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Full text of "Oeuvres complètes de Buffon"

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VMmÊmé 


-^^--^XJ„ 


OEUVRES 


COMPLETES 


DE   BUFFON. 


TOME  XXV. 

OISEAUX. 

VU. 


TARIS. IRinUMERIli  l>\\I>.    M()lit>SAUH  ,    RIE   Î'E   IL  IlSTEAlDElUi  .    ^"    <S 


OEUVRES 


COMPIETES 


DE  BUFFON 


AUGMENTEES 


PAR   M.  F.  GUVIER, 

MEMBRE     DE     L*  INSTITUT, 

(Académie  des  Sciences  J 

DE  DEUX  VOLUMES 

OFFRANT    LA    DESCRIPTION    DES    MAMMIFÈRES    ET 

DES    OISEAUX    LES    PLUS    REMARQUABLES 

DÉCOUVERTS    JUSQu'a    CE    JOUR, 


t  T     A  C  I.  O  M  1'  A  I.  N 


1)   U>;     BEAU     POmilAJT    DE    B  L  F  F  O IV     ET    DE    7OO     Fi  G  LUE: 

E\ÉCl   TÉS    SUR     ACIER    POCi;     CETTE    ÉDITI0> 

PAU    LES    MEILLEURS     ARTISTES. 


A  PARIS, 

CHEZ    F.    D.    PILLOT,    ÉDITEUU, 

RUE   DB  SEliNE-SAlJXT-GERMAlN.    N"  /((). 

i85i. 


ZX  37 


OISEAUX. 

VII. 


BlIFFON.     XXV. 


V\WVVVVW\V\\\V\\\VV\VUV\VVWXWV\V\1\VV\'\V-VV\VVAWVV\V\'V\'VV»VVV'\'VVVVVVWVtV\\\\\\VWVV 

LES  PICS\ 

Les  animaux  qui  vivent  des  fruits  de  la  terre  sont 
I-es  seuls  qui  entrent  en  société;  l'abondance  est  la 
base  de  Tinstinct  social,  de  cette  douceur  de  mœurs 
et  de  cette  vie  paisible  qui  n'appartient  qu'à  ceux  qui 
n'ont  aucun  motif  de  se  rieii  disputer  :  ils  jouissent 
sans  trouble  du  riche  fonds  de  substance  qui  les  en- 
vironne; et,  dans  ce  grand  banquet  de  la  nature, 
l'abondance  du  lendemain  est  égale  à  la  profusion  de 
la  veille.  Les  autres  animaux,  sans  cesse  occupés  à 
pourchasser  une  proie  qui  les  fuit  toujours,  pressés 
par  le  besoin,  retenus  par  le  danger,  sans  provision, 
sans  moyens  que  dans  leur  industrie,  sans  aucune 
ressource  que  leur  activité,  ont  à  peine  le  temps  de 
se  pourvoir,  et  n'ont  guère  celui  d'aimer.  Telle  est 
la  condition  de  tous  les  oiseaux  chasseurs  ;  et,  à  l'ex- 
ception de  quelques  lâches  qui  s'acharnent  sur  une 
proie  morte,  et  s'attroupent  plutôt  en  brigands  qu'ils 
ne  se  rassemblent  en  amis,  tous  les  autres  se  tiennent 
isolés  et  vivent  solitaires  :  chacun  est  tout  entier  à 
soi;  nul  n'a  de  biens  ni  de  sentiments  à  partager. 

Et  de  tous  les  animaux  que  la  nature  force  à  vivre 
de  la  grande  ou  de  la  petite  chasse,  il  n'en  est  aucun 
dont  elle  ait  rendu  la  vie  plus  laborieuse,  plus  dure, 
que  celle  du  pic  :  elle   l'a  condamné  au  travail,  et, 

T.  Le  pic,  en  général,  se  nomme  en  lalin,  picus;  clans  Pline,  pi- 
eus  arborarius  (le  nom  de  picas  martlus  appartient  exclusivement  au 
pic  vert);  en  italien,  piceo ,  picekio;  en  allemand,  speefit;  en  anglois, 
vuood'peckcr. 


8  LES    PICS.  * 

pour  ainsi  dire,  à  la  galère  perpétuelle,  tandis  que 
les  autres  ont  pour  moyens  la  course,  le  vol,  l'em- 
buscade, l'attaque  :  exercices  libres  où  le  courage  et 
l'adresse  prévalent.  Le  pic  ,  assujetti  à  une  lâche  pé- 
nible, ne  peut  trouver  sa  nourriture  qu'en  perçant  les 
écorces  et  la  fibre  dure  des  arbres  qui  la  recèlent  ; 
occupé  sans  relâche  à  ce  travail  de  nécessité,  il  ne 
connoît  ni  délassement  ni  repos;  souvent  même  il 
dort  et  passe  la  nuit  dans  l'attitude  contrainte  de  la 
besogne  du  jour  :  il  ne  partage  pas  les  doux  ébats  des 
autres  habitants  de  l'air;  il  n'entre  point  dans  leurs 
concerts,  et  n'a  que  des  cris  sauvages  dont  l'accent 
plaintif,  en  troublant  le  silence  des  bois,  semble  ex- 
primer ses  efforts  et  sa  peine.  Ses  mouvements  sont 
brusques;  il  a  l'air  inquiet,  les  traits  et  la  physiono- 
mie rudes,  le  naturel  sauvage  et  farouche  :  i!  fuit  toute 
société,  même  celle  de  son  semblable;  et  quand  le 
besoin  physique  de  l'amour  le  force  à  rechercher  une 
compagne ,  c'est  sans  aucune  des  grâces  dont  ce  sen- 
timent anime  les  mouvements  de  tous  les  êtres  qui 
l'éprouvent  avec  un  cœur  sensible. 

Tel  est  l'instinct  étroit  et  grossier  d'un  oiseau  borné 
à  une  vie  triste  et  chétive.  11  a  reçu  de  la  nature  des 
organes  et  des  instruments  appropriés  à  cette  desti- 
née,  ou  plutôt  il  tient  cette  destinée  même  des  or- 
ganes avec  lesquels  il  est  né.  Quatre  doigts  épais  ,  ner- 
veux, tournés  deux  en  avant,  deux  en  arrière,  celui 
qui  représente  l'ergot  étant  le  plus  allongé  et  même 
le  plus  robuste,  tous  armés  de  gros  ongles  arqués, 
implantés  sur  un  pied  très  court  et  puissamment  mus- 
clé ,  lui  servent  à  s'attacher  fortement  et  grimper  en 
tous  sens  autour  du  tronc  des  arbres.  Son  bec  tran- 


LES    PICS.  Q 

chant ,  droit,  en  (orme  de  coin ,  carré  à  sa  base,  can- 
nelé dans  sa  longueur,  aplati  et  taillé  verticalement 
à  sa  pointe  comme  un  ciseau  ,  est  l'instrument  avec 
lequel  il  perce  l'écorce  et  entame  profondément  le 
bois  des  arbres  où  les  insectes  ont  déposé  leurs  œufs  : 
ce  bec,  d'une  substance  solide  et  dure,  sort  d'un 
crâne  épais.  De  forts  muscles  dans  un  cou  raccourci 
portent  et  dirigent  les  coups  réitérés  que  le  pic  frappe 
incessamment  pour  percer  le  bois  et  s'ouvrir  un  accès 
jusqu'au  cœur  des  arbres  :  il  y  darde  une  longue  langue 
effilée,  arrondie,  semblable  à  un  ver  de  terre,  armée 
d'une  pwnte  dure,  osseuse,  comme  d'un  aiguillon, 
dont  il  perce  dans  leurs  trous  les  vers,  qui  sont  sa  seule 
nourriture.  Sa  queue ,  composée  de  dix  pennes  roi- 
des,  fléchies  en  dedans,  tronquées  à  la  pointe,  gar- 
nies de  soies  rudes,  lui  sert  de  point  d'appui  dans 
l'attitude  souvent  renversée  qu'il  est  forcé  de  pren- 
dre pour  grimper  et  frapper  avec  avantage.  Il  niche 
dans  les  cavités  qu'il  a  en  partie  creusées  lui-même; 
et  c'est  du  sein  des  arbres  que  sort  cette  progéni- 
ture qui,  quoique  ailée,  est  néanmoins  destinée  à 
ramper  alentour,  à  y  rentrer  de  nouveau  pour  se  re- 
produire ,  et  à  ne  s'en  séparer  jamais. 

Le  genre  du  pic  est  très  nombreux  en  espèces  qui 
varient  pour  les  couleurs,  et  diffèrent  par  la  grandeur. 
Les  plus  grands  pics  sont  de  la  taille  de  la  corneille, 
et  les  plus  petits  de  celle  de  la  mésange;  mais  chaque 
espèce  en  particulier  paroît  peu  nombreuse  en  indivi- 
dus, ainsi  qu'il  en  doit  être  de  tous  les  êtres  dont  la  vie 
peu  aisée  diminue  la  multiplication.  Cependant  la  na- 
ture a  placé  des  pics  dans  toutes  les  contrées  où  elle 
a  produit  des  arbres,  et  en  plus  grande  quantité  dans 


10  lEs  Pies. 

les  climats  plus  chauds.  Sur  douze  espèces  que  nous 
connoisTsons  en  Europe  et  dans  le  nord  de  l'un  et  de 
l'autre  continent,  nous  en  compterons  vingt-sept  dans 
les  régions  chaudes  de  l'Amérique,  de  l'Afrique,  et  de 
l'Asie.  Ainsi,  malgré  les  réductions  que  nous  avons  dû 
faire  aux  espèces  trop  multipliées  par  les  nomencla- 
teurs,  nous  en  aurons  en  total  trente-neuf,  dont  seize 
n'étoient  pas  connues  des  naturalistes  avant  nous,  et 
nous  observerons  qu'en  général  tous  les  pics  de  l'un 
et  de  l'autre  continent  différent  des  autres  oiseaux  par 
la  forme  des  plumes  de  la  queue,  qui  sont  toutes  ter- 
minées en  pointes  plus  ou  moins  aiguës. 

Les  trois  espèces  de  pics  connues  en  Europe  sont 
le  pic  vert  y  le  pic  noir^  et  l'épeiche  ou  pic  variée  et  ces 
trois  espèces,  qui  sont  presque  isolées  et  sans  variétés 
dans  nos  climats,  semblent  s'être  échappées  chacune 
de  leur  famille,  dont  les  espèces  sont  nombreuses  dans 
les  climats  chauds  des  deux  continents.  Nous  réuni- 
rons donc  à  la  suite  de  chacune  de  ces  trois  espèces 
d'Europe  tous  les  pics  étrangers  qui  peuvent  y  avoir 
rapport. 


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LE  PIC  VERTS 

Ficus  viridis. 

Le  pic  vert  est  le  plus  connu  des  pics,  et  le  plus 
commun  dans  nos  bois.  Il  arrive  au  printemps,  el  fait 

I.  Eh  l^tin  ,  picaa  martius ;  en  italien,  pico  verdit  picozo;  en  aïle- 
uiand  ,  grun-speeht  ;  en  anglois,  green-wood  pecker,  green-wood  spise. 


LE    PIC    VERT.  1  1 

retentir  les  forêts  de  ses  cris  aigus  et  durs,  tiacacan^ 
tiacacauj  que  l'on  entend  de  loin,  et  qu'il  jette  sur- 
tout en  volant  par  élans  et  par  bonds.  Il  plonge  ,  se 
relève  et  trace  en  l'air  des  arcs  ondulés,  ce  qui  n'em- 
pêche pas  qu'il  ne  s'y  soutienne  assez  long-temps  ;  et 
quoiqu'il  ne  s'élève  qu'à  une  petite  hauteur,  il  fran- 
chit d'assez  grands  intervalles  de  terres  découvertes 
pour  passer  d'une  forêt  à  l'autre.  Dans  le  temps  de  la 
panade,  il  a,  de  plus  que  son  cri  ordinaire,  un  appel 
d'amour  qui  ressemble,  en  quelque  manière,  à  un  éclat 
de  rire  bruyant  et  continu ,  tio^  tio^  tio^  tiOj  tiOj.répéié 
jusqu'à  trente  et  quarante  fois  de  suite  ^. 

Le  pic  vert ,  n"  57 1 ,  se  tien  t  à  terre  plus  souvent  que 
ïes  autres  pics,  surtout  près  des  fourmilières,  où  l'on 
est  assez  sûr  de  le  trouver,  et  même  de  le  prendre  avec 
des  lacets.  II  attend  les  fourmis  au  passage,  couchant 
sa  longue  langue  dans  le  petit  sentier  qu'elles  ont  cou- 
tume de  tracer  et  de  suivre  à  la  file;  et  lorsqu'il  sent 
sa  langue  couverte  de  ces  insectes,  il  la  retire  pour  les 
avaler;  mais  si  les  fourmis  ne  sont  pas  assez  en  mou- 
vement, et  lorsque  le  froid  les  tient  encore  renfermées, 
il  va  sur  la  fourmilière,  l'ouvre  avec  les  pieds  et  le  bec, 
et,  s'établissant  au  milieu  de  la  brèche  qu'il  vient  de 
faire,  il  les  saisit  à  son  aise,  et  avale  aussi  leurs  chry- 
salides. 

Dans  tous  les  autres  temps,  il  grimpe  contre  les  ar- 

hig/i-hoo,  heio-hole ,  rain-fowl;  en  suédois,  groen-spick,  groen-gjoe- 
ling ,  voedknari ;  en  polonois,  dziecioi  zielony  ;  en  danois,  gron-spœt  j 
gnut-spœt;  en  lapon,  zkiaine ;  en  françois  ,  pic  - mart ,  pic  vert,  pic 
jaune,  picumart  ;  en  Poitou,  picosseau  ;  en  Périgord ,  picolât;  en 
Guienne,  bivay;  en  Picardie,  becquebo ;  en  quelques  endroits,  pleu^ 
pieu  ou  plui-plui ,  d'après  un  de  ses  cris. 

1.   Aldrovande  dit  qu'il  se  tait  «n  été,  œstate  silere  aiunt.  Apparem 


12  Lli    PIC    VERT. 

bres,  qu'il  attaque  et  qu'il  frappe  à  coups  de  bec  re- 
doublés :  travaillant  avec  la  plus  grande  activité ,  il  dé- 
pouille souvent  les  arbres  secs  de  toute  leur  écorce; 
on  entend  de  loin  ses  coups  de  bec,  et  l'on  peut  les 
compter.  Comme  il  est  paresseux  pour  tout  autre  mou- 
vement, il  se  laisse  aisément  approcher,  et  ne  sait  se 
dérober  au  chasseur  qu'en  tournant  autour  de  la  bran- 
che, et  se  tenant  sur  la  face  opposée.  On  a  dit  qu'après 
quelques  coups  de  bec,  il  va  de  l'autre  côté  de  l'arbre 
pour  voir  s'il  Ta  percé  :  mais  c'est  plutôt  pour  recueil- 
lir sur  l'écorce  les  insectes  qu'il  a  réveillés  et  mis  en 
mouvement  ;  et  ce  qui  paroît  encore  plus  certain,  c'est 
que  le  son  rendu  par  la  partie  du  bois  qu'il  frappe, 
semble  lui  faire  connoître  les  endroits  creux  où  se  ni- 
chent les  vers  qu'il  recherche ,  ou  bien  une  cavité  dans 
laquelle  il  puisse  se  loger  lui-même  et  disposer  son 
nid. 

C'est  au  cœur  d'un  arbre  vermoulu  qu'il  le  place, 
à  quinze  ou  vingt  pieds  au  dessus  de  terre,  et  plus 
souvent  dans  les  arbres  de  bois  tendre,  comme  trem- 
bles ou  marsauts,  que  dans  les  chênes.  Le  mâle  et  la 
femelle  travaillent  incessamment,  et  tour  à  tour,  à 
percer  la  partie  vive  de  l'arbre,  jusqu'à  ce  qu'ils  ren- 
contrent le  centre  carié;  ils  le  vident  et  le  creusent, 
rejetant  au  dehors  avec  les  pieds  les  copeaux  et  la 
poussière  du  bois,  ils  rendent  quelquefois  leur  trou  si 
oblique  et  si  profond,  que  la  lumière  du  jour  ne 
peut  y  arriver.  Ils  y  nourrissent  leurs  petits  à  l'aveu- 
gle. La  ponte  est  ordinairement  de  cinq  œufs,  qui  sont 
verdâtres,  avec  de  petites  taches  noires.  Les  jeunes 

ment  qu'il  reprend  sa  voix  en  automne  :  car  nous  l'avons  ouï  dans  cette 
saison  remplir  les  bois  de  ses  cris. 


LE    PIC    VERT.  l5 

pics  commencent  à  grimper  tout  petits,  et  avant  de 
pouvoir  voler.  Le  mâle  et  la  femelle  ne  se  quittent 
"[uère,  se  couchent  de  bonne  heure,  avant  les  autres 
oiseaux,  et  restent  dans  leur  trou  jusqu'au  jour. 

Quelques  naturalistes  ont  pensé  que  le  pic  vert  est 
l'oiseau  pluvial  [pliiviœ  avis)  des  anciens,  parce  qu'on 
croit  vulgairement  qu'il  annonce  la  pluie  par  un  cri 
très  diflerent  de  sa  voix  ordinaire.  Ce  cri  est  plaintif 
et  traîné,  plieUj  plieu^  plieu,  et  s'entend  de  très  loin. 
C'est  dans  le  même  sens  que  les  Anglois  le  nomment 
rain  fowl  (oiseau  de  pluie),  et  que  dans  quelques 
unes  de  nos  provinces,  comme  en  Bourgogne,  le  peu- 
ple l'appelle  procureur  du  meunier'^.  Ces  observateurs 
prétendent  même  avoir  reconnu  dans  le  pic  vert  quel- 
que pressentiment  marqué  du  changement  de  la  tem- 
pérature et  des  autres  affections  de  l'air;  et  c'est  ap- 
paremment d'après  cette  prévision  naturelle  à  cet 
oiseau,  que  la  superstition  lui  a  supposé  des  con- 
noissances  encore  plus  merveilleuses.  Le  pic  tenoit 
le  premier  rang  dans  les  auspices  ;  son  histoire  ,  ou 
plutôt  sa  fable  ,  mêlée  à  la  mythologie  des  anciens 
héros  du  Latium^ ,  présente  un  être  mystérieux  et 
augurai ,  dont  les  signes  étoient  interprétés,  les  mou- 
vements significatifs  et  les  apparitions  fatales.  Pline 
nous  en  offre  un  trait  frappant,  et  qui  nous  montre 
en  même  temps  dans  les  anciens  R.omains  deux  ca- 

1.  Comme  annonçant  la  pluie  et  la  crue  d'eau  qui  lait  moudre  le 
moulin. 

2.  Picus,  fils  de  Saturne,  et  père  de  Faunus  ,  fut  aïeul  du  roi  La- 
tinus.  Pour  avoir  méprisé  l'amour  de  Circé ,  il  fut  changé  en  pic  vert; 
il  devint  un  des  dieux  champêtres  sous  le  nom  de  Picumnus.  Tandis 
que  la  louve  allaitoit  Romulus  et  Remus,  on  vit  ce  pic  sacré  se  poser 
sur  leur  berceau. 


l4  I-E    PIC    VERT. 

ractères  qu'on   croiroit  incompatibles,    l'esprit    su- 
perstitieux et  la  grandeur  d'âme ^. 

L'espèce  du  pie  vert  se  trouve  dans  les  deux  conti- 
nents; et  quoiqu'assez  peu  nombreuse  en  individus, 
elle  est  très  répandue.  Le  pic  vert  de  la  Louisiane  est 
le  môme  que  celui  d'Europe  ;  le  pic  vert  des  Antilles 
n'en  est  qu'une  variété.    M.   Gmelin  parle  d'un  pic 
vert  cendré  qu'il  vit  chez  les  Tunguses ,  qui  est  une 
espèce  très  voisine  ou  une  variété  de  celui  d'Europe. 
Nous  n 'hésiterons  pas  de  lui  rapporter  aussi  le  pic  à 
tête  grise  de  Norwége ,  donné  par  Edwards,  et  dont 
MM.  Klein  et  Brîsson  ont  fait  une  espèce  particulière. 
Il  ne  diffère  en  effet  de  notre  pic  vert  qu'en  ce  que 
ses  couleurs  sont  plus  pâles  et  sa  tête  sans  rouge  dé- 
cidé, quoiqu'il  y  en  ait  quelque  teinte  sur  le  front. 
Edwards  remarque  avec  raison  que   cette  diversité 
de  couleurs  provient   uniquement  de  la   différence 
des  climats ,  qui  influent  sur  le  plumage  des  oiseaux 
comme  sur  le  pelage  des  quadrupèdes ,  que  le  froid 
du  pôle  blanchit  ou  pâlit  également.   M.  Brisson  fait 
encore  une  espèce  particulière  du  pic  jaune  de  Perse, 
lequel,  suivant  toute  apparence,  n'est  aussi  qu'un  pic 
vert  :  il  en  a  la  taille  et  presque  les  couleurs.  Aldro- 
vande  ne  parle  de  ce  pic  jaune  de  Perse  que  sur  une 
figure  qui  lui  fut  montrée  à  Venise.  Ce  n'est  point  sur 
une  notice  aussi  incertaine  ,  et  sur  laquelle  ce  natu- 

1.  Un  pic  vint  se  poser  sur  la  tête  du  préleur  iElius  Tubero,  tandis 
qu'il  étoit  assis  sur  son  triliunal  dans  la  place  publique  ,  et  se  laissa 
prendre  à  la  main  :  les  devins,  consultés  sur  ce  prodige,  répondirent 
que  l'empire  étoit  menacé  de  destruction  si  on  relàchoit  l'oiseau  ,  et  le 
préteur  de  mort  si  on  le  retenoit.  Tubero  à  l'instant  le  déchira  de  eei 
mains  :  peu  après,  ajoute  Pline,  il  accomplit  l'oracle. 


LE    PIC    VEUT.  l5 

raliste  paroît  peu  compter  lui-même,  qu'on  doit  éta- 
blir une  espèce  particulière;  et  c'est  même  peut-être 
trop  que  de  l'indiquer  ici. 

Belon  a  fait  du  pic  noir  une  espèce  de  pic  vert,  et 
cette  erreur  a  été  adoptée  par  Ptay,  qai  compte  deux 
espèces  de  pic  vert.  Mais  l'origine  de  ces  méprises 
est  dans  l'abus  du  nom  de  pic  vert  ^  que  les  anciens 
ornithologistes  et  quelques  modernes,  tels  que  les 
traducteurs  de  Catesby  et  d'Edwards,  appliquent  in- 
distinctement à  tous  les  pics.  Il  en  est  de  même  du 
nom  de  plcus  martius^  qu'ils  donnent  souvent  aux 
pics  en  général  ,  quoique  originairement  il  appar- 
tienne exclusivement  au  pic  vert,  comme  oiseau  dé- 
dié au  dieu  Mars. 

Gesner  a  dit  avec  raison,  et  AIdrovande  a  tâché  de 
prouver,  que  le  coUos  d'Aristote  est  le  pic  vert  ;  mais 
presque  tous  les  autres  naturalistes  ont  soutenu  que 
le  colios  est  le  loriot.  Nous  croyons  devoir  discuter 
leurs  opinions,  tant  pour  compléter  l'histoire  natu- 
relle de  ces  oiseaux  que  pour  expliquer  deux  passa- 
ges d'Aristote  qui  présentent  plus  d'une  difficulté. 

Théodore  Gaza  traduit  également  par  galgulus 
(loriot)  un  mot  qui  se  trouve  deux  fois  (du  moins 
suivant  sa  leçon  J  au  chapitre  premier  du  livre  IX 
d'Aristote  :  mais  il  est  évident  qu'il  se  trompe  au 
moins  une,  et  que  le  celeos  qui  combat  avec  le  lybios 
dans  le  premier  passage  ne  peut  point  être  le  même 
qui  dans  le  second  est  ami  du  lybios.  Ce  dernier  celeos 
habite  les  rives  des  eaux  et  des  taillis^,  genre  de  vie 
qui  n'est  point  attribué  au  premier;  et  pour  qu'Aris- 

1.   Fard  potamon  kai  loclunas  {juxta  amnes  et  fruteta),  en  quoi  Gaza 
s'est  encore  trompé  de  rendre  fruteta  et  neinora. 


l6  LE    PIC    VERT. 

tote  ne  se  contredise  pas  clans  la  même  page  ,  il  faut 
lire  dans  le  premier  passage  collas  au  lieu  de  celeos. 
Le  celeos  sera  donc  un  oiseau  d'eau  ou  de  rivage;  et 
le  colios  sera  ou  le  loriot,  comme  Ta  rendu  Gaza,  et 
comme  l'ont  répète  lesnomenciateurs,  ou  le  pic  vert, 
€omme  l'ont  soutenu  Gesner  et  Aldrovande.  Or,  par 
la  comparaison  du  second  passage  d'Aristote,  où  il 
parle  plus  amplement  du  colios ^  tout  ce  qu'il  lui  at- 
tribue, comme  la  grandeur  approchante  de  la  tour- 
terelle, la  voix  forte,  etc.,  convient  parfaitement  au 
pic  vert;  et  il  a  même  un  trait  qui  ne  convient  qu'à 
lui ,  savoir  l'habitude  de  frapper  les  arbres  à  coups  de 
bec,  et  d'y  chercher  sa  nourriture.  De  plus,  le  mot 
chloron  dont  ce  philosophe  se  sert  pour  marquer  la 
couleur  du  colios^  signifie  plutôt  vert  qu'il  ne  signiûe 
jaune j  comme  l'a  rendu  Gaza;  et  si  l'on  considère 
après  cela  qu'Aristote,  en  cet  endroit,  parle  du  colios 
après  deux  pics,  et  avant  le  grimpereau,  on  ne  pourra 
guère  douter  qu'il  n'ait  entendu  le  pic  vert,  et  non 
pas  le  loriot. 

Albert  et  Scaliger  ont  assuré  que  le  pic  vert  apprend 
à  parler,  et  qu'il  articule  quelquefois  parfaitement  la 
parole  ;  Willughby  le  nie  avec  raison  :  la  structure  de 
la  langue  des  pics,  longue  comme  un  ver,  paroît  se 
refuser  entièrement  au  mécanisme  de  l'articulation 
des  sons;  outre  que  leur  caractère  sauvage  et  indo- 
cile les  rend  peu  susceptibles  d'éducation;  car  l'on 
ne  peut  guère  nourrir  en  domesticité  des  oiseaux  qui 
ne  vivent  que  des  insectes  cachés  sous  les  écorces. 

Selon  Frisch ,  les  mâles  seuls  ont  du  rouge  sur  la 
tête.  Klein  dit  la  même  chose.  Salerne  prétend  qu'ils 
se  trompent,  et  que  les  petits  ont  tous  le  dessus  de  la 


LE    PIC    VERÏ.  17 

tète  rouge,  même  dans  le  nid.  Suivant  Tobservalion 
de  Linnaeus,  ce  ronge  varie,  et  paroît  mêlé,  tantôt  de 
taches  noires,  tantôt  de  grises,  et  quelquefois  sans  ta- 
ches dans  ditTérents  individus.  Quelques  uns,  et  ce 
sont  vraisemblablement  les  vieux  mâles,  prennent 
du  rouge  dans  les  deux  moustaches  noires  qui  par- 
tent des  angles  du  bec ,  et  ils  ont  en  tout  les  couleurs 
phis  vives,  comme  on  le  voit  dans  celui  qui  est  re- 
présenté dans  les  planches  enluminées,  n°  879. 

Frisch  raconte  qu'en  Allemagne,  pendant  l'hiver, 
le  pic  vert  fait  ravage  dans  les  ruches  d'abeilles.  Nous 
doutons  de  ce  fait,  d'autant  qu'il  reste  bien  peu  de 
ces  oiseaux  en  France  pendant  l'hiver,  si  même  il  en 
reste  aucun;  et  comme  il  fait  encore  plus  froid  en  Al- 
lemagne, nous  ne  voyons  pas  pourquoi  ils  y  reste- 
roient  de  préférence. 

En  les  ouvrant,  on  leur  trouve  ordinairement  le 
jabot  rempli  de  fourmis.  11  n'y  a  point  de  cœcum,  et 
tous  les  oiseaux  de  ce  genre  en  manquent  également; 
mais,  en  place  du  cœcum,  il  y  a  un  rendement  dans 
l'intestin.  La  vésicule  du  fiel  est  grande;  le  tube  in- 
tinal  est  long  de  deux  pieds.  Le  testicule  droit  est 
rond;  le  gauche  oblong  et  courbé  en  arc,  ce  qui  est 
naturel ,  et  non  accidentel ,  comme  il  a  été  vérifié  sur 
un  grand  nombre  d'individus. 

Mais  le  mécanisme  de  la  langue  du  pic  a  été  un  su- 
jet d'admiration  pour  tous  les  naturalistes.  BoreMi  et 
Aldrovande  ont  décrit  la  forme  et  le  jeu  de  cet  or- 
gane. Olaûs  JacohœuSj,  dans  les  Jetés  de  Copenhague,, 
et  xMéry,  dans  les  Mémoires  de  l'Académie  des  Scien- 
ces de  Paris ,  en  ont  donné  la  curieuse  analomie.  La 
langue  du  pic  vert,  proprement  dite ,  n'est  que  cette 


l8  LE    PIC    VERT. 

pointe  osseuse  qui  ne  paroît  en  faire  que  i  extrémité  : 
ce  que  Ton  prend  pour  la  langue  est  Tos  hyoïde  lui- 
même  engagé  dans  un  fourreau  membraneux  et  pro- 
longé en  arrière  en  deux  longs  rameaux ,  d'abord  os- 
seux, puis  cartilagineux,  lesquels,  après  avoir  em- 
brassé la  trachée-artère,  fléchissent,  se  courbent  sur 
la  tête,  se  couchent  dans  une  rainure  tracée  sur  le 
crâne,  et  vont  s'implanter  dans  le  front  à  la  racine  du 
bec.  Ce  sont  ces  deux  rameaux  ou  filets  élastiques, 
garnis  d'un  appareil  de  ligaments  et  de  muscles  ex- 
tenseurs et  rétracteurs,  qui  fournissent  à  rallonge- 
ment et  au  jeu  de  cette  espèce  de  langue.  Tout  le 
faisceau  de  cet  appareil  est  enveloppé ,  comme  dans 
une  gaîne,  d'une  membrane  qui  est  le  prolongement 
de  celle  dont  la  mandibule  inférieure  du  bec  est  ta- 
pissée ,  de  manière  qu'elle  s'étend  et  se  défile  comme 
un  ver  lorsque  l'os  hyoïde  s'élance,  et  qu'elle  se  ride 
et  se  replisse  en  anneaux  quand  cet  os  se  retire.  La 
pointe  osseuse,  qui  tient  seule  la  place  de  la  véritable 
langue ,  est  implantée  immédiatement  sur  l'extrémité 
de  cet  os  hyoïde ,  et  recouverte  d'nn  cornet  écailleux 
hérissé  de  petits  crochets  tournés  en  arrière ,  et  afin 
qu'il  ne  manque  rien  à  cette  espèce  d'aiguillon  pour 
retenir  comme  pour  percer  la  proie,  il  est  naturelle- 
ment enduit  d'une  glu  que  distillent,  dans  le  fond  du 
bec,  deux  canaux  excrétoires  venant  d^une  double 
glande.  Cette  structure  est  le  modèle  de  celle  de  la 
langue  de  tous  les  pics.  Sans  l'avoir  vérifié  sur  tous, 
nous  le  conclurons  du  moins  par  analogie,  et  même 
nous  croyons  qu'on  peut  l'étendre  à  tous  les  oiseaux 
qui  lancent  leur  langue  en  l'allongeant. 

Le  pic  vert  a  la  tête  fort  grosse  et  la  faculté  de  rele- 


LE    PIC    VERT.  19 

ver  les  petites  plumes  rouges  qui  en  couvrent  le  som- 
met, et  c'est  de  là  que  Pline  lui  prête  une  huppe.  On 
le  prend  quelquefois  à  la  pipée,  mais  c'est  par  une 
espèce  de  hasard  ;  il  y  vient  moins  répondant  à  l'ap- 
peau qu'attiré  par  le  bruit  que  fait  le  pipeur  en  frap- 
pant contre  l'arbre  qui  soutient  sa  loge,  et  qui  res- 
semble assez  au  bruit  que  fait  un  pic  avec  son  bec. 
Quelquefois  il  se  prend  par  le  cou  aux  sauterelles,  en 
grimpant  le  long  du  piquet.  Mais  c'est  un  mauvais  gi- 
bier :  ces  oiseaux  sont  toujours  extrêmement  maigres 
et  secs,  quoique  Aîdrovande  dise  qu'on  en  mange  en 
hiver  à  Bologne ,  et  qu'ils  sont  alors  assez  gras ,  ce  qui 
nous  apprend  du  moins  qu'il  en  reste  en  Italie  dans 
cette  saison,  tandis  qu'ils  disparoissent  alors  dans  nos 
provinces  de  France. 


OISEAUX  ETRANGERS 

DE    l'ancien    continent 
QUI  ONT  RAPPORT  AU  PIC  VERT. 


LE  PALALACA, 

ou  GRAND  PIC  VERT  DES  PHILIPPINES. 

PREMIÈRE    ESPÈCE. 

Picus  Plàlippinarum.  Lath. 

Camel,  dans  sa  notice  des  oiseaux  des  Philippines, 
et  Gemelli  Garreri,  s'accordent  à  placer  dans  ces  îles 


20  LE    PALALACA. 

une  espèce  de  pic  vert  qu'ils  disent  graud  comme  une 
poule;  ce  qui  doit  s'entendre  apparemment  de  la  lon- 
gueur, comme  nous  le  remarquerons  aussi  au  sujet 
du  grand  pic  noir,  et  non  de  la  masse  du  corps.  Ce 
picj  nommé  palalaca  par  les  insulaires,  est  appelé  par 
les  Espagnols  herrero ,  ou  le  forgeron^  à  cause  du 
grand  bruit  qu'il  fait  en  frappant  les  arbres  à  coups 
redoublés,  et  qui  s'entendent,  dit  Camel ,  à  trois 
cents  pas.  Sa  voix  est  grosse  et  rauque  ;  sa  tête  rouge 
et  huppée;  le  vert  fait  le  fond  de  son  plumage,  et 
son  bec,  qui  est  d'une  solidité  à  toute  épreuve,  lui 
sert  à  creuser  les  arbres  les  plus  durs  pour  y  placer 
son  nid. 

AUTRE  PALALACA, 

ou  PIC  VEUT  TACHETÉ  DES  PHILIPPINES. 
SECONDE    ESPÈCE. 

Ce  second  pic  des  Philippines,  n"  691,  est  tout 
différent  du  précédent  par  la  grandeur  et  par  les  cou- 
leurs. M.  Sonnerat  l'appelle  pic  grivelè.  Il  est  de  gran- 
deur moyenne  entre  l'épeiche  et  le  pic  vert,  et  plus 
approchant  de  la  taille  de  ce  dernier.  Sur  chaque 
plume,  dans  tout  le  devant  du  corps,  on  voit  une 
tache  d'un  blanc  terne  encadrée  de  brun  noirâtre, 
ce  qui  forme  à  l'œil  un  assez  riche  émail.  Le  man- 
teau des  ailes  est  d'un  roux  teint  de  jaune  aurore,  qui 
devient  sur  le  dos  d'un  aurore  plus  brillant  et  tirant 
au  rouge.  Le  croupion  est  rouge  de  carmin;  la  queue 
est  d'un  gris  roussâtre;  et  la  tète  est  chargée  d'une 
huppe  ondée  de  roux  jaunâtre  sur  un  fond  brun. 


LE    PIC    VEliT    DE    (>  O  A .  2  1 

LE   PIC   VERT    DE  GOA. 

TROISIÈME    ESPÈCE. 
Picus  goensis.  Gmel. 

Ce  pic  vert  d'Asie ,  n**  696,  est  moins  grand  que  le 
pic  vert  d'Europe.  La  coiffe  rouge  de  sa  tête,  troussée 
en  huppe  et  en  arrière,  est  bordée  à  la  tempe  d'une 
raie  blanche  qui  s'élargit  sur  le  haut  du  cou  ;  une 
zone  noire  descend  depuis  l'œil,  et,  traçant  un  zig- 
zag ,  tombe  jusque  sur  l'aile  ;  les  petites  couvertures 
sont  également  noires  ;  une  belle  tache  d'un  Jaune 
doré  couvre  le  reste  de  l'aile,  et  se  termine  en  jaune 
verdâtre  sur  les  petites  pennes  ;  les  grandes  sont 
comme  dentelées  de  taches  d'un  blanc  verdâtre 
sur  un  fond  noir;  la  queue  est  noire;  le  ventre,  la 
poitrine,  et  le  devant  du  cou,  jusque  sous  le  bec, 
sont  entremêlés  et  comme  maillés  légèrement  de 
blanc  et  de  noir.  Tous  ces  effets  sont  très  bien  ren- 
dus dans  la  planche  enluminée;  et  ce  pic  est  un  de 
ceux  dont  le  plumage  est  le  plus  beau  :  il  a  beaucoup 
de  rapports  avec  le  suivant;  la  ressemblance,  jointe 
à  la  proximité  des  climats,  nous  porteroit  aisément 
à  croire  que  ces  deux  espèces  sont  très  voisines,  ou 
même  n'en  font  qu'une. 

LE  PIC  VERT  DE  BENGALE. 

QUATRIÈME    ESPÈCE. 

Picus  bengalensis.  Gmel. 

Il  est  de  la  même  taille  que  le  pic  vert  de  Goa ,  et 
hii  ressemble  assez.   Le  jaune  doré  des  ailes  a  pkis 

BL'FPOIV.     XXV,  2 


22  LE    PIC    VERT    DE    BENGALE. 

d'étendue  dans  celui  de  Bengale,  n°  696,  et  couvre 
aussi  le  dos;  une  ligne  blanche,  prise  de  l'œil,  des- 
cend au  côté  du  cou  comme  le  zigzag  noir  de  celui 
de  Goa.  La  huppe,  quoique  plus  étalée,  ne  se  trouve 
qu'au  derrière  de  la  tête^,  dont  le  sommet  et  le  de- 
vant sont  couverts  de  petites  plumes  noires ,  tache- 
tées joliment  de  gouttes  blanches.  Même  plumage 
dans  ces  deux  oiseaux  sous  le  bec  et  sur  la  gorije  :  la 
poitrine  et  l'estomac  sont  blancs,  traversés  et  maillés 
de  noirâtre  et  de  brun;  mais  moins  dans  celui-ci  que 
dans  le  précédent.  Ces  différences  légères  ne  distin- 
gueroient  peut-être  pas  assez  ces  deux  espèces,  sans 
celle  du  bec,  qui  dans  le  pic  de  Goa  est  d'un  tiers 
plus  long  que  dans  celui  de  Bengale. 

Nous  rapporterons  à  ce  dernier,  non  seulement  le 
pic  vert  de  Bengale  de  M.  Brisson,  mais  encore  son 
pic  du  cap  de  Bonne-Espérance,  qui  ressemble  beau- 
coup plus  à  notre  pic  du  Bengale  que  le  premier  de 
ces  deux  pics  donnés  par  M.  Brisson  :  la  raison  en 
est,  ce  me  semble,  que  la  description  de  celui  du 
cap  de  Bonne-Espérance  est  faite  d'après  nature,  et 
que  celle  de  l'autre  a  été  tirée  sur  la  figure  d'Edwards, 
qui  est  bien  celle  de  notre  pic  vert  de  Bengale,  et  qui 
n'en  diffère  qu'en  ce  qu'il  est  un  peu  plus  grand.  Mais 
Albin  ,  qui  a  décrit  le  même  oiseau,  le  fait  plus  grand 
que  celui  d'Edwards,  et  lui  donne  la  grandeur  du  pic 
vert  d'Europe;  ce  qui  est  en  effet  la  laille  de  ce  pic 
de  Bengale.  Quoi  qu'il  en  soit,  ces  petites  différences 
de  taille  et  de  couleurs  ne  nous  empêchent  pas  de 

1.  Caractère  plus  remarquable  que  celui  du  noir  qui  se  trouve  au 
haut  du  cou  sous  cette  huppe,  et  dont  M.  Liunaeus  se  sert  pour  dési- 
guer  ce  pic  ,  nnclià  nigrâ. 


LE    PIC    VERT    DE     BENGALE.  '20 

recorinoître  le  même  oiseau  sous  ces  trois  descrip- 
tions. 

LE  GOERTAN, 

ou    PIC  VERT  DU  SÉNÉGAL. 

CINQUIÈME    ESPÈCE. 

Pic  us  goertan.  Lath. 

Ce  pic,  n*  020,  appelé  au  Sénégal  goertan ^  est 
moins  grand  que  le  pic  vert,  et  ne  Test  guère  plus 
que  1  epeiche.  Le  dessus  du  corps  du  goertan  est  d'un 
gris  brun,  teint  de  verdâtre  sombre,  tacheté  sur  les 
ailes  d'ondes  d'un  blanc  obscur,  et  coupé  sur  la  tête 
et  le  croupion  par  deux  plaques  d'un  beau  rouge  ; 
tout  le  dessous  du  corps  est  d'un  gris  lavé  de  jau- 
nâtre. Cette  espèce  et  les  deux  suivantes  n'étoient 
pas  connues  des  naturalistes. 

LE  PETIT  PIC  RAYÉ  DU  SÉNÉGAL. 

SIXIÈME    ESPÈCE. 
Pieas  senegalensis.  Gmel. 

Ce  pic,  n**  345,  fig.  2,  n'est  pas  plus  gros  qu'un 
moineau  :  il  a  le  dessus  de  la  tête  rouge;  un  demi- 
masque  de  brun  lui  passe  sur  le  front  et  s'étend  der- 
rière l'œil;  le  plumage  ondulé  sur  le  devant  du  corps 
présente  de  petits  festons  alternativement  gris  brun 
et  blanc  obscur;  le  dos  est  d'un  beau  fauve  jaune 
doré,  qui  teint  également  les  grandes  pennes  de 
l'aile,  dont  les  couvertures,  ainsi  que  le  croupion, 
sont  verdâtres.  Quoique  fort  au  dessous  des  pics  d'Eu- 
rope pour  la  grandeur,  ce  pic  d'Afrique  n'est  pas,  à 


^4  LE    PETIT    PIC    RAYÉ    DU    SENEGAL. 

beaucoup  près,  comme  nous  le  verrons,  le  plus  pe- 
tit de  cette  grande  famille. 

LE  PIC  A   TÊTE  GRISE 

DU  GAP  DE  BONNE-ESPÉRANCE, 

SEPTIÈME    ESPÈCE. 

Piciis  capensis.  L. 

Presque  tous  les  pics  ont  le  plumage  bariolé  ;  ce- 
lui-ci seul  n'a  point  de  couleurs  opposées  ou  tran- 
chées :  du  brun  olivâtre  obscur  couvre  le  dos,  leçon, 
et  la  poitrine  ;  le  reste  du  plumage  est  d'un  gris  foncé , 
et  cette  couleur  grise  est  seulement  plus  claire  sur  la 
tête;  on  voit  une  teinte  de  rouge  sur  l'origine  de  sa 
queue.  Ce  pic,  n"  786,  fig.  2,  n'est  pas  aussi  grand 
qu'une  alouette. 

OISEAUX 

DU  NOUVEAU  CONTINENT 
QUI  ONT  RAPPORT  AU  PIC  VERT. 


LE  PIC  RAYE  DE    SAINT-DOMINGUE. 

PREMIÈRE   ESPÈCE. 
Pic  us  striât  us.  Latii. 

M.  Rrisson  donne  deux  fois  ce  même  oiseau,  d'a- 
bord SOUS  le  nom  de  pic  rayé  de  Saint-Domingue ^  et 


LE    PIC    UAYE    DE    S  AllN  Ï-D  OM  I  N  GUE.  25 

ensuite  sous  celui  de  petit  pic  rayé  de  Saint-Domingue ^ 
en  le  disant  moins  gros  que  le  premier,  quoique  dans 
le  détail  les  dimensions  qu'il  donne  se  trouvent  être 
les  mêmes;  et,  tout  en  observant  que  le  second 
pourroit  bien  n'être  que  la  femelle  du  premier,  il  ne 
laisse  pas  d'en  faire  deux  espèces  différentes.  Mais  il 
ne  faut  que  jeter  un  coup  d'œil  sur  les  planches  enlu- 
minées, n"'  6i4  et  ii8i,  pour  se  convaincre  que  les 
deux  variétés  qui  y  sont  représentées  ne  marquent  de 
différences  que  celles  qui  peuvent  appartenir  au  sexe 
ou  à  l'âge.  Dans  le  premier,  le  sommet  de  la  tête  est 
noir,  la  gorge  grise,  la  teinte  olive  du  corps  est  plus 
claire,  et  les  raies  du  dos  sont  moins  larges  que  dans 
le  second,  qui  a  tout  le  haut  de  la  tête  rouge,  et  le 
devant  du  corps  assez  terne,  avec  la  gorge  blanche: 
mais,  du  reste  ,  la  forme  et  le  plumage  se  ressemblent 
parfaitement.  Ce  pic  rayé  de  Saint-Domingue  est  à 
peu  près  de  la  grosseur  de  notre  épeiche  ou  pic  varié  : 
tout  son  manteau  est  coupé  transversalement  de  ban- 
des noires  et  olive;  la  teinte  verte  se  marque  sur  le 
gris  du  ventre,  et  plus  vivement  sur  le  croupion  ,  dont 
l'extrémité  est  rouge  ;  la  queue  est  noire. 

LE  PETIT  PIC  OLIVE  DE  SAINT-DOMINGUE. 

DEUXIÈME    ESPÈCE. 

Pic  us  passerinus.  Lath. 

Ce  petit  pic  a  six  pouces  de  longueur,  et  il  est  à 
peu  près  de  la  grosseur  de  l'alouette  :  il  a  le  sommet 
de  la  lêle  rouge,  dont  les  côtés  sont  d'un  gris  rous- 
sâtre  ;   tout   le    manteau  est  olive  jaunâtre  ;  tout   le 


26  LE    PETIT    PIC    OLIVE    DE    SAINT-DOMINGUE. 

dessous  du  cops  est  rayé  transversalement  de  blan- 
châtre et  de  brun;  les  pennes  de  l'aile,  olivâtres 
comme  le  dos,  du  côté  extérieur,  ont  l'intérieur  brun 
et  dentelé  d'un  bord  de  taches  blanchâtres  engrenées 
assez  profondément,  caractère  qui  l'assimile  encore 
au  pic  vert;  les  plumes  de  la  queue  sont  d'un  gris 
mélangé  de  brun.  Malgré  sa  petite  taille,  ce  pic  ne 
laisse  pas  d'être  des  pins  robustes  ;  il  perce  les  arbres 
les  plus  durs.  C'est  à  lui  que  se  rapporte  cette  notice 
extraite  de  ï Histoire  des  aventuriers  flibustiers  :  «  Le 
»  charpentier  est  un  oiseau  qui  n'est  pas  plus  gros 
>)  qu'une  alouette;  il  a  le  bec  long  d'environ  un  pouce, 
))  et  si  dur,  que,  dans  un  jour  de  temps,  il  perce  un 
»  palmiste  jusqu'au  cœur.  Il  est  à  remarquer  que  le 
»  bois  de  cet  arbre  est  si  dur,  que  les  meilleurs  in- 
»  struments  de  fer  rebroussent  dessus.  » 

LE  GRAND  PIC  RAYÉ  DE  CAYENNE. 

TROISIÈME    ESPÈCE. 

Picua  melanochloros.  Gmel. 

Nous  ne  faisons  aucun  doute  que  ce  pic  ne  soit  le 
même  que  le  pic  varié  huppé  d' Amérique ^  décrit  in- 
complètement par  M.  Brisson,  sur  un  passage  deOes- 
ner.  La  huppe  d'un  fauve  doré  ou  plutôt  d'un  rouge 
aurore  ,  la  tache  pourpre  à  l'angle  du  bec  ,  les  plumes 
fauves  et  noires,  dont  tout  le  corps  est  alternative- 
ment varié,  sont  des  cajactères  suffisants  pour  le  faire 
reconnoître;  et  la  grandeur  donnée,  qui  est  celle  du 
pic  vert,  convient  à  ce  grand  pic  rayé  de  Cayenne  , 
n"  719.   Son  plumage  est  très  richement  émaillé  par 


LE    GRAND    PIC    RAYli    DE    CAYENNE.  '2^j 

le  fauve  jaunâtre  et  le  beau  noir  qui  s  y  entremêlent 
en  ondes ,  en  taches,  et  en  festons;  un  espace  blanc 
dans  lequel  l'œil  est  placé,  et  un  noir  sur  le  front, 
donnent  du  caractère  à  la  physionomie  de  cet  oiseau  , 
et  la  huppe  rouge  et  la  moustache  pourpre  semblent 
la  relever  encore. 

LE  PETIT  PIC  RAYÉ  DE  CAYENNE. 

QUATRIÈME    ESPÈCE. 

Picui  cayennensls.  Gmel. 

Entre  les  pics  rayés  que  M.  Brisson  range  tous  à  la 
suite  de  Tépeiche  ou  pic  varié,  il  en  est  plusieurs  qui 
appartiennent  certainement  au  pic  vert.  Gela  est  sen- 
sible pour  les  pics  rayés  de  Saint-Domingue  et  de 
Cayenne  que  nous  venons  de  décrire  ,  et  pour  celui- 
ci.  En  effet,  ces  trois  pics  portent  tous  un  reste  de  la 
teinte  de  vert  jaunâtre,  plus  ou  moins  obscure,  qui 
caractérise  le  pic  vert;  et  les  raies  ondulées  qui  se- 
tendent  sur  le  plumage  semblent  prolongées  sur  le 
modèle  de  celles  dont  l'aile  du  pic  vert  est  marquée. 

Le  petit  pic  rayé  de  Cayenne,  n°  5i3,  a  sept  pou- 
ces cinq  lignes  de  longueur;  il  a  beaucoup  de  rap- 
port dans  les  couleurs  avec  le  pic  rayé  de  Saint-Do- 
mingue ,  mais  il  est  moins  grand  :  des  bandes  noires 
ondulées  s'étendent  sur  le  fond  gris  brun  olivâtre  de 
son  plumage;  le  gris  dentelé  de  noir  couvre  encore  les 
deux  plumes  extérieures  de  la  queue  de  chaque  côté; 
les  six  autres  sont  noires;  l'occiput  est  rouge;  le  front 
et  la  gorge  sont  noirs  ;  seulement  ce  noir  est  coupé 
par  une  tache  blanche  tracée  sous  l'œil  et  prolongée 
en  arrière. 


2b  LE    PIC    JAUNE    DE    CAYENNE. 

LE  PIC  JAUNE  DE  GAYENNE. 

CINQUIÈME    ESPÈCE. 

Picus  flavicans.  Lath. 

Les  espèces  d'oiseaux  qui  cherchent  la  soh'lude  et 
ne  peuvent  vivre  qu'au  désert  sont  multipliées  dans 
les  vastes  forêts  du  Nouveau-Monde,  d'autant  plus  que 
l'homme  s'est  encore  moias  emparé  de  ces  antiques 
domaines  de  la  nature.  Nous  avons  jusqu'à  dix  espè- 
ces de  pics  venus  des  bois  de  la  Guiane,  et  les  pics 
jaunes paroissent  propres  et  particuliers  à  cette  région. 
La  plupart  de  ces  espèces  sont  encore  peu  connues 
des  naturalistes ,  et  Barrère  n'a  fait  qu'en  indiquer 
quelques  unes.  Le  premier  de  ces  pics,  que  M.  Bris- 
son  a  décrit  sous  le  nom  de  pic  blanc ^  a  le  plumage 
du  corps  d'un  jaune  tendre  ;  la  queue  noire  ;  les  gran- 
des pennes  de  l'aile  brunes,  et  les  moyennes  rousses, 
et  non  pas  noires,  comme  on  les  a,  par  méprise ,  re- 
présentées dans  la  planche  enluminée  ;  les  couver- 
tures des  ailes  sont  d'un  gris  brun,  et  frangées  de 
blanc  jaunâtre.  Ce  pic  est  huppé  jusque  sur  le  cou  : 
dans  le  jaune  pâle  qui  colore  cette  huppe  ,  ainsi  que 
toute  la  tête ,  tranche  vivement  le  rouge  de  ses  mous- 
taches. Ces  deux  pinceaux  rouges  et  sa  belle  huppe 
lui  donnent  une  physionomie  remarquable,  et  la  cou- 
leur douce  et  peu  commune  de  son  plumage  en  fait, 
dans  son  genre,  un  oiseau  distingué.  Les  créoles 
de  Cayenne  l'appelleat  le  charpentier  jaune;  il  est 
moins  grand  que  notre  pic  vert ,  et  surtout  beaucoup 
moins  épais;  sa  longueur  est  de  neuf  pouces.  11  fait 


LE    PIC    JAUNE    DE    CAYENNE.  29 

SOU  nid  dans  les  grands  arbres  dont  le  cœur  est  pourri, 
après  avoir  percé  horizontalement  jusqu'à  la  cavité, 
et  continue  son  excavation  en  descendant  jusqu'à  un 
pied  et  demi  plus  bas  que  l'ouverture.  x\u  fond  de  cet 
antre  obscur,  la  femelle  pond  trois  œufs  blancs  et 
presque  ronds.  Les  petits  éclosent  au  commencement 
d'avril.  Le  mâle  partage  la  sollicitude  de  la  femelle , 
et,  en  son  absence,  se  tient  constamment  à  l'embou- 
chure de  sa  galerie  horizontale.  Son  cri  est  un  siffle- 
ment en  six  temps ,  dont  les  premiers  accents  sont 
monotones ,  et  les  deux  ou  trois  derniers  plus  graves. 
La  femelle  n'a  pas  aux  côtés  do  la  tête  cette  bande 
de  rouge  vif  que  porte  le  mâle. 

On  trouve  dans  cette  espèce  une  variété  dont  les 
individus  ont  toutes  les  petites  couvertures  des  ailes 
d'un  beau  jaune  ,  et  les  grandes  bordées  de  cette  cou- 
leur; dans  quelques  autres  individus,  tels  apparem- 
ment que  celui  que  M.  Brisson  a  décrit,  tout  le  plu- 
mage décoloré  et  d'une  teinte  alToiblie  n'offre  plus 
qu'un  blanc  sale  et  jaunâtre. 

LE  PIC  MORDORÉ. 

SIXIÈME    ESPÈCE. 
Pîcus  cinnamomeus.  Latii. 

Un  beau  rouge  vif,  brillant  et  doré,  forme  un  su- 
perbe habillement  à  ce  pic,  n**  624,  presque  aussi 
grand  que  le  pic  vert,  mais  de  taille  moins  forte;  une 
longue  huppe  jaune  en  effilés  pendants  lui  couvre  la 
tête  et  se  jette  en  arrière  ;  des  angles  du  bec  partent 
deux  moustaches  d'un  beau  rouge  clair  et  bien  tracé 


OO  LE    PIC    MOUDOIIE. 

entre  l'œil  et  la  gorge;  quelques  gouttes  blanches  et 
citrines  enrichissent  et  varient  le  fond  roux  du  milieu 
du  manteau;  le  croupion  est  jaune,  et  la  queue  noire. 
La  femelle ,  dans  cette  espèce  comme  dans  celle  du 
pic  jaune  des  mêmes  contrées,  n'a  pas  de  rouge  sur 
les  joues.  Un  individu  envoyé  de  Cayenne,  et  placé 
au  Cabinet  du  Roi,  gou»s  le  nom  de  pic  roux  tacheté 
de  Cayenne^  paroît  être  cette  femelle. 

LE  PIC  A  CRAVATE  NOIRE. 

SEPTIÈME    ESPÈCE. 

Picui  multicolor.  Gmbl. 

C'est  encore  ici  un  de  ces  charpentiers  jaunes  des 
créoles  de  Cayenne.  Il  porte  un  beau  plastron  noir 
qui  lui  engage  le  cou  par  derrière ,  en  couvre  tout  le 
devant  comme  une  cravate  ,  et  tombe  sur  la  poitrine  ; 
le  reste  du  dessous  du  corps  est  d'un  fauve  roussâtre, 
ainsi  que  la  gorge  et  toute  la  tête,  qui  est  huppée 
jusque  sur  le  cou  ;  le  dos  est  d'un  roux  vif;  l'aile  est 
de  la  même  couleur,  mais  traversée  dans  les  pennes 
de  quelques  traits  noirs  assez  distants;  quelques  uns 
de  ces  traits  s'étendent  sur  la  queiie  ,  dont  la  pointe 
est  noire,  et  que  la  planche  enluminée  représente  un 
peu  trop  courte.  La  grandeur  de  ce  pic  de  Cayenne, 
n"  863,  est  la  même  que  celle  du  pic  jaune,  et  la 
même  encore  que  celle  du  pic  mordoré  de  ces  con- 
trées :  tous  trois  ont  le  corps  mince  et  sont  huppés  de 
même  ;  en  sorte  que  ces  trois  espèces  paroissent  avoir 
beaucoup  d'affinité.  Les  naturels  de  la  Guiane  leur 
donnent,  en  langue  gariponne,  le  nom  commun  de 
toiicoumarL  11  paroit  que  ces  pics  sont  aussi  grands 


LE    PIC    A    CRAVATE    NOIRE.  5l 

travailleurs  que  les  autres,  et  que  ces  oiseaux  char- 
pentiers se  trouvent  également  à  Saint-Domingue  , 
puisque  le  P.  Charlevoix  assure  que  souvent  des  bois 
employés  aux  édifices  dans  cette  île  se  sont  trouvés 
tellement  criblés  des  trous  de  ces  charpentiers  sau- 
vages, qu'ils  ont  paru  hors  de  service. 

LE  PIC  ROUX. 

HUITIÈME   ESPÈCE. 

Plcus  rufus.  Gmel. 

Il  y  a  dans  le  plumage  de  ce  petit  pic  une  singula- 
rité, c'est  que  la  teinte  du  dessous  du  corps  est  plus 
forte  que  celle  du  dessus,  au  contraire  de  tous  les 
autres  oiseaux  :  un  roux  plus  ou  moins  sombre  ou 
clair  en  fait  tout  le  fond  ;  ce  roux  est  foncé  sur  les 
ailes ,  plus  lavé  sur  le  croupion  et  le  dos  ,  plus  chargé 
sur  la  poitrine  et  le  ventre  ,  et  mêlé  sur  tout  le  corps 
d'ondes  noires  très  pressées,  et  qui  font  l'efFet  du  plus 
bel  émail  ;  la  tête  est  d'un  roux  éclairci,  et  traversé 
de  petites  ondes  noires.  Ce  pic,  n**  694?  qu'on  trouve 
à  Gayenne,  n'est  guère  plus  grand  que  le  torcol  ;  mais 
il  est  un  peu  plus  épais  :  son  plumage,  quoique  com- 
posé de  deux  teintes  sombres,  est  cependant  un  des 
plus  beaux  et  des  plus  agréablement  variés. 

LE  PETIT  PIC  A  GORGE  .lAUlNE. 

NEUVIÈME   ESPÈCE. 
Picus  icterocephalus.  Gmel. 

Ce  pic  n'est  pas  si  gros  que  le  torcol.  Le  fond  de 
son  plumage  est  d'un  brun  teint  d'olivâtre,    avec   de 


32  LE    PETIT    PIC    A    GORGE    JAUNE. 

petites  taches  blaaches  en  écailles  sur  le  devant  du 
corps,  jusque  sous  la  gorge,  qu'un  beau  jaune  en- 
veloppe ,  en  se  portant  sous  l'œil  et  sur  le  haut  du 
cou  ;  une  calotte  rouge  couvre  le  sommet  de  la  tête  , 
et  une  moustache  de  cette  couleur  affoiblie  se  trace 
aux  angles  du  bec.  Ce  pic  ,  n°  784?  comme  les  précé- 
dents,  se  trouve  à  la  Guiane. 

LE  TRÈS  PETIT  PIC  DE  CAYEJNINE. 

DIXIÈME   ESPÈCE. 
Yunx  minatissiîna.  Cuv. 

Cet  oiseau,  11°  786,  fig.  i  ,   aussi  petit  que  notre 
roitelet ,  est  le  nain  de  la  grande  famille  des  pics.  Ce 
n'est  point  un  grimpereau  ,  mais  un  véritable  pic  au 
bec  droit  et  carré.  Son  cou  et  sa  poitrine  ondes  dis- 
tinctement de  zones  noires  et  blanches,  son  dos  brun, 
tacheté  de  gouttes  blanches  ombrées  de  noir,    ces 
mêmes  taches  beaucoup  plus  serrées  et  plus  fines  sur 
le  beau  noir  qui  couvre  le  haut  du  cou  ,  enfin  une 
petite  tête  dorée  comme  celle  du  roitelet ,   en  font 
un  oiseau  aussi  joli  qu'il  est  délicat.  Tout  le  blanc  de 
son  plumage  n'est  pas  pur,  mais  couvert  d'une  ombre 
jaunâtre  qui  se  marque  plus  vers  la  queue,  et  jusque 
sur  le  brun  des  ailes  et  du  dos.  Ce  petit  oiseau,  au- 
tant du  moins  qu'on  en  peut  juger  sur  sa  dépouiiie  , 
est  plus  leste  et  plus  gai  que  tous  les  autres  pics  :  il 
semble  que  la  nature  l'ait  dédommagé  de  sa  petitesse 
en  lui  accordant  plus  de  vivacité  ,   de   légèreté  ,   et 
toutes  les  ressources  qu'elle  donne  aux  êtres  foibles. 
On  le  trouve  communément  de  compagnie  avec  les 


r'auquet    ■Soulp, 

LLEPIGA  BAGUETTES  "DOREES   2  LE  PIC  VERT  3  LE  PIC    MORDOP-E. 


LE    TRÈS    PETIT    PIC    DE    GAYENNE.  :>:) 

grimpereanx,   et  il  va  comme  eux  grimpant  contre 
le  tronc  des  arbres,  et  se  suspendant  aux  branches. 

LE  PIC  AUX  AILES  DORÉES. 

ONZIÈME   ESPÈCE. 
Piciis  (luratus.  Gmel, 

En  plaçant  ce  bel  oiseau  .  u**  6ç)ô ,  à  la  suite  de  la 
famille  du  pic  vert,  nous  remarquerons  d'abord  qu'il 
semble  sorti*  et  s'éloigner  du  genre  même  des  pics 
pas  ses  habitudes,  comme  par  quelques  traits  de  con- 
formation. En  eÛet,  Catesby,  qui  l'a  observé  à  la 
Caroline,  dit  qu'il  se  tient  le  plus  souvent  h  terre, 
et  ne  grimpe  pas  contre  le  tronc  des  arbres,  mais  se 
perche  sur  leurs  branches  comme  les  autres  oiseaux: 
cependant  il  a  les  doigts  disposés  deux  en  avant,  deux 
en  arrière  ,  comme  les  pics  ;  comme  eux,  les  plumes 
de  la  queue  roides  et  rudes;  et  par  une  singularité 
qui  lui  est  propre  ,  la  côte  de  chacune  est  terminée 
par  deux  petits  filets;  mais  son  bec  s'éloigne  de  la 
forme  du  bec  des  pics;  il  n'est  point  taillé  carrément, 
mais  arrondi  et  un  peu  courbé,  ni  terminé  en  ciseau, 
mais  en  pointe.  L'on  voit  donc  que  si  cette  espèce 
tient  au  genre  des  pics  par  les  pieds  et  la  queue  ,  elle 
s'en  éloigne  par  la  forme  du  bec  et  par  les  habitudes 
naturelles,  qui  sont  une  suite  nécessaire  de  la  con- 
formation de  ce  principal  organe  des  oiseaux.  Celui- 
ci  semble  faire  une  espèce  moyenne  entre  le  pic  et 
le  coucou,  avec  lequel  quelques  naturalistes  l'ont 
rangé  :  cet  un  exemple  de  plus  de  ces  nuances  que 
la  nature  a  mises  partout  entre  ses  productions.  Ce 
pic  demi-coucon  est  à  peu  près  grand  comme  le  pic 


v'>4  LE    PIC.    AUX    AILES    D01\ÉES. 

vert,  et  remarquable  par  une  belle  forme  et  de  bel- 
les couleurs,  disposées  d'une  manière  élégante;  des 
taches  noires  en  croissant  et  en  cœur  parsèment  l'es- 
tomac et  le  ventre  sur  un  fond  blanc  ombré  de  rous- 
satre;  le  devant  du  cou  est  d'un  cendré  vineux  ou 
lilas,  et  sur  le  milieu  de  la  poitrine  est  une  large 
zone  noire  en  croissant;  le  croupion  est  blanc;  la 
queue,  noire  en  dessus,  et  doublée  en  dessous  d'un 
beau  jaune  feuille  morte  ;  le  dessus  de  la  tête  et  le 
haut  du  cou  sont  d'un  gris  plombé,  et  à  l'occiput  est 
une  belle  belle  tache  écarlate;  des  angles  du  bec  par- 
tent deux  grandes  moustaches  noires  qui  descendent 
sur  les  côtés  du  cou  ;  la  femelle  ne  porte  pas  ces 
moustaches;  le  dos,  fond  brun,  est  moucheté  de 
noirâtre  :  les  grandes  pennes  de  l'aile  sont  de  cette 
même  couleur;  mais  ce  qui  les  relève  et  qui  suffit 
seul  pour  distinguer  cet  oiseau,  c'est  que  la  côte  de 
toutes  ces  pennes  est  d'une  vive  couleur  d'or.  Cet 
oiseau  se  trouve  en  Canada  et  en  Virginie  ,  aussi  bien 
qu'à  la  Caroline. 

LE  PIC  NOIR\ 

Picus  martius.  Gmel. 

La  seconde  espèce  de  pic  qui  se  trouve  en  Europe, 
est  celle  du  pic  noir,  n°  296  ;  elle  paroît  confinée  dans 

1.  En  italien,  picc/no ,  sgiaia;  en  anglois,  great  biack  xvood-peckcr  ; 
en  allemand,  holtt-krac,  krac  -  specht ,  grosser  -  specht ,  schwartzcr- 
spcclit ,  lioUz-lium. 


LE    PIC    NOIR.  55 

-quelques  contrées  particulières;  et  surtout  en  Alle- 
magne. Les  Grecs  néanmoins  connoissent ,  comme 
nous,  trois  espèces  de  pics;  Aristote  les  indique 
toutes  trois.  L'une,  dit-il,  moindre  que  le  merle,  c'est 
le  pic  varié  ou  i'épeiche;  l'autre,  plus  grande  que  le 
merle,  et  qu'il  appelle  ailleurs  collos „  et  c'est  notre 
pic  vert;  la  troisième  enfin,  qu'il  dit  presque  égale 
à  la  poule  en  grandeur,  ce  qu'il  faut  entendre  de  la 
longueur  et  non  de  l'épaisseur  du  corps,  et  c'est  notre 
pic  noir,  le  plus  grand  de  tous  les  pics  de  l'ancien 
continent.  Il  a  seize  pouces  de  longueur  du  bout  du 
bec  à  l'extrémité  de  la  queue;  le  bec,  long  de  deux 
pouces  et  demi,  est  de  couleur  de  corne  ;  une  ca- 
lotte d'un  rouge  vif  couvre  le  sommet  de  la  tète  ;  le 
plumage  de  tout  le  corps  est  d'un  noir  profond.  Les 
noms  de  krae-speclit  et  de  lioltz-krae ,  pic-corneille, 
corneille  de  bois,  que  lui  donnent  les  Allemands, 
désignent  en  même  temps  sa  couleur  et  sa  taille. 

On  le  trouve  dans  les  hautes  futaies,  sur  les  mon- 
tagnes en  Allemagne,  en  Suisse,  et  dans  les  Vosges. 
Il  n'est  pas  connu  dans  la  plupart  de  nos  provinces 
de  France,  et  il  ne  vient  guère  dans  les  pays  de  plaine. 
Willughby  assure  qu'il  ne  se  trouve  point  en  Angle- 
terre. En  effet ,  cet  oiseau  de  foret  a  dû  quitter  une 
contrée  trop  découverte  et  trop  dénuée  de  bois  :  c'est 
la  seule  cause  qui  l'ait  pu  bannir  de  l'Angleterre 
comme  de  la  Hollande  ,  où  l'on  assure  qu'il  ne  se 
trouve  pas;  car  on  le  voit  dans  les  climats  plus  sep- 
tentrionaux ,  et  jusqu'en  Suède  :  mais  on  ne  peut 
guère  deviner  pourquoi  il  ne  se  trouveroit  pas  en  Ita- 
lie, où  Aldrovande  dit  ne  l'avoir  jamais  vu. 

11  y  a  aussi  dans  la  même  contrée  des  cantons  que 


00  LE    Vie    NOIR. 

le  pic  noir  nlVocte  de  préférence,  et  ce  sont  les  lieux 
solitaires  et  sanvages.  Frîsch  nomme  nne  forêt  de 
Franconie,  fameuse  par  !a  quantité  des  pics  noirs  qui 
l'habitent^.  Ils  ne  sont  pas  si  communs  dans  le  reste 
de  l'Allemagne.  L'espèce  en  générai  paroît  peu  nom- 
breuse, et  il  est  rare  que,  dans  une  étendue  de  demi- 
lieue  ,  on  rencontre  plus  d'un  couple  de  ces  oiseaux. 
Ils  sont  cantonnés  dans  un  certain  arrondissement 
qu'ils  ne  quittent  guère,  et  où  Ion  est  presque  sûr 
de  les  retrouver  toujours. 

Cet  oiseau  frappe  contre  les  arbres  de  si  grands 
coups  de  bec,  qu'on  l'entend,  dit  Frisch ,  d'aussi 
loin  qu'une  hache.  Il  les  creuse  profondément  pour 
se  lo^er  dans  le  cœur,  où  il  se  met  fort  au  lareje.  On 
voit  souvent  au  pied  de  l'arbre,  sous  son  trou,  un 
boisseau  de  poussière  et  de  petits  copeaux.  Quelque- 
fois il  creuse  et  excave  l'intérieur  des  arbres,  au  point 
qu'ils  sont  bientôt  rompus  par  les  vents  :  cet  oiseau 
feroit  donc  grand  tort  aux  forêts  si  l'espèce  en  étoit 
plus  nombreuse.  Il  s'attache  de  préférence  aux  arbres 
dépérissant.  Les  gens  soigneux  de  leurs  bois  cher- 
chent à  le  détruire;  car  il  ne  laisse  pas  d'attaquer 
aussi  beaucoup  d'arbres  sains.  M.  Deslandes ,  dans 
son  Essai  sur  la  marine  des  anciens  _,  se  plaint  de  ce 
qu'il  y  a  voit  peu  d'arbres  propres  à  fournir  des  ra- 
mes de  quarante  pieds  de  long,  sans  être  percés  de 
trous  faits  par  les  pics^. 

Le  pic  noir  pond  au  fond  de  son  trou  deux  ou  trois 

1.  La  forêt  de  Spessert. 

2.  Mais  M.  Deslandes  se  trompe  beaucoup  au  même  endroit ,  lors- 
qu'il dit  que  le  pic  se  sert  de  sa  langue  comme  d'une  tarière  pour  per- 
cer les  plus  gros  arbres. 


LE    PIG    NOIR.  5y 

'<cufs  blancs,  et  cette  couleur  est  celle  des  œufs  de 
tous  les  pics,  suivant  Willughby.  Celui-ci  se  voit  ra- 
rement à  terre  :  les  anciens  ont  même  dit  qu'aucun 
pic  ne  descendoit  ;  et  en  effet,  ils  n'y  descendent  pas 
souvent.  Quand  ils  grimpent  contre  les  arbres,  le 
long  doigt  postérieur  se  trouve  tantôt  de  côté,  et  tan- 
tôt en  avant;  ce  doigt  est  mobile  dans  son  articula- 
tion avec  le  pied  ,  et  peut  se  prêter  à  toutes  les  po- 
sitions nécessaires  au  point  d'appui,  et  favorables  à 
l'équilibre.  Cette  faculté  est  commune  à  tous  les  pics. 

Lorsque  le  pic  noir  a  percé  son  trou  et  s'est  ouvert 
l'entrée  d'un  creux  d'arbre  ,  il  y  pousse  un  grand  cri 
ou  sifflement  aigu  et  prolongé  qui  retentit  au  loin; 
il  fait  entendre  aussi  par  intervalles  un  craquement 
ou  plutôt  un  frôlement  qu'il  fait  avec  son  bec  en  le 
secouant  et  le  frottant  rapidement  contre  les  parois 
de  son  trou. 

La  femelle  diffère  du  mâle  par  sa  couleur  ;  elle  est 
d'un  noir  anoins  profond,  et  n'a  de  rouge  qu'à  l'occi- 
put ,  et  quelquefois  elle  n'en  a  point  du  tout.  On  ob- 
serve que  le  rouge  descend  plus  bas  sur  la  nuque 
du  cou  dans  quelques  individus  ,  et  ce  sont  les  vieux 
mâles. 

Le  pic  noir  disparoît  pendant  l'hiver.  Agricola  croit 
qu'il  demeure  caché  dans  des  trous  d'arbres;  mais 
Frisch  assure  qu'il  part  et  fuit  la  rigueur  de  la  saison, 
pendant  laquelle  toute  subsistance  lui  manque,  parce 
que ,  dit-il ,  les  vers  du  bois  s'enfoncent  alors  davan- 
tage ,  et  que  les  fourmilières  restent  ensevelies  sous 
la  glace  ou  la  neige. 

Nous  ne  connoissons  aucun  oiseau  dans  l'ancien 
continent,    ni  en  Asie  ni  en  Afrique,  dont  l'espèce 


Ri.rro.N.    \XY. 


38  LE    PIC    NOIR. 

ait  du  rapport  avec  celle  du  pic  noir  d'Europe  ;  et  il 
semble  qu'il  nous  soit  arrivé  du  nouveau  continent, 
où  Ton  trouve  plusieurs  espèces  qu'on  doit  rapporter 
presque  immédiatement  à  celle  de  notre  pic    noir. 
Voici  rénuniération  de  ces  espèces. 


OISEAUX 

DU    NOUVEAU    CONTINENT 
QUI   ONT    RAPPORT  AU    PIC    NOIR. 


LE  GRAND  PIC  INOIR  A  BEC  BLANC. 

PREMIÈRE    ESPÈCE. 
Picus  principalis.  Gmel. 

Ce  pic,  n°  690,  se  trouve  à  la  Caroline  ,  et  il  est 
dIus  grand  que  celui  d'Europe,  et  même  plus  grand 
que  tous  les  oiseaux  de  ce  genre  ;  il  égale  ou  surpasse 
la  corneille^.  Son  bec,  d'un  blanc  d'ivoire,  est  long 
de  trois  pouces  ,  et  cannelé  dans  toute  sa  longueur. 
Ce  bec  est,  si  tranchant  et  si  fort,  dit  Catesby,  que  , 
dans  une  heure  ou  deux,  l'oiseau  taille  souvent  un 
boisseau  de  copeaux  :  aussi  les  Espagnols  l'ont-ils 
nommé  carpenteros^  le  charpentier. 

1.  M.  Brisson  avoit  apparemment  mesuré  un  individu  fort  petit, 
lorsqu'il  ne  donne  à  ce  pic  qi|e  seize  pouces  :  celui  du  Cabiuet  du 
Roi ,  représenté  dans  la  planche ,  en  a  dix-huit. 


Uî    GRAND    PIC    NOIR    A    BEC    BLANC.  5q 

Sa  tête  est  ornée  par  derrière  d'une  grande  huppe 
écarlate,  divisée  comme  en  deux  touffes,  dont  l'une 
est  tombante  sur  le  cou,  et  l'autre  relevée  :  celle-ci 
est  couverte  par  de  longs  filets  noirs  qui  partent  du 
sommet  de  la  tête,  qu'ils  recouvrent  en  entier;  car 
les  plumes  écarlates  ne  prennent  qu'en  arrière  :  une 
raie  blanche  ,  en  descendant  sur  le  côté  du  cou ,  et 
faisant  un  angle  sur  l'épaule,  va  se  rejoindre  au  blanc 
qui  couvre  le  bas  du  dos  et  les  pennes  moyennes  de 
l'aile;  tout  le  reste  du  plumage  est  d'un  noir  pur  et 
profond. 

Il  creuse  son  nid  dans  les  plus  gros  arbres,  et  fait 
sa  couvée  dans  la  saison  des  pluies.  Ce  grand  pic  à 
bec  blanc  se  trouve  dans  des  climats  encore  plus 
chauds  que  la  Caroline  ;  car  nous  le  reconnoissons 
dans  le  pictis  imbrifœtus  de  Nieremberg  et  le  quato- 
tomomî  de  Fernandès,  quoique  la  grandeur  totale 
soit  mal  désignée  par  ces  auteurs,  et  qu'il  y  ait  quel- 
ques différences  qui  semblent  indiquer  une  variété 
dans  l'espèce;  mais  le  bec  blanc ,  long  de  trois  pou- 
ces, la  caractérise  assez.  Ce  pic  habite,  dit  Fernandès, 
les  plages  qui  avoisinent  la  mer  du  Sud.  Les  Améri- 
cains des  contrées  septentrionales  font  avec  les  becs 
de  ces  pics  des  couronnes  pour  leurs  guerriers;  et 
comme  ils  n'ont  point  de  ces  oiseaux  dans  leur  pays, 
ils  les  achètent  des  habitants  du  Sud,  et  donnent 
jusqu'à  trois  peaux  de  chevreuils  pour  un  bec  de  pic. 


/fO  LE    PIC    NOIK    A    lirrrE    ROUGE. 

LE  PIC  NOIR  A  HUPPE  ROUGE. 

SECONDE    ESPÈCE. 
Picus  pileatus.  Latii. 

Ce  pic ,  n°  718 ,  qui  est  assez  commun  à  la  Loui- 
siane, se  trouve  également  à  la  Caroline  et  à  la  Vir- 
ginie :  il  ressemble  fort  au  précédent;  mais  il  n'a  pas 
le  bec  blanc,  et  il  est  un  peu  moins  grand  ,  quoiqu'il 
le  soit  un  peu  plus  que  le  pic  noir  d'Europe.  Le  som- 
met de  la  tête  ,  jusque  sur  les  yeux  ,  est  orné  d'une 
grande  huppe  écarlate,  troussée  en  une  seule  touffe  , 
et  jetée  en  arrière  en  forme  de  flamme  ;  au  dessous 
règne  une  bande  noire  dans  laquelle  l'œil  est  placé  ; 
une  moustache  rouge  part  de  la  racine  du  bec ,  et 
tranche  sur  les  côtés  noirs  de  la  tête  ;  la  gorge  est 
blanche  ;  une  bandelette  de  cette  même  couleur 
passe  entre  l'œil  et  la  moustache ,  et  s'étend  sur  le 
cou  jusque  sur  l'épaule  :  tout  le  reste  du  corps  est 
noir,  avec  quelques  légères  marques  de  blanc  dans 
l'aile ,  et  une  plus  grande  tache  de  cette  couleur  sur 
le  milieu  du  dos;  dessous  le  corps,  le  noir  est  un 
peu  moins  profond,  et  mêlé  d'ondes  grises.  Dans 
la  femelle,  le  devant  de  la  tête  est  brun,  et  il  n'y 
a  de  plumes  rouges  que  sur  la  partie  postérieure  de 
la  tête. 

Catesby  dit  que  ces  oiseaux  ,  non  contents  des  in- 
sectes qu'ils  tirent  des  arbres  pourris  dont  ils  font  leur 
pâture  ordinaire,  attaquent  encore  les  plantes  de  maïs 
et  en  détruisent  beaucoup,  parce  que  l'humidité  qui 
en  Ire  par  les   trous  qu'ils  font  dans  l'enveloppe  gâte 


LE    PIC    NOIR    A    111!  PPE    HOIIGE.  /^l 

ie  grain  qu'elle  renferme  :  mais  n'est-ce  pas  plutôt 
pour  trouver  quelque  espèce  de  vers  cachés  dans 
les  enveloppes  du  maïs  que  pour  en  manger  le  grain? 
car  aucun  oiseau  de  ce  genre  ne  se  nourrit  de  graine. 
Nous  ne  pouvons  mieux  rapporter  qu'à  cette  es- 
pèce un  pic  dont  M.  Gommerson  nous  a  laissé  la  no- 
tice, et  qu'il  rencontra  dans  les  forêts  des  terres  Ma- 
gellaniques  :  la  grandeur  est  la  même,  et  les  autres 
caractères  sont  assez  semblables  ;  seulement  ce  der- 
nier n'a  de  rouge  que  sur  les  joues  et  le  devant  de  la 
tête,  et  l'occiput  est  huppé  de  plumes  noires.  Ainsi 
une  espèce,  ou  la  même,  ou  semblable,  se  trouve- 
roit  dans  les  latitudes  correspondantes  aux  deux  ex- 
trémités du  grand  continent  de  l'Amérique.  M.  Gom- 
merson remarque  que  cet  oiseau  avoit  la  voix  forte  et 
la  vie  très  dure,  ce  qui  convient  à  tous  les  pics  ,  for- 
tiûés  et  endurcis  par  leur  vie  laborieuse. 

L'OUANTOU, 

ou  PIC  INOIR  HUPPÉ  DE  GAYEINNE. 

TROISIÈME    ESPÈCE. 

Picus  tùieatus.  Gmel. 

Barrère  a  mal  prononcé  ventou  le  nom  de  ce  pic  , 
11^ -^1^,  que  les  Américanis  appellent  ouantou;  et  en 
le  rapportant  à  V/iipecou  de  Marcgrave  ,  nous  rectifie- 
Fons  deux  méprises  de  nos  nomenclateurs.  L'ouantou 
est  de  la  longueur  du  pic  vert,  avec  moins  d'épais- 
seur de  corps;  il  est  entièrement  noir  en  dessus,  à 
l'exception  d'une  ligne  blanche  qui  part  de  la  man- 
dibule supérieure  du  bec,  descend  en  ceinture  sur 
le  cou,   et  jette  quelques  plumes  blanches  dans  î^ 


4^  l'ouantou,  ou  pic  noir  huppé. 

couvertures  de  l'aile  ;  restomac  et  le  ventre  sont  on- 
des de  bandes  noires  et  grises,  et  la  gorge  est  griveîée 
de  même;  de  la  mandibule  inférieure  du  bec  part  une 
moustache  rouge;  une  belle  huppe  de  cette  môme 
couleur  couvre  la  tête  et  retombe  en  arrière  ;  enfin, 
sous  les  longs  filets  de  cette  huppe  ,  on  aperçoit  de 
petites  plumes  du  même  rouge  qui  garnissent  le  haut 
du  cou. 

Barrère  a  autant  de  raison  de  rapporter  à  ce  pic  l'hi- 
pecou  de  Marcgrave,  que  M.  Brisson  paroît  avoir  de 
tort  en  le  rapportant  au  grand  pic  de  la  Caroline  de 
Catesby.  Celui-ci  est  plus  grand  qu'une  corneille  ,  et 
l'hipecou  pas  plus  grand  qu'un  pigeon.  D'ailleurs  le 
reste  de  la  description  de  Marcgrave  convient  autant 
à  l'ouantou  qu'il  convient  peu  au  grand  pic  de  la 
Caroline  qui  n'a  pas  le  dessous  du  corps  varié  de  noir 
et  de  blanc  comme  l'ouantou  et  l'hipecou,  qui  a  le 
bec  long  de  trois  pouces,  et  non  pas  de  six  lignes. 
Or,  ces  caractères  ne  conviennent  pas  davantage  au 
pic  noir  de  la  Louisiane ,  et  M.  Brisson  paroît  encore 
se  tromper  en  rapportant  à  cette  espèce  l'ouantou  , 
qui  n'est,  comme  nous  venons  de  le  voir,  que  l'hi- 
pecou, et  qu'il  eût  mieux  placé  sous  sa  onzième  es- 
pèce ,  à  laquelle  conviennent  tous  les  caractères  de 
l'hipecou  et  de  l'ouantou. 

L'ouantou  de  Cayennc  est  aussi  le  tlauhqueclmlto-^ 
totl  de  la  Nouvelle-Espagne,  de  Fernandès  :  nous  l'a- 
vons reconnu  par  un  trait  singulier;  c'est,  dit  Fer- 
nandès, un  pic  perceur  d'arbres.  Il  a  la  tête  et  le 
dessus  du  cou  garnis  de  plumes  rouges.  «  Ces  plumes 
appliquées,  dit-on  ,  ou  plutôt  collées  contre  la  tête 
d'un  malade^  apaisent  la  douleur^  soit  qu'on  l'ait  re- 


l'oUANTvOU,    ou    pic    NOIU    liUPPÉ.  .\3 

connu  par  l'expérience,  soit  qu'on  l'ait  imaginé  en 
les  voyant  collées  de  près  à  la  tête  de  l'oiseau.  »  Or, 
entre  tous  les  pics,  c'est  à  celui-ci  que  convient  le 
mieux  ce  caractère,  d'avoir  les  petites  plumes  rouges 
qui  lui  garnissent  l'occiput  et  le  haut  du  cou  ,  pla- 
quées et  comme  collées  contre  la  peau. 

LE  PIC  A  COU  ROUGE. 

QUATRIÈME    ESPÈCE. 
Picus  rubi'icolUa.  Lath. 

Nous  avons  préféré,  pour  désigner  ce  pic  ,  n"  61 2  , 
la  dénomination  de  cou  rouge  à  celle  de  tête  rouge , 
parce  que  la  plupart  des  pics  ont  la  tête  plus  ou 
moins  rouge.  Celui-ci  a  de  plus  le  cou  entier  jusqu'à 
la  poitrine,  de  cette  belle  couleur;  ce  qui  suffit  pour 
le  distinguer.  Il  est  un  peu  plus  long  que  le  pic  vert, 
son  cou  et  sa  queue  étant  plus  allongés;  ce  qui  fait 
paroître  son  corps  moins  épais.  Toute  la  tête  ^i  le 
cou  sont  garnis  de  plumes  rouges  jusque  sur  la  poi- 
trine ,  où  des  teintes  de  cette  couleur  vont  encore 
se  confondre  avec  le  beau  fauve  qui  la  couvre ,  ainsi 
que  le  ventre  et  les  flancs;  le  reste  du  corps  est  d'un 
brun  foncé  presque  noir,  où  le  fauve  se  môle  sur  les 
pennes  des  ailes.  Ce  pic  se  trouve  à  la  Guiane,  ainsi 
que  le  précédent  et  le  suivant. 

LE  PETIT  PIC  NOIR. 

CINQUIÈME    ESPÈCE. 
Picus  hirundmaceus.  Latu. 

Celui-ci,  n"  694,  fig-  2  ,  est  le  plus  petit  des  pics 
noirs  ;  il  n'est  que  de  la  grandeur  du  torcol.  Un  noir 


44  ^^    PETIT    PIC    NOIR. 

profond  ,  avec  des  reflets  bleuâtres ,  enveloppe  la 
gorge,  la  poitrine,  le  dos  et  la  tête,  à  l'exception  d'une 
tache  rouge  qui  se  trouve  sur  la  tête  du  mâle;  il  a 
aussi  une  légère  trace  de  blanc  sur  l'œil,  et  quelques 
petites  plumes  jaunes  vers  l'occiput;  au  dessous  du 
corps,  le  long  du  sternum,  s'étend  une  bande  d'un 
beau  rouge  ponceau  ;  elle  finit  au  ventre,  qui,  comme 
les  côtés,  est  très  bien  émaillé  de  noir  et  de  gris  blanc  ; 
la  queue  est  noire. 

Il  y  a  une  variété  de  ce  pic ,  qui,  au  lieu  de  tache 
rouge  au  sommet  de  la  tête  ,  a  tout  alentour  une 
couronne  jaunâtre,  qui  est  le  développement  de  ces 
petites  plumes  jaunes  qu'on  voit  dans  le  premier,  et 
marque  apparemment  une  variété  d'âge.  La  femelle 
n'a  ni  tache  rouge  ni  cercle  jaune  sur  la  tête. 

Nous  rapporterons  à  cette  espèce  le  petit  grim- 
pereau  noir  d'Albin  ,  dont  M.  Brisson  a  fait  sa  sep- 
tième espèce ,  sous  le  nom  de  pic  noi?'  de  la  Nouvelle- 
Angleterre  ^  mais  qui  a  trop  de  rapports  avec  le  petit 
pic  noir  de  Cayenne  pour  qu'on  doive  les  séparer. 

LE  PIC  NOIR  A  DOMINO  ROUGE. 

SIXIÈME    ESPÈCE. 

Picus  erythrocephalus.  Gmel. 

Ce  pic,  n*  117,  donné  par  Catesby,  se  trouve  en 
Virginie.  11  est  à  peu  près  de  la  grosseur  de  l'épeiche 
ou  pic  varié  d'Europe.  II  a  toute  la  tête  enveloppée 
d'un  beau  domino  rouge,  soyeux,  et  lustré,  qui 
tombe  sur  le  cou;  tout  le  dessus  du  corps  et  le  crou- 
pion sont  blancs ,  de  même  que  les  petites  pennes 
de  Taile ,  dont  le  blanc  se  joint  à  celui  du  croupion 


LE    PIC    jNOIK    a    domino    ROUGE.  4^ 

pour  former  sur  le  bas  du  dos  une  grande  plaque 
blanche  ;  le  reste  est  noir,  ainsi  que  les  grandes  plu- 
mes de  l'aile  et  toutes  celles  de  la  queue. 

On  ne  voit  en  Virginie  que  très  peu  de  ces  oiseaux 
pendant  l'hiver;  il  y  en  a  davantage  dans  cette  saison 
à  la  Caroline  ,  mais  non  pas  en  si  grand  nombre  qu'en 
été.  Il  paroît  qu'ils  passent  au  sud  pour  éviter  le  froid  ; 
ceux  qui  restent  s'approchent  des  villages,  et  vont 
même  frapper  contre  les  fenêtres  des  habitations.  Ca- 
tesby  ajoute  que  ce  pic  mange  quantité  de  fruits  et 
de  grains  :  mais  c'est  apparemment  quand  toute  au- 
tre nourriture  lui  manque;  autrement  il  différeroit 
par  cet  appétit  de  tous  les  autres  pics,  pour  qui  les 
fruits  et  les  grains  ne  peuvent  être  qu'une  ressource 
de  disette ,  et  non  un  aliment  de  choix. 

LÉPEICHE, 

ou   LE   PIC    VARIÉE, 

PREMIÈRE    ESPÈCE. 

Picus  major.  Gmel. 

La  troisième  espèce  de  nos  pics  d'Europe  est  le  pic 
varié  ou  Fépeiche ,  et  ce  dernier  nom  paroît  venir 
de  l'allemand  elster  specht^ ,  qui  répond  dans  cette 
langue  à  celui  de  pic  varié  dans  la  nôtre  ;  il  désigne 

1.  En  italien  ,  ca/rosso  ;  en  allemand,  clstcr  spcc/it ,  bunt  spcclit ^ 
weiss-specfit;  en  anglois,  grcat  spottedwood-pecker,  witivat,  french-pie. 

2.  Pic-pie. 


46  l'épeighe,  ou  le  pic  vakié. 

l'agréable  effet  que  font  dans  son  plumage  le  blanc 
et  le  noir,  relevés  du  rouge  de  la  tête  et  du  ventre. 
Le  sommet  de  la  tête  est  noir,  avec  une  bande  rouge 
sur  l'occiput,  et  la  coiffe  se  termine  sur  le  cou  par 
une  pointe  noire  ;  de  là  partent  deux  rameaux  noirs, 
dont  une  branche  de  chaque  côté  remonte  à  la  racine 
du  bec,  y  trace  une  moustache,  et  l'autre,  descen- 
dant au  bas  du  cou,  le  garnit  d'un  collier;  ce  trait 
noir  s'engage  vers  l'épaule ,  dans  la  pièce  noire  qui 
occupe  le  milieu  du  dos  ;  deux  grandes  plaques  blan- 
ches couvrent  les  épaules;  dans  l'aile,  les  grandes 
pennes  sont  brunes,  les  autres  noires  et  toutes  mê- 
lées de  blanc;  tout  ce  noir  est  profond,  tout  ce  blanc 
est  net  et  pur;  le  rouge  de  la  tête  est  vif,  et  celui  du 
ventre  est  un  beau  ponceau.  Ainsi  le  plumage  de  l'é- 
peiche  est  très  agréablement  diversifié  ,  et  on  peut  lui 
donner  la  prééminence  en  beauté  sur  tous  les  au- 
tres pics. 

Cette  description  ne  convient  entièrement  qu'au 
mâle,  n°  096  :  la  femelle  ,  donnée  dans  les  planches 
enlummées,  n°  695,  n'a  point  de  rouge  à  l'occiput. 
On  connoît  aussi  des  épeiches  dont  le  plumage  est 
moins  beau,  et  même  des  épeiches  tout  blancs.  Il  y 
a  de  plus  dans  cette  espèce  une  variété  dont  leo  cou- 
leurs paroissent  moins  vives,  moins  tranchées,  et  dont 
tout  le  dessus  de  la  tête  et  le  ventre  sont  rouges,  mais 
d'un  rouge  pâle  et  terne. 

C'est  de  cette  variété,  représentée  dans  les  plan- 
ches enluminées,  n*"  61  i ,  que  M.  Brisson  a  fait  son 
second  pic  varié ,  après  l'avoir  déjà  donné  une  fois 
sous  le  nom  de  grand  pic  varié ,  quoique  tous  deux 
soient  à  peu  près  de  la  même  grandeur,  et  qu'on  ait 


l'épeiciie,   ou  le  pic  varié.  4; 

de  tout  temps  reconnu  cette  variété  dans  l'espèce. 
Belon,  qui,  à  la  vérité,  vivoit  dans  le  siècle  où  les 
formules  de  nomenclature  et  les  erreurs  scientiûques 
n'avoient  point  encore  multiplié  les  espèces,  parle  de 
ces  différences  entre  ces  pics  variés ,  et ,  ne  les  jugeant 
rien  moins  que  spécifiques,  les  rapporte  toutes  à  son 
épeiche  :  mais  c'est  avec  raison  qu'Aîdrovande  re- 
prend ce  naturaliste  et  Turner  sur  l'application  qu'ils 
ont  faite  du  nom  de  picus  martlus  au  pic  varié;  car  ce 
nom  n'appartient  exactement  qu'au  pic  vert,  Aristote 
a  connu  l'épeiche;  c'est  celui  de  ses  trois  pics  qu'il 
désigne  comme  un  peu  moins  grand  que  le  merle,  et 
comme  ayant  dans  le  plumage  un  peu  de  rouge. 

L'épeiche  frappe  contre  les  arbres  des  coups  plus 
vifs  et  plus  secs  que  le  pic  vert  ;  il  grimpe  ou  il  des- 
cend avec  beaucoup  d'aisance,  en  haut,  en  bas,  de 
côté,  et  par  dessous  les  branches  :  les  pennes  rudes 
de  sa  queue  lui  servent  de  point  d'appui  quand,  se 
tenant  à  la  renverse,  il  redouble  de  coups  de  bec.  Il 
paroît  défiant;  car,  lorsqu'il  aperçoit  quelqu'un,  il  se 
tient  immobile  après  s'être  caché  derrière  la  branche. 
Il  niche  ,  comme  les  autres  pics,  dans  un  trou  d'arbre 
creux.  En  hiver,  dans  nos  provinces,  il  vient  près  des 
habitations,  et  cherche  à  vivre  sur  les  écorces  des 
arbres  fruitiers  ,  où  les  chrysalides  et  les  œufs  d'insec- 
tes sont  déposés  en  plus  grand  nombre  que  sur  les 
arbres  des  forêts. 

En  été,  dans  les  temps  de  sécheresse,  on  tue  sou- 
vent des  épeiches  auprès  des  mares  d'eau  qui  se  trou- 
vent dans  les  bois,  et  où  les  oiseaux  viennent  boire. 
Celui-ci  arrive  toujours  à  la  muette,  c'est-à-dire  sans 
faire  de  bruit,  et  jauiais  d'un  seul  vol;  car  il  ne  vieni 


48  l'ÉPEICHE,     0  1,     LE    PIC    VARIÉ. 

pour  l'ordinaire  qu'en  voltigeant  d'arbre  en  arbre.  A 
chaque  pause  qu'il  fait,  il  semble  cherchera  recon- 
noître  s'il  n'y  a  rien  à  craindre  pour  lui  dans  les  en- 
virons ;  il  a  l'air  inquiet,  il  écoute,  il  tourne  la  tête 
de  tous  côtés,  et  il  la  baisse  aussi  pour  voir  à  terre  à 
travers  le  feuillage  des  arbres;  et  le  moindre  bruit 
qu'il  entend  suffit  pour  le  faire  rétrograder.  Lorsqu'il 
est  arrivé  sur  l'arbre  le  plus  voisin  de  la  mare  d'eau  , 
il  descend  de  branche  en  branche  jusqu'à  la  plus 
basse,  et  de  cette  dernière  branche  sur  le  bord  de 
l'eau.  A  chaque  fois  qu'il  y  trempe  son  bec  ,  il  écoute 
encore  et  regarde  autour  de  lui  ;  et  dès  qu'il  a  bu,  il 
s'éloigne  promptement  sans  faire  de  pause  comme 
lorsqu'il  est  venu.  Quand  on  le  tire  sur  un  arbre,  il 
est  rare  qu'il  tombe  jusqu'à  terre,  s'il  lui  reste  en- 
core un  peu  de  vie,  car  il  s'accroche  aux  branches 
avec  ses  ongles;  et  pour  le  faire  tomber  on  est  sou- 
vent obligé  de  le  ti*rer  une  seconde  fois. 

Cet  oiseau  a  le  sternum  très  grand,  le  conduit  in- 
testinal long  de  seize  pouces  et  sans  cœcum  ,  l'esto- 
mac membraneux;  la  pointe  de  la  langue  est  osseuse 
sur  cinq  lignes  de  longueur.  Un  épeiche  adulte  pesoit 
deux  onces  et  demie;  c'étoit  un  mâle  qui  avoit  été 
pris  sur  le  nid  avec  six  petits.  Ils  avoient  tous  les 
doigtsdisposéscomme  le  père,  et  pesoient  environ  trois 
gros  chacun.  Leur  bec  n'avoit  point  les  deux  arêtes 
latérales  qui,  dans  l'adulte,  prennent  naissance  au 
delà  des  narines,  passent  au  dessous  et  se  prolongent 
sur  les  deux  tiers  de  la  longueur  du  bec;  les  ongles, 
encore  blancs,  étoient  déjà  fort  crochus.  Le  nidétoit 
dans  un  vieux  tremble  creux  ,  à  trente  pieds  de  hanv 
leur  de  terre. 


Li:    PETIT    ÉPETCIIE.  49 


LE  PETIT  EPEIGHE*. 

SECONDE    ESPÈCE. 

Plcus  mlnor,  Gmel. 

Ce  pic,  n'*  598,  fig.  1  ,  le  mâle,  et  fig.  2,  la  fe- 
melle, seroit  ea  tout  un  diminutif  de  lepeiclie,  s'il 
n'en  différoit  pas  par  le  devant  du  corps,  qui  est  d'un 
blanc  sale  ou  même  gris  ,  et  par  le  manque  de  rouge 
sous  la  queue,  et  de  blanc  sur  les  épaules.  Du  reste, 
tous  les  autres  caractères  sont  semblables.  Dans  ce 
petit  épeiche  comme  dans  le  grand ,  le  rouge  ne  se 
voit  que  sur  la  tête  du  maie  ^, 

Ce  petit  pic  varié  est  à  peine  de  la  grandeur  du  moi- 
neau, et  ne  pèse  qu'une  once.  On  le  voit  venir  pen- 
dant l'hiver  près  des  maisons  et  dans  les  vergers.  Une 
grimpe  pas  fort  haut  sur  les  grands  arbres,  et  semble 
attaché  alentour  du  tronc.  Il  niche  dans  un  trou  d'ar- 
bre, qu'il  dispute  souvent  à  la  mésange  charbonnière, 
qui  n'est  pas  la  plus  forte,  et  qui  est  obligée  de  lui 
céder  son  domicile.  On  le  trouve  en  Angleterre,  où 
il  a  un  nom  propre.  On  le   voit  en  Suède,  et  il  pa- 

1.  En  italien,  pipra ,  pipo;  en  allemand,  spéciale,  grass-speclit , 
klein,  bundter  specht;  en  anglois,  lesser  spotted  wood-spite  or  ivood- 
pecker,  piannes  et  hickwal. 

2.  Willughbj  remarc|ue  fort  à  propos  qu'AltIrovande  assure ,  du 
petit  pic  varié  en  général ,  ce  qui  n'est  vrai  que  de  la  femelle;  savoir, 
qu'il  n  j  a  point  de  rouge  sur  la  têle.  Jonslon  est  là  dessus  dans  la  même 
e  rrcur  q  n  'A  1  d  r o  v  a  ii  d  o . 


ho  LE    PETIT    ÉrEICHE. 

roît  même  que  l'espèce  ,  comme  celle  du  grand  épei- 
che ,  s'est  étendue  jusque  dans  TAmérique  septen- 
trionale ;  car  l'on  voit  à  la  Louisiane  un  petit  pic  varié 
qui  lui  ressemble  presque  en  tout,  et  à  l'exception 
que  le  dessus  de  la  tête,  comme  dans  le  pic  varié  du 
Canada,  est  couvert  d'une  calotte  noire,  bordée  de 
blanc. 

M.  Salerne  dit  que  cet  oiseau  n*est  pas  connu  en 
France;  cependant  on  le  trouve  dans  la  plupart  de 
nos  provinces.  La  méprise  vient  de  ce  qu'il  a  confondu 
le  petit  pic  varié  avec  le  grimpereau  de  muraille,  qu'il 
avoue  lui-même  ne  pas  connoître.  Il  se  trompe  éga- 
lement quand  il  dit  que  Friscli  ne  parle  point  de  ce 
petit  pic  ,  et  qu'il  en  conclut  qu'il  n'existe  point  en 
Allemagne.  Friscli  dit  seulement  qu'il  y  est  rare ,  et 
il  en  donne  deux  belles  figures. 

M.  Sonnerat  a  vu  à  Antigue  un  petit  pic  varié  ,  que 
nous  rapporterons  à  celui-ci  ;  les  caractères  qu'il  lui 
donne  ne  l'en  distinguent  pas  assez  pour  en  faire  deux 
espèces.  Il  est  de  la  même  grandeur;  le  noir  rayé, 
moucbeté  de  blanc ,  couvre  tout  le  dessus  du  corps; 
le  dessous  est  tacheté  de  noirâtre  sur  un  fond  jaune 
pâle  ou  plutôt  blanc  jaunâtre;  la  ligne  blanche  se 
marque  sur  les  côtés  du  cou.  M.  Sonnerat  n'a  point 
vu  de  rouge  à  la  tête  de  cet  oiseau  ;  mais  il  remarque 
lui-même  que  c'étoil  peut-être  la  femelle. 


LEPEICITE    DE    NUBIE    ONDE    ET    TACHETE. 


s^-sifre®  0*0*0*  e<e'««««s*o«<«'&a««««< 


OISEAUX 

DE    l'ancien    continent 
OUI    ONT    RAPPORT  A   L'ÉPEIGHE. 


L'ÉPEICHE  DE  NUBIE  OiNDÉ  ET  TACHETÉ. 

PREMIÈRE    ESPÈCE. 
Pictis  nubiens.  Gmel. 

Ce  pic.  II"  667 ,  est  d'un  liers  moins  grand  que  l'ë- 
j3eiche  d'Europe  ;  tout  son  plumage  est  agréablement 
varié  par  gouttes  et  par  ondes  brisées  ,  rompues  et 
comme  vermiculées  de  blanc  et  de  roussâtre  sur  fond 
gris  brun  et  noirâtre  au  dos,  et  de  noirâtre  en  lar- 
mes sur  le  blanchâtre  de  la  poitrine  et  du  ventre;  une 
demi-huppe  d'un  beau  rouge  couvre  en  calotte  le 
derrière  de  la  tele;  le  sommet  et  le  devant  sont  en 
plumes  fines,  noires,  chacune  ticjuetée  à  la  pointe 
d'une  petite  goutte  blanche  ;  la  queue  est  divisée 
transversalement  par  des  ondes  brunes  et  roussâtres. 
Cet  oiseau  est  fort  joli ,  et  l'espèce  est  nouvelle. 

LE  GRAND  PIC  VARIÉ  DE  LILE  DE  LUÇON. 

SECONDE    ESPÈCE. 

Picus  cardinalis.  Gmel. 

Notre  épeiche  n'est  pas  le  plus  grand  des  pics  va- 
riés ,  puisque  celui  de  Luçon,  dont  M.  Sonneratnous 


52  LE    GRAND    PIC    VARIÉ    DE    l'ÎLE    DE    LUÇON. 

a  donné  la  description,  est  de  la  taille  du  pic  vert.  Il 
a  les  plumes  du  dos  et  des  couvertures  de  l'aile  noi- 
res, mais  le  tuyau  en  est  jaune  ;  il  y  a  aussi  des  taches 
jaunâtres  sur  les  dernières  ;  les  petites  couvertures  de 
l'aile  sont  rayées  transversalement  de  blanc  ;  la  poi- 
trine et  le  ventre  sont  variés  de  taches  longitudinales 
noires  sur  un  fond  blanc  ;  on  voit  une  bande  blanche 
au  côté  du  cou  jusque  sous  l'œil  ;  le  sommet  et  le 
derrière  de  la  tête  sont  d'un  rouge  vif;  et  parce  ca- 
ractère, M.  Sonnerai  voudroit  nommer  ce  pic,  car- 
dinal; mais  il  y  auroit  trop  de  pics  cardinaux  si  l'on 
donnoit  ce  nom  à  tous  ceux  qui  ont  la  calotte  rouge; 
et  ce  rouge  sur  la  tête  n'est  point  du  tout  un  carac- 
tère spécifique,  mais  plutôt  générique  pour  les  pics, 
comme  nous  l'avons  remarqué. 

LE  PETIT  ÉPEICHE  BRUN  DES  MOLUQUES. 

TROISIÈME    ESPÈCE. 
Picus  moluccensis.  Gmel. 

Ce  petit  pic,  n°  748,  fig.  2,  n'a  que  deux  teintes 
sombres  et  ternes.  Son  plumage  est  d'un  brun  noi- 
râtre, onde  de  blanc  au  dessus  du  corps,  blanchâtre, 
tacheté  de  pinceaux  bruns  au  dessous;  la  tête  et  la 
queue,  ainsi  que  les  pennes  des  ailes,  sont  toutes 
brunes.  Il  n'est  que  de  la  grandeur  de  notre  petit 
épeiche ,  ou  même  un  peu  au  dessous. 


l'kpEICIîE    D1;    CANADA.  5,1 

OISEAUX 

DU    NOUVEAU    CONTINENT 
QUI    ONT    RAPPORT  A    L'KPEIGHE. 


L'ÉPEICHE  DU  CANADA. 

PREMIÈRE    ESPÈCE. 

Picas  canadensis.    Gmel, 

On  trouve  au  Canada  un  epeiche  qui  nous  paroît 
devoir  être  rapproché  de  celui  d'Europe;  il  est  de  îa 
même  grosseur,  et  n'en  diffère  c|ue  par  ïa  distribu- 
tion des  couleurs.  Ce  pic  de  Canada ,  n°  545  ,  fig.  i , 
n'a  de  rouge  nulle  part  ;  son  œil  est  environné  d'un 
espace  noir,  au  lieu  que  l'œil  de  notre  epeiche  est 
dans  du  blanc.  Il  y  a  pîu§  de  blanc  sur  le  côté  du  cou, 
et  du  blanc  ou  jaune  foible  à  l'occiput;  mais  ces  dif- 
férences ne  sont  que  de  légères  variétés,  et  ces  deux 
espèces,  très  voisines,  ne  fontpeut-être  que  le  même 
oiseau,  qui,  en  passant  dans  un  climat  différent  et 
plus  froid  ,  aura  subi  ces  petits  changements. 

Le  quaulitotopotU  aller  de  Fernandès,  qui  est  un 
pic  varié  de  noir  et  de  blanc,  paroît  être  le  môme  que 
ce  pic  du  Canada,  d'autant  plus  que  cet  auteur  ne  dit 
pas,  dans  sa  description,  qu'il  ait  du  rOuge  nulle 
part,  et  qu'il  semble  indiquer  que  cet  oiseau  arrive 
du  nord  à  la  Nouvelle-Espagne.  Ce  pays  cependant 
doit  avoir  aussi  ses  pics  variés,  puisque  les  voyageurs 
en  ont  trouvé  jusque  dans  l'isthme  de  l'Amérique, 

BUFFOA.     XXV.  f\ 


54  L'ÉPElCHli     Di;    MEXIQUE. 

L'ÉPEICHE  DU    MEXIQUE. 

SECONDE    ESPÈCE. 
Picus  tricotor,  Gmel. 

Je  serois  1res  porté  à  croire  que  le  grand  pic  varié 
du  Mexique  de  M.  Brisson,  page  67,  et  son  petit  pic 
varié  du  Mexique ^  V^^^  ^9?  ^^  sont  que  le  môme  oi- 
seau. Il  donne  le  premier  d'après  Seba  ;  car  ce  n'est 
que  sur  sa  foi  que  Klein  et  Mœbring  l'ont  fait  entrer 
dans  leurs  nomenclatures  :  or  on  sait  combien  sont 
infidèles  la  plupart  des  notices  de  ce  compilateur. 
Klein  donne  deux  fois  le  môme  oiseau  ,  et  c'est  un 
de  ceux  que  nous  avons  exclus  du  genre  des  pics. 
D'un  autre  côté.  M.  Brisson,  par  une  raison  qu'on 
ne  peut  deviner,  applique  à  son  second  pic  du  Mexi- 
que l'épitbète  de  petit;  quoique  Fernandès,  auteur 
original,  d'après  lequel  seul  on  peut  parler,  le  dise 
grand  y  et  le  dise  deux  fois  dans  quatre  lignes.  Sui~ 
vant  cet  auteur,  c'est  un  pic  de  grande  espèce  ,  et  de 
la  taille  de  la  corneille  du  Mexique;  son  plumage  est 
varié  de  lignes  blancbes  transversales  sur  un  fond  noir 
et  brun  ;  le  ventre  et  la  poitrine  sont  d'un  rouge  de 
vermillon.  Ce  pic  habite  les  cantons  les  moins  chauds 
du  Mexique ,  et  perce  les  arbres  comme  les  autres  pics. 

L'ÉPEICHE, 

ou  PIC  VARIÉ  DE  LA  JAMAÏQUE. 
TROISIÈAJE    ESPÈCE. 

Ce  pic,   n°  697,  la  femelle,  est  d'une  grandeur 
moyenne  entre  celle  du  pic  vert  et  de  l'épeiche  d'Eu- 


LEPEICITE,    OU    PIC    VARIÉ    DE    LA    JAMAÏQUE.        55 

rope.  Catesby  le  fait  trop  petit  en  le  comparant  à  Fé- 
peiche  ,  et  Edwards  le  fait  trop  grand  en  lui  donnant 
la  taille  du  pic  vert.  Ce  luème  auteur  ne  lui  compte 
que  huit  pennes  à  la  queue;  mais  c'est  vraisemblable- 
ment par  accident  qu'il  en  manquoit  deux  dans  l'In- 
dividu qu'il  a  décrit,  tous  les  pics  ayant  dix  plumes  à 
cette  partie.  Celui-ci  porte  une  calotte  rouge,  qui 
tombe  en  coiffe  sur  le  haut  du  cou  ;  la  gorge  et  l'es- 
tomac sont  d'un  gris  roussâtre  qui  entre  par  degrés 
dans  un  rouge  terne  sur  le  ventre;  le  dos  est  noir, 
rayé  transversalement  d'ondes  grises  en  festons ,  plus 
claires  sur  les  ailes,  plus  larges  et  toutes  blanches  sur 
le  croupion. 

La  figure  de  cet  oiseau  dans  Hans  Sloane  est  fort 
défectueuse  :  c'est  le  seul  pic  que  ce  naturaliste  et 
M.  Browne  aient  trouvé  dans  l'île  de  la  Jamaïque, 
quoiqu'il  y  en  ait  grand  nombre  d'autres  dans  le  con- 
tinent de  l'Amérique.  Celui-ci  se  trouve  à  la  Caroline; 
et,  malgré  quelques  différences,  on  le  reconnoît  dans 
le  pic  à  ventre  rouge  de  Catesby.  Au  reste,  la  femelle, 
dans  cette  espèce,  a  le  front  d'un  blanc  roussâtre,  et 
le  mâle  l'a  rouge. 

L'ÉPEICHE, 

ou  PIC  RAYÉ  DE  LA  LOUISIANE. 

QUATRIÈME    ESPÈCE. 

Picus  caroUnus.  Gmei>. 

Tout  le  manteau  de  ce  pic,  n"  692,  un  peu  plus 
grand  que  l'épeiche  ,  est  agréablement  rayé  et  rubané 
de  blanc  et  de  noir  par  bandelettes  transversales;  des 


56        LEPEICHE,    OU    PIC    RAYÉ    DE    LA    LOUISIANE. 

pennes  de  la  queue ,  les  deux  extérieures  et  les  in- 
termédiaires sont  mêlées  de  blanc  et  de  noir,  les  au- 
tres sont  noires  ;  tout  le  dessous  et  le  devant  du  corps 
est  gris  blanc  uniforme;  un  peu  de  rouge  lavé  teint 
le  bas-ventre.  De  deux  individus  que  nous  avons  au 
Cabinet,  l'un  aie  dessus  de  la  tête  entièrement  rouge, 
avec  quelques  pinceaux  de  cette  couleur  à  la  gorge , 
et  jusque  sous  les  yeux;  l'autre  (  et  c'est  celui  que  re- 
présente la  planche  enluminée)  a  le  front  gris,  et  n'a 
de  rouge  qu'à  l'occiput  :  c'est  vraisemblablement  la 
femelle,  cette  différence  revenant  à  celle  qu'on  ob- 
serve généralement  de  la  femelle  au  mâle  dans  le 
genre  de  ces  oiseaux,  qui  est  de  porter  moins  de  rouge, 
ou  de  n'en  porter  point  du  tout  à  la  tête.  Au  reste,  ce 
ix)uge  est  dans  l'un  et  dans  l'autre  une  teinte  plus  foi- 
ble  et  plus  claire  que  dans  les  autres  épeiches, 

L'ÉPEICHE, 

ou  PIG  VARIÉ  DE  LA  ENGENADA. 
CINQUIÈME    ESPÈCE. 

Picus  bi.coior.  Gmel. 

Cet  oiseau  ,  n°  748,  fig.  J ,  n'est  pas  plus  grand  que 
notre  petit  pic  varié  ,  et  il  est  un  des  plus  jolis  de  ce 
genre  :  avec  des  couleurs  simples,  son  plumage  est 
émaillé  d'une  manière  brillante  ;  du  blanc  et  du  gris 
brun  composent  toutes  ses  couleurs;  elles  sont  si 
agréablement  coupées,  interrompues  et  mêlées,  qu'il 
en  résulte  un  effet  charmant  à  l'œil.  Le  mâle  est  bien 
huppé,  et  dans  sa  huppe  perce.nt  quelques  plumes 
rouges  :  la  femelle  ne  l'esi  pas,  et  sa  tête  est  toute 
brune. 


LEPEICHE,    OU    PIC    CHIÎVEtU    DE    VIRGINIE.  67 

L'ÉPEÏGHE, 

ou    PIC    CHEVELU    DE    VIRGINIE. 

SIXIÈME    ESPÈCE. 

Picus  vîUosus.  Gmel. 

Nous  emprunterons  des  Anglois  de  la  Virginie  le 
ïioin  de  pic  chevelu  qu'ils  donnent  à  cet  oiseau,  n**  754, 
pour  exprimer  un  caractère  distinctif ,  qui  consiste 
en  une  bande  blanche,  composée  de  plumes  effilées, 
qui  règne  tout  le  long  du  dos  et  s'étend  jusqu'au  crou- 
pion ;  le  reste  du  dos  est  noir  ;  les  ailes  sont  noires 
aussi,  mais  marquetées  avec  assez  de  régularité  de 
taches  d'un  blanc  obscur,  arrondies  et  en  larmes  ;  une 
tache  noire  couvre  le  sommet,  et  une  rouge  le  der- 
rière de  la  tète;  de  là  jusqu'à  l'œil  s'étend  une  ligne 
blanche  ,  et  une  autre  est  tracée  au  côté  du  cou;  la 
queue  est  noire  ;  tout  le  dessous  du  corps  est  blanc. 
Ce  pic  est  un  peu  moins  grand  que  l'épeiche. 

L'ÉPEICHE, 

ou    PETIT    PIC    VARIÉ    DE    VIRGINIE. 

SEPTIÈME    ESPÈCE. 

Picus  pubescens.  Gmel. 

Gatesby  nous  a  encore  fait  connoître  ce  petit  pic.  11 
pèse  un  peu  plus  d'une  once  et  demie  ,  et  ressemble 
si  fort,  dit-il,  au  pic  chevelu,  par  ses  taches  et  ses 
couleurs,  que,  sans  la  différence  de  grosseur,  on 
pourroit  croire  que  c'est  la  même  espèce.  La  poitrine 
et  le  ventre  de  celui-ci  sont  d'vm  gris  clair;  les  quatre 


58      LÉPEICHE,    OU    l'ETlï    PIC    VARIE    DE    VIRGINIE. 

pennes  du  milieu  de  la  queue  sont  noires ,  et  les  au- 
tres barrées  de  noir  et  de  blanc  :  ce  sont  là  les  seules 
différences  de  ce  petit  pic  au  pic  chevelu.  La  femelle 
diffère  du  mâle  ,  comme  dans  presque  toutes  les  es- 
pèces de  pics,  en  ce  qu'elle  n'a  point  de  rouge  sur  la 
tête. 

L'ÉPEICHE, 

ou    PIC   VARIÉ   DE    LA    CAROLllV^E. 

HUITIÈME     ESPÈCE. 

PicHS  varias.  Gmel. 

Quoique  ce  petit  pic,  n""  785,  porte  une  teinte  jaune 
sur  le  ventre,  nous  ne  l'exclurons  pas  de  la  famille  des 
pics  variés  de  blanc  et  de  noir,  parce  qu'il  y  est  évi- 
demment compris  par  les  couleurs  du  manteau  ,  qui 
sont  celles  qui  décident  le  plumage.  Il  est  à  peine 
aussi  grand  que  notre  petit  épeiche.  Tout  le  dessus 
de  la  tête  est  rouge  ;  quatre  raies  alternativement 
noires  et  blanches  couvrent  l'espace  de  la  tempe  à  la 
joue,  et  la  dernière  de  ces  raies  encadre  la  gorge, 
qui  est  du  même  rouge  que  la  tête  ;  le  noir  et  le  blanc 
se  mêlent  et  se  coupent  agréablement  sur  le  dos,  les 
ailes  et  la  queue;  le  devant  du  corps  est  jaune  clair, 
parsemé  de  quelques  pinceaux  noirs.  La  femelle  n'a 
point  de  rouge.  Ce  pic  se  trouve  en  Virginie,  à  la  Ca- 
roline, et  à  Cayenne  ,  selen  M.  Brisson. 


LEPEICllE,     OU     riC    VAllIE    O  A' I)  E.  ;')() 

L'ÉPEICHE, 

ou    PIC    VARIÉ    OINDK. 

NEUVIÈME   ESPÈCE. 

Picas  tridactylus.  L. 

Ce  pic,  donné  dans  les  planches  enluminées,  n"  55v'>, 
vsous  la  dénomination  de  pic  taclieté^  doit  plutôt  s'ap- 
peler varié  ;  car  son  plumage,  avec  moins  de  blanc  , 
ressemble  fort  à  celui  de  Tépeiche  :  il  est  noir  sur  b* 
dos,  chargé  de  blanc  en  ondes  ,  ou  plutôt  en  écailles, 
sur  les  grandes  pennes  de  l'aile;  ces  deux  couleurs 
forment,  quand  elle  est  pliée  ,  une  bande  en  damier; 
le  dessous  du  corps  est  blanc  ,  varié  sur  les  flancs  d'é- 
caîlles  noires  ;  deux  traits  blancs  vont  en  arrière,  l'un 
de  l'œil,  l'autre  du  bec,  et  le  sommet  de  la  tête  est 
rouge. 

La  figure  de  ce  pic  convient  parfaitement  avec  la 
description  du  pic  varié  de  Cayenne  de  M.  Rrisson, 
excepté  que  le  premier  a  quatre  doigts  comme  tous 
les  pics,  et  que  celui  de  M.  Brisson  n'en  a  que  trois. 
11  existe  donc  réellement  un  pic  à  trois  doigts  ;  c'est 
de  quoi ,  malgré  le  peu  de  rapport  analogique,  on  ne 
peut  guère  douter.  Edwards  a  reçu  deux  de  ces  pics 
à  trois  doigts  de  la  baie  d'Hudson,  et  en  a  vu  un  troi- 
sième venu  des  mômes  contrées.  Linnaeus  en  décrit 
un  trouvé  en  Dalécarlie  ;  Schmit,  un  de  Sibérie;  et 
nous  sommes  informés  par  M.  Lottinger  que  ce  pic 
à  trois  doigts  se  trouve  aussi  en  Suisse.  Il  paroît 
donc  que  ce  pic  à  trois  doigts  habite  le  nord  des 
deux  continents.  Ce  doigt  de  moins  fait-il  un  carac- 


6o  l'éfkicjie,  ou  pic  varié  onde. 

tère  spécifique  ,  ou  n'est-il  qu'un  attribut  individuel? 
C'est  ce  qu'on  ne  peut  décider  sans  un  plus  grand 
nombre  d'observations.  Mais  ce  que  l'on  doit  nier  , 
c'est  que  celte  même  espèce  qui  habite  le  nord  des 
deux  continents  se  trouve  sous  l'équateur  à  Cayenne, 
quoique,  d'après  M,  Brisson,  on  l'ait  nommé  pic  ta- 
cheté de  Cayenne  dans  la  planche  enluminée.  Ces  pe- 
tites méprises  dans  quelques  unes  de  nos  planches 
viennent  de  ce  que  nous  avons  été  obligés  de  les  faire 
graver  à  mesure  que  nous  pouvions  nous  procurer  les 
oiseaux,  et  par  conséquent  avant  d'en  avoir  composé 
l'histoire. 

Après  cette  longue  énumération  de  tous  les  oiseaux 
des  deux  continents  qui  ont  rapport  aux  pics,  et  qui 
même  semblent  en  constituer  le  genre,  nous  devons 
observer  qu'il  nous  a  paru  nécessaire  de  rejeter  quel- 
ques espèces  indiquées  par  nos  nomenclateurs  ;  ces 
espèces  sont  la  troisième,  la  huitième  et  la  vingtième 
données  par  M.  Brisson  pour  des  pics,  par  Seba  pour 
des  hérons ,  et  par  Mœhring  pour  des  corneilles, 
Klein  appelle  ces  mêmes  oiseaux  liarponneurSy  parce 
que,  selon  Seba,  ils  frappent  et  percent  de  leur  bec  les 
poissons  en  tombant  du  haut  de  l'air.  Cette  habitude 
est,  comme  l'on  voit,  bien  différente  de  celle  des  picsj 
et  d'ailleurs  les  caractères  de  ces  oiseaux  dans  les 
figures  de  Seba,  où  les  doigts  sont  disposés  trois  et 
un,  démontrent  qu'ils  sont  d'un  genre  très  différent 
de  celui  des  pics  ;  eî  l'on  doit  avouer  qu'il  faut  avoir 
une  grande  passion  de  multiplier  les  espèces  pour  en 
établir  ainsi  sur  des  figures  fautives,  à  côté  de  notices 
rontradictoires. 


LES    riCS-GlUMPEREAUX.  6l 


LES  P1GS-GRIMPEREAUX\ 

Le  genre  de  ces  oiseaux,  dont  nous  ne  connoissons 
que  deux  espèces,  nous  paroît  être  assez  différent  de 
tous  les  autres  genres  pour  l'en  séparer.  On  nous  a 
envoyé  de  Cayenne  deux  espèces  de  ces  oiseaux,  et 
nous  avons  cru  devoir  les  nommer  plcs-grlmpereaux^ 
parce  qu'ils  font  la  nuance  entre  le  genre  des  pics  et 
celui  des  grimpereaux,  la  première  et  la  plus  grande 
espèce  étant  plus  voisine  des  grimpereaux  par  son  b^c 
courbé,  et  la  seconde  étant  au  contraire  plus  voisine 
des  pics  par  son  bec  droit.  Toutes  deux  ont  trois  doigts 
en  avant  et  un  en  arrière  comme  les  grimpereaux,  et 
en  même  temps  les  pennes  de  la  queue  roides  et  poin- 
tues comme  les  pics. 

Le  premier  et  le  plus  grand  de  ces  pics-grimpereaux 
a  dix  pouces  de  longueur  :  il  a  la  tête  et  la  gorge  ta- 
chetées de  roux  et  de  blanc  ;  le  dessus  du  corps  roux , 
et  le  dessous  jaune ,  rayé  transversalement  de  noirâtre; 
le  bec  et  les  pieds  noirs. 

Le  second  et  le  plus  petit  n'a  que  sept  pouces  de 
longueur  :  il  a  la  tête,  le  cou,  et  la  poitrine  tachetés 
de  roux  et  de  blanc;  le  dessus  du  corps  est  roux,  et 
le  ventre  d'un  brun  roussâtre;  son  bec  est  gris,  et  ses 
pieds  sont  noirâtres. 

Tous  deux  ont  à  1res  peu  près  les  mêmes  habitu- 

1.  N"  621,  sous  la  dénoniiiiatiott  de  picuciilc  de  Cayenne;  et  n"Go5, 
sous  la  dénornjualioa  de  iatapio.  Ces  noms  nous  avoieut  été  donnés 
pcU'  des  gens  qui  les  avoieut  imaginés  sans  aucun  fondement. 


6'J  LES    PICS-GRIMPEREALX. 

des  naliirelles  :  ils  griinperit  contre  les  arbres  à  la 
manière  des  pics,  en  s'aidant  de  leur  queue,  sur  la- 
quelle ils  s'appuient;  ils  percent  lecorce  et  le  bois 
en  faisant  beaucoup  de  bruit  ;  ils  mangent  les  insectes 
qui  se  trouvent  dans  le  bois  et  les  écorces  qu'ils  per- 
cent; ils  habitent  les  forêts,  où  ils  cherchent  le  voi- 
sinage des  ruisseaux  et  des  fontaines.  Les  deux  es- 
pèces vivent  ensemble  et  se  trouvent  souvent  sur  le 
même  arbre  ;  cependant  elles  ne  se  mêlent  pas  :  seu- 
lement il  paioît  que  ces  oiseaux  aiment  fort  la  com- 
pagnie ;  car  ils  s'attachent  toujours,  en  grimpant, 
aux  arbres  sur  lesquels  il  y  a  plusieurs  autres  petits 
oiseaux  perchés.  Ils  sont  très  vifs  et  voltigent  d'un 
arbre  à  l'autre  pour  se  coller  et  grimper;  mais  jamais 
ils  ne  se  perchent  ni  ne  font  de  longs  vols.  On  les 
trouve  assez  communément  dans  l'intérieur  des  ter- 
res de  la  Guîane,  où  les  naturels  du  pays  les  con- 
fondent avec  les  pics;  et  c'est  par  cette  raison  qu'ils 
ne  leur  ont  point  donné  de  nom  particulier.  Il  est 
assez  probable  que  ces  oiseaux  se  trouvent  aussi  dans 
les  autres  climats  chauds  de  l'Amérique  ;  néanmoins 
aucun  voyageur  n'en  a  fait  mention. 


frgo»»»»*»  g-e^'  »»»»a'0i&'aa»»»»»e«8o®9e<'»a»»e'9»ft»a<»»8«.a>»ge 


LE  TORGOL\ 

Ytmx  torqmUa.  L. 

Cet  oiseau,  n'*69S,  se  reconnoît  au  premier  coup 
d'œil  par  un  signe  ou  plutôt  par  une    habitude   qui 

1.    En  latin  inoileine  .    (orquilla;  eu  italien  ,  torlocotto ,  capotorlo , 
verticella  (ces  noms,   dans  presque  loulos  les  langues,  reviennent  ù 


LE    TOKCOL.  65 

n'appartieat  qu'à  lui,  c'est  de  tordre  et  de  tourner 
le  cou  de  côté  et  en  arrière,  la  tête  renversée  vers 
le  dos,  et  les  yeux  à  demi  fermés,  pendant  tout  le 
temps  que  dure  ce  mouvement,  qui  n'a  rien  de  pré- 
cipité, et  qui  est  au  contraire  lent,  sinueux,  et  tout 
semblable  aux  replis  ondoyants  d'un  reptile^  :  il  pa- 
roît  être  produit  par  une  convulsion  de  surprise  et 
d'effroi,  ou  par  une  crise  d'étonnement  à  l'aspect  de 
tout  objet  nouveau;  c'est  aussi  un  effort  que  l'oiseau 
semble  faire  pour  se  dégager  lorsqu'il  est  retenu. 
Cependant  cet  étrange  mouvement  lui  est  naturel  et 
dépend  en  grande  partie  d'une  conformation  particu- 
lière, puisque  les  petits  dans  le  nid  se  donnent  les 
mêmes  tours  de  cou;  en  sorte  que  plus  d'un  déni- 
cheur effrayé  les  a  pris  pour  de  petits  serpents. 

Le  torcol  a  encore  une  autre  habitude  assez  sin- 
gulière :  un  de  ces  oiseaux,  qui  étoiten  cage  depuis 
vingt-quatre  heures,  lorsqu'on  s'approchoit  de  lui, 
se  tournoit  vis-à-vis  le  spectateur;  puis  le  regardant 
fixement,  s'élevoit  sur  ses  ergots,  se  portoit  en  avant 
avec  lenteur,  en  relevant  les  plumes  du  sommet  de 
sa  tête,  la  queue  épanouie;  puis  se  reliroit  brusque- 
ment en  frappant  du  bec  le  fond  de  sa  cage  et  ra- 
battant sa  huppe.  Il  recommençoit  ce  manège,  que 

celui  de  iorcoL);  eu  espaguol ,  torzicuetlo  ;  eu  allemand,  wind-hnlsz, 
nater-haisz,  dreli-kaLsz,  nater-zwang ,  nater-wendei;  en  anglois  ,  wty- 
neck;  languard  ou  tire-langue,  en  Provence;  coutouilic,  eu  Daupiiiné; 
torticolis,  eu  Lorraine;  ailleurs,  trousse-col,  longue-langue;  à  Malte, 
roi  des  cailles,  nom  que  l'on  donne  partout  ailleurs  au  râle  tenestre- 
1.  Apparemment  on  lui  a  aussi  trouvé  de  l'analogie  avec  ce  tour  de 
tète  que  se  donnent  certaines  peisonnes  pour  alîecter  un  maintien  re- 
cueilli ,  et  qui  de  là  ont  été  vulgairement  appelés  torculs. 


64  LE    TORCOL. 

Schwenckfeld  a  observé  comme  nous,  jusqu'à  cent 
fois  de  suite,  et  lanl  qu'on  restoit  en  présence. 

Ce  sont  apparemment  ces  bizarres  attitudes  et  ces 
tortures  naturelles  qui  ont  anciennement  frappé  les 
yeux  de  la  superstition  quand  elle  adopta  cet  oiseau 
dans  les  enchantements,  et  qu'elle  en  prescrivit  l'u- 
sage comme  du  plus  puissant  des  philtres^. 

L'espèce  du  torcol  n'est  nombreuse  nulle  part^  et 
chaque  individu  vit  solitairement  et  voyage  de  même; 
on  les  voit  ariver  seuls  au  mois  de  mai  ;  nulle  société 
que  celle  de  leur  femelle  :  encore  cette  union  est- 
elle  de  très  courte  durée  ;  car  ils  se  séparent  bientôt , 
et  repartent  seuls  en  septembre.  Un  arbre  isolé  au 
milieu  d'une  large  haie  est  celui  que  le  torcol  pré- 
fère ;  il  semble  le  choisir  pour  se  percher  plus  soli- 
tairement. Sur  la  fin  de  l'été,  on  le  trouve  également 
seul  dans  les  blés,  surtout  dans  les  avoines  et  dans 
les  petits  sentiers  qui  traversent  les  pièces  de  blé 
noir.  Il  prend  sa  nourriture  à  terre,  et  ne  grimpe  pas 
contre  les  arbres  comme  les  pics,  quoiqu'il  ait  le  bec 
et  les  pieds  conformés  comme  eux,  et  qu'il  soit  très 

1.  Tellemeut  que  le  nom  de  jynx  en  avoit  pris  la  force  de  signifi(;r 
toutes  sortes  d'enchanîements,  de  passions  violentes,  et  tout  ce  qu'on 
appelle  charme  de  la  beauté,  et  ce  pouvoir  aveugle  par  lequel  nous 
nous  sentons  entraînes.  C'est  dans  ce  sens  qu'tléliodore ,  Lycophron , 
Pindare,  Eschyle,  Sophocle,  s'en  sont  servis.  L'enchanteresse  de  Théo- 
crite  {pharmaceutria)  fait  ce  charme  pour  rappeler  son  amant.  G'étoit 
Vénus  elle-même  qui  ,  du  mont  Olympe  ,  avoit  apporté  le  jynx  à  Ja- 
son ,  et  lui  en  avoit  enseigné  la  vertu ,  pour  forcer  JVlédéc  à  l'amour. 
L'oiseau  lut  jadis  une  nymphe,  tille  de  l'Écho  :  par  ses  enchantements, 
Jupiter  étoit  passionné  pour  l'Aurore  ;  Junon  en  courroux  opéra  sa 
métamorphose. 


LE    TORCOL.  65 

voisin  du  genre  de  ces  oiseaux;  mais  il  paroît  former 
une  petite  famille  à  part  et  isolée,  qui  n'a  point  con- 
tracté d'alliance  avec  la  grande  tribu  des  pics  et  des 
épeiches. 

Le  torcol  est  de  la  grandeur  de  l'alouette,  ayant 
sept  pouces  de  longueur  et  dix  de  vol  ^.  Tout  son 
plumage  est  un  mélange  de  gris  ,  de  noir  et  de  tanné , 
par  ondes  et  par  bandes,  tracées  et  opposées  de  ma- 
nière à  produire  le  plus  riche  émail  avec  ces  teintes 
sombres;  le  dessous  du  corps,  fond  gris  blanc,  teint 
de  roussâtre  sous  le  cou,  et  peint  de  pelit.es  zones 
noires,  qui,  sur  la  poitrine  ,  se  détachent ,  s'allongent 
en  fer  de  lance,  et  se  parsèment  en  s'éclaircissant 
sur  l'estomac;  la  queue  composée  de  dix  pennes  flexi- 
bles, et  que  l'oiseau  épanouit  en  volant,  est  variée 
par  dessous  de  points  noirs  sur  un  fond  gris  feuille- 
morte  ,  et  traversée  de  deux  ou  trois  larges  bandes 
en  ondes ,  pareilles  à  celles  qu'on  voit  sur  l'aile  des 
papillons  phalènes  :  le  même  mélange  de  belles  on- 
des noires,  brunes  et  grises,  dans  lesquelles  on  dis- 
tingue des  zones,  des  rhombes ,  des  zigzags,  peint 
tout  le  manteau  sur  un  fond  plus  foncé  et  mêlé  de 
roussâtre.  Quelques  descripteurs  ont  comparé  le  plu- 
mage du  torcol  à  celui  de  la  bécasse  :  mais  il  est  plus 
agréablement  varié;  les  teintes  en  sont  plus  nettes, 
plus  distinctes,  d'une  touche  plus  moelleuse  et  d'un 
plus  bel  effet.  Le  ton  de  couleur,  plus  roux  dans  le 
mâle,  est  plus  cendré  dans  la  femelle  ;  c'est  ce  qui  les 

1.  Mesure  moyenne.  Les  proporlions  que  donne  M.  Brîsson  sont 
prises  sur  uu  pelif  individu,  puisqu'il  ne  donne  que  six  pouces  et  demi 
de  longueur,  et  nous  en  avons  aiesuré  qui  en  avoicnt  sept  et  demi. 


66  LE    TORCOI- 

distingue.  Les  pieds  sont  d'un  gris  roussâtre,  les  on- 
gles aigus,  et  les  deux  extérieurs  sont  beanconp  plus 
longs  que  les  deux  intérieurs. 

Cet  oiseau  se  tient  fort  droit  sur  la  branche  on  il 
se  pose;   son  corps  est  même  renversé  en  arrière  : 
il  s'accroche  aussi  au  tronc  d'un  arbre  pour  dormir; 
mais  il  n'a  pas  l'habitude  de  grimper  comme  le  pic  , 
ni  de  chercher  sa  nourriture  sous  les  écorces.   Son 
bec  ,  long  de  neuf  lignes,  et  taillé  comme  celui  des 
pics,  ne  lui  sert  pas  à  saisir  et  prendre  sa  nourriture  ; 
ce  n'est,  pour  ainsi   dire,    que   l'étui  d'une   grande 
langue  qu'il  tire  de   la  longueur  de  trois  ou  quatre 
doigts  ,  et  qu'il  darde  dans  les  fourmilières  :  il  la  re- 
tire chargée  de  fourmis  retenues   par   une   liqueur 
visqueuse  dont  elle  est  enduite.  La  pointe  de  cette 
langue  est  aiguë  et  cornée  ;  et  pour  fournir  à  son 
allongement,  deux  grands  muscles  partent  de  sa  ra- 
cine ,  embrassent  le  larynx,  et,  couronnant  la  tète, 
vont,  comme  aux  pics,  s'implanter  dans  le  front.   Il 
a  encore  de  commun  avec  ces  oiseaux  de  manquer 
de  cœcum.  Willughby  dit  qu'il  a  seulement  une  es- 
pèce de  renflement  dans  les  intestins  à  la  place  du 
cœcum. 

Le  cri  du  torcol  est  un  son  de  sifflement  assez  aigre 
et  traîné,  ce  que  les  anciens  appeloient  proprement 
slridor  :  c'est  de  ce  cri  que  le  nom  grec  iolz  paroît 
avoir  été  tiré.  Le  torcol  se  fait  entendre  huit  ou  dix 
jours  avant  le  coucou.  II  pond  dans  des  trous  d'arbre, 
sans  faire  de  nid  et  sur  la  poussière  du  bois  pourri 
qu'il  fait  tomber  au  fond  du  trou  en  frappant  les  pa- 
rois avec  son  bec;  ou  y  trouve  communément  huit 


LE    T  OR  COL.  67 

OU  dix  œufs  d'un  blanc  d'ivoire^.  Le  maie  apporte 
des  fouru'.is  à  sa  femelle  qui  couve;  et  les  petits  nou- 
veau-nes,  dans  le  mois  de  juin,  tordent  déjà  le  cou, 
et  soufflent  avec  force  lorsqu'on  les  approche.  Ils 
quittent  bientôt  leur  nid,  où  ils  ne  prennent  aucune 
affection  les  uns  pour  les  autres  ;  car  ils  se  séparent  et 
se  dispersent  dès  qu'ils  peuvent  se  servir  de  leurs 
ailes. 

On  ne  peut  guère  les  élever  en  cage  ;  il  est  très 
difFicile  de  leur  fournir  une  nourriture  convenable  : 
ceux  qu'on  a  conservés  pendant  quelque  temps  tou- 
choient  avec  la  pointe  de  la  langue  la  pâtée  qu'on  leur 
présentoit  avant  de  la  manger,  et,  après  en  avoir 
goûté,  ils  la  rcfusoient  et  se  laissoient  mourir  de 
faim  2.  Un  torcol  adulte,  que  Gesner  essaya  de  nour- 
rir de  fourmis,  ne  vécut  que  cinq  jours;  il  refusa 
constamment  tous  les  autres  insectes,  et  mourut  ap« 
paremment  d'ennui  dans  sa  prison. 

Sur  la  fin  de  l'été,  cet  oiseau  prend  beaucoup  de 
graisse,  et  il  est  alors  excellent  à  manger;  c'est  pour 

1.  Ou  nous  a  rapporté  ,  le  12  juin  ,  dix  œufs  de  lorcol  pris  dans  un 
Irou  de  vieux  pommier  creux,  h  cinq  pieds  de  hauteur,  qui  repo- 
soient  sur  du  bois  vermoulu  ;  et  depuis  trois  années  on  nous  avoit 
apporté  ,  dans  la  même  saison  ,  des  œufs  de  torcol  pris  dans  le  même 
trou. 

'2.  Je  fis  prendre  ,  le  lo  juin  ,  un  nid  de  torcol  dans  le  creux  d'un 
pommier  sauvage  à  cinq  pieds  de  terre.  Le  mâle  étoit  resté  sur  les 
hautes  branches  de  l'arbre,  et  crioit  très  fort,  tandis  qu'on  prenoit 
sa  femelle  et  ses  petits.  Je  les  fis  nourrir  avec  de  la  pâtée  faite  de  pain 
et  de  frqmage  ;  ils  vécurent  près  de  trois  semaines.  Ils  s'étoient  fami- 
liarisés avec  la  personne  qui  en  avoit  soin,  et  veuoient  manger  dans 
sa  main.  Lors([u'ils  furent  devenus  grands,  ils  refusèrent  la  pâtée  ordi- 
naire; et  comme  on  n'avoil  pas  d'insectes  à  leur  fournir  ils  moururent 
de  faim.  {Note  communiquée  par  M.  Gueneau  de  MonthciUord.) 


G8  LE    TORCOL. 

cela  qu'en  plusieurs  pays  on  lui  donne  le  nom  dW- 
iolan.  Il  se  prend  quelquefois  à  la  sauterelle,  et  les 
chasseurs  ne  manquent  guère  de  lui  arracher  la  lan- 
que  dans  l'idée  d'empêcher  que  sa  chair  ne  prenne 
le  goiit  des  fourmis.  Cette  petite  chasse  ne  se  fait 
qu'au  mois  d'août  jusqu'au  milieu  de  scptemhre , 
temps  du  départ  de  ces  oiseaux,  dont  il  ne  reste  au- 
cun dans  nos  contrées  pendant  l'hiver. 

L'espèce  est  néanmoins  répandue  dans  toute  l'Eu- 
rope,  depuis  les  provinces  méridionales  jusqu'en 
Suède,  et  même  en  Laponie;  elle  est  assez  commune 
en  Grèce,  en  Italie.  iNous  voyons,  par  un  passage  de 
Philostrate,  que  le  torcol  étoit  connu  des  mages,  et 
se  trou  voit  dans  la  Babylonie  ;  et  Edwards  nous  assure 
qu'on  le  trouve  au  Bengale  :  en  sorte  que  l'espèce, 
quoique  peu  nombreuse  dans  chaque  contrée,  paroît 
s'être  étendue  dans  toutes  les  régions  de  l'ancien  con- 
tinent. Aldrovande  seul  parle  d'une  variété  dans  cette 
espèce  ;  mais  il  ne  la  donne  que  d'après  un  dessin  , 
et  les  différences  sont  si  légères,  que  nous  avons  cru 
ne  devoir  pas  l'en  séparer. 


LES  OISEAUX  BARBUS. 

Les  naturalistes  ont  donné  le  nom  de  barbus  à  plu- 
sieurs oiseaux  qui  ont  la  base  du  bec  garnie  de  plu- 
mes effilées,  longues,  roides comme  des  soies,  toutes 
dirigées  en  avant;  mais  nous  devons  observer  qu'on 
a  confondu  sous  cette  dénomination  des  oiseaux  d'es- 


LES    OISEAUX    lîAR  RUS.  69 

pèces  diverses  et  de  climats  très  éloignés.  Le  tama- 
tia  de  Marcgrave,  qui  est  un  oiseau  du  Brésil,  a  été 
mis  à  côté  du  barbu  d'Afrique  et  de  celui  des  Philip- 
pines ;  et  toutes  les  espèces  qui  portent  la  barbe  sur 
le  bec  et  qui  ont  deux  doigts  en  avant  et  deux  en  ar- 
rière ont  été  mêlées  par  les  noraenclateurs,  quoique 
les  barbus  de  l'ancien  continent  diffèrent  de  ceux  du 
nouveau  en  ce  qu'ils  ont  le  bec  beaucoup  plus  épais, 
plus  raccourci  et  plus  convexe  en  dessous.  Pour  les 
distinguer,  nous  appellerons  tamatias  ceux  de  l'A- 
mérique ,  et  nous  ne  laisserons  le  nom  de  barbus  qu'à 
ceux  de  l'ancien  continent. 


t4«-osA;<8»-e»J  ■&!.-»  ^*«*»»***-»«**  «"»*»*«*«  6«e« 


LE  TAMATIA. 


PREMIERE    ESPECE. 


Biicco  tamatia.  L. 


Nous  avons  déjà  averti  que  c'est  par  erreur  que 
M.  Brisson  a  placé  cet  oiseau,  n**  74^,  fîg.  i ,  avec  la 
grivette  ou  petite  grive  de  Catesby;  car  il  en  est  tout- 
à-fait  diflérent,  tant  par  la  disposition  des  doigts  que 
par  la  barbe  et  la  forme  du  bec  ,  et  la  grosseur  de  la 
tête,  qui ,  dans  tous  les  oiseaux  de  ce  genre,  est  plus 
considérable  ,  relativement  au  volume  du  corps  ,  que 
dans  aucun  autre.  II  est  vrai  que  Marcgrave  a  fait  aussi 
une  faute  à  ce  sujet,  en  disant  que  cet  oiseau  n'avoit 
pas  de  queue  :  il  auroit^dû  dire  qu'il  ne  l'avoit  pas 
longue  ;  et  il  y  a  toute   apparence  qu'il   a  décrit  un 


BUFFON.     XXV. 


70  LE    TAMATIA. 

oiseau  dont  on  avoit  arraché  la  queue  :  mais,  comme 
tous  les  autres  caractères  sont  entiers  et  bien  expri- 
més, il  nous  paroît  qu'on  peut  compter  sur  son  indi- 
cation, d'autant  que  cet  oiseau  se  trouvant  à  Gayenne 
comme  au  Brésil,  et  nous  ayant  été  envoyé,  il  nous  a 
été  facile  d'en  faire  la  comparaison  et  la  description. 

Il  a  six  pouces  et  demi  de  longueur  totale  ;  la  queue 
a  deux  pouces;  le  bec,  quinze  lignes.  L'extrémité  su- 
périeure du  bec  est  crochue  et  comme  divisée  en 
deux  pointes;  la  barbe  qui  le  .couvre  s'étend  à  plus 
de  moitié  de  sa  longueur.  Le  dessus  de  la  tête  et  le 
front  sont  roussâtres;  il  y  a  sur  le  cou  un  demi-col- 
lier varié  de  noir  et  de  roux,  et  le  reste  du  plumage 
en  dessus  est  brun,  nuancé  de  roux;  on  voit  de  cha- 
que côté  de  la  têle ,  derrière  les  yeux,  une  tache 
noire  assez  grande  ;  la  gorge  est  orangée,  et  le  reste 
du  dessous  du  corps  est  tacheté  de  noir  sur  un  fond 
blanc  roussâtre;  le  bec  et  les  pieds  sont  noirs. 

Les  habiUides  naturelles  de  ce  premier  tamatia  sont 
aussi  celles  de  tous  les  oiseaux  de  ce  genre  dans  le 
nouveau  continent  :  ils  ne  se  tiennent  que  dans  les 
endroits  les  plus  solitaires  des  forêts,  et  restent  tou- 
jours éloignés  des  habitations,  même  dans  les  lieux 
découverts  ;  on  ne  les  voit  ni  en  troupes  ni  en  paires. 
Ils  ont  le  vol  pesant  et  court,  ne  se  posent  que  sur 
des  branches  basses,  et  cherchent  de  préférence  cel- 
les qui  sont  les  plus  garnies  de  petits  rameaux  et  de 
feuilles.  Ils  ont  peu  de  vivacité  ;  et  quand  ils  sont  une 
fois  posés,  c'est  pour  long-temps  :  ils  ont  même  une 
mine  triste  et  sombre  ;.  on  diroit  qu'ils  affectent  de  se 
donner  un  air  grave  en  retirant  leur  grosse  tête  entre 
leurs  épaules;  elle  paroît  alors  couvrir  tout  le  devant 


LE    TAMATIA.  -jl 

du  corps.  Leur  naturel  répond  parfaitement  à  leur 
figure  massive  et  à  leur  maintien  sérieux.  Leur  corps 
est  aussi  large  que  long ,  et  ils  ont  beaucoup  de  peine 
à  se  mettre  en  mouvement.  On  peut  les  approcher 
d'aussi  près  que  Ton  veut ,  et  tirer  plusieurs  coups  de 
fusil  sans  les  faire  fuir.  Leur  chair  n'est  pas  mauvaise 
à  manger ,  quoiqu'ils  vivent  de  scarabées  et  d'autres 
gros  insectes.  Enfin  ils  sont  très  silencieux,  très  soli- 
taires, assez  laids  et  fort  mal  faits. 


LE  TAMATIA 

A  TÊTE   ET    GORGE   ROUGES. 

SECONDE    ESPÈCE. 

Biicco  cayennensis,  Gmel. 

Cet  oiseau,  n**  206,  fig.  i,  que  nous  avons  indiqué 
dans  la  même  planche  sous  deux  dénominations  dif- 
férentes ,  ne  nous  paroît  pas  néanmoins  former  deux 
espèces,  mais  une  simple  variété;  car  tous  deux  ont 
la  tête  et  la  gorge  rouges  ,  les  côtés  de  la  tête  et  tout 
le  dessus  du  corps  noirs,  le  bec  noirâtre  ,  et  les  pieds 
cendrés.  Ils  ne  diffèrent  qu'en  ce  que  celui  repré- 
senté dans  la  figure  première  a  la  poitrine  d'un  blanc 
jaunâtre,  tandis  que  l'autre  Ta  d'un  brun  lavé  de 
jaune;  il  a  de  plus  que  le  premier  des  taches  noires 
sur  le  haut  de  la  poitrine  ;  le  premier  a  aussi  une 
petite  tache  blanche  au  dessus  des  yeux,  et  des  ta- 
ches blanches  sur  les  ailes ,  que  le  second  n'a  pas  : 


72  LK    TAMATIA    A   TETK    ET    GOKGE    ROUGES. 

maïs  comme  ils  se  ressemblent  en  tout  le  reste,  et 
qu'ils  sont  précisément  de  la  même  grandeur,  nous 
ne  croyons  pas  que  ces  diflérences  de  couleur  suffi- 
sent pour  en  faire  deux  espèces  distinctes,  comme 
lont  fait  nos  nomenclateurs.  Ces  oiseaux  se  trouvent 
non  seulement  à  la  Guiane,  mais  à  Saint-Domingue, 
et  probablement  dans  les  autres  climats  chauds  de 
l'Amérique. 

LE  TAMATIA  A  COLLIER. 

TROISIÈME    ESPÈCE. 

Bucco  capensis.   Gmel. 

Cet  oiseau,  n"  ogS,  a  le  plumage  assez  agréable- 
ment varié.  Le  dessus  du  cou  est  d'un  orangé  foncé, 
rayé  transversalement  de  lignes  noires.  Il  porte  au- 
tour du  cou  un  collier  noir,  qui  est  fort  étroit  au 
dessus,  et  si  large  au  dessous  qu'il  couvre  tout  le 
haut  de  la  poitrine  ;  de  plus,  ce  collier  noir  est  ac- 
coînpagné,  sur  le  dessus  du  cou ,  d'un  autre  demi-col- 
lier de  couleur  fauve.  La  gorge  est  blanchâtre  ;  le  bas 
de  la  poitrine  est  d'un  blanc  roussâtre,  qui  devient 
toujours  plus  roux  à  mesure  qu'il  descend  sous  le 
ventre.  La  queue  est  longue  de  deux  pouces  trois  li- 
gnes, et  la  grandeur  totale  de  l'oiseau  est  de  sept  pou- 
ces un  quart;  son  bec  est  long  d'un  pouce  cinq  lignes; 
et  les  pieds,  qui  sont  gris,  ont  sept  lignes  et  demie  de 
hauteur.  On  le  trouve  à  la  Guiane,  où  néanmoins  il 
est  rare. 


LE    BEAU    TAMATIA.  nZ 


e<t>»«-tf»«»o»»»8  »a»»»»o»C»a-e 


LE  BEAU  TAMATIA. 

QUATRIÈME    ESPÈCE. 

Buccoelegans,  Gmel. 

Cet  oiseau,  n"  35o,  est  le  plus  beau  ,  c'est-à-dire 
le  moins  laid  de  ce  genre  ;  il  est  mieux  fait,  plus  pe- 
tit, plus  effilé,  que  tous  les  autres,  et  son  plumage 
est  varié  de  manière  qu'il  seroit  difficile  de  le  décrire 
en  détail.  La  planche  enluminée  le  représente  assez 
fidèlement.  Il  a  cinq  pouces  huit  lignes  de  longueur, 
y  compris  la  queue,  qui  a  près  de  deux  pouces;  le 
bec  a  dix  lignes  de  longueur,  et  les  pieds  dix  lignes 
de  hauteur.  On  le  trouve  sur  les  bords  du  fleuve  des 
Amazones,  dans  la  contrée  des  Maynas  ;  mais  nous  ne 
sommes  pas  informés  s'il  habite  également  les  autres 
contrées  de  l'Amérique  méridionale. 

LES  TAMATIAS  NOIRS  ET  BLANCS. 

CINQUIÈME    ESPÈCE. 

Biicco  macrorynclios.  Gmel. 

On  ne  peut  guère  séparer  ces  deux  oiseaux,  parce 
qu'ils  ne  diffèrent  que  par  la  grandeur,  et  que  tous 
deux  ,  indépendamment  de  leur  ressemblance  par  les 


74  I-l^S    TAMATïAS    NOIRS   ET    BLANCS. 

couleurs,  ont  un  caractère  commun  qui  n'appartient 
qu'à  ces  deux  espèces  :  c'est  d'avoir  le  bec  plus  fort, 
plus  gros,  et  plus  long,  que  tous  les  autres  tamatias, 
à  proportion  de  leur  corps  ;  et  dans  toutes  deux  en- 
core ,  la  mandibule  supérieure  du  bec  est  fort  cro- 
chue, et  se  divise  en  deux  pointes,  comme  dans  le 
tamatia  première  espèce. 

Le  plus  grand  de  ces  tamatias  noirs  et  blancs , 
n°  689,  est  très  gros  pour  sa  longueur,  qui  n'est 
guère  que  de  sept  pouces.  C'est  une  espèce  nouvelle, 
qui  nous  a  été  envoyée  de  Cayenne  par  M.  Duval , 
aussi  bien  que  la  seconde  espèce,  n°  588,  qui  est 
plus  petite  ,  et  qui  n'a  guère  que  cinq  pouces  de  lon- 
gueur. Nos  planches  les  représentent  assez  fidèle- 
ment pour  que  nous  puissions  nous  dispenser  de  les 
décrire  plus  au  long;  et  l'on  seroit  porté  à  croire, 
par  la  grande  ressemblance  de  ces  deux  oiseaux, 
qu'ils  seroient  de  la  même  espèce,  si  leur  grandeur 
n'étoit  pas  trop  différente. 

LES  BARBUS. 

En  laissant,  comme  nous  l'avons  dit,  le  nom  de  ta- 
matia aux  oiseaux  barbus  de  l'Amérique,  nous  appel- 
lerons simplement  barbus  ceux  de  l'ancien  continent. 
Comme  les  uns  et  les  autres  volent  très  mal,  à  cause 
de  leurs  ailes  courtes  et  de  leur  corps  épais  et  lourd, 
il  n'est  pas  vraisemblable  qu'ils  aient  passé  d'un  con- 
tinent à  l'autre,   étant  également  habitants  des  cli- 


LES    BARBUS.  «^5 

mats  les  plus  chauds  :  ainsi  leurs  espèces  ni  leur 
genre  ne  sont  pas  les  mêmes ,  et  c'est  par  cette  raison 
que  nous  les  avons  séparés.  Quoiqu'ils  soient  de  dif- 
férents continents  et  de  climats  très  éloignés,  ces 
oiseaux  se  ressemblent  néanmoins  par  beaucoup  de 
caractères  :  car  indépendamment  de  leur  barbe ,  c'est- 
à-dire  des  longues  soies  effilées  qui  leur  couvrent  le 
bec  en  toutou  en  partie,  et  de  la  disposition  des 
pieds,  qui  est  la  même  dans  les  uns  et  les  autres;  in- 
dépendamment de  ce  qu'ils  ont  également  le  corps 
trapu  et  la  tête  très  grosso,  ils  ont  encore  de  com- 
mun la  forme  particulière  du  bec,  qui  est  fort  gros, 
un  peu  courbé  en  bas,  convexe  au  dessus,  et  com- 
primé sur  les  côtés.  Mais  ce  qui  distingue  les  barbus 
de  l'ancien  continent  des  tamatias  de  l'Amérique, 
c'est  que  ce  bec  est  sensiblement  plus  court,  plus 
épais  et  un  peu  plus  convexe  en  dessous  dans  les  bar- 
bus. Ils  paroissent  aussi  différer  par  le  naturel ,  les 
tamatias  étant  des  oiseaux  tranquilles  et  presque  stu- 
pides,  au  lieu  que  les  barbus  des  grandes  Indes  at- 
taquent les  petits  oiseaux ,  et  ont  à  peu  près  les  habi- 
tudes des  pies-grièches. 

LE  BARBU  A  GORGE  JAUNE. 

PREMIÈRE    ESPÈCE. 

Bucco  p/dllpplnensls.  Gmel. 

Sa  longueur  est  de  sept  pouces;  la  queue  n'a  que 
dix-huit  lignes;  le  bec,  douze  h  treize  lignes  de  long; 


76  LE    BAKBL     A    GOUGE    JAUNE. 

et  les  pieds,  huit  lignes  de  hauteur.  Il  a  la  tête  rouge 
ainsi  que  la  poitrine  ;  les  yeux  sont  environnés  d'une 
grande  tache  jaune  ;  hi  gorge  est  d'un  jaune  pur,  et 
le  reste  du  dessous  du  corps  est  d'une  couleur  jau- 
nâtre,  variée  de  taches  longitudinales  d'un  vert  ob- 
scur; le  dessus  du  corps,  les  ailes  et  la  queue,  sont 
de  cette  même  couleur  de  vert  obscur.  La  feraelle 
diffère  du  maie,  n"  55 1,  en  ce  qu'elle  est  un  peu 
moins  grosse  ,  et  qu'elle  n'a  point  de  rouge  sur  la 
lete  ni  sur  la  poitrine.  Ils  se  trouvent  aux  îles  Pilip- 
pines. 

LE  BARBU  A  GORGE  NOIRE. 

SECONDE    ESPÈCE. 

Bucco  nlger.    Gmel. 

Cette  espèce ,  qui  se  trouve  ,  comme  la  première  , 
aux  Philippines,  en  est  néanmoins  très  différente  ; 
elle  a  été  décrite  par  M.  Sonnerat  dans  les  termes 
suivants. 

«  Cet  oiseau  est  un  peu  plus  gros  et  surtout  plus 
allongé  que  le  gros-bec  d'Europe.  Le  front  ou  la  par- 
tie antérieure  de  la  tête  est  d'un  beau  rouge;  le  som- 
met ,  le  derrière  de  la  tête,  la  gorge  et  le  cou  sont 
noirs.  Il  y  a  au  dessus  de  l'œil  une  raie  demi-circu- 
laire jaune;  cette  raie  est  continuée  par  une  autre 
raie  toute  droite  et  blanche,  qui  descend  jusque  vers 
le  bas  du  cou,  sur  le  côté;  au  dessous  de  la  raie  jaune 
et  de  la  raie  blanche  qui  la  continue ,  il  y  a  une  raie 


LE    BARBU    A    GORGE    NOIRE.  ^1 

verticale  noire  ;  et  entre  celle-ci  et  la  gorge  est  une 
raie  longitudinale  blanche  ,  qui  se  continue  et  se 
confond  à  sa  base  avec  la  poitrine,  qui  ,  ainsi  que  le 
ventre,  les  côtés,  les  cuisses  et  le  dessous  de  la  queue, 
est  blanche.  Le  milieu  du  dos  est  noir  ;  mais  les  plu- 
mes de  côte  entre  le  cou  et  le  dos  sont  noires,  mou- 
chetées chacune  d'une  tache  ou  point  jaune  :  les 
quatre  premières,  en  comptant  du  moignon  ,  le  sont 
à  leur  extrémité  en  blanc,  et  la  cinquième  en  jaune, 
ce  qui  forme  une  raie  transversale  au  haut  de  l'aile; 
au  dessous  de  cette  raie  sont  des  plumes  noires,  mou- 
chetées chacune  par  un  point  jaune.  Les  dernières 
plumes  enfin  qui  recouvrent  les  grandes  plumes  de 
Faile  sont  noires ,  terminées  par  un  liséré  jaune. 
Les  plus  grandes  plumes  de  l'aile  sont  aussi  tout-â- 
faît  noires;  mais  les  autres  ont,  dans  toute  leur  lon- 
gueur, du  côté  où  les  barbes  sont  moins  longues,  un 
liséré  jaune.  La  queue  est  noire  dans  son  milieu  , 
teinte  en  jaune  sur  les  côtés;  le  bec  et  les  pieds  sont 
noirâtres.  » 

LE  BARBU  A  PLASTRON  NOIR'. 

TROISIÈME    ESPÈCE. 

Cette  espèce  est  nouvelle,  et  nous  a  été  envoyée 
du  cap  de  Bonne-Espérance  ,  mais  sans  aucune  no- 
tice sur  les  habitudes  naturelles  de  l'oiseau.  Il  a  six 
pouces  et  demi  de  longueur;  la  queue,  dix-huit  lignes; 

1.   Variété  du  précédent. 


78  LE    BARBU    A    PIASTBON    NOIR. 

les  pieds,  huit  à  neuf  lignes  de  hauteur.  Ce  barhu  ^ 
n"  6SS9  fig.  1,  est,  comme  l'on  voit,  de  la  taille  mé- 
diocre; il  est  moins  grand  que  ie  gros-bec  d'Europe. 
Son  phimage  est  agréablement  mêlé  et  tranché  de 
blanc  et  de  noir  ;  il  a  le  front  rouge,  une  ligne  jaune 
sur  l'œil  ;  et  il  y  a  des  taches  en  gouttes  jaune  clair 
et  brillant  jetées  sur  les  ailes  et  le  dos  ;  la  même  teinte 
de  jaune  est  étendue  en  pinceaux  sur  le  croupion  , 
et  les  pennes  de  la  queue  et  les  moyennes  de  l'aile 
sont  légèrement  frangées  de  cette  même  couleur. 
Un  plastron  noir  couvre  la  poitrine  jusqu'à  la  gorge; 
le  derrière  de  la  tête  est  aussi  coiffé  de  noir,  et  une 
bande  noire  entre  deux  bandes  blanches  descend  sur 
le  côté  du  cou. 

LE  PETIT  BARBU. 

QUATRIÈME    ESPÈCE. 

Bucco  parvus.  Gmel. 

Cette  espèce  est  nouvelle,  et  l'oiseau  est  le  plus 
petit  de  tous  ceux  de  ce  genre  ;  il  nous  a  été  donné 
comme  venant  du  Sénégal  ,  mais  sans  aucun  autre 
fait.  Il  n  a  que  quatre  pouces  de  longueur;  sa  grosse 
tête  et  son  gros  bec  ,  ombragé  de  longues  soies ,  le 
caractérisent  comme  tous  ceux  de  son  genre  ;  la  queue 
est  courte,  et  les  ailes  étant  pliées  la  couvrent  pres- 
que jusqu'à  l'extrémité.  Tout  le  dessus  du  corps  est 
d'un  brun  noirâtre,  om])ré  de  fauve,  et  teint  de  vert 
sur  les  pennes  de  l'aile  et  de  la  queue  ;  quelques  pe- 


LE    PETIT    BARBU.  79 

tites  ondes  blanches  forment  des  franges  dans  les 
premières  ;  le  dessous  du  corps  est  blanchâtre ,  avec 
quelques  traces  de  brun;  la  gorge  est  jaune,  et  des 
angles  du  bec  passe  sous  les  yeux  une  petite  bande 
blanche. 

Au  reste  ,  cette  description  n  en  dit  pas  plus  qu'en 
peut  dire  à  l'œil  la  planche  enluminée,  n"  746,  fig.  2, 
qui  a  été  prise  au  cabinet  de  M.  Mauduit  sur  un  in- 
dividu qui  a  péri. 

LE  GRAND  BARBU. 

CINQUIÈME    ESPÈCE. 

Bucco  grandis.  Gmel. 

Cet  oiseau  ,  11°  871 ,  a  près  de  onze  pouces  de  lon- 
gueur. La  couleur  dominante  dans  le  plumage  est  un 
beau  vert ,  qui  se  trouve  mêlé  avec  d'autres  couleurs 
sur  différentes  parties  du  corps,  et  principalement 
sur  la  tête  et  le  cou;  la  tête  en  entier  et  la  partie  aa- 
térieure  du  cou  sont  d'un  vert  mêlé  de  bleu,  de  façon 
que  ces  parties  paroissent  plus  ou  moins  vertes  ,  ou 
plus  ou  moins  bleues,  selon  les  différents  reflets  de 
la  lumière;  la  naissance  du  cou  et  le  commencement 
du  dos  sont  d'un  brun  marron,  qui  change  aussi  à 
différents  aspects,  parce  qu'il  est  mêlé  de  vert;  tout 
le  dessus  du  corps  est  d'un  très  beau  vert,  à  l'ex- 
ception des  grandes  plumes  des  ailes,  qui  sont  en 
parties  noires  ;  tout  le  dessous  du  corps  est  d'un 
vert  beaucoup  plus  clair;  il  y  a  quelques  plumes  du 


8o  LE    GRAND    BARBU. 

dessous  de  la  queue  d  un  très  beau  rouge.  Le  bec  a 
un  pouce  dix  lignes  de  longueur  sur  un  pouce  de 
largeur  à  sa  base,  où  Ton  voit  des  poils  noirs  et  durs 
comme  des  crins;  il  est  d'une  couleur  blanchâtre, 
mais  noir  à  sa  pointe.  Les  ailes  sont  courtes,  et  attei- 
gnent à  peine  à  la  moitié  de  la  longueur  de  la  queue. 
Il  nous  a  été  envoyé  de  la  Chine. 


LE  BARBU  VERT. 

SIXIÈME    ESPÈCE. 

Buccco  virldis»  Gmel. 

Il  a  six  pouces  et  demi  de  longueur.  Le  dos ,  les 
couvertures  des  ailes  et  de  la  queue  sont  d'un  très 
beau  vert.  Les  grandes  pennes  des  ailes  sont  brunes; 
mais  cette  couleur  n'est  point  apparente,  étant  cachée 
par  les  couvertures  des  ailes.  La  tête  est  d'un  gris 
brun  :  le  cou  est  de  la  même  couleur;  mais  chaque 
plume  est  bordée  de  blanchâtre,  et  il  y  a  de  plus, 
au  dessus  et  derrière  chaque  œil ,  une  tache  blanche. 
Le  ventre  est  d'un  vert  beaucoup  plus  pâle  que  le 
dos.  Le  bec  est  blanchâtre,  et  la  base  de  la  mandi- 
bule supérieure  est  entourée  de  long  poils  noirs  et 
durs;  le  bec  a  un  pouce  deux  lignes  de  longueur  sur 
environ  sept  lignes  de  largeur  à  sa  base.  Les  ailes  sont 
courtes,  et  ne  s'étendent  qu'à  la  moitié  de  la  queue. 
Il  nous  a  été  envoyé  des  grandes  Indes,  n°  870. 


Pl.aoa. 


1.LE  TOUCAN_  2.LB  TOUCANAGORGE  JAUNE  _  3  LE  MARTIN  PECHSIIB. 


LES    TOUCANS.  8l 


^«^^♦•^■Sia^o^^S^  »«•»»«»  aie«<»a<»»gio»»tfo<>«»a»a^»-B»gair»<»8»6<»ci»81|ir>tie<<f\^^ 


LES  TOUCAxNS. 

Ce  qu'on  peut  appeler  pliysionomie  dans  tous  les 
êtres  vivants  dépend  de  l'aspect  que  leur  tête  pré- 
sente lorsqu'on  les  regarde  de  face  :  ce  qu'on  désigne 
par  les  noms  de  formes^,  de  figure^  de  taille _,  etc.,  se 
rapporte  à  l'aspect  du  corps  et  des  membres.  Dans 
les  oiseaux,  si  l'on  recherche  cette  physionomie,  on 
s'apercevra  aisément  que  tous  ceux  qui,  relativement 
à  la  grosseur  de  leur  corps,  ont  une  tête  légère  avec 
un  bec  court  et  fin,  ont  en  même  temps  la  physiono- 
mie fine,  agréable,  et  presque  spirituelle;  tandis  que 
ceux  au  contraire  qui ,  comme  les  barbus ,  ont  une 
trop  grosse  têle,  ou  qui ,  comme  les  toucans,  ont 
un  bec  aussi  gros  que  la  tête,  se  présentent  avec  un 
air  stupide ,  rarement  démenti  par  leurs  habitudes 
naturelles.  Mais  il  y  a  plus;  ces  grosses  têtes  et  ces 
becs  énormes,  dont  la  longueur  excède  quelquefois 
celle  du  corps  entier  de  l'oiseau  ,  sont  des  parties  si 
disproportionnées  et  des  exubérances  de  nature  si 
marquées,  qu'on  peut  les  regarder  comme  des  mons- 
truosités  d'espèces  qui  ne  diflerent  des  monstruosi- 
tés individuelles  qu'en  ce  qu'elles  ne  perpétuent  sans 
altération  ;  en  sorte  qu'on  est  obligé  de  les  admettre 
aussi  nécessairement  que  toutes  les  autres  formes  des 
corps,  et  de  les  compter  parmi  les  caractères  spéci- 
fiques des  êtres  auxquels  ces  mêmes  parties  diffor- 
mes appartiennent.    Si  quelqu'un  voyoit  un   toucan 


82  LES   TOUCANS. 

pour  la  première  fois,  i!  prendroit  sa  tête  et  son  bec, 
vus  de  face,  pour  un  de  ces  masques  à  long  nez  dont 
on  épouvante  les  enfants  :  mais  considérant  ensuite 
sérieusement  la  structure  et  l'usage  de  cette  produc- 
tion démesurée,  il  ne  pourra  s'empêciier  d'être  étonné 
que  la  nature  ait  fait  la  dépense  d'un  bec  aussi  prodi- 
gieux pour  un  oiseau  de  médiocre  grandeur  ;  et  l'é- 
tonnement  augmentera  en  reconnoissant  que  ce  bec 
mince  et  foible ,  loin  de  servir,  ne  fait  que  nuire  à 
l'oiseau ,  qui  ne  peut  en  effet  rien  saisir,  rien  enta- 
mer, rien  diviser;  et  qui,  pour  se  nourrir,  est  obligé 
de  gober  et  d'avaler  sa  nourriture  en  bloc ,  sans  la 
broyer  ni  même  la  concasser.  De  plus,  ce  bec,  loin 
de  faire  un  instrument  utile,  une  arme,  ou  même  un 
contre-poids,  n'est  au  contraire  qu'une  masse  en  le- 
vier, qui  gêne  le  vol  de  l'oiseau,  et,  lui  donnant  un 
air  à  demi  culbutant,  semble  le  ramener  vers  la  terre, 
lors  même  qu'il  veut  se  diriger  en  haut. 

Les  vrais  caractères  des  erreurs  de  la  nature  sont 
la  disproportion  jointe  à  l'inutilité.  Toutes  les  parties 
qui,  dans  les  animaux,  sont  excessives,  surabon- 
dantes, placées  à  contre-sens,  et  qui  sont  en  même 
temps  plus  nuisibles  qu'utiles ,  ne  doivent  pas  être 
mises  dans  le  grand  plan  des  vues  directes  de  la  na- 
ture, mais  dans  la  petite  carte  de  ses  caprices  ,  ou  ,  si 
l'on  veut ,  de  ses  méprises  ,  qui  néanmoins  ont  un  but 
aussi  direct  que  les  premières ,  puisque  ces  mêmes 
productions  extraordinaires  nous  indiquent  que  tout 
ce  qui  peut  être  est,  et  que,  quoique  les  propor- 
tions, la  régularité,  la  symétrie,  régnent  ordinaire- 
ment dans  tous  les  ouvrages  de  la  nature  ,  la  dispro- 
portion ,  les  excès  et  les  défauts  nous  démontrent 


LES    TOUCANS.  85 

que  retendue  de  sa  puissance  ne  se  borne  point  à 
ces  idées  de  proportion  et  de  régularité  auxquelles 
nous  voudrions  tout  rapporter. 

Et  de  même  que  la  nature  a  doué  le  plus  grand 
nombre  des  êtres  de  tous  les  attributs  qui  doivent 
concourir  à  la  beauté  et  à  la  perfection  de  la  forme  , 
elle  n'a  guère  manqué  de  réunir  plus  d'une  dispro- 
portion dans  ses  productions  moins  soignées.  Le  bec 
excessif,  inutile,  du  toucan  renferme  une  langue 
encore  plus  inutile,  et  dont  la  structure  est  très  ex- 
traordinaire :  ce  n'est  point  un  organe  charnu  ou  car- 
tilagineux comme  la  langue  de  tous  les  animaux  ou 
des  autres  oiseaux,  c'est  une  véritable  plume  bien 
mal  placée,  comme  l'on  voit,  et  renfermée  dans  le 
bec  comme  dans  un  étui. 

Le  nom  même  de  toucan  signifie  plume  en  langue 
brasilienne  ;  et  les  naturels  de  ce  pays  ont  appelé 
toucan  tabouracé  l'oiseau  dont  ils  prenoient  les  plu- 
mes pour  se  faire  les  parures  qu'ils  ne  portoient  que 
les  jours  de  fêtes.  Toucan  tabouracé  signifie  plumes 
pour  danser.  Ces  oiseaux ,  si  difformes  par  leur  bec 
et  par  leur  langue,  brillent  néanmoins  par  leur  plu- 
mage. Us  ont  en  effet  des  plumes  propres  aux  plus 
beaux  ornements,  et  ce  sont  celles  de  la  gorge  :  la 
couleur  en  est  orangée,  vive,  éclatante;  et,  quoi- 
que ces  belles  plumes  n'appartiennent  qu'à  quelques 
unes  des  espèces  de  toucans  ,  elles  ont  donné  le  nom 
à  tout  le  genre.  On  recherche  même  en  Europe  ces 
gorges  de  toucans  pour  faire  des  manchons.  Son  bec 
prodigieux  lui  a  valu  d'autres  honneurs ,  et  l'a  fait 
placer  parmi  les  constellations  australes ,  où  l'on  n'a 
guère  admis  que  les  objets  les  plus  frappants  et  les 


84  LES    TOLCANS. 

plus  remarquables.  Ce  bec  est  en  général  beaucoup 
plus  gros  et  plus  long,  à  proportion  du  corps,  que  dans 
aucun  autre  oiseau  ;  et  ce  qui  le  rend  encore  plus  ex- 
cessif, c'est  que,  dans  toute  sa  longueur,  il  est  plus 
large  que  la  tête  de  l'oiseau  :  c'est ,  coname  le  dit 
Léry,  le  bec  des  becs  :  aussi  plusieurs  voyageurs  ont- 
ils  appelé  le  toucan  l'oiseau  tout  bec  ;  et  nos  créoles 
de  Cayenne  ne  le  désignent  que  parl'épithète  de  gros 
bec.  Ce  long  et  large  bec  fatigueroit  prodigieusement 
la  tête  et  le  cou  de  l'oiseau  ,  s'il  n'étoit  pas  d'une 
substance  légère  :  mais  il  est  si  mince,  qu'on  peut 
sans  eîTort  le  faire  céder  sous  les  doigts.  Ce  bec  n'est 
donc  pas  propre  à  briser  les  graines  ni  même  les  fruits 
tendres  ;  l'oiseau  est  obligé  de  les  avaler  tout  entiers  : 
et  de  même  il  ne  peut  s'en  servir  pour  se  défendre , 
et  encore  moins  pour  attaquer;  à  peine  peut-il  ser- 
rer assez  pour  faire  impression  sur  le  doigt  quand  on 
le  lui  présente.  Les  auteurs  qui  ont  écrit  que  ce  tou- 
can perçoit  les  arbres  comme  le  pic  se  sont  donc 
bien  trompés;  ils  n'ont  rapporté  ce  fait  que  d'après 
la  méprise  de  quelques  Espagnols  qui  ont  confondu 
ces  deux  oiseaux  ,  et  les  ont  également  appelés  car- 
penteros  (  charpentiers  )  ou  tacatacas  en  langue  pé- 
ruvienne, croyant  qu'ils  frappoient  également  contre 
les  arbres.  Néanmoins  il  est  certain  que  les  toucans 
n'ont  ni  ne  peuvent  avoir  cette  habitude,  et  qu'ils 
sont  très  éloignés  du  genre  des  pics  ;  et  Scaliger  avoit 
fort  bien  remarqué  avant  nous  que  ces  oiseaux  ayant 
le  bec  crochu  et  courbé  en  bas,  il  ne  paroîssoit  pas 
possible  qu'ils  entamassent  les  arbres. 

La  forme  de  ce  gros  et  grand  bec  est  fort  diûerenle 
dans  chaque  mandibule  :  la  supérieure  est  recourbée 


LES    TOUCANS.  85 

en  bas  en  forme  de  faux ,  arrondie  en  dessus  et  cro- 
chue à  son  extrémité  ;  l'inférieure  est  pias  courte  , 
plus  étroite  et  moins  courbée  en  bas  que  la  supé- 
rieure :  toutes  deux  sont  dentelées  sur  leurs  bords  , 
mais  les  dentelures  de   la  supérieure  sont  bien  plus 
sensibles  que  celles  de  l'inférieure;  et  ce  qui  paroît 
encore  singulier,  c'est  que  ces  dentelures  ,  quoiqu'en 
égal  nombre  de  chaque  côté  des  mandibules,   non 
seulement  ne  se  correspondent  pas  du  haut  en  bas 
ni  de  bas  en  haut ,  mais  même  ne  se  rapportent  pas 
dans  leur  position  relative  ,  celles  du  côté  droit  ne  se 
trouvant  pas  vis-à-vis  de  celles  du  côté  gauche  ,  car 
elles  commencent  plus  près  ou  plus  loin  en  arrière^ 
et  se  terminent  aussi  plus  ou  moins  près  en  avant. 

La  langue  des  toucans  est ,   comme  nous  venons 
de  le  dire  ,  encore  plus  extraordinaire   que  le  bec  : 
ce  sont  les  seuls  oiseaux  qui  aient  une  plume  au  lieu 
de  langue;  et  c'est  une  plume  dans  l'acception  la 
plus  stricte ,  quoique  le  milieu  ou  la  tige   de  cette 
plume-langue  soit   d'une   substance   cartilagineuse, 
large  de  deux  lignes  :  mais  elle  est  accompagnée  , 
des  deux  côtés,  de  barbes  très  serrées  et  toutes  pa- 
reilles à  celles  des  plumes  ordinaires;  ces  barbes  di- 
rigées en  avan»t ,   sont  d'autant  plus  longues  qu'elles 
sont  situées  plus  près  de  l'extrémité  de  la  langue,  qui 
est  elle-même  tout  aussi  longue  que  le  bec.  Avec  un 
organe  aussi  singulier  et  si  diflérent  de  la  substance 
et  de  l'organisation  ordinaire  de  toute  langue,   on 
seroit  porté  à  croire  que  ces  oiseaux  devroient  être 
muets  :  néanmoins  ils  ont  autant  de  voix  que  les  au- 
tres ,  et  ils  font  entendre  très  souvent  une  espèce  de 
sifflement  qu'ils  réitèrent  promptement  et  assez  long- 
en  rro>'.  XXV.  6 


86  LES    TOUCANS. 

temps  pour  qu'on  les  ait  appelés  oiseaux  prédicateurs . 
Les  sauvages  attribuent  aussi  de  grandes  vertus  à 
cette  langue  de  plume  ^,  et  ils  l'emploient  comme 
jemède  dans  plusieurs  maladies.  Quelques  auteurs 
ont  cru  que  les  toucans  n'avoient  point  de  narines  : 
cependant  il  ne  faut,  pour  les  voir,  qu'écarter  les 
plumes  de  la  base  du  bec  ,  qui  les  couvrent  dans  la 
plupart  des  espèces;  et  dans  d'autres  elles  sont  sur 
un  bec  nu  ,  et  par  conséquent  fort  apparentes. 

Les  toucans  n'ont  rien  de  commun  avec  les  pics 
que  la  disposition  des  doigts,  deux  en  avant  et  deux 
en  arrière,  et  même,  dans  ce  caractère  qui  leur  est 
commun  ,  on  peut  observer  que  les  doigts  des  tou- 
cans sont  bien  plus  longs,  et  tout  autrement  propor- 
tionnés que  ceux  des  pics.  Le  doigt  extérieur  du  de- 
vant est  presque  aussi  long  que  le  pied  tout  entier, 
qui  est  à  la  vérité  fort  court  ;  et  les  autres  doigts  sont 
aussi  fort  longs  :  les  deux  doigts  intérieurs  sont  les 
moins  longs  de  tous.  Les  pieds  des  toucans  n'ont 
que  la  moitié  de  la  longueur  des  Jambes,  en  sorte 
que  ces  oiseaux  ne  peuvent  marcher,  parce  que  le 
pied  appuie  dans  toute  sa  longueur  sur  la  terre;  ils 
ne  font  donc  que  sautiller  d'assez  mauvaise  grâce  :  ces 
pieds  sont  dénués  de  plumes,  et  couverts  de  longues 
écailles  douces  au  toucher.  Les  ongles  sont  propor- 
tionnés à  la  longueur  des  doigts,  arqués,  un  peu 
aplatis ,  obtus  à  leur  extrémité  ,  et  sillonnés  en  des- 
sous suivant  leur  longueur  par  une  cannelure;  ils  ne 

1.  M.  de  La  Coudamine  parle  d'un  toucan  qu'il  a  vu  sur  les  bords  ' 

du  Maragnon  .  dont  le  bec  mouslriicux  est  rouge  et  jaune;  sa  langue, 
dit -il ,  qui  ressemble  à  une  plume  déliée,  passe  pour  avoir  de  grandes 
vertus. 


TES    TOUCANS.  g- 


servent  pas  à  loiseaii  pour  attaquer  ou  se  défendre , 
ni  même  pour  grimper,  mais  uniquement  pour  se 
maintenir  sur  les  branches,  où  ii  se  tient  assez  ferme. 

Les  toucans  sont  répandus  dans  tous  les  climats 
chauds  de  l'Amérique  méridionale,  et  ne  se  trouvent 
point  dans  lancien  continent  :  ils  sont  erratiques  plu- 
tôt que  voyageurs,  ne  changeant  de  pays  que  pour 
suivre  les  saisons  de  la  maturité  des  fruits  qui  leur 
servent  de  nourriture  ;  ce  sont  surtout  les  fruits  des 
palmiers;  et  comme  ces  espèces  d'arbres  croissent 
dans  des  terrains  humides  et  près  du  bord  des  eaux, 
les  toucans  habitent  ces  lieux  de  préférence,  et  se 
trouvent  quelquefois  dans  les  palétuviers ,  qui  ne 
croissent  que  dans  la  vase  liquide  :  c'est  peut-être 
ce  qui  a  fait  croire  qu'ils  mangeoient  du  poisson  : 
mais  ils  ne  peuvent  tout  au  plus  qu'en  avaler  de  très 
petits;  car  leur  bec  n'étant  propre  ni  pour  entamer 
ni  pour  couper,  ils  ne  peuvent  qu'avaler  en  bloc  les 
fruits  mômes  les  plus  tendres,  sans  les  comprimer; 
et  leur  large  gosier  leur  facilite  cette  habitude,  dont 
on  peut  s'assurer  en  leur  jetant  un  assez  gros  morceau 
de  pain,  car  ils  l'avalent  sans  chercher  à  le  diviser. 

Ces  oiseaux  vont  ordinairement  par  petites  trou- 
pes de  six  à  dix;  leur  vol  est  lourd,  et  s'exécute  péni- 
blement, vu  leurs  courtes  ailes  et  leur  énorme  bec, 
qui  fait  pencher  le  corps  en  avant  :  cependant  ils  ne 
laissent  pas  de  s'élever  au  dessus  des  grands  arbres, 
il  la  cime  desquels  ou  les  voit  presque  toujours  per- 
chés et  dans  une  agitation  continuelle  ,  qui ,  malgré 
la  vivacité  de  leurs  mouvements,  n'ôte  rien  à  leur  air 
grave  ,  parce  que  ce  gros  bec  leur  donne  une  physio- 
nomie triste  et  sérieuse  que  leurs  grands  yeux  fades 


88  LES    TOUCANS. 

el  sans  feu  augnienlent  encore  ;  en  sorte  que,  quoi- 
que 1res  vifs  et  très  remuants,  ils  n'en  paroissent 
que  plus  gauches  el  moins  gais. 

Comme  ils  font  leurs  nids  dans  des  trous  d'arbre 
que  les  pics  ont  abandonnés,  on  a  cru  qu'ils  creusoient 
eux-mêmes  ces  trous.  Ils  ne  pondent  que  deux 
œufs,  et  cependant  toutes  les  espèces  sont  assez  nom- 
breuses en  individus.  On  les  apprivoise  très  aisément 
en  les  prenant  jeunes  ;  on  prétend  même  qu'on  peut 
les  faire  nicher  et  produire  en  domesticité.  lis  ne  sont 
pas  difficiles  à  nourrir;  car  ils  avalent  tout  ce  qu'on 
leur  jette  ,  pain,  chair,  ou  poisson  :  ils  saisissent  aussi 
avec  la  pointe  du  bec  les  morceaux  qu'on  leur  offre 
de  près  ;  ils  les  lancent  en  haut,  et  les  reçoivent  dans 
leur  large  gosier.  Mais  lorsqu'ils  sont  obligés  de  se 
pourvoir  d'eux-mêmes  et  de  ramasser  les  aliments  à 
terre,  ils  semblent  les  rechercher  en  tâtonnant,  et 
ne  prennent  le  morceau  que  de  côté,  pour  le  faire 
sauter  ensuite  et  le  recevoir.  Au  reste  ,  ils  paroissent 
si  sensibles  au  froid,  qu'ils  craignent  la  fraîcheur  de 
la  nuit  dans  les  climats  mêmes  les  plus  chauds  du 
nouveau  continent  :  on  les  a  vus  dans  la  maison  se 
faire  une  espèce  de  lit  d'herbes,  de  paille,  et  de  tout 
ce  qu'ils  peuvent  ramasser,  pour  éviter  apparemment 
la  fraîcheur  de  la  terre.  Ils  ont  en  général  la  peau 
bleuâtre  sous  les  plumes;  et  leur  chair,  quoique  noire 
et  assez  àure,  ne  laisse  pas  de  se  manger. 

Nous  connoissons  deux  genres  particuliers  dans  le 
genre  entier  de  ces  oiseaux  ,  les  toucans  et  les  ara- 
caris.  Ils  sont  différents  les  uns  des  autres  ,  i**par  la 
grandeur,  les  toucans  étant  de  beaucoup  phis  grands 
que  les  aracaris;  2**  par  les  dimensions  et  la  substance 


LES    TOUCANS.  89 

du  bec ,  lequel  clans  les  aracaris  est  beaucoup  moins 
allongé  et  d  une  substance  plus  dure  et  plus  solide  ; 
5°  par  la  différence  de  la  queue ,  qui  est  plus  longue 
dans  les  aracaris  et  très  sensiblement  étagée ,  tandis 
qu'elle  est  arrondie  dans  les  toucans  ^.  Nous  sépare- 
rons donc  ces  oiseaux  les  uns  des  autres;  et,  après 
cette  division,  il  ne  nous  restera  que  cinq  espèces 
dans  les  toucans. 


LE  TOGO. 

PUEMIÈRE    ESPÈCE. 

Rampliastos  toco.  L. 

Le  corps  de  cet  oiseau,  n**  82,  a  neuf  à  dix  pou- 
ces de  longueur,  y  compris  la  tête  et  la  queue;  son 
bec  en  a  sept  et  demi.  La  tête,  le  dessus  du  cou  ,  le 
dos,  le  croupion,  les  ailes,  la  queue  en  entier,  la 
poitrine  et  le  ventre  sont  d'un  noir  foncé;  les  cou- 
vertures du  dessus  de  la  queue  sont  blanches ,  et  celles 
du  dessous  sont  d'un  beau  rouge  ;  le  dessous  du  cou 
et  la  gorge  sont  d'un  blanc  mêlé  d'un  peu  de  jaune  ; 
entre  ce  jaune,  sous  la  gorge,  et  le  noir  de  la  poi- 
trine ,  on  voit  un  petit  cercle  rouge  ;  la  base  des  deux 
mandibules  du  bec  est  noire  ;  le  reste  de  la  mandi- 

i.  Ce  sont  les  Brasîliens  qui  les  premiers  ont  distingué  ces  deux 
variétés,  et  qui  ont  appelé  toucans  les  grands  et  aracaris  les  petits 
oiseaux  de  ce  genre;  et  celte  distinction  est  si  bien  fondée,  que  les 
naturels  do  la  Guiane  Tout  iaile  de  même,  en  appelant  les  toucan:-,  ka- 

i-aroaima  el  les  aracaris  grigri. 


90  LE    TOGO. 

bille  inférieure  est  d'un  jaune  rougeâtre  ;  la  mandi- 
bule supérieure  est  de  cette  même  couleur  jaune 
rougeâtre  jusqu'aux  deux  tiers  environ  de  sa  longueur; 
le  reste  de  cette  mandibule  jusqu'à  sa  pointe  est  noir; 
les  ailes  sont  courtes  et  ne  s'étendent  guère  qu'au  tiers 
de  la  queue  ;  les  pieds  et  les  ongles  sont  noirs.  Cette 
espèce  est  nouvelle,  et  nous  lui  avons  donné  le  nom 
de  toco  pour  la  distinguer  des  autres. 


LE  TOUCAN  A  GORGE  JAUNE. 

SECONDE    ESPÈCE. 

Rampliastos  tucanus.  L. 

L'on  a  représenté,  dans  les  planches  enluminées, 
deux  variétés  de  cette  espèce ,  la  première  sous  la  dé- 
nomination de  toucan  à  gorge  jaune  de  Cayenne, 
n*  269  ,  la  seconde  sous  celle  de  toucan  à  gorge  jaune 
du.  Brésil^  n"  507  ;  mais  elles  se  trouvent  également 
dans  ces  deux  contrées,  et  ne  nous  paroissent  former 
qu'une  seule  et  même  espèce.  Les  différences  dans 
la  couleur  du  bec  et  dans  l'étendue  de  la  plaque  jaune 
de  la  gorge,  aussi  bien  que  la  vivacité  des  couleurs, 
peuvent  provenir  de  l'âge  de  l'oiseau;  cela  est  très 
certain  pour  la  couleur  des  couvertures  supérieures 
de  la  queue,  qui  sont  jaunes  dans  quelques  indivi- 
dus, et  rouges  dans  d'autres.  Ces  oiseaux  ont  tous 
deux  la  tête  ,  le  dessus  du  corps,  les  ailes  et  la  queue 
noirs;  la  gorge  orangée  et  d'une  couleur  plus  ou 
moins  large  ;  le  ventre  est  noirâtre,  et  les  couvertures 


LE  TOUCAN  A  GORGE  JAUNE.         Ql 

înifërieuies  de  la  queue  sont  rouges;  le  bec  est  noir 
avec  une  raie  bJeue  à  son  sommet  sur  toute  sa  lon- 
gueur; la  base  du  bec  est  environnée  d'une  assez  large 
bande  jaune  ou  blanche  ;  les  narines  sont  cachées 
dans  les  plumes  de  la  base  du  bec  ,  leur  ouverture 
est  arrondie.  Les  pieds,  longs  de  vingt  lignes,  sont 
bleuâtres;  le  bec  a  quatre  pouces  et  demi  de  lon- 
gueur sur  dix-sept  lignes  de  hauteur  à  sa  hase  :  l'oi- 
seau entier,  depuis  le  bout  du  bec  jusqu'à  l'extré- 
mité de  la  queue,  a  dix-neuf  pouces;  sur  quoi 
déduisant  six  pouces  deux  ou  trois  lignes  pour  la 
queue,  et  quatre  pouces  et  demi  pour  le  bec,  il  ne 
reste  pas  neuf  pouces  pour  la  longueur  de  la  tète  et 
du  corps  de  l'oiseau. 

C'est  de  cette  espèce  de  toucan  que  l'on  tire  les 
plumes  brillantes  dont  on  fait  des  parures;  on  découpe 
dans  la  peau  toute  la  partie  jaune  de  la  gorge,  et  l'on 
vend  ces  plumes  assez  cher.  Ce  ne  sont  que  les  mâles 
qui  portent  ces  belles  plumes  jaunes  sur  la  gorge  : 
les  femelles  ont  cette  même  partie  blanche,  et  c'est 
cette  différence  qui  a  induit  les  nomenclateurs  en  er- 
reur; ils  ont  pris  la  femelle  pour  une  autre  espèce; 
et  même  ils  se  sont  trompés  doublement,  parce  que, 
les  couleurs  variant  dans  la  femelle  comme  dans  le 
mâle,  ils  ont  fait  dans  les  femelles  deux  espèces  ainsi 
que  dans  les  mâles.  Or  nous  réduisons  ici  ces  quatre 
prétendues  espèces  à  une  seule  ,  à  laquelle  même 
nous  pouvons  en  rapporter  une  cinquième  indiquée 
par  Laët,  qui  ne  diffère  de  ceux-ci  que  par  la  couleur 
blanche  de  la  poitrine. 

En  général,  les  femelles  sont  h  très  peu  près  do  h 


92         LE    TOUCAN  A  GOUGE  JAUNE. 

grandeur  des  mâles;  elles  ont  les  couleurs  moins  vi- 
ves, et  la  bande  rouge  du  dessous  de  la  gorge  très 
étroite  :  mais  du  reste  elles  leur  ressemblent  parfai- 
tement. Nous  avons  fait  représenter  l'une  de  ces  fe- 
melles dans  la  planche  enluminée,  n°  202,  sous  la  dé- 
nomination de  toucan  à  gorge  blanche  de  Cayenne^ 
parce  que  nous  ignorions  alors  que  ce  fût  une  femelle. 
Au  reste,  cette  seconde  espèce  est  la  plus  commune 
et  peut-être  la  plus  nombreuse  du  genre  de  ces  oi- 
seaux; il  y  en  a  quantité  dans  la  Guiane,  surtout  dans 
les  forêts  hujnides  et  dans  les  palétuviers.  Quoiqu'ils 
n'aient,  comme  tous  les  autres  toucans,  qu'une  plume 
pour  langue,  ils  jettent  un  cri  articulé,  qui  semble 
prononcer  pinien-coin  ou  pignen-coin _,  d'une  manière 
si  distincte  que  les  créoles  de  Cayenne  leur  ont 
donné  ce  nom,  que  nous  n'avons  pas  cru  devoir 
adopter,  parce  que  le  toco  ou  toucan  de  l'espèce  pré- 
cédente prononce  cette  même  parole  ,  et  qu'alors  on 
les  eût  confondus. 

LE  TOUCAN  A  VENTRE  ROUGE. 

TROISIÈME    ESPÈCE. 

Rampliastos  picatus.  Gmel. 

Ce  toucan  a  la  gorge  jaune  comme  le  précéden  t;  mais 
il  a  le  ventre  d'un  beau  rouge,  au  lieu  que  l'autre  l*a 
noir.  Thevet .  qui  le  premier  a  parlé  de  cet  oiseau  , 
dit  que  son  bec  est  aussi  long  que  le  corps.  Aldro- 


LE    TOUCAN    A   VENTRE    ROUGE.  g5 

vande  donne  à  ce  bec  deux  palmes  de  longueur  et 
une  de  largeur,  et  M.  Brisson  estime  cette  mesure 
six  pouces  pour  les  deux  palmes.  Comme  nous  n'a- 
vons pas  vu  cet  oiseau,  nous  n'en  pouvons  parler  que 
d'après  les  indications  de  ces  deux  premiers  auteurs. 
Nous  remarquerons  néanmoins  qu'Aldrovande  s'est 
trompé  en  lui  donnant  trois  doigts  en  avant  et  un  en 
arrière,  quoique  Thevet  dise  expressément  qu'il  a 
deux  doigts  en  devant  et  deux  en  arrière;  ce  qui  est 
conforme  à  la  nature. 

Il  a  la  tête  ,  le  cou  ,  le  dos,  et  les  ailes,  noires  avec 
quelques  reflets  blanchâtres  ;  la  poitrine  d'une  belle 
couleur  d'or  avec  du  rouge  au  dessus,  c'est-à-dire 
sous  la  gorge;  il  a  aussi  le  ventre  et  les  jambes  d'un 
rouge  très  vif,  ainsi  que  l'extrémité  de  la  queue,  qui 
pour  le  reste  est  noire  ;  l'iris  de  l'œil  est  noir;  il  est 
entouré  d'un  cercle  blanc  qui  l'est  lui-même  d'un  au- 
tre cercle  jaune.  La  mandibule  inférieure  du  bec  est 
une  fois  moins  large  près  de  l'extrémité  du  bec,  que 
ne  l'est  la  mandibule  supérieure  ;  elles  sont  toutes  les 
deux  dentelées  sur  leurs  bords. 

Thevet  assure  que  cet  oiseau  se  nourrissoit  de  poi- 
vre ;  qu'il  en  avaloit  même  en  si  grande  quantité  qu'il 
étoit  obligé  de  Je  rejeter.  Ce  fait  a  été  copié  par  tous 
les  naturalistes  :  cependant  il  n'y  a  point  de  poivre  en 
Amérique,  et  l'on  ne  sait  pas  trop  quelle  peut  être 
la  graine  dont  cet  auteur  a  voulu  parler,  si  ce  n'est  le 
piment  que  quelques  auteurs  appellent  poivre  longe 


94  l'K    CO  CHIC  AT. 

LE  GOGHICAT. 

QUATRIÈME    ESPÈCE. 

Rampliastos  Corquaius,  Gmel. 

C'est  par  contraction  le  nom  que  cet  oiseau  port*/ 
dans  son  pays  natal  au  Mexique.  Fernandèsest  le  seul 
auteur  qui  en  ait  parlé  comme  l'ayant  vu,  et  voici  he 
description  qu'il  en  donne. 

tt  II  est  à  peu  près  de  la  grandeur  des  autres  tou- 
cans :  il  a,  dit-il,  le  bec  de  sept  pouces  de  long,  dont 
la  mandibule  supérieure  est  blanche  et  dentelée  ,  eî 
l'inférieure  noire;  ses  yeux  sont  noirs,  et  l'iris  d'uu 
jaune  rougeâtre  ;  il  a  la  tête  et  le  cou  noirs  jusqu'à 
une  ligne  transversale  rouge  qui  l'entoure  en  forme 
de  collier;  après  quoi,  le  dessus  du  cou  est  encore 
noir,  et  le  dessous  est  blanchâtre,  semé  de  quelques 
taches  rouges  et  de  petites  lignes  noires;  la  queue  et 
les  ailes  sont  noires  aussi;  le  ventre  est  vert;  les  jam- 
bes sont  rouges;  les  pieds  sont  d'un  cendré  verdâtre* 
et  les  ongles  noirs.  Il  habite  les  bords  de  la  mer  et  se 
nourrit  de  poisson.  » 


LE    HOCHICAT.  9^ 

LE  HOCHICAT. 

CINQUIÈME    ESPÈCE. 

Rampliastos  pavoninus.  Gmel. 

C'est  de  même  le  nom,  par  contraction,  que  cet 
oiseau  porte  au  Mexique.  Fernandès  est  encore  le  seul 
qui  lait  indiqué. 

«  Il  est,  dit-il,  de  la  grandeur  et  de  la  forme  d'un 
perroquet  ;  son  plumage  est  presque  entièrement  vert, 
seulement  semé  de  quelques  taches  rouges;  les  jam- 
bes et  les  pieds  sont  noirs  et  courts  ;  le  bec  a  quatre 
pouces  de  longueur;  il  est  varié  de  jaune  et  de  noir.  » 

Cet  oiseau  habite,  comme  le  précédent,  les  bords 
de  la  mer  dans  la  contrée  la  plus  chaude  du  Mexique. 


»«»a»c.e'»»c'»*»»fro(>»»e»»»»-»«^ 


LES  ARACARIS. 

Les  aracaris ,  comme  nous  l'avons  dit,  sont  bien 
plus  petits  que  les  toucans.  On  en  connoît  quatre  es- 
pèces, toutes  originaires  des  climats  chauds  de  l'A- 
mérique. 


gÔ  LE    GRIGRI. 


«t^M  «««««•«««»««««<»«« 


LE  GRIGRL 

PREMIÈRE   ESPÈCE. 

Ramphastos  aracarL  Gmel. 

Cet  oiseau,  11°  166,  se  trouve  au  Brésil,  et  très 
communément  à  la  Guiane ,  où  on  J'appelle  grigri  y. 
parce  que  ce  mot  exprime  à  peu  près  son  cri,  qui  est 
aigu  et  bref.  Il  a  les  mêmes  habitudes  naturelles  que 
les  toucans;  on  le  trouve  dans  les  mêmes  endroits 
humides  et  plantés  de  palmiers.  On  connoît ,  dans 
cette  première  espèce,  une  variété  ,  n°  727 ,  dont  nos 
nomenclateurs  ont  fait  une  espèce  particuHère  :  ce- 
pendant ce  n'est  qu'une  différence  si  légère,  qu'on 
peut  l'attribuer  à  l'âge  plutôt  qu'au  climat;  elle  ne 
consiste  que  dans  une  bande  transversale  d'un  beau 
rouge  sur  la  poitrine.  II  y  a  aussi  quelque  différence 
dans  la  couleur  du  bec  :  mais  ce  caractère  est  tout-à- 
fait  équivoque  ,  parce  que,  dans  la  même  espèce  ,  les 
couleurs  du  bec  varient  suivant  l'âge,  et  sans  aucun 
ordre  constant,  dans  chaque  individu;  en  sorte  que 
Linna^us  a  eu  tort  d'établir  sur  les  couleurs  du  bec  les 
caractères  différentiels  de  ces  oiseaux. 
.  Ceux-ci  ont  la  têie  ,  la  gorge ,  et  le  cou  ,  noirs  ;  le 
dos,  les  ailes ,  et  la  queue,  d'un  vert  obscur;  le  crou- 
pion rouge;  la  poitrine  et  le  ventre  jaunes;  les  cou- 
vertures inférieures  de  la  queue  et  les  plumes  des 
jambes  d'un  jaune  olivâtre ,  varié  de  rouge  et  de  fauve, 
les  yeux  grands ,  et  i'iris  jaune.  Le  bec  est  long  de 


LK    GRIGRI.  9^ 

quatre  pouces  un  quart,  épais  de  seize  lignes  en  hau- 
teur, et  d'une  texture  plus  solide  et  plus  dure  que 
celle  du  bec  des  toucans.  La  langue  est  semblable  , 
c'est-à-dire  garnie  de  barbes  comme  le  sont  les  plu- 
mes ;  caractère  particulier  et  commun  aux  toucans 
et  aux  aracaris.  Les  pieds  de  celui-ci  sont  d'un  vert 
noirâtre  ;  ils  sont  très  courts,  et  les  doigts  sont  très 
longs.  Toute  la  grandeur  de  l'oiseau,  y  compris  celle 
du  bec  et  la  queue,  est  de  seize  pouces  huit  lignes. 
La  femelle,  n°  728,  ne  diffère  du  mâle  que  parla 
couleur  de  la  gorge  et  du  dessous  du  cou  ,  qui  est 
brune,  tandis  qu'elle  est  noire  dans  le  mâle,  lequel 
a  ordinairement  aussi  le  bec  noir  et  blanc,  au  lieu 
que  la  femelle  a  la  mandibule  inférieure  du  bec  noire, 
et  la  supérieure  Jaune,  avec  une  bande  longitudinale 
noire  qui  représente  assez  exactement  la  ligure  d'une 
longue  plume  étroite. 

LE  KOULIK. 

SECONDE    ESPÈCE. 

Ramphastos  piperivorus.  Gmel. 

Ce  petit  mot  koulikj,  prononcé  vite,  représente 
exactement  le  cri  de  cet  oiseau,  n**  677,  et  c'est  par 
cette  raison  que  les  créoles  de  Cayenne  lui  ont  donné 
ce  nom.  Il  est  un  peu  moins  gros  que  le  précédent, 
et  il  a  le  bec  un  peu  plus  court  dans  la  môme  pro- 
portion. Il  a  la  tête,  la  gorge,  le  cou,  et  la  poitrine, 
noirs  ;  il  porte  sur  le  dessus  du  cou  un  demi-collier 


C)S  LE    KOLLIK. 

jaune  et  étroit;  on  voit  une  tache  de  ia  môme  cou- 
leur jaune  de  chaque  côté  de  la  tête  ,  derrière  les 
veux  ;  le  dos,  le  croupion  ,  et  les  ailes,  sont  d'un  beau 
vert;  et  le  ventre,  vert  aussi,  est  varié  de  noirâtre; 
les  couvertures  inférieures  de  la  queue  sont  rougeâ- 
tres,  mais  ia  queue  est  verte  et  terminée  de  rouge  ; 
les  pieds  sont  noirâtres;  le  bec  est  rouge  à  sa  base, 
et  noir  sur  le  reste  de  son  étendue;  les  yeux  son  en- 
vironnés d'une  membrane  nue  et  bleuâtre. 

La  femelle ,  n°  ^29 ,  ne  difîère  du  mâle  que  par  la 
couleur  du  haut  du  cou,  où  son  plumage  est  brun  , 
tandis  qu'il  est  noir  dans  le  mâle;  le  dessous  du  corps, 
depuis  la  gorge  jusqu'au  bas  du  ventre,  est  gris  dans  la 
femelle,  et  le  demi-collier  est  d'un  jaune  très  pâle, 
au  lieu  qu'il  est  d'un  beau  jaune  dans  le  mâle,  et  que 
le  dessous  du  corps  est  varié  de  différentes  couleurs. 


L'ARACARI  A  BEC  NOIR. 

TROISIÈME    ESPÈCE. 

Rampliastos  luteus.  Gmel. 

Nous  ne  connoissons  de  cet  oiseau  que  ce  qu'en  a 
dit  ]Nieremberg.  Il  est  de  la  gosseur  d'un  pigeon;  son 
bec  est  épais,  noir,  et  crochu;  les  yeux  sont  noirs 
aussi ,  mais  l'iris  en  est  jaune;  il  a  les  ailes  et  la  queue 
variées  de  noir  et  de  blanc  ;  une  bande  noire  prend 
depuis  le  bec  et  s'étend  de  chaque  côté  jusque  sous 
la  poitrine;  le  haut  des  ailes  est  jaune,  et  le  reste  du 
corps  est  d'un  blanc  jaunâtre  ;  les  jambes  et  les  pieds 
sont  bruns,  et  les  oncles  blanchâtres. 


LARACARI     BLEU.  99 

LARACARI  BLEU. 

QUATRIÈME    ESPÈCE. 

Ramp/tastos  cœruleus.  Gmel. 

Yoici  ce  que  Fernandès  rapporte  au  sujet  de  cet 
oiseau,  qu'aucun  autre  naturaliste  n'a  vu. 

a  11  est  de  la  grandeur  d'un  pigeon  commun;  son 
bec  est  fort  grand,  dentelé,  jaune  en  dessus,  et  d'un 
noir  roui^eâtre  en  dessous;  ses  veux  sont  noirs;  l'iris 
est  d'un  jaune  rougeâtre;  tout  son  plumage  est  varié 
de  cendré  et  de  bleu.  » 

11  paroît ,  par  le  témoignage  de  ce  même  auteur, 
que  quelques  espèces  d'aracaris  ne  sont  que  des  oi- 
seaux de  passage  dans  certaines  contrées  de  l'Amé- 
rique méridionale. 


a  *«  a  «»«»<».<» 


LE  BARBIGAN. 

Bucco  diibius.  Gmel. 

Comme  cet  oiseau  tient  du  barbu  et  du  toucan,  nous 
avons  cru  pouvoir  le  nommer  barbican,  G*est  une  es- 
pèce nouvelle,  qui  n'a  été  décrite  par  aucun  natura- 
liste ,  et  qui  néanmoins  n'est  pas  d'un  climat  fort 
éloigné;  car  elle  nous  a  été  envoyée  des  côtes  de 
Barbarie  ,  mais  sans  nom  et  sans  aucune  notice  sur  ses 
habitudes  naturelles. 

Cet  oiseau,  n''  602,  a  les  doigts  disposés  deux  en 


ÎOO  LE    BARBICAN. 

avant  et  deux  eii  arrière,  comme  ies  barbus  et  les 
toucans.  Il  ressemble  à  ceux-ci  par  la  distribution  des 
couleurs,  par  la  forme  de  son  corps,  et  par  son  gros 
bec  ,  qui  cependant  est  moins  long,  beaucoup  moins 
large  et  bien  plus  solide  que  celui  des  toucans;  mais 
il  en  diffère  par  sa  langue  épaisse  ,  et  qui  n'est  pas 
une  plume  comme  celle  des  toucans.  Il  ressemble  en 
même  temps  aux  barbus  par  les  longs  poils  qui  sor- 
tent de  la  base  du  bec,  et  s'étendent  bien  au  delà  des 
narines.  La  forme  du  bec  est  particulière ,  la  mandi- 
bule supérieure  étant  pointue,  crochue  à  son  extré- 
mité, avec  deux  dentelures  mousses  de  chaque  côté; 
la  mandibule  inférieure  est  rayée  transversalement 
par  de  petites  cannelures  ;  le  bec  entier  est  rougeâtre 
et  courbé  en  bas. 

Le  plumage  du  barbican  est  noir  sur  toute  la  partie 
supérieure  du  corps,  le  haut  de  la  poitrine  et  le  ven- 
tre, et  il  est  rouge  sur  le  reste  du  dessous  du  corps , 
à  peu  près  comme  celui  de  certains  toucans. 

Il  a  neuf  pouces  de  long;  la  queue  a  trois  pouces 
et  demi;  le  bec,  dix-huit  lignes  de  longueur  sur  dix 
d'épaisseur;  et  les  pieds  n'ont  guère  qu'un  pouce  de 
hauteur,  en  sorte  que  cet  oiseau  a  grande  peine  à 
marcher. 


»'8»a«0»«o»i>.804X>g«ia»»>..^  e«9-»»o<»e»»» 


LE  CASSIGAN. 

Coraclas  varia.  Gmel. 

Nous  avons  donné  le  nom  de  Cassican  Ix  cet  oiseau, 
n°  628,  dont  l'espèce  n'étoit  pas  connue,  et  qui  nous 


LE    CASSICAN.  101 

a  éié  envoyé  par  M.  Sonnerat,  parce  que  ce  nom  in- 
dique les  deux  genres  d'oiseaux  auxquels  il  a  le  plus 
de  rapport,  celui  des  cassiques  et  celui  des  toucans. 
JNous  ne  sommes  pas  assurés  du  climat  oii  il  se  trouve; 
nous  présumons  seulement  qu'il  est  des  parties  mé- 
ridionales de  l'Amérique  ;  mais ,  de  quelque  contrée 
qu'il  soit  originaire  ou  natif,  il  est  certain  qu'il  res- 
semble aux  cassiques  de  l'Amérique  par  la  forme  du 
corps  et  par  la  partie  cliauve  du  devant  de  la  tête,  et 
qu'en  même  temps  il  tient  du  toucan  par  la  grosseur 
et  la  forme  du  bec,  qui  est  arrondi  et  large  à  sa  base , 
et  crochu  à  l'extrémité;  en  sorte  que  si  ce  bec  étoit 
plus  gros,  et  que  les  doigts  fussent  disposés  deux  à 
deux  ,  on  pourroit  le  regarder  comme  une  espèce  voi- 
sine du  genre  des  toucans. 

INous  ne  ferons  pas  la  description  des  couleurs  de 
cet  oiseau  ;  la  planche  enluminée ,  n"  628  ,  en  donne 
une  idée  complète.  Il  a  le  corps  mince,  mais  allongé, 
et  sa  longueur  totale  est  d'environ  treize  pouces;  le 
bec  a  deux  pouces  et  demi,  la  queue  cinq  pouces, 
et  les  pieds  quatorze  lignes.  Nous  ne  sommes  point 
informés  de  ses  habitudes  naturelles;  si  l'on  vouloit 
juger  par  la  forme  du  bec  et  par  celle  des  pieds,  on 
pourroit  croire  qu'il  vit  de  proie.  Néanmoins  les  tou- 
cans et  les  perroquets,  qui  ont  le  bec  crochu,  ne 
vivent  que  de  fruits;  et  les  ongles,  ainsi  que  le  bec 
du  cassican,  sont  beaucoup  moins  crochus  que  ceux 
du  perroquet  :  en  sorte  que  nous  regardons  le  cassi- 
can comme  un  oiseau  frugivore,  en  attendant  que  nous 
soyons  mieux  informés. 


BUFFON.    XXV. 


102     LES    CALAOS,    OU    OISEAUX    RHINOCEUOS. 

LES  CALAOS, 

ou  LES   OISEAUX   RHINOCÉROS. 


Nous  venons  de  voir  que  les  toucans,  si  singuliers 
par  leur  énorme  bec,  appartiennent  tous  au  conti- 
nent de  l'Amérique  méridionale  :  voici  d'autres  oi- 
seaux de  l'Afrique  et  des  grandes  Indes  ,  dont  le  bec 
aussi  prodigieux  pour  les  dimensions  que  celui  des 
toucans  est  encore  plus  extraordinaire  par  la  forme  , 
ou,  pour  mieux  dire,  plus  excessivement  monstrueux, 
comme  pour  nous  démontrer  que  la  vielle  nature  de 
l'ancien  continent,  toujours  supérieure  à  la  nature 
moderne  du  Nouveau-Monde  dans  toutes  ses  produc- 
tions, se  montre  aussi  plus  grande,  même  dans  ses 
erreurs,  et  plus  puissante  jusque  dans  ses  écarts. 

En  considérant  le  développement  extraordinaire, 
la  surcharge  inutile,  l'excroissance  superflue,  quoi- 
que naturelle ,  dont  le  bec  de  ces  oiseaux  est  non 
seulement  grossi  ,  mais  déformé  ,  on  ne  peut  s  em- 
pêcher d'y  reconnoître  les  attributs  mai  assortis  de 
ces  espèces  disparates ,  dont  les  plus  monstrueuses 
naquirent  et  périrent  presque  en  môme  temps  par 
la  disconvenance  et  les  oppositions  de  leur  confor- 
mation. Ce  n'est  pas  la  seule  ni  la  première  fois  que 
l'examen  attentif  de  la  nature  nous  ait  offert  cette 
vue,  même  dans  le  genre  des  oiseaux  :  ceux  auxquels 


Pl.ao3. 


Tomeaî 


LLE  CALA0_2L"ECAIiA0D'ABYSSlK[E_3.L:EPLIIS  GRAînTO MARimPECHEUR 


LES    CALAOS,    OU    OISEALX    RHINOCEROS.      lO.Ô 

on  a  donné  les  noms  de  bec  croisé ^  bec  en  ciseau ^  sont 
des  exemples  de  celte  structure  incomplète  et  con- 
traire à  tout  usage ,  laquelle  leur  ôte  presque  le 
moyen  de  vivre  et  celui  de  se  défendre  contre  les 
espèces  mêmes  plus  petites  et  moins  fortes  ,  mais 
plus  heureuses  et  puissantes,  parce  qu'elles  sont 
douées  d'organes  plus  assortis.  Nous  avons  de  sem- 
blables exemples  dans  les  animaux  quadrupèdes  :  les 
unaux,  les  aïs,  les  fourmiliers,  les  pangolins ,  etc., 
dénués  ou  misérables  par  la  forme  du  corps  et  la 
disproportion  de  leurs  membres,  traînent  à  peine 
une  existence  pénible ,  toujours  contrariée  par  les 
défauts  ou  les  excès  de  leur  organisation  ;  la  dur(''e 
de  ces  espèces  imparfaites  et  débiles  n'est  protégée 
que  par  la  solitude,  et  ne  s'est  maintenue  et  ne  se 
maintiendra  que  dans  les  lieux  déserts,  où  l'homme 
et  les  animaux  puissants  ne  fréquentent  pas*. 

Si  nous  examinons  en  particulier  le  bec  des  calaos, 
nous  reconnoîtrons  que,  loin  d'être  fort  à  proportion 
de  sa  grandeur,  ou  utile  en  raison  de  sa  structure,  il 
est  au  contraire  très  foible  et  très  ma!  conformé  ; 
nous  verrons  qu'il  nuit  plus  qu'il  ne  sert  à  l'oiseau 
qui  le  porte,  et  qu'il  n'y  a  peut-être  pas  d'exemple 
dans  la  nature,  d'une  arme  d'aussi  grand  appareil  et 
d'aussi  peu  d'effet.  Ce  bec  n'a  point  de  prise  :  sa 
pointe  ,  comme  dans  un  long  levier  très  éloigné  du 
point  d'appui ,  ne  peut  serrer  que  mollement.  Sa 
substance  est  si  tendre,  qu'elle  se  fêle  à  la  tranche 
par  le  plus  léger  frottement  :  ce  sont  ces  fêlures  irré- 
gulières et  accidentelles  que  les  naturalistes  ont  pri- 
ses pour  une  dentelure  naturelle  et  régulière.  Elles 

J.  Voyez  sur  ce  sujet  l'article  de  Yunau  et  de  Vaï. 


i©4      ^^^    CALAOS,    OU    OISEAUX    RHINOCÉROS. 

produisent  un  effet  remarquable  dans  le  bec  du  ca- 
lao rhinocéros  ;  c'est  que  les  deux  mandibules  ne  se 
Jonchent  que  par  la  pointe  ;  le  reste  demeure  ouvert 
et  béant,  comme  si  elles  n'eussent  pas  été  faites  l'une 
pour  l'autre  :  leur  intervalle  est  usé,  rompu  de  ma- 
nière que  ,  par  la  substance  et  par  la  forme  de  cette 
partie,  il  semble  qu'elle  n'ait  pas  été  faite  pour  ser- 
vir constamment,  mais  plutôt  pour  se  détruire  d'a- 
bord et  sans  retour  par  l'usage  même  auquel  elle 
paroît  destinée. 

Nous  avons  adopté,  d'après  nos  nomenclateurs , 
le  nom  de  calao  _,  pour  désigner  le  genre  entier  de 
ces  oiseaux,  quoique  les  Indiens  n'aient  donné  ce 
nom  qu'à  une  ou  deux  espèces.  Plusieurs  naturalistes 
les  ont  appelés  rhinocéros  ^  à  c;uise  de  l'espèce  de 
corne  qui  surmonte  leur  bec;  mais  presque  tous  n'ont 
vu  que  les  becs  de  ces  oiseaux  extraordinaires.  Nous- 
mêmes  ne  connoissons  pas  ceux  dont  nous  avons  fait 
représenter  les  becs  dans  les  planches,  n°'  905  et  904; 
et  avant  d'entamer  les  descriptions  de  ces  différents 
oiseaux  d'après  le  témoignage  des  voyageurs  et  d'après 
nos  propres  observations,  il  nous  a  paru  nécessaire 
de  les  ranger  relativement  à  leur  caractère  le  plus 
frappant,  qui  est  la  forme  singulière  de  leur  bec.  On 
verra  qu'ici ,  comme  en  tout,  et  dans  ses  erreurs, 
ainsi  que  dans  ses  vues  droites,  la  nature  passe  par 
des  gradations  nuancées,  et  que  de  dix  espèces  dont 
ce  genre  est  composé ,  il  n'y  en  a  peut-être  qu'une 
à  laquelle  on  doive  appliquer  la  dénomination  d'oi- 
scaa-rkinocéros y  toutes  les  autres  ne  nous  présentant 
que  des  degrés  et  des  nuances  plus  ou  moins  voisines 
de  cette  forme  de  bec,  l'une  des  plus  étranges  de  la 


LES    CALAOS,    OU    OISEAUX    RHINOCÉROS.     lo5 

nature,   puisqu'elle  est  évidemment  l'une  des  plus 
contraires  aux  fins  qu'on  lui  suppose. 

Ces  dix  espèces  sont,  i"  le  calao  rhinocéros  ,  dont 
le  bec  est  représenté,  planche  enluminée,  n"  954; 

2"  Le  calao  à  casque  rond,  dont  le  bec  est  repré- 
senté dans  la  planche  enluminée,  n°  933  ; 

3°  Le  calao  des  Philippines  à  casque  concave  ; 

4°  Le  calao  d'Abyssinie,  que  nous  avons  fait  repré- 
senter, planche  enluminée,  n°  779; 

5"  Le  calao  d'Afrique,  auquel  nous  donnons  le  nom 
de  brac ; 

6"  Le  calao  de  Malabar,  que  nous  avons  vu  vivant  y 
et  que  nous  avons  fait  représenter,  planche  enlumi- 
née ,  n"*  873; 

7°  Le  calao  des  Moluques  ,  que  nous  avons  fait  re- 
présenter d'après  un  individu  empaillé,  planche  en- 
luminée, n"  283  ; 

S''  Le  calao  de  l'île  Panay,  dont  nous  avons  fait  re- 
présenter le  mâle  et  la  femelle  d'après  des  individus 
empaillés  ,  planches  enluminées,  n"'  780  et  781  ; 

9'' Le  calao  de  Manille,  que  nous  avons  fait  repré- 
senté d'après  un  individu  empaillé,  planche  enlumi- 
née, n''  891  ; 

10°  Enfin  le  tock  ou  calao  à  bec  rouo;e  du  Sénégal, 
représenté  d'après  un  individu  empaillé,  planche  en- 
luminée ,  n"  260. 

En  considérant  ces  dix  espèces  dans  l'ordre  inverse, 
c'est-à-dire  en  remontant  du  tock,  qui  est  la  dernière, 
à  la  précédente,  c'est-à-dire  au  calao  de  Manille  et 
jusqu'au  rhinocéros,  qui  est  la  première,  on  recon- 
noîtra  tous  les  degrés  par  où  la  nature  passe  pour 
arriver  à  cette   monstrueuse    conformation   de    bec. 


106     LES    CALAOS,    OU    OISEAUX    RHINOCÉROS. 

Le  tock  a  un  large  bec  en  forme  de  faux,  comme 
les  autres  ;  mais  ce  bec  est  simple  et  sans  éminence  ; 
le  calao  de  Manille  a  déjà  une  ëminence  apparente 
sur  le  haut  du  bec  ;  cette  éminence  est  plus  marquée 
dans  le  calao  de  î'île  Panay  ;  elle  est  très  remarquable 
dans  le  calao  des  Moluques  ;  encore  plus  considérable 
dans  le  calao  d'Abyssinie  ;  énorme  enfin  dans  le  calao 
de  Philippines  et  du  Malabar  ;  et  tout-à-fait  mons- 
trueuse dans  le  calao-rhinocéros.  Mais  si  ces  oiseaux 
ont  de  si  grandes  différences  par  la  forme  du  bec,  ils 
ont  une  ressemblance  générale  dans  la  conformation 
des  pieds,  qui  consiste  en  ce  que  les  doigts  latéraux 
sont  très  longs  et  presque  égaux  à  celui  du  milieu. 


LE  TOCK. 

PEMIÈRE  ESPÈCE, 

Buceros  îiasutus.  Gmel. 

Cet  oiseau  a  un  fort  gros  bec  ;  mais  ce  bec  est  sim- 
ple et  sans  excroissance  :  cependant  il  est  en  forme 
de  faux,  comme  celui  des  autres  calaos,  qui  l'ont 
surmonté  d'une  corne  ou  d'un  casque  plus  ou  moins 
étendu  et  plus  ou  moins  relevé.  D'ailleurs  le  tock 
ressemble  aux  calaos  par  la  plupart  des  habitudes 
naturelles,  et  se  trouve,  comme  eux,  dans  les  cli- 
mats les  plus  chauds  de  l'ancien  continent.  Les  nè- 
gres du  Sénégal  lui  ont  donné  le  nom  de  tock;  et 
nous  avons  cru  devoir  le  lui  conserver.  L'oiseau  jeune 
diffère  beaucoup  de  l'adulte,  car  il  a  le  bec  noir  et 


LE    TOCK.  107 

îe  plumage  gris  cendré  ,  au  lieu  qu'avec  l'âge  le  bec 
devient  rouge  et  le  plumage  noirâtre  sur  le  dessus 
du  corps,  les  ailes  et  la  queue,  et  blanchâtre  tout 
autour  de  la  tète  ,  du  cou  ,  et  sur  toutes  les  parties 
inférieures  du  corps.  On  assure  aussi  que  les  pieds 
de  l'oiseau  jeune  sont  noirs ,  et  qu'ils  deviennent 
rougeâtres,  ainsi  que  le  bec,  avec  l'âge.  Il  n'est  donc 
pas  étonnant  que  M.  Brisson  en  ait  fait  deux  espèces  : 
la  première  de  ses  phrases  indicatives  nous  paroît 
répondre  au  tock  adulte,  et  la  seconde  au  tock  jeune. 

Cet  oiseau  a  trois  doigts  en  avant  et  un  seul  en  ar- 
rière; celui  du  milieu  est  étroitement  uni  au  doist 
extérieur  jusqu'à  la  troisième  articulation,  et  beau- 
coup moins  étroitement  au  doigt  extérieur  jusqu'à 
la  première  articulation  seulement.  Il  a  le  bec  très 
gros ,  courbé  en  bas ,  légèrement  dentelé  sur  ses 
bords. 

L'individu  que  nous  décrivons  ici,  n°*  260  et  890, 
avoit  vingt  pouces  de  longueur;  la  queue  avoit  six 
pouces  dix  lignes;  le  bec,  trois  pouces  cinq  lignes 
sur  douze  lignes  et  demie  d'épaisseur  à  la  base  ;  la 
substance  cornée  de  ce  bec  est  légèie  et  mince  ,  eu 
sorte  qu'il  ne  peut  offenser  violemment  ;  les  pieds 
ont  dix-huit  lignes  de  hauteur. 

Ces  oiseaux,  qu'on  trouve  assez  communément 
au  Sénégal,  sont  très  niais  lorsqu'ils  sont  jeunes;  on 
les  approche  et  on  les  prend  sans  qu'ils  s'enfuient; 
on  peut  les  tirer  aussi  sans  qu'ils  s'épouvantent,  ni 
même  sans  qu'ils  bougent  :  mais  lorsqu'ils  sont  adul- 
tes,  l  âge  leur  donne  de  l'expérience,  au  point  de 
changer  entièrement  leur  premier  naturel  ;  ils  devien- 
nent alors  très  sauvages  ,  ils  fuient  et  se  perchent  sut 


1  08  LE    TOCK. 

la  cime  des  arbres,  tandis  que  les  jeunes  restent  tous 
sur  les  branches  les  plus  basses  et  sur  les  buissons  , 
où  ils  demeurent  sans  mouvement,  la  tête  enfoncée 
dans  les  épaules,  de  manière  qu'on  n'en  voit,  pour 
ainsi  dire,  que  le  bec  :  ainsi  les  jeunes  ne  volent 
presque  pas,  au  lieu  que  les  vieux  prennent  souvent 
un  vol  élevé  et  assez  rapide.  On  voit  beaucoup  de  ces 
oiseaux  jeunes  dans  les  mois  d'août  et  de  septembre  ; 
on  peut  les  prendre  à  la  main,  et  des  le  premier  mo- 
ment ils  semblent  être  aussi  privés  que  si  on  les  avoit 
élevés  dans  la  maison;  mais  cela  vient  de  leur  stupi- 
dité, car  il  faut  leur  porter  la  nourriture  au  bec;  ils 
ne  la  cherchent  ni  ne  la  ramassent  lorsqu'on  la  leur 
jette,  ce  qui  fait  présumer  que  les  pères  et  mères 
sont  obligés  de  les  nourrir  pendant  un  très  long 
temps.  Dans  leur  état  de  liberté  ,  ces  oiseaux  vivent 
de  fruits  sauvages,  et  en  domesticité  ils  mangent  du 
pain  et  avalent  tout  ce  qu'on  veut  leur  mettre  dans 
le  bec. 

Au  reste,  le  tock  et  fort  différent  du  toucan  :  ce- 
pendant  il  paroît  qu'un  de  nos  savants  naturalistes  les 
a  pris  l'un  pour  l'autre.  M.  xidanson  dit  ,  dans  son 
Voyage  au  Sénégal,  qu'il  a  tué  deux  toucans  dans 
cette  contrée  ;  or  il  est  certain  qu'il  n'y  a  de  toucans 
en  Afrique  que  ceux  qu'on  peut  y  avoir  transportés 
d'Amérique  ,  et  c'est  ce  qui  me  fait  présumer  que  ce 
sont  des  tocks,  et  non  pas  des  toucans,  dont  M.  Adan- 
son  a  voulu  parler. 


009 


LE    CALAO    DE    MANILLE. 


LE  CALAO  DE  MANILLE. 

SECONDE    ESPÈCE. 

Buceros  manillensis.  Gmel. 

Cette  espèce  n'étoit  pas  connue,  et  nous  a  été  en- 
voyée pour  le  Cabinet  du  Roi  par  M.  Poivre  ,  auquel 
nous  devons  beaucoup  d'autres  connoissances  el  un 
grand  nombre  de  choses  curieuses.  Cet  oiseau,  n**  891 , 
n'est  guère  plus  gros  que  le  tock  ;  il  a  vingt  pouces 
de  longueur.  Son  bec  est  long  de  deux  pouces  et 
demi,  moins  courbé  que  celui  du  tock,  point  den- 
lelé,  mais  assez  tranchant  par  les  bordset  plus  pointu; 
ce  bec  est  surmonté  d'un  léger  feston  proéminent, 
adhérent  à  la  mandibule  supérieure  ,  et  ne  formant 
qu'un  simple  renflement.  La  tête  et  le  cou  sont  d'un 
blanc  lavé  de  jaunâtre  avec  des  ondes  brunes;  on  re- 
marque une  plaque  noire  à  chaque  côté  de  la  tôle 
sur  les  oreilles.  Le  dessus  du  corps  est  d'un  brun 
noirâtre  avec  quelques  franges  blanchâtres  ,  filées  lé- 
gèrement dans  les  pennes  de  l'aile  ;  le  dessous  du 
corps  est  d'un  blanc  sale.  Les  pennes  de  la  queue 
sont  de  la  même  couleur  que  celles  des  ailes,  seu- 
lement elles  sont  coupées  transversalement  dans  leur 
milieu  par  une  bande  rousse  de  deux  doigts  de  lar- 
geur. iNoiîs  ne  savons  rien  des  habitudes  particulières 
de  cet  oiseau. 


110         LE  CALAO  DE  L  ILE  TANAY. 


&««««<»«<•>»»£*«««* 


LE  CALAO  DE  L'ILE  PANAY. 

TROISIÈME    ESPÈCE. 

Buceros  panayensis.  Gmel. 

Cet  oiseau  nous  a  été  apporté  par  M.  Sonnerat  . 
correspondant  du  Cabinet  :  voici  la  description  qu'il 
en  donne  dans  son  Voyage  à  la  NouveUe'Gmnée.  Il 
l'appelle  calao  à  bec  ciselé  :  mais  ce  caractère  ne  le 
distingue  pas  de  quelques  autres  calaos  qui  ont  égale- 
ment le  bec  ciselé. 

«  Le  mâle ,  n°  780  ,  et  la  femelle ,  n°  78 1  ,  sont  de 
même  grosseur,  et  à  peu  près  de  la  taille  du  gros  cor- 
beau d'Europe  ,  un  peu  moins  corsés  et  plus  allongés. 
Leur  bec  est  très  long,  courbé  en  arc  ou  représentant 
le  fer  d'une  faux,  dentelé  le  long  de  ses  bords  en 
dessus  et  en  dessous  ,  terminé  par  une  pointe  aiguë  et 
déprimée  sur  les  côtés;  il  est  sillonné  de  haut  en  bas, 
ou  en  travers  dans  les  deux  tiers  de  sa  longueur  :  la 
partie  convexe  des  sillons  est  brune,  et  les  ciselures 
ou  enfoncements  sont  couleur  d'orpin  ;  le  reste  du  bec 
vers  sa  pointe  est  lisse  et  brun.  A  la  racine  du  bec  , 
en  dessus ,  s'élève  une  excroissance  de  même  sub- 
stance que  le  bec,  aplatie  sur  les  côtés,  tranchante 
en  dessus,  coupée  en  angle  droit  en  devant;  celte 
excroissance  s'étend  le  long  du  bec  jusque  vers  sa 
moitié  où  elle  finit,  et  elle  est  de  moitié  aussi  haute 
dans  toute  sa  longueur  que  le  bec  est  large.  L'œil  est 
entouré  d'une  membrane  brune ,  dénuée  de  plumes; 


LE    €ALAO    DE    L  ILE    PANAY.  Jll 

la  paupière  soutient  un  cercle  de  poils  ou  crins  durs, 
courts,  et  roides,  qui  forment  de  véritables  cils;  l'iris 
est  blanchâtre.  Le  mâle  a  la  tête,  le  cou,  le  dos,  et 
les  ailes,  d'un  noir  verdâtre  ,  changeant  en  bleuâtre 
suivant  les  aspects  :  la  femelle  a  la  tête  et  le  cou  blancs, 
excepté  une  large  tache  triangulaire  qui  s'étend  de  la 
base  du  bec  en  dessous  et  derrière  l'œil  jusqu'au  mi- 
lieu du  cou  en  travers  sur  les  côtés;  cette  tache  est 
d'un  vert  noir,  changeant  comme  le  cou  et  le  dos  du 
mâle.  La  femelle  a  le  dos  et  les  ailes  de  la  même  cou- 
leur que  le  mâle.  Le  haut  de  la  poitrine,  dans  les  in- 
dividus des  deux  sexes,  est  d'un  rouge  brun  clair;  le 
ventre,  les  cuisses,  et  le  croupion,  sont  également 
d'un  rouge  brun  foncé.   Ils  ont  aussi  tous  deux  dix 
plumes  à  la  queue ,  dont  les  deux  tiers  supérieurs  sont 
d'un  jaune  roussâtre ,   et  le  tiers  inférieur  est  une 
bande  transversale  noire.  Les  pieds  sont  de  couleur 
plombée,   et  sont  composés  de  quatre  doigts,  dont 
un  dirigé  en  arrière  et  trois  dirigés  en  devant;  celui 
du  milieu  est  uni  au  doigt  extérieur  jusqu'à  la  troi- 
sième articulation,   et  au  doigt  intérieur  jusqu'à  la 
première  seulement^.  » 

LE  CALAO  DES  MOLUQUES. 

QUATRIÈME    ESPÈCE. 

Buceros  kydrocorax.  Gmel. 

O  N  a  mal  appliqué  le  nom  d'alcatraz  à  cet  oiseau. 
Clusius  est  l'auteur  de  celte  méprise  :  il  n'a  pas  bien 

1.    Voyage  à  La  Nouvelle- Guinée,  J>i«g<i  1:^5. 


112  LE    CALAO    DES    MOLUQUES. 

interprété  le  passage  d'Oviedo;  car  le  nom  espagnol 
à'alcatraZy  selon  Fernandès,  Hernandès ,  et  iNierem- 
bergj  appartient  au  pélican  du  Mexique,  et  par  con- 
séquent ne  peut  être  appliqué  à  un  oiseau  des  Mo- 
hiques.  Celte  première  méprise  a  produit  une  seconde 
erreur,  que  nos  nomenclateurs  ont  étendue  surtout 
le  genre  des  calaos,  en  les  regardant  comme  des  oi- 
seaux d'eau  ,  et  les  nommant  liydrocoraXj  et  leur  sup- 
posant l'habitude  de  se  tenir  au  bord  des  eaux;  ce 
qui  néanmoins  est  démenti  par  tous  les  observateurs 
qui  ont  vu  ces  oiseaux  dans  leur  pays  natal  :  Bontius, 
Camel,  et  qui  plus  est,  l'oiseau  lui-même  parla  forme 
et  la  structure  de  ses  pieds  et  de  son  bec,  démon- 
trent que  les  calaos  ne  sont  ni  corbeaux,  ni  corbeaux 
d'eau.  On  doit  donc  regarder  cette  dénomination  gé- 
nérique à'hydrocorax  comme  mal  conçue,  et  le  nom 
particulier  à'alcatraz  comme  mal  appliqué  au  calao 
des  Moluques,  puisque  c'est  le  nom  du  pélican  du 
Mexique. 

Le  calao  des  Moluques,  n°ii83,  a  deux  pieds  quatre 
pouces  de  longueur;  la  queue  a  huit  pouces  :  mais  les 
pieds  n'ont  que  deux  pouces  deux  lignes;  ce  carac- 
tère des  pieds  très  courts  appartient  non  seulement  à 
celui-ci,  mais  encore  à  tous  les  autres  calaos,  qui 
marchent  aussi  mal  qu'il  est  possible.  Son  bec  a  cinq 
pouces  de  longueur  sur  deux  pouces  et  demi  d'épais- 
seur à  son  origine;  il  est  d'un  cendré  noirâtre,  et  est 
surmonté  d'une  excroissance  dont  la  substance  est 
assez  solide  et  semblable  à  de  la  corne  :  cette  ex- 
croissance est  aplatie  en  devant,  et  s'étend  en  s'ar- 
rondissant  jusque  par  dessus  la  tête.  Il  a  de  grands 
yeux  noirs,  mais  le  regard  désagréable;  les  côtés  de  la 


LE    CALAO    DES    MOLTIQUES.  11,1 

tête,  les  ailes,  et  la  gorge,  sont  noirs,  et  cette  partie 
de  la  gorge  est  entourée  d'une  bande  blanche;  les 
penaes  de  !a  queue  sont  dnn  gris  blanchâtre;  tout 
le  reste  du  plumage  est  varié  de  brun,  de  gris,  de 
noirâtre,  et  de  fauve;  les  pieds  sont  d'un  gris  brun, 
et  le  bec  est  noirâtre. 

Ces  oiseaux,  dit  Bontius,  ne  vivent  point  de  chair, 
mais  de  fruits,  et  principalement  de  noix  muscade, 
dont  ils  font  une  grande  déprédation;  et  cette  nour- 
riture donne  à  leur  chair,  qui  est  tendre  et  délicate, 
un  fumet  aromatique  qui  la  rend  très  agréable  au  goût. 


LE  CALAO  DU  MALABAR. 

CINQUIÈME    ESPÈCE. 

Buceros  malabaricus.  Gmel. 

Cet  oiseau  a  été  apporté  de  Pondichéry  :  il  a  vécu 
à  Paris  pendant  tout  l'été  1777?  dans  le  jardin  de 
l'hôtel  de  madame  la  marquise  de  Pons,  qui  a  eu  la 
bonté  de  me  l'offrir,  et  à  laquelle  je  me  fais  un  devoir 
de  témoigner  ici  ma  respectueuse  sensibilité.  Ce  ca- 
lao étoit  de  la  grandeur  d'un  corbeau,  ou,  si  l'on 
veut,  une  fois  plus  grand  que  la  corneille  commune; 
il  avoit  deux  pieds  et  demi  de  longueur,  depuis  la 
pointe  du  bec  à  l'extrémité  de  la  queue,  qui  lui  étoit 
tombée  pendant  la  traversée,  et  dont  les  plumes 
commençoient  à  croître  de  nouveau  ,  et  n'avoient  pas 
pris,  à  beaucoup  près,  toutes  leurs  dimensions  :  ainsi 
l'on  peut  présumer  que   la  longueur  entière  de  cet 


1  l4  LE    CALAO    DU    xMALABAR. 

oiseau  est  d'environ  trois  pieds.  Son  bec,  long  de 
Jjuit  pouces,  étoit  large  de  deux,  arqué  de  quinze 
lignes  sur  la  corde  de  sa  longueur.  Un  second  bec, 
s'il  peut  s'appeler  ainsi,  surmonloit  le  premier  en 
manière  de  corne  immédiatement  appliquée  et  cou- 
chée suivant  la  courbure  du  vrai  bec  :  cette  corne 
s'étendoit  depuis  la  base  jusqu'à  deux  pouces  de 
la  pointe  du  bec  ;  elle  s'élevoit  de  deux  pouces  trois 
lignes,  de  manière  qu'en  les  mesurant  par  le  milieu, 
le  bec  et  sa  corne  forment  une  hauteur  de  quatre 
pouces.  L'un  et  l'autre,  près  de  la  tête,  ont  quinze 
lignes  d'épaisseur  transversale  :  la  corne  a  six  pouces 
de  longueur,  et  son  extrémité  nous  a  paru  accourcie 
et  fêlée  par  accident,  en  sorte  qu'on  peut  la  suppo- 
ser d'environ  un  demi-pouce  plus  longue;  en  total, 
cette  corne  a  la  forme  d'un  véritable  bec  tronqué  et 
fermé  à  H  pointe,  où  néanmoins  le  dessin  de  la  sé- 
paration est  marqué  par  un  trait  en  rainure  très  sim- 
ple,  tracé  vers  le  milieu  et  suivant  toute  la  courbure 
de  ce  faux  bec,  qui  ne  tient  point  au  crâne,  mais 
dont  la  tranche  en  arrière  ou  sa  croupe  qui  s'élève  sur 
la  tête  est  encore  plus  extraordinaire;  c'est  une  es- 
pèce d'occiput  charnu,  dénué  de  plumes,  revêtu 
d'une  peau  vive,  par  laquelle  passe  le  suc  nourricier 
de  ce  membre  parasite. 

Le  vrai  bec,  terminé  en  pointe  mousse  ,  est  assez 
ferme;  sa  substance  est  cornée,  presque  osseuse, 
étendue  en  lames,  dont  on  aperçoit  les  couches  et  les 
ondes.  Le  faux  bec,  beaucoup  plus  mince  et  fléchis- 
sant même  sous  les  doigts,  n'est  point  solide  et  plein; 
autrement  l'oiseau  seroit  accablé  de  son  poids  :  mais 
il  est  d'une  substance  légère  et  remplie  à  l'intérieur 


LE    CALAO    DU    M  AL  AB  Ail.  Il5 

de  cellules  séparées  par  des  cloisons  fort  minces, 
qii'E(lw::rds  compare  à  des  rayons  de  miel.  Wormius 
dit  que  ce  faux  bec  est  d'une  substance  semblable  à 
celle  du  tet  des  écrevisses. 

Le  faux  bec  est  noir  depuis  Ja  pointe  jusqu'à  trois 
pouces  en  arrière,  et  l'on  voit  une  ligne  du  même 
noir  à  son  origine  ,  ainsi  qu'à  la  racine  du  vrai  bec  ; 
tout  le  reste  est  d'un  blanc  jaunâtre;  ce  sont  préci- 
sément les  mêmes  couleurs  que  lui  donne  Wormius, 
en  ajoutant  que  l'intérieur  du  bec  et  du  palais  est  noir. 

Une  peau  blanche  et  plissée  embrasse  des  deux 
côtés,  comme  une  mentonnière,  la  racine  du  vrai  bec 
par  dessous,  et  va  s'implanter,  vers  les  angles  du  bec, 
dans  la  peau  noire  qui  environne  les  yeux;  de  longs 
cils,  arqués  en  arrière,  garnissent  la  paupière;  l'œil 
est  d'un  brun  rouge,  il  s'anime  et  prend  beaucoup  de 
feu  lorque  l'oiseau  s'agite.  La  tête,  qui  paroît  petile 
en  proportion  du  bec  énorme  qu'elle  porte,  est  assez 
semblable,  pour  la  forme,  à  celle  du  geai.  En  géné- 
ral ,  la  figure,  l'allure  et  toute  la  tournure  de  ce  calao 
nous  ont  paru  un  composé  de  traits  et  de  mouvements 
du  geai,  du  corbeau  ,  et  de  la  pie  ;  ces  ressemblances 
ont  également  frappé  les  yeux  de  la  plupart  des  ob- 
servateurs, qui  ont  donné  à  cet  oiseau  les  noms  de 
corbeau  indien j,  corbeau  cornu,  pie  cornue  d'Ethio- 
pie, etc. 

Celui-ci  avoit  les  plumes  de  la  tête  et  du  cou  noi- 
res, avec  la  faculté  de  les  hérisser;  ce  qu'il  fait  sou- 
vent ,  comme  le  geai  :  celle  du  dos  et  des  ailes  sont 
noires  aussi,  et  toutes  ont  un  foible  reflet  de  violet  et 
de  vert.  On  aperçoit  aussi  sur  quelques  plumes  des 
couvertures  des  ailes  une  bordure  brune  irrégulière- 


Il6  LE    CALAO    DU    MALABAR. 

luent  tracée;  ies  plumes,  se  surmontant  légèrement, 
paroissent  être  gonflées  comme  celles  du  gCcvi.  L'es- 
tomac et  le  ventre  sont  d'un  blanc  sale.  Entre  les 
grandes  pennes  de  l'aîle  qui  sont  noires,  les  seules 
extérieures  sont  blanches  à  la  pointe.  La  queue,  qui 
commençoit  à  recroître,  étoit  composée  de  six  plu- 
mes blanches,  noires  à  la  racine  ,  et  quatre  qui  sor- 
toient  de  leur  tuyau  toutes  noires.  Les  pieds  sont 
noirs,  épais,  et  fort  couverts  de  larges  écailles;  les 
ongles  longs,  sans  être  aigus,  paroissent  propres  à 
saisir  et  à  serrer.  Cet  oiseau  sautoit  des  deux  pieds  à 
la  fois,  en  avant  et  de  côté,  comme  le  geai  et  la  pie, 
sans  marcher.  Dans  son  attitude  de  repos,  il  avoit  la 
tête  portée  en  arrière,  et  reculée  entre  les  épaules  : 
dans  l'émotion  de  la  surprise  ou  de  l'inquiétude,  il 
se  haussoit,  se  grandissoit ,  et  sembloit  prendre  quel- 
que air  de  fierté  ;  cependant  sa  mine  en  général  est 
basse  et  stupide,  ses  mouvements  sont  brusques  et 
désagréables,  et  les  traits  qu'il  tient  de  la  pie  et  du 
corbeau  lui  donnent  un  air  ignoble,  que  son  natu- 
rel ne  dément  pas.  Quoique  dans  les  calaos  il  y  ait 
des  espèces  qui  paroissent  frugivores,  et  que  nous 
ayons  vu  celui-ci  manger  des  laitues  qu'il  froissoit  au- 
paravant dans  son  bec ,  il  avaloit  de  la  chair  crue  ; 
il  prenoit  des  rats,  et  il  dévora  même  un  petit  oiseau 
qu'on  lui  jeta  vivant.  11  répéloit  souvent  un  cri  sourd, 
oûck^  oiïck.  Ce  son  bref  et  sec  n'est  qu'un  coup  de 
gosier  enroué.  Il  faisoit  aussi  de  temps  en  temps  en- 
tendre une  autre  voix  moins  rauque  et  plus  foible , 
lout-à~fait  pareille  au  gloussement  de  la  poule-d'Inde 
qui  conduit  ses  petits. 

JNous  l'avons  vu  s'étendre ,  ouvrir  ses  ailes  an  soleil^ 


LE    CALAO    DU    MALABAR.  in 

ot  trembloter  lorsqu'il  survenoit  un  nuage  ou  un  pe- 
lit  coup  de  vent.  Il  au  pas  vécu  plus  de  trois  mois  à 
Paris,  et  il  est  mort  avant  la  fin  de  l'été.  Notre  climat 
est  donc  trop  froid  pour  sa  nature. 

Au  reste ,  nous  ne  pouvons  nous  dispenser  de  remar- 
([uer  que  M.  Brisson  s'est  trompé  en  rapportant  à  son 
calao  des  Philippines  la  figure  cl  du  bec  de  la  plan- 
che cGLxxxi  des  Glanures  d' Edwards  ;  car  cette  ligure 
représente  le  bec  de  notre  calao  du  Malabar,  qui  est 
surmonté  d'une  excroissance  simple,  et  non  pas  d'un 
casque  concave  et  à  double  corne,  comme  l'est  celui 
du  calao  des  Philippines. 

LE  BRAC, 

ou   CALAO    D'AFRIQUE. 

SIXIÈME    ESPÈCE. 

Buceros  africanus.  Gmel. 

Nous  conserverons  à  ce  calao  le  nom  de  brac^  que 
lui  a  donné  le  P.  Labat,  d'autant  que  ce  voyageur  est 
le  seul  qui  l'ait  vu  et  observé.  Il  est  très  grand:  sa  tête 
seule  et  le  bec  ont  ensemble  dix-huit  pouces  de  lon- 
gueur. Ce  bec  est  en  partie  jaune  et  en  partie  rouge; 
les  deux  mandibules  sont  bordées  de  noir.  On  voit  à 
la  partie  supérieure  du  bec  une  excroissance  de  sub- 
stance cornée  d'une  grosseur  considérable  et  de  la 
même  couleur  :  la  partie  antérieure  de  cette  excrois- 
sance se  prolonge  en  avant  en  forme  de  corne  pres- 
que droite  et  qui  ne  se  recourbe  pas  en  haut;  la  par- 
eil fo.n.  XXV.  8 


Il8  LE    BllAC,    OU    CALAO    d'aFRIQUE. 

lie  postérieure  de  celle  excroissance  est  au  contraire 
arrondie  et  couvre  la  partie  supérieure  de  la  lùte  : 
les  narines  sont  placées  au  dessous  de  l'excroissance, 
assez  près  de  l'origine  du  bec  ;  et  le  plumage  de  ce 
calao  est  entièrement  noir. 

LE  CALAO  D'ABYSSINIE. 

SEPTIÈME    ESPÈCE. 

Buceros  abyssiniens.  GxMel. 

Ce  calao  paroît  être  un  des  plus  grantls  de  son 
genre  ;  cependant,  si  Ton  en  juge  par  la  longueui'  et 
la  grosseur  des  becs  ,  le  calao-rhinocéros  est  encore 
plus  grand.  La  forme  du  calao  d'Abyssinie,  n"  779  , 
paroît  être  modelée  sur  celle  du  corbeau ,  et  seulement 
plus  grande  et  plus  épaisse  ;  il  a  trois  pieds  deux  pou- 
ces de  longueur  totale;  il  est  tout  noir,  excepté  les 
grandes  pennes  de  i'aile  qui  sont  blanches,  les 
moyennes  et  une  partie  des  couvertures  qui  parois- 
sent  d'un  brun  lanné  foncé.  Le  bec  est  légèrement 
et  également  arqué  dans  toute  sa  longueur,  aplati  et 
comprimé  par  les  côtés  ;  les  deux  mandibules  sont 
creusées  intérieurement  en  gouttière,  et  finissent  en 
pointe  mousse.  Ce  bec  a  neuf  pouces  de  long ,  et  il 
est  surmonté,  à  sa  base  et  jusqu'auprès  du  froîit, 
d'une  proéminence  en  demi-disque  de  deux  pouces  et 
demi  de  diamètre  ,  et  de  quinze  lignes  de  large  à  sa 
base  sur  les  yeux  :  cette  excroissance  est  de  même 
substance  que  le  bec,  mais  plus  mince,  et  cède  lors- 


LE    CALAO    DABYSSIiVIE.  IlQ 

qu'on  la  presse  avec  ies  doigts.  La  hauteur  du  bec, 
prise  verticalement,  et  jointe  à  celle  de  sa  corne,  est 
de  trois  pouces  huit  lij^nes.  Les  pieds  ont  cinq  pouces 
et  demi  de  hauteur  :  le  grand  doigt,  y  compris  l'on- 
gle, a  vingt-huit  lignes;  les  trois  doigts  antérieurs 
sont  presque  égaux;  le  postérieur  est  aussi  très  long, 
il  a  deux  pouces  :  tous  sont  épais,  couverts,  comme 
les  jambes,  d'écaillés  noirâtres,  et  garnis  d'ongles 
forts ,  sans  être  ni  crochus  ni  aigus.  Sur  chaque  côté 
de  la  mandibule  supérieure  du  bec,  près  de  l'origine, 
est  une  plaque  rougeâtre;  de  longs  cils  garnissent  les 
paupières;  une  peau  nue,  d'un  brun  violet,  entoure 
les  yeux  ,  et  couvre  la  gorge  et  une  partie  du  devant 
du  cou.    . 


««  a^  »a««««.»s«M«43.@44«'S'0  ^«^Mi^iv-^  « 


LE  CALAO  DES  PHILIPPINES. 

HUITIÈME    ESPÈCE. 

Buceros  blcornis.  Gmel. 

Cet  oiseau,  selon  M,  Brisson,  est  de  la  grosseur 
d'un  dindon  femelle  ;  mais  sa  tête  est  proportionnelle- 
nient  bien  plus  grosse  ,  et  cela  paroît  nécessaire  pour 
porter  un  bec  de  neuf  pouces  de  longueur  sur  deux 
pouces  huit  lignes  d'épaisseur,  et  qui  porte  lui-même 
au  dessus  de  la  mandibule  supérieure  une  excrois- 
sance cornée,  de  six  pouces  de  long  sur  trois  pouces  de 
largeur.  Celte  excroissance  est  un  peu  concave  dans 
sa  partie  supérieure,  et  ses  deux  angles  antérieurs 
sont  prolongés  en  avant  en  forme  de  double  corne  ; 


190  LE    CALAO    DES    P  M  I  LI  PPI  ^^ES. 

(Ile  s'étend  on  s'arrondissanl  sur  la  partie  siîpérfelîre 
de  la  tête.  Les  narines  sont  placées  vers  l'orii^jine  da 
bec  ,  au  dessous  de  cette  excroissance  ;  et  tout  lé  bec, 
ainsi  que  sa  proéminence  ,  est  de  couleur  rougeâtre. 

Ce  calao  a  la  tête,  la  gorge,  le  cou,  le  dessus  du 
corps  et  les  couvertures  supérieures  des  ailes  et  de  la 
queue,  noirs;  tout  le  dessous  du  corps  est  blanc;  les 
pennes  des  ailes  sont  noires  et  marquées  d'une  tache 
blanche;  toutes  les  pennes  de  la  queue  sont  entière- 
ment noires,  à  l'exception  des  deux  extérieures  qui 
sont  blanches  ;  les  pieds  sont  verdatres. 

George  Camel  a  décrit,  avec  d'autres  oiseaux  des 
Philippines,  une  espèce  de  calao  qui  paroît  assez  voi- 
sine de  celle-ci,  mais  qui  cependant  n'est  pas  absolu- 
ment la  même.  Sa  description  a  été  communiquée  à 
la  Société  royale  par  le  docteur  Peliver,  et  ensuite 
imprimée  dans  les  Transactions pliilosopldques ^  n°  ^85, 
article  m.  On  y  voit  que  cet  oiseau  ,  nommé  calao  ou 
cagao  par  les  Indiens,  ne  fréquente  point  les  eaux, 
mais  se  tient  sur  les  hauteurs  et  même  sur  les  mon- 
tagnes, vivant  de  fruits  de  baliti,  qui  est  une  espèce 
de  figuier  sauvage,  ainsi  que  d'amundes,  de  pista- 
ches, etc.,  qu'il  avale  tout  entières. 

«  Il  a,  dit  l'auteur,  le  venire  noir  :  le  croupion  et 
le  dos  d'un  cendré  brun;  le  cou  et  la  tête  roux;  la 
tête  petite  et  noire  autour  des  yeux;  les  cils  noirs  et 
longs;  les  yeux  bleus;  le  bec  long  de  six  à  sept  pou- 
ces, un  peu  courbé  en  bas,  dentelé,  diuphane,  et  de 
couleur  de  cinabre  ,  large  d'un  demi-pouce  dans  le 
milieu,  élevé  «à  l'origine  de  plus  de  deux  pouces,  et 
recouvert  en  dessus  d'une  espèce  de  casque  long  de 
six  pouces  et   large  de  près  de  di'ux.   La  langue  est 


LE    CALAO    DES    PHILIPPINES.  12  1 

très  petite  pour  un  aussi  grand  bec,  n'ayant  pas  un 
pouce  de  long.  Sa  voix  ressemble  à  un  grogne menl  , 
et  plus  au  mugissement  d'un  veau  qu'au  cri  d'un  oi- 
seau. Les  jambes  avec  les  cuisses  sont  jaunâtres,  et 
longues  de  six  à  sept  pouces  ;  les  pieds  ont  trois  doigts 
en  devant  et  un  seul  en  arrière,  ècailleux,  rougeâtres, 
et  armés  d'o;«igles  noirs,  solides,  et  crochus;  la  queue 
est  composée  de  huit  grandes  pennes  blanches ,  lon- 
gues de  quinze  à  dix-huit  pouces  ;  les  pennes  des  ailes 
sont  jaunes.  Les  Gentils  révèrent  cet  oiseau,  et  ra- 
content des  fables  de  ses  combats  avec  la  grue,  qu'ils 
nomment  tlptU  ou  tihol  :  ils  disent  que  c'est  après  ce 
combat  que  les  grues  ont  été  forcées  de  demeurer 
dans  les  terres  humides,  et  que  les  calaos  n'ont  pas 
voulu  les  souffrir  dans  leurs  montagnes.  » 

Cette  espèce  de  description  me  paroît  prouver  assez 
clairement  que  les  calaos  ne  sont  pas  des  oiseaux  d'eau 
ou  de  rivage  ;  et  comme  les  couleurs  et  quelques 
caractères  sont  différents  des  couleurs  du  calao  des 
Philippines,  décrit  par  M.  Brisson,  nous  croyons  qu'on 
doit  au  moins  regarder  celui-ci  comme  une  variété  de 
l'autre. 

LE  CALAO  A  CASQUE  ROND. 

NEUVIÈME    ESPÈCE. 

Buceros  galeatiis.  Gmel. 

NoLS  n'avons  de  cet  oiseau  que  le  bec,  et  ce  bec 
4»st  pareil   à  celui  qu'Edwards  a  donné  ;   et  si   nous 


122  IL    CALAO    A    CASQUE    ROAD. 

jugeons  de  la  grandeur  de  Foiseaii  par  la  grosseur  de 
la  lete  qui  reste  attachée  à  ce  bec ,  ce  calao  ,  n°  955, 
doit  être  l'un  des  plus  grands  et  dos  plus  forts  de  son 
genre.  Le  bec  a  six  pouces  de  longueur,  des  angles  à 
la  pointe  ;  il  est  presque  droit ,  c'est-à-dire  sans  cour- 
bure ;  il  est  aussi  sans  dentelures.  Diî  milieu  de  la 
mandibule  supérieure  s'élève  et  s'étend  jusque  sur 
l'occiput  une  loupe  en  forme  de  casque  ,  haute  de 
deux  pouces,  presque  ronde,  mais  un  peu  comprimée 
par  les  côtés.  Cette  éminence,  en  y  joignant  le  bec, 
forme  une  hauteur  verticale  de  quatre  pouces  sur  huit 
de  circonférence.  Les  couleurs  flétries  et  brunies  dans 
ce  bec  qui  est  au  Cabinet  n'oGTrent  plus  ce  vermillon 
dont  Edwards  a  peint  le  casque  du  bec  qu'il  repré- 
sente. M.  Brisson  paroît  s'être  trompé  lorsqu'il  rap- 
porte le  bec  marqué  Cj  planche  ccLxxxi  d'Edwards, 
à  son  premier  calao,  page  568,  dont  le  casque  est 
au  contraire  aplati. 

Aldrovande  a  donné  une  figure  très  reconnoissable 
du  bec  de  ce  calao  à  casque  rond,  sous  le  nom  de 
scmenda,  oiseau  des  Indes ^  dont  l' histoire ^  dit-il,  est 
presque  toute  fabuleuse.  Ce  bec  ,  placé  au  cabinet  du 
grand  duc  de  Toscane,  avoit  été  apporté  de  Damas... 
Le  casque  de  ce  bec  étoit  de  forme  ovale;  il  étoit 
blanc  sur  le  devant,  et  rouge  en  arrière.  Le  bec,  long 
d'une  palme,  étoit  pointu  et  creusé  en  canal.  En  com- 
parant cette  description  à  la  figure ,  on  reconnoît  que 
ce  bec  est  celui  du  calao  k  casque  rond. 


LE    CALAO-RHINOCEROS. 

LE  CALAO-RHINOCÉROS. 

DIXIÈME    ESPÈCE. 

Buceros  rhinocéros.  Gmel. 

Quelques  auteurs  ont  confondu  cet  oiseau  des 
Indes  méridionales  avec  le  tragopan  de  Pline ,  qui 
est  le  casoar  connu  des  Grecs  et  des  Romains  ,  et 
qui  se  trouve  en  Barbarie  et  au  Levant,  à  une  très 
grande  distance  des  contrées  où  l'on  trouve  celui-ci. 

L'oiseau  rhinocéros,  vu  par  Bontius  dans  l'île  de 
Java,  est  beaucoup  plus  grand  que  le  corbeau  d'Eu- 
rope ;  il  le  dit  très  puant  et  très  laid,  et  voici  la  de- 
scription qu'il  en  donne  : 

«Son  plumage  est  tout  noir,  et  son  bec  fort  étrange; 
car  sur  la  partie  supérieure  de  ce  bec  s'élève  une  ex- 
croissance de  substance  cornée,  qui  s'étend  en  avant 
et  se  recourbe  ensuite  vers  le  haut  en  forme  de  corne, 
qui  est  prodigieuse  par  son  volume,  car  elle  a  huit 
pouces  de  longueur  sur  quatre  de  largeur  à  sa  base. 
Cette  corne  est  variée  de  rouge  et  de  jaune,  et  comme 
divisée  en  deux  parties  par  une  ligne  noire  qui  s'é- 
tend sur  chacun  de  ses  côtés,  suivant  sa  longueur. 
Les  ouvertures  des  narines  sont  situées  au  dessous 
de  cette  excroissance,  près  de  l'origine  du  bec.  On 
le  trouve  à  Sumatra,  aux  Philippines,  et  dans  les 
autres  parties  des  climats  chauds  des  Indes.  » 

Bontius  rapporte  quelques  faits  au  sujet  de  ces 
oiseaux  :  il  dit  qu'ils  vivent  de  chair  et  de  charogne  ; 


124  l'i^    CALAO-RIIINOCÉKOS. 

qu'ils  suivent  ordinairement  les  chasseurs  de  sangliers, 
de  vaches  sauvages,  etc.,  pour  manger  la  chair  et  les 
intestins  de  ces  animaux ,  que  ces  chasseurs  éven- 
trent  et  coupent  par  quartiers  pour  empoiter  plus 
aisément  ce  gros  gibier,  et  très  promptement  ;  car 
s'ils  le  laissoient  quelque  temps  sur  la  place ,  les  ca- 
laos ne  manqueroient  pas  de  venir  tout  dévorer. 
Cependant  cet  oiseau  ne  chasse  que  les  rats  et  les 
souris ,  et  c'est  par  cette  raison  que  les  Indiens  en 
élèvent  quelques  uns.  Bontius  dit  qu'avant  de  man- 
ger une  souris  ,  le  calao  l'aplatit  en  la  serrant  dans 
son  bec  pour  l'amollir,  et  qu'il  l'avale  tout  entière 
en  la  jetant  en  l'air  et  la  faisant  retom^ber  dans  son 
large  gosier  :  c'est,  au  reste,  la  seule  façon  de  manger 
que  lui  permettent  la  structure  de  son  bec  et  la  pe- 
titesse de  sa  langue,  qui  est  cachée  au  fond  du  bec 
et  presque  dans  la  gorge. 

Telle  est  la  manière  de  vivre  à  laquelle  l'a  réduit 
la  nature  en  lui  donnant  un  bec  assez  fort  pour  la 
proie,  mais  trop  foible  pour  le  combat,  très  incom- 
mode pour  l'usage,  et  dont  tout  l'appareil  n'est  qu'une 
exubérance  difforme  et  un  poids  inutile.  Cet  excès 
et  ces  défauts  extérieurs  semblent  influer  sur  les  fa- 
cultés intérieures  de  l'animal  :  ce  calao  est  triste  et 
sauvage;  il  a  l'aspect  rude,  l'attitude  pesante  et 
comme  fatiguée.  Au  reste,  Bontius  n'a  donné  qu'une 
figure  peu  exacte  de  la  tête  et  du  bec  ;  et  ce  bec  re- 
présenté par  Bontius  est  fort  petit  en  comparaison  de 
celui  qui  est  au  Cabinet ,  n°  954  :  mais  comme  il  est 
de  la  même  forme  ,  ils  appartiennent  certainement 
tous  deux  à  la  même  espèce  d'oiseau. 


LE    MARTIN-PÊCHEUR,    OU    l'aLCYON.  125 


l'e<»»»?g»e»a»ai»9»a»9>s<«Ci»»9»»»»»«^>'»»o«'»< 


LE  MARTIN-PECHEUR, 

ou  L'ALCYON^. 

A  IcedO'Isp  ida .  G  me  l  . 

Le  nom  de  martln-pêcheur  vient  de  martinet-pê- 
clieiir^  qui  etoit  J'ancienne  dénomination  françoise 
de  cet  oiseau,  n°  -y 7,  dont  le  vol  ressemble  à  celui  de 
rhirondelie-martinet,  lorsqu'elle  fde  près  de  terre 
ou  sur  les  eaux.  Son  nom  ancien,  alcyon ,  étoit  bien 
plus  noble,  et  on  auroit  du  le  lui  conserver  ;  car  il  n'y 
eut  pas  de  nom  plus  célèbre  cbez  les  Grecs  :  ils  ap- 
peloient  alcyoniens  les  jours  de  calme  vers  le  solstice, 
où  l'air  et  la  mer  sont  tranquilles,  jours  précieux  aux 
navigateurs,  durant  lesquels  les  routes  de  la  mer  sont 
aussi  sûres  que  celles  de  la  terre;  ces  mêmes  jours 
étoient  aussi  le  temps  donné  à  l'alcyon  pour  élever 
ses  petits.  L'imagination  toujours  prête  à  enluminer 

1.  En  latin,  alcedo ,  'alcyon  {Aicelo  dlecbatar  ab  antlqais  pro  liai' 
cyone.  Festus.  Tantôt  ou  écrivoit  alcyon  sans  aspiration  ,  et  d'autres 
lois  avec  l'aspiration,  halcyon);  eu  latin  moderne,  ispida;  en  italien , 
uccello  pescatore,  piombino ,  picupiolo,  ucccllo  del  paradiseo,  uccelio 
délia  M  adonna ,  pescatore  del  re  ;  en  espagnol  ,  arvela  ;  en  allemand  , 
elss-voocel ,  et  suivant  Scliwenckfeld  ,  xvassev  lieunlein  et  see  schwabne: 
en  anglois  ,  king  fisher.  Dans  nos  provinces,  on  lui  donne  les  noms  de 
pêclte-véron ,  merle  d'eau ,  merle  d'aiguë ,  rnerlet  bleu,  et  merlet  pcche- 
ret  ;  ailleurs,  niais  mal  à  propos,  pivert  bleu,  pivert  d'eau ,  tartarieu , 
par  contraction  de  sou  chaut;  sur  la  Loire,  vire-vent,  dans  l'idée  que 
cet  oiseau  tourne  au  vent  comme  une  girouette  ;  drapier  et  garde-bau- 
iique,  parce  qu'on  croit  qu'il  préserve  des  teignes  les  ciolle»  de  laine; 
vu  Provence,  bleuet. 


126  LE    MAllTIN-PÊCHEUR,    OU    l'aLCYON. 

de  merveilleux  les  beautés  simples  de  la  nature  , 
acheva  d'altérer  cette  image  en  plaçant  le  nid  de 
l'alcyon  sur  la  mer  aplanie  :  c'étoit  Éole  qui  enchaî- 
noît  les  vents  en  faveur  de  ses  petits  enfants  ;  Alcyone^ 
sa  fille,  plaintive  et  solitaire,  sembloit  encore  rede- 
mander aux  flots  son  infortuné  Céyx,  que  Neptune 
avoit  fait  périr,  etc. 

Cette  histoire  mythologique  de  l'oiseau  alcyon 
n'est ,  comme  toute  autre  fable  ,  que  l'emblème  de 
son  histoire  naturelle,  et  l'on  peut  s'étonner  qu'Al- 
drovande  termine  sa  longue  discussion  sur  l'alcyon 
par  conclure  que  cet  oiseau  n'est  plus  connu.  ].a 
seule  description  d'Aristote  pou  voit  le  lui  faire  re- 
connoître ,  et  lui  démontrer  que  c'est  le  même  oiseau 
que  notre  martin-pêcheur.  «  L'alcyon,  dit  ce  philo- 
sophe, n'est  pas  beaucoup  plus  grand  qu'un  moineau; 
son  plumage  est  peint  de  bleu,  de  vert,  et  relevé 
de  pourpre.  Ces  brillantes  couleurs  sont  unies  et  fon- 
dues dans  leurs  reflets  sur  tout  le  corps  et  sur  les  ailes 
et  le  cou.  Son  bec  jaunâtre*  est  long  et  pointu.  » 

Il  est  également  caractérisé  par  la  comparaison  des 
habitudes  naturelles.  L'alcyon  éloit  solitaire  et  triste; 
ce  qui  convient  au  martin-pêcheur,  que  l'on  voit 
toujours  seul,  et  dont  le  temps  de  la  pariade  est  fort 
court.  Aristote,  en  faisant  l'alcyon  habitant  des  riva- 
ges de  la  mer,  dit  aussi  qu'il  remonte  les  rivières  fort 
haut ,  et  qu'il  se  tient  sur  leurs  bords  :*or,  on  ne  peut 
douter  que  le  martin-pêcheur  des  rivières  n'aime  éga- 
lement à  se  tenir  sur  les  rivages  de  la  mer,  où  il  trouve 

1.  J'ai  Irnduit  !c  moi ypôkloron ,  jaunâtre,  d'après  Scaiiger,  et  non 
pas  verdatre,  comme  l'avoit  rendu  Gaza  ,  el  il  y  a  toute  raisou  de  croire 
que  c'est  la  véritable  interprétation. 


L^:    MARTIN-PÊCHEIJK,    OU    LALCYON.  I27 

toutes  les  commodités  nécessaires  à  son  genre  de  vie, 
et  nous  en  sommes  assurés  par  des  témoins  oculaires. 
Cependant  Klein  le  nie;  mais  il  n'a  parlé  que  de  la 
inerBaltique,  et  il  a  très  mal  connu  le  martin-pecheur, 
comme  nous  aurons  occasion  de  le  remarquer.  Au 
reste,  l'alcyon  étoit  peu  commun  en  Grèce  et  en  Italie  : 
Chéréphon,  dans  Lucien,  admire  son  chant  comme 
tout  nouveau  pour  lui.  Aristote  et  Pline  disent  que 
les  apparitions  de  l'alcyon  étoient  rares,  fugitives,  et 
qu'on  le  voyoit  voler  d'un  trait  rapide  alentour  des 
navires,  puis  rentrer  dans  son  petit  antre  du  rivage  : 
tout  cela  convient  parfaitement  au  marlin-pêcheur, 
qui  n'est  nulle  part  bien  commun,  et  qui  se  montre 
rarement. 

On  reconnoît  également  notre  martin-pecheur  dans 
la  manière  de  pécher  de  l'alcyon  ,  que  Lycophron 
appelle  le  plongeur^  et  quij,  dit  Oppien,  se  jette  et  se 
plonge  dans  la  mer  en  tombant.  C'est  de  cette  liabi- 
tude  de  tomber  à  plomb  dans  l'eau  que  les  Italiens 
ont  nommé  plombino  (petit  plomb).  Ainsi  tous  les 
caractères  extérieurs  et  toutes  les  habitudes  naturelles 
de  notre  martin-pecheur  conviennent  à  l'alcyon  décrit 
par  Aristote.  Les  poètes  faisoient  flotter  le  nid  de 
l'alcyon  sur  la  mer  :  les  naturalistes  ont  reconnu  qu'il 
ne  fait  point  de  nid,  et  qu'il  dépose  ses  œufs  dans 
des  trous  horizontaux  de  la  rive  des  fleuves  ou  du 
rivage  de  la  mer. 

Le  temps  des  amours  de  l'alcyon,  et  les  jours  alcyo- 
niens  placés  près  du  solstice,  sont  le  seul  point  qui 
ne  se  rapporte  pas  exactement  à  ce  que  nous  con- 
noissons  du  martin-pecheur,  quoiqu'on  le  voie  s'ap- 
parier de    très    bonne   heure   et  avant  l'équinoxe  : 


128  LE    MAnTIN-PÊCHEUR,    OU    l'aLCYON. 

mais  ,  inclépendamiuent  de  ce  que  la  fable  peut  avoir 
ajouté  à  l'histoire  des  alcyons  pour  l'embellir,  il  est 
possible  que,  sous  un  climat  plus  chaud,  les  amours 
des  marlins-pêcheurs  commencent  encore  plus  toi  ; 
d'ailleurs  il  y  avoit  différentes  opinions  sur  la  saison 
des  jours  alcyoniens.  Aristote  dit  que,  dans  les  mers 
de  Grèce,  ces  jours  alcyoniens  n'étoient  pas  toujours 
voisins  de  ceux  du  solstice,  mais  que  cela  étoit  plus 
constant  pour  la  mer  de  Sicile,  Les  anciens  ne  conve- 
noient  pas  non  plus  du  nombre  de  ces  jours,  et  Colu- 
melle  les  place  aux  kalendes  de  mars,  temps  auquel 
notre  martin-pêcheur  commence  à  faire  son  nid. 

Aristote  ne  parle  distinctement  que  d'une  seule 
espèce  d'alcyon,  et  ce  n'est  que  sur  un  passage  équi- 
voque et  vraisemblablement  corroujpu,  et  où,  suivant 
la  correction  de  Gesner,  il  s'agit  de  deux  espèces 
d'hirondelles,  que  les  naturalistes  en  ont  fait  deux 
d'alcyons;  une  pelîle  qui  a  de  la  voix ,  et  une  grande 
qui  est  muette  :  sur  quoi  Belon  ,  pour  trouver  ces 
deux  espèces,  a  fait  de  la  rousserole  son  alcyon  vocale 
en  même  temps  qu'il  nomme  alcyon  muet  le  martin- 
pêcheur,  quoiqu'il  ne  soit  rien  moins  que  muet. 

Ces  discussions  critiques  nous  ont  paru  nécessaires, 
dans  un  sujet  que  la  plupart  des  naturalistes  ont  laissé 
dans  la  plus  grande  obscurité.  Klein,  qui  le  remarque, 
en  augmente  encore  la  confusion,  en  attribuant  au 
martin-pêcheur  deux  doigts  en  avant  et  deux  en  ar- 
rière; il  s'appuie  de  l'autorité  de  Schwenckfeld,  qui 
est  tombé  dans  la  même  erreur,  et  d'une  ligure  fau- 
tive de  Belon,  ([ue  néanmoins  ce  naturaliste  a  corri- 
gée lui-même,  en  décrivant  trèsbien  la  forme  du  pied 
de  cet  oiseau,  qui  est  singulière  :  des  I rois  doigts  anté- 


LE    MARTIN-PÈCIIEUR,    OU    L  ALCYON.  1  2() 

rieurs,  Textérieur  est  élroitement  uni  à  celui  du  mi- 
lieu jusqu'à  la  troisième  articulation,  de  manière  à 
paroîlre  ne  faire  qu'un  seul  doigt,  ce  qui  forme  en 
dessous  une  plante  de  pied  large  et  aplatie  ;  le  doigt 
intérieur  est  très  court  et  plus  que  celui  de  derrière  ; 
les  pieds  sont  aussi  très  courts;  la  tête  est  grosse  ;  le 
bec  long  ,  épais  à  sa  base  ,  et  filé  droit  en  pointe  , 
laquelle  est  généralement  courte  dans  les  espèces  de 
ce  genre. 

C'est  le  plus  bel  oiseau  de  nos  climats,  et  il  n'y 
en  a  aucun  en  Europe  qu'on  puisse  comparer  au 
martîn-pêcheur  pour  la  netteté,  la  richesse  et  l'éclat 
des  couleurs;  elles  ont  les  nuances  de  l'arc-en-ciel,  le 
brillant  de  l'émail,  le  lustre  de  la  soie;  tout  le  milieu 
du  dos,  avec  le  dessus  de  la  queue,  est  d'un  bleu  clair 
et  brillant,  qui,  aux  rayons  du  soleil,  a  le  jeu  du  sa- 
phir et  l'œil  de  la  turquoise  ;  le  vert  se  môle  sur  les 
ailes  au  bleu  ,  et  la  plupart  des  plumes  y  sont  termi- 
nées et  ponctuées  par  une  teinte  d'aigue-marine  ;  la 
lete  et  le  dessus  du  cou  sont  poinlillés  de  taches  plus 
claires  sur  un  fond  d'azur.  Gesner  compare  le  jaune 
rouge  ardent  qui  colore  la  poitrine  au  rouge  en- 
ilammé  d'un  charbon. 

il  semble  que  le  marlin-pecheur  se  soit  échappé 
(ie  ces  climats  où  le  soleil  verse  avec  les  flots  d'une 
lumière  plus  pure  tous  les  trésors  des  plus  riches 
couleurs^.  En  efl'et,  si  l'espèce  de  notre  martin-pê- 
cheur  n'appartient  pas  précisément  aux  climats  de 
l'orient  et  du  midi,  le  genre  entier  de  ces  beaux  oi- 
seaux en  est  originaire;  car  pour  une  seule  espèce 

1.  Le  maiiiii-pêchcur  porte  le  nom  cYcvoore  clans  la  langue  des  îles 
de  la  Société. 


I  50  LE    MAUTIN- PÊCHEUR,    OU    L  ALCYON. 

que  nous  avons  eu  Europe  ,  T Afrique  et  l'Asie  nous 
en  offrent  plus  de  vingt ,  et  nous  en  connoissons  en- 
core huit  autres  espèces  dans  les  climats  chauds  de 
l'Amérique.  Celle  de  l'Europe  est  même  répandue 
en  Asie  et  en  Afrique;  plusieurs  martins-pêcheurs  en- 
voyés de  la  Chine  et  d'Egypte  se  sont  trouvés  les 
mêmes  que  le  nôtre  ,  et  Belon  dit  l'avoir  reconnu 
dans  la  Grèce  et  la  Thrace. 

Cet  oiseau,  quoique  originaire  de  climats  plus 
chauds,  s'est  habitué  à  la  température  et  même  au 
froid  du  nôtre;  on  le  voit  en  hiver,  le  long  des  ruis- 
seaux ,  plonger  sous  la  glace  ,  et  en  sortir  en  rappor- 
tant sa  proie  :  c'est  par  cette  raison  que  les  Allemands 
l'ont  appelé  elsS'VOgel ,  oiseau  de  la  glace;  et  Belon 
se  trompe  en  disant  qu'il  ne  fait  que  passer  dans  nos 
contrées,  puisqu'il  y  reste  dans  le  temps  de  la  gelée. 

Son  vol  est  rapide  et  filé  ;  il  suit  ordinairement  les 
contours  des  ruisseaux  en  rasant  la  surface  de  l'eau. 

II  crie  en  volant  kij  ki  ^  kl  ^  ki^  d'une  voix  perçante 
et  qui  fait  retentir  les  rivages;  il  a,  dans  le  printemps, 
un  autre  chant,  qu'on  ne  laisse  pas  d'entendre  mal- 
o-ré  le  murmure  des  flots  et  le  bruit  des  cascades  ^.  Il 
est  très  sauvage  et  part  de  loin  ;  il  se  tient  sur  une 
branche  avancée  au  dessus  de  l'eau  pour  pêcher;  il 
reste  immobile,  et  épie  souvent  deux  heures  entières 
le  moment  du  passage  d'un  petit  poisson  ;  il  fond  sur 
cette  proie  en  se  laissant  tomber  dans  l'eau  ,  où  il 
reste  plusieurs  secondes;   il  en   sort  avec  le  poisson 

I.  Le  nom  d'ispida,  suivant  l'auteur  De  nalura  revum  ,  dans  Ges- 
ncr  ,  est  {"oruié  du  cri  de  l'oiseau  :  appareaunent  du  [>reinier  on  a 
voulu  imiter  le  second  dans  le  nom  de  iartarlcu  ,  que  l'on  donne  aussi^ 
au  martin-pècheur. 


LE    MAnXIN-PÈClFEUiV,     OU    LxlLCYON.  l5l 

au  bec  ,  qu'il  porte  ensuite  sur  la  terre  ,  contre  la- 
quelle il  le  bat  pour  le  tuer,  avant  de  l'avaler. 

Au  défaut  de  branches  avancées  sur  l'eau,  le  mar- 
tin-pêcheur  se  pose  sur  quelque  pierre  voisine  du 
rivage,  ou  même  sur  le  gravier;  mais  au  moment 
qu'il  aperçoit  un  petit  poisson,  il  fait  un  bond  de 
douze  ou  quinze  pieds,  et  se  laisse  tomber  à  plomb  de 
cette  hauteur.  Souvent  aussi  on  le  voit  s'arrêter  dans 
son  vol  rapide,  demeurer  immobile  et  se  soutenir  au 
même  lieu  pendant  plusieurs  secondes;  c'est  son  ma- 
nège d'hiver,  lorsque  les  eaux  troubles  ou  les  glaces 
épaisses  le  forcent  de  quitter  les  rivières,  et  le  ré- 
duisent aux  petits  ruisseaux  d'eau  :  à  chaque  pause, 
il  reste  comme  suspendu  à  la  hauteur  de  quinze  ou 
vingt  pieds  ;  et  lorsqu'il  veut  changer  de  place,  il  se 
rabaisse  et  ne  vole  pas  à  plus  d'un  pied  de  hauteur 
sur  Teau  ;  il  se  relève  ensuite  et  s'arrête  de  nouveau. 
Cet  exercice  réitéré  et  presque  continuel  démontre 
que  cet  oiseau  plonge  pour  de  bien  petits  objets, 
poissons  ou  insectes,  et  souvent  en  vain  ;  car  il  par- 
court de  cette  manière  des  demi -lieues  de  chemin. 

Il  niche  au  bord  des  rivières  et  des  ruisseaux,  dans 
des  trous  creusés  par  les  rats  d'eau  ou  par  les  écre- 
visses,  qu'il  approfondit  lui-même,  et  dont  il  maçonne 
et  rétrécit  l'ouverture  :  on  y  trouve  de  petites  arêtes 
de  poisson,  des  écailles  sur  de  la  poussière,  sans  forme 
de  nid;  et  c'est  sur  cette  poussière  que  nous  avons 
vu  ses  œufs  déposés,  sans  remarquer  ces  petites  pe- 
lotes dont  Belon  dit  qu'il  pétrit  son  nid,  et  sans  trou- 
ver à  ce  nid  la  figure  que  lui  donne  Aristote,  en  le 
comparant  ,  pour  la  forme,  à  une  cucurbite,  et  pour 
la  matière  et  la  texture  ,  à  ces  boules  de  mer  ou  pe- 


\.)'.i  LE    MAUTIN-PÊCHEUR,    OU    L  ALCYON. 

iotes  de  filanients  entrelacés  qui  se  coupent  diffici- 
ieiuent,  mais  qui  desséchées  deviennent  friables.  Il 
en  est  de  même  des  hakyonium  de  Pline,  dont  il  lait 
quatre  espèces,  et  que  quelques  uns  ont  donnés  pour 
i\es  nids  d'alcyon,  mais  qui  ne  sont  autre  chose  que 
diflérentes  pelotes  de  mer  ou  des  holothuries  qui 
n'ont  aucun  rapport  avec  des  nids  d'oiseau  :  et  quant 
à  ces  nids  l'ameux  du  ïunquin  et  de  la  Cochinchine 
que  Ton  mange  avec  délices  ,  et  que  l'on  a  aussi 
nommés  nids  d* alcyon j,  nous  avons  démontré  qu'ils 
sont  l'ouvrage  de  l'hirondelle  salan«^ane. 

Les  martins-pêcheurs  commencent  à  fréquenter 
leur  trou  dès  le  mois  de  mars  :  on  voit  dans  ce  temps 
le  n)âle  poursuivre  vivement  la  femelle.  Les  anciens 
croyoient  les  alcyons  bien  ardents,  puisqu'ils  ont  dit 
que  le  mâle  meurt  dans  l'accouplenjent  ;  et  Aristote 
prétend  qu'il  entre  en  amour  dès  l'âge  de  quatre 
mois. 

Au  reste,  l'espèce  de  notre  martin-pêcheur  n'est 
pas  nombreuse,  quoique  ces  oiseaux  produisent  six, 
sept  et  jusqu'à  neuf  petits,  selon  Gesner  :  mais  le 
genre  de  vie  auquel  ils  sont  assujettis  les  fait  souvent 
périr,  et  ce  n'est  pas  toujours  impunément  qu'ils  bra- 
vent la  rigueur  de  nos  hivers  :  on  en  trouve  de  morts 
sur  la  glace.  Olina  donne  la  manière  de  \e$,  prendre, 
à  la  pointe  du  jour  ou  à  la  nuit  tombante,  avec  un 
trébuchet  tendu  au  bord  de  l'eau;  il  ajoute  qu'ils  vi- 
vent quatre  ou  cinq  ans.  On  sait  seulement  qu'on 
peut  les  nourrir  pendant  quelque  temps  dans  les 
chambres  où  l'on  place  des  bassins  d'eau  remplis 
de  petits  poissons.  M.  Daubenton,  de  l'Académie 
des   Sciences,  en   a   nourri    quelques  uns  pendant 


I 


LE    MARTIN-PECHEL'R,    OU    L  ALCYON.  1 53 

plusieurs  mois ,  en  leur  donnant  tous  les  Jours  de  petits 
poissons  frais  :  c'est  la  seule  nourriture  qui  leur  con- 
vienne ;  car  de  quatre  marlins-pêcheurs  qu'on  m'ap- 
porta le  21  août  1778,  et  qui  étoient  aussi  grands 
que  père  et  mère  quoique  pris  dans  le  nid ,  qui 
étoit  lin  trou  sur  le  bord  de  la  rivière,  deux  refu- 
sèrent constamment  les  mouches,  les  fourmis,  les 
vers  de  terre ,  la  pâtée  de  fromage ,  et  périrent  d'i- 
nanition au  bout  de  deux  jours;  les  deux  autres,  qui 
mangèrent  nn  peu  de  fromage'  et  quelques  vers  de 
terres,  ne  vécurent  que  six  Jours.  Au  reste,  Gesner 
observe  que  le  martin-pêcheur  ne  peut  se  priver,  et 
qu'il  demeure  toujours  également  sauvage.  Sa  chair 
a  une  odeur  de  faux  musc,  et  n'est  pas  bonne  à  man- 
ger ;  sa  graisse  est  rougeâtre;  il  a  le  ventricule  spa- 
cieux et  large  comme  les  oiseaux  de  proie,  et  comme 
eux  il  rend  par  le  bec  les  restes  indigestes  de  ce  qu'il 
a  avalé,  écailles  et  arêtes  roulées  en  petites  boules. 
Ce  viscère  est  placé  fort  bas;  l'œsophage  est  par  con- 
séquent très  long.  La  langue  est  courte ,  de  couleur 
rouge  ou  Jaune,  comme  le  dedans  et  le  fond  du  bec^. 

1.  On  m'apporta,  dit  M.  de  MontbelUard  »  le  7  juillet  1771,  cinq 
petits  martins-{)êcheurs  (il  y  en  avoit  sept  dans  le  nid  sur  le  bord  d'un 
ruisseau);  ils  mangèrent  des  vers  de  terre  qu'on  leur  présenta.  Dans 
ces  jeunes  martins-pêcheurs ,  le  doigt  extcncur  étoit  tellement  uni  h. 
celui  du  milieu  jusqu'à  la  dernière  articulalioiî ,  quil  en  résultoit  l'ap- 
parence d'un  doigt  fourchu  plutôt  que  celle  de  deux  doigts  distincts; 
le  tarse  étoit  fort  court;  la  tète  étoit  rayée  transversalement  de  noir  et 
de  bleu  verdâlre;  il  y  avoit  deux  lâches  de  feu  ,  l'une  sur  les  yeux  en 
avant ,  l'autre  plus  lougue  sous  les  yeux  ,  et  qui  se  prolongeant  en  ar- 
rière devient  blanche;  au  bas  du  cou,  près  du  dos,  le  bleu  devient 
plus  dominant,  et  une  bande  ondoyante  de  bleu,  méiée  d'un  peu  de 
noir,  parcourt  la  longueur  du  corps,  et  sétend  jusqu'à  rcxtremilé  des 
couvertures  de  la  queue,  où  le  bleu  devient  plu?  vif;  les  doaxe  pennes 
BrrroA.    xxv.  9 


î/)4  LE    MARTIN-PÊCHEUB  ,    OU    L  ALCYON. 

11  est  singulier  qu'un  oiseau  qui  vole  avec  tant  de 
vitesse  et  de  continuité,  n'ait  pas  les  ailes  amples  : 
elles  sont  au  contraire  fort  petites  à  proportion  de  sa 
grosseur,  d'où  l'on  peut  juger  de  la  force  des  muscles 
qui  les  meuvent  ;  car  il  n'y  a  peut-être  point  d'oiseau 
qui  ait  les  mouvements  aussi  prompts  et  le  vol  aussi 
rapide  :  il  part  comme  un  trait  d'arbalète;  s'il  laisse 
tomber  un  poisson  de  la  brancbe  où  il  s'est  perché, 
souvent  il  reprend  sa  proie  avant  qu'elle  ait  touché 
terre.  Comme  il  ne  se  pose  guère  que  sur  des  bran- 
ches sèches,  on  a  dit  qu'il  faisoit  sécher  le  bois  sur 
lequel  il  s'arrête. 

On  donne  à  cet  oiseau  desséché  la  propriété  de 
conserver  les  draps  et  autres  étoffes  de  laine  ,  et  d'é- 
loigner les  teignes.  Les  marchands  le  suspendent  à 
cet  effet  dans  leurs  magasins^.  Son  odeur  de  faux  musc 
pourroit  peut-être  écarter  ces  insectes ,  mais  pas 
plus  que  toute  autre  odeur  pénétrante.  Comme  son 
corps  se  dessèche  aisément ,  on  a  dit  que  sa  chair 
n'étoit  jamais  attaquée  de  corruption;  et  ces  vertus, 
quoique  imaginaires,  le  cèdent  encore  aux  merveil- 
les qu'en  ont  racontées  quelques  auteurs  en  recueil- 
lant les  idées  superstitieuses  des  anciens  sur  l'alcyon  : 

tle  la  queue  étoieut  d'un  bleu  rembruni;  les  vingt-deux  pennes  des 
ailes  étoient  chacune  moitié  brune  et  moitié  bleu  rembruni,  selon 
leur  longueur;  leurs  couvertures  brunes  poinlillées  de  bleu;  la  gorge 
blanchâtre  ;  la  poitrine  rousse ,  ombrée  de  brun  ;  le  ventre  blanchâtre  : 
le  dessous  de  la  queue  d'un  roux  presque  aurore;  le  bec  avoit  dix-sept 
lignes;  la  langue  étoit  très  courte,  large  et  pointue,  le  ventricule  fort 
ample.  {Observation  communiquée  par  M.  de  Montheillard.) 

1.  D'où  lui  vient  le  vieux  nom  d'arfre  ou  atî'e  que  lui  donne  encore 
lîelon,  et  qui  signifie  teigne,  comme  par  antiphrase,  oiseau-  teigne , 
et  ceux  de  drapier  et  de  garde-boutique. 


LE    MARTlN-rÊCHEUR,    OU    l'aLCYON.  1  Sf) 

il  a  ,  disent-ils,  la  propriété  de  repousser  la  foudre, 
celle  de  faire  augmenter  un  trésor  enfoui ,  et,  quoi- 
que raort,  de  renouveler  son  plumage  à  chaque  sai- 
son de  mue.  Il  communique,  dit  Kirannides,  à  qui 
le  porte  avec  soi,  la  grâce  et  la  beauté;  il  donne  la 
paix  à  la  maison,  le  calme  en  mer,  attire  les  poissons 
et  rend  la  pêche  abondante  sur  toutes  les  eaux.  Ces 
fables  flattent  la  crédulité  :  mais  malheureusement  ce 
ne  sont  que  des  fables^. 

LES  MARTINS-PÊGHEURS 

ÉTRANGERS. 

Comme  le  nombre  des  espèces  étrangères  est  ici 
très  considérable,  et  que  toutes  se  trouvent  dans  les 
climats  chauds ,  on  doit  regarder  celle  de  notre  mar- 
tin-pêcheur  comme  échappée  de  cette  grande  famille, 
puisqu'elle  est  seule,  et  même  sans  variété,  dans  nos 
contrées.  Pour  mettre  de  l'ordre  dans  l'énumératioti 
de  cette  multitude  d'espèces  étrangères,  nous  sépare- 
rons d'abord  tous  les  martins-pêcheurs  de  l'ancien 
continent,  de  ceux  de  TAmérique  ,  et  ensuite  nous 
indiquerons  les  uns  et  les  autres  par  ordre  de  gran- 
deur, en  commençant  par  ceux  qui  sont  plus  grands 
que  notre  martin-pêcheur  d'Europe,  et  continuant 
par  ceux  qui  lui  sont  égaux  en  grandeur  ou  qui  sont 
plus  petits. 

1.   Ce  qu'il  y  a  de  singulier,  c'est  qu'on  les  retrouve  jusque  cliey.  les 
Tartares  et  clans  la  Sibérie. 


l56  IV.    PLUS    CRAM)    MAnTIN-PÊCHEUR. 

LES  GRANDS  MARTINS-PÊCHEURS 

DE    LANCIEN    CONTINENT. 


LE    PLUS    GRAND  MARTIN-PÊCHEUR. 

PKEMIÈRE    ESPÈCE. 

Alcedo  fusca.  Gmel. 

Cet  oiseau,  n°  665,  le  plus  grand  de  son  genre, 
se  trouve  à  la  Nouvelle-Guinée  ;  il  est  long  de  seize 
pouces,  et  gros  comme  un  choucas.  Tout  son  plu- 
mage, excepté  la  queue,  paroît  lavé  de  bistre,  bruni 
sur  le  dos  et  sur  l'aile,  plus  clair  et  légèrement  tra- 
versé de  petites  ondes  noirâtres  sur  tout  le  devant  du 
corps  et  antour  du  cou  ,  sur  un  fond  plus  blanc;  les 
plumes  du  sommet  de  la  tête  sont,  ainsi  qu'un  large 
trait  sous  l'œil,  du  bistre  brun  au  dos;  la  queue, 
d'un  fauve  roux  traversé  d'ondes  noires ,  est  blanche 
à  l'extrémité;  le  demi-bec  inférieur  est  orangé;  le 
supérieur  noir  et  légèrement  fléchi  à  la  pointe  ,  trait 
par  lequel  cet  oiseau  paroît  sortir  et  s'éloigner  un  peu 
du  genre  des  martins-pecheurs,  auquel  d'ailleurs  il 
appartient  par  tous  les  autres  caractères. 


LE    MAUTIN-PECHEUR    BLEU    ET    ROUX.  IO7 


LE  MARTIN-PÊCHEUR 

BLEU  ET  ROUX. 

SECONDE    ESPÈCE. 

Alcedo  smyrnensis,  Gmel. 

Îl  a  un  peu  plus  de  neuf  pouces  de  longueur,  et 
son  bec,  qui  est  rouge ,  en  a  deux  et  demi.  Toute  la 
tête,  le  cou,  et  le  dessous  du  corps,  sont  d'un  beau 
roux  brun;  la  queue,  le  dos  et  la  moitié  des  ailes, 
sont  d'un  bleu  changeant ,  selon  les  aspects,  en  bleu 
de  ciel  et  eu  bleu  d'aigue-marine;  la  pointe  des  ailes 
et  les  épaules  sont  noires.  Cette  espèce  se  trouve  à 
Madagascar;  on  la  voit  aussi  en  Afrique,  sur  la  rivière 
de  Gambie  ,  selon  Edwards.  Un  m ar tin-pêcheur  de 
la  côte  de  Malabar,  donné  dans  les  planches  enlumi- 
nées,  n"  894?  et  qui  est  la  quatorzième  espèce  de 
M.  Brisson ,  ressemble  en  tout  à  celui-ci,  n°  232 , 
excepté  que  sa  gorge  est  blanche;  différence  qui  peut 
bien  n'être  que  celle  de  deux  individus  mâle  et  fe- 
melle dans  la  môme  espèce  :  au  moyen  de  quoi  celle- 
ci  se  Irouveroit ,  suivant  la  parallèle  de  l'équateur, 
dans  toute  l'étendue  du  continent  ;  elle  s'y  trouveroit 
môme  sur  une  très  grande  largeur,  si,  comme  il  nous 
paroît ,  le  martin-pêcheur  de  Smyrne,  d'Albin,  dont 
M.  Brisson  fait  sa  treizième  espèce  ,  est  encore  le 
même  oiseau  que  celui-ci. 


l58  lE    MARTIN-PÊCHEUR    CRABIER. 

LE  MARTIN-PÊCHEUR  CRABIER. 

TROISIÈME    ESPÈCE. 

Alcedo  senegalensis. 

Ce  martin-pêcheur  nous  est  venu  du  Sénégal  sous 
le  nom  de  crabier.  Il  y  a  apparence  qu'il  se  trouve 
également  aux  îles  du  cap  Vert,  et  que  c'est  à  lui  que 
se  rapporte  la  notice  suivante,  donnée  par  M,  Forster 
dans  le  second  Voyage  du  capitaine  Cook.  «  L'oiseau 
le  plus  remarquable  que  nous  vîmes  aux  îles  du  cap 
Vert,  est  une  espèce  de  martin-pêcheur  qui  se  nour- 
rit de  gros  crabes  de  terre  rouges  et  bleus,  dont  sont 
remplis  les  trous  de  ce  sol  sec  et  brûlé.  »  Ce  martin- 
pêcheur,  n**  534,  a  la  queue  et  tout  le  dos  d'un  bleu 
d'aigue-marine  :  ce  bleu  peint  encore  le  bord  exté- 
rieur des  pennes  grandes  et  moyennes  de  l'aile  ;  mais 
leurs  pointes  sont  noires,  et  une  large  plaque  de  cette 
couleur  couvre  toute  k.  partie  la  plus  voisine  du  corps, 
et  marque  sur  l'aile  comme  le  dessin  d'une  seconde 
aile  :  tout  le  dessous  du  corps  est  fauve  clair;  un 
trait  noir  s'étend  derrière  l'œil  ;  le  bec  et  les  pieds 
sont  couleur  de  rouille  foncée.  La  longueur  de  cet 
oiseau  est  d'un  pied. 


LE    MARTIN-PECHELK    A    GROS    BEC.  1^9 

LE  MARTIN-PÊCHEUR 

A  GROS  BEC. 

QUATRIÈME   ESPÈCE. 

Alcedo  capensis. 

Le  bec  des  martins-pêchenrs  est  généralement 
grand  et  fort  :  celui-ci,  n°  690,  l'a  plus  épais  encore, 
et  plus  fort  à  proportion  qu'aucun  autre.  L'oiseau 
entier  a  quatorze  pouces,  le  bec  seul  en  a  plus  de 
trois ,  et  onze  lignes  d'épaisseur  à  sa  base.  La  tête  est 
coiffée  de  gris  clair;  le  dos  est  vert  d'eau;  les  ailes 
sont  d'un  bleu  d'aigue-marine  ;  la  queue  est  du  même 
vert  que  le  dos,  elle  est  doublée  de  gris;  tout  le  des- 
sous du  corps  est  d'un  fauve  terne  et  foible  ;  le  gros 
du  bec  de  ce  martin-pêcheur  est  d'un  rouge  de  cire 
d'Espagne. 

LE  MARTIN-PÊCHEUR  PIE. 

CINQUIÈME   ESPÈCE. 

Alcedo  rudis.  G M^L. 

Le  blanc  et  le  noir  mêlés  et  coupés  dans  tout  le 
plumage  de  cet  oiseau  sont  représentés  par  le  nom 
que  nous  lui  donnons  de  martln-pêclieur  pie.  Le  dos 
est  à  fond  noir  nué  de  blanc;  il  y  a  une  zone  noire 
sur  la  poitrine;  tout  le  devant  du  cou  jusque  sous  le 


l4o  LE    MARTIN-PÊCHEUJI    PIE. 

bec  est  blanc;  les  pennes  de  l'aile,  noires  du  cote 
extérieur,  sont  en  dedans  tranchées  de  blanc  et  de 
noir,  frangées  de  blanc;  le  haut  de  la  tête  et  la  huppe 
sont  noirs  ;  le  bec  et  les  pieds  le  sont  aussi.  La  lon- 
gueur totale  de  l'oiseau  est  de  près  de  huit  pouces. 
Ce  niartin-pêcheur,  n°  716,  est  venu  du  cap  de 
Bonne-Espérance  :  en  lui  comparant  un  autre  en- 
voyé du  Sénégal  et  donné  n"  62  des  planches  enlumi- 
nées, nous  n'avons  pu  nous  empêcher  de  les  regarder 
comme  étant  de  la  même  espèce,  les  différences  que 
pourrolent  offrh-  les  deux  figures  ne  se  trouvant  point 
telles  entre  les  deux  oiseaux  eux-mêmes.  Par  exem- 
ple ,  le  noir  dans  la  planche  62  n'est  pas  assez  fort 
ni  assez  profond;  les  plumes  de  la  tête,  qui  sont  re- 
présentées couchées,  ne  sont  pas  moins  susceptibles 
de  se  relever  en  huppe  :  la  différence  la  plus  notable, 
mais  qui  n'est  rien  moins  que  spécifique,  est  que  ce- 
lui du  Sénégal  a  dans  son  plumage  plus  de  blanc,  et 
celui  du  Cap  un  peu  plus  de  noir.  M.  Edwards  a  donné 
un  de  ces  oiseaux  qui  venoit  de  Perse  ;  mais  sa  fi- 
gure est  assez  défectueuse,  et  la  distribution  des  cou- 
leurs n'y  est  nullement  rendue.  Il  déclare  que  cet 
oiseau  avoit  été  envoyé  dans  l'esprit-de-vin  ,  et  re- 
marque lui-même  combien  les  couleurs  sont  affoiblies 
et  brouillées  dans  les  oiseaux  qui  ont  séjourné  dans 
cette  liqueur.  Mais  il  n'y  a  nulle  apparence  que  le 
martin-pêcheur  blanc  et  noir  de  la  Jamaïque,  qu'in- 
dique Sloane,  et  dont  il  donne  une  figure,  sur  la  vé- 
rité de  laquelle  on  ne  peut  guère  compter,  soit  de 
la  même  espèce  que  celui  du  Sénégal  ou  du  cap  de 
Bonne-Espérance  ,  quoique  M.  Brisson  ne  fasse  au- 
cuae  difticulté  de  les  mettre  ensemble  :  un  oiseau  de 


I 


LE    MARTIN-PÈCHELR    l'IE.  \/^l 

vol  court  et  rasant  les  rivages  ne  peut  avoir  fourni  la 
traversée  du  vaste  Océan  atlantique  ;  et  la  nature,  si 
variée  dans  ses  ouvrages  ,  ne  paroît  avoir  répété  au- 
cune de  ses  formes  dans  l'autre  continent,  mais  les 
avoir  faites  sur  des  modèles  tout  neufs  quand  elle  n'a 
pu  le  peupler  du  fonds  de  ses  anciennes  productions. 
C'est  apparemment  aussi  une  espèce  indigène  et  en- 
tièrement propre  aux  terres  oii  elle  s'est  trouvée, 
que  celle  des  martins-pècheurs  qu'on  a  vus  dans  ces 
îles  perdues  au  milieu  des  mers  du  Sud,  et  recon- 
nues par  les  derniers  navigateurs.  M.  Forster,  dans 
ie  second  Voyage  autour  du  monde  du  capitaine 
Cook,  les  a  trouvés  à  Taïti ,  à  Huaheine  ,  à  Uliétéa  , 
îles  éloignées  de  quinze  cents  lieues  de  tous  les  con- 
tinents. Ces  marlins-pêcheurs  sont  d'un  vert  som- 
bre ,  avec  le  collier  de  la  même  couleur  sur  un  cou 
blanc.  Il  paroît  que  quelques  uns  de  ces  insulaires 
les  regardent  avec  superstition;  et  l'on  diroit  qu'on 
s'est  rencontré  d'un  bout  du  monde  à  l'autre  pour 
imaginer  aux  oiseaux  de  la  famille  des  alcyons  quel- 
ques propriétés  merveilleuses. 

LE  MARTIN-PÊCHEUR  HUPPÉ. 

SIXIÈME  ESPÈCE. 

Alcedo  maxlma,  Lath. 

Ce  martin-pêclieur,  n"  679,  a  seize  pouces  de  lon- 
gueur; il  est  un  des  plus  grands.  Son  plumage  est 
richement  émaillé,   quoiqu'il   n'ait  pas   de  couleurs 


l/j2  LE    MARTIN-PÈCHEIIK    HUPPE. 

éclatantes  :  il  est  tout  parsemé  de  gouttes  blanches , 
jetées  par  lignes  transversales  sur  un  fond  gris  noi- 
râtre, du  dos  à  la  queue;  la  gorge  est  blanche  avec 
des  traits  noirâtres  sur  les  côtés  ;  la  poitrine  est  émail- 
lée  de  ces  deux  mômes  couleurs  et  de  roux;  le  ventre 
est  blanc  ;  les  flancs  et  les  couvertures  du  dessous  de 
la  queue  sont  de  couleur  rousse.  L'échelle  a  été  omise 
dans  la  planche  enluminée  de  cet  oiseau,  et  il  faut  se 
le  figurer  d'un  tiers  plus  gros  et  plus  grand  qu'il  n'y 
est  représenté. 

M.  Sonnerai  donne  une  espèce  de  martin-pêcheur 
de  la  Nouvelle-Guinée,  page  171,  qui  a  beaucoup  de 
rapport  avec  celui-ci  par  la  taille  et  une  partie  des 
couleurs.  Nous  ne  prononcerons  pas  cependant  sur 
l'identité  de  leurs  espèces,  et  nous  ne  ferons  qu'in- 
diquer cette  dernière,  la  figure  qui  est  jointe  à  sa 
notice  ne  nous  paroissant  pas  assez  dsitincte. 


LE  MARTIN-PECHEUR 

A  COIFFE  NOIRE. 

SEPTIÈME    ESPÈCE. 

Alcedo  atricaplUa.  Gmel. 

Ce  martin-pecheur,  n**  670,  est  un  des  plus  beaux  ; 
du  bleu  violet  moelleux  et  satiné  couvre  le  dos,  ia 
queue,  et  la  moitié  des  ailes;  leurs  pointes  et  les 
épaules  sont  noires;  le  ventre  est  roux  clair;  un  plas- 
tron blanc  marque  la  poitrine  et  la  gorge ,  et  fait  le 
tour  du  cou   près  du  dos;   la   tète  porte    une  ample 


LE    MARTIN-PÊCHEUR    A    COIFFE    NOIRE.       l/p 

coiffe  noire  ;  un  grand  bec  rouge  brillant  achève  de 
relever  les  belles  couleurs  dont  cet  oiseau  est  paré. 
11  a  dix  pouces  de  longueur.  Il  se  trouve  à  la  Chine, 
et  notts  regardons  comme  une  espèce  très  voisine  de 
celle-ci,  ou  comme  une  simple  variété,  le  grand  mar- 
tin-pêcheur  de  l'île  de  Luçon,  donné  par  M.  Sonne- 
rat  dans  son  Voyage  à  la  Nouvelle-Guinée  ^  P^g^  ^5. 


>c»»»e.»»»9  8»J>'W'»J)»»»fto»8<8'»8'Oi»e»»8»aiai9«»a<»»»»9iei»»»»8'»»e»»<fe 


LE  MARTIN-PECHEUR 

A  TÊTE  VERTE. 

HUITIÈME    ESPÈCE. 

Alcedo  chlorocephala.  Gmel. 

Une  calotte  verte,  garnie  alentour  d'un  bord  noir, 
couvre  la  tête  de  ce  martin-pêcheur,  n°  783;  son  dos 
est  du  même  vert,  qui  se  fond  sur  les  ailes  et  la  queue 
en  bleu  d'aigue-marine;  le  cou  ,  la  gorge,  et  tout  le  de- 
vant du  cou,  sont  blancs;  le  bec ,  les  pieds  et  le  des- 
sous de  la  queue,  sont  noirâtres.  II  a  neuf  pouces  de 
longueur.  Cet  oiseau  ,  dont  l'espèce  paroît  nouvelle, 
est  donné,  dans  la  planche  enluminée,  comme  étant 
du  cap  de  Bonne-Espérance  :  mais  nous  en  trouvons 
une  notice  dans  les  papiers  de  M.  Commerson ,  qui 
l'a  vu  et  décrit  dans  l'îîe  de  Bouro ,  voisine  d'Am- 
boine,  et  l'une  des  Moluques, 


l/j/j     riî    MVllTIN-PÊCIIKUR    A  TÊTt:    COUL.    DE    PAILLE. 

LE  MARTIN-PÊCHEUR 

A  TÈTE  ET  COU  COULEUR  DE  PAILLE. 

NEUVIÈME  ESPÈCE 

A  Icedo  leucoceplia  la . 

Ce  Qiartin-pècheur,  11°  767,  dont  l'espèce  esl  nou- 
velle, a  les  ailes  et  la  qneue  d'un  bleu  turquin  foncé  ; 
les  grandes  pennes  des  premières  sont  bruties  ,  fran- 
gées de  bleu;  le  dos  bien  d'aigue-marine;  le  cou,  le 
devant,  et  le  dessous  du  corps  blancs,  teints  de  jaune 
paille  ou  ventre  de  biche  ;  de  petits  pinceaux  noirs 
sont  tracés  sur  le  fond  blanc  du  sommet  de  la  lêle  ; 
le  bec  est  rouge,  et  a  près  de  trois  pouces  de  lon- 
gueur. La  grandeur  totale  de  l'oiseau  est  d'un  pied. 
C'est  à  une  espèce  semblable ,  quoiqu'un  peu  plus 
petite,  que  paroît  se  rapporter  la  notice  d'un  mar- 
tin-pêclieur  de  Célèbes ,  donné  par  les  voyageurs  , 
mais  apparemment  un  peu  embellie  par  leur  imagi- 
nation. «  Cet  oiseau,  disent-ils  ,  se  nourrit  d'un  petit 
poisson  qu'il  va  guetter  sur  la  rivière.  Il  voltige  en 
tournoyant  à  fleur  d'eau  jusqu'à  ce  que  le  poisson , 
qui  est  fort  léger,  saute  en  l'air,  et  semble  prendre 
le  dessus  pour  fondre  sur  son  ennemi  ;  mais  l'oiseau 
a  toujours  l'adresse  de  le  prévenir,  il  l'enlève  dans 
son  bec  et  l'emporte  dans  son  nid,  où  il  s'en  nourrit 
un  jour  ou  deux  ,  pendant  lesquels  son  unique  oc- 
cupation est  de  chanter....  Il  n'a  guère  que  la  gros- 
seur d'une  alouette.  Son  bec  est  rouge,  le  plumage 


LE   MARTIN-PÊCHEUR    A  TÈTE    COUL.    DE   PAILLE.     1^5 

do  .^a  tête  et  celiii  de  son  dos  sont  tout-à-fuit  vorls  ; 
celui  du  ventre  tire  sur  le  jaune  ;  et  sa  queue  est  du 
plus  beau  bleu  du  monde —  Cet  oiseau  merveilleux 
se  nomme  tenroujoulon^.  » 


LE  MARTIN-PECHEUR 

A  COLLIER  BLANC. 

DIXIÈME  ESPÈCE. 

Alcedo  coUaris.   Lath. 

M.  Sonnerat  nous  a  fait  connoître  cette  espèce  de 
martin-pècheur.  Il  est  un  peu  moins  grand  qu'un 
merle.  Sa  tète,  son  dos,  ses  ailes,  et  sa  queue,  sont 
d'un  bleu  nuancé  de  vert;  tout  le  dessous  du  corps 
est  blanc  ,  et  une  bandelette  blanche  passe  autour 
du  cou.  Il  a  trouvé  cette  espèce  aux  Philippines,  et 
nous  avons  lieu  de  croire  qu'elle  se  voit  aussi  à  la 
Chine. 

L'oiseau  que  M.  Brisson  n'indique  que  d'après  un 
dessin  ,  sous  le  nom  de  martln-pêcheur  à  collier  des 
Indes  j,  et  qu'il  dit  être  beaucoup  plus  gros  que  notre 
martin-pêcheur  d'Europe,  pourroit  bien  être  une  va- 
riété dans  cetle  dixième  espèce. 

).    Histoire  générale  des  Voyages,  tome  X,  page  459. 


l46  LE    BABOUCARD. 


LES  MARTINS-PECHEURS 


DE  MOYENNE  GRANDEUR^ 


DE   L'ANCIEN    CONTINENT, 


LE  BABOUCARD. 


PREMIERE  ESPECE  MOYENNE. 


Alcedo  senegalensis.  Briss. 


Le  nom  du  martin-pêchenr  an  Sénégal ,  en  langue 
jalofe ,  est  baboucard.  Les  espèces  en  sont  multipliées 
sur  le  grand  fleuve  de  cette  contrée ,  et  toutes  sont  | 
peintes  des  couleurs  les  plus  variées  et  les  plus  vives. 
Nous  appliquons  le  nom  générique  de  baboucard  à 
celui  dont  M.  Brisson  a  fait  sa  septième  espèce,  et 
qui  a  tant  de  ressemblance  avec  le  martin-pêcheur  | 
d'Europe,  qu'on  peut  croire  que  leurs  espèces  sont 
très  voisines,  ou  peut-être  n'en  font  qu'une,  puisque 
nous  avons  déjà  remarqué  que  cet  oiseau,  comme  un 
étranger  égaré  dans  nos  climats,  est  réellement  ori- 
ginaire des  climats  plus  chauds,  auxquels  son  genre 
entier  appartient. 


LE    MARTIN-PÊCHEUR    BLEU    ET    NOIR.  l47 


LE  MARTIN-PECHEUR 

BLEU    ET    NOIR 

DU   SÉNÉGAL. 

SECONDE    ESPÈCE    MOYENNE. 

Alcedo  senegalensls  (varietas).  Lath. 

CElui-ci ,  n°  356,  paroît  un  peu  plus  gros  que  notre 
martin-pecheur ,  quoique  sa  longueur  ne  soit  guère 
que  de  sept  pouces.  La  queue,  le  dos,  les  pennes 
moyennes  de  l'aile  ,  sont  d'un  bleu  foncé  ;  le  reste  de 
l'aile,  couvertures  et  grandes  pennes,  est  noir;  le 
dessous  du  corps  est  fauve  roux  jusque  vers  la  gorge, 
qui  est  blanche,  ombrée  de  bleuâtre;  celte  teinte 
un  peu  plus  forte  couvre  le  dessus  de  la  tête  et  du 
cou  ;  le  bec  est  roux,  et  les  pieds  sont  rougeâtres. 

LE  MARTIN-PÊCHEUR 

A  TÊTE  GRISE. 

TROISIÈME    ESPÈCE    MOYENNE. 

Alcedo  senegatensis.  Lath. 

Ce  niarlin-pêcheur,  n"  694,  est  entre  la  grande 
taille  et  la  moyenne;  il  est  à  peu  près  de  la  grosseur 
de  la  petite  grive ,  et  sa  longueur  est  de  huit  pouces 


l4S  LE    MARTIN-PÊCIIEUR    A   TÊTK    GRISE. 

et  demi.  Il  a  la  lele  et  le  cou  enveloppés  de  gris  brun, 
plus  clair  et  blanchissant  sur  la  gorge  et  le  devant  du 
cou;  le  dessous  du  corps  est  blanc;  tout  le  manteau 
est  bleu  d'aigue-marine,  à  l'exception  d'une  grande 
bande  noire  étendue  sur  les  couvertures  de  l'aile,  et 
une  autre  qui  se  marque  sur  les  grandes  pennes.  La 
mandibule  supérieure  du  bec  est  rouge;  l'inférieure 
est  noire. 

LE  MARTIN-PÊCHEUR 

A  FRONT  JAUNE. 

QUATRIÈME    ESPÈCE    MOYENNE. 

Alcedo  eritkaca,  Gmel. 

Albin  a  donné  cet  oiseau,  11  est,  dit-il,  de  la  gran- 
deur du  martin-pêcheur  d'Angleterre.  Si  l'on  peut  se 
confier  davantage  aux  descriptions  de  cet  auteur  qu'à 
ses  peintures  ,  cette  espèce  se  distingue  des  autres 
par  le  beau  jaune  qui  teint  tout  le  dessus  du  corps  et 
le  front  ;  une  tache  noire  part  du  bec  et  entoure  les 
yeux  ;  derrière  la  tète  est  une  bande  de  bleu  sombre, 
et  ensuite  un  trait  de  blanc;  la  gorge  est  blanche 
aussi  ;  le  dos  bleu  foncé  ;  le  croupion  et  la  queue  sont 
d'un  rouge  terne  ;  les  ailes  d'un  gris  de  fer  obscur. 


t\L    MAllTîN-PÈCHEUK    A    LONGS    BRINS.        î  49 


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LE  MARTIN-PECHEUR 

A  LONGS  BRINS. 

CINQUIÈME    ESPÈCE    MOYENNE. 

Alcedo  dea.  La  th. 

Cette  espèce,  n°  116,  est  très  remarquable  dans 
son  genre  par  un  caractère  qui  n'appartient  qu'à  elle  : 
les  deux  plumes  du  milieu  de  la  queue  se  prolongent 
et  s'effilent  en  deux  longs  brins,  qui  n'ont  qu'une 
tige  nue  sur  trois  pouces  de  longueur,  et  reprennent 
à  l'extrëmitë  une  petite  barbe  de  plume.  Du  bleutur- 
quin  moelleux  et  foncé ,  du  brun  noir  et  velouté  , 
couvrent  et  coupent  par  quatre  grandes  taches  le 
manteau  :  le  noir  occupe  le  haut  du  dos  et  la  pointe 
des  ailes  ;  le  gros  bleu,  leur  milieu,  le  dessus  du  cou, 
et  la  tête  :  tout  le  dessous  du  corps  et  la  queue  sont 
d'un  blanc  foiblement  teint  d'un  rouge  léger;  le  bec 
et  les  pieds  sont  orangés;  sur  chacune  des  deux  plu- 
mes du  milieu  de  la  queue  est  une  tache  bleue,  et 
les  longs  brins  sont  de  cette  même  couleur.  Seba 
nomme  cet  oiseau ,  à  cause  de  sa  beauté,  nyjnplie  de 
Ternate;  il  ajoute  que  les  plumes  de  la  queue  sont, 
dans  le  mâle ,  d'un  tiers  plus  longues  que^  dans  la  fe- 
melle. 


lillI-FON.     XXV, 


lôO  LE    M\KT1N-PÊCHKUR    A   TÈTE    BLEUE. 

LES  PETITS  MARTINS-PÊCHEURS 

DE   L'ANCIEN    CONTINENT. 


LE   MARTIN-PÊCHEUR    A  TÊTE   BLEUE. 

PREMIÈRE  PETITE  ESPÈCE. 

Alcedo  cœruleocephala.  Lath. 

Il  y  a  des  martins-pêcheurs  aussi  petits  que  le  roite- 
let, ou,  pour  les  comparer  à  un  petit  genre  plus  voisin 
d'eux  et  qui  n'en  diflfère  que  par  le  bec  aplati ,  aussi 
petits  que  des  todiers.  Celui  qui  est  donne  dans  la 
planche  enluminée,  n"  556,  sans  numéro  de  figure 
et  comme  venant  du  Sénégal,  est  de  ce  nombre  ;  il 
n'a  guère  que  quatre  pouces  de  longueur.  Il  est  d'un 
beau  roux  sur  tout  le  corps,  en  dessous  et  jusque 
sous  l'œil  ;  la  gorge  est  blanche,  le  dos  est  d'un  beau 
bleu  d'outremer;  l'aile  est  du  même  bleu,  à  l'excep- 
tion des  grandes  pennes,  qui  sont  noirâtres;  le  som- 
met de  la  tête  est  d'un  bleu  vif,  chargé  de  petites 
ondes  d'un  bleu  plus  clair  et  verdoyant.  Son  bec,  très 
long  à  proportion  de  son  petit  corps,  a  treize  lignes. 
Cet  oiseau  nous  a  été  envoyé  de  Madagascar. 


LE    MARTIN-PÈGHEUR    IIOIJX.  i5 


LE  MARTIN-PECHEUR  ROUX. 

SECONDE    PETITE    ESPÈCE. 

Alcedo  madagascariensis.  Gmel. 

Ce  petit  uiartin-pêcheur,  n**  776,  fîg.  1  ,  qui  n'a 
pas  cinq  pouces  de  longueur,  a  tout  le  dessus  du 
corps ,  du  bec  à  la  queue ,  d'un  roux  vif  éclatant , 
excepté  que  les  grandes  pennes  de  l'aile  sont  noires, 
et  les  moyennes  seulement  frangées  de  ce  même 
roux  sur  un  fond  noirâtre;  tout  le  dessous  du  corps 
est  d'un  blanc  teint  de  roux;  le  bec  et  les  pieds  sont 
rouges.  M.  Gommerson  l'a  vu  et  décrit  à  Madagascar. 


LE  MARTIN-PECHEUR  POURPRE. 

TROISIÈME    PETITE    ESPÈCE. 

A  Lcedo  purpurea,  Gmel. 

Il  est  de  la  même  grandeur  que  le  précédent. 
C'est  de  tous  ces  oiseaux  le  plus  joli ,  et  peut-être  le 
plus  riche  en  couleurs  :  un  beau  roux  aurore,  nué  de 
pourpre  mêlé  de  bleu,  lui  couvre  la  tête,  le  croupion, 
et  la  queue  ;  tout  le  dessous  du  corps  est  d'un  roux 
doré  sur  fond  blanc  ;  le  manteau  est  enrichi  de  bleu 
d'azur  dans  du  noir  velouté;  une  tache  d'un  pourpre 
clair  prend  à  l'angle  de  l'œil,  et  se  termine  en  arrière 


1^2  LE    MARTIN-PECHEUn    POURPRE. 

par  un  Irait  du  bleu  le  plus  vif;  la  gorge  est  blanche, 
et  le  bec  rouge.  Ce  charmant  petit  oiseau,  nommé 
dans  la  planche,  n"  778,  fig.  2,  martin -pêcheur  de 
Pondichéry,  nous  est  venu  de  cette  contrée. 

LE  MARTIN-PÉCHEUR 

A  BEC  BLANC. 

QUATRIÈME    PETITE    ESPÈCE. 

Alcedo  leucorhyncha.  Latii. 

Sera,  d'après  lequel  on  donne  ce  petit  martin-pê- 
cheur,  dit  qu'il  a  le  bec  blanc,  le  cou  et  la  tête 
rouge  bai,  teint  de  pourpre;  les  flancs  de  même;  les 
pennes  de  l'aile  cendrées  ;  leurs  couvertures  et  les 
plumes  du  dos  d'un  très  beau  bleu  ;  la  poitrine  et  le 
ventre  jaune  clair.  Sa  longueur  est  d'environ  quatre 
pouces  et  demi.  Du  reste  ,  quand  Seba  dit  que  les 
oiseaux  de  la  famille  des  alcyons  se  nourrisssent  d'a- 
beilles, il  les  confond  avec  les  guêpiers  ,  et  Klein  re- 
lève à  ce  propos  une  erreur  capitale  de  Linnaeus,  qui 
est  d'avoir  pris  Vispida  pour  le  mérops ^  ou  le  martin- 
pêcheur  pour  le  guêpier,  ce  dernier  habitant  les 
terres  sauvages  et  voisines  des  bois ,  et  non  les  rives 
des  eaux,  où  il  ne  trouveroit  pas  d'abeilles.  Mais  le 
même  Klein  ne  voit  pas  également  bien  quand  il  dit 
que  cet  alcyon  de  Seba  lui  paroît  semblable  à  notre 
martin-pêcheur,  puisque,  outre  la  différence  de  gran- 
deur, les  couleurs  de  la  tête  et  du  bec  sont  totale- 
ment différentes. 


LE    MARTIN-PÊCHEUR    A    BEC    BLAMC.  l55 

M.  Vosmaëra  donné  deux  petits  martins-pêcheurs, 
qu'il  rapporte  à  cet  alcyon  de  Seba,  mais  en  assurant 
qu'ils  navoient  que  trois  doigts ,  deux  en  avant  et  un 
en  arrière.  Ce  fait  avoit  besoin  d'être  constaté,  et  l'a 
été  par  un  bon  observateur,  comme  nous  le  verrons 
ci-après. 

LE  MARTIN-PÊCHEUR 

DU  BENGALE. 

CINQUIÈME    PETITE    ESPÈCE. 

Alcedo  bengalensis.  Gmel. 

Edwards  donne  dans  une  même  planche  deux  pe- 
tits martins-pêcheurs  qui  paroissent  d'espèces  très 
voisines  ,  ou  peut-être  mâle  ou  femelle  de  la  même, 
quoique  M.  Brisson  en  fasse  deux  espèces  séparées  : 
ils  ne  sont  pas  plus  grands  que  des  todiers.  L'un  a  le 
manteau  bleu  de  ciel ,  et  l'autre  bleu  d'aigue-marine. 
Les  pennes  des  ailes  et  de  la  queue  du  premier  sont 
gris  brun;  dans  le  second  ,  ces  mêmes  plumes  sont 
du  même  vert  que  le  dos  :  le  dessous  du  corps  de 
tous  deux  est  fauve  orangé.  Klein,  en  faisant  mention 
de  cette  espèce,  dit  qu'elle  convient  avec  celle  d'Eu- 
jope  par  ces  couleurs.  Il  eût  pu  observer  qu'elle  en 
diffère  beaucoup  par  la  grandeur  :  mais,  toujours 
préoccupé  de  sa  fausse  idée  des  doigts  detix  et  deux 
dans  le  genre  des  martins-pêcheurs,  il  se  plaint 
qu'Edwards  ne  se  soii  pas  là  dessus  plus  clairement 


l54  ï-ï:    MAKTIN-PÊCHEUR    du    BENGALE. 

expliqué,  quoique  les  figures  d'Edwards  soient  très 
bien  et  très  nettes  sur  cette  partie ,  comme  elles  ont 
coutume  de  l'être  sur  tout  le  reste. 


»t'B»»»«»»»eji»«»OB»a»— 9*e»»»e4W»o»»»»»a»»»a»9 


LE  MARTIN-PECHEUR 

A  TROIS  DOIGTS. 

SIXIÈME    PETITE    ESPÈCE. 

Alcedo  tridactyla.  Gmel. 

On  a  déjà  trouvé  dans  le  genre  des  pics  une  sin- 
gularité de  cette  nature  pour  le  nombre  des  doigts: 
elle  est  moins  surprenante  dans  la  famille  des  mar- 
tins-pêcheurs,  où  le  petit  doigt  intérieur,  déjà  si  rac- 
courci et  presque  inutile,  a  pu  être  plus  aisément 
omis  par  la  nature.  C'est  M.  Sonnerat  qui  nous  a  fait 
connoître  ce  petit  mar tin-pêcheur  à  trois  doigts  ,  le- 
quel d'ailleurs  est  un  des  plus  brillants  de  ce  genre  , 
si  beau  et  si  riche  en  couleurs  :  il  a  tout  le  dessus  de 
la  tête  et  du  dos  couleur  de  lilas  foncé  ;  les  plumes 
des  ailes  sont  d'un  bleu  d'indigo  sombre  ,  mais  relevé 
d'un  limbe  d'un  bleu  vif  et  éclatant,  qui  entoure  cha- 
que plume  ;  tout  le  dessous  du  corps  est  blanc;  le  bec 
et  les  pieds  sont  rougeâtres.  M.  Sonnerat  a  trouvé  cet 
oiseau  à  l'île  de  Luçon.  M.  Vosmaër  dit  simplement 
que  les  siens  venoîent  des  Indes  orientales. 

Nous  regarderons  cette  espèce,  la  précédente  de 
Seba,et  celle  de  uotre  martin-pêc/icur pourpre _,  comme 
trois  espèces  voisines,  et  qui  pourroient  peut-être  se 
réduire  à  deux  ou  à  une  seule,  s'il  étoit  plus  facile 


LE    MARTIN-PÊCHEUn    A  TROIS    DOIGTS.       1 55 

d'apprécier  les  différences  arbitraires  des  descrip- 
tions, ou  si  Ton  pouvoit  les  rectifier  sur  les  objels 
mêmes.  Du  reste  ,  M.  Vosmaër  donne  soiis  le  nom 
d'alcyons  deux  autres  oiseaux  qui  ne  sont  pas  des 
martins-pêcheurs  :  le  premier,  qu'il  appelle  alcyon 
d' Aînérique  à  longue  queue ,  outre  qu'il  a  la  queue 
plus  longue  à  proportion  qu'aucun  oiseau  de  cette  fa- 
mille ,  a  un  bec  courbé,  caractère  exclu  du  genre  des 
martins-pêcheurs  ;  le  second  au  bec  effilé,  longuet, 
quadrangulaire,  et  aux  doigts  i^Yiésdetixet  deux,  n'est 
pas  un  martin-pêcheur,  mais  un  jacamar. 


LE  VINTSI. 

SEPTIÈME  PETITE  ESPÈCE, 

Alcedo  cristata.  GiMEL. 

ViNTSi  est  le  nom  que  les  habitants  des  Philippines 
donnent  à  ce  petit  martin-pêcheur,  que  ceux  d'Am- 
boine  appellent^  selon  Seba,  to/iarkey  et  lato.  Il  a  le 
dessus  des  ailes  et  la  queue  d'un  bleu  de  ciel;  la  tête 
chargée  de  petites  plumes  longues,  joliment  tiquetées 
de  points  noirs  et  verdâtres,  et  relevées  en  huppe; 
la  gorge  est  blanche  ;  au  côté  du  cou  est  une  tache 
roux  fauve  ;  tout  le  dessous  du  corps  est  de  cette  cou- 
leur, et  l'oiseau  entier  n'a  pas  tout-à-fait  cinq  pouces 
de  longueur. 

,  L'espèce  dix-sept  de  M.  Brisson  nous  paroît  très 
voisine  de  celle-ci,  n°  756,  fig.  i,  si  même  ce  nan 
est  pas  une  répétition  ;  le  peu  de  différence  qui  s'y 


l56  LE    VINTSI. 

remarque  n'indique  du  moins  qu'une  variété.  On  ne 
peut  s'assurer  à  quelle  espèce  se  rapporte  le  petit  oi- 
seau des  Philippines  que  Camelli  appelle  salaczac j, 
et  qui  paroît  être  un  martin-pôcheur ,  mais  qu'il  ne 
fait  que  nommer,  sans  aucune  description,  dans  sa 
notice  des  oiseaux  des  Philippines,  insérée  dans  les 
Transactions  philosoplilques.  M.  Brisson  décrit  encore 
une  espèce  de  petit  martin-pêcheur  sur  un  dessin  qui 
lui  a  été  apporté  des  Indes;  mais  comme  nous  n'a- 
vons pas  vu  l'oiseau  ,  non  plus  que  ce  naturaliste  , 
nous  ne  pouvons  rien  ajouter  à  la  notice  qu'il  en  a 
donnée. 


»o»c»a4t»»a<=»<)»o*<>fe-»Jt«ai»S»»»»»»»*9 


LES  MARTINS-PECHEURS 

GRANDE    ESPÈCE 
DU   NOUVEAU    CONTINENT. 


LE    TAPARARA. 

PREMIÈRE    GRANDE    ESPÈCE. 

Alcedo  cayennensis.  Gmel. 

Taparara  est  le  nom  générique  du  martin-pêcheur 
en  langue  garipane  :  nous  l'appliquons  à  cette  espèce. 
Tune  de  celles  que  l'on  trouve  à  Cayenne;  elle  est  de 
la  grandeur  de  l'étourneau.  Le  dessus  de  la  tête,  le 
dos,  et  les  épaules  sont  d'un  beau  bleu;  le  croupion 
est  bleu  d'aigue-marine;  tout  le  dessous  du  corps  est 


LE    TA  PARA  II  A.  ion 


blanc;  les  pennes  de  l'aile  sont  bleues  en  debors, 
noires  en  dedans  et  en  dessous  ;  celles  de  la  queue  de 
même,  excepté  que  les  deux  du  milieu  sont  toutes 
bleues;  au  dessous  de  l'occiput  est  une  bande  trans- 
versale noire.  La  grande  quantité  d'eau  qui  baigne 
les  terres  de  la  Guiane  est  favorable  à  la  multiplication 
des  martins-pecheurs  :  aussi  leurs  espèces  y  sont  nom- 
breuses. Ces  oiseaux  indiquent  les  rivières  poissson- 
neuses;  on  en  rencontre  très  fréquemment  sur  leurs 
bords.  Il  y  a  quantité  de  grands  martins-pèclieurs , 
nous  dit  M.  de  La  Borde,  sur  la  rivière  Ouassa;  mais 
ils  ne  s'attroupent  jamais,  et  vont  toujours  un  à  un. 
Ils  nichent,  dans  ces  contrées  comme  en  Europe, 
dans  des  trous  creusés  dans  la  coupe  perpendiculaire 
des  rivages;  il  y  a  toujours  plusieurs  de  ces  trous  voi- 
sins les  uns  des  autres,  quoique  chacun  de  leurs  botes 
n'en  vive  pas  moins  solitairement.  M.  de  La  Borde  a 
vu  de  leurs  petits  en  septembre  ;  apparemment  qu'ils 
font  dans  ce  climat  plus  d'une  nichée.  Le  cri  de  ces 
oiseaux  est  carac  ^  carac. 


L'ALATLI. 

SECONDE  GRANDE  ESPÈCE. 

Alccdo  torquata.  Latii. 

Nous  formerons  ce  nom  par  contraction  de  celui 
^achalalactUy  ou  miclialalactU^  que  cet  oiseau,  «"284, 
porte  au  Mexique  ,  suivant  Fernandès.  C'est  une  dfif> 
plus  grandes  espèces  de  marlins-pêcheurs;  sa  longueur 


i5S  l'alatli. 

est  de  près  de  seize  pouces  :  mais  il  n'a  pas  les 
couleurs  aussi  brillantes  que  les  autres.  Le  gris 
bleuâtre  domine  tout  le  dessus  du  corps;  cette 
couleur  est  variée,  sur  les  ailes,  de  franges  blan- 
ches en  festons  à  la  pointe  des  pennes,  desquelles 
les  plus  grandes  sont  noirâtres  et  coupées  en  de- 
dans de  larges  dentelures  blanches;  celles  de  la 
queue  sont  larj^eraent  rayées  de  blanc;  le  dessous  du 
corps  est  d'un  roux  marron,  qui  s'éclaircit  en  remon- 
tant sur  la  poitrine,  où  il  est  écaillé  ou  maillé  dans 
du  gris.  La  gorge  est  blanche;  et  ce  blanc,  s'étendant 
sur  les  côtés  du  cou ,  en  fait  le  tour  entier  :  c'est  par 
ce  caractère  que  INieremberg  Ta  nommé  oiseau  à  col- 
lier. Toute  la  tête  et  la  nuque  sont  du  même  giis 
bleuâtre  que  le  dos.  Cet  oiseau  est  voyageur;  il  arrive 
en  certains  temps  de  l'année  dans  les  provinces  sep- 
tentrionales du  Mexique,  où  il  vient  apparemment 
des  contrées  les  plus  chaudes,  car  on  le  voit  aux  An- 
tilles :  il  nous  a  été  envoyé  de  la  Martinique.  M.  Adan- 
son  dit  «  qu'il  se  trouve  aussi,  quoique  assez  ra- 
»  rement,  au  Sénégal,  dans  les  lieux  voisins  de 
»  l'embouchure  du  Niger.  »  Mais  la  difficulté  d'imagi- 
ner qu'un  oiseau  de  la  Martinique  se  trouve  en  même 
temps  au  Sénégal  le  frappe  lui-même,  et  lui  fait  cher- 
cher des  différences  entre  Vac/ialalactli  de  Fernandès 
et  de  Nieremberg  et  ce  martin-pêcheur  d'Afrique  : 
de  ces  différences,  il  en  résulteroit  que  l'oiseau  donné 
par  M.  Brisson ,  et  dans  nos  planches  enluminées, 
seroit,  non  le  véritable  achalalactli  du  Mexique,  mais 
celui  du  Sénégal  ;  et  nous  ne  doutons  pas  en  effet  que, 
à  cette  distance  de  climats,  des  oiseaux  incapables 
d'une  longue  traversée  ne  soient  d'espèces  différentes. 


LE    JAGUACATI.  1  Sq 

LE  JAGUACATI. 

TROISIÈME    GRANDE    ESPÈCE. 

A Icedo- Alcyon.  Gmel. 

Nous  avons  vu  que  l'espèce  du  martin-pècheur  de 
l'Europe  se  trouve  en  Asie,  et  paroît  occuper  toute 
l'étendue  de  l'ancien  continent  :  en  voici  un  qui  se 
trouve  d'une  extrémité  à  l'autre  dans  le  nouveau,  de- 
puis la  baie  d'Hudson  jusqu'au  Brésil.  Marcgrave  l'a 
décrit  sous  le  nom  brésilien  de  jaguacatl-guacUj,  et 
de  papapeixe  que  lui  donnent  les  Portugais.  Catesby 
l'a  vu  à  la  Caroline,  où  il  dit  que  cet  oiseau  ,  n°*  695 
et  715,  fait  sa  proie  de  lézards  ainsi  que  de  poissons, 
Edwards  l'a  reçu  de  la  baie  d'Hudson,  où  il  paroît 
dans  le  printemps  et  l'été.  M.  Brisson  l'a  donné  trois 
fois  d'après  ces  trois  auteurs,  sans  les  comparer, 
puisque  la  ressemblance  est  frappante,  et  qu'Edwards 
la  remarque  lui-même.  Nous  avons  reçu  ce  martin- 
pêcheur  de  Saint-Domingue  et  de  la  Louisiane;  et  il 
est  gravé  sous  le  nom  de  ces  deux  pays  dans  les  plan- 
ches enluminées  :  on  n'y  voit  que  quelques  petites 
différences,  qui  nous  ont  encore  paru  moindres  dans 
la  comparaison  des  deux  oiseaux  en  nature.  Par 
exemple ,  le  bec ,  dans  la  planche  590  ,  devroit  être 
noir,  et  les  flancs,  comme  dans  l'autre,  marqués  de 
roux  :  le  petit  frangé  blanc  du  milieu  de  Taile  devroit 
s'y  trouver  aussi.  Ces  particularités  sont  minutieuses 
en  elles-mêmes;  mais  elles  deviennent  importantes 


l6o  LE    JAGUACATI. 

pour  ne  pas  multiplier  les  espèces  sur  des  différences 
supposées.  Les  seules  différences  réelles  que  la  com- 
paraison des  deux  individus  nous  ait  offertes  sont  dans 
l'écharpe  de  la  gorge,  qui  est  un  peu  festonnée  de 
roux  dans  ce  martin-pecheur  venu  de  Saint-Domin- 
gue ,  et  simplement  grise  dans  l'autre;  et  dans  la 
queue,  qui  dans  le  premier  est  un  peu  plus  tiquetée 
et  régulièrement  semée  de  gouttes  sur  toutes  ses 
pennes,  au  lieu  que  les  gouttes  sont  moins  visibles 
dans  celles  du  second,  et  ne  paroissent  bien  que 
quand  l'oiseau  s'épanouit.  Du  reste,  tout  le  dessus  du 
corps  est  également  d'un  beau  gris  de  fer  ou  d'ar- 
doise; les  plumes  de  la  tête,  relevées  en  huppe, 
sont  de  la  même  couleur;  le  tour  du  cou  est  blanc 
ainsi  que  la  gorge;  il  y  a  du  roux  sur  la  poitrine  et 
sur  les  flancs;  les  pennes  de  l'aile  sont  noires,  mar- 
quées de  blanc  à  la  pointe,  et  coupées  dans  leur  mi- 
lieu d'un  petit  frangé  blanc  ,  qui  n'est  que  le  bord  de 
grandes  échancrures  blanches  que  portent  les  barbes 
intérieures,  et  qui  paroissent  quand  l'aile  se  déploie. 
Marcgrave  désigne  la  grandeur  de  ces  oiseaux  en  les 
comparant  à  la  litorne  [magnitudo  ut  turdelœ).  Klein, 
qui  ne  connoissoit  pas  les  grands  martins-pêcheurs 
de  la  INouvelle-Guinée ,  prend  celui-ci  pour  la  plus 
grande  espèce  de  ce  genre. 


LE    MATUITU 

LE  MATUITUl. 

QUATRIÈME  GRANDE  ESPÈCE. 

Alcedo  maculata,  Laïh. 

Marcgrave  décrit  encore  ce  martin-pêcheiir  dw 
Brévsil,  et  lui  donne  ses  vërilables  caractères  :  le  cou 
et  les  pieds  courts;  le  bec  droit  et  fort  :  sa  partie 
supérieure  est  d'un  rouge  de  vermillon;  elle  avance 
sur  l'inférieure,  et  se  courbe  un  peu  à  sa  pointe  ;  par- 
ticularité observée  déjà  dans  le  grand  luartin-pècheur 
de  la  Nouvelle-Guinée.  Celui-ci  est  de  la  taille  de 
l'étourneau.  Toutes  les  plumes  de  la  tête,  du  dessus 
du  cou,  du  dos,  des  ailes  et  de  la  queue,  sont  fauves 
ou  brunes,  tachetées  de  blanc  jaunâtre,  comme  dans 
l'épervier  ;  la  gorge  est  jaune  ;  la  poitrine  et  le  ventre 
sont  blancs,  pointillés  de  brun.  Marcgrave  ne  dit 
rien  de  particulier  de  ses  babil  udes  naturelles. 

On  trouve  dans  Fernandès  et  dans  JNieremberg 
quelques  oiseaux  auxquels  on  a  donné  mal  à  propos 
le  nom  de  martins-pêcheurs ^  et  qui  n'appartiennent 
point  à  ce  genre  :  ces  oiseaux  sont,  i"  le  lioactli^  dont 
les  jambes  ont  un  pied  delo  ng,  et  qui  par  conséquent 
n'est  point  un  martin-pêcheur  ;  2"  Vaxoquertj  qui  a 
le  cou  et  les  pieds  également  longs;  5°  Vaccicalioactli^ 
ou  Voiseau  aquatique  à  voix  rauque  de  JNieremberg , 
qui  étend  et  replie  un  long  cou,  et  qui  paroît  être 
une  espèce  de  cigogne  ou  de  jabirUj,  assez  appro- 
chante du  hoacton^    que   M.   Brisson  appelle  héron 


l6li  LE    MATLIÏUI. 

huppé  du  Mexique.  IXoiis  en  dirons  autant  du  tolco- 
moctli  et  du  hosxocanauhtli  de  Fernandès,  qui  se  rap- 
porteroient  davantage  à  ce  genre,  mais  qui  paroissent 
avoir  quelques  habitudes  contraires  à  celles  des  mar- 
tins-pècheurs,  quoique  les  Espagnols  les  appellent, 
comme  les  précédents,  martlnetes  pescadors.  Mais 
Fernandès  remarque  qu'ils  ont  donné  ce  nom  à  des 
oiseaux  d'espèces  très  différentes,  par  la  seule  raison 
qu'ils  les  voient  également  vivre  de  la  capture  des 
poissons. 


LES  MARTINS-PECHEURS 

DE    MOYENNE    GRANDEUR 
DU    NOUVEAU    CONTINENT. 


LE  MARÏIN-PÈCHEUR  VERT  ET  ROUX. 

PUEMIÈUE    ESPÈCE    MOYENNE. 

Alcedo  bicolor.  Gmel. 

Ce  martin-pêcheur,  n'*592,  ûg.  i,  le  mâle,  et  fig.  2, 
la  femelle,  se  trouve  à  Cayenne.  Il  a  tout  le  dessous 
du  corps  d'un  roux  foncé  et  doré,  excepté  une  zone 
ondée  de  blanc  et  de  noir  sur  la  poitrine ,  qui  distin- 
gue le  mâle  ;  un  petit  trait  de  roux  va  des  narines 
aux  yeux  ;  tout  le  dessus  du  corps  est  d'un  vert  som- 
bre, piqueté  de  quelques  petites  taches  blanchâtres, 
rares  et  clair-semées  ;  le  bec  est  noir,  et  long  de  deux 
pouces;  la  queue  en  a  deux  et  demi  de  longueur,  ce 


LK    MARTIN-PÊCHEUR    VERT    ET    ROUX.         1 65 

qui  allonge  cet  oiseau,  et  lui  donne  huit  pouces  en 
tout  :  cependant  il  n'est  pas  plus  gros  de  corps  que 
notre  martin-pêcheur. 


rt-rfHii-?r?it^«-ffirf  tBiu  irti>-r  Tum-t^mi^fi^  nr-ii-fl  ft-gitr  gii  tt  B-irti  frr  trniooiraitir  o  o  ooi»oi|o«  oin 


i9^xfa«-int*»»4,. 


LE  MARTIN-PECHEUR 

VERT  ET  BLANC. 

SECONDE    ESPÈCE    MOYENNE. 

Alcedo  americana,  Gmel. 

Cette  espèce  se  trouve  encore  à  Gayenne.  Elle  est 
moins  grande  que  la  précédente,  n  ayant  que  sept 
pouces,  et  néanmoins  la  queue  est  encore  assez  lon- 
gue. Tout  le  dessus  du  corps  est  lustré  de  vert  sur 
fond  noirâtre  ,  coupé  seulement  par  un  fer-à-cheval 
blanc,  qui,  prenant  sous  l'œil,  descend  sur  le  der- 
rière du  cou,  et  par  quelques  traits  blancs  jetés  dans 
l'aile;  le  ventre  et  l'estomac  sont  blancs,  et  variés 
de  quelques  taches  de  la  couleur  du  dos  ;  la  poitrine 
et  le  devant  du  cou  sont  d'un  beau  roux  dans  le  mâle  : 
ce  caractère  le  distingue ,  car  la  femelle  représentée 
n*  591,  fig.  2,  de  la  même  planche,  a  la  gorge  blanche. 


^?^Pft»e4»a<»»»9»»<l»9»»»a<p< 


LE  GIP-GIP. 

TROISIÈME    ESPÈCE    MOYENNE. 

Alcedo  brasillensis,  Gmel. 

C'est  cet  oiseau  sans  nom  dans  Marcgrave,  qu'il 
eût  pu  nommer  glp-gip^  puisqu'il  dit  que  c'est  son 


îbj  T^E    GIP-GIP. 

cri.  Il  est  de  la  grandeur  de  l'alonette,  et  de  la  figure 
du  matuitui ,  qui  est  la  quatrième  grande  espèce  des 
inartins-pêcheurs  d'Amérique.  Son  bec  est  droit  et 
noir;  tout  le  dessus  de  la  tête,  du  cou,  les  ailes,  et 
la  queue,  sont  rougeâtres  ,  ou  plutôt  d'un  rouge  bai 
ombré,  mêlé  de  blanc  ;  la  gorge  et  le  dessous  du  corps 
sont  blancs,  et  Ton  voit  un  trait  brun  qui  passe  du 
bec  à  l'œil.  Son  cri  glp-gip  ressemble  au  cri  du  petit 
de  la  poule-d'Inde. 


<g»»fti0«i8«>vg«'»a9i»'i 


LES  PETITS  MARTINS-PEGHEURS 

DU    NOUVEAU    CONTINENT. 


LE  MARTIN-PÊCHEUR  VERT  ET  ORANGÉ. 

Alcedo  siiperciliosa.  Lath. 

Il  n'y  a  en  Amérique  qu'une  seule  espèce  de  mar- 
tin-pêcheur  qu'on  puisse  ?Lppe\er  petite j  et  c'est  celle 
de  l'oiseau  que  nous  indiquons  ici,  n**  766,  fig.  2  , 
le  mâle,  et  fig.  3,  la  femelle,  qui  n'a  pas  cinq  pouces 
de  longueur.  Il  a  tout  le  dessous  du  corps  d'un  orangé 
brillant,  à  l'exception  d'une  tache  blanche  à  la  gorge, 
une  autre  à  l'estomac,  et  une  zone  vert  foncé  au  bas 
du  cou  dans  le  mâle.  La  femelle  n'a  pas  ce  caractère. 
Tous  deux  ont  un  demi-collier  orangé  derrière  le  cou; 
la  tête  et  tout  le  manteau  sont  chargé  d'un  gris  vert» 
et  les  ailes  tachetées  de  petites  gouttes  roussâtres  vers 
l'épaule  et  aux  grandes  pennes,  qui  sont  brunes.  Ed~ 


i 


wards,  qui  a  donné  la  figure  de  ce  marlin-pêcheur , 
dit  qu'il  n'a  pu  découvrir  de  quel  pays  ou  l'avoit  ap- 
porté; mais  nous  l'avons  reçu  de  Cayenne. 

LES  JACAMARS. 

Nous  conserverons  à  ces  oiseaux  le  noui  de  jaca- 
mars  j  tiré  par  contraction  de  leur  nom  brésilien  y^- 
camaclri.  Ce  genre  ne  s'éloigne  de  celui  du  raartin- 
pecheur  qu'en  ce  que    les  jacamars  ont   les  doigts 
disposés  deux  en  devant  et  deux  en  arrière,  au   lieu 
que  les  martins-pecheurs  ont  trois  doigts  en  devant 
et   un  seul  en   arrière  ;  mais  d'ailleurs  les  jacamars 
leur  ressemblent  par  la  forme  du  corps  et  par  celle 
du  bec.  Ils  sont  aussi  tle  la  môme   grosseur  que  les 
espèces  moyennes  dans  les  martins-pêcheurs  ;  et  c'est 
probablement  par  cette  raison  que  quelques  auteurs 
ont  mis  ensemble  ces  àeux  genres  d'oiseaux.  D'autres 
ont  placé  \qs  jacamars  avec  les  pics,  auxquels  ils  res- 
semblent en  effet  par  celte  disposition  de  deux  doigts 
en  devant  et  de  deux  en  arrière.  Le  bec  est  aussi  d'une 
forme  assez  semblable;  mais  dans  les  jacamars  il  est 
beaucoup  plus  long  et  phis  délié;  et  ils  diffèrent  en- 
core des  pics,   en  ce  qu'ils  n'ont  pas  la  langue  plus 
longue  que  le  bec.  La  forme  des  plumes  de  la  queue 
est  aussi  différente;  car  elles  ne  sont  ni  roides  ni  cu- 
néiformes. Il  suit  de  ces  comparaisons  que  les  jaca- 
mars forment  un  genre  à  part,  peut-être  aussi  voisin 
des  pics  que  des  marlins-pêcheurs;  et  ce  petit  genre 
n'est  composé  que  de  deux  espèces  ,  toutes  deux  na- 
turelles aux  climals  chauds  de  l'Amérique. 

UI.U'ÎUX.     XXV.  11 


6G  LE    JACAMAR    PROPREMENT    DIT. 


tis.fr^B'»!)  »»«»»»»«  ■o»M>'»»»n»»»ftfta'»»e»»»8^ 


LE  JACAMAR 

PROPREMENT  DIT. 

PREMIÈRE    ESPÈCE. 

Alcedo  galbula.  Gmel. 

La  longueur  totale  de  cet  oiseau,  n"  235,  est  de  six 
pouces  et  demi,  et  il  est  à  peu  près  de  la  grosseur 
d'une  alouette.  Le  bec  est  long  d'un  pouce  cinq  lignes; 
la  queue  n'a  que  deux  pouces  ,  et  néanmoins  elle  dé- 
passe d'un  pouce  les  ailes  lorsqu'elles  sont  pliées;  les 
pennes  de  la  queue  sont  bien  régulièrement  étagées. 
Les  pieds  sont  très  courts  et  de  couleur  jaunâtre  ;  le 
bec  est  noir,  et  les  yeux  sont  d'un  beau  bleu  foncé  ; 
la  gorge  est  blanche  ,  et  le  ventre  est  roux;  tout  le 
reste  du  plumage  est  d'un  vert  doré  très  éclatant,  avec 
des  reflets  couleur  de  cuivre  rouge. 

Dans  quelques  individus  la  gorge  est  rousse  aussi 
bien  que  le  ventre  ;  dans  d'autres,  la  gorge  n'est  qu'un 
peu  jaunâtre.  La  couleur  du  dessus  du  corps  est  aussi 
plus  ou  moins  brillante  dans  différents  individus  ;  ce 
qu'on  peut  attribuer  à  des  variétés  de  sexe  ou  d'âge. 

On  trouve  cet  oiseau  à  la  Guiane  comme  au  Brésil. 
11  se  tient  dans  les  forêts  ,  où  il  préfère  les  endroils 
plus  humides,  parce  que,  se  nourrissant  d'insectes, 
il  en  trouve  en  plus  grande  quantité  que  dans  les 
terrains  plus  secs.  Il  ne  fréquente  pas  les  endroits 
découverts  et  ne  vole  point  en  troupe  ;  mais  il  reste 


?l2C 


Tome  o5 


1,3^  JACj^ay[AB._2,.l.A&KDîl_31iADEM01SELXiEDB  NmCDEB 


LE    JACAMAK    PROPREMENT    DIT.  1 67 

constamQient  dans  les  bois  les  plus  solitaires  et  les 
plus  sombres.  Son  vol ,  quoique  assez  rapide  ,  est 
très  court.  Il  se  perche  sur  les  branches  à  une  moyenne 
hauteur,  et  y  demeure,  sans  changer  de  place,  pen- 
dant toute  la  nuit  et  pendant  la  plus  grande  partie 
de  la  journée.  Il  est  presque  toujours  en  repos  ;  néan- 
moins il  y  a  ordinairement  plusieurs  de  ces  oiseaux 
dans  le  môme  canton  de  bois,  et  on  les  entend  se 
rappeler  par  un  petit  ramage  court  et  assez  agréable. 
Pison  dit  qu'on  les  mange  au  Brésil ,  quoique  leur 
chair  soit  assez  dure. 


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LE  JACAMAR 

A  LONGUE  QUEUE. 

SECONDE    ESPÈCE, 

Alcedo  paradisea.  Gmel. 

Cet  oiseaîî  est  un  peu  plus  grand  que  le  précédent, 
duquel  il  diffère  par  la  queue,  qui  a  douze  pennes, 
tandis  que  celle  de  l'autre  n'en  a  que  dix  :  d'ailleurs 
les  deux  pennes  du  milieu  sont  bien  plus  longues; 
elles  excèdent  les  autres  de  deux  pouces  trois  lignes, 
et  ont  en  totalité  six  pouces  de  longueur.  Ce  jacamar, 
n"  271,  ressemble  par  la  forme  du  corps,  par  celle 
du  bec,  et  par  la  disposition  des  doigts,  au  premier; 
néanmoins  Edwards  lui  a  placé  trois  doigts  en  avant 
et  un  seul  en  arrière,  et  c'est  apparemment  en  con- 
séquence de  cette  méprise  qu'il  en  fait  un   martin* 


l68       LE  JACAMAR  A  LONGUE  QUEUE. 

pécheur»  Il  diffère  aussi  de  notre  premier  jacamar 
par  la  teinte  et  par  la  distribution  des  couleurs,  qui 
n'ont  rien  de  commun  que  le  blanc  sur  la  gorge  ; 
tout  le  reste  du  plumage  est  d'un  vert  sombre  et 
foncé ,  dans  lequel  on  distingue  seulement  quelques 
reflets  orangés  et  violets. 

Nous  ne  connoissons  pas  la  femelle  dans  l'espèce 
précédente  :  mais  dans  celle-ci  elle  diffère  du  mâle 
par  les  deux  grandes  pennes  de  la  queue,  qu'elle  a 
beaucoup  moins  longues  ;  et  d'ailleurs  l'on  n'aperçoit 
passurson  plumage  les  reflets  orangés  et  violets  qu'on 
voit  sur  celui  du  mâle. 

Ces  jacamars  à  longue  queue  se  nourrissent  d'in- 
sectes comme  les  autres;  mais  c'est  peut-être  leur 
seule  habitude  commune;  car  ceux-ci  fréquentent 
quelquefois  les  lieux  découverts.  Us  volent  au  loin 
et  se  perchent  jusque  sur  la  cime  des  arbres.  Ils  vont 
aussi  par  paires  ,  et  ne  paroissent  pas  être  aussi  soli- 
taires ni  aussi  sédentaires  que  les  autres.  Ils  n'ont 
pas  le  même  ramage  ,  mais  un  cri  ou  sifflement  doux 
qu'on  n'entend  que  de  près  ,  et  qu'ils  ne  répètent  pas 
souvent. 


>-»»»»»»»8  eT^»«»«»tt 


LES  TODIERS. 

MM.  Sloane  et  Browne  sont  les  premiers  qui  aient 
parlé  de  l'un  de  ces  oiseaux,  et  ils  lui  ont  donné  le 
nom  latin  todiis  ^  que  nos  naturalistes  françois  ont 
traduit  par  celui  de  todier.  Ils  ne  font  mention  que 
d'une  seule  espèce  qu'ils  ont  trouvée  à  la  Jamaïque; 


LES    T01>1ERS.  169 

jnais  nous  eu  connoissons  deux  ou  trois  autres,  et 
toutes  appartiennent  aux  climats  cliauds  de  l'Améri- 
que. Le  caractère  distinctif  de  ce  genre  est  d'avoir, 
comme  les  marlins-pêcheurs  et  les  manakins,  le  doigt 
du  milieu  étroitement  uni  et  comme  collé  au  doist 
extérieur  Jusqu'à  la  troisième  articulation  ,  et  uni  do 
ïuême  au  doigt  intérieur,  mais  seulement  jusqu'à  la 
première  articulation.  Si  l'on  ne  consultoit  que  ce 
caractère  ,  les  todiers  seroient  donc  du  genre  des 
martins-pêcbeurs  ou  de  celui  des  manakins;  mais  ils 
diffèrent  de  ces  deux  genres,  et  même  de  tons  les 
autres  oiseaux ,  par  la  forme  du  bec  ,  qui ,  dans  les 
todiers,  est  long,  droit,  obtus  à  son  extrémité,  et 
aplati  en  dessus  comme  en  dessous;  ce  qui  les  a  fait 
nommer  petites  palettes  ou  petites  spatules  par  les 
créoles  de  la  Guiane.  Cette  singulière  conformation 
du  bec  suffit  pour  qu'on  doive  faire  un  genre  particu- 
lier de  ces  oiseaux. 


LE  TODIER 

DE  L'AMÉRIQUE  SEPTENTRIOIN ALE. 

PREMIÈRE    ESPÈCE. 

Todus  viridis.  Gmel. 

Ce  todier  n'est  pas  plus  gros  qu'un  roitelet ,  et  n'a 
tout  au  plus  que  quatre  pouces  de  longueur.  Nous  ne 
copierons  pas  ici  les  longues  descriptions  qu'en  ont 
données  MM.  Browne,  Sloane  et  Brisson,  parce  qu'il 


i;;^0     LE    TODIER    DE    L  AMERIQUE    SEPTENTllIONALE. 

sera  toujours  très  aisé  de    reconnoître    cet  oiseau  , 
lorsqu'on  saura  qu'avec  un  bec  si  singulier,  le  mâle 
est  entièrement  d'un  bleu  foible  et  léger  sur  le  des- 
sus du  corps,  et  blanc  sous  le  ventre,  avec   la  gorge 
et  les  flancs  couleur  de  rose,  et  que  la  femelle  n'est 
pas  bleue  comme  le  mâle  ,  mais  d'un  beau   vert  sur 
le  dos  ,  et  que  le  reste  de  son  plumage  est  semblable 
à  celui  du  mâle,  c'est-à-dire  blanc  et  couleur  de  rose 
aux  mômes  endroits.  Le  bec  de  l'un  et  de  l'autre  est 
rougeâtre ,  mais  d'un  rouge  plus  clair  en  dessous  et 
plus  brun  en  dessus.  Les  pietls  sont  gris,  et  les  on- 
gles sont  longs  et  crochus.  Cet  oiseau  se  nourrit  d'in- 
sectes et  de    petits   vers;    il  habite  dans  des   lieux 
humides  et  solidaires.    Les  deux  individus  qui  sont 
représentés  dans  la  planche  enluminée,  n°  585,  fig.  i 
et   2,  nous  ont  été  evoyés  de  Saint-Domingue  par 
M.  Ghervain,   sous  le  nom  de  perroquets  de  terre; 
mais  il  ne  nous  a  transmis  que  la  description  de   la 
femelle.  Il  observe  que  le  mâle  a ,  dans  le  temps  de 
ses  amours  ,  un  petit  ramage  assez  agréable  ,   que  la 
femelle  fait  son  nid  dans  la  terre  sèche ,  et  préféra- 
blement  encore  dans  le   tuf  tendre  :  il  dit  que  ces 
oiseaux  choisissent  à  cet  efiet  les  ravines  et  les  peti- 
tes crevasses  de  la  terre.  On  les  voit  aussi  nicher  assez 
souvent  dans   les  galeries  basses  des  habitations,  et 
toujours  dans  la  terre  ;  ils  la  creusent  avec  le  bec  et 
les  pattes  :  ils  y  forment  un   trou    rond,   évasé  dans 
le  fond ,  où  ils   placent    des  pailles  souples  ,   de   la 
mousse  sèche,  du  coton,  et  des  plumes,  qu'ils  dis- 
posent avec  art.  La  iemelle  pond  quatre  ou  cinq  œufs 
de  couleur  grise,  et  tachetés  de  jaune  foncé. 

Il»  itttiapenl  avec  beaucoup  d'adresse  les  mouches 


LE    TODIKR    DE    L  AMERIQUE    SEPTENTRIONALE.      l^ï 

et  autres  insectes  volants.  Ils  sont  très  difficiles  à  éle- 
ver ;  cependant  on  y  réussiroit  peut-être  si  on  les 
prenoit  jeunes  et  si  on  les  faisoit  nourrir  par  le  père 
et  la  mère,  en  les  tenant  dans  une  cage  jusqu'à  ce 
qu'ils  fussent  en  état  de  manger  seuls.  Ils  sont  très 
attachés  à  leurs  petits,  ils  en  poursuivent  le  ravisseur, 
et  ne  l'abandonnent  pas  tant  qu'ils  les  entendent 
crier. 

Nous  venons  de  voir  que  MM.  Sloane  et  Browne 
ont  reconnu  cet  oiseau  à  la  Jamaïque  ;  mais  il  se 
trouve  aussi  à  la  Martinique,  d'où  M.  de  Chanvalon 
l'avoit  envoyé  à  M.  de  Réaumur.  Il  paroît  donc  que 
cette  espèce  appartient  aux  îles  et  aux  terres  les  plus 
chaudes  de  l'Amérique  septentrionale  :  mais  nous  n'a- 
vons aucun  indice  qu'elle  se  trouve  également  dans 
les  climats  de  l'Amérique  méridionale ,  du  moins 
Marcgrave  n'en  fait  aucune  mention. 


LE  TIC-TIC, 

ou  TODIER  DE  L'AMÉRIQUE  MÉRIDIONALE. 

SECONDE    ESPÈCE. 

Todus  cinereus.  Gmel. 

Les  naturels  de  Cayenne  ont  appelé  cet  oiseau  tic- 
tic^  par  imitation  de  son  cri.  Il  est  aussi  petit  que 
le  précédent;  il  lui  ressemble  parfaitement  par  le 
bec  et  par  la  conformation  des  doigts  :  il  n'en  diffère 
que  par  les  couleurs,  le  tic-tic  étant  d  une  couleur 
cendrée ,   mêlée  d'un   bleu  foncé  sur  le  dessus  du 


1^2      LE    TIOTIC,    OU    ïODIEll    I>E    L  AMER.    MERID. 

corps,  au  lieu  que  l'autre  est,  sur  les  mêmes  par- 
ties, d'un  bleu  céleste  léger.  Cette  différence  dans  la 
nuance  des  couleurs  n'indiqueroit  qu'une  variété,  et 
non  pas  une  espèce  séparée  ;  mais  le  tic-tic  a  tout  le 
dessous  du  corps  jaune ,  et  n'a  point  de  couleur  de 
rose  à  la  gorge  ni  sur  les  flancs  :  d'ailleurs ,  comme 
il  paroît  être  d'un  autre  climat ,  nous  avons  jugé 
qu'il  étoit  aussi  d'une  autre  espèce.  Il  diffère  encore 
du  todier  de  l'Amérique  septentrionale  en  ce  que 
l'extrémité  des  deux  pennes  latérales  de  la  queue  est 
blanche ,  sur  une  longueur  de  cinq  à  six  lignes  :  néan- 
moins ce  caractère  est  particulier  au  mâle;  car  les 
pennes  latérales  de  la  queue  de  la  femelle  sont  de 
couleur  uniforme,  et  d'un  gris  cendré  semblable  à  la 
couleur  du  dessus  du  corps.  La  femelle  diffère  encore 
du  mâle  en  ce  que  toutes  ses  couleurs  sont  moins 
vives  et  moins  foncées. 

Cet  oiseau,  n°  585,  fig.  5.  vit  d'insectes  comme  le 
précédent.  Il  habite  de  préférence  les  lieux  décou- 
verts; on  ne  le  trouve  guère  dans  les  grands  bois, 
mais  souvent  dans  les  halliers  sur  les  buissons. 


LE  ÏODIER  BLEU 

A  VENTRE  ORANGÉ^. 

TROISIÈME    ESPÈCE. 

Todus  cœruleus.  Gmel. 

IN  eus  avons  iait  dessiner  ce  todier  sur  un  individu 
bien  conservé  dans  le  cabinet  de  M.  Aubry,  curé  de 

\.  K"  780,  fig.i,souj'  Jn  clctioroination  de  todier  de  Juida.  Nous  ob 


LE    TODIER    BLEU    A  VENTRE    ORANGÉ.         l'jT) 

Saint-Louis.  Il  a  trois  ponces  six  lignes  de  longueur. 
Le  dessus  de  la  tête,  du  cou ,  et  tout  le  dos,  sont  d'un 
beau  bleu  fonce,  la  queue  et  la  pointe  des  couvertu- 
res des  ailes  sont  de  cette  même  couleur;  tout  le  des- 
sous du  corps,  ainsi  que  les  côtés  de  la  tête  et  du 
cou,  sont  d'un  bel  orangé;  le  dessous  de  la  gorge 
est  blanchâtre  ;  il  y  a  près  des  yeux  de  petits  pin- 
ceaux d'un  pourpre  violet.  Cette  description  suffit 
pour  distinguer  ce  todier  des  autres  de  son  genre. 

II  y  a  un  quatrième  oiseau  que  M.  Brisson  a  indi- 
qué ,  d'après  Aldrovande  ,  sous  le  nom  de  todier  va- 
rié _,  et  dont  nous  rapporterons  ici  la  description ,  telle 
que  ces  deux  auteurs  l'ont  donnée.  11  est  de  la  gran- 
deur du  roitelet  :  il  a  la  tête ,  la  gorge  et  le  cou  d'un 
bleu  noirâtre  ;  les  ailes  vertes  ;  les  pennes  de  la  queue 
noires,  bordées  de  vert,  et  le  reste  du  plumage  varié 
de  bleu,  de  noir  et  de  vert.  Mais  comme  M.  Brisson 
ne  parle  pas  de  la  forme  du  bec ,  et  qu'Aldrovande , 
qui  est  le  seul  qui  ait  vu  cet  oiseau,  n'en  fait  aucune 
mention,  nous  ne  pouvons  décider  s'il  appartient  en 
effet  au  genre  du  todier. 

serverons  que  le  nouveau  continent  est  le  seul  où  se  trouvent  les  to- 
diers,  et  que  l'on  s'est  mépris  lorsqu'on  a  dit  à  M.  le  curé  de  Saini- 
î^ouis  que  celui-ci  venoit  de  Juida  en  Afrique. 


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LES  OISEAUX  AQUATIQUES. 


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Les  oiseaux  d'eau  sont  les  seuls  qui  réunissent  à  la 
jouissance  de  l'air  et  de  la  terre  la  possession  de  la 
mer;  de  nombreuses  espèces,  toutes  très  multipliées, 
en  peuplent  les  rivages  et  les  plaines;  ils  voguent  sur 
les  flots  avec  autant  d'aisance  et  plus  de  sécurité  qu'ils 
ne  volent  dans  leur  élément  naturel  ;  partout  ils  trou- 
vent une  subsistance  abondante ,  une  proie  qui  ne 
peut  les  fuir;  et,  pour  la  saisir,  les  uns  fendent  les 
ondes  et  s'y  plongent ,  d'autres  ne  font  que  les  effleu- 
rer en  rasant  leur  surface  par  un  vol  rapide  ou  mesuré 
sur  la  distance  et  la  quantité  des  victimes.  Tous  s'é- 
lablissent  sur  cet  élément  mobile  comme  dans  un 
domicile  fixe;  ils  s'y  rassemblent  en  grande  société, 
et  vivent  tranquillement  au  milieu  des  orages;  ils  sem- 
blent même  se  jouer  avec  les  vagues,  lutter  contre 
les  vents  ,  et  s'exposer  aux  tempêtes  sans  les  redouter 
ni  subir  de  naufrage. 

Ils  ne  quittent  qu'avec  peine  ce  domicile  de  choix, 
et  seulement  dans  le  temps  que  le  soin  de  leur  pro- 
géniture, en  les  attachant  au  rivage,  ne  l^ur  permet 
plus  de  fréquenter  la  mer  que  par  instants;  car,  dès 
que  leurs  petits  sont  éclos,  ils  les  conduisent  à  ce  sé- 
jour chéri,  que  ceux-ci  chériront  bientôt  eux-mêmes, 
comme  plus  convenable  à  leur  nature  que  celui  de  la 
terre.  En  effet,  ils  peuvent  y  rester  autant  qu'il  leur 


1^6  LES    OISEALX    AQUATIQUES. 

plaît,  saas  être  pénétrés  de  l'humidité  et  sans  rien 
perdre  de  leur  agilité,  puisque  leur  corps,  mollement 
porté,  se  repose  même  en  nageant,  et  reprend  bien- 
tôt les  forces  épuisées  par  le  vol.  La  longue  obscurité 
des  nuits,  ou  la  continuité  des  tourmentes,  sont  les 
seules  contrariétés  qu'ils  éprouvent  et  qui  les  obli- 
gent à  quitter  la  mer  par  intervalles.  Ils  servent  alors 
d'avant-coureurs  ou  plutôt  de  signaux  aux  voyageurs^ 
en  leur  annonçant  que  les  terres  sont  prochaines* 
Néanmoins  cet  indice  est  souvent  incertain  ;  plusieurs 
de  ces  oiseaux  se  portent  en  mer  quelquefois  si  loin 
que  M.  Cook  conseille  de  ne  point  regarder  leur  ap- 
parition comme  une  indication  certaine  du  voisinage 
de  la  terre;  et  tout  ce  que  l'on  peut  conclure  de 
l'observation  des  navigateurs,  c'est  que  la  plupart  de 
ces  oiseaux  ne  retournent  pas  chaque  nuit  au  rivage, 
et  que  quand  il  leur  faut,  pour  le  trajet  ou  le  retour, 
quelquespointsde  repos,  ils  les  trouventsurlesécueils, 
ou  même  les  prennent  sur  les  eaux  de  la  mer. 

La  forme  du  corps  et  des  membres  de  ces  oiseaux 
indique  assez  qu'ils  sont  navigateurs-nés  et  habitants 
naturels  de  l'élément  liquide  :  leur  corps  est  arqué  et 
bombé  comme  la  carène  d'un  vaisseau,  et  c'est  peut- 
être  sur  cette  figure  que  l'homme  a  tracé  celle  de  ses 
premiers  navires;  leur  cou,  relevé  sur  une  poitrine 
saillante,  en  représente  assez  bien  la  proue;  leur 
queue  courte  et  toute  rassemblée  en  un  seul  faisceau 
sert  de  gouvernail  ;  leurs  pieds  larges  et  palmés  font 
l'ofûce  de  véritables  rames  ;  le  duvet  épais  et  lustré 
d'huile  qui  revêt  tout  le  corps  est  un  goudron  naturel 
qui  le  rend  impénétrable  à  l'humidité,  en  même  temps 
qu'il  le  fait  flotter  plus  légèrement  à  la  surface  des 


LES    OISEAUX    AQUATIQUES.  I77 

eaux.  Et  ceci  n'est  encore  qu'un  aperçu  des  facultés 
que  la  nature  a  données  à  ces  oiseaux  pour  la  navi- 
oation  ;  leurs  habitudes  naturelles  sont  conformes  à 
ces  facultés;  leurs  mœurs  y  sont  assorties  :  ils  ne  se 
plaisent  nulle  part  autant  que  sur  l'eau  ;  ils  semblent 
craindre  de  se  posera  terre;  la  moindre  aspérité  du 
sol  blesse  leurs  pieds,  ramollis  par  l'habitude  de  ne 
presser  qu'une  surface  humide  :  enfin  l'eau  est  pour 
eux  un  lieu  de  repos  et  de  plaisir  où  tous  leurs  mou- 
vements s'exécutent  avec  facilité,  où  toutes  leurs 
fonctions  se  font  avec  aisance,  où  leurs  différentes 
évolutions  se  tracent  avec  grâce.  Yoyez  ces  cygnes 
nager  avec  mollesse  ou  cingler  sur  l'onde  avec  majesté; 
ils  s'y  jouent ,  s'ébattent ,  y  plongent,  et  reparoissent 
avec  les  mouvements  agréables,  les  douces  ondula- 
tions, et  la  tendre  énergie,  qui  annoncent  et  expri- 
ment les  sentiments  sur  lesquels  tout  amour  est 
fondé  :  aussi  le  cygne  est-il  l'emblème  de  la  grâce  , 
premier  trait  qui  nous  frappe,  même  avant  ceux  de 
la  beauté. 

La  vie  de  l'oiseau  aquatique  est  donc  plus  paisible 
et  moins  pénible  que  celle  de  la  plupart  des  autres 
oiseaux;  il  emploie  beaucoup  moins  de  forces  pour 
nager  que  les  autres  n'en  dépensent  pour  voler.  L'é- 
lément qu'il  habite  lui  olfre  à  chaque  instant  sa  sub- 
sistance :  il  la  rencontre  plus  qu'il  ne  la  cherche,  et 
souvent  le  mouvement  de  l'onde  l'amène  à  sa  portée; 
il  la  prend  sans  fatigue,  comme  il  l'a  trouvée  sans 
peine  ni  travail,  et  cette  vie  plus  douce  lui  donne  en 
même  temps  des  mœurs  plus  innocentes  et  des  habi- 
tudes pacifiques.  Chaque  espèce  se  rassemble  par  le 
sentiment  d'un  amour  mutuel  ;  nul  des  oiseaux  n'at- 


Î70  LES    OISEAUX    AQUATIQUES. 

taque  son  semblable  ,  mil  ne  fait  sa  victime  d'aucun 
autre  oiseau;  et  dans  cette  grande  et  tranquille  nation 
on  ne  voit  point  le  plus  fort  inquiéter  le  plus  foible  : 
bien  différent  de  ces  tyrans  de  l'air  et  de  la  terre  qui 
ne  parcourent  leur  empire  que  pour  le  dévaster,  et 
qui,  toujours  en  guerre  avec  leurs  semblables,  ne 
cherchent  qu'à  les  détruire,  le  peuple  ailé  des  eaux, 
partout  en  paix  avec  lui-même,  ne  s'est  jamais  souillé 
du  sang  de  son  espèce  ;  respectant  même  le  genre 
entier  des  oiseaux,  il  se  contente  d'une  chère  moins 
noble,  et  n'emploie  sa  force  et  ses  armes  que  contre 
le  genre  abject  des  reptiles  et  le  genre  muet  des  pois- 
sons. Néanmoins  la  plupart  de  ces  oiseaux  ont ,  avec 
une  grande  véhémence  d'appétit,  les  moyens  d'y  sa- 
tisfaire; plusieurs  espèces,  comme  celles  du  harle , 
du  cravan,  du  tadorne,  etc.  ,  ont  les  bords  intérieurs 
du  bec  armés  de  dentelures  assez  tranchantes  pour 
que  la  proie  saisie  ne  puisse  s'échapper;  presque  tous 
sont  plus  voraces  que  les  oiseaux  terrestres;  et  il  faut 
avouer  qu'il  y  en  a  quelques  uns,  tels  que  les  ca- 
nards, mouettes,  etc.,  dont  le  goût  est  si  peu  délicat 
qu'ils  dévorent  avec  avidité  la  chair  morte  et  les  en- 
trailles de  tous  les  animaux. 

ÎNous  devons  diviser  en  deux  grandes  familles  la 
nombreuse  tribu  des  oiseaux  aquatiques;  car,  à  côté 
de  ceux  qui  sont  navigateurs  et  à  pieds  palmés  ,  la  na- 
ture a  placé  les  oiseaux  de  rivage  et  à  pieds  divisés, 
qui,  quoique  différents  pour  les  formes,  ont  néan- 
moins plusieurs  rapports  et  quelques  habitudes  na- 
turelles avec  les  premiers  :  ils  sont  taillés  sur  un  autre 
modèle;  leur  corps  grêle  et  de  figure  élancée,  leurs 
pieds  dénués  de  membranes,  ne  leur  permettent  ni 


LES    OISEAUX    AQUATIQUES.  1  ^C) 

de  plonger  ni  de  se  soutenir  sur  Teau  ;  ils  ne  peuvent 
qu'en  suivre  les  rives  :  montés  sur  de  très  longues 
jambes,  avec  un  cou  tout  aussi  long,  ils  n'entrent 
que  dans  les  eaux  basses,  où  ils  peuvent  marcher; 
ils  cherchent  dans  la  vase  la  pâture  qui  leur  con- 
vient; ils  sont  pour  ainsi  dire  amphibies,  attachés  aux 
limites  de  la  terre  et  de  l'eau ,  comme  pour  former  en 
ce  genre  les  degrés  et  les  nuances  des  différentes  ha- 
bitudes qui  résultent  de  la  diversité  des  formes  dans 
toute  nature  organisée. 

Ainsi,  dans  l'immense  population  des  habitants  de 
l'air,  il  y  a  trois  états  ou  plutôt  trois  patries,  trois 
séjours  diflerents  :  aux  uns  la  nature  a  donné  la  terre 
pour  domicile  ;  elle  a  envoyé  les  autres  cingler  sur 
les  eaux,  en  môme  temps  qu'elle  a  placé  des  espèces 
intermédiaires  aux  confins  de  ces  deux  éléments  , 
afin  que  la  vie,  produite  en  tous  lieux  et  variée  sous 
toutes  les  formes  possibles,  ne  laissât  rien  à  ajouter 
à  la  richesse  de  la  création,  ni  rien  à  désirer  à  nolrt' 
admiration  sur  les  merveilles  de  l'existence. 

Nous  avons  eu  souvent  occasion  de  remarquer 
qu'aucune  espèce  des  quadrupèdes  du  midi  et  de 
l'un  des  continents  ne  s'est  trouvée  dans  l'autre,  et 
que  la  plupart  des  oiseaux,  malgré  le  privilège  des  ai- 
les, n'ont  pu  s'affranchir  de  celte  loi  commune  :  mais 
cette  loi  ne  subsiste  plus  ici;  autant  nous  avons  eu 
d'exemples  et  donné  de  preuves  qu'aucune  des  espè- 
ces qui  n'avoient  pu  passer  par  le  nord  ne  se  trou- 
voit  commune  aux  deux  continents,  autant  nous  al- 
lons voir  d'oiseaux  aquatiques  se  trouver  également 
dans  les  deux,  et  même  dans  les  îles  les  plus  éloignées 
de  toute  terre  habitée. 


l80  LES    OISE  AL  X    AQLATIQIJES. 

L'Amérique  méridionale,  séparée  par  de  vastes  mers 
des  terres  de  l'Afrique  et  de  l'Asie ,  inaccessible  par 
cette  raison  à  tous  les  animaux  quadrupèdes  de  ce  con- 
tinent, l'étoit  aussi  pour  le  plus  grand  nombre  des  es- 
pèces d'oiseaux  qui  n'ont  jamais  pu  fournir  ce  trajet 
immense  d'un  seul  vol  et  sans  point  de  repos.  Les  es- 
pèces des  oiseaux  terrestres  et  celles  des  quadrupèdes 
de  celte  partie  de  l'Amérique  se  sont  trouvées  égale- 
ment inconnues  :  mais  ces  grandes  mers  qui  font  une 
barrière  insurmontable  de  séparation  pour  les  ani- 
maux et  les  oiseaux  de  terre  ont  été  franchies  et  tra- 
versées au  vol  et  à  la  nage  par  les  oiseaux  d'eau  ;  ils 
ont  eu  le  même  avantage  que  les  peuples  navigateurs 
qui  se  sont  établis  partout;  car  on  a  trouvé  dans  l'A- 
mérique méridionale  ,  non  seulement  les  oiseaux  in- 
digènes et  propres  à  cette  terre,  mais  encore  la  plus 
grande  partie  des  espèces  d'oiseaux  aquatiques  des  ré- 
gions correspondantes  dans  l'ancien  continent*. 

Et  ce  privilège  d'avoir  passé  d'un  monde  à  l'autre  , 
dans  les  contrées  du  midi,  semble  s'être  étendu  jus- 
qu'aux oiseaux  de  rivage  :  non  que  les  eaux  aient  pu 
leur  fournir  une  route,  puisqu'ils  ne  s'y  engagent  pas  et 
n'en  habitent  que  les  bords;  mais  parce  qu'en  suivant 
les  rivages  et  allant  de  proche  en  proche  ils  sont  parve- 
nus jusqu'aux  extrémités  de  tous  les  continents.  Et  ce 
qui  a  du  faciliter  ces  longs  voyages,  c'est  que  le  voisi- 
nage de  l'eau  rend  les  climats  plus  égaux;  l'air  de  la 
mer,  toujours  frais,  même  dans  les  chaleurs,  et  tem- 
péré pendant  les  froids,  établit  pour  les  habitants  des 
rivages  une  égalité  de  température  qui  les  empêche  de 

1.  Voyez  ci-après  les  histoires  du  pkénicoptèrc,  du  pélican,  de  la 
frégate ,  àcYûiscaa  du  tropique,  etc.,  etc. 


LES    OISEAUX    AQUATIQUES.  l8ï 

sentir  la  trop  forte  impression  des  vicissitudes  du  ciel , 
et  leur  compose  pour  ainsi  dire  un  climat  praticable 
sous  toutes  les  latitudes,  en  choisissant  les  saisons  : 
aussi  plusieurs  espèces  qui  voyagent  en  été  dans  les 
terres  du  nord  de  notre  continent,  et  qui  communi- 
quent par  là  aux  terres  septentrionales  de  l'Amérique , 
paroissent  être  parvenues  de  proche  en  proche,    en 
suivant  les  rivages,  jusqu'à  l'extrémité  de  ce  nouveau 
continent;  car  l'on  reconnoît  dans  les  régions  austra- 
les de  l'Amérique  plusieurs  espèces  d'oiseaux  de  ri- 
vage qui  se  trouvent  également  dans  les  contrées  bo- 
réales des  deux  continents^. 

La  plupart  de  ces  oiseaux  aquatiques  paroissent 
être  demi-noclurnes  :  les  hérons  rôdent  la  nuit;  la 
bécasse  ne  commence  à  voler  que  le  soir;  le  butor 
crie  encore  après  la  chute  du  jour  ;  on  entend  les  grues 
se  réclamer  du  haut  des  airs  dans  le  silence  et  l'ob- 
scurité des  nuits,  et  les  mouettes  se  promener  dans 
le  môme  temps;  le  volées  d'oies  et  de  canards  sauva- 
ges qui  tombent  sur  nos  rivières  y  séjournent  plus  la 
nuit  que  le  jour.  Ces  habitudes  tiennent  à  plusieurs 
circonstances  relatives  à  leur  subsistance  et  à  leur  sé- 
curité :  les  vers  sortent  de  terre  à  la  fraîcheur;  les 
poissons  sont  en  mouvement  pendant  la  nuit ,  dont 
l'obscurité  dérobe  ces  oiseaux  à  l'œil  de  l'homme  et 
de  leurs  ennemis.  Néanmoins  l'oiseau  pêcheur  ne  pa- 
roît  pas  assez  se  défier  de  ceux  mêmes  qu'il  attaque  : 
ce  n'est  pas  toujours  impunément  qu'il  fait  sa  proie 
des  poissons  ;  quelquefois  le  poisson  le  saisit  et  l'avale. 

i.  Voyez  ci-après  l'histoire  des  pluviers ,  des  hérons ,  des  spatules, 
etc.,  etc. 

BIFFON.     XXV.  12 


l82  LÈS    OISEAUX    AQUATIQUES. 

Nous  avons  trouvé  un  martin-pêcheur  dans  ie  ventre 
d'une  anguille  ;  le  brochet  gobe  assez  souvent  les  oi- 
seaux qui  plongent  ou  frisent  en  volant  la  surface  de 
l'eau ,  et  même  ceux  qui  viennent  seulement  pour 
boire  et  se  baigner;  et,  dans  les  mers  froides,  les 
baleines  et  les  cachalots  ouvrent  le  gouffre  de  leur 
énorme  bouche,  non  seulement  pour  engloutir  des 
colonnes  de  harengs  et  d'autres  poissons,  mais  aussi 
les  oiseaux  qui  sont  à  leur  poursuite,  tels  que  les 
albatros,  les  pinguins,  les  macreuses,  etc.,  dont  on 
trouve  les  squelettes  ou  les  cadavres  encore  récents 
dans  le  large  estomac  de  ces  grands  cétacés. 

Ainsi  la  nature,  en  accordant  de  grandes  préroga- 
tives aux  oiseaux  aquatiques ,  les  a  soumis  à  quelques 
inconvénients;  elle  leur  a  même  refusé  l'un  de  ses  plus 
nobles  attributs  :  aucun  d'eux  n'a  de  ramage,  et  ce 
qu'on  a  dit  du  chant  du  cygne  n'est  qu'une  chanson 
de  la  fable;  car  rien  n'est  plus  réel  que  la  diflérence 
frappante  qui  se  trouve  entre  la  voix  des  oiseaux  de 
terre  et  celle  des  oiseaux  d'eau.  Ceux-ci  l'ont  forte  et 
grande,  rude  et  bruyante,  propre  à  se  faire  entendre 
de  très  loin  ,  et  à  retentir  sur  la  vaste  étendue  des  pla- 
ges de  la  mer  :  cette  voix ,  toute  composée  de  tons  rau- 
ques,  de  cris  et  de  clameurs,  n'a  rien  de  ces  accents 
flexibles  et  moelleux,  ni  de  cette  douce  mélodie  dont 
nos  oiseaux  champêtres  animent  nos  bocages  en  célé- 
brant le  printemps  et  l'amour,  comme  si  l'élément  re- 
doutable où  régnent  les  tempêtes  eût  à  jamais  écarté 
ces  charmants  oiseaux,  dont  le  chant  paisible  ne  se  fait 
entendre  qu'aux  beaux  jours  et  dans  les  nuits  tran- 
quilles, et  que  la  nier  n'eût  laissé  à  ces  habitants  ailés 


LES    OISEAUX    AQUATIQUES.  1 85 

que  les  sons  grossiers  et  sauvages  qui  percent  à  travers 
le  bruit  des  orages  ,  et  par  lesquels  ils  se  réclament 
dans  le  tumulte  des  vents  et  le  fracas  des  vagues. 

Du  reste  la  quantité  des  oiseaux  d'eau,  en  y  com- 
prenant ceux  de  rivages  et  les  comptant  par  le  nom- 
bre des  individus,  est  peut-être  aussi  grande  que  celle 
des  oiseaux  de  terre.  Si  ceux-ci  ont  pour  s'étendre 
les  monts  et  les  plaines,  les  champs  et  les  forêts,  les 
autres,  bordant  les  rives  des  eaux,  ou  se  portant  au 
loin  sur  leurs  flots,  ont  pour  habitation  un  second 
élément  aussi  vaste,  aussi  libre  que  l'air  même;  et, 
si  nous  considérons  la  multiplication  par  le  fonds  des 
subsistances,  ce  fonds  nous  paroîtra  aussi  abondant 
et  plus  assuré  peut-être  que  celui  des  oiseaux  terres- 
tres, dont  une  partie  de  la  nourriture  dépend  de  l'in- 
fluence des  saisons,  et  une  autre  très  grande  partie 
du  produit  des  travaux  de  l'homme.  Gomme  l'abon- 
dance est  la  base  de  toute  société,  les  oiseaux  aqua- 
tiques paroissent  plus  habituellement  en  troupes  que 
les  oiseaux  de  terre,  et  dans  plusieurs  familles  ces 
troupes  sont  très  nombreuses  ou  plutôt  innombrables  : 
par  exemple,  il  est  très  peu  d'espèces  terrestres,  au 
moins  d'égale  grandeur,  plus  multipliées  dans  l'état 
de  nature  que  le  paroissent  être  celles  des  oies  et  des 
canards;  et  en  général  il  y  a  d'autant  plus  de  réunion 
parmi  les  animaux  qu'ils  sont  plus  éloignés  de  nous. 

Mais  les  oiseaux  terrestres  sont  d'autant  plus  nom- 
breux en  espèces  et  en  individus,  que  les  climats  sont 
plus  chauds  :  les  oiseaux  d'eau  semblent,  au  contraire, 
chercher  les  climats  froids;  car  les  voyageurs  nous 
apprennent  que  sur  les  côtes  glaciales  du  septentrion, 
les  goélans,  les  pinguins ,  les  macreuses,  se  trouvent 


l84  LES    OISEAUX    AQUATIQUES. 

à  milliers  et  en  aussi  grand  nombre  que  les  albatros, 
les  manchots,  les  pétrels  ,  sur  les  îles  glacées  des  ré- 
gions antarctiques. 

Cependant  la  fécondité  des  oiseaux  de  terre  paroît 
surpasser  celle  des  oiseaux  d'eau  :  aucune  espèce  en 
effet  parmi  ces  dernières  ne  produit  autant  que  celles 
de  nos  oiseaux  gallinacés,  en  les  comparant  à  gros- 
seur éijale.  A  la  vérité,  cette  fécondité  des  oiseaux 
granivores  pourroit  s'être  accrue  par  l'augmentation 
des  subsistances  que  l'homme  leur  procure  en  culti- 
vant la  terre  :  néanmoins  dans  les  espèces  aquatiques 
qu'il  a  su  réduire  en  domesticité  ,  la  fécondité  n'a  pas 
fait  les  mêmes  progrès  que  dans  les  espèces  terrestres; 
le  canard  et  l'oie  domestiques  ne  pondent  pas  autant 
d'œuls  que  la  poule;  éloignés  de  leur  élément  et  pri- 
vés de  leur  liberté,  ces  oiseaux  perdent  sans  doute 
plus  que  nos  soins  ne  peuvent  leur  donner  ou  leur 
rendre. 

Aussi  ces  espèces  aquatiques  sont  plutôt  captives  que 
donîestiques;  elles  conservent  les  germes  de  leur  pre- 
mière liberté,  qui  se  manifeste  par  une  indépendance 
que  les  espèces  terrestres  paroissent  avoir  totalement 
perdue;  ils  dépérissent  dès  qu'on  les  tient  renfermés; 
il  leur  faut  l'espace  libre  des  champs  et  ia  fraîcheur 
des  eaux,  où  ils  puissent  jouir  d'une  partie  de  leur 
franchise  naturelle;  et  ce  qui  prouve  qu'ils  n'y  re- 
noncent pas,  c'est  qu'ils  se  rejoignent  volontiers  à 
leurs  frères  sauvages  ,  et  s*enfuiroient  avec  eux  si  l'on 
n'avoit  pas  soin   de  leur  rogner  les  ailes ^.  Le  cygne, 

1 .  Quoiqu'il  y  ait  des  exemples  de  canards  et  d'oies  privés  qui  sen- 
fuient  avec  les  sauvages ,  il  est  à  présumer  qu'ils  s'en  trouvent  mal , 
et  qu'étant  les  moins  nombreux,  ils  sont  bientôt  punis  de  leur  infidé- 


LES    OISEAUX    AQUATIQUES.  1 85 

ornement  des  eaux  de  nos  superbes  jardins  ,  a  plus  l'air 
d'y  voyager  en  pilote  et  de  s'y  promener  en  maître, 
que  d'y  être  attaché  comme  esclave. 

Le  peu  de  gêne  que  les  oiseaux  aquatiques  éprou- 
vent en  captivité  fait  qu'ils  n'en  portent  que  de  légères 
empreintes;  leurs  espèces  ne  s'y  modifient  pas  au- 
tant que  celles  des  oiseaux  terrestres;  elles  y  subis- 
sent moins  de  variétés  pour  les  couleurs  et  les  formes; 
elles  perdent  moins  de  leurs  traits  naturels  et  de  leur 
type  originaire  :  on  peut  le  reconnoître  par  la  compa- 
raison de  l'espèce  du  canard,  qiii  n'admet  dans  nos 
basses-cours  que  peu  de  variétés,  tandis  que  celle  de 
la  poule  nous  olTre  une  multitude  de  races  nouvelles 
et  factices,  qui  semblent  effacer  et  confondre  la  race 
primitive.  D'ailleurs  les  oiseaux  aquatiques  étant  pla- 
cés loin  de  la  terre  ne  nous  connoissent  que  peu.  11 
semble  qu'en  les  établissant  sur  les  mers,  la  nature  les 
ait  soustraits  à  l'empire  de  l'homme  ,  qui,  plus  foible 
qu'eux  sur  cet  élément ,  n'en  est  souvent  que  le  jouet 
ou  la  victime. 

Les  mers  les  plus  abondantes  en  poissons  attirent  et 
fixent  pour  ainsi  dire  sur  leurs  bords  des  peuplades  in- 
nombrables de  ces  oiseaux  pêcheurs  :  on  en  voit  une 
multitude  infinie  autour  des  îles  Samhales^  et  sur  la 
côte  de  l'isthme  de  Panama,  particulièrement  du  côté 

lilé;  car  l'antipathie  entre  les  oiseaux  sauvages  et  doinesliques  sub- 
siste dans  ces  espèces  comme  dans  toutes  les  autres;  et  nous  sommes 
informés  par  un  témoin  digue  de  foi  *  qu'ayant  mis  dans  un  vivier  de 
jeunes  canards  sauvages,  pris  au  nid  dans  un  marais,  avec  d'autres 
canards  privés  et  à  peu  près  du  même  âge,  ils  attaquèrent  les  sauva 
ges,  et  vinrent  à  bout  de  les  tuer  en  moins  de  deux  ou  trois  jours. 

*Lf.  s-ieur  Tiocouit  ,  que  jSi  déjà  cité  dans  quelques  riidioiis. 


l86  LliS    OISEAUX    AQUATIQUES. 

(iu  nord;  il  n'y  en  a  pas  moins  à  l'occident  sur  la  cote 
méridionale  ,  et  peu  sur  la  côte  septentrionale.  Wafer 
en  donne  pour  raison  que  la  baie  de  Panama  n'est  pas 
aussi  poissonneuse  à  beaucoup  près  que  celle  des  Sam- 
bales.  Les  grands  fleuves  de  l'Amérique  septentrio- 
nale sont  tous  couverts  d'oiseaux  d'eau.  Les  habitants 
de  la  Nouvelle-Orléans  ,  qui  en  faisoient  la  chasse  sur 
le  Mississipi ,  avoient  établi  une  petite  branche  de  com- 
merce de  leur  graisse  ou  de  l'huile  qu'ils  en  tiroient. 
Plusieurs  îles  ont  reçu  les  noms  d'Iles-aux-Oiseaux, 
parce  qu'ils  en  étoient  les  seuls  habitants  lorsqu'on  en 
fit  la  découverte ,  et  que  leur  nombre  étoit  prodigieux. 
L'île  à'Aves,  entre  autres  ,  à  cinquante  lieues  sous  le 
vent  de  la  Domijiique ,  est  si  couverte  d'oiseaux  de  mer 
qu'on  n'en  voit  nulle  part  en  aussi  grande  quantité  : 
on  y  trouve  des  pluviers ,  des  chevaliers,  diverses  sor- 
tes de  poules  d'eau;  des p/iénicoptères  ou  flamans,  des 
pélicans,  des  mouettes,  des  frégates,  des  fous,  etc. 
Labat,  qui  nous  donne  ces  faits,  remarque  que  la 
côte  est  extrêmement  poissonneuse,  et  que  ses  hauts- 
fonds  sont  toujours  couverts  d'une  immense  quantité 
de  coquillages.  Les  œufs  de  poissons,  qui  flottent 
souvent  par  de  grands  bancs  à  la  surface  de  la  mer, 
n'attirent  pas  moins  d'oiseaux  à  leur  suite.  Il  y  a  aussi 
certains  endroits  des  côtes  et  des  îles  dont  le  sol  en- 
tier,  jusqu'à  une  assez  grande  profondeur,  n'est  com- 
posé que  de  la  fiente  des  oiseaux  aquatiques  :  telle 
est,  vers  la  côte  du  Pérou,  l'île  d'Iqui.que,  dont  les 
Espagnols  tirent  ce  fumier  et  le  transportent  pour 
servir  d'engrais  aux  terres  du  continent.  Les  rochers 
du  Groenland  sont  couverts  aux  sommets  d'une  espèce 
de  tourbe  formée  de  cette  même  matière  et  du  dé- 


LES    OISEAUX    AQUATIQUES.  1 87 

bris  des  nids  de  ces  oiseaux.  Ils  sont  aussi  nombreux 
sur  les  îles  de  la  Norwége  ,  d'Islande  ,  et  de  Feroé ,  où 
ieursœufs  font  une  grande  partie  de  la  subsistance  des 
habitants,  qui  vont  les  chercher  dans  les  précipices 
et  sur  les  rochers  les  plus  inaccessibles.  Telles  sont  en- 
core ces  îles  Burra^  inhabitées  et  presque  inaborda- 
bles, vers  les  côtes  d'Ecosse,  où  les  habitants  de  la 
petite  île  Hirta  viennent  enlever  des  œufs  à  milliers 
et  tuer  des  oiseaux.  Enfin  ils  couvrent  la  mer  du 
Groenland  au  point  que  la  langue  groenlandoise  a  un 
mot  pour  exprimer  la  manière  de  les  chasser  en  trou- 
peaux vers  la  côte  dans  de  petites  baies  où  ils  se  lais-^ 
sent  renfermer  et  prendre  à  milliers. 

Ces  oiseaux  sont  encore  les  habitants  que  la  nature 
a  envoyés  aux  points  isolés  et  perdus  dans  l'immense 
Océan  ,  où  elle  n'a  pu  faire  parvenir  les  autres  espèces 
dont  elle  a  peuplé  la  surface  de  la  terre.  Les  naviga- 
teurs ont  trouvé  les  oiseaux  en  possession  des  îles  dé- 
sertes et  de  ces  fragments  du  globe  qui  sembloient  se 
dérober  à  l'établissement  de  la  nature  vivante.  Ils  se 
sont  répandus  du  nord  jusqu'au  midi,  et  nulle  part 
ils  ne  sont  plus  nombreux  que  sous  les  zones  froides, 
parce  que  dans  ces  régions  où  la  terre ,  dénuée,  morte 
et  ensevelie  sous  d'éternels  frimas,  refuse  ses  flancs 
glacés  à  toute  fécondité,  la  mer  est  encore  animée, 
vivante,  et  même  très  peuplée. 

Aussi  les  voyageurs  et  les  naturalistes  ont-ils  observé 
que  dans  les  régions  du  Nord  il  y  a  peu  d'oiseaux  de 
terre  en  comparaison  de  la  quantité  des  oiseaux  d'eau  ; 
pour  les  premiers,  il  faut  des  végétaux,  des  graines,  des 
fruits,  dont  la  nature  engourdie  produit  à  peine  dans 
ces  climats  quelques  espèces  foibles  et  rares;  les  der- 


î88  LES    OISEAUX    AQUATIQUES. 

niers  ne  demandent  a  la  terre  qu'un  lieu  de  refuge , 
une  retraite  dans  les  tempêtes,  une  station  pour  les 
nuits,  un  berceau  pour  leur  progéniture;  encore  la 
glace  qui,  dans  ces  climats  froids,  le  dispute  à  la 
terre,  leur  ofTre-t-elle  presque  également  tout  ce  qui 
est  nécessaire  pour  des  besoins  si  simples.  MM.  Cook 
et  Forster  ont  vu,  dans  leurs  navii^ations  aux  mers 
australes,  plusieurs  de  ces  oiseaux  se  poser,  voyager, 
et  dormir  sur  des  glaces  flottantes  comme  sur  la  terre 
ferme;  quelques  uns  même  y  nichent  avec  succès. 
Que  pourroit  en  eO'et  leur  offrir  de  plus  un  sol  tou- 
jours ^e\é ,  et  qui  n'est  ni  plus  solide  ni  moins  froid 
que  ces  montagnes  de  glace? 

Ce  dernier  fait  démontre  que  les  oiseaux  d'eau 
sont  les  derniers  et  les  plus  reculés  des  habitants  du 
globe,  dont  ils  connoissent  mieux  que  nous  les  ré- 
gions polaires  :  ils  s'avancent  jusque  dans  les  ter- 
res où  l'ours  blanc  ne  paroît  plus  ,  et  sur  les  mers  que 
les  phoques,  les  morses,  et  les  autres  amphibies,  ont 
abandonnées;  ils  y  séjournent  avec  plaisir  pendant 
la  saison  des  très  longs  jours  dans  ces  climats,  et  ne 
les  quittent  qu'après  l'équinoxe  de  l'automne,  lorsque 
la  nuit ,  anticipant  à  grands  pas  sur  la  lumière  du  jour, 
bientôt  l'anéantit  et  répand  un  voile  continu  de  ténè- 
bres qui  fait  fuir  ces  oiseaux  vers  les  contrées  qui 
jouissent  de  quelques  heures  de  jour;  ils  nous  arri- 
vent ainsi  pendant  l'hiver,  et  retournent  à  leurs  gla- 
ces, en  suivant  la  marche  du  soleil  avant  l'équinoxe 
du  printemps. 


H.aoA- 


Tome  2,5 


/ 


1  iA  aGO  GKE  _  2  LF.  JABIKO-  3  LU  TODIER 


LA    ClGOGxNIi.  189 

LA  CIGOGNE'. 

Ardea  ci  conta.  L. 

On  vient  de  voir  qu'entre  les  oiseaux  terrestres  , 
qui  peuplent  les  campagnes,  et  les  oiseaux  naviga- 
teurs à  pieds  palmés,  qui  reposent  sur  les  eaux  ,  on 
trouve  la  grande  tribu  des  oiseaux  de  rivage,  dont  le 
pied,  sans  membranes,  ne  pouvant  avoir  un  appui  sur 
les  eaux,  doit  encore  porter  sur  la  terre,  et  dont  le 
long  bec  ,  enté  sur  un  long  cou,  s'étend  en  avant  pour 
chercher  la  pâture  sous  l'éiément  liquide.  Dans  les 
nombreuses  familles  de  ce  peuple  amphibie  des  ri- 
vages de  la  mer  et  des  fleuves  celle  de  la  cigogne, 
x\°  S66,  plus  célébrée  qu'aucune  autre  ,  se  présente  la 
première.  Elle  est  composée  de  deux  espèces  qui  ne 
diffèrent  que  par  la  couleur;  car  du  reste  il  semble 
que,  sous  la  môme  forme  et  d'après  le  même  dessin, 
la  nature  ait  produit  deux  fois  le  môme  oiseau,  l'un 
blanc  et  l'autre  noir.  Cette  différence,  tout  le  reste 
étant  semblable,  pourroit  ôtre  comptée  pour  rien,  s'il 
n'y  avoit  pas  eutre  ces  deux  mômes  oiseaux  diffé- 
rence d'instinct  et  diversité  de  mœurs.  La  cigogne 
noire  cherche  les  lieux  déserts,  se  perche  dans  les 
bois,  fréquente  les  marécages  écartés,  et  niche  dans 
l'épaisseur  des  forêts.  La  cigogne  blanche  choisit  au 
contraire  nos  habitations  pour  domicile  ;  elle  s'établit 

i.  En  latin,  ciconia;  en  allemand  et  en  anglois  .  stoi'lc;  en  italien, 
l'igogna,  zigogna,  et  le  polit,  cigognino  ;  en  es}>agnol ,  ciguenna;  eu 
vieux  françois  ,  cigongn^  ou  cigoigne. 


190  LA    CIGOGNE. 

sur  les  tours,  sur  les  cheminées  et  les  combles  des 
édifices  :  amie  de  l'homme,  elle  en  partage  le  séjour 
et  même  le  domaine;  elle  pêche  dans  nos  rivières, 
chasse  jusque  dans  nos  jardins,  se  place  au  milieu 
des  villes,  sans  s'effrayer  de  leur  tumulte*,  et  par- 
tout, hôte  respecté  et  bien  venu,  elle  paie  par  des 
services  le  tribut  qu'elle  doit  à  la  société;  plus  civi- 
lisée ,  elle  est  aussi  plus  féconde ,  plus  nombreuse ,  et 
plus  généralement  répandue  que  la  cigogne  noire  , 
quiparoît  confinée  dans  certains  pays,  et  toujours  dans 
les  lieux  solitaires. 

Cette  cigogne  blanche,  moins  grande  que  la  grue, 
l'est  plus  que  le  héron  ;  sa  longueur,  de  la  pointe  du 
bec  à  l'extrémité  de  la  queue,  est  de  trois  pieds  et 
demi,  et  jusqu'à  celle  des  ongles,  de  quatre  pieds; 
le  bec ,  de  la  pointe  aux  angles ,  a  près  de  sept  pou- 
ces ;  le  pied  en  a  huit,  la  partie  nue  des  jambes  cinq;  ^ 
et  l'envergure  de  ses  ailes  est  de  plus  de  six  pieds.  Il  1 
est  aisé  de  se  la  peindre  :  le  corps  est  d'un  blanc  écla- 
tant,  et  les  ailes  sont  noires ,  caractère  dont  les  Grecs 
ont  formé  son  nom  2;  les  pieds  et  le  bec  sont  rouges,  et 
son  long  cou  est  arqué  :  voilà  ses  traits  principaux  ; 
mais  en  la  regardant  de  plus  près  ,  on  aperçoit  sur  les 
ailes  des  reflets  violets  et  quelques  teintes  brunes.  On 
compte  trente  pennes  en  développant  l'aile  ;  elles  for- 
ment une  double  échancrure,  les  plus  près  du  corps 
étant  presque  aussi  longues  que  les  extérieures,  et  les 
égalant  lorsque  l'aile  est  pliée  :  dans  cet  état,  les  ailes 

1.  Témoin  ce  nid  de  cigogne  posé  sur  le  temple  de  la  Concorde  au 
Capitole.  dont  parle  Juvénal  (sat.  1 ,  v.i  16  ),  et  qu'on  voit  figuré  sur 
des  médailles  d'Adrien. 

3.    Pelon  argon. 


LA    CIGOGNE.  I9I 

couvrent  la  queue  ;  et  lorsqu'elles  sont  ouvertes  ou 
étendues  pour  le  vol ,  les  plus  grandes  pennes  offrent 
une  disposition  singulière  :  les  huit  ou  neuf  premières 
se  séparent  les  unes  des  autres,  et  paroissent  diver- 
gentes et  détachées  ,  de  manière  qu'il  reste  entre 
chacune  un  vide  ;  ce  qui  ne  se  voit  dans  aucun  autre 
oiseau.  Les  plumes  du  bas  du  cou  sont  blanches,  un 
peu  longues  et  pendantes,  et  par  là  les  cigognes  se 
rapprochent  des  hérons;  mais  leur  cou  est  plus  court 
et  plus  épais.  Le  tour  des  yeux  est  nu  et  couvert  d'une 
peau  ridé  d'un  noir  rougeâtre;.les  pieds  sont  revêtus 
d'écaillés  en  tables  hexagones,  d'autant  plus  larges 
qu'elles  sont  placées  plus  haut;  il  y  a  des  rudiments 
de  membranes  entre  le  grand  doigt  et  le  doigt  inté- 
rieur jusqu'à  la  première  articulation,  et  qui,  s'éten- 
dant  plus  avant  sur  le  doigt  extérieur,  semblent  for- 
mer la  nuance  par  laquelle  la  nature  passe  des  oiseaux 
à  pieds  divisés  aux  animaux  à  pieds  réunis  et  palmés; 
les  ongles  sont  mousses,  larges,  plats,  et  assez  ap- 
prochants de  la  forme  des  ongles  de  l'homme. 

La  cigogne  a  le  vol  puissant  et  soutenu,  comme 
tous  les  oiseaux  qui  ont  des  ailes  très  amples  et  la 
queue  courte;  elle  porte  en  volant  la  tête  roide  en 
avant,  et  les  pattes  étendues  en  arrière  comme  pour 
lui  servir  de  gouvernail  ;  elle  s'élève  fort  haut ,  et  fait 
de  très  longs  voyages  même  dans  les  saisons  orageu- 
ses. On  voit  les  cigognes  arriver  en  Allemagne  vers  le 
8  ou  le  10  de  mai;  elles  devancent  ce  temps  dans  nos 
provinces.  Gesner  dit  qu'elles  précèdent  les  hiron- 
delles et  qu'elles  viennent  en  Suisse  dans  le  mois  d'a- 
vril ,  et  quelquefois  plus  tôt  ;  elles  arrivent  en  Alsace 
au  mois  de  mars,  et  même  dès  la  fin  de  février.  Leur 


192  LA    GIGOGNE. 

retour  est  partout  d'un  agréable  augure,  et  leur  ap- 
parition annonce  le  printemps  :  aussi  elles  semblent 
n'arriver  que  pour  se  livrer  aux  tendres  émotions  que 
celte  saison  inspire.  Aldrovande  peint  avec  chaleur 
les  signes  de  joie  et  d'amour,  les  empressements  et 
les  caresses  du  ma!e  et  de  la  femelle  arrivés  sur  leur 
nid  après  un  long  voyage  ;  car  les  cigognes  reviennent 
constamment  aux  mêmes  lieux  ;  et  si  leur  nid  est  dé- 
truit, elles  le  reconstruisent  de  nouveau  avec  des  brins 
de  bois  et  d'herbes  de  marais,  qu'elles  entassent  en 
grande  quantité  :  c'est  ordinairement  sur  les  combles 
élevés,  sur  les  créneaux  des  tours,  et  quelquefois  sur 
de  grands  arbres,  au  bord  des  eaux  ou  à  la  pointe 
d'un  rocher  escarpé,  qu'elles  le  posent^.  En  France, 
du  temps  de  Belon,  on  plaçoit  des  roues  au  haut  des 
toits  pour  engager  ces  oiseaux  à  y  faire  leur  nid;  cet 
usage  subsiste  encore  en  Allemagne  et  en  Alsace,  et 
l'on  dispose  en  Hollande  pour  cela  des  caisses  carrées 
aux  faîtes  des  édifices-. 

Dans  l'attitude  du  repos,  la  cigogne  se  tient  sur  un 
pied,  le  cou  replié,  la  tête  en  arrière  et  couchée  sur 
l'épaule  ;  elle  guette  les  mouvements  de  quelques  rep- 


1.  G'esl  eu  ce  sens  qu'il  faut  entendre  ce  que  dit  Vairon,  quelle 
niche  à  la  campagne,  in  tecto  ut  lùrundines,  in  agro  ut  ciconia ,  puis- 
f|u'il  observe  ailleurs  lui-même,  au  sujet  de  l'arrivée  delà  cigogne  en 
Italie,  qu'elle  s'établit  de  préférence  sur  les  édifices. 

2.  Lady  Montagne,  dans  ses  lettres,  n°  32  ,  dit  qu'à  Gonstantino- 
ple  les  cigognes  nichent  par  terre  dans  les  rues.  Si  elle  ne  s'est  pas 
trompée  sur  l'espèce  de  ces  oiseaux,  il  faut  que  ïa  sauve-garde  dont 
jouit  la  cigogne  en  Turquie  Tait  singulièrement  enhardie;  Car,  dans 
nos  contrées,  les  points  de  ])osilion  qu'elle  prclère  sont  toujours  les 
plus  inaccessibles,  qui  dominent  tout  ce  qui  environne,  et  ne  per- 
inctlent  pas  de  voir  dans  son  nid. 


LA    CIGOGNE.  IQO 

liles,  quelle  fixe  d'un  œil  perçant  :  les  grenouilles,  les 
lézards,  les  couleuvres  ,  et  les  petits  poissons,  sont  la 
proie  qu'elle  va  cherchant  dans  les  marais,  ou  sur  les 
bords  des  eaux,  ou  dans  les  vallées  humides. 

Elle  marche,  comme  la  grue,  en  jetant  le  pied  en 
avant  par  grands  pas  mesurés;  lorsqu'elle  s'irrite  ou 
s'inquiète,  et  même  quand  l'amour  l'agite,  elle  fait 
claqueter  son  bec  d'un  bruit  sec  et  réitéré,  que  les 
anciens  avaient  rendu  par  des  mots  imitatifs,  crépitât , 
^lollerat  j  et  que  Pétrone  exprime  fort  bien  en  l'ap- 
pelant un  bruit  de  crotales^  :  elle  renverse  alors  la  tôle, 
de  manière  que  la  mandibule  extérieure  se  trouve  en 
haut,  et  que  le  bec  est  couché  presque  parallèlement 
sur  le  dos.  C'est  dans  cette  situation  que  les  deux  man- 
dibules battent  vivement  l'une  contre  l'autre;  mais,  à 
mesure  qu'elle  redresse  le  cou,  le  claquement  se  ra- 
lentit, et  linit  lorsqu'il  a  repris  sa  position  naturelle. 
Au  reste  ,  ce  bruit  est  le  seul  que  la  cigogne  fasse  en- 
tendre, et  c'est  apparemment  de  ce  qu'elle  paroît 
uiuette  que  les  anciens  avoient  pensé  qu'elle  n'avoit 
point  de  langue.  11  est  vrai  que  cette  langue  est  courte 
et  cachée  à  l'entrée  du  gosier,  comme  dans  toutes  les 
espèces  d'oiseaux  à  long  bec,  qui  ont  aussi  une  ma- 
nière particulière  en  jetant  les  aliments,  par  un  cer- 
tain tour  de  bec,  jusque  dans  la  gorge.  Aristote  fait 
une  autre  remarque  au  sujet  de  ces  oiseaux  à  cou  et 
bec  très  longs;  c'est  qu'ils  rendent  tous  une  fiente  plus 
liquide  que  celle  des  autres  oiseaux. 

La  cigogne  ne  pond  pas  au  delà  de  quatre  œufs,  et 
souvent  pas  plus  de  deux,  d'un  blanc  sale  et  jaunâtre, 

1.  Crotalistria ,  cpithèle  donnée  déjà  dans  Pubtius  Syvus,  à  la  ci- 
gogue. 


194  ^^A    CIGOGNE. 

un  peu  inoins  gros,  mais  plus  allongés  que  ceux  de 
l'oie;  le  mâle  les  couve  dans  le  temps  que  la  femelle 
va  chercher  sa  pâture.  Les  œufs  éclasent  au  bout  d'un 
mois;  le  père  et  la  mère  redoublent  alors  d'activité 
pour  porter  la  nourriture  à  leurs  petits,  qui  la  reçoi- 
vent en  se  dressant  et  rendant  une  espèce  de  siffle- 
ment *.  Au  reste,  le  père  et  la  mère  ne  s'éloignent 
jamais  du  nid  tous  deux  ensemble;  et  tandis  que  l'un 
est  à  la  chasse,  on  voit  l'autre  se  tenir  aux  environs, 
debout  sur  une  jambe,  et  l'œil  toujours  à  ses  petits. 
Dans  le  premier  âge,  ils  sont  couverts  d'un  duvet  brun  ; 
n'ayant  pas  encore  assez  de  force  pour  se  soutenir  sur 
leurs  jambes  minces  et  grêles,  ils  se  traînent  dans  le 
nid  sur  leurs  genoux.  Lorsque  leurs  ailes  commencent 
à  croître,  ils  s'exercent  à  voleter  au  dessus  du  nid  : 
mais  il  arrive  souvent  que,  dans  cet  exercice,  quel- 
ques uns  tombent  et  ne  peuvent  plus  se  relever.  En- 
suite, lorsqu'ils  commencent  à  se  hasarder  dans  les 
airs,  la  mère  les  conduit  et  les  exerce  par  de  petits 
vols  circulaires  autour  du  nid  où  elle  les  ramène; 
enfin  les  jeunes  cigognes  déjà  fortes  prennent  leur  es- 
sor avec  les  plus  âgées  dans  les  derniers  jours  d'août, 
saison  de  leur  départ.  Les  Grecs  avoient marqué  leurs 
rendez-vous  dans  une  plaine  d'Asie ,  nommée  la  plage 
aux  serpents j  où  elles  se  rassembloient,  comme  elles 
se  rassemblent  encore  dans  quelques  endroits  du  Le- 
vant, et  même  dans  nos  provinces  d'Europe,  comme 
dans  le  Brandebourg  et  ailleurs. 

Lorsqu'elles  sont  assemblées  pour  le  départ,  on  les 

1.  Élien  a  dit  que  la  cigogne  vomit  à  ses  petits  leur  nourriture;  ce 
qu'il  ne  faut  point  entendre  d'aliments  déjà  eu  partie  digérés ,  mais 
de  la  proie  récente  qu'elle  dégorge  de  l'œsophage,  cl  peut  même  reu- 


LA    CIGOGNE.  1  q5 

entend  claqueter  fréquennment,  et  il  se  fait  un  grand 
mou  veinent  dans  la  troupe  ;  toutes  semblent  se  cher- 
cher, se  reconnoître  et  se  donner  lavis  du  départ  gé- 
néral, dont  le  signal,  dans  nos  contrées,  est  le  vent 
du  nord.  Elles  s'élèvent  toutes  ensemble,  et  dans  quel- 
ques instants  se  perdent  au  haut  des  airs.  Klein  ra- 
conte qu'appelé  pour  voir  ce  spectacle  ,  il  le  manqua 
d'un  moment,  et  que  tout  avoit  déjà  disparu.  En  ef- 
fet, ce  départ  est  d'autant  plus  difGcile  à  observer, 
qu'il  se  fait  en  silence^,  et  souvent  dans  la  nuit.  On 
prétend  avoir  remarqué  que,  dans  leur  passage,  avant 
de  tenter  le  trajet  de  la  Méditerranée,  les  cigognes 
s'abattent  en  grand  nombre  aux  environs  d'Aix  en  Pro- 
vence. Au  reste,  il  paroît  que  ce  départ  se  fait  plus 
tard  dans  les  pays  chauds,  puisque  Pline  d'il  qu'après 
le  départ  de  la  cigogne  ^  il  nest  plus  temps  de  semer. 

Quoique  les  anciens  eussent  marqué  les  migrations 
des  cigognes,  ils  ignoroient  quels  lieux  elles  alloient 
habiter  :  mais  quelques  voyageurs  modernes  nous  ont 
fourni  sur  cela  de  bonnes  observations;  ils  ont  vu  en 
automne  les  plaines  de  l'Egypte  toutes  couvertes  de 
ces  oiseaux.  «  Il  est  tout  arrêté,  dit  Belon,  que  les 
cigognes  se  tiennent  l'hiver  aux  pays  d'Egypte  et  d'A- 
frique; car  nous  avons  témoings  d'en  avoir  vu  les  plai- 
nes d'Egypte  blanchir,  tant  il  y  en  avoit  dès  le  mois 
de  septembre  et  octobre,  parce  qu'étant  là  durant  et 
après  l'inondation,  n'ont  faute  de  pâture;  mais  trou- 

dre  de  son  estomac ,  dont  l'ouverture  est  assez  large  pour  en  permettre 
la  sortie. 

i.  Belon  dit  qu  il  n'est  point  remarqué,  parce  qu'elles  volent  sans 
bruit  et  sans  jeter  de  cris,  au  contraire  des  grues  et  des  oies  sauvages, 
qui  crient  beaucoup  en  volant. 


196  LA    CIGOGNE. 

vant  là  l'été  intolérable  pour  sa  violente  chaleur,  vien- 
nent en  nos  régions,  qui  lors  leur  sont  tempérées;  et 
s'en  retournent  en  hiver  pour  éviter  la  froidure  trop 
excessive  :  en  ce  contraire  aux  grues;  car  les  grues  et 
oies  nous  viennent  voir  en  hiver,  lorsque  les  cigo- 
gnes en  sont  absentes.  »  Cette  différence  très  remar- 
quable provient  de  celle  des  régions  où  séjournent 
ces  oiseaux  :  les  grues  et  les  oies  arrivent  du  nord, 
dont  elles  fuient  les  giands  hivers  ;  les  cigognes  par- 
lent du  midi  pour  en  éviter  les  ardeurs^. 

Belon  dit  aussi  les  avoir  vues  hiverner  alentour  du 
mont  AmanuSj  vers  Antioche,  et  passer  sur  la  fin 
d'août  vers  AbyduSy  en  troupes  de  trois  ou  quatre 
mille,  venant  de  la  Russie  et  de  la  Tartarie  :  elles  tra- 
versent l'Hellespont;  puis,  se  divisant  à  la  hauteur 
de  Ténédos  ,  elles  parlent  en  pelotons,  et  vont  toutes 
vers  le  midi. 

•  Le  docteur  Shaw  a  vu,  du  pied  du  mont  Carmel, 
le  passage  des  cigognes  de  l'Egypte  en  Asie,  vers  le 

1.  Plusieui's  auteurs  ont  prétendu  que  les  cigognes  ne  s'éloignent 
point  l'hiver,  et  le  passoieut  cachées  dans  des  cavernes,  ou  même 
plongées  au  fond  des  lacs.  G'éloit  l'opinion  commune  du  temps  d'Al- 
bert le  grand.  Klein  fait  la  relation  de  deux  cigognes  tirées  de  l'eau 
danfi  des  étangs  près  d'Elbing.  Cervais  de  Tilbury  parle  d'autres  cigo- 
gnes qu'on  trouva  pelotonnées  dans  un  lac  vers  Arles  ;  Mérula  ,  dans 
Aldrovande,  de  celles  que  des  pêcheurs  tirèrent  du  lac  de  Côme  ;  et 
Fulgose,  d'autres  qui  furent  pêchécs  près  dé  Metz.  Martin  Schoockius, 
qui  a  écrit  sur  la  cigogne  un  opuscule  imprimé  à  Groningue  en  1648, 
appuie  ces  témoignages;  mais  l'histoire  des  migrations  de  la  cigogne 
est  trop  bien  connue ,  pour  n'attribuer  qu'à  des  accidents  les  faits 
dont  nous  venons  de  faire  mention  ,  si  pourtant  on  peut  les  regarder 
comme  certains.  Voyez  cette  cjueslion  et  l'examen  de  tout  ce  qu'on  a 
dit  sur  les  oiseaux  que  l'on  prétend  passer  l'hiver  dans  l'eau  ,  plus  am- 
plement discuté  à  l'article  de  V hirondelle. 


LA    CIGOGNE.  îg^ 

milieu  d'avril  1722.  «Notre  vaisseau,  dit  ce  voya- 
geur, étant  à  l'ancre  sous  le  rnont  Garmel,  je  vis  trois 
vols  de  cigognes,  dont  chacun  fut  plus  de  trois  heures  à 
passer,  ets'étendoit  plus  d'un  demi-mille  en  largeur.  » 
Maillet  dit  avoir  vu  les  cigognes  descendre,  sur  la  fin 
d'avril,  de  la  haute  Egypte,  et  s'arrêter  sur  les  terres 
du  Delta,  que  l'inondation  du  jNil  leur  fait  bientôt 
abandonner^. 

Ces  oiseaux,  qui  passent  ainsi  de  climats  en  climats^ 
ne  connoissent  point  les  rigueurs  de  l'hiver;  leur  co- 
née  est  composée  de  deux  étés,  et  ils  goûtent  aussi 
deux  fois  les  plaisirs  de  la  saison  des  amours  :  c'est 
une  particularité  très  intéressante  de  leur  histoire  , 
et  Belon  l'assure  positivement  de  la  cigogne,  qui, 
dit-iJ,  fait  ses  petits  pour  la  seconde  fois  en  Egypte. 

On  prétend  qu'on  ne  voit  pas  de  cigognes  en  Angle- 
terre, à  moins  qu'elles  n'y  arrivent  par  quelque  tem- 
pête. Albin  remarque,  comme  chose  singulière,  deux 
cigognes  qu'il  vit  à  Edger  en  Midlessex  ;  WiHughby 
dit  que  celle  dont  il  donne  la  figure,  lui  avoit  été  en- 
voyée de  la  côte  de  Norfolk,  où  elle  éloit  tombée  par 
hasard.  Il  n'en  paroît  pas  non  plus  en  Ecosse,  si  l'on 
en  juge  par  le  silence  de  Sibbald.  Cependant  la  cigo- 
gne se  porte  assez  avant  dans  les  contrées  du  nord  de 
l'Europe;  elle  se  trouve  en  Suède,  suivant  Lînnaeus, 
et  surtout  en  Scanie,  enDanemarck,  en  Sibérie,  en 

1.  Quelques  corneilles  se  mêlent  parfois  aux  cigognes  clans  leur 
passage,  ce  qui  a  donné  lieu  à  l'opinion  qu'on  trouve  clans  saint  Ba- 
sile et  dans  Isidore,  que  les  corneilles  servent  de  guides  dans  le  voyage, 
et  d'escorte  aux  cigognes.  Les  anciens  ont  aussi  beaucoup  parlé  des 
combats  de  la  cigogne  contre  les  corbeaux ,  les  geais  et  d'aulrcs  es- 
pèces d'oiseaux  :  lorsque  leurs  troupes  repassent  de  la  Libye  et  de 
l'Egypte,  elles  se  rencontrent  vers  la  Lycie  et  le  fleuve  du  Xanthe. 

BLTFOA.     XXV.  l3 


198  LA    CIGOGNE. 

Mangasea  sur  le  Jenisca,  et  jusque  chez  les  Jakutes. 
On  voit  aussi  des  cigognes  en  très  grand  nombre  dans 
la  Hongrie,  la  Pologne,  et  la  Lithuanie;  on  les  ren- 
contre en  Turquie,  en  Perse,  où  Bruyn  a  remarqué 
leur  nid,  figuré  sur  les  ruines  de  Persépolis;  et  même, 
si  l'on  en  croit  cet  auteur,  la  cigogne  se  trouve  dans 
toute  l'Asie,  à  l'exception  des  pays  déserts,  qu'elle  sem- 
ble éviter,  et  des  terrains  arides,  où  elle  ne  peut  vivre. 

Aldrovande  assure  qu'il  ne  se  trouve  point  de  cigo- 
gnes dans  le  territoire  de  Bologne ,  elles  sont  même 
rares  dans  toute  l'Italie,  où  Willughby ,  pendant  un 
séjour  de  vingt-huit  ans,  n'en  a  vu  qu'une  fois,  et  où 
Aldrovande  avoue  n'en  avoir  jamais  vu.  Cependant  il 
paroît ,  par  les  témoignages  de  Pline  et  de  Varron  , 
qu'elles  y  étoient  communes  autrefois ,  et  l'on  ne  peut 
guère  douter  que,  dans  leur  voyage  d'Allemagne  en 
xifrique ,  ou  dans  leur  retour,  elles  ne  passent  sur  les 
terres  de  l'Italie  et  sur  les  îles  de  la  Méditerranée. 
Kaempfer  dit  que  la  cigogne  demeure  toute  l'année  au 
Japon.  Ce  seroit  le  seul  pays  où  elle  seroit  station- 
naire  ;  dans  tous  les  autres,  comme  dans  nos  contrées, 
elle  arrive  et  repart  quelques  mois  après.  La  Lorraine 
et  l'Alsace  sont  les  provinces  de  la  France  où  les  cigo- 
gnes passent  en  plus  grande  quantité;  elles  y  font 
même  leurs  nids,  et  il  est  peu  de  villes  ou  de  bourgs 
dans  la  basse  Alsace  où  l'on  ne  voie  quelques  nids  de 
cigogne  sur  les  clochers. 

La  cigogne  est  d'un  naturel  assez  doux;  elle  n'est 
ni  défiante  ni  sauvage,  et  peut  se  priver  aisément  et 
s'accoutumer  à  rester  dans  nos  jardins,  qu'elle  purge 
d'insectes  et  de  reptiles.  Il  semble  qu'elle  ait  l'idée 
de  la  propreté  ;  car  elle  cherche  les  endroits  écartés 


LA    CIGOGNE.  1  99 

pour  rendre  ses  excréments.  Elle  a  presque  toujours 
l'air  triste  et  la  contenance  morne  :  cependant  elle 
ne  laisse  pas  de  se  livrer  à  une  certaine  gaieté,  quand 
elle  y  est  excitée  par  l'exemple  ;  car  elle  se  prête  au 
badinage  des  enfants,  en  sautant  et  jouant  avec  eux. 
En  domesticité,  elle  vit  long-temps,  et  supporte  la 


rigueur  de  nos  hivers. 


L'on  attribue  à  cet  oiseau  des  vertus  morales,  dont 
l'image  est  toujours  respectable  :  la  tempérance,  la 
fidélité  conjugale,  la  piété  filiale  et  paternelle^.  Il  est 
vrai  que  la  cigogne  nourrit  très  long-temps  ses  petits, 
et  ne  les  quitte  pas  qu'elle  ne  leur  voie  assez  de  force 
pour  se  défendre  et  se  pourvoir  d'eux-mêmes;  que 
quand  ils  commencent  à  voleter  hors  du  nid  et  à  s'es- 
sayer dans  les  airs,  elle  les  porte  sur  ses  ailes;  qu'elle 
les  défend  dans  les  dangers,  et  qu'on  l'a  vue,  ne  pou- 
vant les  sauver,  préférer  de  périr  avec  eux  plutôt 
que  de  les  abandonner^.  On  l'a  de  même  vue  donner 
des  marques  d'attachement  et  même  de  reconnois- 
sance  pour  les  lieux  et  pour  les  hôtes  qui  l'ont  reçue  : 
on  assure  l'avoir  entendue  claqueter  en  passant  devant 
les  portes,  comme  pour  avertir  de  son  retour,  et  faire 
en  partant  un  semblable  signe  d'adieu.  Mais  ces  qua- 
lités morales  ne  sont  rien,  en  comparaison  de  l'affec- 
tion que  marquent  et  des  tendres  soins  que  donnent 
ces  oiseaux  à  leurs  parents  trop  foibles  ou  trop  vieux. 
On  a  souvent  vu  des  cigognes  jeunes  et  vigoureuses 
apporter  de  la  nourriture  à  d'autres,  qui,  se  tenant 

1.  D'où  vient  que  Pétrone  Tappelle  pietaficultrix. 

2.  Voyez  dans  Hadrien  Janius  l'histoire,  fameuse  en  Hollande,  de 
la  cigogne  de  Delf,  qui,  dans  l'incendie  de  cette  ville,  après  s'être 
inuiilemeat  efforcée  d'enlever  ses  petits,  se  laissa  brûler  avec  eux. 


200  lA    CIGOGNE. 

sur  le  bord  du  nid,  paroissoient  languissantes  et  af- 
foiblîes,  soit  par  quelque  accident  passager,  soit  que 
réellement  la  cigogne,  comme  l'ont  dit  les  anciens, 
ait  le  touchant  instinct  de  soulager  la  vieillesse,  et 
que  la  nature,  en  plaçant  jusque  dans  les  cœurs  bruts 
ces  pieux  sentiments  auxquels  les  cœurs  humains  ne 
sont  que  trop  souvent  infidèles,  ait  voulu  nous  en 
donner  l'exemple.  La  loi  de  nourrir  ses  parents  fut 
faite  en  leur  honneur,  et  nommée  de  leur  nom  chez 
les  Grecs.  Aristophane  en  fait  une  ironie  amère  con- 
tre l'homme. 

Elien  assure  que  les  qualités  morales  de  la  cigogne 
étoient  la  première  cause  du  respect  et  du  culte  des 
Égyptiens  pour  elle^;  et  c'est  peut-être  un  reste  de 
cette  ancienne  opinion  qui  fait  aujourd'hui  le  préjugé 
du  peuple,  qui  est  persuadé  qu'elle  apporte  le  bon- 
heur à  la  maison  où  elle  vient  s'établir. 

Chez  les  anciens  ce  fut  un  crime  de  donner  la 
mort  à  une  cigogne,  ennemie  des  espèces  nuisi- 
bles. En  Thessalie,  il  y  eut  peine  de  mort  pour  le 
meurtre  d'un  de  ces  oiseaux  :  tant  ils  étoient  précieux 

1.  Alexandre  de  Myndes,  dans  Elien,  dit  que  les  cigognes  cassées 
de  vieillesse  se  rendent  à  certaines  îles  de  l'Océan .  et  là  ,  en  récom- 
pense de  leur  piété,  sont  changées  en  hommes.  Dans  les  augures, 
l'apparition  de  la  cigogne  signifioit  union  et  concorde;  son  départ 
dans  une  calamité  étoit  du  plus  funeste  présage.  Paul  Diacre  dit 
qu'Attila  s'attacha  à  la  prise  d'Aquilée ,  dont  il  alloit  lever  le  siège, 
ayant  vu  des  cigognes  s'enfuir  de  la  ville,  emmenant  leurs  petits. 
Dans  les  hiéroglyphes,  elle  signifioit  piéîé  et  bienfaisance,  vertus  que 
son  nom  exprime  dans  une  des  plus  anciennes  langues  {chasida ,  en 
hébreu,  pia ,  benefica ,  suivant  Bochart;  c/iazir ,  pins ,  beneficus) ,  et 
dont  on  la  voit  souvent  l'emblème,  comme  sur  ces  deux  belles  mé- 
dailles de  L.  Antonius  ,  données  dans  Fulvius-Ursinus ,  et  sur  deux 
autres  de  Q.  Mcteilus  ,  surnommé  U  Pieux  au  rapport  de  Patercule. 


LA    CIGOGNE.  :201 

à  ce  pays,  qu'ils  purgeoient  des  serpents.  Dans  le  Le- 
vant, on  conserve  encore  une  partie  de  ce  respect 
pour  la  cigogne.  On  ne  la  mangeoit  pas  chez  les  Ro- 
mains :  un  homme  qui,  par  un  luxe  bizarre,  s'en  fit 
servir  une ,  en  fut  puni  par  les  railleries  du  peuple. 
Au  reste,  la  chair  n'en  est  pas  assez  bonne  pour  être 
recherchée,  et  cet  oiseau,  ne  notre  ami  et  presque 
notre  domestique,  n'est  pas  fait  pour  être  notre 
victime. 


«»a»r^»»s<8-&»»»»a  *fr»c<8icw 


LA  GIGOGNE  NOIRE. 

Ardea  nlgra,  L. 

Quoique  dans  toutes  les  langues  cet  oiseau  soit  dé- 
signé par  la  dénomination  de  cigogne  noire ^  cepen- 
dant c'est  plutôt  par  opposition  au  blanc  éclatant  de 
la  cigogne  blanche  pour  la  vraie  teinte  de  son  plu- 
mage ,  qui  est  généralement  d'un  brun  mêlé  de 
belles  couleurs  changeantes ,  mais  qui  de  loin  paroît 
noir. 

Elle  a  le  dos,  le  croupion  ,  les  épaules,  et  les  cou- 
vertures des  ailes  ,  de  ce  brun  changeant  en  violet  et 
en  vert  doré;  la  poitrine,  le  ventre,  les  cuisses,  en 
plumes  blanches,  ainsi  que  les  couvertures  du  dessous 
de  la  queue,  qui  est  composée  de  douze  plumes  d'un 
brun  à  reflets  violets  et  verts.  L'aile  est  formée  de 
trente  pennes  d'un  brun  changeant  avec  reflets,  où 
le  vert,  dans  les  dix  premières,  est  plus  fort,  et  le 
violet  dans  les  vingt  autres;  les  plumes  de  l'origine 
du  cou  sont  d'un  brun  lustré  de  violet,  lavées  de  grî- 


202  LA    CIGOGNE    NOIÏIE. 

sâtre  à  la  pointe;  la  gorge  et  le  cou  sont  couverts  de 
petites  plumes  brunes,  terminées  par  un  point  blan- 
châtre; ce  caractère  cependant  manque  à  plusieurs 
individus  :  le  haut  de  la  tête  est  d'un  brun  mêlé  d'un 
lustre  de  violet  et  de  vert  doré;  une  peau  très  rouge 
entoure  l'œil;  le  bec  est  rouge  aussi,  et  la  partie  nue 
des  jambes,  les  pieds,  et  les  ongles,  sont  de  cette 
même  couleur,  en  quoi  néanmoins  il  paroît  y  avoir  de 
la  variété,  quelques  naturalistes,  comme  WiHugliby, 
faisant  le  bec  verdâtre,  ainsi  que  les  pieds.  La  taille 
est  très  peu  au  dessous  de  celle  de  la  cigogne  blan- 
che; l'envergure  des  ailes  est  de  cinq  pieds  six 
pouces. 

Sauvage  et  solitaire,  la  cigogne  noire,  n°  099,  fuit 
les  habitations  et  ne  fréquente  que  les  marais  écartés. 
Elle  niche  dans  l'épaisseur  des  bois,  sur  de  vieux  ar- 
bres ,  particulièrement  sur  les  plus  hauts  sapins.  Elle 
est  commune  dans  les  Alpes  de  Suisse  ;  on  la  voit  au 
bord  des  lacs,  guettant  sa  proie  ,  volant  sur  les  eaux, 
et  quelquefois  s'y  plongeant  rapidement  pour  saisir 
un  poisson.  Cependant  elle  ne  se  borne  pas  à  pêcher 
pour  vivre  ;  elle  va  recueillant  les  insectes  dans  les 
herbages  et  les  prés  des  montagnes;  on  hii  trouve 
dans  les  intestins  des  débris  de  scarabées;  et  lorsque 
Pline  a  dit  qu'on  avoit  vu  l'ibis  dans  les  Alpes,  il  a 
pris  la  cigogne  noire  pour  cet  oiseau  d'Egypte. 

On  la  trouve  en  Pologne,  en  Prusse,  et  en  Li- 
thuanie  ,  en  Silésie  ,  et  dans  plusieurs  autres  endroits 
de  l'Allemagne;  elle  s'avance  jusqu'en  Suède,  par- 
tout cherchant  les  lieux  marécageux  et  déserts.  Quel- 
que sauvage  qu'elle  paroisse,  on  la  captive,  et  même 
on  la  prive  jusqu'à  un  certain  point.  Klein  assure  en 


LA    CIGOGNE    NOIRl-.  203 

avoir  nourri  une  pendant  quelques  années  dans  un 
jardin.  Nous  ne  sommes  pas  assuré  par  témoins  qu'elle 
voyage  comme  la  cigogne  blanche,  et  nous  ignorons 
si  les  temps  de  ses  migrations  sont  les  mêmes  :  ce- 
pendant il  y  a  tout  lieu  de  le  croire  ;  car  elle  ne  pour- 
roit  trouver  sa  nourriture  pendant  l'hiver,  même 
dans  nos  contrées. 

L'espèce  en  est,  moins  nombreuse  et  moins  répan- 
due que  celle  de  la  cigogne  blanche  ;  elle  ne  s'établit 
guère  dans  les  mêmes  lieux,  mais  semble  la  rem- 
placer dans  les  pays  qu'elle  a  négligé  d'habiter.  En 
remarquant  que  la  cigogne  noire  est  très  fréquente  en 
Suisse,  Wormius  ajoute  qu'elle  est  tout-à-fait  rare  en 
Hollande,  où  l'on  sait  que  les  cigognes  blanches  sont 
en  très  grand  nombre.  Cependant  la  cigogne  noire 
est  moins  rare  en  Italie  que  la  blanche,  et  on  la  voit 
assez  souvent,  au  rapport  de  Willughby,  avec  d'au- 
tres oiseaux  de  rivage,  dans  les  marchés  de  Rome, 
quoique  sa  chair  soit  de  mauvais  suc,  d'un  fort  goût 
de  poisson  ,  et  d'un  fumet  sauvage. 


M  *««>♦»«**««*»»«  »e«««>e*«  « 


OISEAUX  ETRANGERS 

QUI   ONT   RAPPORT  A   LA   CIGOGNE. 


LE  MAGUARL 

Ardea  Maguari.  GiMEl. 

Le  maguari  est  un  grand  oiseau  des  climats  chauds 
de  l'Amérique,  dont  Marcgrave  a  parlé  le  premier. 


204  LK    MAGUARI. 

Il  est  de  la  taille  de  la  cigogne,  et,  comme  elle,  il 
claquette  du  bec,  qu'il  a  droit  et  pointu,  verdâtre  à 
la  racine,  bleuâtre  à  la  pointe,  et  long  de  neuf  pou- 
ces ;  tout  le  corps ,  la  tête,  le  cou,  et  la  queue,  sont 
en  plumes  blanches  un  peu  longues  et  pendantes  au 
bas  du  cou  ;  les  pennes  et  les  grandes  couvertures  de 
Taile  sont  d'un  noir  lustré  de  vert ,  et,  quand  elle  est 
pliée,  les  pennes  les  plus  proches  du  corps  égalent 
les  extérieures,  ce  qui  est  ordinaire  dans  tous  les  oi- 
seaux de  rivage  ;  le  tour  des  yeux  du  maguari  est  dé- 
nué de  plumes  et  couvert  d'une  peau  d'un  rouge  vif; 
sa  gorge  est  de  même  garnie  d'une  peau  qui  peut 
s'enfler  et  former  une  poche;  l'œil  est  petit  et  bril- 
lant, l'iris  en  est  d'un  blanc  argenté  :  la  partie  nue 
de  la  jambe  et  les  pieds  sont  rouges  ;  les  ongles , 
de  même  couleur,  sont  larges  et  plats.  Nous  ignorons 
si  cet  oiseau  voyage  comme  la  cigogne  ,  dont  il  paroît 
être  le  représentant  dans  le  Nouveau-Monde  ;  la  loi  du 
climat  paroît  l'en  dispenser,  et  même  tous  les  autres 
oiseaux  de  ces  con  trées,  où  des  saisons  toujours  égales, 
et  la  terre  sans  cesse  féconde ,  les  retiennent  sans  be- 
soin et  sans  aucun  désir  de  changer  de  climat.  Nous 
ignorons  do  même  les  autres  habitudes  naturelles  de 
cet  oiseau  ,  et  presque  tous  les  faits  qui  ont  rapport  à 
l'histoire  naturelle  des  vastes  régions  du  Nouveau- 
Monde  ;  mais  doit-on  s'en  plaindre  ou  même  s'en 
étonner,  quand  on  sait  que  l'Europe  n'envoya,  pen- 
dant si  long-temps,  dans  ces  nouveaux  climats,  que 
des  yeux  fermés  aux  beautés  de  la  nature,  et  des  cœurs 
encore  moins  ouverts  aux  sentiments  qu'elle  inspire? 


LE    COURICACA.  2o5 


C«V««^««>S«<««<$«4«<^<»v~&⻫> 


LE  COURICACA. 

Tantalus  loculator.  L. 

Cet  oiseau,  n°  868,  naturel  à  la  Guiane,  au  Brésil , 
et  à  quelques  contrées  de  rAmérique  septentrionale 
où  il  voyage  ,  est  aussi  grand  que  la  cigogne,  mais  il  a 
le  corps  plus  mince,  plus  élancé,  et  il  n'atteint  à  la 
hauteur  de  la  cigogne  que  par  la  longueur  de  son 
cou  et  de  ses  jambes,  qui  sont  plus  grandes  à  propor- 
tion :  il  en  diffère  aussi  par  le  bec  ,  qui  est  droit  sur 
les  trois  quarts  de  sa  longueur,  mais  courbé  à  la  pointe, 
très  fort,  très  épais,  sans  rainures,  uni  dans  sa  ron- 
deur, et  allant  en  se  grossissant  près  de  la  tote,  où  il  a 
six  à  sept  pouces  de  toursur  prèsde  huit  de  longueur; 
ce  gros  et  long  bec  est  de  substance  très  dure  et 
tranchant  par  les  bords.  L'occiput  et  le  haut  du  cou 
sont  couverts  de  petites  plumes  brunes,  rudes  quoi- 
que effilées;  les  pennes  de  l'aile  et  de  la  queue  sont 
noires,  avec  quelques  reflets  bleuâtres  et  rougeâtres: 
tout  le  reste  du  plumage  est  blanc.  Le  front  est  chauve 
et  n'est  couvert,  comme  le  tour  des  yeux,  que  d'une 
peau  d'un  bleu  obscur.  La  gorge,  tout  aussi  dénuée  de 
plumes,  est  revêtue  d'une  peau  susceptible  de  s'enfler 
et  de  s'étendre ,  ce  qui  a  fait  donner  à  cet  oiseau,  par 
Catesby ,  le  nom  de  pélican  des  bols  (ivood-pelican)  : 
dénomination  mal  appliquée;  car  la  petite  poche  du 
couricaca  est  différente  de  celle  de  la  cigogne,  qui 
peut  également  dilater  la  peau  de  sa  gorge;  au  lieu 
que  le  pélican  porte  un  grand  sac  sous  le  bec,  et  que 


206  LE    COUlllCACA. 

d'ailleurs  il  a  les  pieds  palmés.  M.  Brisson  se  trompe 
en  rapporlant  le  couricaca  au  genre  des  courlis,  aux- 
quels il  n  a  nul  rapport ,  nulle  relation.  Pison  paroîl 
être  la  cause  de  cette  erreur,  parla  comparaison  qu'il 
fait  de  cet  oiseau  avec  le  courlis  des  Indes  de  Clusius, 
qui  est  le  courlis  rouge;  et  cette  méprise  est  d'autant 
moins  pardonnable  que,  dans  la  ligne  précédente, 
Pison  régale  au  cygne  en  grandeur  :  il  se  méprend 
moins  en  lui  trouvant  du  rapport  dans  le  bec  avec  le 
bec  de  l'ibis,  qui  est  en  effet  différent  du  bec  des 
courlis. 

Quoi  qu'il  en  soit,  ce  grand  oiseau  est  fréquent, 
selon  Marcgrave,  sur  la  rivière  de  Séregippe  ou  de 
Saint-François  :  il  nous  a  été  envoyé  de  la  Guiane,  et 
c'est  le  même  que  Barrère  désigne  sous  les  noms  de 
grue  à  bec  courbé  et  de  grand  courlis  américain  ;  dé- 
nomination à  laquelle  auroientpu  se  tromper  ceux  qui 
ont  fait  de  cet  oiseau  un  courlis ,  mais  que  M.  Brisson, 
par  une  autre  méprise,  a  rapportée  au  jabiru. 

Au  reste ,  Catesby  nous  apprend  qu'il  arrive  tous 
les  ans  de  nombreuses  volées  de  couricacas  à  la  Caro- 
line vers  la  fin  de  l'été,  temps  auquel  les  grandespîuies 
tombent  dans  ce  pays;  ils  fréquentent  les  savanes 
noyées  par  ces  pluies;  ils  se  posent  en  grand  nombre 
sur  les  plus  hauts  cyprès^;  ils  s'y  tiennent  dans  une 
attitude  fort  droite;  et,  pour  supporter  leur  bec  pe- 
sant, ils  le  reposent  sur  leur  cou  replié  :  ils  s'en  re- 
tournent avant  le  mois  de  novembre.  Catesby  ajoute 
qu'ils  sont  oiseaux  stupides,  qui  ne  s'épouvantent 
point ,  et  qu'on  les  tire  à  son  aise  ;  que  leur  chair  est 

1.  Sorte  d'arbres  de  l'A mérique  septentrionale,  différenls  de  nos 
cjprcs. 


LE    COIJIIICACA.  207 

très  bonne  à  man^^er,  quoiqu'ils  ne  se  nourrissent  que 
de  poissons  et  d'animaux  aquatiques. 


»»»»»o^<«<W«Oi» 


LE  JABIRU. 

M  y  et  er  la  amer  le  an  a.  L. 

En  multipliant  les  reptiles  sur  les  plages  noyées  de 
l'Amazone  et  de  l'Orénoque,  la  nature  semble  avoir 
produit  en  môme  temps  les  oiseaux  destructeurs  de 
ces  espèces  nuisibles  ;  elle  paroît  même  avoir  propor- 
tionné leur  force  à  celle  des  énormes  serpents  qu'elle 
leur  donnoit  à  combattre,  et  leur  taille  à  la  profon- 
deur du  limon  sur  lequel  elle  les  envoyoit  errer. 
L'un  de  ces  oiseaux  est  le  jabiru  ,  n°  817,  beau- 
coup plus  grand  que  la  cigogne,  supérieur  en  hau- 
teur à  la  grue,  avec  un  corps  du  double  d'épaisseur,  et 
le  premier  des  oiseaux  de  rivage,  si  on  donne  la 
primauté  à  la  grandeur  et  à  la  force. 

Le  bec  du  jabiru  est  une  arme  puissante;  il  a  treize 
pouces  de  longueur  sur  trois  de  largeur  à  la  base;  il 
est  aigu,  tranchant,  aplati  par  les  côtés  en  manière 
de  hache,  et  implanté  dans  une  large  tête  portée  sur 
un  cou  épais  et  nerveux  :  ce  bec,  formé  d'une  corne 
dure,  est  légèrement  courbé  en  arc  vers  le  haut,  ca- 
ractère dont  on  trouve  une  première  trace  dans  le 
bec  de  la  cigogne  noire.  La  tête  et  les  deux  tiers  du 
cou  du  jabiru  sont  couverts  d'une  peau  noire  et  nue, 
chargée  à  l'occiput  de  quelques  poils  gris  ;  la  peau 
du  bas  du  cou,  sur  quatre  à  cinq  pouces  de  haut,  est 
d'un  rouge  vif  et  forme  un  beau  et  large  collier  à  cet 


208  LE    JABIRU. 

oiseau ,  dont  le  plumage  est  entièrement  blanc  ;  le 
bec  est  noir;  les  jambes  sont  robustes,  couvertes  de 
grandes  écailles  noires  comme  le  bec,  et  dénuées  de 
plumes,  sur  cinq  pouces  de  hauteur;  le  pied  en  a 
treize;  le  ligament  membraneux  paroît  aux  doigts  et 
s'engage  de  plus  d'un  pouce  et  demi  du  doigt  extérieur 
à  celui  du  milieu. 

"Willughby  dit  que  le  jabiru  égale  au  moins  le  cy- 
gne en  grosseur  ;  ce  qui  est  vrai ,  en  se  figurant  néan- 
moins le  corps  du  cygne  moins  épais  et  plus  allongé, 
et  celui  du  jabiru  monté  sur  de  très  hautes  échasses. 
Il  ajoute  que  son  cou  est  aussi  gros  que  le  bras  d'un 
homme;  ce  qui  est  encore  exact.  Du  reste,  il  dit  que 
la  peau  du  cou  est  blanche  et  non  rouge  ;  ce  qui  peut 
venir  de  la  dififérence  du  mort  au  vivant ,  la  couleur 
rouge  ayant  été  suppléée  et  indiquée  par  une  peinture 
dans  l'individu  qui  est  au  Cabinet  du  Roi.  La  queue 
est  large  et  ne  s'étend  pas  au  delà  des  ailes  pliées. 
L'oiseau  en  pied  a  au  moins  quatre  pieds  et  demi  de 
hauteur  verticale;  ce  qui,  en  développement,  vu  la 
longueur  du  bec,  feroit  près  de  six  pieds  :  c'est  le 
plus  grand  oiseau  de  la  Guiane. 

Jonston  et  Willughby  n'ont  fait  que  copier  Marc- 
grave  au  sujet  du  jabiru  ;  ils  ont  aussi  copié  ses  figu- 
res, avec  les  défauts  qui  s'y  trouvent;  et  il  y  a  dans 
Marcgrave  môme  une  confusion  ou  plutôt  une  mé- 
prise d'éditeur  que  nos  nomenclateurs,  loin  de  cor- 
riger, n'ont  fait  qu'augmenter,  et  que  nous  allons 
tâcher  d'éclaircir. 

«  Le  jabiru  des  Brasiliens,  que  les  Holiandois  ont 
nommé  negro^  dit  Marcgrave,  a  le  corps  plus  gros 
que  celui  du  cygne  et  de  même  longueur;  le  cou  est 


LE    JABIRU.  209 

gros  comme  le  bras  d'un  homme ,  la  tête  grande  à 
proportion;  l'œil  noir;  le  bec  noir,  droit,  long  de 
douze  pouces,  large  de  deux  et  demi,  tranchant  par 
les  bords;  la  partie  supérieure  est  un  peu  soulevée  et 
plus  forte  que  l'inférieure;  et  tout  le  bec  est  légère- 
ment courbé  vers  le  haut.  » 

Sans  aller  plus  loin ,  et  à  ces  caractères  frappants  et 
uniques,  on  ne  peut  méconnoître  le  jabiru  de  la 
Guiane,  c'est-à-dire  le  grand  jabiru  que  nous  venons 
de  décrire  sur  l'oiseau  même  ;  cependant  on  voit  avec 
surprise  ,  dans  Marcgrave ,  au  dessous  de  ce  corps 
épais  qu'il  vient  de  représenter,  et  de  ce  bec  singu- 
lier arqué  en  haut,  un  bec  fortement  arqué  en  bas, 
un  corps  effilé  et  sans  épaisseur,  en  un  mot,  un  oi- 
seau, à  la  grosseur  du  cou  près,  totalement  différent 
de  celui  qu'il  vient  de  décrire  :  mais,  en  jetant  les 
yeux  sur  l'autre  page,  on  aperçoit  sous  son  jabiru  des 
Pétivares  ou  nliandu-apoa  des  Tupinambes^  qu'il  dit 
de  la  taille  de  la  cigogne^  avec  le  bec  arqué  en  bas^  un 
grand  oiseau  au  port  droit,  au  corps  épais,  au  bec  ar- 
qué en  haut,  et  qu'on  reconnoît  parfaitement  pour 
être  le  grand  jabiru,  le  véritable  objet  de  sa  descrip- 
tion précédente,  à  la  grosseur  du  bec  près,  qui  n'est 
pas  exprimée  dans  la  figure;  il  faut  donc  reconnoitre 
ici  une  double  erreur,  l'une  de  gravure  et  l'autre  de 
transposition  ,  qui  a  fait  prêter  au  nliandu-apoa  le  cou 
épais  du  jabiru ,  et  qui  a  placé  ce  dernier  sous  la  de- 
scription du  nhandu-apoa,  tandis  que  la  figure  de  ce- 
lui-ci se  voit  sous  la  description  du  jabiru. 

Tout  ce  qu'ajoute  Marcgrave  sert  à  éclaircir  cette 
méprise  et  à  prouver  ce  que  nous  venons  d'avancer: 
il  donne  au  jabiru  brasilien  de  fortes  jambes  noires. 


210  LE    JABIRL. 

écailleuses,  hautes  de  deux  pieds;  tout  le  corps  cou- 
vert de  plumes  blanches;  le  cou  nu,  revêtu  d'une 
peau  noire  aux  deux  tiers  depuis  la  tête,  et  formant 
au  dessous  un  cercle  qu'il  dit  blanc ,  mais  que  nous 
croyons  rouge  dans  l'anima!  vivant  :  voilà  en  tout  et 
dans  tous  ses  traits  notre  grand  jabiru  de  la  Guiane. 
A.U  reste,  Pison  ne  s'est  point  trompé  comme  Marc- 
grave  :  il  donne  la  véritable  figure  du  grand  jabiru 
sous  son  vrai  nom  àa  jabiru  giiacu;  et  il  dit  qu'on  le 
rencontre  aux  bords  des  lacs  et  des  rivières  dans  les 
lieux  écartés;  que  sa  chair,  quoique  ordinairement 
très  sèche,  n'est  point  mauvaise.  Cet  oiseau  engraisse 
dans  la  saison  des  pluies  :  et  c'est  alors  que  les  In- 
diens le  mangent  le  plus  volontiers;  ils  le  tuent  aisé- 
ment à  coups  de  fusil  et  même  à  coups  de  flèches.  Du 
reste,  Pison  trouve  aux  pennes  des  ailes  un  reflet  de 
rouge  que  nous  n'avons  pu  remarquer  dans  l'oiseau 
qui  nous  a  été  envoyé  de  Cayenne ,  mais  qui  peut  bien 
se  trouver  dans  les  jabirus  du  Brésil. 

LE  NANDAPOA. 

Ibis  Nandapoa.  Yieill. 

Cet  oiseau,  beaucoup  plus  petit  que  le  jabiru,  a 
néanmoins  été  nommé  grand  jabiru  {jabiru  guacu) 
dans  quelques  contrées  où  le  vrai  jabiru  n'étoit  appa- 
remment pas  encore  connu;  mais  son  vrai  nom  bra- 
silien  est  nandapoa.  Il  ressemble  au  jabiru  en  ce  qu'il 
a  de  même  la  tête  et  le  liaut  du  cou  dénués  de  plumes 
€t  recouverts  seulement  d'une  peau  écailleuse  ;  mais 


LE    NANDAPOA.  2  1  I 

il  en  diffère  par  le  bec,  qui  est  arqué  en  bas,  et  qui 
n'a  que  sept  pouces  de  longueur.  Cet  oiseau  est  à  peu 
près  de  la  taille  de  la  cigogne;  le  sommet  de  sa  tête 
est  couvert  d  un  bourrelet  osseux  d'un  blanc  grisâtre; 
les  yeux  sont  noirs;  les  oreilles  sont  larges  et  très  ou- 
vertes ;  le  cou  est  long  de  dix  pouces,  les  jambes  le 
sont  de  huit,  les  pieds  de  six ,  ils  sont  de  couleur  cen- 
drée ;  les  pennes  de  l'aile  et  de  la  queue ,  qui  ne  passe 
pas  l'aile  pliée,  sont  noires,  avec  un  reflet  d'un  beau 
rouge  dans  celle  de  l'aile;  le  reste  du  plumage  est 
blanc;  les  plumes  du  bas  du  cou  sont  un  peu  longues 
et  pendantes.  La  chair  de  cet  oiseau  est  de  bon  goût 
et  se  mange  après  avoir  ètc  dépouillée  de  sa  peau. 

Il  est  encore  clair  que  cette  seconde  description  de 
Marcgrave  convient  à  sa  première  figure,  autant  que 
la  seconde  convient  à  la  description  du  jabiru  du  Bré- 
sil, ou  de  notre  grand  Jabiru  de  la  Guiane  ,  qui  est 
certainement  le  même  oiseau.  Telle  est  la  confusion 
qui  peut  naître,  en  histoire  naturelle,  d'une  légère 
méprise,  et  qui  ne  fait  qu'aller  en  croissant  quand, 
satisfaits  de  se  copier  les  uns  les  autres  sans  discussion, 
sans  étude  de  la  nature,  les  nomenclateurs  ne  multi- 
plient les  livres  qu'au  détriment  de  la  science. 

LA  GRUE\ 

Ardea  gras.  L. 

De  tous  les  oiseaux  voyageurs  c'est  la  grue,  n*  769, 
qui  entreprend  et  exécute  les  courses  les  plus  loin- 

1.  En  latin,  gras;  en  italien  gru ,  grua;  en  espagnol,  grulla , 
gruz;  en  allemand,  krane,  kranich;  en  anglois ,  craiie. 


^12  LA    GRUE. 

taines  et  les  plus  hardies.  Originaire  du  lîord,  elle  vi- 
site les  régions  tempérées  et  s'avance  dans  celles  du 
midi.  On  la  voit  en  Suède,  en  Ecosse,  aux  îles  Orca- 
des;  dans  la  Podolie,  la  Volhinie ,  la  Lithuanie,  et 
dans  toute  l'Europe  septentrionale.  En  automne  elle 
vient  s'abattre  sur  nos  plaines  marécageuses  et  nos 
terres  ensemencées  ;  puis  elle  se  hâte  de  passer  dans 
les  climats  plus  méridionaux,  d'où,  revenant  avec  le 
printemps,  on  la  voit  s'enfoncer  de  nouveau  dans  le 
nord  et  parcourir  ainsi  un  cercle  de  voyages  avec  le 
cercle  des  saisons. 

Frappés  de  ces  conlinueîles  migrations,  les  anciens 
l'appeloient  également  Volseaii  de  Lybie  et  Voiseaii  de 
Scythie y  la  voyant  tour  à  tour  arriver  de  l'une  et  de 
l'autre  de  ces  extrémités  du  monde  alors  connu.  Hé- 
rodote, aussi  bien  qu'Aristote,  place  en  Scythie  l'été 
des  grues.  C'est  en  effet  de  ces  régions  quepartoient 
celles  qui  s'arretoient  dans  la  Grèce.  La  Thessalie  est 
appelée,  dans  Platon,  le  pâturage  des  grues  :  elles 
s'y  abattoient  en  troupes  et  couvroient  aussi  les  îles 
Cyclades  :  pour  marquer  la  saison  de  leur  passage  leur 
voixj,  dit  Hésiode,  annonce  du  haut  des  airs  au  labou- 
reur le  temps  d'ouvrir  la  terre.  L'Inde  et  l'Ethiopie 
étoicnt  des  régions  désignées  pour  leur  route  au 
midi. 

Strabon  dit  que  les  Indiens  mangent  les  œufs  des 
grues  ;  Hérodote  que  les  Egyptiens  couvrent  de  leurs 
peaux  des  boucliers  ;  et  c'est  aux  sources  du  iNil  que 
les  anciens  les  envoyoient  battre  des  Pygmées,  sorte 
de  petits  hommes^  dit  Aristote,  montés  sur  de  petits  che- 
vauXj,  et  qui  habitent  des  cavernes,  Pline  arme  ces 
petits  hommes  de  flèches;  il  les  fait  porter  par  des 


LA    «tRUE.  2i3 

béliers  et  descendre  au  printemps  des  montagnes  de 
l'Inde  ,  où  ils  habitent  sous  un  ciel  pur,  pour  venir 
vers  la  mer  orientale  soutenir,  trois  mois  durant,  la 
guerre  contre  les  grues,  briser  leurs  œufs,  enlever 
leurs  petits,  sft/is  qiioi^  dit-il ,  Us  ne potirr oient  résister 
aux  troupes  toujours  plus  nombreuses  de  ces  oiseaux  ^ 
qui  même  finirent  par  les  accabler  à  ce  que  pense 
Pline  lui-même,  puisque ,  parcourant  des  villes  main- 
tenant désertes  ou  ruinées,  et  que  d'anciens  peuples 
habitèrent,  il  compte  celle  de  Gerania^  où  viv oit  au- 
trefois la  race  des  Pygmées  ^  quon  croit  en  avoir  été 
chassés  par  les  grues. 

Ces  fables  anciennes^  sont  absurdes,  dira-t-on, 
et  j'en  conviens  :  mais,  accoutumés  à  trouver  dans 
ces  fables  des  vérités  cachées,  et  des  faits  qu'on 
n'a  pu  mieux  connoître,  nous  devons  être  sobres  à 
porter  ce  jugement  trop  facile  à  la  vanité  et  trop  natu- 
rel à  l'ignorance  ;  nous  aimons  mieux  croire  que 
quelques  particularités  singulières  dans  l'histoire  de 
ces  oiseaux  donnèrent  lieu  à  une  opinion  si  répan- 
due dans  une  antiquité  qu'après  avoir  si  souvent 
taxée  de  mensonges,  nos  nouvelles  découvertes  nous 
ont  forcés  de  reconnoître  instruite  avant  nous.  On 
sait  que  les  singes,  qui  vont  en  grandes  troupes 
dans  la  plupart  des  régions  de  l'Afrique  et  de  l'Inde, 
font  une  guerre  continuelle  aux  oiseaux;  ils  cherchent 
à  surprendre  leur  nichée  et  ne  cessent  de  leur  dresser 
des  embûches.  Les  grues,  à  leur  arrivée,  trouvent 
ces  ennemis,  peut-être  rassemblés  en  grand  nombre 
pour  attaquer  cette  nouvelle  et  riche  proie  avec  plus 

1.  Elles  précèdent  le  temps  d'Homère  .  qui  compare  {Iliade,  Viv.  III) 
les  Trojens  aux  grues  combattant  à  grand  bruil  les  Pjgmées. 


2l4  LA    GRUE. 

d'avantage;  les  grues,  assez  sûres  de  leurs  propres 
forces,  exercées  même  entre  elles  aux  combats,  et 
naturellement  assez  disposées  à  la  lutte,  comme  il  pa- 
roît  par  les  attitudes  où  elles  se  jouent,  les  mouve- 
ments qu'elles  affectent,  et  à  l'ordre  des  batailles  par 
celui  même  de  leur  vol  et  de  leur  départ,  se  défen- 
dent vivement  :  mais  les  singes,  acharnés  à  enlever 
les  œufs  et  leurs  petits,  reviennent  sans  cesse  et 
en  troupes  au  combat;  et  comme  par  leurs  stratagè- 
mes, leurs  mines,  et  leurs  postures,  ils  semblent 
imiter  les  actions  humaines,  ils  parurent  être  une 
troupe  de  petits  hommes  à  des  gens  peu  instruits,  ou 
qui  n'aperçurent  que  de  loin,  ou  qui,  emportés  par 
l'amour  de  l'extraordinaire,  préférèrent  de  mettre  ce 
merveilleux  dans  leurs  relations^.  Voilà  l'origine  et 
l'histoire  de  ces  fables. 

Les  grues  portent  leur  vol  très  haut  et  se  mettent 
en  ordre  pour  voyager;  elles  forment  un  triangle  à 
peu  près  isocèle,  comme  pour  fendre  l'air  plus  aisé- 
ment. Quant  le  vent  se  renforce  et  menace  de  les 
rompre,  elles  se  resserrent  en  cercle;  ce  qu'elles 
font  aussi  quand  l'aigle  les  attaque.  Leur  passage  se 

1.  Ce  n'est  pas  la  première  l'ois  que  des  troupes  de  singes  furent 
prises  pour  des  hordes  de  peuplades  sauvages,  sans  compter  le  com- 
bat des  Carthaginois  contre  les  orangs-outangs  sur  une  côte  de  l'Afri- 
que ,  et  les  peaux  de  trois  femelles,  pendues  dans  le  temple  de  Junon 
h  Carthage,  comme  des  peaux  de  femmes  sauvages.  Alexandre,  péné- 
trant dans  les  Indes,  alloit  tomber  dans  cette  erreur,  et  envoyer  sa 
phalange  contre  une  armée  de  pongos,  si  le  roi  Taxile  ne  rcût  dé- 
trompé ,  en  lui  faisant  remarquer  que  cette  multitude  qu'on  voyoit 
suivre  les  hauteurs  éloient  des  animaux  paisibles  attirés  par  le  spec- 
tacle ,  mais  à  la  vérité  infiniment  moins  inseusés  ,  moins  sanguinaires 
que  les  déprédateurs  de  l'Asie. 


LA    GRUE.  2l5 

fait  le  plus  souvent  dans  la  nuit,  mais  leur  voix  écla- 
tante avertit  de  leur  marche.  Dans  ce  vol  de  nuit  le 
chef  fait  entendre  fréquemment  une  voix  de  réclame 
pour  avertir  de  la  route  qu'il  tient;  elle  est  répétée 
par  toute  la  troupe,  où  chacune  répond  comme  pour 
faire  connaître  qu'elle  suit  et  garde  sa  ligne. 

Le  vol  de  la  grue  est  toujours  soutenu ,  quoique 
marqué  par  diverses  inflexions;  ses  vols  difl'érents  ont 
été  observés  comme  des  présages  des  changements 
du  ciel  et  de  la  température  ;  sagacité  que  l'on  peut 
bien  accorder  à  un  oiseau  qui,  par  la  hauteur  où  il 
s'élève  dans  la  région  de  l'air ,  est  en  état  d'en  dé- 
couvrir ou  sentir  de  plus  loin  que  nous  les  mouve- 
ments et  les  altérations.  Les  cris  des  grues  dans  le 
jour  indiquent  la  pluie;  les  clameurs  plus  bruyantes 
et  comme  tumultueuses  annoncent  la  tempête  :  si  le 
matin  ou  le  soir  on  les  voit  s'élever  et  voler  paisible- 
ment en  troupe,  c'est  un  indice  de  sérénité  ;  au  con- 
traire ,  si  elles  pressentent  l'orage,  elles  baissent  leur 
volet  s'abattent  sur  terre.  La  grue  a,  comme  tous  les 
grands  oiseaux,  excepté  ceux  de  proie,  quelque  peine 
à  prendre  son  essor  ;  elle  court  quelques  pas ,  ouvre 
les  ailes,  s'élève  peu  d'abord,  jusqu'à  ce  que  étendant 
son  vol,  elle  déploie  une  aile  puissante  et  rapide. 

A  terre  les  grues  rassemblées  établissent  une  garde 
pendant  la  nuit,  et  la  circonspection  de  ces  oiseaux 
a  été  consacrée  dans  les  hiéroglyphes  comme  le  sym- 
bole de  la  vigilance.  La  troupe  dort  la  tête  cachée 
sous  l'aile,  mais  le  chef  veille  la  tête  haute;  et,  si 
quelque  objet  le  frappe,  il  en  avertit  la  troupe  par 
un  cri.  C'est  pour  le  départ,  dit  Pline,  qu'elles  choi- 
sissent ce  chef.   Mais  sans  imaginer  un  pouvoir  reçu 


tiïij  LA     G  RIE. 

OU  donné  ,  comme  dans  les  sociétés  humaines,  on  ne 
peut  refuser  à  ces  animaux  l'intelligence  sociale  de  se 
rassembler,  de  suivre  celui  qui  appelle,  qui  précède, 
qui  dirige,  pour  faire  le  départ,  le  voyage,  le  retour, 
dans  tout  cet  ordre  qu'un  admirable  instinct  leur  fait 
suivre  :  aussi  Aristole  place-t-il  la  grue  à  la  tête  des 
oiseaux  qui  s'attroupent  et  se  plaisent  rassemblés. 
Les  premiers  froids  de  l'automne  avertissent  les 
grues  de  la  révolution  de  la  saison  ;  elles  partent  alors 
pour  changer  de  ciel.  Celles  du  Danube  et  de  l'Alle- 
magne passent  sur  l'Italie.  Dans  nos  provinces  de 
France  elles  paroissent  aux  mois  de  septembre  et 
d'octobre  ,  et  jusqu'en  novembre  lorsque  le  temps  de 
Tarrière-automne  est  doux  :  mais  la  plupart  ne  font 
que  passer  rapidement  et  ne  s'arrêtent  point;  elles 
reviennent  au  premier  printemps  en  mars  et  avril. 
Quelques  unes  s'égarent  ou  hâtent  leur  retour;  car 
Redi  en  a  vu  le  20  de  février  aux  environs  de  Pise.  Il 
paroît  qu'elles  passoient  jadis  tout  l'été  en  Angleterre, 
puisque  du  temps  de  Ray,  c'est-à-dire  au  commen- 
cement de  ce  siècle,  on  les  trouvoit  par  grandes 
troupes  dans  les  terrains  marécageux  des  provinces 
de  Lincoln  et  de  Cambridge  :  mais  aujourd'hui  les 
auteurs  de  la  Zoologie  britannique  disent  que  ces  oi- 
seaux ne  fréquentent  que  fort  peu  l'île  de  la  Grande- 
Bretagne  ,  où  cependant  l'on  se  souvient  de  les  avoir 
vus  nicher;  tellement  qu'il  y  avoit  une  amende  pro- 
noncée contre  qui  briseroit  leurs  œufs,  et  qu'on 
voyoit  communément,  suivant  Turner,  de  petits 
gruaux  dans  les  marchés.  Leur  chair  est  en  effet  une 
viande  délicate  dont  les  Romains  faisoient  grand  cas. 
Mais  je  ne  sais  si  ce  fait  avancé  par  les  auteurs  de  la 


l A    GRUE,  217 

Zoologie  britannique  n'est  pas  suspect  ;  car  ou  ne 
voit  pas  quelle  est  la  cause  qui  a  pu  éloigner  les 
grues  de  l'Angleterre  :  ils  auroienl  au  moins  dû  l'in- 
diquer,  et  nous  apprendre  si  l'on  a  desséché  les  ma- 
rais des  contrées  de  Cambridge  et  de  Lincoln;  car  ce 
n'est  point  une  diminution  dans  l'espèce  ,  puisque  les 
grues paroissent toujours  aussi  nombreuses  en  Suède, 
où  Linnaeus  dit  qu'on  les  voit  partout  dans  les  cam- 
pagnes humides.  C'est  en  effet  dans  les  terres  du 
nord,  autour  des  marais,  que  la  plupart  vont  poser 
leurs  nids.  D'un  autre  côté,  Strabon  assure  que  les 
grues  ne  nichent  que  dans  les  régions  de  l'Inde  ;  ce 
quiprouveroit,  comme  nous  l'avons  vu  de  la  cigogne, 
qu'elles  font  deux  nichées  et  dans  les  deux  climats 
opposés.  Les  grues  ne  pondent  que  deux  œufs  :  les 
petits  sont  à  peine  élevés  qu'arrive  le  temps  du  dé- 
part ;  et  leurs  premières  forces  sont  employées  à  sui- 
vre et  accompagner  leurs  pères  et  mères  dans  leurs 
voyages. 

On  prend  la  grue  au  lacet,  à  la  passée  ;  l'on  en  fait 
aussi  le  vol  à  l'aigle  et  au  faucon.  Dans  certains  can- 
tons de  la  Pologne  les  grues  sont  si  nombreuses  que 
les  paysans  sont  obligés  de  se  bâtir  des  huttes  au 
milieu  de  leurs  champs  de  blé-sarrasin  pour  les  en 
écarter.  En  Perse  ,  où  elles  sont  aussi  très  communes, 
la  chasse  en  est  réservée  aux  plaisirs  du  prince.  Il  en 
est  de  même  au  Japon ,  où  ce  privilège ,  joint  à  des 
raisons  superstitieuses,  fait  que  le  peuple  a  pour  les 
grues  le  plus  grand  respect.  On  en  a  vu  de  privées,  et 
qui,  nourries  dans  l'état  domestique  ,  ont  reçu  quel- 
que éducation;  et  comme  leur  instinct  les  porte  na- 
turellement n  se  jouer  par  divers  sauts,  puis  à  luar- 


2l8  LA    GRUE. 

cher  avec  une  affectation    de  gravité ,  on  peut  les 
dresser  à  des  postures  et  à  des  danses. 

Nous  avons  dit  que  les  oiseaux,  ayant  le  tissu  des 
os  moins  serré  que  les  animaux  quadrupèdes ,  vi- 
voient  à  proportion  plus  long-temps.  La  grue  nous 
en  fournit  un  exemple  :  plusieurs  auteurs  ont  fait 
mention  de  sa  longue  vie.  La  grue  du  philosophe 
Leonicus  Thomoeus  dans  Paul  Jove  est  fameuse  ;  il  l'a 
nourrie  pendant  quarante  ans,  et  l'on  dit  qu'ils  mou- 
rurent ensemble. 

Quoique  la  grue  soit  granivore,  comme  la  confor- 
mation de  son  ventricule  paroît  l'indiquer,  et  qu'elle 
n'arrive  ordinairement  sur  les  terres  qu'après  qu'elles 
sont  ensemencées,  pour  y  chercher  les  grains  que  la 
herse  n'a  pas  couverts,  elle  préfère  néanmoins  les  in- 
sectes, les  vers,  les  petits  reptiles;  et  c'est  par  cette 
raison  qu'elle  fréquente  les  terres  marécageuses,  dont 
elle  tire  la  plus  grande  partie  de  sa  subsistance. 

La  membrane  qui,  dans  la  cigogne,  engage  les 
trois  doigts,  n'en  lie  que  deux  dans  la  grue,  celui  du 
milieu  avec  l'extérieur.  La  trachée-artère  est  d'une 
conformation  très  remarquable  ;  car,  perçant  le  ster- 
num ,  elle  y  entre  profondément,  forme  plusieurs 
nœuds ,  et  en  ressort  par  la  même  ouverture  pour 
aller  aux  poumons.  C'est  aux  circonvolutions  de  cet 
organe  et  au  retentissement  qui  s'y  fait  qu'on  doit  at- 
tribuer la  voix  forte  de  cet  oiseau.  Son  ventricule  est 
musculeux;  il  y  a  un  double  cœcum  ,  et  c'est  en  quoi 
la  grue  diffère  à  l'intérieur  des  hérons  ,  qui  n'ont 
qu'un  cœcum,  comme  elle  en  e>st  à  l'extérieur  très 
distinguée  par  sa  grandeur,  par  le  bec  plus  court,  la 
taille  plus  fournie  ,  et  par  toute  l'habitude  du  corps  et 


LA    GRUE.  219 

la  couieur  du  plumage.  Ses  ailes  sont  très  grandes, 
garnies  de  forts  muscles,  et  ont  vingt-quatre  pennes. 
Le  port  de  la  grue  est  droit,  et  sa  figure  est 
élancée.  Tout  le  champ  de  son  plumage  est  d'un 
beau  cendré  clair,  onde,  excepté  les  pointes  des  ailes 
et  la  coiffure  de  la  tête  ;  les  grandes  pennes  de  l'aile 
sont  noires;  les  plus  près  du  corps  s'étendent,  quand 
l'aile  est  pliée,  au  delà  de  la  queue;  les  moyennes 
et  grandes  couvertures  sont  d'un  cendré  assez  clair 
du  côté  extérieur,  et  noires  au  côté  intérieur  aussi 
bien  qu'à  la  pointe  ;  de  dessous  ces  dernières  et  les 
plus  près  du  corps  sortent  et  se  relèvent  de  larges 
plumes  à  filets  qui  se  troussent  en  panache ,  re- 
tombent avec  grâce  ,  et,  par  leur  flexibilité,  leur  po- 
sition, leur  tissu,  ressemblent  à  ces  mêmes  plumes 
dans  l'autruche.  Leur  bec,  depuis  sa  pointe  jusqu'aux 
angles,  a  quatre  pouces;  il  est  droit ,  pointu,  com- 
primé par  les  côtés;  sa  couleur  est  d'un  noir  verdâtre 
blanchissant  à  la  pointe  :  la  langue,  large  et  courte, 
est  dure  et  cornée  à  son  extrémité.  Le  devant  des 
yeux ,  le  front ,  et  le  crâne  ,  sont  couverts  d'une  peau 
chargée  de  poils  noirs  assez  rares  pour  la  laisser  voir 
comme  à  nu.  Cette  peau  est  rouge  dans  l'animal  vi- 
vant, différence  que  Belon  établit  entre  le  mâle  et 
la  femelle ,  dans  laquelle  cette  peau  n'est  pas  rouge. 
Une  portion  de  plumes  d'un  cendré  très  foncé  couvre 
le  derrière  de  la  tête  et  s'étend  un  peu  sur  le  cou. 
Les  tempes  sont  blanches,  et  ce  blanc,  se  portant 
sur  le  haut  du  cou ,  descend  à  trois  ou  quatre  pou= 
ces.  Les  joues ,  depuis  le  bec  et  au  dessous  des  yeux, 
ainsi  que  la  gorge  et  une  partie  du  devant  du  cou  , 
sont  d'un  cendré  noirâtre. 


220  LA    GÏIUK. 

Il  se  trouve  parfois  des  grues  blanches;  Longolius 
et  d'autres  disent  en  avoir  vu.  Ce  ne  sont  que  des  va- 
riétés dans  l'espèce,  qui  admet  aussi  des  différences 
très  considérables  pour  la  grandeur.  M.  Brisson  ne 
donne  que  trois  pieds  un  pouce  à  sa  grue ,  mesurée 
de  la  pointe  du  bec  à  celle  de  la  queue,  et  trois  pieds 
neuf  pouces,  prise  du  bout  des  ongles  :  il  n'a  donc 
décrit  qu'une  très  petite  grue.  Willughby  compte 
cinq  pieds  anglois ,  ce  qui  fait  à  peu  près  quatre  pieds 
huit  pouces  de  longueur,  et  il  dit  qu'elle  pèse  jusqu'à 
dix  livres,  sur  quoi  les  ornithologistes  sont  d'accord 
avec  lui.  Au  Cabinet  du  Ptoi  un  individu  ,  pris  à  la 
vérité  entre  les  plus  grands,  a  quatre  pieds  deux 
pouces  de  hauteur  verticale  en  attitude;  ce  qui  feroit 
un  développement,  ou  le  corps  étendu  de  l'extré- 
mité du  bec  à  celle  des  doigts,  de  plus  de  cinq  pieds; 
la  partie  nue  des  jambes  a  quatre  pouces;  les  pieds 
sont  noirs  et  ont  dix  pouces  et  demi. 

Avec  ses  grandes  puissances  pour  le  vol  et  son 
instinct  voyageur,  il  n'est  pas  étonnant  que  la  grue 
se  montre  dans  toutes  les  contrées  et  se  transporte 
dans  tous  les  climats;  cependant  nous  doutons  que, 
du  côté  du  midi,  elle  passe  le  tropique.  En  effet, 
toutes  les  régions  où  les  anciens  les  envoient  hiver- 
ner, la  Libye,  le  haut  du  Nil,  l'Inde  des  bords  du 
Gange,  sont  en  deçà  de  celte  limite,  qui  étoit  aussi 
celle  de  l'ancienne  géographie  du  côté  du  midi  ;  et 
ce  qui  nous  le  fait  croire,  outre  l'énormité  du  voyage, 
c'est  que,  dans  la  nature,  rien  ne  passe  aux  extrê- 
mes :  c'est  un  degré  modéré  de  température  que 
les  grues  habitantes  du  Septentrion  viennent  cher- 
cher l'hiver  dans  le  midi,  et  non  le  brûlant  été  de  la 


L\    GRUE.  221 

zone  torride.  Les  marais  et  les  terres  humides  où  elles 
vivent,  et  qui  les  attirent,  ne  se  trouvent  point  au 
milieu  des  terres  arides  et  des  sables  ardents;  ou  si 
des  peuplades  de  ces  oiseaux,  parvenues  de  proche 
en  proche  en  suivant  les  chaînes  des  montagnes  où  la 
température  est  moins  ardente,  sont  allées  habiter 
le  fond  du  midi,  isolées  dès  lors  et  perdues  dans  ces 
régions,  séquestrées  de  la  grande  masse  de  l'espèce  , 
elles  n'entrent  plus  dans  le  système  de  ses  migrations, 
et  ne  sont  certainement  pas  du  nombre  de  celles  que 
nous  voyons  voyager  vers  le  nord  :  telles  sont  en  par- 
ticulier ces  grues  que  Rolbe  dit  se  trouver  en  grand 
nombre  au  cap  de  Bonne-Espérance ,  et  les  mêmes  exac- 
tement que  celles  d'Europe  ;  fait  que  nous  aurions  pu 
ne  pas  regarder  comme  bien  certain  sur  le  témoignage 
seul  de  ce  voyageur,  si  d'autres  n'avoient  aussi  trouvé 
des  grues  à  des  latitudes  méridionales  presque  aussi 
avancées,  comme  à  la  Nouvelle-Hollande  et  auxPhilip- 
pines,  où  il  paroît  qu'on  en  distingue  deux  espèces. 
La  grue  des  Indes  orientales,  telle  que  les  moder- 
nes l'ont  observée,  ne  paroît  pas  spécifiquement  dif- 
férente de  celle  d'Europe  :  elle  est  plus  petite,  le  bec 
un  peu  plus  long,  la  peau  du  sommet  de  la  tête 
rouge  et  rude,  s'étendant  jusque  sur  le  bec;  du  reste, 
entièrement  semblable  à  la  nôtre,  et  du  même  plu- 
mage gris  cendré.  C'est  la  description  qu'en  fait  Wil- 
luglîby ,  qui  l'avoit  vue  vivante  dans  le  parc  de  Saint- 
James.  M.  Edwards  décrit  une  autre  grue  envoyée 
aussi  des  Indes.  C'étoit,  à  ce  qu'il  dit,  un  grand  et 
superbe  oiseau  plus  fort  que  notre  grue  ,  et  dont  la 
hauteur,  le  cou  tendu,  étoit  de  près  de  six  pieds 
(  anglois  ).  On  le  nourrissoit  d'orge  et  d'autres  grains. 


222  LA    GRUE. 

Il  prenoit  sa  nourriture  avec  la  pointe  du  bec,  et 
d'un  coup  de  tête  fort  vif  en  arrière  il  la  jetoit  au 
fond  de  son  gosier.  Une  peau  rouge  et  nue,  chargée 
de  quelques  poils  noirs,  couvroit  la  tête  et  le  haut  du 
cou;  tout  le  plumage,  d'un  cendré  noirâtre,  étoit 
seulement  un  peu  clair  sur  le  cou  ;  la  jambe  et  les 
pieds  étoient  rougeâtres.  On  ne  voit  pas,  à  tous  ces 
traits,  de  différence  spécifique  bien  caractérisée,  et 
rien  qui  ne  puisse  être  l'impression  et  le  sceau  des 
climats  :  cependant  M.  Edwards  veut  que  sa  grande 
grue  des  Indes  soit  un  tout  autre  oiseau  que  celle  de 
Willughby  ;  et,  ce  qui  le  lui  persuade,  c'est  surtout, 
dit-il,  la  grande  différence  de  taille;  en  quoi  nous 
pourrions  être  de  son  avis,  si  nous  n'avions  déjà  re- 
marqué qu'on  observe  entre  les  grues  d'Europe  des 
variétés  de  grandeurs  très  considérables.  Au  reste , 
cette  grue  est  apparemment  celle  des  terres  de  l'Est 
et  de  l'Asie  à  la  hauteur  du  Japon,  qui,  dans  ses 
voyages ,  passe  aux  Indes  pour  y  chercher  un  hiver 
tempéré ,  et  descend  de  même  à  la  Chine  ,  où  l'on 
voit  un  grand  nombre  de  ces  oiseaux. 

C'est  à  la  même  espèce  que  nous  paroît  encore  de- 
voir se  rapporter  cette  grue  du  Japon,  vue  à  Rome , 
dont  AIdrovande  donne  la  description  et  la  figure. 
«  Avec  toute  la  taille  de  notre  grue,  elle  avoit,  dit- 
il,  le  haut  de  la  tête  d'un  rouge  vif,  semé  de  taches 
noires.  La  couleur  de  tout  son  plumage  tiroit  au 
blanc.  »  Koempfer  parle  aussi  d'une  grue  blanche  au 
Japon;  mais  comme  il  ne  la  distingue  en  aucune 
chose  de  la  grise,  dont  il  fait  mention  au  même  en- 
droit ,  il  y  a  toute  apparence  que  ce  n'est  que  la  va- 
riété qu'on  a  observée  en  Europe. 


LA    GRUE    A    COLLIER. 


LA  GRUE  A  COLLIER. 

Ardea  Antigone.  L. 

Cette  grue,  n"  865,  nous  paroît  différer  trop  de 
l'espèce  commune  pour  que  nous  puissions  l'en  rap- 
procher par  les  mêmes  analogies  que  les  variétés  pré- 
cédentes. Outre  qu'elle  est  d'une  taille  beaucoup  au 
dessous  de  celle  de  la  grue  ordinaire,  avec  la  tête 
proportionnellement  plus  grosse,  et  le  bec  plus  grand 
et  plus  fort,  elle  a  le  haut  du  cou  orné  d'un  beau 
collier  ronge  ,  soutenu  d'un  large  tour  de  cou  blanc, 
et  toute  la  tête  nue  ,  d'un  gris  rougeâtre  uni ,  et  sans 
ces  traits  de  blanc  et  de  noir  qui  coiffent  la  tête  de 
notre  grue  ;  de  plus  celle-ci  a  la  touffe  ou  le  panache 
de  la  queue  du  même  gris  bleuâtre  que  le  corps.  Cette 
grue  a  été  dessinée  vivante  chez  madame  de  Bande- 
ville,  à  qui  elle  avoit  été  envoyée  des  grandes  Indes. 

GRUES 

DU   NOUVEAU   CONTINENT 


LA  GRUE  BLANCHE. 

Ardea  amerlcana.  L. 

Il  y  a  toute  apparence  que  la  grue  a  passé  d'un 
continent  à  l'autre,  puisqu'elle  fréquente  de  préfé- 


2^4  LA    GllTE    BLANCHE. 

lence  les  conlrées  septentrionales  de  l'Europe  et  de 
l'Asie,  et  que  le  nord  est  la  grande  route  qu'ont  tenue 
les  espèces  communes  aux  deux  mondes  ;  et  en  effet, 
on  trouve  en  Amérique  une  grue  blanche,  n°  889,  et 
une  ou  deux  sortes  de  grues  grises  ou  brunes  :  mais 
la   grue    blanche,    qui   dans   notre   continent   n'est 
qu'une  variété  accidentelle,  paroît  avoir  formé  dans 
l'autre  une  race  constante,  établie  sur  des  caractères 
assez   marqués   et  assez   distincts  pour   la   regarder 
comme  très  anciennement  séparée  de  l'espèce  com- 
mune, modifiée  depuis  long-temps  par  l'influence  du 
climat.  Elle  est  de  la  hauteur  de  nos  plus  grandes 
grues,  mais  avec  des  proportions  plus  fortes  et  plus 
c'paisses  ,  le  bec  plus  long ,  la  tête  plus  grosse ,  le  cou 
et  les  jambes  moins  grêles.   Tout  son  plumage  est 
blanc,  hors  les  grandes  pennes  des  ailes,  qui  sont 
noires,   et   la  tête,  qui  est  brune;  la  couronne  du 
sommet  est  calleuse  et  couverte  de  poils  noirs  clair- 
semés et  fins ,  sous  lesquels  la  peau  rougeâtre  paroît  à 
nu;  une  peau  semblable  couvre  les  joues;  la  touffe  des 
pennes  flottantes  du  croupion  est  couchée  et  tom- 
bante ;  le  bec  est  sillonné  en  dessus,  et  dentelé  par 
les  bords  vers  le  bout;  il  est  brun  et  long  d'environ 
six  pouces.  Catesby  a  fait  la  description  de  cette  grue 
sur  une  peau  entière  que  lui  donna  un  Indien,  qui 
lui  dit  que  ces  oiseaux  fréquentoient  en  grand  nom- 
bre le  bas  des  rivières  proche  de  la  mer  au  commen- 
cement du  printemps  ,   et  qu'ils  retournoient  dans 
les  montagnes  en  été.  «  Ce  fait,  dit  Catesby,  m'a  été 
confirmé  depuis  par  un  blanc  ,  qui  m'a  assuré  que  ces 
oiseaux  font  un  grand  bruit  par  leurs  cris,  et  qu'on 
les  voit  aux  savanes  de  l'embouchure  de  l'Aratamaha 


LA    GRUE    BLANCHE.  225 

et  d'autres  rivières  proche  Saint- Augustin  ,  dans  la 
Floride,  et  aussi  dans  la  Caroline;  mais  qu'il  n'en  a 
jamais  vu  plus  avant  vers  le  nord.  » 

Cependant  il  est  très  certain  qu'elles  s'élèvent  à  de 
plus  hautes  latitudes.  Ce  sont  ces  mêmes  grues  blan- 
ches qu'on  trouve  en  Virginie,  en  Canada,  jusqu'à  la 
baie  d'Hudson;  car  la  grue  blanche  de  cette  contrée, 
que  donne  M.  Edwards,  est,  comme  il  le  remarque, 
exactement  la  même  que  celle  de  Catesby. 


LA  GRUE  BRUNE. 

Ardea  canadensis.  L. 

Edwards  décrit  cette  grue  sous  la  dénomination  de 
grue  brune  et  grise.  Elle  est  d'un  tiers  moins  grosse 
que  la  précédente  ,  qui  est  blanche  ;  elle  a  les  grandes 
pennes  des  ailes  noires;  leurs  couvertures  et  scapu- 
îaires ,  jusque  sur  le  cou,  sont  d'un  brun  rouillé, 
ainsi  que  les  grandes  plumes  flottantes  couchées  près 
du  corps;  le  reste  du  plumage  est  cendré  ;  la  peau 
rouge  de  la  tête  n'en  couvre  que  le  front  et  le  som- 
met. Ces  différences  et  celles  de  la  taille,  qui,  dans 
ce  genre  d'oiseau  ,  varie  beaucoup,  ne  sont  peut-être 
pas  suffisantes  pour  séparer  cette  espèce  de  celle  de 
notre  grue  :  ce  sont  tout  au  moins  deux  espèces  voi- 
sines, d'autant  plus  que  les  rapports  de  climats  et  de 
mœurs  rapprochent  ces  grues  d'Amérique  de  nos 
grues  d'Europe;  car  elles  ont  l'habitude  commune 
de  passer  dans  le  nord  de  leur  continent  et  jusque 
dans  les  terres  de  la  baie  d'Hudson,  où  elles  nichent. 


226  LA    GRUE    BRUNE 

et  d'où  elles  repartent  à  l'approche  de  l'hiver,  en 
prenant ,  à  ce  qu'il  paroît,  leur  route  par  les  terres  des 
Illinois  et  des  Hurons,  en  se  portant  de  là  jusqu'au 
Mexique  et  peut-être  beaucoup  plus  loin.  Ces  grues 
d'Amérique  ont  donc  le  même  instinct  que  celles 
d'Europe  ;  elles  voyagent  de  même  du  nord  au  midi , 
et  c'est  apparemment  ce  que  désignoit  l'Indien  à 
M.  Catesby  par  la  fuite  de  ces  oiseaux  de  la  mer 
aux  montagnes. 

OISEAUX  ÉTRANGERS 

QUI  ONT   RAPPORT  A  LA  GRUE. 


LA  DEMOISELLE   DE   NUMIDIE. 

Ardea  virgo,  L. 

Sous  un  moindre  module  la  demoiselle  de  Numidie, 
ïi''  2[\\  ,  à  toutes  les  proportions  et  la  taille  de  la  grue; 
c'est  son  port  et  c'est  aussi  le  même  vêtement,  la 
même  distribution  de  couleurs  sur  le  plumage,  le 
gris  en  est  seulement  plus  pur  et  plus  perlé;  deux 
touffes  blanches  de  plumes  eflilées  et  chevelues,  tom- 
bant de  chaque  côté  de  la  tête  de  l'oiseau,  lui  for- 
ment une  espèce  de  coiffure;  des  plumes  longues , 
douces,  et  soyeuses,  du  plus  beau  noir,  sont  cou- 
chées sur  le  sommet  de  la  tête;  de  semblables  plumes 
descendent  sur  le  devant  du  cou  et  pendent  avec 
grâce  au  dessous;  entre  les  pennes  noires  des  ailes 


LA    DEMOISELLE    DE    NUMIDIE.  227 

percent  des  touffes  flexibles,  allongées  et  pendantes. 
On  a  donné  à  ce  bel  oiseau  le  nom  de  demoiselle ^  à 
cause  de  son  élégance  dans  sa  parure  et  des  gestes 
mimes  qu'on  lui  voit  affecter  :  cette  demoiselle-oiseau 
s'incline  en  effet  par  plusieurs  révérences;  elle  se 
donne  bon  air  en  marchant  avec  une  sorte  d'osten- 
tation ,  et  souvent  elle  saute  et  bondit  par  gaieté , 
comme  si  elle  vouloit  danser. 

Ce  penchant ,  dont  nous  avons  déjà  remarqué 
quelque  chose  dans  la  grue,  se  montre  si  évidemment 
ici,  que ,  depuis  plus  de  deux  mille  ans,  les  auteurs 
qui  ont  parlé  de  cet  oiseau  de  INumidie  l'ont  toujours 
indiqué  ou  reconnu  par  cette  imitation  singulière  des 
gestes  mimes.  Aristote  l'appelle  i* acteur  ou  le  comé- 
dien ;  Pline,  le  danseur  et  le  baladin;  et  Plutarque 
fait  mention  de  ses  jeux  et  de  son  adresse.  Il  paroît 
môme  que  cet  instinct  scénigue  s'étend  jusqu'à  l'imi- 
tation des  actions  du  moment.  Xénophon,  dans  Athé- 
née ,  en  paroît  persuadé ,  lorsqu'il  rapporte  la  ma- 
nière de  prendre  ces  oiseaux  :  «  Les  chasseurs,  dit- 
il  ,  se  frottent  les  yeux  en  leur  présence  avec  de 
l'eau  qu'ils  ont  mise  dans  des  vases,  ensuite  ils  les 
remplissent  de  glu  et  s'éloignent;  l'oiseau  vient  s'en 
frotter  les  yeux  et  les  pattes  à  l'exemple  des  chas- 
seurs... «Aussi  Athénée,  dans  cet  endroit,  l'appelle- 
t-il  le  copiste  de  l'homme;  et  si  cet  oiseau  a  pris  de  ce 
modèle  quelque  foible  talent,  il  paroît  aussi  avoir 
pris  ses  défauts;  car  il  a  de  la  vanité,  il  aime  à  s'éta- 
ler, il  cherche  à  se  donner  en  spectacle,  et  se  met 
en  jeu  dès  qu'on  le  regarde  ;  il  semble  préférer  le 
plaisir  de  se  montrer  à  celui  même  de  manger,  et 


!228  LA    DEMOISELLE    DE    MMIDÎE. 

suivre ,  quand  on  le  quitte ,  comme  pour  solliciter 
encore  un  coup  d'oeil. 

Ce  sont  les  remarques  de  MM.  de  TAcadémie  des 
Sciences  sur  la  demoiselle  de  Numidie  ;  il  y  en  avoit 
plusieurs  à  la  ménagerie  de  Versailles.  Ils  comparent 
leur  marche,  leurs  postures,  et  leurs  gestes,  aux 
danses  des  Bohémiens;  et  Aristote  lui-même  semble 
avoir  voulu  l'exprimer  ainsi,  et  peindre  leur  manière 
de  sauter  et  de  bondir  ensemble,  lorsqu'il  dit  qu'on 
les  prend  quand  elles  dansent  l'une  vis-à-vis  de  l'autre. 

Quoique  cet  oiseau  fût  fameux  chez  les  anciens,  il 
en  étoit  néanmoins  peu  connu  ,  et  n'avoit  été  vu  que 
rarement  en  Grèce  et  en  Italie  :  confiné  dans  son 
climat ,  il  n'avoit  pour  ainsi  dire  qu'une  célébrité  fa- 
buleuse. Pline,  en  un  endroit,  après  l'avoir  nommé 
le  pantomime ^  le  place,  dans  un  autre  passage,  avec 
les  animaux  imaginaires,  les  sirènes,  les  griffons,  les 
pégases.  Les  modernes  ne  l'ont  connu  que  tard,  ils 
l'ont  confondu  avec  le  scops  et  Votus  des  Grecs,  et 
Vasio  des  Latins;  le  tout  fondé  sur  les  mines  que  le 
hibou  [otus)  fait  de  la  tête  ,  et  sur  la  fausse  analogie 
de  ses  deux  oreilles  avec  la  coiÛure  en  filets  longs  et 
déliés  qui,  de  chaque  côté,  garnit  et  pare  la  tête  de 
ce  bel  oiseau. 

Les  six  demoiselles  que  l'on  eut  quelque  temps  à 
la  ménagerie  venoient  de  Numidie.  Nous  ne  trouvons 
rien  de  plus  dans  les  naturalistes  sur  la  terre  natale 
de  cet  oiseau  et  sur  les  contrées  qu'il  habile.  Les 
voyageurs  l'ont  trouvé  en  Guinée,  et  il  paroît  natu- 
rel aux  régions  de  l'Afrique  voisines  du  tropique.  Il 
ne  seroit  pas   néanmoins  impossible    de    l'habituer 


1. l'oiseau  Royy^j.,  !2.le  secrétaire,  3.  le  CARIAM. 


LA    DEMOISELLE    DE    NUMIDIE.  229 

à  notre  climat,  de  le  naturaliser  dans  nos  basses- 
cours,  et  même  d'y  en  établir  la  race.  Les  demoi- 
selles de  Numidie  de  la  Ménagerie  du  Roi  y  ont  pro- 
duit; et  la  dernière,  morte  après  avoir  vécu  environ 
vingt-quatre  ans,  étoit  une  de  celles  qu'on  y  avoit 
vues  naître. 

MM.  de  l'Académie  donnent  des  détails  très  cir- 
constanciés sur  les  parties  intérieures  de  ces  six  oi- 
seaux qu'ils  disséquèrent  :  la  tracliée- artère,  d'une 
substance  dure  et  comme  osseuse,  étoit  engagée  par 
une  double  circonvolution  dans  une  profonde  can- 
nelure creusée  dans  le  haut  du  sternum  ;  au  bas  de  la 
trachée  on  remarquoit  un  nœud  osseux  ayant  la 
forme  d'un  larynx  séparé  en  deux  à  l'intérieur  par 
une  languette,  comme  on  le  trouve  dans  l'oie  et  dans 
quelques  autres  oiseaux;  le  cerveau  et  le  cervelet 
ensemble  ne  pesoient  qu'une  drachme  et  demie;  la 
langue  étoit  charnue  en  dessus  et  cartilagineuse  en 
dessous;  le  gésier  étoit  semblable  à  celui  d'une  poule, 
et,  comme  dans  tous  les  granivores,  on  y  trouvoit 
des  graviers. 

L'OISEAU  ROYAL. 

Ardea  pavonia.  L. 

L'oiseau  royal  doit  son  nom  à  l'espèce  de  couronne 
qu'un  bouquet  de  plumes ,  ou  plutôt  de  soies  épa- 
nouies, lui  forme  sur  la  tète.  Il  a  de  plus  le  port 
noble,  la  figure  remarquable,  et  la  taille  haute  de 

BUFFON.    XXV.  l5 


200  L  OISEAU    ROYAL. 

quatre  pieds  lorsqu'il  se  redresse.  De  belles  plumes 
d'un  noir  plombé  avec  reflets  bleuâtres  pendent   le 
long  de  son  cou  ,  s'étalent  sur  les  épaules  et  le  dos  ; 
les  premières  pennes  de  l'aile  sont  noires,  les  autres 
sont  d'un  roux  brun,  et  leurs  couvertures  rabattues 
en  effilées  coupent  et  relèvent  de  deux  plaques  blan- 
ches le  fond  sombre  de  son  manteau  ;  un  large  oreil- 
lon  d'une  peau  membraneuse,  d'un  beau  blanc  sur 
la  tempe  ,  d'un  vif  incarnat  sur  la  joue,  lui  enveloppe 
la  face  et  descend  jusque  sur  le  bec;  une  toque  de 
duvet  noir,  fin  et  serré  comme  du  velours,  lui  relève 
le  front ,  et  sa  belle  aigrette  est  une  houppe  épaisse 
fort  épanouie  et  composée  de  brins  touûus  de  cou- 
leur isabelle,  aplatis  et  filés  en  spirale  ;  chaque  brin, 
dans  sa  longueur,  est  hérissé  de  très  petits  filets  à 
pointe  noire  et  terminé  par  un  petit  pinceau  de  même 
couleur  ;  l'iris  de  l'œil  est  d'un  blanc  pur;  le  bec  est 
noir,  ainsi  que  les  pieds  et  les  jambes,  qui  sont  en- 
core plus  hautes  que  celles  de  la  grue,  avec  laquelle 
notre  oiseau  a  beaucoup  de  rapports  dans  la  confor- 
mation :  mais  il  en  difi^ère  par  de  grands  caractères, 
il  s'en  éloigne  aussi  par  son  origine;  il  est  des  climats 
chauds,  et  les  grues  viennent  des  pays  froids  ;  le  plu- 
mage de  celles-ci  est  sombre,  et  l'oiseau  royal  est 
paré  de  la  livrée  du  midi,  de  cette  zone  ardente  où 
tout  est  plus  brillant,  mais  aussi  plus  bizarre,  où  les 
formes  ont  souvent  pris  leur  développement  aux  dé- 
pens des  proportions,  où,    quoique   tout    soit  plus 
animé,   tout  est  moins  gracieux  que  dans  les  zones 
tempérées. 

L'Afrique,  et  particulièrement  les  terres  de  la  Cam- 
bra, de  la  Côle-d'Or,  de  Juida,  de  Fida,  du  cap  Vert, 


L*OISEAU    ROYAL.  23l 

sont  les  contrées  qu'il  habite.  Les  voyageurs  rappor- 
tent qu'on  en  voit  fréquemment  sur  les  grandes  ri- 
vières. Ces  oiseaux  y  pèchent  de  petits  poissons  ,  et 
vont  aussi  dans  les  terres  pâturer  les  herbes  et  recueil- 
lir des  graines.  Ils  courent  très  vite,  en  étendant  leurs 
ailes  et  s'aidant  du  vent;  autrement  leur  démarche 
est  lente  et  pour  ainsi  dire  à  pas  comptés. 

Cet  oiseau  royal,  n°  265,  est  doux  et  paisible  ;  il 
n'a  pas  d'armes  pour  offenser,  n'a  même  ni  défense  ni 
sauvegarde  que  dans  la  hauteur  de  sa  taille,  la  rapi- 
dité de  sa  course,  et  la  vitesse  de  son  vol,  qui  est 
élevé,  puissant  et  soutenu.  Il  craint  moins  l'homme 
que  ses  autres  ennemis;  il  semble  même  s'approcher 
de  nous  avec  confiance,  avec  plaisir.  On  assure  qu'au 
cap  Yert  ces  oiseaux  sont  à  demi  domestiques,  et 
qu'ils  viennent  manger  du  grain  dans  les  basses- 
cours  avec  les  pintades  et  les  autres  volailles.  Ils  se 
perchent  en  plein  air  pour  dormir,  à  la  manière  des 
paons,  dont  ont  a  dit  qu'ils  imitoient  le  cri;  ce  qui, 
joint  à  l'analogie  du  panache  sur  la  tête  ,  leur  a  fait 
donner  le  nom  de  paons  marins  par  quelques  natu- 
ralistes :  d'autres  les  ont  appelés  paons  à  queue  courte; 
d'autres  ont  écrit  que  cet  oiseau  est  le  môme  que  la 
grue  baléarique  des  anciens  :  ce  qui  n'est  nullement 
prouvé;  car  Pline,  le  seul  des  anciens  qui  ait  parlé 
de  la  grue  baléarique  ,  ne  la  caractérise  pas  de  ma- 
nière à  pouvoir  recoanoître  distinctement  notre  oi- 
seau royal.  «  Le  pic,  dit-il,  et  la  grue  baléarique 
portent  également  une  aigrette.  »  Or,  rien  ne  se  res- 
semble moins  que  la  petite  huppe  du  pic  et  la  cou- 
ronne de  l'oiseau  royal ,  qui  d'ailleurs  présente  d'au- 


2.)a  L  OISEAU    ROYAL. 

très  traits  remarquables  par  lesquels  Pline  pouvoit 
le  designer.  Si  cependant  il  étoit  vrai  que  jadis  cet 
oiseau  eût  été  apporté  à  Rome  des  îles  Baléares,  où 
on  ne  le  trouve  plus  aujourd'hui,  ce  fait  paroîtroifc 
indiquer  que,  dans  les  oiseaux  comme  dans  les  qua- 
drupèdes, ceux  qui  hal)îtoient  jadis  des  contrées 
plus  septentrionales  du  globe  alors  moins  froid  se 
trouvent  à  présent  retirés  dans  les  terres  du  midi. 
Nous  avons  reçu  cet  oiseau  de  Guinée,  et  nous 
l'avons  conservé  et  nourri  quelque  temps  dans  un 
jardin.  Il  y  becquetoit  les  herbes,  mais  particulière- 
ment le  cœur  des  laitues  et  des  chicorées.  Le  fond 
de  sa  nourriture,  de  celle  du  moins  qui  peut  ici  lui 
convenir  le  mieux,  est  du  riz  ou  sec  ou  légèrement 
bouilli ,  et  ce  qu'on  appelle  crevé  dans  l'eau  ,  ou  au 
moins  lavé  et  bien  choisi  ;  car  il  rebute  celui  qui 
n'est  pas  de  bonne  qualité  ou  qui  reste  souillé  de  sa 
poussière.  Néanmoins  il  paroît  que  les  insectes  ,  et 
particulièrement  les  vers  de  terre,  entrent  aussi  dans 
sa  nourriture  ;  car  nous  l'avons  vu  becqueter  dans  la 
terre  fraîchement  labourée,  y  ramasser  des  vers,  et 
prendre  d'autres  petits  insectes  sur  les  feuilles.  Il 
aime  à  se  baigner,  et  l'on  doit  lui  ménager  un  pelit 
bassin  ou  un  baquet  qui  n'ait  pas  trop  de  profondeur, 
et  dont  l'eau  soit  de  temps  en  temps  renouvelée. 
Pour  régal  on  peut  lui  jeter  dans  son  bassin  quelques 
petits  poissons  vivants  :  il  les  mange  avec  plaisir  et 
refuse  ceux  qui  sont  morts.  Son  cri  ressemble  beau- 
coup à  la  voix  de  la  grue;  c'est  un  son  retentissant 
(clayigor)^  assez  semblable  aux  accenls  rauques  d'une 
trompette  ou  d'un  cor.    Il  fail   entendre  ce   cri   par 


L  OISEAU    KOYAI.  2j5 

reprises  brèves  et  réitérées  quand  il  a  besoin  de  nour- 
riture, et  le  soir  lorsqu'il  cherche  à  se  gîter*.  C'est 
aussi  l'expression  de  l'inquiétude  et  de  l'ennui;  car 
il  s'ennuie  dès  qu'on  le  laisse  seul  trop  long-temps  : 
i!  aime  qu'on  lui  rende  visite;  et  lorsque,  après  l'avoir 
considéré,  on  se  promène  indifféremment  sans  pren- 
dre garde  k  lui ,  il  suit  les  personnes  ou  marche  à 
côté  d'elles,  et  fait  ainsi  plusieurs  tours  de  prome- 
nade ;  et  si  quelque  chose  lamuse ,  et  qu'il  reste  en 
arrière,  il  se  hâte  de  rejoindre  la  compagnie.  Dans 
l'attitude  du  repos  il  se  tient  sur  un  pied  ;  son  grand 
cou  est  alors  replié  comme  un  serpentin  ;  et  son  corps, 
affaissé  et  comme  tremblant  sur  ses  hautes  jambes , 
porte  dans  une  direction  presque  horizontale  :  mais 
quand  quelque  chose  lui  cause  de  l'étonnement  ou 
de  l'inquiétude,  il  allonge  le  cou ,  élève  la  tête,  prend 
un  air  fier,  comme  s'il  vouloit  en  effet  imposer  par 
son  maintien  ;  tout  son  corps  paroît  alors  dans  une 
situation  à  peu  près  verticale  ;  il  s'avance  gravement 
et  à  pas  mesurés  ;  et  c'est  dans  ces  moments  qu'il 
est  beau,  et  que  son  air,  joint  à  sa  couronne,  lui 
mérite  vraiment  le  nom  d'oiseau  royal.  Ses  longues 
jambes,  qui  lui  servent  fort  bien  en  montant ,  lui  nui- 
sent pour  descendre;  il  déploie  alors  ses  ailes  pour 
s'élancer  ;  mais  nous  avons  été  obligé  d'en  tenir  une 
courte,  en  lui  coupant  de  temps  en  temps  les  plumes, 
dans  la  crainte  qu'il  ne  prît  son  essor,  comme  il  pa- 
roît souvent  tenté  de  le  faire.  Au  reste,  il  a  passé  cet 
hiver    (1778)   à  Paris  sans  paroître  se  ressentir  des 

).  Cet  oiseau  a  encore  une  sorte  de  voix,  comme  un  grognement 
ou  gloussement  intérieur,  cloque,  cloque,  semblable  à  celui  d'une 
poule  couveuse,  mais  plus  rude. 


254  l'oiseau  royal. 

ligueurs  d'un  climat  si  dififérent  du  sien  :  il  avoit 
choisi  lui-même  l'abri  d'une  chambre  à  feu  pour  y 
demeurer  pendant  la  nuit  ;  il  ne  manquoit  pas  tous 
les  soirs,  à  l'heure  de  la  retraite,  de  se  rendre  devant 
Ja  porte  de  cette  chambre,  et  de  trompeter  pour  se 
la  faire  ouvrir. 

Les  premiers  oiseaux  de  cette  espèce  ont  été  ap- 
portés en  Europe  dès  le  quinzième  siècle  par  les 
Portugais,  lorsqu'ils  firent  la  découverte  de  la  côte 
d'Afrique.  Aldrovande  loue  leur  beauté;  mais  Belon 
ne  paroît  pas  les  avoir  connus,  et  il  se  méprend  lors- 
qu'il dit  que  la  grue  baléarique  des  anciens  est  le 
bihoreau.  Quelques  auteurs  les  ont  appelés  grues  du 
Japon;  ce  qui  semble  indiquer  qu'ils  se  trouvent 
dans  cette  île,  et  que  l'espèce  s'est  étendue  sur  toute 
la  zone  par  la  largeur  de  l'Afrique  et  de  l'Asie.  Au 
reste ,  le  fameux  oiseau  royal  ,  ou  fum-lioam  des  Chi- 
nois, sur  lequel  ils  ont  fait  des  contes  merveilleux, 
recueillis  par  le  crédule  Kircher,  n'est  qu'un  être  de 
raison,  tout  aussi  fabuleux  que  le  dragon  qu'ils  pei- 
gnent avec  lui  sur  leurs  étofl'es  et  porcelaines. 

LE  CARIAMA. 

Mycrodactylus  cristatus.  Geoff. 

Nous  avons  vu  que  la  nature,  marchant  d'un  pas 
égal,  nuance  tous  ses  ouvrages;  que  leur  ensemble 
est  lié  par  une  suite  de  rapports  constants  et  de  gra- 
dations successives  :  elle  a  donc  rempli  par  des  tran- 


LE    CAUIAMA.  255 

allions  les  intervalles  où  nous  pensons  lui  fixer  des 
divisions  et  des  coupures,  et  placé  des  productions 
intermédiaires  aux  points  de  repos  que  la  seule  fati- 
gue de  notre  esprit  dans  la  contemplation  de  ses 
œuvres  nous  a  forcés  de  supposer.  Aussi  trouvons- 
nous  dans  les  formes  mômes  les  plus  éloignées  des 
relations  qui  les  rapprochent;  en  sorte  que  rien  n'est 
vide,  tout  se  touche,  tout  se  tient  dans  la  nature, 
et  qu'il  n'y  a  que  nos  méthodes  et  nos  systèmes  qui 
soient  incohérents  lorsque  nous  prétendons  lui  mar- 
quer des  sections  ou  des  limites  qu'elle  ne  connoît 
pas.  C'est  par  cette  raison  que  les  êtres  les  plus  iso- 
lés dans  nos  méthodes  sont  souvent,  dans  la  réalité, 
ceux  qui  tiennent  à  d'autres  par  de  plus  grands  rap- 
ports :  telles  sont  les  espèces  du  cariama,  du  secré- 
taire, et  du  kamichi,  qui,  dans  toute  méthode  d'or- 
nithologie ,  ne  peuvent  former  qu'un  groupe  à  part, 
tandis  que,  dans  le  système  de  la  nature,  ces  espèces 
sont  plus  apparentées  qu'aucune  autre  avec  diffd- 
renles  familles  dont  elles  semblent  constituer  les  de- 
grés d'aflinité.  Les  deux  premiers  ont  des  caractères 
qui  les  rapprochent  des  oiseaux  de  proie,  le  dernier 
tient  au  contraire  aux  gallinacés;  et  tous  trois  appar- 
tiennent encore  de  plus  près  au  grand  genre  des  oi- 
seaux de  rivage,  dont  ils  ont  le  naturel  et  les  mœurs. 

Le  cariama  est  un  bel  oiseau  qui  fréquente  les 
marécages  et  s'y  nourrit  comme  le  héron,  qu'il  sur- 
passe en  grandeur.  Avec  de  longs  pieds  et  le  bas  de 
ia  jambe  nu  comme  les  oiseaux  de  rivage  ,  il  a  un  bec 
court  et  crochu  comme  les  oiseaux  de  proie. 

11  porte  la  tète  haute  sur  un  cou  élevé.  On  voit  sur 
la  racine  du  bec,  qui  est  jaunâtre,   une  plume  en 


206  LE    GARIAMA. 

forme  d'aigrette.  Tout  son  plumage  ,  assez  semblable 
à  celui  du  faucon,  est  gris  onde  de  brun;  ses  yeux 
sont  brillants  et  couleur  d'or,  et  les  paupières  sont 
garnies  de  longs  cils  noirs.  Les  pieds  sont  jaunâtres; 
et  les  doigts ,  qui  sont  tous  réunis  vers  l'origine  par 
une  portion  de  membrane,  celui  du  milieu  est  de 
beaucoup  plus  long  que  les  deux  latéraux,  dont  l'in- 
térieur est  le  plus  court;  les  ongles  sont  courts  et 
arrondis;  le  petit  doigt  postérieur  est  placé  si  haut, 
qu'il  ne  peut  appuyer  à  terre  ,  et  le  talon  est  épais  et 
rond  comme  celui  de  l'autruche.  La  voix  de  cet  oi- 
seau ressemble  à  celle  de  la  poule-d'Inde;  elle  est 
forte  et  avertit  de  loin  les  chasseurs  qui  le  recherchent, 
car  sa  chair  est  tendre  et  délicate;  et,  s'il  en  faut 
croire  Pison,  la  plupart  des  oiseaux  qui  fréquentent 
les  rivages  dans  ces  régions  chaudes  de  l'Amérique 
ne  sont  pas  inférieurs,  pour  la  bonté  de  la  chair,  aux 
oiseaux  de  montagne.  Il  dit  aussi  qu'on  a  commencé 
de  rendre  le  cariama  domestique  ;  et  par  ce  rapport 
de  mœurs ,  ainsi  que  par  ceux  de  sa  conformation , 
le  cariama,  qui  ne  se  trouve  qu'en  Amérique,  semble 
être  le  représentant  du  secrétaire,  qui  est  un  grand 
oiseau  de  l'ancien  continent,  dont  nous  allons  don- 
ner la  description  dans  l'article  suivant. 


LE    SECRETAIRE,    OU    LE    MESSAGER. 

LE  SECRÉTAIRE, 

ou  LE  MESSAGER. 

Falco  serpentarius.  Gmel. 

CEt  oiseau  5  considérable  par  sa  grandeur  autant 
qne  remarquable  par  sa  figure,  est  non  seulement 
d'une  espèce  nouvelle ,  mais  d'un  genre  isolé  et  sin- 
gulier, au  point  d'éluder  et  même  de  confondre  tout 
arrangement  de  méthode  et  de  nomenclature.  En 
même  temps  que  ses  longs  pieds  désignent  un  oiseau 
de  rivage  ,  son  bec  crochu  indiqueroit  un  oiseau  de 
proie;  il  a  pour  ainsi  dire  une  tête  d'aigle  sur  un 
corps  de  cigogne  ou  de  grue.  A  quelle  classe  peut 
donc  appartenir  un  être  dans  lequel  se  réunissent 
des  caractères  aussi  opposés?  Autre  preuve  que  la 
nature,  libre  au  milieu  des  limites  que  nous  pensons 
lui  prescrire,  et  plus  riche  que  nos  idées  et  plus  vaste 
que  nos  systèmes. 

Le  secrétaire,  n°  72 1 ,  a  la  hauteur  d'une  grande  grue 
et  la  grosseur  du  coq-d'Inde.  Ses  couleurs  sur  la  tête, 
le  cou,  le  dos  et  les  couvertures  des  ailes,  sont  d'un  gris 
un  peu  plus  brun  que  celui  de  la  grue;  elles  deviennent 
phis  claires  sur  le  devant  du  corps;  il  a  du  noir  aux 
pennes  des  ailes  et  de  la  queue,  et  du  noir  onde  de  gris 
sur  les  jambes.  Un  paquet  de  longues  plumes,  ou  plutôt 
de  plumes  roides  et  noires,  pend  derrière  son  cou  :  la 
plupart  de  ses  plumes  ont  jusqu'à  six  pouces  de  lon- 
gueur; il  y  en  a  de  plus  courtes,  et  quelques  unes 


258  LE    SECRÉTAIRE,    OU    LE    MESSAGER. 

sont  grises  :  toutes  sont  assez  étroites  vers  la  base  et 
plus  largement  barbées  vers  la  pointe  ;  elles  sont  im- 
plantées en  haut  du  con.  L'individu  que  nous  décri- 
vons a  trois  pieds  six  pouces  de  hauteur;  le  tarse  seul 
a  près  d'un  pied.  La  jambe,  un  peu  au  dessus  du  ge- 
nou, est  dégarnie  de  plumes  :  les  doigts  sont  gros  et 
courts,  armés  d'ongles  crochus;  celui  du  milieu  est 
presque  une  fois  aussi  long  que  les  latéraux  ,  qui  lui 
sont  unis  par  une  membrane  jusque  vers  la  moitié 
de  leur  longueur,  et  le  doigt  postérieur  est  très  fort. 
Ces  caractères  n'ont  point  été  saisis  par  le  dessina- 
teur de  la  planche  enluminée.  Le  cou  est  gros  et  épais, 
la  tête  grosse ,  le  bec  fort  et  fendu  jusqu'au  delà  des 
yeux  :  la  partie  supérieure  du  bec  est  également  et 
fortement  arquée,  à  peu  près  comme  dans  l'aigle  , 
elle  est  pointue  et  tranchante.  Les  yeux  sont  placés 
dans  un  espace  de  peau  nu  de  couleur  orangée,  qui 
se  prolonge  au  delà  de  l'angle  extérieur  de  l'œil,  et 
prend  son  origine  à  la  racine  du  bec.  li  a  de  plus  un 
caractère  unique  et  qui  ajoute  beaucoup  à  tous  ceux 
qui  font  de  cet  oiseau  un  composé  de  natures  éloi- 
gnées ;  c'est  un  vrai  sourcil  formé  d'un  seul  rang  de 
cils  noirs  de  six  à  sept  lignes  de  longueur*,  trait  sin- 
gulier, et  qui,  joint  à  la  touffe  de  plumes  au  haut 
du  cou  ,  à  sa  tête  d'oiseau  de  proie,  à  ses  pieds  d'oi-  " 
seau  de  rivage,  achève  d'en  faire  un  être  mixte, 
extraordinaire  5  et  dont  le  modèle  n'étoit  pas  connu. 
11  y  a  autant  de  mélange  dans  les  habitudes  que 
de  disparité  dans  la  conformation.    Avec   les  armes 

1.  Ce  sourcil  a  quinze  ou  èeizc  ligues  clo  longueur;  les  cils  sont  ran- 
gés très  près  les  uns  des  autres  ,  élargis  par  la  base  ,  el  creusés  en 
iioullicre  concave  en  dessous  ,  convexe  en  dessus. 


LE    SECÏIETAIUE,    OU    LE    MESSAGER.  2Zc) 

des  oiseaux  carnassiers  celui-ci  n'a  rien  de  leur  fé- 
rocité :  il  ne  se  sert  de  son  bec  ni  pour  oflenser  ni 
pour  se  défendre,  il  met  sa  sûreté  dans  la  fuite;  il 
évite  l'approche,  il  élude  l'attaque  ,  et  souvent,  pour 
échapper  à  la  poursuite  d'un  ennemi,  même  foible , 
on  lui  voit  faire  des  sauts  de  huit  à  neuf  pieds  de 
hauteur.  Doux  et  gai,  il  devient  aisément  familier  ; 
on  a  merne  commencé  à  le  rendre  domestique  au 
cap  de  Bonne-Espérance  :  on  le  voit  assez  commu- 
nément dans  les  habitations  de  cette  colonie,  et  on 
le  trouve  dans  l'intérieur  des  terres,  à  quelques  lieues 
de  distance  des  rivages.  On  prend  les  jeunes  dans  le 
nid  pour  les  élever  en  domesticité,  tant  pour  l'agré- 
ment que  pour  l'utilité;  car  ils  font  la  chasse  aux 
rats,  aux  lézards,  aux  crapauds  et  aux  serpents. 

M.  le  vicomte  de  Querhoent  nous  a  communiqué 
les  observations  suivantes  au  sujet  de  cet  oiseau. 

«  Lorsque  le  secrétaire,  dit  cet  habile  or>servateur, 
rencontre  ou  découvre  un  serpent  ,  il  l'attaque  d'a- 
bord à  coups  d'ailes  pour  le  fatiguer;  il  le  saisit  en- 
suite par  la  queue,  l'enlève  à  une  grande  hauteur 
en  l'air,  et  le  laisse  retomber;  ce  qu'il  répète  jusqu'à 
ce  que  le  serpent  soit  mort.  Il  accélère  sa  course  en 
étendant  les  ailes,  et  on  le  voit  souvent  traverser 
ainsi  les  campagnes,  courant  et  volant  tout  ensemble. 
Il  niche  dans  les  buissons,  à  quelques  pieds  de  terre, 
et  pond  deux  œufs  blancs  avec  des  taches  rousses. 
Lorsqu'on  l'inquiète,  il  fait  entendre  un  croassement 
sourd.  Il  n'est  ni  dangereux  ni  méchant;  son  naturel 
est  doux.  J'en  ai  vu  deux  vivre  paisiblement  dans  une 
basse-cour,  au  miheu  de  la  volaille;  on  les  nourrîs- 
soit  de  viande  ,  et  ils  étoient  avides  d'intestins  et  de 


54o  LE    SECRÉTAIilE,    OU    LE    MESSAGER. 

boyaux  ,  qu'ils  assujettissoient  sous  leurs  pieds  en  les 
mangeant,  comme  ils  eussent  fait  un  serpent.  Tous 
les  soirs  ils  se  couchoient  l'un  auprès  de  l'autre,  cha- 
cun la  tête  tournée  du  côté  de  la  queue  de  son  ca- 
înarade.  » 

Au  reste,  cet  oiseau  d'Afrique  paroît  s'accommo- 
der assez  bien  du  climat  de  l'Europe  ;  on  le  voit  dans 
quelques  ménageries  d'Angleterre  et  de  Hollande. 
M.  Vosraaër,  qui  l'a  nourri  dans  celle  du  prince 
d'Orange,  a  fait  quelques  remarques  sur  sa  manière 
de  vivre.  «  Il  déchire  et  avale  goulûment  la  viande 
qu'on  lui  jette,  et  ne  refuse  pas  le  poisson.  Pour  se 
reposer  et  dormir  il  se  couche  le  ventre  et  la  poitrine 
à  terre.  Un  cri  qu'il  fait  entendre  rarement  a  du  rap- 
port avec  celui  de  l'aigle.  Son  exercice  le  plus  ordi- 
naire est  de  marcher  à  grands  pas  de  côté  et  d'autre 
et  long-temps,  sans  se  ralentir  ni  s'arrêter;  ce  qui 
apparemment  lui  a  fait  donner  le  nom  de  messager;  » 
comme  il  doit  sans  doute  celui  de  secrétaire  à  ce  pa- 
quet de  plumes  qu'il  porte  au  haut  du  cou,  quoique 
M.  Vosmaër  veuille  dériver  ce  dernier  nom  de  celui 
de  sagittaire  j  qu'il  lui  applique  d'après  un  jeu  au- 
quel on  le  voit  s'égayer  souvent,  qui  est  de  prendre 
du  bec  ou  du  pied  une  paille  ou  quelque  autre  brin 
et  de  le  lancer  en  l'air  à  plusieurs  reprises;  «  car  il 
semble,  dit  M.  Vosmaër,  être  d'un  naturel  gai ,  pai- 
sible, et  même  timide.  Quand  on  l'approche  lorsqu'il 
court  ça  et  là  avec  un  maintien  vraiment  superbe,  il 
fait  un  craquement  continuel,  crac ^  crac;  mais  re- 
venu de  la  frayeur  qu'on  lui  causoit  en  le  poursui- 
vant, il  se  montre  familier  et  même  curieux.  Tandis 
que  le  dessinateur  étoit  occupé  à  le  peindre,  conti- 


LE  SECRÉTAIRE,  OU  LE  MESSAGER.     2^1 

nue  M.  Vosmaër,  l'oiseau  vint  tout  près  de  lui  regar- 
der sur  le  papier,  dans  l'attitude  de  l'attention,  le  cou 
tendu,  et  redressant  les  plumes  de  sa  tête,  comme 
s'il  admiroit  sa  figure.  Souvent  il  vient  les  ailes  éle- 
vées et  la  tête  en  avant  pour  voir  curieusement  ce 
qu'on  fait;  c'est  ainsi  qu'il  s'approcha  deux  ou  trois 
fois  de  moi,  lorsque  j'étois  assis  à  côté  d'une  table 
dans  sa  loge  pour  le  décrire.  Dans  ces  moments ,  ou 
lorsqu'il  recueille  avidement  quelques  morceaux , 
et  généralement  lorsqu'il  est  ému  de  curiosité  ou  de 
désir,  il  redresse  fort  haut  les  longues  plumes  du 
derrière  de  sa  tête ,  qui  d'ordinaire  tombent,  mêlées 
au  hasard,  sur  le  haut  du  cou.  On  a  remarqué  qu'il 
muoit  dans  les  mois  de  juin  et  de  février;  et  M.  Vos- 
maër dit  que,  quelque  attention  qu'on  ait  apportée 
à  l'observer,  on  ne  l'a  jamais  vu  boire  :  néanmoins  ses 
excréments  sont  liquides  et  blancs  comme  ceux  du 
héron.  Pour  manger  à  son  aise  il  s'accroupit  sur  ses 
talons,  et,  couché  à  moitié,  il  avale  ainsi  sa  nourri- 
ture. Sa  plus  grande  force  paroît  être  dans  le  pied. 
Si  on  lui  présente  un  poulet  vivant,  il  le  frappe  d'un 
violent  coup  de  patte  et  l'abat  du  second.  C'est  en- 
core ainsi  qu'il  tue  les  rats  ;  il  les  guette  assidûment 
devant  leurs  trous.  En  tout  il  préfère  les  animaux  vi- 
vants à  ceux  qui  sont  morts,  et  la  chair  au  poisson. 
Il  n'y  a  pas  long-temps  que  cet  oiseau  singulier 
est  connu,  même  au  Cap,  puisque  Kolbe,  ni  les  au- 
tres relateurs  de  cette  contrée,  n'en  ont  pas  fait  men- 
tion. M.  Sonnerat  l'a  trouvé  au  Philippines,  après 
l'avoir  vu  au  cap  de  Bonne-Espérance.  Nous  remar- 
quons entre  sa  notice  et  les  précédentes  quelques 
différences  dont  il  semble   qu'il  faut   tenir  compte» 


2l^'2  LE  SECRÉTAIRE,  OU  LE  MESSAGER. 

Par  exemple,  M.  Sonnerai  peint  les  plumes  de  la 
huppe  comme  naissantes  sur  le  cou  à  intervalles  in- 
égaux, et  les  plus  longues  placées  le  plus  bas  :  nous 
n'y  trouvons  ni  cet  ordre  ni  cette  proportion  dans 
l'individu  que  nous  avons  sous  les  yeux,  car  les  plu- 
mes sont  implantées  en  paquet  et  sans  ordre.  11  ajoute 
qu'elles  sont  fléchies  dans  leur  milieu  du  côté  du 
corps,  et  que  les  barbes  en  sont  frisées.  M.  Vosmaër 
les  représente  de  même,  et  nous  les  voyons  lisses 
dans  celui  que  nous  venons  de  décrire.  Ces  diffé- 
rences sont-elles  dans  les  objets  ou  dans  les  descrip- 
tions? Il  en  paroît  une  plus  considérable  dans  la  cou- 
leur du  plumage.  M.  Yosmaër  dit  qu'il  est  d'un  gris 
plombé  bleuâtre  ;  nous  le  voyons  gris  tirant  au  brun. 
Il  dit  le  bec  bleuâtre;  nous  le  voyons  noir  en  dessus, 
blanc  en  dessous.  L'individu  que  nous  décrivons,  et 
qui  est  conservé  dans  le  cabinet  de  M.  le  docteur 
Mauduit ,  n'a  pas  non  plus  deux  plumes  excédantes 
à  la  queue  ;  seulement  elles  dépassent  de  cinq  pouces 
l'aile  pliée.  Mais  un  autre  de  ces  oiseaux,  sur  lequel 
a  été  dessinée  la  planche  enluminée,  porte  ces  deux 
longues  plumes  telles  que  les  ont  décrites  MM.  Vos- 
maër et  Sonnerat.  Il  nous  paroît  que  c'est  le  carac- 
tère du  mâle.  Au  reste  ,  ce  dernier  naturaliste  ne 
s'exprime  pas  bien  en  attribuant  au  secrétaire  un  bec 
de  gallinacé  :  c'est  réellement  un  bec  d'oiseau  de 
proie;  et  d'ailleurs  M.  Sonnerat  remarque  lui-même 
que  cet  oiseau  est  Carnivore^. 

En  pensant  à  ses  mœurs  sociales  et  familières,  et 
à  la  facilité  de  l'élever  en  domesticité,  on  est  porté 

i.    Voyagea  la  NouiclleOi.inrc,  page  88. 


LE    SECRÉTAIRE,    OU    LE    MESSAGER.  2/\5 

à  croire  qu'il  seroit  avantageux  de  le  multiplier,  par- 
ticulièrement dans  nos  colonies,  où  il  pourroit  servir 
à  la  destruction  des  reptiles  nuisibles  et  des  rats. 


LE  KAMICHL 

Palamedea  cornuta.  L. 

Ce  n'est  point  en  se  promenant  dans  nos  campagnes 
cultivées,  ni  même  en  parcourant  toutes  les  terres  du 
domaine  de  l'homme,  que  l'on  peut  connoître  les 
grands  effets  des  variétés  de  la  nature  :  c'est  en  se 
transportant  des  sables  brûlants  de  la  torride  aux  gla- 
cières des  pôles  ,  c'est  en  descendant  du  sommet  des 
montagnes  au  fond  des  mers,  c'est  en  comparant  les 
déserts  avec  les  déserts,  que  nous  la  jugerons  mieux 
et  l'admirerons  davantage.  En  effet,  sous  le  point  de 
vue  de  ses  sublimes  contrastes  et  ses  majestueuses 
oppositions,  elle  paroît  plus  grande  en  se  montrant 
telle  qu'elle  est.  Nous  avons  ci-devant^  peint  les  dé- 
serts arides  de  l'Arabie  pétrée,  ces  solitudes  nues  où 
l'homme  n'a  jamais  respiré  sous  l'ombrage,  où  la 
terre  sans  verdure  n'offre  aucune  subsistance  aux  ani- 
maux, aux  oiseaux,  aux  insectes,  où  tout  paroît  mort, 
parce  que  rien  ne  peut  naître,  et  que  l'élément  né- 
cessaire au  développement  des  germes  de  tout  être 
vivant  ou  végétant,  loin  d'arroser  la  terre  par  des 
ruisseaux  d'eau  vive,  ou  de  la  pénétrer  par  des  pluies 
fécondes,  ne  peut  même   l'humecter  d'une  simple 

\.  Voyez  le  tome  XVI  de  cette  Histoire  natuvellc ,  arîicle  du  Clia^ 
mena  ,  page  5 90. 


244  ^^    KAMICHI. 

rosée.  Opposons  ce  tableau  d'une  sécheresse  absolue 
dans  une  terre  trop  ancienne  à  celui  des  vastes  plai- 
nes de  fange  des  savanes  noyées  du  nouveau  conti- 
nent; nous  y  verrons  par  excès  ce  que  l'autre  n'offroit 
que  par  défaut  :  des  fleuves  d'une  largeur  immense  , 
tels  que  l'Amazone,  la  Plata,  l'Orénoque ,  roulant  à 
grands  flots  leurs  vagues  écumantes,  et  se  débordant 
en  toute  liberté,  semblent  menacer  la  terre  d'un  en- 
vahissement, et  faire  effort  pour  l'occuper  tout  en- 
tière. Des  eaux  stagnantes  et  répandues  près  et  loin 
de  leur  cours  couvrent  le  limon  vaseux  qu'elles  ont 
déposé  :  et  ces  vastes  marécages,  exhalant  leurs  va- 
peurs en  brouillards  fétides,  communiqueroient  à 
l'air  l'infection  de  la  terre,  si  bientôt  elles  ne  retorn- 
boient  en  pluies  précipitées  par  les  orages,  ou  dis- 
persées par  les  vents;  et  ces  plages,  alternativement 
sèches  et  noyées,  où  la  terre  et  l'eau  semblent  se  dis- 
puter des  possessions  illimitées,  et  ces  broussailles 
de  mangles  jetées  sur  les  confins  indécis  de  ces  deux 
éléments  ne  sont  peuplées  que  d'animaux  immondes 
qui  pullulent  dans  ces  repaires,  cloaque  de  la  na- 
ture ,  où  tout  retrace  l'image  des  déjections  mons- 
trueuses de  l'antique  limon.  Les  énormes  serpents 
tracent  de  larges  sillons  sur  cette  terre  bourbeuse  ; 
les  crocodiles,  les  crapauds,  les  lézards,  et  mille  au- 
tres reptiles  à  larges  pattes,  en  pétrissent  la  fange; 
des  millions  d'insectes,  enflés  par  la  chaleur  humide, 
en  soulèvent  la  vase,  et  tout  ce  peuple  impur  ram- 
pant sur  le  limon  ou  bourdonnant  dans  l'air  qu'il 
obscurcit  encore,  toute  cette  vermine  dont  fourmille 
la  terre,  attire  de  nombreuses  cohortes  d'oiseaux  ra- 
visseurs, dont  les  cris  confus,  multipliés,  et  mêlés 


LE    KAMI  cm.  245 

aux  coassements  des  reptiles,  en  troublant  le  silence 
de  ces  affreux  déserts,  semblent  ajouter  la  crainte  à 
l'horreur  pour  en  écarter  l'homme  et  en  interdire 
l'entrée  aux  autres  êtres  sensibles;  terres  d'ailleurs 
impraticables,  encore  informes,  et  qui  ne  serviroient 
qu'à  lui  rappeler  l'idée  de  ces  temps  voisins  du  pre- 
mier chaos,  où  les  éléments  n'étoient  pas  séparés, 
où  la  terre  et  l'eau  ne  faisoient  qu'une  masse  com- 
mune ,  et  où  les  espèces  vivantes  n'avoient  pas  encore 
trouvé  leur  place  dans  les  différents  districts  de  la 
nature. 

Au  milieu  de  ces  sons  discordants  d'oiseaux  criards 
et  de  reptiles  coassants,  s'élève  par  intervalles  une 
grande  voix  qui  leur  en  impose  à  tous,  et  dont  les 
eaux  retentissent  au  loin  :  c'est  la  voix  du  kamichi , 
grand  oiseau  noir  très  remarquable  par  la  force  de 
son  cri  et  par  celle  de  ses  armes;  il  porte  sur  chaque 
aile  deux  puissants  éperons,  et  sur  la  tête  une  corne 
pointue^  de  trois  ou  quatre  pouces  de  longueur  sur 
deux  ou  trois  lignes  de  diamètre  à  sa  base  ;  cette 
corne,  implantée  sur  le  haut  du  front,  s'élève  droit 
et  finit  en  une  pointe  aiguë  un  peu  courbée  en  avant, 
et  vers  sa  base  elle  est  revêtue  d'un  fourreau  sem- 
blable au  tuyau  d'une  plume.  Nous  parlerons  des  épe- 
rons ou  ergots  que  portent  aux  épaules  certains  oi- 
seaux, tels  que  les  jacanas,  plusieurs  espèces  de 
pluviers,  de  vanneaux,  etc.  Mais  le  kamichi  est,  de 
tous,  le  mieux  armé;  car,  indépendamment  de   sa 

1.  Les  sauvages  de  la  Guiane  l'ont  nommé  kamichi  ;  ceux  du  Brésil 
l'appellent  anhima;  et  sur  la  rivière  des  Amazones,  cahuitahu ,  par 
imitation  de  son  grand  cri ,  que  Marcgrave  rend  plus  précisément  par 
vyhou,  vihou ,  et  qu'il  dit  avoir  quelque  chose  de  terrible. 

BUFFOK.     XXV.  iG 


'J.\6  LE    RAlilîCHI. 

corne  à  la  lele,  il  a  sur  chaque  aileron  deux  éperons 
qui  sont  dirigés  en  avant  lorsque  l'aile  est  pliée  :  ces 
éperons  sont  des  apophyses  de  los  du  métacarpe,  et 
sortent  de  la  partie  antérieure  des  deux  extrémités 
de  cet  os.  L'éperon  supérieur  est  le  plus  grand;  il  est 
triangulaire,  long  de  deux  pouces,  large  de  neuf 
lignes  à  sa  base ,  un  peu  courbé  en  finissant  en  pointe  ; 
il  est  aussi  revêtu  d'un  étui  de  même  substance  que 
celui  qui  garnit  la  base  de  la  corne.  L'apophyse  in- 
férieure du  métacarpe  ,  qui  fait  le  second  éperon  ,  n'a 
que  quatre  lignes  de  longueur  et  autant  de  largeur  à 
sa  base,  et  elle  est  recouverte  d'un  fourreau  comme 
l'autre. 

Avec  cet  appareil  d'armes  très  offensives,  et  qui  le 
rendroient  formidable  au  combat,  le  kamichi ,  n°45 1 , 
n'attaque  point  les  autres  oiseaux,  et  ne  fait  la  guerre 
qu'aux  reptiles  :  il  a  même  les  mœurs  douces  et  le 
naturel  profondément  sensible;  car  le  mâle  et  la  fe- 
melle se  tiennent  toujours  ensemble;  fidèles  jusqu'à 
la  mort,  l'amour  qui  les  unit  semble  survivre  à  la 
perte  que  l'un  ou  l'autre  fait  de  sa  moitié;  celui  qui 
reste  erre  sans  cesse  en  gémissant,  et  se  consume 
près  des  lieux  où  il  a  perdu  ce  qu'il  aime. 

Ces  aff"ections  touchantes  forment  dans  cet  oiseau, 
avec  sa  vie  de  proie,  le  même  contraste  en  qualités 
morales  que  celui  qui  se  trouve  dans  sa  structure 
physique  :  il  vit  de  proie,  et  cependant  son  bec  est 
celui  d'un  oiseau  granivore  ;  il  a  des  éperons  et  une 
corne,  et  néanmoins  sa  tète  ressemble  à  celle  d'un 
gallinacé  ;  il  a  les  jambes  courtes,  mais  les  ailes  et  la 
queue  fort  longues.  La  partie  supérieure  du  bec  s'a. 
vancc  sur  l'inférieure,  et  se  recourbe  un  peu  à  sa 


LE    KAMICHI.  247 

pointe  ;  la  tète  est  garnie  de  petites  plumes  duvetées, 
relevées,  et  comme  demi-bouclées,  mêlées  de  noir 
et  de  blanc  :  ce  même  plumage  frisé   couvre  le  haut 
du  cou  ;  le  bas  est  revêtu  de  plumes  plus  larges ,  plus 
fournies ,   noires  au  bord ,  et  grises  en  dedans  :  tout 
le  manteau  est  noir  brun,  avec  des  reflets  verdâtres, 
quelquefois   mêlé   de  taches  blanches  ;   les   épaules 
sont  marquées  de  roux,  et  cette  couleur  s'étend  sur 
le  bord  des  ailes,   qui  sont  très  amples;  elles  attei- 
gnent presque  au  bout  de  la  queue,  qui  a  neuf  pouces 
de  longueur.  Le  bec,  long  de  deux  pouces,  est  large 
de  huit  lignes  et  épais  de  dix  à  sa  base.  Le  pied, 
joint  à  une  petite  partie  nue  de  la  jambe,  est  haut  de 
sept  pouces  et  demi;  il  est  couvert  d'une  peau  rude 
et  noire ,  dont  les  écailles  sont  fortement  exprimées 
sur  les  doigts,  qui  sont  très  longs;  celui  du  milieu  , 
l'ongle  compris,  a  cinq  pouces  :  ces  ongles  sont  demi- 
crochus,  et  creusés  par  dessous  en  gouttière;  le  pos- 
térieur est   d'une  forme   particulière  ,  étant    efïilé , 
presque  droit,  et  très  long  comme  celui  de  l'alouette. 
La  grandeur  totale  de  l'oiseau  est  de  trois  pieds.  Nous 
n'avons  pas  pu  vérifier  ce   que  dit  Marcgrave  de  la 
dilTérence  considérable  de  grandeur  qu'il  indique  en- 
tre le  mrde  et  la  femelle;  plusieurs  de  ces  oiseaux  que 
nous  avons  vus  nous  ont  paru  à  peu  près  de  la  gros- 
seur et  de  la  taiile  de  la  poule-d'Inde. 

Wilhighby  remarque,  avec  raison,  que  l'espèce  du 
kamichi  est  seule  dans  son  genre.  Sa  forme  est  en 
effet  composée  de  parties  disparates,  et  la  nature  lui 
adonné  des  attributs  extraordinaires,  la  corne  sur  la 
iôte  suffit  seule  pour  en  faire  une  espèce  isolée,  et 
même  un  phénomène  dans  le   genre  entier  des  oi- 


2l\S  LE    KAMICHI. 

seaux  :  c'est  donc  sans  aucun  fondement  que  Barrère 
en  a  fait  un  aigle,  puisqu'il  n'en  a  ni  la  tête,  ni  le  bec, 
ni  les  pieds.  Pison  dit  avec  raison  que  le  kamichi  est 
un  oiseau  demi-aquatique;  il  ajoute  qu'il  construit 
son  nid  en  forme  de  four  au  pied  d'un  arbre;  qu'il 
marche  le  cou  droit,  la  tôle  haute,  et  qu'il  hante  les 
forêts.  Cependant  plusieurs  voyageurs  nous  ont  as- 
suré qu'on  le  trouve  encore  plus  souvent  dans  les 
savanes. 

LE  HÉRON  COMMUN'. 

PREMIÈRE  ESPÈCE  MOYENNE. 

Ardea  major^  et  Ardea  cinerea.  L. 

Le  bonheur  n'est  pas  également  départi  à  tous  les 
êtres  sensibles  :  celui  de  l'homme  vient  de  la  douceur 
de  son  âme,  et  du  bon  emploi  de  ses  qualités  morales; 
le  bien-être  des  animaux  ne  dépend  au  contraire  que 
des  facultés  physiques,  et  de  l'exercice  de  leurs  forces 
corporelles.  Mais  si  la  nature  s'indigne  du  partage  in~ 
juste  que  la  société  fait  du  bonheur  parmi  les  hom- 
mes, elle-même  dans  sa  marche  rapide  paroît  avoir 
négligé  certains  animaux,  qui,  par  imperfection  d'or- 
ganes, sont  condamnés  à  endurer  la  souflrance,   et 

1.  En  latin,  ardea,  ardeota  (le  nom  d'ardeola,  quoique  diminutif , 
signifie  souvent  simplement  le  héron  clans  les  meilleurs  auteurs ,  comme 
Aldrovande  le  remarque);  en  italien,  airone,  sgarza  ;  ep  espagnol  et 
en  portugais,  garza;  en  allemand,  reiger;  en  suisse,  reigei  :  en  an- 
glois,  héron,  common  héron. 


LE    IIÉBON    COMiMUN.  ^49 

destinés  à  éprouver  la  pénurie  :  enfants  disgraciés, 
nés  dans  le  dénuement  pour  vivre  dans  la  privation  , 
leurs  jours  pénibles  se  consument  dans  les  inquiétu- 
des d'un  besoin  toujours  renaissant  :  souffrir  et  pa- 
tienter sont  souvent  leurs  seules  ressources;  et  cette 
peine  intérieure  trace  sa  triste  empreinte  jusque  sur 
leur  figure,  et  ne  leur  laisse  aucune  des  grâces  dont 
la  nature  anime  tous  les  êtres  heureux.  Le  héron 
nous  présente  l'image  de  cette  vie  de  souffrance  . 
d'anxiété ,  d'indigence  :  n'ayant  que  l'embuscade  pour 
tout  moyen  d'industrie ,  il  passe  des  heures ,  des 
jours  entiers  à  la  même  place,  immobile  au  point  de 
laisser  douter  si  c'est  un  être  animé.  Lorsqu'on  l'ob- 
serve avec  une  lunette  (car  il  se  laisse  rarement  appro- 
cher), il  paroît  comme  endormi,  posé  sur  une  pierre, 
le  corps  presque  droit  et  sur  un  pied  ,  le  cou  replié 
le  long  de  la  poitrine  et  du  ventre,  la  tête  et  le  bec 
couchés  entre  les  épaules,  qui  se  haussent  et  excè- 
dent de  beaucoup  la  poitrine;  et  s'il  change  d'atti- 
tude, c'est  pour  en  prendre  une  encore  plus  con- 
trainte en  se  mettant  en  mouvement  :  il  entre  dans 
l'eau  jusqu'au  dessus  du  genou  ,  la  tête  entre  les  jam- 
bes, pour  guetter  au  passage  une  grenouille,  un 
poisson.  Mais  réduit  à  attendre  que  sa  proie  vienne 
s'offrir  à  lui,  et  n'ayant  qu'un  instant  pour  la  saisir,  il 
doit  subir  de  longs  jeûnes,  et  quelquefois  périr  d'i- 
nanition; car  il  n'a  pas  l'instinct,  lorsque  l'eau  est 
couverte  de  glace,  d'aller  chercher  à  vivre  dans  les 
climats  plus  tempérés;  et  c'est  mal  à  propos  que 
quelques  naturalistes  l'ont  rangé  parmi  les  oiseaux 
de  passage  qui  reviennent  an  printemps  dans  les  lieux 
qu'ils  ont  quittés  l'hiver,  puisque  nous  voyons  ici  des 


55o  Lli    HÉRON    COMMUN. 

hérons  dans  toutes  les  saisons,  et  même  pendant  les 
froids  les  plus  rigoureux  et  les  plus  longs  :  forcés  alors 
de  quitter  les  marais  et  les  rivières  gelées,  ils  se  tien- 
nent sur  les  ruisseaux  et  près  des  sources  chaudes; 
et  c'est  dans  ce  temps  qu'ils  sont  le  plus  en  mouve- 
ment, et  où  ils  font  d'assez  grandes  traversées  pour 
changer  de  station,  mais  toujours  dans  la  même  con- 
trée. Ils  semblent  donc  se  multiplier  à  mesure  que  le 
froid  augmente,  et  ils  paroissent  supporter  également 
et  la  faim  et  le  froid;  ils  ne  résistent  et  ne  durent  qu'à 
force  de  patience  et  de  sobriété;  mais  ces  froides  ver- 
tus sont  ordinairement  accompagnées  du  dégoût  de 
la  vie.  Lorsqu'on  prend  un  héron,  on  peut  le  garder 
quinze  jours  sans  lui  voir  chercher  ni  prendre  au- 
cune nourriture;  il  rejette  même  celle  qu'on  tente 
de  lui  faire  avaler  :  sa  mélancolie  naturelle,  augmen- 
tée sans  doute  parla  captivité,  l'emporte  sur  l'in- 
stinct de  sa  conversation,  sentiment  que  la  nature 
imprime  le  premier  dans  le  cœur  de  tous  les  êtres 
animés;  l'apathique  héron  semble  se  consumer  sans 
languir  ;  il  périt  sans  se  plaindre  et  sans  apparence 
de  regret^. 

L'insensibilité ,  l'abandon  de  soi-même ,  et  quel- 
ques autres  qualités  tout  aussi  négatives  ,  le  carac- 
térisent mieux  que  ses  facultés  positives  :  triste  et 
solitaire,  hors  le  temps  des  nichées,  il  ne  paroît 
connoîlre  aucun  plaisir,  ni  même  les  moyens  d'éviter 
la  peine.  Dans  les  plus  mauvais  temps,  il  se  tient  isolé, 
découvert ,  posé  sur  ;m  pieu  ou  sur  une  pierre ,  au 
bord  d'un  ruisseau,  sur  une  butte,  au  milieu  d'une 

1.  Expérience  faite  par  M.  Hébert,  aux  belles  observations  de  qui 
nous  devons  les  principaux  faits  de  l'histoire  naturelle  du  héron 


LE    HÉRON    COMMUN.  25 1 

prairie  inondée  :  tandis  que  les  autres  oiseaux  cher- 
chent l'abri  des  feuillages  ;  que  ,  dans  les  mêmes  lieux, 
le  râle  se  met  à  couvert  dans  l'épaisseur  des  herbes, 
et  le  butor  au  milieu  des  roseaux;  notre  héron  misé- 
rable reste  exposé  à  toutes  les  injures  de  l'air  et  à  la 
plus  grande  rigueur  des  frimas.  M.  Hébert  nous  a  in- 
formé qu'il  en  avoit  pris  un  qui  étoit  à  demi  gelé  et 
tout  couvert  de  verglas.  Il  nous  a  de  même  assuré 
avoir  trouvé  souvent  sur  la  neige  ou  la  vase  l'impres- 
sion des  pieds  de  ces  oiseaux,  et  n'avoir  jamais  suivi 
leurs  traces  plus  de  douze  ou  quinze  pas;  preuve  du 
peu  de  suite  qu'ils  mettent  à  leur  quête ,  et  de  lein^ 
inaction  même  dans  le  temps  du  besoin.  Leurs  lon- 
gues jambes  ne  sont  que  des  échasses  inutiles  à  la 
course  :  ils  se  tiennent  debout  et  en  repos  absolu 
pendant  la  plus  grande  partie  du  jour  ;  et  ce  repos 
leur  tient  lieu  de  sommeil,  car  ils  prennent  quelque 
essor  pendant  la  nuit^  :  on  les  entend  alors  crier  en 
l'air  à  toute  heure  et  dans  toutes  les  saisons;  leur  voix 
est  un  son  unique,  sec  et  aigre,  qu'on  pourroit  com- 
parer au  cri  de  l'oie,  s'il  n'étoit  plus  bref  et  un  peu 
plaintif  2  ;  ce  cri  se  repète  de  moment  à  moment ,  et 
se  prolonge  sur  un  ton  plus  perçant  et  très  désagréa- 
ble ,  lorsque  l'oiseau  ressent  de  la  douleur. 

Le  héron,  n**  287,  ajoute  encore  aux  malheurs  de 
sa  chétive  vie  le  mal  de  la  crainte  et  de  la  défiance  ; 
il  paroît    s'inquiéter   et   s'alarmer    de   tout;    i!   fuit 

1.  Les  anciens  l'avoient  observé  ;  Eustache,  sur  le  dixième  livre  de 
VlUade,  dil  que  le  héron  pêche  la  nuit. 

2.  Kleixeln,  clangere,  étoit  le  mot  dont  se  t^ervoieat  les  (irecs  ,  dès 
le  tempp  d'Homère,  pour  exprimer  le  cri  du  héron.  Voyex  l'Iliade^ 
liv.  X. 


25:i  LE    HÉRON    COMMUN. 


l'homme  de  très  loin  :  souvent  assailli  par  l'aigle  et 
le  faucon,  il  n'élude  leur  attaque  qu'en  s'ëlevant  au 
haut  des  airs  et  s'efforçant  de  gagner  le  dessus  ;  on 
le  voit  se  perdre  avec  eux  dans  la  région  des  nuages^. 
C'étoit  assez  que  la  nature  eût  rendu  ces  ennemis 
trop  redoutables  pour  le  malheureux  héron  2,  sans  y 
ajouter  l'art  d'aigrir  leur  instinct  et  d'aiguiser  leur 
antipathie.  Mais  la  chasse  du  héron  étoit  autrefois 
parmi  nous  le  vol  le  plus  brillant  de  la  fauconnerie  ; 
il  faisoit  le  divertissement  des  princes,  qui  se  réser- 
voient  comme  gibier  d'honneur  la  mauvaise  chair  de 
cet  oiseau,  qualifiée  viande  royale ,  et  servie  comme 
un  mets  de  parade  dans  les  banquets. 

C'est  sans  doute  cette  distinction  attachée  au  hé- 
ron qui  fit  imaginer  de  rassembler  ces  oiseaux,  et 
de  tâcher  de  les  fixer  dans  des  massifs  de  grands  bois 
près  des  eaux,  ou  même  dans  des  tours,  en  leur  of- 
frant des  aires  commodes  où  ils  venoient  nicher.  On 
tiroit  quelque  produit  de  ces  héronnièrespar  la  vente 
des  petits  héronneaux  que  Ion  savoit  engraisser.  Be- 
îon  parle  avec  une  sorte  d'enthousiasme  des  héron- 
nières  que  François  P""  avoit  fait  élever  à  Fontaine- 
bleau, et  du  grand  efi'et  de  l'art  qui  avoit  soumis  à 
l'empire  de  l'homme  des  oiseaux  aussi  sauvages.  Mais 
cet  art  étoit  fondé  sur  leur  naturel  même  :  les  hérons 

i.  On  prétend  que,  pour  dernière  défense,  il  passe  la  tête  sous  son 
aile,  et  présente  son  bec  pointu  à  l'oiseau  ravisseur,  qui,  fondant  avec 
impétuosité,  s'y  perce  lui-même. 

'A.  Les  anciens  lui  en  donnoient  d'autres,  foibles  en  apparence , 
mais  pourtant  redoutables ,  en  ce  qu'ils  l'attaquoient  dans  ce  qu'il 
avoit  de  plus  cher  :  l'alouette,  qui  lui  rompoit  ses  œufs;  le  pic  [pipo, 
pipra)^  qui  lui  tuoit  ses  petits.ll  n'avoit  contre  tous  ces  ennemis  que 
l'inutile  amitié  de  la  corneîUe. 


LE    HÉRON    COMMUN.  253 

se  plaisent  à  nicher  rassemblés;  ils  se  réunissent  pour 
cela  plusieurs  dans  un  même  canton  de  forêt^,  sou- 
vent sur  un  même  arbre.  On  peut  croire  que  c'est 
la  crainte  qui  les  rassemble,  et  qu'iis  ne  se  réunissent 
que  pour  repousser  de  concert ,  ou  du  moins  étonner 
par  leur  nombre,  le  milan  et  le  vautour.  C'est  au  plus 
haut  des  grands  arbres  que  les  hérons  posent  leurs 
nids,  souvent  auprès  de  ceux  des  corneilles;  ce  qui 
a  pu  donner  lieu  à  l'idée  des  anciens  sur  l'amitié  éta- 
blie entre  ces  deux  espèces,  si  peu  faites  pour  aller 
ensemble.  Les  nids  du  héron  sont  vastes,  composés 
de  bûchettes,  de  beaucoup  d'herbe  sèche,  de  joncs, 
et  de  plumes.  Les  œufs  sont  d'un  bleu  verdâtre,  pâle 
et  uniforme ,  de  même  grosseur  à  peu  près  que  ceux 
de  la  cigogne,  mais  un  peu  plus  allongés  et  presque 
également  pointus  par  les  deux  bouts.  La  ponte,  à  ce 
qu'on  nous  assure,  est  de  quatre  ou  cinq  œufs;  ce 
qui  devroit  rendre  l'espèce  plus  nombreuse  qu'elle 
ne  paroît  l'être  partout.  Il  périt  donc  un  grand  nom- 
bre de  ces  oiseaux  dans  les  hivers  :  peut-être  aussi 
qu'étant  mélancoliques  et  peu  nourris,  ils  perdent 
de  bonne  heure  la  puissance  d'engendrer. 

Les  anciens ,  frappés  apparemment  de  l'idée  de  la 
vie  souffrante  du  héron  ,  croyoient  qu'il  éprouvoit  de 
la  douleur,  même  dans  l'accouplement;  que  le  mâle, 
dans  ces  instants,  répandoit  du  sang  parles  yeux,  et 
jetoit  des  cris   d'angoisse.   Pline  paroît  avoir  puisé 

1.  Il  n'est  point  de  pays  où  l'on  ne  connoisse  de  ces  bois  que  les 
lierons  affectionnent,  où  ils  se  rassemblent,  et  qui  sont  des  héron- 
nières  naturelles.  C'est  non  seulement  sur  les  grands  chênes,  mais  aussi 
dans  les  bois  de  sapins,  qu'ils  se  réunissent,  comme  Schwenckfeld  le 
remarque  de  certaines  forêts  de  Silésie. 


254  I-E    HÉRON    COMMUN. 

dans  Aristote  cette  fause  opinion,  dont  Théophraste 
se  montre  également  prévenu  :  mais  on  le  réfutoit 
déjà  du  temps  d'Albert ,  qui  assure  avoir  plusieurs 
fois  été  témoin  de  l'accouplement  des  hérons,  et 
n'avoir  vu  que  les  caresses  de  l'amour  et  les  crises 
du  plaisir.  Le  mâle  pose  d'abord  un  pied  sur  le  dos 
de  la  femelle  ,  comme  pour  la  presser  doucement  de 
céder;  puis,  partant  les  deux  pieds  en  avant,  il  s'a- 
baisse sur  elle,  et  se  soutient  dans  cette  attitude  par 
de  petits  battements  d'ailes.  Lorsqu'elle  vient  à  cou- 
ver, le  mâle  va  à  la  pêche,  et  lui  fait  part  de  ses  cap- 
tures; et  l'on  voit  souvent  des  poissons  tomber  de  leurs 
nids.  Du  reste,  il  ne  paroît  pas  que  les  hérons  se 
nourrissent  de  serpents  ni  d'autres  reptiles;  et  l'on 
ne  sait  sur  quoi  pouvoit  être  fondée  la  défense  de 
les  tuer  en  Angleterre. 

Nous  avons  vu  que  le  héron  adulte  refuse  de  man- 
ger, et  se  laisse  mourir  en  domesticité;  mais,  pris 
jeune,  il  s'apprivoise,  se  nourrit  et  s'engraisse.  Nous 
en  avons  fait  porter  du  nid  à  la  basse-cour  ;  ils  y  ont 
vécu  d'entrailles  de  poissons  et  de  viande  crue,  et  se 
sont  habitués  avec  la  volaille  :  ils  sont  même  suscep- 
tibles ,  non  pas  d'éducation ,  mais  de  quelques  mou- 
vements communiqués;  on  en  a  vu  qui  avoient  appris 
à  tordre  le  cou  de  différentes  manières,  à  l'entortil- 
ler autour  du  bras  de  leur  maître  :  mais  dès  qu'on 
cessoit  de  les  agacer,  ils  retomboient  dans  leur  tris- 
tesse naturelle,  et  demeuroient  immobiles.  Au  reste, 
les  jeunes  hérons  sont,  dans  le  premier  âge,  assez 
long-temps  couverts  d'un  poil  follet  épais ,  principa- 
lement sur  la  tête  et  le  cou. 

Le  héron  prend  beaucoup  de   grenouilles;  il  les 


LE    HÉRON    COMMUN.  255 

avale  tout  entières.  On  le  reconnoît  à  ses  excréments, 
qui  en  offrent  les  os  non  brisés  et  enveloppés  d'une 
espèce  de  mucilage  visqueux  de  couleur  verte,  formé 
apparemment  de  la  peau  des  grenouilles  réduite  en 
colle.  Ses  excréments  ont ,  comme  ceux  des  oiseaux 
d'eau  en  général,  une  qualité  brûlante  pour  les  her- 
bes. Dans  la  disette  il  avale  quelques  petites  plantes, 
telles  que  la  lentille  d'eau;  mais  sa  nourriture  ordi- 
naire est  le  poisson.  Il  en  prend  assez  de  petits ,  et 
il  faut  lui  supposer  le  coup  de  bec  sûr  et  prompt 
pour  atteindre  et  frapper  une  proie  qui  passe  comme 
un  trait;  mais  pour  les  poissons  un  peu  gros,  Wil- 
lughby  dit,  avec  toute  sorte  de  vraisemblance,  qu'il 
en  pique  et  en  blesse  beaucoup  plus  qu'il  n'en  tire 
de  l'eau.  En  hiver,  lorsque  tout  est  glacé  et  qu'il  est 
réduit  aux  fontaines  chaudes,  il  va  tâtant  de  son  pied 
dans  la  vase,  et  palpe  ainsi  sa  proie,  grenouille  ou 
poisson. 

Au  moyen  de  ses  longues  jambes,  le  héron  peut 
entrer  dans  l'eau  de  plus  d'un  pied  sans  se  mouiller. 
Ses  doigts  sont  d'une  longueur  excessive  :  celui  du 
milieu  est  aussi  long  que  le  tarse  ;  l'ongle  qui  le  ter- 
mine est  dentelé^  en  dedans  comme  un  peigne,  et 
lui  fait  un  appui  et  des  crampons  pour  s'accrocher 
aux  menues  racines  qui  traversent  la  vase  sur  laquelle 
il  se  soutient  au  moyen  de  ses  longs  doigts  épanouis. 
Son  bec  est  armé  de  dentelures  tournées  en  arrière, 
par  lesquelles  il  retient  le  poisson  glissant.  Son  cou 
se  plie  souvent  en  deux,  et  il  sembîeroït  que  ce  mou- 

1.  Celte  dentelure  en  peigue  est  creusée  sur  la  tranche  dilatée  et 
saillante  du  côté  intérieur  de  l'ongle  ,  sans  s'étendre  jusqu'à  sa  pointe, 
qui  est  aiguë  tt  lisse. 


256  LE    HÉRON    COMMUN. 

vement  s'exécute  au  moyen  d  une  charnière  ;  car  on 
peut  encore  faire  jouer  ainsi  le  cou  plusieurs  jours 
après  la  mort  de  l'oiseau.  Willughby  a  mal  à  propos 
avancé,  à  ce  sujet,  que  la  cinquième  vertèbre  du 
cou  est  renversée  et  posée  en  sens  contraire  des  au- 
tres; car,  en  examinant  le  squelette  du  héron,  nous 
avons  compté  dix-huit  vertèbres  dans  le  cou  ,  et  nous 
avons  seulement  observé  que  les  cinq  premières,  de- 
puis la  tête,  sont  comme  comprimées  par  les  côtés, 
et  articulées  l'une  sur  l'autre  par  une  avance  de  la 
précédente  sur  la  suivante,  sans  apophyses,  et  que 
l'on  ne  commence  à  voir  des  apophyses  que  sur  la 
sixième  vertèbre.  Par  cette  singularité  de  conforma- 
lion,  la  partie  du  cou  qui  tient  à  la  poitrine  se  roi- 
dit,  et  celle  qui  tient  à  la  tête  joue  en  demi-cercle 
sur  l'autre ,  ou  s'y  applique  de  façon  que  le  cou ,  la 
tête  et  le  bec ,  sont  plies  en  trois  l'un  sur  l'autre  ; 
l'oiseau  redresse  brusquement ,  et  comme  par  res- 
sort, cette  moitié  repliée,  et  lance  son  bec  comme 
un  javelot.  En  étendant  le  cou  de  toute  sa  longueur,  il 
peut  atteindre  au  moins  à  trois  pieds  à  la  ronde.  En- 
lin  ,  dans  un  parfait  repos,  ce  cou  si  démesurément 
long  est  comme  effacé  et  perdu  dans  les  épaules  ,  aux- 
quelles la  tête  paroît  jointe.  Ses  ailes  pliées  ne  débor- 
dent point  la  queue,  qui  est  très  courte. 

Pour  voler,  ilroidit  ses  jambes  en  arrière,  renverse 
le  cou  sur  le  dos ,  le  plie  en  trois  parties  ,  y  compris 
la  tête  et  le  bec,  de  façon  que  d'en  bas  on  ne  voit 
point  de  tête ,  mais  seulement  un  bec  qui  paroît  sor- 
tir de  sa  poitrine.  Il  déploie  des  ailes  plus  grandes  à 
proportion  que  celles  d'aucun  oiseau  de  proie  :  ces 
ailes  sont  fort  concaves,  et  frappent  l'air  par  un  mou- 


LE    HÉRON    COMMUN.  207 

vement  égal  et  réglé.  Le  héron,  par  ce  vol  uniforme, 
s'élève  et  se  porte  si  haut,  qu'il  se  perd  à  la  vue  dan^^ 
la  région  des  nuages.  C'est  lorsqu'il  doit  pleuvoir 
qu'il  prend  le  plus  souvent  son  vol,  et  les  anciens 
tiroient  de  ses  mouvements  et  de  ses  attitudes  plu- 
sieurs conjectures  sur  l'état  de  l'air  et  les  change- 
ments de  température  :  triste  et  immobile  sur  le  sable 
des  rivages,  il  annonçoit  des  frimas  ;  plus  remuant  et 
plus  clameux  qu'à  l'ordinaire  ,  il  promeltoit  la  pluie  ; 
la  tête  couchée  sur  la  poitrine,  il  indiquoit  le  vent 
par  le  côté  où  son  bec  étoit  tourné.  Aratus  et  Virgile, 
Théophraste  et  Pline,  établissent  ces  présages,  qui 
ne  nous  sont  plus  connus  depuis  que  les  moyens  de 
l'art,  comme  plus  sûrs,  nous  ont  fait  négliger  les  ob- 
servations de  la  nature  en  ce  genre. 

Quoi  qu'il  en  soit,  il  y  a  peu  d'oiseaux  qui  s'élè- 
vent aussi  haut,  et  qui,  dans  le  même  climat,  fassent 
d'aussi  grandes  traversées  que  les  hérons  :  et  souvent , 
nous  dit  M.  Lottinger,  on  en  prend  qui  portent  sur 
eux  des  marques  des  lieux  où  ils  ont  séjourné.  Il  faut 
en  effet  peu  de  force  pour  porter  très  loin  un  corps  si 
mince  et  si  maigre,  qu'en  voyant  un  héron  à  quelque 
hauteur  dans  l'air  on  n'aperçoit  que  deux  grandes  ai- 
les sans  fardeau.  Son  corps  est  efflanqué,  aplati  par 
les  côtés ,  et  beaucoup  plus  couvert  de  plumes  que  de 
chair.  Wiilughby  attribue  la  maigreur  du  héron  à  la 
crainte  et  à  l'anxiété  continuelle  dans  laquelle  il  vit, 
autant  qu'à  la  disette  et  à  son  peu  d'industrie.  Effec- 
tivement la  plupart  de  ceux  que  l'on  tue  sont  d'une 
maigreur  excessive^  . 

1.   Arislott!  coimoissoit  mal  le  héron ,  lorsqu'il  le  dit  aclil  et  subtil  a 


S[58  LE    HÉRON    C0M3IUN, 

Tous  les  oiseaux  de  îa  famille  du  héron  n'ont  qu  un 
seul  cœcum,  ainsi  que  les  quadrupèdes,  au  lieu  que 
tous  les  autres  oiseaux  en  qui  se  trouve  ce  viscère  l'ont 
double;  l'œsophage  est  1res  large  et  susceptible  d'une 
grande  dilatation  :  la  trachée-artère  a  seize  pouces  de 
longueur,  et  environ  quatorze  anneaux  par  pouce; 
elle  est  à  peu  près  cylindrique  jusqu'à  sa  bifurcation  , 
où  se  forme  un  renflement  considérable  d'où  partent 
les  deux  branches,  qui,  du  côté  intérieur,  ne  sont 
formées  que  d'une  membrane.  L'œil  est  placé  dans 
une  peau  nue,  verdâlre ,  qui  s'étend  jusqu'aux  coins 
du  bec.  La  langue  est  assez  longue,  molle,  et  poin- 
tue :  le  bec,  fendu  jusqu'aux  yeux,  présente  une  lon- 
gue et  large  ouverture;  il  est  robuste,  épais  près  de 
la  tête,  long  de  six  pouces,  et  finissant  en  pointe  ai- 
guë. La  mandibule  inférieure  est  tranchante  sur  les 
côtés  :  la  supérieure  est  dentelée  vers  le  bout  sur  près 
de  trois  pouces  de  longueur;  elle  est  creusée  d'une 
double  rainure,  dans  laquelle  sont  placées  les  narines  ; 
sa  couleur  est  jaunâtre,  rembrunie  à  la  pointe.  La  man- 
dibule inférieure  est  plus  jaune  ;  et  les  deux  branches 
qui  la  composent  ne  se  joignent  qu'à  deux  pouces  de 
la  pointe;  l'entre-deux  est  garni  d'une  membrane  cou- 
verte de  plumesblanches.  La  gorge  est  blanche  aussi; 
et  de  belles  mouchetures  noires  marquent  les  longues 
plumes  pendantes  du  devant  du  cou.  Tout  le  dessus 
du  corps  est  d'un  beau  gris  de  perle  :  mais  dans  la  fe- 
melle, qui  est  plus  petite  que  le  mâle,  les  couleurs 
sont  plus  pâles,  moins  foncées,  moins  lustrées;  elle 
n'a  point  la  bande  transversale  noire  sur  la  poitrine, 

tîc  procurer  sa  subsistance  :  sagax  et  cœnœ  gerula  et  operosa.  Il  auroit 
pn  le  dire,  avec  plus  de  vérité,  inquiet  et  soucieux. 


T,E    HÉRON    COMMUN.  269 

ni  d'aigretle  sur  la  tête.  Dans  le  mâle  il  y  a  deux  ou 
trois  longs  brins  de  plumes  minces ,  effilées  ,  flexibles , 
et  du  plus  beau  noir  :  ces  plumes  sont  d'un  grand 
prix,  surtout  en  Orient.  La  queue  du  héron  a  douze 
pennes  tant  soit  peu  étagées.  La  partie  nue  de  sa  jambe 
a  trois  pouces,-  le  tarse  six,  le  grand  doigt  plus  de 
cinq;  il  est  joint  au  doigt  intérieur  par  une  portion  de 
membrane  :  celui  de  derrière  est  aussi  très  long,  et, 
par  une  singularité  marquée  dans  tous  les  oiseaux  de 
cette  famille,  ce  doigt  est  comme  articulé  avec  l'ex- 
térieur, et  implanté  à  côté  du  talon.  Les  doigts,  les 
pieds  et  les  jambes  de  ce  héron  commun  sont  d'un 
jaune  verdâtre  :  il  a  cinq  pieds  d'envergure,  près  de 
quatre  du  bout  du  bec  aux  ongles,  et  un  peu  plus  de 
trois  jusqu'au  bout  de  la  queue;  le  cou  a  seize  ou  dix- 
sept  pouces.  En  marchant,  il  porte  plus  de  trois  pieds 
de  hauteur  :  il  est  donc  presque  aussi  grand  que  la  ci- 
gogne; mais  il  a  beaucoup  d'épaisseur  de  corps,  et 
l'on  sera  peut-être  étonné  qu'avec  d'aussi  grandes  di- 
mensions le  poids  de  cet  oiseau  n'excède  pas  quatre 
livres^  . 

Aristote  et  Pline  paroissent  n'avoir  connu  que  trois 
espèces  dans  ce  genre  :  le  héron  commun,  ou  le  grand 
héron  gris  dont  nous  venons  de  parler,  et  qu'ils  dési- 
gnent parle  nom  de  liéron  cendré  on  brun^  pellos;  le 
héron  blanc,  leiikos;  et  le  héron  étoile  ou  le  butor, 
asterlas.  Cependant  Oppien  observe  que  les  espèces 
de  hérons  sont  nombreuses  et  variées.  En  efifet,  cha- 
que climat  a  les  siennes,  comme  nous  le  verrons  par 

1.  Un  liéron  mâle,  pris  le  10  janvier,  pesoit  trois  livres  dix  onces; 
une  femelle,  trois  livres  cinq  onces.  {Observation  faite  par  M,  Gtte- 
neau  de  Montbeillard.) 


'j6o  le  héron  commun. 

leur  énumération;  et  l'espèce  commune ,  celle  de  no- 
tre héron  gris,  paroît  s'être  portée  dans  presque  tous 
les  pays,  et  les  habiter  conjointement  avec  celles  qui 
sont  indigènes.  Nulle  espèce  n'est  plus  solitaire,  moins 
nombreuse  dans  les  pays  habités,  et  plus  isolée  dans 
chaque  contrée  :  mais  en  même  temps  aucune  n'est 
plus  répandue  et  ne  s'est  portée  plus  loin  dans  des  cli- 
mats opposés;  un  naturel  austère,  une  vie  pénible, 
ont  apparemment  endurci  le  héron,  et  l'ont  rendu 
capable  de  supporter  toutes  les  intempéries  des  diffé- 
rents climats.  Du  Tertre  nous  assure  qu'au  milieu  de 
la  multitude  de  ces  oiseaux  naturels  aux  Antilles,  on 
trouve  souvent  le  héron  gris  d'Europe  ;  on  l'a  de  même 
trouvé  à  Taiti ,  où  il  a  un  nom  propre  dans  la  langue 
du  pays*,  et  où  les  insulaires  ont  pour  lui,  comme 
pour  le  martin-pêcheur ,  un  respect  superstitieux.  Au 
Japon,  entre  plusieurs  espèces  de  saggis  ou  de  hérons , 
on  distingue,  dit  Kaempfer,  le  golsaggi  ou  le  héron 
gris;  on  le  rencontre  en  Egypte,  en  Perse,  en  Sibé- 
rie, chez  les  Jakutes.  Nous  en  dirons  autant  du  héron 
de  l'île  de  San-Iago  ,  au  cap  Yert  ;  de  celui  de  la  baie 
de  Saldana;  du  héron  de  Guinée  de  Bosman;  des  hé- 
rons gris  de  l'île  de  Mai  ou  des  rabékès  du  voyageur 
Roberts;  du  héron  de  Congo,  observé  par  Lopez ;  de 
celui  de  Guzarate,  dont  parle  Mandeslo;  de  ceux  de 
Malabar,  de  Tunquin,  de  Java,  de  ïimor,  puisque 
ces  différents  voyageurs  indiquent  ces  hérons  simple- 
ment sous  le  nom  de  l'espèce  commune,  et  sans  les 
en  distinguer.  Le  héron  appelé  dan  g  c  an  g  hac  à^nsVWa 
de  Luçon,  et  auquel  les  Espagnols  des  Philippines 

1.   Oioo  est  le  nom  propre  du  liéron  gris  en  langue  taïliennc. 


LE    IIÉUON    COMMLN.  sGl 

donnent  en  leur  langue  le  nom  propre  du  héron  d'Eu- 
rope [garza),  nous  paroît  encore  être  le  même.  Dam- 
pier  dit  expressément  que  le  héron  de  la  baie  de  Cam- 
peche  est  tout  semblable  à  celui  d'Angleterre  ;  ce  qui , 
joint  au  témoignagne  de  Du  Tertre  et  à  celui  de  Le  Page 
du  Pratz,  qui  a  vu  à  la  Louisiane  le  même  héron  qu'en 
Europe,  ne  nous  laisse  pas  douter  que  l'espèce  n'en 
soit  commune  aux  deux  continents,  quoique  Catesby 
assure  qu'il  ne  s'en  trouve  dans  le  nouveau  que  des 
espèces  toutes  différentes. 

Dispersés  et  solitaires  dans  les  contrées  peuplées, 
les  hérons  se  sont  trouvés  rassemblés  et  nombreux 
dans  quelques  îles  désertes,  comme  dans  celles  du 
golfe  d'Arguim  au  cap  Blanc,  qui  reçut  des  Portugais 
le  nom  à' isola  das  garzas  ou  à! île  aux  Itérons^  parce 
qu'ils  y  trouvèrent  un  si  grand  nombre  d'œufs  de  ces 
oiseaux  qu'on  en  remplit  deux  barques.  Aldsovande 
parle  de  deux  îles  sur  la  côte  d'Afrique  nommées  de 
môme  et  pour  la  môme  raison  î/es  des  /iero?is  p^v  les 
Espagnols.  Celle  du  Niger,  où  aborda  M.  Adanson, 
eût  mérité  également  ce  surnom ,  par  la  grande  quan- 
tité de  ces  oiseaux  qui  s'y  étoient  établis.  En  Europe, 
l'espèce  du  héron  gris  s'est  portée  jusqu'en  Suède  , 
en  Danemarck  et  en  Norwége  :  on  en  voit  en  Pologne, 
en  Angleterre,  en  France,  dans  la  plupart  de  nos  pro- 
vinces; et  c'e^t  surtout  dans  les  pays  coupés  de  ruis- 
seaux ou  de  marais,  comme  en  Suisse  et  en  Hollande, 
que  ces  oiseaux  habitent  en  plus  grand  nombre. 

Nous  diviserons  le  genre  nombreux  des  hérons  en 
quatre  familles  :  celle  du  héron  proprement  dit^  dont 
nous  venons  de  décrire  la  première  espèce;  celle  du 
butor ^  celle  du  bihoreau^  et  celle  des  crabiers.  Les  ca- 

BUIFON.     XXV.  ij 


26'2  LE    HÉKON    COMMUx\. 

raclères  communs  qui  unissent  et  rassemblent  ces 
quatre  familles  sont  la  longueur  du  cou  ;  la  rectitude 
du  bec,  qui  est  droit,  pointu  et  dentelé  aux  bords 
de  sa  partie  supérieure  vers  la  pointe;  la  longueur 
des  ailes,  qui,  lorsqu'elles  sont  pliées ,  recouvrent  la 
queue;  la  hauteur  du  tarse  et  de  la  partie  nue  de  la 
jambe;  la  grande  longueur  des  doigts  dont  celui  du 
milieu  a  l'ongle  dentelé,  et  la  position  singulière  de 
celui  de  derrière,  qui  s'articule  à  côté  du  talon,  près 
du  doigt  intérieur;  enfin  la  peau  nue,  verdâtre ,  qui 
s'étend  du  bec  aux  yeux  dans  tous  ces  oiseaux.  Joi- 
gnez à  ces  conformités  physiques  celles  des  habitudes 
naturelles,  qui  sont  à  peu  près  les  mêmes;  car  tous 
ces  oiseaux  sont  également  habitants  des  marais  et  de 
la  rive  des  eaux  ;  tous  sont  patients  par  instinct,  assez 
lourds  dans  leurs  mouvements,  et  tristes  dans  leur 
maintien. 

Les  traits  particuliers  de  la  famille  des  hérons,  dans 
laquelle  nous  comprenons  les  aigrettes,  sont  :  le  cou 
excessivement  long,  très  grêle,  et  garni  au  bas  de  plu- 
mes pendantes  et  effilées;  le  corps  étroit,  efflanqué, 
et,  dans  la  plupart  des  espèces,  élevé  sur  de  hautes 
échasses. 

Les  butors  sont  plus  épais  de  corps,  moins  hauts 
sur  jambes  que  le  héron;  ils  ont  le  cou  plus  court, 
et  si  garni  de  plumes  qu'il  paroît  très  gros  en  compa- 
raison de  celui  du  héron. 

Lesbihoreaux  ne  sont  pas  si  grands  que  les  butors; 
leur  cou  est  plus  court;  les  deux  ou  trois  longs  brins 
implantés  dans  la  nuque  du  cou  les  distinguent  des 
trois  autres  familles  ;  la  partie  supérieure  de  leur  bec 
est  légèrement  arquée. 


LE    HÉRON    COMMUN.  ^65 

Les  crabiers,  qu'on  ponrroit  nommer  petits  hérons ^ 
forment  une  famille  subalterne,  qui  n'est  pour  ainsi 
dire  que  la  répétition  en  diminutif  de  celle  des  hé- 
rons; aucun  des  crabiers  n'est  aussi  grand  que  le  bé- 
ron-aigretfce ,  qui  est  des  trois  quarts  plus  petit  que 
le  héron  commun;  et  le  blongios^  qui  n'est  pas  plus 
gros  qu'un  râle  ,  termine  la  nombreuse  suite  d'espè- 
ces de  ce  genre,  plus  varié  qu'aucun  autre  pour  la 
proportion  de  la  grandeur  et  des  formes. 


t>'xa-e<fr»»o»ei»e»»ft»»D^e<»94t«<r«&»ge-'&ei»»if»^w 


LE  HERON  BLANC\ 

SECONDE    ESPÈCE. 

Ardea  alba.  L. 

Comme  les  espèces  des  hérons  sont  nombreuses, 
nous  séparerons  celles  de  l'ancien  continent,  qui  sont 
au  nombre  de  sept,  de  celles  du  Nouveau-Monde, 
dont  nous  en  connoissons  déjà  dix.  La  première  de 
ces  espèces  de  notre  continent  est  le  héron  comnnin 
que  nous  venons  de  décrire  ;  et  la  seconde  est  celle  du 
liéron  blanc,  n°  886,  qu'Aristote  a  indiqué  par  le  sur- 
nom de  letikoSj  qui  désigne  en  effet  sa  couleur  :  il  est 
aussi  grand  que  le  héron  gris,  et  même  il  a  les  jambes 
encore  plus  hautes;  mais  il  manque  de  panaches,  et 
c'est  mal  à  propos  que  quelques  nomenclateurs  l'ont 
confondu  avec  l'aigrette  :  tout  son  phunage  est  blanc, 

1.  En  latin  5  leucus ,  ardea  alba,  albardeola;  en  italien,  garza  ou 
garzettà  bianca  ;  en  allemand  ,  weisser  rcger  ;  en  anglois,  w/iite-hcron  , 
wlùte-irauldivçr. 


264  ^^    HÉRON    BLAiNC. 

le  bec  est  jaune  ,  et  les  pieds  sont  noirs.  Turner  sem- 
ble dire  qu'on  a  vu  le  héron  blanc  s'accoupler  avec 
le  héron  gris;  mais  Belon  dit  seulement,  ce  qui  est 
plus  vraisemblable,  que  les  deux  espèces  se  hantent 
et  sont  amies  jusqu'à  partager  quelquefois  la  même 
aire  pour  y  élever  en  commun  leurs  petits  :  il  paroît 
donc  qu'Aristote  n'étoit  pas  bien  informé  lorsqu'il  a 
écrit  que  le  héron  blanc  mettoit  plus  d'art  à  construire 
son  nid  que  le  héron  gris. 

M.  Brisson  donne  une  description  du  héron  blanc  à 
laquelle  on  doit  ajouter  que  la  peau,  nue  autour  des 
yeux,  n'est  pas  toute  verte,  mais  mêlée  de  jaune  sur 
les  bords;  que  l'iris  est  d'un  jaune  citron;  que  les 
cuisses  sont  verdâtres  dans  leur  partie  nue. 

On  voit  beaucoup  de  hérons  blancs  sur  les  côtes 
de  Bretagne ,  et  cependant  l'espèce  en  est  fort  rare  en 
Angleterre,  quoique  assez  commune  dans  le  Nord 
jusqu'en  Scanie;  elle  paroît  seulement  moins  nom- 
breuse que  celle  du  héron  gris,  sans  être  moins  ré- 
pandue, puisqu'on  l'a  trouvée  à  la  Nouvelle-Zélande, 
au  Japon,  aux  Philippines,  à  Madagascar,  au  Brésil, 
où  il  se  nomme  guiratinga ^  et  au  Mexique,  sous  le 
nom  d'aztatL 

LE  HÉRON  NOIR. 

TROISIÈME    ESPÈCE. 

Ardea  atra.   L. 

ScHWENCKFELD  scroit  le  seul  des  naturalistes  qui 
auroit   fait  mention  de  ce  héron,  si  les  auteurs  de 


I 


LE    HÉRON    NOIR.  265 

XOrnltlwlogle  italienne  ne  parloient  pas  aussi  d'un  hé- 
ron de  Dier  qu'ils  disent  être  noir;  celui  de  Schwenck- 
feld,  qu'il  a  vu  en  Silésie,  c'est-à-dire  loin  de  la  mer, 
pourroit  donc  ne  pas  être  le  même  que  celui  des 
ornithologistes  italiens.  Au  reste,  il  est  aussi  grand 
que  notre  héron  gris  :  tout  son  plumage  est  noirâtre , 
avec  un  reflet  de  bleu  sur  les  ailes.  Il  paroît  que  l'es- 
pèce en  est  rare  en  Silésie  :  cependant  on  doit  pré- 
sumer qu'elle  est  plus  commune  ailleurs,  et  que  cet 
oiseau  fréquente  les  mers;  car  il  paroît  se  trouver  à 
Madagascar,  où  il  a  un  nom  propre  :  mais  on  ne  doit 
pas  rapporter  à  cette  espèce,  comme  l'a  fait  M.  Klein, 
Xardea  cœruleo-nigra  de  Sloane ,  qui  est  le  crabier  de 
Labat,  qui  est  beaucoup  plus  petit,  et  qui ,  par  con- 
séquent, doit  être  placé  parmi  les  plus  petits  hérons, 
que  nous  appellerons  crabiers. 

LE  HÉRON  POURPRÉ. 

QUATRIÈME    ESPÈCE. 

Ardea  purpurata.  L.  Gm. 

Le  héron  pourpré  du  Danube  donné  par  Marsigli,  et 
le  héi'on  pourpré  huppé  des  planches  enluminées, 
n"  788,  nous  paroissent  devoir  se  rapporter  à  une 
seule  et  même  espèce  :  la  huppe,  comme  l'on  sait, 
est  l'attribut  du  mâle  ,  et  les  petites  ditférences  qui 
se  trouvent  dans  les  couleurs  entre  ces  deux  hérons 
peuvent  de  même  se  rapporter  au  sexe  ou  à  l'âge. 
Quant  à  la  grandeur,  elle  est  la  môme;  car,  bien  que 
M.  Brisson  donne  son  héron  pourpré  huppé  comme 


266  LE    HÉRON    POURPRÉ. 

beaucoup  moins  gros  que  le  héron  pourpré  de  Mar- 
sigli,  les  dimensions,  dans  le  détail ^  se  trouvent  être 
à  très  peu  près  égales,  et  tous  deux  sont  de  la  gran- 
deur du  héron  gris.  Le  cou,  l'estomac,  et  une  partie 
du  dos,  sont  d'un  beau  roux  pourpré;  de  longues 
plumes  effilées  de  cette  même  belle  couleur  partent 
des  côtés  du  dos,  et  s'étendent  jusqu'au  bout  des  ailes 
en  retombant  sur  la  queue. 


LE  HERON  VIOLET. 

CINQUIÈME    ESPÈCE. 

Ardea  leucocepliala^  et  Ciconia  leucocephala.  Gm. 

Ce  héron,  n'*  906,  nous  a  été  envoyé  de  la  côte  de 
Cororaandei  :  il  a  tout  le  corps  d'un  bleuâtre  très 
foncé,  teint  de  violet;  le  dessus  de  la  tête  est  de  la 
même  couleur,  ainsi  que  le  bas  du  cou,  dont  le  reste 
est  blanc;  il  est  plus  petit  que  le  héron  gris,  et  n'a  au 
pkis  que  trente  pouces  de  longueur. 

LAGARZETTE  BLANCHE. 

SIXIÈME    ESPÈCE. 

Ardea  alba.  L. 

Aldkovande  désigne  ce  héron  blanc,  plus  petit  que 
le  premier,  par  les  noms  de  garzetta  et  de  garza 


LA    GARZETTE    BLANCHE.  067 

blancaj  en  le  distinguant  nettement  de  l'aigrette, 
qu'il  a  auparavant  très  bien  caractérisée;  cependant 
M.  Brisson  les  a  confondues,  et  il  rapporte,  dans  sa 
nomenclature,  la  garza  bianca  d'Aldrovaride  à  l'ai- 
grette, et  ne  donne  à  sa  place,  sous  le  titre  de  petit 
héron  blanc ^  qu'une  petite  espèce  à  plumage  blanc 
teint  de  jaunâtre  sur  la  tête  et  la  poitrine  ,  qui  paroît 
n'être  qu'une  variété  dans  l'espèce  de  la  garzette  ,  ou 
plutôt  la  garzette  elle-même  ,  mais  jeune  et  avec  un 
reste  de  sa  livrée ,  comme  Aldrovande  l'indique  par 
les  caractères  qu'il  lui  donne.  Au  reste ,  cet  oiseau 
adulte  est  tout  blanc  ,  excepté  le  bec  et  les  pieds ,  qui 
sont  noirs;  il  est  bien  plus  petit  que  le  grand  béron 
blanc  ,  n'ayant  pas  deux  pieds  de  longueur.  Oppian 
paroît  avoir  connu  cette  espèce.  Klein  et  Linnaeus 
n'en  font  pas  mention  ,  et  probablement  elle  ne  se 
trouve  pas  dans  le  Nord.  Cependant  le  héron  blanc 
dont  parle  Rzaczynski,  que  Ton  voit  en  Prusse,  et 
qui  a  le  bec  et  les  pieds  jaunâtres,  paroît  être  une 
variété  de  cette  espèce;  car,  dans  le  grand  héron 
blanc,  le  bec  et  les  pieds  sont  constamment  noirs, 
d'autant  plus  qu'en  France  même  cette  petite  espèce 
de  garzette  est  sujette  à  d'autres  variétés.  M.  Hébert 
nous  assure  avoir  tué  en  Brie  ,  au  mois  d'avril ,  un  de 
ces  petits  hérons  blancs,  pas  plus  gros  de  corps  qu'un 
pigeon  de  volière,  qui  avoit  les  pieds  verts,  avec  l'é- 
caillé lisse  et  fine,  au  lieu  que  les  autres  hérons  ont 
communément  cette  écaille  des  pieds  d'un  grain  gros- 
sier et  farineux. 


268  l'aigkette. 


L'AIGRETTE. 

SEPTIÈME    ESPÈCE. 

Ardea  garzetta.   L. 

Belon  est  le  premier  qui  ait  donné  le  nom  à'ai- 
grette  à  cette  petite  espèce  de  héron  blanc,  et  vrai- 
semblablement à  cause  des  longues  plumes  soyeuses 
qu'il  porte  sur  le  dos,  parce  que  ces  belles  plumes 
servent  à  faire  des  aigrettes  pour  embellir  et  relever 
la  coiffure  des  femmes,  le  casque  des  guerriers  et  le 
turban  des  sultans  :  ces  plumes  sont  du  plus  grand 
prix  en  Orient;  elles  étoient  recherchées  en  France, 
dès  le  temps  de  ces  preux  chevaliers  qui  en  faisoient 
des  panaches.  Aujourd'hui,  par  un  usage  plus  doux, 
elles  servent  à  orner  la  tête  et  rehausser  la  taille  de 
nos  belles  :  la  flexibilité,  la  mollesse,  la  légèreté  de 
ces  plumes  ondoyantes,  ajoutent  à  la  grâce  des  mou- 
vements; et  la  plus  noble  comme  la  plus  piquante 
des  coiffures  ne  demande  qu'une  simple  aigrette 
placée  dans  de  beaux  cheveux. 

Ces  plumes  sont  composées  d'une  côte  très  déliée, 
d'où  partent  par  paires,  à  petits  intervalles,  des  fdets 
très  fins  et  aussi  doux  que  la  soie  ;  de  chaque  épaule 
de  l'oiseau  sort  une  touffe  de  ces  belles  plumes,  qui 
s'étendent  sur  le  dos  et  jusqu'au  delà  de  la  queue; 
elles  sont  d'un  blanc  de  neige ,  ainsi  que  toutes  les 
autres  plumes,  qui  sont  moins  délicates  et  plus  fer- 
mes :  cependant  il  paroît  que  l'oiseau  jeune,  avant  sa 


l'aigrette.  26g 

première  mue  ,  et  peut-être  plus  tard,  a  du  gris  ou  du 
brun,  et  même  du  noir,  mêlés  dans  son  plumage.. 
Un  de  ces  oiseaux,  tué  par  M.  Hébert  en  Bourgogne, 
avoit  tous  les  caractères  de  la  jeunesse,  et  particuliè- 
rement ces  couleurs  brunes  de  la  livrée  du  premier 
âge. 

Cette  espèce,  à  laquelle  on  a  donné  le  nom  d'ai- 
grette ^  n'en  est  pas  moins  un  héron;  mais  c'est  l'un 
des  plus  petits;  il  n'a  communément  pas  deux  pieds 
de  longueur.  Adulte,  il  a  le  bec  et  les  pieds  noirs.  Il 
se  tient  de  préférence  aux  bords  de  la  mer,  sur  les 
sables  et  les  vases  :  cependant  il  perche  et  niche  sur 
les  arbres  comme  les  autres  hérons. 

Il  paroît  que  l'espèce  de  notre  aigrette  d'Europe , 
II*  901 ,  se  retrouve  en  Amérique,  avec  une  autre  es- 
pèce plus  grande  dont  nous  donnerons  la  description 
dans  l'article  suivant  ;  il  paroît  aussi  que  cette  môme 
espèce  d'Europe  s'est  répandue  dans  tous  les  climats 
et  jusque  dans  les  îles  lointaines  isolées,  comme  aux 
îles  Malouines  et  à  l'île  de  Bourbon  ;  on  la  trouve  en 
Asie,  dans  les  plaines  de  l'Araxe,  sur  les  bords  de  la 
mer  Caspienne  et  à  Siam,  au  Sénégal  et  à  Madagas- 
car, où  on  l'appelle  langliouron  :  mais  pour  les  ai- 
grettes noires,  grises  et  pourprées,  que  les  voyageurs 
Flaccourt  et  Cauche  placent  dans  cette  même  île, 
on  peut  les  rapporter  avec  beaucoup  de  vraisem- 
blauce  à  quelqu'une  des  espèces  précédentes  de  hé- 
rons, auxquels  le  panache  dont  leur  tête  est  ornée 
aura  fait  donner  improprement  le  nom  à' aigrette. 


LA    GRANDE    AIGRETTE. 


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HERONS 

DU    NOUVEAU    CONTINENT, 


LA  GRANDE   AIGRETTE. 

PREMIÈRE    ESPÈCE. 

Ardea  egretta,  L. 

Toutes  les  espèces  précédentes  de  hérons  sont  de 
l'ancien  continent;  toutes  celles  qui  suivent  appar- 
tiennent au  nouveau  :  elles  sont  très  nombreuses  en 
individus  dans  ces  régions  où  leis  eaux,  qui  ne  sont 
point  contraintes ,  se  répandent  sur  de  vastes  espa- 
ces, et  où  toutes  les  terres  basses  sont  noyées.  La 
grande  aigrette,  n°  926,  est  sans  contredit  la  plus 
belle  de  ces  espèces,  et  ne  se  trouve  pas  en  Europe  : 
elle  ressemble  à  notre  aigrette  par  le  beau  blanc  de 
son  plumage,  sans  mélange  d'aucune  autre  couleur, 
et  elle  est  du  double  plus  grande  ;  et  par  conséquent 
son  magnifique  parement  de  plumes  soyeuses  est  d'au- 
tant plus  riche  et  plus  volumineux;  elle  a,  comme 
l'aigrette  d'Europe,  le  bec  et  les  pieds  noirs.  A 
Cayenne  elle  niche  sur  les  petites  îles  qui  sont  dans 
les  grandes  savanes  noyées  :  elle  ne  fréquente  pas  les 
bords  de  la  mer  ni  les  eaux  salées ,  mais  se  tient  ha- 
bituellement sur  les  eaux  stagnantes  et  sur  les  rivières, 
où  elle  s'abrite  dans  les  joncs.  L'espèce  en  est  assez 
commune  à  la  Guiane  :  mais  ces  grands  et  beaux  oi- 
seaux ne  vont  pas  on  troupes  comme  les  petites  ai- 


ILE  HERQ-N  2.  LATGRETTE,  t)  LE  BUTOR 


LA    GRANDE    AIGRETTE.  2"^  l 

grettes  ;  ils  sont  aussi  plus  farouches,  se  laissent 
moins  approcher ,  et  se  perchent  rarement.  On  en 
voit  à  Saint-Domingue,  où,  dans  la  saison  sèche,  ils 
IVoquentent  les  marais  et  les  étangs.  Enfin  il  paroît 
que  cette  espèce  n'est  pas  confinée  aux  climats  les 
plus  chauds  de  l'Amérique,  car  nous  en  avons  reçu 
quelques  individus  qui  nous  ont  été  envoyés  de  la 
Louisiane. 


L'AIGRETTE  ROUSSE. 

SECONDE    ESPÈCE. 

Ardea  rufescens.  L. 

Cette  aigrette,  n°  902,  avec  le  corps  d'un  gris 
noirâtre ,  a  les  panaches  du  dos  et  les  plumes  effilées 
du  cou  d'un  roux  de  rouille.  Elle  se  trouve  à  la  Loui- 
siane ,  et  n'a  pas  tout-à-fait  deux  pieds  de  longueur. 

LA  DEMI-AIGRETTE. 

TROISIÈME    ESPÈCE. 

Ardea  leucogaster.   L, 

Nous  donnons  ce  nom  au  héron  bleuâtre  à  ventre 
blanc  de  Cayenne  des  planches  enluminées,  pour  dé- 
signer un  caractère  qui  semble  faire  la  nuance  des 
aigrettes  aux  hérons.   En  effet  celui-ci,  n**  35o ,  n'a 


272  LA    DEMI-AIGRETTE, 

pas  ,  comme  les  aigrettes  ,  un  panache  sur  le  dos  aussi 
étendu,  aussi  fourni,  mais  seulement  un  faisceau  de 
brins  effilés,  qui  lui  dépasse  la  queue  et  représente, 
en  petit,  les  touffes  de  l'aigrette.  Ces  brins,  que 
n'ont  pas  les  autres  hérons,  sont  de  couleur  rousse. 
(]et  oiseau  n'a  pas  deux  pieds  de  longueur.  Le  dessus 
du  corps,  le  cou,  et  la  tête,  sont  d'un  bleuâtre 
foncé ,  et  le  dessous  du  corps  est  blanc. 


LE  SOCO. 

QUATRIÈME    ESPÈCE. 

Ardea  cocoL  L.   Gmel. 

Soco,  suivant  Pison,  est  le  nom  générique  des  hé- 
rons au  Brésil  ;  nous  l'appliquons  à  cette  grande  et 
belle  espèce  dont  Marcgrave  fait  son  second  héron  , 
et  qui  se  trouve  également  à  la  Guiane  et  aux  Antilles 
comme  au  Brésil.  Il  égale  en  grandeur  notre  héron 
gris.  Il  est  huppé;  les  plumes  fines  et  pendantes  qui 
forment  sa  huppe,  et  dont  quelques  unes  ont  six 
pouces  de  long,  sont  d'un  joli  cendré.  Suivant  Du 
Tertre,  les  vieux  mâles  seuls  portent  ce  bouquet  de 
plumes.  Celles  qui  pendent  au  bas  du  cou  sont  blan- 
ches et  également  délicates,  douces,  et  flexibles  : 
l'on  peut  de  même  en  faire  des  panaches.  Celles  des 
épaules  et  du  manteau  sont  d'un  gris  cendré  ardoisé. 
Pison,  en  remarquant  que  cet  oiseau  est  ordinaire-^ 
ment  assez  maigre,  assure  néanmoins  qu'il  prend  de 
la  graisse  dans  la  saison  des  pluies.  Du  Tertre  ,  qui 


LE    SOCO.  2'JÔ 

l'appelle  crabiery  suivant  l'usage  des  îles  où  ce  nom 
se  donne  aux  hérons,  dit  qu'il  n'est  pas  aussi  com- 
mun que  les  autres  hérons,  mais  que  sa  chair  est  aussi 
bonne,  c'est-à-dire  pas  plus  mauvaise. 


»'9*«*«*»*»««*»«»»»»»«>»*e***»«-»«»*e*««<i««*6**»*» 


LE  HERON  BLANC 

A  CALOTTE  NOIRE. 

CINQUIÈME    ESPÈCE. 

Ardea  egrettoides.  L.  Ardea  alba  (var.,  b,),  Gmel. 

Ce  héron,  n°  907  ,  qui  se  trouve  à  Cayenne,  a  tout 
le  plumage  blanc,  à  l'exception  d'une  calotte  noire 
sur  le  sommet  de  la  tête,  qui  porte  un  panache  de 
cinq  ou  six  brins  blancs.  Il  n'a  guère  que  deux  pieds 
de  longueur;  il  habite  le  haut  des  rivières  de  la 
Guianc ,  et  il  est  assez  rare.  Nous  lui  joindrons  le  hé- 
ron blanc  du  Brésil ,  la  différence  de  grandeur  pou- 
vant n'être  qu'une  différence  individuelle  ;  la  plaque 
noire,  ainsi  que  la  huppe,  pouvant  n'appartenir  qu'au 
mâle  et  former  son  attribut  distinctif,  comme  nous 
l'avons  déjà  remarqué  pour  la  huppe  dans  la  plupart 
des  autres  espèces  de  hérons. 

LE  HÉRON  BRUN. 

SIXIÈME    ESPÈCE. 

Il  est  plus  grand  que  le  précédent,  et,  comme  lui, 
naturel  à  la  Guianc.  Il  a  tout  le  dessus  du  corps  d'un 


2^4  ^^    HÉRON    BllUN. 

brun  noirâtre  ,  dont  la  teinte  est  plus  foncée  sur  la 
tête ,  et  paroît  ombrée  de  bleuâtre  sur  les  ailes  ;  le 
devant  du  cou  est  blanc,  chargé  de  taches  en  pin- 
ceaux brunâtres;  le  dessous  du  corps  est  d'un  blanc 
pur,  n°  858. 


LE  HERON-AGAMI. 

SEPTIÈME    ESPÈCE. 

Ardea  agami.  L. 

Nous  ignorons  sur  quelle  analogie  peut  être  fondée 
la  dénomination  de  héron-agami ^  sous  laquelle  cette 
espèce,  n°  869,  nous  a  été  envoyée  de  Cayenne ,  si 
ce  n'est  sur  le  rapport  des  longues  plumes  qui  cou- 
vrent la  queue  de  l'agami  en  dépassant  les  pennes, 
avec  de  longues  plumes  tombantes  qui  recouvrent  et 
dépassent  de  môme  la  queue  de  ce  héron;  en  quoi  il 
a  du  rapport  aux  aigrettes.  Ces  plumes  sont  d'un  bleu 
clair;  celles  des  ailes  et  du  dos  sont  d'un  gros  bleu 
foncé;  le  dessous  du  corps  est  roux;  le  cou  est  de  cette 
môme  couleur  en  devant,  mais  il  est  bleuâtre  au  bas 
et  gros  bleu  en  dessus  ;  la  tête  est  noire ,  avec  l'oc- 
ciput bleuâtre,  d'où  pendent  de  longs  filets  noirs. 


l'hocti.  275 


!'e<»o<»»»e<»»»»^  »»»a.»&9i8'»»»a'»»a»9»c^c»»fre»»ei»fr»B»e<»»&»99»e»»8'9.e  e«  » 


L'HOCTI. 

HUITIÈME    ESPÈCE. 

Ardea  hoactlL    Gmee. 

NiEREMBERG  interprète  le  nom  mexicain  de  cet  oi- 
seau, lioactU  ou  toloactUjf  par  avis  sicca^  oiseau  sec  ou 
maigre  ;  ce  qui  convient  fort  bien  à  un  héron.  Celui-ci 
est  de  moitié  moins  grand  que  le  héron  commun.  Sa 
tête  est  couverte  de  plumes  noires  qui  s'allongent  sur 
la  nuque  en  panache  ;  le  dessus  des  ailes  et  la  queue 
sont  de  couleur  grise;  i!  a  sur  le  dos  quelques  plumes 
d'un  noir  lustré  de  vert  :  tout  le  reste  du  plumage  est 
blanc.  La  femelle  porte  un  nom  difîérent  de  celui  du 
mâle  [lioacton  fœmina).  Elle  en  diffère  en  effet  par 
quelques  couleurs  dans  le  plumage  ;  il  est  brun  sur 
le  corps,  mélangé  de  quelques  plumes  blanches,  et 
blanc  au  cou,  mêlé  de  plumes  brunes. 

Cet  oiseau  se  trouve  sur  le  lac  du  Mexique.  II  niche 
dans  les  Joncs  et  a  la  voix  forte  et  grave  ;  ce  qui  sem- 
ble le  rapprocher  du  butor.  Les  Espagnols  lui  don- 
nent mal  à  propos  le  nom  de  martlnete-pescador^,  car 
il  est  très  différent  du  martin-pêcheur. 


276  LE    HOHOU. 


c««<y»»*»*  »» 


LE  HOHOU. 

NEUVIÈME  ESPÈCE. 

Ardea  liohu.  Gmel. 

C'est  encore  par  contraction  du  mot  xoxouqui- 
hoactli^  et  qui  se  prononce  holioaquilioactll ^  que  nous 
avons  formé  le  nom  de  cet  oiseau  ,  avec  d'autant  plus 
de  raison  que  holiou  est  son  cri.  Fernandès,  qui  nous 
donne  cette  indication,  ajoute  que  c'est  un  héron 
d'assez  petite  espèce  ;  sa  longueur  est  néanmoins  de 
deux  coudées.  Le  ventre  et  le  cou  sont  cendrés;  le 
front  est  blanc  et  noir;  le  sommet  de  la  tète  et  l'ai- 
grette à  l'occiput  sont  d'une  couleur  pourprée,  et  les 
ailes  sont  variées  de  gris  et  de  bleuâtre.  Ce  héron  est 
assez  rare  ;  on  le  voit  de  temps  en  temps  sur  le  lac  du 
Mexique ,  oîi  il  paroît  venir  des  régions  plus  septen- 
trionales. 

LE  GRAND  HÉRON  D'AMÉRIQUE. 

DIXIÈME   ESPÈCE. 

Ardea  kerodias.    L. 

Bans  le  genre  des  oiseaux  de  marécages  c'est  au 
Nouveau-Monde  qu'appartiennent  les  plus  grandes 
comme  les  plus  nombreuses  espèces.  Catesby  a  trouvé 


LK    GRAND    IIEIION    D  AMERIQUE.  2^7 

en  Virginie  celîe  du  grand  liéron^  que  cette  dénomi- 
nation caractérise  assez,  puisqu'il  est  le  plus  grand 
de  tous  les  hérons  connus  :  il  a  près  de  quatre  pieds 
et  demi  de  hauteur  lorsqu'il  est  debout,  et  presque 
cinq  pieds  du  bec  aux  ongles;  son  bec  a  sept  ou  huit 
pouces  de  longueur.  Tout  son  plumage  est  brun  ^ 
hors  les  grandes  pennes  de  Taile  qui  sont  noires.  Il 
porte  une  huppe  de  plumes  brunes  effilées.  Il  vit  non 
seulement  de  poissons  et  de  grenouilles,  mais  aussi 
de  grands  et  petits  lézards. 


e*.**ei8>e*6«>«<8*S^ 


LE  HÉRON  DE  LA  BAIE  D'HUDSON. 

ONZIÈME  ESPÈCE. 

Ardea  hudsoniana,  L. 

Ce  héron  est  aussi  très  grand  ;  il  a  près  de  quatre 
pieds  du  bec  aux  ongles.  Une  belle  huppe  d'un  brun 
noir,  jetée  en  arrière ,  lui  ombrage  la  tête  ;  son  plu- 
mage est  d'un  brun  clair  sur  le  cou,  plus  foncé  sur 
le  dos  et  plus  brun  encore  sur  les  ailes  ;  les  épaules 
et  les  cuisses  sont  d'un  brun  rougeâtre;  l'estomac  est 
blanc,  ainsi  que  les  grandes  plumes  qui  pendent  du 
devant  du  cou,  lesquelles  sont  marquées  de  traits  en 
pinceaux  bruns. 

Voilà  toutes  les  espèces  de  hérons  qui  nous  sont 
connues  :  car  nous  n'admettons  pas  dans  ce  nombre 
la  huitième  espèce  décrite  par  M.  Brisson  d'après  AI- 
drovande,  parce  qu'elle  est  donnée  sur  un  oiseau  qui 

EIIFFDN.    XXV.  j8 


S-jS  LE    HÉRON    DE    LA    BAIE    d'iIL'DSON. 

portoit  encore  la  livrée  de  son  premier  âge ,  comme 
Aldrovande  en  avertit  lui-même.  Nous  exclurons  aussi 
du  genre  des  hérons  la  quatrième  et  la  vingt-deuxième 
espèce  de  M.  Brisson,  qui  nousparoissent  devoir  être 
séparées  de  ce  genre  par  des  caractères  très  sensibles, 
la  première  ayant  le  bec  arqué  ,  et  les  jambes  garnies 
de  plumes  jusque  sur  le  genou,  et  la  seconde  ayant 
un  bec  court  qui  la  rapproche  plutôt  du  genre  des 
grues.  Enfin  nous  ne  comptons  pas  la  neuvième  es- 
pèce de  béron  du  même  auteur,  parce  que  nous 
avons  reconnu  que  c'est  la  femelle  du  bihoreau. 


LES  GRABIERS. 

Ces  oiseaux  sont  des  hérons  encore  plus  petits  que 
l'aigrette  d'Europe.  On  leur  a  donné  le  nom  de  cra- 
bierSj,  parce  qu'il  y  en  a  quelques  espèces  qui  se 
nourrissent  de  crabes  de  mer  et  prennent  des  écre- 
visses  dans  les  rivières.  Dampier  et  Wafer  en  ont  vu 
au  Brésil ,  à  Mimor,  à  la  Nouvelle-Hollande;  ils  soht 
donc  répandus  dans  les  deux  hémisphères.  Barrère 
dit  que  ,  quoique  les  crabiers  des  îles  de  l'Amérique 
prennent  des  crabes ,  ils  mangent  aussi  du  poisson  , 
et  qu'ils  pèchent  sur  les  bords  des  eaux  douces,  ainsi 
que  les  hérons.  Nous  en  connoissons  neuf  espèces 
dans  l'ancien  continent  et  treize  dans  le  nouveau. 


LK    GRABIER-CAIOT.  ^'JÇ) 

GRABIERS 

DE  L'ANCIEN   CONTINENT. 


LE  CRABIER-CAIOT. 

PREMIÈRE    ESPÈCE. 

Ardea  squajotta.   L. 

Aldrovande  dit  qu'en  Italie,  dans  le  Bolonois,  on 
appelle  cet  oiseau  quaiot^  quaiotta_,  apparemment  par 
quelque  rapport  de  ce  mot  à  son  cri.  Il  a  le  bec  jaune 
et  les  pieds  verts;  il  porte  sur  la  tête  une  belle  touffe 
de  plumes  effilées,  blanches  au  milieu,  noires  aux 
deux  bords  ;  le  haut  du  corps  est  recouvert  d'un  che- 
velu de  ces  longues  plumes  minces  et  tombantes,  qui 
forment  sur  le  dos  de  la  plupart  de  ces  oiseaux  cra- 
biers  comme  un  second  manteau  :  elles  sont,  dans 
cette  espèce ,  d'une  belle  couleur  rousse. 

LE  CRABIER  ROUX. 

SECONDE    ESPÈCE. 

Ardea  badia.  Gmel. 

Selon Schwenckfeld  ce  crabier  est  rouge  [ardea  ru- 
bra  )  ;  ce  qui  veut  dire  d'un  roux  vif  et  non  pas  marron^ 


î>80  LE    CRABIER    TîOUX. 

comme  traduit  i\i.  Brisson.  IJ  est  de  la  grosseur  d'une 
corneille.  Son  dos  est  roux  [dorso  rubicundo)  ;  son 
ventre  blanchâtre  ;  les  ailes  ont  une  teinte  de  blan- 
châtre et  leurs  grandes  pennes  sont  noires.  Ce  crabier 
est  conuii  en  Silésie  et  s'y  nomme  héron  rouge  (rodter 
reger).  11  niche  sur  les  grands  arbres. 

LE  CRABIER  MARRON, 

THOISIÈME    ESPÈCE. 

Ardea   erythrop us,    L . 

ApiU'IS  avoir  ôté  ce  nom  mal  donné  à  l'espèce  pré- 
cédente par  M.  Brisson,  nous  l'appliquons  à  celle 
que  le  même  naturaliste  appelle  rousse^  quoique  Al- 
drovande  la  dise  de  couleur  uniforme,  passant  du 
jaunâtre  au  marron  [ex  croceo  ad  colorem  custaneœ 
vergens).  Mais  s'il  n'y  a  pas  méprise  dans  les  expres- 
sions, ces  couleurs  sont  distribuées  contre  l'ordinaire, 
étant  plus  foncées  dessous  le  corps  et  plus  claires  sur 
le  dos  et  les  ailes  ;  les  plumes  longues  et  étroites  qui 
couvrent  la  tête  et  flottent  sur  le  cou  sont  variées  de 
jaune  et  de  noir;  un  cercle  rouge  entoure  l'œil ,  qui 
est  jaune;  le  bec,  noir  à  la  pointe,  est  vert  bleuâtre 
près  de  la  tête  ;  les  pieds  sont  d'un  rouge  foncé.  Ce 
crabier  est  fort  petit  ;  car  Aldrovande  ,  comptant  tous 
les  crabiers  pour  des  hérons,  dit  :  Cœterls  ardeis  ferè 
omnibus  minor  est.  Ce  même  naturaliste  paroît  donner 
comme  simple  variété  le  crabier  dont  M.  Brisson  a 
fait  sa  trente-sixième  espèce.  Ce  crabier  a  les  pieds 


LE    CRABIER    iMARRON.  28  l 

Jaunes  et  quelques  taches  de  plus  que  l'autre  sur  les 
côtés  du  cou;  du  reste  il  lui  est  entièrement  sem- 
blable [per  omnia  similis)  :  nous  n'hésiterons  donc 
pas  à  les  rapporter  à  une  seule  et  même  espèce.  Mais 
Aldrovande  paroît  peu  fondé  dans  l'application  parti- 
culière qu'il  fait  du  nom  de  clrls  à  cette  espèce.  Sca- 
h"ger  à  la  vérité  prouve  assez  bien  que  le  clrls  de  Vir- 
gile n'est  point  l'alouette  [  galerlta) ,  comme  on 
l'interprète  ordinairement,  mais  quelque  espèce  d'oi- 
seau de  rivage  aux  pieds  rouges^  à  la  tête  huppée^  et 
qui devientla proie  de  l'aigle  de  mer  (^hallœtus)  ;  mais 
cela  n'indique  pas  que  le  clrls  soit  une  espèce  de  héron 
et  moins  encore  celte  espèce  particulière  de  crabier, 
qui  n'est  pas  plus  huppé  que  d'autres;  etScaliger  lui- 
même  applique  tout  ce  qu'il  dit  du  clris  à  l'aigrette, 
quoique  à  la  vérité  avec  aussi  peu  de  certitude.  C'est 
ainsi  que  ces  discussions  érudites ,  faites  sans  étude 
de  la  nature,  loin  de  l'éclairer,  n'ont  servi  qu'à 
l'obscurcir. 

LE  GUACCO. 

QUATRIÈME    ESPÈCE. 

Ardea  comata.  L. 

C'est  encore  ici  un  petit  crabier  connu  en  Italie  , 
dans  les  vallées  du  Bolonois,  sous  le  nom  de  sguacco. 
Son  dos  est  d'un  jaune  rembruni  [ex^  luteo  ferrugi- 
neus)  ;  les  plumes  des  fambes  sont  jaunes  ;  celles  du 
ventre  blanchissantes;   les  plumes   minces  et  tom»- 


282  LE    GTIACCO. 

bantes  de  la  tète  et  du  cou  sont  variées  de  jaune, 
de  blanc,  et  de  noir.  Ce  crabier  est  plus  hardi  et 
plus  courageux  que  les  autres  hérons.  Il  a  les  pieds 
verdâtres  ;  l'iris  de  l'œil  jaune,  entouré  d'un  cercle 
noir. 


LE  CRABIER  DE  MAHON. 

CINQUIÈME    ESPÈCE. 

Ardea  amata.  Gmel. 

CEt  oiseau,  nommé  dans  les  planches  enluminées, 
n"*  548  ?  héro7i  huppé  de  Mahon^  est  un  crabier,  même 
de  petite  taille,  et  qui  n'a  pas  dix-huit  pouces  de  lon- 
gueur. Il  a  les  ailes  blanches  ,  le  dos  roussâtre  ,  le 
dessus  du  cou  d'un  roux  jaunâtre,  et  le  devant  gris 
blanc.  Sa  tête  porte  une  belle  et  longue  huppe  de  brins 
gris  blanc  et  roussâtres. 

LE  CRABIER  DE  COROMANDEL. 

SIXIÈME    ESPÈCE. 

Ardea  comata.  L.  (  var. ,  b.  ) 

Ce  crabier,  n°  910,  a  du  rapport  avec  le  précé- 
dent :  il  a  de  même  du  roux  sur  le  dos,  du  roux 
jaune  et  doré  sur  la  tête  et  au  bas  du  devant  du  cou, 
ot  le  reste  du  plumage  blanc;  mais  il  est  sans  huppe. 


LE    CRABIEÏÏ    DE    C0R03IANDEL.  283 

Celte  différence,  qui  pourroit  s'attribuer  au  sexe,  ne 
nous  empôcheroit  pas  de  le  rapporter  à  l'espèce  pré- 
cédente, si  celle-ci  n'étoît  plus  grande  de  près  de 
trois  pouces. 


LE  CRABIER  BLANC  ET  BRUN. 

SEPTIÈME   ESPÈCE. 

Ardea  malacceiisis.  Gmel. 

Le  dos  brun  ou  couleur  de  terre  d'ombre,  tout  le 
cou  et  la  tête  marqués  de  longs  traits  de  cette  cou- 
leur sur  un  fond  jaune,  l'aile  et  le  dessus  du  corps 
blancs,  tel  est  le  plumage  de  ce  crabier ,  n*  9 1 1 ,  que 
nous  avons  reçu  de  Malaca  :  il  a  dix-neuf  pouces  de 
longueur. 


LE  CRABIER  NOIR. 

HUITIÈME    ESPÈCE. 

Ardea  Novœ-Guineœ.  L. 

M.  Sonnerat  a  trouvé  ce  crabier,  n°  926,  à  la 
Nouvelle-Guinée  ;  il  est  tout  noir  et  a  dix  pouces 
de  longueur.  Dampier  place  à  la  Nouvelle-Guinée  de 
petits  preneurs  d'écrevisses  à  plumage  blanc  de  lait;  ce 
pourroit  être  quelque  espèce  de  crabier,  mais  qui  ne 
nous  est  pas  jusqu'ici  parvenue  et  que  cette  notice 
seule  nous  indique. 


â84  Î-E    PETIT    en  A  B  1ER. 


LE  PETIT  CRABIER. 

NEUVIÈME  ESPÈCE. 

Ardea  pliilippensis.  L. 

C'est  assez  caractériser  cet  oiseau ,  n"  898,  que  de 
lui  donner  le  nom  de  petit  crahier  ;  il  est  en  effet  plus 
petit  que  tous  les  crabiers,  plus  même  que  le  blon- 
glos ,  et  n'a  pas  onze  pouces  de  longueur.  Il  est  na- 
turel aux  Philippines.  Il  a  le  dessus  de  la  tête,  du  cou 
et  du  dos,  d'un  roux  brun  ;  le  roux  se  trace  sur  le 
dos  par  petites  lignes  transversales ,  ondulantes  sur 
le  fond  brun  :  le  dessus  de  l'aile  est  noirâtre,  frangé 
de  petits  festons  inégaux ,  blanc  roussâtre  ;  les  pennes 
de  l'aile  et  de  la  queue  sont  noires. 


LE  BLONGIOS. 

DIXIÈME    ESPÈCE. 

Ardea  mututa.  L, 

Le  blongios  est,  en  ordre  de  grandeur,  la  dernière 
de  ces  nombreuses  espèces  que  la  nature  a  multi- 
pliées en  répétant  la  même  forme  sur  tous  les  modules, 
depuis  la  taille  du  grand  héron,  égal  à  la  cigogne,  jus- 
qu'à  celle  du  plus  petit  crabier  et  du  blongios,  qui 
n'est  pas  plus  grand  qu'un  ràlc;  carie  blongios  ne  dif- 


LE    BLONGIOS.  285 

fère  des  crabiers  que  par  les  jambes  un  peu  basses  et 
îe  cou  en  proportion  encore  plus  long  :  aussi  les  Ara- 
bes de  Barbarie,  suivant  le  docteur  Shaw,  lui  donnent- 
ils  le  nom  de  boo-onk  ^  long  cou,  ou,  à  la  lettre,  père 
du  cou.  Il  l'allonge  et  le  jette  en  avant  comme  par 
ressort  en  marchant ,  ou  lorsqu'il  cherche  sa  nour- 
riture. Il  a  le  dessus  de  la  tête  et  du  dos  noir  à  re- 
mets verdâtres,  ainsi  que  les  pennes  des  ailes  et  de  la 
queue  ;  le  cou  ,  le  ventre  ,  le  dessus  des  ailes  ,  d'un 
roux  marron ,  mêlé  de  blanc  et  de  jaunâtre  ;  le  bec 
et  les  pieds  sont  verdâtres. 

Il  paroît  que  le  blongios ,  n**  v025,  se  trouve  fré- 
quemment en  Suisse  ;  on  le  connoît  à  peine  dans  nos 
provinces  de  France  ,  où  on  ne  l'a  rencontré  qu'é- 
garé, et  apparemment  emporté  par  quelque  coup  de 
vent,  ou  poussé  de  quelque  oiseau  de  proie.  Le  blon- 
gios se  trouve  sur  les  côtes  du  Levant  aussi  bien  que 
sur  celles  de  Barbarie.  M.  Edwards  en  représente  un 
qui  lui  étoit  venu  d'Aiep  :  il  différoit  de  celui  que 
nous  venons  de  décrire,  en  ce  que  les  couleurs  étoient 
moins  foncées,  que  les  plumes  du  dos  étoient  fran- 
gées de  roussâtre  et  celles  du  devant  du  cou  et  du 
corps  marquées  de  petits  traits  bruns;  différences  qui 
paroissent  être  celles  de  l'âge  ou  du  sexe  de  l'oiseau: 
ainsi  ce  blongios  du  Levant ,  dont  M.  Brisson  fait  sa 
seconde  espèce ,  et  le  blongios  de  Barbarie,  ou  boo- 
onk  du  docteur  Shaw ,  sont  les  mômes,  selon  nous, 
que  notre  blongios  de  Suisse. 

Toutes  les  espèces  précédentes  de  crabiers  appar- 
liennent  à  l'ancien  continent  :  nous  allons  faire  sui- 
vre celles  qui  se  trouvent  dans  le  nouveau,  en  obser- 


286  LE    CBABIEK    BLEU. 

vant  pour  les  crabiers  la  même  distribution  que  pour 
les  hérons. 

CRABIERS 

DU   NOUVEAU  CONTINENT. 

LE  CRABIER  BLEU. 

PREMIÈRE    ESPÈCE. 

Ardea  cœrulea.  L. 

Ce  crabier  est  très  singulier  en  ce  qu'il  a  le  bec 
bleu  comme  tout  le  plumage ,  en  sorte  que  sans  ses 
pieds  verts  il  seroit  entièrement  bleu  :  les  plumes  du 
cou  et  de  la  tête  ont  un  beau  reflet  violet  sur  bleu  ; 
celles  du  bas  du  cou,  du  derrière  de  la  tête  et  du 
bas  du  dos,  sont  minces  et  pendantes;  ces  dernières 
ont  jusqu'à  un  pied  de  long,  elles  couvrent  la  queue 
et  la  dépassent  de  quatre  doigts.  L'oiseau  est  un  peu 
moins  gros  qu'une  corneille,  et  pèse  quinze  onces. 
On  en  voit  quelques  uns  à  la  Caroline,  et  seulement 
au  printemps;  néanmoins  Catesby  ne  paroît  pas  croire 
qu'ils  y  fassent  leurs  petits,  et  il  dit  qu'on  ignore  d'où 
ils  viennent.  Cette  même  belle  espèce  se  trouve  à  la 
Jamaïque,  et  paroît  même  s'être  divisée  en  deux  ra- 
ces ou  variétés  dans  cette  île. 


4 


LE    CTIABIER    BLEU    A    COU    BRUN.         '-     287 

LE  CRABIER  BLEU  A  COU  BRUN. 

SECONDE    ESPÈCE. 

Jrdea  cœrulea.  L.   (var.,  b.) 

Tout  le  corps  de  ce  crabier,  n"  349,  ^^*  ^'"^  h\en 
sombre;  et,  malgré  cette  teinte  très  foncée,  nous 
n'en  eussions  fait  qn  une  espèce  avec  la  précédente  , 
si  la  tête  et  le  cou  de  celui-ci  n'étoient  d'un  roux 
brun  et  le  bec  d'un  Jaune  foncé  ,  au  lieu  que  le  pre- 
mier a  la  tête  et  le  bec  bleus.  Cet  oiseau  se  trouve 
à  Cayenne  et  peut  avoir  dix-neuf  pouces  de  longueur. 

LE  CRABIER  GRIS  DE  FER. 

TROISIÈME    ESPÈCE. 

Ardea  violacea.  L. 

Cet  oiseau,  que  Catesby  donne  pour  un  butor,  est 
certainement  un  petit  héron  ou  crabier.  Tout  son 
plumage  est  d'un  bleu  obscur  et  noirâtre,  excepté  le 
dessus  de  la  tête,  qui  est  relevé  en  huppe  d'un  jaune 
pâle ,  d'où  partent  à  l'occiput  trois  ou  quatre  brins 
blancs;  il  y  a  aussi  une  large  raie  blanche  sur  la  joue 
jusqu'aux  coins  du  bec;  l'œil  est  protubérant,  l'iris  en 
est  rouge  et  ia  paupière  verte  ;  de  longues  plumes 
effilées  flais&çnt  sur  les  côtés  du  dos,  et  viennent  en 


288  LE    CRABIER    GUIS    DE    FER. 

tombant  dépasser  la  queue;  les  jambes  sont  jaunes; 
le  bec  est  noir  et  fort ,  et  l'oiseau  pèse  une  livre  et 
demie.  On  voit,  dit  Calesby,  de  ces  crabiers  à  la  Ca- 
roline ,  dans  la  saison  des  pluies  ;  mais  dans  les  îles 
de  Babama  ils  sont  en  bien  plus  grand  nombre  ,  et 
font  leurs  petits  dans  des  buissons  qui  croissent  dans 
les  fentes  des  rochers  ;  ils  sont  en  si  grande  quantité 
dans  quelques  unes  de  ces  îles,  qu'en  peu  d'heures 
deux  hommes  peuvent  prendre  assez  de  leurs  petits 
pour  charger  un  canot;  car  ces  oiseaux,  quoique 
déjà  grands  et  en  état  de  s'enfuir,  ne  s'émeuvent 
que  difficilement  et  se  laissent  prendre  par  noncha- 
lance. Ils  se  nourrissent  de  crabes  plus  que  de  pois- 
son, et  les  habitants  de  ces  îles  les  nomment  pre- 
neurs de  cancres.  Leur  chair,  dit  Gatesby,  est  de  très 
bon  goût  et  ne  sent  point  le  marécage. 


LE  CRABIER  BLANC 

A   BEC    ROUGE- 
QUATRIÈME    ESPÈCE. 

Ardea  œqidnoctialis,  Gmel. 

Un  bec  rouge  et  des  pieds  verts  ,  avec  l'iris  de 
l'œil  jaune  ,  et  la  peau  qui  l'entoure  rouge  comme  le 
bec,  sont  les  seules  couleurs  qui  tranchent  sur  le  beau 
blanc  du  plumage  de  cet  oiseau.  Il  est  moins  grand 
qu'une  corneille,  et  se  trouve  à  la  Caroline  au  prin- 
temps etjamais  en  hiver.  Son  bec  est  un  peu  courbé, 
et  Klein  remarque  à  ce  sujet  que,  dans  plusieurs  es- 


LE    CRARIER    BLiVNC    A    BEC    ROUGE.  289 

pèces  étrangères  du  genre  des  hérons,  !e  bec  n'est 
pas  aussi  droit  que  dans  nos  hérons  et  nos  butors. 


e««<8«*«  »©«««>rfiî 


LE  CRABIER  CENDRE. 

CINQUIÈME    ESPÈCE. 

Ardea  cycmopas.  L. 

Ce  crabier  de  la  Nouvelle-Espagne  n'est  pas  plus 
gros  qu'un  pigeon.  Il  a  le  dessus  du  corps  cendré 
clair,  les  pennes  de  l'aile  mi-parties  de  noir  et  de 
blanc,  le  dessous  du  corps  blanc,  le  bec  et  les  pieds 
bleuâtres  :  à  ces  couleurs  on  peut  juger  que  le 
P.  Feuillée  se  tronipe  en  rapportant  cette  espèce  à 
la  famille  du  butor,  autant  qu'en  lui  appliquant  mal 
à  propos  le  nom  de  calidrls  ^  qui  appartient  aux  oi- 
seaux nommés  chevaliers  et  non  à  aucune  espèce  do 
crabier  ou  de  héron. 


LE  CRABIER  POURPRE. 

SIXIÈME  ESPÈCE. 

Ardea  spadlcea.  Gmel. 

Séba  dit  que  cet  oiseau  lui  a  été  envoyé  du 
Mexique  ;  mais  il  lui  applique  le  nom  de  xoxouqm- 
hoaclli ,  que  Fernandès  donne  à  une  espèce  du  dou- 
ble plus  grande  et  qui  est  notre  liokon  ou  neuvième 


290  LE    CRABIEU    POURPRE. 

espèce  de  héron  d'Amérique.  Ce  crabier  pourpré 
u'a  qu'un  pied  de  longueur.  Le  dessus  du  cou,  du 
dos  et  des  épaules ,  est  d'un  marron  pourpré  ;  la 
même  teinte  éclaircie  couvre  tout  le  dessous  du 
corps;  les  pennes  de  l'aile  sont  rouge  bai  foncé;  la 
tête  est  rouge  bai  clair  avec  le  sommet  noir. 

LE  GRACRA. 

SEPTIÈME    ESPÈCE. 

Ardea  cracra,  Lath. 

Cracra  est  le  cri  que  ce  crabier  jette  en  volant  et 
le  nom  que  les  François  de  la  Martinique  lui  donnent; 
les  naturels  de  l'Amérique  l'appellent  jaboutra.  Le 
P.  Feuillée,  qui  l'a  trouvé  au  Chili,  le  décrit  dans 
les  termes  suivants  :  «  Il  a  la  taille  d'un  gros  poulet^ 
et  son  plumage  est  très  varié  ;  il  a  le  sommet  de  la 
tête  cendré  bleu;  le  haut  du  dos  tanné,  mêlé  de 
couleur  feuille-morte  ;  le  reste  du  manteau  est  un 
mélange  agréable  de  bleu  cendré ,  de  vert  brun  et 
de  jaune  ;  les  couvertures  de  l'aile  sont  partie  d'un 
vert  obscur  bordé  de  jaunâtre,  et  partie  noires;  les 
pennes  sont  de  cette  dernière  couleur  et  frangées  de 
blanc  ;  la  gorge  et  la  poitrine  sont  variées  de  taches 
feuille-morte  sur  fond  blanc;  les  pieds  sont  d'un 
beau  jaune.  » 


LE    CUABIEU    CHALYRE.  2gi 


LE  GRABIER  CHALYBE. 

HUITIÈME    ESPÈCE. 

Ardea  cœrulea  L.  (var.,  b.) 

Le  dos  et  la  têle  de  ce  crabier  sont  de  couleur 
chalybée ,  c'est-à-dire  couleur  d'acier  poli.  Il  a  les 
longues  pennes  de  Taile  verdâtres,  marquées  d'une 
tache  blanche  à  la  pointe  ;  le  dessus  de  l'aile  est  varie 
de  brun ,  de  jaunâtre  et  de  couleur  d'acier  ;  la  poi- 
trine et  le  ventre  sont  d'un  blanc  varié  de  cendré  et 
de  jaunâtre.  Ce  petit  crabier  est  à  peine  de  la  gran- 
deur d'un  pigeon;  il  se  trouve  au  Brésil  :  c'est  là  tout 
ce  qu'en  dit  Marcgrave. 


LE  CRABIER  VERT. 

NEUVIÈME  ESPÈCE. 

Ardea  virescens.  L.  (var.,  b.) 

Cet  oiseau ,  très  riche  en  couleurs,  est  dans  son 
genre  l'un  des  plus  beaux  :  de  longues  plumes  d'un 
vert  doré  couvrent  le  dessus  de  la  tête  et  se  déta- 
chent en  huppe;  des  plumes  de  même  couleur, 
étroites  et  flottantes,  couvrent  le  dos;  celles  du  cou 
et  de  la  poitrine  sont  d'un  roux  ou  rougeâlre  foncé; 
les  grandes  pennes  de  l'aile  sont  d'un  vert  très  som- 


2^2  LE    CRABIER    VERT. 

bre  ;  les  couvertures  d'un  vert  doré  vif,  la  plupart 
bordées  de  fauve  ou  de  marron.  Ce  joli  crabîer  a 
dix-sept  ou  dix-huit  pouces  de  longueur;  il  se  nour- 
rit de  grenouilles  et  de  petits  poissons  comme  de 
crabes.  Il  ne  paroît  à  la  Caroline  et  en  Virginie  que 
l'été,  et  vraisemblablement  il  retourne  en  automne 
dans  des  climats  plus  chauds  pour  y  passer  Thiver. 


LE  CRABIER  VERT  TACHETE. 

DIXIÈME  ESPÈCE. 

Ardea  viresceiis,    L. 

Cet  oiseau,  n°  912,  un  peu  moins  grand  que  le 
précédent,  n'en  diffère  pas  beaucoup  par  les  couleurs, 
seulement  il  a  les  plumes  de  la  tête  et  de  la  nuque 
d'un  vert  doré  sombre  et  à  reflet  bronzé,  et  les  longs 
effilés  du  manteau  du  même  vert  doré,  mais  plus 
clair  ;  les  pennes  de  l'aile  ,  d'un  brun  foncé ,  ont  leur 
côté  extérieur  nuancé  de  vert  doré  ,  et  celles  qui  sont 
le  plus  prèsdu  corps ontune  tache  blanche  à  la  pointe; 
le  dessus  de  l'aile  est  moucheté  de  points  blancs,  sur 
un  fond  brun  nuancé  de  vert  doré;  la  gorge  tachetée 
de  brun  sur  blanc;  le  cou  est  marron  et  garni  au  bas 
de  plumes  grises  tombantes.  Cette  espèce  se  trouve  à 
la  Martinique. 


LE    ZILATAT. 


'2g:) 


LE  ZILATAT. 


ONZIEME   ESPECE. 


Nous  abrégeons  ainsi  le  nom  mexicain  de  hoitzi- 
laztatl^  pour  conserver  à  ce  crabier  l'indication  de 
sa  terre  natale  :  il  est  tout  blanc ,  avec  le  bec  rou- 
geâtre  vers  la  pointe  et  les  jambes  de  même  couleur; 
c'est  l'un  des  plus  petits  de  tous  les  crabiers,  étant  à 
peine  de  la  grandeur  d'un  pigeon.  M.  Brisson  en  fait 
néanmoins  son  dix-neuvième  béron  ;  mais  cet  orni- 
thologiste ne  paroît  avoir  établi  entre  ses  hérons  et 
ses  crabiers  aucune  divison  de  grandeur,  la  seule 
pourtant  qui  puisse  classer  ou  plutôt  nuancer  des  es- 
pèces qui  d'ailleurs  portent  en  commun  les  mêmes 
caractères. 


Wi»oal»»»»»»8.<<»i>at4»»»»»»»»8<»»0^ 


LE  CRABIER  ROUX 

A  TÊTE  ET  QUEUE  VERTES. 

DOUZIÈME  ESPÈCE. 

Arciea  ludoviciana,  L. 

Ce  crabier,  n°  909,  n'a  guère  que  seize  pouces  de 
longueur.  Il  a  le  dessus  delà  tête  et  la  queue  d'un  vert 
sombre;  même  couleur  sur  une  partie  des  couvertures 
de  l'aile,  qui  sont  frangées  de  fauve;  les  longues  plu- 
mes minces  du  dos  sont  teintes  d'un  pourpre  foible  ; 

BUFF{)!S.     XXV.  19 


294  ^E    CRABIER    ROUX. 

le  COU  est  roux,  ainsi  que  le  ventre,  dont  la  teinle 
tire  au  brun.  Cette  espèce  nous  a  été  envoyée  de  la 
Louisiane. 


«<  »a»a«o»»»6»»<w«<'»»8^8»&o»»»»C  »8«««S 


LE  CRABIER  GRIS 

A  TÊTE   ET   QUEUE   VERTES. 

TREIZIÈME    ESPÈCE. 

Ardea  virescens.  L.   (var.,  b.) 

Ce  crabier^  n°  908,  qui  nous  a  été  envoyé  de 
Cayenne,  a  beaucoup  de  rapport  avec  le  précédent, 
et  tous  deux  en  ont  avec  le  crabier  vert,  dixième  es- 
pèce, sans  cependant  lui  ressembler  assez  pour  n'en 
faire  qu'une  seule  et  même  espèce.  La  tête  et  la  queue 
sont  également  d'un  vert  sombre,  ainsi  qu'une  partie 
des  couvertures  de  l'aile  ;  un  gris  ardoisé  clair  domine 
sur  le  reste  du  plumage. 


M<)»j»Ci»»»c»a'S<'go»8»»8«^^^'g'»i»»»0> 


LE  BEC-OUVERT. 

Ardea  pondicerana.  L. 

Après  l'énumération  de  tous  les  grands  hérons  et 
des  petits  sous  le  nom  de  crablers  ^  nous  devons  pla- 
cer un  oiseau  qui,  sans  être  de  leur  famille,  en  est 
plus  voisine  que  d'aucune  autre.  Tous  les  eflbrls  du 
nomenclateur  tendent  à  contraindre  et  forcer  les  es- 
pèces d'entrer  dans  le  plan  qu'il  leur  trace,  et  de  se 


LE    BEC-OLVERT.  29^ 

renfermer  dans  les  limites  idéales  qu'il  veut  placer  au 
milieu  de  l'ensemble  des  productions  de  la  nature; 
mais  toute  l'attention  du  naturaliste  doit  se  porter  au 
contraire  à  suivre  les  nuances  de  la  dégradation  des 
êtres  et  chercher  leurs  rapports  sans  préjugé  métho- 
dique. Ceux  qui  sont  aux  confins  des  genres  et  qui 
échappent  à  ces  règles  fautives,  qu'on  peut  appeler 
scolastiques^  s'en  trouvent  rejetés  sous  le  nom  à^ani- 
mauXj,  tandis  qu'aux  yeux  du  philosophe  ce  sont  les 
plus  intéressants  et  les  plus  dignes  de  son  attention  ; 
ils  font ,  en  s'écartant  des  formes  communes,  les  liai- 
sons et  les  degrés  par  lesquels  la  nature  passe  à  des 
formes  plus  éloignées.  Telle  est  l'espèce  à  laquelle 
nous  donnons  ici  le  nom  de  bec-ouvert^  n°  gSs  :  elle 
a  des  traits  qui  la  rappellent  au  genre  des  hérons  et 
en  même  temps  elle  en  a  d'autres  qui  l'en  éloignent; 
elle  a  de  plus  une  de  ces  singularités  ou  défectuosités 
que  nous  avons  déjà  remarquées  sur  un  petit  nombre 
d'êtres,  restes  des  essais  imparfaits  que,  dans  les  pre- 
miers temps,  dut  produire  et  détruire  la  force  orga- 
nique de  la  nature.  Le  nom  de  bec-ouvert  marque 
cette  diffonnité  :  le  bec  de  cet  oiseau  est  en  eifet 
ouvert  et  béant  sur  les  deux  tiers  de  sa  longueur  ;  la 
partie  du  dessus  et  celle  du  dessous,  se  dé  je  tant 
également  en  dehors,  laissent  entre  elles  un  large 
vide  et  ne  se  rejoignent  qu'à  la  pointe.  On  trouve  cet 
oiseau  aux  grandes  Indes  ,  et  nous  l'avons  reçu  de 
Pondichéry.  Il  a  les  pieds  et  les  jambes  du  héron  ; 
mais  il  n'en  porte  qu'à  demi  le  caractère  sur  l'ongie 
du  doigt  du  milieu,  qui  s'élargit  bien  en  dedans  en 
lames  avancées,  mais  qui  n'est  point  dentelé  à  la 
tranche.  Les  pennes  de  ses  ailes  sont  noires;  tout  le 


agê  LE    BEC-OLVEUT. 

reste  du  plumage  est  d'un  gris  cendré  clair;  son  bec, 
noirâtre  à  la  racine,  est  blanc  ou  jaunâtre  dans  le  reste 
de  sa  longueur,  avec  plus  d'épaisseur  et  de  largeur 
que  celui  du  héron.  La  longueur  totale  de  l'oiseau 
est  de  treize  à  quatorze  pouces.  On  ne  nous  a  rien 
appris  de  ses  habitudes  naturelles. 

LE  BUTOR*. 

Ardea  stctlaris.  L. 

Quelque  ressemblance  qu'il  y  ait  entre  les  hérons 
et  les  butors,  leurs  différences  sont  si  marquées  qu'on 
ne  peut  s'y  méprendre  :  ce  sont  en  effet  deux  familles 
distinctes  et  assez  éloignées  pour  ne  pouvoir  se  réu- 
nir ni  même  s'allier.  Les  butors  ont  les  jambes  beau- 
coup moins  longues  que  les  hérons,  le  corps  un  peu 
plus  charnu  et  le  cou  très  fourni  de  plumes,  ce  qui 
le  fait  paroître  beaucoup  plus  gros  que  celui  des  hé- 
rons. Malgré  l'espèce  d'insulte  attachée  à  son  nom, 
le  butor,  n**  789,  est  moins  slupide  que  le  héron, 
mais  il  est  encore  plus  sauvage;  on  ne  le  voit  presque 
jamais;  il  n'habite  que  les  marais  d'une  certaine  éten- 
due oii  il  y  a  beaucoup  de  joncs  :  il  se  tient  de  pré- 
férence sur  les  grands  étangs  environnés  de  bois;  il 

1.  En  latin,  ardea  siellaris ,  botaurus,  butio  {inque  paludiferis  batio 
bubit  aquis,  aact.  Philomelae)  ;  en  italien,  trombotto,  trombone;  en 
allemand,  dans  les  différents  idiomes,  meer-rlnd,  Los-rind,  ros-dumpf, 
moss-oclis,  moss-kou,  rortrum,  ross-reigel ,  wasser-ochs,  erd-buU  (tous 
noms  analogues  aux  marais  et  aux  roseaux  qu'il  habite,  ou  au  mugis- 
sement qu'il  y  fait  entendre)  ;  en  hollandois ,  pittoor;  en  anglois,  bit- 
tern  j  ou  mire-dvurn  chez  les  Anglois  sopleulrionaux. 


LE    BUTOR.  ^^97 

y  mène  une  vie  solitaire  et  paisible,  couvert  par  les 
roseaux,  défendu  sous  leur  abri  du  vent  et  de  la  pluie; 
également  caché  pour  le  chasseur  qu'il  craint,  et  pour 
la  proie  qu'il  guette,  il  reste  des  jours  entiers  dans  le 
même  lieu,  et  semble  mettre  toute  sa  sûreté  dans  la 
retraite  et  l'inaction  ;  au  lieu  que  le  héron ,  plus  in- 
quiet ,  se  remue  et  se  découvre  davantage  en  se  met- 
tant en  mouvement  tous  les  jours  vers  le  soir;  c'est 
alors  que  les  chasseurs  l'attendent  au  bord  des  marais 
couverts  de  roseaux,  où  il  vient  s'abattre  :  le  butor, 
au  contraire,  ne  prend  son  vol  à  la  même  heure  que 
pour  s'élever  et  s'éloigner  sans  retour.  Ainsi  ces  deux 
oiseaux,  quoique  habitants  des  mêmes  lieux,  ne  doi- 
vent guère  se  rencontrer,  et  ne  se  réunissent  jamais 
en  famille  commune. 

Ce  n'est  qu'en  automne  et  au  coucher  du  soleil, 
selon  Willnghby,  que  le  butor  prend  son  essor  pour 
voyager,  ou  du  moins  pour  changer  de  domicile. 
On  le  prendroit  dans  son  vol  pour  un  héron  ,  si  de 
moment  à  moment  il  ne  faisoit  entendre  une  voix 
toute  différente,  plus  retentissante  et  plus  grave, 
cob ^  cob ;  et  ce  cri,  quoique  désagréable,  ne  l'est  pas 
autant  que  la  voix  effrayante  qui  lui  a  mérité  le  nom 
de  butor  [botaiirus  quasi  boatus  tauri)  :  c'est  une  es- 
pèce de  mugissement  hi  rliond  qu'il  répète  cinq  ou 
six  fois  de  suite  au  printemps  et  qu'on  entend  d'une 
demi-lieue;  la  plus  grosse  contre-basse  rend  un  son 
moins  ronflant  sous  l'archet  :  pourroit-on  imaginer 
que  cette  voix  épouvantable  fût  l'accent  d'un  tendre 
amour  .^  mais  ce  n'est  en  eûet  que  le  cri  du  besoin 
physique  et  pressant  d'une  nature  sauvage,  grossière 
et  farouclie  jusque  dans  l'expression  du  désir;  et  ce 


298  LE    BUTOR. 

butor,  une  fois  satisfait,  fuit  sa  femelle  et  la  repousse, 
lors  même  qu'elle  le  recherche  avec  empressement*, 
et  sans  que  ses  avances  aient  aucun  succès  après  une 
première  union  presque  momentanée  :  aussi  vivent- 
ils  à  part  chacun  de  leur  côte.  «  Il  m'est  souvent  ar- 
rivé, dit  M.  Hébert,  de  faire  lever  en  même  temps  m 
deux  de  ces  oiseaux;  j'ai  toujours  remarqué  qu'ils  || 
partoient  à  plus  de  deux  cents  pas  l'un  de  l'autre,  et 
qu'ils  se  posoient  à  égale  distance.  »  Cependant  il 
faut  croire  que  les  accès  du  besoin  et  les  approches 
instantanées  se  répètent,  peut-être  à  d'assez  grands 
intervalles,  s'il  est  vrai  que  le  butor  mugisse  tant 
qu'il  est  en  amour;  car  ce  mugissement  commence 
au  mois  de  février^,  et  on  l'entend  encore  au  temps 
de  la  moisson.  Les  gens  de  la  campagne  disent  que, 
pour  faire  ce  cri  mugissant,  le  butor  plonge  le  bec 
dans  la  vase  :  le  premier  ton  de  ce  bruit  énorme  res- 
semble en  effet  à  une  forte  aspiration  et  le  second  à 
une  expiration  retentissante  dans  une  cavité  ^.   Mais 

1.  Suivant  M.  Salerae  c'est  la  femelle  qui  fait  seule  tous  les  frais  do 
l'amour,  de  réducation,  et  du  ménage,  tant  est  grande  la  paresse  du 
nifde.  «  C'est  elle  qui  le  sollicite  et  l'invite  à  l'aujour  par  les  fréquentes 
visites  qu'elle  lui  fait  et  par  l'abondance  d^s  vivres  qu'elle  lui  apporte.» 
Mais  toutes  ces  particularités,  prise  d'un  ancien  discours  moral  {Dis- 
cours de  M.  de  La  Chambre  sur  l'Amitié)  ,  ne  sont  apparemment  que 
le  roman  de  l'oiseau. 

2.  C'est  sûrement  ces  cris  du  butor  dont  il  s'agit  dans  le  passage  des 
Problêmes  d'Arisloie  où  il  parle  de  ce  mugissement  pareil  à  celui  d'un 
taureau  ,  qui  se  fait  entendre  au  printemps  du  fond  des  marais  et  dont 
il  cherche  une  explication  physique  dans  des  vents  emprisonnés  sous 
les  eaux  et  sortant  des  cavernes  :  le  peuple  en  rendoit  des  raisons  su= 
pcrslitieuses ,  et  ce  u'cloit  réellement  que  le  cri  d'un  oiseau. 

5.  Aldrovande  a  cherché  quelle  étoit  la  conformation  de  la  tra- 
chée-artère, relativement  à  la  production  de  ce  son  extraordinaire. 
Plusieurs  oiseaux  d'eau  à  voix  éclatante,    comme  le  cygne,   ont  un 


LE    BUTOR.  299 

ce  fait  supposé  est  très  difficile  à  vérifier  ;  car  cet  oi- 
seau est  toujours  si  cache  ,  qu  on  ne  peut  le  trouver 
ni  le  voir  de  près  :  les  chasseurs  ne  parviennent  aux 
endroits  d'où  il  part  qu'en  traversant  les  roseaux,  sou- 
vent dans  l'eau  jusqu'au  dessus  du  genou. 

A  toutes  ces  précautions  pour  se  rendre  invisible 
et  inabordable  le  butor  semble  ajouter  une  ruse  de 
défiance  :  il  tient  sa  tête  élevée;  et  comme  il  a  plus 
de  deux  pieds  et  demi  de  hauteur,  il  voit  par  dessus 
les  roseaux  sans  être  aperçu  du  chasseur.  Il  ne  change 
de  lieu  qu'à  l'approche  de  la  nuit  dans  la  saison  d'au- 
tome  ,  et  il  passe  le  reste  de  sa  vie  dans  une  inaction 
qui  lui  fait  donner  par  Aristote  le  surnom  de  pares- 
seux :  tout  son  mouvement  se  réduit  en  effet  à  se  je- 
ter sur  une  grenouille  ou  un  petit  poisson  qui  vient 
se  livrer  lui-rnême  à  ce  pêcheur  indolent. 

Le  nom  à'asterias  ou  de  steilarls^  donné  au  butor 
par  les  anciens,  vient,  suivant  Scaliger,  de  ce  vol  du 
soir  par  lequel  il  s'élance  droit  en  haut  vers  le  ciel  et 
semble  se  perdre  sous  la  voule  étoilée  :  d'autres  tirent 
l'origine  de  ce  nom  des  taches  dont  est  semé  son  plu- 
mage, lesquelles  néanmoins  sont  disposées  plutôt  en 
pinceau  qu'en  étoiles  ;  elles  chargent  tout  le  corps 
de  mouchetures  ou  hachures  noirâtres;  elles  sont 
jetées  transversalement  sur  le  dos  dans  un  fond  brun 
fauve  et  tracées  longitudinalement  sur  fond  blan- 
châtre, au  devant  du  cou  ,  à  la  poitrine  et  au  ventre. 

double  larynx  :  le  butor  au  contraire  n'en  a  point;  mais  la  trachée,  à 
sa  bifurcation ,  forme  deux  poches  enflées,  dont  les  anneaux  de  la 
trachée  ne  garnissent  qu'un  côté;  l'autre  est  recouvert  d'une  peau 
mince  ,  expansible,  élastique  :  c'est  de  ces  poches  enflées  que  l'air  re- 
tenu se  précipite  eu  mugissant. 


OOU  ^  LE    BUTOR. 

Le  bec  du  butor  est  de  la  môme  forme  que  celui  do 
héron;  sa  couleur,  comme  celle  des  pieds,  est  ver- 
datre  :  son  ouverture  est  très  large  ;  il  est  fendu  fort 
au  delà  des  yeux,  tellement  qu'on  les  diroit  situés  sur 
la  mandibule  supérieure.  L'ouverture  de  l'oreille  est 
grande.  La  langue  courte  et  aiguë  ne  va  pas  jusqu'à 
moitié  du  bec;  mais  la  gorge  est  capable  de  s'ouvrir  à 
y  loger  le  poing.  Ses  longs  doigts  s'accrochent  aux 
roseaux  et  servent  à  le  soutenir  sur  leurs  débris  flot- 
tants^. Il  fait  grande  capture  de  grenouilles  i  en  au- 
tomne il  va  dans  les  bois  chasser  aux  rats,  qu'il  prend 
fort  adroitement  et  avale  tout  entiers;  dans  cette  sai- 
son il  devient  fort  gras.  Quand  il  est  pris  il  s'irrite  , 
se  défend,  et  en  veut  surtout  aux  yeux.  Sa  chair  doit 
être  de  mauvais  goût,  quoiqu'on  en  mangeât  autrefois 
dans  le  même  temps  que  celle  du  héron  faisoit  un 
mets  distingué. 

Les  œufs  du  butor  sont  gris  blanc  verdâlre  :  il  en 
fait  quatre  ou  cinq,  pose  son  nid  au  milieu  des  ro- 
seaux, sur  une  touÛe  de  joncs;  et  c'est  assurément 
par  erreur  et  en  confondant  le  liéron  et  le  butor  que 
Belon  dit  qu'il  perche  son  nid  au  haut  des  arbres ^ 
Ce  naturaliste  paroît  se  tromper  également  en  prenant 
le  butor  pour  Vonocrotale  de  Pline  ,  quoique  distin- 
gué d'ailleurs,  dans  Pline  même,  par  des  traits  assez 
reconnoissabies.  Au  reste,  ce  n'est  que  par  rapport  à 
son  mugissement  si  gros^  suivant  l'expression  de  Be- 

j.  La  grande  longueur  des  ongles  et  particulièrement  de  celui  de 
derrière  est  remarquable.  Aldrovandc  dit  que  de  son  temps  on  s'en 
servoit  en  forme  de  cure-dent. 

•i.  Gesncrne  connoîl  pas  mieux  sa  nichée  (juand  il  dit  ({u'ou  j  Irouvt- 
douze  œuls. 


LE    BLTOR.  :)0I 

Ion,  qu'il  n'y  a  bœuf  qui  pût  crier  si  haut^  que  Pline 
a  pu  appeler  le  butor  un  petit  oiseau  :  si  tant  est  qu'il 
faille  ,  avec  Belon,  appliquer  au  butor  le  passage  de 
ce  naturaliste  où  il  parle  de  l'oiseau  taurus ^  qui  se 
trouve,  dit-il,  dans  le  territoire  à^Arles^,  et  îiùx.  enten- 
dre des  mugissements  pareils  à  ceux  d'un  bœuf. 

Le  butor  se  trouve  partout  où  il  y  a  des  marais 
assez  grands  pour  lui  servir  de  retraite  :  on  le  con- 
noît  dans  la  plupart  de  nos  provinces;  il  n'est  pas  rare 
en  Angleterre,  et  assez  fréquent  en  Suisse  et  en 
Autriche  :  on  le  voit  aussi  en  Silésie,  en  Danemarck, 
en  Suède.  Les  régions  les  plus  septentrionales  de  l'A- 
mérique ont  de  même  leur  espèce  de  butor,  et  l'on 
en  trouve  d'autres  espèces  dans  les  contrées  méri- 
dionales. Mais  il  paroît  que  notre  butor,  moins  dur 
que  le  héron,  ne  supporte  pas  nos  hivers  et  qu'il 
quitte  le  pays  quand  le  froid  devient  trop  rigoureux  : 
d'habiles  chasseurs  nous  assurent  ne  l'avoir  jamais 
rencontré  aux  bords  des  ruisseaux  ou  des  sources 
dans  le  temps  des  grands  froids;  et  s'il  lui  faut  des 
eaux  tranquilles  et  des  marais,  nos  longues  gelées 
doivent  être  poiu'  lui  une  saison  d'exil.  Willughby 
semble  l'insinuer  et  regarder  son  vol  élancé,  après  le 
coucher  du  soleil  en  automne,  comme  un  départ 
pour  des  climats  plus  chauds. 

Aucun  observateur  ne  nous  a  donné  de  meilleurs 
renseignements  que  M.  Bâillon  sur  les  habitudes  na- 
turelles de  cet  oiseau.  Yoici  l'extrait  de  ce  qu'il  a  bien 
voulu  m'en  écrire, 

«  Les  butors  se  trouvent  dans  presque  toutes  les 
tiaisons  de  l'année  àMontreuil-sur-Mer  et  sur  les  côtes 
de  Picardie,  quoiqu'ils  soient  voyageurs  :  on  les  voit 


,)02  LE    BUTOR. 

en  grand  nombre  dans  le  mois  de  décembre  ;  quel- 
quefois une  seule  pièce  de  roseaux  en  cache  des 
douzaines. 

»  Il  y  a  peu  d'oiseaux  qui  se  défendent  avec  autant 
de  sang-froid  :  il  n'attaque  jamais  ;  mais  lorsqu'il  est 
attaqué,  il  combat  courageusement  et  se  bat  bien 
sans  se  donner  beaucoup  de  mouvement.  Si  un  oiseau 
de  proie  fond  sur  lui,  il  ne  fuit  pas;  il  l'attend  de- 
bout et  le  reçoit  sur  le  bout  de  son  bec,  qui  est  très 
aigu  :  l'ennemi  blessé  s'éloigne  en  criant.  Les  vieux 
busards  n'attaquent  jamais  le  butor;  et  les  faucons 
communs  ne  le  prennent  que  par  derrière  et  lors- 
qu'il vole.  Il  se  défend  même  contre  le  chasseur  qui 
l'a  blessé;  au  lieu  de  fuir,  il  l'attend,  lui  lance  dans 
les  jambes  des  coups  de  bec  si  violents  qu'il  perce 
les  bottines  et  pénètre  fort  avant  dans  les  chairs  : 
plusieurs  chasseurs  en  ont  été  blessés  grièvement.  On 
est  obligé  d'assommer  ces  oiseaux ,  car  ils  se  défen- 
dent jusqu'à  la  mort. 

»  Quelquefois ,  mais  rarement ,  le  butor  se  renverse 
sur  le  dos,  comme  les  oiseaux  de  proie,  et  se  défend 
autant  des  griffes,  qu'il  a  très  longues,  que  du  bec  :  il 
prend  cette  attitude  lorsqu'il  est  surpris  par  un  chien. 

»  La  patience  de  cet  oiseau  égale  son  courage  ;  i! 
demeure,  pendant  des  heures  entières,  immobile, 
les  pieds  dans  l'eau  et  caché  par  les  roseaux;  il  y 
guette  les  anguilles  et  les  grenouilles.  Il  est  aussi  in- 
dolent et  aussi  mélancolique  que  la  cigogne  :  hors 
le  temps  des  amours,  où  il  prend  du  mouvement  et 
change  de  lieu,  dans  les  autres  saisons  on  ne  peut  le 
Uouver  qu'avec  des  chiens.  C'est  dans  les  mois  de 
février  et  de  mars  que  les  maies  jettent,  le  matin  et 


LE    BUTOU.  5o3 

le  soir,  un  cri  qu'on  pourroit  comparer  à  l'explosion 
d'un  fusil  d'un  gros  calibre.  Les  femelles  accourent  de 
loin  à  ce  cri  :  quelquefois  une  douzaine  entoure  un 
seul  mâle  ;  car  dans  cette  espèce  ,  comme  dans  celle 
des  canards,  il  existe  plus  de  femelles  que  de  mâles: 
ils  piaffent  devant  elles  et  se  battent  contre  les  mâles 
qui  surviennent.  Ils  font  leur  nid  presque  sur  l'eau  , 
au  milieu  des  roseaux,  dans  le  mois  d'avril  ;  le  temps 
de  l'incubation  est  de  vingt-quatre  à  vingt-cinq  jours. 
Les  jeunes  naissent  presque  nus  et  sont  d'une  figure 
hideuse  :  ils  semblent  n'être  que  cou  et  jambes  :  ils 
ne  sortent  du  nid  que  plus  de  vingt  jours  après  leur 
naissance;  le  père  et  la  mère  les  nourrissent,  dans 
les  premiers  temps,  de  sangsues,  de  lézards  et  de  frai 
de  grenouilles,  et  ensuite  de  petites  anguilles.  Les 
premières  plumes  qui  leur  viennent  sont  rousses , 
comme  celles  des  vieux  ;  leurs  pieds  et  le  bec  sont  plus 
blancs  que  verts.  Les  busards,  qui  dévastent  les  nids 
de  tous  les  autres  oiseaux  de  marais,  touchent  rarement 
à  celui  du  butor;  le  père  et  la  mère  y  veillent  sans 
cesse  et  le  défendent  :  les  enfanls  n'osent  en  appro- 
cher, ils  risqueroient  de  se  faire  crever  les  yeux. 

»  Il  est  facile  de  distinguer  les  butors  mâles  par  la 
couleur  et  parla  taille,  étant  plus  beaux,  plus  roux 
et  plus  gros  que  les  femelles  :  d'ailleurs  ils  ont  les 
plumes  de  la  poitrine  et  du  cou  plus  longues. 

»  La  chair  de  cet  oiseau,  surtout  celle  des  ailes  et 
de  la  poitrine ,  est  assez  bonne  à  manger,  pourvu  que 
l'on  en  ôte  la  peau,  dont  les  vaisseaux  capillaires  sont 
remplis  d'un  huile  acre  et  de  mauvais  goût,  qui  se  ré- 
pand dans  les  chairs  par  la  cuisson  et  lui  donne  alors 
une  forte  odeur  de  marécage.  » 


004  Lli    GRAND    BUTOR. 

OISEAUX 

DE    l'ancien    continent 
QUI  ONT  RAPPORT  AU  BUTORo 


LE  GRAND  BUTOR. 

PREMIÈRE    ESPÈCE. 

Ardea  stellaris.  L.  (  var. ,  0.  ) 

tjESNER  est  le  premier  qui  ait  parlé  de  cet  oiseau, 
•dont  l'espèce  nous  paroît  faire  la  nuance  entre  la 
famille  des  hérons  et  celle  des  butors.  Les  habitants 
des  bords  du  lac  Majeur  en  Italie  l'appellent  ruffey ^ 
suivant  Aldrovande.  Il  a  Je  cou  roux  avec  des  taches 
de  blanc  et  de  noir  ;  le  dos  et  les  ailes  sont  de  cou- 
leur brune  et  le  ventre  est  roux.  Sa  longueur ,  de 
la  pointe  du  bec  à  l'extrémité  de  la  queue,  est  au 
moins  de  trois  pieds  et  demi  ;  et  jusqu'aux  ongles ,  de 
plus  de  quatre  pieds;  le  bec  a  huit  pouces,  il  est 
jaune  ainsi  que  les  pieds.  La  figure,  dans  Aldrovande, 
présente  une  huppe  dont  Gesner  ne  parle  pas;  mais 
il  dit  que  le  cou  est  grêle,  ce  qui  semble  indiquer 
que  cet  oiseau  n'est  pas  un  franc  butor  :  aussi  Aldro- 
vande remarque-t-il  que  celte  espèce  paroît  mélangée 
de  celle  du  héron  gris  et  du  butor  ,  et  qu'on  la  croi- 
roit  métive  de  l'un  et  de  l'autre,  tant  elle  tient  du 
héron  gris  par  la  tète,  les  taches  de  la  poitrine,  la 
couleur  du  dos  et  des  ailes,  et  la  grandeur,  en  même 


LE    GRAND    BUTOR.  3o5 

temps  qu'elle  ressemble  au  butor  par  les  jambes  et 
par  le  reste  du  plumage ,  à  rexception  qu'il  n'est  point 
tacheté. 


LE  PETIT  BUTOR. 

SECONDE    ESPÈCE. 

Ardea  Marsigli.  L. 

Cette  petite  espèce  de  butor,  vue  sur  le  Danube 
par  le  comte  Marsigli,  a  le  plumage  roussâtre,  rayé 
de  petites  lignes  brunes  ,  le  devant  du  cou  blanc  ,  et 
la  queue  blanchâtre.  Son  bec  n'a  pas  trois  pouces  de 
long.  En  jugeant  par  cette  longueur  du  bec,  de  ses 
autres  dimensions  que  Marsigli  ne  donne  pas  et  en 
les  supposant  proportionnelles,  ce  butor  doit  être  le 
plus  petit  de  tous  ceux  de  notre  continent. 

Au  reste,  nous  devons  observer  que  Marsigli  paroît 
se  contredire  sur  les  couleurs  de  cet  oiseau,  en  l'ap- 
pelant ardea  viridi-flavescens. 


LE  BUTOR  BRUN  RAYE. 

TROISIÈME    ESPÈCE. 

Ardea  danubialis.  L. 

C'est  encore  ici  un  oiseau  du  Danube.  Marsigli  le 
désigne  parle  nom  de  butor  brun  et  le  regarde  comme 


5o6  LE  BLTOR  BRUN  RAYÉ. 

faisant  une  espèce  particulière.  II  est  aussi  petit  que 
le  précédent  ;  tout  son  plurnage  est  payé  de  lignes 
brunes  5  noires,  et  roussâtres,  mêlées  confusément , 
de  manière  qu'il  en  résulte  en  gros  une  couleur 
brune. 


o®»«>««B-»cp«-»8.8«»«««<5<&o«'»s-»e-« 


LE  BUTOR  ROUX. 

QUATRIÈME   ESPÈCE. 

Ardea  so  Ionien  sis,  L. 

Tout  [le  plumage  de  ce  butor  est  d'une  couleur 
uniforme,  roussâtre  clair  sous  le  corps,  et  plus  foncé 
sur  le  dos;  les  pieds  sont  bruns,  et  le  bec  est  jaunâ- 
tre. Aldrovande  dit  que  cette  espèce  lui  a  été  envoyée 
d'Epidaure,  et  il  y  réunit  celle  d'un  jeune  butor, 
pris  dans  les  marais  près  de  Bologne ,  qui  même  n'a- 
voit  pas  encore  les  couleurs  de  l'âge  adulte.  Il  ajoute 
que  cet  oiseau  lui  a  paru  appartenir  de  plus  près  aux 
butors  qu'aux  hérons.  Au  reste,  il  sepourroil,  suivant 
la  conjecture  de  M.  Salerne ,  que  ce  fût  cette  même 
petite  espèce  de  butor  qui  se  voit  quelquefois  en  So- 
logne et  que  l'on  y  coniioît  sous  le  nom  de  quoimeau, 
Marsigli  place  aussi  sur  le  Danube  cette  espèce,  qui 
est  la  troisième  d'Aldrovande;  et  les  auteurs  de  l'Or- 
nitkologie  italienne  disent  qu'elle  est  naturelle  au 
pays  de  Bologne. 

Il  paroît  qu'elle  se  trouve  aussi  en  Alsace,  car 
M.  le  docteur  Hermann  nous  a  mandé  qu'il  avoit  eu 
un   de   ces  butors  roux   qui  a  constamment  refusé 


LE    BUTOR    ROUX.  ZO'] 

toute  nourriture  et  s'est  laissé  mourir  d'inanilion.  li 
ajoute  que  3  malgré  ses  longues  jambes  ,  ce  butor 
montoit  sur  un  petit  arbre  dont  il  pouvoit  embrasser 
îa  tige  en  tenant  le  bec  et  le  cou  verticalement  et 
dans  la  même  ligne. 

LE  PETIT  BUTOR  DU  SÉNÉGAL. 

CINQUIÈME  ESPÈCE. 

Ardea  undulata.  L. 

Nous  rapporterons  aux  butors  l'oiseau  donné  dans 
les  planches  enluminées  sous  le  nom  de  petit  héron 
du  Sénégal,  n*'  oiS,  qui  en  effet  paroît,  à  son  cou 
raccourci  et  bien  garni  de  plumes,  êlre  un  bulor 
plutôt  qu'un  héron.  Il  est  aussi  d'une  très  petite  es- 
pèce, puisqu'il  n'a  pas  plus  d'un  pied  de  longueur. 

11  est  assez  exactement  représenté  dans  la  planche 
pour  que  l'on  n'ait  pas  besoin  d'une  autre  description. 

LE  POUACRE, 

ou   BUTOR  TACHETÉ. 

SIXIÈME    ESPÈCE. 

Ardea  nycticorax.  L.  (Jeune  âge.) 

Les  chasseurs  ont  donné  le  nom  de  pouacre  à  cet 
oiseau.  Sa  grosseur  est  celle  d'une  corneille,  et  il  a 


5o8  LE    POUACRE. 

plus  de  vingt  pouces  du  bec  aux  ongles.  Tout  le  fond 
de  son  plumage  est  brun,  foncé  aux  pennes  de  l'aile, 
clair  au  devant  du  cou  et  au  dessous  du  corps  ;  par- 
semé sur  la  tête ,  le  dessus  du  cou  ,  du  dos ,  et  sur  les 
épaules,  de  petites  taches  blanches  placées  à  l'extré- 
mité des  plumes  :  chaque  penne  de  l'aile  est  aussi  ter- 
minée par  une  tache  blanche. 

Nous  lui  rapporterons  le  pouacre  de  Cayenne,  re- 
présenté dans  les  planches  enluminées  ,  n°  959  ,  qui 
paroît  n'en  différer  qu'en  ce  que  le  fond  du  plumage 
sur  le  dos  est  plus  noirâtre  et  que  le  devant  du  corps 
est  tacheté  de  pinceaux  bruns  sur  fond  blanchâtre  ; 
légères  différences  qui  ne  paroissent  pas  caractériser 
assez  une  diversité  d'espèce  entre  ces  oiseaux,  d'au- 
tant plus  que  la  grandeur  est  la  même. 

OISEAUX 

DU    NO i: VEAU    CONTINENT 
QUI    ONT    RAPPORT  AU    BUTOR. 


L'ETOILE. 

PREMIÈRE    ESPÈCE. 

Ardea  stellaris.  L. 

Cet  oiseau  est  le  butor  brun  de  la  Caroline  de  Ca- 
tesby;  il  se  trouve  aussi  à  la  Jamaïque,  et  nous  lui 
donnons  le  nom  d'étoile  parce  que  son  plumage,  en- 
tièrement brun,  est  semé  sur  l'aile  de  quelques  la- 


Ll'-TOILE.  009 

ches  blanches  jetées  comme  au  hasard  dans  cette 
teinte  obscure.  Ces  taches  lui  donnent  quelque  rap- 
port avec  l'espèce  précédente.  Il  est  un  peu  moins 
grand  que  le  butor  d'Europe  ;  il  fréquente  les  étangs 
et  les  rivières  loin  de  la  mer  et  dans  les  endroits  les 
plus  élevés  du  pays.  Outre  cette  espèce,  qui  paroît 
répandue  dans  plusieurs  contrées  de  l'Amérique  sep- 
tentrionale, il  paroît  qu'il  en  existe  une  autre  vers  la 
Louisiane ,  plus  semblable  à  celle  d'Europe. 


3««  3^  «««^««')W<S«'lH><9««««9  $«»»9«««»»^v«»»'-  ' 


LE  BUTOR  JAUNE  DU  BRESIL. 

SECONDE    ESPÈCE. 

Ardea  flava.  L. 

Par  les  proportions  mêmes  que  Marcgrave  donne 
à  cet  oiseau  en  le  rapportant  aux  hérons  on  juge  que 
c'est  plutôt  un  butor  qu'un  héron.  La  grosseur  du 
corps  est  celle  d'un  canard  :  le  cou  est  long  d'un  pied; 
le  corps,  de  cinq  pouces  et  demi  ;  la  queue ,  de  qua- 
tre; les  pieds  et  la  jambe,  de  plus  de  neuf.  Tout  le 
dos,  avec  l'aile,  est  en  plumes  brunes  lavées  de  jaune; 
les  pennes  de  l'aile  sont  mi-parties  de  noir  et  de  cen- 
dré et  coupées  transversalement  de  lignes  blanches; 
les  longues  plumes  pendantes  'de  la  tête  et  du  cou 
sont  d'un  jaune  pale  onde  de  noir;  celles  du  bas  du 
cou,  de  la  poitrine,  et  du  ventre,  sont  d'un  blanc 
onde  de  brun  et  frangées  de  jaune  alentour.  Nous 
remarquerons,  comme  chose  singulière,  qu'il  a  le 
bec  dentelé  vers  la  pointe,  tant  en  bas  qu'en  haut. 


rUFFOlV.      XXV. 


.)I0  lE    PETIT    RUTOn    DE    CAYENNE. 

LE  PETIT  BIJTOR  DE  CAYENNE. 

TUOISIÈME    ESPÈCE. 

Ardea  undulata.  L. 

Ce  petit  butor,  n**  ^63,  n'a  goère  qu'un  pied  ou 
treize  pouces  de  longueur.  Tout  son  plumage,  sur 
un  fond  gris  roussâtre,  est  tacheté  de  brun  noir  par 
petites  lignes  transversales  très  pressées,  ondulantes, 
et  comme  vermiculées  en  forme  de  zigzags  et  de  poin- 
tes au  bas  du  cou,  à  l'estomac ,  et  aux  flancs  ;  le  dessus 
de  la  tête  est  noir.  Le  cou,  très  fourni  de  plumes,  pa- 
roît  presque  aussi  gros  que  le  corps. 

LE  BUTOR  DE  LA  BAIE  D'HUDSON. 

QUATRIÈME    ESPÈCE. 

La  livrée  commune  à  tous  lesbutors  est  un  plumage 
fond  roux  ou  roussâtre  plus  ou  moins  haché  et  coupé 
de  lignes  et  de  traits  bruns  ou  noirâtres  ,  et  cette  li- 
vrée se  retrouve  dans  le  butor  de  la  baie  d'Hudson. 
Il  est  moins  gros  que  celui  d'Europe  ;  sa  longueur , 
du  bec  aux  ongles,  n'est  guère  que  de  deux  pieds  six 
pouces. 


LONGUE.  oii 

LONG  RÉ. 

CINQUIÈME    ESPÈCE. 


Ardea  tigrlna.  L. 


Nous  plaçons  à  la  suite  des  butors  du  nouveau  con- 
tinent les  oiseaux  nommés  onorés  dans  les  planches 
enluminées.  Ce  nom  se  donne,  à  Cayenne,  à  toutes 
les  espèces  de  hérons  :  cependant  les  onorés  dont  il 
s'agit  ici  nous  paroissent  se  rapporter  de  beaucoup 
plus  près  à  la  famille  du  butor;  ils  en  ont  la  forme  et 
les  couleurs  et  n'en  diffèrent  qu'en  ce  que  leur  cou 
est  moins  fourni  de  plumes,  quoique  plus  garni  et 
moins  grêle  que  le  cou  des  hérons.  Ce  premier  onoré, 
n**  790  ,  est  presque  aussi  grand,  mais  un  peu  moins 
gros  que  le  butor  d'Europe;  tout  son  plumage  est 
agréablement  marqueté  et  largement  coupé  par  ban- 
des noires  transversales,  en  zigzags,  sur  un  fond 
roux  au  dessus  du  corps  et  gris-blanc  au  dessous. 

L'ONORÉ  RAYÉ. 

SIXIÈME   ESPÈCE. 

Ardea  lineata.  L.  Gm. 

Cette  espèce,  n°  860,  est  un  peu  plus  grande  que 
la  précédente  ,  et  la  longueur  de  l'oiseau  est  de  deux 


5l2  LONORÉ    KAiÉ. 

pieds  et  demi.  Les  grandes  pennes  de  l'aile  et  la 
quene  sont  noires;  tout  le  manteau  est  joliment  ou- 
vrage par  de. petites  lignes  très  fines  de  roux,  de  jau- 
nâtre ,  et  de  brun  ,  qui  courent  transversalement  en 
ondulant  et  formant  des  demi-festons;  le  dessus  du 
cou  et  la  tête  sont  d'un  roux  vif,  coupé  encore  de 
petites  lignes  brunes;  le  devant  du  cou  et  du  corps 
est  blanc,  légèrement  marqué  de  quelques  traits 
bruns. 

Ces  deux  espèces  d'onorés  nous  ont  été  envoyées 
par  M.  de  La  Borde,  médecin  du  E.oi  à  Cayenne.  Ils 
se  cachent  dans  les  ravines  creusées  par  les  eaux  dans 
les  savanes,  et  ils  fréquentent  le  bord  des  rivières. 
Pendant  les  sécheresses  iîs  se  tiennent  fourrés  dans 
les  herbes  épaisses.  Ils  partent  de  très  loin  et  on  n'eu 
trouve  jamais  deux  ensemble.  Lorsque  l'on  en  blesse 
un,  il  ne  faut  l'approcher  qu'avec  précaution;  car  il 
se  met  sur  la  défensive  ,  en  retirant  le  cou  et  frap- 
pant un  grand  coup  de  bec,  et  cherchant  aie  diriger 
dans  les  yeux.  Les  habitudes  de  l'onoré  sont  les  mê- 
mes que  celles  de  nos  hérons. 

M.  de  La  Borde  a  vu  un  onoré  privé,  ou  plutôt 
captif,  dans  une  maison  :  il  y  étoit  continuellement  à 
l'afTiit  des  rats;  il  les  attrapoit  avec  une  adresse  supé- 
rieure à  celle  des  chats.  Mais  quoiqu'il  fut  depuis 
deux  ans  dans  la  maison,  il  se  tenoit  toujours  dans 
des  endroits  cachés;  et  quand  on  l'approchoit ,  il 
cherchoit  d'un  air  menaçant  à  fixer  les  yeux.  Au 
reste,  l'une  et  l'autre  espèce  de  ces  onorés  parois- 
sent  être  sédentaires  chacune  dans  leurs  contrées, 
et  toutes  deux  sont  assez  rares. 


LONORE    DES    BOIS.  Ûi^ 

L'ONORÉ  DES  BOIS. 

SEPTIÈME    ESPÈCE. 

Ardea  brasiliensis.  L. 

On  appelle  ainsi  cette  espèce  à  ia  Giiiaiie.  Nous  lui 
laissons  cette  dénomination,  suivant  notre  usage  de 
conserver  aux  espèces  étrangères  le  nom  qu'elles  por- 
tent dans  leur  pays  natal,  puisque  c'est  le  seul  moyen 
pour  les  habitants  de  les  reconnoître  et  pour  nous  de 
les  leur  demander.  Celle-ci  se  trouve  à  la  Guiane  et 
au  Brésil.  Marcgrave  la  comprend,  sous  le  nom  gé- 
nérique de  socOj  avec  les  hérons;  mais  elle  nous 
paroît  avoir  beaucoup  de  rapport  aux  deux  espèces 
précédentes  d'onorés,  et  par  conséquent  aux  butors. 
Le  plumage  est,  sur  le  dos  ,  le  croupion  ,  les  épaules, 
d'un  noirâtre  tout  pointillé  de  jaunâtre;  et,  ce  qui 
n'est  pas  ordinaire ,  ce  plumage  est  le  même  sur  la 
poitrine,  le  ventre ,  et  les  côtés;  le  dessus  du  cou 
est  d'un  blanc  mêlé  de  taches  longitudinales  noires 
et  brunes.  Marcgrave  dit  que  le  cou  est  long  d'un 
pied  et  que  la  longueur  totale,  du  bec  aux  ongles,  est 
d'environ  trois  pieds. 

1 


3l4  tlî    BIHOREAU. 

LE  BIHOREAU'. 

Ardea  nycticorax.  L. 

La  plupart  des  naturalistes  ont  désigné  le  bihoreau, 
n"*  7 58 ,  le  mâle ,  et  n°  769,  la  femelle,  sous  le  nom  de 
corbeau  de  nuit  [nycticorax) ,  et  cela  d'après  l'espèce 
de  croassement  étrange ,  ou  plutôt  de  râlement  ef- 
frayant et  lugubre,  qu'il  fait  entendre  pendant  la 
nuit.  C'est  le  seul  rapport  que  le  bihoreau  ait  avec  le 
corbeau,  car  il  ressemble  au  héron  par  la  forme  et 
l'habitude  du  corps;  mais  il  en  diffère  en  ce  qu'il  a 
le  cou  plus  court  et  plus  fourni,  la  tête  plus  grosse , 
et  le  bec  moins  effilé  et  plus  épais  ;  il  est  aussi  plus 
petit,  n'ayant  qu'environ  vingt  pouces  de  longueur. 
Son  plumage  est  noir,  à  reflet  vert  sur  la  tête  et  la 
nuque,  vert  obscur  sur  le  dos,  gris  de  perle  sur 
les  ailes  et  la  queue,  et  blanc  sur  le  reste  du  corps. 
Le  mâle  porte  sur  la  nuque  du  cou  des  brins  ordi- 
nairement au  nombre  de  trois ,  très  déliés ,  d'un  blanc 
de  neige ,  et  qui  ont  jusqu'à  cinq  pouces  de  longueur. 
De  toutes  les  pkimes  d'aigrette  ,  celles-ci  sont  les  plus 
belles  et  les  plus  précieuses  ;  elles  tombent  au  prin- 
temps et  ne  se  renouvellent  qu'une  fois  par  an.  La 
femelle  est  privée  de  cet  ornement,  et  elle  est  assez 
diff"érenle  du  mâle  pour  avoir  été  méconnue  par  quel- 
ques naturalistes.  La  neuvième  espèce  de  héron  de 
M.  Brisson  n'est  en  eff'et  que  celte  même  femelle. 

i.   En  allemand,  naclil-rabj  hundter-reger,  schitd-reger;  en  angloii. 
nihgt-raven  ;  eu  flaniaud  ,  ouack;  en  vieux  fiançois  ,  roupcati. 


LE    Bill  OKI-  AU.  5l5 

Elle  a  tout  le  manteau  d'un  cendré  roussâtre,  des  ta- 
ches en  pinceaux  de  cette  même  teinte  sur  le  cou, 
et  le  dessus  du  corps  gris-blanc. 

Le  bihoreau  niche  dans  les  rochers ,  suivant  Belon  , 
qui  dérive  de  là  son  ancien  nomroupean;  mais,  selon 
Schwenckfeld  et  Willughby,  c'est  sur  les  aunes  près 
des  marais  qu'il  établit  son  nid  :  ce  qui  ne  peut  se 
concilier  qu'en  supposant  que  ces  oiseaux  changent 
d'habitude  à  cet  égard  suivant  les  circonstances  ;  en 
sorte  que  dans  les  plaines  de  la  Silésie  ou  de  la  Hol- 
lande ils  s'établissent  sur  les  arbres  aquatiques,  au 
lieu  que  sur  les  côtes  de  Bretagne  ,  où  Belon  les  a  vus, 
ils  nichent  dans  les  rochers.  On  assure  que  leur  ponte 
est  de  trois  ou  quatre  œufs  blancs. 

Le  bihoreau  paroît  être  un  oiseau  de  passage  :  Be- 
lon en  a  vu  un  exposé  sur  le  marché  au  mois  de  mars; 
Schwenckfeld  assure  qu'il  part  de  Silésie  au  commen- 
cement de  l'automne  et  qu'il  revient  avec  les  cigo- 
gnes au  printemps.  Il  fréquente  également  les  rivages 
de  la  mer  et  des  rivières  ou  marais  de  l'intérieur  des 
terres;  on  en  trouve  en  France  dans  la  Sologne,  en 
Toscane  sur  les  lacs  de  Fucecchio  et  de  Blentine;  mais 
l'espèce  en  est  partout  plus  rare  que  celle  du  héron  : 
elle  est  aussi  moins  répandue  et  ne  s'est  pas  étendue 
jusqu'en  Suède  '^. 

Avec  des  jambes  moins  hautes  et  un  cou  plus  court 
que  le  héron,  le  bihoreau  cherche  sa  pâture  moitié 
dans  l'eau ,  moitié  sur  terre,  et  vit  autant  de  grillons, 
de  limaces,  et  autres  insectes  terrestres,  que  de  gre- 
nouilles et  de  poissons.  Il  reste  caché  pendant  le  jour 

1 .  Nous  en  jugeons  par  le  silence  que  garde  sur  reUe  espèce  M.  Liu- 
naeus  dans  sa  Fauna  suecica. 


3l6  LE    BI H  ou  EAU. 

et  ne  se  met  en  mouvement  qu'à  l'approche  de  la 
nuit;  c'est  alors  qu'il  fait  entendre  son  cri,  ka^  ka_, 
ka  j  que  Willughby  compare  aux  sanglots  du  vomisse- 
ment d'un  homme. 

Le  bihoreau  a  les  doigts  très  longs  ;  les  pieds  et  les 
jambes  sont  d'un  jaune  verdâtre;  le  bec  est  noir^  ,  et 
légèrement  arqué  dans  la  partie  supérieure  ;  ses  yeux 
sont  brillants,  et  l'iris  forme  un  cercle  rouge  ou  jaune 
aurore  autour  de  la  prunelle. 


LE  BIHOREAU  DE  CAYENNE. 

Ardea  cayennensis.  L. 

Ce  bihoreau  d'Amérique  est  aussi  grand  que  celui 
d'Europe  ;  mais  il  paroît  moins  gi'os  dans  toutes  se's 
parties  :  le  corps  est  plus  menu;  les  jambes  sont  plus 
hautes;  le  cou,  la  tête,  et  le  bec,  sont  plus  petits. 
Le  plumage  est  d'un  cendré  bleuâtre  sur  le  cou  et  au 
dessous  du  corps;  le  manteau  est  noir,  frangé  de 
cendré  sur  chaque  plume;  la  tête  est  enveloppée  de 
noir  et  le  sommet  en  est  blanc;  il  y  a  aussi  un  trait 
blanc  sous  l'œil.  Ce  bihoreau,  n°  899,  porte  un  pa- 
nache composé  de  cinq  ou  six  brins,  dont  les  uns 
sont  blancs  et  les  autres  noirs. 


i,  Schwenofelcl  paroît  se  tromper  sur  la  couleur  des  pieds  et  sur 
celle  du  bec  ;  mais  Klein  se  trompe  davantage  en  exagérant  les  ex- 
pressions de  Schwencfeld ,  qu'il  transcrit.  Schwenckfeld  dit ,  rostrum 
obscure  rubet...  crura  nigricant  cum  rubedine  :  Klein  écrit  ,  rostro  san- 
guineo  proul  et  pedes;  ce  qui  ne  peut  jamais  convenir  au  bihoreau  ,  et 
le  rend  méconnoissuble. 


LOMBÏIETTE.  OI7 

L'OMBRETTE. 

Scopus  umbretta.  L. 

C  EST  à  M.  Adanson  que  nous  devons  la  connois- 
sance  de  cet  oiseau,  n°  796,  qui  se  trouve  au  Séné- 
gal. Il  est  un  peu  plus  grand  que  le  bihoreau  ;  la  cou- 
leur de  terre  d'ombre  ou  de  gris-brun  foncé  de  son 
plumage  lui  a  fait  donner  le  nom  d'ombrette.  Il  doit 
être  placé,  comme  espèce  anomale,  entre  les  genres 
des  oiseaux  de  rivage  ;  car  on  ne  peut  le  rapporter 
exactement  à  aucun  de  ces  genres.  Il  pourroit  appro- 
cher de  celui  des  hérons,  s'il  n'avoit  un  bec  d  une 
forme  entièrement  différente  et  qui  même  n'appar- 
tient qu'à  lui.  Ce  bec,  très  large  et  très  épais  près  de 
la  tête  ,  s'allonge  en  s'aplatissant  par  les  côtés  ;  l'arête 
de  la  partie  supérieure  se  relève  dans  toute  sa  lon- 
gueur et  paroît  s'en  détacher  par  deux  rainures  tra- 
cées de  chaque  côté;  ce  que  M.  Brisson  exprime  en 
disant  que  le  bec  semble  composé  de  plusieurs  pièces 
articulées;  et  cette  arête,  rabattue  sur  le  bout  du 
bec ,  se  termine  en  pointe  recourbée.  Ce  bec  est  long 
de  trois  pouces  trois  lignes;  le  pied,  joint  à  la  partie 
nue  de  la  jambe,  a  quatre  pouces  et  demi;  cette  der- 
nière partie  seule  a  deux  pouces.  Ces  dimensions  ont 
été  prises  sur  un  de  ces  oiseaux ,  conservé  au  Cabinet 
du  Roi  :  M.  Brisson  semble  en  donner  de  plus  gran- 
des. Les  doigts  sont  engagés  vers  la  racine  par  un 
commencement  de  membrane  plus  étendu  entre  le 
doigt  extéiieur  et  celui  du  milieu  ;  le  doigt  postérieur 


5i8  l'ombrette. 

n'est  point  articulé,  comme  dans  les  hérons,  à  côté 

du  talon  ,  mais  au  talon  même. 


LE  COURLIRI,  ouGOURLAN. 

Ardea  scolopacea.  L. 

Le  nom  de  courlan  ou  courLlri  ne  doit  pas  faire 
imaginer  que  cet  oiseau  ait  de  grands  rapports  avec 
le  courlis;  il  en  a  beaucoup  plus  avec  les  hérons, 
dont  il  a  la  stature  et  presque  la  hauteur.  Sa  longueur, 
du  bec  aux  ongles ,  est  de  deux  pieds  huit  pouces  ;  la 
partie  de  la  jambe,  prise  avec  le  pied,  a  sept  pouces; 
le  bec  en  a  quatre  :  i!  est  droit  dans  presque  toute 
•sa  longueur;  il  se  courbe  foiblement  vers  la  pointe, 
et  ce  n'est  que  par  ce  rapport  que  le  courlan  s'ap- 
proche des  courlis,  dont  il  diffère  par  la  taille;  et 
toute  l'habitude  de  sa  forme  est  très  ressemblante  à 
celle  des  hérons.  De  plus  on  voit  à  l'ongle  du  grand 
doigt  la  tranche  saillante  du  côté  intérieur,  qui  re- 
présente l'espèce  de  peigne  dentelé  de  l'ongle  du 
héron.  Le  plumage  du'courlan,  n"  858,  est  d'un  beau 
brun ,  qui  devient  rougeâtre  et  cuivreux  aux  grandes 
pennes  de  l'aile  et  de  la  queue;  chaque  plume  du  cou 
porte  dans  son  milieu  un  trait  de  pinceau  blanc.  Cette 
espèce  est  nouvelle  et  nous  a  été  envoyée  de  Cayenne 
sous  le  nom  de  courliri _,  d'où  on  lui  a  donné  celui  de 
courlan  dans  les  planches  enluminées. 


LE    SAVACOU.  3l9 


^e«  «>«»«««  t«»» 


LE  SAVACOU*. 

Cancroma  cancrophaga.  L. 

Le  savacou  est  naturel,  aux  régions  de  la  Guiane  et 
du  Brésil.  Il  a  assez  la  taille  et  les  proportions  dubi- 
horeau,  et,  par  les  traits  de  conformation  comme  par 
la  manière  de  vivre,  il  paroîtroit  avoisiner  la  famille 
des  hérons,  si  son  bec  large  et  singulièrement  épaté 
ne  l'en  éloignoit  beaucoup  et  ne  le  distinguoit  même 
de  tous  les  autres  oiseaux  de  rivage.  Cette  large  forme 
de  bec  a  fait  donner  au  savacou  le  surnom  de  cuiller. 
Ce  sont  en  effet  deux  cuillers  appliquées  l'une  contre 
l'autre  par  le  côté  concave;  la  partie  supérieure  porte 
sur  sa  convexité  deux  rainures  profondes  qui  parlent 
des  narines  et  se  prolongent  de  manière  que  le  mi- 
lieu forme  une  arête  élevée,  qui  se  termine  par  une 
petite  pointe  crochue  ;  la  moitié  inférieure  de  ce  bec, 
sur  laquelle  la  supérieure  s'emboîte,  n'est,  pour  ainsi 
dire  ,  qu'un  cadre  sur  lequel  est  tendue  la  peau  pro- 
longée de  la  gorge.  L'une  et  l'autre  mandibule  sont 
tranchantes  par  les  bords  et  d'une  corne  solide  et 
très  dure.  Ce  bec  a  quatre  pouces  des  angles  à  la 
pointe  et  vingt  lignes  dans  la  plus  grande  largeur. 

Avec  une  arme  si  forte,  qui  tranche  et  coupe,  et 
qui  pourroit  rendre  le  savacou  redoutable  aux  autres 
oiseaux  ,  il  paroît  s'en  tenir  aux  douces  habitudes 
d'une  vie  paisible  et  sobre.  Si  l'on  ponvoit  inférer 

1.  Savacou  eu  saouacou,  à  Gayenue  ;  rapapa,  par  les  sauv.Jges  Gari- 
panc?;  tamaiia ,  au  Brésil. 


7)20  LE    SAVACOU. 

quelque  chose  de  noms  appliqués  par  les  nomencla- 
tenrs,  un  de  ceux  que  lui  donne  Barrère  nous  indi- 
queroit  qu'il  vit  de  crabes;  mais  au  contraire  il  sem- 
ble s'éloigner  par  goût  du  voisinage  de  la  mer  :  il 
habite  les  savanes  noyées  et  se  tient  le  long  des  ri- 
vières où  la  marée  ne  monte  point;  c'est  là  que, 
perché  sur  les  arbres  aquatiques  ,  il  attend  le  passage 
des  poissons  dont  il  fait  sa  proie,  et  sur  lesquels  il 
tombe  en  plongeant  et  se  relevant  sans  s'arrêter  sur 
l'eau.  11  marche  le  cou  arqué  et  le  dos  voûté  ,  dans 
une  attitude  qui  paroît  gênée  et  avec  un  air  aussi 
triste  que  celui  du  héron.  Il  est  sauvage  et  se  tient 
loin  des  lieux  habités.  Ses  yeux,  placés  fort  près  de 
la  racine  du  bec,  lui  donnent  un  air  farouche.  Lors- 
qu'il est  pris,  il  fait  craquer  son  bec,  et,  dans  la  co- 
lère ou  l'agitation  ,  il  relève  les  longues  plumes  du 
sommet  de  sa  tête. 

Barrère  a  fait  trois  espèces  de  savacous,  que 
M.  Brisson  réduit  à  deux  et  qui  probablement  se  ré- 
duisent à  une  seule.  En  effet  le  savacou  gris  et  le  sa- 
vacou  brun  ne  diffèrent  notablement  entre  eux  que 
par  le  long  panache  que  porte  le  dernier  ;  et  ce  pa- 
nache pourroit  être  le  caractère  du  mâle  :  l'aulre,  que 
nous  soupçonnons  être  la  femelle,  a  un  commence- 
ment ou  un  indice  de  ce  même  caractère  dans  les 
plumes  tombantes  du  derrière  de  la  tête  ;  et  pour  la 
différence  du  brun  au  gris  dans  leur  plumage  ,  on 
peut  d'autant  plus  la  regarder  comme  étant  de  sexe 
ou  d'âge  qu'il  existe  dans  \esai:acou  varié  ^  une  nuance 
qui  les  approche.  Du  reste  ,  les  formes  et  les  propor- 
tions du  savacou  gris  et  du  savacou  brun  sont  enliè» 

\.    Rapporlé  de  Caycnnc  par  M.  Sonnini, 


LE    SAVACOU.  52  l 

remeni:  les  mêmes  ;  et  nous  sommes  d'autant  plus 
porté  à  n'admettre  ici  qu'une  seule  espèce,  que  la 
nature  ,  qui  semble  les  multiplier  en  se  jouant  sur  les 
formes  communes  et  les  traits  du  plan  général  de  ses 
ouvrages,  laisse  au  contraire  comme  isolées  et  jetées 
aux  confins  de  ce  plan  les  formes  singulières  qui  s'é- 
loignent de  cette  forme  ordinaire ,  comme  on  peut 
le  voir  par  les  exemples  de  la  spatule,  de  l'avocette, 
du  pbénicoptère  ,  etc.,  dont  les  espèces  sont  uniques 
et  n'ont  que  peu  ou  point  de  variétés. 

Le  savacou  brun  et  buppé  ,  n"  869,  que  nous  pre- 
nons pour  le  mâle ,  a  plus  de  gris  roux  que  de  gris 
bleuâtre  dans  son  manteau  ;  les  plumes  de  la  nuque 
du  cou  sont  noires  et  forment  un  panache  long  de 
sept  à  huit  pouces,  tombant  sur  le  doSc  Ces  plumes 
sont  flottantes,  et  vqueiques  unes  ont  jusqu'à  huit  li- 
gnes de  largeur. 

Le  savacou  gris ,  n°  58  ,  qui  nous  paroît  être  la  fe- 
melle, a  tout  le  manteau  gris-blanc  bleuâtre,  avec 
une  petite  zone  noire  sur  le  haut  du  dos  ;  le  dessous 
du  corps  est  noir  mêlé  de  roux;  le  devant  du  cou  et 
le  front  sont  blancs  ;  la  coifie  de  la  tête ,  tombant 
derrière  en  pointe,  est  d'un  noir  bleuâtre. 

L'un  et  l'autre  ont  la  gorge  nue  :  la  peau  qui  la  re- 
couvre paroît  susceptible  d'un  renflement  considé- 
rable ;  c'est  apparemment  ce  que  veut  dire  Barrère 
par  inglavle  extuherantc.  Cette  peau,  suivant  Marc- 
grave ,  est  jaunâtre,  ainsi  que  les  pieds;  les  doigts 
sont  grêles  et  les  phalanges  en  sont  longues.  On  peut 
encore  remarquer  que  le  doigt  postérieur  est  articulé 
à  côté  du  talon,  près  du  doigt  extérieur ,  comme  dans 
les  hérons.  La  queue  est  courte  et  ne  passe  pas  l'aile 


Oaa  LE    SAVACÛU. 

pliée.  La  longueur  totale  de  loi^eaii  est  d'environ 
vingt  pouces.  Nous  devons  observer  que  nos  mesures 
ont  été  prises  sur  des  individus  un  peu  plus  grands 
que  celui  qu'a  décrit  M.  Brisson,  qui  étoit  proba- 
blement un  jeune. 


LA  SPATULE*. 

Platalea  leucorodia,  L. 

Quoique  la  spatule,  n**  [\o^,  soit  d'une  figure  très 
caractérisée,  et  même  singulière,  les  nomenclateurs 
n'ont  pas  laissé  de  la  confondre,  sous  des  dénomina- 
tions impropres  et  étrangères,  avec  des  oiseaux  tout 
différents  :  ils  l'ont  appelée  héron  blanc  et  pélican^ 
quoiqu'elle  soit  d'une  espèce  différente  de  celle  du 
héron,  et  même  du  genre  fort  éloigné  de  celui  du 
véritable  pélican  ;  ce  que  Belon  reconnoît,  en  même 
temps  qu'il  lui  donne  le  nom  de  poche j,  qui  n'appar- 
tient encore  qu'au  pélican,  et  celui  de  cuiller^  qui 
désigne  plutôt  le  phénicoptère  ou  flaramant,  qu'on 
appelle  bec  à  cuiller.  Le  nom  de  pale  ou  palette  con- 
viendroit  mieux,  en  ce  qu'il  se  rapproche  de  celui 
de  spatule^  que  nous  avons  adopté,  parce  qu'il  a  été 
reçu  ,  ou  son  équivalent ,  dans  la  plupart  des  langues^ 
et  qu'il  caractérise  la  forme  extraordinaire  du  bec  de 
cet  oiseau.  Ce  bec,  aplati  dans  toute  sa  longueur, 
s'élargit  en  effet  vers  l'extrémité  en  manière  de  spa- 
tule,  et  se  termine  en  deux  plaques  arrondies,  trois 

1.    En  latin ,  plaiea ,  plalaiea;  en  italien,    beccaroveglia  ;  eu    alîe- 
inand  ,  peiecan ,  locfjler ;  en  anglois,  spoonhill ,  slwveUer. 


Tome.  2,6, 


'aumiet  Gûulp. 


I  L/v  SPATULE,  2. LA  BECASSE  3.  LE  SAVACOU, 


* 


LA    SPATULE.  020 

fois  aussi  larges  que  le  corps  du  bec  même;  configu- 
ration d'après  laquelle  Klein  donne  à  cet  oiseau  le 
surnom  anomaloroster.  Ce  bec  ,  anomal  en  effet  par 
sa  forme  ,  lest  encore  par  sa  substance ,  qui  n'est  pas 
ferme  ,  mais  flexible  comme  du  cuir,  et  qui  par  con- 
séquent est  très  peu  propre  à  l'action  que  Cicéron  et 
Pline  lui  attribuent ,  en  appliquant  mal  à  propos  à  la 
spatule  ce  qu'Aristote  a  dit,  avec  beaucoup  de  vérité, 
du  pélican;  savoir,  qu'il  fond  sur  les  oiseaux  plon- 
geurs et  leur  fait  relâcher  leur  proie  en  les  mordant 
fortement  par  la  tète  :  sur  quoi ,  par  une  méprise  in- 
verse ,  on  a  attribué  au  pélican  le  nom  de  platea^  qui 
appartient  réellement  à  la  spatule.  Scaliger,  au  lieu 
de  rectifier  ces  erreurs,  en  ajoute  d'autres  :  après 
avoir  confondu  la  spatule  et  le  pélican,  il  dit,  d'a- 
près Suidas,  que  le  pelicanos  est  le  même  que  le  den- 
drocolaptes  (coupeur  d'arbres) ,  qui  est  le  plc^;  et, 
transportant  ainsi  la  spatule  du  bord  des  eaux  au  fond 
des  bois,  il  lui  fait  percer  les  arbres  avec  un  bec  uni- 
quement propre  à  fendre  l'eau  ou  fouiller  la  vase. 

En  voyant  la  confusion  qu'a  répandue  sur  la  nature 
cette  multitude  de  méprises  scientifiques,  cette  fausse 
érudition,  entassée  sans  connoissance  des  objets,  et 
ce  chaos  des  choses  et  des  noms  encore  obscurcis  par 
les  nomenclateurs ,  je  n'ai  pu  m'empêcher  de  sentir 
que  la  nature,  partout  belle  et  simple,  eût  été  plus 
facile  à  connoître  en  elle-même  qu'embarrassée  de 
nos  erreurs  ou  surchargée  de  nos  méthodes,  et  que 
malheureusement  on  a  perdu ,  pour  les  établir  et  \eîî 
discuter,  le  temps  précieux  qu'on  eût  employé  à  la 
contempler  et  à  la  peindre. 

1.   Voyez  V histoire  des  Pics,  page  7  de  ce  volume. 


024  LA    SPATULE. 

La  spatule  est  toute  blanche  :  elle  est  de  Ja  gros- 
seur du  héron  ;  mais  elle  a  les  pieds  moins  hauts  et  le 
cou  moins  long  et  garni  de  petites  plumes  courtes  : 
celles  du  bas  de  la  tôle  sont  longues  et  étroites  ;  elles 
forment  un  panache  qui  retombe  en  arrière.  La  gorge 
est  couverte  et  les  yeux  sont  entourés  d'une  peau 
nue.  Les  pieds  et  le  nu  de  la  jambe  sont  couverts 
d'une  peau  noire,  dure,  et  écailleuse;  une  portion  de 
membrane  unit  les  doigts  vers  leur  jonction,  et,  par 
son  prolongement ,  les  frange  et  les  borde  légère- 
ment jusqu'à  l'extrémité.  Des  ondes  noires,  transver- 
sales se  marquent  sur  le  fond  de  couleur  jaunâtre  du 
bec,  dont  l'extrémité  est  d'un  jaune  quelquefois  mêlé 
de  rouge  ;  un  bord  noir  tracé  par  une  rainure  forme 
comme  un  ourlet  relevé  tout  autour  de  ce  bec  sin- 
gulier, et  l'on  voit  en  dedans  une  longue  gouttière 
sous  la  mandibule  supérieure;  une  petite  pointe  re- 
courbée en  dessous  termine  l'extrémité  de  cette  es- 
pèce de  palette,  qui  a  vingt-trois  lignes  dans  sa  plus 
grande  largeur  et  paroît  intérieurement  sillonnée  de 
petites  stries  qui  rendent  sa  surface  un  peu  rude  et 
moins  lisse  qu'elle  ne  l'est  en  dehors.  Près  de  la  tête, 
la  mandibule  supérieure  est  si  large  et  si  épaisse  que 
le  fond  semble  y  être  entièrement  engagé  :  les  deux 
mandibules,  près  de  leur  origine,  sont  également 
garnies  intérieurement,  vers  les  bords,  de  petits  tu- 
bercules ou  mamelons  sillonnés,  lesquels  ou  servent  à 
broyer  les  coquillages  que  le  bec  de  la  spatule  est  tout 
propre  à  recueillir,  ou  à  retenir  et  arrêter  une  proie 
glissante;  car  il  paroît  que  cet  oiseau  se  nourrit  éga- 
lement de  poissons,  de  coquillages,  d'insectes  aqua- 
tiques, et  de  vers. 


LA    SÎ>ATULF..  J^J 

La  spatule  habite  les  bords  de  la  mer  et  ne  se 
trouve  que  rarement  dans  l'intérieur  des  terres,  si  ce 
n'est  sur  quelques  lacs  et  passagèrement  aux  bords 
des  rivières  :  elle  préfère  les  côtes  marécageuses  ;  on 
la  voit  sur  celles  du  Poitou,  de  la  Bretagne,  de  la 
Picardie  ,  et  de  la  Hollande  :  quelques  endroits  sont 
même  renommés  par  ratïluence  des  spatules  qui  s'y 
rassemblent  avec  d'autres  espèces  aquatiques  ;  tels 
sont  les  marais  de  Sevenlmls^  près  de  Leyde. 

Ces  oiseaux  font  leur  nid  à  la  sommité  des  grands 
arbres  voisins  des  côtes  de  la  mer  et  le  construisent 
de  bûchettes;  ils  produisent  trois  ou  quatre  petits;  ils 
font  grand  bruit  sur  ces  arbres  dans  le  temps  des  ni- 
chées et  y  reviennent  régulièrement  tous  les  soirs  se 
percher  pour  dormir. 

De  quatre  spatules  décrites  par  MM.  de  l'Académie 
des  Sciences,  et  qui  étoient  toutes  blanches,  deux 
avoienl  un  peu  de  noir  au  bout  de  l'aile  ;  ce  qui  ne 
marque  pas  une  différence  de  sexe ,  comme  Aldro- 
vande  l'a  cru,  ce  caractère  s'étant  trouvé  également 
dans  un  mâle  et  dans  une  femelle.  La  langue  de  la 
spatule  et  très  petite,  de  forme  triangulaire,  et  n'a  pas 
trois  lignes  en  toutes  dimensions;  l'œsophage  se  di- 
late en  descendant,  et  c'est  apparemment  dans  cet 
élargissement  que  s'arrêtent  et  se  digèrent  les  pe- 
tites moules  et  autres  coquillages  que  la  spatule  avale 
et  qu'elle  rejette  quand  la  chaleur  du  ventricule  en  a 
fondu  la  chair  ;  elle  a  un  gésier  doublé  d'une  mem- 
brane calleuse,  comme  les  oiseaux  granivores;  mais 
au  lieu  des  cœcumSj  qui  se  trouvent  dans  ces  oiseaux 
à  gésier,  on  i\e  lui  remarque  que  deux  petites  éoii- 
nences  très  courtes  à  l'extrémité  de  V iléon;  les  intes- 

BUFFON.     XXV.  21 


02i)  LA    SPATULE. 

lins  ont  sept  pieds  de  longuenr;  la  trachée-artèfe  est 
semblable  à  celle  de  la  grue  et  fait  dans  le  thorax 
une  double  inflexion;  le  cœur  a  un  péricarde  ,  quoi- 
que Aldrovande  dise  n'en  avoir  point  trouvé. 

Ces  oiseaux  s'avancent  en  été  jusque  dans  la  Both- 
nie occidentale  et  dans  la  Laponie ,  où  l'on  en  voit 
quelques  uns,  suivant  Linnxeus;  en  Prusse  ,  où  ils  ne 
paroissent  également  qu'en  petit  nombre  et  où,  du- 
rant les  pluies  d'automne,  ils  passent  en  venant  de 
Pologne;  Rzaczynski  dit  qu'on  en  voit,  mais  rare- 
ment, en  Volhynie  ;  il  en  passe  aussi  quelques  uns  en 
Silésie  dans  les  mois  de  septembre  et  d'octobre^;  ils 
habitent,  comme  nous  l'avons  dit,  les  côtes  occiden- 
tales de  la  France;  on  en  retrouve  sur  celles  d'Afri- 
que, à  Bissao,  vers  Sierra-Leona;  en  Egypte,  selon 
Granger;  au  cap  de  Bonne-Espérance,  où  Kolbe  dit 
qu'ils  vivent  de  serpents  autant  que  de  poissons,  et 
où  on  les  appelle  stangen-vreeter ^  mange-serpents. 
M.  Commerson  a  vu  des  spatules  à  Madagascar,  où 
ses  insulaires  leur  donnent  le  nom  de  fanga-liam- 
bavOj  c'est-à-dire  bêche  au  bec.  Les  INègres,  dans 
quelques  cantons,  appellent  ces  oiseaux  vang-van^  et 
dans  d'autres  vourou-doulon^  oiseau  du  diable,  par 
des  rapports  superstitieux  2.  L'espèce,  quoique  peu 
nombreuse,  est  donc  très  répandue,  et  semble  même 
avoir  fait  le  tour  de  l'ancien  continent.  M.Sonneratl'a 

1.  Aviav.  Siles.,  page  3i4.  Scwhenckfeld  en  cet  endroil  paroît  con- 
fondre le  pélican  avec  la  spatule  ,  puisqu'il  y  rapporte,  d'après  Isidore 
et  saint  Jérôme  ,  la  fable  de  la  résurrection  des  petits  du  pélican  par 
le  sang  qu'il  verse  de  sa  poitrine  quand  le  serpent  les  lui  a  tués. 

2.  Les  Kègres  lui  donnent  ce  nom  parce  que  ,  lorsqu'ils  l'enlen- 
dent ,  ils  s'imaginent  que  son  cri  annonce  la  morl  à  quelqu'un  du  vil- 
lage. {Noie  communiquée  par  M.  Commerson.) 


LA    SPATL'LK.  O27 

trouvée  jusqu'aux  îles  Philippines;  et,  quoiqu'il  en 
distingue  deux  espèces,  le  manque  de  huppe,  qui  est 
la  principale  différence  de  Tune  et  de  l'autre ,  ne 
nous  paroît  pas  former  un  caractère  spécifique;  et, 
jusqu'à  ce  jour,  nous  ne  connoissons  qu'une  seule  es- 
pèce de  spatule,  qui  se  trouve  être  à  peu  près  la  môme 
du  nord  au  midi,  dans  tout  l'ancien  continent  :  elle 
se  trouve  aussi  dans  le  nouveau,  et  quoiqu'on  ait  en- 
core ici  divisé  l'espèce  en  deux ,  on  doit  les  réunir  en 
une,  et  convenir  que  la  ressemblance  de  ces  spatules 
d'Amérique  avec  celles  d'Europe  est  si  grande  qu'on 
doit  attribuer  leurs  petites  diÛerences  à  l'impression 
du  climat. 

La  spatule  d'Amérique,  n°  i65,  est  seulement  un 
peu  moins  grande  dans  toutes  ses  dimensions  que 
celle  d'Europe.  Elle  en  diffère  encore  par  la  couleur 
de  rose  ou  d'incarnat  qui  relève  le  fond  blanc  de  son 
plumage  sur  le  coUj  le  dos,  et  les  flancs;  les  ailes 
sont  plus  fortement  colorées,  et  la  teinte  de  rouge  va 
jusqu'au  cramoisi  sur  les  épaules  et  les  couvertures 
de  la  queue,  dont  les  pennes  sont  rousses;  la  côte  de 
celles  de  l'aile  est  marquée  d'un  beau  carmin  ;  la  tête, 
comme  la  gorge,  est  nue  :  ces  belles  couleurs  n'ap- 
partiennent qu'à  la  spatule  adulte;  car  on  en  trouve 
de  bien  moins  rouges  sur  tout  le  corps,  et  encore 
presque  toutes  blanches,  qui  n'ont  point  la  tête  dé- 
garnie ,  et  dont  les  pennes  de  l'aile  sont  en  partie 
brunes,  restes  de  la  livrée  du  premier  âge.  Barrère 
assure  qu'il  se  fait  dans  le  plumage  des  spatules  d'A- 
mérique le  même  progrès  en  couleur  avec  l'âge  que 
dans  plusieurs  autres  oiseaux,  comme  les  courlis 
rouges  et  les  phénicoptères  ou  flammants ,  qui  dans 


7)9.H  LA    S  PAT  r  LE, 

leurs  premières  années  sont  presque  tout  gris  ou  tout 
blancs  et  ne  deviennent  rouges  qu'à  la  troisième 
année  ;  il  résulte  de  là  que  l'oiseau  couleur  de  rose 
du  Brésil,  ou  Vajaia  de  Marcgrave ,  décrit  dans  son 
premier  âge  avec  les  ailes  d'un  incarnat  tendre,  et 
la  spatule  cramoisie  de  la  JNouvelle-Espagne  ou  la 
tlauhquechui  de  Fernandès,  décrite  dans  l'âge  adulte, 
ne  sont  qu'un  seul  et  même  oiseau.  Marcgrave  dit 
qu'on  en  voit  quantité  sur  la  rivière  de  Saint-Fran' 
cols  ou  de  Séréi^ippe^  et  que  sa  chair  est  assez  bonne. 
Fernandès  lui  donne  les  mêmes  habitudes  qu'à  noire 
spatule,  de  vivre  ,  au  bord  de  la  mer,  de  petits  pois- 
sons, qu'il  faut  lui  donner  vivants  quand  on  veut  la 
nourrir  en  domesticité^,  ayant ^  àil-'û ,  expérimenté 
(ju'etle  ne  touche  point  aux  poissons  morts'^. 

Cette  spatule  couleur  de  rose  se  trouve  dans  le 
nouveau  continent,  comme  la  blanche  dans  l'ancien, 
sur  une  grande  étendue,  du  nord  au  midi,  depuis 
les  côtes  de  la  Nouvelle-Espagne  et  de  la  Floride  jus- 
qu'à la  Guiane  et  au  Brésil  :  on  la  voit  aussi  à  la  Ja- 
maïque et  vraisemblablement  dans  les  autres  îles  voi- 
sines. Mais  l'espèce,  peu  nombreuse,  n'est  nulle  part 
rassemblée  :  à  Cayenne ,  par  exemple,  il  y  a  peut- 
être  dix  fois  plus  de  courlis  que  de  spatules;  leurs 
plus  grandes  troupes  sont  de  neuf  ou  dix  au  plus, 
communément  de  deux  ou  trois,  et  souvent  ces  oi- 


1.  La  spatule  d'Europe  ne  refuse  pas  de  vivre  en  captivité.  On  peut, 
dit  Belon,  la  ncnurir  d'intestins  de  Tolailles.  Klein  en  a  long -temps 
conservé  une  dans  un  jardin,  quoiqu'elle  eût  l'aile  cassée  d'un  coup 
de  l'eu. 

2.  C'est  ijp[i.trenîuienl  de  celle  particularité  que  ]Niereml>erg  :i  pris 
occasion  de  l'appeler  avis  vivivora. 


LA    SPATULE.  Ssg 

seaux  sont  accompagnés  de  phéiiicoptèies  ou  flaui- 
inants.  On  voit  le  matin  et  le  soir  les  spatules  au  bord 
de  la  mer,  ou  sur  des  troncs  flottants  près  de  la  rive; 
mais  vers  le  milieu  du  jour,  dans  le  temps  de  la  plus 
grande  chaleur,  elles  entrent  dans  les  criques  et  se 
perchent  très  haut  sur  les  arbres  aquatiques  :  néan- 
moins elles  sont  peu  sauvages  ;  elles  passent  en  mer 
très  près  des  canots  et  se  laissent  approcher  assez  à 
terre  pour  qu'on  les  tire,  soit  posées,  soit  au  vol. 
Leur  beau  plumage  est  souvent  sali  par  la  vase  où  elles 
entrent  fort  avant  pour  pécher.  M.  de  La  Borde,  qui  a 
t'ait  ces  observations  sur  leurs  mœurs,  nous  confirme 
celle  de  Barrère  au  sujet  de  la  couleur  et  nous  assure 
que  ces  spatules  de  la  Guiane  ne  prennent  qu'avec 
îYige  et  vers  la  troisième  année  cette  belle  couleur 
rouge,  et  que  les  jeunes  sont  presque  entièrement 
blanches. 

M.  Bâillon,  auquel  nous  devons  un  grand  nombre 
de  bonnes  observations  ,  admet  deux  espèces  de  spa- 
tules et  me  mande  que  toutes  deux  passent  ordinai- 
rement sur  les  côtes  de  Picardie  dans  les  mois  de 
novembre  et  d'avril,  et  que  ni  l'une  ni  l'autre  n'y 
séjournent;  elles  s'arrêtent  un  jour  ou  deux  près  de  la 
mer  et  dans  les  marais  qui  en  sont  voisins  :  elles  ne 
sont  pas  en  nombre  et  paroissent  être  très  sauvages. 

La  première  est  la  spatule  commune ,  qui  est  d'un 
blanc  fort  éclatant  et  n'a  point  de  huppe.  La  seconde 
espèce  est  huppée  et  plus  petite  que  l'autre,  et 
M.  Bâillon  croit  que  ces  différences  ,  avec  quelques 
aulres  variétés  dans  les  couleurs  du  bec  et  du  plu- 
mage ,  sont  suffisantes  pour  en  faire  deux  espèces  dis- 
tinctes et  séparées. 


ÔÔO  LA    SPATULE 

11  est  aussi  persuadé  que  toutes  les  spatules  nais- 
sent grises  comme  les  hérons-aigrettes,  auxquels  elles 
ressemblent  par  la  forme  du  corps,  le  vol,  et  les  au- 
tres habitudes;  il  parle  de  celles  de  Saint-Domingue 
comme  formant  une  troisième  espèce;  mais  il  nous 
paroît,  par  les  raisons  que  nous  avons  exposées  ci- 
devant  ,  que  ce  ne  sont  que  des  variétés  qu'on  peut 
réduire  à  une  seule  et  même  espèce,  parce  que  l'in- 
stinct et  toutes  les  habitudes  naturelles  qui  en  résul- 
tent sont  les  mêmes  dans  ces  trois  oiseaux. 

M.  Bâillon  a  observé  sur  cinq  de  ces  spatules,  qu'il 
s'est  donné  la  peine  d'ouvrir,  que  toutes  avoient  le  sac 
rempli  de  chevrettes,  de  petits  poissons,  et  d'insectes 
d'eau  ;  et  comme  leur  langue  est  presque  nulle  et 
que  leur  bec  n'est  ni  tranchant  ni  garni  de  dente- 
lures, il  paroît  qu'elles  ne  peuvent  guère  saisir  ni 
avaler  des  anguilles  ou  d'autres  poissons  qui  se  dé- 
fendent, et  qu'elles  ne  vivent  que  de  très  petits  ani- 
maux; ce  qui  les  oblige  à  chercher  continuellement 
leur  nourriture. 

Il  y  a  apparence  que  ces  oiseaux  font,  dans  de 
certaines  circonstances,  le  même  claquement  que 
les  cigognes  avec  leur  bec;  car  M.  Bâillon,  en  ayant 
blessé  un ,  observa  qu'il  faisoit  ce  bruit  de  claque- 
ment et  qu'il  l'exécutoit  en  faisant  mouvoir  très  vite 
et  successivement  les  deux  pièces  de  son  bec,  quoi- 
que ce  bec  soit  si  foible  qu'il  ne  peut  serrer  le  doigt 
que  mollement. 


LA    BECASSE.  .^J  I 


J  «^O^-f****»©-^®  ff*e,(Kv«  M  (yg  »ft-Kj  «iç  e  >f<y8  o^o 


LA  BECASSE\ 

Scolopax  rusticola,  L^ 

• 
La  bécasse  est  peut-être  de  tous  les  oiseaux  de  pas- 
sage celui  dont  les  chasseurs  font  le  plus  de  cas,  tant 
à  cause  de  l'excellence  de  sa  chair  que  de  la  facilité 
qu'ils  trouvent  à  se  saisir  de  ce  bon  oiseau  stupide  , 
qui  arrive  dans  nos  bois  vers  le  milieu  d'octobre,  en 
même  temps  que  les  grives.  La  bécasse,  n"  8o5 , 
vient  donc,  dans  cette  saison  de  chasse  abandanle, 
augmenter  encore  la  quantité  du  bon  gibier  ^  :  elle 
descend  alors  des  hautes  montagnes  où  elle  habite 
pendant  l'été  et  d'où  les  premiers  frimas  détermi- 
nent son  départ  et  nous  l'amènent  ;  car  ses  voyages 
ne  se  font  qu'en  hauteur  dans  la  région  de  l'air  et  non 
en  longueur,  comme  se  font  les  migrations  des  oi- 
seaux qui  voyagent  de  contrée  en  contrée.  C'est  du 
sommet  des  Pyrénées  et  des  Alpes,  où  elle  passe 
l'été  ,  qu'elle  descend  aux  premières  neiges  qui  tom- 
bent sur  ces  hauteurs  dès  le  commencement  d  octo- 

1.  En  \aiin ,  per  dix  rusticat  rusticula;  en  italien,  becassa ,  becac- 
cia,  gaUinella,  gallina  arciera ,  ou  ruslicella  et  salvaiica;  en  anglois, 
xvood-cock  (de  wood-cock  on  avoit  fait  dans  l'ancien  françois  wit-coc , 
et  ensuite  vit-de-coq  :  Belon  corrige  déjà  cette  dénomination  ridicule; 
elle  se  conserve  encore  en  Normandie.  )  Le  mot  bécasse  s'écrivoit  an- 
ciennement béquasse. 

2.  Le  temps  de  sa  chasse  est  bien  désigné  dans  le  poêle  Nemesianu-s  : 

Quum  iienius  omne  suo  viridi  spolialur  honore, 
....  prieda  est  facilis  et  amœna  scolopax. 


33:i  LA    BÉCASSE. 

bre,  pour  venir  dans  les  bois  des  collines  inférieu- 
res et  jusque  dans  nos  plaines. 

Les  bécasses  arrivent  la  nuit  et  quelquefois  le  jour, 
par  un  temps  sombre  ,  toujours  une  à  une  ou  Jeux 
ensemble  et  jamais  en  troupes.  Elles  s'abattent  dans 
les  grandes  haies,  dans  les  taillis,  dans  les  futaies, 
et  préfèrent  les  bois  où  il  y  a  beaucoup  de  terreau 
et  de  feuilles  tombées;  elles  s'y  tiennent  retirées 
et  tapies  tout  le  jour,  et  tellement  cachées  qu'il 
faut  des  chiens  pour  les  faire  lever,  et  souvent  elles 
partent  sous  les  pieds  du  chasseur.  Elles  quittent  ces 
endroits  fourrés  et  le  fort  du  bois  à  l'entrée  de  la 
nuit,  pour  se  répandre  dans  les  clairières,  en  suivant 
les  sentiers;  elles  cherchent  les  terres  molles  ,  les  pâ- 
quis  humides  à  la  rive  du  bois,  et  les  petites  mares, 
où  elles  vont  pour  se  laverie  bec  et  les  pieds  qu'elles 
se  sont  remplis  de  terre  en  cherchant  leur  nourri- 
ture. Toutes  ont  les  mêmes  allures,  et  l'on  peut 
dire  en  général  que  les  bécasses  sont  des  oiseaux  sans 
caractère  et  dont  les  habitudes  individuelles  dépen- 
dent toutes  de  celles  de  l'espèce  entière. 

La  bécasse  bat  des  ailes  avec  bruit  en  partant  :  elle 
fde  assez  droit  dans  une  futaie;  mais  dans  les  taillis 
elle  est  obligée  de  faire  souvent  le  crochet.  Elle  plonge 
en  volant  derrière  les  buissons  pour  se  dérober  à 
l'œil  du  chasseur.  Son  vol,  quoique  rapide,  n'est  ni 
élevé  ni  long-temps  soutenu  ;  elle  s'abat  avec  tant  de 
promptitude  ,  qu'elle  semble  tomber  comme  une 
masse  abandonnée  à  toute  sa  pesanteur.  Peu  d'in- 
stants après  sa  chute  elle  court  avec  vitesse;  mais 
bientôt  elle  s'arrête,  élève  la  tête,  regarde  de  tous 
côtés  pour  se  rassurer  avant  d'enfoncer  son  bec  dans 


LA    BÉCASSE.  335 

Ja  terre.  Pline  compare  avec  raison  la  bécasse  à  la 
perdrix,  pour  la  célérité  de  sa  course,  car  elle  se 
dérobe  de  même  ;  et  lorsqu'on  croit  la  trouver  où  elle 
s'est  abattue,  elle  a  déjà  pietté  et  fui  à  une  grande 
distance, 

II  paroît  que  cet  oiseau  ,  avec  de  grands  yeux,  ne 
voit  bien  qu'au  crépuscule ,  et  qu'il  est  offensé  d'une 
lumière  plus  forte  :  c'est  ce  que  semblent  prouver  ses 
allures  et  ses  mouvements ,  qui  ne  sont  jamais  si  vifs 
qu'à  la  nuit  tombante  et  à  l'aube  du  jour;  et  ce  désir 
de  changer  de  lieu  avant  le  lever  ou  après  le  coucher  du 
soleil  est  si  pressant  et  si  profond  qu'on  a  vu  des  bécas- 
ses renfermées  dans  une  chambre  prendre  régulière- 
ment un  essor  de  vol  tous  les  matins  et  tons  les  soirs, 
tandis  que,  pendant  le  jour  ou  la  nuit;  elles  ne  fai- 
soient  que  pietter  sans  s'élancer  ni  s'élever;  et  appa- 
remment les  bécasses  dans  les  bois  restent  tranquilles 
quand  la  nuit  est  obscure;  mais  lorsqu'il  y  a  clair  de 
lune,  elles  se  promènent  en  cherchant  leur  nourri- 
ture :  aussi  les  chasseurs  nomment  la  pleine  lune  de 
novembre  la  lune  des  bécasses  ^  parce  que  c'est  alors 
qu'on  en  prend  un  grand  nombre.  Les  pièges  se  ten- 
dent ou  la  nuit  ou  le  soir  ;  elles  se  prennent  à  la  pan- 
tenne,  au  rejet,  au  lacet;  on  les  tue  au  fusil  sur  les 
mares,  sur  les  ruisseaux  et  les  gués  à  la  chute.  La 
pantenne  ou  pantière  est  un  filet  tendu  entre  deux 
grands  arbres ,  dans  les  clairières  et  à  la  rive  des 
boîs  où  l'on  a  remarqué  qu'elles  arrivent  ou  passent 
dans  le  vol  du  soir.  La  chasse  sur  les  mares  se  fait 
aussi  le  soir  :  le  chasseur ,  cabane  sous  une  feuillée 
épaisse ,  à  portée  du  ruisseau  ou  de  la  mare  fréquentée 
par  les  bécasses  et  qu'il   approprie  encore  pour  les 


554  ^^    Bî^  CASSE. 

attirer,  les  altend  à  la  chiUe;  et  peu  de  temps  après 
lo  coucher  du  soleil ,  surtout  par  les  vents  doux  de 
sud  et  de  sud-ouest,  elles  ne  manquent  pas  d'arriver 
une  à  une  ou  deux  ensemble  et  s'abattent  sur  l'eau  , 
où  le  chasseur  les  tire  presque  à  coup  sûr.  Cependant 
cette  chasse  est  moins  fructueuse  et  plus  incertaine 
que  colle  qui  se  fait  aux  pièges  dormants,  tendus 
dans  les  sentiers  et  qu'on  appelle  7'ejets  ^  :  c'est  une 
baguette  de  coudrier  ou  d'autre  bois  flexible  et  élas- 
tique ,  plantée  en  terre  et  courbée  en  ressort ,  as- 
sujettie près  du  terrain  à  un  trébuchet  que  couronne 
un  nœud  coulant  de  crin  ou  de  ficelle  ;  on  embar- 
rasse de  branchages  le  reste  du  sentier  où  l'on  a  placé 
le  rejet;  ou  bien  si  l'on  tend  sur  les  pâquis,  on  y 
pique  des  genêts  ou  des  genièvres  en  files,  plies  de 
manière  qu'il  ne  reste  que  le  petit  passage  qu'occupe 
le  piège,  afin  de  déterminer  la  bécasse,  qui  suit  les 
sentiers  et  n'aime  pas  s'élever  ou  sauter,  à  passer  le 
pas  du  trébuchet,  qui  part  dès  qu'il  est  heurté;  et  l'oi- 
seau ,  saisi  par  le  nœud  coulant,  est  emporté  en  l'air 
par  la  branche  qui  se  redresse.  La  bécasse,  ainsi  sus- 
pendue, se  débat  beaucoup  ,  et  le  chasseur  doit  faire 
plus  d'une  tournée  dans  sa  tendue  le  soir  et  plus 
d'une  encore  sur  la  fin  de  la  nuit  :  sans  quoi  le  re- 
nard, chasseur  plus  diligent  et  averti  de  loin  parles 
battements  d'ailes  de  ces  oiseaux,  arrive  et  les  em- 
porte les  uns  après  les  autres;  et  sans  se  donner  le 
temps  de  les  manger,  il  les  cache  en  différents  en- 
droits pour  les  retrouver  au  besoin.  Au  reste,  on  re-^ 
connoît  les  heux  que  hante  la  bécasse  à  ses  fientes  , 

i.   Eu  Bourgogne,  regipeaux;  eu  Champagne  et  en  Loi  raine,  re- 
^impeanx. 


LA    BÉCASSE.  555 

qui  sont  de  larges  fécules  blanches  et  sans  odeur. 
Pour  l'attirer  sur  les  pâquis  où  il  n'y  a  point  de  sen- 
tiers ,  on  y  trace  des  sillons  :  elle  les  suit,  cberchant 
les  vers  dans  la  terre  remuée,  et  donne  en  meine 
temps  dans  les  collets  ou  lacets  de  crin  disposés  le 
long  du  sillon. 

Mais  n'est-ce  pas  trop  de  pièges  pour  un  oiseau 
qui  n'en  sait  éviter  aucun?  La  bécasse  est  d'un  instinct 
obtus  et  d'un  naturel  stupide  ;  elle  est  moult  sotte 
bête ^  dit  Belon.  Elle  l'est  vraiment  beaucoup  si  elle 
se  laisse  prendre  de  la  manière  qu'il  raconte  et  qu'il 
nomme  folâtrerîe.  Un  homme  couvert  d'une  cape 
couleur  de  feuille  sèche,  marchant  courbé  sur  deux 
courtes  béquilles  ,  s'approche  doucement,  s'arrêlant 
lorsque  la  bécasse  le  fixe,  continuant  d'aller  lors- 
qu'elle recommence  à  errer,  jusqu'à  ce  qu'il  la  voie 
arrêtée  la  tète  basse;  alors,  frappant  doucement  de 
ses  deux  bâtons  l'un  contre  l'autre,  la  bécasse  s'y  amu- 
sera et  affolera  tellement ^  dit  notre  naturaliste,  que 
le  chasseur  l'approchera  d'assez  près  pour  lui  passer 
un  lacet  au  cou. 

Est-ce  en  la  voyant  se  laisser  approcher  ainsi  que 
les  anciens  ont  dit  qu'elle  avoit  pour  l'homme  un 
merveilleux  penchant?  En  ce  cas  elle  le  placeroit 
bien  mal  et  dans  son  plus  grand  ennemi.  II  est  vrai 
qu'elle  vient,  en  longeant  les  bois,  jusque  dans  les 
haies  des  fermes  et  des  maisons  champêl  res.  Aristote 
le  remarque;  mais  Albert  se  trompe  en  disant  qu'elle 
cherche  les  lieux  cultivés  et  les  jardins,  pour  y  recueil- 
lir des  semences,  puisque  la  bécasse  ni  môme  aucua 
oiseau  de  son  genre  ne  touchent  aux  fruits  et  aux 
i^raines;   la  forme  de  leur  bec,  étroit,  très  long,  et 


7)7)6  LA    BÉCASSE. 

tendre  à  la  pointe  ,  leur  interdiroit  seule  cette  sorte 
d'aliment;  et  en  effet  la  bécasse  ne  se  nourrit  que  de 
vers'^  ;  elle  fouille  dans  la  terre  molle  des  petits  marais 
et  des  environs  des  sources,  sur  les  pâquis  fangeux 
et  dans  les  prés  humides  qui  bordent  les  bois.  Elle 
ne  gratte  point  la  terre  avec  les  pieds;  elle  détourne 
seulement  les  feuilles  avec  son  bec ,  les  jetant  brus- 
quement à  droite  et  à  gauche.  Il  paroît  qu'elle  cher- 
che et  discerne  sa  nourriture  par  l'odorat  plutôt  que 
par  les  yeux ,  qu'elle  a  mauvais  ;  mais  la  nature  semble 
lui  avoir  donné  dans  l'extrémité  du  bec  un  organe  de 
plus  et  un  sens  particulier  approprié  à  son  genre  de 
vie;  la  pointe  en  est  charnue  plutôt  que  cornée,  et  pa- 
roît susceptible  d'une  espèce  de  tact  propre  à  démê- 
ler l'aliment  convenable  dans  la  terre  fangeuse;  et  ce 
privilège  d'organisation  a  de  môme  été  donné  aux  bé- 
cassines et  apparemment  aussi  aux  chevaliers,  aux 
barges,  et  autres  oiseaux  qui  fouillent  la  terre  humide 
pour  trouver  leur  pâture  ^. 

Du  reste  le  bec  de  la  bécasse  est  rude,  et  comme 
barbelé  aux  côtés  vers  son  extrémité,  et  creusé  sur  sa 
longueur  de  rainures  profondes;  la  mandibule  supé- 


1.  Dès  qu'elles  entrent  dans  le  bois,  elles  courent  sur  les  tas  de 
feuilles  sèches  ,  elles  les  retournent  ou  les  écarlent  pour  prendre  les 
vers  qui  sont  dessous.  Les  bécasses  ont  cette  habitude  commune  avec 
les  vanneaux  et  les  pluviei's,  qui  les  prennent  par  le  même  moyen  sons 
l'herbe  ou  le  blé  vert.  ]^is  j'ai  observé  que  ces  derniers  oiseaux  ,  dont 
j'ai  élevé  plusieurs  dans  uym  jardin,  i'rappoient  la  terre  avec  le  pied 
autour  des  trous  où  il  y  avoit  des  vers ,  apparemment  pour  les  faire 
sortir  de  leur  retraite  au  moyen  de  la  commotion  ,  et  les  prenoient 
souvent  même  avant  qu'ils  fussent  entièrement  sortis  de  terre.  {Note 
communiquée  par  M.  Bâillon,  de  Montreuil-sur-mer.) 

2.  Celle  belle  lemarque  nous  est  communiquée  pnr  M.  Ilébcrl. 


LA    BKCASSK.  007 

rieure  forme  seule  la  pointe  arrondie  dn  bec,  en  dé- 
bordant la  mandibule  iniérienre,  qui  est  comme  tron- 
quée et  vient  s'adapter  en  dessous  par  un  joint  obli- 
que. C'est  de  la  longueur  de  son  bec  que  cet  oiseau 
a  pris  son  nom  dans  la  plupart  des  langues,  à  remon- 
ter jusqu'à  la  grecque^.  Sa  tôle,  aussi  remarquable 
que  son  bec ,  est  plus  carrée  que  ronde,  et  les  os  du 
crâne  font  un  angle  presque  droit  sur  les  orbites  des 
yeux.  Son  plumage,  qu'Aristote  compare  à  celui  du 
francolin  ,  est  trop  connu  pour  le  décrire  ;  et  les  beaux 
effets  de  clair-obscur  que  des  teintes  bâchées,  fon- 
dues, lavées  de  gris,  de  bistre  ,  et  de  terre  d'ombre, 
y  produisent,  quoique  dans  le  genre  sombre,  seroient 
difficiles  et  trop  longs  à  décrire  dans  le  détail. 

Nous  avons  trouvé  à  la  bécasse  une  vésicule  du  fiel, 
quoique  Belon  se  soit  persuadé  qu'elle  n'en  avoit 
point:  cette  vésicule  verse  sa  liqueur  par  deux  con- 
duits dans  le  duodénum.  Outre  les  deux  cœcums  or- 
dinaires, nous  en  avons  trouvé  un  troisième  placé  à 
environ  sept  pouces  des  premiers  et  qui  avoit  avec 
l'intestin  une  communication  tout  aussi  manifeste  ; 
mais  comme  nous  ne  l'avons  observé  que  sur  un  seul 
individu,  ce  troisième  cœcum  est  peut-être  une  va- 
riété individuelle,  ou  un  simple  accident.  Le  gésier 
est  musculeux,  doublé  d'une  membrane  ridée  sans 
adhérence;  on  y  trouve  souvent  de  petits  graviers, 
que  Toiseau  avale  sans  doute  en  mangeant  les  vers  de 
terre.  Le  tube  intestinal  a  deux  pieds  neuf  pouces  de 
longueur. 

Gesner  donne  la  grosseur  de  la  bécasse  avec  plus 

1.  Scolopax,  à  scoiops,  pal  ou  pieu.  —  ScoLopax ,  quod  rosira  palo 
{scolopos)  similia  vident ur. 


558  .  LA    BÉCASSE. 

de  justesse  en  l'égalant  à  la  perdrix  que  ne  fait  Aris- 
tote  ,  qui  la  compare  à  la  poule ,  et  cette  comparaison 
semble  nous  indiquer  que  la  race  commune  des  pou- 
les chez  les  Grecs  étoit  bien  plus  petite  que  la  nôtre. 
Le  corps  de  la  bécasse  est  en  tout  temps  fort  charnu 
et  très  gras  sur  la  fin  de  l'automne^;  c'est  alors  et 
pendant  la  plus  grande  partie  de  l'hiver  qu'elle  fait 
un  mets  recherché  2,  quoique  sa  chair  soit  noire  et 
ne  soit  pas  fort  tendre;  mais,  comme  chair  ferme, 
elle  a  la  propriété  de  se  conserver  long-temps;  on  la 
cuit  sans  ôter  les  entrailles,  qui  broyées  avec  ce 
qu'elles  contiennent,  font  le  meilleur  assaisonnement 
de  ce  giber.  On  observe  que  les  chiens  n'en  mangent 
point  :  il  faut  que  ce  fumet  ne  leur  convienne  pas 
et  même  qu'il  leur  répugne  beaucoup  ;  car  il  n'y  a 
guère  que  les  barbets  qu'on  puisse  accoutumer  à  rap- 
porter la  bécasse.  La  chair  des  jeunes  a  moins  de  fu- 
met, mais  elle  est  plus  tendre  et  plus  blanche  que 
celle  des  bécasses  adultes  ;  toutes  s'amaigrissent  à  me- 
sure que  le  printemps  s'avance  ;  et  celles  qui  restent 
en  été  sont,  dans  cette  saison,  dures,  sèches,  et  d'un 
fumet  trop  fort. 

C'est  à  la  fin  de  l'hiver,  c'est-à-dire  au  mois  de  mars, 
que  presque  toutes  les  bécasses  quittent  nos  plaines 
pour  retourner  sur  les  montagnes,  rappelées  par  l'a- 

1 .  Olina  et  Longolius  disent  qu'on  l'engraisse  avec  une  pâle  faite  de 
farine  de  blé  sarrasin  {farina  cCorzo)  et  de  figues  sèches  ;  ce  qui  nous 
jiaroit  difficile  pour  un  oiseau  si  sauvage,  et  inutile  pour  un  gibier 
aussi  gras  dans  sa  saison. 

2.  Il  paroît,  au  récit  d'Olina,  que  la  chasse  en  continue  toutl'hiver 
en  Italie.  Les  grands  froids  au  fort  de  l'hiver ,  dans  nos  provinces , 
obligent  les  bécasses  de  s'éloigner  un  peu  ;  cependant  il  en  reste  en- 
core quelques  unes  dans  nos  bois,  près  des  fontaines  cI^aude^. 


LA    BÉCASSE.  539 

mour  à  la  solitude,  si  douce  avec  ce  sentiment.  On 
voit  ces  oiseaux  au  printemps  partir  apparies;  ils  vo- 
lent alors  rapidement  et  sans  s'arrêter  pendant  la  nuit; 
mais  le  matin  ils  se  cachent  dans  les  bois  pour  y  passer 
la  journée  et  en  partent  le  soir  pour  continuer  leur 
route ^.  Tout  l'été  ils  se  tiennent  dans  les  lieux  les 
plus  solitaires  et  les  plus  élevés  des  montagnes  où  ils 
nichent,  comme  dans  celles  de  Savoie,  de  Suisse, 
du  Dauphiné,  du  Jura,  du  Bugey,  et  des  Vosges  :  il 
en  reste  quelques  uns  dans  les  cantons  élevés  de 
l'Angleterre  et  de  la  France ,  comme  en  Bourgogne, 
en  Champagne  ,  etc.  Il  n'est  pas  même  sans  exemple 
que  quelques  couples  de  bécasses  se  soient  arrêtées 
dans  nos  provinces  de  plaines  et  y  aient  niché,  re- 
tardées apparemment  par  quelques  accidents,  et  sur- 
prises dans  la  saison  de  l'amour  loin  des  lieux  où  les 
portent  leurs  habitudes  naturelles.  Edwards  a  pensé 
qu'elles  alloient  toutes,  comme  tant  d'autres  oiseaux, 
dans  les  contrées  les  plus  reculées  du  nord  :  appa- 
remment il  n'étoit  pas  informé  de  leur  retraite  aux 
montagnes  et  de  l'ordre  de  leurs  routes,  qui,  tracées 
sur  un  plan  différent  de  celui  des  autres  oiseaux,  ne 
se  portent  et  ne  s'étendent  que  de  la  montagne  à  la 
plaine  et  delà  plaine  à  la  montagne. 

La  bécasse  fait  son  nid  par  terre,  comme  tous  les 
oiseaux  qui  ne  se  perchent  pas  :  ce  nid  est  com- 
posé de  feuilles  ou  d'herbes  sèches,  entremêlées  de 
petits  brins  de  bois;  le  tout  rassemblé  sans  art  et 
amoncelé  contre  un  tronc  d'arbre,  ou  sous  une  grosse 
racine.  On  y  trouve  quatre  ou  cinq  œufs  oblongs  un 

1.   Observation  faite  par  M.  Bailiou  ,  de  Montreuil-sur-iiier. 


040  LA    BÉCASSE. 

peu  plus  gros  que  ceux  du  pigeon  commun  :  ils  sont 
d'un  gris  roussâtre,  marbré  d'ondes  plus  foncées  et 
noirâtres.  On  nous  a  apporté  un  de  ces  nids  avec  des 
œufs  dès  le  i5  avril.  Lorsque  les  petits  sont  éclos  ,  ils 
quittent  le  nid  et  courent ,  quoique  encore  couverts 
de  poil  follet;  ils  commencent  même  à  voler  avant 
d'avoir  d'autres  plumes  que  celles  des  ailes  :  ils  fuient 
aussi  voletant  et  courant  quand  ils  sont  découverts; 
on  a  vu  la  mère  et  le  père  prendre  sous  leur  gorge  un 
des  petits,  le  plus  foible  sans  doute,  et  remporter  ainsi 
à  plus  de  mille  pas.  Le  mâle  ne  quitte  pas  la  femelle 
tant  que  les  petits  ont  besoin  de  leurs  secours  :  il  ne 
fait  entendre  sa  voix  que  dans  le  temps  de  leur  édu- 
cation et  de  ses  amours;  car  il  est  muet,  ainsi  que  la 
femelle,  pendant  le  reste  de  l'année^.  Quand  elle 
couve,  le  mâle  est  presque  toujours  couché  près  d'elle 
etilssemblent  encore  Jouir  en  reposant  mutuellement 
leur  bec  sur  le  dos  l'un  de  l'autre.  Ces  oiseaux,  d'un 
naturel  solitaire  et  sauvage,  sont  donc  aimants  et  ten- 
dres :  ils  deviennent  même  jaloux;  car  l'on  voit  les 
mâles  se  battre  jusqu'à  se  jeter  par  terre  et  se  piquer 
à  coups  de  bec  ,  en  se  disputant  la  femelle  ;  ils  ne  de- 
viennent donc  stupides  et  craintifs  qu'après  avoir 
perdu  le  sentiment  de  l'amour,  presque  toujours  ac- 
compagné de  celui  du  courage. 

L'espèce  de  la  bécasse  est  universellement  répan- 
due; Aldrovande  et  Gesner  en  ont  fait  la  remarque. 

1.  Ces  petits  cris  ont  des  Ions  difi'érents,  passant  du  grave  à  l'aigu  , 
go,  go,  go,  go;  pidi ,  picli,  pidi;  cri,  cri,  cri,  cri  :  ces  derniers  semblent 
être  de  colère  entre  plusieurs  mâles  rassemblés.  Ils  ont  aussi  une  es- 
pèce de  croassement  ,  couan,  couan ,  et  un  certain  grondement ,  frou, 
frou,  frou,  lorsqu'ils  se  poursuivent. 


LA    BÉCASSE.  34 1 

On  la  trouve  dans  les  contrées  du  midi  comme  dans 
celles  du  nord,  dans  l'Ancien  et  dans  le  Nouveau- 
Monde  ;  on  la  reconnoît  dans  toute  l'Europe  ,  en  Ita- 
lie 5  en  Allemagne  ,  en  France,  en  Pologne ,  en  Russie, 
en  Silésie  ,  en  Suède,  en  Norwége,  et  jusqu'en  Groen- 
land, où  elle  a  le  nom  de  sauarsuck ^  et  où  ,  par  un 
composé  suivant  le  génie  de  la  langue,  les  Groenlan- 
dois  en  ont  un  pour  signifier  le  chasseur  aux  bécasses; 
en  Islande  la  bécasse  fait  partie  du  gibier  qui  abonde 
sur  cette  île,  quoique  semée  de  glaces;  on  la  retrouve 
aux  extrémités  septentrionales  et  orientales  de  l'Asie, 
où  elle  est  commune,  puisqu'elle  est  nommée  dans 
les  langues  kamtschadales,  koriaques,  et  kouriles, 
M.  Gmelin  en  a  vu  quantité  à  Mangasea  et  en  Sibérie 
sur  le  Jénisca  ;  et,  quoique  les  bécasses  y  soient  en 
grand  nombre  ,  elle  ne  font  qu'une  très  petite  partie 
de  cette   multitude  d'oiseaux  d'eau  et  de  rivage  de 
toute  espèce,  qui,  dans  cetle  saison,  se  rassemblent 
sur  les  bords  et  les  eaux  de  ce  fleuve. 

La  bécasse  se  trouve  de  même  en  Perse  ,  en  Egypte 
aux  environs  du  Caire  ;  et  ce  sont  apparemment  celles 
qui  vont  dans  ces  régions  qui  passent  à  Malte  en  no- 
vembre, par  les  vents  du  nord  et  de  nord-(^st,  et  ne 
s'y  arrêtent  qu'autant  qu'elles  y  sont  retenues  par  le 
vent.  En  Barbarie  elles  paroissent ,  comme  dans  nos 
contrées,  en  octobre  et  jusqu'en  mars  ;  et  il  est  assez 
singulier  que  cette  espèce  remplisse  en  même  temps 
le  nord  et  le  midi,  ou  du  moins  puisse  s'habituer 
dans  la  zone  torride ,  en  paroissant  naturelle  aux 
zones  froides;  car  M.  Adanson  a  trouvé  la  bécasse 
dans  les  îles  du  Sénégal  ;  d'autres  voyageurs  l'ont  vue 
en  Guinée  et  sur  la  côte  d'Or;  Kaenipfer  en  a  remar- 


JUII'FOIS,     XXV, 


342  LA    BÉCASSE. 

que  en  mer,  entre  la  Chine  et  le  Japon,  et  il  paroît 
que  Knox  les  a  aperçues  à  Ceylan.  Et  puisque  la  bé- 
casse occupe  tous  les  climats  et  se  trouve  dans  le  nord 
de  l'ancien  continent ,  il  n'est  pas  étonnant  qu'elle  se 
retrouve  au  Nouveau-Monde  :  elle  est  commune  aux 
Illinois  et  dans  toute  la  partie  méridionale  du  Canada, 
ainsi  qu'à  la  Louisiane,  où  elle  est  un  peu  plus  grosse 
qu'en  Europe  ;  ce  que  l'on  attribue  à  l'abondance  de 
nourriture.  Elle  est  plus  rare  dans  les  provinces  plus 
septentrionales  de  l'Amérique.  Mais  la  bécasse  de  la 
Guiane ,  connue  à  Cayenne  sous  le  nom  de  bécasse 
des  savanes^  nous  paroît  assez  difFérer  de  la  nôtre  pour 
former  une  espèce  séparée;  nous  la  donnerons  après 
avoir  décrit  les  variétés  peu  nombreuses  de  cette  es- 
pèce en  Europe. 

Variétés  de  la  Bécasse. 
I. 

LA  BÉCASSE  BLANCHE. 

Cette  variété  est  rare,  du  moins  dans  nos  contrées. 
Quelquefois  son  plumage  est  tout  blanc,  plus  souvent 
encore  mêlé  de  quelques  ondes  de  gris  ou  de  marron; 
le  bec  est  d'un  blanc  jaunâtre  ;  les  pieds  sont  d'un 
jaune  pâle  avec  des  ongles  blancs,  ce  qui  sembleroit 
indiquer  que  cette  blancheur  tient  à  une  dégénéra- 
tion différente  du  changement  de  noir  en  blanc  qu'é- 
prouvent les  animaux  dans  le  nord;  et  cette  dégéné- 
ration dans  l'espèce  de  la  bécasse  est  assez  semblable 
à  celle  du  nègre  blanc  dans  l'espèce  humaine. 


VARIÉTÉS  DE  LA  BECASSE.         JqS 
II. 

LA  BÉCASSE  ROUSSE. 

Dans  cette  variété  tout  le  plumage  est  roux  sur 
roux ,  par  ondes  plus  foncées  sur  un  fond  plus  clair; 
elle  paroît  encore  plus  rare  que  la  première.  L'une 
et  l'autre  furent  tuées  à  la  chasse  du  roi ,  au  mois  de 
décembre  1776,  et  sa  majesté  nous  fit  l'honneur  de 
nous  les  envoyer  par  M.  le  comte  d'Angiviller,  pour 
être  placées  dans  son  Cabinet  d'histoire  naturelle. 


III. 


Les  chasseurs  prétendent  distinguer  deux  races  de 
bécasses^,  la  grande  et  la  petite  :  mais  comme  le  na- 
turel et  les  habitudes  sont  les  mêmes  dans  ces  deux 
bécasses,  et  qu'en  tout  le  reste  elles  se  ressemblent, 
nous  ne  regarderons  cette  petite  différence  de  taille 
que  comme  accidentelle  ou  individuelle,  ou  comme 
celle  du  jeune  à  l'adulte  ,  laquelle  par  conséquent 
ne  constitue  pas  deux  races  séparées  entre  deux 
oiseaux  qui  du  reste  sont  les  mêmes ,  puisqu'ils  s'u-^ 
nissent  et  produisent  ensemble. 

î.  J'ai  remarqué  plusieurs  fois  qu'il  paroît  y  avoir  deux  espèces  de 
bécasses.  Les  premières  qui  arrivent  sont  les  plus  grosses;  elles  ont 
les  pieds  gris,  tirant  légèrement  sur  le  rose  :  les  autres  sont  plus  pe- 
tites; leur  plumage  est  semblable  à  celui  de  la  grande  bécasse,  mais 
elles  ont  les  pieds  de  couleur  bleue;  et  on  a  observé  que  lorsque 
l'on  prend  celte  petite  espèce  aux  environs  de  Montreuil  en  Picardie , 
la  grande  bécasse  y  devient  plus  rare.  {Note  communiquée  par  M.  Bail- 
Ion  de  Montreuii-sur-Mer.) 


544  ^^    KÉCASSE    DKS    SAVANES. 

OISEAU  ÉTRANGER 

OUI  A  RAPPORT  A  LA  BÉCASSE 


.       LA  BÉCASSE  DES  SAVANES» 

Scolopax  paludosa.  L. 

Cette  bécasse  de  la  Giiiane,  n°  895,  quoique  du 
quart  plus  petite  que  celle  de  France,  a  néanmoins 
le  bec  encore  plus  long;  elle  est  aussi  un  peu  plus 
haut  montée  sur  ses  pieds,  qui  sont  bruns  comme 
le  bec.  Le  gris  blanc,  coupé  et  varié  par  barres  de 
noir,  domine  dans  son  plumage,  moins  mêlé  de  roux 
que  celui  de  notre  bécasse.  Avec  ces  différences  ex- 
térieures que  le  climat  a  fait  naître,  celles  des  mœurs 
et  des  habitudes  qu'il  produit  aussi  se  reconnoissent 
dans  la  bécasse  des  savanes;  elle  demeure  habituel- 
lement dans  ces  immenses  prairies  naturelles  d'où 
l'homme  et  les  chiens  ne  l'ont  point  encore  chassée , 
parce  qu'ils  n'y  sont  point  établis  ;  elle  se  tient  dans 
les  coulées  ;  on  appelle  ainsi  les  enfoncements  des  sa- 
vanes ,  où  il  y  a  toujours  de  la  vase  et  des  herbes 
épaisses  et  hautes,  évitant  néanmoins  celles  où  la  ma- 
rée monte  et  dont  l'eau  est  salée.  Dans  la  saison  des 
pluies  ces  petites  bécasses  cherchent  les  hauteurs  et 
s'y  tiennent  dans  les  herbes  :  c'est  là  qu'elles  s'appa- 
rient et  qu'elles  nichent  sur  de  petites  élévations 
dans  des  trous  tapissés  d'herbes  sèches.  Les  pontes 


LA    BÉCASSE    DES    SAVANES.  345 

ne  sont  que  de  deux  œufs;  mais  elles  se  réitèrent  et 
ne  finissent  qu'en  juillet.  Les  pluies  passées,  ces  bé- 
casses reviennent  aux  coulées,  c'est-à-dire  des  lieux 
élevés  aux  plus  bas;  ce  qui  leur  est  commun  avec  les 
bécasses  d'Europe.  Le  feu  qu'on  met  souvent  aux  sa- 
vanes en  septembre  et  octobre  les  chassant  devant 
lui ,  elles  refluent  en  grand  nombre  dans  les  lieux 
voisins  des  parties  incendiées  :  mais  elles  semblent 
éviter  les  bois;  et  lorsqu'on  les  poursuit,  elles  n'y 
font  jamais  remise,  et  s'en  détournent  pour  regagner 
les  savanes.  Cette  habitude  est  contraire  à  celle  de  la 
bécasse  d'Europe  :  néanmoins  elles  partent  comme 
celte  dernière,  toujours  sous  les  pieds  du  chasseur; 
elles  ont  la  même  pesanteur  en  se  levant ,  le  même 
vol  bruyant ,  et  elles  Gentent  de  même  en  commen- 
çant à  filer.  Lorsqu'une  de  ces  bécasses  est  tirée, 
elle  ne  va  pas  se  reposer  loin,  mais  fait  plusieurs  tours 
avant  de  s'abattre.  Communément  elles  partent  deux 
à  deux,  qvielquefois  trois  ensemble;  et  lorsqu'on  en 
voit  une,  on  peut  être  assuré  que  la  seconde  n'est  pas 
loin.  On  les  entend,  à  l'approche  de  la  nuit,  se  rappe- 
ler par  un  cri  de  ralliement  un  peu  rauque ,  assez 
semblable  à  cette  voix  basse,  ka^  ka^  ka^  ka^  que  fait 
souvent  entendre  la  poule  domestique  ;  elles  se  pro- 
mènent la  nuit,  et  on  les  voit,  au  clair  de  la  lune, 
venir  se  poser  jusqu'aux  portes  des  habitations.  M.  de 
La  Borde,  qui  a  fait  ces  observations  à  Cayenne,  nous 
assure  que  la  chair  de  la  bécasse  des  savanes  est  au 
moins  aussi  bonne  que  celle  de  la  bécasse  de  France, 


546  LA    BÉCASSINE. 

LA  BÉCASSINE'. 

PREMIÈRE    ESPÈCE. 

Scolopax  Gallinago,  L. 

La  bécassiae  est  très  bien  nommée  ,  puisqu'on  ne 
]a  considérant  que  par  la  figure  on  pourroit  la  pren- 
dre pour  une  petite  espèce  de  bécasse.  Ce  serait  une 
petite  bécasse j  dit  Belon  ,  si  elle  n'étoit  de  înœurs  dif- 
férentes. En  effet,  la  bécassine  ,  n"  883,  a,  comme  la 
bécasse,  le  bec  très  long  et  la  tête  carrée  ;  le  plumage 
madré  de  même,  excepté  que  le  roux  s'y  mêle  moins 
et  que  le  gris  blanc  et  le  rioir  y  dominent  :  mais  ces 
ressemblances,  bornées  à  l'extérieur,  n'ont  pas  pé- 
nétré l'intérieur;  le  résultat  de  l'organisation  n'est  pas 
le  même,  puisque  les  habitudes  naturelles  sont  op- 
posées. La  bécassine  ne  fréquente  pas  les  bois;  elle 
se  tient  dans  les  endroits  marécageux  des  prairies , 
dans  les  herbages  et  les  osiers  qui  bordent  les  ri- 
vières :  elle  s'élève  si  haut  en  volant  qu'on  l'entend 
encore  lorsqu'on  l'a  perdue  de  vue;  elle  a  un  petit 
cri  chevrotant,  mée^  mêejf  mée_,  qui  lui  a  fait  donner 
par  quelques  nomenclateurs  le  surnom  de  chèvre  vo- 
lante; elle  jette  aussi,  en  prenant  son  essor,  un  petit 
cri  court  et  sifflé  ;  elle  n'habite  les  montagnes  en  au- 
cune saison  :  elle  diffère  donc  de  la  bécasse  par  le 

1.  En  italien  ,  pizzardella  ;  ea  anglois,  suite  ^  snipe;  en  allemand  , 
schnepfflin,  wasser-schnepffe ,  heers  sclinepffe  (comme  bécasse  des  sei- 
gneurs, à  cause  de  sa  délicatesse),  grasz -  sc/t/tc/>/^  (  bécasse  d'herbes, 
parce  qu'elle  se  cache  dans  les  herbages  des  marais). 


Tome    a5. 


.LA  BECASSINE      ,   2,  LE    CHEVALIERAUX    PIEDS    ROUGES 


LA    BÉCASSINE.  54; 

naturel  et  par  les  habitudes,  autant  qu'elle  lui  res- 
semble par  le  plumage  et  la  figure. 

En  France  les  bécassines  paroissent  en  automne. 
On  en  voit  quelquefois  trois  ou  quatre  ensemble  ; 
mais  le  plus  souvent  on  les  rencontre  seules.  Elles 
partent  de  loin,  d'un  vol  très  preste;  et,  après  trois 
crochets,  elles  filent  deux  ou  trois  cents  pas,  ou  poin- 
tent en  s'élevant  à  perte  de  vue.  Le  chasseur  sait 
faire  fléchir  leur  vol ,  et  les  amener  près  de  lui  en 
imitant  leur  voix.  11  en  reste  tout  Thiver  dans  nos  con- 
trées autour  des  fontaines.  Au  printemps  elles  repas- 
sent en  grand  nombre  ,  et  il  paroît  que  cette  saison 
est  celle  de  leur  arrivée  en  plusieurs  pays  où  elles 
nichent,  comme  en  Allemagne,  en  Silésie,  en  Suisse: 
mais  en  France  il  n'en  reste  que  quelques  unes  pen- 
dant l'été,  et  elles  nichent  dans  nos  marais.  Willuhgby 
l'observe  de  même  pour  l'Angleterre.  On  trouve  leur 
nid  en  juin  ;  il  est  placé  à  terre  ,  sous  quelque  grosse 
racine  d'aune  ou  de  saule,  dans  les  endroits  maréca- 
geux où  le  bétail  ne  peut  parvenir;  il  est  fait  d'herbes 
sèches  et  de  plumes,  et  contient  quatre  ou  cinq  œufs 
de  forme  oblongue,  d'une  couleur  blanchâtre  avec 
des  taches  rousses.  Les  petits  quittent  le  nid  en  sor-- 
tant  de  la  coque;  ils  paraissent  laids  et  informes: 
la  mère  ne  les  en  aime  pas  moins  ;  elle  en  a  soin  jus- 
qu'à ce  que  leur  grand  bec  trop  mou  soit  devenu  plus 
ferme  ,  et  ne  les  quitte  que  quand  ils  peuvent  aisé- 
ment se  pourvoir  d'eux-mêmes. 

La  bécassine  pique  continuellement  la  terre,  sans 
(ju'on  puisse  bien  dire  ce  qu'elle  mange.  On  ne  trouve 
dans  soo  estomac  qu'un  résidu  terreux  et  des  liqueurs, 
qui  sont  apparemment  la  substance  fondue  des  vers 


548  LA    BÉCASSIiNE. 

dont  elle  se  nourrit;  car  Aldrovande  remarque  qu'elle 
a  le  bout  de  la  langue  terminé  comme  les  pics  par 
un  pointe  aiguë  ,  propre  à  percer  les  vers  qu'elle 
fouille  dans  la  vase. 

Dans  cette  espèce  de  bécassine  la  tête  a  un  mouve- 
ment naturel  de  balancement  horizontal,  et  la  queue 
un  mouvement  de  haut  en  bas;  elle  marche  pas  à  pas, 
la  tête  haute,  sans  sautiller  ni  voltiger  :  mais  on  la  sur- 
prend rarement  dans  cette  situation;  car  elle  se  tient 
soigneusement  cachée  dans  les  roseaux  et  les  her- 
bes des  marais  fangeux  ,  où  les  chasseurs  ne  peu- 
vent aller  trouver  ces  oiseaux  qu'avec  des  espèces 
de  raquettes  faites  de  planches  légères ,  mais  assez 
larges  pour  ne  point  enfoncer  dans  le  limon;  et 
comme  la  bécassine  part  de  loin  et  très  rapidement, 
et  qu'elle  fait  plusieurs  crochets  avant  de  filer,  il  n'y 
a  pas  de  tiré  plus  difficile  :  on  la  prend  plus  aisément 
avec  un  rejet  semblable  à  celui  qu'on  place  dans  les 
sentiers  des  bois  pour  prendre  la  bécasse. 

La  bécassine  est  ordinairement  fort  grasse  ;  et  sa 
graisse,  d'une  saveur  fine  ,  n'a  rien  du  dégoût  des 
graisses  ordinaires;  on  la  cuit  comme  la  bécasse, 
sans  la  vider,  et  partout  on  la  recherche  comme  un 
gibier  exquis. 

Au  reste,  quoiqu'on  ne  manque  guère  de  trouver 
en  automne  des  bécassines  dans  nos  marais,  l'espèce 
n'en  est  pas  aussi  nombreuse  aujourd'hui  qu'elle  l'é- 
toit  ci-devant;  mais  elle  est  répandue  encore  plus 
universellement  que  celle  de  la  bécasse  ;  on  la  ren- 
contre dans  toutes  les  parties  du  monde  :  quelques 
voyageurs  éclairés  en  ont  fait  la  remarque.  On  nous 
l'a  envoyée  de  Cayenne.  où  on  l'appelle  bécassine  de 


LA    BÉGASSIÎÎE.  349 

savane;  M.  Frëzier  Ta  trouvée  dans  les  campagnes  du 
Chili  ;  elle  est  commune  à  la  Louisiane,  où  elle  vient 
Jusqu'auprès  des  habitations,  de  même  qu'au  Canada 
et  à  Saint-Domingue.  Dans  l'ancien  continent  on  la 
trouve  depuis  la  Suède  et  la  Sibérie  jusqu'à  Ceylan 
et  au  Japon;  nous  lavons  reçue  du  cap  de  Borme- 
Espérance^;  elle  s'est  portée  sur  les  terres  lointaines 
de  l'Océan  austral;  aux  îles  Malouines ,  où  M.  de 
Eougainviîle  l'a  vue,  et  où  il  remarque  qu'elle  a  des 
habitudes  conformes  à  ces  lieux  solitaires,  où  rien  ne 
l'inquiète  :  son  nid  est  au  milieu  de  la  campagne;  on 
la  tire  aisément;  elle  n'a  nulle  défiance,  et  ne  fait 
point  le  crochet  en  parlant;  nouvelle  preuve  que  les 
habitudes  timides  des  animaux  fugitifs  devant  l'homme 
leur  sont  imprimées  par  la  crainte  :  et  cette  crainte 
dans  la  bécassine  paroît  encore  se  réunir  à  la  forte  aver- 
sion qu'elle  a  pour  l'homme,  car  elle  est  du  nombre 
de  ces  oiseaux  qu'en  aucune  manière  on  ne  peut  ap- 
privoiser. Longolius  assure  qu'on  peut  élever  et  tenir 
la  bécasse  en  volière,  et  même  la  nourrir  pour  l'en- 
graisser, mais  que  la  chose  a  été  tentée  sur  la  bécas- 
sine inutilement  et  sans  succès. 

Il  paroît  qu'il  y  a  dans  cette  espèce  une  petite  race 
comme  dans  celle  de  la  bécasse;  car,  indépendam- 
ment de  la  petite  hécjàss'me,  surnommée  la  sourde, 
dont  nous  allons  parler,  il  s'en  trouve  entre  celles  de 


1.  Cette  bécassine  du  cap  de  Bonne-Espérance  est  un  peu  plus 
grande  ,  avec  le  bec  encore  plus  long  et  les  jambes  un  peu  plus  grosses 
que  la  nôtre  ;  ce  qui  n'empêche  pas  qu'on  ne  les  reconnoisse  très  clai- 
rement pour  être  de  la  même  espèce.  Elle  est  différente  d'une  autre 
bécassine  du  Gap,  qui  y  paroît  indigène,  et  que  nous  donnerons  tout- 
à-l'heure. 


350  L\    BÉCASSINE. 

l'espèce  ordinaire  de  grandes  et  d'autres  plus  petites  : 
mais  cette  différence  de  taille,  qui  n'est  accompagnée 
d'aucune  autre  ni  dans  les  mœurs  ni  dans  le  plu- 
mage, n'indique  tout  au  plus  qu'une  diversité  de 
race,  ou  peut-être  une  variété  purement  accidentelle 
et  individuelle  qui  ne  tient  point  au  sexe;  car  on  ne 
connoît  aucune  différence  apparente  entre  le  mâle 
et  la  femelle  dans  cette  espèce,  non  plus  que  dans 
la  suivante. 


LA  PETITE  BECASSINE\ 

SURNOMMÉE  LA  SOURDE. 

SECONDE   ESPÈCE. 

Scolopax  Gallinula.  L. 

La  petite  bécassine ,  n"  884  ?  ^'^  ^"^  moitié  de  la 
grandeur  de  l'autre  ,  d'oii  vient  ^  dit  Belon,  que  les 
'pourvoyeurs  l'appellent  deux  pour  un.  Elle  se  cache 
dans  les  roseaux  des  étangs,  sous  les  joncs  secs  et  les 
glaïeuls  tombés  au  bord,  des  eaux;  elle  s'y  tient  si 
obstinément  cachée  qu'il  faut  presque  marcher  des-- 
sus  pour  la  faire  lever,  et  qu'elle  part  sous  les  pieds 
comme  si  elle  n'entendoit  rien  du  bruit  que  l'on  fait 
en  venant  à  elle  :  c'est  de  là  que  les  chasseurs  l'ont 
appelée  la  sourde.  Son  vol   est  moins  rapide  et  plus 

1.  En  anglois,  y«(/-cocA  ,  yrtcA:  -  s»u/je;  dans  l'Orléanois ,  becqueroUe 
oa  bouc)  ioUe;  ei  foucauU,  suWaul  M.  Salcruc  ;  ce  qui  paroît  revenir 
au  nom  obscène  que  lui  donnent,  suivant  Belon,  les  paysans  des 
côtes. 


LA    PETITE    BÉCASSINE.  35 1 

direct  que  celui  de  la  grande  bécassine  ;  sa  chair 
n'est  pas  d'un  goût  moins  délicat,  et  sa  graisse  est 
aussi  fine;  mais  l'espèce  n'en  paroît  pas  aussi  nom- 
breuse, ou  du  moins  n'est  pas  aussi  généralement 
répandue.  Willugbby,  qui  écrivoit  en  Angleterre, 
remarque  qu'elle  y  est  moins  commune  que  la  grande 
bécassine.  Linnaeus  n'en  fait  pas  mention  dans  le  dé- 
nombrement des  oiseaux  de  Suède  ;  cependant  elle 
se  trouve  en  Danemarck  ,  suivant  M.  Brunnich.  Cette 
petite  bécassine  a  le  bec  moins  long  à  proportion  que 
l'autre.  Son  plumage  est  le  même,  avec  quelques  re- 
flets cuivreux  sur  le  dos  et  de  longs  traits  de  pinceaux 
roussâtres  sur  des  plumes  couchées  aux  côtés  du  dos, 
et  qui,  étant  allongées,  soyeuses,  et  comme  effilées^ 
ont  apparemment  donné  heu  au  nom  de  haar-schnepff^ 
que  les  Allemands  lui  donnent,  selon  M.  Klein. 

Ces  petites  bécassines  restent  presque  toute  Tannée 
et  nichent  dans  nos  marais.  Leurs  œufs,  de  même 
couleur  que  ceux  de  la  grande  bécassine,  sont  seule- 
ment plus  petits  à  proportion  de  l'oiseau,  qui  n'est  pas 
plus  gros  qu'une  alouette.  On  a  souvent  pris  cette 
petite  bécassine  pour  le  mâle  de  la  grande  ,  et  Wil- 
lugbby corrige  cette  erreur  populaire  en  avouant 
qu'il  le  croyoit  lui-même  avant  de  les  avoir  compa- 
rées; ce  qui  n'a  pas  empêché  Albin  de  tomber  de 
nouveau  dans  cette  même  erreur. 


>D2  LA    BRU  NETTE. 


^««e<«>««««'e«»«e»*«-»«>«>»ei»^«»«&«*«s^  l 


LA  BRUNETTE. 

TROISIÈME    ESPÈCE. 

Tringa  alpina.  L. 

WiLLUGHBY  donne  cet  oiseau  sous  le  nom  de  dun- 
liriy  qui  peut  se  rendre  par  brunette.  Il  le  dit  indi- 
gène aux  parties  septentrionales  de  l'Angleterre.  C'est 
une  petite  bécassine  de  la  taille  de  la  précédente,  et 
qui  paroît  en  différer  assez  peu.  Elle  a  le  ventre  noi- 
râtre, onde  de  blanc,  et  le  dessus  du  corps  tacheté 
de  noir  et  d'un  peu  de  blanc  sur  un  fond  brun  roux; 
du  reste,  elle  est  de  la  même  figure  et  a  les  mêmes 
habitudes  que  notre  petite  bécasse.  Ainsi  c'est  une 
espèce  très  voisine  ou  peut-être  une  simple  variété  de 
l'espèce  précédente. 

OISEAUX  ÉTRANGERS 

QUI  ONT  RAPPORT  AUX  BÉCASSINES. 


LA  BÉCASSIINE 

DU  CAP  DE  BONNE-ESPÉRANCE. 
PREMIÈRE  ESPÈCE. 

Scolopax  capensis.    L. 

Elle  est  un  peu  plus  grande  que  notre  bécassine 
commune,  mais  elle  a  le  bec  beaucoup  moins  long. 


LA    BÉCASSINE    DU    CAP    DE    BONNE-ESPÉllANCE.    55!5 

Les  couleurs  de  son  plumage  sont  un  peu  moins 
sombres  :  un  gris  bleuâtre  haché  de  petites  ondes 
noires  fait  le  fond  du  manteau,  que  traverse  une  li- 
gne blanche  tirée  de  l'épaule  au  croupion  ;  une  petite 
zone  noire  marque  le  haut  de  la  poitrine;  le  ventre 
est  blanc  ;  la  tête  est  coifl'ee  de  cinq  bandes ,  l'une 
roussâtre  au  sommet ,  deux  grises  de  chaque  coté  , 
puis  deux  blanches  qui  engagent  l'œil  et  s'étendent 
en  arrière,  n''  270. 


fe<««*9<e>^«•o*o<&w>■»*e*<»l 


LA  BECASSINE  DE  MADAGASCAR. 

SECONDE    ESPÈCE. 

Scolopax  madagascariensis.  L. 

Cette  bécassine,  n°  922,  est  très  jolie  par  la  dis- 
position et  le  mélange  des  couleurs  de  son  plumage  : 
la  tête  et  le  cou  sont  de  couleur  rousse,  traversée 
d'un  trait  blanc  qui  passe  sur  l'œil  et  qui  est  surmon- 
tée d'un  trait  noir;  le  bas  du  cou  est  ceint  d'un 
large  collet  noir;  les  plumes  du  dos  sont  noirâtres, 
festonnées  de  gris;  le  roussâtre,  le  gris,  le  noirâtre, 
sont  coupés  sur  les  couvertures  de  l'aile  par  de  pe- 
tits festons  ondoyants  et  serrés;  les  pennes  moyennes 
de  l'aile  et  celles  de  la  queue  sont  coupées  transver- 
salement par  bandes  variées  de  cet  agréable  mélange, 
séparées  par  trois  ou  quatre  rangs  de  taches  ovales 
d'un  beau  roux  clair,  encadré  de  noir;  les  grandes 
pennes  sont  traversées  de  bandes  alternativemeni; 
noires  et  rousses  ;  le  dessous  du  corps  est  blanc.  Cette 
bécassine  a  près  de  dix  pouces  de  longueur. 


554  ï  '^    BÉCASSINE    DE    LA    CHINE. 

LA  BÉCASSINE  DE  LA  CHINE. 

TROISIÈME   ESPÈCE. 

Scolopax  shinensls.  L. 

Cette  bécassine,  n*  881,  est  un  peu  moins  grosso 
que  notre  grande  bécassine  ;  mais  elle  est  un  peu 
plus  haute  sur  jambes  :  elle  a  le  bec  presque  aussi 
long.  Son  plumage  est  moins  sombre  :  il  est  cha- 
marré sur  le  manteau  par  taches  assez  larges  et  par 
festons  de  gris  brun,  de  bleuâtre,  de  noir  et  de  roux 
clair;  la  poitrine  est  ornée  d'un  large  feston  noir  ; 
le  dessous  du  corps  est  blanc  ;  le  cou  est  piqueté  de 
gris  blanc  et  de  roussâtre,  et  la  tête  est  traversée  de 
traits  noirs  et  blancs. 

La  bécassine  de  Madras  ^  donnée  par  M.  Brisson , 
auroit  assez  de  rapport  par  les  couleurs,  telles  qu'il 
les  décrit,  avec  cette  bécassine  de  la  Chine  ;  mais 
un  caractère  qui  manque  à  celle-ci  est  ce  doigt  pos- 
térieur aussi  long  que  ceux  du  devant  que  M.  Brisson 
attribue  à  la  bécassine  de  Madras ,  et  qui ,  ce  semble  , 
dans  les  règles  de  la  nomenclature,  auroit  dû  lui  faire 
exclure  cet  oiseau  du  genre  des  bécassinese 


LES  BARGES. 

De  tous  ces  êtres  légers  sur  lesquels  la  nature  a 
'épandu   tant  de  vie  et  de  grâce  ,  et  qu'elle  paroît 


LES    BAUGES.  355 

avoir  jetés  à  travers  la  grande  scène  de  ses  ouvrages 
pour  animer  le  vide  de  l'espace  et  y  produire  du 
mouvement,  les  oiseaux  de  marais  sont  ceux  qui  ont 
eu  le  moins  de  part  à  ses  dons  :  leurs  sens  sont  ob- 
tus, leur  instinct  est  réduit  aux  sensations  les  plus 
grossières,  et  leur  naturel  se  borne  à  chercher  alen- 
tour  des  marécages  leur  pâture  sur  la  vase  ou  dans 
la  terre  fangeuse,  comme  si  ces  espèces,  attachées  au 
premier  limon,  n  avoient  pu  prendre  part  au  progrès 
plus  heureux  et  plus  grand  qu'ont  fait  successivement 
toutes  les  autres  productions  de  la  nature  ,  dont  les 
développements  se  sont  étendus  et  embellis  par  les 
soins  de  l'homme,  tandis  que  ces  habitants  des  ma- 
rais sont  restés  dans  l'état  imparfait  de  leur  nature 
brute. 

En  effet  ^  aucun  d'eux  n'a  les  grâces  ni  la  gaieté  de 
nos  oiseaux  des  champs;  ils  ne  savent  point,  comme 
ceux-ci,  s'amuser,  se  réjouir  ensemble,  ni  prendre 
de  doux  ébats  entre  eux  sur  la  terre  ou  dans  l'air; 
leur  vol  n'est  qu'une  fuite  ,  une  traite  rapide  d'un 
froid  marécage  à  un  autre  ;  retenus  sur  le  sol  humide, 
ils  ne  peuvent,  comme  les  hôtes  des  bois,  se  jouer 
dans  les  rameaux  ni  même  s'y  poser;  ils  gisent  à 
terre  et  se  tiennent  à  l'ombre  pendant  le  jour;  une 
vue  foibîe,  un  naturel  timide,  leur  font  préférer  l'ob- 
scurité de  la  nuit  ou  la  lueur  des  crépuscules  à  la  clarté 
du  jour,  et  c'est  moins  par  les  yeux  que  par  le  tact 
ou  par  l'odorat  qu'ils  cherchent  leur  nourriture.  C'est 
ainsi  que  vivent  les  bécasses,  les  bécassines,  et  la  plu- 
part des  autres  oiseaux  des  marais,  entre  lesquels  les 
barges  forment  une  petite  famille  immédiatement  au 
dessous  de  celle  de  la  bécasse  relies  ont  la  même  forme 


556  LES    BARGES, 

de  corps,  mais  ies  jambes  plus  hautes  et  le  bec  en- 
core plus  long,  quoique  conformé  de  même,  à  pointe 
mousse  et  lisse,  droit  ou  un  peu  fléchi  et  légèrement 
relevé.  Gesner  se  trompe  en  leur  prêtant  un  bec  aigu 
et  propre  à  darder  les  poissons  :  les  barges  ne  vivent 
que  des  vers  et  vermisseaux  qu'elles  tirent  du  limon. 
On  trouve  dans  leur  gésier  des  graviers,   la  plupart 
transparents,  et  tout  semblables  à  ceux  que  contient 
aussi  le  gésier  de  l'avocette''^.  Leur  voix  est  assez  ex- 
traordinaire ;    car  Belon   la    compare   au   bêlement 
étoulTé  d'une  chèvre.    Ces  oiseaux  sont  inquiets  et 
partent  de  loin  ,  et  jettent  un  cri  de  frayeur  en  par- 
tant. Ils  sont  rares  dans  les  contrées  éloignées  de  la 
mer  et  ils  se  plaisent  dans  les  marais  salés.  Ils  ont 
sur  nos  côtes  et  en  particulier  sur  celles  de  Picardie^ 
lin  passage  régulier  dans  le  mois  de  septembre;  on 
les  voit  en  troupes  et  on  les  entend  passer  très  haut 
le  soir  au  clair  de  lune.  La  plupart  s'abattent  dans  les 
marais,   la  fatigue  les  rend  alors  moins  fuyards.  Ils 
ne  reprennent  leur  vol  qu'avec  peine;  mais  ils  cou- 
rent comme  des  perdrix,  et  le  chasseur,  en  les  tour- 
nant, les  rassemble  assez  pour  en  tuer  plusieurs  d'un 
seul  coup.   Ils  ne  séjournent  qu'un  jour  ou  deux  dans 
le  même  lieu ,  et  souvent  dès  le  lendemain  on  n'en 
trouve  plus  un  seul  dans  ces  marais,  où  ils  étoient 
la  veille  en  si  grand  nombre.    Ils  ne  nichent  pas  sur 
nos  côtes.    Leur  chair  est  délicate  et  très  bonne  à 
mancer. 

i.  Observation  faite  par  M.  Bâillon,  sur  les  barges  de  passage  sur 
les  côtes  de  Picardie,  et  qui  lui  fait  penser  que  ces  oiseaux  et  Tavo- 
cctte  viennent  alors  des  mêmes  pays. 

2.    Les  barges  s'appellent  taierlaa  on  Picardie. 


LES    BARGES,  3^7 

Nous  distinguons  huit  espèces  dans  le  genre  de  ces 
oiseaux. 


>iB<8««e<6**8«(V6  9*9*01) 


LA  BARGE  COMMUNE. 

PPxEMlÈRE    ESPÈCE. 

Limosa  melanura,  Leisler.  (Plumage  d'hiver,  ) 

Le  phimage  de  cette  barge,  n°  874,  est  d'un  gris 
uniforme,  à  l'exception  du  front  et  de  la  gorge ,  dont 
la  couleur  est  roussâtre  ;  le  ventre  et  le  croupion 
sont  blancs;  ies  grandes  peines  de  l'aile  sont  noi- 
râtres au  dehors,  blanchâtres  en  dedans;  les  pen- 
nes moyennes  et  les  grandes  couvertures  ont  beau- 
coup de  blanc;  la  queue  est  noirâtre  et  terminée 
de  blanc  ;  les  deux  plumes  extérieures  sont  blan- 
ches ;  le  bec  est  noir  à  la  pointe  et  rougeâtre  dans 
sa  longueur,  qui  est  de  quatre  pouces;  les  pieds, 
avec  la  partie  nue  des  jambes,  en  ont  quatre  et  demi. 
La  longueur  totale,  de  la  pointe  du  bec  au  bout  de 
la  queue,  est  de  seize  pouces  et  de  dix-huit  jusqu'au 
bout  des  doigts. 

M.  Hébert  nous  a  dit  avoir  tué  quelques  barges  de 
cette  espèce  en  Brie.  Il  paroît  donc  qu'elles  s'abatteut 
quelquefois  dans  le  milieu  des  terres,  ou  qu'elles  y 
sont  poussées  par  quelque  coup  de  vent. 


KUFFOiV.    XXT, 


25 


558  LA    BARGE    ABOYEUSE. 

LA  BARGE  ABOYEUSE. 

SECONDE    ESPÈCE. 

Totanus  glottis.  Bechst. 

Il  faut  que  le  cri  de  cet  oiseau  ressemble  à  un 
aboiement,  'puisqu'il  a  pris  chez  les  Anglois  le  nom 
à'aboyeur  (  barker  ) ,  sous  lequel  Albin  et  ensuite 
M.  Adanson  l'ont  indiqué.  La  dénomination  de  barge 
grise  qu'elle  porte  dans  les  planches  enluminées, 
n°  876,  ne  la  distingue  pas  assez  de  la  première  es- 
pèce, qui  est  grise  aussi  et  même  plus  uniformé- 
ment que  celle-ci,  dont  le  manteau  gris  brun  est 
frangé  de  blanchâtre  autour  de  chaque  plume;  celles 
de  la  queue  sont  rayées  transversalement  de  blanc 
et  de  noirâtre.  Cette  barge  diffère  aussi  de  la  pre- 
mière par  la  grandeur  ;  elle  n'a  que  quatorze  pouces 
de  longueur  de  la  pointe  du  bec  au  bout  des  doigts. 

Elle  habite  les  marécages  des  côtes  maritimes  de 
l'Europe  ,  tant  de  l'Océan  que  de  la  Méditerranée. 
On  la  trouve  dans  les  marais  salants,  et,  comme  les 
autres  barges,  elle  est  timide  et  fuit  de  loin;  elle  ne 
cherche  aussi  sa  nourriture  que  pendant  la  nuit. 


LA    BARGE    VARIEE.  .)ôQ 

LA  BARGE  VARIÉE*. 

TROISIÈME    ESPÈCE. 

Totanm  Glottis.  Bechst. 

Si  la  plupart  des  nomenclateurs  n'avoient  pas  donné 
cette  barge  comme  distinguée  de  la  précédente  cl 
sous  des  noms  différents ,  nous  ne  ferions  de  toutes 
deux  qu'une  seule  et  môme  espèce  :  les  couleurs  du 
plumage  sont  les  mêmes;  la  forme,  entièrement  sem- 
blable, ne  diffère  qu'en  ce  que  celle-ci  est  un  peu 
plus  grande ,  ce  qui  n'indique  pas  toujours  une  di- 
versité d'espèces;  car  l'observation  nous  a  souvent 
démontré  que  dans  la  même  espèce  il  se  trouve  des 
variétés  dans  lesquelles  le  bec  et  les  jambes  sont 
quelquefois  plus  longs  ou  plus  courts  d'un  demi- 
pouce.  Tout  le  plumage  de  cette  barge  est,  comme 
celui  de  l'aboyeuse,  varié  de  blanc,  et  cette  couleur 
frange  et  encadre  le  gris  brun  des  plumes  du  man- 
teau ;  la  queue  est  rayée  de  même  et  le  dessous  du 
corps  est  blanc.  Les  Allemands  donnent  à  toutes 
deux  le  nom  de  meer  houn  ;  les  Suédois  les  appel- 
lent gloutt.  Ces  noms  paroissent  exprimer  un  aboie- 
ment. Seroit-ce  sur  ce  même  nom  que  Gesner,  par 
une  fausse  analogie,  auroit  pris  ces  barges  pour  l'oi- 
seau glottis  d'Aristote,  dont  il  a  fait  ailleurs  une  poule 
sultane  ou  un  râle?  Albin  tombe  ici  dans  une  erreur 
palpable,  en  prenant  cette  barge  pour  la  femelle 
du  chevalier  aux  pieds  rouges. 

1.  Même  espèce  que  la  précédente. 


3G0  LA    BARGE    ROUSSE. 

LA  BARGE  ROUSSE. 

QUATRIÈME    ESPÈCE. 

Limosa  rufa.  Brisson.   (Plumage  d'été.) 

Elle  est  à  peu  près  de  la  grosseur  de  l'aboyeuse  ; 
elle  a  tout  le  devant  du  corps  et  le  cou  d'un  beau  roux; 
les  plumes  du  manteau,  brunes  et  noirâtres,  sont  lé- 
gèrement frangées  de  blanc  et  de  roussâtre;  la  queue 
est  rayée  transversalement  de  cette  dernière  couleur 
et  de  brun.  On  voit  cette  barge,  n°  900,  sur  nos  côtes  ; 
elle  se  trouve  aussi  dans  le  nord  et  jusqu'en  Laponie. 
On  la  retrouve  en  Amérique  ;  elle  a  été  envoyée  de  la 
baie  d'Hudson  en  Angleterre.  C'est  im  exemple  de 
plus  de  ces  espèces  aquatiques  communes  aux  terres 
du  nord  des  deux  continents. 

LA  GRANDE  BARGE  ROUSSE. 

CINQUIÈME    ESPÈCE. 

Limosa  melanura.  Leisl.  (Plumage  d'été.  ) 

Cette  barge  est  en  effet  plus  grande  que  la  pré- 
cédente ;  mais  elle  n'a  de  roux  que  le  cou  ,  et  des 
bords  roussâtres  aux  plumes  noirâtres  du  dos  ;  la  poi- 
trine et  le  ventre  sont  rayés  transversalement  de  noi- 
râtre sur  un  fond  blanc   sale.   La  longueur  de  cette 


LA    GRANDE    BARGE    ROUSSE.  36l 

barge  5  n'^giG,  du  bec  aux  ongles,  est  de  dix-sept 
pouces.  Outre  ces  différences,  qui  paroissent  la  dis- 
tinguer assez  de  la  barge  rousse,  un  observateur  nous 
assure  que  ces  deux  espèces  passent  toujours  sépa- 
rément sur  nos  côtes.  La  grande  barge  rousse  diffère 
même  de  toutes  les  autres  parles  mœurs,  s'il  est 
vrai,  comme  le  dit  Willughby,  qu'elle  se  promène, 
la  tête  haute  ,  sur  les  plages  sablonneuses  et  décou- 
vertes, sans  chercher  à  se  cacher.  Le  même  natura- 
liste observe  que  c'est  mal  à  propos  qu'on  lui  donne 
en  quelques  endroits  de  la  côte  d'Angleterre  le  nom 
de  stone-plover,  qui  est  proprement  celui  de  notre 
courlis  de  terre  ou  grand  pluvier;  mais  c'est  encore 
plus  mal  à  propos  que  le  traducteur  d'Albin  a  rendu 
les  noms  de  godwit  et  à'œgoceplialm,  qui  désignent 
la  barge ,  par  celui  de  francolin.  Cette  grande  barge 
rousse ,  qui  se  trouve  sur  nos  côtes  et  sur  celles  d'An- 
gleterre, se  porte  également  sur  les  côtes  de  Barba- 
rie ;  on  la  reconnoît  dans  la  notice  que  donne  le  doc- 
teur Shaw  de  son  godwit  ofBarbary. 


LA  BARGE  ROUSSE 

DE  LA  BAIE  D'HUDSON^ 

SIXIÈME    ESPÈCE. 

Limosa  melanura.  Leisl.  (  Var.  ) 

Quoiqu'il  y  ait  dans  le  plumage  de  cette  barge, 
comparé  à  celui  de  la  précédente,  des  différences 

\.  Variété  de  l'espèce  précédente. 


56'2  LA    BARGE    DE    LA    BAIE    d'hUDSON. 

qui  consistent  principalement  en  ce  que  celle-cî  r^ 
plus  de  roux,  et  que  même  sa  taille  soit  un  peu  plus 
grande ,  nous  ne  laissons  pas  de  la  regarder  comme 
espèce  très  voisine  de  celle  de  notre  grande  barge 
rousse,  et  peut-être  même  l'espèce  est-elle  originai- 
rement la  môme. 

Cette  barge  rousse  de  la  baie  d'Hudson  est,  comme 
l'observe  Edwards  ,  la  plus  grande  espèce  de  ce  genre; 
elle  a  seize  pouces  du  bout  du  bec  à  celui  de  la  queue 
et  dix-neuf  à  celui  des  doigts.  Tout  son  plumage  sur 
le  manteau  est  d'un  fond  brun  roux,  rayé  transversa- 
lement de  noir;  les  premières  grandes  pennes  de  l'aile 
sont  noirâtres,  les  suivantes  d'un  rouge-bai  pointillé 
de  noir;  celles  de  la  queue  sont  rayées  transversale- 
ment de  cette  même  couleur  et  de  roux. 


NI  »»0»9.»»»9»»80< 


LA  BARGE  BRUNE. 

SEPTIÈME   ESPÈCE. 

Totanus  fuscus.  Bechst. 

Cette  barge,  n**  876,  est  de  la  taille  de  la  barge 
aboyeuse.  Le  fond  de  sa  couleur  est  un  brun  foncé 
et  noirâtre,  relevé  de  petites  lignes  blanchâtres,  dont 
les  plumes  du  cou  et  du  dos  sont  frangées  ,  ce  qui 
les  fait  paroître  agréablement  nuées  ou  écaillées  ;  les 
pennes  moyennes  de  l'aile  et  ses  couvertures  sont  de 
même  liserées  et  pointillées  de  blanchâtre  par  les 
bords;  ses  premières  grandes  pennes  ne  montrent  en 
dehors  qu'un  brun  uni  ;  celles  de  la  queue  sont  rayées 
de  brun  et  de  blanc. 


LA    BAUGE    BLANCHE.  565 


LA  BARGE  BLANCHE. 

HUITIÈME    ESPÈCE. 

Trlnga  candida.  Gmel. 

M.  Edwards  observe  que  le  bec  de  cette  barge  flé- 
chit en  haut  comme  celui  de  lavocette;  caractère  dont 
la  plupart  des  barges  portent  quelque  légère  trace, 
mais  qui  est  fortement  marqué  dans  celle-ci.  Elle  est 
à  peu  près  de  la  taille  de  la  barge  rousse.  Son  bec, 
noir  à  la  pointe  ,  est  orangé  dans  le  reste  de  sa  lon- 
gueur; tout  le  plumage  est  blanc,  à  l'exception  d'une 
teinte  de  jaunâtre  sur  les  grandes  pennes  de  l'aile  et 
de  la  queue.  Edwards  croit  que  le  plumage  blanc  est 
la  livrée  de  ces  oiseaux  à  la  baie  d'Hudson  ,  et  qu'ils 
reprennent  leurs  plumes  brunes  en  été. 

Au  reste,  il  paroît  que  plusieurs  espèces  de  barges 
sont  descendues  plus  avant  dans  les  terres  de  l'Amé- 
rique, et  qu'elles  sont  parvenues  jusqu'aux  contrées 
méridionales;  car  Sloane  place  à  la  Jamaïque  notre 
troisième  espèce  ;  et  Fernandès  sembîe  désigner  deux 
barges  dans  la  Nouvelle -Espagne  par  les  noms  de 
ckiquatototl ^  oiseau  semblable  à  notre  bécasse,  et 
clotototlj  oiseau  du  même  genre,  qui  se  tient  à  terre 
sous  les  tiges  de  maïs. 


364  I.ES    CHEVALIERS. 

LES  CHEVALIERS. 

«  Les  François,  dit  Belon,  voyant  nn  oysillon  haut 
enciuché  sur  ses  jambes ,  quasi  comme  étant  à  che- 
val ,  l'ont  nommé  chevalier.  »  Il  seroit  difficile  de  trou- 
ver à  ce  nom  d'autre  étymologie  :  les  oiseaux  che- 
valiers sont  en  effet  fort  haut  montés.  Ils  sont  plus 
petits  de  corps  que  les  barges,  et  néanmoins  ils  ont 
les  pieds  tout  aussi  longs;  leur  bec,  plus  raccourci, 
est  au  reste  conformé  de  même  ;  et  dans  la  nom- 
breuse suite  des  espèces  diverses  qui  de  la  bécasse 
descend  jusqu'au  cingle  c'est  après  les  barges  que 
doivent  se  placer  les  chevaliers  :  comme  elles,  ils 
vivent  dans  les  prairies  humides  et  dans  les  endroits 
marécageux;  mais  ils  fréquentent  aussi  les  bords  des 
étangs  et  des  rivières,  entrant  dans  l'eau  jusqu'au 
dessus  du  genou.  Sur  les  rivages  ils  courent  avec  vi- 
tesse ,  et  telle  petite  corpulencej,  dit  Belon  ,  montée  des- 
sus si  hautes  échasses^  chemine  gaiement  et  court  nioult 
légèrement.  Les  vermisseaux  sont  leur  pâture  ordi- 
naire ;  en  temps  de  sécheresse  ils  se  rabattent  sur  les 
insectes  de  terre  et  prennent  des  scarabées,  des  mou- 
ches, etc. 

Leur  chair  est  estimée  :  mais  c'est  un  mets  assez 
rare  ;  car  ils  ne  sont  nulle  part  en  grand  nombre  ,  et 
d'ailleurs  ils  ne  se  laissent  approcher  que  difficilement: 
nous  connoissons  six  espèces  de  ces  oiseaux. 


LE    CHEVALIER    COMMUN.  365 


>»a>8»».8<»8<i»9'»a  ei»»a»»»a  a»  ^a-ttoia^^B'»»»»)»»»»»»»» 


LE  CHEVALIER  COMMUN. 

PREMIÈRE    ESPÈCE. 

T  ring  a  ochropus.  L. 

Il  paroît  être  de  la  grosseur  du  pluvier  doré ,  parce 
qu'il  est  fort  garni  de  plumes;  et  en  général  les  che- 
valiers sont  moins  charnus  qu'ils  ne  semblent  l'être. 
Celui-ci ,  n**  844  ->  ^  P^'^s  d'un  pied  du  bec  à  la  queue 
et  un  peu  plus  du  bec  aux  ongles.  Presque  tout  son 
j)lumage  est  nue  de  gris  blanc  et  de  roussâtre;  toutes 
les  plumes  sont  frangées  de  ces  deux  couleurs,  et 
noirâtres  dans  le  milieu.  Ces  mêmes  couleurs  de  blanc 
et  de  roussâtre  sont  finement  pointillées  sur  la  tête  et 
s'étendent  sur  l'aile,  dont  elles  bordent  les  petites 
plumes;  les  grandes  sont  noirâtres;  le  dessous  du 
corps  et  le  croupion  sont  blancs.  M.  Brisson  dit  que 
les  pieds  de  cet  oiseau  sont  d'un  rouge  pâle ,  et  en 
conséquence  il  lui  applique  des  phrases  qui  convien- 
nent mieux  à  l'oiseau  de  l'espèce  suivante.  Il  se  pour- 
roit  aussi  qu'il  y  eût  variété  dans  celle-ci ,  puisque  le 
chevalier  représenté  dans  les  planches  enluminées  a 
les  pieds  gris  ou  noirâtres,  de  même  que  le  bec. 

C'est  sur  un  rapport  assez  léger  de  ressemblance 
dans  les  couleurs  que  Belon  a  cru  reconnoître  le  cheva- 
lier dans  le  calidris  d'Arislote.  Le  chevalier  fréquente 
les  bords  des  rivières,  se  trouve  même  quelquefois  sur 
nos  étangs,  mais  plus  ordinairement  sur  les  rivages 
de  la  mer.  On  en  voit  dans  quelques  unes  de  nos  pro- 


566  LE    CHEVALIER    COMMUN. 

vinces  de  France  et  particiilièremenl  en  Lorraine  ;  on 
en  voit  aussi  sur  toutes  les  plages  sablonneuses  des 
côtes  d'Angleterre  :  il  s'est  porté  jusqu'en  Suède  ,  en 
Danemarck,  et  même  en  Norwége. 

LE  CHEVALIER 

AUX    PIEDS    ROUGES. 

SECONDE    ESPÈCE. 

Totanus  calidris.  Bechst.  (Plumage  de  noces.) 

Les  pieds  rouges  de  ce  bel  oiseau ,  n°  845,  le  ren- 
dent d'autant  plus  remarquable  qu'il  a  plus  de  la 
moitié  de  la  jambe  nue  ;  son  bec,  noirâtre  à  la  pointe, 
est  du  même  rouge  vif  à  la  racine.  Ce  chevalier  est 
de  la  même  grandeur  et  figure  que  le  précédent  ;  son 
plumage  est  blanc  sous  le  ventre ,  légèrement  onde 
de  gris  et  de  roussâtre  sur  la  poitrine  et  le  devant  du 
cou  ,  varié  sur  le  dos  de  roux  et  de  noirâtre  par  petites 
bandes  transversales  bien  marquées  sur  les  petites 
pennes  de  l'aile  ,  dont  les  grandes  sont  noirâtres. 

C'est  certainement  de  cette  espèce  que  Belon  a 
parlé  sous  le  nom  de  chevalier  rouge ^  quoique  M.  Bris- 
son  ,  en  appliquant  cette  dénomination  à  sa  seconde 
espèce  ,  la  rapporte  en  môme  temps  à  la  première 
notice  de  Belon.  M.  Ray  n'a  pas  mieux  connu  cet  oi- 
seau ,  quand  il  soupçonne  que  ce  pourroit  être  le 
même  que  la  grande  barge  grise. 

Le  chevalier  aux  pieds  rouges  s'appelle  couricr  sur 
!a  Saône.  11  est  connu  en  Lorraine  et  dans  l'Orléa- 


LE    CHEVALIEK    AUX    PIEDS    ROUGES.  067 

nois,  OÙ  néanmoins  il  est  assez  rare.  M.  fïébert  nous 
dit  en  avoir  vu  dans  la  Brie  en  avril.  Il  se  pose  sur 
les  étangs,  dans  les  endroits  où  l'eau  n'est  pas  bien 
haute.  Il  a  la  voix  agréable  et  un  petit  sifflet  sembla- 
ble à  celui  du  bécasseau.  C'est  le  même  oiseau  qui 
est  connu  dans  le  Bolonois  sous  le  nom  de  gambette, 
nom  dérivé  de  la  hauteur  de  ses  jambes.  On  trouve 
aussi  cet  oiseau  en  Suède,  et  il  se  pourroit  qu'il  eut, 
comme  plusieurs  autres,  passé  d'un  continent  à  l'au- 
tre. L'yacatopil  du  Mexique  de  Fernandès  paroîtètre 
fort  voisin  de  notre  chevalier  aux  pieds  rouges,  tant 
par  les  dimensions  que  par  les  couleurs  ;  il  faut  même 
que  quelques  espèces  de  ce  genre  se  soient  portées 
plus  avant  dans  les  contrées  de  l'Amérique,  puisque  Du 
Tertre  compte  le  chevalier  au  nombre  des  oiseaux  de 
la  Guadeloupe  et  que  Labat  l'a  reconnu  dans  la  mul- 
titude de  ceux  de  l'île  d'Aves.  D'autre  part  un  de  nos 
correspondants  nous  assure  en  avoir  vu  à  Cayenne  et 
à  la  Martinique  en  grand  nombre.  Ainsi  nous  ne  pou- 
vons douter  que  ces  oiseaux  ne  soient  répandus  dans 
presque  toutes  les  contrées  tempérées  et  chaudes  des 
deux  continents. 

LE  CHEVALIER  RAYÉ. 

TROISIÈME    ESPÈCE. 

Totanus  calidrls.    Bescht.    (Plumage  d'automne; 
jeune  âge.  ) 

Ce  chevalier  ,  n''  827  ,  est  à  peu  près  de  la  taille  de 
la  grande  bécassine.  Tout  son  manteau,  surfondgris 


568  LE    CHEVALIER   RAYÉ. 

et  mêlé  de  roussâtre ,  est  rayé  de  traits  noirâtres, 
couchés  transversalement  ;  la  queue  est  coupée  de 
même  sur  fond  blanc;  le  cou  porte  les  mêmes  cou- 
leurs ,  excepté  que  les  pinceaux  bruns  y  sont  tracés 
le  long  de  la  tige  des  plumes  ;  le  bec,  noir  à  sa  pointe , 
est  à  sa  racine  d'un  rouge  tendre,  ainsi  que  les  pieds. 
Nous  rapporterons  à  cette  espèce  le  chevalier  tacheté 
de  M.  Brisson ,  qui  ne  paroît  être  qu'une  très  légère 
variété. 


LE  CHEVALIER  VARIE. 

QUATRIÈME    ESPÈCE. 

Tringa  pugnax.  L.  (  Jeune  âge.  ) 

Ce  chevalier,  n°  5oo,  qui  est  le  même  que  \e  che- 
valier cendré  de  M.  Brisson ,  nous  paroît  mieux  dési- 
gné par  l'épithète  de  varié j,  puisque,  suivant  la  phrase 
même  de  cet  académicien,  il  a  dans  le  plumage  au- 
tant de  noirâtre  et  de  roux  que  de  gris.  La  première 
couleur  couvre  le  dessus  de  la  tête  et  le  dos ,  dont 
les  plumes  sont  bordées  de  la  seconde,  c'est-à-dire 
de  roux;  les  ailes  sont  égalemant  noirâtres  et  frangées 
de  blanc  ou  de  roussâtre  :  ces  teintes  se  mêlent  à  du 
gris  sur  tout  le  devant  du  corps.  Les  pieds  et  le  bec 
sont  noirs  ;  ce  qui  a  donné  lieu  à  Belon  d'appeler  cet 
oiseau  chevalier  noir^  par  opposition  à  celui  qui  a  les 
pieds  rouges.  Tous  deux  sont  de  la  même  grosseur; 
mais  celui-ci  a  les  jambes  moins  hautes. 

Il  paroît  que  cet  oiseau  fait  son  nid  de  fort  bonne 


LE    CHEVALIER    VARIÉ.  569 

heure  et  qu'il  revient  dans  nos  contrées  avant  le  prin- 
temps; car  Belon  dit  que  dès  la  fin  d'avril  on  apporte  de 
leurs  petits,  dont  le  plumage  ressemble  alors  beaucoup 
à  celui  du  râle,  et  qu  autrement  onna  point  accoutumé 
de  voir  ces  chevaliers^  sinon  en  hiver.  Au  reste,  ils  ne 
nichent  pas  également  sur  toutes  nos  côtes  de  France: 
par  exemple  nous  sommes  bien  informés  qu'ils  ne  font 
que  passer  en  Picardie  ;  ils  y  sont  amenés  par  le  vent 
de  nord-est,  au  mois  de  mars  avec  les  barges;  ils 
y  font  peu  de  séjour  et  ne  repassent  qu'au  mois  de 
septembre.  Ils  ont  quelques  habitudes  semblables  à 
celles  des  bécassines,  quoiqu'ils  aillent  moins  de  nuit 
et  qu'ils  se  promènent  davantage  pendant  le  jour.  On 
les  prend  de  même  au  rejetoir^.  Linna3us  dit  que  cette 
espèce  se  trouve  en  Suède.  Albin,  par  une  méprise 
inconcevable  ,  appelle  héroii  blanc  ce  chevalier,  dont 
la  plus  grande  partie  du  plumage  est  noirâtre  ,  et  qui, 
dans  aucune  partie  de  sa  forme,  n'a  de  ressemblance 
au  héron. 

LE  CHEVALIER  BLANC. 

CINQUIÈME    ESPÈCE. 

T  ring  a  alba.  L. 

.  Ce  chevalier  se  trouve  à  la  baie  d'Hudson  ;  il  est 
à  peu  près  de  la  taille  du  chevalier,  première  espèce, 

\.   M.  Bâillon  .  qui  nous  communique  ces  faits,  y  joint  lobservation 
suivante  sur  un  de  ces  oiseaux  qu'il  a  fait  nourrir. 

«  J'en  ai  gardé  un  petit ,  l'an  passé  ,  dans  mon  jardin  ,  plus  de  qua- 


Ù-JO  LE    CHEVALIEll    BLANC. 

Tout  son  plumage  est  blanc;  le  bec  et  les  pieds  sont 
orangés. 

Edwards  pense  que  ces  oiseaux  sont  du  nombre  de 
ceux  que  le  froid  de  l'hiver  fait  blanchir  dans  le  nord, 
et  qu'en  été  ils  reprennent  leur  couleur  brune;  cou- 
leur dont  les  grandes  pennes  des  ailes  et  de  la  queue, 
dans  la  ligure  de  cet  auteur,  présentent  encore  une 
teinte,  et  qui  se  marque  par  petites  ondes  sur  le 
manteau. 


LE  CHEVALIER  VERT. 

SIXIÈME  ESPÈCE. 

Rallus  bengalensis,  L. 

Albin,  après  avoir  appelé  ce  chevalier  râle  d'eau  de 
Bengale^  le  fait  venir  des  Indes  occidentales.  La  figure 
qu'il  en  donne  est  très  mauvaise;  on  y  reconnoît  ce- 
pendant le  bec  et  les  jambes  d'un  chevalier.  Suivant 
la  notice,  ses  couleurs  ont  une  teinte  de  vert  sur  le 
dos  et  sur  l'aile,  excepté  les  trois  ou  quatre  premières 

tre  mois  :  j'ai  remarqué  que  dans  les  temps  de  sécheresse  il  prenoit 
des  mouches ,  des  scarabées,  et  d'autres  insectes ,  sans  doute  à  défaut 
de  vers  ;  il  mangeoit  aussi  du  pain  trempé  dans  l'eau ,  mais  il  falloit 
qu'il  y  eût  été  macéré  pendant  un  jour.  La  mue  lui  a  donné,  au  mois 
d'août,  de  nouvelles  plumes  aux  ailes ,  et  il  est  parti  au  mois  de  sep- 
tembre. Il  étoil  devenu  familier  au  point  de  suivre  pas  à  pas  le  jardi- 
nier lorsqu'il  avoit  sa  bêche  ;  il  accouroit  dès  qu'il  voyoit  arracher  une 
plante  d'herbe,  pour  prendre  les  vers  qui  se  découvroient  :  aussitôt 
qu'il  avoit  mangé,  il  couroit  se  laver  dans  une  jatte  remplie  d*eau.  Je 
ne  lui  ai  jamais  vu  de  terre  sèche  sur  le  bec  ou  aux  jambes.  Cet  acte 
de  propreté  est  commun  à  tous  les  verraivoves.  » 


n  0,10 


Tome  i,': 


Pïunuct  s-ulp 


1 .  LE    CHEVALIF.P.  VARIE ,  Q, ,  LE  COMB ATTAN T  E N     AMOUR 
O,  LA.  MAU BECHE. 


LE    CHEVALIER    VERT.  Ô'J  l 

pennes,  qui  sont  pourprées  et  coupées  de  taches 
orangées.  Il  y  a  du  brun  sur  le  cou  et  les  côtés  de  la 
tête  et  du  blanc  à  son  sommet,  ainsi  qu'à  la  poitrine. 


o<>»»9»*»»o.»a»8'»»9<»»-»g<»»»e»> 


LES  COMBATTANTS, 

VULGAIREMENT  PAONS  DE  MERK 

Trlnga  pugnax.  L. 

Il  est  peut-être  bizarre  de  donner  à  des  animaux 
un  nom  qui  ne  paroît  fait  que  pour  l'homme  en  guerre; 
mais  ces  oiseaux  nous  imitent  :  non  seulement  ils  se 
livrent  entre  eux  des  combats  seul  à  seul ,  des  assauts 
corps  à  corps,  mais  ils  combattent  aussi  en  troupes 
réglées ,  ordonnées,  et  marchant  l'une  contre  l'autre. 
Ces  phalanges  ne  sont  composées  que  de  raales,  qu'on 
prétend  être,  dans  cette  espèce,  beaucoup  plus  nom- 
breux que  les  femelles.  Celles-ci  attendent  à  part  la 
fin  de  la  bataille  et  restent  le  prix  de  la  victoire.  L'a- 
mour paroît  donc  être  la  cause  de  ces  combats,  les 
seuls  que  doit  avouer  la  nature ,  puisqu'elle  les  oc- 
casione  et  les  rend  nécessaires  par  un  de  ses  excès, 
c'est-à-dire  par  la  disproportion  qu'elle  a  mise  dans 
le  nombre  des  mâles  et  des  femelles  de  cette  espèce. 

Chaque  printemps  ces  oiseaux  arrivent  par  grandes 

i.  Sur  nos  côtes  de  Picardie,  paon  de  marais,  grosse  gorge ,  ou  cot- 
teret  gartt ;  en  flamand,  kemperkens  {combattant  ou  duelliste);  en  an- 
glois ,  ruffe  (le  mâle),  reeve  (la  femelle);  en  suédois  et  en  danois, 
brunsliane,  le  mâle,  lorsqu'il  porte  sa  crinière  au  printemps;  et  lors- 
qu'il l'a  perdue  après  la  mue  ,  staal  sneppe. 


?>'J2  LES    COMBATTANTS. 

bandes  sur  les  côtés  de  Hollande,  de  Flandre,  et 
d'Angleterre;  et,  dans  tous  ces  pays,  on  croit  qu'ils 
viennent  des  contrées  plus  au  nord.  On  les  connoît 
aussi  sur  les  côtes  de  la  mer  d'Allemagne,  et  ils  sont  en 
grand  nombre  en  Suède  et  particulièrement  en  Sca- 
nie.  Il  s'en  trouve  de  même  en  Danemarck  jusqu'en 
INorwége  ,  et  MuUer  dit  en  avoir  reçu  trois  de  Fin- 
marchie.  L'on  ne  sait  pas  où  ces  oiseaux  se  retirent 
pour  passer  l'hiver.  Comme  ils  nous  arrivent  régu- 
lièrement au  printemps  ,  et  qu'ils  séjournent  sur  nos 
côtes  pendant  deux  ou  trois  mois,  il  paroît  qu'ils 
cherchent  les  climats  tempérés  ;  et  si  les  observateurs 
n'assuroient  pas  qu'ils  viennent  du  côté  du  nord,  on 
seroit  bien  fondé  à  présumer  qu'ils  arrivent  au  con- 
traire des  contrées  du  midi.  Cela  me  fait  soupçonner 
qu'il  en  est  de  ces  oiseaux  combattants  comme  des 
bécasses  ,  que  l'on  a  dit  venir  de  l'est  et  s'en  retour- 
ner à  l'ouest  ou  au  sud,  tandis  qu'elles  ne  font  que 
descendre  des  montagnes  dans  les  plaines,  ou  remon- 
ter de  la  plaine  aux  montagnes.  Les  combattants  peu- 
vent de  même  ne  pas  venir  de  loin,  et  se  tenir  en 
différents  endroits  de  la  même  contrée,  dans  les 
différentes  saisons  ;  et  comme  ce  qu'ils  ont  de  singu- 
lier, je  veux  dire  leurs  combats  et  leur  plumage  de 
guerre,  ne  se  voit  qu'au  printemps,  il  est  très  possi- 
ble qu'ils  passent  en  d'autres  temps  sans  être  remar- 
*  qués,  et  peut-être  en  compagnie  des  maubèches  ou 
des  chevaliers,  avec  lesquels  ils  ont  beaucoup  de  rap- 
ports et  même  de  ressemblances. 

Les  combattants  sont  de  la  taille  du  chevalier  aux 
pieds  rouges,  un  peu  moins  hauts  sur  jambes;  ils  ont 
le  bec  de  la  même  forme,  mais  plus  court.  Les  fe- 


LES    COMBATTANTS.  5^3 

mellos  sont  ordirtairejiienl  plus  petites  que  les  mâles, 
et  se  resseûiblent  par  le  plumage,  qui  est  blanc,  mé- 
lano;é  de  brun  sur  le  manteau  ;  mais  les  maies  sont  au 
printemps  si  différents  les  uns  des  autres,  qu'on  les 
prendroit  chacun  pour  un  oiseau  d'espèce  particu- 
lière. De  plus  de  cent  qui  furent  comparés  devant 
M.  Klein,  chez  le  gouverneur  de  Scanie,  on  n'en 
trouva  que  deux  qui  fussent  entièrement  semblables; 
ils  différoient  ou  par  la  taille  ,  ou  par  les  couleurs ,  ou 
par  la  forme  et  le  volume  de  ce  gros  collier  en  forme 
d'une  crinière  épaisse  déplumes  enflées  qu'ils  portent 
autour  du  cou.  Ces  plujnes  ne  naissent  qu'au  commen- 
cement du  printemps,  et  ne  subsistent  qu'autant  que 
durent  les  amours;  mais,  indépendamment  de  cette 
production  de  surcroît  dans  ce  temps,  la  surabondance 
des  molécules  organiques  se  manifeste  encore  par  l'é- 
ruption d'une  multitude  de  papilles  charnues  et  san- 
guinolentes qui  s'élèvent  sur  le  devant  de  la  tête  et 
alentour  des  yeux.  Cette  double  production  suppose 
dans  ces  oiseaux  une  si  grande  énergie  des  puissances 
productrices,  qu'elle  leur  donne  pour  ainsi  dire  une 
autre  forme  plus  avantageuse,  plus  forte,  plus  fière, 
qu'ils  ne  perdent  qu'après  avoir  épuisé  partie  de  leurs 
forces  dans  les  combats,  et  répandu  ce  surcroît  de 
vie  dans  leurs  amours.  «  Je  ne  connois  pas  d'oiseaux  , 
nous  écrit  M.  BaîUon ,  en  qui  le  physique  de  l'amour 
paroisse  plus  puissant  que  dans  celui-ci;  aucun  n'a 
les  testicules  aussi  forts  par  rapport  à  sa  taille  :  ceux 
du  combattant  ont  chacun  près  de  six  lignes  de  dia- 
mètre ,  et  un  pouce  ou  plus  de  longueur;  le  reste  de 
l'appareil  des  parties  génitales  est  également  dilaté 


BlFFOiN.     X\V. 


5^4  l'Es    COMBATTANTS. 

dans  le  temps  des  amours.  On  peut  de  là  concevoir 
quelle  doit  être  son  ardeur  guerrière  ,  puisqu'elle  est 
produite  par  son  ardeur  amoureuse,  et  qu'elle  s'exerce 
contre  ses  rivaux.  J'ai  souvent  suivi  ces  oiseaux  dans 
nos  marais  (de  basse  Picardie),  où  ils  arrivent  au  mois 
d'avril  avec  les  chevaliers,  mais  en  moindre  nombre. 
Leur  premier  soin  est  de  s'apparier,  ou  plutôt  de  se 
disputer  les  femelles.  Celles-ci ,  par  de  petits  cris,  en- 
flamment l'ardeur  des  combattants.  Souvent  îa  lutte 
est  longue,  et  quelquefois  sanglante.  Le  vaincu  prend 
la  fuite  ;  mais  le  cri  de  la  première  femelle  qu'il  entend 
lui  fait  oublier  sa  défaite,  prêta  entrer  en  lice  de  nou- 
veau si  quelque  antagoniste  se  présente.  Cette  petite 
guerre  se  renouvelle  tous  les  jours  le  matin  et  le  soir, 
jusqu'au  départ  de  ces  oiseaux,  qui  a  lieu  dans  le 
courant  de  mai;  car  il  ne  nous  reste  que  quelques 
traîneurs,  et  l'on  n'a  jamais  trouvé  de  leurs  nids  dans 
nos  marais.  » 

Cet  observateur  exact  et  très  instruit  remarque 
qu'ils  partent  de  la  Picardie  par  les  vents  du  sud  et 
sud-est,  qui  les  portent  sur  les  côtes  d'Angleterre,  où 
en  effet  on  sait  qu'ils  nichent  en  très  grand  nombre, 
particulièrement  dans  le  comté  de  Lincoln;  on  y  en 
fait  même  une  petite  chasse.  L'oiseleur  saisit  l'instant 
où  ces  oiseaux  se  battent  pour  leur  jeter  son  fdet,  et 
on  est  dans  l'usage  de  les  engraisser  en  les  nourrissant 
avec  du  lait  et  de  la  mie  de  pain  ;  mais  on  est  obligé, 
pour  les  rendre  tranquilles,  de  les  tenir  renfermés 
dans  des  endroits  obscurs  ;  car  aussitôt  qu'ils  voient 
la  lumière  ,  ils  se  battent.  Ainsi  l'esclavage  ne  peut 
rien  diminuer  de  leur  humeur  guerrière.  Dans  les  vo- 


LES    COMBATTANTS.        '  5'j5 

lières  où  on  les  renferme  ils  vont  présenter  le  défi  a 
tous  les  autres  oiseaux^;  s'il  est  un  coin  de  gazon 
vert,  ils  se  battent  à  qui  l'occupera;  et,  comme  s'ils 
se  piquoient  de  gloire,  ils  ne  se  montrent  jamais 
plus  animes  que  quand  il  y  a  des  spectateurs.  La  cri- 
nière des  mâles  est  non  seulement  pour  eux  un  pa- 
rement de  guerre,  mais  une  sorte  d'armure ,  un  vrai 
plastron,  qui  peut  parer  les  coups;  les  plumes  en 
sont  longues ,  fortes ,  et  serrées  :  ils  les  hérissent 
d'une  manière  menaçante,  lorsqu'ils  s'attaquent;  et 
c'est  surtout  par  les  couleurs  de  cette  livrée  de  com- 
bat qu'ils  diffèrent  entre  eux  :  elle  est  rousse  dans  les 
uns,  p^rise  dans  d'autres,  blanche  dans  quelques  uns, 
et  d'un  beau  noir  violet  chatoyant,  coupé  de  taches 
rousses,  dans  les  autres;  la  livrée  blanche  est  la  plus 
rare.  Ce  panache  d'amour  ou  de  guerre  ne  varie  pas 
moins  par  la  forme  que  par  les  couleurs  durant  tout 
le  temps  de  son  accroissement.  On  peut  voir  dans  Al- 
drovande  les  huit  figures  qu'il  donne  de  ces  oiseaux 
avec  leurs  différentes  crinières^. 

Ce  bel  ornement  tombe  par  une  mue  qui  arrive  à 

1.  Il  y  a  à  la  Chine  des  oiseaux  qu'on  nomme  oiseaux  de  combat ,  et 
que  les  Chinois  nourrissent,  non  pour  chanter,  mais  pour  donner  le 
spectacle  de  petits  combats  qu'ils  se  livrent  avec  acharnement.  Il  n'y 
a  pas  pourtant  d'apparence  que  ce  soient  ici  nos  combattants ,  puisque 
ces  oiseaux  chinois  ne  sont  pas,  dit-on  ,  plus  gros  que  des  linots. 

2.  Au  reste ,  de  ces  huit  figures  queMonne  AJdrovande  sur  des  des- 
sins que  le  comte  d'Aremberg  lui  avoit  envoyés  de  Flandre  ,  l'une  pa- 
roît  être  la  femelle ,  cinq  autres  des  mâles  dans  différentes  périodes 
de  mue  ou  d'accroissement  de  leur  crinière;  et  la  huitième,  à  laquelle 
Aldrovande  trouve  lui-même  quelque  chose  de  monstrueux ,  ou  du 
moins  d'absolument  étranger  à  l'espèce  du  combattant ,  paroît  n'être 
qu'une  mauvaise  figure  du  grèbe  cornu,  que  ce  naturaliste  n'a  pas 
connu  ,  et  dont  nous  parlerons  dans  la  suite. 


3^6  LES    COMBATTANTS. 

ces  oiseaux  vers  la  fin  de  juin,  comme  si  la  nature  ne 
les  avoit  parés  et  munis  que  pour  la  saison  de  l'a- 
mour et  des  combats  ;  les  tubercules  vermeils  qui 
couvroient  leur  tête  pâlissent  et  s'oblitèrent,  et  en- 
suite elle  se  recouvre  de  plumes.  Dans  cet  ëtat  on  ne 
distingue  plus  guère  les  mâles  des  femelles,  et  tous 
ensemble  parlent  alors  des  lieux  où  ils  ont  fait  leurs 
nids  et  leur  ponte.  Ils  nichent  en  troupes  comme  les 
hérons,  et  cette  habitude  commune  a  seul  suffi  pour 
qu'Aldrovande  les  ait  rapprochés  de  ces  oiseaux  : 
mais  la  taille  et  la  conformation  entière  des  combat- 
tants est  si  difl'érente,  qu'ils  sont  très  éloignés  de 
toutes  les  espèces  de  hérons;  et  l'on  doit,  comme 
nous  l'avons  déjà  dit,  les  placer  entre  les  chevaliers 
et  les  maubèches. 

LES  MAUBÈCHES. 

Dans  l'ordre  des  petits  oiseaux  de  rivage  on  pour- 
roit  placer  les  maubèches  après  les  chevaliers  et  avant 
le  bécasseau  :  elles  sont  un  plus  grosses  que  ce  der- 
nier, et  moins  grandes  que  les  premiers;  elles  ont  le 
bec  plus  court;  leurs  jambes  sont  moins  hautes;  et 
leur  taille,  plus  raccourcie,  paroît  plus  épaisse  que 
celle  des  chevaliers.  Leurs  habitudes  doivent  être  les 
mêmes,  celles  du  moins  qui  dépendent  de  la  confor- 
mation et  de  l'habitation  ;  car  ces  oiseaux  fréquentent 
également  les  bords  sablonneux  de  la  mer.  INousman- 
quons  d'autres  détails  sur  leurs  mœurs,  quoique  nous 
en  connoissions  quatre  espèces  différentes. 


LA    MAU  REÇUE    COMMlJ?«E.  Ô'j'] 


<«»«««e«o«ioa«<3«««'8«>»s»o  «.'««««>»««  ««»eM 


LA  MAUBECHE  COMMUNE. 

PREMIÈRE    ESPÈCE. 

T  ring  a  calldris.  L. 

Elle  a  dix  ponces  de  la  pointe  du  bec  aux  ongles, 
et  un  peu  plus  de  neuf  pouces  jusqu'au  bout  de  la 
queue.  Les  plumes  du  dos ,  du  dessus  de  la  tête ,  et 
du  cou  ,  sont  d'un  brun  noirâtre,  et  bordées  de  mar- 
ron clair;  tout  le  devant  de  la  tête,  du  cou,  et  du 
corps,  est  de  cette  dernière  couleur;  les  neuf  pre- 
mières pennes  de  l'aile  sont  d'un  brun  foncé  en  des- 
sus ,  du  côté  extérieur;  les  quatre  plus  près  du  corps 
sont  brunes,  et  les  intermédiaires  d'un  gris  brun  et 
bordées  d'un  léger  filet  blanc.  Les  maubècbes  ont  le 
bas  de  la  jambe  nu,  et  le  doigt  du  milieu  uni,  jusqu'à 
la  première  articulation,  par  une  portion  de  mem- 
brane, avec  le  doigt  extérieur.  Au  reste,  nous  ne  pou- 
vons être  ici  de  l'avis  de  M.  Brisson  ,  ni  rapporter, 
comme  il  le  fait,  à  la  maubèche  la  rmticula  sylvatica 
de  Gesner,  oiseau  plus  grand  que  la  bécasse  ^  et  gros 
comme  une  poule;  il  est  même  difficile  de  le  rapporter 
à  aucune  espèce  connue  :  mais  Gesner  semble  vou- 
loir nous  épargner  une  discussion  infructueuse ,  en 
avertissant  qu'il  compte  peu  lui-même  sur  des  notices 
qu'il  n'a  données  que  sur  de  simples  dessins,  qui 
sont  en  effet  très  défectueux,  ou,  pour  mieux  dire, 
informes. 


Ô'-S  LA    MAUBÈCIIE    TACHETEE, 


LA  MAUBECHE  TACHETEE. 

SECONDE    ESPÈCE. 

Tringa  cinerea,  L.  (Jeune  âge.) 

Cette  maubèche ,  n°  565,  diffère  de  la  précédente 
en  ce  que  le  cendré  brun  du  dos  et  des  épaules  est 
varié  d'assez  grandes  taches,  les  unes  rousses,  les  au- 
tres d'un  noirâtre  tirant  sur  le  violet.  Ce  caractère 
suffit  pour  la  distinguer;  elle  est  aussi  un  peu  moins 
grande  que  la  première.  Le  détail  du  reste  des  cou- 
leurs est  bien  représenté  dans  la  planche  enluminée. 

LA  MAUBÈCHE  GRISE. 

TROISIÈME    ESPÈCE. 

Tringa  cinerea.  L.  (Plumage  d'hiver.) 

Cette  maubèche,  n"  366,  un  peu  pins  grosse  que 
la  maubèche  tachetée,  l'est  moins  que  la  maubèche 
commune.  Le  fond  de  son  plumage  est  gris;  le  dos  est 
entièrement  de  cette  couleur;  la  tête  est  d'un  gris 
onde  de  blanchâtre  ;  les  plumes  du  dessus  des  ailes  et 
celles  du  croupion  sont  grises  et  bordées  de  blanc  ; 
les  premières  des  grandes  pennes  de  l'aile  sont  d'un 
brun  noirâtre,  et  le  devant  du  corps  est  blanc,  avec 
de  petits  traits  noirs  en  zigzags  sur  les  côtés ,  la  poi- 
trine .  et  le  devant  du  cou. 


LE    SANDERtING.  379 


i;*9«^o«««»«» 


LE  Sx^NDERLING. 

QUATRIÈME    ESPÈCE. 

Tringa  cinclus  et  arenaria.  L. 

Nous  laissons  à  cet  oiseau  le  nom  de  sanderling 
qu'on  lui  donne  sur  les  côtes  d'Angleterre.  C'est  la 
plus  petite  espèce  des  maubèches;  elle  n'a  guère  que 
sept  pouces  de  longueur.  Son  plumage  est  à  peu  près 
le  même  que  celui  de  la  maubèche  grise  ,  excepté 
qu'elle  a  tout  le  devant  du  cou  et  le  dessous  du  corps 
très  blancs.  On  voit  ces  petites  maubèches  voler  en 
troupes  et  s'abattre  sur  les  sables  des  rivages.  On  les 
connoit  sous  le  nom  de  curwillet  sur  les  côtes  de  Cor- 
nouailles.  Willughby  donne  à  son  sanderling  quatre 
doigts  à  chaque  pied;  Ray,  qui  semble  pourtant  n'en 
parler  que  d'après  Willughby,  ne  lui  en  donne  que 
trois;  ce  qui  caractériseroit  un  pluvier  et  non  pas  une 
maubèche. 


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LE  BECASSEAU. 

Tringa  ochropm,  L. 

Nos  nomenclateurs  ont  compris  sous  le  nom  de  bé- 
casseau un  genre  entier  de  petits  oiseaux  de  rivage  , 
maubèches  ,  gui  guettes  :,  cincles^  alouettes  de  mer  j,  que 
quelques  naturalistes  ont  désigné  aussi  confusément 


380  LE    BKCA.SSEAU. 

SOUS  le  nom  de  tringa.  Tous  ces  oiseaux  à  la  vérité 
ont  dans  leur  petite  taille  une  ressemblance  de  con- 
formation avec  la  bécasse  ,   mais  ils  en  diffèrent  par 
les  habitudes  naturelles  autant  que  par  la  grandeur. 
Comme  d'ailleurs  ces  petites  familles  subsistent  sépa- 
rément les  unes  des  autres  et  sont  très  distinctes, 
nous  restreignons  ici  le  nom  de  bécasseau  à  la  seule 
espèce  connue  vulgairement  sous  le  nom  de  cul-blanc 
des  rivages.  Cet  oiseau,  n"  843,  est  gros  comme  la 
bécassine  commune,  mais  il  a  le  corps  moins  allongé. 
Son  dos  est  d'un  cendré  roussâtre,  avec  de  petites 
gouttes  blanchâtres  au  bord  des  plumes;  la  tête  et  le 
cou  sont  d'un  cendré  plus  doux,  et  cette  couleur  se 
mêle  par  pinceaux  au  blanc  de  la  poitrine,  qui  s'é- 
tend de  la  gorge  à  l'estomac  et  au  ventre  ;  le  croupion 
est  de  cette  même  couleur  blanche;  les  pennes  de 
l'aile  sont   noirâtres   et  agréablement   tachetées  de 
blanc  en  dessous;  celles  de  la  queue  sont  rayées  trans- 
versalement de  noirâtre  et  de  blanc.  La  tête  est  carrée 
comme  celle  de  la  bécasse ,  et  le  bec  est  de  la  même 
forme  en  petit. 

Le  bécasseau  se  trouve  au  bord  des  eaux  et  par- 
ticulièrement  sur  les  ruisseaux  d'eau  vive  ;  on  le 
voit  courir  sur  les  graviers,  ou  raser  au  vol  la  sur- 
face de  l'eau.  II  jette  un  cri  lorsqu'il  part,  et  vole  en 
frappant  l'air  par  coups  détachés.  Il  plonge  quel- 
quefois dans  Teau  quand  il  est  poursuivi.  Les  soubuses 
lui  donnent  souvent  la  chasse  ;  elles  le  surprennent 
lorsqu'il  cherche  sa  nourriture  :  car  le  bécasseau  n  a 
pas  la  sauvegarde  des  oiseaux  qui  vivent  en  troupes  et 
qui  communément  ont  une  sentinelle  qui  veille  à  la 
sûreté  commune;  il  vit  seul  dans  le  petit  canlon  qu'il 


LE    BÉCASSEAU.  38l 

s'est  choisi  ie  long  de  la  rivière  ou  de  la  côte,  et  s'y 
tient  constamment  sans  s'écarter  bien  loin.  Ces  mœurs 
solitaires  et  sauvages  ne  l'empêchent  pas  d'être  sensi- 
ble ,  du  moins  il  a  dans  la  voix  une  expression  de  sen- 
timent assez  marquée  ;  c'est  un  petit  sifflet  fort  doux 
et  modulé  sur  des  accents  de  langueur  qui,  répandu 
sur  le  calme  des  eaux  ou  se  mêlant  à  leur  murmure, 
porte  au  recueillement  et  à  la  mélancolie.  11  paroît  que 
c'est  le  même  oiseau  qu'on  appelle  slfflasson  sur  le 
lac  de  Genève,   où  on  le  prend  à  l'appeau  avec  des 
joncs  englués.  Il  est  connu  également  sur  le  lac  de 
Nantua,  où  on  le  nomme  pivette  ou  pied-vert.  On  ie 
voit  aussi  dans  le  mois  de  juin  sur  le  Rhône  et  la 
Saône,  et  dans  l'automne  sur  les  graviers  de  l'Ouche 
en  Bourgogne;  il  se  trouve  même  des  bécasseaux  sur 
la  Seine,  et  l'on  remarque  que  ces  oiseaux,  solitaires 
durant  tout  l'été  ,  lors  du  passage  se  suivent  par  peti- 
tes troupes  de  cinq  ou  six,  se  font  entendre  en  l'air 
dans   les  nuits  tranquilles.   En  Lorraine  ils  arrivent 
dans  le   mois  d'avril,   et   repartent  dès  le  mois   de 
juillet. 

Ainsi  le  bécasseau,  quoique  attaché  au  même  lieu 
pour  tout  le  temps  de  son  séjour,  voyage  néanmoins 
de  contrée  en  contrée,  et  même  dans  des  saisons  où 
la  plupart  des  autres  oiseaux  sont  encore  fixés  par  le 
soin  des  nichées.  Quoiqu'on  le  voie  pen.dant  les  deux 
tiers  de  l'année  sur  nos  côtes  de  basse  Picardie ,  on 
n'a  pu  nous  dire  s'il  y  ïiût  ses  petits.  On  lui  donne  , 
dans  ces  cantons,  le  nom  de  petit  chevalier;  il  s'y  tient 
à  l'embouchure  des  rivières,  et ,  suivant  le  flot,  il  ra- 
masse le  menu  frai  de  poisson  et  les  vermisseaux  sur 
le  sable  que  tour  à  tour  la  lame  d'eau  couvre  et  dé- 


582  LE    BÉCASSEAU. 

couvre.  Au  reste  ,  la  chair  du  bécasseau  est  très  dé- 
licate et  Blême  l'emporte  pour  le  goût  sur  celle  de  la 
bécassine,  suivant  Belon,  quoiqu'elle  ait  une  légère 
odeur  de  musc.  Comme  cet  oiseau  secoue  sans  cesse 
la  queue  en  marchant,  les  naturalistes  lui  ont  appli- 
qué le  nom  de  cincle ,  dont  la  racine  étymologique 
signifie  secousse  et  mouvement  ;  mais  ce  caractère  ne 
le  désigne  pas  plus  que  la  guignette  et  l'alouette  de 
mer,  qui  ont  dans  la  queue  le  même  mouvement  ;  et 
un  passage  d'Aristote  prouve  clairement  que  le  bé- 
casseau n'est  point  le  cincle.  Ce  philosophe  nomme 
les  trois  plus  petits  oiseaux  de  rivage  tringa^  sc/iœni- 
cloSj  cinclos.  jNous  croyons  que  ces  trois  noms  repré- 
sentent les  trois  espèces  du  bécasseau,  de  la  gui- 
gnette, et  de  l'alouette  de  mer.  «  De  ces  trois  oiseaux, 
dit-il,  qui  vivent  sur  les  rivages,  le  cincle  et  le  scliœ- 
niclos  sont  les  plus  petits;  le  trmga  est  le  plus  grand 
et  de  la  taille  de  la  grive.  »  Voilà  la  grandeur  du  bécas- 
seau bien  désignée  ,  et  celle  du  scliœniclos  et  du  cin- 
cle fixée  au  dessous;  mais  pour  déterminer  lequel  de 
ces  deux  derniers  noms  doit  s'appliquer  proprement 
ou  à  la  guignette  ,  ou  à  l'alouette  de  mer,  ou  à  notre 
petit  cincle,  les  indications  nous  manquent.  Au  reste, 
cette  légère  incertitude  n'approche  pas  de  la  confu- 
sion où  sont  tombés  les  nomenclateurs  au  sujet  du 
bécasseau  :  il  est  pour  les  uns  une  poule  d'eau^  pour 
d'autres  une  perdrix  de  mer;  quelques  uns,  comme 
nous  venons  de  le  voir,  l'appellent  cincle;  le  plus  grand 
nombre  lui  donnent  le  nom  detringa^  mais  en  le  per- 
vertissant par  une  application  générique,  tandis  qu'il 
étoit  spécifique  et  propre  dans  son  origine  ;  et  c'est 
ainsi  que  ce  seul  et  même  oiseaU;  r^-produit  sous  tous 


LE    BÉCASSEAU.  585 

ces  différents  noms  ,  a  donné  lieu  à  cette  multitude  de 
phrases  dont  on  voit  sa  nomenclature  chargée,  et  à  tout 
autant  de  figures,  plus  ou  moins  méconnoissables, 
sous  lesquelles  on  a  voulu  le  représenter  ;  confusion 
dont  se  plaint  avec  raison  Klein,  en  s'écriant  sur  l'im- 
possibilité de  se  reconnoître  au  milieu  de  ce  chaos 
de  figures  fautives  que  prodiguent  les  auteurs,  sans 
se  consulter  les  uns  les  autres  et  sans  connoître  la  na- 
ture ,  de  manière  que  leurs  notices ,  également  indi- 
gestes ,  ne  peuvent  servir  à  les  concilier. 


LA  GUIGNETTE. 

Totanas  hypoleucos.  Temm. 

On  pourroit  dire  que  la  guignette ,  n*"  85o ,  n'est 
qu'un  petit  bécasseau  ,  tant  il  y  a  de  ressemblance 
entre  ces  deux  oiseaux  pour  la  forme  et  môme  pour 
le  plumage.  La  guignette  a  la  gorge  et  le  ventre  blancs, 
la  poitrine  tachetée  de  pinceaux  gris  sur  blanc  ;  le 
dos  et  le  croupion  gris,  non  mouchetés  de  blanchâ- 
tre, mais  légèrement  ondes  de  noirâtre,  avec  un  pe- 
tit trait  de  cette  couleur  sur  la  côte  de  chaque  plumej 
et  dans  le  tout  on  aperçoit  un  reflet  rougeâtre.  La 
queue  est  un  peu  plus  longue  et  plus  étalée  que  celle 
du  bécasseau  :  la  guignette  la  secoue  de  môme  en 
marchant.  C'est  d'après  celte  habitude  que  plusieurs 
naturalistes  lui  ont  appliqué  le  nom  de  motacilla^ 
quoique  déjà  donné  à  une  multitude  de  petits  oi- 
seaux, tels  que  la  bergeronnette,  la  lavandière  ,  le 
troglodyte  ,  etc. 


584  t'A    r.L'IGNETTE. 

La  gnignette  vit  solitairement  le  long  des  eaux,  et 
cherche,  comme  les  bécasseaux,  ]es  grèves  et  les  rives 
de  sable.  On  en  voit  beaucoup  vers  les  sources  de  la 
Moselle,  dans  les  Yosges,  où  cet  oiseau  est  appelé 
kimbiclie.  Il  quitte  cette  contrée  de  bonne  heure,  et 
dès  le  mois  de  juillet,  après  avoir  élevé  ses  petits. 

La  guignette  part  de  loin  en  jetant  quelques  cris, 
et  on  Tentend  pendant  la  nuit  crier  sur  les  rivages 
d'une  voix  gémissante;  habitude  qu'apparemment  elle 
partage  avec  le  bécasseau,  puisque  ,  suivant  la  remar- 
que de  Wiilughby,  le  pilvenckegen  de  Gesner,  oiseau 
gémissant,  plus  grand  que  la  guignelte  ,  paroît  être 
le  bécasseau. 

Du  reste,  l'une  et  l'autre  de  ces  espèces  se  portent 
assez  avant  dans  le  nord  pour  être  parvenues  aux 
terres  froides  et  tempérées  du  nouveau  continent  ;  et 
en  efl'et  un  bécasseau  envoyé  de  la  Louisiane  ne  nous  a 
paru  difîerer  presque  en  rien  de  celui  de  nos  contrées. 


«t»«W»8^O»»»f^^»-»»o««9»0»»9»g'»<«3*<ft«'*'»g^'8.»»»<W"»0»«»0 


LA  PERDRIX  DE  MER. 

Glareola  torquata.  Meyer. — Glareola  austriaca,  L, 

C'est  très  improprement  qu'on  a  donné  le  nom  de 
perdrix  à  cet  oiseau  de  rivage,  n"  882  ,  qui  n'a  d'au- 
tre rapport  avec  la  perdrix  qu'une  foible  ressemblance 
dans  la  forme  du  bec.  Ce  bec ,  étant  en  effet  assez 
court,  convexe  en  dessus,  comprimé  par  les  côtés, 
courbé  vers  la  pointe  ,  ressemble  assez  au  bec  des 
gallinacés;  mais  la  forme  du  corps  et  la  coupe  des 
plumes  éloignent  cet  oiseau  du  genre  des  gallinacés 


Pl.l 


Tome  ab 


Pu-umiet  G  Cl  dp 


1   LA  PEP.DPJX    DE    MER,  2.  LJBIS    SACRE 


LA    PERDUIX    DE    MER.  585 

et  semblent  le  rapprocher  de  celui  des  hirondelles, 
dont  il  a  la  forme  et  les  proportions,  ayant,  comme 
elles  ,  la  queue  fourchue,  une  grande  envergure,  et 
la  coupe  des  ailes  en  pointe.  Quelques  auteurs  ont 
donné  à  cet  oiseau  le  nom  de  gtareola^  qui  a  rap- 
port à  sa  manière  de  vivre  sur  les  grèves  des  rivages 
de  la  mer  ;  et  en  eflet  cette  perdrix  de  mer  va  comme 
le  cincle  ,  la  guigiiette ,  et  l'alouette  de  mer,  cher- 
chant les  vermisseaux  et  les  insectes  aquatiques,  dont 
elle  fait  sa  nourriture.    Elle  fréquente  aussi  le  bord 
des  ruisseaux  et  des  rivières,   comme  sur  le  Rhin, 
vers  Strasbourg,   où,  suivant  Gesner,   on  lui  donne 
le  nom  allemand  de  koppriegerle.  Kramer  ne  l'appelle 
praticola  que  parce   qu'il  en  a  vu  un  grand  nombre 
dans  de  vastes  prairies  qui  bordent  un  certain  lac  de 
la  basse  Autriche  ;  mais  partout ,  soit  sur  les  bords 
des  rivières  et  des  lacs,  ou  sur  les  côtes  de  la  mer, 
cet  oiseau  cherche  les  grèves  ou  rives  sablonneuses, 
plutôt  que  celles  de  vase. 

On  connoît  quatre  espèces  ou  variétés  de  ces  per- 
drix de  mer ,  qui  paroissent  former  une  petite  famillle 
isolée  au  milieu  de  la  nombreuse  tribu  des  petits  oi- 
seaux de  rivage. 


LA  PERDRIX  DE  MER  GRISE. 

PREMIÈRE    ESPÈCE. 

Glareola  austrlaca.  L.  (  Yar.  ) 

La  première  est  la  perdrix  de  mer,   représentée 
dans  nos  planches  enluminées,  n"  S82,  et  qui,  avec 


586  LÀ    1>EUDUIX    DE    MEU    GRISE. 

l'espèce  suivante 5  se  voit,  mais  rarement,  sur  les  ri- 
vières dans  quelques  unes  de  nos  provinces,  particu- 
lièrement en  Lorraine,  où  M.  Lottinger  nous  assure 
l'avoir  vue.  Tout  son  plumage  est  d'un  gris  teint  de 
roux  sur  les  flancs  et  les  petites  pennes  de  l'aile  ;  elle 
a  seulement  la  gorge  blanche  et  encadrée  d'un  filet 
noir,  le  croupion  blanc  et  les  pieds  rouges.  Elle  est 
à  peu  près  de  la  grosseur  d'un  merle.  \J  kir  onde  Ue  de 
mer  d'Aldrovande ,  qui  du  reste  se  rapporte  assez  à 
cette  espèce  ,  paroît  y  former  une  variété ,  en  ce  que, 
suivant  ce  naturaliste,  elle  a  les  pieds  très  noirs. 


î>oi8««>o<ec«:e<e*«e««i>&»®e>&e*©ig«<teiff««e>e^  *« 


LA  PERDRIX  DE  MER  BRUNE. 

SECONDE    ESPÈCE. 

Glareola  senegalensis.  L. 

Cette  perdrix  de  mer ,  qui  se  trouve  au  Sénégal , 
et  qui  est  de  même  grosseur  que  la  nôtre,  n'en  dif- 
fère qu'en  ce  qu'elle  est  entièrement  brune  ,  et  nous 
sommes  fort  portés  à  croire  que  cette  différence  du 
gris  au  brun  n'est  qu'un  effet  de  l'influence  du  cli- 
mat, en  sorte  que  cette  seconde  espèce  pourroit  bien 
n'être  qu'une  race  ou  variété  de  la  première. 


LA    GIAROLE.  087 

LA  GIAROLE. 

TROISIÈME    ESPÈCE. 

Glareola  nœvia.  L. 

C'est  le  nom  que  porte  en  Italie  l'espèce  de  per- 
drix de  mer  à  laquelle  AIdrovande  rapporte  avec  rai- 
son celle  du  melampos  (ou  pied  noir)  de  Gesner; 
caractère  par  lequel  ce  dernier  auteur  prétend  qu*on 
peut  distinguer  cet  oiseau  de  tous  les  autres  de  ce 
genre ,  dont  aucun  n'a  les  pieds  noirs.  Le  nom  qu'il 
lui  donne  en  allemand  [rotknillis)  est  analogue  au 
fond  de  son  plumage  roux  ou  rougeâtre  au  cou  et 
sur  la  tête ,  où  il  est  tacheté  de  blanchâtre  et  de 
brun.  L'aile  est  cendrée  et  les  pennes  en  sont  noires. 

LA  PERDRIX  DE  MER 

A  COLLIER. 

QUATRIÈME    ESPÈCE. 

Glareola  austriaca.  L.  (Var.  b,) 

Le  nom  de  rlegerle^  que  les  Allemands  donnent  à 
cet  oiseau  ,  indique  qu'il  est  remuant  et  presque  tou- 
jours en  mouvement  :  en  effet ,  dès  qu'il  entend  quel- 
que bruit,  il  s'agite,  court,  et  part  en  criant  d'une 


588  LA    PERD  11  IX    DE    MEU    A    COLLIER. 

petite  voix  perçante.  Use  tient  sur  les  rivages,  et  ses  ha- 
bitudes sont  à  peu  près  les  mêmes  que  celles  des  gui- 
gnettes.  Mais  ea  supposant  que  la  figure  donnée  par 
Gesner  soit  exacte  dans  la  forme  du  bec  ,  cet  oiseau 
appartient  au  genre  de  ia  perdrix  de  mer,  tant  par  ce 
caractère  que  par  la  ressemblance  des  couleurs  :  le 
dos  est  cendré,  ainsi  que  le  dessus  de  l'aile,  dont 
les  grandes  pennes  sont  noirâtres;  la  tête  est  noire  , 
avec  deux  lignes  blanches  sur  les  yeux;  le  cou  est 
blanc  et  un  cercle  brun  l'entoure  au  bas  comme  un 
collier;  le  bec  est  noir  et  les  pieds  sont  jaunâtres.  Du 
reste,  cette  perdrix  de  mer  doit  être  la  plus  petite 
de  toutes,  étant  à  peine  aussi  grande  que  le  cincle  , 
qui  de  tous  les  oiseaux  de  rivage  est  le  plus  petit. 
Schwenckfeld  dit  que  cette  perdrix  de  mer  niche  sur 
-les  bords  sablonneux  des  rivières,  et  qu'elle  pond 
sept  œufs  oblongs;  il  ajoute  qu'elle  court  très  vite  et 
y  fait  entendre  pendant  les  nuits  d'été  un  petit  cri , 
tul^  tiil^  d'une  voix  retentissante. 


-.  »^«.<  »<«»?»*  »»P*gV-<»»»J«»C^C<»»0^-»v»» 


L'ALOUETTE  DE  MER 


Tritiga  subarcuata,  L. 


Cet  oiseau,  n**  85i ,  n'est  point  une  alouette,  quoi- 
qu'il en  ait  le  nom;  il  ne  ressemble  même  à  l'alouette 
que  par  la  taille,  qui  est  à  peu  près  égale,  et  par 
quelques  rapports  dans  les  couleurs  du  plumage  sur 

1.  En  aug'iois,  stint ;  on  allemand  ,  statu- Incker,  siein- bey.'^ser ;  vu 
liollandois ,  strand-looper. 


l'alouette  de  mer.  089 

le  dos  :  mais  il  en  diffère  pour  tout  le  reste,  soit  par 
la  forme,  soit  par  les  habitudes  ;  car  l'alouette  de 
mer  vit  au  bord  des  eaux  sans  quitter  les  rivages.  Eile 
a  le  bas  de  la  jambe  nu ,  et  le  bec  grêle,  cylindrique 
et  obtus,  comme  les  autres  oiseaux  scolopaces^  et  seu- 
lement plus  court  à  proportion  que  celui  de  la  petite 
bécassine ,  à  laquelle  cette  alouette  de  mer  ressemble 
assez  par  le  port  et  la  figure. 

C'est  en  effet  sur  les  bords  de  la  mer  que  se  lien- 
nent  de  préférence  ces  oiseaux,  quoiqu'on  les  trouve 
aussi  sur  les  rivières.  Ils  volent  en  troupes  souvent  si 
serrées  qu'on  ne  manque  pas  d'en  tuer  un  grand 
nombre  d'un  seul  coup  de  fusil  ;  et  Belon  s'étonne  de 
la  grande  quantité  de  ces  alouettes  aquatiques,  dont 
il  a  vu  les  marchés  garnis  sur  nos  côtes.  Selon  lui, 
c'est  un  meilleur  manger  que  n'est  l'alouette  elle- 
même  :  mais  ce  petit  gibier,  bon  en  effet  quand  il 
est  frais,  prend  un  goût  d'huile  dès  qu'on  le  garde. 
C'est  apparemment  de  ces  alouettes  de  mer  que  parie 
M.  Saîerne  sous  le  nom  de  gaignettes „  lorsqu'il  dit 
qu'elles  vont  en  troupes ^  puisque  la  guignette  vît  soli- 
taire. Si  l'on  tue  une  de  ces  alouettes  dans  la  bande, 
les  autres  voltigent  autour  du  chasseur,  comme  pour 
sauver  leur  compagne.  Fidèles  à  suivre,  elles  s'entre- 
appellent  en  partant,  et  volent  de  compagnie  en  ra- 
sant la  surface  des  eaux.  La  nuit  on  les  entend  se  ré- 
clamer et  crier  sur  \es  grèves  et  dans  les  petites  îles. 

On  les  voit  rassemblées  en  automne;  les  couples, 
que  le  soin  des  nichées  avoit  séparés,  se  réunissent 
alors  avec  les  nouvelles  familles,  qui  sont  ordinaire- 
ment de  quatre  ou  cinq  petits.  Les  œufs  sont  très  gros 
relativement  à  la  taille  de  l'oiseau;  il  les  dépose  sur  le 

F.TIFrOTV.     XXV.  25 


7)90  L  ALOUETTE    DE    MER. 

sable  nu.  Le  bécasseau  et  la  guignette  ont  la  même 
habitude  et  ne  font  point  de  nid.  L'alouette  de  mer 
fait  sa  petite  pêche  le  long  du  rivage  en  marchant  et 
secouant  incessamment  la  queue. 

Ces  oiseaux  voyagent  comme  tant  d'autres  et  chan- 
gent de  contrées;  il  paroît  même  qu'ils  ne  sont  que 
de  passage  sur  quelques  unes  de  nos  côtes  :  c'est  du 
moins  ce  que  nous  assure  un  bon  observateur  de 
celles  de  basse  Picardie.  Ils  arrivent  dans  ces  parages 
au  mois  de  septembre  par  les  vents  d'est,  et  ne  font 
que  passer.  Ils  se  laissent  approcher  à  vingt  pas  ;  ce 
qui  nous  fait  présumer  qu'on  ne  les  chasse  pas  dans 
les  pays  d'où  ils  viennent. 

Au  reste ,  il  faut  que  les  voyages  de  ces  oiseaux  les 
aient  portés  assez  avant  au  nord  pour  qu'ils  aient 
passé  d'un  continent  à  l'autre;  car  on  en  trouve  l'es- 
pèce bien  établie  dans  les  contrées  septentrionales  et 
méridionales  de  l'Amérique,  à  la  Louisiane,  aux  An- 
tilles, à  la  Jamaïque,  à  Saint-Domingue,  à  Gayenne. 
Les  deux  alouettes  de  mer  de  Saint-Domingue  que 
donne  séparément  M.  Brisson  paroissent  n'être  que 
des  variétés  de  notre  espèce  d'Europe  :  et  dans  l'an- 
cien continent  l'espèce  en  est  répandue  du  nord  au 
midi;  car  on  reconnoîl  l'alouette  de  mer  au  cap  de 
Bonne-Espérance  dans  l'oiseau  que  donne  Kolbe  sous 
le  nom  de  bergeronnette ,  et,  au  nord,  dans  le  stint 
d'Ecosse ,  de  Willughby  et  de  Sibbald, 


LE    CÎNCLE. 


5^ 


LE   CINGLE. 

Trlnga  variabilis,  L. 

AuisTOTE  a  donné  le  nom  de  cinclos  à  Tun  des  plus 
petits  oiseaux  de  rivage,  et  nous  croyons  devoir  adop- 
ter ce  nom  pour  le  plus  petit  de  tous  ceux  qui  com- 
posent cette  nombreuse  tribu,  dans  laquelle  on  com- 
prend les  chevaliers,  les  maubèches,  le  bécasseau, 
la  guignette,  la  perdrix,  et  l'alouette  de  mer.  Notre 
cincle  même  ,  n"  852  ,  paroît  n'être  qu'une  espèce  se- 
condaire et  subalterne  de  l'alouette  de  mer  :  un  peu 
plus  petit  et  moins  haut  sur  ses  jambes,  il  a  les  jnê- 
mes  couleurs,  avec  la  seule  différence  qu'elles  sont 
plus  marquées;  les  pinceaux  sur  le  manteau  sont 
tracés  plus  nettement,  et  l'on  voit  une  zone  de  ta- 
ches de  celte  couleur  sur  la  poitrine  :  c'est  ce  qui  l'a 
fait  nommer  alouette  de  mer  à  collier  par  M.  Brisson. 
Le  ciucle  a  d'ailleurs  les  mêmes  mœurs  que  l'alouette 
de  mer,  on  le  trouve  fréquemment  avec  elle,  et  ces 
oiseaux  passent  de  compagnie.  Il  a  dans  la  queue  le 
même  mouvement  de  secousse  ou  de  tremblement; 
habitude  qu'Aristote  paroît  attribuer  à  son  cincle  : 
mais  nous  n'avons  pas  vérifié  si  ce  qu'il  en  dit  de  plus 
peut  convenir  au  nôtre;  savoir,  qu'une  fois  pris  il 
devient  très  aisément  privé,  quoiqu'il  soit  plein  d'as- 
tuce pour  éviter  les  pièges.  Quant  à  la  longue  et  ob- 
scure discussion  d'Aldrovande  sur  le  cincle,  tout  ce 
qu'on  peut  en  conclure,  ainsi  que  des  figures  mulli- 


7)92  LE    CINGLE. 

pliëesel  tontes  défectueuses  qu'il  en  donne,  cest  que 
les  deux  oiseaux  que  les  Italiens  nomment  giarollo 
et  giaroncello  répondent  à  notre  cincle  et  à  noire 
alouette  de  mer. 

L'IBIS\ 

Tantalas  Ibis.  L. 

De  toutes  les  superstitions  qui  aient  jamais  infecté 
la  raison  ,  et  dégradé,  avili  l'espèce  humaine  ,  le  culte 
des  animaux  seroit  sans  doute  la  plus  honteuse  ,  si 
l'on  n'en  considéroit  pas  l'origine  et  les  premiers  mo- 
tifs. Comment  l'homme  en  effet  a-t-il  pu  s'abaisser 
jusqu'à  l'adoration  des  bêtes  .►^  Y  a-t-il  une  preuve 
plus  évidente  de  notre  état  de  misère  dans  ces  pre- 
miers âges  où  les  espèces  nuisibles ,  trop  puissantes  et 
trop  nombreuses,  entouroient  l'homme  solitaire, 
isolé,  dénué  d'armes  et  des  arts  nécessaires  à  l'exer- 
cice de  ses  forces?  Ces  mêmes  animaux,  devenus  de- 
puis ses  esclaves,  étoient  alors  ses  maîtres,  ou  du 
moins  des  rivaux  redoutables;  la  crainte  et  l'intérêt 
firent  donc  naître  des  sentiments  abjects  et  des  pen- 
sées absurdes;  et  bientôt  la  superstition,  recueillant 
les  unes  et  les  autres ,  fit  également  àes  dieux  de  tout 
être  utile  ou  nuisible. 

i.  Ibis,  en  grec.  Les  Romains  adoptèrent  ce  nom.  L'ibis  n'en  a  point 
dans  les  Langues  de  TEuropc ,  comme  inconnu  à  ces  climats.  Selon 
Albert,  il  se  nommoit  en  égyptien  leheras.  On  trouve  dans  Avicenne 
le  mot  ansclitiz  pour  signifier  Vibis;  mais  saint  Jérôme  traduit  mal 
janschuph  par  ibis,  puisqu'il  s'agit  là  d'un  oiseau  de  nuit.  Quelques 
inlerprèles  rendent  par  ibis  le  mol  hébreu  tinsc/iemet. 


L  IBIS.  3q3 

L'Égyple  est  l'une  des  contrées  où  ce  culte  des 
animaux  s'est  établi  le  plus  anciennement,  et  s'est 
conservé,  observé  le  plus  scrupuleusement  pendant 
un  grand  nombre  de  siècles;  et  ce  respect  religieux, 
qui  nous  est  attesté  par  tous  les  monuments,  semble 
nous  indiquer  que,  dans  cette  contrée,  les  hommes 
ont  lutté  très  long-temps  contre  les  espèces  malfai- 
santes. 

En  effet,  les  crocodiles,  les  serpents,  les  saute- 
relles, et  tous  les  autres  animaux  immondes,  renais- 
soient  à  chaque  instant,  et  pulluloient  sans  nombre 
sur  le  vaste  limon  d  une  terre  basse  ,  profondément 
humide  et  périodiquement  abreuvée  par  les  épanche- 
ments  du  fleuve;  et  ce  limon  fangeux,  fermentant 
sous  les  ardeurs  du  tropique ,  dut  soutenir  long- temps 
et  multiplier  à  l'infini  toutes  ces  générations  impures, 
informes,  qui  n'ont  cédé  la  terre  à  des  habitants  plus 
nobles  que  quand  elle  s'est  épurée. 

«  Des  essaims  de  petits  serpents  venimeux,  nous 
disent  les  premiers  historiens,  et  sortis  de  la  vase 
échauffée  des  marécages,  et  volant  en  grandes  trou- 
pes ,  eussent  causé  la  ruine  de  l'Egypte  ,  si  les  ibis  ne 
fussent  venus  à  leur  rencontre  pour  les  combattre  et 
les  détruire,  »  N'y  a-t-il  pas  toute  apparence  que  ce 
service ,  aussi  grand  qu'inattendu  ,  fut  le  fondement 
de  la  superstition  qui  supposa  dans  ces  oiseaux  tuté- 
iaires  quelque  chose  de  divin?  Les  prêtres  accrédi- 
tèrent cette  opinion  du  peuple  ;  ils  assurèrent  que  les 
dieux,  s'ils  daignoient  se  manifester  sous  une  forme 
sensible ,  prendroient  la  figure  de  l'ibis.  Déjà ,  dans  la 
grande  métamorphose,  leur  dieu  bienfaisant,  Thotkj 
ou  Mercure  inventeur  des  arts  et  des  lois,  avoit  subi 


594  i^iBis. 

cette  transformation;  et  Ovide ,  fidèle  à  cette  antique 
mythologie,  dans  le  combat  des  dieux  et  des  géants, 
cache  Mercure  sous  les  ailes  d'un  ibis ,  etc.  Mais , 
mettant  toutes  ces  fables  à  part,  il  nous  restera  l'his- 
toire des  combats  de  ces  oiseaux  contre  les  serpents. 
Hérodote  assure  être  allé  sur  les  lieux  pour  en  être 
témoin.  «  Non  loin  de  Butus ^  dit-il,  aux  confins  de 
l'Arabie,  où  les  montagnes  s'ouvrent  sur  la  vaste  plaine 
de  l'Egypte,  j'ai  vu  les  champs  couverts  d'une  incroya- 
ble quantité  d'ossements  entassés,  et  des  dépouilles 
de  reptiles  que  les  ibis  y  viennent  attaquer  et  détruire 
au  moment  qu'ils  sont  près  d'envahir  l'Egypte.  »  Ci- 
céron  cite  ce  même  fait ,  en  adoptant  le  récit  d'Hé- 
rodote ,  et  Pline  semble  le  confirmer  lorsqu'il  repré- 
sente les  Égyptiens  invoquant  religieusement  leurs 
ibis  à  l'arrivée  des  serpents. 

On  lit  aussi,  dans  l'historien  Josèphe  ,  que  Moïse, 
allant  en  guerre  contre  les  Éthiopiens,  emporta  dans 
des  cages  de  papyrus  un  grand  nombre  d'ibis  pour  les 
opposer  aux  serpents.  Ce  fait,  qui  n'est  pas  fort  vrai- 
semblable, s'explique  aisément  parmi  autre  fait  rap- 
porté dans  la  Description  de  L'Egypte  par  M.  de  Mail- 
let. «  Un  oiseau  ,  dit-il ,  qu'on  nomme  chapon  de  Pha- 
raon (et  que  l'on  reconnoît  pour  l'ibis)  suit  pendant 
plus  de  cent  lieues  les  caravanes  qui  vont  à  la  Mecque, 
pour  se  repaître  des  voieries  que  la  caravane  laisse 
après  elle;  et  en  tout  autre  temps  il  ne  paroît  aucun 
de  ces  oiseaux  sur  cette  route.  »  L'on  doit  donc  pen- 
ser que  les  ibis  suivirent  ainsi  le  peuple  hébreu  dans 
sa  course  en  Egypte;  et  c'est  ce  fait  que  Josèphe 
nous  a  transmis  en  le  défigurant,  et  en  attribuant  à 
lu  prudence   d'un  chef  merveilleux  ce    qui   n'étoit 


LIBIS.  595 

qu'un  effet  de  l'instinct  de  ces  oiseaux  ;  et  cette  armée 
contre  les  Éthiopiens,  et  les  cages  de  papyrus j  ne 
sont  là  que  pour  embellir  la  narration  et  agrandir 
l'idée  qu'on  devoit  avoir  du  génie  d'un  tel  comman- 
dant. 

Il  étoit  défendu,  sous  peine  de  la  vie,  aux  Égyptiens, 
de  tuer  les  ibis;  et  ce  peuple  ,  aussi  triste  que  vain, 
fut  inventeur  de  l'art  lugubre  des  momies  ,  par  lequel 
il  vouloit  pour  ainsi  dire  éterniser  la  mort,  malgréla  na- 
ture bienfaisante  qui  travaille  sans  cesse  à  en  effacer  les 
images;  et  non  seulement  les  Égyptiens  employoienl 
cet  art  des  embaumements  pour  conserver  les  cada- 
vres humains,  mais  ils  préparoient  avec  autant  de  soin 
les  corps  de  leurs  animaux  sacrés.  Plusieurs  puits  des 
momies  dans  la  plaine  de  Saccara  s'appellent  puits 
des  oiseaux^  parce  qu'on  y  trouve  en  effet  des  oiseaux 
embaumés,  et  surtout  des  ibis  renfermés  dans  de 
longs  pots  de  terre  cuite,  dont  l'orifice  est  bouché 
d'un  ciment.  Nous  avons  fait  venir  plusieurs  de  ces 
pots,  et  après  les  avoir  cassés,  nous  avons  trouvé 
dans  tous  une  espèce  de  poupée  formée  par  les  lan- 
ges qui  servent  d'enveloppe  au  corps  de  l'oiseau, 
dont  la  plus  grande  partie  tombe  en  poussière  noire 
en  développant  son  suaire;  on  y  reconnoît  néan- 
moins tous  les  os  d'un  oiseau ,  avec  des  plumes  em- 
pâtées dans  quelques  morceaux  qui  restent  solides. 
Ces  débris  nous  ont  indiqué  la  grandeur  de  l'oiseau, 
qui  est  à  peu  près  égale  à  celle  du  courlis;  le  bec, 
qui  s'est  trouvé  conservé  dans  deux  de  ces  momies, 
nous  en  a  fait  connoître  le  genre.  Ce  bec  a  l'épais- 
seur de  celui  de  la  cigogne ,  et  par  sa  courbure  il  res- 
semble au  bec  du  courlis,  sans  néanmoins  en  avoir 


3g6  l'jbis. 

les  cannelures,  et,  comme  la  courbure  en  est  égale 
sur  toute  sa  longueur,  il  paroît ,  par  ces  caractères, 
qu'on  doit  placer  l'ibis  entre  la  cigogne  et  le  courlis. 
En  effet,  il  tient  de  si  près  à  ces  deux  genres  d'oi- 
seaux ,  que  les  naturalistes  modernes  l'ont  rangé  avec 
les  derniers,  et  que  les  anciens  Tavoient  placé  avec 
le  premier.  Hérodote  avoit  très  bien  caractérisé  l'i- 
bis, en  disant  qu'il  a  le  bec  fort  arqué  et  la  jambe 
haute  comme  la  grue.  Il  en  distingue  deux  espèces. 
«La  première,  dit-il,  a  le  plumage  tout  noir;  la  se- 
conde, qui  se  rencontre  à  chaque  pas,  est  toute 
blanche,  à  l'exception  des  plumes  de  l'aile  et  de  la 
queue,  qui  sont  très  noires,  et  du  dénûment  du  cou 
et  de  îa  tête ,  qui  ne  sont  couverts  que  de  la  peau.» 

Mais  ici  il  faut  dissiper  un  nuage  jeté  sur  ce  pas- 
sage d'Hérodote  par  l'ignorance  des  traducteurs;  ce 
qui  donne  un  air  fabuleux  et  même  absurde  à  son 
récit.  Au  lieu  de  rendre  tor  den  posi  mallon  eileume- 
tôn  toïti  anthrôpoisi _,  à  la  lettre  quœ  pedibus  hominvm 
observaiitur  sœplus  (celle  qu'on  rencontre  à  chaque 
pas),   on    a  traduit   liœ  quidem   habent  pedes   veluti 
hominis  (ces  ibis  ont  les  pieds  faits  comme  ceux  de 
l'homme).  Les  naturalistes,   ne  comprenant  pas  ce 
que  pouvoit    signifier  cette  comparaison    disparate , 
firent,  pour  l'expliquer  ou  la  pallier,  d'inutiles  efforts. 
Ils  imaginèrent  qu'Hérodote,  décrivant  l'ibis  blanc, 
avoit  eu  en  vue  la  cigogne,  et  avoit  pu  abusivement 
caractériser  ainsi  ses  pieds,  parla  foible  ressemblance 
que  l'on  peut  trouver  des  ongles  aplatis  de  la  cigo- 
gne à  ceux  de  l'homme.  Cette  interprétation  satisfai- 
soit  peu,   et  l'ibis  aux  pieds  humains  auroit  du  dès 
lors  être  relégué  dans  les  fables  :   cependant  il  h\{ 


l'ibis.  397 

admis  comme  un  être  réel  sous  cette  absurde  image, 
et  l'on  ne  peut  qu'être  étonné  de  la  trouver  encore 
aujourd'hui  exprimée  tout  entière  ,  sans  discussion 
et  sans  adoucissement ,  dans  les  mémoires  d'une  sa- 
vante académie,  tandis  que  cette  chimère  n'est, 
comme  Ton  voit,  que  le  fruit  d'une  méprise  du  tra- 
ducteur de  ce  premier  historien  grec,  que  sa  can- 
deur à  prévenir  de  l'incertitude  de  ses  récits,  quand 
il  ne  les  fait  que  sur  des  rapports  étrangers,  eût  dû 
faire  plus  respecter  dans  les  sujets  où  il  parle  d'après 
lui-même. 

Aristote ,  en  distinguant,  comme  Hérodote,  les 
deux  espèces  d'ibis,  ajoute  que  la  blanche  est  répan- 
due dans  toute  l'Egypte  ,  excepté  vers  Peluse  ,  où  l'on 
ne  voit  au  contraire  que  des  ibis  noirs  qui  ne  se  trou- 
vent pas  dans  tout  le  reste  du  pays.  Pline  répète 
celte  observation  particulière  ;  mais  du  reste  tous  les 
anciens,  en  distinguant  les  deux  ibis  par  la  couleur, 
semblent  leur  donner  en  commun  tous  les  autres  ca- 
ractères; figure,  habitudes,  instinct,  et  leur  domicile 
de  préférence  en  Egypte,  à  l'exclusion  de  toute  autre 
contrée.  On  ne  pouvoit  même ,  suivant  l'opinion 
commune,  les  transporter  hors  de  leur  pays,  sans 
les  voir  consumés  de  regrets.  Cet  oiseau,  si  fidèle  f\ 
sa  terre  natale  ,  en  étoit  devenu  l'emblème;  la  figure 
de  l'ibis,  dans  les  hiéroglyphes 5  désigne  presque  tou- 
jours l'Egypte  ,  et  il  est  peu  d'images  ou  de  caractères 
qui  soient  plus  répétés  dans  tous  les  monuments. 
On  voit  ces  figures  d'ibis  sur  la  plupart  des  obélis- 
ques, sur  la  base  de  la  statue  du  Nil ,  au  Belvédère  à 
Rome  ,  de  même  qu'au  jardin  des  Tuileries  à  Paris. 
Dans  la  médaille  d'Adrien,  où  l'Egypte  paroît  pros- 


598  l'ibis. 

ternée,  Tibis  esta  ses  côtés.  On  a  figuré  cet  oiseau 
avec  l'éléphant  sur  les  médailles  de  Q.  Marins,  pour 
désigner  l'Egypte  et  la  Lybie,  théâtres  de  ses  ex- 
ploits, etc. 

D'après  le  respect  populaire  et  très  ancien  pour 
cet  oiseau  fameux,  il  n'est  pas  étonnant  que  son  his- 
toire ait  été  chargée  de  fables  :  on  a  dit  que  les  ibis 
se  fécondoient  et  engendroient  par  le  bec.  Solin  pa- 
roît  n'en  pas  douter;  mais  Aristote  se  moque  avec 
raison  de  cette  idée  de  pureté  virginale  dans  cet  oi- 
seau sacré.  Pierius  parle  d'une  merveille  d'un  genre 
bien  opposé  ;  il  dit  que,  selon  les  anciens  ,  le  basilic 
naissoit  d'un  œuf  d'ibis,  formé,  dans  cet  oiseau,  des 
venins  de  tous  les  serpents  qu'il  dévore.  Ces  mêmes 
anciens  ont  encore  écrit  que  le  crocodile  et  les  ser- 
pents, touchés  d'une  plume  d'ibis,  demeuroient  immo- 
biles comme  par  enchantement,  et  que  souvent  même 
ils  mouroient  sur-le-champ.  Zoroastre,  Démocrite  et 
Philé  ont  avancé  ces  faits;  d'autres  auteurs  ont  dit 
que  la  vie  de  cet  oiseau  divin  étoit  excessivement 
longue  :  les  prêtres  d'Hermopolis  prétendoient  même 
qu'il  pouvoit  être  immortel;  et,  pour  le  prouver,  ils 
montrèrent  à  Appion  un  ibis  si  vieux,  disoient-ils, 
qu'il  ne  pouvoit  plus  mourir. 

Ce  n'est  là  qu'une  partie  des  fictions  enfantées  dans 
la  religieuse  Egypte ,  au  sujet  de  cet  ibis  ;  la  supers- 
tition porte  tout  à  l'excès  ;  mais ,  si  l'on  considère  le 
motif  de  sagesse  que  put  avoir  le  législateur  en  consa- 
crant le  culte  des  animaux  utiles,  on  sentira  qu'en 
Egypte  il  étoit  fondé  sur  la  nécessité  de  conserver  et 
de  multiplier  ceux  qui  pouvoient  s'opposer  aux  espèces 
nuisibles,  Cicéron  remarque  judicieusement  que  les 


L*IBIS.  099 

Égyptiens  n'eurent  d'animaux  sacrés  que  ceux  des- 
quels il  leur  importoit  que  la  vie  fût  respectée,  à 
cause  de  la  grande  utilité  qu'ils  en  liroient^  ;  juge- 
ment sage  et  bien  différent  de  celui  de  l'impétueux 
Jnvénal ,  qui  compte  parmi  les  crimes  de  l'Egypte  sa 
vénération  pour  l'ibis,  et  déclame  contre  ce  culte, 
que  la  superstition  exagéra  sans  doute,  mais  que  la 
sagesse  dut  maintenir,  puisque  telle  est  en  géné»ral  la 
foiblesse  de  l'bomme,  que  les  législateurs  les  plus 
profonds  ont  cru  devoir  en  faire  le  fondement  de  leurs 
lois. 

En  nous  occupant  maintenant  de  l'histoire  natu- 
relle et  des  habitudes  réelles  de  l'ibis,  nous  lui  recon- 
noîtrons  non  seulement  un  appétit  véhément  de  la 
chair  des  serpents,  mais  encore  une  forte  antipathie 
contre  tous  les  reptiles;  il  leur  fait  la  plus  cruelle 
guerre.  Belon  assure  qu'il  va  toujours  les  tuant,  quoi- 
que rassasié.  Diodore  de  Sicile  dit  que  jour  et  nuit 
l'ibis  se  promène  sur  la  rive  des  eaux ,  guettant  les 
reptiles  ,  cherchant  leurs  œufs  ,  et  détruisant  en  pas- 
sant les  scarabées  et  les  sauterelles.  Accoutumés  au 
respect  qu'on  leur  marquoit  en  Egypte  ,  ces  oiseaux 
venoient  sans  crainte  au  milieu  des  villes.  Strabon 
rapporte  qu'ils  remplissoient  les  rues  et  les  carrefours 
d'Alexandrie  jusqu'à  l'importunité  et  à  l'incommodité , 
consommant  à  la  vérité  les  immondices,  mais  atta- 
quant aussi  ce  qu'on  mettoit  en  réserve  ,  et  souillant 

1.  Il  paroU  difficile  d'abord  d'appliquer  cette  raison  au  culte  du 
crocodile;  mais,  outre  qu'il  u'éloit  adoré  que  dans  une  seule  ville  du 
nom  d'Arsinoïte,  et  que  l'ichneumon ,  son  antagoniste,  l'étoit  dans 
toute  l'Egypte  ,  cette  ville  des  crocodiles  ne  les  adoroit  que  par  crainte, 
et  pour  les  tenir  éloignés ,  par  un  culte  à  la  vérité  insensé  ,  d'un  lieu 
où  naiurellemeut  le  fleuve  ne  les  avoit  point  portés. 


4oo  l'ibis. 

tout  de  leur  fiente;  inconvénients  qui  pouvaient  en 

effet   choquer  un    Grec   délicat  et  poli,    mais  que 

des  Égyptiens  grossièrement  religieux  souffroit  avec 

plaisir. 

Ces  oiseaux  posent  leur  nid  sur  les  palmiers  et  le 
placent  dans  l'épaisseur  des  feuilles  piquantes,  pour 
le  mettre  à  l'abri  de  l'assaut  des  chats  leurs  ennemis. 
Il  paroît  que  la  ponte  est  de  quatre  œufs  ;  c'est  du 
moins  ce  que  l'on  peut  inférer  de  l'explication  de  la 
Table  isiaque^  par  Pignorus.  Il  est  dit  que  l'ibis  mar- 
que sa  ponte  par  les  mêmes  nombres  que  la  lune 
marque  ses  temps,  ad  lunœ  rationem  ova  fing'it ;  ce 
qui  ne  paroît  pouvoir  s'entendre  autrement  qu'en  di- 
sant, avec  le  docteur  Shaw,  que  l'ibis  fait  autant 
d'oeufs  qu'il  y  a  de  phases  de  la  lune  ,  c'est-à-dire 
quatre.  Élien,  expliquant  pourquoi  cet  oiseau  est  con- 
sacré à  la  lune,  indique  la  durée  de  l'incubation,  en 
disant  qu'il  met  autantde  jours  à  faire  éclore  ses  petits^ 
que  l'astre  d'Isis  en  met  à  parcourir  le  cercle  de  ses 
phases  ^. 

Pline  et  Galien  attribuent  à  l'ibis  l'invention  du 
clystère,  comme  celle  de  la  saignée  à  l'hippopotame; 
et  ce  ne  sont  points  ajoute  le  premier,  les  seules  choses 
où  r homme  ne  fut  que  le  disciple  de  l'industrie  des  ani- 
maux. Selon  Piutarque,   l'ibis  ne  se  sert  pour  cela 

i.  Piutarque  nous  assure  que  le  petit  ibis,  venant  de  naître,  pèse 
deux  drachmes. 

2.  Clément  Alexandrin ,  décrivant  les  repas  religieux  des  Égyptiens, 
dit  qu'entre  autres  objets  on  porloit  alentour  dos  convives  un  ibis  ; 
cet  oiseau,  par  le  blanc  et  le  noir  de  son  plumage  ,  étant  l'emblème  de 
la  lune  obscure  et  lumineuse;  et  suivant  Piutarque,  on  trouvoit,  dans 
la  manière  dont  le  blanc  étoit  tranché  avec  le  noir  dans  ce  plumage, 
une  figure  du  croissant  de  l'aslre  des  nuits. 


LIBIS.  40l 

que  d  eau  salée  ,  el  M.  Perrault ,  danj;  sa  description 
anatomique  de  cet  oiseau,  prétend  avoir  remarqué 
le  trou  du  bec  par  lequel  Teau  peut  être  lancée. 

Nous  avons  dit  que  les  anciens  distinguoient  deux 
espèces  d'ibis,  lune  blanche  et  l'autre  noire  :  nous 
n'avons  vu  que  la  blanche,  et  nous  l'avons  fait  re- 
présenter dans  les  planches  enluminées  ;  et  à  l'égard 
de  l'ibis  noir,  quoique  M.  Perrault  prétende  qu'il  a 
été  apporté  en  Europe  plus  souvent  que  l'ibis  blanc, 
cependant  aucun  naturaliste  ne  l'a  vu  depuis  Belon , 
et  nous  n'en  savons  que  ce  qu'en  a  dit  cet  observa- 
teur. 

L'IBIS  BLANC. 

Tantalus  Ibis.  L. 

Cet  oiseau,  n''  089,  est  un  peu  plus  grand  que  le 
courlis  et  l'est  un  peu  moins  que  la  cigogne  :  sa  lon- 
gueur, de  la  pointe  du  bec  au  bout  des  ongles,  est 
d'environ  trois  pieds  et  demi.  Hérodote  en  donne  la 
description  ,  en  disant  que  cet  oiseau  a  les  jambes 
Tîautes  et  nues;  la  face  et  le  front  également  dénués 
de  plumes;  le  bec  arqué;  les  pennes  de  la  queue  et 
des  ailes  noires,  et  le  reste  du  plumage  blanc.  JNous 
ajouterons  à  ces  caractères  quelques  autres  traits 
dont  Hérodote  n'a  pas  fait  mention.  Le  bec  est  ar- 
rondi et  terminé  en  pointe  mousse  ;  le  cou  est  d'une 
grosseur  égale  dans  toute  sa  longueur,  et  il  n'est  pas 
garni  de  plumes  pendantes  comme  le  cou  de  la  ci- 
gogne. 


4o2  l'ibis  blanc. 

M.  Perrault ,  ayant  décrit  et  disséqué  un  de  ces 
oiseaux  qui  avoit  vécu  à  la  ménagerie  de  Versailles , 
en  fil  la  comparaison  avec  la  cigogne,  et  il  trouva  que 
celle-ci  étoit  plus  grande,  mais  que  l'ibis  avoit  à  pro- 
portion le  bec  et  les  pieds  plus  longs.  Dans  la  cigo- 
gne les  pieds  n'avoient  que  quatre  parties  de  la  lon- 
gueur totale  de  l'oiseau ,  et  dans  l'ibis  ils  en  avoient 
cinq;  et  il  observa  la  même  différence  proportion- 
nelle entre  leurs  becs  et  leurs  cous.  Les  ailes  lui  pa- 
rurent fort  grandes;  les  pennes  en  étoient  noires;  et 
du  reste  tout  le  plumage  étoit  d'un  blanc  un  peu 
roussâtre ,  et  n'étoit  diversifié  que  par  quelques  ta- 
ches pourprées  et  rougeâtres  sous  les  ailes.  Le  haut 
de  la  tête,  le  tour  des  yeux,  et  le  dessous  de  la 
gorge,  étoient  dénués  de  plumes  et  couverts  d'une 
peau  rouge  et  ridée.  Le  bec,  à  la  racine,  étoit  gros , 
arrondi  ;  il  avoit  un  pouce  et  demi  de  diamètre  ,  et 
il  étoit  courbé  dans  toute  sa  longueur  :  il  étoit  d'un 
jaune  clair  à  l'origine  et  d'un  orangé  foncé  vers  l'ex- 
trémité. Les  côtés  de  ce  bec  sont  tranchants  et  assez 
durs  pour  couper  les  serpents,  et  c'est  probablement 
de  cette  manière  que  cet  oiseau  les  détruit;  car  son 
bec ,  ayant  la  pointe  mousse  et  comme  tronquée,  ne 
les  perceroit  que  difficilement. 

Le  bas  des  jambes  étoit  rouge,  et  cette  partie,  à 
laquelle  Belon  ne  donne  pas  un  pouce  de  longueur 
dans  sa  figure  de  l'ibis  noir,  en  avoit  plus  de  quatre 
dans  cet  ibis  blanc;  elle  étoit,  ainsi  que  le  pied, 
toute  garnie  d'écaillés  hexagones  ;  les  écailles  qui 
recouvrent  les  doigts  étoient  coupées  en  tables;  les 
ongles  étoient  pointus,  étroits  et  noirâtres;  des  ru- 
diments de  membrane  bordoient  des  deux  côtés  le 


l'iBIS    BLANC.  4^"^ 

doigt  du  milieu,  et  ne  se  trouvoient  que  du  côté  in- 
térieur dans  les  deux  autres  doigts. 

Quoique  l'ibis  ne  soit  point  granivore,  son  ventri- 
cule est  une  espèce  de  gésier  dont  la  membrane  in- 
terne est  rude  et  ridée.  On  a  vu  plus  d'une  fois  ces 
conformations  disparates  dans  l'organisation  des  oi- 
seaux ;  par  exemple,  on  a  remarqué  dans  le  casoar, 
qui  ne  mange  point  de  chair,  un  ventricule  membra- 
neux comme  celui  de  l'aigle^. 

M.  Perrault  trouva  aux  intestins  quatre  pieds  huit 
pouces  de  longueur;  le  cœur  étoit  médiocre  et  non 
pas  excessivement  grand,  comme  l'a  prétendu  Mérnla. 
La  langue  très  courte,  cachée  au  fond  du  bec,  n'étoit 
qu'un  petit  cartilage  recouvert  d'une  membrane  char- 
nue, ce  qui  a  fait  croire  à  Solin  que  cet  oiseau  n'a- 
voit  point  de  langue.  Le  globe  de  l'œil  étoit  petit, 
n'ayant  que  six  lignes  de  diamètre.  Cet  ibis  blanc  , 
dit  M.Perrault,  et  un  autre  qu'on  nourrissoit  encore  à 
la  ménagerie  de  Versailles,  et  qui  avoient  tous  deux 
été  apportés  d'Egypte,  étoient  les  seuls  oiseaux  de 
cette  espèce  que  l'on  eût  jamais  vu  en  France.  '>  Se- 
lon lui  toutes  les  descriptions  des  auteurs  modernes 
n'ont  été  prises  que  sur  celles  des  anciens.  Cette  re- 

1.  Une  particularité  intéressante  de  cette  description  concerne  la 
route  du  chyle  dans  les  intestins  des  oiseaux.  On  fit  des  injections  dans 
la  veine  mésentérique  d'une  des  cigognes  que  l'on  disséquoit  avec  l'i- 
bis, et  la  liqueur  passa  dans  la  cavité  des  intestins;  de  même  ayant 
rempli  de  lait  une  portion  de  l'intestin,  et  l'ayant  lié  par  les  deux 
bouts,  la  liqueur  comprimée  passa  dans  la  veine  mésentéiique.  Peut- 
être,  ajoute  l'anatomiste,  celte  voie  est-elle  commune  à  tout  le  genre 
des  oiseaux  ;  et  comme  ou  ne  leur  a  point  trouvé  de  veine  lactée,  ou 
peut  soupçonner,  avec  raison  ,  que  c'est  là  la  route  du  chyle  pour  pas- 
ser des  intestins  dans  le  mésentère. 


4o4  l'ibis  blanc. 

marque  me  paroît  assez  juste  :  car  Belon  n'a  ni  dé- 
crit ni  même  reconnu  l'ibis  blanc  en  Egypte;  ce  qui 
ne  seroit  pas  vraisemblable,  si  l'on  ne  supposoit  pas 
qu'il  l'a  pris  pour  une  cigogne  :  mais  cet  observateur 
est  à  son  tour  le  seul  des  modernes  qui  nous  ait  dé- 
peint l'ibis  noir. 

L'IBIS  NOIR. 

Tantaius  niger.  L. 

Cet  oiseau,  dit  Belon ,  est  un  peu  ynoins  gros  quun 
courlis.  Il  est  donc  moins  grand  que  l'ibis  blanc ,  et 
il  doit  être  aussi  moins  haut  de  jambes  :  cependant 
nous  avons  remarqué  que  les  anciens  ont  dit  les  deux 
ibis  semblables  en  tout ,  à  la  couleur  près.  Celui-ci 
est  entièrement  noir,  et  Belon  semble  indiquer  qu'il 
a  le  front  et  la  face  en  peau  nue,  en  disant  que  sa  tête 
est  faite  comme  celle  d'un  cormoran»  Néanmoins  Hé- 
rodote ,  qui  paroît  avoir  voulu  rendre  ses  deux  de- 
scriptions très  exactes ,  ne  donne  point  à  l'ibis  noir 
ce  caractère  de  la  tête  et  du  cou  dénués  de  plumes. 
Quoi  qu'il  en  soit,  tout  ce  qu'on  a  dit  des  autres  ca- 
ractères et  des  habitudes  de  ces  deux  oiseaux  leur  a 
également  été  attribué  en  commun,  sans  exception 
ni  différence. 


TC'TTt^ 


F:iuc|uet  sciilp. 

1.  LE  COURLIS,  1 .  LE  CORLIEU  ,  3  .  LE    COURLIS     ROU  Gl 


LE    COURLIS.  4o5 


I  »«««««'@>»-S>sa9«'»^«>e«XK»«>«9^««««9'»9««4>a«>e«e«»S«€ 


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LE  COURLIS*. 

PREMIÈRE  ESPÈCE. 

Scolopax  arcuata,  L. 

Les  noms  composés  de  sons  imitatifs  de  la  voix> 
du   chant,   des  cris  des  animaux,    sont  pour  ainsi 
dire  les  noms  de  la  nature;  ce  sont  aussi  ceux  que 
l'homme  a  imposés  les  premiers.  Les  langues  sauva- 
ges nous  offrent  mille  exemples  de  ces  noms  donnés 
par  instinct,  et  le   goût,    qui   n'est   qu'un  instinct 
plus   exquis,  les  a  conservés   plus    ou   moins   dans 
les  idiomes  des  peuples  policés ,  et  surtout  dans  la 
langue  grecque  ,  plus  pittoresque  qu'aucune  autre, 
puisqu'elle  peint  même  en  dénommant.   La   courte 
description  qu'Aristote  fait  du  courlis,  n**  818,  n'au- 
roit  pas  suffi  sans  son  nom  clorios^  pour  le  reconnoître 
et  le  distinguer  des  autres  oiseaux.  Les  noms  françois 
courlis,,  curliSj  turlis ^  sont  des  mots  imitatifs  de  sa 
voix;   et,    dans   d'autres  langues,  ceux   de   curleiv , 
caroU^  tarlino ,  etc.,  s'y  rapportent  de  môme  :  mais 
les  dénominations  à'arquata  et  de   falclnellas  sont 
prises  de  la  courbure  de  son  bec  ,   arqué  en  forme 

1.  En  latin  ,  namenias,  arquata,  faicinellus;  eu  italien  ,  arcase^  tor- 
qaato;  en  anglois,  cnrlevo ,  water-carlevo;  eu  aîlemaud  ,  hrach-vogel , 
wind-vogel ,  wetter-vogel;  dans  uos  provinces  ou  lui  donne  différents 
noms  :  eu  Poitou,  turla  ou  corbijeau;  eu  Bretagne,  corbichet;  en  Pi- 
cardie, ttirlui  ou  Courier  11;  en  Bourgogne,  caria,  turlu;  en  basse 
Normandie,  corlid  (tous  noms  pris  de  sa  voix  .  car  il  se  nomme  lui* 
même);  en  quelques  endroits,  bécasse  de  mer, 

IHTKOJN.     XXT.  9.Ci 


4o6  LE    COURLIS. 

de  faux.  Il  en  est  de  même  du  nom  numenius,  dont 
l'origine  est  dans  le  mot  néoméniej  temps  du  crois- 
sant de  !a  lune.  Ce  nom  a  été  appliqué  au  courlis, 
parce  que  son  bec  est  à  peu  près  en  forme  de  crois- 
sant. Les  Grecs  modernes  l'ont  appelé  macrimiti ^  ou 
long  nez,  parce  qu'il  a  le  bec  très  long  relativement 
à  la  grandeur  de  son  corps.  Ce  bec  est  assez  grêle, 
sillonné  de  rainures,  également  courbé  dans  toute  sa 
longueur  et  terminé  en  pointe  mousse  ;  il  est  foible 
et  d'une  substance  tendre,  et  ne  paroît  propre  qu'à 
tirer  les  vers  de  la  terre  molle.  Par  ce  caractère  les 
courlis  pourroient  être  placés  à  la  tête  de  la  nom- 
breuse tribu  d'oiseaux  à  long  bec  effilé ,  tels  que  les 
bécasses,  les  barges,  les  chevaliers ,  etc.,  qui  sont 
autant  oiseaux  de  marais  que  de  rivages,  et  qui,  n'é- 
tant point  armés  d'un  bec  propre  à  saisir  ou  percer 
les  poissons,  sont  obligés  de  s'en  tenir  aux  vers  ou 
aux  insectes,  qu'ils  fouillent  dans  la  vase  et  dans  les 
terres  humides  et  limoneuses. 

Le  courlis  a  le  cou  et  les  pieds  longs ,  les  jambes 
en  partie  nues,  et  les  doigts  engagés  vers  leur  jonc- 
tion par  une  portion  de  membrane.  Il  est  à  peu  près 
de  la  grosseur  d'un  chapon.  Sa  longueur  totale  est 
d'environ  deux  pieds;  celle  de  son  bec,  de  cinq  à  six 
pouces;  et  son  envergure,  de  plus  de  trois  pieds. 
Tout  son  plumage  est  un  mélange  de  gris  blanc,  à 
l'exception  du  ventre  et  du  croupion,  qui  sont  entiè- 
rement blancs  ;  le  brun  est  tracé  par  pinceaux  sur 
toutes  les  parties  supérieures,  et  chaque  plume  est 
frangée  de  gris  blanc  ou  de  roussâtre  ;  les  grandes 
pennes  de  l'aile  sont  d'un  brun  noirâtre;  les  plumes 
du  dos  ont  le  lustre  de  la  soie  ;  celles  du  cou  sont 


LE    COURLIS.  4^^ 

duvetées,  et  celles  de  la  queue,  qui  dépasse  à  peine 
les  ailes  pliées,  sont,  comme  les  moyennes  de  l'aile  , 
coupées  de  blanc  et  de  brun  noirâtre.  Il  y  a  peu  de 
différence  entre  le  mâle  et  la  femelle,  qui  est  seule- 
ment un  peu  plus  petite  ;  et  dès  lors  la  description 
particulière  que  Unnaens  a  donnée  de  cette  femelle 
est  superflue. 

Quelques  naturalistes  ont  dit  que,  quoique  la  chair 
du  courlis  sente  le  marais,  elle  ne  laisse  pas  d'être 
fort  estimée,  et  mise  par  quelques  uns  au  premier 
rang  entre  les  oiseaux  d'eau.  Le  courlis  se  nourrit 
de  vers  de  terre,  d'insectes,  de  menus  coquillages 
qu'il  ramasse  sur  les  sables  et  les  vases  de  la  mer,  ou 
sur  les  marais  et  dans  les  prairies  humides.  Il  a  la 
langue  très  courte  et  cachée  au  fond  du  bec.  On  lui 
trouve  de  petites  pierres  et  quelquefois  des  graines 
dans  le  ventricule,  qui  est  rausculeux  comme  celui 
des  granivores.  Au  dessus  de  ce  gésier  l'œsophage 
s*enfle  en  manière  de  poche  tapissée  de  papilles  glan- 
duleuses; il  se  trouve  deux  cœcums  de  trois  ou  quatre 
doigts  de  longueur  dans  les  intestins. 

Ces  oiseaux  courent  très  vite  et  volent  en  troupes*. 
Ils  sont  de  passage  en  France ,  et  s'arrêtent  à  peine 

1 .  C'est  apparemment  d'après  la  vitesse  de  sa  course  que  Hesychius 
donne  au  courlis  le  nom  de  trochilus,  appliqué  d'ailleurs ,  et  avec  plus 
de  justesse,  à  un  petit  oiseau,  qui  est  le  troglodjte.  Ce  nom  de  tro- 
cliylus  se  trouve,  à  la  vérité,  donné  à  un  oiseau  aquatique  dans  un 
passage  de  Gléarque  dans  Athénée  :  mais  ce  qui  manifeste  l'erreur  de 
Hesychius,  c'est  que ,  dans  ce  même  passage ,  le  courlis  {clorios)  est 
nommé  comme  différent  du  trochilus  ;  et  ce  trochilus  ^  de  Gléarque  , 
habitant  les  rives  des  eaux ,  sera  ou  le  coureur,  ou  quelqu'un  de  ces 
petits  oiseaux,  guignettes,  cincles  ou  pluviers  à  collier,  qui  se  tiennent 
sans  cesse  sur  les  rivages  ,  et  qu'on  y  voit  courir  avec  célérité. 


l\o6  Liî  coin  M  S. 

<]^ns  nos  provinces  intérieures;  mais  ils  séjournent 
dans  nos  contrées  marilimes,  comme  en  Poitou,  en 
Aunis,  et  en  Bretagne  le  long  de  la  Loire,  où  ils  ni- 
chent. On  assure  qu'en  Angleterre  ils  n'habitent  les 
côtes  de  la  mer  qu'en  hiver,  et  qu'en  été  ils  vont  ni- 
cher dans  l'intérieur  du  pays  vers  les  montagnes.  Eu 
Allemagne  ils  n'arrivent  que  dans  la  saison  des  pluies 
et  par  de  certains  vents;  car  les  noms  qu'on  leur 
donne  dans  les  différents  dialectes  de  la  langue  alle- 
mande ont  tous  rapport  aux  vents,  aux  pluies  ou  aux 
orages.  On  en  voit  dans  l'automne  en  Siiésie,  et  ils  se 
portent  en  été  jusqu'à  la  mer  Baltique  et  au  golfe  de 
Bothnie.  On  les  trouve  également  en  Italie  et  en 
Grèce,  et  il  paroît  que  leurs  migrations  s'étendent 
au  delà  de  la  mer  Méditerranée;  car  ils  passent  à  Malte 
deux  fois  l'année  ,  au  printemps  et  en  automne.  D'ail- 
leurs les  voyageurs  ont  rencontré  des  courlis  dans 
presque  toutes  les  parties  du  monde;  et,  quoique 
leurs  notices  se  rapportent  pour  la  plupart  aux  diffé- 
rentes espèces  étrangères  de  cette  famille  assez  nom- 
breuse ,  néanmoins  il  paroît  que  l'espèce  d'Europe  se 
retrouve  au  Sénégal  et  à  Madagascar;  car  l'oiseau  re- 
présenté n°  198  des  planches  enluminées  est  si  sem- 
blable à  notre  courlis  que  nous  croyons  devoir  le 
rapporter  à  la  même  espèce.  Il  ne  diffère  en  effet 
du  courlis  d'Europe  que  par  un  peu  plus  de  longueur 
danslebec  et  de  netteté  dans  les  couleurs,  différences 
légères  qui  ne  font  tout  au  plus  qu'une  variété  qu'on 
peut  attribuer  à  la  seule  influence  du  climat.  On  ren- 
contre quelquefois  des  courlis  blancs,  comme  l'on 
trouve  (les  bécasses  blanches,  des  merles,  des  moi- 
neaux  blanc;    mais   ces  variétés,   purement  indivi- 


Mî    COUULIS.  409 

cluelIeS;  sont  des  dégénéralions  accidentelles  qui  ne 
doivent  pas  être  regardées  coimne  des  races  coti- 
stantes. 


î'ï#9«'ç*r5«'J*o<8if  tP9*e*o<»s.«''«-i**&*'**  « 


LE  CORLIEL]\ 

ou  PETIT   COURLIS. 

SECONDE    ESPÈCE. 

Namenius  phœopus.  Latham. 

Le  corlieu,  n°842,  est  moitié  moins  grand  (jiie  le 
courlis ,  auquel  il  ressemble  par  la  forme,  par  le  fond 
des  couleurs,  et  même  en  leur  distribution  ;  il  a  aussi 
le  môme  genre  de  vie  et  les  mêmes  habitudes.  Cepen- 
dant ces  deux  espèces  sont  très  distinctes;  elles  sub- 
sistent dans  les  mêmes  lieux  sans  se  mêler  ensemble,  et 
restent  à  la  distance  que  met  entre  elles  l'intervalle  de 
grandeur  trop  considérable  pour  qu'elles  puissent  se 
réunir.  L'espèce  du  corlieu  paroît  être  plus  particuliè- 
rement attachée  àFAngleterre,  où,  suivant  les  auteurs 
de  la  Zoologie  brltanniciae y  eWe  est  plus  commune  que 
celle  du  grand  courlis.  Il  paroît  au  contraire  qu'elle  est 
fort  rare  dans  nos  provinces. Belon  ne  l'a  pasconnue,  et 
il  Y  a  toute  apparence  qu'elle  n'est  pas  plus  fréquente 
en  Italie  qu'en  France;  car  Aldrovande  n'en  a  parlé 
que  confusément  d'après  Gesner,  et  il  répète  le  dou- 

1.  Eu  italien,  tarangolo  ou  taraniolo;  eu  auglois  ,  wlmhrd  ;  en  alle- 
maod,  regcn-voget ,  voind-vogel  (noms  déjà  donnés  iu»  courlis),  et 
dîîns  qiielques  cantons,  hrachliun ,  hrach-wogel. 


4lO  LE    COllLIEU,    OU    PETIT    COLRLIS. 

Lie  emploi  qu'a  fait  ce  naturaliste,  en  donnant  deux 
fois  parmi  les  poules  d'eau  ce  petit  courlis,  sous  les 
dénominations  de  phœopus  et  de  galllnula  ;  car  l'on 
reconnoît  le  corlieu  ou  petit  courlis  aux  noms  de  re- 
gen-vogel  et  de  tarangolo;  aussi  bien  que  la  plupart 
des  traits  de  la  description  qu'il  en  donne.  Willughby 
s'est  aperçu  le  premier  de  cette  méprise  de  Gesner, 
et  il  a  reconnu  le  même  oiseau  dans  trois  notices 
répétées  par  cet  auteur.  Au  reste,  Gesner  s'est  en- 
core trompé  en  rapportant  à  ce  petit  courlis  les  noms 
de  wind-vogel  et  de  wetter-vogel^  qui  appartiennent 
au  grand  courlis^;  et  quant  à  l'oiseau  que  M.  Ed- 
wards a  donné  sous  le  nom  de  petit  ibis  [Glan. ,, 
pi.  556),  c'est  certainement  un  petit  courlis,  mais 
dont  le  plumage  étoit,  comme  l'observe  ce  natura- 
liste lui-même,  dans  un  état  de  mue,  et  dont  la 
description  ne  pourroit  par  conséquent  établir  dis- 
tinctement l'espèce  de  cet  oiseau. 


LE  COURLIS  VERT, 

ou  COURLIS  D'ITALIE. 

TKOISIÈME    ESPÈCE. 

Ibis  falcinellus,  L. 

Cet  oiseau,   n°  819,   est  connu  sous  le   nom  de 
courlis  d'Italie;  mais  on  peut  aussi  le  désigner  par 

1.   L'oiseau  nommé  toréa  aux  îles  de  la  Société  ,  et  qui  est  appelé 
flans  le  Voyage  de  Gook  petit  corlieu,  ne  paroît  pas  êlre  de  la  famille 


LE    COURLIS    VEUT,    OU    COURLIS    d'iTALIIî.         4^^ 

sa  couleur.  Il  est  plus  grand  que  ne  le  dit  M.  Brisson, 
et  qu'il  n'est  reprëseuté  dans  les  planches  enlumi- 
nées; car  Aldrovande  assure  qu'il  approche  de  la  taille 
du  héron,  dont  quelquefois  môme  les  Italiens  lui  don- 
nent le  nom.  Celui  de  falcinello  j  que  ce  naturaliste 
et  Gesner  paroissent  lui  appliquer  exclusivement, 
peut  convenir  aussi  bien  à  tous  les  autres  courlis  qui 
ont  également  le  bec  courbé  en  forme  de  faux.  Ce- 
lui-ci a  la  tête  ,  le  cou,  le  devant  du  corps  et  les  côtés 
du  dos,  d'un  beau  marron  foncé;  le  dessus  du  dos, 
des  ailes  et  de  la  queue,  d'un  vert  bronzé  ou  doré, 
suivant  les  reflets  de  lumière;  le  bec  est  noirâtre, 
ainsi  que  les  pieds  et  la  partie  nue  de  la  jambe.  Ges- 
ner n'a  décrit  qu'un  oiseau  jeune  qui  n'avoit  encore 
ni  sa  taille  ni  ses  couleurs.  Ce  courlis,  commun  en 
Italie  ,  se  trouve  aussi  eu  Allemagne^  ;  et  le  courlis  du 
Danube  de  Marsigli,  cité  par  M.  Brisson,  n'est,  selon 
toute  apparence,  qu'une  variété  dans  cette  espèce. 


LE  COURLIS  BRUN. 

QUATRIÈME    ESPÈCE. 

Scopolax  luzionensis.  L. 

M.   Sonnerat  a  trouvé  ce  courlis  aux  Philippines, 
dans  l'île  de  Luçon.  Il  est  de  la  taille  du  grand  courlis 

des  courlis.  Il  est  dit  que  le  toréa  se  trouve  autour  des  vaisseaux:  et 
nous  ne  savons  pas  qu'aucun  courlis  s'avance  en  mer  ni  quitte  le  ri- 
vage. 

1.   Il  y  porte,  suivant  Gesner,  les  noms  de  welischer  vogel,  sichlcr, 
sagiser. 


4l2  LE    COURLIS    BRUN. 

d'Europe;  tout  son  plnmage  est  d'un  brun  roux;  ses 
yeux  sont  entoures  d'une  peau  verdâtre  ;  l'iris  est 
d'un  rouge  de  feu;  son  bec  est  verdâtre,  et  ses  pieds 
£ont  d'un  rouge  de  laque. 


LE  COURLIS  TACHETE. 

CINQUIÈME    ESPÈCE. 

Ce  courlis,  qui  se  trouve  aussi  à  l'île  de  Luçon  ^ 
auroit,  comme  le  précédent,  beaucoup  de  rapport 
avec  notre  grand  courlis,  s'il  n'étoit  pas  d'un  tiers  plus 
petit  :  il  diffère  encore  en  ce  qu'il  a  le  sommet  de 
la  tête  noir  et  les  couleurs  différemment  distribuées; 
elles  sont  jetées  sur  le  dos  par  mouchetures  au  bord 
des  plumes,  et  sur  le  ventre  par  ondes  ou  hachures 
transversales. 

LE  COURLIS  A  TÈTE  NUE. 

SIXIÈME    ESPÈCE. 

Ibis  caivm.  L. 

L'espèce  de  ce  courlis,  n"  867,  est  nouvelle  est  très 
singulière  :  sa  tête  entière  est  nue,  et  le  sommet  en 
est  relevé  par  une  sorte  de  bourrelet  couché  et  roulé 
en  arrière  de  cinq  lignes  d'épaisseur,  et  recouvert 
d'une  peau  très  rouge,  très  mince,  et  sous  laquelle 


LE    COURLIS    A    TÈTE    NUE.  4^^ 

on  sent  iuimëdiatement  la  protubérance  osseuse  qui 
forme  le  bourrelet;  le  bec  est  du  même  rouge  que 
ce  couronnement  de  la  tête  ;  le  haut  du  cou  et  le 
devant  de  la  gorge  sont  aussi  dénués  de  plumes ,  et 
la  peau  est  sans  doute  vermeille  dans  l'oiseau  vivant  ; 
mais  nous  ne  l'avons  vue  que  livide  sur  l'individu  mort 
que  nous  décrivons ,  et  qui  nous  a  été  apporté  du 
cap  de  Bonne-Espérance  par  M.  de  La  Ferté.  Il  a 
toute  la  forme  du  courlis  d'Europe;  sa  taille  est  seu- 
lement plus  forte  et  plus  épaisse.  Son  pluQiage  ,  sur 
un  fond  noir,  offre  dans  les  pennes  de  l'aile  des  re- 
flets de  vert  et  de  pourpre  changeants;  les  petites 
couvertures  sont  d'un  violet  pourpré  assez  fort  de 
teinte,  mais  plus  léger  sur  le  dos,  le  cou,  et  le  des- 
sus du  corps  ;  les  pieds  et  la  partie  nue  de  la  jambe, 
sur  la  longueur  d'un  pouce,  sont  rouges  comme  le 
bec  ,  qui  est  long  de  quatre  pouces  neuf  lignes.  Ce 
courlis ,  mesuré  de  la  pointe  du  bec  à  l'extrémité  de 
la  queue,  a  deux  pieds  un  pouce,  et  un  pied  et  demi 
de  hauteur  dans  son  altitude  naturelle. 


LE  COURLIS  HUPPE. 

SEPTIÈME    ESPÈCE. 

Ibis  cristatus.  L. 

La  huppe  distingue  ce  courlis,  n*84i,  de  tous  les 
autres ,  qui  généralement  ont  la  tête  plus  ou  moins 
lisse  ou  recouverte  de  petites  plumes  fort  courtes  : 
celui-ci  au  contraire  porte  une  belle  touffe  de  longues 


4l4  ^^    COURLIS    IIL'PPÉ. 

plumes,  partie  blanches  et  partie  vertes,  qui  se  jetleuî 
en  arrière  en  panache;  le  devant  de  la  tête  et  le  tour 
du  haut  du  cou  sont  verls;  le  reste  du  cou  ,  le  dos, 
et  le  devant  du  corps,  sont  d'un  beau  roux  marron; 
les  ailes  sont  blanches;  le  bec  et  les  pieds  sont  jau- 
nâtres. Un  large  espace  de  peau  nue  environne  les 
yeux;  le  cou,  bien  garni  de  plumes,  paroît  moins 
long  et  moins  grêle  que  dans  les  autres  courlis.  Ce 
bel  oiseau  huppé  se  trouve  à  Madagascar.  Les  sept 
espèces  de  courlis  que  nous  venons  de  décrire  appar- 
tiennent toutes  à  l'ancien  continent,  et  nous  en  con- 
noissons  aussi  huit  autres  dans  le  nouveau. 


e«««««>fc*»^ 


COURLIS 

DU    NOUVEAU    CONTINENT. 

LE  COURLIS  ROUGE. 

PREMIÈRE    ESPÈCE. 

Ibis  ruber,  L. 

Les  terres  basses  et  les  plages  de  vases  qui  avoi- 
sinent  les  mers  et  les  grands  fleuves  de  l'Amérique 
méridionale  sont  peuplées  de  plusieurs  espèces  de 
courlis.  La  plus  belle  de  ces  espèces,  et  la  plus  com- 
mune à  la  Guiane,  est  celle  du  courlis  rouge,  n°'  80 
et  81  :  tout  son  plumage  est  écarlate,  à  l'exception  de 
la  pointe  des  premières  pennes  de  l'aile,  qui  est  noire; 
[es  pieds,  la  partie  nue  des  jambes,  et  le  bec,  sont 


LE    COURLIS    ROUGE.  l^lS 

ronges  ou  rougeâtres^,  ainsi  que  la  peau  nue  qui  cou- 
vre le  devant  de  la  tête  depuis  l'origine  du  bec  jus- 
qu'au delà  des  yeux.  Ce  courlis  est  aussi  grand  mais 
un  peu  moins  gros  que  le  courlis  d'Europe;  ses  Jam- 
bes sont  plus  hautes,  et  son  bec  plus  long,  est  aussi 
plus  robuste  et  beaucoup  plus  épais  vers  la  tête.  Le 
plumage  de  la  femelle  est  d'un  rouge  moins  vif  que 
celui  du  mâle;  mais  l'un  et  l'autre  ne  prennent  qu'a- 
vec l'âge  cette  belle  couleur.  Leurs  petits  naissent 
couverts  d'un  duvet  noirâtre;  ils  deviennent  ensuite 
cendrés,  puis  blancs  lorsqu'ils  commencent  à  voler, 
et  ce  n^est  que  dans  la  seconde  ou  la  troisième  an- 
née que  ce  beau  rouge  paroît  par  nuances  successives, 
et  prend  plus  d'éclat  à  mesure  qu'ils  avancent  en  âge. 
Ces  oiseaux  se  tiennent  en  troupes,  soit  en  volant, 
soit  en  se  posant  sur  les  arbres,  où,  par  leur  nombre 
et  leur  couleur  de  feu,  ils  offrent  le  plus  beau  coup 
d'œil.   Leur  vol  est  soutenu  et  même  assez  rapide; 
mais  ils  ne  se  mettent  en  mouvement  que  le  malin 
et  le  soir  :  par  la  chaleur  du  jour  ils  entrent  dans  les 
criques  et  s'y  tiennent  au  frais  sous  les  palétuviers 
jusque  vers  les  trois  ou  quatre  heures,  qu'ils  retour- 
nent sur  les  vases ,  d'où  ils  reviennent  aux  criques 
pour  passer  la  nuit.  On  ne  voit  guère  un  de  ces  courlis 
seul;  ou  si  quelqu'un  s'est  détaché  de  la  troupe,  il 
ne  tarde  pas  à  la  rejoindre  :  mais  ces  attroupements 
sont  distingués  par*' âges,  et  les  vieux  tiennent  assez 
constamment   leurs   bandes   séparées  de   celles  des 
jeunes.  Les  couvées  commencent  en  janvier  et  finis- 
sent en  mai.  Ils  déposent  leurs  œufs  sur  les  grandes 

1 .   Cette  couleur  du  bec  peut  varier  :  Marcgrave  le  dît  blanc  cendré; 
Clusius,  jaune  d'ocre, 


/|l6  LE    COURLIS    ROIGÎÏ. 

herbes  qui  croissent  sous  les  palétuviers,  ou  dans  les 
broussailles  sur  quelques  bùcbettes  rassemblées,   et 
ces  œuls  sont  verdâtres.  On  prend  aisément  les  petits 
à  la  main,  lors  même  que  la  mère  les  conduit  à  terre 
pour  chercher  les  insectes  et  les  petits  crabes  dont  ils 
font  leur  première  nourriture;  ils  ne  sont  point  fa- 
rouches et  s'habituent  aisément  à  vivre  à  la  maison. 
«  J'en  ai  élevé  un,  dit  M.  de  La  Borde,  que  j'ai  gardé 
pendant  plus  de  deux  ans.  Il  prenoit  de  ma  main  ses 
«aliments  avec  beaucoup  de  familiarité,  et  ne  man- 
quoit  jamais  l'heure  du  déjeuner  ni  du  dîner.  Il  man- 
geoit  du  pain,  de  la  viande  crue,  cuite  ou  salée,  du 
poisson  ;  tout  l'accommodoit  :  il  donnoit  cependant 
la  préférence  aux  entrailles  de  poissons  et  de  volailles, 
et,  pour  les  recueillir,  il  avoit  soin  de  faire  un  tour 
à  la  cuisine;  hors  de  là  il  étoit  continuellement  oc- 
cupé autour  de  la   maison  à  chercher  des  vers  de 
terre,  où,  dans  un  jardin,  à  suivre  le  labour  du  INègre 
jardinier.   Le  soir  il  se  retiroit  de  lui-même  dans  un 
poulailler  où  couchoit  une  centaine  de  volailles.  Il 
se  juchoit  sur  la  plus  haute  barre,  chassoit  à  grands 
coups  de  bec  toutes  les  poules  qui  vouioient  s'y  pla- 
cer, et  s  amusait  souvent  pendant  la  nuit  à  les  inquié- 
ter. Il  s'éveilloit  de  grand  matin,  et  commençoit  par 
faire  trois  ou  quatre  tours  au  vol  autour  de  la  maison; 
quelquefois  il   alloit  jusqu'au  bord  de  la   mer,  mais 
sans  s'y  arrêter.  Je  ne  lui  ai  entendu  d'autre  cri  qu'un 
petit  croassement  qui  paroissoit  une  expression  de 
peur  à   la  vue  d'un   chien  ou  d'un  autre  animal.  Il 
avoit  pour  les  chats  beaucoup  d'antipathie  sans  les 
craindre;  ilfondoitsur  eux  avec  intrépidité  et  à  grands 
coups  de  bec.  Jl  a  fuii  par  êlre   tué  tout  prèî:>  de  h.% 


LE    COURLIS    110  UGE.  4^7 

îîiaisou  ,  sur  une  mare,  par  un  chasseur  qui   le  pril 
pour  un  courlis  sauvage.  » 

Ce  récit  de  M.  de  La  Borde  s'accorde  assez  avec 
le  témoignage  de  Laët,  qui  ajoute  qu'on  a  vu  quel- 
ques uns  de  ces  oiseaux  s'unir  et  produire  en  do- 
mesticité. Nous  présumons  donc  qu'il  seroit  aussi 
facile  qu'agréable  d'élever  et  de  multiplier  cette  belle 
espèce  5  qui  feroit  rornement  des  basses-cours^,  et 
peut-être  ajouteroit  aux  délices  de  la  table;  car  la 
chair  de  cet  oiseau,  déjà  bonne  à  manger,  pourroit 
encore  se  perfectionner  et  perdre,  avec  une  nourri- 
ture nouvelle  ,  le  petit  goût  de  marais  qu'on  lui 
trouve^,  outre  que,  s 'accommodant  de  toutes  sortes 
d'aliments  et  de  tous  les  débris  de  la  cuisine,  il  ne 
coûteroit  rien  à  nourrir.  Au  reste,  nous  ignorons  si, 
comme  le  dit  Marcgrave,  ce  courlis  trempe  dans  l'eau 
tout  ce  qu'on  lui  donne  avant  de  le  manger. 

Dans  l'état  sauvage  ces  oiseaux  vivent  de  petits  pois- 
sons ,  de  coquillages,  d'insectes,  qu'ils  recueillent 
sur  la  vase  quand  la  marée  se  retire.  Jamais  ils  ne 
s'écartent  beaucoup  des  côtes  de  la  mer,  ni  ne  se 
portent  sur  les  fleuves  loin  de  leur  embouchure;  ils 
ne  font  qu'aller  et  venir  dans  le  même  canton  où  on 
les  voit  toute  l'année.  L'espèce  en  est  néanmoins  ré- 
pandue dans  la  plupart  des  contrées  les  plus  chaudes 
de  l'Amérique  ;  on  les  trouve  également  aux  embou- 

1.  En  mémo  temps  que  nous  écrivons  ceci ,  il  y  a  un  courlis  rouge 
vivant  à  la  ménagerie  de  S.  A.  S.  monseigneur  le  prince  de  Coudé ,  à 
Chanliily. 

■2.  On  le  mange  en  ragoûts  et  ou  eu  fait  d'assez  bons  civets;  mais 
il  faut  auparavant  le  rôtir  à  moilié  pour  lui  enlever  une  paiHe  de  son 
hutU; ,  qui  a  un  goût  de  marée.  [Noie  donnée  par  an  colon  de  (Mayenne.) 


:\l6  LE    GOUKLIS    IIOUGE. 

chures  de  Rio-Janéiro,  du  Maragnon,  etc.,  aux  îles 
de  Bahama  et  aux  Antilles.  Les  Indiens  du  Brésil ,  qui 
aiment  à  se  parer  de  leurs  belles  plumes,  donnent  à 
ces  courlis  le  nom  de  gtiara;  celui  de  flammanty(\\.\on 
leur  a  donné  à  Cayenne  ,  se  rapporte  au  beau  rouge 
de  flamme  de  leur  plumage,  et  c'est  mal  à  propos 
que  dans  cette  colonie  l'on  applique  ce  nom  de  flam- 
mant  indifféremment  à  tous  les  courlis.  C'est  aussi 
sans  fondement  que  le  voyageur  Gauche  rapporte  au 
courlis  rouge  du  Brésil  son  courlis  violet  de  Madagas- 
car, à  moins  qu'il  n'ait  entendu  faire  seulement  com- 
paraison de  figure  entre  ces  deux  oiseaux;  car  la  cou- 
leur violette  qu'il  attribue  au  sien  est  bien  différente 
du  brillant  écarlate  de  notre  courlis  rouge.  Tout  ce 
que  nous  pouvons  inférer  de  sa  notice,  c'est  qu'il  se 
trouve  à  Madagascar  une  espèce  de  courlis  à  plumage 
violet  qu'aucune  autre  relation  ne  nous  fait  d'ailleurs 
connoître. 


LE  COURLIS  BLANC. 

SECONDE  ESPÈCE. 

Ibis  albus.  L. 

On  pourroit  prendre  ce  courlis,  n"  916,  pour  le 
courlis  rouge  portant  encore  sa  première  couleur  ; 
mais  Catesby,  qui  a  connu  l'un  et  l'auLre,  donne  celui- 
ci  comme  étant  d'espèce  différente.  11  est  en  effet  un 
peu  plus  grand  que  le  courlis  rouge;  il  a  les  pieds, 
le  bec,  le  tour  des  yeux,    et  le  devant  de  la  tête. 


LE    COUULIS    BLANC.  4*9 

(l'un  rouge  pâle;  tout  !e  plumage  blanc,  à  Texcep- 
tioii  des  quatre  premières  pennes  de  l'aile  ,  qui  sont 
d'un  vert  obscur  à  leur  extrémité.  Ces  oiseaux  arri- 
vent à  la  Caroline  en  grand  nombre  vers  le  milieu  de 
septembre,  qui  est  la  saison  des  pluies  :  ils  fréquen- 
tent les  terres  basses  et  marécageuses  ;  ils  y  demeu- 
rent environ  six  semaines,  et  disparoissent  ensuite 
jusqu'à  l'année  suivante.  Apparemment  ils  se  retirent 
vers  le  sud  pour  nicher  dans  un  climat  plus  chaud. 
Catesby  dit  avoir  trouvé  des  grappes  d'œufs  dans  plu- 
sieurs femelles  peu  de  temps  avant  leur  départ  de  la 
Caroline.  Elles  ne  diffèrent  pas  des  mâles  par  les  cou- 
leurs, et  tous  deux  ont  la  chair  et  la  graisse  jaunes 
comme  du  safran. 


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LE  COURLIS  BRUN 

A  FRONT  ROUGE. 

TROISIÈME    ESPÈCE. 

Tantalus  fuscus.   L. 

Ces  courlis  bruns  arrivent  à  la  Caroline  avec  les 
courlis  blancs  de  l'espèce  précédente  et  mêlés  dans 
leurs  bandes.  Ils  sont  de  même  grandeur,  mais  en 
plus  petit  nombre,  j  ayant  bien,  dit  Catesby,  vingt 
courlis  blancs  pour  un  brun.  Ceux-ci  sont  en  effet  tout 
bruns  sur  le  dos,  les  ailes  et  la  queue,  et  sont  d'un 
gris  brun  sur  la  tête  et  le  cou,  et  tout  blancs  sur  le 
croupion  et  le  ventre  ;  ils  ont  le  devant  de  la  tête  dé- 
garni de  plumes  et  couvert  d'une  peau  rouge  pâle; 


420  LE    COURLIS    BRUN. 

le  bec  et  les  pieds  sont  de  cette  même  couleur.  Ils 
ont,  comme  les  courlis  blancs,  la  chair  et  la  graisse 
jaunes.  Ces  deux  espèces  d'oiseaux  arrivent  et  repar- 
tent ensemble;  ils  passent  en  hiver  de  la  Caroline  à 
des  contrées  pkis  méridionales,  comme  à  la  Guiane, 
où  ils  sont  nommés  flammants  gris, 

LE  COURLIS  DES  BOIS. 

*  QUATRIÈME    ESPÈCE. 

Ibis  cayennensis.  L. 

Cet  oiseau,  n°  %'20,  que  les  colons  de  Cayenne  ont 
appelé  flammant  des  bois^  vit  en  effet  dans  les  forêts 
le   long  des  ruisseaux  et  des  rivières  ,   et  il  se  tient 
loÏQ  des  côtes  de  la  mer,  que  "les  autres  courlis  ne 
quittent  guère;  il  a  aussi  des  mœurs  différentes,   et 
ne  va  pas  en  troupes  ,  mais  seulement  accompagné 
de  sa  femelle.  Il  se  pose  pour  pêcher  sur  les  bois  qui 
flottent  dans  l'eau.  Il  n'est  pas  plus  grand  que  le  cour- 
lis vert  d'Europe  ;  mais  son  cri  est  beaucoup  plus  fort. 
Tout  son  plumage  porte  une  teinte  de  vert  très  foncé, 
sur  un  fond  brun  sombre,  qui  de  loin  paroît  noir,  et 
qui  de  près  offre  de  riches  reflets  bleuâtres  et  ver- 
dâtres;  les  ailes  et  le  haut  du  cou  ont  la  couleur  et 
l'éclat  de  l'acier  poli;  on  voit  des  reflets  bronzés  sur 
le  dos,  et  d'un  lustré  pourpré  sur  le  ventre  et  le  bas 
du  cou  ;  les  joues  sont  dénuées  de  plumes.  M.  Bris- 
son  n'a  pas  fait  mention  de  cette  espèce  ,  quoique 
Earrère  l'ait  indiquée  deux  fois  sous  les  noms  d'^r- 
ffuata  ririclis  sylvatica  el  de  flammant  des  bois. 


LE    GOUARONA.  /j^  1 

LE  GOUARONA. 

CINQUIÈME    ESPÈCE. 

Ibis  ruber.  L.   (Jeune  âge.  ) 

Guara  est,  comme  nous  lavons  vu,  le  nom  du 
courlis  rouge  chez  les  Brasiliens  :  ils  nomment  gua- 
rana  ou  gotiarona  celui-ci,  dont  le  plumage  est  d'un 
brun  marron  ,  avec  des  reflets  verts  au  croupion  , 
aux  épaules,  et  au  côté  extérieur  des  pennes  de  l'aile  ; 
la  tête  et  le  cou  sont  variés  de  petites  lignes  longitu- 
dinales blanchâtres  sur  un  fond  brun.  Cet  oiseau  a 
deux  pieds  de  longueur  du  bec  aux  ongles*;  il  a 
beaucoup  de  rapports  avec  le  courlis  vert  d'Europe  , 
et  paroît  être  le  représentant  de  cette  espèce  en  Amé- 
rique. Sa  chair  est  assez  bonne,  au  rapport  de  Marc- 
grave,  qui  dit  en  avoir  mangé  souvent.  On  le  trouve 
à  la  Guiane  aussi  bien  qu'au  Brésil. 

LAC  A  L  0  T. 

SIXIÈME  ESPÈCE. 

TarUalus  mcxicanus.  Lo 

Nous  abrégeons  ainsi  le  nom  d'accacalotl  que 
porte  ce  courlis  au  Mexique,  où  il  est  indigène.  11  a, 

1.  Marcgravo.  dil  qu'il  est  magnitudine  iacu  :  or  l'yacou  est  à  peine 
aussi  gros  qu'une  poule  ordinaire  ,  taille  (jui  convient  lout-à-fait  à  ua 
courlis, 

]3t)FF0iV.     XXT.  27 


4^2  l'acALOT. 

comme  la  plupart  des  autres ,  le  front  dénué  de  plu- 
mes et  couvert  d'une   peau  rougeâtre;  son  bec  est 
bleu  ;  le  cou  et  le  derrière  de  la  tête  sont  revêtus 
de  plumes  brunes,  mêlées  de  blanc  et  de  vert;  ses 
ailles  brillent  de  reflets  verts  et  pourpres  ;  et  c'est  ap- 
paremment d'après  ces  caractères  que  M.  Brisson  a 
cru  devoir  l'appeler  courlis  varié  :  mais  il  est  aisé  de 
voir,  par  le  nom  de  corbeau  aquatique  que  lui  don- 
nent Fernandès  et  JNieremberg,   que  ces    couleurs 
portent  sur  un  fond  sombre  et  approchant  du  noir. 
M.  Adanson,  en  observant  que  cet  oiseau  diffère  du 
courlis  d'Europe  en  ce  qu'il  a  le  front  chauve,  l'assi- 
mile par  ce  trait  à  l'ibis  ,  au  guara^  au  curicacaj  àonl 
il  forme  un  genre  particulier  :  mais  le  caractère  par 
lequel    il  sépare    ces  oiseaux  des  courlis,    savoir  la 
nudité  du  devant  de  la  tête,  ne  nous  paroît  pas  sufTi- 
sant,  vu  qu'en  tout  le  reste  la  forme  de  ces  oiseaux 
est  semblable,  et  que  cette  différence  elle-même  se 
nuance  entre  eux  par  degrés;  en  sorte  qu'il  y  a  des 
espèces,  comme  celle  du  courlis  vert,  qui  n'ont  que 
le  tour  des  yeux  nu,   tandis  que  d'autres,  comme 
celui-ci,  ont  une   grande  partie  du  front  nue.  Nous 
avons  cru  devoir  séparer  le  curicaca  du   courlis  ,  à 
cause  de  sa  grandeur  et  de  quelques  autres  différen- 
ces essentielles,  particulièrement  de  celle  de  la  forme 
du  bec.  Du  reste  ,   nous  ne  voyons  pas  ce  qui  a  pu 
engager  ce  savant  naturaliste  à  placer  ces  oiseaux  dans 
la  famille  des  vanneaux. 


LE    MATUITIjI    des    RIVAGES.  4  2.1 

LE  MATUITUI  DES  RIVAGES. 

SEPTIÈME    ESPÈCE, 

Tant  a  (us  gris  eus,   L. 

Si  cet  oiseau  nous  étoit  mieux  connu,  nous  le  sé- 
parerions peut-être,  comme  le  curicaca  ^  de  la  l'aminé 
des  courlis,  vu  que  Marcgrave  et  Pison  le  disent  sem- 
blable en  petit  au  curicaca  ,  lequel  s'éloigne  du  cour- 
lis par  le  caractère  du  bec  autant  que  par  la  taille; 
mais,  avant  de  savoir  si  ce  caractère  du  bec  convient 
au  matuitui ,  nous  ne  pouvons  que  l'indiquer  ici,  en 
observant  néanmoins  que  le  nom  àe  petit  courlis  que 
lui  donne  M.  Brisson  paroît  mal  appliqué,  puisque 
cet  oiseau  est  à  peu  près  de  la  grosseur  d'une  poule, 
c'est-à-dire  de  la  première  grandeur  dans  le  genre 
des  courlis.  Au  reste,  ce  matuitui  des  rivages  est  dif- 
férent d'un  autre  petit  matuitui  dont  parle  ailleurs 
Marcgrave,  qui  n'est  guère  plus  gros  qu'une  alouette, 
et  qui  paroît  être  un  petit  pluvier  à  collier. 

LE  GRAND  COURLIS 

DE  CAYENNE. 

HUITIÈME    ESPÈCE. 

Ibis  albicoUis.  L. 

Gk  grand  courlis,  n°  976,  est  plus  gros  que  le  cour- 
lis d'Europe,  et  il  nous  a  paru  le  plus  grand  des  courlis. 


4^4  LE    GRAND    COURLIS    DE    GAYENNE. 

Il  a  tout  le  manteau,  les  grandes  pennes  de  Taiie,  et 
le  devant  du  corps,  d'un  brun  onde  de  gris  et  lustré 
de  vert  ;  le  cou  est  blanc  roussâtre ,  et  les  grandes 
couvertures  de  l'aile  sont  blanches.  Cette  description 
suffit  pour  le  distinguer  de  tous  les  autres  courlis. 

LE  VANNEAU*. 

PREMIÈRE    ESPÈCE. 

Trlnga  vanellus.  L. 

Le  vanneau  ,  n°  242  ,  paroît  avoir  tiré  son  nom  , 
dans  notre  langue  et  en  latin  moderne  ,  du  bruit  que 
font  ses  ailes  en  volant,  qui  est  assez  semblable  au 
van  qu'on  agite  pour  purger  le  blé.  Son  nom  anglois 
lapwlng  a  le  même  rapport  au  battement  fréquent  et 
bruyant  de  ses  ailes.  Les  Grecs,  outre  les  noms  d'aex 
et  à'aega^  relatifs  à  son  cri,  lui  avoient  donné  celui 
de  paon  sauvage  (taos  agrios),  à  cause  de  son  aigrette 

1.  En  latin  moderne,  capelia  vanellus  ;  en  italien  ,  paonzello,  pavon- 
zino :  en  allemand,  kywit ,  et -vulgairement  liimmel-geisz  (chèvre  vo- 
lante ,  chèvre  du  ciel);  en  anglois  ,  lapwlng  et  bastard-p lover;  en  plu- 
sieurs de  nos  provinces,  dix-huit,  pivite,  kivite. 

2.  Aex ,  en  grec,  signifie  chèvre,  et  semble  avoir  rapport  au  bêle- 
ment ou  chevrotement  auquel  on  peut  comparer  la  voix  du  vanneau, 
d'où  viennent  aussi  les  noms  de  capra ,  capelia  cœlestis,  que  lui  don- 
nent divers  auteurs. 

Aristote  nomme  Yaex ,  avec  le  penelops  et  le  vulpanser,  oiseaux  du 
genre  des  canards  et  palmipèdes  :  on  croiroit  donc  légitimement  l'oi- 
seau aex  de  celte  classe ,  si  Belon  n'assuroit  positivement  avoir  retrouvé 
ce  même  nom  ài'aex  donné  encore  aujourd'hui  au  vanneau  dans  la 
Grèce. 


Vl.il- 


To-!nc  2b'. 


P.a..^uel   sc.Jp 


1 .  LE  VAWN  E  AU,  2 .  LE  VAN N  EAU  ARME  DU    SENE  G AX 
O.LE  PLUVIER  DORE  . 


LE    VANNEAU.  4^^ 

et  de  ses  jolies  couleurs.  Cependant  cette  aigrette  du 
vanneau  est  bien  différente  de  celle  du  paon  ;  elle 
ne  consiste  qu'en  quelques  longs  brins  effilés  très  dé- 
liés, et  les  couleurs  de  son  corps,  dont  le  dessous 
est  blanc,  n'offrent,  sur  un  fond  assez  sombre,  leurs 
reflets  brillants  et  dorés  qu'à  l'œil  qui  les  recherche 
de  près.  On  a  aussi  donné  au  vanneau  le  nom  de  dix- 
liuitjy  parce  que  ces  deux  syllabes,  prononcées  foi- 
blement,  expriment  assez  bien  son  cri,  que  dans  plu- 
sieurs langues  on  a  cherché  à  rendre  également  par 
des  sons  imitatifs*.  Il  donne  en  partant  un  ou  deux 
coups  de  voix,  et  se  fait  aussi  entendre  par  reprises 
dans  son  vol ,  même  durant  la  nuit.  Il  a  les  ailes  très 
fortes  et  il  s'en  sert  beaucoup,  vole  long-temps  de 
suite,  et  s'élève  très  haut.  Posé  à  terre,  il  s'élance, 
bondit,  et  parcourt  le  terrain  par  petits  vols  coupés. 

Cet  oiseau  est  fort  gai;  il  est  sans  cesse  en  mouve- 
ment, folâtre,  et  se  joue  de  mille  façons  en  l'air  :  il 
s'y  tient  par  instants  dans  toutes  les  situations,  même 
le  ventre  en  haut  ou  sur  le  côté  et  les  ailes  dirigées 
perpendiculairement,  et  aucun  oiseau  ne  caracole  et 
ne  voltige  plus  lestement. 

Les  vanneaux  arrivent  dans  nos  prairies  en  gran- 
des troupes  au  commencement  de  mars,  ou  même 
dès  la  fin  de  février,  après  le  dernier  dégel  et  par  le 
vent  de  sud.  On  les  voit  alors  se  jeter  dans  les  blés 
verts,  et  couvrir  le  matin  les  prairies  marécageuses 

1.  Gyfytz,  giwitz,  kiwitz,  czieik,  etc.,  tous  nouis  qui ,  suivant  les 
dialectes ,  se  prononcent  avec  le  même  accent.  En  suivant  cette  ana- 
logie on  ne  peut  guère  douter  que  l'oiseau  nommé  bigltz  dans  Tragus, 
qui  le  compte  au  nombre  de  ceux  qu'on  mange  en  Allemagne ,  ne  soit 
encore  le  vanneau. 


426  LE    VANNEAU. 

pour  y  chercher  les  vers  qu'ils  font  sorth-  de  terre  par 
une  singuHère  adresse.  Le  vanneau  qui  rencontre  un 
de  ces  petits  tas  de  terre  en  boulettes  ou  chapelets 
que  le  ver  a  rejetés  en  se  vidant  le  débarrasse  d'abord 
îéirèrement,  et,  ayant  mis  le  trou  à  découvert,  il  frappe 
à  côlé  la  terre  de  son  pied  et  reste  l'œil  attentif  et  le 
corps  immobile  :  cette  légère  commotion  suffit  pour 
faire  sortir  le  ver,  qui,  dès  qu'il  se  montre,  est  enlevé 
d'un  coup  de  bec.  Le  soir  venu,  ces  oiseaux  ont  un 
autre  manège;  ils  courent  dans  l'herbe  et  sentent  sous 
leurs  pieds  les  vers  qui  sortent  à  la  fraîcheur  :  ils  en 
font  ainsi  une  ample  pâture,  et  vont  ensuite  se  laver 
les  pieds  et  le  bec  dans  les  petites  mares  ou  dans  les 
ruisseaux. 

Ces  oiseaux  se  laissent  difficilement  approcher  et 
semblent  distinguer  de  très  loin  le  chasseur.  On  peut 
les  joindre  de  plus  près  lorsqu'il  fait  un  grand  vent, 
car  alors  ils  ont  peine  à  prendre  leur  essor.  Quand 
ils  sont  attroupés  et  prêts  à  s'élever  ensemble,  tous 
agitent  leurs  ailes  par  un  mouvement  égal;  et  comme 
elles  sont  doublées  de  blanc  et  qu'ils  sont  fort  près 
les  uns  des  autres,  le  terrain  couvert  par  leur  multi- 
tude, et  que  l'on  voyoitnoir,  paroît  blanc  tout  d'un 
coup.  Mais  cette  grande  société  que  forment  les  van- 
neaux à  leur  arrivée  tend  à  se  rompre  dès  que  les  pre- 
mières chaleurs  du  printemps  se  font  sentir,  et  deux 
à  trois  jours  suffisent  pour  les  séparer.  Le  signal  est 
donné  par  des  combats  que  les  mâles  se  livrent  entre 
eux;  les  femelles  semblent  fuir  et  sortent  les  premiè- 
res du  milieu  de  la  troupe,  comme  si  ces  querelles 
ne  les  intéressoient  pas,  mais  en  effet  pour  attirer 
après  elles  ces  combattants  et  leur  faire  contracter  une 


LE    VANNEA^r.  l\2'] 

société  plus  intime  et  plus  douce,  dans  laquelle  cha- 
que couple  sait  se  suffire  durant  les  trois  mois  que 
durent  les  amours  et  le  soin  de  la  nichée. 

La  ponte  se  fait  en  avril  ;  elle  est  de  trois  ou  qua- 
tre œufs  oblongs,  d'un  vert  sombre,  fort  tachetés  de 
noir.  La  femelle  les  dépose  dans  les  marais,  sur  les 
petites  buttes  ou  mottes  de  terre  élevées  au  dessus  dn 
niveau  du  terrain;  précaution  qu'elle  semble  prendre 
pour  les  mettre  à  l'abri  de  la  crue  des  eaux,  mais  qui 
néanmoins  lui  ôte  les  moyens  de  cacher  son  niel  et  le 
laisse  entièrement  à  découvert.  Pour  en  former  l'em- 
placement, elle  se  contente  de  tondre  à  fleur  de  terre 
un  petit  rond  dans  l'herbe ,  qui  bientôt  se  flétrit  alen- 
tour par  la  chaleur  de  la  couveuse.  Si  on  trouve 
l'herbe  fraîche,  on  juge  que  les  œufs  n'ont  point  été 
couvés.  On  dit  ces  œufs  bons  à  manger,  et  dans  plu- 
sieurs provinces  on  les  ramasse  à  milliers  pour  les  por- 
ter dans  les  marchés.  Mais  n'est-ce  point  offenser, 
appauvrir  la  nature,  que  de  détruire  ainsi  ses  tendres 
germes  dans  les  espèces  que  nous  ne  pouvons  d'ail- 
leurs multiplier?  Les  œufs  de  poule  et  des  autres  oi- 
seaux domestiques  sont  à  nous  par  les  soins  que  nous 
prenons  pour  leur  multiplication;  mais  ceux  de^  oi- 
seaux libres  n'appartiennent  qu'à  la  mère  commune 
de  tous  les  êtres. 

Le  temps  de  l'incubation  du  vanneau,  comme  dans 
la  plupart  des  autres  oiseaux ,  est  de  vingt  jours.  La 
femelle  couve  assidûment;  et  si  quelque  objet  in- 
quiétant la  force  à  se  lever  de  son  nid,  elle  piette  un 
certain  espace  en  se  traînant  dans  l'herbe,  et  ne  s'en- 
vole que  lorsqu'elle  se  trouve  assez  éloignée  de  ses 
oeufs  pour  que  son  départ  new  indique  pas  la  place. 


428  LE    VANNEAU. 

Les  vieilles  femelles  à  qui  on  a  enlevé  leurs  œufs  ne 
s'exposent  plus  à  nicher  à  découvert  dans  les  marais; 
elles  se  retirent  dans  les  blés  qui  montent  en  tuyau, 
et  y  font  plus  tranquillement  une  seconde  ponte  :  les 
jeunes,  moins  expérimentées,  s'exposent,  après  une 
première  perle,  à  une  seconde,  et  font  quelquefois 
jusqu'à  trois  pontes  successives  dans  les  mêmes  lieux; 
mais  les  dernières  ne  sont  plus  que  de  deux  œufs,  ou 
même  d'un  seul. 

Les  petits  vanneaux,  deux  ou  trois  jours  après  leur 
naissance,  courent  dans  l'herbe  et  suivent  leurs  père 
et  mère;  ceux-ci,  à  force  de  sollicitude,  trahissent 
souvent  leur  petite  famille,  et  la  décèlent  en  passant 
sur  la  tête  du  chasseur  avec  des  cris  inquiets,  qui 
redoublent  à  mesure  qu'on  approche  de  l'endroit  où 
les  petits  se  sont  tapis  à  terre  au  premier  signe  d'a- 
larme. Se  sentant  pressés,  ils  partent  en  courant,  et 
il  est  difficile  de  les  prendre  sans  chiens;  car  ils  sont 
aussi  alertes  que  les  perdreaux.  Ils  sont  alors  couverts 
d'un  duvet  noirâtre,  voilé  sous  de  longs  poils  blancs; 
mais  dès  le  mois  de  juillet  ils  entrent  dans  la  mue, 
qui  donne  à  leur  plumage  ses  belles  couleurs. 

Dès  lors  la  grande  société  commence  à  se  renouer; 
tous  les  vanneaux  d'un  marais,  jeunes  et  vieux,  se  ras- 
semblent, ils  se  joignent  aux  bandes  des  marais  voi- 
sins et  forment  en  peu  de  jours  des  troupes  de  cinq 
ou  six  cents  :  on  les  voit  planer  dans  l'air  ou  errer 
dans  les  prairies,  et  se  répandre  après  les  pluies  dans 
les  terres  labourées. 

Ces  oiseaux  passent  pour  inconstants ,  et  en  effet  ils 
ne  se  tiennent  guère  plus  de  vingt-quatre  heures  dans 
le  même  canton  :  mais  cette  inconstance  est  fondée 


LE    VANNEAU.  4^9 

sur  un  besoin  réel;  un  canton  épuisé  de  vers  en  un 
jour,  le  lendemain  la  troupe  est  forcée  de  se  trans- 
porter ailleurs.  Au  mois  d'octobre  les  vanneaux  sont 
très  gras;  c'est  le  temps  où  ils  trouvent  la  plus  ample 
pâture,  parce  que,  dans  cette  saison  humide,  les  vers 
sortent  de  terre  à  milliers  :  mais  les  vents  froids  qui 
soufflent  vers  la  fin  de  ce  mois,  en  les  faisant  rentrer 
en  terre,  obligent  les  vanneaux  de  s'éloigner;  c'est 
même  la  cause  de  la  disparition  de  tous  les  oiseaux 
vermivores  ou  mangeurs  de  vers,  et  de  leur  départ  de 
nos  contrées,  ainsi  que  de  toutes  celles  du  nord  aux 
approches  du  froid;  ils  vont  chercher  leur  nourriture 
dans  le  midi,  où  commence  alors  la  saison  des  pluies: 
mais,  par  une  semblable  nécessité,  ils  sont  forcés  de 
quitter  au  printemps  ces  terres  du  midi,  l'excès  de 
la  chaleur  et  de  la  sécheresse  y  causant  en  été  le  même 
effet  que  l'excès  du  froid  de  nos  hivers,  par  rapport 
a  la  disparition  des  vers,  qui  ne  se  montrent  à  la  sur- 
face de  la  terre  que  lorsqu'elle  est  en  même  temps 
humide  et  tempérée^. 

1.  M.  Bâillon,  à  qui  nous  sommes  redevables  des  meilleurs  détails 
de  cette  histoire  du  vanneau,  nous  confirme  dans  cette  idée ,  sur  la 
cause  du  retour  des  ciseaux  du  midi  au  nord ,  par  une  observation  qu'il 
a  faite  lui-même  aux  Antilles  :  •  La  terre,  dit-il ,  est  durant  six  mois  de 
l'année  d'une  dureté  comme  d'une  sécheresse  extrême  aux  Antilles; 
elle  ne  reçoit  pas  dans  tout  ce  temps  une  seule  goutte  d'eau  ;  j'y  ai  vu 
dans  les  vallées  des  gerçures  de  quatre  pouces  de  largeur  et  de  plu- 
sieurs pieds  de  profondeur;  il  est  impossible  qu'aucun  ver  séjourne 
alors  à  la  superficie  :  aussi  pendant  ce  temps  de  sécheresse  on  n'aper- 
çoit dans  ces  îles  aucun  oiseau  vermivore;  mais  dès  les  premiers  jours 
de  la  saison  des  pluies,  on  voit  ces  oiseaux  arriver  par  essaims,  que 
j'ai  jugé  venir  des  terres  basses  et  noyées  des  côtes  orientales  de  la  Flo- 
ride ,  des  îles  Gaïques ,  des  îles  Turques,  et  d'une  foule  d'autres  îlots, 
inhabités ,  situés  au  nord  et  au  nord-ouest  des  Antilles.  Tous  ces  lieus 


/|50  LE    VANNEAU. 

Et  cet  ordre  du  départ  et  du  retour  des  oiseaux 
qui  vivent  de  vers  est  le  même  dans  tout  noire  hémi- 
sphère; nous  en  avons  une  preuve  particulière  pour 
l'espèce  du  vanneau  :  au  Kamtschatka  le  mois  d'oc- 
tobre s'appelle  le  mois  des  vanneaux;  et  c'est  alors  le 
temps  de  leur  départ  de  cette  contrée  comme  des 
nôtres. 

Belon  dit  que  le  vanneau  est  connu  en  toute  terre. 
Effectivement  l'espèce  en  est  très  répandue.  Nous  ve- 
nons de  dire  que  ces  oiseaux  se  sont  portés  jusqu'à 
l'extrémité  orientale  de  l'Asie  ;  on  les  trouve  égale- 
ment dans  les  contrées  intérieures  de  cette  vaste  ré- 
gion, et  on  en  voit  par  toute  l'Europe.  A  la  fin  de  l'hi- 
ver ils  paroissent  à  milliers  dans  nos  provinces  de  Brie 
et  de  Champagne;  on  en  fait  des  chasses  abondan- 
tes; il  s'en  prend  des  volées  au  filet  à  miroir.  On  le 
tend  pour  cela  dans  une  prairie;  on  place  entre  les 
nappes  quelques  vanneaux  empaillés  et  un  ou  deux 
de  ces  oiseaux  vivants  pour  servir  d'appelants,  ou 
bien  l'oiseleur,  caché  dans  sa  loge,  imite  leur  cri  de 
réclame  avec  un  appeau  de  fine  écorce  :  à  ce  cri  per- 
fide la  troupe  entière  s'abat  et  donne  dans  les  filets. 
Olina  place  dans  le  courant  de  novembre  les  grandes 
captures  de  vanneaux ,  et  il  paroît  à  sa  narration  qu'on 
voit  ces  oiseaux  attroupés  tout  l'hiver  en  Italie. 

Le  vanneau  est  un  gibier  assez  estimé;  cependant 
ceux  qui  ont  tiré  la  ligne  délicate  de  l'abstinence 
pieuse  l'ont ,  comme  par  faveur ,  admis  parmi  les  mets 
de  la  mortification.  Le  vanneau  a  le  ventricule  très 
musculeux,  doublé  d'une  membrane  sans  adhérence, 

humides  sont  le  berceau  des  oiseaux  d'eau  de  ces  îles ,  et  peut-être 
dWe  partie  du  grand  coutiuent  de  rAraérique.  » 


LE    VANNEAU.  /|5 1 


recouvert  par  le  foie,  et  contenant  pour  l'ordinaire 
quelques  petits  cailloux;  le  tube  intestinal  est  d'envi- 
ron deux  pieds  de  longueur;  il  y  a  deux  cœcums,  di- 
rigés en  avant,  chacun  de  plus  de  deux  pouces  de 
long  ;  une  vésicule  du  fiel  adhérente  au  foie  et  au  duo- 
dénum; le  foie  est  grand  et  coupé  en  deux  lobes; 
l'œsophage,  long  d'environ  six  pouces,  est  dilaté  en 
poche  avant  son  insertion;  le  palais  est  hérissé  de  pe- 
tites pointes  charnues  qui  se  couchent  en  arrière;  la 
langue,  étroite,  arrondie  par  le  bout,  a  dix  lignes  de 
long.  Willughby  observe  que  les  oreilles  sont  placées 
dajis  le  vanneau  plus  bas  que  dans  les  autres  oiseaux. 
Il  n'y  a  pas  de  dillerence  entre  le  mâle  et  la  fe- 
melle ;  mais  il  y  en  a  quelques  unes  dans  les  couleurs 
iUi  plumage,  quoique  AIdrovande  dise  ny  en  avoir 
point  remarqué  :  ces  différences  reviennent  en  géné- 
ral à  ce  que  les  couleurs  de  la  femelle  sont  plus  foi- 
bles,  et  que  les  parties  noires  sont  mélangées  de  gris; 
sa  huppe  est  aussi  plus  petite  que  celle  du  mâle,  dont 
la  tète  paroît  être  un  peu  plus  grosse  et  plus  arron- 
die. La  plume  de  ces  oiseaux  est  épaisse  et  son  duvet 
bien  fourni,  ce  duvet  est  noir  près  du  corps;  le  des- 
sous et  le  bord  des  ailes,  vers  l'épaule,  sont  blancs, 
ainsi  que  le  ventre ,  les  deux  plumes  extérieures  de 
îa  queue  et  de  la  première  moitié  des  autres;  il  y  a 
un  point  blanc  de  chaque  côté  du  bec  et  un  trait  de 
même  couleur  sur  l'œil  en  façon  de  sourcil.  Tout  le 
reste  du  plumage  est  d'un  fond  noir,  mais  enrichi 
de  beaux  reflets  d'un  luisant  métallique,  changeant 
en  vert  et  en  rouge  doré,  particulièrement  sur  la  tète 
et  les  ailes.  Le  noir  sur  la  gorge  et  le  devant  du  cou 
est  mêlé  de  blanc  par  taches  :  mais  ce  noir  forme  seul 


45a  LE    VANNEAU. 

sur  la  poitrine  un  large  plastron  arrondi;  il  est,  ainsi 
que  le  noir  des  pennes  deTaile,  lustrëde  vert  bronzé. 
Les  couvertures  de  la  queue  sont  rousses.  Mais  comme 
il  se  trouve  assez  fréquemment  de  la  diversité  dans  le 
plumage  d'un  individu  à  un  autre,  un  plus  grand  dé- 
tail dans  la  description  deviendroit  superflu  :  nous  ob- 
serverons seulement  que  la  huppe  n'est  point  implan- 
tée sur  le  front,  mais  à  l'occiput,   ce  qui  lui  donne 
plus  de  grâce  ;  elle  est  composée  de  cinq  ou  six  brins 
délicats,  effilés,  d'un  beau  noir,  dont  les  deux  supé- 
rieurs couvrent  les  autres  et  sont  beaucoup  plus  longs. 
Le  bec  noir,  assez  petit  et  court,  n'ayant  pas  plus  de 
douze  ou  treize  lignes,  est  renflé  vers  le  bout;  les 
pieds  sont  hauts  et  minces  et  d'un  rouge  brun,  ainsi 
que  le  bas  des  jambes,  qui  est  dénué  de  plumes  sur 
sept  ou  huit  lignes  de  hauteur;  le  doigt  extérieur  et 
celui  du  milieu  sont  joints  à  l'origine  par  une  petite 
membrane  ;  celui  de  derrière  est  très  court  et  ne  pose 
point  à  terre  ;  la  queue  ne  dépasse  pas  l'aile  pliée.  La 
longueur  totale  de  l'oiseau  est  de  onze  ou  douze  pouces 
et  sa  grosseur  approche  de  celle  du  pigeon  commun. 
On  peut  garder  les   vanneaux  en  domesticité;  il 
faut,  dit  Olina,  les  nourrir  de  cœur  de  bœuf  dépecé 
en  filets.  Quelquefois  on  en  met  dans  les  jardins,  où 
ils  servent  à  détruire  les  insectes;  ils  y  restent  volon- 
tiers et  ne  cherchent  point  à  s'enfuir.  Mais,  comme 
le  remarque  Klein,  cette  facilité  qu'on  trouve  à  cap- 
tiver cet  oiseau  vient  plutôt  de  stupidité  que  de  sen- 
sibilité; et  d'après  le  maintien  et  la  physionomie  de 
ces  oiseaux,  tant  vanneaux  que  pluviers,  cet  obser- 
vateur prétend    qu'on    peut  prononcer  qu'ils  n'ont 
qu'un  instinct  fort  obtus. 


LU    VANNEAU.  /pO 

Gesner  parle  de  vanneaux  blancs  et  de  vanneaux 
bruns  tachetés  et  sans  aigrette  ;  mais  il  n'en  dit  pas 
assez  pour  faire  juger  si  les  premiers  ne  sont  pas  sim- 
plement des  variétés  accidentelles.  Il  nous  paroît  se 
tromper  sur  les  secondes  et  prendre  le  pluvier  pour 
le  vanneau  :  il  semble  s'en  douter  lui-même;  car  il 
avoue  ailleurs  qu'il  connoissoit  peu  le  pluvier,  qui 
est  très  rare  en  Suisse  et  n'y  paroît  presque  jamais, 
tandis  que  les  vanneaux  y  viennent  en  très  grand 
nombre  :  il  y  a  même  une  espèce  à  laquelle  on  a  donné 
le  nom  de  vanneau  suisse. 

LE  VANNEAU  SUISSE. 

SECONDE    ESPÈCE. 

Vanelkis  melanogaster.  Bechst.  (Plumage  de  noces.  ) 

Ce  vanneau  ,  n**  855 ,  est  à  peu  près  de  la  taille  du 
vanneau  commun;  il  a  tout  le  dessus  du  corps  varié 
transversalement  de  blanc  et  de  brun;  le  devant  du 
corps  est  noir  ou  noirâtre  ;  le  ventre  est  blanc;  les 
grandes  pennes  de  l'aile  sont  noires  et  la  queue  est 
traversée  de  bandes  comme  le  dos.  La  dénomination 
de  vanneau  suisse  pourroit  donc  venir  de  cet  habille- 
ment mi-parti.  Cette  étymologie  est  peut-être  aussi 
plausible  que  celle  de  vanneau  de  Suisse^,  car  cet  oi- 
seau ne  se  trouve  point  exclusivement  en  Suisse^  et 

i.  Il  y  a  même  une  raison  très  légitime  de  douter  que  cet  oiseau  s'y 
trouve  absolument;  c'est  que  Gesner,  cet  observateur  si  savant,  n'en 
fait  aucune  mention,  et  qu'il  n'auroil  certainement  pas  manqué  de 
connoître  an  oiseau  de  son  pays. 


434  l'E    VANNEAL    SUISSE. 

paroît  dans  nos  contrées  :  mais  il  est  vrai  qu'il  y  est 
beaucoup  plus  rare  que  l'autre  et  qu'on  ne  l'y  voit  ja- 
mais en  troupes  nombreuses. 

M.  Brisson  fait  de  l'oiseau  ginochiella  d'AIdrovande 
une  troisième  espèce  sous  la  dénomination  de  grand 
vanneau^  qui  convient  bien  peu  au  ginochîellay  puis- 
que ,  dans  la  figure  qu'en  donne  AIdrovande  et  qu'il 
dit  de  grandeur  naturelle,  cet  oiseau  est  représenté 
moins  grand  que  le  vanneau  commun.  Au  reste,  il  est 
très  difficile  de  prononcer  sur  la  réalité  d'une  espèce 
à  la  vue  d'une  figure  imparfaite,  d'autant  que  si  les 
pieds  et  le  bec  ne  sont  pas  mal  représentés,  cet  oi- 
seau n'est  point  un  vanneau.  On  pourroit  y  rapporter 
plutôt  le  grand  pluvier  ou  courlis  de  terre ,  dont  nous 
parlerons  à  la  suite  de  l'article  des  pluviers,  si  la  dif- 
férence de  la  tailie  ne  s'y  opposoit  pas  encore.  AIdro- 
vande, dans  la  courte  notice  qu'il  a  jointe  à  sa  figure, 
dit  que  le  bec  a  la  pointe  aiguë,  ce  qui  ne  caracté- 
rise pas  plus  un  pluvier  qu'un  vanneau.  Ainsi,  sans 
établir  l'espèce  de  cet  oiseau,  nous  nous  contente- 
rons d'en  avoir  placé  ici  la  notice,  à  îaquelle,  depuis 
AIdrovande,  personne  n'a  rien  ajouté. 

LE  VANNEAU  ARME 

DU  SÉNÉGAL. 

TROISIÈME    ESPÈCE. 

Parra  senegaleiisis,  L. 

Ce  vanneau  du  Sénégal  est  de  la  grosseur  du  nôtre  ; 
mais  il    a  les  pieds  fort  bauts  et  la  partie  nue  de  la 


LE  VANNEAU  ARMÉ  DU  SENEGAL.      /p^ 

jambe  longue  de  vingt  lignes  :  cette  partie  est , 
comme  les  pieds,  de  couleur  verdâtre.  Le  bec  est 
long  de  seize  lignes  et  surmonté,  près  du  front,  d'une 
bandelette  étroite  de  membrane  jaune  très  mince, 
retombant,  et  coupée  en  pointe  de  chaque  côté.  Il  a 
le  devant  du  corps  d'un  gris-brun  clair;  le  dessus  de 
même  couleur,  mais  plus  foncé;  les  grandes  pennes 
de  l'aile  noires;  les  plus  près  du  corps  d'un  blanc 
sale  ;  la  queue  est  blanche  dans  sa  première  moitié , 
ensuite  noire,  et  enfin  blanche  à  la  pointe.  Cet  oi- 
seau, n°  362,  est  armé,  au  pli  de  l'aile,  d'un  petit 
éperon  corné ,  long  de  deux  lignes  et  terminé  en 
pointe  aiguë. 

On  reconnoît  cette  espèce  dans  une  notice  de 
M.  Adanson ,  à  l'habitude  que  nous  avons  remarquée 
dans  la  famille  des  vanneaux,  qui  est  de  crier  beau- 
coup et  de  poursuivre  les  gens  avec  clameurs,  pour 
peu  qu'on  approche  de  l'endroit  où  ils  se  tiennent  : 
aussi  les  François  du  Sénégal  ont-ils  appelés  criards 
ces  vanneaux  armés,  que  les  Nègres  nomment  net- 
net,  «  Dès  qu'ils  voient  un  homme,  dit  M.  Adanson, 
ils  se  mettent  à  crier  à  toute  force  et  à  voltiger  autour 
de  lui,  comme  pour  avertir  les  autres  oiseaux,  qui, 
dès  qu'ils  les  entendent,  prennent  leur  vol  pour  s'é- 
chapper. Ces  oiseaux  sont  les  fléaux  des  chasseurs.  » 
Cependant  le  naturel  de  nos  vanneaux  est  paisible, 
et  l'on  n'observe  pas  qu'ils  aient  querelle  avec  aucun 
oiseau  :  mais  l'ergot  aux  ailes,  dont  la  nature  a  pourvu 
ceux-ci,  les  rend  apparemment  plus  guerriers,  et 
l'on  assure  qu'ils  se  servent  de  cet  éperon  comme 
d'une  arme  offensive  contre  les  autres  oiseaux. 


436  LE    VANNEAU    ARMÉ    DES    INDES. 

LE  VANNEAU  ARMÉ 

DES  INDES. 

QUATRIÈME    ESPÈCE. 

Parra  goaensis.  L. 

Une  seconde  espèce  de  vanneau  armé  nous  est  ve- 
nue de  Goa  et  n'est  pas  encore  connue  des  natura- 
listes. Ce  vanneau  des  Indes,  n®  807,  est  de  la  gran- 
deur de  celui  d'Europe ,  mais  il  a  le  corps  plus  mince 
et  plus  haut  monté  ;  il  porte  un  petit  ergot  au  pli  de 
chaque  aile,  et,  dans  son  plumage,  on  reconnoît  la 
livrée  commune  des  vanneaux  :  les  grandes  pennes 
de  l'aile  sont  noires;  la  queue,  mi-partie  de  blanc  et 
de  noir,  est  roussâtre  à  la  pointe  ;  une  teinte  pourprée 
couvre  les  épaules;  le  dessous  du  corps  est  blanc;  la 
gorge  et  le  devant  du  cou  sont  noirs;  le  sommet  de 
la  tête  et  le  dessus  du  cou  noirs  aussi,  avec  une  ligne 
blanche  sur  les  côtés  du  cou;  le  dos  est  brun.  L'œil 
paroît  entouré  d'une  portion  de  cette  membrane  ex- 
croissante qu'on  remarque  phis  ou  moins  dans  la 
plupart  des  vanneaux  et  des  pluviers  armés,  comme 
si  ces  deux  excroissances  de  l'ergot  et  du  casque 
membraneux  avoient  dans  leur  production  quelque 
rapport  secret  et  quelque  cause  simultanée. 


LE    VANNEAU    ARMÉ.  4'^; 

LE  VANNEAU  ARMÉ 

DE  LA  LOUISIANE. 

CINQUIÈME    ESPÈCE. 

Parra  Uidovictana.  L. 

Celui-ci,  n°  835,  est  un  peu  moins  grand  que  le 
vanneau  armé  du  Sénégal  ;  mais  il  a  les  jambes  et  les 
pieds  à  proportion  aussi  longs,  et  son  arme  est  plus 
forte  et  longue  de  quatre  lignes.  Il  a  la  tête  coiffée, 
de  chaque  côté,  d'une  double  bandelette  jaune  posée 
latéralement,  et  qui,  entourant  l'œil,  se  taille  en 
arrière  en  petite  échancrure  et  se  plonge  en  avant  sur 
la  racine  du  bec  en  deux  lambeaux  allongés  ;  le  sommet 
de  la  tête  est  noir;  les  grandes  pennes  de  l'aile  le  sont 
aussi;  la  queue  de  même  avec  la  pointe  blanche;  le 
reste  du  plumage,  sur  un  fond  gris,  est  teint  de  brun 
roussâtre  ou  rougeâtre  sur  le  dos  et  rougeâtre  clair  ou 
couleur  de  chair  sur  la  gorge  et  le  devant  du  cou  ;  le 
bec  et  les  pieds  sont  d'un  jaune  verdâtre. 

Nous  regarderons  comme  variété  de  celte  espèce 
la  huitième  de  M.  Brisson,  qu'il  a  donnée  sous  le 
nom  de  vanneau  armé  de  Saint-Domingue.  Les  pro- 
portions sont  à  très  peu  près  les  mêmes;  et  les  diffé- 
rences ne  paroissent  pas  excéder  celles  que  l'âge  ou 
le  sexe  mettent  dans  des  oiseaux  de  même  espèce. 

DUFFOiV     XXV.  28 


456  LK    VANNEAU    A  11  ME    DE    CAYENNE. 


B***©***-**©*©*»*»»****»»  »»»»a«««'9«pa<»i»»a«fto»c4^»  ***«iWi.8«i  « 


LE  VANNEAU  ARME 

DE  CAYENNE. 

SIXIÈME    ESPÈCE. 

Parra  cayennensis.  L. 

Ce  vanneau,  n°  836,  est  au  moins  de  la  grandeur 
du  nôtre,  mais  il  est  plus  haut  monté;  il  est  aussi 
armé  d'un  ergot  à  l'épaule:  du  reste,  il  ressemble 
tout-à-fait  à  notre  vanneau  parla  teinte  et  les  masses 
des  couleurs  :  il  a  l'épaule  couverte  d'une  plaque  d'un 
gris  bleuâtre;  un  mélange  de  cette  couleur  et  de 
teintes  vertes  et  pourprées  est  étendu  sur  le  dos;  le 
cou  est  gris,  mais  un  large  plastron  noir  s'arrondit 
sur  la  poitrine;  le  front  et  la  gorge  sont  noirs;  la 
queue  est  mi-partie  de  noir  et  de  blanc  comme  dans 
le  vanneau  d'Europe  :  et,  pour  compléter  les  rap- 
ports, celui  de  Cayenne  porte  à  l'occiput  une  petite 
aigrette  de  cinq  ou  six  brins  assez  courts. 

Il  paroît  qu'il  se  trouve  aussi  au  Chili  une  espèce 
de  vanneau  armé  ;  et  si  la  notice  qu'en  donne  Frézier 
n'a  rien  d'exagéré,  cette  espèce  est  plus  fortement 
armée  qu'aucune  des  précédentes,  puisque  les  ergots 
ou  éperons  ont  un  pouce  de  longueur.  C'est  encore 
une  espèce  criarde  comme  celle  du  Sénégal.  «  Dès 
que  ces  oiseaux  voient  un  homme  ,  dit  M.  Frézier,  ils 
se  mettent  à  voltiger  autour  de  lui  et  à  crier,  comme 
pour  avertir  les  autres  oiseaux,  qui,  à  ce  signal, 
prennent,  de  tous  côtés,  leur  vol.  » 


LE    VANNE  AL -PLU  V1E«.  4^9 

LE  VANNEAU-PLUVIER. 

Vanellus  melanogasler,    Bechst.    (Jeune  âge.  ) 

C'est  cet  oiseau,  n"  854?  *ï^^  Belon  nomme  plu- 
vier grisj  et  qui  ressemble  effectivement  autant  et 
peut-être  plus  au  pluvier  qu'au  vanneau.  Il  porte  ,  à 
la  vérité  ,  comme  le  dernier,  ce  petit  doigt  postérieur 
dont  le  pluvier  est  dépourvu,  différence  par  laquelle 
les  naturalistes  ont  séparé  ces  oiseaux;  mais  on  doit 
observer  que  ce  doigt  est  plus  petit  que  dans  le  van- 
neau ,  qu'il  est  à  peine  apparent ,  et  que  de  plus  cet 
oiseau  ne  porte  dans  son  plumage  aucune  livrée  de 
celui  du  vanneau.  Ce  sera  donc  ,  si  l'on  veut ,  un  van- 
neau ,  parce  qu'il  a  un  quatrième  doigt;  ou  bien  ce 
sera  un  pluvier,  parce  qu'il  n'a  point  d'aigrette  et 
aussi  parce  qu'il  a  les  couleurs  et  les  mœurs  des  plu- 
viers. Klein  refuse  même  ,  avec  quelque  raison,  d'ad- 
mettre comme  caractère  générique  cette  différence 
légère  dans  les  doigts ,  qu'il  ne  regarde  que  comme 
une  anomalie;  et,  alléguant  pour  exemple  cette  es- 
pèce même ,  il  dit  que  le  faux  doigt  ou  plutôt  l'onglet 
postérieur  qui  se  distingue  à  peine  ne  lui  semble  pas 
l'éloigner  suffisamment  du  pluvier,  et  qu'en  générai 
ces  deux  genres  du  pluvier  et  du  vanneau  se  rappro- 
chent dans  leurs  espèces  de  manière  à  ne  composer 
qu'une  grande  famille  ;  ce  qui  nous  paroît  juste  et 
très  vrai.  Aussi  les  nahiralistes,  indécis,  ont-ils  appelé 
l'oiseau  dont  nous  parlons,  ic^niol. vanneau  et  tantôt 


44o  LE    VANNE  AL -PLUVIER. 

pliirier.  C'est  pour  terminer  le  ditrérend  et  rappro- 
cher ces  analogies  qne  nous  l'avons  appelé  vaiineau- 
pluvier.  Les  oiseleurs  l'ont  nommé  pluvier  de  mer  : 
dénomination  impropre,  puisqu'il  va  de  compagnie 
avec  les  pluviers  ordinaires  et  que  Belon  le  prend 
pour  l'appelant  on  le  roi  de  leurs  bandes;  car  les 
chasseurs  disent  que  cet  appelant  est  plus  grand  et 
a  la  voix  plus  forte  que  les  autres.  Il  est,  en  effet, 
un  peu  plus  gros  que  le  pluvier  doré  ;  il  a  le  bec  à 
proportion  plus  long  et  plus  fort  ;  tout  son  plumage 
est  gris-cendré  clair,  et  presque  blanc  sous  le  corps , 
mêlé  de  taches  brunâtres  au  dessus  du  corps  et  sur 
les  côtés  ;  les  pennes  de  l'aile  sont  noirâtres  ;  la  queue 
est  courte  et  n'excède  pas  l'aile  pliée. 

Aidrovande  conjecture ,  avec  assez  de  vraiseui- 
blance,  qu'Aristote  a  fait  mention  de  cet  oiseau  sous 
le  nom  de  pardalis  :  sur  quoi  il  faut  remarquer  que 
ce  philosophe  ne  paroît  pas  parler  du  pardalis  comme 
d'un  oiseau  qu'il  connoissoit  par  lui-même;  car  voici 
ses  leruies  :  «  Le  pardalis  est,  dit-on,  un  oiseau 
[avicula  quœdam  pcrliibetar)  qui  ordinairement  vole 
en  troupes;  on  n'en  rencontre  pas  un  isolé  des  au- 
tres. Son  plumage  est  cendré  ;  sa  grandeur,  celle  du 
moUiceps;  il  vole  et  court  également  bien  ;  sa  voix 
n'est  point  forte,  mais  son  cri  est  fréquent.  »  Ajoutez 
que  le  nom  pardalis  marque  un  plumage  tacheté; 
tout  le  reste  des  traits  se  rapporte  également  bien  à 
un  oiseau  de  la  famille  du  pluvier  ou  du  vanneau. 

Wilhighby  nous  assure  que  cet  oiseau  se  voit  fré- 
quemment dans  les  terres  de  l'Etat  de  Venise,  où  on 
le  nomme  squatarola.  Marsigli  le  compte  parmi  les 
oiseaux  des  rives  du  Danube;  Schwenckfeld   entre 


LE   VANNEAU-PLUVIER.  44 1 

ceux  de  Silésie  ;  Rzaczynski  au  nombre  de  ceux  de 
Pologne  ;  et  Sibbald  le  nomme  dans  la  liste  des  oi- 
seaux de  l'Ecosse  :  d'où  l'on  voit  que  cette  espèce  , 
comme  toute  la  famille  des  vanneaux,  est  extrême- 
ment répandue.  Est-ce  une  particularité  de  son  histoire 
naturelle  que  Linnaeus  a  voulu  marquer,  lorsqu'il  l'a 
nommé,  dans  une  de  ses  éditions,  tringa  Augmti 
mensisj  et  se  trouve-t-il  au  mois  d'août  en  Suéde? 
Du  reste,  le  doigt  postérieur  de  ce  vanneau-pluvier 
est  si  petit  et  si  peu  apparent  que  nous  ne  ferons  pas 
difficulté  de  lui  rapporter,  avec  M.  Brisson ,  le  van- 
neau brun  de  Schwenckfeld,  quoiqu'il  dise  expressé- 
ment qu'il  n'a  point  de  doigt  postérieur. 

Nous  rapporterons  encore  à  cette  espèce,  comme 
très  voisine,  celle  du  vanneau  varié  de  M.  Brisson, 
Aldrovande  ne  donne  sur  cet  oiseau  qu'une  figure 
sans  notice  ;  mais  son  titre  seul  indique  qu'il  a  connu 
la  grande  ressemblance  qui  est  entre  ces  deux  oi- 
seaux :  toutes  leurs  proportions  sont  à  très  peu  près 
les  mêmes;  le  fond  du  plumage  ne  diffère  que  de 
auelques  teintes;  seulement  il  est  encore  plus  tigré 
dans  ce  vanneau  varié ,  que  nous  regardons  comme 
une  seconde  race  dans  l'espèce  du  vanneau-pluvier. 
L'un  et  l'autre,  suivant  M.  Brisson  ,  fréquentent  les 
bords  de  la  mer;  mais  il  est  plus  clair,  par  les  témoi- 
gnages que  nous  venons  de  citer,  que  ces  oiseaux  se 
trouvent  aussi  dans  des  pays  éloignés  de  la  mer,  et 
même  fort  avant  dans  l'intérieur  des  terres  en  diffé- 
rentes contrées. 


4/|2  LES    PLUVIETvS. 


s*fl«»»««*e««««*î««i8«*«*«;«««>*s«<9««<«e«*«*«***«*«*««««<^  * 


LES  PLUVIE[IS. 

L'instinct  social  n'est  pas  donné  à  toutes  les  espè- 
ces d'oiseaux;  mais  dans  celles  où  il  se  manifeste  il  est 
plus  grand,  plus  décidé,  que  dans  les  autres  animaux. 
Non  seulement  leurs  attroupements  sont  plus  nom- 
breux et  leur  réunioQ  plus  constante  que  celle  des 
quadrupèdes,  mais  il  semble  que  ce  n'est  qu'aux  oi- 
seaux seuls  qu'appartient  cette  communauté  de  goûts, 
de  projets,  de  plaisirs,  et  cette  union  de  volontés  qui 
fait  le  lien  de  l'attachement  mutuel  et  le  motif  de  la 
liaison    générale.  Cette  supériorité  d'instinct  social 
dans  les  oiseaux  suppose  d'abord  une  nombreuse  mul- 
tiplication et  vient  ensuite  de  ce  qu'ils  ont  plus  de 
moyens  et  de  facilité  de  se  rapprocher,  de  se  rejoin- 
dre, de  demeurer  et  voyager  ensemble;  ce  qui  les 
met  à  portée  de  s'entendre  et  de  se  communiquer  as- 
sez d'intelligence  pour  connoître  les  premières  lois 
de  la  société,  qui,  dans  toute  espèce  d'êtres,  ne  peut 
s'établir  que  sur  un  plan  dirigé  par  des  vues  concer- 
tées. C'est  cette  intelligence  qui  produit  entre  les  in- 
dividus l'affection,  la  confiance  et  les  douces  habitu- 
des de  l'union,  de  la  paix  et  de  tous  les  biens  qu'elle 
procure.  En  effet,  si  nous  considérons  les  sociétés  li- 
bres ou  forcées  des  animaux  quadrupèdes ,  soit  qu'ils 
se  réunissent  furtivement  et  à  l'écart  dans  l'état  sau- 
vage, soit  qu'ils  se  trouvent   rassemblés  avec  indiffé- 
rence ou  regret  sous  l'empire  de  l'homme  et  attrou- 
pés en  domestiques  ou  en  esclaves,  nous  ne  pourrons 


LES    PLUVIER?.  443 

les  comparer  aux  grandes  sociétés  des  oiseaux  foruiées 
par  un  pur  instinct,  entretenues  par  goût,  par  affec- 
tion, sous  les  auspices  de  la  pleine  liberté.  Nous 
avons  vu  les  pigeons  chérir  leur  commun  domicile  et 
s'y  plaire  d'autant  plus  qu'ils  y  sont  plus  nombreux; 
nous  voyons  les  cailles  se  rassembler,  se  reconnoître, 
donner  et  suivre  l'avis  général  du  départ;  nous  savons 
que  les  oiseaux  gallinacés  ont,  même  dans  l'état  sau- 
vage, des  habitudes  sociales  que  la  domesticité  n'a 
fait  que  seconder,  sans  contraindre  leur  nature  ;  enfin 
nous  vovons  tous  les  oiseaux  qui  sont  écartés  dans  les 
bois,  ou  dispersés' dans  les  champs,  s'attrouper  à  l'ar- 
rière-saison,  et,  après  avoir  égayé  de  leurs  jeux  les 
derniers  beaux  jours  de  l'automne  ,  partir  de  concert 
pour  aller  chercher  ensemble  des  climats  plus  heu- 
reux et  des  hivers  plus  tempérés  ;  et  tout  cela  s'exé- 
cute indépendamment  de  l'homme,  quoique  alen- 
tour de  lui ,  et  sans  qu'il  puisse  y  mettre  obstacle,  au 
lieu  qu'il  anéantit  ou  contraint  toute  société,  toute 
volonté  commune,  dans  les  animaux  quadrupèdes  : 
en  les  désunissant  il  les  a  dispersés.  La  marmotte,  so- 
ciale par  instinct,  se  trouve  reléguée,  solitaire,  à  la 
cime  des  montagnes;  le  castor,  encore  plus  aimant, 
plus  uni,  et  presque  policé,  a  été  repoussé  dans  le 
fond  des  déserts.  L'homme  a  détruit  ou  prévenu  toute 
société  entre  les  animaux  ;  il  a  éteint  celle  du  cheval, 
en  soumettant  l'espèce  entière  au  frein  ^  ;  il  a  gêné  celle 

i.  JjCs  chevaux,  redevenus  sauvages  dans  les  plaines  de  Buénos- 
Avres,  vont  par  grandes  troupes,  courent  ensemble,  paissent  en- 
semble, et  donnent  toutes  les  marques  de  s'aimer,  de  s'entendre,  de 
se  plaire  rassemblés.  Il  en  est  de  même  des  chiens  sauvages ,  en  Ca- 
nada, et  dans  les  autres  contrées  de  l'Amérique  septentrionale.  On  ne 


444  ^E*    PLUVIERS. 

môme  de  réléphant,  malgré  la  puissance  et  la  force 
de  ce  géant  des  animaux,  malgré  son  refus  constant 
de  produire  en  domesticité.  Les  oiseaux  seuls  ont 
échappé  à  la  dénomination  du  tyran  ;  il  n'a  rien  pu  sur 
leur  société,  qui  est  aussi  libre  que  l'empire  de  l'air; 
toutes  ses  atteintes  ne  peuvent  porter  que  sur  la  vie 
des  individus  :  il  en  diminue  le  nombre,  mais  l'espèce 
ne  souffre  que  cet  échec  ,  et  ne  perd  ni  la  liberté,  ni 
son  instinct,  ni  ses  mœurs.  Il  y  a  même  des  oiseaux 
que  nous  ne  connoissons  que  par  les  effets  de  cet  in- 
stinct social,  et  que  nous  ne  voyons  que  dans  les 
moments  de  l'attroupement  général  et  de  leur  réunion 
en  grande  compagnie.  Telle  est  en  général  la  société 
de  la  plupart  des  espèces  d'oiseaux  d'eau,  et  en  par- 
ticulier celle  des  pluviers. 

Ils  paroissent  en  troupes  nombreuses  dans  nos  pro- 
vinces de  France  pendant  les  pluies  d'automne;  et 
c'est  de  leur  arrivée  dans  la  saison  des  pluies  qu'on 
les  a  nommés  pluviers^.  Ils  fréquentent,  comme  les 
vanneaux,  les  fonds  humides  et  les  terres  limoneu- 
ses, où  ils  cherchent  les  vers  et  les  insectes.  Ils  vont 
à  l'eau  le  matin  pour  se  laver  le  bec  et  les  pieds,  qu'ils 
se  sont  remplis  de  terre  en  la  fouillant;  et  cette  ha- 

doit  plus  douter  que  les  autres  espèces  domestiques,  celle  du  chameau 
depuis  si  long -temps  soumise,  celles  du  bœuf  et  du  mouton,  dont 
l'homme  a  dénaturé  la  société  en  mettant  toute  l'espèce  en  servitude, 
ne  fussent  aussi  naturellement  sociales  ,  et  ne  se  donnassent ,  dans  l'é- 
tat sauvage  ennobli  par  la  liberté  ,  ces  marques  touchantes  de  pen- 
chant et  d'affection  dont  nous  les  voyous  entre  eux  encore  consoler 
leur  esclavage. 

i.  L'étymologie  de  Gesner,  qui  tire  son  nom  a  pulvere,  est  beaucoup 
moins  vraisemblable  et  bien  moins  propre  au  pluvier,  y  ayant  d'ail- 
leurs un  très  grand  nombre  d'oiseaux  pulvérateurs. 


LES   PLUVIERS.  44^ 

bitude  leur  est  commune  avec  les  bécasses,  les  van- 
neaux, les  courlis,  et  plusieurs  autres  oiseaux  qui  se 
nourrissent  de  vers.  Ils  frappent  la  terre  avec  leurs 
pieds  pour  les  faire  sortir,  et  ils  les  saisissent  sou- 
vent même  avant  qu'ils  soient  hors  de  leur  retraite. 
Quoique  les  pluviers  soient  ordinairement  fort  gras, 
on  leur  trouve  les  intestins  si  vides  qu'on  a  imaginé 
qu'ils  pouvoient  vivre  d'air  ^  :  mais  apparemment  la 
substance  fondante  du  ver  se  tourne  toute  en  nourri- 
ture et  donne  peu  d'excréments.  D'ailleurs  ilsparoîs- 
sent  capables  de  supporter  un  long  jeûne.  Scbwenck- 
feld  dit  avoir  gardé  un  de  ces  oiseaux  quatorze  Jours, 
qui,  pendant  tout  ce  temps,  n'avala  que  de  l'eau  et 
quelques  grains  de  sable. 

Rarement  les  pluviers  se  tiennent  plus  de  vingt-qua- 
tre heures  dans  le  même  lieu.  Comme  ils  sont  en  très 
grand  nombre,  ils  ont  bientôt  épuisé  la  pâture  vi- 
vante qu'ils  y  venoient  chercher  :  dès  lors  ils  sont 
obligés  de  passer  à  un  autre  terrain,  et  les  premières 
neiges  les  forcent  de  quitter  nos  contrées  et  de  ga- 
gner les  climats  plus  tempérés.  Il  en  reste  néanmoins 
en  assez  grande  quantité  dans  quelques  unes  de  nos 
provinces  maritimes^  jusqu'au  temps  des  fortes  ge- 
lées; ils  repassent  au  printemps^  et  toujours  attrou- 

1.  Albert  réfute  bien  ceux  qui  disent  que  le  pluvier  vit  d'air,  et  que 
c'est  pour  cela  qu'on  ne  trouve  rien  dans  ses  intestins  ;  mais  il  en  rend 
à  son  tour  une  mauvaise  raison  ,  quand  il  dit  que  cet  oiseau  n'a  que 
l'intestin  ye/anam. 

2.  En  Picardie,  suivant  M.  Bâillon ,  il  reste  beaucoup  de  ces  oi- 
seaux aux  environs  de  Montreuil-sur-mer,  jusqu'au  temps  des  grandes 
gelées. 

3.  On  les  voit ,  nous  dit  M.  le  chevalier  Dosma/,ys,  passer  réguliè- 
rement à  Malte  deux  fois  l'année  ,  au  printemps  el  en  automne,  avec 


44^  I-KS    PLI  VIE  R  s. 

pés.  On  ne  voit  jamais  un  pluvier  seul,  dit  Longolius  ; 
et,  suivant  Belon ,  leurs  plus  petites  bandes  sont  au 
moins  de  cinquante.  Lorsqu'ils  sont  à  terre,  ils  ne 
s'y  tiennent  point  en  repos,  sans  cesse  occupes  à  cher- 
cher leur  nourriture,  ils  sont  presque  toujours  en 
mouvement.  Plusieurs  font  sentinelle  pendant  que 
le  gros  de  la  troupe  se  repaît;  et  au  moindre  danger 
ils  jettent  un  cri  aigu  qui  est  le  signal  de  la  fuite.  En 
volant  ils  suivent  le  vent,  et  l'ordre  de  leur  marche 
est  assez  singulier  :  ils  se  ranj^ent  sur  une  ligne  en  lar- 
geur,  et ,  volant  ainsi  de  front,  ils  forment  dans  l'air  des 
zones  transversales  fort  étroites  et  d'une  très  grande 
longueur;  quelquefois  il  y  a  plusieurs  de  ces  zones 
parallèles  assez  peu  profondes,  mais  fort  étendues  en 
lignes  transversales. 

A  terre  ces  oiseaux  courent  beaucoup  et  très  vile; 
ils  demeurent  attroupés  tout  le  jour  et  ne  se  séparent 
que  pour  passer  la  nuit.  Ils  se  dispersent  le  soir  sur 
un  certain  espace  où  chacun  gîte  à  part  :  mais,  dès 
le  point  du  jour,  le  premier  éveillé  ou  le  plus  sou- 
cieux, celui  que  les  oiseleurs  nomment  l'appelant^ 
mais  qui  est  peut-être  la  sentinelle,  jette  le  cri  de 
réclame,  htii^  lileu^  iiuit ^  et  dans  l'instant  tous  \es 
autres  se  rassemblent  à  cet  appel.  C'est  le  moment 
qu'on  choisit  pour  en  faire  la  chasse.  On  tend,  avant 
le  jorn-,  un  rideau  de  filet  en  face  de  l'endroit  où  l'on 
a  vu  le  soir  ces  oiseaux  se  coucher;  les  chasseurs  en 
grand  nombre  font  enceinte,  et,  dès  les  premiers  cris 
du  pluvier  appelant,  ils  se  couchent  contre  terre 
pour  laisser  ces  oiseaux  passer  et  se  réunir  :  lorsqu'ils 

la  foule  des  autres  oiseaux  qui  franchissent  la  Mcdilerranée .  et  pour 
qui  cette  île  est  un  Hou  de  sfalion  cl  de  repos. 


LES    PLUVIERS.  447 

sont  rassemblés,  les  chasseurs  se  lèvent,  jettent  des 
cris,  et  lancent  des  bâtons  en  l'air;  les  pluviers  ef- 
frayés partent  d'un  vol  bas  et  vont  donner  dans  le  fi- 
let qui  tombe  en  même  temps  ;  souvent  toute  la  troupe 
y  reste  prise.  Cette  grande  chasse  est  toujours  suivie 
d'une  capture  abondante  :  mais  un  oiseleur  seul,  s'y 
prenant  p!us  simplement,  ne  laisse  pas  de  faire  bonne 
chasse  :  il  se  cache  derrière  son  filet,  il  imite  avec  un 
appeau  d'écorce  la  voix  du  pluvier  appelant,  et  attire 
ainsi  les  autres  dans  le  piège.  On  en  prend  des  quan- 
tités dans  les  plaines  de  Beauce  et  de  Champagne. 
Quoique  fort  communs  dans  la  saison,  ils  ne  laissent 
pas  d'être  estimés  comme  un  bon  gibier.  Belon  dit 
que  de  son  temps  un  pluvier  se  vendoit  souvent  au- 
tant qu'un  lièvre.  Il  ajoute  qu'on  préféroit  les  jeu- 
nes qu'il  nomme  guillemots. 

La  chasse  que  l'on  Hiii.  dos  pluviers,  et  leur  ma- 
nière de  vivre  dans  cette  saison,  est  presque  tout  ce 
que  nous  savons  de  ce  qui  a  rapport  à  leur  histoire 
naturelle  :  hôtes  passagers  plutôt  qu'habitants  de  nos 
campagnes,  ils  disparoissent  à  la  chute  des  neiges, 
ne  font  que  repasser  au  printemps,  et  nous  quit- 
tent quand  les  autres  oiseaux  nous  arrivent.  Il  sem- 
ble que  la  douce  chaleur  de  cette  saison  charmante, 
fasse  sur  les  pluviers  une  impression  contraire;  ils 
vont  dans  les  contrées  plus  septentrionales  établir  leur 
couvée  et  élever  leurs  petits,  car  pendant  tout  l'été 
nous  ne  les  voyons  plus.  Ils  habitent  alors  les  terres 
de  la  Laponie  et  des  autres  provinces  du  nord  de  l'Eu- 
rope, et  apparemment  aussi  celles  de  l'Asie.  Leur 
marche  est  la  même  en  Amérique,  car  les  pluviers 
sont  du  nombre  des  oiseaux  communs  aux  deux  coii« 


44^  LES    PLUVIERS. 

tinents ,  et  on  les  voit  passer  au  printemps  à  la  baie 
d'Hiidson  pour  aller  encore  plus  au  nord.  Arrives  en 
troupes  dans  ces  contrées  septentrionales  pour  y  ni- 
cher, ils  se  séparent  par  couples  :  la  société  intime  de 
l'amour  rompt  ou  plutôt  suspend  pour  un  temps  la 
société  générale  de  l'amitié;  et  c'est  sans  doute  dans 
cette  circonstance  que  M.  Klein,  habitant  de  Dant- 
zick,  les  a  observés,  quand  il  dit  que  le  pluvier  se 
tient  solitairement  dans  les  lieux  bas  et  les  prés. 

L'espèce  qui  dans  nos  contrées  paroît  nombreuse, 
autant  au  moins  que  celle  du  vanneau  ,  n'est  pas  aussi 
répandue.  Suivant  Aldrovande,  on  prend  moins  de 
pluviers  en  Italie  que  de  vanneaux,  et  ils  ne  vont 
point  en  Suisse  ni  dans  d'autres  contrées  que  le  van- 
neau fréquente  :  mais  peut-être  aussi  le  pluvier,  se 
portant  plus  au  nord,  regagne-t-il  dans  les  terres  sep- 
tentrionales ce  que  le  vanneau  paroît  occuper  de  plus 
que  lui  en  étendue  du  côté  du  midi;  et  il  paroît  le 
regagner  encore  dans  le  Nouveau-Monde,  où  les  zo- 
nes moins  distinctes ,  parce  qu'elles  sont  plus  généra- 
lement tempérées  et  plus  également  humides,  ont 
permis  à  plusieurs  espèces  d'oiseaux  de  s'étendre  du 
nord  dans  un  midi  tempéré,  tandis  qu'une  zone  trop 
ardente  borne  et  repousse  dans  l'ancien  monde  pres- 
que toutes  les  espèces  des  régions  moyennes. 

C'est  au  pluvier  doré,  comme  représentant  la  fa- 
mille entière  des  pluviers,  qu'il  faut  rapporter  ce  que 
nous  venons  de  dire  de  leurs  habitudes  naturelles; 
mais  cette  famille  est  composée  d'un  grand  nombre 
d'espèces  dont  nous  allons  donner  rénnméralion  et 
la  description. 


LE  PLUMIER   DORÉ.  4'^|9 


LE  PLUVIER  DORE*. 

PREMIÈRE  ESPÈCE. 

Charadrius  pluvialis,  L. 

•  Le  pluvier  doré,  n"  904,  tisl  de  la  grosseur  d\uie 
tourterelle  :  sa  longueur  du  bec  à  la  queue,  ainsi  que 
du  bec  aux  ongles ,  est  d'environ  dix  pouces.  Il  a  tout 
le  dessus  du  corps  tacheté  de  traits  de  pinceau  jaunes, 
entremêlés  de  gris  blanc ,  sur  un  fond  brun  noirâtre  : 
ces  traits  jaunes  brillent  dans  cette  teinte  obscure  et 
l'ont  paroître  le  plumage  doré.  Les  mêmes  couleurs, 
mais  plus  foibles,  sont  mélangées  sur  la  gorge  et  la 
poitrine.  Le  ventre  est  blanc,  le  bec  noir,  et  il  est, 
ainsi  que  dans  tous  les  pluviers,  court,  arrondi,  et 
renflé  vers  le  bout.  Les  pieds  sont  noirâtres,  et  le 
doigt  extérieur  est  lié  jusqu'à  la  première  articula- 
tion ,  par  une  petite  membrane  ,  à  celui  du  milieu. 
Les  pieds  n'ont  que  trois  doigts  ,  et  il  n'y  a  pas  de 
vestige  de  doigt  postérieur  ou  de  talon  :  ce  carac- 
tère,  joint  au  renflement  du  bec,  est  établi  parmi 
les  ornithologistes  comme  distinctif  de  la  famille  des 
pluviers.  Tous  ont  aussi  une  partie  de  la  jambe,  au 
dessus  du  genou,  dénuée  de  plumes,  le  cou  court, 
les  yeux  grands;  la  tête  un  peu  trop  grosse  à  propor- 

l.  En  aaglois,  green  plover;  en  allemand,  pulvier,  puLrosz,seetaube, 
greuner  kiwit;  en  italien,  pivlero.  On  prétend,  dit  M.  Salernc ,  que 
la  ville  de  Piviers  ou  Pitlùviers  dans  le  Gâlinois  a  pris  son  nom  du 
grand  nondjre  de  pluviers  qu'on  voit  dans  ses  environs. 


45o  Lli    PLUVIER    DOUÉ. 

tion  du  corps  :  ce  qui  convient  à  tous  les  oiseaux 
scolapaces^ ,  dont  quelques  naturalistes  ont  fait  une 
grande  famille  sous  le  nom  de  pardaleSj  qui  ne  peut 
néanmoins  les  renfermer  tous,  puisqu'il  y  en  a  plu- 
sieurs espèces,  et  notamment  dans  les  pluviers,  qui 
n'ont  pas  le  plumage  par  dé  ou  tigré. 

Au  reste,  il  y  a  peu  de  différence  dans  le  plumage 
entre  le  mâle  et  la  femelle  de  cette  espèce;  néan- 
moins les  variétés  individuelles  ou  accidentelles  sonfe 
très  fréquentes,  et  au  point  que,  dans  la  même  sai- 
son ,  à  peine  sur  vingt-cinq  ou  trente  pluviers  dorés 
en  trouvera-t-on  deux  exactement  semblables  :  ils 
ont  plus  ou  moins  de  jaune  ,  et  quelquefois  si  peu 
qu'ils  en  paroisseat  tout  gris^  ,  quelques  uns  portent 
des  taches  noires  sur  la  poitrine,  etc»  Ces  oiseaux, 
suivant  M.  Bâillon  ,  arrivent  sur  les  côtes  de  Picardie 
à  la  fin  de  septembre  ou  au  commencement  d'octobre, 
tandis  que  dans  nos  autres  provinces  plus  méridio- 
nales ils  ne  passent  qu'en  novembre  et  même  plus 
tard;  ils  repassent  en  février  et  en  mars.  On  les  voit 
en  été  dans  le  nord  de  la  Suède,  en  Dalécarlie,   et 

1.  Gomme  bécasses,  bécassines»  barges,  etc. 

2.  M.  Bâillon,  qui  a  observé  ces  oiseaux  en  Picardie,  assure  que 
leur  plumage  est  gris  dans  le  premier  âge;  qu'à  îa  première  mue,  en 
août  et  septembre,  il  leur  vient  déjà  quelques  plumes  qui  ont  la  teinte 
de  jaune,  ou  qui  sont  tachetées  de  cette  couleur;  mais  que  ce  n'est 
qu'au  bout  de  quelques  années  que  cet  oiseau  prend  une  belle  leinle 
dorée.  Il  ajoute  que  les  femelles  naissent  toutes  grises;  qu'elles  conser- 
vent long-temps  cette  couleur  ;  que  ce  n'est  qu'en  vieillissant  que  leur 
plumage  se  colore  d'un  peu  de  jaune,  et  qu'il  est  très  rare  d'en  voir 
qui  aient  le  plumage  aussi  uniformément  beau  que  celui  des  mâles. 
Ainsi  on  ne  doit  pas  être  surpris  de  la  variété  des  couleurs  que  Ion  re- 
marque dans  l'espèce  do  ces  oiseaux,  puisqu'elles  sont  produites  par 
la  différence  de  sexe  et  d'âge.  {Note  communiquée  pur  M.  Bâillon.) 


LE    PLUVIER    DOUÉ.  4^1 

dans  l'île  d'Oéland;  dans  la  INorwége,  l'Islande  et  la 
Laponie.  C'est  par  ces  terres  arctiques  qu'ils  parois- 
sent  avoir  communiqué  au  Nouveau-Monde,  où  ils 
semblent  s'être  répandus  plus  loin  que  dans  l'ancien; 
car  on  trouve  le  pluvier  doré  à  la  Jamaïque,  la  Mar- 
tinique, Saint-Domingue  et  Gayenne,  à  quelques  lé- 
gères diEférences  près.  Ces  pluviers,  dans  les  provin- 
ces méridionales  du  Nouveau-Monde,  habitent  les 
savanes  ,  et  viennent  dans  les  pièces  de  canne  à  sucre 
où  l'on  a  mis  le  feu  :  leurs  troupes  y  sont  nombreuses 
et  se  laissent  diOicilement  approcher  :  elles  y  voya- 
gent, et  on  ne  les  voit  à  Cayenne  que  dans  le  temps 
des  pluies. 

M.  Brisson  établit  une  seconde  espèce  sous  le  nom 
de  petit  pluvier  doré ^  d'après  l'autorité  de  Gesner, 
qui  néanmoins  n'avoit  jamais  vu  ni  connu  le  pluvier 
par  lui-même.  Schwenckfeld  et  Rzaczynski  font  aussi 
mention  de  cette  petite  espèce  ,  et  c'est  vraisembla- 
blement encore  d'après  Gesner  ;  car  le  premier,  en 
même  temps  qu'il  nomme  cet  oiseau  petit  pluvier ^  le 
dit  de  la  grosseur  de  la  tourterelle  ;  et  Rzaczynski 
n'y  ajoute  rien  d'assez  particulier  pour  faire  croire 
qu'il  l'ait  observé  et  reconnu  distinctement.  Nous 
regarderons  donc  ce  petit  pluvier  doré  comme  une 
variété  purement  individuelle,  et  qui  ne  nous  paroît 
pas  même  faire  race  dans  l'espèce. 


452  LE    PLUVIER    DORÉ    A    GORGE    NOIRE. 


«««v»e««««» 


LE  PLUVIER  DORE 

A  GORGE   NOIRE. 

SEGONDE    ESPÈCE. 

Cliarndrius  aprlcarbis.   L. 

Cette  espèce  se  trouve  souvent  avec  la  précédente 
dans  les  terres  du  Nord,  où  elles  subsistent  et  mul- 
tiplient sans  se  mêler  ensemble.  Edwards  a  reçu  celle- 
ci  de  la  baie  d'Hudson ,  et  Linnaeus  l'a  trouvée  en 
Suède  ,  en  Smolande,  et  dans  les  champs  incultes  de 
rOéland  :  c'est  le  pluvialls  minor  iiigroflaviis  de  Rud- 
beck.  Il  a  le  front  blanc,  et  porte  une  bandelette 
blanche  qui  passe  sur  les  yeux  et  les  côtés  du  cou , 
descend  en  devant  et  entoure  une  plaque  noire,  qui 
lui  couvre  la  gorge  ;  le  reste  du  dessous  du  corps  est 
noir;  tout  le  manteau  d'un  brun  sombre  et  noirâtre, 
est  également  moucheté  d'un  jaune  vif,  distribué  par 
taches  dentelées  au  bord  de  chaque  plume.  La  gran- 
deur de  ce  pluvier  est  la  même  que  celle  du  pluvier 
doré.  Nous  ne  savons  pas  si  c'est  par  antiphrase  et 
relativement  à  la  foiblesse  de  ses  yeux,  ou  parce  que 
réellement  ce  pluvier  a  la  vue  plus  perçante  qu'au- 
cun autre  oiseau  de  ce  genre  ,  que  les  Anglois  de  la 
baie  d'Hudson  l'ont  surnommé  œil  de  faucon  (hawk's 
eye). 


•«>0*5*8«8>  Mil*»» 


I 


hli    GUIGNARD.  4i">7 

LE  GUIGNARD*. 

TROISIÈME    ESPÈCE. 

Charadrius  morinelius.  L. 


Le  guignard,  n"  832,  est  appelé  par  quelques  uns 
petit  pluvier.  Il  est  en  effet  d'une  taille  inférieure  à 
celle  du  pluvier  doré,  et  n'a  guère  que  huit  pouces 
et  demi  de  longueur.  Il  a  tout  le  fond  du  manteau 
d'un  gris  brun,  avec  quelque  lustre  de  vert;  chaque 
plume  du  dos,  ainsi  que  les  moyennes  de  l'aile,  sont 
bordées  et  encadrées  d'un  trait  de  roux;  le  dessus 
de  la  tête  est  brun  noirâtre;  les  côtés  et  la  face  sont 
tachetés  de  gris  et  de  blanc;  le  devant  du  cou  et  la 
poitrine  sont  d'un  gris  onde  et  arrondi  en  plastron, 
au  dessous  duquel,  après  un  trait  noir,  est  une  zone 
blanche,  et  c'est  à  ce  caractère  que  l'on  reconnoît  le 
mâle  ;  l'estomac  est  roux ,  le  ventre  noir,  et  le  bas- 
ventre  blanc. 

Le  guignard  est  très  connu  par  la  bonté  de  sa  chair, 
encore  plus  délicate  et  plus  succulente  que  celle  du 
pluvier.  L'espèce  paroît  plus  répandue  dans  le  Nord 
que  dans  nos  contrées,  à  commencer  par  l'Angleterre; 
elle  s'étend  en  Suède  et  jusqu'en  Laponie.  Cet  oi- 
seau a  deux  passages  marqués,  en  avril  et  en  août, 
dans  lesquels  il  se  porte  des  marais  aux  montagnes, 
attiré  par  des  scarabées  noirs  qui  font  la  meilleure 
partie  de  sa  nourriture,  ave;c  des  vers  et  de  petits  co- 

1.    Ei\  aiiglois ,  dotlerel. 

BUFFON.    XXV.  29 


458  LI-     GUlGNARt). 

quiliages  terrestres,  dont  on  lui  trouve  les  débris  dans 
les  intestins.  WiHughby  décrit  la  chasse  que  Ton  fait 
des  guignards  dans  le  comté  de  Norfolk ,  où  ils  sont 
en  grand  nombre.   Cinq  ou  six  chasseurs  partent  en- 
semble ,  et  quand  ils  ont  rencontré  ces  oiseaux ,  ils 
tendent  une  nappe  de  filets  à  une  certaine  distance, 
en  les  laissant  entre  eux  et  le  fdet;  ensuite  ils  s'avan- 
cent doucement  en  frappant  des  cailloux  ou  des  mor- 
ceaux de  bois  ;   ces  oiseaux  paresseux  se  réveillent , 
étendent  un  pied,  une  aile,  et  ont  peine  à  se  mettre 
en  mouvement  :  les  chasseurs  croient  bien  faire  de 
les  imiter  en  étendant  le  bras ,  la  jambe ,  et  pensent 
les  amuser  et  occuper  leurs  yeux  par  ce  manège,  ap- 
paremment  très  inutile^;   mais  enfin  les  guignards 
s'approchent  du  filet  lentement ,  d'une  marche  en- 
gourdie, et  le  filet  tombant  couvre  la  troupe  stupide. 
C'est  d'après  ce  caractère  de  pesanteur  et  de  stu- 
pidité que  les  Anglois  ont  nommé   ces  oiseaux  dot- 
terel ,  et  leur  nom  latin  moricellus  paroît  se  rapporter 
à  la  même  origine.  Klein  dit  que  leur  tête  est  encore 
plus  arrondie  que  celle  de  tous  les  autres  oiseaux  de 
la  famille  des  pluviers,  et  il  en  tire  un  indice  de  leur 
stupidité,  par  analogie  avec  cette  race  de  pigeons  que 
l'on  a  nommés  pigeons  fous ^  et  qui  ont  en  efïet  la 
tête  plus  ronde  que  les  autres.  WiHughby  croit  avoir 
remarqué  sur  les  guignards  que  les  femelles  sont  un 
peu  plus  grandes  que  les  maies,  sans  autres  différences 
extérieures. 

1.  Un  auteur,  clans  Gesuer.  va  jusqu'à  dire  quo  cet  oiseau  ,  alleulif 
el  conime  charmé  aux  mouveiiients  du  chasseur,  imite  tous  ses  gestes, 
et  en  oublie  le  soin  tle  sa  conservation  au  point  de  se  laisser  appro- 
cher et  couvrii'  du  Ciel  que  Ion  lient  à  la  main. 


PI .  2l4  . 


Tom': 


Paucj^uetsculp. 

ILEPLUVI.EbÀcOLLIER,  2.LE  GRAND  PLUVIER  OU  COURLIS  DE  TERRE. 

5.l'eghasse. 


LE    GUIGNARD.  /p9 

Quant  à  la  seconde  espèce  de  guignard  qu'établit 
M.  Brisson  sous  le  nom  de  guignard  d'Angleterre^ 
nous  ne  la  regarderons  que  comme  une  simple  va- 
riété. Albin  représente  cet  oiseau  trop  petit  dans  sa 
figure,  puisque,  dans  sa  description,  il  lui  assigne 
plus  de  poids  et  les  mômes  proportions  qu'au  guignard 
ordinaire;  et  en  effet,  leur  plus  grande  différence 
consiste  en  ce  que  le  premier  guignard  n'a  pas  de 
bande  transversale  au  bas  de  la  poitrine,  et  qu'il  a 
toute  cette  partie  ,  avec  l'estomac  et  le  devant  du 
cou  ,  d'un  gris  blanc  lavé  de  jaunâtre  :  il  me  semble 
donc  que  c'est  multiplier  mal  à  propos  les  espèces 
que  de  les  établir  sur  des  différences  aussi  légères. 

LE  PLUVIER  A  COLLIER*. 

QUATRIÈxME    ESPÈCE. 

Charadrius  hiatlcula^  et  Charadrius  minor.  L. 

Nous  distinguerons  d'abord  deux  races  dans  cette 
espèce,  une  grande  et  une  petite  :  la  première, 
n"  920,  de  la  taille  du  mauvis  ;  la  seconde,  n°  921, 
à  peu  près  de  celle  de  l'alouette,  et  c'est  à  cette  der- 
nière que  se  rapporte  tout  ce  que  l'on  a  dit  du  plu- 
vier à  collier,  parce  qu'elle  est  plus  répandue  et  plus 
connue  que  la  première  :  mais,  dans  le  réel,  l'une 
n'est  peut-être  qu'une  variété  de  l'autre;  car  il  se 
trouve  encore  des  variétés  entre  elles  qui  semblent 
les  rapprocher  par  nuances. 

1.    Eu  anglois,  sea-lark. 


460  LE    PLLVIER    A    COLLIER.     . 

Ces  oiseaux  ont  la  tête  ronde  et  le  bec  fort  coiiir 
et  bien  garni  de  plumes  à  sa  racine;  ce  bec  est  blanc 
ou  jaune  dans  sa  première  moitié,  noir  à  sa  pointe; 
le  front  est  blanc;  il  y  a  un  bandeau  noir  sur  le  som- 
met de  la  tête  ,  et  une  calotte  grise  la  recouvre  ;  cette 
calotte  est  bordée  d'une  bandelette  noire  qui  prend 
sur  le  bec  et  passe  sous  les  yeux;  le  collier  est  blanc, 
et  la  poitrine  porte  un  plastron  noir;  le  manteau  est 
gris  brun;  les  pennes  de  l'aile  sont  noires;  le  des- 
sous du  corps  est  d'un  beau  blanc  comme  le  front 
et  le  collier. 

Tel  est  en  gros  le  plumage  du  pluvier  à  collier.  Si 
l'on  vouloit  présenter  toutes  les  diversités  en  distri- 
bution ou  en  étendue  de  ces  couleurs  un  peu  plus 
foncées,  plus  brouillées  ou  plus  nettes,  il  faudroit 
faire  autant  de  descriptions  et  l'on  établiroit  presque 
autant  d'espèces  que  l'on  verroit  d'individus.  Au  mi- 
lieu de  ces  différences  légères  et  vraiment  indivi- 
duelles ou  locales  on  reconnoît  le  pluvier  à  collier 
le  même  dans  presque  tous  les  climats  :  on  nous  l'a 
apporté  de  Sibérie,  du  cap  de  Bonne-Espérance,  des 
Philippines,  de  la  Louisiane  et  de  Cayenne^;  M.  Cook 
l'a  rencontré  dans  le  détroit  de  Magellan,  et  M.  EUis 
à  la  baie  d'Hudson.  Ce  pluvier  à  collier  est  l'oiseau 
que  Marcgrave  appelle  matultui  du  Brésil  ;  et  Wil- 
lughby,  en  le  remarquant ,  est  frappé  de  la  consé- 
quence qu'oifre  ce  fait,  savoir,  qu'il  y  a  des  oiseaux 
communs  à  l'Amérique  méridionale  et  à  l'Europe; 

1.  A  Gayenne  on  le  nomme  collier;  et  les  Espagnols  de  JSaint-Do- 
mingue,  en  le  voyant  habillé  de  noir  et  do  blanc  conira^!  leurs  moi- 
nes, rappellent  frailcciio's;  et  les  Indiens,  ihcgle,  ihegle,  d'après  sou 


LE    PLUVIER    A    COLLIER.  4^* 

fait  étonnant  en  Ini-même,  et  qui  ne  trouve  d  expli- 
cation que  dans  le  principe  que  nous  avons  établi 
sur  la  nature  des  oiseaux  d'eau  et  de  rivage,  lesquels 
voyagent  de  proche  en  proche  et  s'accommodent  à 
toutes  les  régions,  parce  que  leur  vie  lient  à  un  élé- 
ment qui  rend  plus  égaux  tous  les  climats  et  y  four- 
nit partout  le  même  fonds  de  nourriture,  en  sorte 
qu'ils  ont  pu  s'établir  du  Nord  au  Midi,  et  se  trouver 
également  bien  sous  les  tropiques  et  dans  les  zones 
froides. 

Nous  regarderons  donc  comme  une  de  ces  espèces 
privilégiées  qui  se  sont  répandues  sur  tout  le  globe, 
celle  du  pluvier  à  collier,  malgré  quelques  variétés 
dans  le  plumage  de  ces  oiseaux,  suivant  les  différents 
climats;  ces  différences  extérieures,  quand  le  reste 
des  traits  est  le  même  ainsi  que  le  naturel,  ne  doi- 
vent être  regardées  que  comme  la  teinte  locale  ,  et 
pour  ainsi  dire  la  livrée  des  climats,  livrée  que  les 
oiseaux  prennent  et  dépouillent  plus  ou  moins  en 
changeant  de  ciel. 

Les  pluviers  à  collier  vivent  au  bord  des  eaux; 
on  les  voit  le  long  de  la  mer  en  suivre  les  marées. 
Ils  courent  très  vite  sur  la  grève  ,  en  interrompant 
leur  course  par  de  petits  vols,  et  toujours  en  criant. 
En  Angleterre  on  trouve  leurs  nids  sur  les  rochers 
des  côtes;  ces  oiseaux  y  sont  très  communs,  comme 
dans  la  plupart  des  régions  du  Nord ,  en  Prusse  ,  en 
Suède,  et  plus  encore  en  Laponie,  pendant  l'été. 
On  en  voit  aussi  quelques  uns  sur  nos  rivières  et  dans 
quelques  provinces  :  on  les  connoît  sous  le  nom  de 
gravlères;  en  d'autres  sous  celui  de  criards^  qu'ils  mé- 
ritent bien  par  les  cris  importuns  et  continuels  qu'ils 


462  LE    PLUVIER    A    COLLIER. 

font  entendre  ,  pour  peu  qu'ils  soient  inquiètes  et 
tant  qu'ils  nourrissent  leurs  petits;  ce  qui  est  long, 
car  ce  n'est  qu'au  bout  d'un  mois  ou  cinq  semaines 
que  les  jeunes  commencent  à  voler.  Les  chasseurs 
nous  assurent  que  ces  pluviers  ne  font  point  de  nids, 
et  qu'ils  pondent  sur  le  gravier  du  rivage  des  œufs 
verdâtres  tachetés  de  brun.  Les  père  et  mère  se  ca- 
chent dans  les  trous  et  sous  les  avances  des  rives; 
habitudes  d'après  lesquelles  les  ornithologistes  ont 
cru  reconnoî're  dans  cet  oiseau  le  cliaradrlos  d'Aris- 
tote  ,  lequel,  suivant  la  force  du  mot,  est  liabitaiit 
des  rives  rompues  des  torrents^ ,  et  dont  le  plumage^ 
ajoute  ce  philosophe,  na  rien  d' agréable j,  non  plus 
{fue  la  voix  :  le  dernier  trait  dont  Arlstote  peint  son 
charadrios,  qui  sort  la  nuit  et  se  cache  le  jour ^  sans  ca- 
ractériser aussi  précisément  le  pluvier  à  collier,  peut 
néanmoins  avoir  rapport  à  ses  allures  du  soir  et  à  son 
cri,  que  l'on  entend  très  tard  et  jusque  dans  la  nuit. 
Quoi  qu'il  en  soit,  le  charadrios  est  du  nombre  des 
oiseaux  dans  lesquels  l'ancienne  médecine  ou  plu- 
tôt l'ancienne  svqjerstilion  chercha  des  vertus  occul- 
tes ;  il  guérissoit  de  la  jaunisse,  toute  la  cure  consistoit 
à  le  regarder^  :  l'oiseau  lui-même  ,  à  l'aspect  de  l'ic- 
térique,détournoitlesyeux,  comme  se  sentant  affecté 
de  son  mal.  De  combien  de  remèdes  imaginaires  la 
foiblesse  humaine  n'a~t-eile  pas  cherché  à  flatter  en 
tout  genre  ses  maux  réels  ! 

1.  Aristophane  donne  au  charadrios  la  fouclion  d  appoi'ter  de  Teau 
dans  la  \ille  des  oiseaux. 

2.  En  conséquence  le  marchand  de  ce  beau  remède  cachoil  soigneu- 
sement son  oiseau,  n'en  vendant  (jue  la  vue  :  sur  quoi  les  Grecs  avoient 
fondé  un  proverbe  pour  ceux  qui  lienncnl  cachée  une  chose  précieuse 
cl  ulile  :  Charadvium  unit  uns. 


LE.    KILDIR.  465 

LE  KÏLDIPi. 

CINQUIÈME    ESPÈCE. 

Cliaradrius  vociferus.  L. 

C'est  le  nom  que  porte  en  Virginie  ce  [)li]vier  criard; 
et  nous  le  lui  conserverons  d'autant  plus  volontiers 
que  Calesby  le  dit  formé  sur  le  cri  de  l'oiseau.  Ces 
pluviers  très  communs  à  la  Virginie  et  à  la  Caroline, 
sont  délestés  des  chasseurs,  parce  que  leurs  clameurs 
donnent  l'alarme  et  font  fuir  tout  gibier.  On  voit  daas 
l'ouvrage  de  Catesby  une  bonne  figure  de  cet  oiseau, 
qu'il  compare  en  grandeur  à  la  bécassine.  11  est  assez 
haut  monté  sur  jambes;  tout  son  manteau  est  gris 
brun,  et  le  dessus  de  la  tôle,  en  forme  de  calotte, 
est  de  la  môme  couleur;  le  front,  la  gorge,  le  dessous 
du  corps,  et  le  lour  du  haut  du  cou  sont  blancs;  le 
bas  du  cou  est  entouré  d'un  collier  noir,  au  dessous 
duquel  se  trace  un  demi-collier  blanc,  et  il  y  a  de 
plus  une  bande  noire  sur  la  poitrine,  qui  s'étend  d'une 
aile  à  l'autre  ;  la  queue  est  assez  longue  et  noire  à 
l'extrémité;  le  reste  et  ses  couvertures  supérieures 
sont  d'une  couleur  rousse;  les  pieds  sont  jaunâtres; 
le  bec  est  noir;  l'œil  est  grand  et  entouré  d'un  cercle 
rouge.  Ces  oiseaux  restent  toute  l'année  à  la  Virginie 
et  à  la  Caroline  ;  on  les  trouve  également  à  la  Loui- 
siane*, et  l'on  ne  remarque  pas  de  difierence  dans  le 
plumage  entre  le  mâle  et  la  femelle. 

j.   M.  le  docteur  Mnuduil  l'a  reçu  de  celte  contrée,  et  le  conserve 
dans  son  cabinet. 


464  LE    KUDin. 

Une  espèce  voisine,  ou  peut-être  la  même,  et  qui 
n'a  pas  besoin  d'une  autre  description  ,  est  celle  du 
pluvier  à  collier  de  Saint-Domingue,  n°  2S6  des  plan- 
ches enluminées,  et  îa  dixième  de  M.  Brisson.  A  quel- 
ques différences  près  dans  les  couleurs  de  la  queue, 
et  une  teinte  plus  foncée  dans  celui-ci  aux  pennes 
de  l'aile,  ces  deux  oiseaux  sont  les  mêmes. 


î-Bie-oôw»**»*»*»©**©-^*^***.^*©**© 


LE  PLUVIER  HUPPE, 

SIXIÈME  ESPÈCE. 

Charadrim  spinosus.  L. 

Ce  pluvier,  qui  se  trouve  en  Perse,  est  à  peu  près 
de  la  taille  du  pluvier  doré ,  mais  il  est  un  peu  plus 
haut  de  jambes.  Les  plumes  du  sommet  de  sa  tête 
sont  d'un  noir  lustré  de  vert;  elles  sont  ramassées 
en  touffe  portée  en  arrière,  et  forment  une  huppe  de 
près  d'un  pouce  de  longueur.  Il  y  a  du  blanc  sur  les 
joues,  l'occiput,  et  les  côtés  du  cou;  tout  le  manteau 
est  brun  marron  foncé;  tui  trait  de  noir  tombe  de 
la  gorge  sur  la  poitrine,  qui  est,  ainsi  que  l'estomac, 
d'un  noir  relevé  d'un  beau  lustre  de  violet  ;  le  bas- 
ventre  est  blanc;  la  queue,  blanche  à  son  origine, 
est  noire  à  son  extrémité;  les  pennes  de  l'aile  sont 
noires  aussi ,  et  il  y  a  du  blanc  dans  les  grandes  cou- 
vertures. 

Ce  pluvier  est  armé  et  porte  au  pli  de  l'aile  un 
éperon  qu'Edwards  a  négligé  de  figurer  dans  sa  plan- 
che  xLvii,   mais   qu'on   retrouve  dans  sa  c(:viii%   où 


I 


LE    PLUVIER    IIUrPÉ.  4^5 

il  représente  la  femelle  ,  qui  diffère  du  mâle  en  ce 
que  tout  son  cou  est  blanc,  et  que  sa  couleur  n'est 
nuancée  d'aucun  reflet. 


W»»S»ftc»9<»a»9<»&»o»ct»ai&a.»a< 


LE  PLUVIER  A  AIGRETTE. 

SEPTIÈME    ESPÈCE. 

Charadrius  spinosus.  L. 

Ce  pluvier,  n°  801,  est  encore  armé  aux  épaules; 
les  plumes  de  l'occiput,  s'allongeant  en  filets,  comme 
dans  le  vanneau,  lui  forment  une  aigrette  de  plus  d'un 
pouce  de  longueur.  Il  est  de  la  grosseur  du  pluvier 
doré,  mais  plus  haut  sur  ses  jambes,  ayant  un  pied 
du  bec  aux  ongles,  et  seulement  onze  pouces  du  bec 
à  l'extrémité  de  la  queue.  Il  a  le  haut  de  la  tête, 
ainsi  que  la  huppe,  la  gorge  et  le  plastron  sur  l'esto- 
mac, noirs,  aussi  bien  que  les  grandes  pennes  de  l'aile 
et  la  pointe  de  celles  de  la  queue;  le  manteau  est 
d'un  gris  brun;  les  côtés  du  cou,  le  ventre  et  les 
grandes  couvertures  de  l'aile  sont  d'un  blanc  teint  de 
/auve;  l'éperon  du  pli  de  l'aile  est  noir,  fort,  et  long 
de  six  lignes.  Cette  espèce  se  trouve  au  Sénégal ,  et 
paroîl  également  naturelle  à  quelques  unes  des  ré- 
gions chaudes  de  l'Asie  ;  car  un  pluvier  qui  nous  a 
été  envoyé  d'Alep  s'est  trouvé  tout-à-fait  semblable 
à  ce  pluvier  du  Sénégal. 


/|66  LE    PLUVIER    COIFFÉ. 

LE  PLUVIER  COIFFÉ. 

HUITIÈME    ESPÈCE. 

Charadrius  bilophus.  Lath. 

Une  coiffure  assez  particulière  nous  sert  à  caracté- 
riser ce  pluvier,  n°  834;  c'est  un  morceau  de  mem- 
brane jaune  qui  lui  passe  sur  le  front ,  et  par  son 
ejttension  entoure  l'œil;  une  coiffe  noire,  allongée 
en  arrière  en  deux  ou  trois  brins,  cache  le  haut  de 
la  tête  ,  dont  le  chignon  est  blanc  ,  et  une  large  men- 
tonnière noire,  prenant  sous  l'œil,  enveloppe  la  gorge 
et  fait  le  tour  du  haut  du  cou.  Tout  le  devant  du 
corps  est  blanc  ;  ie  manteau  est  gris  roussâtre  ;  les 
pennes  de  l'aile  et  le  bout  de  la  queue  sont  noirs  ;  les 
pieds  rouges  ;  et  le  bec  porte  une  tache  de  celte  cou- 
leur vers  la  pointe.  Ce  pluvier,  dont  l'espèce  n'étoit 
pas  connue,  se  trouve  au  Sénégal,  comme  le  précé- 
dent ;  mais  il  est  moins  grand  d'un  quart ,  et  il  n'a 
pas  d'éperon  au  pli  de  l'aile. 


LE  PLDVIEIl  COURONNE. 

NEUVIÈME  ESPÈCE. 

Charadrius  coronatus.  L. 

Ce  pluvier,  n"  800,  qui  se  trouve  au  cap  de  Bonne- 
Espérance,  est  un  des  plus  grands  de  son  genre  :  il  a 


LE    PLUVIER    COURONNÉ.  4^7 

un  pied  de  longueur,  et  les  jambes  plus  hautes  que 
le  pluvier  doré;  elles  sont  de  couleur  de  rouille.  Il 
a  la  tête  coiffée  de  noir,  et  dans  ce  noir  on  voit  une 
bande  blanche  en  diadème,  qui  fait  le  tour  entier  de 
la  tele,  et  forme  une  sorte  de  couronne;  le  devant 
du  cou  est  gris  ;  du  noir  par  grosses  ondes  se  mêle 
au  gris  sur  la  poitrine  ;  le  ventre  est  blanc;  la  queue, 
blanche  dans  sa  première  moitié  ainsi  qu'à  son  extré- 
mité, porte  une  bande  noire  qui  traverse  le  blanc;  les 
pennes  de  l'aile  sont  noires;  et  les  grandes  couver- 
tures blanches  ;  tout  le  manteau  est  brun,  lustré  de 
verdâtre  et  de  pourpre. 


LE  PLUVIER  A  LAMBEAUX. 

DIXIÈME    ESPÈCE. 

Charadrlus  bllobus,  \j. 

Une  membrane  jaune,  plaquée  aux  angles  du  bec 
de  ce  pluvier,  iV  880,  et  pendant  des  deux  côtés  en 
deux  lambeaux  pointus,  nous  sert  à  le  caractériser. 
11  se  trouve  au  Malabar.  Il  est  de  la  grosseur  de  notre 
pluvier,  mais  il  a  de  plus  hautes  jambes,  qui  sont  de 
couleur  jaunâtre.  Il  porte  derrière  les  yeux  un  trait 
blanc  qui  borde  la  calotte  noire  de  la  tête;  l'aile  est 
noire  et  tachetée  de  blanc  dans  les  grandes  couver- 
tures ;  on  voit  aussi  du  noir  bordé  de  blanc  à  la  pointe 
de  la  queue  ;  le  manteau  et  le  cou  sont  d'un  gris  fauve, 
et  le  dessous  du  coips  est  blanc  :  c'est  la  livrée  or- 
dinaire, et  pour  ainsi  dire  uniforiue,  du  plumage  de 
la  plupart  de  toutes  les  espèces  de  pluvier. 


468       LE  PLUVIER  ARMÉ  DE  C  A  YEN  NE. 

LE  PLUVIER  ARMÉ  DE  GAYENNE. 

ONZIÈME   ESPÈCE. 

Cliaradrius  cayanus.  L. 

Ce  pluvier  à  collier,  q"  833,  est  de  la  grandeur  du 
nôtre,  mais  il  est  beaucoup  plus  haut  de  jambes;  il 
a  aussi  le  bec  plus  long  et  la  tête  moins  ronde.  Une 
large  bande  noire  couvre  le  front,  engage  les  yeux, 
et  va  se  joindre  au  noir  qui  garnit  le  derrière  du  cou, 
le  haut  du  dos,  et  s'arrondit  en  plastron  sur  la  poi- 
trine; la  gorge  est  blanche,  ainsi  que  le  devant  du 
cou  et  le  dessous  du  corps;  une  plaque  grise,  en- 
tourée  d'un  bord  blanc,  forme  une  calotte  derrière 
la  tète;  la  première  moitié  de  la  queue  est  blanche, 
et  le  reste  est  noir;  les  pennes  de  l'aile  et  les  épaules 
sont  noires  aussi;  le  reste  du  manteau  est  gris,  mêlé 
de  blanc.  Des  éperons  assez  longs  percent  au  pli  des 
ailes. 

Il  nous  paroît  que  Vamacozque  de  Fernandès 
(chap.  XII ,  pag.  17),  oiseau  a^iard  au  plumage  inêlé 
de  blanc  et  de  noir  et  à  double  collier j,  quon  voit  toute 
r année  sur  le  lac  de  Mexique _,  oit  il  vit  de  vermisseaux 
aquatiques  j,  est  un  pluvier;  on  pourroit  l'assurer,  si 
Fernandès  eût  donné  le  caractère  de  ses  pieds. 

Quant  à  la  treizième  espèce  de  M.  Brisson,  ce  n'est 
rien  moins  qu'un  pluvier,  mais  une  petite  outarde 
ou  notre  churge^. 

i.    \ o.yviVarViclc  de  col  oiseau  dans  le  lom«>  XIX,  page  /{."/^ 


I 


LE    PLUVJAN.  469 

LE  PLUVIAN. 

Charadrias  melanocephalus.  L. 

L'oiseau  nommé  pluvlan  dans  les  planches  enlumi- 
nées, n"  918,  se  rapporte  au  pluvier  en  ce  qu'il  n'a 
que  trois  doigts.  Le  pluvian  n'est  guère  plus  grand 
que  le  petit  pluvier  à  collier,  si  ce  n'est  que  son  cou 
est  plus  long  et  son  bec  plus  fort.  Il  a  le  dessus  de 
la  tête,  du  cou  et  du  dos  noir,  un  trait  de  cette  cou- 
leur sur  les  yeux  ,  et  quelques  ondes  noires  sur  la 
poitrine  ;  les  grandes  pennes  de  l'aile  sont  mêlées  de 
noir  et  de  blanc  ;  les  autres  parties  de  l'aile,  pennes 
moyennes  et  couvertures,  sont  d'un  joli  gris;  le  de- 
vant du  cou  est  d'un  blanc  roussâtre  ,  et  le  ventre 
blanc;  mais  le  bec  est  plus  gros  et  plus  épais  que 
celui  du  pluvier,  le  renflement  y  est  moins  marqué. 
Ces  différences,  qui  semblent  faire  une  nuance  de 
genre  plutôt  que  d'espèce,  nous  ont  engagé  à  lui  don- 
ner un  nom  particulier,  et  qui  en  même  temps  eul 
rapport  aux  pluviers. 


470  LK    GRAND    PLUVIEIÎ. 

LE  GRAND  PLUVIER\ 

VULGAIREMENT  APPELÉ  COURLIS  DE    TERRE. 

Charadrlus  œdicnemus.  L. 

Il  est  peu  de  chasseurs  et  d'habitants  de  la  cam- 
pagne dans  nos  provinces  de  Picardie  ,   d'Orléanois , 
de  Beauce,  de  Champagne  et  de  Bourgogne,    qui, 
se  trouvant  sur  le  soir  dans  les  mois  de  septembre , 
d'octobre  et  novembre,  au  milieu  des  champs,  n'aient 
entendu  les  cris  répétés  tib'rlulj  tarrlai^  de  ces  oi- 
seaux; c'est  leur  voix  de  rappel  qu'ils  font  souvent 
retentir  d'une  colline  à  l'autre,  et  c'est  probablement 
de  ce  son  articulé  et  semblable  au  cri  des  vrais  cour- 
lis qu'on  a  donné  à  ce  grand  pluvier,  n°  919,  le  nom 
de  courlis  de  terre.  Belon  dit  qu'au  premier  aspect  il 
trouva  dans  cet  oiseau  tant  de  ressemblance  avec  la 
petit  outarde,  qu'il   lui  en  appliqua  le  nom.  Cepen- 
dant ce  n'est  ni  une  outarde  ni  un  courlis;  c'est  plu- 
tôt un  pluvier  :  mais  en  même  temps  qu'il  tient  de 
près  aux  pluviers  par  plusieurs  caractères  communs, 
il  s'en  éloigne  assez  par  quelques  autres  pour  qu'on 
puisse  le  regarder  comme  étant  d'une  espèce  isolée, 
parce  qu'il  porte  des  traits  d'une  conformation  par- 

1.  En  italien,  coruz ,  suivant  Gcsncr  et  Aldrovande  ;  à  Rome,  car- 
lotte,  selon  Willughby;  en  Angleterre,  et  particulièrement  dans  le 
pays  de  Cornouailles  et  de  Norfolk  ,  stonecurlew;  en  quelques  endroits 
de  l'Allemagne,  selon  Gesner,  triel  ou  griel;  sur  nos  côtes  de  Picardie 
cet  oiseau  est  appelé  le  saint- germer. 


LE    GRAND    PLUVIER.  4?  * 

liculière  ,  et  que  ses  habitudes  naturelles  sont  diffé- 
rentes de  celles  des  pluviers. 

D'abord  cet  oiseau  est  beaucoup  plus  grand  que  le 

pluvier  doré,  il  est  même  plus  gros  que  la  bécasse  : 

ses   jambes  épaisses  ont  un  renflement  marqué  au 

dessous  du  genou  qui  paroît  gonflé  ;  caractère  d'après 

lequel  Belou  l'a  nommé  jambe  eiiflée.  Il  n'a,  comme 

le  pluvier,  que  trois  doigts  fort  courts;  ses  jambes  et 

ses  pieds  sont  jaunes.  Son  bec  est  jaunâtre  depuis 

soQ  origine  jusque  vers  le  milieu  de  sa  longueur,  et 

noirâtre  jusqu'à  son  extrémité  ;  il  est  de    la  même 

forme ,  mais  plus  gros  que  celui  du  pluvier.   Tout  le 

plumage,  sur  un  fond  gris  blanc   et  gris  roussâtre, 

est  moucheté  par  pinceaux  de  brun  et  de  noirâtre, 

dont  les  traits  sont  assez  distincts  sur  le  cou  et  la 

poitrine,  et  plus  confus  sur  le  dos  et  sur  les  ailes  qui 

sont  traversées  d'une  bande  blanchâtre  ;  deux  traits 

de  blanc  roussâtre   passe  dessus  et  dessous  l'œil  ;  le 

fond  est  de  couleur  roussâtre  sur  le  dos  et  le  cou  ,  et 

il  est  blanc  sous  le  ventre,  qui  n'est  point  moucheté. 

Cet  oiseau  a  l'aile  grande  ;  il  part  de  loin  ,  surtout 

pendant  le  jour,  et  vole  alors  assez  bas  près  de  terre; 

il  court  sur  les  pelouses  et  dans  les  champs  aussi  vite 

qu'un  chien;  et  c'est  de  là  qu'en  quelques  provinces, 

comme  enBeauce,  on  lui  a  donné  le  nom  d^aîyen- 

teur.  Il  s'arrête  tout  court  après  avoir  couru,  tenant 

son  corps  et  sa  tête  immobiles,  et  au  moindre  bruit 

il  se  tapit  contre  terre.  Les  mouches,  les  scarabées, 

les  petits  limaçons,  et  autres  coquillages  terrestres, 

sont  le  fond  de  sa  nourriture,  avec  quelques  autres 

insectes  qui  se   trouvent  dans  les  terres  en  friche. 


4^2  LE    GRAND    PLUVIEIÎ. 

comme  grillons,  sauterelles  et  courtillièies^  ;  car  il 
ne  se  tient  guère  que  sur  le  plateau  des  collines,  et 
il  habite  de  préférence  les  terres  pierreuses,  sablon- 
neuses et  sèches.  En  Beauce ,  dit  M.  Salerne ,  une 
mauvaise  terre  s'appelle  une  terre  à  courlis.  Ces  oi- 
seaux, solitaires  et  tranquilles  pendant  la  journée, 
se  mettent  en  mouvement  à  la  chute  du  jour;  ils  se 
répandent  alors  de  tous  côtés  en  volant  rapidement 
et  criant  de  toutes  leurs  forces  sur  les  hauteurs  : 
leur  voix,  qui  s'entend  de  très  loin,  est  un  son  plain- 
tif semblable  à  celui  d'une  flûte  tierce  ,  et  prolongé 
sur  trois  ou  quatre  tons ,  en  montant  du  grave  à 
l'aigu.  Ils  ne  cessent  de  crier  pendant  la  plus  grande 
partie  de  la  nuit ,  et  c'est  alors  qu'ils  se  rapprochent 
de  nos  habitations. 

Ces  habitudes  nocturnes  sembleroient  indiquer 
que  cet  oiseau  voit  mieux  la  nuit  que  le  jour  ;  ce- 
pendant il  est  certain  que  sa  vue  est  très  perçante 
pendant  le  jour.  D'ailleurs  la  position  de  ses  gros 
yeux  le  met  en  état  de  voir  par  derrière  comme  par 
devant  ;  il  découvre  le  chasseur  d'assez  loin  pour  se 
lever  et  partir  bien  avant  que  l'on  soit  à  portée  de 
le  tirer.  C'est  un  oiseau  aussi  sauvage  que  timide; 
la  peur  seule  le  tient  immobile  durant  le  jour,  et 
ne  lui  permet  de  se  mettre  en  mouvement,  et  de  se 
faire  entendre  qu'à  l'entrée  de  la  nuit.  Ce  sentiment 
de  crainte  est  même  si  dominant  que,  quand  on 
entre  dans  une  chambre  où  on  le  tient  renfermé,  il 

1.  M.  Baillou  ,  qui  a  observé  cet  oiseau  sur  les  côtes  de  Picardie, 
nous  dit  qu'il  mange  aussi  de  petits  lézards  noirs  qui  se  trouYCut  dans 
les  dunes  ,  et  même  de  petites  couleuvres. 


LE    GRAND    PLUVïEK.  4;" 

ïie  cherche  qu'à  se  cacher,  à  fuir,  et  va,  dans  son 
efl'roi ,  donner  lête  baissée,  et  se  heurter  contre  tout 
ce  qui  se  rencontre.  On  prétend  que  cet  oiseau  fait 
pressentir  les  changements  de  temps  ,  et  qu'il  an- 
nonce la  pluie.  Gesner  a  remarqué  que,  même  en  cap- 
tivité ,  il  s'agite  beaucoup  avant  l'arrivée  d'un  orage. 

Au  reste  ,  ce  grand  pluvier  ou  courlis  de  terre  fait 
une  exception  dans  les  nombreuses  espèces  qui,  ayant 
une  portion  de  la  jambe  nue ,  sont  censées  habiter 
les  rivages  et  les  terres  fangeuses,  puisqu'il  se  tient 
toujours  loin  des  eaux  et  des  terrains  un  peu  humides, 
et  n'habite  que  les  terres  sèches  et  les  lieux  élevés^. 

Ces  habitudes  ne  sont  pas  les  seules  par  lesquelles 
il  diffère  des  pluviers.  Le  temps  de  son  départ  et  la 
saison  de  son  séjour  ne  sont  pas  les  mêmes  que  pour 
les  pluviers;  il  part  en  novembre,  pendant  les  der- 
nières pluies  d'automne;  mais,  avant  d'entreprendre 
le  voyage  ,  ces  oiseaux  se  réunissent  en  troupes  de 
trois  ou  quatre  cents ,  à  la  voix  d'un  seul  qui  les  ap- 
pelle, et  leur  départ  se  fait  pendant  la  nuit.  On  les 
revoit  de  bonne  heure  au  printemps  ;  et  dès  la  fin  de 
mars  ils  sont  de  retour  en  Beauce,  en  Sologne,  en 
Berry,  et  dans  quelques  autres  provinces  de  France. 
La  femelle  ne  pond  que  deux  ou  quelquefois  trois 
œufs  sur  la  terre  nue  ,  entre  des  pierres,  ou  dans  un 
petit  creux  qu'elle  forme  sur  le  sable  des  landes  et 
des   dunes  2.  Le  mâle  la  poursuit  vivement  dans  le 

1.  D'où  l'on  peut  îoir  avec  combien  peu  de  fondement  Gesner  l'a 
pris  pour  le  charadrios  des  anciens,  qui  est  décidément  un  oiseau  de 
rivage.  Voyez  ci-devant  l'article  ^\x  pluvier  à  collier. 

2.  Durant  les  huit  jours  que  j'ai  erré  dans  les  sables  arides  qui  cou- 

BUFFO?{.     XXV.  3o 


474  ^^^    GRAND    PLUVIER. 

temps  des  amours  ;  il  est  aussi  constant  que  vif,  et  ne 
la  quitte  pas  ;  il  l'aide  à  conduire  ses  petits ,  à  les  pro- 
mener ,  et  à  leur  apprendre  à  distinguer  leur  nour- 
riture :  cette  éducation  est  même  longue;  car,  quoi- 
que les  petits  marchent  et  suivent  leurs  père  et  mère 
peu  de  temps  après  qu'ils  sont  nés,  ils  ne  prennent 
que  tard  assez  de  force  dans  l'aile  pour  pouvoir  voler. 
Belon  en  a  trouvé  qui  ne  pouvoient  encore  voler  à  la 
fin  d'octobre  ;  ce  qui  lui  a  fait  croire  que  la  ponte  des 
œufs  ou  la  naissance  des  petits  ne  se  faisoit  que  bien 
tard.  Mais  M.  le  chevalier  Desmazys ,  qui  a  observé 
ces  oiseaux  à  Malte  ^,  nous  a  appris  qu'ils  y  font  ré- 
gulièrement deux  pontes,  l'une  au  printemps,  et  la 
dernière  au  mois  d'août.  Le  même  observateur  assure 
que  l'incubation  est  de  trente  jours.  Les  jeunes  sont 
un  fort  bon  gibier  ,  et  on  ne  laisse  pas  de  manger 
aussi  les  vieux,  qui  ont  la  chair  plus  noire  et  plus  sè- 
che. La  chasse  à  Malte  en  étoit  réservée  au  grand- 
maître  de  l'ordre,  avant  que  l'espèce  de  nos  perdrix 

vreiit  les  bords  de  la  jner  depuis  1  embouchure  de  la  Somme  jusqu'à 
l'extrémité  du  Boulonuois  j'ai  rencoulré  un  nid  qui  m'a  paru  être  du 
saint-germer  :  pour  m'en  assurer,  je  suis  demeuré  constamment  assis 
jusqu'au  soir  sur  le  sable,  dont  j'avois  élevé  devant  et  autour  de  moi 
un  petit  tertre  pour  me  cacher.  Les  oiseaux  de  ces  sables ,  accoutu- 
més à  en  voir  changer  la  surface,  que  les  vents  transportent,  ne  pren- 
nent aucune  inquiétude  d'y  trouver  de  nouveaux  creux  ou  de  nouvelles 
élévations.  Je  fus  payé  de  ma  peine  :  le  soir  l'oiseau  vint  à  ses  œufs, 
et  je  le  reconnus  pour  le  saint-germer  ou  le  courlis  de  terre.  Son  nid , 
posé  à  plate  terre  et  à  découvert  dans  une  plaine  de  sable,  ne  consis- 
toit  qu'en  un  petit  creux  d'un  pouce,  et  de  forme  elliptique,  conte- 
nant trois  œufs  assez  gros  ,  et  d'une  couleur  singulière.  (  Observations 
f'aiies  par  M.  Bâillon  de  Montreuil-siir-mer.) 
1.   On  l'appelle  à  Malte  talaride. 


LE    GUAND    PLUVIER.  4^5 

n'eût  été  portée  dans  celte  île,  vers  le  milieu  du  der- 
nier siècle  *. 

Ce  grand  pluvier  ou  courlis  de  terre  ne  s'avance 
point  en  été  dans  le  nord  ,  comme  font  les  pluviers  ; 
du  moins  Linnseus  ne  le  nomme  point  dans  la  liste 
des  oiseaux  de  Suède.  Willughby  assure  qu'on  le 
trouve  en  Angleterre,  dans  le  comté  de  Norfolk,  et 
dans  le  pays  de  Cornouailles  ;  cependant  Charleton  , 
qui  se  donne  pour  chasseur  expérimenté ,  avoue  que 
cet  oiseau  lui  est  absolument  inconnu.  Son  instinct 
sauvage,  ses  allures  de  nuit ,  ont  pu  le  dérober  long- 
temps aux  yeux  des  observateurs;  et  Belon,  qui  le 
premier  l'a  reconnu  en  France,  remarque  qu'alors 
personne  ne  put  lui  en  dire  le  nom. 

J'ai  eu  pendant  un  mois  ou  cinq  semaines  un  de 
ces  oiseaux  à  ma  campagne  :  on  le  nourrissoit  de 
soupe  ,  de  pain,  et  de  viande  cuite  ;  il  aimoit  ce  der- 
nier mets  de  préférence  aux  autres.  Il  mangeoit  non 
seulement  pendant  le  jour,  mais  aussi  pendant  la  nuit; 
car  après  lui  avoir  donné  le  soir  sa  provision  de  nour- 
riture, on  a  remarqué  que  le  lendemain  matin  elle 
étoit  fort  diminuée. 

Cet  oiseau  m'a  paru  d'un  naturel  paisible  ,  mais 
craintif  et  sauvage,  et  je  crois  que  c'est  en  effet  par 
cette  raison  qu'on  le  voit  rarement  courir  pendant 
le  jour  dans  l'état  de  liberté,  el  qu'il  préfère  l'obscu- 
rité de  la  nuit  pour  se  réunir  avec  ses  semblables. 
J'ai  remarqué  que  dès  qu'il  apercevoit  quelqu'un, 
même  de  loin  ,  il  cherchoit  à  s'enfuir  ,  et  que  sa  peur 
étoit  si  grande  qu'il  se  heurtoil  contre  tout  ce  qu'il 

1.  Sous  le  grand  maître  Marlin  de  Uodiii.  {Noie  communiquée  par 
M.  le  chevalier  Desmazys.  Une  autre  note  spécifie  les  perdrix  rouges.) 


47^  l'E    GRAND    PLUVIER. 

reiicontroit  en  voulant  se  sauver.  Il  est  donc  du  nom- 
bre des  animaux  qui  sont  faits  pour  vivre  éloignés  de 
nous,  et  à  qui  la  nature  a  donné  pour  sauvegarde 
Tinstïnct  de  nous  fuir. 

Celui  dont  il  s'agit  ici  n'a  point  fait  connoître  son 
cri  :  il  faisoit  seulement  quelquefois  entendre  pendant 
les  deux  ou  trois  dernières  nuits  qui  ont  précédé  sa 
mort  une  sorte  de  sifflement  très  foible ,  qui  n'étoit 
peut-être  qu'une  expression  de  souflVance;  car  il  avoit 
alors  sur  la  racine  du  bec  et  dans  les  pieds  de  fort 
grandes  blessures  qu'il  s'étoit  faites  en  frappant  con- 
tre les  fils  de  fer  de  sa  cage,  dans  laquelle  il  se  re- 
muoil  brusquement  dès  qu'il  apercevoit  quelque 
objet  nouveau. 


LECHASSE'. 

Himantopus  atr opteras,  L. 

L'ÉCHAssE,  n**  878,  est  dans  les  oiseaux  ce  que  b 
gerboise  est  dans  les  quadrupèdes  :  ses  Jambes,  trois 
fois  longues  comme  le  corps,  nous  présentent  une 
disproportion  raonstreuse;  et,  considérant  ces  excès 
ou  plutôt  ces  défauts  énormes,  il  semble  que  quand 
la  nature  essayoit  toutes  les  puissances  de  sa  première 

1.  Himantopus.  Les  Italiens,  suivant  Belon  ,  appellent  l'échasse 
merlo  aquaiole  grande;  les  Allemands  ,  froembder  vogel;  les  Flamands, 
matlwcn;  les  Anglois,  long-legs;  et  à  la  Jamaïque,  red  legged  crâne. 
Sibbakl  lui  donne  encore  les  noms  allemands  de  dunn-bein ,  riemen- 

bcin. 


l'éciiasse.  477 

vigueur,  et  qu'elle  ébaucholt  le  plan  de  la  forme  des 
êtres,  ceux  en  qui  les  proportions  d'organes  s'uni- 
rent avec  la  faculté  de  se  reproduire  ont  été  les  seuls 
qui  se  soient  maintenus  :  elle  ne  peut  donc  adopter  à 
perpétuité  toutes  les  formes  qu'elle  avoient  tentées  ; 
«lie  choisit  d'abord  les  plus  belles  pour  en  composer 
le  tout  harmonieux  des  êtres  qui  nous  environnent  : 
mais,  au  milieu  de  ce  magnifique  spectacle,  quel- 
ques productions  négligées ,  et  quelques  formes 
moins  heureuses,  jetées  comme  des  ombres  au  ta- 
bleau, paroissent  être  les  restes  de  ces  dessins  mal 
assortis  et  de  ces  composés  disparates  qu'elle  n'a  laissé 
subsister  que  pour  nous  donner  une  idée  plus  éten- 
due de  ses  projets;  et  l'on  ne  peut  mieux  saisir  une  de 
ces  disproportions  qui  contrastent  avec  le  bel  accord 
et  la  grâce  répandue  sur  toutes  ses  œuvres  que  dans 
cet  oiseau ,  dont  les  jambes  excessivement  longues 
lui  permettent  à  peine  de  porter  son  bec  à  terre  pour 
prendre  sa  nourriture;  et  de  plus  ses  jambes  si  dis- 
proportionnées sont  comme  des  échasses,  grêles, 
foibles,  et  fléchissantes,  supportant  mal  le  petit  corps 
de  l'oiseau,  et  retardant  sa  course  plus  qu'elles  ne 
l'accélèrent;  enfin  trois  doigts  beaucoup  trop  courts 
pour  les  jambes  asseyent  mal  sur  ses  pieds  ce  corps 
chancelant,  trop  loin  du  point  d'appui.  Aussi  les  noms 
que  les  anciens  et  les  modernes  ont  donné  dans  tou- 
tes  les  langues  à  cet  oiseau  marquent  la  foiblesse  de 
ses  jambes  molles  et  ployantes ,  ou  leur  excessive 
longueur  *. 

i.  Himantopus,  loripef.  Le  nom  dliimantopus  a  quelquefois  été 
changé  en  celui  d'hœmatopus,  et  ensuite  appiiq^ué  à  Vhuttrier  ou  pie  (k 
mer.  C'est  une  double  erreur.  Voyez  l'article  suivant. 


47^  l'É  CHASSE. 

L'échasse  paroît  néanmoins  se  dédoiiunager  par  le 
vol  de  la  lenteur  de  sa  marche  pénible.  Ses  ailes  sont 
longues  et  dépassent  la  queue,  qui  est  assez  courte; 
leur  couleur,  ainsi  que  celle  du  dos,  est  d'un  noir 
lustré  de  bleu  verdâtre;  le  derrière  de  la  tête  est  d'un 
gris  brun  ;  le  dessus  du  cou  est  mêlé  de  noirâtre  et 
de  blanc;  tout  le  dessous  est  blanc  depuis  la  gorge 
jusqu'au  bout  de  la  queue;  les  pieds  sont  rouges,  et 
ils  ont  huit  pouces  de  hauteur  y  compris  la  partie 
nue  de  la  jambe ,  qui  en  a  plus  de  trois  ;  le  nœud  du 
genou  se  marque  fortement  au  milieu  du  jet  lisse  et 
grêle  de  ces  pieds  démesurés;  le  bec  est  noir,  cylin- 
drique, un  peu  aplati  par  les  côtés  vers  la  pointe, 
long  de  deux  pouces  dix  lignes,  implanté  bas  sur  un 
front  relevé  qui  rend  la  tête  ronde. 

Nous  sommes  peu  instruits  des  habitudes  naturelles 
de  cet  oiseau,  dont  l'espèce  est  foible ,  et  en  même 
temps  rare^.  Il  est  vraisemblable  qu'il  vit  d'insectes 
et  de  vermisseaux,  au  bord  des  eaux  et  des  marais. 
Pline  l'indique  sous  le  nom  à' himaniopm ^  et  dit  «  qu'il 
naît  en  Egypte;  qu'il  se  nourrit  principalement  de 
mouches,  et  qu'on  n'a  jamais  pu  le  conserver  que 
quelques  jours  en  Italie.  »  Cependant  Belon  en  parle 
comme  d'un  oiseau  naturel  à  cette  contrée,  et  le 
comte  Marsigli  l'a  vu  sur  ie  Danube.  Il  paroît  aussi 
qu'il  fréquente  les  terres  du  nord ,  quoique  Klein 
dise  qu'on  ne  l'a  jamais  vu  sur  les  côtes  de  la  Balti- 

1.  On  nous  a  envoyé  une  échasse  de  Beauvoir  eu  bas  Poilou  commis 
un  oiseau  inconnu  .  ce  qui  prouve  qu'il  ne  paroît  que  fort  rarement 
sur  ces  côtes.  Celui-ci  fut  tué  sur  un  vieux  marais  salant.  On  remarqua 
que  dans  son  vol  ses  jambes,  roidies  en  arrière,  dépassoicnl  la  queue 
de  huit  pouces. 


Pauc^uet  sculp . 

L.L'HU1TR1ER,2,  le    coure -vite,  5  LE  TOURNE-PIEKBE  . 


l'échasse.  479 

que;  mais  Sibbaid,  en  Ecosse ,  en  a  très  bien  décrit 
un  qui  avoit  été  tué  près  de  Dumfries. 

L'échasse  se  trouve  aussi  dans  le  nouveau  conti- 
nent :  Fernandès  en  a  vu  une  espèce  ,  ou  plutôt  une 
variété,  dans  la  Nouvelle-Espagne;  et  il  dit  que  cet 
oiseau ,  habitant  des  régions  froides,  ne  descend  que 
l'hiver  au  Mexique  :  cependant  Sloane  le  place  parmi 
les  oiseaux  de  la  Jamaïque.  Il  résulte  de  ces  autorités 
contraires  en  apparence  que  l'espèce  de  l'échasse  , 
quoique  très  peu  nombreuse,  se  trouve  répandue  ou 
plutôt  dispersée,  comme  celle  du  pluvier  à  collier, 
dans  des  régions  très  éloignées.  Au  reste,  l'échasse  du 
Mexique,  indiquée  par  Fernandès,  est  un  peu  plus 
grande  que  celle  d'Europe  ;  elle  a  du  blanc  mêlé  dans 
le  noir  des  ailes  :  mais  ces  différences  ne  nous  parois- 
sent  pas  assez  grandes  pour  en  faire  une  espèce  sé- 
parée. 

L'HUITRIER/, 

VULGAIREMENT  LÀ  PIE  DE  MER. 

Hœmatopus  ostralegus.  L. 

Les  oiseaux  qui  sont  dispersés  dans  nos  champs  ou 
retirés  sous  l'ombrage  de  nos  forêts  habitent  les  lieux 

1.  Quelquefois  bécasse  de  mer;  en  anglois  ,  sea-pie,  oyster-catcher ; 
en  Islande,  tUldur  (le  mâle),  tilldra  (la  femelle),  ce  qui  indiqueroit 
une  différence  extérieure  entre  le  mâle  et  la  femelle,  dont  les  auteurs 
ne  parlent  pas;  en  latin  de  nomenclature,  oslralega;  et  par  un  nom 
formé  du  grec ,  mais  qui  ne  caractérise  point  en  particulier  cet  oiseau , 
hœmatopus. 


48o  l'huitiuek. 

les  plus  riants  el  les  retraites  les  plus  paisibles  de  la 
nature  :  mais  elle  n'a  pas  fait  à  tous  cette  douce  des- 
tinée; elle  en  a  confiné  quelques  uns  sur  les  rivages 
solitaires,  sur  la  plage  nue  que  les  flots  de  la  mer 
disputent  à  la  terre ,  sur  ces  rochers  contre  lesquels 
ils  viennent  mugir  et  se  briser,  et  sur  les  écueils  isolés 
et  battus  de  la  vague  bruyante.  Dans  ces  lieux  déserts 
et  formidables  pour  tous  les  antres  êtres  quelques 
oiseaux,  tels  que  Thuîtrier,  savent  trouver  la  sub- 
sistance, la  sécurité,  les  plaisirs  mêmes,  et  l'amour. 
Celui-ci  vit  de  vers  marins,  d'huîtres,  de  patelles,  et 
autres  coquillages,  qu'il  ramasse  dans  les  sables  du 
rivage.  Il  se  tient  constamment  sur  les  bancs,  les  ré- 
cifs découverts  à  basse  mer,  sur  les  grèves  où  il  suit 
le  reflux,  et  ne  se  retire  que  sur  les  fal^rises,  sans  s'é- 
loigner jamais  des  terres  ou  des  rochers.  On  a  aussi 
donné  à  cet  huîtrier,  ou  mangeur  d'huîtres,  le  nom 
de  pie  de  mer^  non  seulement  à  cause  de  son  plumage 
noir  et  blanc,  mais  encore  parce  qu'il  fait,  comme 
la  pie,  un  bruit  ou  cri  continuel,  surtout  lorsqu'il  est 
en  troupe.  Ce  cri,  aigre  et  court,  est  répété  sans 
cesse  en  repos  et  en  volant. 

Cet  oiseau ,  n°  929,  ne  se  voit  que  rarement  sur  la 
plupart  de  nos  côtes  :  cependant  on  le  connoît  en 
Saintonge  et  en  Picardie  ;  il  pond  même  quelquefois 
sur  les  côtes  de  cette  dernière  province,  où  il  arrive 
en  troupes  très  considérables  par  les  vents  d'est  et  de 
nord-ouest.  Ces  oiseaux  s'y  reposent  sur  les  sables 
du  rivage,  en  attendant  qu'un  vent  favorable  leur 
permette  de  retourner  à  leur  séjour  ordinaire.  On 
croit  qu'ils  viennent  de  la  Grande-Bretagne,  où  ils 
sont  en  effet  fort  communs,  particulièrement  sur  les 


l'huttrier.  481 

côtes  occidentales  de  celte  île.  Ils  se  sont  aussi  portés 
plus  avant  vers  le  nord  ;  car  on  les  trouve  en  Goth- 
iand ,  dans  l'île  d'Oéland ,  dans  les  îles  du  Danemarck^ 
et  jusqu'en  Islande  et  en  Norwége.  D'un  autre  côté, 
M.  Cook  en  a  vu  sur  les  côtes  de  la  Terre-de-Feu  et 
sur  celles  du  détroit  de  Magellan  ;  il  en  a  retrouvé  à 
la  baie  d'Usky,  dans  la  Nouvelle-Zélande.  Dampier 
les  a  reconnus  sur  les  rivages  de  la  Nouvelle-Hollande; 
et  Kaempfer  assure  qu'ils  sont  aussi  communs  au  Ja- 
pon qu'en  Europe.  Ainsi  l'espèce  de  l'huîtrier  peuple 
tous  les  rivages  de  l'ancien  continent,  et  l'on  ne  doit 
pas  être  étonné  qu'il  se  retrouve  dans  le  nouveau.  Le 
P.  Feuillée  l'a  observé  sur  la  côte  de  la  terre  ferme 
d'Amérique  ;  Wat'er ,  au  Darien  ;  Catesby  ,  à  la  Caro- 
line et  aux  îles  Bahama;  le  Page  du  Pratz  ,  à  la  Loui- 
siane :  et  cette  espèce  si  répandue  l'est  sans  variété  ; 
elle  est  partout  la  même,  et  paroît  isolée  et  distinc- 
tement séparée  de  toutes  les  autres  espèces^.  11  n'en 
est  point  en  effet  parmi  les  oiseaux  de  rivage  qui  ait, 
avec  la  taille  de  l'huîtrier  et  ses  jambes  courtes,  un 
bec  de  la  forme  du  sien  ,  non  plus  que  ses  habitudes 
et  ses  mœurs. 

Cet  oiseau  est  de  la  grandeur  de  la  corneille.  Son 
bec,  long  de  quatre  pouces,  est  rétréci  et  comme 
comprimé  verticalement  au  dessous  des  narines,  et 
aplati  par  les  côtés  en  manière  de  coin  jusqu'au  bout, 

1 .  On  ne  peut  s'assurer  que  la  pie  des  îles  Malouines  de  M.  de  Bou- 
gainville  soit  l'huîtrier,  plutôt  que  quelque  espèce  de  pluvier  :  car  il 
dit  que  cet  oiseau  se  nourrit  de  chevrettes:  qiiU  a  un  sifflement  aisé 
à  imiter,  ce  qui  indique  un  pluvier;  de  plus  quV/  a  les  pattes  blanches, 
ce  qui  ne  convient  pas  à  la  vraie  pie  de  mer  ou  à  l'huîtrier,  qui  les 
a  rouges. 


482  L*HU[TRIER. 

dont  la  coupe  carrée  forme  un  tranchant;  structure 
particulière  qui  rend  ce  bec  tout-à-fait  propre  à  dé- 
tacher, soulever,  arracher  du  rocher  et  des  sables  les 
huîtres  et  les  autres  coquillages  dont  l'huîtrier  se 
nourrit. 

Il  est  du  petit  nombre  des  oiseaux  qui  n  ont  que 
trois  doigts.  Ce  seul  rapport  a  suffi  aux  méthodistes 
pour  le  placer,  dans  l'ordre  de  leurs  nomenclatures, 
à  côté  de  l'outarde.  On  voit  combien  il  en  est  éloigné 
dans  l'ordre  de  la  nature,  puisque  non  seulement  il 
habite  sur  les  rivages  de  la  mer,  mais  qu'il  nage  en- 
core quelquefois  sur  cet  élément,  quoique  ses  pieds 
soient  absolument  dénués  de  membranes.  Il  est  vrai 
que,  suivant  M.  Bâillon,  qui  a  observé  l'huîtrier  sur 
les  côtes  de  Picardie,  la  manière  dont  il  nage  semble 
n'être  que  passive,  comme  s'il  se  laissoit  aller  à  tous 
les  mouvements  de  l'eau  sans  en  donner  aucun;  mais 
il  n'en  est  pas  moins  certain  qu'il  ne  craint  point 
d'affronter  les  vagues,  et  qu'il  peut  se  reposer  sur  l'eau 
et  quitter  la  mer  lorsqu'il  lui  plaît  d'habiter  la  terre. 

Son  plumage  blanc  et  noir  et  son  long  bec  lui  ont 
fait  donner  les  noms  également  impropres  de  pie  de 
mer  et  de  bécasse  de  mer.  Celui  d'/mttrler  lui  convient , 
puisqu'il  exprime  sa  manière  de  vivre.  Catesby  n'a 
trouvé  dans  son  estomac  que  des  huîtres,  et  Wil- 
lughby  des  patelles  encore  entières.  Ce  viscère  est 
ample  et  musculeux  suivant  Eelon  ,  qui  dit  aussi  que 
la  chair  de  l'huîtrier  est  noire  et  dure ,  avec  un  goût 
de  sauvagine.  Cependant,  selon  M.  Bâillon,  cet  oi- 
seau est  toujours  gras  en  hiver,  et  la  chair  des  Jeunes 
est  assez  bonne  à  manger.  11  a  nourri  un  de  ces  huî- 
triers  pendant  plus  de  deux  mois  :  il  le  tenoit  dans 


l'huitrieb.  4^^^ 

son  jardiii ,  où  il  vivoit  principalement  de  vers  de 
terre  comme  le  courlis;  mais  ii  mangeoit  aussi  de  la 
chair  crue  et  du  pain  dont  il  sembloit  s'accommoder 
fort  bien.  Il  buvoit  indifféremment  de  l'eau  douce  ou 
de  l'eau  de  mer ,  sans  témoigner  plus  de  goût  pour 
l'une  que  pour  l'autre  :  cependant,  dans  l'état  de  na- 
ture ,  ces  oiseaux  ne  fréquentent  point  les  marais  ni 
l'embouchure  des  rivières,  et  ils  restent  constam- 
ment dans  le  voisinage  et  sur  les  eaux  de  la  mer;  mais 
c'est  peut-être  parce  qu'ils  ne  trouveroient  pas  dans 
les  eaux  douces  une  nourriture  aussi  analogue  à  leur 
appétit  que  celle  qu'ils  se  procurent  dans  les  eaux 
salées. 

L'huîtrier  ne  fait  point  de  nid  :  il  dépose  ses  œufs, 
qui  sont  grisâtres  et  tachés  de  noir,  sur  le  sable  nu, 
hors  de  la  portée  des  eaux,  sans  aucune  préparation 
préliminaire;  seulement  il  semble  choisir  pour  cela 
le  haut  des  dunes  et  les  endroits  parsemés  de  débris 
de  coquillages.  Le  nombre  des  œufs  est  ordinaire- 
ment de  quatre  ou  cinq,  et  le  temps  de  l'incubation 
est  de  vingt  ou  vingt-un  jours  :  la  femelle  ne  les  couve 
point  assidûraenl;  elle  fait  à  cet  égard  ce  que  font 
presque  tous  les  oiseaux  des  rivages  de  la  mer,  qui, 
laissant  au  soleil,  pendant  une  partie  du  Jour,  le  soin 
d'échauffer  leurs  œufs,  les  quittent  pour  l'ordinaire  à 
neuf  ou  dix  heures  du  matin  et  ne  s'en  rapprochent 
que  vers  les  trois  heures  du  soir,  à  moins  qu'il  ne 
survienne  de  la  pluie.  Les  petits,  au  sortir  de  l'œuf, 
sont  couverts  d'un  duvet  noirâtre  :  ils  se  traînent  sur 
le  sable  dès  le  premier  jour  ;  ils  commencent  à  courir 
peu  de  temps  après ,  et  se  cachent  alors  si  bien  dans 
les  touffes  d'herbages  qu'il  est  difficile  de  les  trouver. 


484  i'huitrier. 

L'huîtrier  a  le  bec  et  les  pieds  d'un  beau  rouge 
de  corail.  C'est  d'après  ce  caraclère  que  Beion  l'a 
nommé  kœmatopm ^  en  le  prenant  pour  V klmantopm 
de  Pline  ;  mais  ces  deux  noms  ne  doivent  être  ni 
confondus  ni  appliqués  au  même  oiseau.  Hœmatopus 
signifie  à  jambes  rouges  et  peut  convenir  à  l'huîtrier; 
mais  ce  nom  n'est  point  de  Pline,  quoique  Dalé- 
champ  Tait  lu  ainsi;  et  V hlmantopus ^  oiseau  à  jambes 
hautes,  grêles,  et  flexibles,  suivant  la  force  du  terme 
[loripes),  n'est  point  l'huîtrier,  mais  bien  plutôt  l'é- 
chasse.  Un  mot  de  Pline  ,  dans  le  même  passaiije  ,  eiit 
pu  suffire  à  Belon  pour  revenir  de  son  erreur  :  Prœci- 
puè  ei  pabulum  muscœ.  L'himantopus,  qui  se  nourrit 
de  mouches,  n'est  pas  l'huîtrier,  qui  ne  vit  que  de 
coquillages. 

Willughby,  en  nous  avertissant  de  ne  point  con- 
fondre cet  oiseau  sous  le  nom  àliœmatopus  avec  l'A/- 
mantopus  à  jambes  longues  et  molles,  semble  nous 
indiquer  encore  une  méprise  dans  Belon,  qui,  en 
décrivant  l'huîtrier,  lui  attribue  cette  mollesse  de 
pieds,  assez  incompatible  avec  son  genre  de  vie,  qui 
le  conduit  sans  cesse  sur  les  galets  ou  le  confine  sur 
les  rochers;  d'ailleurs  on  sait  que  les  pieds  et  les 
doigts  de  cet  oiseau  sont  revêtus  d'une  écaille  rabo- 
teuse, ferme  et  dure.  Il  est  donc  plus  que  probable 
qu'ici  comme  ailleurs  la  confusion  des  noms  a  pro- 
duit celle  des  objets  :  le  nom  à' hhnantopus  doit  donc 
être  réservé  pour  l'échasse  à  qui  seul  il  convient;  et 
celui  (ï hœmatopus _,  également  applicable  à  tant  d'oi- 
seaux qui  ont  les  pieds  rouges,  ne  suffit  pas  pour 
désigner  l'huîtrier,  et  doit  être  retranché  de  sa  no-» 
menclature. 


l'huitrier.  4^^ 

Des  trois  doigts  de  rhuîtrier,  deux,  1  extérieur  et 
celui  du  milieu,  sont  unis  jusqu'à  la  première  arti- 
culation par  une  portion  de  membrane  .  et  tous  sont 
entourés  d'un  bord  membraneux.  11  a  les  paupières 
rouges  comme  le  bec,  et  l'iris  est  d'un  jaune  doré; 
au  dessous  de  chaque  œil  est  une  petite  tache  blan- 
che. La  tête,  le  cou,  les  épaules,  sont  noirs,  ainsi 
que  le  manteau  des  ailes;  mais  ce  noir  est  plus  foncé 
dans  le  maîe  que  dans  la  femelle.  Il  y  a  un  collier 
blanc  sous  la  gorge.  Tout  le  dessous  du  corps,  depuis 
la  poitrine,  est  blanc,  ainsi  que  le  bas  du  dos  et  la 
moitié  de  la  queue,  dont  la  pointe  est  noire;  une 
bande  blanche,  formée  par  les  grandes  couvertures, 
coupe  dans  le  noir  brun  de  l'aile.  Ce  sont  apparem- 
men!  ces  couleurs  qui  lui  ont  fait  donner  le  nom  de 
la  pie  ,  quoiqu'il  en  dilTère  à  tous  autres  égards  et  sur- 
tout par  le  peu  de  longueur  de  sa  queue  ,  qui  n'a  que 
quatre  pouces,  et  que  l'aile  pliée  recouvre  aux  trois 
quarts;  les  pieds,  avec  la  petite  partie  de  la  jambe 
dénuée  de  plumes  au  dessous  du  genou  ,  n'ont  guère 
plus  de  deux  pouces  de  hauteur,  quoique  la  longueur 
de  l'oiseau  soit  d'environ  seize  pouces. 

LE  COURE-VITE. 

Cursorius  gallicus „  et  Cursorius  coromandelicus.  L. 

Les  deux  oiseaux  représentés  dans  les  n°'  796  et 
892  des  planches  enluminées  sont  d'un  genre  nou- 
veau,  et  il  faut  leur  donner  un  nom  particulier.  Ils 


4^6  LE    COUUE-VITE. 

ressemblent  au  pluvier  par  les  pieds,  qui  n'ont  que 
trois  doigts ,  mais  ils  en  diffèrent  par  la  forme  du  bec, 
qui  est  courbé,  au  lieu  que  les  pluviers  l'ont  droit  et 
renflé  vers  le  bout.  Le  premier  de  ces  oiseaux  ,  re- 
présenté ,  n°  795,  a  été  tué  en  France,  où  il  étoit 
apparemment  égaré,  puisque  l'on  n'en  a  point  vu 
d'autre  ;  la  rapidité  avec  laquelle  il  couroit  sur  le  ri- 
vage le  fit  appeler  coure-vite.  Depuis,  nous  avons  reçu 
de  la  côte  de  Coromandel  un  oiseau  tout  pareil  pour 
la  forme  et  qui  ne  diffère  de  celui-ci  que  par  les  cou- 
leurs, en  sorte  qu'on  peut  le  regarder  comme  une 
variété  de  la  môme  espèce ,  ou  tout  au  moins  comme 
une  espèce  très  voisine.  Ils  ont  tous  deux  les  jambes 
plus  hautes  que  les  pluviers;  ils  sont  aussi  grands, 
mais  moins  gros;  ils  ont  les  doigts  des  pieds  très 
courts,  particulièrement  les  deux  latéraux.  Le  pre- 
mier a  le  plumage  d'un  gris  lavé  de  brun  roux;  il  y 
a  sur  l'œil  un  trait  plus  clair  et  presque  blanc,  qui 
s'étend  en  arrière,  et  l'on  voit  au  dessous  un  trait  noir 
qui  part  de  l'angle  extérieur  de  l'œil  ;  le  haut  de  la 
tête  est  roux;  les  pennes  de  l'aile  sont  noires,  et 
chaque  plume  de  la  queue,  excepté  les  deux  du  iui- 
lieu,  porte  une  tache  noire  avec  une  tache  blanche 
vers  la  pointe. 

Le  second,  n°  892,  qui  est  venu  de  Coromandel, 
est  un  peu  moins  grand  que  le  premier.  Il  a  le  de- 
vant du  cou  et  la  poitrine  d'un  beau  roux  marron  , 
qui  se  perd  dans  du  noir  sur  le  ventre  ;  les  pennes 
de  l'aile  sont  noires,  le  manteau  est  gris,  le  bas-ven- 
tre est  blanc,  la  tête  est  coiÛée  de  roux  à  peu  près 
comme  celle  du  premier;  tous  deux  ont  le  bec  noir 
et  les  pieds  blanc  jaunâtre. 


LE    TOURNE-PIERRE.  4^7 

LE  TOURNE-PIERRE. 

Strepsilas  coUaris.  L. 

Nous  adoptons  le  noQi  de  tourne-pierre  donné  par 
Catesby  à  cet  oiseau,  n**  856,  qui  a  l'habitude  singu- 
lière de  retourner  les  pierres  au  bord  de  l'eau  pour 
trouver  dessous  les  vers  et  les  insectes  dont  il  lait  sa 
nourriture,  tandis  que  tous  les  autres  oiseaux  de  ri- 
vage se  contentent  de  la  chercher  sur  les  sables  ou 
dans  la  vase,  u  Etant  en  mer,  dit  Catesby  ,  à  quarante 
lieues  de  la  Floride  ,  sous  la  latitude  de  trente-un  de- 
grés, un  oiseau  vola  sur  notre  vaisseau,  et  y  fut  pris. 
11  étoit  fort  adroit  à  tourner  les  pierres  qui  se  rencon- 
Iroient  devant  lui  :  dans  cette  action  il  se  servoit  seu- 
lement de  la  partie  supérieure  de  son  bec,  tournant 
avec  beaucoup  d'adresSe  et  fort  vite  les  pierres  de 
trois  livres  de  pesanteur.  »  Cela  suppose  une  force  et 
une  dextérité  particulière  dans  un  oiseau  qui  est  à 
peine  aussi  gros  que  la  maubèche  :  mais  son  bec  est 
d'une  substance  plus  dure  et  plus  cornée  que  celle 
du  bec  grêle  et  mou  de  tous  ces  petits  oiseaux  de  ri- 
vages, qui  l'ont  conformé  comme  celui  de  la  bé- 
casse :  aussi  le  tourne-pierre  forme-t-il,  au  milieu  de 
leurs  genres  nombreux,  une  petite  famille  isolée. 
Son  bec,  dur  et  assez  épais  à  la  racine,  va  en  dimi- 
nuant et  finit  en  pointe  aiguë;  il  est  un  peu  comprimé 
dans  sa  partie  supérieure,  et  paroît  se  relever  en  haut 
par  une  légère  courbure;  il   est  noir  et  long  d'ua 


488  LE    TOUllNE-PIERRE. 

ponce.  Les  pieds,  dénués  de  membranes,  sont  assez 
courts  et  de  couleur  orangée. 

Le  plumage  du  tourne-pierre  ressemble  à  celui  du 
pluvier  à  collier,  par  le  blanc  et  le  noir  qui  le  cou- 
pent, sans  cependant  y  tracer  distinctement  un  col- 
lier, et  en  se  mêlant  à  du  roux  sur  le  dos;  cette  res- 
semblance dans  le  plumage  est  apparemment  la  cause 
de  la  méprise  de  MM.  Brown,  Willughby,  et  Ray, 
■qui  ont  donné  à  cet  oiseau  le  nom  de  morinellus _, 
quoiqu'il  soit  d'un  genre  tout  différent  des  pluviers, 
ayant  un  quatrième  doigt  et  tout  une  autre  forme 
de  bec. 

L'espèce  du  tourne-pierre  est  commune  aux  deux 
continents.  On  la  connoît  sur  les  côtes  occidentales 
de  l'Angleterre ,  où  ces  oiseaux  vont  ordinairement 
en  petites  compagnies  de  trois  ou  quatre.  On  les 
connoît  également  dans  la  partie  maritime  de  la  pro- 
vince de  Norfolk  et  dans  quelques  îles  de  Gothiand; 
et  nous  avons  lieu  de  croire  que  c'est  ce  môme  oiseau 
auquel,  sur  nos  côtes  de  Picardie ,  on  donne  le  nom 
de  bune.  JNous  avons  reçu  du  cap  de  Bonne-Espérance 
un  de  ces  oiseaux,  qui  étoit  de  même  taille,  et,  à 
quelques  différences  près,  de  même  couleur  que 
ceux  d'Europe.  M.  Catesby  en  a  vu  près  des  côtes  de 
la  Floride  ;  et  nous  ne  pouvons  deviner  pourquoi 
M.  Brisson  donne  ce  tourne- pierre  d'Amérique 
comme  différent  de  celui  d'Angleterre ,  puisque  Ca- 
tesby dit  formellement  qu'il  le  reconnut  pour  le 
même  :  d'ailleurs  nous  avons  aussi  reçu  de  Cayenne 
ce  même  oiseau,  avec  la  seule  différence  qu'il  est  de 
taille  un  peu  plus  forte;  et  M.  Edwards  fait  mention 
d'un  autre  qui  lui  avoit  été  envoyé  des  terres  voisines 


P1.2l6. 


Tome 


îa-uquet  sculp    .       . 

1.  LE  MERLE -d'eau  2.  LE  RÂLE  D' EAU  5.  LE  SALE  TûU  GENET 


LE    TOURNE-PIERRE.  4^9 

de  la  baie  d'Hudson.  Ainsi  cette  espèce,  quoique  foi- 
ble  et  peu  nombreuse  en  individus,  s'est,  comme 
plusieurs  autres  espèces  d'oiseaux  aquatiques,  ré- 
pandue du  nord  au  midi  dans  les  deux  continents, 
en  suivant  les  rivages  de  la  mer,  qui  leur  fournit 
partout  la  subsistance. 

Le  tourne-pierre  gris  de  Cayenne  nous  paroît  être 
une  variété  dans  cette  espèce,  à  laquelle  nous  rap- 
porterons les  deux  individus  représentés  dans  les 
planches  enluminées,  n°'  34o  et  867,  sous  les  déno- 
minations de  cou  Ion-chaud  de  Cayenne^  et  de  coulon- 
chaud  gris  de  Cayenne;  car  nous  ne  voyons  entre  eux 
aucune  différence  assez  marquée  pour  avoir  droit  de 
les  séparer  ;  nous  étions  même  porté  à  les  regarder 
comme  les  femelles  de  la  première  espèce,  dans  la- 
quelle le  maie  doit  avoir  les  couleurs  plus  fortes  : 
mais  nous  suspendons  sur  cela  notre  jugement,  parce 
que  Willughby  assure  qu'il  n'y  a  point  de  différence 
dans  le  plumage  entre  le  mâle  et  la  femelle  des  tourne- 
pierres  qu'il  a  décrits. 

LE  MERLE  D'EAU\ 

T  ring  a  cinclus,  L. 

Le  merle  d'eau  n'est  point  un  merle,  quoiqu'il  en 
porte  le  nom  :  c'est  un  oiseau  aquatique ,  qui  fré- 

1 .  Les  Italieiis ,  aux  environs  de  Belinzone ,  l'appellent  lerlichiroUo; 
et  ceux  du  lac  Majeur,  folun  d'agua,  suivant  Gesner;  les  Allemands  , 
baeh-amsei,  wasser -  amsel ;  les  Suisses,  wasser  -  trostie ;  les  Anglois, 
water-ouzel. 

ItllFFON.     XXV.  5i 


490  LE    MERLE    d'eAU. 

quente  les  lacs  et  les  ruisseaux  des  hautes  montagnes^ 
comme  le  merle  en  fréquente  les  bois  et  les  vallons  ; 
il  lui  ressemble  aussi  par  la  taille,  qui  est  seulement 
un  peu  plus  courte,  et  par  la  couleur  presque  noire 
de  son  plumage  ;  enfin  il  porte  un  plastron  blanc 
comme  certaines  espèces  de  merles  :  mais  il  est  aussi 
silencieux  que  le  vrai  merle  est  jaseur;  il  n'en  a  pas 
les  mouvements  vifs  et  brusques  ;  il  ne  prend  aucune 
de  ses  attitudes,  et  ne  va  ni  par  bonds  ni  par  sauts; 
il  marche  légèrement  d'un  pas  compté,  et  court  au 
bord  des  fontaines  et  des  ruisseaux,  qu'il  ne  quitte 
jamais,  fréquentant  de  préférence  les  eaux  vives  et 
courantes,  dont  la  chute  est  rapide  et  le  lit  entre- 
coupé de  pierres  et  de  morceaux  de  roche.  On  le 
rencontre  au  voisinage  des  torrents  et  des  cascades, 
et  particulièrement  sur  les  eaux  limpides  qui  coulent 
sur  le  gravier. 

Ses  habitudes  naturelles  sont  très  singulières  :  les 
oiseaux  d'eau  qui  ont  les  pieds  palmés  nagent  sur  l'eau 
ou  se  plongent  ;  ceux  de  rivage ,  montés  sur  de  hautes 
jambes  nues,  y  entrent  assez  avant,  sans  que  leur 
corps  y  trempe  :  le  merle  d'eau,  n°  Ç)/\o,  y  entre  tout 
entier  en  marchant  et  en  suivant  la  pente  du  terrain  ; 
on  le  voit  se  submerger  peu  à  peu,  d'abord  jus- 
qu'au cou,  et  ensuite  par-dessus  la  tête,  qu'il  ne 
tient  pas  plus  élevée  que  s'il  étoit  dans  l'air;  il  conti- 
nue de  marcher  sous  l'eau,  descend  jusqu'au  fond,  et 
s'y  promène  comme  sur  le  rivage  sec.  C'est  à  M.  Hé- 
bert que  nous  devons  la  première  connoissance  de 
cette  habitude  extraordinaire,  et  que  je  ne  sache  pas 
appartenir  à  aucun  autre  oiseau.  Voici  les  observa- 
tions qu'il  a  eu  la  bonté  de  me  communiquer. 


LE    MERLE    d'eAU.  49  ^ 

«  J'étois  embusqué  sur  les  bords  du  lac  de  Nantua, 
dans  une  cabane  de  neige  et  de  branches  de  sapin , 
où  j'attendois  patiemment  qu'un  bateau  qui  ramoit 
sur  le  lac  fît  approcher  du  bord  quelques  canards 
sauvages  :  j'observois  sans  être  aperçu.  Il  y  avoit  de- 
vant ma  cabane  une  petite  anse  dont  le  fond  en  pente 
douce  pouvoit  avoir  deux  ou  trois  pieds  de  profon- 
deur dans  son  milieu.  Un  merle  d'eau  s'y  arrêta  et  y 
resta  plus  d'une  heure  que  j'eus  le  temps  de  l'obser- 
ver tout  à  mon  aise  ;  je  le  voyois  entrer  dans  l'eau , 
s'y  enfoncer,  reparoître  à  l'autre  extrémité  de  l'anse, 
revenir  sur  ses  pas  ;  il  en  parcouroit  tout  le  fond  et 
ne  paroissoit  pas  avoir  changé  d'élément;  en  entrant 
dans  l'eau  il  n'hésitoit  ni  ne  se  détournoit  :  je  remar- 
quai seulement  à  plusieurs  reprises  que,  toutes  les 
fois  qu'il  y  entroit  plus  haut  que  les  genoux,  il  dé- 
ployoit  ses  ailes  et  les  laissoit  pendre  jusqu'à  terre.  Je 
remarquai  encore  que,  tant  que  je  pouvois  l'aperce- 
voir au  fond  de  l'eau,  il  me  paroissoit  comme  revêtu 
d'une  couche  d'air  qui  le  rendoit  brillant;  semblable 
à  certains  insectes  du  genre  des  scarabées,  qui  sont 
toujours  dans  l'eau  au  milieu  d'une  bulle  d'air  :  peut- 
être  n'abaissoit-il  ses  ailes  en  entrant  dans  l'eau  que 
pour  se  ménager  cet  air;  mais  il  est  certain  qu'il  n'y 
manquoit  jamais,  et  il  les  agiloit  alors  comme  s'il  eût 
tremblé.  Ces  habitudes  singulières  du  merle  d'eau 
étoient  inconnues  à  tous  les  chasseurs  à  qui  j'en  ai 
parlé ,  et  sans  le  hasard  de  la  cabane  de  neige  je  les 
aurois  peut-être  aussi  toujours  ignorées;  mais  je  puis 
assurer  que  l'oiseau  venoit  presque  à  mes  pieds,  et 
pour  l'observer  long-temps  je  ne  le  tuai  point.  » 

Il  y  a  peu  de  faits  plus  curieux  dans  l'histoire  des 


492  LE    MERLE    D*EAU. 

oiseaux  que  celui  que  nous  offre  cette  observation. 
Linnaeus  avoit  bien  dit  qu'on  voit  le  merle  d'eau  des- 
cendre et  remonter  les  courants  avec  facilité;  et  Wil- 
lugbby  que,  quoique  cet  oiseau  ne  soit  pas  palmi- 
pède, il  ne  laisse  pas  de  se  plonger;  mais  l'un  et 
l'autre  paroissent  avoir  ignoré  la  manière  dont  il  se 
submerge  pour  marcher  au  fond  de  l'eau.  On  conçoit 
que  pour  cet  exercice  il  faut  au  merle  d'eau  des  fonds 
de  gravier  et  des  eaux  claires,  et  qu'il  ne  pourroit 
s'accommoder  d'une  eau  trouble  ni  d'un  fond  de  vase; 
aussi  ne  le  trouve-t-on  que  dans  les  pays  de  monta- 
gnes, aux  sources  des  rivières  et  des  ruisseaux  qui 
tombent  des  rochers,  comme  en  Angleterre  dans  le 
canton  de  Westmoreland  et  dans  les  autres  terres 
élevées,  en  France  dans  les  montagnes  du  Bugey  et 
des  Vosges,  et  en  Suisse.  Il  se  pose  volontiers  sur  les 
pierres  entre  lesquelles  serpentent  les  ruisseaux;  il 
vole  fort  vite  en  droite  ligne,  en  rasant  de  près  la 
surface  de  l'eau  comme  le  martin-pêcheur.  En  volant 
il  jette  un  petit  cri ,  surtout  dans  la  saison  de  l'amour, 
au  printemps  :  on  le  voit  alors  avec  sa  femelle;  mais 
dans  tout  autre  temps  on  le  rencontre  seul.  J^a  fe- 
melle pond  quatre  ou  cinq  œufs,  cache  son  nid  avec 
beaucoup  de  soin  ,  et  le  place  souvent  près  des  roues 
des  usines  construites  sur  les  ruisseaux. 

La  saison  où  M.  Hébert  a  observé  le  merle  d'eau 
prouve  qu'il  n'est  point  oiseau  de  passage  ;  il  reste 
tout  l'hiver  dans  nos  montagnes;  il  ne  craint  pas  même 
la  rigueur  de  l'hiver  en  Suède,  où  il  cherche  de  même 
les  chutes  d'eau  et  les  fontaines  rapides  qui  ne  sont 
point  prises  de  glace. 

Cet  oiseau  a  les  ongles  forts  et  courbés,  avec  les- 


LE    MEULE    d'eau.  49^ 

quels  il  se  prend  au  gravier  en  marchant  au  fond  de 
l'eau  :  du  reste  il  a  le  pied  conformé  comme  le  merle 
de  terre  et  les  autres  oiseaux  de  ce  genre.  Il  a,  comme 
eux,  le  doigt  et  l'ongle  postérieurs  plus  forts  que 
ceux  de  devant,  et  ces  doîgts  sont  bien  séparés  et 
n'ont  point  de  membrane  intermédiaire,  quoique 
Willughby  ait  cru  y  en  apercevoir;  la  jambe  est  gar- 
nie de  plumes  jusque  sur  le  genou;  le  bec  est  court 
et  grêle,  l'une  et  l'autre  mandibule  allant  également 
en  s'effilant  et  se  cintrant  légèrement  vers  la  pointe  : 
sur  quoi  nous  ne  pouvons  nous  empêcher  de  remar- 
quer que,  par  ce  caractère,  M.  Brisson  n'auroit  pas 
du  le  placer  dans  le  genre  du  bécasseau ^  dont  un  des 
caractères  est  d'avoir  le  bout  du  bec  obtus. 

Avec  le  bec  et  les  pieds  courts  et  un  cou  raccourci 
on  peut  imaginer  qu'il  étoit  nécessaire  que  le  merle 
d'eau  apprît  à  marcher  sous  l'eau  ,  pour  satisfaire  son 
appétit  naturel  et  prendre  les  petits  poissons  et  les 
insectes  aquatiques  dont  il  se  nourrit;  son  plumage 
épais  et  fourni  de  duvet  paroît  impénétrable  à  l'eau, 
ce  qui  lui  donne  encore  la  facilité  d'y  séjourner;  ses 
yeux  sont  grands,  d'un  beau  brun  ,  avec  les  paupières 
blanches,  et  il  doit  les  tenir  ouverts  dans  l'eau  pour 
distinguer  sa  proie. 

Un  beau  plastron  blanc  lui  couvre  la  gorge  et  la 
poitrine;  la  tête  et  le  dessus  du  cou  jusque  sur  les 
épaules  et  le  bord  du  plastron  blanc  sont  d'un  cen- 
dré roussâtre  ou  marron;  le  dos,  le  ventre,  et  les 
ailes,  qui  ne  dépassent  pas  la  queue,  sont  d'un  cen- 
dré noirâtre  et  ardoisé;  la  queue  est  fort  courte  et 
n'a  rien  de  remarquable. 


494  ^^    GRIVE    d'eau. 


B»c<&9»e»»s»&»»»»r»»»8i»»<N^<  ■6<:>»«<fe'»<e<»ft»C  »»gft  W> 


LA  GRIVE  D'EAU. 

Tringa  macularia.  L. 

Edwards  appelle  tringa  tacheté  l'oiseau  que,  d*aprè& 
M.  Brisson ,  nous  nommons  ici  grive  d'eau.  Il  a  effec- 
tivement le  plumage  grivelë  et  la  taille  de  la  petite 
grive,  et  il  a  les  pieds  faits  comme  le  merle  d'eau, 
c'est-à-dire  les  ongles  assez  grands  et  crochus,  et  celui 
de  derrière  plus  que  ceux  de  devant;  mais  son  bec  est 
conformé  comme  celui  du  cincle,  des  maubèches  et 
des  autres  petits  oiseaux  de  rivage,  et  de  plus  le  bas 
de  la  jambe  est  nu.  Ainsi  cet  oiseau  n'est  point  une 
grive  ni  même  une  espèce  voisine  de  leur  genre , 
puisqu'il  n'en  tient  qu'une  ressemblance  de  plumage, 
et  que  le  reste  des  traits  de  sa  conformation  l'appa- 
rente aux  familles  des  oiseaux  d'eau.  Au  reste  ,  cette 
espèce  paroît  être  étrangère,  et  n'a  que  peu  de  rap- 
ports avec  nos  oiseaux  d'Europe  ;  elle  se  trouve  en 
Pensylvanie.  Cependant  M.  Edwards  présume  qu'elle 
est  commune  aux  deux  continents,  ayant  reçu,  dit-il, 
un  de  ces  oiseaux  de  la  province  d'Essex,  où  à  la  vé- 
rité il  paroissoit  égaré  et  le  seul  qu'on  y  ait  vu. 

Le  bec  de  la  grive  d'eau  est  long  de  onze  à  douze 
lignes;  il  est  de  couleur  de  chair  à  sa  base  et  brun 
vers  la  pointe;  la  partie  supérieure  est  marquée  de 
chaque  côté  d'une  cannelure  qui  s'étend  depuis  les 
narines  jusqu'à  l'extrémité  du  bec.  Le  dessus  du 
corps,  sur  un  fond  brun  olivâtre,  est  grivelé  de  ta- 
ches noirâtres,  comme  le  dessous  l'est  aussi  sur  un 


LA    GRIVE    d'eau.  49^ 

fond  plus  clair  et  blanchâtre.  Il  y  a  une  barre  blan- 
che au  dessus  de  chaque  œil,  et  les  pennes  de  l'aile 
sont  noirâtres.  Une  petite  membrane  joint  vers  la  ra- 
cine le  doigt  extérieur  à  celui  du  milieu. 


LE   CANUT. 

Tringa  caniitus.  L. 

Il  y  a  apparemment  dans  les  provinces  du  nord 
quelque  anecdote  sur  cet  oiseau  qui  lui  aura  fait  don- 
ner le  nom  d'oiseau  du  roi  Canut ^  puisqu'Edwards  le 
nomme   ainsi  ^.   Il  ressembleroit  beaucoup  au  van- 
neau gris  s'il  étoit  aussi  grand  et  si  son  bec  n'étoit 
autrement  conformé  :  ce  bec  est  assez  gros  à  sa  base 
et  va  en  diminuant  jusqu'à   l'extrémité  ,  qui  n'est  pas 
fort  pointue,  mais  qui  cependant  n'a  pas  de  renfle- 
ment comme  le  bec  du  vanneau.  Tout  le  dessus  du 
corps  est  cendré  et  onde;  les  pointes  blanches  des 
grandes  couvertures  tracent  une  ligne  sur  l'aile;  des 
croissants  noirâtres  sur  un  fond  gris  blanc  marquent 
les  plumes  du  croupion  ;  tout  le  dessous  du  corps  est 
blanc,  marqueté  de  taches  grises  sur  la  gorge  et  la  poi- 
trine; le  bas  de  la  jambe  est  nu  ;  la  queue  ne  dépasse 
pas  les  ailes  pliées,  et  le  canut  est  certainement  de  la 
grande  tribu  des  petits  oiseaux  de  rivage.  Willughby  dit 
qu'il  vient  de  ces  oiseaux  canuts  dans  la  province  de 
Lincoln,  au  commencement  de  l'hiver;  qu'ils  y  séjour- 
nent deux  ou  trois  mois^  allant  en  troupes ,  se  tenant 

1.   Canuii  régis  avis,  the  knol.  Suivant  Willughby,  c'est  parce  f(ue 
le  roi  Canut  aîmoit  singulièrement  la  viande  de  ces  oiseaux. 


49^  ^^    CAiNUT. 

sur  les  bords  de  la  mer,  et  qu'ensuite  ils  disparoissent. 
Il  ajoute  en  avoir  vu  de  même  en  Lancastershire,  près 
de  Liverpool.  Edwards  a  trouve  celui  qu'il  a  décrit  au 
marché  de  Londres  ,  pendant  le  grand  hiver  de  1740, 
ce  qui  semble  indiquer  que  ces  oiseaux  ne  viennent 
au  sud  de  la  Grande-Bretagne  que  dans  les  hivers  les 
plus  rudes;  mais  il  faut  qu'ils  soient  plus  communs 
dans  le  nord  de  cette  île,  puisque  Willughby  parle 
de  la  manière  de  les  engraisser  en  les  nourrissant  de 
pain  trempé  de  lait ,  et  du  goût  exquis  que  cette  nour- 
riture leur  donne.  Il  ajoute  qu'on  distingueroit  au 
premier  coup  d'œil  cet  oiseau  des  maubèches  et  gui- 
gnettes  [tringœ]  parla  barre  blanche  de  l'aile,  quand 
il  n'y  auroit  pas  d'autres  différences.  Il  observe  en- 
core que  le  bec  est  d'une  substance  plus  forte  que  ne 
l'est  généralement  celle  du  bec  de  tous  les  oiseaux 
qui  l'ont  conformé  comme  celui  de  la  bécasse. 

Une  notice  donnée  par  Linnaeus,  et  que  M.  Bris- 
son  rapporte  à  cette  espèce,  marqueront  qu'elle  se 
trouve  en  Suède,  outre  que  son  nom  indique  assez 
qu'elle  appartient  aux  provinces  du  nord.  Cependant 
il  y  a  ici  une  petite  difficulté  :  le  canut  appelé  knot  en 
Angleterre  a  tous  les  doigts  séparés  et  sans  membrane, 
suivant  Willughby;  l'oiseau  canut  de  Linnaeus  a  le 
doigt  extérieur  uni  par  la  première  articulation  à  ce- 
lui du  milieu.  En  supposant  donc  que  ces  deux  ob- 
servateurs aient  également  bien  vu,  il  faut  ou  admet- 
tre deux  espèces,  ou  ne  point  rapporter  au  knot  de 
Willughby  le  trlnga  de  Linnaeus. 


LES    11  A  LE  S.  497 


LES  RALES. 

Ces  oiseaux  forment  une  assez  grande  famille,  et 
leurs  habitudes  sont  différentes  de  celles  des  autres 
oiseaux  de  rivage  qui  se  tiennent  sur  les  sables  et  les 
grèves  :  les  râles  n'habitent,  au  contraire,  que  les 
bords  fangeux  des  étangs  et  des  rivières,  et  surtout 
les  terrains  couverts  de  glaïeuls  et  d'autres  grandes 
herbes  de  marais.  Cette  manière  de  vivre  est  habi- 
tuelle et  commune  à  toutes  les  espèces  de  râles  d'eau; 
le  seul  râle  de  terre  habite  dans  les  prairies,  et  c'est 
du  cri  désagréable  ou  plutôt  du  râlement  de  ce  der- 
nier oiseau  que  s'est  formé  dans  notre  langue  le  nom 
de  raie  pour  toute  l'espèce  entière  ;  mais  tous  se  res- 
semblent en  ce  qu'ils  ont  le  corps  grêle  et  comme 
aplati  par  les  flancs,  la  queue  très  courte  et  presque 
nulle,  la  tête  petite,  le  bec  assez  semblable  pour  la 
forme  à  celui  des  gallinacés,  mais  seulement  bien  plus 
allongé,  quoique  moins  épais;  tous  ont  aussi  une  por- 
tion de  la  jambe  au  dessus  du  genou  dénuée  de  plu- 
mes, avec  les  trois  doigts  antérieurs  lisses,  sans  mem' 
branes  et  très  longs.  Ils  ne  retirent  pas  leurs  pieds 
sous  le  ventre  en  volant  comme  font  les  autres  oiseaux , 
ils  les  laissent  pendants.  Leurs  ailes  sont  petites  et 
fort  concaves,  et  leur  vol  est  court.  Ces  derniers  ca- 
ractères sont  communs  aux  râles  et  aux  poules  d'eau, 
avec  lesquelles  ils  ont  en  général  beaucoup  de  res-^ 
semblances. 


49^       LE  RALE  DE  TERRE  OU  DE  GENÊT. 

LE  RALE 

DE   TERRE   OU   DE    GE]NÈT^ 

VULGAIREMENT  ROI  DES  CAILLES. 
PREMIÈRE    ESPÈCE. 

Rai  lus  crex.  L. 

Dans  les  prairies  humides ,  dès  que  l'herbe  est 
haute  el  jusqu'au  temps  de  la  récolte,  il  sort  des  en- 
droits les  plus  touffus  de  l'herbage  une  voix  rauque 
ou  plutôt  un  cri  bref,  aigre,  et  sec,  cr'èk^  cr'ékj,  crëkj, 
nssez  semblable  au  bruit  que  l'on  exciteroit  en  pas- 
sant et  en  appuyant  fortement  le  doigt  sur  les  dents 
d'un  gros  peigne  :  et  lorsqu'on  s'avance  vers  cette 
voix  elle  s'éloigne  ,  et  on  l'entend  venir  de  cin- 
quante pas  plus  loin  :  c'est  le  râle  de  terre,  n**  760, 
qui  jette  ce  cri ,  qu'on  prendroit  de  loin  pour  le  croas- 
sement d'un  reptile.  Cet  oiseau  fuit  rarement  au 
vol,  mais  presque  toujours  en  marchant  avec  vi- 
tesse ;  et,  passant  à  travers  le  plus  touffu  des  herbes, 
il  y  laisse  une  trace  remarquable.  On  commence 
à  l'entendre  vers  le  10  ou  le  12  de  mai,  dans  le 
même  temps  que  les  cailles,  qu'il  semble  accompa- 
gner en  tout  temps,  car  il  arrive  et  repart  avec 
elles.  Cette  circonstance ,  joint  à  ce  que  le  râle  et  les 

1.  En  latiu  moderne,  railus;  en  italien  ,  re  de'  quagUe;  en  anglois  , 
daker-heriy  land-rail;  en  allemand ,  schryck,  schrye,  wacfitel-kenig. 


LE  RALE  DE  TERRE  OU  DE  GENÊT.       499 

cailles  habitent  également  les  prairies,  qu'il  y  vit  seul, 
et  qu'il  est  beaucoup  moins  commua  et  un  peu  plus 
gros  que  la  caille,  a  fait  imaginer  qu'il  se  mettoit  à 
ia  tête  de  leurs  bandes  comme  conducteur  ou  comme 
chef  de  leur  voyage ,  et  c'est  ce  qui  lui  a  fait  donner 
le  nom  de  roi  des  cailles;  mais  il  diffère  de  ces  oiseaux 
par  les  caractères  de  conformation ,  qui  tous  lui  sont 
communs  avec  les  autres  râles  et  en  général  avec  les 
oiseaux  de  marais,  comme  Aristote  l'a  fort  bien  re- 
marqué. La  plus  grande  ressemblance  que  ce  râle  ait 
avec  la  caille  est  dans  le  plumage,  qui  néanmoins  est 
plus  brun  et  plus  doré.  Le  fauve  domine  sur  les  ai- 
les; le  noirâtre  et  le  roussâtre  forment  les  couleurs 
du  corps;  elles  sont  tracées  sur  les  flancs  par  lignes 
transversales,  et  toutes  sont  plus  pâles  dans  la  femelle 
qui  est  aussi  un  peu  moins  grosse  que  le  mâle. 

C'est  encore  par  l'extension  gratuite  d'une  analo- 
gie mal  fondée  que  l'on  a  supposé  au  râle  de  terre 
une  fécondité  aussi  grande  que  celle  de  la  caille  :  des 
observations  multipliées  nous  ont  appris  qu'il  ne  pond 
que  huit  à  dix  œufs,  et  non  pas  dix-huit  et  vingt.  En 
effet,  avec  une  multiplication  aussi  grande  que  celle 
qu'on  lui  suppose,  son  espèce  seroit  nécessairement 
plus  nombreuse  qu'elle  ne  l'est  en  individus ,  d'autant 
que  son  nid,  fourré  dans  l'épaisseur  des  herbes,  est 
difficile  à  trouver  :  ce  nid,  fait  négligemment  avec  un 
peu  de  mousse  ou  d'herbe  sèche,  est  ordinairement 
placé  dans  une  petite  fosse  du  gazon.  Les  œufs,  plus 
gros  que  ceux  de  la  caille  ,  sont  tachetés  de  marques 
rougeâtres  plus  larges.  Les  petits  courent  dès  qu'ils 
sont  éclos  en  suivant  leur  mère,  et  ils  ne  quittent  la 
prairie  que  quand  ils  sont  forcés  de  fuir  devant  la  faux 


500  LE    RALE    DE    TEURE    OU    DE    GENÊT. 

qui  rase  leur  domicile.  Les  couvées  tardives  sont  en- 
levées par  la  main  du  faucheur;  tous  les  autres  se  jet- 
tent alors  dans  les  champs  de  blé  noir,  dans  les  avoines, 
et  dans  les  friches  couvertes  de  genêts,  où  on  les  trouve 
en  été  ,  ce  qui  les  a  fait  nommer  râles  de  genêt;  quel- 
ques uns  retournent  dans  les  prés  en  regain  à  la  fm 
de  cette  même  saison. 

Lorsque  le  chien  rencontre  un  râle  ,  on  peut  le  re- 
connoître  à  la  vivacité  de  sa  quête,  au  nombre  de  faux 
arrêts,  à  l'opiniâtreté  avec  laquelle  l'oiseau  tient  et  se 
laisse  quelquefois  serrer  de  si  prés  qu'il  se  fait  pren- 
dre î  souvent  il  s'arrête  dans  sa  fuite  et  se  blottit,  de 
sorte  que  le  chien,  emporté  par  son  ardeur,  passe  par 
dessus  et  perd  sa  trace;  le  râle,  dit-on,  profite  de 
cet  instant  d'erreur  pour  revenir  sur  sa  voie  et  don- 
ner le  change.  Il  ne  part  qu'à  la  dernière  extrémité 
et  s'élève  assez  haut  avant  de  fder;  il  vole  pesamment 
et  ne  va  jamais  loin.  On  en  voit  ordinairement  la  re- 
mise; mais  c'est  inutilement  qu'on  va  la  chercher;  car 
l'oiseau  a  déjà  piété  plus  de  cent  pas  lorsque  le  chas- 
seur y  arrive.  Il  sait  donc  suppléer  par  la  rapidité  de 
sa  marche*  à  la  lenteur  de  son  vol  :  aussi  se  sert-il 
beaucoup  plus  de  ses  pieds  que  de  ses  ailes,  et,  tou- 
jours couvert  sous  les  herbes,  il  exécute  à  la  course 
tous  ses  petits  voyages  et  ses  croisières  multipliées 
dans  les  prés  et  les  champs.  Mais  quand  arrive  le  temps 
du  grand  voyage ,  il  trouve,  comme  la  caille  ,  des  for- 
ces inconnues  pour  fournir  au  mouvement  de  sa  lon- 
gue traversée  :  il  prend  son  essor  la  nuit;  et,  secondé 
d'un  vent  propice,  il  se  porte  dans  nos  provinces  mé- 

1.  Albin  tombe  ici  dans  une  étrange  méprise.  «  On  appelle,  dit-il, 
.cet  oiseau  raf/<:s  ou  gralUts  parce  qu'il  marche  doucement.  » 


LE  RALE  DE  TERRE  OU  DE  GENÊT.       5oi 

ridionales,  d'où  il  tente  le  passage  de  la  Méditerra- 
née. Plusieurs  périssent  sans  doute  dans  cette  pre- 
mière traite  ainsi  que  dans  la  seconde  pour  le  retour, 
où  l'on  a  remarqué  que  ces  oiseaux  sont  moins  nom- 
breux qu'à  leur  départ. 

Au  reste,  on  ne  voit  le  râle  de  terre  dans  nos  pro- 
vinces méridionales  que  dans  ce  temps  de  passage.  Il 
ne  niche  pas  en  Provence;  et  quand  Belon  dit  qu'il 
est  rare  en  Candie ,  quoiqu'il  soit  aussi  commun  en 
Grèce  qu'en  Italie,  cela  indique  seulement  que  cet 
oiseau  ne  s'y  trouve  guère  que  dans  les  saisons  de  ses 
passages,  au  printemps  et  en  automne.  Du  reste,  les 
voyages  du  râle  s'étendent  plus  loin  vers  le  nord  que 
vers  le  midi,  et,  malgré  la  pesanteur  de  son  vol,  il 
parvient  en  Pologne,  en  Suède,  en  Danemarck,  et 
jusqu'en  INorwége.  Il  est  rare  en  Angleterre ,  où  l'on 
prétend  qu'il  ne  se  trouve  que  dans  quelques  can- 
tons^, quoiqu'il  soit  assez  commun  en  Irlande.  Ses 
migrations  semblent  suivre  en  Asie  le  même  ordre 
qu'en  Europe.  Au  Ramtschatka  comme  en  Europe  le 
mois  de  mai  est  également  celui  de  l'arrivée  de  ces 
oiseaux;  ce  mois  s'appelle  tava  koatchj,  mois  des  râ- 
les. Tara  est  le  nom  de  l'oiseau. 

Les  circonstances  qui  pressent  le  râle  d'aller  nicher 
dans  les  terres  du  nord  sont  autant  la  nécessité  des 
subsistances  que  l'agrément  des  lieux  frais  qu'il 
cherche  de  préférence;  car  quoiqu'il  mange  des  grai- 
nes, surtout  celles  de  genêt,  de  trèfle,  de  grémil, 

1 .  Turner  dit  n'en  avoir  pas  vu  ni  entendu  ailleurs  qu'en  Northum- 
brie;  mais  le  docteur  Tancrède  Robinson  assure  qu'on  en  trouve  aussi 
dans  la  partie  septentrionale  de  la  Grande-Bretagne,  et  Sibbald  le 
compte  parmi  les  oiseaux  d'Ecosse. 


^>02  LE  RALE  DE  TERRE  OU  DE  GENÊT. 

et  qu'il  s'engraisse  en  cage  de  millet  et  de  grains,  ce- 
pendant les  insectes,  les  limaçons,  les  vermisseaux, 
sont  non  seulement  ses  aliments  de  choix,  mais  une 
nourriture  de  nécessité  pour  ses  petits,  et  il  ne  peut 
la  trouver  que  dans  les  lieux  ombragés  et  les  terres 
humides.  Cependant  lorsqu'il  est  adulte  tout  aliment 
paroît  lui  profiter  également ,  car  il  a  beaucoup  de 
graisse,  et  sa  chair  est  exquise.  On  lui  tend,  comme 
à  la  caille,  un  filet  où  on  l'attire  par  l'imitation  de  son 
cri ,  cr'ékj  ci^'êk^  crëk^  en  frottant  rudement  une  lame 
de  couteau  sur  un  os  dentelé. 

La  plupart  des  noms  qui  ont  été  donnés  au  râle 
dans  les  diverses  langues  ont  été  formés  des  sons 
imitatifs  de  ce  cri  singulier^,  et  c'est  à  cette  ressem- 
blance que  Turner  et  quelques  autres  naturalistes  ont 
cru  le  reconnoître  dans  le  crex  des  anciens.  Mais  quoi- 
que ce  nom  du  crex  convienne  parfaitement  au  râle, 
comme  son  imitatif  de  son  cri,  il  paroît  que  les  an- 
ciens l'ont  appliqué  à  d'autres  oiseaux.  Philé  donne 
au  crex  une  épithète  qui  désigne  que  son  vol  est  pe- 
sant et  difficile,  ce  qui  convient  en  effet  à  notre  râle. 
Aristophane  le  fait  venir  de  Libye.  Aristote  dit  qu'il 
est  querelleur ^  ce  qui  pourrolt  encore  lui  avoir  été  at- 
tribué par  analogie  avec  la  caille  ;  mais  il  ajoute  que 
le  crex  cherche  à  détruire  la  nichée  du  merle,  ce  qui 
ne  convient  plus  au  râle ,  qui  n'a  rien  de  commun 
avec  les  oiseaux  des  forêts.  Le  crex  d'Hérodote  est  en- 
core moins  un  râle,  puisqu'il  le  compare  en  grandeur 
à  l'ibis,  qui  est  dix  fois  plus  grand.  Au  reste  lavocette 
et  la  sarcelle  ont  quelquefois  un  cri  de  crex ^  crex^  et 

1.  Schrjck ,  scliaerckj  korn  kaaerr,  corn-crek ,  et  notre  mot  même 
de  râle. 


LE  RALE  DE  TERRE  OU  DE  GENÊT.       5o5 

l'oiseau  à  qui  Belon  entendit  répéter  ce  cri  au  bord 
du  Nil  est ,  suivant  sa  notice ,  une  espèce  de  barge. 
Ainsi  le  son  que  représente  le  mot  creXj,  appartenant 
à  plusieurs  espèces  difl'érentes,  ne  suffît  pas  pour  dési- 
gner le  râle  ni  aucun  de  ces  différents  oiseaux  en  par- 
ticulier. 


LE  RALE  D'EAU*. 

SECONDE    ESPÈCE. 

Rallus  aquaticus,  L. 

Le  râle  d'eau  court  le  long  des  eaux  stagnantes 
aussi  vite  que  le  râle  de  terre  dans  les  champs;  il  se 
tient  de  même  toujours  caché  dans  les  grandes  herbes 
et  les  joncs  :  il  n'en  sort  que  pour  traverser  les  eaux 
à  la  nage  et  même  à  la  course,  car  on  le  voit  souvent 
courir  légèrement  sur  les  larges  feuilles  du  nénuphar 
qui  couvrent  les  eaux  dormantes.  Il  se  fait  de  petites 
routes  à  travers  les  grandes  herbes;  on  y  tend  des 
lacets,  et  on  le  prend  d'autant  plus  aisément  qu'il 
revient  constamment  à  son  gîte  et  par  le  même  che- 
min. Autrefois  on  en  faisoit  le  vol  à  l'épervier  ou  au 
faucon,  et  dans  cette  petite  chasse  le  plus  difficile 
étoit  de  faire  partir  l'oiseau  de  son  fort  :  il  s'y  tient 

1.  Eu  anglois,  watcr-raiij  el  par  quelques  uns,  bilcok  cl  broock-ouzel ; 
en  allemand  ,  scliwartz  wasser  lieunle  aeschheunUn  ;  Gesner  lui  donne 
quelque  part  le  nom  de  sameihoanle  (poule  d'eau  de  soie)  .  à  cause 
de  son  plumage  doux  el  moelleux  comme  la  soie  ;  à  Venise  on  l'ap- 
pelle forzane  ou  porzana,  nom  qui  se  donne  également  aux  poules 
d'eau. 


5o4  LE    RALE    d'eau. 

avec  aillant  d'opiniâtreté  que  le  râle  de  terre  dans  ie 
sien;  il  donne  la  même  peine  au  chasseur,  la  même 
impatience  au  chien,  devant  lequel  il  fuit  avec  ruse 
et  ne  prend  son  vol  que  le  plus  tard  qu'il  peut.  Il  est 
de  la  grosseur  à  peu  près  du  râle  de  terre  ;  mais  il  a 
le  bec  plus  long,  rougeâtre  près  de  la  tête.  Il  a  les 
pieds  d'un  rouge  obscur  :  Ray  dit  que  quelques  in- 
dividus les  ont  jaunes,  et  que  cette  difterence  vient 
peut-être  de  celle  du  sexe.  Le  ventre  et  les  flancs  sont 
rayes  transversalement  de  bandelettes  blanchâtres 
sur  un  fond  noirâtre,  disposition  de  couleurs  com- 
mune à  tous  les  râles.  La  gorge,  la  poitrine,  l'esto- 
mac ,  sont ,  dans  celui-ci ,  d'un  beau  gris  ardoise  ;  le 
manteau  est  d'un  roux  brun  olivâtre. 

On  voit  des  râles  d'eau  autour  des  sources  chaudes 
pendant  la  plus  grande  partie  de  l'hiver;  cependant 
ils  ont  comme  les  râles  de  terre  un  temps  de  migra- 
tion marque.  Il  en  passe  à  Malte  au  printemps  et  en 
automne.  M.  le  vicomte  de  Querhoent  en  a  vu  à  cin- 
quante lieues  des  côtes  de  Portugal ,  le  17  avril  :  ces 
râles  d'eau  étoient  si  fatigués  qu'ils  se  laissoient  pren- 
dre à  la  main.  M.  Gmelin  en  a  trouvé  dans  les  terres 
arrosées  par  le  Don.  Belon  les  appelle  râles  noirs j,  et 
dit  que  ce  sont  oiseaux  connus  en  toutes  contrées ^  dont 
l'espèce  est  plus  nombreuse  que  celle  du  râle  de 
terre ,  qu'il  nomme  râle  rouge. 

Au  reste,  la  chair  du  râle  d'eau,  n°  749?  ^st  moins 
délicate  que  celle  du  râle  de  terre  ;  elle  a  même  un 
goût  de  marécage  à  peu  près  pareil  à  celui  de  la  poule 
d'eau. 


LA    MARQUETTE. 


>»»»o»(»»»»e«ia9»9«»»>»9.»a»i.»»»9»ooa8-wt<« 


LA  MARQUETTE'. 

TROISIÈME    ESPÈCE. 

Rallus  porzana.  L. 

La  inarouette  est  un  petit  râle  d'eau  qui  n'est  pas 
plus  gros  qu'une  alouette.  Tout  le  fond  de  son  plu- 
mage est  d'un  brun  olivâtre,  tacheté  et  nué  de  blan- 
châtre, dont  le  lustre,  sur  cette  teinte  sombre,  le  fait 
paroître  comme  émaillé,  et  c'est  ce  qui  l'a  fait  appeler 
râle  perlé,  Frisch  Ta  nommée  poule  d'eau  perlée  :  dé- 
nomination impropre;  car  la  marouette  n'est  pas  une 
poule  d'eau  ,  mais  un  râle.  Elle  paroît  dans  la  même 
saison  que  le  grand  râle  d'eau;  elle  se  tient  sur  les 
étangs  marécageux;  elle  se  cache  et  niche  dans  les  ro- 
seaux. Son  nid,  en  forme  de  gondole,  est  composé  de 
jonc,  qu'elle  sait  entrelacer  et  pour  ainsi  dire  amar- 
rer par  un  des  bouts  à  une  tige  de  roseau,  de  manière 
que  le  petit  bateau  ou  berceau  flottant  peut  s'élever  et 
s'abaisser  avec  l'eau  sans  en  être  emporté.  La  ponte 
est  de  sept  ou  huit  œufs.  Les  petits  en  naissant  sont 
tout  noirs.  Leur  éducation  est  courte  ;  car  dès  qu'ils 
sont  éclos  ils  courent,  nagent,  plongent,  et  bientôt 
se  séparent;  chacun  va  vivre  seul;  aucun  ne  se  recher- 
che, et  cet  instinct  solitaire  et  sauvage  prévaut  même 
dans  le  temps  des  amours;  car  à  l'exception  des  in- 

1.  On  l'appelle  glrardine  en  Picardie;  et  dans  le  Milanois ,  girar- 
dina  ;  en  quelques  endroits  de  la  France  ,  coconan ,  suivant  M.  Bris- 
son;  dans  le  Bolonois,  porzana;  en  Alsace  ,  xvinkerneU,  selon  Gesni-r. 

lUlFFOlV.     XXV.  32 


5o6  LA    xM  A  ROUET  TE. 

stants  de  Tapproche  nécessaire,  le  mâle  se  tient  écarté 
de  sa  femelle,  sans  prendre  auprès  d'elle  aucun  des 
tendres  soins  des  oiseaux  amoureux,  sans  l'amuser  ni 
l'égayer  par  le  chant,  sans  ressentir  ni  goûter  ces  doux 
plaisirs  qui  retracent  et  rappellent  ceux  de  la  jouis- 
sance :  tristes  êtres  qui  ne  savent  pas  respirer  près  de 
l'objet  aimé;  amours  encore  plus  tristes,  puisqu'elles 
n'ont  pour  but  qu'une  insipide  fécondité. 

Avec  ces  mœurs  sauvages  et  ce  naturel  stupide ,  la 
marouette  ne  paroît  guère  susceptible  d'éducation  ni 
même  faite  pour  s'apprivoiser  :  nous  en  avons  cepen- 
dant élevé  une;  elle  a  vécu  durant  tout  un  été  avec  de 
la  mie  de  pain  et  du  chènevis.  Lorsqu'elle  étoit  seule, 
elle  se  tenoit  constamment  dans  une  grande  jatte 
pleine  d'eau;  mais  dès  qu'on  entroit  dans  le  cabinet 
où  elle  étoit  renfermée,  elle  couroit  se  cacher  dans 
un  petit  coin  obscur,  sans  qu'on  l'ait  jamais  entendue 
crier  ni  murmurer  :  cependant,  lorsqu'elle  est  en  li- 
berté, elle  fait  retentir  une  voix  aigre  et  perçante  as- 
sez semblable  au  cri  d'un  petit  oiseau  de  proie;  et, 
quoique  ces  oiseaux  n'aient  aucun  attrait  pour  la  so- 
ciété, on  observe  néanmoins  que  l'un  n'a  pas  plus  tôt 
crié  qu'un  autre  lui  répond,  et  que  bientôt  ce  cri  est 
répété  par  tous  les  autres  du  canton. 

La  marouette,  n°  761 ,  comme  tous  les  râles,  tient 
si  fort  devant  les  chiens  que  souvent  le  chasseur  peut 
la  saisir  avec  la  main  ou  l'abattre  avec  un  bâton.  S'il 
se  trouve  un  buisson  dans  sa  fuite,  elle  y  monte,  et  du 
haut  de  son  asile  regarde  passer  les  chiens  en  défaiit  : 
cette  habitude  lui  est  commune  avec  le  râle  d'eau; 
eîleplonge,  nage,  et  même  nage  entre  deux  eaux  lors- 
qu'il s'agit  de  se  dérober  à  rennemi. 


LA    MARQUETTE.  So^ 

Ces  oiseaux  disparoissent  dans  le  fort  de  l'hiver;  mais 
ils  reviennent  de  très  bonne  heure  au  printemps,  et 
dès  le  mois  de  février  ils  sont  communs  dans  auel- 


q' 


ques  provinces  de  France  et  d'Italie  :  on  les  connoit 
en  Picardie  sous  le  nom  de  girardlne,  C  est  un  gibier 
délicat  et  recherché  ;  ceux  surtout  que  Ton  prend  en 
Piémont  dans  les  rizières  sont  très  gras  et  d'un  goût 
exquis. 


OISEAUX  ETRANGERS 

DE    l'ancien    continent 
QUI   ONT   RAPPORT  AU  RALE. 


LE  TIKLIN, 

ou  RALE  DES  PHILIPPINES. 
PREMIÈRE    espèce. 

Rallus  p/illippensis,L,. 

On  donne  aux  Philippines  le  nom  de  tlktin  à  des  oi- 
seaux du  genre  des  râles,  et  nous  en  connoissons  qua- 
tre différentes  espèces  sous  ce  même  nom  et  dans  ce 
même  climat.  Celle-ci,  n"  774?  est  remarquable  par 
la  netteté  et  l'agréable  opposition  des  couleurs  :  une 
plaque  grise  couvre  le  devant  du  cou;  une  autre  pla- 
que d'un  roux  marron  en  couvre  le  dessus  et  la  tète; 
une  ligne  blanche  surmonte  l'œil  et  forme  un  long 
sourcil;  tout  le  dessous  du  corps  est  coninie  émaillé 


5o8  LE    TIKLIN  ,     OU    RALE    DES    PHILIPPINES. 

(le  petites  lignes  transversales,  alternativement  noi- 
res et  blanches  en  festons;  le  manteau  est  brun  nué 
de  ronssâtre  et  parsemé  de  petites  gouttes  blanches 
sur  les  épaules  et  au  bord  des  ailes,  dont  les  pennes 
sont  mélangées  de  noir,  de  blanc,  et  de  marron.  Ce 
tiklin  est  un  peu  plus  grand  que  notre  râle  d'eau. 


LE  TIKLIN  BRUN. 

SECONDE    ESPÈCE. 

Railus  fuscus,  L. 

Le  plumage  de  cet  oiseau  est  d*un  brun  sombre 
uniforme,  et  seulement  lavé  sur  la  gorge  et  la  poi- 
trine d'une  teinte  de  pourpre  vineux,  et  coupé  sous 
la  queue  par  un  peu  de  noir  et  de  blanc  sur  les  cou- 
vertures inférieures.  Ce  tiklin,  n°  770,  est  aussi  petit 
que  la  marouette. 

LE  TIKLIN  RAYÉ. 

TROISIÈME    ESPÈCE. 

Rai  lu  S  strlatus.  L. 

Celui-ci  est  de  la  même  taille  que  le  précédent. 
Le  fond  de  son  plumage  est  d'un  brun  fauve,  traversé 
et  comme  ouvragé  de  lignes  blanches;  le  dessus  de 
lo  tête  et  du  cou  est  d'un  brun  marron;  l'estomac >       J 


LE    TIKLIN    llAYli.  SOi) 

la  poitrine  et  Je  cou,   sont  d'un  gris  olivâtre;  et  la 
gorge  est  d'un  blanc  roussâtre. 


i^*»»*  ««.e.»e<»9«  s*  »»»«  •«•««» 


LE  TIKLIN  A  COLLIER; 

QUATRIÈMK    ESPÈCE, 

Rallus  torquatus.  L. 

Celui-ci  est  un  peu  plus  gros  que  notre  râle  de  ge- 
nêt. Il  aie  manteau  d'un  brun  teint  d'olivâtre  sombre; 
les  joues  et  la  gorge  sont  de  couleur  de  suie  ;  un  trait 
blanc  part  de  l'angle  du  bec ,  passe  sous  l'œil,  et  s'é- 
tend en  arrière;  le  devant  du  cou,  la  poitrine,  le 
ventre,  sont  d'un  brun  noirâtre  rayé  de  lignes  blan- 
ches :  une  bande  d'un  beau  marron,  large  d'un  doigt, 
forme  comme  un  demi-collier  au  dessus  de  la  poi- 
trine. 

OISEAUX  ÉTRANGERS 

DU    NOUVEAU    CONTINENT 
QUI   ONT    RAPPORT   AU    RALE. 


LE  RALE  A  LONG  BEC. 

PREMIÈRE    ESPÈCE. 

Rallus  longirostris.  L. 

Les  espèces  de  râles  sont  plus  diversifiées  et  peut 
être  plus  nombreuses  dans  les  terres  noyées  et  mare- 


5lO  LE    RALE    A    LONG    BEC. 

oageuses  du  nouveau  continent  que  dans  les  contrées 
plus  sèches  de  l'ancien.  On  verra,  par  la  description 
particulière  de  ces  espèces  ,  qu'il  y  en  a  deux  bien 
plus  petites  que  les  autres  ,  et  que  celle-ci  est  au 
contraire  plus  grande  qu'aucune  de  nos  espèces  eu- 
ropéennes ;  le  bec  de  ce  grand  râle,  n°  849,  est  aussi 
plus  long,  même  à  proportion,  que  celui  des  autres 
râles.  Son  plumage  est  gris,  un  peu  roussâtre  sur  le 
devant  du  corps,  et  mêlé  de  noirâtre  ou  de  brun  sur 
le  dos  et  les  ailes;  le  ventre  est  rayé  de  bandelettes 
transversales  blanches  et  noires,  comme  dans  la  plu- 
part des  autres  râles.  On  trouve  à  la  Guiane  deux 
espèces  ou  du  moins  deux  variétés  de  ces  râles  à  long 
bec,  qui  diffèrent  beaucoup  par  la  grosseur,  les  uns 
étant  de  la  taille  de  la  barge,  et  les  autres,  tels  que 
celui  de  la  planche  849?  n'étant  qu'un  peu  plus  gros 
que  notre  râle  d'eau. 


LE  KIOLO. 

SECONDE  ESPÈCE. 

Rallus  cayennensis.  L. 

C'est  par  ce  nom  que  les  naturels  de  la  Guiane 
expriment  le  cri  ou  piaulement  de  ce  râle,  n**  558  et  j 
n'  753;  il  le  fait  entendre  le  soir  à  la  même  heure 
que  les  tinamous,  c'est-à-dire  à  six  heures,  qui  est 
l'instant  du  coucher  du  soleil  dans  le  climat  équi-  I 
noxial.  Les  kiolos  se  réclament  par  ce  cri  pour  se  ral- 
lier avant  la  nuit;  car  tout  le  jour  ils  se  tiennent  seuls 


LE    KIOLO.  5l  1 

fourrés  dans  les  halliers  himiides  :  ils  y  font  leur  nid 
entre  les  petites  branches  basses  des  buissons^  et  ce 
nid  est  composé  d'une  seule  sorte  d'herbe  rougeâtre  ; 
il  est  relevé  en  petite  voûte,  de  manière  que  la  pluie 
ne  peut  y  pénétrer.  Ce  râle  est  un  peu  plus  petit  que 
la  marouette;  il  a  le  devant  du  corps  et  le  sommet 
de  la  tête  d'un  beau  roux,  et  le  manteau  lavé  de  verf 
olivâtre  sur  un  fond  brun.  Les  n°'  368  et  ^53  des  plan- 
ches enluminées  ne  représentent  que  le  même  oiseau, 
qui  ne  diffère  que  par  le  sexe  ou  l'âge.  Il  nousparoît 
aussi  que  le  râle  de  Pensylvanie ,  donné  par  Edwards, 
est  le  même  que  celui-ci. 


LE  RALE   TACHETE 

DE  CAYENNE. 

TllOISIÈME   ESPÈCE. 

Ratlus  variegatus,  L. 

Ce  beau  râle.  n°  776,  qui  est  aussi  un  des  plus 
grands,  a  l'aile  d'un  brun  roux;  le  reste  du  plumage 
est  tacheté  ,  moucheté,  liséré  de  blanc  sur  un  fond 
d'un  beau  noir.  Il  se  trouve  à  la  Guiane  comme  les 
précédents. 


Dl'J  LE    RALE    DE    VIliGlNlE. 

LE  RALE  DE  VIRGINIE. 

QUATRIÈME  ESPÈCE. 

Rallus  carolinus.  L. 

Cet  oiseau,  qui  est  de  la  grosseur  de  la  caille,  a 
plus  de  rapport  avec  le  roi  des  cailles  ou  râle  de  ge- 
nêt qu'avec  les  râles  d'eau.  Il  paroît  qu'on  le  trouve 
dans  l'étendue  de  l'Amérique  septentrionale  jus- 
qu'à la  baie  d'Hudson,  quoique  Calesby  dise  ne  l'a- 
voir vu  qu'en  Virginie  :  il  dit  que  son  plumage  est 
tout  brun,  et  il  ajoute  que  ces  oiseaux  deviennent 
si  gras  en  automne  qu'ils  ne  peuvent  échapper  aux 
sauvages ,  qui  en  prennent  un  grand  nombre  en  les 
lassant  à  la  course  ,  et  qu'ils  sont  aussi  recherchés  à 
la  Virginie  que  les  oiseaux  de  riz  le  sont  à  la  Caroline, 
et  l'ortolan  en  Europe. 


LE  RALE  BIDI-BIDL 

CINQUIÈME     ESPÈCE. 

Hallus  jamaicensis.  L. 

BiDi-BiDi  est  le  cri  et  le  nom  de  ce  petit  râle  à  la 
Jamaïque  :  il  n'est  guère  plus  gros  qu'une  fauvette  ; 
sa  tête  est  toute  noire;  le  dessus  du  cou  ,  le  dos,  le 
ventre,  la  queue  et  les  ailes,  sont  d'un  brun  qui  est 


LE    BIDI-BIDI.  5l5 

yarié  de  raies  transversales  blanchâtres  sur  le  dos,  le 
croupion  et  le  ventre,  les  plumes  de  Taile  et  celles 
de  la  queue  sont  semées  de  gouttes  blanches;  le  de- 
vant du  cou  et  l'estomac  sont  d'un  cendré  bleuâtre. 


a»»»»»^»^»»^»»^»* 


LE  PETIT  RALE 

DE    CAYENNE. 

SIXIÈME    ESPÈCE. 

Rallus  mlnimus.  L. 

Ce  joli  petit  oiseau  ,  n**  847  >  n'est  pas  plus  gros 
qu'une  fauvette  :  il  a  le  devant  du  cou  et  la  poitrine 
d'un  blanc  légèrement  teint  de  fauve  et  de  jaunâtre  ; 
les  flancs  et  la  queue  sont  rayés  transversalement  de 
blanc  et  de  noir;  le  fond  des  plumes  du  manteau  est 
noir,  varié  sur  le  dos  de  taches  et  de  lignes  blanches, 
avec  des  franges  roussâtres.  C'est  le  plus  petit  des 
oiseaux  de  ce  genre,  qui  sont  assez  nombreux  en  es- 
pèces. 

Du  reste ,  ce  genre  de  râle  paroît  encore  plus  ré- 
pandu que  varié  :  la  nature  a  produit  ou  porté  do 
ces  oiseaux  sur  les  terres  les  plus  lointaines.  M.  Cook 
en  a  vu  au  détroit  de  Magellan  ;  il  en  a  trouvé  dans 
différentes  îles  de  l'hémisphère  austral ,  à  Anamocka, 
à  Tanna,  à  l'île  Norfolk;  les  îles  de  la  Société  ont 
aussi  deux  espèces  de  râles,  un  petit  râle  noir  tacheté 
[pooà-née) ,  et  un  petit  râle  aux  yeux  rouges  [mailio]  : 
il  paroît  que  les  deux  acolins  de  Fernandès ,  qu'il  ap- 


5l4  LE    PETIT    RALlî    DE    CAYENKE. 

pelle  des  cailles  d'eaUy  sont  des  râles  dont  l'espèce 
est  propre  au  grand  lac  de  Mexique  ;  sur  quoi  nous 
avons  déjà  remarqué  qu'il  faut  se  garder  de  confondre 
ces  acolins  ou  râles  de  Fernandès  avec  les  colins  du 
même  naturaliste,  qui  sont  des  oiseaux  que  l'on  doit 
rapporter  aux  perdrix. 


C*<««««<»îl««i* 


LE  CAURALE, 

ou  PETIT  PAON  DES  ROSES. 
Ardea  helias.  L. 

A  le  considérer  par  la  forme  du  bec  et  des  pieds , 
cet  oiseau,  n"*  782  ,  seroit  un  râle  ;  mais  sa  queue  est 
beaucoup  plus  longue  que  celle  d'aucun  oiseau  de 
cette  famille.  Pour  exprimer  en  même  temps  cette 
différence  et  ces  rapports,  il  a  été  nommé  caurâle 
(râle  à  queue) dansles  planches  enluminées  :  nous  lui 
conserverons  ce  nom  plutôt  que  celui  de  petit  paon 
des  roses  qu'on  lui  donne  à  Gayenne.  Son  plumage 
esta  la  vérité  riche  en  couleurs,  quoiqu'elles  soient 
toutes  sombres*;  et  pour  en  donner  une  idée  on  ne 
peut  mieux  les  comparer  qu'aux  ailes  de  ces  beaux 
papillons  phalènes,  où  le  noir,  le  brun,  le  roux,  le 
fauve  et  le  gris  blanc,  entremêlés  en  ondes,  en  zones, 
en  zigzags,  forment  de  toutes  ces  teintes  un  ensemble 
moelleux  et  doux.  Tel  est  le  plumage  du  caurâle,  par- 

1.  On  imagiucroit  peut-être  quelque  rapport  de  cet  oiseau  au  paon, 
\\x  moins  dans  sa  manière  d'étaler  ou  de  soutenir  sa  queue  ;  mais  on 
nous  assure  qu'il  ne  la  relève  point. 


LE    CAURALE,    OU    PETIT    PAON    DES    ROSES.        5l5 

ticiilièrement  sur  les  ailes  et  la  queue.  La  tête  est 
coiflee  de  noir,  avec  de  longues  lignes  blanches  des- 
sus et  dessous  l'œil  ;  le  bec  est  exactement  un  bec 
de  râle,  excepté  qu'il  est  d'une  dimension  un  peu  plus 
longue  comme  toutes  celles  de  cet  oiseau,  dont  la 
tête,  le  cou,  et  le  corps,  sont  plus  allongés  que  dans 
le  râle;  sa  queue,  longue  de  cinq  pouces,  dépasse 
l'aile  pliée  de  deux;  son  pied  est  gros  et  haut  de 
vingt-six  lignes,  et  la  partie  nue  de  la  jambe  l'est  de 
dix;  le  rudiment  de  membrane  entre  le  doigt  exté- 
rieur et  celui  du  milieu  est  plus  étendu  et  plus  mar- 
qué que  dans  le  râle.  La  longueur  totale  ,  depuis  la 
pointe  du  bec,  quia  vingt-sept  lignes,  jusqu'à  celle 
de  la  queue,  est  de  quinze  pouces. 

Cet  oiseau  n'a  point  encore  été  décrit,  et  n*est 
connu  que  depuis  peu  de  temps;  on  le  trouve,  mais 
assez  rarement ,  dans  l'intérieur  des  terres  de  la 
Guiane,  en  remontant  les  rivières  dont  il  habite  les 
bords;  il  vit  solitaire,  et  fait  entendre  un  sifflement 
lent  et  plaintif  qu'on  imite  pour  le  faire   approcher. 


FIN    DU    VINGT- CINQUIEME    VOLUME. 


TABLE 

DES   ARTICLES 


CONTENUS 


DANS   LE    VINGT-CINQUIEME  VOLUME. 


SUITE    DES   OISEAUX. 

Les  Pics Page      7 

Lo  Pic  vert 10 

Oiseaux  étrangers  de  l'ancien  continent  qui  ont  rap- 
port au  Pic  vert 19 

Le  Palalaca ,  ou  Pic  vert  des  Philippines,  première 

espèce ihid. 

Autre  Palalaca,  ou  Pic  vert  des  Philippines,  seconde 

espèce 20 

Le  Pic  vert  de  Goa ,  troisième  espèce 21 

Le  Pic  vert  de  Bengale  ,  quatrième  espèce ihid. 

Le  Goerlan ,  ou  Pic  vert  du  Sénégal ,  cinquième  es- 
pèce   9.5 

Le  petit  Pic  rayé  du  Sénégal ,  sixième  espèce  ....        ihid. 

Le  Pic  à  tête  grise  du  cap  de  Bonne-Espérance ,  sep- 
tième  espèce a4 

OisEADx  DU  NOUVEAU  CONTINENT  qui  out  rapport  au  Pic 

vert ibid. 

Le  Pic  rayé  de  Saint-Domingue,  première  espèce.  .   .        ibid. 
Le  petit  Pic  olive  de  Saint-Domingue  ,  seconde  es- 
père    25 


5l8  TABLE. 

Le  grand  Pic  rayé  de  Cayenne ,  troisième  espèce..    .  Page  26 

Le  petit  Pic  rayé  de  Cayenne  ,  quatrième  espèce.  .   .  27 

Le  Pic  jaune  de  Cayenne,  cinquième  espèce 28 

Le  Pic  mordoré  ,  sixième  espèce 99 

Le  Pic  à  cravate  noire  ,  septième  espèce 3o 

Le  Pic  roux,  huitième  espèce 3i 

Le  petit  Pic  à  gorge  jaune,  neuvième  espèce ibid. 

Le  très  petit  Pic  de  Cayenne  ,  dixième  espèce.   ...  32 

Le  Pic  aux  ailes  dorées,  onzième  espèce 35 

Le  Pic  noir 34 

Oiseaux  du  nouveau  continent  qui  ont  rapport  au  Pic 

noir 38 

Le  grand  Pic  noir  à  bec  blanc  ,  première  espèce.   .   .  ibid. 

Le  Pic  noir  à  huppe  rouge  ,  seconde  espèce 4o 

L'Ouantou,  ou  Pic  noir  huppé  de  Cayenne,  troisième 

espèce f\i 

Le  Pic  à  cou  rouge  ,  quatrième  espèce 4^ 

Le  petit  Pic  noir,  cinquième  espèce ibid. 

Le  Pic  noir  à  domino  rouge,  sixième  espèce 44 

L'Épeiche,  ouïe  Pic  varié,  première  espèce 4^ 

Le  petit  Épeiche,  seconde  espèce 49 

Oiseaux  de  l'ancien  continent  qui  ont  rapport  à  l'Épei- 

che 5i 

L'Épeiche  de  Nubie  onde  et  tacheté,  première  espèce.  il)id. 

Le  grand  Pic  varié  de  l'île  de  Luçon,  seconde  espèce,  ibid. 

Le  petit  Épeiche  brun  des  Moluques,  troisième  espèce.  62 

Oiseaux  du  nouveau  continent  qui  ont  rapport  à  ï'Épei- 

che 53 

L'Épeiche  du  Canada  ,  première  espèce, ibid. 

L'Épeiche  du  Mexique ,  seconde  espèce 54 

L'Épeiche  ,    ou  Pic  varié  de  la  Jamaïque  ,  troisième 

espère. ibid. 


tâblï;.  5 19 

L'Épeiche ,  ou  Pic  rayé  de  la  Louisiane ,   quatrième 

espèce Page  55 

L'Épeiche,  ou  Pic  varié  de  la  Encénada ,  cinquième 

espèce 5G 

L'Épeiche,  ou  Pic  chevelu  de  Virginie,  sixième  espèce.  57 

L'Épeiche,  ou  Pic  varié  de  Virginie,  septième  espèce.  ihid. 

L'Épeiche  ,  ou  Pic  varié  de  la  Caroline ,  huitième  es- 
pèce   58 

L'Épeiche,  ou  Pic  varié  onde,  neuvième  espèce.   .    .  Sq 

Les  Pics-Grimpereaux 61 

Le  Torcol 6a 

Les  Oiseaux  barbus 68 

Le  Tamatia,  première  espèce 69 

Le  Tamatia  à  tête  et  gorge  rouges,    seconde  espèce.   ...  71 

Le  Tamatia  à  collier,  troisième  espèce 72 

Le  beau  Tamatia,  quatrième  espèce --5 

Les  Tamatias  noirs  et  blancs,  cinquième  espèce ibid. 

Les  Barbus ■-4 

Le  Barbu  à  gorge  jaune,  première  espèce ^5 

Le  Barbu  à  gorge  noire,  seconde  espèce yt] 

Le  Barbu  à  plastron  noir,  troisième  espèce --7 

Le  petit  Barbu  ,  quatrième  espèce ~8 

Le  grand  Barbu,  cinquième  espèce nq 

Le  Barbu  vert ,  sixième  espèce 80 

Les  Toucans 81 

Le  Toco  ,  première  espèce 89 

Le  Toucan  à  gorge  jaune,  seconde  espèce 90 

Le  Toucan  à  ventre  rouge,  troisième  espèce 92 

Le  Gochicat,  quatrième  espèce. 94 

Le  Hochicat,  cinquième  espèce 96 

Les  Aracaris ibid. 


020  TABLE. 

Le  Grigri ,  première  espèce Page    f)G 

Le  Koulik  ,  seconde  espèce qj 

L'Aracari  à  bec  noir,  troisième  espèce 98 

L'Aracari  bleu,  quatrième  espèce. gg 

Le   Barbican ibitl. 

î^  Gassican 100 

Les  Calaos  ,  ou  les  Oiseaux  rhinocéros 102 

LcTock,  première  espèce 106 

Le  Calao  de  Manille  ,  seconde  espèce 109 

Le  Calao  de  l'île  Panay,  troisième  espèce 110 

liC  Calao  des  Moluques ,  quatrième  espèce 111 

Le  Calao  du  Malabar,  cinquième  espèce ii3 

Le  Brac,  ou  Calao  d'Afrique,  sixième  espèce 117 

Le  Calao  d'Abyssinie,  septième  espèce 118 

Le  Calao  des  Philippines,  huitième  espèce 119 

Le  Calao  à  casque  rond,  neuvième  espèce 121 

Le  Calao-Rhinocéros,  dixième  espèce 120 

Le  Martin-Pêcheur,  ou  l'Alcyon 12  5 

Les  Martins-Pêcheurs  étrangers ï35 

Les  grands  Martins-Pêcheurs  de  l'ancien  continent.    ...  106 

Le  plus  grand  Martin-Pêcheur,  première  espèce ibid. 

Le  Martin-Pêcheur  bleu  et  roux,  seconde  espèce.   ...  lôy 

Le  Martin-Pêcheur  crabier,  troisième  espèce i38 

Le  Martin-Pêcheur  à  gros  bec ,  quatrième  espèce.    ...  lôg 

Le  Martin-Pêcheur  pie,  cinquième  espèce ibid. 

Le  Martia-Pêcheur  huppé,  sixième  espèce i4i 

Le  Martin-Pêcheur  à  coiffe  noire,  septième  espèce.    .   .  i^i 
Le  Martin-Pêcheur  à  tête  verte  ,  huitième  espèce.   .    .   .  i^S 
Le  Martin-Pêcheur  à  tête  et  cou  couleur  de  paille,  neu- 
vième espèce ï44 

Le  Martin-Pêcheur  à  collier  blanc  ,  dixième  espèce,   .   .  i45 


TABLE.  521 

Lies  Martiiis- Pêcheurs  de  moyenne  grandeur  de  l'ancien 

continent Page    i^6 

LeBaboucard,  première  espèce  moyenne ibid. 

Le  Marlin-Pêcheur  bleu  et  noir  du  Sénégal ,  seconde  es- 
pèce moyenne 147 

Le    Martin  -  Pêcheur    à    tête   grise  ,    troisième   espèce 

moyenne ibid. 

Le  Martin  -  Pêcheur  à  front  jaune,   quatrième    espèce 

moyenne i48 

Le   Martin -Pêcheur  à  longs  brins  ,  cinquième   espèce 

moyenne 149 

Les  petits  Marlins-Pêcheurs  de  l'ancien  continent i5o 

Le  Martin  •  Pêcheur  à  tête  bleue  ,  première  petite  es- 
pèce   ibid. 

Le  Martin-Pêcheur  roux,   seconde  petite    espèce.    ...  i5i 
Le  Martin-Pêcheur  pourpré  ,  troisième  petite  espèce.    .  ibid. 
Le  Martin-pêcheur  à   bec  blanc,  quatrième  petite  es- 
pèce   i5'À 

Le  Martin-Pêcheur  du  Bengale,  cinquième  petite  espèce.  i53 

Le  Marlin-Pêcheur  à  trois  doigts,  sixième  petite  espèce.  i54 

Le  Vintsi ,   septième  petite   espèce i55 

Les  Martins-Pêcheurs  grande  espèce  du   nouveau  conti- 
nent   i56 

Le  Taparara  ,  première  grande  espèce ibid. 

L'Alatli,  seconde  grande  espèce 167 

Le  Jaguacati ,  troisième  grande  espèce 169 

Le  Matuiti ,  quatrième  grande  espèce 161 

Les  Martins-Pêcheurs  de  moyenne  grandeur  du  nouveau 

continent 16-2 

"*       Le  Martin  -  Pêcheur    vert    et    roux ,    première    espèce 

moyenne ibid. 

Le    Martin-Pêcheur     vert    et    blanc  ,     seconde    espèce 

moyenne i65 

Buri'ov.   XXV.  33 


5^2  TABLE. 

Le  Gip-Gip ,  troisième  espèce  moyenne Page  iGS 

Les  Petits  Martins-Pêcheurs  du  nouveau  continent 164 

Le  Martin-Pêcheur  vert  et  orangé.    . ibid. 

Les  Jacamars 164 

Le  Jacamar  proprement  dit,  première  espèce 166 

Le  Jacamar  à  longue  queue,  seconde  espèce 167 

Les  Todiers 168 

Le  Todier  de  l'Amérique  septentrionale,  première  es- 
pèce   169 

Le  Tic-Tic,  ou  Todier  de  l'Amérique  méridionale ,  seconde 

espèce 171 

Le  Todier  bleu  à  ventre  orangé ,  troisième  espèce 172 

Les  Oiseaux  aquatiques 17^ 

La  Gigogne 189 

La  Cigogne  noire 201 

Oiseaux  éthaingees  qui  ont  rapport  à  la  Cigogne.   ...  2o5 

Le  Maguari ibid. 

Le  Gouricaca 2o5 

Le  Jabiru 207 

LeNandapoa 210 

La    Grue 211 

La  Grue  à  collier 220 

Gbues  du  nouveau  co^TIIVENT ibid. 

La  Grue  blanche •  .   .   .   .  ibid. 

Lu  Grue  brune 225 


TABLE.  ô'2.^ 

Oiseaux  étrangeus  qui  out  rapport  à  la  Grue Page  a 96 

La  Demoiselle  de  Numidie ibid. 

L'Oiseau  royal 3*29 

Le  Gariama 904 

Le  Secrétaire  ou  le  Messager 237 

Le  Kamichi 243 

Le  Héron  commun,   première  espèce 248 

Le  Héron  blanc,  seconde  espèce 263 

Le  Héron  noir,  troisième  espèce 264 

Le  Héron  pourpré,  quatrième  espèce 266 

Le  Héron  violet,  cinquième  espèce 266 

La  Garzelte  blanche,  sixième  espèce ibid. 

L'aigrette,    septième  espèce 268 

HÉRONS  DU  NOUVEAU  CONTINENT 27O 

La  grande  Aigrette,  première  espèce ibid. 

L'Aigrette  rousse ,  seconde  espèce 271 

La  Demi-Aigrette,  troisième  espèce ibid. 

Le  Soco  ,  quatrième  espèce 272 

Le    Héron    blanc   à    calotte    noire ,    cinquième    es- 
pèce   273 

Le  Héron  brun  ,  sixième  espèce ibid. 

Le  Héron-Agami ,  septième  espèce. 274 

L'Hocti,  huitième  espèce 27$ 

Le  Hohou,  neuvième  espèce 276 

Le  grand  Héron  d'Amérique ,  dixième  espèce.    .   .    .  ibid. 

Le  Héron  de  la  baie  d'Hudson,  onzième  espèce.   ...  277 

Les  Grabiers 278 

GHABIERS  DE   l'aNCIEN  CONTINENT 279 

Le  Grabicr-Gaïot,  première  espèce ibid. 

Le  Grabier  roux,  seconde  espèce ibid. 


524  TABLE. 

Le  Crabier  marron,  troisième   espèce Page  280 

Le  Guacco,  quatrième  espèce 281 

Le  Crabier  de  Mahon ,  cinquième  espèce 282 

Le  Crabier  de  Coromandel,  sixième  espèce ibid. 

Le  Crabier  blanc  et  brun  ,  septième  espèce 283 

Le  Crabier  noir,  huitième  espèce ibid. 

Le  petit  Crabier,  neuvième  espèce 284 

Le  Blongios,  dixième  espèce.   . ibid. 

Crabiers  du    nouveau    continent a86 

Le  Crabier  bleu  ,  première  espèce ibid. 

Le  Crabier  bleu  à  cou  brun,  seconde  espèce 287 

Le  Crabier  gris  de  fer,  troisième  espèce ibid. 

Le  Crabier  blanc  à  bec  rouge  ,  quatrième  espèce  ...  288 

Le  Crabier  cendré  ,  cinquième  espèce 289 

Le  Crabier  pourpré,  sixième  espèce ibid. 

Le  Cracra  ,  septième  espèce 290 

Le  Crabier  Chalybé ,  huitième  espèce »  291 

Le  Crabier  vert,  neuvième  espèce ibid. 

Le  Crabier  vert  tacheté  ,  dixième  espèce 292 

Lp  Zilatat,  onzième  espèce 298 

Le   Crabier  roux  à  tête  et  queue  vertes,  douzième 

espèce ibid. 

Le  Crabier  gris  à    tête    et  queue   vertes,   treizième 

espèce 294 

Le  Bec-Ouvert ibid. 

Le  Butor 296 

Oiseaux    de    l'ancien    continent    qui     ont     rapport 

au    butor 5o4 

Le  gi'and  Butor ,  première  espèce ibid. 

Le  petit  Butor  ,  seconde  espèce 3o5 

Le  butor  brun  rayé ,  troisième  espèce ibid. 

Le  Butor  roux  ,  quatrième  espèce 3o6 

Le  petit  Butor  du  Sénégal,  cinquième  espèce.   .    .   .  307 


TABLE.  5^5 

Le  Pouacre.  ou  Butor  tacheté,  sixième  espèce.   .    .   Page  Soy 

Oiseaux    nu    nouveau    contiiveint    qui   ont    rapport     au 

Butor 3o8 


L'Étoile,    première  espèce ibid. 

Le  Butor  jaune  du  Brésil,  seconde  espèce 609 

Le  petit  Butor  de  Gayenne  ,  troisième  espèce 3io 

Le     Butor    de    la    baie    d'Hudson ,    quatrième    es- 
pèce   ibid. 

L'Onoré  ,  cinquième  espèce 5ii 

L'Onoré  rayé,  sixième  espèce ibid. 

L'Onoré  des  bois ,  septième  espèce 3i3 

Le  Bihoreau 01 4 

Le  Bihoreau  de  Gayenne 3i6 

L'Ombrette 317 

Le  Gourliri,  ou  Gourlan 3i8 

Le   Savacou 319 

La  Spatule 323 

La    Bécasse 33 1 

Variétés  de  la  Bécasse 342 

La  Bécasse  blanche ibid. 

La  Bécasse  rousse 543 

Oiseau  étkangeb  qui  a   rapport  à  la  Bécasse 344 

La  Bécasse  des  savannes ibid. 

La  Bécassine ,  première  espèce 346 

La  petite  Bécassine  surnommée  la  iSoarcfÉj,  seconde  espèce. .  35o 

La  Brunette  ,  troisième  espèce 35a 


526  TABLE. 

Oiseaux  étrangers  qui  ont  rapport  aux  Bécassines.  .    .   Page  35 'Ji 

La  Bécassine  du  cap  de  Bonne-Espérance ,  première 

espèce ibid. 

La  Bécassine  de  Madagascar,  seconde  espèce 353 

La  Bécassine  de  la  Chine,  troisième  espèce 354 

Les  Barges ibid. 

La  Barge  commune ,  première  espèce SSy 

La  Barge  aboyeuse,  seconde  espèce 358 

La  Barge  variée,    troisième  espèce SSg 

La  Barge  rousse  ,  quatrième  espèce 36o 

La  grande  Barge  rousse ,  cinquième  espèce ibid. 

La  Barge  rousse  de  la  baie  d'Hudson,  sixième  espèce.   .    .  36 1 

La  Barge  brune,  septième  espèce 362 

La  Barge  blanche ,  huitième    espèce 363 

Les  Chevaliers 364 

Le  Chevalier  commun,  première  espèce 365 

Le  Chevalier  aux  pieds  rouges,  seconde  espèce 366 

Le  Chevalier  rayé  ,  troisième  espèce 367 

Le  Chevalier  varié,  quatrième  espèce 368 

Le  Chevalier  blanc  ,  cinquième  espèce 569 

Le  Chevalier  vert,  sixième  espèce 370 

Les  Combattants,  vulgairement  Paons  c/e  mer 371 

Les  Maubèches ,   .  376 

La  Maubèche  commune ,  première  espèce 077 

La  Maubèche  tachetée  ,  seconde  espèce. 37S 

La  Maubèche  grise ,  troisième  espèce ibid. 

Le  Sanderling,  quatrième  espèce 379 

Le  Bécasseau ibid. 

La  Guignettc 585 


TABLli:.  627 

La  Perdrix  de  mer Page  084 

La  Perdrix  de  mer  grise,  première  espèce 585 

La  Perdrix  de  mer  brune ,  seconde  espèce 586 

La  Giarole  ,  troisième  espèce 587 

La  Perdrix  de  mer  à  collier  quatrième  espèce ibicl. 

L'Alouette  de  mer 588 

Le  Cincle 591 

L'Ibis 39S 

L'Ibis  blanc i^oi 

L'Ibis  noir 4^4 


Le  Courlis,  première  espèce .  4o- 


LeCorlieu,  ou  petit  Courlis,  seconde  espèce 4^9 

Le  Courlis  vert,  ou  Courlis  d'Italie,  troisième  espèce..    .  4^0 

Le  Courlis  brun ,  quatrième  espèce 4«i 

Le  Courlis  tacheté,    cinquième  espèce 4^2 

Le  Courlis  à  tête  nue  ,  sixième  espèce ibid. 

Le  Courlis  huppé,  septième  espèce 4i5 

Courlis  du  nouveau  continent 4*4 

Le  Courlis  rouge ,  première  espèce ibid. 

Le  Courlis  blanc ,  seconde  espèce 4i8 

Le  Courlis  brun  à  front  rouge,  troisième  espèce.   .   .   .  419 

Le  Courlis  des  bois  ,  quatrième  espèce 420 

Le  Gouarona  ,  cinquième  espèce 421 

L'Acalot,  sixième  espèce ibid. 

Le  Matuitui  des  rivages,  septième  espèce 425 

Le  grand  Courlis  de  Cayenne,  huitième  espèce ibid. 

Le  Vanneau,  première  espèce , 424 

Le  Vanneau  suisse,  seconde  espèce 455 

Le  Vanneau  armé  du  Sénégal ,  troisième  espèce.  .....  454 


528  TABLE. 

Le  Vanneau  armé  des  Indes,   quatrième  espèce Page  ^06 

Le  Vanneau  armé  de  la  Louisiane,  cinquième  espèce.   .   .  4^7 

Le  Vanneau  armé  de  Gayenne ,  sixième  espcèe 4^8 

Le  Vanneau-Pluvier 4^9 

Les  Pluviers 44  î*^ 

Le  Pluvier  doré ,  première  espèce 449 

Le  Pluvier  doré  à  gorge  noire,  seconde  espèce 4^2 

Le  Guignard  ,  troisième  espèce 4^7 

Le  Pluvier  à  collier,  quatrième  espèce 4^9 

Le  Kildir,  cinquième  espèce 4^3 

Le  Pluvier  huppé,  sixième  espèce 4^4 

Le  Pluvier  à  aigrette,  septième  espèce 465 

Le  Pluvier  coiffé  ,  huitième  espèce 4^6 

Le  Pluvier  couronné  ,  neuvième  espèce ibid. 

Le  Pluvier  à  lambeaux,  dixième  espèce 4^7 

Le  Pluvier  armé  de  Gayenne,  onzième  espèce l[C)8 

Le  Pluvian 469 

Le  grand  Pluvier,  vulgairement  appelé  Courlis  de  terre.    .  470 

L'Échasse 47^ 

L'Huîtrier,  vulgairement  la  Pte  f/e  mer 479 

Le  Coure-Vite 485 

Le  Tourne-Pierre 4^7 

Le  Merle  d'eau 489 

La  Grive  d'eau .  49^ 

Le  Ganut 49^ 

Les  Râles 497 

Le  Râle  de  terre  ou  de  genêt ,  vulgairement  Roi  des  Cailles, 

première  espèce -   .    .   .   .  49^ 


TABLE.  529 

Le  Râle  d'eau  ,  seconde  espèce Page  5o3 

La  Marouette,  troisième  espèce ^o^ 

Oiseaux  étrangers  de  l'ancien  continent  qui  ont  rapport 

au  Râle ^^7 

Le  TiWin ,  ou  Râle  des  Philippines ,  première  espèce.  ibid. 

Le  Tiklin  brun,  seconde  espèce ^08 

Le  Tiklin  rayé,  troisième  espèce ibid. 

Le  Tiklin  à  collier,  quatrième  espèce \  '   '   •  ^°9 

Oiseaux  étrangers  du  nouveau  continent  qui   ont  rapport 

pA,                                                  ibid. 

au   naJe 

Le  Râle  à  long  bec  ,  première  espèce ibid. 

LeKiolo,   seconde  espèce ^^° 

Le  Râle  tacheté  de  Gayenne,  troisième  esèpce 5ii 

Le  Râle  de  Virginie,  quatrième  espèce ^^la 

Le  Râle  Bidi-Bidi ,  cinquième  espèce itnd. 

Le  petit  Râle  de  Gayenne  .  sixième  espèce 5i3 

LcCaurâle,  ou  pelil  Paon  dos  roses 5i4 


FIN    DE    LA    TABLi:. 


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