c'est lui attri-
buer malignement et présomptueusement ce que je
dois me reprocher continuellement et humblement :
erreur vaine , que l'exemple des saints confond ,
puisque entre ces bienheureux qui jouissent main-
tenant de la gloire , il y en a , et même un grand
nombre , qui ont été dans le monde de même con-
dition que moi , qui ont vécu dans les mêmes en-
gagemens que moi , qui ont eu les mêmes écueils
à éviter, les mêmes tentations à combattre, les
mêmes difficultés à surmonter que moi ; mais qui ,
raisonnant mieux que moi, ont au milieu de tout
cela trouvé heureusement la sainteté. Or pourquoi
ne pourrois-je pas ce qu'ils ont pu, et pourquoi ne
ferois-je pas ce qu'ils ont fait ? ce fut l'argument
invincible qui convertit saint Augustin : argument
plein de consolation pour les âmes droites qui cher-
chent sincèrement Dieu ; mais affligeant et désolant
pour les âmes lâches , beaucoup plus pour les âmes
libertines , qui cherchent des excuses dans leurs
péchés , et qui voudroient les rejeter sur leur con-
dition et sur Dieu même.
De là que s'ensuit-il ? qu'il faut donc imiter les
saints, et m'en tenir comme les saints à la maxime
contraire ; qu'il faut, convaincu par leur exemple ,
me dire à moi-même : Non , ma condition et ma
religion n'ont rien d'incompatible ; je puis être dans
le monde tout ce que j'y suis , et être solidement
chrétien : c'est le fondement que je dois poser, et
sur lequel je dois régler toute ma conduite ; car
tandis qu'il me reste sur cela le moindre doute ,
378 POUR LA FÊTE
semblable au roseau agité du vent, je né me dé-
termine à rien ; tandis que je me figure dans ma
condition des impossibilités , ou morales ou abso-
lues , de pratiquer ma religion , je ne prends nulle
mesure, et je ne fais nul effort pour vaincre ma lâ-
cheté : au contraire, la pensée que je le puis, et
que ma condition n'y est point un obstacle , c'est
ce qui m'encourage et qui m'anime , ce qui me
donne de la confiance , ce qui me fait prendre des
résolutions généreuses, ce qui me rend capable de
les soutenir et de les exécuter , ce qui m'affermit
dans les dispositions chrétiennes où je dois vivre
pour opérer mon salut avec zèle et avec ferveur :
je le puis , et si j'y manque, ma condition ne sera
jamais une légitime excuse , ni même un prétexte
apparent pour me justifier devant Dieu : voilà ce
qui me fait agir. La vue que Dieu réprouvera ce
prétexte , et qu'il tournera contre moi cette excuse
frivole, quand il m'opposera dans son jugement
cette nuée de témoins dont parle saint Paul , cette
multitude de saints qui se sont trouvés en ma place,
et qui ont fait dans le monde ce que sans sujet et
en vain je m'imagine n'y pouvoir faire : voilà ce
qui réveille ma foi ; sans cela je demeure comme
assoupi ; me plaignant inutilement de ma condi-
tion , et toujours infidèle à ma religion , que je me
représente comme impraticable , afin de pouvoir
plus impunément la négliger : par conséquent, il
faut avant toutes choses, que je croie l'alliance des
deux aussi évidemment possible qu'elle est essen-
tiellement nécessaire pour mon salut éternel ; or
DE TOUS LES SAINTS. 3j()
c'est ce que l'exemple des saints me fait sensible-
ment connoître ; mais n'en demeurons pas là.
On se prévient d'une autre erreur, et c'est l'il-
lusion où donnent la plupart des hommes et qui n'est
propre qu'à entretenir leur relâchement et qu'à fo-
menter leur impénitence , savoir, qu'on seroitbien
plus à Dieu , qu'on y pourroit plus être , si l'on étoit
dans une condition moins exposée et plus dégagée
des embarras du monde: illusion dont la sage con-
duite des élus de Dieu doit encore nous détromper.
Car, comme raisonne saint Bernard, cette condi-
tion dont je me fais un plan chimérique , et qui me
paroît plus avantageuse pour le salut que la mienne ,
n'étant point celle où Dieu m'a destiné , elle ne peut
avoir pour moi les avantages que je m'y propose ;
quelque sainte qu'elle soit en elle-même , Dieu a
eu d'autres vues sur moi , et la condition où je suis,
quoique moins retirée et plus dissipée, est celle
qu'il a plu à la Providence de me marquer. C'est
donc dans celle-ci et pour celle-ci que Dieu m'a
préparé des grâces , et par conséquent c'est uni-
quement dans celle-ci que je puis espérer d'être
plus à Dieu, plus occupé de mon salut, plus dé-
taché du monde et de moi-même , plus chrétien et
plus parfait , puisqu'il m'est évident, que je ne puis
rien être de tout cela qu'en vertu des grâces qui
m'ont été préparées , et dans l'état pour lequel elles
m'ont été préparées. Ainsi l'estimoient les saints ,
et par là ils sont parvenus à ces divers degrés de
sainteté qui les distinguent dans la hiérarchie cé-
leste. Leur grande science, dit saint Chrysostôme ,
38o POUR LA FETE
a été de ne point séparer leur condition de leur re-
ligion : voilà ce qui les a fixés , ce qui a produit dans
l'Eglise des saints de tous genres et de tous états ;
de saints rois aussi bien que de saints religieux, de
saints magistrats aussi bien que de saints évêques,
des saints dans le mariage aussi bien que dans lç
célibat. Je ne dis point ceci pour condamner ces
changemens de condition que Dieu, par sa misé-
ricorde, inspire quelquefois à ses élus, quand il
veut les attirer à lui et les séparer du monde: mal-
heur à moi si je combattois en eux l'œuvre de Dieu :
ils renoncent alors à des conditions auxquelles il
leur est libre de renoncer, et ils n'y renoncent
que pour renoncer plus parfaitement à eux-mêmes.
Mais ce que je condamne, ce sont les inquiétudes ,
les inconstances de certains chrétiens , qui, séduits
par leur propre sens, semblent ne désirer une con-
dition meilleure pour le salut, que pour se dégoûter
de celle où est attaché leur salut; qui, sous appa-
rence d'un prétendu bien, voudroient toujours être
ce qu'ils ne sont pas, et ne s'appliquent jamais à
être chrétiennement ce qu'ils sont; dont toutes les
bonnes intentions se réduisent à de vains projets
qu'ils font d'une vie plus régulière , s'ils étoient
dans des états où ils ne peuvent être, et où jamais
ils ne seront, pendant qu'ils oublient ce que Dieu
leur demande actuellement dans celui où il les a
placés : conduite pitoyable , et bien opposée ù la
conduite et à la science des saints.
Car j'ai ajouté, ce qui d'abord a pu vous sur-
prendre , mais ce qui doit être pour vous une ira-
DE TOUS LES SAINTS. 38l
portante leçon et une solide consolation : j'ai ajouté
et j'ajoute que les saints, par le secours de la pé-
nitence, avoient su môme accorder leur religion
avec; des conditions où Dieu ne les avoit point ap-
pelés , et où l'esprit du monde les avoit malheureu-
sement engagés. Et en effet, après avoir eu le mal-
heur d'y être entrés témérairement et contre l'ordre
de Dieu , ils ne se sont pas pour cela abandonnés
à de funestes désespoirs. Ou'ont-ils fait? supposé
l'engagement qui leur rendoit ces conditions désor-
mais nécessaires , se confiant en Dieu, ils ont cherché
dans leur religion une ressource à leur malheur;
ils ont réparé par la pénitence le crime de leur
imprudence : c'est-à-dire , engagés sans la vocation
de Dieu dans des mariages d'intérêt, de passion ,
d'ambition , ils en ont fait de saints mariages par
la grâce de leur conversion ; engagés dans le sa-
cerdoce par des vues purement humaines, à force
de gémir et de pleurer , ils n'ont pas laissé d'ho-
norer leur profession par la douleur qu'ils ont eue
de l'avoir une fois déshonorée, et par l'obligation
encore plus étroite qu'ils se sont imposée d'y vivre
pour cela même plus saintement, plus exemplaire-
ment, plus austèrement. Combien d'illustres exem-
ples ces bienheureux ne pourroient-ils pas m'en
fournir, et combien de ceux qui m'écouteut pour-
roient profiter de ces exemples ? Les saints ont fait
pénitence de leurs conditions, mais dans leurs con-
ditions mêmes : voilà ce que leur a appris la science
des saints; et à quoi tient-il, mes chers auditeurs ,
que nous ne le sachions comme eux ! Il est vrai , ce
382 POUR LA FÊTE
merveilleux accord de leur condition avec leur re-
ligion leur a coûté; il a fallu pour cela s'assujettir
et se contraindre ; mais en peut-il trop coûter pour
acquérir une science si salutaire , et ne sommes-nous
pas assez heureux si , marchant sur leurs pas et
suivant leurs voies , nous trouvons le secret de con-
server dans le monde l'esprit de Dieu? Cependant
voyons le fruit que les saints ont tiré de cette al-
liance : car après vous avoir montré qu'ils ont su
accorder leur condition avec leur religion , j'ai à
vous faire voir comment ils se sont servis de leur re-
ligion pour sanctifier leur condition : c'est le sujet
de la seconde partie.
DEUXIÈME PARTIE.
Une des choses que Salomon demandoit autre-
fois à Dieu , et qu'il envisageoit comme le comble
de ses désirs , étoit que la sagesse, dont il se formoit
de si magnifiques idées , l'accompagnât, l'éclairât,
l'assistât et le dirigeât dans les importantes fonctions
du ministère dont la Providence l'avoit chargé , en
l'élevant sur le trône : Da mihi, Domine , sedium
tuarum assistricem sapientiam (i); Donnez-la-
moi , Seigneur , disoit-il à Dieu , cette sagesse qui
est assise avec vous, et qui ne vous quitte jamais ;
comme vous l'avez employée dans tous vos ouvrages,
qu'elle me conduise dans toutes mes entreprises ;
comme vous l'appelez à tous vos conseils, qu'elle
soit la règle des miens ; comme par elle vous gou-
vernez le monde , que je gouverne par elle votre
(i) Sap. 9.
DE TOUS LES SAINTS. 383
peuple. Mitte ilîam de cœlis sanctis tuis (i).
Envoyez-la de votre sanctuaire qui est le ciel : et
pourquoi? Ut mecum sit et mecum laboret (2);
afin quelle soit avec moi, et qu'elle travaille avec
moi ; afin que je me serve d'elle pour m'acquitter
fidèlement, exactement , irréprochablement de mes
devoirs : car elle a , poursuivoit-il , l'intelligence
et la science de toutes choses ; et si je puis l'obtenir
de vous, elle réglera tout le cours de ma vie , elle
rendra mes œuvres parfaites, et je serai digne du
trône de mon père. Ainsi ce grand roi parloit-il de
la sagesse; or, ce qu'il disoit de la sagesse, les
saints l'ont pensé de la religion , qui leur a tenu
lieu de sagesse , et qui est en effet la véritable et
l'éminente sagesse des élus de Dieu. Chacun d'eux ,
dans son état , a regardé sa religion comme la
source pure des vraies lumières d'où dépendoit selon
le monde même sa perfection ; chacun d'eux a été
persuadé que , par rapport au monde même , il ne
réussiroit jamais dans sa conduite , et n'arriveroit
jamais à cette perfection qu'autant qu'il s'attacheroit
aux inviolables maximes de sa religion ; chacun
d'eux , comme Salomon , a dit mille fois à Dieu
dans le secret de son cœur : Donnez-la-moi , Sei-
gneur , cette religion , afin qu'elle travaille avec
moi, qu'elle converse avec moi, qu'elle 01 donne
avec moi, qu'elle juge avec moi, qu'elle fasse tout
avec moi, et que je ne fasse rien sans elle; parce
que je sais qu'agissant par elle , je serai , selon vous
et selon le monde , un homme accompli : Ut me-
(1) Sap. 9. — (2) Ibid.
384 POUR LA FÊTE
cuni sit et mecum laboret. Ainsi tous, par une
heureuse expérience, ont-ils reconnu que la pro-
fession qu'ils faisoient de pratiquer la loi de Dieu
leur étoit encore un puissant moyen pour marcher
sûrement dans les voies du monde , pour ne pas
craindre la censure du monde , pour mériter l'ap-
probation et l'estime du monde, pour arriver à cette
exacte et irrépréhensible probité qu'exige le monde;
ainsi se sont-ils servis de leur religion pour sanc-
tifier leur condition , c'est-à-dire , pour éviter les
désordres à quoi leur condition étoit sujette , et
pour accomplir les devoirs dont leur condition étoit
chargée : deux choses qui , selon le Prophète , corn»
prennent toute la justice ; deux choses qui vous
justifieront, non-seulement l'utilité, mais la néces-
sité de la religion : seconde idée que je vais vous
donner de la sainteté et de la science des élus de
Dieu.
Ils se sont servis de leur religion pour éviter les
désordres de leur condition : règle divine qu'ils se
sont d'abord proposée, et qu'ils ont toujours eue
devant les 3reux. Car la science du monde leur
avoit appris, excellente remarque de saint Bernard ,
la science du monde leur avoit appris qu'il y a dans
chaque condition certains désordres essentiels que
la religion seule peut corriger, certains péchés
dominans dont la religion seule peut préserver,
certaines tentations délicates que la religion seule
est capable de surmonter, certains abus autorisés,
certains scandales au-dessus desquels la religion
seule a la force de s'élever : voilà ce que savoient
DE TOUS LES SAINTS. 385
les saints ; mais aussi étoient-ils bien assurés qu'avec
le secours de la religion , il n'y avoit dans leur con-
dition , ni désordre , ni péché , ni tentation , ni
scandale , ni abus dont il ne leur fût aisé de se
garantir; et c'est, dit saint Bernard, l'avantage
inestimable que ces glorieux prédestinés ont tiré
de la religion chrétienne. De là vient que les hon-
neurs du siècle ne les ont point enflés ni éblouis ,
que l'abondance des biens de la terre ne les a point
corrompus, qu'ils n'ont point abusé de l'autorité,
qu'ils ne se sont point méconnus dans la prospérité,
qu'ils ont été grands sans orgueil, puissans sans
violence , riches sans injustice , sans dureté , sans
luxe , sans prodigalité : pourquoi ? parce qu'en
toutes choses ils conformoient leur condition à leur
religion , et faisoient de leur religion la mesure et
la règle de leur condition : or cette unique règle
leur suffisoit pour en exclure tous les vices et tout
ce qui pouvoit s'jr glisser de corruption et de licence.
S'ils s'étoient livrés indépendamment de cette règle
à leur condition , dans quels abîmes ne seroient-ils
pas tombés ? à quels excès , l'ambition n'auroit-elle
pas porté les uns, et jusqu'à quel point la cupidité
n'auroit-elle pas aveuglé les autres ? pour soutenir
ces conditions où ils se voyoient élevés , que ne se
seroient-ils pas cru permis , et dans le pouvoir de
tout faire ? quels maux impunément et sans scrupule
n'auroient-ils pas faits? par combien d'usurpations
et d'attentats les forts n'auroient-ils pas opprimé
les foibles? c'est ce que la politique du monde leur
conseilloit, mais de quoi la religion de Jésus-Christ
TOME XI. 25
386 POUR LA FÊTE
Jeur a donné une sainte horreur. Instruits et con-
duits par cette religion , plus ils ont été forts selon
le monde, plus ils ont tremblé dans la vue des juge-
mens de Dieu. N'ignorant pas que le plus fort,
dans le cours des choses humaines , est ordinaire-
ment le plus injuste , ou du moins le plus exposé au
danger de l'être; plus ils ont été forts , plus ils ont
conçu qu'ils dévoient être modérés , humains ,
charitables , plus ils se sont tenus obligés à être en
garde contre eux-mêmes. Or dans cet esprit, pour-
suit saint Bernard, ils ont maintenu leurs rangs
avec modestie, leurs droits avec désintéressement,
leur réputation et leur gloire avec humilité. C'est
ainsi que la religion a été pour eux un préservatif
souverain contre tous les désordres de leur condition.
Sans cela les grands , à l'exemple des nations, selon
la parole du Sauveur du monde, auroient prétendu
dominer avec fierté et avec hauteur; mais parce que
leur religion réprimoit cet esprit de domination,
bien loin d'être fiers et hautains, ils ne se sont re-
gardés en qualité de maîtres, que comme des hom-
mes établis pour servir les autres , que comme des
sujets attachés à des ministères qui les engageoient,
non-seulement à travailler, mais à s'immoler pour
les autres : sans cela les riches n 'auroient cherché
à jouir de leurs biens que pour satisfaire leurs pas-
sions, que pour contenter leurs désirs, que pour
mener une vie molle et voluptueuse, qui bientôt les
eût portés à une vie libertine et dissolue ; mais leur
religion les a réduits à n'user point autrement de
ces biens que selon les maximes de l'esprit de Dieu ;
DE TOUS LES SAINTS. 387
je veux dire , à en user comme n'en usant pas , à
les posséder comme ne les possédant pas, à se sou-
venir toujours qu'ils n'en étoient que les simples
économes, dispensateurs du superflu, et comptables
à Dieu du nécessaire. Maximes que les saints ont
inviolablement suivies ; et c'est ce qui a rempli le
ciel de ces riches pauvres de cœur , que le Fils de
Dieu canonise aujourd'hui si hautement: Beat/ pau-
peres spiritu (i); de ces riches qui dans l'opu-
lence ont eu tout le mérite de l'indigence ; de ces
riches miséricordieux qui sont dans le sein d'Abra-
ham aussi comblés de gloire que Lazare : ils ont
fait de la religion qu'ils professoient le correctif de
leur condition.
De là vient que les plus dangereuses tentations ne
les ont point ébranlés , et qu'ils ont été à l'épreuve
de tout ce que l'enfer et le monde ont eu pour eux
de plus à craindre ; de la vient, disoit l'Apôtre , en
parlant des saints de l'ancienne loi , qu'ils n'ont
cédé , ni à la rigueur des prisons, ni à la violence
du feu , ni au tranchant des épées : et moi je dis ,
en parlant des saints de la loi de grâce, qui sont
vos modèles, et qui ont tenu dans le monde les pla-
ces que vous y occupez : de là vient que ni l'envie
de s'enrichir , ni le désir de se pousser , ni la vue
de se conserver, ni la crainte de se perdre, ni la
faveur des hommes , ni leur disgrâce, ni leurs me-
naces , ni leurs promesses, ni leur mépris , ni leur
estime , qui sont proprement ces tentations délica-
tes auxquelles vos conditions sont exposées , que
(i) Matth. 5.
-388 TOUR LA FÊTE
rien, dis-je, de tout cela n'a jamais eu la force de
les pervertir : pourquoi ? parce qu'ils ont opposé
à tout cela ces saintes armes : Armaturam Dei (i),
ces armes de justice que leur fournissoit leur religion,
et qui lesrendoient invincibles. En effet, sans reli-
gion ils auroient succombé en mille rencontres aux
plus déréglées et aux plus honteuses passions; leur
raison , en je ne sais combien de pas glissans , auroit
été trop foible pour les retenir ; combattus par ces
tentations, d'autant plus dangereuses qu'elles sont
plus humaines , ils auroient été hommes comme les
autres , emportés, intéressés, vicieux , scandaleux
comme les autres. Qui les a fait triompher du
monde ? je vous l'ai dit , les armes de la foi dont ils
se sont servis : car dans les engagemens où ils étoient,
il n'y avoit, dit le bien-aimé disciple , que la foi et
la religion qui leur pût faire remporter de telles
victoires sur le monde : Et hcec est Victoria quœ
vincit mundum,fides nostra (2). Leurs conditions
étoient rectifiées, purifiées , sanctifiées par leur re-
ligion : voilà, dit saint Chrysostôme, ce que les
païens même ont admiré et révéré dans eux ; voilà
par où le christianisme s'est acquis tant d'honneur
et tant de crédit; et voilà par où sa sainteté s'est
répandue, non-seulement dans les cloîtres et les
monastères, mais dans les professions les plus pro-
fanes par elles-mêmes et les plus mondaines : par-
tout les chrétiens étoient distingués, et dans tous les
états de la vie on les discernoit par l'innocence de
leurs mœurs et par l'intégrité de leur conduite; on
(».) Eplics. 6. — (2) Joan. 5.
DE TOUS LES SAINTS. 38$
ne voyoit point parmi eux de scélérats , de fourbes ,
de traîtres : c'est ce qu'avançoit hardiment Tertui-
lien dans son apologétique : s'ils étoient cités de-
vant les tribunaux des juges, on ne les accusoit que
d'être chrétiens : leur seule religion faisoit leur
crime, et ce prétendu crime dont ils se glorifioient,
les affranchissoit de tous les autres : qui m'empêche
de les imiter ? ne fais-je pas profession de la même
religion qu'eux ? pourquoi n'en ferois-je pas le
même usage ? pourvu du même remède , savoir , des
lumières et des grâces de ma religion , quelle excuse
puis-je avoir quand je me laisse aller aux désordres
de ma condition ? ayant en main les mêmes armes ,
et de plus leur exemple devant les yeux , à qui
m'en dois-je prendre qu'à moi-même , si je suis
vaincu ?
Mais ces bienheureux ont encore passé plus
avant. Dans le dessein de se sanctifier par leur re-
ligion , ils s'en sont servis , non-seulement pour se
préserver des déréglemens de leur condition , mais
pour en remplir toutes les obligations : autre effet
de leur sagesse , et de cette science des saints que
Dieu leur avoit donnée : Dédit illl scientiam
sanctorum : car il y a dans chaque condition cer-
tains devoirs fâcheux , onéreux , mortifians , con-
traires à la nature, dont il est presque impossible
de s'acquitter sans le secours de la religion ; et les
saints tenoient pour constant que la religion seule
pouvoit être en eux une disposition générale et effi-
cace à l'accomplissement de ces devoirs. En effet,
sans la religion , les saints, pour n'être pas esclaves
090 POUR LA FÊTE
des devoirs de leur condition , auroient su , aussi
bien que les autres , n'en prendre que l'honorable
et le commode , et en laisser le difficile et le péni-
ble : le monde accoutumé à ce partage , quoique
scandaleux et injuste, à peine s'en seroit-il scanda-
lisé. Sans la religion , les saints n 'auroient pas man-
qué de prétextes pour secouer le joug de tout ce
qui eût gêné leur liberté , de tout ce qui eût blessé
leur amour-propre , de tout ce qu'il y eût eu dans
leur condition de dégoûtant, de rebutant, d'humi-
liant , d'assujettissant : le monde sur tout cela leur
eût fait grâce ; et quand ils auroient eu le cœur
assez droit pour compter tout cela parmi leurs obli-
gations, jamais leur attention et leur exactitude n'eût
répondu à cette multiplicité de devoirs attachés à
leur état. Mais parce qu'ils agissoient par le mou-
vement et par l'esprit de leur religion , ils les ont
embrassés et accomplis tous. C'est-à-dire , écoutez
le dénombrement qu'en faisoit saint Ambroise dans
ses offices , et reconnoissez ce que c'est que la sain-
teté : c'est-à-dire , parce que les saints agissoient
par l'esprit de leur religion , ils ont rendu à chacun
ce qui lui appartenoit ; ils ont honoré les grands ,
supporté les foibles , servi leurs amis , pardonné à
leurs ennemis , assisté ceux qui se trouvoient dans
le besoin , veillé sur ceux que Dieu avoit confiés à
leurs soins, entretenu la paix et la société parmi
ceux avec qui ils étoient obligés de vivre , exercé
la charité envers tous , parce qu'ils la dévoient à
tous ; soutenus de leur religion , ils ont sacrifié leur
repos , leur santé , leur vie 7 aux ministères dont ils
DE TOUS LES SAINTS. 3c)l
étoient chargés , aux emplois contraignans et fati—
gans où ils se trouvoieut engagés , aux travaux
qu'ils ont eus à porter , aux dangers qu'ils ont dû
courir; mus par ce principe de religion, ils n'ont
eu égard ni à leur agrandissement selon le monde ,
ni à leur établissement , ni au désir de plaire , dès
que la conscience, la probité , la vérité y pouvoient
être en quelque sorte intéressées : avec cela ils ont
eu aux dépens d'eux-mêmes une fermeté inflexible,
une constance inébranlable , une bonne foi hors de
tout soupçon , une équité que rien n'a jamais pu
corrompre. Parce qu'ils faisoient entrer leur religion
dans tout ce qui étoit de leur condition , souples
et dociles sous la main de Dieu , contens d'être ce
que Dieu vouloit qu'ils fussent, et rien davantage,
ils sont demeurés dans l'état que la Providence
leur avoit marqué, sans former de nouveaux projets
pour se pousser , pour s'avancer , pour s'enrichir ;
sans entreprendre de supplanter personne , ni de
s'élever sur la ruine de personne ; prévenans , offi-
cieux , libéraux, toujours prêts à rendre le bien
pour le mal. Car voilà ce qu'il leur falloit pour être
dans leurs conditions des hommes parfaits : or ,
dites-moi, pouvoient-ils l'être de la sorte sans leur
religion ? Ce n'est pas encore assez: le grand usage
qu'ils ont fait de cette religion a été de s'en servir
pour sanctifier tous ces devoirs, pour les rapporter
à Dieu , pour les remplir d'une manière digne de
Dieu , pour s'en acquitter en chrétiens , et par là
se distinguer des mondains qui en accomplissent
3ç)2 POUR LA FÊTE
peut-être une partie , mais souvent par vanité , et
toujours inutilement pour le salut.
Ali ! mon Dieu , que vous êtes admirable dans
vos saints , et que la science de vos saints est pro-
fonde et sublime ! Que David avoit bien raison de
s'écrier : Mirabilis facta est scientia tua ex
me; confortata est , et non potero ad eam (i) ;
Cette science , Seigneur, que vous avez enseignée
à vos élus , et qui les a fait ce qu'ils sont, me paroît
plus merveilleuse que tous les ouvrages de votre
puissance ; elle est infiniment au-dessus de moi , et
sans votre grâce je n'y pourrois jamais atteindre î
Quelle perfection ne verroit-on pas dans le monde,
si le monde étoit gouverné selon cette science des
saints ? A quoi pensent les enfans des hommes
quand ils la négligent , et à quoi s'occupent-ils
quand, au mépris de cette science, ils cherchent le
mensonge et la vanité? que peuvent-ils espérer de
Dieu, et à quoi toutes les autres sciences sans celle-
là les conduiroient-elles? Mais achevons , et voici
le dernier caractère de la science des saints ; c'est
que par le retour le plus heureux, en se servant de
leur religion , pour sanctifier leur condition , ils ont
profité de leur condition pour se perfectionner dans
leur religion : encore un moment d'attention pour
cette troisième partie.
TROISIÈME PARTIE.
Quelque diversité d'événemens qu'il y ait dans
le cours de la vie des hommes , c'est une vérité
(1) Psalm. i38.
DE TOUS LES SAINTS. 098
indubitable , que tout contribue au bien de ceux
qui aiment Dieu; et nous savons, disoit l'Apôtre ,
que cela même est une marque du choix que Dieu
a fait de leurs personnes , en les prédestinant pour
être saints : Scimus quoniam diligentibus Deum
omnia cooperantur in bonum, iis qui secundiim
■proposition vocati sunt sancti (i). Or voilà, mes
chers auditeurs, ce qu'ont éprouvé ces bienheureux
dont nous honorons la mémoire ; tout a contribué
à leur avancement et à leur salut éternel. Car le
monde , par un merveilleux effet de la grâce de
Jésus-Christ, a visiblement contribué à leur sancti-
fication ; et ce qu'ils étoient selon le monde, j'en-
tends leur condition , sans être en soi différente de
celle des païens , par l'usage qu'ils en ont fait , n'a
pas laissé de servir à les rendre de parfaits chré-
tiens : pourquoi ? appliquez-vous à cette excellente
morale de saint Paul : parce qu'il est constant que
les saints ont trouvé dans leur condition de puissans
motifs pour s'exciter et s'animer à la pratique de
leur religion ; parce qu'il est vrai que leur condi-
tion leur a fourni les moyens de glorifier Dieu ,
dont ils ont su admirablement profiler à l'avantage
de leur religion ; parce qu'un de leurs premiers
soins a été de bien ménager les croix et les peines
inséparables de leur condition , pour en faire la ma-
tière de leur patience et des sacrifices qu'ils ont eu
le bonheur d'offrir à Dieu dans l'esprit de leur re-
ligion : pensées touchantes que je ne fais que vous
(i) Rom. s.
3g4 POUR, LA FÊTE
proposer , et à quoi je réduis la dernière idée que
j'di prétendu vous donner de la science des saints.
Ces prédestinés et ces élus de Dieu ont trouvé
dans le monde même et dans leur condition , quoi-
que mondaine , de puissans motifs pour s'exciter à
la pratique de leur religion : c'est-à-dire , ce que
leur condition les obligeoit à faire pour le monde,
leur a appris, mais vivement et sensiblement , ce
qu'ils dévoient à Dieu , leur a fait porter avec joie
et avec douceur le joug de Dieu , leur a fait aimer
tendrement la loi de Dieu , leur a fait embrasser
généreusement ce qui leur a paru de plus sévère
dans l'accomplissement des ordres de Dieu , leur a
fait sentir et goûter délicieusement le bonheur qu'il
y a d'être à Dieu. En falloit-il davantage à ces
saints de la terre ? car c'est ainsi que les appelle
l'Ecriture : Sanctis qui in terra surit ejus (1). En
efïet , dit saint Augustin , ils ont été les saints de
la terre, avant que d'être les citoyens du ciel. Arrê-
tons-nous encore à ceux qui , après avoir passé
dans le monde par les mêmes états que vous, doi-
vent être les modèles de votre conduite. Leur en
falloit-il , dis-je , davantage pour leur inspirer tout
le zèle qu'ils ont eu dans le service de Dieu , que
la réflexion qu'ils faisoient sur la manière dont on
sert les grands de la terre , et dont ils les servoient
eux-mêmes ? On s'étonne qu'il y ait eu des saints
ù la cour ; et moi je prétends que c'est la cour
même , où, par l'ordre de Dieu , ils se trouvoient
attachés, qui les faisoit saints. Oui, la cour les for-
Ci) Psal. i3.
DE TOUS LES SAINTS. 3g5
moit à la religion ; la cour , qui pour tant d'autres
a été et est si souvent une école d'impiété, par un
don singulier de Dieu , apprenoit à ceux-ci le chris-
tianisme , et les élevoit à la sainteté. Comment cela ?
rien de plus naturel ni de plus simple. Attachés à
la cour par leur condition , ils avoient honte de
n'avoir pas pour Dieu une obéissance aussi prompte
et une fidélité aussi inviolable que celle dont ils se
piquoient à l'égard de leur prince ; et cette compa-
raison les portoit à tout entreprendre ; ils se repro-
choient avec douleur d'être moins vifs et moins
empressés pour le Dieu de leur salut, que pour le
maître de qui dépendait leur fortune temporelle ;
et à force de se le reprocher , ils parvenoient enfin
à pouvoir se rendre le témoignage favorable que
leur conscience sur ce point exigeoit d'eux , et où
consistoit pour eux le capital et l'essentiel de la re-
ligion. Je veux dire , ils parvenoient enfin à avoir
pour Dieu cet amour de préférence si nécessaire
au salut , et néanmoins si rare à la cour ; mais Dieu
qui les avoit choisis , vouloit que la cour même le
leur enseignât , et leur en fournît un motif auquel
ni leur raison , ni leur foi ne pussent résister ; et
quel étoit ce motif? je le répète : l'application sans
relâche avec laquelle ils faisoient leur cour à un
homme mortel , la disposition sans réserve à n'épar-
gner rien pour lui plaire, le parfait dévouement à
ses intérêts, la soumission aveugle à ses volontés ,
l'infatigable assiduité auprès de sa personne , l'at-
tention à mériter ses bonnes grâces, l'ambition d'être
à lui ; la crainte d'être oubliés de lui , beaucoup
396 POUR LA FÊTE
plus d'en être disgraciés et réprouvés , tout cela
c'étoit pour les saints autant de leçons du culte su-
prême et de l'amour souverain qu'ils dévoient à
Dieu ; et ces leçons , bien étudiées , bien méditées ,
bien appliquées , faisoient sur eux des impressions
qui les sanctifioient. De même , on est surpris qu'il
y ait eu des hommes qui , dans la profession des
armes, soient arrivés à la sainteté ; et moi je dis
que rien ne pouvoit mieux les disposer à la sainteté,
que la profession des armes. Comment les Maurice,
les Sébastien , les Eustache l'y ont-ils trouvée ? Ils
devenoient sans peine les martyrs de Jésus-Christ
et de leur religion , en se souvenant combien de
fois ils avoient été les martyrs de leur condition ,
lorsque tant de fois dans les combats ils s'étoient
exposés à la mort , pour ne rien faire d'indigne de
leur naissance et qui intéressât leur honneur. Ainsi
leur condition leur enseignoit-elie , les engageoit-
elle , les forçoit-elle malgré eux , non-seulement à
avoir de la religion, mais à pratiquer tout l'héroïque
de la religion. Car pour avoir une parfaite religion,
il faut savoir parfaitement obéir , il faut savoir se
sacrifier , il faut savoir se renoncer. Or c'est ce
qu'on ignore partout ailleurs ; mais ce qu'un mon-
dain brave dans la guerre ne pourra jamais dire à
Dieu qu'il ait ignoré. Il est donc certain que sa con-
dition lui apprend malgré lui la science des saints ;
et ceci par proportion , convient à tous les états qui
partagent la société des hommes , puisque chaque
condition, quand on en sait user comme les saints,
a une grâce particulière pour coopérer , par de sem-
DE TOUS LES SAINTS. 3o,7
blables motifs , à la sainteté de ceux que Dieu ,
selon les vues de sa sagesse , y a destinés.
Ce n'est pas tout : indépendamment des motifs,
{'ai dit que les saints ont trouvé dans leur condition
des moyens de glorifier Dieu , dont ils ont su avan-
tageusement se prévaloir pour acquérir tout le mé-
rite de leur religion ; et je n'en veux point d'autre
preuve que l'histoire de leur vie : combien y en a-t-il
dont la sainteté n'a été si éminente ni si éclatante,
' que parce qu'ils ont eu dans leur condition des oc-
casions de faire pour Dieu de grandes choses ? Ils
avoient dans le monde de la qualité ( ne quittons
point ce qui vous est propre , et qu'il n'y ait rien
de vague dans cette morale); ils avoient dans le
monde de la qualité, de la dignité, de l'autorité :
comme élus de Dieu , ils ont fait servir tout cela à
la piété , à la charité, à l'humilité. Si saint Louis
n'eût été roi , auroit-il fait pour Dieu ce qu'il a fait;
auroit-il réprimé l'impiété , auroit-il puni le blas-
phème, auroit-il dompté l'hérésie, auroit-il établi
tant de saintes lois ? la royauté donnoit de la force
à son zèle , et son zèle pour Dieu n'avoit du succès
que parce que la royauté en étoit le soutien. S'il
n'eût été roi , auroit-il laissé à la postérité tant de
somptueux monumens de sa tendresse paternelle
envers les pauvres; en auroit-il rempli la France ,
et y verrions-nous tant de maisons consacrées par
lui à la charité publique ? sa charité ne subsistoif:
que sur le fonds de sa magnificence royale , et il
n'a été le père des pauvres que parce qu'en qualité
de roi il a eu le pouvoir de l'être : en un mot, le
3q8 pour la fête
mérite de ce monarque, et ce que j'appelle en lui
la science des saints, c'est qu'il a profité de sa con-
dition pour être le héros de sa religion. Or il n'y a
point de condition dans le monde, qui selon la
mesure et l'étendue du pouvoir qu'elle nous donne,
n'ait par rapport à Dieu le même avantage; et si je
suis comme les saints , fidèle à la grâce et aux des-
seins de Dieu sur moi, sans être ce qu'a été saint
Louis, je trouverai dans ma condition de quoi sans
cesse honorer Dieu par ma condition même; je ne
ferai pas des actions d'un si grand éclat que saint
Louis ; mais en faisant tout le bien dont je suis
capable , je glorifierai Dieu par mon obscurité ,
comme saint Louis l'a glorifié par son élévation :
car élévation et obscurité , à qui sait et veut s'en
servir, ce sont également, quoique différemment,
des sujets de sanctification : dans la médiocrité de
mon état, je n'aurai pas les importantes occasions
qu'a eues saint Louis , pour me signaler comme lui
par une piété héroïque ; mais en pratiquant les
vertus communes de mon état, sans être héroïque-
ment saint, je pourrai l'être solidement; sans l'être
avec éclat aux yeux des hommes , je pourrai l'être
avec mérite devant Dieu et dans l'idée de Dieu :
or c'est uniquement ce que les saints ont cherché,
et à quoi ils ont rapporté cette science qu'ils avoient
reçue d'en-haut : Dédit illi scient iam sanc-
torum (i).
Enfin les saints ont trouvé des croix dans leur
condition , et ils en ont fait la matière de leur pa-
(1) Sap. 10.
DE TOUS LES SAINTS. 5<Jf)
tierce , de leur résignation , de tous les sacrifices
qu'ils ont offerts à Dieu dans l'esprit de leur reli-
gion; encore une fois, suivant ce principe , faut-
il s'étonner qu'il y ait eu des saints à la cour, et ne
faut- il pas s'étonner plutôt qu'il y en ait eu , et
qu'il y en ait si peu ? La condition de ceux qui
vivent à la cour , et que leur devoir y retient, étant,
de leur propre aveu , celle où les mortifications sont
plus fréquentes et plus inévitables, celle où il y a
plus de dégoûts et de chagrins à essuyer , celle où
l'on est plus obligé à prendre sur soi et à se con-
traindre , devroit-il y en avoir une dans le monde
plus propre à faire des saints ? trouver tout cela dans
sa condition et n'être pas saint, et ne penser à rien
moins qu'à l'être , n'est-ce pas le comble de la
malédiction ? j'en appelle à vous-mêmes , mes chers
auditeurs, et je suis sûr que , malgré votre peu de
foi , vous en convenez. Quoi qu'il en soit , voilà le
secret adorable que l'esprit de Dieu a révélé à ces
glorieux prédestinés , qui se sont sanctifiés à la cour.
Des mortifications et des chagrins que leur attiroit
leur condition , ils se sont fait un état de pénitence ,
non pas comme les mondains , d'une pénitence
forcée , mais d'une pénitence volontaire , méritoire ,
sanctitîcatoire ; les revers de fortune et les disgrâces
qu'ils ont eu à soutenir, leur ont inspiré , non pas
d'inutiles et de vains dégoûts , mais un généreux
et sincère détachement du monde ; les injustices
même du monde ont été pour eux un exercice de ce
parfait christianisme qui les obligeoit de mourir à
eux-mêmes; voilà ce que la science des saints leur
4oO POUR LA FETE
a appris : au lieu que les enfans du siècle font df
tout cela le sujet de leurs plaintes et de leurs mur-
mures, les justes et les amis de Dieu s'en sont fait
des sujets de consolation et d'actions de grâces,
parce qu'ils savoient bien que c'étoit là le partage
des élus , et que la voie la plus certaine de leur
prédestination étoit de passer par les souffrances ,
et d'en être réputés dignes. Comme il n'y a point
de justes dans la gloire , que Dieu n'ait voulu y
conduire par là ; aussi n'y en a-t-il point qui dans
leur condition n'aient trouvé des peines et des afflic-
tions : et c'est , dit saint Paul , ce qui a le plus
contribué à leur sainteté. Contemplons - les donc
aujourd'hui comme nos modèles. Quoi qu'il nous
arrive de fâcheux et de chagrinant dans notre état,
disons-nous à nous-mêmes : Qu'ont fait les saints,
lorsqu'ils se sont vus traités comme moi ? s'en sont-
ils pris à la Providence ? leur courage en a-t-il été
abattu , leur foi en a-t-elle paru ébranlée, et ne se
sont ils pas au contraire estimés heureux d'être
éprouvés sur la terre , afin d'être éternellement glo-
rifiés dans le ciel ?
Telle est pour nous tous, mes chers auditeurs, la
science des saints. Mais c'est à vous , Sire , de possé-
der éminemment cette divine science : car la science
des saints , pour un roi , doit bien être d'une autre
étendue, et même d'une autre perfection que pour
le commun des hommes. Comme les rois sont les
images de Dieu , un roi , pour être saintement roi ,
doit être , à l'exemple de Dieu, non-seulement saint,
mais grand et magnifique jusque dans la sainteté:
Î)E TOUS LES SAINTS. /jOî
Magnificus in sanctitate (i). Il suffit aux autres
d'être humbles dans la sainteté , d'être patiens, d'être
fervens , d'être constans dans la sainteté; mais il
faut à un roi de la grandeur dans la sainteté même,
puisqu'avec une sainteté vulgaire et commune , il
est impossible qu'il satisfasse aux importans devoirs
dont il est chargé comme roi. En effet, si, selon
l'évangile de ce jour, une partie de la science des
saints est d'être pacifiques , la science d'un saint roi,
et d'un roi chrétien , doit être , dit saint Augustin ,
de mettre sa gloire à donner la paix; doit être d'em-
ployer sa puissance et de n'épargner rien pour éta-
blir , pour affermir, pour faire fleurir et régner la
paix. Aussi est-ce particulièrement aux princes et
aux rois de ce caractère qu'il est dit aujourd'hui :
Btati pacifici (2). Or, suivant cette règle, Sire,
si jamais prince sur la terre a eu droit de prétendre
au mérite de cette béatitude, on ne peut douter
que ce ne soit votre majesté : car elle vient de don-
ner la paix à toute l'Europe, de la manière la plus
chrétienne dont jamais monarque chrétien l'ait don-
née et l'ait pu donner : je veux dire, au milieu de
ses conquêtes , dans le comble des prospérités et
des succès dont Dieu jusqu'à la fin a béni ses armes;
dans le désespoir où étoient ses ennemis , malgré
leur formidable ligue, de pouvoir lui résister, et
lorsqu'ils étoient forcés de reconnoître et de con-
fesser que vous étiez , Sire , le seul victorieux et le
seul invincible. C'est en de si favorables conjonctures
que vous avez voulu être le pacificateur du monde
(1) Exod. 11. — (2) Matth. 5.
TOME XI. 2.6
4o2 POUR LA FÊTE
chrétien , et c'est ainsi que toute l'Europe vous est
redevable de son bonheur. C'est par vous que tant
de nations , après une sanglante guerre vont com-
mencer à respirer ; par vous que tant d'églises dé-
solées vont offrir librement et sûrement leurs sacri-
fices, dans le tranquille exercice du culte de Dieu;
par vous que tant d'états et de royaumes vont jouir
d'un profond repos : fut-il jamais un meilleur titre
pour avoir part à la béatitude évangélique: Beati
paclfici ! Mais j'ose encore , Sire, pour ma propre
consolation et pour celle de mes auditeurs, ajouter
ici le motif qui vous a déterminé à la conclusion
de ce grand ouvrage. Car puisqu'il m'est permis
d'entrer dans les intentions de votre majesté , et
puisqu'elle-même s'en est hautement expliquée ,
elle n'a consenti à la paix que par amour pour son
peuple , que dans un sincère désir de faire goûter
à ses sujets la douceur de son règne , que dans la
vue de les soulager ; elle s'est relâchée de ses droits
pour nous rendre heureux ; et ce qu'elle a sacrifié
à la paix , nous est une preuve authentique de ses
soins bienfaisans et de son attention à nos intérêts.
Or voilà ce que j'ai appelé pour un roi chrétien ,
le mérite de cette béatitude dont nous parle le
Sauveur du monde : Beati pacifici ; et c'est de
quoi j'ai cru devoir féliciter aujourd'hui votre ma-
jesté. Non content d'avoir été jusqu'à présent le
plus glorieux et le plus puissant des rois , vous
voulez encore , Sire , être le meilleur de tous les
rois ; après avoir été , comme conquérant, l'admi-
ration de tous les peuples , vous voulez , pour cou-i
DE TOUS LES SAINTS. ^o3
ronner votre règne , être le père de votre peuple.
Le dirai-je , Sire , avec la respectueuse liberté que
me fait prendre mon ministère ? votre peuple n'en
est pas indigne : car jamais peuple sous le ciel n'a
tant aimé son roi , n'a été si passionné pour la
gloire de son roi, ne s'est épuisé pour son roi avec
tant de zèle , n'a fait pour la conservation de son
roi tant de vœux à Dieu. Votre maj-esté l'a senti,
et elle ne l'oubliera jamais : tous les cœurs sur cela
se sont ouverts , et le votre, Sire, en a été touché.
Ce peuple, encore une fois, n'est donc pas indigne
de vos bontés ; et si l'on pouvoit les mériter, je di-
rois qu'il les a méritées par son attachement sans
exemple, par sa fidélité à toute épreuve, par son
obéissance sans bornes , par son amour tendre pour
votre majesté. Beatl pacifici : Heureux les paci-
fiques, et encore plus les pacificateurs, puisque ,
malgré les faux raisonnemens de la politique mon-
daine, c'est ce qui fait les saints rois, les rois selon
le cœur de Dieu , les rois dignes de posséder le
royaume de Dieu. A quoi tout le reste sans cela
leur servira-t-il ? J'ai été roi , disoit Salomon , et
j'ai surpassé tous les autres rois en grandeur , en
puissance , en richesses , en magnificence ; mais
j'ai reconnu par une longue expérience que tout
cela, séparé de la sagesse, n'étoit que vanité , que
peine , qu'affliction d'esprit, \otre majesté, Sire,
a trop de lumières pour ne pas penser aujourd'hui
ce que Salomon pensoit alors ; et convaincue aussi
bien que lui du néant du monde , elle a trop de re-
ligion pour ne se pas dire à elle-même , qu'elle
4©4 POUR LA FÊTE DE TOUS LES SAINTS.
doit donc chercher hors du monde son véritable
bonheur. La science de gouverner les peuples, la
science de se faire obéir , la science d'accroître ses
états par le nombre de ses conquêtes, voilà ce que
votre majesté possède dans un suprême degré , et
ce qui a fait la matière de tant d'éloges. Mais comme
prédicateur de l'évangile , je lui dis aujourd'hui
quelque chose de plus grand , de plus solide , de
plus digne d'elle : et quoi ? c'est qu'il n'y a rien
de grand , rien de solide , rien qui soit ni puisse
être digne d'elle , que la science des saints , qui
est la science des élus de Dieu, et qui la conduira
à ce royaume éternel que je lui souhaite, au nom
du Père , du Fils , et du Saint-Esprit.
SERMON
POUR LE JOUR
DE LA COMMÉMORATION DES MORTS.
Amen , amen dico vobis , quia venit hora, et nnnc est,
quandô mortui audient vocem Filii Dei : etquiaudiei-iut ,
vivent.
Je vous dis en vérité que l'heure est venue , et c'est
celle-ci où les morts entendront la voix du Fils de
Dieu , et où ceux qui l'entendront vivront. En saint Jean ,
chap. 5.
C'est un mystère que Jésus- Christ nous propose
aujourd'hui dans l'évangile, mais un mystère qui,
même après la déclaration que Jésus-Christ nous en
a faite , a encore son obscurité , puisque les Pères
de l'Eglise ne s'accordent pas sur le sens de
ce passage : les uns ont cru, et c'est la pensée
d'Origène , qu'il falloit l'entendre de la résurrection
générale , où en effet les morts , pour comparoître
devant le tribunal du Fils de Dieu , et pour re-
cevoir leur dernier arrêt , sortiront de leurs sépul-
cres; d'autres , comme saint Cyrille , l'ont expliqué
des résurrections particulières , c'est-à-dire , des
miracles qu'opéroit le Fils de Dieu , lorsqu'en vertu
d'une seule parole il ressuscitoit les morts; saint
Augustin l'a pris dans le sens moral de la résur-
rection spirituelle , et de la justification des pé-
4oG POUR LA COMMÉMORATION
cheurs, qui, de morts qu'ils étoient par le péché,
se sont vivifiés par la grâce intérieure de Jésus-
Clirist, et par la vertu de son sacrement. Trouvez
bon , chrétiens , que dans un tel partage de senti-
mens, je m'attache à ce qui me paroît le plus con-
forme à l'esprit de l'Eglise ; et que, sans entrer plus
avant dans la discussion de ce mystère , je me con-
tente de l'appliquer à la fête que nous célébrons.
Venit hora , et mine est,qaandb mortui audient
vocem Filii Dei- : c'est en ce jour que les morts
ont entendu la voix du Fils de Dieu, parce que
c'est en ce jour qu'on a offert pour les morts dans
toutes les parties du monde le sacrifice du corps
et du sang de Jésus-Christ. Or le sang de Jésus-
Christ a une voix aussi bien que le sang d'Abel ;
mais une voix bien pins forte que le sang d'Abel,
une voix qui pénètre jusque dans les cieux, et qui
se fait obéir jusque dans le centre des abîmes de la
terre. Oui , mes frères , le sang de cet agneau sans
tache a crié aujourd'hui sur nos autels : et qu'a-t-il
demandé à Dieu? le soulagement de ces âmes fi-
dèles , qui , quoique séparées de leurs corps et pré-
destinées, ne laissent pas de souffrir et de gémir
dans l'attente de leur béatitude , parce qu'elles ont
encore des restes de péchés à expier : c'est pour
cela que ce sang divin a été immolé ; c'est pour
cela qu'il a poussé sa voix , premièrement vers le
ciel, pour y solliciter Dieu en faveur de ces âmes
souffrantes; et ensuite jusques au lieu où ces aines
sont arrêtées, pour leur annoncer l'heureuse nou-
velle de leur liberté , et pour leur dire que l'heure
DES MORTS. 407
est venue de sortir de leur prison : car c'est ce qui
se fait dans cette solennité plus authentiquement
et plus généralement qu'à nul autre jour de l'année ,
puisque celui-ci est uniquement consacré à la mé-
moire de ces saintes âmes , et au devoir public que
nous leur rendons , en offrant pour elles le sacri-
fice de notre religion : Venit hora , et nunc est,
quando mortui audient vocem Filii Dei. Au
reste , chrétiens , quiconque des morts entendra
cette voix favorable du sang de Jésus-Christ, il
jouira d'une vie bienheureuse : pourquoi? parce
qu'en même temps délivré des liens du péché , il
entrera en possession de l'héritage des enfans de
Dieu , où il trouvera une source de vie qui ne finira
jamais : Et qui audierint, vivent. Voilà de quoi
j'ai à vous entretenir, après que nous aurons im-
ploré le secours du Saint-Esprit, par l'intercession
de Marie. Ave , Maria.
Trois choses , selon saint Bernard , font la per-
fection d'un devoir chrétien, et doivent nécessaire-
ment y concourir ; une foi pure pour leconnoître ,
une dévotion tendre pour l'aimer , et des œuvres
solides pour l'accomplir; et trois choses, selon le
même Père , y sont essentiellement opposées : l'a-
veuglement de l'esprit, l'indifférence du cœur, et
l'inutilité des œuvres : l'aveuglement de l'esprit, qui
fait qu'on ignore ce devoir; l'indifférence du cœur,
qui fait qu'on y est insensible ; et l'inutilité des œu-
vres, qui fait qu'on s'en acquitte mal : or, c'est sur
ce principe , mes chers auditeurs , que je fonde ce
'4o8 POUR LA COMMÉMORATION
discours, où j'entreprends de vous engager à se-
courir les âmes de vos frères , que la mort a séparés
de vous , et à leur donner des marques de votre
charité , dans l'état malheureux où je vais vous les
représenter; car voici tout mon dessein. Je trouve
dans le christianisme trois sortes de personnes qui,
par différentes raisons, ne contribuent en rien au
soulagement des âmes du purgatoire : les premiers
sont ceux qui ne croient pas leurs peines ; les se-
conds , ceux qui les croient, mais qui n'en sont
pas touchés; et les derniers, ceux même qui en
sont touchés, mais qui n'emploient pas les moyens
efficaces pour les soulager : dans le premier rang ,
je comprends les libertins et les hérétiques, qui,
par un esprit d'incrédulité rejettent la foi du pur-
gatoire; dans le second, certains catholiques in-
diflérens et sans compassion , qui , confessant la foi
du purgatoire, ne se sentent émus d'aucun zèle
pour la délivrance des âmes que la justice de Dieu
y a condamnées ; et dans le troisième , un nombre
de chrétiens presqu'infini, qui, se flattant d'avoir
là-dessus tout le zèle nécessaire, n'en ont que les
apparences, parce qu'ils ne l'exercent que par des
oeuvres stériles et vaines , qui ne sont devant Dieu
de nul effet. Or pour vous inspirer, autant qu'il
m'est possible, la dévotion qui occupe aujourd'hui
toute l'Eglise , et dont les âmes du purgatoire font
l'unique objet, j'établirai contre les premiers la vé-
rité de cette dévotion , j'exciterai les seconds à
cette dévotion , et je réglerai les derniers dans l'exer-
cice et l'usage de cette dévotion. Permettez-moi de
DES MORTS. ^09
vous développer encore ma pensée : ne pas secou-
rir les âmes du purgatoire , parce qu'on n'est pas
persuadé des peines qu'elles souffrent, c'est une
conduite aussi déraisonnable qu'elle est pleine d'er-
reur : voilà la première partie ; être persuadé des
peines que souffrent les âmes du purgatoire, et ne
pas s'intéresser à les secourir, c'est une dureté aussi
criminelle qu'elle est contraire à la piété et aux
lois même de l'humilité : voilà la seconde partie ;
être disposé à les secourir et ne se servir pour cela
que de moyens inefficaces, c'est un désordre aussi
commun qu'il est déplorable dans le christianisme :
voilà 'la troisième partie. La première tient lieu
d'une controverse , mais d'une controverse aisée ,
qui ne fera que vous affermir dans les sentimens
orthodoxes touchant la charité qui est due aux
morts; la seconde sera une exhortation pressante
pour vous porter à accomplir fidèlement le devoir
de cette charité ; et la dernière , une instruction pra-
tique , pour vous apprendre en quoi doit con-
sister cette charité : c'est tout le sujet de votre at-
tention.
PREMIÈRE PARTIE.
C'est un des caractères de l'erreur, d'agir in-
considérément ; et saint Jérôme remarque fort bien
qu'il suffit, pour se préserver de l'hérésie , et pour
ne pas suivre le torrent du libertinage , d'observer
les fausses démarches, et les égaremens visibles
de l'un et de l'autre : or voilà ce qui paroît d'abord
dans le procédé de ceux qui , n'étant pas persuadés
4lO POUR LA. COMMÉMORATION
de la vérité du purgatoire, fout profession de ne
pas prier pour les morts. Car dans cette erreur,
sans même en pénétrer le fond, et à n'en juger
que par les simples lumières du bon sens, je dé-
couvre trois grands défauts de conduite; mais ne
pensez pas , mes chers auditeurs , que pour vous
en convaincre , j'entreprenne ici une controverse
réglée, ni qu'à force de preuves, je veuille établir
la foi du purgatoire , contre l'hérétique et le libertin
qui la combattent : ce que j'ai en vue est plus court
et plus édifiant pour vous : car je veux seulement
vous montrer combien l'hérétique et le libertin rai-
sonnent mal (je dis, supposé même leurs prin-
cipes), lorsqu'ils refusent de prier pour les morts .
appliquez-vous.
Voici leur premier égarement :* ils n'ont point
d'assurance , disent-ils , qu'il y ait un purgatoire
après cette vie; et n'en ayant nulle assurance, ils
ne travaillent point au soulagement des âmes qui
y sont condamnées. Je soutiens que cette conduite
est au moins téméraire et imprudente : pourquoi?
parce que d'une erreur de spéculation, ils tombent
par là dans un désordre pratique, en renonçant à
l'usage de l'Eglise, et comptant pour rien le ha-
sard où ils se mettent de manquer à un des plus
importans devoirs de la justice et de la charité chré-
tienne. Comprenez ceci, s'il vous plaît : car enfin,
et les hérétiques , et ceux qui par libertinage de
créance entrent sur ce point dans leurs sentimens ,
sont forcés malgré eux de reconnoître , que comme
ils n'ont point l'assurance qu'il y ait un purgatoire,
DES MORTS. 4il
aussi n'ont-ils nulle assurance qu'il n'y en ait pas :
ils prétendent que l'Ecriture ne leur a point révélé
l'un ; mais ils conviennent en même temps qu'elle
ne leur a point non plus révélé l'autre : cela étant ,
le témoignage que nous leur rendons de cette vé-
rité catholique; les preuves non-seulement solides ,
mais plausibles , sur lesquelles nous la fondons; la
possession immémoriale où nous sommes de la
croire , doivent au moins les tenir dans le doute ;
et comme de leur propre aveu , ils n'ont point d'é-
vidence du contraire , ils ne peuvent tout au plus
se retrancher que sur l'incertitude. Or dites-moi ,
si dans l'incertitude prétendue de cette vérité, ils
sont excusables d'abandonner la pratique et l'usage
de toute l'Eglise , en cessant de prier pour les morts ?
étant incertains si les âmes de leurs frères sont dans
un état de souffrance ou non, qu'y a-t-il de plus
juste que de prier pour eux ? le seul doute ne de-
vroit-il pas les déterminer, et en faudroit-il davan-
tage pour les rendre inexcusables, quand ils né-
gligent de satisfaire à ce devoir ? Il me semble
que je ne dis rien que la droite raison ne fasse
d'abord sentir.
Mais voyez combien cette raison a de force , sur-
tout dans le sujet que je traite : je demande aux
partisans de l'hérésie, me servant contre eux de
leurs propres dispositions : Si vous étiez certains
comme nous le sommes , qu'il y a un purgatoire ,
ne vous croiriez-vous pas obligés aussi bien que
nous , à prier pour vos frères dont vous pleurez la
mort; et dans l'intention de les soulager , vous con-
4ï2 POUR LA COMMÉMORATION
formant à notre exemple , ne feriez- vous pas pour
eux tout ce que nous faisons nous-mêmes? ils en
conviennent avec moi : sur cela j'ajoute , et je leur
dis : Vous ne seriez pas néanmoins sûrs alors que
les âmes de vos frères fussent du nombre de celles
pour qui l'on peut prier utilement : car elles pour-
roient être, ou déjà bienheureuses, sans avoir be-
soin de ce secours , ou éternellement réprouvées et
incapables d'en profiter : cesseriez-vous pour cela
de solliciter Dieu en leur faveur? non; mais dans
le doute où vous seriez de leur sort , vous pren-
driez le parti le plus favorable : ainsi, pourquoi
nous qui croyons le purgatoire, et qui nous en
faisons un point de foi, prions-nous pour ces âmes
fidèles, parce qu'il se peut faire, disons-nous, que
ces âmes, quoique fidèles, n'ayant pas achevé de
payer à Dieu ce qu'elles doivent à sa justice, souf-
frent au milieu des flammes qui les purifient : nous
ne savons pas précisément si cela est ; mais il nous
suffit de ne savoir pas non plus précisément si cela
n'est point, et de savoir que cela peut être : bien
loin que cette incertitude refroidisse notre charité
pour les morts, c'est au contraire ce qui l'excite;
et comme dit excellemment saint Augustin , nous
aimons bien mieux nous exposer à faire pour ces
saintes âmes des prières superflues, que de nous
mettre en danger de manquer à celles qui leur sont
nécessaires. Remarquez ces paroles qui sont déci-
sives , et qui semblent faites pour mon sujet: Me-
lilis enim isla vivent ium siiffragia iis supere-
runt animabus , quibus nec prosunt nec obsunt ,
DES MORTS. 4*3
quam deerunt Us qui bus prosunt. Voilà comme
nous raisonnons , et nos adversaires sont obligés de
confesser que selon nos maximes nous raisonnons
bien : or je me sers contre eux de cette règle, et
je reprends de la sorte : Vous ne savez pas s'il y
a un purgatoire; priez donc toujours pour vos
frères, afin que s'il y en a un , ils n'y soient pas
abandonnés à la rigueur des jugemens de Dieu :
car la vérité du purgatoire ne dépend ni de votre
opinion , nide la mienne; et quoi que vous et moi
nous en croyions , il est où il n'est pas : s'il n'étoit
pas, comme il vous plaît de le penser, ma prière
seroit inutile à ces âmes; mais s'il est, comme je
le crois , vous ne pouvez disconvenir que vous ne
soyez coupables envers ces âmes souffrantes : moi
qui m'intéresse pour elles , je ne cours aucun risque;
mais vous qui les délaissez, vous risquez et pour
elles et pour vous-mêmes. Quand vous me dites :
A quoi bon prier pour les morts, s'il n'y a point
de purgatoire? il m'est aisé de vous répondre,
que quand mes prières seroient inutiles pour les
morts, elles seront toujours méritoires pour moi ,
parce qu'elles procèdent toujours de la charité qui
en est le principe et la fin : mais quand je vous dis
que s'il y a un purgatoire , en ne priant pas pour
les morts , vous manquez à un des devoirs les plus
indispensables de la charité , vous n'avez rien qui
vous défende ni qui vous mette à couvert de re-
proche.
En effet, chrétiens, que diriez-vous ( la compa-
raison est sensible , mais elle en est d'autant pins
4 l4 PO Ull LA COMMÉMORATION
propre pour donner jour à ma pensée) , que diriez-
vous d'une mère affligée et désolée qui, ne sachant,
après une sanglante bataille , quel a été le sort de
son fils, ni ce qu'il est devenu, se contenteroit de le
pleurer , sans lui donner nulle autre marque de
son zèle ? elle est en doute s'il n'a point été pris
dans le combat, et s'il n'est point réduit actuelle-
ment dans une dure captivité; mais on lui fait en-
tendre qu'en ce cas-là même, elle a une ressource
aisée, parce que la liberté de son fils ne dépendra
que de ses soins et des poursuites qu'elle fera pour
le racheter : que diriez-vous , encore une fois , si
cette mère, au lieu de prendre pour cela les mesures
convenables, s'arrêtoit à contester et à répondre
qu'il n'y a nulle apparence que son fils soit tombé
dans cette disgrâce ; si toute son application étoit
à chercher des raisons, pour se persuader que cela
n'est pas, et qu'elle protestât qu'à moins d'une évi-
dence entière de la chose , elle ne veut pas faire la
moindre démarche pour lui? ne la traiteroit-on pas
d'insensée ou de dénaturée? Or voilà justement le
procédé des hérétiques que je combats ; on leur
dit que des âmes qui leur soûl: chères, et dont ils
avouent qu'ils doivent avoir à cœur les intérêts ,
sont peut-être dans un lieu de souliYance , que nous
appelons purgatoire; et que si elles y sont, ils
peuvent par des moyens faciles les en tirer : que
font-ils? ils s'opiniâtrent à soutenir qu'elles n'y sont
pas : ils argumentent , ils disputent contre la vérité
de ce purgatoire ; ils prennent à partie ceux qui le
croient, et ils se fatiguent à inventer des preuves
DES MORTS. 4l5
pour montrer que c'est une chimère. Mais si indé-
pendamment de leurs preuves , ce purgatoire est
quelque chose de réel , et si ces âmes dont ils con-
noissent que les intérêts ne doivent pas leur être
indifférées , y souffrent des peines extrêmes, c'est
à quoi ils ne veulent pas penser; qu'elles y souf-
frent et qu'elles y gémissent dans l'attente de leur
bonheur , ils vivent tranquilles ; et pourvu qu'ils
n'en croient rien, ils se tiennent quittes envers elles
de tous les devoirs de la piété : raisonner et agir
ainsi , est-ce une conduite prudente et sage ?
Mais en voici une autre qui ne l'est pas plus, et
qui ne vous surprendra pas moins. En quoi consiste
l'erreur pratique des partisans de l'hérésie sur le
sujet dont il est question ? a ne pas prier pour les
morts, parce qu'ils ne croient pas la vérité du pur-
gatoire , et c'est ce que j'appelle leur second éga-
rement. Car ils devroient renverser la proposition ,
et croire la vérité du purgatoire , parce qn il est
évident et incontestable qu'il faut prier pour les
morts. Comment ceci doit-il s'entendre? Je m'ex-
plique : c'est qu'à comparer ces deux articles, dont
l'un n'est, ce semble, que la suite de l'autre, il
faut néanmoins tomber d'accord que celui qui éta-
blit la prière pour les morts, nous est bien plus ex-
pressément et plus distinctement marqué dans toutes
les règles de la foi , que celui qui regarde le pur-
gatoire. Pour le purgatoire, peut-être ponrroit-il y
avoir de l'obscurité ; mais tous les oracles de la
religion nous parlent clairement et hautement de
la prière pour les morts ; car l'Ecriture nous la re-
4i6 POUR LA COMMÉMORATION
commande en termes formels , toute la tradition
nous l'enseigne , les plus anciens conciles l'ont au-
torisée , c'a toujours été la pratique de l'Eglise , et
les Juifs eux-mêmes l'ont observée et l'observent
encore aujourd'hui dans leurs synagogues. Or , se-
lon saint Thomas, ce consentement du christianisme
et du judaïsme est une espèce de démonstration.
Judas , l'un des princes Machabées , ordonna des
sacrifices pour ceux qui , défendant la loi du Sei-
gneur , avoient été tués dans le combat , et l'on ne
doutoit point alors que la pensée de prier pour les
morts ne fût salutaire et inspirée de Dieu iSancta
ergo et salubris est cogitatio (i). Or l'histoire,
qui rapporte ce fait , est tenue parmi nous pour
canonique , disoit le grand Augustin : Machabeceo-
rwn libros pro canonicis habemus ; et quand
nous n'aurions pas, ajoutoit-il, ce témoignage des
livres sacrés, il nous suiîiroit d'avoir celui de l'E-
glise universelle , qui est encore plus authentique ,
puisque nous voyons qu'à l'autel et dans les saints
mystères on n'a jamais oublié de prier pour les
morts : Sed et si nusquàm in scriptnris veteri-
bus legeretur, in hoc unwersœ Ecclesiœ claret
auctorilas, ubi in precibus quœ ad aitarefun-
cïuntur, locum habet commendatio mortuorum.
Sur quoi vous remarquerez que saint Augustin ne
parloit point en simple docteur, mais en historien
de l'Eglise, dont il rapportait l'usage. Nous faisons,
avoit ditTertullien deux siècles avant ce Père, nous
faisons des oll'randes pour les morts ; et si vous
(1) t, Mac. 12.
DES MORTS. 417
iious en demandez la raison, nous nous contentons
de vous alléguer la tradition et la coutume : Obla-
liones pro defunctis facimus ; h ara m si ra-
tionem expostules , traditio tibi prœtenditur
auctrix^confirmatrix consuetudo , fides serva-
trix ; paroles qui font voir que dès la naissance
du christianisme, la prière pour les morts étoit re-
gardée comme une tradition divine et un dépôt de
la foi : fides servatrijc. Que peut-on dire de plus
fort? S'il étoit donc vrai que les hérétiques fus enfc
aussi éclairés qu'ils se flattent de l'être , voici < ora-
ment ils raison neroient : Il faut prier pour les morts,
toutes les lumières de la religion le démontrent ;
donc je dois être* convaincu qu'il y a un purga-
toire : car qu'est-ce que le purgatoire , sinon un
état de souffrances et de peines , où les morts sont
soulagés par les prières des vivans ? Je ne puis ad-
mettre l'un sans convenir de l'autre ; et puisque la
foi me révèle évidemment l'un , il est juste que je
me soumette à l'autre, quoiqu'il me paroisse obscur
et que je croie le purgatoire , parce que je ne puis
me défendre de reconnoître qu'il faut prier pour les
morts. Voilà , dis-je , la conséquence qu'ils tire—
roient , et cette conséquence seroit légitime. Mais
que font-ils? tout le contraire ; car ils renversent
l'ordre, et ils disent : La révélation du purgatoire
m'est obscure , donc je ne m'y soumettrai pas ; et
parce que ne croyant pas le purgatoire , je détruis
le fondement de la prière pour les morts , quelque
sainte qu'elle puisse être, je renoncerai à la prière
pour les morts ; et parce que l'usage de cette prière
TOME XI. 27
4ï8 POUR LA COMMÉMORATION
est ce qu'il y a de plus ancien dans la tradition ,
je compterai pour rien la tradition; et parce que le
livre desMachabées parle ouvert ement à l'avantage
de cette prière, je rejetterai le livre des Machabées;
et parce que cette prière est autorisée par tous les
Pères et par tous les conciles , je n'en croirai ni les
Pères ni les conciles ; et parce que dès les premiers
siècles cette prière étoit solennellement établie dans
l'Eglise de Dieu, je dirai que dès les premiers siè-
cles l'Eglise de Dieu est tombée dans la corruption;
et parce que saint Augustin s'est fait un devoir, et
un devoir de religion de prier pour l'ame de sa
mère, je répondrai que saint Augustin a donné sur
ce point dans les rêveries et lesifuisions populaires.
Car voilà , mes chers auditeurs, jusqu'où va l'opi-
niâtreté des hérétiques ; je ne leur attribue que ce
qu'ils soutiennent eux-mêmes, et que ce qu'ils ont
cent feus écrit : or qu'y a-t-il de moins soutenable
et de plus opposé à la raison ?
Enfin , leur troisième et dernier égarement , est
que des choses qui ne sont ni certaines ni révélées
touchant le purgatoire , ils se font des préjugés
contre la foi du purgatoire ; au lieu qu'ils devroient
se servir de la foi du purgatoire , qui est solide et
raisonnable , pour combattre en eux-mêmes ces
préventions, qui ne sont que l'eliét deleurfoiblesse :
car qu'est-ce qui les choque sur le sujet du purga-
toire ? les images ou les peintures affreuses sous
lesquelles , selon eux , nous le concevons ; diverses
circonstances non révélées , à quoi ils prétendent
que nous nous attachons : voilà ce qui les révolte.
DES MORTS. 419
Et moi , si je me tronvois à leur place , je me dé-
livrerons sans peine de ces préventions, en opposant
à tout cela la substance de la foi du purgatoire ?
qui est la chose du monde la plus simple , mais la
plus sensée ; car je me dirois à moi-même : L'état
de ces âmes qui ont besoin , après cette vie , d'être
purifiées, ne m'est pas connu, c'est-à-dire , je ne
sais où elles souffrent, ni ce qu'elles souffrent, ni
comment elles souffrent ; ce sont autant de secrets
que Dieu a voulu me tenir cachés, et qu'il ne sert
à rien de vouloir approfondir; mais c'est assez pour
moi de savoir qu'elles souffrent, par la justice de
Dieu , de véritables peines , et qu'il est de l'ordre
de la Providence qu'elles souffrent : car seroit-il
juste que des âmes criminelles , et souillées de pé-
chés , quoique véniels , sortant de leurs corps ,
fussent aussitôt glorifiées que celles qui sont pures
et sans tache ? sevoit-il juste que des péchés qui
n'ont jamais été expiés par la pénitence , ou qui ne
l'ont pas été suffisamment, entrassent clans le séjour
de la béatitude , où il n'y a que la sainteté qui soit
admise ? seroit-il juste qu'un chrétien lâche , qui
n'a fait à Dieu nulle réparation de ses lâchetés, re-
çût le prix et la couronne aussi promptement et
aussi aisément que celui dont la vie , d'ailleurs in-
nocente , a été toute fervente ? cela répugneroit à
tous les droits de la justice de Dieu. Il faut donc
qu'après cette vie il y ait un état où , comme parle
saint Augustin, Dieu rappelle les choses à l'oidre,
où il achève de punir véritablement ce qui est pu-
nissable , où ces âmes qu'il a prédestinées comme
42© "POUR LA COMMÉMORATION
ses épouses , soient mises à leur dernière épreuve ,
où leurs taches soient effacées , où , passant par le
feu, selon l'expression de saint Paul, elles acquiè-
rent ce degré de pureté , mais de pureté consom-
mée , qui leur est nécessaire pour voir Dieu : or ,
cet état n'est rien autre chose que le purgatoire ;
tout le reste m'est incertain , et par conséquent ne
doit point être pour moi un sujet de trouble , puis-
que peut-être je me troublerois de ce qui n'est pas.
Quoi qu'il en soit, je ne puis concevoir le purga-
toire comme l'Eglise me le propose, que je ne sente
ma raison s'accorder avec moi. Voilà comment j'é-
vite l'écueil de la prévention ; mais l'hérétique , au
lieu d'y procéder de la sorte , donne dans cet écueil ;
et des circonstances douteuses du purgatoire , qui
ne reviennent pas à son sens , il se préoccupe in-
justement contre le purgatoire même.
Ah ! chrétiens, bénissons Dieu de ce qu'il nous
a donné une foi , non-seulement plus sainte et plus
soumise, mais plus édifiante pour nous et plus con-
solante ; remercions-le de nous avoir appelés à une
religion où le zèle et la charité s'étendent au-delà
des bornes de notre mortalité; estimons-nous heu-
reux d'être les enfans d'une Eglise qui, après nous
avoir fermé les yeux , prend encore soin de nous
assister. Celle des hérétiques les abandonne à la
mort, et dès qu'elle cesse de les voir, rlle cesse de
penser à eux : comme il n'y a point pour eux de
purgatoire , et qu'étant d;ms la voie du schisme, ils
sont hors de la voie du salut, c'est une conséquence
de leur erreur , qu'elle les traite ainsi. Mais l'Eglise
DES MORTS. 421
de Jésus-Christ ayant pour nous d'autres espérances
et d'autres vues, tient aussi une conduite toute dif-
férente ; elle ne cesse point de s'intéresser en notre
faveur , qu'elle ne nous ait porté dans le sein de
notre béatitude ; jusque-là elle est en peine de notre
état : preuve évidente qu'elle est notre véritable
mère. Or quelle consolation de savoir que , quand
nous serons dans cet affreux passage du jugement
de Dieu à l'éternité bienheureuse , toute l'Eglise
sera pour nous en prière , comme elle y étoit pour
saint Pierre , selon le rapport de l'Ecriture , tandis
que saint Pierre fut dans la prison! quel avantage,
de pouvoir se promettre que tout ce qu'il y a de
fidèles au monde , s'emploiera pour notre déli-
vrance ; que, sans qu'ils y pensent eux-mêmes ,
nous aurons part à leurs bonnes œuvres et à leurs
sacrifices ; que , comme nous rendons aujourd'hui
à nos amis et à nos proches , ce tribut que notre
religion prescrit , on nous rendra un jour le même
office ; que notre mémoire ne périra pas comme
celle de l'impie , mais qu'elle sera , selon la parole
du Saint-Esprit même, dans une éternelle bénédic-
tion, puisque , jusqu'à la fin des siècles , on se sou-
viendra de nous dans les mystères divins. Voilà ,
mon Dieu , ce que j'espère et ce que j'attends , et
voilà ce qui me soutient et ce qui me fortifie ; sans
cette espérance , je tomberois dans l'abattement ,
et vos jugemens, déjà pour moi trop redoutables,
achèveroient sans ressource de me consterner ;
quelque témoignage que je pusse me rendre de
m'être justifié auprès de vous , et d'avoir recouvré
^22 POUR LA COMMÉMORATION
par vos sacremens la grâce que j'avois perdue , les
dettes de mes péchés , multipliées à l'infini , me
rempliroient de terreur : car je sais , ô mon Dieu !
que rien de souillé ne sera reçu dans votre royaume ;
e sais qu'on ne sortira point des mains de votre
ustice , qu'on n'ait payé jusqu'à la dernière obole ;
e sais que par cette règle, la plus exacte sainteté
ne doit point faire de fonds sur elle-même , et c'est
ce qui me jetteroit dans un secret désespoir. Mais
quand je fais réflexion , Seigneur , aux miséricordes
que la foi me découvre en vous ; quand je viens à
considérer que si je suis assez heureux pour mourir
dans votre grâce , quelque redevable que je sois à
votre justice , j'aurai de quoi m'acquitter; que toute
votre Eglise, par ses prières, viendra à mon secours;
que le trésor des satisfactions de votre Fils me sera
ouvert; que les mérites de sa passion et de sa mort
me suivront, même après le trépas, et que je pour-
rai encore alors puiser avec joie dans les précieuses
sources de mon Sauveur : ah! Seigneur , si je ne
cesse pas absolument de craindre , au moins je
commence à espérer ; cette espérance me console,
elle me rassure , elle me ranime ; ne la séparant
point d'une sincère et véritable pénitence, j'y trouve
un ferme et solide appui ; et voilà pourquoi , à
l'exemple de votre serviteur Job , je conserve chè-
rement cette espérance dans mon cœur : Pieposita
est Jiœc spes mea in siriu meo(i). Poursuivons ,
chrétiens ; et après avoir établi la dévotion pour le
soulagement des âmes du purgatoire , contre ceux
(i) Job. 19.
DES MORTS. 423
qui ne croient pas leurs peines , inspirons-la , s'il
est possible , à ceux qui les croient , mais qui n'en
sont point touchés : c'est le sujet de la seconde
partie.
DEUXIÈME PARTIE.
Croire qu'il y a un purgatoire , et n'être point
touché des peines que souffrent les âmes qui y sont
condamnées, c'est une espèce d'insensibilité d'autant
plus étonnante , qu'elle est opposée , non-seulement
à la piété et à la charité, mais à tous les principes
de l'humanité. Or c'est néanmoins le second dé-
sordre que j'ai entrepris de combattre; et je ne puis
mieux vous en donner l'idée qu'en vous disant qu'il
attaque et qu'il blesse également trois différens in-
térêts auxquels nous ne pouvons sans crime être
insensibles : l'intérêt de Dieu, l'intérêt de nos frè-
res, notre intérêt propre. Car eu user ainsi, c'est
n'avoir nul zèle pour Dieu qui , trouvant sa gloire
dans la délivrance de ces âmes justes , veut se la
procurer par nous , et a droit de s'en prendre à nous
quand il en est frustré ; c'est avoir un cœur de
bronze pour ces mêmes âmes , qui , nous regardant
comme leurs libérateurs, et qui, sachant que Dieu
a mis leur grâce entre nos mains, et que l'accom-
plissement de leur félicité dépend en quelque ma-
nière de nous, attendent avec de saints empresse-
mens que nous leur rendions cet important office;
mais surtout , c'est renoncer à nos propres avan-
tages , et perdre des biens infinis qui nous revien-
droient de là; biens qui nous coûteroient peu , dont
^24 TOUR LA COMMÉMORATION
nous serio us sûrs , et que nous produiroit sans peine
cet exercice de charité envers les morts. Seroit-il
possible que notre dureté allât jusque-là, et qu'é-
tant excités par ces trois motifs , nous ne fissions
sur nous aucun effort pour remédier à ce désordre ?
Il s'agit de procurer à Dieu un accroissement de
gloire, et peut-être un des plus grands qu'il soit
capable de recevoir. En faut-il davantage pour nous
faire embrasser avec ardeur la dévotion dont je vous
parle? Ali! chrétiens, permettez-moi de faire ici
avec vous une réflexion dont je confesse que je me
suis senti pénétré : j'ai droit d'espérer que vous ne
le serez pas moins. Nous avons quelquefois du zèle
pour Dieu; mais notre ignorance aussi grossière
qu'inexcusable dans les choses de Dieu , fait que
nous n'appliquons pas ce zèle aux véritables sujets
où l'intérêt de Dieu est engagé. Par exemple, nous
admirons ces hommes apostoliques qui , poussés de
l'esprit de Dieu, passent les mers, et vont dans des
pays barbares , pour y gagner à Dieu des infidèles :
aussi est-ce quelque chose d'héroïque dans notre
religion. Mais savons-nous bien ce qu'enseigne
Pierre de Blois , fondé sur la plus solide théologie ,
que la dévotion pour le soulagement des aines du
purgatoire et pour leur délivrance , est une espèce
de zèle qui , par rapport à son objet , ne le cède pas
à celui delà conversion des païens, et le surpasse
même en quelque sorte : pourquoi ? parce que les
âmes du purgatoire étant des âmes saintes et pré-
destinées, des âmes confirmées en grâce, elles sont
incomparablement plus nobles devant Dieu que
DES MORTS. 4^
celles des païens, elles sont plus aimées et plus
chéries de Dieu que celles des païens , elles sont
actuellement dans un état bien plus propre à glo-
rifier Dieu que celles des païens. Savons-nous bien
que c'est Jésus-Christ lui-même qui a voulu nous
servir de modèle, et qui nous a donné dans sa
personne l'idée de cette dévotion , ou de ce zèle
pour les âmes du purgatoire : et cela, ajoute Pierre
de Blois, lorsqu'il descendit aux enfers, c'est-à-
dire , dans cette prison , où , selon l'Ecriture , les
âmes des anciens patriarches étoient retenues , et
qu'il y descendit pour les y consoler par sa pré-
sence , et pour les en tirer par sa puissance ? D'où
vient que saint Pierre , dans sa première épître
canonique, ne nous parle de cette descente aux en-
fers , que comme d'une mission divine qu'y fit le
Sauveur du monde : In quo et his qui in carcere
erant spiritibus veniens prœdicavit ( i ). Savons-
nous , dis-je , qu'il ne tient qu'à nous d irriter ainsi
Jésus-Christ; et que, sans descendre comme lui
dans ces prisons souterraines , où sa charité et son
zèle le firent entrer, nous pouvons , à son exemple,
délivrer des âmes aussi parfaites et aussi saintes ;
et qu'en le faisant comme lui , et le faisant en vue
de la gloire qui doit en revenir à Dieu , de quelque
condition que nous soyons, nous participons à cet
esprit apostolique dont il a été la source, et que je
voudrois aujourd'hui vous inspirer ? Si mus ne le
savons pas , malheur à nous d'avoir négligé une si
salutaire instruction ; et si le sachant , nous ne pen»
(i) i. Petr. 5,
4.26 POUR LA COMMÉMORATION
sons pas à prier pour ces saintes âmes , autre mal-
heur pour nous encore plus grand , d'être si peu
sensibles aux intérêts de Dieu.
J'ajoute à ceci une pensée de l'abbé Rupert, en-
core plus touchante. On vous a dit cent fois que les
âmes qui souffrent dans le purgatoire y sont dans
un état de violence , parce qu'elles y sont privées
de la vue de Dieu : la chose est évidente; mais
peut-être n'avez-vous jamais compris que le pur-
gatoire fut un état de violence pour Dieu même,
et c'est ce que je vous déclare de sa part. Que la
privation ou la séparation de Dieu soit un état vio-
lent pour une ame juste, je ne m'en étonne pas ;
mais que, par un effet réciproque, ce soit un état
violent pour Dieu, c'est ce qui doit nous surprendre,
et ce que l'intérêt de Dieu ne nous permet pas de
regarder avec indifférence. Or, en quoi consiste
cet état de violence par rapport à Dieu ? le voici :
c'est que dans le purgatoire , Dieu voit des âmes
qu'il aime d'un amour sincère, d'un amour tendre
et paternel, et auxquelles néanmoins il ne peut
faire aucun bien; des âmes remplies de mérite, de
sainteté , de vertu , et qu'il ne peut toutefois encore
récompenser; des âmes qui sont ses élues et ses
épouses, et qu'il est forcé de frapper et de punir.
Est-il rien de plus opposé aux inclinations d'un
Dieu si miséricordieux et si charitable? Mais c'est
à nous , dit l'abbé Hupert, de faire cesser cette vio-
lence : et comment? en délivrant ces âmes de leur
prison , et leur ouvrant par nos prières le ciel qui
leur est fermé. Car c'est là qu'elles se réuniront à
DES MORTS. 4^7
Dieu , et où Dieu , pour jamais , s'unira à elles; là
qu'il répandra sur elles tous les trésors de sa magni-
ficence; là que son amour pour elles agira dans
toute son étendue. Tandis qu'elles sont dans le pur-
gatoire , cet amour de Dieu est comme un torrent
de délices prêt à les inonder, mais arrêté par l'obs-
tacle d'un péché dont la dette n'est pas encore ac-
quittée. Que ferons-nous ? nous lèverons l'obstacle,
en satisfaisant pour elles. Prenez garde , chrétiens:
Dieu s'est lié les mains, pour ainsi dire, nous les
lui délierons; il s'est mis dans une espèce d'impuis-
sance de faire du bien à des créatures qui lui sont
chères , nous lui en fournirons le moyen. Je dis
qu'il s'est mis dans une espèce d'impuissance de
leur faire du bien : car Dieu , dans l'ordre surnatu-
rel , n'a que deux sortes de biens , les biens de la
grâce et les biens de la gloire. Or du moment que
ces âmes prédestinées sont sorties de ce monde, il
n'y a plus de grâce pour elles , parce qu'elles ne
sont plus en état de mériter; et il ne peut pas en-
core leur donner la gloire , parce qu'elles ne sont
pas suffisamment épurées pour la posséder. Il est
donc réduit à la nécessité de les aimer, parce
qu'elles sont justes, et cependant de ne leur faire
nul bien , parce qu'elles ne sont pas encore capables
de jouir du souverain bien , et qu'étant séparées de
lui, elles sont incapables de tout autre bien. Je dis
plus : toutes prédestinées qu'elles sont, il est comme
obligé de les traiter avec plus de rigueur , qu'il ne
traiie les pécheurs de la terre , ses plus déclarés
ennemis : pourquoi ? parce qu'il n'y a point de pé-
428 POUR LA COMMÉMORATION
clieur sur la terre à qui , dans ses désordres même,
Dieu ne fasse encore des grâces pour mériter et
pour satisfaire; au lieu que dans le purgatoire,
quelque sainte que soit une arae, elle est exclue de
ces sortes de grâces, et voilà par où son état est
violent pour Dieu.
Mais Dieu cependant, chrétiens, y a pourvu
d'ailleurs ; et par où? par le pouvoir qu'il nous a
donné d'intercéder pour ces âmes. Comme s'il nous
avoit dit: C'est par vous que ces âmes affligées re-
cevront du soulagement dans leurs souffrances;
c'est par vous que, malgré les lois de ma justice
rigoureuse , elles éprouveront les effets de ma
miséricorde; c'est vous qui serez les négociateurs
et les solliciteurs de leur liberté, et votre charité à
les secourir sera un motif de la mienne : ainsi Dieu
semble-t-il nous avoir parlé. Quand donc , en effet,
usant de ce pouvoir , nous délivrons par nos prières
une de ces âmes , non-seulement nous procurons
à Dieu une gloire très-pure, mais nous lui donnons
une joie très-sensible; non-seulement nous faisons
triompher sa bonté, mais nous nous conformons
aux dispositions secrètes de sa justice, et la raison
en est bien claire; parce que la justice que Dieu
exerce envers les âmes du purgatoire , n'est qu'une
justice , pour ainsi dire forcée , une justice aisée à
fléchir, et qui ne demande qu'un intercesseur pour
l'apaiser. Quand Dieu vouloit autrefois punir les
Israélites, il défendoit à Moïse de s'y opposer.
Dimitie me , ut irascatur furor meus contra
DES MORTS. 429
eos (1) : Laissez-moi faire, Moïse , lui disoit-il , et
ne m'empêchez pas d'exterminer ces rebelles; livrez-
les-moi, afin que ma colère s'allume contre eux.
Mais Dieu en use ici tout autrement: car quoique
ces âmes souffrantes soient actuellement les victimes
de sa justice, il souhaite que nous agissions pour
elles ; et tandis qu'il leur fait sentir le poids de ses
jugemens, c'est alors qu'il se plaît davantage à être
prié en leur faveur. Au lieu de nous dire comme à
Moïse : Dimitte me , ut irascatur furor meus ;
il nous dit au contraire: Opposez-vous, chrétiens,
à ma vengeance, et n'abandonnez pas à ma colère
ces âmes que j'aime et que vous devez aimer; ne
souffrez pas que ma justice exige d'elles , sans ré-
mission, tout ce qui lui est dû : tout inexorable
qu'elle est , vous l'adoucirez , vos prières la désar-
meront , elle cédera à vos bonnes œuvres. Serions-
nous assez durs pour résister aune telle invitation?
Je ne vous dis rien, mes chers auditeurs, de l'in-
térêt des âmes mêmes pour qui je tâche aujourd'hui
d'émouvoir votre piété; les peines qu'elles endurent
parlent assez hautement pour elles. Vous me de-
mandez ce que souffre une ame dans le purgatoire,
et moi je réponds qu'il seroit bien plus court de
demander ce qu'elle n'y souffre pas. Elle y souffre,
dit le concile de Florence , le plus insupportable de
tous les maux, qui est la privation de Dieu ; et cela
seul lui feroit du purgatoire un enfer , si l'espérance
ne la soutenoit. Elle y souffre, dit saint Augustin ,
les impressions miraculeuses , mais véritables, d'un
(1) Exod. 3a.
43o POUR LA COMMEMORATION
feu qui lui tient lieu d'un second supplice : Toi'"
quetur miris , sed veris , modis ; d'un feu d'au-
tant plus vif dans son action , qu'il sert d'instrument
à un Dieu vengeur, et vengeur du péché ; d'un feu ,
ajoute ce saint docteur, en comparaison duquel ce
feu que nous voyons sur la terre , n'est rien ; d'un
feu dont l'ame pénétrée , de quelque manière qu'elle
le soit, souffre plus elle seule que tous les martyrs
n'ont jamais souffert, ressent des douleurs plus ai-
guës que celles de toutes les maladies compliquées
dans un même corps : c'est de quoi les théologiens
conviennent. Or, il n'y a point de barbare qui ne
fût touché de ce que je dis, s'il le comprenoit, et
s'il en étoit persuadé comme nous. En effet , que
seroit-ce si Dieu , au moment que je vous parle ,
faisoit paroître devant vous ces âmes affligées , et
que vous fussiez témoins de leurs tourmens ? que
seroit-ce si vous entendiez leurs gémissemens et
leurs plaintes , et si du fond de leurs cachots, elles
poussoient jusqu'à vous ce cri lamentable : Mise-
remini meî ( i)? Vous, mon cher auditeur, si tendre
à la compassion , vous qui , sans frémir , ne pour-
riez voir un criminel à la torture , verriez-vous sans
pitié tant d'ames justes dans le triste état où elles
sont réduites? Vous êtes en peine de savoir qui sont
ces âmes; mais pouvez-vous l'ignorer ? Approchez-
vous , dirois-je , reconnoissez-les : voilà l'ame de
votre père , de ce père dont vous possédez les
biens , de ce père qui s'est épuisé pour vous , de ce
père à qui vous devez tout ce que vous êtes ; il
(i) Job. 1Q.
DÉS MORTS. 43t
souffre, peut-être, de vous avoir trop élevé, et il
attend de voire reconnoissance que vous preniez
au moins maintenant ses intérêts auprès de Dieu.
Passez plus avant : voilà cet ami dont Ja mémoire
vous devroit être si précieuse , et à qui peut-être
vous ne pensez plus ; il est présentement en état
d'éprouver si votre amitié étoit sincère ; il languit,
et il ne peut être soulagé que par vous ; priez , et
Dieu mettra fin à ses peines : dans un besoin si
pressant lui refuseriez-vous un secours qui lui est
nécessaire, et qui vous doit coûter si peu ?
Mais peut-être êtes-vous de ces hommes qui
n'aiment qu'eux-mêmes , et qui n'ont d'égard qu'à
leur intérêt propre. Hé bien , mon cher auditeur ,
si vous êtes de ce caractère , quoique cet esprit
d'intérêt soit bien éloigné de la pure et parfaite cha-
rité , cherchez votre intérêt, j'y consens , pourvu
que vous le cherchiez par les voies droites , et par
les moyens légitimes que vous présente la religion.
Or je vous demande quel intérêt plus grand pour
vous que de contribuer à la délivrance d'une ame
du purgatoire? quel avantage que de pouvoir dire :
Il y a une ame dans le ciel qui m'est en partie re-
devable de son bonheur , une ame que j'ai mise en
possession de sa béatitude , une ame spécialement
engagée à prier pour moi : ne peut-on pas compter
cet avantage parmi les grâces du salut, et peut-être
parmi les marques de la prédestination future ?
Ah ! chrétiens , si Dieu , par une révélation expresse
me faisoit aujourd'hui connoître dans le séjour bien-
heureux une ame que j'eusse tirée du purgatoire ,
432 POUR LA COMMÉMORATION
et qu'il me la marquât en particulier , avec queîîe
foi ne l'iuvoquerois- je pas ? avec quelle confiance
n'aurois-je pas recours à elle ? avec quelle ferveur
ne Lui recommanderois-je pas mon salut éternel ?
Or , il ne tient qu'à vous et à moi d'avoir cette con-
solation : car s'il y a en effet quelqu'une de ces
aines fidèles dont nous ayons avancé le bonheur,
quoique nous ne la connoissious pas, elle nous con-
noîtbien, et nous pouvons toujours faire fonds sur
elle , comme sur une aine qui nous est acquise ,
dont nous avons été en quelque sorte les libéra-
teurs , et par conséquent qui ne nous oubliera ja-
mais. Non , elle ne fera pas comme cet officier de
Pharaon , qui , dès qu'il fut sorti de sa captivité ,
ne se souvint plus de Joseph , ni des étroites obli-
gations qu'il lui avoit. Il n'est pas nécessaire que
nous disions à cette ame glorieuse ce que Joseph
dit à cet homme ingrat et méçonnoissant : Mé-
mento met , diim benè tibi fuerit , et facias
mecum misericordiam (i) ; Ame sainte, à qui,
tout pécheur que je suis, j'ai pu procurer la liberté
et la félicité dont vous jouissez, souvenez-vous de
moi dans le lieu de votre repos, et usez envers moi
de miséricorde , comme j'en ai usé envers vous ;
soyez touchée de mon état , comme je l'ai été du
vôtre , et engagez Dieu par vos prières à me tirer
de l'esclavage de mon péché , comme je l'ai engagé
par les miennes à vous tirer du lieu de vos souf-
frances. 11 ne fuit point, dis-je,que nous lui lenions
ce langage . puisqu'étant sainte et bienheureuse ;
(t) Gencs. yj,
DES MORTS. 433
elle est désormais incapable de manquer à aucun
devoir. Mais savez-vous , chrétiens , ce qui nous
arrivera, si nous n'avons pas ce zèle pour les âmes
du purgatoire ? c'est qu'on nous traitera un jour
comme nous aurons traité les autres ; c'est que Dieu
permettra qu'on nous abandonne comme nous au-
rons abandonné les autres. Vérité si constante, que,
dans la pensée d'un savant théologien, un chrétien
qui n'auroit jamais prié avec l'Eglise pour les âmes
du purgatoire , par une juste punition de Dieu ,
seroit lui-même incapable de profiter, dans le pur-
gatoire , des prières que l'Eglise ofïriroit pour lui;
et quoique cette opinion ne soit pas absolument
reçue , au moins est-elle plus que probable en ce
sens , que si , par la vertu des prières de l'Eglise ,
il y a des grâces pour les âmes du purgatoire , nul
n'y doit moins prétendre ni n'en sera exclus avec
plus de raison , que celui qui , pendant sa vie , aura
négligé de prier pour les âmes de ses frères. II est
donc sûr que toutes sortes d'intérêts nous portent
à cette dévotion. Mais voici un dernier désordre :
on croit les peines du purgatoire, on est touché de
compassion pour les aines qui sourirent dans le
purgatoire, et l'on voudroitîes soulager; cependant
on ne les soulage pas , parce qu'on n'emploie pas
pour cela les moyens convenables et efficaces : c'est
de quoi j'ai à vous parler dans la troisième partie.
TROISIÈME TARTIE.
Ce n'est pas sans raison qu'un grand évêque ,
qui fut autrefois une des lumières de l'Eglise de
tome xi. 28
454 POUR LA COMMÉMORATION
France , disoit que dans le monde même chrétien ,
il y avoit peu de personnes qui , selon les principes
et les règles de la religion , eussent pour les morts
une solide et vraie charité : Non prceter cequum
opinabere , ce sont ses paroles , si perpaucos esse
conjicias , qui mortuos verè diligant. Sans en
apporter d'autres preuves , l'expérience seule ne
justifie que trop ce sentiment de Sidoine Apolli-
naire : car à en juger par ce que nous voyons et
par divers abus qu'il est impossible que nous n'ayons
nous-mêmes remarqués, quoiqu'il y ait aujourd'hui
beaucoup de chrétiens persuadés de la vérité du
purgatoire ; quoiqu'il y en ait d'assez humains , et,
si vous voulez , d'assez tendres , pour être touchés
de l'état où se trouvent peut-être les âmes de leurs
amis et de leurs parens; quoiqu'on voie des enfans
qui s'intéressent pour le repos de leurs pères , des
femmes zélées pour celui de leurs maris, après tout
on peut dire , et il est constant , qu'on en voit peu
qui aient pour ces âmes souffrantes une charité eû\~
cace : pourquoi ? parce qu'on en voit peu qui réel-
lement contribuent à soulager leurs peines; peu qui,
se servant des moyens que nous fournit pour cela
le christianisme , leur procurent les secours dont
elles ont besoin et dont elles pourroient profiter.
J'avoue encore une fois qu'on ne laisse pas d'avoir
pour les morts de la piété ; mais il arrive que ce
qu'on appelle piété pour les morts, est dans les uns
une piété stérile et infructueuse ; dans les autres une
piété d'ostentation et de faste ; dans ceux-là une
DES MORTS. 435
piété mondaine et païenne , qui n'agit point par les
vues de la foi ; dans ceux-ci une piété qui , toute
chrétienne qu'elle est, ne produit que des œuvres
mortes, c'est-à-dire, des œuvres sans mérite, parce
qu'elles sont faites hors de l'état de la grâce : voilà,
dis-je , ce que l'expérience nous fait connoître , et
ce qui pourra nous confondre au même temps que
je m'en servirai pour vous instruire et pour vous
édifier.
Car j'appelle piété stérile et infructueuse pour
les morts , celle qui ne consiste qu'en de vains re-
grets , qu'en d'inutiles lamentations, qu'eu des cris
lugubres , qu'en des transports de douleur , qu'en
des torrens de larmes , qu'en des emportemens et
des désespoirs : or il n'est pourtant rien de plus
commun. Videmus , disoit saint Bernard, dans le
discours funèbre qu'ii fit sur la mort de son frère :
Pidemus quotidiè mortuos plangere mortuos
suos , JLetum multum et fructum nullum ; et
verè plorandi qui ita plorant ; Nous voyons tous
les jours des morts pleurer d'autres morts ; nous
voyons des hommes vivans , mais tout mondains et
par là morts devant Dieu , pleurer sincèrement
et amèrement la mort de ceux qui leur ont été chers
pendant la vie. Mais que nous paroît-il en tout
cela? beaucoup de pleurs et peu de prières , peu
de charité , peu de bonnes œuvres : Fletum mul-
tum et fructum nullum ; des gémissemens pi-
toyables , mais de nul effet ; des excès de désola-
tion sans aucun fruit. Or , en vérité , ajoutoit le
même Père , ceux qui pleurent de la sorte , méritent
436 FOUR LA COMMÉMORATION
bien eux-mêmes d'être pleures : Et verè plorandi
qui ita plorant. Cependant , chrétiens , cet abus
que condamnent saint Bernard , semble avoir passé
parmi nous , non-seulement en coutume , mais , ce
qui me paroît bien plus étrange , en bienséance et
en devoir ; puisqu'aujourd'hui ceux qui se piquent
de vivre selon les lois du monde, à force de pleurer
leurs morts , se tiennent comme dispensés de prier
pour eux. A peine verrez-vous maintenant une
femme de quelque condition dans le monde , au
jour ou de la mort ou des funérailles de son mari,
approcher des autels , et s'acquitter du devoir es-
sentiel de la religion : vous diriez que d'y manquer
soit une marque de sa tendresse. Pendant que des
étrangers plus officieux qu'elle , accompagnent le
corps et recommandent l'ame à Dieu, celle-ci dans
sa maison fait l'inconsolable et la désespérée. Et
au lieu qu'autrefois les païens, ne perdez point cette
Temarque , gageoient des hommes pour pleurer aux
obsèques de leurs parens , pendant qu'eux-mêmes
ils étoient occupés à faire les sacrifices ordinaires
pour apaiser leurs mânes ; croyant, dit Sénèque ,
qu'ils remplissoient beaucoup mieux le devoir de la
piété filiale par leur dévotion que par leurs larmes,
et qu'il étoit beaucoup plus juste de se décharger
sur d'autres de l'office de pleurer, que de celui de
prier : nous , par une opposition bien bizarre , et
par un aveuglement encore plus déplorable , nous
gageons au contraire des hommes pour prier , et
nous nous contentons du soin de pleurer. Quel abus
pour un siècle aussi éclairé et aussi spirituel que le
DES MORTS. 43j
nôtre ! Zenon , évêque de Vérone, ne put souffrir
qu'une femme chrétienne assistant aux divins offices
qu'on célébroit pour l'ame de son père , interrom-
pît les ministres de l'autel par des cris et par des
sanglots qu'il traita de profanes : Quod solemnia
divina quibus quiescentes animée commendan-
tur , profanis interrumper et ululatibus. Mais
est-il moins indigne de s'interdire , selon qu'il se
pratique aujourd'hui, les saints offices, et de se dis-
penser des prières solennelles de l'Eglise , pour
payer aux morts un tribut de larmes qu'ils ne nous
demandent point, et qui ne leur sera jamais utile ?
Car enfin , mes chers auditeurs , de quel secours
peut être à une aine l'excès de votre douleur? tous
ces témoignages d'une affliction outrée et sans me-
sure , seront-ils capables d'adoucir sa peine ; et
pensez-vous que ce feu purifiant dont elle ressent
les vives atteintes , puisse s'éteindre par les larmes
qui coulent de vos yeux ? Ah! mon frère, écrivoit
saint Ambroise à un seigneur de marque , pour le
consoler sur la perte qu'il avoit faite d'une sœur
qu'il aimoit uniquement , réglez-vous jusque dans
votre douleur; toute violente qu'elle est, soyez
équitable et chrétien. Dieu vous a ôté une sœur
qui vous étoit plus chère que vous-même , priez
pour elle et pleurez sur vous : pleurez sur vous ,
parce que vous êtes un pécheur encore exposé aux
tentations et aux dangers de cette vie ; et priez pour
elle , afin de la délivrer des souffrances de l'autre.
Yoilà le zèle que vous devez avoir ; car voilà ce
qui lui peut servir, et de quoi elle vous sera éter-
438 TOUR LA COMMÉMORATION
nellement redevable : ainsi parloit ce saint évêque.
Mais qu'arrive-t-il ? au préjudice d'une si salutaire
remontrance qu'il faudroit nous appliquer à nous-
mêmes , on croit bien s'acquitter envers les morts
de la reconnoissance qui leur est due , en se faisant
de sa propre douleur une passion : passion que
souvent on pousse jusqu'à l'indiscrétion ; passion
par où une veuve désolée veut quelquefois se dis-
tinguer , et dont elle fait gloire d'être un exemple
et un modèle ; passion qu'on s'engage à soutenir ,
dont on est résolu de ne rien rabattre , et qui , peut-
être par là même , a plus d'affectation que de vé-
rité ; passion que les hommes interprètent maligne-
ment , dont la singularité sert déjà de matière à
leur censure , comme son relâchement et son retour
en pourra bien servir dans la suite à leur raillerie.
Car n'est-ce pas ainsi que le monde même se moque
de ses propres abus ?
J'appelle piété pour les morts d'ostentation et de
faste , celle qui se borne à l'extérieur des devoirs
funèbres, aux cérémonies d'un deuil, à l'appareil
d'un convoi, à tout ce qui peut éclater aux yeux des
hommes; recherchant ce faux éclat jusque dans les
choses les plus saintes, tels que sont les services de
l'Eglise , où souvent il y a plus de pompe que de
religion, étalant cette vanité jusque sur les autels,
plus chargés des marques de la noblesse du défunt
que des signes augustes du christianisme ; érigeant
pour un cadavre des tombeaux plus magnifiques
que ne sont les sanctuaires et les tabernacles où re-
pose le corps de Jésus-Christ; s'étudiant beaucoup
DES MORTS. ^3()
plus à observer tout ce que l'ambition humaine a in-
troduit qu'à pourvoir au solide et au nécessaire, qui
est de secourir les âmes fidèles par nos sacrifices et
par nos vœux. Non pas , chrétiens , que Je prétende
absolument condamner tout ce qui se pratique ex-
térieurement dans les funérailles ; l'abus que nous
en faisons n'empêche pas que ce ne soient de saints
devoirs dans leur origine , et dans l'intention de
l'Eglise qui les a institués ; mais je veux seulement
vous dire que ce n'est pas en cela que doit être
renfermée toute notre piété envers les morts; que
si nous en demeurons là, nous ne faisons rien pour
eux; que comme, a très-bien remarqué saint Au-
gustin , tout ce soin d'une honorable sépulture est
plutôt une consolation pour les vivans , qu'un soula-
gement pour les morts : Solatia vivorum , non
subsidia mortuorum ; qu'une aine dans le pur-
gatoire nous est incomparablement plus obligée des
bonnes œuvres et des aumônes dont nous lui appli-
quons le fruit, que de toute la dépense, et si vous
voulez , de toute la magnificence de ses obsèques ;
qu'une communion faite pour elle lui marque bien
mieux notre reconnoissance , que les plus riches et
les plus superbes monumens ; et qu'il y a au reste
une espèce d'iniquité ou même d'infidélité, à n'é-
pargner rien quand il s'agit de l'inhumation d'un
corps qui n'est dans le tombeau que pourriture,
pendant qu'on néglige de secourir une ame qui est
l'épouse de Jésus-Christ et l'héritière du ciel.
J'appelle piété pour les morts toute païenne,
celle qui , n'ayant pour objet que la chair et le sang,.
440 POUR LA COMMÉMORATION
n'agit pas dans les vues de la foi ; celle qui n'inspire
pour les morts que des sentimens naturels , que des
sentimens peu soumis à Dieu, que des sentimens
opposés au grand précepte de l'amour de Dieu, je
dis de cet amour de préférence par où Dieu veut
être singulièrement honoré ; que des sentimens qui
montrent bien qu'au lieu d'aimer la créature pour
Dieu , l'on n'aime Dieu , ou plutôt l'on n'a recours
à Dieu que pour la créature. Ah ! mes frères, di-
soit saint Paul aux Corinthiens , à Dieu ne plaise
que je vous laisse ignorer ce qui concerne les morts,
et la conduite que vous devez tenir à leur égard.
Je veux que vous le sachiez , afin que vous ne vous
attristiez pas, comme les nations infidèles , qui n'ont
nulle espérance dans l'avenir : Nolumus vos igno-
rare de dormîentibus , ut non contristemini
sicut et cœteri , qui spem non habent (i). Pre-
nez garde , reprend saint Chrysostôme, expliquant
ce passage : il ne leur défendait pas de pleurer la
mort de ceux qu'ils avoient aimés et dû aimer pen-
dant la vie; mais il leur défendoit de pleurer comme
les païens, qui, n'étant pas éclairés des lumières
de la vraie religion , confondent là-dessus la piété
avec la sensibilité , le devoir avec la tendresse , ce
qui doit être de Dieu avec ce qui est purement de
1 homme. La foi seule nous apprend à en faire le
discernement; et réglant en nous l'un par l'autre,
elle nous fait concevoir pour les morts des senti-
mens chrétiens et raisonnables.
Mais enfin ne peut-on pas avoir pour les morts
(i) l. Thcss. 4.
DES MORTS. 44*
une piété stérile et inutile , quoique chrétienne dans
le fond ? Je conclus , mes chers auditeurs , par ce
dernier article; mais appliquez-vous à cette instruc-
tion , et qu'elle demeure pour jamais profondément
gravée dans vos esprits. Oui, l'on peut avoir pour
les morts une telle piété, et c'est le désordre capital
auquel je vous conjure, en finissant, d'apporter le
remède nécessaire. Vous me demandez qui sont
ceux que j'entends par là, et en qui je trouve ces
deux caractères si difficiles en apparence à accorder,
piété chrétienne dans le fond, et néanmoins inutile
devant Dieu ? je réponds que ce sont ceux qui
prient ponr les morts , étant eux-mêmes dans un
état de mort , je veux dire , dans la disgrâce et dans
la haine de Dieu. Car dans ce funeste et malheureux
état, pécheur qui m'écoutez, en vain rendez-vous
aux âmes du purgatoire des devoirs chrétiens , en
vain priez-vous et intercédez-vous pour elles , en
vain pour elles faites-vous des largesses aux pau-
vres, en vain pratiquez-vous tout ce que le zèle
d'une dévotion particulière vous peut suggérer , ces
âmes souffrantes ne tireront jamais de vous aucun
secours. Tandis que Dieu vous regarde comme son
ennemi, vous êtes incapable de les soulager , toutes
vos prières sont réprouvées, toutes vos aumônes
perdues, tous vos jeûnes, toutes vos pénitences de
nul effet : pourquoi ? parce que le péché dont votre
conscience est chargée , anéantit la vertu de toutes
vos œuvres : et comment seroit-il possible que ce
que vous faites fût de quelque valeur pour ces saintes
âmes , puisqu'il n'est de nul prix pour vous-même ?
44^ TOUR LA COMMEMORATION
le moyen que vous fussiez en état de les acquitter
auprès de la justice divine , puisqu'il est certain
que pour vous-même , Dieu , sans déroger à sa
miséricorde , ne reçoit rien alors de vous en paie-
ment? Secourir une ame dans le purgatoire, c'est
lui transporter le fruit des bonnes œuvres que vous
pratiquez , et le lui céder. Si donc dans l'état du
péché vous pouviez la soulager, il faudroit que dans
cet état vos bonnes œuvres eussent devant Dieu
quelque mérite : or il est de la foi qu'elles n'en ont
aucun , parce que sans la grâce et la charité , ce
sont des œuvres mortes, et qui n'ont pas le principe
de la vie; et étant mortes pour vous qui les pratiquez 5
faut-il s'étonner qu'elles le soient encore plus pour
les autres , à qui vous prétendez les appliquer?
J'excepte toutefois, remarquez ceci , j'excepte
de cette règle le sacrifice de la messe , dont le mé-
rite ne dépend point de la sainteté de celui qui
l'offre , beaucoup moins de celui qui le fait oflfrir ,
mais est uniquement attaché à la personne de Jésus-
Christ et au prix de son sang. D'où il s'ensuit qu'un
pécheur, dans l'état même de son désordre, peut
contribuer au repos des âmes du purgatoire : et
comment? en faisant offrir pour elles ce sacrifice,
dont une des principales qualités est d'être souve-
rainement propitiatoire pour les vivans et pour les
morts. Il le peut, dis-je, et il le doit avec d'autant
plus de raison , que ce sacrifice est le seul moyen
que Dieu lui laisse pour suppléer à l'impuissance où
il se trouve de secourir autrement ces âmes prédes-
tinées : car Dieu alors regarde l'hostie qu'on lui |
DES MORTS. 443
présente , qui est Jésus-Christ , et non point celui
par le ministère ou les soins duquel on la lui pré-
sente, qui est le pécheur. Mais du reste, il est tou-
jours vrai que le pécheur agissant par lui-même ,
ne peut rien faire qui soit profitable aux morts. Et
voilà , Chrétiens , le fondement de cette dévotion
aujourd'hui si autorisée et si solennelle dans l'Eglise
de Dieu , qui consiste à se purifier par le sacrement
de la pénitence , et par la participation du corps
de Jésus-Christ , pour se mettre en disposition de
secourir utilement et infailliblement les âmes du
purgatoire. De tout temps , dans le christianisme ,
on a prié pour les morts , mais Dieu réservoit à notre
siècle cette excellente pratique de se sanctifier pour
les morts. Autrefois dans l'ancienne loi , l'on obser-
voit quelque chose de semblable ; et saint Paul
écrivant aux Corinthiens, fait mention d'une espèce
de baptême dont les Juifs avoient coutume d'user
pour le soulagement des morts : Alioquin quid
facient qui baptizantur pro mortuis (1) / C'est
ainsi que de savans interprètes ont expliqué ce pas-
sage , et c'est le sens qui m'a paru le plus vrai et le
plus littéral. Mais ce que pratiquoient les Juifs n'é-
toit que la figure , et la vérité devoit s'accomplir
en nous : Sed hœc omnia in figura contingebant
illis (2). Voyez donc , mes chers auditeurs , ce que
Dieu vous demande aujourd'hui , et à quoi il vous
exhorte lui-même par son Prophète: Mundi eslote,
auferte malum cogitationum vestrarum, quies-
cite a gère perverse , discite benefacere (3) ;
(i) 1. Cor. i5. — (*î) 1. Cor. xo. -— (5) Isaï. i.
444 POUR LA COMMÉMORATION^ DES MORTS.
Lavez-vous, nous dit-il, et purifiez-vous; lavez-
vous dans les eaux de la pénitence , et purifiez-vous
dans le sang de l'agneau. Appliquez-vous, par une
véritable contrition , ce second baptême , aussi sa-
lutaire que le premier, savoir, le baptême du cœur,
mais d'un cœur contrit et humilié : Auferlefnalum
cogîtationum vestrarum : Otez de devant mes
yeux toutce qu'il y a de corrompu, non-seulement
dans vos actions ,mais dans vos pensées; renoncez
à vos commerces criminels , cessez de faire le mal ,
apprenez à faire le bien, et ne vous contentez pas
de le faire , mais commencez à le bien faire : Et
venite , et arguite me , dicit Dominus (i) :
Venez ensuite , et soutenez devant moi la cause de
ces âmes pour qui vous vous intéressez : c'est alors
que je vous écouterai , que j'accepterai vos obla-
tions , que je me laisserai fléchir par vos prières.
Profitons, chrétiens, de cet avertissement, et nous
éprouverons la vérité des promesses du Seigneur :
par là nous le glorifierons , par là nous consolerons
nos frères dans leur affliction , par là nous attirerons
sur nous les grâces du salut les plus abondantes,
et ces grâces nous conduiront à la vie éternelle ,
que je vous souhaite , etc.
(i) Isaï. i.
SE..RMON
POUR
L'OUVERTURE DU JUBILÉ.
Exhortamur vos, ne ia vacuum gratiam Dei recipîatis.
Ait enim: Tempore accepto exaudivi te , et in die salutis
adjavi te. Ecce nunc tempus acceptabile, ecce nunc dies
salutis.
Nous vous exhortons à ne pas recevoir en vain la grâce
de Dieu. Car Dieu nous dit lui-même dans V Ecriture :
Je vous ai exaucé au temps favorable , et je vous ai aidé
au jour du salut. Or voici maintenant ce temps favorable :
voici ces jours de salut. Dans la seconde Epître aux Co-
rinthiens , chap. 5.
C'est ainsi que l'apôtre saint Paul parloit aux pre-
miers chrétiens de la grâce générale de leur con-
version , et je me sers aujourd'hui de ces paroles ,
pour vous exhorter vous-mêmes, mes frères, à re-
cevoir efficacement et utilement la grâce particu-
lière que l'Eglise vous présente, en vous accordant
la plus authentique de toutes les indulgences, qui
est celle du jubilé. Car je puis bien vous dire , comme
le Docteur des nations le disoit aux Corinthiens,
que voici maintenant le temps favorable , que voici
les jours de salut, où le Père des miséricordes se
dispose à répandre sur nous les bénédictions les
plus abondantes : c'est pour cela qu'il ordonne à
446 rouR l'ouverture
ses ministres de vous annoncer ce jubilé , et de vous
l'annoncer à tous , puisque tous, justes et pécheurs ,
y peuvent et y doivent participer. C'est pour cela
que l'Eglise redouble ses prières , et qu'elle vient
d'offrir solennellement le sacrifice de l'agneau :
heureux si nous connoissons le don de Dieu , et plus
heureux encore, si, pour nos propres intérêts et
pour la satisfaction de nos âmes , nous en savons
faire l'usage que Dieu prétend ! L'Apôtre, après
avoir représenté à ceux de Corinthe la sainteté du
temps où ils vivoient , et où la lumière de l'évangile
commençoit à les éclairer , concluoit par cette im-
portante leçon : Ayons donc soin de nous compor-
ter comme de dignes disciples de Jésus-Christ, et
de nous rendre recommandables en toutes choses ,
par les jeûnes , par les veilles , par les travaux :
Eochibeamus nosmelipsos sicut Del ministros,
in laboribas , in jejuniis, in vigiliis (i). Voilà,
mes chers auditeurs, ce que je vous dis moi-même.
Prenons bien garde à consacrer ce saint temps où
nous entrons, ce temps d'indulgence et de grâce ,
par les exercices de notre pénitence , par les exer-
cices de nos oraisons , par toutes les pratiques de
la religion et d'une piété vraiment chrétienne : c'est
à quoi je veux vous porter dans ce discours, qui
sera moins une prédication qu'une instruction sim-
ple , mais solide. Or , pour vous proposer d'abord
tout mon dessein , il y a dans le jubilé surtout, trois
choses dignes d'être considérées, et que j'entre-
prends de vous expliquer : premièrement, ce que
(i) 2. Cor. 4.
DU JUBILÉ. 44j
c'est que la grâce du jubilé ; secondement, ce qui
est nécessaire pour avoir part à la grâce du jubilé;
et en troisième lieu , ce que doit opérer dans nous
la grâce du jubilé. C'est une indulgence, et je vais
vous montrer en quoi consiste cette indulgence et
quel en est l'esprit : ce sera la première partie ; ce
qu'il faut faire pour gagner cette indulgence , et
quelles dispositions nous y devons apporter : ce
sera la seconde partie ; enfin , quels effets salutaires
doit produire en nous cette indulgence , et quels
fruits nous en devons retirer : ce sera la conclusion.
Daigne le ciel seconder le zèle qui m'anime , et puis-
siez-vous bien apprendre à ne pas perdre un avan-
tage si précieux î Adressons-nous pour cela à Ma-
rie , et disons-lui : Ave , Maria,
PREMIÈRE PARTIE.
Qu'est-ce, chrétiens, que l'indulgence du jubilé?
Le jubilé, dans l'ancienne loi, éloit une année de
rémission et de grâce pour le peuple de Dieu ; nous
en voyons l'origine et l'institution dans le vingt-
cinquième chapitre du Lévitique , où Dieu ordonna
à Moïse , qu'en même temps que les prêtres , qui
dévoient lui succéder dans le ministère , auroient
fait l'ouverture de cette année sainte , on publieroit
une rémission générale pour tous les enfans d'Is-
raël; c'est-à-dire , que les esclaves seroient mis en
liberté, que tous les propriétaires rentreroientdans
la possession des biens qu'ils avoient aliénés , que
tous ceux qui avoient contracté des dettes, en se-
roient déchargés; et cela, dit l'Ecriture , parce que
'448 pour l'ouverture
c'était l'année du jubilé : Ipse est enim jubi-
lœus (i). Mais ce n'était là, après tout, pour me
servir du terme de saint Paul, que l'ombre des
biens à venir. Ce jubilé, si mémorable parmi les
hébreux , n'était que pour servir de figure , et que
pour nous préparer au jubilé de la loi nouvelle ;
car ce jubilé de la loi nouvelle est proprement celui
où les véritables esclaves , je veux dire , ceux que
le démon tenoit dans la servitude du péché, sont
remis dans la pleine et entière liberté des enfans
de Dieu ; celui où les pécheurs réconciliés rentrent
dans la parfaite jouissance des véritables biens ,
en recouvrant les mérites qu'ils avoient acquis de-
vant Dieu , et que le péché leur avoit fait perdre ;
celui où les véritables dettes , j'entends les peines
dues au péché, demeurent éteintes, et sont univer-
sellement abolies.
Or c'est ce jubilé, mes frères, que je vous an-
nonce , et dont nous commençons aujourd'hui à
célébrer la solennité : heureux si nous la célébrons
dans un esprit chrétien; heureux, si tout ce qui
étoit figuré dans le jubilé autrefois publié par
Moïse , s'accomplit en nous ! Il s'agit de vous expli-
quer en quoi consiste précisément ce jubilé de la
loi de grâce, et ce qu'il a de plus essentiel ; le
voici: le jubilé de la loi de grâce est proprement la
rémission de la peine temporelle qui reste à subir
au pécheur, après que son péché lui est pardonné.
L'Eglise, à qui Jésus-Christ a donné le pouvoir de
lier et de délier, avec assurance que ce qu'elle
(i) Levit. sS,
DU JUBILÉ. 44g
déliera sur la terre sera délié dans le ciel; l'Eglise,
qui est la dispensatrice du trésor infini des satis-
factions de Jésus^Christ , en vertu du jubilé , remet
par grâce au pécheur , ce que le pécheur, quoique
déjà réconcilié avec Dieu , auroit encore du souf-
frir , dans la rigueur de la justice , pour expier par-
faitement son péché. Yoilà , en deux mots , ce qu'il
y a de plus important et de capital dans le jubilé,
ou dans la grâce qui nous est offerte quand l'Eglise
nous accorde le jubilé : grâce complète, puisqu'elle
met le comble à la justification de l'homme criminel
et pénitent.
Pour vous rendre ceci plus intelligible, il faut
distinguer <]enx choses dans le péché; ce que nous
appelons ia coulpe, et ce que nous appelons la
peine : ce que nous appelons la coulpe ou l'offense ,
c'est l'injure faite à Dieu; et ce que nous appelons
la peine, c'est le droit que Dieu se réserve, en
pardonnant même le péché, de punir le pécheur;
je dis de le punir temporellement , au lieu que par
son péché, s'il est mortel, il auroit mérité d'être
puni éternellement. Cette coulpe ou cette offense
ne peut jamais être remise que par le sacrement
de la pénitence , ou par la contrition parfaite : cette
peine temporelle, que Dieu se réserve, devroit,
dans l'ordre de la justice rigoureuse , être acquittée,
ou par les œuvres satisfactoires dans cette vie , ou
par le purgatoire dans l'autre; mais par une grâce
spéciale , Dieu la remet en vertu de l'indulgence et
du jubilé ; et le jubilé , encore une fois, n'est autre
chose que cette rémission.
TOME XI. 2Ç)
45o pour l'ouverture
En vain les ennemis de l'Eglise et des indul-
gences combattent-ils ce principe par deux diffi-
cultés qu'ils nous opposent ; l'une , que Dieu , dont
les œuvres sont parfaites, ne remet jamais le péché
à demi, et que la rémission de la peine même tem-
porelle est toujours inséparable de la rémission de
l'offense ; l'autre , que Jésus-Christ par sa mort
ayant pleinement et abondamment satisfait pour
hous , toute autre peine que Dieu exigeroit encore
du pécheur, son péché lui étant remis , diminueroit
le mérite du sacrifice de la croix , qui a été une
satisfaction plus que suffisante pour tous les péchés
du monde. Deux objections , quoique spécieuses ,
qui n'ont dans le fond nulle solidité , et qui sont
même dans les maximes de notre religion , deux
erreurs grossières et absolument insoutenables. Car
pour répondre à la première , il est non-seulement
indubitable , mais de la foi , que Dieu , selon les
lois communes de sa justice, pardonnant même le
péché , se réserve encore le droit de punir tempo-
rellement le pécheur. Piien de plus évident dans
l'Ecriture. Moïse obtient le pardon de son incrédu-
lité; cependant, pour punition de cette incrédulité
même , quoique pardonnée , il n'entrera point dans
la terre promise. Nathan déclare à David que Dieu
lui a remis son crime ; mais il ajoute que pour l'en
punir, Dieu lui prépare des afflictions et des cala-
mités : conduite adorable , où Dieu fait éclater sa
sagesse , au même temps qu'il exerce sa miséri-
corde. Et pour réponse à la seconde difficulté , il
est vrai que Jésus-Christ par sa mort a pleinement
DU JUBILÉ. 45l
et abondamment satisfait pour nous : mais il est
pareillement vrai et de la foi , que l'intention de
Jésus-Christ , en satisfaisant pour nous , n'a point
été de nous dispenser par là de satisfaire nous-
mêmes , et de faire pénitence pour nous-mêmes ;
qu'au contraire, il a prétendu nous en imposer par
là même l'obligation indispensable, c'est-à-dire , la
nécessité de joindre notre pénitence à sa pénitence,
et nos satisfactions à ses satisfactions : car en qua-
lité de Sauveur il n'a offert à Dieu sa mort pour
nous qu'à cette condition. Mystère que le grand
Apôtre concevoit admirablement , quand il disoit :
Adimpleo ea quœ desunt passionum Christi
in carne med (i). Il est vrai que dans l'ordre du
salut nos satisfactions doivent être jointes à celles
de Jésus-Christ ; mais par l'étroite liaison qui est
entre Jésus-Christ et nous , nos satisfactions com-
parées aux siennes , sont tellement différentes des
siennes, qu'elles en sont néanmoins essentiellement
dépendantes ; qu'elles sont , dis-je , fondées sur les
siennes , de nulle valeur sans les siennes ; qu'elles
tirent toute leur efficace et toute leur vertu des
siennes , et par conséquent qu'elles ne peuvent pré-
judicier au mérite des siennes. Tenons-- nous-en
donc toujours à la même proposition, que Dieu par
l'indulgence et le jubilé nous remet la peine tem-
porelle qui étoit due à nos péchés, et dont l'exacte
mesure n'eût pu sans cela être remplie que par nos
satisfactions.
Ainsi l'Eglise catholique , seule et infaillible dé-
(i) Coloss. i.
4$2 POUR LsOUVERTURE
positaire du vrai sens de l'Ecriture, l'a-t-elle entendu
en expliquant cette promesse faite à saint Pierre ,
comme au chef du troupeau de Jésus-Christ : Quod-
cumc/ue solverîs super terram , erit solutum et
in cœlis (i). Et ainsi la même Eglise gouvernée
et conduite par le Saint-Esprit, l'a-t-elle toujours
pratiqué , puisque l'usage des indulgences et le
pouvoir de les accorder dont elle est en possession,
est d'une tradition immémoriale dans le christia-
nisme. C'est en vertu de ce pouvoir que S. Paul ,
au nom de Jésus-Christ , accorda par indulgence à
l'incestueux pénitent de Corinthe la grâce la plus
complète. Je dis l'incestueux pénitent , et déjà sû-
rement converti à Dieu par la fervente contrition
dont il avoit donné des marques si édifiantes , que
l'Apôtre vouloit même qu'on le consolât, en lui
remettant le reste de la peine que méritoit son pé-
ché, et en le rétablissant dans la société des fidèles.
C'est en vertu de ce pouvoir que les évêques des
premiers siècles usoient d'indulgence envers ceux
qui, dans les persécutions, vaincus par la rigueur
des supplices, avoient abjuré , ou paru abjurer la
foi , en les tenant quittes , à la prière des martyrs ,
des peines qu'ils avoient encourues par leur apos-
tasie, lorsque touchés d'un repentir sincère et vif,
ils dcmandoient avec gémissemens et avec larmes
cette rémission.
Vous me direz qu'il ne s'agissoit alors que des
peines canoniques, de ces peines qu'il talloit subir
dans le gouvernement extérieur de l'Eglise ; mais
(i) Matth. 16.
DU JUBILÉ, 453
il suffit de lire saint Cyprien , pour être convaincu
qu'il s'agissoit même des peines dues à la justice
divine. Car, selon la doctrine de ce Père, les peines
canoniques n'étoient pas seulement imposées pour
satisfaire à l'Eglise , mais pour satisfaire à Dieu ;
et quiconque en esprit de pénitence accomplissoit
les peines canoniques, autant et selon qu'il les ac-
complissoit, étoit autant et à proportion déchargé
de celles dont il se trouvoit redevable au tribunal
de Dieu. Il s'ensuit donc que l'indulgence qui tenoit
lieu de la peine canonique, devoit produire le même
effet que la peine canonique , et procurer aux pé-
nitens le même avantage que la peine canonique ;
autrement , bien loin de leur être favorable , elle
leur eût été nuisible, puisqu'en les déchargeant de-
vant les hommes sans les décharger devant Dieu ,
elle les eût encore privés d'un des plus efficaces
moyens de satisfaire à Dieu , qui étoit la peine ca-
nonique même. C'est conformément à cette doc-
trine , et sur le fondement de ce pouvoir donné à
saint Pierre , que les indulgences se sont établies
dans le monde chrétien ; que de siècle en siècle
l'usage s'en est répandu , affermi , perfectionné ;
que les plus distingués d'entre les Pères les ont re-
connues , que les conciles oecuméniques les ont
autorisées, que les plus graves théologiens les ont
éclaircies , que saint Grégoire , pape , les a accor-
dées , que saint Bernard les a prêchées , que les
peuples les ont reçues avec joie ; que les jubilés
parmi les fidèles ont été dans une si grande véné-
ration, qu'ils ont produit dans l'Eglise de Dieu des
454 pour l'ouverture
fruits de grâce si abondans , des conversions si écla-
tantes, des renoiivellemens de ferveur si exemplaires:
marque visible que ce n'étoit pas l'ouvrage des
hommes , mais que Dieu en étoit l'auteur.
J'avoue néanmoins qu'il a pu se glisser sur cela
des abus dans le christianisme : car de quoi n'abuse-
t-on pas, et qu'y a-t-il de saint et de sacré que l'on
ne profane pas ? Mais outre que l'Eglise , par sa
sagesse, a bien su corriger tous ces abus; outre
qu'elle les a retranchés avec un zèle digne de sa
piété; outre qu'elle s'est particulièrement appliquée
à bannir ce qui servoit de prétexte à l'hérésie pour
décrier les indulgences , savoir, l'esprit d'intérêt;
outre que les règles qu'elle s'est prescrites à ce
dessein , ont été inviolablement et saintement ob-
servées; outre qu'elle a réduit par là les indulgences
à un usage tout spirituel , et à un désintéressement
dont ses plus critiques censeurs sont forcés de con-
venir, l'abus même des indulgences nous doit être
une preuve de leur vérité et de leur sainteté : car,
selon la maxime de Tertullien , on n'abuse que de
ce qui est bon , et on ne profane que ce qui est
saint. De là jugeons avec quelle raison les Pères du
concile de Trente ont défini que les indulgences
étoient salutaires au peuple chrétien , et ont pro-
noncé anathème contre tous ceux qui oseroient
dire, ou qu'elles sont vaines et inutiles , ou que l'E-
glise n'a pas le pouvoir de les accorder. Tellement
que la vérité des indulgences , aussi bien que leur
sainteté, est désormais un dogme de foi dont il n'y
DU JUBILÉ. 455
a point de catholique qui ne doive se faire un point
de créance et de religion.
Cependant on demande par où le Jubilé est dif-
férent des autres indulgences , et surtout de ces
indulgences qu'on appelle plénières, puisqu'on ne
peut, ce semble, rien ajouter à leur plénitude. Il
est vrai qu'on n'y peut rien ajouter quant à la ré-
mission de la peine due au péché , en quoi j'ai dit
que consistoit l'essentiel de l'indulgence; mais il y
a du reste dans le jubilé trois circonstances qui lui
sont propres , et qui le distinguent des indulgences
communes. Car je dis que c'est une indulgence
beaucoup plus solennelle, une indulgence beaucoup
plus privilégiée , enfin une indulgence beaucoup
plus sûre. Ecoutez-moi et instruisez-vous. C'est une
indulgence plus solennelle : pourquoi ? parce qu'elle
est plus universelle , et qu'elle s'étend à tout le
inonde chrétien ; parce qu'on y observe des céré-
monies et plus augustes et plus saintes ; parce que
la publication, la célébration , la clôture de cette
indulgence , se font avec un appareil plus capable
d'exciter les coeurs , et de leur inspirer des senti*
mens de piété ; parce qu'en effet la dévotion alors
est plus fervente et plus unanime : tout y concourt,
et tous les fidèles réunis s'assemblent devant les
autels, et de concert viennent solliciter le ciel et
présenter à Dieu leurs prières. C'est une indulgence
plus privilégiée : pourquoi ? parce qu'elle est accom-
pagnée de plusieurs grâces, que l'Eglise, comme
une charitable mère , veut bien accorder à ses en-
fans ; mais qu'elle ne leur accorde que pour ce
456 pour l'ouverture
saint temps, et qu'en faveur du jubilé. Tel est, par
exemple , le pouvoir qu'elle donne à chaque fidèle
de se faire absoudre de toute sorte de crimes sans
restriction et sans réserve ; de se faire relever de
tonte sorte de censures ; de se faire dispenser , au
moins par échange, de certains vœux , à l'accom-
plissement desquels il est survenu des bbstacles :
grâces encore une fois dépendantes du jubilé , et
spécialement attachées à ces jours de bénédiction
et de salut. C'est une indulgence plus sure : et com-
ment ? parce qu'elle est donnée pour des raisons
et des fins plus importantes ; d'où il s'ensuit qu'on
peut moins douter de sa validité. Or par cette règle,
dont tous les théologiens conviennent , ne puis-je
pas dire qu'il n'y eut jamais d'indulgence plus assu-
rée que celle qui nous est maintenant offerte ? car,
outre la raison générale de l'année sainte et du
siècle révolu , il s'agit dans ce jubilé des plus pres-
sans intérêts de la religion ; d'obtenir de Dieu une
paix si nécessaire à toute l'Eglise, de détourner le
fléau de la plus funeste guerre dont le monde chré-
tien ait jamais été menacé. Ah ! mes frères , nous
sommes si sensibles aux maux qui nous affligent;
nous nous épanchons si volontiers en des plaintes
et en des murmures qui outragent la Providence ,
et qui bien loin de nous soulager, ne font qu'aug-
menter et que perpétuer nos peines, puisque la
Providence outragée , au lieu de retirer son bras ,
s'appesantit encore sur nous plus rudtint nt. Mais
voici le remède , et le remède le plus prompt et le
plus certain : Dieu veut être fléchi , et il nous en
DU JUBILÉ. 4^7
fournit lui-même le moyen le plus efficace ; il veut
être désarmé , et il ne tient qu'à nous d'arrêter le
coup qu'il est prêt à lancer sur nos têtes. Si nous
ne profitons pas de cette heureuse conjoncture
pour attirer sur nous ses miséricordes, ne nous éton-
nons plus qu'il nous frappe , et qu'il nous fasse
éprouver toute la rigueur de sa justice. Quoi qu'il
en soit, pour quelles causes plus essentielles le vi-
caire de Jésus-Christ peut-il user du pouvoir qu'il
a d'ouvrir le trésor des indulgences, et quand en
use-t-il plus sagement et plus sûrement qu'en de
pareilles occasions?
Recevons-la donc cette indulgence avec res-
pect, avec reconnoissance et actions de grâces,
avec toute l'obéissance de la foi. Prenez garde :
avec respect , comme chrétiens ; avec reconnoissance
et actions de grâces , comme pécheurs ; avec toute
l'obéissance de la foi, comme catholiques. Rece-
vons-la , dis-je , comme chrétiens , avec un profond
respect : c'est l'application qui nous est faite des
satisfactions surabondantes de Jésus-Christ, c'est
un précieux écoulement de ces divines sources du
Sauveur, dont parle le Prophète, et que nous
n'épuiserons jamais ; c'est un surcroît de l'efficace
et de la vertu de son sang , dont la moindre goutte
auroit suffi pour racheter mille mondes. Avec quel
sentiment de vénération n'aurois-je pas recueilli les
gouttes de ce sang adorable, lorsqu'il le répandoit
pour moi sur la croix? Serois-je assez insensible
et assez endurci pour négliger les moyens dont il
se sert pour me l'appliquer ? Lecevons-la , comme
458 pour l'ouverture
pécheurs, avec actions de grâces : c'est ce qui doit
mettre le comble aux miséricordes divines ; c'est
ce qui doit rendre notre justification complète ; c'est
le supplément de notre pénitence; c'est un secours
dont Dieu nous a pourvus , pour nous acquitter au-
près de lui. Si, de sa part, un ange alloit annon-
cer à un réprouvé dans l'enfer qu'une telle ré-
mission lui est accordée, quels seroient les trans-
ports de sa reconnoissance et de sa joie ? Nous
sommes pécheurs , et peut-être plus pécheurs que
bien des réprouvés que Dieu n'a pas prévenus
comme nous, qu'il n'a pas attendus comme nous ,
pour qui il n'a pas eu la même prédilection que
pour nous. Quel avantage de pouvoir payer si aisé-
ment tant de dettes ! par où l'avons-nous mérité ?
et moins nous l'avons mérité , plus nous doit-il être
un motif puissant pour redoubler notre gratitude
et notre amour. Recevons-la , comme catholiques,
avec toute l'obéissance de la foi : c'est par le mé-
pris des indulgences qu'a commencé le schisme de
l'hérésie; c'est par l'estime que nous en ferons que
doit paroître notre attachement inviolable à l'Eglise
et notre zèle pour son unité. La censure maligne
et présomptueuse des indulgences fut le principe
de tous les malheurs de Luther : son exemple est
une leçon pour nous ; et afin de nous la rendre sa-
lutaire, autant sur l'article des indulgences que sur
les autres , croyons ce que croit l'Eglise, pratiquons
ce qu'elle pratique, honorons ce qu'elle autorise.
Quel risque courons-nous en nous attachant à elle ;
et quel risque ne courons-nous pas , pour peu que
DU JUBILÉ. 4%
nous nous écartions de la soumission qu'elle exige
de nous ? Mais vous voulez maintenant savoir ce que
nous avons à faire pour participer à la grâce du ju-
bilé, et quelles dispositions y sont nécessaires:
c'est de quoi je vais vous instruire dans la seconde
partie.
DEUXIÈME PARTIE.
Deux choses , chrétiens , sont indispensablement
nécessaires pour avoir part à l'indulgence du ju-
bilé : être en état de grâce avec Dieu , voilà la dis-
position habituelle ; et accomplir les oeuvres pres-
crites par le vicaire de Jésus-Christ, voilà la dis-
position actuelle. Mettons l'une et l'autre dans tout
son jour , et donnez à ceci , s'il vous plaît , une at-
tention particulière.
Je dis d'abord qu'il faut être en état de grâce
avec Dieu ; car l'indulgence , et surtout la plus si-
gnalée de toutes les indulgences , est une faveur qui
ne s'accorde qu'aux justes et aux amis de Dieu.
L'Eglise invite les pécheurs à y participer, mais
elle n'y admet que les pécheurs convertis et récon-
ciliés ; elle en exclut les endurcis et les impénitens.
Si vous êtes de ce nombre , ce n'est point pour vous
qu'elle ouvre ses trésors. Tandis que vous vivez
dans ce triste état, tandis que vous êtes ennemi
de Dieu et enfant de colère , il n'y a point de jubilé
pour vous. Dieu est le maître de ses dons , pour
les répandre sur qui il veut et aux conditions qu'il
veut : or , la première condition pour profiter de
celui-ci , est que vous soyez revêtu de la grâce
46o POUR l'ouverture
sanctifiante , et du caractère de ses enfans bien-
aimés. De là je tire trois conséquences que vous
devez bien remarquer, parce qu'elles sont essen-
tielles. Première conséquence : puisqu'il faut être
en état de grâce, il faut donc renoncer à tout péché:
car la grâce et le péché ne peuvent convenir. Re-
noncement absolu, sincère, efficace, et tel qu'il
doit être pour mettre le pécheur en disposition de
trouver grâce devant Dieu ; sans cela rien de plus
inutile que l'indulgence, ou plutôt sans cela nulle
indulgence. Dieu peut bien remettre le péché , sans
en remettre toute la peine ; mais il ne remet jamais
la peine du péché , tandis que le péché subsiste :
or, il subsiste tandis que le pécheur n'y renonce
pas , ou n'y a pas renoncé. Seconde conséquence :
puisqu'il faut reuoncer à tout péché , il suffit donc
d'avoir la conscience chargée d'un seul péché mor-
tel, pour être incapable de gagner l'indulgence du
jubilé : je dis plus , et j'ajoute qu'il suffit d'être
devant Dieu coupable d'un seul péché véniel à quoi
l'on est encore secrètement attaché , pour ne la pou-
voir gagner dans toute son étendue ; car au moins
ne la peut-on gagner par rapport à ce péché vé-
niel, dont la tache n'est pas effacée. Tel est l'ordre
de Dieu plein d'équité, il ne se relâche de ses
droits , quant à la peine du péché , qu'à mesure
et à proportion que nous en détestons l'offense.
Troisième conséquence : il faut donc être vraiment
contrit et pénitent, car c'est en termes exprès ce
que porte la bulle : Verè contritis et pœniten-
tibus, mais indépendamment de la bulle, la chose
DU JUBILÉ. 46r
est évidente par toutes les règles du bon sens et de
la raison , beaucoup plus de la religion et du droit
divin. Or , sur cela chacun doit s'éprouver soi-
même , pour reconnoître s'il est en état de pré-
tendre à la grâce du jubilé; et par là l'on doit faire
le discernement de ceux qui le gagnent, d'avec ceux
qui ne le gagnent pas.
En effet, on verra pendant ce saint temps un
nombre infini de chrétiens qui, pour avoir part à
l'indulgence du jubilé , paroîtront touchés de con-
trition, en donneront des marques publiques, pra-
tiqueront les œuvres de la pénitence jusqu'à certain
point, assiégeront en foule les tribunaux, confes-
seront leurs péchés , se frapperont la poitrine, ver-
seront même des larmes; mais dans cette foule et
sous ces dehors spécieux , y aura-t-il beaucoup de
vrais pénitens ? Vous le savez , mon Dieu , vous à
qui rien n'est caché , et qui pénétrez jusque dans
le fond des cœurs; vous savez si le nombre des
vrais pénitens répondra à l'abondance de vos mi-
séricordes. Ce que je sais, c'est que vos miséri-
cordes, quoiqu'abondantes , sont, même dans ce
temps de salut , limitées et uniquement réservées
à ceux dont la contrition est sincère et solide ; ce
que je sais, c'est que la fausse pénitence ne doit
espérer de vous dans aucun temps ni grâce , ni
rémission : les vrais pénitens , ce sont ceux qui ne
se contentent pas de pleurer le péché , mais qui en
retranchent la cause, mais qui en quittent l'occa-
sion, mais qui en réparent les pernicieux effets,
mais qui en font cesser le scandale , mais qui en
/h£2 POUR L'OUVERTURE
cherchent les remèdes , mais qui s'y assujettissent
de bonne foi : voilà les preuves d'une contrition
non suspecte, et voila, sans en rien excepter, les
dispositions absolument requises pour l'indulgence
dont je parle. Or, combien peu s'acquitteront fi-
dèlement, pleinement, exactement de tous ces de-
voirs, et par une suite nécessaire, combien seront
trompés et se tromperont eux-mêmes , dans la
vaine confiance dont ils se laisseront flatter , d'avoir
reçu le bienfait du Seigneur , et d'avoir pris pour
cela toutes les mesures convenables ?
De là même concluons encore , mes chers audi-
teurs, qu'il n'est donc pas vrai que l'indulgence,
ni par conséquent le jubilé , anéantisse la péni-
tence , ainsi que les hérétiques nous l'ont reproché :
car, bien loin d'anéantir la pénitence, le jubilé la
suppose comme la première et la plus essentielle
de toutes les conditions; et l'on ne peut dire non
plus que le jubilé soit un relâchement de la péni-
tence , puisque c'est au contraire le plus engageant
et le plus pressant de tous les motifs dont se sert
l'Eglise pour exciter les pécheurs à faire de dignes
fruits de pénitence; et certes, à quiconque raison-
nera juste dans les principes de la doctrine catho-
lique, le jubilé bien entendu et l'indulgence bien
conçue, ne peut inspirer que l'esprit de pénitence :
car qu'y a-t-il de plus propre à me faire prendre
les voies de la pénitence, et de la parfaite péni-
tence, que d'envisager ce que l'Eglise me propose,
et ce que Dieu me promet , si je suis assez heureux
pour y entrer , savoir , l'entière rémission des pein?s
DU JUBILÉ. 463
dues à mes péchés, si je les déteste , si j'en détache
mon cœur, en un mot, si ma pénitence a toutes
les qualités qu'elle doit avoir, pour me remettre en
grâce avec mon Dieu? Persuadé qu'une telle péni-
tence est le seul moyen pour obtenir cette rémis-
sion , quels efforts ne fais-je pas et quelles victoires
ne suis-je pas déterminé à remporter sur moi-
même , pour surmonter toutes les difficultés qui
pourroient s'opposer à ma conversion? On dit:
J'en serai quitte pour peu de chose, et il ne m'en
coûtera que de faire ce qui est prescrit par la bulle .
ainsi parle une ame peu éclairée , qui ne connoît
pas la grâce de Dieu; ainsi pense une ame mon-
daine , qui cherche à se consoler dans le désordre
de sa vie tiède et lâche , qu'elle veut toujours sou-
tenir. L'une et l'autre se fait de l'indulgence un
prétexte à son impénitence ; mais d'où vient l'impé-
nitence del'une et de l'autre? est-ce du jubilé même?
non sans doute; mais des fausses conséquences
qu'elles tirent l'une et l'autre, de l'indulgence et du
jubilé.
En suivant les maximes catholiques , je n'ai garde
de tomber en de pareilles erreurs : car , m'attachant
à ces paroles qui en sont le solide préservatif:
Verè penitentibus et contritis , je veux dire à
la nécessité d'être vraiment contrit et pénitent, bien
loin de croire que j'en serai quitte pour peu de
chose , en faisant ce qui est ordonné, je comprends
que le jubilé m'engage à ce qu'il y a dans la reli-
gion de plus difficile , de plus héroïque et de plus
grand , qui est une vraie conversion; je comprends
464 pour l'ouverture
que, pour me disposer à la grâce du jubilé, iin'y
a point de violence que je ne doive me faire, point
de passion que je ne doive sacrifier, point d'attache
que je ne doive rompre, point de commerce dange-
reux que je ne doive m'interdire : pourquoi ? parce
que tout cela est de l'essence d'une conversion vé-
ritable et chrétienne. En suivant les maximes ca-
tholiques, comme je dois compter pour rien tout
ce qui est d'ailleurs ordonné, si Ton en sépare cette
vraie conversion : aussi puis-je , sans présomption ,
me promettre de la bonté de Dieu , que tout le
reste , quoique peu de chose , ne laissera pas de lui
être agréable , et de m'aider à apaiser sa justice ,
si cette vraie conversion en est le fondement. A
quoi sert le jubilé , dit un chrétien lâche , si l'on
n'en est pas moins obligé à faire pénitence? et moi
je réponds : Il me sert à m'acquitter pleinement en-
vers Dieu des dettes dont , malgré toute ma péni-
tence , je pourrois encore lui être redevable ; car
par la même raison qu'après avoir fait tout ce qui
m'est commandé , je dois toujours me regarder
comme un serviteur inutile; aussi, quelque exacte
et quelque fervente que puisse être ma pénitence,
je dois encore me considérer comme un pécheur
qui est en reste avec Dieu ; et c'est alors que l'in-
dulgence m'est profitable, c'est alors que le jubilé
supplée à mon impuissance, et met le comble à ma
justification. En suivant les maximes catholiques ,
je ne me sens point porté au relâchement de la pé-
nitence : car ne pouvant jamais être assuré si ma
pénitence a été véritable , et si j'ai participé à
DU JUBILÉ. 465
l'indulgence du jubilé, parce que je ne puis jamais
savoir si je suis digne d'amour ou de haine, ma seule
ressource, dans cette affligeante incertitude ,est de
continuer toujours à faire pénitence , comme s'il
n'y avoit point eu pour moi d'indulgence.
C'est bien plutôt dans les principes des héré-
siarques et dans leurs dogmes scandaleux , que l'on
découvre le relâchement visible , et même l'anéan-
tissement total de la pénitence : car n'est-ce pas
la détruire et l'anéantir, que de la faire consister,
comme ils ont prétendu , dans un simple acte de
foi par où le pécheur se croit justifié, et s'assure en
effet de l'être , sans en avoir d'autre témoignage
que celui qu'il s'en rend au fond de son cœur ?
IN'est-ce pas anéantir la pénitence, que de la réduire
par là à l'exercice le plus aisé et le plus commode ,
à un exercice qui ne mortifie en rien , qui n'assu-
jettit à rien , et qui ne coûte rien davantage que de
se consoler dans la créance bien ou mal fondée
que nos péchés nous sont remis ? n'est-ce pas anéan-
tir la pénitence, que de la dépouiller, comme ont
fait les auteurs du schisme , de toutes les œuvres
humiliantes , laborieuses et pénibles , en abolissant
la confession, en supprimant toute l'austérité de la
satisfaction, en décriant les macérations du corps,
en faisant cesser l'obligation du jeûne, en déchar-
geant le pécheur de tout ceîa, en lui rendant tout
cela odieux, en n'exigeant autre chose de lui, sinon
qu'il croie , sans hésiter , que malgré ses péchés , il
est revêtu de la justice de Jésus-Christ , et parla,
lui accordant plus qu'il ne pourroit, selon nous,
TOME xi. 3o
£G6 POUR l'ouverture
espérer de l'indulgence et de la pénitence jointes
ensemble , puisqu'indépendamment de l'une et de
l'autre , on l'assure qu'il ne doit plus rien à la jus-
tice de Dieu? Mais surtout n'est-ce pas anéantir la
pénitence , et renverser toutes les idées que l'Ecri-
ture nous en donne, de dire, comme les hérésiarques,
que quand le pécheur est une fois justifié , il ne
peut plus perdre la grâce ; que quelque crime en-
suite qu'il commette , ses crimes ne lui sont plus
imputés ? La rémission des peines , que Dieu ac-
corde par l'indulgence à un pécheur contrit et hu-
milié , a-t-elle rien qui approche de ce relâchement,
et fut-il jamais une indulgence, si je puis ainsi par-
ler, plus monstrueuse que celle-là, et plus chimé-
rique ?
Cependant, pour recevoir l'indulgence du jubilé,
suffit-il d'être en état de grâce ? non, chrétiens ; mais
je dis qu'il faut encore accomplir les œuvres ordon-
nées par la bulle ; les accomplir réellement : l'in-
tention et la volonté , quoique sincère , ne suffiroit
pas ;• les accomplir toutes , une seule omise , c'est
assez pour nous priver de tout droit à l'indulgence ;
les accomplir au temps marqué , afin que , jointes
ensemble , elles en aient plus de force et plus de
vertu ; les accomplir en esprit de pénitence , puis-
que , par une espèce de compensation , elles nous
doivent tenir lieu d'une plus ample et plus sévère
pénitence.
Mais quelles sont ces œuvres ? souffrez , mes
frères, que, pour votre instruction , j'en fasse ici un
détail abrégé : elles se réduisent à six.
DU JUBILÉ. 467
En premier lieu , commencer les œuvres pres-
crites par la confession , afin que tout le reste étant
fait en état de grâce, en soit plus méritoire , plus
satisfactoire , plus saint , plus digne de Dieu ; et
faire cette confession avec le même soin , la même
ferveur, que si c'étoit la dernière de la vie, puisque
l'effet du jubilé doit être de nous mettre en état
d'aller jouir sans délai de la possession de Dieu , si
la mort tout à coup nous enlevoit.
En second lieu, faire des aumônes, pour répandre
sur les membres vivans de Jésus-Christ les tributs
que la pénitence impose à la charité. La bulle ne
détermine point la quantité de ces aumônes, parce
qu'elle suppose que vous les ferez chacun à pro-
portion de votre pouvoir ; mais encore plus chacun
à proportion du nombre de vos péchés dont vous
attendez la rémission. Car, selon la parole du Sau-
veur , celui à qui on remet plus , doit plus aimer ,
et par conséquent plus donner.
En troisième lieu , jeûner si la bulle l'ordonne;
et quand elle ne l'ordonneroit pas , jeûner pour être
plus en disposition de fléchir Dieu. Qui sait, dit le
Prophète , exhortant le peuple de Dieu à l'abstinence
et au jeûne , qui sait si le Seigneur ne se tournera
pas vers vous, et si , touché de vos jeûnts , il ne
vous pardonnera pas ?
En quatrième lieu , visiter les Eglises assignées ,
pour honorer les martyrs dont les reliques y sont
en dépôt. Ces glorieux martyrs ont satisfait à Dieu,
et le surplus de leurs satisfactions , qui ne leur a
pas été nécessaire pour eux-mêmes , fait encore
468 POUR l'ouverture
une partie du trésor qui nous est appliqué par lé
jubilé.
En cinquième lieu, prier avec toute l'Eglise, et
conformément aux intentions du vicaire de Jésus-
Christ. L'union des fidèles avec leur chef , est un
des plus eiheaces et des plus excellens moyens pour
obtenir de Dieu miséricorde.
Enfin, conclure par la communion, en vertu de
laquelle Jésus-Christ lui-même vient dans nous ,
demeure eu nous, demande grâce pour nous. Quel
sujet n'avons-nous pas de l'espérer, aidés d'un si
puissant intercesseur?
Ah ! chrétiens , admirons la bonté de notre Dieu ,
qui veut bien , à de telles conditions , se relâcher
de tous ses droits ; et reconnoissons qu'il n'appar-
tient qu'au Père des miséricordes d'en user de la
sorte envers des criminels qu'il pourroit abandonner
à toute la rigueur de sa justice. Non , il n'appartient
qu'à lui : les hommes , pour de légères offenses ,
exigent les plus rigoureuses et les plus longues
satisfactions ; et le monde même y est tellement
accoutumé, qu'on ne s'en étonne point, qu'on se
soumet sans hésiter à toutes les réparations que
peut demander un maître dont on a encouru la
disgrâce , qu'on s'estime encore heureux de s'insi-
nuer tout de nouveau, de se rapprocher et de rentrer
en faveur auprès de lui. Combien y a-t-il pour cela
de temps à attendre ? combien y a-t-il d'intrigues
à former , et d'intercesseurs à employer ? et toute-
fois , de quoi souvent s'agit il , et quelle est cette
faute qui coûte tant de repentirs et de peines ?
DU JUBILÉ. 469
peut-être une parole indiscrète et peu respectueuse ,
peut-être un service mal rendu et une négligence.
Voilà, pécheurs, par une utile comparaison, ce qui
vous doit faire goûter votre bonheur, d'avoir à
traiter maintenant avec un Dieu qui vous remet
tout , et qui demande si peu pour une abolition si
parfaite. Tel m'écoute, qui , depuis des dix et des
vingt années, a vécu dans le crime; c'est un libertin
qui, par état et par profession , s'est porté à toutes
les impiétés ; c'est un voluptueux cpii, dominé par
la plus honteuse passion , a vieilli dans la débauche :
quel comble de dettes , et que fera-t-il pour les
acquitter? A tout autre tribunal que celui de Dieu ,
il n'y auroit plus d'espérance , plus de retour , plus
de rémission ; mais au tribunal de la divine miséri-
corde, il peut, s'il le veut, se décharger du fardeau
et de tout le fardeau qui l'accable. Oui , mon cher
auditeur, eussiez-vous été jusqu'à présent l'homme
le plus abandonné à vos passions, et le nombre de
vos péchés , pour me servir de cette figure du Pro-
phète , passât-il le nombre des cheveux de votre
tête , ou celui des grains de sable qu'étale la mer
sur ses rivages, il ne s'agit maintenant , pour en
être quitte devant Dieu , et vraiment quitte , et plei-
nement quitte , et irrévocablement quitte , il n'est ,
dis-je , question , supposé le repentir sincère de
votre cœur , que de quelques jours consacrés au
jeûne , que de quelques heures employées à la
prière, que de quelques oeuvres de la charité et de
la piété chrétienne. Êtes-vous assez ennemi de vous-
même pour perdre volontairement la plus grande
470 POUR l'ouverture
de toutes les grâces , lorsqu'elle vous est si libéra-
lement accordée , lorsqu'elle vous est plutôt donnée
que vendue , lorsque vous avez tant à craindre
qu'elle ne vous soit enlevée pour jamais , et que
n'ayant pas été pour vous , par votre endurcisse-
ment , une grâce de rémission , elle ne devienne
contre vous un titre de condamnation? êtes-vous,
ou assez peu instruit, ou assez peu touché du mai-
heur d'un homme livré à la justice divine et à ses
redoutables châtimens , pour ne travailler pas à les
prévenir et à vous en préserver ? Mais saint Paul,
saisi lui-même de frayeur , tout apôtre qu'il étoit,
ne vous dit-il pas que c'est une chose terrible que
de tomber dans les mains du Dieu vivant? Horreii-
dum est incidere in manus Dei vivenlis (i).
Achevons, et pour dernière instruction, voyons ce
que doit opérer dans nous l'indulgence du jubilé ,
et quels fruits nous en devons retirer : c'est la troi-
sième partie.
TROISIÈME TARTIE.
Vous me demandez, chrétiens, ce que doit pro-
duire en nous la grâce du jubilé : il est aisé de
vous répondre. Car je dis que dans le dessein de
Dieu et de l'Eglise , la fin du jubilé est le renou-
vellement intérieur de nos personnes ; celui que
saint Paul recommandoit si souvent aux fidèles ,
quand il leur disoit : Renovamini spiritu mentis
vestrce (2) ; Renouvelez-vous en esprit et dans
l'intérieur de vos âmes : celui que chacun de nous
(1) Hebr. 10. — (2) Ephes. 4«
DU JUBILÉ. 47 t
doit éprouver et sentir dans soi-même ; en sorte
que par le jubilé nous devenions en Jésus-Christ
de nouvelles créatures , des hommes intérieurement
sanctifiés ; et que nous puissions nous écrier comme
David: Dioci : Nanc cœpi (i); C'est maintenant
que je commence à connoître et à servir Dieu.
Tout le reste de ma vie s'est passé dans l'oisiveté,
dans la dissipation , dans le désordre , dans l'oubli
de mes devoirs , dans le dérèglement de mes pas-
sions : c'est maintenant que je veux commencer à
vivre en chrétien : Dixi : Nu ne cœpi.
Renouvellement qui ne doit consister, ni en de
vains projets , ni en des idées vagues et générales ;
mais qui doit paroi tre dans la réforme de nos ac-
tions, de nos conversations, de nos occupations,
de nos dévotions ; dans un plus grand attachement
à nos obligations , dans une plus fervente applica-
tion à tout ce qui regarde le service et le culte de
Dieu , dans une plus exacte préparation aux sacre-
mens, dans une plus vive et plus respectueuse atten-
tion à la prière, dans une conduite plus charitable
envers le prochain , dans une plus exacte vigilance
sur nous-mêmes ; tellement qu'en tout cela l'on
aperçoive le changement exemplaire et visible qui
s'est fait en nous, et qu'à notre égard la parole de
l'Apôtre se vérifie: Vetera transierunt, eccefacta
sunt omnia nova (2) ; Ce qui restoit de vieux et
de corrompu est passé , tout est devenu nouveau.
Voilà, dis-je , quel doit être le fruit du jubilé; voilà
pourquoi il est institué. Car de prétendre avoir eu
(1, Psalra, 76. — (2) 2. Cor. 5.
472 tour l'ouverture
part à cette grâce, de se flatter d'avoir gagné cette
indulgence, et se trouver toujours le même homme,
c'est-à-dire , toujours rempli des mêmes imperfec-
tions, sujet aux mêmes foiblesses , engagé dans les
mêmes vices , aussi esclave de ses sens , aussi dominé
par son humeur , aussi déréglé et aussi dissipé ,
aussi lâche et aussi mondain , abus , mes chers audi-
teurs , et illusion. Si cela étoit , que seroit-ce que
le jubilé, si vénérable néanmoins et si saint? une
pure cérémonie, et rien davantage. Et qu'est-ce , en
effet, autre chose pour tant de chrétiens? l'exemple
qu'ils doivent à une famille qui les observe, à toute
une maison qui a les yeux sur eux , au public dont
ils craignent la censure ; certaines considérations
tout humaines, et si vous voulez même , je ne sais
quel reste de religion ; tout cela les engage à suivre
la multitude , et à faire ce que font les autres. Ils
pratiquent le jeûne, ils visitent les autels, ils récitent
des prières , ils donnent l'aumône , ils approchent
du tribunal de la pénitence , ils paroissent à la table
de Jésus-Christ, ils ne manquent à rien de tout ce
que nous pouvons appeler l'extérieur et comme
l'appareil du jubilé. Mais dehors spécieux et belles
apparences , dont la suite fera bientôt connoître le
déguisement et l'erreur : car après ces saints jours
on les verra tels qu'ils étoient : on verra cette femme
ne rien retrancher de ses parures et de ses ajuste—
mens , de son luxe et de ses dépenses ; on verra
cet homme toujours dans les mêmes jeux, les mêmes
compagnies , les mêmes spectacles ; ce père n'en
sera pas plus attentif à l'éducation de ses enfans;
DU JUBILÉ. 473
cette mère n'en sera pas plus appliquée à établir
l'ordre dans son domestique; ce magistrat n'en sera
pas plus assidu aux fonctions de sa charge ; ce mé-
disant n'en parlera pas avec moins de liberté ; cet
ambitieux n'en formera pas moins de projets pour
l'avancement de sa fortune ; ce riche n'en aura
pas moins d'ardeur pour entasser biens sur biens ;
enfin, nul changement, nulle réformation de mœurs;
et alors le mystère se découvrira : je veux dire
qu'alors il ne sera pas difficile de connoître s'ils ont
reçu la grâce du jubilé ; ou plutôt qu'il sera aisé
de conclure absolument que c'a été une grâce perdue
pour eux. Et en effet , j'examine la chose dans son
fond , et je remonte au principe : avoir gagné l'in-
dulgence du jubilé, c'est de bonne foi s'être récon-
cilié avec Dieu; pour s'être de bonne foi réconcilié
avec Dieu , il faut de bonne foi être retourné à
Dieu ; et pour y être retourné delà sorte, avoir de
bonne foi détesté le péché , de bonne foi renoncé
au péché , de bonne foi résolu et promis de se pré-
server du péché, et de prendre une conduite toute
opposée à ses premiers égaremens. Or peut-on
croire avec quelque vraisemblance, qu'une telle con-
version , que de telles résolutions et de telles pro-
messes se fussent sitôt démenties, si elles avoient
été sincères? Je vous le donne à juger, chrétiens;
et quoi que vous en puissiez penser , je m'en tiens
toujours à ma proposition , qu'un des principaux
effets de cette indulgence que je vous prêche, doit
être le renouvellement de votre vie : Ecce facta
sunt omnia nova.
4y4 pour l'ouverture
Mais, dites- vous , sans attendre le jubile', si nous
sommes fidèles à la grâce , tous les temps ne sont-ils
pas bons pour travailler à ce renouvellement de
nous-mêmes , et ne doivent-ils pas être pour nous
des temps de conversion? Je l'avoue, mes chers au-
diteurs , ils le doivent être ; et par cette raison ils
le sont tous, quant à l'obligation , puisqu'il n'y en
a aucun , où Dieu , si nous sommes dans le désordre,
ne nous commande d'en sortir et de nous conver-
tir ; mais ils ne le sont pas tous , ou du moins ils
ne le sont pas également quant à la disposition de
nos cœurs ; ni même du côté de Dieu , quant à la
préparation des grâces auxquelles notre conversion
est attachée. Car il est de la foi qu'il y a des temps
dans la vie plus propres que les autres et plus favo-
rables pour le salut ; des temps où il est plus pos-
sible et plus facile de trouver Dieu : Quœrite Do-
minam dum inveniri potest (i) ; des temps où il
est plus utile et plus nécessaire de l'invoquer, parce
qu'il est plus proche de nous : J avocate eum dàm
pro>è est (2) ; des temps choisis par la Provi-
dence , pour opérer dans nous ce changement de
la main du Très- haut ,dont David se rendoit à lui-
même le témoignage , quand il disoit avec une
humble confiance et avec action de grâces : Dixl:
Nunc cœjn ; hœc mutatio deocterœ excelsi (.'■).
Or un de ces temps choisis spécialement de Dieu,
un de ces temps favorables , un de ces temps de
salut et de conversion , c'est le jubilé ; et je puis
bien 1 ii appliquer ce que saint Paul disoit aux Co-
(1) Psal. 55. — (2) Ibid, — (5) Psalm. 76.
DU JUBILÉ, 47^
rinthiens : Ecce nunc tempus acceptabile ; ecce
nunc dies salutis (i) ; Temps de crise, si j'ose
ainsi m'exprimer , temps de crise et pour les pé-
cheurs , et pour les justes : pour les pécheurs , parce
que la grâce dont Dieu les prévient , fait en eux les
derniers efforts pour les tirer du dangereux état où
le péché les a réduits ; pour les justes , puisqu'ils
ont besoin de ce secours extraordinaire , pour sortir
de l'état de tiédeur dont ils auraient à craindre sans
cela les suites funestes : Ecce nunc tempus accep-
tabile ; ecce nunc dies salutis.
Aussi, chrétiens, le jubilé est-il l'engagement le
plus naturel à ce renouvellement de vie , le moyen
ie plus efficace de ce renouvellement de vie , l'oc-
casion la plus avantageuse pour ce renouvellement
de vie : prenez garde à ces trois pensées. L'enga-
gementle plus naturel à ce renouvellement de vie :
car comment puis-je, sans cela, reconnoître le don
de Dieu , et comment puis-je l'honorer dans ma
personne , si je ne suis intérieurement et parfaite-
ment renouvelé selon Dieu ? Dieu , en m'accordant
la grâce du jubilé , me remet en quelque façon tous
les intérêts de sa justice , et répand sur mûi , sans
réserve, tous les trésors de sa miséricorde : n'est-il
pas juste que je réponde à ce bienfait inestimable
par un redoublement de zèle , et qu'en reconnois-
sance de ce que Dieu a fait pour moi , après m'être
reproché d'avoir fait jusqu'à maintenant si peu pour
lui , je commence à le servir avec un cœur nouveau
et comme un homme nouveau ? Le moyen le plus
(1) i. Cor. 6.
476 POUR l'ouverture
efficace de ce renouvellement de vie : pourquoi ?
c'est que le jubilé, par la plénitude des grâces qu'il
renferme , en ôte le principal et l'unique obstacle.
Ce qui nous empêche de nous élever à Dieu et de
marcher dans la pratique de cette vie nouvelle dont
parle saint Paul , c'est le poids du péché qui nous
accable : or nous en sommes pleinement déchargés
par le jubilé; c'est donc alors que nous avons droit
de dire : Déponentes omne pondus et circumstans
nos peccatum , curramus ad propositum nobis
cerlamen (1). Dégagés de tout ce qui nous appe-
santissoit , et absolument délivrés des liens du pé-
ché, qui nous serroient si étroitement, courons avec
joie dans la carrière du salut qui nous est ouverte»
L'occasion la plus avantageuse pour ce renouvelle-
ment de vie : et en effet , si dans le dessein que nous
avons de retourner à Dieu , nous étions encore re-
tenus par les considérations du monde ; si par un
respect humain , nous avions encore de la peine à
nous déclarer , non-seulement le jubilé nous y in-
vite, mais il nous en facilite l'exécution. A combien
de pécheurs et de pécheresses, à combien de mon-
dains et de mondaines ce saint temps n'a-t-il pas
été, pour user de ce terme, l'époque de leur con-
version , jusqu'à leur avoir attiré l'estime et les
éloges du monde même ?
Ne différons donc pas davantage une affaire aussi
importante que celle du parfait renouvellement et
du changement intérieur de nos âmes , à quoi nous
(1) Hebr. 13.
DU JUBILÉ. 477
devons rapporter la grûce du jubilé. Pour ne pas
recevoir cette grâce en vain , faisons voir par nos
oeuvres quelle est sa vertu , et justifions-la par les
salutaires effets dont elle va être suivie. Voici peut-
être le dernier temps, dont nous serons en état et
en pouvoir de profiter: écoutons Dieu, et n'endur-
cissons pas nos cœurs ; peut-être sa patience qui
a des bornes, se lassera- t-elle enfin de nous sup-
porter ; peut-être sommes-nous à la veille de tomber
entre les mains de sa justice ; peut-être la coignée
est-elle déjà à la racine de l'arbre ; hâtons-nous
d'accomplir le dessein de Dieu , qui ne peut-être
que notre sanctification. Àh ! qu'il ne nous arrive
pas , comme à l'infortunée Jérusalem , d'ajouter à
nos autres désordres celui de ne pas connoître le
temps où Dieu nous visite , et par là de mettre le
comble à notre réprobation. Dieu nous visite par
ses châtimens dans les temps de calamité et de mi-
sère , et il nous visite par ses consolations dans le
temps du jubilé. Malheur à nous , si nous ne con-
noissons pas un si saint temps; et encore plus mal-
heureux , si le connoissant, nous ne nous en ser-
vons pas. Car voilà ce qui acheva la ruine de cette
ville criminelle , lorsque Jésus-Christ lui dit , en
pleurant : Eo qnod non cognoueris tempu? visi-
tationis tuœ (i). Il n'attribua pas sa destruction
future à tous les autres crimes qu'elle avoit commis,
ni même à celui qu'elle alloit commettre en le cru-
cifiant ; mais à celui dont elle s'étoit rendue cou- x
pable, en ne discernant pas le temps où Dieu l'avoit
(1) Luc. ig.
4"? 8 pour l'ouverture du jubilé.
recherchée et appelée. Détournez de nous , Sei-
gneur, une malédiction si terrible; éclairez-nous,
touchez-nous , aidez-nous vous-même à faire un
saint usage d'un temps si précieux ; préparez-y
nos cœurs par votre grâce , et que ce jubilé soit
vraiment pour nous le temps du salut , où nous
conduise , etc.
TABLE DES SERMONS,
AVEC L'ABRÉGÉ DE CHAQUE SERMON.
Nota. Le premier chiffre marque la page où commence l'article
que l'on abrège , et le second, la page où ce même article finit.
Sermon sur la Conception de la Vierge , pag. i.
Sujet. Jacob fut père de Joseph , l'époux de Marie ,
de laquelle est né Jésus , qu'on appelle Christ. Voilà le
plus bel éloge de Marie j voilà ce qui rend sa conception ,
non-seulement si glorieuse , mais si sainte. L'Eglise pré-
tend honorer aujourd'hui la grâce qui la sanctifia dès le
moment qu'elle fut conçue, et c'est de laque nous devons
tirer de solides instructions pour nous. P. i — 5.
Division. Marie , par le privilège de sa conception ,
pleinement victorienne du péché, nous fait connoître par
une règle toute contraire l'état malheureux où nous a
réduits le péché : i." partie. Marie sanctifiée par la grâce
de sa conception , nous fait connoître l'heureux état où
nous sommes élevés par la grâce de notre baptême :
2.e partie. Marie fidèle à la grâce de sa conception , nous
fait connoître par son exemple , l'obligation indispensa-
ble que nous avons de ménager et de conserver la grâce
en vertu de laquelle nous sommes tout ce que nous
sommes : 3.c partie. P. 5 — 5.
I.re Partie. Marie , par le privilège de sa conception ,
pleinement victorieuse du péché , nous fait connoître
par une règle toute contraire , l'état malheureux où
nous a réduits le péché. Tous les autres avantages que
pouvoit avoir Marie dans sa conception , n'eussent rien
été aux yeux de Dieu sans la grâce, et Dieu à ce moment
ne la considéra , ni ne l'estima que parce qu'elle lui pa-
rut dès-lors revêtue de la grâce. De là comprenons ,
48o TABLE ET ABRÉGÉ
i. quel est le fond de notre misère , d'avoir été conçus
hors de la grâce; 2. quels en sont les effets , puisque par
là nous nous trouvons malheureusement sujets à tous
les de'sordres que traîne après soi le pe'che' d'origine.
P. 5— 10.
Ce n'est pas assez : mais 1. le comble de notre misère ,
c'est que, toute humiliante qu'elle est, elle ne nous hu-
milie pas ; 2. l'excès de notre misère , c'est que , toute
déplorable qu'elle est, nous ne la déplorons pas ; 3. le
prodige de notre misère , c'est qu'au lieu de la déplorer ,
nous nous aveuglons tous les jours jusques à nous ea
féliciter et à nous en glorifier ; 4- l'abus de notre misère ,
c'est que nous en tirons même avantage, jusques à nous
en servir comme d'une excuse dans nos péchés , et jus-
qu'à nous en prévaloir contre Dieu ; 5. la malignité de
notre misère , c'est que le péché où nous avons été con-
çus , infecte dans nous tout ce qui vient de Dieu et tout
ce que nous avons reçu de Dieu ; 6. l'abomination de
notre misère, c'est que, non contens d'être enfans de co-
lère par nature, nous le sommes et nous voulons bien
l'être par notre choix ; 7. l'abomination de désolation
dans notre misère, c'est qu'outre le pécbé de nos premiers
parens, qui est retombé sur nous, nous suscitons encore
tous les jours dans le christianisme de nouveaux péchés
originels, pires que celui-là, et d'une conséquence pour
nous plus pernicieuse. P. 10 — 20.
II.e Partie. Marie sanctifiée par la grâce de sa concep-
tion , nous fait connoître l'heureux état où nous sommes
élevés par la grâce de notre baptême. Cette grâce que
reçut Marie dans sa conception , 1. sanctifia sa personne ;
2. releva le mérite de toutes les actions de sa vie. Grâce
qui sanctifia la personne de Marie , et qui par là même
la disposa à être la mère de Dieu , en la rendant digne
de Dieu ; grâce qui releva le mérite de toutes les actions
de Mario , puisque la mère de Dieu, dans tout le cours de
sa vie , n'a pas fait une seule action qui n'ait tiré son
prix et sa valeur de cette première grâce. P. 20 — 25.
DES SERMONS. 48 1
Âinsî , par proportion , la grâce de notre baptême i.
sanctifie nos personnes j 2. répand sur nos actions un
mérite qui les rend dignes de la vie éternelle qne nous
devons posséder en Dieu. Elle sanctifie nos personnes ,
en nous élevant jusqu'à la dignité d'enfans de Dieu. Quel
avantage ! voilà le titre qui fait notre véritable grandeur.
Elle répand sur nos actions un mérite qui les rend dignes
de la vie éternelle : car en vertu de cette grâce nous
devenons les héritiers de Dieu et les cohéritiers de Jésus-
Christ ; et toutes nos bonnes œuvres , consacrées par
cette grâce , nous donnent un droit certain à la gloire
céleste. P. 25 — 3i.
III. e Partir. Marie fidèle à la grâce de sa conception
nous fait connoître ,par son exemple, l'obligation indis-
pensable que nous avons de ménager et de consprver la
grâce par où nous sommes tout ce que nous sommes,
i. Marie , quoique exempte de toute foiblesse et confir-
mée eu grâce dans sa conception , n'a pas laissé de fuir
le monde et la corruption du monde j 2. Marie , quoique
conçue avec tous les privilèges de l'innocence , n'a pas
laissé de vivre dans l'austérité et dans les rigueurs de la
pénitence ; 5. Marie , quoique remplie du Saint-Esprit
dès l'instant de son origine , n'a pas laissé de travailler ;
et sans mettre jamais de bornes à sa sainteté, elle a tou-
jours été croissant en vertus et en mérites. P. 3i , 32.
1. Marie a fui le monde , quoique le monde n'eût rien
pour elle de dangereux; et nous pour qui il est si conta-
gieux , nous le recherchons , et nous prétendons que
Dieu, pour nous y soutenir malgré notre foiblesse, fasse
des miracles. P. 32 — 4°-
2. Marie a vécu dans la pénitence, quoiqu'elle eût été
conçue avec tous les privilèges de l'innocence ; et nous ,
pécheurs , nous voulons goûter toutes les douceurs de la
vie. P. 4o — 42-
5. Marie , quoique pourvue d'une grâce surabondante 9
TOME XI. 3i
4.82 TABLE ET ABRÉGÉ
s'est néanmoins toujours appliquée à croître en yertus
et en mérites ; et nous en qui la grâce laisse toujours un
si grand vide , quelque peu de bien que nous fassions ,
nous nous en tenons-là. F. 4'* — 44-
Compliment au roi. P. 44 — 47-
Sermon sur V Annonciation de la Vierge 5
page 48.
Sujet. Alors Marie dit à l'ange : Je suis la servante
du Seigneur , qu'il me soit fait selon votre parole. C'est
en conséquence de cette réponse et tle ce consentement
de Marie , que le fils de Dieu descendit de sa gloire , et
s'incarna dans les chastes entrailles de cette vierge.
P. 48 , 4<>
Division. Marie conçut le Verbe de Dieu, et par l'hu-
milité de son coeur , i.re partie ; et par la pureté de son
corps , 2.e partie. P. 49 — 5i-.
I.re Partie. Marie conçut le Verbe de Dieu par l'humi-
lité de son cœur. C'est l'humilité , dit saint Augustin , qui
de la part de l'homme , doit être la première et l'essen-
tielle disposition aux communications de Dieu : si donc
Dieu choisit Marie pour sa mère, préférablement à toute
autre femme , c'est qu'elle lui parut seule dans l'état de
cette humilité parfaite qu'il demandoit. P. 5i — 55.
Et en effet, remarque saint Bernard , un Dieu qui lui-
même étoit sur le point de s'humilier jusqu'à l'excès en
se revêtant de notre chair, devoit avoir des complaisances
infinies pour l'humilité. Mais qu'y eut-il donc de si sin-
gulier dans l'humilité de Marie ? i. Ce fut une humilité
jointe à la plénitude du mérite. On la salue comme pleine
de grâce : Gratid plena ; et elle répond qu'elle est la
servante du Seigneur : Ecce ancilla Domini. i. Ce fut
une humilité dans le comble de l'honneur. Un ange lui
DES SERMONS. /{83
Vient annoncer qu'elle sera mère de Dieu : Ecce conci-
pies ; et elle ne se donne que le titre de servante de
Dieu : Ecce ancilla Domini. Or , voilà ce qui ravit le
ciel ; voilà ce qui achève de déterminer le Verbe de Dieu
à sortir du sein de son Père pour se renfermer dans le
sein de Marie. Tandis qu'elle s'humilie devant Dieu , le
fils de Dieu s'anéantit en elle : Exinanivit semetipsum.
P. 55-59.
De là apprenons l'humilité. Une mère de Dieu humble,
tin Dieu anéanti , quelles leçons pour nous ! Sans l'hu-
milité , il n'y a ni christianisme , ni religion , puisque
sans l'humilité il n'y auroit pas même d'incarnation ni
d'homme-Dieu. Il est vrai que l'humilité est une vertu
assez inconnue à la cour ; mais c'est pour cela même qu'il
faut l'y prêcher , afin de l'y faire connoître. Cependant,
peut-on être humble et grand tout à la fois ? En pouvons-
nous douter depuis que le Fils même de Dieu a pu de-
venir humble en demeurant Dieu , et depuis que Marie a
pu être la plus humble de toutes les créatures , en deve-
nant la mère de Dieu. Oui , on peut être humble et être
grand ; et l'avantage même des grands est de trouver
dans l'humilité de quoi sanctifier leur condition , et de
trouver dans leur condition de quoi rendre leur humilité
plus sainte et plus précieuse devant Dieu. P. 59 — 68.
II. e Partie. Marie conçut le Verbe de Dieu par la pureté
de son corps et par sa virginité. Le Prophète avoit prédit
que le Messie naîtrait d'une vierge ; et il étoit, dit saint
Bernard , de la dignité d'un Dieu , en se faisant homme ,
d'avoir une mère vierge , puisque toute autre conception
que celle-là eût obscurci l'éclat et la gloire de sa divi-
nité. Aussi , selon la belle réflexion du même saint Ber-
nard, tout ce mystère se passe entre Dieu , un ange et
Marie, qui nous marquent autant de caractères difFérens
de la plus parfaite pureté. Que devons-nous conclure de
Va l que Dieu étant par lui-même la pureté essentielle ,
r£$£ TABLE ET ABRÉGÉ
il falloit et une pureté' angélique , et une pureté' virgi-
nale , pour concerter eutre Dieu et l'homme cette inef-
fable union qui s'est accomplie dans le Verbe fait chair.
P. 69 , 70.
Dieu même , dans ce m\ stère , donne la préférence
à la pureté virginale , en cboisissant une mère vierge ,
et lui députant un ange qui n'est auprès d'elle que son
ambassadeur. Ne nous en étonnons pas , poursuit saint
Bernard , puisque la pureté de cette vierge étoit d'un
mérite qui l'élevoit au-dessus de celle des anges : car les
anges sont purs par nature et par un privilège de béati-
tude et de gloire ; mais Marie l'étoit par choix et par
vertu. Et jusqu'à quel point l'étoit-elle l 1. jusqu'à se
troubler à la vue d'un ange : effet de sa vigilance pour
conserver le trésor de sa virginité; 2. jusqu'à être prête
à renoncer à la maternité divine , plutôt que de cesser
d'être vierge : effet de sa constance pour ne pas perdre
le trésor de sa virginité. Or c'est cela même qui engage
Dieu à lui donner son esprit : Spiritus Sanctus superveniet
in te ; et à venir lui-même dans elle pour s'y faire chair :
ferbum caro Jactum est. P. 70 — 76.
Après cette alliance merveilleuse qu'un Dieu a con-
tractée avec notre chair , quel soin ne devons-nous pas
avoir de maintenir nos corps dans une pureté inviolable ;
et pouvons-nous trouver étrange que saint Paul et les
Pères aient témoigué une horreur spéciale pour l'impu-
reté l Le mvstère de l'incarnation donne à ce péché un
caractère de malice tout particulier. P. 76 — 85.
Autre Sermon sur V Annonciation de la
Vierge, pag. 84.
Suir.T. Le Verbe s'est fait chair, et il a demeuré parmi
nous. C'est le grand mystère que célèbre l'Eglise. Mystère
DES SERMONS. 4^
de la bonté et de la charité de Dieu envers les hommes ;
mystère qui , tout incroyable qu'il paroît , a été cru dans
tout le monde. Il s'agit dans ce discours d'en donner une
connoissance aussi parfaite que nous pouvons l'avoir.
P. 84 , 85.
Division. Trois alliances merveilleuses. Alliance du
Verbe avec la chair par rapport a Jésus-Christ qui de-
vient homme-Dieu : i.re partie. Alliance du Verbe avec
la chair par rapport à Marie qui devient mère de Dieu :
2.e partie. Alliance du Verbe avec la chair par rapport à
bous qui devenons enfans de Dieu : 5.e partie. P. 85 — 87.
I.re Partie. Alliance du Verbe avec la chair par rapport
à Jésus-Christ qui devient homme-Dieu. Miracle que la
foi nous révèle, et d'où il s'ensuit que la chair de l'homme,
considérée dans la personne du Rédempteur , est vrai-
ment la chair d'un Dieu, et qu'elle est entrée en posses-
sion de toute la gloire de Dieu. De là vient encore que
dans Jésus-Christ , entre la chair et le Verbe , il n'y a
rien eu de divisé; et que ce qui étoit vrai de l'un , par
une communication d'attributs , l'est aussi de l'autre.
Parce que la chair de Jésus Cbrist a été passible , nous
disons que le Verbe de Dieu a souffert ; et parce que le
Verbe est e^al à Dieu , nous ne craignons point de dire
que la chair de Jésus-Christ est assise à la droite de Dieu»
P. 87— 91.
Trois hérésies : 1. de ceux qui ont combattu la divinité
de Jésus-Christ j 2. de ceux qui n'ont pas voulu recon-
moître l'humanité de Jésus-Christ ; 5. de ceux qui , re-
connoissant la divinité et l'humanité de Jésus-Cbrist ,
ont seulement nié l'union de l'une et de l'autre , telle
que le Saint-Fisprit l'a faite , et telle qu'elle subsistera
toujours. Dogmes impies que l'Eylise a frappés de ses
anathèmes. P 91—94.
Il est donc vrai que le Verbe de Dieu s'est réellement
fait chair ; et puisque la chair de ce Verbe fait homme
486 TABLE ET ABRÉGÉ
est la chair d'un Dieu , jugeons avec quel sujet saint Pau?
a prononcé un si terrible arrêt contre ceux qui la reçoi-
vent indignement dans la communion. Quelle épreuve
Marie fit-elle d'elle-même avant que de consentir a l'in-
carnation de ce Dieu-homme dans son sein ! Faispns de
nous la même épreuve pour nous disposer à la commu-
nion pascale. P 94 — 99-
II. e Pabtie. Alliance du Verbe avec la chair par rapport
à Marie qui devient mère de Dieu. Alliance que 1 héré-
siarque Nestorius ne voulnt pas reconnoître, refusant à
Marie le titre de Mère de Dieu. Mais on sait avec quel
zèle l'Eglise prit les intérêts de cette vierge ; et comment
elle arrêta dans le concile d'Ephèse que le titre de Mère
de Dieu seroit un terme consacré contre 1 hérésie nesto-
rienne , comme celui de consubstantiel l'avoit été dans le
concile de Nicée contre l'hérésie arienne. P. 99 — loi.
Ainsi, nous croyons que Marie est véritablement mère
de Dieu î et c'est sur cette maternité divine que sont
fondés tous les honnenrs que nous lui rendons. Noua
n'en faisons pas une divinité ; mais sans l'élever jusqu'à
Dieu , est-il du reste une grandeur comparable à celle
de cette mère de Dieu î Considérons-la sous deux rap-
ports , l'un h Dieu , l'autre aux hommes. 1. Marie , mère
de Dieu : c'est le premier rapport ; 2. Marie , mère de
Dieu , devenue par là même la médiatrice et comme la
mère des hommes : c'est le second. Or quelle gloire lui
doit revenir de l'un et de l'autre l P. 101 — io5.
1. Marie, mère de Dieu. La virginité et la maternité
jointes ensemble , quel prodige ! Un Dieu dépendant
d'une vierge en qualité de fils, quel honneur pour cette
vierge ! P. io5 — iofi.
2. Marie , mère des hommes, puisque tous les hommes
sont non-seulement les frères, mais les membres de ce
Dieu-homme qu'elle a porté dans son sein. De là, mé-
diatrice et protectrice des hommes. Adressons-nous donc
DES SERMONS. 4$j
à elle arec confiance : ce ne sera pas en vain ; mais nous
en recevrons ce que tant d'autres en ont reçu. P. 106
~n3.
III. e Partie. Alliance du Verbe avec la chair par rap-
port à nous qai devenons enfans de Dieu. Car le Verbe
divin n'a pu se revêtir de la chair de l'homme , sans con-
tracter avec les hommes la plus e'troite affinité ; et du
moment qu'il nous a ainsi unis à lui , en sorte que nous
ne faisons avec lui qu'un même corps , nous pouvons
dire dans un sens propre et réel , que nous sommes en-
fans de Dieu. Sur cela voyous 1. ce que nous devons à
Dieu ; 2. ce que nous nous devons à nous-mêmes. P. 1 15
—116.
1. Ce qne nous devons à Dieu comme enfans de Dieu;
l'obéissance à ses ordres , et le zèle pour sa gloire. Sans
cela que sert-il de l'appeler notre Père ? Si cette obéis-
sance et ce zèle nous doivent coûter , ils ont encore plus
coûté à Jésus-Christ. P. 116 — 120.
2. Ce que nous nous devons à nous-mêmes comme en-
fans de Dieu : ne pas dégénérer de cette glorieuse qualité
par une conduite qui nous en rende indignes. P. 120
123.
Premier Sermon sur la Purification de la
Vierge , pag. 124.
Sujet. Le temps de la purification de Marie étant
accompli, selon la loi de Moïse, ils portèrent l'enfant à
Jérusalem , pour le présenter au Seigneur. Tout cela se
fait selon la loi , et nous apprend comment n^us devons
nous-mêmes observer la loi de Dieu. P. 124 — * i2f>.
Division. En ce que Marie obéit à la loi, nous trouvons
la confusion de notre orgueil qui s'élève contre la loi de
Dieu ; i.re partie. En ce que Marie surmonte toutes les
'488 TABLE ET ABRÉGÉ
difficultés de la loi , nous trouvons la condamnation de
notre lâcheté qui se décourage au moindre effort qu'il
faut faire pour garder la loi de Dieu : 2.e partie. P. 126
— 128.
I.rc PAr.TiE. En ce que Marie obéit à la loi , nous trou-
vons la confusion de notre orgueil qui s'élève contre la
loi de Dieu. Nous nous élevons contre cette loi divine ,
j. par une révolte de cœur; 2. par un aveuglement d'es-
prit : or , l'obéissance de Marie confond aujourd hui l'un
et l'autre. P 128.
1. Révolte de coeur, lorsque nous disons comme l'Ange
rebelle : Non serviam ; Je ne veux point me soumettre.
C'est surtout le péché des grands. Mais sont-ils plus
grands que nel'étoit la mère de Dieu? Non-seulement elle
se soumet à la loi , mais elle y soumet son fils , c'est-à-
dire , un Dieu. Belle leçon et pour les grands et pour
les petits. Pourquoi un Dieu-homme sujet à la loi ? pour
vous faire entendre , grands du monde , l'obligation où
vous êtes de vivre dans un parfait assujettissement aux
lois de Dieu. Obligation spéciale pour trois raisons : 1.
parce que plus vous êtes grands , plus vous êtes capables
de rendre à Dieu l'hommage qui lui est 'dû en qualité de
souverain législateur ; 2. parce que Dieu ne vous a dis-
tingués dans le monde que pour le glorifier de la sorte ;
5. parce que Dieu , en vous plaçant au-dessus du cimmun
des hommes, a prétendu vous proposer au monde comme
des modèles de l'obéissance que nous lui devons. Je dis
plus : pourquoi une mère de Dieu , et par son ministère
tin homme-Dieu soumis à la loi ? pour trois autres rai-
sons qui vous regardent, vous que le Seigneur a réduits
au rang des petits : 1. pour vous consob r de l'état où.
vous êtes; 2. pour vous instruire de la manière dont vous
devez obéir aux hommes pour Dieu , et à Dieu dans les
hommes ; 5. pour confondre vos désobéissances à la loi
de Dieu , lorsque vous avez tint de soumission aux lois
DES SERMONS. 4$9
des hommes. Il est vrai que l'assujettissement où nous
tient la loi de Dieu, nous paroît gênant et humiliant :
mais Je'sus-Christ et Marie s'en sont fait une gloire. Après
cela laissons-nous entraîner à l'esprit du monde, ennemi
de toute loi de Dieu. P. 128 — 15<).
2. Aveuglement d'esprit , quand nous cherchons des
prétextes pour nous de'charger du fardeau de la loi de
Dieu. Je'sus-Christ et Marie s'y soumettent , quoiqu'ils
eussent un droit incontestable de s'en dispenser : Dieu ,
dit saint Augustin , n'ayant pas voulu que notre religion ,
dont Jésus-Christ et Marie jetoient alors les premiers
fondemens, commençât par une dispense. C'étoit néan-
moins une dispense légitime, et presque toutes les nôtres
sont fausses et ahusives. Suis-je obligé à cela , dit on î
est-ce un commandement absolu pour moi l Ce n'est
point ainsi que le Sauveur du monde et sa sainte mère se
sont retranchés sur l'obligation ; et c'est une règle qui
va à nous faire violer les lois les plus indispensables.
Mais ne nous y trompons pas , car Dieu en jugera tout
autrement que nous. P. 109 — 1 4^.
II. c Partie. En ce que Marie surmonte toutes les diffi-
cultés de la loi , nous trouvons la condamnation de notre
lâcheté qui se décourage au moindre effort qu'il faut faire
pour garder la loi de Dieu. Nous nous figurons que cette
loi exige trop de nous, 1. parce qu'elle nous engage à
nous dépouiller en mille occasions de ce que nous avons
de plus cher ; 2. parce qu'elle nous prive de certaines
joies et de certaines douceurs de la vie à quoi nous
sommes attachés ; 5. parce qu'elle nous ordonne en bien
des rencontres de renoncer à un certain honneur mon-
dain dont nous nous piquons. Mais à cela j'oppose trois
leçons que nous fait aujourd'hui Marie. P. 146 — 148.
Première leçon : Marie n'a qu'un Fils ; et pour se sou-
mettre à la loi, elle se résout à le sacrifier. Ce que nous
avons de plus cher , est- il comparable à ce Dieu-homme ?
490 TABLE ET ABRÉGÉ
Souvent même ce que nous avons de plus cher n'est-iï
pas pour nous la source de mille peines ? Quels motifs
se proposa Marie en présentant son Fils l qu'elle le sa-
crifioit à Dieu, qu'elle fléchissoit la colère et la justice
de Dieu , qu'elle attiroit sur elle les faveurs de Dieu.
Entrons dans les mêmes sentimens , et rien ne nous coû-
tera. P. 148—154.
Seconde leçon : Marie , pour garder la loi , sacrifie
toutes les joies de son ame. Sime'on lui prédit qu'en con-
séquence de l'oblation qu'elle fait de son Fils pour être
immolé sur la croix, elle sera percée d'un glaive de dou-
leur, et déjà elle ressent tout ce qu'elle ressentira alors.
Devons-nous refuser après cela de sacrifier à la loi de
Dieu des joies aussi vaines que les nôtres , des joies que
nous sacrifions tous les jours au monde , et à quoi l'esprit
de pénitence nous oblige de renoncer. P. 1 54 — *56.
Troisième leçon : Marie , pour accomplir la loi , sacrifie
jusqu'à son honneur, puisqu'en se purifiant elle paroît
de même condition que les autres femmes. Or, la loi de
Dieu ne nous engage à rien de si humiliant ; mais tous
les jours néanmoins nous l'abandonnons pour un faux
honneur, et pour contenter une folle ambition. P. i56
—i5g.
Compliment au roi. P, 'i5g — 161.
Deuxième Sermon sur la Purification de la
Vierge, pag. 162.
Sujet. Le temps de la purification de Marie étant
accompli , selon la loi de Moïse , ils portèrent l'enfant
à Jérusalem pour le présenter au Seigneur. Deux mys-
tères exprimés dans ces paroles, la purification de Marie,
et la présentation de Jésus-Christ. Tirons-en les fruits
DES SERMONS. 4<)£
de sainteté qu'ils peuvent produire dans nos coeurs.
P. 162, i63.
Division. Jésus-Christ dévoué et consacré à Dieu, nous
apprend à connoître Dieu : i.re partie. Jésus-Christ offert
et immolé pour nous , nous apprend a nous connoître
nous-mêmes : 2.e partie. P. i65 — i65.
I.re Partie. Jésus-Christ dévoué et consacré à Dieu ,
nous apprend à connoître Dieu, 1. comme souverain Sei-
gneur; 2. comme source de tous les biens; 3. comme
vengeur du péché. P. i65, 166.
1. Comme souverain Seigneur. Si Marie présente
Jésus-Christ, c'est pour honorer la souveraineté de Dieu,
selon qu'il étoit porté dans la loi : Consacrez-moi chaque
premier né ; car toutes choses m'appartiennent. Il falloit
que la loi de grâce donnât à cette cérémonie toute sa
perfection : comment ? en offrant à Dieu, dans la per-
sonne de Jésus-Christ, un premier né au-dessus de tous
les autres; c'est-à-dire, 1. un premier né qui représentât
tous les hommes dont il est le chef; 2. un premier né
égal à Dieu , et vrai Dieu. De là comprenons quel est le
souverain empire de Dieu , et de là même jugeons quel
est le désordre de l'homme qui veut vivre à l'égard de
Dieu dans l'indépeudance : indépendance qu'affectent
surtout les grands; indépendance qui vient dans les uns
d'un oubli général de leurs devoirs, dans les autres d'un
excès d'amour-propre ; dans ceux-ci d'un esprit d'or-
gueil , dans ceux-là d'un fonds de libertinage. Que nous
prêche au contraire l'exemple de Jésus-Christ ? une dé-
pendance entière de Dieu : tel est le premier fruit que
nous devons retirer de cette solennité. Je ne suis pas à
moi, mais à Dieu; donc je ne dois vivre que pour Dieu :
c'est dans cet esprit que tout chrétien a dû se présenter
aujourd'hui devant les autels pour faire à Dieu un sacri-
fice parfait de lui-même. P. 166 — 176.
2. Comme source de tous les biens. Les Juifs offroient
492 TABLE ET ABRÉGÉ
à Dieu leurs premiers ne's en mémoire du bienfait signalé
qu'ils avoïent reçu, lorsque Oieu , pour les délivrer de
l'esclavage de Pharaon, a-voit fait périr dans une seule
nuit tous les premiers nés d'Egypte ; et Jésus-Christ , qui
cl ut la fin et le consommateur de la loi , est aujourd'hui
offert comme premier né de lout le genre humain , en
action de grâces des obligations infinies que nous avons
à Dieu. De sorte que ce Sauveur des hommes est i. le
modèle de notre reconnoissance envers Dieu j 2. le sup-
plément de notre reconnoissance envers Dieu ; 3. la per-
fection de notre reconnoissance envers Dieu. Mais au
lieu de cette reconnoissance , quelle est notre ingrati-
tude l nous méconnoissons les bienfaits de Dieu , et nous
en abusons. Cependant nous lui en rendrons compte ; et,
s'ils ne servent pas à notre sanctification , ils serviront
à notre damnation. P. 177 — 182.
5. Comme vengeur du péché. Jésus-Christ est offert à
Dieu comme la victime du péché , et c'est ici , aussi bien
que dans sa circoncision , qu'il paroît sous la forme de
pécheur , ou qu'il se substitue en la place des pécheurs :
du reste» cette oblation de Jésus Christ ne nous dispense
pas du devoir de la pénitence : au contraire , elle doit
nous y exciter en nous faisant voir combien Dieu hait le
péché , et jusqu'à quel point il doit être haï et puni par
nous-mêmes : mais c'est ce que nous ne voulons point
comprendre. P. 182 — 185.
II.e Partie. Jésus-Christ offert et immolé pour nous,
nous apprend à nous connoître nous-mêmes. Rien de
plus nécessaire que cette connoissance de nous-mêmes ;
et en particulier, rien de plus utile que la connoissance
de notre vraie grandeur. Or , ce mystère nous découvre
i. notre excellence , 2. notre dignité. P. i85 — 187.
1. Notre excellence , c'est-à-dire ce que nous valons
dans l'estime de Dieu. Pouvons-nous l'ignorer en voyant
Jésus Christ livré pour nous ? Voilà , homme , ce que
DES SERMONS. 4g3
votre ame et votre salât ont coûté à Dieu. Tellement
qu'il y a de la proportion entre votre salut et le sang
d'un Dieu , entre votre ame et la vie d'un Dieu , entre
vous-même et la personne d'un Dieu. Cela supposé, quel
est notre aveuglement , d'abandonner le soin de cette
ame et de ce salut ! Le Fils de Dieu disoit autrefois:
Quel échange l'homme donnera-t-il pour son ame ? mais
nous pouvons bien dire à présent : Pour quel échange
l'homme ne donneroit-il pas son ame , et ne la donne-t-il
pas tous les pjurs ? Or , c'est ce prodigieux aveuglement
que Jésus-Christ est venu guérir. P. ibS — Jg4»
2. Notre dignité, c'est-à-dire ce que nous sommes par
la vocation et par la prédestination de Dieu j car , en
conséquence de cette rédemption que le Sauveur des
hommes vient de commencer en se présentant pour nous,
nous appartenons spécialement à Dieu. Appartenir aux
hommes, c'est un esclavage qui nous humilie ; mais ap-
partenir à Dieu, c'est un état de liberté qui nous relève
en nous dégageant de la servitude du monde et de l'enfer :
deux conséquences que tiroit l'Apôtre de ce principe :
Empli estis pretio magno ; Vous avez été achetés à un
grand prix. i. Glorifiez donc Dieu, et portez-le dans vos
corps en vous revêtant de la mortification de Jésus-Christ;
2. ne vous engagez donc plus dans la servitude des
hommes : servitude si pernicieuse pour le salut, et même
si dure pour la vie présente. Appliquons-nous à nous-
mêmes cette parole de l'évangile de ce jour : Sanctuni
Domino vocabitur : car , selon le sens qu'elle exprime ,
nous sommes chacun le saint du Seigneur , c'est-à-dire ,
que nous sommes totalement dévoués au Seigneur. P. 194
—198.
Compliment au roi. P. 198 — 200.
49+ TABLE ET ABRÉGÉ
Troisième Sermon sur la Purification de la
Vierge , pag. 201.
Sujet. Le temps de la purification de Marie étant
accompli , selon la loi de Moïse , ils portèrent V enfant
à Jérusalem pour le présenter au Seigneur. C'est ainsi
que nous devons nous présenter nous-mêmes à Dieu.
r. 201 , 202.
Division. Jésus-Christ se présente à Dieu pour recon-
noître et pour honorer le domaine de Dieu : domaine
essentiel que nous devons reconnoître , comme Jésus-
Christ , par une sincère ohlation de nous-mêmes : i.,e
partie ; domaine universel que nous devons reconnoître ,
comme Jésus-Christ, par une entière oblation de nous-
mêmes : 2.e partie ; domaine éternel que nous devons
reconnoître, comme Jésus-Christ, par une prompte obla-
tion de nous-mêmes : 5.e partie. P. 202 — 20/f
I.re Partie. Domaine essentiel que nous devons recon-
noître, comme Jésus-Christ , par une sincère oblation de
nous-mêmes. De tous les tributs que nous devons à
Dieu comme au souverain Seigneur, celui par où nous
distinguons Dieu comme Dieu , c'est cette oblation de
nous-mêmes ; car nous ne nous devons nous-mêmes qu'à
Diett : voilà l'important devoir que Jésus-Christ nous
enseigne dans ce mystère. Il sait que le domaine de Dieu
son Père a été violé , et il en vient réparer la gloire :
comment l en s'offrant lui-même. Mais que sert de nous
offrir ainsi nous-mêmes, puisque nous appartenons déjà
essentiellement à Dieu en qualité de créatures l 11 est
vrai , nous appartenons d'une façon à Dieu par la néces-
sité inséparable de notre être : mais comme il nous a
faits libres, nous pouvons d'ailleurs ne lui pas appartenir
par le choix injuste et criminel de notre volonté. Or il
DES SERMONS. 4.9^
veut qu'en nous présentant nous-mêmes à lui, nous lui
appartenions volontairement , comme nous lui apparte-
nons déjà nécessairement : voilà ce qui fait en quelque
sorte la perfection de son domaine , ce qui fait sa gloire
et la nôtre. P. 204 — 210.
Qu'est-ce proprement que nous-mêmes , et qu'enten-
dons-nous par nous offrir nous-mêmes? c'est offrir notre
cœur, qui est comme notre premier né. Dieu veut l'avoir;
il en est jaloux, et il le mérite bien : serons-nous assez
injustes pour le lui refuser ? Nous lui avons dit cent fois
que nous lui donnions ce cœur j mais par le péché nous
le lui avons ravi : et pourquoi ? pour une passion qui
nous dominoit. Faisons-lui le sacrifice de cette passion ,
et il nous comblera de ses grâces. P. 210 — 2i5.
Vous me direz : Mais cette passion est criminelle 5
comment donc l'offrir à Dieu l Voici le miracle de la
grâce : c'est que ce qui nous rend criminels sert à nous
sanctifier par le sacrifice que nous en faisons. Ainsi , il
faut, ou que nous soyons saints pour nous offrir à Dieu,
ou qu'en uous offrant à Dieu nous devenions saints j car
nous le devenons en effet, puisque s'offrir à Dieu sincè-
rement et de bonne foi , c'est se sanctifier. Il n'en est
pas ainsi à l'égard des grands : on peut se donner à eux ,
et n'en être pas meilleur : à quel autre maître dois-je
donc plutôt me consacrer qu'à Dieu ? P. 21 5— 220.
II. e Pahtie. Domaine universel que nous devons recon-
noître , comme Jésus-Cbrist, par une entière oblation de
nous-mêmes : car le mérite de la religion, dit saint Am-
broise , est de faire à Dieu l'oblation de soi-même dans
une étendue proportionnée à celle du domaine de Dieu.
Jésus-Christ s'offre à son Père sans réserve , et jusqu'à
s'engager même à lui sacrifier tout son sang et sa vie.
Et si nous voulons user de réserve avec Dieu, c'est que
nous ne connoissons point encore assez bien le domaine
de Dieu d'une part, et de l'autre la tyrannie du monde :
4c)6 • TABLE ET ABRÉGÉ
le domaine de Dieu de qui tout de'pend ; la tyrannie du
inonde , qai pre'tend qu'on lai sacrifie tout , et pour qui
en effet nous n'e'pargnons rien. P. 220 — 1^.
Avons-nous jamais bien péne'tré le sens de ces paroles
que Dieu dit à Moïse , et sur quoi est foude'e la céré-
monie de ce jour : Mea sunt omnia ; Tout est à moi l
Tout est à Dieu , parce qu'il est l'auteur de tout , parce
qu'il est le conservateur de tout , parce qu'il dispose de
tout. De là apprenons comment nous devons être à Dieu j
et toutefois , comment y sommes-nous ? nous occupons-
nous de lui ? agissons-nous pour lui ? nous soumettons-
nous à lui et à ses ordres i P. 227 — 232.
Vouloir retenir quelque chose et le refuser à Dieu ,
c'est u'avoir plus pour Dieu cet amour de préférence qui
le met a la tête de tout; et ne le pas aimer de cet amour
de préférence , c'est se rendre indigne de sa grâce :
Yoilà ce qui arrête tant de conversions. Un pécheur vou-
droit se donner à Dieu ; mais ce qui le retient , et ce
qui fait évanouir tous ses projets , ce n'est souvent qu'un
seul point. Disons à Dieu comme David : Lœtus obtuli
imiversa ; C'est avec joie , Seigneur , que je vous offrirai
toutes choses : pourquoi ? Tu dominaris omnium ; C'est
que toutes choses vous appartiennent. P. 255 — 258.
III. e Partie. Domaine éternel que nous devons recon-
noître , comme Jésus-Christ , par une prompte oblation
de nous-mêmes. En couséquence de cette éternité de do-
maine , il n'y a pas un moment où nous ne devions être
à Dieu, puisqu'il n'y a pas un moment où nous ne dé-
pendions de Dieu. D'où S. Thomas conclut que l'homme ,
dès le premier instant qu'il connoît Dieu, est obligé de
l'aimer et de s'élever vers lui ; et c'est en ce sens que
saint Augustin disoit à Dieu : Beauté si ancienne, je vous
ai aimée trop tard. C'est encore par cette règle que les
prophètes ne demandoient pas moins à l'homme qu'une
DES SERMONS. 497
éternité de culte et d'adoration ; c'est-à-dire , un culte
de toute la vie. P. 258 — 24'.
Jésus-Clirist nous donne là-dessus un grand exemple.
Dès sa plus tendre enfance il se présente à son Père ;
mais nous , nous voulons être à Dieu : quand l toujours
pour l'avenir , et jamais pour l'heure présente. Est-ce là
honorer D eu , ou n'est-ce pas l'outrager ? Mais que
fera-t-il? il nous méprisera à son tour, et il nous privera
de sa grâce ; en sorte que nous ne reviendrons jamais à
lui Gela néanmoins ne doit pas désespérer ceux qui
jusques à présent ont passé de longues années sans se
donner à Dieu ; car il y en a eu , après tout, qui , malgré
d'aussi lon^rs retardemens , ont été appelés et reçus de
Dieu ; mais aussi , comme il y en a plusieurs à qui Dieu
n'a pas fait la même miséricorde , c'est ce qui doit ins-
truire et saisir de frayeur ceux qui , dans un âge moins
avancé , sont en état de consacrer à Dieu les prémices
de leurs années. Ne différons donc pas ; mais offrons-
nous, comme Jésus Christ, de bonne heure, et par Marie.
P. 241 — 25l.
Compliment au roi. P. 25 1 — 255.
Sermon sur l'Assomption de la Vierge ,
pag. 254.
Sujet. Marie a choisi la meilleure part , qui ne lui
sera point ôtée. Ce mystère de l'assomption de Marie
est par excellence le mystère de sa gloire ; mais si nous
savons bien nous l'appliquer et en profiter , il n'est pas
moins le mystère de notre espérance. P. 254» 255.
Division. Nous donnons communément dans deux er-
reurs sur le sujet de la gloire de Marie : l'une regarde
les moyens par où elle y est parvenue, et l'autre les avan-
tages qui nous en doivent revenir. Or, voyons, pour
TOME XII. 02
498 TABLE ET ABRÉGÉ
nous garantir de la première erreur, quel a été le vrai
principe de la béatitude de Marie : i.re partie ; voyons ,
pour nous préserver de la seconde, quelle est la mesure
t\u pouvoir de Marie : 2.e partie. Voilà de quoi exciter
tout à la fois et régler notre espérance. P. ?55 — ?58.
I.re Partie. Quel a été le vrai principe de la béatitude
de Marie , c'est-à-dire , pourquoi Marie est-elle aujour-
d'bui glorifiée dans le ciel ? est-ce parce qu'elle a été
mère de Dieu? non; mais, 1. parce qu'elle a été obéis-
sante et fidèle à Dieu; 2. parce qu'elle a été humble de-
vant Dieu. P. 258, ?5g.
1. Parce qu'elle a été obéissante et fidèle à Dieu. C'est
ainsi que le Sauveur du monde s'en déclara, lorsque
cette femme de l'évangile lui ayant dit : Bienheureux le
sein'qui vous a porté , il lui fit cette réponse : Mais plu-
tôt , heureux ceux qui écoutent la parole de Dieu et qui
la mettent en pratique. Par où il donnoit à entendre, re-
prend saint Augustin , que c'étoit l'obéissance et la fidé-
lité de Marie qui faisoit son bonheur , et non pas la ma-
ternité divine. Or, ce qui faisoit alors le bonheur de Ma-
rie, c'est ce qui a fait depuis sa gloire dans le ciel. Avoir
été mère de Dieu, c'est un honheur qu'a reça Marie ;
mais avoir été fidèle à Dieu, c'est un mérite; et Dieu,
dans sa mère même , ne couronne que le mérite. P.
259 — 26 5.
2. Parce qu'elle a été humble. C'est en ce sens que
saint Ambroise prend ces paroles de Marie : Quia res~
pexit humilitatem ancillœ suœ ; ecce enim ex hoc bea-
tam medicent omnes generationes ; Parce que le Seigneur
a jeté les veux sur la bassesse de sa servante , et qu'il a
été touché de l'aveu qu'elle en faisoit ; pour cela , et pour
cela spécialement , elle sera béatifiée. Les anges , dit saint
Bernard, voyant Marie monter au ciel avpc tant do pompe,
eurent bien lieu de s écrier comme les compagnes de
l'Epouse : Quœ est istal Qui est celle-ci? mais on eût
bien pu leur répondre ce que saint Paul tlisoit du Fils
DES SERMONS. 499
de Dieu : Quôd autem ascendit, quid est , nisi quia et
descendit ! Elle est élevée, parce qu'elle s'est abaissée.
P. 265 — 266.
Voilà , encore une fois , ce que le Sauveur du monde
a couronné dans Marie, sans considérer en aucune sorte
qu'elle étoit sa mère : pourquoi? parce qu'en la couron-
nant il n'agissoit ni en fils, ni en homme, mais en Dieu
et en juge souverain. Ainsi l'avoit-il déjà traitée par
avance aux noces de Cana et en d'autres occasions. On
peut dire néanmoins d'ailleurs que sa maternité a contri-
bué à sa béatitude : comment? en ce qu'elle a eu, comme
mère de Dieu, de plus grandes grâces dont elle a rempli
la mesure par sa fidélité; en ce que sa maternité a re-
haussé le prix de son humilité ; mais toujours est-il vrai
que la cause prochaine de la béatitude de Marie n'a point
été sa maternité diviue , et que c'a été seulement sa
fidélité d'une part , et de l'autre son humilité. P. 266
— 270.
Puissans motifs, 1. pour exciter notre espérance; Ma-
rie ne parvient à la gloire que par le même chemin qui
nous est ouvert à tous; 2. pour nous inspirer un saint
mépris de tout ce qui s'appelle distinction et grandeur
dans le monde ; ce n'est point par là que nous mériterons
la gloire du ciel; 5. pour nous faire même peu compter
sur certaines grâces, quoique d'un ordre surnaturel, à
moins qu'elles ne soient soutenues par la sainteté de notre
vie. P. 270 — 277.
II. e Partie. Quel est dans le ciel le pouvoir de Marie
pour nous secourir ? Il est certain que nous pouvons
saintement et utilement invoquer la mère de Dieu; car
on s'adressoit bien à elle lorsqu'elle étoit sur la terre, et
l'on employoit bien sa médiation auprès de Jésus-Cbrist
pour obtenir de lui des grâces : maintenant qu'elle est
dans le ciet, pourquoi le pourroit-on moins? 1. Est-ce
qu'elle ne voudroit plus s'intéresser pour nous ? mais
dans le ciel sa charité est plus ardente que jamais;.?
5oO TABLE ET ABRÉGÉ
est-ce qu'elle ne pent pins nous secourir ? mais dans l'é'-*
tat de sa gloire, seroit-elle moins puissante qu'elle ne
l'étoit parmi nous, et dans ce lieu d'exil ? 3. est-ce qu'elle
ne connoît plus nos besoins , et qu'elle n'entend plus nos
prières ? mais les anges, à qui Dieu a confié nos per-
sonnes, nous entendent bien; 4- est-ce que l'usage de
l'invoquer blesse l'honneur de Dieu ? erreur pitoyable ,•
car nous l'invoquons , non comme celle à qui il appartient
de donner la grâce, mais comme celle qui peut nous
l'obtenir. Nous pouvons donc invoquer Marie, et ce droit
de recourir à elle est un des plus fermes appuis de notre
espérance. Nous avons dans cette vierge, i. une avocate
toute-puissante auprès de son Fils , qui est notre juge ;
et quand nous l'appelons toute-puissante, ce n'est pas
à dire qu'elle soit au-dessus de son Fils , mais qu'elle
peut tout obtenir de lui , et par la prééminence de sa di-
gnité , et par le mérite de sa personne; 2. une mère de
miséricorde pour les pécheurs , puisque c'est aux pé-
cheurs même qu'elle est en quelque manière redevable
de toute sa gloire. P. 277 — 285.
Voilà notre espérance : mais quel en est l'abus ? c'est
que nous osons nous promettre de la protection de Ma-
rie , 1. des grâces chimériques et impossibles j 2. des
grâces possibles, mais miraculeuses; 5. des grâces, s'il
y en avoit de telles, incapables de nous sanctifier, et
beaucoup plus capables de nous pervertir ; 4- des grâces
selon notre goût et les désirs corrompus de notre coeur.
Or ce n'est point pour cela que la mère de Dieu est puis-
sante. Espérons en elle , mais que notre espérance soit
juste et réglée. P. 285 — 286.
Prière à la Vierge. P. 286 — 289.
DES SERMONS.
5o
Autre Sermon pour la fête de l'Assomption
de la Vierge , sur la dévotion à la Vierge ,
pag. 290.
Sujet. Jésus entra dans une bourgade , et unejemme
le reçut dans sa maison. Cette femme, selon le sens que
l'Eglise donne à l'évangile de ce jour, c'est Marie qui
reçut dans ses chastes entrailles le Fils de Dieu : et c'est
elle-même aussi qui est aujourd'hui reçue par cet homme»
ï)ïeu dans le séjour de la gloire. N'entreprenons point
d'expliquer avec quelle pompe elle entre dans le ciel :
mais voyons quelle doit être sur la terre notre dévotion
envers cette glorieuse mère. P. 290 , 291.
Division. Trois devoirs en quoi consiste la dévotion à
la Vierge : l'honorer , mais l'honorer judicieusement:
i.re partie ; l'invoquer, mais l'invoquer efficacement :
2.e partie j limiter, et l'imiter religieusement: 5.e partie.
P. 291 — 295.
I.re Partie. Honorer Marie, mais l'honorer judicieu-
sement. S'il peut y avoir parmi les personnes adonnées
au service de la Vierge quelques dévots indiscrets , il
faut aussi convenir qu'il peut y avoir parmi ceux qui cen-
surent les dévots de la Vierge des censeurs indiscrets.
Ils se sont plaints, 1. qu'on rendoit des hommages à Ma-
rie comme à une divinité; 2. qu'on lui donnoit des titres
d'honneur qui ne lui appartenoient pas , surtout ceux de
médiatrice et de réparatrice ; 5. qu'on lui attribuoit de
nouveaux privilèges qui ne nous étoient révélés ni dans
l'Ecriture ni dans la tradition. Examinons ces plaintes ;
et de là même tirons des règles sûres pour honorer dis-
crètement la reine du ciel. P. 295 — 295.
1. On s'est plaint que les dévots de Marie l'honoroient
comme une divinité. Mais grâces à la Providence , 1 Eglise
5û2 TABLE ET ABRÉGÉ
de Jésus-Christ n'avoit pas besoin de l'avis prétendu sa-
lutaire qu'on a voulu nous donner là-dessus ;car ce n'est
point à Marie que nous offrons, comme à Dieu, des sa-
crifices; nous l'honorons d'un culte inférieur à celui de
Dieu , mais supérieur à tout autre que celui de Dieu; et
c'est l'honorer judicieusement. P. 293 — 298.
2. On s'est plaint que les dévots de Marie lui donnoient
des titres d'honneur qui ne lui appartenoientpas , surtout
ceux de médiatrice et de réparatrice. Mais puisqu'elle est
mère de Dieu, y a-t-il un titre d'honneur quineluicon-
vienne , et, en particulier, saint Bernard ne l'appelle- t-il
pas expressément médiatrice et réparatrice , et ne té-
moignc-t-il pas que de son temps c'étoit ainsi que toute
l'Eglise l'appeloit? Or, c'est encore honorer judicieuse-
ment la Vierge que de lui attribuer les qualités que toute
l'Eglise lui attribue. Il n'y a qu'un médiateur de rédemp-
tion , qui est Jésus-Christ; mais il y a d'autres médiateurs
d'intercession, et Marie, entre ceux-ci, ne doit-elle pas
avoir la première place ? P. 298 — 5oi.
5. On s'est plaint du zèle que font paroîtrc les dévots
de Marie à défendre certains privilèges qu'ils recon-
uoissent en elle : privilège de grâce dans son immaculée
conception , privilège de gloire dans sa triomphante as-
somption. Mais raisonnons toujours sur le même prin-
cipe : de tous les privilèges qui , sans préjudiciel' aux
droits de Dieu, servent à rehausser l'éclat de la mater-
nité divine , y en a-t-il un seul que nous puissions rai-
sonnablement lui contester ï n'est-ce pas assez que ce
soient des privilèges reconnus par les plus savans hommes
de l'Eglise , autorisés par la créance commune des fidèles,
appuyés au moins sur les plus fortes conjectures et les
témoignages les plus solides ? Or , tels sont les privilèges
que nous honorons dans Marie , et c'est par là que nous
les honorons prudemment. Faut-il donc que le ministère
de la parole de Dieu soit aujourd'hui nécessaire pour
maintenir le culte que nous rendons à la plus sainte des
DES SERMONS. 5o5
vierges ? mais , malgré tous les efforts de l'hérésie , le
culte de Marie a subsisté . et il subsistera. P. 5oi — 5o5.
ILe Partie. Invoquer Marie , mais l'invoquer efficace-
ment. Nous pouvons invoquer Marie , puisque l'Eglise a
défini que nous pouvons invoquer les saints ; et que d'ail-
leurs il est certain que cette mère de Dieu a toute la mi-
séricorde et tout le pouvoir nécessaire pour nous aider
de son secours : c'est ainsi que les Pères ont raisonné.
Non-seulement nous pouvons invoquer Marie , mais nous
îe devons : pourquoi ? pour nous conformer à l'Eglise ,
pour nous attirer la grâce , pour nous procurer contre
les dangers du monde une puissante protection , pour
assurer notre salut. Mais le point est d'invoquer cette
vierge efficacement , c'est-à-dire , de telle sorte qu'elle
puisse agréer nos prières , et que nous ne l'iuvoquions
pas en vain ; sur quoi il y a deux extrémités à éviter :
i. trop de confiance dans la protection de Marie j 2.
trop peu de confiance dans cette même protection. P. 5o5
—309.
1. Trop de confiance. Car nous lui faisons quelquefois
des prières présomptueuses, et par là injurieuses à Dieu,
indignes de la mère de Dieu et pernicieuses pour nous-
mêmes ; or, de telles prières ne peuvent être efficaces.
P. 509 — 5i 1.
2. Trop peu de confiance. Il semble , à entendre parler
les censeurs du culte de la Vierge, qu'un pécheur, dans
l'état de son péché , ne peut avoir recours à elle , parce
qu il n'est pas actuellement contrit et pénitent , et parce
qu'il n'a pas l'amour de Dieu. Mais , sans être actuelle-
ment contrit et pénitent , ne peut il pas demander, par
l'intercession de Marie , la grâce de la pénitence l et ,
sans avoir actuellement l'amour de Dieu, ne peut-il pas
le désirer et l'obtenir par Marie ! Dans un siècle où nous
voyons tant d'ames s'égarer et se pervertir, ne leur fer-
mons pas les voies du retour et du salut. Or, une de ces
5o4 • TABLE ET ABRÉGÉ
voies les plus assurées, c'est une sincère confiance en
Marie. P. 5n — 3 1 8
111. e Partie. Imiter Marie : i. ce que nous devons
imiter dans Marie j 2. pourquoi nous le devons imiter.
P. 3i8, 319.
1. Ce que nous devons imiter dans Marie , c'est sa sain-
teté : 1. la plénitude de sa sainteté; 2. la perfection de sa
sainteté ; 5. la persévérance et la fermeté invariable de sa
sainteté. P. 5ig — 322.
2. Pourquoi nous la devons imiter : pour avoir part à
la gloire dont elle prend aujourd'hui possession ; c'est
par le secours de cette Vierge que nous pouvons imiter
sos exemples. Adressons-nous à elle pour cela; dévouons-
nous à elle comme un de nos rois, et faisons une profes-
sion publique de notre dévouement. P. 322 — 328°
Prière à la Vierge. P. 528 , 029.
Sermon pour la fête de tous les Saints ,
pag. 33o.
Sujet. Dieu est admirable dans ses saints ; admirable
dans leur prédestination , dans leur vocation, dans toute
l'économie de leur salut, dans leur béatitude et dans
1 or gloire. Mais n'en demeurons pas là ; car il y a
des choses qui doivent encore plus nous toucher. P. 55o ,
53 1.
Division. Dieu est admirable de nous avoir donné les
saints pour intercesseurs et pour patrons : l.re partie ;
admirable de nous avoir proposé les saints pour modèles
et pour exemples : 2.'- partie. P. 35 x — 553.
I.r,: Paiutie. Admirable de nous avoir donné les saints
pour intercesseurs et pour patrons: pourquoi? 1- parce
qu'en cela Dieu nous découvre visiblement les trésors
de sa sagesse et de sa providence; 2. parce que la gloira
des saints eu est iniiuiment relevée ; 3. parce que nous y
DES SERMONS. 5o5
trouvons de très-grands avantages pour notre saint.
P. 353.
i. Dien , en nous donnant les saints pour patrons, nons
découvre visiblement les trésors de sa sagesse et de sa
providence : car c'est ainsi qu'il établît le plus bel ordre
et la subordination la plus parfaite qu'il puisse y avo;r
entre les hommes. Nous dépendons des saints, et notre
dépendance nous est aimable , parce que nous savons que
les saints s'intéressent en notre faveur. Leur élévation,
an lieu de les enfler, leur donne des inclinations bienfai-
santes pour nous; et, au lieu d'exciter notre jalousie ,
elle nous inspire une reconnoissance affectueuse pour
eux. De plus , c'est ainsi que Dieu a trouvé le moyen d'en-
tretenir une sainte correspondance entre l'Eglise triom-
phante dans le ciel , l'Eglise militante sur la terre , et
l'Eglise souffrante dans le purgatoire. P. 355 — 536.
2. La gloire des saints en est infiniment relevée. En ef-
fet , nous apprenons de là quel est le pouvoir des saints :
et s'ils sout si puissans pour les autres , quels trésors de
gloire nepossèdent-ils pas pour eux-mêmes ? quelle gloire
d'être nos médiateurs auprès de Dieu, et des médiateurs
a. qui Dieu accorde tout ! C'est par là même encore que
Dieu nous engage à les honorer nous-mêmes : en sorte
qu'ils ont tout à la fois et les honneurs du ciel , et les
honneurs de la terre. P. 556 — 54 1-
5. Nous y trouvons de très-grands avantages pour notre
salut. Les saints prient pour nous ; et comme leurs prières
sont plus efficaces que les nôtres, elles contribuent dans
un sens à notre salut plus que les nôtres : plus efficaces,
dis-je, que les nôtres, soit par la dignité des saints plus
relevée , soit par leur charité plus épurée , soit par leur
attention beaucoup plus constante et plus fixe; enfin
parleur ferveur beaucoup plus ardente : aussi combien
de fois les hommes ont-ils éprouvé les salutaires effets de
leur protection ? P. 541 — 544.
Mais comment répondons-nous h leurs soins ? Nous les
5o6 TABLE ET ABRÉGÉ
déshonorous sur la terre, nous violons les temples que
l'Eglise a e'rige's sons leur nom, nous profanons leurs
fêtes, aurons-nous après cela bonne grâce de reprocher
aux hérétiques de notre siècle le me'pris qu'ils ont fait du
culte des saints ? A cet abus qui regarde leur culte , nous
en ajoutons un autre qui est l'abus de leur invocation.
Ne parlons point de ces prières abominab es qui feroient
des saints , s'ils les e'coutoient, les fauteurs de nos vices j
ne parlons point de ces prières mondaines et intéresse'es
qu'on fait aux saints, pour des biens temporels , sans
jamais leur demander des biens spirituels. Le grand abus
de l'invocation des saints dans les prières même en ap-
parence les plus religieuses , c'est que nous voulons qu'ils
demandent à Dieu pour nous ce que Dieu , selon les
règles de sa sagesse, ne veut pas nous accorder, et ce
qu'il n'est pas à propos qu'il nous accorde. Nous les in-
voquons ; et du reste, comptant sur leur intercession,
nous prétendons vivre sans vigilance, sans pénitence,
sans gêne. Souvenons-nous que si les saints sont puis-
sans auprès de Dieu, ils ne le sont pas au préjudice de
Dieu même, et de ce que nous lui devons; et prenons
garde qu'au lieu d'être nos protecteurs, ils ne deviennent
nos accusateurs et nos jnges. P. 544 — 55i .
IL* Partie. Admirable de nous avoir proposé les saints
pour modèles et pour exemples ; car cet exemple des
saints opère en nous trois merveilieux effets : i. il nous
persuade la sainteté; ?.. il nous adoucit la pratique de
la sainteté ; 5. il nous ôte tout prétexte par où nous
pourrions nous défendre d'embrasser la sainteté. P. 55i }
552.
i. L'exemple des saints nous persuade la sainteté :
comment ? en nous faisant comprendre d'une simple vue
toute la perfection et tout le mérite de sa sainteté : car
qu'est-ce qu'un saint? c'est une idée réelle, visible, pal-
pable et substantielle de toute la sainteté évangélique ;
et Dieu , en nous le montrant , uous dit : Inspice , et fac
DES SERMONS. 5o7
secundàm exemplar ; Regarde et conforme-toi à ce mo-
dèle. Or il n'est pas possible de voir la sainteté, je dis
la vraie sainteté", telle qu'elle a été dans les saints, sans
l'estimer : cette estime en fait naître l'amour et le désir;
et nous inspirer ces sentimens à l'égard de la sainteté,
n'est-ce pas nous la persuader ? L'exemple de Dieu n'é-
toit pas propre à faire sur nous le même effet : car outre
que Dieu est invisible , il n'est pas saint de la manière
que nous devons l'être ; notre sainteté doit consister dans
la pénitence, dans la soumission, etc. , et tout cela ne
peut convenir à Dieu. Il falloit donc qu'il nous proposât
des bommes comme nous et de même nature que nous :
or c'est ce qu'il a fait. G est par de semblables exemples
que l'illustre Matatbias confirma ses enfans dans le culte
du Seigneur , et c'est dans le même dessein que l'Eglise
a ordonné qu'on exposât à nos jeux les images des saints.
P. 552—558.
■ 2. L'exemple des saints nous adoucit la pratique de la
sainteté : car il nous apprend , i. qu'il n'y a rien d'impos-
sible dans la sainteté, puisqu'il n'y a rien que les saints
n'aient pu et qu'ils n'aient soutenu ; 2. qu'il n'y a rien
même de si difficile qui ne puisse nous devenir agréable,
puisque les saints y ont trouvé et goûté les plus pures
douceurs. Ces pensées réveillent notre courage , et le
courage facilite tout. P. 558 — 5Ô2.
5. L'exemple des saints nous ôte tout prétexte par où
nous pourrions nous défendre d'embrasser la sainteté.
Détail des divers prétextes que l'exemple des saints dé-
truit : ils pouvoient les alléguer aussi bien que nous.
Qu'aurous-nons donc à répondre, quand Dieu , dans son
jugement dernier, nous demandera compte de l'affreuse
différence qui paroîtra entre leur vie et la nôtre. P. 56a
—566.
Compliment au roi. P. 566 , 56y.
5o8 TABLE ET ABRÉGÉ
Autre Sermon pour la fête de tous les Saints ,
pag. 368.
Sujet. Les disciples de Jésus-Christ s'étant approchés
de lui , il se mit à les enseigner. Que leur enseignent ce
divin Maître ? la science des saints. P. 568, 56q.
Division. Les saints ont trouve' le secret d'accorder dans
le monde leur condition avec leur religion : i.re partie.
Les saints se sont servis de leur religion pour sanctifier
leur condition : 2. e partie. Les saints, par un heureux
retour, ont profité de leur condition pour se rendre par-
faits dans leur religion : 5.e partie. Telle a été la science
des saints , et telle doit être la nôtre. P. 569 — 571.
ï.re Pat.tif. Les saints ont accordé dans le monde leur
condition avec leur religion : 1. ils n'ont point cherché la
sainteté hors de leur condition; 2 ils se sont sanctifiés
jusque dans les conditions qui semblent les plus opposées
à la sainteté; 3. par le moyen même de la pénitence , ils
ont acquis la sainteté dans les conditions où ils s'étoient
engagés sans avoir consulté Dieu, et où le seul mou-
vement de leurs passions les avoit fait entrer. P. 371
— 373.
1. Ils n'ont point cherché la sainteté hors de leur con-
dition; mais ils s'en sont tenus à la maxime de saint Paul ,
quand il di.toit aux Corinthiens : Que chacun travaille
à se sanctifier dans l'état et selon l'état où il se trouvoit
lorsqu'il a embrassé la foi; car voilà le sens de ce pas-
sage : Unusquique in auâ vocatione vocatus es , in eâper-
maneat apud Deum. Ainsi les saints, sans se déranger
et sans se déplacer, ont accordé la sainteté , les uns avec
la grandeur, et les autres avec l'humiliation ; les uns avec
l'opulence, et les autres avec la pauvreté, etc. Or, ce
qu'ils ont fait lorsqu'ils étoieutà ma place , pourquoi ne
DES SERMONS. 5og
le ferois-je pas comme eux l n'y va-t-il pas de tout mon
intérêt P. 5y5 — 375.
2. Ils se sont sanctifiés jusque dans les conditions qui
semblent les plus opposées à la sainteté : combien se sont
sanctifiés au milieu de la cour? combien se sont sancti-
fiés dans la profession des armes ? C'est donc une erreur
de croire que ma condition m'empêche d'ê're saint : er-
reur qui ne sert qu'à nous décourager j au lieu que la
pensée qu'on peut se sanctifier dans son état, donne de
la confiance et anime. C'est encore une autre erreur de
se persuader qu'on seroitplusà Dieu, et qu'on y pourroit
plus être dans une condition moins exposée ; car celle
où Dieu vous a appelé est celle où il vous a préparé plus
de grâces, et par conséquent la plus sûre pour vous i
voilà ce qui a fixé les saints. P. 5j5 — 58o.
5. Ils se sont sanctifiés, parle moyen de la pénitence,
dans les conditions même où ils s'étoient engagés sans
avoir consulté Dieu , et où le seul mouvement de leurs
passions les avoit fait entrer. Ne pouvant plus sortir de
ces conditions , ils ont cherché dans leur religion une
ressource à leur malheur ; et c'a été de pleurer devant
Dieu, et de réparer, par une vie plus austère, plus
exemplaire , plus régulière , le crime de leur impru-
dence : c'est ainsi que les saints ont su accorder leur con-
dition et leur religion. Ce merveilleux accord leur a coûté ;
maïs en peut-il trop coûter pour acquérir une science si
salutaire ? P. 58o — 382.
II. e Paiitie. Les saints se sont servis de leur religion
pour sanctifier leur condition. Ce que Salomon disoit de
la sagesse, en demandant à Dieu qu'elle travaillât tou-
jours avec lui, les saints l'ont pensé de la religion Elie
leur a servi , 1. pour éviter Ips désordres à quoi leur
condition étoit sujette; 2. pour accomplir les devoirs
dont leur condition étoit chargée. P. 582 — 584-
1. Us se sont servis de leur religion pour éviter les dé-
sordres à quoi leur condition étoit sujette. Il y a dan?
5lO TABLE ET ABRÉ GÉ
chaque condition certains désordres essentiels qne la re*
ligion seule peut corriger; mais les saints, en confor-
mant leur condition h leur religion , s'en sont préservés;
sans cela la prospérité les eût éblouis , l'abondance les
eût corrompus : mais parce qu'ils s'étoient fait de leur
religion comme une armure divine pour se défendre de
toutes les tentations, rien ne les a pu pervertir : et voilà
ce que les païens même ont révéré. Or , puisque je pro-
fesse la même religion , pourquoi n'en fais-je pas le même
usage ? P. 584 — SSg.
2. Ils se sont servis de leur religion pour accomplir
les devoirs dont leur condition étoit chargée. 11 y a dans
toutes les conditions certains devoirs pénibles et morti-
fia ns , et sans la religion, les saints auroient pris seule-
ment de leurs conditions ce qu'il y avoit d'utile et de
commode, et se seroient déchargés du reste ; mais parce
qu'ils agissoient par principe de religion, ils ont satisfait
à tout ; et en y satisfaisant, leur religion leur a tout fait
rapporter à Dieu. Quevous êtes admirable dans vos saints,
ô mon Dieu ! et que la science de vos saints est profonde
et sublime ! P. 589 — 092.
IIT.e Partik. Les saints, par un heureux retour, ont
profité de leur condition pour se rendre parfaits dans
leur religion. Ils ont trouvé dans leur condition , 1. de
puissans motifs pour s'exciter à la pratique de leur reli-
gion ; 2. des moyens de glorifier Dieu et d'honorer leur
religion; 5. des croix dont ils ont fait la matière de leur
pénitence et des sacrifices qu'ils ont eu le bonheur
d'offrir à Dieu daus l'esprit de leur religion. P. 392.
1. Des motifs pour s'exciter à la pratique de leur re-
ligion. Ce qne leur condition les obligeoit à faire pour le
monde, ne snfïïsoit-il pas pour leur apprendre ce qu'ils
dévoient faire à plus forte raison pour Dieu? P. 592
—397.
2. Des moyens pour glorifier Dieu et pour honorer
DES SERMONS. 5ll
leur religion. Combien ont fait pour Dieu de grandes
choses , parce que leur condition les raettoit en état de
les faire? Si saint Louis n'eût pas e'téroi, auroit-il porté
tant de saintes lois? auroit-il bâti tant d'hôpitaux ? Cepen-
dant, sans faire ce que saint Louis a fait, je trouverai
toujours dans la médiocrité de ma condition de quoi
marquer à Dieu mon zèle et de quoi l'honorer. P. 5ijj 9
398.
5 Des croix dont ils ont fait la matière de leur péni-
tence et des sacrifices qu ils ont eu le bonheur d'offrir à
Dieu dans l'esprit de leur religion. Par là ils ont eu dans
les conditions les plus relevées , et jusque dans les cours
des princes, plus d'occasions de se sanctifier qu'on n'en a
partout ailleurs. Soyons soumis et patiens comme eux :
c'est par la patience qu'on parvient à la même gloire
qu'eux. P. 598 — 4°°'
Compliment au Roi. P. 4°o — 4°1«
Sermon pour le jour de la Commémoration des
Morts , pag. 4° 5.
Sujet. Je vous dis en vérité que l'heure est venue , et
c'est celle-ci, où les morts entendront la voix du Fils
de Dieu, et où ceux qui V entendront , vivront. Cette
voix du Fils d».-. Dieu , c'est la voix de son sang , qui ,
dans le sacrifice de l'autel , a été aujourd'hui offert à
Dieu pour les morts ; il s'est fait entendre à ces âmes
que la justice de Dieu retient dans le purgatoire, et il leur
a annoncé l'heureuse nouvelle de leur délivrance. P. 4o5
—407.
Division. Ne pas secourir les âmes du purgatoire, parce
qu'on n'est pas persuadé des peines qu'elles y souffrent,
ni qu'il y ait un purgatoire , c'est une conduite aussi dé-
raisonnable qu'elle est pleine d'erreur : i.re partie. Etre
persuadé des peines que souffrent les âmes du purgatoire,
5l2 TABLE ET ABRÉGÉ
et ne pas travailler à les secourir, c'est une dureté aussi
criminelle qu'elle est contraire à la piété et aux lois
même de l'humanité : 2.e partie Etre disposé à secourir
les âmes du purgatoire , et ne se servir pour cela que
de moyens inefficaces, c'est un désordre aussi commun
qu'il est déplorable dans le christianisme : 5.e partie.
P. 407— 4" 9-
I re Partie. Ne pas secourir les âmes du purgatoire ,
parce qu'on n'est pas persuadé des peines qu'elles y souf-
frent , ni qu'il y ait un purgatoire , c'est une conduite
aussi déraisonnable qu'elle est pleine d'erreur. Telle est
néanmoins la conduite des hérétiques et de ceux qui par
libertinage entrent sur ce point dans leurs sentimens :
conduite où il est aisé de découvrir trois grands défauts.
P. 409 , 410-
1. Dans un doute de spéculation , ils se mettent au ha-
sard de manquer à un des plus importans devoirs de la
justice et de la charité chrétienne. Car enfin les héré-
tiques, malgré eux, sont forcés de reconnoître que
comme ils n'ont point d'assurance qu'il y ait un purga-
toire , aussi n'ont-ils point d'assurance qu'il n y en ait
pas. Or, dans un tel doute, conclure à ne point prier
pour les morts , est-ce une conduite sage ? Nous qui
crovons le purgatoire, uous ne sommes pas pour cela
certains que ceux d'entre les morts pour qui nous prions
en particulier, y soient actuellement; car ils peuvent
être, ou dans le ciel, on dans l'enfer. Cependant nous
prions toujours : pourquoi ? parce que , comme dit saint
Augustin, il vaut mieux s'exposera faire pour ces âmes
des prières superflues, que de se mettre eu danger de
ne pas faire pour elles des prières nécessaires. Ainsi de-
vroient raisonner les hérétiques. P. 410 — 4'^*
2. Ils ne prient pas pour les morts, parce qu'ils ne
croient pas le purgatoire : mais , tout au contraire , ils
devroieut croire le purgatoire , parce qu'il est évident et
incontestable qu'il faut prier pour les morts. Rien de plus
DES SERMONS. 5l3
Solidement établi par l'autorité de l'Ecritare , par celle
des anciens conciles et des Pères , par toute la tradition,
que la prière pour les morts. Or s'il faut prier pour les
morts, il y a donc un purgatoire. Mais pour ne vouloir
pas tirer cette conséquence , les hérétiques nient le
principe j et pour le nier , ils rejettent des livres de
l'Ecriture très-authentiques , et ne défèrent ni aux con»
ciles , ni aux Pères , ni à la tradition. P. 4» 5 — 4i8.
3. De ce qui est incertain touchant le purgatoire, ils
se font un préjugé contre le purgatoire même. Par
exemple , ce qui les choque , ce sont certaines peintures
sensibles et affreuses qu'on nous en fait. Mais moi , si
j'étois à leur place , je me dirois à moi-même : Je ne sais
point expressément ni où souffrent 1rs âmes des morts
que Dieu purifie , ni ce qu'elles souffrent, ni comment
elles souffrent; mais sans examiner toutes ces circons-
tances, qui ne sont point essentielles, il me suffit de
savoir qu'elles souffrent, qu'il est juste qu'elles souffrent,
et que je puis les soulager dans leurs souffrances Quel
bonheur pour nous, fidèles catholiques, d'être les en-
fans d'une Eglise qui ne nous abandonne , ni pendant
notre vie , ni après notre mort ! P. 418 — 42^.
II.e Partie. Etre persuadé des peines que souffrent les
âmes du purgatoire , et ne pas travailler à les secourir,
c'est une dureté aussi criminelle qu'elle est contraire
à la piété et aux lois même de l'humanité; elle blesse
trois intérêts différens : 1. l'intérêt de Dieu, 2. l'in-
térêt de nos frères , 5. notre propre intérêt. P. 42^ ,
424
1. L'intérêt de Dieu. Car , délivrer une anse dix pur-
gatoire , c'est procurer un accroissement de gloire à Dieu »
-.uitii'U glorifier Dieu qu'on le glorifie par la conver-
i 'leb infidèles j c'est le glorifier comme Jésus-Christ
lorifia lorsqu'il descendit dans les limbes pour en
tirer les âmes des puciens patriarches; c'est, pour ainsi
dire , tirer Dieu lui-même d'un état violent où il se
TOME XI. 33
^^ TABLE ET ABRÉGÉ
trouve, obligé qu'il est de punir des âmes qui lui sont
chères , et qu'il voudroit rassembler dans sou sein. P. 424
2: L'inte'rêt de nos frères. Ils souffrent, et ce sont
uos proches, nos parens, nos amis. P. 429—451.
5. Notre propre intéié' '.utant dames que nous dé-
livrons , ce sont autant de piuUi leurs que nous avons
dans le ciel. Mais si nous abandonnons ces âmes, Dieu per-
mettra que nous soyons nous-mêmes un jour délaissés.
P. 45i—455.
111. e Partie. Etre disposé à secourir les âmes du pur-
gatoire, et ne se servir pour cela que de moyens ineffi-
caces, c'est un désordre aussi commun qu'il est déplo-
rable dans le christianisme. 0.» ne laisse pas d'avoir pour
les morts quelque piété; mais, 1. piété stérile et infruc-
tueuse j 2 piété d'ostentatiou et de faste; 5. piété toute
païenne; 4. piété qui, quoique chrétienne, ne produit
que des œuvres mortes et sans mérite. P. 455 — 455.
i. Piété stérile et infructueuse : beaucoup de larmes
et peu de prières : c'est même sur d'autres qu'on se
décharge absolument du soin de prier. P. 435—458.
2. Piété d'ostentation et de faste. Ou ne pense qu'à
l'extérieur des devoirs funèbres , aux cérémonies d'un
deuil, etc. P. 45»» 439-
3. Piété toute païenne. Elle n'a que la chair et le
sang pour objet , sans a^ir dans les vues de la foi. F. ^5gv
44o.
4. Piété qui, quoique chrétienne, ne produit que des
oeuvres mortes et sans mérite. Ou prie, mais sans être
en grâce avec Dieu. Tout ce que nous faisons ?lors sont
des œuvres mortes pour nous-mêmes; faut il s'étonner
qu'elles le soient encore plus pour les autres ? Exceptons
néanmoins de cette règle le sacrifice de la messe Indul-
gence pour les morts qu'on peut gagner par lu commu-
nion , après s'être purifié par le sacrement de Lx pénitence.
P. 440—444.
DES SERMONS. Sl5
Sermon pour l'Ouverture du Jubilé , pag. 445»
Sujet. Nous vous exhortons à ne pas recevoir en vain
la grâce de Dieu j car Dieu nous dit lui-même dans VE-
criture , je vous ai exaucé au temps favorable , et je
vous ai aidé au jour du salut. Or voici maintenant ce
temps favorable , voici ces jours de salut. Ce temps fa-
vorable pour nous , c'est ce temps d'indulgence et de ju-
bile'. P. 445 , 446,
Division. Ce que c'est que la grâce du jubilé : i.rc par-
tie ; ce qui est nécessaire pour avoir part à la grâce du
jubilé ; 2.e partie ; ce que doit opérer dans nous la grâce
du jubilé : 3.e partie. P. 44^> 447-
I.re Partie. Qu'est-ce que la grâce du jubilé? c'est pro-
prement la rémission de la peine temporelle qui reste à
subir au pécheur après que son péché lui est pardonné.
Il faut distinguer deux choses dans le péché, la coulpe
et la peine. La coulpe ne peut être remise que par le
sacrement de pénitence, ou par la contrition parfaite ;
mais par une grâce spéciale , Dieu remet la peine en
vertu de l'indulgence et du jubilé. P. 447 — 449*
En vain les hérétiques prétendent qae Dieu ne remet
jamais la coulpe ou l'offense , sans remettre la peine j et
que Jésus-Christ ayant satisfait pleinement pour nous ,
toute aatre satisfaction seroit inutile et diininueroit même
le mérite du sacrifice de la croix j car, 1. il ne faut que
l'exemple de Moïse et de David pour nous convaincre
que Dieu , en pardonnant même le péché , se réserve
encore le droit de punir temporellement le pécheur j 2. il
est évident, par le témoignage de saint Paul , que nos
satisfactions doiveut être jointes à celles de Jésus-Christ :
Adimpleo ea quœ desunt passionum Chris ti , in carne
med.V. 45o,45x.
Tenons-nous-en donc toujours à la même proposition »
5l G TABLE ET ABRÉGÉ
que Dieu, par l'indulgence et le jubile', nous remet la
peine temporelle qui ëtoit due à nos pe'ehe's , et dont
l'exacte mesure n'eût pu sans cela être remplie que par
nos satisfactions. Ainsi l'Eglise catholique l'a-t-elle en-
tendu , expliquant cette promesse faite à saint Pierre :
Tout ce que vous délierez sur la terre , sera délié dans
le ciel. Pouvoir dont saint Paul et les évêques des pre-
miers siècles ont use'; pouvoir par où les indulgences se
sont établies et perpétuées dans le monde chrétien. Il est
vrai qu'il a pu se glisser sur cela des abus dans le chris-
tianisme : mais outre que l'Eglise les a corrigés , l'abus
même des indulgences est une preuve de leur vérité et
de leur sainteté ; car , selon Tertullien , on n'abuse que
de ce qui est boa , et on ne profane que ce qui est saint.
P. 45i—455.
Mais en quoi le jubilé est-il différent de ces autres in-
dulgences que nous appelons plénières l 1. c'est une in-
duIgencebeaucoupplussolennelle;2. c'est une indulgence
beaucoup plus privilégiée ; 3. c'est une indulgence beau-
coup plus sûre. Recevons-la donc avec respect , avec re-
conuoissance et action de grâces, et avec toute l'obéis-
sance de la foi. P. 455 — 459-
II.e Pahtie. Quelles dispositions sont nécessaires pour
avoir part a l'indulgence du jubilé? 1. Etre en état de
grâce, voilà la disposition habituelle; ?.. accomplir les
œuvres prescrites par la bulle , voilà la disposition ac-
tuelle. P. 459.
1. Etre en état de grâce : car l'indulgence est une
faveur qui ne s'accorde qu'aux justes et aux amis de
Dieu: d'où suivent trois conséquences : la première ,
qu'il faut donc renoncer à tout péché; la seconde, qu'il
suffit donc d'avoir la conscience chargée d'un seul péché
mortel pour être incapable de gagner l'indulgence du
jubilé, et qu'il suffit même d'être coupable d'un seul pé-
ché véniel qu'on ne déteste pas , pour ne la pouvoir ga-
gner dans toute sou étendue j la troisième, qu'il faut donc
DES SERMONS. Blj
être vraiment contrit et pénitent. De là jugeons combien
il y en aura peu qui participeront à cette grâce du jubilé.
P. 459—462.
De là même concluons encore qu'il n'est donc pas
vrai que l'indulgence, et par conséquent le jubilé,
anéantisse la pénitence , ainsi que les hérétiques nous
l'ont reproché , ni que ce soit même un relâchement de
la pénitence ; puisque le jubilé suppose la pénitence et
ce qu'il y a de plus difficile dans la pénitence, qui est
la conversion du cœur : et puisque c'est au même temps
le motifle plus engageant pour exciter les pécheurs à
faire de dignes fruits de pénitence , c'est au contraire
dans la doctrine des hérétiques que l'on découvre le re-
lâchement visible et l'anéantissement de la pénitence :
car n'est ce pas l'anéantir que de la réduire à un simple
acte de foi , et de la dépouiller , comme ont fait les au-
teurs du schisme , de toutes les oeuvres humiliantes, la-
borieuses et pénibles i P. 462 — 466.
2. Accomplir les oeuvres prescrites par la bulle , qui
sont, 1. la confession, 2. l'aumône, 5. le jeûne , 4- la
visite des Eglises , 5. les prières ordonnées , 6. la com-
munion. Admirons la bonté de notre Dieu , qui veut bien ,
à de telles conditions , se relâcher de tous ses droits.
P. 466—470.
III. e Partie. Que doit opérer en nous la grâce du ju-
bilé ? le renouvellement intérieur de nos personnes : re-
nouvellement qui ne doit consister ni en de vains pro-
jets, ni en des idées vagues , mais dans une réformation
entière de nos moeurs. Sans cela le jubilé n'est qu'une
pure cérémonie : et que sera-ce en effet autre chose pour
tant de chrétiens l on les verra tels après le jubilé qu'ils
étoient auparavant. P. 470 — 47^.
Mais tous les temps ne sont-ils pas bons pour travailler
à ce renouvellement de nous-mêmes ? oui; mais le temps
du jubilé y est spécialement propre; car 1. le jubilé
est l'engagement le plus naturel à ce renouvellement de
5l8 TABLE ET ABRÉGÉ I>ES SERMONS.
de vie; 2. le jubilé est le moyen ie plus efficace de ce
renouvellement de vie j 5. le jubilé est l'occasion la
plus avautageuse pour ce renouvellement de vie. P. 474-
—476.
Travaillons donc sans différer au parfait renouvelle*-
ment et au changement intérieur de nos âmes j et qu'il
ne nous arrive pas comme à l'infortunée Jérusalem ,
d'ajouter à nos autres désordres celui de ne pas connoîtra
le temps où Dieu nous visite, et par là de mettre le comble
à notre réprobation. P. 4?6 — 47&
FIN DU TOME ONZIEME,
nK l'imprimerie de fr. mistral.
SERMONS
CONTENUS DANS CE VOLUME.
Sermon sur la Conception de la Vierge. Pag. i
Sermon sur l'Annonciation de la Vierge. 48
Autre sermon sur V Annonciation de la Vierge.
u
Premier sermon sur la Purification de la Vierge.
124
Deuxième sermon sur la Purification de la
Vierge. 1 62
Troisième sermon sur la Purification de la
Vierge. 201
Sermon sur V Assomption de la Vierge. 2S4.
Sermon sur la Dévotion à la Vierge. 290
Sermon sur la Fête de tous les Saints. 33o
Autre sermon sur la Fête de tous les Saints. 368
Sermon sur la Commémoration des Morts. 4o5
Sermon sur V Ouverture du Jubilé. 44^
PLEASE DO NOT REMOVE
CARDS OR SLIPS FROM THIS POCKET
UNIVERSITY OF TORONTO LIBRARY
BX Bourduloue, Louis
890 Oeuvres complètes de
B74. Bourduloue
1821
T. 11